A A 1 4 4 8 1 9 ^^== o C/5 c: :r ^> Z JO ■ 65 20 > JO — - ilfti^^M^^^ViA, MOmm (%iii 'WJW/VW tea 5 S^stf »#• ■wwWmisP ' '.as*.*' uMfifll ^ ■£>**' iiA^*, 5^*eii * A' !? * .#*<%# **.-.*i% A - ■ ■■ **.*m; 7 W, *2&.w>l Mms ■ A us ■ "~*T HISTORIQUES RESIDENCES ROYALES ae eFt 'cccAiai^. J, VATOUT, fREMIER BIELIOTHECAIRE DU ROI. (© eua&emej \tiwiiccchon PALAIS-ROYAL A PARIS, CHEZ FIRMIN DIDOT FRERES, LIRRAIRES , RUE JACOB, 56. 1838. Doao PALAIS- ROYAL. LE PALAIS-ROYAL. CHAPITRE PREMIER. Le Palais-Cardinal. 1629 -1042. M JL/e Palais -Royal fut dans l'origine un simple hotel que le cardinal de Richelieu fit batir, en 1629, sur les dessins de Jacques Lemercier 1 , son architecte. Get hotel, auquel il avait donne son nora, etait situe a l'extremite de Paris, rue Saint- Honore, au pied du mur d'enceinte, eleve par 1 Natif de Pontoise : c'est aussi la patrie de M. Fontaine. Ce n'est pas une chose indigne de remarque, que la raeme ville ait produit les deux architectes qui ont, Tun com- mence, l'autre acheve le Palais-Royal. 382980 m % #' • % RESIDENCES ROYALES. Charles V. Sauval pretend qu'il fut bati sur les ruines des hotels de Luxembourg et de Ram- bouillet; Piganiol, qui vint apres lui, croit plus exact de dire que ce fut sur l'emplacement des hotels de Rambouillet et de Mercceur. Jaillot, discutaot ces diverses opinions, ajoute : «I1 est constant que le connetable d'Armagnac posse- dait r , rue Saint-Honore, pres les murs, un hotel considerable, et qu'une partie du Palais-Royal en occupe" l'emplacement. Le connetable ayant ete sacrifie, en i4 1 ^? a l a haine du due de Bour- gogne, son hotel fut. confisque et donne au comte de Charolois. Au commencement du seizieme sie- cle, cet hotel appartenait anx dues de Brabant et de Juliers de la maison de Bourgogne. Quant a l'hotel de Rambouillet et l'hotel de Mercceur, e'est le meme edifice auquel ces deux noms fu- rent successivement donnes, le due de Mercceur 1'avant achete en 1602, pour agrandir celui qu'il avait dans la rue des Bons-Enfants. En 1624, le marquis d'Eslrees le \endit au cardinal. » Bientot Richelieu s'y trouva gene; la demeure du ministre de Louis XIII suivit le coins de sa fortune; elle 1 En 1 4 18, Villiers, seigneur de l'llc-Adam, s'empara de Paris, par trahison , au nom du due de Bourgogne, et se rendit , accompagne de Claude de Beauvoir, rue Saint- Honore, au domicile du comte d'Armagnac pour se saisir de la pcrsonne de ce connetable. LE PALAIS-ROYAL. 5 s'agrandit avec son pouvoir. Non content de surpasser son maitre en autorite, le cardinal vonlut l'egaler en magnificence. Le mur d'en- ceinte de Paris fnt abattn; le fosse comble; le jardin , degage de ses obstacles, prit une forme pins reguliere et s'etendit jnsqu'anx prairies , remplacees aujonrd'hni par la rue nenve des Petits - Champs et la rue Vivienne. En meme temps , Richelieu fit percer la rue qui a pris son nora, pour conduire directement de son palais a sa ferme de la Grange-Bateliere , situee an bas de la colline de Montmartre l . Des acquisitions nouvelles, faites tant du cote de la rue de Ri- chelieu que du cote de la rue des Bons-Enfants, permirent d'augmenter les batiments et leurs de- pendances 2 . Enfin, en i636, l'hotel de Richelieu etait un palais et s'appelait le Palais -Cardinal. 1 Cette ferme avait pris son surnom de la necessite ou Ton etait de passer l'eau dans 1'emplacement occupe aujonrd'hui par la rue Grange-Bateliere. ■ Un releve, fait aux archives du Palais-Royal , evalue les acquisitions , faites par le cardinal, pour batir son palais, a 666,618 livreSjSomme considerable pour ce temps. II faut ajouter a cette somme i5o,ooo livres, prix de l'hotel deSyl- Iery, cpie le cardinal acheta pour l'abattre, afiti d'avoir une place devant son palais; mais il n'eut point le temps d'achever son projet. La demolition ne fut terminee qu'apres sa mort et par l'ordre de la rcine regente, Anne d'Autriche. I. 4 RESIDENCES ROYALES. Cette inscription , ecrite en lettres d'or, domi- nait la principale porte au milieu de laquelle etaient sculptees les armoiries de Richelieu , surmontees des insignes de sa dignite ecclesias- tique. Elle eveilla la critique des beaux- esprits du temps. A. leur tete, Balzac pretendit que cette inscription n'etait ni grecque, ni latine, ni fran- caise : les grammairiens ne furent point de son avis; ils soulinrent que c'elait un gallicisme con- sacre par l'usage, comme I'Hdtel-Dieu, les Filles- Dieu y la Place Maubert; mais si Balzac n'avait pas tout a fait raison , ceux qui disaient que la vanite avait plus de part que la grammaire dans cette inscription, n'avaient pas tout a fait tort. Le plan du Palais - Cardinal etait fort irregu- lier;cela tenait aux nombreuses transformations qui marquaient les accroissemenls successifs de la puissance du proprietaire. La principale entree du Palais - Cardinal etait sur la rue Saint-Honore. On avait construit dans l'aile droite une vaste salle de comedie. « Cette « salle, dit Sauval, pouvait contenir environ trois « mille spectateurs ; elle etait reservee pour les « comedies de pompe et de parade , quand la pro- « fondeur des perspectives , la variete des deco- a rations , la magnificence des machines y atti- « raient leurs majestes etla cour. Malgre ses petits « defauts , c'est le theatre de France le plus com- LF. PALAIS-ROYAL. 5 a mode et le plus royal 1 . Independamment de « cette salle,le cardinal avaitarrange un salon pour « faire jouer les pieces que les comediens repre- « sentaient ordinairementau Marais-du-Temple. » C'est aussi la que, devant un parterre choisi, ou les flatteurs ne manquaient pas, le ministre au- teur , qui, pour avoir persecute le Cid, se croyait le rival de Corneille, faisait representer son Eu- rope et sa Myrame. La representation de Myrame fut celebre a plus d'un titre, et ce n'etait pas seulement la va- nite du poete qui etait interessee au succes de 1'ouvrage : Richelieu avait ose, dit-on, elever ses voeux jusqu'a sa souveraine. Cette folle preten- tion ne peut etre revoquee en doute ; madame de Motteville rapporte qu'elle en fut instruitepar la reine elle-meme : on lit dans les memoires de Retz , que madame de Fargis porta a la reine mere une leltre d'amour que le premier ministre avait ecrite a Anne d'Autriche; et Brienneraconte 1 Louis XIV donna cette salle, en 1660, a Moliere, qui y inourutle 17 fevrier 1673, en prouoncant \ejuro du Malade imaginaire. Apres la mort de 1'auteur du Misanthrope, elle fnt destinee aux representations de l'Opera. Briilee le 6 avri | 1763, recdifice aussitot par Louis-Philippe, due d'Orleans occupee de nouveau par l'Opera, elle fut consumes une se conde fois par l'incendie de 1781. RESIDENCES IIOYALES. a ce sujet une anecdote curieuse qui con firm e 1'opinion de ces auteurs contemporains. «Le cardinal etait eperdument amoureux,etne « s'en cachait point, d'une grande princesse. Le a respect que je dois a sa memoire m'empechera « de la nommer. Le cardinal avait eu la pensee « de mettre un terme a sa sterilite; mais on Ten « remercia civilement , dit la chronique d'ou je « tire ce fait. La princesse et sa confidente, ma- « dame deChevreuse, avaient en ce temps-la res- et prit tourne a la joie au moins autant qu'a l'in- «'trigue. Un jour qu'elles causaient ensemble et « qu'elles ne pensaient qua rire aux depens de « Tamoureux cardinal, — il est passionnement « epris, Madame, dit la confidente; je ne sache « rien qu'il ne fit pour plaire a votre majeste. « Voulez-vous que je vous l'envoie le soir dans « votre chambre, vetu en baladin , que je l'oblige « a danser ainsi une sarabande ? le voulez-vous ? « il y viendra. — Quelle folie ! » dit la princesse : « elle etait jeune, elle etait femme, elle etait vive « et gaie ; l'idee d'un pareil spectacle lui parut « divertissante. Elle prit au mot sa confidente, « qui fut du meme pas trouver le cardinal. « Ce grand ministre, quoiqu'il eut dans sa tete « toutes les affaires de l'Europe , ne laissait pas en « meme temps de livrer son coeuraFamour. 11 ac- re cepta ce singulier rendez-vous :il secroyait deja LE PALAIS-ROYAL. 7 « maitre de sa conquete, mais il en arriva autre- « ment. Boccau , qui etait le Baptiste d'alors et « jouait admirablement du violon , fut appele; « on lui recommanda le secret. De tels secrets se « gardent-ils? C'est done de lui qu'on a toutsu. « Richelieu etait vetu d'un pantalon de ve- « lours vert; il avait a ses jarretieres des sonnettes « d'argent; il tenait en main des castagnettes et « dansa la sarabande, que joua Boccau. Les « spectatrices et le violon etaient caches , avec « Vautier et Beringhen, derriere un paravent d'ou « Ton voyait les gestes du danseur; on riait a « gorge deployee; et qui pourrait s'en empecher, « puisqu'apres cinquante ans j'en ris encore « moi-meme? « On fit retirer Boccau , et la declaration fut « faite dans toutes les formes. La princesse la « traita toujours de pantalonade; et ses dedains, « assaisonnes du sel de la plaisanterie, aigrirent v tellement ce prelat orgueilleux, que depuis « son amour se changea en haine; la princesse « ne paya que trop cher le plaisir qu'elle avait « eu de voir danser une eminence 1 . » La vengeance de Richelieu fut implacable; elle se manifesta en toutes occasions, soil dans 1 Memoires tie Bricnne , recueillis avec autant de gout que d'interct par M. Barrierc. b RESIDENCES ROYALES. l'affaire de Chalais, ou il descendit lui-meme dans les cachots pour sollicker du prison- nier des aveux qui pouvaient compromettre Anne d'Autriche; soit lors de la decouverte de la correspondance de cette princesse avec le roi d'Espagne , ou il ordonna au chancelier Seguier d'aller au Val-de-Grace pour saisir cette corres- pondance sur la reine meme. Cette haine se signala encore dans une cir- constance moins solennelle. Ce fut a l'occasion de l'ouverture du grand theatre du Palais- Cardinal. La piece d'inauguration etait cette tra- gi-comedie de Mirame, dont nous venons de parler : elle avait ete composee par le car- dinal et par Desmarets T , son confident et son premier commis au departement des affaires 1 Desmaretz , un des premiers membres de r Academic francaise , la prit sous son nom , et signa la dedicace qui en fut faite au roi Louis XIII, en ces termes : « Mirame, que je presente avec respect a Votre Majeste, « n'a servi que d'un essai avant de chanter scs louanges, et si « mon travail a ete suivi de quelque heureux succes en un « sujet invente, elle jugcra, s'il lui plait, de ce que je pourrai « faire en parlant de ses exploits veritables. Bien que l'usage « des triomphes publics scmble etre aboli par toute la terre, « la France a maintenant un lieu ou j'espere que Votre « Majeste triomphera souvent par les vers et les beaux specta- « cles que votre grand ministre y fera faire pour celebrer vos « conquetes. » LE PALAIS-ROYAL. 9 poetiques. Richelieu depensa des somraes enor- mes pour cette mise en scene. La representation eut lieu en 1 639, en presence du roi, de la reine, et de toute la cour. Chacun savait, comme le dit Pelisson, que le premier ministre « temoignait des tendresses de pere a « cette Mirame , qui lui coutait deux ou trois « cent mille ecus et pour laquelle il avait fait « batir cetle grande salle de spectacle dans son « palais; aussil'on s'attendait a des acclamations. « J'ai oui dire que les applaudissements que Ton « donnait a cette piece , ou plutot a celui qui y « prenait beaucoup d'interet , transportaient le « cardinal hors de lui-meme; que tantot il se « levait et se tirait a moitie du corps hors de sa « loge poursemontrer a l'assemblee, tantot il im- « posait silence pour faire entendre les endroits « encore plus beaux. » Ce triomphe ne flattait pas seulement l'amour- propre de l'auteur, il satisfaisait les ressenti- ments de l'homme. La piece etait remplie d'al- lusions ameres sur la conduited'Anne d'Autriche et sur ses rapports secrets avec l'Espagne. Le roi, pere de Mirame, disait a son confident : Celle qui vous parait un celeste flambeau , Est un flambeau funeste a toute ma famille , Et peut-etre a l'Etat IO RESIDENCES ROY ALES. Acaste, il est trop vrai, par differents efforts, On sape mon Stat et dedans et dehors; On corrompt mes sujets, on conspire ma perte, Tant6t couvertement, tantot a force ouverte. Deux vers surtout durent cruellement blesser la reine. On pensait generalement que le due de Buckingham avail,- en 1627, fait declarer la guerre a la France, parce qu'il lui avait ete de- fendu d'y rentier, a cause de l'eclat de sa passion insensee pour Anne d'Autriche. Le prelat vindi- catif donnait clairement a entendre que cette princesse n'avait pas ete insensible aux amou- reuses folies x du due, en mettant dans la bouche de Mirame ces deux vers : Je me sens criminelle, aimant un etranger, Qui met pour mon amour cet Etat en danger. Ce theatre fut egalement temoin d'une fete que Richelieu donna en 1641, pour celebrer les fian- cailles de sa niece , Claire Clemence de Maille , avec le due d'Enghien , depuis le grand Conde. 1 Le due de Buckingham se presenta a un bal de la reine avec un manteau couvert d'or et garni de perles d'un grand prix. Ces perles mal attachees tomberent au milieu des danseuses, qui s'empresserent de les ramasser et de les accepter, aux galantes sollicitalions du due. Lelendemain, la reine lui fit remettre des bijoux enrichis des plus beaux dtamants, pour rindemniser de ses fastueuses libcralites. LE PAL, US- ROYAL. I I Nous empruntons a une plume contemporaine la description de cette solennite : « Le soir du quatorzieme de ce mois (i4 Jan- vier 1641) fut representee, dans l'hotel de Ri- chelieu, une piece de theatre composee par le sieur Desmarets, esprit poli et fertile tout en- semble, laquelle n'a point eu sapareille de nostre aage, si vous la considerez dans toute son es- tendue. Le snjet en estoit excellent, qui feut traite avec une telle abondance de pensees deli- cates, fortes et sublimes, qu'il seroit mal-aise de trouver dans tout 1'amas des plus belles trage- dies de l'antiquite, les raisonnemens qui sont dans cette seule piece, ornee des plus nobles sentimens et des tendresses les plus grandes de 1'amour. La France, ni possible les pais estran- gers , n'ont jamais veu un si magnifique theatre, et dont la perspective apportoit plus de ravisse- ment aux yeux des spectateurs. La beaute de la grand' salle 011 se passoit Taction s'accordoit merveilleusement bien avec les majestueux or- nemens de ce superbe theatre , sur lequel , avec un transport difficile a exprimer et qui fut suivy d'une acclamation universelle d'estonnement, pa- roissoient de forts delicieux jardins ornez de grottes , de statues, de fontaines et de grands parterres en terrace sur la mer, avec des agita- tions qui sembloient naturelles aux vagues de I '2 RESIDENCES ROY ALES. ce vaste element, et deux gran des flottes, dont l'une paroissoit eloignee de deux lieues, qui pas- serent toutes deux a la veue des spectateurs; la nuit sembla arriver ensuite par l'obscurcisse- ment imperceptible taut du jardin quede la mer et du ciel , qui se trouva eclaire par la lune. A cette nuit succeda le jour, qui vint aussi insen- siblement avec l'aurore et le soleil , qui fit son tour d'une si agreable tromperie, qu'elle duroit trop auxyeux et au jugement d'un chacun. Apres la comedie circonscrite par les loix de la poesie dans lesbornes de ce jour naturel,les nuages d'une toile abaissee cacherent entierement le theatre. Alors trente-deux pages vinrent apporter une collation magnifique a la reine et a toutes les dames , et peu apres sorlit de dessous cette toile un pont dore conduit par deux grands paons, qui fut roule depuis le theatre j usque sur le bord de l'eschaffaut de la reine, et aussi tot la toile se leva, et au lieu de tout ce qui avoit ele vu sur le theatre, y parut une grande salle en perspective , doree et enrichie des plus magni- fiques ornemens, eclairee de seize chandeliers de cristal; au fond de laquelle etoit un throsne pour la reine, des sieges pour les princesses, et aux deux costes de la salle des formes pour les dames; tout ce meuble de gris de lin et argent. La reine passa sur ce pont pour s'aller asseoir LE PALAIS-ROYAL. l3 sur son throsne, conduite par Monsieur; commc lcs princesses, les dames et les demoiselles de la coin* par les princes et seigneurs, lesquelles ne fu rent pas plustot placees que la reine danca dans cette belle salle un grand branle avec les princes, les princesses, les seigneurs et les dames. Tout le reste de l'assemblee regardoit a son aize ce bal si bien ordonne, ou toutes les beautez de la cour ne brilloient pas moins de leur propre eclat que de celuy des riches pierreries dont elles etoient ornees et fesoient admirer leur adresse et leur grace. Apres le grand branle, la reine se mit en son throsne el vit danser longtemps grand nombre d'autres dames des plus belles et des plus adretes de la cour. En fin , si j'ai de la peine a me retirer de cette narration , jugez combien il fut difficile aux spectateurs d'une si belle action de sortir d'un lieu ou ils secroyoient avoir ete enchantez par les yeux et par les oreilles; lequel ravissement ne fut pas pour les seuls Francais , les generaux Jean - de - Vert , Enkenfort, et Don Pedro de Leon, prisonniers de guerre, en eurent leur part, y ayant ete con- duits du bois de Vincennes. » Cette vanite d'auteur qui s'exhalait en repre- sentations theatrales sans fruit et sans gloire , avait pris un caractere plus utile et plus grand, lorsqueetendant sa main puissante sur tous ceux 1 4 RESIDENCES ROYALES. qui cultivaient les lettres, protegeant leurs reu- nions, encourageant leurs ecrits, Richelieu jetait les fondements de l'Academie francaise. En 1629, Godeau, Conrart, Habert , Chape- lain, Malleville , et plusieurs autres amis des lettres avaient forme une societe litteraire. lis se reunissaient chaque semaine chez Conrart. Ces conferences, qu'on s'etait promis de tenir se- cretes, furent ignorees pendant Irois ans. Malle- ville le premier en trahit le mystere : il fit ad- mettre dans la societe Faret, auteur de L'homiete Homme, elDesmarets, qui ache va it son Ariane. Desmarets y conduisit bientot Boisrobert , favori du cardinal Richelieu. Boisrobert en parla avec enthousiasme a son maitre. Richelieu, qui, comme on sait, se piquait d'etre aussi bon poete que grand homme d'Etat, accueillit avec satisfaction la pensee d'etre le Mecene d'un corps savant. II chargea Boisrobert de proposer a ses amis de s'assembler sous une autorite publique, et de leur offrir la protection du premier ministre. La petite societe fut etourdie de la proposition ; on delibera, et la grande majorite, tremblant pour son independance, penchaita se declarer indigne de l'honneur qu'on voulait lui faire, lorsque Chapelain rappela que ale cardinal ne vouloit a pas mediocrement ce qu'il vouloit. » Cette ob- servation fut sans replique, et l'assemblee se de- LE PALAIS-ROYAL. I 5 cida a subii' ties-humblement la faveur du car- dinal. Peu de temps apres, la societe prit le nom (X Academie francoise , et elle soumit a Richelieu le projet de ses travaux futurs. II avait pour but principal « de tirer la langue francoise du nora- « bre des langues barbares, de la nettoyer des « ordures qu'elle avoit contractees , ou dans la « bouche du peuple, ou dans les impuretes de « la chicane, ou par les mauvais usages des cour- « tisans ignorants. » Chapelain fut charge de presenter le plan d'une grammaire et d'un dic- tion naire francais. En jan\ier i635, l'Academie fut fondee par lettres patentes du roi Louis XIII. Voici ce qu'el- les portent en substance : « Notre tres-cher et « tres-aime cousin le cardinal due de Richelieu « nous a represente cju'une des plus glorieuses « marques de la felicite d'un Etat etoit que les « arts et les sciences y fleurissent et que les « lettres y fussent en honneur; qu'apres avoii- « fait taut d'exploits memorables, nous n'avions « plus qu'a y ajouler les choses agreables aux « necessaires; el qu'il jugeoit que nous ne pou- « vions mieux commencer que par le plus noble « de tous les arts , qui est l'eloquence ; que la « langue francoise, qui jusqu'a present n'a que « trop ressenti la negligence de ceux qui Feussent « pu rendre la plus parfaite des modernes , est J 6 RESIDENCES ROYALES. « plus que jamais capable de le devenir, veu le « nombre de personnes qui ont line connois- Le jardin n 'etait alors ni beau ni regulier : il contenait un mail, un manege, et deux bassins dont le plus grand , appele Rond cFeau , etait ombrage d'un petit bois. Louis XIV, dans son enfance, se laissa un jour tomber dans le bassin tlu petit jardin dit Jardin des princes. Mais il fallait un appartement pour le due d'Anjou , depuis due d'Orleans , frere du roi. Pour le pratiquer , on detruisit , a l'aile gauche du palais , dans la cour qui donne sur la place , la vaste galerie ou le pinceau de Philippe de Champagne avail immortalise les grandes ac- tions du cardinal. Le due d'Anjou fut baptise dans la chapelle du Palais-Royal, le 1 1 mai 1648. Voici la relation contemporaine de cette cere- monie : « L'onzieme de ce mois, sur les trois heures « apres midi , leursdites Majestez se rendirent « dans la chapelle du Palais-Cardinal, 011 se trou- « \erent aussi la Reine de la Grand'Bretagne, 3o RESIDENCES ROYALES. « Monseigneur le Due d'Orleans, le Prince de « Galles, fils aisne de leurs Majestez Britan- « niques, les deux Princesses de Conde , son « Eminence, le Due de Longueville, le Prince « Palatin Robert, les Due de Joyeuse et Chevalier « de Guyse, le Due d'Elbeuf, le Chancellier de « France, les Dues de Retz et de Schomberg, « le Marescbal de Breze et autres grands Sei- « gneurs et Dames de cette Cour. « Les Archevesques de Sens, de Tours et de « Bordeaux, les Evesques de Lisieux, d'Albi, de « Sarlat, de Saint Paul, du Puy, de Saint Flour, « d'Utique, coadjuteur de Montauban et autres « Prelats s'y rendirent aussi , notamment l'E- « vesque de Meaux , premier aumosnier du Roy « officiant, pontificalement vestu, et tous les k aumosniers du Roy et de la Reine en rochets. « Sur les trois a quatre heures, le petit Prince, « pour lequel la ceremonie se faisoit, y parut « aussi beau comme un ange tout vestu de toile a d'argent, dont le lustre et la blancheur estoit « le symbole de sa candeur et de son innocence, « estant eleve sur un siege en cet estat, la piete « de la Reine desira que cette sainte ceremonie « fust precedee de l'invocation du Saint-Esprit, « qui fut faite par le chant du Veni Creator , a melodieusement entonne parlamusiqueroyale: « laquelle finie, l'Evesque de Meaux demanda au LI PALAIS -ROYAL. 3 1 « jeune Prince ce qu'il desiroit de l'Eglise de « Dieu : a quoi il respondit fort distinctement « qu'il demandoit la ceremonie du baptesme. En « suite de quoi ce Prelat ayant demande a la a Reine de la Grand'Bretagne et a son Altesse « Royale qui estoyent invitez pour estre parrain « et marraine, quel nom il leur plaisoit lui don- ee ner; la Reine de la Grand'Bretagne, apres avoir « fait civilite et compliment a sadite Altesse, lui « donna le nom de Philippes : sur quoi le sieur « Bloiiin, son premier valet de chambre, ayant « denoue deux rubans desquels son pourpoint « estoit attache devant et derriere, afin qu'on lui « pust plus aisement apliquer le saint huyle des « catechumenes, cette ceremonie et toutes les « autres furent failes avec une merveilleuse at- « tention et devotion de ce Prince, qui remplit « un chacun d'une grande satisfaction, et leur « fit aisement concevoir ce qu'on en doit esperer « en un age plus meur : car il receut le sel benit « et dist d'un ton et d'un geste devotieux XAbre- « nuntio et le Credo, et respondit si adroitement « et si a propos a toutes les interrogations que « le Prelat officiant lui faisoit au langage de « l'Eglise, qu'il donna bien a connoistre par la « les soins avec lesquels son sage precepteur, « qui est celui du Roy, cultive sa piete,^et lui Que j'ai d'ennuie que la reine Tot a Paris le roy ramene* 54 RESIDENCES ROYALES. grossesse; mais la veritable cause de son refus etait le plaisir de rester dans Paris a la tete des Frondeurs. Getle charmante duchesse , dont les yeux de turquoise couterent la vie au jeune Co- ligny , et rendirent La Rochefoucauld frondeur et poete, s'enivrait de l'idee de son triomphe. Pour le mieux assurer, elle attire a Paris le prince de Conty son frere , et le vieux due de Longue- ville son epoux , qui avaient suivi la cour , et , comrae pour servir d'otage aux habitants de la capitale, elle va s'etablir a l'hotel de ville, ac- compagnee de la duchesse de Bouillon. Toutes deux se montrerent au peuple , belles de tous leurs charmes et de leurs enfanls qu'elles tenaient dans leurs bras, et la multitude les salua avec en- thousiasme. La duchesse de Longueville ajouta encore a sa popularite en faisant ses couches a l'hotel de ville, ou elle mit au jour un fds qui fut nomme Paris, du nom meme de la ville I . Mais le brillant echafaudage de cette royauteephemere tomba devant la regente ramenant le jeune mo- narque dans sacapitale, apres l'accommodement de St-Germain 2 . 1 Charles Paris d'Orleans, comte de Longueville , tue au passage du Rhin. * Reine d'un jour, la duchesse de Longueville n'avait pas porte siins ennuis sa couronne populaire, dans un temps ou LE PALAIS-ROYAL. 55 Anne d'Autriche se croyait tranquille , lors- la satire se repandait en sarcasmes contre tous les princi- paux de l'Etat sans acception de parti. Les chefs de la Fronde etaient les premiers en butte aux traits de la malignite parisienne ; la duchesse elle-meme n'en fut pas epargnee ; aussi , dans son cceur cruellement blesse, regretta-t-elle sou- vent d'avoir embrasse un parti qui la menageait si peu. Parmi les innombrables couplets , satiriques ou burlesques que chaque jour voyait eclore, la severite de l'histoire nous- permet de citer les triolets suivants : LES TRIOLETS DE LA COUR. Ca, 9a, faisons des triolets, Puisqu'aussi bien e'en est la mode , Mais faisons-en de biens folets ; Ca , 9a , faisons des triolets. 11 en court qui ne sont pas laids, Et que j'estime autant qu'une ode; Ca, ca, faisons des triolets, Puisqu'aussi bien e'en est la mode. Mes beaux courtisans de la cour, De qui nous avons tant d'alarmes , Nous nous vengerons quelque jour, Mes beaux courtisans de la cour ; Et nous pourrons a notre tour Vous faire aussi crier aux armes , Mes beaux courtisans de la cour, De qui nous avons tant d'alarmes. 56 RESIDENCES ROYALES. qu'im einiemi plus redoutable parut sur la scene, Grand president, sage Mole, Plus qu'aucun homme de nostre age, De vostre barbe on a parle , Grand president, sage Mole: Eussiez-vous le menton pele, Vous ne laisserez d'etre sage , Grand president, sage Mole, Plus qu'aucun homme de nostre age Monseigneur Jules Mazarin , La France pour vous n'est plus bonne, On vous aime mieux a Thurin , Monseigneur Jules Mazarin ; Gaignez le Pau, gaignez le Rhin, Sauvez votre chere personne , Monseigneur Jules Mazarin , La France pour vous n'est plus bonne. Bon la Riviere, maistre abbe, Plus habile qu'un maistre moyne,, Vous savez bien plus qu'A ny Be; Bon la Riviere, maistre abbe, Vous pensez nous mettre a jube , En nous reduisant a l'avoine, Bon la Riviere, maistre abbe, Plus habile qu'un maistre moine. Brave mareschal de Grammont, Vostre gloire est bien refleurie; Grand cas de vous force gens font, Brave mareschal de Grammont; Et vos envieux d'accord sont, LE PALAIS-ROYAL. 5y se plaignant avec hauteur de son ingratitude, et Que depuis la lamponerie, Brave mareschal de Grammont, Vostre gloire est bien refleurie. Mareschal la Motte-Houdancourt , Paris vaut mieux que Pierrencise, Puisqu'icy vous faites sejour, Mareschal la Motte-Houdancourt, Et n'etes pas avec la cour ; Tout va bien pour nostre franchise, Mareschal la Motte-Houdancourt, Paris vaut raieux que Pierrencise. Bouillon , feu prince de Sedan , Si vous pouviez passer la porte , Les ennemis auroient mal an , Bouillon, feu prince de Sedan , Sur un beau cheval alezan , Ou d'autre poil il ne m'importe, Bouillon , feu prince de Sedan , Si vous pouviez passer la porte. Vous et vos enfans, due d'Elbceuf, Qui logez pres de la Bastille, Valez tous quatre autant que neuf , Vous et vos enfans, due d'Elbceuf. Le rimeur qui vous mit au bceuf „ Merite quelque coup d'estrille, D'avoir mesdit du due d'Elbceuf, Qui loge aupres de la Bastille. Pour avoir fait de tels enfans, Que le Tout-Puissant vousguerdonne. 58 RESIDENCES ROYALES. melant le sarcasme a la menace : c'etait Conde. Vaillans, beaux, courtois, piaffans; Pour avoir fait de tels enfans, Trois lyons ou trois elefans , Vous meritez une couronne, Pour avoir fait de tels enfans, Que le Tout-Puissant vous guerdonne. Invincible due de Beaufort, Que tant de vaillance accompagne, Sans doute on vous faisoit grand tort, Invincible due de Beaufort, De vous retenir dans un fort ; Vous etes mieux a la campagne, Invincible due de Beaufort, Que tant de vaillance accompagne. Grand Conde , vaillant comme un coq , Prince du noble sang de France, Le coup d'une arquebuse a croc, Grand Conde, vaillant comme un coq, Vous donneroit un rude chocq , Et lors adieu votre vaillance , Grand Conde, vaillant comme un coq, Prince du noble sang de France. Monseigneur le due d'Orleans , Bon prince de nature humaine, Pourquoi sortez-vous de ceans, Monseigneur le due d'Orleans? Celui qui vous mene et rameine, Seroit bien mieux dans la Seine ', » L'abbe la Riviere. LE PALAIS-ROYAL. 5g Conde avait un genie admirable pour la guerre ; Monseigneur le due d'Orleans, Bon prince de nature humaine. Grande reine, ne croyez pas Ce que la colere conseille; Revenez viste sur vos pas. Grande reine , ne croyez pas Un desir de vengeance bas ; Que votre bonte se resveille. Grande reine , ne croyez pas Ce que la colere conseille. Grand roy que retient Saint-Germain , On te souhaite en cette ville , Reviens a Paris des demain , Grand roi que retient Saint-Germain; Chacun t'ira baiser la main D'une asme devote et civile. Grand roy que retient Saint-Germain , On te souhaite en cette ville. Mazarin, plie ton paquet, Car notre reine est tres sage : La galanterie lui deplait. Mazarin, plie ton paquet, Garantis ton rouge bonnet Des risques d'un si grand orage. Mazarin, plie ton paquet, Car nostre reine est tres sage. Admirons monsieur de Bouillon , C'est un Mars quand it a la goutte : 6o RESIDENCES ROYALES. son coup d'ceil elait rapide et stir, son courage a toute epreuve, son activite infatigable; il aimait les dangers, les actions d'eclat, et la victoire lui etait familiere. Sa conduite politique offre des variations qui la rendent moins imposante que sa conduite militaire. Persuade que seul il pou- vait etre l'appui et la gloire du trone, il se laissa egarer par cette pretention. La Fronde le vit tan- tot ami et defenseur de la cour, tan tot son adver- saire et son ennemi. Son caractere altier s'indi- gnait de trouver a la tete des affaires un pretre , que par derision il appelait le dieu Mars, et son ambition ne pouvait sereduire a jouer le second role. La reine sentit lout ce qu'elle avait a craindre de cet illustre mecontent , et comprit que si Son conseil est toujours fort bon. Admirons monsieur de Bouillon , II est sage comme un Caton, On fait tres bien quand on l'ecoute. Admirons monsieur de Bouillon , C'est un Mars quand il a la goutte. Le petit prince de Conty S'est declare pour notre ville; II n'eut jamais pris son party, Le petit prince de Conty, S'il n'avait ete perverty Par les conseils de Longueville. Le petit prince de Conty S'est declare pour notre ville. LE PALA.1S-ROYAL. 6 1 elle ne detachait point le coadjuteur du parti du prince , elle resterait trop faible pour lutter contre eux. Elle eut recours a un de ces moyens si puissanls lorsqu'ils sont employes par une femme, plus encore par une reine, a 1'egard d'un horame ambitieux et galant. Retz, alors coadjuteur de Paris, doue au plus haut degre du genie des intrigues, tout a la fois souple et audacieUx, habitue a se faire un masque des vertus qu'il meprisait; d'un caraclere haut et redoutable, d'un esprit vif, penetrant, inepui- sable en ressources , mesura de son coup d'ceil rapide l'espace que livraient a son ambition les diverses factions qui agitaient la cour et la ville, et il s'empara fierement de toutes les avenues qui pouvaient le mener a la puissance. Veritable Protee de la Fronde , on le voit se meler a toules les cabales, figurer dans tous les mouvements , s'armer de sa popularite tantot comme d'une me- nace contre la cour, tantot comme d'un moyen de reconciliation. Cette souplesse se manif'esta dans une cir- constance grave, oil la cour eut besoin de son appui. Le i cr Janvier i65o , madame de Che- vreuse remit au coadjuteur un billet de la reine ainsi concu : « Je ne puis croire, nonobstant le « passe, que M. le coadjuteur ne soit a moi; je 6l RESIDENCES ROYALES. « le prie que je le puisse voir sans que personne « le sache que madame et mademoiselle de Che- « vreuse. Ce nom sera sa surete. Anne. » Retz fit cette reponse a la reine : « II n'y a jamais eu de « moment en ma vie ou je n'aie ete egalement a i Votre Majeste ; je serais trop heureux de mou- « rir pour son service, pour songer a ma surete. « Je me rendrai oil elle me l'ordonnera. » II enveloppa le billet de la reine dans le sien, et madame de Chevreuse lui porta lelendemain sa reponse, qui fut bien recue. Cette duchesse de Chevreuse, si jolie, si spirituelle, si passion- nee pour Pintrigue et les plaisirs , qui profana d'une maniere si brillante les charmes et les qua- lites dont le ciel avait pris soin de l'embellir, etait laconfidente d'Anne d'Autricbe, et avait de Pinfluence sur Pesprit du coadjuteur par Pamour qu'avait inspire a ce prelat mademoiselle de Che- vreuse, sa fille , qui prefera, comme sa mere, le scandale de la celebrite aux modestes triomphes de la vertu. Le coadj u teur se trouva done a minuit au cloitre Saint-Honore, ouGabouri, porte-manteau dela reine, vint le prendre et le mena au Palais-Royal par un escalier derobe au petit oratoire, ou elle etait tou te seule enfermee. Anned'Autriche luite- moigna toutes les bontes que sa haine contre le IF PALAIS-ROYAL. 63 prince de Conde pouvait lui inspirer, et que son attacliement pour le cardinal Mazarin pouvait lui permettre. « Le cardinal entra demi-heure apres « (dit le cardinal de Retz dans ses memoires); il « supplia la reine de lui permettre qu'il manquat « au respect qu'il lui devait , pour m'embrasser « devant elle. II fut au desespoir, disait-il, de ce k qu'il ne pouvait me donner sur l'heure meme « son bonnet.... Entre autres arrangements qui « eurent lieu dans cette conference, il fut resolu « que Ton arreterait M. le Prince, M. le prince « de Conty et M. de Longueville. * Le 18 Janvier i65o, la reine avait convoque le conseil au Palais-Royal; il se tenait d'ordinaire dans la galerie. « Le prince de Conde passa le « premier, le prince de Conty, son frere, apres, « ensuite le due de Longueville et le resle des « ministres. M. le Prince, en attendant la reine, « s'amusa a parler au comte d'\vaux d'affaires « de finances. Le cardinal Mazarin , voyant les « princes entres dans la galerie , au lieu de les « suivre, prit 1'abbe de la Riviere par la main et « lui dit tout bas : « Repassons dans ma chambre, « j'ai quelque cbose de consequence a vous dire. » « I^a reine, d'autre cote, ayant quitte son lit, ou « elle s'etait tenue tout habillee 1 , donna l'ordre * F.11 i65o, le jour de rarrestation du prince de Conde, 64 RLSIDENCEL ROTATES. « necessaire a Guitaut, capitaine de ses gardes. « Elle prit le roi, a qui jusqu'alors elle n 'avail « rien dit de cette resolution , et s'enferma avee « lui dans son oratoire; elle le fit mettre a ge- « noux , lui apprit ce qui se devait executer en « cet instant, et lui ordonna de prier Dieu avee « elle, afin de lui recomniander le succes de cette « entreprise, dont elle attendait la fin avee beau- « coup d'emotion et de battements de coeur. Au « lieu de la reine, qu'on attendait au conseil , « Guitaut entra dans la galerie. M. le Prince lui « demanda ce qu'il desirait; Guitaut lui repondit « tout bas : « Monsieur, ce que je veux, c'est que «j'ai ordre de vous arreter, vous, M. le prince « de Gonty voire frere, et M. de Longueville.... » «Guitaut fit entrer Comminges, son neveu , et « douze gardes par la porte du bout de la ga- «lerie, ou ils etaient attendant l'ordre. II les « fit passer pour lui oirvrir la petite porte qui au Palais-Royal , la princesse douairiere de Conde , sa mere, saisie d'un pressentiment, le suivit au Palais, pour confier ses craintes a Anne d'Autriche, son ancienne amie. L'accueil de la reine la rassura. Elles causaient ensemble avee toute l'apparence de l'intimite, assises sur le meme lit. Le prince entra dans 1'appartement , et les voyant dans cet entretien familier, ressortit aussitot , pour ne pas les interrompre. II ne revit plus sa mere; la douleur de le savoir en prison la tua bientot. LE PALAIS-ROYAL. 65 « donne au jardin, afin d'y pouvoir descendre a par un petit escalier derobe'. Le prince de « Conti ne parla point du tout. Le due de Lon- « gueville, qui avait mal a une jambe, et qui ne « trouvait pas agreable de s'en servir dans cette « occasion , allait lentement et mal volontiers. « Guitaut fut oblige de commander a deux gardes « de lui aider a marcher. On voyait sur son « visage qu'il avait regarde cette disgrace comme « un malheur qui le conduirait au tombeau. « M. le Prince, marchant le premier, arriva plus « tot que les autres a la portedu jardin qui donne « dans la rue; il fallut attendre les deux princes « qui le suivaient pour faire ouvrir la porte. Des « qu'ils furent arrives, Guitaut ouvrant la porte, « le carrosse se trouva tout pret pour les rece- « voir, et Comminges , qui y monta avec eux , « les fit sortir par la porte de Richelieu pour ne « point traverser Paris, et les conduisit au bois « de Vincennes. » 1 En entrant dans cet escalier sombre et qui etait rempli de gardes, « Guitaut, s'ecria Conde, voila qui sent bien les « etats de Blois? — Non, non , monseigneur, repondit vive- « ment Guitaut; si cela etait, je suis horn me d'honneur, je « ne m'en melerais pas. » En traversant le jardin du Palais - Royal , au milieu d'une double haie de gendarmes : « Mes « amis, leur dit le prince, ee n'est pas ici la bataille de « Lens ! ■ 5 66 RESIDENCES ROYAL ES. Ce coup d'Etat n'apaisa point la fureur du peuple contre Mazarin. Ce ministre, instruit des efforts que Ton tentait pour delivrer les princes, les fit transferer d'abord a Marcoussy, de la au Havre. C'est dans cette derniere prison que le cardinal, inquiet de forage amasse sur sa tete, se rendit pour briser lui-meme les fers de ses il- lustres prisonniers , qui revinrent a Paris le 1 6 fevrier i65i. La mise en liberte des princes ne satisfit pas encore les exigences du peuple : c'etait Mazarin qu'il detestait, c'etait l'exil de Mazarin qu'il de- mandait l . La reine voulait bien faire des sa- * Les rues de Paris retentissaient chaque matin de nou- velles chansons , de nouvelles satires contre le cardinal. Dans le nombre, nous avons choisi la suivante, pour donner une idee de la rage avec laquelle les poetes du temps pour- suivaient le premier ministre : LA CHASSE A MAZARIN. Adieu, jongleur, trousse tes quilles, C'est trop nous vendre tes coquilles : Ta farce n'est plus de saison, Le Francais n'est plus un oison. Tes jeux et tes forfanteries, Tes machines, tes comedies, LE PALAIS-ROYAL 67 orifices, mais se separer de son ministre etait Ont assez long-temps amuse , Ou , pour mieux parler, abuse Ses yeux, cependant qu'en cachette Tu fouillais dedans sa pochette. Pretends-tu faire un tres grand gain A la foire de Saint-Germain ? Y veux-tu batir un theatre Poury debiter ton emplastre; Et que les premiers de la cour Y servent d'acleurs tour a tour? Qu'un grand roi passe pour esclave, Qu'un soit le niais , l'autre le brave , Lorsqu'un valet a long inanteau Vend son maistre pour un chapeau. Pliez bagage, seigneur Jule, On n'ayme plus le ridicule. Va porter tes drogues ailleurs, Oil tes tours paraissent meilleurs. Prends done de bonne heure la fuite, Ou mille limiers a ta suite, Comme an loup chasse du troupeau, S'attacheront apres ta peau , Et ne lascheront point leur proye Qu'ils n'en fassent mainte courroye. Quoi ! tu parais encore ici , Et les courtisans de Poissy N'ont pas a belles coustillades Fait de tes cotes des grillades ! Et lu crois , nous ostant le pain , Nous faire tous mourir de faim, 68 RESIDENCES ROYALES. au-dessus de ses forces. Elle resolut done, si Mazarin etait oblige a quiller Paris, de le suivre une seconde fois. Mais les projets de cour ne sont pas si mysterieux qu'ils ne fassent bientot naitre quelques soupcons,et le peuple supporte impa- tiemment qu'on cberche a le tromper. Aussi dans la nuit du 9 au 10 fevrier i65i, sur le bruit que la reine voulait enlever le roi et le conduire une seconde fois a Saint-Germain, les rues se remplirent de bourgeois et d'artisansquicriaient : Aux armesl A minuit, Anne d'Autricbe fut avertie de ce mouvement; elle etait deja coucbee. Elle montra beaucoup de fermete dans cette occasion, donna Tandis que te voyant si proche , On te pourra rotir en broche. Sus, sus, Francois, reveillez-vous; Qu'est devenu votre courroux? Vous laissez sauver a la course Ce larron qui tient votre bourse, Sus, sus, enfants, que Ton le traque, Qu'on s'acharne sur sa casaque, Et qu'on inette sur un carcan Toutes ses pieces a l'encan. Si son avarice ne creve , Empoignez l'archet de la Greve, Et cherchez-moi dedans ses os L'or qu'il a fondu par lingots. LE PAL MS-ROY AX. 69 ordre de doubler les gardes et d'avertir les ser- vileurs du roi. Le bruit augmentait a tous mo- ments dans les rues. Le due d'Orleans (Gaston) envoya de Soucbes, un de ses familiers , a la reine pour la supplier de faire cesser le tumulte. Elle lui repondit avec bumeur que « e'etait le « due d'Orleans qui avait fait prendre les armes « aux bourgeois, et que par consequent il etait « le seul qui put faire tairele peuple;qu'elle n'a- « vait point eu la pensee de parlir; que le roi et « Monsieur dormaient tous deux paisiblement,» et pour Fen convaincre, elle voulut qu'il allal voir le roi dans son lit. De Soucbes passa cbez le roi et le trouva dans un profond sommeil. 11 sortit du Palais-Royal entierement persuade que la reine n'avait nul desir de quitter Paris, et, en retournant au Luxembourg , il fit ce qu'il put pour apaiser les Parisiens. cdlsrepondirentqu'ils « voulaient eux-memes voir le roi. 11 y en eul « done qui entrerent jusque dans le Palais-Royal, « criant qu'on leur montrat le roi, et qu'ils le « voulaient voir. La reine, le sachant, comman- « da aussitot qu'on ouvrit toutes les portes , et « qu'on les menat dans la cbambre du Roi. Ravis « de cette francbise, ils se mirent tous aupres du « lit du roi , dont on avait ouvert les rideaux ; « et reprenant alors un esprit d'amour, lui don- « nerent mille benedictions, lis le regarderent 70 RESIDENCES ROYALES. « long-temps dormir et ne pouvaient assez l'ad- « mirer. Cette vue leur donna du respect pour « lui : ils desirerent davantage de ne pas perdre « sa presence; mais ce fut par des sentimens de « fidelite qu'ils le temoignerent. Leur emporte- « ment cessa, et au lieu qu'ils etaient entres « conime des gens remplis de furie, ils en sor- « tirent comme des sujets remplis de douceur, « qui demandaient a Dieu de tout leur cceur « qu'il lui plut leur conserver leurjeuneroi,dont « la presence avait eu le pouvoir de les char- « mer !• » Cependant Mazarin avait cm devoir se retirer a Sedan, bien persuade que le peuple de la Fronde etait trop frivole pour bouder longtemps le pou- voir, et que celui qui chante dans l'esclavage, est fait pour porter des fers. Dans son exil, il gouvernait encore et la reine et 1'Etat. Le peuple avait mis quelque espoir dans Gaston, due d'Or- leans, mais ce prince aimable, instruit, eloquent, etait sans Constance et sans fermete. Pendant la Fronde, on le retrouve dans toutes les intrigues de la cour, des princes et du parlement, tantot du parti de la reine, tantot oppose a la cour; un jour l'ami de Conde, le lendemain son ad- versaire. Toujours envieux de l'autorite, et avide * Memoires de madame de Motteville, LE PALAIS-ROYAL. 7 I de s'en saisir sans jamais en avoir ni le talent ni le courage, Gaston se complaisait dans ce grand commerage politique; mais il etait dans sa desti- nee comme dans son caractere de ne jamais etre qu'un illustre brouillon F. Abandonnes ainsi par ceux qui avaient promis de defendre leurs interets , les partisans de la Fronde voyant que le gouvernement du roi pre- nait de jour en jour plus descendant, passerent sous ses bannieres apres les sieges d'Orleans et d'Etampes, et le combat de la porte St-Antoine, ou mademoiselle de Montpensier, la grande Ma- demoiselle, fit tirer, de la Bastille sur l'armee royale, ce coup de canon qui tua son manage avec Louis XIV. Tous les jours on adressait au roi des sup- pliques en vers et en prose pour presser son retour : « Satisfais done, Louis, a mon impatience, « Comble-moy de plaisirs par ta chere presence : « Retourne dans ton Louvre et dans ce beau sejour : « Rameine avecque toy les graces et l'amour : « En un mot viens par tout restablir l'allegresse , « Qui depuis ton depart fait place a la tristesse. 1 II existe dans les pieces de la Fronde une chanson spi- rituelle ou Gaston, a toutes les instances du peuple, repond toujours : « Je dors! » 7^ RESIDENCES ROY ALES. « Tes sujets transportez d'aise de te revoir, « Iront tous a l'envi te rendre leur devoir : « Tu n'entendras que cris, non tels que ma misere '< Leur en a fait pousser vers le ciel en colere; « Mais bien des cris de joye et de felicite , « Accompagnez de voeux pour ta prosperite. « Tu ne verras que pleurs, non pareils a ces larmes « Qu'ont tire de leurs yeux mes pressantes alarmes; « Mais de fideles pleurs que l'extase et l'amour « Repandront en faveur de ton heureux retour : « Et leurs cceurs aux soupirs feront aussi passage, « Mais comme a des parfums exhalez par hommage. « Enfin a ce grand jour, jour benist a jamais, « Auquel tu reviendras sur le char de la paix, a Tu ne trouveras rien qu'une loiiable envie « De te sacrifier nos biens et nostre vie *. » Le roi se rendit a ces voeux; il revint enfin de Saint-Germain a Paris, le 21 octobre i652, au milieu des acclamations du peuple , et le meme jour il abandonna la residence du Palais-Royal pour aller habiter le Louvre. 1 Deuil de Paris. Piece de la Fronde. LE PALAIS-ROYAL. 7 3 CHAPITRE III. Le Palais- Royal habite par Henriette-Marie, reine tl'Ati- gleterre. 1652—1662. Henriette-Marie de France, fille de Henri IV, etait devenne reine d'Angleterre par son mariage avec Charles, prince de Galles, depuis Charles l er . Les troubles politiques et religieux dont ce royaume devint le theatre, forcerent cette prin- cesse, en 1644 ? a venir chercher un asile en France. Elle debarqua a Brest et se rendit d'a- bord a Bourbon, dont les eaux lui etaient pres- crites. «Quand on sut qu'elle devait arriver (dit « mademoiselle de Montpensier dans ses Memoi- « res), je fus envoyee au-devant d'elle dans un 74 RESIDENCES ROYALES. « cairosse du roi, comme c'est la coutume, jus- te qu'au Bourg-de-la-Reine , ou je la trouvai avec « Monsieur, qui y etait alle avant moi Elle « etait en toute maniere en un etat si deplorable «< que tout le monde en avait pitie. On la fit lo- « ger au Louvre, ou le lendemain elle recut tous « les honneurs dus a une reine, et a une reine « fille de France. Elle parut durant quelques « mois en equipage de reine; elle avait avec elle « beaucoup de dames de qualite, des filles « d'honneur, des carrosses, des gardes, des valets « de pied. Cela diminua petit a petit, et peu de « temps apres, rien ne fut plus eloigne de sa di- re gnile que son train et son ordinaire.* En eiTet, pendant les troubles de la Fronde cette princesse se vit reduite , comme elle le disait elle-meme, a demander une qumone au parlement pour subsister 1 . 1 « Cinq ou six jours avant que le roi sortit de Paris , dit le cardinal de Retz , j'allai chez la reine d'Angleterre , que je trouvai dans la chambre de mademoiselle sa fille, qui a etc depuis madame d'Orleans. Elle me dit d'abord : « Vous voyez , je viens tenir compagnie a Henriette ; la pauvrc enfant n'a pu se lever aujourd'hui, faute de feu » J'exa- gerai encore cet abandonnement, et le gouvernement envoya 4o,ooo livres a la reine d'Angleterre. La posterite aura peine a croire qu'une reine, fille de Henri le Grand, ait manque d'un fagot pour se lever au mois de Janvier dans le LE PALAIS-ROYAL. ^5 Cependant, un plus grand malheur la menacait encore. Charles l er fut decapite le 9 fevrier 1649, sur la place de Whitehall 1 . On essaya de cacher a la reine d'Angleterre la mort tragique de son epoux; mais des qu'elle en eut acquis la certitude, elle se livra au plus violent desespoir. « J'ai perdu, disait-elle, un roi , un mari et un cc ftmi.» En i65i, apres les troubles de la Fronde, Louis XIV ayant transporte sa residence au Lou- vre, et le due d'Anjou, son frere, ayant occupe aux Tuileries le logement que le roi venait d'oter a mademoiselle de Montpensier, le Palais-Royal fut assigne a la reine d'Angleterre pour son habi- tation. Mais, depuis la mort du roi son epoux, elle passait la plus grande partie de son temps dans le couvent de Chaillot. Lorsque Charles II, Louvre et sous les yeux d'une cour de France !... Les exem- ples du passe touchent sans comparaison plus les hommes que les exemples de leur siecle. Je ne sais si le consulat du cheval de Caligula nous aurait autant surpris que nous nous l'imaginons. » (Memoires du cardinal de Retz, tome I 6r .) 1 Voir les details tres-curieux sur les derniers moments de cet infortune monarque dans madame de Motteville , t. V, ct dans In relation generate et veritable du proces da mi de la Grande- Bretagne dans le recueil des pieces , journaux et pamphlets de la Fronde. 76 RESIDENCES ROYA.LES. son fils, remonta sur le trone d'Angleterre , en 1G60, Anne d'Autriche lui demanda la main de sa fille Henriette pour son second fils Philippe de France, alors due d'Anjou,etdepuis due d'Or- leans. Le vceu de la reine mere fut accompli, et le mariage fut celehre dans la chapelle du Palais- Royal, le 3i mars 1661, en presence du roi Louis XIV, de la reine Marie-Therese , de la reine mere Anne d'Autriche, de la reine d'Angleterre, de mademoiselle de Montpensier, de mesdemoi- selles d'Orleans , filles de Gaston , ses soeurs , du prince et de la princesse de Conde, et de plu- sieurs autres princes et princesses, seigneurs et dames de la cour 1 . Si les esperances de la reine d'Angleterre et les projets d'Anne d'Autriche et de Mazarin s'etaient realises, cette chapelle auraitetetemoin, quelques annees plus tot, d'une union non moins illustre, dont la pensee avait ete l'occasion de plusieurs fetes donnees au Palais-Royal, notamment dans l'hrver de 1646. Le prince de Galles, depuis Charles II, roi d'Angleterre, venait d'arriver a Paris, et Mazarin meditait de le marier a made- moiselle de Montpensier. Malheureusement les vues politiques du ministre francais ne s'accoi- daient pas avec les idees de grandeur de la fille 1 Voir a la tin du volume les pieces justificative*, leiiic f{. LE PALAIS-ROYAL. 7 7 tie Gaston. L'Angleterre etait alors bouleversee par Cromwel : une couronne chancelante devait etre sans prestige pour une princesse nourrie dans l'esperance d'epouser Louis XIV, et qui voyait alors deux rois veufs assis sur des trones bien affermis 1 . Cependant elle accueillait les hommages du fils de Charles I er ; elle avait du plaisir (c'est elle-meme qui le dit) a le rencon- trer dans les bals du Palais-Royal \ a danser avec lui , et a voir les yeux de ce jeune homme aux cheveux noirs, au teint brun, se fixer tendre- ment sur elle. Quoiqu'elle fut decidee alors a ne point repondre aux desirs de la cour et aux voeux du prince de Galles, Mademoiselle ne fit aucune difficulte d'accepter le role de reine de la fete que Ton allait celebrer; tant sa vanite aimait a concentrer sur elle tous les regards, en s'entou- rant de l'eclat d'une pornpe royale. Ecoutons-la parler d'elle avec cette complaisance d'amour- propre qui est le caractere distinctif de ses Me- moires : « La galanterie du prince de Galles fut poussee « si ouvertement, qu'elle fit grand bruit dans le « monde. Tout l'hiver elle dura de meme force ; « elle parut encore plus fortement a une fete ce- 1 Ferdinand III, empereur d'Allemagne, et Philippe IV, roi d'Espagne. 7# RESIDENCES ROYALES. « lebre qu'il y eut au Palais-Royal, surla fin de « l'hiver, ou il y eut une magnifique comedie « italienne a machines et a musique, avec un « bal ensuite, pour lequel la reine me voulut pa- ce rer; Ton fut trois jours enliers a accommoder « ma parure : ma robe etait toute chamarree de « diamants avec des houppes incarnat et noir ; « j'avais sur moi toutes les pierreries de la cou- « ronne et de la reine d'Angleterre , qui en avait « encore en ce temps-la quelques-unes de reste. « L'on ne peut rien voir de mieux et de plus ma- ce gnifiquement pare que je l'elais ce jour-la; et cc je ne manquai pas de trouver beaucoup de cc gens qui surent me dire assez a propos , que cc ma belle taille, ma bonne mine, mablancheur « et l'eclat de mes cbeveux blonds, ne me pa- ce raient pas moins que toutes les ricbesses qui cc brillaient sur ma personne. Tout contribua ce cc jour-la a me faire paraitre, parce que Ton dan- ce sa sur un grand theatre accommode tout ex- ec pres pour ce sujet , orne et eclaire de flambeaux « autant qu'il le pouvait etre ; il y avait au milieu ce du fond de ce theatre un trone eleve de trois ec marches, couvert d'un dais, et tout autour du ee theatre des bancs pour les dames qui devaient cc danser, au pied desquelles etaient les danseurs ; ce le reste de la salle etait en amphitheatre qui « nous avait pour perspective. Le roi ni le prince LE PALAIS-ROYAL. 79 « de Galles ne se voulurent point mettre sur ce « trone, j'y demeurai seule : de sorte que je « vis a mes pieds ces deux princes et ce « qu'il y avait de princesses a la cour. Je nerne « sentis point genee en cette place , et ceux qui « m'avaient flattee lorsque j'allai au bal, trou- « verent encore matiere le lendemain de le faire. a Tout le monde ne manqua pas de me dire « que je n'avais jamais paru moinscontrainteque « sur ce trone, et que , comme j'etais de race a en elle de quoi se faire aimer, on pouvait croire « qu'elle y devait aisement reussir, et qu'elle ne « serait point fachee de plaire. Elle n'avait pu « etre reine, et pour reparer ce cbagrin, elle vou- « lait regner dans les coeurs et trouver de la « gloire dans le monde par ses charmes et par la « beaute de son esprit. On voyait deja en elle « beaucoup de lumieres et de raison, et au tra- ce vers de sa jeunesse, il etait aise de juger que, « lorsqu'elle se verrait sur le theatre de la cour « de France , elle y ferait un des principaux « roles x . » En effet, cette princesse ne tarda pas a attirer tous les hommages; le roi lui-meme se mit au nombre de ses admirateurs; mais on dit que la politique eut plus de part que la galanterie dans les soins dont il se plaisait a Ten tourer. Louis XIV, desirant rompre la ligue que les Hollandais avaient faite avec l'empereur et le roi 1 On trouve dans le huitieme volume des memoires de mademoiselle de Montpensier, un portrait d'Henriette d'An- gleterre, sous le noni de la princesse Cleopatre, qui s'accorde avec la seduisante image tracee par madame de Motteville. LE PALAIS-ROYAL- 85 d'Espagne, songea a s'assurer de l'alliance du roi d'Angleterre. U confia ce secret a Madame et la chargea de cette negotiation. Pour cacher le veritable but du voyage de la princesse en An- gleterre , le roi alia visiter ses conquetes des Pays-Bas, accompagne de toute sa cour. La du- chesse d'Orleans prit alors le pretexte du voisi- nage pour aller jouir a Londres du plaisir de voir son frere retabli sur le trone. EUe agit si bien qu'elle parvint a le detacher de la triple alliance 1 . Madame revint en France avec tout l'eclat que peut donner un beureux succes. Louis XIV feta sa gloire, et Henriette vit la cour a ses pieds « Tout a coup, 6 nuit desastreuse! « 6 nuit effroyable! ou retentit comme un eclat « de tonnerre cette etonnante nouveUe : Madame^ « se meurt ! Madame est morte ! Au premier « bruit d'un mal si etrange, on accourt a Sain t- « Cloud de toutes parts ; on trouve tout conster- « ne, excepte le cceur de cette princesse; partout « on en lend des cris; partout on voit la douleur « et le desespoir, et l'image de la mort. Le roi, a la reine, Monsieur, tout est abattu, tout est « desespere, et il me semble que je vois l'accom- 1 Mademoiselle de Keroual , remarquable par sa beaute , avait accompagne Madame Cette charmante auxiliaire devint duchesse de Portsmouth. 86 RESIDENCES ROYALES. « plissement de cette parole du propbete :Le roi « pleurera, le prince sera desole, et les mains « tomberont au peuple , de douleur et d'etonne- « ment 1 . » Cette mort si rapide, arrivee en moins de huit heures , le 3o juin 1670, dix-buit jours apres son retour d'Angleterre , fit dire que la princesse avait ete empoisonnee a . Son corps fut porte a Saint-Denis, le 4 juillet suivant , et le 11 aoiit ses funerailles y furent faites avec beau- coup de magnificence. Son cceur avait ete depose dans l'eglise du Val-de-Grace. Henriette avait donne quatre enfants a Mon- sieur : une princesse etait morte en naissant, sans avoir ete nominee; Philippe -Charles d'Orleans r due de Valois, ne le 16 juillet 1664, ne vecut que deux ans. Marie-Louise, Mademoiselle d'Or- leans, nee au Palais-Royal, le 27 mars 1662, epousa dans la cbapelle de Fontainebleau , le 1 Oraison funebre de Bossuet. 2 Les memoires du temps ne s'accordent pas tous a cet cgard, mais la plupart laissent croire a l'empoisonnement. ( Consulter les memoires de mademoiselle de Montpensier ; les souvenirs de Charlotte de Baviere , seconde femme de Monsieur, due d'Orleans ; les memoires de Saint-Simon, la eorrespondance de Grouvelle, le sentiment du docteur Fal- lot, Voltaire, le proces-verbal de la visite du cure de Saint- Cloud, et la notice d'Henriette d'Angleterre dans la galerie du chateau d'Eu.) LE PALAIS-ROYAL. 87 3 1 aout 1679, Charles II, roi d'Espagne. Elle mourut sans enfants a Madrid, apres dix ans de manage, et fut inhumee a l'Escurial, dans la se- pulture des rois. Anne-Marie d'Orleans, Made- moiselle de Valois, nee a St-Cloud le 27 aout 1669, et baptisee dans la chapelle du Palais- Royal , fut mariee a Versailles , le 1 o avril 1 684 , a Victor-Amedee , due de Savoie et prince de Piemont. C'est par Marie-Louise d'Orleans, reine d'Espagne , que Louis XIV apprit que Charles II ne pouvait pas avoir d'heritier,et il fonda sur cet avis le projet de placer Philippe V sur le trone d'Espagne x . Quinze mois apres la mort de Madame Hen- 1 Les memoires du temps, madame de la Fayette, Saint- Simon , font entendre que cette reine mourut empoisonnee par la comtesse de Soissons. D'autres documents particuliers donneraient a penser qu'elle perit victime d'une singuliere intrigue de cour. Dans la crainte de voir la couronne d'Es- pagne passer sur une t£te etrangere , des personnes qui etaient dans le secret de l'impuissance de Charles II, avaient, dit-on, ose conseiller a Marie-Louise d'admettre secrete- ment un autre que son mari dans la couche royale : elle re- poussa ce conseil avec une vertueuse indignation ; mais de ce moment, pressentant les dangers dont elle etait menacee, elle ecrivit a son pere , Monsieur, frere de Louis XIV, pour lui demander du contre-poison. La reponse arriva trop tard ; la main de la comtesse de Soissons avait ete plus prompte. 88 RESIDENCES ROYALES. riette d'Angleterre , Louis XIV demanda en ma- nage pour son frere Elisabeth-Charlotte de Ba- viere,fille de Charles-Louis, electeur Palatin , et de Charlotte de Hesse. Cette princesse, qui etait protestante, fit abju- ration a Metz, le i5 novembre 167 1 , entre les mains de l'eveque George d'Aubusson , et le lendemain le mariage eut lieu J . Apres les cere- monies nuptiales , qui furent celebrees a Chalons le 1 1 novembre , Monsieur conduisit sa femme a Villers-Cotterets, 011 le roi les attendait. Dans ses Souvenirs , Elisabeth a trace son portrait d'un style aussi original que pittoresque; nous ne pouvons mieux faire que de le reproduire ici : « Je suis nee a Heidelberg , dit-elle ; ma mere « ne m'a portee que sept mois. Si feu mon pere « m'avait aimee autant que je l'aimais, moi, il ne « m'aurait jamais exposee aux inquietudes et aux « dangers qui m'ontassiegee depuis si long-temps. a Je ne suis venue en France que par pure obeis- « sance.Dans ma premiere jeunesse,j'ai beaucoup « mieux aime m'amuser avec des armes, telles que « des fusils, des epees,des pistolets, qu'avec des « chiffons et des poupees. Je ne desirais rien tant « que de pouvoir etre garcon ; et ce desir a failli 1 I.e mariage se fit a Metx par procureur. Ce fut le ma- rechal Duplessis qui representa Monsieur. LE PALAIS-ROYAL. 89 « me couter la vie : car, ayant entendu conter « que Marie Germain etait devenue garcon a « force de sauter, je me mis a sauter d'une telle « facon que c'est un vrai miracle que je ne me « sois pas casse la tete cent fois pour une.A mon « arrivee a Saint-Germain, j'y etais comme tom- « bee des nues : la princesse Palatine m'y laissa « toute seule , et s'en alia a Paris. Je vis bien que « je deplaisais a Monsieur , mon epoux , ce que je « ne dois pas trouver merveilleux , laide autant « que je le suis; mais je pris des ce moment la «c ferme resolution de vivre avec lui de telle fa- « con qu'il s'accoutumat a ma laideur; ce a quoi « j'ai enfin reussi. « Dans les trois dernieres annees de mon ma- « riage , j'avais entierement gagne Monsieur, mon « epoux; je riais avec lui de ses petites faiblesses; « il en badinait avec moi sans colere , sans la « moindre aigreur; il ne souffrait plus qu'on me « calomniat aupres de lui. Il avait en moi line « parfaite confianceet prenait toujours mon parti. « J'etais precisement en train d'etre la personne « du monde la plus heureuse lorsque Dieu m'a « separee de ce bon prince. Au moment de sa « mort je vis s'evanouir sans retour la recom- « pense de trente ans de peines. « Je n'aime pas le lit : pour peu que je puisse « me trainer, il faut que je sorte. 90 RESIDENCES ROY ALES. « Je dejeune rarement; mais si je le fais, c'est « avec une beurree. Toutes ces drogues etrange- « res, je ne puis ni les souffrir ni les supporter; « mon gout et mon temperament s'en accom- « modent aussi peu l'un que l'autre. Je ne prends « jamais ni chocolat , ni cafe, ni the. Pour la « table, je suis toujours bonne Allemande et de « la vieille roche; j'aime tout ce qui est simple « et sain. « Mon douaire est le chateau de Montargis; a « Orleans il n'y a point de maison, et Saint-Cloud « ne fait point apanage ; c'est une propriete que « Monsieur a acquise de son argent. On me nom- « mait autrefois ici sceur pacifique , parce que je « faisais toujours mon possible pour retablir ou « maintenir l'union entre mon epoux, sa cousine « la grande Mademoiselle et la pauvre duchesse , « qui se querellaient a tout bout de champ pour « des minuties, pour de veritables bagatelles. « J'ai ete obligee d'abandonner mes bijoux a « mon fils ; sans cela je n'aurais pas eu assez « pour entretenir ma maison , qui est tres-nom- a breuse. II m'a paru plus raisonnable et plus « honnete de ne pas oter le pain a bien des per- « sonnes, pour le plaisir d'avoir une vieille et a laide figure couverte de diamanls. « Je n'ai jamais eu l'air d'une Francaise , et je « n'ai voulu ni pu en prendre les manieres. Ja- LE PALAIS-ROYAL. gi « mais je n'eus honte de faire voir que j'elais Al- « lemande, ce quine plait pas a tout lemondeici. « Si quelqu'un s'avisait de juger par mes yeux « si j'ai de l'esprit , il faudrait qu'il prit un mi- ce croscope ou de bonnes lunettes , ou plutot il « devrait etre sorcier pour en juger ainsi. Je n'ai « jamais aime qu'on me regardat; aussi n'aime- « je point la parure, car beaucoup de diamants « attirent les yeux. C'etait un bonheur pour moi « que je fusse de cette bumeur, car Monsieur ai- « mait si excessivement les diamants el la parure, « que nous aurions eu mille disputes a qui au- « rait mis les plus belles pieneries. On ne m'a « jamais paree de diamants que Monsieur n'assis- « tat a ma toilette; il me mettait lui - meme du « rouge. « J'ai loujours aime notre roi, et quand il me « donnait de petits desagrements , c'etait pour « plaire a son frere , dont les favoris me bais- « saient. Mais lorsque Monsieur fut dissuade et « se repentit d'avoir eu pour moi de si injustes « preventions, il le dit au roi, qui me rendit son « amitie, et me l'a conservee malgre les sugges- «tions de la vieille l . Ma belle-fille, la reine de « Sicile , me demandait un jour dans ses lettres « si je n'etais plus des promenades du roi,comme ' Madame dc Maintcuon. 9^ RESIDENCES ROYALES. « de son temps : je lui repondis par ces vers de « Racine : « Cet heureux temps n'est plus , tout a change de face, >< Depuis que sur ces bords les dieux ont amene « La fille de Minos et de Pasiphae. » « Le roi aurait ete mon propre pere que je « n'aurais pu l'aimer davantage, et je me plaisais « beaucoup a etre dans sa compagnie. « Madame de Montespan me reprochait sou- « vent mon eloignement pour les affaires. « Ce « n'est point mon inclination, lui repondis -je : «je regarde toute ambition comme vanite pure. « Laissez-moi jouir de ma cbere tranquillite. » « Le roi disait toujours : « Madame ne peut « souffrir les mesalliances. » A Marly le roi ne « voulait pas la moindre ceremonie. II etait per- « mis a tout le monde de s'asseoir dans le salon: « c'est ce qui fait que je ne m'y tenais presque « jamais. « Des qu'on*parle d'incendie les cheveux me « dressent. Je sais comme on en a use a l'egard « de ce pauvre Palatinat. Pendant plus de trois '(. mois, dans mes reves, je voyais toujours Heidel- « berg en flammes. Cela a manque a me faire tom- « ber malade. « Je n'ai pas plus de quatre cent mille livres , « et je depense si bien cela qu'il ne m'en reste- LE PALAIS-ROYAL. 0,3 « rien au bout de l'annee. Ma maison me coute « 298,758 livres. « Quoique Versailles soit tres-beau , personne « ne s'y promenait que moi , en carrosse ou a « pied. Le roi me disait toujours : « II n'y a que « vous qui jouissiez des beautes de Versailles *.» « Le roi me parlait toujours a table, parce que « j'etais la premiere a lui adresser la parole. Les « autres ne lui disaient pas un mot, excepte feu « Monsieur, qui l'entreprenait aussi. J'ai profite a de cet exemple. Pour divertir le roi je disais « tout cequi me venait a l'esprit ; il riait alors de « bien bon coeur. Madame la dauphine (de Ba- te viere ) me disait : « Ma pauvre cbere maman o e'est ainsi quelle m'appelait ) , ou prends - tu « toutes les sottises que tu fais ? » « Apres la mort de Monsieur, le roi me fit de- « manderou jemeproposais devivre.Je repondis « qu'ayant l'honneur d'etre de la famille royale , « je ne pouvais ni ne voulais avoir d'autre de- « meure que la ou etait le roi. Le roi vint me 1 Cette princesse avait achete le marquisat de Livry, dont le chateau etait le Raincy. Elle aimait a s'y promener ; mais le regent, qui ne s'y plaisait pas , le vendit apres la moil de sa mere. Cette terre fut rachetee en 1767 par Louis Philippe, due d'Orleans, et, apres plusieurs vicissitudes, elle appartient aujourd'hui a la maison d'Orleans. 94 RESIDENCES ROYALES. « voir le lendemain. «Jesais, medit-il,que vous ochaissez la Maintenon. » Je repondis : « II est vrai, « sire, je la hais de tout mon cceur, mais unique- « merit parce que je vous aime, et parce que « cette personne me rend de mauvais offices au- « pres de vous. » Le roi fit venir la vieille et lui « dit : « Approchez : Madame veut se reconcilier « avec vous, » et nous approchant Tune del'autre, « il nous obligea de nous embrasser. Telle fut la « fin de la scene. » Elisabeth avait recu une education forte; Phi- lippe avait ete eleve dans la mollesse 1 ; elle s'ha- billait en homme, montait a cheval, allait a la chasse ; il aimait le jeu , la danse , la table , et f'uyait les exercices violents ; une vie simple con- venait a la princesse ; le prince se plaisait au milieu du faste des assemblies et des ceremo- nies 2 , des spectacles et des fetes. Madame s'oc- *Le due d'Anjou avait traduit,non sans elegance, l'histoire romaine de Floras. «De quoi vous avisez-vous, » dit Mazarin a Lamothe Levayer, precepteur du jeune prince, « de faire « un habile homme du frere du roi ? S'il devenait plus savant « que le roi, il ne saurait plus ce que e'est que d'obeir. » Plus tard, le cardinal donna l'ordre a Levayer de cesser toutes ses lecons : il voyait que le due d'Anjou montrait beaucoup plus d' aptitude pour apprendre et beaucoup plus de vivacite que le roi. * Son gout pour les ceremonies s'etendait jusqu'aux ce- LE PALAIS-ROYAL. 0,5 cupait tres-peu de sa toilette : ses habitudes et son exterieur etaient presque virils. Monsieur avait un soin particulier de son teint, qui etait tres-blanc, et de ses mains qui etaient fort belles; sa passion pour la parure et pour les pierreries etait excessive; en un mot, il recherchait tout ce que preferent les femmes , dont il avait la delicatesse et la beaute. De cette education si differente, de cette dissemblance de gouts, nais- saient des oppositions continuelles , qui expli- quent l'eloignement que Philippe manifestait souvent pour sa femme. Ces mesintelligences etaient entretenues avec art par le chevalier de Lorraine et paries autres favoris du prince, qui redoutaient la clairvoyance et la franchise de Charlotte de Baviere. Monsieur etait tres-ban^ mais malheureusement trop accessible a toutes les impressions. Aussi cherchait-il ailleurs des distractions et des plaisirs qu'il croyait ne pou- voir trouver chez lui. Cette conduite blessait vi- vement le cceur de Madame , car elle aimait son mari. Elle souffrait sans se plaindre, et parfois meme elle avait le courage de rire avec lui de *-> v remonies funebres. A propos du second manage du prince, madame de Sevigne ecrivait : « Vous comprenez bien la joie « qu'aura Monsieur de se marier en ceremonie, et quelle joie •< encore d'avoir une femme qui n'entend pas le francais. » C)6 RESIDENCES ROYALES. ses petites faiblesses. Sa resignation fut noble et longue : peu d'annees seulement avant la mort de Monsieur , elle gouta ce bonheur intime qu'elle devait a sa vertueuse perseverance. A la mort de Gaston son oncle, arrivee en 1660, Philippe de France avait quitte le titre de ducd'Anjou pour prendre celui de ducd'Orleans. II fit ses premieres armes aux conquetes de la Flandre et de la Franche-Comte. A la tete de 1'une des armees destinees a soumettre la Hol- lande, il s'empara,en 1672, d'Orsoy, de Zutphen et de plusieurs autres places. Il combattit devant Maastricht en 1673, et les annees suivantes , aux sieges de Besancon, de Dole, de Limbourg et de Conde. En 1676, il forca Bouchain a se ranger sous l'obeissance du roi. Jusqu'a cette epoque, les succes du due d'Or- leans n'avaient porte aucun ombrage a l'orgueil de Louis XIV ? qui se regardait comme le rival heureux de Conde et de Turenne. Le monarque vit meme avec satisfaction son frere ramasser quelques lauriers que lui-meine dedaignait de cueillir. L'annee 1677 changea ces bons senti- ments du roi. II voulait bien que le due d'Orleans fut pres de lui un astre secondaire, mais il ne lui permettait pas de pretendre a eclipser sa gloire. Monsieur assiegeait St-Omer; il apprend que le prince d'Orange vient avec une armee de LI PALAIS-ROYAL. QT \ rente mille hommes pour secourir cette place; il marche a sa rencontre, surprend un faux mou- vement de son adversaire, en profite avec habi- lete, engage brusquement Faction, et avec des forces inferieures remporte, le 1 1 avril 1677, la victoire la plus complete. C'est la victoire de Cassel.Dans cette journee celebre, on aime a voir un prince , que la politique avait condamne' a une vie molle et effeminee, se reveler tout a coup general, se montrer soldat intrepide, rallier ses troupes, les baranguer sous le feu, cbarger plu- sieurs fois a leur tele , et decider par son exemple et son courage le sort de la bataille r . Le 20 avril 1 o Son altesse royale mena les bataillons a la charge, posta les troupes qui n'avoient pas combattu en la place de celles qui avoient ete rompues ; elle connut et fit cesser le desor- dre; et s'exposant au grand feu et aux derniers efforts des ennemis quel'esperance avoitanimez, elle eut deux coups dans ses armes. Le chevalier de Lorraine fut blesse, le chevalier de Silly fut tue; le marquis d'Effiat , le chevalier de Nan- touillet , le marquis de Pluvaux, le sieur de Purnon, le sieur de Merille , le chevalier de Tillecour, aide de camp de Mon- sieur, eurent des chevaux blessez et plusieurs coups dans leurs habits. Un porte-manteau et un valet de chambre furent dangereusement blessez pres de la personne de son altesse royale, dont les ordres et I'exemple donnerent tant de courage aux troupes, que dans le meme endroit 011 elles avoient cede a la force, elles renverserent les bataillons et les cscadrons des ennemis sur les troupes qui les soutenoient. •< Treize pieces de canon, deux mortiers, 16 mille mous- C)8 RESIDENCES ROYALES. suivant, St-Omer ouvrit ses portes au vainqueur de Cassel. Philippe d'Orleans revint a Paris et descendit au Palais -Royal au milieu de l'allegresse et des acclamations du peuple.La cour et la ville vinrent lui offrir leurs felicitations. Le 5 mai,le nonce du pape et les ministres etrangers lui furent presen- ted par M. de Saint- Laurent, introducteur des ambassadeurs aupres de son altesse royale. Toutes les villes de l'apanage du prince lui envoyerent des deputations. II y eut des rejouissances pu- bliques : soixante drapeaux pris a la journee de Cassel furent portes en pompe a l'eglise Notre- Dame par les Suisses du roi, et places au pied du maitre-autel, ou l'archeveque vint les recevoir, revetu de ses habits pontificaux et suivi de son clerge. Apres cette ceremonie, un Te Deum so- quets ou piques , dix-huit estendarts, quarante-quatre dra- peaux, tous les bagages de l'armee, meme ceux du prince d'Orange, et 3,5oo prisonniers tomberent au pouvoir du vainqueur. 6,000 morts ou mourants resterent sur le champ de bataille. Depuis trois heures du matin jusqu'a sept heures du soir, le prince n'etoit descendu de cheval que pour en changer, le sien ayant ete blesse mortellement. w (Extrait de relations contemporaines sur la bataille de Cassel. 1677.) « Monsieur donna dans cette occasion de grandes preuves de bravoure et d'intrepidite. 11 eut un cheval tue sous lui , et un coup de mousquet dans ses armes. Quelques ofiiciers qui l'entouraient furent tues ou blesses. » (Victoires et conquetes.) LE PALAIS-ROYAL. 99 lennel fut chante au milieu d'un grand appareil militaire. Le soir, un feu d'artifice fut tire devant le Palais-Royal, et des feux de joie furent allumes dans toutes les rues. Monsieur etait plus aime a Paris que le roi, a cause de sa bienfaisance et de ses manieres affables. Sa popularite s'accrut encore en 1693 *. Son intrepidite lui avait gagne le cceur des soldats. On disait a l'armee : « Mon- « sieur craint plus que le soleil ne le hale, qu'il « ne craint la poudre et les coups de mousquet. * Louis XIV fut jaloux de la gloire de son frere , et ne lui donna plus d'armee a commander 2 . 1 II faut remarquer que cette annee (169?) il y eut en France une grande disette de ble, qui, jointe a l'avarice de ceux qui en avoient provision , causa une espece de famine , et le pain monta jusqu'a sept sous la livre. Monsieur repan- dit de l'argent dans tous les chemins, depuis Paris jusqu'a Pontorson, en Bretagne. M. lc chevalier de Lorraine, le mar- quis d'Effiat et moi , qui etions avec lui dans son carrosse , avions chacun un sac de mille livres en pieces de trente sous ou en ecus, dont il n'en restoit aucun a la fin de la journee; cela acquit fort le cceur des peuples a ce prince, qui d'ail- leurs etoit tres-affable. ( Le marquis de la Fare. ) 1 Apres la bataille de Cassel , le roi fit a son aise le siege de la ville et de la citadelle de Cambrai , et s'en retourna glo- rieusement a Versailles, non sans mal au cceur de ce que Monsieur avait par-dessus lui une bataille gagnee. On remar- qua qu'apres la prise de Cambrai, etant venu voir Saint- Omer, et Monsieur qui y etait, il fut fort pen question 7- IOO RESIDENCES ROY ALES. « La foule etoit toujours au Palais -Royal ou « la nombreuse maison de Monsieur se ras- « sembloit. Les plaisirs etoient de toutes sortes. « Les jeux, la beaute singuliere du lieu, la mu- « sique, la bonne chere en faisoientune maison « de delices avec beaucoup de grandeur et de « magnificence *. » Ce prince mourut a St-Cloud , d'une attaque d'apoplexie, le 9 juin 1701. La douleur de M. le due de Chartres , depuis regent de France , fut extreme :le pere et le fils s'aimaient tendrement. La fortune de Monsieur etait considerable; lorsqu'il avait epouse Henriette d'Angleterre , Louis XIV avait rendu un edit portant « don « par S. M. a Monsieur , Philippe , fils de France , « due d'Orleans, son frere unique, et a ses en- « fants males, des duches d'Orleans, Valois et « Chartres, et seigneurie de Montargis, et ce « a titre d'apanage.» Le 24 avril 167a, une nou- velle declaration du roi avait concede a Monsieur, a titre de supplement d'apanage, les duche de de cette bataille dans leur conversation ; qu'il n'eut pas la curiosite d'aller voir le lieu du combat , et ne fut apparem- ment pas trop content de ce que les peuples sur son chemin criaient : < Vivent le roi et Monsieur qui a gagne la bataille !» (Le marquis de la Fare.) ' Memoires do Saint-Simon. LE PALAIS-ROYAL. IOI Nemours, comte de Dourdan et Romorantin, et marquisats de Coucy et Folembray. Les lettres patentes de 1692 ajouterent le Palais-Royal a ces superbes dotations; enfin mademoiselle de Mont- pensier, morte en i6g3, l'avait institue son le- gataire universel. Ce prince est le chef de la maison d'Orleans, qui est aujourd'hui sur le trone. Elisabeth - Charlotte de Baviere survecut a son epoux. Atteinte d'une hydropisie, le 5 de- cembre 1722, elle fut enlevee le 8 du meme mois aux larmes de sa famille, qui environna son lit de mort de la douleur la plus respec- tueuse et la plus \raie. Madame avait defendu qu'on l'enterrat avec pompe et qu'on ouvrit son corps. C'etait, dit Saint-Simon, une princesse de l'ancien temps attachee a l'honneur et a la vertu. Le regent, son fils, executa pieusement ses dernieres volontes. Le 1 o decembre , vers dix heures du soir , on porta de Saint-Cloud a Saint- Denis la depouille mortelle d'Elisabeth-Charlotte de Baviere. Elle avait eu trois enfants de Monsieur : Alexandre-Louis d'Orleans , due de Valois , ne le 1 juin 1673: il mourut au Palais-Royal dans la nuit du 1 5 au 16 mars 1676; Philippe d'Orleans, qui fut regent de France; et Elisabeth -Charlotte 102 RESIDENCES ROYALES. d'Orleans , mademoiselle de Chartres , nee le 1 3 septembre 1676. Cette princesse fut mariee le 1 3 octobre 1 698 , a Leopold - Charles , due de Lorraine et de Bar. Ses hautes qualites et l'a- mour de ses sujets l'appelerent a la regence apres la mort de son mari : elle fut la mere de Francois l er , empereur d'Allemagne et epoux de Marie-Therese. On trouve dans l'inventaire du Palais -Royal dresse en 1701 x , apres la mort de Monsieur, une designation sommaire des principaux ap- partements tels qu'ils existaient pendant la pos- session du frere de Louis XIV. Cet inventaire nous revele le gout d'alors pour les meubles precieux et les riches etoffes; mais ce palais deja si somptueux allait bientot recevoir un nou\el eclat du prince qui gouverna la France. 1 Voir les pieces justificatives , lettre D. LE PALAIS-ROYAL. io3 CHAPITRE V. Le Palais- Royal sous Philippe, due d'Orleans, regent. 1701—1723. Avant la mort de son pere , Philippe d'Or- leans, qui portait le litre de due de Chartres, s'etait distingue des l'age de dix-huit ans, dans la campagne de Flandre en 1691 , au siege de Mons et au combat de Leuze. Apres cette campagne, il revint a Versailles, ou il epousa, le 18 fevrier 1692, Francoise-Marie de Bourbon, dite Made- moiselle de Blois, fille legitimee de Louis XIV. Apres son mariage, le due de Chartres re- tourna a l'armee , se trouva a la prise de Namur, fut blesse au combat de Steinkerque , et com- manda avec honneur la cavalerie francaise a la bataille de Nerwinde le 27 juillet 1693 , . 1 M. le due de Chartres avoit eharge. a la tete de la It>4 RESIDENCES ROY ALES. Devenu, en 1701, l'heritier du nom,des litres et de la fortune de son pere , il porta dans les embellissements interieurs du Palais -Royal la passion qu'il avait pour les arts. Oppenort pas- sait a cette epoque pour le plus habile architecte : le due d'Orleans le choisit pour directeur general de ses batiments et jardins. Un des premiers tra- vaux qu'il lui confia fut le grand salon qui ser- vait d'entree a la vaste galerie construite par Mansard *. Ce salon, qui prit le nom d'Oppe- nort, etait surcharge d'ornements, dont le bon gout n'avouait pas toujours la hardiesse ou la bizarrerie; car, selon M. Fontaine, « les archi- ve tectes d'alors semblaient avoir pris le caprice maison du roy. II avoit tout anime par sa presence et par son exemple , et estoit demeure cinq fois seitl au milieu des ennemis. Le sieur du Roche , l'un de ses escuyers, l'em- pescha d'estre pris, et tua deux hommes auprcs de luy, qui avoient tire chacun un coup de pistolet sur ce prince , qui en receut quatre dans ses habits et dans ses armes ; un de ses gentilshommes fust tueaupres de luy. M.le marquis d'Arcy, qui avoit perdu le due de Chaitres dans la melee, receut plus tard et a ses cotes quatre coups dans ses habits , et le prince eut un cheval tue sous luy. (Extrait d'une rela- tion de la bataille de Nerwinde, par Devize, 1693.) 1 Ces batiments , qui s'etendaient jusqu'a la rue de Ri- chelieu, ont ete demolis, lorsqu'on a construit la salle du Theatre-Francais. LE PALAIS-ROYAL. lo5 « pour guide , la singularity pour maxime , et « l'aflfeterie pour but. » La guerre enleva bientot le due d'Orleans a ces tranquilles occupations. En 1706, le due de Vendome ayant quitte l'armee d'ltalie, pour ve- nir prendre le commandement de l'armee de Flandre, le roi le remplaca par le due d'Orleans ; e'est a cette occasion que furent publiees ces lettres patentes : « Ayant juge a propos de choi- « sir un chef pour prendre le commandement « general de nos armees d'ltalie , nous avons re- « solu d'envoyer notre tres aime neveu le due d'Orleans, tant pour repondre a l'ardent desir « qu'il temoigne depuis longtemps de se voir a la « tete de nos troupes, et de pouvoir, en signalant « sa valeur , se rendre utile a notre gloire et au « bien general de l'Etat, que parce que nous re- « connaissons qu'outre l'elevation d'esprit et les sentiments qu'il a dignes de sa grandeur et de « sa naissance , il a par ses soins et son applica- « tion acquis de bonne heure l'experience et les « talents necessaires pour le commandement des « troupes , ainsi qu'il l'a fait assez paraitre dans « celui de notre cavalerie , qu'il a exerce avec « toute l'habilete d'un grand capitaine. » Jeune , avide de gloire , fier d'avoir a se mesurer avec le prince Eugene et le due de Savoie , le due d'Orleans brulait de dormer la bataille sous Io6 RESIDENCES ROYALES. les murs de Turin. Le conseil de guerre pai- tageait son impatience , lorsque le marechal de Marsin, qui etait d'un avis contraire , exhiba I'ordre secret du Roi , qui defendait de tenter le combat. Le moment favorable au succes fut perdu ; le lendemain , le prince Eugene attaqua l'armee francaise , et la mit en deroute : le ma- rechal de Marsin fut tue; le due d'Orleans blesse. On deplora l'imperieuse necessite qui avait en- chaine son courage, et lorsque apres avoir mis le reste de ses troupes en quartiers d'hiver, il reparut a la cour , Louis XIV, ecoutant l'opinion publique, fit un accueil gracieux au guerrier qu'il avait empeche de vaincre, et lui donna le com- mandement de l'armee d'Espagne. « Le due d'Orleans, impatient d'effacer la honte « du desastre de Turin, avoit demande a servir en « Espagne. Il devoit commander les troupes qu'on « y envoyoit et se joindre a Berwick. Devancant «son armee, le prince accouroit au camp avec « l'esperance de combattre ; il n'arriva que le len- « demain de la bataille d'Almanza (i 5 avril 1 707). «S'il dutressentir quelque chagrin, ce ne fut pas « du moins au desavantage du general victorieux. « Je ne puis m'empecher de dire a Votre Ma- «jeste, marquoit-il a Louis XIV, que si la gloire « de M. de Berwick estgrande, sa modestiene Test «pas moins , ni sa politesse qui l'engageoit quasi LE PALAIS-ROYAL. 107 « a vouloir s'excuser sur l'attaque des ennemis , « d'avoir remporte une victoire aussi complete *.» Le due d'Orleans signala bientot sa presence a l'armee par d'importantes conquetes : elles for- cerent les royaumes de Valence, d'Aragon et une parlie de la Catalogne , de rentrer sous l'obeis- sance de Philippe V. « Requena se soumit au prince le 3 mai 1707, « et Valence le 8 du meme mois ; les autres villes «de ce royaume suivirent l'exemple de la capi- « tale. Le due d'Orleans marcha sur l'Aragon , « dont la capitale lui ouvrit ses portes. II entre- « prit ensuite le siege de Lerida , place devant « laquelle avait echoue le grand Conde en j 647 2 - « Elle capitula le i3 octobre, apres onze jours de a tranchee ouverte 3 .» La prise de Tortose vint, en 1708, ajouter a la gloire du prince. Le bruit de ces eclatants succes devait reveiller l'envie. De nouvelles in- trigues se formerent a Versailles et a Madrid. La 1 Memoires de Noailles. 2 Depuis cette epoque , Lerida etait regardee comrae I'ecueil des plus grands capitaines , et comme une place imprenable; le due d'Orleans l'assiegea, malgre l'avis et la resistance du due de Berwick. Cette conquete le couvrit de gloire , dit le marechal de Noailles. 3 Victoircs et conquetes. lo8 RESIDENCES ROYALES. princesse des Ursins , devouee a madame de Maintenon , l'ennemie du due d'Orleans , par- vint a persuader au trop credule Philippe V que ce prince aspirait a sa couronne. D'odieux soup- cons furent le prix des services du vainqueur de Tortose et de Lerida. Un ordre de Louis XIV lui enleva le commandement de l'armee. Ces symptomes de defaveur et de jalousie , ou au moins cette crainte que le due d'Orleans n'acquit trop de gloire, ne pouvaient echapper a la perspicacite des courtisans. Aussi, a son re- tour en France, on vit un grand nombre d'entre eux s'eloigner de ce prince ou le poursuivre des plus odieuses calomnies ; mais dans ces penibles circonstances le due d'Orleans fut Yivement de- fendu par le due de Bourgogne, dont lame ge- nereuseetaitsuperieure a l'envie et a la defiance qu'on avait cherche Yainement a lui inspirer. Louis XIV lui-meme repoussa avec noblesse les accusations dirigees contre son neveu. « Jamais peut-etre, dit le cardinal de Beausset, « ce monarque n'a mieux montre la grandeur de «son caractere que dans ces affreux moments. « Seul , il opposa la conviction de son ame aux « injustes clameurs de la calomnie ; il ne chan- ce gea rien a son accueil et a ses bontes pour son « neveu, en presence de sa cour ni dans l'inte- arieur de sa societe. Son exemple avertit la cour L£ PALAIS-ROYAL. I OO, «cle se taire et detrompa la prevention popu- « laire. La posterite equitable a confirme le juge- « ment de Louis XIV. » On pourrait ajouter que c'est Louis XV qui a fait le jugement de la pos- terite , lorsqu'il a dit : « Ce qui prouve le mieux « l'innocence du due d'Orleans, c'est que j'existe.» Cependant Louis XIV touchait a ses derniers moments , et il ne restait de la branche ainee de la famille royale qu'un enfant incapable de sup- porter le fardeau de son vaste heritage. Aussi les courtisans qui avaient fui le due d'Orleans , eloi- gne du pouvoir, se rapprocherent insensiblement de lui lorsqu'ils apercurent que le droit de sa nais- sance allait l'appeler a la regence du royaume. Le due d'Orleans, rendu a la tranquillite et a la dou- ceur naturelle de son caractere , dedaigna ces oscillations de la cour, et accueillit avec sa grace ordinaire ce reflux d'hommages et d'adulations. Cependant les memes personnes dont la haine 1'avait si odieusement calomnie , veillaient en- core aupres du lit de mort de Louis XIV, et la , elles ne cessaient de sollicker le roi d'exclure le due d'Orleans de la regence. Le monarque ne ceda point entierement a ces nouvelles attaques; mais l'obsession incessante de madame de Main- tenon lui arracha un testament qui remettait no- minalement la regence ainsi que la tutelle du jeune roi a un conseil , dont il entendait, a la IIO RESIDENCES ROY ALES. verite , que le due d'Orleans serait le chef, mais sans autorite personnelle, et sans autre prero- gative que la preponderance de sa voix, en cas de partage. Quant a la personne du roi , elle etait confiee au due du Maine, comme surintendant de l'education, et, a ce titre, la maison du roi , tant civile que militaire, devait hit obeir , et n'o- beir qu'a lui. Si le due du Maine venait a man- quer, le comte de Toulouse devait prendre sa place. Louis XIV n'avait pas dissimule que ce tes- tament n'etait pas toute sa volonte : « J'ai fait « mon testament , disait-il a la reine d'Angle- «terre; on m'a tourmente , on ne m'a donne « ni paix ni repos qu'il ne fut fait ; mais il n'en « sera ni plus ni moins apres ma mort r ; » et en disant ces mots , ses yeux avaient passe sur madame de Maintenon. Apres avoir recu les sa- crements, le 25 aout i^i5, il fit appeler le due d'Orleans, l'embrassa deux fois, l'assura qu'il l'a- vait toujours aime , et que dans son testament il ne lui avait fait aucun tort. « Je vous recom- « mande, ajouta-t-il, le dauphin ; servez-le comme « vous m'avez servi. S'il vient a manquer, vous « seiez le maitre , el la couronne vous appar- «tient. » On sent que Louis XIV, juste apprecia- 1 Mcmoires de Berwick. LE PALAIS-ROYAL. I I I teur des hautes qualites du due d'Orleans, avail vouhi, par ces paroles et par ces temoignages d'affection , imprimer un desaveu solennel aux calomnies dont ce prince avait ete l'objet, et a son propre testament qui n'etait pas l'expression reelle de ses dernieres volontes. Cette scene attendrissante et remarquable eut une grande influence sur l'opinion publique dans tous les rangs de la societe. Comme le tes- tament ne devait etre ouvert qu'apres la mort du roi, la cour s'imagina que la regence etait devolue au due d'Orleans, et elle vint au Palais- Royal adorer le soleil levant. Le parlement , fatigue des querelles theologi- ques et du joug de Rome que Louis XIV avait voulu lui imposer, desirait un prince connu pour n'avoir point un respect aveugle pour toutes les pretentions du saint-siege, et se decida avec joie a lui decerner la regence. Aussi , lorsque, le 2 sep- tembre 171 5, le lendemain de la mort du roi, le due d'Orleans se presenta au parlement, lescham- bres assemblies , il y fut accueilli avec la plus grande faveur. 11 s'eleva avec autant d'adresse que de fermete contre les dispositions du testa- ment de Louis XIV; il rappela avec eloquence les paroles de ce monarque expirant : « A quel- «que titre , ajouta-t-il, que j'aie droit a la re- «gence, j'ose vous assurer, Messieurs, que je la 112 RESIDENCES ROYALES. « meriterai par mon zele pour le service du roi , « et par mon amour pour le bien public, sur- « tout aide par vos conseils et par vos sages re- ef montrances; je vous les demande d'avance, en «protestant devant cette auguste assemblee que «je n'aurai jamais d'autre dessein que de soula- «ger les peuples, de retablir le bon ordre dans «les finances, de retrancherles depenses super- « flues , d'entretenir la paix au dedans et au de- «hors du royaume, de retablir surtout l'union « et la tranquillite de l'Eglise et de travailler en fin « avec toute l'application qui me sera possible a « tout ce qui peut rendre un Etat heureux et flo- «rissant '. » Ces paroles, suivies d'un discours de l'avocat general Joly de Fleury, qui soutint eloquemment les droits du due d'Orleans, produisirent un grand effet. « Les gens du roi retires au parquet, la ma- tt tiere mise en deliberation, M. le due d'Orleans « fut declare regent en France, pour avoir l'ad- « ministration du royaume, pendant la minorite « du roi. » Le due d'Orleans , apres avoir remercie la compagnie du titre qu'elle venait de lui defe- 1 « Le due du Maine voulut parler : comme il se decou- vrait, M. le due d'Orleans avanca la tete par-devant M. le due , et dit au due du Maine d'un ton sec : « Monsieur, vous « parlerez a votre tour. » (Memoires du due de Saint-Simon, tome XIII.) LE PALAIS-ROYAL. Il3 rer, demanda que, malgre la clause du testament qui portait que le due de Bourbon n'aurait en- tree au conseil de regence qu'a vingt-quatre ans accomplis , ce prince, qui avail vingt-trois ans, y fut admis sur - le - champ. Le parlement s'empressa de sanctionner par un arret cette proposition ; il declara egalement que les troupes de la maison du roi , meme celles employees a la garde de sa personne , dont le commandement avait ete destine, par le testament de Louis XIV, au due du Maine, ne reconnaitraient que l'auto- rite et le commandement du due d'Orleans re- gent. Le due du Maine fut nomme surintendant de V education du roi. Apres avoir communique au parlement le nouveau plan qu'il se proposait de suivre pour l'administration du royaume, le regent sortit du palais de justice, au milieu des acclamations du peuple , et s'en retourna comme en triomphe au Palais-Royal. L'acte qui venait de conferer la regence au due d'Orleans devait etre publie le 7 septembre 1 7 1 5, dans un lit de justice tenu par le jeune roi : « Les chambres assemblees, les conseillers et « presidents en robes rouges , et la plupart des « pairs ayant pris place, vint sur les dix heures « du matin le secretaire de M. le chancelier, qui 8 Il4 RESIDENCES ROY ALES. « dit a la Cour que M. le due d'Orleans luy avait « ordonne de luy venir dire qu'il venait d'ap- « prendre que le roy avait eu la nuit derniere « une legere indisposition qui l'empechait de « venir ce jourd'huy tenir son lit de justice; qu'il « priait M. le premier president et le procureur « general du roy de venir au Palais -Royal, ou « etait M. le chancelier,pour aviser ce qu'il con- « viendrait de faire , et le rapporter a la compa- « gnie. M. le premier president et le procureur « general du roy partirent aussitost, et environ « une heure apres ils revinrent, et M. le premier « president dit : qu'encore que l'indisposition du « roy fut tres-legere , meme qu'elle fut finie des « le matin, neanmoins sa sante etait si precieuse, « qu'on avait juge a propos de ne la point ha- « sarder; que M. le due d'Orleans s'en allait a « Versailles, et que demain il ferait savoir a la « compagnie la resolution qui aurait ete prise « pour la tenue du lit de justice r . » Le meme jour il se fit presenter la liste de toutes les lettres de cachet et fit rendre la liberte a tous les prisonniers qui n'etaient pas retenus pour un crime reel. « Presque tous, dit Duclos, « etaient les victimes des ministres et du pere « Tellier. » Ce premier acte de justice lui valut 1 Extrait des registres du parlement. LE PALAIS-ROYAL. I I 5 les benedictions du peuple. Ce netait que le prelude d'un acte de clemence ou eclata mieux encore la magnanimite de ce prince. Philippe V, sous l'inspiration d'Alberoni, re- grettait du haut du trone d'Espagne d'avoir re- nonce a la couronne de France *, dont il netait plus separe que par la vie d'un faible enfant. Des communications secretes furent etablies entre les ennemis du due d'Orleans, a latete desquels etait la ducbesse du Maine; et on organisa une cons- piration qui avait pour but de s'emparer de la personne du due d'Orleans , de declarer Phi- lippe V regent du royaume a sa place, mais de ne lui en laisser que le titre et d'en attribuer les fonctions au due du Maine; on devait en outre revoquer l'arret du conseil de regence du i juil- let 1717? qui, annulant l'edit de 17 14 et la declaration de 1 7 1 5 , declarait le due du Maine et le comte de Toulouse inhabiles a succeder a la couronne. C'etait le prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne a Paris , qui dirigeait les fils du complot. Alberoni, presse de satisfaire le roi son maitre, que de sombres vapeurs faisaient alter- nativement passer de l'esperance au decoura- gement, ecrivit a Cellamare : Mettez le feu aux 1 Pieces justificatives, lettre E. 8. Tl6 RESIDENCES ROYALES. mines ! II etait impatient d'avoir les manifestes qu'on avait rediges a Paris et que la cour d'Espagne devait publier au moment ou la conspiration eclaterait. Pour lui faire cet envoi, l'ambassadeur choisit l'abbe Porto-Carrero; il fit arranger pour lui une cbaise a double fond, et employa ses secretaires a copier les papiers qu'Alberoni voulait connaitre. Dubois, instruit de tous ces details par sa police secrete , « fit partir sur-le-cbamp Maroy , « son \alet de chambre , accompagne de deux « officiers, pour arreter l'abbe Porto-Carrero qui « se rendait en Espagne avec un banquier espa- « gnol. Les voyageurs furent rejoints a Poitiers. « On fouilla la cbaise de poste ; on y trouva les « papiers et les lettres; on arreta le banquier; « on permit a l'abbe de continuer sa route, et « Maroy rapporta a Dubois les trophees de « son expedition *. » Maitre des secrets de la conspiration formee contre ses jours et contre le pouvoir dont il etait depositaire, le regent, dit M. Lacretelle, « n'eut que les mouvements de la plus belle 1 Extrait tie la Conspiration de Cellamarc. Cet ouvrage etant du menie auteur, on coraprendra pourquoi on ne donne pas ici d'autres developpcments a l'un des eve- nements les plus remarquables de la regence. LE PALAIS -ROYAL. I I 7 « ame; ce fut alors que Ton put comprendre « combien le crime etait etranger a un homme « qui voyait a regret l'occasion d'une juste ven- « geance. Jamais il ne s'exprima avec plus de « noblesse et moins de passion que lorsqu'il eut « a rendre compte au conseil de regence d'un « complot qui appelait en France la guerre civile « et la guerre etrangere. II etait impatient de faire « grace et de produire aux yeux des Francais toute « la bonte de son caractere : ii traita comme une « intrigue ce que des horaraes d'Etat, moins hu- « mains et moins habiles, auraient puni comme « une conspiration ; il fit remettre en liberie « le due du Maine, ainsi que lesautresprisonniers, « et, beureux de se voir justifier par la voix du « peuple de toutes les calomnies que l'Espagne « alors s'efforcait de faire repeter contre lui, il « cbantait avec complaisance eten riant aux eclats « une cbanson ou il etait designe sous le nom de « Philippe le debonnaire. » Cette levee de boucliers de l'Espagne contre la France, le soin injurieux qu'Alberoni prit de recompenser Cellamare, en le nommant vice-roi de Navarre a son retour a Madrid, la bauteur et les intrigues de ce ministre audacieux, ne cause- rent de veritable cbagrin au due d'Orleans, que celui de le mettre dans la necessite de declarer la guerre a Philippe V. En vain le due de Saint- Il8 RESIDENCES ROYALES. Simon, un des confidents du prince, s'opposa-t-il avec eloquence a cette resolution : une quadruple alliance se forma entre la France, l'Angleterre, la Hollande et l'Autriche, et la guerre fut declaree le i Janvier 171 8. Fontenelle en redigea le mani- feste, et Berwick passa les Pyrenees a la tete de l'armee francaise. Philippe V prit lui-meme le commandement de l'armee espagnole, mais cette guerre fut de courte duree, et Alberoni, qui avait flatte son roi d'esperances chimeriques , ayant ete sacrifie, Philippe Vaccedaau traite de Londres,et la paix fut retablie entre la France et l'Espagne. Le regent profita de ce repos pour achever d'embellir son palais. Ami des lettres et des beaux-arts, il y avait rassemble, a grands frais, une collection de tableaux de toutes les ecoles, qui acquit en Europe une si juste celebrite. Cette collection , malheureusement dispersee et perdue pour la France, etait ties-considerable : il serait done beaucoup trop long d'en presenter le ca- talogue, qui est a peu pies le seul souvenir qui en reste au Palais-Royal. Un ouvrage intitule Galerie du Pa/ais-Royal, ou ces travaux etaient graves successivement, avait ete entrepris quel- que temps avant la revolution, par Coucher : interrompu par les evenements, il est reste in complet. Le regent avait commence sa collection en LE PALAIS-ROYAL. lit) achetant celle que Christine , reine de Suede , avait formee en Italic Piganiol de La Force ra- conte (tome II, p. 3^9) que plusieurs des tableaux du Correge, qui faisaient partie de cette collec- tion , avaient servi de paravents dans une ecurie du palais de Stockholm , jusqu'a ce que Se- baslien Bourdon , l'eleve du Poussin , que la reine Christine avait atlire en Suede, crut aper- cevoir des compositions remarquables a tra- vers la fange dont ces paravents etaient cou- verts. II eut la curiosite et la patience de les nettoyer; et quelle fut sa joie, lorsqu'il reconnut que c'etaient des chefs-d'oeuvre ! En effet , ces tableaux etaient la Danae ( devenue si celebre), V Amour qui tend son arc , V Education de VA- mour, la Leda, l' Enlevement a"Io, un Noli me tangere , une Sainte Famille, le Portrait de Cesar Borgia , due de Valentinois , et en fin ce mulet, dit le Mulet du Correge , qu'il avait fait pour l'enseigne d'un cabaret ou il n'avait pas de quoi payer son ecot. On remarquait encore dans l'ancienne collec- tion du Palais- Royal la Descente de Croix, d'Annibal Carrache, qui est connue en Angle- terre sous le nom des Trois Maries , et qui passe pour etre le plus beau tableau de ce peintre; les Sept Sacrements, du Poussin, le Frappement du Rocker, et la Naissance de Bacchus , du meme 120 RESIDENCES ROYALES. maitre, ainsi que plusieurs autres de ses com- positions ; beaucoup de tableaux de Raphael , du Guide, du Dominiquin, de Paul Veronese, du Titien, du Tintoret, du Guerchin, de Pietro de Cortone, de l'Albane, de Jules Romain, de l'Espagnolet, et enfin de Rubens, de Van-Dyck, de Lesueur etdeLebrun,sans parler des Teniers, des Ostades , des Wouvermans , des Claude Lor- rains, et autres peintres flamands et allemands. AunombredesRaphaels,onremarquaituneSainte Famille qui etait echue a deux sceurs ; elles voulu- rent en conserver chacune une moitie, et comme le tableau etait peint sur bois, elles le firent scier en deux parties egales : d'un cote se trouvait saint Joseph, de l'autre la Vierge, avec la moitie du corps de l'enfant Jesus. Lorsque le regent en eut achete une moitie, il eut beaucoup de peine a se procurer la seconde ; cependant on finit par la retrouver, et ce prince la fit rejoindre tres-adroitement a la premiere. Ce beau tableau est en Angleterre. La princesse Palatine Elisabeth - Charlotte avait apporte en France un grand nombre de medailles d'or et de pierres gravees : le re- gent, son fils, en augmenta beaucoup la col- lection. Non - seulement il l'enrichit par de nouvelles acquisitions , mais il la doubla en quelque sorte par les empreintes en pate de verre LE PALAIS-ROYAL. 121 qu'il tirait lui-meme des 'plus belles pierres *. Ce flit avec ses propres deniers que le regent acquitta toutes ces depenses, car ce prince, qui mettait aulant de generosite que de bonne grace dans tout ce qu'il faisait, ne voulut rien prelever pour lui sur les revenus del'Etat, ni sous la forme de liste civile, ni autrement, pendant tout le temps de sa regence. Ce fut aussi pendant la regence que le corps de garde des gardes du cardinal fut remplace par le Chateau -d'Eau. Cet edifice fut construit par ordre du regent, tel qu'il existe encore aujour- d'hui, sur les dessins de Robert de Cotte, archi- tecte du roi. L'emplacement qu'il occupe avait ete specialement excepte de la donation de 1692, comme compris dans le plan de la reunion du Louvre et des Tuileries, et par consequent depuis cette epoque, comme auparavant, le Chateau- d'Eau n'a jamais fait partie des dependances du Palais-Royal. 1 Le regent fit aussi , pour la couronne , l'acquisition du diamant le plus beau , sinon le plus gros , qui fut en Eu- rope. Ce diamant est appele le Regent, ou quelquefois le Pitt, du nom du vendeur, oncle du celebre ministre anglais. Dans la revolution, il fut mis en gage chez des banquiers etrangers pour payer les remontes de la cavalerie. Bona- parte eut la vanite de le faire ajuster a son epee d'Austerlitz , qui n'avait pas besoin d'ornement. 110. RESIDENCES ROYALES. Le Palais-Royal etait le rendez-vous de tout ce que la cour et la ville avaient de plus illustre, de plus aimable et de plus brillant. Dans 1'age des plaisirs et condamne a l'oisivete, Philippe avait admis dans son intimite cette jeunesse aux moeurs trop faciles, qu'il appelait lui-meme en riant ses roues. Mais , parvenu au gouvernement de l'Etat, le regent s'entoura des Noailles, des Villars, des Berwick, et s'il conserva pres de lui cet homme dont l'histoire a justement fletri les vices , c'est qu'il avait reconnu dans Dubois le genie des affaires et devine le negociateur de la quadruple alliance, Le plus bel ornement de sa cour etait sa eharmante et nombreuse famille; cette duchesse de Berri, si jolie, si spirituelle, qui expia , par une mort prematuree, son pen- chant immodere pour les plaisirs 1 ; et Made- moiselle de Chartres, plus connue sous le nom d'abbesse de Chelles, qui, nee avec tous les agrements, tous les charmes , toutes les graces , prefera aux seductions du monde les austerites du cloitre 2 ; et Mademoiselle de Valois , au re- 1 Marie-Louise-^lisabeth d'Orleans, femme de Charles de France, due de Berri, morte a l'age de 24 ans, en 17 19. 2 Louise- Adelaide d'Orleans, devenue abbesse de Chelles; elle prit le nom de soeur Bathilde. Les exercices religieux n'occupaient point tous ses moments; elle avait conserve LE PALAIS-ROYAL. 120 gard si fin, au sourire si seduisant, qui vit dans Modene plutot un exil qu'une seconde patrie J ; dans le cloitre quelques-uns des gouts qu'elle avail dans le monde ; elle se livra a l'etude de la chimie, dc l'astronomie, de I'histoire naturelle, et composa un livre de devotion. « Elle s'amusait en nieme temps avec de la poudre , faisait « des fusees, des feux d'artifice, avait line paire de pistolets, « et tirait au blanc. » "Vers l'annee 1781, elle se demit de la dignite d'abbesse de Chelles, et se retira a la Madeleine de Tresnel, rue Charonne, a Paris. C'est la que lui furent adres- ses ces vers manuscrits de Racine his : « Plaisirs, beauts, jeunesse, honneurs, gloire, puissance, Ambitieux espoir que permet la naissance, Tout aux pieds de l'agneau fut par elle immole; Elle s'immole encor dans sa retraite raeme. Assise au premier rang, son coeur en est trouble; De ce rang descendue, au seul objet qu'elle airae, En silence attachee , elle embrasse sa croix , Victime par 1'amour devant Dieu consumee, Vierge qui jour et nuit tient sa lampe allumee, En attendant 1'epoux dont elle avait fait choix. Dans notre siecle impie eclatanles merveilles! Les princes sont changes en humbles penitents, Et voila par quels coups, Dieu puissant, tu reveilles, Meme en ses derniers jours, la foi des premiers temps. » Elle mourut dans sa retraite de Tresnel, le 9 fevrier 1743. 1 Charlotte -Aglae d'Orleans , mariee a Francois-Marie d'Est , due de Modene. Elle partit pour l'ltalie le desespoir dans le coeur et les yeux remplis de larmes. A Modene, elle avait sans cesse la pensee tournee vers sa patrie, et s'ecriait 1^4 RESIDENCES ROY ALES. et Mademoiselle de Beaujolois 1 et la princesse de Conti a , qui toutes deux avaient les graces et l'esprit de leur mere, et qui toutes deux ne brillerent qu'un jour ; enfin Mademoiselle de Montpensier qui monta sur le trone d'Espagne, et revint mourir a trente ans dans le palais du Luxembourg. Le mariage de cette princesse avaitete celebre au Palais-Royal par procuration en 1721. « Le 3o septembre, ecrivait Villars , je vis chez « le roi le regent, qui vint a moi et me dit : M. le « marechal, vous ne venez ici que pour apprendre « de grandes nouvelles : le roi d'Espagne me fait « l'honneur de me demander ma fdle pour le « prince des Asturies. — Je lui repondis : C'est ve- « ritablement une grande nouvelle ; j'ai l'honneur a chaque instant : « Ah, que je m'ennuie ici , que je m'ennuie !» Elle vint finir ses jours a Paris, et mourut au Luxembourg en 1761. 1 Philippe-Elisabeth d'Orleans. Cette princesse avait ete fiancee a l'infant don Carlos, troisieme fils de Philippe V, depuis Charles III ; mais, lorsque la cour de France renvoya l'infante qui devait etre unie a Louis XV, pour faire asseoir sur le trone Marie Leczinska, la cour d'Espagne fit par re- presailles renvoyer mademoiselle de Beaujolois. Elle mourut en 1734, dans sa vingtieme annee. 2 Louise-Diane d'Orleans, mariee en 1732 a Louis-Fran- cois de Bourbon, prince de Conti , et morte en 1736. LE PALAIS-ROYAL. Ili5 « d'en faire mon tres-respectueux compliment a « V. A. R.» Un moment apres je le tirai par la « mancbe et je lui dis : Mon seigneur, permettez- « moi de vous faire un autre compliment : c'est que « je vous trouve le plus habile prince de la terre ; « jamais les cardinaux de Richelieu et Mazarin, ces « deux illustres politiques , n'ont rien imagine de « plus grand ; le prince des Asturies ayant qua- « torze ans et mademoiselle de Montpensier de- « vant en avoir eu douzele 10 mai 1721, prornet- « tent lignee beaucoup plus que nous n'en espe- « rons de l'infante.» II sourit et ne repondit pas. » Un double mariage devait etre le sceau de la reconciliation de la France et de FEspagne. L'infante, fille de Philippe V, agee de quatre ans, avait ete accordee a Louis XV, et allait etre conduite en France pour y elre elevee; et mademoiselle de Montpensier, fille du regent, devait passer en Espagne pour epouser le prince des Asturies. « Ce second mariage n'attestaitpas unepolitique « moins habile que celui de l'infante avec le roi. Le « prince, age de quatorze ans et fils d'un pere va- « letudinaire, paraissait aussi voisin du trone que « dispose a etre domineparsafemme. Jusqu'alors « abandonne a des valets, et s'epuisant dans les « forets en exercices violents, cet heritier des « Espagnes avait recu l'education d'un Faune. La lib RESIDENCES ROYALES. « perspective de son mariage troubla ses sens au « point qu'il fallut retirer de sa chambre le por- « trait de mademoiselle de Montpensier : ne « pouvant se representer que sous les traits d'une « grande chasseresse la fern me dont on lui avail « vante les perfections, il fit secretement fabri- « quer pour elle deux fusils, dans le dessein de « la surprendre par cet horn mage delicat 1 . » Le 11 novembre 1721, les articles du mariage de mademoiselle de Montpensier avec le prince des Asturies furent signes au Palais-Royal par le chancelier de France, le marechal due de Ville- roy, gouverneur du roi ,-et le sieur Pelletier de la Houssaye, conseiller d'Etat et controleur general des finances, nommes par S. M. a cet effet; et par le due d'Ossune et le marquis don Patricio Laules , ambassadeurs ordinaire et extraordinaire du roi d'Espagne. Lelendemain, les envoyes de Philippe V furent conduits au palais des Tuileries dans les car- rosses du roi et avec le ceremonial accoutume. lis etaient accompagnes du prince d'Elbeuf et du prince Charles de Lorraine; le chevalier de Sainctot et le sieur Remond , introducteurs des ambassadeurs, les precedaient. lis entrerent dans le cabinet du roi, ou le contrat de mariage 1 Leniontev. LE PA.LAIS-ROYAL. I 27 fut signe par S. M. , par Madame, par le due d'Orleans, par tous les princes et princesses de la maison royale, et par le due d'Ossune et le marquis de Laules. Dans l'apres-midi, le roi alia au Palais- Royal rendre visite a mademoiselle de Monlpensier, qui recut cet honneur etant a cote de sa mere. S. M. passa ensuite au theatre, et, dans la loge du regent , il vit la representation de Phaeton , tragedie lyrique de Lulli et de Quinault. C'est le premier opera auquel Louis XV ait assiste. Ma- dame etait a sa droite, monsieur le due d'Or- leans a sa gauche, et les principaux officiers de S. M. derriere son fauteuil. Sur les dix heures, le roi honora de sa presence le bal que le regent avait fait preparer au Palais-Royal. S. M. le com- menca avec mademoiselle de Montpensier et dansa plusieurs fois avec une grace parfaite. Avant de quitter le bal , Louis XV traversa huit salles decorees avec la plus grande magnificence et ornees de fleurs les plus rares et d'une foule de dames etincelantes de parure, de jeunesse et de beaute. Apresle depart du roi , le due de Chartres donna, dans la galerie de son appartement, un sou- per splendide aux ambassadeurs de Philippe V, a la noblesse espagnole et aux principaux sei- gneurs de la cour de France. Les danses repri- rent ensuite et durerent toute la nuit. Ce ne fut I Si 8 RESIDENCES ROYALES. qu'au lever du soleil que cesserent les enchan- tements de cetle fete. Le 28 novembre, apres avoir recu le compli- ment de S. M. par le marechal due de Villeroy, et les hommages et presents de la ville de Paris par le sieur de Chateau neuf, prevot des mar- chands, mademoiselle de Montpensier partit du Palais-Royal dans un carrosse du roi , ou etaient M. le due d'Orleans , le due de Chartres , la du- chesse de Ventadour, la princesse de Soubise et la comtesse de Cheverny. Le cortege de la princesse se composait d'un detachement des gardes du corps et de dix-sept carrosses remplis d'officiers de la maison du roi, envoy es par S. M. pour conduire mademoiselle de Montpensier jusqu'a la frontiere. La fdle du regent quitta la France avec l'espoir de l'avenir le plus brillant; elle fut echangee dans File des Faisans avec l'in- fante d'Espagne. De ces deux princesses, l'une ne fut jamais reine, l'autre ne fit que passer sur le trone. En 1721, le regent donna audience au Palais- Royal a Mehemet Effendi , ambassadeur turc, qui avait ete deja recu par le roi aux Tuileries. Nous lisons dans Saint-Simon le recit de cette reception : « Le Grand Seigneur, qui n'envoie jamais « d'ambassadeurs aux premieres puissances de f LE PALA.IS-ROYAL. ] £g « l'Europe , sinon si rarement a Vienne , a ic quelque occasion de traite de paix, en resolut « une, sans etre sollicite, pour feliciter le roi « sur son avenement a la couronne, et fit aus- « sitot partir Mehemet Eflfendi, Tefderdar, c'est- « a-dire grand tresorier de l'empire, en qualite « d'ambassadeur extraordinaire, avec une grande « suite, qui s'embarquerent sur des vaisseaux du « roi, qui se trouverent fortuitement dans le « port de Constantinople. 11 debarqua au port « de Cette en Languedoc. » (Arrive a Paris, il fut loge a l'hotel des ambassadeurs extraordinaires, rue de Tournon. ) « Le vendredi 21 du mois de mars, le prince « de Lambesc et Remond , introducteurs des « ambassadeurs, allerent dans le carrosse du roi « prendre l'ambassadeur a son hotel; et aussitot « ils se mirent en marche pour allera l'audience « du roi : la compagnie de la police, avec ses « timballes et ses trompettes, a cbeval, le car- cc rosse de l'intioducteur, celui du prince de « Lambesc, entoures de leurs livrees, precedes « de six chevaux de main et de huit gentils- « homraes a cheval, trois escadrons d'Orleans, « douze chevaux de main , menes par des pale- « freniers du roi, a cheval, trente-quatre Turcs « a cheval, deux a deux, sans armes, puis Merlin, « aide-introducleur et huit des principaux Turcs 9 l3o RESIDENCES ROYALES. « a cheval , le fils de l'ambassadeur, a cheval, « seul, portant sur ses mains la lettre du Grand a Seigneur dans une etoffe de soie, six chevaux « de main, harnaches a la turque, menes par six « Turcs ;a cheval , quatre trompetles du roi , a « cheval ; l'ambassadeur suivoit entre le prince « de Lambesc et l'introducteur, tous trois de « front, a cheval, environnes de valets de pied « turcs et de leurs livrees , cotoyes de vingt « maitres du regiment colonel-general, ce meme « regiment, precede des grenadiers a cheval; puis « le carrosse du roi et la connetablie. Les memes « escouades et compagnies ci-devant nominees « a l'entree se trouverent postees dans les rues « du passage , dans la rue Dauphine , sur le « Pont-Neuf , dans les rues de la Monnoie et « Saint-Honore, a la place Vendome, devant le « Palais - Royal , a la porte Saint-Honore, avec « leurs trompettes et timballes ; depuis cette « porte en dehors jusqu'a l'Esplanade , le regi- « ment d'infanterie du roi en haie des deux « cotes, et dans l'Esplanade, les detacbemenls « des gardes-du-corps , des gendarmes des che- a vau-legers , et les deux compagnies entieres a des mousquetaires. Arrives en cet endroit, les « troupes de la marche et les carrosses allerent « se ranger sur le quai , sous la terrasse des « Tuilleries : l'ambassadeur avec tout ce qui 1'ac- I.E PALAIS-ROYAL. I 3 I « compagnoit et toute sa suite a cheval , entra « par le Pont-Tournant dans le jardin des Tuil- « leries, depuis lequel, jusqu'au palais des Tuil- « leries, les regiments des gardes francoises et « suisses etoient en haie des deux cotes, les tam- « bours rappelant et les drapeaux deployes. « L'ambassadeur et tout ce qui l'accompagnoit « passa ainsi a cheval le long de la grande allee, « et entre ces deux haies , jusqu'au pied de la « terrasse, ou il mit pied a terre, et fut conduit « dans un appartement en has, prepare pour l'y « faire reposer , en attendant l'heure de l'au- « dience. » Le due d'Orleans recut aussi, en 17.21, au Palais-Royal , ML de Kcenigseck , le premier am- bassadeur d'Allemagne qui fut venu en France depuis Charles-Quint. Quelques annees auparavant, en 1717, ce pa- lais avait accueilli un hole bien autrement illustre, le czar Pierre I er . Lorsque ce monarque vint rendre visite au due d'Orleans, S. A. R. , accompagnee de ses principaux officiers, alia au-devant de S. M. a la descente du carrosse, et le conduisit dans les appartements , que le czar demanda a visiter sur-le-champ ; la galerie et les tableaux du regent fixerent son attention. II passa ensuite chez Ma- dame, qui s'avanca jusqu'a la porle de son ap- 9- I 32 RESIDENCES ROYALES. partement et presenta ses enfants au czar. Le regent mena ensuite Pierre I er au theatre du Palais- Royal ; ils went l'opera en grande loge,assis tous deux surle meme banc. Au milieu de la represen- tation le inonarque russe demanda de la biere; le regent en fit apporter a l'instant, et, avec celte grace qui lui etait particuliere, il voulut lui-meme servir son bote, qui leremercia par un sourire. Au quatrieme acte, le czar sortit brusque- rnent de la loge pour aller souper. Apres avoir fait longtemps honneur au festin somptueux qui avait ete prepare pour lui, Pierre I cr quitta le Palais-Royal, cbarme des manieres et de la reception du due d'Orleans x . II y eut encore, en 1722, de grandes fetes dans cetle residence, a l'occasion de l'arrivee de l'infante. Les bals, les banquets que le due d'Or- leans donna, et le superbe feu d'artifice qu'il fit tirer sur la place de son palais , sont pompeuse- ment rapportes paries relations contemporaines. Mais les fetes et les plaisirs ne detournaient point le regent des soins de l'administration du 1 Le czar avait refuse d'habiter le Louvre dont les appar- tements lui avaient paru trop magnifiques. Conduit a l'hotel de Lesdiguieres, pres l'Arsenal, il fit tirer d'un fourgon, qui le suivait dans son voyage, un lit de camp qu'il fit tendre dans une garde-robe. Il quitta Paris avec le titre d'academicien LE PALAIS-ROYAL. I 33 royaume '. Louis XIV avait laisse pour plus de deux milliards de dettes. Tandis que le con- seil cherchait en vain les moyens d'eviter une banqueroute, un aventurier ecossais , nomine Law, arrive a Paris et offre son systeme comme la pierre philosophale qui doit mettre un terme a tous les embarras. Le debut fut tres-brillant : Paris fut seduit, tous les yeux furent fasci- nes; grands seigneurs , bourgeois, artisans, on courait a la banque de la rue Quincampoix pour y echanger de Tor contre des billets. Une sorte de demence financiere s'etait emparee de toutes les letes ; on se croyait au pays & Eldorado; mais ces illusions ne durerent qu'un jour : les emis- sions disproportionnees de ces effets les discre- diterent promplement; leur chute fut rapide et terrible, car elle entraina la ruine d'une multi- tude de families qui avaient embarque leur for- tune dans ces speculations; et Law, nouveau Midas , que le peuple adorait , lorsqu'on croyait ■ La regence fit executer de grands et utiles travaux, tels que les canaux de Montargis, de Loing et d'Orleans ; le pont de Blois, l'eglise Saint-Roch, etc. Elle fit cons- truire, en 1722, la premiere chaussee pavee de Paris a Reims, a l'occasion du sacre de Louis XV: c'est le debut d'un systeme de grandes routes d'une magnificence incon- nue jusqu'alors ; elle s'honora par l'etablissement de l'ins- truction gratuite dans riJniversite de Paris. 1 34 RESIDENCES ROY ALES. qu'il changeait tout en or, fut assailli par l'indi- gnation publique; contraint de s'enfuir, il alia cacher a Venise sa honte , sa misere et son tom- beau. Apres la mort du cardinal Dubois, le jeune roi Louis XV, qui avail ete sacre le a 5 octobre 1722, pria le due d'Orleans de se cliarger du mi- nistere; et ce prince sentit qu'il devait a sa pro- pre gloire et au bonbeur de la France de consa- crer de nouveau a l'administration du royaume ses soins et ses talents : il s'occupa des affaires avec une activite infatigable , et le monarque et la nation payerent ses efforts de leur reconnais- sance. Mais l'exces du travail ne lui avait pas fait renoncer entierement a ses gouts; il exigea de la nature plus que les forces humaines ne pou- vaient accorder, et il en fut victime. On pretend que son medecin l'ayant menace d'une mort su- bite, il avait promis de se moderer, et qu'il mourut le jour ou il devait adopter un nouveau regime. C'etait le 2 decembre 1723 ; il dina beau- coup, et, en attendant l'heure de son travail avec le roi, il s'enferma avec sa maitresse, la du- chesse de Phalaris; il etait a peine aupres d'elle qu'un coup de sang le fit tomber sans connais- sance et sans mouvement. La ducbesse effrayee remplit Fair de ses cris; mais les secours , peut- etre trop tardifs, furent inutiles : le due d'Or- LE PALAIS-ROYAL. 1 35 leans expira. II etait age de quarante-neuf ans. « Le due d'Orleans , dit Duclos , etait doue d'une penetration et d'une sagacite rares; il s'exprimait avec vivacite et precision ; ses re- parties etaient promptes , justes et gaies. Ses premiers jugements etaient les plus surs ; la reflexion le rendait indecis. Des lectures ra- pides , aidees d'une memoire heureuse , lui te- naient lieu d'une application suivie. II semblait plutot deviner qu'etudier les matieres; il avait plus que des demi-connaissances en peinture, en musique, en chimie, en mecanique 1 . Avec une valeur brillante, modeste en parlant de lui et peu indulgent pour ceux qui lui etaient suspects sur le courage , il eut ete general, si le roi lui eut permis de l'etre; mais il fut toujours en sujetion a la cour et en tutelle a l'armee. Une familiarite noble le mettait au niveau de ceux « qui l'approchaient ; il sentait qu'une superio- « rite personnelle le dispensait de se prevaloir de « son rang: il ne gardait aucun ressentiment des ' Le regent s'occupa avec succes de presque tous les arts. Il est auteur de la musique de Topera de Panthee , dont Lafare avait fait les paroles, et qui fut represente devant le roi. Eleve d'Antoine Coypel , il dessina de charmantes vignettes pour une edition des Amours de Daphnis et Chloe, connue sous le nom d'edition du Regent; et, par-dessus tout, il eut la gloire de faire imprimer le Telemaque , proscrit par Louis XIV. 36 RESIDENCES ROYALES. « torts qu'on avait eus avec lui, et en tirait avan- « tage pour se comparer a Henri IV. » Marmontel fait aussi le portrait du regent en ces termes : « Le due d'Orleans semblait ne « pour etre, en se livrant a son naturel, ce que « le due de Bourgogne avait eu tant de peine a « devenir en reprimant le sien. En lui brillaient « tous les agrements de l'esprit et tous les char- « mes du langage : une justesse, une precision, « une clarte dans les idees, un don de les deve- « lopper qui lui rendait tout facile et tout simple; « une force de conception, une surete de me- « moire a laquelle rien n'echappait, et de la une « multitude de connaissances acquises sans tra- ce vail et comme en se jouant; une eloquence na- « turelle et une grace plus seduisante, plus per- « suasive que l'eloquence meme ; une sagacite « dans les details, une rapidite de vues dans Fen- ce semble le plus complique des affaires, qui les « saisissait du premier coup d'ceil; une valeur cc franche etmodeste, dignedu sang de Henri IV, cc auquel il se flattait de ressembler dans ses « vertus comme dans ses faiblesses , et dont il cc avait reellement la bonte , l'affabilite populaire, cc la gaiete vive, la douceur , l'excessive facilite cc d'oublier l'injure ', et singulierement les ta- 1 La preuve la plus eclatante de sa iriagnanimite fut la LE PALAIS- ROYAL. I 37 « lents de la guerre, pour laquelle il se sentait « ne ; enfin toutes les qualites de l'homme ai- « mable et tous les germes du grand homme.» Enfin le nouvel historien de la regence a ren- du cejustehommageala protection que ce prince accordait aux lettres : « Tout conspirait alors a la prosperite des let- « tres : les plus hautes dignites n'en etouffaient « ni le gout , ni les jouissances. D'Aguesseau , « d'Argenson , Polignac, INoailles, Tesse, Bouille, « Morville, etaient ornes d'une vaste litterature. « Quatre courtisans fondaient les academies de «Lyon, de Marseille, de Bordeaux et de Pau. « Le due de Bourbon lui-meme protegeait les tra- ce vaux de l'esprit par une sorte de tradition de « famille. Qui pourrait disputer a Philippe d'Or- « leans d'avoir ete le premier Mecene de son « siecle? Quelle partie des sciences, des lettres « et des arts n'a-t-il pas protegee avec la magni- « ficence d'un roi, le discernement d'un con- « naisseur, la noble familiarite d'un ami J ? grace qu'il accorda a l'auteur des Philippiques , dont chaque strophe etait un crime. 1 Voila ce que dit de ce prince le secretaire de l'Academie des inscriptions : « M. le due d'Antin se mit a la tete de la « compagnie lorsqu'elle alia an Palais-Royal rend re les '< premiers hommages an due d'Orleans. S. A. R. les recut ■ avec bontc , et, si on ose le dire , avec tendresse, et seni- 1 38 RESIDENCES KOYALES. « Souvent il donna plus en un jour que Louis « XIV en une annee , et les dons d'un prince « aussi eclaire avaient le charme de la gloire. II « savait parler a chaque homme de lettres son « langage; plusieurs etaient loges dans son pa- « lais on dans celui de sa fille , et je citerai « parmi eux Fontenelle, Vertot, Longepierre , « Mairan , Mongault , Girard. II tacba de rendre a a la patrie J. B. Rousseau, et ses bienfaits al- ec lerent cbercber, dans les rangs de ses ennemis, « le genie naissant de Voltaire ?« » La ducbesse d'Orleans, regente , etait cbar- mante ; elle avait des yeux admirables, de belles dents, la boucbe jolie , et une cbeve- « blait faire accueil aux lettres racmes. Instruit de toutes les « occupations de l'Academie , il en parla d'une maniere a « exciter l'admiration des academiciens. Il connaissait non- « seulement les principaux d'entre eux, mais encore ceux « qui, le plus retires du commerce du monde, se flattaient « en secret d'une prccieuse obscurite. La bonte du prince « avait presque change cette audience en un entretien fa- « milier. » (Memoires de l'Academie.) * Voir aussi le portrait du regent par l'auteur , dans la Conspiration de Cellamare. On y remarquera la lettre au- tographe du regent, qui contient cette reponse toute fran- caise a I'ambassadeur d'Angleterre : « Il n'y a aucun prince « en Europe qui puisse me donner la loi ou de quije veuille « la recevoir. Tels sont mes sentiments; vous pouvez en « rendre compte a votre maitre. » LE PALAIS-ROYAL. 1 3o, lure superbe. On retrouvait en elle cette finesse cFesprit particuliere a madame de Montespan. Elle avait de la vertu et une grande no- blesse de caractere; mais ces eminentes qualites etaient un peu obscurcies par une fierte exces- sive. Elle ne voyait rien au - dessus de sa nais- sance , et croyait avoir bonore le due deCbartres en lui accordant sa main. Fille legitimee de Louis XIV, on la comparait plaisamment a Mi- nerve, qui, ne se reconnaissant pas de mere, se glorifiait d'etre la fille du maitre des dieux. Dans sa maison , ou plutot dans sa cour, cette princesse affectait les grands airs du roi. Le due d'Orleans riait des scenes de dignite dans lesquelles elle se complaisait. II s'amusait a l'appeler madame Lucifer. Ce surnom, qui exprimait une idee de puissance , n'etait pas desagreable a la ducbesse. Elle etait blessee des infidelites de son mari *.; mais son mecontentement n'eclatait pas en re- procbes, il se refugiait dans une dedaigneuse froideur ou s'exbalait en epigrammes. D'ailleurs, le due d'Orleans la traitait a merveille : il lui lais- 1 Lorsqu'il fut question de son manage avec le due de Chartres , madame de Caylus vint lui dire confide nlielle merit que le prince etait amoureux de la duchesse de Bourbon. Mademoiselle de Blois repondit nonchalamment : « Je ne me " soucie pas qu'il m'aime , je me soucie qu'il m'epouse. » l4o RESIDENCES ROYALES. suit gouverner sa maison avec une aulorite ab- solute , et lui assurait un revenu de quatre cent quatre - vingt mille livres. Naturellement indo- lente, la princesse passait au lit la plus grande partie de son temps. Cette habitude l'empechait d'aller a la cour ; elle prenait ses repas a une pe- tite table avec la fille de madame de Thiange , qui etait son amie et sa favorite. La representa- tion lui etait penible ; elle vivait assez solitaire , se faisait faire des lectures jusqu'au diner, s'oc- cupait d'ouvrages le reste de la journee , et du monde depuis cinq heures du soir. Malgre les charmes de son esprit et l'eclat de sa maison , sa societe n'etait pas toujours amusante , parce que cette espece de culte dont elle voulait sans cesse etre entouree ne laissait person ne a l'aise devant elle; et l'ennui suit de si pres l'etiquette! Cette princesse mourut le i er fevrier 1749- LE PALAIS-ROYAL. l/|I CHAPITRE VI. Le Palais-Royal sous Louis , due d'Orleans, fils du regent. 1723-1752. Louis , fils de Philippe , due d'Orleans , regent , succeda a son pere le i decembre 1 723. II trou\a le Palais -Royal decore et meuble avec tant de magnificence qu'il ne fit aucun cbangementdans Ilnterieur des appartements. Seulement ? pour en elendre les dependances du cote du passage de l'Opera, que Ton appelait alors la cour aux Ris, il acbeta une maison appartenant al'abbe Franciere. Eleve par le savant abbe Mongault , il avait puise dans ses lecons une piete austere, et la ri- gueur de ses principes le porta a faire bruler sous ses yeux qua ran te tableaux des plus grands maitres del'ecole italienne qui faisaient partiede I 42 RESIDENCES ROYALES. la collection du Palais -Royal *. Cette devotion s'exalta encore par le chagrin que lui causa la mort de la duchesse d'Orleans , sa femme , Au- guste-Marie-Jeanne de Baden-Baden, enlevee a la fleur de son age. Cette princesse etait fille de Louis-Guillaume de Baden-Baden, margrave de Bade, et de Francoise-Sybille de Saxe - Lawem- bourg; nee le 10 novembre 1704? elle mourut au Palais -Royal , le 8 aoiit 1726. « Les grandes « qualites du cceur et de l'esprit de cette prin- ce cesse, dit le P. Anselme, lui meriterent les « regrets universels de toute la France. » Le due d'Orleans , dans sa douleur , se deter- mina a quitter le monde , malgre les avantages 1 Un garcon d'appartement sauva de ce pudique auto-da- fe la Leda de Paul Veroneze et la Venus de l'Albane. Les qua- rante tableaux brules par les ordres de Louis , due d'Orleans , venaient du cabinet de la reine Christine. Le regent avail fait acheter cette collection aRome, dans une vente publique. Les agents du pape s'opposerent a la remise des tableaux , et 1'un des pretextes qu'ils eleverent fut que plusieurs de ces peintures blessaient la decence. « Est-ce pour ce motif que « Sa Saintete veut les conserver ? » demanda Crozac , man- dataire du regent. Cette saillie, qui divertit le sacre college, leva tous les obstacles. Pendant la contestation , une sainte famille de Raphael, enlevee par Crozac, avait etc intro- duce en France sur le dos d'un Savoyard , a cote d'une marmottf*. LE PALAIS-ROYAL. 1 43 tie sa haute position x , et il choisit l'abbaye de Sainte-Genevieve pour retraite. La, il vivait tran- quille, uniquement occupe de bonnes oeuvres , deludes et d'exercices de piete. II n'en sortit qu'une seule fois , en 1 744 > pour se rendre a Metz , oil Louis XV etait dangereusement ma- lade. Personne n'avait encore ose faire connaitre au roi le peril qui le menacait. Le due d'Orleans crut qu'il etait de son devoir, comme premier prince du sang, de se charger, dansl'interet de l'Etat et de la religion , de cette mission delicate et penible. Mais , lorsqu'il se presenta a la porte de l'appartement du roi, le due de Richelieu , premier gentilhomme de la chambre de service, lui en retusa l'entree. Justement indigne, le due d'Orleans , melant les menaces aux propos les plus vifs, enfonca d'un coup de pied le battant de la porte , et penetra dans l'appartement. 11 eut avec Louis XV un entretien particulier , a la suite duquel le roi recut les secours de la religion. Le due d'Orleans etait tres-savant:il en tendait 1 Le roi, par declaration du 6 Janvier 1724, avait accorde a Louis, due d'Orleans, en qualite de premier prince du sang , une maison composee de deux cent soixante-six offi- ciers. Cette declaration attribuait a la maison du prince les memes privileges qu'a la maison du roi. 1 44 RESIDENCES ROYALES. le chaldeen , l'hebreu, le syriaque, le grec, et avait des connaissances profondes en theologie. II a laisse en manuscrits des traductions , des commentaires de l'Ecriture sainte, et plusieurs ouvrages de controverse. Ce genre d'occupations, et la tournure qu'elles donnaient a son esprit, melaient quelque chose de bizarre a la dignite de ses manieres. La reine, en apprenant la mort de ce prince, dit : « C'est un bienbeureux qui laissera apres lui « beaucoup de malheureux ■ ! » « En effet, ce qui « doit rendre son souvenir a jamais precieux fut « sa charite immense. De quelque age,de quelque « condition que fussent les malheureux, ilseloient « assures de trouver de la compassion dans le « cceurdece prince etuneressource dans ses libe- « ralites. Lorsqu'il ne pouvoit les renvoyer tous « satisfaits, son cceur leur accordoit ce que la ne- « cessite Fobligeoit de refuser. Quoiqu'il ait re- « pandu des sommes immenses dansleroyaume a « et dans les pays etrangers ; quoiqu'il n'enl 1 Vie de Marie Leczinska. 1 Charge en 1725 des pouvoirs du roi pour epouser la reine Marie Leczinska , il donna une fete magnifique a Vil- lers - Cotterets. Toute la suite de S. M. y fut traitee splendidement. On defraya meme la foule de curieux qui etaient acconrus a cette fete. I.E PALAIS-ROYAL. \ [\5 « souvent mis d'autres bornes a ses liberalites « que celles des besoins du peuple, neanmoins « il acquitta les dettes accumulees de sa maison, « retablit ses finances epuisees, augmenta consi- « derablement ses domaines, et laissa, en mourant, « des monuments eternels de son zele pour le « bien public *. » On doit lui savoir gre d'avoir fait replanter, sur un dessin nouveau, le jardin du Palais-Royal, sauf la grande allee du cardinal , qu'il conserva. Voici la description qu'en donne Saint-Victor : « Deux belles pelouses , bordees d'ormes en « boules , accompagnoient de cbaque cote un « grand bassin place dans une demi-lune ornee « de treillages et de statues en stuc, la plupart « de la main de Laremberg. Au-dessus de cette « demi-lune, regnoit un quinconce de tilleuls , « dont l'ombrage etoit charmant. La grande allee « surtout formoit un berceau delicieux et impe- « netrable au soleil. Toutes les cbarmilles etoient « taillees en portiques. » Louis, due d'Orleans, mourut a Sainte-Gene- vieve, le 4 fevrier 1752. II legua sa bibliotlieque et son cabinet de medailles a cette abbaye, dont Pere Ansel me. 10 1 46 RESIDENCES ROYALES. les batiments sont occupes aujourd'hui par le college de Henri IV , ou ses arriere-petits-fils suivent le coins de leurs etudes et jouissent des bienfaits de J'education publique. Qg l'AXAJS-ROYAL. k 4 7 CHAPITRE VII. Le Palais-Royal sous Louis-Philippe, due d'Orleam. 1752-1780. Tandis que, dans sa retraite de Sainte-Gene- vieve, Louis, due d'Orleans, s'adonnait a letude des sciences et de la theologie, Louis-Philippe, son fils, alors due de Chartres, faisait ses pre- mieres armes en Flandre sous le marechal de Noailles. Dans la campagne de iy/jS, il se signala par sa valeur, et eut un cheval tue sous lui, a cette bataille de Dettingen , si fatale a 1'armee francaise.La,au moment du plus grand desordre et du plus extreme danger, il parcourait les rangs et soutenait le courage des soldats par sa pre- sence d'esprit et son exemple. A la fin de cette an nee, le 18 decembre, il io. 1 48 RESIDENCES ROYALES. epousa Louise-Henriette de Bourbon-Conti, fille de Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti, et de Louise-Elisabeth de Bourbon-Conde. Cette princesse , remarquable par sa beaute , par la noblesse avec laquelle elle tenait sa cour , et par la vivacite de son esprit, mourut au Palais- Royal, le 9 fevrier 17^9, dans la 43 e annee de son age r . En 1 747 , le due de Chartres fut nomme gouverneur du Dauphine, et Louis, due d'Or- leans, son pere, etant mort, il devint due d'Orleans. Le roi lui conserva la maison qu'il avait accordee au prince son pere. Peu d'annees apres, le due d'Orleans rendit le plus grand service a la France, en y popularisant l'inoculation. Le triomphe de cette importante decouverte, du a l'autorite d'un grand exemple, assure a ce prince le titre glorieux de bienfaiteur de son pays. « C'est dans le mois d'avril 1756, dit un raa- nuscrit contemporain, qu'ont ete inocules, au Palais-Royal, M. le due de Chartres et made- 1 La princesse touchait a sa tlerniere heure ; de son lit de mort, elle entendit le bruit du tournebroche de la cuisine de l'abbe Mongault , et elle dit en souriant : « Je peux mourir « tranquille, l'abbe Mongault n'en perdra pas un coup de J dent. » LE PA.LAIS-ROYAL. I 49 moiselle de Montpensier sa soeur. 11 a fallu du courage a M. le due d'Orleans pour etre le pre- mier prince en France qui ait fait faire cette operation , et surtout sur son flls unique. Le roi ne l'avait ni approuve ni desapprouve : il lui avait seulement dit qu'il etait le maitre de ses enfants. Presque tous les courtisans de M. le due d'Orleans n'etaient pas de son avis et avaient (ache de le detourner de cette entreprise qu'ils regardaient comme temeraire. La mort de la pe- tite Chastelain, a la suite de l'inoculation, avait fait beaucoup de bruit et etait une de leurs principales raisons;l'exemple etait encore recent, et tout ce qu'on pouvait dire pour le combattre semblait ne rien prouver contre cette experience et le prejuge. Ceux meme qui etaient partisans de l'inoculation, n'osaient pas- la conseiller, de peur qu'on n'en rejetat sur eux l'evenement, s'il etait malheureux. On m'a assure que celui qui a donne le premier a M. le due d'Orleans l'idee de faire inoculer ses enfants, est le chevalier de Jaucourt , connu par le Dictionnaire de l'Ency- clopedie dont il a compose un grand nombre d'articles , et meme trop , a ce que disent les savants. « Quelques jours avant l'inoculation , madame la duchesse d'Orleans pleurait devant son mari , qui lui dit : « Madame, quoique mon parti soit I0O RESIDENCES ROYALES. « bien pris , si ce n'est point de votre con sen - « tement que se fait cette inoculation , elle n'aura « pas lieu : ce sont vos enfants comme les « miens. » « Eh ! Monsieur, repondit la princesse, « qu'on les inocule , et laissez-moi pleurer. » L'operation a parfaitement reussi ; et la duchesse, quand ses enfants ont ete gueris , ayant paru avec eux a l'Opera, a ete saluee par les acclama- tions de la salle entiere. » M. le due d'Orleans avait pris les precautions les plus sages : il avait fait venir de Geneve , M.Tronchin, fameux medecin, eleve de Boerhaave, qui passaitpour le grand inoculateur de l'Europe. M. Troncbin gagna dans ce pays un argent immense. Jamais medecin n'eut une vogue pa- reille ; e'etait une fureur; il y entrait du fanatisme. M. le due d'Orleans lui donna dix mille ecus ar- gent comptant, outre des boites d'or et d'autres bijoux dont la princesse lui fit present. La guerre s'elant rallumee en t 7^7 , le prince servit dans cette campagne sous le marechal d'Estrees, et il eut la gloire de contribuer a la victoire d'Hastenbeck. On savait que le marechal d'Estrees voulait livrer bataille au due de Cum- berland; Paris etait dans la plus vive attente. Ee piemier courrier qui apporta la nouvelle de la victoire d'Hastenbeck descendit au Palais- Royal, el la ducliesse d'Orleans, pour satisfairo LE PALAIS-ROYAL. l5l la curiosite publique, lut, du haut du balcon qui donnait sur le jardin , le bulletin de la balaille , aux acclamations de la foule rassem- blee. Mais aussitot que le marechal de Riche- lieu remplaca le marechal d'Estrees dans le commandement de l'armee , le due d'Orleans revint a Paris. On regretta alors que ce prince, forme a l'ecole du marechal de Saxe, hit eloigne de l'armee , qui 1'aurait vu avec plaisir appele a l'honneur de la commander. II est probable qu'a l'exemple de ses predeces- seurs, le due d'Orleans aurait borne les embel- lissements de son palais a des decorations inte- rieures, si un evenement imprevu, l'incendie de la salle de l'Opera ' , ne fut venu consumer une 1 C'etait encore la salle que Richelieu avait fait batir. Sous ce cardinal, on y representait priucipalement des tra- gedies ou des comedies heroiques ; sous la regence , on y joua des pieces a machines, melees de chants et de danses, dont le gout avait ete importe par Mazarin: elles furent a la verite les premiers essais de cette partie de l'art drama- tique qui allait recevoir tant de developpement et d'eclat. Mais la fondation de l'opera en France est due a Louis XIV; elle ne date reellement tjue de son regne. Vingt-trois ans avant que le Palais-Royal devint la propriete de Philippe due d'Orleans, le 28 juin 1669, le roi accorda au sieur Per- rin un privilege pour l'etablissement dans le theatre de ce palais d'une academic en tnusique et en vers francois.^ow^ reproduisons ici ce privilege : « LOUIS , par la grace de Dieu , Roy de France et de Na- 1 32 RESIDENCES ROYALES. aile entiere de l'edifice avec une grande partie du corps principal. varre : a tous ceux qui ces presentes lettres verront, salut. Notre bien ame et feal Pierre Perrin , Conseiller en notre Conseil et introducteur des ambassadeurs pres la personne de feu notre tres cher et bien ame oncle le due d'Orleans, nous a tres humblement fait remontrer que depuis quel- ques annees , les Italiens ont etabli diverses Academies , dans lesquelles il se fait des representations en rnusique qu'on nomrae Opera ; que ces Academies etant composees des plus excellens musiciens du pape et autres princes, meme de personnes d'honnete famille, nobles et gentilshommes de naissance, tres savans et experimentes en Tart de rnusi- que , qui y vont chanter ; font a present les plus beaux spectacles et les plus agreables divertissemens , non seule- nient des villes de Rome , Yenise et autres cours d'ltalie , mais encore ceux des villes et cours d'Allemagne et d'An- gleterre, ou lesdites Academies ont ete pareillement etablies a l'imitation des Italiens ; que ceux qui font les frais neces- saires pour lesdites representations, se remboursent de leurs avances sur ce qui se reprend du public a la porte des lieux ou elles se font ; et enfin que s'il nous plaisoit de lui accor- der la permission d'etablir dans notre royaume de pareilles Academies, pour y faire chanter en public de pareils opera ou representations en rnusique et en langue francoise , il espere que non settlement ces choses contribueroient a notre divertissement et a celui du public , mais encore que nos sujets s'accoutumant au gout de la rnusique, se porteroient insensiblement a se perfectionner en cetart, Tun des plus nobles liberaux. A ces causes , desirant contribuer a I'avancement des arts LE PALAIS-ROYAL. 1 53 L'incendie commenca a buit heures du matin ( 6 avril 1763 ). Les uns l'attribuerent a des ou- dans notre royaume, et traiter favorablement ledit Exposant, tant en consideration des services qu'il a rendus a notre tres cher et bien ame oncle le due d'Orleans , que de ceux qu'il nous rend depuis plusieurs annees, en la composition des paroles de musique qui se chantent tant en notre Cha- pelle qu'en notre Chambre, nous avons audit Perrin ac- corde et octroye , accordons et octroyons par ces presentes signees de notre main , la permission d'etablir en notre bonne ville de Paris et autres de notre royaume, une Aca- demic composee de tel nombre et qualite de personnes qu'il avisera, pour y representer et chanter en public des opera et representations en musique et en vers francois, pareilles et semblables a celles d'ltalie. Et pour dedommager l'Exposant des grands frais qu'il conviendra faire pour lesdites representations, tant pour les theatres, machines, decorations, habits, qu'autres choses necessaires, nous lui permettons de prendre du public telles sommes qu'il avisera; et a cette fin d'etablir des gardes et autres gens necessaires a la porte des lieux ou se feront lesdites representations. Faisant tres expresses inhibitions et defenses a toutes personnes de quelque qualite et condition qu'elles soient, meme aux officiers de notre Maison , d'y entrer sans payer, et de faire chanter de pareils opera ou representations en musique et en vers francois , dans toute l'etendue de notre royaume pendant douze annees , sans le consentement et permission dudit Exposant , a peine de dix mille livres d'a- mende , confiscation de theatres, machines et habits, ap- 1 54 RESIDENCES ROYA.LES. vriers en decorations, qui, dans l'espoir de cacher leur faute, se determinerent trop tard a appeler du secours; d'autres pretendirent qu'il fallait en plicables un tiers a nous, un tiers a l'Hopital general, et I'autre tiers audit Exposant. Et attendu que lesdits opera et representations sont des ouvrages de musique tout differens des comedies re'citees, et que nous les exigeons par ces dites presentes sur le pied de celles des Academies d'ltalie, ou les gentilshommes chan- tent sans deroger ; voulons et nous plait que tous gentils- hommes, damoiselles et autres personnes puissent chanter audit Opera, sans que pour ce ils derogent aux titres de noblesse ni a leurs privileges, charges, droits et immuniles. Revoquant par ces presentes toutes permissions el privi- leges que nous pourrions avoir cy-devant donnes et ac- cordes, tant pour raison dudit Opera que pour reciter des comedies en musique, sous quelque nom,qualite, condition et pretexte que ce puisse etre. Si donnons en mandement a nos ames et feaux Conseil- lers, les gens tenant notre Cour de parlement a Paris, et au- tres, nos justiciers et officiers, qu'il appartiendra, que ces presentes ils ayent a faire lire, publier et enregistrer : et du contenu en icelles faire jouir et user ledit Exposant pleine- ment et paisiblement , cessant et faisant cesser tous trou- bles et empechemens au contraire; car tel est notre plaisir . Donno a Saint-Germain-en-Laye, le vingt-huitieme jour de juin, Tan de grace mil six cent soixante-neuf, et de notre regne le vingt-septieme. Signe LOUIS , Et sur le rcpli : par le Roy , Colbert. LE PALAIS-ROYAL. I 55 accuser le concierge des appartements du due d'Orleans, qui avait laisse du feu dans un poele destine a secher des peintures nouvelles dans la loge du prince. Quoi qu'il ensoit, en moins de deux heures la salle etait brulee. Le feu etait ter- rible ; la flam me se communiqua rapidement aux toits de l'aile mitoyenne du Palais-Royal , et gagna l'horloge. Elle allait atteindre la porte du cote de la place, lorsque Ton fit des coupures. II etait temps ; car un moment apres, la coupole du grand escalier s'abimait avec un bruit ef- froyable, et il eut ete presque impossible alors d'arreter les progres d'un incendie qui menacait d'envelopper l'edifice. Force de rebatir une partie considerable du Palais-Royal , le due d'Orleans se determina a ordonner une restauration generale. Lorsque la salle de spectacle du Palais-Royal elevee par le cardinal de Ricbelieu, devint la proie des flam- mes , elle servait aux representations de l'Opera, dont le privilege avait ete cede depuis 1749 pai" le due d'Orleans a la ville de Paris. Ce prince, qui avait droit a des indemniles, exigea du pre- vot des marchands et des echevins, que la salle et tous les batiments brules sous leur adminis- tration fussent rebatis et restaures aux frais de la ville. En meme temps, pour que la nouvelle salle fut construite du meme cote du palais , I 56 RESIDENCES ROY ALES. mais en dehors de 1'aile dans laquelle se trouvail 1'ancienne salle , le due d'Orleans acbeta et paya de ses deniers les cinq maisons voisines qui ap- partenaient aux sieurs Franciere, Perreau, Au- bouin , Eaubonne et Venet : ces proprietes, ainsi que trois autres maisons acquises aux frais de la ville, des sieurs Cadeau , Montgazon et Durand, donnerent par leur demolition l'emplacement necessaire a la construction du nouveau theatre, tel qu'il est indique dans le plan de 1780 1 . «La ville de Paris, ayant a supporter la de- pense qu'exigeait la reparation des desastres causes par l'incendie de 1763, crut avoir le droit de charger son architecte, M. Moreau , de la composition et de la direction de ce travail. De 1 On lit dans les Memoires secrets de Bachaumont : « 12 avril 1763 , M. le due d'Orleans a ete hier a Versailles demander au roi que l'Opera restat au Palais-Royal , of- frant tout ce qui pouvait contribuer a l'agrement et a la surete de la salle. S. M. y a consenti. Ainsi , ce spectacle ne changera pas d'em placement. On doit acheter toutes les maisons depuis le cnl-de-sac jusqu'a la rue des Bons-En- fants. L'amphitheatre sera adosse au Palais -Royal , et le theatre repondra a la porte du cloitre Saint-Honore. Quatre issues faciliteront les debouches des quatre cotes : deux par le Palais-Royal , la troisieme par la rue des Bons-Enfants, et la quatrieme par la rue Saint-Honore. M. le due d'Or- leans , outre ces aisances qu'il doit procurer, donnera pour ses loges cent mille ecus. » LE PALAIS-ROYAL. 1 5 1 ] son cote, le due d'Orleans voulut queM. Contant d'lvry, son architecte, fit tout ce qui le concer- nait dans le corps du palais. Ainsi, tandis que M. Moreau eleva la nouvelle salle et toute la fa- cade du palais du cote de la rue Saint-Honore, M. Contant conslruisait les vestibules, les ap- partements et le grand escalier, ouvrage du plus bel efiet, l'un des plus remarquables que Ton connaisse, et d'autant plus digne d'eloges que l'espace dans lequel il a ete bad etait tres-res- serre par l'emplacement reserve a la salle de l'O- pera. On demandait a M. Moreau une salle de spectacle plus vaste, plus magnifique que celle qui venait d'etre brulee, mais il lui etait interdit d'en montrer l'apparence au dehors; d'autre part, M. Contant devait trouver des dispositions com- modes, grandes, magnifiques , dans la partie que le theatre n'occupait pas, sans toutefois qu'il put disposer des facades sur lesquelles etaient percees les fenetres qu'il etait charge de de- corer. « Les resultats de ce bizarre accouplement fu- rent ce que Ton devait en attendre. Les deux architectes firent chacun preuve de talent, mais , ainsi qu'on aurait du le prevoir, ils ne s'enten- dirent pas , et tout fut en desordre. Nous avons remarque, par exemple, un mur de distribution qui se trouve au milieu d'une fenelre dans Paile I 58 RESIDENCES ROYALES. gauche de la premiere cour. Nous pourrions ci- ter encore un grand nombre d'irregularites, de fautes, de bizarreries semblables, sans parler des erreurs de niveau et d'alignement que Ton ren- contre a chaque pas dans le Palais -Royal, et qu'il a ete impossible de faire disparaitre *. » En 1 77 1, lors de la lutte qui eclata entre les parlements et la cour, le due d'Orleans prit hau- tement la defense des parlements. Reuni de cceur et de principes au prince de Conti, son beau-frere, ce fut lui qui presenta au roi les pro- testations des princes du sang et leur adhesion a tous les arrets des parlements dans les di- verses affaires de Besancon, de Toulouse, de la Bretagne et de Paris. Louis XV aimait le due d'Orleans autant par souvenir du regent que pour lui-meme, et, sans les funestes influences dont il etait entoure, peut-etre le monarque eut-il ecoute les sages conseils de ce prince , qui cher- chait a lui demontrer tous les dangers que le trone avait a courir dans cette lutte impopulaire. Mais Louis XV, tres-jaloux de son autorite, etait, par caractere, oppose a toutes les mesures qui pouvaient la restreindre. Aussi le chancelier Maupeou et le due d'A.iguillon , soutenus par le fatal ascendant de madame du Barry, l'entrai- nerent facilement a prononcer la suppression des ' M. Fontaine. LD PALAIS-ROYAL. I 5o, parlements du royaume. Le due d'Orleans pro- testa contre ce coup d'autorite, et tous les princes , hors le comte de la Marche , suivirent ce noble exemple. Le roi les exila tous de la cour, excepte ce meme comte de la Marche 1 ; mais cet exil ne fut pas de longue duree. Quelque temps apres son rappel a la cour, le due d'Orleans obtint du roi Louis XV l'autori- sation d'epouser secretement madame de Mon- tesson, et ce mariage fut celebre le il\ avril 1 773 2 . Madame de Montesson occupa d'abord la mai- son connue sous le nom d'hotel de Chatillon, qui faisait alors partie du Palais-Royal 3 , et qui ' Depuis prince de Conty, enferme en 1793 dans la prison de Marseille, et mort a Barcelone en 1814. 2 La benediction nuptiale leur fut donnee dans la chapelle de madame de Montesson , par le cure de Saint-Eustache ; il y avait ete autorise par l'archeveque de Paris sur le con- sentement du roi. Grimm , dans sa correspondance (troisieme partie , t. Ill, p. 459) , au sujet de ce mariage , rapporte ce qui suit : « Par un edit de Louis XIII , il est defendu a tous les prelats du royaume de marier aucun prince du sang sans une lettre ecrite de la propre main du roi ; celle de Louis XV ne con- tenait que ces mots : «Mons l'archeveque, vous croirez ce que « vous dira de ma part mon cousin le due d'Orleans, et vous « passerez outre. » 3 Des lettres patentes de l'annee 1766 ratilierent 1'echange l6o RESIDENCES ROYALES. etait contigue a l'appartement du due d'Orleans. Rien n'etait sans doute plus commode que cet arrangement; on peut meme dire plus convena- ble, puisque madame de Montesson etait deve- nue la femme du due d'Orleans. Mais, quoique mariee aux yeux de l'Eglise , elle n'etait pas aux yeux du monde l'epouse du due d'Orleans ; au moins, elle ne jouissait pas de l'avantage d'a- voir le rang de son mari et de porter son nom. II n'y avait pas de duchesse d'Orleans , mais il y avail une duchesse de Chartres \ brillante de beaute, de vertu , de jeunesse, et qui etait a juste titre l'objet d'une adoration generate, et e'etait la duchesse de Chartres qui seule repre- sentait au Palais-Royal et a Saint-Cloud ; mais il faut rendre a madame de Montesson cette justice qu'elle ne paraissait pas disputer cet hon- neur. Cependant, elle ne tarda pas a determiner le due d'Orleans a ne plus habiter le Palais- Royal, et a fixer sa residence de Paris dans une maison qu'il avait fait batir rue de Provence. Cette maison communiquait avec celle qu'il avait donnee a madame de Montesson, et dont Tissue etait dans la Chaussee-d'Antin , en sorte que ces que le due d'Orleans avait fait de cet hotel contre quelques domaines du duche de Valois, et l'incorporerent a l'apanage. Il a ete depuis vendu nationalement, et n'a pas ete rachete. LE PALAIS- ROYAL. l6l deux habitations, reunies en realite, conser- vaient 1'apparence d'etre separees. Une salle de spectacle y fut construite % et le prince y joua souvent lui-meme la comedie \ Ce nonveau genre de vie acheva d'eloigner le 1 « La salle de spectacle, fort simple, fort agreable , etait « de forme ovale. Un amphitheatre venait par gradins jus- « qu'a un rang de loges circulaires occupees par les dames « dela maison du due d'Orleans, qui, grace aux marchands «decouleur, etaient presque toutes jolies a la lumiere, « excepte la tete branlante de la marechale de Mirepoix. Les « deux personnes qui jouaient le mieux etaient madame de « Montesson et le chevalier de Cosse.» ( Souvenirs de Stanislas Girardin , tome I er .) 2 On lit dans les memoires de Bachaumont : « On a repre- «sente, le 25 decembre 1762, chez M. le due d'Orleans, « une piece de M. Colle , si connu par ses amphigouris. Elle « a pour titre le Roi et le Meunicr. Ce petit drame a eu le « plus grand succes, et le merite par la naivete qui y regne. « M. le due d'Orleans jouait un des principaux roles, le mcu- « n:er; Granval faisait Henri IK. Cette piece est devenue la « panic de chasse de Henri IP ', et le due d'Orleans y joua <( souvent le role de Michaud. » Colle , que le prince avait nomme son lecteur, dit dans son journal manuscrit : « Le « 6 Janvier 1763, je fis l'ouverture du theatre du due d'Or- « leans, par 1'Avocat patelin, et par la seconde representa - « tion de mon Henri IV. Le jeu et le succes ont depasse « mon attente. Personne ne savait son role l'avant-veille. « Malgre cela , la piece a ete tres-bien jouee , a l'exception « pourtant de M. le vicomte de la Tour-du-Pin , qui n'a point I I J 6l RESIDENCES ROYALES. due d'Orleans du Palais-Royal, et, en 1780, il se determina a le transmettre par avancement d'hoirie a son fils , Louis - Philippe -Joseph, alors due de Chartres , auquel il en fit la cession par un acte legal. Cependant Saint-Cloud, l'autre residence de la maison d'Orleans, deplaisait egalement a madame de Montesson a qui Ies usages du temps et la bienseance ne permettaient pas plus qu'au Pa- lais-Royal de faire les honneurs de la cour du due d'Orleans. Ce prince acheta le chateau de Sainte-Assise et le donna a madame de Mon- tesson. Des lors, le sejour de Sainte-Assise <; du tout rendu le personnage de Henri IV. Il en etait a cent « lieues : sans gaiete, sans noblesse, sans bonhomie, il a ete « le contraire de tout ce qu'il fallait etre. M. de Barban- « tane s'est fort mal tire du role de Conchini; M. de Villeroy, « de celui de Bellegarde ; mais, hormis ces trois acteurs, les » autres ont joue superieurement; surtout M. le due d'Or- « leans ; M. Danezan , qui faisait Sully, et mademoiselle « Marquise. Laujon lui-meme s'est surpasse ; M. le vicomte « dePolignac, madame Drouin, etaient bien dans leurs roles * et n'ont derange personne. Enfin , je puis dire cette fois-ci « que la reussite a ete complete. M. le prince de Conde a « ete, ainsi que tous les autres spectateurs, attendri jus- « qu'aux larmes; ils en ont tous verse a chaque instant ; « les acteurs etaient obliges de s'interrompre a cause des « applaudissements redoubles qui se succedaient continuel- « lenient. » LE PALAIS-ROYAL. 1 63 remplaca celui cle Saint -Cloud dans la belle saison. Malheureusement pour la famille d'Or- leans, Saint-Cloud n'etait pas inalienable comme le Palais-Royal; c'etait une propriete libre et pa- trimoniale que Monsieur, frere de Louis XIV, avait achetee et batie a ses frais. Le baron de Breteuil negocia facilement avec madame de Montesson le traite par lequel le due d'Orleans vendit Saint -Cloud a la reine Marie- Antoinette pour le prix de six millions. Le due d'Orleans #ssista au sacre de Louis XVI, le 12 juin 1775, et y representa le due d'A - quitaine. 11 mourut a Sainte - Assise , le 18 novembre 1785, et fut enterre au Val-de-Grace. Son cceur fut depose dans 1'eglise de Saint -Port , paroisse de Sain te-Assise,« pour y attendre, disait-il dans « son testament , celui de la dame du lieu T . a Ce prince avait eu deux enfants de son ma- nage avec Louise-Henrielte de Bourbon- Conti : Louis-Philippe-Joseph, due d'Orleans, et Louise- ' C'est ainsi qu'M appdait madame de Montesson. Elle mourut a Paris dans sa maison, rue de la Chaussee-d'Antin, le 5 fevrier 1806. Son corps fut transfere dans l'etdise de Saint-Port, conformement au voeu du due d'Orleans. Louis-Philippe I er , roi des Francais , a fait elever dans I I. J 64 RESIDENCES ROY ALES. Marie-Therese-Bathilde d'Orleans , mademoiselle de Montpensier ; elle fut mariee a l'age de vingt ans ( i[\ avril 1770) a Louis-Henri- Joseph de Bourbon , due de Bourbon , prince de Conde ; elle mourut dans l'eglise de Sainte-Genevieve le 10 Janvier 1822. C'estla meredu ducd'Enghien 1 . cette eglise un monument pour recevoir le coeur de son aieul. Voici l'inseription placee sur ce monument : Ici est depose le coeur de Louis -Philippe d'Orleans, mort a Sainte-Assise, sur la paroisse de Saint-Port, le i3 novembre 1785. Louis-Philippe I er , roi des Francais, son petit-fils, a erige ce monument comme un temoignage d'attachement a la memoire de son aleul, et de respect filial pour sa derniere volonte- Annee mdcccxxxiv. 1 La duchesse de Bourbon avait l'esprit cultive ; elle aiinait a ecrire : on lui a attribue plusieurs opuscules qui ne manquent ni de grace ni d'interet. Le dessin et la pein- ture furent pendant longtemps ses distractions favorites. II y a , dans la galerie du Palais-Royal, un tableau de sa composition , qui represente la cour du fort Saint-Jean , a Marseille, ou elle fut detenue en 1793, avec le due d'Or- leans, son frere, et avec ses neveux, le due de Montpensier et le comte de Beaujolois. LE PALAIS-ROYAL. I 65 Le due Louis-Philippe d'Orleans etait magni- fique dans ses equipages, dans ses fetes , dans ses actes de generosite. Un jour qu'il etait a Vil- lers-Cotterets, il con via vingt-deux paroisses a une fete dans son pare , et tous les habi- tants, qui s'y rendirent, furent traites splendi- dement r . Paris a longtemps retenti des fetes qu'il donna a Christian VII, roi de Danemarck, lorsque ce mo- narque vint a Paris en 1768. Christian VII, apres avoir ete couronne en 1767, parcourut rAllema- gne, la Hollande, l'Angleterre et la France. Beau- frere du roi George III, il avait ete recu a Lon- dres avec une froideur qui fit ressortir a ses yeux la brillante hospitalite de la France. La cour et la ville se disputerent le plaisir de lui rendre hommage et de celebrer sa presence. Les beaux esprits du temps se mirent en frais pour le saluer de leurs petits vers , aux spectacles , aux acade- mies, dans les musees, enfin partout. Le roi ( Louis XV) l'accueillit avec grace, et lui dit, en 1 Philippe, due d'Orleans, frere de Louis XIV, avait de- cide qu'il ne serait fait aucune coupe dans la foret de Vil- lers-Cotterets avant cent ans. Ses heritiers respecterent sa volonte,etce ne fut qu'en 1768 que son arriere-petit-fils, Louis-Philippe, due d'Orleans, fit faire dans celte foret la premiere coupe de futaie. C'est a cette occasion qu'il donna cette grande fete. 1 66 RESIDENCES ROYALES. parlant de la disproportion d'age qui existait entre eux : « Je serais votre grand-pere. — «C'est «ce qui manque anion bonheur, » repondit avec effusion le jeune monarque. Un jour qu'il revenait de Fontainebleau , le peuple le salua des cris de Vive le Roi! Chris- tian repartit avec autant d'esprit que de conve- nance : a Mes amis , je viens de quitter Sa Ma- tt jeste , elle se porte a merveille ! » Le due d'Orleans donna au roi de Danemarck une fete magnifique au Palais-Royal; la premiere noblesse de France y avait ete conviee. Les feux de mille bougies, l'eclat et le parfum des fleurs, les sons d'une musique douce et barmonieuse , la ricbesse des costumes et des parures , la reu- nion des plus belles femmes de la cour, faisaient de la grande galerie de ce palais un sejour en- chante. Le souper fut servi a douze tables. A la premiere , se trouvaient S. M. danoise , le due d'Orleans 7 mademoiselle de Montpensier , le prince de Conde, les ministres du roi et les principaux seigneurs; elle etait de quatre-vingt- dix couverts. Le due de Chartres fut charge de faire les honneurs de la seconde table, compo- see de quatre-vingt-dix-neuf personnes choisies parmi la jeune noblesse. Les douze tables for- maient six cent soixante -douze couverts; elles furent toutes servies en meme temps, avec une LE PALAIS ROYAL. 167 celerite et une profusion remarquables , par les ordres du sieur Lepage, controleur de la bouche de Son Altesse. Le souper fut precede d'un jeu et suivi d'un grand bal pare, on le roi de Danemarck prit un tel plaisir qu'il ne se retira qu'au point du jour. Ce fut en y dansant que le due d'Or- leans se cassa le tendon d'Acbille dans le salon d'Oppenort. A l'occasion de cette solennite, le prince avail fait dorer les grilles de l'escalier du Palais-Royal. Les jours suivants, le public se porta en foule pour admirer la beaute de la rampe et la richesse du travail r . 1 Extrait d'une satire inedite, intitulee les Adieux d'un Danois aux Francais ; die parut apres le depart du roi de Danemarck , et fut attribute a Poinsinet , epioique l'auteur 194 RESIDENCES ROYALES. el ait ecrit : Citoyens, la patrie est en danger] De- vant et derriere eux marchaient plusieurs canons accompagnes de nombreux detachements de gardes nationaux. La banniere, signal du dan- ger de la patrie , etait ornee de quatre guidons sur chacun desquels etait ecrit Tun de ces mots : Liberte, Egalite , Publicite , Res pons abilite. Une musique convenable a la circonstance se faisait entendre devant le corps municipal. C'est dans cet ordre que Ton parcourut les principales rues et places de Paris pour y faire la proclamation. De vastes amphitheatres etaient dresses sur les places publiques : le fond en etait ferme par une tente couverte de guirlandes de feuilles de chene, chargee de couronnes civiques et flanquee de deux piques surmontees du bonnet de la liberte. Le drapeau de la section flottait sur le devant de l'amphitheatre garni de deux pieces de canon, et lemagistrat du peuple, revetu de son echarpe, assis a une table posee sur deux tambours, rece- vait les noms des citoyens qui venaient se faire inscrire pour marcher aux frontieres. C'est de la que sont partis les vainqueurs de Jemmapes , de Valmy, de Fleurus , des Pyramides , de Marengo et d'Austerlitz. Apres le 10 aout 1792, lorsque l'invasion des armees prussiennes et autrichiennes , sous les ordres du due de Brunswick , semblait devoir LE PALAIS-ROYAL. 1C)5 aneantir l'independance nationale, le due d'Or- leans fut elu depute a la Convention. Bientot ce prince , renie par les uns , poursuivi par les autres, fut persecute par tous. Le comite de surete generale de la Convention ayant de- cerne des mandats d'arrestation contre les deux fils du due d'Orleans , le due de Chartres et le due de Montpensier, qui servaient dans les ar- mees francaises , l'un dans celle de la Belgique , et l'autre dans celle du Var , cette mesure fut bientot suivie de l'arrestation du due d'Orleans lui-meme et de celle de tous les membres de sa famille qui n'avaient pas quitte la France. II fut arrete au Palais-Royal le 4 avril , avec son troi- sieine fils le comte de Beaujolais, age seulement de treize ans et demi , au moment ou ce jeune prince prenait une lecon, en presence de M. Le- brun , son gouverneur , dans la salle devenue la bibliotheque de M. le due de Chartres, au- jourd'hui due d'Orleans : le due de Montpensier fut arrete a Nice; mais le due de Chartres, ins- truit du sort qu'on lui preparait par le general Dumouriez, qui lui remit lui-meme l'original du decret rendu contre lui, quitta l'armee le 5 avril, et se refugia en Suisse. Le due d'Orleans fut d'a- bord garde a vue dans ses appartements, puis conduit a la mairie, d'ou il reclama inutilement, aupres de la Convention, l'inviolabilite de sa per- i3. I96 RESIDENCES ROYALES. sonne : en sa qualite de depute, le prince ne pouvait etre arrete qu'en vertu d'un decret d'accusation rendu par la Convention elle-meme. On repondit a sa reclamation , en passant a l'ordre du jour , et le due d'Orleans ainsi que le comte de Beaujolais furent emprisonnes a l'Abbaye. Ce fut dans cette prison que les quatre man- dataires de ses creanciers lui declarerent que , comme son arrestation et sa prochaine transla- tion dans les forts de Marseille le meltaient hors d'etat de proceder lui-meme aux ventes qu'il avait promis de faire , il etait necessaire qu'il leur donnat une procuration pour pouvoir vendre eux-memes ceux des biens designes dans l'etat dont la vente serait jugee utile a la liquidation. Le due d'Orleans s'y resigna , et signa, entre deux guic/iets, comme lieu de liberte, une procuration qui devint la source de sa ruine. Tous les biens du due d'Orleans furent frappes du sequestre au moment de son arres- tation; mais les mandataires ayant obtenu de la Convention l'autorisation de faire les ventes desi- gnees dans le concordat, sous la condition que les produits en seiaient verses dans le tresor public , ils commencerent leurs operations ; et lei etait l'epouvantable cbaos ou etaient tombees les lois et les formes de la justice, que, sans egard LE PALAIS-ROYAL. 1 97 pour les termes du mandat, pour ceux de la pro- curation et pour les termes meme du decret de la Convention, tout fut mis en vente indistincte- ment , tant les biens designes dans l'etat du concordat, que les proprietes qui n'y etaient pas comprises; et on n'eut pas plus de scrupules pour celles que le due d'Orleans lui-meme n'aurait pas pu vendre, s'il l'avait voulu, telles que le Palais- Royal et ses dependances , qui ne pouvaient pas legalement etre alienes puisqu'ils avaient ete exceptes de la reprise des biens de l'apanage en 1 79 1 , et qu'aucune loi subsequente n'en avait permis ou present la vente. Neanmoins, par leur acte du 3o juillet 1793, les mandataires se ren- dirent eux-memes acquereurs d'une partie des Mtiments de la Cour des Fontaines, et ven- dirent le reste pour la somme de huit cent seize mille trois cents francs, en assignats. Les au- tres maisons dependantes du Palais furent vendues de la meme maniere, et, le 22 octobre 1 793 , Gaillard et Dorfeuille furent declares adjudicataires pour la somme d'un million six cent mille francs, en assignats, non-seulement du theatre dont ils etaient locataires, mais en- core de la partie du Palais qui s'y trouvait adossee. Gaillard et Dorfeuille avaient forme une asso- ciation avec quelques comediens francais qui I 98 RESIDENCES ROYALES. s'^taient separes de leurs camarades de l'Odeon , alors le theatre de la Nation, et ils exploitaient ensemble la salle du Palais-Royal, que Ton corn- men ca a appeler le Theatre de la Republique a la fin de 1792. Mais dans l'impossibilite ou ils se trouverent de payer le prix de leur acquisition, Us entrerent en arrangement d'abord avec le sieur Prevost, puis avec M. Julien , qui, s'etant fait retroceder leur marclie, se trouva,au meme titre,en possession du theatre. Pendant qu'on se partageait ses depouilles, le due d'Orleans etait retenu avec deux de ses fils (le due de Montpensier et le comte de Beaujo- lais), sa sceur madame la duchesse de Bourbon, et le prince de Conti, dans les prisons de Mar- seille ou il avait ete transfere de I'Abbaye, par les ordres de la Convention. La duchesse d'Or- leans, qui s'etait retiree a Vernon aupres du due de Penthievre, son pere, fut elle-memearretee peu de temps apres la mort de ce prince, et conduite au Luxembourg, alors converti en prison. Le due d'Orleans, conduit a Marseille, fut d'abord mis au fort Notre-Dame, et bientot apres on le tran sfera au fort Saint-Jean ou ses deux plus jeunes fils sont restes enfermes pendant trois ans et demi. Le due d'Orleans pouvait se croire oublie dans sa prison, lorsque, le 3 octobre, le depute Amar parut a la tribune de la Convention LE PALAIS-ROYAL. igo, nationale pour y faire un rapport au nom du comite de surete generale sur la pretendue cons- piration des Girondins , a la suite duquel il proposa de mettre en accusation quarante-cinq membres de l'assemblee et d'ordonner qu'ils fussent juges par le tribunal revolutionnaire. Ces quarante-cinq deputes appartenaient au parti de la Gironde, auquel nous avons dit que le due d'Orleans avait toujours ete oppose. Cependant, apres qu'on eut entendu le rap- port d'Amar, Billaud-Varennes, un des deputes de Paris qui passait pour avoir beaucoup d'in- fluence dans le parti de la Montagne, proposa simplement, et sans motiver sa motion, que le due d'Orleans fut ajoute a la lisle des de- putes que la Convention allait mettre en juge- ment ; et telle etait la terreur qui regnait alors, que cette addition fut decretee, sans qu'il s'elevat une seule voix pours'y opposer,ni meme pour en demander le motif. Des commissaires furent aussitot charges d'aller chercher le due d'Orleans et de le conduire a Paris , ou il arriva dans la nuit du 5 au 6 novembre. Traduit devant le tribunal revolutionnaire, il fut condamne a mort. a Puisque vous etiez decides a me faire perir , « dit-il a ses juges , vous auriez du au moins «< chercher des pretextes plus plausibles pour y 200 RESIDENCES ROYALES. « parvenir, car vous ne persuaderez jamais a qui « que ce soit que vous m'ayez cm coupable de « tout ce dont vous venez de me declarer cou- rt vaincu , et vous moins que personne , vous « qui me connaissez si bien ( ajouta-t-il, en re- « gardant Antonelle, chef du jury ). Au reste , « continua-t-il , puisque mon sort est decide, « je vous demande de ne pas me faire languir « ici jusqu'a demain, et d'ordonner que je sois « conduit a la mort sur-le-champ. » On lui ac- corda sans difficulte cette triste faveur. En tra- versal! t la place du Palais-Royal , la charrette qui le conduisait au supplice fut arretee quelques minutes, et, pendant ce temps, il promena ses regards avec le plus grand sang-froid sur la facade de son palais. Arrive a la place Louis XV, il monta d'un pas ferine sur Fechafaud, et recut le coup mortel le 6 novembre 1 793 , a 4 heures du soir. Louis-Philippe-Joseph, due d'Orleans, avait epouse Louise-Marie-Adela'ide de Bourbon, fille du due de Penlhievre (5 avril 1769), dans la chapelle de Versailles. La beaute de cette prin- cesse, la grace de ses manieres, sa bonte, son inepuisable charite, la rendaient un objet d'a- mour et de respect pour tout ce qui l'approchait. Tant de^vertus ne la mirent pas a Fabii des persecutions revolutionnaires : arretee en 1793, LE PALAIS-ROYAL. lOl elle allait etre transferee du Luxembourg a la Conciergerie ; c'etait ie signal de sa mort Le courage d'un homme obscur, de Benoit, con- cierge du Luxembourg, epargna du moins ce crime a la revolution ; sous pretexte que la prin- cesse etait trop malade , il refusa de la remettre aux agents du comite de salut public, et ce ge- nereux devouement deroba cette illustre vic- time a la hacbe du bourreau ! D'autres infortunes attendaient la ducbesse d'Orleans : deportee au 1 8 fructidor , elle se rendit d'abord a Barcelone, de la a Figuieres? enfin ses enfants vinrent la chercber en 1809 a Port-Mabon , pour la conduire a Palerme, oil le due d'Orleans , son fds , allait epouser la princesse Amelie, fille du roi de Naples *, 1 Dans l'annee 1776, etant duchesse de Chartres, cette princesse accompagna jusqu'a Toulon son epoux , qui s'embarqua dans ce port, sur le vaisseau la Provence. De Tou- lon , la duchesse passa en Italie , et visita Turin, Genes, Parme, Milan, Modene, Venise, Florence, Rome et Naples, ou commenca , entre elle et la reine Marie-Caroline , une liaison que deja elles parlaient de cimenter un jour par 1111 mariage entre leurs enfants. Ces deux meres, si heureuses alors, ne se doutaient guere que ce reve, forme dans le sein des plaisirs et des grandeurs, ne se realiserait que lougtemps api'es sous les auspices de l'exil et de l'in- l'ortune. lOI RESIDENCES ItOYALES. Rentree en France dans l'annee 18 14? elle n'a plus quitte son pays , qui reunissait toutes ses affections, et ou elle trouva quelques jours de repos, apres tant d'orages. Sa vie, toute de bienfaisance et de vertus , se termina au chateau d'lvry, le a3 juin 1821. Le roi, son fils, lui a fait elever, selon son desir, une colonne monu- mentale dans le chceur de l'eglise d'Eu. Les de- pouilles mortelles de cette princesse ont ete transporters dans la chapelle de Dreux , qu'elle avait commence a relever pour servir de se- pulture a sa famille. Apres avoir pleure deux de ses fils, le due de Montpensier et le comle de Beaujolais , le ciel lui devait la consolation de voir son fils Louis- Philippe assis sur le trone de France ! Dans la galerie des portraits du chateau d'Eu , nous avons trace la notice historique du due de Montpensier et du comte de Beaujolais, freres du roi ; nous nous bornerons ici a en rappeler quelques traits : ami des arts , le due de Mont- pensier cultivait la peinture avec succes ; il a laisse plusieurs tableaux qui font partie de la collection du Palais-Royal ; aide de camp du due de Chartres, a la bataille de Valmy, il merita les eloges publics du general en chef Rellermann; ecrivain, il a raconte,dans un style plein de gout LE PALAIS-llOYAL. 2o3 et de graces naturelles, les details de sa longue captivite dans les prisons de Marseille ; apres avoir accompagne ses freres dans leur exil et dans leurs voyages aventureux en A.merique, il est venu mourir a Twickenham le 18 mai 1807. Le comte de Beaujolais etait d'une charmante figure et d'un heureux naturel; il avait beaucoup de courage et quelque chose de cette etourderie entreprenante qui caracterise la nation francaise. Un jour, c'etait a l'epoque ou Bonaparte, premier consul, meditait une descente en Angleterre, il lui prit fantaisie de visiter, d'aussi pres que possible, le camp de Boulogne; malgre toutes les representations de ses freres, il s'embarqua sur une corvette qui devait aller reconnaitre les cotes, essuya le feu des batteries francaises, et revit ainsi pour un moment les rivages de cette patrie dans laquelle il n'a pas eu le bonheur de revenir. Le 3o mai 1808, il mourut a Malte, d'une maladie de poitrine, a l'age de vingt- huit ans '. 1 Le comte de Beaujolais, a peine age de douze ans, fut enferme , en 1793, dans un cachot du fort Saint-Jean avec son frere le due de Montpensier. Un jour, il etait par- venu a tromper la surveillance des gardes ; mais , instruit que son frere, moins heureux que lui, s'etait casse la jambe en cherchant a s' evader par sa fenetre, il vint reprendrc 204 RESIDENCES ROY ALES. Le Palais-Royal , apres la mort du due d'Or- leans (Louis-Philippe-Joseph), fut reuni au do- maine de l'Etat. ses fers, et dit au due de Montpensier en 1'embrassant : « Je <> n'aurais pu jouir sans toi de ma liberte. » LE PALAIS-ROYAL. 2o5 CHAPITRE IX. Le Palais-Royal depuis sa reunion au domaine de l'Etat. 1793—1814. Lorsque le Palais -Royal, deja mutile par les ventes des mandataires, eut ete reuni au domaine de l'Etat, on ne songea plus ni a l'achever, ni a l'entretenir, ni raeraea prendre les mesures ne- cessaires a sa conservation ; on ne s'occupa qu'a en tirer des revenus et a en faire de l'argent. Les arcades sur le jardin que le due d'Orleans avait conservees, furent vendues nationalement ainsi que les batiments de l'hotel de Cbatillon qui avaient echappe aux mandataires. II y eut meme des alienations partielles faites dans le corps du Palais a des restaurateurs , que leur banqueroute a annulees. Des locations de toute espece y furent etablies pi\r un entrepreneur 206 RESIDENCES ROYALES. principal, le sieur Provost, qui tenait la ferme des jeux , et ces locataires degraderent le Palais dans tous les sens, sans que personne s'occupat de les en empecher. Les uns hachaient les mu- railles pour agrandir les fenetres ou pour percer des portes , les autres coupaient des arcs pour etablir des tuyaux de cheminees ; on faisait des cuisines partout, et il est etonnant que l'edifice ait pu resister au traitement qu'on lui a fait subir. La salle de spectacle du Palais-Royal , qu'on appelait alors le Theatre de la Republique , con- tinuait a etre exploitee par une societe composee de quelques comediens francais, dont la ruine, commencee par la depreciation des assignats, fut achevee par la chute totale de ce papier-monnaie. Apres eux , le sieur Sageret, qui etait alors entre- preneur de plusieurs theatres dans Paris, devint locataire de celui du Palais-Royal. Malheureuse- ment, une clause de son bail, passe le i er juil- let 1797, l'autorisait a faire a la salle tous les changements, toutes les constructions, repara- tions et decorations qu'il jugerait a propos ; et, en vertu de cette clause , la salle , qui avait deja ete fortement ebranlee par le canon du i3ven- demiaire an IV ( 5 octobre i 795 ) T , fut entie- 1 Lorsque les troupes des sections de Paris se retiraieiit LE PALAIS-ROYAL. 207 rement bouleversee. On voulait alors que tout fut grec ou l'omain. La decoration interieure de la salle, telle que M. Louis l'avait faite, n'etant pas dans ce style, on la mutila impitoyablement; rarrangement des loges , tout execute en fer et en pots, fut detruit pour etre remplace par une decoration en colon nes de charpente peintes en marbre jaune antique, posees en bascule sur la voiite du vestibule au rez-de-chaussee. On etablit sur ces colonnes une voute en bois qu'on placa plus bas que l'ancien plafond de la salle cons- truit en fer et en pots, lequel fut tranche en plusieurs endroits pour rattacher le nouveau plafond et les nouvelles colonnes a 1'ancienne charpente en fer, a laquelle heureusement on n'osa pas toucher autrement. 11 resulta de ces travaux qu'une salle tres-commode , tres-solide et incombustible, devint incommode, peu so- lide (au moins dans l'interieur) et susceptible d'etre incendiee ; qu'au lieu d'etre a son aise et de bien voir ( a la verite dans des loges decou- vertes, dont on ne voulait pas alors), le public se trouvait partout a l'etroit, et que les colonnes en desordre par la rue de Richelieu, quelques coups.de canon tires par elles sur les vainqueurs mutilerent les colonnes du peristyle. La facade du theatre porte encore les traces de ces coups de canon. ao8 RESIDENCES KOYALES. des loges avec les cloisons des divisions ca- chaient la scene a une grande partie des spec- tateurs. Cette entreprise fut malheureuse ; M. Sa- geret s'y ruina et disparut bientot apres avec son bail. Le Directoire s'attribua alors la direc- tion du Theatre-Fran cais et en chargea M. Ma- heraut, en qualite de commissaire du gouver- nement, mais la salle resta dans l'etat ou M. Sa- geret l'avait mise. Napoleon , ayant renverse le Directoire et s'etant empare des renes du gouvernement , donna le Palais-Royal au Tribunat pour en faire le lieu de ses seances. On commenca par expul- ser des appartements du Palais les tripots , les maisons de jeu et les etablissements de corrup- tion qui l'avaient envabi. Mais il y manquait une grande salle d'assemblee ; on la voulait de dimensions apeu pres semblablesacelle du con- seil des Cinq-Cents au Palais-Bourbon : M. Bleve en concut les premiers plans, et M.de Beaumont les termina. « Il etait sans doute difficile, dit M. Fontaine, en connaissant l'etat de degradation ou le Palais- Royal etait tombe, d'y trouver un emplacement convenable pour l'etablissement de cette salle qui devait con ten ir une assemblee de deux cent cinquante membres avec des galeries pour les LE PALAIS-ROYAL. 20O, spectateurs. On se determina a la placer dans le pavilion dont M. Louis n'avait construit que le rez-de-chaussee et le mur de face , et qui repe- tait le pavilion que M. Contant avait eleve an- terieurement sur la facade de la grande cour. On detruisit quelques distributions interieures au premier, et on prolongea le cercle de l'am- phitheatre jusqu'a la naissance de l'aile gauche de la cour d'entree. On profita habilement du peu d'espace dont on pouvait disposer^ et quoique cet ouvrage ait ete fait a la hate et construit d'une maniere legere et peu so- lide -, il faut rendre justice a l'auteur, et re- connaitre qu'il a merite des eloges pour la belle ordonnance de la composition et pour la recherche et le bon gout de toutes les parties de son ensemble. La salle du Tribunat, batie en 1 80 1 , a ete demolie en 1827, pour la continua- tion des grands appartements , apres avoir servi pendant treize ans de chapelle au palais. » Mais Napoleon, devenu empereur, voyait d'un ceil inquiet cet organe du pouvoir populaire > ce dernier asile des libertes nationales; il ne tarda pas a s'en debarrasser. Dans la seance du 18 septembre 1807, sous la presidence de M. Fabre de 1'A.ude , MM. les con- seillers d'Etat Pelet , Berenger et Maret furent introduits pour faire une communication du 14 2IO RESIDENCES ROYALES. gouvernernent. M. Berenger prit la parole, et, apres un discours etudie, il donna lecture du senatus-consulle du 19 aoiit 1807 et du decret imperial du 29 du meme mois, qui transferaient au corps legislatif les attributions constitution- nelles du Tribunat. Apres l'allocution respec- tueuse du president, M. Carrion de Nizas, tri- bun , proposa de voter une adresse a l'Empereur « pour frapper les peuples de cette idee que le « Tribunat a recu l'acte du Senat sans regret « pour ses fonctions , sans inquietude pour la « patrie; et que les sentiments d'amour et de de- « vouement au monarque qui ont anime le corps « vivront eternellement dans cbacun de ses mem- « bres.» Cette proposition futunanimement adop- tee; le Tribunat ordonna l'impression de la mo- tion, et arreta qu'une commission, composee de MM. Fabre , president, Dacier et Delaitre, secre- taires , Carrion de Nizas , Perrie , Delpierre, Gillet et Freville, serait chargee de la redaction de l'a- dresse. Apres la dissolution du Tribunat , le Palais- Royal fut reuni au domaine extraordinaire de la couronne , dont il a fait partie jusqu'en 1 81 4- Napoleon vint un jour le visiter, a cinq beures du matin, dans le mois d'aout 1807, avec M. Fontaine, son architects L'apparition inattendue de M. Fabre de l'Aude , president du LE PALAIS-ROYAL. 2 1 I Tribunal , contraria le desir qu'il avait d'etre seul : il termina sa visite au second salon, sans vouloir meme aller jusqu'a la salle des seances, et il remporta les preventions defavorables qu'il avait contre le Palais - Royal, et que rien dans la suite n'a pu detruire. Cependant plusieurs projets furent presentes a Napoleon pour tirer parti de cet edifice etlui donner une destination quelconque. « Un de ces projets , dit M. Fontaine, consistait a y etablir dehnitivement la bourse et le tribunal de com- merce qui avaient ete expulses des Petits- Peres lorsque cette eglise fut rendue au culte catholi- que. On les avail transported provisoirement au Palais-Royal, ou ils occupaient le vestibule a co- lonnes de l'aile du milieu du rez-de-chaussee , sous la salle du Tribunat. Selon le projet dont nousparlons, la grande salle aurait occupe tout le premier de l'aile sur le jardin, avec deux grands escaliers a ses extremites. Le rez-de-chaussee aurait ete distribue en portiques a jour et en boutiques de marchands. Les bureaux, le tri- bunal et ses dependances auraient rempli le reste du Palais -Royal. Mais ce projet ne recut aucune execution. On voulut ensuite en faire le chef- lieu de l'etat- major de la place de Paris , pour y loger le gouverneur de la ville, puis en- core en faire le palais des beaux-arts avec les 14. 11% RESIDENCES ROYALES. ^coles de peinture , de sculpture et d'architec- ture : rien de tout cela ne s'executa. Enfin, on imagina d'y reporter une autre fois, mais isole- ment et au milieu de la grande cour, le theatre de l'Opera, avec des salons et des appartements qui auraient servi a donner des fetes publiques, mais ce projet fut repousse comme les autres. « Ce ne fut que lorsque, parvenu au sommet de sa puissance , Napoleon s'apercut qu'il man- quait de palais pour les rois qui venaient rend re hommage a sa gloire , qu'on lui proposa et qu'il parut agreer l'idee de comprendre le Palais- Royal dans le plan general de la reunion des palais du Louvre et des Tuileries , et de faire en sorte que par des arcs, des galeries et des co- lonnades ,ces trois grands edifices reunis presen- tassent le plus vaste ensemble et la plus magni- fique residence de souverain qui eut ete connue jusqu'alors. Neanmoins, il ne fut pas donne plus de suite a ce projet qu'aux precedents, et le Palais-Royal, qui n'avait ete ameliore en rien par le sejour du Tribunal , resta tellement de- credite , apres tant de degradations , que dans les dernieres annees de l'empire on alia jusqu'a proposer de le mettre en venle pour en faire un objet de speculation. » Mais cet edifice etait destine a reprendre bientot son ancienne splen- deur. LE PALAIS-ROYAL. 2l3 En 1814, un auguste exile revient dans sa pa- trie; il se presente seul et sans se faire connaitre an Palais-Royal. Le Suisse, qui portait encore la livree imperiale, ne voulait point le laisser en- trer; il insiste, il passe, ils'incline, il baise avec respect les inarches du grand escalier C'etait Theritier des dues d'Orleans qui rentrait dans le palais de ses peres. 2l4 RESIDENCES ROYALES. CHAPITRE X. Le Palais- Royal sous Louis-Philippe, due d'Orleans. 1814—1830. Avant de continuer 1'histoire du Palais-Royal et d'arriver a l'epoque de sa plus grande illustra- tion , nous avonsvoulu, pour rehausser l'interet de notre ouvrage, raconter les antecedents d'une vie dont les longues vicissitudes devaient se terminer par une couronne ; mais notre position particuliere nous imposant une reserve qui sera appreciee par nos lecteurs, nous ne faisons que reproduire une notice imprimee en 1824 > et nous nous bornerons a y ajouter quelques notes qu'une auguste bienveillance nous a permis de recueillir. « Louis-Philippe, due d'Orleans, porta d'abord LE PALAIS-ROYAL. 21 5 le titre de due de Valois; il prit celui de due de Chartres a l'epoque ou son pere devinl due d'Orleans. Des lage de cinq ans, il fut remis aux soins de M. le chevalier de Bonnard *. En 1782, la direction de son education fut confiee a ma- dame la comlesse de Genlis. Au respect de la religion, a l'amour de la vertu, a la culture des lettres et des arts , madame de Genlis crut devoir joindre pour son eleve une gymnastique bien entendue, pensant avec raison que ce qui fortifie le corps dans la jeunesse fortifie aussi les facul- tes de lame 2 . En 1787 , le due et la duchesse d'Orleans ayant fait un voyage a Spa, madame de Genlis y conduisit leurs enfants ; en revenant , le due de Chartres, qui etait dans sa quatorzieme an- 1 Le chevalier de Bonnard, ne a Semur en Auxois , sous- gouverneur des princes de la maison d'Orleans, avait servi honorablement dans I'artillerie , et n'etait pas moins dis- tingue par les graces de son esprit et l'amenite de son caractere. a Se servir seul , travailler a la terre, courir, nager , coucher sur un lit de bois recouvert d'une siniple natte de sparterie; braver le soleil , la pluie, le froid, la fatigue, tel £tait le regime auquel le prince etait assujetti aSaint-Leu, comme a Saint-Cloud. Madame de Genlis semblait avoir yiressenti les epreuves que la Providence reservait a sou augustc eleve. 2l6 RESIDENCES ROYALES. nee , s'arreta a Givet pour voir le regiment de Chartres infanterie, dont il etait colonel -pro- prietaire. L'annee suivante , dans un voyage qu'il fit en Normandie , il visita le Monl- Saint-Michel , et y revela la noblesse de son caractere , en faisant detruire la fameuse cage de fer ou un gazetier de Hollande fut enferme pendant dix-sept ans, pour avoir ecrit contre Louis XIV. . . Cette cage servait encore de temps en temps a tourmenter les prisonniers *. Le due de Chartres ne fut nomme chevalier de l'ordre du Saint-Esprit qu'au i er Janvier 1789, e'est-a-dire un an plus tard que les princes ne l'etaient ordinairement, par suite de l'eloignement du due d'Orleans , qui avait ete exile pour sa courageuse protestation au parlement de Paris, le 19 novembre 1787. La convocation des etats generaux venait de seconder cet elan geneYeux qui devait porter la x La meme annee , le dauphin , fils aine de Louis XVI , etant mort , le due de Chartres , en l'absence du due d'Or- leans , son pere , fut charge d'accompagner le coeur de ce jeune prince au Val-de-Grace, etla superieure, comme frappee d'une de ees revelations soudaines dont le secret est dans le ciel, lui dit : « Nous vous aurons aussi dans ce royal asile ; •< mais il se prepare de bien mauvais jours , et ce ne sera « qu'apres de longs orages que vous rentrerez en France. » LE PALAIS-ROYAL. 217 France a de plus heureuses destinees. Le due de Chartres , sans regretter les sacrifices que le nouvel ordre de choses imposait a sa famille, embrassa avec ardeur les esperances d'une liberte sage et constitutionnelle que la revolu- tion donnait a la France. II aimait a suivre les debats de l'assemblee nationale, a entendre cette foule d'orateurs qui tout a coup , comme par enchantement, avaient transporte a la tri- bune francaise l'eloquence des beaux temps de la Grece et de Rome f , Un decret de l'assemblee constituante ayant oblige les colonels- proprietai res de quitter la carriere militaire ou de prendre le commande- ment effectif de leurs regiments , le due de Chartres, qui ambitionnait l'honneur de servir sa patrie, n'hesita pas a se mettre en personne a la tete du i4 e regiment de dragons, qui portait 1 Present a la seance ou l'assemblee raya de nos lois feo- dales la prerogative du droit d'ainesse, il revint au Palais- Royal pour en porter lui-meme la nouvelle a ses freres. Le premier qu'il rencontra fut le due de Montpensier; il 1'em- brassa en pleurant, lui raconta ce qu'il venait de voir. « Je '< n'ai pas besoin d'ajouter, dit-il , combien cela me fait plai- « sir; mon frere sait bien que lors meme que la loi eiit tou- « jours existe, il n'y aurait pas eu pour cela de difference « entre nous : e'etait une injustice, et moi le premier je ne < l'aurais pas soufferte. » 2t$ RESIDENCES ROY ALES. son nom et se trouvait alors en garnison a Vendome. Le prince arriva dans cette ville le 1 5 juin 1 791. La, il eut le bonheur de sauver, par son cou- rage et sa presence d'esprit, un pretre non as- sermente, que la multitude voulait massacrer comme accuse d'avoir regarde avec mepris une procession conduite par un pretre constitution- nel r . Quelque temps apres, il donna un nouvel exemple d'humanite, en arracbant des flots un ingenieur pres de perir. La ville de Vendome decerna une couronne civique a l'auteur de ces actions bonorables a . Le nouveau serment exige des officiers venait d'etre envoye a tous les regiments. Sur les vingt- 1 Le lendemain il vit arriver chez lui un homme portant un panier de fruits. « Pour qui ces fruits ? demanda le prince. — Ce sont, reprit le paysan, les plus beaux de mon jardin, et je les ai cueillis pour vous les offrir par recon- naissance. — A moi ! qu'ai-je fait pour vous ? — Je suis un de ceux qui voulaient hier tuer le pretre que vous avez sauve. Que voulez-yous , j'etais hors de moi, j'avais soif de sang; aujourd'liui que je suis calme , je viens vous remercier de m' avoir epargnc un crime. » 1 Cette couronne, retrouvee comme par miracle apres une revolution qui en a brise tant d'autres, a ete offerte, en 18 1 4, a la duchesse d'Orleans (aujourd'liui reine) , qui l'a placee dans ses appartements. LE PALAJS~ROYAL. 219 huit officiers du iff dragons, sept seulement le preterent; mais, grace au zele du due de Chartres, la discipline n'en souffrit pas. Au mois d'aout 1 79 1 , il quitta Vendome avec son regiment pour se rendre a Valenciennes, ou il passa Thi- ver, remplissant les fonctions de commandant de place comme le plus ancien colonel de la garnison. Son brevet de colonel etait du 20 no- vembre 1 785. Les menaces dont la France etait sans cesse l'objet avaient determine le gouvernement a diviser la frontiere, depuis Huningue jusqua Dunkerque, en trois grands commandements confies au marechal Rochambeau 1 , au marechal Luckner, au general la Fayette. En i79a,lorsque Louis XVI eut declare la guerre; a l'Autriche ? , 1 La mere du marechal Rochambeau avait ete dame de la veuve du Regent, puis gouvernante de Louis-Philippe- Joseph, due d'Orleans : le marechal avait ete aide de camp de Louis- Philippe d'Orleans pendant la guerre de sept ans; plus tard , il combattit vaillamment pour l'independance americaine. * Lorsqu'a l'approche des hostilites Dumouriez prit le commandement de 1'armee, le portefeuille de la guerre avait passe provisoirement dans les mains deM. de Graves, depuis ecuyer du due d'Orleans. Ce ministre crut devoir, sur la (juestion de la guerre, consulter une dermere fois la reine Marie-Antoinette, sceur de J'empereur d'Aiitrichpi n'ayant 2 20 RESIDENCES ROYALES. au sein de l'assemblee legislative, on se deter- mina a devancer par des hostilites immediates celles que la coalition preparait contre la France. Le general Biron fut charge du corps d'armee de Valenciennes et de Maubeuge ; c'est sous ses ordres que le due de Cbartres fit ses premieres amies. Lea8 avril 1792,^ prit part aux premieres affaires de cette guerre, a Boussu et a Quaregnon. Le 3o , il contribua a arreter les fuyards qui, frappes d'une terreur fausse 011 concertee, cou- raient de Quievrain sur Valenciennes sans etre meme poursuivis. Nomme marechal de camp par droit d'an- ciennete , le 7 mai 1 792 , sous le ministere du comte de Graves , en meme temps qu'Alexandre Berthier, depuis prince de Wagram , il com- manda, en cette qualite, une brigade de dra- gons, sous les ordres du marechal Luckner, qui etait venu remplacer Rochambeau a l'armee du nord. L'avant-garde francaise ayant fait un mou- vement sur Courtray , le due de Chartres se trouva a la prise de cette ville ; mais la retraite operee par le marechal Luckner ne permit point ^de profiter de ce premier avantage. pu la voir, il lui fit remettre un billet que la reine lui ren- voya aussitot avec ce mot ecrit de sa main et au crayon : la guerre ! Que ce mot disait de choses !.... LE PALAIS-ROYAL. 11\ Apres ce mouvement retrograde, 1'armee de Luckner fut partagee en deux corps, dont l'un, commande par le general de Harville, fut envoy e en Lorraine, tandis que l'aulre, sous les ordres du general Dumouriez, qui venait de quitter le ministere, fut laisse en Flandre pour couvrirla frontiere. Le due de Chartres et sa brigade de dragons, composee des \l\ et 17% firent partie du corps du general de Harville, qui arriva vers la fin de juillet a Metz, ou Luckner revint en prendre le comrnandement. Luckner fut lui- meme remplace , peu de temps apres , par le general Kellermann , depuis marechal due de Valmy l . La France se trouvait alors dans la crise la plus effrayante : 1'armee de la coalition, forte de cent dix mille horames , et commandee par le due de Brunswick 2 , penetrait sur le territoire 1 Lorsque le due de Chartres , qu'on appelait le general Philippe, se rendit au quartier general : « Corbleu ! dit Kel- lermann, je n'ai pas encore vu d'officier general aussi jeune. Comment diable avez-vous done fait pour etre deja general ? — C'est que je suis le fils de celui qui vous a fait colonel. — Ah ! je suis enchante, repondit le vieux general, de vous avoir sous mes ordres. » 2 Ce prince avait lance son fameux manifeste , auquel 1'armee repondit par les terribles accents de la Mar- seillaise. II ne s'agissait rien moins dans ce factum que Ill RESIDENCES ROYALES. francais. Nous n'avions a lui opposer que deux faibles armees, dont l'une, de treize a quatorze rriille homraes, etait campee pres de Metz, sous les ordres de Kellermann, et l'autre, forte d'en- viron trente-trois mille homines , etait a Sedan , sous ceux du general Dumouriez, qui venait de remplacer le general la Fayette dans ce com- mandement. Le general la Fayette avait ete en- leve par les Autrichiens aU moment Ou , fuyant la proscription , il allait chercher un asile sur ufte terfe etrangere. Le 1 1 septembre 1792, le due de Chartres fut nomme lieutenant general, et appele au com- mandement de Strasbourg. «Je suis trop jeune, « repondit-il, pour m'enfermer dans une place, « et je demande a rester dans l'armee active. » \\ n'alla point a Strasbourg, et Kellermann , dont de punir comme rebel le tout garde national qui aurait combattu contre les deux cours coalisees, et qui serait pris les armes a la main.... Les habitants qui oseraient se defendre devaient etre livres sur-le-champ a toute la ri- gueur des tribunaux militaires En cas d'attaque contre le chateau des Tuileries de la part de quelques factieux , Paris devait etre livre k une execution , a une subversion totale, et les rebelles au supplice. Le roi de Prusse etait en personne dans cette armee avec un grand nombre de princes, parmi lesquels on remarquait les deux freres de Louis XVI. Li: PALAIS-ROYAL. 1 1 '3 l'armee, renforcee par une division de l'armee du Rhin , etait deja forte de vingt-sept millehommes, lui confia le commandement de sa seconde ligne, composee de douze bataillons d'infanterie et de six escadrons de cavalerie. Ce flit a la tete de cette seconde ligne que le due de Chartres combattit a Valmy ", le 20 sep- tembre 1792. Charge de la defense du moulin sur lequel se dirigerent constamment tous les efforts de l'ennemi et le feu de leurs batteries, il parvint a se maintenir jusqu'au soir dans cette importante position , et contribua puissamment au succes de cette memorable journee, qui fit avorter les projets de la coalition 2 . 1 Telle etait la presomption de l'etranger, que le lende- niaiii de la bataille de Valmy, un voyageur fut conduit de- vant le due de Chartres, qu'ilneconnaissait pas; ce voyageur etait dans une complete ignorance de Fevenement de la veillc : « Je suis , lui dit-il , un ofiicier allemand ; je viens en « France pour mon plaisir; j'ai des lettres de recommanda- « tion pour plusieurs chateaux sur la route; je compte m'y « reposer, et j'irai ensuite a Paris pour avoir le plaisir d'y « voir pendre M. de la Fayette. » Le due de Chartres mit promptement fin a ces impertinences , en lui racontant ce qui venait de se passer a Valmy, et le heros a la suite crut prudent de rebrousser chemin. a Le colonel Manstein, aide de camp du roidePrusse, fit demander a Kellermann la faveur de se presenter a son 2^4 RESIDENCES ROY ALES. Le 16 septembre, le conseil executif nomma le due de Chartres au commandement en se- cond des troupes de nouvelle levee que le general Labourdonnaye etait alors charge de reunir a Douay; mais le prince ne fut pas plus seduit par cette seconde nomination qu'il ne l'a- vait ete par la premiere. II vint a Paris pour de- quartier general sous le patronage du baron de Leymann , qui , ayant pris du service en France dans les hussards, avait du son avancement au due d'Orleans. Kellermann y consen- tit. Aussitot le baron fait demander le due de Chartres : «Voulez-vous, lui dit-il,vous charger d'une lettre pour le prince votre pere? — Tres-volontiers , repondit le due, si elle ne contient que des temoignages de votre attachement pour lui. — Ah ! si elle ne renfermait que cela, ce ne serait pas assez... 11 depend peut-etre du due d'Orleans d'arreter les fleaux de la guerre. Je connais les intentions des souve- rains allies; je sais que ce qu'ils desirent avant tout, e'est de preserver la France de l'anarchie ; et comme on a pense que je vous verrais ici, j'ai etc autorise a faire savoir au prince votre pere que Ton se rassurerait si on le voyait a la tete du gouvernement. — Bah ! dit le prince avec ironie, comment avez-vous pu croire que mon pere ou moi nous ecouterions de pareilles sornettes? » Le baron insista ; mais quand il vit que la resolution du due de Chartres etait ine- branlable, il se borna a le prier de faire parvenir a son pere Tine simple lettre de respect et d'attachement. Le due d'Or- leans la recut sans l'ouvrir, et la Convention, sur le bureau de laquelle elle fut deposee, la fit bruler sans en avoir meme pris lecture. LE PALATS-ROYAL. 22 5 mander a rester dans la ligne, et dans l'armee de Rellermann ; cependant, comme il y avait deja ete remplace , on lui proposa, et il accepta, de passer dans celle du general Dumouriez, qui allait se porter sur la Flandre et tenter l'invasion de la Belgique. Cette armee , apres avoir suivi l'armee prus- sienne dans sa retraite jusqu'a Busancy, se diri- gea sur Valenciennes en deux colonnes, dont la premiere etait commandee par le general Beur- nonville , et la seconde par le due de Chartres. Le general Dumouriez y rejoignit son armee, et la trouva dans un etat de denument presque absolu , manquant surtout de souliers et de ve- tements. Neanmoins, l'impatience francaise n'at- tendit pas ce que la prudence eut paru exiger : un petit combat legerement engage, le i no- vembre, pres le village de Thulin, decida Du- mouriez a renforcer son avant-garde, sous les ordres du general Beurnonville, d'une partie de la division du due de Chartres, qui, operant sur la droite, attaqua l'ennemi le 3, emporta le moulin de Boussu, ainsi que la batterie qui le defendait, landis que les generaux Dampierre, Beurnonville, Stengel et Fregeville , delogeaient les Autrichiens de poste en poste , et les repous- saient jusqu'a Saint -Ghislain. Le 4> le general Dumouriez, pour pro (iter de ces avantages, mit i5 0.0.6 RESIDENCES ROYALES. toute son armee en mouvemenl ; le 5, elle bi- vouaqua en face du camp des Autrichiens, qui s'etaient retranches snr les hauteurs de ,lem- mapes. lis etaient com man des par Clerfayt , sous les ordres du due Albert de Saxe-Teschen. La division du due de Charlies, forte de vingt-quatre bataillons d'infanterie , bivouaqua en avant du village de Paturage. Le 6, l'armee francaise livra et gagna la celebre balaille de Jemmapes. Dans cette journee , le due de Chartres s'avanca pour attaquer le bois de Frenu , qui cou- vrait le centre des Autrichiens; mais comme ils occupaient une position tres-forte, defendue par des redoutes meurtrieres, dont le feu , pres- qu'a bout portant, faisait un effroyable ravage dans les rangs francais, le desordre se mit dans une partie de nos troupes : le jeune prince fit tous ses efforts pour arreter les progres de ce desordre; il parvint, non sans peine, a rallier les fuyards; mais dansl'impossibilite de reformer en- tierementplusieurs bataillons qui s'etaient meles, il en fit une colonne , a laquelle il donna le nom de Bataillon de Moris, placa au centre les cinq drapeaux qu'ilavait arretes, fit de nouveau battre la charge , et , avec ces memes soldats 7 dont rien, quelques instants plus tot, ne pouvait arreter la fuite, il attaqua 1'infanterie autrichienne qui remplissait les intervalles des redoutes, y pene- LE PA.LAIS-ROYAT, 227 Ira la baionnette en avant, et s'empara d'une partie de l'artillerie ennemie, que la cavalerie autrichierme s'efforcait vainement de faire ren- trer dans Mons. Apres cette victoire, surprenante 1 autant que glorieuse pour une armee si jeune, si mal equi- pee , encore si inexperimentee, il fallut deux jours pour retablir l'ordre au milieu de l'incon- cevable confusion que cette premiere bataille avait jetee parmi les corps de Tarmee Fran- chise. Puis, on se mit a la poursuite des Au- trichiens. Les Fran cais les rejoignirent, combat- tirent 1'ennemi a Anderlecht le i3 novembre, a Tirlemont le 19, a Varroux le 27, et entrerent dans Liege le 28. A la suite de cette campagne, aussi honorable pour i'armee francaise que pour le general Dumouriez, qui la commandait, les troupes 1 Louis XVIII ne pardonna jamais a Dumouriez la vic- toire de Jemmapes , qui renveisa toutes les esperances des emigres. En 1814, le due d'Orleans proposa au roi de nom- mer son ancien general marechal de France ; Louis XVIII repondit sechement : « Ce n'est qit'un general du second ordre. »Et lorsque le prince revit Dumouriez en Angleterre, et lui lit part de ses regrets: -< Ne voyez-vous pas , s'ecria « Dumouriez avec un sourire amer, que fat la , sur le front, « ecrit en lettres de feu, un mot qu'its ne me pardonneront jamais ; e'est le mot Champagne ! » i5. 220 RESIDENCES ROYALES. fiirent cantonn^es et prirent leurs quartiers d'hiver. Le due de Cbartres dutalorss'occuperdu sort de sa sceur,qui, parsuite de la prolongation du voyage qu'elleavait entreprisen Anglelerre avec madame de Genlis, se trouvait comprise dans une des categories des lois sur Immigration. Oblige de la faire sortir de Paris en vingt-quatre beures, et de la France en trois jours, le due d'Orleans ecrivit au due de Cbartres de venir cbercber sa sceur, et de la conduire en Belgique, ce qu'il fit. Ce fut a Tournay qu'il la placa, et il y sejourna quelques semaines avec elle. 11 etait dans cette ville, lorsque la Convention rendit un decret prononcant le bannissement de tous les mem- bres de la maison de Bourbon qui se trouvaient encore en France. Le due de Cbartres aurait voulu que son pere parti t avec lui et tous les siens pour les Etats-Unis d'Amerique , et qu'ils profitassent ainsi de cette circonstance qui, quoique malbeureuse en elle-meme, leur pre- sentait un moyen de sortir de tous les embarras de leur position ; mais son eloignement de Paris rendit nuls les edf'orts qu'il fit pour determiner son pere a prendre ce parti, et le decret elait deja revoque avant que les lettres du due de Chartres lui fussent parvenues. Au mois de fevrier 1793, le due de Cbartres LE PALAIS-ROYAL. 2'2C) fut rappele a l'armee pour y etre employe au siege de Maastricht , sous les ordres du general Miranda. Le i" mars 1793, le prince de Co- bourg, a la tete d'une armee autrichienne, ayant viole la neutralite du territoire Palatin , en tra- versant Juliers, forca le general Lanoue, qui commandait les troupes francaises sur la Roer, a evacuer Aix-la-Chapelle et a se replier sur Liege. L'armee qui faisait le siege de Maastricht fut pareillement obligee de se replier, et ces deux armees reunies prirent position devant Louvain, 011 le general Dumouriez, qui avait obtenu de brillants succes en Hollande, se hata d'accourir pour reparer cet echec. Arrive le i5 mars, il reprit 1'offensive le soir meme, refoula 1'avant-garde autrichienne de Tir- lemont et de Goidsenhoven, jusque derriere la Gette, et profita de ces avantages pour livrer la bataille de INerwiiide, le 18 mars 1793. Le centre de l'armee etait commande par le due de Chartres , et compose de deux divisions , dont Tune etait sous les ordres du general Diet- man , et l'autre sous ceux du general Dampierre. Le prince devait soutenir l'attaque que l'aile droite etait chargee de faire sur Nerwinde en meme temps que sur les villages d'Oberwinde et de Middelvvinde , tandis que l'aile gauche de- vait attaquer la droite des Autrichiens, en se 23o RESIDENCES ROYALES. prolongeant jusqu'au poste de Leau. Une divi- sion du general Valence , qui commandait la droile de I'armee , s'empara d'abord du village de Nerwinde, mais elle fat bientot forcee de l'e- vacuer. Le due de Chartres l'attaqua de nouveau a la tete de seize bataillons d'infanterie. 11 delo- geait les Autricbiens de haie en haie, lorsque la vue des nombreux renforts que l'ennemi rece- vait de la droite , repandit une terreur panique dans quelques bataillons de nouvelle levee. Les cris de sauve qui peutl se firent entendre, et les efforts du due de Chartres ne purent pre- venir le desordre. II fallut de nouveau evacuer ISerwinde : le feu bien soutenu de quelques anciens bataillons, demeures fermes sur la place de ce village, arreta cependant l'ennemi assez longtemps pour l'empecher de poursuivre la masse confuse qui en sortait. Ce revers de fortune etait produit par les evenements de l'aile gaucbe de I'armee francaise, que comman- dait le general Miranda : elle avait ete dispersee, et avait rnerne abandonne les ponts sur lesquels les Autricbiens auraient pu passer la Gette pen- dant la nuit, et couper toute retraite a I'armee francaise. Cependant elle bivouaqua sur le champ de bataille jusqu'a lapointedu jour,et ce futalors seulement qu'elle commenca sa retraite. Le due de Chartres fit son mouvement retrograde en LE PALAIS-ROYAL. 2 3 I meme temps que le general Leveneur, qui coni- mandait la droite, depuis la blessure du gene- ral Valence : il regagna Tirlemont, sans avoir ete entame, fit aussitot fermer les portes de la ville, placa les troupes sur les remparts, et par sa bonne contenance suspendit la marche victo- rieuse de l'ennemi. Ce fut dans le cours de cette retraite que Du- mouriez forma le projet de dissoudre la Conven- tion nationale par la force des armes. L'entre- prise echoua, et Dumouriez chercha son salut dans la fuite. Le due de Chartres , qui avait ma- nifeste avec plus de franchise que de prudence l'horreur que lui inspiraient les exces revolu- tionnaires dont la France etait le theatre, se vit aussi frappe d'un decret d'arrestation. II prit alors la douloureuse resolution de quitter l'ar- mee et de s'eloigner de sa patrie : il arriva , non sans danger, a Mons, oil etait le quartier general du prince de Cobourg. L'archiduc Char- les, qui s'y trouvait, lui fit l'accueil le plus ho- norable, et lui offrit de prendre du service dans l'armee autrichienne , ou il serait entre comme lieutenant general; mais le due de Chartres etait trop penetre du sentiment de ses devoirs pour dementir ses premieres armes : il se borna a de- mander des passe-ports, afin de se retirer en 2^2 RESIDENCES ROYALES. Suisse, ou il se flattait de trouver un asile pai- sible; ils lui furent accordes '. Ami sincere de l'independance de son pays , c'est dans les camps que le due de Chartres avait servi cette noble cause ; c'est a son epee seule qu'il devait sa premiere gloire. Mais, d'un cote, son nom etait l'objet de la baine du parti anticonstitutionnel; de J'autre, la crainte de passer pour etre du parti d'Orleans etouffait toutes les voix qui auraient pu s'elever en sa fa- veur; et l'importance de son rang le rendait un objet de crainte ou de jalousie pour tous les par- tis. Telle etait sa destinee, que, proscrit en France par ceux qui dressaient des echafauds , il devait etre proscrit au dehors comme un par- tisan de la revolution , dont il deplorait les exces. II part de Mons pour la Suisse le 1 2 avril 1 793, sous le nom d'un voyageur anglais, avec Cesar Ducrest, son aide de camp, n'emportant avec lui que de faibles ressources. II traverse en fugitif'ces memes contrees que peu de temps auparavant ' Ils etaient en blanc. \,e prince y inscrivit les noms de Kemble et de Partney , pour lui et pour son aide de camp qui l'accarnpagnait , et le 12 avril 179^, il quitta Mons apres avoir fait prevenir de son depart la duchesse d'Orleans, sa mere, qui etait gardee a vue dans le chateau du due de Peuthicvre, a Vernon. LE PALAIS- ROYAL. a33 il avait parcourues en vainqueur avec l'armee francaise. Il apprend par une gazette rarrestation de toute sa famille, arrive en fin a Bale le 11 avril 1793. II attendait mademoiselle d'Orleans, sa soeur, que les circonstances avaient placee sous sa protection : elle venait d'arriver a SchafTouse avec madame de Genlis, conduite par M. le comte Gustave de Montjoye, adjudant general dans l'armee francaise, et qui venait de sorlir de France en meme temps que le ducde Chartres. Le prince , pour la rejoindre, quitte la ville de Bale 1 ; il cherche vainement a s'etablir, soita Zu- rich, soit a Zug : partout il est repousse, et partout il lui est notifie qu'il ne trouvera point d'asile en Suisse. Dans cette position terrible, ilcrut devoir avant tout s'occuper d'en trouver tin pour sa sceur. Le comte de Montjoye imagina de con- suiter le general Montesquiou , membre de l'as- semblee constiluante , qui , decrele d'accusation pendant qu'il commandait l'armee des Alpes , etait venu chercher un refuge en Suisse, et vi- ' Il avait etc reconnu a Bale par un capitaine de royal suedois; et quand il vint a Zurich, M. Ott , membre du grand couseil , lui dit : « Ne vous flattez pas de resider a Zurich, ni dans les grands cantons, ni meme dans les petits, a moins de beaucoupd'argent wet le prince n'avait qu'une centaine de louis pour lui , sa sceur et les pcrson-nes qui les avaient suivis !.... 1 3/| RESIDENCES llOYALES. vait retire a Bremgarten, sous le nom du che- valier de Rionel. Le general temoigna aussitot le plus vif interet pour ces illustres proscrits, et le plus grand desir de leur rendre service. 11 par- vint , non sans peine , a faire recevoir mademoi- selle d'Orleans , et meme madame de Genlis , au couvent de Bremgarten. Quant au due de Char- tres | «il n'y a, lui dit-il ? d'autre parti a prendre « pour vous que celui d'errer dans les montagnes, « de ne sojourner nulle part, et de continuer « cette triste maniere de voyager jusqu'au moment « ou les circonstances se montreront plus favo- « rabies. Si la fortune vous redevient propice, ce « sera pour vous une Odyssee x dont les details « seront un jour recueillis avec avidite. » Le due 1 M. de Montesquiou avait eu la meme pensee que Dumou- riez, qui lui-meme, exile a cette epoque, ecrivait a ce general : « Embrassez pour moi votre bon jeune homme; ce que vous « faites pour lui est digue de vous; qu'il profile de sa dis- « grace pour s'instruire et se fortifier : ce vertige passera , et « alors il trouvera sa place. Invitez-le a faire un journal cir- « constancic de son voyage ; outre qu'il sera assez piquant de « voir un journal d'un Bourbon qui roule sur autre chose « que sur la chasse , les femmes et la table , je suis bien aise « que cet ouvrage, qu'il pourra donner un jour, lui serve « de certificat de vie, soit quand il rentrera, soit pour le « laire rentrer. Les princes doivent produire des Odyssecs « plutot que des pastorales. » LE PALAIS-ROYAL. 2 3 J de Chartres, content d'avoir mis sa soeur a l'abri de Forage, snivit ce sage conseil. 11 se separa d'elle le 20 juin 1793... 11 ne devait la revoir que quinze ans plus tard ! .... El seul , a pied , presque sans argent, il commenca ses voyages dans l'in- terieur de la Suisse et dans les Alpes 1 . Si ]es bornes que nous impose cette simple notice nous permettaient de retracer ici les nom- breux incidents que nous avons recueillis de ces courses aventureuses , nous aimerions a suivre l'illustre voyageur, soit aux bords des lacs de Geneve et de NeucMtel, admirant les beaux lieux immortalises par le genie de J. J. Rousseau; soit a Steinen% a Bruylen, au Griitli, a la cbapelle 1 Son domestique Beaudoin, quoique malade, voulut l'ac- corapagner ; au commencement de son voyage , le prince avait encore un cheval que plus tard la necessite l'obligea de vendre. II dit a Beaudoin : « Tu es souffrant et moi je me « porte bien , monte sur le cheval, j'irai a pied. » Ce fut la le debut de ce perilleux. voyage. 2 Au village de Steinen , une vieille femme qui montrait la chaumierede Werner-Stauffacher, Fun des trois libera teurs de la Suisse , mettait dans son recit tant d'action et de cha- leur, qu'elle semblait raconter un evenement de la veille : tant il est vrai que les souvenirs de gloire ne vieillissent pas quand ils se rattachent a la liberte !.... Telle est Fexaltation de ce sentiment pour la memoire de Guillaume-Tell , qu'un ecrivain ayant fait un livre pour a 36 RESIDENCES ROYALES. de Tellen-Blalt, recueillant avec joie de vieux souvenirs de gloire et de liberie ; soit au Mont- Saint -Gothard , implorant vainement un asile des religieux de l'hospice r ; partout on le verrait luttant avec courage contre la fatigue et la pau- prouver que ce courageux citoyen n'avait jamais existe , le conseil supreme decida que le livre, sur son titre seul et sans etre lu , serait brule par la main du bourreau sur la place publique. 1 A Gordona , dans le pays des Grisons, il demanda l'hos- pitalite comme au Saint-Golhard : la, comme chez les moi- nes, il parait que son costume et son bagage etaient peu de nature a inspirer la confiance, car une vieille femme lui lit d'abord la meme reponse que le vieux capuciu. Cependant il etait presque nuit, le temps etait mauvais,et par humanite elle se decida a dormer asile au voyageur ; elle lui offrit un lit de paille dans une grange. Le prince etait fatigue, il accepta avec joie et dormit d'un excellent sommeil jusqu'au point du jour, on il s'eveilla au bruit monotone de la marche reguliere d'un horamc qui passait et repassait devant lui. Il ouvre les yeux, et apercoit non sans surprise un grand gaillard qui, armc d'un fusil, montait la garde a ses cotes. Le prince lui en de- manda la raison : « C'est ma tante , repondit le jeune paysan, qui m'a mis la , avec la consigne de vous tuer s'il vous pre- nait envie de vous relever pour nous voler ; c'est que, voyez- vous , elle est un peu avare et mefiante , ma tante ! » Le due de Chartres sourit du soupcon, licencia, en se le- vant, son garde du corps qui en fut enchante, paya bonnete- ment son modeste ccot, et poursuivit sa route. LE PALAIS-ROYAL. I'ij \rete. Mais une nouvelle scene non moins digne d'interet va s'ouvrir pour le due de Chartres. Ses ressources etaient totalement epuisees. Rap- pele a Bremgarten par une lettre de M. de Mon- tesquiou , ce general lui fait part de l'idee qu'il a concue de le placer corame professeur au college de Reichenau, dont il connaissait un des pro- prietaires, M. Aloyse Jost. Ce projet ayant ete agree par le prince, le general Montesquiou en fit la proposition a son ami , en lui recommandant de ne dire a personne que ce jeune Francais etait le due de Chartres. M. Jost repondit au general que le prince pouvait se rendre a Reichenau. 11 y arriva sous un nom emprunte', fut examine en forme par tous les chefs du col- lege, et unanimement admis comme professeur. II enseigna, pendant huit mois, la geographie, 1 M. de Montesquiou savait que M. Chabot-Latour, fuyant aussi la proscription, avait du venir occuper dans ce college une place de professeur, et comme quelques obstacles avaient retarde son arrivee, le general profita de cette cir- constance en faveur du due de Chartres, qui fut presente sous le nom de Chabot , nom qui se trouve dans le certificat delivre au jeune professeur, et precieusement conserve par Louis-Philippe , roi des Francais. Aujourd'hui le petit-fils du general Montesquiou est che- valier d'honneur de la reine , et le fils de M. Chabot-Latour est officier d'ordonnancc de monseigneur le due d'Orleans. y.38 RESIDENCES ROYALES. Ihistoire, les langues francaise et anglaise, elles mathematiques ; et sans avoir ete jamais reconnu dans cet honorable asile , ou la simplicite de sa conduite ecartait toute idee de l'elevation de son rang, il sut se concilier l'estime des chefs et la reconnaissance des eleves. C'est la qu'il apprit la fin tragique de son mal- heureux pere Un mouvement politique s'opera chez les Grisons. L'ami de M. de Montesquiou avait ete appele a l'assemblee de Coire ; en outre, le de- part de mademoiselle d'Orleans , qui venait de quitter le couvent de Bremgarten pour se rendre aupres de la princesse de Conti , sa tante , faisait entrevoir a M. de Montesquiou la possibilite de donner chez lui un asile au due de Chartres , dont les ennemis avaient en effet perdu la trace depuis longtemps. Muni du certiricat le plus ho- norable , le due de Chartres quitta done Reiche- nau ' pour se retirer a Bremgarten. II resta 1 II partit de Reichenau a pied et le sac sur le dos. A quel- que distance de Bremgarten , son fidele Beaudoin l'avait dc- vance par prudence , et le prince ne se rendit que le soir a la demeure du general. Beaudoin l'attendait ; et d'un air plus riant qu'au Saint-Gothard : « Venez en toute assurance , monseigneur, nous ferons ici un meilleur souper que chez les maud its capucins, car j'ai entendu tourner la LE PALAIS-ROYAL. a3o, aupres de M. de Montesquiou sous le nom de Corby, aide de camp du general , jusque vers la fin de 1 794? epoque a laquelle il crut devoir quitter la Suisse, ou sa retraite commencait a n'etre plus un mystere. Dans l'etat de conflagration ou etait l'Europe, le due d'Orleans (e'est ainsi que nous appellerons desormais le prince dont nous ecrivons la notice) pouvait difficilement trouver une contree ou il echappat a l'infatigable persecution dont il etait partout l'objet. Il concut le projet de passer en Amerique. Hambourg lui parut un lieu plus sur que les autres , comme point de depart. II arriva dans les environs de cette ville vers la fin de mars 1795. Quelques promesses de fonds dont on l'avait flatte ne s'etant pas realisees , il ne put rassembler assez de moyens pecuniaires pour aller s'etablir en Amerique; mais, fatigue d'une oisivete sterile, il resolut de parcourir le nord de l'Europe, afin de derouter de nouveau toutes les malveillances qui le poursuivaient. Muni d'une faible lettre de credit sur un banquier de Copenhague, ilpartit pour cette capitale au mois d'avril 179$, accompagne du comte Gustave de Montjoye. Le banquier de Copenhague auquel il bioche, et j'«ii senti l'odeur d'un poulet qui vaudra mieux que le fromage des Alpes. » t«4o RESIDENCES ROYALES. avait ete particulierement recommande , non comrae due d'Orleans, mais comme un voyageur Suisse, lui fit obtenir des passe-ports du roi de Danemarck, a la faveur desquels il pouvait voya- ger en toute liberte. Apres avoir visite a Elseneur ie chateau de Cronenbourg etlejardin d'Hamlet, il passa le Sund pour se rendre en Suede, vit Helsimbourg, Gothenbourg, remonta au lac Ve- ner, pour admirer les superbes cascades du fleuve des Goths a Trollhatton; prit ensuite la route de INorwege, sejourna a Friderisksball, tristement celebre par la niort de Charles XII; a Christia- nia 1 , oil les habitants lui firent l'accueil le plus gracieux sans le connaitre ni meme soupconner son rang; aDronlheim, ou le baron de Krog, gouverneur, le coinbla d'egards. Presse d'arriver a 1'extremite du continent vers l'epoque du sol- 1 Un jour, il crut etre reconnu dans cette ville : on avait dine a la maison de campagne du banquier, chez lequel il se trouvait; a TinstJint ou on allait revenir a Christiania, il cn- tend le fils de son bote s'ecrier tout a couj) : « La voiture de monseigneur le due d'Orleans! » Le prince tressaillit et s'ap- proehant du jeune homme avec embarras : « Pourquoi done, lui dit-il , avez-vous demande la voiture du duo d'Orleans ? — C'est un souvenir de Paris ; lorsque je sortais de 1'Opera j'entendais toujours crier : la voiture de monseigneur le due d'Orleans, les gens de monseigneur le due d'Orleans, et il m'a passe par la tete de le repcter ici. » IJ£ PALAIS-ROYAL. .24' slice, il hata son depart de Dronthehn. II longea la cote de Norwege jusqu'au golfe de Salten, et visita le Mahlstrom, malgre les dangers qui en defendent les abords curieux. Parti de Saltdalm, il voyagea a pied avec les Lapons sur la crete des mOntagnes jusqu'au golfe de Tyr. II arriva au Cap-INord le 24 aoiit 1793. Apres s'etre arretc quelques jours dans cette contree, a dix-huit de gres du pole, il revint par la Laponie a Torneo, a l'extremite du golfe de Bothnie. L'arriveedeces Francais surprit avec raison les habitants du lieu, oil la munificence d'un roi de France avait en- voye Maupertuis pour mesurer un degre du me- ridien sous le cercle polaire , region que le due d'Orleans venait de parcourir jusqu'a cinq degres plus pres du pole. De Torneo, l'illustre voyageur se rendit a Abo et parcourut la Finlande, pour y etudier le theatre de la derniere guerre entre les Russes et les Sue- dois sous Gustave III. II alia jusqu'au Kymene, fleuve qui separait alors la Suede de la Russie; il ne franchit pas cette limite : Catherine regnait, et ses dispositions politiques ne pouvaient ins- pirer au due d'Orleans aucune confiance pour sa surete personnelle. II traversa les iles d'Aland, el vint a Stockholm. II etait depuis quelques jours o"ans cette capitale, sans que personne y soup- •ll\'j>. RESIDENCES ROY ALES. eonnat sa presence , lorsque la curiosite de voir un grand bal donne a la cour, a 1'occasion de la naissance du roi de Suede , Gustave IV, le decida a profiter d'un billet que lui procura un ban- quier, pour une des tribunes les plus elevees de la salle. Au bout de quelque temps , il y vit ar- river un maitre des ceremonies qui venait le cher- cher pour le conduire dans l'enceinte ou se trou- vait la cour : cette circonstance lui fit soupconner qu'il avait ete reconnu. En effet, l'envoye de France en Suede, ayant apercu le prince dans la salle de bal, avait dit au chancelier (le comte de Sparre) : « Vous me cachez quelques-uns de « vos secrets; vous ne m'aviez point dit que vous « aviez ici le due d'Orleans. » Le chancelier sur- pris ne pouvait y croire. «Il y est si bien , reprit « l'envoye, que le voila la-baut. » Le fait verifie r , le comte de Sparre temoigna au prince que le roi et le due de Sudermanie, alors regent, se- raient charmes de le voir. lis accueillirent leduc 1 Le leiidemain, le baron Hamilton, major au regiment de Nassau , vint trouver le comte de Montjoie , qu'il connais- sait particulierement : « On assure , lui dit-il , que vous etes ici avec le due d'Orleans. » Le comte voulut nier le fait; mais le prince survenant mit fin a ce debat, en trahissant lui- ineme un incognito qu'il etait devenu impossible de gardrr plus longtemps. LE PALAIS-ROY AJ.. -x!\ 3 d'Orleans avec autant d'egards que de distinc- tion , lui prodiguerent les offres les plus gene- reuses, et firent donner tous les ordres neces- saires pour que le jeune prince put parcourir les etablissements dignes de fixer ses regards dans toute l'etendue du royaume. Le due d'Orleans se borna a pro titer de cette derniere attention. En quittant Stockholm, il alia visiter les mines de la Dalecarlie, province fertile en souvenirs de Gu stave Wasa , et se reposa a Mora , dans la ferme qui avait recueilli ce heros , comme lui fugitif et m alheureux ! Il alia voir le bel arsenal de marine de Carlscrona z , repassa le Sund , et revint , par Copenhague et Lubeck , a Ham- bourg, dans l'annee 1796. Apres cette course vers le INord , la position du due d'Orleans ne se trouvait amelioree ni sous le rapport politique, ni sous celui des res- soiu-ces pecuniaires. Des emissaires de divers ' Lorsqu'il se presenta , le gouverneur lui repondit dure- •tnent que les etrangers n'etaient point admis dans l'arsenal. Le prince allait se retirer, lorsqu'un courrier de la cour airiva pour lever cette consigne. Le gouverneur, passant alors de rimpolitesse a Tempressement le plus obsequieux, montra l'arsenal dans tous ses details a Tillustre etranger, .[\l\ RESIDENCES ROYALES. partis cherchaient a la fois ce prince pour lui faire des propositions dans des vues bien diffe- rentes. D'un cote , on voulait l'attirer dans les camps etrangers * ; de l'autre , le directoire exe- cutif, pour lequel il etait devenu un objet d'in- quietude, voulait le determiner a s'eloigner de l'Europe. Le due d'Orleans etait dans la petite ville de Friderikstadt, duche de Holstein, lorsqu'au mois d'aout 1796, le ministre de la republique francaise pres les villes Anseatiques , qui ne pai - vint a le deeouvrir qu'apres plus de deux mois de recherclies jusqu'en Pologne, lui fit remettre une lettre de la duchesse d'Orleans, sa mere. Cette princesse , dans les termes les plus tou- chants, suppliait son fils, en son nom et dans l'interet de ses autres enfants detenus a Mar- seille , de quitter l'Europe et de partir pour l'Amerique : « Que la perspective de soulager « les maux de ta pauvre mere ( disait-elle ) , de prendre la situation des tiens moins penible, « de contribuer a assurer le calme a ton pays , « exalte ta generosite! » Le due d'Orleans re- ^ 1 Pendant son stjour en Suede, le baron de Reitz lui avail fait une eommunication , pai- laquelle le pretendant, depuis Louis XVIII, 1'engageait a se rendre a 1'armee de Conde; niais le due d'Orleans reftisa de porter les armes contrc 4a Franco. It PAL.US-ROVAL. 1^ .) pondil sur-le-champ a sa mere la lettre sui- vante : . « Quand ma tendre mere recevra cette lettre , « ses ordres seront executes , et je serai parti « pour l'Amerique; je m'embarquerai sur le pre- « mier batiment qui fera voile pour les Etats- « Unis. . . . Et que ne ferais-je pas apres la lettre « que je viens de recevoh? Je ne crois plus que « le bonheur soit perdu pour moi sans ressource, « puisque j'ai encore un moyen d'adoucir les a maux d'une mere si cherie , dont la position « et les souffrances m'ont dechire lecceurdepuis « si lougtemps Je crois rever quand je « pense que dans peu j'embrasserai mes freres, « et que je serai reuni a enx ; car je suis reduit « a pouvoir a peine croire ce dont le contraire « m'eiit paru jadis impossible. Ce n'est pas ce- « pendant que je cherche a me plaindre de ma « deslinee, et je n'ai que trop senti combien elle « pouvait elre plus affreuse; je ne la croirai « meme pas malheui'euse si , apres avoir re- «. trouve mes freres, j'apprends que notre mere u cherie est aussi bien qu'elle peut l'etre, et « si j'ai pu encore une fois servir ma patrie « en contribuant a sa tranquillite, et par con- a sequent a son bonheur. II n'y a pas de sa- ve crifice qui m'ait coute pour elle ; el taut que 2 4^ RESIDENCES ROY ALES. « je vivrai, il n'y en a point que je ne sois pret « a ]ui faire. » II sortit de l'Elbe a bord du vaisseau ameri- cain X America l , le il\ septembre 1 796 , et le 21 octobre il etait a Philadelpbie. Le passage de ses deux freres , le due de Montpensier et le comte de Beaujolais , ne fut pas aussi beu- reux : parlis de Marseille en novembre 1 796 , ce ne fut qu'en fevrier 1797 qu'ils arriverent en Amerique , et se reunirent a leur frere. lis lui apporlaient plus d'esperances que de ressources reelles. Le due d'Orleans leur proposa de voya- ger dans l'interieur des Etats-Unis ; ils partirent tous trois a cheval , accompagnes d'un seul do- mestique , ce meme Beaudoin qui avait suivi le due d'Orleans au Mont- Saint -Gothard. Ils se dirigerent vers Baltimore, de la en Virginie, et ils se rendirent a Mount-Vernon , cbez le general 1 Le passage du due d'Orleans sur X America a fait le sujet d'un charmant tableau de Gudiu. A bord se trouvait un emi- gre, qui, saisi d'une grande frayeur a la vue d'un corsaire f'rancais , courut se cacber dans la cabine , en disant a son compagnon dont le sang-froid le frappa: « Ma foi, monsieur, si vous etiez emigre comme moi , vous ne seriez pas si a votre aise dans ce moment. » II fut bien surpris lorsque , arrive a Pbiladelphie, il vit le prince mettre a son cnapeau la cocarde tricolore, et qu'il apprit que e'etait le due d'Orleans. LE PALAIS-ROYAL. 'xl\J Washington, qui, avant la fin de sa presidence, les avait invites a le venir voir dans sa retraite. Nous n'entreprendrons point de suivre les il- lustres voyageurs, soit chez les Cherakis l , nation sauvage, au milieu de laquelle ils passerent deux jours pour assister a leurs fetes ; soit dans le desert des six nations , soit a la celebre chute du Niagara , entre les lacs Erie et Ontario Ge serait aller au dela du cercle que nous nous sommes trace. Les trois freres supporterent sans 1 Fatigue d'une longue route qu'il avait faite a cheval , le due d'Orleans crut prudent de se saigner. Cette operation, nouvelle pour les sauvages, excita leur etonnement. Des <|u'ils purent comprendre qn'elle etait salutaire, ils conduisi- rent le prinee au lit d'un vieillard souffrant, qui, grace a sa lancette, lut a l'instant nieme soulage. Ce succes lui merita la reconnaissance et l'ad miration de ces Cherakis, et pour lui en donner un temoignage solennel , on lui permit de passer la nuit sur la natte de famille , entre la grand'mere et la grand'tante ! Le due de Montpensier et le comte de Beaujo- lais, rele^ues avec la jeunesse, n'envierent pas sans doute a leur frere les honneurs venerables dont on entoura son sommeil. Le due d'Orleans avait garde cette lancette , et devenu roi , il en fit present a un jeune etudiant en medecine, a la suite d'un diner au Palais-Royal. Mais il a conserve Fhabitude d'en porter une sur lui, et e'est ainsi qu'il eut le bonheur de sauver la vie au courrier Verner , qui etait tombe sous la roue d'une Voiture dans une course au Raincv. 2.48 RJESiDEJN'CKS KOYAMCS. peine les fatigues de ce long voyage a travel* des regions inbabitees , tantot dans les immenses forets qui en con went encore la plus grande partie, tantot dans ces vastes plaines d'berbages qu'on appelle des Savanes ; ils etaient jeunes, ils etaient reunis apres de cruelles souffrances , ils \oyageaient ensemble et sans entraves dans un pays nouveau et plein d'interet pour 1'ceil d'un Europeen ; et ces motifs adoucissaient l'a- mertume qui se melait a la bizarrerie de leur destinee. Peu apres leur retour a Pbiladelpbie, au mois de juillet 1797, la fievre jaune se declara dans cette ville ; trois princes, que leur naissance ap- pelait a une si baute fortune, ne purent, faute d'argent, quitter ce sejour devenu pestilentiel. Ce ne fut qu'au mois de septembre , que leur mere ayant ete momentanement reintegree dans ses biens, ils parvinrent a se procurer les moyens suffisants pour entreprendre un nouveau voyage. Us se rendirent d'abord a New-York, de la a Rbode-Island , puis dans le Massacbusset , le New-Hampsbire et le Maine; ils revinrent a Boston , 011 les papiers publics leur apprirent la deportation de leur auguste mere, lis partirent sur-le-champ pour Pbiladelpbie ; la, informes que cette princesse avait ete transportee en Es- pagne, ils n'eurent plus d'autre pensee que d'al- I.fc PALAIS-ROYAL. »$$ ler la rejoindre ; mais le denument auquel ils elaient encore uue fois reduits , et la guerre entre l'Espagne et l'Angleterre , opposaient a leurs desirs des obstacles difficiles a surmonter. tine seule voie paraissait praticable pour eux : c'etait de se rendre d'abord a la Louisiane, qui, a cett.e epoque , formait encore partie des Etats dii roi d'Espagne, et de s'embarquer de la pour la Havane \ d'ou Ton expediait de temps a aulre eiv Europe des bailments de guerre espagnols, sur lesquels les princes se flattaient d'obtenir le passage. Partis de Philadelphie le 10 decembre 1797? ils descendirent, au milieu des glaces, 1'Oliio et le Mississipi , jusqu'a la Nouvelle-Orleans, dont le gouverneur, Gayoso, et les habitants temoi- gnerent aux princes francais les sentiments les plus flatteurs. Ils arriverent dans cette colonie le 17 fevrier 1798; ils y sejournerent pendant cinq semaines, attendant de la Havane une cor- vette espagnole. Cet espoir decu , ils s'embar- querent sur un navire americain , qui fut pris dans la traversee par une fregate anglaise. Le due d'Orleans se nomma au capitaine x , qui le ' C'etait le capitaine Cochkrane. L'equipage avait assez mal recu les troisfreres, lorsque le due d'Orleans dit au lieutenant de vaisseau , qui ne le ronnaissait pas : « Allez 2 5c> RESIDENCES ROYALES. fit transporter ainsi que ses freres a la Havane,. ou ils debarquerent le 3i mars. lis tenterent de nouveau , mais vainement, de passer en Europe. Malgre les regrets que le due eprouvait au. souvenir de la France , il se serait resigne a vivre dans une douce obscurite sur cette terre etrangere, s'il avait pu s'y creer pour ses freres et pour lui une existence honorable. L'accueil que les autorites espagnoles et les habitants de la Havane avaient fait aux princes refugies, leur en donnait l'espoir; mais le gouvernement de Madrid y mit obstacle en les forcant de quitter l'ile de Cuba. Un ordre date d'Aranjuez, le i\ mai 1799, prescrivit au capitaine general de la Havane de releguer les trois freres a la Nouvelle-Orleans , sans leur assurer aucun moyen d'existence. Indi- gnes de cette nouvelle persecution, les princes refuserent de se rendre a la destination qui leur elait imposee avec de telles formes : ils jeterenf alors les yeux sur 1'A.ngleterre , comme le seul apprendre a votre capitaine que je suis le due d'Orleans, et que je suis ici avec mes deux freres , le due de Montpensier et le comte de Beaujolais. » Le capitaine , aujourd'hui amir a I Cochkraue, fit traiter les trois princes avec les plus grands- egftrds. LE PALAIS-ROYAL. l5l nsile encore ouvert a leur infortune, et d'abord ils passent, sur un parlementaire espagnol, aux iles anglaises des Bahamas ; de la a Halifax , ou le due de Kent, l'un des fds du roi d'Angleterre, Georges III, qui les recoit tres-bien, ne se croit pas toutefois autorise a leur accorder passage pour l'Angleterre sur une negate anglaise. Ils ne perdent point courage : ils montent sur un petit navire qui les transporte a New- York, de New-York un paquebot anglais les conduit a Falmouth , et ils arrivent a Londres au mois de fevrier 1800. Le due d'Orleans eut une entrevue avec Mon- sieur l ; il ecrivit au roi , qui se trouvait alors a Mittau. Les journaux anglais publierent ce rap- prochement, qui fut egalement honorable des deux coles. Le prince observa le meme systeme de conduite qu'il avait suivi avec tant de Cons- tance : il ne songea qu'a revoir la princesse sa ' « Le roi sera eharme de vous revoir , lui dit Monsieur, mais avant tout , il est necessaire que vous lui ecriviez. » Le due d'Orleans n'y trouva aucun inconvenient. La lettrc etait simple et noble ; il y rappelait les principes de toute sa vie. Le comte d'Artois aurait exige plus : « Vous auriez du, dit-il au prince, parler au roi de vos erreurs. — Des erreurs, repondit le due en souriant, qui n'en a pas com- mis? Il aurait fallu dire nos erreurs, et ce n'eut ete ni poll pour vous , ni lionoraMe pour inoi. » i:j1 RESlDKJNCJiS ROYALKS. mere, afin de concerter a\ec elle ies moyens dr preparer un meilleur avenir pour les debris de ia famille d'Orleans. Le gouvernement anglais lui en facilita les moyens , et une fregate fut cbargee de le transporter a Minorque. A peine fut-il arrive dans cette ile , qu'on annonca que l'armee de Conde alia it venir y joindre l'armee anglaise x . On demanda au due de se ranger sous les drapeaux de Immigration , mais il s'y refusa formellement , de concert avec les princes ses freres, qui partageaient ses sentiments. La guerre entre l'Espagne et 1'Angleterre ap- portait beaucoup d'obstacles a l'entrevue du due d'Orleans avec sa mere ; cependant une corvette napolitaine etant venue accidentellement a Ma- bon , il obtint d'etre conduit a son bord dans la rade de Barcelone 2 ; mais d'autres motifs, independants de sa volonte, le priverent de cette satisfaction , et les trois freres retournerent en Angleterre sans avoir rempli un vceu si cher a leur cceur. Plus tard, ils obtinrent de leur mere de faire venir aupres d'elle Mademoiselle d'Or- ' L'armee de Conde fut obligee de se replier en Allemagne, apres la bataille de Marengo, avec les restes de l'armee au- trichienne , et sans s'etre avancee au dela d'Udine en Italie. a Naples etait alors en paix avec l'Espagne, quoique l'A.nelctcrre fut en cuerrc avec ce rovaume. LE PALAIS-ROYAX. u53 leans , leur soeur , qui , depuis son depart de Suisse, etait toujours en Hongrie avec madame la princesse de Conti , sa tante. Le prince setablit avec ses freres sur la terre hospitaliere d'Angleterre, dans un modeste asile, a Twickenham , ou ils furent rejoints par le chevalier de Broval, qui leur avait ete attache dans les premiers temps de leur education. La, le nom du due d'Orleans, ses vertus, ses malheurs , le charme aventureux de ses voyages, le rendaient 1'objet de la consideration du peuple anglais. II visitait tout ce qui fixe la curiosite des et rangers , soit en Angleterre, soit en Ecosse; il portait ses regards sur les monuments, sur les etablissements de l'industrie; il s'instrui- sait avec empressement sur l'economie politique du pays, et surtout dans l'etude de ces Iois sur lesquelles sont si bien etablies et les libertes publiques et la securite individuelle. Le gouver- nement anglais le traitait avec autant d'estime que de distinction, et paraissait satisfait que ce prince, se renfermant dans ses souvenirs, menat dans la retraite une vie paisible, exempte d'am- bition , et conforme a la position ou le sort 1'avait place *. ' Louis XVIII lui avait ecrit tie Varsovie qu'il desiiail heanroup lo voir pour s'entretenir avec lui do l;i situation &B4 RESIDENCES ROYALES. Ce tranquille bonheur fut trouble par la mort les premiers jours de 1808 ; mais la, les medecins ayant declare que l'airde cetteile etait pernicieux pour le malade, le due d'Orleans ecrivit auroi de Sicile , Ferdinand IV, pour obtenir la permission de transporter son frere sur le mont Etna. Avant l'arrivee de la reponse, le comte de Beaujolais avait cesse de vivre. Le due d'Orleans , pour s'ar- racher au spectacle douloureux desfunerailles de son frere, s'embarqua pour Messine. C'est Ja qu'il recut la reponse qu'il attendait de Ferdinand IV: elle etait concue dans les termes les plus flat- teurs, et contenait une invitation de se rendre a Palerme. II partit pour cette capitale , 011 se trouvait alors la cour de Sicile : il y fut accueilli par la reine Marie- Caroline, et le roi ne tarda pas a lui laisser entrevoir dans ses entretiens le desir de l'avoir un jour pour son gendre. C'etait l'epoque oil Napoleon, pour placer une couronne de plus sur la tete de ses freres , avait entrepris la guerre d'Espagne , guerre si impo- litique et si desastreuse. Ferdinand IV, jaloux de soutenir les droits de sa famille , crut devoir en- voyer en Espagne Leopold , son second fils , et engagea le due d'Orleans a l'accompagner pour aider ce jeune prince de ses conseils et de son experience. II s'agissait de defendre l'indepen- dance d'un peuple genereux : le due d'Orleans accepta cette mission. L'ambassadeur anglais a a 56 RESIDENCES ROY ALES. Palerme avait ouvertement encourage le depart des deux princes, et autorise leui' passage sur un vaisseau de guerre anglais. Quelle fdt done leur surprise lorsque, arrives a Gibraltar, le gouver- neur de cette forteresse leur declara qu'il ne les laisserait point entrer eu Espagne ! Le prince Leopold futretenu deux mois a Gibraltar, et le due d'Orleans conduit en Angleterre surle menie vaisseau qui les avait amenes de Palerme. Arrive a Londres en septembre 1 808 , il se plaignit de la conduite du gouverneur de Gi- braltar. On lui repondit que cette conduite etait en barmonie avec les intentions du gouverne- ment anglais. Le due d'Orleans soliicita du moins la faculte d'aller retrouver sa mere, qui etait a Figueres; ce ne fut pas sans difficulte qu'il ob- tint de sortir d'Angleterre sur une fregale dontle commandant avait ordre de le conduire a Malte, mais de ne le point laisser approcber des cotes d'Espagne. 11 allait s'embarquer a Portsinoulh , lorsqu'il fut rejoint par la princesse sa seeur, qui l'avait vainement cberche, lant a Malte qu'a Gi- braltar. II lit voile avec elie pour la Mediterra- nee , et arriva a Malte an commencement de 1809. Il ecrivit aussitot a la ducbesse d'Orleans sa mere, pour lacber d'arranger une entrevue avec elle , et lui envoya le cbevalier de Broval , qui l'avait accompagne dans la Medilerranee; mais LE PALAIS-ROYAL. 267 les obstacles se multipliaient au lieu de s'a- planir. 11 crut devoir se rendre de nouveau a la cour de Palerme. Les clioses avaient change de face pendant son absence; le meme esprit qui, de- puis tant d'annees , n'avait point cesse de lui susciter partout des embarras ou des ennemis , avait cherche a le calomnier aux yeux de la reine. Cependant il parvint a dissiper ces pre- ventions : la reine consentait a lui donner en nuariage la princesse Amelie, qui avait fixe ses regards et son cceur * ; mais le prince desi- rant que la duchesse d'Orleans, sa mere, fut te- moin de cette union , lui demanda de nouveau ' « L'education de cette princesse avait ete confiee a une « fetnine d'un grand merite , inadame d'Ambrosio, qui avait « su developper dans son auguste eleve ces nobles vertus • qui devaient etre l'ornement d'un tr6ne. Elle eclaira sa « raison, et la fortifia par nne piete sans faste comme sans « prejuges. La princesse Amelie avait a peine dix ans, lors- « qu'en 1792, uneflotte francaise , commandee par l'amiral « Latouche-Treville, repandit l'effroi a la cour du roi son " pere. Six. ans apres , elle avait ete obligee de fuir avec ses « parents devant l'armee victorieuse du general Champion- « net : elle n'avait pu que les consoler par sa tendresse , par « l'exemple de sa piete et de sa resignation. II etait dans sa « destinee de devenir la compagne et la consolation d'un « autre exile, et d'ajouter a la couronne l'eclat de toutes les « vertus. » J 7 Si 58 RESIDENCES ROYALES. une entrevue, soit en Sicile, soit en Sardaigne ; il passa raerae a Cagliari pour la faciliter , et il y avait attendu vainement sa mere , lorsque sa sceur lui ecrivit de Malte que le gouvernement anglais ne s'opposait plus a leur passage au Port- Mabon; elle vint le chercher a Palerme , ou il etait revenu , non sans avoir couru risque pen- dant le trajet d'etre pris par les Barbaresques. II fit voile pour Mabon , ou , apres seize annees de separation , il eut le bonbeur de revoir sa mere 7 et ce qui restait de la famille d'Orleans vint a Palerme se reunir autour de l'autel ou un petit- fils de Henri IV recevait la main de la fille du roi de Sicile *. Ce prince goutait les douceurs d'un heureux bymenee, lorsqu'au mois de mai 1810, il vit ar- river a Palerme une fregate espagnole qui por- tait un envoye de la regence de Cadix a . Cette regence, dans une lettre aussi pressante que flat- teuse, invoquait, au nom de la liberte, l'appui des talents et de l'epee du due d'Orleans ; elle lui offrait un commandement general en Catalogue, avectous les bonneurs dusaux infants d'Espagne. 1 Le mariage fut celebre le 25 novenibre 1809. 2 Le prince etait alors a Bagaritta , sa maison de cam- pagne. LE PALAIS-ROYAL. a5o, Le prince s'embarque et fait voile pour la Calalogne ! : il arrive a Tarragone ; mais de sourdes intrigues lui avaient suscite des obs- tacles inattendus, et le commandant espagnol, embarrasse de sa presence , lui declare qu'il n'est pas autorise a lui remeltre le commandement. Ce changement rapide avait ete opere par l'in- fluence anglaise : le parti espagnol qui avait re- solu d'appeler le due d'Orleans, avait d'abord mis le plus grand mystere dans l'execution de ce projet; mais les Anglais en ayant ete informes, n'avaient pas dissimule leur mecontentement. Le due d'Orleans s'eloigna a regret de Tarragone, ou il avait recu des habitants le plus brillant accueil. On aurait desire qu'il retournat a Pa- lerme ; mais des qu'il fut sorti du port, il or- donna a la fregate qui le portait de faire voile pour Cadix. La , il eprouva les efTets de la meme influence , qui deja avait prevalu sur le vceu d'apres lequel il etait venu en Espagne; la re- gence elle-meme, qui l'avait appele de son propre mouvement , craignait alors de le recevoir. Ce- pendant il insista, et debarqua a Cadix avec les ' Le due d'Orleans etait accompagne dans ce voyage par le colonel Salluzzo, que le roi de Naples en avait charge , et par le chevalier de Broval , dont Pattachement tidele ne s'est jamais dementi. *7- a6o RESIDENCES ROYALE'S. honneurs dus a son rang. La regence le recut en audience publique ; mais apres cette ceremonie , apres quelques jours passes a visiter les fortifica- tions de Cadix et la position militaire de l'ile de Leon , il eut lieu de s'apercevoir que ses efforts seraient plus que contraries. Une fregate anglaise fut depechee a Cadix , avec ordre de le conduire en Angleterre; le prince refusa de s'embarquer. Alois l'ambassadeur anglais pressa le conseil de regence de Fy contraindre; mais ce conseil s'y refusa, se contentant de le tenir dans l'inaction. Enfin , au bout de trois mois d'attente , les cortes s'assemblerent dans l'ile de Leon. Des les pre- miers jours de leur reunion, l'influence anglaise, qui les dirigeait alors , obtint l'eloignement du due d'Orleans, en faisant craindre que si on ne le forcait pas de s'eloigner de Cadix , les troupes anglaises ne quittassent l'Espagne. Frappe par cet ordre , le due d'Orleans tenta , comme der- niere ressource, de parler lui-meme aux cortes assemblies. II courut a File de Leon , ou elles etaient reunies ; malbeureusement il y avait seance secrete. On en profita pour ne pas le recevoir : trois membres furent charges de lui declarer que les cortes consideraient son eloi- gnement comme necessaire au salut de cette Espagne dont il etait venu defendre l'indepen- dance. Ainsi , apres plus de trois mois de re- LE PAIAIS-ROYAL. 261 sistance el d'inutiles efforts, il fut contraint de remonter sur uiie negate espagnole , qui le reconduisit au meme rivage ou la regence avail envoye solliciter son appui. Il arriva a Palerme au mois d'octobre 1810, peu de temps apres la naissance du due de Chartres, son fds aine. Ferdinand IV, roi des Deux-Siciles , etait a Palerme avec cette portion de sa cour et de son armee qui l'avait suivi en Sicile , lorsque les evenements de la "guerre continentale l'avaient force d'abandonner son royaume de Naples. Murat, qui portait egalement le titre de roi des Deux-Siciles , regnait alors a Naples : ce titre indiquait de part et d'autre l'intention de s'em- parer de celle des deuxcouronnes dont on n'etait pas en possession ; aussi la reprise du royaume de Naples etait la pensee premiere de la cour de Palerme, surtout de la reine Marie-Caroline d'Au- triche, dont l'influence y etait predominante. L'Angleterre protegeait alors la Sicile par une armee de quinze a vingt mille hommes qu'elle entretenait dans ce royaume, par un subside an- nuel de quatre cent mille livres sterling, et par la flotte nombreuse que la superiorite de sa puis- sance maritime lui permettait d'avoir dans laMe- diterranee. Mais la reine Marie- Caroline etait persuadee que les Anglais etaient contraires a son retablissement sur le trone de Naples, parce l6l RESIDENCES ROYALES. que, selon elle , ce retablissemenl les aurait empeches de tenir , et la Sicile , et la cour de Ferdinand IV, sous lepoids de leur domination : aussi affectait-elle du dedain pour la defense de la Sicile , et , repetant sans cesse que c'etait l'affaire des Anglais , elle ne s'occupait que des moyens de contre-balancer leur influence , et surtout de reprendre sans eux ou malgre eux le royaume de Naples. Poursuivant ce systeme avec tenacite , elle travaillait sans relache a se procu- rer des troupes qui fussent a elle, des Mtiments de transport , et tout l'argent necessaire pour reconquerir ses Etats de terre ferme; ce qui me- contentait les Siciliens autant que les Anglais. Les Siciliens n'ont jamais aime les Napolitains ; ils se voyaient avec peine gouvernes par l'emi- gration de Naples, et contraints de l'alimenter. Le due d'Orleans s'efforcait en vain de mettre cette verite sous les yeux de la reine : elle aurait bien voulu employer militairement ce prince , mais elle etait retenue par la crainte de faire ainsi prevaloir Je systeme que le due d'Orleans lui recommandait constamment. C'etait done sans fruit qu'il faisait des plans de defense pour la Sicile ; qu'il invitait la reine a se tenir en bonne harmonie avec les Anglais , et a s'entendre avec eux pour organiser cette defense, qu'il repre- sentait la necessite d'ecarter les emigres napo- LE PALAIS-ROYAL. u63 litains du pouvoir, et d'y appeler les Siciliens ; qu'il insistait surtout pour qu'on respeclat les immunites nationales et les privileges dont ce peuple jouissait depuis huit siecles , privileges que les differentes dynasties successivement placees sur le trone de Sicile avaient constam- ment respectes et presque toujours augmentes. Le plus important des privileges de la Sicile etait celui de s'imposer elle-meme par l'organe de son parlement , qui s'assemblait tous les trois ans ; ce parlement jouissait en outre du droit de nommer une commissiou intermediaire , dite la deputation da rojaume, qui, par une singuliere prerogative , percevait directement les impots , et les versait ensuite dans les caisses du gouver- nement. Le vote triennal du parlement sicilien devant expirer au i er Janvier 181 1 , il fut neces- saire de convoquer cette assemblee sur la fin de 1810. La cour lui demanda une augmentation d'impots de 36o,ooo onces d'or x par an , mais le parlement n'en vota que i5o,ooo. La violence des partis devint extreme ; et tout d'un coup un edit royal etablit , sans autre forme , un impot extraordinaire d'un pour cent sur toutes les quittances. Un grand nombre de membres du 1 L'once d'or de Sicile vaut environ rt francs de notre nionnaie. ?64 RESIDENCES ROYALES. parlement protesterent enlre les mains de la deputation du royaume ; les plus marquants furent enleves la nuit , et transferes dans des iles desertes : toute la Sicile fut en rumeur. Le due d'Orleans , toujours et partout ennemi de l'arbitraire , se tenait retire a la campagne. Cependant lord William Ben tin ck arrive en Sicile avec pleins pouvoirs de l'Angleterre ; les troupes anglaises occupent Palerme; leroi remet l'exercice de l'autorite royale au prince heredi- taire en le nommant vicaire general du royaume , et s'eloigne de sa capitale. Les Siciliens sont appeles au ministere ; la nouvelle constitution parait; mais le peu d'harmonie qui regnait dans les esprits suscitait des obstacles continuels a la nouvelle administration. Le a3 avril 1 81 4 » on ignorait encore en Si- cile et la chute de Napoleon et le retablissement de la maison de Bourbon au trone de France. Un vaisseau anglais qui arriva ce jour-la a Pa- lerme, y repandit le premier cette grande nou- velle. Presse du desir de revoir sa patrie , apres une si longue absence, le due d'Orleans part sur-le-champ pour Paris ' , se retrouve sur 1 Lord William Bentinck «ivait mis 1111 vaisseau a sa disposi- tion. Le prince s'embarcpiaavec lecapitaine Gordon, oflicier anglais, et White, son valet de ehambre ; il arrive a Genes LK PALAIS-ROYAL. ^65 la terre de France , avec autant d'etonnement que de joie ; et le 17 mai , il parait chez le roi aux Tuileries en habit de lieutenant general francais. Au mois de juillet 1814, accompagne du baron Atthalin et du comte de Sainte-Alde- gonde , qu'a son arrivee en France il avait attaches a sa personne en qualite d'aides de camp , il s'embarqua sur le vaisseau de ligne francais la Ville de Marseille , pour aller cher- cher sa famille a Palerme. De retour a Paris , il jouissait en paix du bonheur de se retrouver dans une patrie qui n'avait point oublie ses anciens services , et dont le souvenir et la gloire l'avaient stiivi et console dans le cours de ses voyages et de ses infortunes, lorsque l'evasion de l'ile d'Elbe vint troubler cette douce exis- tence , et remettre en question l'avenir de la maison de Bourbon. ou il lit dans le Moniteur la declaration du comte d'Artois : « Allons , dit-il a M. W. Bentinck , c'est encore le pouvoir absolu , » et il ponrsuit son voyage. Arrive a Charenton , il envoie le capitaine Gordon retenir un appartement dans l'hotel de la rue Grange-Buteliere, tenu par un des anciens serviteurs de la maison d'Orleans. C'est de la qu'il se rendit aux. Tuileries , ou Louis XVIII lui dit : « Il y a vingt-cinq ans, vous etiez lieutenant general , vous l'etes encore. » Parmi les personnes qui entouraient le roi , il retrouva avec plaisir Macdonald , avec lequel il avait combattu a Jemmapes. n66 RESIDENCES ROYALES. Le 5 mars i8i5, des que le debarquemenl de Napoleon Bonaparte a Cannes fut connu a Paris , le due d'Orleans fut appele par le roi aux Tuileries, ou S. M. lui donna l'ordre de partir pour Lyon. Arrive dans cette ville , il assista a un conseil preside par Monsieur, et ou se trou- vait le marechal Macdonald l : il y fut reconnu qu'il n'y avait aucun moyen de s'opposer a l'entree de Napoleon dans Lyon. Le due d'Or- leans revint a Paris ; sa sollicitude se porta sur sa fernme et sur ses enfants : il les fit partir pour TAngleterre ; sa soeur resta aupres de lui. Le 1 6 mars, le due d'Orleans accompagna S. M. dans sa voiture , a la seance royale 2 ; il partit le soir meme pour aller prendre le com- mandement des departements du Nord , dont 1 Ce conseil se tint chez M. Roger de Damas ou se trou- vaient reunis , independamment de Monsieur, dn due d'Or- leans et du marechal Macdonald, les generaux Brayer, Albert et Partouneaux. Dans la nuit suivante , on recut la nouvelle que ^Napoleon approchait de Lyon, Macdonal, se rendit aussitot chez le comte d'Artois,, enfonca la porte de sa chambre, et, ouvrantlesrideaux du lit : « Levez-vous, monseigneur, il faut partir, Napoleon arrive. « 2 Louis XVIII portait ce jour- la, pour la premiere fois } la plaque de la Legion d'honneur. « Voyez-vous cela, » dit-il, en la montrant au due d'Orleans. «Oui, sire, il vaut mieux tard que jamais , » repondit le prince en souriant. LE PALAIS-ROYAL. 267 il venait d'etre investi par le roi ; et suivi de ses aides de camp , parmi lesquels se trouvait le brave lieutenant general Albert, il arriva le 17 au matin a Peronne, 011 le marechal Mortier, due de Trevise , fit mefctre ses lettres de service a l'ordre dujour,et le fit reconnaitre aux troupes comme commandant en chef. De la , toujours accompagne de ce marechal , avec lequel il avait servi dans la memorable campagne de 1 792 , il quitta Peronne pour aller visiter Cambray, Douay et Lille. Le prince fut recu avec enthousiasme dans ces places. Le 20 mars, il envoyait a tous les commandants , pour instruction , « de faire « ceder toute opinion au cri pressant de la pa- ce trie ; d'eviter les horreurs de la guerre civile ; « de se rallier autour du roi ( et de la charte « constitutionnelle ; surtout de n'admettre sous « aucun pretexle dans nos places les troupes « etrangeres. » Ce meme jour, le telegraphe de Lille venait de recevoir une communication : e'etait un message de Napoleon ainsi concu : «L'Empereur « rentre dans Parisala tete des troupes qui avaient «ete envoyees contre Jui. Les autorites civiles « et militaires ne doivent plus obeir a d'autres « ordres que les siens, et le pavilion tricolore « doit etre sur-le-champ arbore. » !j68 residences royales. Le due d'Orleans n'en continua pas moins ses operations : il parti t le 21 pour Valenciennes, qu'il revit avec plaisir, se rappelant qu'a l'age de dix-huit ans il avait commande dans cette place , lors du commencement de la glorieuse lutte de la France contre les armees de la coalition. De retour a Lille * , il fut instruit que le roi 1 Louis XVIII arriva presque a l'improviste, precede du marechal Macdonald. Pendant que le prince accompa- gnait la voiture du roi , un adjudant de place lui dit qu'un officier anglais l'avait charge de lui remettre une lettre dont il attendait la reponse. Cette lettre , datee de Bruxelles , le 21 mars 181 5, etait du prince d'Orange, et concue en ces termes : « Je fais faire des mouvements a l'armee alliee, « nous respecterons le territoire francais, a moins que « S. M. le roi de France ne desire notre assistance. Des lors « nous serons prets a epouser sa cause. Si V. A. voulait me « parler, je suis pret a me rendre sur la frontiere pour l'y « rencontrer; mais dans toutes les circonstances, elle peut « compter sur moi, comme sur un des plus fideles allies de « S. M. Louis XVIII. »Le due d'Orleans presenta cette lettre au roi dans son cabinet. « Je suis ici, lui dit le roi, et vous n'y commandez plus. — C'est ce que je vais repondre au prince d'Orange. — Mais attendez, cela n'est pas si presse. » Apres avoir pris de nouveau les ordres du roi , le due ecrivit au prince d'Orange : « Je ne commande plus , le roi vous repondra. ». Deux heures apres , il se tint un conseil ou assisterent le due d'Orleans , les marechaux Berthier, Macdonald, Trevise LE PALAIS-ROYAL. 269 allait arriver dans cette place : en effet, S. M. y entra le 22 a midi, et en repartit le a3. II parait qu'en quittant la France , le roi n'avait laisse aucune instruction au due d'Orleans , ni a au- cun des autres chefs militaires qui se trou- vaient a Lille. Dans cet etat de choses, le prince , apres avoir prevenu les commandants de places qu'il n'avait plus d'ordre a leur trans- mettre au nom de S. M. , quitta Lille le i[\ mars 1 81 5, pour rejoindre sa famille en Angleterre. Avant departir, il avait adresse au marechal due de Trevise cette lettre , non moins honorable et le due de Blacas. Le general Ricard y apporte des depe- ches de Monsieur, qui annoncaient qu'il s'etait embarque a Dieppe , et que la maison du roi etait restee a Grandvilliers. Enfin, le a3 mars, Louis XVIII annonce qu'il va quitter la France ; Macdonald et Mortier ne voulant pas abandonner leur pays , donnent leur demission au roi , qui leur dit : « Si les circonstances vous obligent a mettre une autre cocarde a votre chapeau , faites-le ; mais vous conserverez toujours la mienne dans votre ceeur. — Sire, lui repondit Mortier, je conserverai toujours dans mon cceur les souvenirs de vos bontes. » Le roi se mit en voiture a trois heures, et quitta Lille et la France. Le due d'Orleans partit le lendemain avec sa sceur et madame de Montjoie, sa dame d'honneur, et ce ne fut qu'en lui disant adieu, que le marechal Mortier lui apprit qu'il avait recu , par le telegraphe , l'ordre de l'arreter. l.'JO RESIDENCES ROY ALES. pour celui qui l'a reeue que pour celui qui l'a ecrite J : Lille , le a3 mars 181 5. « Je viens, mon cher marechal, vous remettre « en entier le commandement que j'aurais ete « heureux d'exercer avec vous, dans les departe- « ments du Nord. Je suis trop bon Francais pour « sacrifier les interets de la France , parce que « de nouveaux malheurs me forcent a la quitter. « Je pars pour m'ensevelir dans la retraite et « dans l'oubli. Le roi n'etant plus en France, «je ne puis plus vous transmettre d'ordre en « son nom , et il ne me reste qu'a vous degager « de l'observation de tous les ordres que je vous « avais transmis , et a vous recommander de « faire tout ce que votre excellent jugement et « votre patriotisme si pur vous suggereront de « mieux pour les interets de la France, et de « plus eonformea tous les devoirs que vous avez « a remplir. « Adieu , mon cher marechal : mon cceur se « serre en ecrivant ce mot. Conservez-moi votre « amitie dans quelque lieu que la fortune me « conduise, et comptez a jamais sur la mienne. 1 Cette lettre a ete imprimee dans plusieurs ecrits du temps. LE PALAIS-ROYAL. 27 I « Je n'oublierai jamais ce que j'ai vu de vous « pendant le temps trop court que nous avons « passe ensemble. J'admire votre noble loyaute « et votre beau caractere autant que je vous es- « time et que je vous aime ;. et c'est de tout mon cc coeur, mon cher marechal, que je vous sou- « haite toute la prosperite dont vous etes digne, « et que j'espere encore pour vous. « L. P. d'Orleans. » Le prince se fixa a Twickenham. La , comme a toutes les epoques de sa vie, fidele a ses prin- cipes , il se renferma dans la retraite au sein de sa famille. Le parti qui n'avait jamais cesse de chercher a denaturer ses actions, eut encore une fois recours aux memes moyens. II fit inserer dans les journaux anglais , sous le nom du due d'Orleans, des protestations , ties professions de foi, fabriquees a dessein pour le placer dans une fausse position. Le prince se contenta de les dementir; et lorsque le gouvernement du roi fut retabli en France , il crut devoir revenir a Paris. II y arriva dans les derniers jours du mois de juillet. La France revit avec plaisir un prince qui avait ennobli son exil par l'attitude hono- rable qu'il avait su y conserver. Cependant le sequestre mis sur ses biens pendant les cent jours n'avait pas encore ete leve. II demanda et 'I'J-l RESIDENCES ROYALES. obtint de la justice du roi la cessation de cette raesure, et retourna ensuite aupres de sa famille, a Twickenham. Quelque temps apres , le roi rendit une or- donnance qui autorisait tous les princes a pren- dre seance dans la chambre des pairs : c'etait tout a la fois pour le due d'Orleans un devoir a remplir et une occasion de manifesterala France ses opinions et ses sentiments. II quitta l'Angle- terre vers la fin de septembre pour venir exercer cette noble prerogative. Une question importante et delicate ne tarda pas a s'elever dans la chambre des pairs. Les colleges electoraux qui avaient elu la chambre des deputes de i8i5, avaient envoye au roi des adresses pour sollicker I'epuration des administrations publiques et le chdliment des delits politiques . La commission de la chambre des pairs , chargee du projet d'adresse a S. M. , avait recueilli et adopte cette proposition : «Sans « ravir au trone , disait-elle , les bienfaits de la « clemence, nous oserons lui recommander les « droits de la justice ; nous oserons sollicker « humblement de son equite la retribution ne- « cessaire des recompenses et des peines , et « l'epuration des administrations publiques. » Un vif debat s'engagea a la lecture de ce paragraphe dans la seance du i3 octobre i8i5. MM. Barbe- LE PALAIS-ROYAL. 2^3 Marbois, le due tie Broglie, de Tracy, Lanjui- nais , le combattirent au nom de la justice et de l'humanite. Divers amendemenls partiels furent proposes; mais d'autres pairs ayant insis- te pour que la chambre emit un voeu formel pour le chatiment des coupables, le due d'Or- leans se levant immediatement : « Ce que je « viens d'entendre , dit-il, acheve de me confir- « mer dans Fopinion qu'il convient de proposer « a la chambre un parti plus decisif que Ies « amendements qui lui ont ete soumis jusqu'a « present. Je propose done la suppression totale a du paragraphe. Laissons au roi le soin de « prendre constitutionnellement les precautions « necessaires au maintien de l'ordre public, et « ne formons pas des demandes dont la malveil- « lance ferait peut-etre des armes pour troubler « la tranquillite de l'Etat. Notre qualite de juges « eventuels de ceux envers lesquels on recom- « mande plus de justice que de clemence, nous « impose un silence absolu a leur egard. Toule « enonciation anterieuie d'opinion me parait « une veiitable prevarication dans 1'exercice de « nos fonctions judiciaires , en nous rendant « tout a la fois accusateurs et juges. » A ce noble langage , un grand nombre de toil , parmi lesquelles on remarqua celle du due de Richelieu , crierent , appuyrl appurcl Un pair 18 'J 74 RESIDENCES KOYALES. demanda la question prealable; elle fut adoptee par la majorite de la chambre ; et les minislres qui avaient vote contre elle, se laisserent nean- moins entrainer. D'apres le resultat de cette seance memorable, dont les journaux anglais ont seuls rendu compte dans le temps, le due d'Orleans ne pouvait plus douter de l'inutilite de sa presence dans la chambre des pairs. 11 aima mieux s'imposer un exil volontaire , et retourner encore une fois en Angleterre pour y attendre que le temps eut calme l'effervescence des passions. Le due d'Or- leans revint en France au commencement de 1817 *, Le roi n'ayant pas juge convenable, de- puis cette epoque, de renouveler l'autorisation sans laquelle les princes de la maison royale ne peuvent sieger parmi les pairs, le due d'Orleans s'est trouve dans l'impossibilite de prendre part 1 On a dit que, pendant son sejour en Angleteri'e, le due d'Orleans avait recu de la femme d'un de nos plus illustres guerriers une lettre pour le supplier d'interesser une grande puissance en favour de son epoux, alors en jugement, et que ce prince avait repondu de la maniere la plus honorable a cet appel fait a la generosite de son caractere; mais si le due d'Orleans ne put faire conserver cette glorieuse vie, Louis- Philippe , en montant sur le trone, donna a la veuve du marechal les plus honorables marques d'un royal interet. LE PALAIS-ROYAL. 2^5 aux travaux tie la chambre. II s'est done ren fer- ine dans son interieur, qui presente le modele de l'union , des bonnes mceurs, et des vert us privees. Surveillant assidu de l'education de sa nombreuse famille, il l'eleve dans les sages prin- cipes qui ont fait la regie de toute sa vie. II a voulu que son fds aine, le due de Chartres, jouit, comme son a'ieul Henri IV, des a vantages de l'education publique ; et deja le nom de cet illustre eleve n'a pas ete etranger aux succes universitaires. A.mi des lettres, le due d'Orleans appelle au- pres de lui et il aime a s'attacber ceux qui les cultivent '. Protecteur des beaux-arts 2 et de Findustrie francaise, il se plait a decorer de leu is 1 II a recueilli 1'auteur des Messeniennes renvoye de la chancellerie en 1 8a3 ; il a encourage 1'auteur de Charles VI, et de la charmante comedie des Elections; il a applaudi au premier succes de 1'auteur de Henri III; 1'auteur de Sylla, et 1'auteur d'Oreste , sont places a la tete des bibliotheques du Louvre et de Compiegne; enfin, pour rendre aux lettres un solennel hommage, il a convie toutes les notabilites lit— teraires a l'inauguration du Palais de Versailles. 2 II a enrichi la galerie du Palais- Royal des chefs-d'oeuvre des Gerard , des Gros, des Girodet, des H. Vernet , des Her- sent, des Mauzaise, des Gericault, des Picot, des Gudin, des Michallon; et, devenu roi des Francais, il a fait Versailles. l8. 276 RESIDENCES ROYALES. produits les superbes appartements de son Pa- lais-Royal. » Mais ce palais , avant de revetir cette gran- deur et cet eclat qui en font aujourd'hui l'une des plus belles residences souveraines , a neces- site d'immenses travaux. En 1814 il etait rempli de locataires , et dans un etat de desordre , d'encombrement et de degradation , difficile a decrire. On en avait fait un depot ou se trou- vaient entasses des objets d'ameublement com- manded aux fabricants de Paris qui manquaient d'ouvrage pendant la campagne de Prusse en 1806; et le due d'Orleans avait ete oblige d'at- tendre, dans un hotel garni, que rappartement que le roi avait ordonne de lui preparer an Palais-Royal , fut pret a le recevoir. Le prince appela aupres de lui M. Fontaine , et, grace a l'habilete de ce celebre arcliitecte, le Palais-Royal fut bientot mis en etat de recevoir le due d'Orleans et sa faaiille. « Mademoiselle , « soeur du prince, fut logee dans l'aile droite de « la premiere cour , sur la rue Saint - Honore ; « madame la duchesse d'Orleans, avec les prin- ce cesses Louise et Marie , ses fdles , habita le « corps de logis en prolongation de Taile droite « jusqu'au jardin sur la grande cour. Le prince « occupa l'appartement du premier, au fond de LF. P.VLAJS-ROYAL. »77 « la cour d'entree ; le due de Chartres en oc- « cupa J'aile gauche, et les person nes de leur « suite logerent dans les autres parties du pa- ct lais qui etaient restees libres. Le theatre , la « bourse , et les locataires envahissaient encore « plus du quart de l'edifice. » Mais a peine ces premiers arrangements etaient - ils termines ; a peine madame la duchesse d'Orleans avail -elle donne le jour au due de Nemours, qui naquit au Palais-Royal, le a5 octobre 1 8 1 4 ? q ue Inva- sion de File d'Elbe, en 1 8 t 5 , vint de nouveau forcer le due d'Orleans a quitter la France avec sa famille. Pendant son absence , Lucien Bona- parte habita le Palais -Royal : il se contenta de jouir des embellissements que cette residence venait de recevoir , sans se permettre d'y rien changer. Apres les cent jours , le due d'Orleans, revenu dans ses foyers , s'occupa immediatement de continuer ce qu'il avait commence, autant que le lui permettaient les charges effrayantes qu'il devait soutenir avec des moyens disproportion- nes. Ces charges consistaient dans les dettes dont la succession du prince son pere etait grevee. La liquidation en avait ete commencee de son vi-. vant, par les mandataires de ses creanciers, et continuee par 1'Etat apres sa mort : mais, loin d'avoir ete aehevee, cette liquidation avait ete 278 RESIDENCES ROYALES. interrompue , apres avoir ete conduite de telle maniere que l'Etat y avait fait des benefices enormes, et que les gages des creanciers avaient disparu dans une proportion bien superieure a celle des dettes qui avaient ete Iiquidees *. 1 Faits qui constatent que, pendant la confiscation des biens defeu monseigneur le due d' Orleans (Louis-Philippe- Joseph , l'Etat a rccu au dela de ce qu'il a paye. La suppression des droits feodaux , la privation des pro- duits de son apanage , ayant reduit le feu prince a la per- ception de portions de revenus trop faibles pour subvenir au payement des interets de ses dettes, il se vit contraint d'en entreprendre la liquidation par l'alicnation d'une partie considerable de ses biens. En consequence il conclut le 9 Janvier 1792 avec ses creanciers un concordat , par lequel il fut convenu qu'ils feraient , sous le nom du prince , et au moyen de la procu- ration speciale qu'il donnerait a cet effet et qu'il a donnee , la vente d'une masse de proprietes immobilieres suflisante , dont le prix leur serait delegue par les contrats. Ce concordat fut homologue, par le tribunal de Paris, le 27 du meme mois. Les ventes etaient deja commencees avant sa conclusion authentique; elles furent, apres cet acte , poursuivies avec la plus grande activite. Tous les contrats ou proces-verbaux d'adjudication portent delegation du prix en faveur des creanciers inscrits. Ces dispositions, aUx termes memes du concordat, avaient LE PALAIS-ROYAL. 279 Le due d'Orleans rentre en i 8i 4 «dans la pos- pour effet, corame pour objet, de liberer le prince jusqu'a concurrence du montant integral des ventes faites par les creanciers. Un proces -verbal, dresse le 21 floreal an III, par des commissaires du gouvernement , et depose aux archives du ministere des finances , constate qu'a l'epoque de la con- fiscation , apres la mort du prince, il restait a payer par les acquereurs de ceux de ses biens vendus en execution du concordat , 35,934,221 fr. ; cette somme a ete en entier re- couvree par l'Etat. C'est done avec le produit des ventes des biens du prince, et non avec les deniers publics, que ces 35,934,221 fr. de ses dettes ont ete payes par l'Etat aux creanciers du prince, et l'Etat n'a fait autre chose que payer d'un cote ce qu'il percevait de l'autre. C'est done par erreur qu'il avait etc avance a la Chambre des deputes que le gouvernement avait paye, a la decharge du feu prince, 43,345,ooo fr. : le fait est qu'il n'a paye a ce. titre que 7,410,779 fr. ; les 35,934,221 fr. n'ont pas ete payes a sa decharge; l'Etat qui etait a ses droits et qui , aux termes de la loi, avait prealablement constate la solvability de la suc- cession, n'a fait ensuite que realiser les delegations enoncees aux contrats de vente jusqu'a concurrence de 35,934,221 f. ; ainsi ce n'est pas l'Etat qui a libere le prince , il s'etait libere lui-meme par les ventes qui avaient etc faites en vertu de sa procuration, et anterieurement a la confiscation de ses biens. Ici se presente une autre consideration qu'il importe de 11c pas perdre de vue : c'est que, quoique l'Etat ait percu le prix des ventes, et l'ait paye aux creanciers, conforinement aux delegations dont ils etaient nantis, ces ventes ayant ete 280 RESIDENCES ROYALES. « session des biens nan vendus,que le prince faites par les mandataires des creanciers du prince n'etaient pas des ventes Rationales , et par consequent les biens ainsi vendus ne rentrent point dans la categoric de ceux pour la vente desquels la loi du 25 avril a accorde une indemnite. II convient done, pour apprecier les pertes ou les profits de l'Etat dans la succession de feu monseigneur le due d'Or- leans, de commencer par deduire ces 35,934,221 fr. (dont la compensation vient d'etre demontree) du passif ci-dessus de 43,3/|5,ooo fr., ce qui le reduit a 7,410,779 fr. , cette derniere somme serait reellement la seule qui eiit etc payee des deniers publics. Le produit des ventes des biens de cette succession ope- rces par l'Etat pendant la confiscation s'est eleve au plus a la somme principale de neuf millions, d'apres un etat dressc sur les bordereaux existant dans les bureaux du ministere des finances , ci 9,000,000 » Le passif etant de 7,410,779 » Evidemment Ic benefice de l'Etat serait encore de 1,589,221 » Car ce serait la le montant de I'indemnite de cette succes- sion. Cependant l'Etat a un benefice bien autrement conside- rable. En effet, sans parler des ventes nationales des biens de l'apanage, et qui ont reduit de moitic sa valeur, il resulte du meme proces-verbal du 20 floreal an III, que l'actif de la succession de feu Ms r le due d'Orleans s'elevait a sa mort a 1 14,839,979 » Et le passif a 74,665,9.49 » Ainsi, en supposant que l'Etat cut pate LE PALAIS-ROYAL. 28 I « son pere avait possedes a quelque titre que ce 1 74>o3o » Mais com me l'Etat n'a pave que 43,345,ooo » II faut ajouter a son benefice la difference de cette somme a celle de 74,665,949 >> Cette difference etant de 31,320,949 » En I'ajoutant a celle ci-dessus de 4°> I 74>o3o » On aura celle de 7 1 ,494»979 " Delaquelleil est juste pourtant de deduire la valeur des biens restitues en 1814. Ces biens, vendus aux encheres judiciaires pour liquider la succession cpie LL. AA. RR. n'ont acceptee que sous benefice d'inven- taire, n'ont produit que i2,43o,io3 » Qui, retranches de la sonnue des benefices ci-dessus de 71,494,979 fr-, laisseraient en- core a l'Etat un benefice net de 59,064,876 > 282 RESIDENCES ROYALES. qu'ils etaient greves envers l'Etat d'un droit de retour , qui interdisait meme de les bypothe- quer , n'avaient jamais ete donnes comme gages d'aucune creance , et n'avaient pas pu l'etre ; les creanciers des princes predecesseurs du due d'Orleans n'avaient done de droits a exercer que sur les biens patrimoniaux ; et ces biens , par l'effetdes diverses dilapidations dont nous avons parle, se trouvaient reduits a une valeur bien in- ferieure a la moitie de la somme des dettes aux- quelles ils devaient servir de gages. D'un autre cote, les biens d'apanage, tant par l'effet des changements survenus dans la legislation de l'Etat que par eelui des memes dilapidations, se trouvaient reduits au-dessous de la moitie de ce que Monsieur (due d'Orleans) , frere de Louis XIV, avait recu comme sa part de la succession du roi son pere, et pareillement au-dessous de la moitie de ce que l'Etat avait repris en 1791 , lorsqu'une loi du temps avait opere cette reprise. Ainsi , le due d'Orleans fut d'abord force, par la nature des clioses , de n'accepter la succession du prince son pere, quant aux biens patrimo- niaux, que sous benefice d'inventaire, et de se declarer, avec la princesse sa sceur, Rentier be- neficiaire. II ne lui restait ensuite que deux partis a prendre : LE PALAIS-ROYAL. 2 83 i° Celui d'abandonner aux creanciers la masse des biens patrimoniaux de la succession , sans intervenir en aucune nianiere dans leur liquida- tion , et en se renferraant dans la jouissance des biens d'apanage sur lesquels les creanciers n'a- vaient point de droits a exercer ; i° Celui de se charger de la liquidation des dettes en desinteressant les creanciers , et en les payant taut avec les produits des biens patri- moniaux qu'avec une partie des revenus de son apanage. Plusieurs membres deson conseil, effrayes du poids de la liquidation , inclinaient pour le pre- mier parti , mais l'opinion personnelle du due d'Orleans fit adopter le second. Le succes a cou- ronne ses efforts : le due d'Orleans a obtenu la satisfaction de pouvoir se dire qu'il est parvenu a liquider la succession de son pere, de maniere a ne laisser subsister aucune dette, eta conser- ver a ses enfants les debris des biens patrimo- niaux de leurs ancetres que la tempete revolu- tionnaire avait epargnes. C'etait done au milieu de cette liquidation qui a dure dix ans, et pour laquelle il a fallu taut de sacrifices et tant de perseverance, que le due d'Orleans devait entreprendre la restauration de son Palais- Royal. Aiissi, de plusieurs cotes lui donuait-on encore le conseil d'v renoncer r car 'lS/\ RESIDENCES KOVALES. % l'etat ou se trouvait cet edifice etait lei , qu'il f'al- lait ou le restaurer, ou l'abandonner. Le due d'Orleans pensa qu'en prenant, d'une part, des termes avec les creanciers de sa succession pa- ternelle , et de l'autre en marchant systemati- quement vers l'achevement du Palais-Royal, et en n'entreprenantcbaque annee que laportion de travaux ou d'acquisitions qu'il pouvait solder, il parviendrait a mener a bien cette grande entre- prise, et la aussi le succes a repondu a son at- tente. « Le Palais -Royal tel qu'il fut rendu au due « d'Orleans en 1 8 1 4 ? dit M. Fontaine , n'etait « plus qu'un squelette informe et mutile. La cour « des Fontaines, le theatre avec tous ses acces- « soires et une portion du palais qui n'avait ja- « mais ete destinee a y etre reunie, avaient ete « vend us par les mandataires, ainsi que tous les « batiments de la cour des Fontaines , la chan- ce cellerie, la tresorerie, et les maisons depen- a dantes du palais sur la rue Saint-Honore et sur « la rue de Richelieu. Les deux maisons, compo- te sees chacune de trois arcades, situees a l'extre- « mite des deux ailes laterales surlejardin du cote « du palais, avaient ete vendues par l'Elat, ainsi que « l'liotel de Chatillon dont nous avons parleplus « haut. Cependant ces deux maisons avaient ete « reservees a 1'apanage par les lettres palenles de Lfi PALAIS- ROYAL. 28f> « 1784, parce que leur possession etait absolu- « ment necessaire pour la construction de l'aile « a elever surremplacement des galeries de bois. « Le prix de l'une de ces maisons , celle sur la « rue de Valois que le feu prince Louis-Philippe- « Joseph , due d'Orleans , liabita pendant les dei - « nieres annees de sa vie , n'avait pas ete pave « a l'Etat par mademoiselle Montansier , et l'ad- « ministration des domaines qui lui avait intente « un proces en eviction l'ayant gagne, la maison « f'ut restiluee au prince actuel des 181 4, et plus « tard il a racbete celle sur la rue de Montpen- « sier. » II etait impossible d'acbever le Palais -Royal sans sortir de l'espace auquel on 1'avait reduit par toutes ces alienations; et avant d'arreter un plan general de restauration et d'acbevement , il fallait se procurer letendue necessaire a son de- veloppement. Cette etendue ne pouvait se trou- ver que dans des acquisitions 011 dans la reprise de possession des parties du Palais -Royal dont I'alienation n'aurait pas ete faite legalement. Le due d'Orleans devait done, avant tout, exami- ner si les ventes de portions de l'apanage faites par les mandataires en 1793, sans automation du prince son pere, etaient 011 non susceptibles d'etre attaquees devant les tribunaux. II parait que, quelque temps avant 1 8 14, Napoleon avait 286 RESIDENCES ROYALES. ordonne que cette question fut examinee. Quoi qu'il en soit, le conseil du prince, alors preside par M. Henrion de Pansey , s'occupa a son tour de cet examen, dont le resullat fut la conviction que les ventes etaient illegales, et devaient etre annulees. En consequence M. Julien , qui se trouvait subroge aux droits des premiers adju- dicataires ( Gaillard et Dorfeuille ) dans la pos- session du theatre du Palais-Royal, fut assigne , et le proces commenca dans les premiers joins de Janvier 1818, devant le tribunal de premiere instance du department de la Seine. La question a decider etait de savoir si ces ventes etaient on 11011 comprises dans la categorie de celles que les lois subsequentes avaient couvertes de cette garantie solennelle qui rend les ventes nalio- nales inattaquables pour quelque cause que ce soit. La cause fut plaidee par deux avocats ce- lebres. M. Dupin soutenait, pour le due d'Or- leans, que la vente d'un immeuble que le pro- prietaire n'avait pas le dioit d'aliener, faite de son vivant par l'abus d'une procuration parti- culiere , don nee pour d'autres objets a des man- dataires particuliers agissant , comme dans les ventes particulieres , par le ministere d'un no- taire interdit pour les ventes nationales, ne pou- vait pas etre classee parmi ces dernieres; que les irregularites et les nullites dont elle etait enta- LF. PALAIS-ROYAL. 28" chee ne pouvaient pas etre couvertes par la ga- rantie que les lois accordaient aux ventes natio- nales;que par consequent elledevait etre annulee. M. Tripier soutenait au contraire,pour M. Julien, que l'Etat ayant percu le produit de la vente , luiavait parcela meme imprime le caractere de vente nalionale , et l'avait rendue inaltaquable au meme degre que si c'etait l'Etat lui-meme qui eut vendu. Nous ne suivrons pas ces liabiles juriscon- sultesdans tous les arguments qu'ils firent valoir pour la defense de leurs causes respectives. II nous suffit d'avoir indique en quoi consistait le proces. 11 donna lieu a beaucoup de memoires , a des discussions tres-longues , tres-compliquees, et souvent assez animees. Le due d'Orleans vit , par la tournure qu'elles avaient prise, que, quel- que grande que fut l'erreur de considerer ce proces corarae le prelude d'une attaque sur les ventes nationales , cependant cette erreur trou- vait des partisans interesses a la faire valoir. Dans cette position, le due d'Orleans preferait termi- ner le proces a l'amiable avant qu'il fut juge, et des offies d'ouvrir une negociation avec M. Ju- lien lui ayant ete faites , il s'empressa de les ac- cepter. Le resultat de cette negociation fut une transaction sur proces par laquelle les droits du due d'Orleans furent mis a couvert , et dont le 9.88 RESIDENCES ROYALES. prix et les frais s'eleverent a plus de douze cent niille francs. II rentra par la dans la possession du theatre et de ses dependances; et le sacrifice fait par le prince a tourne au profit de l'Etat , puisque le theatre est reste apanage , sauf , en cas d'extinction de la ligne masculine , l'indem- nite que pourraient reclamer les princesses ou leurs descendants. « Ce fut alors, dil M. Fontaine, qu'on fit un « plan general de restauration du Palais- Royal « dont lexecution est entierement terminee « aujourd'hui. On crut qu'il convenait que « l'aile gauche du palais du cote de la place « fut separee des maisons adjacentes, comme « l'aile droite l'etait par la rue de Valois; et, le « premier point arrete fut qu'on acquerrait d'a- « bord les maisons attenantes a l'aile gauche , « qu'il etait necessaire de demolir pour former « cet isolement, et qu'on etablirait a leur place « une cour a laquelle le due d'Orleans donna le « nom de son second fils, le due de Nemours. II « fut resolu que cette cour, ouverte ducote de la « place, ne communiquerait avec la grande cour « du cote du jardin que par une arcade prati- « quee a travers le corps de logis qui les separe. « Mais il fallait encore trouver moyeii de rem- « placer la cour des Fontaines par des depen- « dances qui pussent compenser cette perte, LE PALAIS-ROYAL. 1 89 <( toujours bien regrettable, malgre la faute qu'a- « vait faite M. Louis de l'isoler entierement du « palais par l'etablissement de la rue de Valois. « Dans cette vue, on entreprit de reunir au palais « toutes les maisons qui le bordent sur les rues « Saint-Honore et de Richelieu , en sorte que le « palais put devenir totalement isole du cote des « rues, comme il l'etait du cote du jardin , con- « formement au systeme de M. Louis, par la « restitution des arcades du cote de la rue de « Valois, et l'acquisition de celles du cote de la « rue de Montpensier. « Toutes les acquisitions necessaires pour « l'execulion de ce plan etant terminees , le.reta- « blissernent du Palais-Royal , dont les disposi- « tions generates avaient ete arretees en 1817, « devint moins problematique. On avait l'espace « et les moyens d'isolement sans lesquels rien de « convenable ne pouvait etre entrepris ; mais il « a fallu de grands travaux , des demolitions et « des constructions considerables pour agglo- « merer toutes ces maisons en une seule masse, « et y former, entre la cour de INemours et la rue « de Richelieu, le theatre et la rue Saint-Honore, « une cour qui a ete nommee la cour des Re- tt mises, parce qu'on est parvenu a y etablir vingt « voitures, tandis que les batiments qui l'en- « tourent sont occupes d'un cote par les depen- •9 iqo RESIDENCES ROYALES. « dances du Tbeatre-Francais , de l'autre, paries « bureaux de l'administration du prince et par « les logements d'un grand nombre des person- « nes de sa maison. II est digne de remarque que « cette grande dependance, rattachee au Palais- « Royal par des corridors interieurs, est arran- « gee de maniere a ce que lous les etages com- « muniquent entre eux, comme si elle avait ete « balie d'un seul jet. « Cependant il y avait encore d'autres oppo- « sitions a combattre. Si nous en pretentions les « details , on serait etonne de voir ce qu'il a fallu « de soins pour vaincre tant d'obstacles. Plu- « sieurs , voulant se donner l'air de defendre des « droits qui n'etaient pas attaques , mettaient « une sorte de vanite interesseea contester obsti- « nement avec un prince qui n'a jamais separe « la defense de ses droits et de ses interets du « respect inviolable que Ton doit aux lois. « Il fallait aussi mettre en harmonie les ou- « vrages de plusieurs arcbitectes qui s'etaient « succede sans s'entendre et sans jamais cher- « cber a faire accorder ce qu'ils construisaient « avec ce qui avait ete constrnit avanl eux; en « sorte que la base de leurs projets paraissait « avoir toujours ete la destruction future de tout « ce qui n'etait pas leur ouvrage , et l'entiere re- LE PALAIS-ROYAL. 2QI « construction du Palais-Royal selon leurs nou- « veaux plans. « Le projet de M. Louis , execute en grande «partie, etait le plus raisonnable de tous ceux « qui avaient ete presentes ; mais cet architecte « avait fait trop peu d'attention a la pai tie Mtie « avant lui par M. Moreau du cote de la place et « de la rue Saint-Honore. II n'avait pas eu plus « d'egards pour les ouvrages de Lemercier et « de Contant , du cote du jardin ; et, dans ses « differentes compositions, il paraissait deter- « mine a ne conserver que les vestibules et le « grand escalierj car, selon son premier plan, « lorsqu'il divisait le palais en trois cours , « ou , selon le second , lorsqu'il n'en faisait « plus que deux avec ou sans le theatre, on re- « connait toujours que son but principal etait « d'entourer le jardin de constructions nouvelles, « et de refaire le palais sans penser aux ancien- « nes constructions. 11 esperait sans doute que « toutes les facades , et surtout celle du corps « de logis principal, seraient changees conforme- « ment a la decoration qu'il avait adoptee. La « pensee qu'il avait eue de placer le grand ap- « partement sur le jardin , et de faire de celte « partie de l'edifice l'objet principal de son plan, « n'a pas ete approuvee. « 11 a ete decide par le due d'Orleans actuel '9- 2Q 2 RESIDENCES ROYALES. « qu'au lieu d'un grand appartement , on for- ce merait, au niveau du premier etage sur le jar- «din, une grande terrasse avec deux parlies en a retour sur les ailes, jusqu'au corps de logis « principal; qu'au rez-de-chaussee il y aurait une « grande salle avec des portiques ou colonnes , « et deux rangs de boutiques de chaque cote « (e'est ce qu'on appelle aujourd'hui la galerie « (T Orleans)) que, pour terminer la facade prin- ce cipale sur la grande cour regardant le jardin, « le pavilion ancien, construit par M. Con taut, « serait reuni au pavilion neuf , que M. Louis « n'avait pas acheve, par une construction du « meme ordre et de la meme elevation , afin de « former un centre et de donner de la grandeur « a l'ensemble de l'edifice. » Le rachat du theatre avec ses dependances offrit les moyens de rendre au palais l'emplace- ment de la galerie dont les comediens francais avaient fait leur foyer et leurs loges. C'est la que le due d'Orleans a place la serie de tableaux hisloriques destines a reproduire les principaux evenements dont le Palais-Royal a ete le theatre. « On a reporte dans le bailment de la cour des Remises pres le Theatre-Francais et dans le batiment adjacent sur la rue de Richelieu, les foyers 5 les magasins , les loges d'acteurs , et tout ce qui s'etait etendu dans l'aile gauche et LE PALAIS-ROYAL. 20,:> dans le corps principal du palais pendant la possession de M. Julien. Le theatre ainsi de- gage, comme M. Louis l'avait d'abord projete, devint un accessoire agreable , commode , et sans danger pour le corps de 1'habitation. « Mais on se souvient que Sageret l'avait en- tierement deforme ; il etait dans un etat de- plorable, lorsqu'en 1822, pour satisfaire aux conditions du nouveau bail passe avec les co- inediens francais, le prince ordonna la restau- ration de la salle. L'arrangement primitif des ioges au pourtour de la salle elait detruit; le plafond avait ete tranche en plusieurs endroits pour placer plus bas une voute en bois sup- ported par des colonnes en charpente qui etaient posees en bascule sur la voute d'un vestibule au rez-de-chaussee ; enfin , une deco- ration plus moderneremplacait cellede M.Louis. On mit la main a l'ceuvre, et en deux mois le travail fut acheve. Les colonnes des loges qui cachaient la scene ont ete supprimees, et rem- placees par de legers supports en fer, afin de retablir autant que possible le systeme pri- mitif. On a cherche a rendre la division et l'arrangement des loges plus convenables ; les details ont ete ameliores , les peintures ont ete renouvelees ; le public voit mieux de toutes parts, mais ce n'est plus la salle de M. Louis. » 2g4 RESIDENCES ROYALES. Ei) examinant ensuite la decoration et la dis- position generate de la facade sur la rue Saint- Honore, M. Fontaine a pense que, pour obtenir de la regularite, il convenait de repeter dans la cour de Nemours , au premier , la decoration adoptee par M. Moreau , et au rez-de-cbaussee le sysleme de portiques en colonnes doriques in- troduit par M. Louis. « Le rez-de-cbaussee des parties qui n'entrent pas dans la decoration des facades principales, et qui ne sont pas necessaires aux services particuliers de la maison, est occupe par des boutiques dont l'etablissement et la forme, assez longtemps blames, sont regardes aujour- d'bui comme une consequence naturelle de la disposition generale du jardin et du palais, ou Ton voit , pour la premiere fois , que la residence d'un grand prince peut etre en meme temps le palais de l'industrie et des arts utiles, sans rien perdre de son agrement et de sa di- gnite. En effet, tout a ete combine de maniere que les boutiques ont toutes des issues inde- pendantes des cours et du jardin, et qu'il y a separation totale entre la partie du palais qui est babitee par le prince et celle qui est aban- don nee aux boutiques el aux marcbands. Par suite de cette combinaison assez compliquee , le prince peut, quand il le juge a propos, faire LE PALAIS-ROYAL. 20,0 fernier les grilles de ses cours, celles de sou jardin et toutes les portes de son palais, sans causer la moindre gene aux locataires, ni en- travel' en rien la circulation du public dans les galeries et devant les boutiques. « II serait fastidieux d'entrer ici dans de plus longs details et de chercher a decrire minu- tieusement toutes les subdivisions et toutes les particularites de ce grand edifice. Cependant il convient de parler ici des travaux auxquels l'incendie de 1827 a donne lieu, et des ame- liorations qui en sont resultees. « La galerie du rez-de-chaussee derriere le theatre, qui etait encore peuplee de vieilles echoppes en planches, ayant ete incendiee par la negligence d'une marchande de pantoufles, le 3 1 octobre 1827; les colonnes qui portaient les murs de face ayant ete calcinees , ainsi que celles de la galerie a peine batie en avant dans lacour; les voiites, les plafonds ayant ete for- tement endommages , on a ete oblige de re- construire en sous-ceuvre des piliers et des arcs pour soutenir la voute de la galerie qui a resiste aux flammes par l'effet de sa construc- tion en fer et en pots. Cette reconstruction, commandee par la necessite , a donne les moyens de continuer, de ce cote de la cour, le sysleme de boutiques etabli sur les deux autres, 2C)6 RESIDENCES ROY ALE'S. et de rendre la circulation plus facile dans lc portique qui conduit de la cour de Nemours aux galeries du jardin. » Le grand bassin,deux parterres brillants de fleurs et. de verdure et ornes de statues , ont ajoute a l'elegance et a la fraicheur du jardin ; enfin le peristyle Montpensier , l'aile occupee par l'appartement du due d'Orleans, le pavilion Montpensier et la prolongation de la galerie du theatre jusqu'a la rue Saint-Honore , termines depuis i83o, ont mis le complement a ce grand et beau travail, qui, malgre les depenses enormes qu'il devait entrainer x , malgre les difficultes de toute espece dont iletait herisse, amarche avec unerapidite due a la perseverance du prince au- tant qu'a l'lieureux accord de son gout avec le talent de son architecte. * Suivant M. Fontaine, la depense s'est eleveea 12 millions. LE PALAIS-ROYAL. O.C)J CHAPITRE XL I,e Palais-Royal sous Louis-Philippe I er t roi des Francais. 1830—1831. Temoin tour a tour de la puissance de Richelieu r des folies de la Fronde, de l'eclat de la Regence, du premier enthousiasme de la revolution dei 789, enfin,de cebonheurtranquille et piir quedonne r au sein d'une belle famille, l'exercice de toutes les vertus , le Palais-Royal devait reprendre rang parmi les residences royales l le jour 011 tout un peuple vint offrir la couronne a son premier citoyen. Mais avant de rappeler les scenes de ce grand evenement dont ce palais fut le theatre, nous ne pouvons passer sous silence la brillante fete du 3 1 mai i83o. 1 Le Palais-Royal fut reuui a la courouue le 9 aoiit, avec les autres biens que le due d'Orleans teuait de ses aieux a titre d'apanages. 298 RESIDENCES ROYALLS. Le roi de Naples * , Francois I er , frere de la du- chesse d'Orleans , aujourd'hui reine des Fran- cais , apres avoir accompagne a Madrid sa fille Christine, quiallaits'asseoir sur le ti one de Fer- dinand VII, roi d'Espagne , etait venu a Paris avec la reine Marie -Isabelle son epouse. Le due d'Orleans, son beau-frere, voulut lui donner un grand bal au Palais-Royal; il y convia en meme temps Charles X , le dauphin son fds , la dau- phine , la duchesse de Berry. Jamais ce palais n'avait brille d'autant de magnificence : les sa- lons pares des plus riches produits de l'indus- trie nationale , ces vastes galeries de tableaux, ces immenses colonnades , ces toits de verre etincelants de mille feux , offraient , au milieu de la plus belle des nuits, toute la pompe d'une fete orientale. La premiere salle, ou s'elevait un amphitheatre de fleurs , servait d'introduction a la galerie dite de la Psyche 2 , dans laquelle etait etabli un pre- 1 Ce prince etait instruit; il aimait la litterature, les arts, et se plaisait a dire des choses obligeantes a ceux qui les cultivent. Dans sa premiere visite au Palais-Royal , il exa- mina tout avec le soin le plus empresse , et loua avec une bonne grace intelligente tout ce qui meritait des eloges. a Elle avait recu ce 110m du charmant tableau de Picot , qui depuis a ete transporte dans une autre galerie. LE PALAIS-ROYAL. '^QQ niier orchestre : le second etait place dans la salle du conseil, aujourd'hui salle du trone, oil les yeux sarretaient avec curiosile sur les ba- lailles de Jemmapes et de Valmy , peintes par Horace Vernet ' ; un troisieme orchestre ani- mait la grande galerie ou sont represented les sujets qui retracent l'histoire du Palais -Royal. Les feux de mille bougies , la brillante variete des uniformes, la beaute des femmes, l'el^gance de leurs parures , l'eclat des couronnes de France et de Naples reunies, tout concourait a relever la splendeur du bal ; mais ce qui lui donnait unephysionomie parliculiere, c'est que, grace a la serenite du ciel, on circulait sur toutes les terrasses qui , chargees d'orangers en fleurs , et 1 La cocarde tricolore avait fait exiler du Musee ces deux premiers souvenirs militaires de notre revolution. Celui de Valmy revint a la pensee de Charles X, a 1'epoquc de son sacre a Reims. Se trouvant pres de ce champ de bataille avec le due d'Orleans , il lui dit : «Il y a trente ans, nous « nous trouvions ici bien pres l'un de l'autre ; mais ce n'e- " tait pas pour la meme cause. Ah ! ca, que pensez-vous du « depart du due de Brunswick? Croyez-vous qu'il ait ete « achete? — Sire, lui repondit le due d'Orleans, je puis « vous assurer que Kellermann et ses troupes ont tout fait. « On avait flatte Brunswick ; on lui avait promis une vic- « toire facile; quand il a vu le courage et l'ardeur de nos - soldats, il s'est eloigne. » 3oO RESIDENCES ROYAXES. decorees de guirlandes en verres de couleur jus- tifiaient ce mot de Charles X a Gerard : « Voila « un beau tableau a faire; c'est une feerie, une « des M Me et une Nuits * . » Le roi de Naples, un peu fatigue, se retira de bonne heure avec la reine. Le roi de France ne tarda pas a le suivre, mais la duchesse de Berry r apres avoir assiste a un souper de douze cents couverts, servidans les grands appartements de la duchesse d'Orleans , se mela aux danses qui ne finirent qu'avec le jour. Le due d'Orleans, fidele a ses principes, avait invite a son bal toutes les notabilites, sans dis- tinction d'opinion ; et cet hommage nouveau, rendu sous les yeux de la cour a la ville de Paris , n'etait pas le moindre attrait de cette fete, la plus remarquable qui eut ete donnee depuis 1 8 1 4- Le lendemain , lorsque le due d'Orleans se pre- senta aux Tuileries, « En verite , Monsieur, lui « dit Charles X , il est impossible de voir une « plus belle fete; e'etait un spectacle enchanteur. « A.vez-vous lu le journal des Debats? Il vous a « bien traite etmoi aussi ; j'en ai ete bien aise, car, « depuis quelque temps, je n'y etais plus accou- « tume.On m'a dit qu'onabrulequelques chaises ' Chai'les X, ayant rencontre M. Fontaine dans le bal, lui «lit en souriant : « C'est superbe ! il me semble que vous ne " faites pas toujours d'aussi belles choses pour moi. » LE PALAIS-ROYAL. 3o J « dans le jardin; j'ai bien vu un peu demouvement « quand on a saute dans les parterres, mais, ne « connaissant pas bien les localites, je n'ai pu « distinguer ce que c'etait. — Ce n'etait rien,Sire, « repondit le due d'Orleans ; un feu de paille « allume par quelques enfants, et.dont mes chai- « ses ont fait les frais. » Rien,en effet, n'etait plus insignifiantque cette petite scene parodiee de la Fronde; mais telle etait, depuis le ministere du 8 aout 1829, l'in- quietude qui fermentait sourdement dans tous les esprits, que les moindres evenements etaient represented comme des essais d'hostilites contre le pou\oir. Au milieu meme de la fele, quelques person nes semblerent preoccupees de ces pres- sentiments; on entendait circuler ce mot devenu celebre : «C'estbien un bal napolitain , car nous « dansons sur un volcan. » D'autres circonstances qui, dans des temps or- dinaires, auraient passe inapercues, se coloraient d'une importance politique : on se rappelait qu'a l'ouverture des chambres, dans la galeiie du Lou- vre, Charles X, en se placant sur son trone, avait laisse tomber son cbapeau, et que le due d'Orleans l'avait ramasse.On citait ces paroles d'un eloquent publiciste, a propos d'un journal qu'il avait fonde : « Pour lid et sans ha 1 ; » en fin, on avait vu en ' Expression fidele tie la verite , et qui doit servir de ** ioi RESIDENCES ROY ALES. juin apparailre a Neuilly un de ces grands per- sonnages a qui leur longue experience semble reveler le secret et lejourdes revolutions. Ce jour etait arrive. L'esprit de vertige avait envahi le trone. Les ordon nances de juillet pa- rurent; le peuple de Paris se souleva tout en- tier, on courut aux armes , la liberte triompha , et •* tous les regards se tournerent vers un prince que ses antecedents, saconduite noble et sageavaient rendu populaire. On lui porte a Neuilly l'acte ! par reponse a toutes les assertions repandues dans l'interet d'un parti , pour essayer de faire croire que le prince ne serait pas restc eti'anger a certaines combinaisons pour pre- parer la revolution de juillet, comme si cette revolution n'avait pas ete le resultat d'un inouvement national et spontane ! Je me rappelle a ce sujet que , quelques jours apres le neuf aout, une de nos illustrations litteraires, as- sise aujourd'hui sur les bancs de la chambre, voulait me persuader que la revolution de juillet etait le fruit d'un projet concerte depuis longtemps entre M. le due d'Orleans et M. de la Fayette !... Grande fut sa surprise , lorsque je lui repondis que, depuis son retour en France, le due d'Orleans n'avait vu M. de la Fayette qu'une seulc fois , et en 1 8 1 4 • 1 Habitants de Paris ! la reunion des deputes actuellement a Paris a pense qu'il etait urgent de prier S. A. R. Monsei- gneur le due d'Orleans de se rendre dans la capitale pour y exercer les fonctions de lieutenant general du royaume , et de lui exprimer le voeu de conserver les couleurs nationales, I.E PALAIS-ROYAT.. 3o3 lequel les deputes presents dans la capitale l'ap- Elle a de plus senti la necessite de s'occuper sans relache d'assurer a la France, dans la prochaine session des cham- bres , toutes les garanties indispensables pour la pleine et entiere execution de la Charte. Paris , le 3o juillet i83o. Corcelles, depute de la Seine; Eusebe Salverte, depute de la Seine; J. Laffitte; Berard, depute de Seine-et-Oise; Benjamin Delessert, depute de Mai ne-et- Loire ; Guizot, depute du Calvados; Caumartin, depute de la Somme; Horace Sebastiani, depute de 1'Aisne; Mechin, depute de l'Aisne; Dnpin aine, depute de laMevre; Paixhans, depute de la Moselle; baron Charles Dupin , depute de la Seine; Bertin de Vaux, depute de Seine-et-Oise; Vassal, depute de la Seine; Odier , depute de la Seine; Andre Gallot, depute de la Charente-Inferieure ; Louis , depute de la Meurthe; Keratry, depute de la Vendee; Girod de l'Ain; Mathieu Dumas, depute de la Seine; Ed. Bignon, depute del'Eure; Baillot, dep. de Seine-et-Marne ; Duchaffaut, depute de la Vendee ; Bernard de Rennes, depute elu d'llle- et-Vilaine et des Cotes-du-Nord ; G. E. Ternaux, depute de la Haute-Vienne ; C. Persil , depute de Condom (Gers); Dugas-Montbel , depute du Rhone ; Alexandre DeIaborde» depute de la Seine ; Champlouis , depute des Vosges ; Benjamin-Constant; Pompierre ; general Minot, depute de la Charente-Inferieure; vicomteTirlet; Lobau, depute de la Meurthe ; le comte de Bondy, depute de l'lndre; Camille Perier, depute de la Sarthe; Prevot-Leygonie , depute de la Dordogne ; Casimir Perier ; Firmin Didot , depute d'Eure-et-Loir. D. SCHONEN. 3o4 RESIDENCES ROYALES. pelaient a la lieutenance generate du royaume *. U part pour Paris, a pied , accompagne de deux personnes. II eutre par la barriere du Roule, et suit toute la rue duFaubourg-Saint-Honore. A. tous les postes on ltii crie : Qui vive ! et il repond : Vive la Chartel II arrive ainsivers dix heures du soir au Palais-Royal, ou il entre par la maison de la rue Saint-Honore a , n°2i6. Ce fut la seulement cju'il s'entendit reconnaitre par un cri de Vive le due d'Orleans! Son premier soin fut d'appeler aupres de lui M. Dupin et le general Sebastiani. Le samedi matin, 3i juillet, le Palais -Royal offrait un aspect inaccoutume : les grilles des deux cours etaient fermees , mais la place et le jardin etaient encombres de monde. Le prince ordonna que toutes les grilles fussent ouvertes. On ignorait encore son arrivee au Palais -Royal, lorsque Ton repaudit. cette proclamation : « Habitants de Paris, « Les deputes de la Fiance en ce moment reu- « nis a Paris m'ont exprime le desir que je me ' Nous reservons , pour la description de la residence royale de Neuilly , les details interessauts de ce qui se passa dans ce palais pendant les trois journees. 2 Cette scene, peinte par Horace Veruet , fait partie de la galerie lilhographire du Palais-Royal. LE PALAIS-ROYAL. 3o5 tr rendisse dans cette capitale pour y exercer les « fonctions de lieutenant general du royaume. « Je n'ai pas balance a venir partager yos dan- ce gers, a Yenir me placer au milieu de votre he- « roique population , et a faire tous mes efforts « pour vous preserver des calamites de la guerre « civile et de l'anarchie. « En rentrant dans la ville de Paris , je portais « avec orgueil les couleurs glorieuses que vous « avez reprises et que j'ai moi-meme longtemps « portees. « Les chambres vont se reunir et aviseront a au moyen d'assurer le regne des lois et le main- « tien des droits de la nation. « La Charte sera desormais une verite. « Louis-Philippe d'Orleans. » Des que cette proclamation fut connue, d'u- nanimes acclamations appelerent le due d'Or- leans : il se montra sur les terrasses du jardin , et fut salue avec enthousiasme. Le meme jour, a quatreheures du soir, les deputes qui venaient de proclamer a la Chambre le due d'Orleans lieu- tenant general du royaume, se rendirent en corps au Palais - Royal pour accompagner le prince a l'hotel de ville. Le due etait a cheval, en habit de lieutenant general , avec le grand cordon de la 20 3o6 RESIDENCES ROYALES. Legion d'honneur ; et seul, le chapeau a la main , au milieu d'une haie de ba'ionnettes , il traversa au pas la foule innombrable qui se pressait sur son passage. Apres la solennelle reception de l'hotel de \dlle , le retour du prince au Palais- Royal fut, comme son depart, une marche triom- phale. Dans toutes les rues le peuple formait une double chaine en se tenant la main pour proteger sa marche, et lorsque le due d'Orleans arriva sous la voute du grand escalier , il fut enleve de son cheval et porte dans ses apparte- ments x . Le 2 aout , la Commission Municipale , ayant le general la Fayette a sa tete , vint au Palais- Royal suivie d'une foule de gardes nationaux , et precedee d'une musique militaire, pour re- signer ses pouvoirs entre les mains du lieute- nant general. Ce prince la recut dans le salon qui precede son cabinet, et lui presenta toute sa famille. 11 parut ensuite avec le general la Fayette sur le balcon de la premiere cour du 'Le raeme jour, a neuf heures du soir, unede ces voitures publiques connues sous le nom de Carolines, ramenait de Neuilly a Paris la duchesse d'Orleans , les princesses ses nlles , ses deux plus jeunes fils , et la princesse Adelaide. Les barricades ne leur permirent pas d'arriver directe- ment jusqu'au Palais-Royal; LL. AA. s'y rendirent a pied, depuis la rue de Rivoli. LE PALAFS-ROYAL. 3c>7 palais , etdeploya le drapeau tricolore aux yeux du peuple qui fit retentir l'air de ses vivat 1 !... Le lendemain , le due d'Orleans, apres la cere- monie de 1'ouverture des chambres , rentrait a peine au Palais - Royal , lorsqu'il y vit arriver la garde nationale d'Elbeuf qui venait faire cause commune avec la garde nationale de Paris. Le prince la passa en revue dans la cour, aux cris mille fois repetes de vive la Charte! vive le due d'Orleans ! La presence du due de Chartres manquait au bonheur du lieutenant general. Le jeune prince, a la premiere nouvelle des evenements de Paris , avait quitte Joigny, ou son regiment, le i er de bussards , etait en garnison , et il etait accouru, le 29 juillet; mais arrive a Montrouge, l'autorite locale crut devoir ne pas lui permettre de conti- nuer sa route avant d'avoir recu les ordres de l'hotel de ville de Paris. Ces obstacles imprevus le deciderent a retourner a Joigny, pensant que dans ces graves circonstances il ne pouvait etre 1 Le meme jour, MM. de Pastoret, chancelier, et de Semonville, grand referendaire de la chambre des pairs , etaient venus presenter leur homraage au lieutenant ge- neral. 20. 3o8 RESIDENCES ROYALES. mieux qu'a la tete de son regiment. A la hauteur de Melun, il rencontra la voiture de madame la dauphine qui revenait de Dijon ; cette princesse fit arreter les ehevaux , et demanda au due de Chartres des nouvelles de Paris : « Je n'ai pu «y penetrer, repondit le jeune prince, mais « j'ai vu de loin Hotter le drapeau tricolore sur « tous les edifices. — Et le roi ? — Je crois qu'il est « a Saint-Cloud, et moi je vais rejoindre mon re- ef giment. — Vous nous le garderez, reprit la prin- «cesse. — Je ferai mon devoir, » dit le jeune due. Et les deux illustres interlocuteurs se sepa- rerent. Le due de Chartres fit son entree dans Paris le 4aout, a la tete du i er de hussards, enseignes tricolores deployees. Le lieutenant general, ac- compagne du due de Nemours, alia a sa rencontre jusqu'a la barriere du Trone, passa le regiment en revue, et revint par les boulevards au milieu de ses deux fils. La duchesse d'Orleans etait au Palais - Royal ; elle attendait le due de Chartres avec toute l'impatience d'une mere. Apres avoir fait mettre son regiment en bataille sur la place du palais, ce prince monte precipitamment sur la terrasse ou sa famille etait reunie , et se jette dans les bras de sa mere, dont la foule applaudit et partage les transports. Quelques moments apres , un fourgon de la LE PALAIS-ROYAL. 3oO, cour entre au Palais - Royal ; il renfermait les diamants de la couronne , que ramenait de Ram- bouillet le peuple de juillet en armes. Le fourgon etait suivi de six voitures du roi attelees cha- cune de huit chevaux , et surchargees d'une foule de Parisiens tenant a la main , les uns des sabres ou des fusils , les autres des branches d'arbres. Pour conserver les diamants de la couronne, ils avaient voulu leur servir eux-memes d'escorte , et n'avaient demande pour prix de leur desinte- ressement et de leur loyaute, que le plaisir d'etre ramenes a Paris dans les voitures de la cour ! Cette satisfaction obtenue, et des que le due d'Orleans leur eut fait dire que le lendemain il donnerait audience a trois d'entre eux, ils con- duisirent paisiblement les diamants au garde- meuble , et les voitures aux ecuries du roi. Le 7 aout, le Palais -Royal devait etre temoin d'une scene aussi touchante que majestueuse. Apres avoir arrete la declaration par laquelle la Chambre offrait la couronne au lieutenant ge- neral, les deputes, precedes de la garde nalio- nale, se rendirentau Palais-Royal, ou ils furent recus dans la grande salle de la Psyche par le due d'Orleans entoure de toute sa famille. M. Laf- fitte prit la parole pour lire au prince la decla- ration de la Chambre qui se terminait par ces mots : 3lO RESIDENCES ROY ALES. a La Chambre des deputes declare enfin que « l'interet universel et pressant du peuple fian- ce cais appelle au trone S. A. R. Louis -Philippe « d'Orleans , due d'Orleans, lieutenant general « du royaume , et ses descendants a perpetuite , « de male en male, par ordre de progeniture, et « a l'exclusion perpetuelle des femmes et de leur « descendance. « En consequence , S. A. R. Louis -Philippe « d'Orleans , due d'Orleans , lieutenant general « du royaume, sera invite a accepter et a jurer « les clauses et engagements ci-dessus enonces, « l'observation de la Charte constilutionnelle « et des modifications indiquees, et apres l'avoir « fait devant les Chambres assemblies, a prendre « le titre de Roi des Francais. » Apres cette lecture, le due d'Orleans repondit en ces termes : « .Te recois avec une profonde « emotion la declaration que vous me presentez ; « je la regarde comme l'expression de la volonte « nationale, et elle me parait conforme aux prin- ce cipes politiques que j'ai professes toute ma vie. cc Rempli de souvenirs qui m'avaient toujours cc fait desirer de n'etre jamais destine a monter cc sur le trone , exempt d'ambilion et habitue a c< la vie paisible que je menais dans ma famille, cc je ne puis vous cacher tous les sentiments qui cc agitent mon cceur dans cette grande conjonc- cc ture ; mais il en est un qui domine tous les LE PALAIS-ROYAL. 3ll « autres, c'est l'amour de mon pays; je sens ce « qu'il me prescrit, et je le ferai. » Son Altesse Royale etait profondement emue : son discours s'acheva dans les larmes. Les cris devive le roi! vive la reine! eclaterent dans l'en- ceinte du palais et furent repetes par les mille voix du peuple qui se pressait dans les cours. Le soir meme , a dix heures , la Chambre des pairs, ayant a sa tete M. le baron Pasquier, vint au Palais-Royal presenter au due d'Orleans son hommage et son adhesion a la declaration de la Chambre des deputes. « Messieurs, leur repondit « le due d'Orleans , vous me temoignez une con- « fiance qui me touche profondement. Attache « de conviction aux principes constitutionnels , « je ne desire rien tant que la bonne intelligence « des deux Chambres. Je vous remercie de me « donner le droit d'y compter ; vous m'imposez « une grande tache, je m'effbrcerai de m'en mon- « trer digne. » Cet elan national fut solennellement consacre le 9 aout , a la Chambre des deputes , dans la seance ou , apres avoir prete serment , le due d'Orleans fut proclame roi des Francais , sous le nom de Louis-Philippe J er r . 1 « Premier ou second , disait une femme du peuple, peu importe : ce qu'il faut, c'est qu'il soit numerote , afin de ne pas le perdre. » 3l2 RESIDENCES ROY ALES. De ce moment, accoururent en foule de tous les points de la France des deputations empres- sees de concourir par leur assentiment au grand acte des Chambres , et de saluer la royaute de juillet ; et toutes rapportaient dans leurs depar- tements l'heureuse impression que leur avail laissee l'accueil populaire du nouveau roi et l'eloquence patriotique de ses reponses. Chaque soir, le jardin et les cours du Palais- Royal etaient le rendez-vous de tout Paris : on venait y entendre la musique de la garde nationale ; on venait y saluer de ses accla- mations la famille royale. Quelquefois meme une fete improvisee se melait a ces brillantes reunions : ainsi, le 6 octobre i83o, jour anni- versaire de la naissance du roi, les gardes na- tionaux formant le poste du Palais-Royal de- manderent la permission d'offrir un bouquet a Sa Majeste ; et le lendemain , lorsque la garde montante arriva au Palais-Royal , chaque garde national avait un bouquet d'immortelles dans le canon de son fusil. Elle se mit en bataille dans la grande cour; la garde descen- dante y etait aussi sous les armes , ainsi que la cavalerie de la garde nationale et le poste des troupes de ligne. Le roi entoure de ses cinq fils , tous portant l'uniforme de la garde na- tionale , s'empressa de les passer en revue ; la LE PALAIS-ROYAL. 3l3 reine et les princesses parurent sur la terrasse , et furent accueillies avec enthousiasme. Cependant l'Europe, d'abord emue par le fait immense de la revolution de juillet, commenca a se rassurer en presence de la tranquillite qui regnait dans le pays, et de la haute sagesse qui presidait a ses destinees. Deja l'Angleterre 1 s'etait empressee de recon- naitre le roi des Francais. Au mois de septembre , le baron de Fagel , envoye extraordinaire du roi des Pays-Bas ; le baron de Koennerilz , ministre plenipotentiaire du roi de Saxe ; Au mois d'octobre, le baron de Werther, mi- nistre de Prusse; le baron Pfeffel, ministre du roi de Baviere ; M. de Treitlinger , envoye de Saxe-Weimar; le prince de Castelcicala , ambas- sadeur du roi des Deux-Siciles , M. Rumpff, mi- nistre resident des villes anseatiques; le comte Loewenhielm, ministre de Suede et de Norwege; 1 Le general Beaudrand avait ete envoye aupres du roi d'Angleterre, dont la reponse fut toute gracieuse ; et le i er septembre, lord Stuart presenta ses lettres de creance au roi Louis-Philippe , en qualite d'ambassadeur de la Grande- Bretagne. Le 5 du meme mois , M. le prince de Talleyrand etait choisi pour aller a Londres en qualite d'ambassadeur du roi des Francais. . 3 I 4 RESIDENCES ROYALES. le comte de Mulinen , ministre de Wurtemberg ; l'archeveque de Beryte, M. Lambruschini, nonce du saint-siege ; M. le comte d'Appony, ambassa- deur de l'empereur d'Autriche ; M. de Riviere, envoye de l'electeur de Hesse; le comte d'Ofalia, ambassadeur d'Espagne; le general major de Juel, envoy e du roi de Danemark ; M. Berlinghieri , ministre du grand-due de Toscane ; le comte de Sales, ambassadeur du roi de Sardaigne; Au mois de novembre, M. Oertlhing, ministre dugrand-ducdeMeklembourg-Schwerin;M. Rives, ministre des Etats-Unis ; le comte de Grote, en- voye du roi de Hanovre ; Enfin, le 6 Janvier i83i , le comte Pozzo di Borgo , ambassadeur de l'empereur de Russie , presentment au roi , dans la salle du trone du Palais-Royal, les Iettres qui les accreditaient au- pres de la monarchic de juillet. Les premiers beaux jours de la royaute n'a- vaient pas ete tout a fait exempts des embarras inseparables d'une nouvelle couronne x ; mais le 1 Les conditions du gouvernement representatif ren- daient deja fort difficile de recomposer un cabinet quand le ministere etait en dissolution. Un des enfantements ministeriels les plus laborieux fut celui du 3 novembre i83o. Les candidats ne manquaient pas : MM. C. Porier, Laffitte, Gerard, Sebastiani , Mole, Montalivet , Dupin, Guizot, de Broglie, le baron Louis,, Dupont de 1'Eure, LE PALAIS-ROYAL. 3l5 proces des ministres vint les obscurcir en re- veillant les passions politiques , et plus d'une fois lemeute gronda aux approches du Palais- Royal. Ainsi, pendant la nuit du iSoctobre, repoussee de Vincennes par l'energie de Dau- mesnil , elle \int assieger de ses hurlements la demeure du roi, qui, impassible au milieu des tourmentes populaires , descendit dans la cour au milieu de la foule , pour remercier la garde nationale de sa conduite ferme et devouee. Apres le jugement des ministres, une colonne des eleves de l'Ecole poly technique, de l'Ecole de droit et de l'Ecole de medecine s'etait rendue sur la place du Palais - Royal. Une deputation fut envoyee pour sollicker l'honneur d'etre admise devant le roi et de lui exprimer les veri tables sentiments des Ecoles. Le roi l'accueillit avec Maison , Barthe , Merilhou , reunissaient sans doute assez de talents et de courage pour former un excellent cabinet; mais le moyen de mettre d'accord tant d'esprits divers, sur- tout dans des circonstances aussi penibles ! Un jour, le roi y travaillait en conseil depuis neuf heures du matin, et cinq heures et demie venaient de sonner On demande le roi; il sort un instant, et quand il rentre, plus de ministres ! ils s'etaient tous sauves , laissant leurs porte- feuilles, qu'ils n'avaient nulle envie de reprendre; et ce ne fut qu'a neuf heures du soir que Ton put ramener les graves fugitifs dans la salle du conseil. 3l6 RESIDENCES ROYALES. interet ; et s'etant place au balcon du Palais- Royal , il fut salue de tous les eleves par les cris reiteres de vive le roi ! respect a la loi ! liberie et ordre public ! Le roi descendit ensuite , visita tous les pos- tes , parcourut les rangs de la garde nationale , des troupes de ligne et les groupes des citoyens; et le soir, chaque fois que les feux des bivouacs allumes dans la cour eclairaient sa presence, des acclamations eclataient de toutes parts, et semblaient le remercier de ce qu'un sang inu- tile n'avait point terni la purete de la revolution de juillet. Cette revolution avait eu un rapide et gene- reux retentissement a Bruxelles , et la Belgique vint , comme une sceur , demander a la France un de ses princes pour la gouverner, et cimen- ter ainsi de nouveau l'alliance de deux peuples si longtemps unis. C'est le 17 fevrier i83i , a midi , que la deputation du congres beige , char- gee d'offrir la couronne au due de Nemours, se rendit au Palais-Royal I : 1 Elle etait composee de messieurs : Le baron Surlet de Choquier, president ; C. Lehon (aujourd'hui ministre de Belgique a Paris); Comte d'Arschot; Comte Felix de Merode ; LE PALAIS-ROYAL. 3 1 "J Deux aides de camp du roi la recurent au haut du grand escalier, pour la conduire dans le pre- mier salon, oil l'attendait M. le ministre des af- faires etrangeres , qui l'introduisit dans la salle du trone. Le roi la recut , place sur son trone , ayant a sa droite M. le due d'Orleans et a sa gauche M. le due de Nemours. S. M. la reine etait presente ainsi que LL. AA. RR. les princes ses fils , les princesses ses filles , et la princesse Adelaide, sceur du roi. Les ministres et les aides de camp du roi entouraient le trone. M. Surlet de Choquier, president du congres, prononca un discours, apres lequel il donna lecture de l'acte du congres qui proclamait roi des Beiges S. A. R. Louis-Charles-Philippe d'Or- leans , due de Nemours. Le roi repondit a la deputation : « Messieurs , « Le vceu que vous etes charges de m'apporter « au nom du peuple beige, en me presentant l'acte Comte de Brouckere ; Gendebien pere ; L'abbe Boucqueau; Marquis de Rhodes ; Barthelemy ; Marlez. 3l8 RESIDENCES ROYALES. « de l'election que le congres national vient de « faire de mon second fils , le due de Nemours, cf pour roi des Beiges, me penetre de sentiments « dont je vous demande d'etre les organes aupres « de votre genereuse nation. Je suis profonde- « ment touche que mon devouement constant a « ma patrie vous ait inspire ce desir, et je m'en- «. orgueillirai toujours qu'un de mes fds ait ete « l'objet de votre choix. « Si je n'ecoutais que le penchant de mon « coeur et ma disposition bien sincere a deferer « au vceu d'un peuple dont la paix et la prospe- « rite sont egalement cheres et importantes a la « France , je m'y rendrais avec empressement. « Mais quels que soient mes regrets , quelle que « soit l'amerlume que j'eprouve a vous refuser « mon fils , la rigidite des devoirs que j'ai a rem- « plir m'en impose la penible obligation , et je « declare que je n'accepte pas pour lui la cou- « ronne que vous etes charges de lui offrir. « Mon premier devoir est de consulter avant « tout les interets de la France, et par consequent « de ne point compromettre cette paix que j'es- « pere conserver pour son bonheur , pour celui a de la Belgique et pour celui de tous les Etats « de TEurope, auxquels elle est si precieuse et « si necessaire. Exempt moi-meme de toute am- « bition , mes voeux personnels s'accordent avec LE PALAIS-ROYAL. 3lO, « mes devoirs. Ce ne sera jamais la soif des con- « quetes , ou l'honneur de voir line couronne « placee sur la tete de mon fils, qui m'entraine- « ront a exposer mon pays au renouvellement « des maux que la guerre amene a sa suite , « et que les avantages que nous pourrions en « retirer ne pourraient compenser , quelque « grands qu'ils fussent d'ailleurs. Les exemples « de Louis XIV et de Napoleon suffiraient pour « me preserver de la funeste tentation d'eriger « des trones pour mes fils et pour me faire pre- « ferer le bonheur d'avoir main tenant la paix , a « tout l'eclat des victoires que, dans la guerre, la « valeur francaise ne manquerait pas d'assurer a « mes glorieux drapeaux. «Que laBelgique soitlibre et heureuse! qu'elle « n'oublie pas que c'est au concert de la France « avec les grandes puissances de l'Europe qu'elle « a du la prompte reconnaissance de son inde- « pendance nationale! et qu'elle compte toujours « avec confiance sur mon appui pour la preserver « de toute attaque exterieure ou de toute inter- « vention etrangere I ! Mais que la Belgique se 1 S. M. Louis-Philippe lui tint parole, lorsque , le 4 aout 1 83 1, il donna, par le telegraphe, l'ordre de faire entrer 5o,ooo hommes en Belgique, dont l'independance etait menacee par le prince d'Orange. 32 O RESIDENCES ROY ALES. r garantisse aussi du fleau des agitations intes- « tines, et qu'elle s'en preserve par 1'organisation « d'un gouvernement constitutionnel, qui main- « tienne la bonne intelligence avec ses voisins « et protege le droit de tous en assurant la fidele « et impartiale execution des lois. Puisse le nou- « veau souverain que vous elirez consolider vo- ce tre surete interieure, et qu'en meme temps son « choix soit pour toutes les puissances un gage « de la continuation de la paix et de la tranquil- « lite generale ! Puisse-t-il se bien penetrer de « tous les devoirs qu'il aura a remplir ! et qu'il « ne perde jamais de vue que la liberie publique « sera la meilleure base de son trone, comme le « respect de vos lois, le maintien de vos institu- « tions et la fidelite a garder ses engagements , « seront les meilleurs moyens de le preserver de « toute atteinte, et de vous affranchir du danger « de nouvelles secousses ! « Dites a vos compatriotes que tels sont les « vceux que je forme pour eux, et qu'ils peuvent « compter sur toute Faffeclion que je leur porte. « lis me trouveront toujours empresse de la « leur temoigner , et d'entretenir avec eux ces « relations d'amitie et de bon voisinage qui « sont si necessaires a la prosperite des deux « Etats. » Depuis le roi de Naples, le Palais -Royal ne LE PALAIS-ROYAL. 5l I recut de tete couronnee que l'empereur don Pe- dro, prince brave, aventureux, et trop tot ravi a l'amour de son peuple et de son armee. Ce qui excita au plus haut point sa surprise en nieme temps que son admiration , ce fut la garde natio- nale et la revue du 28 juillet i83i. II ne pouvait concevoir que l'Etat fut assez riche pour entre- tenir une armee si magnifiquement tenue, et il fallut presque des serments pour lui persuader que cette belle milice s'equipait et s'armait a ses frais. Le roi se plaisait au Palais -Royal : cetait le palais de ses peres, le lieu de sa naissance, son sejour de predilection , le berceau de la royaute de juillet. ... La raison d'Etat fut invoquee ; la politique triompha des affections, et le i er oc- tobre i83i,le roi et la famille royale quitterent cette residence pour aller habiter le Palais des Tuileries. ii COLLECTION DES TABLEAUX DU PALAIS-ROYAL 1 . INDICATION DES PIECES OU ILS SONT PLACES. APPARTEMENT DU ROI \ SAXON DES AIDES DE CAMP. Pbilippe-Auguste avant la bataille de Bouvines; par Blondel. Guillaume Tell s'elancant hors du bateau de Gessler, sur le lac des Quatre-Cantons ; par Steuben. 1 L'auteur a publie la description et la lithographie de tous ces tableaux dans la Galerie d'Orleans, 2 vol. in-folio. * Au haut du grand escalier. 21. 324 COLLECTION DES TABLEAUX Laurent de Medicis, entoure de sa famille et des hommes celebres deson temps; par Mauzaisse. Abdication de Gustave Wasa ; par Hersent. La victoire de Marathon annoncee dans Athe- nes; par Couder. Jules-Cesar se rendant au senat, le jour ou il fut assassine ; par Abel de Pujol. Vue de la ville d'Alexandrie et de la colonne de Pompee ; par le comte de Turpin de Crisse. Vue du Parthenon, a Athenes; par le meme. Halte de voyageurs orientaux sur les ruines de Palmyre; par le meme. Portrait d'Elisabeth-Charlotte de Baviere, du- chesse d'Orleans , mere du Regent ; par Hya- cinthe Rigaud. Portrait du Ratchef Dahouth (officier de mame- luks); par Girodet. DU PALAIS-ROYAL. 3a 5 SALLE d'aUDIENCE 1 . Portrait du due d'Albe; par Van-Dyck. Id. d'Anne-Marie-Louise d'Orleans , M" e de Montpensier, fille de Gaston, due d'Orleans ; par Mi guard. Id. de Louise-Marie-Adelaide de Bourbon, ducbesse d'Orleans, mere du roi Louis-Pbilippe ; par M lle Grossard. Id. de Louis-Francois de Bourbon, prince de Conty. Id. de Marie-Anne de Bourbon , mademoi- selle de Clermont. Id. d'Henri Ruze-Coiffier, marquis de Cinq- Mars ; par le Nain. Id. de Louis-Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse. Id. du cardinal de Ricbelieu; par Philippe de Champaigne. Id. du cardinal Mazarin ; par le meme. 1 C'est du haut du balcon de cette salle, qui donne sur la cour voisine de la place du Palais-Royal , que, le 7 aoiit i83o, le due et la duchesse d'Orleans presenterent leurs enfants au peuple qui les accueillit avec transport. 326 COLLECTION DES TABLEAUX Vue prise en Auvergne; par Gue. Vue de l'etang et du chateau de Pierrefond, dans la foret de Compiegne ; par Regnier. Tableau de fleurs et de fruits; par Van-Os. Interieur du convent des Petits-Augustins, a Pa- ris ; par Truchot. Interieur de la cour de 1'eglise de Saint-Pierre, pres de Calais ; par Gassies. Madame de la Valliere, au couvent des Carme- lites^ au moment ou , par son ordre , on enleve de sa cellule le portrait de Louis XIV ; par Granet. Vue de l'arc de Titus, a Rome; par M. Fontaine. Vue de Caen ; par Gudin. Portrait de Marie Dubois (etude); par Court. Un jeune Turc : etude plus grande que nature , peinte par Girodet, et terminee par Gros. La Folle par amour; par Horace Vernet. Paysanne romaine ; par le meme. Tete de Tydee ; par Girodet. Un petit Bacchus ; par M lle Duvidal. Prelresse druide, improvisant aux sons de la harpe; par Horace Vernet. La jeune mere; par Steuben, DU PALAIS-ROYAL. 3a 7 PETIT CABINET DU ROI. C'est la que se tenait habituellement le due d'Orleans. S. A. avait pare ce cabinet de divers souvenirs qui lui etaient chers: des portraits de sa femme et de sa sceur, de quelques dessins de madame la duchesse d'Orleans ; de fleurs peintes par S. A. R. la princesse Adelaide, et d'une vue de Malte, ou mourut le comte de Beaujolais. On remarque aussi le trou fait par une balle dans un des carreaux de la croisee; cette balle fut tiree pendant les journees de juillet, au mo- ment ou Ton se battait sur la place du Palais- Royal; mais ce palais fut respecte par le peuple, comme etant le sejour du due d'Orleans. 3*8 COLLECTION I)ES TABLEAUX GRAND CABINET DU ROI l . Portrait du general Dumouriez; par Albrier. id. de Marie-Therese de Savoie-Carignan , princesse de Lamballe. id. de Napoleon; par Mauzaisse. id. de Louis XIV. id. de madame de Stael ; par Gregorius. id. de Marie-Amelie, reine des Francais;par Gerard, id. de Frederic II, roi de Prusse ; par Fan Loo. id. de Jean-Jacques Rousseau ; par Gerard, id. de Louise-Marie-Adelaide de Bourbon , duchesse d'Orleans, mere du roi; par mademoiselle Grossard. id. d'Antoine- Marie -Philippe -Louis d'Or- leans,duc de Montpensier, filsdu roi; par Hersenl. (Peint en petit auver- gnat.) id. de Louis-Philippe-Joseph, due d'Orleans, pere du roi ; par Nattier. 1 C'est I&,sur le canape bleu pres de la cheminee, que fu- rent discutes et arretes les principaux articles de la Charte de i83o. DU PALAIS-ROYAL. 32g Portrait de Francois II , roi de France ( copie d'a- pres Porbus ). id. du connetable de Montmorency ; par Corneille de Lyon. id. d'Henriette-Marie de France, reine d'An- gleterre. id. d'Henri IV, roi de France. id. d'Henri III , roi de France. id. d'Henri II , d'Albret , roi de Navarre. id. de Louis XI. id. de Cromwell. id. de Jeanne d'Albret, reine de Navarre. id. de Whasinglon ; par le Paon. id. de Charles IX, roi de France. id. de saint Louis , roi de France. id. de Louis-Philippe, due d'Orleans. id. de Gaston-Jean-Bapliste de France, due d'Orleans ; par Van-Dyck ( donne par le roi d'Angleterre). id. de Charles-Quint ; par Holbein. id. d'Isabelle de Portugal; par le merae. id. d'Eleonore d'Autriche, reine de France. id. de Catherine de Medicis, reine de France. id. de Louis XIII, roi de France. id. de Francois I er , roi de France. id. d' An toine - Philippe d'Orleans, due de Montpensier , frere du roi ; par ma- dame la comtesse de Totl. 33o COLLECTION DES TABLEAUX Portrait de Louis -Charles d'Orleans, comte de Beaujolais , frere du roi. id. d'Henri II , roi de France. id. d'Antoine de Bourbon , roi de Navarre. id. du general Foy ; par Horace Fernet. id. de Stanislas Girardin ; par le raeme. id. de Gustave Wasa. Dans le cabinet qui serf de communication avec la piece qui suit , se trouvent les Portraits de Charles XII , roi de Suede, de Louis XVIII , roi de France, de madame de Montesson j par madame Lebrun. de Turenne ; par Mignard. DU PALAIS-ROYAL. 33 1 CHA.MBRE A COUCHER DU ROI. Portrait de Leopold l er , roi des Beiges. id. de la reine des Beiges, Louise d'Orleans, fille du roi. Une marine; par Roqueplan. Vue prise dans les environs de Grenoble; par Guerard. Vue du chateau de l'OEuf, a Naples ( clair de lune ); par M. de Turpiri de Crisse. Le Marchand de tisane ; par Boillj. Un Grec en grand costume; par Sablet (le fond du tableau represente une ville asia- tique dans un effet de nuit). 33a COLLECTION DES TABLEAUX SALON DEPENDANT DE LANCIEN APPARTEMENT DE M. LE DUC DE CHARTRES. Interieur de la chapelle Minutolo , dans la cathe- drale de Naples; par Lemasle. Interieur de la chapelle du Calvaire, dans l'eglise de Saint-Roch , a Paris ; par Boulon. La Mort de saint Antoine ; par Granet. Interieur d'un cacliot du fort Saint-Jean, a Mar- seille; par le due de Montpensier. Vue du pavilion de Gabrielle, a Charenton ; par Petit. Paysage ou Ton voit une caleche a six chevaux , dans laquelle se trouvent madame la duchesse d'Orleans, douairiere, et d'autres personnes; par Petit. Louis- Henri -Joseph de Bourbon, prince de Conde; par M. de Boisfremont. Portrait de Louise- Adelaide d'Orleans, abbesse de Chelles, fille du regent. Portrait de Galilee. Vue du chateau de Windsor; par Daniell. Vue de Gibraltar. DU PALAIS-ROYAL. 333 Vue de la facade du chateau de Neuilly, du cote de l'avenue ; par Crepin. Portrait d'Anne -Marie -Louise d'Orleans, Made- moiselle de Montpensier; par Mignard. 334 COLLECTION DES TABLEAUX GALERIE DE L ANC1EN APPARTEMENT DE LA BIBLIO- THEQUE DE M. LE DUC DE CHARTRES r . (Faisant face au Cafe de la Regence. ) Vue du pare de Sceaux. La Jarretiere de la Mariee ; par Vigneron. line Cuisiniere appretant des legumes ; par Genod. Vue du tombeau de Servilien ; par mademoi- selle Sarazin. Un Musulman ; par Michalon. L'Ermite de 1'ile d'Ischia , pres de Naples ; par le meme. Mazzocchi , brigand de l'Etat romain ; par le meme. Paysanne romaine , filant au fuseau ; par le meme. Interieur d'une cuisine italienne ; par Granet. ' C'est dans cette piece que fut arrete, en 1793, le comte de Beaujolais , a 1' instant ou il prenait une lecon de son precepteur. DU PALAIS-ROYAL. 335 CABINET DES MEDAILLES , a cdte de la bibliotheque. Vue interieure du Museum de Paris ; par Maillot. Le Trois-mats X America (marine); par Gudin. Une chaise de poste arretee par des voleurs , au point du jour; par Duclaux. Vue du jardin de la maison de Beaumarchais et du corps de garde du boulevard St-Antoine, par un temps de neige; par Bouhot. Portrait de Charles I er , roi d'Angleterre. Portrait de Marion Delorme. Tableau representant la famille du due de Pen- thievre. Les personnages qui composent ce tableau sont, en commencant par la gauche : i° Louis-Marie de Bourbon, due de Penthievre; i° Louis-Alexandre-Joseph-Stanislas de Bourbon, prince de Lamballe ; 3° Marie-Therese de Savoie-Carignan , princesse de Lamballe ; 4° Louise-Marie- Adelaide de Bourbon (made- moiselle de Penthievre), duchesse d'Orleans, mere du roi ; 336 COLLECTION DES TABLEAUX 5° Marie -Victoire -Sophie de Noailles, comtesse de Toulouse. Portrait de Louis-Philippe, due d'Orleans. Portrait de Louise-Henriette de Bourbon-Conti, duchesse d'Orleans. Portrait de Sumrou Begom, princesse de Sal- dan a , souveraine de l'lnde. (Ce portrait, peint dans le pays , a ete envoye a S. M. Louis- Philippe par cette princesse , comme un hommage de son admiration pour le roi des Francais.) DU PALATS-ROYAL. 33^ GRAND SALON DES GRAVURES T , a c6te, de. la bibliotheqiu ». Psyche et 1' Amour; par Picot. Grand paysage ; par Baltard. (Sur le devant de ce tableau est represente Meleagre, qui vienl d'etre tue par un sanglier. — La figure de Me- leagre est peinte par Gerard.} La mort d'Hippolyte ; par Court. Vue du cours du petit bras de la Seine et de son entree dans le pare de INeuilly ; par Bidault. Vue de la pelouse et des saules devant la facade du chateau de JNeuilly; par Joanriis. Les fureurs de Saul calmees par les chants de Da- vid ; par Gros. 1 (Test la que le roi a reuni sa magnifique collection de portraits graves, qui s'elevent au nombre de a5 niille. IX 338 COLLECTION DES TABLEAUX GALEHIE HISTORIQUE l . Le cardinal de Richelieu disant la messe dans la chapelle du Palais-Royal, alors Palais-Cardinal ; par Delacroix. Fondation de l'academie francaise. — Richelieu recevant au Palais -Cardinal les premiers aca- demiciens (fevrier i635); par Heim. Le cardinal de Richelieu , sur son lit de mort, fait donation de son palais a Louis XIII (1642); par Drolling. Le cardinal de Retz arrivant au Palais -Royal suivi d'une foule immense qui reclame a grands cris la liberte du conseiller Broussel (1648); par E. Deveria. 1 Cette galerie, toute de la creation de S. M. Louis-Phi- lippe , servait aux bals de famille : on y dressait aussi un theatre les jours ou madame la duchesse d'Orleans faisait venir au Palais-Royal les acteurs du Vaudeville ou du Gym- nase. A cote des tableaux on y remarque plusieurs statues, et notamment celle de Talma, dans le role de Leonidas, au moment ou il s'ecrie : « Vous resterez dcbout, rochers des Thermopyles! » DU PALAIS- ROYAL. 33o, Le cardinal de Relz ayant ete admis pres de la reine Anne d'Autriche, demande que le con- seiller Broussel soil mis en liberte , ce que la reine refuse (1648); par Scheffer. Le parlement s'etant rendu en corps au Palais- Royal, demande a la reine Anne d'Autriche la liberte du conseiller Broussel, ce que la reine accorde (1648); par Steuben. Arrestation du prince de Conde, du prince de Conty et du due de Longueville, au Palais-Royal (i65o); par H. Fernet. Anne d'Autriche fait voir au peuple son fils en- dormi (i65i); par Mauzaisse. Entree de Mademoiselle de Montpensier dans la ville d'Orleans (i65a); par A. Johannol. Philippe de France, due d'Orleans, Monsieur, vient prendre possession du Palais-Royal ( 1 692); par Monvoisin. Le premier president du parlement vient au Pa- lais-Royal prendre les ordres du due d'Orleans, regent, pour la tenue du lit de justice de Louis XV (7 septembre 17 15); par Smith. La duchesse d'Orleans lit sur le balcon du Palais- Royal le bulletin de la victoire d'Hastenbeck (1757); par A. Johannot. Le due d'Orleans se casse le tendon d'AcliiUe , en dansant au bal qu'il donna au roi de Da- nemark au Palais-Royal (1768); par E. Deveria. '2 2 . 34o COLLECTION DES TABLEAUX Franklin , ministre plenipotentiaire des Etals- Unis d'Amerique, est presente, au Palais-Royal, a Louis-Philippe, due d'Orleans (1778); par Steuben. Incendie de l'Opera, au Palais-Royal, en 1 781; par Cottereau. Camille Desmoulins , arborant la cocarde verte dans le jardin du Palais-Royal, excite lepeuple a prendre les armes et a se former en milice nationale ("1789) ; par //. Veniet. La Patrie en danger. — Enrolements volontaires sur la place du Palais-Royal ( 1 792) ; par Debar . Axrestation du comte de Beaujolais, au Palais- Royal (1793); par Mauzaisse. Napoleon visitant le Palais-Royal (1807); par Blondel. Dissolution du Tribunat (1807); par Gassies. Louis-Philippe, due d'Orleans, arrive au Palais- Royal ( 1 8 1 4) ; par Gosse. Arrivee de Louis-Philippe, due d'Orleans, au Pa- lais-Royal, le 3o juillet i83o; par H. Fernet. Louis-Philippe, due d'Orleans, lieutenant general du royaume , sort du Palais -Royal pour se rendre a l'hotel de ville (3i juillet t83o); par H. Vernet. Declaration de la Cliambre des deputes presen- DU PALAIS-ROYAL. 34 1 tee, au Palais-Royal, au due d'Orleans , lieu- tenant general du royaume (7 aout i83o); par Heim. Reception des deputes du Congres national de la Belgique, au Palais-Royal (17 fevrier i83i); par Gosse r . 1 Cette galerie historique a ete lithographiee et publiee par l'auteur, en un vol. in-fol. 3/| i COLLECTION DES TABLEAUX GALERIE DES BIJOUX Portrait de Marie-Amelie , reine des Francais;par Gerard. Portrait de Philippe V, roi d'Espagne. Un enterrement dans un village ; par Robert. Portrait des enfants de Louis -Philippe I er , roi des Francais ; par mademoiselle Godefroj. Vue des mines du theatre de Taormina et du mont Etna ; par Michallon. Vue du mont d'Or; par Gue. Une Femme pleurant sur les ruines de sa mai- son , a la suite d'un tremblement de terre ; par Leopold Robert. Les trois Ages de l'homme ; par Gerard. Portrait du connetable de Bourbon ; par Fra- gonard. 1 Ainsi nommee du cabinet des bijoux, qui la separe de la galerie historique, et ou se trouve une table petrifiee trouvee a Randan, chateau de S. A. R. madame la princesse Adelaide. Elle fait face a la cour d'honneur, ainsi que les deux galeries qui la suivent. DH PALAIS-ROYAL. 343 Vue de l'interieur de l'eglise Saint - ISicolas , a Boulogne-sur-Mer ; par Gassies. Portrait de S. A. R. madame la princesse Adelaide d'Orleans ; par Gerard. Portrait de madame de Maintenon ; par Testelin. Portrait de Marie-Adelaide de Savoie, duchesse de Bourgogne. Portrait de Louis-Philippe, due d'Orleans; par madame Lebrun. Portrait d'Anne-Louise-Benedicte de Bourbon , duchesse du Maine. Portraits de Charles-Louis de Baviere et du prince Rupert, son frere, comtes palatins du Rhin. Portrait de Louis XIII ; par Philippe de Cham- paigne. Portrait de Ferdinand IV , roi des Deux-Siciles. Portrait de Philippe, due d'Orleans, regent; par Rigaud. 344 COLLECTION DES TABLEAUX GALERIE UES BATAILLES. Bataille de Jemmapes : par H. Fernet. Bataille de Valmy ; par H. Fernet. Bataille d'Hanau ; par H. Fernet. Bataille de Montmirail ; par H. Fernet. Vue du Port du Bac , sur le petit bras de la Seine, dans l'interieur du pare de Neuilly; par Michallon. Vue des Cotes de la regence d'Alger ; par Gudin. Vue du Pavilion de la grille du Ponceau, prise dans le pare de Neuilly ; par Bertin. Vue de la Regence d'Alger; par Gudin. Vue de Grenoble; par Gudin. La Mort de Masaccio, peintre florentin du quin- zieme siecle; par Couder. Vue d'Unterseem , village Suisse (effet de nuit); par Daguerre. Convoi d'Isabeau de Baviere ; par Truchot. Vue de Falaises , au bord de la mer , par un temps de brouillards ; par Gassies. Le due d'Orleans passant la revue du i er regi- ment de hussards (Bercheny), en Janvier 181 5; par //. k ernet. DL PALAIS-ROYAL. M\5 V ue du cap Nord ; par Crepin. Vue de l'Hospice du mont Saint-Gothard ; par H. Vernet. Vue d'un Camp de Lapons; par Ronmj. Le due d'Orleans au college de Reichnau ; par H. Vernet. Paysage representant une chute d'eau ; par Storelli. Vue de San-Germano , dans le royaume de Na- ples ; par Bidauld. Vue du Cours du petit bras de la Seine , dans le pare de Neuilly, prise du pont de File Capaheu ; par Watelet. Deux vaches dans une prairie. — Site de Hollande; par Verboeckhoven. Portrait de Philippe, due d'Orleans, regent; par Senterre. Portrait de madame de Parabere ; par Senterre. Mentor enlevant Telemaque a Eucharis ; par Morwoisin. L'Ermite des mines; par Bouton. 346 COLLECTION DES TABLEAUX SALON (lit SALON ROUGE '. Cuirassier blesse conduisant son cheval ; par Gericault. Guide de l'armee d'ltalie; par Gericault. 1 II s'appelait salon de la Psyche, lorsque le charmant tableau de Picot en faisait le principal ornement. C'est dans celte piece que M. Laffitte vint, le 7 aout i83o, a la tete des deputes, offrir, au nom de la Chambre, la cou- ronne a Monseigneur le due d'Orleans. IHI PALAIS-ROYAL. 3^7 APPARTEMENT 1)E S. A. R. MADAME LA PRINCESSE ADELAIDE, SOEUR DU ROI. I Cr SALON. (Sur Vavant-cour du palais.) Confession d'un brigand, aux environs de Rome; par H. Fernet. Le Serment des Trois Suisses; par Steuben. Le Roi Louis-Philippe, en colonel de hussards, et ses deux fils aines ; par Hersent. Le Due d'Orleans , en costume d'artilleur ; par Decaisne. 348 COLLECTION DES TABLEAUX 11 C SALON. Vue des Ruines d'une eglise a Cesaree; par M. le comte de Forbin. Un Pasteur de l'Etat romain ; par Schnetz. Le Roi , en colonel de hussards ; par Hersent. Maria Grazia , femme d'un brigand de l'Etat romain , cachant son enfant dans une grotle, dans la crainte d'etre surprise; par Schnetz. Abjuration de Galilee ; par Triquetti. Une Marine ; par Gudin. Mademoiselle de Montpensier devant Orleans ; par A. Johannot. DU PALAIS-ROYAL. ^49 GALERIE 1 . (Sur la rue Saint-Honore.) Un Pay sage. Portrait deM. Pieyre, auteur de l'Ecole des Peres et secretaire des commandements de S. A. R. madame la princesse Adelaide ; par Gregorius. Portrait de Louis -Philippe -Joseph , due d'Or- leans. Portrait du due de Chateau-Villain. Mademoiselle de Montpensier ecrivant ses nie- moires; par Dccaisne. Jeune Page se parant de vieilles armures; par Laurent. Interieur de la sacristie de l'abbaye de Saint- Wandrille, en JNormandie; par Bouton. 1 A la suite de cette galerie se trouve le cabinet de madame la princesse Adelaide , qui s'est plu a y reunir plusieurs portraits curieux : e'est madame de Montespan , sous les traits et dans l'attitude de la Madeleine du Correge; e'est le Roi dans sa jeunesse, avec lapoudre et le costume du temps; e'est madame la duchesse de Bourbon, sa (ante, peinte par elle-meme ; e'est monseigneur le prince de Join- ville enfant; et plusieurs autres miniatures que la prin- cesse aimait a voir reunies sous ses yeux. 35o COLLECTION DES TABLEAUX. Vue de l'escalier du Vatican ; par Malbranclu >.. Des Charlatans parlant au peuple. — Scene d'a- pres nature , a la foire de Grotta Ferrata, dans l'Etat romain ; par mademoiselle Lescot. Interieur d'une Salle mauresque; par True ho t ; (les figures par Xavier Leprince). Vue de la cascade de Terni , dans l'Etat romain; par Michallon. Cendrillon revenue du bal et endormie au coin de son feu ; par Laurent. PIECES JUSTIFICATIVES. A. LES BARRICADES. Je veux chanter les barricades Et les populaires boutades Dont tout Paris fut alarme , Quand le bourgeois arme Donna de si belles vezardes A nos soldats des gardes, Et fit voir que le batelier Est dangereux sur son paillier. Raconte moy, muse grotesque, D'ou vient cette humeur soldatesque; Apprens moy de ses mouvemens Quels furent les commencemens, Et quel succez eut la furie De la nouvelle Jacquerie. Depuis tantost cinq ou six ans , 35 f 2 PIECES JUSTIFJCATIVES. L'avarice des partisans, Traitans, soutraitans, gens daffaire , Race a nostre bonheur contraire, Pilloit avec impunite Les biens du peuple en liberte, Et, sous pretexte du tariffe, Rien ne sechappoit de leur griffe. Ce mal nous alloit devorant , Et comme on voit un torrent Tombant du sommet des montagnes, Se repandant sur les campagnes, Etendre partout sa fureur, Porter la crainte et la terreur Dans les villes et les villages, Ainsi l'excez de leurs pillages, Comme celuy de leur pouvoir Nous reduisoit au desespoir, Quand le bon demon de la France Touche de voir nostre souf'france, Fit que, perdant le jugement , lis se prirent au Parlement. La paulette fut la machine Qui fut destinee pour sa ruine , Et le piege que Ion tendit Aux officiers certain edit Lequel mettoit en apparence Leurs offices en asseurance. On demandoit par cet arrest, Comme par maniere de prest, Quatre anne'es de tons leurs gages; PIECES JUSTIFJCA.T1VES. 353 Mais lorsque Ion vint aux suffrages, II parut et non sans raison Dessous le miel quelque poison, Dont la liqueur estoit mortelle A la sante de l'escarcelle. En mesme temps de tous costez Des autres corps les deputez Attaquez de pareilles craintes, Arrivent, parlent, font leurs plainles Contre la persecution, Implorent la protection De ceux qu'ils appelent leurs peres, Disent l'estat de leurs miseres , Et que sans doute ils sont perdus Si par eux ne sont defendus, Demandant que chacun s'unisse Pour resister a l'injustice, Et remonstrer conjointement A la Reyne ce traitement. h'union tres fort balottee Ne fut pas d'abord arrestee ; Les registres sont apportez Et soigneusement consultez. On lit , on voit , on examine La loy civile et la divine : Mais enfin pour conclusion Les voix furent a Xunion ; Les partisans par cette voye Voyans evanouyr leur proye Et leur fonds estre diverty, 23 354 PIECES JUSTIFICATTVES. Duquel ils avoient fait party, Et s'il faut dire quel que avarice , Baptisent cecy d'insolence , Qui fait breche a l'authorite De la royale majeste , Ainsi qu'aux droits de la couronne. De tous costez cecy resonne , Et le conseil faict un edict Qui l'union leur interdit ; Le parlement demeurant ferme , Et la chose estant en ce terme , On mit, par avis du conseil, Au mal un second appareil. Et pour dissiper cet orage , Quelques gens furent mis en cage ; Si Ion fit mal , si Ton fit bien , Je m'en rapporte et n'en scay rien , Et pour dire vray ne me pique De me connoistre en politique, Car en ce mestier le hazard A souvent la meilleure part : Aux nouvelles de cette prise , La Bazoche fut fort surprise; Ce mal, au lieu de se calmer, Parut de nouveau s'allumer : On s'assemble , on crie , on proteste Qui jure, qui gronde, qui peste; Quelqu'un parle plus hautement Et se plaint du gouvernement , J'entends celuy de la finance : PIECES JUSTIFICATIVES. 355 Pour l'autre on garde le silence ; C'est bien assez de le penser , De peur de se trop avancer. Cependant la Reyne regente , Comme elle est sage et tres-prudente , Voulant a cecy promptement Trouver quelque temperament, Remit , pensant calmer l'affaire , La Paulette a son ordinaire ; Fit revenir les exilez De la frontiere rappellez : Mais defendit aux compagnies De se trouver encore unies, Puisque leur remettant le prest , Elles estoient hors d'interest. Neantmoins messieurs des Enquestes, Dont aucuns sont de fortes testes Et d'ordinaire, a dire net, L'ont assez proche du bonnet , Furent d'opinion contraire : L'un dit : « Messieurs , c'est un mystere ; Si nous cessons d'estre assemblez, Dans trois jours nous sommes sanglez : Nos biens de mesme que nos vies Releveront de ces harpies ; Enfin, ce n'est pas d'aujourd'hui Qu'on dit : Ce qu'il te fait, fais luy. Machiavel , grand politique , Qui des cours avoit la pratique , Dans son damnable art de regner *3. *5t) PIECES JUSTIFICATIVE^. Ne l'a sceu que trop enseigner ; Toutes les faveurs apparentes Sont des marques tres-evidentes Du venin cache la-dessous. Helas , messieurs , souvenez-vous De Sinon, du cheval de Troye, Comme Ilium fut mis en proye Et le vieil Priam peu ruse, Sous un faux cheval abuse. Permettez que je vous le die , Tout cecy n'est que comedie ; En deux mots voicy mon advis , Si mes sentimens sont suivis : Messieurs , avant que toute autre chose , Afin d'affermir nostre cause Qui n'est pas sans besoin d'appuy, Nous conclurons tous aujourd'huy Que Ton soulage la canaille ; Quon remette un quart de la taille ; Que de nos pais desolez Les intendans soient rappelez ; Que les eleus , bien que vermine , Exercent au moins pour la mine, Soient remis en leurs fonctions : C'est par de telles inventions Que le peuple, prompt et volage, Se meut , se conduit et s'engage ; Quand le peuple sera pour nous , Sans doute qu'on filera doux. Mais si nous manquons cette voye , PIECES JUSTIFICATIVES. 35^ Quelque temps calme que je voye , J apprehende fort l'inlerdit, Songez-y bien. Messieurs, jay dit. » Lors chacun parlant a l'oreille Avec son voisin se conseille : Faut-il le croire ? se dit-on ; L'un dit qu'ouy, l'autre que non ; Tel est d'opinion diverse; L'un la suit, lautre la traverse; L'un dit que c'est trop attente, L'autre, la seule seurete. Cette venerable consulte Avoit fort de lair dun tumulte ; Et comme nous voyons souvent, Lorsque Ion chasse a mauvais vent , Que des voix de divers meslange Font aux vieux chiens prendre le change , Ou confus dans un si grand bruit , Pour suivre les voyes de la nuit , Encor' que parmy cette emeute Les presidens, chefs de la meute, D'abord ne donnassent les mains, Tous leurs obstacles furent vains. Sans fruit les vieillards s'opposerent ; Enfin les frondeurs l'emporterent, Et, suivant leur intention, L'on se tient a la jonction. D Emery , contre son attente , Trouva la fortune changeante; Par des conseils accomodans 358 PIECES JUSTIFICAT1VES. On revoqua les intendans. La Reyne mesme, a ce qu'il rne semble, Trouve fort bon qu'on s'assemble; Gens de palais et gens de cour Ont conference a Luxembourg; Le due d'Orleans , fils de France , Au parlement prit sa seance , Et le feu , loin de s'embraser , Paroissoit quasi s'apaiser, Alors que la prison nouvelle Du bon-homme monsieur Brousselle , Riche d'honneur et pauvre de biens , Arma tous ses concitoyens. Ce fut au temps que la victoire Amoureuse de notre gloire Fit a Lens, ainsi qu'a Rocroy , Triompher nostre jeune Roy De ces redoutables cohortes Qui sembloient menacer nos portes j L'illuslre prince de Conde , Par son courage seconde , Avec ses troupes , comme un foudre y. Mit tous les escadrons en poudre , Et les suivant jusqu'a Doiiay , Vengea la perte de Gourtray : Chacun benissoit sa prouesse, Tout estoit remply d'allegresse ; Mais comme un beau jour d'este Plein de lumiere et de clarte , Le ciel, se couvrant de nuage, PIECES JLSTIEICATIVES. 35g Change le beau temps en orage , Et des ruisseaux font une mer, Nostre plaisir devient amerj La joye en nos coeurs preparee Ne fut pas de longue duree : De tout temps nos roys tres-pieux, Par un zele devotieux, Quand le ciel a beny nos armes Et la valeur de nos gendarmes , Vont, en cortege solennel, Rendre graces a l'Eternel , Dedans le temple ou Ton revere Le nom de sa tres-chaste mere. Les gardes , des le point du jour Assemblez au son du tambour , Dans le Marche Neuf se logerent Et sur le Pont Neuf se posterent; Quand la Reyne estant de retour , Un bruit s'epand tout a l'entour Que Ton avoit pris lebonhomme, Que le peuple son pere nomme : L'un dit : On l'a mene par la , L'autre cecy , l'autre cela ; Le murmure eschauffe les biles Des batteliers , gens mal dociles , Et chacun s'arme aux environs Qui de crocs , et qui d'avirons , De cailloux , de pics et de peles , De bancs, de treteaux, d'escabelles, De barres de fer , de leviers , 36o PIECES JUSTIFICATIVES- De grez que Ion prend aux laviers. Ce peuple, farouche et fantasque , Jure, maudit, peste, renaque; Tout est plein de confusion , D'horreur et de sedition; Des plaintes on vient aux murmures, Aux cris , aux fureurs , aux injures , Et les soldats du regiment Repoussez assez brusquement, Voyans leur partie trop mal faite, Firent une prompte retraite , Et dans ce bizarre combat Quelques-uns sont mis au grabat. Le peuple fait les barricades, Les poursuivant avec bravades; De tous costez on fait grand bruit , On court, on s'avance, on fuit, Macons, cliarpentiers , alchimistes, Imprimeurs , relieurs , copistes , Garcons de postes et de relais , Colporteurs et clercs du Palais , Tailleurs, pages d'apotiquaires, Maquignons, ecorcheurs, libraires, Fourbisseurs , charrons, batteliers, Crocheteurs, doreurs, ecoliers, Crieurs de noir et d'eau de vie, Moutardiers et vendeurs d'oublie, Crieurs de passement d'argent, Assistans, recors et sergent, Meneurs de bacquets et broiiettes, PIECES JUSTIFICATTVES. 36 1 Marqueurs, enfans de la raquette, Porte-chaires , passeurs de bac, Vendeurs de pipe et de tabac, Cureurs de puits et de gadoue, Cbartiers qui menent la boue, Marescbaux , forgerons, celliers, Par tout s'epandent par milliers : Aux halles les fripiers s'armerent, Et les bourgeois se cantonnerent, Aupres aussi bien comme loin, Sur le quay, sur le port a foin; Chacun son compagnon reclame, Fourbit son mousquet et sa lame, Et jure sans cesse morbieu, Prend l'hallebarde ou quelque epieu. Cette martiale journee Par la nuit ne fut terminee, Car ces gens, a n'en mentir point, Estoient braves au dernier poinct. Le lendemain la belle aurore Les trouva tous armes encore, Et comme ils n'avoient pas dormy, Remplis de vin plus qu'a demy. De ce jus leur ame eschauffee Se promettoit quelque trophee : Le cbancelier a ce matin, Conduit par son mauvais destin, Portoit a la cour souveraine Un ordre envoye par la Reyne: On luy crie : Demeure la ; 36'Jl PIECES JUSTIFICATIVES. Lny surpris de ce qui va la , Terme ordinaire de milice Peu cognu aux gens de justice, Les ayant appelez mutins, Gagna le quay des Augustins : Le peuple s'emeut dans la rue, Le suit , le claubaude , le hue : Le chancelier fendit le vent, Le peuple le va poursuivant, Et quelque gent fiere et mutine Investit l'hostel de Luyne , Rompt la porte de la maison. L'un en sa main tient un tison , Un chenet, une lichefrite, Le couvercle d'une marmite; lis jurent tous qu'il en mourra Et que rien ne le sauvera. Les gardes viennent a la file 5 D'abord la canaille fait gile : Mais survint a cet accident Le mareschal surintendant , Toujours fier comrae son espee Au sang des ennemis trempee, Dont il occit un crocheteur Qui n'estoit la que spectateur, Excitant sur lui mainte pierre, Qui pensa le jetter a terre, Et d'Ortis arrivant soudain Prit le chancelier par la main, Que la cronique medisante PIECES JUSTIFICATIVES. 363 Dit qu'il avoit froide et tremblante ; Et ce grand ministre d'Estat Eschappe de cet attentat , Crainte de pareille bourasque Avec la vitesse d'un Basque Alia chercher sa seurete Au palais de Sa Majeste. « Madame, ces mauvais copistes Des conseils machiavelistes , Qui seduisent vostre douceur Eloignant de nous vostre coeur; Par des raisons imaginaires , Au bien de vostre Estat contraires , Vous disans pour leur interest La chose autrement quelle n'est : Mais las ! il nest plus temps de feindre,. Tout s'emeut, le peuple est a craindre. Dieu quel peuple ! un grand peuple arme, De rage, de fureur anime, Qui met son salut en ses armes! » Lors quelques veritables larmes, Quoy que disent les envieux, Parurent couler de ses yeux. Puis avec la mesme eloquence Avec une entiere asseurance II poursuit : « Ne craignez pas , Madame , de faire un faux pas , Cedant comme il est necessaire A la fureur du populaire. Quand le vent agile les Hots 304 PIECES JUSTIFJCA.TIVES . Les plus babiles matelots , Pour se garantir du naufrage, Par un conseil prudent et sage, Au lieu de resister au vent Calent la voile bien souvent. En accordant a nos prieres La liberte de nos confreres j Le peuple a le mesme desir, II n'y a pas lieu de choisir ; Je crainds que perdant l'esperance , II n'en vienne a la violence; Ce sont des cbevaux echapez, D'ardeur et de fougue emportez, Dont la fureur choque et ren verse , Et devant elle tout disperse, Faciles a s'effaroucher , Difficiles a rapprocher. Songez bien que cette journee Doit faire nostre destinee; Que pour le salut de l'Estat , II faut terminer ce debat; Et qua des troupes bien armees , D'un juste pretexte animees , Les canons tous prests a tonner, Refuser tout, c'est tout donner. » La Reyne pleine de sagesse , Dissimulant avec adresse, Luy repartit et accorda , Non pas tout ce qu'il demanda , jtylais seulenient une partie, PfKCES JUSTIFICATIVES. 365 Dont la populace avertie, Quand ils sortirent les poursuit , Se plaint , murmure , et fait grand bruit. Le parlement tres-estonne De ce succez inespere , Voyant que ces ames vulgaires Traittoient ainsi leurs titulaires , Fait de necessite vertu , Et de divers soins combattu , Deux a deux , en belle ordonnance , Vers le Palais Royal s'avance. Le peuple redouble ses cris , Les plus hardis se trouvoient pris Pesle mesle avec la canaille ; Le soldat se met en bataille; On murmure, on parle, on discourt, Dans l'anti-chambre et dans la cour : Ainsi ces messieurs arriverent , Et par le grand degre monterent. Chacun se rangeant a l'entour , S'enquiert d'ou vient ce prompt retour. L'un disoit, faisant grize mine, Le retour vaudra bien matine : L'autre, d'un gracieux maintien , Croyezmoy, ce ne sera rien : Et chacun , selon son genie , Rioit ou n'en rioit mie. Comme le mal estoit pressant , Que le danger alloit croissant , On resolut sans plus attendre, 366 PIECES JUSTIFICATTVES. De relacher et de les rendre, Chevaux et coches attellez, Et proches parens appellez : On s'achemine en diligence Droict au Menil Madame Ranee, Ou Brousselle estoit arrive. Geux qui furent de ce coste Passerent avec plus de peine Que ceux qui estoient a Vincenne. Apres avoir fait maint detour , Quand la nuit eut chasse le jour , Sentirent sur eux pesle mesle Tomber des caillous une gresle , Qu'en la rue des chiffonniers On jettoit du haut des greniers, Toute la populace emeue Crioit demeure, tue, tue, tue, Et dans ce populaire effort Tout leur representoit la mort. Demeurer , e'est chose mortelle , De reculer point de nouvelle. Mais le Couldray se resolut, Ainsi que le bon Dieu voulut , De leur faire une tentative. On luy crie de loin , qui vive ? Vive le Roy ; ce n'est assez : Vive le parlement ; passez. Qui estes-vous gens des enquestes ? Favorables a vos requestes , Amis , qui pour vous secourir PIECES JUSTIFICA.TTVES. ^67 Hazarderons jusques au mourir, Tout de bon n'en faites nul doute. Messieurs, de nuit on ne voit goute, Mais d'aller ainsi sans flambeau, Morbieu cela n'est bon ny beau , C'est affronter le corps de garde; Pour vous nous n'y prenons pas garde , A Nosseigneurs tout est permis , Et vous estes de nos amis. Eux echappez de la deroute Suivent pareillement la route , Et firent si bien leur devoir, Que Blanc-Mesnil vint des le soir. Cependant nos nouveaux gendarmes Ne voulurent poser les armes , Ny rentrer dans leurs maisons ; lis alleguent mille raisons , Disant que Tun les veut surprendre , Qu'il se prepare un grand esclandre , Que Ion pretend les renfermer Dans Paris pour les affamer, User envers eux de finesse , Boucher le chemin de Gonesse , Qu'il n'y a rien pour le certain De si long comme un jour sans pain , Et qu'ils y donneront bon ordre. Tout Paris est plein de ce desordre, De terreur, de crainte et d'effroy, Sans neantmoins scavoir pourquoy. La nuufse passe de la sorte, 368 PIECES JUSTIFICATIVES. Sans souffrir que personne sorte De la ville dans le faubourg. Quand le soleil fut de retour, Quelques gens arriverent en foule, Qui disoient que proche du Roulle, A Boulogne et aux environs , Paroist quantite d'escadrons > Qu'ils en ont vu bien pres de mille. Le peuple a s'alarmer facile Prend cela pour argent comptant, Et s'en trouble tout a l'instant, Gronde , tempeste, s'effarouche, Dit ce qu'il lui vient a la bouche , Et tout lui devenant suspect, Parlant sans crainte et sans respect , Que ce malheur est sans remede, Et que la reyne de Suede , Konigsmar et le loup garou Ont pris leur quartier a Sainct-Clou. Quelqu'un dit qu'il a vu la Seyne De monstres marins toute pleine , Qui ont en main le coutelas , Conduits par le poisson Colas, Et qu'il y a parmi ces bestes Quelque chimere a cent testes. Le peuple qui croit et leger , Et qui ne craint que le danger , Dit que cela pourroit bien estre , Que mesmement devant Bissestre II paroist des magdaleons PIECES JUSTIFICA.TTVES. 36g Montez sur des cameleons; Que Ton y voit des bypogrifes, Des cavaliers ou hieroglyfes , Qu'entr'eux mesmes sur un dragon On recognoist le roi Hugon , Qui pour leur ruine certaine Est parti de Tours en Touraine; Que ceci n'est point vision , Et qu'ils sont plus dun million. La ville a cette renommee De nouveau se voit rallumee , Et quelque vin dessus le jeu , Dont ils avoient pris plus qu'un peu , Faisoit que les gens venerables Estoient de raison peu capables, Quand a neuf heures du matin On vit au faubourg Sainct-Martin , Arriver par bonne aventure, Monsieur Brousselle et sa voiture. Ce retour fut un coup du ciel ; Le peuple deposant son fiel, De deux costez se range en haye. Mais pourtant craignant une baye Veut voir le bon homme chenu , Qui de force gens n'est cognu. Aussi tost qu'il monstie la teste , Chacun , son harquebuze preste , Son mousquec et son poitrinal , Fait une salue en general. Par tout le cry se renouvelle: Vive le Roy, vive Brousselle ! »4 37O PIECES JUSTIFICATIVES. Quatre cens hommes a l'instant Le conduisent tambour battant, Et le pronienent par les rues : Les chaines furent detendues , Tous les tonneaux sont renversez , Mais non les soupcons effacez; II est conduit en la grande chambre , Ses compagnons furent le prendre : Ensuite un arrest est donne, Par lequel il est ordonne A chacun d'ouvrir sa boutique , Les clercs reprendre leur pratique, Mousquets remis aux rateliers , Macons prets a leurs atteliers, Les chartriers a leurs charettes, Les vinaigriers a leurs brouettes , Les mareschaux a leurs marteaux, Porteurs d'eau prennent leurs seaux, Les charpentiers la besague , Et la magnifique cohue Tout doucement se separa , Chacun chez soy se retira ; A la cour, ainsi qua la ville, Tout parut remis et tranquille ; Chacun reprit sa belle humeur. Ainsi finit cette rumeur. Je ne scaurois vous f'aire entendre S'il y a du feu sous la cendre ; Mais sans pousser l'affaire au bout , Nostradamus et Dieu surtout ! PIECES JUST1FICATIVES. 3^1 B. MARHGJ' DE PHILIPPE DE FRANCE, MONSIEUR, AVEC HENRIETTE ANNE d'anGLETERRE. Extrait cles registres des actes de manage de la paroisse Saint-Eustache, a Paris. Le mercredi trentiesme jour de mars mil six cent soixante et un, dans la chapelle du chasteau du Palais- Royal, situe dans nostre paroisse, furent faictes, par- devant monseigneur Daniel de Gosnac, evesque et comte de Valence et de Die, de nostre consentement et en nostre presence, les fiancailles de tres hault et tres puissant prince Philippe, fils de France, due d'Orleans, frere unique du roy, de la paroisse de Sainct-Germain- de-1'Auxerrois, et de tres haulte et tres puissante prin- cesse Henriette-Anne d'Angleterre , soeur unique du roy de la Grande-Bretagne , nostre paroissienne; et le lendemain trente-uniesme dudict mois, fut solennise le mariage desdicts seigneur et dame, dans la chapelle dudict chasteau, par ledict seigneur Evesque, en nostre presence et de nostredit consentement , soubs le bon a4- 372 PIECES JUSTIFICATIVE!*. plaisir du roy, de la reyne mere de sa majeste, et de mondict seigneur le due d'Orleans; de la reyne re- gnante, de la reyne mere du roy de la Grande-Bretagne, et de madicte dame la princesse Henriette-Anne d'An- gleterre; en presence aussy de mademoyselle, de mes damoiselles d'Orleans, de monsieur le prince, madame la princesse , monsieur le due d'Enguien , et de plu- sieurs autres princes et princesses, seigneurs et dames de la cour : le tout avec dispense dun ban non pro- clame et du temps prohibe par l'eglise, en datte du vingt - huitiesme du present mois et an, signee de Contes, vicaire-general ; de monseigneur le cardinal de Retz, archevesque de Paris, Beaudoin, et scellee dudict sceau dudict archevesche , faisant lesdictes dis- penses mention dubref de nostre sainct pere le Pape, qui dispense les susdictes parties sur l'empeschement du second degre de consanguinite et autres. Signe LOUIS, Anne-Marie-Therese, Phi- lippe, Henriette-Anne, de Bauffremont, Antione (i), re Beaudeau, et Daniel de Cosnac , E. et C. de Valence et Die. (Expedition authentique de cet acte est aux archives du Palais-Royal.) 1 Ce nom est presque illisible sur l'original. pieces .TusTiFiCATivES. 37 3 c. FEVRIER 1692. JLettres-patentes du roy , porlant don par sa majeste a monsieur son frere unique, et a ses enfans males, du Palais-Royal, par augmentation d' apanage. ■ Louis, par la grace de Dieu, roi de France et de Navarre : a tous presens et a venir, salut. LTaffection singuliere que nous avons pour notre cher et tres aime frere unique Philippe, /lis de France, due d'Orleans, de Chartres, de Valois et de Nemours, nous portant a lui en donner des marques continuelles, nous avons resolu de lui accorder et delaisser , sous le titre et nature d'apanage, la maison et hotel du Palais- Cardinal et ses dependances, situe en notre bonne ville de Paris, rue Saint-Honore, donne au feu roi notre tres honore seigneur et pere , par feu notre cou- sin le cardinal due de Richelieu , afin que notredit frere et sa posterite masculine puissent y avoir un lo- gement qui reponde a la grandeur de leur naissance. A ces causes et autres considerations a nous mouvans . 374 PIECES JUSTIFICATIVES. nous avons donne, accorde, octroye et delaisse, don- nons, accordons, octroyons et delaissons par ces pre- sentes, signees de notre main, a notredit frere et a ses enfans males descendans de lui en loyal mariage, ladite maison et hotel du Palais-Cardinal , en toute son eten- due et consistance, tant en batimens, cours, logemens, jardins, eaux pour les fontaines, qu'autres dependanees, la place devant ledit Palais-Cardinal, et generalement tout ce qui nous appartient en ladite maison et hotel du Palais-Cardinal et dependanees, sans en rien reserver ni retenir, a l'exception des batimens qui nous ser- voient ci-devant de corps-de-garde, et de la partie de ladite place, qui se trouvent compris dans le grand dessin fait pour les batimens de notre chateau du Louvre : pour du tout jouir et disposer aux memes droits, autorites et privileges que du surplus de son- dit apanage, conformement a notre edit du mois de mars 1661, a commencer a entrer en jouissance du pre- mier du present mois de fevrier, sans qu'il soit besoin de faire aucune evaluation ou visitation dudit Palais- Cax'dinal et de ses dependanees, dont, pour bonnes raisons et considerations, nous avons dispense et dis- pensons notredit frere, imposant sur ce silence per- petuel a nos procureurs-generaux et autres nos officiers qu'il appartiendra ; permettons a notredit frere , et en tant que besoin est ou seroit, l'autorisons par ces pre- sentes de faire en ladite maison et Palais-Cardinal telles augmentations, ameliorations ou decorations que bon lui semblera; du prix desquelles, en cas de reversion, les heritiers de notredit frere seront rembourses par PIECES JLSTIFICATIVES. S^S nous, ou par nos successeurs rois : voulons et nous plait que nos officiers et autres personnes qui ont en leur possession les titres, papiers et enseignemens de ladite maison et Palais-Cardinal et ses dependances, les remettent incessamment dans les mains du procureur- general de notredit frere , a quoi ils seront contraint^ par toutes voyes. Si donnons en mandement a nos ames et feaux conseillers, les gens tenant nos cours de par- lement , chambre des comptes et cour des aydes a Pa- ris, presidens et tresoriers de France au bureau de nos finances audit lieu, et a tous autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra , chacun en droit soi, que ces presentes ils fassent lire , publier et registrer, et du contenu en icelles jouir et user notredit frere , ses en- fans et descendans males, pleinement et paisiblement, sans leur donner aucun trouble ni empechement : car tel est notre plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable a toujours , nous avons fait mettre notre seel a cesdites presentes, donnees a Versailles, au mois de fevrier l'an de grace mil six cent quatre-vingt-douze , et de notre regne le quarante-neuvieme. Signe LOUIS. Et sur le repli : Par le Roi , Philypeaux. Visa. — Signe Boucherat. Et scelle du grand sceau de cire verte , en lacs de soie rouge et verte. Registries, oui le procnreur-general du Roi, pour jouir 376 PIECES JUSTIFICATIVES. par Monsieur, ses enfans males et descendans de lui en loyal manage, de leur effet et conlenu, et etre executees selon leur forme et teneur, suivant V arret de cejour. A Paris, en parlement, le treize mars mil six cent quatre--vingt-treize. Signe Du Tiixet. PIECES JUSTIFICATIVES. 377 D. ETAT DU PALAIS-ROYAL, Eir 1 701, A LA MORT DE MONSIEUR, FRERE DE LOUIS XIV. Anlichambre ensuite de la salle des gardes de Son Altesse Rojale. Une tenture de tapisserie de Flandre. Antichambre a cdte de la chambre de S. A, R. Premiere antichambre du petit appartement ay ant vue sur la premiere cour du cdte de la rue Saint- Hono re. ■ Meubles, rideaux et portieres en damas cramoisi, a bandes de brocart d'or , argent et soie j grand lustre de eristal ; porcelaines de Chine. SjS PIECES JUSTIFICATIVES. Chambre dudit petit appartement. Rideaux et portieres de brocart dor et argent ; ta- pisseries de Bruxelles ; garniture de cheminee en por- celaines de Chine. . >.'L Cabinet attenant lattite chambre. Bureau en marqueterie , a eolonnes ; tapisseries d'Angleterre ; 4 tableaux representant les quatre elements. Premiere antickambre de l' appartement de S, A. R. Madame. SwowJe antickambre, Une tenture de tapisserie d'Angleterre representant des grotesques. Grand cabinet de Madame, donnant sur la, rue Saints Honore. Un tableau representant une sainte Famille. HtoS JUSTJFlCATIVliS. ^79 Petite galerie. Chambre de S. A, R. Madame. Chambre de feu S. A. R. Monsieur. Un tres-beau lustre; pliants et fauteuils de damas violet et blanc, garnis de dentelle d argent; un con- fessional couvert de velours rouge. Premier cabinet attenant la chambre de Monsieur. Quatre-vingt-six pieces de porcelaine de Chine; quinze pagodes , coffres de bois des lndes ; une pen- dule sonnante d'Angleterre , avec sa boite de bois de Grenoble; bibliotheque ; vingt - huit tableaux et mi- niatures. Second cabinet de S. A. R. Petite galerie a cdte dudit cabinet. Soixante-treize tableaux, parroi lesquels tm Teniers representant une fete de village, et deux tableaux de Boulogne l'aine, representant la naissance de Venus et celle de Jupiter; porcelaines de Chine. 38() PIECES JUSTIFICATIVES. Petit cabinet mi bout de ladite galerie. Treize tableaux de paysage en miniature, et deux cent seize autres petits tableaux representant differents sujets. Galerie des illustres , ajant issue sur le jardin du Palais-Royal. Lustres en cristal de roche ; porcelaines. Chape lie de Monsieur. Grand salon du grand appartement. Fauteuils et pliants par bandes de brocart or, ar- gent et velours ; garniture de cheminee de porcelaine ; coffres de la Chine ; trois lustres de cristal. Antichambre dudit grand appartement. Porcelaines de Chine ; pagodes j deux tableaux : un saint Francois et un paysage. PIECES JUSTIFICATIVES. 38 I Chambre du lit dudit grand appartement. Une pendule avec sa boite et son pied d'ecaille et d ebene ; un grand lustre de cristal de roche ; garniture de cheminee de porcelaine ; urnes ; jattes , etc. Salle d' audience dudit grand appartement. Tenture de tapisserie de damas bleu , a fleurs d'or ; rideaux de venitienne; urnes en porcelaine, et autres objets de Chine ; deux paysages ; un grand lustre , et plusieurs girandoles. Salon ensuite de ladite salle d'audience. Tables de la Chine ; pendule avec sa boite et son pied de marqueterie ; girandoles et lustres de cristal ; quatre groupes de bronze ; tenture de tapisserie de damas de Luc ; sofa de bois dore, garni de brocart d'or et argent ; fauteuils et pliants de meme etoffe ; ecran et paravent de la Chine. Petit cabinet a cdte dudit salon. Six tableaux representant divers personnages de la cour et d'autres ; des paysages et des scenes de village. 382 PIECES JUSTIFICATIVfiS. Cabinet a cdte. Six tableaux i parmi lesquels se trouve le portrait du cardinal Mazarin. Un aTriere-cabinet. Quatre armoires en bibliotheque de marqueterie , renfermant 4^2 volumes 5 un grand tableau represen- tant Moise au buisson , et huit autres tableaux divers sujets. Grande galerie neuve. Cinq grands tableaux : on y remarque la guerison du paralytique , le Seigneur chassant les marchands du temple \ sofas , fauteuils , banquettes , tabourets en velours fond d'or ; vingt-quatre girandoles de cris- ta! ; urnes et porcelaines ; grand nombre de consoles de bois dore^ groupes de bronze. Salon par bas. Quatre tableaux , dont un d'apres le Bassan. Grand cabinet de monseigneur le due d' Orleans , ajant vue sur le jardin. PIECES JUSTIFICATIVE*. 383 C/iambfe de madame la duchesse cCOHSans. Lit, rideaux et meubles a ramages velours Cramoisi, lisere dor et crepines d'or et argent j fauteuils et por- tieres de meme etoffe. Salle des bditis. Vingt-huit tableaux representant des dames; trente- cinq autres tableaux representant l'histoire d'Amadis. Une des ckambres de bains. Tableaux representant des dames de la cour. Autre vhambte a bain. Douze tableaux representant des histoires de la Genese. Appartement du sieur Milles , attenant les bains. Anticharnbre de V appartement de M. le chevalier de Lorraine. Douze tableaux representant divers sujets. Chambre dudit appartement. 384 PIECES JDSTIFICATIVES. Antichambre de V appartement de Mademoiselle. Deux tableaux. Chambre de mademoiselle de Valois. Deux tableaux de fruits. Chambre de Mademoiselle. Deux paysages. Portraits de dames de la cour ; une Descente de croix ; un saint Pierre et un saint Paul. Chambre de mademoiselle de Valois. Un port de mer. Salle de la galerie. Sept tableaux. Cabinet attenant. Neuf tableaux. Chambre Sept tableaux sur toile et sur bois. PIECES JUSTIFICATIVE*. 385 Cabinet a cote de ladite chambre. Trois tableaux religieux. Salon du pavilion au bout du mail. Grand cabinet de feu Monsieur. Un bureau de marqueterie ; une pendule d'Angle- terre ; lit de repos, fauteuils , pliants de brocart d'or et velours noir lisere de cordons d'or et d'argent ; ta- bourets, rideaux et portieres de meme etotfe, garnis de dentelles et de points d'Espagne. Vingt-quatre tableaux , divers sujets ; urnes et por- celaines. Oratoire. Cabinet attenani, appele le cabinet des bijoux. Beaucoup de bijoux et objets de fantaisie. Chambre de feu S. A. R. Tapisseries, rideaux , meubles et tentures or et soie. 386 PIECES JUSTIFICATIVES. Ckambre de S. A. It. Madame Cabinet de Madame. Tribune de la chapelle a cote dudii cabinet. Quatre tableaux religieux. Chambre d'audience. Salon entre la galerie et Vorangerie. Portieres , brocart fond argent et (Jamas cramoisi fauteuils et pliants de merae etof'fe. Grande galerie. Tabourets de bois dore , couverts de velours a ra- mages violet et cramoisi , ornes de cordons d'or. Cabinet da bout de la galerie, appele le salon de Diane. PIKC.ES JUSTIFICA.T1VES. 387 Galerie de VOrangerie. Meubles de Chine: bahuts, urnes, poreelaines. Salle de la Comedie. Vingt-cinq tableaux, divers sujets. Chambre atlenant le portique Deux tableaux religieux. Chambre attenant. Idem. Antichambre d' an petit appartetnent devriere lex cabinets de S. 1. R. Treize tableaux , divers sujets. Chambre audit appartetnent . Treize autres tableaux. a5. 388 PIECES .TUSTlFICATiVFS. Cabinet attenant. Dix tableaux , divers sujets , fruits et paysages. Chambre de madame la duchesse a" Orleans. Meubles soie et or ; garniture de cheminee en por- celaine. Chambre de monseigneiir le due d y Orleans. Tentures de damas violet et blanc, et brocart cou- leur de chair , a fond d'argent ; portieres de menie etoffe. Petit cabinet a cote de la chambre. Seize tableaux, divers sujets. Chambre desjilles d'honneur de S. A. R. Madame. Chambre basse au pied du grand cscalier, ayant vue sur la grande cour. Chambre de Monsieur le Prince. PIECES JUSTIFICA.T1VES. '5S() Ckambre de Mademoiselle de Montpensier. Tenture de tapisserie , fond blanc , a fleurs d'or et vert. Petite tour a cdte. Ckambre par das, appelee la ckambre de M. le chevalier de Loraine. Salle des Gardes. (haird)re du Roi. Petit cabinet. Grand cabinet de Romarin. Salle a manger. 3gO PIECES TUSTIFICATIVES. Chambre a cote , appelee la chambre de man- seigneur le Dauphin. Cabinet ensuite oil est la famille ctAngletem Cabinet oil est le billard. Chambre de Monsieur oil est la famille ctEspagne. Oratoire Chambre de Mademoiselle Cfiatnbre du balcon ajant vue sur la grande cour. Cabinet ensuite. Chambre auhaut da grand escalier pre s le garde - meuble ayant vue sur la grande cour. PIECES JUSTIFICATIVES. ?>9 I ( harnbre des fillcs dhonneur. Tour et une chambre a cote. Appartement du sieur Louis. Grande salle dad. chateau. Tour a cdte de la salle. Chapelle. Salle des Gardes. Tour a cote de la salle. Chambre au-dessus de lad. garde-robe dans la tour. Chambre de monseigneur le due ^Orleans a cdte de V antichambre ci-dessus designee. ^9 2 PIECES JUSTIFICATIYES. Salle a manger ensuite de lad. antichambrc Tour a cote de la salle. ( lianibre au-dessus. Grande chambre Tour de lad, chambre servant de cabinet. Chambre au-dessus du cabinet. Chambre de S. A. R. Madame. Cabinet de la chambre. Tour a cote de la gale He. Galerie. Tour cm bout de lad. galerie. IMKCES JUSTIFICATIVES. 3q3 / tie autre tour au bout de lad. terrasse. Chambre de S. A. R. Cabinet attenant lad. chambre. Huit tableaux , divers sujets. Grande salle du cote des fosses. Tabourets de bois, garnis de paille; deux lits de sangle, ou se tenaient les valets. Salle ajant vue sur les fosses. Entresol au-dessus de I'appartemenl de mon- seigneur le due d y Orleans . 3()4 PIECES JUSTIFICATIVE*. E. RENONC1ATION DE PHILIPPE V. « De mon propre mouvement, de ma libre, tranche et pure volonte, moi Dom Philippe, par la grace de Dieu, roi de Castille, etc. , etc., je renonce, p.'ir le present acte, pour toujours et a jamais, pour moi- meme et pour mes heritiers et successeurs, a toutes pretentions , droits et titres que moi ou quelques autres de mes descendans que ce soit, aient, des a present, ou puissent avoir, en quelque temps que ce puisse a lavenir, a la succession de la couronne de France; je les abandonne et m'en desiste pour moi et pour eux. « Je veux et consens, pour moi et mesdits descen- dans, que, des a present corarae alors, moi et mes descendans, etant exclus, inhabiles et incapables, Ton regarde ce droit comme passe et transfere a celui qui se trouvera suivre en degre immediat au roi , par la mort duquel la vacance arrivera.... de meme que si moi et mes descendans ne fussent jamais venus au monde. PIECES JUSTIFICATIVES. 3g5 « Je veux et consens pour moi-meme et pour mes descendans que , des a present comme alors , ce droit soit regarde et considere comme passe et transfere au due de Berry , mon frere , et a ses enfans et descen- dans males , nes en legitime mariage ; et , au defaut de ses lignes masculines, au due d'Orleans, mon oncle, et a ses enfans et descendans males, nes en legitime mariage , et ainsi successivement a tous les princes du sang de France. « Si, de fait, ou sous quelques pretextes, nous vou- lions nous emparer du royaume de France par la force des amies , faisant ou excitant une guerre offensive ou defensive, ye veux, des a present comme alors , qu'elle soit tenue , jugee et declaree pour illicite , injuste , mal entreprise , et pour 'violence , invasion et usurpation faite conlre la raison et contre la conscience ; et qu'au contra ire on juge et qualifie juste, licite et permise , celle qui sera faite et excitee par celui qui, au mojen de mon exclusion et de celle de mesdits enfans et descen- dans , devra succeder a la couronne de France : que ses sujets et naturels aient a le recevoir ■., a lui obeir, a lui prefer le serment et hommage de fidelite , comme a I cur roi et seigneur legitime, et a le servir. « J'engage de nouveau ma foi et parole royale, et je jure solennellement par les evangiles contenus en ce missel , sur lequel je pose la main droite , que j'obser- verai, maintiendrai et accomplirai le present ecrit et acte de renonciation , tant pour moi que pour tous mes successeurs, heritiers et descendans, dans toutes les clauses qui y sont contenues , selon la construction et 3g6 PIECES JUSTIFICATIVES. le sens le plus naturel , le plus litteral et le plus evi- dent; que je n'ai point demande ni ne demanderai point d'etre releve de ce serment ; et que si quelques per- sonnes particulieres le demandoient, ou que si cette dispense ni'etoit donnee motu proprio, je ne men servirai ni ne men prevaudrai, mais plutot en ce cas je fais un autre serment que celui-ci subsistera et demeurera toujours, nonobstant toutes dispenses qui m'auroient ete accordees. » PIECES JlTSTrFICATlVES. 97 LETTRES PATENTES DU ROI, Qui admettent les renonciations du rot a" Espagne, et qui suppriment les lettres patentee du moi's de decembre 1700, Doimccs a Versailles au tnois de mars 1713 , et enregistrees an parlement le i5du meme mois. louis, par la grace de dleu , roi de france et de Navarre, A tous presens et avenir, salut. Dans les differentes revolutions d'une guerre, ou nous n'avons combattu que pour soutenir la justice des droits du roi, notre tres-cher et tres-ame frere et petit-fils, sur la monar- chic d'Espagne, nous n'avons jamais cesse de desirer la paix. Les succes les plus heureux ne nous ont point ebloui, et les evenemens contraires dont la main de Dieu sest servie pour nous eprouver, plutot que pour nous perdre , ont trouve ce desir en nous , et ne l'y ont pas fait naitre. Mais les temps marques par la Providence divine pour le repos de l'Europe n'etoient pas encore arrives; la crainte eloignee, de voir un jour 3gB PIKCF.S JUSTIFICATIVES. notre couronne et celle d'Espagne portees par un raeme prince, faisoit toujours une egale impression j>ur les puissances qui s'etoient unies contre nous; et cette crainte, qui avoit ete la principale cause de la guerre, sembloit mettre aussi un obstacle insurmon- table a la paix. Enfin, apres plusieurs negotiations inutiles, Dieu , touche des maux et des gemissemens de tant de peuples, a daigne ouvrir un chemin plus sur pour parvenir a une paix si difficile ; mais les memes alarmes subsistant toujours, la premiere et la principale condition qui nous a ete proposee par notre tres-chere et tres-amee soeur , la reine de la Grande- Bretagne, comme le fondement essentiel et necessaire des traites, a ete que le roi d'Espagne notredit frere et petit-fils conservant la monarchic d'Espagne et des Indes, renoncat pour lui et pour ses descendans a perpetuite, aux droits que sa naissance pouvoit jamais donner a lui et a eux sur notre couronne; que reci- proquement notre tres-cher et ame petit-fils le due de Berry, et notre tres-cher et tres-ame neveu le due d'Orleans, renoncassent aussi pour eux et pour leurs descendans males et femelles a perpetuite, a leurs droits sur la monarchic d'Espagne et des Indes : notredite soeur nous a fait representer que, sans une assurance formelle et positive sur ce point, qui seul pouvoit etre le lien de la paix, l'Europe ne seroit jamais en repos, toutes les puissances qui la partagent etant egalement persuadees qu'il etoit de leur inter^t general et de leur svirete commune, de continuer une guerre dont personne ne peut prevoir la fin, plutot que d'etre PIECES JUSTIFICATIVES. 3c)9 exposees a voir le meine prince devenir un jour le maitre de deux monarchies aussi puissantes que celles de France et d'Espagne. Mais comnie cette prineesse, dont nous ne pouvons louer assez le zele infatigable pour le retablissement de la tranquillite generale, sentit toute la repugnance que nous avions a consentir qu'un de nos ent'ans si dignes de recueillir la succession de nos peres, en fut necessairement exclu, si les malheurs dont il a plu a Dieu de nous affliger dans notre famille, nous enlevoient encore, dans la personne du Dauphin notre tres-cher et tres-ame arriere-petit-fils, le seul reste des princes que notre royaume a si jus- tement pleures avec nous; elle entra dans notre peine, et apres avoir cherche de concert des moyens plus doux pour assurer la paix, nous convinmes avec notre- dite soeur de proposer au roi d'Espagne d'autres Etats inferieurs, a la verite, a ceux qu'il possede, mais dont la consideration s'accroitroit d'autant plus sous son regne, que, conservant ses droits en ce cas, il uniroit a notre couronne une partie de ces memes Etats, s'il parvenoit un jour a notre succession. Nous eniployames done les raisons les plus fortes pour lui persuader daccepter cette alternative. Nous lui fimes connoitre que le devoir de sa nais- sance etoit le premier qu'il dut consulter, qu'il se devoit a sa maison et a sa patrie, avant que d'etre redevable a l'Espagne; que s'il manquoit a ses premiers engage- mens, il regretteroit peut-etre un jour, inutilement, d'avoir abandonne des droits qu'il ne seroit plus en etat de soutenir. Nous ajoutames a ces raisons les 4(JO PIECES JUSTIFICATIVE. motifs personnels d'amitie et de tendresse que nous cmmes capables de le toucher; le plaisir que nous aurions de le voir de temps en temps aupres de nous, et de passer avec lui une partie de nos jours, comrae nous pouvions nous le promettre du voisinage des Etats qu'on lui offroit; la satisfaction de l'instruire nous-memes de l'etat de nos affaires, et de nous reposer sur lui pour l'avenir; en sorte que si Dieu nous conservoit le Dauphin , nous pourrions donner a notre royaume, en la personne du roi notre frere et petit-fils, un regent instruit dans Tart de regner, et que si cet enfant si precieux, a nous et a nos sujets, nous etoit encore enleve, nous aurions au moins la consolation de laisser a nos peuples un roi vertueux, propre a les gouverner, et qui re'uniroit encore a notre couronne des Etats tres-considerables. Nos instances, reiterees avec toute la force et toute la tendresse necessaires pour persuader un tils qui merite si juste- ment les efforts que nous avons faits pour le conserver a la France, n'ont produit que des refus reiteres de sa part, d'abandonner jamais des sujets braves et fide- les, dont le zele pour lui s'etoit distingue dans les conjonctures ou son trone avoit paru le plus ebranle; en sorte que, persistant avec une fermete invincible dans sa premiere resolution, soutenant meme qu'elle ctoit plus glorieuse et plus avantageuse a notre maison et a notre royaume, que celle que nous le pressions de prendre, il a declare dans lassemblee des etats du royaume d'Espagne, convoquee pour cet effet a Madrid, que, pour parvenir a la paix generale, et assurer la PIECES JUSTIFICATIVES. l^Q I tranquillite de l'Europe par l'equilibre des puissances, il renoncoit de son propre mouvement, de sa volonte libre, et sans aucune contrainte, pour lui, ses heritiers et successeurs , pour toujours et jamais, a toutes pre- tentions, droits et titres que lui 011 aucun de ses des- cendans aient des a present, ou puissent avoir, en quelque temps que ce soit a l'avenir, a la succession de notre couronne; qu'il s'en tenoit pour exclus, lui, ses enfans, heritiers et descendans, aperpetuite; qu'il consentoit pour lui et pour eux, que des a present comme alors, son droit et celui de ses descendans passat et flit transfe're a celui des princes que la loi de succession et l'ordre de la naissance appelle ou appellera a heriter de notre couronne, au defaut de notredit frere et petit-fils le roi d'Espagne et de ses descendans, ainsi qu'il est plus amplement specifie par l'acte de renon- ciation admis par les Etats de son royaume; et, en consequence, il a declare qu'il se desistoit specialement du droit qui a pu etre ajoute a celui de sa naissance, par nos lettres patentes du mois de decembre 1700, par lesquelles nous avons declare que notre volonte etoit que le roi d'Espagne et ses descendans conser- vassent toujours les droits de leur naissance ou de leur origine, de la meme maniere que s'ils faisoient leur residence actuelle dans notre royaume, et de l'enre- gistrement qui a ete fait de nosdites lettres-patentes , tant dans notre cour de parlement que dans notre chambre des comptes, a Paris. Nous sentons, comme roi et comme pere , combien il eut ete a desirer que la paix generale eiit pu se conclure sans une renon- a6 4o'Jfc PIECES JUST1FICATIVES. ciation qui fasse un si grand changement dans notre Maison royale, et dans l'ordre ancien de succeder a notre couronne; mais nous sentons encoi-e plus com- bien il est de notre devoir d'assurer promptement a nos sujets une paix qui leur est si necessaire. Nous n'oublierons jamais les efforts qu'ils ont faits pour nous dans la longue duree dune guerre que nous n'aurions pu soutenir, si leur zele n'avoit encore plus d'etendue que leurs forces. Le salut dun peuple si fidele est pour nous une loi supreme , qui doit l'emporter sur toute autre conside- ration. C'est a. cette loi que nous sacrifions aujourd'hui le droit dun petit-fils qui nous est si cher; et, par le prix que la paix generale coutera a notre tendresse, nous aurons au moins la consolation de temoigner a nos sujets qu'aux depens de notre sang meme, ils tiendront toujours le premier rang dans notre cceur. Pour cks causes et autres grandes considerations a ce nous mouvant, apres avoir vu en notre conseil ledit acte de renonciation du roi d'Espagne, notre tres-cher et tres-ame frere et petit-fils, du 5 novembre dernier, comme aussi les actes de renonciation que notredit petit-fils le due de Berry et notredit neveu le due d'Or- leans ont faits reciproquement de leurs droits a la couronne d'Espagne, tant pour eux que pour leurs descendans males et femelles : en consequence de la renonciation de notredit frere et petit-fils le roi d'Espa- gne, le tout ci-attache avec une copie collationnee des- dites lettrespatentesdumois dedecembre 1700,^0 us le contre-scel de notre chancellerie : de notre grace spe- PIECES JUSTIFICATIVE*. 4°3 ciale, pleine puissance et autorite royale, nous avons dit, statue et ordonne, et, par ces presentes signees de notre main,disons, statuons et ordonnons, vou- lons et nous plait, que ledit acte de renonciation de notredit frere et petit-fils le roi d'Espagne , et ceux de notre petit-fils le due de Berry, et de notredit neveu le due d Orleans , que nous avons admis et adinettons , soient enregistres dans toutes nos cours de parlement, et chambres de nos comptes de notre royaume et autres lieux ou besoin sera, pour etre executes selon leur forme et teneur; et en consequence voulons et enten- dons que nosdites lettres patentes du mois de decem- bre 1700 soient et demeurent nulles et comme non- avenues; qu'elles nous soient rapportees, et qua la marge des registres de notredite cour de parlement et de notredite chambre des comptes ou est lenregistre- ment desdites lettres patentes , l'extrait des presentes y soit mis et insere pour mieux marquer nos intentions sur la revocation et nullite desdites lettres. Voulons que conformement audit acte de renonciation de notre- dit frere et petit-fils le roi d'Espagne , il soit desormais regarde et considere comme exclus de notre succes- sion; que ses heritiers successeurs et descendans en soient aussi exclus a perpetuite et regardes comme inhabiles a la recueillir. Entendons qua leur defaut, tous droits qui pourroient en quelque temps que ce soit leur competer et appartenir sur notredite couronne et succession de nos Etats , soient et demeurent trans- feres a notre tres-cher et tres-ame petit-fils le due de Berry et ses enfans et descendans males, nes en 4o4 PIECES JUSTIFICA'flVES. loyai mariage j et suceessivement a leur defaut, a ceux des princes de notre maison royale et leurs descendans qui, par le droit de leur naissance et par l'ordre etabli depuis la fondation de notre monarchic, devront suc- ceder a notre couronne; si donnons en mandement a nos ames et feaux conseillers , les gens tenant notre cour de parlement a Paris , que ces presentes avec les actes de renonciation faits par notredit frere et petit- fils le roi d'Espagne, par notredit petit-fiis le due de Berry, et par notredit neveu le due d'Orleans, ils aient a faire lire , publier et registrer , et le contenu en iceux garder, observer et faire executer selon leur forme et teneur, pleinement, paisiblement et perpe- tuellementj cessant et faisant cesser tous troubles et empechemens, nonobstant toutes lois, statuts, us, coutumes, arrets, reglemens et autres choses a ce contraires, auxquels et aux derogatoires des deroga- toires y contenus , nous avons deroge et derogeons par ces presentes, pour ce regard seulement et sans tirer a consequence; car tel est notre bon plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable a toujours , nous avons fait mettre notre seel a ces dites presentes. Donne a Versailles, au mois de mars, Fan de grace i y 1 3, et de notre regne le 70*. Signe Louis : et plus bas, par le Roi : Phelippeaux. Visa, Phelippeaux : et scelle du grand sceau en cire verte sur lacs de soie rouge et verte. Et ensuite est ecrit : Lues et publiees l'audience tenant, et registries au PIECES JUSTIFICATIVES. ^oS gref'te de la Cour, oui et ce requerant le procureur- general du Roi, pour etre executees selon leur forme et teneur, suivant et conformement aux arrets de ce jour. A Paris, le quinzieme jour de mars mil sept cent treize. Signe Dongois. TABLE DES MATIERES. Pag. CHAPITRE I er . — Le Palais- Cardinal , . i CHAPITRE II. — Le Palais-Cardinal, deveftu Paldis- Royal sous la regence d'Anne d'Autriche. i 25 CHAPITRE III. — Le Palais-Royal habite par Hen- riette-Marie , reine d'Angleterre ..,..,. 7 3 CHAPITRE IV. — Le Palais-Royal sous Philippe de France, due d'Orleans (Monsieur), frerede Louis XIV. 81 CHAPITRE V. — Le Palais-Royal sous Philippe, due d'Orleans , regent 1 o3 CHAPITRE VI. — Le Palais-Royal sous Louis, due d'Orleans, fils du regent 14 1 CHAPITRE VII. — Le Palais -Royal sous Louis-Phi- lippe , due d'Orleans 147 CHAPITRE VIII. — Le Palais-Royal , sous Louis- Philippe-Joseph , due d'Orleans 17? CHAPITRE IX. — Le Palais-Royal depuis sa reu- nion au domaine de l'Etat. ... r . ............. . ao5 CHAPITRE X. — Le Palais-Royal sous Louis-Phi- lippe, due d'Orleans 214 CHAPITRE XL — Le Palais-Royal sous Louis-Phi- lippe l fcr , roi des Francais 297 COLLECTION DES TABLEAUX DU PALAIS-ROYAL. Appartement du roi. — Salon des aides de camp . . 32 3 Salle d'audieuce 32S Petit cabinet du roi ■. 327 /|08 TABLE DES MATIERES. Pag. Grand cabinet du roi 3a8 Chambre a coucher du roi 33i Salon dependant de l'ancien appartement de M. le due de Chartres 33a Galerie de l'ancien appartement de la bibliotheque de M. le due de Chartres 334 Cabinet des medailles 335 Grand salon de gravures 337 Galerie historique 338 Galerie des bijoux 34a Galerie des batailles 344 Salon dit salon rouge 346 Appartement de s. a. r. madame la princesse Adelaide, soeur du roi. — Premier salon 347 Deuxieme salon « 348 Galerie 349 PIECES JUSTIFICATTVES. Lettre A. — Les barricades 35 1 Lettre B. — Mariage de Philippe de France, Monsieur, avec Henriette-Anne d'Angleterre 371 Lettre C. — Lettres paten tes du roi , portant don par Sa Majeste a Monsieur, son frere unique, et a ses en- fants males, du Palais-Royal, par augmentation d'a- panage. ... 373 Lettre D. — Etat du Palais-Royal , en 1701, a la mort de Monsieur, frere de Louis XIV 377 Lettre E. — Renonciation de Philippe V 3g4 Lettres patentes du roi 397 UN1VEKS1T* of CAL1F0KN1A AT lt> q* UNIVERSITY OF CALIFORNIA AT LOS ANGELES THE UNIVERSITY LIBRARY This book is DUE on the last date stamped below APR 3 1969 JWO WEEKS FROM DATE JFRECCIQ (LIB m ?> m JAN12W3 Form L-9 20m-l, '41(1122) L 006 834 615 4 iSe^ UC SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY AA 000144 810 9