Ex Lihris C. K. OGDEN THE LIBRARY OF THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA LOS ANGELES LA CANNE DE JONC. Ion Jon: C. J. CLAY AND SONS, CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS WAREHOUSE AYE MARIA LANE. Cambridge: DEIGHTON, BELL, AND CO. ILnpjifi: F. A. BROCKHAUS. LA CANNE DE JONC PAR LE COMTE ALFRED DE VIGNY EDITED WITH HISTORICAL AND GRAMMATICAL NOTES BY REV. HERBERT A. BULL, M.A. TRINITY COLLEGE, CAMBRIDGE, LATE ASSISTANT MASTER AT WELLINGTON COLLEGE. EDITED FOR THE SYNDICS OF THE UNIVERSITY PRESS CAMBRIDGE AT THE UNIVERSITY PRESS. 1887 [All Rights reserved.'} (Cambridge I'KINTF.I) liY C. J. CLAY M.A. AND SONS AT THE UNIVERSITY PRESS College Library o PREFACE. i CJ O / IT is hoped that the Notes may be found to afford sufficient help to the young student. They are written with the idea of supplementing not supplanting Dictionary and Grammar, and help is, as a rule, only given where the meaning is not fairly obvious, or where experience shews that mistakes are common. If they are at all adequate a Vocabulary should not be needed: it is therefore not added. In default of a recognised standard Grammar, references to any one have been omitted, though many have been consulted. HERBERT A. BULL. WELLINGTON HOUSE, WESTGATE-ON-SEA, Die. i, 1886. INTRODUCTION. M. le Comte Alfred de Vigny was the son of an officer who served under Louis XV. and Louis XVI., and was born in 1799 in the little town of Loches. Most of his childhood was passed in the Chateau de Tronchet in Beauce (cf. note on p. 4 9 1. 1 1 ). While at school in Paris his one desire was to be a soldier, and at the early age of 16 he received a commission in the "Red Household Mus- keteers." His one campaign during 14 years' service was when this corps attended Louis XVIII. to the frontier during his flight at the beginning of "The Hundred Days." In 1816 the red companies were disbanded, and he passed into the infantry of the guard. During twelve years more he did his best to see some fighting, but this being impossible, in 1828 he resigned his commission, and devoted himself entirely to poetry and literature. He had already published some volumes of poetry and an historical romance Cinq- Mars, (translated into English by William Hazlitt), which is perhaps his best known work. In 1832 appeared Stello, an episode of which, Chatterton, was dramatised and per- formed in 1835 at the Theatre Frangais. He was elected a member of the Academy in 1846 and died in 1863. La Canne de Jonc is taken from a volume of short stories about military life called Servitude et Grandeur militaires. LA VIE ET LA MORT DU CAPITAINE RENAUD ou LA CANNE DE JONG. CHAPITRE I. UNE NUIT MEMORABLE. LA nuit du 27 juillet 1830 fut silencieuse et solennelle. Son souvenir est, pour moi, plus present que celui de quelques tableaux plus terribles que la destinee m'a jetes 10 sous les yeux. Le calme de la terref et de la mer devant 1'ouragan n'a pas plus de majeste que n'en avait celui de Paris devant la revolution. Les boulevards e'taient de'serEs. JeTmarchais seul, apres minuit, dans toute leur longueur, regardant et ecoutant avidement. Le ciel pur etendait sur 15 le sol la blanche lueur de ses dtoiles; mais les maisons e'taient e"teintes, closes et comme mortes. Tous les rever- beres des rues etaient brises. Quelques groupes d'ouvriers s'assemblaient encore pres des arbres, e'coutant un orateur myste'rieux qui leur glissait des paroles secretes a voix basse. 20 Puis ils se se'paraient en courant, et se jetaient dans des rues etroites et noires. Ils se collaient centre des petites portes d'alle'es qui s'ouvraient comme des trappes et se refer- REN. i 2 LA CANNE DE JONC. [CHAP. maient sur eux. Alors rien ne remuait plus, et la ville semblait n'avoir que des habitants morts et des maisons pestifere'es. On rencontrait, de distance en distance, une masse 5 sombre, inerte, que Ton ne reconnaissait qu'en la touchant : c'e'tait un bataillon de la Garde, debout, sans mouvement, sans voix. Plus loin, une batterie d'artillerie surmonte'e de ses meches allumees, comme de deux etoiles. On passait impune'ment devant ces corps imposants et 10 sombres, on tournait autour d'eux, on s'en allait, on revenait sans en recevoir une question, une injure, un mot. Us e'taient inoffensifs, sans colere, sans haine; ils e'taient resignes et ils attendaient. Comme j'approchais de 1'un des bataillons les plus 15 nombreux, un officier s'avanga vers moi, avec une extreme politesse, et me demanda si les flammes que Ton voyait au loin e'clairer la porte Saint-Denis ne venaient point d'un incendie ; il allait se porter en avant avec sa compagnie pour s'en assurer. Je lui dis qu'elles sortaient de quelques 20 grands arbres que faisaient abattre et bruler des marchands, profitant du trouble pour detruire ces vieux ormes qui cachaient leurs boutiques. Alors, s'asseyant sur 1'un des banes de pierre du boulevard, il se mit a faire des lignes et des ronds sur le sable avec une canne de jonc. Ce fut a 25 quoi je le reconnus, tandis qu'il me reconnaissait a mon visage. Comme je restais debout devant lui, il me serra la main et me pria de rn'asseoir a son cote. Le capitaine Renaud etait un homme d'un sens droit et severe et d'un esprit tres-cultive, comme la Garde en ren- 30 fermait beaucoup a cette epoque. Son caractere et ses habitudes nous etaient fort connus, et ceux qui liront ces souvenirs sauront bien sur quel visage serieux ils doivent placer son nom de guerre donne par les soldats, adopte' par les officiers et regu indifferemment par 1'homme. Comme 35 les vieilles families, les vieux regiments, conserve's intacts par la paix, prennent des coutumcs familieres et inventent des noms caracteristiques pour leurs enfants. Une ancienne blessure a la jambe droite motivait cette habitude du capitaine de s'appuyer toujours sur cette canne de jonc, dont 40 la pomme etait assez singuliere et attirait 1'attention de tons i.] UNE NUIT MEMORABLE. 3 ceux qui la voyaient pour la premiere fois. 11 la gardait partout et presque toujours a la main. II n'y avait, du reste, nulle affectation dans cette habitude : ses manieres taient trop simples et se"rieuses. Cependant on sentait que cela lui tenait au coeur. II etait fort honore dans la Garde. 5 Sans ambition et ne voulant etre que ce qu'il e"tait, capitaine de grenadiers, il lisait toujours, ne parlait que le moins possible et par monosyllabes. Tres-grand, tres-pale et de visage melancolique, il avait sur le front, entre les sourcils, une petite cicatrice assez profonde, qui souvent, de bleuatre 10 qu'elle etait, devenait noire, et quelquefois donnait un air farouche a son visage habituellement froid et paisible. Les soldats 1'avaient en grande amitie ; et surtout dans la campagne d'Espagne on avait remarque la joie avec laquelle ils partaient quand les detachements etaient com- 15 mandes par la Canne-de-Jonc. C'e'tait bien veritablement la Canne-de-Jonc qui les commandait ; car le capitaine Renaud ne mettait jamais 1'epee a la main, meme lorsque, a la tete des tirailleurs, il approchait assez 1'ennemi pour courir le hasard de se prendre corps a corps avec lui. 20 Ce n'e'tait pas seulement un homme experimente dans la guerre, il avait encore une connaissance si vraie des plus grandes affaires politiques de 1'Europe sous 1'Empire, que Ton ne savait comment se 1'expliquer, et tantot on 1'attri- buait a de profondes e'tudes, tantot a de hautes relations 25 fort anciennes, et que sa reserve perpetuelle empechait de connaitre. Du reste, le caractere dominant des hommes d'aujour- d'hui, c'est cette re'serve meme, et celui-ci ne faisait que porter a Pextreme ce trait ge'neral. A pre'sent, une apparence de 30 froide politesse couvre a la fois caractere et actions. Aussi je n'estime pas que beaucoup puissent se reconnaitre aux portraits effare's que Ton fait de nous. L'affectation est ridicule en France plus que partout ailleurs, et c'est pour cela, sans doute, que, loin d'etaler sur ses traits et dans son 35 langage 1'exces de force que donnent les passions, chacun s'etudie a renfermer en soi les emotions violentes, les chagrins profonds ou les elans involontaires. Je ne pense point que la civilisation ait tout enerve, je vois qu'elle a tout masque'. J'avoue que c'est un bien, et j'aime le caractere 40 I 2 4 LA CANNE DE JONC. [CHAP. contenu de notre dpoque. Dans cette froideur apparente il y a de la pudeur, et les sentiments vrais en ont besoin. II y entre aussi du de"dain, bonne monnaie pour payer les choses humaines. Nous avons deja perdu beaucoup d'amis 5 dont la memoire vit entre nous; vous vous les rappelez, 6 mes chers Compagnons d'armes ! Les uns sont morts par la guerre, les autres par le duel, d'autres par le suicide; tous homines d'honneur et de ferme caractere, de passions fortes, et cependant d'apparence simple, froide et reserved. L'ambi- 10 tion, 1'amour, le jeu, la haine, la jalousie, les travaillaient sourdement; mais ils ne parlaient qu'a peine, et detournaient tout propos trop direct et pret a toucher le point saignant de leur coeur. On ne les voyait jamais cherchant a se faire remarquer dans les salons par une tragique attitude ; et si 15 quelque jeune femme, au sortir d'une lecture de roman, les cut vus tout soumis et comme disciplines aux saluts en usage et aux simples causeries a voix basse, elle les eut pris en mepris; et pourtant ils ont ve'cu et sont morts, vous le savez, en hommes aussi forts que la nature en produisit jamais. 20 Les Caton et les Brutus ne s'en tirerent pas mieux, tout porteurs de toges qu'ils etaient. Nos passions ont autant d'e'nergie qu'en aucun temps; mais ce n'est qu'a la trace de leurs fatigues que le regard d'un ami peut les reconnaitre. Les dehors, les propos, les manieres ont une certaine mesure 25 de dignite froide qui est commune a tous, et dont ne s'affran- chissent que quelques enfants qui se veulent grandir et faire valoir a toute force. A pre'sent, la loi supreme des mceurs c'est la Convenance. II n'y a pas de profession ou la froideur des formes du 30 langage et des habitudes contraste plus vivement avec 1'activite de la vie que la profession des armes. On y pousse loin la haine de 1'exageration, et Ton de'daigne le langage d'un homme qui cherche a outrer ce qu'il sent ou a attendrir sur ce qu'il souffre. Je le savais, et je me preparais a quitter 35 brusquement le capitaine Renaud, lorsqu'il me prit le bras et me retint. Avez-vous vu ce matin la manoeuvre des Suisses? me dit-il; c'etait assez curieux. Ils ont fait \efeu de chaussee en avanfant avec une precision parfaite. Deuiiis que je sers, 40 je n'en avais pas vu faire 1'application : c est une manoeuvre i.J UNE NUIT MEMORABLE. 5 de parade et d'Opdra ; mais, dans les rues d'une grande ville, elle peut avoir son prix, pourvu que les sections de droite et de gauche se forment vite en avant du peloton qui vient de faire feu. En meme temps il continuait a tracer des lignes sur la 5 terre avec le bout de sa canne; ensuite ilse leva lentement; et comme il marchait le long du boulevard, avec 1'intention de s'eloigner du groupe des officiers et des soldats, je le suivis, et il continua de me parler avec une sorte d'exaltation nerveuse et comme involontaire qui me captiva, et que je 10 n'aurais jamais attendue de lui, qui etait ce qu'on est con- venu d'appeler un homme froid. II commenga par une tres-simple demande, en prenant un bouton de mon habit : Me pardonnerez-vous, me dit-il, de vous prier de 15 m'envoyer votre hausse-co] de la Garde royale, si vous 1'avez conserve ? J'ai laisse le mien chez moi, et je ne puis 1'envoyer chercher ni y aller moi-meme, parce qu'on nous tue dans les rues comme des chiens em-age's; mais depuis trois ou quatre ans que vous avez quitte 1'armee, peut-etre 20 ne 1'avez-vous plus. J'avais aussi donne ma demission il y a quinze jours, car j'ai une grande lassitude de 1'Arme'e; mais avant-hier, quand j'ai vu les ordonnances. j'ai dit: On va prendre les armes. J'ai fait un paquet de mon uniforme, de mes Epaulettes et de mon bonnet a poil, et j'ai et6 a la 25 caserne retrouver ces braves gens-la qu'on va faire tuer dans tous les coins, et qui certainement auraient pense", au fond du coeur, que je les quittais mal et dans un moment de crise; c'eut ete contre 1'Honneur, n'est-il pas vrai, entiere- ment contre 1'Honneur? 30 Aviez-vous prevu les ordonnances, dis-je, lors de votre demission? Ma foi, non ! je ne les ai pas meme lues encore. Eh bien! que vous reprochiez-vous? Rien que 1'apparence, et je n'ai pas voulu que 35 1'apparence meme fut contre moi. Voila, dis-je, qui est admirable ! Admirable! admirable! dit le capitaine Renaud en marchant plus vite, c'est le mot actuel ; quel mot pueril! Je dtitestel'admiration; c'est le principe de trop de mauvaises 40 6 ' LA CANNE DE JONC. [CHAP. actions. On la donne a trop bon marchd a present, et a tout le monde, nous devons bien nous garder d'admirer le'gere- ment. L'admiration est corrompue et corruptrice. On doit 5 bien faire pour soi-meme, et non pour le bruit. D'ailleurs, j'ai la-dessus mes ide'es, finit-il brusquement; et il allait me quitter. - II y a quelque chose d'aussi beau qu'un grand homme, c'est un homme d'Honneur, lui dis-je. 10 II me prit la main avec affection. C'est une opinion qui nous est commune, me dit-il vivement ; je 1'ai mise en action toute ma vie, mais il m'en a coute' cher. Cela n'est pas si facile que 1'on croit. Ici le sous-lieutenant de sa compagnie vint lui demander 15 un cigare. II en tira plusieurs de sa poche, et les lui donna sans parler : les officiers se mirent a fumer en marchant de long en large, dans un silence et un calme que le souvenir des circonstances presentes n'interrompait pas ; aucun ne daignant parler des dangers du jour, ni de 20 son devoir, et connaissant a fond 1'un et 1'autre. Le capitaine Renaud revint a moi. II fait beau, me dit-il en me montrant le ciel avec sa canne de jonc : je ne sais quand je cesserai de voir tous les sours les memes etoiles; il m'est arrive une fois de m'imaginer que je 25 verrais celles de la mer du Sud, mais j'etais destine" a ne pas changer d'hemisphere. N'importe ! le temps est superbe : les Parisiens dorment ou font semblant. Aucun de nous n'a mange ni bu depuis vingt-quatre heures; cela rend les idees tres-nettes. Je me souviens qu'un 30 jour, en allant en Espagne, vous m'avez demande la cause de mon peu d'avancement ; je n'eus pas le temps de vous la center; mais ce soir je me sens la tentation de revenir sur ma vie que je repassais dans ma me'moire. Vous aimez les recits, je me le rappelle, et, dans votre vie retiree, 35 vous aimerez a vous souvenir de nous. Si vous voulez vous asseoir sur ce parapet du boulevard avec moi, nous y causerons fort tranquillement, car on me parait avoir cesse pour cette fois de nous ajuster par les fenetres et les soupiraux de cave. Je ne vous dirai que quelques e'poques 40 de mon histoire, et je ne ferai que suivre mon caprice. i.] MALTE. 7 J'ai beaucoup vit et beaucoup lu, mais je crois ^bien que je ne saurais pas ecrire. Ce n'est pas mon e'tat, Dieu merci ! et je n'ai jamais essaye". Mais, par exemple, je sais vivre, et j'ai ve'cu comme j'en avais pris la resolution (des que j'ai eu le courage de la prendre), et, en verite, 5 c'est quelque chose. Asseyons-nous. Je le suivis lentement, et nous traversames le bataillon pour passer a gauche de ses beaux grenadiers. Us etaient debout, gravement, le menton appuye sur le canon de leurs fusils. Quelques jeunes gens s'etaient assis sur leurs sacs, 10 plus fatigues de la journe'e que les autres. Tous se taisaient et s'occupaient froidement de reparer leur tenue et de la rendre plus correcte. Rien n'annongait 1'inquie'tude ou le mecontentement. Us e'taient a leurs rangs, comme apres un jour de revue, attendant les ordres. 15 Quand nous fumes assis, notre vieux camarade prit la parole, et a sa maniere me raconta trois grandes epoques qui me donnerent le sens de sa vie et m'expliquerent la bizarrerie de ses habitudes et ce qu'il y avait de sombre dans son caractere. Rien de ce qu'il m'a dit ne s'est 20 efface de ma memoire, et je le repeterai presque mot pour mot CHAPITRE II. MALTE. Je ne suis rien, dit-il d'abord, et c'est a pre'sent un 25 bonheur pour moi que de penser cela; mais si j'etais quelque chose, je pourrais dire comme Louis XIV: J'ai trop atme la guerre. Que voulez-vous ? Bonaparte m'avait grise des 1'enfance comme les autres, et sa gloire me montait h la tete si violemment, que je n'avais plus de 30 place dans le cerveau pour une autre idee. Mon pere, vieil officier superieur, toujours dans les camps, m'e'tait tout a fait inconnu, quand un jour il lui prit fantaisie de me conduire en Egypte avec lui. J'avais douze ans, et je me souviens encore de ce temps comme si j'y e'tais, des 35 8 LA CANNE DE JONC. [CHAP. sentiments de toute I'arme'e et de ceux qui prenaient deja possession de mon ame. Deux esprits enflaient les voiles de nos vaisseaux, 1'esprit de gloire et 1'esprit de piraterie. Mon pere n'ecoutait pas plus le second que le vent de 5 nord-ouest qui nous emportait; mais le premier bour- donnait si fort a mes oreilles, qu'il me rendit sourd pendant longtemps a tous les bruits du monde, hors a la musique de Charles XII, le canon. Le canon me semblait la voix de Bonaparte, et, tout enfant que j'e"tais, quand il grondait, 10 je devenais rouge de plaisir, je sautais de joie, je lui battais des mains, je lui re'pondais par de grands cris. Ces premieres Emotions preparerent 1'enthousiasme exageVe" qui fut le but et la folie de ma vie. Une rencontre, memorable pour moi, de'cida cette sorte d'admiration 15 fatale, cette adoration insense'e a laquelle je voulus trop sacriner. La flotte venait d'appareiller depuis le 30 floreal an vi. Je passai le jour et la nuit sur le pont a me pe'netrer du bonheur de voir la grande mer bleue et nos vaisseaux. Je 20 cornptai cent batiments et je ne pus tout compter. Notre ligne militaire avait une lieue d'etendue, et le demi-cercle que formait le convoi en avait au moins six. Je ne disais rien. Je regardai passer la Corse tout pres de nous, trainant la Sardaigne a sa suite, et bientot arriva la Sicile 25 a notre gauche. Car la Junon, qui portait mon pere et moi, dtait destine'e a eclairer la route et a former 1'avant- garde avec trois autres fregates Mon pere me tenait la main, et me montra 1'Etna tout fumant et des rochers que je n'oubliai point : c'etait la Favaniane et le mont Eryx. 30 Marsala, 1'ancien Lilybee, passait a travers ses vapeurs; je pris ses maisons blanches pour des colombes perant un nuage; et un matin, c'e'tait..., oui, c'etait le 24 prairial,' je vis, au lever du jour, arriver devant moi un tableau qui m'eblouit pour vingt ans. 35 Malte etait debout avec ses forts, ses canons a fleur d'eau, ses longues murailles luisantes au soleil comme des marbres nouvellement polis, et sa fourmiliere de galeres toutes minces courant sur de longues rames rouges. Cent quatre-vingt-quatorze batiments francais 1'envelop- 40 paient de leurs grandes voiles et de leurs pavilions bleus, ii.] MALTE. 9 rouges et blancs que Ton hissait, en ce moment, a tous les mats, tandis que 1'etendard de la religion s'abaissait lente- ment sur le Gozo et le fort Saint-Elme : c'etait la derniere croix militante qui tombait. Alors la flotte tira cinq cents coups de canon. 5 Le vaisseau V Orient e'tait en face, seul a 1'e'cart, grand et immobile. Devant lui vinrent passer lentement, et 1'un apres 1'autre, tous les batiments de guerre, et je vis de loin Desaix saluer Bonaparte. Nous montames pres de lui a bord de V Orient. Enfin pour la premiere fois je le vis. 10 II e'tait debout pres du bord, causant avec Casa-Bianca, capitaine du vaisseau (pauvre Orient /), et il jouait avec les cheveux d'un enfant de dix ans, le fils du capitaine. Je fus jaloux de cet enfant sur-le-champ, et le cceur me bondit en voyant qu'il touchait le sabre du general. Mon 15 pere s'avanga vers Bonaparte et lui parla longtemps._ Je ne voyais pas encore son visage. Tout d'un coup il se retourna et me regarda; je fremis de tout mon corps a la vue de ce front jaune entoure de longs cheveux pendants et comme sortant de la mer, tout mouilles ; de ces grands 20 yeux gris, de ces joues maigres et de cette levre rentree sur un menton aigu. II venait de parler de moi, car il disait : "Ecoute, mon brave, puisque tu le veux, tu viendras en Egypte et le ge'neral Vaubois restera bien ici sans toi et avec ses quatre mille hommes ; mais je n'aime pas 25 qu'on emm^ne ses enfants ; je ne 1'ai permis qu'k Casa- Bianca, et j'ai eu tort. Tu vas renvoyer_ celui-ci en France; je veux qu'il soit fort en mathe'matiques, et s'il t'arrive quelque chose la-bas, je te reponds de lui, moi; je m'en charge, et j'en ferai un bon soldat." En meme 30 temps il se baissa, et me prenant sous les bras, m'e'leva jusqu'a sa bouche et me baisa le front. La tete me tourna, je sentis qu'il e'tait mon maitre et qu'il enlevait mon ame a mon pere, que du reste je connaissais a peine parce qu'il vivait a 1'arme'e e'ternellement. Je crus eprouver 1'effroi de 35 Moise, berger, voyant Dieu dans le buisson. Bonaparte m'avait souleve libre, et quand ses bras me redescendi- rent doucement sur le pont, ils y laisserent un esclave de plus. La veille, je me serais jete dans la mer si Ton m'eut 40 io LA CANNE DE JONC. [CHAP. enleve' a I'armde; mais je me laissai emmener quand on voulut. Je quittai mon pere avec indifference, et c'e"tait pour toujours ! Mais nous sommes si mauvais des 1'enfance, et, hommes on enfants, si peu de chose nous prend et nous 5 enleve aux bons sentiments naturels ! Mon pere n'e'tait plus mon maitre parce que j'avais vu le sien, et que de celui-la seul me semblait emaner toute autorite de la terre. O reves d'autorite et d'esclavage ! O pense'es corruptrices du pouvoir, bonnes a se"duire les enfants ! io Faux enthousiasmes ! poisons subtils, quel antidote pourra- t-on jamais trouver centre vous ? J'dtais e"tourdi, enivre" ; je voulais travailler, et je travaillai, a en devenir fou ! Je calculai nuit et jour, et je pris 1'habit, le savoir et, sur mon visage, la couleur jaune de 1'^cole. De temps en temps 15 le canon m'interrompait, et cette voix du demi-dieu m'ap- prenait la conquete de 1'Egypte, Marengo, le 18 brumaire, l'Empire...et 1'Empereur me tint parole. Quant a mon pere, je ne savais plus ce qu'il e'tait devenu, lorsqu'un jour m'arriva cette lettre que voici. 20 _ Je la porte toujours dans ce vieux portefeuille, autre- fois rouge, et je la relis souvent pour bien me convaincre de 1'inutilite' des avis que donne une generation a celle qui la suit, et re'flechir sur 1'absurde entetement de mes illusions. 25 Ici le Capitaine, ouvrant son uniforme, tira de sa poitrine : son mouchoir premierement, puis un petit porte- feuille qu'il ouvrit avec soin, et nous entrames dans un cafe encore e'claire', ou il me lut ces fragments de lettres, qui me sont reste's entre les mains, on saura bientot 30 comment. CHAPITRE III. SIMPLE LETTRE. "A bord du vaisseau anglais le CulloJcn, devant Rochefort, 1804. 35 Sent to France, -with Admiral Collingwood's permission. "II est inutile, mon enfant, que tu saches comment t'arrivera cette lettre, et par quels moyens j'ai pu connaitre in.] SIMPLE LETTRE. n ta conduite et ta position actuelle. Qu'il te suffise d'apprendre que je suis content de toi, mais que je ne te reverrai sans doute jamais. II est probable que cela t'inquiete peu. Tu n'as connu ton pere que dans 1'age oil la memoire n'est pas nee encore et ou le coeur n'est pas encore eclos. II s'ouvre 5 plus tard en nous qu'on ne le pense generalement, et c'est de quoi je me suis souvent e'tonne'; mais qu'y faire? Tu n'es pas plus mauvais qu'un autre, ce me semble. II faut bien que je m'en contente. Tout ce que j'ai a te dire, c est que je suis prisonnier des Anglais depuis le 14 thermidor 10 an vi (ou le 2 aout 1798, vieux style, qui, dit-on, redevient a la mode aujourd'hui). J'etais alle a bord de I Orient pour tacher de persuader a ce brave Brueys d'appareiller pour Corfou. Bonaparte m'avait deja envoye son pauvre aide de camp Julien, qui eut la sottise de se laisser enlever jjar les 15 Arabes. Moi, j 'arrival, mais inutilement. Brueys etait en- tete comme une mule. II disait qu'on allait trouver la passe d'Alexandrie pour faire entrer ses vaisseaux; mais il ajouta quelques mots assez fiers qui me firent bien voir qu'au fond il etait un peu jaloux de 1'arme'e de terre. Nous prend-on 20 pour des passeurs dean? me dit-il, et croit-on que nous ayons peur des Anglais ? II aurait mieux valu pour la France qu'il en eut peur. Mais s'il a fait des fautes, il les aglorieusementexpie'es; et je puis dire que j'expie ennuyeu- sement celle que je fis de rester a son bord quand on 1'attaqua. 25 Brueys fut d'abord blesse a la tete et a la main. _ II contmua le combat jusqu'au moment ou un boulet lui arracha les entrailles. II se fit mettre dans un sac de son et mourut sur son bane de quart. Nous vimes clairement que nous alhons sauter vers les dix heures du soir. Ce qui restait de Tequi- 30 page descendit dans les chaloupes et se sauva, excepte Casa- Bianca. II demeura le dernier, bien entendu, mais son fils, un beau garc.on, que tu as entrevu, je crois, vint me trouver et me dit : " Citoyen, qu'est-ce que 1'honneur veut que je f asse ?"_ Pauvre petit ! II avait dix ans, je crois, et cela 35 parlait d'honneur dans un tel moment ! Je le pns sur mes genoux dans le canot et je 1'empechai de voir sauter son pere avec le pauvre Orient, qui s'eparpilla en Fair comme une gerbe de feu. Nous ne sautames pas, nous, mais nous fumes pris, ce qui est bien plus douloureux, et je vins a 40 12 LA CANNE DE JONC. [CHAP. Douvres, sous la garde d'un brave capitaine anglais nommd Collingwood, qui commande a present le Culloden. C'est un galant homme s'il en fut, qui, depuis 1761 qu'il sert dans la marine, n'a quitte' la mer que pendant deux anne'es, pour 5 se marier et mettre au monde ses deux filles. Ces enfants, dont il parle sans cesse, ne le connaissent pas, et sa femme ne connait guere que par ses lettres son beau caractere. Mais je sens bien que la douleur de cette de'faite d'Aboukir a abre'ge' mes jours, qui n'ont e'te' que trop longs, puisque j'ai 10 vu un tel de'sastre et la mort de mes glorieux amis. Mon grand age a touche tout le monde ici ; et, comme le climat de FAngleterre m'a fait tousser beaucqup et a renouvele' toutes mes blessures au point de me priver entitlement de 1'usage d'un bras, le bon capitaine Collingwood a demande 15 et obtenu pour moi (ce qu'il n'aurait pu obtenir pour lui- meme a qui la terre e"tait de'fendue) la grace d'etre transfer^ en Sicile, sous un soleil plus chaud et un ciel plus pur. Je crois bien que j'y vais finir ; car soixante-dix-huit ans, sept blessures, des chagrins profonds et la captivite' sont des 20 maladies incurables. Je n'avais a te laisser que mon dpe'e, pauvre enfant ! a present je n'ai meme plus cela, car un prisonnier n'a pas d'epe'e. Mais j'ai au moins un conseil a te donner, c'est de te defter de ton enthousiasme pour les bommes qui parviennent vite, et surtout pour Bonaparte. 25 Tel que je te connais, tu serais un Seide, et il faut se garantir du Seidisme quand on est Francis, c'est-a-dire tres-suscep- tible d'etre atteint de ce mal contagieux. C'est une chose merveilleuse que la quantite de petits et de grands tyrans qu'il a produits. Nous aimons les fanfarons a un point ex- 30 treme, et nous nous donnons a eux de si bon coeur que nous ne tardons pas a nous en mordre les doigts ensuite. La source de ce defaut est un grand besoin d'action et une grande paresse de reflexion. II s'ensuit que nous aimons infiniment mieux nous donner corps et ame a celui qui se 35 charge de penser pour nous et d'etre responsable, quitte k rire apres de nous et de lui : Bonaparte est un bon enfant, mais il est vraiment par trop charlatan. Je crains qu'il ne devienne fondateur parmi nous d'un nouveau genre de jonglerie ; nous en avons bien 40 assez en France. Le charlatanisme est insolent et corrupteur, in.] SIMPLE LETTRE. 13 et il a donne de tels exemples dans notre siecle et a mene si grand bruit du tambour et de la baguette sur la place publique, qu'il s'est glisse dans toute profession, et qu'il n'y a si petit homme qu'il n'ait gonfle. Le nombre est incal- culable des grenouilles qui crevent. Je desire bien vivement 5 que mon fils n'en soit pas. Je suis bien aise qu'il m'ait tenu parole en se chargeant de t0i, comme il dit; mais ne t'y fie pas^rop. Peu de temps apres latriste maniere dont je quittai PEgypte, vpici la scene que Ton m'a contee et qui se passa a un certain diner ; je 10 veux te la dire afin que tu y penses sou vent : Le i er vende'miaire an vn, e'tant au Caire, Bonaparte, membre de ITnstitut, ordonna une fete civique pour 1'anni- versaire de 1'e'tablissement de la Re'publique. La garnison d'Alexandrie celebra la fete autour dela colonne de Pompe'e, 15 sur laquelle on planta le drapeau tricolore ; 1'aiguille de Cleopatrefutillumineeassezmal; etles troupes de la Haute- Egypte celebrerent la fete, le mieux qu'elles purent, entre les pylones, les colonnes, les cariatides de Thebes, sur les genoux du colosse de Memnon, aux pieds des figures de Tama et 20 de Chama. Le premier corps d'arme'e fit au Caire ses manoeu- vres, ses courses et ses feux d'artifice. Le ge'neral en chef avait invite a diner tout Pe'tat-major, les ordonnateurs, les savants, les kiaya du pacha, 1'emir, les membres du divan et les agas, autour d'une table de cinq cents couverts dresse'e 25 dans la salle basse de la maison qu'il occupait sur la place d'El-Bequier; le bonnet de la liberte et le croissant s'entre- lagaient amoureusement ; les couleurs turques et franchises formaient un berceau et un tapis fort agre'ables sur lesquels se mariaient le Koran et la Table des Droits de 1'Homme. 3 Apres que les convives eurent bien mange avec leurs doigts des poulets et du riz assaisonne"s de safran, des pasteques et des fruits, Bonaparte, qui ne disait rien, jeta un coup d'ceil tres-prompt sur eux tous. Le bon Kleber, qui e"tait couche' a cote de lui, parce qu'il ne pouvait pas ployer a la turque ses 35 longues jambes, donna un grand coup de coude a Abdallah- Menou, son voisin, et lui dit avec son accent demi-alle- mand : Tiens ! voilk Ali-Bonaparte qui va nous faire une des siennes. 4 14 LA CANNE DE JONC. [CHAP. II 1'appelait comme cela, parce que, a la fete de Maho- met, le ge'ne'ral s'e'tait amuse' a prendre le costume oriental, et qu'au moment oh il s'e'tait declare' protecteur de toutes les religions, on lui avait pompeusement decerne* le nom de 5 gendre du prophete, et on 1'avait nomme Ali-Bonaparte. Kle'ber n'avait pas fini de parler, et passait encore sa main dans ses grands cheveux blonds, que le petit Bonaparte e*tait deja debout, et, approchant son verre de son menton maigre et de sa grosse cravate, il dit d'une voix breve, claire 10 et saccade'e. - Buvons a 1'an trois cent de la Republique frangaise : Kle'ber se mit a rire dans 1'epaule de Menou, au point de lui faire verser son verre sur un vieil aga, et Bonaparte les regarda tous deux de travers, en froncant le sourcil. 15 Certainement, mon enfant, il avait raison ; parce que, en pre'sence d'un ge'ne'ral en chef, un ge'ne'ral de division ne doit pas se tenir inddcemment, fut-ce un gaillard comme Kle'ber ; mais eux, ils n'avaient pas tout a fait tort non plus, puisque Bonaparte, a 1'heure qu'il est, s'appelle 1'Empereur et que tu 20 es son page." En effet, dit le capitaine Renaud en reprenant la lettre de mes mains, je venais d'etre nomme' page de 1'Empereur en 1804. Ah! la terrible anne'e que celle-la ! de quels e've'nements elle etait chargee quand elle nous arriva, et 25 comme je 1'aurais considered avec attention, si j'avais su alors conside'rer quelque chose ! Mais je n'avais pas d'yeuxpour voir, pas d'oreilles pour entendre autre chose que les actions de 1'Empereur, la voix de 1'Empereur, les gestes de 1'Empe- reur, les pas de 1'Empereur. Son approche m'enivrait, sa 30 pre'sence me magne'tisait. La gloire d'etre attache a cet homme me semblait la plus grande chose qui fut au monde, et jamais un amant n'a senti 1'ascendant de sa maitresse avec des e'motions plus vives et plus ecrasantes que celles que sa vue me donnait chaque jour. L'admiration d'un chef mili- 35 taire devient une passion, un fanatisme, une fre'ne'sie, qui font de nous des esclaves, des furieux, des aveugles. Cette pauvre lettre que je viens de vous donner a lire ne tint dans mon esprit que la place de ce que les e"coliers nomment un in.] SIMPLE LETTRE. 15 sermon, et je ne sentis que le soulagement impie des enfants qui se trouvent de"livres de Pautorite naturelle et se croient libres parce qu'ils ont choisi la chaine que 1'entrainement general leur a fait river a leur cou. Mais un reste de bons sentiments natifs me fit conserver cette denture sacree, et 5 son autorite sur moi a grandi a mesure que dimmuaient mes reves d'heroique sujetion. Elle est restee toujours sur mon coeur, et elle a fini par y Jeter des racines invisibles, aussitot que le bon sens a degage ma vue des nuages qui la couvraient alors. Je n'ai pu m'empecher, cette nuit, de la relire avec 10 vous, et je me prends en pitie en considerant combien a ete lente la courbe que mes idees ont suivie pour revemr k la base la plus solide et la plus simple de la conduite dun homme. Vous verrez a combien peu cite se reduit ; mais, en verite', monsieur, je pense que cela suffit a la vie d'un 15 honnete homme, et il m'a fallu bien du temps pour arnver atrouver la source de la veritable grandeur qu'il peut y avoir dans la profession presque barbare des armes. Ici le capitaine Renaud fut interrompu par un vieux sergent de grenadiers qui vint se placer a la porte du cafe, 20 portant son arme en sous-officier et tirant une lettre ecnte sur papier gris placee dans la bretelle de son fusil. Le capitaine se leva paisiblement et ouvrit 1'ordre qu'il rece- vait. Dites a Be'jaud de copier cela sur le livre dordre, 25 dit-il au sergent. Le sergent-major n'est pas revenu de 1 arsenal, dit J sous-officier, d'une voix douce comme celle d'une fille, et baissant les yeux sans meme daigner dire comment son camarade avait e'te tue'. Le fourrier le remplacera, dit le capitaine sans nen demander ; et il signa son ordre sur le livre du sergent qui lui servit de pupitre. II toussa un peu et reprit avec tranquillite: 1 6 LA CANNE DE JONC. [CHAP. CHAPITRE IV. LE DIALOGUE INCONNU. - La lettre de mon pauvre pere, et sa mort, que j'appris peu de temps apres, produisirent en moi, tout enivre 5 que j'etais et tout e"tourdi du bruit de mes e"perons, une im- pression assez forte pour donner un grand e'branlement a mon ardeur aveugle, et je commensal a examiner de plus pres et avec plus de calme ce qu'il y avait de surnaturel dans 1'e'clat qui m'enivrait. Je me demandai, pour la premiere fois, en 10 quoi consistait 1'ascendant que nous laissions prendre sur nous aux hommes d'action revetus d'un pouvoir absolu, et j'osai tenter quelques efforts intdrieurs pour tracer des bornes, dans ma pensee, a cette donation volontaire de tant d'hommes a un homme. Cette premiere secousse me fit entr'ouvrir la 15 paupiere, et j'eusl'audace de regarder en face 1'aigle eblouis- sant qui m'avait enleve" tout enfant, et dont les ongles me pressaient les reins. Je ne tardai pas a trouver des occasions de 1'examiner de plus pres, et d'epier 1'esprit du grand homme dans les actes 20 obscurs de sa vie prive'e. On avait ose' creer des pages, comme je vous 1'ai dit; mais nous portions runiforme d'officiers en attendant la livree verte a culottes rouges que nous devions prendre au sacre. Nous servions d'e'cuyers, de secretaires et d'aides de camp 25 jusque-la, selon la volonte' du maitre, qui prenait ce qu'il trouvait sous sa main. Deja il se plaisait a peupler ses antichambres ; et comme le besoin de dpminer le suivait partout, il ne pouvait s'empecher de 1'exercer dans les plus petites choses et tourmentait autour de lui ceux qui 30 1'entouraient, par 1'infatigable maniement d'une volonte' tou- jours pre'sente. II s'amusait de ma timidite'; il jouait avec mes terreurs et mon respect. Quelquefois il m'appelait brusquement ; et, me voyant entrer pale et balbutiant, il s'amusait a me faire parler longtemps pour voir mes e'tonne- 35 ments et troubler mes idees. Quelquefois, tandis que iv.] LE DIALOGUE INCONNU. 17 j'e'crivais sous sa dictee, il me tirait 1'oreille tout d'un coup, a sa manure, et me faisait une question imprevue sur quelque vulgaire connaissance comme la geographic ou 1'algebre, me posant le plus facile probleme d'enfant ; il me semblait alors que la foudre tombait sur ma tete. Je savais mille fois 5 ce qu'il me demandait; j'en savais plus qu'il ne le croyait, j'en savais meme souvent plus que lui ; mais son ceil me paralysait. Lorsqu'il etait hors de la chambre, je pouvais respirer, le sang commengait a circuler dans mes veines, la memoire me revenait et avec elle une honte inexprimable, 10 la rage me prenait, j'ecrivais ce que j'aurais du lui repondre ; puis je me roulais sur le tapis, je pleurais, j'avais envie de me tuer. Quoi ! me disais-je, il y a done des tetes assez fortes pour etre sures de tout et n'hesiter devant personne ? Des 15 hommes qui s'etourdissent par 1'action sur toute chose, et dont 1'assurance" ecrase les autres en leur faisant penser que la clef de tout savoir et de tout pouvoir, clef qu'on ne cesse de chercher, est dans leur poche, et qu'ils n'ont qu'a 1'ouvrir pour en tirer lumiere et autorite infaillibles ! Je sentais 20 pourtant que cetait la une force fausse et usurpee. Je me re'voitais, je criais : "II ment ! Son attitude, sa voix, son geste, ne sont qu'une pantomime d'acteur, une miserable parade de souverainete, dont il doit savoir la vanite. II n'est pas possible qu'il croie en lui-meme aussi sincerement ! 25 II nous defend a tous de lever le voile, mais il se voit nu par dessous. Et que voit-il? un pauvre ignorant comme nous tous, et sous tout cela, la creature faible !" Cependant je ne savais comment voir le fond de cette ame deguisee. Le pouvoir et la gloire le defendaient sur tous les points; je 30 tournais autour sans re'ussir a y rien surprendre, et ce porc- e'pic, toujours arme, se roulait devant moi, n'offrant de tous cotes que des pointes acerees. Un jour pourtant, le hasard, notre maitre a tous, les entr'ouvrit, et a travers ces piques et ces dards fit pene'trer une lumiere d'un moment. Un jour, 35 ce fut peut-etre le seul de sa vie, il rencontra plus fort que lui et recula un instant devant un ascendant plus grand que le sien. J'en fus temoin, et me sentis venge. Voici com- ment cela m'arriva : Nous dtions a Fontainebleau. Le Pape venait d'arriver. 40 REN. 2 1 8 LA CANNE DE JO JVC. [CHAP. L'Empereur 1'avait attendu impatiemment pour le sacre, et 1'avait regu en voiture, montant de chaque cotd, au meme instant, avec une Etiquette en apparence negligee, mais profond&nent calculee de maniere ne ceder ni prendre le 5 pas, ruse italienne. II revenait au chateau, tout y dtait en rumeur ; j'avais laisse plusieurs officiers dans la chambre qui precedait celle de 1'Empereur, et j'&ais reste seul dans la sienne? Je conside"rais une longue table qui portait, au lieu de marbre, des mosaiques romaines, et que surchargeait un 10 amas enorme de placets. J'avais vu souvent Bonaparte rentrer et leur faire subir une e'trange epreuve. II ne les prenait ni par ordre, ni au hasard ; mais quand leur nombre 1'irritait, il passait sa main sur la table de gauche a droite et de droite a gauche, comme un faucheur, et les dispersait 15 jusqu'a ce qu'il en cut re'duit le nombre a cinq ou six qu'il ouvrait. Cette sorte de jeu dedaigneux m 'avail emu singulierernent. Tons ces papiers de deuil et de detresse repousses et jete's sur le parquef, enleves comme par un vent colere ; ces implorations inutiles des veuves et des orphelins 20 n'ayanl pour chance de secours que la maniere dont les feuilles volantes etaient balayees par le chapeau consulaire ; toutes ces feuilles gemissantes, mouille'es par des larmes de famille, trainant au hasard sous ses bottes et sur lesquelles il marchait comme sur ses morts du champ de bataille, me 25 representaient la destinee presente de la France comme une loterie sinistre, et, toute grande qu'etait la main indifferente et rude qui tirait les lots, je pensais qu'il n'etait pas juste de livrer ainsi au caprice de ses coups de poing tant de fortunes obscures qui eussent etc peut-etre un jour aussi grandes que 30 la sienne, si un point d'appui leur cut ete donne. Je sentis mon cceur battre centre Bonaparte et se revolt er, mais honteusement, mais en cceur d'esclave qu'il etait. Je consi- de'rais ces lettres abandonnees : des cris de douleur inentendus s'elevaient de leurs plis profanes; et, les prenanl pour les 35 lire, les rejetant ensuite, moi-meme je me faisais juge entre ces malheureux et le maitre qu'ils s'e'taient donne, et qui allait aujourd'hui s'asseoir plus solidement que jamais sur leurs tetes. Je tenais dans ma main 1'une de ces petitions meprisees, lorsque le bruit des tambours qui battaient aux 40 champs m'apprit 1'arrive'e subite de 1'Empereur. Or, vous iv.] LE DIALOGUE 1NCONNU. 19 savez que de meme que Ton voit la lumiere du canon avant d' entendre sa de'tonation, on le voyait toujours en meme temps qu'on etait frappe du bruit de son approche : tant ses allures etaient promptes et tant il semblait presse' de vivre et de jeter ses actions les unes sur les autres ! Quand il entrait 5 a cheval dans la cour d'un palais, ses guides avaient peine a le suivre, et le poste n'avait pas le temps de prendre les armes, qu'il e'tait deja descendu de cheval et montait l*escalier. Cette fois il avait quitte la voiture du Pape pour revenir seul, en avant et au galop. J'entendis ses talons re'sonner 10 en meme temps que le tambour. J'eus le temps a peine de me jeter dans 1'alcove d'un grand lit de parade qui ne servait a personne, fortine d'une balustrade de prince et ferme heureusement, plus qu'a demi, par des rideaux seme's d'abeilles. I $ L'Empereur etait fort agite; il marcha seul dans la chambre comme quelqu'un qui attend avec impatience, et fit en un instant trois fois sa longueur, puis s'avanca vers la fenetre et se mit a y tambouriner une marche avec les ongles. Une voiture roula dans la cour, il cessa de battre, frappa des 20 pieds deux ou trois fois comme impatiente de la vue de quelque chose qui se faisait avec lenteur, puis il alia brus- quement a la porte et 1'ouvrit au Pape. Pie VII entra seul, Bonaparte se hata de refermer la porte derriere lui, avec une promptitude de geolier. Je 25 sends une grande terreur, je 1'avoue, en me voyant en tiers avec de telles gens. Cependant je restai sans voix et sans mouvernent, regardant et ecoutant de toute la puissance de mon esprit. Le Pape etait d'une taille eleve'e ; il avait un visage 30 allonge, jaune, souffrant, mais plein d ; une noblesse sainte et d'une bonte sans bornes. Ses yeux noirs e'taient grands et beaux, sa bouche etait entr'ouverte par un sourire bienveillant auquel son menton avance donnait une expression de finesse tres-spirituelle et tres-vive, sourire qui n'avait rien de la 35 se'cheresse politique, mais tout de la bonte' chre'tienne. Une calotte blanche couvrait ses cheveux longs, noirs, mais sil- lonnes de larges meches argentees. II portait negligemment sur ses e'paules courbees un long camail de velours rouge, et sa robe trainait sur ses pieds. II entra lentement, avec la 40 20 LA CANNE DE JONC. [CHAP. demarche calme et prudcnte d'une femme ag^e. II vint s'asseoir, les yeux baisse"s, sur un des grands fauteuils remains dords et charges d'aigles, et attendit ce que lui allait dire 1'autre Italien. 5 Ah ! monsieur, quelle scene ! quelle scene ! je la vois encore. Ce ne fut pas le gdnie de I'homme qu'elle me montra, mais ce fut son caractere ; et si son vaste esprit ne^s'y deroula pas, du moins son cceur y e'clata.' Bonaparte n'e'tait pas alors ce que vous 1'avez vu depuis ; il n'avait point ce 10 ventre de financier, ce visage joufflu et malade, ces jambes de goutteux, tout cet infirme embonpoint que 1'art a mal- heureusement saisi pour en faire un type, selon le langage actuel, et qui a laisse" de lui, a la foule, je ne sais quelle forme populaire et grotesque qui le livre aux jouets d'enfants et le 15 laissera peut-etre un jour fabuleux et impossible comme 1'informe Polichinelle. II n'etait point ainsi alors, monsieur, mais nerveux et souple, mais leste, vif et Glance, convulsif dans ses gestes, gracieux dans quelques moments, recherche dans ses manieres; la poitrine plate et rentre'e entre les 20 e'paules, et tel encore que je 1'avais vu a Malte, le visage melancolique et effile. II ne cessa point de marcher dans la chambre quand le Pape fut entre ; il se mit a roder autour du fauteuil comme un chasseur prudent, et s'arretant tout a coup en face de 25 lui dans 1'attitude roide et immobile d'un caporal, il re- prit une suite de la conversation commencee dans leur voiture, interrompue par Farrive'e, et qu'il lui tardait de poursuivre. je vous le re'pete, Saint-Pere, je ne suis point un esprit 30 fort, mbi, et je n'aime pas les raisonneurs et les ideologues. Je vous assure que, malgre mes vieux republicans, j'irai a la messe. II jeta ces derniers mots brusquement au Pape comme un coup d'encensoir lance au visage, et s'arreta pour en 35 attendre 1'effet, pensant que les circonstances tant soit peu impies qui avaient prece'de' 1'entrevue devaient donner a cet aveu subit et net une valeur extraordinaire. Le Pape baissa les yeux et posa ses deux mains sur les tetes d'aigles qui formaient les bras de son fauteuil. II parut, par cette 40 attitude de statue de Romaine, qu'il disait clairement : Je iv.] LE DIALOGUE INCONNU. 21 me re'signe d'avance a e"couter toutes les choses profanes qu'il lui plaira de me faire entendre. Bonaparte fit le tour de la chambre et du fauteuil qui se trouvait au milieu, et je vis, au regard qu'il jetait de cote sur le vieux pontife, qu'il n'e'tait content ni de lui-meme ni 5 de son adversaire, et qu'il se reprochait d'avoir trop lestement de'butd dans cette reprise de conversation. II se mit done a parler avec plus de suite, en marchant circulairement et jetant a la de'robe'e des regards pendants dans les glaces de 1'appartement ou se reflechissait la figure grave du Saint- 10 Pere, et le regardant en profil quand il passait pres de lui, mais jamais en face, de peur de sembler trop inquiet de 1'impression de ses paroles. - II y a quelque chose, dit-il, qui me reste sur le cceur, Saint-Pere, c'est que vous consentez au sacre de la meme 15 maniere que 1'autre fois au concordat, comme si vous y etiez force. Vous avez un air de martyr devant moi, vous etes la comme resign^, comme offrant au Ciel vos douleurs. Mais, en verite, ce n'est pas la votre situation, vous n'etes pas prisonnier, par Dieu ! vous etes libre comme 1'air. 20 Pie VII sourit avec tristesse et le regarda en face. II sentait ce qu'il y avait de prodigieux dans les exigences de ce caractere despotique, a qui, comme a tous les esprits de meme nature, il ne suffisait pas de se faire obeir si, en obe'is- sant, on ne semblait encore avoir desire ardeaiment ce 25 qu'il ordonnait. - Oui, reprit Bonaparte avec plus de force, vous etes parfaitement libre ; vous pouvez vous en retourner a Rome, la route vous est ouverte, personne ne vous retient. Le Pape soupira et leva sa main droite et ses yeux au ciel 30 sans re'pondre ; ensuite il laissa retomber tres-lentement son front ride et se mit a considerer la croix d'or suspendue a son cou. Bonaparte continua k parler en tournoyant plus lentement. Sa voix devint douce et son sourire plein de grace. 35 - Saint-Pere, si la gravite de votre caractere ne m'en empechait, je dirais, en ve'rite, que vous etes un peu ingrat. Vous ne paraissez pas vous souvenir assez des bons services que la France vous a rendus. Le conclave de Vcnise, qui vous a elu Pape, m'a un peu 1'air d'avoir etc inspire par ma 40 22 LA CANNE DE JONC. [CHAP. campagne d'ltalie et par un mot que j'ai dit sur vous. L'Autriche ne vous traita pas bien alors, et j'en fus tres-afflige'. Votre Saintete fut, je crois, obligee de revenir par mer k Rome, faute de pouvoir passer par les terres autrichiennes. 5 II s'interrompit pour attendre la re"ponse du silencieux hote qu'il s'etait donnc ; mais Pie VII ne fit qu'une incli- nation de tete presque imperceptible, et demeura comme plongd dans un abattement qui 1'empechait d'e'couter. Bonaparte alors poussa du pied une chaise pres du 10 grand fauteuil du Pape. Je tressaillis, parce qu'en venant chercher ce sie'ge, il avait effleure de son e'paulette le rideau de 1'alcove ou j'etais cache. - Ce fut, en ve'rite, continua-t-il, comme catholique que cela m'affligea. Je n'ai jamais eu le temps d'e"tudier beau- 15 coup la theologie, mqi ; mais j'ajoute encore une grande foi a la puissance de 1'Eglise ; elle a une vitalite prodigieuse, Saint-Pere. Voltaire vous a bien un peu entame"s ; mais je ne 1'aime pas, et je vais lacher sur lui un vieil oratorien defroque. Vous serez content, allez. Tenez, nous pour- 20 rions, si vous vouliez, faire bien des choses a 1'avenir. II prit un air d'innocence et de jeunesse tres-caressant. - Moi, je ne sais pas, j'ai beau chercher, je ne vois pas bien, en ve'rite', pourquoi vous auriez de la repugnance & sie'ger a Paris pour toujours. Je vous laisserais, ma foi, les 25 Tuileries, si vous vouliez. Vous y trouverez deja votre chambre de Monte-Cavallo qui vous attend. Moi, je n'y se'journe guere. Ne voyez-vous pas bien, Padre, que c'est la la vraie capitale du monde ? Moi, je ferais tout ce que vous voudriez; d'abord, je suis meilleur enfant qu'on ne 30 croit. Pourvu que la guerre et la ^politique fatigante me fussent laisse'es, vous arrangeriez 1'Eglise comme il vous plairait. Je serais votre soldat tout a fait. Voyez, ce serait vraiment beau ; nous aurions nos conciles comme Constan- tin et Charlemagne, je les ouvrirais et les fermerais ; je 35 vous mettrais ensuite dans la main les vraies clefs du monde, et comme Notre-Seigneur a dit : Je suis venu avec 1'epe'e, je garderais 1'epe'e, moi ; je vous la rapporterais seu- lement a benir apres chaque succes de nos armes. II s'inclina legerement en disant ces derniers mots. 40 Le Pape, qui jusque-la n'avait cesse de demeurer sans iv.] LE DIALOGUE INCONNU. 23 mouvement, comme une statue e'gyptienne, releva lentement sa tete a demi baissee, sourit avec melancolie, leva ses yeux en haut et dit, apres un soupir paisible, comme s'il cut confie sa pensee a son ange gardien invisible : Commediante I 5 Bonaparte sauta de sa chaise et bondit comme un le'opard blesse. Une vraie colere le prit ; une de ses coleres jaunes. II marcha d'abord sans parler, se mordant les levres jusqu'au sang. II ne tournait plus en cercle autour de sa proie avec des regards fins et une marche 10 cauteleuse ; mais il allait droit et ferine, en long et en large, brusquement, frappant du pied et faisant sonner ses talons e'peronne's. La chambre tressaillit; les rideaux fre'mirent comme les arbres a 1'approche du tonnerre ; il me semblait qu'il allait arriver quelque terrible et grande chose ;_ mes 15 cheveux me firent mal et j'y portai la main malgre moi. Je regardai le Pape, il ne remua pas, seulement il serra de ses deux mains les tetes d'aigle des bras du fauteuil. La bombe eclata tout a coup. Comedien ! Moi ! Ah ! je vous donnerai des come'dies 20 a vous faire tous pleurer comme des femmes et des enfants. Come'dien ! Ah ! vous n'y etes pas, si vous croyez qu'on puisse avec moi faire du sang-froid insolent ! Mon theatre c'est le monde ; le role que j'y joue, c'est celui de maitre et d'auteur; pour come'diens j'ai vous tous, Papes, Rois, 25 Peuples ! et le fil par lequel je vous remue c'est la peur ! Comedien ! Ah ! il faudrait etre d'une autre taille que la votre pour m'oser applaudir ou siffler, signor Chiaramonti! Savez-vous bien que vous ne seriex qu'un pauvre cure', si je le voulais? Vous et votre tiare, la France vous rirait au nez, 30 si je ne gardais mon air se'rieux en vous saluant. II y a quatre ans seulement, personne n'eut ose' parler tout haut du Christ. Qui done cut parle' du Pape, s'il vous plait? Come'dien ! Ah ! messieurs, vous prenez vite pied chez nous ! Vous etes de mauvaise humeur parce que je 35 n'ai pas e'te assez sot pour signer, comme Louis XIV, la disapprobation des liberte's gallicanes ! Mais on ne me pipe pas ainsi. C'est moi qui vous dens dans mes doigts ; c'est moi qui vous porte du Midi au Nord comme des marionnettes ; c'est moi qui fais semblant de vous compter 40 24 LA CANNE DE JONC. [CHAP. pour quelque chose parce que vous reprdsentez une vieille idde que je veux ressusciter ; et vous n'avez pas 1'esprit de voir cela et de faire comme si vous ne vous en aperceviez pas. Mais non ! il faut tout vous dire ! il faut vous mettre 5 le nez sur les choses pour que vous les compreniez. Et vous croyez bonnement que Ton a besoin de vous, et vous relevez la tete, et vous vous drapez dans vos robes de femme ! Mais sachez bien qu'elles ne m'en imposent nullement, et que, si vous continuez, vous ! je traiterai la 10 votre comme Charles XII celle du grand vizir : je la ddchirerai d'un coup d'eperon. II se tut. Je n'osais pas respirer. J'avanc,ai la tete n'entendant plus sa voix tonnante, pour voir si le pauvre vieillard e"tait mort d'effroi. Le memecalme dans 1'attitude, 15 le meme calme sur le visage. II leva une seconde fois les yeux au ciel, et apres avoir encore jete un profond soupir, il sourit avec amertume et dit : Tragediante ! Bonaparte, en ce moment, etait au bout de la chambre, 20 appuye sur la cheminee de marbre aussi haute que lui. II partit comme un trait, courant sur le vieillard ; je crus qu'il 1'allait tuer. Mais il s'arreta court, prit, sur la table, un vase de porcelaine de Sevres, ou le chateau Saint-Ange et le Capitole etaient peints, et, le jetant sur les chenets et le 25 marbre, le broya sous ses pieds. Puis tout d'un coup s'assit et demeura dans un silence profond et une immobilite formidable. Je fus soulage, je sentis que la pensee reflechie lui etait revenue et que le cerveau avait repris 1'empire sur les 30 bouillonnements du sang. II devint triste, sa voix fut sourde et melancolique, et des sa premiere parole je compris qu'il e'tait dans le vrai, et que ce Protce, dompte par deux mots, se montrait lui-meme. - Malheureuse vie ! dit-il d'abord. Puis il reva, de- 35 chira le bord de son chapeau sans parler pendant une minute encore, et reprit, se parlant a lui seul, au re'veil. C'est vrai ! Tragedien ou Come"dien. Tout est role, tout est costume pour moi depuis longtemps et pour toujours. Quelle fatigue ! quelle petitesse ? Poser ! toujours poser ! de 40 face pour ce parti, de profil pour celui-la, scion leur ide'e. Leur iv.j LE DIALOGUE INCONNU. 25 paraitre ce qu'ils aiment que Ton soit, et deviner juste leurs reves d'imbeciles. Les placer tous entre 1'esperance et la crainte. Les dblouir par des dates et des bulletins, par des prestiges de distance et des prestiges de nom. Etre leur maitre a tous et ne savoir qu'en faire. Voila tout, ma 5 foi ! Et apres ce tout, s'ennuyer autant que je fais, c'est trop fort. Car, en ve'rite, poursuivit-il en se croisant les jambes et en se couchant dans un fauteuil, je m'ennuie enormement. Sitot que je m'assieds, je creve d'ennui. Je ne chasserais pas trois jours a Fontainebleau sans perir 10 de langueur. Moi, il faut que j'aille et que je fasse aller. Si je sais ou, je veux etre pendu, par exemple. Je vous parle a cceur ouvert. J'ai des plans pour la vie de quarante empereurs, j'en fais un tous les matins et un tous les soirs; j'ai une imagination infatigable ; mais je n'aurais pas le 15 temps d'en remplir deux, que je serais use de corps et d'ame ; car notre pauvre lampe ne brule pas longtemps. Et franchement, quand tous mes plans seraient executes, je ne jurerais pas que le monde s'en trouvat beaucoup plus heureux; mais il serait plus beau, et une unite' majestueuse 20 regnerait sur lui. Je ne suis pas un philosophe, moi, et je ne sais que notre secretaire de Florence qui ait eu le sens commun. Je n'entends rien a certaines theories. La vie est trop courte pour s'arreter. Sitot que j'ai pense, j'exe'cute. On trouvera assez d' explications de mes actions apres moi 25 pour m'agrandir si je reussis et me rapetisser si je tombe. Les paradoxes sont la tout prets, ils abondent en France ; je les fais taire de mon vivant, mais apres, il faudra voir. N'importe, mon affaire est de reussir, et je m'entends a cela. Je fais mon Iliade en action, moi, et tous les 30 jours. Ici il se leva avec une promptitude gaie et quelque chose d'alerte et de vivant; il e'tait naturel et vrai dans ce moment-la, il ne songeait point a se dessiner ^comme il fit depuis dans ses dialogues de Sainte-Helene ; _ il 35 ne songeait point a s'ide'aliser, et ne composait point son personnage de maniere a re'aliser les plus belles con- ceptions philosophiques ; il e'tait lui, lui-meme mis au de- hors. II revint pres du Saint-Pere, ; qui n'avait pas fait un mouvement, et marcha devant lui. La, s'enflammant, 40 26 LA CANNE DE JONC. [CHAP. riant \ moitie' avec ironic, il debita cecL & peu pres, tout mele" de trivial et de grandiose, scion son usage, en parlant avec une volubilite inconcevable, expression rapide de ce genie facile et prompt qui devinait tout, a la fois, sans etude. 5 - La naissance est tout, dit-il ; ceux qui viennent au monde pauvres et nus sont toujours .des de'sespcres. Cela tourne n action ou en suicide, selon le caractere des gens. Quand ils ont le courage, comme moi, de mettre la main a tout, ma foi ! ils font le diable. Que voulez-vous? II faut 10 vivrc. II faut trouver sa place et faire son trou. Moi, j'ai fait le mien comme un boulet de canon. Tant pis pour ceux qui etaicnt devant moi. Qu'y faire ? Chacun mange selon son appet.it; moi, j'avais gjrand'fairnj Tenez, Saint- Pere, a ToulorL je n'avais pas de quoi acheter une paire d'e'paulettes, 15 et au lieu d'elles j'avais une mere et je ne sais combien de freres sur les epaules. Tout cela est pjacji a present, assez convenablement, j'espere. Jose'phine m'avait epouse, comme par pitie, et nous aliens la cburonner h la barbe de Ragui- deau, son notaire, qui disait que je n'avais que la cape et 20 1'epee. II n'avait, ma foi ! pas tort. Manteau imperial, couronne, qu'est-ce que tout cela? Est-ce a moi? Cos- tume ! costume d'acteur ! Je vais 1'endosser pour une heure, et j'en aurai assez. Ensuite je reprendrai mon petit habit d'ofiicier, et je monterai a cheval ; toute la vie a cheval ! 25 Je ne serai pas assis un jour sans courir le risque d'etre jete a bas du fauteuil. Est-ce done bien a envier? Hein? Je vous le dis, Saint-Pere ; il n'y a au monde que deux classes d'hommes : ceux qui ont et ceux qui gagnent. Les premiers se couchent, les autres se remuent. Comme 30 j'ai compris cela de bonne heure et a propos, j'irai loin, voila tout. II n'y en a que deux qui soient arrives en commencant a quarante ans: Cromwell et Jean-Jacques; si vous aviez donne a 1'un une ferme, et a 1'autre douze cents francs ct sa servante, ils n'auraient ni preche', ni commande, 35 ni ecrit. II y a des ouvriers en batiments, en couleurs, en formes et en phrases; moi, je suis ouvrier ejLbjitailles. C'est mon etat. A trente-cinq ans7 j'en ai cle'ja fabrique dix-huit qui s'appellent : Victoires. II faut bien qu'on me paye mon ouvrage. Et le payer d'un trone, ce n'est pas trop 40 cher. D'ailleurs je travaillerai toujours. Vous en verrcz iv.] LE DIALOGUE INCONNU. 27 bien d'autres. Vous verrez toutes les dynasties dater de la mienne, tout parvenu que je suis, et e'lu. Elu, commevous, Saint-Pere, et tire' de la foule. Sur ce point nous pouvons nous donner la main. Et, s'approchant, il tendit sa main blanche et brusque 5 vers la main decharnee et timide du bon Pape, _ qui, peut- etre attendri par le ton de bonhomie de ce dernier mouve- ment de 1'Empereur, peut-etre par un retour secret sur^ sa propre destinee et une triste pense'e sur 1'avenir des socie'te's chre'tiennes, lui donna doucement le bout de ses doigts, 10 tremblants encore, de 1'air d'une grand'mere qui se raccom- mode avec un enfant qu'elle avait eu le chagrin de gronder trop fort. Cependant il secoua la tete avec tristesse, et je vis rouler de ses beaux yeux une larme qui glissa rapidement sur sa joue livide et desseche'e. Elle me parut le dernier 15 adieu du Christianisme mourant qui abandonnait la terre a 1'egoisme et au hasard. Bonaparte jeta un regard furtif sur cette larme arrachee a ce pauvre coeur, et je surpris meme, d'un cote de _sa bouche, un mouvement rapide qui ressemblait a un sourire 20 de triomphe. En ce moment, cette nature toute-puissante me parut moins elevee et moins exquise que celle de son saint adversaire ; cela me fit rougir, sous mes rideaux, de tous mes enthousiasmes passes ; je sentis une tristesse toute nouvelle en decouvrant combien la plus haute grandeur 25 politique pouvait devenir petite dans ses froides ruses de vanite, ses pieges miserables et ses noiH^ur_jie_ roue, ^ Je vis qu'il n'avait rien voulu de son prisonnier, et que c'e'tait une joie tacite qu'il s'etait donnee de n'avoir pas faibli dans ce tete-a-tete, et s'e'tant laisse surprendre a Femotion de la 30 colere, de faire fle'chir le captif sous 1'emotion de la fatigue, de la crainte et de toutes les faiblesses qui amenent un atten- drissement inexplicable sur la paupiere d'un vieillard. II avait voulu avoir le dernier et sortit, sans aj outer un mot, aussi brusquement qu'il etait entre'. Je ne vis pas s'il 35 avait salue le Pape. Je ne le crois pas. 28 LA CANNE DE JONC. [CHAP. CIIAPITRE V. UN 1IOMME DE MER. Shot que 1'Empereur fut sorti de 1'appartement, deux ecclesiastiques vinrent aupres du Saint-Fere, et 1'emme- 5 nerent en le soutenant sous chaque bras, atterre, dmu et tremblant. Je demeurai jusqu'a la nuit dans 1'alcove d'ou j'avais dcoute cet entretien. Mes idees etaient confondues, et la terreur de cette scene n'etait pas ce qui me dominait. J'e'tais 10 accable de ce que j'avais vu ; et sachant a present a quels calculs mauvais 1'ambition toute personnelle pouvait faire descendre le genie, je haissais cette passion qui venait de fletrir, sous mes yeux, le plus brillant des Dominateurs, celui qui donnera peut-etre son nom au siecle pour 1'avoir arrete 15 dix ans dans sa marche. Je sentis que c'e"tait folie de se devouer ^, un homme, puisque 1'autorite despotique ne pent manquer de rendre mauvais nos faibles cceurs ; mais je ne savais a quelle ide'e me donner de'sormais. Je vous 1'ai dit, j'avais dix-huit ans alors, et je n'avais encore en moi 20 qu'un instinct vague du Vrai, du Bon et du Beau, mais assez obstine pour m'attacher sans cesse k cette recherche. C'est la seule chose que j^estime en moi. Je jugeai qu'il etait de mon devoir de me taire sur ce que j'avais vu ; mais j'eTfs'lIeu de croire que 1'on s'etait 25 apergu de ma disparition momentane'e de la suite de 1'Empe- reur, car voici ce qui m'arriva. Je ne remarquai dans les manieres du maitre aucun changement a mon egard. Scule- ment, je passai peu de jours pres de lui, et 1'etude attentive que j'avais voulu faire de son caractere fut brusquement 30 arretee. Je regus un matin 1'ordre de partir sur-le-champ pour le camp de Boulogne, et a mon arrivee, 1'ordre de m'embarquer sur un des bateaux plats que 1'on essayait en mer. Je partis avec moins de peine que si 1'on m'eut annonce 35 ce voyage avant la scene de Fontainebleau. Je respirai en v.] UN HOMME DE MER. 29 m'eloignant de ce vieux chateau et de sa foret, et a^ ce soulagement involontaire je sentis que mon Seidisme dtait mordu au coeur. Je fus attriste d'abord de cette premiere de'couverte, et je tremblai pour 1'eblouissante illusion qui faisait pour moi un devoir de mon deVouement javeugle. % Le 5 grand ego'iste s'e'tait montre a nu devant moi ; mais a mesure que je m'eloignai de lui je commengai a le contem- pler dans ses oeuvres, et il reprit encore sur moi, par cette vue, une partie du magique ascendant par lequel il avait fascine le monde. Cependant ce fut glutot.l'idee gigantes- 10 que de la guerre qui de'sormais m'apparut, que celle de 1'homme qui la repre'sentait d'une si redoutable facon, et je sentis a cette grande vue un enivrement insense' redoubler en moi pour la gloire des combats, m'e'tourdissant sur le maitre qui les ordonnait, et regardant avec orgueil le travail 15 perpe'tuel des hommes qui ne me parurent tous que ses humbles ouvriers. Le tableau etait homerique, en effet, et bon a prendre des e'coliers par 1'etourdissement des actions multipliees. Quelque chose de faux s'y demelait pourtant et _se montrait 20 vaguement a moi, mais sans nettete encore, et je sentais le besoin d'une vue meilleure que la mienne qui me fit decouvrir le fond de tout cela. Je venais d'apprendre a mesurer le Capitaine, il me fallait sonder la guerre. Voici quel nouvel eve'nement me donna cette seconde legon ; 25 car j'ai regu trois rudes enseignements dans ma vie, et je vous les raconte apres les avoir me"dites tous les jours. Leurs secousses me furent violentes, et la derniere acheva de renverser 1'idole de rnon ame. L'apparente demonstration de conquete et de debarque- 30 ment en Angleterre, 1'evocation des souvenirs de Guillaume le Conquerant la decouverte du camp de Cesar, a Boulogne, le rassemblement subit de neuf cents batiments dans ce port, sous la protection d'une flotte de cinq cents voiles, toujoursannoncee; 1'etablissement des camps de Dunkerque 35 eT d'Dstende, de Calais, de Montreuil et de Saint-Omer, sous les ordres de quatre mare'chaux; le trone militaire d'ou tomberent les premieres etoiles de la Legion d'honneur, les revues, les fetes, les attaques partielles, tout cet^e'clat reduit, selon le langage geome'trique, a sa plus simple 40 30 LA CANNE DE JONC. [CHAP. expression, eut trois buts : inquieter 1'Angleterre, assoupir 1'Europe, concentrer et enthousiasmer 1'armee. Cos trois points depasses, Bonaparte laissa tomber piece a piece la machine artificielle qu'il avait fait jouer a Bou- 5 logne. Quand j'y arrival. elle jonni't & yide cnmmo Les generaux y faisaicnt encore les faux mouve- ments d'une ardeur simulee dpnt ils n'avaient pas la con- scie. nc . e -. On continuait a jeter encore a Ta" mer quelques malheureux bateaux dedaignes par les Anglais et coules par 10 eux de temps a autre. Je rec.us un commandement sur 1'une^de ces embarcations, des le lendemain de monarrivee. Ce jour-la, il y avait en mer une seule fre'gate anglaise. Elle courait des bordees ayec une ^ma|estueuse lenteur, elle aflait, elle venait, elle virait.elle se penchait7elle se retevaitT 15 elle se mirait, elle gli^ssait, elle s'arfetait, elle iqua.it au sole]! comme un cygne qui"se baigne. Le mise'rable bateau plat de nouvelle et mauvaise invention s'etait risque' fort avant avec quatre autres batiments pareils ; et nous e'tions lout. Hers de notre audace, lances ainsi depuis le matin, lorsque 20 nous de'couvrimes tout a coup les paisibles jeux de la fregate. Ils nous eussent sans doute paru fort gracieux et poetiques vus de la tcrre ferine, ou seulement si elle se fut amusee a prendre ses ebats entre 1'Angleterre et nous ; mais c'etait, au contraire, entre nous et la France. La cote de Boulogne 25 etait a plus d'une lieue. Cela nous rcnoaFpensifs. Nous fimes force de nos mauvaises voiles etcTenos plus mauvaises raines, et pendant que nous nous demenions, la paisible fregate continuait a prendre son bain de mer et a decrire mille contours agreables autour de nous, faisant le manj^g, 30 changeant de main comme un cheval bieTT"(Tresse7'et'dessi- nant des S et des Z sur 1'eau de la facon la plus aimable. Nous remarquames qu'elle eut la bonte de nous laisser passer plusieurs fois devant elle sans tircrun coup de canon, et meme tout dim coup elle les retira tous dans 1'interieur 35 et ferma tous ses sabords. Je crus d'abord que c'etait une manoeuvre toute pacifique et je ne comprcnais rien a cette politesse. Mais un gros vieux marin me donna un coup de coude et me dit : Voici qui va mal. En effct, apres nous avoir bien laisse's courir devant elle comme des souris devant 40 un chat, 1'aimable et belle fregate arriva sur nous a toutes v.] UN HOMME DE MER. 31 voiles sans daigner faire feu, nous heurta de sa proue comme un cheval du poitrail, nous brisa, nous ecrasa, nous coula, et passa joyeusement par dessus nous, laissant quelques canots pecher les prisonniers, desquels je fus, moi dixieme, suj deux cents hommes que nous etions au depart. La belle 5 fregate se nommait la JVatade, et pour ne pas perdre 1'habi- tucle franchise des jeux de mots, vous pensez bien que nous ne manquames jamais de 1'appeler depuis la Noyade. J 'avals pris un bain si violent que Ton etait sur le point de me rejeter comme mort dans la mer, quand un officier 10 qui visitait mon portefeuille y trouva la lettre de mon pere que vous venez de lire et la signature de lord Collingwood. 11 me fit donner des soins plus attentifs ; on me trouva quelques signes de vie, et quand je repris connaissance, ce fut, non a bord de la gracieuse Na'iade, mais sur fe_ Victoir^ ig (the Victory]. Je demandai qui commandait cet autre navire. On me repondit laconiquement : Lord Collingwood. Je crus qu'il etait fils de celui qui avait connu mon pere ; mais quand on me conduisit a lui, je fus detrompe. C'e'tait le meme homme. 20 Je ne pus contenir ma surprise quand il me dit, avec une bonte toute paternelle, qu'il ne s'attendait pas a etre le gardien du fils apres 1'avoir ete du pere, mais qu'il esperait u_'il ne s'en trouverait pas plus mal ; qu'il avait assiste aux defhiers moments de ce vieilkrd, et qu'en apprenant mon nom 25 il avait voulu m'avoir a son bord ; il me parlait le meilleur franc.ais avec une douceur melancolique dont 1'expression ne m'est jamais sortie de la memoire. II m'offrit de rester a son bord, sur parole de ne faire aucune tentative d'evasion. J'en donnai ma parole d'honneur, saiis_.hesiter, a la maniere 30 des jeunes gens de dix-huit ans, et me trouvant beaucoup mieux a bord de la Victoire op.e. sur quelque ponton ; etonne de ne rien voir qui justifiat les preventions qu'on nous donnait centre les Anglais, je fis connaissance assez facile- ment avec les officiers du batiment, que mon ignorance de 35 la mer et de leur langue amusait beaucoup, et qui se diver - tirent a me faire connaitre 1'une et 1'autre, avec une politesse d^autant plus grande que leur amiral me traitait comme son fils. Cependant une grande tristesse me prenait quand je voyais de loin les cotes blanches de la Normandie, et je me 40 32 LA CANNE DE JONC. [CHAP. retirais pour pe Bas pleurcr. Je rdsistais a 1'envie que j'en avais, parce que j'etais jcune et courageux ; mais ensuite, des que ma volpnte ne surveillait plus mon coeur, des que j'e'tais couche et endormi, les larmes sortaient de mes yeux 5 malgrd moi et trempaient mes joues et la toile de mon lit au point de me reveiller. Un soir surtout, il y avait eu une prise nouvelle d'un brick frangais ; je 1'avais vu peVir de loin, sans que 1'on j>& sauver un seul homme de I'e'quipage, et, malgre la gravitd 10 et la retenue des officiers, il m' avait fallu entendre les cris et les hourras des matelots qui voyaient avec joie 1'expedition s'e'vanouir et la mer engloutir goutte a goutte cette avalanche qui menagait d'e'craser leur patrie. Je m'dtais retire' et cach^ tout le jour dans le reduit que lord Collingwood m'avait fait 15 donnerpres deson appartement, comme pour mieux declarer sa protection, et, quand la nuit fut venue, je montai seul sur le pont. J'avais send 1'ennemi autour de moi plus que jamais, et je me mis a refle'chir sur ma destinee sitot arretee, avec une amertume plus grande. II y avait un mois deja 20 que j'e'tais prisonnier de guerre, et 1'amiral Collingwood, qui, en public, me traitait avec tant de bienveillance, ne m'avait parld qu'un instant enjparticulier, le premier jour de mon arrive'e a son bord ; il etait bon, mais froid, et, dans ses manieres. ainsi que dans celles des officiers anglais, il y 25 avait un point ou tous les epanchements s'arretaient et oil la politique compassee se pre"sentait comme une barriere sur tous les chemins. C^est a cela que se fait sentir la vie en pays Stranger. J'y pensais avec une sorte de terreur en considerant 1'abjection de ma position qui pouvait durer 30 jusqu'a la fin de la guerre, et je voyais comme ine'vitable le sacrifice de ma jeunesse, aneantie dans la honteuse inutilite du prisonnier. La fregate marchait rapidement, toutes voiles dehors, et je ne la sentais pas aller. J'avais appuye mes deux mains a un cable et mon front sur mes 35 deux mains, et, ainsi penche, je regardais dans 1'eau de la mer. Ses profondeurs vertes et sombres me donnaient une sorte de vertige, et le silence de la nuit n' etait inter- rompu que par des cris anglais. J'esperais un moment que le navire m'emportait bien loin de la France et que 40 je ne verrais plus le lendemain ces cotes droites et blanches, v.] UN HOMME DE HER. 33 coupees dans la bonne terre cherie de mon pauvre pays. Je pensais que je serais ainsi de'livrd du ddsir perpe'tuel que medonnait cette..yijLQ. et que je n'aurais.pas, du moins, ce supplice de ne pouvoir meme songer a m'echapper sans de"shonneur ; .sjipplice de Tantale, QU une soif avide de la 5 patrie devait me devorer pour longtemps. J'e"tais accable de ma solitude et je souhaitais une prochaine occasion de me faire tuer. Je revais a composer ma mort habilement et a la maniere grande et grave des anciens. J'imaginais une fin heroi'que et digne de celles qui avaient e"te le sujet 10 de tant de conversations de pages et d'enfants guerriers, 1'objet de tant d'envie parmi mes compagnons. J'etais dans ces reves qui, a dix-huit ans, ressemblent plutot a une continuation d'action et de combat qu'a une serieuse me'ditation, lorsque je me sentis doucement tirer par le 15 bras, et, en me retournant, je vis, debout derriere moi, le bon amiral Collingwood. II avait a la main sa lunette de nuit et il etait vetu de son grand uniforme avec la rigide tenue anglaise. II me mit une main sur 1'epaule d'une fac.on paternelle, et je remarquai 20 un'air de melancolie profonde dans ses grands yeux noirs et sur son front. Ses cheveux blancs, a demi poudre's, tom- baient assez negligemment sur ses oreilles, et il y avait, a travers le calme inalterable de sa voix et de ses manieres, un fond de tristesse qui me frappa ce soir-la surtout, et me 25 donna pour lui, tout d'abord, plus de respect et d'attention. Vous etes deja triste, mon enfant, me dit-il. J'ai quelques petites choses a vous dire ; voulez-vous causer un peu avec moi ? Je balbutiai quelques paroles vagues de reconnaissance 30 et de politesse qui n'avaient pas le sens commun probable- ment, car il ne les e'couta pas, et s'assit sur un bane, me tenant une main. J'etais debout devant lui. Vous n'etes prisonnier que depuis un mois, reprit-ilj et je le sins depuis trente-trpis ans. Oui, mon ami, je suis 35 prisonnier de la mer; elle me garde de tous cote's, toujours des flots et des flots ; je ne vois qu'eux, je n'entends qu'eux. Mes cheveux ont blanchi sous leur ecume, et mon dos s'est un peu voute sous leur humidite. J'ai passe si peu de temps en Angleterre, que je ne la connais que par la carte. 40 REN. 3 34 LA CANNE DE JONC. [CHAP. La patrie est un etre ideal que je n'ai fait qu'entrevoir, mais que je sers gn esclave et qui augmente pour moi de rigueur a mesure que je deviens plus necessaire. C'est le sort com- mun et c'est meme ce que nous devons le plus souhaiter 5 que d' avoir de telles chaines ; mais elles sont quelquefois bien lourdes. II s'interrompit un instant et nous nous tumes tous deux, car je n'aurais pas osd dire un mot, voyant qu'il allait poursuivre. 10 J'ai bien re'flechi, me dit-il, et je me suis interroge* sur mon devoir quand je vous ai eu a mon bord. J'aurais pu vous laisser conduire en Angleterre, mais vous auriez pu y tomber dans une misere dont je vous garantirai toujours et dans un desespoir dont j'espere aussi vous sauver ; j'avais 15 pour votre pere une amitie bien vraie, et je lui en donnerai ici une preuve ; s'il me voit, il sera content de moi, n'est-ce pas? ' L'Amiral se tut encore et me serra la main. II s'avanc.a meme dans la nuit et me regarda attentivement, pour voir 20 ce que j'eprouvais a mesure qu'il me parlait. Mais j'etais trop interdit pour lui repondre. II poursuivit plus rapide- ment: > - J'ai deja ecrit a 1'Amirautd pour qu'au premier ^change vous fussiez renvoye en France. Mais cela pourra 25 etre long, ajouta-t-il, je ne vous le cache pas; car, outre que Bonaparte s'y prete mal, on nous fait peu de prisonniers. En attendant, je veux vous dire que je vous verrais avec plaisir etudier la langue de vos ennemis, vous voyez que nous savons la votre. Si vous voulez, nous travaillerons 30 ensemble et je vous preterai Shakspeare et le capitaine Cook. Ne vous affligez pas, vou serez libre avant moi, car, si 1'Empereur ne fait la paix, j'en ai pour toute ma vie. Ce ton de bonte", par lequel il s'associait a moi et nous faisait camarades, dans sa prison flottante, me fit de la peine 35 pour lui; je sentis que, dans cette vie sacrifice et isolee, il avait besoin de faire du bien pour se consoler secretement de la rudesse de sa mission toujours guerroyante. Milord, lui dis-je, avant de m'enseigner les mots d'une langue nouvelle, apprenez-moi les pensdes par les- 40 qu elles vous etes parvenu a ce calme parfait, a cette e'galite v.] UN HOMME DE HER. 35 d'ame qui ressemble a du bonheur, et qui cache un e'ternel ennui... Pardonnez-moi ce que je vais vous dire, mais je^ crains que cette vertu n.e soi.t qu'une dissimulation per- petuelle. Vous vous trompez grandement, dit-il, le sentiment 5 du Devoir finit par dominer tellement 1'esprit, qu'il entre dans le caractere et devient un de ses traits principaux, justement comme une saine nourriture, perpetuellement regue, peut changer la masse du sang et devenir un des principes de notre constitution. J'ai e"prouve, plus que 10 tout homme peut-etre, a quel point il est facile d'arriver a s'oublier completement. Mais on ne peut de'pouiller 1'homme tout entier, et il y a des choses qui tiennent plus au coeur que Ton ne voudrait. La, il s'interrompit et prit sa longue lunette. II la plaga 15 sur mon e'paule pour observer une lumiere lointaine qui glissait a I'norizon, et, sachant a 1'instant au mouvement ce que c'e'tait: Bateaux pecheurs, dit-il, et il se plaga pres de moi, assis sur le bord du navire. Je voyais qu'il avait depuis longtemps quelque chose a me dire qu'il n'abordait 20 pas. Vous ne me parlez jamais de votre pere, me dit-il tout a coup ; je suis etonne' que vous ne m'interrogiez pas sur lui, sur ce qu'il a souffert, sur ce qu'il a dit, sur ses volontes. 25 Et comme la nuit etait tres-claire, je vis encore que j'e'tais attentivement observe par ses grands yeux noirs. Je craignais d'etre indiscret...lui dis-je avec embarras. II me serra le bras, comme pour m'empecher de parler davantage. 30 Ce n'est pas cela, dit-il, my child, ce n'est pas ccla. Et il secouait la tete avec doute et bonte'. J'ai trouve' peu d'occasions de vous parler, milord. Encore moins, interrompit-il ; vous m'auriez parle de cela tous les jours, si vous 1'aviez voulu. 35 Je remarquai de 1'agitation et un peu de reproche dans son accent. C'e'tait la ce qui lui tenait au cceur. Je m'avisai encore d'une autre sorte de re'ponse pour me justifier; car rien ne rend aussi niais que les mauvaises excuses. 40 32 36 LA CANNE DE JONC. [CHAP. Milord, lui dis-je, le sentiment humiliant de la cap- tivite' absorbe plus que vous ne pouvez croire. Et je me souviens que je crus prendre en disant cela un air de dignite et une contenance de Re"gulus, propres a lui donner 5 un grand respect pour moi. Ah! pauvre garden! pauvre enfant! poor boy! me dit-il, vous n'etes pas dans le vrai. Vous ne descendez pas en vous-meme. Cherchez bien, et vous trouverez une indifference dont vous n'etes pas comptable, mais bien la 10 destinee militaire de votre pauvre pere. II avait ouvert le chemin a la ve'rite', je la laissai partir. II est certain, dis-je, que je ne connaissais pas mon pere, je 1'ai a peine vu a Malte, une fois. Voila le vrai! cria-t-il. Voila le cruel, mon ami! 15 Mes deux filles diront un jour comme cela. Elles diront: Nous ne connaissons pas noire plre I Sarah, et Mary diront cela ! et cependant je les aime avec un cceur ardent et tendre, je les eleve de loin, je les surveille de mon vaisseau, je leur e'cris tous les jours, je dirige leurs lectures, leurs 20 travaux, je leur envoie des ide'es et des sentiments, je rec,ois en e'change leurs confidences d'enfants ; je les gronde, je m'apaise, je me re'concilie avec elles; je sais tout ce qu'elles font ! je sais quel jour elles ont e"te' au temple avec de trop belles robes. Je donne a leur mere de continuelles instruc- 25 tions pour elles, je preVois d'avance qui les aimera, qui les demandera, qui les dpousera ; leurs maris seront mes fils ; j'en fais des femmes pieuses et simples : on ne peut pas etre plus pere que je ne le suis... Eh bien ! tout cela n'est rien, parce qu'elles ne me voient pas. 30 II dit ces derniers mots d'une voix e'mue, au fond de laquelle on sentait des larmes... Apres un moment de silence, il continua : Oui, Sarah ne s'est jamais assise sur mes genoux que lorsqu'elle avait deux ans, et je n'ai tenu Mary dans mes 35 bras que lorsque ses yeux n'etaient pas ouverts. Oui, il est juste que vous ayez ete indifferent pour votre pere et qu'elles le deviennent un jour pour moi. On n'aime pas un invisible. Qu'est-ce pour elles que leur^pere ? une lettre de chaque jour. Un conseil plus ou moms" froid. On 40 n'aime pas un conseil, on aime un etre, et un etre qu'on v.] UN HOMME DE MER. 37 ne voit pas n'est pas, on ne 1'aime pas, et quand il est mort, il n'est pas plus absent qu'il n'e'tait deja, et on ne le pleure pas. II etouffait et il s'arreta. Ne voulant pas aller plus loin dans ce sentiment de douleur devant un etranger, il 5 s'eloigna, il se promena quelque temps et marcha sur le pont de long en large. Je fus d'abord tres-touche de cette vue, et ce fut un remords qu'il me donna de n'avoir pas assez senti ce que vaut un pere, et je dus a cette soire'e la premiere emotion bonne, naturelle, sainte, que mon coeur 10 ait e'prouve'e. A ces regrets profonds, a cette tristesse insurmontable au milieu du plus brillant e'clat militaire, je compris tout ce que j'avais perdu en ne connaissant pas Famour du foyer qui pouvait laisser dans un grand coeur de si cuisants regrets; je compris tout ce qu'il y avait de factice 15 dans notre Education barbare et brutale, dans notre besoin insatiable d'action etourdissante ; je vis, comme par une revelation soudaine du coeur, qu'il y avait une vie adorable et regrettable dont j'avais e'te arrache violemment, une vie veritable d' amour paternel, en echange de laquelle on nous 20 faisait une vie fausse, toute composee de haines et de toutes sortes de vanites pue'riles; je compris qu'il n'y avait qu'une chose plus belle que la famille et a laquelle on put sainte- ment 1'immoler : c'etait 1'autre famille, la Patrie. Et tandis que le vieux brave, s'eloignant de moi, pleurait parce qu'il 25 etait bon, je mis ma tete dans mes deux mains, et je pleurai de ce que j'avais ete jusque-la si mauvais. Apres quelques minutes, PAmiral revint a moi. J'ai a vous dire, reprit-il d'un ton plus ferme, que nous ne tarderons pas a nous rapprocher de la France. Je 30 suis une e"ternelle sentinelle placee devant vos ports. Je n'ai qu'un mot a ajouter, et j'ai voulu que ce fut seul a seul : souvenez-vous que vous etes ici sur votre parole, et que je ne vous surveillerai point ; mais, mon enfant, plus le temps passera, plus 1'epreuve sera forte. Vous etes bien 35 jeune encore ; si la tentation devient trop grande pour que votre courage y resiste, venez me trouver quand vous craindrez de succomber, et ne vous cachez pas de moi, je vous sauverai d'une action deshonorante que, par malheur pour leurs noms, quelques officiers ont commise. Souvenez- 40 38 LA CANNE DE JONC. [CHAP. vous qu'il est permis de rompre une chaine de galeVien, si Ton pcut, mais non une parole d'honneur. Et il me quitta sur ces derniers mots en me serrant la main. // Je ne sais si vous avez remarque, en vivant, monsieur, 5 que les re'volutions qui s'accomplissent dans notre ame dependent souvent d'une journe'e, d'une heure, d'une con- versation memorable et impreVue qui nous ebranle et jette en nous comme des germes tout nouveaux qui croissent lentement, dont le reste de nos actions est seulement la 10 consequence et le naturel developpement. Telles furent pour moi la matinee de Fontainebleau et la nuit du vaisseau anglais. L'amiral Collingwood me laissa en proie a un combat nouveau. Ce qui n'etait en moi qu'un ennui profond de la captivitti et une immense et juvenile 15 impatience d'agir, devint un besoin effrdne de la Patrie ; a voir quelle douleur minait a la longue un homme toujours separe' de la terre maternelle, je me sentis une grande hate de connaitre et d'adorer la mienne ; je m'inventai des biens passionnes qui ne m'attendaient pas en effet; jem'imaginai 20 une famille et me mis a rever a des parents que j'avais & peine connus et que je me reprochais de n'avoir pas assez cheris, tandis qu'habitue's a me compter pour rien ils vivaient dans leur froideur et leur egoi'sme, parfaitement indifferents a mon existence abandonnee et manque"e. 25 Ainsi le bien meme tourna au mal en moi ; ainsi le sage conseil que le brave Amiral avait era devoir me donner, il me 1'avait apport tout entoure d'une Emotion qui lui etait propre et qui parlait plus haut que lui ; sa voix troublee m'avait plus touche que la sagesse de ses paroles ; et tandis 30 qu'il croyait resserrer ma chaine, il avait excite plus vive- ment en moi le desir effrene de la rompre. II en est ainsi presque toujours de tous les conseils ecrits ou paries. L'expe'rience seule et le raisonnement qui sort de nos propres reflexions peuvent nous instruire. Voyez, vous qui 35 vous en melez, 1'inutilite des belles-lettres. A quoi servez- vous? qui convertissez-vous? et de qui etes-vous jamais compris, s'il vous plait? Vous faites presque toujours reussir la cause contraire a celle que vous plaidez. Regardez, il y en a un qui fait de Clarisse le plus beau poeme epique 40 possible sur la vertu de la femme ; qu'arrive-t-il ? On v.] UN HOMME DE MER. 39 prend le contre-pied et Ton se passionne pour Lovelace, qu'elle ecrase pourtant de sa splendeur virginale, que le viol meme n'a pas ternie; pour Lovelace, qui se traine en vain a genoux pour implorer la grace de sa victime sainte, et ne peut flechir cette ame que la chute de son corps n'a pu 5 souiller. Tout tourne mal dans les enseignements. Vous ne servez a rien qu'a remuer les vices, qui, fiers de ce que vous les peignez, viennent se mirer dans votre tableau et se trouver beaux. II est vrai que cela vous est egal ; mais mon simple et bon Collingwood m'avait pris vraiment en 10 amitie, et ma conduite ne lui etait pas indifferente. Aussi trouva-t-il d'abord beaucoup de plaisir a me voir livre a des etudes se"rieuses et constantes. Dans ma retenue habituelle et mon silence il trouvait aussi quelque chose qui sympa- thisait avec la gravite anglaise, et il prit 1'habitude de 15 s'ouvrir a moi dans mainte occasion et de me Conner des affaires qui n'e'taient pas sans importance. Au bout de quel- que temps on me considera comme son secretaire et son parent, et je parlais assez bien 1'anglais pour ne plus paraitre trop etranger. 20 Cependant c' etait une vie cruelle que je menais, et je trouvais bien longues les journees melancoliques de la mer. Nous ne cessames, durant des anne'es entieres, de roder autour de la France, et sans cesse je voyais se dessiner a 1'horizon les cotes de cette terre que Grotius a nommee le 25 plus beau royaume apres celui du ciel ; puis nous retour- nions a la mer, et il n'y avait plus autour de moi, pendant des mois entiers, que des brouillards et des montagnes d'eau. Quand un navire passait pres de nous ou loin de nous, c'est qu'il etait anglais ; aucun autre n'avait permission 30 de se livrer au vent, et 1'Oce'an n'entendait plus une parole qui ne fut anglaise. Les Anglais meme en etaient attristes et se plaignaient qu'a pre'sent 1'Oce'an fut devenu un de'sert ou ils se rencontraient eternellement, et 1'Europe une forteresse qui leur etait fermee. Quelquefois ma prison de 35 bois s'avangait si pres de la terre, que je pouvais distinguer des hommes et des enfants qui marchaient sur le rivage. Alors le coeur me battait violemment, et une rage inte'rieure me de'vorait avec tant de violence, que j'allais me cacher a fond de cale pour ne pas succomber au de'sir de me jeter 40 40 LA CANNE DE JONC. [CHAP. a la nage; mais quand je revenais aupres de 1'infatigable Collingwood, j'avais honte de mes faiblesses d'enfant, je ne pouvais me lasser d'admirer comment a une tristesse si profonde il unissait un courage si agissant. Get homme 5 qui, depuis quarante ans, ne connaissait que la guerre et la mer, ne cessait jamais de s'appliquer a leur etude comme a une science ine'puisable. Quand un navire e"tait las, il en montait un autre comme un cavalier impitoyable ; il les usait et les tuait sous lui. II en fatigua sept avec moi. II 10 passait les nuits tout babiHe", assis sur ses canons, ne cessant de calculer 1'art de tenir son navire immobile, en sentinelle, au meme point de la mer, sans etre a 1'ancre, k travers les vents et les orages ; exerc.ait sans cesse ses equipages et veillait sur eux et pour eux ; cet homme n'avait 15 joui d'aucune richesse; et tandis qu'on le nommait pair d'Angleterre, il aimait sa soupiere detain comme un matelot ; puis, redescendu chez lui, il redevenait pere de famille et e'crivait a ses filles de ne pas etre de belles dames, de lire, non des romans, mais 1'histoire des voyages, des 20 essais et Shakspeare tant qu'il leur plairait (as often as they please} ; il e'crivait : " Nous avons combattu le jour de la naissance de ma petite Sarah," apres la bataille de Trafalgar, que j'eus la douleur de lui voir gagner, et dont il avait trace le plan avec son ami Nelson a qui il succeda. 25 Quelquefois il sentait sa sante s'affaiblir, il demandait grace & 1'Angleterre ; mais 1'inexorable lui rdpondait : Restez en mer, et lui envoyait une dignite ou une medaille d'or par chaque belle action ; sa poitrine en e"tait surcharged. II e'crivait encore : " Depuis que j'ai quitte' mon pays, je n'ai 30 pas passe dix jours dans un port, mes yeux s'affaiblissent ; quand je pourrai voir mes enfants, la mer m'aura rendu aveugle. Je gemis de ce que sur tant d'officiers il est si difficile de me trouver un remplagant supe'rieur en habilete'." L'Angleterre repondait : Vous restcrez en mer, toujours en 35 mer. Et il resta jusqu'a sa mort Cette vie romaine et imposante m'ecrasait par son Elevation et me touchait par sa simplicite, lorsque je 1'avais contemplee un jour seulement, dans sa resignation grave et rctlcchie. Je me prenais en grand me'pris, moi qui n'e'tais 40 rien comme citoyen, rien comme pere, ni comme fils, ni v.] UN HOMME DE MER. 41 comme frere, ni homme de famille, ni homme public, de me plaindre quand il ne se plaignait pas. II ne s'etait laisse deviner qu'une fois malgre lui, et moi, fourmi d'entre les fourmis que foulait aux pieds le sultan de la France, je me reprochais mon desir secret de retourner me livrer au hasard 5 de ses caprices et de redevenir un des grains de cette poussiere qu'il pe"trissait dans le sang. La vue de ce vrai citoyen devoue, non comme je 1'avais ete, a un homme, mais a la Patrie et au Devoir, me fut une heureuse rencontre, car j'appris, a cette ecole severe, quelle est la ve'ritable Grandeur 10 que nous devons de'sormais chercher dans les armes, et combien, lorsqu'elle est ainsi comprise, elle eleve notre profession au-dessus de toutes les autres, et peut laisser digne d'admiration la me'moire de quelques-uns de nous, quel que soit 1'avenir de la guerre et des armees. Jamais 15 aucun homme ne possdda a un plus haut degre cette paix interieure qui nait du sentiment du Devoir sacre, et la modeste insouciance d'un soldat a qui il importe peu que son nom soit celebre, pourvu que la chose publique prospere. Je lui vis ecrire un jour : "Maintenir 1'indepen- 20 dance de mon pays est la premiere volonte de ma vie, et j'aime mieux que mon corps soit ajoute au rempart de la Patrie que traine dans une pompe inutile, a travers une foule oisive. Ma vie et mes forces sont dues a 1'Angle- terre. Ne parlez pas de ma blessure derniere, on croirait 25 que je me glorifie de mes dangers." Sa tristesse etait profonde, mais pleine de Grandeur; elle n'empechait pas son activite perpe'tuelle, et il me donna la mesure de ce que doit etre 1'homme de guerre intelligent, exergant, non en ambitieux, mais en artiste, Fart de la guerre, tout en le 30 jugeant de haut et en le meprisant maintes fois, comme ce Montecuculli qui, Turenne etant tue, se retira, ne daignant plus engager la partie centre un joueur ordinaire. Mais j'etais trop jeune encore pour comprendre tous les merites de ce caractere, et ce qui me saisit le plus fut 1'ambition de 35 tenir, dans mon pays, un rang pareil au sien. Lorsque je voyais les Rois du Midi lui demander sa protection, et Napoleon meme s'emouvoir de 1'espoir que Collingwood' etait dans les mers de 1'Inde, j'en venais jusqu'a appeler de tous mes vceux Foccasion de m'e'chapper, et je poussai la 40 42 LA CANNE DE JONC. [CHAP. hate de 1'ambition que je nourrissais toujours jusqu'a etre pres de manquer a ma parole. Oui, i'en vins jpsqn<-1J>. Un jour, le vaisseau I Ocean, qui nous portait vint relacher a Gibraltar. Je descendis a terre avec 1'Amiral, et 5 en me promenant seul par la ville je rencontrai un officier du 7 e hussards qui avait e'te' fait prisonnier dans la campagne d'Espagne, et conduit a Gibraltar avec quatre de ses camarades. Us avaient la ville pour prison, mais ils y e"taient surveille's de pres. J'avais connu cet officier en 10 France. Nous nous retrouvames avec plaisir, dans une situation a peu pres semblable. II y avait si longtemps qu'un Francois ne m'avait parle fran^ais, que je le trouvai eloquent, quoiqu'il fut parfaitement sot, et, au bout d'un quart d'heure, nous nous ouvrimes 1'un a 1'autre sur notre 15 position. II me dit tout de suite franchement qu'il allait se sauver avec ses camarades; qu'ils avaient trouve' une occasion excellente, et qu'il ne se le ferait pas dire deux fois pour les suivre. II m'engagea fort jt_en faire au'tant. Je lui repondis qu'il e'tait bien heureux d'etre garde" ; mais que moi, 20 qui ne 1'etais pas, je ne pouvais pas me sauver sans deshon- neur, et que lui, ses compagnons et moi n'e'tions point dans le meme cas. Cela lui parut trop subtil. Ma foi, je ne suis pas casuiste, me dit-il, et si tu veux je t'enverrai a un eveque qui t'en dira son opinion. Mais a 25 ta place je partirais. _ Je ne vois que deux choses, etre libre ou ne pas 1'etre. Sais-tu bien que ton avancement est perdu, depuis _plus de cinq ans que tu traines dans ce sabot anglais ? Les lieutenants du meme temps que toi sont deja colonels. 30 La-dessus ses compagnons survinrent, et m'entrainerent dans une maison d'assez mauvaise mine, ou ils buvaient du yin de Xe'res, et la ils me citerent tant de capitaines devenus ge'ne'raux, et de sous-lieutenants vice-rois, que la tete m'en tourna, et je leur promis de me trouver, le surlendemain a 35 minuit, dans le meme lieu. Un petit canot devait nous y prendre, loue a d'honnetes contrebandiers qui nous con- duiraient a bord d'un vaisseau frangais charge de mener des blesses de notre arme'e a Toulon. L'invention me parut admirable, et mes bons compagnons m'ayant fait boire force 4ojasades pour calmer les murmures de ma conscience^ ter- v.] UN HOMME DE MER. 43 minerent leurs discours par un argument victorieux, jurant sur leur tete qu'on pourrait avoir, a la rigueur, quelques dgards pour un honnete homme qui vous avait bien traitd, mais que tout les confirmait dans la certitude qu'un Anglais n'etait pas un homme. 5 Je revins assez pensif a bord de /' Ocean, et lorsque j'eus dormi, et que je vis clair dans ma position en^nTeveillant, je n)e demandai si mes compatriotes ne s'e'taient point moques de moi. Cependant le desir de la liberte et une ambition toujours pbignante et excitee depuis mon enfance, 10 me poussaient a 1'evasion, malgre la honte que j'eprouvais de fausser mon serment. Je passai un jour entier pres de I'Amiral sans oser le regarder en face, et je m'etudiai a le trouver infe'rieur et d'intelligence e'troite. Je parlai tout haut a table, avec arrogance, de la grandeur de Napoleon ; 15 je m'exaltai, je vantai son genie universel, qui devinait les iojs en faisant les codes, et Favenir en faisant des evene- ments. J'appuyai avec insolence sur la superiorite de ce genie, comparee au mediocre talent des hommes de tactique et de manoeuvre. J'esperais etre contredit ; mais, centre 20 mon attente, je trouvai dans les ofnciers anglais plus d'admi- ration encore pour PEmpereur que je ne pouvais en montrer pour leur implacable ennemi. Lord Collingwood surtout, sortant de son silence triste et de ses me'ditations conti- nuelles, le loua dans des termes si justes, si energiques, si 25 precis, faisant considerer a la fois, a ses officiers, la grandeur des previsions de 1'Empereur, la promptitude magique de son execution, la fermete de ses ordres, la certitude de son jugement, sa penetration dans les negociations, sa justesse d'idees dans les conseils, sa grandeur dans les batailles, son 30 calme dans les dangers, sa Constance dans la preparation des entreprises, sa nerte dans 1'attitude donnee a la France, et enfin toutes les qualites qui composent le grand homme, que je me demandai ce que 1'histoire pourrait jamais ajouter a cet eloge, et je fus atterre, parce que j'avais cherche a 35 m'irritef centre I'Amiral, esperant lui entendre p^oferer des accusations injustes. J'aurais voulu, mechamment, le mettre dans son tort, et qu'un mot inconside're ou insultant de sa part servit de justification a la deloyaute que je me'ditais. Mais il semblait 40 44 LA CANNE DE JONC. [CHAP. qu'il prit a tache, au contraire, de redoubler de bontds, et son empressement faisant supposer aux autres que j'avais quelq"ue nouveau chagrin dont il tait juste de me consoler, ils furent tous pour moi plus attentifs et plus indulgents que 5 jamais. J'en j>ris de I'humeur et je quittai la table. L'Amiral me conduisit encore a Gibraltar le lendemain, pour mon malheur. Nous y.de.vions passer. huh jours. Le soir de 1'evasion arriva. Ma tete bouillonnait et je de'libe'rais toujours. Je me donnais de specieux motifs et je 10 m'dtourdissais sur leur faussetd; il se liyrait en moi un com- bat violent; mais, tandis que mon ame se tordait et se roulait sur elle-meme, mon corps, comme s'il cut e't arbhre/Y(A entre 1'ambition et 1'honneur, suivait, a lui tout seul, le ** chemin de la fuite. J'avais fait, sans m'en apercevoir moi- 15 meme, un paquet de mes hardes, et j'allais me rendre, de la maison de Gibraltar ou nous e'tions, a celle du rendez-vous, lorsque tout a coup je m'arretai, et je sentis que cela e'tait impossible. II y a dans les actions honteuses quelque chose d'empoisonne qui se fait sentir aux levres d'un homme 20 de coeur shot qu'il touche les bords du vase de perdition. II ne peut meme pas y gouter sans etre pret a en mourir. Quand je vis ce que j'allais faire et que j'allais manquer a ma parole, il me prit une telle e'pouvante que je crus que j'e'tais devenu fou. Je courus sur le rivage et m'enfuis de la 25 maison fatale comme d'un hopital de pestife'res, sans oser me retourner pour la regarder. Je me jetai a la nage et j'abordai, dans la nuit, I' Ocean, notre vaisseau, ma flottante prison. J'y montai avec emportement, me cramponnant a ses cables; et quand je fus sur le pont, je saisis le grand 30 mat, je m'y attachai avec passion, comme a un asile qui me garantissait du de'shonneur, et, au meme instant, le senti- ment de la Grandeur de mon sacrifice me dechirant le cosur, je tombai a genoux, et, appuyant mon front sur les cercles de fer du grand mat, je me mis a fondre en larmes comme 35 un enfant. Le capitaine de V Ocean, me voyant dans cet e'tat, me crut ou fit semblant de me croire malade, et me fit porter dans ma chambre. Je le suppliai a grands cris de mettre une sentinelle a ma porte pour m'empecher de sortir. On m'enferma et je respirai, delivre* enfin du supplice d'etre 40 mon propre geolier. Le lendemain, au jour, je me vis en v.] UN HOMME DE MER. 45 pleine mer, et je jouis d'un peu plus de calme en perdant de vue la terre, objet de toute tentation malheureuse dans ma situation. J'y pensais avec plus de resignation, lorsque ma petite porte s'ouvrit, et le bon Amiral entra seul. Je viens vous dire adieu, commenga-t-il d'un air moins 5 grave que de coutume ; vous partez pour la France demain matin. Oh ! mon Dieu ! Est-ce pour m'e'prouver que vous m'annoncez cela, milord ? Ce serait un jeu bien cruel, mon enfant, reprit-il ; j'ai 10 de'ja eu envers vous un assez grand tort. J'aurais du vous laisser en prison dans le Northumberland en pleine terre et vous rendre votre parole. Vous auriez pu conspirer sans remords contre vos gardiens et user d'adresse, sans scrupule, pour vous e"chapper. Vous avez souffert davantage, ayant 15 plus de liberte" ; mais, grace a Dieu! vous avez re'siste" hier a une occasion qui vous de'shonorait. C'eut ete e'chouer au port, car depuis quinze jours je ne'gociais votre e'change, que 1'amiral Rosily vient de conclure. J'ai tremble" pour vous hier, car je savais le projet de vos camarades. Je les 20 ai laisses s'echapper a cause de vous, dans la crainte qu'en les arretant on ne vous arretat. Et comment aurions-nous fait pour cacher cela? Vous e'tiez perdu, mon enfant, et, croyez-moi, mal rec,u des vTeux braves de Napoleon. Us ont le droit d'etre difficiles en Honneur. 25 J'e'tais si trouble que je ne savais comment le remercier; il vit mon embarras, et, se hatant de couper les mauvaises phrases par lesquelles j'essayais de balbutier que je le re- grettais : Allons, allons, me dit-il, pas de ce que nous appelons 30 French compliments : nous sommes contents 1'un de 1'autre, voilatout; et vous avez, je crois, un proverbe quidit: liny a pas de belle prison. Laissez-moi mourir dans la mienne, mon ami; je m'ysuis accoutume, moi, ill'a bien fallu. Mais cela ne durera plus bien longtemps ; je sens mes jambes trembler 35 sous moi et s'amaigrir. Pour la quatrieme fois, j'ai demande le repos a lord Mulgrave, et il m'a encore refuse; il m'a ecrit qu'il ne sait comment me remplacer. Quand je serai mort, il faudra bien qu'il trouve quelqu'un cependant, et il ne ferait pas mal de prendre ses precautions. Je vais 40 46 LA CANNE DE JONC. [CHAP. rester en sentinelle dans la Mediterrane'e; mais vous, my child, ne perdez pas de temps. II y a la un sloop qui 'doit vous conduire. Je n'ai qu'une chose a vous recommander, c'est de vous devouer a un Principe plutot qu'a un Homme. 5 L amour de votre Patrie en est un assez grand pour remplir tout un cocur et occuper Foute une intelligence. - Helas ! dis-je, milord, il y a des temps ob 1'on ne peut pas aisement savoir ce que veut la Patrie. Je vais le demander a la mienne. 10 Nous nous dimes encore une fois adieu, et, le coeur serre', je quittai ce digne homme, dont j'appris la mort peu de temps apres. II mourut en pleine mer, comme il avait vecu durant quarante-neuf ans, sans se plaindre, ni se glori- fier, et sans avoir revu ses deux filles. Seul et sombre 15 comme un de ces vieux dogues d'Ossian qui gardent e'ter- nellement les cotes d'Angleterre dans les' flots et les brouil- lards. J'avais appris, a son ecole, tout ce que les exils de la guerre peuvent faire souffrir et tout ce que le sentiment du 20 Devoir peut dompter dans une grande ame ; bien penetm de cet exemple et devenu plus grave par mes souffrances et le spectacle des siennes, je vins a Paris me presenter, avec 1 experience de ma prison, au maitre tout-puissant que i'avais nmtfp. -i J quitte. CHAPITRE VI. RECEPTION. Ici le capitaine Renaud s'etant interrompu, je re^ardai I heure a ma montre. II dtait deux heures apres minuit. II se leva et nous marchames au milieu des grenadiers Un 30 silence profond re'gnait partout. ^eaucoup s'etaient assis sur leurs sacs et s'y etaient endormis. Nous nous placames a quelques pas de la, sur le parapet, et il continua son recit apr^s avoir rallume' son cigare a la pipe d'un soldat. II n'y avait pas une maison qui donnat signe de vie. 35 Des que je fus arrive a Paris, je voulus voir 1'Empereur. vi.] RECEPTION. 47 J'en eus occasion au spectacle de la cour, oh me conduisit un de mes anciens camarades, devenu colonel. C'etait la- bas, aux Tuileries. Nous nous plagames dans une petite loge, en face de la loge imperiale, et nous attendimes. II n'y avait encore dans la salle que les Rois. Chacun d'eux, 5 assis dans une loge, aux premieres, avait autour de lui sa cour, et devant lui, aux galeries, ses aides de camp et ses ge'neraux familiers. Les Rois de Westphalia,. de Saxe et de Wurtemberg, tons les princes de la confe'deration du Rhin, e'taient places au meme rang. Pres d'eux, debout, parlant 10 haut et vite, Murat, Roi de Naples, secouant ses cheveux noirs, boucle's comme une criniere, et jetant des regards de lion. Plus haut, le Roi d'Espagne, et seul, a 1'e'cart, 1'am- bassadeur de Russie, le prince Kourakim, charge d epau- lettes de diamants. Au parterre, la foule des gene'raux, des 15 dues, des princes, des colonels et des se'nateurs. Partout en haut, les bras nus et les e'paules decouvertes des femmes de la cour. La loge que surmontait 1'aigle etait vide encore; nous la regardions sans cesse. Apres peu de temps, les Rois se 20 leverent et se tinrent debout. L'Empereur entra seul dans sa loge, marchant vite; se jeta vite sur son fauteuil et lorgna en face de lui, puis se souvint que la salle entiere etait debout et attendait un regard, secoua la tete deux fois, brus- quement et de mauvaise grace, se retourna vite, et laissa les 25 Reines et les Rois s'asseoir. Ses Chambellans, habille's de rouge, etaient debout, derriere lui. II leur parlait sans les regarder, et, de temps a autre, etendant la main pour recevoir une boite d'or que 1'un d'eux lui donnait et reprenait. Cres- centini chantait les Horaces, avec une voix de seraphin qui 30 sortait d'un visage e'tique et ride. L'orchestre etait doux et faible, par ordre de 1'Empereur ; voulant peut-etre, comme les Lacedemoniens, etre apaise plutot qu'excite par la musique. II lorgna devant lui, et tres-souvent de mon cote'. Je reconnus ses grands yeux d'un gris vert, mais je n'aimai 35 pas la graisse jaune qui avait englouti ses traits severes. II posa sa main gauche sur son ceil gauche, pour mieux voir, selon sa coutume; je sends qu'il m'avait reconnu. II se retourna brusquernent, ne regarda que la scene, et sortit bientot. J'etais deja sur son passage. II marchait vite 40 48 LA CANNE DE JONC. [CHAP. dans le corridor, et ses jambes grasses, serre'es dans des bas de sole blancs, sa taille gonfle'e sous son habit vert, me le rendaient presque me'connaissable. II s'arreta court devant moi, et, parlant au colonel qui me pre"sentait, au lieu de 5 m'adresser directement la parole : - Pourquoi ne l'ai-je vu nylle part ? encore lieutenant? II e"tait prisonnier depuis 1804. Pourquoi ne s'est-il pas e'chappe? J'dtais sur parole, dis-je a demi-voix. 10 - Je n'aime pas les prisonniers, dit-il ; on se fait tuer. II me tourna le dos. Nous restames immobiles en haiej et, quand toute sa suite cut defile : Mon cher, me dit le colonel, tu vois bien que tu es un imbecile, tu as perdu ton avancement, et on ne t'en sait 15 pas plus de gre". CHAPITRE VII. LE CORPS DE GARDE RUSSE. Est-il possible? dis-je en frappant du pied. Quand j'entends de pareils recits, je m'applaudis de ce que 1'officier 20 est mort en moi depuis plusieurs anndes. II n'y reste plus que 1'ecrivain solitaire et independant qui regarde ce que va devenir sa liberte et ne veut pas la defendre centre ses anciens amis. Et je eras trouver dans le capitaine Renaud des traces 25 d'indignation, au souvenir de ce qu'il me racontait; mais il souriait avec douceur et d'un air content. C'e'tait tout simple, reprit-il. Ce colonel e"tait le plus brave homme du monde; mais il y a des gens qui sont, com- me dit le mot celebre, des fanfarons de crimes et de durete. 30 II voulait me maltraiter parce que 1'Empereur en avait don- ne 1'exemple. Grosse flatterie de corps de garde. Mais quel bonheur ce fut pour moi ! Des ce jour, je commensal a m'estimer interieurement, a avoir confiance en moi, a sentir mon caractere s'e"purer, se former, se comple'- 35 ter, s'affermir. Des ce jour, je vis clairement que les e"vene- ments ne sont rien, que 1'nomme inte'rieur est tout, je me VIL] LE CORPS DE GARDE RUSSE. 49 plagai bien au-dessus de mes juges. Enfin je sentis ma con- science, je resolus de m'appuyer uniquement sur elle, de considerer les jugements publics, les recompenses eclatantes, les fortunes rapides, les reputations de bulletin, comme de ridicules forfanteries et un jeu de hasard qui ne valait pas la 5 peine qu'on s'en occupat. J'allai vite a la guerre me plonger dans les rangs incon- nus, 1'infanterie de ligne, 1'infanterie de bataille, ou les pay- sans de 1'arme'e se faisaient faucher par mille a la fois, aussi pareils, aussi egaux que les bles d'une grasse prairie de la 10 Beauce. Je me cachai la comme un chartreux dans son cloi- tre ; et du fond de cette foule arme'e, marchant a pied com- me les soldats, portant un sac et mangeant leur pain, je fis les grandes guerres de 1'Empire tant que 1'Empire fut djj,- bout. Ah ! si vous saviez comme je me sentis a 1'aise dans 15 cesTatigues inoui'es ! Comme j'aimais cette obscurite" et quelles joies sauvages me donnerent les grandes batailles ! La beaute de la guerre est au milieu des soldats, dans la vie du camp, dans la boue des marches et du bivouac. Je me vengeais de Bonaparte en servant la Patrie, sans rien tenir 20 de Napoleon ; et quand il passait devant mon re'giment je me cachais de crainte d'une faveur. L'experience m'avait fait mesurer les dignites et le Pouvoir a leur juste valeur; je n'aspirais plus a rien qu'a prendre de chaque conquete de nos armes la part d'orgueil qui devait me revenir v selon mon 25 propre sentiment; je voulais etre citoyen, oil il etait encore permis de 1'etre, et a ma maniere. Tantot mes services etaient inaperc,us, tantot eleves au-dessus de le.ur merite, et moi |e ne cessais de les tenir dans 1'ombre, de tout mon pouvoir, redoutant surtout que mon nom fat trop prononce. 30 La foule etait si grande de ceux qui suivaient une marche contraire, que 1'obscurite me fut aisee, et je n'etais encore que lieutenant de la Garde Imperiale en 1814, quand je regus au front cette blessure que vous voyez, et qui, ce soir, me fait souffrir plus qu'a 1'ordinaire. 35 Ici le capitaine Renaud passa plusieurs fois la main sur son front, et, comme il semblait vouloir se taire, je le pressai de poursuivre, avec assez d'instance pour qu'il ce'dat. II appuya sa tete sur la pomme de sa canne de jonc. 40 REN. 4 5 o LA CANNE DE JONC. [CHAP. Voila qui est singulier, dit-il, je n'ai jamais racontd tout cela, et ce soir j'en ai envie. Bah ! n'importe 1 j'aime a m'y laisser aller avec un ancien camarade. Ce sera pour vous un objet de reflexions serieuses quand vous n'aurez 5 rien de mieux a faire. II me semble que cela n'en est pas indigne. Vous me croirez bien faible ou bien fou ; mais c'est egal. Jusqu'a 1'dvenement, assez ordinaire pour d'au- tres, que je vais vous dire et dont je recule le recit malgre" moi parce qu'il me fait mal, mon amour de la gloire des 10 armes etait devenu sage, grave, de'voue' et parfaitement pur, comme est le sentiment simple et unique du devoir ; mais, a dater de ce jour-la, d'autres idees vinrent assombrir encore ma vie. C' etait en 1814; c'e'tait le commencement de 1'annde et 15 la fin de cette sombre guerre ou notre pauvre armee defen- dait PEmpire et 1'Empereur, et ou la France regardait le combat avec de'couragement. Soissons venait de se rendre au Prussien Bulow. Les amides de Sile'sie et du Nord y avaient fait leur jonction. Macdonald avait quitte Troyes 20 et abandonne le bassin de 1'Yonne pour etablir sa ligne de defense de Nogent a Montereau, avec trente mille hommes. Nous devions attaquer Reims que 1'Empereur voulait reprendre. Le temps etait sombre et la pluie continuelle. 25 Nous avions perdu la veille un officier superieur qui condui- sait des prisonniers. Les Russes 1'avaient surpris et tue dans la nuit pre'cedente, et ils avaient delivre leurs camarades. Notre colonel, qui dtait ce qu'on nomme un dur d cuire, voulut reprendre sa revanche. Nous dtions priEs d'pernay 30 et nous tournions les hauteurs qui 1'environnent. Le soir venait, et, apres avoir occupe le jour entier a nous refaire, nous passions pres d'un joli chateau blanc a tourelles, nom- me Boursault, lorsque le colonel m'appela. II m'emmena a part, pendant qu'on formait les faisceaux, et me dit de sa 35 vieille voix enrouee : Vous voyez bien la-haut une grange, sur cette col- line coupee a pic; la ou se promene ce grand nigaud de fac- tionnaire russe avec son bonnet d'eveque? Oui, oui, dis-je, je vois parfaitement le grenadier et la 40 grange. vii.] LE CORPS DE GARDE RUSSE. 51 - Eh bien, vous qui etes un ancien, il faut que vous sachiez que c'est la le point que les Russes ont pris avant- hier et qui Qupe le plus I'Empereur, pour le quart d'heure., II me dit que c'est la clef de Reims, et c,a pourrait bien etre. En tout cas, nous aliens jouer un tour Ji Woronzoff. A 5 onze heures du soir, vous prendrez deux cents de vos lapins, vous surprendrez le corps de garde qu'ils ont e"tablf dans cette grange. Mais, de peur de donner 1'alarme, vous enle- verez ca a la bai'onnette. II prit et m'offrit une prise de tabac, et, jetant le reste 10 peu a peu, comme je fais la, il me dit, en pronongant un mot a chaque grain seme au vent : - Vous sentez bien que je serai par la, derriere vous, avec ma colonne. Vous n'aurez guere perdu que soixante hommes, vous aurez les six pieces qu'ils ont placees la... 15 Vous les tournerez du cote de Reims... A onze heures... onze heures et demie, la position sera a nous. Et nous dormi- rons jusqu'a trois heures pour nous reposer un peu...de la petite affaire de Craonne, qui n'e'tait pas, comme on dit, piquee des vers. 20 Ca suffit, lui dis-je; et je m'en allai, avec mon lieutenant en second, pre'parer un peu notre soiree. L'essentiel, comme vous voyez, etait de ne pas faire de bruit. Je passai 1'inspec- tion des armes et je fis enlever, avec le tire-bourre, les cartouches de toutes celles qui etaient charge'es. Ensuite, 25 je me promenai quelque temps avec mes sergents, en atten- dant 1'heure. A dix heures et demie, je leur fis mettre leur capote sur 1'habit et le fusil cache' sous la capote ; car, quel- que chose qu'on fasse, comme vous voyez ce soir, la ba'ion- nette se yoit toujours, et quoiqu'il fit autrement sombre qu'a 30 pre'sent, je ne m'y fiais pas. J'avais observe les petits sentiers borde's de haies qui conduisaient au corps de garde russe, et j'y fis monter les plus de'termines gaillards que j'aie jamais commandes. II y en a encore la, dans les rangs, deux qui y dtaient et s'en souviennent bien. Us avaient 1'habitude 35 des Russes, et savaient comment les prendre. Les faction- naires que nous rencontrames en montant disparurent sans bruit, comme des roseaux que Ton couche par terre avec la main. Celui qui e'tait devant les armes demandait plus de [1 e"tait immobile, 1'arme au pied et le menton sur 40 42 5 2 LA CANNE DE JONC. [CHAP. son fusil ; le pauvre diable se balangait comme un homme qui s'endort de fatigue et va tomber. Un de mes grenadiers le prit dans ses bras en le serrant a 1'e'touffer, et deux autres, 1'ayant baillonne', le jeterent dans les broussailles. J'arrivai 5 lentemenFel je ne pus me de'fendre, je 1'avoue, d'une certaine Emotion que je n'avais jamais e'prouve'e au moment des autres combats. C'etait la honte d'attaquer des gens couche's. Je les voyais, roules dans leurs manteaux, e'claire's par une lan- terne sourde, et le coeur me battit violemment. Mais tout 10 a coup, au moment d'agir, je craignis que ce ne fut une faiblesse qui ressemblat a celle des laches, j'eus peur d'avoir senti la peur une fois, et, prenant mon sabre cache' sous mon bras, j'entrai le premier, brusquement, donnant 1'exemple h, mes grenadiers. Je leur fis un geste qu'ils comprirent, ils se 15 jeterent d'abord sur les armes, puis sur les hommes, comme des loups sur un troupeau. Oh! ce fut une boucherie sourde et horrible ! la baionnette pergait, la crosse assommait, le genou e'touffait, la main e"tranglait. Tous les cris a peine pousses etaient e'teints sous les pieds de nos soldats, et nulle 20 tete ne se soulevait sans recevoir le coup mortel. En entrant, j'avais frapp^ au hasard un coup terrible, devant moi, sur quelque chose de noir que j'avais travers^ d'outre en outre: un vieux officier, homme grand et fort, la tete charged de cheveux blancs, se leva comme un fantome, jeta un cri affreux 25 envoyant ce que j'avais fait, me frappa a la figure d'un coup d'e'pee violent, et tomba mort a 1'instant sous les baionnettes.^ Moi, je tombai assis a cotd de lui, e"tourdi du coup porte' entre les yeux, et j'entendis sous moi la voix mourante et tendre d'un enfant qui disait : Papa... 30 Je compris alors mon ceuvre, et j'y regardai avec un empressement frenetique. Je vis un de ces omciers de quatorze ans, si nombreux dans les arme'es russes qui nous envahirent a cette dpoque, et que Ton trainait k cette ter- rible e'cole. Ses longs cheveux bouclds tombaient sur sa 35 poitrine, aussi blonds, aussi soyeux que ceux d'une femme, etsa tete s'e'tait penche'e comme s'il n'eut fait que s'endormir une seconde fois. Ses levres roses, e'panouies comme celles d'un nouveau-ne', semblaient encore engraisse'es par le lait de la nourrice, et ses grands yeux bleus entr'ouverts avaient 40 une beaute de forme candide, feminine et caressante. Je le VIL] LE CORPS DE GARDE RUSSE. 53 soulevai sur un bras, et sa joue tomba sur ma joue ensanglan- tee, comme s'il allait cacher sa tete entre le menton et I'e'paule de sa mere pour se rexhauffer. II semblait se blpttir. sous ma poitrine pour fuir ses meurtriers. La tendresse filiale, la confiance et le repos d'un sommeil delicieux reposaient sur 5 sa figure morte, et il paraissait me dire : Dormons en paix. Etait-ce la un ennemi ? m'ecriai-je. Et ce que Dieu a mis de paternel dans les entrailles de tout homme s'emut et tressaillit en moi; je le serrais centre ma poitrine, lorsque je sentis que j'appuyais sur moi la garde de mon sabre qui 10 traversait son coeur et qui avait tue cet ange endormi. Je voulus pencher ma tete sur sa tete, rnais mon sang le couvrit de larges taches; je sentis la blessure de mon front, et je me souvins qu'elle m'avait dte faite par son pere. Je regardai honteusement de cote, et je ne vis qu'un amas de corps que 15 mes grenadiers tiraient par les pieds et jetaient dehors, ne leur prenant que des cartouches. En ce moment, le Colonel entra suivi de la colonne, dont j'entendis le pas et les armes. Bravo ! mon cher, me dit-il, vous avez enleve ga leste- 20 ment. Mais vous etes blesse ? Regardez cela, dis-je ; quelle difference y a-t-il entre moi et un assassin ? Eh Fsacrediej mon cher, que voulez-vous? c'est le metier. 25 C'est juste, repondis-je, et je me levai pour aller repren- dre mon commandement. L'enfant retomba dans les plis de son manteau dont je Fenveloppai, et sa petite main ornee de grosses bagues laissa echapper une canne de jonc, qui tomba sur ma main comme s'il me 1'eut donnee. Je lapris ; 30 je resolus, quels que fussent mes perils a venir, de n'avoir plus d'autre arme, et je n'eus pas 1'audace de retirer de sa poitrine mon sabre d'egorgeur. Je sortis a la hate de cet antre qui puait le sang, et quand je me trouvai au grand air, j'eus la force d'essuyer mon front 35 rouge et mouille. Mes grenadiers etaient a leurs rangs ; chacun essuyait froidement sa bai'onnette dans le gazon et raffermissait sa pierre a feu dans la batterie. Mon sergent- major, suivi du fourrier, marchait devant les rangs, tenant sa liste a la main, et lisant a la lueur d'un bout de chandelle 40 54 LA CANNE DE JONC. [CHAP. plante dans le canon de son fusil comme dans un flambeau, il faisait paisiblement 1'appel. Je m'appuyai centre un arbre, et le chirurgien-major vint me bander le front. Une huge pluie de mars tombait sur ma tete et me faisait quelque Bien. 5 Je ne pus m'empecher de pousser un profond soupir : Je suis las de la guerre, dis-je au chirurgien. Et moi aussi, dit une voix grave que je connaissais. Je soulevai le bandage de mes sourcils, et je vis, non pas Napoldon empereur, mais Bonaparte soldat. II e'tait seul, 10 triste, a pied, debout devant moi, ses bottes enfonce'es dans la boue, son habit de'chire', son chapeau ruisselant la pluie par les bords ; il sentait ses derniers jours venus, et regardait autour de lui ses derniers soldats. II me considerait attentivement. 15 Je t'ai vu quelque j>art t dit-il, grognard ? A ce dernier mot, je sentis qu'il ne me disait la qu'une phrase banale, je savais que j'avais vieilli de visage plus que d'anne'es, et que fatigues, moustaches et blessures me de'gui- saient assez. 20 Je vous ai vu partout, sans etre vu, repondis-je. Veux-tu de 1'avancement ? Je dis : II est bien tard. II croisa les bras un moment sans re'pondre, puis : Tu as raison, va, dans trois jours, toi et moi nous 25 quitterons le service. II me tourna le dos et remonta sur son cheval, tenu a quelques pas. En ce moment, notre tete de colonne avait attaque et Ton nous Ian gait des obus. II en tomba un devant le front de ma compagnie, et quelques hommes se 30 jeterent en arriere, parun premier mouvement dont ils eurent honte. Bonaparte s'avanc,a seul sur 1'obus qui brulait et fumait devant son cheval, et lui fit flairer cette fume'e. Tout se tut et resta sans mouvement ; 1'obus e'clata et n'atteignit personne. Les grenadiers sentirent la lec.on terrible qu'il 35 leur donnait ; moi j'y sentis de plus quelque chose qui tenait du desespoir. La France lui manquait, et il avait doute un instant de ses vieux braves. Je me trouvai trop venge et lui trop puni de ses fautes par un si grand abandon. Je me levai avec effort, et, m'approchant de lui, je pris et serrai 40 la main qu'il tendait a plusieurs d'entre nous. II ne me vii.] LE CORPS DE GARDE RUSSE. 55 reconnut point, mais ce fut pour moi une reconciliation tacite entre le plus obscur et le plus illustre des hommes de notre .giecle. On battit la charge, et, le lendemain au jour, Reims fut repris par nous. Mais, quelques jours apres, Paris 1'etait par d'autres. 5 Le capitaine Renaud se tut longtemps apres ce recit, et demeura la tete baissee sans que je voulusse interrompre sa reverie. Je considerais ce brave homme avec veneration, et j'avais suivi attentivement, tandis qu'il avait parle, les transfor- mations lentes de cette atffe bonne et simple, toujours re- 10 poussee dans ses donations expansives d'elle-meme, toujours ecrase'e par un ascendant invincible, mais pjirvenue a trouver le repos dans le plus humble et le plus austere Devoir. Sa vie inconnue me paraissait un spectacle interieur aussi beau que la vie eclatante de quelque homme d'action que 15 ce fut. Chaque vague de la mer ajoute un voile blanchatre aux beautes d'une perle, chaque flot travaille lentement a la rendre plus parfaite, chaque flocon d'e'cume qui se balance sur elle lui laisse une teinte mysterieuse k demi doree, a demi transparente, ou Ton peut seulement deviner un rayon 20 interieur qui part de son cceur ; c'e'tait tout a fait ainsi que s'etait forme ce caractere dans de vastes bouleversements et au fond des plus sombres et perpe'tuelles e'preuves. Je savais que jusqu'a la mort de 1'Empereur il avait regarde comme un devoir de ne point servir, respectant, malgre 25 toutes les instances de ses amis, ce qu'il nommait les con- venances ; et, depuis, affranchi du lien de son ancienne promesse a un maitre qui ne le connaissait plus, il e'tait revenu commander, dans la Garde Royale, les restes de sa vieille Garde; et comme ilne parlait jamais de lui-meme, on n'avait 30 point pense a lui et il n'avait point eu d'avancement. II s'en souciait peu, et il avait coutume de dire qu'a moins d'etre ge'neral a vingt-cinq ans, age oil Ton peut mettre en ceuvre son imagination, il valait mieux demeurer simple capitaine, pour vivre avec les soldats en pere de famille, en prieur du 35 couvent. Tenez, me dit-il apres ce moment de repos, regardez notre vieux grenadier Poirier, avec ses yeux sombres et 56 LA CANNE DE JONC. [CHAP. louches, sa tete chauve et ses coups de sabre sur la joue, lui que les marcchaux de France s'arretent a admirer quand il leur presente les armes a la porte du roi ; voyez Beccaria avec son profil de veteran remain, Fre'chou, avec sa 5 moustache blanche ; voyez tout ce premier rang de'core', dont les bras portent trois chevrons ! qu'auraient-ils dit, ces vieux moines de la vieille amide qui ne voulurent jamais etre autre chose que grenadiers, si je leur avais manque ce matin, moi qui les commandais encore il y a 10 quinze jours? Si j'avais pris depuis plusieurs anne'es des habitudes de foyer et de repos, ou un autre e'tat, c'eut e'td different ; mais ici, je n'ai en verit que le me"rite qu'ils ont. D'ailleurs, voyez comme tout est calme ce soir a Paris, calme comme Fair, ajouta-t-il en se levant 15 ainsi que moi. Voici le jour qui va venir; on ne recom- mencera pas, sans doute, a casser les lanternes, et demain nous rentrerons au quartier. Moi, dans quelques jours, je serai probablement retird dans un petit coin de terre que j'ai quelque part en France, ou il y a une petite 20 tourelle, dans laquelle j'acheverai d'e'tudier Polybg, Turenne, Folard et Vauban, pour m'amuser. Presque tous mes camarades ont e'te' tue's a la Grande-Arme"e, ou sont morts depuis ; il y a longtemps que je ne cause plus avec personne, et vous savez par quel chemin je suis arrive a hai'r la guerre, 25 tout en la faisant avec e'nergie. La-dessus il me secoua vivement la main et me quitta en me demandant encore le hausse-col qui lui manquait, si le mien n'e'tait pas rouille et si je le trouvais chez moi. Puis il me rappela et me dit : 30 Tenez, comme il n'est pas entierement impossible que Ton fasse encore feu sur nous de quelque fenetre, gardez-moi, je vous prie, ce portefeuille plein de vieilles lettres, qui m'interessent, moi seul, et que vous bruleriez si nous ne nous retrouvions plus. 35 II nous est venu plusieurs de nos anciens camarades, et nous les avons pries de se retirer chez eux. Nous ne faisons point la guerre civile, nous. Nous sommes calmes comme des pompiers dont le devoir est d'eteindre 1'incendie. On s'expliquera ensuite, cela ne nous regarcle pas. 40 Et it me quitta en souriant. vin.] UNE BILLE. 57 CHAPITRE VIII. UNE BILLE. Quinze jours apres cette conversation que la revolution meme ne m'avait point fait oublier, je reflechissais seul a I'he'roisme modeste et au desinte'ressement, si rares tous 5 les deux! Je tachais d'oublier le sang pur qui venait de couler, et je relisais dans 1'histoire d'Amerique comment, en 1783, 1'Armee anglo-ame'ricaine toute victorieuse, ayant pose les armes et delivre la Patrie, fut prete a se revolter centre le congres qui, trop pauvre pour lui payer _sa solde, 10 s'appretait a la licencier; Washington, generalissime et vainqueur, n'avait qu'un mot a dire ou un signe de tete a faire pour etre Dictateur; il fit ce que lui seul avait le pouvoir d'accomplir: il licencia 1'arme'e et donna sa de- mission. J'avais pose le livre et je comparais cette 15 grandeur sereine a nos ambitions inquietes. J'etais triste et me rappelais toutes les ames guerrieres_ et pures, sans faux e'clat, sans charlatanisme, qui n'ont aime le Pouvoir et le commandement que pour le bien public, 1'ont garde sans orgueil, et_n>nt su ni le tourner centre la Patrie, ni 20 le convertir en or; je songeais a tous les hommes qui ont fait la guerre avec 1'intelligence de ce qu'elle vaut, je pensais au bon Collingwood, si re'signe, et enfin a 1'obscur capitaine Renaud, lorsque je vis entrer un homme de haute taille, vetu d'une longue capote bleue en assez mauvais 25 e'tat. A ses moustaches blanches, aux cicatrices de son visage cuivre', je reconnus un des grenadiers de sa compa- gnie; je lui demandai s'il etait vivant encore, et^'emotion de ce brave homme me fit voir qu'il e'tait arrive' malheur. 58 LA CANNE DE JONC. [CHAP. II s'assit, s'essuya le front, et quand il se fut remis, apres quelques soins et un peu de temps, il me dit ce qui lui etait arrive*. Pendant les deux jours du 28 et du 29 juillet, le capi- 5 taine Renaud n'avait fait autre chose que marcher en colonne, le long des rues, a la tete de ses grenadiers ; il se plac^ait devant la premiere section de sa colonne, et allait paisiblement ati milieu d'une grele de pierres et de coups de fusil _qui partaient des cafe's, des balcons et des fenetres. 10 Quand il s'arretait, c'etait pour faire serrer les rangs ouverts par ceux qui tombaient, et pour regarder si ses guides de gauche se tenaient a leurs distances et a leurs chefs de file. II n'avait pas tire" son e'pe"e et marchait la canne a la main. Les ordres lui etaient d'abord parvenus exacte- 15 ment; mais, soit que les aides de camp fussent tues en route, soit que 1'etat-major ne les cut pas envoyeX il fut laisse", dans la nuit du 28 au 29, sur la place de la Bastille, sans autre instruction que de se retirer sur Saint-Cloud en de'truisant les barricades sur son chemin. Ce qu'il fit 20 sans tirer un coup de fusil. Arrive au pont dllgna, il s'arreta pour faire Pappel de sa compagnie. II lui manquait moins de monde qu'a toutes celles de la Garde qui avaient ete detach ees, et ses hommes etaient aussi moins fatigues. II avait eu 1'art de les faire reposer a propos et a 1'ombre, 25 dans ces brulantes journeys, et de leur trouver, dans les casernes abandonnees, la nourriture que refusaient les maisons ennemies; la contenance de sa colonne e"tait telle, qu'il avait trouve" deserte chaque barricade et n'avait eu que la peine de la faire demolir. 30 II etait done debout, a la tete du pont d'lena, couvert de poussiere, et secouant ses pieds; il regardait, vers la barriere, si rien ne genait la sortie de son detachement, et de'signait des e'claireurs pour envoyer en avant. II n'y avait personne dans le Champ-de-Mars, que deux magons 35 qui paraissaient dormir, couch e's sur le ventre, et un petit garc,on d'environ quatorze ans, qui marchait pieds nus et iouait des castagnettes avec deux morceaux de faience, casse'e. II les raclait de temps en temps sur le parapet du pont, et vint ainsi, en jouant, jusques a la borne ou se 40 tenait Renaud. Le capitaine montrait en ce moment les viii.] UNE BILLE. 59 hauteurs de Passy avec sa canne. L'enfant s'approcha de lui, le regardant avec de grands yeux e"tonnes, et tirant de sa veste un pistolet d'arc,on, il le prit des deux mains et le dirigea vers la poitrine du capitaine. Celui-ci detourna le coup avec sa canne, et 1'enfant ayant fait feu, la balle 5 porta dans le haut de la cuisse. Le capitaine tomba assis, sans dire mot, et regarda avec pitie ce singulier ennemi. II vit ce jeune garden qui tenait toujours son arme des deux mains, et demeurait tout effraye de ce qu'il avait fait. Les grenadiers etaient en ce moment appuyes tristement 10 sur leurs fusils ; ils ne daignerent pas faire un geste contre ce petit drole. Les uns souleverent leur capitaine, les autres se contenterent de tenir cet enfant par le bras et de 1'amener h celui qu'il avait blesse. II se mit a fondre en larmes ; et quand il vit le sang couler h flots de la blessure 15 de I'officier sur son pantalon blanc, effraye de cette bou- cherie, il s'evanouit. On emporta en meme temps 1'homme et 1'enfant dans une petite maison proche de Passy, oil tous deux dtaient encore. La colonne, conduite par le lieutenant, avait poursuivi sa route pour Saint-Cloud, et 20 quatre grenadiers, apres avoir quitte leurs uniformes, etaient restes dans cette maison hospitaliere a soigner leur vieux commandant. L'un (celui qui me parlait) avait pris de 1'ouvrage comme ouvrier armurier a Paris, d'autres comme maitres d'armes, et, apportant leur journee au capitaine, 25 ils 1'avaient empeche de manquer de soins jusqu'k ce jour. On 1'avait ampute ; mais la fievre etait ardente et mauvaise; et comme il craimait un redoublement dana;ereux, il m'en- O O * voyait chercher. II n'y avait pas de temps a perdre. Je partis sur-le-champ avec le digne soldat qui m'avait raconte 30 ces details les yeux humides et la voix tremblante, mais sans murmure, sans injure, sans accusation, repetant seule- ment : C'est un grand malheur pour nous. Le blesse avait ete porte chez une petite marchande qui etait veuve et qui vivait seule dans une petite boutique 35 et dans une rue ecartee du village, avec des enfants en bas-age. Elle n'avait pas eu la crainte, un seul moment, de se compromettre, et personne n'avait eu 1'idee de 1'inquieter a ce sujet. Les voisins, au contraire, s'etaient empresses de 1'aider dans les soins qu'elle prenait du 40 60 LA CANNE DE JONC. [CHAP. malade. Les officiers de santd qu'on avait appelds ne 1'ayant pas juge" transportable, apres 1'operation, elle 1'avait garde", et souvent elle avait passe la nuit pres de son lit. Lorsque j'entrai, elle vint au-devant de moi avec un air 5 de reconnaissance et de timidite" qui me firent peine. Je sentis combien d'embarras a la fois elle avait cache's par bontd naturelle et par bienfaisance. Elle 6ta.it fort pale, et ses yeux e'taient rougis et fatigues. Elle allait et venait vers une arriere-boutique tres-e"troite que j'apercevais de 10 la porte, et je vis, a sa pre'cipitation, qu'elle arrangeait la petite chambre du blesse et mettait une sorte de coquet- terie a ce qu'un etranger la trouvat convenable. Aussi j'eus soin de ne pas marcher vite, et je lui donnai tout le temps dont elle cut besoin. 15 Voyez monsieur, il a bien souffert, allez ! me dit-elle en ouvrant la porte. Le capitaine Renaud e'tait assis sur un petit lit a rideaux de serge, place dans un coin de la chambre, et plusieurs tra- versins soutenaient son corps. II e'tait d'une maigreur de 20 squelette, et les pommettes des joues d'un rouge ardent ; la blessure de son front e'tait noire. Je vis qu'il n'irait pas loin, et son sourire me le dit aussi. II me tendit la main et me fit signe de m'asseoir. II y avait a sa droite un jeune gar- gon qui tenait un verre d'eau gommee et le remuait avec la 25 cuillere. II se leva et m'apporta sa chaise. Renaud le prit, de son lit, par le bout de 1'oreille, et me dit doucement, d'une voix affaiblie : Tenez, mon cher, je vous pre'sente mon vainqueur. Je haussai les e'paules, et le pauvre enfant baissa les 30 yeux en rougissant. Je vis une grosse larme rouler sur sa joue. Allons ! allons ! dit le capitaine en passant la main dans ses cheveux. Ce n'est pas sa faute. _ Pauvre gargon ! il avait rencontre deux hommes qui lui avaient fait boire de 35 l'eau-de-vie, 1'avaient paye', et 1'avaient envoye me tirer son coup de pistolet. II a fait cela comme il aurait jete une bille au coin de la borne. N'est-ce pas, Jean ? Et Jean se mit a trembler et prit une expression de dou- leur si dechirante qu'elle me toucha. Je le regardai de plus 40 pres : c'etait un fort bel enfant. VIIL] UNE BILLE, 61 C'e'tait bien une bille aussi, me dit la jeune marchan- de. Voyez, monsieur. Et elle me montrait une petite bille d'agate, grosse comme les plus fortes balles de plomb, et avec laquelle on avait charg le pistolet de calibre qui e'tait Ik. II n'en faut pas plus que a pour retrancher une 5 jambe d'un capitaine, me dit Renaud. Vous ne devez pas le faire parler beaucoup, me dit timidement la marchande. Renaud ne Pe'coutait pas : Oui, mon cher, il ne me reste pas assez de jambe pour 10 y faire tenir une jambe de bois. Je lui serrais la main sans re"pondre; humilie de voir que, pour tuer un homme qui avait tant vu et tant souffert, dont la poitrine e'tait bronzee par vingt campagnes et dix bles- sures, dprouvee a la glace et au feu, passee a la bai'ormelte 15 et a la lance, il n'avait fallu que le souBresaut d'une de ces grenouilles des ruisseaux de Paris qu'on nomme : Ga- mins. Renaud re"pondit a ma pensee. II pencha sa joue sur le traversin, et, me serrant la main : 20 Nous etions en guerre, me dit-il ; il n'est pas plus assassin que je ne le fus a Reims, moi. Quand j'ai tue Pen- fant russe, j'etais peut-etre aussi un assassin? Dans la grande guerre d'Espagne, les hommes qui poignardaient nos sentinelles ne se croyaient pas des assassins, et, etant en 25 guerre, ils ne 1'etaient peut-etre pas. Les catholiques et les huguenots s'assassinaient-ils ou non ? De combien d'assas- sinats se compose une grande bataille? Voila un des points ou notre raison se perd et ne sait que dire. C'est la guerre qui a tort et non pas nous. Je vous assure que ce petit bon- 30 homme est fort doux et fort gentil, il lit et e'crit deja tres- bien. C'est un enfant trouve*. II e'tait apprenti menuisier. II n'a pas quitte ma chambre depuis quinze jours, et il m'aime beaucoup, ce pauvre gargon. II annonce des dispo- sitions pour le calcul ; on peut en faire quelque chose. _ 35 Comme il parlait plus pe'niblement et s'approchait de mon oreille, je me penchai, et il me donna un petit papier plie qu'il me pria de parcourir. J'entrevis un court testa- ment par lequel il laissait une sorte de me'tairie mise'rable qu'il posse'dait, a la pauvre marchande quf 1'avait recueilli, 40 62 LA CANNE DE JONC. [CHAP. et, apres elle, a Jean, qu'elle devait faire dlever, sous con- dition qu'il ne serait jamais militaire ; il stipulait la somme de son remplacement, et donnait ce petit bout de terre pour asile a ses quatre vieux grenadiers. II chargeait de tout 5 cela un notaire de sa province. Quand j'eus le papier dans les mains, il parut plus tranquille et pret a s'assoupir. Puis il tressaillit, et, rouvrant les yeux, il me pria de prendre et de garder sa canne de jonc. Ensuite il s'assoupit encore. Son vieux soldat secoua la tete et lui prit une main. Je pris 10 1'autre, que je sentis glace'e. II dit qu'il avait froid aux pieds, et Jean coucha et appuya sa petite poitrine d'enfant sur le lit pour le re'chauffer. Alors le capitaine Renaud com- menga ^_tater_es draps avec les mains, disant qu'il ne les sentait plus, ce qui est un signe fatal. Sa voix e'tait caver- 15 neuse. II pofta pe'niblement une main a son front, regarda Jean attentivement, et dit encore : C'est _ singulier ! Get enfant-la ressemble a Fenfant russe! Ensuite il ferma les yeux, et, me serrant la main avec une pre'sence d'esprit renaissante. 20 - Voyez-vous ! me dit-il, voila le cerveau qui se prend, c'est la fin. Son regard e'tait different et plus calme. Nous compri- mes cette lutte d'un esprit ferme qui se jugeait contre la douleur qui Te"garait, et ce spectacle, sur un grabat miserable, 25 e'tait pour moi plein d'une majeste solennelle. II rougit de nouveau et dit tres-haut : Us avaient quatorze ans... tous deux... ^Qui salt si ce n'est pas cette jeune ame revenue dans cet autre corps pour se venger?... 30 Ensuite il tressaillit, il palit, et me regarda tranquillement et avec attendrissement : - Dites-moi!...ne pourriez-vous me fermer la bouche? Je crains de parler...on s'affaiblit...Je ne voudrais plus par- ler...J'ai soif. 35 On lui donna quelques cuillere'es, et il dit : - J'ai fait mon devoir. Cette idee-la fait du bien. Et il ajouta : Si le pays se trouve mieux de tout ce qui s'est fait, nous n'avons rien a dire; mais vous verrez... 40 Ensuite il s'assoupit et dormit une demi-heure environ vin.] \7NE BILLE. 63 Apres ce temps, une femme vint a la porte timidement, et fit signe que le chirurgien e'tait la; je sortis sur la pointe du pied pour lui parler, et, comme j'entrais avec lui dans le pe- tit jardin, m'e'tant arretd aupres d'un puits pour Finterroger, nous entendimes un grand cri. Nous courumes et nous vimes 5 un drap sur la tete de cet honnete homme, qui n'e'tait plus. Ecrit k Paris, 20 aout 1835. NOTES. PAGE 1. 1. 8. du 27 juillet 1830. During the reign of Charles X. In consequence of some unpopular decrees amongst others the suspension of the freedom of the press and the dissolution of the Parliament a Revolution took place in Paris, July 27-29. On the 3 oth, Louis Philippe, Duke of Orleans, to whom the throne had been offered, began his reign, and a few days afterwards Charles X. crossed over to England. This Revolution was called Les Trots Jours. Note (i) le vingt-sept juillet a small j, and not de juillet. (2) 1830 = mil hitit cent t rente or dix-huit cent trente. Why not cents ? See the rule, and cf. p. 14, 1. n. 1. 10. tableaux gue la destines m'a jetes. jetes is ace. masc. pi. agreeing with gue, which is masc. pi. to agree with its antecedent tableaux. Note carefully these general rules for the PAST PARTI- CIPLE. A. The past participle must agree in gender, number, and case with the SUBJECT when conjugated with lire, except in reflexive verbs, as : La ville sera prise. Us sont arrive. The town will be taken. They have arrived. B. The past participle must agree in gender, number, and case with the OBJECT when conjugated with avoir [or in reflexive verbs with 2tre, which is then used for avoir} IF THE OBJECT is BOTH DIRECT (that is in the accusative) AND COMES BEFORE THE VERB, as: Les lettres que j'ai ecrito. The letters which I have written. Que de peine vous vous etes donn<&! How much trouble you have given yourselves! REN. 66 LA CANNE DE JONC. C. Under all other circumstances the past participle remains nnin- flected, as : Elle a e"cr/V ces lettres. She has written these letters. Us se sont clonn/ trop de peine (the direct object being trop de pcine, se the indirect). They have taken too much trouble. Elle s'est plu (not plae, because plaire governs a dative). She has pleased herself. The above instance is therefore an example of Rule B. _^> 1.12. ouragan, 'hurricane'. Both words come from the Spanish 'huracan', which was originally a sea-term and was brought from the West Indies. ^- ria pas plus... que n"en avait. The usual rule is that ne must be inserted after an affirmative comparative, as : // est plus sage que je NE Tai cru, But not if the comparative is negative, as : // n'est pas plus sage que je Vai cru. Here however the phrase may be regarded as in reality affirmative and so ne is inserted. It is = Z^ calme de Paris avait autant de majeste qu'en avail celui de la mer. So too vous n'ecrivez pas mieux que vous NE parlez, because it = vous tcrivez aussi mat que vous parlez. Compare p. 37. I- 2. This is an idiomatic use of en, where it is not to be translated. Cf. p. 6, 1. 12. 1. 13. boulevards. Cf. note on p. 5, 1. 7. 1. 17. cteintes. See note on 1. 10. Example of Rule A. 1. 20. glissait, ' whispered'. a voix basse, ' in a low tone'. So a haute voix, ' aloud'. ' 1. 22. des f elites portes. Not de petites portes. The rule is, when the adjective precedes the noun, de is used for du, de la, or des; but here petite porte is regarded as being one word. So il a DU ban sens ; DES bans mots ; ~DESJ tunes gens, etc. - \ PAGE 2. 1. 4. de distance en distance. So de temps en temps ; de ville en villc, &c. 1. 5. Von. The /' is for h, the definite article. " It is generally used, NOTES. 67 [ in preference to on, (i) after words ending in any other vowel than e "" mute; (2) after the words et, si, oil, qui, quoi" (Eve and Baudiss).^ L 11. injure, ' insult '. f?~ L 14. f approchais de Tun. Notice the gen. with words of nearness, approaching, &c., because though the English idiom is to say A is \ near TO B (placing ourselves at A], the French idiom is A cst pres DE \ B, placing themselves at B. -?* 1. 16. me demanda: me is the dative. The French say, demander line chose a quelqdun. Je le lui demandais, ' I asked him (for) it'. 1. 17. eclairer. Notice the infinitive used with verbs of seeing and hearing as a verbal substantive, where in English we use the present participle. 1. 20. que faisaimt. Notice the order. Que though it precedes the verb must be the object. The subject is des marc hands. 1. 32. Us doivent placer, 'they are (intended) to...', not 'they ought to..,', which would be Us devraient. PAGE 3. 1. 6. lui tenait au cceur, ' was dear to his heart'. 1. 7. grenadiers. Originally the picked men of a regiment ; they carried hand-grenades ; hence their name. 1. 16. la Canne-dc-Jonc. A similar habit is related of General Gordon in China. 1. 20. se prendre corps a corps, ' fight hand to hand'. 1. 24. se Fexpliquer. Se is of course the dat. ' to oneself. 1.29. ne faisait que porter, 'only carried', lit. 'did nothing but carry'. So je ne fis que le lui dire, ' I only told him so'. But/V nefis que DE le lui dire, 'I had just told him so'. Ccmp. venir de, note on p. 6, h 14. 1. 31. a lafois, ' at one and the same time', ' at once'. 1. 32. je rfestime pas, ' I do not think it of consequence that...' beaucoup. This use of beaucoiip as a substantive is comparatively rare. Cf. however p. 46, 1. 30. PAGE 4. 1. 10. Ics travaillaient sonrdemetit, 'harassed them secretly'. 1. 13. voyait...cherchant. Cf. note on p. ?, 1. 17. The participle is used here because the thought is rather of seeing the person than of noticing the action. 52 68 LA CANNE DE JONC. 1. 19. en hotnmes. En is used in the sense of com me; so parler en mattre; funir en per e. Cf. p. 18, 1. 32, and p. 34, 1. 2. f 1. 20. les Caton et les Brutus, '-men like Cato and Brutus'. | Cato (B.C. 95-46) : the devoted Republican who killed himself rather I than see Caesar supreme after the battle of Thapsus. Brutus (B.C. I 85-42) : the principal of Caesar's murderers. Notice les before the proper names, which are not really plurals. tout. ..quails ttaient, 'although they did wear togas'. A toga was the principal outer garment worn by the Romans, and was originally worn only in Rome itself. 1. 27. & toute force, ' at all hazards '. 1. 35. il me prit LE bras. Notice, not man bras, the dative of the personal pronoun with the definite article being used when speaking of parts of the body. 1. 37. des Suisscs. The Swiss body-guard of the King. The guard was first formed by Charles VIII. (1483 1498) and called the Cent Suisses. Louis XIII. (1610 1643) formed another regiment called the Petits Suisses. Some of these were killed when the Bastille was taken on July 14, 1789 : the rest fell when the mob attacked the Tuileries on Aug. 10, 1792, and are commemorated by Thorvaldsen's 'Lion of Lucerne'. 1. 38. le feu de chaussee. A military term for a manoeuvre by which, as soon as the leading company or section has fired, it retires, and leaves the front clear for the company or section behind it to continue the fire. /? 1.39. depuis que je sers, 'since I have been in the service'. / Notice the present tense because the action is still going on, he is still in \the service. Compare note on p. 33, 1. 3^. PAGE 5. 1. 3. peloton, derived from the Italian pilotta and Latin pila, 'a ball', and means first ' a knot of men', so 'a squad'. The original is kept in the English 'platoon'. qui vient de fairefeu, ' which has just fired '. See note on p. 6, 1. 14. 1. 5. continuait A tracer. Cf. in 1. 9, continua DE,farler. Continucr jouer means ' to keep up the habit of playing ' ; continuer de joucr ,eans ' to finish the game '. 1. 7. boulevard. Derived from the German bollw erk, our 'bulwark', and in a military sense the glacis of a fortress. In the time of Louis- XIV. the Boulevards of Paris were simply the line of fortifications round the city : these planted with trees became a fashionable walk, and so NOTES. 69 the word boulevard came afterwards to mean any walk or street planted with trees. (Brachet.) 1. 16. hausse-col. This was originally a sort of breastplate which covered the neck and shoulders of infantry officers : now it is a small piece of metal shaped like a crescent and worn just below the neck. 1. 20. petit-fore ne Cavez-vous plus. An implied interrogation, ' Per- haps you have lost it ? ' Three constructions are possible with peut-etre, (1) This one, with inversion of the verb and subject. (2) Vous ne 1'avez peut-etre pas. (3) Peut-etre que vous ne 1'avez pas. Other words that require inversion of the order are a peine, encore, toujours, aussi (so), du mains, au mains, en vain, non-seulement. 1. 25. bonnet a poll, ' bearskin cap '. fat ete. Just as in the English idiom we say 'I have been to', meaning ' I have gone to '. 1. 31. lors de, 'at the time of. Lors was originally Fores from Latin \h& article having become 'agglutinated'. Similar instances are lierre, ivy, and lendemain, for Pierre and I'endemain. *-~" L 34. que vous reprochiez-vous ? Parse que. 1. 37. voila, qui est admirable! Qui is here put for ce qui, which may be done (i) after void or voila as here, and (2) in expressions like qui pis est, 'what is worse' ; qui plus est, 'what is more', &c. PAGE 6. 1. 12. il WZ'EN a coute. So je sais ce qu?il EN coute, ' I know what it costs '. This use of en is idiomatic, and it cannot be translated. Cf. p. i, 1. 12. 1. 14. vint lui demander, 'came to ask him for'. Demander requires dat. of person and ace. of thing. The uses of venir followed by an inf. are (a) as here without a prep, venir demander, 'to come with the object of asking '. (b) venir de demander, 'to have just asked'. So il vient DE le lui demander, 'he has just asked him for it '. (c) venir a demander, 'to happen to ask' or 'to go so far as to ask '. (d) aller demander, ' to be going to ask '. So Us vont le lui demander, 'they are going to ask him for it'. 70 LA CANNE DE JONC. 1. 17. de long en large, lit. from length to width, 'up and down'. 1. 21. rcvint J mot. Notice, that with verbs of motion H represents ail and not the dative, and so the forms a mot, & lui &c. are used instead of the dative of the conjunctive pronouns. ilfait l>(cu. So faire f raid, faire chaitJ, &c. 1.26. n' imports! For the omission of the pronoun compare reste & savoir, quand ban voiis semblera. 1. 29. rend...trls-nettes. ' To make', followed by an adj. in English, must be .translated by rendre in French not by faire. 1. 38. a/ustcr, 'aim at'. PAGE 7. 1.2. Dieu merci! This is an ellipse for par le merci de Dint. 1. 26. Jest iin bonhcur...que. The que is idiomatic and not to be translated. It is common when a sentence begins, as this does, with ce, the intention being to emphasise the object or complement, as Jest ttn grand trhor QUE la sante, 'a great treasure indeed is health', instead of saying, La sante esf iin grand tresor. 1. 27. coining Louis XIV. In his advice on his death-bed to his great-grandson who succeeded him as Louis XV. 'Tachez de conserver la paix avec vos voisins : j'ai trop aime la guerre : ne m'imitez pas en cela' &c. 1. 31. man pere, vieil ojjicier. Notice the omission of the article, because vieil officier is in apposition to man pere, and so is of the nature of an adjective qualifying it. 1. 33. il lui prit fantaisie. The il is impersonal, and the real subject is fantaisie. In English this use is almost confined to verbs of motion. Notice that in all these cases the verb being impersonal is always in the third singular, as// se trouva la de belles chases, 'There were to be found there beautiful things'. PAGE 8. 1.7. hors. Notice this absolute use of hors meaning 'except'. So we find Us y sont tons alles, hors deux on trois. And, Hors cela je suis dc votre sentiment. la musiqite de Charles XII. Referring to Charles XII. of Sweden in his love of fighting (A. D. 1682 1718). 1. 10. je lui battais des mains, 'I clapped my hands at it'. 1.17. venait d~appareiller, 'had just set sail'. For this use of NOTES. 71 venir with a prep, see note on p. 6, 1. 14. Appareiller means lit. 'to pair', 'to match'; from pareil, 'like', hence 'to arrange', 'put in complete order '. le 30 jloreal an VI. In Oct. 1793 the Government of France determined to have a new Calendar, which should date from the beginning of the Republic. Day I., Year I., was therefore Sept. 22 (le i vendemiaire), 1792. The year was divided into 12 months of 30 days each, with five odd days called ' Sansculottides ', which were to be kept as festivals of Virtue, Genius, Work, Opinion, and Rewards. In leap- year the 6th 'Sansculottide' was to be celebrated in honour of the Revolution. Each month was divided into 3 decades (Decades) ; each day into 10 parts; each of which was again subdivided into 10 more, and so on. Each loth day or Decadi was a day of rest. The months were called after the fruits seasonable at that time or their prevailing characteristics, and were : /Vendemiaire (Vintage). Three Autumn Months J Brumaire (Fog). (Frimaire (Frost). (Nivose (Snow). Three Winter Months J pi uv i6se (Rain). (Ventose (Wind). (Germinal (Buds). Three Spring Months J Floreal (Flowers). (Prairial (Meadows). (Messidor (Harvest). Three Summer Months J Thermidor (Heat). (Fructidor (Fruits). The days were named, according to their succession in the Decade, Primidi, Duodi, Tridi &c., and to each one was given the name of a plant, flower, vegetable, domestic animal, or farm implement. Napoleon suppressed this Calendar on Sept. 9, 1805, and returned to the Gregorian one on Jan. ist, 1806. The soth Floreal, year VI., was May 20, 1798. 1. 20. je ne pus. Pas may be omitted with pouvoir, s avoir, cesscr, oser, bcugcr, and avoir garde. 1. 29. le mont ryx. A steep and isolated mountain in N. W. of Sicily. On its summit was a celebrated temple of Aphrodite (Venus) whence she is sometimes called Erycina. 1. 30. Lilybde. Lilybaeum a town in the W. of Sicily founded by 72 LA CANNE DE JONC. the Carthaginians about B.C. 397, and their principal fortress. It had an excellent harbour. 1. 35. hfleur dc, 'level with'. 1.37. fourmiliirc, Lat. 'an ant-hill', so 'a swarm', der. from Latin /c?r;;//V.r, the masc. form of formica. L 39. francais. Notice that geographical adjectives are spelt with a small letter. PAGE 9. 1. 2. I'clmdard dc la religion. Referring to the religious order of the Knights of St John. This, the oldest of the three great Knightly religious Orders of the Middle Ages (the other two being the Templars and the Teutonic Order), was founded by some merchants from Amalfi in Italy, who built a church and cloister (and afterwards a hospital), near the chapel dedicated to St John at Jerusalem, in A.D. 10/0. In 1113 they received special recognition as a religious body from the Pope, and were divided into three classes, Knights for military service, Priests for the service in the Church, and Brothers for tending the sick and guiding pilgrims. They were known by a white cross embroidered on a black cloak. At one time they were in possession of much land in various countries, and in consequence gradually lost more and more of their original intention. After having had their head-quarters in Cyprus and Rhodes they were granted a residence in Malta and Gozzo by the Emperor Charles V. (1530). Here they remained until their suppression by Napoleon at this time (1798). L 11. Casa-Bianca. Compare the well-known poem by Mrs Hemans, although not historically correct. See p. n, 1. 32-38. 1. 17. tout ifun coup, 'in a moment'. Tout a coup, 'suddenly'. 1. 24. Vaubois was left as Governor of Malta by Napoleon, Thiers says 'with a garrison of 3000 men'. PAGE 10. 1. 16. la conqufte de rEgypte. Though Napoleon succeeded in con- quering Egypt by the battle of the Pyramids on July 11, 1798, yet after his return to France in 1799 the French were unable to maintain their possession of the country and evacuated it in 1801, when it again became tributary to the Porte. Marcngo* Napoleon here won a decisive victory over the Austrians on June 14, 1800. le 18 bmmaire. This is the name given to the Coup d'Etat by NOTES. 73 which Napoleon overthrew the Directory and made himself virtually supreme in France under the name of First Consul, Nov. 9, 1799. 1. 17. F Empire. Napoleon was proclaimed Emperor of the French on May 18, 1804, and was crowned by the Pope on Dec. 2 of the same year.' 1. 33. le Culloden. Called after the battle in which the Duke of Cumberland destroyed the last hope of the Stuarts (1746). The ship grounded on a shoal at the battle of the Nile while trying to ' cut out ' the French. 1. 36. que tu saches. The subjunctive generally follows il est with an adjective. So il cst probable que cela finqutite, on p. u, 1. 3. PAGE 11. 1. 6. qu'on NE LE pense. The French idiom is to put in a ne (which is not translated in English) with a verb which depends on a comparative used affirmatively. So il est maintenant plus sage qu?il NE Fetait. But if the sentence is negative the construction is as in English : thus, il n'esf pas plus sage qu'il Cetait. Notice this idiomatic use of le (indeclinable). It is a neutral pronoun, and is either left untranslated or rendered by 'so'. In 1. 6 it represents the phrase qu'il s^ouvre ; in the examples it represents the adjective sage. Compare note on p. i, 1. 12. c'est de quoi je me suis souvent etonne, 'it is something at which I have often wondered'. So il nefaiit pas /'EN c tanner, 'you must not be surprised at it'. 1. 7. qtfyfaire? lit. ' What is one to do in the matter?' 'How can you help it?' 1.21. passcurs d'eau, 'ferrymen'. 1. 23. qifil en e&t peur, 'if he had been afraid of them'. Because the victory which Nelson won over him at the battle of the Nile shut up the French army in Egypt as well as destroying their fleet. 1.28. son, ' bran'. ' From the Latin " summum", properly the top of the meal : then bran which is bolted to the surface after grinding'. (Brachet.) 1. 29. bane de qziart, ' quarter-deck'. 1. 38. s^eparpilla. The verb meant originally ' to fly off like butter- flies', then 'to scatter'. PAGE 12. 1. 3. s'it enfut, ' if there ever was one '. Lit. ' if there was of them '. 1. 8. ddfaite d"Aboukir. What we call the battle of the Nile is 74 LA CANNE DE JONC. called the battle of Aboukir by the French. They won a victory by land near the same place over the Turks in the next year (1799). 1. 25. un Seide, 'a blind partisan'. The word is derived from Zeid, one of Mahomet's frecdmcn, and means originally a fanatical assassin. A list of similar words of historic origin may be found in Brachet's Dictionary 33, note i. Among them are guillotine and macadam, so called from the inventors; cacliemire, 'cashmere', from the place where it was originally worn; esclave, 'a slave', properly a Slavonian reduced to slavery by Charles the Great; and, exactly parallel to Seide, the word 'assassin', called from the Scheik Haschischin, the Old Man of the Mountain, whose followers drank liaschisch, a decoction of hemp, and then murdered their enemies. se garantir du, ' keep clear of. 1. 27. c'est une c/iose...QUE. Compare note on p. 7, 1. 26. 1. 35. quitte H rire, 'even if he laughs at us afterwards'. 1. 37. par trop charlatan, 'too much of a quack'. Charlatan is a slang term introduced from the Italian. Par is used in this way with several adverbs and prepositions as par consequent, par id, par dessus. PAGE 13. 1. 2. baguette, lit. 'wand', here with the idea of a street conjuror with his big drum and magic wand. This word is also of Italian origin. 1. 4. si petit ho?nme qu'il... 'there is no one, however small, whom it has not puffed up'. 1. 6. qui crevent. Referring to the old fable of the frog and the ox. 1. 6. it 1 en soil pas, 'should not be of their number'. 1. 8. ne fy fie pas trop, 'do not rely on him too much', y is generally used only of things, except with the verbs se fier, penser, songer, croire, where it may refer to persons also, as here. 1.9. la manicre DONT, 'the manner in which'. So 'in this manner', DE cette maniere. 1. 12. au Cairn. Notice that the definite article occurs with the names of a few towns as here, le Caire ; so le Havre, la Haye, la Rochdle, la Mecque. 1. 13. membre de I'lnstittit. The famous Institute of France founded in 1635 by Richelieu and consisting of 40 members known as l !es Quarante'. 1. 15. la colcnne de Ponipcc. Pompey's column has in reality no NOTES. 75 connection with the Triumvir. It was set up in honour of the Emperor Diocletian by the Praetor Publius (probably to commemorate his siege and capture of Alexandria in A.D. 296), and is a gigantic monolith of red granite. Thiers tells us that Bonaparte had the names of the first 40 French soldiers who were killed in Egypt at the attack of Alexandria engraved upon it on this occasion. 1. 16. r aiguille de Cleop&tre. There were originally two of these. This is the obelisk which still stands at Alexandria. The other, which lay prostrate close to it, was brought to England by Sir Erasmus Wilson and placed on the Thames embankment in 1878. 1. 17. les troupes de la Haute-gypte, 'the troops in Upper Egypt', the rest being occupied elsewhere in subduing the country. 1. 18. h s pyl&ne s, a word derived from the Greek TTV\UV, 'a portal ', 'big doorway'. 1. 20. colosse de Memnon. Known also as the vocal statue of Memnon from the sound it was said by the ancients to utter every morning at the rising of the sun ; which is accounted for by some as being a natural phenomenon, by others as a trick of the priests. 1.23. retat-major, 'the staff'. Les ordonnateurs. The ' Commissary- generals '. les savants. Bonaparte had brought with him to Egypt a number of scientific men to explore and report upon the country. The most famous of these were Monge, the first president of the Institute of Egypt, a mathematician ; Befthollet, a chemist ; Fourier, also a mathe- matician ; and Lamy, a surgeon. A picture in the palace at Versailles shews them in the middle of a square during an attack of the Arabs. 1.24. les kiaya du pacha. The supplement to the Dictionary of the Academy explained kihaia to mean the Turkish name given to the Lieutenant-General of the vizier. Translate : ' officers '. femir. The Arab equivalent for ' prince '. les membres du divan, 'the members of the Council'. The Divan is the name given to any consultative assembly in the East. 1. 25. les agas. Aga = Monsieur, the title given to Turkish military or court officials. 1. 27. le bonnet de la liberte et le croissant. The (red) cap of Liberty, and the Crescent. 1. 30. la Table des Droits de rHomnie. This was drawn up in 1789 by the Constituent Assembly. It declared (i) That all men are free and equal, (2) That all men have a right to resist oppression, (3) That all sovereignty has its origin in the people. It was passed on 76 LA CANNE DE JONC. the motion of Lafayette, who declared that they ought to follow the example of America. 1. 32. pastcques, a kind of water-melon. 1. 37. Aftnoti, one of Napoleon's generals, and after Kleber's death governor of Egypt. He had become a convert to Mahomedanism, had married a Turkish wife and called himself Abdallah, i.e. 'servant of God'. But this was not till some time after the banquet here spoken of. 1. 39. une des siennes, ' play us one of his tricks'. A noun such as f reclaims, 'freaks', orfo/its, 'pranks', must be understood. PAGE 14. 1. 10. saccadce, 'jerky'. 1. 11. fan trois cent. Although no other number follows, cent is without an s, because the rule that vingt and cent take an s when multiplied by another number if no other number follows them, does not apply when speaking of dates, pages, numbers, &c. 1. 17. filt-ce, 'even though he were'... 1. 23. en 1804. Bonaparte was proclaimed Emperor on May 18, 1804. 1.31. la plus grande chose quifitt. Subjunctive dependent on the superlative preceding, because in the speaker's (former) opinion it was the greatest honour in the world. If as a fact it had been, we should have the indicative. So with le premier, le dernier, le scut, &c. PAGE 15. 1. 4. leur a fait river. When faire is followed by a transitive infinitive it governs the dative: when by an intransitive one, the accusative, asj'e LES aifait revenir, ' I have made them return'. The same is the case with laisser, cf. p. 16, 1. n, and voir, cf. p. 41, 1. co. 1. 21. portant son arme, ' shouldering his musket'. PAGE 16. 1. 10. laissions...aiix homines. Cf. note on p. 15, 1. 4. 1. 15. faigle qui nfavait enlevL Referring to the story of Jupiter under the form of an eagle carrying off the boy Ganymede to be his cupbearer. 1.24. ccuyer, 'a squire', from Latin scutarius, one who carried the scutum or shield of his master. NOTES. 77 PAGE 17. 1. 6. phis qtfil ne le croyait. See note on p. n, 1. 6. 1. 36. il rencontra plus fort que hit, 'he met more than his match'. 1. 40. le Pape. This was Pius VII., elected Pope in 1800. After Napoleon's coronation he quarrelled with him and in consequence, in 1809, lost the Papal States. He was kept in confinement first at Savona and then in the palace at Fontainebleau, where the rooms he occupied are shewn. In 1814 he returned to Rome and acted as a wise and tolerant ruler of the Papal States until his death in 1823. PAGE 18. 1. 10. placets. From the Latin, lit. 'it pleases', so ' petitions'. 1. 19. colere, here an adjective. L 26. toute grande, 'however great'; toute is here an adj. used as an adverb. It is declined in this way before a fern. adj. which begins with a consonant or an aspirated h. 1. 30. tin point cTappzti. Compare the saying of Archimedes (the famous defender of Syracuse, and a great mathematician), 'Give me where to stand and I will move the world'. All depends on your fulcrum. L 32. en cceur d'esclave. Cf. note on p. 4, 1. 19. 1. 36. qu'ils s'etaient donne. Explain why donne is not donnes. See note on p. i, 1. 10. 1. 39. battaient AUX CHAMPS, 'beat the salute'. PAGE 19. 1. 12. lit de parade, 'state bed'. 1.13. balustrade de prince. Seems to mean 'a solid foot' such as one sees in state apartments. 1. 39. camail. Originally a coat of mail covering the head and shoulders, cap mail; now a clerical vestment : here trans. ' cape'. PAGE 20. 1. 4. Fauire Italien. Napoleon was a Corsican by birth. 1. 11. gotitteux, from Latin gutta, ' a drop '. The English word 7 8 LA CANNE DE JO JVC. 'gout' comes from the old belief that these pains in the joints are caused by drops of humour, which swell the limbs. (Brachet.) 1. 16. Polichinelle, ' Punch', a word of Neapolitan origin. 1. 21. cJJiU, ' thin', properly of linen with the threads picked out. 1. 27. il lui tardait, 'he was longing'... tardcr is here used im- personally. 1. 29. esprit fort, 'freethinker'. 1. 30. ideologues, ' ideologists', i.e. a man whose actions are guided entirely by his feelings; not by intellect or principle. 'He himself (Napoleon) was among the completest ideologists, at least ideopraxists : in the idea he lived, moved, and fought'. Carlyle in Sartor Rcsartus (chap. viii.). PAGE 21. 1. 9. a la dtrolcc, sc. porte, ' at the private door '. So it comes to mean 'stealthily'. 1. 10. figure, ' face '. 1. 16. concordat. The Pope had consented to a Concordat or reconciliation with Napoleon in 1801, by which he regained the Papal States that Pius VI. had lost in 1798, when the French took him prisoner and carried him away to Valence. The result to France was the destruction of its Free Church and the rise of Ultramontanism which asserts the claim of the Pope to have the right of interference in the home affairs of other countries. 1. 32. se mil a, ' began to '... 1. 39. h conclave de Vcnise. Pius VII. was elected Pope at Venice in A.D. 1800. PAGE 22. 1. 6. hote, here 'guest', from Latin hospitem hosp^teni Jwstem hoste, so Mte, the circumflex representing the loss of the s as in ctes O. Fr. estes (cstis) ; tie, Prov. is/a from insitla, &c. 1. 15. moi. Used for emphasis and contrast to the Pope. '/ have never had time'. 1.17. Voltaire. The famous French poet and historian (1694-1778). His writings, with those of Rousseau, Diderot, and Montesquieu, conduced much to the French Revolution of 1789. entamcs, lit. 'to make the first cut into', so 'to attack', here used figuratively, in sense of 'bespattering, injuring reputation'. 1. 18. im vieil oratorien dcfroquc. A member of the congregation NOTES. 79 of the Oratory who has been unfrocked. The members of the Oratory were enemies of the Jesuits, to whom Voltaire had belonged before he unfrocked himself. 1. 19. attez. Cf. note on p. 60, 1. 15. 1. 20. lien dcs chases. But beaucoup DE chases. All adverbs of quantity except bien in the sense of beaucoup require the simple genitive. 1. 22. fai beau chercher. Avoir beau means 'to be in vain', so here 'I look in vain for a reason'. So il avait beau parler, 'it was no use his talking', &c. 1. 24. sieger, ' to have your seat '. 1. 29. qifon ne croit. Cp. note on p. n, 1. 6. 1. 33. Constantin. Constantine the Great, A.D. 274-337, Emperor of Rome. He made Christianity the state religion and changed the seat of the Empire to Byzantium (Constantinople). The Council of Nicaea was held in his reign A.D. 325. 1. 34. Charlemagne. King of France and Roman Emperor (A.D. 747 814), one of the greatest of mediaeval sovereigns in peace as well as in war. PAGE 23. 1. 5. commediante. An Italian word. French comedicn. 1. 22. vous riy etes pas. As a schoolboy would say, 'you're out of it ! ' So fy suis, ' I have it ', 'I understand '. 1. 28. Signor Chiaramonti. Pius VII. was Count Chiaramonti before his election to the Papacy. 1. 30. rirait au nez, 'laugh in your face'. 1. 31. si je ne gardais. The pas is omitted as in the case of pouvoir, s avoir, oser, cesser, &c. 1. 34. vous prencz vite pied, 'you soon get a footing'. 1. 36. cotnme Louis XIV. See Voltaire's Louis XIV. chap. 35, near end. Referring to his revocation of the Edict of Nantes, by which Henri IV. had granted religious liberty to the Protestants in 1598. Louis XIV. revoked it 1685. 1. 38. pipe, the word means properly to whistle, then to imitate birds in order to catch them. So to cheat or deceive. It comes from the Latin pipare, 'to cry out', ' to play on a pipe '. (Brachet.) 1. 39. Midi, 'the South', because at noon (midi) the sun is due south. It is compounded of mi (medius) and di (dies). 1.40. marionnettes, 'puppets'. The origin of the word is inter- So LA CANNE DE JONC. esting. It is really for mariolette, the diminutive of mariole, found in mediaeval French documents in the sense of 'puppet, doll', originally little figures of the Virgin Mary, whence the diminutive mariole. See Brachet, s. v. PAGE 24. 1. 2. r esprit, 'wit', 'sense'. 1. 10. comme Charles XII. Voltaire relates that Charles XII. King of Sweden, in 1711, enraged at finding a peace concluded without his knowledge between the Turks and the Russians, and getting no satisfaction from the Grand Vizier except a taunt to mind his own business, tore the robes of the Turk with his spur. The account is however not well authenticated. See Voltaire's Charles XII. livre V., at end. 1. 23. Sevres. The famous china manufactory : on the Seine about 4 miles from Paris. le chdteau Saint- Ange. The castle of Saint Angelo at Rome. 1. 24. /cniam.~\ II craint que je NE vienne PAS, 'he is afraid I am not coming'. \_Timet (ut] ne non veniam.~\ But when the principal sentence is negative the ne is not used as above, as : // NE craint PAS queje vienne, ' he is not afraid I am coming'. // NE craint PAS que je NE vienne PAS, ' he is not afraid I am not coming'. To account for the use of the ne we must remember that, He fears I shall come = He hopes I shall not come - He fears lest I may come. [Fasnacht, in Macmillan's Progressive French Course, in.] 86 LA CANNE DE JONC. PAGE 36. 1. 4. R'-^iihts. The Roman general who, having been taken prisoner in the First Punic War (B.C. 264-241), was sent by the Carthaginians to negotiate peace at Rome ; but who, after persuading his countrymen to carry on the war, returned in spite of their entreaties to Carthage, 'because he had promised to do so', and there suffered a cruel death. 1. 28. que je nc le sttis. See note on p. 11, 1. 6. 1. 35. il est juste que vans ayez. Note the subjunctive after il cst with an adjective. Cf. note on p. 10, 1. 36. 1. 33. que kur fere. Cf. note on p. 7, 1. 28. x, PAGE 37. '/ 1. 2. qifil rfctait. Cf. note on p. i, 1. 12. 1. 11. ait i'prouvt'e. The subjunctive dependent on la premiere. This is the case with all adjectives in the superlative or those conveying an idea of exclusivcness or limitation, le premier, le dernier, le seul, Yuniqzte, le principal, etc., when the statement is one of opinion. If it is one of fact, the indicative is used. 1.15. defactice, 'artificial'. 1. 26. je pleurai de ce que. With verbs of emotion, except those of fearing, we find de ce que with the incl. instead of que with the subj. So here, 'I cried for this that...'= I cried because.... 1. 28. revint a mot, not me revint ; verbs of motion require the disjunctive form of the personal pronoun, not the conjunctive. Cf. note on p. 6, 1. 21. 1. 31. tine sentinelle. Notice the gender. So une recrue 'a recruit'. 1. 37. y rhiste. Rcsister, as in Latin resisto, always governs the dative. quand vans craindrcz. Notice the future with quand, express- ing probability, 'when (as is likely to be the case) you are afraid of yielding'. If lorsque had been used instead of qmind it would have meant ' when (as is certain to be the case)'... PAGE 33. 1. 2. nan tine parole tfhonncur. Non is used when the wish is to lay special stress on the negation of a certain word rather than on the whole sentence or idea generally. NOTES. 87 1. 3. sur ces derniers mots. 'With these last words' so sur ce ' with that ', ' thereupon '. 1. 8. comme, ' as it were'. 1. 16. a la longice, 'in the long run', ' in time'. Cf. a la francaise 'in the French fashion', a la tigere (facon) 'lightly' and even a la Louis XV, 'in the style of Louis XV. 1. 31. il en est ainsi de... 'it is thus with'... The en is pleonastic. Cf. en imposer a quelqifun 'to impose upon someone', en venir aux mains ' to come to blows ' etc. PAGE 30. 1. 5. de son corps, ' of her body'. 1. 11. aussi trouva-t-il. For the inversion of verb and subject cf. note on p. 5, 1. 20. 1. 23. nous ne cessdmes. Note omission of pas. With what other verbs? Cf. note on p. 6, 1. 20. 1. 25. Grotius. The Dutch statesman (1583-1645) who wrote De jure pads et belli, for a long time the standard work on international law. He was ambassador at the French court from 1635 to 1645. 1. 31. -ime parole. ..filt. The subjunctive dependent on une. Cf. note on p. 37, 1. u. 1. 40. cale, ' the hold ' of the ship. PAGE 40. 1.13. scs equipages, 'his crews'. 1. 15. pair, from Latin par, meaning properly the chief vassals of a lord who have equal rights one with another. 1. 23. Trafalgar. Where Nelson defeated the French and Spanish combined fleets on Oct. 21, 1805, and saved England from Napoleon's threatened invasion. de lui voir gagner. Cf. note on p. 41, 1. 20, for the dat. of the pronoun with voir. 1. 32. gemis de ce que. For de ce qtie in place of qiie cf. note on p. 37, 1. 26. sur tant, 'out of so many', cf. p. 31, 1. 4, sur deux cents hommes. 1. 33. de me trouver. Me is the dat. used to denote that he (the speaker) is (indirectly) interested in the action. This use is called the Ethic dative. 88 LA CANNE DE JONC. PAGE 41. 1. 15. qnel que soil. Note carefully the uses of (i) quclque, (i) qucl que, and (3) quelque...qui or que. (1) Qudqtte, 'some', is an adj. and is therefore always one word and follows the usual rules as : II y a quclques annccs. A few years ago. (2) Qnel que, Quelle qtic, 'whatever', is written in two words before the verb etre; quel adj. agrees with the noun following ctrc and que remains unchanged, as : Quels que soient vos defauts. Whatever your faults may be. Quellcs que soient les nouvelles. Whatever the news may be. (3) Quclque, 'whatever', is an indefinite adj. when followed by a relative sentence as : Qiielque chose qui puisse arriver. Whatever thing may happen. Quelques difficultes que vous ayez. Whatever difficulties you may have. N.B. (i) Qudque followed immediately by an adj., adverb, or past participle, is an adverb (and therefore of course cannot change). It means 'however*. Qudque grandes que soient vos difficultes. However great your difficulties may be. Quclque bien ecrits que soient vos themes. However well written your exercises may be. (ii) Qudque followed by a numeral means ' about ' (and is also an adverb) as : Quelque vingt ans apres. About (some) twenty years afterwards. NOTES. 89 1. 16. cette paix interieitre. Cp. Wordsworth's lines in his Ode to Duty : ' Stern lawgiver ! yet thou dost wear The Godhead's most benignant grace ; Nor know we anything so fair As is the smile upon thy face. 1. 20. je lid vis ecrire. Notice the dat. of the pronoun voir being used in the same way asfaire, with a dat. when a transitive verb follows, and with an ace. when preceding an intransitive one. Cf. note on p. 15, 1. 4 and p. 40, 1. 23. 1. 32. ce Montecuculli. In 1675 Montecuculli was sent to oppose Turenne, who had been laying waste the Palatinate, on the Upper Rhine. Turenne was killed in a reconnaissance at Sasbach. 1. 33. engager la partie, 'enter upon the contest'. 1. 37. les Rois du Midi. The Kings of Spain and Naples. .^X* PAGE 42. 1. 2. fen vins jusqtie-lb, ' I got as far as that '. 1. 4. rel&cher, 'put into port'. 1. 17. il ne se le ferait pas dire, ' he would not let it be said to him twice' he would not wait for a second invitation... 1. 18. ct enfaire autant, 'to do the same', lit. 'to do as much of it'. 1. 27. plus de cinq. For plus DE not plus QUE cf. note on p. 30, 1.25. sabot, lit. 'a wooden shoe', here 'hulk'. 1. 32. -vinde Xh-es, our 'sherry'. 1.36. honnetcs contrebandiers. Cf. honnete fripon, 'honest rogue'; honnete usurier, ' honest money-lender ', &c. 1. 39. forct rasades. Force is really a partitive noun, but is used without de in the sense of beaucoup. PAGE 43. 1. 7. lorsque...et que. Note the que to avoid the repetition otlorsqite. 1. 16. devinait h's lots. A reference to the Code Napoleon, the name given to the Civil Law of France which was codified by an assembly of lawyers over whom Napoleon presided, and published in March 1804. 1. 34. ce que...jamais, 'what (i.e. how much) History could ever add to...' 90 LA CANNE DE JONC. PAGE 44. 1. 5. Jen pris de fhumcur, 'I lost my temper at it.' 1. 7. nous y devious passer, ' we were to pass a week there '. Notice the use of devoir (like sollen in German) in sense of ' to be to '. huit jours. The use of huit jours to mean 'a week' is a relic of the old Latin use of counting both the day with which the reckoning begins and the one with which it ends. So we still speak of a tertian ague, i.e. one which comes every other day, or as the Romans called it every third day. PAGE 45. 1. 22. on NE vans arri-tdt. Ne because a fear is expressed. Cf. note on p. 35, 1. i. 1. 23. voits Mez perdu. Notice this use of the imperfect ind. when the action referred to, although it never actually took place, is regarded by the speaker as quite certain in result. 1. 37. lord Mulgravc. lie succeeded Lord Harrowby as "War Secretary in Pitt's second ministry which was formed in 1804; became afterwards Marquis of Normanby and was Lord Lieutenant of Ireland in 1835, during Lord Melbourne's ministry. PAGE 46. 1. 5. en cst un asscz grand, lit. 'is of them one sufficiently great ', i.e. 'among principles to which you can devote yourself the love of your country is...' 1. 15. dogiies d'Ossian. Ossian was a Gaelic poet, according to tradition, son of King Fingal. His poems were published as 'translated into English by Macpherson ' (1762 63), but doubt was thrown on their authenticity. 1. 30. beaucoup. For beaucoup used thus as a subst. cf. p. 3, 1. 32. 1. 34. donndt. Why subj.? See note on p. 37, 1. n. PAGE 47. 1. 8. Westphalic. The kingdom of Westphalia was formed in 1807, by a decree of Napoleon, of parts of Prussia, Hanover, Hesse, and Brunswick, and given to his youngest brother Jerome Bonaparte, who NOTES. 91 took up his residence at Cassel, where he reigned till the advance of the Allies in Oct. 1813. 1. 9. la confederation du Rhin. This was a league inaugurated by Napoleon in 1806 ostensibly for the preservation of peace in South Germany. It was joined by a large number of German princes besides those mentioned here, so that in 1811 it reckoned among its members the rulers of more than 14 million people with an army nearly 120,000 men strong. Napoleon's disasters brought it to an end in 1813. 1. 11. Murat. Called le beau sabrcur: Napoleon's great cavalry general: went with him to Egypt, and in 1804 became governor of Paris. Was rewarded in 1808 with the kingdom of Naples. After sharing in Napoleon's subsequent great battles he was shot in 1815, when landing in Calabria to reconquer his kingdom. 1. 13. k Roi cTEspagne. Joseph, brother of Napoleon, whom he made king of Spain in 1808. This caused the Peninsular War (iSoS 1814). PAGE 48. 1.6. nnlle fart, 'nowhere'. So quelque part 'somewhere'. 1. 11. en Aaie, ' in line '. 1. 15. grJ. From Latin gratum. Savoir gre means 'to take kindly'. Translate, ' And they don't like you any the better for it.' 1. 29. fanfarons de crimes. The mot cclcbre referred to was by Louis XIV. ' Savez-vous ce que c'est que mon neveu le due d'Orleans ? c'est un fanfaron de crimes ' i.e. one who pretends to be worse than he really is. 1. 32. dcs, ' from ', ' to date from ', from Latin dc ipso, sc. tempore. PAGE 43. 1. 11. la Bcauce. Alfred de Vigny was bom at Loches in this district, which no doubt accounts for the allusion here. comme ten chartreux, ' like a Carthusian monk '. 1. 14. debout, lit. ' on end ', so ' upright '. bout is a verbal substan- tive from bouter and means properly that part of a body which pushes or touches first, botitttre, 'a cutting', the piece one puts into the ground ; bouton, ' that which pushes out ', makes knobs on plants ; thence by analog}' pieces of wood or metal shaped like buds, so ' button . 9 2 LA CANNE DE JONC. 1. 19. bivouac. A word introduced during the Thirty Years' War from the German Beiwache. 1. 25. scion. From Lat. sublongum, 'along of, which became sullunc, sulunc, solonc, selonc, selon, 'according to*. 1. 29. je ne cessais. For the omission of pas see note on p. 8, 1. 20. 1. 30. redout ant. Notice douter de quelque chose, ' to have doubts about something ' ; se douter de quelque chose, ' to suspect something ' ; rcdouter, ' to dread ' ; redoutab'.c, ' formidable '. PAGE 50. 1. 2. rtimporte. For the omission of z7 in phrases of this kind see note on p. 6, 1. 26. 1. 7. c'est i-gal, 'that doesn't matter' ; ce m'est cgal, 'it is all one (the same) to me '. 1. 8. donlje rccule le rccit, ' the recital of which I shrink from '. 1. 14. Mtaiten 1814. The allied Russian and German armies took Paris after a severe engagement on March 30, 1814; and on April 2 Napoleon was deposed by a decree of the senate : on April 4 he abdicated at Fontainebleau : on May 4 he was exiled to Elba. 1. 19. Macdonald. One of Napoleon's generals. 1. 28. un dura cuire, as we say, 'a tough morsel'. 1. 34. formait les faisccaux, 'were piling arms'; 'to unpile arms' is roinprc les faisceaux. 1. 37. coupee a pic, 'perpendicular', lit. cut with a pick-axe. PAGE 51. 1. 3. occupe...pour le quart d'heurc, ' which gives the most anxiety for the moment '. 1. 5. jouer nn tour a, 'play a trick on...'. 1. 6. lapins. Used as a slang word ; meaning 'a resolute fellow'. 1. 20. pas piquee des vers, lit. 'not worm-eaten'. An expression used of a job which has proved tougher than was expected. So here, 'was an uncommonly tough job'. 1. 30. se voit, 'is seen'. Notice the French idiom, to use reflexive verbs where we use the passive voice in English. autrement sombre, i.e. darker. For faire sombre, 'to be dark,' cf. p. 6, 1. 21. 1. 33. faic. Subjunctive why? see note on p. 14, 1. 31. /*" ./> NOTES. 93 PAGE 52. 1. 17. assommait. Assommer means properly 'to crush under a pack', from somme, 'a burden for a beast to carry'. (Low Latin salma, corruption of sagma, 'a pack-saddle', then the pack on the saddle.) Another derivative, sommier, means first 'a pack-horse', then 'a mattress', because it carries the sleeper. (Brachet.) 1. 34. boucles, 'in ringlets'. Bottcle in the Middle Ages had the double sense of 'a shield's boss' and 'a ring'; the last sense has alone survived, and is metaphorically developed in the boucle dc cheveux, 'ringlets'. PAGE 53. 1. 3. se blottir. Originally a term of falconry, used of the falcon when it gathers itself up to roost on its perch (blot). From this by a widening of signification it comes to mean 'to crouch' generally. Compare the same widening of meaning in villa, first 'a farmstead' or country-house, then 'a hamlet'; then ville, 'a town'; and minare, 'to guide a cart' or flock, which becomes mener, 'to lead' generally. 1. 23. assassin. For the origin of the word cf. note on p. 12, 1. 25. 1. 24. sacredie. For sacre Dieu ! 1. 39. fourrier, ' quartermaster-sergeant ', from Latin fodrarius, 'one who has to look after forage'. The place where the fourrier s lodged was called fourriere a word applied later to 'the pound' in which strayed beasts are put. PAGE 54. 1. 15. quelqiie part, cf. p. 48, 1. 6. PAGE 55. 1. 3. au jour, 'by daylight.' 1. 5. reta.it, 'was taken'; le is equivalent to pris which is under- stood. For this idiomatic use of le to represent an adj., or a noun used as an adj., or a phrase, cf. note on p. n, 1. 6. 1. 15. quelque.,.que ce fiii. For the uses of quc!quc,..qm see note on p. 41, 1. 16. PAGE 56. 1. 20. Polybe. Polybius, a Greek historian (B.C. 204 122). We possess the first five books, of the forty of which his Universal History 94 LA CANNE DE JONC. was composed, and important fragments of others. The History covered the years B.C. 220 146. Titraine. A famous French general (1611 1675); fought in the Thirty Years' War ; with the great Condd won many victories over the Germans and Spaniards ; fell in a reconnaissance against Montecu- culli. Cf. p. 41, 1. 32. 1. 21. Folanl. A French military writer (1669 1752). Vauban. The famous French military engineer (1633 1707). He planned 33 fortresses and improved 300 others. 1. 35. il nous est venu flusieurs. For this impersonal use of the verb, where the real subject follows it, see note on p. 7, 1. 33. PAGE 57. 1. 0. x'ont sit ni...ni. Notice the itf, according to the rule that with all negative words, such as pcrsonne, rien, aucun, nul, ni etc., ne must accompany the verb of the sentence in which they occur. PAGE 58. 1. 17. la Bastille. The old state prison of Paris, corresponding to the Tower of London. It was destroyed in the first days of the Revo- lution of 1789. 1. 20. font (TUna. So called after Napoleon's famous victory at Jena in October 1806 over the Prussians. 1. 21. In;, 'it', i.e. his company. 1.27. la contenance, 'the bearing'. 1.37. faience. A word of historic origin. Pottery of glazed earth, first made at Facnza. Cf. note on p. 12, 1. 25. PAGE 59. 1. 3. pistoktd'arfon, 'horse-pistol', arcon is lit. 'saddlebow', from Low Lat. arcioncm, dim. of amis, ' a bow 'the saddlebow being a piece of arched wood. 1. 6. forta, ' lodged '. 1. 25. apportant Icurjourncc, ' bringing their clay's wages '. 1. 28. redoublemcnt, ' paroxysm '. NOTES. 95 PAGE 60. 1. 6. caches. Why not cache? See p. i, 1. 10. 1. 15. allez. Simply an interjection, ' I can tell you '. PAGE 61. 1. 15. passee a. la bdionnette, ' run through with the bayonet '. Cf. passer au fil de Vepee. 1. 17. gamins. A word of late introduction, probably having come in during the French wars in Germany in the iSth century from the German gemein, gemeiner, ' a common soldier '. Whence we find the use in the French army un caporal et quatre gamins. (Brachet, s.v.) 1. 34. il annonce des dispositions pour le calcul. ' He shews promise in mathematics '. 1. 39. mctairie, 'farm'. Land held on condition that the landlord should recewe half the produce as rent. 1. 0. Vavait rcaicilli, ' had taken him in '. PAGE 62. 1. 2. la somnie de son remplacement , i.e. the money required to find a substitute for Jean (who was not to be a soldier), if he were drawn in the conscription. 1. 13. tatcr ses draps...ce qui cst un signe fatal. Cf. Shakespeare's Henry V., Act ii., Sc. 3, 1. 15, 'After I saw him (Falstaff) fumble with the sheets... I knew there was but one way '. And Lupton's Book of Notable Things, 'If the sick e pull straws or the clothes of his beddc these are most certain sienes of death'. CAMBRIDGE : PRINTED BY C. J. CLAY, M.A. AND SONS, AT THE UNIVERSITY 1'KESS. SOME PUBLICATIONS OF THE CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS. THE PITT PRESS SERIES. I. GREEK. Platonis Apologia Socratis. With Introduction, Notes and Appendices by J. ADAM, B.A., Fellow and Classical Lecturer of Emmanuel College. Price y. 6d. Herodotus, Book VIII., Chaps. 1-90. Edited with Notes and Introduction by E. S. SHUCKBURGH, M.A., late Fellow of Emmanuel College. [Nearly ready. Sophocles. Oedipus Tyrannus. School Edition, with Intro- duction and Commentary by R. C. JEBB, Litt.D., LL.D. Pro- fessor of Greek in the University of Glasgow. Price $s. 6d. Xenophon Anabasis. With Introduction, Map and English Notes, by A. PRETOR, M.A. Two vols. Price >js. 6d. Books I. III. IV. and V. By the same Editor. Price is. each. Books II. VI. and VII. Price is. 6d. each. Xenophon Cyropaedeia. Books I. II. With Introduction and Notes by Rev. H. A. HOLDEN, M.A., LL.D. [Nearly ready. Xenophon Agesilaus. By H. HAILSTONE, M. A., late Scholar of Peterhouse, Cambridge. Price is. 6d. Luciani Somnium Charon Piscator et De Luctu. By W. E. HEITLAND, M.A., Fellow of St John's College, Cambridge. $s.6d. Aristophanes Ranae. By W. C. GREEN, M. A., late Assistant Master at Rugby School. Price y. Cd. Aristophanes Aves. By the same. New Edition. 3^. 6d. Aristophanes Plutus. By the same Editor. Price 3*. 6d. Euripides. Hercules Furens. With Introduction, Notes and Analysis. By A. GRAY, M.A., and J. T. HUTCHINSON, M.A. New Edition with additions. Price is. Euripides. Heracleidse. With Introduction and Critical Notes by E. A. BECK, M.A., Fellow of Trinity Hall. Price y. 6d. Plutarch's Lives of the Gracchi. With Introduction, Notes and Lexicon by Rev. H. A. HOLDEN, M.A., LL.D., Examiner in Greek to the University of London. Price 6s. Plutarch's Life of Sulla. With Introduction, Notes, and Lexicon. By the Rev. H. A. HOLDEN, M.A., LL.D. Price 6s. London : Cambridge Warehouse, Ave Maria Lane. SO,OCQ 20/I2/S6 PUBLICATIONS OF II. LATIN. P. Vergili Maronis Aeneidos Libri I XII.. Edited with Notes by A. SIDGWICK, M.A., Tutor of Corpus Christi College, Oxford. Price \s. 6d. each. P. Vergili Maronis Georgicon Libri I. II. By the same Editor. Price is. Libri III. IV. By the same Editor. Price is. Gai lull Caesaris de Bello Gallico Comment. I. II. III. With Maps and Notes by A. G. PESKETT, M.A. Fellow of Magdalene College, Cambridge. Price y. Comment. IV. V., and Comment. VII. Pnce is. each. 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Book of Psalms. By Rev. Prof. KIRKPATRICK, M.A. Book of Isaiah. By W. ROBERTSON SMITH, M.A. Book of Ezekiel. By Rev. A. B. DAVIDSON, D.D. Epistle to the Galatians. By Rev. E. H. PEROWNE, D.D. Epistles to the Philippians, Colossians and Philemon. By Rev. H. C. G. MOULE, M.A. Epistles to the Thessalonians. By Rev. W. F. MOULTON, D.D. Book of Revelation. By Rev. W. H. SIMCOX, M.A. London: Cambridge Warehouse, Ave Maria Lane. 8 PUBLIC A T1ONS OF THE UNIVERSITY PRESS. Cfre Cambridge cl)oote anfc Colleges, with a Revised Text, based on the most recent critical authorities, and English Notes, prepared under the direction of the General Editor, J. J. S. TEROWNE, D.D., DEAN OF PETERBOROUGH. Gospel according to St Matthew. By Rev. A. CARR, M. A. With 4 Maps. 4^. bd. Gospel according to St Mark. By Rev. G. F. MACLEAR, D.D. With 3 Maps. 4^. 6d. Gospel according to St Luke. By Archdeacon FARRAR. With 4 Maps. 6s. Gospel according to St John. By Rev. A. PLUMMER, M.A. With 4 Maps. 6s. Acts of the Apostles. By Rev. Professor LUMBY, D.D. With 4 Maps. 6s. First Epistle to the Corinthians. By Rev. J. J. LIAS, M.A. 3^. Epistle to the Hebrews. By Archdeacon FARRAR, D.D. [/;? the Press. Epistle of St James. By Very Rev. E. H. PLUMPTRE, D.D. [Preparing. Epistles of St John. By Rev. A. PLUMMER, M.A., D.D. 4*. Honfcon : c. j. CLAY AND SONS, CAMBRIDGE WAREHOUSE, AVE MARIA LANE. 263, ARGYLE STREET. DEIGHTON, BELL AND CO. : F. A. BROCKHAUS. CAMBRIDGE: PRINTED BY c. j. CLAY, M.A. & SONS, AT THE UNIVERSITY PF UNIVERSITY OF CALIFORNIA LIBRARY, LOS ANGELES COLLEGE LIBRARY This book is due on the last date stamped below. ook blip 10i-5,'5a (,37i!'7b4)42eU UCLA-College Library PQ 2474 C16 1887 L 005 768 078 7 Library PQ 2474 C16 1887 A 001 147694 2