LETTRES ADRIENNE LE COUVREUR PARIS. TVP. DE E. PLON, NOURRIT ET C'', RUE CARANCiIrE, 8. Ili i;!!i!|l!iiil!!li;:il[|lilliiii|iltimil[jt|iliti|i \I)RIENiNE LE COUVREUR .--, LETTRES ADRIENNE LE COUVREUR Rcuiiies pour la premiere fois ET PUBLIEES AVEC NOTES, ETUDE BIOGRAPHIQUE DOCUMENTS INEDITS TIRES DES ARCHIVES DE LA COMEDIE DES MINUTIERS DE NOTAIRES ET DES PAPIERS DE LA BASTILLE Portrait et facsimile Georges MONVAL Archiviste de la Comedie franqaise PARIS LIBRAIRIE PLON E. PLON, NOURRIT et C'% IMPRIMEURS-EDITEURS Rue Garaticiere, lo. MDCCCXCIl ■■'f \\V^ 'est une lourde tache de parler d'Adrienne Le Couvreur apres I'admirable notice que lui a con- sacree Sainte-Beuve il y a plus de quarante ans, et a laquelleje ne saurais ajouter rien d'essen- maitre critique a, dans cette vue d'ensemble, excellemment resume tout ce qu'il importe de savoir sur la femme et la trage- dienne. Mais, presentant pour la premiere fois au public le recueil, si souvent annonce et par consequent attendu, des lettres d'Adrienne Le Couvreur, je ne puis me derober a I'usage de la preface-introduction, qui est comme un commentaire anticipe du texte public; le lec- teur de cette correspondance desirera pene- trer dans I'intimite de I'epistoliere, et j'ai la bonne fortune de pouvoir ajouter au portrait tout litteraire de Sainte-Beuve quelques faits nouveaux, certains details peu connus, plu- sieurs documents inedits relatifs a la fortune et aux gouts de'la tragedienne, a I'histoire de son coeur, aux treize annees qui lui ont fait une page imperissable dans les annales du Theatre-Francais, a sa fin mysterieuse et au 6 Adrienne Le Couvreur. refus de sepulture, deux enigmes dont on ne penetrera jamais completement le secret. Je voudrais done donner ici, — completant et rectifiant sur quelques points I'abbe d'Al- lainval, son premier panegyriste, Lemazurier, Tun de mes predecesseurs aux Archives de la Comedie francaise, Sainte-Beuve lui-meme et mon regrette maitre Regnier, — une bio- graphie exacte d'Adrienne Le Couvreur, sans la surfaire, mais sans la denigrer. C'est un eloge, et non pas un requisitoire, que je pre- tends ecrire. A quoi bon le recit de la vie d'une grande artiste, s'il doit la diminuer aux yeux de la posterite? Le biographe d'une femme celebre doit, avant tout, aimer son modele, et je ne crains pas d'affirmer qu'en deux siecles et demi, du Cid a la Fille de Roland, de la creatrice de Chimene a Mile Sarah-Bernhardt , aucune figure de tragedienne ne fut plus touchante, plus noble, plus digne d'admiration et de respect — je dirais plus pure si nous n'etions pas au theatre, temple profane du « diable au corps » . La severe -histoire pourrait fletrir d'un mot la Champmesle, la Desmares, la Du Clos, la Gaussin, la Clairon, la Dumesnil, la Rau- court; j'en passe, et des moins dignes. Seule entre ses egales, Adrienne Le Couvreur me parait avoir porte au theatre les vertus de la femme superieure, une fime droite, elevee, serieuse, tendre et raisonnable a la fois'. I . « Incomparable dans I'art de representer les passions, £tude biographiq_ue. 7 « Un honnnete homme » , a dit Sainte-Beuve, et je crois qu'il n'exagere pas. Adrienne eut des amants, sans doute, et la passion fut certes un des facteurs necessaires de son genie; mais elle n'eut jamais a rougir de son cgeur, la chronique scandaleuse a respecte son nom, et sa fin mysterieuse et prematuree a jete sur sa chere memoire comme un voile, infiniment doux de melancolique poesie et d'indulgente pitie. mais moins celebre encore par ce talent que par son genie et la noblesse de ses sentiments. » {M moires secrets pour servir a I'Histoire de Perse, 1745.) Le marquis d'Argens, d'une indulgence quasi paternelle, il est vrai, pour toutes les faiblesses des comediennes en sa qualite de protecteur de Mile Cochois, parle des « vertus » d'Adrienne dans une lettre datee de 1740. (Lettres et me- moires da marquis d'Argens, in-8", 1807, lettre II.) .^ II a paru a Londres I'annee der- niere une Vie de Mile Oldfield , en anglais, sous ce titre : Faithful Memoirs of the Lire, Amours, and performances of that justly celebrated and most emi- nent actress of her time Miss Anne Oldfield. Ne pourrait-on pas faire pa- roli a cet ouvrage par une Vie de feue Mile Le Couvreur ? « (Noiivelliste du Parnasse du 8 mars 1752.) PREMIERES ANNEES ^?e Samedi Saint ^ avril 1692, on baptisait, ^ ^ en I'eglise paroissiale de Damery, jolie i^P petite ville de Champagne a deux lieues nx d'Epernay, une fille nee le jour meme de Robert Couvreur et de Marie Bouly. Elle regut de sa marraine le prenom d'Adrienne '. Son pere, ouvricr chapelier, alia peu apres s'etablir entre Reims et Soissons, a Fismes, ce qui a fait croire a I'abbe d'Allainval, premier biographe de Ma- demoiselle Le Couvreur, qu'elle etait nee dans cette derniere ville, plus importante que Damery-. II dit 1. « Ledit jour (5 avril 1692), a ete baptisee et nee Adrienne, fille de Robert Couvreur et Marie Bouly, ses pere et mere ; le parrain, Pierre Dury : la maraine Adrienne Laurent, le pere present. « Signe : Adrienne Laurent. Robert Couvreur. » (Registres paroissiaux de Damery.) La maison natale se voit encore a Damery, rue de Mezieres. 2. Peut-etre aussi ses parents habitaient-ils Fismes des 1692 (oil s'etaient-ils mariesi"), et Adrienne naquit-elle acci- 10 Adrienne Le Couvreur. tenir de plusieurs bourgeois de Fismes que, des son enfance, Adrienne se plaisait a reciter des vers, et qu'ils I'attiraient souvent dans leurs maisons pour I'en- tendre. Explique qui pourra cetle mystcrieuse vocation de I'enfant d'un pauvre chapelier de campagne ! Pourquoi le Cimabiie quitta-t-il tout a coup I'etude des sciences pour se donner a la peinture ? Pourquoi le petit patre Lantara crayonnait-il d'instinct paysages ettroupeaux sur les rochers d'Acheres ? Est deiis in nobis. Adrienne avait dix ans lorsqueson pcrevint habiter Paris, et se loger, dit-on, lui et sa famille, precise- ment dans le voisinage de la Comedie frangaise, nou- vellement installee dans I'hotelqu'elle s'etaitfait eleven rue des Fosses-Saint-Germain-des-Pres. Robert Couvreur revait-il des lors pour sa fille la gloire du theatre ? II est permis d'en douter, mais un hasard providentiel le guidait vers la Maison que son enfant devait illustrer un jour. II la confia d'abord aux Filles de I'lnstruction chre- tienne de la rue du Gindre ', mais ne tarda pas a quitter la paroisse Saint-Sulpice, puisque, le 20 juil- let 1705, il faisait baptiser a Saint-Nicolas-des- Champs, dans le quartier du Temple, une seconde fille, Marie-Marguerite. dentellement a Damery, dont la foire se tenait precisement dans la semaine sainte. Existe-t-il encore des Couvreur a Damery ? A Fismes, il y a aujourd'hui trois families de ce nom : M. Couvreur, culti- vateur, maire de Fismes; M. Couvreur, proprietaire a Vil- lette, hameau dependant de Fismes; M. E. Couvreur, ancien huissier, dont le pere est de Bucy-le-Long (Aisne). I. Ou Filles de la Tres-Sainte Vierge, que le plan de la Caille (17 14) designe sous le nom d' Institution, a droite de la rue du Gindre (aujourd'hui partie de la rue de Madame, voisine de celle du Vieux-Colombier). Cette communaut^ fut iransportee, en 1758, dans la rue voisine du Pot de Fer (aujourd'hui rue Bonaparte), pres du seminaire de Saint- Sulpice. Etude biographiqjlie. ii Cette meme annee, quelques jeunes gens se reunis- saient chez un epicier, au bas de !a rue Ferou, a q^uelques pas de la pension d'Adrienne, pour les repe- titions d'un petit spectacle qui, comma ceux des grands Comediens, devait comprendre tragedie et petite piece. La tragedie, c'etait Polyeucte; la petite piece, le Deuil, un acte en vers, assez plaisant, de Hauteroche et Thomas Corneille, au repertoire depuis trente-cinq ans. Un jeune homme du nom de Minou repetait Severe, un role de Baron ; Pauline, c'etait notre echappee de couvent, a peine entree dans sa quator- zieme annee, et recitant les tirades du grand Corneille a faire palir Mile Du Clos. Le succes de ces repetitions, s'etant repandu dans le quartier, vint aux oreilles de Mme la presidente Du Cue, qui depuis une quinzaine d'annees habitait le bel hotel qu'elle avait acquis du marquis de Sourdeac, rue Garanciere '. Cette voisine dc marque s'interessa a la petite troupe d'amateurs et mit a sa disposition la grande cour de son hotel. La representation attira beaucoup de monde, et du plus choisi. On commenga, selon I'usage, par la tra- gedie. La Cour, la Ville, la Comedie etaient la. La porte, quoique gardee par huit suisses, avait ete I . D'Allainval dit : « la presidente Le Jay. » Mais le pre- sident Le Jay etait mort en 1640, et sa veuve, si elle lui avait survecu soixante-cinq ans, ce qui est douteux, eut ete bien agee pour s'interesser a la petite troupe d'amateurs. La presidente Le Jay avait, il est vrai, habite, dans le voisinage, la rue des Fossoyeurs (actuellement rue Servandoni), et c'est la similitude de noms et de domiciles qui a du induire d'Allainval en erreur. M. Eugene Plon, qui a fait de nom- breuses recherches sur sa maison, regarde le n" 8 de la rue Garanciere comme le theatre de la petite representation de 1705, et, par un heureux liasard, la correspondance d'Adrienne Le Couvreur s'imprime pour la premiere fois a I'endroit meme de son premier debut. 12 Adrienne Le COL'VREUR. forcee. Faute d'liabits a la romaine, on joua a la frangaise. Adrienne avait emprunte dc la femme de chambre de la presidente une robe dans laquellc elle ne parut pas trop h son avantage ; mais «. eile charma tout le monde par une fagon de reciter toute nou- velle I) , si naturclle et si vraio, qu'on declara d'une voix unanimc qu'elle n'avait plus qu'un pas k faire pour devenir la plus grande comedienne qui eilt jamais ete sur le Thcatre-Frangais. A cote d'elle, le jeune Minou fut remarque et ap- pl.uidi; il joua avec feu, pathetique et intelligence. II entra meme tellement dans I'esprit dc son role, qu'il tomba en defaillance en disant a son confident : « Soutiens-moi, Fabian, ce coup de foudre est grand! » et qu'il fallut lui ouvrirles veines. Apres cette saignee, Minou se remit et put fmir son role '. A peine la tragedie etait-elle achevee, que des ar- chers du lieutenant de police penetrerent dans I'hotel de la Presidente. Les comediens frangais avaient eu vent de cette representation, composee de deux pieces de leur reper- toire : plusieurs meme y assistaicnt. Tres jaloux de leur privilege, ils etaient alors au plus fort de leur lutte acharnee contre les p.etits spectacles et contre les forains, et ce fut sans doute par mesure generale, et pour le principe, qu'ils firent proceder contre un petit theatre improvise et sans lendemain, qui ne pouvait leur porter prejudice ou ombrage. lis ne prevoyaient pas que I'ordre obtenu de M. d'Argenson pouvait ecraser dans I'ceuf une des gloires de leurCompagnie. Onneparlait pas moins que d'arreter la petite troupe. Adrienne et ses camarades se crurent perdus. La Presidente envoya immediatement chez le lieutenant I . Sous quel nom ce jeune homme devint-il plus tard un n tres grand comedien dans les pays etrangers » ? Aucun acteur du nom de Minou n'a ete signale jusqu'ici. Etude biographiclue. 13 de police, qui voulut bien revoquer son ordre, a con- dition que la representation cesserait. La petite piece ne fut aonc pas jouee ce soir-la : il fallut faire son deuil du Deiiil. Mais les jeuncs amateurs se refugierent dans I'enclos du Temple, et ce fut dans I'enceinte do cet asile inviolable', en presence du grand prieur de Vendome, qu'eurent lieu les deux ou trois represen- tations suivantes, apres quoi, ajoute d'Allainval, la partie fut absolument rompue. Adrienne avait une tante blanchisseuse qui comp- tait parmi ses pratiques le comedien Le Grand, nou- vellement arrive de Pologne et regu societaire dans i'emploi des rois de tragedie. C'etait — le cas est frequent — un mediocre acteur, mais un professeur excellent. La bonne femme paria a son client des dis- positions de sa niece; le comedien du Roi se fit pre- senter le petit prodige, et voulut etre son second maitre, la Nature ayant etd le premier. II la logea chezlui-et la produisit sur quelques theatres particu- liers^. Ces coups d'essai furent des coups de maitre, et deciderent le pere Couvreur, dont la position etait 1 . Le Temple appartenait a I'ordre de Malte, dont le grand prieur etait le frere du due de Vendome, et y avait des officiers et un bailli. Ce refuge pouvait contenir mille ou douze cents feux, et, lorsqu'on- etait inquiete pour affaires purement civiles et qu'on s'y etait retire, on n'y pouvait etre arrete sous aucun pretexte, a moins d'une lettre expres de cachet du Roi. Aussi y voyait-on nombre de gens d'affaires, de marchands et de petits industriels a I'abri des poursuiles que les corporations intentaient centre les travailleurs libres. Voir, au surplus, le savant ouvrage de M. H. de Curzon, la Maison du Temple, ?,". Hachette, 1888. 2. Voir, au tome V des Pikes interessantes de La Place, I'anecdote de Legrand et du marquis de Courtanvaux (p. 123). 3. Depuis Moliere et I'llliistre-Thedtre, la mode etait restee des theatres bourgeois : nous voyons, vers cette epoque, en 1707, Grimarest et Thomas Gueullette jouer la comedie de societe a la rue du Four. 14 Adrienne Le Couvreur. des plus precaires, a destiner sa fille au theatre. Le Grand, qui savait par sa propre experience que la province etait la bonne ecole et la vraie pepiniere de la .Comedic frangaise, la recommanda a sa camarade Mile Fonpre,dont le mari avait dirige le theatre de Bruxelles en 1706 et qui, devenue veuve, venait d'ob- tenir la direction du theatre de Lille. Adrienne recita devant elle quelques scenes du Cid; elle plut beaucoup, fut engagee seance tenante et obtint mcme la permission d'emmener son pere en Flandre. La veuve Fonpre, societaire de la Comedie fran- gaise, etait une directrice serieuse : elle obtint du magistral de Lille I'autorisation de jouer la comedie, a I'exclusion de tout autre spectacle, jusqu'au mardi gras de 1708. Son exploitation fut si satisfaisante, que le terme en fut proroge jusqu'en 1709, que la troupe fut renforcee et put payer cent livres a I'hopi- tal des Invalides. Le siege de Lille par le due de Marlborough n'inter- rompit pas les representations : la ville fut investic par le prince Eugene le 1 2 aout 1 708 ; le marechal de Boufflers, qui y commandait, fut oblige de capituler le 25 octobre, et la citadelle se rendit le 8 decembre; mais la guerre ne ferma pas le theatre, aussi frequente qu'en temps de paix ; - on y joua la comedie tous les jours, ecrivait Voltaire a Frederic de Prusse, et les comediens y gagnerent cent mille irancs '. t I . Une bombe qui tomba pres de la salle de la comedie n'interrompit pas le spectacle (Siecle de Louis XIV}. Deux pieces furent imprimees a Lille en 1708, chez Freret et Danel : le Martyre de saint Eustache et Dom Basilugde de Bernagasso. Une autre troupe frangaise fut engagee, ie 14 novembre 1708, aucampaupres de Lille ; composee de sept hommes et six femmes, elle avait pour directeur Michel de Villedieu et passa I'annee suivante au service du roi de Pologne, elec- teur de Saxe. Etude biographique. 15 Au siege de Lille se distingua le regiment de Pi- cardie (colonel Frangois-Armand de Rohan, prince de Montbazon) qui obtint meme une capitulation parti- culiere. Sous les ordres de Villeroi, de Boufflers, de Viliars, Picardie avait combattu partout : il se trou- vait a la journee de Ramillies (23 mai 1706), d'oii il alia se refaire a Tournai et a Lille, au moment meme oil arrivait la troupe de la veuve Fonpre. Un jeune officier de ce regiment, le baron D..., ne tarda pas a distinguer Adrienne et fut, dit-on, son premier amant. Des Boulmiers ' veut meme qu'il ait ete le pere de son premier enfant; mais I'acte de bap- teme (Paris, Saint-Eustache, 3 septembre 1710) a inscrit 'Elisabeth-Adrienne comme fille de 1 Philippe Le Roy, officier de Mgr le due de Lorraine » , et Ton salt qu'Adrienne, apres avoir quitte Lille, fut comedienne a la cour de Lorraine et appartint, comme premiere actrice, au theatre de Luneville-. D'autres nomment comme pere de cette enfant le comedien Clavel, frere de Mile Fonpre, qui fut en effet le camarade et peut-etre I'amant d' Adrienne^, et qui, trois jours apres la naissance d'Elisabeth, debu- tait pour la seconde fois*, par le role d'CEdipe, a la Comedie frangaise dont sa sosur lui entr'ouvrait la porte en sa qualite de societaire a part entiere. L'or- dre du 9 iuillet 1710, signe du due d'Aumont, lui donnait ^ les feux et jetons jusqu'a la premiere place vacante " . Mais Clavel n'eut pas la patience d'attendre, et, 1. Honny soil qui mat y pense, ou Histoire des filles ciVebres du dix-huitime siecle : Histoire d' Adrienne Le C..., IV« partie, t. II, p. 185, a Londres, 1766, in-i8. 2. On pense qu'elle joua aussi a Metz et peut-etre a Nancy et a Verdun. 3. Voir les Lettres I et II de notre Recueil. 4. Henri Clavel avait deja debute, en mars 1708, « par ordre de Monseigneur » ; ie 15, dans Mithridate; le 19, dans CEdipe et la Parisienne, role du Gascon qu'il joue le 22 a l6 APRIENNE LE COUVREUR, au bont de sept mois', c'est-a-dire a la cloture de 1711, il courut rcjoindre Adrienne, qui continuait a faire les delices de la province. Elle est alors premiere actrice du theatre de Stras- bourg ■-, aux appointements de deux mille livres, somme considerable pour le temps. Elle est jeune, elle est vaillante, elle est riche d'avenir, et criblee de dettes. Le baron D... est mort en quelques jours. Le deses- poir de sa maitresse est d'abord violent, elle veut le suivre au tombeau ; mais il n'est pas de deuils eternels , elle propose a Clavel de I'epouser (voir la lettre II). Le comedien fait la sourde oreille. Adrienne, rendue a la liberte, accepte un protecteur, et, en 1716, elle met au monde une seconde fille, Frangoise-Catherine- Ursule, a laquelle on donne pour pere M. Francois de Klinglin, fils du preteur royal, le premier magistral de Strasbourg. ^ Le comte de Klinglin — dit Des Boulmiers — avait peut-etre I'exterieur moins sedui- sant que le jeune militaire dont il repara la perte, mais son esprit etait agreable et son caractere plein de candeur et d'amenite. Adrienne se livra moins aveu- glement a cette nouvelle passion ; elle mit un long intervalle entre la declaration et le bonheur de son Versailles, puis etait retourne a Lille joindre la troupe de sa soeur et la jeune Adrienne. 1. Il joua neuf fois en septembre, douze en octobre, dix- sept en novembre, dix en decembre, huit en Janvier, sept en fevrier, une en mars. (Registres de la Comedie frangaise.) 2. Ce theatre, un des plus jolis de province, et dirige depuis 1704 par Jean Quinault pere, directeur de la troupe de S. A. S. Mgr le due de Lorraine, etait entretenu par la ville, et surtout frequente par la garnison, qui entretenait la troupe des comediens. Les'.capitaines et commandants de corps payaient, les subalternes entraient gratis. {Lettrcset Mcmoires du baron de PoUnitz, I, 312.) La famille Quinault, qui devait briller longtemps a Paris, avait debute a Strasbourg. Neri- cault-Destouches y joua |quelque temps la comedie, et fut peut-etre le camarade de Mile Le Couvreur. £tude biographique. 17 amant. Elle savait combien I'injustice des hommes rend cet artifice necessaire, et I'interet de son amour eut eternise sa resistance si le comte de Klinglin, dans un de ces moments ou I'emportementde I'amour apla- nit toutes les difficultes, ne lui eut promis de lui don- ner sa main, aussitot qu'il serait maitre d'en disposer. Adrienne, qui etait pleine de candeur, crut le comte et se rendit a ses desirs '. u Un an plus tard, elle accouchait de Frangoise, et le comte, depuis longtemps presse par sa famille en faveur d'un parti avantageux, fmit par ceder. Le ma- nage du pere de sa fille porta le desespoir dans le coeur d'Adrienne; trop fiere pour lui reprocher sa perfidie, mais trop sensible pour en etre le temoin, elle se determina a quitter Strasbourg, et la fin de I'annee theatrale I'appela definitivement a Paris -. Son ordre de debuts a la Comedie frangaise est du 27 mars 1717 : « dans la piece — dit I'ordre — qu'elle aura choisie. v Ce fut YElectre de Crebillon. Elle parut pour la pre- miere fois devant le public parisien, dans ce role et dans I'Angelique de George Dandin, le vendredi 14 mai, surveille de la Pentecote^. L'actrice nouvelle eut un succfes complet; on dit tout haut qu'elle commengait comme les plus grandes comediennes finissent ordinairement. 1. Honny soit qui mal y pense, p. 186-187. 2. Francois-Joseph de Klinglin obtint la survivance de son pere en 1722, lui succeda en 1725, et mourut en prison en 1752. Il fut le quatrieme preteur royal residant a Strasbourg. L'edit de Louis XIV creant et erigeant cette charge en titre d'oftlce est de mars 1685. Le premier preteur fut Ulrich Obrecht (1685-1701) ; le second, J. H. Obrecht, son fils (1701-1705) ; le troisieme, Jean-Baptiste de Klinglin (170$- 1725)- 3. Le meme soir, le czar Pierre le Grand assistait, au Palais-Royal, a la representation de I'Opera, avec le Regent. {Journal de Dangeau.) is Adrienne Le Gouvreur. C'est ce qile rnppclait en 1750 I'abbe d'Allainval dans sa Lettre a Mylvrd "'. L'cditour qui I'a rcimpri- mee en 1822, dans la Collection des Menwires snr /'art drainatique, a cru devoir ajouter I'historiette suivante, qui ne se trouve pas dans la Leltre originale, et que M. Rcgnier, dupe de cette interpolation, a attribuee a d'Allainval, quoiqu'on ne la rencontre pour la pre- miere fois qu'en 1 788, dans le tome VI des Pieces inle- ressantes et pen connues : « Jamais debut, sur aucun theatre, ne fut peut-etre plus brillant que celui d'Adrienne Le Couvreur. Un seul homme, tapi dans un coin de loge, et pour qui cet engouement general n'etait pas contagieux, se bornait, de temps en temps, a dire, a demi-voix, Bon, cela! et cet homme ayant ete remarque, I'ac- trice, a qui Ton fit part de cette especedephenomene, voulant savoir quel il etait, et ayant appris que c'etait le fameux grammairien-philosophe Dn Marsais, I'in- vita, par un billet tres poli ', a lui faire I'honneur de venir diner chez elle, en tete-a-tete. u Du Marsais, quoique bien accueilli en arrivant chez elle, debuta par la prier, avant de se mettre a table, de vouloir bien avoir la complaisance de lui reciter une tirade de Tun des roles qu'elle aimait le mieux ; a quoi I'actrice ayant consenti, fut bien surprise de n'entendre de la part de Da Marsais que deux ou trois Bon, cela! et quoiqu'un peu humiliee, ne persista pas, avec moins de politesse, a lui demander le mot de cette singulicre cnigme. — Volontiers, mademoi- selle, attendu que si I'explication vous dcplaisait, je vous epargnerais I'ennui de diner avec un homme qui aurait eu le malheur de vous deplaire. — Parlez, je vous en prie ; votre reputation m est connue, et votre physionomie m'est caution que je ne peux que gagner beaucoup a vous entendre. — Eh bien, maaemoiselle, apprenez done, puisque vous I'ordonnez, que jamais I. Ce billet, s'il a ^te ecrit, manque a notre Recueil. Etude biographiclue. 19 actrice, a mon gre, n'annonga de plus grands talents que les votres, et que, pour effacer, probablement, toutes cellesqui vous ontprecedee, j'ose vous garantir qu'il ne s'agit, de votre part, que de donner aux mots la vraie valeur necessaire a ce qu'ils doivent exprimer, surtout dans votre bouche. — Ah, monsieur! s'ecria cette tres estimable actrice, quelle obligation ne vous aurai-je pas, si vous aviez assez d'indulgence pour me mettre en etat de me corriger de ce defaut ! et quel maitre est plus en etat que vous de me rendre ce tres important service ? « On presume aisement que Du Marsais ' ne se fit pas longtemps prier, et que la docilite de I'ecoliere non seulement rempliten tres peu de jours I'esperance du maitre, mais que sa reco' ;"iaissance le lui attachade fagon que leur amitie subsistait encore avec la meme chaleur lorsqu'une mort precipitee enleva aux vrais amateurs du theatre cette actrice si digne des applau- dissements qu'elle y recueillait toujours-. « L'anecdote est jolie; mais, en ignorant la source, nous en suspcctons I'authenticite; combien lui prcfe- rerions-nous soit un compte rendu du Noiivccni Mer- curc, ou quelques lignes de cette Histoire joiirnalicre de Park pour 17 17, par Du Bois de Saint-Gelais, qui s'etend sur le sejour du Czar a Paris et parle de la Mcrnpe representee par les Comediens italiens nou- vellement retablis, mais ne dit pas un mot de la debu- tante! 1. Du Marsais (Cesar Chesneau), ne a Marseille en 1676, avait seize ans de plus qu'Adrienne. 11 mourut en 1756. Il est souvent designe dans les Lettres de la tragedienne sous le nom du « Philosophe » . 2. P. 590 a 393. Bruxelles et Paris, Prault. 8 vol. in- 12. Recueil public par P. A. J. de La Place, de 1781 a 1790. TREIZE ANNEES A LA COMEDIE FRANCAISE Adrienne avait alors vingt-cinq ans. Elle arrivait precedee d'une grande renommee, et ses premiers succes faisaient espercrune nouvelle Champmesle,que ni sa niece Mile Desmares, ni la celebre Du Clos, de- puis pres de vingt ans maitrcsses de la scene tragique, n'avaient reussi h faire oublier. Adrienne avait a lutter contre ces deux rivales, et encore contre Mile Gau- tier, jeune tragedienne protegee du due d'Aumont et poussee par la coterie des Quinault '. On opposa bien- tot a la nouvelle venue d'autres debutantes ; mais elle triompha de toutes les tracasseries et de toutes les cabales, grace a son talent simple et vrai, noble et pathetique, grace auxconseils eciaires de connaisseurs tels que Dumarsais, d'Argental - et Pont de Veyle, 1 . La Compagnie comprenait a cette date vingt-sept socie- taires, quinze hommes et douze femmes. C'eiaient, par ordre d'anciennete, Guerin, La Thorilliere, Dancourt, Paul Poisson, Beaubour, Lavoy, Ponteuil, Le Grand, Duboccage, Dangeville, Philippe Poisson, Quinault I'aine, Fontenay, Du Mirail et Quinault-Dufresne ; Miles Dancourt mere, Desbrosses, Beaubour, Du Clos, Fonpre, Champvallon, Desmares, Mimi Dancourt, Dangeville, Salley, Quinault Tainee et Gautier. 2. D'apres la t\'otice imprimee a la suite des Lettres ini- dites de Mme la marquise du Chastekt (Paris, 1806, in- 12), d'Argental, qui aimait passionnement le theatre, etait « rhomme de France qui en savait le mieux Thistoire » . firUDE BIOGRAPHIQ.UE. 21 grace aux legons docilement suivies, a rinfluence et surtout aTexempIe du vieux comedien Baron. Apres son role de debut, Adrienne joua Monime (28 mai), Berenice (2 juin), Irene d'Andronic (le 12), Alcmene d'/l/H/)/z/7/jo« (le 13) et Pauline de Polyeucte (le 18). Les jeudis 3 et 10 juin, elle rejoue Mithridate au Palais-Royal, dans la salle de I'Opera, et, le 20 du meme mois, la retraite de Dumirail' et de Mile La Chaise ayant fait deux places vacantes, Adrienne et Mile Gautier furent regues danslacompagnie, chacune a demi-part. Iphigenie, Geta, Nicomcde, les Fol'ies amoureuses, Phedre, le Cid, Esope a la Cour, Semiramh, Hera- clius, Venceslas, etc., nous conduisent a sa premiere 1 creation i; proprement dite : Antiochus et Cleo- PATRE, mediocre tragedie de F.-M.-C. Deschamps, representee cinq fois, pour la premiere le vendredi 29 octobre 1717. Ce fut le seul role noiiveau (maigre regal!) qu'Adrienne joua dans le cours de cette pre- miere annee theatrale, la plus laborieuse des treize qu'elle devait passer a la Comedie (elle joua cent trente-neuf fois en dix mois). Polyeucte etait souvent, a cette epoque, la piece de cloture et de rentree, tragedie sainte, ae circonstance en careme et a Paques closes : Adrienne, qui avait joue Pauline le 2 avril 1718, ouvrit par ce role sa deuxieme annee parisienne le 25 du meme mois qui la vit porter a la part entiere. Le 4 juillet, elle joue Rhadamiste pour le debut de Romagnesi; le j aoiit, remporte un vif succes dans Phedre et, le 16 du meme mois, joue pour la premiere fois Aristie dans la reprise de Sertorius. Le 9 septembre, elle assiste a une profanation de I. En 1722, Dumirail entre a TOpera pour y danser, a cette condition digne d'etre notee ; « de ne se servir d'au- cuns habillements ni masques de ressemblance d'aucuns des acteurs de la Troupe. » 22 Adrienne Le Couvreur. son dieu Racine, dans une exhibition burlesque qui, heureuscment,n'eutqu'uniendemain : au 4'' acte d'lphi- gcnie, Achille et Agamemnon parurent sous les traits des comiques Poisson et La Thorilliere. Cette paro- die inattendue fut jugee lugubre, et renvoyce a la foire Saint-Laurent, ou Arlequin et Pierrot avaient imagine, le mois precedent, cette mauvaiseplaisanterie dans le prologue du Monde renverse et des Amours de Nanterre. Le 2 oclobre, Adrienne joue pour la premiere fois, dans la reprise de Bajazet, le role d'Atalide, qu'elle prefera toujours a celui de Roxane, joue par Mile Des- mares '. Le 19 decembre, on lui oppose une nouvelle debu- tante, Mile Jouvcnot, dans Camille, puis Phedre, et le 3 1 , elle cree un petit role dans une piece a specta- cle, tres divertissante, de son camarade Le Grand, LE ROI DE COCAGNE. Elle habite alors la rue dc Tournon, qu'elle ne tarde pas a quitter pour s'installer rue des Marais, a cote de Mile Du Clos -, sa rivale de la premiere et de la der- niere heure, dans une maison qu'avaienthabitee Racine et la Champmesle'. 1 . Ce fut dans ce role que la vit lady Montague, qui, le 10 octobre 17 18, ecrivait a lady R. (xlix Letter) : « The play-house is not so neat as that of Lincoln's-Inn- fields ; but then it must be owned, to their praise, their tragedians are much beyond any of ours. I should liardly allow Mrs. 0-d a better place than tho be confidente to La — . I have seen the tragedy of Bajazct so well represented, that I think our best actors can be only said to speak, but these to feel ; and it is certainly infinitely more moving to see a man appear unhappy, than to hear him say that he is so, with a jolly face, and a stupid smirk in his countenance. » 2. Mile Du Clos quitta bientot la rue des Marais pour venir habiter la rue Mazarine. 3. La maison que vint occuper Adrienne, connue sous le nomd'Hotel de Rannes (n" 21 actuelde la rue Visconti), av^it Etude biographiq.ue. 23 Dans cette seconde annce, elle avait joue cent dix fois. Voici le portrait qu'en donne a cette epoque, mollis de deux ans apres ses debuts, I'auteur des Lettres historitjues sur tous les spectacles de Paris : u Quoiqu'elle ait fort peu de voix, elle plut d'abord au public et continue de lui plaire, parce qu'il trouve en elle un jeu nouveau, naturel et d'autant plus agrea- ble qu'elle s'est etudiee a le menager adroitement et a le proportionner a ses forces ; et ainsi on peut dire que son defaut de poitrine a contribue a ce genre de perfection. li Quoique sa figure soittres agreable,un peu d'em- bonpoint ne lui messierait pas. Sans etre grande, elle est fort bien faite, et a un air de noblesse qui previent en sa faveur ; elle a des graces autant que personne du monde, son geste est pathetique, et sa fagon de declamer prouve qu'elle s'applique a ce qu'elle dit et qu'elle I'entend parfaitement. Ses yeux parlent autant que sa bouche et suppleent souvent au defaut de sa voix. Enfin, je ne puis mieux vous la comparer qu'a la mignature ; car elle en a I'agrement, la finesse et la delicatesse ; mais aussi ne lui trouve-t-on pas, comme dans les grands tableaux,* ces coups de force qui im- posent et qui arrachent, pour ainsi dire, I'admiration des connaisseurs'.n Malgre ces reserves, qui pouvaient d'ailleurs n'etre pas I'expression du sentiment general a son egard, Adrienne continue de tenir le repertoire et d'y pro- gresser. Ses camarades eux-memes et I'autorite supe- rieure lui rendent un tcmoignage exceptionnel, en decidant,le 15 decembre 1719, qu'elle sera nexemptee ete acquise en 17 ij par Louis d'Argouges, marquis dc Rannes, marechal de camp. Racine y etait mort en 1699. I . Premiere Lettre, sur la Comedie frangaise, attribnee ^ Hoindin. Paris, P. Prault, 17 19, in-i3, page 21. 24 Adrienne Le Couvreur. de participer aux pensions, en consideration de Vutilite donl die est a la Troupe r , Le 29 du mcme mois, elle cree Laodice dans Ics Heraclides ou Hjlus, mediocre tragedie de Danchet (hiiit representations), ct, le 15 fevrier sui- vant, le role principal de I'Artemire de Voltaire ', qui, tombee prcsque a la premiere, fut applaudie a la seconde et retiree aprcs la 8'', pour devenir, pard'heu- reuses retouches, HeroJe et Mariamne, dont il sera question plus loin. L'annee suivante (1720-172 1) iut marquee pour Adrienne de deux grands bonheurs : la rentree, inespe- ree apres trente ans de retraite, du grand Baron, son maitre et son partenaire naturel, sa moitie tirtistique, son male, pour tout dire d'un mot (avril 1720), et, a Paques 1721,1a retraite de son chef d'emploi Mile Des- mares, qui lui abandonne un grand nombre de roles importants, ct notamment celui d'Antigone dans les Machabees de la Mothe-Houdart, qu'elle venait de creer le 6 mars. Elle joue Nicomhie avec Baron quatre fois, dont une au Palais-Rojal, Jocaste a la premiere reprise de I'CEJipe de Voltaire, Don Sanche d'Aragon, Phedre, Electre, Iphigenie ; mais ne fait aucune creation pen- dant cette quatrieme annee, qui ne donna d'autre tragedie nouvelle que la Mart d'Annibal de Mari- vaux -. Deja Adrienne jouit de la faveur publique ; elle est vraiment I'actrice a la mode '', une ^ reine parmi des comediens d . Sa noblesse naturelle, la distmction de 1 . Deux fragments do cette tragedie non imprimee furent publics en 1757 dans le Portefcuille trouve, I, p. 97-102. 2. Adrienne joua soi.xante-dix fois ; la part de i'ann^e fut de 6,85} livres. J. Sous la date de juin 1720, les Memoires de "MaXhien Marais disent que, Voltaire etant a la Comedie avec le prince de Conti, la Le Couvreur entra sur la scene. « Le prince battit des mains a son arrivee. Le parterre aussitot en fit Etude biographiq^ue. 2^ ses manicres, ses succes au theatre et dans !c mondc ' nc pouvaient manquer de lui attircr mille tracasseries dc ses camaradcs, des fcmincs surtout. Je nc sais laquellc s'etait ingcnice a trouvcr n cou- leuvre » dans Lecouvreur ; cellc-!a mcritait assure- ment d'avoir avipcrc pour anagrammc.QuinauIt-Du- fresne, frcre et mari de ses rivales, nc pouvait faire bon menage avec elle : il protcgeait d'aillcurs Mile Gautier, qui jouait Ic meme cmploi qii'Adrienne etdont Ic talent aurait pu pcrccr si, par chagrin d'a- mour, la jcunc tragedienne n'etait allee s'ensevelir aux Carmelites dc Lyon. Une autre tragedienne, qui avait debute sept mois apres Adrienne et qui ne fit que passer -h. la Comedie, Mile Aubert, parait avoir cause plus d'un chagrin a notre heroine ; mais sa rivale en titre, son ennemic juree etait et devait etre Mile Du Clos, impuissantc k latter, a cinquante ans passes, contre cette naissante renommee. Philippe Poisson Ic fils, un ancien cama- rade, ecrivit contre Mile Le Couvreur une petite piece, I'Actrice nouvelle, qui, envoyee sans nom d'au- teur, lue et regiie le 27 septcmbre 1723, ne fut jamais jouee, Adrienne ayant eu — dit-on — le pouvoir d'en empecher la representation -. Quinault I'aine, I'un des semainiers, qu'on rencontre toujours la o\x il y a une querelle a faire i la tragc- autant. Arouet lui dit : « Monseigneur, vous ne croyiez pas avoir tant de credit. » Or, Adrienne ne joua pas une seule fois, ni en juin, ni en juillct dc cette aiinee 1720. 1 . « Elle voyait chez elle tout ce qu'il y avait de grand et de distingue a Paris. « (Memo! res secrets pour scrvir a I'histoire de Perse, 1759, p. 180.) 2. Le pere de I'auteur, Paul Poisson, quitta le Theatre six mois apres cette reception (Paques, 1724). La piece fut imprimee en 1727 ou 28, sans nom de ville, d'imprimeur, et sans date, in-8" de 36 pages. Elle figure au tome II des CEuvres de thidtre de Ph. Poisson, 1766, p. 19} a 240. 26 Adrienne Le Couvreur. dienne, en avait fait la lecture a la troupe; en lisantlc role de la nouvellc actrice, il contrefit les gestes et les inflexions de voix dc Mile Le Couvreur, notamment dans une scene du Cid. La tragedienne n'etait pas presente a la lecture ' ; mais en ayant appris quelques circonstances, et croyant se reconnaitre a plusieurs traits, elle obtint un ordre qui defendit a ses cama- rades dc representer Y Ac trice noiivelle. A dire la verite, la piece n'etait pas mechante ; mais on y jouait le u chevalier j' , le u conseillcr » , le « financier » , 1' n abbe Bidet t , familiers de ia come- dienne, que plusieurs vers de la piece designaicntassez clairemcnt : De fables, de romans sa chambre est toute pleine ; Sans cesse elle s'habille en princesse romaine. ^ • — Jusqu'ii son jeu miiet on voir qu'elle a de I'ame. — Voiis pouvez acheter ce nouveau regiment, Monsieur; j'en ai pour vous obtenu I'agrement. — Venez la voir en foule, elle aime le grand monde. On rimprima en cachcttc, et on la vcndit sous le manteau. Revenons a I'annee 1721-22 qui dut a Adrienne quatre-vingt-deux representations. Apres les Macha- bces , elle crea Zares d'ESTHER qui, mise au theatre I. Voici le proces-verbal de reception, extrait du registre d'assemblees : « Aujourd'huy Lundy 27 septembre 1723, on a leu une petite piece intitulee L'Actrict nouvdk et les presens a I'As- semblee I'ont regue. DUCLOS, Dangevjlle. Legrand. Baron. Jouvenot. Delathorilliere, Labatte. Defontenay. Legrand le fils. Ql'inault. QyiNAULT Defresne. Delamotte. Dubreuiu » Etude biographiqjje. 27 trentc-deux ans apres les representations de Saint-Cyr, reussit mediocrement reduitc a trois actes et sans les choeurs (8 mai), joua Cornelie de la Mort de Ponipee a cote de Baron (17 septembre) et Antigone de la reprise de la Theba'iae (17 octobre). Le 18 novembre , Adrienne cree Pelopee dans ^GISTHE, froide et mediocre tragedie de Pralard et Seguineau, qui n'eut que cinq representations et n'ob- tint pas I'honneur de I'impression , et le 28 fevrier 1722, I'heroi'ne de CORIOLAN, faible tragedie de ¥. Chaligny de Plaine, retiree apres la premiere et non imprimee'. L'annee suivante (1722-23) la voit paraitre en Iphigenie a la reprise de \'Oreste et Pylade de La Grange-Chancel (16 mai) et dans Fulvie a la remise de Regiilus (1 3 jum). Le I I septembre, elle cree un petit role du Nou- VEAU Monde , comedie de I'abbe Pellegrin , agre- mentee de la musique de (^inault et de danses ; le 16 decembre, Zoraide d'ANTlOCHUS ou les Macha- bees, tres faible tragedie de I'abbe Nadal (sept repre- sentations), a cote de Mile Du Clos, que I'auteur fit valoir aux depens de sa jeune rivale : « Mile Desmares — dit-il dans sa Preface — etait encore au theatre, I. Le Coriulan iitiprime in-8" en 1748 n'est pas celui de Chaligny, quoi qu'en disent les bibliographes du theatre. U est de Richer. Chaligny mourut l'annee suivante 17:: 3, a trente-trois ans. A I'unique representation de sa tragedie, qui commencait par ce vers : « Lorsque Coriolan au.x Roitiains fit la guerre », un plaisant dit : « Preparez vos sifflets, equitable Parterre. » La piece ne put etre continuee, et tomba sans avoir et: jouee. — Cette anecdote est rapportee dans VArt d'alloiigcr un livre sans le rendre ennuyeux, a la suite des Memoircs dc Mile de Bonneval, ecrits par M. ***. Amsterdam. J. DeS' hordes, 1738, in-12, p. 18$. 28 Adrienne Le Couvreur. lorsque je travaillais a ma pi^ce. C'est elle que j'avais en vue pour le role de Zoraide, et je perdis par sa retraite I'avantage de le voir joiier dans toiite sa force, et j'ose dire dans toute la beaiile que liii donnait le caractcre de Zorauie. II me restait une grande ressource dans Mile Du Clos, et le role de Salmone, quoique moins interessant, a pris dans ses mains une supcrio- rite qui n'est due qu'a elle scule. n Suit un eloge de ces deux actrices, et le nom d'Adrienne n'est pas pro- nonce ! Mais une allusion la concerne : n Ceux qui mettent le gout de la declamation aii rang des modes, et les mines a la place des graces K » Tant de fiel entre-t-il dans I'ame des devots? Voltaire etait pour Le Couvreur, Nadal devait ctre pour Du Clos 2. Le public etles superieurs lesmettaient des lors en meme rang : le 23 fevrier 1723, Adrienne et Mile Du Clos beneficicnt de cinq quarts de part en sequestre jusqu'a la fin de I'annee theatrale « en consideration de Vcxac- titiide qu'elles ont a remplir leurs devoirs dans la Troupe, et des depenses extraordinaires qu'elles sont obligees de faire n . Le mois precedent, Adrienne avait cree le role principal de Basile et Quitterie, tragi-comedie en trois actes en vers, avec prologue en prose et diver- tissement, de Gaultier de Mondorge, qui, tombee a la premiere (i 3 Janvier), se releva les jours suivants et eut neuf representations. Ce fut alors qu'elle joua, avec Baron, le Comte d' Essex; pour la premiere fois la reine Elisabeth parut sur le theatre avec la robe de cour et le cordon bleu de la Jarreticre. 1. Ailleurs, I'abbe Nadal I'appelle « la Le Couvreur » quand il ecrit « Mademoiselle Duclos » . 2. Voltaire lui reproche plaisamment d'avoir accus^ Mile Le Couvreur « d'avoir mal joue une fois en sa vie, de peur que lui, Nadal, ne fiit applaudi une fois en la sienne » , (Lettre du 20 mars 1725.) Etude biographique. 29 Enfin, nouvelle creation : le 1 1 fevrier, le role prin- cipal de la NiTETiS, de Danchet, tragedie assez inte- ressante, mais faiblement ecrite, qui eut treize repre- sentations '. Dans cette sixieme annee theatrale, Adrienne avail joue cent vingt-trois fois , plus trois fois au Palais- Royal. L'annee 1723-24 s'ouvre (6 avril) par la premiere representation d'iNES de Castro, tragedie tres inte- ressante et bien conduite de La Mothe-Houdard, interrompue apres la seconde par une inaladie de Baron; reprise le 15 mai, elle eut trente-deux repre- sentations a Paris et une a Versailles. Les ueux rivales y etaient en presence : Mile Du Clos jouait Ines; Adrienne, Constance. Voltaire et le comte de Verdun assistaient a la premiere, et voici ce qu'ecri- vait, en juillet, I'auteur anonyme des Sentiments d'un spectateiir frangois sur la nouvelle tragedie d'Inh de Castro - : 11 Mile Le Couvreur a joue le role de Constance avec dignite et delicatesse : on lui reproche la mono- tonie, mais cela vient de ce qu'elle ne joue parfaite- ment que les endroits oh le sentiment domine. Dans ces morceaux, elle est au-dessiis de tout ce que j'ai jamais entenJu. )' Reprise le 10 fevrier, Ines eut encore dix represen- tations, qui nous conduisent a la premiere et unique de Mariamne, dont le role principal fut cree par Adrienne, et celui d'Herode par Baron (6 mars). Au moment ou Mariamne, condamnee au poison, appro- chait la coupe de ses levres : u La Reine boit ! » s'ecria un petit-maitre du parterre. Cette saillie decida du sort de la piece , qui ne fut point achevee et alia 1. Reprise le 17 Janvier 1724, avec des corrections, elle eut encore huit representations. 2. Cette brochure fut attribuee a Voltaire, qui s'en defen- dit ^nergiquement . 5o Adrienne Le Couvr£ur. rejoindre dans I'oubli VArtemire dont elle etait sortie, jusqu'a ce que Voltaire, faisant mourir son heroine sur I'echafaud et dans la coulisse, I'eut redonnee sous sa troisicme forme : Herode ET Mariamne (io avril 1725); elle eut alors vingt-huit representations', accompagnee, a partir du 18 aout-, d'une petite piece en vers, I'Indiscret, la premiere comedie de Voltaire, dans laquclle Adrienne crea Ic role d'Hortense (six representations). Mile de Seine, qui avait debute le 5 Janvier 1725, jouait Salome dans Herode^, et Vol- 1. Une Hpitre a M. de Voltaire sur sa Mariamne, qui parut alors, disait d'Adrienne Le Couvreur : " Sans elle Ton verrait la scene sans vigueur, « Et Melpomene preie a tomber en langueur. » .Le 19 mai 172$, TAssemblee refut, « pour etre jouee le. plus tot que faire se pourra » , Marie Torne ou la parodie de Mariamne^ qui ne fut pas representee. Voltaire, qui se montra si constamment blesse des parodies de la Foire et de la Comedie italienne, s'opposa certainement a la representa- tion sur la scene frangaise de cette farce que je n'ai vue signalee nulle part. 2. Le voyage de Fontainebleau dura, en 172$, du 21 aout au 28 novembre. Le mariage du Roi (5 septembre) y attira .un concours extraordinaire. 3. C'est aux representations de cette piece qu'il faut reporter I'aventure de Voltaire avec le chevalier de Rohan, •qu'on a cru I'un des amants d'Adrienne. Au mois de decembre 1725, le second fils du due de Rohan-Chabot rencontra Voltaire dans la loge de Mile Le Couvreur. Le jeune auteur parlait haut et \-ivement : « Qiiel est done ce jeune homme qui parle si haut ? demanda le chevalier. — C'est, repondit Voltaire, un homme aui ne traine pas un grand nom, mais qui salt honorer celui qu'il porte. » Le chevalier leve sa canne, sans le frapper, mais en disant qu'on ne devait lui repondre qu'a coups de baton. Voltaire porte la main a son epee ; Mile Le Couvreur tombe evanouie, on la secourt ; la querelle cesse. Mais, a deux ou trois jours de la, le chevalier fait lachement batonner le poete, qui cherche a se venger, le provoque en duel et croit enfin Etude biograph1q.ue. 31 taire ne fut pas tres content de cette interprete, dont la mauvaise humeur se tourna centre sa partenaire plus heureuse. Par la doit s'expliquer cette courte note extraite des Archives de la Comedie frangaise : i. Le 1" mai 1725, ordre est donnc aux semainiers de retirer cent livres sur la part de Mile de Seine et de porter cette somme a I'Hopital des Enfants Trouves, pour inconvenance envers Mile Le Coiivreiir , avec menace d'etre renvoyee de la Troupe en cas de reci- dive'. -f L'autorite comptait avec Adrienne, aussi bien que le public et les auteurs. La Mothe-Houdard se souvint de sa Constance, et lui confia I'Angelique du Talis- man , petite comedie en prose, qu'il avait tiree du conte de la Fontaine YOra'ison de saint Jiilien (27 mars 1726); puis ce fut Crebillon, qui lui donna le role d'Ericie dans Pyrrhus, roi dEpire, trag^die fort applaudie et restee au theatre apres dix-sept represen- tations consecutives (29 avril). Le 7 septembre, Adrienne cree Amarillis dans le Pastor FIDO, froide pastorale imitee du Guarini par I'abbe Pellegrini, qui eut neuf representations avant le voyage de Fontainebleau (26 septembre-28 octo- bre). C'est probablement a cette epoque qu'il faut pfaccr I'anecdote de la guitare, dans les Folies amo'sremes, qu'Adrienne joua le jeudi 19' septembre, m^c Iphi- jrenie. Le musicien Chambrun aevait accompagner i'ariette d'Agathe pendant que I'actrice feindrait de avoir satisfaction, lorsqu'il est arrete dans la nuit du 17 avril et jete pour un mois a la Bastille. 1. Deux ans plus tard, Mile de Seine epousait Quinault-Du- fresne. 2. Le Pastor Fido, pastorale hiroique en j actes precedee d'un prologue, par M. k chevalier de Pellegrin. Paris, Noet Pissot, 1726, in-8". La premiere fut des plus tumultueuses. Dans le prologue paraissaient Venus, Melpomene, Thalie et Momus. 32 Adrienne Le Couvreur. toucher rinstruinent. Mais la mesure setrouvarompue, I'illusion ne se produisit pas, et les ennemis de la comedienne pronterent de cet accident pour la tourner en ridicule. Le 1 3 decembre, nouvelle creation : dans le TiBERE du president Dupuis et de Pellegrin, tragedie disparue apres quatre representations, dont une a Versailles. En cette dixieme annee de Paris, Adrienne avait joue quatre-vingt-une fois. L'annee suivante (1727-28) n'est marquee que par deux creations comicjiies : La marquise de la Seconde SURPRISE DE l'AmOUR (5 1 decembre) et la comtesse des Amants DEGUISES, petite piece en trois actes, en prose, de I'abbe Aunil- ion, representee et imprimee sous le nom de Dove. Quoique tombee a la seconde representation , la comcdie de Marivaux est restee au theatre, et Ton en faisait naguere (25 mai 1890) une interessante reprise pour Mile Nancy Martel. Volontiers les auteurs font retomber sur les inter- pretes la chute de leurs ouvrages : nous avons vu Voltaire s'en prendre a Mile de Seine du peu de succes du role de Salome. Adrienne ne put echapper a la loi commune : surtout les poetes comiques ou soi-disant tels I'accuserent de se liguer avec le public contre leurs pieces et de ne pas defendre ses roles. Marivaux ne gOLita que mediocrement sa marquise, qu'il jugeait inferieure a la Silvia du Theatre italien : il lui repro- cha, dit Dalembert, de I'avoir jouee u en reine y> , et Mile Grandval, une comedienne de second ordre, reprenant le role quelques annees apres la mort d'Adrienne, fut trouvee bien preferable. Ce furent pourtant encore trois roles comiques que les trois dernieres creations de.Mlle Le Couvreur : Lucile, dans le Faux Savant deDuVaure (21 juin 1728), comedie a moitie tombee (quatre representa- tions), que I'autcur reduisit de cinq a trois actes en 1 749 : elle fut alors plus heureuse sous son nouveau Etude biographique. * 35 titre ; \'Amant precepteur, et eut onze representations. Une jolie scene a survccu, qu'on entend parfois aux concours du Conservatoire. Puis ce fut Angelique, dans les F"iLS INGRATS ou I'Ecole des Peres, originate et gaie comedie dePiron, qui eut un grand succes et vingt-trois representations (2 1 octobre) ; Enfin , I'annee suivante , Doris dans la troisieine partie des Trois spectacles de Du Mas d'Aigue- berre ('6 juillet 1729) : c'etait un role chante, sur la musique de Mouret (vingt representations). Le 17 decembre, Adrienne joua, dans la premiere reprise de Ylno et Melicerte de La Grange-Chancel, le role d'Ino , cree par Mile de Nesle en 171 3 (neuf representations). Sa derniere creation devait etre Leonide, dans le Callisthcne de Piron, qui lui avait promis le role. Mais d'une part la coterie des Quinault, a laquelle Piron etait infeode de par ses relations bien connues avec Mile Quinault cadette, de I'autre I'hotel de Bouillon, dont il etait le familier, le lui firent retirer en faveur d'une nouvelle venue, parente des Quinault, Mile Bali- court, et ce dut etre un vif chagrin pour Adrienne, dont on lira la belle reponse al'auteur sous le n" XLVI de sa correspondance. La premiere de CalUsthene eut lieu le 18 Janvier 1750. Deux mois plus tard, Adrienne n'etait plus. Sa sante avait toujours ete delicate : des Stras- bourg, a vingt ans, elle se plaint d'etre >; incommo- dee 1 . En 17 19, elle ne joue ni en avril ni en juillet; i'annee suivante, ni en avril, ni en juin, ni en juillet. Elle est malade en fevrier et mars 1 72 1 . Le 5 fevrier 1723, on devait jouer Bas'de el Qnitterie, on etait pres de commencer, lorsqu'il lui pritde si violentes vapeurs qu'on dut changer le spectacle et donner I'Ecole des femmes et le Medecin malgre lui, et qu'elle resta huit jours sans jouer. Le 2 juillet suivant, on avait affiche Ines; mais Adrienne etant prise d'une fievre violente, 3 34 Adrienne Le Couv '.ur. on fut oblige dc remettre la tragedie nouvellc a six jours. Le 28 du mcme mois, on devait donner VEcole des femmes , et Mile Le Couvreur avait promis a I'Assemblee d'y representer Agnes s parce que Ton ne pouvait faire autrement » ; mais la veille elle envoya dire a la Comedie qu'elle ne le pourrait pas, et Ton fut oblige de faire relache. En octobre 1727, elle a une maladie d'yeux. Dans ses lettres, elle se plaint sans cesse de sa sante, et parle de se mettre au regime du lait. D'Allainval dit que quatre ans avant sa mort (ce serait done en 1725-26), Mile Le Couvreur avait ete attaquce d'une oysenterie dont elle ne rechappa que contre I'opinion de tout le monde et I'avis des plus celebres medecins, et qui la mit si pre? du tombeau, qu'elle fit le testament qu'on a trouve apres sa mort. Or, ce fut seulement pendant la cloture de Piques 1729 qu'Adrienne fit son testament, date du 7 avril, et qu'elle signe « en tres bonne sante " . Mais — ajoute d'Allainval — li depuiscette maladie, sa sante auraittoujours etechancelante; I'etude qu'elle faisait chaque jour pour devenir plus inimitable et la crainte de se faire trop souhaiter chez des personnes de la plus haute qualite n'auraient pas peu contnbue a I'empecher de se retablir. II y avait plusieurs mois qu'elle changeait, pour ainsi dire, a vue d'oeil, et que ses amis la pressaient de se menager davantage ; mais elle aimait mieux prendre sur sa sante que de manquer a ses camarades. '^ D'Allainval aurait pu remarquer que cette derniere annee avait cte pour elle une accumulation de cha- grins : la mort de son vieux camaradc et maitre Baron, ringratitude de Piron, les tracasscries de ses ri- vales et particulierement de la Du Clos, et, par-dessus tout sans doute, I'abandon ou le refroidisscment de quelques amis, I'infidelite du comte de Saxe, et la ten- tative d'cmpoisonnement dont elle faillit ctre victime. MAURICE DE SAXE Nous avons vu Adrienne, longtemps inconsolable de la mort de son premier amant, accepter enfin les hommages du comte de Klinglin, qui lui promettait le mariage, et bientot frappee d'une seconde blessure qui lui fit deserter Strasbourg. A peine arrivee a Paris, elle vecut dans I'etude et la solitude, repoussant, dans la foule de ses adora- teurs, jusqu'a I'amour jeune et sincere de M. d'Ar- gentai, dont elle ne voulut etre que I'amie devouee, et a la mere duquel elle ecrivit I'admirable lettre qui porte le n" IX de sa correspondance. Elle avait done ferme son coeur a I'amour ' , qui donne plus de souffrances que de joies, et se croyait desormais invulnerable et toute a son art, lorsque parut le comte de Saxe. Tons ses projets de sagesse et d'indifference tomberent devant ce jeune heros , a a qui les coeurs, dit Des Boulmiers, ne resistaient pas plus que les villes » . Maurice vint, vit et vainquit; Adrienne crut aimer pour la premiere fois. _ L'un des nombreux cnfants naturels de I'Elccteur dc Saxe Frederic-Auguste (depuis roi de Pologne) , I. Le Journal de Barbier dit cependant (t. I, p. 305) que Prungent, intendant de Mme la duchesse de Brunswick (Benedicte, palatine de Baviere), a ete son amant a Paris, et a mange avec elle beaucoup d'argent a la princcsse. D'autrcs lui donnent encore le chevalier de Rohan, Voltaire et milord Peterborough. 36 Adrienne Le Couvreur. Maurice avait pour mere Aurore de Koenigsmark, Sue- doise d'une rare beaute. Ne a Gotzlar le 28 octobre 1696, il etait de quatre ans plus jeunc qu'Adrieniie. De douzc a quatorze ans, il avait combattu en Pologne, dans les Pays-Bas, en Pomeranie. Tres precoce en galanterie comme en bravoure, en digne fils de son pere, son premier amour avait ete Rosette, la petite P'lamande ; a la suite d'aventures galantes a Dresde, il epousa la comtesse de Loben, qui le fatigua de sa jalousie et qu'il delaissa bientot pour une jeune Silesienne. Arrive en France en avril 1720, avec ses onze campagnes a vingt-quatre ans , tres familiarise avec notre langue , la seule qu'il cut voulu apprendre , le jeune colonel saxon fut tres bicn regu du Regent, qui lui fit expedier un brevet de marechal de camp ' ; mais il ne demeura pas longtemps a Paris et retourna a Dresde pour obtenir la permission de s'attacher au service de la France. Pris en flagrant delit d'adultere avec une suivante de sa femme, il vit son mariagc casse et fut condamne a mort. Revenu a Paris en 1721,1! achete le regiment de Greder, qui prend le nom du nouvcau colonel. C'est alors qu'il s'attachaserieusement a Mile Le Couvreur, dont il gouta plus encore la douceur de caractere et la candeur d'ame que le talent et la beaute-. D'unetaillemoyenne,mais d'un temperament robuste et d'une force extraordinaire, sa physionomic noble, douce et martiale a la fois, son caractere genereux, affable et compatissant, sa reputation de bourreau des 1. Le brevet porta la date du 9 aout 1720; le traitemcnt etait de 10,000 livres. 2. Les Memoires secrets pour servir a riiistoire de Perse, qui designent le comte de Saxe par le nom de Kalifc-Sultan, disent qu' « il avait du penchant a la tendresse et passait pour avoir des talens superieurs, merite qui I'avait mis en grande consideration aupres des femnies, chez lesquelles on Etude biographiq_ue. 37 cosurs devaient exercer une fascination singuliere sur la tragedienne au coeurtendre. On a evoque, apropos de leurs amours, la belle et touchante fable des Dei\x Pigeons : la colombe et le taureau les representeraient plus fidelement. Ce Don Juan qui cassait en deux le fer d'un cheval comme on partage un biscuit, devait attirer la frcle et mignonne creature. lis s'aimerent d'amour tendre et sincere, et leur bonheur ne connut pas de nuages pendant trois annees. Mais — je cite encore Des Bouliniers — « la gloire vint, du fond du Nord, faire briller aux yeux du comte une couronne qu'on ofFrait a sa valeur i; . En i72< , le duche de Courlande etant venu a vaquer, TamDitieux Maurice voulut se faire elire souverain de cette principaute. II partit. A I'absence, ce plus grand des maux, se joignit i'insucces : les affaires tournerent mal en Courlande. Maurice eut besoin d'argent, nerf de la guerre comme de I'intrigue ; il ecrivit en France pour faire appel a ses amis. Adrienne fut la premiere a repondre : elle vendit ou mit en gage ses diamants, ses bijoux et sa vaisselle, et put contribuer pour une somme de qua- rante mille livres '. Avait-elle alors I'arriere-pensee de se faire epouser et de devenir souveraine de Cour- lande? Le comte ne chercha pas a penetrer le secret mobile de cette preuve d'attachement , et il lui en marqua sa reconnaissance dans les termes les plus touchants. Mais, malgre sa valeur et le secours de ses amis, ses affaires allerent de mal en pis, il echoua dans son entreprise et faillit meme etre arrete ;\ Mittau par le prince Menzikoff. Le 10 Janvier 1728, Maurice est a Breslau : il assurait qu'il s'etait fait, a juste titre, une grande reputa- tion. On a pretendu qu'il s'etait epris de belle passion pour une fille nominee Zilamire (Mile Le Couvreur, comedienne, favorite du marechal de Saxe, dit \a Clef des noms propres). » (Edit, de Berlin, 1759, p. 179-80.) I. Ce trait de generosite (juin 1726) a merite de prendre place dans la Bienfaisance francoisc, recueil d'anecdotes ou 38 Adrienne Le Couvreur. ne rentre ^ Paris que le 23 octobre, apres trois ans d'absence. Adrienne jouait alors un nouveau role dans les Fils ingrals : elle goilta d'abord les joies du retour; mais elle avail soif d'une vie calme, rangee, reguliere, et ne pouvait se contenter longtemps d'un amour a a la dragonne y> . Le volage Maurice se lassa bientot du caractere un peu triste et de I'humeur justement jalouse de sa fidele amie. II s'appliquait alors tres serieusement a I'etude des mathematiques , de la mecanique et des fortifications ' : Hercule ne pouvait eternellement filer aux pieds d'Omphale. Bastide raconte qu'Adrienne, furieuse d'une infide- lite du comte de Saxc, le vit entrer dans I'orchestre de la Comedie un jour qu'elle jouait le role de Phedre, au moment ou elle disait a Hippolyte : « Au defaut de ton bras, prete-moi ton epee. » Elle se jeta sur I'acteur, lui arracha son glaive, et le langa « dans I'estomac du comte, a la vue de trois mille spectateurs - » . Cette epee de theatre donna le coup de grace a un amour deja bien malade. Un viveur, un pandour ne Ton rencontre aussi le nom de son amie, Mile Lamotte, de la Comedie fran^aise (t. II, pp. 14 et 575). 1. En 1729, le comte de Saxe inventa une galere sans rames ni voiles, avec laquelle il pretendait faire remonter les bateaux de Rouen a Paris en vingt-quatre heures sans employer de chevaux. Cette machine ne reussit pas : elle coiita des sommes immenses a I'inventeur et a son associe, M. Bonier. Le projet fut communique a I'Academie des sciences. (Voir les comptes rendus, et aussi les Etrennes d'Apollon pour 1789.) 2. Lettre a M. Rousseau, au sujtt de sa lettredM. d'Alem- bert, in-S", 1759. Cette scene doit etre placee entre le 7 mai et le 18 oc- tobre 1729, plutot a cette derniere date, apres laquelle Adrienne resta trois semaines sans jouer. Elle reparut le jeudi 1 novembre dans ce meme role de Phedre, et ce fut Etude biographiq^ue. 39 devait pas trouver assez a amusante » cette elegiaque, cette sentimentale , cette serieuse. Adrienne n'etait pas assez 1 fille ^ pour ce reitre et pour ce soudard. II flvait plu d'ailleurs a une grande dame , tres galante, la duchesse de Bouillon, maitresse en titre du comte de Clermont '. Le comte de Saxe fit tout pour reussir aupres de la duchesse. II avait une maison de chasse a huit lieues de Paris : il I'y invita aux fetes de Paquesiyag, pendant la cloture des theatres ; Adrienne fut du voyage avec deux de ses camarades. On chassa le sanglier. La duchesse invita la tragedienne a sa maison de Pontoise, oh elle la traita « en reine " , dit I'abbe Aunillon -, enibrassant sa rivale avant de I'etouffer. Ce fut la sans doute que sa perte fut resolue, et voici, d'apres le temoignage meme d'un complice, le recit de la tentative d'empoisonnement qui preceda de peu la mort presque subite de la tragedienne. probablement ce jour-la qu'elle souffleta publiquement la duchesse de Bouillon de ces vers vengeurs : « Je ne suis point de ces femmes hardies « Qui, goutant dans ie crime une tranquille paix, « Ont su se faire un front qui ne rougit jamais. » Le parterre, qui savait le dessous des cartes, applaudit frenetiquement. Peut-etre les deux incidents eurent-ils lieu le meme jour. Mais, quelle que soit la date, Bastide exagere de plus de moitie le nombre des spectateurs ; la salle de I'Ancienne Comedie ne pouvait contenir plus de i,2oo per- sonnes. 1. Le comte de Clermont, par Jules Cousin, 2 vol. in-8". 2. Memoires de la vie galante, politique et litteraire de I'abbe Aunillon Delaunay du Gue, 2 vol. in-8", Paris, L. Collin, 1808, t. I''', p. 304. LE POISON Un petit abbe bossu, Simeon Bouret, clerc ton- sure, ftis aine d'un tresorier de France a Metz, ou il etait nc en 1711, avait accompagne son pere a Paris pour affaires de famiile en mai 1727 et y etait reste )usQu'au 1 5 septembre. lis etaient revenus I'annee suivante, huit jours avant Noel, et son pere, rappele a Metz par ses affaires, le laissa a Paris; il devait s'y perfectionner dans le dessin et la peinture, pour lesquels il avait beaucoup de dispositions. Bouret avait alors dix-neuf ans. II etait loge rue Saint-Germain-l'Auxerrois, en garni, a I'hotel de la Grace de Dieu, tenu par une femme Hubert-. Aimant beaucoup le spectacle, il allait presque tous les jours a la Comedie frangaise , et passait souvent dans les foyers, allant et venant dans les loges. Environ un mois apres son arrivee a Paris, il retrouva un jeune gentilhomme, fort expert en pein- ture, qu'il avait connu lors de son premier voyage, sur la fin d'aout 1727, a I'Acadffmie de peinture qui 1 . Les elements de ce recit sont empruiites aux interro- gatoires de Bouret, conserves, dans les papiers de la Bastille, a la Bibliotheque de I'Arsenal, ou ils m'ontete communiques avec la phis parfaite obligeance par M. Funck-Brentano. 2. Il demeura ensuite rue de Seine, d'abord au petit hotel de Provence, puis a Vhotel du Saiiit-Esprit. Etudk biographiq_ue. 41 se tenait au Louvre. Ce jeune homme, nomme Peri- gord', lui proposa d'aller ensemble a la foire Saint- Germain. En passant par la rue Dauphine, ils ren- contrerent un jeune homme de seize a dix-sept ans, grand de taille, assez beau de visage-, en habit de hvree, et grand ami de Perigord, qui lui dit que c'etait un page de Mme la duchesse de Bouillon. Ils continuerent tous trois leur chemin vers la foire, oil ils entrerent chez un marchand de tableaux. Bouret en regarda plusieurs. Le page lui demanda s'il se connaissaif en tableaux ; il lui repondit qu'il savait peindre en miniature et lui offrit de taire son portrait, ce qui fut accepte. lis allerent ensuite dans un cafe ou ils burentdes liqueurs, et, apres avoir soupe au cabaret oil le page paya I'ecot, ils se quitterent sur les huit heures et demie du soir, en se donnant tous trois rendez-vous au lendemain a I'hotel de Bouillon ■■*, pour commencer le portrait. Le lendemain , ils dejeunerent tous trois dans la chambre du page, puis Perigord se retira, et Bouret travailla au portrait jusqu'a une heure apres niidi. Le lendemain matin et les cinq ou six jours suivants, il vint continuer le portrait qui, une fois acheve, fut encadre dans une tabatiere d'ecaille. Rendez-vous pris avec le page a quatre heures du soir pour aller a la foire, Bouret, a I'heure dite, le trouva sur la porte de I'hotel de Bouillon : le page lui dit qu'il avait fait voir son portrait a Mme la duchesse, 1. Perigord faisait le portrait en grand, assez mediocre- ment. 2. Veut-on le signaleiiient complet ? » Le poil brun, tres « beaux cheveux chatain clair tiranl sur le blond en bourse « ou en cadenette, grands yeux noirs, nez aquilin, bouche « et dents belles , levre inferieure vermeille et assez rele- « vee. » 3. L'hotel de Bouillon, sitae quai Malaquais (n" 17 actuel), etait tres voisin de la rue des Marais, ou denieurait Adrienne Le Couvreur. 42 Adrienne Le Couvreur. qui I'avait trouve fort bien ; puis il le fit entrcr dans I'hotel et le conduisit a un appartement ' ou etait Mme la duchessc-, a laquolle Bourct eut I'honneur de faire !a reverence. Elle lui fit beaucoup de poli- tesses et de compliments sur le portrait du page, non sans observer quelques defauts, et lui demanda s'il ne voudrait pas bien fairc son portrait. Bouret rcpondit que cela lui ferait beaucoup d'honneur, et promit de revenir deux jours apres. II prit conge de la duchesse et s'en alia avec le page a la foire ■'. Le surlendemain, Bouret se rend a onze heures a i'hotel de Bouillon et commence le portrait de la du- chesse, qu'il paracheve en huit ou dix jours : c'etait un petit buste un peu plus grand qu'une piece de vingt-quatre sols, pour mettre a un bracelet. A la troisieme seance, la duchesse, qui avait appris par le page que Bouret aimait beaucoup la comedie, lui demanda s'il connaissait des comediens ou come- 1 . La description de I'appartement garantit la veracite du reclt : « Apres avoir traverse deux belles pieces, une chambre lambrissee et doree sans tapisserie ; grand sofa de damas vert, chaises et tabourets de meme etoffe, et, au-dessus du sofa, un seal tableau, representant L'lie femmc avec des Amours et un Sylvain ; a cote, une portiere tiree. » 2. Louise-Henriette-Frangoisede Lorraine (Mile de Guise), fille du prince et de la princesse d'Harcourt, devint en mars 1725 la quatrieme femme d'Emmanuel-Theodose de la Tour d'Auvergne, due de Bouillon ; morte a Pai is le ji mars 1737, ageedetrenteans. Bouret, quiafaitson portrait, devait la decrire fidelement ; « Tres belle; plus grande que petite ; ni grasse ni maigre ; le visage ovale, rond par le has ; le front grand ; de grands yeux noirs , ainsi que les sourcils ; les cheveux bruns ; la bouche fort relevee et les levres tres vermeilles ; un grande mouche pres de Toeil droit. » Ajoulons qu'elle avait quarante ans de moins que son mari, qui mourut en 1730 3 . Ceci se passait a la fin de Janvier ou au commencement de fevrier 1729. Etude biographiq^ue. 43 diennes, et lesquels il trouvait les meilleurs. — u Je n'en vols pas de meilleurs comme comediens que les Quinault', comme comediennes que les demoiselles Le Couvreur et Du Clos. — Connaissez-vous par- ticulierement la demoiselle Le Couvreur? — Je ne la connais que de I'avoir vue sur le theatre, f La duchesse lui dit qu'il devrait bien Her uneconnaissance particulicre avec elle ou faire en sorte de connaitre quelqu'un qui fut en grande liaison avec cette come- aienne : — « Puisque vous ne la connaissez pas et que vous n'etes pas connu d'elle, il faut que vous me fassiez un plaisir, qui est de lui rendre une lettre que je vais vous dieter. » Et, dans I'instant, elle dicta a Bouret une lettre par laquelle il paraissait que c'etait un prince du sang qui ecrivait a I'actrice et qui lui iaisait une declaration d'amour en lui insinuant de quitter au plus tot M. le comte de Saxe. Bouret plia cette lettre qu'il mit dans sa poche par ordre de la duchesse et la garda. II retourna le lendemain chez Mme de Bouillon qui lui dit que cette lettre neservirait derien, parcequ'elle avait change de sentiment; que, comme il savait faire le portrait, il ne lui serait pas difficile d'avoir entree chez la comedienne. Bouret temoigna de la difficulte. La duchesse lui dit qu'il ne s'agissait que d'une baga- telle, de donner a la Le Couvreur un philtre amou- reux. Bouret repondit qu'il ferait son possible, et se mit a continuer le portrait. Pendant qu'il travaillait, la duchesse lui demanda s'il se retirait de bonne heure : — tt Sur les dix a onze heures du soir. » — u Trou- vez-vous done ce soir meme a onze heures a la porte des Tuileries, du cote du pont Royal, ou je vous enverrai chercher au retour du bal. « Sur les onze heures et demie environ, au bout du I . Cette appreciation ne devait pas deplaire a la duchesse, qui passait pour avoir accorde ses faveurs a Quinault- Dufresne. 44 Adrienne Le Couvreur. pont Royal, du cote des Tuileries, deux hommes masques se presenterent a lui, I'un magnifiquement vetu d'un habit brode d'orou d'argent, I'autrc, espece de valet sans livree, d'un habit uni, tous deux sans epee, leurs masques de bal moitie blanc, moitie noir. lis lui demanderent s'il n'etait pas la de la part de Mme de Bouillon. A quoi ayant repondu que oui, ce valet le conduisit de I'autre cote et a quclque distance du pont, le long du quai des Theatins, ou Mme la duchesse de Bouillon etait assise sur des pierres ou sur le bord du parapet, accompagnee seulement d'une femme, qui lui parut etre Mme la princesse de Bouil- lon, sa belle-soeur '. S'etant approche d'elle, elle lui dit de parler a deux hommes masques qui se tenaient la, et qui I'cmmenercnt a vingt ou trente pas. lis lui demanderent s'il etait homme avouloir gagner de I'argent, ajoutant qu'en ce cas sa fortune etait faite, pourvu qu'il gardat le secret. — t Cela sera aise, pourvu qu'il n'y ait point de mauvaise action a faire. » — >i Non. Non. Vous savez bien la personne dont Mme la duchesse vous a parle : il ne s agit que d'avoir entree chez elle et de pouvoir lui donner des pastilles qui lui feront avoir de I'indifllerence pour le comte de Saxe et de I'amour pour une autre per- sonne. " — " S'il n'y a que cela, il n'y a pas beau- coup de difficulte. » — Et les deux hommes lui pro- mirent une somme de six millelivres argent comptant, et une pension viagere de six cents. Bouret, apres une bonne demi-heure de conversa- tion, alia rejoindre Mme de Bouillon qui etait restee sur les pierres; il la trouva tout en larmes, parlant a la dame qui etait aupres d'elle, nommant souvent I. Marie-Charlotte Sobieska, mariee en 1724 a Charles Godefroi de la Tour d'Auvergne, prince de Bouillon, etait aiors veuve de son frere aine Fr^deric-Maurice-Casimir de la Tour, prince de Turenne. Elle etait done, non pas la belle- soeur de la duchesse, mais la bru du due de Bouillon. 6tude biographiq^ue. 4^ M. le comte de Saxe, sans qu'il put entendre d'autres paroles que : « Je suis bien malheureuse ! » et jetant toujours des pleurs comme une femme au desespoir. Enfin elle dit a Bouret qu'elle etait tres contente de lui et qu'il vint le lendemain chez elle continuer son portrait. II s'y rendit en efFet sur les onze heures. Le page Tattendait sur la porte, comme il avait fait les autres fois, et le conduisit a Fappartement de la duchesse. Pendant qu'il travaillait, elle lui dit : i; Vous savez ce que ces messieurs vous ont dit hier; c'est une fille de rien ; ii faut I'executer, et c'est meme rendre un ser- vice a I'Etat. D'ailleurs, vous pouvez etre siir de la recompense. " — Bouret repondit qu'il ferait son possible pour penetrer dans la maison de la demoiselle Le Couvreur, et, le page ctant entre, il cessa de tra- vailler, disant a la duchesse qu'il reviendrait sur les trois heures et demie. Ce qu'il fit, ayant encore ete introduit par le meme page. II continua son portrait, et pendant qu'il y travaillait, entra une dame, fort cachee dans ses cornettes, qui parla a Mme de Bouil- lon en particulier, lui nommant le comte de Saxe. Apres une conversation assez longue , la dame se retira, et un moment apres le page vint prendre Bouret, qui partit apres avoir reQU ordre de revenir le lendemain sur les trois heures. II fut, ce jour-la, encore introduit par le page dans Fappartement de la duchesse, qui lui fit voir une estampe d'Apollon et Isse nus; elle lui dit qu'elle desirerait etre tiree en confor- mite de cette estampe, et qu'au lieu d'Apollon il fera le portrait d'un monsieur dans la meme attitude '. I . Tres galanie, la duchesse eut successivement pour ainants Quinault-Dufresne, Tribou de I'Opera, et le jeune Grandval, qui debuta a la Comedie le 19 novembre 1729. Voir le Sottisier de Paulmy, et les Memoires de Maurepas. En 1730, le comte de Clermont etait I'amant en titre de la duchesse de Bouillon ; mais elle recherchait le comte de 46 Adrienne Le Couvreur. Bouret objecta qu'il ne savait pas asscz bien peindre pour cela : la duchesse repondit qu'elle en eiit etc bien curieuse. Et ayant enfin termine le portrait deux ou trois jours apres, elle lui dit qu'il serait a propos qu'il ne revint plus a I'hotel jusqu'a ce qu'il eut execute ce que les deux homines masques lui avaient dit quel- ques jours auparavant ; qu'il les trouverait Ic soir meme, sur les neuf heures, aux Tuileries, en entrant, pres de la terrasse. Bouret, y etant alle, trouva les hommes masques qui lui demanderent s'il etait dans la resolution d'exe- cuter ce qu'ils lui avaient propose. Sur sa reponse affirmative, ils lui dirent de se trouver le lendemain a pareille heure aux Tuileries, et qu'en cas que la porte s'en trouvat fermee , il n'avait qu'a aller hors de la porte de la Conference et pres de la grille qui entrc dans le Cours oia il les trouverait. Etant retournele lendemain aux Tuileries, il trouva, sur la terrasse donnant sur le quai, les deux hommes masques qui lui demanderent s'il avait trouve I'occa- sion d'entrer chez la Le Couvreur. Ayant repondu que non , ils lui dirent qu'il fallait absolument y avoir entree, parce que cela pressait ; qu'il ne risquait rien, et que, s'il arrivait que la chose fit un effet un peu violent, il ne devait point s'en etonner. Bouret leur dit : >^ Mais si cela la faisait mourir? » — u Quand cela arriverait, vous n'avez encore rien a craindre; il ne s'agit que de bien prendre scs mesures. Nous vous tiendrons prete une chaise de poste pour vous faire passer dans les pays etrangers, au cas que cela Saxe qui la dedaignait pour la petite Cartou, chanteuse de rOpera. Marie-Claude-Nicole Cartou, celebre par ses bons mots, entree a I'Opera vers 1726, quitta le theatre en 175 1. Elle suivit, en 1730, le comte de Saxe au fameux camp de Muhlberg, en Saxe, ou elle eut la gloire de souper avec deux rois, Auguste II de Pologne et Frederic-Guillaume de Prusse, et les princes leurs fils, dont I'un fut depuis Frede- ric II, le grand Frederic. Etude biographique. 47 arrive. ''-Puis ils lui defendirent expressement de remettre les pieds a I'hotel de Bouillon et de parler a la duchesse, sous quelque pretexte que ce fut. Bouret, voulant s'eloigner de cette ai^aire, s'en alia passer quelques jours a Meulan. Un mois s'etant ecoule sans qu'il eut voulu voir les agents de la duchesse, ils I'envoyerent chercher par un valet, et lui firent dire de se trouver aux Tuileries, au rendez- vous ordinaire. Bouret y alia, il y trouva encore les deux hommes masques qui lui dirent que, puisqu'il avait tant fait de promettre, il fallait qu'il executat sa parole. II resista toujours a leurs propositions et neanmoins eut encore avec eux pourparler pres de la grille du Louvre. Apres tant d'empressement marque de la part dc ces aeux hommes, et sur le conseil de son confesseur, Capucin du faubourg Saint-Jacques , il crut devoir avertir la demoiselle Le Couvreur de ce qui se tramait contre elle, et s'etant presente chez elle deux fois sans la rencontrer, il lui ecrivit cette lettre anonyme : u Mademoiselle, u Vous serez surprise ^ii'iine personne cjiie voiis ne connoissez point roits ecrive pour vous prier de vous trouver deinain Lundy a cinq heures et demie du soir sur la grande terrasse du Luxembourg, oil vous trouverez une personne qui vous instruira plus aniplement; vous la reconnoitrez a ce signe : un abbe qui frappera trois coups sur son chapeau en vous abordant. « Dimanchc, 24 juillet 1729. ■> Le lendemain lundi, 2$ juillet, Mile Le Couvreur, apres avoir pris conseil de scs amis, serenditau Luxem- bourg avec Mile Lamotte et un intime, et y trouva I'abbe, qui lui dit qu'il se croyait oblige de lui donner avis qu'on voulait I'empoisonner. Elle lui demanda si 48 Adrienne Le Couvreur. cette menace ne venait pas de I'Opera '. — Non. — Cela vient done de I'hotel de Bouillon ! — Elle lui dit qu'il fallait garden le silence, et qu'ellc allait con- suiter un habile homme pour savoir ce qu'elle aurait a faire, et mie le surlendemain il n'aurait qu'a venir chez elle et qu elle lui dicterait sa conduite. Le mercredi, qui etait le 27 juillet, elle envoya chercher le comte de Saxe, qui questionna beaucoup Bouret et lui demanda si ce qu'il avait dit n'etait pas faux. La Le Couvreur dit : - Cela vient de la part dc Mme la duchesse de Bouillon ! " Elle defendit a Bouret d'en parler a personne. Le lendemain, jeuui, 28 juillet 1729-, vers les neuf heures du soir, Bouret etait sur le pas de sa porte, lorsqu'un Savoyard vint lui dire qu'il y avait deux dc ses amis qui I'attendaient sur le quai de I'Ecolc. II y alia et trouva, enveloppes dans leurs manteaux, les deux hommes masques qui lui dirent de les suivre. lis i'emnienerent, par le quai du Louvre, pres des Tui- leries, ou ils lui reprocherent de les avoir trahis et le prirent a la gorge pour le faire avouer, le menagant meme de le tuer. Bouret leur soutint que non, ajou- tant qu'il etait pret a executer la chose, qu'on n'avait qu'a lui fournir le philtre amoureux. lis lui dirent que, si cela etait, la recompense serait doublee, et qu'ils I'allaient mettre au fait : » Trouvez-vous demain , a trois heures, pres du pont Tournant, comme si vous 1. Adrienne avait sujet de craindre I'Opera : si le chan- teur Tribou, qui avait ete I'amant de la duchesse de Bouil- lon, ainiait la Le Couvreur [Journal de Barbier), le comte de Saxe avait pour maitresse la petite Cartou, et d'Argenta! etait amoureux de la Pelissier, familiere de I'hotel de Bouillon. Denis- Francois Tribou, nevers 1695, avait debute en 172 1 a I'Opera, ou il resta vin/^t ans. Disciple prefere du F^. Poree au college Louis-le-Grand, il avait ete theorbe de la niusique du Roi. Il mouriit a Paris, le 14 Janvier 1761. 2. L'interrogatoire dit : le 26 ou 27 aout. C'est une erreur evidente. firUDE BIOGRAPHIQ^UE. 49 vouliez aller a la statue de Mercure ; en montant vous trouverez, au bout de la terrasse du cote des Feuil- lants, un petit chemin garni d'ifs tallies en ronds et en Carres; dans le second if carre, taille en pyramide, a main droite, vous trouverez un petit paquet enveloppe de papier; et dans ce paquet des pastilles dont 11 y en a ae bonnes, et trois enveloppees dans un papier particulier dont vous devez vous servir pour donner a la Le Couvreur, lorsque vous en trouverez I'occasion; mais il faut auparavant que vous puissiez avoir le por- trait du comte de Saxe pour le remettre entre nos mains. " Bouret donna avis de tout cela a M. le comte de Saxe et a Mile Le Couvreur le vendredi, 20 juillet', sur les dix heures du matin. lis lui dirent aaller aux Tuileries prendre les pastilles. Ce qu'il fit. Et les ayant trouvees dans I'if indique, en un petit paquet de la longueur d'un grand doigt, il porta ce paquet a Mile Lc Couvreur, qui I'ouvrit en presence du comte de Saxe. Elle y trouva plusieurs pastilles blanches, et trois autres enveloppees a part. Ayant porte ces der- nieres a leur nez, ils s'en sont tous trois trouves mal, et le lieutenant de police fut immediatement saisi de {'affaire. Le meme jour, un exempt, porteur d'une lettre de cachet, vint arreter, a dix heures du soir, le pauvre Bouret, qui, le lendemain 30, entrait pour trois mois a la prison de Saint-Lazare^ , pendant que Claire- Joseph Geoffroy, de I'Academie des sciences, proce- dait a I'analyse des fameuses pastilles, apres en avoir 1. L'interrogatoire dit par erreur : « Vendredi 27 ou 28 aout. » 2. « L'abbe Bouret a ete arrete hier et conduit a Saint- Lazare. M. le comte de Maurepas est suppile de faire expe- dier un ordre du 30 juillet 1729, pour autoriser celui que j'ai donne. » (Lieutenant general de police Herault a Maurepas, ministrc de la maison du Roi. — Archives de la Bastille.) ^o Adrienne Le Couvreur. fait I'experience sur un chien. Sainte-Beuve, qui a eu sous les yeux le rapport du savant chimiste ', le resume en disant que u quelques-unes des pastilles parurent douteuses, mais que la quantitc n'etait pas suffisante pour permettre de constatcr (?) Ics experiences et d'asseoir un jugemcnt " . On lira, sous le n" XLII de la Correspnndance, et a la date du i"' aoiit, une lettre d' Adrienne a M. He- rault, que Sainte-Beuve a rapportee, par erreur, au second emprisonnement de Bouret. Bouret subit un premier interrogatoire le 4 aout. Le lendemain, le commissaire Camuset ecrit a Herault : S aout 1729. 4 J'ai rhoniieur de vous envoyer I'interrogatoire que vous m'avez ordonne dc faire a Bouret, detenu a Saint-Lazare. II m'a fait un recit de I'affaire dont est question, tel que vous m'aviez fait I'honneur de me le dire ; mais plusieurs circonstances font connaitre que cette pretendue aventure a ete inventee par ce jeune homme, ou dans des vues de recompense, ou par une malice etudiee. Je ne sais pas meme, si tout laid et tout contrefait qu'il est, il ne serait pas devenu amou- reux de la demoiselle qui est la principale interessee dans cette affaire-. " Par le moyen de I'abbe d'Ennetiere^, chanoine de Cambrai, detenu a Saint-Lazare par ordre du Roi, et qui avait des relations au dehors, Adrienne ecrit quatre ou cinq fois a Bouret, qui lui repond regulierement et lui renvoie ses lettres quinze jours ou trois semaines avant sa premiere mise en liberte. 1 . Ce rapport a passe dans les ventes Monmerque (n" 720) et Pixerecourt (n" 278). 2. Archives de Ui Bastille. 3. Une lettre de M. d'Ennetieres de la Plaigne, du 24 fevrier 1730, figurait au dossier 278 de la.vente Pixere- court (novembre 1849). Etude biographique. ^i Elle I'exhorte a sc dedire des choses qu'il a declarees si elles ne sont pas vraies et s'il les a inven- tees, lui promettant d'obtenir sa grace. Ellelui envoie, par son laquais La Roche, trois louis d'or de vingt- quatre livres, un ecu de six francs, deux chemises et une bouteille d'eau delaReine de Hongrie, avec quel- ques volumes qu'il lui renvoie apres les avoir lus. Grace aux demarches de son pere, le tresorier de France a Metz, qui — toutmalaae qu'il etait — vintle chercher, Bouret est mis en liberte le 2 5 octobre 1 729. 11 fait alors trois ou quatre visites a la Le Couvreur. Elle lui fit entendre, des la premiere, que Ton remuait plus que jamais I'afFaire pour laquelle il avait ete arrete, ct qu'on pourrait le faire arreter une seconde fois. En effet, le bruit s'etait repandu dans le public que la duchesse de Bouillon avait tente de faire empoi- sonner la Le Couvreur'. L'abbe Aunillon, I'un des I. Le mardi 18 octobre, Adrienne avait joue P/z£^/-e, et c'est probablement a cette representation qu'il faiit rappor- ter I'anecdote des vers adresses a Mme de Bouillon et de I'epee jetee a Maurice. (Voir page 38.) Nous sommes sans renseignements officielssur les incidents de cette soiree ; mais 11 faut remarquer qu'Adrienne resta ensuite pres d'un mois sans jouer. Elle ne reparut que le jeudi 10 novembre, dans ce meme role de Phedre, et les comptes du theatre du sur- lendemain 12 mentionnent une depense de 1 ^ 10% d'un carrosse « pour aller chez M. de Bouillon au sujet de la livrie » . La duchesse, pour se venger de I'affront du 18 octobre, avait sans doute envoye ses valets faire tapage et siffler la tragedienne. Le samedi de la semaine suivante, 19 novembre, Adrienne joue Andronic pour le debut de Grandval, qui passait pour etre ou avoir ete du dernier bien avec la duchesse, et le lendemain 20, nous trouvons une depense de 2 livres d'un carrosse a M. Le Grand « pour aller chez Mme dc Bouillon. » Enfin, dix jours apres, le mer- credi 30, Adrienne joue Electre,et le registre alloue i '^ 10" de carrosse a La Thorilliere le fils « pour aller a I'hStel de Bouillon » . 52 Adrienne Le Couvreur. familiers de I'hotel de Bouillon, s'empressa d'informer la duchesse de I'accusation qui pesait sur elle. Le due reprocha au lieutenant de police d'avoir abandonne cette affaire et d'avoir fait elargir Bouret. Par une fatalite, le pere de celui-ci etait retombe malade et n'avait pu Temmener a Metz. Une nouvelle lettre de cachet le conduisit au For-l'Eveque le 23 Janvier, et le lendemain, 24, il rentrait a Saint-Lazare, accuse de a poison » ou de u faux avis donne a la celebre come- dienne Le Couvreur ' » . Adrienne, qui avait jouc Horace le 2 1 , ne reparut sur le theatre que le samedi 4 fevrier, dans Electre et le Florent'in, devant le due de Lorraine 2. Elle resta tout un mois sans jouer, jusqu'au dimanche j mars ([t Malade imaginaire el le Florent'in, 1,524 livres). Le lundi 1 3 , elle joua CEdipe, qui, avec le Cocher suppose, fit une recettede 1,427 livres; le lendemain, la Surprise de l' Amour a Versailles, et le mercredi 1 5, (Edipe et le Florent'in. Mile ATsse, qui assistait avec Mme de Parabere a cette representation (i ,206 livres derecette), raconte qu'elle fut prise d'une dysenteric ou inflammation d'entrailles qui la forga de s'aliter'''. Le vendredi 17, aprcs une crise violente, les mede- cins se prononcerent pour une hemorragie d'en- trailles, et le lundi 20, Adrienne Le Couvreur mou- rait a onze heures du matin. Bouret n'apprit I'evenemcnt que le surlendemain, par son pere. Le vendredi 31,1! subit un second interrogatoire dans lequel il confirme ses precedentes depositions ; 1 . « L'abbe Bouret a ete arrete et conduit es prisons du For-l'Eveque, en vertu d"un ordre du Roi anticipe du meme jour. Le 24 du meme mois, il a ete transfere des prisons du For-FEveque a Saint-Lazare, en vertu d'un ordre du Roi anticipe du 24 Janvier 1730. « (Malivoire, e.xempt de robe coiirte, a Herault. Archives de la Bastille.) 2. La recette tut ce soir-la de 3,380 '*. 3. Lettre XVII (XXVI) d'Aisse, datee par erreur de 1727. Etude biographiq^ue. 55 on lui demande en outre si son pere lui a donne avis des papiers qui se sonttrouves sousles scelles apposes apres la mort de la Le Couvreur. — Non, se borne- t-il a repondre. Un mois apres, le 30 avril, son pere, qu'on refusait de lui laisser voir depuis la mort d'Adrienne Le Cou- vreur, ecrivit au lieutenant de police pour demander la liberie de son fils, ou tout au moins la permission de le visiter. Sa lettre porte en marge un : Cela ne se pent au crayon rouge, et le lendemain, i" mai, Bouret est transfere a la Bastille', ou il subit un troisieme interrogatoire le 1 du meme mois -. On trouve dans ses reponses de nombreuses variantes et quelques contradictions. C'est la qu'il parle pour la premiere fois de la Du Clos, a laquelle il dit n'avoir jamais parle que deux ou trois fois. II a dine une fois chez elle avec Duchemin, son ami et mari de la Du Clos". Bouret avait fait la connaissance de Duchemin dans 1. Ordre d'entree du i" mai, contresigne Maurepas. {Archives de la Bastille.) 2. Le meme jour, Anquetil, major de la Bastille, ecrit au lieutenant general de police Herault ; « 10 mai 1730. « L'abbe Bouret, que Ton a amene hier au soir ici, est attaque de la fievre depuis quelque temps ; cette fievre I'a repris ce matin, et cet apres-midi il paraitrait qu'il aurait le transport ; il ne parle d'autre chose qu'on ne le pende point aujourd'hui, et qu'on attende a un autre jour; nous ne pouvons discerner si c'est un veritable transport ou s'il le fait expres; ilparait qu'il en sait long. » {Archives de la Bas- tille.) }. Le mariage de Mile Du Clos avec Du Chemin fils remontait a 1725. L'epousee avait cinquante-cinq ans passes, lefutur dix-sept. Cette union fit scandale et ne fut pas long- temps heureuse : des 1727, Du Chemin battait sa femme, qui demanda la nullite du mariage. Voir le curieux proces au tome XV des Causes celebres, et les pieces publiees par M. Campardon dans ses Comediens du Roi de la troupe fran- foise (p. 9J-96). ^4 Adrienne Le Couvreur. la semaine de la Pentecote 1729, au parterre de la Comedie. lis causerent de choses indifferentes, puis Bouret lui fit compliment de ce qu'il avait bien joue la veille. S'etant retrouves quelques jours apres au cafe de Procope , ils causerent ct lierent amitie ensemble. Bouret a depuis continue a le voir, et il a dine chez lui ' un mois a peu pres avant sa premiere entree a Saint-Lazare; et c'est a ce diner qu'il a fait la connaissance de la Du Clos, environ trois semaines avant d'avoir parle a la Le Couvreur. II avait deja connaissance des faits , mais il n'en paria ni a Duchemin ni a sa femme, ne les connaissant pas assez pour cela, et sachant d'ailleurs ^ue la Du Clos etail ennemie jiiree de la Le Couvreur-. Leur conversation ne roula que sur le role de Pauline, qu'elle allait jouer dans PolyeucleK II n'y avait qu'un quatrieme convive, la nommee Ramcau''. 1 . Du Chemiii et sa femme, apres avoir habite la rue Maza- rine, demeuraient a cette date rue des Cordeliers, paroisse Saint-Sulpice : ils avaient maison de campagne a Fontenay- aux- Roses. Pierre-Jacques Chemin, dit Du Chemin fils, ne ea 1708, avait debute a la Comedie le 3 juillet 1724 par Achille d'Iphigenie ; re(;u a demi-part en 1725, il se retira en fevrier 1730 et dirigea des troupes de campagne a Stras- bourg, a Munich, etc. Il mourut tou en 17s 3. 2. La derniere querelle des deux rivales prit naissance a I'Assemblee de repertoire du 19 septembre 1729. On decide que « Ciniia sera joue les 3, $, 7, 9 et 12 octobre " . Signe : « Le Couvreur, a condition de joticr Emilic. » Signe ; « Du Chemin le fils, a condition que sa femme joucra Eniilie si elk se porte bien. >> Ce fut Adrienne qui I'emporta : Cinna fut recule de huit jours et donne seulement trois fois : Mile Le Couvreur joua Emilie les 10, 12 et 15 octobre. Mile Du Clos ne joua pas cc mois-la, ni en novembre, ni en decembre : elle avait joue une seule fois au mois de septembre. 3. Adrienne joua Pauline le samedi 25 juin 1729. Elle I'avait deja jouee le 30 mars precedent ct la rejoua pour la derniere fois le 8 octobre. 4. C'^tait la confidente de la Du Clos. Du Chemin fils Etude biographique. 55 Tel est le resume de ce troisieme interrogatoire, subi par Bouret dans la salle du chateau de la Bas- tille. La semaine suivante, le P. de Couvrigny, Jesuite, confesseur de la Bastille, faisait passer au lieutenant de police ce billet, dont la gravite n'echappera a personne : « 18 mai 1730. ci J'ai vu aussi et entretenu longtemps le jeune abbe sorti de Saint-Lazare ; je I'ai fort preche sur la noirceur de la calomnie ; il parait tres ferme a soutenir (ju'il n'en fait pas contre les aiitres , mais cju'il n'en peut pas /aire aussi contre hii-meme; la chose est bien terrible et serieiise '. » Trois mois apres, le 8 aout 1730, Bouret, persis- tant dans ses precedentes declarations, adresse a M. Herault la supplique suivante, dont I'importance me semble capitale en cette affaire : A Monseigneur Monseigneiir le lieutenant de police, dans son Iho telle, a Paris. Monseigneur, Permetez cjue je me jete a vos genoux pour inwlorer voire protection : je crois que vous ne me la refuserez pas aautant que vous este le protectcur des inocents; helas jetez un regard pitoyable sur mes malheurs : cest un triste spectacle pour vous : vous ni veray que pleurs, gemisemens, fraycurs : en un mot tout ce que une ame agltee peut se represenler : voila le triste ctat ou je suis reduit depuis un anne entierc : La fureure de rendit plainte contre elie en fevrier 1730, quand il se separa de sa femme. I. Archives de la Bastille 1^6 Adrienne Le Couvreur. mes enenils ne doit elk pas elre assouvi : voiis este ma seule esperance, en vons j'ayfonde mon espoir : ordonez de mon sort, Monseigneur j'l souscriray c'est tout ce que je puis fair, mais pour me departir de ce que j'ay avance, la mort avec toutes ses horeursabeau se pre- senter devant mes yeux, je la prefereray a me calo- mnier moy meme ; quel interet, pour quelle raison me serais je jete dans un labirinte pareille a celuy ou je suis : pour peu que vous vouliez examiner ces raisons mon inocence eclatera a vos yeux : encof une fois Mon- seigneur je vous le repete, si je suis coupable que I' on n'epargne rien pour mon tourment, mais si je suis ino- cent songe que I'inocence persecute est pir que le vice que I'on laisse en repos : il me reste une grace a vous demander laquelle est de me permetre d'auoir de quoy m'ocuper dans ma prison : c'est a dir tout les ustan- cilles nessesaire a la mignature qui sont a Saint hazard : cela adoucira infiniment la rigeur de ma detention : car c'est un tourment sans pareille que I'oisivete : permetez moy ausi monseigneur d'ecrire a mon pere pour avoir ce qu'il m'est nessesair pour m'abiller. J'atend touts ses graces de votre bonte et je demeure avec un tris profond respects Monseigneur Votre tres humble et tres soumis serviteur I'abe BOURET. C 8 julliet 170? ». 1 . 11 faut lire ; Ce 8 aoiit 1730 ; car en tete de cette sup- plique on a ajoute : « A joindre. « M. Rossignol. « 8 aoust. « L'abbe Bouret demande sa iiberte, et persiste dans ce qu'il a dit. » firUDE BIOGRAPHIQ^UE. ^7 Le 24 du meme mois, nouvelle lettre a M. Herault ' ; mais c'est une autre gamme : A Monseigneur le Lieutenant de police, dans son hotelle, a Paris. Monseigneur, Comme vous mauez fait Ihonneur de m'ordonner de dir la verite touchant Madame la duchesse de Bouillon, je me rend a uos ordre. La void. L'emiie que j'auois de conoitre la Le Couvreur ma fait imagine un moycns pour auoir entree chez elle : le uoicl. J'ay feint auoir un secret a luy decomiire lequel etoit de ce con deuoit hiy jouer un tour qui ne luy seroit point auantageux. Elle me demanda auec transport lequelle etoit, je ne uoulu luy rien decouurir; nayant dans le fond rien a dir. Elle me dit quelle nauoit rien a craindre, sinon de Ihotelle de Bouillon ou de I'Opera : je la quittay la dessus en luy disant que je luy donay seulement un auis, mais que je ne luy nommeroit pcrsonne. Elle me repon- dit que ce netoit rien fair si je ne luy montroit quels sent les coups quelle auoit a redouter, Et quelle ne craignoit que madame la duchesse du Bouillon; je saisi ce mot pour men seruir. Comme elle etoit frape de ce cote la, il me fut aissc a luy persuader ce que je uoulu sans toutefois luy dir que cetoit madame la duchesse de Bouillon. J'lnventay tout ce que jay mit dans mes depo- sitions et mouurit une ample carierre la dessus : je dis ouy a tort a travers : je uous declare, Monseigneur, que Madame la Duchesse est innocente de tout ce que jay dit, uoilalauerite. Monseigneur, jay commis une grande imprudence en luy portant ce pretendu poison qui nest rien, non plus que le page et les hommes masquee. Jimplore uotre clemence, Monseigneur, je me jette au I. Publiee par Vintcrmediaire du 10 juillet 1866, coK 414, sous la signature P. -A. -LI, cette lettre etait la hui- tieme piece du dossier n" 278 de la vente Pixerecourt. ^8 Adrienne Le Couvreur. genoux de iiotre misericorde : pardone: a un miserable qui n'a pour tout crime que la cenielle brouillez et heaucoup d'imprudence ; je demeure, Monselgneur, auec vrofond respect, Voire tres humble et Ires obcissant seruileur. BOURET. Ce 24 aoust 1750. Cette lettre ne parait pas avoir obtenu d'autre reponse qu'un nouvel interrogatoire, celui du 30 aout 1730, dans lequel Bouret, changeant brusquement de systeme, convient que u tres mal a propos, il a charge u par ses precedcntes declarations Mme la duchesse u de Bouillon des faits graves qui y sont enonces; u qu'il lui en demande pardon et la supplie tres hum- t blement de vouloir bien lui pardonner ' t . Qualre jours apres, dans un cinquieme et dernier interrogatoire (3 septembre 1730), Bouret, a bout de force et de patience, se dedit encore de toutes ses declarations precedentes et continue a demander pardon. Cette retractation formelle semble la rangon de sa delivrance. On ne prit meme pas la peine de lui deman- der dans quel but et par quels motifs il avait invente ces pretendus mensonges, soutcnus jusque-la avec tant de perseverance. II est visible qu'on lui a dicte cette reponse unique : «■ Faux, suppose et invente n en lui promettant sa grace. Ce ne fut cependant que le 3 juin de I'annee sui- vante 1731, apres vingt mois de detention et quand Adrienne etait bien oubliee deja, que le malhcureux I . « Il fut arrete pour avoir accuse Mnic la duchesse de Bouillon d'avoir voulu einpoisonner Mile Le Couvreur : il a avoue qu'il avait invente cette calomnie pour se procurer une entree chez Mile Le Couvreur. » (Note de Duval, pre- mier cominis de la lieutenance de police. Archives de la Bastille.) Etude biogr aphique. 59 Bouret fut mis en liberie par ordre du cardinal de Fleury et de M. de Maurepas '. On ignore ce qu'ii devint et a quelle epoque il mourut, emportant avec lui dans la tombe le secret de cette mysterieuse affaire, dont on ne saura jamais la verite. Pour nous, dont I'opinion est faite a ce sujet, nous laisserons au lecteur le soin de conclure : il a sous les yeux les pieces du proces-; qu'il pese et juge, 1. L'ordre de sortie, du 2 juin 173 1, est contresigne Maurepas. (Archives de la Bastille.) Le meme jour, Herauit avait ecrit a M. de Maurepas : « Paris, 2 juin 1731. « J'ai eu I'honneur de parler a M. le cardinal de Fieury de I'afTaire de I'abbe Bouret, qui fut conduit a Saint-Lazare par ordre du Roi du 23 Janvier 1730 et ensuite transfere a la Bastille par un autre ordre du i'"" mai de I'annee der- niere. Son Eminence a bien voulu lui accorder sa liberte. Ainsi je vous supplie d'avoir pour agreable de vouloir bien en expedier l'ordre. » (Archives dc la Bastille.) 2. Je regrette de n'avoir pu prendre connaissance de douze pieces du dossier Pixerecourt, ainsi designees par le catalogue de novembre 1849, page 41 ; — N" 278 3. Un memoire sur I'abbe Bouret. 4 . Un rapport autograplie et signe de C.-J. Geoffrey, de I'Academie des sciences, sur la nature des pilules saisies sur Bou- ret. (30 juillet 1729.) 5 . Une copie du rapport des medecins char- ges *de faire I'autopsie du cadavre d'A. Le Couvreur, en date du 21 mars 1730. 6. Une lettre de M. de Maurepas, du 21 mars 1730, signee, relative a la mort de Mile Le Couvreur et aux mesures a prendre pour sa sepulture. (Cette lettre, adressee au lieutenant de police, ordon- nait qu'elle fut enterree de nuit, pour eviter le scandale.) 7. Une lettre du P. Couvrigny, Jesuite, 6o Adrienne Le Couvreuk. sans tenir trop de compte des protestations de la duchesse et dii sentiment de Voltaire '. confesseur de la Bastille, sur I'abbe Bouret et Fobjet de I'accusation qu'il portait contre la duchesse de Bouillon. 8. Une lettre de la duchesse de Bouillon au lieutenant de police Herault. 9. Une lettre du due de Bouillon au meme, du 30 Janvier 1730. 10. Une lettre de la duchesse douairiere de Bouillon au meme, du 6 septembre 1730. 1 1 . Une lettre du comte d'Evreux, du 2 fe- vrier 1730. i;. Une lettre de M. Caderousse, Janvier 1730. 13. Une lettre de M. d'Ennetieres de La Plaigne, du 24 fevrier 1730. 14. Une lettre du P. J.-B. Menard, pretre de la Mission et prefet de la Congregation (mars 1730). Que sont devenus ees documents ? I . Voltaire a ecrit et signe la note suivante : « Ella mou- rut entre mes bras, ci'une inflammation d'entrailks ; et ce fut moi qui la fis ouvrir. Tout ce que dit Mile Aisse sont des bruits popuiaires qui n'ont aucun fondement. » Mais le president Bouhier ne partageait pas cet avis, quand il ecrivait a Mathieu Marais : « La mort de la Le Couvreur FAIT trembler; j'en suis tres afflige dans mon particulier. » LE REFUS DE SEPULTURE Je trouve un argument de plus, et des plus signifi- catifs, dans les circonstances memes des obseques. Nous avons dit qu'Adrienne etait morte le lundi 20 mars 1730, a onze heures du matin '. Maurice, Voltaire et le chirurgien Faget avaient assiste a ses derniers moments. Les scelles furent apposes par M" Parent le soir meme, de cinq a dix heures. La Comedie donnait Electre, sa piece de debut, avec Mile Jouvenot : il y avait eu, le matin, assemblee du repertoire. Le lendemain, mardi 21, des affiches noires annon- cent reldche a Paris ; mais Mile Du Clos joue Po- lyeucle a Versailles. L'autopsie avait ete faite dans la matinee. Des Boulmiers dit que , comme on avait plutot songe a procurer a Adrienne des secours physiques que spirituels , le cure de Saint-Sulpice arriva alors que son ministere n'etait plus necessaire, et que, quelques raisons que Ton put lui dire, il refusa abso- lument de lui rendre les honneurs funebres. Le Tableau du sikle ~ allegue qu' a elle n'eut pas 1. Les registres de la Comedie et la correspondance de Mile Aisse portent « une heure de I'apres-midi « . — « Sur les trois heures de relevee » , dit la garde-malade Jeanne Guillotin, installee au chevet de la mourante de la veille a dix heures du soir. 2. Tableau da siick, par un auteur connu ("Nolivos de 62 Adriekne Le Couvreur. le temps de faire sa renonciation, etant morte presque subitement >' . II ajoute que n le cure de sa paroisse refusa de rcnlerrer parmi les fideles, quoiqu'elle cut temoigne un extreme desir de recevoir les derniers sacrements, et qu'elle fut morte dans le temps qu'elle avait envoye chercher un prctre ' » . Desprez de Boissy pretend, au contraire, que M. Languet, cure de Saint-Sulpice, qui avait exhorte Mile Le Couvreur avec le plus grand zcle, lui refusa constamment la sepulture chretienne, parce qu'elle ne voulut donner >. aucun acte de repentir des scandales de sa profession - d . C'etait son droit, Tactricc etant morte sans avoir renonce au theatre, de lui fermer I'eglise, comme Saint-Eustache avait ete jadis fermee a la depouille de Moliere. Mais pouvait-il lui refuser I'entree du cimetiere, ou d'une certaine partie du cimetiere , accordee meme a I'auteur du Tartuffe et, sur cette paroisse meme, a Rosimond mort sans confession (1686), a la Champmesle decedee sur la paroisse d'Auteuil (1698), et plus recemment aux comediens Lavoy (1726) et Le Grand (1728)? Et non seulement la sepulture religieuse, mais — fait unique dans I'histoire du theatre! — toute sepul- ture fut refusee a Adrienne Le Couvreur, qui n'eut pas meme une biere pour dernier lit. Ce fut a minuit, Saint-Cyr, comedien sous le nom de Laval). Geneve, 1759, in-i2. Chap, des SpectiUies, p. 220. 1 . On salt que Moliere, « voulant temoigner des marques de repentir de ses fautes et mourir en bon Chretien, demanda avec instance un pretre pour recevoir les sacrements, et envoya par plusieurs fois son valet et sa servante a Saint- Eustache, sa paroisse;... le nomme Paysant arriva comme il venait d'e.xpirer. » (Requete de la veuve a I'archeveque de Paris.) 2. Lettres sur les spectacles, 7' edit. (1779), t. I, p. $3. Dans le tome II, il dit, avec une legere variante : « Aucun signe de repentir sur sa profession. » (P. 182.) Etude biographiq,ue. 65 dans un fiacre, que le corps fut clandestinement porte, comme un paquet, par deux portefaix, accompagnes d'une escouade du guet et d'un M. Laubiniere, au milieu dc chantiers, dans un terrain vague ou sur le bond de la riviere. Ce fut un veritable enfouissement, et, comme pour Moliere, on ne salt pas meme ou repose aujourd'hui le corps de la tragedienne'. Ici encore, comme dans I'affaire de I'empoisonne- ment, nous marchons dans les tenebres, et ne pouvons avancer qu'a tatons. line premiere version — c'est ceile de ['edition de Zaire de 1735 et de Des Boulmiers — dit ^ a la Gre- nouillere " , c'est-a-dire vers le quai d'Orsay actuei, peut-etre a Tangle du boulevard St-Germain, peut-etre — comme le pensait EdouardFournier — au coin des rues de Lille (ou de FUniversite) et de Bourgogne-. Une autre, qui date de 1786, veut que ce soit encore rue de Bourgogne, mais a cinq cents metres plus loin, a Tangle sud-est de la rue de Greneile^. 1 . On ne sait pas davantage ce que sont devenus les restes morteis de I'immortel Mozart. 2. « Vers le bord de notre riviere. » (Epitre dedicatoire de Zaire.) — « Enterree toute seuie au coin dela rue de Bour- gogne. )> {Candide, ch. xii.) — Mais Voltaire, d'ordinaire inexact, est ici doublement suspect, comme poete et comme romancier. 3 . La legende parait avoir defmitivement adopte le n° 115 actuei de la rue de Crenelle, occupe par ['hotel de M. de Jouvencel, precedemment a M. le comte Ch. de Vogiie, a M. le comte de Berenger (1823-36) et au marquis de Som- mery (1786), construit sur un terrain appartenant a M. de Maurepas, presque en face des Carmelites. ll faut noter que ce terrain etait alors voisin d'un des cime- tieres de Saint-Sulpice, sitae hors de la paroisse, entre les rues de Crenelle et de Varenne. Voir la nomenclature de La Caille et le plan de I'abbe de la Grive (1728). Nicolas de Per et Jouvin de Rochefort placent Tun des cimetieres de Saint- Sulpice entre les rues de Varenne et Valleran (Hillerin-Ber- tin), avec entree rue de Crenelle, a la hauteur du convent de la Visitation. 64 ADRIENNE LE COUVREUR. Enfin, selon une troisieme version, que je trouve consignee seulement dans la Galerie theatrale de Bance aine (1823, t. II, n» 89), I'abbe d'Anfrevilie, qui s'etait plu a former le talent d'Adrienne, iui aurait « donne un tombeau sous les ombrages de son jar- din ' n . Nous renongons, pour notre part, a concilier ces assertions contradictoires. Les comcdiens du siecle dernier savaient peut-etre la verite, quand ils demanderent a rechercher le corps de la tragedienne 2. H est tres regrettable que leur projet n'ait pas abouti. Sans doute voulaient-ils reparer la coupable indifference ou I'oubli de leurs predeces- seurs, qui n'avaient rien fait pour leur illustre cama- rade. Le mercredi 22 mars, il y eut — il est vrai — assemblee extraordinaire des comediens. On pretend que Voltaire assistait a cette seance, dont le proces- verbal ne nous a malheureusement pas ete conserve. II dit aux comediens indignes qu'ils devaient declarer qu'ils n'exerceraient plus leur profession jusqu'a ce qu'on traitat les pensionnaires du Roi comme les autres citoyens qui n'ont pas I'honneur d'appartenir a Sa Majeste. Les comediens le Iui promirent, et n'en firent rien : on n'etait pas encore au siecle des greves. La cloture annuelle de leur spectacle se fit le surlen- demain 24, et Grandval, le dernier regu dans la Com- pagnie, prononga, dans le compliment d'usage, I'eloge 1. Ce jardin devait etre situe rue de Seine, dans le voisi- nage de la rue des Marais. Une note de I'abbd Granet, editeur de la deuxieme edition du Discours de la Comedie du P. Le Brun, dit, en 173 1, qu' « on fut oblige de I'enter- rer a la campagne » (p. 260). Ce fut dans son jardin d'Asnieres que le mari de la Champ- mesle, mort subitement le 22 aoiit 1701, et repousse par Saint-Sulpice, sa paroisse (il denieurait ruedeConde), fut in- hume le lendemain. 2. Voir plus loin, page 79. Etude biographique. 65 tunebre d'Adrienne Lc Couvreur, compose par Vol- taire lui-meme. (V. p. 67.) Ce fut la toute la protestation de la Comedie et des auteurs. Quel fut le role du lieutenant de police en cette affaire, qu'il eut probablement ordre d'etouffer? Quel etait ce M. Laubiniere, temoin de I'enfouissement, et qu'on a donne comme un parent ou un ami d'Adrienne? Ne serait-ce pas tout simplement I'exempt charge de conduire I'escouade ' ? Pourquoi le corps, prive du plus leger cercueii, fut-il jete a la voirie et couvert de chaux -, sinon pour empecher toute nouvelle tentative d'autopsie ? Que fit 1. Le seul renseignement que j'aie pu trouver sur cet inconnu est son titre d'entree a I'Opera, treize ans plus tard. Sur une liste de 1743, je releve ce nom de Laubiniere entre ceux de Souzy, Petit et Dampierre (Etat general de tous les Gratis de I'Opera en Janvier ii^^). Ce curieux document contient 273 noms, dont plusde 200 a I'Amphitheatre. On y rencontre le commissaire Cadot, Dageste, friseur de la Reyne, le menin du prince de Conty, Mile Gaussin, les comediens Grandval, Du Breuil et Mine Silvia. 2. Le Tableau du Siccle, deja cite, donne, aux pages 221- 222, ces curieux details : « Quelques jours apres cette triste ceremonie, quelqu'un fut trouver Ariste (Languet de Gergy), et lui dit qu'en faveur des sentiments de piete que Mile Le Couvreur avait montres en mourant, et en consideration des demandes reiterees qu'elle avait faites d'un confesseur, on aurait du user de quelque indulgence a son egard, etant cer- tain que le vouloir est repute pour le fait aupres de Dieu. Ariste n'eut pas de peine a lui demontrer qu'il avait agi comme il le devait, la force de la loi etant pour lui. On le laissa debiter toute I'austerite de sa morale, et apres I'avoir ecoute paisiblement : « Savez-vous bien, lui dit-on, qu'elle avait une volonte si determinee de se soumettre a la disci- pline de I'Eglise lorsqu'elle a fait appeler un pretre, qu'elle a charge des amis, temoins de ses derniers soupirs, de don- ner un diamant et v.n collier de la valeur de 6,000 livres, pour orner le soleil de voire paroisse, au cas que vous I'en- terrassiez comme elle I'esperait ? — Pourquoi done ne m'avoir 66 Adrienne Le Gouvreur. le comte de Saxe en presence d'un pareil traitement ? Est-il vrai, comme le pretend Le Vacher de Chamois •, qu'il ne quitta le lit de la malade qu'apres qu'elle eut rendu le dernier soupir, et n que ce lut lui qui accom- pagna le corps au lieu de sa sepulture f> ? En tout cas, ce fut, j'imagine, plus en souvenir d'Adrienne que de sainte Monique que, vingt ans apres, le vainqueur de Fontenoy, de Lawfeld et de Raucoux ordonnait par testament que son corps fijt tt consomme dans la chaux vive y> : voeu qui ne fut pas exauce, le Roi I'ayant fait transporter a Strasbourg, theatre des premiers triomphes d'Adrienne. Le cure Languet, mort en 1750, eut un superbe mausolee, chef-d'oeuvre de Michel-Ange Slodtz, dans I'eglise meme dont il avait refuse I'entree a la trage- dienne. La duchesse de Bouillon etait morte en 1737, pro- testant de son innocence -. pasinstruit plus tot de ces pieuses intentions? repiiqua Arista. // n'est pas possible a present de la faire deterrer, on m'a dit qu'o.N AVAIT JETE DE LA CHAUX SUR SON CORPS. » 1 . Costumes et annates des grands theatres de Paris (t. Ill, n° I, 1788). 2. Aunillon, Memoircs, t. II, p. 6. APRES LA MORT A peine disparue, la tragedienne, qui avait suscite les jugements les plus contradictoires, devint I'objet d'eloges unanimes et d'universels regrets, line nuee d'epitaphes fut consacree a sa memoire : on les trou- vera reunies a d'autres pieces de vers, dans notre Appendice,sousletitrede Couronne poetlque d' Adrlenne Le Comreiir. Le vendredi qui suivit sa mort , a la cloture du theatre, son jeune camarade Grandval, recemment reQU sous le nom de Duval, prononga au nom de la Compagnie le discours suivant, ecrit par Voltaire lui- meme : li Je sens. Messieurs, que vos regrets redeman- dent cette actrice inimitable, qui avait presque invente I'art de parler au coeur et de mettre du sentiment et de la verite oia Ton ne mettait gueres auparavant que de la pompe et de la declamation. « Mile Le Couvreur — souffrez-nous la consola- tion de la nommer — faisait sentir dans tous ses per- sonnages toute la delicatesse, toute Tame, toutes les bienseances que vous desiriez : elle etait digne de parler devant vous, Messieurs; parmi ceux qui dai- gnent ici m'entendre, plusieurs I'honoraient de leur amitie; ils savent qu'elle faisait I'ornemcnt de la societe comme celui du theatre, et ceux qui n'ont connu en elle que I'actrice peuvent bien juger, par le degre de perfection ou elle etait parvenue, que non 68 Adrif.nne Le Couvreur. seulement elle avait beaucoup d'esprit, mais encore I'art de rendre I'esprit aimable. u Voiis utes trop justes, Messieurs, pour ne pas regarder ce tribut de louanges comme un devoir : j'ose meme dire qu'en la regrcttant, je ne suis que votre interprete '. i' Huit jours apres sa mort, le president Bouhier la comparait a laChampmcsle, a la Du Clos, a Mile Rai- sin, a sur lesquelles elle I'emportait — dit-il — pour I'action et pour le jeu naturel. Elle etait, en son genre, ce que Baron etait dans le sien -. - Le Mercure de France lui consacrait aussitot un long et elogieux article necrologique , rcproduit presque textuellement par les Noiiveciux Amusements serieiix et comitjiies (1736) et par Titon du Tillet dans son Supplement au Parnasse Jrangois (1743) : - Le Theatre-Frangais vient de faire encore une perte des plus grandes qu'il put faire en la personne d'Adrienne Le Couvreur, morte d'un flux de sang en peu de jours, le lundi 20 de ce mois •'. '> Et il continue en ces termes, qu'il faut reproduire in extenso, comme le premier temoignage de ce deuil general : " On ne saurait exprimer les regrets du public, a la Cour et a la Ville, sur la perte de cette inimitable actrice, qui avait I'art admirable de se penetrer au degre qu'il fallait pour exprimer les grandes passions et les faire sentir dans toute leur force. Elle allait d'abord au cceur, et le frappait vivement avec une intelligence, une justesse et un art qu'il 1 . La Harangue qui renferme ce bel eloge parut pour la premiere fois dans la kttrc a Milord *'' (1730J ; elle a ete reimprimee dans la Collection dcs (Euvrcs de Voltaire, Amsterdam, 1764 (t. I, 2" partie, p. 698) ; se irouve au tome XXXVII (p. 94-96) de I'edition de Beuchot (1829), et au tome XL des (Euvrcs de Voltaire, publiees chez Gamier par M. Louis Moland. 2. Lettre a Mathieu Marais, du 28 mars 1750. J. Mercure de France, mars 1730, p. 577 a 581 , Ktude biogr aphiq_ue. 69 est impossible de decrire ; elle animait meme les vers faibles par la finesse et le feu desoii jeu, et les plus beaux recevaient de nouveaux agrements dans sa bouchc. « Le pathetique de la declamation dans presque tons les grands caracterts tragiques n'a jamais ete pousse plus loin, et on ose assurer, sins crainte d'etre dementi par le public, que peu dcs meilleures actriges du Tlieatre-Frani,-ais ont ete aussi generalemcnt cheries du parterre et des loges, et ont fait repandre autant de larmes. « Cependant Mile Le Couvreur n'avait ni une grande voix, ni une prestance avantageuse, ni beaucoup de ces graces dont le beau sexe est en possession pour charmer les yeux et le cosur ; man eile etait parfaitement bien faite dans sa taille mediocre, avcc un maintien noble et assure, la tete et les epaules bien placees, les yeux pleins de feu, la bouche belle, le nez un peu aquilin, et beaucoup d'agrements dans I'air et les manieres ; sans embonpoint, mais les joues assez pleines, avec des traits bien marques pour exprimer la tris- tesse, la joie, la tendressa, la terreur et la pitie. Le gout recherche et la richesse de sa parure donnaient un nouvel eclat a son air imposanl, a sa demarche et a scs ges;cs pre- cis, et presque toujours energiques. « Elle n'avait pas beaucoup de tons dans la voix, mais elle savait la varier a Tinfmi, et y joindre des inflexions, qujlques eclats, et je nc sais quoi d'expressif dans Fair du visage et dans toute sa personne, qui ne laissaient rien a desirer ; avec la parole libre elle avait la prononciation nette et une maniere de declanier tout a fait originale, et qui lui etait parliculiere '. « Nous avons oui dire a quelques spectateurs que, dans ces grands personnages tragiqu;s (car dans le comique elle ne jouait et ne brillait que dans un petit nombre de roles), ils croyaienl voir veritablemcnt une princcssc qui jouait la comedie pour son plaisir. « On lui donne la gloire d'avoir introduit la declamation simple, noble et naturelle, et d'en avoir banni le chant ; c'est elle ausii qui la premiere a mis en usage les robes de : . Ici, quelques details biographiques, que nous n'avons pas cru devoir reproduire, parce qu'ils fourmillent d'erreurs. 70 Adrienne Le Couvreur. cour, en jouant le role de la reine Elisabeth dans le Comte d' Essex K « Ceux qui lui ont vu jouer le role de Berenice ont sans doute remarque avec quel art elle passait subitement de I'etat le plus triste at le plus affreux a la situation la plus gaie ; alarmee de Tinfidelite de Titus, elle se rassurait dans la pensee qu'il n'etait que jaloux. « Lorsque, dansle role &' Elisabeth, elle apprenait I'amour du comte d'Essex pour la duchesse d'Irton, en effet, livree au plus grand mepris qu'une femme, et surtout qu'une reine puisse essuyer, avec quelle sensibilite ne descendait-elle pas de la fierte la plus haute a I'exces de la plus grande ten- dresse, jusqu'a se joindre a la duchesse pour sauver le comte ! « Dans Electre, lorsque gemissante et chargee de fers, elle se livrait par gradation, elle faisait edater la plus grande satisfaction en pronon^ant ces mots : Ah ! mon frere est ici ! Ses avides regards sur ce frere qu'elle ne connaissait encore que par les mouvements de la nature etaient si expressifs qu'on ne saurait se rappeler cette scene sans en etre attendri. « On pent ajouter qu'on n'a peut-etre jamais si bien entendu Tart des scenes muettes, c'est-a-dire si bien ecoute et si bien exprime le sens des paroles que I'acteur qui etait en scene avec elle disait. « Au reste, elle aimait extraordinairement son metier-, et avait au supreme degre ce qu'on appelle des entrailles et du sentiment ; elle entendait tres bien le sens des paroles qu'elle declamait. Elle joignait a ces talents de la politesse, du savoir-vivre et de I'esprit ; on a meme vu de ses lettres 1 . Titon du Tillet, qui, dans son Supplement au Parnasse frangais (1743, p. 806-810), a demarque, transpose, amplifie I'eloge du Mercure, dit « qu'elle a mis la premiere en usage les corps de robe de cour et le cordon bleu de I'ordre de la Jarretiere » . A la reprise de Tiridate (i 3 octobre 1727, 13 represent.), I'exemple d'Adrienne fut suivi par ses camarades : elles adopterent les robes a longues queues trainantes pareilles a celles des dames de la cour, et le public approuva cette innovation. 2. Baron aussi ^tait fanatique de son art, et, — ajoute Colle, — « c'est un grand point pour y reussir. » Etude biographique. 71 que Voiture n'aurait pas desavouees ; elle frequentait les meilleures maisons de Paris, et y etait souhaitee. » Suivent : une Epltaphe signee « M. Dalinval » , reproduite a la fm de la Lettre a Milord *** (V. a I'Appendice)', et le Tombeaii de Mile Le Couvreur (V. id.) que Ton retrouve aussi dans les Nouveaux Amusements serleux el comlques. La Lettre a Milord *** lui est presque entierement consacree : nous en avons donne denombreuxextraits au cours de cette etude; mais il faut les completer par d'importants details empruntes a la Seconde lettre da soiiffleur de la Comedie, que Ton attribue a Du Mas d'Aigueberre, un auteur bien place pour parler de I'actrice avec competence, puisqu'il lui avait recemment confie un role dans un de ses ouvrages : « Quelle actrice ! Quel regret pour tous les amateurs de la Comedie ! quelle perte pour le Theatre ! Ce qui nous y rendit si sensibles, c'est qu'elle n'avait pas encore epuise tous ses talents ; on ne peut douter qu'elle n'eut ete beau- coup plus loin , quoiqu'elie satisfit entierement ; enfin, on la voyait croitre et se perfectionner tous les jours, et comme on lui supposait encore une longue carriere, on ne mettait aucunes bornes a ce que Ton en pouvait attendre. Tel n'est pas I'avis de Titon du Tillet, qui ecrivait '^'i '745 :. . , . ,. u Jamais actrice n a si bien rempli que Mile Le Couvreur le role d'Hortense dans la comedie du Flo- rentin, ou, par I'intelligence et la finesse de son jeu, elle enlevait tous les spectateurs, surtout dans la scene des deux fauteuils ; ce role a toujours passe pour un des plus difficiles du comique pour le bien rendre. n II est evident, en dehors de tout temoignage, que chez Mile Le Couvreur, I'une des plus grandes trage- diennes qui aient existe, la comedienne ne pouvait egaler I'interprete des Corneille et des Racine. Sa nature pourtant, sa taille, sa voix, sa grace et son esprit lui permettaient de briller dans Moliere et dans Marivaux, et il n'est pas sans interet de remarquer que, sur les vingt-deux creations qui ont marque sa trop courte carriere, onze — la moitie — sont des roles dc comedie. Mais aucun n'a compte pour la renommee de I'artiste , et Ton peut meme ajouter qu'elle n'a rien du aux auteurs de son temps. C'est au vieux Corneille, c'cst au tendre Racine qu'elle a redonne comme une seconde vie ; leur genie suffisait au sien ; c'est dans I'etude et I'interpretation de roles graves dans toutes les memoircs qu'en moins de treize annees elle a conquis une renommee encore vivante aujourd'hui. Quel est, en definitive, le but du theatre tragique, sinon de nous fairc oublicr nos doulcurs par le spec- tacle de douleurs plus grandes, d'ouvrir en nous la 78 Adrienne Le Couvreur. source de remotion et des larmes, do nous faire depenser pour des malheurs fictifs notre provision de reelle tcnaresse ou pitie? A cela suffiront toujours nos vieux chefs-d'oeuvre, qui ont epuise la gamme des sen- timents connus et des passions humaines. Ce sont des cadres toujours prets a recevoir la creation person- nelle du genie. Voyez CEdipe-Roi, la plus ancienne ct la plus terrible des tragedies. Est-ce que I'art a fait un progres depuis Sophocle? ne pleure et ne fremit- on pas aujourd'hui comme au premier jour? C'est un theme eternel sur lequel chaquc artiste de genie vient successivement broder ses variations personnelles. Des entrailles, de Fame, un u cri de la nature " , — comme dit Musset qui eut adore Le Couvreur, — 11 n'en faut pas davantage a ces ctres privilegies pour rajeunir eternellement les plus vieux chefs-d'oeuvre, lis ont regu le don : Apollon presidait a leur nais- sance. Le nom d' Adrienne Le Couvreur restera, dans I'histoire du theatre, attache surtout au progres de la declamation simple et naturelle, rompant avec I'ecole de la boursouflure dcja combattue par Moliere chez ses rivaux de I'hotel de Bourgogne. Le public etait tombe du chant cadence de la Champmesle dans la diction ampoulee de Mile Du Clos. Cette tragedienne, que Largilliere a peinte si peu tragique, rose et blanche, grassouillette, rondelette et joufflue, avec des fossettes et la bouche souriante, ne pouvait avoir que la diction de sa figure : pom- ponnee, manieree, ronronnante. Adrienne, persuadcc que toute grandeur et toute noblesse doivent etre simples, revient instinctivement aux conseils de Moliere , c'est-a-dire a la nature : « reciter comme Ton parle " . Aussi fit-elle sa petite revolution au theatre, bien avant que le dix-huitieme si^cle eut mis la Nature a la mode, avec Diderot et Jean-Jacques. C'est ce que n'avaient pas oublie les Comediens Etude biographiq^ue. 79 frangais lorsque, le 27 avril 1797, ils ecrivaient au ministre de I'interieur Benezech : « Paris, le 8 floi'eal an V. (i C'est avec confiance que nous nous adressons a vous pour obtenir un acte d'equite qu'invoquent les beaux-arts dont vous etes I'ami et dont vous vous montrez le protecteur. n Des prejuges honteux, le fanatisme et la super- stition ont refuse jadis les honneurs de la sepulture a la celebre Adrienne Le Couvreur. Cette actrice si touchante qui porta la premiere sur la scene tragique le langage de la nature, le cri de I'ame et I'expression de la verite, regut a sa mort, pour prix de ses talents, un outrage dont ses manes demandent aujourd'hui la reparation au siecle de la philosophic, au peuple regenere qui ne connait plus de titre etranger a sa gloire. « Lorsquc nos ennemis orgueilleux plagaient dans Westminster, pres des tombeaux de leurs Rois, les tombes de mistress Oldfields et de Garrick , nos ancetres releguaient ignominieusement les cendres d'Adrienne Le Couvreur hors de la sepulture accordee a ce qu'on nommait les fideles, sur les bords de la Seine, dans une terre ignoree oi!i rien n'annongait aux regards , ne rappelait au souvenir des hommes combien etait precieux le depot que lui confiait I'amitie gemissante ! (i Nous demandons, citoyen ministre, que vous vcuillez bien nous autoriser a rechercher ce qui reste d'une femme celebre ; a rendre sa depouille mortelle aux licux designes par la loi pour le dernier asile des citoyens frangais, et a couvrir la place qu'occupent ces cendres trop longtemps avilies d'une pierre qui dcsigne au moins a I'ami des Arts, que la repose une artiste qui fit les delices de son siecle et que son siecle abandonna sans pudeur aux lois barbares die- 8o Adrip:nnf. Le Couvreur. tees par le tanatisme et consacrees par de vils pre- )uges. t Les artistes du Theatre de la Republique : A. Baptiste aine. — FRANgois Talma. — a. mlchot. — gourgaud dugazon. — Vestris. — Derozieres. — Grand- Menil. — Vanhove. — Baptiste. — Gaillard'. -1 Un mois plus tard, le 25 mai, le ministre felicite les artistes de leur initiative, a laquelle il veut s'associer en invitant les membrcs du bureau central du canton de Paris a seconder, de tout leur pouvoir, I'e.xccution de ce projet. Mais I'afFaire en resta la, Bcnezech ayant ete destitue peu apres, et aujourd'hui encore, on ne saurait ou retrouver les restes d'Adrienne Le Couvreur, qui meritait un mausolee, et n'a pas meme un cenotaphe. C'est une sortc de reparation publique qu'a faitc k sa memoire M. Lemontey lorsque, par un honneur exceptionnel, unique, il prononga I'eloge de la trage- dienne en picinc Academic franqaise, a la seance du r'' avril 1823 -. Quand on regarde le beau portrait de Coypcl , popularise par la gravure de Drevet, ce n'est pas seulement Cornelie pleurant sur les cendres du grand Pompee qu'on a devant les yeux, c'cst Adrienne, ct dans cette urne qu'clle presse sur son coeur git le deuil ineffagable de son premier amour. De la cette melancolie, cette scnsibilite profondc qui, pour les memes causes, fut le genie meme de Talma. Le come- 1. Archives iiationales (F'^ 129$. C. 178). 2. Cette Notice, destince a faire partie de la Calerie fran- qaise, fut imprimee par le Mercure du dix-neuvieme stick, X. I, p. 17 a 31 (Paris, Baudouin, in-8", 1S23). Etude biographique. 8i dien Polus representant Electre portait dans I'urne d'Oreste les cendres de son propre fils ; ces grands inconsoles prodiguaient a la foule inconsciente les larmes et les sanglots d'un eternel veuvage : la dou- leur fut la source et la rangon de leur gloire. LES LETTRES D'ADRIENNE All lendemain de la mort de Mile Le Couvreur, D'Allainval ccrivait a Milord *'^* : « Je ne vous par- leray point des jolies lettres qu'elles a ecrites, vous avez lu celle qu'elle ecrivit a Baron il y a deux ans ', et, avec I'aide de quelques amis, j'espere en recueilllr iin assez bon nombre pour les donner au public . » Ce recueil fut-il entrepris? Le passage suivant d'une autre lettre, ecrite par D'Allainval, le 2 septembre 1735, a uji destinataire inconnu, le donnerait a cro:re : II j'ay I'honneur, Monsieur, de vous renvoyer la plus grande partie des pieces qui m'ont paru de la meme ecriture que rechantillon que vous m'avez fait passer. II m'en reste encore quelques unes que je mettray au commencement de la semaine prochainc dans votre carton avec toutes les pieces qui concer- nent les affaires du temps, et autres poesies, que je I . Cette lettre a Baron n'a pas ete retrouvee et ne figure pas dans notre recueil. En 1822, on etait inoins embarrasse : les editeurs de la Collection des Memoires siir I' art dramatiquc, faisant encre de tout, ecrivaient resolum^nt (p 257) : « On nous saura peut-etre gre de trouver ici cette lettre ecrite le 5 mai 1728, aM..., son ami ", et ils copient tout simplement la lettre celebre, publiee par les Anecdotes dramatiqiies, le Journal des dames, les Pieces intercssantes de La Place et le Conservateur de Celandine, qui figure dans notre recueil sous le n" XXXIV, ct qui ne saurait etre adressec a Baron, pour plusieurs raisons, doat la principale est qu'Adrienne jouait ce jour-la meme avec lui dans Athalie. Etude biographiqjje. 83 n'ay pas jugees assez bonnes en tout ou en partie pour entrer dans un receiiil que j'espere qui piquera par le choix : j'ay mis ces pieces dans le recueil do 1734 et 173$, parce que celles qui le composoient sont presque toutes de la ml-me ecriture. ^ Vous avez du recevoir il y a bien huit jours le Receiiil des leltres de Mile Le Couvreur ; je n'en teray entrer dans le notre qu'une douzaine. Le reste, ou il regne a la verite un stile naturel et delicat, n'est pas intcressant et ne pouroit passer qu'a I'abri d'une grande quantite d'excellentes. C'est par la voye de M. de Sallevert que je vous renvoyeray votre car- ton '. 1 Quel est ce recueil, que personne n'a signale jus- qu'ici? A-t-il ete imprime? La douzaine de le'.tres dont parle D'Allainval a-t-elle ete inseree dans quelque periodique du temps , analogue aux Glaneurs, Pos- tilions et autres a Amusements du coeur et de I'es- prit? " Tout ce qu'on sait, c'est que, des avant 175^, il courait des copies manuscrites des lettres d'Adrienne, dont un exemplaire a passe dans la vente d'autogra- phes du baron Taylor en 1885 (N" 1 20 du Catalogue -). C'est sur cet exemplaire qu'avait ete taite, par les soins du bibliophile Jacob, la copie dont nous nous servons aujourahui. On pourrait croire que c'est a I'une de ces copies que faisait allusion, I'annee suivante, I'auteur des Noiiveaiix amusements serieux et comiques (La Haye, 1736), quand il disait ftome I', p. 210I : ^ On 1. Lettre autographe, signee D'Allainval, j pages 10-4", fait partie d'un Recueil de pieces, manuscrit in-4'', forme vers 1760 par Pidans3t de Mairobert, et appartenant aujourd'hui a M. Jules Couet, qui a bien voulu nous la signaler et nous en donner copie. 2. 7 cahiers in-4°, fonnnnt 164 pages, acquis par M. Charles Gueuliette. 84 Adrienne Le Couvreur. a vii lie ses lettres que Voiture n'aiira'it pas desa- vouees. i Mais , cette phrase etant textuellement reproduite du Mercure de mars 1730, il en faut seule- ment conclure que, de son vivant deja, on appreciait le talent epistolaire de Mile Le Couvreur. Titon du Tillet, lui aussi, n'a fait que copier ce passage en I'amplifiant , dans son Supplement deja cite : « Mile Le Couvreur, dit-il, joignait a tous ses grands talents pour le theatre, de la politesse, du savoir-vivre et beaucoup d'esprit. Sa conversation etait charmante, et personne n'a ecrit des lettres d'un style plus aimable, plus leger, plus delicat et digne de celui de Voiture ' et de Mme de Sev'igne. d Tout cela doit s'entendre de copies manuscrites plus ou moins connues d'un petit cercle d'amis ou de curieux. Car en 174^ aucune lettre n'avait ete publiee -. Mais en 1761, Favart parle de ces lettres comme si elles avaient reellement paru : u Mile Le Couvreur — ecrit-il le 20 aout au comte de Durazzo — avait I'esprit fort orne. On a DONNE AU PUBLIC UN RECUEIL de ses lettres qui a ete fort recherche, j Lemazurier a reproduit cette assertion dans sa Galerie historique de la Comedie-Fran(aise : u On publia un recueil de ses lettres qui fut fort recher- che'*. T Cependant, on ne connait pas, jusqu'ici, de lettre 1 . On trouvera Adrienne plus naturelle et moins frivole que Voiture. 2. Voici ce' qu'ecrivait a cette date I'auteur anonynie des Memoires secrets pour servir a Fhistoire de Perse : « Peu apres sa mort, on parla beaucoup de pretendues lettres de ce Seigneur (Maurice) et d'elle ; niais, soit qu'elles aient ete supprimecs, ou que ce bruit fut sans fondement, il n'cii a paru aucune. « (Attribue a Pecquet, a la Beaumelle, au che- valier de Resseguier, ei encore a Mm^ de Vieux-Maisons. I vol. petit in-i2. Amsterdam, 1745.) 3. Paris, 1810, t. II, p. 299. £tude biographiclue. 85 imprimee d'Adrienne Le Couvreur avant 177$, date de la publication des Anecdotes dramatiqiies^, qm, dans leur tome III, a la page 289, sous le titre de (I Lettre de Mile Le Couvreur, ecrite le 5 niai 1728, a M*** T , donnent le texte de la lettre XXXIV, repro- duit peu apres et considerablement altere par Dorat dans le Journal des Dames de 1777. Qiielques annees plus tard, en 1784, le recueil de La Place, Pieces interessantes et peu connues, donne de la meme un texte un peu different-, reproduit aussi par Delandine dans le tome I'' de son Conservateur'^ . Au commencement du siecle, le libraire Leopold Collin avait entrepris une bibliotheque de lettres de femmes celebres. De 1804 a 1809 parurent dans cette collection epistolaire Mme de Scudcry, Ninon de Lan- clos, Mile Descartes, Mmes de Villars, de Coulanges, de Lafayette, de Simiane, de Motteville, Mile de Montpensier, Mile Du Pre, Mme de Montmorency, la duchesse du Maine, Mile Aisse, la marquise de Lambert, Mme du Deftand, la marquise du Chatelet, Mile de Lespinasse, etc. Adrienne Le Couvreur n'y figure, accessoirement, que pour une lettre a Mme de Ferriol (N" IX de la correspondance). En 1823, Lemontey ecnvait : a Qiielques-unes de ses lettres, publiees apres sa mort, respirent, dans un style piquant et naturel, la noblesse, la grace et la bonte. D Ou les avait-il lues? Mme Sophie Gay, dans la livraison du Plutarque frangais consacree a Adrienne Le Couvreur , parle aussi d'un « Recueil i> de ses lettres. « Elles ont ete recueillies et publiees n , dit cnfm M. J. Bonnassies dans une note de la Lettre a Milord*** reimprimee par ses soins en 1870. n Quel- ques-unes sont remarquables; elles temoignent toutes d'un noble coeur et d'une haute intelligence, n 1 . L'approbatioh et le privilege sont de 1 77 1 . 2. T. II, p. 210. Le tome I soul est de 1781. J. In-i2, 1787, p. 161. 86 Adrienne Le Couvreur. Mais cette appreciation n'est accompagnee d'au- cune indication bibliographiique. M. Ravenel, de la Bibliotheque rationale, avait bien eu, vers 1849, le projet de donner un Recueil de Lettres d'Adrienne Le Couvreur, qui devait etre precede d'une Notice de M. Regnier, de la Comedie- Frangaise. Mais le livre annonce n'a jamais vu le jour, et la notice n'a paru qu'apres la mort de I'erudit comedien, dans ses Etudes et Souvenirs de theatre (1887). II est done grand temps — avons-nous pense — de mettre un terme a ce malentendu , de tenir les promesses de ces travailleurs, et de justitier, au moins en partie, I'interet que d'excellents esprits attachaient a cette publication. Nous avons pris pour point de depart la copie de 1735, composee de soixante-dix lettres, auxquelles nous n'en* avons pu ajouter que quatorze, mais des plus importantes, provenant de collections publiques ou particulieres : car les autographes d'Adrienne Le Couvreur sont de toute rarete. Nous donnons done quatre-vingt-quatre lettres, que nous avons soigneusement classees, puis divisees en deux parties : lettres datees, ou pouvant I'etre par leur contexte; lettres et billets sans date, dans leur ordre probable. Quand, par exception, nous avons eu sous les yeux I'original autographe, nous I'avons public avec son orthographe exacte, a titre de specimen. Pour les autres, nous donnons le texte conforme a la source la plus ancienne, nous souvenant prudemment de ce que dit I'abbe Trublet des lettres dont on laisse prendre copie , qu' k elles sont fort sujettes a etre alterees, et quelquefois au point que le style de cclui qui les a ecrites n'y est plus reconnaissable ' . Ces lettres sont parbis enigmatiques , surtout quand les noms propres n'y sont designcs que par une initiale, et le cas est frequent dans la copie de 1 73 5 . Etude biographiq^ue. 87 Elles sont generalement serieuses, rarement en- jouees ; spirituelles souvent, jamais gaies. Adrienne etait un peu triste, maladive et melancolique ; c'etait une nature tendre, avcc un grand fonds de raison. N'oublions pas, d'ailleurs, que ces lettres n'etaient pas destinees a !a publicite. En octobre 1727 (voir la lettre XXVIII), n'ecrit-elle pas elle-meme : «■ Est-il question de foire des epitres aimprimer? Quand il est question d'ecrire a mes amis, je ne songe jamais qu'il faille de I'esprit pour leur repondre. Mon coeur suffit a tout, je Tecoute, et puis j'agis; et je m'en suis tou- jours bien trouvee. u Par une bizarre et tres regrettable lacune, sur les quatre-vingt-quatre lettres retrouvees de cette femme passionnee que le dix-huitieme siecle a classee parmi ses grandes amoureuses, il n'y a pas une vraie lettre d'amour. Les deux premieres sont, il est vrai, adres- sees a Clavel, son premier amant; mais elles sont si sages, si raisonnables, qu'elles semblent plutot d'une epouse que d'une maitresse. Oi!i sont-elles, les pages brulantes que dut adresser Monime au baron D..., a M. de Klinglin, et plus tard a Maurice ' absent? Ne seraient-elles pas dignes de i. Les lettres et papiers du marechal de Saxe sont ou etaient conserves a la Bibliotheque de Strasbourg : mais il est peu probable qu'a sa mort, vingt ans apres celle d'Adrienne, fvlaurice eiit conserve quelque souvenir d'une amante tant de fois remplacee. Mile La Chaise, qui joua de 1712 a 1724 les roles de soubrette avec peu de succes, quoiqu'elle fiit fille de beau- coup d'esprit, avait du corserver des lettres de Mile Le Cou- vreur, sa camarade et son amie. Elle s'appelait Louise- Christine du Sautoy, femme de Pierre Perron, avocat au Parlement, et en secondes noces de M. de la Pilotiere, lieu- tenant criminal de Montmorillon ; elle mourut a Poitiers, le 8 novembre 1756, agee de soixante-dix ans. On pourrait esperer aus;i quelque trouvaille du cote d'une autre camarade et amie intime. Mile La Motte (Marianne- Htlene des Mottes), de Colmar, qui dut a Adrienne la con- 88 Adrienne Le Couvreur. figurer a cote des epitres passionnees des Lespinasse et des Aisse? naissance, puis I'amitie de Maurice de Saxe. Le marechal n'oublia pas la comedienne, meme pendant ses campagnes : des lettres conservees par les heritiers de Mile La Motte (morte en 1769, retraitee depuis dix ans), attestaient qu'il aimait a i'instruire du succes de ses operations. Mile La Motte etait la tante et la marraine de Mile La Chassaigne (Marie-Helene Broquin), de la Comedie frangaise, qui se retira a Saint-Mande en 1804 et y mourut le 23 juin 1820. II faudrait retrouver aujourd'hui les heritiers de Mile La Chassaigne et ceux de Mme de la Pilotiere. Je signale cette double piste au chercheur perseverant qui voudra donner una correspondance plus complete de la grande tragedienne dont nous ne pouvions mieux celebrer aujourd'hui le deuxieme centenaire de naissance. $ avril 1892. LETTRES DE ADRIENNE LE GOUVREUR LETTRES DATEES OU POUVANT l'eTRE PAR LEUR CONTENU. I' A Monsieur CLivd'-. (Strasbourg? 17 lo?) >E Liiens de receuoir enfin cette letre ^^i Fs} tant souhaitee et pour la quelle (S^lli Ii5 Notre Damme des Carmes a etee sy fort ettourdie; Je te puis assu- rer, mon cher amy, que- je n'ay point eii de repos depuis ton depart tant par i'inquie- tude ou jetois de ne point receuoir de tes 1. N" 400 de la Collection de M. le comtc de B... (ama- teur belgej, vendue le 6 mai 1890, par M. Eugene Chara- vay, 4 pages in-4". Cette lettre, qui, conime la suivante, vient de Russie, appartient aujourd'hui a M. le baron de Pa- well Rammingen. 2. Clavel, qui joua la comedie a Rouen, a Lille et a Strasbourg, etait en 173 s a la cour de I'Electeur de Cologne. Fils de Scipion Clavel et de Judith Chevalier, il etait homme d'esprit, assez bon comedien, et joui^sait d'une tres grande reputation de probite. t^V. phis haut, p. i$.) C'est peut-eire son fils qui est I'auteur de deux pieces imprimees en 1752 : la Mort de Nadir, ou Thamas Koulikan, Usurpateur de I'empire de Perse, trag. 5 a. v. (Maestricht), et {' Esprit achete, comedie en i acte, en vers, parP. F. D. Clavel, cadet volontaireau regiment des mineurs, au service deL.H. P. 92 Adrienne Le Couvreur. nouueles que celle de me uoir incommodee comme je la suis. Jespere par la suite me porter baucoup mieux puisque jay lieu de croire que tu m'aimes toujours et que tu te portes blen. Conserues toy je ten conjure tu ne scaurois me faire plus de plaisir puisque ta sante m'est aussy chere que la mienne. La Dupaire' a recue aujourd'huy une letre de Mile Herisse ou elle luy parle de uous, mais en fort peu de mots. Elle dit que uous les alles uoir fort souuent, que meme uous deuies souper emsemble le jeudy prochain. Vous faites fort bien et je seray rauie daprendre que uous uous rejoiiissiez pouruu qu'il ny aille rien du mien et que uous ne men ecriuiez pas moins pour cela. J'ay uu aussy une autre letre par laquelle jay scu queffectiuement on tachoit de uous faire rester a Paris et que uous paroissiez fort embarasse a causse de I'engagement ou uous estes auec Son Altesse Royalle. Je ne doute point que depuis que cette letre a estee ecrite uous nayes pris uotre party comme uous me le marques par la uotre et je crois meme s'il faut uous lauoiier que jen suis un peu causse. Peut etre me flatai-je trop, mais je crois que c'est rendre justice a mon pauure Glauel. Oiiy certaine- ment je te crois un bon coeur et par conse- quent fidelle a ta pauure Le Couureur qui taime plus quelle meme. Je te diray pour nouuelles que M" de Lery a herite de soixante I. Comedienne qui faisait partie de la meme troupe qu'Adrienne Le Couvreur. Lettres. 93 mil ecus depuis peu et cela par la mort d'une belle mere qui auoit cent trois ans. Je rescois tous les jours de nouuelles marques de sa bonte. Elle me dissoit dernierement que pour le peu que je douttasse de toy, elle seroit ta caution. Enfin elles testime et taime infini- ment et ten auroit donne des preuues plus sensible sy tu netois pas sy aimable et sy elle nauoit pas craint de faire parle. Ce sont ces propres terme et je ny ajoute rien. Comme elle part incessament pour Paris, elle ma dit de te prier de metre ses mules entre les mains de monsieur Moron Suisse de Monsieur le comte d'Armagnacaux grandesecurie du roy. elle ma dit aussy que Madame Digny est delogee et demeure presentement ches M' la comtesse de Loche a lostelle de Braque rue des Bernardin pres la Tournelle. Jay une botte de complimens a te faire de la part de tous tes amiset entre autre du pauure Tery'. Uoila une letre que Monsieur Belfond- ma prie de metre dans la mienne quand je t'ecri- rois pour que tu la mette a la poste a Paris, je ne conscois point pourquoy, je ne scauois meme sy je la deuois prendre mais il men a tant prie que je nay pu le refusser. La Chauuert^ est aussy uenu me tourmenter pour te prier de luy raporter une per de bas de sole couleur de rosse uif et une couple 1. Comedien de province. 2. Claude Rcnaiid, siciir de Bellefond, faisait partie de la troupe de Metz en 1689. Il s'agit plus probableinent ici de son fils Jacques Renaud de Bellefond. 5. Ou Chateauvert, comedienne de province. 94 Adrienne Le Couvreur. d'euantaille de trente sol la piesce. Je luy ait dit que tu auois bien des commission que je doutois fort que tu fisse auec, que Ion ne tauois point lache despesce, maiselle na point compris ce que cella uouloit dire et ma repondu seullement quelle te rendrois largent sitot que tu serois ariue. De cela tu feras tout ce que tu uoudras, certainnement il ne m'im- porte gueres que tu la satisfasse ou non. Adieu, men cher amy, je tembrasse du plus tendre de mon coeur et te jure une fidelite a toute epreuue. Je te recommande au nom de Dieu de faire bien des amities de ma part a la de Nesle' et d'aller uoir madame Desmarais^. (Pas de signature.) A Clarel. (Strasbourg, septembre 17 1::.) Je ne scay gueres ce que je dois penser de uotre negligence, mon cher Monsieur, dans un temps ou tout est propre a m'alarmer. Je suis dans une situation qui me donne tout le 1. Actrice de la Comedie-Frangaise depuis 1708; morte le 22 decembre 171 3. C'etait Tainee des filles de Quinault, Frangoise, nee le 16 mai 1688. 2. Probablement Mile Desmarais, comedienne de province qui depuis vingt ans faisait les delices de Lyon. En 1732, elle avail la direction de la Comedie de cctte villc, qui lui valait 20,000 francs de rente. Lkttres. 9$ temps de reflechir a mes affaires. U semble que je deurois etres la personne du monde la plus tranquille et c'est cepandant tout le con- traire; car je doute que I'on puisse etre plus agitee que je la suis sans pouuoir toutefois declarer inon trouble a nul autre qu'a uous. Vous seul pouuez calmer toutes mes inquie- tudes. Que dis- e, uous seuU Non, il ne seroit pas en uotre pouuoir de les finir toutes a pre- sent. Il n'est que le temps qui puisse me con- soler, ou m'atliger encor plus que je ne la suis. En atendant pourtant je chercheres ches uous tout ce qui poura me faire oublier ce que je crains presentement. Mes craintes ne sont pourtant pas toutes fondee sur ce que uous pouriez penser. Vous en jugeres quelque jour quand je trouueres I'occasion de uous les faire connoitres. En attendant, soyes toujours per- suade que je uous aime pour uous meme sans (cent) fois plus que pour moy. Le temps uous prouuera, mon cher Clauel, ce que je uous jure aujourd'huy. Ayez toujours pour moy les sentimens que j'auray pour uous toute ma uie, et je seray contente, car je borne la toute mon ambition. Au reste je uous diray que tout depends de la conduite. Vous pouuez me uoir auant qui soit deux jours comme a I'ordinaire sans que per- sonne ipuisse trouuer a redire et sans pourtant uous engager plus que uous ne Testes. Car au bout du compte on ne uous forcera jammais de faire ce que uous ne uoudrez pas. Moy meme auec toute I'inclination que j'ay pour uous je serois au desespoir sy uous faisiez quelque chose 96 Adrienne Le Couvreur. pour moy avec repugnance. Songes y bien, uous ettes encore maitres. Figurez uous que je n'ay rien et que je dois baucoup, que uous trouuerez plus d'auantage ailleurs. Je n'ay pour moy que la jeunesse et la bonne uolontes, mais cela n'acomode pas les affaires. Je uous park sans fard comme uous uoyez, et je uous dis ingenument ce qui peut uous faire songer a moy comme ce qui uous en doit detourner. Uoilci une occasion de prendre uotre party. N'ayesnul consideration. Ce sera en auoir que de me declarer uos sentimens au juste. Ce que je uous dis icy n'est point ou par caprice ou par detachement. Je uous aime plus que jamais, mais la raison me force de uous parler ainsy. Au nom de Dieu faites en de meme et ne uous metez point en estat de uous reprocher jamais rien sur mon chapitre. Ne me prometes rien que uous ne me uouliez tenir, me deussiez uous prometre de me hair : il me semble que cela me seroit plus doux que de me uoir trompee. Apres tout c'est une ma- niere de m'exprimer car je ne uous crois pas asses ingrat pour me hair. Je uous le dis encore, mon cher Clauel, j'aime plus uos interest que les miens. Prenes le party qui uous fera le plus de plaisir, je uous connois d'humeur a faire le genereux et a uouloir peutetre enri- chir (sic) sur moy. Mais encore une fois son- ges y bien. Agisez en honneste homme comme uous leste et suiuez uotre inclination sans uous informer de ce qui poura ariuer. Je prendres mon party de manieres ou d'autres Lettres. 97 auec le plus de facilite qui me sera possible, soit queje uous posede ou que ie uous perde. Sy je uous ay j'auray le deplaissir de ne uous pas rendre aussy heureux que je uousdrois. Mon bonheur me fera peutetre oublier cette peinne... Mais non, quelque chosse qui ariue je me reprocheres toujours de ne uous pas metre sur le tronne comme je le souhaiterois. Si je uous perd je tacheray au moins que ce ne soit pas tout afait et je me conserueray toujours quelque part dans uotre estime. Sy uous ettes heureux j'auray le plaisir de uous le scavoir et de ne I'auoir pas empechee, ou sy uous ne Teste pas se ne sera pas moy du moins qui en seray causse et je tacheray de me consoler de quelque manieres que se soit. Mais prenes moy au mot, car je ne me trouuerois peut etre de ma uie dans les semti- mens ou je me trouue et d'ailleurs uous me feres moins de tort en prenant uotre party presentement que dans quelque temps d'ycy. Adieu, mon cher Clauel, je uais uous enuoier cecy le plus uite qui me sera possible, car je sens bien que je pourois me repentir de tout ce que je uous ecris. Donnes moy de uos nou- uelles quelque party que uous prenies et me croyes toujours uotre fidele. (Pas de signature.) (Vente du 6 juin 1 89 1 , Catalogue Eug. Cha- ravay, 6 pp. in-4'', petit cachet de cire rouge, rond, representant un Amour appuye sur son carquois, et trois coeurs, avec cette devise : (( le les quite pour vous. » Adjugee 37^ francs a 98 Adrienne Le Couvreur. M. Eugene Charavay, qui a bien voulu nous permettre de la reproduire in exteiiso.) Ill A Monsieur... {d'Argental^). (Juin 17 17.) Mad. la Duchesse la jeune ' demande a me voir mercredi au Palais Royal, et Mad. la Marquise de Villeroy. J'ay saisi cette occasion pour faire remellre Mithridatc- k cejour; mais je ne scais si les autres la saisiront comme moy. J'en attends reponse, et vous en aures tant6t des nouvelles; j'ay trop dormi. M. de la M...^ est venu m'eveiller a dix heures et demie pour me rassurer sur I'amitie dont on veut que je doute, et que je sois persuadee. Il est reste trois heures aupres de moy et m'a promis de changer. Ah! je suis Apollon. Je veux absolument souper ches vous dimanche ou lundi. Adieu, pardonnes moy mon humeur, je vous pardonne bien autre chose , j'allois dire votre amour, et oublier que vous n'aves 1. Mile de Conti, Marie-Anne de Bourbon, fetnmede M. le due (Louis-Henri de Bourbon), morte le 21 mars 1720. 2. Adrienne Le Couvreur joua Mithridatc au Palais-Royal les jeudis 3 et 10 juin 1717, trois semaines apres ses de- buts. 3 . De ia Mesangere ? Lettres. 99 pour moy que de I'amitie, et que je veux que vous n'ayes que cela. IV A Monsieur... Je suis tres fachee de ne vous point voir; mais je ne puis blamer votre conduite. J'aplau- diray toujours a la volonte que vous aves de remplir tous vos devoirs. J'avois refuse de diner ches Mad. de L...' dans la seule espe- rance de diner avec vous; mais la preference etoit due aux personnes a qui vous la donnes, et d'ailleurs, je me flate que ce n'est pas sans peine que vous vous y etes determine. Ce n'est point la ce que j'appelle timidite, ni ce que je voudrois changer en vous. Je vous verray done tantot pour la derniere fois.^ Il faut vous armer de courage, et donner a la Constance ce que vous oteres a la dou- leur. Je ne veux point vous voir souffrir, et je desire que vous me soyes longtems atta- che. Adieu, je vous attendray avec moins d'impatience que si vous ne me devies pas quitter pour bien du tems, et je vous verray avec bien moins de plaisir que si j'etois sure de vivre avec vous toute ma vie. I . Madame de Lambert ? 100 Adrienne Le Couvreur, V A Monsieur d'A{rgental) a Londres. Paris (Janvier) 1720. On m'a pressee de vous ecrire, et j'avoue que je ne m'en serois pas dispensee. On veut que je vous exhorte a protiter du sejour oil vous etes. Vous scaues bien que mes prieres ont precede les conseils que Ton m'ordonne de vous donner. Enfin, si vous n'etes pas aussi heureux que vous le merites, vous deves bien penser que ce n'est pas ma faute. On desire que vous ecriviez a M. le M. D... et que vous luy rendies compte de tout ce qu'il vous a demande. Je m'assure que vous n'aures pas attendu jusqu'a present, a remplir un devoir qui vous doit etre tres agreable. Je ne I'ay point vu depuis vous, et je n'ay pas approche de votre quartier depuis votre depart. J'ay cependant vu votre amie. Elle a daigne passer ches moy; mais c'est sans doute aux instantes prieres de M. C... que je dois cette bonte tardive. J'en suis touchee pourtant comme je le dois. J'ay vu Mad. votre mere en lieu public, et c'est elle qui m'a engagee a vous ecrire. M" de L... ' ne se tait ni ne se lasse, elle m'a broiiillee avec M° du T... et I . Lambert ? Lettres. ioi M' de F. M... '. Je ne scais si le mal est sans remede; mais il est humiliant pour moy d'en chercher. J'ay presque perdu aussi M. de F . . ^. J'ay lieu de le craindre au moins, puisque je ne le vois plus. Il n'est pas question de pou- voir approcher du Philosopher L. d'Am...* n'est point revenu. Je fuis les nouvelles con- noissances, et vous voyes bien qu'en restant ches moy, j'y suis dans une solitude horrible, parce que je ne suis pas contente. Le mauvais succes d'A...* sembleajouter a mes disgraces, bien que je sois fort eloigneede m'y interesser comme on le croit, ou comme je ['aurois pu; mais il suffit qu'on m'en soupconne pour m'af- fliger. Je vois partout des yeux ennemis qui s'applaudissent et je ne trouve aucune conso- lation a laquelle j'ose me livrer. Quel supplice de se defier toujours, quand on est nee avec autant de bonne foy que de penchant a la confiance! Je seray encore malheureuse et ■trompee. Je ne me corrigeray point de desirer des amis, et je n'ay, ni asses de discernement pour les bien connoitre, ni asses de bonheur pour les rencontrer par hazard. Que faire cependant au monde sans aimer, quand I'am- bition, le jeu, ou les autres passions ne rem- plissent point I'ame.^ Quand on n'a meme aucuns devoirs qui puissent servir d'obstacle ou de dissipations au penchant naturel de 1 . Fontaine-Martel ? 2. Fontenelie ou Fonceinagne? 3. Du Marsais. 4. L'abW d'Amfreville ? 5. Aubert? 102 Adrienne Le Couvreur. plaire, et comment s'y abandonner quand on a eprouve des perfidies de toutes les especes? Quand ce penchant ne nous entraine point malgre nous, quand la raison nous eclaire encore, et quand on n'a pour soy que des sentimens si rares qu'on ne les croit point oil ils sont. Ma folie est de penser que je serois plus heureuse si j'etois extremement derai- sonnable. On me croiroit plus vraye; ma conduite n'auroit pas besoin d'etre justifiee; et pourvu que ma triste delicatesse, et mon inutile sensibilite fussent changees en beau- coup de force et de dispositions convenables a mon etat, peut-etre qu'un pareil sort seroit de beaucoup preferable au mien; mais on ne change ni de temperament ni d'humeur a son gre. Vous qui possedes des avantages tres desi- rables du cote du coeur et de I'esprit et dont la fortune est ou sera asses considerable pour remplir une ambition proportionnee a ce que vous etes, joiiisses bien de la vie, goutes tous les plaisirs que vous y pouves prendre. Pro- fites du present, en vous assurant un avenir agreable et tranquile, et si I'amitie que je souhaite que vous me conservies, pent subsister sans detruire ni deranger la conduite que vous deves avoir et que je vous exhorte de suivre, assures vous de toute ma reconnois- sance et que personne au monde ne sentira jamais mieux tout ce que vousmerites. Adieu. Lettres. 103 VI An mane. A Paris, ce 9 fevrier 1720. Je me reproche bien vivement de ne vous avoir encore ecrit qu'une fois depuis votre depart, mon bon ami ; ce n'est en verite ni par oubli, ni par defaut d'attachement. Je sens mieux que jamais tout ce que vous merites, et combien vous me manques. Je n'ay pas cesse de songer a vous malgre les occupa- tions excessives ou j'ay ete forcee de me livrer. Je n'ay pas eu douze heures de sante depuis que je ne vous ay vu et Ton est meme oblige de retarder /Ir '... par cette raison. Vlnconnu^ fut joiie hier ches le Roy qui y dansa avec une grace infmie. Le Petit La...^ n'eut pas I'honneur de paroitre au buffet parce que Mile sa soeur a la rougeole, quel- qu'un m'a meme assure que c'etoit la petite verole. M. le D. de S... a ^te tres mal d'une humeur de goutte dans la teste, il a ete saigne deux fois, etse porte beaucoup mieux depuis. 1. Artemire, tragedie de Voltaire, representee pour la premiere fois le 15 fevrier 1720. 2. Comedie en $ a. v. deTh. Corneille representee pour la premiere fois en 1675. Reprise en 170J, avec de nouveaux divertissements, elle fut donnee au Louvre les 7, 10, 17, 21 et 24 fevrier 1720. Mile Le Couvreur y jouait. 3. Law. 104 Adrienne Le Couvreur. Mad. de C... a la fievre, et Mile de V...' tomba I'autre jour evanouie et perdit, dit-on, connoissance pendant plus de deux heures dans le moment que Ton luy eut annonce que ses fiancailles etoient arrestees a lundi , ses noces au lendemain et son depart au jeudi d'ensuite. Elle etoit cependant hier tres paree et tres belle. J'ay vu M. C... et nous avons commence ce que je vous ay promis; mais ma sante retardera la fin de cette affaire. J'y feray cependant de mon mieux. J'ay vu M. votre frere- hier; mais je ne pus luy parler a mon aise, parce que M. de M... et M. de V... etoient aussi ches moy. Mad. votre mere me fit faire des complimens de ches Mad. de C... ou j'avois envoye. Mon ennemie ne s'en- nuye point de me tourmenter. 11 me revient tous les jours de nouveaux discours et de nouvelles marques de sa haine. Votre absence, loin de la rallentir, luy donne de nouvelles forces et des occasions frequentes de renou- veller et d'embellir la belle histoire de votre depart. Aux uns, elle fait de longues circon- stances; a d'autres, elle scait I'abreger; mais on assure qu'outre une infinite de personnes que je ne connois pas toutes, elle a seduit L'...^ et votre ami M. de R...'^. Le bruit en est parvenu a M. de G... mais avec des aug- 1. Mile de Valois iCharlotte-Aglae d'Orleans), fille du Re- gent, nee le 2:; octobre 1700 et mariee le 12 fevrier 1720 a Frangois-Marie d'Este, prince de Modene. 2. Pont de Veyle, frere aine de d'Argental. 3 . L'abbe ? 4. Rochemore ? LETTRES. 10^ mentations de noirceurs qui vous surpren- droient encore, malgre ce que vous aves vii. Je m'en afflige plus que je ne devrois; mais ce n'est que parce que j'ay pour vous une amitie infinie, que tout ce qui tente a la detruire ne peut que m'epouvanter. J'etois meme bien plus triste avant d'avoir vu M. de P...'. On m'avoit assuree que je ne vous reverrois de longtemps, et que je ne scavois pas tout le chemin que Ton vous feroit faire. Le ressouvenir des projets que Ton faisoit pour vous assurer un etat, I'ennuy de ne vous point voir, et le regret d'etre la cause, quoi- qu'innocente, de votre eloignement et du retardement de I'arrangement de votre for- tune, tout cela, dis-je, m'avoit jettee dans une melancholie horrible; mais le cher frere me rassura en me protestant que Ton vous atten- doit au commencement d'avril, et que Ton n'etoit pas moins occupe de la charge que Ton vous destine. Ecrives moy souvent, et que les beautes d'Angleterre ne detruisent point, s'il est possible, I'amitie dont vous me flattes, que je desire, et que je merite en verite de conserver. Adieu, mon cher bon ami, j'ay grande envie d'aprendre que vous etes arrive a bon port et que vous songes encore a moy; mais j'ay encore plus d'impa- tience de vous revoir. Je n'ay point vu le Philosophe et je n'ay pas voulu souper avec Pau... ches Mad. de F... M... -ou Ton m'avoit Pont-Veyle. Fontaine-Mariel. io6 Adrienne Le Couvreur. priee. J'ay vu le Ch'' en passant, mais je ne vois plus ce grand homme qui vous tint si bonne coinpagnie le soir que vous venies me dire adieu. J'en suis enfin venue a luy faire fermer ma porte, tres poliment; mais tous les jours. Son oncle ne nous boude plus. Adieu, soyes bien sage, portes vous bien, et m'ins- truises un peu de tout ce que vous aves vu, de ce que vous faites, et comment vous vous trouves de votre Mentor. Mandes moy si vous aves vu le petit C..., dites luy beaucoup de choses pour moy. VII Au meme. Vous vous plaignes de ce que je ne vous mande point de nouvelles. Je crains, ou de ne vous apprendre que ce que vous scaves deja, ou de vous instruire plus mal qu'un autre; mais puisque vous le voules je m'expose a I'un ou i'autre de ces inconveniens et peut- etre a tous les deux. Il est vray que Baron rentre a la Comedie ', et qu'il doit joiier le premier mercredi d'apres la Quasimodo, au Palais Royal, Cinna. Il joiiera ensuite Horace, Neron, Mitridate et le I . Apres une retraite de trente ans. Lettres. 107 Misantrope". On vous aura mande sansdoute que Mad. de M...- est partie et qu'avant d'ar- river a Reggio, on pourra luy apprendre la mort de Mad. La D... la jeune% dont elle se seroit peut etre plus aisement consolee si elle fut arrivee un an ou six mois plustot. Mile de la R...* est nommee legataire universelle de Mad. La D... au grand regret, dit-on, de Mad. La P. de C* la mere qui pretend faire casser le testament. M. le D... alia hier rendre sa premiere visite au Roy en grand habit de ceremonie et de deiiil. M. le D. D.^ vit hier M. le Due d'O...'' pour la premiere fois a Saint-Cloud. Il en fut, a ce que Ton assure, tres bien recu. On dit de plus qu'il ne veut jamais voir Mad. la D. du M.^ Mile de B... vient d'epouser M. de M... et M. de L... Mile de B... Le P. de B...^ n'est pas dans un meilleur etat que celuy ou vous I'aves vu. T... est parti pour Londres avec M. de C... R... et Ton pretend que Mile de L... y doit etre arrivee avec des danseurs de corde. Milord S...'" est sur son depart, et sera peu 1 . Ces deux derniers roles et celui de Nicomede etaient les triomphes de Baron. 2. Mme la princesse de Modene. 5. Mme la duchesse la jeune, decedee le 21 mars 1720. 4. Mile de la Roche-sur-Yon, soeur de la defunte. ^ . La princesse de Conti. 6. M. le due du Maine. 7. M. le due d'Orleans. 8. La duchesse du Maine. 9. Le prince de Bouillon? 10. Lord Stairs, ambassadeur d'Angleterre, qui attendait de jour en jourses lettres de rappel. (Dangeau, XVIII, 249.) 108 ADRlENNf: Le Couvreur. regrette , meme de la petite Comtesse' qui avoit tant d'envie de vous connoitre. Les souscriptions ont ete changees en Occident, et I'Occident en Compagnie des Indes. Le tout fixe a neuf niille livres chaque action. Il m'en reste deux de cette espece que Ton me con- seille de garder. On executa hier M. le Comte d'Horn qui avoit assassine et vole un homme dans la rue Quincampoix. Cette expedition a ete aussi prompte qu'essentielle a resoudre. Tous ses parens ont ete vainement solliciter le Regent qui etoit luy meme son cousin par Madame, dont ce criminel etoit petit neveu. Tous les Lorrains, les Montmorencys, les Bouillons, Bournonville, d'Isanguiens et sans compter tous les Princes d'Allemagne, appar- tenoient a ce malheureux, et s'en faisoient honneur. Il avoit douze mille livres de rentes de patrimoine, et un frere qui avec cent mille ecus de rentes, le sollicitoit a vivre ches luy. Il etoit a Paris depuis deux mois, et ce crime n'est pas le seul qu'on luy reproche, et dont il ait ete convaincu. Il n'avoit que vingt-deux ans. Il a ete roue tout vif en place de Greve, le mardi saint, avec un de ses camarades, capitaine et chevalier de Saint-Louis, nomme I. S'agit-il ici d'une Mme Raymond, dont lord Stairs etait extremement epris, et qui avait ete la maitresse de I'Electeur de Baviere? — « Elle a aujourd'hui, — ecrit, le 14 avril 1720, Madame a la princesse deGalles, — un autre amant qui donne beaucoup de souci a Milord : c'est le comte Maurice de Saxe, qui n'est pas beau, mais qui est jeune, seduisant et de bonne mine. » (Traduction G. Brunei, t. il, p. 230.; Lettres. 109 V... de M. '. La rue Quincampoix a ete abolie par ce meurtre. Il y a des deffenses tres expresses de s'y assembler , et des gardes a pied et a cheval qui I'ont toujours gardee depuis ce jour, line infinite d'autres meurtres, vols, etc., tant vrais que faux, font le sujet de toutes les conversations de F^aris. Toutes les especes vont etre deffendues, excepte de petits Loiiis d'argent que Ton va fabriquer et qui vaudront trois livres. L'affaire de M. votre frere pour sa charge est terminee, il n'en a que la survivance, et je ne suis pas trop contente de son marche ; mais il est satisfait de n'etre pas ce qu'il faudra que vous soyes pour luy. Cette disposition doit, ce me semble, hater votre retour. Je crois que, quand je le voudrois, je ne pourrois vous envoyer ce que vous me demandes. L'homme qui apres moy en est le maitre, me paroit long, il doit encore y travailler le lendemain des fetes; mais il ne peut rien faire pour vous qu'il n'ait fini pour moy, ce que je ne crois pas qui se puisse avant votre retour, et ce qui me paroitroit bien inutile apres. J'ay oui dire nieme que la soeur d'un homme que vous estimes beaucoup, ne laissoit plus en vous de place pour rien desirer. Quelque impression qu'elle y puisse faire, je me flatte cependant que vous me conserveres un peu d'amitie et que la mienne ne trouvera jamais en vous un ingrat. J'ay prieM. C... de m'amener M. de R... - et je le recevray comme 1 . Laurent de Milly ou de Millc, capitaine reforine dans le regiment de Brehenne-Allemand. 2. Rodiemore ? no Adrienne Le Couvreur. un hoinme qui vous est cher et qui m'estime a votre consideration. Adieu, mon bon ami. Ayes soin de votre sante el songes quelques fois a moy. A Paris, ce mercredi saint 1720 '. Vlil Au meme. He bien, mon cher ami, mon exil a-t-il dure asses longtems ? Croyes vous que je puisse encore me passer de vous voir, et ne me scaures vous point de gre de ma patience, ou plutot de la contrainte horrible que je me suis faite pour ne vous pas solliciter de revenir? Il n'y a pas eu un seul jour que je n'en aye ete tentee cent fois, et que je n'aye voulu vous ecrire. On m'en a empechee de toutes parts, on m'a menacee de vous perdre tout a fait si je faisois sur cela la moindre demarche. On m'a dit que vous reviendries de vous meme quand il en seroit terns ; mais ce terns ne reviendra jamais, si j'en crois les apparences de votre cote. Voila done cette amitie que vous m'avies promise, et voila done le cas que vous faites de la mienne. N'en est-il done point sur la terre.'^ Je vois tous les jours de nouveaux sujets d'en douter, et je suis bien I. Mercredi 27 mars 1720. LETTRES. Ill malheureuse de la sentir, quand je ne scau- rois Tinspirer. Vous scaves combien vous m'etes necessaire, et combien votre commerce me plait. \'ous scaves que vous me pouves tenir lieu de famille, de conseil, d'ami veri- table, et par consequent du plus grand bien qui soit au monde. Vous scaves que je n'ay de ma vie eu autant de confiance et que mon amitie pour vous est des plus tendres, et ne peut fmir qu'avec ma vie. Je conviens de mes torts, mais j'en suis bien punie, et vous ne deves pas oublier ce qui vous doit ramener a moy. Je vous peins exactement les sentimens de mon ame, et je n'ay ni le desir ni le dessein de vous revoir malheureux; mais je ne puis con- sentir a vous perdre. Cette ideene peut subsister dans ma teste, et je me reproche mille fois la complaisance que j'ay eue pour les volontes de vos amis. Peut-etre m'aves vous soupconnee d'insensibilite ou d'oubli, et j'aime mieux mille fois les noms que leur colere, sous pre- texte d'amitie pour vous, me peut donner que le moindre petit soupcon que mon silence peut produire. Examines vous done, mon cher ami , et taches de vous determiner a me voir. Je ne vous demande, ni d'irriter votre famille, ni de trop connoitre ceux qui s'oppo- sent a ce que je veux; mais il est des moyens de les ramener et je me charge d'y reiissir quand vous le voudres. Vous pouves d'abord me voir ches moy, sans qu'on le scache. Je vous donneray a souper quand il vous plaira, et nous conviendrons des moyens de les faire agir eux-memes pour cette entrevue, que, ni 112 Adriknnk Le Couvreur. vous ni personne au monde, ne scauroit me refuser sans injustice. Ne dites point que je vous aye ecrit, et ne consulles que votre cceur pour ino repondre. Adieu, inon cher bonami, c'est bien a regret que \e vous quite. Je vous ecrirois encore bien longtems si je m'en croyois ; inais je crois qu'en voila asses pour vous faire juger de mes sentimens pour vous, et pour vous determiner a me revoir incessamment, s'il vous reste encore quelque sensibilite, et si vous voulesque je croye que I'amitieexiste, et que ce n'est point une chimere. Ce jeudi matin. IX' A MihiiVuc iic Fcrriol '. Paris, 23 mars 1721. Madame, Je ne puis aprendre, sans m'aftliger vive- ment, Tinquicttude 011 vousestcset les projets que cette inquiettudc vous fait faire. Je pourois ajouter, que je n'ay pas moins dc douleur de scavoir que vous blames ma conduite; mais je vous ecris moins pour la justifier que pour 1 . E. Crepet, Tresor cfistoUiire de la A'r.jmv, t. II, p. ^oj . 2. Mere de M. d'Argental. Lettres. nj vous protester qu'a I'avenir, sur ce qui vous interesse, elle sera telle que vous voudres me la prescrire. J'avois demande mardi la per- mission de vous voir, dans le dessein de vous parler avec confiance, et de vous demander vos ordres. Votre accueil detruisit mon zele et je ne me trouvai plus que de la timidite et de la tristesse. Il est cependant necessaire que vous sachies au vray mes sentlmens, et, s'il m'est permis de dire quelque chose de plus, que vous ne dedaignies pas d'ecouter mes tres humbles remonstrances, si vous ne voules pas perdre monsieur votre fils. C'est le plus res- pectueux enfant et le plus honnette homme, que j'aye jamais veu de ma vie. Vous I'admireries s'il ne vous apartenoit pas. Encore une fois, Madame, daignes vous joindre a moi pour detruire une foiblesse qui vous irrite, et dont je ne suis pas complice, quoy que vous disies. Ne luy temoignes ni mepris, ni aigreur; j'aime mieux me charger de toute sa haine, malgre I'amitie tendre et la veneration que j'ay pour luy, que de I'ex- poser a la moindre tentation de vous man- quer. Vous estes trop interessee h sa guerison pour n'y pas travailler avec attention, mais vous Testes trop pour y reussir toute seule et sur tout en combattant son gout par authorite, ou en me peignant sous des couleurs desavan- tageuses, iussent-elles veritables. Il faut bien que cette passion soit extraordinaire, puis qu'elle subiste depuis sy longtemps sans nulle esperance, au milieu des degouts, malgre les voyages que vous lui aves fait faire, et huit 114 Adrienne Le Couvreur. mois de sejour a Paris sans me voir, au moins ches moy, et sans qu'il sut sy je I'y recevrois de ma vie. Je I'ai cru gueri, et c'est ce qui m'a fait consentir a le voir dans ma derniere maladie '. U est aise de croire que son comerce me plairoit infiniment sans cette malheureuse passion, qui m'etonne autant qu'elle me flatte, mais dont je ne veux pas abuser. V^ous crai- gnes qu'en me voyant, il ne se derange de ses devoirs, et vous pousses cette crainte jusques a prendre des resolutions violentes centre luy. En verite, Madame, il n'est pas juste qu'il soit malheureux de tant de fascons. N'ajoutes rien a mes injustices; cherches plutost a Ten dedomager; faites tomber sur moy tout son ressentiment, mais que vos bontes lui servent de ressource-. Je lui ecrires ce qu'il vous plaira; je ne le veray de ma vie, sy vous voules; j'ires meme a la campagne, si vous le juges necessaire; mais ne le menaces plus de I'envoyer au bout du monde\ Il peut estre utile a sa patrie; il fera les delices de ses amis; il vous comblera de satisfaction et de gloire; vous n'aves qu'^ guider ses talens et laisser agir ses vertus. Oublies, pendant un temps ^, que vous estes sa mere, sy cette qualite s'oppose aux bontes que je vous demande a genoux pour luy. Enfin, Madame, vous me verres plutost me 1. Probablement a la fiu du inois precedent. Adrienne avait deja fait une maladie en juin-juillet 1720. 2. Vaf-. : de dedommagement. J. On pariait d'envoyer d'Argental a Saint-Domingue. 4, Var. : pour un instant. Lettres. ii^ retirer du monde, ou I'aimer d'amour, que de souffrir qu'il soit a I'avenir tourmente pour moy et par moy '. Pardonnes un sentiment que vous pouves detruire, mais que je n'ai pu retenir. Ajoutes ce que je vous demande a toutes les bontes que vous m'aves prodiguees, et permettes-moi de penser que mon sincere attachement et ma vive reconnoissance vous forceront a me con- server cette bienveillance qui m'est si pre- cieuse, et laisses-moi m'applaudir toute ma vie d'etre avec un tres profond respect, Ma- dame, votre tres humble et tres obeissante servante. Le Couvreur. p. S. — Mandes-moy ce que vous voules que je fasse, et sy vous voules me parler sans qu'il le sache, je me rendres ou il vous plaira, Madame ; je n'epargneray ny mes soins, ni mes voeux, pour que vous soyes contente de votre fils et de moy ^. 1. Sainte-Beuve arrete ici sa citation de cette iettre. (Caii- series du luiidi, t. F'', p. :o7.) 2. Cette Iettre, de quatre pages in-4», retroiivee par d'Ar- gental en 1784 dans un nieuble de sa mere, a ete publiee en 1806 dans les Lettres incdites de Mme du Chdtckt a d'Ar- gental, par M. Hochet, secretaire general du Conseil d'Etat de 1 8 16 a 1840, et qui avail connu Suard en 1796. Elle figure, sous le n" 138, dans le catalogue d'une vente faite par Charavay Ics 15-16 fevrier 1S64. Voir aussi les Causeries de Sainte-Beuve, t. I, p. 207-208, les Stromates de Jamet, ms. Bibl. nat. (I, $9), et Vlntermediaire du 10 juin 1866. — Elle fait aujourd'hui partie de la belle collection Alf. Morrison. ii6 Adrienne Le Couvreur, A Monsieur (d'Argental). Uous nestes en uerite pas sage dans les querelles que uous me cherches, uous uous plaignes pour me preuenir, car sy je uoulois je pourois etre fort en colere du tour que uous me joiiates hier mais je ne suis cepandant pas asses hardie pour uous metre le marche k la main. Ce seroit me uanger sur moy meme que de me priuer du plaisir de uous uoir. Je uous ueres done malgre uos injustices et je uous aimeres malgre les defauts que I'on uous a dit que je uous trouue. Eh depuis quand prestes uous I'oreille a la tracaserie. Je uous i'ay deja dit, et cela est tres ueritable, uous aues bien plus d'esprit que uotre Themire", mais elle a bien plus de raison. Adieu. Je conte uous uoir demain, sy uous n'aves ny g(rand) m(aitre), ny a(bbe) qui uous en empe- che, et sy je n'ay point d'humeurs noires a cacher, car je uous auoue qu'en cet estat je ne ueux point paroitre; je crains trop de me faire hair -. 1. Probablement Artmire, role que Mile Le Couvreur avail cree en 1720 dans la tragedie de Voltaire qui porte ce litre. Tliemire est un personnage de Roland. 2. Au comte Ch. Aug. d'Argental, i page et demie in-4'». Collections Monmerque et comte de H... de M..., 1864, et n» IJ41 du catal. Bovet, 1885.) Lettres. 117 XI Billet (fragment) a Monsieur d^Argental'. Enfin, vous voulez que Ton vous ecrive centre toutes sortes de raisons. Se peut-il qu'avec tant d'esprit vous soyez si peu maitre de vous? Que vous reviendra-t-il, que le plaisir de m'exposer a des tracasseries desa- greables, pour ne pas dire pis? Je suis hon- teuse de vous quereller, quand vous me faites tant de pitie, mais vous m'y contraignez... Adieu, malheureux enfant, vous me met- tez au desespoir. XII Billet (non signe) a I'Assemblee. (Lundy, 29 decembre 172 1.) Je suplie la Compagnie de ne point conter sur moy pour jeudi dans Britannicus sy Mile Aubert - y joiie Agripinne. Sy Ion peut 1. Crepet, t. II, page 506, en note. 2. Mile Aubert avait debute le 31 decembre 17 17, sept mois apres Adrienne ; elle venait d'etre re(;ue societaire le 27 mai 1721. Elle prit sa retraite le 19 mai 1722. On ignore la date de sa mort. ii8 Adrienne Le Couvreur. engager mademoiselle Dangeville 'a auoir la bonte de jouer Junie, on me fera grand plai- sir. Mais rien ne me poura determiner a chan- ger la resolution que jay prise de ne point jouer auec Mile Aubert - XIII Lettre a Mile de La Chaise. Je ne vous scais point mauvais gre d'avoir ete quinze jours sans me donner aucune marque de I'amitie dont vous me flattes. Si votre silence est pardonnable, le mien vous doit parler en ma faveur. Je ne concois cepen- dant pas quels chagrins vous aves pu avoir a 1. Marie-Hortense Racot de Grandval appartenaii a la Coniedie depuis 1700 ; retiree en 1739, f 4 juillet 1769, a quatre-vingt-quinze ans. 2. On ne joua point Britannicus le jeudi suivant r"" Jan- vier 1722, mais le lendemain vendredi 2, avec le Colin- Maillard, et Miles Le Couvreur et Aubert figurent toutes deux sur le registre, en conipagnie de Miles Gautier, Dufresne (Quinault) et Jouvenot, a cote de Baron. L'affaire s'etait done arrangee ? Voici le proces-verbal de rassemblee du 29, a laquelle assistait Mile Aubert, Adrienne absente : « Ce jourd'huy, 29'- decembre 1721, apres la Come- die, la troupe s'est assemblee au sujet d'un billet que Mile Le Couvreur a ecrit par lequel elle declare que rien ne pourra la determiner a jouer a Favenir la comedie avec Mile Aubert. « Sur quoy la troupe, continuant le respect qu'elle a pour les ordres qui out regu laditte damoiselle Aubert, a resolu de communiquer ledit billet avec copie de la presente d liberation a Mgr le premier gentilhomme de la Chambre, Lettres. 119 mon occasion. Sans en approfondir la cause, il me suffitde n'avoir rien a me reprocher, et je crois, apres tout, que le mal n'est pas si grand que vous le faites. Je compte absolu- ment sur vous pour demain. Bien que ce soit une partie quarree, votre delicatesse n'en doit point etre ailarmee; apprestes vous seulement au triomphe, vous aures un bel esprit et un Philosophe ' a combattre, et uneamie a soute- nir. Au surplus Pour ne vous point flatter, Je vous donne a combattre un homme a redouter -. C'est M' de Fontenelle, pour lequel je vous avoue qu'il m'a pris un gout tres vif. Je vou- drois luy plaire, et c'est par vous que je pre- tends y reussir. Le Philosophe vous paroitra peut etre triste ; mais on dit qu'il scait raison- ner, et s'il vous ennuye par hasard, un de vos regards suffira pour le confondre, car j'ay oui dire que sa philosophie ne I'empechoit pas d'etre sensible, ni sa sensibilite d'etre respectueux. Ainsi vous n'aves rien a crain- dre. Je ne pourray vous voir d'aujoura'huy, dont je suis tres fachee. Je suis obligee de pour qu'il ait la bonte de regler une pareille disputte, parce que si de pareilles contestations avaient lieu, cela mettrait la troupe hors d'etat de jouer la comedie. » Signe : Du Chemin. — Du Boccace. — Lavoy. — Dangeville. — De la Thorilliere. — QyiNAULT Defresne. QyiNAULT. — POISSON. 1 . Probablement Du Marsais. 2. Le Cid, a. \"^ sc. v. 120 Adrienne Le Couvreur. joiier un roUe pour Mile Gautier' avec qui je me serois fait une affaire si je I'avois refusee pour la deuxieme fois, et je suis engagee a souper avec une amie a qui je ne puis donner aucun chagrin, parce qu'elle n'est presque occupee que de moy. Adieu, soyes demain aussi aimable que je suis persuadee que vous pouves I'etre et venes de bonne heure. Ne dites rien de cette partie qu'elle ne soit faite. Je vous en diray le pourquoy. XIV A Monsieur cCA... A Fontainebleau, ce... (aout 1724.) Je suis asses bien logee, aux chauve-souris pres. Il y en avoit hier une demi-douzaine dans ma chambre qui ne vouloient point s'en aller,«t il fallut absolument se resoudre a en garder deux toute la nuit, car nous ne scavions plus que faire pour les chasser. On m'a dit aujourd'huy qu'il falloit mettre la lumiere au milieu de la chambre et avec des epees les enfiler, car il y en a tous les soirs pendant I'ete. Voila done quelle sera mon occupation tous les soirs. Ce combat me paroit asses triste, je ne scais meme ou prendre des epees, I. Comedienne, qui etait folle de son camarade Quinault. Retiree en 1723 ; religieuse a Lyon en 1725. LETTRES. 121 car, encore une fois, je suis icy plus etrangere que je ne la serois en Portugal, et plus triste quejenescaurois vous I'exprimer. Jen'ay nulle nouvelle de I'abbe, il est enyvre de Pontoise, a ce qu'on m'a dit, et du redoublement d'a- mitie de M. de B... '. Si vous luy ecrives, faites luy des reproches de ma part. Je voudrois bien avoir de la tapisserie pour travailler. Voila ou j'en suis. Je vous ay envoye le billet de Mad. de la F... par M. de la S... P... Vous pourres le recevoir mardi ou mercredi. Je ne puis que vous dire sur cet argent. Consultes le Docteur. En tout cas, j'en seray quite pour essuyer les diminutions, s'il y en a; mais il me semble que Ton n'en parle plus. Si vous parties, et que vous ne voulussies pas le gar- der, envoyes le moy par G... qui doit partir le 6 de septembre. Adieu, mon cher ami, ma lettre est bien longue et bien sotte; mais je m'ennuye- et tout s'en ressent. Mes compli- mens a B... Il n'a pas voulu me venir dire adieu non plus, ni meme m'envoyer du vi- naigre qu'il m'avoit promis. Il n'est point du tout un joli t'homme. Ecrives moy tous les jours si vous pouves ; mais cet heureux tems la n'est plus, et par malheur je ne suis pas en droit de m'en plaindre. Adieu, je ne puis vous quitter. i.'M. de Bouillon, qui avait une maison de campagne a Pontoise. 2. Voir une lettre de Mile Quinault a Piron, datee « de nos disagriables diserts de Fontainebleau » . 122 ADRIfciNNE LE COUVREUR. XV All inane. A Fontainebleau, ce mercredi, 13 (septembre 1724). Vous ne me paries que d'une de mes let- tres, et vous en deves avoir recu trois sans celle cy. D'ailleurs vous aves du voir dans toutes celles que j'ay ecrites a nos amis, que je n'avois qu'un cri apres vous, et qu'assure- ment j'avois grand besoin de consolation. Vous aves beau dire, vous aves avec moy un tort irreparable, et si je n'avois Tequite de me ressouvenir des miens, je ferois presente- ment un beau train; mais le malheur ne m'aigrit point contre mes amis, et j'ay ete trop frappee de la crainte de vous avoir perdu, pour ne me pas livrer a la joye de vous retrouver. Si vous me trompes, c'est votre affaire; je prendsvos protestations pour vrayes,et je veux vousreduire par macredulite et ma reconnaissance, a Tobligation de les continuer. Vous reviAndres peut-etre ensuite a agir de bonne foy; mais, mon cher ami, quel langage , et pour vous et pour moy ! Quel supplice de douter de vous ! Respectes la confiance, I'estime, la veneration, et tous les sentimens que j'ay pour vous, plus que pour personne au monde, et forces cette pa- resse, car je veux bien me flatter que ce n'est que cela, faitesvous un devoir de ne me point abandonner, et daignes souiager la tristesse Lettres. 12? etonnante ou je suis. L'ennuy que tout le monde respire icy et la solitude, ne sont pas les seuls sujets de chagrin que j'aye, sans en- trer dans des details impossibles a vous expli- quer par mes lettres. Songes seulement que je suis malheureuse. Vous dites que tous mes amis ne sont point a Paris. Cela se pent; mais il n'y en a aucun icy', et ce n'est pas la ce qui m'afflige le plus. Ma situation est sin- guliere autant qu'insupportable, et je puis vous assurer que j'ay grand besoin de conso- lation, et que je n'en puis recevoir de plus sensible que celle que vous voudres bien me donner. Je suis tres fachee que votre lait vous empeche de venir; mais je le serois davantage que vous n'en prissies pas, puisqu'il est ne- cessaire a votre sante. J'espere que, peut- etre avant le tems que vous me mandes pou- voir partir, on nous aura renvoyes a Paris. Au peu de cas que Ton fait de nous icy^, cela devroit deja etre fait; mais nous sommes toujours dans I'incertitude et dans I'inaction, et moy dans la douleur. M. votre frere m'a dit qu'il s'en iroit bientot parce qu'il s'en- nuye. Le Docteur doit rester i ^ jours : il crie beaucoup centre moy, et pretend que je ne vivray pas trois mois; mais j'ay eprouve que Ton ne meurt pas de tristesse. D'ailleurs, il faut esperer que le tems changera mon 1 . Maurice de Saxe etait a Fontainebleau le surlcndeniain I s septembre. 2. En 1724, le Roi sejoiirna a Fontainebleau du 23 aolit au 30 novembre; la Coniedie, depuis le 26 aoiit. Pour ces 98 jours, Adrienne toucha une indemnite de 980 livres. 124 Adrienne Le Couvrp:ur. etat. Tout ce que je desirerois presentement, ce seroit d'etre aupres de vous. Tous vos conseils et votre vue, me donneroient du courage, et surtout, je voudrois quitter ce pays cy. PourquoyR... ne me parle-t-il point de vous dans sa lettre? Est-ce que vous series broiiilles? Je lui avois ecrlt de vous engager a m'ecrire, et dans les deux lettres que j'ay recues de luy, 11 ne dit pas un seul mot de vous. L'abbe est toujours avec M. de B... et je crois, comme vous, que cela n'est pas sans mistere. Il a ecrit au Docteur qu'il vouloit a I'avenir s'occuper de son salut, et a L... qu'il se divertit beaucoup ou il est. Le Docteur parle souvent de notre projet de retraite, et compte sur l'abbe dans la suite; mais il nous donne encore trois ans, et je trouve que c'est beaucoup. Je n'ay nul employ pour I'argent de Mad. de la F... Je vous prie de le garder quand vous I'aures recu. Le Docteur m'a dit qu'il se chargeoit de le placer. Vous n'aves pas ete faire la visite que vous avies voulu me promettre que vous feries; mais j'en ay des nouvelles, et meme une lettre. Celuy qui me I'a envoyee, a deja ete trois fois la voir. Ce pauvre Homme redouble ses soins et ses bontes, quand on veut que... je n'ose achever. Mais quoi qu'il arrive, je ne manqueray point ace que je luydois, tantquejevivray.Voilaun dessujetsqui metourmentent; mais ce n'est pas tout, et tout cela est accompagne de circons- tances si singulieres, que vous ne les scauries deviner et peut-etre que vous auries de la peine Lettres. 125 a les croire. Ne me dites rien sur la deraison decetteidee, je la sens dans toute son etendue, et, encore une fois, je rempiiray mon devoir a cet egard quoiqu'il en arrive , et, selon les apparences, il arrivera ce que vous verries avec joye, si vous n'eties pas change, et aussi raisonnable que vous m'aves du trouver in- juste. Je vous demande en grace de bruler cette lettre, et de me mander si vous aves eu cette attention. Adieu, mon cher ami, on est bien etonnant et bien foible en ce monde. Je vous I'ay dit mille fois, il n'y a que I'amitie qui y doive attacher, et Ton ne la scaurait trop respecter. Au nom de Dieu ayes en pour moy, et donnes moy souvent de vos nouvelles. Faites mes compliments a R... si vous n'etes pas broiiilles. Je ne scais pourquoy cette idee m'est venue, car cela me surprendroit beau- coup, et me facheroit davantage. Encore une fois, brules cette lettre et m'ecrives. On vient de me dire que nous resterons icy', XVI Lettre de Mile Le Coavreur a M' le Chevalier de Beringhen. A Bercy, le 9 aoust 1725. A Bercy, sur la fin du jour, Faisant des chateaux en Espagne, 1. La Com^die ne quitta, en effet, Fontainebleau que le 30 novembre. 126 Adrienne Le Couvreur. Je pensois a votre campagne, Et par consequent a I'amour : Quand je crus voir ce Dieu paroitre, Avec son flambeau dans les airs, Qui sembloit ne plus reconnoitre Ces lieux qu'il a rendu deserts. II parcourt, plein d'impatience, D'un bout a I'autre, le cliateau ; 11 rit, en voyant le silence, L'inaction et I'indolence, Et dit : le spectacle est nouveau. Eh quoy, les graces sont cachees, Et les ris sont muets et sourds! Aurait-on cru leurs troupes detachees, Dans la saison des plus oeaux jours ? — Ne connois-tu pas ton ouvrage, Perfide, luy dis-je a mon tour? Si tu voulois, sur ce rivage, On verroit une belle image De tout ce qui brille en ta cour. On y verroit a I'assemblage De ces vertus du premier age La volupte jointe en ce jour; Bachus, dont tu fais la disgrace, Avec Comus y prendroit place, Et chacun y seroit content. — II m'interrompit, pour me dire : Je m'en vais sur le champ ecrire Au commandeur de Beringhen. Que dires vous de cette folie, Monsieur? Voila ce que c'est que de faire des chateaux en Espagne, et de se laisser aller a ses visions. Celle-cy vous prouve au moins combien on est occupe de vous, et ce sont des verites auxquelles vous ne deves pas refuser grace, malgre leur expression. Je mourois d'enviede Lett RES. 127 vous ecrire, et votre ami Guillaume ' devoit m'en procurer I'occasion, c'est a dire, que nous devions vous ecrire ensemble, mais il a pris des rats qui Font eloigne de moy. Je n'ay pas ose faire cette proposition a d'autres, et je vous ecris de mon chef, sans I'avoir dit a personne. Je n'en aurois pas fait mistere, sans la fantaisie qui m'a prise de vous envoyer ces mauvais vers, auxquels vous deves plus d'in- dulgence que personne. Revenes done, et ra- menes nous la joye et les plaisirs. N'en prenes pas trop ou vous etes, cela seroit malhonnete a vous. Gardes moy le secret et m'accordes un peu de part dans votre amitie. Adieu vous dis, n'alles pas avoir mauvaise opinion de moy, parce que je vous ecris des vers, c'est la premiere fois de ma vie qu'il m'est arrive d'en faire, ou du moins de les montrer, et quoique vous ayiez traduit Virgile, et que vous soyes bien capable de m'en envoyer d'excellents, je vous en dispense absolument, et ne vous demande qu'un mot qui m'ap- prenne comment vous vous portes , quand vous reviendres, et si les rats de votre ami ne me feront point de tort aupres de vous. I. M. k comte de Caylus, connu par son merite et scs talents, et par son gout pour les sciences et les beaux-arts. {Note de 175s.) 128 Adrienne Le Couvreur. XVII Billet a N... Je n'ay point de nouvelles, ni d'un cote ni d'un autre; j'en attends des deux endroits qui m'occupent si tristement, avec une impa- tience qu'il vous est aise de deviner. Je suis fort en peine de votre sante. Qui est-ce qui vous voit ? Pourquoy travailles- vous? Que ne puis-je vous aller dlstraire et consoler! C'est dans ces occasions que I'amitie a beau jeu. On ne peut etre plus penetree que je la suis, ni avec plus de raison de celle de M. D... Il a redouble de soins, de bontes, et en verite, c'est pour moy un ami bien cher et bien respectable, ll vous doit aller voir au- jourd'huy. Mandes moy comment vous etes, et ne vous occupes que de votre sante ou de quelque chose qui vous amuse. J'ay asses d'envie de vous envoyer des ravauderies a faire copier; mandes moy si cela vous con- vient. Adieu, monsieur, j'attends du tems qu'il affoiblira nos peines, et qu'il fortifiera votre amitie pour moy. Je vous feray part des nouvelles des que j'en auray. Lettres. 129 XVIII Lettrc a M... Est-ce la comme vous trait^s vos amies, Monsieur? Je vous avoue que ce n'est point ma maniere, et que quand apres y avoir bien retlechi, j'ay adopte quelqu'un pour etre au nombre de ceux que j'aime, je n'aime point qu'il me neglige ni a le negliger moy meme. 11 faut se voir dans la vie quand on s'estime, car elle est si courte, et surtout pour nous autres qui avons deja vecu. Mandes moy done ce que vous faites et quel jour vous vou- les souper ches moy. J'y feray trouver qui il vous plaira de nommer, etant bien assuree que vous ne pouves pas mal choisir. Serieusement, je veux que vous venies, et au plus tot. Est-ce la le ton dont vous me par- lates la derniere fois que je vous vis.'' Je sou- haite qu'il vous persuade, et que vous me mettles encore plus en droit de I'exercer a I'avenir. Voyes ce que c'est que d'avoir affaire a un honnete homme. Si j'en avois autant ecrit a un petit maitre, jefremirois de crainte et de honte ; mais Dieu mercy, je suis tran- quile avec vous. Adieu, venes done, car je suis triste, et j'ay besoin que tous mes amis me consolent. Ce lundi matin. Je n'ay point de nouvelles, et ma sante est asses languissante. J'esperois que la votre seroit meilleure, et je suis tres fachee de ce 1 30 Adrienne Le Couvreur. que vous m'en apprenes. Conserves vous mieux, je vous supplie. J'allois envoyer ches vous et on y auroit deja ete si je n'avois eu mes bonnes gens sauvages ' qui sont ches moy depuis le matin. Deux de mes amis m'ont assure qu'ils ont envoye ches vous et qu'ils doivent y passer. Sitot que j'auray des nouvelles, je vous en feray part, en vous en demandant des votres. Conserves vous, je vous en supplie, et conserves moy votre ami- tie. Ce mercredi. XIX Lettre a M' ... Il me paroit bien mal que vous n'ayes pas envoye scavoir de mes nouvelles, Monsieur. Le malheur que j'appris dernierement devant vous, n'est pas le seul qui me soit arrive. Une autre avanture tragique arrivee a Charll...- m'a achevee d'accabler. J'ay ete fort mal hier. Je suis encore au lit, et ne sortiray de long- tems, tant le chagrin fait d'impression sur moy. J'ay fait partir un expres pour le pre- mier endroit, je ne scais encore quel remede je pourray porter au second. Je vous exhorte 1. Probablement des personnes de la campagne, qui ^taient venues la voir. Une note de 1735 dit : « Ses pere et mere. » 2. Charleville. Lett RES. 151 a ne point laisser rallentir vos sentimens pour moy. Je scauray concilier tout. Je veux que I'on vous aiine, que vous le rendies, et que vous ne cessies jamais d'etre mon ami. Je n'ay point accoutume d'en perdre de votre espece. XX Lettre a M' Je vous soupconnois reellement d'etre trop foible pour vous exposer a la necessite de me repondre, et c'est ce qui m'a empeche de vous ecrire. Je suis tres foible aussi moy meme, et a tout moment preste a m'evanouir. La per- sonne de Charleville ' a mis le feu aux quatre coins de sa chambre apres s'etre refugie dans la chemineequ'il avoit bouchee d'une couver- ture, et s'etre grimpe sur une chaise pour n'etre pas sufFoque de fumee, il avoit ouvert la fenetre et fait son paquet pour se sauver au milieu du desordre. L'allarme a ete grande parce que c'etoit la nuit. Les portes ont ete consommees, le lit et tout ce qu'on avoit fait porter dans cette chambre; et celuy qui pre- tendoit s'echaper, a ete retire a moitie etouffe. Vous juges bien de I'embaras de ceux qui s'en etoient charges, et des murmures des I . Son pere, devenu fou, et enferme a Charleville. (Note de 17J5.) 1^2 Adrienne Le Couvreur. autres. Il s'agit d'une transplantation; voila le cruel, car il faut employer des gens dont le coeur et I'esprit ne sont pas tournes comme il faut, et c'est toujours remuer et renouvel- ler le premier de tous mes maux. J'avoue que je ne suis pas sans de vives inquietudes sur le reste. J'ay recu des nouvelles plus detaillees qui me font comprendre le peril plus grand que jene I'avois pense d'abord.Ce n'est point a la chasse, et ce que Ton m'en mande est singulier. Adieu, retablisses vous, plaignes moy. Des que nous pourrons, j'auray Thon- neur de vous voir. XXI Lettre .7 M' ... La verite et la franchise sont de puissantes ressources, et je suis bien aise de vous pou- voir convaincre du cas que je fais de I'amitie. Je veux vous voir incessamment. Je vous feray avertir du jour, si vous me le permettes. En attendant plaignes moy quelques fois. J'ay devant les yeux deux terribles images. J'ay recu des nouvelles plus detaillees. Cette bles- sure ' est tres dangereuse et ne vient point de la chasse. On a agite longtems si Ton coupe- roit la cuisse, et Ton craint encore un dep6t 1. De M. le comte de Saxe, {Note de 17 3 5-) Lp:ttres. 133 et les suites. Le reste, je n'ose le confier au papier et ne scais comment vous le faire devi- ner. Ressouvenes vous de quelqu'un ' qui est enferme. Songes qu'il a mis le feu aux quatre coins de sa chambre, aux allarmes de toute une ville, et I'esclandre et aux suites ; car ce quelqu'un n'est ni mort ni sauve. Adieu, je scais trop par experience que I'on ne meurt point de chagrin; mais je sens combien la consolation m'est et me pent etre necessaire. Bonjour, Monsieur, je compte sur vous quoi que Ton puisse dire, et je vous supplie de croire que rien ne pourra jamais alterer mon estime, ma reconnoissance, et mon amitie pour vous. XXII Billet a Monsieur... Ce jeudi, a six heures du matin. Vous voules bien que je vous remercie, Monsieur, et que je m'acquite. Je pars pour Versailles dans une heure, j'en reviendray ce soir. C'est avec un grand regret que je me determine a ce voyage, ou plustot que je m'y laisse entrainer. Je suis extremement triste parce que j'ay des amis en grand danger. Je vous prie de ne m'engager dans aucune par- I. Son pere, qui etoit devenu fol. {Note de 1735.) 134 Adrienne Le Couvreur. tie, que je n'aye eu I'honneur de vous voir, et si vous ne craignes point de vous ennuyer, vous pouves me donner cette preuve d'amitie quand il vous plaira. XXIII Lettre a Monsieur... Il n'est pas trop bien de laisser ses amis dans la tristesse; mais si vous la craignes, vous pouves revenir, je suis rassuree. Deux personnes qui me sont cheres, etoient en tres grand peri!. L'une ' etoit a I'agonie, et I'autre couroit de furieux dangers par des accidens imprevus-. On m'assure que je ne perdray ni l'une ni I'autre, et je suis bien plus tranquile. Quoique vous n'ayes point paru prendre part a ma peine, je suis bien aise de vous commu- niquer ma joye. D'ailleurs je me flatte que ce sont peut etre vos affaires qui vous ont empe- che de venir. Je vais aujourd'huy diner a la campagne, et dans quelques jours a Besons; mais je voudrois bien vous voir avant de par- tir, et si Ton vouloit nous donner a souper dans la riie Traversine% cela me feroit beau- 1. M. d'Argental, qui avait la petite verole, aupres de Montpellier. 2. Le comte de Saxe, alors dans le fort de son expedition de Courlande. 3. Mme la presidente Berthier demeuroit dans !a rue Tra- versine. {Note de 1735.) Lettres. IJ5 coup de plaisir. Adieu done, taches de me venir voir demain. Ce lundi matin. XXIV Lettre a Monsieur... J'ay recu de tres bonnes nouvelles, et selon les apparences nous en serons quites pour la peur. Je crois aussi, plus que jamais, que mes projetsreiissiront. Avantdem'entendre, on me demande deja pardon d'une prieretres simple, tres modeste, et faite au nom d'une personne qui en a fait sentir toute I'injustice depuis, parce qu'eile me connoit, et qu'elle a de I'esprit. Peut-etre ne comprendres-vous rien a ce que je vous ecris; mais je vous en donneray la clef, la premiere fois que j'auray I'honneur de vous voir. Ce sera des que vous le pourres, et qu'il vous conviendra. J'ay toujours crii la verite et la franchise, de puissantes ressources ; je m'en suis bien trouvee toute ma vie. Je pense qu'il en faut mettre a tout : c'est un sur moyen de faire respecter jusqu'a ses foi- blesses. Bonjour, Monsieur, retablisses-vous, car il faut bien sortir un peu de cette tristesse extreme qui m'occupe depuis quelques terns. J'attends des nouvelles de Charll...'. J'ay pris I. Charleville. Ij6 Adrienne Le Couvreur. les precautions que la prudence de mes amis a pu imaginer, et j'en attends les effets. On ne peut etre plus penetree que je le suis des soins, et je puis meme dire des bontes, de notre aimable ami M. d'A...'. Celuyqui vous visita hier avec luy, a fait aussi des merveilles; mais en verite, i'autre est unique, et c'est un grand bien que I'amitie pour les ames sensibles. Il faut laisser dire les prophanes, qui n'en me- disent que parce qu'ils en sont incapables(car on en trouve). Il ne faut que la sentir, et puis croire, c'est comme la grace. Adieu encore une fois, dissipes vous. Si vous ne pouves sortir bientot, j'iray vous voir; au cas cepen- dant que cela vous convienne. N'avons-nous pas des affaires a consulter ^ XXV Au comte de Belle-Isle'^ . (Fontainebleau) 12 octobre 1726. Si j'avois su comment vous faire tenir une lettre, il y a huit jours que j'aurois eu I'hon- neur de vous ecrire pour vous remercier tres- 1. M. Ferriol d'Argental, conseiller au Parlement. (Note de 1735.) 2. Cette lettre et la suivante, pieusement conservees par la famille de Belle-Isle dans les Archives de la Guerre, ont ^te publiees par M. F. Ravaisson dans le tome XII des Archives de la Bastille, p. 1 39 a 141. -i Lettres. 137 humblement de la bonte que vous avez eue de vous ressouvenir de moi en ce pays-ci et sur- tout pour vous engager a me conserver cette bienveillance et cette precieuse amitie que vous m'avezoffertes. Si j'avois moins d'estime et de bonne opinion de vous, j'aurois moins de confiance, n'ayant pas assez I'honneur d'etre connue de vous; mais enfin tout me porte a n'en point douter; puisque vous voulez bien le dire et le prouver par des services que j'ai peine a demander aux personnes que je con- nois le plus. Je n'omettrai rien de ce qui pourra vous convaincre de ma reconnoissance et sur- tout de ce qui pourra vous persuader que je ne suis pas indigne des bontes et, si je I'ose dire, de I'amitie la plus solide. Je me flatte que vous me ferez savoir quand vous irez chez M. le due de (Bouillon) ou que vous me ferez I'honneur de me venir voir; je suis logee tout pres de vous et je sentirai comme je le dois le prix des moments que vous voudrez bien me donner. XXVI Ail cointe de Belle-Isle '. 26 novembre 1726. J'avois grand'peur que vous ne m'eussiez oubliee ; mais je fus rassuree hier par une bien I . Cbarles-Louis-Auguste Fouquet, comte, puis due de ij8 Adrienne Le Couvreur. aimable dameavec qui j'eus I'honneur desou- per a I'hotel de Pomponne'; elle me parla beaucoup de vos bontes pour moi et fortifia le desir que j'avois deja de vous exhorter a per- sister dans les bonnes intentions ou je vous ai vu ; non pas de me rendre service, quoique je vous en croie plus capable que personne au monde, ce n'est point la du toutle but de mon empressement; il n'est point fonde non plus sur aucun motif qui doive nous embarrasser I'un ni I'autre; mais sur la singuliere et vive consideration que j'ai pour quelqu'un dont la Constance est au-dessus des plus grands mal- heurs et dont les amis sont respectables et inebranlables; voila ce qui me fait souhaiter ardemment, sinon votre amitie, du moins cette bienveillance dont vous m'avez deja donne des temoignages plus flatteurs et plus touchants pour moi que toutes les pensions du monde, et voila les sentiments que vous me trouverez toute ma vie si vous me faites I'honneur d'en vouloir juger. J'ai grande envie de faire ma cour a la dame avec qui vous etiez a [phigcnie-; mais j'attends une occasion favorable pour lui etre presentee. Belle-Isle, etait le petit-fils de Fouquet. Ne en 1684, il fut nomme marechal de France en 1741, due et pair en 1748, ministre de la guerre en 1757, et mourut le 26 Janvier 176 1. Il etait membre de I'Academie frangaise depuis 1756. I. L'liotcl de Pomponne etait situe place des Victoires. 2 On n'avait pas donne Vlphigaiie de Racine, a Paris, depuis le 13 septembre precedent. S'agit-il ici de Fontaine- bleau ? Lettres. 139 XXVII De Paris, le ji decembre 1726. C'est une chose horrible que la dissipation forcee et triste ou je suis; les voyages forces de Versailles', les nouveautes qui tombent apres avoir donne de la peine-, la tristesse ou nos amis m'ont jettee depuis quelque temps, jointe a cette insupportable fatigue, ne m'ont pas permis de vous ecrire autant que je Tau- rois voulu. J'ai ete tres-longtemps sans recevoir des nouvelles, et puis j'ai recu neuf paquets en deux jours. Le charme est cesse, et depuis j'en recois deux fois la semaine regulierement. Il est impossible, quand on voit tous les details de cette affaire, de n'etre pas dans la derniere des impatiences contre lepere^; la conduite de I'un est aussi blamableet inconcevable que celle 1 . Les voyages de Versailles avaient recommence le mardi 3 decembre. Mile Le Couvreur y avait joue : le mardi 10, Ph'cdre; le mardi 17, Tibere, tragedie nouvelle ; et ce meme jour, mardi 3 1 , elle y jouait Nicomede. 2. Les dernieres nouveautes etaienl : Richard Minutolo, c. I a. p. de La Mothe (11 mai), i representation; la Faiisse Comtesse, c. i a. p. d'Allainval (27 juillet), 5 repre- sentations ; le Pastor fido, pastorale heroique, 3 a. v. lib. de I'abbe Pellcgrin (7 septembre), 9 representations; la Chassc du cerf, c. 3 a. p. de Le Grand (14 octobre), 9 repre- sentations, et Tibere, tragedie 5 a. v. du president Dupuis et de I'abbe Pellegrin (13 decembre), 3 representations. 3. Frederic-Auguste II, elecleur de Saxe et roi de Pologne, pere de Maurice de Saxe (1670- 17 3 3). 140 Adrienne Le Couvreur. de I'autre est interessante et digne^ et habile au milieu de tous les revers. Mais que faire contre la force et la foiblesse honteuse d'un roy qui se laisse gouverner par le plus cruel en- nemy de sa gloire, et par riiomme du monde le plus dechaine contre ce fils dont il n'est pas digne ? Assurement ils ont authorise tout ce qui luy etoit contraire par haine, par envie, ou par interet, et decourage ceux qui vou- loient contribuer a une si belle entreprise. Les anciens rivaux^ qu'un seul mot pouvoit con- fondre, recommencent de plus belle, depuis la proscription prononcee par la diette et signee par le roy. Conceves-vous que Ton aie pu signer un acte qui mette cette tete a prix? Un pere, pour un projet si noble, qu'il a approuve d'abord et qui luy seroit tres-utile a I'avenir! L'ascendant du Fl ' est insur- montable, ou plut6t il n'y a plus ny humanite, ni raison dans cette ame. Tout cela est avec des circonstances qu'il m'est impossible de vous ecrire, mais qui vous feroient redoubler d'estime et d'attachement pour le proscrit, de meme que d'impatience, pour ne rien dire de plus, contre celuy qui a tant de foiblesse; car il ne tenoit qu'a luy, de I'avoeu meme de ses plus grands ennemis. Les sujets menaces tiennent encore bon; mais que feront-ils contre deux puissantsroyau- mes et un aussi grand empire? Car les Prus- siens sont unis aux Russes; tous deux dissi- mulent encore; mais il ne faut pas se flatter; I. Fleniming (cointe de), premier ministre de Saxe. Lettres. 141 je crois cette affaire tres-manquee. L' Angleterre avoit promis un secours qu'elle ne veut plus donner, et prend pour pretexte que Ton ne veut pas manquer au roy pere qui s'est declare si autentiquement opose a la confirmation de cette election'. Onse barricade dans la capitale, et on ne veut pas abandonner des gens qui veul^nt perir pour defendre leurs droits et leur choix. Mais ils se feront tons echarper, s'ils persistent; ils seront attaques de tous cotes, des que les premiers auront commence. Voila la perspective ou je suis dans un temps ou Ton me temoigne plus d'affection et de confiance que jamais. Toute cette affaire ressemble par- faitement a un roman, et je meurs de crainte d'approcher de la catastrophe. En verite, cela seroit affreux, et je ne puis vous dire a quel point j'en suis tourmentee. Toutes ces circon- stances ne doivent pas vous determiner a par- tir. Si le succes etoit plus aparent, s'il y avoit moins loin, et si ce n'etoit pas une aussi con- siderable demarche, il y a longtemps que je vous aurois exhorte de partir. Mais tout est trop en I'air pour pouvoir risquer une entre- prise d'oii, depend toute votre fortune; et celle de celuy pour qui vous la voulies faire est trop deplorable par elle-meme, pour s'engager a de telles reconnoissances. Il n'y en a deja que trop qui Font suivi, pour lesquels je suis assuree qu'il est plus embarrasse que pour luy- meme. Ses pensions sont saisies, et sa tete I. L'election avaiteu lieu le 28 juin 1726. Mais la Russie refusa de reconnaitre le nouveau due, et son pere lui-meme le somma d'abdiquer. 142 Adrienne Le Couvreur. ^ prix : il a pense meme etre arrete aux environs de cette diette ou il se rendoit les nuits incognito*. Adieu, car je ne finirois pas. Je vous sou- haite une heureuse annee ; aimes-moi toujours ; faites des reproches a Saint-Papoul de ma part, et comptes sur mon amitie. D'Argental est sauve, mais il est toujours a Montpellier. Mon voisin vous embrasse tres-tendrement et vous souhaite tout ce que vous merites-. XXVIII Lettre a M' ... A Paris ce...octobre 1727. J'etois asses surprise de n'entendre plus parler de vous, et je I'ay ete encore davantage lorsque j'ay appris que vous eties parti pour un grand voyage sans me dire adieu, quoique vous soyes venu dans mon quartier. Est-il done vray que vous ne reviendres qu'apres^ la Saint-Martin ? C'est ce que vos gens m'ont fait dire, pourquoy ne m'en dites vous rien dans votre lettre, et pourquoy aves vous balance a me donner de vos nouvelles? Est-il question de faire des Epitres a imprimer? Et si vous 1 . A Grodno, sur le Niemen. 2. Cette lettre, decouverte dans les papiers de Suard, a ete publiee par M. Charles Nisard, Memoires et Correspon- danccs historiques et litteraires inedits, 1726 a 18 16, p. 148. 3. Le II novembre. Lettres. 143 vous laissies aller a cette crainte mal fondee de tout point, que faudroit-il done que je fisse moy P moy chetive ; mais je veux vous instruire de nies principes. Quand il est question d'e- crire a mes amis, je ne songe jamais qu'il faille de I'esprit pour leur repondre. Mon coeur suffit a tout, je I'ecoute et puis j'agis, et je m'en suis toujours bien trouvee. On me prend telle que je suis, ou bien on me laisse la. Tout Part que j'y scais, c'est de ne point me jetter a la teste pour quelques sentimens que ce puisse etre. Je cherche d'abord de la probite jusques dans mes plus foibles liaisons; quand les graces s'y joignent, je scais les sentir, la Nature m'ayant donne un instinct admirable pour les demes- ler. L'usage du monde, le terns et un peu de raison, m'ont convaincue qu'il faut beaucoup d'indulgence dans la vie ; mais ceux qui en ont le moins de besoin, ne perdent rien avec moy. Je leur donne a la place tout autant d'estime et d'admiration qu'il me paroit qu'ils meritent, et quand ils m'honorent de quelques bontes, vous sentes bien ce que la reconnoissance peut ajouter a de tels sentimens, et assurement je ne fus jamais ingrate... Mais j'allois m'engager dans une belle dissertation sur moy meme; pardon, je reviens a vous. Vous etes done dans une des plus belles terres de I'univers ' .'' avec une Dame ^ que vous aimes et respectes beaucoup et qui le merite. 1 . A Rosny, pres Mantes, appartenante a M. de Senozan, intendant general du clerge de France. (Notede 173 s.) 2. Mme de Senozan, nee de Viriville. Francois Olivier de Senozan, chevalier de I'ordre du Roy, intendant general des 144 Adriennk Le Couvreur. Vous croyes qu'elle a quelques bontes pour moy, je crois que c'est parce que vous le sou- haites, et qu'il n'y a encore en elle que de legeres dispositions que vous aves seul mena- gees, et que je ne dois sans doute qu'au bien que vous aures daigne dire de moy ; mais prenes garde de n'en dire pas trop, vous de- viendries suspect, et cela feroit tort a votre coeur ou a votre jugement. L'amitie a ses en- thousiasmes aussi bien que I'amour ; mais il faut les menager, surtout aux yeux des personnes desinteressees. D'ailleurs, je suis d'un sexe et d'une profession ou Ton ne soupconne pas volontiers cet honnete sentiment, I'unique que je desire, dont je sois flattee, et dont j'ose me croire digne, par la facon dont je le sens; j'ajoute meme, par celle dont je I'ay inspire plus d'une fois. Mais songes que vous etes au milieu de tout un monde qui ne me connoit point, et qui n'est pas oblige de deviner ; ainsi paries peu de moy; mais fortifies vous dans les opinions ou vous paroisses etre, et per- suades vous bien que I'estime des honnetes gens, est le plus grand bien que je connoisse. Mon abbe' vous trouve beaucoup d'esprit, le magistrate est charme de vous connoitre, la affaires tempcrelles du clerge de France, con:>eiller du Roy, etait, depuis le lo decembre 17! 8, 28" seigneur et 7'' mar- quis de Rosny, qu'il avait acquis de Maxiniilien VI, Henri de Bethune, due de Sully. Ne en 1678, il mourut en 1739. De 172 1 .1 173 1, il habitait a Paris sa maison de la rue Richelieu, paroisse Saint-Roch (petit hotel de Louvois). — Voir Rosny-sur-Seine, ou est ne Sully, notice historique par I'abbe H. Thomas. Paris, Plon, 1889, in-8", figures. 1. L'abbe d'Amfreville. 2. M. Dargental. Lettres. 145 petite ' dit qu'elle veut resouper avec vous, et moy je dis que je suis bien aise de vous avoir acquis pour ami, et qu'il ne tiendra pas a moy que je ne vous conserve, mais qu'il me faut en- core un peu de terns pour que j'y compte reel- lement. L'ebulition diminue beaucoup, grace a la racine de patience, et mon pauvre oeil est toujours de meme. Je Pay de nouveau fait voir; ils disent que ce n'est rien et que cela passera. Je le crois; mais il reviendra d'autres infirmites, car nous ne vieillissons que pour en acquerir. Vous sentes vous asses de courage pour resister a tout ce que cette vieillesse an- nonce de triste et d'ennuyeux dans une vieille amie ? Songes a quels devoirs vous seres oblige dans dix ans si je vis; mais je ne veux pas encore vous tant eflfrayer. Votre zele, quoiqu' anime de cette premiere ferveur que donne la nouveaute, pourroit chanceler, et j'ay interest de le menager. Il est bon cependant de se pre- parer. Adieu, Monsieur. Donnes moy de vos nouvelles, je vous prie. XXIX Lettre a M... A Paris, ce 30 octobre 1727 ^. Je ne puis vous ecrire que peu, et fort a la 1 . Probablement sa soeur. 2. Le jeudi 30 octobre 1727, Mile Le Couvreur jouait 10 146 Adrienne Le Couvreur. hate parce que Je pars pour Besons ou I'on m'a fait reprier d'aller. Je n'y pourray rester que trois jours parce que de tristes devoirs me rappellent icy'. Ne revenes vous done pas bientot, Monsieur? Il me semble que la cam- pagne ne doit plus etre belle ; mais on s'oublie aisement en bonne compagnie. Il n'y a rien denouveau a Paris que ies amours de Mile de L'lsle^ pour deux ou trois Roquets du faux- bourg, parmi lesquels on nomme M. le com- missaire le Conte, et la nouvelle passion de M. de Charolois^ pour Mad. Lefranc, fiUe de Mad. Texier. Elle est bien jolie; on ne scait pas encore au juste ce qu'elle en pense; mais je doute fort qu'elle y reponde. Il ne faut pourtant jurer de rien. Adieu, Monsieur, a mon retour, si vous ne voules pas revenir, il faudra bien vous ecrire davantage. XXX Billet a Mr... Ce mercredi 21 Janvier (1730*). Il est vray que vous demeures trop loin, Tiridate, qu'elle rejoua Ies lundi 3, vendredi 7, dimanche 9, samedi 22 et lundi 24 novembre. 1 . Probablement le jour des Morts. Sa mere mourut a Char- leville, le 6 novembre suivant, agee de cinquante-huit ans. 2. La Delisle, danseuse de I'Opera, maitresse de M. le comte de Charolais. (Voir Journal de Mathieu Marais, 4 sep- tembre 1723, et Lettre du meme, 1$ mai 1726.) 3. Charles de Bourbon-Conde, comte de Charolais. 4. Le 21 Janvier 1730 etait, non pas un mercredi, mais Lett RES. 147 ou que je ne suis pas asses pres. Tous mes amis vinrent hier me demander a souper, et nous vous souhaitames tous. On reparla de la matelotte', et I'on designa un jour que je vous diray ce soir si vous voules venir dans noire quartier. Vous scaves que Mad. la duchesse Du Maine y sera, et il semble que ce soit les derniers devoirs que vous puissies tous rendre a la Marquise -. Taches done de n'y pas manquer. Adieu, j'aurois grand plaisir a vous voir plus souvent. XXXI Jeudi matin, 5 fevrier 1728. Il y a un siecle que je n'ay eii le plaisir de vous voir. Monsieur. M'aves vous oubliee ? Je ne scaurois vous en soupconner; maisvous abuses des privileges du Carnaval. Il semble que ce tems ne soit pas destine aux personnes un samedi. La veille 20, on avait fait relache, attendu qu'a S heures et demie il n'y avait que 14 francs de recette! Le 21, on fit 937 liv. 10 s. avec les Horaces et la Serenade. (Mile Le Couvreur jouait.) Cette lettre est done du mercredi 21 Janvier 1728 : ce soir-la, Mile Le Couvreur jouait la Surprise de i'amoiir. 1 . Il est encore question de la matelote dans la lettre du 1 5 decembre 1729. 2. Allusion a une piece dans laquelle Mile Le Couvreur avait cree le role de la marquise : la Surprise de I'aniour, comedie de M. Marivaux, jouee au Theatre Frangois, le 31 decembre 1727 pour la premiere fois. {Note de 17^5.) 148 Adrienne Le Couvreur. que Ton aime le mieux, du moins je I'eprouve. Je suis, depuis que je ne vous ay vu, dans les horreurs de I'etudeetdes repetitions. C'est de- main la premiere repetition des Amans dcguiscs '. N'y viendres vouspoint ? J'ay peur pour la piece et pour moy. J'ay aujourd'huy trois repeti- tions, deux dans la matinee et une apres Andromaque^ que je joue, n'est-ce pas asses? Aussi resteray-je demain toute la matinee a paresser. Il y a long terns que je n'ay eu cette consolation, vous devries bien me venir voir demain ou apres, le matin. Faites le moy dire si vous pouves, sinon cela ne vous doit pas empecher de venir. Bonjour, je vous ecris a la hate, car je pars. XXXII REQUETE A Monseigneur le lieutenant general de police. MONSEIGNEUR, Adrienne Le Couureur suplie tres humble- 1 . Comedie en j actes, attribuee a une dame, et jouee le samedy 7 fevrier 1728. Cette comedie estde M. I'abbe Fabiot Aunillon, cy-devant grand vicaire d'Evreux, frere du presi- dent de I'Election de Paris. Il y aurolt peut-etre de I'indis- cretion a nommcr I'auteur qui ne doit pas vouloir etre connu pour tel. (Note de 17?^) Cette piece fut imprimee sous le nom de L. C. Dove, in-8", 1728. Le manuscrit est a la Bibliotheque de I'Arsenal. 2. On donnait en effet ce jour-la Andromaque et Crispin Lettres. 149 ment uotre Grandeur de uouloir bien luy faire expedier un ordre du Roy pour faire receuoir Marguerite Le Couvreur ', sa soeur, dans la comunaute du couuent de Saint-Michel, rue des Postes, faubourg Saint-Marceau, ou elle est conuenue auec madame la Superieure de luy payer une pension. Elle (demande, raturc) espere cette grace de uous Monseigneur par des raisons dont monsieur Rossignol* uoudra bien uous instruire. (Bibl. de I'Arsenal.) XXXIII Lettre a Mr... J'ay un grand remords duquel je soupconne que vous ne seres gueres touche ; il faut cepen- dant que vous trouvies bon que je m'en sou- lage, non pour satisfaire a des craintes que je suis tres sure que vous n'aves pas; mais pour me debarasser de celles que j'ay reelle- ment. Je vous dois, et vous n'aves point de surete. Cela me tourmenteroit et me feroit rival de son maitre. Mile Le Couvreur joua dans la tragedie avec Mile Jouvenot, Baron et Dufresne. 1 . Marie-Marguerite Le Couvreur, alors agee de vingt-deux ans. 2. Employe de M. Herault, il avait a ce titre ses entrees a la Coniedie frangaise, ainsi que ses trols collegues Char- pentier, La Bonnarditre et Dominique. 1^0 Adrienne Le Couvreur. apprehender la mort, si je ne vous envoyois mon billet de la somme due, et tout au plus t6t. Je vais demain faire un voyage', et Ton ne scait ce qui peut arriver. Il n'est pas juste que vous risquies de perdre tout a la fois, et votre amie, et six cent livres que vous aves bien voulu luy prester. Il seroit encore plus deraisonnable, qu'avec la reconnoissance que j'en ay, et mes intentions, j'allasse faire cette banqueroute. Il faut que vous scachies cepen- dant, pour me justifier de ce que je ne vous I'ay pas envoye plustot, premierement, que j'esperois vous payer, et que je I'aurois fait sans I'affaire de M. de S...^, et que de plus, j'etois bien sure que mon legataire universel ^ m'auroit acquittee sur votre simple parole, et que je luy avois dit en general que je vous devois; mais pour plus de tranquillite, voil^ un billet que je vous envoye. Je seray moins pressee de vous payer apres cela, et je compte que c'est une bonne raison pour vous contraindre a le recevoir, et le garder meme sans murmurer; car tel est notre bon vouloir. Adieu, Monsieur. La vie est bien douce quand on a des amis 1. Un petit voyage, car le mercredy suivant 28, elle joua les Amans deguises et Athalie, a Paris. 2. M. de Saxe, auquel elle avail envoye 40,000 livres. 3. M. Dargental, qui, apres la mort de Mile Le Couvreur, a rendu son bien a sa famille, c'est-a-dire a deux filles natu- relles qu'elle a laissees, une desquelles a epouse Frangois Francoeur le cadet, de I'Academie Royale de musique, et I'autre epousa M. Dauvet, magistral a Strasbourg, avec 30,000 livres de dot, en 1735. On croit cette derniere fiUe de M. Klinglin, Preteur royal a Strasbourg. Le pere de I'autre est inconnu. (Note de 173$.) Lettres. 151 tels que vous. Que vous etes heureux d'etre homme, et surtout d'etre ne vertueux! Bon jour, vous ne pouves avoir d'amie qui soit plus sensible au vray merite et qui soit plus capable de reconnoissance et de Constance. Ces protestations ne sont jamais suspectes en amitie, et surtout quand on la merite aussi bien que vous. A Paris, ce Dimanche matin 25 avril 1728. XXXIV A M. ■*** '. De Paris, ie (Mercredy) j mai 1728 *. Il est vrai qu'il y a bien longtemps que je ne vous ai ecrit, Monsieur^ et que je me ie reprochois; mais" vous connoisses la vie dis- sipee de Paris et les devoirs indispensables de mon etat. Je passe les jours * a faire les trois quarts 1. Le Journal des Dames de mai 1777 (p. 434) intitule cette lettre : « A M. de S*** (son ami) » . 2. Adrienne joua ie soir : Athalie et Je vous prends sans verd. (1749 liv. 10 de recette.) 3. Var. : II est vrai, Monsieur, que je ne vous ai pas ecrit depuis bien longtemps. Je... 4. C'est ici que commence la lettre publiee par les Anec- dotes dramatiques et par le Conservateur de Delandine, annee 1787, t. l""", p. 161. 5 . Var. : mes jours. C'est ici que commence le fragment publie dans les Pieces interessantes. 1^2 Adrienne Le Couvreur. au moins de ce qui me deplait; des connois- sances nouvelles, mais qu'il m'est impossible d'eviter, tant que je serai liee ou je suis, m'empechent de cultiver les anciennes, ou de m'occuper chez moi selon mon gre'. C'est une mode etablie de diner ou souper avec moi, parce que quelques duchesses m'ont fait cet honneur-. 11 est des personnes dont les bontes, dont les bienveillances ^ me char- ment et me suffiroient, mais auxquelles je ne puis me livrer, parce que je suis au public, et qu'il faut absolument ou repondre a toutes celles qui* ont envie de me connoitre, ou pas- ser* pour impertinente. Quelque soin que j'y apporte, je ne laisse pas de mecontenter". Si ma' pauvre sante, qui est foible, comme vous saves, me fait refuser ou manquer •* a une partie de dames que je n'auray jamais vues, qui ne se soucient" de moy que par curio- site '", ou, si je I'ose dire, par air, car il en entre dans tout. « — Vraiment, dit I'une, elle fait la merveilleuse! » Une autre ajoute : — 1. Var. : Selon mon gout. (Pieces int.) 2. Var. : Quelques grandes dames ont eu la fantaisie de me faire cet honneur. 3. Var. ; Dont la bienveillance me charme et mesuffiroit ; mais je ne puis m'y livrer, parce qu'helas ! je suis... 4. Var. : Qui paroisbent empresseesde... 5. Var. : Ou .se resoudre a passer pour... 6. Le Conservateur ajoute: « ... plusieurs personnes. » 7. Var. : Si ma sante. 8. Var : Aux invitations de quelques femmes que je n'ai jamais vues. 9. Var. : Qui poliment e.\igent tout ce qu'elles desirent, et ne se... 10. Var. : Par caprice, par curiosite. Lettres. 153 « C'est que nous ne sommes pas titrees! » Si je suis serieuse, car on ne peut ' etre fort gaye avec ^ bien des gens qu'on ne connoit pas : — ((C'est done la cette fi lie qui a tantd'esprit?» dit quelqu'un de la compagnie. — « Ne voyes- vous pas qu'elle nous dedaigne^dit une autre, et qu'il faut savoir du grec pour lui plaire? » (( Elle va chez Mme de Lambert'', [dit une autre, cela ne vous dit-il pas le mot de I'e- nigmeP »] Je ne scais* pourquoy je^ vous fais tout ce detail, car j'ai bien d'autres choses a vous dire; mais c'est que je suis encore toute remplie de nouveaux^ propos de cette espece, et plus occupee que jamais du desir de deve- nir libre, et de n'avoir plus de cour a faire qu'a ceux qui reellement auront de la bonte pour moi % et qui satisferont et mon coeur et mon esprit. Ma vanite ne trouve point que le grand nombre dedommage du merite reel des personnes ; je ne me soucie point de bril- ler; j'ai plus de plaisir cent fois a ne rien dire, mais a entendre des bonnes choses, a I . Var. : Parce qu'on ne peut etre fort gaie au milieu de beaucoup de gens... (Anecdotes dram., Conservateur, et Pieces inter ess.) 2 Var. : Avec les gens. 3. La marquise de Lambert (1647, f 173?) avail un salon celebre, qui reunissait Fontenelle, La Motte, Saint-Aulaire, Mairan, I'abbe Mongault, etc. Elle est I'auteur de plusieurs ouvrages, dontles Reflexions nouvelks sur les femmes, Paris, I727,in-i2. 4. Var. : Je ne sais pas. 5 . Var. : Je fais. 6. Var. preferable : De mauvais propos. 7. Var. : Qu'a ceux qui ont reellement de ramiti(; pour moi. IS4 Adrienne Le Couvreur. me trouver dans une societe douce de gens sages et vertueux, qu'a etre etourdiede toutes les louanges fades que Ton me prodigue a tort et a travers dans bien des endroits'. Ce n'est pas que je manque de reconnoissance ni d'envie de plaire, mais je trouve que Tappro- bation des sots n'est flatteuse que com me generale, et qu'elle devient a charge quand il la faut acheter par des complaisances parti- culieres et reiterees -. Je revlens a vous; je ne vous ai pas re- pondu et j'ai tort; j'ai fait bien des choses qui m'ont moins amusee assurement. Vous voules savoir des nouvelles de notre heros, car entre nous deux et tout bas, e'en est un, au moins ^ en le comparant aux princes* du siecle; il est reparti pour Dantzic, parce que son pere le veut marier. A juger sans preven- tion de cette affaire, je n'ai pas opinion qu'elle reussisse; non que je la deconseille, ni que je me flatte, je fais mon devoir et par dela; mais cette alliance est telle qu'il est impos- sible qu'il ne s'y trouve de grandes difficultes des deux parts. J'attends cependant si on le fera passer plus loin ; cela peut tres bien arriver, et sous le pretexte de mariage, on 1. Var. : En blendes endroits. (Cons.) 2. Fin de la version des Anecdotes dram, et du Conserva- teiir. Le fragment donne par les Pikes interessanUs et par Cre- pet s'arrete ici, et se termine par cette t'ormule de polites^e : « Plaignez-moi, mon ami ! et soyez toujoiirs si'ir de la verite des sentimens que je vous ai voues. » 3. Var. : Surtout. 4. Var. : Ptrsonnages. Lettres. 155 peut negocier des choses dont le succes en rendroit I'execution plus facile. Peut-etre aussi reviendra-t-on dans deux mois : cette alternative ne laisse pas d'agiter ceux qui y prennent beaucoup d'interet, je vous en don- neray des nouvelles. On m'a priee de vous faire mille amities et remerciments de vos sentiments ; il n'y a rien de nouveau que la maladie de M. Le Blanc ', qui traine, et dont il pourra trainer longtemps par son courage. Beaucoup pre- tendent a le remplacer; chacun nomme son successeur a sa fantaisie, et peut-etre pas un de ceux qui sont designes n'y aura part. Le Roy part toujours le 2 ou le 3. La grossesse de la Reyne va tres bien. On donna hier Roland pour la capitation avec un divertisse- ment fait pour la Reyne, de morceaux reunis, et plus longs qu'un acte, tant en danse qu'en chants, que Ton mit a la place de Logis- tilk'\ S. A. S.^ y etoit dans sa logette; les deux jeunes princesses dans la grande loge, et Mme de Segur^, qui etoit fort jolie, a cote d'elles, aupres de Mile de Villefranche, dont 1. Claude Le Blanc, secretaire d'Etat de la guerre depuis 17 18, mort a Versailles le 19 mai 1728. 2. C.-a-d. a la place du <,<' acte de Roland, opera de Lulli qui se passe dans le palais de la fee Logistille. Il y a une Logistille dans les Fees, comedie de Dancourt (1699J. 3. Var. : S. A. R. 4. Philippe-Angeliquede Froissy, fille naturelledu Regent et de Mile Desmares, mariee en 17 iS au marquis H. K. de Segur, colonel de cavalerie et brigadier des armees du Roi, 10 Adrienne Le Couvreur, la beaute s'epanouit '. Thevenard - est malade ; Chasse^ joua Roland et fut applaudi ; mais Mile Prevost '', quoiqu'elle se surpassat, eut des applaudissements blen mediocres, en com- paraison d'une nouvelle danseuse, nominee Camargot% dont le public" est idolatre etdont le grand ^ merite est la jeunesse et la vigueur. Je doute que vous I'ayez vue. Mile Prevost la protegeoit d'abord. Blondi •* en est devenu amoureux ; il y a eu de la pique ° ; elle a paru jalouse ou mecontente des applaudissemens du public, et depuis ce temps'" lis sont aug- mentes au point que cela paroit une fureur, 1. Var. : Epaissit. Mile de Villefranche, fille de Jean du Puy de Montbnm, marquis de Villefranche, etait une des beautes du temps. Voltaire dit qu'en 171; elle recitait tres joliment des pieces comiques, et qu'il « I'a entendue declnmer des roles du Misanthrope avec beaucoup d'art et de naturel » . 2. Gabriel-Vincent Thevenard (1669-1741) etait depuis trente ans le chanteur en vogue de I'Opera, qu'il quitta en 1730. 3. Claude-Louis-Dominique de Chasse de Chinais (1699- 1786) avait debute a rOpera en 1721. Il quitta en 1739, mais rentra en 1742, et prit sa retraite en 1756. 4. Mile Prevost, I'une des celebres danseuses du dix-hui- tieme siecle, quitta I'Opera en 1728. 5 . Var. : Camargo. — Marie-Anne de Cupis de Camargo 1' 17 10- 1770) avait debute le 5 mai 1726, presentee par Mile Prevost. Dans la nuit du lo au 11 mai 1728, elle et sa jeune soeur Sophie furent enlevees par le comte de Melun. 6. Var. : Dont on est. 7. Var. : Le plus grand. 8. Var. : Mais Blondi. — Blondi ou Biondi etait le fils d'un danseur de I'Opera, tres connu sous Louis XIV. 9. Var. : Le moyende tenir a cela ? Vous sentez qu'il y a eu de la pique. La protectrice a bienidt paru jalouse a I'exces. 10. Var. : Depuis cetems-lace malin public les a multiplies au point. Lettres. 1^7 et que la Prevost sera foUe' si elle ne quitte pas au plustot. Ainsi va le monde. M. le duc- se marie : on va chercher sa future dans quatre vieux carrosses le 1 5 de ce mois. On dit qu'on lui porte quatre robes neuves et deux douzaines de chemises avec quelques blondes. Je suis tres-touchee et tres-flattee que Mme la marquise de Simiane'' m'honore de son souve- nir; je la fus ici de ses premieres paroles % comme si j'eusse connu des lors tout le prix de son suffrage et de ses bontes. Juges de ce que j'en pense, presentement que j'ai lu, relu et admire les lettres de Mme de Sevigne^, et presentement que vous m'assures qu'elle se souvient de moi a cent lieues ou environ". Je demande souvent de ses nouvelles a Mme de Fontaine-Martel, qui m'a fait I'honneur de me montrer'' cet hiver une de ses lettres que je trouvai'* digne d'elle". C'est tout dire, selon 1. Var. : En deviendra folle. 2. Le due de Bourbon, veuf de Mile de Conti, se remaria le 27 juin 1728 a Charlotte de Hesse-Rheinfeld-Rothembourg, fille du landgrave de Hesse. 3. Pauline d'AdhemardeMonteil de Grignan (1674-1737). 4. Var. : Vous vites icicombien jefus flatteedeses preve- nances. Il sembloit que je connusse des lors... 5. Mme de Simiane etait la petite-fille de Mme de Sevi- gne,dontellevenait depublierlacorrespondance, 2vol.,i726. 6. Mme de Simiane habitait Ai.\, ou elle mourut le 2 juil- let 1737. 7. Var. : Qui m'a montre. 8. Var. : Que je trouvai aussi sensible quespirituelle. Cette femme charmante est une de celles qu'on n'oublie point, quand on a eu le bonheur de les apercevoir : elles s'empa- rent de I'ame et n'en sortent plus. Voila ce que j'eprouve. 9. On a public les lettres de Mme de Simiane en 1806. 1^8 Adrienne Le Couvreur. moi, car je sens tout ce que Ton peut sentir pour quelqu'un que Ton n'a pas eu I'honneur de voir davantage. ll est des impressions qui ne s'effacent ni par reloignement, ni meme par la mort, et qui ne feroient que croitre par la presence. C'est a vous que je dis tout ceci de pure abondance de coeur; vous en useres comme il vous plaira ; mais menages- moi, et sur toute chose conserves precieuse- ment cette connoissance '. Je vous trouverois bien heureux si vous lui paroissies digne de son amilie; il me semble que Ton n'en fait plus de cette espece. Ce que Ton appelle grace et esprit aujourd'hui est bien diffe- rent -. Adieu, Monsieur, sans rancune; aimes moy toujours ^ 1 . Var. : Conservez-moi precieusement son affection et son amitie. Il n'y a plus, dit-on, de coeur comme celui-la. 2. Quant a ce qu'on appelle grace, esprit, c'est un eloge qui lui est trop familier, et quand on le lui donne, on est echo de I'univers. (Variante de Dorat.) 3. Cette lettre, imprimee en partie au tome III des Anec- dotes dramatiques{\']i<,),{nt reproduite avec de nombreuses alterations par Dorat dans ses Melanges litteraircs du Jour- nal des Dames (Paris, Thiboust, 1777). Desprez de Boissy en cite un fragment dans son Histoire des ouvrages pour et contre les theatres, p. 565 (1779). Voir encore Pieces inte- rcssantes et pcu connucs, de L. P. (1784), le Conscrvateur (1787), Lemazurier, Crepet et enfm Ch. Nisard,quien donne le texte le plus complet et le meilleur, d'apres les papiers de Suard, dans ses Memoires et Correspondances historiques et Utteraires, p. 151a i $ ^ . Lettres. 159 XXXV A Monsieur B... Lundi matin (18 octobre 1728). Je vous(^crisquej'ay besoinde vos conseils, et je n'entends point paiier de vous, Mon- sieur; je me flatte que vos affaires ont ete bien considerables, puisqu'elles vous ont empeche de penser a moy. Celle dont j'avois intention de vous parler, quoique tres serieuse, a pris un cours dont il faut attendre les suites. Ne m'en paries devant personne , c'est un tres grand mistere que j'ay interest de cacher. On demande si vous pouves venir, demain mardi, a I'Opera nouveau', dans une loge que nous avons louee entre nous autres. M' de R.. a suivi mes conseils et mes prieres, et s'en trouve bien. Il vous fait mille complimens et desire fort de vous voir aussi bien que moy. XXXVI A Monsieur B... Encore ne faut-il pas vous laisser dans I . ProbablcineiU Tarsis et Julk, de Francoeur le cadet, represente pour !a premiere fois le mardi 19 octobre 1728. i6o Adrienne Le Couvreur. I'opinion que je neglige mes amis, ou que je les oublie, ni partir pour la campagne ou je dois aller demain, sans essayer d'avoir I'hon- neur de vous voir. Par des enchainemens indispensables, je me trouve encore engagee aujourd'huy a diner et a souper, quoique ma sante ne soit pas trop bonne et que j'aye un tres grand besoin de quelques remedes. M' le Marechal de Besons et Mad. de Lambert, m'ont occupee tous ces jours. Vous voyes qu'au moins je ne vous prefere que d'anciens et respectables amis. Si vous voules venir demain a dix heures precises, vous me feres grand plaisir. Je compte d'aller a cinq lieues d'icy, et partir avant onze heures. Je revien- dray lundi , et je me suis engagee a aller passer I'autre semaine dies Mad. la marquise de Lambert a Clamar, ou elle alia hier apres avoir dine ches M. le Marquis de Lasse'. C'est ches mes voisins P..., que je vais demain, et quoi que je puisse avoir a faire, je suis engagee de telle sorte que je ne puis m'en degager. Notre presidente- m'a fait prier a souper pour samedi; mais il ne m'est pas possible d'avoir cet honneur. Voyes si vous pouves venir demain recevoir mes remerciemens pour les galanteries que vous m'aves faites, et mon 1. Lassay (A. L. de Madaillan de Lesparre, marquis de), i6$2-i738. 2. Mine Berthier etait fille d'Orry, controleur general des finances. Son mari, le president Berthier, frere de M. Berthier de Sauvigny, passait une partie de sa vie « a s'enivrer et a voir des filles de bas etage qui se plaignaient toutes de son caractere avare et vilain >• . (Journal de police, 1742-4?-) Lettres. i6i Lafontaine'. N'aves vous pas eu la bonte de vous charger du Livre de Mad. de Lambert? XXXVII Ce vendredi, a minuit. J'ay soupe ches mes voisins-. Aucun de nos convives ne m'ont donne signe de vie; il seroit trop tard demain pour attendre leur reponse, ainsi il vaut mieux remettre la partie. Assure- ment il y a du mal'heur pour moy ; mais nous la renouerons dans un tems ou je seray plus tranquile et ou nous pourrons mieux nous arranger. Adieu, Monsieur, revenes dans notre quartier, j'ay une voisine qui vous y desire, et qui pretend renouveller connoissance avec vous. Elle etoit amie intime d'une de vos soeurs, c'est la femme de celuy ches qui vous soupates hier. Adieu, ne soyes pas long tems sans nous venir voir. XXXVIII Lettre a Monsieur.., Ce samedy, 2} octobre 1728. M. le Mareschal de Bezons qui partit le 1. On I'avoit fait relier magnifiquement. {Note de 1755.) 2. M. et Mme Pajot. M. Pajot a ete conseiller a la Cour des Aides. (Note de 1735.) l62 Adrienne Le Couvreur. lendemain, ne me permit pas d'aller souper ches Mad. la Presidente ' comme je I'avois projette , et j'avoue que par la facon dont Mad. la Marechale et luy I'exigerent, je leur en fus tres obligee. J'esperois revoir ces jours cy notre aimable Presidente; mais par des enchainemens difficiles a expliquer, je n'ay pu avoir ce plaisir. J'ay ete deux fois a TOpera, qui a reiissi autant que cela se pouvoit avec un bien mauvais poeme-, mais ces petites bonnes gens sont extremement aimees du public, et ont bien des amis. Les Fils ingrats^ ont eu un sort singulier. On a senti vivement les grandes beautes qui y sont, on les a exces- sivement applaudies; mais on a blame de meme des libertes qui ont choque dans le cours de Touvrage, et Ton a ete jusqu'au sifflet au sortir des battemens de mains, et des brouhahas les plus forts. Je crois que la seconde representation, qui se fera tantot, sera plus uniforme, et que vous trouveres cette piece dans la faveur qu'elle merite. Si I'on est content des retranchemens qu'on y a faits, votre livre sera achete, et vous le trouveres ches vous a votre arrivee dont vous ne me 1 . Berthier. 2. C'est la trag^die lyrique de Tarsis ct Julie, paroks de M. de la Serre, musique de MM. Rebel et Francoeur le cadet, ordinaires dc la musique du Roy, representee pour la pre- miere fois le mardy 19 octobre 1738. 3. Ou L'Hculc des Peres, comedie en vers et en s actes, de Piron, representee pour la premiere fois I'avant- veille jeudi 21 octobre 1728. Adrienne y crea le role d'An- gelique {2} representations). Lettres. 163 marques point le jour, line personne ' attendue depuis tres longtemps, arrive enfin ce soir, selon les apparences en asses bonne sante. Un courrier vient de devancer, parce que la berline est cassee a trente lieues. On a fait partir une chaise, et ce soir on sera icy. Les belles jam- bes- vous font mille complimens, j'ai fait les votres. On vous souhaite beaucoup de plaisirs. Mon ceil va tres bien, mais mon estomach ne va pas de meme. Adieu, Monsieur, bien des choses m'empechent de continuer; mais rien ne m'empeschera jamais de desirer la conti- nuation de I'amitie dont vous m'honores. Je voudrois scavoir quand vous reviendres. XXXIX A Messieurs Messieurs les Comcdiens frangois en leur hotel a Paris. Messieurs, Monseigneur le due de Gesure ma chargee de scauoir uotre reponse sur la proposition qui uous a este faite lundi dernier^ par M. Qj.ii- 1 . Maurice de Saxe, retour de Courlande. 2. Mile La Motte. 3. A I'assemblee hebdomadaire du 28 fevrier. 164 Adrienne Le Couvreur. nault de loiier une seconde loge a lanee a madaine de Lhopital, soeur de madame la duchesse de Gesure soil pour lanee entiere ou pour une demie anee en ne la loiiant que quinze jours du mois. Je suis persuadee qu'il ny a personne en particulier qui ne desire de consentir a ce que Mgr le Due de Gesure peut souhaiter et je ne crois pas cette proposition desauantageuse a la Compagnie d'autant que Ion offre de payer d'auance , que nous tou- chons a Teste, et qu'il me semble que Ton ne peut trop attirer des personnes de considera- tion. Ayes done la bonte de decider, Mes- sieurs, et de menuoyer uotre reponce. J'ay Ihonneur detre Messieurs, Uotre tres humble et tres obeisante seruante et camarade Le Couureur. Ce lundi matin, 7" mars 1729. Il faut aussy decider du prix sil uous plaist ' . XL Lettre a M' Mardi (... avril 1759'. Scaves vous, Monsieur, que je pars jeudi I Archives de la Comedie frangaise. V. \e facsimile. Lettres. 165 ou vendredi a midi tout au plus tard ? Ce pourroit bien meme etre jeudi. Je n'entends point parler de vous, qu'est-ce done que vous faites? Permettes moy d'exiger une visite ce matin si vous pouves, avant midi, parce que je vais diner ches Mad. la Marquise de Lam- bert', et avant, a I'hotel de Gesvres-. Si vous ne pouves sortir ce matin, venes souper demain mercredi ches moy. Afin que votre conscience n'en soit point gesnee, je vous avertis que ce sera en maigre. Si vous ne pouvies ni demain au soir ni ce matin, il faut de toute necessite, et je dirois presque je le veux, que vous venies jeudi matin; mais I'amitie doit parler plus modestement : ainsi je me borne a vous en prier instamment. Mandes moy, je vous prie, si nos deux affaires sont consommees avec M. de S... Si elles le sont, a la bonne heure. Si elles ne I'etoient pas, mandes moy si elles le seront, parce qu'il faudroit bien se retourner autrement. Si vous eties malade, vous series par trop injuste de ne me I'avoir pas mande. Adieu, Monsieur, je vous prie de faire bien votre jubile^ pour venir en sante a la cam- 1. La marquise de Lambert occupait, depuis 1698, la partie de I'liotel de Nevers occiipee jadis par la bibliotheque du cardinal Richelieu, a I'extremite de la galerie au-dessus de la rue Colbert, et depuis par le cabinet des medailles. Ses diners du mardi et du mercredi sont celebres. Aux premiers elle recevait la noblesse et les gens en place ; aux seconds, les gens de lettres et les artistes. On voit par cette lettre qu'Adrienne etait des deux series. 2. Dans le quartier Sainte-Anne, rue Neuve Saint-Augus- tin, entre les rues Gaillon et de Lyonne. 3. Le theatre fut ferme le i" avri! 1729 a cause du i66 Adrienne Le Couvreur. pagne; il faut bien en parler un peu pour s'arranger. Je voudrois aussi aller au moins quelques jours ches notre tres aimable Presi- dente', car je vous avoue que je I'aime tou- jours, et que ce gout la durera, ainsi que celuy que j'ay pour vous. XLI Billet a Mr... Ce Mercredi, 6 juillet (1729). Aurons nous I'honneur et le plaisir de souper demain ches vous, Monsieur? Il me semble que tous les convives s'y preparent avec joye; mais je suis en peine de n'avoir point entendu parler de vous. C'est aujour- d'huy la nouveaute-. Vous y verra-t-on, ou si vous aures la bonte de me faire dire si le projet du souper aura lieu ou non? Hors M' de... que je n'ay point vu, les belles Jubile; rouvert le 2 mai suivant, avec defenses de jouer les dimanches et fetes, jusqu'au 3 1 du meme mois. 1. La presidente Berthier. 2. Il s'agit ici, non pas, comme !e ditune Note de 1735, de la Nouveaute, comedie du sieur Le Grand, comedien du Roy, en un acte et un prologue, jouee le 19 Janvier 1727, maisdes Trois spectacles, ambigu en 3 actes, de Du Mas d'Aigueberre, represente pour la premiere fois le mercredi 6 juillet 1729 avec succes. Adrienne Le Couvreur y chanta le role de Doris, dans la pastorale Pan et Doris (3^' partie) ; Mile La Motte cr^a egalement un role. (20 representations.) Lettres. 167 jambes' et autres nommes s'y attendent, et desirent que ce soit votre bon plaisir. Je pre- vois que nous serons sept. Si R...^nous man- que, taches de venir ce soir et d'etre bien sage demain si vous voules de nous, car nous n'irons assurement pas pour vous deranger , mais bien pour nous amuser cordialement avec vous. XLII A Monseigneur k Lieutenant general de police. (i" aout 1729.) Je luy ay parle et fait parler souuent et longtenips% et toujours il a repondu auec suite et ingenuite. Ce n'est pas que je desire qu'il dise uray; j'ai cent fois plus de rai- sons pour souhaiter qu'il soit fou. Eh! plut a Dieu qu'il n'y eut qu'a solliciter sa grace! Mais, s'il est innocent, songez. Monsieur, quel interet je dois prendre a ses jours, et combien cette incertitude est cruelle pour moy. Ne 1 . Mile La Motte, qui etait la camarade d'Adrienne a la Co- medie depuis 1722. 2. Rochemore, jeune gentilhomme du Languedoc, fort aiinable et fort ami de Mile Le Couvreur. (Notede 1735.) 3. U s'agit de I'abbe Bouret, detenu a Saint-Lazare. Voir plus haut, p. 50. i68 Adrienne Le Couvreur. regardez point mon etat ni ma naissance, daignez uoir mon ame, qui est sincere et a decouuert dans cette lettre'. XLIII Billet a ^/^.. (Samedi, 27 aout 1729.) Je suis arriuee hier au soir- en asses bonne sante, et avec impatience de vous revoir. Il y a un projet d'aller a Vilpt vendredi prochain dont on vous a mis, supposant que vous I'auries pour agreable. Venes me voir, et s'il vous convient de souper ce soir ches moy, vous seres le bien venu. Bonjour, Monsieur. Ce samedi matin. Le pauvre Baron joue aujourd'huy Vcn- ceslas^, vousdevries y venir, je compte y aller. 1 . Catalogues Monmerque et Pixerecourt. 2. Mile Le Couvreur avail joue pour la derniere fois le mardi 16 aout. EUe reparut le samedi 10 septembre dans Berenice. 3. Tragedie de Rotrou. Baron se trouva mal a la troisieme representation et ne put achever son role ; il mourut quel- ques semaines apres, 5ge de quatre-vingt-trois ans environ (de soixante-seize seulement, d'apres son acte de bapteme), le 22 d^cembre 1729. Lettres. 169 XLIV Billet a Monsieur... (Septembre 1729.'! On se flatte, Monsieur, que vous voudres bien venir quelques jours a la campagne ou nous sommes. Les belles jambes ' y doivent arriver demain, et vous series fort aimable de vous arranger avec elle pour partir ensemble, si elle vous veut mener, ou de vous y rendre selon qu'il pourra vous convenir; mais tou- jours demain. Vous n'y scauries rester trop long terns. Je suis sure que vous seres content de I'accueil du maitre de la maison, et vous ne deves pas douter de mon amitie. XLV Lettre a Monsieur... (Jeudy, 15 decembre 1729.) Croyes vous etre seul enrhume.f' C'est un accident qui me paroit general, et dont je ne suis pas plus exempte que les autres. Je revins I . Mile La Motte. lyo Adrienne Le Couvreur. hier de Junie ' avec la fievre. On ne m'entend pas parler, et cependant ce matin je vais repeter Ino-. Je reviendray tout de suite me coucher. J'ay grand regret que votre sante me prive du plaisir de vous voir. Il semble que ce n'est pas vivre que de ne point voir ses amis, et que la vie est trop courte pour perdre le seul plaisir reel que Ton y trouve. M. le comte de Saxe a ete malade aussi. Il a ete saigne et a eu la fievre. Il se croit mieux ; mais il sort trop tot et la Galere^ en est cause. Elle est enfin fmie, et demain est un grand jour, independamment de la matelotte. Taches de nous voir; mais vetisses vous bien, et conserves vous. Notre ami Dargental est aussi incommode. M' de Foncemagne* est tres mal. Que de raisons de tristesse! Bon jour, mon attachement s'accroit par le terns et par mon estime; mais il faut se voir pendant que je vis^ Pourquoy sommes-nous si eloignes.^ 1 . Elle avail joue le role de Junie dans Britannkus le mercredi 14 (1,047 I'vres de recette) avec \e Medecin malgre liii comme « petite piece » . 2. Ino et MelicerU, tragedie de la Grange-Chancel, remise le sainedy 17 decembre 1729. (9 representations.) 3. M. le comte de Saxe venait d'inventer une nouvelle manoeuvre pour les galeres, L'epreuve ne reussit qu'amoitie. Le comte obtint un certificat de membres de TAcademie des sciences, et un privilege exclusif pour sa machine. 4. Etienne Laureault de Foncemagne (1694- 1779), eru- dit, admis en 1722 a I'Academie des inscriptions et belles- lettres, et en 1737 a I'Academie frangaise. 5 . Cette lettre est ecrite trois mois avant la mort d'A- drienne. Avait-elle comme un pressentiment de sa fin ? Lettres. 171 Lettre de Piron a Mademoiselle Le Couvreiir. Mademoiselle, Je recois et je lis voire lettre'. 11 s'agit d'y repondre, et I'etat est violent pour un homme de mon caractere. Elle m'a vivement touche. Soyez assuree que rien n'egale le cas que je fais, comme tout le monde, de vos talens, si ce n'est I'estime que m'inspiratoujours votre noble facon de penser. J'espere prouver I'un et I'autre plus d'une fois encore en ma vie. Mais ne reduisons point le temoignage a des sacrifices impossibles. Je n'ay pas imaginedans ma piece - de ces graces seduisantes qui naissent d'un tendre soupir, d'un coup d'oeil fm, d'un silence ou d'un cri bien menage, de ces je ne sais quoy triomphanls ou I'art subtil et la douce nature sont obliges de se preter un secours continuel I'un a I'autre. J'ay concu des graces austeres, simples, nues, ou tout I'art du monde ne sauroit supleer a ce qui pent ne pas aider la nature. Convenons, Mademoiselle, que le visage, la taille et I'organe ont leurs agre- mens proportionnels et determines. L'engageante Venus n'a que faire ou I'anl attend la superbe Pallas, comme au rebours; et je crois qu'il y a ici^ plus d'egide que de 1 . Cette lettre d'Adrienne n'a pas ete relrouvee. 2. Callisthene, tragedk. 3 . Dans le role de Leonide. 172 Adrienne Le Couvreur. ceinture. Enfin le choix ou je me determine s'est fait de lui-meme dans mon esprit des le premier mot du role qui s'y forma. Il s'est soutenu dans le progres, et s'est toujours de plus en plus confirme jusqu'a la fin de I'ou- vrage. Vousaviez pourtant alors, comme vous aurez toujours en toute autre occasion, pou- voir absolu sur moi. Cela vient de trop loin, comme vous voyez, pour en parler davantage. La dispute m'honorerait et m'affligerait trop; je n'aurai pas toujours des amazones dans la tete, et je n'aurai que trop tot I'empressement d'appuyer mes ouvrages du secours de vos talens; prouvez-moi pour lors, par la bonte que vous aurez de me preter ce secours, que vous etes la genereuse amie qui se plaint a moi de la mauvaise honte que j'ai eue. Pour moi, je ne chercherai en tout et partout qu'a vous prouver que personne au monde n'est avec plus d'estime et plus d'attachement que moi, Mademoiselle, Votre tres humble et tres obeissant serviteur. PiRON'. Ce lundy soir 19 Janvier 1730). I. Cette lettre a ete publiee en 1829 par M. Leinontey (t. Ill de ses CEuvres), d'apres Toriginal autographe tire de la collection de M. Tastu, mais sous la faussc date de 1723. — Voir la collection Morrison. Lettres 17: XLVI Reponse a la lettre precedente. (Mardi) 10 Janvier 1730. On n'a jamais mis tant d'art et tant d'elo- quence pour dire a quelqu'un : Je crois mon succes impossible entre uos mains. Premiere- ment, monsieur, vous m'auez promis de tout temps uotre roUe; car je crois que c'est pro- mettre que tout ce que uous m'aues dit auant et depuis la lecture qu'il uous plut de uouloyr faire ches moy des premiers actes de uotre piesce. La confiance que uotre nai'uete m'auoit inspiree, I'amitie que uous me temoignes, et pent etre mon amour propre, ne m'ont pas laisse penser un moment que uotre choix put etre douteux; ainsy je n'ay exige ny confir- mation ny promesse plus marquee; d'ailleurs uous me I'auries signe de uotre sang qu'au premier scrupule j'aurois cesse d'y pretendre, et quoy que je uous dise icy, tenes uous pour tres assure que je n'ay nulle intention de uous faire changer. Je connois toute I'ettendue de uotre courage a soutenir uos oppinions, et tout le danger et le degout de contraindre un homme d'esprit et d'imagination. Je suis con- uaincue aussy qu'en toute fascons je ne uau- drois rien que desiree; mais je ueux me jus- tifier d'auoir ose dire en pleine assemblee que 174 Adrienne Le Couvreur. je le deuois joiier. Je uous le repette, mon- sieur, uous me I'auiez fait esperer et promis, de meme que Calisthene a notre ami Sarazin. Uous nous sacrlfies tous deux non aux talents de Mile de Balicourt quoy que je conuienne qu'elle en ait, maisa la crainte que uous aues de M. Quinault ', et en cela je doute fort que uous prenies le meilleur party pour uous ; M. Quinault a plus d'art et d'experience que M. Sarazin, mais celuy cy a un sentiment plus neuf et plus sur pour le succes. Les ap- plaudissemens qu'il a receus et merites dans les derniers rolles qu'il a joues, en sont une preuue bien reelle. Quand a moy je trouue qu'en me donnant des elogesqueje ne merite pas uous me faites injustice d'ailleurs : je suis bien plus eloignee de ressembler a Uenus qu'a cette Pallas que uous mesures a I'aune ; uous oublies que j'ai joue, du temps de Miles Desmares et Duclos, Roxane, Athalie, Phedre, Elisabeth, Pauline et Cornelie, sans que le public ait paru se plaindre de ma foi- blesse ny de mon courage, et je crois que I'ame est plus necessaire que la taille. Je ne ueux disputer ny de graces ny de tallens aUec celle que uous me preferes, mais je ne crois pas sa force sy superieure. Uous n'aues pour en juger que I'exemple de Medee qu'elle n'a jamais jouee que deux fois la semaine, se plaignant ensuite qu'elle auoit crache le sang, I . Mile de Balicourt etait la cousine des Quinault, dont la coterie etait toute-puissante a la Comedie ; Piron etait, comme on salt, I'ami tres intime de Mile Quinault. Mile de Balicourt avait debute en 1727. Lettres. 175 et toute la Comedie peut uous dire qu'elle n'a jamais joue sans assurer qu'elle auoit la fieure ou quelqu'autre indisposition. Il y a pourtant en elle un amour du metier que je respecte tres sincerement, mais que je pretens auoir pousse plus loin. Enfin ce n'est point une furieuse que Leonide; ces graces austeres, simples et nues que uous desires ne se trou- ueront point plus en elle qu'en moy, je m'en raporte a ceux qui y uoyent de plus loin que uous, et s'il eut este question d'un parallelle contraire, et que uous m'eussiez mande que Mile Dufresne, ou quelque autre, aprocheroit mille fois plus de ces graces que uous atribues a Uenus, et a cette cinture que uous croyes qui ua m'eblouir, je dirois que uous aues rai- son et je me flate meme que je uous aurois preuenu, mais je pretens un peu plus a I'egide, puisqu'egide et cinture y a. En un mot je tiens mon ame aussy malle et aussy sensible a la uertu que uous en puissies trouuer. C'est ce quy m'a fait admirer uotre piesce, c'est ce quy m'a plu dans uotre roUe, et c'est ce qui me porte a uous pardonner un affront qu'au- cune autre femme n'oublieroit de sa uie : je dis afront parce que j'ay dit en pleine assem- blee que uous me I'auies promis, et qu'apres un engagement authorise par I'acceuil que je recois encore du public et par I'amitie que je uous ay temoignee, et par les louanges sin- ceres et uiues que je uous ay donnees, il est inconceuable que uous allies uous jetter a la teste d'une autre, encore plus deraisonnable que uous destinies Calisthene a un autre que 176 Adrienne Le Couvreur. uotre amy Sarazin'. Mais la peur du diable fait souuent plus de deuots que le ueritable amour de Dieu. Uoila ce qui peut nous con- soler-. Uotre tres humble et tres obeisante seruante Le Couureur. XLVII A Monsieur. 10 janvier 1730. Vous aimes M. Piron, Monsieur, je me flatte que uous aues de la bonte pour moy. Juges, je uous prie, de ce qui se passe entre nous. On peut nous aigrir I'un et I'autre, et je serois fort fachee d'etre accusee d'auoir tort. Uous ueres par sa lettre et ma reponse de quoy il s'agit, et les termes ou nous en sommes. Je crois n'auoir besoin que de ma parolle pour persuader que j'ay eu raison de croire qu'il me destinoit son rolle. J'en ay des 1. Piron n'aiinait pas le jeu de Sarazin. C'est de cet ancien abbe devenu comedien qu'il aurait dit : « Il n'a pas merite d'etre sacre a vingt-cinq ans, et ne inerite pas d'etre cxcommunie a cinquante. » Il fut cependant trop heureux de lui confier le Christiern de sa tragedie de Gustavc. 2. Cette lettre, de quatre pages et demie in-4", a ete ven- due $00 francs, souslen" 1 520 du catalogue B. Fillon (1878). Elle fait aujourd'hui partie de la collection A. Morrison. Lettres. 177 temoins irreprochables et je crois luy faire honneur quand je m'en plains; mais c'est encore plus pour me justifier d'auoir dit deuant toute I'assemblee qu'il me I'a promis : c'estoit le jour meme de sa lecture ' . Il a plus de tort encor auec Sarasin et je luy par- donnerois s'il y deuoyt beaucoup gagner , mais encore une fois, je uous en fais juge, et je uous demande de diner ou souper bientot auec uous ches moy, sy uous m'en uoules faire I'honneur, ches uous sy cela uous con- uient mieux. Je uais a Uersaille jouer Berenice^, sans cela j'aurois este uous uoir. Je pers le plaisir de jouer un rolle qui m'a plu, que j'ay accepte auant qu'il fut fait, et dans la piesce d'un homme que je croyois mon amy. Mais je pers aussy la crainte d'en mecontenter I'auteur ou de n'y pas plaire au public, la fatigue, I'enuie des autres, et j'y gagne, outre le repos, le temps de pouuoir me liurer a la bonne compagnie qui me fait la grace de me soufrir. Il uous en coutera plus d'un diners 1. Le niardi 13 decembre 1729; Sarrazin, Quinault, Miles Le Couvreur et de Balicoiirt ont signe le proces-verbal de reception. 2. Mardy , 10 Janvier 1730, treizieme voyage a Ver- sailles : Berenice (Mile Le Couvreur) et le Retour imprivu. 3. I page 3/4 10-4". N» 616 d'une vente faite par Laverdet (31 Janvier 1854). N" 360 de la vente Chambry (Charavay, 7 mars 1881), adjugee 480 francs a M. Thi- baudeau. Fait aujourd'hui partie de ia collection Alfred Mor- rison. 178 Adrienne Le Couvreur. XLVIII A Monsieur le marquis dc la Chalotais '. Samedy, 1 1 mars 1730. J'ay recu, Monsieur, le tribut qu'il plait ^ uotre amitie de m'enuoyer tous les caresmes; je suis fachee qu'il n'y en ait qu'un par an, puisque ce n'est que dans ce temps et a cette occasion que uous m'honorez de uotre souue- nir. Je suis tres flatee qu'il subsiste malgre la longueur de I'abscence et le peu d'espe- rance de nous reuoir. Pour moi, je suis tres constante pour des amistels que uous, et dus- sions-nous uiure cent ans et rester aussi eloi- gnes, je ne uous oublierais point; mais j'ai- merois mieux uous reuoir. Vous uoila decore d'une charge qui uous retiendra plus que jamais dans uotre Bretagne, et a moins que je n'y aille, je ne uerray plus mon petit abbe : il y a peut etre de I'indecence a moy d'appe- ler ainssy un homme deuenu tres graue par le sacrement et la magistrature, je uous en demande done pardon tres humblement, Monsieur, a uous, a Madame uostre epouse et a uotre nouuelle dignite; tout ce que je puis I. Cette lettre, ecrite neuf jours avant sa mort, appar- tient a M. le marquis de Kerniez, arriere-petit-filsde La Cha- lotais. M. Henry Jouin I'a publi^e dans le Courrier de I'Art, du 2^ mars 1887. Lettres. 179 uous assurer, c'est que mon petit abbe, jeune, plein d'esprit, de grace et de sagesse, n'estoit pas moins respectable pour moy que Monsieur ie marquis de la Chalotais', pere de famille et auocat general du Parlement de Bretagne. Ces titres, loin de m'imposer, m'autorisent ce me semble a uous parler plus naiuement et auec plus de confiance des sentimens qu'une extreme jeunesse et une entiere liberte deuaient moderer. Quand on a dix ou douze ans de connoissance et une espesce d'attache- ment qui resiste a I'eloignement et ne doit blesser personne, on doit se parler sans con- trainte. Je uous assure done que je uous aime autant que je uous estime, que je fais des uoeux pour uostre bonheur et celuy de tout ce qui uous apartient, et je uous exorte a me conseruer uostre souuenir et mieux. Vous dittes que uous uoudriez que je uous apprisse I'art de la declamation, dont uous auez besoin; auez uous done oublie que je ne declame point? La simplicite de mon jeu en fait I'unique et foible merite; mais cette sim- plicite que le hasard a fait tourner k bonheur I . La Chalotais (Louis-Rene de Caradeuc de), ne a Rennes Ie 6 mars 170 1, mort dans la ineme ville Ie 12 juillet 1785, fut procureur general au parlement de Bretagne. — Venu jeune a Paris, il frequente les salons renommes, dit M. I'avo- cat general Bonnet dans son Discours de rentree de I3 Gour- de Rennes : « Il est assidu au theatre, ou Baron et Adrienne Lecouvreur inaugurent une diction (.ieine de naturel. Il est charme, et ne dfdaignera pas d'entretenir un commerce intcl- lectuel avec la celebre protegee de la marquise de Lambert. » (La Chalotais, son caractere et ses idees, Rennes, 1882, in-8", p. ID.) i8o Adrienne Le Couvreur. chez moy, me paroist indispensable dans un homme comme uous. Il faut premierement autant d'esprit que uous en auez et puis lais- ser faire la belle nature. Vouloir I'outrer c'est la perdre. Grace, noblesse et simplicite dans I'expression, et mettre la force seulement dans le raisonnement et dans ies choses, c'est ce que uous direz et ferez bien mieux que per- sonne; et sur ce j'ai I'honneur d'estre auec I'amitie la plus tendre et la consideration la plus forte, Monsieur, Vostre tres humble et tres obeissante ser- uante, Le Couureur. Paris, ce 1 1 mars 1730. LETTRES ET BILLETS NON DATES XLIX A Mademoiselle de... [La Chaise). Je voulois vous demander, ou vous donner a souper aujourd'huy ; mais comme vous alles a la campagne, je compte de souper ailleurs, et desire que vous vous amusies beaucoup ou vous alles. Ce qu'il y a de certain, c'est que vous amuseres beaucoup ceux qui auront i'honneur de souper avec vous. A mon gre, il est dangereux de vous voir, on ne peut plus souffrir les autres femmes, et ce seroit bien pis, si je vous voyois souvent moins entouree de gens qui me derobent la moitie de vos attentions, c'est-a-dire la moitie de mes plai- sirs. Il n'est cependant pas juste de s'opposer aux votres, ni a ceux des personnes qui, comme moy, vous rendent justice. Ne dou- tez plus de ma Constance. Je ne vous man- queray jamais la premiere, et fussies-vous dans le Palais de la Gloire, a mes depens, en depit.de I'envie, je vous aimcrois toujours. Ne vous formes point une idee importune de cette chimere que vous croyes qui vous annonce l82 Adrienne Le Couvreur. de nouveaux malheurs, et qui me presage une espece de bonheur. Un rien peut me rendre plus mal'heureuse que jene Fay encore ete, et vous ne pouves qu'esperer mieux ; avec I'esprit que vous aves, on peut, de reste, braver I'envie et le sort meme ; mais toute ma prudence, et I'attention que j'apporte a me bien conduire, ne mettent pas a couvert des accidents qui peuvent arriver, et centre lesquels ma sensi- bilite ne peut s'endurcir. Vous n'aves qu'a prendre sur vous, vous touches peut-etre au moment que je souhaite, et que vous merites. Quelques apparences flatteuses que vous puis- sies envisager pour moy, vous me verres tou- jours tranquile, eussent-elles meme tout I'effet que vous en esperes. Il est des erreurs bien douces ou je ne puis plus me livrer. De trop tristes experiences ont eclaire ma raison. Adieu, je vous embrasse, je vous aime, et vous aimeray toute ma vie. Je vous verray le plustot que je pourray. En attendant songes a moy. L A la meme. Vous aves tort de vous plaindre de moy, ma chere amie. Je vous aime plus qu'aucune femme que je connoisse, et je me flatte aussi que vous m'aimes plus que toute autre. Fies Lettres. 183 vous a mon discernement, quel qu'il puisse etre, du soin de vous rendre justice ; il sera tou jours aide par mon coeur, bien que vous n'en ayes pas besoin. Je sens bien ce que vous vales au-dessus des autres, et c'est votre merite personnel qui m'a attachee a vous, par preference meme a I'amitie que vous aves paru avoir pour moy d'abord. Pretes vous a ma situation sur ma conduite, et comptes sur un attachement vif et solide de ma part. Adieu, je vous attends a diner. Je ne me porte point bien du tout; mais vous me guerires. LI A Mademoiselle... Assurement, je veux que vous m'ecrivies, et je le veux plus que jamais. Je douteray de votre amitie, je vous chercheray querelle, enfin je mettray tout en usage pour recevoir d'aussi jolies lettres que celle que vous venes de m'ecrire. Si vous aves autant de Constance et d'amitie pour moy, que je vous trouve de graces et d'esprit, je suis trop heureuse; mais ce n'est pas asses que de me les laisser voir et connoitre. Ne pourries vous point m'en infuser quelqu'unes.'' Vous y gagneries, puisque j'en deviendrois plus digne de votre affection. Enfin, telle que je suis, je suis a vous, pene- tree de reconnoissance, animee de gout, et 184 Adrienne Le Couvreur. charmee de votre merite. Tout vous sied, la folic meme, et je ne scache rien qui puisse vous resister et qui ne s'applaudisse meme de sa defaite. Que ne vous ay-je offert mes pre- miers soins? Je serois encore fidelle. Adieu, Madame. T... vous remercie, vous entend, vous embrasse, et vous verra tantot. LII A la inesine. J'eus tant de regret de vous avoir quittee hier, que je meurs d'envie de vous voir pour vous en faire mes excuses. Il me semble que j'aurois grand plaisir a vous voir tout a I'heure et a vous embrasser de tout mon coeur. Vous series bien aimable, si vous voulies prendre la peine de venir ches moy prendre du the ou du caffe. Je vous previendrois sans doute si je n'etois obligee de rester ches moy pour des raisons que jevous diray. Voles done, si vous m'aimes, et venes m'assurer que vous etes sensible a tout ce que je sens de vif et de tendre pour vous. Adieu, ma Reine. Si vous ne venies pas ce matin, je ne pourrois vous voir d'aujourd'huy, et j'en serois au deses- poir. Lettres. 185 LIII A la inesme. Je ne scais, ma chere amie, si je pourray avoir le plaisir de souper avec vous ce soir. Je ne scais meme si je souperay. Je ne me porte point bien du tout. Ma sante me deses- pere et je ne suis pas maitresse de la tristesse qu'elle m'inspire. Je trouve qu'il est plus dif- ficile de prendre son parti sur une langueur eternelle, quesur une maladie bien viveet bien declaree. Je conviens avec vous, que ma facon de penser me fait tort, je dis a ma sante; mais cela ne sera pas sans remedes avec vos conseils et le terns. Donnes m'en toujours, ma chere amie, et continues de vous interesser a la personne du monde qui vous aime le plus. Vous aures de mes nouvelles, sitot que j'en auray recu. LIV A la inesme. Vous vous plaignies I'autre jour de mes yeux, je me plains aujourd'huy de votre silence. Que faites vous done, Madame, et d'ou vient que je n'entends plus parler de vous.^" Qu'est devenu ce gout, cette amitie si vive.^ i86 Adrienne Le Couvreur. En aves vous perdu jusqu'au souvenir ?Eclair- cisses mes doutes, je vous prie, at m'apprenes ce que vous faites ce soir el meme des a present. Je vais remplir un des devoirs de Mile Quinault', sans cela j'irois m'informer moy meme de tout ce que vous penses sur moy. Adieu, faites moy reponse je vous prie, ou trembles de la vengeance que je medite. Songes y. LV A Id mes me. Taises vous, impertinente. Je ne suis ni ingrate ni inconstante. Il m'importe peu que M... se conduise bien ou mal. Je ne songe point a elle, je suis meme dans mon tort a son egard, selon les regies de la politesse, dont je ne veux cependant point m'ecarter. J'ay toute autre chose a present dans la teste; mais, quoi que vous disies, je pense a vous, et je vous aime par gout. Vous ne me vites point hier, parce que je fus forcee d'aller ches Mad. de R... J'y fus meme en robe de cham- bre, et j'y restay jusqu'au soir. De la, bien que fatiguee et tres foible, j'allay ches les nouveaux maries qui pouvoient avec justice I. Le saniedi 28 juin 1721, Adrienne doiibla Mile Qiii- nault dans Marianne de VAvare. ,. , Lettres. 187 se plaindre de moy. J'y restay jusqu'a dix heures, et je revins me coucher. Je n'ay point dormi , dont j'enrage. Les papillons noirs entouroient mon imagination agitee par deux ou trois frayeurs. Aujourd'huy, je joue au Palais Royal ' dont je suis si fachee, que la contrainte de ce metier me donne presque du degout pour la vie. Adieu, je ne puis vous rien dire de plus agreable pour aujourd'huy. Passes moy cette mauvaise humeur, je vous en tiendray compte en terns et lieu. Bonjour, menages bienvotre sante, c'est'le bien le plus precieux de la vie. J'en connois trop le prix pour mon malheur. Faut-il vous le redire encore .f" Comptes sur moy ou... suffit. Adieu. LVI Lcttre a M' .. J'etois sortie hier quand on apporta voire billet, on ne me le rendit que I'apres dinee asses tard. Je n'eus jamais le tems de vous faire reponse et j'en fus tres fachee. Je con- viens d'avoir eu, et d'avoir trop souvent de I'humeur, je n'en suis pas la maitresse; mais je ne conviens pas d'en avoir moins pour I. Adrienne joua quarante-deux fois au Palais-Royal, du 3 juin 17 17 au 21 juin 1723. On salt que le Regent mourut le 2 decembre suivant. i88 Adrienne Le Couvreur. d'autres que pour vous. Je ne vols point d'heure a vous donner, puisque vous etes engage a diner et a souper, que dans la soiree, avant votre souper, et lorsque je seray revenue de ches de Tr... Vous faites tres bien de ne man- querniaM... niaM. deL... et vous feres encore mieux de ne vous point inquieter de mon humeur. C'est un deffaut tres commun a mon sexe, et que Ton n'a pas toujours la bonne foy d'avouer. Il ne faut pas s'en appercevoir pour y remedier ; au bout du compte, ce que j'en ay ne me paroit pas si insupportable pour les autres que pour moy. Je m'en appercois tou- jours la premiere et cela me jette ordinaire- ment dans des reflexions deplaisantes et tristes. Adieu. C'est trop en raisonner, ne m'en paries plus, je vous prie, et comptes absolument sur moy. LVII A Monsieur d' A . En rentrant hier, je trouvay une lettre de M. de V..., qui me manda que M. de S... avoit tout ranime et qu'il seroit ches moy a six heures aujourd'huy. On compte surM. L. de B..., M. D... le P... et sur vous et M. votre frere, que je devois nommer les premiers. Lettres. 189 Proposes a Madame de venir entendre la piece, son souper est rompu ches Mad. de T... ', ainsi elle pourra nous faire ce plaisir si elle veut. Comme le Chev'"' n'y sera pas, elle pourroit amener notre amie sans scrupule. N'alles pas montrer ce billet; mais acquites vous de cette negociation en homme habile, et qui veut me plaire. Je me trouvay si mal hier de mon indigestion, que je ne pus ja- mais aller souper ches Mad. de B...-. Je luy fis faire des excuses, et je me couchay sans manger. Je n'ay point dormi et ne me porta point bien du tout ce matin. Je viens cependant de prendre six tasses dethe.Je voudrois avoir au moins de la sante pour tantot. U me semble que Ton n'a pas prie M. D... le fils; mais ce n'est pas ma faute. J'ay cru devoir laisser a M. le D. de S... la liberte de nom- mer. Je me suis contentee d'apprendre que vousen etieset dedesirer que Mad. votre mere y vint. A... ' m'a ecrit avec beaucoup de mo- destie sur Arkinire. Il dit que sa muse est aussi timide aupres de moy que vous. Je sou- haite que cette timidite cache autant de vray merite, nous aurons grand plaisir a le demesler. Adieu, mon bon ami. Ne vous lasses ni d'etre sage ni de m'aimer, Les sentimens que j'ay pour vous valent mieuxque la passion la plus violente et la plus dereglee. Si je pouvois vous les exprimer comme je les sens, vous en series 1 . Tencin ? 2. Bouillon? 3. Arouet? 190 Adrienne Le Couvreur. certainement flatte, quand meme vous n'au- ries pour moy nulle tendresse; mais votre attachement n'y gate rien. A tantot. (1720?) LVIII All mcsme. Vous envoyes ches moy sans m'ecrire, et vous partes sans me voir. Avoues le, mon cher ami, je suis en bon train d'etre oubliee, et je ne doisbientotpluscomptersur vous.. le suis d'une tristesse extreme, je ne puis m'accou- tumer a ne vous point voir, et vous me man- ques a present plus que jamais. Vous vous vanges bien de mes injustices, et je commence a croire que les votres surpasseront les mien- nes de beaucoup. Ne m'ecrires vous point de la campagne.f" Faut-il que nous soyons encore longtems dans ce terrible eloignement.? Je vous envoye une lettre pour le Docteur, que je vous prie de faire tenir. Je dois luy ecrire encore au premier jour pour un petit service qu'i! peut rendre a Rome a M. de P..., et je voudrois bien que la lettre que je luy ecriray alors, fut a une addresse sure. Mandes moy comment vous croyes que je dois faire. Vousn'aves pas voulu aller a Anieres. Parti- res vous aussi sans passer aS'-Au....^' Vousavies bien voulu me le promettre, et quelque mal Lettres. 191 que vous me voulies, cette bonne intention ne devroit pas s'effacer de voire ame. Voulesvous que nous y alliens demain I'apres dinee ensem- ble? Adieu, mon cher ami, je suis tres atten- drie en vous ecrivant, et jamais je ne fus plus penetree d'amitie, de tendresse, et d'estime. Adieu, ne m'oublies pas tout a fait, ou du moins ne me le laisses pas croire. Ayes grand soin de votre sante, lises, promenes vous, et surtout ne vousattristes point. Conserves vous precieusement, je vous le demande au nom de tout ce qui vous interesse le plus au monde. Adieu. Si vous aves besoin de quelqu'autre livre, ou d'autre chose, vous n'aves qu'a parler. Adieu, encore une fois. Adieu. LIX All incsme. Ires vous tantot voir le M...'.^ Je ne scais encore si c'est aujourd'huy. Je m'eveillay hier vers les dix heures avec une toux effroyable; je ne me rendormis qu'a minuit; mais je ne me suis eveillee qu'a six heures ce matin avec moins d'inflammation dans la poitrine, mais encore bien du rhume. Je n'ose vous dire a quel point I'image de la mort me suit. Je ne I Le Menteur? 192 Adrienne Le Couvreur. merite pas que vous me plaignies. Gependant je sens que I'interest que vous prenes a moy, m'est une grande consolation, et que je serois desolee, quelque justice que je me fasse, si vous cessies d'avoir de I'amitie pour moy. Que ma vie soit le terme de votre Constance, mon cher ami. Vous n'aures peut-etre plus gueres de tems a me la conserver, et je ne fi- niray point sans remords de mes injustices ni sans admiration pour vos vertus. Peut-etre aussi que si je pousse ma carrierre plus loin que je ne crois, vous trouveres un jour dans ma tendre et inalterable amitie, des ressources centre les passions ou le tems et votre age ne manqueront pas de vous entrainer. Peut-etre aussi deviendres vous devot. Enfm, de quel- que facon que ce puisse etre, soyons amisjus- qu'alamort. Adieu. Jecompte 'dWer au Mcntciir . Passes ches moy auparavant. Je ne crois pas pouvoir vous donner a souper, ce sera pour demain, si vous voules; mais que je vousvoye aujourd'huy.Cettedameangloisem'embarasse. J'aurois bien voulu voir aussi M. de G... et Mad. de P..., mais je crains de me trop fati- guer et je n'ay point de carosse. Je voulois aller dans la rue de Tournon, mais on m'a remise a tantot, parce que Ton y a un conseil ce matin. Adieu. Lettres. 193 LX Billet. Vous auries bien du rester. Je suis revenue d'abord apres vous, Monsieur, et je trouve qu'il y a bien long terns que je ne vous ay vu. On m'est venu proposer d'aller a Mongei', mais je ne suis pas ma maitresse de plus de huit jours, et il est douteux que je la sois encore apres. Cela est bien deplaisant. J'ay dine aujourd'huy avec un avocat qui est bien eloigne de vous ressembler; aussi me suis-je ennuyee. Vous auries, en verite , du m'en dedommager. Mon ami R^... est infiniment content de vous. Il dit que vous etes de bien bon conseil. Ne soyes done pas si longtems sans nous voir. Bonsoir. Je vais souper seule. Ce mardi au soir. LXI Billet a M\.. Voila un sous bail,etune lettrede M' ... que je vous envoye. Monsieur, non que je croye 1. Terre en BourgogneappartenanteaM. lediic de Riclie- lieu. {Note de 173s -j 2. Rochemore? '3 194 Adrienne Le Couvreur. qu'il faille changer de resolution pour ce nouvel incident; mais pour vous prier de me mander ce qu'il faudra ajouter la dessus a la reponse que je devois deja luy faire. Je ne suis pas fachee que ce soit une occasion de vous assurer que je vous aime bien. Quand auray- je I'honneur de vous voir? aves vous ecrit a R...'? LXII Lettre a Monsieur... Vous etes attendu, Monsieur, par tous les convives et encore plus par celuy qui nous donne a souper, qui m'avoit chargee des hier d'envoyer ches vous, et de vous prier dans les formes, parce qu'il n'a pas pu envoyer ches vous; mais j'ay ete maussade, occupee, et je n'ay pu envoyer plus tot. C'est vis-a-vis I'hotel d'Antin' riie neuve Saint-Augustin, a cote de Mad. Pallu. Il faut venir tout a I'heure. LXIII Billet a M' ... Pouves vous venir souper ce soir ches moy, 1 . Rochemore ? 2. Ches M. de Foncemagne, de TAcademie des Belles- Lettres. {Note de 173$.) L'hotel de Ferriol etait dans la mSme rue. Lettres. 195 Monsieur? Je voudrois bien ne point aller a la campagne sans vous avoir vu. Je comptois de vous voir ce matin et vous en prier. Si, par malheur, vous etes engage, venes du moins demain matin le plus tot que vous pour- res. Adieu, je trouve que la vie est trop courte, et que Ton voit trop peu ses amis. LXIV Lettre a Monsieur... (Dimanche...) Pourres vous venir ce matin. Monsieur.^ Il me semble qu'il est bien difficile de vous arracher de votre quartier. Vous etes prie a souper dans le notre demain Lundi; mais je voudrois bien vous montrer aujourd'huy une lettre que j'ay recue de Langres, et sur laquelle on me presse fort de faire reponse. Notre affaire de la Roche^ a ete on ne peut pas plus mal, par la faute des deux hommes que vous aves vu ches moy, et a qui vous avies eu la bonte de recommander ce malheureux. C'est une trahison horrible qu'ils ont faite, car il est tres certain que le prisonnier sortoit sans I . Son domestique de confiance s'appelait Gaspard Pitre, dit La Roche. Aurait-il ete implique dans I'affaire d'Edouard Vaillant, laquais d'Adrienne, qui fut mis aiix prisons du grand Chatelet en mai 1727 ? 196 Adrienne Le Couvreur. eux. Je vois bien qu'il faut avoir a vous parler d'affaire pour vous attirer. Je m'en plains et je voudrois bien que votre amitie seule put suffire. LXV Lettre a Monsieur... Si vous aves ete embarasse a plaisanter sur la pointe de ces aiguilles', je ne la suis pas moinsa vous repondre. Je sens bien que je suis flattee de votre souvenir, que je desire vivement votre estime et votre amitie; mais je ne desire point du tout que vous me fassiesdes presens; quelque legers qu'ils puissent etre, ils m'in- quietent. Tenes vous le done pour dit, et son- ges qu'il vous suffit de vouloir etre de mes amis pour que je m'en tienne tres honoree et tres flattee. Je le repete parce que je le sens; mais encore une fois, epargnes moy. Allons ronde- ment vers I'amitie , qu'elle soit franche et simple. Vous seres content de mon coeur si vous persistes dans la bonne opinion qu'il me paroit que vous en aves; mais n'essayes pas de le corrompre par I'exces des attentions. J'ay une bonne nouvelle a vous apprendre. Nos bonnes gens de Rouen ont gagne leur I . Celuy a qui cette lettre est addressee avoit envoye a Mile Le Couvreur des aiguilles d'or avec une lettre. (Note de Lettres. 197 proces avec depens et toutes les circonstances les plus avantageuses. Le juge qui vouloit venir icy, a fait des merveilles, et Ton me supplie plus que jamais de solliciter pour luy. Aides moy a cette bonne oeuvre, on doit me donner ces jours cy un memoire que je vou- drois bien vous communiquer; je vous man- deray quand je I'auray. J'ay passe mes deux jours toute seule, le dernier souper ne m'avoit pas si bien reiissi que le votre. Adieu, vos aiguilles me donnent une envie extreme de travailler. Peu s'en faut que je ne m'en serve malgre la bonne feste. Corriges vous cepen- dant. Adieu, Monsieur, soyes raisonnable, et mon ami. Vous voyes que je ne scais pas mieux plai- santer que vous sur des aiguilles; mais aussi, pourquoy m'en donnes vous? et de quel me- tal! En verite vous n'y penses pas. LXVI Lettrc d Monsieur... W de Caylus devina hier la confiance que j'ay en vous, Monsieur, et comme il pretend ne se pas entendre mieux en affaires que moy, il me dit qu'il falloit que je m'en rap- portasse a vous comme il s'en rapportoit k M. Galiot', cousin de M. Julien de Prunay, I. Galiot, avocat, procureur fiscal du bailliage de Men- 198 Adrienne Le Couvreur. et son ami particulier, qu'il en passeroit par tout ce qu'il decideroit et que s'il fixoit le prix de cette terre a 18,000'', il y consenti- roit; mais qu'il lui avoit entenda dire qu'il ne la falloit pas laisser a moins de 24, que ce seroit une tres bonne acquisition pour' moy, qu'il me le disoit d'amitie, parce qu'il n'etoit pas embarasse d'acquereur, plusieurs etant apres luy pour avoir la preference : qu'enfin il falloit que vous prissies la peine de voir ce M. Galiot, qui etoit instruit de tout, et qui vous feroit voir le bail et les pieces necessaires, et que sur votre decision, on romproit ou con- clueroit cette afTaire. Je luy proposay de prendre de I'argent a vie. Il nevoulutpas. Il me dit qu'il etoit deja le fermier de Madame sa Mere', de son frere-, qu'il ne tenoit qu'a luy de I'etre aussi de son oncle^ et que ceia le tourmen- toit trop; que d'ailleurs, j'etois trop de ses amis pour qu'il fit un pareil marche. Il me dit encore d'autres choses, sur cette terre, qui me font desirer un plus grand eclaircis- sement par vous, et qui me paroissent avan- tageuses; mais que je n'ay pas asses bien don. C'est celuy qui a eu le secretariat de la Librairie sous M. Chauvelin ; depuis avocat general sous M. Chauvelin, intendant de Picardie et d'Artois, et qui I'exerce encore sous les ordres de M. Rouille. Il demeure rue Hautefeuille et est grand ami de M. de Caylus. yiXote dc 1735.) 1. M. de Villette, comtesse de Cajlus, les graces m^me de corps etd'esprit, morte en 1728, agee de soixante et un ans. {Note dc 1735)- — M"i^ I3 marquise de Caylus ne mourut que le 1$ avril 1729, agee de cinquante-six ans 2. Le chevalier de Caylus. {Id.) 3. L'eveque d'Auxerre. (/^.) Lettres. 199 retenues pour oser vous les ecrire. Mandes moy quand vous pourresvenir, premierement causer avec moy, ensuite si vous voudres bien aller ches ce Monsieur qui demeure dans mon quartier, rue Hautefeuille'. On m'aoffert de I'envoyer ches vous; mais j'ay fait les honneurs de votre politesse a titre d'amie : ainsi je vous ay engage d'y aller. Bonjour. Taches de venir incessamment, je tacheray, moy, que nous puissions raisonner en repos. LXVII Lettre a Monsieur... Il me semble que je ne vous remerciay pas asses hier sur la lettre que vous me mon- trates, et sur la peine que vous aves bien voulu prendre pour cette aflfaire. Je ne vous dis pas asses qu'elle me parut admirablement bienecrite; mais la modestie etouffa mes louanges et empecha ma reconnoissance de paroitre. L'amour-propre n'y perdit rien ; surtout je pensay avec plaisir, que la bonne opinion qu'il paroit que votre ami a de moy, fortifieroit peut-etre votre estime. Il n'y a qu'une chose qui me fache, c'est que vous me voyes, et qu'il ne me connoit pas. On I'a prevenu en ma faveur , et vous pouves me I. M. Galiot. (v. la note de la page 197.) 200 Adrienne Le Couvreur. juger; mais je compte sur votre indulgence et sur votre reconnoissance, car j'ay pour vous des sentimens qui en meritent quoiqu'ils vous soyent dus. Je crains cependant que cette reconnoissance ne s'altere par toutes les epreuves ou je vous mets; soil pour moy ou pour nies amis. Par exemple, on me mit hier au soir dans un asses grand embaras. On scait que je vous connois, j'en fais gloire; on croit que vous m'honores d'amitie, Dieu le veuille; mais enfin, pour venir au fait, un de mes voisins me vint supplier, apres que vous futes parti, de vous engager a servir M. de San- draisaupres de M. le Chancellier. Vous scaves son affaire, et vous sentes bien que I'huma- nite et la complaisance sont les seuls motifs qui peuvent parler pour luy ; car, a quel propos va-t-il revolter tout le monde? On doit me I'amener ce matin, et en verite je ne scauray que luy dire. Mon voisin ' vouloit que j'en parlasse a M. le M*' de Besons ; mais je le refusay tout net; j'aurois bonne grace de solliciter quelqu'un qui doit tant au Parlement , pour un homme qui I'outrage. On m'a pressee sur vous plus vivement, et je n'ay pas trop scu que dire, surtout lorsqu'on m'a assuree que M'^ le Chancellier ne le veut point perdre, que le s'de Sandrais luy a offert la demission de sa charge, et qu'il a repondu qu'il n'etoit question que de trouver un tem- I . L'abbe d'Amfreville ; 11 demeuroit dans la rue de Sein?, pres la rue des Marais, faubourg Saint-Germain, qu'habitait alors Adrienne. (Note de 1735. LETTRES. 201 perament. On dit que lorsqu'on entend M. de Sandrais, il ne paroit pas si coupable; mais je ne scaurois in'empescher de trouver deraison- nable, et blamable, pour ne pas dire pis, d'al- ler attaquer tout le Parlement et le reste. Je n'ay point vu le memoire; mais I'effet qu'il produit me revolte. Cependantc'est un homme qui se vante d'etre votre confrere et qui demande votre protection. Que luy repon- dray-je? On va me I'amener. Taches de m'in- struire au plus vite; ne vous tenes point pour importune, car c'est malgre moy que je me mesle de tout cecy et je ne diray que ce qu'il vous plaira. On me demandera sans doute de vous le mener, ou de vous prier de venir ches moy. Si je n'ay pas votre reponse, je seray bien embarassee. Adieu, car je crains de vous embarasser aussi, par une si longue et si sotte lettre. Mandes moy quel jour vous voules souper ches moy, et souffres que je vous fasse une petite galanterie que I'on vous rendra de ma part. Adieu, on frappe, et je meurs de crainte que ce ne soit ce mons"" de Sandrais... Dieu mercy, ce n'est pas luy; mais il va venir sans doute, et je voudrois bien scavoir ce que vous penses. Adieu, faites le moy dire, ou venes si vous pouves ce matin. 202 Adrienne Le Couvreur. LX.VIII Billet a Monsieur... Il y a mille ans que je ne vous ai vu, Mon- sieur. Etes vous malade , ou enchante avec les Princesses de Cleves' et autres? Donnes moy de vos nouvelles et des assurances de votre amitie, car je n'aime pas que Ton m'oublie. Je vous renvoye cent ecus, c'est toujours autant d'acquitte. Bonjour, venes done me voir. Ce samedi matin. LXIX Lettre a Monsieur. [i"' Janvier...) Bonjour, bon an, Monsieur. Aimes moy beaucoup cette annte, je vous le rendray de tout mon coeur. Taches que nous nous voyions davantage que par le passe. Nous n'avons point encore pris de jour pour souper ches I . Celuy a qui ces lettres sont ecrites, aimoit beaucoup les romans. {Note de 1735.) C'est probablement a lui que sont adresses les vers de la page 290. Lettres. 205 vous. Ce sera pour la premiere fois que nous nous verrons. Adieu, on est bien flatte d'a- voir un ami tel que vous; mais je vous I'ay ecrit il y a longtems. 11 faut redoubler de zele, d'estime, de confiance et (.i'assiduite en vieiliissant, et que nous ramentevions tout le passe en crachant sur nos tisons. Bonjour, tous mes amis vous saluent et vous embras- sent. LXX Lettre a Monsieur... J'ay une grace a vous demander pour quelqu'un de mes amis. Elle ne me paroit pas de nature cl vous embarasser. Voules vous bien avoir la bonte de passer ches moy le plus tot que vous le pourres sans vous incom- moder : vous me feres grand plaisir parce que ce sera en faire a celuy qui a besoin de vous, et parce que je seray tres aise de vous voir. Le caractere d'ami que vous avez bien voulu adopter, et dont jevous trouve si digne, me devient chaque jour plus recommandable et plus cher. J'ay reste toute la journee ches moy dans une langueur' triste, et pourtant point insupportable. J'ay fait des reflexions I. En decembre 1728, Mile Ai'sse (lettre XVI 1 ecrivait : '< LaLecouvreur est tres incommodee depuis quelque temps; on craint qu'elle ne tombe dans une langueur. » 204 Adrienne Le Couvreur. plus attendrissantes que noires. Vous ne con- noisses point cet etat, parce que vous n'estes ni foible, ni femme, ni melancolique. Adieu, puissies vous conserver jusqu'a votre dernier jour, cette heureuse sante efsecurite. Venes, je vous prie, des que vous pourres. Il s'agit d'obliger quelqu'un et de voir votre amie. Je crois que c'est asses pour vous determiner. Ce jeudi an soir 4. LXXI Billet a Monsieur... Vous m'aves demande des nouvelles de Mons"" de R...', et je me reproche de ne vous avoir pas deja mande qu'il est ches moy de- puis deux jours. Il a vu M. Silva -, et on 1. Le marquis deRochemore,mousquetaire et poete distia- gue, ami de Cresset, fit I'epitaplie d'Adrienne (voir V Appendice) . Le 30 septembre 1720, il ecrivait de Rouen a d'Argeiital au sujet de Berenice, qu'il avail vu representer quelques jours plus tot a la Comedie par Adrienne et Qiiinault-Dufresne. Il parle de Baron et de Maurice de Saxe. (N" 182 d'un cata- logue de vente faite par Eug. Charavay, le 17 mars 1891.) 2. Jean-Baptiste Silva, ne a Bordeaux en Janvier 1682, eut Chirac pour protecteur. Helvetiuslui confia une partie de sa clientele. En septembre 17 16, pour avoir gueri M. le due de Bourbon, il eut 6,000 livres de recompense avec une pension de 4,000 livres par an et son logement a Thotel de Conde. Une autre pension de i,joo livres lui fiit octroyee' par brevet du 9 aoit 172 1, ainsi qu'a Gely, Dumoulin et Falconet fils, appeles en consultation pres du Roi, dont Silva Lettres. 205 espere le tirer d'aflfaire; je compte que vous le viendres voir incessamment dans sa nou- velle habitation et que le premier matin que vous pourres sortir , vous viendres causer avec moy qui ay besoin de vos conseils. Les belles jambes ■ vous saluent. Ce dimanche matin. LXXII Lettre a Monsieur... {D' Argcntal) . Qu'etes vous done devenu, Monsieur ? On m'avoit donne I'esperance de vous avoir a souper il y a quelques tems, et je n'ay seule- ment pas entenJu parler de vous. Sont-ce vos macons qui vous retiennent.^ lis ne devroient pas, ce me semble, vous occuper continuel- iement. On m'a annonce un souper pour Lundi ches Mad. de Montchesne^, dont on fut nomme medecin consultant en 1724. En juillet 1740, il envoya Mme du DeiTand aux eaux de Forges pour com- battre une grosseura la jambe, etmourut le 19 aout 1742. 11 etait ami de Le Franc de Pompignan. Son portrait a ete grave par Schmidt. "(Voir Vicoiiogr.). Faut-il croire ce que dit Voltaire, que « Silva fut un de ces medecins que notre Moliere n'eut pu ni ose rcndre ridicules » ? 1. Mile La Motte. 2. N. Begon, femme de M. Berthelot de Monchesne, conseiller au Parlement et frere de Mme la marquise de Prie, qui fut cree intendant des finances. Elle mourut quelques mois apres Mile Le Couvreur, en juillet 1730. 2o6 Adrienne Le Couvreur. pretend que vous seres ; mais je voudrois vous voir auparavant par plusieurs raisons. J'ay a vous parler d'affaires, quand je vous auray reproche votre excessive negligence. On m'a aujourd'huy parle sur ma maison. lis se desistent des six mille livres. lis m'ont fait consentir a laisser les glaces des chemi- nees, et il n'y a plus que deux difficultes qui me paroissent legeres : Tune pourra etre levee par eux, et peut etre me condamneres vous h lever I'autre. Il faut faire visiter cette maison par un architecte, et que vous disies si vous consentes a ce marche, car je serois bien fachee de rien conclure sans I'ordre expres du chef de mon conseil. Venes done, Mon- sieur, me dire ce qu'il vous en semble, et tout au plus tot. LXXIII Au mesme. J'ay recours a vous comme a mon meilleur ami et au plus sage conseil que je puisse pren- dre. Je suis dans une tres grande perplexite. Le Philosophe a fait agir M. de P... et M. de C... aupres de I'homme que vous scaves pour I'engager a me rendre ma parole, au moins pour la moitie. La proposition a ete faite apa- remment avec tant d'habilete, que celuy a qui elle s'adressoit n'a pu s'empecher depromettre Lettres. 207 en quelque faconqu'il feroit ce que Ton vou- droit. Le Philosophe est venu m'en avertir et m'ademande une action et ce que j'avois de billets de banque, m'assurant qu'il faisoit son affaire de faire casser le premier contract, et d'en faire faire un autre pour la moitie de la somme. Je ne scais pas trop ce que je vous ecris; mais je scais que M. de laS... a ete ches I'abbe et que la reflexion jointe a i'embaras de retrouver quelqu'un d'aussi docile que moy, Font fait fulminer, que I'on vient de me dire mille choses qui me mettent dans une agitation horrible. D'un cote, c'est la honte de manquer a ma parole et deme brouiller pres- que avec mon voisin; de I'autre, la frayeur de m'endetter, et d'etre hors d'etat de joiiir pendant les seulesannees qui me restent peut- etre a vivre, de ce qui me pouvoit arranger ; sans compter le desagrement de desavouer M. du M...' et M. de P... qui sont absolu- ment opposes a cette affaire. Enfin, je pense que le derangement de ma sante ajoute encore a toutes ces circonstances pour m'oter la force de me decider. Supplees, je vous prie, a tout ce qui me manque de jugement et de resolu- tion. Voyes demain, a sept heures au plus tard, le Philosophe, et venes me dieter le plus tot qu'il vous sera possible les reponses que je dois faire a deux hommes qui n'auront que trop de forces et de raisons pour me confon- dre. Adieu, mon ami, je vais me coucher avec la premiere inquietude considerable que j'aye I . Du Marsais .-' 2o8 Adrienne Le Couvreur. connue de ma vie pour les affaires d'interets. Pardonnes moy de vous interrompre, et m'o- bliges avec autant de bonte que j'ay d'amitie pour vous. LXXIV All mesme. J'oubliay hier de vous donner et de vous parler d'un placet que Ton m'a vivement recom- mande, mon cher ami. Repares par vos bon- tes et votre empressement ma negligence, ou plutot, mon manque de memoire. Je seray ravie de vous voir. 0! D.... ponrquoy ne penses vous pas comme moy sur I'amitie ? Je suis excedee de I'amour, et prodigieusement tentee de rompre avec luy pour ma vie ; car, enfin, je ne veux ni mourir, ni devenir folle. Non, il n'y a que I'amitie; mais elle n'est bien qu'en mon coeur, et personne ne m'en paroit bien digne que vous qui la de- daignes. LXXV All mesme. 1726. Le voyage de Fontainebleau n'est que pour le 1 5 de septembre, et d'icy-la, il peut arriver Lettres. 209 bien des choses qui le detruiront ou qui me dispenseront d'y aller. Demain je joue; mais je pourray vous donner, ou a souper, ou a diner. Ainsi vous aves tort de vous tant at- trister aujourd'huy. Je suis engagee a souper ce soir; I'abbe soupe ches M. Le P. F... Je donne a diner a M. de P... Ainsi, mon cher amijje nepourrayvousvoiraujourd'huy ; mais ce n'est qu'un jour. Je vous remercie pourtant de tout mon coeur de votre empressement la- dessus. J'ai vu Silva ce matin, qui m'a donne beaucoup de louanges et fort peu de remedes, et ce n'etoit pas la mon compte. Le pauvre Docteur valoit bien mieux. Je crois pourtant que je prendray du lait dans huit ou dix jours. Adieu, mon ami. A demain. LXXVI A Monsieur... Ouy, vrayment, j'etois avec Gustave', et je suis desolee qu'il soit mort. Il me semble que son fils aine^ sera bien eloigne de luy ressem- bler, et j'ay grand regret d'imaginer que tout ce que ce Prince avoit eu tant de peine a eta- blir, sera de nouveau detruit par la mesin- telligence de ses enfans-, et I'incapacite de ses successeurs. Je suis outree que L... de 1. Gustave Vasa. 2. Le prince Eric. 210 Adrienne Le Couvreur. V...' s'en soit tenu la. Il me semble qu'il y a eu encore d'autres Gustaves qui m'auroient fait grand plaisir et le regne de Christine m'auroit aussi inspire bien de la curiosite. que je vous suis obligee de m'avoir donne ce livre ! Il m'a fait un plaisir extreme, et je suis tentee de le recommencer tout de suite. Vous m'alles croire folle ; mais je n'y scaurois que faire. J'ay I'imagination vive pour ce qui me frappe ainsi, et il me semble que je m'en vais beaucoup lire, et que vous ne me reprocheres plus mon ignorance. J'etois hier si lasse, que je me couchay tout de suite. L'abbe et son ami souperent cependant ches moy ; mais je ne mangeay, moy, que de la pa'nade. J'ay dormi dix heures, et je me porte asses bien malgre la pluye. Je suis priee a souper ches mes voi- sins; mais je vous verray dans la^ journee tant qu'il vous plaira. LXXVII Aa mesme. Je n'ay pas trop dormi ; mais je sortiray cependant aujourd'huy pour ce que vous'sca- ves. Je suis excessivement occupee de I'histoire de Gustave. Elle m'a bien plus occupee et at- I. L'abbe de Vertot (Rene Aubert de Vertot d'Aubeuf), auteur de VHistoire des revolutions de Suede (Paris, Brunei, 1695 -1696, 2 vol. in- 1 2) qui s'arrete a I'annee 1547. LETTRES. 211 tejidrie que le Roman ', et je vous avoue que je n'ay jamais rien lu qui m'attache autant. Cela est au point que j'ay eu peine a me determi- ner de vous ecrire et que je ne me soucie ni de manger ni de sortir. Adieu, je vous quite pour luy. LXXVIII A Monsieur... Je ne pus hier vous faire reponse pour les raisons que Ton a du vous dire. Je ne rentray ches moy qu'apres souper, et bien que je sca- che que vous deves sortir ce matin, je ne laisseray pas d'envoyer ches vous. Je ne puis moins vous ecrire que vous dire ce qui doit vous determiner a rester toujours de mes amis; mais si vous nesentes pas en vous meme une partie des motifs qui vous y obligent, les autres me deviendront inutiles, et j'en res- teray a penser toute seule, jusqu'a ce que le tems et la justice vous ramenent ; car je tiensqu'il est impossible que vous ne me reve- nies. ll est en moy de sentir tout ce que vous vales, et de vous etre tres attachee, comme en vous d'etre touche de reconnoisance pour les sentimens que vous inspires. Si je ne puis vous rendre plus heureux, j'en suis plus fachee I. Mile Caumont de la Force avait publie en 1698 le romanhistorique. Gustave Vasa, histoirc dc Suede, qu'on ve- nait de reimprimer en 172$. (2 parties in- 12 de 417 p.) 212 Adrienne Le Couvreur. que vous, je me le reproche, et je me dis plus que vous ne me diries sans doute, mais je ne scaurois vous tromper. Les caprices ne s'ac- cordent pas avec la raison, et I'amour n'est autre chose qu'une folic que je deteste, et a laquelle, assurement, je tacheray bien de ne me livrer de ma vie. Vous le connoitres encore, et les injustices que je vous ay faites ne serviront alors qu'a vous rendre plus heu- reux. Permettes moy de vous en raprocher I'idee, et de vous offrir mes conseils. Soyes mon ami, j'en suisdigne; mais choisisses pour maitresse un coeur tout neuf, qu'elle ne soit point encore revenue de cette heureuse con- fiance qui rend tout si beau; qu'elle n'ait ete ni trahie, ni quittee, qu'elle vous croye tel quevousetes, et tousles hommes tels que vous. Qu'elle soit jeune et asses forte, elle en aura moins d'humeur. Enfin, qu'elle vous procure cette felicite que j'aurois eue si je n'avois jamais aime que vous, et que vous m'eussies aime autant que vous en etes capable et que vous auries du me plaire. LXXIX A Monsieur.. Je ne suis pas asses bien pour sortir, mais je ne suis pas asses mal pour vous allarmer, mon bon ami. Je vous remercie de tout mon coeur de votre attention, et je vous prie de Lettres. 215 m'envoyer le memoire de cette grande affaire. Je crois vous I'avoir donne. L'on me presse extremement pour le ravoir, et Ton m'en pro- met un pour une petite affaire qui me paroit mieux a notre portee. Je compte sur vossoins et sur votre amitie, comme vous voyes; il me semble meme que je suis obligee a la fortune de ne m'avoir pas mieux traitee, puisque je trouve en vous et dans les personnes qui vous sont cheres, des dispositions mille fois plus flateuses k mon gre, que la fortune meme. Adieu, conserves moy vos bontes. LXXX Au mesine. Je n'ay rien de nouveau a vous apprendre; mais je vous exhorte, je vous prie, je vous ordonne meme de ne vous point chagriner. Quoi qu'il m'arrive, la part que vous daignes prendre k tout ce que je sens, me fera tou- jours tenir a la vie avec plaisir, et peut me donner plus de courage, que mes malheurs ne vous donneront jamais detristesse. D'ailleurs, il n'y a peut-etre encore rien h desesperer. Adieu, genereux ami, conserves vous comme le plus digne et le plus respectable de tousles hommes. Venes me tenir compagnie le plus longtems que vous pourres. Je nevaux jamais tant qu'avec vous. Toutes vos vertus me sont precieuses, et me font desirer de vous imiter. 214 Adrienne Le Couvreur. Quand je n'aurois ete utile au monde que pour developper vos sentimens, je m'ap- plaudirois toujours d'etre nee. Je crois pour- tant que sans moy vous ne series pas moins ce que vous etes ; mais je crois que c'est beaucoup que de sentir tout ce que vous vales. LXXXI Lettre a M. R{ochemorc I) . Je suis outree de colere et d'aftliction, mon cher R... J'ay fondu en larmes toute cette nuit. Peut-etre y a-t-il de la deraison, puis- que je n'ay rien a me reprocher; inais je ne puis supporter des injustices si peu meritees. Tout ce qui me desabuse de I'amitie, me desespere. Je me sens plus de courage sur I'amour, je scais qu'il est involontaire, j'en connois les effets, je scais qu'il est sage des'en eloigner de bonne heure, et surtout de se pre- parer a ses inconstances lorsque Ton les sent le moins. Mes malheurs et mon experience m'ont donne matiere a reflechir pour toute ma vie; mais, en m'armant de prevoyance et de raison de ce cote, j'ay toujours cru devoir enrichir I'amitie des depouilles de la ten- dresse, en sorte que chaque annee, chaque jour et chaque moment, s'il est possible, n'ont fait qu'augmenter en moy le desir d'avoir des Lettres. 215 amis, de les conserver, et de meriter leur estime. Vous scaves avec quelle confiance je vis avec ceux que j'ay choisis, et surtout com- bien j'ay rendu ma conduiteclaire. Je nevous ay rien cache; cependant, on me soupconne, on fait plus, on m'accuse; on fait pis encore, on me veut convaincre, et c'est sans me donner la facilite de me deffendre; de sorte que si le hazard me veut faire apprendreet decouvrir ce qui se passe, je serois couverte de la plus horri- ble calomnie qui fut jamais, par un homme qui porte le nom de mon ami depuis dix ans. On ne veut pas que je vous le dise. Je respecte, et j'aime tendrement celuy qui m'en empes- che; mais je n'y scaurois tenir, je suis trop touchee, trop blessee et trop effrayee pour I'avenir, pour ne pas eclater, au moins avec vous. J'ay besoin de conseil. Un homme capa- ble de cette noirceur, pent tres bien en imaginer d'autres; et ce qui me desole le plus, c'est la necessite de dissimuler. Il est naturel de crier centre la perfidie, et j'aimerois mieux la par- donner que d'etre obligee de contraindre et ma douleur, et mon ressentiment. On a beau me dire que c'est sa facon de penser, qu'il ne compte point me faire tort, en me confondant avec toutes les femmes. Je ne puis me faire a cette idee. Ce n'est pas la le langage qu'il m'a tenu depuis dix ans, et ce ne doit pas etre la le prix de mon attention a luy plaire, et a m'en faire estimer, au moins selon ce que je merite. Que me peut-on faire au bout du compte .f' que de me blesser mortellement dans ce qui m'est le plus sensible. Je puis detruire 2l6 Adrienne Le Couvreur. en un instant, I'erreur dont il s'agit. Mais, comment me consoler de I'intention de la noirceur ? C'est un homme qui me doit con- noitre, et qui me devroit aimer. Ce n'est point un soupcon echape par hazard ; c'est une confidence faite et detaillee i un homme qui n'a que de I'amitie pour moy, mais dont I'a- mitie m'est plus chere que toutes les passions du monde, dont i'estime m'est plus precieuse que ma vie, et dont la societe m'est plus ne- cessaire que toutes les fortunes de i'univers. C'est devant luy que i'on me fait passer pour fausse et meprisable. Quoiqu'il dise, on atteste mon pretendu crime. mon Dieu ! qu'est-ce que de nous i! Comment ferons-nous t car on ne veut pas que vous le scachiez, et je veux vous le dire sans facher celuy qui me le deffend. C'est mon secret, c'est moy que Ton opprime de tout point. Cela peut aller plus loin, et je suis bien aise d'avoir un con- seil et un deffenseur. On dit que vous eclate- res peut-etre, et que cela aigrira les esprits, et commettra celuy qui est convenu de tout ce qu'on luy a dit, car j'ay devine les auteurs; mais il ne faut point que vous en parlies. Vous seres, sur tout cela, de plus grand sens froid que moy, quoique je m'assure que vous en seres touche. En verite, celameparoitaffreux. Je vous repete toujours, que si ce n'eut ete qu'un soupcon, quoiqu'il m'eut affligee, il ne m'auroit pas revoltee. Je m'en seroiscru quite pour dire simplement : Cela n'est pas. Mais, que j'aye fait chercher un homme, que j'aye parle, moy qui suis plus eloignee que je ne Lettres. 217 puis vous dire, d'avoir pense par cent raisons, toutes plus fortes, enfin, parce que cela n'est pas. Me voila done avec un nouvel ennemi dangereux, et d'autant plus dangereux qu'on nous a vu lies d'amitie et d'intimite, qu'll ne paroit point avoir d'interest de me manquer, qu'il a de I'esprit, et qu'enfin je n'ay point la mechancete qu'il faudroit pour me vanger ou luy en imposer. Me voila avec mes larmes, ressources ordinaires de mes malheurs, et avec mes reflexions noires, triste remede pour tons les maux, el I'on veut que je me taise avec vous ! C'est avec vous precisement que j'en puis parler. Qui pent mieux me^plaindre et en juger? Non, je n'ay point asses de vertu pour etre capable de cet effort. Je vous aurois ete chercher des hier au soir si je m'en etois crue, et j'aurois peut-etre evite une nuit affreuse. Vous m'auries consolee, et conseillee. Pour Dieu! R..., ne m'abandonnes pas, et, s'il est possible, prouves moy que I'amitie n'est point une chimere. Si Ton m'en desabuse jamais, je veux mourir. LXXXII En envoyant de la petite centaaree a M"" Q. . Eveillee aujourd'huy, contre mon ordinaire, Plus de deux heures avant jour, — M'occupant a rever, je ne pouvois mieux faire J'ay vu pres de mon lit se presenter TAmour. 2i8 Adrienne Le Couvreur. Irritc, furieux, transporte, plein de rage : Quoy ! dit-il, en tous lieux refuser mon hommage ! Ah ! je me vangeray. — Le coeur saisi d'effroy, Je m'ecrie : — Eh ! quoy done, vous plaignes vous de [moy ?J Qii'ay-jefait ?... Bon, dit-il, qu'importe a mon Empire Que ton coeur maintenant, ou soit libre ou soupire. D autres soins, malgre moy, m'occupent justemcnt; Ecoute !e sujet de mon emportement. Alors, loin de parler, ii fremit, il s'agite : Je ne puis achcver, me dit-il, je te quite ; Mais, si tu crains I'effet de mon juste courroux, Prends ces herbes, fais en un brcuvage agreable, Et que celle qui brave insolemment mes coups, Ton amie, ou plutot I'objet inexorable Que je veux reduire en ce jour, Sans sgavoir ce que c'est incessamment ravalle ; Obeis, ou t'attends a I'avoir pour rivale, Si jamais tu prends de I'amour. — Tremblante, et ne sgachant encor quel parti prendre, De vous trahir ou d'irriter un dieu, Je me suis resoliie enfin a vous attendre, Et grace a luy, le charme icy vient d'avoir lieu. Je vous en avertis : avant que de vous rendre, Reflechisses, je ne vous dis plus rien. II suffit pour I'amour que vous devenies tendre ; Mais pour vous, il s'agit que vous choisissies bien. ■ LXXXIII A la mcsme. Vos ordres sont donnes, vous seres obcfe : On a pris en Hcros votre cruel refus. On conserve I'amour, mais on se sacrifie, Et quoi qu'il en arrive on ne vous verra plus. Lettres. 219 Vous tnomphes enfin, cela n'est pas etrange ; Cependant |e fremis ; si quelque Baron vange L'affront fait a leur ciief, ils le sentiront tous, Et vont a vos appas mesurer leur courroux. En vain par leurs deffauts vous etes rassuree, Pour triompher de vous, ils vont se corriger : lis quitteront Bachus, ils verront Citheree, Et la mere et le fils vont les encourager. Files plus que jamais, relises notre histoire, Et meme s il le faut,consultes un grimoire ! Pour conjurer I'amour et braver tout Baron, Bien qu'ils osent souvent abuser de son nom, II les cherit toujours, et quoi qu'on puisse dire, Ils sont les favoris de son injuste Empire. Vous haisses en vain Charlus et Desalenr, La haine leur paroit un digne avant-coureur, lis sgavent la oompter; craignes ces temeraires, Craignes meme, craignes jusques au petit frere, II sera plus a craindre et vous plus en danger, Plus il verra d'obstacle a vous bien engager. Enfin, mon amitie, votre esprit et vos graces. Me font craindre pour vous les plus rudes disgraces,. Si pour les prevenir vous ne faites un choix, De mes frayeurs, de mes menaces, Du moins nous rirons quelquefois. LXXXIV Epitrc a M. d'A{rgcntal). toi ! dont I'ame unique et la vertu si pure Me tait sans cesse admirer la nature, Et sgait si bien assujctir les cceurs De tous mortels qui scntent le mcrite, 220 Adrienne Le Couvreur. Toi dont le nom seulement nous excite Aux vrais plaisirs, ainsi qu'aux bonnes moeurs, Dont le suflrage est eloge flatteur, Et I'amitii, le comble du bonheur. Cher d'A... rappelle en ta pensee Tout ce qui peut de moy te rapprocher, Tout ce qui peut nous plaire et nous toucher Sans le secours d'une ardour insenscc. Tu sgais quel Dieu turieux et jaloux M'a toujours fait eprouver son courroux, Et si i'osais je t'en dirois les causes. Quand je naquis, la Nature et I'Amour, Voulant tous deux s'egayer tour a tour, Apres avoir dispute sur vingt choses Qui me feroient sortir de mon sujet, Firent ensemble le projet D'essayer leur pouvoir sur une creature. Tout aupres d'eux, voyant une mazure Oh resiaoient la misere et I'aigreur, L'emportement, la grossiere fureur, Un Enfant qui venoit de naitre : Bon, dircnt-ils, rien ne pouvoit paroitre Qui fut plus propre a remplir nos desseins. Tout aussitot me prirent en leurs mains, Et petrissant et mon coeur et mon amc, L'un se disoit : — Ah ! quelle vive flamm.e Tu feras naitre et tu ressentiras ! L'autre a I'instant m'arrachant de ses bras, Dit : Je pretends qu'en devenant sensible, Toujours decente, il luy soit impossible D'imaginer ricn de honteux, de bas. Je veux que la candeur, la raison, I'innocence, Soyent declares guides de son enfance, Et soyent toujours pres d'elle a I'avcnir. — Eh I dit I'Amour, pourquoy nous dcsunir? Je n'ay sur elle aucunc autre pensee, Et la fagon dont je la fais aimer. Loin de lui nuire, aura de quoy charmer LeTTRES. 221 Le plus austere et toute ame sensee. Mes createurs enfin d'accord, Tres satisfaits tous deux se separerent, Sarij avoir fait mention de mon corps, Et peu de terns ensuite ils m'oublierent. Un autre jour, par hazard, ils passerent Pres d'un berceau de mirthes et dc fleurs, Ou tres souvent de bizarres ardeurs Se signaloient. Tous deux se regarderent, Et s'entendant de reste a demi mot. Sans balancer ils firent le complot D'un autre essai. Les destins obeissent, Tous leurs projets sur le champ s'accomplissent, Vous paroisses, et I'amour satisfait. Sans reflechir sur ce qu'il avoit fait, Vola d'abord pour le dire a sa mere. II fut surpris de la voir en colere, Et s'attendoit a des remercimens. — Alles, dit-elle, elever deux amans Qui dctruiront et mon culte et le votre ; Je sgais deja qu'ils sont faits I'un pour I'autre, Et que leurs feux, et leurs noms a jamais, Seront chantes au mepris de Cithere. Chacun suivra leur exemple pour plaire, Et vous verres echouertous vos traits. L'Amour, saisi d'une douleur amere, Protesta bien qu'il nous seroit contraire, Et qu'il sgauroit pleinement se venger. Depuis ce tems, sous un ciel etranger II m'envoya, m'accabla de sa haine, Et I'on m'eut vu succomber a la peine, Si I'amitie ne m'eut preste secours ; Elle entreprit de conserver mes jours, Et resolut enfin, malgrc son frere, De nous unir par de si forts liens, Que nos plaisirs vaudroient mieux que les siens. A I'avenir, daigne ne pas detruire De tous mes maux la rcssource et Ic prix. 222 Adrienne Le Gouvreur. Et pour calmer a jamais mes esprits, Viens tous les jours a chaque instant me dire Jusqu'a la mort nous serons bons amis ! « La plus grande Actrice qui ait jamais paru sur le Theatre francais, envoya un jour a un de ses amis les romans de Psyche, ZaUc, et la Princcssc dc Clcvcs. Elle y joignit les vers sui- vants ' : La Grece, I'Espagne et la France, Lasses de prendre patience Sur vos mepris pour leurs romans, [geance, S'en sent plaints a 1' Amour, qui leur promet ven- Et qui menace vos vieux ans : Tremblez, et mettez-vous sur I'heure en penitence. Vous avez encore du temps, Et vous me saurez ere de cette confidence. Portrait dc M' de Fontcndlc -. Les personnes ignorees font trop peu d'hon- neur a celles dont elles parlent, pour oser mettre au grand jour ce que je pense de M. de 1. Lt Glaneur frangois, 1736, t. II, p. 78. 2. M. de Fonteneile, de I'Academie royale des sciences (1657-1757). Lettres. 225 Fontenelle; mais je ne puis me refuser en secret le plaisir de le peindre icy tel qu'i! me paroit. Sa phisionomieannonce d'abord son esprit ; un air du monde, repandu dans toute sa per- sonne, le rend aimable dans toutes ses ac- tions. Les agremens de I'esprit en excliient sou- vent les parties essentielles ; unique en son genre, il rassembie tout ce qui fait aimer et respecter la probite. La droiture, I'equite composent son caractere. Une imagination Vive, brillante, tours fins et delicats, expres- sions nouvelles et toujours heureuses, en font Tornement. Le coeur pijr, les procedes nets, la conduite uniforme, et par tout des prin- cipes, exigeant peu, Justifiant tout, saisissant toujours le bon, abbandonnant si fort le mau- vais que Ton pourroit douters'il I'aappercu; difficile a acquerir, mais plus difficile a per- dre; exact en amitie, scrupuleux en amour. L'honnete homme n'est neglige nulle part, propre aux commerces les plus delicats, quoi- que les delices des scavants. Modeste dans ses discours, simple dans ses actions, la superio- rite de son merite se montre, mais il ne la fait jamais sentir. De pareilles dispositions persuadent aise- ment le calme de son ame ; aussi la possede- t-il si fort en paix,quela malignite de Tenvie n'a point eii encore le pouvoir de I'ebranler. Enfm, Ton pourroit dire de luy, ce qui a ete deja dit d'un Illustre, qu'il fait honneur a rhomme, et que si ses vertus ne le ren- 224 Adrienne Le Couvreur. dent immortel, elles le rendent au moins tres digne de I'etre '. I. Ce portrait de Fontenelle, attribue, lorsqu'il pariit, a Mile Le Couvreur, et ensuite a Mme de Lambert, serait en realite de Mme de Forgeville, amie de I'illustre vieillard, s'il faut en croire I'eloge de Fontenelle par M. de Fouchy, qui en cite une grande partie. {CEuvres posthumes de Fonte- nelle, 1758, t. IX et X.) — Voir le Mcrcure de France de 1760, fevrier fp. 126-127) et avril (p. 113-115)- II y a un autre portrait de FiJntenelle, plus malin que celui-ci, qu'on a attribue a Mile Le Couvreur et a Mme Dar- gentai : elles ont nie toutes les deux d'y avoir eu part. Le portrait de M. de Fontenelle, par Mme de Lambert, qui figure au tome II des CEuvres de Mme la marquise de Lam- bert (178s , p. 41 a 46) est tout a fait different de celui que nous imprimons ici. NOMS ET LIEUX CITES DANS LES LETTRES DE m"« LE COUVREUR A, 101, 189. A. (M. d',1, 136, 188. Abbk (I'). Voir Anfreville, Au- nillon, La Chalotais, 104, 121, 24, 44. Amans deguiics les), 148. Andromaque, 148. Anfreville labbe d'), loi. Argental (d',1, 98, 156, 142, 70, 219. ARMAGNAc(comted'), 195, Asnieres, 190. Andmirc, 105, 189. Athalie, 174. Andrais (des\ V. Sandrais. AUBERT, 1 17, 18. Aunillon, 148. AUXERRE (eveque d'}, 198. B. 121, 59. B. (M. de), 121, 24. B. (Mme dei, 189. B, (Mile del, 107. B. (le P. del, 107. Balicourt iMlle de), 174. Baron, 106, 68, 219. Belfond, comedien, 95. Belle-Islk (comtedei, 156, 57. Belles-Jambes (lesi. V. La Motte (Mile), Bercy, 125. Berenice, 177. Beringhen (chevalier de\ i2j, 26. Berthier ila presidente), 160, 162, 166. Besons (marechal de), 160, 61, 200. Besons, 134, 146'. Blondy (danseur), 156. Bouillon, 108, 37. BouRET (abbe\ 167. Bournonville, 108. Brctagne, 178. Britannicus, 1 17, 170. C. (M.), 100, 4, 9. C. (.le peiit'i, 106. C. (M. de), 206. C. CMme de),i04, 206. C. R. (M. de), 107. Callisth'ene, 171, 74, 75. Camarco, 1(6. Caylus (cI«»« de) mere, 198. Caylus i^chevalier de), 198. Caylus (,comte dc, 127, 197. Chalotais la\ 178,9. Chancelier (M. le\ 200. Charkville, 130, 31, 35. Charlus, 219. Charolais icomte de), 146. Chass^, 1(6. «5 226 Adrienne Le Couvreur. Chauvert ila), 95. Cinna, 106. Chevalier (le) (Voir Be- ringhen, Peilegrin, Ro- chemore'i, 106, 189. Christine DE Suede, 210. Clamart, 160. Clavel, 9:, 92, 94, 95, 97. COMEDIENSFRANgAIS, lo6, I 1 7, 163. C'« DES InDES, 108. CoNTi (p"«de\ 107, Cornelie, 174. D, 128, 208. D. lepere(M.\ 188. D. lefilsiM.i, 189. Dame anclaise, 192. Danceville (Mllei, 118. DaNSEURSDE CORDE, I07. Dantzic, 154. De l'Isle (Mile), de I'O- pera, 146. Desaleur, 219. Desandrais(V. Sandrais). Desmarais (Mme), 94. Desmares (Mile), 174. DicNY (Mme'1,93. DocTEUR (le), 121,25,90,209. Due (M. le'i, 1 57. Duchesse la jeune (Mme la'i, 98, 107. Du Clos (Mlle'i, 174., DuFRESNEiMllei, 175. Du M. (M.), 207. DuMarsais. V. lePhilosophe. DUPAIRE (la), 92. Elisabeth, 174. Eveque d'Auxerre, 198. F (M. de"!, 101. F. (M. le P.), 209. F. (Mme de la\ 121, 24. F. M. (Mine dei, 101, 5. Ferriol (Mme de), 89, 100, 104, 112. Fds uigrats, 162. Fl., 140. FoNCEMAGNE (M. de), 170. FontaineHeau, 120, 22, 56, 208. Fontaine-Martel iMme de). IS7- Fontenelle, 1 19, 222. G, 121. G. (M. de'i, 104, 92. Galiot, 197, 198. Gautier (Mllei, 120. Gesvres (due at duchesse de>, 165, 64.. Grandci Ecurics du Roy, 9;. GuiLLAUME (VoirCaylusi, 127. Gustave, roi de Suede, 209, Herault, 148, 67. Herisse (Mile, 92. HopiTAL (marquise del'i, 164. Horn (comte de), 108. H6TEL d'Antin, 194. — DE BRAQUE, 93. — DE Gesvres, 165. — DE Pomponne, 158. Jnconnu ij'), 105. I no, 170. Iphiginie, 158. ISANGUIEN (.d';i, 108. JUBILE, 16). JULIEN DE PrUNAV, 197. L. 124. L. (M. dt-, 107, 88. L. (Mme de'i, 99, 100. L. (Mile deV, 107. L. de B. (Ml, 188. La Chaise iMIle), 1 18, 81,20;. La Chalotais, 178, 79. La Fontaine, 161. La M. (M. del, 98. Lambert (marquise de), 155, 60, 61, 6(. La Motte (Mile), 165, 7, 205. Langrcs, 19;. La Roche, 19;. La S. (M. del,' 207. Lasse du Lassav iMi» de',i6o. Law (Je petit), 105. Le Blanc, ijs. Le Conte (lecommissaire'v 146. NOMS ET LlEUX CITES. 227 Le Col'vreur iMargueritei , '4!. 9- Lefranc (Mme'i, 146. LEONroE, 171, 17s. Lerv iMme dc, 92. Lhopital 'Mme del, 164. LocHE ic'f'"' del, 95. LogistiUe, 155. Londres, 100, 107. Lorrains lesi, 108. Louis XV, 103, 7, 55. M., 129, 4S, 86, 88. M. (M. dei, 104, 107. M. D. (M. lei, 100. M, {le^, 191. Madame, 108. Maine (duchesse dui, 107, 47. Marie Lecksinska, 155. Medee, 174. Menteur (]e), 192. MiLLE ouMiLLV iL. dei, 109. Mithndalc, 98, 107. MoDENE (Mine de), 107. Mongci, 195. MONTCHESNE iMme Ber- THELOT del, 205. MONTMORENXY lies, Io8. Montpellier, 142. Moron (M.i, 93. N. 128. Nesle (la dei, 94. Notre-Dame des Carmes,9i. Occident, 108. Opera, 159, 62. P. 160. P. (M. de), 105, 90, 92, 206, 7. 9- Pajot, 160, 161. Palais-Royal, 98, 106, 87. Pallu (Mmei, 194. Paris, 92, 3, 125. Pau. . ., 105. Pauline, 174. Petite Comtesse, 108. Ph'cdre, 174. Philosophe ilei, 101, j, 19, 206. PiRON, 171, 75, 76. Place de Greve, 108. Pont de Veyle, 104, 5, 9, 23, 88. Ponloise, 121. Portugal, 121. PRESlDENTE(la), l6o, 2, 6. Prevost (Mile), i (6, 7. Pnnccssc de Cl'evcs, 202, 22. Prunay. Voy. Julien. Psyche, 222. Q. (Mile), 217. QyiNAULT, 163, 74. QyiNAULT (Mile), 186. R. 124, 25, 67,93,94, 214, 17. R. (M del, 104, 9, 59, 204, 14. R. (Mme de'i, 186. Regent dei, 107, 108. Reggio, 107. Richelieu iduc de), 193. RocHE-suR-YoN iMlle de la-, 107. RocHEMORE (marquis de), 167, 204. Roland, opera, 15;. Rome, 190. Rosny, 145. ROSSICNOL, 149. Rouen, 196. ROXANE, 174. Rue DES Bernardins, 95. — Hautefeuille, 199. — Neuve Saint-augus- tin, 194. — des postes, 149. — QyiNCAMPOIX, 108, 9. — DE TOURNON, 192. - Traversine, 134. S. (M. del, 1(0, 65, 88. S. (M. le d. de). 105, 189. S. P. (M. de la), 121. Saint-Cloud, 107. Saint-Papoul, 142. Sainte-Au..., 190. Sandrais (M. de), 200, i. Sarrazin, 174, 6, 7. Saxe (M. le comte de), 170. S^GUR (Mme de), ijj. 228 Adrienne Le Couvreur. Senozan (Mme de\ 145. Sevicne (Mme del, , jy. SiLVA, medecin , 204, 9. SiMiANE ^Mme de>, 1 57. Stairs lord), 107. Strasbourg, 91, 94. T. 107, 84. T. (Mme de), 189. T. (Mme du), 100. Thimirc, 1 16. Tery, 95. Thevenard, 1(6 Texier ^Mme), 146. Tournelte (lai, 93. Tr.... (de), 188. V. (M. dt), 104, 88. Valois (Mile de), fille du Re- gent, 104. Venceslas, 168. Versailles, lii, 159, 177. Vertot (aooe de\ 210. VilJUt, 168. Villefranche (;MIIe de), !((. ViLLEROY (marquise dei, 98. ViRGILE, 127. ViRiviLLE. Voir Senozan. Zalde, 222. APPENDICES APPENDICES TESTAMENT Cccy est mon testament K Fait du 7 auril 1729 et reinis le meme jour entrc les mains dc Monsieur de Sauigni, notaire, demeurant rue des Fosses Saint-Germain a Paris^. Adrienne LE COUUREUR. Au nom du Pere et du Fils et du Saint Esprit. Cecy est mon testament. Je recomande mon ame a Dieu et jc le suplic de me /aire misericorde. Je ueux que mes effets mobiliers soicnt ucndus 1. Ces cinq lignes sont ecrites sur I'enveloppe. 2. Mile Alsse croyait ce testament fait quatre mois seu- lement avant la mort d'Adrienne. 2^2 Adrienne Le Couvreur. par inucntaire et que les deniers en soient rernis a man Icgataire cy apres nomc, pour en faire I'lisage que je nais expUquer. Ilfaiidra preinierement payer mes deptes s'il s'en troLiiie : Je laisse aux paimres de la paroisse, a la dispo- sition de monsieur le cure de S^-Sulpice milk liurc une fois payee. Je laisse aux Filles de I'Instruction ' la meme somme de mille liure une fois payee en reconnaissance des soins et bontes quelles ont eii pour moy dans mon enfance (en marge : rue du Gindre, p'" S' Sul- pice) . Je laisse a M"^ Millochin la somme de trois mille iuires une fois payee : elk est fdle d'un ancien fer- mier de madame la Princesse-, et c'est a elle que je laisse cette somme; elle a serai ches Mad\ de Uasse; je ne sgai ou elle est presentement ; elle aestee a S'"- Agnes auant d'etre obligee de seruir. Adrienne LE COUUREUR. Je laisse a Marie-Marguerite Le Couureur, ma soeur, les cinq cent soixante liures de rente uiageres sur la Compagnie des Indes qui sontdes apresent sur sa teste et la somme de qaatre mille liures une fois payee que mon legataire aura la bonte de lay placer. 1. V. la note de la page lo. 2. Anne de Baviere, princesse palatine (1648-1723), femme de Henri-Jules de Bourbon, due d'Enghien, puis prince de Conde. Appendices. 253 Quand ail surplus de tous mcs biens mciihles ct immeublcs dc cjuel(jue nature quil piiisse cttre je k donnectiegue a monsieur de Fcriol d'Argental^, con- seiller au Parkment, lenomant mon legataire unique uniuersel et I'excecuteur du present testament si- gne par moy en tres bonne sante a Paris c: 7 auril ijic). Adrienne LE COUUREUR. Je laisse aux Petits Augustins- pour des messes deux cent liiire line fois payee : je laisse aiissy a monsieur d'Argental^ le soin dedonncr a mes domes- tiques iinc gratification ou recompense au cas que la mart ne me permit pas den decider auant man deck, conuenablement a leiirs sendees et au temps quils auront este auec moy. Adrienne LE COUUREUR. ' Nota. Ce testament fut depose entre les mains de M" Ni- 1 . En realite, ce legs universal etait un fideicommis en faVeur des deux filles naturelles d'Adrienne ; I'ainee apporta 30,000" en mariage a Francois Francoeur le cadet (1698- 1787), premier violon de I'Opera, qui devint maitre de mu- sique, inspecteur et enfin directeur avec Rebel en 1757- — Frangoise-Ursule-Catherine, encore mineure a la mort de sa mere, habitait Strasbourg et avail pour tuteur Leon Cagnon, echevin de la ville, y demeurant paroisse Saint-Pierre le Vieux. Elle epousa, en 1735, un s"" Daudet, magistrat de Strasbourg. 2. Le couvent des Petits- Augustins etait voisin de la maison oh mourut Adrienne. 3. « La mort de la Le Couvreur a beaucoupoccuped'Ar- genlal. » (Ai'ss^, L. xxvi, mars 1730.) Les parents d'Adrienne 234 AdrieniNE Le CouvrI':ur. colas de Savigny, Cons'' du Roy, No" an Chastelet de Paris, le 7 Avril 1729, par Adrienne Le Couvrcur, fille majeure, comedienne de la troupe du Roy. — L'enve- loppe est cachetiie d'un cote de 3 cachets encired'Es- pagne noire dont 2 sont d'une mCme empreinte (tete d'homme dc profil) et le 3'' d'une empreinte differente [un pied de clochettes), et de I'autre cote sont ecrits ces mots : n Cecy est mon testament " , puis 4 lignes et la signature. Le 20 Mars 1750, a 5 ''. derelevee ', ouverturedudit testament par Jerosme Dargouges, chevalier, sei- gneur de Fleury et autres lieux, Cons' du Roy en ses Conseils, M'' des requestes honoraire de son hostel, lieutenant civil de la Ville, Prevoste et Vicomte de Paris. Le 22' Janvier 1740, M"' M"' Lecouvreur Denis-, sa soeur, ecrit d'Aix a a. M. Savigni notaire rue de la Comedie » pour le prier de remettre a M'' Bernou un extrait du testament de sa soeur : t II n'est point d'acte plus public qu'un testament; je ne pense pas qu'on soit en droit d'en refuser des extraits, surtout aux personnes qui ont interest de savoir ce qu'il contient... - M. M. Lecoiiureui Denis, v menagaient de iui disputer cette succession devant las tribu- naux ; il leur donna une indemnite qui Iui couta pres de 20,000". 1. Adrienne Le Couvreuretait decedee iedit jour, 20 mars 1730. 2. Marie-Marguerite avait epouse Claude Denis, maitre de musique a Paris, le 31 juillet 1730, a Saint-Medard. Appendices. 255 II INVENTAIRE I" avril 1730. INVENTAIRE et description de tons les meubles men- blans, iisLinciles d'hotel, linge, hardes, argent mon- noye et non monnoye, titres et papiers delaisses par la deffunte dam'''' Le Convreur, trouves dans la niaison oil elle estdecedee, rue des Marais, le 20'" Mars 1730. Gaspard Pitre, dit La Roche, domestiqiic; Mane-Antoinette Lenoir, f' d'Antoine Cas- seigne, /' de chambre ' ; Madelaine Blanchard, v' de Louis Cheuuel, cuisinike ; Alexandre Hiiault 011 Huot, dit La Barre, laqiiais. Deux caves. — Ecurie et remise. — Cour. — Cui- sine par bas ayant vue sur la rue. — Salle a cote ser- vant d'office. i" etage : Antichambre ayant vue sur la cour. ■ — Passage servant de garde-robe. — Chambre mortuaire ayant vue sur la cour (nombreux canapes et tru- meaux). 2'' etage : Chambre ayant vue sur la cour. — Petite chambre a cote, id. — (One chaise a porteurs garnie en dedans de vieux velours violet et de 5 giaces fines, prisee avec sa housse de toile, 40''.) — Passage de la terrasse. (i commode, prisee 40^ ; i petit bureau, I petite table; i petite bibliotheque de bois d'olivieret I . Aclrienne avait eu une autre feinme de chambre, qui devint actrice dc province sous le nom de Mile Valliere et qui joua a Rouen a cote de Mile Clairon._(V. une letlre de cette derniere dans la collection d'autogra'phes Dubrunfaut.) 236 Adrienne Le Couvreur. de palisande a 2 guichets garny de fil de laton, 2 pe- tites tablettes alivres, 30 '*.) — Cabinet au fond de la terrasse. (i bibliotheque en armoire de marqueterie a 4 guichets, dont 2 par haut garny d'une glace, jo^.) — Chambre ayant vue sur la cour. — Petit cabinet a cote d". 3'' etage : Chambre servant de garde-meuble. — Chambre attenante ayant vue sur la rue *. ' Nous n'avons pas cru devoir donner in extenso cat in- ventaire, qui dura dix-huit jours, et qui ne comprend pas moins de 48 grandes pages in-f", d'une lecture difficile : nous en avons extrait i'essentiel, negligeant a dessein les ustensiles de cuisine etles hardes sans importance. 12 Avril 1730. En presence de NiCOLAS LAURENT. Dans la loge de la Coniedie^ qu'occupoit lad. dam^^''. Liv. sols. d. I grande armoire de bois de chesne et sapin fermant a clef prisee 15 1 miroir de toilette d'environ 20 pouces de glace de haut ceintre sur 16 de large dans sa bordure de bois rougi dore facon de la Chine, une toilette de toile blanche brode de mousseline rayee et brodee, 2 dessus de toilette dont un de toile blanche et I'autre de toile de coton de cou- leur 14 - 1 coflre en bahu a bande de bois fermant a clef 310 1 1 petite table de noyer avec son I. >< Le 19 juiliet 1724, paye a Benoist 65 livres pour un memoire de menuiserie dans la loge de Mile- Le Cou- vreur. » {Arch, de la Comedie frangaise.) Appendices. 237 Liv. sois. d. tiroir, un petit ecran de satin de la Chine dans son chassis de bois, i pe- tit fauteuil et 3 chaises de bois de haune ' fonce de paille 8 » » 1 Duchesse de bois de noyermate- lasse, I matelas et 1 traversin cou- vert d'etoffe fond couleur de rose a fleurs d'or garny de cordonnet et chenil de soye 20 » i> 2 tabourets de noyer garnis de crin couvert d'etoffe de soye et argent . . 1 o d d 4 bras de cuivre dore 10 1 » I trumeau de 2 glaces dont i de 31 pouces de haut et I'autre de 30 sur 27 pouces de large dans sa bor- dure de bois dore 1 00 1 » I autre trumeau aussy de 2 glaces dont I de 32 pouces de haut et I'autre de 27 sur 26 de large dans sa bordure de bois dore 80 » » I autre petit trumeau de 2 glaces de 20 pouces chacune sur 16 dans sa bordure de bois dore 20 » « 1 autre trumeau de cheminee de 2 glaces de 5 3 pouces de large sur 22 de haut aans sa bordure de bois dore 40 1 •' I tableau peint sur toile represen- tant unc Danse de village et des Joiieurs de vielle, daus sa bordure de bois dore sculpte 16 « '1 12 estampes representant diffe- rents portraits et paysages garnies de verre blanc dans leur bordure dc bois dont partie dore ; 2 f '> I. D'aulne (?J. 238 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. d. I fauteuil de comodite couvert de inoquettc rouge 8 ^ « I rideau de fenetre en 2 parties de gros ouvre avec sa tringle ae fer. ... 6 d » Environ 1 2 aulnes de serge bleu goffre servant de tapisserie 30 " " 4 chandeliers de cuivre argente. . . 8 ti » 12 avril 1730. Habits trouves a la loge de la Coinedie qu'occupoit lad. dam"'' : prises par Depercy de I'avis de Pierre Tar- let, m"' tailleur d'habits de femme, dem' rue des 4 Vents, a I'hotel Dauphine, p" S' Sulpice ' : Liv. sols. d. I mantcau de velours noir garny de peau de lapin blanc, i jupe de raz de Saint Maur garny de peau de lapin blanc, avec une toilette verte, prise. 100 " 1 I habit a la Romaine d'etoffe de damas blanc a fleur d'or compose d'une queue, d'une jupe : la queue garny de frange d'or faux et de frange fin d'environ i aune 1/2, la jupe gar- nie d'une petite cartisane et resau d'or fin et le corps et les manches I Ell mai ou jiiin 1730, on vendit a I'encan, selon le voeu d'Adrienne, ses parures, joyaux et costumes. Mile Pelissier, de I'Opera, maitresse dii banquier juif Lopez Duliz, acquit en masse tous les habits de theatre de la tragedienne ; elle les paya 40,000 livres (d'autres ont dit 80,000) et en exhiba neuf a la reprise de I'opera-ballet de Lamothe et Destouches, le Carnaval et la Folic. Le i } juil- let 1730, I'Academie royale de musique vit defiler les costumes de Jocaste, de Mariamne, de Zenobie, de Chiniene, de Roxane, de Pauline, de Celimene, de Monime et d'Elvire. Appendices. 239 Liv. sols. d. gamy aussy decartisane etresaud'or. 250 n » 1 mante de resau d'or de 2 aunes 1/2 de long, avec un drap servant d'enveloppe 200 ■» d 2 pelerines, i de velours couleur de rose garny de resau d'or et I'autre de satin bleu garny de resau de sole et argent 25 t> » 2 palatines, i garnie de point d'Es- pagne d'or et de chenil couleur de feu, et I'autre garnie de point d'Es- pagne d'argent et de chenil couleur de rose, et 2 barbes de resau or et ar- gent 10 1) » I mantille de gaze blanche en soie et argent doublee de satin blanc et 1 resau d'argent a I'entour, 1 petit voile de gaze couleur de feu imprimc en rond d'or faux 6 n •) 1 petite pelerine de satin blanc pique doublee de taffetas couleur de ieu garny de soucil d'anneton de soyc blanche, i petite palatine de ruban couleur de rose garny de resau d'ar- gent 3 " " 3 aunes 1/2 de gaze couleur de rose, 6 aunes de gaze noire a fleurs d'or, 1/2 aune de gaze blanche, 4 aunes encore de gaze blanche, i tabelier dc gaze et 4 palatines 20 ' 1 garniture de rubans de manchc de ruban satine couleur de citron, 1 autre garniture de rubans de manche, i carton plein de rubans dc manche de differentes couleurs 1 o - y> I paire de manchettcs de point d'Anglcterre a bride 20 » » 240 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. d. I paire de manchettes de cour de point d'Angleterre et la collerette de meme, et un petit mouchoiradentelle. 30 ■» n 1 autre paire de manchettes de cour de gaze garny de blonde et de fleurs et la collerette 10 » » 8 paires de gands de toile de coton tricotte 6 -^ 1 paquet de diamans et perle. . . . 200 » " 5 boites de toilette dont 4 quarres et une platte 8 " ^ I habit a la Romaine de satin jaune : la queue composee de satin aune garny d'un point d'Espagne a j'entour et des bouquets aetaches dans le milieu ; la jupe de meme satin garny de pomt d'Espagne tout en plein ; le corps de meme satin garny de resau argent, et la toilette de serge verte 500 « n I autre habit a la Romaine de damas blanc brode en or et soye , compose de la jupe et de sa queux garny de trange d'or a I'entour ; le corps de damas blanc brode en or et en soye ; la piece brode en or sur du couleur de feu et les volants de resau d'or Item, un autre habit a la Romaine de velours couleur de feu brode en argent tout en plein, compose de sa Queue, jupe et du corps et les volants, des munches de pomt d'Espagne a resau avec sa toilette Item un autre habit a la Romaine de velours bleu compose d'unc queue garnic d'Ermine a I'entour, une jupe )00 Appendices. 241 Liv. sols. d. de taffetas citron garnie d'hermine tout en plain etle corps aussya la Ro- maine de velours bleu garni d'ermine, un manteau de velours couleur de serise garny d'hermine et un corps de taffetas blanc pique garny de creve d'hermine 400 « n Item un autre habit a la Romaine de velours couleur de serize compose d'une queux garny de point d'Espagne a I'entour et des bouquets detaches dans la queux et lad. queux garny de frange d'argent tout a I'entour, une jupe de velours pareil garny de point d'Espagne d'argent tout en plem et un corps de velours pareil garny de point d'Espagne d'argent et des noeuds d'epaule aussy garny de point d'Espagne et des franges d'argent a I'entour des noeuds d'epaule et deux petites amadis aussy garny de point d'Espagne d'argent 800 « -^ Jeudy, 13 avril 1730. Dans I'armoire de la loge : Item un habit a la Romaine de damas couleur de feu or et argent compose d'une queux pareil , un resau d'or autour de la queux et aussy une frange autour de la queux d'or, la jupe de mcme etoffe, un petit resau d'or.au bas de la jupe garny d'une petite cartisane et un autre petit resau d'or a feston garny d'une petite cartisane d'or, un corps cou- vert de meme etoffe garny d'unrdseau d'or et cartisane et de noeuds 16 242 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. d. d'epaule pareil garny de frange d'or a I'entour et des volants de resau d'or, avec sa toilette de serge verte 800 » u Un autre habit a la Romaine dc damas cramoisy or et argent com- pose d'line queue de meme etoffe garny d'une frange d'argent a I'entour, la jupe de meme etoffe avec un petit pomt d'Espagne a I'entour, le corps de pareil garny de point d'Espagne d'argent 600 " Un habit de Cow compose d'une queux de damas gros bleu ainsy que I'habit, la jupe de meme , la queue garny d'une frange d'argent et le corps tout unie, avec sa toilette de toile de menage ". . . . 350 » d Un habit d'Electre a la Romaine de satin blanc garni de chenil noir et une frange de soye noire a I'entour ; la jupe de meme, garny de chenil noir et la couverture d'un corps et les manches aussy garny de chenil noir, avec sa toilette de toile 30 s y Un corps et une queux de satin blanc garny de chenil pourpre 20 » 1 Un habit a la Franfoise de moire couleur de serize compose d'un man- teau de meme etoffe la queux un resau a I'entour et sur les parmens de i'habit, la jupe de meme etoffe garny de deux volants de resau d'argent de hauteur d'environ 1/2 aulne et un petit resau au bas de la jupe, avec sa toilette 250 1 " Un habit a la Frangoise de damas petit gris compose d'un manteau Liv. sols. d. 60 . » 6 . » Appendices. 243 pareil garny de jasmin (?) de pareil couleur la jupe de meme etofte, avec sa toilette Un s panier d de toile grise garny de baleine Un habit a la Fran^oise de damas blanc brode de fleurs de differentes couleurs, compose d'un manteau at une jupe 30 « s Dans une commode ' a cote de sa loge : Un habit a la Romaine de velours noir compose d'une queux, d'une jupe et d'un corps 150 ■^ •? Un habit a la Romaine de satin blanc compose de sa queux garny de perle a I'entour en broderie. La jupe garny de perle aussy a broderie et de diamans de differentes couleurs semes dans le devant de la jupe, le corps garny de perle en broderie et de diamans semes de diff. couleurs, avec sa toilette de toile 150 ^ Une jupe de velours noir garny de frange de jais noir 20 ' Un habit a la fran^olse de mousse- line blanche brode de pctits bouquets detaches double de toile de coton blanche et la jupe de meme 40 » j 2 echarpes de gaze 4 " ' « II a este passe a Petit, serurier, dans son memoire de ce jour, un article de soixante livres dont Mile Lc Cou- vreur doit payer moitiee, qui luy sera rabatu sur le memoire de deux commodes qu'elle a fait faire, la Troupe ayant arreste de luy en payer seulementune. « 24 Janvier 1725. ("Archives de la Comedie fran(;aise.) 244 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. d. 2 manchons, I'un couleur de rose de point d'Espagne d'argent et I'autre couleur de feu garny de chenil et de point d'Espagne d'or, un petit cha- peau noir garny de point d'Espagne d'argent et son piumet blanc 12 " t 13 avril 1730 — RUE DES MARAIS : 8 assiettes, 5 compotiers, dont un casse, et 2 jattes, le tout de porce- laine 50 ^ La Vaisselle d'argenl : 12 assiettes, 9 plats, 1 petite sou- coupe a cafe, le tout d'argent, poin- qon de Paris pesant ensemble <, 3 marcs, 7 onces, prise comme vaisselle plate a raison de 48 ^ 6' 5'' le marc. 2,605 4 '° Cuillers, etc 682 1 7 61 jetons 15^ 8 - Jatte de toilette , cofFre a Ra- cine (?), bougeoir, flambeau, soucou- pe, sonnette, boete a pate, 2 tasses couvertes, gobelet, pot a I'eau couvert pesant 50 marcs 6 onces '146) '9 " 6flambeaux, 2 girandoles, 2 binets', I mouchette et porte-mouchette, 1 autre petite mouchette, 4 salieres, 2 poivrieres, 1 moutardier, i gobe- let, 1 sucrier, 1 huillier et ses 2 bou- chons,le tout d'argent poingon de Paris, pesant ensemble 28 m. 2 one. 4 gros, prise comme vaisselle montee I . Binet, petit appareil metallique qui s'adaptc a la bo- bechedu chandelier; il est muni d'une pointede far, ou Ton pique les bouts de chandelle pour les consumer entierement. Appendices. 245 Liv. sols. d. 47 " 1 2" 2'' le marc. i , 3 47 1 8 2 I Ecuelle couverte avec son assiette, 1 rechaud, 2 cafetieres, i gril, i re- chaud a esprit de vin avec ses 4 alambics, pesant 20 m. 3 one. 2 gros 971 9 7 14 manches dc couteaux pesant 5 m. 2 onces 'H '4 ^ I chandelier avec un garde-vue, I tayere, 1 Ecuelle couverte avec son assiette, i gobelet, 1 timbale, 6cuillers a cafe, un tiremoelle, 1 cui- siniere, 1 cuillere et 1 fourchette de table avec 1 manche de couteau, le tout d'argent d'Allemagne pesant ensemble 1 2 m. 7 onces 4 gros, prise a raison de 3 7 '^ 1 6* 9'' le marc ' . . . . 489 1 4 Total de la vaisselle d'argent 7,848 15 ■) Ensuivent les Bijoux, de I'avis du s' J.-B. Allain, nV' orphevre-jouaillier, dem' quay de I'Orphevre, p"" S'-Bartheiemy. I tabatiere, 2 etuis, i medaille et une boete a senteur, le tout d'or pesant i m. 4 one. 6 gros, prise le marc a raison de 678 '^ 5" 1,081 14 6 1 tabatiere de lapis garny d'or avec une gorge de diamans 300 ' I tabatiere de jaspe sanguin garny d'or 150 ■' •) 1 tabatiere de porcelaine garny d'or 50 n ft I. La vaisselle plate de la Camargo pesait 199 marcs 6 onces 7 gros, et sa vaisselle montee 77 marcs 5 onces. (Campardon, I'Opira au dix-huiticmc Steele, t. I, p. 94.) 246 Adrienne Le Couvreur. Liv. sois. Q' I boete d'or avec un dessus d'agathe d'Orient 150 1 d I petite boete d'or couverte de Jon 100 " i< I petite boete de perle garny d'or. 70 1 1 I tabatiere d'ambre garny d'or. . . 90 n " 1 boete a mouche et a portrait sans portrait couverte d'ecaille pique ct incruste 60 1 d I petit etuy de piece garny d'un couteau a manche d'ecaille avec sa lame d'or, une paire de ciseaux et un porte-crayon, fed. etuy couvert de chagrin garny d'or 50 ' s 1 flacon de composition verte garny d'or 15 1 d I etuy a ciseau de chagrin double d'or 18 " D I petite tablette d'ecaille piquee d'or avec son eguille d'or et garny d'or 60 » II 3 navettes dont 2 d'ecaille et i de nacre de perle garny d'or 30 ' ' I boete a mouches, 2 boutons de manche et 1 anneau, le tout d'or pesant ensemble 2 one. 3 gr. a rai- son de 678 ** 1 5' le marc 200 n i 17 medailles, 28 boutons de robe appelle olive, le tout d'argent, pesant ensemble i m. 4 one. 3 gr. prise a raison de 46 '^ 18' le marc 72 10 10 I petit sceau de composition blanche, une soucoupe avec son gobe- let, un petit flacon garny de son bou- chon d'or, 1 bracelet, 1 petit cade- nas, I bracelet d'or a secret 20 d » I papillon compose de 10 diamans Appendices. 247 Liv. sols. d. avec 4 aisles de composition verte. . 30 « d I braselet compose de 10 diamans, de 8 petites emeraudes et d'l topase avec le tour de petite perle a 6 branches formant le braselet 50 » d I paquet de petite perle fine et 2 boucles d'oreil de coq de perle 305 1 I brasselet compose de 17 petits brillants fins 200 » n I paire de girandol composee de 6 gros diamans et 28 petits avec des pandelocces de perle 1, )0o » » I collier de 1 5 coques de perles garny de 28 brillants 300 " » 5 bagues dont i de ruby balet avec 2 diamans a coste, I'autre de 4 rubis et 5 petits brillants, I'autre d'une jacinthe grave en tete et 2 bril- lants a cote, I'autre en quadrille compose de 1 1 diamans brillans , I'autre a demy Jon compose de 5 pierres epaisses et foibles 200 t k Total des bijoux 4,827 5 4 30 louis d'or k 24 livres piece valant 720 d n Ensuivent les habits trouves dans I'armoire : Une robe de chambre en toile de coton fond blanc a bouquets double de taf- fetas vert a petits carreaux 100 u « d" taffetas rayc bleu et gris de lin. . . 20 ■' ■' d" gros de Tours couleur de rose garny de reseau d'argent 100 ■' ^ d" gros de Tours bleu a bouquets et agremens brode de fil d'argent. . . 120 1 n 248 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. d. Une robe gros de Tours vert pare- mented'unreseaudesoyeet argent. 60 » » d" " " canelle a petits bouquets glace d'argent 30 1 " d" fond d'argent a bouquets de diffe- rentes couleurs 500 - ^ d" velours bleu garny de parement de resau d'or 160 ■ " d" satin gris et argent double de taf- fetas canelle 1 jo ^ d" drap d'argent 250 d" satin blanc a bouquets brodes, double de taffetas vert, juponbrode de chagrin blanc 100 - d" velours vert a parement gauffre . . 80 s » d" damas fond brun 70 t Un jupon de damas petit gris garny par bas de noeuds de pareille cou- leur 20 ■» " Un jupon de gros de Tours damasse petit gris brode de barbau bleu et vert 20 • T Une robe de damas fond noir et cou- leur de feu a bouquets 60 - Un jupon demousseline brode double de toile de coton 20 - Robe dc chambre d'etoffe de soye et argent fond olive double de taffetas raye parmente de reseau d'argent. 100 - d" toile dc coton blanche a bouquets brodes double de taffetas blanc. . . 30 - '^ d" toile de coton fond bleu a bou- quets double de taffetas bleu 501 n 1 petit manteau de lit de mousse- line a bouquets brodes double de taf- fetas blanc 7 t " 5 autrcs robes de chambre : I'une Appendices. 249 Liv. sol.s. d. de raz de Saint-Maur, I'autre de toile de colon blanche a bouquets de soie noire brodes double de taffetas raye, la y de damas blanc repasscbrode de chenille 60 - -• Une queue d'habit a la tarque de damas blanc brode et garny de frange de fil d'or, un corps couvert de pareil damas brode de fil d'or; une jupe de velours cramoisy garnie de galons et agremens de fil d'or par devant et de damas de pareil couleur par derriere . 500 ■ Une robe de chambre de satin jon- quille parments de fourrure de mar- mouchy 18 •■ une autre de damas bleu et canelle et jupon 35 Une autre de toile de coton double de taffetas bleu 50 " Deux autres de toile de coton, I'une fond blanc a bouquets rouges, et I'autre fond jaune a bouquets et oi- seaux dc couleur 2 j ■• [ piece de satin jaune , 2 man- tilles, etc., etc 65 Deuxpaniers, I'un de taffetas vert, I'autre de taffetas canelle 12 - Douze chemises de toile blanche, dont six garnies de manchettes et gorgettes de mousseline unie et bro- dee, 4 jupons dc basin raye, 6 mou- choirs de pochc de toile blanche et rouge, 4 corsets de basin raye, 4 cor- nettcs de nuit de toile blanche 40 -^ •< 7 chemises de toile 50 ■^ t 20 autres chemises dc toile fine. . jo ' " ^ autres chemises de toile fine. 10 " 2^0 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. d. I dessus de porte Paysage peint sur toile. G tsX.&m'pei A&sBatallles d' Alexandre. 25 d » 3 tableaux sur toile et une carte du Plan de Paris. I tableau peint sur toile represen- VMlun Porlrait avec des Aniours . . . 8 ^ 1 DANS LA CHAMBRE MORTUAIRE : Une petite table de marbre d'envi- ron 3 pieds de long sur 18 pouces de large, sur son pied en console de bois dore sculpte 60 Table de quadrille brisc couverte de serge verte 10 Petit ecran de satin blanc a bou- quets blancs dans son chassis et avec sa tablette de bois de violette 12 Armoire en bibliotheque plaque de palissandre a deux guichets termant a clef dont un garny d'une glace 55 6 feuilles de paravent de basin de la Chine representant des Chinois 30 I fauteuil de commodite a man- chette de noyer, sole cramoisie 10 Lit de repos a la Duchesse, 4 fau- teuils en bergere , etoffe de sole a fleurs or et argent bordce de damas vert 200 Une grande pendule sonnante par Boucherat a Paris, pied de marque- terie, ornc de figures de cuivre dord. 200 Appendices. 251 Liv. sols. d. I petite pendule a repetition faite par Voisin a Paris 100 n 1 Canape damas vert — canape maro- quin noir. Grand miroir de 2 glaces 300 ■» i^ Trumeau de cheminee de 2 glaces orne par haut d'un petit tableau sur toile representant des Amours 150-' n Autre trumeau de 2 glaces 240 •> " Autre 80 -^ Autre I 20 1 Autre 180 -^ I lit a tombeau garni de son en- tongure, housse de toile de coton de couleur fondblanc a bouquets rouges, doublee de taffetas citron 50 " I couchette a bas piliers, taftetas et satin blanc, damas vert, etc., etc. 300 - Petit tableau sur toile et petite estampe du Portrait de Louis XV. . . 6 d d Deux bonnes graces d'osier chan- tourne Imperial, courte pointe, pente et soubassement, 14 aulnes de cour ou environ de tapisserie , 2 grands rideaux de fenetre, trois portieres en 2 parties, une housse de sopha, 6 de fauteuils et 2 de tabourets de diffe- rentes toiles de coton fond blanc, 2 grands rideaux et 2 bonnes graces de toile de coton blanche servant de housse au tour de lit ^00 • I Clavessin avec ses claviers dans sa boite et sur son pied de bois peint fagon de la Chine 150 •' Une vieille epinette. 14 a 15 aulnes de cour de damas cramoisy servant de tapisserie double 2^2 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. d. de toile rouge, 2 rideaux, 2 bonnes- graces d'osier chantourne imperial , pente, courte-pointe et soubassement de pareil damas borde et garny de galons et glands de soye de pareille couleur, 2 rideaux de fenetre et 3 por- tieres en 2 parties aussi de damas cramoisy ; une duchesse , une demi- duchesse, 6 fauteuils et 2 tabourets. 2,000 " n Six pieces de tapisserie de Flan- dres ei verdure et petits personnages double en plein de toile verte, conte- nant environ 1 8 aunes de cour : ,600 v i» Etc., etc., etc. 8,550 BIBLIOTHKQUE D ADRIENNE LE COUVREUR. Ensuivent les Livres, prises par Depercy de I'avis du sieur Denis Mouchet, marchand-libraire a Paris, demeurnnt Cul de Sac de Saint-Martial, paroisse Saint-Pierre des Arcis, a ce present, lequeln promis donner son d'avis eu egard au cours du temps'. Liv. sols. 1. Dictionnauf critique de Bayle, f' ) vol. 40 - 2. — historiq. de Moreri, f" 5 vol. 40 ' 3. Histoire de France par le P. Daniel, 4" 6 vol 30 " 4. 9 vol. in- 12, dont Rcvokilions d'Angle- terre, par le P. d'Orleans 12 " I. U rei^oit 12 livres pour ses deu.x vacations. Appendices. 253 Liv. sols. 9 vol. in-i2, dont CEuvres de Rabe- lais r 5 12 — — Lettres de Mme Des- noyers 16 9 — — Histoire romaine par Echard 8 12 — — Lettres de Bussy 12 12 — — Verites de la religion chrellenne par Abba- die 12 10. 15 — — Memoire de Wordack* 8 11. 14 — — Ft?W«de La Fontaine** 12 12.15 — — Memoires de Sully. ... 10 13.17 — — Histoire d'Alpharache . . 8 14. 15 — — Pofi/fJ deDeshoulieres. 16 15. 9 — — Pricre pnbliqiie 10 16. 14 — — Memoires AtMmtMoi- teville 12 17. 13 — — Comptes faits de Ba- reme 12 18. 17 vol. tant in-f" qu'in-4" de differens operas, dont Pliaeton 70 19. \ Yo\. i^les Biitailles du prince Eugene. 15 20. Un paquet de differentes comedies tant reliees que brochees, dont Praticjiie dii Theatre 10 2 I . Les CEuvres de Racine, 4" en 2 vol . . . 30 22. 15 vol. in-i2 br. dont Caracteres de Theophraste 6 23.12 — — Memoires de Monglat . 6 24. 9 — broches fsans designation). 6 ■^ Memoires du cointe de Vordac ( 1661-1693 ), 2 vol. in- 1 2, attribues aux abbes Cavardet Olivier (1702- 17 24). '* Sur un exemplaire dans une belle relinre, voir la notede laiettre XXXVI, p. 161. 254 Adrienne Le Couvreur. Liv. sols. 2 5 . 40 Mercure galans ct Gazettes contenus en 2 paquets i 10 26. I paquet de brochures dont D/i\j{'/'/a//on siir le Paradis perdu 2 " 27. 26 volin-i2, depareilles,dontMOLlERE. 15 - 28. 52 vol. separes contenus en 3 paquets. 15 365 vol. et deux paquets, soit environ 400 vol. et brochures 447 10 Du Mardy 1 8 avril. Ensuivent les Papiers Extrait baptistaire d! Adrienne Le Couvreur, tire des registres de baptemes de I'Eglise paroissiale de Damery, proche Epernay, diocese de Soissons, du ^ avril 1692. Extrait baptistaire de Mm^-Marguerite Le Cou- vreur, tire du registre baptistaire de I'Eglise paroissiale de Saint-Nicolas des Champs, a Paris, du 20 juillet '70$- ... Brevet d'une obligation Sellier et Savigny, no*"", du 25 juin 1727, par M. A. Le Grand fils, au profit de la defunte, de la somme de 600''. Obligation Silvestre et de Savigny, du 23 fevrier 1724, par P. Guichon du Breuil et sa femme, au pro- fit de la defunte, d'une somme de 8,050^. Grosse d'une obligation passee Viellart et Texier, le 6 mars 1750 par Jacques de Foissy, dcuyer, conseil- ler secretaire du Roy et receveur general des finances a Met/, et Alsace, et son epouse, au profit de la de- funte de la somme de 50,000^^, payable dans trois ans, pour etre employee a payer le restant du prix de la charge de receveur general de Metz et Alsace, etc. Appendices. 255 RESUME. Liv. sols. d. MOBILIER, linge, habits, environ. 9,000 1 ;' Vaisselle d'argent 7,848 1 5 " Costumes de theatre 6,620 - ^ Bijoux 4,827 5 4 Argent monnoye 720 ^ - LiVRES 447 10 " Meubles au theatre 400 10 ■' 29,864 00 4 Creances 38,650 - ■' TOTAL 68,5 14 ■' 4 II faut joindre a cet inventaire la u- Recjuete adres- see an Lieutenant civil par Ics parents d'Adrienne Le (>ouvreur, afin d'obl^enir qu'il soit informe des detour- nements d'argent, d'effets et de titres commis lors de son deces, et \' Information ensuite de cette requete " qui ont ete publiees par M. Campardon dans ses Comediens dti Roi de la Troupe fran^aisc (p. 191- 206). 2$6 Adrienne Le Couvreur. llh- APPENDICE. PIECES Electre, de Crebil- lon 1717-18 3 8 4 2 7 4 6 4 4 4 I 8 5 I ? 8 1718-19 1719-20 1720-21 $ 7 4 1721-22 4 3 1722-23 I Mithridate Berenice 6 9 Andronic Amphitryon Polyeucte Iphigenie Geta Nicomede 5 4 I 4 5 4 I 4 2 I 3 I 3 I 4 S 3 4 3 3 1 Phedre cid (le) 3 2 Mortde Semiramis Heraclius 4 2 Horaces (les) .... Andromaque Misanthrope (le). . 4 7 4 I 8 I Venceslas Aiitiochus et Cleo- pdtre, de Des- champs CEdipe,deCorneille 2 4 8 10 '7 Rhadamiste et Ze- nobie Sertorius (reprise) Bajazet (reprise). . 6 7 Roi de Cocagne (le) de Le Grand. . . Britannicus I I 8 I 8 5 I " 1 Tartuffe Joueur (le) I 2 Heraclides (les) de Danchet L'lnconnu Artimire, de Vol- taire . . LISTE DES ROLES. Appendices. 2S7 1725-24 1724-2; H 1 1 4 ) 1 1725-26 1 h 1726-27 1727-28 1728-29 1729-50 •i : S I TOTAL 2Z I 42 4 I ? I 2 I 4 I 57 26 I 1 14 46 18 ? 7 4 s 2 3 ? 18 I I 4 i 5 I <, 3 22 2 ^ 3 2 4 8 I I I 1 ? 42 9 2 3 ,:5 4 20 3 I 4 ? 1 1 2 7 6 40 17 }5 4 6 4 2 I I I ? 7 5 1 g 4 J 8 2^! Adrienne Le Couvreur. 'lECES (Edipc, de Voltaire (reprise) 0. Sanche d'Aragon Machabks (les), de La Mothe-Houdard . Esther Mort de Ponipee (la) Thebaide (remise) Comte d'Essex (le) j£gisthe Coriolan Athalie Oreste et Pylade (reprise) Regulus (remise) Cinna Nouveau Monde (le), Pellegrin Antiochus ou les Machabees (Nadal). . . Basile et Quitterie (Mondorge) l^itetis (Danchet) Iries de Castro (La Mothe-Houdard) . . . Mariamne (Voltaire) Indiscret (!') (Voltaire) Rodogune Ariane Talisman (La Mothe) Pyrrhus (Crebillon) Pastor fido Tibere .' Alcibiade Tiridate Surprise de I' Amour (la) Amans deguises (les) Andrienne (1') Faux Sdvtint (le) Princesse d'Elide .6o ADRIENNE LE COliVREUR. TABLEAU DES REPRESENTATIONS Adrienne Le Couvreur joue a Paris En 1717- 1718- 1719- 1720- 1721- 1722- 1725- 1724- 1725- 1726- 1727- 1728- 1729- 7,8, 719. 720. 721. 722. 725- 724. 725- 726. 727- 728. 729. 7?o. En 1 5 annees , I j9 fois. 1 10 — 81 — 70 — 94 — MJ — 100 — 50 — 6j - 81 — 7' - 104 — 184 1 184 fois en 15 ans. Soil en moyenne 91 fois par m. Le moins a ete 50 fois (1724-25), Ic plus 139 fois, 'annee de ses debuts. A ajouter : les Versailles et les Fontainebleau'. I. U y eut trois voyages de la Comediea Koiitainebleau ; I" En 1724 — du 2b aout an 30 novembre — 98 jours a Fontainebleau 980 livres. 2" En 1725 — du 31 aout au 26 novembre — 88 jours a Fontainebleau 880 — (Manage du Roi a Fontainebleau le $ septembre 1725. La salle de la Belle-Chemin^e est transformee en theatre. "l 3" En 1726 — du 28 septembre au 28 oc- tobre — 3 1 jours a Fontainebleau 310 livres. En 1727, le Roi a Fontainebleau du 9 septembre au 25 novembre. En 1728, le Roi a Fontainebleau du 2$ aout au 18 novembre. I.a Comedie n'y parut pas ces deii.K an- nees -la. Appendices. 261 ICONOGRAPHIE D'A. LE COUVREUR C'est reternelle souflraiice de ceux qui tentent de remonter dans le passe, de se heurter sans cesse a an- caise.) J I! faut ajouter un dessin, appartenant a M. de Na- jac, qui a figure, en 1888, a i'exposition des dix- scptieme ct dix-huitieme siecles, au quai Malaquais, et I'annee suivante a celie du Theatre d'application. (N" 285 du Catalogue.) On peut rapporter aux deux types Coypel et Fon- taine les nombreux portraits, graves ou lithographies, d'Adrienne Le Couvreur. Nous nc citerons que les principaux : A. — Type Cor pel. 1" Gravure de P. Drevet le fils, a mi-corps, tres grand, cadre ovale. Les bonnes epreuves portent la laute « model •" dans le dernier vers du quatrain '. 1 . Etdt de trois milk portraits, Paris, Renouard, 1 888, in-S". 2. L'artiste s'est inspire du portrait par Coypel, qu'ila en quelque sorte masculinise. Ce buste est actuellement place dans I'escalier de Fadministration. Il porte la date de 1853. 3 . Le Mercure de France, decembre 1 7 3 1 , annonce la mise en vente de cette estampe « chez M. Francoeur, rue Neuve des Petits-Champs, vis-a-vis la compagnie des Indes, et chez M. Drevet, aux Galleries du Louvre ». Le Catalogue raisonni de Vceuvre des Drevet (Paris, Didot, 1876, 8°) signale trois etats de cette gravure, qui vaut de 2$ a 300 francs. Ahi^endices. 26v v. pa^^e 291 .) 11 y a des epreuvcs modernes. 2" Gravure de Petit, en couleur, dans un ovale. 5" Trois modeles de gravure en taille-douce pour YEncyclopedie (pi. IV.) par C A. Littret, 1765. 4° Cornelie, grav. a la maniere noire. J. B. Grate- ioup. In- 1 2. (V. le Catal. de ce graveur, par Fau- cheron.) 5" Costumes et .muiles des giiinds thealres de Paris. (Cornelie, en pied, au lavis et coloriee, par Janinet, graveur, rue Hautefeuille, n" 5. (N" 1 de la y annee, '1788.) 6" Petit ovale en couleur. Sans I'urne. (Galeiie d'iUteiirs de Grasset Saint-Sauveur, 1808.) 7" Deveria del. Couche fils dir. Migneret, sculp. Sans I'urne. 8" Lithographie de Delariie, d'apres Isabey, buste. 9" En pied, dessine par H. Dupont, grave par Galle. II y a des exemplaires colories. 10" Galeiie thealrale de Bance. En pied. I r Gravure de Chenavard, en pied, pour le Pla- tarqiie fran^ais. 12" T. C. Regnault, d'apres G. Staal, gravure sur acier. (Imp. Chardon ainc.) Pour une Galeiie des feni- nies celebresdcSamie-Bc\i\&, in-8, Garnier treres. 1 5" Gravure sur acier de E. Leguay, a mi-corps ; impr. F. Chardon aine (L'Artisle). 14" Crocjuis do L. Flameng (medaillon) pour les Princesses ae coiiiedie d'Arsene Houssaye (i860). I y Eau-forte de F. Hillemacher, d'apres une pein- ture (apocryphe) du cabinet de M. Soleirol. {Galeiie hisloriqne de la troupe de Voltaire, 1861,) Cette fan- taisie ressemble a M"'' Lloyd. 16" Eau-forte de Henri Lefort, pour la 2'' ed. du mcme ouvrage (1877). B. — ■ Type Fontaine. T' Gravure de F. G. Schmidt, en buste, 5 etats. 266 Adrienne Le Gouvreur. Le second porte : ix C. P. R. a Paris, chezOdieuvre, m'' d'estampes, quai de I'Ecole, vis-a-vis la Samari- taine, a la Belle-Image. » In-S". C'est celle qui est reduite par I'heliogravure en tete de ce volume. 2" Gravure au trait de Landon, pour une Histoire de France. 5" Lithographie, ovale. Vigneron del. Litho. de G. Motte. (Gollection du Courrier des Spectacles, n" 22.) 4" Eau-forte de Lalauze pour Comediens et Come- diennes du temps passe, par Gh. Gueullette (Jouaust, cditeur, 1884). 5" Dessin au trait, par Georges Glairin, tete de chapitre pour les Souvenirs et Etudes de Theatre de M. P. Regnier (Ollendorff, in- 18, 1886). 6° Reduction par I'heliogravure pour la presente edition. M. Henri Stein nous signale une Danse des Moris qu'on voyait a Erfurth, dans un ancien couvent d'Au- guslins, et qui a ete detruite par un incendie le 7 mars 1872. Gette interessante suite de scenes macabres, consistant en 56 tableau.v a I'huile peints par Samuel Beck et plusieurs autres artistes, de 1756 a 1776, montrait entre autres la Mort entrainant dans sa ronde la Gomedienne et la Danseuse, representees par Adrienne Le Couvreur et la Barberina. Appendices. 267 V BIBLIOGRAPHIE Le Mercure (Nouveau Mercure, 1717-172 i ; Mercure, 1721-25; Mercure de France, 1724-50). 1719. Lettres historiques sur tous les spectacles de Paris : Premiere lettre sur la Comedie- Frangaise, attribuee a Boindin. Paris, Prault, 1719, in-i2, p. 21. 1728. L'Aclrkc nouvclk, comedie en un actc, en vers, de Philippe Poisson, regue le 27 sep- tembre 1725, non representee. 8" s. 1. n. d. de 56 pp. (Les pages 5 et 4 manquent aux trois exemplaires que j'ai vus.) Bibl. nat. Y. Th., 1 52. Reimprimee dans le tome II des CEuvres de M. Poisson, 1766, p. 195 a 240. 1750. Mercure de France, mars, p. $77 a ;i8i. )) Lettre a Mylord *'** sur Baron ct la de- moiselle Le Couvrew, o\x Ton trouve plu- sieurs particularitez theatrales, par George Wink (abbed'Allainval). A Paris, quay des Augustins, chez Antoine de Heuqueville, au coin de la rue Gist-le-Cosur, a la Paix. 268 Adriennk Le Couvreur. MDCCXXX, avec approbation ct permis- sion (de I'imprinierie de Gissey), in-12 de 70 pp.- . . ■ Reimpnmce avcc notice par Jules Bon- nassies, Paris, Willem, 1870. 1736. Eloge d'Andrienne {sic) Le Couvreur dans le tome I" des Nouveaux Amiisemens serieux ct comlques, 2 vol. in-12, La Haye, Gosse et Neaulme, p. 206-210. 1743. Kloge historique d'Adrienne Le Couvreur, dans le Supplement .luParnasse fran^oh, de Titon du Tillet, p. 806-810. 1755. Chailes-Qiiintcl A/"" Le Couvreur, 5 j'' dialogue des jVoiii'f ijux Dialogues des Marts (attribues a J. F. Demachy), i vol. in-12 de 272 pp. s. I. 175J, p. 207 a 213. 1766. Histoire d'Adrienne Le C... dans la 4'' partie de Honny soit qui mal y pense, ou Histoire des filles ctMebres du dix-huitieme siecle, in- 1 8, aLondres, 1766, 6 parties en 3 vol., t. II, p. 185 (attr. a J. A.' Jullien dit Des Boulmiers). La premiere edition de 1 760 ne conte- nait que deux parties. 1788. Theatre-Frangais. Mademoiselle le Couvreur, role de Cornelie dans la Mort de Pompee, tragedie de P. Corneille. N° 1 de la 1" partie de la 3'' annee des Coitumes et Anmiles des grands theatres de Paris, en figures au lavis ct coloriees, par M. de Chamois. A Paris, chez Janinet, graveur, in-4'', p. 1 a 8 du tome III, figure en couleur. Af^pendices. 269 1 807. Menwires de la vie gaLintc, polWujuc et litteraire de I'abbe Annillon Dclaunay Du Gue, 2 vol. in-S", Paris, Leopold Collin, 1808, t. I-'", p. 301 a 3 10, t. II, p. I a 6. Reimprimes, en partie seulement, h Bruxelles, par H. Kistemaeckers, i vol. in-8, de 356 pp. 1887, p. 520 a j 3 5. 1808. Acteiirs el actrices celebies qiii se sont ilhislres sur les trois grands theatres de Paris, ou- vrage orne de 30 portraits colories, par J. G. Saint-Sauveur, Paris, in- 16. 1809. Galerie draniatique, ou acteurs et actrice?; celebres, etc. Paris, 2 vol. in- 16. C'est le meme ouvrage que le precedent, augmente de 30 portraits colories par Saint-Sauveur. 1810. Galerie Imloriijiie des acteurs du Thealre-Fraii- <;ais depuis 1600 jusqu'a nos jours, par P.D. Lemazurier.Paris, J. Chaumerot, 2 vol. in-8". — M"*" Le Couvrcur (Adricniie), p. 278 a 301 du tome II. 1817. 2 aout. Adrienne Le Couvreiir ou la Jeiinesse du comte de Saxe, com^die en un acte, en vers, d'Armand Charlemagne, representee au Thcatre-Francais. (Non imprimee.) 822. Les Fasles de la Comedie-Fraiifaise, par Kicord ainc. Paris, Hubert, Delaunay, etc. 2 vol. in-S". M""" Le Couvrcur, p. 53 a 60 du tome II. 182^. Notice sur Adrienne Le Couvreur, par M. Lc- montey, lue par I'auteur dans la seance do I'Academie fran?aisc du 1" avril, et publiee 270 Adrienne Le Couvreur. dans le premier numero du Mercure du dix- neuvlhne sleek (t. 1, p. 1733 1). II y a un tirage a part (in-4'' de 1 5 pp.) de la Galerie FraiK^aise, 3 vol. gr. in-4". On la retrouve dans Ics CEiivres de P. E. Lemontey. Paris, Sautelet, 1829, in-S", t. Ill, p. 321 a 347. y Adrienne Le Couvreur, 2 5'' liv"", n" 89 de la Galerie Theatrale ou collection des por- traits en pied. Paris, chez Bance aine, t. II, gr. in-4". Notice de 4 pp. Portrait. 1830. :i md.x%. Adrienne le Couvreur, comedie en trois actes, en prose, par Antony Beraud et Charles Mouriez dit Valory, representee bur le theatre de I'Odeon. Paris, Barba, 1830, in-8" de 64 pp. 183 5 . Notice, par M""^' Sophie Gay, dans le Plutarque francais public par Mennechet, 8 vol. 8". 1849. )4 avril. Adrienne le Couvreur, drame en cinq actes, en prose, de Scribe et Legouve, re- presente sur le theatre de la Republique. Paris, Beck, Tresse, 1849, in-8" a 2 col. de 45 pp. Parodiee sous le titre A' Adrienne la Couvreuse, vaudeville en trois actes, de M. Marc Leprevost, reprcscnte sur le theatre des Fplies-Dramatiques le 1 2 mai .suivant (n. /.). » Article de Sainte-Beuve aii Constitutionnel du 24 decembre, reproduit par la Revue de Paris de Janvier 1850 et dans les Causeries, I. I, p. 187. 1853. Etudes biographiques sur les homines celebres Appendices. 271 nes diins le departemenl de b Mi^rne, par Ed. de Barthelemy. Chalons, S. Lambert, in-18 de I 22 pp. — AdrienneLeCouvreur, pp. a 64. 1855. Les Comediennes d\mlreJois, par A. Houssaye, 2 vol. in- 1 6. Paris, M. Levy, t. I, p. 171- 185. 1859. Article de M. Nicaise dans \e Bulletin dii Boii- tjiiiniste. 1 86 1 . Giilerie historiquc des porlraits des comediens de la troupe de Voltaire, par de Manne, 1 vol. in-8". Lyon, Scheuring, Mile Le Couvreur, p. 19325, portrait grave par Hillemachcr. Nouvelle edition corrigee et augmentee. Lyon, Scheuring, 1877; (p. 20 a 28), por- trait par H. Lefort. 1865. L'lnlermcdiaire des chercheurs et des curieux, t. U, pp. loi, 187, 249, 372, 518. V. aussi 1866, 1870, 1874, 1875, 1877, 1881, t. Ill, pp. 525, 414. VI, 448. VII, 65. VIII, 293. X, 293, 345, 369, 401. XIV, 357. Les Reines de la Rampe, parL. de Montchamp ctCh. Mosont. Paris, Cournol, s. d., in-18. — Adrienne Le Couvreur^ p. 29 a 55. 1867. Michclct, tome XVI de VHistoire de France. (Louis XV et Louis XVI.) 1871. Documents inedits publics par M. Campardon dans Ic Gaulois des 17, 20 et 25 octobre et rcproduits en 1 879 dans les Comediens du Roi de la troupe jran^aise, 1 vol. in-8*. Paris, Champion (p. 190 a 206). 272 Adriknnk Le Couvrkur. 1 88 1 . l^cleiirs et uctrices dii temps Ddsse. La Comedie- Frangaise, i"" serie, notices par Ch. Gueul- lette , portraits graves a I'eau- forte par Ad. Lalauze. Paris. librairie des bibliophiles, 1 vol. in-8". Adrieniie Le Couvreur (p. 169 a 200), portrait. 188^. La Fain'ille d'Adrienne. Le Couvreur, par O. de Gourjault. {Revue de la Champagne el de la Brie). Tirage a part a 100 exemplaires, in-8" de 1^ pp. Paris, H, Champion. 1887. Souvenirs el eludes de ihealre, par P. Ke- gnier, de la Comedie-Fran?aise, i vol. in- 1 8. Paris, P. Ollendorff. — Adrienne Le Couvreur (p. 117 a 176). 1892. Lellres d'Adrienne Le Couvreur, publiees pour la premiere fois, avec une notice et des notes, par Georges Monval. Paris, Plon, Nourrit et C' (Bibliotheque elzevirienne). Appendices. 27^ VI COURONNE POETIQLiE D'ADRIENNE LE COUVREUR A MADEMOISELLE LE COUVREUR'. (>7'9) Adieu, divinite du parterre adoree, Vous, Iris, que le Giel envoya parini nous Pour unir a )amais Minerve et Citheree, Et la vertu sincere aux plaisirs les plus doux ! Faites le bien d'un seul et ie desir de tous; Et puissent vos amours egaler la duree Dc la pauvre amitic que mon coeur a pour vous ! Voltaire. EPITRE A mademoiselle LE COUVREUR. L'heureux talent dont vous charmez la PVance Avait en vous brille des votre enfance. I . Cette petite piece, attribute ix Voltaire par Cideville, fut iinprimee pour la premiere fois dans I'edition des CEuorcs en 95 vol. t. XVIII, p. 227. — Edition Beudiot,t. XIV, poe- sies melees, p. 320. 18 74 Adrienne Le Couvreur. li lut des lors dangereux de vous voir, Et vous plaisiez meme sans le savoir. Sur le theatre heureusement conduite, Parmi les voeux de cent coeurs empresses Vous recitiez, par la nature instruite : C'etait beaucoup, ce n'etait point assez. II vous fallut encore un plus grand maitre; Permettcz-moi de faire ici connaitre Quel est ce Dieu de qui I'art enchanteur Vous a donne votre gloire supreme, Le tendre Amour me I'a conte lui-meme. On me dira que I'Amour est menteur, Helas! je sais qu'i! faut qu'on s'en defie. Qui mieux que moi connait sa perfidie ? Qui souffre plus de sa deloyaute ? Je ne croirai cet enfant de ma vie. Mais cette fois il a dit verite. Ce meme Amour, Venus et Melpomene Loin de Paris faisaient voyage un jour. Ces Dieux charmants vinrent dans un sejour Oil vos attraits eclataient sur la scene. Chacun des trois avec etonnement Vit cette grace et simple et naturelle Qui faisait lors votre unique ornement. Ah ! dirent-ils, cette jeune mortelle Merite bien que sans retardement Nous repandions tous nos tresors sur elle. Ce qu'un Dieu veut se fait dans le moment. Tout aussitot la tragique Deesse Vous inspira !c gout, le sentiment, Le pathetique et la delicatesse. 11 Moi, dit Venus, je iui fais un present Plus precieux, et c'est le don de plaire. Elle accroitra I'Empire de Cythere : A son aspect tout coeur sera trouble, Tous les esprits viendront Iui rcndre hommage. — « Moi, dit I'Amour, je ferai davantage, Je veux qu'elle aime ! ■» A peine eut-ii parle Appendices. 27^ Que dans I'instant vous devintes parfaitc : Sans aucuns soins, sans etude, sans fard, Des passions vous futes I'interprete. O de TAmour adorable sujette, N'oubliez pas le secret de votre art '. Voltaire. Ainsi lorsqu'a ses Jeux si charmans, si cheris L'illustre Le Couvreur attire tout Paris, Quand Phedre, de douleur ou d'espoir I'ame atteinte, Fait naitre la pitie, la terreur et la crainte, Le plaisir et 1 effroi de concert agissans, Font retentir I'Hotel de cris applaudissans -. Grandval. La Leggiadra Couvreur sola non trotta Per quella strada dove i suoi compagni, Van di galoppo tutti quanti in frotta, Se aviene ch'ella pianga, o che si lagni Senza quegli urli spaventevoli loro, Ti muove si che in pianger I'accompagni, E piace mi in sentire, che a colore Che il declamare adorano pur piace, E con gli altri in lodarla fanno coro. L. RiCCOBONI. {Dell' Arte i\ippriiseiitath\L) 1 . Cette Epitre, publiee par d'Allainval dans sa Lettre a Milord"***, parutd'abord dans le Jl/frcurededeceiTibre 1725 (p. 1129); reimprimee en 1724 a !a suite de la Ligue on Henri le Grand (p. 193), elle figure au tome I*"" des CEuvres de Voltaire, edition d'Amsterdam, Ledet, 1732, pp. 253-54, dans le Censeur hebdomadaire de 1760 et dans le Choix des Mercurcs et autres journaux [X. LXX, 1762). 2. Chant treizieme du Vice puni^ poenie heroi-coniique public en 1723. 276 Adrienne Le Couvreur. Voici de ce passage la traduction que donne d'Allainval : u La cliarmante Lc Couvreur est la seule qui ne suive pas la route oil tous ses camarades courent en- semble, et a bride abattuc; s'il arrive qu'elie pleure ou qu'elie se plaigne, sans epouvanter comme eux par des hurlements, elle remue tellement le coeur qu'on est oblige de s'attendrir avec elle, et Ton est charme dc voir que les plus grands partisans de la declamation font chorus avec les autres pour la louer. » (Lettre a M)'lord***,p. 53.) epitre a m"'" le couvreur' a propos de la dispute qui s'est clevee depuls quelque lemps au sujet de Id declamallon des D"" Du Clos et Le Couvreur. Enfin le vrai triomphe et la fureur tragique Fait place sur la scene au tendrc, au pathetique. C'cst vous qui des douceurs de la simplicite Nous avez fait connaitre et sentir la beaute; C'est vous qui, meprisant le prestige vulgaire, Avez su vous former un nouvel art de plaire, Vous dont les sons flatteurs, ignores jusqu'alors, Des passions de I'ame expriment les transports. Avant que vous vinssiez, par Melpomene instruite, D'un heureux naturel nous montrer le meritc, Tel etait de Paris le fol entetement, On donnait tout a I'art et rien au sentiment, Et le theatre en proic a des declamatrices I . Cette Epitre est imprimee dans les Memoires historiques et critiques, feuille bimensneile, de D F. Camusat, 1 5 fe- vrier 1722 (Amsterdam, chez J.-F. Bernard), p. 17 a 20, sous le nom de M.de Beauchamp, auteiir de la traduction en vers des Epitres d'Hcloisc et d'Abclard. D'Allainval I'a repro- duite dans sa Lettre a Milord"" . Appendices. 277 N'oftrnit aux spectateurs que de froides actrices. Un murmure confus s'eleve contro moi, Je portc le degout plus loin que je ne doi. Le Theatre-Franqais, en modeles fertile, En sujets excellents ne fut jamais sterile. Rappelez-vous... de quoi pretend-on me blanier? Je ne conteste pas qu'on n'ait su declamer. Mais parvient-on au coeur par une voix forcee Qui ne rend de I'auteur le sens ni la pensee? Je ne m'en cache pas, il faut pour me flatter M'emouvoir, m'attendrir et non m'epouvanter. Je veux qu'on parle au coeur, ct non pas aux oreilles, Sans cela le Theatre est pour moi sans merveilles, Le plus pompeux recit est froid a me glacer. Un mot succede a I'autre et le vient effacer. Faut-il done, pour toucher, dcs clameurs glapissantes, Des gestes convulsifs, des ecarts de Bacchantes? Croit-on que je suis sourd? de grace, calmez-vous; Vous ne respirez plus, a quoi bon ce courroux? Est-ce ainsi que s'exprime une jeune princesse Que la crainte saisit, qu'agite la tristesse? Quand par un seul regard qui deplut a I'Amour L imprudente Psyche le perdit sans retour, Quand livree au pouvoir de sa fiere rivale Malheureuse clle errait sur la rive infernale, De ses tendres regards le charme et la douceur De la Reine des morts adoucirent le coeur. On ne I'entendit point dans les Royaumes sombres Par de lugubres cris epouvanter les ombres. Je ne suis point sensible a de fausses douleurs, Et ce n'est qu'en pleurant qu'on m'arrache des pleurs '. La Nature et le coeur toujours d'intelligence Vculent que tout soit simple, et I'exces les oflFense. Je suis par des fureurs moins emu que surpris, Je veux du pathetique, et n'entends que des cris. I. Horace, Arspoet., v. 102-3. Boileau, Art pvetique, ch. Ill, V. 142. 278 Adriennk Lfc; Couvreuk. Je ris quand je Ic vois, insensec Hermione, Rappcler en criant I'ingrat qui t'abandonne. Non, ce n'est point ainsi qu'on ramene un amant, II faut plus de tcndresse et moins d'emportement. Jc sais que la douleur a peine a sc contraindre. Mais qui se plaint si haut ne parait guere k plaindre. Mon coeur n'est point de fer, i! connait I'amitie, Le depit, le soupgon, Tamour et la pitie. De peine ct de plaisir il est trop susceptible. Je serais plus heureux si j'etais moins sensible. Cependant avant vous je ne sentis jamais Ces langucurs, ces transports et ces troubles secrets; Douces emotions d'une ame penetree, Vous seules de mon coeur avcz trouve I'entree... Mais que fais-je! pour prix d'avoir charme mes sens, N'ai-je a vous presenter que des vers languissants? Quel tribut! je vous dois un hommage plus tendre, C'est en vous ecoutant que j'irai vous le rendre. De Beauchamp. FRAG.VIENT Lorsque le Dieu qui preside a la scene Vit qu'on fuyait I'autel de Melpomene, Que Lelio scduisait les esprits, Que Rome enfin triomphait dans Paris, Et, par un sort moins juste que bizarre, Flaminia I'emportait sur Desmare, I. Ce morceau figure, sans nom d'auteur, aux pages 40)- 405 d'un Recueil de poesies satiriques et des plus galanUs tirees et clwisies des meilkiirs auteurs (t. II), in-4" de 5 56 pages provenant de la bibliotheque de M. Bonnier de Li Mosson, doiit le nom et les armes sont frappes sur les plats. Ce manuscrit appartient aujourd'hui a mon ami et coadjuteur M. Jules Coiiet, qui a bien voulu m'abandonner la primeur de ce fragment tres probablement inedit. Appendices. 279 Ce Dieu jura d'abolir tant d'abus. II asscmbla Minerve avec Venus. Ces Deites pour le bien de la France Cette fois-la furent d'intelligence Et toutefois formerent de leurs mains Unc beaute digne de leurs desseins. De Champmelez elle unit tons les charmes Et des Ninons I'esprit et I'agrement, La verite, le gout, le sentiment. Sa tendre voix nous arrache des larmes ; Ses yeux touchants font naitre nos ardeurs. Elle parut, et ses appas vainqueurs, Malgrc Verdun et le grand Longepierre, Eurent bientot charme la ville entiere. Aimable objet qui regnes sur nos coeurs, Toy dont le goiit, dont la grace divine Ajoute encor des beautes a Racine, Dieux! quand pourrai-je, 6 charmantc Philis, Associcr mes travaux a ta gloire, Et voir mes vers, dans ta bouche embellis, Ainsi que toy regner dans la memoire ? Si je me vois indigne de tes soins, Loin de tes yeux je te loiiray du moins. Mais la louangc est plutot le partage Du demi-Dieu que dans plus d'un employ La France entiere admire comme toy, Et qu'a tes loix le tendre Amour engage. A M'" LK COUVREUR en Itii envoyanl pour ctrennes line belle crainiture de lit I . Recevez, charmantc Adricnne, Recevez ce manteau de lit : I. Pikes inedites de Voltaire, publiees en 1820. 28o Adriennk Lk CouVreur. Pour vous le tendrc Amour Ic fit, C'est son ouvrage et votrc ctrenne. Recevez dans vos bras mes illustrcs rivaux : (Test un mal necessairc, et jc vous le pardonnc; Mais songez que chez vous j'rti garde les manteaux, Et que c'est moi qui vous en donne. Voltaire. A MADEMOISELLE LE COUVREUR ^iii joiiait le rule d' Angelique dcins ma comedie de /'ECOLE DES PERES. (1728) Un emule de Praxitele Et de son siecle le Comtoii, Fit une Venus, mais si belle, Si belle, qu'il en devint fou. Venus, s'ecriait-il sans cesse, Ta gloire animait mon ciseau! Sers done maintenant ma tendresse ! Anime cet objet si beau ! Venus entendit sa priere : La pierre en effct respira. De ce moment le Statuaire N'aima plus, il idolStra. Bientot il fut aime lui-meme ; Et ce que mille extravagants Envieraient comme un bien supreme, A coup siir il en eut les gants. Appendices, 281 Bergers, gravez bien sur !es arbres Ce que je vicns de vous narrer; L'Amour pcut attendrir les marbres : C'est le sens qu'il en faut tirer. Et vous, Deesse de la Scene, Que tous les jours nous encensons, Vous que Thalie et Melpomene Preferent a leurs nourrissons, Reine du prestige agreable Et de la douce illusion, Belle le Couvreur, a ma Fable Souffrez une autre allusion. Men Angelique est ma statue, Et vous venez de I'animer : Ma Fable est la verite nue, Pour pcu que vous veuilliez m'aimer. PiRON'. L OMBRE DE RACINE A M"' LE COUVREUR. EPITRE^ (1729) Depuis long-terns, aimable LE couvREUR, Un Poete estime de vous ct de la France Cherchait avec impatience 1. CEuvres completes, edition Rigoley de Juvigny, 1776, t. VII, pp. lOO-lOI. 2. Cette epitre, veritable declaration d'amour d'lin jeune 282 Adrienne Le Couvreur. L'heureuse occasion dc vous ouvrir son cceur Et par tendresse, et par reconnaissance '. Mes succcs par vos soins surpassent mes desirs. C'est par vous que Monime, Andromaque -, Athalic, Phcdre, Roxane, Iphigenie, Heureux enfants de mes loisirs, Vivent chez les F"ranqais, font cncor leurs plaisirs. Vos gestes, vos regards ont fait taire I'envie, Et les vains sentiments des critiques jaioux, Partages autrefois, sont reunis par vous'. Jouissez, LE COUVREUR, d'une gloire si belle. Ma reconnaissance et mon zele Vous ont ete caches jusqu'a ce jour*. J "en rougis : il est temps de montrer du retour, Et je vais, par'' ces vers faits au sejour" des Ombres, Vous raconter le demele Que sur vous, I'autre jour, dans ' nos bocages sombres Eut" avec moi I'ingrate Cliammesle. liomme de di.K-neuf ans, fut imprimee dans la Lettre a Mi- lord**'*', sous le nom de Le Franc. Plus tard, I'auteur la modifia, corrigea et raccourcit d'une vingtaine de vers. Les variantes que nous donnons en note sont celles des (Euvres diverses de M. L*F"" (Le Franc de Pompignan), premiere partie : Poesies diverses, 17531 ?■ '79 a 182. 1. Var.: Vous sur qui Melpomene fonde Les progres de son art longtemps interrompus, Lk Couvreur, recevez I'liommage et les tributs D'un Citoyen de I'autre monde. 2. Var.: Hermione. 3 . Ces trois vers sont supprimes. 4. Var.: Vous ignoriez jusqu'a ce jour Ma reconnaissance et mon zele. S- Var.: Dans. 6. Var.: Jardin. 7. Var.: QiCau fond de nos, 8. Var.: EMliier avec. Appendices. 285 Mes soins et mon amour formerent ' sa jeunesse. N'avez-vous pas appris quelle - fut ma tendresse Et ce q^u'enfm pour elle^ j'ai souffert? Je lui disais que, vengeurs de ma flamme, Apollon, Melpomene et I'Amour de concert Avaient fait naitre une actrice charmante, De graces et d'esprit assemblage parfait, Telle en un mot que Ton vous represente*. Craint-on en vous louant de charger le portrait? Chaque ombre que la-haut vos regards ont charmee — Vous pouvez bien juger que le nombre en est grand — De mes discours zele garant, Vint joindre son suffrage a votre renommee. Je lui dis que vos yeux, vos appas, vos talents Ajoutaient a mes vers mille fois plus de charmes Que par elle jadis mes poemes naissants Aux Frangais attendris n'arracherent de larmes. Que vous seule en un mot, la meme chaque jour, Et chaque jour inimitable, Possediez Part incomparable D'inspirer la douleur et I'effroi tour a tour Sans cesser un moment d'inspirer de I'amour '". Get eloge a coup sur devait m'etrc funeste. L'ombre irritee en fremit a I'instant. 1. Var.: Mon amour forma sa... 2. Var.: Pour elle vous savez jusqu'oii fut... 5. Var.: Combien dans ses nceuds j'ai... 4. Var.: Je lui parlais encor des troubles de mon ame. Je disais qu'Apollon et I'Amour de concert Prenaient soin de venger ma flamme : Que ces Dieux, pour punir son cceur, Avaient chez les mortels envoye Melpomene ; Et que pour habiter la scene La Deesse avait pris le nom de Le Couvreur. 5 . Ces quatorze vers ont ete supprimes dans les (Eavres de I.e rranc. 284 Adrienne Le Couvreur. P'emme, rivale, actrice, on devine aiscmenl Si sa colore fut modeste. Mais un heureux evenement L'interrompit, et m'epargna le rcste. Un Dieu — c'ctait TAmour, ne vous etonnez pas Que jusques aux Enfers ' il ait porte ses pas, II perce a voire nom ies plus sombres relraites, — L'Amour par vos attraits - toujours siir de ses coups Preside egalement dans ' Ies lieux oil vous etes Et dans Ies lieux* ou Ton parle de vous. 11 arrive : sitot qu'il frappe notre vue, La foule d'habitants dans nos bois repandue Se rassemble de loutes parts. Ce Dieu decouvre a nos regards Un portrait que sa main ^ avail pris soin de faire ; De trouble a son aspect" je me sentis atteint, Ce portrait enchanteur pouvait-il ne pas plaire? G'etait le voire, el I'Amour Favait peint. Mais bientot de ce Dieu la voix impatiente Par un effort nouveau surpassa noire allente. II parle, le portrait '' obcit a ses loix : On voit vos mouvemens, on enlend voire voix. On sent deja" la douce violence Qui va bientot nous enlrainer. Vous paraissez, TAuditeur" en silence N'attend plus qu'un coup d'oeil pour se determiner. 1. Var.: Qu'aux antres de la Mort... 2. Var.: Grace a vos yeux vainqueurs... 3. Var.; Il reinplit Ies... 4. Var.: Et ceux ou... 5. Var.: Que lui-meme... 6. Var.: D'un transport ravissant... 7. Var.: La toile... 8. Var.: Deja nous ressentons... 9. Var,: Et tout I'Elysee en silence Appendices. 28s II gemit avec vous, avec vous il s'irrite, II se trouble, il tremble, il s'agite. Un geste, un seul regard nous conduit tour a tour, Du calme a la terreur, de la haine a I'Amour : Nous vous voyons cruelle, impetueuse, Tendre, fiere, majestueuse, Telle que dans Paris, charmant les spectateurs, Vous enchantez les yeux et captivez les cceurs '. Ce spectacle aussitot termina la querelle. Plus surprise que nous, et vainement rebelle, Chammesle ressentit ce charme tout-puissant, Vous admira, se tut, et fuit en rougissant. Mais connaissez I'Amour, et quel est son empire. Mon coeur, dans ce moment facile - a s'enflammer, Apprit en vous voyant qu'un ombre ' peut aimer, Ou n'a pu* resister au plaisir de le dire. Si mon hommage est d'un assez grand prix Pour ne pas s'attirer un injuste mepris, Daignez repondre a mon impatience, Daignez m'en temoigner quelque reconnaissance. Le message est aise, vous voyez quelquefois Certain de mes amis qui dans sa jeune audace Ne craint point d'aspirer au sommet du Parnasse ; Moi-meme je le guide en ces sentiers etroits. Si vous voulez m'honorer d'une lettre, C'est dans ses mainsjqu'il faudra la remettre ', 1. Var.: Euripide versait des larmes, Sophocle par fierte voulait cacher ses pleurs. Mais tous deux avouaient qu'embellis par vos charmes, Mes vers ont du vaincre les leurs. 2. Var.: trop prompt a... 3. Var.: IJne ombre. 4. Var.: Et n'a su. 5. Var.: Vous savez mon secret, et, tout mort que je suis, Je voudrais inspirer de la reconnaissance 286 Adrienne Le Couvreur. Quoique pourtant je m'en fie ' a sa ioi, Je ne sais quel trouble m'annonce Que puisquH vous connait, il pense comme moi; Mais, fut-il mon rival, donnez-lui !a reponse. EPITAPHE. Cy git le corps mortel qu'empruntait Melpomene, Quand, sous le nom ae le couvreur, Elle enchantait, sur notre Scene, Les yeux, et I'esprit et le coeur. M. Dalinval-. TOMBEAU DE m""" LE COUVREUR'. Que renferme, helas! ce Tombeau? Les Muses y versent des larmes, Les Amours y brisent leurs armes Et I'eclairent de leur flambeau. C'est Le Couvreur qui de la Scene P'ormait les plus touchants appas. (Qui dit amour, dit esperance) ; Ecrivez-moi si je !e puis. J'ai mis dans notre confidence Un jeune eleve des neuf Soeurs, Qui par leurs premieres faveurs A merite ma confiance. 1. Var.: Helas! je me livre a... 2. Mercure de France, mars 1730, p. 5S0. On la relrouvc dans la Lettre a Milord*", sous ce titre : « Epitaphe de Mile Le Couvreur par M. I'abbe d'Allainval » (p. $9). 3. Mercure de France, mars 1730, p. s8i, et Nouveaiix Amusements serieux et comiques, 1736, t. I". Appendices. 287 Les Graces avant son trepas Ne suivaient plus que Mefpomene. TUMULUS ADRIAN;*: LE COUVREUR. VIATOR, Siste, lege, luge. HIC Musae, Charites, Cupidinesque, Eodem Quo Adriana, artis scoenicae caput, Jacent sepulcro. Ob haemoragiam obiit Parisiis, die Mar- tii 20, anno 1730. Traducllon : (Passant, arrete, lis et pleure. Ici dans un memo tombeau gisent les Muses, les Graces et les Amours avec Adrienne, la gloire du Theatre. Elle mourut d'une hemorragie, a Paris le 20 mars de i'an 1750.) ALIUS'. Hie Adriana jacet. Timuit qua sospite vinci, Melpomene, timuit et moriente mori ! Traduction : (Cy git Adrienne. Melpomene craignit d'etre vain- cue par elle, et craint de mourir de sa mort.) 1 . Ces deux epitaphes latines figurent dans la Uttre a Milord ^^*, pp. 59-60. La seconde est copiee de celle que fit le Bembo pour Raphael : Hie hie est Raphael. Timuit quo sospite vitici Herum magna parens, et moriente mori. Adrienne Le Couvreur. EPITAPHE. Cy git I'actrice inimitable De qui I'esprit et les talents, Les graces et les sentiments La rendaient partout adorable ; Et qui n'a pas moins merite Le aroit a rimmortalite Qu'aucune Heroine ou Deessc, Qu'avec tant de delicatesse ElTe a souvent represente. L'opinion etait si forte Qu'elle devait toujours durer, Qu'apres meme qu'elle fut morte On refusa de I'enterrer '. EPITAPHE DE MADEMOISELLE LE COUVREUR. L'Enfer, abondant en supplices,. Est doublement notre bourreau : En nous enlevant nos delices, En nous laissant notre fleau. comble affreux, mais peu nouveau, De ces horreurs dont il s'honore ! 1. Cette epitaplie, attribuee a Voltaire par le Recueil d'epitaphes scrieuses et badines, satiriques et burlesques, par M. D. L. P. (1782, t. I, p. 202), et par les Pikes interes- santes et peu connues du meme La Place [i. V, p. 123), e^t du chevalier de Rochemore, moiisquetaire et poete, dont il est plusieurs fois question dans la Correspondance d'Adrienne. Voir le Mercure de France d'aout 1782, pp. 72-75. Appendices. 289 Ma Le Couvreur est au tombeau. Et son medecin vit encore! PiRON'. POUR LA MEME, Peinte en Cornelie, avec I' nine des cendres de Pompee a la main. Je fis redouter Athalie, Plaindre de Phedre en pleurs I'amour incestueux, Et sous ces nobles traits admirer Cornelie. J'eus trois dons que jamais I'Art ensemble n'allie : Le Terrible, le Tendre, et le Majestueux. Piron% 1 . Cette piece figure , avec de tres legeres variantes, et sans nom d'auteur, dans le Recueil de Fevret de Fontette (Mss. Arsenal 3128, f" 249, v»). Elle est intitulee : Sur un remede que donna mat a propos a Mile Le Couvreur M. Silva, (jui la fit mourir dans le moment. C'est une allusion au bruit qui courut qu'Adrienne avait ete empoisonn^e dans un lavement. (V. Mile Aisse, Lettrexxvi, mars 1750.) 2. Cette piece, comme la prec^dente, est imprimee au tome VII (p. <,s)At%(Euvres completes d" Alexis Piron,Tpnh\Kt par Rigoley de Juvigny en 1776. Voici comment I'avait donnee, sans nom d'auteur, le Glaneur frangois de 1736, t. II, p. 79 : Vers pour niettre au has de I'Estampe d'Adrienne Le Couvreur en Cornelie : J'eus trois dons que jamais I'Art tout seul ne rallie, Le Terrible, le Tendre, et le Majestueux. J'ai fait redouter Athalie, Plaindre de Phddre en pleurs I'amour incestueux, Et sous ces nobles traits admirer Cornelie. 19 290 Adrienne Le Couvreur. quatrain Pour le portrait de M"' Le Couvreur ' . Seule de la Nature elle a su le langage. Elle embellit son art, elle en changea les loix. L'esprit, le sentiment, le gout fut son partage. L'Amour fut dans ses yeux, et parla par sa voix. Voltaire. vers Au bas da portrait de M"' Le Couvreur^. Eloquence des yeux, du geste et du silence. Grand art de peindre I'ame et de parler au coeur, Quand vous embellissiez la scene de la P>ance, II etait une Le Couvreur. Voltaire. Autres vers pour mettre au bas de I'estampe d'aprts CoypeL Des plus illustres heroines J'ai su par mes talents achever les portraits. Les Corneilles et les Racines Sans moi demeuraient imparfaits. H. de la Mothe. 1. T. XIV de redition de Kehl, p. 291 ; t. XIV de I'edi- tion Beucliot (poesies melees), p. 360. 2. Pikes inediics de Voltaire, publiees en 1820. Appendices. 291 Le Theatre me doit cet heureux changement Qui d'un chant deplace proscrivit I'imposture. La premiere je sus, fidele a la nature, Par le geste et la voix peindre le sentiment. Pour Camille en fureur, pour Monime trompee Qui n'eut, en me voyant, laisse couler des pleurs! Puisqu'en ce crayon meme, au destin de Pompee Ma seule ressemblance interesse les coeurs. De La Faye. Telle a vos yeux de Corneiie en pleurs Par mes talens je ranimais la gloire. Du Temps qui detruit tout je brave les fureurs, Coypel m'assure au Temple de Memoire Le rang que je tiens dans vos coeurs. D'Allainval. A CCS trois inscriptions, pubiiees dans la Lettre a My lord***, on a preiere le quatrain suivant, qui figure sans nom d'auteur au bas de la gravure de P. L Drevet fils, et qu'on attribua, je crois, a M. Remond de Saint-Mard : C'est peu de voir icy, pour attendrir vos coeurs, Les cenares de Pompee et Corneiie en pleurs. Reconnoisses, pleures, cette Actrice admirable Qui n'eut point de modele et fut inimitable'. I . Par une bizarrerie a noter, les belles epreuves de i'es- tampe de Drevet se reconnaissent a ce dernier vers, oil le mot modele est ecrit « model » . C'est le cas de rappeler la bonne plaisanterie bibliophilique : « Ah ! voila la bonne Edi- tion, celle oil il y a lafaute.'» 292 Adriennf. Le Couvreur. On peut considerer aussi comme une Epitaphe ces six vers de Dorat dans la DecLimalion thmtialc ' : Deja la Parque avide, au milieu de leur course, Charmante Le Couvreur, avait tranche tes jours. Un poignard sur le sein, la pale Tragedie Dans le meme tombeau se crut ensevelie-, Et, foulant ^ ses pieds les immortels cypres, D'un crepe environna ses funebres attraits. L'APOTHEOSE DE M"" LE COUVREUR. A m"'' le couvreur, Sur le refits qii'on a fall dc I'enterrcr *. Quel contraste frappe nos yeux ! Melpomene ici desolee Eleve avec I'aveu des Dieux Un magnifique Mausolee. Ici la superstition, Distinguant jusqu'a la poussiere, F'ait un point de religion D'en couvrir unc Ame legerc. 1. Paris, 1776. Pages 19-22. Voir aussi, sur Adrienne, le Discours preliminaire de ce poeme didactique, inoins coiinu que les gravures d'Eisen, qui I'accompagnent. 2. Cf. Boileau, Epitre a Racine, v. 56-38. 3. Pubiiee par M. Kd^wnii, ^di.ns son Chansonnkr historique du dix-huiti'eme sikle, t. \^ p. 21^, sous le nom de Vol- taire, et le titre de Le tombeau d' Adrienne Le Couvreur, cette piece est de Rene de Bonneva! et se trouve dans les Memoires pour servir a I'liistoire dc la calotte, in- 12, 1732, troisieme Appendices. 293 Ombre illustre, console-toi, En tous lieux la terre est egale. Alors que la Parque fatale Nous fait siibir sa triste loi, Peu nous importe ou notre cendre Doive reposer, pour attendre Ce temps 011 tous les prejuges Seront pour jamais abroges. Les lieux cessent d'etre profanes En contenant d'illustres manes. Ton tombeau sera respecte, Et s'il n'est souvent frequente Par les diseurs de patenotres, Sans doute i! le sera par d'autres Dont I'hommage plus naturel Doit rendre ton nom immortel. Au lieu d'ennuyeuses matines, Les Graces en habit de deuil Ghantcront des hymnes divines Tous les matins sur ton cercueil. Sophocle, Gorneille, Racine Sans cesse repandront des fleurs, Tandis que Jocaste et Pauline Verseront un torrent de pleurs. Enfin pour ton apotheose On doit te faire une Ode en prose' : Ge chef-d'oeuvre d'un bel esprit Vaudra bien du moins un obit. Meprise done cette injustice Qui fait refuser h ton corps Ce que par un plus grand caprice partie, p. 100. Le Journal de Barbier I'attribuait a Voltaire. Ella est imprim^e au t. V, p. 26$, d'une Edition de Voltaire, 5 vol., Rouen (sous le nom de la Compagnie, Amsterdam), 1741-1742. I. Allusion au.\ Odes en prose si plaisamnient inventees par le sieur de La Mothe. 294 Adrienne Le Gouvreur. Obtiendra Pelletier des Forts ' . Cette ombre impie etcriminelle, A la honte du nom frangois, Quelque jour dans une chapelle Brillera sous I'appui des loix. Ainsi par un destin bizarre Ce Ministre dur et barbare Doit reposer avec splendeur, Tandis qu'avec ignominie A remule de Cornelie On refuse le meme honneur. VERS A ['occasion du trahement fait a Af"" Le Couvreur apres sa mort^. Du theatre charmant soutien ', Si c'est ainsi que Ton vous traite, Je dois m'en taire en bon chretien ; Mais, helas ! on souffrira bien Que j'ose m'en plaindre en poete. Voltaire. LA MORI DE M"'' LE COUVREUR*, CELEBRE ACTRICE. (1730) Que vois-je? quel objet! quoi ! ces levres charmantes, Quoi ! ces yeux d'oij partaient ces flammes eloqucntes, 1. Le Pelletier des Forts, controleur general, qui fut chasse du ministere. 2. Pikes iniditcs de Voltaire, publiees en 1820. 5. Var.: de mes vers charmant soutien. 4. Imprimee des 1732 dans le tome I" des CEuvres de Appendices. 29^ Eprouvent du trepas les livides horreurs ! Muses, Graces, Amours, dont elle fut Tiniage, O mes dieux et les siens, secourez votre ouvrage! Que vois-je? e'en est fait, je t'embrasse, et tu meurs! Tu meurs ; on sait deja cette affreuse nouvelie ; Tous les coeurs sont 6mus de ma douleur mortelle. J'entends de tous cotes les beaux-arts eperdus S'ecrier en pleurant : s Melpomene n'est plus! » Que direz-vous, race future ', Lorsque vous apprendrez la fletrissante injure Qu'a ces arts desoles font des pretres cruels ^? Un objet digne des autels Est prive de la sepulture ' ! Et dans un champ profane on jette a I'aventure De ce corps si cneri les restes immortels! Non, ces oords desormais ne seront plus profanes, lis contiennent ta cendre; et ce triste'tombeau, Honore par nos chants, consacrc par tes manei, Est pour nous un temple nouveau! Voila mon Saint-Denys; oui, c'est la que j'adore Voltaire, Amsterdam, Ledet, avec dedicace a Mile Salle, et dans le Recueil de Pieces fugitives en prose et en vers, par M.deV*** ( I vol. in-S", 1740), cette elegie fut pour Voltaire la cause ou tout au moins le pretexte d'une persecution serieusc, qui I'obligea a quitter Paris. 1 . Cf. Malherbe, Ode sur I'attentat commis en la personne de Henri Le Grand. 2. Qu'a ces arts desoles font des hommes cruels ? lis privent de la sepulture Celle qui dans la Grece aurait eu des autels. Quand elle dtait au monde, ils soupiraient pour elle; Je les ai vus soumis, autourd'elle empresses ; Sitot qu'elle n'est plus, elle est done criminelle ! Elle a charme le monde, et vous Ten punissez ! Non, ces bords desormais, etc. (Var. de 1740.") 5. C'est le mot d'Armande Bejart a la mort de Mo- liere ; « On refusera la sepulture a qui merite des autei;! » {Rem. sur I'f'.pttre vii de Boileau.) 296 Adrienne Le Couvreur. Tes talens, ton esprit, tes graces, tes appas : Je les aimai vivants, je les encense encore Malgrc les horreurs du trepas, Malgre I'erreur et les ingrats. Que seuls de ce tombeau I'opprobre deshonorc. AK! verrai-je toujours ma faible nation, Incertaine en ses vceux, fletrir ce qu'elle admire, Nos mceurs avec nos loix toujours se contredire, Et le Frangais volage endormi sous I'empire De la superstition? Quoi ! n'est-ce done qu'en Angleterre Que les mortels osent penser? rivale d'Athene, 6 Londre! heureuse terre! Ainsi que les tyrans vous avez su chasser Les prejuges honteux qui vous livraient la guerre. C'est la qu'on sait tout dire, et tout recompenser; Nul art n'est meprise, tout succes a sa gloire; Le vainqueur de Tallard, le fils de la Victoire, Le sublime Dryden, et le sage Addison, Et la charmante Ophils •, et I'immortel Newton, Ont part au Temple de Memoire : Et Le Couvreur a Londre aurait eu des tombeaux Parmi les beaux-esprits, les rois, et les heros. Quiconque a des talents, a Londre est un grand homme. u Le genie etonnant de la Grece et de Rome, - Enfant de I'abondance et de la liberte, «■ Semble, apres deux mille ans, chez eux ressuscite. ^ toi, jeune Salle, fille de Terpsichore'^, u Qu'on insulte a Paris, mais que tout Londre honore, « Dans tes nouveaux succes, regois avec mes voeux u Les applaudissements d'un peuple respectable, tt De ce peuple puissant, fier, libre, gendreux, 1. Anne Oldfield, actrice anglaise qui mourut sept mois apres Adrienne, le 23 octobre 1730, et fut enterree a Westminster, parmi les rois et les poetes. 2. Mile Salle, danseuse de I'Opera, etait alors en Angle- terre. Appendices. 297 t Aux malheureuxpropice, aux beaux-arts favorable '.d Des lauriers d'Apollon dans nos steriles champs La feuille negligee est-elle done fletrie? Dieux ! pourquoi mon pays n'est-il plus la patrie Et cfe la gloire et des talents-? Voltaire. Le Couvreur plus loin recitait Avec cette grace divine Dont autrefois elle ajoutait De nouveaux charmes a Racine. {Le Temple dii Goat, i"' edition.) C'est la que je vous vis, aimable Le Couvreur, Vous, fille de I'Amour, fille de Melpomene ; Vous dont le souvenir regne encor sur la scene, Et dans tous les esprits, et surtout dans mon cosur. Ah ! qu'en vous revoyant une volupte pure, Un bonheur sans melange enivra tous mes sens I Qu'a vos pieds en ces lieux je fis fumer d'encens I Car, il faut le redire a la race future, Si les saintes fureurs d'un prejuge cruel Vous ont pu dans Paris priver de sepulture, Dans le Temple du Gout vous avez un autel. {Le Temple du Gout, edit, de 1733.) 1. Les neuf vers guillemetes ont ete remplac^s en 1740 par les trois suivants : « L'abondance et la liberty Ont, apres deux mille ans, chez vous ressucite L'esprit de la Grece et de Rome. » 2. Cette piece fut mise en musique par le prince royal de Prusse, Frederic. iLettre a Voltaire des 19 Janvier et 28 mars 1738.) Voir aussila lettre de Voltaire a Thieriotdu i*^'juin 1731. 298 Adrienne Le Couvreur. A mademoiselle le couvreur'. dii theatre aimabie souveraine, Belle Chtod, fille de Melpomfene, Puissent ces vers de vous etre goutes ! Amour le veut, Amour ies a dictes. Ce petit dieu, de son aile legere, Un arc en main, parcourait ('autre jour Tous Ies recoins de votre sanctuaire ; Car le theatre appartient a I'Amour, Tous ses enfants sent heros de Cythere. EPITRE DEDICATOIRE de ZAIRE, A M. FALKENER, MARCHAND ANGLAIS '. ('755) Votre Oldfield et sa devanciere Bracegirdle la minaudiere Pour avoir su dans leurs beaux jours Reussir au grand art de plaire, Ayant acheve leur carriere, S'en furent avec le concours De votre republique entiere, 1. Ces premiers vers du conte intitule VAnti-Giton s'adressaient, en 1712 ou 17 14, a Mile Du Clos, alors reine du Theatre-Fran?ais. Six ou huit ans plus tard, en 1720, Voltaire dediait son conte a Adrienne Lecouvreur en I'im- primant pour la premiere fois sous le titre de la Courcillo- iiade. En 1724, il parut a la suite de la Ligue. Dans I'edition de 1756 (Melanges de poesies, de litterature, etc.), VAnti- Giton est dedie a Mile Le Couvreur. Voir encore VEpitre d Vranie. 2. V. le Meixure de novembre 1732. Appendices. 299 Sous un grand poele de velours, Dans votre eglise pour toujours Loger de superbe maniere. Leur ombre en parait encor fiere, Et s'en vante avec les Amours : Tandis que le divin ' Moliere, Bien plus digne d'un tel honneur, A peine obtint le froid bonheur - De dormir dans un cimetiere ; Et que I'aimable Le Couvreur, A qui j'ai ferme la paupiere, N'a pas eu meme la faveur De aeux cierges et d'une biere^ Et que monsieur de Laubiniere Porta la nuit, par charite, Ce corps autrefois si vante, Dans un vieux fiacre empaquete, Vers le* bord de notre riviere. Que mon coeur en a palpitc ! CFTer ami, que j'ai deteste La rigueur inhospitaliere Dont ce cher objet fut traite ! Cette gothique indignite N'a-t-elle done pas revolte Les Muses et I'Europe entiere? Voyez-vous pas a ce recit, L'Amour irrite qui gemit, Qui s'envole en brisant ses armes, Et Melpomene, tout en larmes, Qui m'abandonne, et se bannit Des lieux ingrats qu'elle embellit Si longtemps de ses nobles charmes? Voltaire. 1 . Var.: le sage Moliere. 2. Var.: Obtlent a peine la faveur D'un miserable cimetiere. 5. Var.: Ne put trouver un enterreur. 4. Les bords. 500 Adrienne Le Couvreur. Pourquoi done s"informer ou git la Le Couvreur? Pour sa gloire et pour son honneur, Qu'importe de savoir ou sa cendre repose? Vous qui !a connaissiez, donnez-lui des autels Et donnez-lui I'encens qu'on doit aux immortels ; Mais laissant son apotheose, Disons plutot qu'au lieu a'avoir perdu le jour. La Le Couvreur n'a fait que changer de sejour ; Que celle qui faisait I'honneur de ce theatre, Celle dont tout Paris, longtemps admirateur, Devint a la fin idolatre, Celle pour qui Jocaste au gre du spectateur Avait I'art d'exciter la pitie, la terreur, Celle enfin qui de Phedre, avec son art supreme, Peignait si bien I'amour, la haine et la fureur, Etait Melpomene elle-meme Sous le nom de la Le Couvreur. Qu'est-il done besoin qu'on I'enterre? Est-il chez les mortels des tombeaux pour les dieux? C'est pour nous qu'ils ont fait la terre, C'est pour eux qu'ils ont fait les cieux '. lei Ton rend hommage a I'actriee admirable, Par I'esprit, par le coeur ^galement aimable. Un talent vrai, sublime en sa simplicite, L'appelait, par nos voeux, a Timmortalit^; Mais le sensible effort d'une amitie sincere Put a peine obtenir ce petit coin de terre; Et le juste tribut du plus pur sentiment Honore enfm ce lieu meconnu si longtemps. D'Argental, 1786*. 1. Cette piece a ete publiee par M. Raunie (t. V du Chansonnier historique, p. 218), d'apres le recueil Ciairam- bault-Maurepas. 2. Ce huitain, compose parTami d'Adrienne, alors age de quatre-vingt-six ans, fut grave sur une plaque de marbre qui est encore conservee par Mme de Jouvencel, proprietaire actuelle de la maison n" 1 1 5 de la rue de Crenelle. TABLE GENERALE Pages. Introduction ' 5 Notice biographiqle 9 Premieres anriees (1692-17 17) 9 La Comedie fran?alse (1717-17^0) 20 Maurice de Saxe J 5 Le poison 40 Refus de sepulture 6 1 Apres la mort 67 La Correspondance d'Adrienne 82 PREMIERE PARTIE Lettres datees 91 DEUXIEME PARTIE Lettres et billets non dates i3i Epitre a M. d'Argental 219 Huitain 222 Portrait de M. de Fontenelle 222 Table des noms cites dans les Lettres zzi 302 Table generale. APPENDICES I. Le Testament d'Adrienne Le Couvreur 231 II. L'Inventaire (meubles, tableaux, costumes de theatre, linge, liabits, vaisselle d'argent, bijoux, bibliotheque) 235 III. Liste de ses roles et tableaux de ses representa- tions 2 $6 IV. Iconographie 261 V. Bibliographie 267 VI. Couronne poetique d'Adrienne Le Couvreur. . . . 273 PARIS. TVP. DE E. PLON, NOURRIT ET C'*, RUE GARANCIERE, 8. X-5tla3 THE LIBRARY UNIVERSITY OF CALIF Santa Barbara THIS BOOK IS DUE ON THE LAST i STAMPED BELOW. AA 001073 882 1 p ! 1 !|) ■ |-''- ft !■■» ! 1 1 mminiiiiiiiitiijrmr