y\- REFLEXIONS SUH L E GOUVERNEMENT des FEMMES, PAR LE COLONEL CHEVALIER DE CHAMPION Yj SttCavec un cceur fenjlble tin eft heureux de naitre y Quand ce qjfon dolt aimer eft Jl digne de tltre ! MARMONTEL, dans Ariflomtlne. A LONDRES. Aux depens de 1'Auteur, 1770. A S A M A J E S T k IMPERIALS 1'AUGUSTE SOUVERAINE DE TOUTES LES R U S S I E S. 202SS75 * J MADAME, i^Orfquun auteur donne- au public un Syf- teme nouveau, il faut, sil veut le faire gouter, quil I'appme de quelque autoritl refpeftable. Les exemples,fur~tout,font ce qui frapf* le plus. Nefuis-je done pas fur de falre lire avec empreffement mes Re- flexions fur le Gouvernement des Fem- mes, des quon les verra paroitre fous les aufpices de VOTRE MAJESTE' IMPE'RI- ALE, dont toutes les demarches, depuis fon avenement au Trone, rendent monfyfteme inconteftable ? [ vi ],. incont eft able? Le beaufexe^ MAJESTE' IMPE'RIALE femble donner un nouvel eclat, glorleux du luftre qiiil en tire> fe declarer a pour moi : G? les hommes, ces etresfuperbes^ aflez vains jufqu ici pour Je croirefeuls dignes de regner,fe trouveront forces de convener, en ijoiant I'ufage que vousfaites dufceptre, quilnepouvoit etre en de meitlettres mains. Z/'Ottoman Iui-meme> malgre les principes err ones de fa Re/igzon, VQUsrendrajuftice; & VOTRE MAJESTE' IMPE^IALE, en le c/iaffant de E,urope y lutferafentir toute labfurdite defes dogmes, en reconnoiffant quil faut avoir une Ame, & une Ame comme celle de CATHERINE, four concevalr & executer daufji grands frojets que lesjiens* Contmue'z done, Grande Prmceffe, a Jaire triompher vos armes du Nord a I'O- rient. Humiliez vos ennemis dans tous les coins de rhemtfphere. Faites revivre Tan-* cienne Biza-nce - 3 & arborez, fur Jes tnurs la, double aigk a la face du croljjant^ Siipfcfc [ vii ] Suppofe quau milieu de ces momens con- facres a former les plans de : ( ^. En comparant 1'ambition de Se'/nf- ramis avec celle du roi de PrulTe, nous ne pouvons donner au dernier (tout grand qu'il eft) 1'avantage fur cette ptinceife, dont la retraite fut auffi bien concertee, & m^nagee avec autant de prudence, que 1'auroit pu etre celle du premier Capitaine de nos jours. De fetour dans fes etats, Semiramis decouvrit que fon fils lui dreflbit des em- buches, & qu'un de fes principaux offi- ciers s'etoit oifert a lui preter fon mi- niftere. Elle fe reffouvint alors de 1' Oracle de Jupiter Ammon ; &, avertie que la fin de fa courfe approchoit, fans faire fubir le moindre chatiment a ce meme officier, qu'elle avoit arrete, ellt? abdiqua volontairement 1'empire entre les 14 'Reflexions fur k les mains de Ntnias, & fc deroba a la vue des hommes, dans 1'efperance de joui'r bientot de ces honneurs divins qne 1'Oracle lui avoit promis. On dit, en ef- fet, qu'elle fut honoree par les Aflyriens comme une Divinite fous la forme d'une Colombe. Elle avoit vecu foixante-deux ans, dont elle avoit regne quarante-deux. On a voulu ternir 1' eclat des hauts faits de cette princeffe, en 1'accufant d'avoir ote la vie a fon mari, & d'une paffion inceftueufe pour fon fils. Mais cela eft fi deftitue de vraifemblance, que jc croirois perdre le temps de vouloir le re- futer ; d'autant-plus qu'il n'eft pas pof- fiblede croire qu'une princelTe doiiee de li hautes qualites fe fut portee a de pa- reils attentats, & qu'il eft fort rare de trouver tant de grandeur dans une ame noire. Je n'en dirai done pas davantage fur Gouvernement des Femmes. 1 5 fur le chapitre de Semiramis & pafTcrai a Cleopatre. I une Politique confommee, & beau* coup de diffimulation, fuffifent pour donner de 1'eclat au trone, perfonne ne 1'eut fans-doute rempli plus dignement que cette princefle. On trouve en elle, depuis le commencement de fon regne jufqu'a 1'epoque de fa mort, un melange de coquetterie, de fermete, & de four- berie, malgre lequel cependant on ne laiffe pas de decouvrir un certain fond de grandeur qu'on rie peut s'empecher d'admirer. Jamais femme ne connut mieux le prix de fes charmes, & jamais femme ne f^ut mieux les faire valoir. yules Cefar, apres la guerre 1'Alexan- drie, avoit remis Cleopatre deffus le trone j i6 Reftexibns fur h trone \ &, pour la forme feulement, lui avoit aflbcie Ton frere, qui n'avoit alors iqu'onze ans. Pendant fa minorite, elle avoit eu toutc 1'autorite entre fes mains. Quand il cut atteint 1'age de quinze ans, qui eft le temps ou, felon les loix du pai's* il devoit gouverner par lui-meme, & prendre fa part de 1'autorite roi'ale, elle 1'empoifonna, & demeura feule Reine d'Egypte. Dans Get intervalle, Ctfar avoit etc tue a Rome par les conjures, a la tete defquels et&ieh't Brutus & Gqffius : puis fe forma le Triumvirat entre Antoine^ Lepide, & Cefar Offavten, pour venger la mort de Cefar. CUopatre fe deelara fans hefiter poiir les Triumvirs. Elle donna a Allitnus-^ lieutenant du Conful Dolabella, quatre legions, qui etoient le refte des armies de Pomfee 6c de Craffus^ 6c qui faifoient partic Gouvernement des Femmcs. i j partie des troupes que Cefar lui avoit laiflees pour la garde de 1'Egypte. Elle avoit aufli une flotte toute prete a faire voile : mais une tempete 1'empecha de partir. Cafflus fe rendit maitre de ces quatre legions. Cleopatre follicitee plu- fieurs fois par CaJJius de lui donner du fecours, le refufa conftamment. Elle partit, quelque temps apres, avec une flotte nombreufe pour aller fecourir An- toine & Offavien. Une rude tempete lui fit perir beaucoup de vaifTeaux ; & une maladie qui lui furvint 1'obligea de retourner en Egypte. Antoine, apres la defaite de Cqffius & de Brutus, a la bataille de Philippes, etant pafle en A lie, pour y etablir Tau- torite du Triumvirat, une foule Rois & de Princes d'Orient, ou d'Ambaffadeurs, venoient de toutes parts lui faire la cour. On lui dit que les Gouverneurs de la Phenicie, qui etoient du reiTort du Roi'- C aumQ 1 8 Reflexions fur le aume d'Egypte, avoient envoie du fecours a CaJJlus centre Dolabella. II cita Cleo- patre devant lui pour repondre du fait de fes gouverneurs, & lui envoi'a un de fes lieutenans, pour 1'obliger a venir le trouver dans la Cilicie, ou il alloit tenir les etats dc la Province. Cette demarche, par fes fuites, devint extremement funefte a Antoine, & mit le comble a fes maux. Son amour pour CUopatre aiant reveille en lui des paffions encore cachees ou endormies, les alluma jufqu'a la fureur, & acheva d'eteindre ou d'amortir quelques etincelles d'honnetete & de vertu qui pouvoient lui refler. CUopatre^ fure de fes charmes par 1'e- preuve qu'elle en avoit deja li heureufe- ment faite aupres de "Jules Cefar, efpera qu ? elle pourroit auffi captiver Antoinc avec la meme facilite -, d'autant-plus que le premier ne 1'avoit connue que fort Gouvernement des Femmes. 1 9 fort jeune encore, & lorfqu'elle n'avoit aucune experience du monde ; au-lieu- qu'elle alloit paroitre devant Antolne dans un age ou les femmes joignent a la fleur de leur beaute toute la force de 1'efprit pour manier & conduire les plus grandes affaires. Cleopatre avoit alors vingt-cinq ans. Elle fit provifion de riches prefens, de grofTes fommes d'ar- gent, & fur-tout d'habits & d'ornemens magnifiques ; & placant encore plus fes efperances dans fes propres attraits, & dans les graces de fa perfonne, comme plus touchantes que Tor & les parures, clle fe mit en chemin, Sur fa route elle re9ut plufieurs let- tres SAntoine & defes amis, qui etoient a Tarfe, la prefTant de hater fon voiage. Mais elle ne fit que rire de tous ces em- prefTemens, & n'en fit pas plus grande diligence. Apres avoir traverfe la mer de Pamphylie, elle entra dans le Cydnusj (6c, remontant ce fleuve, vint aborder a Tarfe. On ne vit jamais d'equipage C 2 plus 20 Reflexions fur le plus galant ni plus fuperbe que le ficti; La poupe de fon vaifleau etoit toute ecla- tante d'or^ les voiles de pourpre, & les raraes garnies d'argent. Un pavilion d'un tifTu d'or etoit drefTe fur le tillac, folis lequel paroiffoit cette Reine, habil- lee en Venus, & environnee des plus belles filles de fa cour, dont les unes re- prefentoient les Ne'reides, & les autres les Graces. Au lieu de trompettes, on entendoit les fluttes, les haut-bois, les violes, & d'autres inftrumens fembla- bles, qui joiioient des airs paffionnez, & la cadence des avirons, qui etoient ma- nies en mefure, rendoit cette harmonic encore plus agreable. On bruloit fur le tillac des parfums, qui repandoient leur odeur bien loin fur les eaux du fleuve, & fur fes rives couvertes d'une infinite de perfonnes quc la nouveaute de ce fpec- tacle avoit attirees. Des qu'on f$ut qu'elle arrivoit, tout le peuple de Tarfe fortit au devant d'elle, au point qu'- Antoine, qui donnoit alors audience, vit ion Gouvernement des Femmes. 21 fon tribunal abandonne de tout le mori'- de, fans qu'il reftat perfonne aupres de lui que fes licleurs & fes domeftiques. II fe repandit un bruit que c'etoit Venus qui venoit en mafque chez Bacchus, pour le bien de 1'Afie. Elle ne fut pas plutot defcendue k terre, qu^ ' Antoim 1'envoi'a complimenter, & la faire inviter a fouper : mais elle fit reponfe a fes deputes qu'elle fouhaitoit de le regaler lui-meme, 6c qu'elle 1'at- tendoit dans les tentes qu'elle faifoit pre- parer fur les bords du fleuve. II ne fit pas difficulte d'y aller, & il trouva des preparatifs d'une magnificence qu'on ne peut exprimer. II admira fur- tout la beaute des luftres, qu'on avoit arranges avec beaucoup d'art, & dont 1'illumina- tion faifoit i^n jour agreable au milieu de Ja nuit, Antoine Tinvita a fon tour pour le lendemain. Quelques efforts qu'il cut fait 22 Reflexions fur le fait pour 1'emporter fur elle, il fe con- fefla vaincu foit pour la fomptuofite, foit pour 1'ordonnance du repas ; & il fut le premier a railler fur la mefquinerie 6c la groffierete du fien, en comparaifon de la richeiTe & de 1'elegance de celui de Cleo* fatre. La Reine, de fon cote, voi'ant que les plaifanteries & Antoine n'avoient rien que de groffier, & fcntoient plus Fhomme de guerre que rhomme de cour, le pai'e en pareille monnoie, fans 1'e- pargner, mais avec tant d'efprit & d'a- grement, qu'il ne s'en offenfoit point. Car les graces & les charmes de la con- verfation, accompagnes de toute la dou- ceur & de tout I'enjouement poflibles, avoient un attrait dont on pouvoit encore moins fe defendre que de celui de fa beaute, & laiffoient dans 1'efprit & dans le coeur un aiguillon qui piquoit jufqu'au vif. On etoit d'ailleurs charme de 1'en- tendre feulement parler, tant il y avoit de douceur 6c d'harmonie dans le fon de fa voix. II Gouvernement des Femmes. 23 II ne fut prefque point mention des griefs formes centre Cleopatre, qui, d'ailleurs, etoient fans fondement. Elle faifit tellement Antoine par fes charmes, & fe rendit fi abfolument maitrefle de fon efprit, qu'il ne lui pouvoit rien refu- fer. Ce fut pour lors qu'a fa priere ii fit mourir Arfinoe fa fceur qui s'etoit refugiee a Milet dans le temple dc Diane, comme dans une azyle affure. C'etoient tous les jours de nouvelles fetes. Un nouveau repas encherifToit toujours fur le precedent, & il femble qu'elle s'etudioit a fe furpafTer elle-meme. AntoinCy dans un feftin qu'elle lui doa- noit, etoit hors de lui-meme a la vue des richeffes e'talees des toutes parts, & fur- tout du grand nombre de coupes d'or, en- richies de pierreries, & travaillees par les plus habiles ouvriers. Elle lui dit d'un air dedaigneux que tout cela etoit peu de chofe, & lui en fit prefent. Le repas du lendemain fut encore plus fu- perbe. Antoine, a fon ordinaire, y avoit amene $4 Reflexions fur le amene avec lift bon nombre de convives, tous officiers de marque & de diftinclion. Elle leur donna tous les vafes & toute la vaifTelle d'or & d'argent dont le buffet etoit charge. Ce fut fans-doute dans un de ces feftins qu'arriva ce que Pline, & apres lui Maerobe raccontent. Cleopatre plai- fantoit, felon fa couturhe, fur les repas jjfAntoine, comme etant jort modiques & fort mal entendus. Pique de la raillerie, il lui demanda d'un ton un peu echauffe ce qu'elle croioit done qu'on put aj outer a la magnificence de fa table ? Cleopatre lui repondit froidemeut qu'en un feul fouper elle depenferoit un millioft. II pre'fendit que c'etoit pure vanterie, quc la chofe etoit impoffible, & qu'elle n'eii viendroit jamais a bout. On fit un pari, & Plancus fut pris pour arbitre. Le lendemain on fe rendit au repas. II etoit magnifique, mais n'avoit rien de li fort extraordinaire. Antoine fupputoit la Gouvernement des Femtnes. 25 la depenfe $ demandoit a la Dame a quel prix chaque chofe pouvoit monter ; & d'un air railleur, comme fe tenant fur de la vidloire, difoit qu'on etoit encore bien eloigne d'un million. Attendez, dit la Reine 3 ce n'eft ici qu'un commence- ment -, 6c je me fais fort de depenfer moi fcule le million. On apporte une fe- conde table, 5c felon 1'ordre qu'elle en avoit donne, on ne fervit deflus qu'un feul vafe plein de vinaigre. Antoine, fur- pris d'un appareil fi nouveau, ne pouvoit deviner ou tout cela tendoit. Cleopatre avoit a fes oreilles deux perles, les plus belles qu'on eut jamais vues, & dont chacune etoit eftimee plus d'un million. Elle en tire une, la jette dans le vinaigre, &, apres 1'avoir fait fondre, 1'avalle. Elle fe preparoit a en faire autant dt 1'autre. Plancus 1'arreta, &, lui donnant gain de caufe, declara Antoine vaincu. Plancus eut grand tort d'envier a la Reinc la gloire finguliere & unique d'avoir en deux coups devore deux millions. D Cettc 26 Reflexions fur le Cette PrincefTe, au milieu des paffions les plus violentes, & dc 1'ennivrement des plaifirs, confervoit toujours du gout pour les Belles-lettres & pour les fci- ences. A la place de la fameufe Biblio- theque d'Alexandrie, qui avoit etc brulee quelques annees auparavant, elle en re- tablit une nouvelle, a 1'augmentation de laquelle Antoine contribua beaucoup, lui aiant fait prefent des Bibliotheques qui etoient a Pergame, ou il fe trouva plus de deux-cents-mille volumes. Elle n'amaflbit pas des livres fimplement pour la parade : elle en faifoit ufage. II y avoit peu de nations barbares a qui elle parlatpar truchement: elle repondoit a la plupart dans leur propre langue,auxEthi- opiens, aux Troglodytes, aux Hebreux, aux Arabes, aux Syriens, aux Medes, & aux Parthes. Elle favoit encore plu- ficurs autres langues, au-lieu-que les Rois qui avoient regne avant elle en Egypte avoient a-peine pu apprendre 1'^gyptien, 6c quelques uns d'entr'eux avoient Gowvcrnement des Fetnmes. 27 avoient meme oublie le Macedonien qui etoit leur langue naturelle, Je rje m'etendrai ni fur fes jaloufies vis-a-vis d'Oflavte, qu'elle regardoit comme fa rivale, pretendant etre femme legitime ft Antoine -, ni fur tout ce qui fe paffa depuis les commencemens de fa connoifTance avec ce Remain, jufqu'a 1'evenement qui en precipita la fin. L'hTue de la bataille d'Adlium, qui fe donna le deux Septembre, a 1'embouchure du golfe d'Ambracie, decida du deftin de Cefar & d'^nfome qui n'avoit fuivi de confeils que ceux de fa maitrefle. Celle- ci effraiee du bruit du combat, ou tout etoit terrible pour une femme, prit la fuite lorfqu'il n'y avoit aucun danger pour elle & entraina evec elle toute fon efcadre Egyptienne, qui etoit de foixante vaif? feaux de ligne avec lefquels elle fit voile yers le Peloponefe. Antaine* qui la vit fuir, oubliant tout, 65 s'oubliant lui- P 2 meme, 28 Reflexions fur le meme, la fuivit precipitamment, & ceda a Cefar une vi&oire qu'il lui avoit tres-bien difputee jufques-la. Elle couta pour- tant encore cher au vainqueur ; car les vaifleaux & Antoine fe battirent fi bien apres fon depart, que quoique le combat cut commence vers le milieu du jour, il ne finit qu'a la nuit ; deforte-que les troupes de Ctfar furent obligees de la pafler fur leurs vaiffeaux. Le lendemain, Cefar voiant fa vidloire complette,detacha uneefcadre pour pour- fuivre Antome 6c Ctiofatre. Mais cette efcadre defefperant de les atteindre a caufe de Tavance qu'ils avoient, revint bientot rejoindre le gros de la flotte. Antome, etant entre dans le vaifTeau ami- ral que montoit Cle'opatre, alia s'alTeoir a la proue, ou, la tete appuiee fur les deux mains, 6c les deux coudes fur les genoux, jl demeura comme un homme accable de honte & de rage, repaffant dans une pro- fon4e melancojie fa rnauvajfe copduite, G&uvernement des Femmes 29 & les malheurs qu'elle lui avoit attires. II fe tint dans cette poflure, & dans ces noires idees, pendant les trois jours qu'ils demeurerent a fe rendre a Tenare, fans ^oir Cleopatre, ni lui parler. Au bout de ce temps ils fe revirent, & vecurent en- femble a 1'ordinaire. II refloit encore a Antome fon armee de terre, compofee de dix-huit legions & de vingt-deux-mille chevaux, fous la conduite de Canicius fon lieutenant. Cette armee eut pu faire tte a Cefar & lui donner bien de la be- fogne. Mais, fe voiant abandonnee par fes generaux, elle fe rendit a Cefar ; qui la re^ut a bras ouverts. Force par la trahifon de Scarpuf, qui avoit auffi rendu a Cefar fon armee de Lybie, Antolne n'eut d'autre parti a prendre que de fuivre Cleopatre dans Alexandrie. Cette PrincerTe, craignant qu'on ne lui en refufat 1'entree, fi Ton aprenoit fon malheur, fit couronner fes vaifTeaux, com me fi elle fut revenue vie- torieufe. 30 Reflexions fur le torieufe. A-peine fut-elle dans la ville, qu'elle fit mourir tous les grands feig- neurs de fon Ro'iaume, dont elle craig^ noit une revoke. Antoine la trouva oc- cupee de cette fanglante execution. Elle pafla de-la a un projet fort extra- ordinaire. Ce fut, crainte de tomber cntre les mains de Cefar, de faire tranf- porter fes vaiffeaux de la Mediterannee dans la Mer rouge, par I'lfthme qui n'a que trente lieues de largeur -, & de mettre ernfuite tons fes trefors dans ces vailfeaux, & dans les autres qu'elle avoit deja fur cette Mer. Mais les Arabes, qui demeu- roient fur cette cote aiant brule tous les vaiflea-ux qu'elle y avoit, elle fut cbligee d'a.bandonner ce deifein* Changeant done de reiblution, elle ne fongea plus qu'a gagner Cefar, & a lui facrifier Antoine que fes malheurs lui avoient ren-du indifferent. Tel etoit Tef- prit de cette Princelfe. Quoiqu'elle aim at Gouvernement des Femmes. 31 aimat jufqu'a la fureur, elle avoit encore plus d'ambition que d'amour ; &c la cou- ronne lui etoit plus chere que fon mari * auffi fongeoit-clle a la conferver au prix la vie SAntoine. Mais, lui cachant fes fentirnens, elle lui perfuada d'envoi'er des ambafTadeurs a Cefar, pour negocier avec lui un traite de paix. Elle y joignit les fiens : mais elle leur ordonna de trailer pour elle en fecret. Cefar ne voulut point voir les AmbafTa- deurs & Antoine, & renvoi'a ceux de Cleo- patre avec une reponfe favorable. II fouhaitoit paffionnement s'afTurer de fa perfonne & de fes trefors : de fa perfonne, pour en honorer fon triomphe : de fes trefors pour fe mettre en etat de pai'er les dettes qu'il avoit contradlees pour cette guerre. Aufli lui laifla-t-il entre- voir de grandes efperances, fi elle vouloit lui facrifier Anto'me. Celui-ci 32 Reflexions fur le Celui-ci s'etoit retire dans une maifon champetre qu'il avoit expres fait batir fur les bords du Nil. Mais Pamour ne lui permit pas d'y refter long-temps tran- quile. II retourna a Alexandrie pour voir fa Cleopatre fans laquelle il ne pou- voit vivre. II cut, pour lui plaire, la foibleffe d'envoi'er de nouveaux deputes a Cefar, pour lui demander la vie, meme fous la condition honteufe de la paffer a Athenes comme un fimple particulier, pourvu-que le vainqueur aflurat le Roi'- aume d'Egypte a Cleopatre & a fes en- fans. Cette feconde deputation n'aiant pas mieux reiiffi que la premiere, Antoine ne fongea plus qu'a noi'er fon chagrin dans les plaifirs & la bonne chere. Us fe re- galoient tour-a-tour Cleopatre & lui, 6c, a 1'envi Tun de 1'autre, fe donnoient tous les jours des repas magnifiques. La Gouvernement des Femmes. 33 La Reine cependant, qui prevoioit ce qui pouvoit arriver, ramafibit toutes fortes de poifons ; &, pour eprouver ceux qui faifoient mourir avec le moins de douleur, elle faifoit 1'efTai de leur vertu & de leur force fur les Criminels condamnes a mort, qui etoient gardes dans les prifons. Aiant vu par ces experiences que les poi- fons qui etoient forts faifoient mourir promptement, mais dans de grandes dou- leurs, & que ceux que etoient doux cau- foient une mort tanquile mais lente, elle eflaia des morfures de betes venimeufes, Sc fit appliquer en fa prefence fur diverfes perfonnes differentes fortes de ferpens. Chaque jour elle faifoit une nouvelle epreuve. Enfin elle trouva que 1'afpic etoit le feul qui ne caufoit ni convulfions ni tranchees, & qui, precipitant feule- ment dans une pefanteur & dans une af- foupifTement accompanagnes d'une petite noirceur au vifage, & d'un amortifTement de tous les fens eteignoit doucement la vie. Deforte-que tous ceux qui etoient en cet etat fe fachoient quand on les re- E veilloit 34 Reflexions fur te veilloit Ou qu'on vouloit les lever, de- meme que ceux qui font profondement cndormis. Ce fat-la le poifon auquel clle fe fixa. Enfin la derniere trahifon de Cleopatre^ (dont, par fes ordres, Tamiral avoit baifle pavilion devant la flotte de Cefar, au- lieu-de 1'attaquer,) aiant ouvert les yeux a Antoihe > il commen9a, mais trop tard, a aj outer foi a ce que fes amis lui avoient dit des perfidies de la Reine. Dans cette extremite, il voulut fe fignaler par un a&e extraordinaire de courage, capable, felon lui, de lui faire beaucoup d'honneur. II envoi'a defier Cefar a un combat fin- gulier. Cefar fit reponfe que fi Antolne etoit las de vivre, il avoit d'autres moi'ens pour mourir. Antoine fe voiant done mocque par Cefar , 6c trahi par Cleopatre? rentra dans la ville, & fe vit dans le mo- ment meme abandonne de toute fa ca- vallerie. Alors, plein de rage 6c de defefpoir, il courut au Palais dans le delTeiu Gouvernement des Femmes. 35 deflein de fe venger de Cleopatre : mais il ne la trouva point. Cette artificieufe PrincefTe, qui avoit prevu ce qui arriva, voulant fe derober a la colere ftAntoine, s'etoit retiree dans le quartier des tombeaux des Rois d'E- gypte, qui etoit fortifie de bonnes mu- railles, & dont elle avoit fait fermer les portes. Elle fit dire a Antolnc, que pre~ ferant une mort honorable a une hon- teufe captivite, elle s'etoit donnee la mort au milieu des tombeaux de fes an- cetres ou elle avoit aufli choifi fa fepul- ture. Antoine, trop credule, ne fe donna pas le loifir d'examiner une nouvelle qui devoit lui etre fufpedle apres toutes les infidelites de Cleopatre : &, frappe de 1'idee de fa mort, il pafla tout-d'un-coup de 1'exces de la colere dans les plus vifs tranfports de douleur, & ne penfa plus qu'a la fuivre dans le tombeau. Ai'ant pris cette funefle refolution, il s'enferma dans fa chambre avec un ef- clave, & s'etant fait oter fa cuirafle il E 2 lui 36 Reflexions fur le lui commanda de lui enfoncer le poig- nard dans le fein : mais cet efclave, plein de fidelite, d'affection & de refpeft pour fon maitre, s'en perca lui-meme, & tomba mort a fes pieds. Antoine regar- dant cette action comme un exemplc qu'il devoit fuivre, s'enfonga fon epee dans le corps, & tomba fur le plancher dans un ruifleau de fon fang, qu'il mela avec celui de fon efclave. II arriva dans ce moment un officier des gardes de la Reine, qui vint dire qu'elle etoit vivante. II n'entendit pas plutot prononcer le nom de Cleopatre, qu'il revint de fon evanouiflement : &", apprenant qu'elle vjvoit encore, il fouffrit qu'on pan9at fa bleflure ^ & fe fit enfuite porter a la forterefle ou elle s'etoit en' ferm^e. Cleopatre ne permit point qu'gn ouvrit les portes pour le faire entrer, dans la crainte de quelque furprife : mais elle panit a une fenetre haute & jetta en bas des chaines & des cordes. On y attach a^towV^ - r & Cleopatre^ aidee de Gouvernement des Femmes. 37 de deux femmes, qui etoient les feules qu'elle cut menees avec elle dans ce tombeau, le tira a elle. Jamais fpedtacle ne fut plus touchant. Antoine^ tout couvert de fang, & la mort peinte fur le vifage, etoit guinde en haut, tournant fes yeux mourans vers Cleopatre^ & lui tendans fes foibles mains, comme pour la conjurer de recevoir fes derniers fou- pirs : & Cleopatre, le vifage tendu, & les bras roidis, tiroit les cordes avee un. grand effort, pendant que ceux d'en-bas, qui ne pouvoient 1'aider autrement, 1'en- courageoient par leurs cris.- Quandelle 1'eut tire a elle, & qu'elle 1'eut couche, elle de'chira fes habits fur lui, fe frappant le fein, fe meurtriflant la poitrine ; &, lui eflui'ant le fang, avec fon vifage colle fur le fien, elle Tapelloit fon Prince, fon feigneur, fon cher epoux. En faifant ces trifles exclamations, elle coupoit les cheveux ft Antoine, fuivant la fuperftition des Pai'ens, qui croioient par la 38 Reflexions fur le la foulager ceux qui mouroient d'une mort violente. Antoine, a'fant repris fes fens, & voi'ant Pafflidtion de Cleopatre, lui dit pour la confoler, qu'il mouroit heureux puifqu'il mouroit entre fes bras ; &, qu'au-refte, il ne rougiflbit point de fa defaite, n'e- tant point honteux a un Romain d'etre vaincu par des Romains. II 1'exhorta enfuite a fauver fa vie & fon Roi'aume, pourvu-qu'ellele putfaire avec honneur. & a fe donner de garde des traitres de fa cour, auffi-bien que des Romains de la fuite de Cefar y ne fe fiant qu'a Proculeius. Jl expira en achevant ces paroles. Dans le moment meme Proculeius atriva de la part de Cefar, qui n'avoit pu retenir fes larmes au trifte recit qu'on lui voit fait de tout ce qui s'etoit pafTe, & a la vue de 1'epee teinte du fang & Antoine, qu'on lui prefenta. II avoit ordre fur- tout de fe rendre maitre de Cleopatre, & de Gouvernement des Femmes. 39 la prendre en vie s'il etoit poffible. La Princeffe refufa de fe remettre entre fes mains. Elle cut pourtant avec lui une converfation, fans qu'il entrat dans le tombeau : il s'approcha feulement de la porte, qui etoit bien fermee, & qui par des fentes donnoit paflage a la voix. Us parlerent affez long-temps enfemble ; elle demandant toujours le Roi'aume pour fes enfans, & lui 1'exhortant a bien efperer, 6c la preffant de remettre entre les mains de Cefar tous fes interets. Apres qu'il cut bien obferve le lieu, il alia faire fon rapport a Cefar, qui, fur 1'heure, envoi'a Gallus pour lui parler encore. Gallus s'approcha de la porte, comme avoit fait Proculeius, & parla comme lui au travers des fentes, faifant expres durer la converfation. Pendant ce temps-la Procukius approcha une echelle de la muraille, entra par la meme fenetre par ou ces femmes avoient tire Antoine -, &, fuivi de deux officiers qui etoient 40 Reflexions fur le etoient avec lui, il defcendit a la porte ou Cleopatre etoit a parler a*vec Callus. -Une des deux femmes qui etoient en- fermees avec elle, le voiant, s'ecria toute eperdue, Malheureufe Cleopatre vous voila frife ! Cleopatre tourne la tete, voit Pro- culeius, & veut fe percer d'un poignard qu'elle portoit toujours a fa ceinture. Mais Proctileius, courant a elle tres- promptement, & la prenant entre fes bras ; Vons-vons faltes tort, lui dit-il, Gf vous faites tort aujfl a Cefar, en lui otant une Ji belle occajion de montrer fa bonte&fa clemence. En meme temps il lui arrache fon poignard, & fecoue fes robes, de peur qu'il n'y cut du poifon cache. Cefar envoi'a un de fes afFranchis, nomme Epaphrodite, auquel il com- manda de la garder tres-foigneufement, pour empecber qu'elle n'attentat fur elle- meme ; & d'avoir d'ailleurs pour elle tons les egards & toutes les complaifances qu'elle pourroit defirer^ & il chargea Proculeius Gouvcrnemenf des Femmes. 41 Proculeius de favoir de la Reine ce qu'elle defiroit de lui. Cefar fe prepara enfuite a entrer dans Alexandrie, dont perfonne n'etoit plus en etat de lui difputer la conquete. II en trouva les portes ouvertes, & tous les habitans dans une extreme confterna- tion, ne fachant ce qu'ils avoient a craindre ou a efperer. II entra dans la ville en s'entretenant avec le Philofophe Arens, & s'appu'iant fur lui avec une forte de familiarite, pour faire connoitre pu- bliquement le cas qu'il en faifoit. Etant monte au palais, il s'affit fur un tribunal qu'il fit clever ; &, voiant tout le peuple profterne a terre, il leur commanda de fe lever. Puis il leur dit qu'il leur par- donnoit pour trois raifons : la premiere a caufe d'Alexandre le grand leur fonda- teur : la feconde a caufe de la beaute de leur ville: & la troifieme a caufe SAreus, un de leurs citoiens, dont il efHmoit le me'rite 6c le favoir. F Cependant 4 2 Reflexions fur k Cependant Proculehis s'acquittoit de l commifiion pres de la Reine, qui d'abord Re demanda rien a Cefar que la permif- fion d'enfevelir Antome y qui lui fut ac- cordee fans peine. Elle n'epargna rien pour rendre fa fepulture magriifique, fui- vant la coutume des Egyptiens. Elle fit embaumer fon corps avec les parfums les plus precieux de 1'Orient, 6c le pla9a parmi les tombeaux des Rois d'Egypte. Cefar ne jtrouva pas a propos de voir Cleopatre dans les premiers jours de fon deuil : mais lorfqu'il crut le pouvoir faire avec bienfeance, il fe fit introduire dans fachambre, apres lui en avoir demande la permiffion ; voulant par les egards qu'il avoit pour elle lui cacher fon defTein. Elle etoit couchee fur un petit lit, dans un e'tat fort fimple & fort ne'glige. Quand il entra dans fa chambre, quoi- qu'elle n'eut fur elle qu'une fimple tu- nique, elle fe leva promptement, & alia fe jetter a fes genoux horriblement de- figuree, Gouvernement des Femmes. 43 figuree, les cheveux en defordre, le vifage effare & fanglant, la voix tremblante, les yeux prefque fond us a force de pleurer, & le fein couvert de meurtriflures & de pla'ies. Cependant cette grace naturelle, & cette fierte que fa beaute lui infpiroit, n'etoient pas entierement eteintes : &, inalgre le pito'iable etat ou elle etoit re- duite, de ce fond meme de triftefle & d'abbattement, il en fortoit, comme d'un fombre nuage, des traits vifs, & des efpeces de raions qui eclatoient dans fes regards, 5c dans tous les mouvemens de fon vifage. Quoique prefque mourante, elle ne defefperoit pas d'infpirer encore de 1'amour a ce jeune vainqueur, comme elle avoit fait autrefois a Cefar & a An- tome. La chambre ou elle le re9ut etoit pleine des portraits de 'Jules Cefar. " Seig- " neur," lui dit-elle en lui montrant ces tableaux, " voila les images de celui qui " vous a adopte pour vous faire fucceder F 2 "a 44 Reflexions fur le " a 1'empire Remain, & a qui je fuis re- " devable de ma couronne." Puis, tirant de fon fein les lettres qu'elle y avoit ca- chees : " Voila auffi," continua-t-elle en les baifant, " les chers temoignages " de fon amour." Elle en lut enfuite quelques-unes des plus tendres, accom- pagnant cette ledture de paroles tou- chantes, & de regards pafllonnes. Mais elle emploi'a inutilement tous ces arti^- fices : &, foit que fes charmes n'euilent plus le pouvoir qu'ils avoient eu dans fa jeuneffe, ou que Tambition fut la paffion dominante de Cefar, i\ ne parut point touche de fa vue ni de fon entretien j fe contentant de 1'exhorter a avoir bon courage, & I'aflurant de fes bonnes in- tentions. Elle s'appercut bien de cette froideur, dont elle tira un mauvaia augure : inais diffimulant fon chagrin, & changeant de difcours, elle le remercia des complimens que Proculeius lui avoit faits de fa part, & qu'il venoit de lui re- nouveller lui-meme. Elle ajouta qu'en rev en the Gouvernemenf des Femmes. 45 revenche elle vouloit lui livrer tous les trefors des Rois d'Egypte. Et en effet elle lui remit entre les mains un borde- reau de tous fes meubles, de fes pierreries & de fes finances. Et comme Seleucus, un de fes treforiers qui etoit prefent, lui reprocha qu'elle n'avoit pas tout declare, & qu'elle cachoit & retenoit une partie de ce qu'elle avoit de plus precieux; outree d une telle infolence, elle lui donna plufleurs coups fur levifage. Puis, fe tournant vers Cefar, " N'eft-ce pas " une chofe horrible,"lui dit-elle, "quc " lorfque vous n'avez pas dedaigne de '* me venir voir & que vous avez bien " voulu me ccniblsr dans le trifte etat " ou je me trouve, mes propres do- 4t meiliques viennent m'accufer devant " vous, fous pretexte que j'aurai referve " quelques bijoux de femme, non pour " en orner une miferable comme moi, * c mais pour en faire un petit prefent a " OSt&Ote votre fosur, & a Livie votre " epoufe, afin que leur protection attire " do 46 Reflexions far le 44 de vdtre part un traitement favorable ** a unc ittfortunee Princefle ?" Cefar fut ravi de 1'entendre parler ainfi, ne doutant point que ce ne fut 1'a- mour de la vie qui lui infpiroit ce Ian- gage. II lui dit qu'elle pouvoit difpofer a fon gre des bijoux qu'elle avoit retenus : & apres 1'avoir affuree qu'il la traiteroit avec plus de generofite & de magnifi- cence qu'elle n'ofoit 1'efperer, il fe retira penfant 1'avoir trompee ; & c'etoit lui qui le fut. Ne doutant point que Cefar n'eut def- fein de la faire fervir d'ornement a fon triomphe, elle ne fongea qu'a mourir pour eviter cette honte. Elle favoit bien qu'elle etoit obfervee par les gardes qu'on lui avoit donnes, qui, fous pre- texte de lui faire honneur, la fuivoient ar tout ; & que d'ailleurs le temps prefToit, le jour du depart de Cefar apprcchant. Pour le tromper done encore Gouwrneinent des Femmes. 47 encore mieux, ellc le fit prier qu'elle put aller rendre fes derniers devoirs au torn- beau ftAntoine, & prendre conge de lui. Cefar lui aiant accorde cette permiffion, elle s'y rendit efFectivement pour baigner ce tombeau de fes larmes, 6c pour afTurer Antoine, a qui elle adrefla fon difcours comme fi elle Teut eu fous les yeux,qu elle alloit bientot lui donner une preuve pi us certaine de fon amour. Apres cette funefte proteftation, qu'elle accompagna de fes pleurs & de fes fou- pirs, elle fit couvrir le tombeau de fleurs, & revint dans fa chambre. Puis elle fe init au bain, & du bain a la table, aiant ordonne qu'on lui fervit un repas ma- gnifique. Au lever de la table, elle ecri- vit un billet a Cefar - y & ai'antfait fortir tous ceux qui etoient dans fa chambre, excepte fes deux femmes, elle ferma la porte fur elle, fe mit fur un lit de repos, & demanda une corbeiile ou il y avoit des figues qu'un pa'/fan venoit d'appor- ter. 48 Reflexions fur le ter. Elle la mit aupres d'elle ; 8c, un moment apres, on la vit fe coucher fur fon lit, comme fi elle fe fut endormie. Mais c'eft que 1'afpic, qui etoit cache parmi les fruits, 1'aiant piquee au bras qu'elle lui avoit tendu, le venin avoit auffi-tot gagne le cceur,& 1'avoit tuee fans douleur, & fans qu'on s'en appercut. Les gardes avoient ordre de ne rien laifler paffer qui ne fut vilite exaclement : mais ce paifan travefli, qui etoit un fidele ferviteur de la Reine, joiia fi bien fon perfonnage, & il parut fi peu d'ap- parence de tromperie dans un panier de fruits, que les gardes le laiiTerent entrer. Ainfi toute la prevoiance de Cefar lui fut inutile. II ne douta point de la refolution de Geopatre, apres avoir lu le billet qu'elle lui avoit ecrit, pour le prier de per- mettre que fon corps fut mis aupres de celui & Antoine dans un meme tombeau ; & il depecha promptement deux offi- ciers Gouvernement des Femmes. 49 ciers pour la prevenir. Mais, quelque diligence qu'ils puflent faire, ils la trou- verent morte. Cette PrincefTe etoit trop fiere, & trop au-defTus du commun, pour fouffrir qu'on la menat en triomphe, attachee au char du vainqueur. D^eterminee a mourir, & par-la devenue capable des plus feroces refolutions, elle vit d'un ceil fee & tran- quile couler dans fes veines le p'oifon mortel de 1'afpic. Cleopatre mourut a 1'age de trente-neuf ans, dont elle avoit regne vingt-deux depuis la mort de fon pere. Les fta- tues SAntoine furent abbatues, & celles de Cleopatre demeurerent fur pied j un certain Archibius, qui avoit ete attache au fervice de CUopatre, ajt'ant donne mille talens a Cefar, afin-qu'elles ne fuflent pas traitees com me celles tiAntoine. A P R E S 50 Reflexions fur If P R E S avoir parle de deux Prin- ceffes qui ont joiie un auffi beau role dans 1'hiftoire; je fauterai tout- d'un-coup d'Egypte en Angleterre, pour en venir a Baodicee. Prtefetugus, Roi des Icenes, fon mari, aiant laifle par fon teftament fes trefors a partager entre 1'Empereur Neron & fes deux filles, dans la vue que le premier prit ces PrincefTes fous fa prote&ion, & qu'il n'oppreflat pas fes fujets j la mere & les filles s'attendoient a un fort pai- lible & tranquile par la fage precaution de Pr&fetugus. Mais il en arriva tout le contraire : car a peine ce Prince eut-il les yeux fermes, que les officiers de Ne- ron fe faifirent de tous fes effets au nom de leur maitre. Baodicee fa veuve, femme d'un courage & d'un efprit au-deflus du commun, s'oppofant a des precedes aufll injuftes, ne s'en Vit traiter qu'avec le dernier Gouvernement des Femmes. 51 dernier mepris. Ces barbares, au-lieu de faire attention a des plaintes aufli bien fondees, pouflerent la cruaute jufqu'a la faire foiiettef publiquement ; & porte- rent meme 1'indignite jufqu'a abandonner les deux Princefles fes filles a la brutalite du foldat. Les Bretons en furent fi choques, que toute I'lfle fe revolta, & en vint aux armes. Les Icenes furent les premiers qui fe fouleverent, & furent immediate- ment joints par les Trinobantes. Venu~ ttus, avec les fiens, entra dans la ligue. En un mot, tout ce qui avoit auparavant reconnu 1'autorite de Rome fe fouleva d'un commun accord, excepte la ville de Londres. Les auteurs Remains convien- nent eux-memes qu'on ne pouvoitblamer les Bretons du parti qu'ils avoient pris, vu 1'injuftice & la violence des officiers de 1'Empereur. Les veterans qu'on avoit envoies, pour s'etablir dans I'lfle, ne fe faifoient pas le moindre fcrupule . de G 2 s'emparer 52 "Reflexions fur le s'emparer de leurs biens fans forme de proces. Ccetus Decianus, qui etoit charge des pleins-pouvoirs de Neron, fans le moindre refpedt pour les ordres de Claude* qui avoit aflure aux vaincus la pofTeffion de leurs efFets, les confifquoit au profit de fon maitre. C'etoit en vain que les Bretons lui reprefentoient Tirregularite de fes precedes : il s'en mocquoit : &, fans leur alleguer d'autres raifons que fon bon plailir, qu'il pretendoit reduire en loi, il ne fongeoit qu'a fes interets, 6c a ceux de fon rnaitre. On affure que Seneque lui-meme, malgre tous ces beaux dehors de moderation & de defin- tereffement, dont il fait parade dans fes ecrits, mais qu'il ne reduifit jamais en pratique, fut une des principales caufes de la revoke, en exigeant tout-d'un-coup le rembourfement de certaines fommes qu'il avoit pretees a ufure aux Bretons. Tant de violences fomenterent fi bien dans Vefprit du peuple, que, fatigues de fe voir Gouvernement des Femmes. 53 voir foumis a un joug etranger ils refo- lurent unanimement de le fecouer. Venutius, qui deteftoit les Remains, fut enchante de la revoke. Ceux meme qui etoient les plus dans leurs interets s'en detacherent, & jfirent caufe com- mune avec le refte du pais pour recouvrer leur liberte. Baodicee, brulant du defir de fe ven- ger, fe mit a la tete des rebelles, & leur reprefenta vivement qu'il falloit profiter de 1'abfence du General des ennemis, & paffer au fil de 1'epee tous les Romain s qui etoient dans 1'Ifle. Les Bretons y confentirent avec joi'e, & tomberent a 1'improvifte, mais avec la dcrniere fu- " reur, fur tous ceux qu'on avoir difperfe's dans leur Colonie, que ceux-ci avoient pris plus de foin d'embellir que de for- tifier, mafTacrant tout, fans diftin&ion d'age ni de fexe. On vit alors par des exces de cruantes inouies jufqu'ou pent aller 54 Reflexions fur le aller la rage a' 1 une populace en furie, Les enfans a la mammelle fe virent at- taches au fein de leurs metes a la po- tenee, dans le defTein fans-doute de fairs fouffrir a celles-ci une double mort. On poufla 1'horreur jufqu'a couper le fein a de jeunes vierges, a qui on le fourra dans la bouche, pour leur faire pour ainfi dire manger leur prop re chair. Les veterans, jiji, a Camelodunum s'etoient retires dams un temple, ou ils fe croioient en furete, prefererent de fe voir reduits en cendres, aux extremites de la fairn. En iin mot, les Bretons etoient fi irrites qu'aucum Remain n'echappa : & 1'hif- toire aflure qu'il en perit quatre-vingt- mille dans le maffacre. PauKn a'fant recu avis de ce qui fe paf- foit, quitta, fans perdre une minute, rifle du Man, pour faire face aux revokes, qui avoient rafTemblescent-mille hommes foots les ordres de Baodicee, dans qui ils fuppofoient que 1'elegance de la taille, & fon Gouvernement des Femmes. jj fon courage nature!, fuppleeroient aux qualites requifes dans un General. Cette Princefle, brulant du defir de venger les divers affronts qu'elle avoit recus, mouroit d'envie d'en venir aux mains avec Paulln ; d'autant-plus que ne lui fachant que dix-mille hommes, die comptoit avoir bon marche de ce pen de Remains. De 1'autre cote, PauSn n'ai'ant pas de fecours a efperer, fentoit combien fa pofition etoit critique. Li neuvieme legion, commandee par Pac- lllius Cerealis, venoit d'etre tallies en pieces. Poenius Pofthumus, qui etoit a la tete d'un detachement confiderable de la feconde, refufa, contre toutes les loix du militaire, d'obei'r aux ordres de Ton General, & de fe joindre a lui. Defqrte- qu'il ne refta a Paulin que deux partis a prendre 5 1'un etoit de marcher a 1'en- nemi avec une poignee de monde ; 1'autre de fe jetter dans une forterefie pour Ty attendre. II prit le dernier, & e retira a Londres : mais il ne tarda pas a changer 56 "Reflexions fur If a changer de resolution, fentant que, fous pretexte de fauver cette Colonie, il cou- roit rifque de perdre toute la Province. 11 en fortit done, malgre les cris des ha- bitans, qui le fupplioient de ne pas les abandonner alafureur& au reflentiment des rebell^s. II y avoit neanmoins peu d'apparence qu'avec fa petite armee il put faire tete a cent-mille hommes. Mais c'eft dans de pareils cas qu'un grand Ge- neral fait briller fes talens. Paulin fentit qu'il falloit vaincre ou mourir, n'ai'ant de fecours a attendre que de loin, & le cas etant prefTant. Deforte qu'au-lieu d'e- viter les Bretons, qui marchoient a lui, il fut a leur rencontre. Cette noble refolution anima fi fort fes troupes, qu'elles le fuivirent avec joie. Ce qui prouve combien opere fur 1'efprit du foldat 1'opinion qu'il a de fon General. Alors Paulin cut recours a ce que 1'ex- perience lui avoit acquis pour contre- balancer le nombre de fes antagonizes. 11 Gouvernement des Temmes. 57 II choifit pour champ de bataille un ter- fein etroiti' cbuvrant fes derrieres d'une foret, vis-a-vis d'une. large plaine ou les Bretons etoientcampes. II pla9a fes le- gions dans le centre, environnees des troupes legeres, & pofta fa cavallerie fur fes ailes. Les bataillons & les efcadrons cnnemis fourmilloient dans la plaine 5 &, fiers de leur nombre, fe regardoient comme furs de la vidbire. Us avoient place leurs femmes & leurs erifans dans les chariots qui bordoient leurs retran-^ chemens, pour les rendre temoins de leurs prouefles, & leur faire partager le butin: Baotiicee, mbntee fur uri char; fes deux filles a fes cotes, parcouroit les rangs : &, poiir animer, les difFerens peuples qui obeifToieht a fes ordres, elle leur park ainfi : " Ce* n'eft pas aujourdui Id " premiere fois que les Bretons ont etc " viclorieux fous la conduite de leurs *' Reines. Quant a iiioij je ne viens pas ^H id 58 Reflexions fur le " ici vous etaler les avantages de ma " naifTance. Ce n'eft ni rambition ni " la foif des richeffes qui m'animent : " je ne fuis ici que comme fimple parti- " culiere : c'eft votre liberte que je veux " recouvrer. Je fonge a vous faire rendre * f juftice des torts que vous avez fouf- " ferts, & a venger 1'honneur de mes " filles. La lubricite des Remains eft " montee a un tel point, que ni la jeune " ni la vieille ne font en furete vis-a- " vis d'eux. Mais le bras vengeur de " la Divinite s'eft deja fait fentir fur fc eux; car une legion, qui avoit ofe nous " faire tete, s'eft vue taillee en pie'ces, &c * les debris fe font vus force's ou de fe " renfermer dans leur camp, ou de " chercher leur furete dans la fuite. ' Deforte-que, bien-loin d'etre a-meme " de foutenir le choc d'une armee vic- " torieufe, 1'idee feule du fort de leurs " compagnons leur feroit lacher le pied. " II ne vous refte ainli, braves Bretons, " qu'a confiderer vos propres forces, la *' fuperiorite Gouvernement des Femmes 59 fuperiorite que vous avez du cote du " nombre, & la juftice de votre caufc ; " & je fuis fure que vous- vous refoudrez *' a vaincre ou mourir. En effet, la mort (( n'eft-elle pas cent fois preferable a la < honte de fe voir expofe au joug des " Remains ? Songez que c'eft pour la " liberte que vous avez les armes a la " main. Sans elle la vie eft un fardeau. * Telle eft mon opinion, quoique je ne " fois qu'une femme. S'il y a parmi " vous des hommes qui penfent dilferem- la mienne a fur-* * monte la fortune, " II a affez paru dans la fuite de ma " vie que la mort ne m'epouvantoit point * quand elle pouvoit m'etre glorieufe. " qu'en 1'etat qu'eft votre fortune, elle *' ne fauroit devenir plus mauvaife qu'- " elle eft : deforte-que fi vous pouvez " une fois vous y accoutumer, rien ne *' pourra plus apres troubler votre repoSi c< Souvenez-vous que de tant de millions * c d'hommes qui font au monde, il ri'y " en a pas cent qui portent des cou- *" ronnes : & croi'ez-vous, mes filles> 44 que tous ces hommes fbient malheu^ " reux ? & qu'hors du trone il ne puifle " y avoir de douceur? ii la chofe eft " ainfi, oh ! que vous etes abufe'es ! Il " n'eft point dans la vie de condition " qui n'ait fes peines & fes plaifirs : la " veritable fageffe eft de favoir egale- " ment bien ufer de tous fi la fortune '* vous les fait eprouver. Ceux qui fe font Gou e verne??ient des Femmes. 73 " font mourir eux-memes ne fa vent, pas <{ que tant qu'on eft vivant on eft en e'tat " d'acquerir de la gloire. II n'eft point " de Tiran qui puiffe m'empecher d'im- " mortalifer tous les jours mon nom, " pourvu-qu'il me laifTe vivre, & que je tf Us de Gallienus, au mepris duquel cette .oble & de mieux frappe que ce dif- cpurs ? Aufli 'Lenobie reiiffit-elle a diA fuader fes filles du deflein qu'elles avoi- ent forme de mourir. Elks furent s^at- tjrer le refpeft de toutes les Dames de Rome, & s'y marierent dans les pre'- mieres families. Ces jardins dont Au- relien leur fit prefent font ce qu'on apelle aujourdui Tivolt -> que beaucoup de gens connoiflent fans favoir qu'ils pnt autre- fojs appartenu ^. 'Leriobie. Les Gouvernement des Femmes. 77 Les differentes hiftoires que je viens de citer font fi eloignees de nos jours qu'elles ont pour ainfi dire 1'air fabuleux* Je vais done me rapprocher davantage en parlant de la Reine ELIZABETH, qui meriteroit ajufte tftre le nomde Grande, ne fut-ce que pour n'avoir jamais con- fulte, dans toutes fes demarches, que le bien & 1'inclination de fes fujets. A L G R E' que, depuis long- temps, les Miniftres de Marie fe fufTent Routes que fa fin approchoit, fa mort ne lailfa pas de les jetter dans la derniere perplexite. Us etoient tous Catholiques. C'etoient eux qui avoient fuggere, ou du-moins approuve la rigoureufeperfecu- t^on fous laquelle gemiflbient les Pro- teftans : & ceux-ci, fuivant toutes les apparepces, alloient a leur tour prendre 78 Reflexions fur fe le deffus. Ceci leur fit tenir fecrete pen- dant quelques heures, la mort de Marie-, afin de pouvoir deliberer fur le parti qu'il y avoit a prendre. Mais, comme le Parlement etoit aflemble, il ne dependoit pas d'eux de rien determiner quant a la fucceffion, d'autant-plus qu'Hefzrt VIII. n'avoit laifle aucun doute a ce fujet dans fon teftament, qui avoit ete confirme par un ate de Parlement, fans-qu'il cut ja- mais ete rappelle. Defbrte - qu'ils fe bornerent a faire notifier ^aux deux Chambres la mort de la Reine ; & c'efl tout ce qu'ils pouvoient en pareil cas. Les Pairs furent les premiers a qui' on en donnat avis : &, fans perdre de temps* ils fe mirent a examiner les droits des~ differentes perfonnes qui pouvoient pre- tendre au trone. S'il eut s'agi de decider, de ces droits par les loix civiles, ou fui- yant la coutume, la chofe eut ete tres- difficile, parce-que les difFerens divorces joints a plufieurs acl;es de Par- lement Gouvernement des F entities, jg lement qui fe contredifoient manifefte-* ment, euffent rendu la matiere des plus compliquee. Mais, comme en Angle- terre le Parlement, qui comprend le Roi, les Pairs, 6c les Communes, eft le fupreme Legiflateur -, ce font toujours les loix qui decident, a-moins-que la force ne s'y oppofe. Ce meme Parlement avoit paffe un a Reine d'Ecofle, petite-fille de Marguerite^ foeur ainee d'Henri VIII.& Fran^oife )#- che/Je de Suffolk^ fille de Marie> foeur ca- dette de ce Monarque. Les droits d'E//- zabeth etoient fondes, comme je viens dc 1'obferver, fur le teltament de fon pere, confirme par ade de Parlement. II eft vrai que de fon cote Marie pouvoit objec- ter ^Elizabeth avoit etc declared ba- tarde Gouvcrnement des Femmes. Si tarde par un autre ac~te de ce rneme Par- lement qui n'avoit pas etc rappelle , quc jamais batard, depuis Guillaume le Con- qiteranty n'avoit porte la couronne d'An- gleterre ; que, fuivant les loix du pai's* les batards n'avoient aucun droit a la fucceffion de leurs peres -, & qu'il s'en fuivoit naturellement qUe le trone ap- partenoit aux defcendans de Marguerite fille ainee & Henri VII. Quant a la Du- cheffe de Suffolk, elle pouvoit alleguer <\\\' Elizabeth etant batarde, & la Reine d'EcolTe etrangere, fans que meme il cut ete fait mention d'elle dans le teftament & Henri VIII. la couronne fembloit ap- partenir de droit a la pofterite d'Henrt VIL Je ne m'etendrai pas fur tous les de- bats qu'il y eut a cette occafion dans les deux Chambres, qui, a la fin, refolurent de fe declarer pour Elizabeth. Cette Princefle, inftruite de ladeciiion du Par- kment, partitde Hatfield le 19 de No- L vembre 82 Reflexions fur le vembre 1558, & arriva a Londres, fuivie d'une quantite de Seigneurs & de Dames, & au milieu des acclamations reiterees du peuple. Elle avoit alors vingt-cinq ans, etoit paiTablement belle ; mais rien n'egaloit 1'air de grandeur & de majefte qu'on lui voi'oit. Ce qui, fur-tout, la rendit bientot 1'idole du peuple, fut cet air d'affabilite qui lui gagnoit d'abord le cceur ie tous ceux qui en approchoient. Elle avoit trop d'efprit & de bon fens pour ne pas fentir de quelle confequence il etoit pour elle de fe faire aimer de fes fujets, puifque c'etoit 1'appui le plus fur de fon trone, comme la fuite le fcra con- noitre. Auffi le changement de fa for- tune n'en apporta-t-il aucun a fes ma- nieres ; & bien loin de diminuer en rien de fon affabilite depuis fon elevation, elle fe fit au contraire une etude de Taug- menter au point qu'on 1'accufa d'avoir ete un peu Comedienne fur cet article, & d'outrer meme fon role. > % Son Gouvernement des Femmes. 83 Son premier foin, apres avoir re9u les complimens ufites fur fon acceflion au trone, fut d'envo'ier des Ambafladeurs aux principales cours de 1'Europe pour la leur notifier. Karne meme, qui etoit a Rome depuis la mort SEdouard VI. eut ordre de faire part au Pape de celle de Marie, & de 1'acceffion $ Elizabeth. Je vais aduellement effleurer les prin- cipaux evenemens du regne de cette grande Reine ; ne pouvant, dans Tefpace borne que je me fuis prefcrit, m'etendre plus au long : ce que je ferai avec plus d'exa&itude dans THisToiRE d'ANGLE- TERRE, a laquelle je travaillc. Comme, des fon ave'nement a la cou- ronne, Elizabeth avoit forme le plan de retablir la Religion Proteftante fur les debris de la Catholique 3 elle ne tarda pas a mettre les fers au feu pour exe- cuter fon projet. Elle crut que fon pre- mier pas devoit etre de changer les Ma- L 2 giftrats 84 Reflexions fur le giftrats des differentes Villes & Comtes, qui, au dcces de Marie, etoient prefque tons Catholiques. Ceux-ci furent done renvo'ies, & la Reine n'emploia a leur place que des Proteftans. Auffi-tot apres elle convoqua un nou- yeau Parlement, compofe / de gens qu'elle avoit choifis, & fur qui elle pouvoit compter. Ce Parletnent debuta par faire revivre les loix SEdouard VI. au fujet de la Religion. Les creatures & Elizabeth > qui etoient a la tete du Magiftrat, veille- rent a ce que les loix fuflent executees a la lettre. Deforte-que peu de mois apres la mort de Marie, il fut auffi criminel d'aller a la melTe, qu'il 1'eut ete de foil vivant d'aller au preche. Tous ceux du Clerge qui refuferent de fe conformer au nouveau reglement perdirent leurs bene- fices, 6c fe virent remplace's par des Pro- teilans. En un mot, la Reforme fit des progres auffi rapides fous E/zzal>et/i,qu'a- yoit fait la Religion Catholique fous le regne Gouvernement des Femmes. 85 re'gne precedent ', excepte que fous la nouvelle Reine'perfonne ne perdit la vie pour caufe de Religion. Qu'on ne croie pas, au-refte, qu'elle parvint aufli vite a changer les cceurs. Ce n'eft pas en fait de dogmes qu'on fe pique le plus gene- ralement d'obeiffance a fon Prince. Ceux qui, dans le fond du cceur, etoient vrai- inent Catholiques fous Marie, le refte- rent fous Elizabeth ; dememe-que ceux qui, fous Edouard VI. avoient de bonne foi embrafle la 'Reformation, demeure- rent Proteftans in petto ; quoique par politique, ils affec^afTent de donner des marques exterieures du contraire. D'ou 1'pn peut conclurre, que Ton n'avoit, a proprement parler, fait que changer de nom fous les regnes precedens ; que les fujets n'avoient cherche qu'a fe monter fur le ton de leurs Princes ; & que le nombre des Catholiques devoit encore etre tres-confiderable. II n'y avoit gueres plus de vingt ans que la Religion Pro- teftante avoit commence ; fy dans ce peu de 86 Reflexions fur le de temps le fervice divin avoit quatre jfois change de forme. Cependant le ban fens ne nous permet pas de croire que toute une Nation ait fi fouvent pafle qui commandoient les deux armees, furent 1'un 5c 1'autre faits prifonniers ; mais le Roi de France demeura maitre du champ de bataille. Le Prince de Conde i ne fe trouvant plus en etat de fi- gurer a la tete de fon parti, 1'amiral de N Chatilhn 98 Reflexions fur k Chatillon prit le commandement de Tar- mee. Je pafle fous filence toutce qui a rap- port aux affaires d'Ecoffe, dont je ne di- rai rien jufqu'a-ce-que j'en vienne a la mort dc Marie Stuart. En 1 564 la paix fe conclut entre la France & 1'Angleterre, & fut fignee a Troyes en Champagne 1'onze Avril. Chacun fe refervoit fes droits & fes pre-, tentions, fans rien fpecifier, pas meme la reftitution de Calais. Neanmoins, lorf- que le temps fut expire, la Reine envoi'a les Chevaliers Smith 6c Winter, pour de- mander qu'on lui remit cette Place con- formement au traite de Gateau. Mais le Monarque Francois ne fongeoit a rien moins qua s'en defTailir. Si Elizabeth ne fe fut point trouvee d'autres affaires fur les bras, elle eut bientot feu faire va- loir fes droits en declarant la guerre a la France. Mais fa pofition etoit critique : ii Gouvernement des Femmes. 99 il s'agifToit de fe maintenir fur le trone, 6c non de faire des conquetes. Le mafTacre de la St. Barthelemi qui arrivaen 1572, a'iant revoke toute 1'Eu- rope centre Charles IX. ce Prince crut devoir menagerla Reine Elizabeth. Quoi- qu'il cut fait perir une bonne partie de fes fujets Proteftans, il vo'ioit ceux qui etoient echappes tous prets a prendre les armes pour fe fouftraire a fa furie. La Rochelle, qui etoit leur boulevard, refufoit de lui ouvrir fes portes j & les Huguenots du Languedoc venoient de fe revolter. Aufli n'epargna-t-il rien pour cajoler la Reine, & 1'empecher de fecourir les derniers. Lorfqu'il lui fit parler a ce fujet, elle lui repondit par le canal de fon AmbafTadeur, qu'apres l'horrible maf- facre qui venoit de fe faire par fes ordres, elle ne pouvoit plus placer la moindre confiance en lui. Charles s'excufa de fon mieux. Tantot il difoit que la chofe s'etoit faite fans fon aveu, & a fon inffu ; N 2 & ioo Reflexions fur le & tantot qu'il s'y etoit vu force pour prevenir une confpiration que 1'Amiral avoit forme centre lui, fa mere, & fes freres. Dans le temps meme qu'il accabloit 1'AmbafTadeur d'Angleterre de careffes, & de proteftations d'amitie pour la Reine fa maitrefTe, il travailloit fous main a lui fufciter des ennemis en Angleterre & en Ecofle. Auffi Elizabeth, qui en fut in- ftruite, ne le fit-elle pas fcrupule peu apres de fecourir La Rochelle, ou elle envoia Montgomery. L'AmbafTadeur de France fe plaignit amerement qu'on le laiflat mettre a la voile, 6c que les mar- chands Anglois envoiaflent des provifions aux aflieges. On lui repondit, pour la forme, que cette flotte etoit compofee de gens fans aveu, qu'ils naviguoient fous de faux pavilions, & que li on pouvoit les prendre ils feroient punis ; quant a'ux marchands, qu'ils cherchoient a gagner ou ils pouvoient. Au-refle, voila ou fe borna .Gouvernement des Femmes. 101 borna tout le fecours que la Reine donna aux Huguenots. Elle ne vouloit abfo- lument pas en venir a une rupture ou- verte avec la France, foit pour 1'attirer dans fes interets, ou du-moins pour faire croire qu'elle n'etoit pas brouillee avec Charles : ce qui, naturellement, devoit rendre fes autres ennemis plus circonf- peds. Jc n'entrerai pas dans le detail des proportions de mariage que la cour de France lui fit faire d'abord avec le Due dAienon, puis avec le Due d'Anjou ; parce-que le tout ne fut qu'un jeu de part & d'autre, quoiqu'on cfifputat tres- long-temps fur les conditions, comme fi Ton y cut penfe ferieufement. L'annee 1 577 commen^a par un evene- ment affez intereflant, qui fut 1'arrivee de Dom Juan d'Autriche aux Pa'is-Bas. C'etoit un Prince d'un genie fuperieur, & dont Fambition 1'emportoit prefque encore 102 Reflexions fur le encore fur la naiffante. II ne pouvoit penfer fans fremir qu'il fut ne fujet ; & il n'y a rien qu'il n'eut fait pour cefTer de 1'etre. Tous fes pas tendoient a la fou- verainete. Son premier projet avoit ete de fe faire Roi de Tunis. Y aiant echoiie, il fongea a epoufer la Reine d'Ecofle, pour monter enfuite fur )e trone d'An- gleterre. Elizabeth n'ignoroit pas les defleins de Dom Juan fur les Pais-Bas ; mais elle n'avoit pas penetre fes vues fur 1'Angleterre & 1'EcofTe. Le Prince d'O~ range lui en donna avis : ce qui lui fit avoir les yeux fur les Pais-Bas. Sur-le- champ elle fit remettre aux Etats les cent-mil le liVres fterlings qu'ils lui avoi- entdemande. Tandis-que la Reine affiftoit les con- federes dans les Pais-Bas, fous pretexte de les empecher de fe donner a la France, Philipe lui rendoit la pareille en fomen- tant une rebellion en Irlande. Mais ce projet chimerique fut enfeveli avec Sfu- kcly, Gouvernement ties Femmes. 103 kefy, qui devoit 1'executer, & qui perit, avec Dom Sebaftian Roi de Portugal, a la bat aille d' Alcafar. Dom Juan remporta un avantage fignale fur les Etats a la ba- taille de Gemblours : mais il ne fit rien de remarquable depuis, jufqu'a fa mort qui arriva le premier O&obre 1 578. On pretend qu'elle fut la fuite du poifon qu'on lui avoit donne par ordre du Roi fon frere. Akxandre Farnefe, Prince de Parme, lui fucceda dans le commande- ment de 1'armee. On repandit dans Tannee 1580, des ecrits par lefquels on donnoit avis aux Anglois que le Pape, de concert avec le Roi d'Efpagne, s'etoit ligue pour faire la conquete de 1'Angleterre, & y retablir la Religion Catholique : & on y exbor- toit ceux de cette communion dans ce pai's a favorifer 1'entreprife. Elizabeth, fur cela, fit publier qu'elle etoit inftruite desmenees fecretesde fes ennemis ; mais que, fe repofant fur rafliftance de la Di- vinite, 104 Reflexions fur le vinite, & la fidelite de fes fujets, elle efperoit pouvoir y faire face de tous cotes; qu'au furplus, comme leur trame ne la regardoit pas perfonnellement, mais tout le Roiaume, la juftice qu'elle devoit a fes fujets exigeoit, pourl'interet de ceux qui lui etoient fideles, qu'elle fevit centre ceux qui oublioient leur devoir : deforte- qu'elle avertiftbit que quiconque y man- queroit feroit traite avec la derniere ri- gueur, EfFedlivementlesEfpagnols firent cette annee une defcente en Irlande. .Arthur Grey, qui en etoit Vice-Roi, apprit que fept-cents Efpagnols & Jtaliens, au nom du Pape & de Philipe II. y etoient de- barques, fans la moindre refiftance, fous les ordres d'un Italien nomme St. Jofeph; & que celui-ci s'etoit retranche fous un fort qu'il nommoit le J?orf de FOr, Le Comte SOrmcnd, qui n'en etoit pas loin, fit quelques prifonniers fur l'ennemi. Ceux-ci declarerent qu'ils avoient ap- porte Gouvernement des Femmes. 105 porte des armes pour cinq ou ux-mille homines, qui devoient chaffer les Anglois de 1'Ifle. Le Comte, ne fe trouvant pas affez fort pour affieger les enriemis, fe contenta de les ihveftir, jufqu'a-ce-quele Vice-Roi, qui etoit en pleine marche, put le joindre. Peu apres le fiege fe fit dans toutes les formes ; 6c le fort fe ren- dit le cinquieme jour a difcretion. Les Anglois fouillerent leur vidloire par les cruautes qu'ils exercerent. Sous petexte qu'ils ne pouvoient, fans beaucoup d'em- barraSi garder tant de prifonniers, ils paf- ferent les Efpagnols au fil de 1'epee, & pendirent tous les Irlandois. Ce fut dans Cette annee 1580, que Francois Drake revint du long voiage qu'il avoit entrepris en faifant le touf du monde. II avoit navige fur les mers du Nord & du Sud en Amerique, & en rap- portoit des trefors immenfes qu'il avoit enleve aux Efpagnols en lingots d'or & d'argent. II arrlva au mois de Novembre ; O- S io6 Reflexions fur k & d'abord la Reine le fit Chevalier, & cut la cpmplaifance de diner dans le vaif- feau qui avoit fait un auffi long voiage. Elle le fit enfuite placer pres de Deptford, & ordonna qu'on y pofat une infcription qui en perpetuat la memoire. L'an 1585, la France & les Pais-Bas e'toient prefqu'en feu. Tout y etoit en combuftion, tandis c^u Elizabeth ne fon- geoit qu'a pourvoir a fa furete, & a celle de fes fujets, en affiftant les Huguenots & les Confederes. Elle prevint auffi, par un traite avec le Roi d'EcofTe, les coups qu'on eut pu lui porter fi le Roi d'Efpagne & le Due de Guife fe fufTent rendus maitres de ce Roi'aume. L'annee fuivante, peu apres la conclu- fion de ce traite, Elizabeth decouvrit en. Angleterre une confpiration, qui couta la vie a la pauvre Marie Stuart Reine d'E- cofle. Come diiFerens auteurs ont traite cette matiere, je n'en rapporterai que les particularite's Gouvernement des Femmes. 107 particularites les plus eflentielles ; & commencerai par le Decret de Commiflion que publia la Reine d'Angieterre pour 1'inftrudion du proces de fa rivale. En voici la tradudtion : EL /Z A BETH, par la grace de Dieu, Reine d'Angleterre, de France, & d'Irlande ...... Au tr ex-reverend Pere enJefus-Chrift]E&K ARCHEVEQJJE DE CANTORBE'RY, Primat & Metropolitan de toute FAngleterre, Membre de Notre Confeil prive : J^t a Notre feal G? bien- aime le CHEVALIER BROMLEY, Clian* celier d'Angieterre , f , , Salut, Comme la vingt-Jixie'me annee de Notre Re'gne on a paffeun Atte %ui porte .... (Ici I'Adts etoit rapporte tout aulong.) Et Comme, depws le premier de Juin de la 'vingt-feptieme annee de Notre Regne, on f? machine toutes fortes de mo'iens tendans a O 2 nous io8 Reflexions fur le nous fair e tort -, Of n ignorant pas qua la tete de toutes ces perfides manoeuvres f& trouve MARIE ,-jille ? heritiere de J A Q^J E s V. Roi d'Eco/e, (qui ofe u fur per k tit re d heritiere du Ro'iaume d'Angleterre), avec d'autres perfonnes qui y font entrees dtfon, aveu: Et comme Notre intention eft de mettre le fufdit Afte en force dans tous fes points ifuivant fa forme ? teneur -, '& que Nous vouhns quon examine avec foin tout ce qui peut y avoir contrevenUy pour en juger & porter fentence en confequence : Nous vous donnons a vous, & a la plus grande partie de vous, pkin & abfolu pou~ voir, permiffion & autorite, confequemment a la teneur du fufdit Afte, d' examiner tout ce que la dite MARIE^.^/ avoir fait , ima- gine, ou cabale, contre Notre Perfonne Ro'iale, ou toute autre perfonne de fon aveu, G? d'en ramaffer foigneufement toutes les cir con/lances. Voulons quen- fuite vous prononciez jugement fur les faits & les preuves y ainft quil vous apparoitra. Nous vous ordonnons done de fixer Gouvernement des Femmes, 109 fixer unjour, & un lieu, pour vous affembler ft ce fujet ; & froceder en confluence de Afoj 1 ordres, II eft bon de remarquer que le grand Treforier Burleigh, & le fecretaire Wai- fingham, deux des plus intimes Miniflres ^Elizabeth, etoient du nombre des Com- rnilTaires. Us etoient conuus pour en- nemis declares de la Reine d'Ecofle : & il y a meme beaucoup d'apparence que c'etoient eux qui avoient porte Elizabeth a Iqi faire fon proces. D'autant-plus que, comme on a peine a fe figurer que cette PrincefTe cut hazarde une pareille de- marche fans en deliberer avec fon confeil, il eft naturel de penfer qu'elle n'eut pas du nommer fes propres Miniftres pour juger cette Reine infortunee. II eft vrai que comme elle vouloit etre fure du fuc- ces de cette affaire, elle etoit perfuadee que 1'autorite de fes Miniftres fuffiroit pour emporter la balance, fuppofe que quelqu'autre des juges parut biaifer. Trente- jio Reflexions fur k Trcnte-fix des CommifTaires s'etant affemble's 1'onze d'Oftobre au chateau de Fotheringhay dans le Comte de Nor- tJiampton, envoierent a Maried'Ecqffe, le Refcript de la Reine. Elle leur repon- dit, apres 1'avoir lu, " Qu'elle etoit *' fachee qu'on cut fait a la Reine fa " foeur de faux rapports fur fon fujet; *' qu'elle s'etoit toujours doutee que c'e- *' toit a elle qu'en vouloit I'afTociation * c & l'ad:e du Parlement, & qu'on la * 6 rendroit refponfable de tout ce qui fc '* machineroit dans les pa'is etrangers ; '* qu'il etoit fingulier que la Reine d'An- Cft gleterre la confiderat comme une de ** fes fujettes, & pretendit avoir droit * e de lui faire fon proces 5 qu'elle etoit " une Souveraine, & une Reine auffi- * bien op Elizabeth j & qu'elle ne con^ *' fentiroit jamais a rien qui put degra- * c der laMajeile du trone, faire tort a fon '* fils, ou manquer a ce qu'elle fe devoit ' a elle-meme : que, d'ailleurs, elle ne *' connoiflbit abfolument rien ni aux qu'elle n'avoit " perfonne qu'elle put confulter ; 6c " qu'on lui avoit enleve tousfes papiers; " que jamais elle n'avoit cherche a fou- " lever perfonne centre Elizabeth, & " qu*elle ne fe fentoit coupable d'aucvm " crime; qu'on ne pouvoit la convaincre * c que fur c qu'elle avoit dit ou ecrit ; *' & que confequemment elle etoit cer- " taine qu'on ne pouvoit rien lui produire 46 de criminel, excepte d'avoir recom- '* mande fes interets aux Puiffances " etrangeres; ce qu'elle avoiioit de bonne " foi." Le lendemain les CommiiTaires lui fi- rent paffer une copie de fa reponfe. Apres 1'avoir lue, elle leur dit, " Qu'elle etoit " fidelle ; mais qu'elle avoit oublie un * f point principal, qui etoit, que dans fa " lettre Elizabeth pretendoit qu'elle fut '* fujette anx loix d'Angleterre, parce- " qu'elle 112 Reflexions fur le " qu'elle s'y etoit refugiee depuis long* " temps -, mais que tout le monde fa- " voit qu'elle n'y e'toit venue que pour " implorer 1'afMance de la Reine fa " fceur, qui avoit eu la cruaute de 1'y " detenir prifonniere ; qu'on ne pou- fc voit done alleguer qu'elle y eut vecu (i fous la protection des loix, auxquelles * e meme elle n'avoit jamais bien pu rien *' comprendre." En un mot, elle fut deux jours a dif- puter fur la legalite de fes juges, niant qu'en aucun cas Elizabeth put avoir d'autre autorite fur elle qu'autant qu'elle vouloit bien s'en arroger. Elle perlifta meme dans ces fentimens, apres qu'on 1'eut menacee de la juger par contumace, fuppofe qu'elle ne comparut pas. A la fin, Tun des CommifTaires nomme Plat- ton ffut ebranler faVefolution. II lui dit, " Qu'a la verite elle etoit accufe'e, mais " qu'elle n'etoit pas condamnee; quell *' elle etoit innocente elle faifoit un tort *' infini Gouvernement des Femr/ies 1 1 3 " infini a fa reputation, en refufant de fe " foumettre a un jugement -, que la " Reine feroit enchantee qu'elle put fe " laver de ce qu'on lui imputoit -, 1'aiant " ou'i delapropre bouche de S. M. lorf- " qu'il en avoit pris conge/' Si 1'infortunee Marie cut eu un Avocat, il lui eut fans-doute apris que le difcours de Hatton ne tendoit qu'a la faire tomber dans le piege j & qu'il ne fongeoit qu'a luiextorquer une reponfe,afin qu'on put la condamner definitivement. Au-lieu que fi elle eut perlifte a meconnoitre 1'au- torite & Elizabeth, elle eut mis celle-ci dans de grands embarras. Quoique cette PrincefTe eiat refolu la mort de Marie, elle etoit cependant bien aife d'y donnei 4 une apparence de juftice, pour adoucir autant que poflible le blame d'un pro- cede auili inou'i. Une fentence par def- faut n'eut jamais opere cet effet d'au- tant plus que perfonne n'ignoroit com-, bien la Reine d'Ecofie etoit fondee dans P ics 114 Reflexions fur le fes objections. Au-refle elle tint bon jufqu'au 14 Odobre, qu'elle fit venir quelques-uns des CommifTaires, auxquels elle dit que Hatton avoit 911 la con- vaincre qu'il etoit de fon interet de faire connoitre fon innocence; leur ajoutant qu'elle etoit prete a comparoitre devant eux pourvu qu'ils admifTent fes protefta- tions j ce a quoi ils confentirent fans ap- prouver cependant les raifons fur lef- quelles elle les appuioit. Je ne rapporterai pas ici les details dc fon proces, parce-qu'on les trouve dans toutes les hiftoires d'Angleterre. Je di- rai feulement qu'elle fut condamnee a perdre la tete> & qu'enfin fon execution fut fixee au 8 Fevrier 1587. Je crois faire au public un prefent de confe'quence, en lui donnant ici un mor- ceau unique tire d'un des ouvrages du celebre Monfieur CHARLES HOWARD de Grayftock, Heritier prefomptif de Mylord Gouvernement des Femmes. 115 Mylord Due de Norfolk, dont la bonte du cceur & 1'etendue des connoifTances 1'emportent fur tout ce qu'on peut dire, Je n'y changerai rien ; & me contenterai de traduire un fait aufli intereflant tel que je Tai trouve dans fon Livre des Anecdotes Hiftoriques de la Maifon de HOWARD : Livre que ce tendre pere a dedie a un fils digne par tous endroits de fes bontes. On trouve cet article a la page 36 de 1'Ou- vrage. P 2 Aux 1 1 6 Reflexions fur k Aux TRE'S-HAUTS ET TRE'S~PUIST SANS LE CHEVALIER CECIL, ET LE LORD BURG HLYFFE,GR AND S-TRE'- SORIERS D'ANGLETERRE. POUR obei'r aux ordres qu'it vous a plu me fignifier, de coucher par e'crit la forme & les particularites de 1'execution de la Reine Marie d'Ecofle, arrivee le 8 Fevrier 1587, dans la grande falle du Pa- lais de Fotheringhay ; j'-ai d'abord mis la main a la plume j & je n'ai, fuivant vos intentions, omis aucun des difcours pro- nonces par cette illuftre malheureufe. J'y ai joint jufqu'aux moindres circon- flances qui pouvoient etre relatives au fait, depuis le moment qu'elle fut remifc entre les mains de Monfieur Thomas An- drews, premier Sheriff du Comte de Nor- thampton, jufqu'a celui de fon exe'cu- tion. Les G Oliver nement des Femmcs. 117 Les Comtes de Kent & de Shreiv/bury, avec les Chevaliers Pawlett&c Drewry, fes Gouverneurs, lui ai'ant fignifie qu'elle de- voit fe preparer a mourir le huit de Fe- vrier fuivant, elle n'en parut ndllement emue ; du-moins aucun gefte exterieur ji'en fit-il rien remarquer. Elle fembla fe rejouir an contraire d'apprendre que fa fin approchoit ; & re$ut d'un air riant, & fans fe decontenancer, une nouvelle a laquelle elle avoiia qu'elle ne s'attendoit pas. Tout ce qu'elle dit fut qu'elle etoit prete a mourir, puifque c'etoit le bon plaifir de la Reine -, & que quiconque n'avoit pas aflez de force pour foutenir la douleur momentanee d'une exe'cution, ne meritoit pas de pretendre aux joies du Ciel. A ce peu de paroles un morne fi- lence fucceda, 6c cette Princefie fe mit a pleurer amerement. Le jour fatal etant arrive, le lieu, le temps, & 1'heure meme de 1'execution aiant etc fixes, la Reine d'EcofTe, qui etoit j 1 8 Reflexions fur k etoit grande, avoit beaucoup d'ernbon- point, les epaules rondes, le vifage plein & large, avec un double menton, &les yeux gris j cette Reine, dis-je, parut re- vetue de cette forte : Une faufTe trefTe de cheveux fuppor- toit fa coeffure, qui etoit d'une batifte des plus fine, garnie de dentelles. Elle avoit au col une chaine garnie d'un ^gnus Dei, un crucifix a la main, & un chapelet a la ceinture, auquel pendoit un crucifix d'or. Elle portoit un voile de batifte, & une efpece de fraife a 1'Efpagnolle. Sa robe etoit de fatin noir a fleurs, avec une longue queiie, & des manches qui pen- ttoient jufqu'a terre, garnies d'une rang de boutons de jaiets mles de perles. Cette robe avoit auffi d'autres manches plus courtes de fatin noir, & d'autres fous celles-ci de velours couleur de pour- pre. Son mouchoir etoit de fatin noir a fleurs ; fa Juppe de fatin cramoifi ; fon iuppon de defibus de velours de la meme couleur 5 Gouverhement des Pemmes. 1 1 q couleur; fes fouliers de cuir d'Anda- loufie travailles a 1'envers. Elle portoit des jarretieres de foie verte ; des has de laine couleur d'eau a coins d'argent ; & deffous ceux-ci une autre paire de laine blanche de Jerfey. Telle etoit la parure de Marie d'Ecoffe lorfqu'elle fortit de fon apartement, pour marcher a 1'echaffaut. Elle avoit un air de ferenite, qui tiroit fur la joi'e, fans pa- roitre fonger a vouloir s'y oppofer oil meme prolonger le temps. Auffi s'ache- mina-t-elle fans emotion vers le lieu def- tine a fon execution. Le Chevalier Pawlett avoit choili deux de fes Gentils- hommes pour lui donner le bras, de fon apartement a une anti-chambre con- tigue- a la grande falle -, & le premier SherifF Andrews la precedoit. A-peine y fut-elle arrivee qu'elle y vit venir les Comtes de Kent &c de Shrewjbury, avec 1 ks Chevaliers Pawlett & Drrwry fesGou- verneurs; ainli-que d'autres Chevaliers I2O Reflexions fur le & Gentils-hommes d'un certain rang, nommes par la Reine Elizabeth pour af- fifter a fon execution. En entrant, ces feigneurs s'apper9urent qu'un certain Mefoin, un de fes domeftiques, etoit a fes genoux, ou il fe tordoit les bras, fon- dant en larmes, & parlant ainfi a cette Reine infortunee : " He'las ! Madame, que le fort me " traitebien cruellement! Jamaishomme " fe vit-il porteur d'une auffi trifle nou- " velle ? Ceux qui m'ecouteront ne fe * e fentiront-ils pas dreiTer les cheveux " fur la tete, quand je leur apprendrai a'iant a leur tete le premier She- riff - y entra dans la falle du chateau de Fotheringhay, fans fe decontenancer, ni fans que le lieu femblat lui infpirer la moindre terreur, non plus que les per- fonnes qu'elle y trouva occupees a faire les preparatifs de fon execution. Cette PrinceiTe monta avec intrepidite fur 1'echafFaut, qui etoit de deux pieds de haut, fur fept de large, & entoure d'une baluftrade couverte de drap noir. On y avoit mis une chaife fort baiTe, avec un couffin & un bloc, aufli couverts de noir* On lui avan9a la chaife, fur laquelle elle s'affitjaiant a fa droite les Comtes de Kent & de Shrewjbury ; a fa gauche, le Sheriff Andrew, & vis-a-vis d'elle les deux Bour* reaux. L'echafFaut etoit environne des Chevaliers, Gentils-hommes 6c autres fpectateurs. Chacun des Femmes. 127 Chacun aiant alors fait filence, Mr. , fecretaire du Confeil, lut le De- cret emane pour fon execution : ce qui fut fuivi d'une exclamation du peuple, qui s'ecria VIVE LA REINE ! Marie en ecouta la lecture dans le plus profond filence, fans paroitre y faire plus d'atten- tion que s'il n'eut pas ete queftion d'elle. Au contraire, cette infortunee PrincefTe avoit 1'air aufli content que ii on lui eut apporte la nouvelle de fa grace : & Ton auroit prefque cru qu'elle ne favoit rien des coutumes nide la langue des Anglois. Alors le Dofteur Fletcher, Do'ien de Pe- terborough qui etoit debout, vis-a-vis d'elle, au dehors de la baluftrade, faifant une profonde reverence, lui addrefla le difcours fuivant. E X H O R. 128 Reflexions fur le E X H O R T A T I O N Du Dotfeur FLETCHER a la MARIE d'JLcoffe. MADAME, Majeile la Reine, mon Augufte MaitrefTe, que Dieu veuille preferver long-temps pour regner fur nous, aiant, malgre tous vos attentats contre fa Per- fonne Sacree, fon Roiaume, & fes minir ftres, a coeur le falut de votre ame ; en meme temps qu'elle veut que juftice fe faffe : 1'interet, dis-je, que la Reine prend a cette ame immortelle, qui, au moment defa reparation d'avec le corps, doit ou etre eternellement reiinie a Jefus-Chrift, ou perir pour jamais -, 1'engage a vous ofFrir ici les fecours que le Dieu Tout- puiffant Gouvemement des Femmes. lig puiffant eft toujours difpofe d'accorder aux Chretiens qui joignent la foi au re- pentir: & j'ofe vous conjurer, par les entrailles de notre fauveur> de vouloir bien reflechir ferieufement a trots chofes^ La premiere eft la fituation ou vous-vous trouvez dans ce moment ou toutes ces vaines apparences de grandeur jauxquelles vous etes accoutumee, yont s'evanoui'r. \AJtCondt que vous touchez a 1'inftant de votre mort, & que votre corps eft perif- fable. La troljieme que vous voila prete d'entrer dans 1'eternite, qui doit decider de votre bonheur ou de votre malheur pour toujours. Quant au premier article, Madame, permettez-moi de vous dire, avec le Roi Pirophete, Oubliez-vous vous-meme, ou- bliez votre propfe peuple, & la riiaifon de votre pere. Oubliez la grandeur de votre naiffance, & ne vous feflbuvenez pas que vous defcendez d'lin fang roial, & que vous avez etc fur le tr6ne : alors R le 130 Reflexions fur k le Roi des Rois fe deledera dans votre beaute fpirituelle. Regardez tout ce qui eft ici-bas comme de la pouffiere & du fumier, afin que Dieu vous trouve. Ne vous repofez pas fur votre propre droi- ture qui eft defedlueufe Sc fouillee, mais fur celle de Dieu, par votre foi en Jefus- Chrift fon fils, fur tous ceux qui croient en ce divin fauveur ; afin que vous puif- fiez le connoitre ; & le connoitre eft la vie eternelle. Prenez-vous,-y de fa9on que fa refurre & que de fa ** vie elle n'avoit fait fa toilette en il " nombreufe compagnie." S'etant depouillee de tout ce qui pou- voit rembarraffer pour fon execution, & ne gardant que fes juppes & fa ceinture j fes femmes ne purent s'empecher, en jet- tant Gouvernement des Femmes. tant les yeux fur elle, de fondre en lar- mes ; & fe mirent a fanglotter. Aprcs quoi elles firent un million de fignes de croix,& reciterent diverfes prieres latines* La Reine, fe tournant vers elles, 6c s'ap- percevant de 1'air abbattu qu'elles avoi- ent, les embrafla, & leur dit : Rejw'iffez- es. Aditii) mcs chers enfans> leur dit- T elle 5 146 Reflexions fur le elle ; Priez Dieu pour moi dans mes der- niers moment. Apres cela, une de fes femmes prit un linge de Corpus Chrifti, le plia en trois, le baifa, le lui mit fur le vifage, & le lui attacha avec des epingles au haut de la tete. Puis, fes deux femmes s'en eloi- gnerent d'un pas morne & lent. Alors la Reine fe mit a genoux fur le couffin : &, fans temoigner la moindre fraieur de la mort, au contraire d'une voix ferme & refolue, pronon9a ces mots latins : In te, Domine,Jpera e ui : non confundar in foutenant de fes deux mains fes cheveux ; & on les lui auroit infalliblement coupe'es ii on ne s'en fut pas apper^u. Elle s'arrangea doucement elle-meme fur le bloc : puis, etendant les bras & les mains, elle s'ecria trois ou quatre fois, In manus tuas> Domme ! A la fin, tandis qu'un des Bourreaux la fou- tenoit legerement d'une main, 1'autre lui porta Gouvcrnement des Femmes. 147 porta deux coups avec fa hache, avant de pouvoir lui couper la tete, qui refta meme attachee a un foupgon de cartilage ; ce qui lui fit jetter un leger foupir j apres quoi elle expira. TOUT ceci eft extrait, par Monfieur Howard, d'un vieux Manufcript du J5r/- tifli Mufeum. Ce feigneur le rapporte a 1'occafion de tout ce qu'ont fouffert fes ancetres par rapport a leur attachement pour 1'infortunee Marie. Qu'on me trouve un homme qui ait jamais affronte la mort avec plus de fer- mete, fi Ton veut me nier que les fem- mes ne foient capables du plus grand he- roifme. Lorfqu' Elizabeth apprit que la Reine d'EcoiTe venoit de perdre la tete, elle en parut au defefpoir. Ce ne furent que foupirs, larmes, & gemiffemens de fa part. On auroit dit, a Tair de trifteffe T 2 qu'elle 148 Reflexions fur le qu'elle afFe&oit, & aux lamentations con- tinuelles qu'elle faifoit, que cctte Prin- cefTe etoit ve'ritablement afflige'e. En un mot, elle poufla les chofes a 1'exces. Elle fit defendre la Cour aux Membres du Confeil Prive ; ordonna qu'on exa- minat leur conduite dans la Chambrc etoilee; & alia meme jufqu'a faire le procts a Davifon t pour fa defobeifTance. Peu de jours apres, elle envoia Robert Carey au Roi d'Ecoffe, auquel elle ecrivit la lettre fuivante : Mon cher Fr/re, JE Jbuhaiterois que vous pujjlez con- noitre,fans lafentir, T extreme douleur que ma caufe le fatal accident, qui vient dar-* river , tout-a-fait centre man intention. Je vous envo'ie un de mes parent^ quautrefois votis honariez de iiotre bien'veillance^ pour vous rendre compte de ce que je nai pas la force de voiis e'er ire. Comme Dieu meji tlmoin, ainfi-que bien d'autres^ que je fuis tout-a-fait innocent c dans cstte affaire -, jr we Gouvernement des Femmef 149 meflatte quc vous croirez quejl celafut ar~ rive par mes ordres, je ne le dijjimulerois point, 'je fuis nee tropjiere pour quaucun refpeft humain mempeche defaire ce qui eft jujle : & fiune fois jel'dvoisfait, rien au monde ne meporteroit a le defavouer. Mais 9 comme [ombre meme du deguifement eft ca- pable de degraderla Majejh^jene cherche- raijamais apallier mcs actions : je me fe~ rai plutQt glair e d'tn rendrecompte al'Uni- vers. Voits pouvez done compter que> comme ce qui sejl pafje. ttoit jufte^fi ceut ete mon intention qiion en vinf a cette ex- tremite, je prendrois le tout fur moi, fans vouloir en jetter la f ante fur autrui : maif je nen avois pas meme Fidee. Le porteur vous injlruira plus partkulidremcnt de ce- qui seft pajje. Quant a moi fdiez per*- fuade que vous navez pas de pare?2te qui vousfoit plus attacheey. ni d'amie qui vous aime plus tendrement - 3 {sf quen un mot* perfonne ne s inter effe plus vivement a votre profpe'rite, & au bonheur de votre Roiaume- )eforte-queji, par hazard \ quelque man- vats 150 "Reflexions fur k vats efprit vouloit vous perfuader du con- fraire^ fo'iez certain qu'il .U^ 'if^tt. :;XD t3$j&&%*. : 8 Henri IV. venoit alors de monter fur le trone de France. La Ligue refufoit de le reconnoitre ; & plufieurs feigneurs da Gouvernement des Femmes. 155 du parti du feu Roi lui avoient tourne le dos : deforte-que pour ne pas indifpofer centre lui toute la nobleffe Catholique, il fe vit oblige de leur promettre de chan- ger de Religion. Cependant ce Mo- narque n'avoit ni troupes ni argent. Les SuifTes & les Allemands, qui avoient fervi fon predecerTeurjinenacoient de le quitter s ? il ne paioit les arrerages qui leurs etoi- ent dus -, & il ne favoit ou les prendre? Dans cette extremite, il cut recours a Elizabeth, qui lui promit 6c troupes & argent. Ces flatteufes efperances lui don- nerent le courage de faire tete au Due de Mayenne, qui 1'avoit recogne j'ufqu'en Normandie, & qui meme avoit eu Tau- dace del'attaquer a Arques, mais fans le moindre fucces. Le Monarque Fran9ois fe crut en fi grand danger, qu'il fut fur le champ pafle en Angleterre, comme quel- ques-uns le lui confeilloient, fi le Mare- chal de Byron ne Ten cut empeche. A la fin les fecours Ahglois arriverent. Pe- regrine Lord Willoughby lui amena quatre U 2 mille 156 Reflexions fur le mille hommes,& lui compta vingt-deux- mille livres flerljngs en or. Ce renfort le mit a-meme de s'approcher de Paris, 4ont il prit un des Fauxbourgs. Mais le Due de Mayenne, y etant entre avec fon armee, Henri IV, fe vit force de fe retirer, Dans cet intervalle, le Due de Mayenne avoit fait proclamer Roi le vieux Cardi-^ nal de Bourbon j Sc s'etoit lui-meme ar-r roge le titre de Ljeutenant-General du Hoiaume. Henri fe retira en Norman* die, oii il prit quelques places : apres quoi il renvoi'a les Anglois chez; eux. Cependant Etizabeth\u\&t encore paf* fer d'autres fecoifrs depiiis : mais enfin ils fe brouillerent ; & la Rejne ecrivit $, Henri, qu'aiant manque a fa parole pour le fiege de Rouen, elle ne vouloit plus fe meler de fes affaires. Ceci n'empecha pourtant pas le Comte d'Rffex de venir joindre le Roi, lorfqu'il entreprit ce fiege, parce-qu'il le lui avoit promis^ & qu'il fe croioit oblige de tenir parole : ce qui Gouvernement des Femmfs. 157 qui deplut fort a Elizabeth, qui, fur le champ, lui depecha le Chevalier Leyton fon oncle, avec ordre de revenir d'abord fous peine de difgrace. Au mois de Fevrier 1 593, le Parlement pafTa un A6te, qui caufa bien de 1'inquie- tude, non feulement aux Catholiques, mais en general a tous les Diflidens. Get Ade obligeoit tous les fujets d'affifler au fervice divin,. fous peine de punition. Deforte-que les Catholiques n'etoient plus les feuls fujets aux amendes portees par les loix : 1'Ade s'etendoit egalement fur tous les Proteftans qui n'etoient pas de 1'Eglife Anglicane, & qu'on connoif- foit alors fous le nom de Puritains. Ceci faifoit en quelque fa9on revivre les loix & Henri VIII. par lefquelles il n'etoitab- folument pas permis d'etre d'une autre Religion que de celle du Souverain ; avec cette difference cependant, que fous Elizabeth ce n'etoit pas fbus peine de inort, comme du temps de fon pere. II y avoit 158 Reflexions fur le y avoit au-refte ici quelque chofe de plus dur que dans l'A6te pafiefous Henri VIII. Ce Prince, tout abfolu qu'il etoit, fe con- tentoit de punir ceux qui, par des de- marches violentes, choquoient la Reli- gion Anglicane. Elizabeth, vivement Irrir.ee centre les Catholiques, qui, plus d*une fois avoient attente a fa vie, & a lui oter la Couronne - y cut etc charmee d*en purger totalement 1'Angleterre. Elle n r aimoit gueres plus les Puritains, qu'elle regardoit comme des gens obilines, qui, pour des bagatelles, apportoient du fchifme dans 1'Eglife Anglicane. Au- reile, ce n'eft pas la premiere fois, ni uniquement en Angleterre, qu^n ait fait un crime capital a des fujets, de n'etre pas d& la Religion du Prince. Graces au Clerge qui, au-lieu de fuivre les principes de charit preches dans FEvangile, fe de- cfare prefque toujours pour la non-tole- rance ; chaque Etat a toujours femble ne vouloir fouffiir qu'une feule Religion. AuOi la.' Reine fut-elle dans le dernier chagrin, Gouvernement des Femmes. 159 chagrin, lorfqu'elle apprit qu Henri IV. en alloit changer. A la premiere nou- velle qu'elle en cut, elle lui depecha Thomas Wills pour Ten difTuader : mais, a fon arrivee, la chofe etoit faite. Quelque temps apres, Hefquel vint en Angleterre pour perfuader au Comte de Derby, de la part d'un petit nombrc d'Anglois, qui s'etoient expatries, dc prendre le titre de Roi d'Angleterre, en qualite depetit-fils de Marie, fille & Henri VII. Pour 1'encourager, Hefquel 1'afiura qu'il pouvoit compter fur le fecours de Philipe II. Roi d'Efpagne ; lui ajoutant, que s'il ne fuivoit pas les avis qu'on lui donnoit, ou qu'il vint a les divulguer, il ne vivroit pas long-temps. JLe Comte de Derby, craignant que ce ne fut un piege qu'on lui tendoit, en informa la Reine, & Hefquel fut pendu : mais Tinfortune Comte ne lui furvecut pas long- temps, car il mourut quatre mois apres des fuites d'un poifon qui le fit continuellement vo- 160 Reflexions fur le mirjufqu'a-ce-qu'il expirat. On foiip- ^onna que foil Ecuier avoit etc un des complices, parce-qu'il decampa le pre- mier jour de fa maladie* n'etoit pas tranquiledu cote de 1'EcoiTe. Elle etoit informee que la faclion Efpagnolle y prenoit le deffus, qu'on y tramoit quelque chofe contre la Religion Proteftante, & que le Roi fern- bloit pencherpour les Catholiques. Pour en etre eclaircie, elle envoia Mylord r Louch vers yaques. Le premier devoit s'informer de la verite des rapports qu'on avoit faits a la Reine, tacher de fortifier le parti Anglois, & fur-tout faire en- tendre au jeune Monarque fes vrais inte- rets. ZoucA reufllt fi bien, qu'un nomm< Graham Feintry, qui etoit zele partifari de 1'Efpagne, fut mis a mort par ordre du Roi d'EcofTe : ce qui ota aux Catho- liques toute efperance de ce cote. Gouvernement des Femmes. 1 6 1 En 1595, le Chevalier Raleigh, fit a fe s propres depens, une feconde expedition en Amerique : mais il n'en retira pas grand avantage. Elizabeth elle-meme equippa une flotte de vingt-iix vaifTeaux, fous les ordres des Chevaliers Drake &c Hawkins, pour porter la guerre dans ces quartiers. Mais comme les Efpagnols avoient pris leurs precautions, les Ami- raux Anglois ne firent pas grande proii- efle : ils perirent meme tous deux dans cette expedition. L'annee fuivante, la Reine, a'iant eu avis que le Roi d'Efpagne en vouloit a 1'Angleterre & a 1'Irlande, refolut de le prevenir. Elle aflembla une flotte de cent-cinquante voiles, avec vingt-deux vaifieaux Hollandois, 6c fept-mille hom- mes a bord. Elle donna le commande- ment de la flotte a TAmiral Charles Howard, 6c celui des troupes de terre aa Comte d'E/ex* X Cette 1 62 Reflexions fur k Cette expedition fut aflez heureufe. Aufli, a leuf retour, les deux chefs fe virent-ils fort acciieillis & Elizabeth. Ce- pendant le Comte d'Effex re9ut une morti- fication, a laquelle il parut extremement fenfible. II avoit, avant fon depart, re- commande le Chevalier Eodley pour etre fait Secretaire d'Etat : & a fon retour il trouva que la Reine avoit nomme le Che- valier Cecily fils du grand Treforier, avec qui il etoit brouille. II cut auffi, quel- ques jours apres, le chagrin de voir Fran- ^ois Vere fait Gouverneur de La Brille, quoiqu'il fe fut interefle pour un autre : ce qui le fit appercevoir que fon credit commencoit a baiffer, & 1'entraina dans Jes demarches inconfidere'es qui peu apres lui couterent la vie. Vers la fin d'Odobre, le Comte d'Effex eprouva un nouveau defagrement. La Reine avoit cree 1'Amiral Howard Comte de Nottingham, & avoit infere dans fa Patente que c'etoit pour le recompenfer des Gouvernement des Femmes, 163 des fervices qu'il avoit rendus a 1'Angle- terre 1'an 1588, en enlevant Cadix aux Efpagnols conjointement avec le Comte d'Ej/ex. Le dernier fe trouva cheque dc ce qtf Elizabeth fembloit attribuer la moindre part de cette conquete a 1'Ami- ral : & d'ailleurs le nouveau Comte de- voit prendre le pas fur lui comme grand Amiral. Cependant, pour adoucir le Comte d'Effex, la Reine le fit grand Ma- rechal d'Angleterre -, ce qui lui conferva le rang fur le grand Amiral, La mort de Plulipe II. Roi d'Efpagne, qui arriva au mois de Septembre 1598, debarrafTa Elizabeth d'un ennemi auffi turbulent que dangereux. II mourut age de 72 ans, apres un regne de 42, pendant lequel il n'avoit ete occupe qu'a chercher a agrandir fa Monarchie. Son ambition lui avoit fait jetter les yeux fur la France, 1'Angleterre, & le Portugal. Mais, de tous ces grands projets, il n'y cut que le dernier qui lui reufsit. D'un X 2 autre 164 Reflexions fur le autre cote, il perdit aux Pais-Bas fept Provinces qui valoient beaucoup mieux que ce Roi'aume. Le Comte d'Effex, s'etant pour ainli dire fait nommer Vice-Roi d'Irlande, caufa lui-meme par la fa perte. Ses par- tifans crurent 1'obliger en le fecondant pour obtenir ce pofte -, tandis que fes en- nemis plus eclaires, virent d'abord que lorfqu'il feroit abfent de la Cour, ils fe- roient plus a-meme de fapper fon credit. Ils en vinrent efFectivement fi bien a bout, qu'enfin ce feigneur fut decapite le 2 5 Fevrier 1601. La Reine cut beaucoup de peine a fe determiner a figner 1'ofdre de fon execution. Mais a la fin fon amour-propre blefTe lui fit prendre ce parti : & le Comte mourut en galant- homme & en bon Chretien. Je ne trouve plus rien de remarquable, depuis cette epoque jufqu'a la mort d'E~ lizabeth. Vers la fin de Janvier 1603 cette Gouvernement des Femmcs. 165 cette Princefle commen9a a fentir les pre- mieres attaques de la maladie qui 1'em- porta. Comme elle n'etoit plus jeune, on fe douta d'abord qu'elle n'en revien- droit pas. Deforte-que dans les derniers temps elle eut la mortification de fe voir negligee par la plupart de fes courtifans, qui s'empreflbient a rechercher les bonnes graces du Roi d'Ecofle fon heritier pre- fomptif. Ceci la jetta dans une noire melancolie, qu'il lui fut impoffible de de- guifer: d'autant-plus qu'on parloit haute- ment de faire venir le Roi d'EcoiTe avant qu'elle mourut. Elle fut faifie dans les commencemens de Mars d'une pefanteur dans tous les membres, qui 1'empechoit de fe remuer, & prefque meme deparler. Eile ne voulut abfolument fouffrir pres d'elle que 1'Archeveque de Cantorberi qui la difpofoita la mort, & prioit a cote de fon lit. Lorfqu'on vit qu'elle ne pouvoit plus aller loin, le Confeil prive lui deputa le Grand 1 66 Reflexions fur k Grand Amiral, Je Garde du fceau prive, & le Secretaire d'Etat, pour la fupplier de nommer fon fuccefleur. Elle leur re'- pondit, prefqu'en s'evanouiflant, quelle iruoit toujours dit que fon trone etoit le trone dun "Roi', & quelle fefoit au defefpoir que quelquun dun rang inferieur lui fuc~ ceddt. Le Secretaire d'Etat la priant de s'expliquer plus clairement, parce-que le Confeil fouhaitoit de favoir au jufle fes intentions ; Jeveux, lui repliqua-t-elle, quun Roi mefuccede ; 6? qui peut-ce etre Ji~non le Roi d'Ecoffe mon phis proche pa- rent? Alors FArcheveque de Cantorbe'ri lui aiant reprefente qu'elle ne devoit plus fonger qu'a Dieu ; C'eft cs que je fais, dit-elle ; Gf je ne moccnpe d'autre c/to/e. Lorfque la parole cornmen9a a lui man* quer,elle leva-les mains & les yeux vers le Ciel 5 & donna plufieurs autres fignes qui prouvoient quelle mettoit toute fa con- fiance dans la mSfcricorde de Diciu Kile expira Gouwrnement des Femmes. 167 expirale 24 Mars, vieux ftyle, ageedeyo ans, apres en avoir pafle 44 fur le trone. Pour recapituler dans peu de rnots 1'eloge de cette grande Reine, il fuffit de dire que fon nom eft encore precieux a la pofterite parmi les Anglois ; & qu'on ne peut fuppofer qu'il entre de la flatte- rie dans les refpedls qu'on temoigne pour fa memoire aujourdui. \^E ferott ici, fuivant 1'ordre de la Chronologic, 1'endroit de parler de la Reine Chriftine de Suede. Mais, ccmme cette PrinceiTe a paru plus envieqfe de briller dans la Legende que dans THif- toire, je pafferai tres-legerement fur fon chapitre. Je rendrai cependant la juftice qui eft due a fes grandes qualites. Ef, ne cherchant pas a me parer des plumes du paon, j'avoiierai de bonne foi au lee- tcur que ce que je vais citer ici fur fon compte 168 Reflexions fur k compte eft extrait, mot pour mot, du Siecle de Louis XIV. de Voltaire. " On admira en elle," dit cet Auteur incomparable, " unejeune Reine qui, a " vingt-fept ans, avoit renonce a la foil- " verainete, dont elle etoit digne, pour " vivre libre & tranquile. Elle avoit " forme ce deiTein des 1'age de vingt ans. * c Elle 1' avoit laifle meurir fept annees. '* Cette refolution, fi fuperieure aux c idees vulgaires, & fi long- temps me- * c ditee, devoit fermer la bouche a ceux " qui lui reprocherent une abdication & quejaurois pretendu a Tern* tf pire du monde Ji j' euffe ete aujji ajjuree d'y " reujjir^ ou de mourir t que le feroit le grand Conde. < c Telle etoit 1'amede cettc perfonne li f * finguliere : tel etoit fon %le dans la Y langue Ijrp Reflexions fur k " langue Frar^oife, qu'elle avoit paple " rarement. Elle favoit huit langues. " Elle avoit etc difciple & amie de Des- (f Cartes i qui mourut a Stockholm dans ' fon palais, apres n'avoir pu obtenir ( feulement une penfion en France ; 011 ** fes ouvrages furent meme profcrits *i pour les feules bonnes chofes qui y ^ fufTent. Elle avoit attire en Suede *.' tous ceux qui pouvoient 1'eclairer. c Le chagrin de n'en trouver aucun par- f fc mi fes fujets, l ? avoit de'goutee de regner s< fur un peuple qui n'etoit que foldat. 5* Elle crut qu'il valoit mieux vivre avec " des hommes qui penfent, que decom- f mander a des hommes fans lettres & " fans genie. Elle avoit cultive tous les *' arts dans un climat ou ils etoient alors inconnus. Son deffein etoit d'aller fe e retirer au milieu d'eux en Italic. Elle " ne vint en France que pour y paffer, " parce-que ces arts ne commencoient " qu'a y naitre. Son gout la fixoit a ' Rome, Dans cette vue elle avoit &tt dt>s r (times. iji ** quitte la Religion Lmherienne pour " la Catholique. IndifFerente pour Tune 8f & pour 1'autre elle ne fit point fcru- " pule de fe conformed en apparence aux " fentimens du peuple chez lequel elle " vouloit pafler fa vie. Elle avoit quitte " fonRoiaumeen 1654, & fait publi- *' quement a Infpruck la ceremonie de *' fon abjuration. Elle plut a la cour de ? * France quoiqu'il rie s*y troUvit pas une ** femme dont le genie put atteindre ail *' Hen. Le Roi la Vit, & lui fit de grands vd\x-:inv\ s> rx$li!?f; t -,: C'etoit une femme de bonne mine, & aflez belle. Elle avoit un bon fens in- fini : mais ce n'etoit pas un genie bril^ lant : & il s'en faut beaucoup qu'elle ait eu cette vivacite d'imagination que bien des gens ont voulu lui preter, Ce fut la douceur de fon cara&ere qui lui gagna totalement le cceur du Czar, ainfi que 1'e- galite de fon humeur. Jamais on ne Ja vit bouder. Elle fe faifojt un plaifir de rendre fervice quand elle pouvoit : &, polie envers un chaqun, elle n'oublia de -fa vie d'ou elle fortoit. Sa reconnoiA fance fe manifefta fur-tout vis-a-vis du miniftre Lutherien qu'elle avoit fervi, De Tapprobation de rEmpereur,elle le fit yenir en Ruffie avec toute fa famille, 014 elle Gouvernement des Femmes. 177 elle les combla de bien faits ; & leur fit a tous un fort au-defTus de ce qu'ils pou- Voient pretendre. Ce fut le traite de Pruth, ddnt elle fut Fame, qui la mit au-defTus de Tenvie, & aflura fa fortune. En cela Pierre ne fit que lui rendre juftice 5 car il lui devoit la liberte, la Couronne* & peut-etre la vie. Le peuple 1'adoroit, & toute 1'armee la regardoit comme fon idole. Dans le mandement que le Czar fit publier au fujet de fon couronnement, apres avoir fait 1'eloge de la fidelite & de la tendreffe qu'elle lui avoit toujours temoignees, il avoiie lui-meme combiefi il efl redevable aux bons confeils qu'il dit en avoir re^us dans differentes occafions, outre celle de Pruth j que perfonne nignoroit. Jamais & Prince ne cefTa de 1'aimer. Tout au contraire, il lui laiffa par fort teftament, fait peu de temps avant fa mort, fa couronne avee la meme eten- Z due 178 Reflexions fur It due de pouvoir dont il jouiflbit lui-me- me -, & elle lui fucceda fans que perfonne ofat s'y oppofer. Pour perpetuer la me- moire du traite de Pruth, 1'Empereur voulut, le jour de la St. Andre, qu'elle inftituat 1'ordre de Ste. Catherine, dont la devife eft POUR L'AMOUR ET LA Fi- DE'LITE'. Get ordre eft d'autant plus refpe&able qu'on ne le donne jamais qu'a des PrincefTes de Maifons Souve- raines. La feu Reine de Pologne le por- toit -, & les Eledtrices de Saxe & de Ba- viere, fes filles, Tont encore aujourdui, Lorfque 1'armee RufTe apprit la mort de Pierre le Grand, I'afflidtion fut gene- rale parmi I'officier & le foldat. II eft vrai que c'etoit avec raifon qu'ils le re- grettoient, parce-que ce Prince avoit toujours eu foin qu'ils ne manquaflent de rien. Cependant on les entendit s'e- crier, <%uoique nous venions de perdre notre fere, graces au Ciel, notre mere vif encore ! Catherine ne vecut que deux ans fur le trone. Gouvernement des Femmes. 179 trone, Comme elle etoit d'un tres-bon temperament, on fut furpris de la voir mourir de mort fubite : ce qui a fait croire a bien du monde qu'elle avoit ete empoi- fonnee. Pierre II. petit-fils de Pierre le Grand, lui fucceda. Comme le regne de CQ Prince fut court, & que d'ailleurs il n'entre pas dans le plan que je me fuis propofe, j'en viendrai d'abord a 1'Impe^ ratrice ANNE qui monta fur le trone apres lui. (ETTE Princefle etoit fille du Czar Ivan, qui avoit regne conjointement avec Pierre le Grand fon frere. Aucune Imperatrice de Ruffie, excepte celle qui eft aujourdui fur le trone, n'a fait d'auffi grandes chofes. Elle battit les Turcs, Z 2 fut Reflexions fur k fut 1'ame de toute la guerre de Pologne, prit Dantzig, & afFermit Augufte fur le trone. Elle cut encore fait davantage fi Charles VI. eut agi centre 1'ennemi commun de la Chretiente avec la meme vigueur& la meme fincerite. C'eft fous fon regne que la Ruffie commen9a d'eta- ler cette magnificence qui depuis a frappe toute 1'Europe. Ce fut elle qui forma les fameux Munich & OJlerman, ainli que Byron, qui s'efl depuis fait connoitre fous le nom du Due de Courlande. Le der- nier avoit aupres de rimperatricA^/^ l e plus grand credit. Auffi le nomma-t-elle a la tete de la Regence, lorfqu'elle laifla TEmpire au jeune Ivan, fils du Prince de Brunfwick, & de la PrinceiTe Anne de Mecklenbourg. Enfin cette Souveraine Anne mourut apres un regne aufli bril- Jant que glorieux, le 19 Oftobre 1740. A peine eut-elle lesyeux fermes que la PrincerTe de, Mecklenbourg, mere du jeu-r ne fuan, renverfa tout ce que la defunte venoit Gouvernement des Femmcs. 1 8 1 venoit de faire -, & fe mit a la place du Due de Courlande, qu'elle relegua en Si- berie. Mais cette PrincefTe eprouva bien- tot le meme fort, comme nous aliens }e voir plus bas. JAMAIS Revolution ne fut fi fubite que celle qui eleva 1' Imperatrice ELI- ZABETH fur le trone. Ce fut prefque 1'ouvrage d'un moment. Urre poignee de monde opera ce prodige, fans qu'il y cut une goutte de fang repandue. II eft yrai que fes droits etoient inconteftables; & que, fille de Pierre le Grand, la cou- ronne lui appartenoit fans qu'on put la Jui difputer. Cependant elle balanfoit encore : & fi Lejlock ne lui cut dit que, fuppofe qu'elle tardat un quart-d'heure de plus, il s'agiflbit pour elle de fe voir rafee, & enfermee pour le rcfle de fes jours 1 82 Reflexions fur le jours dans un Couvent, & pour lui de la rolie -, jamais elle ne fe fut determinee auffi vite. Mais, convaincue qu'il n'y avoit pas un moment a perdre, elle prit fon parti, & fe vit fur le trone fans fa- vojr comment elle y etoit montee. On ne trouve pas dans le cours du regne de cette Princeffe de ces traits qui frappent. Cependant fon nom fera tou- jours cher a la Ruffie ; ne fut-ce que pour 1'obligation qu'elle lui a de voir au- jourdui CATHERINE fur le trone. Com- me c'eft la feule anecdote qui puifTe con^ facrer la memoire ^Elizabeth a la pofle^ rite, je tacherai de la mettre dans tout fon jour. * 3,^ *<; A peinc cette PrinceiTe fe vit-elle la couronne fur la tete, qu'elle fongea a fc jiommer un fucceffeur. Attachee de puis long-temps a la maifon de Holftein, ou elle avoit du fe marier; elle jetta les yeux fur lejeuneDuc, chefdelabranche de Gouvernement des Femmes. 185 veniren Ruffie celle que les decrets de }a Providence avoient marquee pour y regner un jour fouverainement. La jeune Prin- cefle arriva done a Peterfbourg, &c y epou- fa le Grand Due fon Coufin, auquel elle a fuccede. Je ne trouve dans le caradiere & Eliza- beth rien de bien marque qu'un fond de haine qu'eHe avoit con9ue pour le Roi de PruiTe, fans qu'on ait jamais pu en bien decouvrir la vraie caufe. Je fais la-defTus des particularite s, que je tiens de fource, qui ne laifTent aucun doute fur 1'antipa- thie qu'elle avoit pour ce Monarque. On joiioit un jour a Peteribourg une Comedie Allcmande intitulee Adam & Eve. L'lm- peratrice, ne s'en formant pas une grande idee, n'y voulut pas aller. Elle chargea cependant 'une perfonne comme il faut de venir lui en rendre compte, fuppofe qu'elle trouvat que la piece en valut la peine. Celle-ci revint d'abord; 6c lui dit qu'elle ne doutoit pas que S. M. I. ne A a &'y 1 86 Reflexions fur k s'y amufat j qu'elle n'avoit pu s'empe- cher de rire en vo'iant que 1'auteur avoit donne au Eon Dieu 1'prdre de St. Andre ; a Adam celui de St. Alexandre ; & le cordon de Ste. Catherine a Eve. S'il lui manque un ordre pour le Diable, reprit fur le champ I'lmperatrice, fen at un tout pret : lui ajoutant tout bas, c*eft celui de faiglc noire. Repartie qui denotoit plus que fuffifamment fa fagonde penfer. Audi ceux qui la connoifToient bien ne furent- ils pas furpris de la voir fe joindre a la France, pour tacher d'ecrafer ce grand Monarque. Et ce fut furement bien plu- tot par ce motif qu'elle fe decida, qu'en confequence de toute la Retorique du Chevalier Douglas. Comme ni le Grand Due, ni la Grande DuchefTe n'etoient de ce fentiment, la Politique avoit caufe entre rimperatrice & ces derniers une efpece de froideur qui fubfifta jufqu'a fa mort, arrivee a Peterfbourg le 6 Janvier 1762. Le Grand Due fon neveu lui fuc- ccda fous le nom dc Pierre III. Ce Gouvernement des Femmes 187 Ce Prince ne fera jamais connu dans Thiftoire que pour avoir etc 1'epoux de CATHERINE II. II alloit faire rentrer 1'Empire de Ruffle dans 1'etat d'ou Pierre le Grand 1'avoit tire -, lorfque la Provi- dence, qui avoit choifi I'lmperatrice pour operer toutes les merveilles que nous voi'- ons aujourdui, decouvrit a cette Princefle les intentions finlftres d'un barbare qui fongeoit a lui ravir la liberte, & peut-etre la vie. [UELQUE attache qu'on foit natu- rellement a deux objets auffi precieux, Catherine peut-etre ne s'en fut pas fou- ciee, fi elle n'eut vu a fes pieds tous fes fujets fondans en larmes, & la fupplians, a mains jointes, d'accepter 1'Empire dont Pierre mena9oit la deftruction. Inftruite des le berceau dans le grand art de re- A a 2 gner, 1 88 Reflexions Jur le gner, elle favoit qu'un Souverain apparti- ent a fes fujets avant toute autre chofe -, que les Rois font faits pourleurs peuples, & non les peuples pour les Rois. Elle connoiflbit a fond 1'Empereur, & pre- voioit quel auroit etc un jour le fort des Ruffes fous fa domination. Voila ce qui la decida, & la fit ceder aux inftances rei'terees des habitans de Peterfbourg. Peforte-que li elle accepta la couronne, ce fut plutot pour faire le bonheur de fes fujets que pour fatisfaire fa propre ambi- tion. Audi fon premier foin fut-il de leur donner des preuves convairicantes de fa tendrelTe maternelle. Depuis un temps immemorial, la No- blefle avoit opprime les Paifans au point que leur etat etoit au defTous deceluide la brute. Chaque petit Gentil-homme for- moit une efpece de tyran fous lequel gemiiToient fes vaflaux : & -fous pretexte de fe faire rendre ce qui leur etoit du, 1'innocence meme n'etoit pas a i'abri de leur Gouvernemenf des Femmcs. 189 leur lubricite. Catherine, qui vouloit faire luire un nouveau jour fur des fujets qui s'etoient de fi bon cceur donnes a elle, commenga par annuller des privi- leges qui repugnoient a I'humanite. Elle punit meme feverement quelques Gen- tils-hommes qui en avoient abufe; & s'attira, par ce trait de juftice, les bene- dicHons de tout un peuple, qui fans-cefle remercioit le Giel de 1'avoir choifie pour les gouverner. Le long fejour qu'elle avoit fait en Ruffie, depuis fon manage, lui avoit ap- pris combien les loix y etoient defedu- eufes. Elle fongea a en faire drefTer un nouveau Code ; 6c y reiiffit li parfaite- ment, que le Roi de Prufle lui-meme n'a pu s'empecher de lui ecrire une lettre de compliment a ce fujet. Chaque jour de fon regne s'efl vu mar- que par de nouveaux bienfaits ; j'entends par la des nouveaux reglemens qi ten- dent 190 Reflexions fur le dent au bien-etre de fes fujets. Natu- rellement humaine, on ne lui a vu faire mourir perfonne depuis qu'elle eft fur le trone. Plufieurs regnes confecutifs nous avoi- ent pour ainii dire toujours montre la Ruffie comme la Puiffance qui difpofoit de la Couronne de Pologne. Son voifi- nage avec ce Roiaume, qui facilite le moien d'y faire paiTer des troupes, rend rEmpire de Ruffie 1'arbitre de ce pai's. La France a beau vouloir s'en meler, fon cloignement 1'empeche d'y fupporter fes brigues. Deforte-que tout ce que pent faire cette Couronne eft d'y rendre la Diette un peu plus tumult ueufe, ou d'y faire debiter quelques rodomontades par fon AmbalTadeur. AufTi toutes les in^ trigues du Cabinet de Verfailles ne pu- rent-elles contrebalancer 1'influence de celui de Peterfbourg. Quarante ou cin- quante-mille hommes fur les lieux feront toujours un Roi de Pologne, quand fur- tout Gouvernement des Femmes. 191 tout le mediateur faura appuier fa recoin- mandation d'une bonne fomme d'argent. Quelquefois meme une armee viftorieufe fuffit feule. Ce fut avec ce fecours que Charles XII. fit monter Staniflas fur le trone. Le hazard le feconda : & la fuite fit voir qu'il avoit fait un bon choix, quoique fon feul caprice 1'eut dirige, & qu'il n'eut auparavant jamais vu le jeune Pa/atm, a qui depuis, comme Roi, fes difgraces ont fait tant d'honneur. On ne peut nier que Catherine n'agit avec plus de connoiflance de caufe. Elle avoit vu le jeune Poniatowjki a la cour de fa tante. Elle s'etoit apperfue qu'il ne lui manquoit qu'une Couronne pour faire briller toutes fes vertus. La mort ftAugufte III. lui fournit 1'occafion de rendre juftice au merite. Elle la faifit avec empreflement ; & s'efl faite depuis une loi de foutenir le Monarque qu'elle avoit eleve. Le Ciel femble y concourir par les fucces brillans qu'il lui donne. On 192 Reflexions fur le On ne doit, au-refte, pas etre furpris de ces fucces, quand on jette un coup- ,d'ceil fur les talens des Generaux de Ca- therine. Les Ga//tfzins, les Pawns, font des preuves inconteftables de fon dif- cernement quant au militaire : & qui peut lui nier la meme fuperiorite dans le Cabinet, lorfqu'on y voit a la tete des af- faires le refpeclable Comte de Panin, dont la probite feule feroit 1'eloge, quand- bien-meme il ne feroit pas un des plus grands Politiques de fon fiecle. Ce n'eft qu'en des mains aufli fures que cette au* gufte PrincelTe a voulu Conner reducation du Grand Due fon fils unique : & ce n'a ete que lorfqu'elle a vu* que ce cher ob- jet de toute fa tendreiTe pouvoit fe pafler de ce fage Mentor, qu'elle a confie au dernier une partie des foins de fon Em- pire. Soigneufe a recompenfer le me- rite, on Ta vue s'emprefler a donner au Comte de Czernichew, une preuve de la fatisfadion qu'elle avoit de fa conduite dans fon ambafTade de Londres, ou il s'eft QoiPvernemeht des Femmes. 193 fe^eft'generalement fait aimer & efiimer, en le rapellant pour le mettre a la tete du departement de la marine. Active a fe procurer de bons officiers, quand 1'occa- fion s'en prefente, fon difcernement lui a fait decouvrir, dans la perfonne de Mylord Comte d'Effingham, uri fujet qui donne les efperances les plus brillantes. Peu de feigneurs, a fon age, poffedent aufli bien la theorie, fur-tout pour la partie des fortifications & de 1'artillerie* On voit qu'il a fait SEuclide & de Be* Kdor fon etude favorite ; & il n'y a pas de doute qu'il ne fe fafle un nom celebre dans la campagne qu'il vient d'entre- prendre avec les troupes Ruffes. Car, du cote du courage, tout le monde fait que c'eft une vertu hereditaire dans la la maifon d' Howard. Quel ordre Catherine n'a-t-elle pas mis dans fes finances ? Sur quel pied formi- dable n'a-t-elle pas forme fa marine ? Qjae d'etablifTemens plus avantageux les JB b 194 Reflexions fur If uns que les autres a fes fujets ne Vdit-Gfl pas s'elever chaque jour ? Non contente d'eclairer leurs ames, cette PrincefTe eft fans-cefle occupee a inventer quelque chofe de nouveau pour ameliorer leur fort. Elle a e'tendu leur commerce, & aflure leurs pofleffions. Elle travaille aujourdui a reculer leurs frontieres pour porter au loin la foi de Jefus-Chrift. En un mot, elle fait tout ce que nous avons vu faire aux plus grands conquerans, & eouronne toutes ces vertus d'autant de moderation que de clemence. Auffi n'en dirai-je pas davantage, fur un fujet ou il y a tant a dire, pour pafTer a I'lmperatrice Reine. THERESE etoit" depuia long-temps furle tronede Hongrie, avaiit qu'on fouponnat meme que jamais Ca- therlns Gouvernement des Femmcs. 195 therlne II. iroit en Ruffle. Auffi, pour fuivre 1'ordre de la Chronologic, eufie-je parle de I'lmperatrice Reine la premiere, fi je n'eufle craint d'interrompre la fuc- ceflion des Imperatrices de Ruffie. Je vais done entrer en matieres fur cette Augufte PrincefTe. Elle eft fille ainee de Charles VI. & montafur les trones de Boheme & de Hongrie au mois d'Odobre 1740. Elle fe fondoit fur le droit nature! qui Tap- pelloit a 1'heritage de fon pere, fur la Pragmatique folemnelle qui confirmoit ce droit, & fur la garantie de prefque toutesles PuifTances.C7;^r/^^/^r/, Eleo teur de Baviere, demandoit la fucceffion en vertu d'un teftament de 1'Empereur Ferdinand I. frere de Charles V. Augufte III. Roi de Pologne, Ele&eur de Saxe, alleguoit des droits plus recens, peux de fa femme meme, fille ainee de 3 b 2 1'Empereur Reflexions fur k TEmpereur Jofeph, frere aine de Charles VJ. Le Roi d'Efpagne etendoit fes pre% tentions fur tous les Etats de la maifoq d'Autriche, en remontant a la femme de Philipe II. fille de PEmpereurMaximi lien IJ. Philipe V. defcendoit de cette Prin- cefTe par les femmes. C'etoit deja une grande Revolution dans les affaires de 1'Europe, de voir le fang de France re- el amer tout 1'heritage de la maifon Autri- chienne. Louis XV. pouvoit pretendre a cetfce fi^ccefBon, a d'auffi juftcs titres que per- fonne, puifqu'il defcendoit en droite ligne de la branche ainee mafculine d'Autriche, par la femme de Louis XIII. & parcelle de Louis XIV. Mais, comme ce Mo- narque avoit recii la Lorraine pour garan- tir la Pragmatique, jl ne lui eut pas e'te decent d'etre le premier a la rompre, fur tout en fa faveur. Auffi fe contenta-t-il de Gouvernement des Femmes. 197 de dire qu'il ne vouloit que foutenir les droits de 1'Electeur de Baviere. Cependant Marie 'T/ierefe, Epoufe du Grand Due de Tofcane, fe mit d'abord en pofleffion de tous les Etats qu'avoit Jaifle fon pere. Elle re9ut les hommages des Etats d'Autriche, a Vienne, le 7 No- vembre 1740. Les provinces d'ltalie, & la Boheme, lui firent leurs fermens par leurs deputes. Elle gagna fur-tout Tef- prit des Hongrois en fe foumettant a prefer I'ancien ferment du Roi Andre If. fait Fan 1222. Si moi, ou quelques uns de mesfuccejfeurs, en quelque temps que ce foit, veuf enfreindre vos privileges, quil 'vous Jolt permis, en vertu de vytre promeffe, a ijous G? a vos defcendans^ de vous defendre, fans poiivoir etre traites de rebelles. Plus les aieux de 1'ArchiduchefTe Reine avoient montre d'eloignement pour 1'exe- cution de tels engagemens, plus aqfli Ja demarche prudente dont je viens de parler Reflexions fur le parler rendit cette PrincefTe extremement chere aux Hongrois. Ce peuple, qui avoit toujours voulu fecouer le joug de la maifon d'Autriche, embraffa celui de Marie ^herefe ', &, apres deux-cents ans de feditions, de haines, & de guerres ci- viles, il pafTa tout-d'un-coup a 1'adora- tion. La Reine ne fut couronnee a Prelbourg que quelques mois apres, le 24 Juin 1741. Elle n'en fat pas moins Souveraine. Elle 1'etoit deja de tous les coeurs par une affabilite populaire que fes Ancetres avoient rarement exercee. Elle bannit cette etiquette 6c cette morgue qui peuvent rendre le trone odieux, fans le rendre plus refpeftable. L'Archidu- cheffe fa tante, Gouvernante des Pai's^ 3as, n'avoit jamais mange avec perfoi>ne. Marie Therefe admettoit a fa table toutes les Dames, & tous les officiers de diftinc- t*on. Les deputes des Etats lui parloi- ent librement. Jamais elle ne refufa 4'audience -, & jamais on n'en fortitme- cpntent d'elle, Crouvernement des Femmes. Son premier foin fut d'afTurer au grand Due de Tofcane, fon epoux, le partage de toutes fes couronnes, fous le nom de Co-Regent -, fans perdre en rien de fa Souverainete, & fans enfreindre la Prag- matique San&ion. Elle en parla aux Etats d'Autriche le jour meme" qu'elle reilt leur ferment, & bientot apres elk, effedtua ce defTein. Malgre tous ces temoignages d'affec- tion de la part de fes fujets, la Reine ie trouva dans de fi grands embarras, qu'e- tant enceinte, elle ecrivit a la Duchefle de Lorraine fa belle-mere ; J'ignore en~ Core sil me reftera une viHe pour y faire mes couches. Toute la nation Angloife s'ani- ma en fa faveur. Ce peuple n'eft pas de ceux qui attendent 1'opinion de leurs maitres pour en avoir une. Des parti- culiers propoferent de faire un don gra- tuit a cette Princefle. La DuchefTe de Marlborough, veuve de celui qui avoit combattu pour Charles VI. aflembla les principales 2o6 Reflexions fur fe principales Dames de Londrcs. s 'engagement a fournif cent-mille livres fterlings ; & la Duchefle en depofa qua- fante-mille. La Reine d'Hongrie cut la grandeur d'ame de ne pas recevoir cet argent^ qu'on avoit la generofite de lui offrir. Elle ne voulut que celui qu'elle attendoit de la Nation affemblee en Par- lenient* Je n'entrerai pas ici dans toutes les particularites de cette guerre* qui feules feroient un volume. Plus la mine de Marie fherefe paroiflbit inevitable^ plus elle cut de courage. Elle etoit for- tie de Vienne, & s'etoit jettee entre les bras des Hongrois, fi feverement traites par fon pere 6e fes a'ieux. A'iant af- femble les quatre ordres de 1'Etata PreP bourg, elle y parut, tenant entre les bras fon fils aine prefque encore au berceau 5 & leur parlant en latin, langue dans la-* quelle elle s'exprimoit bien, elle leur dit a-peu-pres ces propres paroles; Aban* donnte Gouvernement des Femmes. 201 donnee de mes amis, perfecuteepar mes enne- mis t attaquee par mes plus proches par ens ^ je rial de resource que dans vfitre fidelite 1 ? dans votre courage, & dans ma conftance. Je mets entre vos mains la fille G? lefils de vos Rois, qui attendant de vous tout leur Jalut. Tous les grands d'Hongrie, attendris & animes, tirerent leurs fabres, en s'e- criant ; Moriamur pro Rege noftro Maria 'Therejid ! Nous mourrons pour notre Roi Marie Therefe. Ces peuples donnent toujours le titre de Roi a leur Reine. Jamais PrinceiTe en efFet n'avoit mieux merite ce titre. Us verfoient des larmes, en faifant ferment de la defendre : elle feule retint les fiennes. Mais, lorfqu'elle fe fut retiree, avec fes filles d'honneur, elle laifla couler en abondance les pleurs que fa fermete avoit retenus. Tout le monde fait comment fc ter- mina la guerre de la Pragrnatique. Des- C c que \ 202 Reflexions fur le que I'lmperatrice Rei ie s'en vit debar- raffee, elle ne fongea qu'a mettre de 1'or- dre dans fes finances, & a cntretenir une armee qui la rendit capable de faire face aux ennemis quelconques qui voudroient 1'attaquer. C'eft par fa direction que les Caum'tz, les Schaffgotjh, & les Choteck, ont mis fes finances fur le pied que nous les vo'i- ons aujourdui ; tandis que le Comte de Sinzendorf eft occupe de la partie du Commerce ; & que les Bathiani, les Daun & les Lacy, ont regie le militaire, qu'on ne reconnoit prefque plus en comparai- fon de ce qu'il etoit fous 1'Empereur Charles VI. fon pere. Si Marie Therefe remplit avec dignite tous les devoirs que le trone exige d'elle, on ne la voit pas moins exacle a s'acquit- ter de ceux auxquels naturellement cha- que particulier eft affbjetti. Fille foumife, epoufe complaifante, & mere tendre, on Ta Gouvernement des Femmes. 203 Pa vue fucceflivement donner de ce cote 1'exemple a tous fes fujets. Quel n'a pas toujours etc fon refpedl pour 1'Impera- trice Elizabeth fa mere ? Jufqu'ou n'a-t- elle pas porte I'affliction a la mort de 1'Empereur Francois I. fon epoux. Et n'a-t-elle pas meme gagne la petite verole par fon afliduite a vifiter 1'Imperatrice fa belle-fille pendant qu'elle avoit cette ter- rible maladie ? A-t-on done jamais vft poufler plus loin toutes les vertus Chre- tiennes & morales ? Et, apres ce que j'ai dit plus haut, peut-on me nier qu'elle n'egale les plus fameux Monarques dans le grand art de regner ? J E crois, par tout ce que je viens de citer, avoir afTez bien defendu ma thefe. Je pourrois cependant encore tirer d'au- tres exemples de temps plus recules. Car, C c 2 n'avons- 204 Reflexions fur le n'avons-nous pas vu dans le treizieme fiecle Jeanne de Flandres, ComtefTe de Montfort, commander des armees & de^ fendre des places ? L'hiftoire ne nous ap- prend-elle pas que Philippa, Reine d'An- gleterre, battit les EcolTois, prit leur Roi prifonnier, avec les Comtes de Souther^ land, de Fife, de Monteith, de Carrie, & Je Lord Douglas ? N'y vo'ions-nous pas aufli que lorfqu'au fiege de Calais Edouard III. fon epoux alloit faire mourir les fix habitans qui s'etoient genereufement livres pour fauver leur ville du fac & du pillage ; ce ne fut qu'aux inftances dc cette PrincefTe qu'il fe rendit, ne pouvant refifter aux pleurs d'une epoufe tendre- ment cherie, qui, malgre fa grofTelTe avancee, s'etoit jettee a fes pieds pour implorer fa clemence en faveur des mal-r heureux qu'il avoit condamnes a mort, Ce qui prouve qne fi, peut-etre, les fem- mes n'ont pas plus de courage que nous, elles ont du-moins plus de dcuceur. Mais Gouvernement des Femmes. 205 Mais pourquoi remonter quatre-cents ans, lorfque nous avons fous nos yeux des PrincefTes qui effacent les plus fa- meufes de 1'antiquite ? Tout le monde connoit Madame 1'Eledrice Doiiairiere de Saxe, qui, du cote des qualites du coeur & de 1'efprit, le cede a peu de per- fonnes. Fille ainee de 1'Empereur Charles VII. de Baviere, elle etoit fi bien con*, nue de ce grand Monarque, qui mieux que perfonne favoit juger fon monde, qu'au milieu de toutes ces viciffitudes qu'il fupporta avec tant d'heroifme, il ne manqua jamais de la confulter dans les cas epineux. Si, pour confirmer ce que j'avance, j'a- vois icibefoin du temoignage d'autrui, la DuchefTe de Kingfton m'en ferviroit. Per- fonne, plus quecette Dame, ne fait 1'e- loge de 1'Eledtrice Doiiairiere de Saxe. II eft vrai qu'elle lui doit cette juilice, ne fut-ce qu'en confideration des marques fignalees de bienveillance dont cette in- comparable 2o6 Reflexions fur le comparable PrinceiTe 1'honore ; bienveil- lance qui ne peut dormer qu'une idee fort avantageufe du merite de la Dame An- gloife, venant d'aufii bonne part. Car, fans parler des qualites perfonnelles de I'Eledrice, quel honneur ne s'eft-elle pas fait par fa conduite pendant les derniers malheurs de la Saxe ? Une autre PrincefTe qui, du cote du rang & des vertus, la fuit de bien pres, eft Madame la Margrave de Bade-Dour- lach. Rivales pour ainfi dire du cote du cceur & du genie, ces deux Auguftes PrincefTes n'en font que plus unies. Une certaine fympathie d'ame, jointe a la con- formite de leur? gouts & de leurs talens, les lia a Francfort 1'annee 1740 : & de- puis elles ont toujours continue une cor- refpondance fondee fur I'eAime recipro- que qu'elles fe portent. Sans parler des connoiffances qu'ont ces Princeffes dans la litterature, Di de leur gout pour la Mu- fique, non plus que dc la bonte de leurs cceurs > Gouvernement des Femmes. 207 coeurs ; on peut dire qu'il ne leur man- que a toutes les deux qu*un fceptre, pour convaincre 1'Univers combien elles font dignes de le porter. La Ducheffe de Nor- thumberland^ qui a ete fetee a Carlfruhe, parce-qu'on y fait apprecier le vrai me- rite, conviendra qu'a-peine en dis-je aflez fur le chapitre de la Margrave. QUELQ^UES fortesquefoient lespreuves dont je viens ici d'appui'er mon fvfteme, les Critiques m'objederont, peut-etre, que nous trouvons dans 1'hiftoire tant de minorites orageufes & fatales aux jeunes Princes, par la faute des fern mes, qu'il y a du ridicule, de vouloir defendre leur caufe. Mais je leur repondrai, premiere- ment, que je ne pretends parler ici que de celles qui, de leur propre autorite, fe voi'ent fur le trone : d'ailleurs, que fi les Doiiairieres n'ont pas brille de-meme a la tete d'un Confeil de Regence, c'eft ou que 1'ajnbition les atrop precipitees a faire ufage d'une autorite quelles favoient ne devoir 208 - Reflexions fur k &c. devoir etre que momentanee; ou que, n'aiant pas des pouvoirs aflez etendus, elles ne fe font pas vues a-meme de fe livrer a toute la profondeur de leurs idees. Quoiqu'il en foit, li quelqu'un veut fronder mon fyfteme, qu'il faiTe un voiage a Vienne, ou a Peterfbourg, & qu'a fon retour il me blame, s'il croit pou- voir le faire avec raifon. F I N. University of California SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY Return this material to the library from which it was borrowed. SEP (K PHP 3 1158 01281 2631