LIBRARY CALIFORNIA DIEGO presented to the UNIVERSITY LIBRARY UNIVERSITY OF CALIFORNIA SAN DIEGO by From the Estate of Mrs. Anna T.. pa MANUAL FRENCH POETRY, WITH HISTORICAL INTRODUCTION, AND BIOGRAPHICAL NOTICES OF THE PRINCIPAL AUTHORS. USE OF THE SCHOOL AND THE HOME. A. H. MIXER, A.M., PROFESSOR OF HODKRN LANGUAGES IN THK UNIVERSITY OK KOCHESIEB, NEW YORK : CINCINNATI : CHICAGO AMERICAN BOOK COMPANY Entered according to Act of Congress, in the year 1874, BY IVISON, BLAKEMAN, TAYLOR, Monologue d'Hermoine .... 61 Monologue d'Achille Co Sur les \am-s Occupations des Gens du Siecle 66 ROUSSEAU. Philomele 68 L'Inspiration poetique 69 La Reuommee 70 Existence de Dieu 71 Aveuglement des Homines du Siecle 72 Ode a la Fortune 74 Ce qui fait le lleros 76 fipigramme 76 LA MOTTE. Le Berger et les Echo* 77 La Brebis et le Buissou .... 78 L' Enfant et les 'Noisettes .... 78 La Motitre ct le Cadrau solaiiv . . 78 Sur Alexandre 79 L. RACINE. Preuvts physiques de 1'Existence de Dieu 80 Ode sur la Solitude 82 Amour pour Dien 8? VOLTAIRE. Les Plaisirs Clioix (Pun fitat Sagess" dans la Jouissance La Raison L'Espe'rancs et le Sommeil . Le Meurtre de Coligny . . . Aidons-nous mutuellement . Madrigal Mornay CRESSET. La Vie liumaii^ . L'Emploi il la Vie L'Art de jouir . . I.E FRANC DE POMPIGNAX. Imitation du Psaump ciii 9fi La Mort de 3. B. Rousseau . . 99 La Bienfaisaiice . . 101 SAINT-LAMBERT. L'Arnitii: 102 Disillusion 103 L'Orage 103 L'Agriculture 104 LEBRUN. A Buffon, contre ses Detracteurs . 105 Antiquitc de la Poesie 107 Moyen sur de parveuir 107 Consuils aux Amis 108 Le Mieux et le Bicn 108 La Clemeuce 108 Arion 109 DUCIS. A moil Ruisseau 110 L'Auiitie Ill Iloiucre 112 LDS Arts 113 A mes Penates 114 La Romance du Saule 116 Le Cadran solaire 117 Mon Produit net 117 L'Homme moral 117 DELILLE. Dicu Molifcre L'Immortalite de 1'Arae Les Catacomlies de Rome . 118 . 119 . 120 . 121 La Susceptibilite" 123 Nids des Oiseaux 12 1 Le Cafe 125 La Nature 126 GILBERT. Derniers Moments d'un jeuno Pocte 127 Mon Apologi" 128 La Peinturc dans la Poesie . . . 129 PARNY. Complaintc 130 Snr la Mort d'une jeune Fille . . 131 La Ro?e 132 La Solitude 132 FLOR1AN. Un<" Mere 133 Le Rossirnol et le Prince .... 134 Le jeune Homme et le Vieillard . 134 L'Aveugle et le Paralytique . . . 135 CONTENTS. IX Le Chateau de Cartes 136 L'Amour et sa Mere 137 Le Grillon 138 La Guepe et I'Abeille US Le Philosophe et le Chat-Huant . 139 Les Hirondelles 140 C'est mon Ami : rendez-le nioi . . 141 Epilogue 141 Le Voyage 142 COLIN D'HARLEVILLE. La Jeunesse du Jour 143 La Province et Paris 144 FONTANES. La Vie de la Campague .... 145 Les Mondes 146 La Raisou et 1'Amour-propre . . . 147 Le Tasse 149 Les grandes linages de la Nature . 151 LE BA1LLY. L'Occasion manquee 153 La Rose et le Buisson 153 Le Sage et It Couquerant .... 154 Le Buisson et la Rose 155 ANDRIEUX. Tine Promenade de Fenelon . . . 156 Les grands et les petits Voleurs . 160 A. CHENIER. Lajenne Captive 101 Rome 163 La Vie du Poete 164 La Lanprue francaise 164 Les Adieu x h la A r ie 165 Le Gondolier 165 La Liberte est dans la Pauvrete . 166 Tristesse 166 M. J. CHfiNIER. Mort d'Anne de Boulen .... 167 L'Age d'Or et I'Age de Fer ... 168 Le Soir 169 ARNAULT. Prologue 171 Le Colimacon 172 La Feuille 172 Is Chien et le Chat 173 1,'Aheille 174 Le Cachet 174 CHENEDOLLE. Le Clair de Lune 175 La Rose 175 La Chute du Chene 176 L' Imagination 177 Le Voyageur egare au milieu des Xeiges de Saint-Bernard ... 178 Le Gladiateur 179 DESAUGIERS. Les Inconvenients de la Fortune . 181 Les Coups 182 Paris a. cinq Heures du Matin . . 183 Stances a Mine. Deslwrdes-Valruore 184 VIENNET. L'Egypte 185 Le Voyagc-ur et sa Montre . . . 186 Les deux Voyagcurs 187 BERANGER. Les Hirondtlles 192 Adieux de Marie Stuart .... 193 Les Oiseaux 195 Mon Hahit 196 La sainte Alliance des Penples . . 197 Claire 199 L'Alchimiste 200 Souvenirs d'Enfance 201 Le vieux Vagabond 203 Le Coin de 1'Amitie 204 Lc Juif-Errant 205 Ma Lampe 208 La Fayette en Amtrique .... 209 Le Temps 210 Les Enfants de la France . . ... 212 L2 Commencement du Voyage . . 213 Ls Roi d'Yvetot 214 Les Souvenirs du Peuple .... 216 Les Etoiles qui filent 218 L'Orage 320 La SylpMde 221 Le Chant du Cosaque 223 L'Amiti6 224 Le Tailleur ct la Fee 225 Le Pigeon Messager 227 La Malsdie du Pays 228 Le Voyage imaginaire 230 Pononriation 231 AdiViix a la Campagne 232 La pauvre Femnie 233 CONTEXTS. Les Violettes 235 Couplet 236 Cinquante Ans 236 La petite Fee 237 Mon petit Coin 239 Le Marquis de Carahas .... 240 Les grands Projets 242 Ma Coutemporaine 242 Le Malade 243 Le Tonibeau de Manuel .... 244 Plus d'Oiseaux 246 Mes Fleurs 247 M1LLEVOYE. LaFleur 248 Le Lion de Florence 249 La Chute des Feuilles 249 Le Pouvoir de la Poesie .... 251 Le Tonibeau du Poe'te persan . . 252 La Colombe 254 La Feuille du Chfine 255 L' Amour maternel 256 La Fleur du Souvenir 258 NODIER. Le Style naturel 259 Le Eetour au Village 260 La jeune Fille 262 Sounet 262 P. LEBRUN. Constantinople 263 LaGrece 264 Le Ciel d'Athenes 265 Souvenirs du College 266 DESBdRDES-VALMORE. L'ficolier 267 Qu'en avez-vous fait V 269 L'Oreiller d'une petite Fille . . . 271 Les Roses de Saadi 271 La jeune Fille et le Rainier . . . 272 Regret 272 SOUMET. Le Sommeil du Mendiant .... 273 Les Monuments relict -ux et antiques 275 Reve de Jeanne d' Arc dans sa Prison 276 Pense'e detachde 277 La Pens6e de 1'Homme .... 277 La jeune Mere italienne aupres du Berceau de son Enfant .... 278 LAMART1NE. La Priere 282 Le Lac 283 Les Saisons 285 L'Aigle et le Soleil ...... 286 Le Papillon 287 Au Rossignol 287 Dieu et son Essence 290 Le Chretien mourant 291 L'Hirondelle 292 Adieu a la Mer 292 L'Isolement 294 Penser et agir 296 La Verite" 296 Le Vallou 297 La Fleur des Eaux 298 Les Amis disparus 300 La Lune 301 Le Grillon 302 Contemplation de la Nuit . . . . 305 L'Arne triste 306 La Poesie 307 L'Ange gardien 309 Vers improvises sur un Album . . 310 Les Revolutions des Empires . . 310 Entretiens de 1'Arne avec Dieu . . 313 Resurrection 314 L'Automne 316 Le Sort du Genie 317 SCRIBE. Mon Ami Pierre 318 Mon Fils est la 320 DELAVTGNE. Le Cliien du Louvre 321 Trois Jours de Christophe Colomb . 324 La Mort de Jeanne d'Arc .... 325 Ruines des C6tes de Naples . . . 327 Nanna 329 La Vache perdue 331 Le Marronnier d'filisa 334 L'Attente 335 Pense>s detaclieeg 335 REBOUL. L'Ange et 1'Enfant 336 Soupir 338 L'Annidne 338 Consolations sur 1'Oubli . . . . 339 CONTENTS. XI TASTU. Mou Royaume ....... 340 La Fleur du Volcan ...... 341 La Barque ......... 342 Scenes du Passe ....... 34? Les Feuilles de Saule ..... 344 Le dernier Jour de 1'Annee . . . 346 L'Ange Gardien ....... 347 Plaiute .......... 348 Reverie .......... 348 E. DESCHAMPS. Le Fleuve ......... 349 Pensee .......... 350 A. DESCHAMPS. La Resurrection ....... 351 La Distribution des Prix .... 352 DE V1GNY. La Fille de Jephte ...... 353 Naissance d'Eloa ...... 356 Le Rcpos ......... 357 Le Cor .......... 358 VICTOR HUGO. Tout passe ........ La Tomlie et la Rose ..... Son Nom ......... Pluie d'Ete ........ Tu pleuraja ........ La Flenr et le Papillon .... Si mes Vers avaient des Ailes . . Le Poete dans les Revolutions . . A une jenne Fille ...... Moise sur le Nil ....... La Demoiselle ....... L'Enfant qui dort ...... A PEnfant malade pendant leSifige La Sortie .... ..... Les Femmes de Paris p 'ndant le Siege .......... Le grand Homme ...... La France ......... La Lyre et la Harpe ..... La Liberation du Territoire . . . La Priere pour tous ..... Li France aux Rois ...... Conseil a un Enfant ..... A un Vovageur ....... Bonne Nuit 393 Le Soleil couchant 394 Extase 394 SA1NTE-BEUVE. Reverie 395 Le Joueur d'Orgue 396 A David 397 Les Poe'tes roiuantiques .... 399 Stances 400 Le vrai Bonheur 401 Sonnet 402 Sonnet 403 Sonnet 403 Desert du Co3ur 404 11 est trouve 405 Au Loisir 406 Sonnet 407 Sonnet-Epilogue 408 Esperance 408 Pensee d'Automne 410 BARBIER. Dante 411 Le Correge 412 Arnold de Wiukclried 413 Michel-Ange 413 BRIZEUX. La Cliaine d'Or 414 Les Vacances 415 A la Fantaisie 416 Raphael 416 La Vie 417 Les trois Voyages 417 MERC(EUR. Philosophic 418 L'Avenir 419 La Feuille 420 DE MUSSET. La Nuit d'Octobre 421 Deliverance 422 Une Vision 423 Le Tyrol 424 Tristesse 425 Stances 426 L< Poesie 427 Les deux Routes 427 A ceux qui accusaient PAutetir . . 428 A une Fleur . ... .428 Xll CONTENTS. Adieu 429 Marie . 4.10 MOREAU. Sur la Mort d'une jeunc Fille dc sept Ans 431 Un Souvenir a l'H6pital .... 432 L'Oiseau que j'attends 433 La Fermiere 435 GAUTIER. La Source 436 Niobe 437 Paysage 438 Premier Sourirc du Printemps . , 438 Les Colonibes 439 Les Papillous 440 La Montre 440 Le Merle . . 412 Caiuelia et Pacjuerette 443 Le Sjulicr de Corueille 444 L'Art 446 Couij)eusaliou 448 Toiubec du Jour 449 La deniiere Feuille 449 filegie 450 Fantaisk-s d'Hirer 450 SEGALAS. Les Virtuoses des Buissons . . . 451 La petite Fille 453 Les cinq Sens 454 MISCELLANEOUS POEMS. La Po^sie 459 La Marseillaise 460 Le Munlairnnrd emigre .... 461 S'il faut penser, c'est pour ngir . . 462 Le Temps et 1'Amour 463 Le Nid 464 La Beaute, 1'Esprit, et la Vertu . 465 Dieu 465 Les Brouillards 466 L Sylphe 466 Le Papillon et 1'Abeille . . . .46? A la Grace de Dieu Cliarmante Gabrielle .... Sur le Temps L? Depart pour la Syrie . . . Souvenirs d'uu ueux Militaire . A qui pense-t-il Jeune Fille et jeune Fleur . . La Rosee Barcarolle de Marie L'Auiour L;s Adieux . Les Fleurs La Tragedie et la Comedie . . . Ma Normaudie La Fleur et le Nuage Un Rien La Violette Les deux Luttenrs Mazeppa Les Etoiles Les Moi Le vrai Piiilosophe Les Aloucttes Fin d'uiic belle Journee de Prin- temps Aurore La Loi de In Ilaclie Le Point noir Dans la Foret . . La Rose L' Amour dans la Maison d'Auacreon Au Lever du Jour Le Secret La Fille de Khigas L'Histoirc Le Fruit de la Douleur . . . . Les neiif Mines Le Printdiips Li Bibl<' La sainte Cene A un pnrfnit Ami 1/e. Bonbeur du Chretien .... Sonnet 468 469 470 471 472 474 475 475 476 477 477 478 479 480 481 481 482 483 483 484 484 485 487 488 488 489 489 490 490 491 491 492 494 494 496 497 497 498 499 500 501 INTRODUCTION. HISTORICAL OUTLINES OF FRENCH POETRY, FROM ITS ORIGIN TO THE CLASSIC PERIOD OF MALHEHBE. POETUY is the first form of literature among every people. No sooner has human existence begun, with its conscious activities, relations, and destinies, than it feels the need of the " faculty divine " to aid it in its weakness to picture the wonders of the world around, and the still greater wonders of the world within. In answer to this universal want, poetry springs up everywhere spontaneously, at the first call of the infant race, and hastens 1o embody its ideas and sentiments, be they benevolent or malevolent, religions or warlike. The result is a hymn of praise or a song of deeds. This people's song, as all primitive poetry truly is, has of course little iu common with the poetic productions of a later period when the nation hus become learned and the language ripe. But it is from these beginnings, however rude they may seem, that all the poetic treasures of the literature have sprung. Accordingly, of the various peoples which combined in the formation of the French nation, each one was undoubtedly already in possession of a poetic literature in some stage of its growth. The Romans, indeed, brought into Gaul the mature and finished strains of Virgil and Horace ; but both the epic and the lyric mnse had preceded them there, for the Celts had already their lays of love and heroic deeds. And the Germans, too, barbarians as they were, came with their songs of worship and of war, even though, as we are told, their notes were so harsh as to strike upon the cultivated ear of the Roman like the screaming of wild birds of prey. The long and laborious struggle which resulted in the union of these various national elements had no sooner passed, and the birth of the new tongue taken pbce, than a poetic literature again sprang up at once, em- ploying this new language of the people, and consecrated to express its new opinions, sentiments, and desires. XIV MANUAL OF FRENCH POETRY. Although the origin of the French language may be placed, according to all appearances, as far back as the sixth or seventh century of our era ; yet, feeble in the beginning, and stigmatized by the appellation of the lanyue vulgaire, its use was confined to the lower classes, while the Latin remained yet a long time the medium of the higher classes, and especially of all literary culture. It was not until towards the ninth century that the Latin ceased to be a living tongue, and the popular idiom, which re- ceived in general the appellation roman, entered upon that career in which it was to play so important a part. But, occupying so large a territory, and under so varied influences, the new language, from its very beginning and in proportion as it separated itself from the mother tongue, developed into many diversities of speech, all of which, however, were -grouped under two grand divisions or dialects, respectively named Lanyue d'Oc and Lanyue d'O'il ; the former prevailing generally south of Ihe Loire, and the latter north of that stream. These dialects, though closely re- lated to each other, differed so widely in prominent characteristics as to furnish two separate literatures, which continued thus distinct through the Middle Ages. From the commencement of the fifteenth century, however, the Langue d'Oc, which had been gradually supplanted, sank into the con- dition of a mere patois, while her more fortunate rival, the Langue d'Oil, rapidly rose to the full proportions of the French language of to-day. Inasmuch as the language, in its early history, was thus divided into two prominent dialects, the national poetic literature necessarily falls into the same divisions, and we have consequently two important branches ; namely, the poetry of the South and the poetry of the North. The Proven- 93], or poetry of the South, was the first to appear, and although of far less relative value than the poetic remains of the dialect of the North, at least a brief notice of it is necessary to a connected view of the whole. That part of France bordering on the shores of the Mediterranean, under skies almost always clear and brilliant, naturally engendered a people more lively, gay, and passionate than that which grew up under the sombre skies of the North. Their habits and customs were less rude, and they had also experienced more influence from Roman and oriental civilizations. These provinces, moreover, had always less to suffer from the invasions of neigh- boring tribes of barbarians ; and the kingdom of Provence in particular, which was organized from the ninth century, was much less disturbed by feudal anarchy. It was by reason of these and other favoring circum- stances, that the poetic genius of the people manifested itself in this part of the country first. As early as the tenth century the Langue d'Oc, the vernacular language of Provence, had already attained such a degree of TNTRODUCTION. XV maturity nnd fixedness that literary monuments began to appear. The subjects of these earliest writings were religious or warlike, and they were mostly founded upon legends of Latin origin. The sentiments of gallantly and chivalry, which at a later period pre-eminently characterized the poetry of the Troubadours, are wholly unknown to them. These produc- tions were all of an epic character, and were designated chants, as they were generally sung. Hence arose a class of persons, named jongleurs, (joculatores) who made a profession of this kind of minstrelsy, and went about repeating or rather singing these popular poems with such modifi- cations as the change of circumstances required. It must be remarked in this connection that these poet minstrels in the beginning confined them- selves strictly to their legitimate work, and it was only at a later period that they sank to the indulgence in those tricks for mere gain, which have given rise to the signification of the word juggler in more modern times. The first poetical production worthy of note in the Provencal dialect of which any considerable remains exist, dates from the tenth century, and is upon a religious subject. It is entitled Boece, from the hero of the poem, who was a minister of Theodoric. Being thrown into prison by order of his sovereign, he is consoled by a marvellous vision, in which an angel appears to him representing Divine justice. During the eleventh century various legends, as it appears, were current in the form of these popular songs, although none of them have come down to us. But from the twelfth century there are several productions, the most, celebrated of which is a Vaudois poem bearing the title of La Noble Lecon, a work of much historic as well as literary value. It was in the songs of the Troubadours, however, that the Provei^al poetry finally assumed its distinctive and true character. This most bril- liant poetic epoch of the Middle Ages in France, though of comparatively short duration, exerted a most powerful influence over all Europe. It gave birth, no doubt, to the similar species of literature afterwards cultivated so largely by a class of German poets called Minnesingers. In Italy, also, the Proven9'.il poets were taken for models, and even Dante expressed for them a great esteem. It is certainly not easy for us, in our colder clime and far more practical times, to form any adequate conception of this truly- golden age of song. In a country where everything invites to poetry, and where the earth lavishes upon its inhabitants harvests which they have scarcely sown, lord and peasant, representatives of all classes alike, join in the occupation of the gaie science, causing castle, village, and hamlet to resound with their songs of love and war. xvi MANUAL OF F11EXC1I POETRY. The Troubadours very naturally cultivated the lyric style of poetry, as this alone is adapted to the expression of the individual sentiments and ex- perience. Gallantry had in this country now attained a high development ; and, although the Troubadour was sometimes indeed inspired by other ideas, it was but an exceptional departure, for the spirit and customs of his age quickly led him back to the favorite subject. Hence the chief merit of these poems did not lie in the theme, for there was no novelty in this, but in the elegance of the form with which it was treated, the choice of ex- pression, the correct measure and accentuation, and above all in the harmonious rhythm. It has been very justly remarked that the uniform- ity of these Provencal writings, which wearies us so soon, wr.s very little if at all felt by the auditors whose ears caught all the nicer shades of that flexible language, so rich in vowels, so harmonious and sweet. Moreover, the music which accompanied and gave expression to these songs must not be forgotten, since the airs to which the poems of the Troubadours were sung were composed, as we are assured, with great care ; and hence this important part, which is entirely lost to us, should not be overlooked in our estimate of the effect produced. A single brief specimen will suffice to show the condition of the Langue d'Oc in the twelfth century, and also the prevailing style of poetry among the Troubadours. It is a verse from the somewhat famous war-song of Bertrand de Born : " Bern platz lo dous temps de Pascor Que fai foillas e flors venir ; E platz me quant aug la haudor Dels auzels que fan retenir Lor cant per lo boscatge ; E platz mi quan vei sobre'ls pratz. Tendaz c pavnillos fermatz ; E ai gran allcgratge. Quan vei per campnigna rpngatz Cavaliers c cavals armatz." The amount of these lyric compositions produced by the Troubadours was apparently immense. The general favor with which the profession met, and the number of persons who entered its ranks, may be approxi- mately judged by the fact that the names of nearly three hundred Trou- badours, together with fragments of their poems, have been preserved. The list contains representatives of all classes, from the nobility down to the peasantry, and all were brought by their very vocation to an equality of rank in this republic of song. Talent held the place of title in this favored land, and the peasant poet was for once on a level with his royal master. INTRODUCTION. xvii Ths most flourishing epoch of the Provei^al poetry occurred during the twelfth century. The crusades had given new vigor to the spirit of chivalry, and the governments of the south of France, as well as the general pros- perity of that portion of the country, encouraged the taste for fetes and reunions in which the talents of the Troubadours especially shone. These favoring circumstances, as well as the establishment of courts of love, over which ladies of the highest rank presided, and whose decrees to the gallant chevaliers of that period were invested with an authority little less than that of law, all tended to impart to society a remarkable, though ficti- tious brilliancy, such as the world has seldom seen. But from the period of the long wars of the Albigenses, and the consequent fall of the house of the dukes of Toulouse, the prosperity of the South declined. The poetic langu igc of the Troubadours was stricken with decay. Neither the persist- ent efforts of the very gay " Compagnie de sept Troubadours," nor the in- stitution of the Floral Games by Ckmence Isaure, could save it ; and thus, after a brilliant career of neaily three centuries, ien, ne liono:-, nepris, Et chascun dit, nia fenmiu que fera 'i Te ne lairoie a nul fuer nies nmi. Oil sont assis en trop folc attendance, K'il n'est amis fers, que eil snns dotance, Ki pour nos fu en la vraic crois mis." The Frcnrh poetry of the fourteenth and fifteenth centuries, when com- pared with that of the period which htis thus far pnssed under considera- tion, exhibits a change equalled only by (hat which had taken place in INTRODUCTION. XXV the political and social condition of the land. The general discredit of the jongleurs, and the decline of the spirit of chivalry did not, however, cause the chnnsons de gestes to pass at once entirely out of use. Some poems of this class are still met with, as also of the other styles which were especially characteristic of the earliest period ; but the spirit of change had manifestly passsd on all, and the general reform, though slow, was sure. The old chansons de gestes gradually passed into prose, the romans ceased to be sung, while the fabliaux, subjected to a like transformation, became fictions in prose, and ic.-eived the name of nouvelfes, altogether in keeping with the use of the word novel in our langirige. This is called the period of decadence in French poetry. But, notwithstanding the field of poetic composition is greatly diminished, it is gratifying to be able to say that the quality of the writings is correspondingly improved. The productions of this period, which are still numerous, most naturally divide themselves into two classes ; the first containing all the ordinary kinds of poetic composition, except the dramatic, and the second including only the writ- ings for the stage. In the first of these divisions, which chiefly claims our attention, although it embraces the continuations of the former styles of writings, as far as they still exist, there is yet no work of the extent or importance of the great productions of the preceding epoch. The poet is no longer the avowed interpreter of the general spirit of his age, but rises above it. The language is improved, tuste begins to show itself, and hence the poetry becomes more perfect. The moral and historic poems of Eustache Deschamps, whose name presents itself first among the distinguished writers of this period, exhibit great progress, and are of a mirvellous clearness and elegance, considering the epoch at which they were written. Independently of their litenny merit, the subjects treated of in his poems give to his works an interest which is rarely found in the writings of his contemporaries, who for the most part confined themselves to their adventures of love. Deschamps conceived a great affection for the ballad, which was then a new form of poetry in France, and which certainly did offer an agreeable contrast to the old compositions of twenty thousand lines, which had been so long in vogue. The following beautiful apologue in this form is well worthy of being preserved, and will serve to show the change which has taken place both in language and style during the centuiy which has elapsed since the period of Thibaut de Champagne. The poet here symbolizes with a mister hand ihe exactions of the great and strong, pitiless despoilers of the weak, who are unable to oppose their violence with anything except their prayers : X xvi MANUAL OF FRENCH POETRY. " En une grant fourest et 16e N 'a gaires que je cherainoye, Oil j'ay mainte l>este trouvee; Mais en un grant pare regardoye, Ours, lyons et liepars veoye, Loups et renars qui vont disant Au povre bestail qui s'effroye : Sa, de 1' argent ; sa, de 1'argent " La brebis s'est agenoillee, Qui a respondu conime coye : J'ay este quatre fois plum6e Cest an-ci ; point n'ay de monnoye. Le buef et la vache se ploye. Lk se complaingnoit la jument; Mais on leur respont toutevoye : . Sa, de 1'argent ; sa, de 1'argent. " Oil fut tel paroule trouvee De bcstes trop me merveilloye, La chievre dist lors : ceste annee Nous fera moult petit de joye ; Sa moisson ou je m'attendoye Se destruit pa ne scay quel gent ; Merci, pour Dieu, et va ta voye ! S&, de 1'argent ; si, de 1'argent. " La truie, qui fut de'sespe're'e, Dist: II fault que truande soye Et mes coclions ; je n'ay derr6e Pour faire argent. Ven de ta soye, Dist li loups ; car ou que je soye Le bestail fault estre indigent; Jamais pitie'de toy n'aroye: Sa, de 1'argent ; sa, de 1'argent. " Quant celle raison fut tinge, Dont fornient esbahis estoye, Vint a niui une blanclie fee Qui au droit cliemin me ravoye En disant : Se Dieux me doint joye, Ces best cs vont & court souvent ; S'ont ce mot retenu sans joye ; Si, de 1'argent; si., de 1'argent." It will be seen from this single example that the true ballad already ex- ists, and the influence of Desch'amps is soon observed in the writings of other poets who follow in the same style. With an entire change of subjects from the serious and moral to the sportive and gay, appeared Oliver Basselin, the poet fuller of Normandy. INTRODUCTION. xxvii This veritable Anacreon of the early French, born in the lovely Val de Vire, wrote a series of humorous songs whose refrains were long re- peated, glass in hand, by the tipplers of his native province before being known abroad, and mnny of which have been preserved in the light comedies of l-.iter times. These bacchanalian songs are however chiefly remarkable for having furnished the type and title of the modern Vaude- ville, a species of light ballad which is now so popular with the French. Among the various names of prominent authors which follow that of Basselin, the simple mention of Christine de Pisan, a female writer of no mean distinction, as well as that of Alain Chartier, must suffice in this very cursory survey of the vast field. There are two poets of this period, however, of pre-eminent fame, although differing widely from each other both in birth ;ind turn of mind, the one a prince of royal blood, Charles d'Orleaiis, the other a Paris vagabond, Francois Villon. Charles of Orleans, made prisoner at the battle of Agincourt. was taken to England, where he w:is confined during the period of five years. This captivity gave to France the first work in which the iimgination is correct without ceasing to be simple and natural. It is the longing for France her bright sun, clear sky, and fair women which furnishes the inspiration to the gallant but saddened spirit of Charles. That which especially dis- tinguishes all his writings from those of the other poets of this epoch is the elegance of his language and the great skill with which he handles the ballad, and the somewhat monotonous forms of the rondeau. His very graceful tribute to spring, though often quoted, remains ever fresh and sweet : " Le Temps a laissie son manteau De vent de froidure et de pluye, Et s'est vestu de broderye De soleil luisant, cler et bean. " II n'y a beste, ne oyscnn Qu'en son jargon nc chante ou crye: Le Temps a laissie son manteau De vent, de froidure et de pluye. " Riviere, fontaine et ruisseau Portent en livree jolie Gouttes d'argent d'orfavrerie; Chascun s'habille de nouveau : L6 Temps a laissie son manteau De vent, de froidure et de pluye." In striking contrast to this poet of the royal line, whose language, ideas, and gallant habits all bear the stamp of the refinement of courts, appears the truly plebeian poet Villon, whose adventurous and ill -regulated life xxviii M.IM'.IL OF FREKCH POETRY. often came near terminating on the scaffold. Once and again, being em- broiled with the ministers of justice, he was indebted for his escape solely, as it seems, to the clemency of his sovereign, Louis XII., who ever held the poet, notwithstanding his shameful vagaries, in great esteem. And in truth, here, as in other remarkable instances, under the guise of the villain and the vagabond was concealed Ihe genius of the tiue poet. A genuine disciple of 1he old Gallic school, no one has better expressed that mixture of irony and melancholy which characterized, in general, the eaily Trouveres than Fran9ois Villon. Ever independent and natural, he shows himself to us just as he is, without mask. He is the type of the populace of Paris in the fifteenth century, with ils beaiitiis and its deform- ities likewise. Sainte-Beuve thus quaintly delineates this poet and his times : " Under a favorable climaie, among a childish people, poetry com- mences by having herself the candor of childhood ; she believes for a long time in the golden age ; she continues always to believe in the charms of a clear sky and in the delights of nature. With us, on the contrary, Villon hurries off the Muse to the cabaret and the gallows; at the veiy hour of her birth he disenchants her of those darling illusions, teaches her his own easy morals, and fashions her to manneis, just a little bold, which she will never henceforth lose. Some modesty will come upon her perhaps with age ; but familiarity, mischief, and a j.eiichant for raillery will always recur at intervals. Dignity and nobility of tone will have their turn, it is true, but the old French gayety will also have its rel;i]..x s. and sentiment will not extinguish mockery." The fifteenth century, as well as the Middle Ages, are closed by the poet Villon, whose principal work, entitled Le Grand Testament, marks an epoch in both the language and the literature. The popularity which its author enjoyed during the second half of the century may be judged by a single circumstance. Clement Marot, having been ordered by Francis II. to prepare an edition of the works of the old poet for pub- lication, found no better means of restoring the primitive text in cer- tain pieces than to have recourse 1o the later contemporaries of Villon, who had learned his verses in their youth and had not yet forgotten them. Although the poetical literature of the fifteenth century presents a number of lesser lights of considerable brilliancy, it is in general charac- terized by a decline from the standard already set up, and the prevalence of an absurd passion for the form, to the total neglect of the inntter. The poet shows himself more anxious about the sound than the sense, and appears always ready to sacrifice reason to rhyme. All this too in spite of the good INTRODUCTION. xx j x example and continued popularity of Villon. This period in literature is also marked by the formal introduction of a great variety of scenic repre- sentations, the most important of which were called miracles and mysteries, species of religious dramas founded, the former upon the legends and traditions of the church, the latter strictly upon the record of the New Testament. The miracles, it is true, had already long been in existence, though in a simple and inde form; but neither these nor the mysteries had hitherto assumed sufficient importance to be considered a department of literature. These coarse scenic representations, accordingly, founded upon religious subjects, furnish the basis and beginning of the modern French theatre, which plays so important a part in the subsequent litera- ture and life of the nation. But as the drama necessarily forms a special department of study by itself, it is here but thus incidentally touched upon. The commencement of the sixteenth century in France opens an era of great literary activity and importance. It is the Renaissance, and every- thing indicates the awakening of a vast people after a long period of inaction. The fifty years which had elapsed since the appearance of Le Grand Testament of Villon had been fruitful enough in verse-making, but sterile indeed in the production of good poets. Amid the general prevalence of bad taste, few writers indeed exhibit enough of naturalness and simplicity to be recognized as the worthy precursors of the new age about to dawn. But poesy was here, as ever, among the first to give indi- cations of the approaching day. Two prominent writers appear to dis- pute her honors. They are Marot and Konsard. The poetry of the Renaissance properly begins with Clement Marot. Born of a poet, and thus inheriting the profession of his life, he was early the recipient of royal favor, having been recommended by the king, Francis II., to the protection of his sister, Marguerite de Valois, heiself a writer of no mean reputation. The young valet de chambre had already written considerable poetry, although it was altogether in the stiff and affected style of his predecessors. But one day he conceived the idea, as it seems, of writing poetry just as one talks, simply and naturally. From that moment his intellect was free and inspired. He thus discovered created in some sense a poetic language graceful and yet easy, familiar and yet elegant ; a language which is understood and admired even to-day. And the brilliant, yet simple, epigrammatic style which he thus introduced has ever since been designated marotic, to indicate its origin. It was to be the model for all tiin?, and Boileau thus commends it to the poets of the great age: " Imitons de Marot 1'elegant badinage." The genius of the true poet is not long in making itself known. The young Francis XXX MASUAL OF FRESC1I POETRY. had just ascended the throne, and poetic felicitations were showered upon him from all sides. Among the rest, Marot presented a small collection of verses under the title of Le Temple de Cupido, which altogether cap- tivated the gallant and chivalrous prince. Never since the Roman de la Rose, except perhaps in a few pieces by Charles d' Orleans, had gallantry been pictured so well. The old allegory was entirely lejuvenated by the fresh imagination and the piquant sallies of the new poet. But notwithstanding these favoring circumstances, the brief career of this poet was checkered by a variety of painful vicissitudes. His espousal of Protestantism came near costing him his life. It did cost him banishment. To escape the persecutions of the Sorbonne, he fled to Geneva, and from thence to Turin, where he died in indigence at the age of forty-nine years. Yet, at home or abroad, in prison or out of prison, he sang, for it was his nature. The following specimen will show something of his style. After having told his sovereign the story of the trick which his servant had played on him in stealing all he had, he proceeds with the same inimitable playfulness and grace to ask for a loan, and also to arrange for the pay- ment of the same. Never was the like case more skilfully managed. " Je ne dy pas, si voulez rieii prester, Que ne le prenne. II n'est point de presteur, S'il veut prester, qui ne face un debteur. Et scavez-vous, Sire, comment je paye ? Nul ne le scait, si premier ne 1'essaye. Vous me debvrez, si je puis, de retour; Et vous fevay encores un Ixni tour. A celle tin qu'il n'y ait faulte nulle, Je vous feray uue belle cedule, A vous payer (sans usure il s'cntend), Quand on verra tout le monde content ; Ou, si rouluz, a payer ce sera Quand vostre loz et renoni cessera." Marot is considered the last and best type of the old school of French poetry, " that combination of simplicity and elegance, humor and grace, familiarity and propriety, which," says Mr. Guizot, " has not been entire- ly lost among us, and which forms peihaps the most tiuly national char- acteristic of our poetic literature ; the only one for which we are indebted to ourselves alone, and in which we have never been imitated." The extreme popularity to which Marot had raised the Gallic school of poetry in France was not destined to continue thus undisturbed. About the middle of the sixteenth century, Pierre Ronsard, the favorite poet of Mary Queen of Scots, undertook a reform in favor of the classic school. INTRODUCTION. xxx i Circumstances had changed, and a natural reaction had taken place. Erudition had exhumed the treasures of antiquity, warlike expeditions to Italy had brought home to France a new and rich literature, and the rage for ancient lore was now at its height. Having tasted of the beauties of the poets of antiquity, the elevation of their language, and the nobleness of their ideas, Ronsard conceived a supreme contempt for the light, famil- iar compositions of his day. " Let us substitute," said he, " for these frivolous productions sound and serious works." He thus announced his bold project of transferring to the French all the majesty of thought and expression which the ancient tongues possessed. Among his numer- ous disciples in this proposed reform, the poet chose a company of the elite, which was called at first "the Brigade," but soon after " the Pleiades," in remembrance of the Alexandrine poets. This famous band consisted of Du Bellay, Jodelle, Remy Belleau, Jainin, Ba'if, and Pont us dc Thiard. Du Bellay published the manifesto of the new school. " Our ancestors," said he, ''have left us our language so poor and naked, that it has need of clothing, ornaments, and even borrowed plumes. To translate is not sufficient to raise our vulgar tongue to the level of Ihe famous languages of old. We must take into ourselves the works of their best authors, and, having digested, convert them into blood and nourish- ment." " This idea -of restoring the classic beauties of antiquity was for a time so popular that the name of Ronsard became the object of an idolatry of which modern times scarcely furnishes a parallel. Voltaire alone per- haps among the French enjoyed in his day an equal literary homage and sovereignty. Ronsard was now in turn, as Marot had been but little be- .fore, the " prince of poets, and the poet of princes." Charles IX. loaded him with gifts, and even addressed to him some elegant verses. To these royal favors was joined the no less enthusiastic homage of the people ; and even abroad, throughout all Europe, the name of Ronsard was known and revered. At his dealh, the whole nation mourned, funeral orations were pronounced, mid honors decreed which surely seemed to promise a lasting security to his fame. But this edifice of glory crumbled more rapidly than it had been reared. The evils of the new doctrines were not slow in showing themselves. Ronsard and h's school had carried the use of the classics too far. Not content with the spirit, they wanted the form and the language also. " The riches of antiquity," says Mr. Guizot, "were heaped upon the French language like the heterogeneous spoils of a pillaged province, rather than the products of a friendly country disposed to furnish us with whatever our necessities required." xxxii MANUAL OF FRENCH POETRY. But notwithstanding this radical en or in the new school, whiih so soon brought it into disrepute, and which has very naturally called foilh the censures of all subsequent critics loyal to the mother tongue, Ronsard was himself a true poet. France appears to be indebted to him for the first successful attempt at the ode, in which he opened and prepared the way for Malherbe, the great model in this species of composition. The fol- lowing sweet verses, addressed to Cassandra, furnish a good specimen of his writing, and also show what progress has been made in facility of versification and harmony of style. " Mignonne, aliens voir si la rose Qui ce matin avoit desclose Sa robe de pourpre au soleil, A point perdu, ceste vesprer, Les plis de sa robe pourpree Et son teint au vostre pareil. " Las ! voyez coninie en peu d'espace, Mignoune, elle a dcssus la place, Las ! las ! ses beautez Iaiss6 cheoir I O vrayment marastre Kature, Puis qu'une telle fleur ne dure Que du matin jusque au soir ! " Done, si vous me croyez, niignouue, Tandis, que vostre age fleuronne En sa plus verte nouveaute, Cueillez, cueillez vostre jeunesse : Coninie a ceste flenr, la vicillesse Fera ternir vostre bcaute." But Ronsnrd and the Pleiades were not the only poets of this period. Their number was almost countless, including several members of the royal line, such as King Francis himself, Marie Stuart, Marguerite de Valdis, and Charles IX. This latter sovereign, although his reign was marked by continual disturbance and great crises, was himself ever more disposed to the arts of peace than to the violence and struggles of war. He loved poetry, and nothing testifies more eloquently to his high estima- tion of it and the patronage which it enjoyed during his reign than these few lines of his addressed to Ronsard : " L' art dc faire des vers, dut-on s'en indigncr, Doit estre k plus haul prix que celui de regner. Tons deux figalement nous portons la couronne : Mais roi, je la receus -, poftte, tu la donne. Ton esprit, rnflaiiiuie d'une celeste ardeur, Eclatc par soi-mesme, et moi par ma grandeur. INTRODUCTION. xxxiii Si du coste 1 des dieux je cherche 1'avantage, Ronsard est leur mignon, et je suis leur image. Ta lyre, qui ravit par de si doux accords, Te soumet les esprits dont je n'ai que les corps ; Elle t'en rend le maistre, et te fait introduire Ou le plus fier tyran n'a jamais eu d'empire ; Elle amollit les cceurs, et soumet la beaute. Je puis doiiner la mort ; toi, I'inimortalite'." It iias been already intimated that the reform of Ronsard and his school was not definitive or lasting. The revolution, though wisely begun, had gone much too far, overleaping and forgetting the end to be obtained. Mathurin Regnier was the first to endeavor to bring back the language from this slavery to the classics into its former freedom. Having adopted the excellent precept of Ronsard's school, he took into himself the works of the best classic authors, digested and converted them into food for his own language, but with how different a result ! He was unconsciously led back to the natural simplicity and vigor of the old Gallic school. Starting with the firm intent of defending Ronsard,, he in fact defended and reproduced Marot, although his style embraces, it is true, many of the chief excellences of both schools. Regnier is considered the creator of the satire in France. Without doubt, this species of composition existed in embryo in some of the older writings of the Trouveres, but nowhere previous to this epoch had it been developed into a regular form of litera- ture. And truly, as a painter of portraits and a delineator of character, Regnier can scarcely be surpassed. In depicting the faults and foibles, and especially the common vices of mankind, such as avarice, envy, and hypocrisy, he rises often to the level of the master poet of this style. Indeed, his hypocrite is perhaps even more odious than the Tartufe of later times. One has only to read the description of the infamous Ma- cette, and hear him talk, to feel assured that the true style of the comedy is found, and that Regnier was indeed the worthy precursor of the great Moliere. Sometimes, too, as in the following lines, he rises to the yet loftier heights of the true lyric strain : " Philosophes resveurs, discourez hautement, Sans bouger de la terre, allez au firmament ; Faites que tout le ciel branle a votre cadence, Et pesez vos discour mesme dans sa balance : Cognoissez les humeurs qu'il verse dessus nous, Ce qui se fait dessus, ce qui se fait dessous ; Portez une lanterne aux cachots de nature, Scachez qui donne aux fleurs ceste aimable peinturc : 2* XXxiv MANUAL OF FRENCH POETRY. Quelle main sur la terre en broye la couleur, Leurs secrettes vertus, leurs degres de chaleur ; Voyez germer a 1'oeil les sentences du monde, Allez mettre couver les poissons dedans 1'onde, Deschiffrez les secrets de nature et des cieux : Vostre raison vous trompe aussi bien que vos yeux." But the chief merit of Regnier lies in his style, which is highly eulogized by Sainte-Beuve, who designates the old satirist as the Montaigne of the French poetry. The writings of Regnier mark the limit of the old language. From its confused and laborious beginnings, far back in the Middle Ages, it has advanced, through long gropings indeed, but steadily onward to the point of its full maturity and bloom ; and the poetic literature now passes into the more fruitful and agreeable fields of the classic and modern periods of its history. MALHERBE. 1555-1628. Enfin Malherbe vint, et le premier en France Fit sentir dans les vers une juste cadence. BOILEAU. THE classic period of poetic literature in France begins with Fra^ois Malherbe. Although commonly styled the father of French poetry, his work was not to create, but to improve. A Norman by birth, and en- dowed with an implacable good sense, he could not pardon the vagaries and innovations of his predecessors. At the age of forty-five, being invited to Paris and made poet -laureate, he undertook, as he says, to degasconnate the court and purify the language. He ridiculed the extravagances of both the schools which had preceded him. " How can our poetry be truly French while we load it either with Greek and Latin words, or with the provincialisms of the various patois of our laud?" Having thus exploded the prevailing affectation for foreign or base ma- terial, the " great tyrant of words and syllables " proceeded to establish the qualities which must ever characterize good verse. The changes introduced were numerous and important. He proscribed the hiatus, forbade the breaking of lines by periods except in rare cases, required a strict observance of the rhyme, rejected all harsh and forced inversions and banished every species of license in language. " Good verse ought to be as beautiful as prose," said the lawgiver. Malherbe enjoys the undisputed honor of having been the first in France to know and teach the true theory of style. He did consciously what Regnier had done by instinct. Critic more than artist, his work was a code of laws rather than a collection of poems ; and, like every good legislator, he set forth pre-eminently what must be avoided. Repu- diating alike court and college, fashion and erudition, and taking for his guide the better instincts of the people of Paris, he gave to the vast wealth of materials gathered by his predecessors order and taste. More- over, to precept he joined example. Laborious and severe in his work, he often spoiled a quire of paper in making and unmaking a single verse. 1 2 MANUAL OF FRENCH POETRY. This respect for the reader, as well as for the laws of style, this high idea of the difficulties of the art, was a new thing to the sixteenth century, and under it poetry ripened at once to maturity. What pleasure we experience in passing from Ronsard or even Regnier to meet suddenly with verses that one might think to h.ive been the work of yesterday, so much do they exhibit of parity and freshness ! Observe also with what firmness and power this poet, even at the advanced age of seventy, yet strikes the lyre : " Je suis vaincu du Temps, je cede a ses outrages ; Mon esprit seulement, exempt a sa rigueur, A de quoi temoigner, en ses derniers ouvrages, Sa premiere vigueur. " Les puissantes faveurs dont Parnasse m'lionore Non loin de mon berceau commencerent leur cour ; Je les possedai jeune et les possede encore, A la fin de mes jours. Such are the simple utterances of conscious inspiration and the pos- session of that undoubted genius which has placed its possessor in the rank of the great lyric masters of France. " Malherbe," says Geruzez, "inspired Racan, formed Balzac and waked up La Fontaine. He accomplished in the sphere of literature what Henry IV. and Richelieu did in that of politics, and with them paved the way to the splendors of the age of Louis XIV." His works consist of odes, paraphrases of psalms, songs and epigrams. As the founder and chief of a school, Malherbe had of course his partisans and his opponents. His mode of judging others did not please. But apparently equally un- moved by praise or blame, he held his post as literary dictator under five successive sovereigns, and received the brilliant title of " prince of poets and poet of princes." DIEU SEUL EST GRAND. N'esperons plus, mon ame, aux promesses du monde, Sa lumiere est un verre, et sa faveur une onde Que toujours quelque vent empeche de calmer. Quittons ces vanites, lassons-nous de les suivre ; C'est Dieu qui nous fait vivre, C'est Dieu qu'il faut aimer. MALHERBE. En vaiu pour satisfaire a nos laches envies, Nous passons pres des rois tout le temps de nos vies A souffrir des mepris, et ployer les genoux. Ce qu'ils peuvent n'est rien, ils sont ce que nous sommes, Veritablement homines, Et meurent comme nous. Ont-ils rendu 1'esprit, ce n'est plus que poussiere Que cette majeste si pompeuse et si fiere, Dont 1'eclat orgueilleux etonnait Punivers ; Et dans ces grands tombeaux ou leurs ames hautaines Font encore les vaines, Ils sont rouges des vers. La, se perdeut ces noms de maitres de la terre, D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre ; Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs ; Et tombent avec eux, d'une chute commune, Tous ceux que la fortune Faisait leurs serviteurs. CONSOLATION A UN PERE, SUR LA MORT DE SA FILLE. Ta douleur, du Perier, sera done eternelle, Et les tristes discours Que te met en 1'esprit 1'amitie paternelle L'augmeuteront toujours ? Le malheur de ta fille au tombeau descendue Par un commun trepas, Est-ce quelque dedale, ou ta raison perdue Ne se retrouve pas ? Je sais de quels appas son enfance etait pleine, Et n'ai pas entrepris, Injurieux ami, de soulager ta peine Avec son mepris. MANUAL OF FRENCH POETRY. Mais elle etait du monde, oil les plus belles choses Out le pire destin ; Et rose, elle a vecu ce que vivent les roses, L'espace d'un matin. Puis quand ainsi serait, que selon ta priere Elle aurait obtenu D'avoir en cheveux blancs termine sa carriere, Qu'en f'ut-il advenu ? Penses-tu que, plus vieille, en la maison celeste, Elle eut eu plus d'accueil ? Ou qu'elle eut moms seuti la poussiere funeste, Et les vers du cercueil ? La mort a des rigueurs a nulle autre pareilles ; On a beau la prier, La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles, Et nous laisse crier. Le pauvre en sa cabane, ou le chaume le couvre, Est sujet a ses lois ; Et la garde qui veille aux barrieres du Louvre N'en defend point nos rois. De murmurer centre elle, et perdre patience, II est mal a propos ; Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science Qui nous met en repos. CHANSON. Qu'autres que vous soient de"sire"es, Qu'autres que vous soient ador6es, Cela se peut facilement ; Mais qu'il soit des beautes pareilles A vous, merveille des merv r eilles, Cela ne se peut nullement. MALHERBE. Que chacun sous telle puissance Captive son obeissance, Cela se peut facilement ; Mais qu'il soit une amour si forte Que celle-la que je vous porte, Cela ne se peut nuUement. Que le fackeux nom de cruelles Semble doux a beaueoup de belles, Cela se peut facilement ; Mais qu'en leur ame trouve place Rien de si froid que votre glace, Cela ne se peut nullemeut. Qu'autres que moi soient miserables Par vos rigueurs inexorables, Cela se peut facilement ; Mais que la cause de leurs plaintes Porte de si vives atteintes, Cela ne se peut nullement. Qu'on serve bien, lorsque 1'on pense En recevoir la recompense, Cela se peut facilement ; Mais qu'une autre foi que la mienne N'espere rien et se maintienne, Cela lie se peut nullement. Qu'a la fin la raison essaie Quelque guerison a ma plaie, Cela se peut facilement ; Mais que d'un si digne servage La remontrance me degage, Cela ne se peut nullement. Qu'en ma seule mort soient finies Mes peines et vos tyrannies, Cela se peut facilement ; Mais que jamais par le martyre De vous servir je me retire, Cela ne se peut nullement. MANUAL OF FRENCH POETRY. FRAGMENT D'UNK PRIRE J>OUR us. ROI, HENRI us GRAM*. La terreur de son nom rendra nos villes fortes, On n'en gardera plus ni les murs, ni les portes, Les veilles cesseront aux sommet de nos tours ; Le fer, mieux employe, cultivera la terre, Et le peuple qui tremble aux frayeurs de la guerre Si ce u'est pour danser n'aura plus de tambours. Loin des moeurs de son sieele il bannira les vices, L'oisive nonchalance, et les molles delices Qui nous avaient portes jusqu'aux derniei-s hasards ; Les vertus reviendront de palmes courounees, Et les justes faveurs aux merites donnees Feront ressusciter 1'excellence des arts. La foi de ses aieux, ton amour et ta crainte, Dont il porte dans I'ame une eternelle empreinte, D'actes de piete ne pouvant 1'assouvir, II etendra ta gloire autant que sa puissance ; Et n'ayant rien si cher que ton obeissance, Ou tu le fais regner il te fera servir. Tu nous rendras alors nos douces destinees ; Nous ne reverrons plus ces facheuses annees Qui pour les plus heureux n'ont produit que des pleurs Toute sort.e de biens comblera nos families ; La moisson de nos champs lassera nos faucilles, Et les fruits passeront k promesse des fleurs. Qu'il yive done, Seigneur, et qu'il nous fasse vivre ! Que de toutes ces peurs nos ames il delivre ; Et, rendant 1'uuivers de son heur etonne, Ajoute chaque jour quelque nouvelle marque Au nom qu'il s'est acquis du plus rare monarque Que ta bonte propice ait jamais courqnne 1 MALHERBE. SONNET. Celle qu'avait Hymen a mon cosur attachee, Et qui fut ici has ce que j'aimais le mieux, Allaut changer la terre a de plus digues lieux, Au marbre que tu vois sa depouille a cachee. Comme tombe une fleur que la brise a sechee, Ainsi fut abattu ce chef-d'oeuvre des cieux ; Et, depuis le trepas qui lui ferma les yeux, L'eau que versent les miens n'est jamais etanchee. Ni prieres, ni voeux ne m'y purent sen-ir ; La rigueur de la mort se voulut assouvir, Et mon affection n'en put avoir dispense. Toi, dont la piete vient sa tombe honorer, Pleure mon infortune, et, pour ta recompense, Jamais autre douleur ne te fasse pleurer. SONNET. FAIT A rONTAINEBLEAU. Beaux et grands bailments d'eternelle structure, Saperbes de matiere et d'ouvrages divers, Oil le plus digne roi qui soit en 1'univers Aux miracles de 1'art fait ceder la nature: Beau pare et beaux jardins qui, dans votre cloture, Avez toujonrs des fleurs et des ombrages verts, Non sans quelque demon qui defend aux hivers D'en effacer jamais 1'agreable peinture : Lieux qui donnez aux cceurs tant d'aimables desirs, Bois, fontaines, canaux, si parini vos plaisirs Mon humeur est chagrine et mou visage triste, Ce n'est point qu'eu eflfet vous n'ayez des appas ; Mais, quoi que vous aye z, vous n'avez point Caliste, E t moi je ne vois rien quaud je ne la vois pas. MANUAL OF FRENCH POETRY. RACAN. 1589-1670. Malherbe d'un h6ros peut chanter les exploits ; Rncan cbanta Philis, les bergers, et les bois. BOJLEAU. HONORAT DE BEUIL, Marquis de Racan, was the friend, biographer and most distinguished disciple of Malherbe. An incident of their early acquaintance is thus told. Racan one day asked his master what occu- pation he could engage in which would meet with universal approbation. Malherbe replied by repeating the fable of the Miller, his Son, and the Ass, from which Racan understood that it would be impossible to please all, and henceforth, following his own inclinations, he gave his leisure hours to the culture of the muses. The works of Racan consist of odes, miscellaneous poems, chiefly sacred, and a collection of idyls called bergeries. These latter especially soon won for their author the popular favor and opened to him the door of the French Academy. " He had first among us," says La Harpe, " struck the veritable tone of the pastoral, which he had been studying in Virgil." In the higher kinds of poetry he did not, however, succeed so well. The truth is, Racan was quite the opposite of his industrious and severe master, for everything in his work shows negligence. Although gifted by nature with keener sensibilities and a finer poetic temperament, yet, for the mere want of the same persevering industry and care, he fell far short of an equal and true success in the art ; and his reputation rests chiefly upon the more careless, yet graceful and har- monious expression of certain natural sentiments which he had himself really experienced. The selections which are given prove conclusively that he could be true, noble and touching, at least when celebrating the sweet- ness of rural life compared with the fearful agitations of city and court. In his old age Racan turned his attention to the interpretation of the sacred writings. His poetic versions of the Psalms did not, however, add to his reputation, notwithstanding La Fontaine, apparently in re- membrance of these, very flatteringly couples him with his more dis- tinguished master in the beautiful verse : Malherbe avec Racan, parmi les choeurs des anges, IA-haut de 1'fiternel ce'le'brant les louanges, Ont emporte' leur lyre ; et j'espere qu'un jour J'critfndrai lenr concert au celeste gejour. RACAN. DOUCEURS DE LA VIE CHAMPETRE. Tircis, il faut songer a faire la retraite ; La course de nos jours est plus qu'a demi faite ; L'age iiiseusiblenieut nous conduit a la mort. Nous avons assez vu sur la mer de ce monde Errer au gre des vents uotre nef vagabonde : II est temps de jouir des delices du port. Le bien de la fortune est un bien perissable ; Quand on Mtit sur elle, on batit sur le sable. Plus on est eleve, plus on court de dangers ; Les grands pins sont en butte aux coups de la tempete, Et la rage des vents brise plutot le faite Des maisons de nos rois que les toits des bergers. O bien heureux celui qui peut de sa memoire Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire Dont 1'inutile soin traverse nos plaisirs, Et qui, loin retire de la foule importune, Vivant dans sa maison, content de sa fortune, A, selon son pouvoir, mesure ses desirs ! II laboure le champ que labourait son pere ; II ne s'informe point de ce qu'on delibere Dans ces graves couseils d'affaires accables. II voit sans hit e ret la mer grosse d'orages Et n'observe des vents les sinistres presages Que pour le soin qu'il a du salut de ses bles. Roi de ses passions, il a ce qu'il desire ; Son fertile domaine est son petit empire ; Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau. Ses champs et ses jardins sont autant de provinces ; Et sans porter envie a la pompe des princes, II est content chez lui de les voir en tableau. 1* 10 MANUAL OF FRENCH . POETRY. II voit de toutes parts combler d'heur sa famille, La javelle a plein poing tomber sous sa faucille, Le vendaiigeur plier sous le faix des paniers. II semble qu'a 1'envi les fertiles montagues, Les humides vallons et les grasses campagnes S'efforcent a remplir sa cave et ses greuiers. II soupire en repos I'euuui de sa vieillesse Dans ce meine foyer oil sa teudre jeunesse A vu dans le berceau ses bras emmaillotes ; II tient par les nioissons registre des annees, Et voit de temps en temps leurs courses enchainees Faire avec lui vieillir les bois qu'il a plantes. II ne va point fouiller aux terres inconnues, A la merci des vents et des ondes chenues, Ce que nature avare a cache de tresors. II ne recherche point, pour houorer sa vie, De plus illustre mort ni plus digue d'envie, Que de mourir au lit oil ses peres sont morts. S'il ne possede point ces maisons magnifiques, Ces tours, ces chapiteaux, ces superbes portiques Oil la magnificence etale ses attraits, II jouit des beautes qu'ont les saisons nouvelles, II voit de la verdure et des fleurs naturelles, Qu'en ces riches lambris on ne voit qu'en portraits. Agreables deserts, sejour de I'innocence, Ou, loin des vanites de la magnificence, Commence mon repos et finit mon tourment ; Vallons, fleuves, rochers, aimable solitude, Si vous futes temoins de mon inquietude, Soyez-le desormais de mou conteutement. RACAN. SONNET. A. UN AMI SOUS LE NOM DE DAMF.R. Ne t'etonne, Darner, de voir la conscience, L'honneur qu'on doit aux lois, la tbi, ni la raison, Non plus que des habits qui sont hors de saison, N'etre point approuves parmi la bienseance ; Ne t'etonne de voir mepriser la science, L'impiete partout repandre son poison ; Et Petat, depite contre sa guerison, Courir a sa ruine avec impatience ; Ne t'etonne de voir le vice revetu Des memes ornements qui parent la vertu, La richesse sans choix injustement eparse ; Si le monde fut pris des plus judicieux Pour une comedie, au temps de nos a'ieux, Peut-etre qu'a present 1'on veut jouer la farce. LA VENUE DU PRINTEMPS. Enfin le beau temps reluit : Et Philomele assuree De la fureur de Teree Cliaute aux forets jour et nuit. Deja les fleurs qui bourgaonnent Rajeimissent les vergers ; Tons les echos ne raisomient Que de chansons de bergers : Les jeux, les ris et la danse Sont partout en abondance ; Les delices ont leur tour ; La tristesse se retire, Et persoune ne soupire S'il ne soupire d'amour. 12 MANUAL OF FRENCH POETRY, CORNEILLE. 1606-1684. Le ggnie de Corneille a tout cr6e en France. VOLTAIKK. As the fuller presentation of this and other dramatic authors belongs to the special department of dramatic literature, but very brief notice of them will be given. Pierre Corneille, surnamed the Great Corneille, was born at Rouen and died in Paris. Being early attracted to the capital, he began his literary career under the protection of Cardinal Richelieu. An unpleasant but fortunate circumstance, however, soon freed him from this tutelage, and from that moment he began to rise. To Corneille belongs the honor of having first opened in France the era of the tragedy by the appearance of the Cid in 1636. The success of this play was immense. The jealousy of the ambitious cardinal was ex- cited ; but the judgment of the Academy, which he finally extorted, only added to the triumph of Corneille, while the judgment of the people was even more decided and emphatic. In Paris and throughout all France this drama became the standard of comparison, and the favorite expression was " beau comme le Cid." Corneille afterwards wrote a large number of plays, principally tragedies, but of all his dramas the Cid, Cinna, Horace, and Polyeucte are the leading ones, and will forever remain masterpieces of the French stage. His works also include some lyrics of considerable merit. The little impromptu poem entitled Stances, which is here given, will testify to his facility of composition. Its origin is thus told by Sainte-Beuve. Madame de Motteville, the celebrated writer of memoirs, was present one evening at a little gathering in the parlor of the Duchess de Bouillon, somewhat absorbed in her own reveries while the rest were engaged in various games around her. A young countess of the party, casting a glance at Madame de Motteville's head-dress, which on that evening consisted merely of a few green leaves, asked maliciously, " What plant is it which serves as the ornament of ruins ? " Every one responded promptly, " The ivy," and all eyes were turned to Madame de Motteville. It was at this moment that Corneille, who was present, improvised the poem in defence of that talented lady, whom he ever reckoned among his friends. CORNEILLE. ] 3 The style of Corneille is full of dignity and force. But he is often more energetic than harmonious, more oratorical than poetic. He never lacks fire, but we do sometimes feel the want of more sweetness and variety. Besides, there is not always that just proportion between his words and the profound depth of his thoughts which we might expect to find in an author so truly great. HESITATION DE RODRIGUE. (Du Cid.J Perce jusqu'au fond du coeur D'une atteinte imprevue aussi bien que mortelle, Miserable vengeur d'une juste querelle, Et malheureux objet d'une injuste rigueur, Je demeure immobile, et mon ame abattue Cede au coup qui me tue. Si pres de voir mon feu recompense, O Dieu, 1'etrange peine ! En cet affront mon pere est 1'offeuse, Et 1'offenseur le pere de Chimene. Que je sens de rudes combats ! Centre mon propre houneur mon amour s'interesse II faut venger un pere, et perdre une maitresse. L'un m'anime le cosur, 1'autre retient mon bras. Reduit au triste choix ou de trabir ma flamme, Ou de vivre en infame, Des deux cotes mou mal est infini. O Dieu, 1'etrange peine ! Faut-il laisser un affront impuni ? Faut-il punir le pere de Chimeue ? Pere, maitresse, honneur, amour, Noble et dure contrainte, aimable tyrannic ! Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie. L'un me rend malheureux, 1'autre indigne du jour. Cher et cruel espoir d'une ame genereuse, 14 MANUAL OF FRENCH POETRY. Mais ensemble amoureuse, Digne ennemi de mon plus grand bonheur, Fer qui cause ma peine, M'es-tu donne pour venger mon houueur ? M'es-tu doiine pour perdre ma Chimeue ? II vaut mieux courir au trepas. Je dois a ma maitresse aussi bien qu'a mon pere. J'attire en me vengeaut sa liaine et sa colere ; J'attire ses mepris en ne me vengeant pas. A mon plus doux espoir Pun me rend infidele, Et 1'autre indigne d'elle. Mon mal augmente a le vouloir gue"rir ; Tout redouble ma peiue. Allons, mon ame ; et, puisqu'il faut mourir, Mourons du moins sans offenser Chimeue ! Mourir sans tirer ma raison ! Recherclier un trepas si mortel a ma gloire ! Endurer que 1'Espagne impute a ma memoire D'avoir mal soutenu I'honneur de ma maison ! Respecter un amour dont mon ame egaree Voit la perte assuree ! N'ecoutons plus ce penser suborneur, Qui ne sert qu'a ma peiue. Allons, mon bras, sauvons du moins 1'honneur, Puisqu'apres tout il faut perdre Chimene ! Oui, mon esprit s'tait d69u : Je dois tout a mon pere avant qu'a ma maitresse. Que je meure au combat, ou meure de tristesse, Je rendrai mon sang pur comme je 1'ai refu. Je m'accuse deja de trop de negligence. Courons a la vengeance ! Et, tout honteux d'avoir taut balance^ Ne soyons plus en peine, Puisque aujourd'hui mon pere est Poffens6, Si 1'offenseur est pere de Chimene ! CORNEILLE. 15 IMPRECATIONS DE CAMILLB. Rome, 1'unique objet de mon ressentiment ! Rome, a qui vient ton bras d'hnmoler mon amant ! Rome, qui t'a vu naitre, et que ton coeur adore ! Rome, enfin, que je hais, parce qu'elle t'honore ! Puissent tous ses voisins, ensemble conjures, Saper ses fondements encor mal assures ! Et, si ce n'est assez de toute 1'Italie, Que 1'Oi'ient contre elle a 1'Occident s'allie ; Que cent peuples, unis des bouts de 1'univers, Passent, pour la detruire, et les monts et les mers ; Qu'elle-meme sur soi renverse ses murailles, Et de ses propres mams dechire ses entrailles ; Que le courroux du ciel, allume par mes voeux, Fasse pleuvoir sur eux un deluge de feux ! Puisse-je de mes yeux y voir tomber la foudre, Voir ses maisons en cendre et ses lauriers en poudre, Voir le dernier Remain a son dernier soupir, Moi seule en etre cause, et mourir de plaisir ! DEFENSE D'HORACE. Horace has slain Caniille, liis sister, in punishment of her treason against her country. Accused of this murder, he is defended by his father before the King, Tullus Hostilius. Romaius, souffrirez-vous qu'on vous immole un homme Sans qui Rome aujourd'hui cesserait d'etre Rome, Et qu'un Romain s'efforce a tacher le renom D'un guerrier a qui tous doivent un si beau nom ? Dis, Valere, dis-nous, si tu veux qu'il perisse, Oil tu penses choisir un lieu pour son supplice. Sera-ce entre ces murs, que mille et mille voix Font resonner encor du bruit de ses exploits ? Sera-ce hors des murs, au milieu de ces places Qu'on voit fumer encor du sang des Curiaces, 16 MANUAL OF FRENCH POETRY. Entre leurs trois tombeaux, et dans ce champ d'honneur, Temoin de sa vaillance et de notre bouheur ? Tu ne saurais cacher sa peine a sa victoire : Dans les inurs, hors des murs, tout parle de sa gloire ; Tout s'oppose a 1'effort de ton injuste amour, Qui veut d'un si bon sang souiller un si beau jour. Albe ne pourra pas souffrir un tel spectacle, Et Rome par ses pleurs y mettra trop d'obstacle. Vous les previendrez, sire ; et par un juste arret Vous saurez embrasser bien mieux son interet. Ce qu'il a i'ait pour elle, il peut encor le faire ; II peut la garantir encor d'un sort contraire. Sire, ne donnez rien a mes debiles ans : Rome aujourd'lmi m'a vu pere de quatre enfants ; Trois en ce meme jour sont morts pour sa querelle. II m'en reste encore un ; eonservez-le pour elle ; N'otez pas a ces murs un si puissant appui. DOULEUR DE SABINE. (D'Horaee.) Je suis Romaine, helas ! puisqu'Horace est Romain ; J'en ai reeu le titre en recevant sa main ; Mais ce noeud me tiendrait en esclave enchainee S'il m'empecliait de voir en quels lieux je suis nee. Albe, ou j'ai commence de respirer le jour, Albe, mon clier pays, et mon premier amour ; Lorsqu'entre nous et toi je rois la guerre ouverte, Je Grains notre victoire autant que notre perte. Rome, si tu te plains que c'est 1 te trahir, Fais-toi des ennemis que je puisse hair. Quand je vois de tes murs leur annee et la notre, Mes trois frcres dans 1'uue, et mo)i mari dans 1'autre, Puis-je former des voeux, et, sans impiete, Importuner le ciel pour ta felicite ? Je sais que ton etat, encore en sa naissance, Ne saurait, sans la guerre, affermir sa puissance ; CORNEILLE. 17 Je sais qu'il doit s'accroitre, et que tes grands destins Ne le borneront pas chez les peuples latins ; Que les dieux font promis 1'empire de la terre, Et que tu u'en peux voir 1'effet que par la guerre. Bien loin de m'opposer a cette noble ardeur Qui suit 1'ariet des dieux et court a ta grandeur, Je voudrais deja voir tes troupes couronnees D'uu pas victorieux frauchir les Pyrenees. Va jusqu'eu 1'Orient pousser tes bataillons ; Va sur les bords du Rhin planter tes pavilions ; Fais trembler sous tes pas les colonnes d'Hercule ; Mais respecte une ville a qui tu dois Romule. Ingrate ! souviens-toi que du sang de ses rois Tu tiens ton nom, tes murs, et tes premieres lois. Albe est ton origine. Arrete, et cousidere Que tu portes le fer dans le sein de ta mere. Tourne ailleurs les efforts de tes bras triomphants. Sa joie eclatera dans 1'heur de ses enfauts, Et, se laissant ravir a Pamour maternelle, Ses vceux seront pour toi, si tu n'es plus centre elle. STANCES. Marquise, si mon visage A quelques traits un peu vieux, Souvenez-vous qu'a mon age Vous ne vaudrez guere mieux ! Le temps aux plus belles choses Se plait a faire un affront, Et saura faner vos roses Comme il a ride mon front. Le meme cours des planetes Regie vos jours et vos nuits : On m'a vu ce que vous etes ; Vous serez ce que je suis. 18 MANUAL OF FRENCH POETRY. Cependant j'ai quelques charmes Qui sont assez eclatants, Pour n'avoir pas trop d'alarmes De ces ravages du temps. Vous en avez qu'on adore ; Mais ceux que vous meprisez Pourraient bien durer encore, Quand ceux-la seront uses. TRADUCTION DU PSAUME XLVI. Que Dieu nous est propice a tous ! II est seul notre force, il est notre refuge, II est notre soutien contre le noir deluge Des malheurs qui fondeut sur nous. La terre aura beau se troubler : Quand nous verrions partout les roches ebranlees, Et jusqu'au fond des mers les montagnes croulees, Nous u'aurions point lieu de trembler. Que les eaux roulent a grand bruit, Que leur fureur eclate a 1'egal du tonnerre, Que les champs soient noyes, les montagnes par terre, Que 1'univers en soit detruit : Leur fiere impetuosite" Qui comble tout d'horreurs, comble Sion de joie, Et ne fait qu'arroser, alors que tout se noie, Les murs de la Sainte Cite". Dieu fait sa demeure au milieu, Dieu lui donne un plein calme en depit des orages ; Et des le point du jour contre tous leurs ravages, Elle a le secours de sou Dieu. CORNEILLE. 19 On a vu les peuples troubles, Les trones chancelants penclier vers ieur ruine : Dieu n'a fait que parler, et de sa voix divine Us ont para tous accables. Invincible Dieu des vert us, Que ta protection est un grand privilege ! Quels que soient les malheurs dont 1'ainas nous assiege, Nous n'eu serous point abattus. Venez, peuples, venez beiiir Les prodiges qu'il fait sur la terre et sur Ponde. La guerre desolait les quatre coins du monde, Et ce Dieu Ten vient de bannir. II a brise les arcs d'acier, Tous les dards, tous les traits, tous les chars des gendarmes, Et jete dans le feu, pour finir vos alarmes, Et 1'epee et le bouclier. Calmez vos apprehensions, Voyez bien qu'il est Dieu, qu'il est 1'unique maitre, Et que malgre 1'enfer sa gloire va paraitre Parmi toutes les nations. Encore un coup, Dieu des vertus, Que ta protection est un grand privilege ! Quels que soient les malheurs dont I'amas nous assiege, Nous n'en seron? point abattus. 20 MANUAL OF FRENCH POETRY. LA FONTAINE. 1621-1695. Une ample comedie ;i cent actes divers, Et dont la seine est I'univers. JEAN DE LA FONTAINE, the prince of fabulists and one of the four great poets who adorned the age of Louis XIV., was born at Chateau Thierry in Champagne. His early education was somewhat irregular, but included a pretty good knowledge of Latin. The reading of some religious works gave him the idea of entering the service of the Church, and he was received into the order of the Oratoire, and sent to a seminary in Paris. It was soon perceived, however, that he had mistaken his vocation, and he returned to the paternal roof. And while here, it is said, at the age of twenty-two, the reading of one of the odes of Malherbe in his presence aroused the " faculty divine," and revealed to him his future calling. He now set about the study of the ancient classics and the old authors of his own country, especially Marot and Rabelais, who continued through- out life to be his favorites. Inasmuch as he could not read the Greek, he was forced to content himself with the French translations of Plutarch and Plato, or, as it sometimes happened, to have the works of these authors read to him by his friend Racine. But it was in the study of nature especially that the poet of nature found at last his inspiration and his unfailing source. His father being keeper of the royal domain, ap- pointed his son special warden of the woods and waters. And here it was that the " lazy John," as he was called, began his acquaintance with the inhabitants of field, forest, and flood, with which he lived and talked so sweetly ever afterward in life. La Fontaine was nearly forty years of age when he came to Paris and found a patron and friend in the superintendent Fouquet. The gratitude which the poet afterwards evinced to this then fallen minister, and the beautiful verses by which he sought to cheer his sad lot so alienated the mind of Louis XIV. that he never after granted any favor to La Fontaine. Fortunately, however, he always found devoted friends who anticipated his wants, and so relieved him from the common embarrassments of life as to enable him to give himself up entirely to his poetic tastes. It is scarcely possible for us to conceive of an abstraction so total as his from LA FONTAINE. 21 all the interests of common life ; but this alone will explain the many blunders which were made. The surname " Bonhomme," which he received from his contemporaries, sufficiently attests the simplicity and goodness of his character. The true and lasting glory of La Fontaine rests solely upon his Fables, which have won for him the brilliant title of the " Inimitable." These began to appear in 1668. They are pictures of nature which ever please alike old and young, stories which a child may learn and understand, and yet stories whose deep lessons of life grow as we grow, and thus delight and satisfy even our ripest years. We may call them the productions of a marvellous instinct, rather than of poetic art. But what matters it so long as they are the exquisite productions which they are, with all the finish they need, and an ever-changing variety of measure to suit the subject. There is, however, no lack of originality in the Fables of La Fontaine, although he had the generosity to say that he owed all to jEsop and Phaedrus. Even where he has borrowed from these authors, the original fables are dry and ungraceful compared with his. He remodels and transforms all so that the roughest pebble becomes in his hand a diamond of the first water. And as originality consists preeminently in treating familiar subjects with freshness, or in investing common ideas with a new charm, surely no one possesses this talent in a higher degree than La Fontaine. Besides, his fables all have a moral in view, and that moral is never a bad, or even a questionable one. The style of La Fontaine brings us back to the " well of Gallic French undefiled." He was the intimate friend of Racine and Boileau, and was received into the Academy in the same year with the latter. INTRODUCTION. Je cliante les heros dont lisope est le pere, Troupe de qui Phistoire, encor que mensongere, Contient des verites qui servent de lecons. Tout parle en mon ouvrage, et meme les poissons : Ce qu'ils disent s'adresse a tous taut que nous sommes. Je me sers d'animaux pour ijistruire les homines. 22 MANUAL OF FRENCH POETRY. LA CIGALE ET LA FOURM1. La cigale, ayant chant e Tout Fete, Se trouva fort depourvue Quand la bise tut venue : Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alia crier famine Chez la fourmi, sa voisine, La priant de lui prefer Quelque grain pour subsister Jusqu'a la saison nouvelle. Je vous pairai, lui dit-elle, Avant Fout, foi d'animal, Interet et principal. La foumii n'est pas preteuse : C'est la son moindre defaut. Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle a cette emprunteuse. Nuit et jour a tout venant Je chantais, ne vous deplaise. Vous chantiez ! j'en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant. LE CORBEAU ET LE RENARD. Maitre corbeau, sur un arbre perche, Tenait en son bee un fromage. Maitre renard, par Fodeur allech6, Lui tint a peu pres ce langage : He ! bonjour, monsieur du corbeau, Que vous etes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte a votre plumage, Vous etes le phenix des hotes de ces bois. LA FONTAINE. 23 A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie ; Et, pour mentrer sa belle voix, II ouvre un large bee, laisse tomber sa proie. Le renard s'en saisit, et dit : Mon bou monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux depens de celui qui Pecoute : Cette lecon vaut bien un fromage, sans doute. Le corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne 1'y prendrait plus. LE LOUP ET L'AGNEAU. La raison du plus fort, est toujours la meilleure : Nous Pallons montrer tout a 1'heure. Un agneau se desalt e rait Dans le courant d'une onde pure. Un loup survient a jeun, qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal, plein de rage ; Tu seras chatie d , ta temerite. Sire, repond 1'agneau, que votre majeste Ne se mette pas en cole re ; Mais plutot qu'elle considere Que je me vas desalterant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'elle ; Et que, par consequent, en aucune fagon, Je ne puis troubler sa boisson. Tu la troubles ! reprit cette bete cruelle ; Et je sais que de moi tu medis 1'an passe. Comment Paurais-je fait si je n'etais pas ne ? Reprit Pagneau ; je tette encor ma mere. Si ce n'est toi, c'est done ton frere. Je n'en ai point. C'est done quelqu'un des tiens Car vous ne m'epargnez guere, MANUAL OF FRENCH POETRY. Vous, vos bergers, et vos chiens. On me 1'a dit : il faut que je me venge. La-dessus, au fond des forets Le loup 1'emporte, et puis le mange Sans autre forme de proces. LE CHENE ET LE ROSEAU. Le cliene un jour dit au roseau : Vous avez bien sujet d'accuser la nature ; Un roitelet pour vous est un pesant fardeau : Le moindre vent qui d'aventure Fait rider la face de 1'eau Vous oblige a baisser la lete ; Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d'arreter les rayons da soleil, Brave 1'effort de la tempete. Tout vous est aquilon, tout me semble zephyr. Encor si vous naissiez a 1'abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n'auriez pas tant a souffrir : Je vous deTendrais de IV age. Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. Votre compassion, lui repondit 1'arbuste, Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci. Les vents me sont moius.qu'a vous redoutables ; Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici Contre leurs coups epouvantables Resiste sans courber le dos ; Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots, Du bout de 1'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le nord eut portes jusque-la dans ses flancs. L'arbre tient bon ; le roseau plie. Le vent redouble ses efforts, LA FONTAINE. 25 Et fait si bien qu'il deraciiie Celui de qui la tete au ciel etait voisine, Et dont les pieds touchaieut a 1'empire des morts. LA BESACE. Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire S'en vienue comparaitre aux pieds de ma grandeur. Si dans son compose quelqu'un trouve a redire, II peut le declarer sans peur ; Je mettrai rcmede a la chose. Venez, singe ; parlez le premier, et pour cause : Voyez ces animaux, faites comparaison Da leurs beautes avec les votres. Etes-vous satisl'ait ? Moi, dit-il, pourquoi nou ? N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ? Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproche : Mais pour mou t'rere Tours, on ne 1'a qu'ebauche ; Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre. L'ours venaiit la-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre. Taut s'en faut : de sa forme il se loua tres-fort ; Glosa sur I'elephant, dit qu'on pourrait encor Ai outer a sa queue, oter a ses oreilles ; Que c'ctait uue masse informe et sans beaufe. L'ele pliant etaut ecoute, Tout sage qu'il etait, dit des choses pareilles : II jugea qu'a son appetit Dame baleine etait trop grosse. Dame fourmi trouva le ciron trop petit, Se croyant, pour elle, un colosse. Jupin les reiivoyas'etantcsnsiues tous, Du reste, contents d'eux. Mais parmi les plus fous Notre espece excella ; car tout ce que nous sommes, Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous, Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres liommes On se voit d'uu autre ceil qu'on ne voit son procbain. 26 MANUAL OF FRENCH POETRY. L'ALOUETTE ET SES PETITS, AVEC LE MAITRE D'UN CHAMP. Ne t'attends qu'a toi seul ; c'est un common proverbe. Voici comme Esope le mit en credit : Les alouettes font leur nid Dans les bles quand ils sont eu herbe, C'est-a-dire environ le temps Que tout aime et que tout pullule dans le monde, Monstres marins au fond de 1'onde, Tigres dans les foiets, alouettes aux champs. Une pourtant de ces dernieres Avait laisse passer la moitie d'un printemps Sans gouter le plaisir des amours printauieres. A toute force enfin elle se resolut D'imiter la nature, et d'etre mere encore. Elle batit un uid, pond, couve, et fait eclore A la liate : le tout alia du mieux qu'il put. Les bles d'alentour murs avaut que la iritee Se trouvat assez forte encor Pour voler et prendre 1'essor, De mille soins divers Palouette agitee S'en va chercher pature, avertit ses enfants D'etre toujours au guet et faire sentiuelle. Si le possesseur de ces champs Vient avec son fils, comme il viendra, dit-elle, licoutez bieu : selon ce qu'il dira, Chacun de nous decampera. Sitot que 1'alouette eut quitte sa famille, Le possesseur du champ vient avec son fils. Ces bles sont murs, dit-il ; allez chez nos amis Les prier que chacun, apportaut sa faucille, Nous vienne aider deinain des la- pointe du jour. Notre alouette de retour Trouve en alarme sa couvce. L'un commence : II a dit que, 1'aurore levee, L'on fit venir demaiu ses amis pour 1'aider. LA FONTAINE. 27 S'il n'a dit que cela, repartit 1'alouette, Bien ne nous presse encor de changer de retraite ; Mais c'est demain qu'il faut tout de bon ecouter. Cependant, soyez gais ; voila de quoi manger. Eux repus, tout s'endort, les petits et la mere. L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout. L'alouette a 1'essor, le maitre s'en vient faire Sa ronde ainsi qu'a 1'ordinaire. Ces bles ne devraient pas, dit-il, etre debout. Nos amis out grand tort, et tort qui se repose Sur de tels paresseux, a servir ainsi lents. Mon fils, allez chez nos parents Les prier de la meme chose. L'epouvante est au uid plus forte que jamais. II a dit ses parents, mere ! c'est a cette heure . . . Non, mes enfants ; dormez en paix : Ne bougeons de notre demeure. L'alouette cut raison ; car personne ne vint. Pour la troisieme fois, le maitre se souvint De visiter ses bles. Notre erreur est extreme, Dit-il, de nous attendre a d'autres gens que nous : II n'est meilleur ami ni parent que soi-meme. Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous Ce qu'il faut faire ? II faut qu'avec notre famille Nous prenions des demain chacun une faucille : C'est la notre plus court ; et nous acheverons Notre moisson quand nous pourrons. Des lors que ce dessein fut su de 1'alouette : C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants ! Et les petits, en meme temps, Voletants, se culebutants, Delogerent tous sans trompette. LA MORT ET LE BUG HERON. Un pauvre bucheron, tout couvert de ramee, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans 28 MANUAL OF FRENCH POETRY. Gemissant et courbe, marc halt a pas pesauts, Et tachait de gagner sa ehaumine enfnmee. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, II met has son fagot, il songe a son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ? Eu est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois, et jamais de repos : Sa femme, ses enfants, les soldats, les impots, Le creancier, et la corvee, Lui font d'un malheureux la peiuture achevee. II appelle la Mort. Elle vient sans tarder, Lui demande ce qu'il faut faire. C'est, dit-il, afiu de m'aider A recharger ce bois ; tu ne tarderas guere. Le trepas vient tout guerir ; Mais ne bougeons d'ou nous sommes : Plutot souffrir que mourir, C'est la devise des hommes. LE RENARD ET LE BUSTE. Les grands, pour la plupart, sont masques de theatre ; Leur apparence impose au vulgaire idolatre. L'ane n'en sait juger que par ce qu'il en voit : Le renard, au contraire, a fond les examine, Les tourne de tout sens ; et, quand il s'apercoit Que lenr fait n'est que bonne mine, II leur applique un mot qu'un buste de heros Lui fit dire fort a propos. C'e"tait un buste creux, et plus grand que nature. Le renard, en louant 1'effort de la sculpture : " Belle tete, dit-il ; mais de cervelle point." Combien de grands seigneurs sont bustes eu ce point ! LA FONTAINE. 29 LE MEUNIER, SON FILS, ET L'ANE. L' invention des arts etant un droit d'ainesse, Nous devons 1'apologue a 1'ancienne Grece : Mais ce champ ne se peut tellement moissonner Que les derniers venus n'y trouvent a glaner. La feinte est un pays plein de terres desertes ; Tous les jours nos auteurs y font des decouvertes. Je t'en veux dire un trait assez Men invente ; Autrefois a Racan Malherbe 1'a conte. Ces deux rivaux d'Horace, heritiers de sa lyre, Disciples d'Apollon, nos maitres, pour mieux dire, Se rencontrant un jour tout seuls et sans temoins (Comme ils se confiaient leurs pensers et leurs soins), Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie, Vous qui devez savoir les choses de la vie, Qui par tous ses degres avez deja passe", Et que rien ne doit fuir en cet age avance, A quoi me resoudrai-je ? II est temps que j'y pense. Vous counaissez mon bien, mon talent, ma naissance : Dois-je dans la province etablir mon sejour, Prendre emploi dans Parmee, ou bien charge a la cour ? Tout au monde est mele d'amertume et de charmes : La guerre a ses douceurs, 1'hymen a ses alarmes. Si je suivais mon gout, je saurais ou buter ; Mais j'ai les miens, la cour, le peuple a contenter. Malherbe la-dessus : Contenter tout le monde ! ^Icoutez ce recit avant que je reponde. J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils, L'un vieillard, 1'autre enfant, non pas des plus petits, Mais gargon de quinze ans, si j'ai bonne memoire, Allaient vendre leur ane, un certain jour de foire. Ann qu'il fut plus frais et de meilleur debit, On lui lia les pieds, on vous le suspendit ; Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre. Pauvres gens ! idiots ! couple ignorant et rustre ! 30 MANUAL OF FRENCH POETRY. Le premier qui le vit de rire s'eclata : Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-la ? Le plus ane des trois n'est pas celui qu'on pense. Le meunier, a ces mots, connait son ignorance ; II met sur pieds sa bete, et la fait dtaler. L'ane, qui goutait fort 1'autre fapn d'aller, Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure ; II fait monter son fils, il suit : et, d'aventure, Passent trois bons marchands. Get objet leur deplut. Le plus vieux au garcon s'ecria tant qu'il put : Oh la ! oh ! descendez, que Ton ne vous le disc, Jeune homme, qui menez laquais a barbe grise ! C'etait a vous de suivre, au vieillard de monter. Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter. L'enfant met pied a terre, et puis le vieillard monte ; Quand trois filles passant, Tune dit : C'est grand'houte Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, Tandis que ce nigaud, comme un eveque assis, Fait le veau sur son ane, et pense etre bien sage. II n'est, dit le meunier, plus de veaux a mon age : Passez votre cliemhi, la fille, et in'en croyez. Apres maints quolibets coup sur coup renvoyes, L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe. Au bout de trente pas, une troisieme troupe Trouve encore a gloser. L'un dit : Ces gens sont fous ! Le baudet n'en peut plus ; il mourra sous leurs coups. Eh quoi ! charger ainsi cette pauvre bourrique ! . N'ont-ils point de pitie de leur vieux domestique ? Sans doute qu'a la foire ils vont vendre sa peau. Parbleu ! dit le meunier, est bien fou du cerveau Qui pretend couteuter tout le nionde et son pere. Essay ons toutelbis si par quelque maniere, Nous en viendrons a bout. Ils descendent tous deux, L'ane, se prelassant, marche seul devant eux. Un quidam les rencontre, et dit : Est-ce la mode Que baudet aille a 1'aise, et meunier s'incommode ? Qui de 1'ane ou du maitre est fait pour se lasser r 1 Je conseille a ces gens de le faire encbasser. LA FONTAINE. 31 Us usent leurs souliers, et conservent leur ane ! Nicolas, au rebours : car, quand il va voir Jeanne, II monte sur sa bete ; et la chanson le dit. LE RENARD ET LE BOUC. Capitaine renard allait de compagnie Avec son ami boue des plus haut encornes : Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ; L'autre etait passe maitre en fait de troraperie. La soif les obligea de descendre en uu puits : La, chacun d'eux se de'saltere. Apies qu'abondamment tous deux en eurent pris, Le renard dit au bouc : Que ferons-nous, compere ? Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici. Leve tes pieds en liaut, et tes comes aussi ; Mets-les centre le mur : le long de ton echine Je grimperai premierement ; Puis sur tes cornes m'elevant, A 1'aide de cette machine, De ce lieu-ci je sortirai, Apres quoi je t'en tirerai. Par ma barbe, dit 1'autre, il est bon ; et je loue Les gens bien senses comme toi. Je n'aurais jamais, quant a moi, Trouve ce secret, je 1'avoue. Le renard sort du puits, laisse son compagnon, Et vous lui fait un beau sermon Pour 1'exhorter a patience. Si le ciel t'eut, dit-il, donne par excellence Autaut de jugement que de barbe au menton, Tu n'aurais pas, a la legere, Descendu dans ce puits. Or, adieu ; j'en suis hors : Tache de t'en tirer, et fais tous tes efforts ; Car, pour moi, j'ai certaine affaire Qui ne me permet pas d'arreter en chemin. En toute chose il faut considerer la fin. 32 MANUAL OF FRENCH POETRY. L'AMOUR ET LA FOLIE. Tout est mystere dans 1'Amour, Ses fleches, son carquois, son flambeau, son enfance : Ce n'est pas 1'ouvrage d'un jour Que d'epuiser cette science. Je ne pretends done point tout expliquer ici : Mon but est seulement de dire, a ma maniere, Comment 1'aveugle que voici (C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumiere, Quelle suite eut ce mal, qui peut-etre est un bien ; J'en fais juge un amant, et ne decide rien. La Eolie et 1'Amour jouaient un jour ensemble : Celui-ci n'etait pas encor prive des yeux. Uue dispute vint : 1'Amour veut qu'on assemble La-dessus le conseil des dieux ; L'autre n'eut pas la patience ; Elle lui donne un coup si furieux, Qu'il en perd la clarte des cieux. Venus en demande vengeance. Eemme et mere, il suffit pour juger de ses cris : Les dieux en furent etourdis, Et Jupiter, et Nemesis, Et les juges d'enfer, enfin toute la bande. Elle representa 1'enormite du cas ; Son fils sans un baton ne pouvait faire un pas : Nulle peine n'etait pour ce crime assez grande; Le dommage devait etre aussi repare. Quaud on eut bien considere L'interet du public, celui de la partie, Le resultat enfin de la supreme cour Eut de condamuer la Eolie A servir de guide a 1'Amour. LA FONTAINE. 33 PAROLE DE SOCRATE. Socrate un jour faisant batir, Chacun censurait son ouvrage : L'un trouvait les dedans, pour ne lui point mentir, Indignes d'uii tel personnage ; L'autre blamait la face, et tous etaient d'avis Que les appartements en etaient trop petits. Quelle maison pour lui ! Ton y touruait a peine. " Plut au ciel que de vrais amis, Telle qu'elle est, dit-il, elle put etre pleiiie ! " Le bon Socrate avait raison De trouver pour ceux-la trop grande sa maisou. Chacun se dit ami ; mais fou qui s'y repose ; Kien n'est plus commun que le nom ; Kien n'est plus rare que la chose. LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE. Un mal qui repand la terreur, Mai que le ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La peste (puisqu'il faut 1'appeler par son nom), Capable d'enrichir en un jour 1' Acheron, Faisait aux animaux la guerre. Es ne mouraient pas tous, mais tous etaient frappes. On n'en voyait point d'occupes A chercher le soutien d'une mouraute vie ; Nul mets u'excitait leur envie ; Ni loups ni renards n'epiaient La douce et 1'innoceute proie ; Les tourterelles se fuyaient : Plus d'amour, partant plus de joie. Le lion tint conseil et dit : Mes cliers amis, 2* c 34 MANUAL OF FRESCH POETRY. Je crois que le ciel a permis Pour nos peeves cette mfortune. Que le plus coupable de uous Se sacrifie aux traits du celeste courroux ; Peut-etre il obtiendra la guerisou commune. L'liistoire uous apprend qu'eu de tels accidents On fait de pareils devouements. Ne uous flattous done point ; voyons sans indulgence L'etat de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appetits gloutons, J'ai devore force moutons. Que m'avaient-ils fait ? nulle offense ; Meme il m'est arrive quelquefois de manger Le berger. Je me devouerai done, s'il le faut : mais je pensc Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi ; Car on doit souliaiter, selon toute justice, Que le plus coupable perisse. Sire, dit le renard, vous etes trop bon roi ; Vos scrupules font voir trop de delicatesse. Eh bien, manger moutons, canaille, sotte espece, Est-ce un peche ? Non, non. Vous leur fites, seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur ; Et quant au berger, Ton peut dire Qu'il etait digne de tous maux, 6tant de ces gens-la qui sur les animaux Se font un chimerique empire. Ainsi dit le renard ; et flatteurs d'applaudir. On n'osa trop approfondir Du tigre, ni de 1'ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses : Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples matins, Au dire de chacun, etaient de petits saints. L'ane vint a son tour, et dit : J'ai souvenance Qu'en un pre de moines passant, La faim, 1'occasion, 1'herbe tendre, et, je pense, Quelque diable aussi me poussaut, Je tondis de ce pre la largeur de ma kngue ; LA FONTAINE. 35 Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net. A ces mots, on cria haro sur le baudet. Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu'il fallait devouer ce maudit animal, Ce pele, ce galeux, d'ou venait tout le mal. Sa peccadille fut jugea uu cas peudable. Manger 1'lierbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort u'etait capable D'expier son forfait. Ou le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou miserable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. LE SAVETIER ET LE FINANCIER. Un savetier chantait du matin jusqu'au soir : C'etait merveille de le voir, Merveille de 1'ouir ; il faisait des passages, Plus content qu'aucun des sept sages. Son voisin, au coutraire, etaut tout cousu d'or, Chantait peu, dormait moins eucor : C'etait un homme de nuance. Si sur le point du jour parfois il sommeillait, Le savetier alors eii chantant 1'eveillait ; Et le financier se plaignait Que les soins de la Providence N'eussent pas au marche fait vendre le dormir, Comme le manger et le boire. En son hotel il fait veuir Le chanteur, et lui dit : Or ca, sire Gregoire, Que gagnez-vous par an ? Par an ! ma foi, monsieur, Dit avec un ton de rieur Le gaillard savetier, ce n'est point ma maniere D.? compter de la sorte ; et je n'entasse guere Un jour sur 1'autre : il snffit qu'a la fin J'attrape le bout de 1'annee ; Chaque jour amene son pain. 36 MASVAL OF FRENCH POETRY. Eh bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journee ? Tantot plus, tautot moius : le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seraient assez honnetes), Le mal est que dans Pan s'entremelent des jours Qu'il faut choiner ; on nous mine en fetes : L'une fait tort a Pautre ; et monsieur le cure De quelque nouveau saint charge toujours son prone. Le financier, riant de sa naivete, Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trone. Preuez ces cent ecus ; gardez-les avec soin, Pour vous en servir au besoin. Le savetier crut voir tout 1'argent que la terre Avait, depuis plus de cent ans, Produit pour Pusage des gens. H retourne chez lui : dans sa cave il enserre L'argent, et sa joie a la fois. Plus de chant : il perdit la voix Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. Le sommeil quitta son logis : II cut pour hotes les soucis, Les soupcons, les alarmes vaines. Tout le jour il avait 1'ceil au guet ; et la nuit, Si quelque chat faisait du bruit, Le chat preuait 1'argeut. A la fin le pauvre homme S'en courut chez celui qu'il ne reveillait plus : Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme, Et reprenez vos cent ecus. LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES. Un octogenaire plautait. Passe encor de batir ; mais planter a cet age ! Disaient trois jouveuceaux, enfauts du voisinage : Assurement il radotait. Car, au nom des dieux, je vous prie, Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ? LA FONTAINE. 37 Autant qu'un patriarche il vous faudrait vieillir. A quoi bou charger votre vie Des soins d'un aveuir qui n'est pas fait pour vous ? Ne songaz desormais qu'a vos erreurs passees ; Quittez le long espoir et les vastes pensees ; Tout cela ne convieiit qu'a uous. II ne convient pas a, vous-memes, Repartit le vieillard. Tout etablissement Vient tard, et dure peu. La main des Parques blemes Da vos jours et des miens se joue egalement. Nos termes sout pareils par leur eourte duree. Qui de nous des clartes de la voute azuree Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment Qui vous puisse assurer d'un second seulement ? Mes arriere-neveux me devront cet ombrage : Eh bien, defendez-vous au sage Da se donner des soius pour le plaisir d'autrui ? Cela me me est un fruit que je goute aujourd'hui : J'en puis jouir demain, et quelques jours encore ; Je puis enfln compter 1'aurore Plus d'une fois sur vos tombeaux. Le vieillard cut raison : 1'un des trois jouvenceaux Se noya des le port, allant a 1'Amerique ; L'autre, afiu de mouter aux graudes dignites, Dans les emplois de Mars servant la republique, Par un coup imprevu vit ses jours emportes ; Le troisieme tomba d'un arbre Que lui-meme il voulut enter ; Et, pleures du vieillard, il grava sur leur marbre Ce que je viens de raconter. LA LAITIERE ET LE POT AU LAIT. Perette, sur sa tete ayant un pot au lait Bien pose sur un coussinet, Pr6tendait arriver sans encombre a la ville. Legere et court vetue, elle allait a grands pas. 38 MANUAL .OF FRENCH POETRY. Ayant mis ce jour-la, pour etre plus agile, Cotillon simple et souliers plats. Notre laitiere ainsi troussee Comptait deja dans sa pensee Tout le prix de son lait ; eu employait 1'argent ; Achetait un cent d'ceufs ; faisait triple couvee : La chose allait a bieii par son soin diligent. II m'est, disait-elle, facile D'elever des poulets autour de ma maison ; Le renard sera bien habile S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. Le pore a s'engraisser coutera peu de son ; II etait, quand je 1'eus, de grosseur raisommble : J'aurai, le revendaut, de 1'argent bel et bon. Et qui m'empechera de mettre en notre etable, Vu le prix dout il est, une vache et sou veau, Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? Perrette la-dessus saute aussi, transported : Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvee. La dame de ces biens, quittunt d'un ceil marri Sa fortune ainsi repandue, Va s'excuser a son mari, En grand danger d'etre battue. Le recit eu farce en fut fait ; On 1'appela le Pot au lait. L'ART DE BIEN VIVRE. Rien ne m'engage a faire un livre : Mais la raison m'oblige a vivre En sage citoyen de ce vaste univers ; Citoyen qui, voyant un moude si divers, Rend a son auteur les hoinmages Que me ri tent de tels ouvrages. Ce devoir acquitte, les beaux vers, les doux sons, II est vrai, sont pcu uecessaires : LA FONTAINE. 39 Mais qui dira qu'ils soieut contraires A ces eternelles legons ? On psut gouter la joie en diverses fapons : Au sein d? ses amis repandre raille choses, Et, reclierchant de tout les effets et les causes, A table, au bord d'un bois, le long d'uu clair ruisseau, Raisonner avec eux sur le bon et le beau. LE SINGE ET LE CHAT. Bsrtrand avec Raton, Pun singe et 1'autre chat, Commansaux d'un logis, avaient un commun maitre. D'auimaux malfaisants c'etait un tres-bon plat : Us n'y craignaient tous deux aucun, quel qu'il put etre. Trouvait-on quelque chose au logis de gale, L'on 113 s'en prenait point aux gens du voisinage : Bartrand derobait tout : Rat m, de son cote, Etait moins attentif aux souris qu'au fromage. Un jour, au coin du feu, nos deux maitres fripons Regardaient rotir des marrons. Les escroquer etait uue tres-bonne affaire ; Nos galants y voyaient double profit a faire : Lsur bien premierement, et puis le mal d'autrui. Bertrand dit a Raton : Frere, il faut aujourd'hui Que tu fasses un coup de maitre ; Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naitre Propre a tirer marrons du feu, Certes, marrons verraient beau jeu. Aussitot fait que dit : Raton, avec sa patte, D'une maniere delicate, Ecarte un peu la cendre, et retire les doigts ; Piiis les reporte a plusieurs fois ; Tire un matron, puis deux, et puis trois en escroque : Et cependant Bertrand les eroque. Une ssrvante vient : adieu mes gens. Raton N'etait pas content, ce dit-on. 40 MANUAL OF FRENCH POETRY. Aussi ne le sent pas la plupart de ces princes Qui, flattes d'uu pareil emploi, Vont s'echauder en des provinces Pour le profit de quelque roi. PHEBUS ET BOREE. Boree et le Soleil virent un voyageur Qui s'etait muni par bonheur Contre le mauvais temps. Oil entrait dans 1'automue, Quand la precaution aux voyageurs est bonne : II pleut, le soleil luit ; et 1'echarpe d'Iris Rend ceux qui sortent avertis Qu'en ces mois le manteau leur est fort necessaire ; Les Latins les nommaient douteux, pour cette affaire. Notre homme s'etait done a la pluie atteudu ; Bon manteau bien double, bonne etoffe bien forte. Celui-ci, dit le Vent, pretend avoir pourvu A tous les accidents ; mais il u'a pas prevu Que je saurai souffler de sorte Qu'il n'est bouton qui tienne : il faudra, si je veux, Que le manteau s'en aille au diable. L'ebattement pourrait nous en etre agreable : Vous plait-il de 1'avoir ? Eh bien, gageons nous deux, Dit Phebus, sans taut de paroles, A qui plus tot aura degarni les e'paules Du cavalier que nous voyons. Commencez : je vous laisse obscurcir mes rayons. H n'en fallut pas plus. Notre souffleur a gage Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon, Fait un vacarme de demon, Siffle, souffle, tempete, et brise en son passage Maint toit qui n'en peut mais, fait perir rnaint bateau : Le tout au sujet d'uu manteau. Le cavalier cut soin d'empecher que 1'orage Ne se put eugouffrer dedans. LA FONTAINE. 41 Cela le pre"serva. Le Vent perdit son temps ; Plus il se tounnentait, plus 1'autre tenait fernie ; II eut beau faire agir le collet et les plis. Sitot qu'il fut au bout du ternie Qu'a la gageure on avait mis, La Soleil dissipe la uue, Recrea et puis peuetre enfin le cavalier, Sous son balandras fait qu'il sue, Le contraint de s'en depouiller : Encor n'usa-t-il pas de toute sa puissance. Plus fait douceur que violence. LE SAGE. Ni 1'or ni la grandeur ne nous rendent heureux. Ces deux divinites u'accordent a uos voeux Que des biens peu certains, qu'un plaisir peu tranquille. Des soucis devorants c'est 1'eternel asile ; Veritable vautour que le fils de Japet Represeute enchaine sur sou triste sommet. L'liuinble toit est exempt d'un tribut si funeste ; Le sage y vit en paix, et meprise le reste. Content de ses douceurs, errant parmi les bois, II regarde a ses pieds les favoris des rois ; II lit au front de ceux qu'un vain luxe euvironne, Que la fortune vend ce qu'on croit qu'elle donne. Approche-t-il du but ? quitte-t-il ce sejour ? Rien ne trouble sa fin : c'est le soir d'un beau jour. 42 MANUAL OF FRENCH POETRY. MOLIERE. 1622-1673. JEAN-BAPTISTE POQUELIN, afterwards named Moliere, was born and died in Paris. While yet very young, his grandfather, who was an en- thusiastic admirer of Conieille, used to take him to witness the plays of that author which were then being performed at the Hotel de Bourgogue. This, more than all else no doubt, decided the future vocation of the young Poquelin. He wished to go to college, and finally, with much difficulty, obtained from his parents the permission to do so, it being understood that he should afterwards enter the profession of law. But vain indeed were all efforts to overcome the natural bent of his mind, and even thus early he was secretly preparing for his life work. The beginning was at length m;ide by organizing a company and establishing the Theatre lllustre at Paris. But that enterprise failed, and having got into debt he was thrown into prison. This dampened his ardor, it is true, but did not alter his purpose, for he was no sooner out of prison than he fled to the provinces, and having changed his name to Moliere, in order, as he said, not to disgrace his friends, he here commenced again. After twelve years thus spent in the school of observation and practice, himself both furnishing the plays and helping to perform them, he returned to the capital, and finally received the royal license to open his theatre there. About two years later his first real success was achieved in the appearance of Les Precieuses Ridicules. This was fol- lowed by some thirty pieces of his composition, nearly all of which met with like popular favor. His best plays are Le Misanthrope, Les Femmes Savantes, L'Avare, and Le Tartufe, all of which are considered models of high comedy. Moliere is the most distinguished comic poet of modern times. While he is the complete embodiment of the spirit and genius of his people, he yet rises independent of all prejudices of nation and age to the plane of the truly great author. His bust, standing in the hall of the French Academy, bears the triumphant inscription : " Rieu ue manque a sa gloire, il manquait a la n&tre." MOLIERE. 43 LA VERITABLE ET LA FAUSSE DEVOTION. Et comme je ne vois mil genre de heros Qui soit plus a priser que les parfaits devots, Aucune chose au monde et plus noble et plus belle Que la sainte ferveur d'un veritable xcle ; Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux Que le dehors platre d'un zele specieux ; Que ces francs charlatans, que ces devots de place, De qui la sacrilege et trompeuse grimace Abuse impunement et se joue a leur gre De ce qu'ont les inortels de plus saint et sacre ; Ces gens qui, par une ame a 1'interet soumise, Font de devotion metier et marchandise, Et veulent acheter credit et digriites A prix de faux clins d'yeux et d'elans affectes ; Ces gens, dis-je, qu'on voit d'une ardeur 11011 commune Par le chemin du ciel courir a la fortune ; Qui, brulants et priants, demandent chaque jour, Et prechent la retraite au milieu de la cour ; Qui savent ajuster leur zele avec leurs vices, Sont prompts, vindicatifs, sans foi, pleins d'artifices ; Et, pour perdre quelqu'un, couvrent insolemment DJ 1'interet dn ciel leur fier ressentiment ; D'autant plus dangereux dans leur apre colere, Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on revere. Et que leur passion, dont on leur sait bon gre, Veut nous assassiner avec un fer sacre : De C3 faux caractere on en voit trop paraitre. Mais les devots de coeur sont aises a comiaitre ; Ce titre par aucun ne leur est debattu ; Ce ne sont point du tout fanfarons de vertu ; On ne voit pas en eux ce faste insupportable, Et leur devotion est humaine et traitable. Us ne connurent point toutes nos actions ; Us troiivent trop d'orgueil dans ces corrections ; Et laissant la fierte des paroles aux autres, 44 MANUAL OF FRENCH POETRY. C'est par leurs actions qu'ils reprennent les notres ; L'apparence du mal a chez eux peu d'appui, Et leur ame est portee a juger bien d'autrui. Point de cabale en eux, point d'intrigues a suivre ; On les voit pour tous soins se meler de bien vivre ; Jamais contre un pecheur ils n'ont d'acharnement ; Ils attachent leur haiue au peche seulement, Et ne veuleut point prendre avec un zele extreme Les iuterets du ciel plus qu'il ne veut lui-merne. LES FEMMES SAV ANTES. II n'est pas bien honnete, et pour beaucoup de causes, Qu'une femme etudie et sache tant de choses. Former aux bonnes moeurs 1'esprit de ses enfants, Faire aller son menage, avoir 1'reil sur ses gens, Et regler la depense avec economic, Doit etre son etude et sa philosophic. Nos peres, sur ce point, etaient gens bien senses, Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez, Quaud la capacite de son esprit se hausse A connaitre un pourpoint d'avec un haut-de-chausse. Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bieu ; Leurs menages etaieut tout leur docte entretien ; Et leurs livres, un de, du fil et des aiguilles, Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles. Les femmes d'a present sont bien loin de ces moeurs ; Elles veulent ecrire et devenir auteurs. Nulle science n'est pour elles trop profonde, Et ceans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir, Et Ton sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir. On y sait comme vont lune, etoile polaire, Venus, Saturne, et Mars, dont je n'ai point affaire ; Et dans ce vain savoir, qu'on va chercher si loin, On ne sait comme va mon pot, dont j'ai besoin. MOLIEEE. 45 Mes gens a la science aspirent pour vous plaire, Et tous ne font rieu moins que ce qu'ils ont a faire. Raisonner est 1'emploi de toute ma maison, Et le raisonnement en bannit la raison. L'un me briile mon rot, en lisant quelque lustoire ; L'autre reve a des vers, quand je demande a boire : Enfin je vois par eux votre exemple suivi, Et j'ai des serviteurs, et ne suis point servi. Une pauvre servante au moins m'etait restee, Qui de ce mauvais air n'etait point infectee, Et voila qu'on la chasse avec un grand fracas, A cause qu'elle manque a parler Vaugelas ! LES AMANTS. PHILINTE. Quand je plaisais a tes yeux, J'etais content de ma vie, Et ue voyais rois ni dieux Dont le sort me fit envie. CLIMENE. Lorsqu'a toute autre personne Me preferait ton ardeur, J'aurais quitte la couronne Pour regner dessus ton coeur. PHILINTE. Une autre a gueri mon ame Des feux que j 'avals pour toi. CLIMENE. Un autre a venge ma flamme Des faiblesses de ta foi. Chloris, qu'on vante si fort, M'aime d'une ardeur fidele ; 46 MANUAL OF FRENCH POETRY. Si ses yeux voulaient ma mort, Je mourrais content pour elle. CLIMEXE. Myrtil, si digne d'envie, Me clierit plus que le jour ; Et moi, je perdrais la vie Pour lui montrer mon amour. PHILINTE. Mais si d'une douce ardeur Quelque renaissante trace Chassait Cliloris de mon coeur Pour te remettre en sa place ? CLIMENE. Bien qu'avec cette tendresse Myrtil me puisse cherir, Avec toi, je le confesse, Je voudrais vivre et mourir. TOUS DETJX ENSEMBLE. Ah ! plus que jamais aimons-nous, Et vivons et mourons en des liens si doux. TOUS LES PERSONNAGES DE LA COMEDIE. Amants, que vos querelles Sont aimables et belles ! Qu'on y voit succeder De plaisir, de tendresse ! Querellez-vous sans cesse, Pour vous raccommoder. LE MOINEAU DE MYRTIL. (De MeHcerte.J Innocente petite bete, Qui, contre ce qui vous arrete Vous debattez tant a mes yeux, UOL1ME. 47 De votre liberte ne plaignez point la perte : Je vous ai pris pour Melicerte ; Elle vous baisera, vous prenaut daus sa main, Et de vous mettre en son sein Elle vous fera la grace. Est-il un sort au monde et plus doux et plus beau, Et qui des rois, helas ! heureux petit moineau, Ne voudrait etre en votre place ? FRAGMENTS. Tous les defauts humains nous donnent, daus la vie, Des moyens d'exercer uotre philosophic : C'est le plus bel emploi que trouve la vertu ; Et, si de probite tout etait revetu, Si tous les coeurs etaient francs, justes, et dociles, La plupart des vertus nous seraieut inutiles. Les liommes la plupart sont etrangement faits ; Dans la juste nature on ne les voit jamais : La raisoti a pour eux des bornes trop petit es, En chaqu" caractere ils passent ses limites ; Et la pins noble chose, ils la gatent souveut, Pour la vouloir outrer et pousser trop avant. L'ENVIE ET LA MEDISANCE. La vertu dans le monde est toujours poursuivie : Les envieux mourront, niais nou jamais 1'envie. Fais bien, et sois certain d'avoir des envieux ; Mais tu les confoiidras en faisaut encor mieux. Ceux de qui la conduite offre le plus a rire Sont toujours sur autnii les premiers a medire. Coutre la medisance il n'est point de rempart : A tous les sots caquets n'ayons done nul egard ; Efforcons-nous de vivre avec toute innocence, Et laissons aux censenrs une pleine licence. 48 MANUAL OF FRENCH POETRY. QUINAULT. 1635 - 1688. PHILIPPE QUINAULT, a native of Paris, is regarded as the creator of the lyric drama in France. He began his literary career by a series of tragedies and comedies which met with but partial success. He then turned his attention to the species of composition upon which his posthu- mous reputation chiefly rests. His best operas are Atys, Roland, and Armide. Notwithstanding the severe attacks of Boileau and Voltaire, it is snrely no small compliment that Quinault attained to even moderate success in the age which had produced a Racine and a Moliere. Mr. Gern- zez passes the following brief but just estimate npon his talents and work : " Qninault occupies a lofty position, second only to the men of genins. He moves the heart which he softens, enchants the imagination which be dazzles, and flatters delicate ears with verses which have the melody of music, and which could even dispense with something of their sense, so much have they of exquisite harmony." TRISTES EFFETS DE L'ORGUEIL. C'EST HEDUSE QUI FABLE. J'ai perdu la beaute qui me rendit si vaine : Je n'ai plus ces cheveux si beaux Dont autrefois le dieu des eaux Sentit Her son cceur d'une si douce chaine. Pallas, la barbare Pallas Put jalouse de mes appas, Et me rendit affreuse autant que j'etais belle : Mais Fexces etonnant de la difformite Dont me punit sa cruaute, Fera connaitre, en depit d'elle, Quel fut 1'exces de ma beaute". Je ne puis trop montrer sa vengeance eruelle. QUWAULT. 49 Ma tete est fiere encor d'avoir pour ornement Des serpents, dout le sifflement Excite uue frayeur mortelle. Je porte 1'epouvante et la mort en tous lieux ; Tout se change en rocher a mon aspect horrible : Les traits que Jupiter lance du haut des cieux N'ont rien de si terrible Qu'im regard de mes yeux. Les plus grands dieux du ciel, de la terre, et de Ponde, Du soin de se venger se reposeut sur moi : Si je perds la douceur d'etre 1'amour du monde, J'ai le plaisir uouveau d'eu devenir 1'effroi. ARMIDE A RENAUD. Eufin il est en ma puissance, Ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur. Le charme du sonimeil le livre a ma vengeance, Je vais percer son invincible coeur ! Par lui tons mes captifs sont sortis d'esclavage : Qu'il eprouve tonte ma rage ! Quel trouble me saisit ; qui me fait hesiter ? Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitie me veut dire ? Frappons ! . . . . Ciel ! qui peut ni'arreter ? Achevons . . . . je fremis ! vengeons-nous . . . . je soupire ! Est-ce ainsi que je dois ms venger aujourd'hui ? Ma cole re s'eteint quand j'approche de lui : Plus je le vois, plus ma fureur est vaine ; Mon bras tremblaiit se refuse a ma haine. HEUREUX QUI NE CONNAIT POINT L' AMOUR. (De Thesee.) Doux repos, innocente paix, Heureux, heureux un cceur qui ne vous perd jamais ! 50 MANUAL OF FRENCH POETRY. L'impitoyable amour m'a toujours poursuivie : N'etait-ce point assez des maux qu'il m'avait fails ! Pourquoi ce dieu cruel avec de nouveaux traits Vient-il encor troubler le reste de ma vie ? Doux repos, innoceute paix, Heureux, heureux un cceur qui ne vous perd jamais ! Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense, On ne voit pas lorsqu'il commence, Tout ce qu'il doit couter un jour : Mon coeur aurait encor sa premiere innocence S'il n'avait jamais eu d'amour. MORPHEE AU SOMMEIL. Regnez, divin sommeil, regnez sur tout le monde ; Repandez vos pavots les plus assoupissauts ; Calmez les soins, charmez les sens, Retenez tous les coeurs dans une paix profonde. Coulez, murmurez, clairs ruisseaux ; Ne vous faites point violence : II n'est permis qu'au bruit des eaux De troubler la douceur d'un si charmant silence. POUVOIR DE LA PERSEVERANCE. II n'est point de resistance Dont le temps ne vienne a bout ; Et 1'effort de la Constance A la fin doit vaiucre tout. Tout est doux, et rien ne coute Pour un coeur qu'on veut toucher. L'onde se fait une route En s'efforcant d'en chercher ; L'eau qui tombe goute a goute Perec le plus dur rocher. BOILEAU. 51 BOILEAU. 1636-1711. Rien n'est beau que le vrai ; le vrai seul est aimahle. NICHOLAS BOILEAU, surnamed Despreaux, was bora in Paris, where he also passed most of his life. The friend, the counsellor, and the judge of the great writers of the seventeenth century, he rose to such distinction as to win the nattering title of the Legislator of the French Parnassus. And in this, his real mission, Boileau took up, and in some sense finished, the work which Malherbe had begun nearly a century before. " When he appeared," says De Fontanes, " poetry found again that which had been wanting to it since the best days of Rome, viz., that pure and precise style which neither exaggerates nor enfeebles, which neither omits any- thing necessary nor adds anything superfluous, but aims directly at the effect to be produced ; which embellishes itself only with the accessory ornaments drawn from the subject itself; which sacrifices brillfancy to true wealth, joins to art naturalness and to labor ease ; which allies itself more and more with good sense, and cares less to provoke applause than to merit it ; and which exhibits, and causes us to feel at each moment the eternal maxim, 'Nothing is beautiful but Truth.'" Recognizing also the fact that firmness and courage are as necessary in the critic as good sense, Boileau dared to speak I he truth. And although in chastising the vaga- ries and extravagances of the poets of his day he was sometimes severe in the extreme, the uprightness of his character, the breadth of his intel- lect, and the correctness of his judgment, all gave to him an incontesta- ble authority over his contemporaries, and, we may now add, the justness of his views has preserved the authority even to our day. Moreover, Boileau joined example to precept. In 1660 his Satires appeared, specially attacking the Spanish and Italian imitations in the French literature, which were then drnwing off nearly all the poets. Ten years later, with a somewhat softened rigor, the great critic having al- ready told what it is necessary not to do in order to write well, proceeded to mirk out, in his Epistles and Poetic Art, the positive rules and maxims which are to guide. He declared reason to be the soul of writ- ing, and truth its only object. Aamez-vous la raison; que toujours vos ecrits Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix. 52 M.1XUAL Or FRENCH POETRY. Besides the works already mentioned, Boileau also wrote the Lutrin, a model poem of the mock-heroic style. But in all these writings, the natural gayety and serenity of the author's mind did not abandon him even in the midst of that satirical career in which bitterness might be expected to prevail. While rigidly faithful to his duty as literary sovereign, a lively generosity always pervaded his thoughts and character. As a single strik- ing instance of this, when Racine was the object of the bitterest attacks, and was all crushed by them, Boilenu wrote him a beautiful letter on the " utility of enemies," full of sublime philosophy and tranquil assurance, confidently predicting for him that immortality of renown which has ensued. In his later years Boileau congratulated himself upon the purity of his works. " It is a great consolation," said he, " to one who must soon die, to think that he has never written anything injurious to virtue." CONSEILS AUX POETES. Craignez-vous pour vos vers la censure publique, Soyez-vous a vous-meme un severe critique : L'ignorauce toujours est prete a s'admirer. Faites-vous des amis prompts a vous censurer ; Qu'ils soient de vos ccrits les confidents since res Et de tons vos defauts les zeles adversaires : Depouillez devaut eux 1'arrogance d'auteur. Mais sachez de 1'ami discerner le flatteur : Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue. Aimez qu'on vous conseille, et TJOU pas qu'ou vous loue. Un flatteur aussitot cherche a se recrier : Chaque vers qu'il entend le fait extasier ; Tout est cliarmaut, diviu ; aucun mot ne le blesse ; II trepigue de joie, il pleure de tendresse ; II vous comble partout d'eloges fastueux. La verite n'a point cet air impetueux. Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible, Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible ; II ue pardonne point \?s endroits negliges, II renvoie en leur lieu les vers mal arranges, II reprime des mots 1'ambitieuse cmphase ; Ici le sens le clioque, et plus loin c'est la phrase ; BOILEATJ. 53 Votre construction semble un peu s'obscurcir : Ce terrae est equivoque ; il le taut eclaircir. C'est ainsi que vous paiie un ami veritable. Mais souveut sur ses vers un auteur intraitable A les proteger tous se croit interesse, Et d'abord prend en main le droit de 1' offense. De ee vers, direz-vous, 1'expression est basse. Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grace, llepondra-t-il d'abord. Ce mot me semble froid ; Je le retranclierais. C'est le plus bel eudroit ! Ce tour ne me plait pas. Tout le moude 1'admire. Ainsi toujours constant a ne se point dedire, Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser, C'est un titre chez lui pour lie point Peffacer. ELOGE DU VRAI. Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est amiable ; II doit regner partout, et meme dans la fable ; De toute fiction 1'adroite faussete Ne tend qu'a faire aux yeux briller la verite. Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces, Sont recherches du peuple et repus chez les princes ? Ce n'est pas que leur sons, agreables, nombreux, Soient toujours a 1'oreille egalement heureux ; Qu'en plus d'un lieu le sens n'y gene la mesure, Et qu'un mot quelquefois n'y brave la cesure : Mais c'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur, Partout se moutre aux yeux et va saisir le creur ; Que le bien et le mal y sont prises au juste ; Que jamais un faquin n'y tint un rang auguste ; Et que mon coeur, toujours conduisaut rnon esprit, Ne dit rien aux lecteurs qu'a soi-meme il n'ait dit. Ma pensee au grand jour partout s'offre et s'expose, Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose. C'est par la quelquefois que ma rime surprend, C'est la ce que n'ont point Jonas et Childebrand; Mais peut-etre, enivre des vapeurs de ma muse, 54 MANUAL OF FRENCH POETRY. Moi-meme en ma faveur, Seignelay, je m'abuse. Cessons de nous flatter. II n'est esprit si droit Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit. Sans cesse on prend le masque, et, quittant la nature, On craint de se montrer sous sa propre figure. Par la le plus sincere assez souvent deplait. Rarement un esprit ose etre ce qu'il est. Vois-tu cet importun que tout le moiide evite, Get homme a toujours f'uir, qui jamais ne vous quitte ? 11 n'est pas sans esprit ; mais, ne triste et pesant, II veut etre folatre, evapore, plaisant ; II s'est fait de sa joie une loi necessaire, Et ne deplait enfin que pour vouloir trop plaire. La simplicite plait sans etude et sans art. Tout cliarme en un enfant dont la langue sans fard, A peine du filet encor debarrassee, Sait d'un air innocent begayer sa pensee. Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant; Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent : C'est elle seule en tout qu'on admire et qu'on aime. Un esprit ne chagrin plait par son chagrin meme. Chacun pris dans son air est agreable en soi : Ce n'est que 1'air d'autrui qui peut deplaire en moi. L'HUITRE ET LES PLAIDEURS. Un jour, dit un auteur, n'importe en quel chapitre, Deux voyageurs a jeun rencontierent une huitre : Tons deux la contestaient, lorsque dans leur chemin La Justice passa, la balance a la main. Devant elle, a grand bruit, ils expliquent la chose, Tous deux avec depens veulent gagner leur cause. La Justice, pesant ce droit litigieux, Demande 1'huitre, 1'ouvre, et 1'avale a leurs yeux, Et par ce bel arret termiuaut k bataille, " Tenez, voila, dit-elle, a chacun line ecaille. Des sottises d'autrui nous vivons au palais : Messieurs, 1'huitre etait bonne. Adieu ! vivez en paix. BOILEAU. 55 BIENFAITS DE LA POESIE. Avant que la raison, s'expliquaut par la voix, Eut instruit les liumains, eut enseigne des lois, Tous les homines suivaient la grossiere nature, Disperses dans les bois couraient a la pature ; La force tenait lieu de droit et d'equite ; Le nieurtre s'exerpait avec impunite. Mais du discours, enfin, I'harmouieuse adresse De ces sauvages mreurs adoucit la rudesse, Rassembla les humains dans les forets epars, Enferma les cites de murs et ds remparts De 1'aspect du supplice effraya 1'insolence, Et sous 1'appui des lois mit la faible innocence. Get ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers. De la sont nes ces bruits re9us dans I'miivers, Qu'aux accents dont Orphee emplit les monts de Thrace Les tigres amollis depouillaient leur audace ; Qu'aux accords d'Amphion les pierres se mouvaient Et sur les murs thebains en ordre s'elevaient. L'harmonie en naissant produisit ces miracles. Dapuis, le ciel en vers fit parler les oracles ; Du sein d'un pretre, emu d'une divine horreur, Apollon par des vers exhala sa fureur. Bientot, ressuscitant les heros des vieux ages, Homere aux grands exploits anima les courages. Hesiode a son tour, par d'utiles lecons, Das champs trop paresseux vint hater les moissons. E:i mille ecrits fameux la sagesse tracee Fut, a 1'aide des vers, aux mortels annoncee ; Et partout des esprits ces preceptes vaiuqueurs, Introduits par 1'oreille, entrerent dans les cosurs. Pour taut d'heureux bienfaits, les Muses reverees Furent d'un juste encens dans la Grece honorees ; Et leur art, attirant le culte des mortels, A sa gloire en cent lieux vit dresser des autels. 56 MANUAL OF FRENCH POETRY. SUR HOMERE. "HeiSoi' fiev eyiov f\a.paprit que ces flots, instruments du forfait, Se soulevant d'horreur, lui rejetaient sa mere. Tout est mort ; c'est la mort qu'ici vous respirez ; Quand Rome s'endormit de debauche abattue, DELAVIGNE. 329 Elle laissa dans Pair ce poison qui vous tue, II infecte les lieux qu'elle a deshonores. Telle apres les banquets de ces maitres du monde, S'elevait autour d'eux une vapeur immonde Qui pesait sur leurs sens, ternissait les couleurs Des fastueux tissus ou retombaient leurs tetes, Et fanait a leurs pieds, sur les marbres en pleurs, Les roses dont Psestum avait jonche ces fetes. Virgile pressentait que, dans ces champs deserts, La mort viendrait s'asseoir au milieu des decombres, Alors qu'il les choisit pour y placer les ombres, Le Styx aux noirs replis, 1'Averne et les Enfers. Contemplez ce pecheur, voyez, voyez ces guides, Interrogez les traits de ces patres livides : Ne croyez-vous pas voir des spectres sans tombeaux, Qui, laisses par Caron sur le fatal rivage, Tendent vers vous la main, entr'ouvrent leurs lambeaux Pour mendier le prix de leur dernier passage ? NANNA. " Le flot grossit, le ciel est noir, Pietro, pourquoi partir ce soir ? " Lui dit sa mere ; "L'an dernier, j'eus beau 1'avertir, Ton frere aussi voulut partir, Ton pauvre frere ! " Pietro sautant Dans sa nacelle, Qui fuit loin d'elle, Dit en part ant : " Nanna m'appelle, Elle est si belle, Je 1'aime tant ! " La mauve blanche au cri plaintif Disait en volant sur 1'esquif : 330 MANUAL OF FRENCH POETRY. " Pecheur, arrete ! Le nid qui m'avait tant coute, De ce roc vient d'etre emport Par la tempete ! " Pietro, luttant, Avec courage Contre 1'orage Allait chantant : " Nanna m'appelle, Elle est si belle, Je 1'aime tant ! " Uu sourd murmure, au bruit des flots, De temps en temps melait ces mots : " Pietro, mon frere, Avant que ton heure ait sonne, Pour I'ame de ton frere aine, Une priere ! " Pietro, pourtant, Croit se meprendre Et sans 1'entendre II va cliantant : " Nanna m'appelle, Elle est si belle, Je 1'aime tant ! " Enfin il a touche les bords ; Mais 1'airain sonnait pour les morts Sur la tourelle. "Pour qui done priez-vous, pecheurs?" L'un d'eux en etouffant ses pleurs Dit : " c'est pour elle ! " Pietro 1'entend, Palit, soupire Et puis expire En repetaut : " Nanna m'appelle, Elle est si belle, Je 1'aime tant ! " DELAVIGNE. 331 LA VACHE PERDUE. Ah ! ah ! de la moutagne Reviens, Nera, reviens ! Reponds-moi, ma compagne, Ma vache, mon seul bien. La voix d'un si bon maitre, Nera, Peux-tu la mecounaitre ? Ah! ah! Nera! Reviens, reviens, c'est 1'heure Oil le loup sort des bois ; Ma chienne, qui te pleure, Repond seule a ma voix : Hors 1'ami qui t'appelle, Nera, Qui t'aimera comme elle ? Ah! ah! N&ra! Dis-moi si dans la creche, Ou tu lechais ma main, Tu maiiquas d'herbe fraiche Quaud je manquais de pain. Nous n'en avions qu'a peine, Nera, Et ta creche etait pleine. Ah! ah! Nera! Helas ! c'est bien sans cause Que tu m'as delaisse. T'ai-je dit quelque chose Hors un mot, 1'an passe ? Oui, quand mourut ma femme, Nera, 332 MANUAL OF FRENCH POETRY. J'avais la mort dans 1'ame. Ah! ah! Nera! De ta mamelle avide, Mon pauvre enfant crira ; S'il voit 1'etable vide, Qui le consolera ? Toi, sa seule nourrice, Nera, Veux-tu done qu'il perisse ? Ah! ah! Nera ! Lorsqu'avec la pervenche Paque refleurira, Des rameaux du dimanche Qui te couronnera ? Toi, si bonne chretienne, Nera, Deviendras-tu paieuue ? Ah! ah! Nera! Quand les miens en famille Fetaient les rois entre eux, Je te disais : " Ma fille, Ma part est a nous deux." A la feve prochaine, Nera, Tu ne seras pas reine. Ah! ah! Nera ! Ingrate ! quand la fievre Gla9ait mes doigts roidis, Otant mon poil de chevre, Sur vous je 1'etendis. DELAl'IGNE. 333 Faut-il que le froid vienne, Nera, Pour qu'il vous en souvieiine ? Ah! ah! Nera ! Adieu ! sous mon vieux hetre Je m'en reviens sans vous. Allez chercher pour maitre Un plus riche que nous. Allez, mon coeur se brise, Nera, Pourtant, Dieu te conduise ! Ah! ah! Nera! Je n'ai pas le courage De te vouloir du mal : Sur nos monts crains 1'orage ; Grains 1'ombre dans le val. Pais longtemps Pherbe verte, Nera, Nous mourrons de ta perte. Ah ! ah ! Nera ! Un soir, a ma fenetre, Nera, pour t'abriter, De ta corne peut-etre Tu reviendras heurter. Si la famille est morte, Nera, Qui t'ouvrira la porte ? Ah! ah! Nera! MANUAL OF FRENCH POETRY. LE MARRONNIER D'ELISA. Le marronnier plante pour elle Grandit sous la rosee ; il monte, il prend 1'essor. Que les hivers soient doux a sa tige nouvelle : Que des troupeaux errants la dent 1'epargne encor; Si je le vois jamais aussi beau qu'elle est belle, Jamais chene orgueilleux n'cgalera 1'essor Du marronnier plante pour elle. Le marronnier plante pour elle Livre au soleil d'avril ses bourgeons entr'ouverts. Printemps, de tes couleurs prodigue la plus belle ; Nuit, tes pleurs les plus t'rais verses du liaut des airs ; Soleil, les plus doux feux dc ta ehaleur nouvelle ; Donnez, prodiguez tout aux bourgeons entr'ouverts Du marronuier plante pour elle ! Le marronnier plante pour elle Se couronne en riant de ses premieres fleurs. L'oiseau qui-vient de naitre, a leur blancheur nouvelle, Vient confondre 1' eclat de ses jeuues couleurs ; Chantre leger des airs, tu deviendras fidele En commenpant d'aimer sur les premieres fleurs Du marrounier plante pour elle ! Le marronnier plante pour elle Perd tour a tour loin d'elle et reprend ses rameaux. Quand ses jours sont fletris, en vain Phomme rappelle Ceux dont il a jonche le chemin des tombeaux. Plus de retour pour eux, plus de fraicheur nouvelle ! Us s'effeuillent pourtant ainsi que les rameaux Du marronnier plante pour elle. Le marronnier plante pour elle Voit se faner les miens dans 1'ete de mes ans ; Ne viendra-t-elle done que si la mort 1'appelle ? DELAFIGNE. 335 Eh bien ! que je succombe ; et, sous 1'herbe des champs, En tombant de ses mains qu'uue feuille se mele Aux feuilles que sur moi jettera tous les aus Le marronnier plante pour elle. L'ATTENTE. L'aurore a chasse les orages, D'un voile de pourpre et d'azur Elle pare un ciel sans nuages ; L'onde roule un cristal plus pur. Sur un gazon humide encore, Aux premiers regards du soleil, La rose, se hatant d'eclore, Ouvre un calice plus vermeil ; Un zephyr plus doux la caresse ; Les oiseaux sont plus amoureux ; La vigne avec plus de tendresse Embrasse Pormeau de ses noeuds. Dans ces retraites solitaires, Tout s'embellit de mon espoir : Frais gazons, beau ciel, ondes claires, Sauriez-vous qu'elle vient ce soir ? PENSEES DETACHEES. La vie est un combat dont la palme est aux cieux. Quel que soit de nos jours ou 1'eclat ou le nombre. L'existence de Phomme est le reve d'une ombre. Pour monter sur le faite il faut savoir descendre, Et mendier bien bas ce qu'on n'ose pas prendre. 336 MANUAL OF FRENCH POETRY. REBOUL. 1796-1854. JEAN REBOUL, called the baker poet, was born at Mmes. Although he enjoyed in his youth but very limited advantages of education, he never- theless possessed so much natural love for the poetic art that even amid the cares and labors of his humble vocation, which he never forsook, he found time to raise himself to au honorable place among the lyric poets of his country. As a matter of course, in all his work, more is due to nature than to study, to genius than to art. Reboul appeared just at the moment most favorable of all in the history of modern French litera- ture for the reception of this poetry of the laboring class. All the chief men of letters of the day hastened to greet him with a most hearty wel- come. But alike indifferent to all he sang ; for to sing was his nature and his passion, and what mattered it to him whether there were any about him to listen or not ? Le rossignol caeh6 dans la feuillee fipaisse, S'inquiete-t-il s'il est dans le lointain des bois Quelqne oreille attentive k recueillir sa voix ? Non, il jette au desert, k la nuit, au silence Tout ce qu'il a recu de suave cadence ; Si la nuit, le desert, le silence sent gourd, Celui qui Pa cr6e 1'ecoutera toujours. L'ANGE ET L'ENFANT. Un ange au radieux visage, Penclie sur le bord d'un berceau, Semblait contempler son image, Comme dans 1'onde d'un ruisseau. " Charmant enfant, qui me ressemble," Disait-il, " oh ! viens avec moi ! "Viens, nous serons heureux ensemble ; La terre est indigne de toi. REBOUL. 337 " La, jamais entiere allegresse : L'ame y souffre de ses plaisirs, Les cris de joie out leur tristesse, Et les voluptes leurs soupirs. " La craiute est de toutes les fetes ; Jamais uu jour calme et serein Du choc tenebreux des tempetes N'a garanti le lendemain. " Eh quoi ! les chagrins, les alarmes Viendraient troubler ce front si pur ! Et par 1'amertume des larmes Se teniiraient ces yeux d'azur ! " Non, non, dans les champs de 1'espace Avec moi tu vas t'envoler ; La providence te fait grace Des jours, que tu devais couler. " Que personne dans ta demeure N'obscurcisse ses vetements ; Qu'on accueille ta derniere heure Aiusi que tes premiers moments. " Que les fronts y soient sans nuage, Que rien n'y revele un tombeau ; Quand on est pur comme a ton age Le dernier jour est le plus beau." Et secouant ses blanches ailes, L'ange a ces mots a pris 1'essor Vers les demeures eternelles . . . Pauvre mere ! . , . ton flls est mort ! 15 338 MANUAL OF FREXCH POETRY. SOUPIR. Tout n'est qu'images fugitives ; Coupe d'amertume ou de miel, Chansons joyeuses ou plaintives Abusent des levres fictives : II n'est rien de vrai que le ciel. Tout soleil nait, s'eleve et torabe : Tout trone est artificiel ; La plus haute gloire succombe ; Tout s'epanouit pour la tombe, Et rien n'est brillaut que le ciel. Navigateur d'un jour d'orage, Jouet des vagues, le mortel, Repousse de chaque rivage, Ne voit qu'ecueil sur son passage, Et rien n'est calme que le cieL L'AUMONE. Donnez a 1'indigent ; donnez, heureux du monde ; Yous etes en tout point semblables a cette onde Qui, caressant des bords par des palmiers couverts, Savoure avec orgueil leur ombre favorable, Et s'avance pourtant d'un cours invariable Pour se perdre dans les deserts. Donne/, car de la mort 1'inflexible fantome Ne nous laisse emporter, dans son fatal royaume, Que nos crimes et nos vertus ; Et parmi les vertus 1'aumoue est la plus belle, La plus belle des fleurs dont Peclat etincelle Sur la couronne des elus. REBOUL. 339 Donnez, afia qu'ayant parcouru la carriere, Vous puissiez sans gemir regarder en arriere, Et trouver moins amer le moment du trepas ; Afiu de ne pas voir 1'esperauce bannie ; Quaud vos jours passerout devaut votre agonie, Que vous ne les maudissiez pas ! Donnez, afin que, meme aux terrestres demeures, Le ciel de ses bontes aceompagne vos lieures, Et vous rende en tout triompliants ; Afiu qu'en vos sillous il seme 1'aboudance, Et qu'il tienne les eaux de la fausse science Loin des levres de vos enl'auts. S.igieur, uotre misere est-elle assez profonde? Que ma faible parole, en charite ieconde, Rende tous les coeurs genereux ! Faites pleuvoir I'aunioue aux accents de ma lyre ; La vanitc n'a point commande mon delire, J'ai clianle pour les malheureux. CONSOLATIONS SUR L'OUBLI. Avant que de ma vie apparaisse le terme, Que je puisse epancher Phymue que je renferme ! Inviter toute levre a gouter de ce miel Qui douue sur la terre un avant-gout du ciel ! Et je mourrai content, et sur de recompense, Ainsi que ces bieufaits offerts a 1'indigence, D'ou 1'ombre se rapproche et le bruit se tient loin, Et qui n'ont ici-bas que Dieu seul pour temoiu. La lyre ne doit pas te rendre infortuuee ; Remercious le ciel de nous 1'avoir donuee ; II est quelque plaisir qu'elle nous fait gouter, Et tu t'epanouis en t'ecoutant chanter ! 340 MANUAL OF FRENCH POETRY. TASTU. 1795-1846. AMABLE TASTU, the most distinguished of the modern female poets of France, was born at Metz. She exhibited very early in life a remarkable fondness for literary culture, and her poetic efforts soon commanded the attention and admiration of all persons of taste by the elegance, harmony, and purity of her verse. From the publication of her first volume of poems she occupied a most honorable position among the literary charac- ters of her day. In 1839 Madame Tastu presented to the French Acad- emy a eulogy upon Madame de Sevigne, which won for its author the literary crown of that institution. MON ROYAUME. Un jour aussi je voulus etre reine : D'ambition quel cceur u'est entache ? Je me suis fait un empire cache, Monde inconiiu, hors a sa souveraine : Mon troue est humble et n'a rien d'eclatant ; Mais nul peril aussi qu'on me le premie : Combien de rois n'en diraieiit pas autant ? J'ai dans ma cour, aux autres cours pareilles, Des enuemis qui se font mes flatteurs, Les vanites et les reves menteurs ; Mais j'ai pres d'eux un conseiller qui veille. Que je faillisse, il me tance a 1'instant ; Eien a sa voix n'interdit mon oreille ! Combien de rois n'en diraient pas autaut ? Ne croyez pas ma puissance exposee A se briser dans ses vouloirs mouvauts, Comme un drapoau qui flotte au gre des vents ; TASTU. 341 A son caprice une borne est posee. Oui, j'obeis, non au joug qu'on me tend, Mais a la loi par moi-meme imposee ; Combien de rois u'eu diraient pas autaut ? J'ai mon spectacle, et sonvent s'y deploie Uu drame sombre, ou fantasque, ou riant ; Chants d'ltalie et luxe d'Orieut, Fleurs et parfums, murs d'or, tapis de soie : Fete oil jamais nul ennui ne m'attend, Oil nul impot n'a du payer ma joie ! Combien de rois n'en diraient pas autant ? Qu'on ait vecu sous le marbre ou le chaume, Au meme but nous arrivons, helas ! Rois et sujets, il faut, plus ou moins las, Tomber aux pieds de 1'eternel fantome. Mais quels regrets me suivraient en partaut, Sure avec moi d'emporter mon royaume ! Est-il uu roi qui puisse en dire autaut ? LA FLEUR DU VOLCAN. Humble et chetive fleur, par le sort coudamnee, Sur le flanc d'un volcan pourquoi done es-tu nee ? Qu'as-tu fait a ce sort, dont 1'iujuste dedain Te refuse 1'enclos d'un rustique jardin? Au gre de sa faveur ta grace solitaire Eut fait meme I'orguoil d'uu somptueux parterre, Sous les yeux satisfaits d'opulents possesseurs, Qui te proclameraient belle parmi tes soeurs ! Helas ! telle n'est point la part qui t'est restee ; Sur un sol fremissaut, sans relache agitee, Tu fleuris sans repos, tu souifres sans temoins ; Ceux qui t'auraient pu voir sont emus d'autres soins ; Qu'importe qu'a leurs pieds un doux parfum s'exhale, Dans 1'ombre et le secret, de ta corolle pale, 342 MANUAL OF FRENCH POETRY. Qui longtemps exposes a tous les vents du del, Garde encore a 1'abeille une goutte de miel ? Quaud une ville, un peuple, un empire s'efface, Qui songerait a toi, qui chercherait ta trace, Pauvre fleur oubliee au ssin des rocs deserts, Oil tu subis longtemps 1'iuclemence des airs ? LA BARQUE. Mon ceil reveur suit la barque lointame Qui vient a moi, faible jouet des flots ; J'aime a la voir deposer sur 1'arene D'adroits pecheurs, de joyeux matelots. Mais a ma voix, uulle voix qui repoude ! La barque est vide, et je n'ose approcher. Nacelle vagabonde, A la merci de 1'onde, Pourquoi voguer sans rame et saus iiocher ? La mer paisible et le ciel sans nuage Sont embellis des feux du jour naissant ; Mais dans la nuit groudait uu noir orage ; L'air etait sombre et le flot mena9ant, Quand 1'esperance, en promesses feconde, Ouvrit 1'auneau qui t'enchaiue au rocher. Nacelle vagabonde, A la merci de Ponde, Pourquoi voguer sans rame et sans nocber ? Oui, ton retour cache un triste mystere ! D'un poids secret il oppresse mon cur. Sur cette plage, errante et solitaire, J'ai vu pleurer la femme du pecheur ! Es-tu 1'objet de sa douleur profoude ? Sss longs regards allaient-ils te cherclier? Nacelle vagabonde, A la merci de I'onde, Pourquoi voguer sans rame et sans iiocher ? TASTU. 343 SCENES DU PASSE. Verts gazons oil fleurit la blanche marguerite, Ombrage qu'au printemps la violette Labite, Vallons, bocage, humble seiitier, Dont la mousse refoit cette pluie argentine Qui tombe au gre des vents du front de 1'aubepiue Ou des rameaux de 1'eglantier ; Pres dont mes jeunes pas foulaient 1'herbe penehee, Bosquets d'arbustes verts, oil la source cachee Jaillit loin des yeux du passant, Oil la brise d'Avril, d'une aile printaniere, M'apportait, en fuyaut a travers la clairiere, L'odeiir du feuillage naissant. Bords feconds et cheris, frais et riant theatre, Ou, la lyre a la main, ma jeunesse folatre Ouvrit le drame de mes jours, Parfois quand du sommeil mes nuits sont delaissees Votre image s'eveille, et des scenes passees Je crois recommencer le cours. Je revois tour a tour la penchante colline Dont I'invisible echo de ma voix enfantine A repete les premiers airs ; Get enclos ombrage cher aux plaisirs rustiques, Et de ceux que j'aimais les ombres fantastiques Peupleiit encor ses banes deserts. Voila la blanche eglise et 1'autel de Marie, Et tous ces lieux alors chers a ma reverie, Ou j'ai chaute, prie, souffert ; Car mes beaux jours, helas ! n'etaient pas sans nuage, Et plus d'un sombre aspect, avec leur douce image, A mou souvenir s'est offert. 3-44 MANUAL OF FRENCH POETRY. Pourtant le cceur fidele a ces jours d'esperance, Da leurs moments de joie et meme de souffraiice Ne veut rieu livrer a 1'oubli. Des maux qui ne sont plus 1'amertume s' efface, Et quand la main du temps en adoucit la trace, Le malheur est presque embelli. Ainsi, durant le cours d'un rapide voyage, Chaque site en fuyant, ou fertile, ou sauvage, D'attraits nouveaux semble pare ; Et les monts qu'au matin on gravit avec peiiie, Le soir cliarmeut uos yeux, quaiid la vapeur lointaine Y jette son voile azure. LES FEUILLES DE SAULE. L'air etait pur ; un dernier jour d'automue, En nous quittant, arrachait la couronne An front des bois ; Et je voyais, d'une marche suivie, Fuir le soleil, la saison et ma vie Tout a la fois. Pres d'un vieux tronc, appuyee en silence, Je repoussais 1'importune presence Des jours mauvais ; Sur 1'onde froide ou 1'herbe encor fleurie Tombait sans bruit quelque feuille fletrie, Et je revais ! Au saule antique incline sur ma tete Ma main enleve, indolente et distraite, Un vert ranieau ; Puis j'effeuillai sa depouille legere, Suivant des yeux sa course passagere Sur le ruisseau. TASTU. 345 De mes ennuis jeu bizarre et futile ! J'interrogeais cbaque debris fragile Sur 1'avenir ; " Voyons," disais-je a la fleur entraiuee, " Ce qu'a ton sort ma fortune enchainee Va devenir ? " Tin seul instant je 1'avais vue a peine, Comme un esquif que la vague promene, Voguer en paix : Soudain le flot la rejette au rivage ; Ce leger choc decida sou naufrage. Je 1'attendais ! Je fie a 1'oude une feuille nouvelle, Cberchant le sort que pour mou luth fidele J'osai prevoir ; Mais vaiuement j'esperais uu miracle, Un vent leger emporta mon oracle Et mon espoir. Sur cette rive oil ma fortune expire, Oil mon talent sur 1'aile du zephire S'est envole, Vais-je exposer sur 1' element perfide Un vceu plus cher ? non, non, ma main timide A recule. Mon faible coaur, en blamaut sa faiblesse, Ne put bannir une sombre tristesse, Un vague effroi : Un cffiur malade est cre"dule aux presages ; Us amassaient de menayants nuages Autour de moi. Le vert rameau de mes mains glisse a terre : Je m'eloignai pensive et solitaire, Non sans effort ; 15* 346 MANUAL OF FRENCH POETRY. Et dans la nuit mes songes fantastiques Autour du saule aux feuilles prophetiques Erraieut eucor. LE DERNIER JOUR DE L'ANNEE. Deja la rapide journee Fait place aux heures du sommeil, Et du deruier fils de 1'aunee S'est enfui le dernier soleil. Pres du foyer, seule, inactive, Livree aux souvenirs puissants, Ma pensee erre, fugitive, Des jours passes aux jours presents. Ma vue, au hasard arretee, Longtemps de la flamme agitee Suit les caprices eclatauts, Ou s'attaclie a 1'ucier mobile Qui compte sur 1'einail fragile Les pas silensieux du temps. Un pas encare, encore une heure, Et 1'annee aura saus retour Atteint sa derniere demeure ; L'aiguille aura fini son tour. Pourquoi, de mon regard avide, La poursuivfe ainsi tristement, Quaud je lie puis d'un seul moment Retardor sa marche rapide ? Du temps qui vieiit de s'ecouler, Si quelques jours pouvaieut reuaitre, II n'en est pas un seul peut-etre Que ma voix daignat rappeler ! Mais des ans la fuite m'etonne ; Leurs adieux oppressent mon coeur ; Je dis : C'est encore une fleur Que 1'age enleve a ma couronne, Et livre au torrent destructeur ; TASTU. 347 C'est une ombre ajoutee a 1'ombre, Qui deja s'etend sur mes jours ; Un printemps retranche du nombre De ceux dont je veiTai le cours ! coutons ! le timbre sonore Lentement fremit douze fois ; II se tait ; je 1'ecoute encore, Et 1'annee expire a sa voix. C'en est fait, en vain je 1'appelle, Adieu ! Salut sa sceur nouvelle, Salut ! Quels dons chargent ta main ? Quel bien nous apporte ton aile ? Quels beaux jours dorment dans ton sein ? Que dis-je ! a mon ame tremblante Ne revele point tes secrets : D'espoir, de jeunesse, d'attraits, Aujourd'lmi tu parais brillante ; Et ta course insensible et lente Peut-etre amene les regrets ! Ainsi chaque soleil se leve Temoin de nos voeux insenses ; Ainsi toujours son cours s'acheve En eutrainant, comme un vain reve, Nos VOBUX decus et disperses ; Mais Fesperance fantastique, Repandant sa clarte magique Dans la nuit du sombre avenir, Nous guide, d'annee en annee, Jusqu'a 1'aurore fortunee Du jour qui ne doit pas finir. L'ANGE GARDIEN. Veillez sur moi quand je m'eveille, Bon ange, puisque Dieu 1'a dit ; Et chaque nuit quand je sommeille Pcncliez-vous sur mon petit lit. 348 MANUAL OF FRENCH POETRY. Ayez pitie dc ma faiblesse ; A mes cotes marchez sans cesse, Parlez-moi le long du chemin ; Et pendant que je vous ecoute, De peur que je ne tombe en route, Bon auge, donuez-moi la main. PLAINTE. " No more, O never more ! " SHELLEY. O monde ! 6 vie ! 6 temps ! fantomes, ombres vaines, Qui lassez, a la fin, mes pas irresolus, Quand reviendront ces jours ou vos mains etaient pleines, Vos regards caressants, vos promesses certaines ? Jamais, 6 jamais plus ! L'eclat du jour s'eteint aux pleurs ou je me noie, Les channes de la nuit passent inapercus ; Nuit, jour, printemps, liiver, est-il rien que je voie ? Mon cceur peut battre, encor de peine, mais de joie Jamais, 6 jamais plus ! REVERIE. Alors que sur les monts 1'ombre s'est abaiss^e, Des jours qui ne sont plus s'eveille la pensee ; Le temps i'uit plus rapide, il entraine sans bruit Le cortege leger des lieures de la nuit. Un songe consolant rend au co3ur solitaire Tous les biens qui jadis 1'attacliaient a la terre, Ses premiers sentiments et ses premiers amis, Et les jours de bonlieur qui lui furent promis. Calme d'un age lieureux, pure et saiute ignorance, Amitie si puissante, et toi, belle esperauce, Doux tresors qui jamais ne me seront rendus, Ah ! peut-on vivre encore et vous avoir perdus ! E. DESCHAMPS. 349 E. DESCHAMPS. 1798-1871. DESCHAMPS, a lyric poet of some distinction, was born at Bourges. His translations of Romeo and Juliet, Macbeth, and other plays of Shakespeare into French, are highly esteemed both for their great fidelity, and the elegance of their style. He is also the author of a col- lection of poems, of moral tendency, under the title of Poesies des Creches, and has likewise published a poem called Rodrigue, dernier Roi des Goths, the inspiration for which was undoubtedly gathered from those admirable Spanish ballads which have been sometimes styled an Iliad without Homer. LE FLEUVE. Soit que 1'onde bouillomie et se creuse en grondant Parmi les durs rochers uu lit iiidependant, Soit qu'elle suive en paix uue peute insensible, Un espoir iuconnu vers un but invisible L'appelle ; elle obeit, et, torrent ou ruisseau, Ne reverra jamais les fleurs de son berceau. Le fleuve refleclut dans sa fuite limpide Et 1'immobile azur et 1'orage rapide. Les chants joyeux d'amour, les cris des. matelots, Rien ue 1'arrete, il passe, arrosant de ses flots Tantot de frais gazons, des bois, de beaux rivages, Tantot d'impurs marais et des laudes sauvages ; Puis, apparait soudain la sombre et vaste mer, Et le fleuve gemit et tombe au gouffre amer. Ainsi nos douteuses journees, Le front charge de deuil ou de fleurs couronnees, S'ecoulent promptement, jusqu'au jour redoute Ou, pour les engloutir, s'ouvre 1'eternite ! 350 MANUAL OF FRENCH POETRY. PENSEE. Oh ! qui me rendra ma jeunesse, Ma jeunesse de dix-lmit aus ! Qu'avec vous encor je renaisse, Premiere saison, heureux temps, Ou 1'azur du ciel se reflete Au fleuve indolent de nos jours, Age ou la famille est complete, Age ou 1'on aime pour toujours ! Aupres d'une mere et d'un pere Quel malheur peut nous effrayer ? On s'endort, on reve, on espere ; Une mort vient nous reveiller ! Helas ! a des lois infinies L'univers marche resigne ; II est d'etranges harmonies ; Tout a son poste designe. Au printemps, des chants et des fetes : Des zephirs a la jeune fleur ; Au vaste ocean les tempetes, Au coeur de 1'homme la douleur ! Heureux du moins (et je 1'eprouve ! ) Si, dans la femme de son choix, Celui qui perdit tout retrouve Un echo de ces douces voix, Un ressouvenir de ces ames, Un reflet des regards lointains Qui 1'eclairaient comme des flammes, Et comme elles se sont eteints ! A. LESCHAMPS. 351 A. DESCHAMPS. 1800- ANTONI DESCHAMPS, the brother of the preceding, was also a native of Bourges. His reputation as a poet rests upon a translation of the Divina Commedia of Dante into French, a volume of Satires Politiqnes, and two other volumes of poetry, entitled Les Dernieres Paroles, and La Resignation. LA RESURRECTION. II est ressuscite ; le linceul et la terre Ne couvrent plus son front ! Ineffable mystere ! Du sepulcre desert le inarbre est souleve ! II est ressuscite ! Comme un guerrier fidele Que le bruit du clairon a son poste rappelle, Peuples, le Seigneur s'est leve. Ainsi qu'un pelerin, a moitie du voyage, Sous 1'abri d'uu palmier couche durant I'orage, Se leve, et tout rempli de ses celestes voeux, Secoue en s'eveillaut une feuille sechee Qui pendant son sommeil, de 1'arbre detachee, S'etait melee a ses cheveux ; Ainsi le mort divin, a 1'aube renaissante, A jete loin de lui cette pierre impuissante, Sacrilege gardien de son cadavre-roi, Quand son ame, du fond de la sombre vallee, Au corps qui 1'attendait, tout a coup rappelee, A dit : " Me voila, leve-toi ! " O peres d'Israel ! quelle voix bienheureuse Vous a fait agiter votre tete poudreuse ? C'est lui, 1'Emmanuel, le Christ liberateur ! 352 MANUAL OF FRENCH POETRY. II a vaincu 1'enfer, fremissant sous son glaive. O vous qui Pattendiez ! oui, votre exil s'acheve ! C'est lui, c'est lui, le Redempteur ! Quel mortal avant lui, dans le sejour supreme, Vivant, aurait pu voir ce brulaut diademe Que 1'oeil des cherubins n'ose jamais braver ! Patriarches, c'est lui qui, dans le noir abime, Des coupables humains volontaire victime, Est descendu pour vous sauver. LA DISTRIBUTION DES PRIX. Notre maison hier etait pleine d'enfants, C'etait le jour des prix. Joyeux et triomphants, Dans leur petit jargon ils celebraient la fete Et faisaient un tapage a nous casser la tete ; Et moi, je me disais, a leurs ebats bruyants, " Quand done finirez-vous, implacables enfants ? " Ils out fini ; ce soir, par la uouvelle allee, Comme un essaim d'oiseaux leur troupe est envolee ; Ils sont partis enfin ; tout est calme, tout dort ; Plus de jeux, plus de bruit ; mais, helas ! c'est la mort. Aimons le mouvement ; les enfants, c'est la vie ; Aimons leurs jeux, leurs cris, et portons-leur envie ; Ils sont meilleurs que nous : leur age est innocent, Et dans leur jeune veine il bouillonne du sang. Ne les attristons pas par des conseils moroses ; Ils verront assez tot le grand revers des choses. En attendant le jour que garde 1'avenir, Avec eux, sans orgueil, aimons a rajeunir : Devant eux est le monde, et devant eux la vie, Qui toujours de devoirs doit etre bien remplie ; Car, aux mains des mortels, e'est un vase d'airain Oii le vide souvent pese plus que le plein. DE FIGNY. 353 DE VIGNY. 1799-1863. ALFRED-VICTOR, COUNT DE VIGNY, a dramatic author and poet of high distinction, was born at Loches and died in Paris. An ardent dis- ciple of the romantic school, he made his literary debut in 1822, at a time when poetry was in vogue and had possession of all hearts. The brothers Deschamps were then holding at Paris their reunions of the leading poets of this school, such as Victor Hugo, Charles Nodier, and Alexandra Soumet, in a society called La Ce'nacle. This association had for its or- gan La Muse Franchise, which although it accomplished little indeed for the profit of its editors and publishers, was nevertheless, by ils double war upon the classic, and the yet feebler school of the Empire, preparing the way for that reform which was soon to make so much stir in the literary world. Alfred de Vigny chose a medium ground between the schools, avoiding alike the dryness of the classic, and the too extravagant enthu- siasm of the romantic style. Less cold and precise than Casimir Dela- vigne, even while careful of his language, he did not wholly reject the rich coloring of nature which had been adopted by the new school. Notwithstanding the productions of De Vigny played such an important part in the development of the romantic school, his dramas have already passed entirely out of use. Not so, however, with filoa and his Poemes Antiques, which will probably never cease to be read and admired. " The lyre of Alfred de Vigny," says Vericour, "always gives forth tones of great sweetness and melody, but in strains too uniform and monotonous. He excels in the delineation of refined feelings, but is wanting in that exuberance of fancy and force of expression which so infallibly betray the powerful poetic mind. He is more distinguished for intellect and taste than for lofty inspiration." LA FILLE DE JEPHTE. Voila ce qu'ont chant e les filles d'Israel ; Et les pleurs ont coule sur 1'herbe du Carmel : " Jephte de Galaad a ravage trois villes ; 354 MANUAL OF FRENCH POETRY. Abel ! la flamme a lui sur tes vignes fertiles ! Aroer sous la cendre etcignit ses chansons ! Et Mennith s'est assise en pleuraut ses moissons ! " Tous les guerriers d'Ammou sont detruits, et leur terre Du Seigneur iiotre Dieu reste la tributaire. Israel est vainqueur, et par ses cris percants Recommit du Tres-Haut les secours tout-puissants." A 1'hymne universel que le desert repete Se mele en longs eclats le son de la trompette, Et 1'armee, en marchant vers les tours de Maspha, Leur raconte de loin que Jeplite triompha. Le peuple tout entier tressaille de la fete ; Mais le sombre vaiuqueur marche en baissant la tete ; Sourd a ce bruit de gloire, et seul, silencieux, Tout a coup il s'arrete, il a ferme ses yeux. II a ferme ses yeux ; car au loin, de la ville, Les vierges, en chantant, d'un pas lent et tranquille Veuaient ; il entrevoit le choeur religieux, C'est pourquoi, plein de crainte, il a ferme ses yeux. Ses genoux out tremble sous le poids de ses armes ; Sa paupiere s'entr'ouvre a ses premieres larmes : C'est que, parmi les voix, le pere a recounu La voix la plus aimee, a ce chant ingenu : " O vierges d'Israel, ma couronrfb s'apprefe La premiere a parer les cheveux de sa tete ; C'est mon pere, et jamais un autre enfant que moi N'augmenta la famille heureuse sous sa loi." Et ses bras a Jephte donnes avec tendresse, Suspendaient a son cou leur pieuse caresse : " Mon pere, embrassez-moi ! d'ou naissent vos retards ? Je ne vois que vos pleurs et non pas vos regards. DE V1GNY. 355 " Je n'ai point oublie 1'encens du sacrifice : J'offrais pour vous hier la naissaute genisse ; Qui peut vous affliger ? Le Seigneur n'a-t-il pas Renverse les cites au seul bruit de vos pas ? " " C'est vous, helas ! c'est vous, ma fille bien-aimee ? " Dit le pere en rouvrant sa paupiere enflammee ; " Faut-il que ce soit vous ? 6 douleur des douleurs ! Que vos embrassements feront couler de pleurs ! " Seigneur, vous etes bien le Dieu de la vengeance, En echange du crime il vous faut 1'innocence. C'est la vapeur du sang qui plait au Dieu jaloux ; Je lui dois uue liostie, 6 ma fille ! et c'est vous ! " " Moi ? " dit-elle, et ses yeux se remplirent de larmes. Elle etait jeune et belle, et la vie a des cliarmes. Puis elle repondit : " Oh ! si votre serment Dispose de mes jours, permettez seulement " Qu'emmenant avec moi les vierges, mes compagnes, J'aille, deux mois entiers, sur le liaut des montagues, Pour la derniere fois, erraute en liberte, Pleurer sur ma jeunesse et ma virgiuite ! " Car je n'aurai jamais, de mes mains orgueilleuses, Purifie mon fils sous les eaux merveilleuses : Vous n'aurez pas beui sa venue, et mes pleurs Et mes chants n'aurout pas endormi ses douleurs ; " Et le jour de ma mort, nulle vierge jalouse Ne viendra demander de qui je fus 1'epouse, Quel guerrier prend pour moi le silice et le deuil : Et seul vous pleurerez autour de mou cercueil." Apres ces mots, 1'armee, assise tout entiere, Pleurait et sur son front repandait la poussiere. Jephte sous uu manteau tenait ses pleurs voiles ; Mais, parmi les sanglots, on eutendit : " Allez." 356 MANUAL OF FRENCH POETRY. Elle incliua la tete et partit. Ses compagnes, Comme nous la pleurons, pleuraient sur les montagnes. Puis elle vint s'offrir au couteau paternel. Voila ce qu'ont chante les fllles d'Israel. NAISSANCE D'ELOA. II naquit sur la terre un ange, dans le temps Oil le Mediateur sauvait ses habitants. Avec sa suite obscure, et comme lui bannie, Jesus avait quitte les murs de Bethanie ; A travers la campagiie il fuyait d'un pas lent, Quelquefois s'arretait, priaut et cousolant ; Assis au bord d'un champ, le preuait pour symbole, Ou du Samaritam disait la parabole, La brebis egaree, ou le mauvais pasteur, Ou le sepulcre blanc, pareil a 1'imposteur ; Et de la, poursuivaut sa paisible conquete, De la Cananeenue ecoutait la requete, A la fille sans guide enseignait ses chemins, Puis aux petits enfauts il imposait les mains ; L'aveugle-ne voyait, sans pouvoir le comprendre, Le lepreux et le sourd se toucher et s'entendre ; Et tous lui consacrant des larmes pour adieu, Us quittabnt le desert ou 1'on exilait Dieu. Eils de I'homme et sujet aux maux de la naissance, II les commencait tous par le plus grand, Pabsence, Abandomiaut sa ville et subissant 1'edit, Pour accomplir eu tout ce qu'on avait predit. Or, pendant ce temps-la, ses amis en Judee Voyaieut vemr leur fin qu'il avait retardee. Lazare, qu'il aimait et ne visitait plus, Vint a mourir, ses jours etant tous revolus; Mais 1'amitie de Dieu n'est-elle pas la vie ? II partit dans la unit ; sa marche etait suivie Par les deux jeunes sceurs du malade expire, Chez qui, dans ses perils, il s'etait retire : C'etaient Marthe et Marie ; or, Marie etait celle LE VIGNY. 357 Qui versa les parfums et fit blamer son zele. Tous s'affligeaient ; Jesus disait en vain : " II dort." Et lui-meme, en voyaut le linceul et le mort, II pleura. Larme sainte, a 1'amitie dounee, Oh ! vous ne fiites point aux vents abandonnee ! Des serapliins penches 1'urne de diamant, Invisible aux mortels, vous regut mollement, Et comme une merveille, au ciel meme etonnante, Aux pieds de 1'Eternel vous porta rayonnante. De 1'oeil toujours ouvert un regard complaisant fimut et fit briller 1'iueffable present ; Et 1'Esprit-Saiut, sur elle epaucliaut sa puissance, Donna I'arae et la vie u la divine essence. Comme 1'encens qui brule aux rayons du soleil Se change en un feu pur, eclatant et vermeil, On vit alors, du sein de 1'urne eblouissante, S'elever une forme et blanche et grandissante ; Une voix s'entendit qui disait : " lilloa ! " Et 1'ange apparaissant repoudit : " Me voila." LE REPOS. Une fois, par malheur, si vous avez pris terre, Peut-etre qu'un de vous, sur un lac solitaire, Aura vu, comme moi, quelque cygne endonni, Qui se laissait au vent balancer a demi. Sa tete nouchalante, en arriere appuyee, Se cache dans la plume au soleil essuyee ; Son poitrail est lave par le not transparent, Comme uu ecueil oil 1'eau se joue en expirant ; Le duvet qu'en passant 1'air derobe a sa plume, Autour de lui s'envole et se mele a 1'ecume ; Une aile est son coussin, 1'autre est son eventail ; II dort, et de son pied le large gouvernail Trouble encore, en ramant, 1'eau tournoyante et douce, Tandis que sur ses flancs se forme un lit de mousse, De feuilles et de joucs, et d'herbages errants, Qu'apportent pres de lui d'invisibles courants. 358 MANUAL OF FRENCH POETRY. LE COR. J'aime le son du cor, Ic soir, au fond des bois, Soit qu'il cliante les pleurs de la biche aux abois, ' Ou Padieu du chasseur que Pecho faible accueille, Et que le vent du nord porte de feuille en feuille. Que de fois seul dans Pombre a minuit demeure, J'ai souri de Pentendre, et plus souvent pleure ! Car je croyais ouir de ces bruits prophetiques Qui precedaient la mort des paladins antiques. O montagnes d'azur ! 6 pays adore ! Rocs de la Frazona, cirque du Marbore, Cascades qui tombez des neiges entrainees, Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrenees ; Monts geles et fleuris, trone des deux saisons, Dont le front est de glaca et les pieds de gazons ! C'est la qu'il faut s'asseoir, c'est la, qu'il faut entendre Les airs lointains d'uii cor melaucolique et tendre. Souvent un voyageur, lorsqifc Pair est sans bruit, De cette voix d'airaia fait reteiitir la nuit ; A ses chants cadences autour de lui S3 mele L'harraonieux grelot du jeuue agueau qui bele. Une biche attentive, au lieu de se cacher, Se suspend immobile au sommet du rocher, Et la cascade unit, dans uue chute immense, Son eternelle plainte au chant de la romance. Ames des Chevaliers, revenez-vous encor ? Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor ? Roncevaux ! Roneevaux ! dans ta sombre vallee L'ombre du grand Roland n'est done pas consolee. VICTOR HUGO. 359 X VICTOR HUGO. 1802- VICTOR HUGO, next to Lamartine the most distinguished of the lyric poets of France, and the acknowledged founder of the romantic school of poetry, was a native of Besan9on. His father, Count Hugo, who held the rank of general under the Empire, permitted Victor, though still very young, to accompany him in his expeditions to Italy and Spain. It was in these sunny lands, no doubt, that the inspiration was caught and the rev- eries of the poet first began. Having returned to Prance, the work of education was vigorously resumed under the direction of his mother, a woman of remarkable intellect and force of character, to whom he was largely indebted for the habits of energy which have characterized his subsequent life. He was scarcely fifteen years of age when he entered the lists and won the prize of the French Academy, with a poem entitled Les Avantages de 1'fltude. A second and third trial met with like suc- cess. His poem in the last instance was Mo'ise sur le Nil, which won for him the shining title of Master of the Floral Games. As he was then but eighteen years of age, these remarkable exhibitions of poetic genius surprised all, and called forth from Chateaubriand the enthusiastic ex- pression : " C'est un enfant sublime ! " " From this moment," says the contemporaneous biographer, " Victor Hugo perceived his vocation, and in the quiet of solitude, though often struggling with want, he prepared the revolution in literature which was to make him the chief of a new SL-hool. He applied himself to severe studies, and to the cultivation of that brilliant style which, while it expresses all the enthusiasm of the poet, is yet so simple and natural that a child may comprehend it; an alliance, it is claimed, till then unknown, and yet just that which pre- eminently characterizes romanticism in its true sense. It is naturalness joined to sublimity, and simplicity of expression to nobleness of thought." The manifesto of the new school appeared in the preface to his first drama, entitled Cromwell. In place of mere dead forms which literary tradition had preserved from the classic models, it substituted life and movement. This revolt, however, against rules and conventionalities inevitably led to excesses which are more especially apparent in the disci- ples of Victor Hugo, but which appear to some extent also in his own productions. 360 MANUAL OF FRENCH POETRY. At the age of twenty Victor Hugo published his first collection of lyric poems, entitled Odes et Ballades, and not long after, a second volume, called Les Orientales. This latter was the full inauguration of the new era. "Whatever doubt may have hitherto existed in regard to the certainty and permanence of his poetic talent, it was now dispelled. He had shown clearly that his muse could scale the "untrodden heights," and fathom the deepest depths. The style of versification, too, attracted at- tention, provoked criticism, and led to a long controversy, but this also resulted in the complete triumph of the author and his new method. The next volume which appeared was Les Feuilles d'Automne, the best perhaps, certainly the most agreeable of all his poetical works. It is a series of poems which do not, like the Orientales, celebrate the pomp and pageantry of war, or the splendors of Eastern life, but in calmer, sweeter strains, tell of home, of youth with its joys and hopes, and its memories, pleasant or sad. All the affections and emotions of the heart are charm- ingly portrayed. As the title indicates, there is a shade of melancholy and a religious tinge running through all. In the two volumes whinh next follow, namely, Les Chants du Crepusoulc and Les Voix Interieures, the reputation of the author was not fully sustained, but his fame was again more than restored by a succeeding volume called Les Rayons et les Ombres. The ablest critics are inclined to regard this his best produc- tion, although from the prevalence of some philosophic ideas, these poems are more difficult oT comprehension than his earlier compositions. Victor Hugo has also written several dramas, which, though exhibiting the same vigor of intellect as his other writings, have met with no marked success. The obvious explanation is a want of consistency in them all. His char- acters are imaginary and false, and hence do violence to fact and history. It must likewise be added that his latest poems, L'Annee Terrible, and La Liberation du Terr ito ire, though exhibiting the unmistakable marks of the great poet, evince on the whole a manifest decline from his primitive taste and power. Victor Hugo is reproached, as a poet, with two prominent faults, namely, an excessive passion for antitheses, and too much care for the form or material part, su?h as the image, the color, and the sound, in short, the neglect of the idea for the language. These defects, however, whk'h, it will be observed, are really but virtues in excess, occurring, as they do now and then, only cause the real merits of his style to stand out the more marked and resplendent. He is indeed the master colorist and musician united with the poet. Surely no other French writer of modern times has come to know so thoroughly all the resources of his language, and the dim -u't science of its harmony and rhythm. VICTOR HUGO. 361 TOUT PASSE. Que t'importe, mon caeur, ces naissances de rois, Ces victoires qui font eclater a la fois Cloches et canons en voices, Et louer le Seigneur en pompeux appareil ; Et la nuit, dans le ciel des villes en eveil, Monter des gerbes etoilees ? Porte ailleurs ton regard sur Dieu seul arrete ! Rien iei-bas qui n'ait en soi sa vauite : La gloire fuit a tire d'aile. Courounes, mitres d'or, brillent, mais durent psu ; Elle ne valent pas le brin d'herbe que Dieu Fait pour le nid de I'hirondelle ! Helas ! plus de grandeur contient plus de neant ! La bomba atteint plutot 1'obelisque geant Que la tourelle des colombes. C'est toujours par la mort que Dieu s'unit aux rois ; Lsur couronnc doree a pour faite sa croix, Son temple est pave de leurs tombes. Quoi ! hauteur de nos tours, splendeur de nos palais, Napoleon, Cesar, Mahomet, Pericles, Rien qui ne tombe et ne s'efface ! Mysterieux abinie ou 1'esprit se cont'ond ! A quelques pieds sous terre un silence profond, Et tant de bruit a la surface ! LA TOMBE ET LA ROSE. La tombe dit a la rose : " Des pleurs dont 1'aube t'arrose Que fais-tu, fleur des amours ? " La rose dit a la tombe : 16 362 MANUAL OF FRENCH POETRY. "Que fais-tu de ce qui tombe Dans ton gouffre ouvert toujours?" La rose dit : " Tombeau sombre, De ces pleurs je fais dans Pombre Un parfuni d'ambre et de miel." La tombe dit : " Fleur plaintive, De chaqus ame qui m'arrive Je fais un ange du ciel ! " SON NOM. Le parfum d'un lis pur, 1'cclat d'une aureole, La derniere rumeur du jour, La plainte d'uu ami qui s'afflige et console, L'adieu mysterieux de Pheure qui s'envole, Le doux bruit d'un baiser d'amour, L'echarpe aux sept couleurs que Forage en la nue Laisse, comme un trophee, au soleil triomphant, L'accent inespere d'une voix reconnue, Le vceu le plus secret d'une vierge ingenue, Le premier reve d'un enfant, Le chant d'un choeur lointain, le soupir qu'a 1'aurore Reudait le fabuleux Memnon, Le murmure d'un son qui tremble et s'evapore. . . . Tout ce que la pensee a de plus doux encore, O lyre ! est moius doux que son nom ! Prononce-le tout bas, ainsi qu'une priere. Mais que dans tous nos chants il resonne a la fois ! Qu'il soit du temple obscur la secrete lumiere ! Qu'il soit le mot sacre qu'au fond du sauctuaire Redit toujours la me me voix ! O mes amis ! avaut qu'en paroles de flamme, Ma muse, egarant son essor, VICTOR HUGO. 363 Ose aux noms profanes qu'un vain orgueil proclame, Meier ce chaste nom, que Pamour dans mon ame A cache, comme un saint tresor, II faudra que le chant de mes hymnes fideles Soit comme un de ces chants qu'on ecoute a genoux ; Et que 1'air soit emu de leurs voix solennelles, Comme si, secouant ses invisibles ailes, Un ange passait pres de nous ! PLUIE D'ETE. Que la soiree est fraiche et douce ! O viens ! il a plu ce matin ; Les humides tapis de mousse Verdissent tes pieds de satin. L'oiseau vole sous les feuillees, Secouaut ses ailes mouillees ; Pauvre oiseau que le ciel benit ! II ecoute le vent bruire, Chaute, et voit des gouttes d'eau luirc, Comme des perles, dans son nid. La pluie a verse ses oudees ; Le ciel repreiid sou bleu changeant, Les terres luisent fecondees Comme sous uu reseau d'argent. Le petit ruisseau de la plaine, Pour une heure enfle, roule et traine Brins d'herbe, lezards endormis, Court, et precipitant sou onde Du haut d'un caillou qu'il inonde, Fait des Niagaras aux fourmis ! Tourbillonnant dans ce deluge, Des insectes sans avirons Voguent presses, frele refuge ! Sur des ailes de moucherons ; 364 MANUAL OF FRENCH POETRY. D'autres pendent, comme a des iles, A des feuilles, errauts asiles ; Heureux dans leur adversite, Si, percant les flots de sa cime, Uue paille au bord de 1'abime Retient leur flottante cite ! Les courants ont lave le sable ; Au soleil montent les vapeurs, Et 1'horizon insaisissable Tremble et fuit sous leurs plis trompeurs. On voit seulement sous leurs voiles, Comme d'incertaines etoiles, Des points lumineux sciutiller, Et les monts, de la brume enfuie, Sortir, et ruisselant de pluie, Les toits d'ardoise etinceler. Viens errer dans la plaine humide. A cette heure nous serons seuls. Mets sur mon bras ton bras timide ; Viens, nous prendrons par les tilleuls. Le soleil rougissant decline : Avant de quitter la colline, Tourne un moment tes yeux pour voir, Avec ses palais, ses chaumieres, Rayonnants des memes lumieres, La ville d'or sur le ciel noir. O ! vois voltiger les fumees Sur les toits de brouillards baigne"s ! La, sont des epouses aimees, La, des coeurs doux et resignes. La vie, helas ! dont on s'ennuie, C'est le soleil apres la pluie. . . . Le voila qui baisse toujours ! De la ville, que ses feux noient, Toutes les fenetres flamboient Comme des yeux au front des tours. VICTOR HUGO. 365 L'arc-en-ciel ! l'arc-en-ciel ! Regarde. Comme il s'arrondit pur dans 1'air ! Quel tresor le Dieu bon nous garde Apres le tonnerre et 1'cclair ! Que de fois, spheres eternelles, Mon ame a demand e ses ailes, Implorant quelque Ithuriel, Helas ! pour savoir a quel monde Mene cette courbe profonde, Arclie immense d'uii pout du ciel ! TU PLEURAIS. Oh ! pourquoi te cacher ? Tu pleurais seule ici. Devant tes yeux reveurs qui done passait ainsi ? Quelle ombre flottait dans ton ame ? ]tait-ce long regret ou noir pressentiment, Ou jeunes souvenirs dans le passe dormant, Ou vague faiblesse de femme ? Voyais-tu fuir deja 1'amour et ses douceurs, Ou les illusions, toutes ces jeunes soeurs Qui le matin, devant nos portes, Dans 1'avenir sans borne ouvrant mille chemins, Danseut, des fleurs au front et les mains dans les mains, Et bien avant le soir sont mortes ? Ou bien te venait-il des tombeaux endormis Quelque ombre douloureuse avec des traits amis, Te rappelant le pen d'annees, Et demandant tout bas quand tu viendrais, le soir, Prier devant ces croix de pierre ou de bois noir Ou pendent tant de fleurs fanees ? Mais non, ces visions ne te poursuivaient pas. II suffit pour pleurer de songer qu'ici-bas Tout miel est amer, tout ciel sombre ; 366 MANUAL OF FRENCH POETRY. Que toute ambition trompe Peffort humaiii, Que 1'espoir est un leurre, et qu'il n'est pas de main Qui garde 1'onde ou premie 1'ombre ! Toujours ce qui la-bas vole au gre du zephir, Avec des ailes d'or, de pourpre et de saphir, Nous fait courir et nous devance ; Mais adieu 1'aile d'or, pourpre, email, vermilion, Quand 1'enfaiit a saisi le frele papillon, Quand 1'homme a pris son esperance \ Pleure. Les pleurs vont bien, meme au bouheur ; tes chants Sont plus doux dans les pleurs, tes yeux purs et touchants Sont plus beaux quand tu les essuies. L'ete, quand il a plu, le champ est plus vermeil, Et le ciel fait briller plus frais au beau soleil Son azur, lave par les pluies ! Pleure comme Rachel, pleure comme Sara. On a toujours souffert ou bien on souffrira. Malheur aux insenses, qui rient ! Le Saignsur nous releve alors que nous tombons. Car il prefere encor les malheureux aux bons, Ceux qui pleurent a ceux qui prient. Pleure afin de savoir ! Les larmes sont un don. Souvent les pleurs, apres 1'erreur et Pabandon, Raniment nos forces brisees. Souvent I'ame, sentant, au doute qui s'enfuit, Qu'un jour interieur se leve dans sa nuit, Repand de ces douces rosees. Pleure ; mais tu fais bien, cache-toi pour pleurer, Aie un asile en toi. Pour t'en desalterer, Pour les savourer avec charmes, Sous le riche dehors de ta prosp6rit6, Dans le fond de ton cceur, comme un fruit, pour 1'ete, Mets a part ton tresor de larmes. VICTOR HUGO. 367 Car la fleur, qui s'ouvrit avec 1'aurore en pleurs, Et qui fait a midi de ses belles couleurs Admirer la splendeur timide, Sous ses corolles d'or, loin des yeux importuns, Au fond de ca calice oil sont tous ses parfums, Souvent cache uue perle huinide. LA FLEUR ET LE PAPILLON. La pauvre fleur disait au papillon celeste : " Ne fuis pas ! Vois comme nos destins sont differents. Je reste, Tu t'en vas ! "Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes, Et loin d'eux, Et nous nous ressemblons, et 1'on dit que nous sommes Fleurs tous deux ! " Mais, helas ! 1'air t'emporte et la terre m'enchaiue. Sort cruel ! Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine, Dans le ciel ! " Mais non, tu vas trop loin. Parmi des fleurs sans nombre Vous fuycz, Et moi, je reste seule a voir tourner mon ombre A mes pieds ! " Tu fuis, puis tu reviens, puis tu t'eii vas encore Luire ailleurs. Aussi me trouves-tu toujours, a cliaque aurore, Toute en pleurs ; "Oh ! pour que notre amour coule des jours fideles, O mon roi ! Prends connne moi racine, ou donne-moi des ailes Comme a toi ! " 368 MANUAL OF FRENCH POETRY. SI MES VERS AVAIENT DES AILES. Mes vers fuiraient, doux et freles, Yers votre jardin si beau, Si mes vers avaient des ailes, Des ailes comme 1'oiseau. Us voleraient, etincelles, Vers votre foyer qui rit, Si mes vers avaient des ailes, Des ailes comme 1'esprit. Pres de vous, purs et fideles, Us accourraient nuit et jour, Si mes vers avaient des ailes, Des ailes comme Famour. LE POETE DANS LES REVOLUTIONS. " Le vent chasse loin des campagnes Le gland tombe des rameaux verts ; Chene, il le bat sur les moutagnes ; Esquif, il le bat sur les mers. Jeune homme, aiusi le sort, nons presse. Ne joins pas, dans ta folle ivresse, Les maux du monde a tes malheurs ; Gardens, coupables et victimes, Nos remords pour nos propres crimes, Nos pleurs pour nos propres douleurs ! " Quoi ! mes chants sont-ils teme'raires ? Faut-il done, en ces jours d'effroi, Rester sourd aux cris de ses freres ? Ne souffrir jamais que pour soi ? Non, le poete sur la terre VICTOR HUGO. 369 Console, exile volontaire, Les tristes humains daus leurs fers ; Parmi les peuples en delire, II s'elance, arme de sa lyre, Comme Orphee an sein des erifers ! * " Orphee aux peines eternelles Vint un moment ravir les morts ; Toi, sur les 1 etes criminelles, Tu ehantes 1'liymne du remords. Insense ! quel orgueil t'entrame ? De quel droit viens-tu dans 1'areiie Juger sans avoir combattu ? Censeur echappe de Penfance, Laisse vieilliv ton innocence, Avant de croire a ta vertu ! " Quand le crime, Python livide, Brave, impuni, le frein des lois, La Muse devient 1'Eumenide : Apollon saisit son carquois ! Je cede au Dieu qui me rassure ; J'ignore a ma vie encor pure Quels maux le sort veut attacher ; Je suis sans orgueil mon etoile ; L'orage dechire la voile : La voile sauve le nocher. " Les liommes vont aux precipices ! Tes chants ne les sauveront pas. Avec eux, loin des cieux propices, Pourquoi done f^garer tes pas ? Peux-tu, des tes jeunes annees, Sans briser d'atitres destinees, Rompre la chaine de tes jours ? Lpargne ta vie ephemere ; Jeune homme, n'as-tu pas de mere ? Poe'te, n'as-tu pas d' amours ? " 16* x 370 MANUAL OF FRENCH POETRY. Eh bien ! a mes terrestres flammes, Si je meurs, les cieux vont s'ouvrir. L'amour chaste agrandit les ames, Et qui salt aimer sait mourir. Le poete, en des temps de crime, Fidcle aux justes qu'on opprime, Celebre, imite les heros ; II a, jaloux de leur martyre, Pour les victimes uue lyre, Une tete pour les bourreaux ! " On dit qua jadis le Poete, Chantant des jours encor bintains, Savait a la terre inquiete Reveler ses futurs destins. Mais toi, que peux-tu pour le moudc ? Tu partages sa uuit profonde : Le ciel se voile et veut punir ; Les lyres n'ont plus de prophete, Et la Muse, aveugle et muette, Ne sait plus rien de 1'avenir ! " Le mortel qu'un Dieu meme anime Marclie a 1'avenir, plein d'ardeur ; C'est en s'elaii9ant dans 1'abime Qu'il en sonde la profondeur. II se prepare au sacrifice ; II sait qus le bonlieur du vice Par 1' innocent est expie ; Prophete a sou jour mortuaire, La prison est son sanctuaire, Et Pechafaud est son trepied ! " Que n'es-tu ne sur les rivages Des Abbas et des Cosroes, Aux rayons d'un ciel sans images, Parmi le myrte et 1'aloes ! La, sourd aux maux que tu deplores, VICTOR HUGO. 371 Le poete voit ses aurores Se lever saus trouble et sans pleurs ; Et la colombe, chere aux sages, Porte aux vierges ses doux messages Ou 1'amour parle avec des fleurs ! " Qu'un autre au celeste martyre Prefere un repos sans honueur ! La gloire est le but oil j'aspire ; On n'y va point par le bouheur. L'alcyon, quand 1'Ocean gronde, Craint que les vents ne troubleut 1'onde On se berce son doux sommeil ; Mais pour 1'aiglon, fils des orages, Ce n'est qu'a travers les images Qu'il prend son vol vers le soleil ! A UNE JEUNE FILLE. Vous qui ne savez pas combien I'enfauce est belle, Enfant ! n'enviez point notre age de douleurs, Ou le cceur tour a tour est esclave et rebelle, On le rire est souveut plus triste que vos pleurs. Votre age insouciant est si doux qu'ou 1'oublie ! II passe comme un souffle au vaste champ des airs, Comme une voix joyeuse en fuyant affaiblie, Comme un alcyon sur les iners. Oil ! ne vous hatez point de murir vos pensees ! Jouissez dn matin, jouissez du printemps ; Vos lieures sont des fleurs 1'une a 1'autre enlacees; Ne les effeuillez pas plus vite que le temps. Laissez venir les aus ! le destiu vous devoue, Comme nous, aux regrets, a la t'ausse amitie, A ces maux sans espoir que 1'orgueil desavoue, A ces plaisirs qui font pitie ! 372 MANUAL OF FRENCH POETRY. Riez pourtant ! du sort iguorez la puissance ; Riez ! n'attristez pas votre front gracieux, Votre ceil d'azur, miroir de paix et d'inuocence, Qui revele votre ame et reflechit les cieux ! MOISE SUR LE NIL. " Mes soeurs, 1'onde est plus fraiclie aux premiers feux du join ! Venez : le rnoissonneur repose en son sejour; La rive est solitaire encore ; Memphis eleve a peine un murmure coufus ; Et nos chastes plaisirs, sous ces bosquets touffus, N'ont d'autre temoin que 1'aurore. " Au palais de mon pere on voit briller les arts ; Mais ces bords pleins de fleurs charment plus mes regards Qu'un bassin d'or ou de porphyre ; Des chants aerieus sont mes concerts cheris ; Je prefere aux parfums qu'on briile en nos lambris Le souffle embaume du zephyre ! " Venez : 1'onde est si calme et le ciel est si pur ! Laisssz sur ces buissons Hotter les plis d'azur Da vos ceintures transparentes ; Detachez ma couronne et ces voiles jaloux; Car je veux aujourd'hui folatrer avec vous, Au sein des vagues murmurautes. " Hatons-nous. Mais parmi les brouillards du matin, Que vois-je r 1 Regardez a 1'horuon lointain ! Ne craignez rien, filles timides ! C'est sans doute, par 1'onde entraiue vers les mers, Ls tronc d'un vieux palmier qui, du fond des deserts, Vient visiter les Pyramides. " Que dis-je ? si j'en crois mes regards indecis, C'est la barque d'Hermes ou la conque d'Isis, Que pousse une brise legere. VICTOR HUGO. 373 Mais non : c'est un esquif ou, dans un doux repos, J'apercois un enfant qui dort au sein des flots, Comme on dort au sein de sa mere ! " II sommeille ; et, de loin, a voir son lit flottant, On croirait voir voguer sur le fleuve inconstant Le nid d'une blanche colombe. Dans sa couche eufantiue il erre au gre du vent ; L'eau le balance, il dort, et le gouffre inouvaut Semble le bercer dans sa tombe ! " II s'eveille : accourez, 6 vierges de Memphis ! II crie. Ah ! quelle mere a pu livrer sou fils Au caprice des flots mobiles ? II tend les bras ; les eaux groudent de toute part. Helas ! centre la mort il n'a d'autre rempart Qu'un berceau de roseaux fragiles. " Sauvons-le ! C'est peut-etre un enfant d'Israel. Mon pere les proscrit : mou pere est bien cruel De proscrire ainsi 1'innocence ! Faible enfant ! ses mallteurs ont emu mon amour, Je veux etre sa mere : il me devra le jour, S'il ne me doit pas la naissance." Ainsi parlait Iphis, 1'espoir d'un Roi puissant, Alors qu'aux bords du Nil sou cortege innocent Suivait sa course vagabonde ; Et ces jeunes beautes qu'elle eflacait encor, Quand la Fille des Rois quittait ses voiles d'or, Croyaient voir la Fille de 1'Onde. Sous ses pieds delicats leja le not fremit. Tremblante, la pitie vers 1'enfant qui gemit La guide en sa marche craintive : Elle a saisi 1'esquif ! fiere de ce doux poids, L'orgueil sur son beau front, pour la premiere fois, Se mele a la pudeur naive. 374 MANUAL OF FRENCH POETRY. Bientot divisant 1'onde et brisant les roseaux, Elle apporte a pas lents 1'enfaut sauve des eaux Sur le bord de 1'areue liumide ; Et ses soeurs tour a tour au frout du uouveau-ne, Offrant leur doux sourire a sou oeil etonne, Deposaient un baiser timide ! Accours, toi qui, de loin, dans un doute cruel, Suivais des yeux ton fils sur qui veillait le Ciel ; Viens ici comme une etrangere ; Ne crains rien : en pressant Moise entre tes bras, Tes pleurs et tes transports ue te trahiront pas, Car Iphis n'est pas encor mer? ! Alors, tandis qu'heureuse et d'un pas triomphant, La vierge au roi farouche amenait Phumble eni'aut, Baigne des larraes maternelles, On entendait en choeur, dans les cieux etoiles, Des anges, devant Dieu de leurs ailes voiles, Chanter les lyres eternelles. " Ne gemis plus, Jacob, sur la terre d'exil ; Ne mele plus tes pleurs aux flots impurs du Nil : Le Jourdain va t'ouvrir ses rives. Le jour enfin approche ou vers les champs promis Gessen verra s'eiifuir, malgre leurs ennemis, Les tribus si longtemps captives. " Sous les traits d'un enfant delaisse sur les flots, C'est 1'elu du Sina, c'est le roi des Fleaux, Qu'une vierge sauve de 1'onde. Mortels, vous dont 1'orgueil mecounait I'E'ternel, Fleckissez : un berceau va sauver Israel, Un berceau doit sauver le monde ! " VICTOR HUGO. 375 LA DEMOISELLE. Quand la demoiselle doree S'envole au depart des hivers, Souvent sa robe diapree, Souvent sou aile est dechiree Aux mille dards des bulssons verts. Ainsi, jeunesse vive et frele, Qui, t'egarant de tous cotes, Voles oil ton instinct t'appelle, Souvent tu declares ton aile Aux epines des voluptes. L'ENFANT QUI DORT. Dans Palcove sombre, Pres d'un humble autel, L'enfant dort a 1'ombre Du lit maternel. Tandis qu'il repose, Sa paupiere rose, Pour la terre close, S'ouvre pour le ciel. II fait bien des reves ; II voit par moments Le sable des greves Plein de diamauts ! Des soleils de flammes, Et de belles dames Qui portent des ames Dans leurs bras charmants. Songe qui 1'encliante ! II voit des ruisseaux : Une voix qui chante Sort du fond des eaux. 376 MANUAL OF FRENCH POETRY. Ses soeurs sont plus belles, Son pere est pres d'elles, Sa mere a des ailes Comme les oiseaux. II voit mille clioses Plus belles encor; Des lis et des roses Plein le corridor ; Des lacs de delice Ou le poisson glisse, Ou 1'onde se plisse A des roseaux d'or ! Enfant, reve encore ! Dors, 6 mes amours ! Ta jeune ame ignore Ou s'en vont tes jours. Comme une algue morte, Tu vas, que t'importe ! Le courant t'emporte, Mais tu dors toujours ! Sans soins, sans etude, Tu dors en chemin ; Et 1'inquietude A la froide main, De son ongle aride, Sur ton front candide, Qui n'a point de ride, N'ecrit pas : " Demain ! " D dort, innocence ! Les auges sereins Qui savent d'avance Le sort des humains, Le voyant sans armes, Sans peur, sans alarmes, TICTOR HUGO. 377 Baisent avec larmes Ses petites mains. Leurs levres effleurent Ses levres de raiel. L'enfaiit voit qu'ils pleurent, Et dit: "Gabriel!" Mais 1'ange le touche, Et, ber9ant sa couche, Un doigt sur sa boucke, Leve 1'autre au ciel. Cependaut sa mere, Prompte a le bercer, Croit qu'une chimere Le vient oppresser; Fiere, elle 1'admire, L'entend qui soupire, Et le fait sourire Avec uii baiser. UNE FEE. Que ce soit Urgele ou Morgane, J'aime, en un reve sans effroi, Qu'une fee, au corps diaphane, Ainsi qu'une fleur qui se fane, Vienne pencher son front sur moi. C'est elle dont le luth d'ivoire Me redit, sur un male accord, Vos contes, qu'on n'oserait croire, Bons paladins, si votre histoire N'etait plus merveilleuse encor. C'est elle, aux clioses qu'on revere Qui m'ordonne de m'allier, Et qui veut.que ma main severe 378 MANUAL OF FRENCH POETRY. Joigne la harpe du trouvere Au gantelet du chevalier. Dans le desert qui me reclame, Cachee en tout ce que je vois, C'est elle qui fait, pour mon ame, De cliaque rayon une flamme, Et de chaque bruit une voix ; Elle, qui dans 1'onde agitee Murmure en sortaut du rocker, Et, de me plaire tourmentee, Suspend la cigogne argentee Au faite aigu du noir clocher ; Quand 1'hiver, mon foyer petille, C'est elle qui vient s'y tapir, Et me montre, au ciel qui scintille, L'etoile qui s'eteiut et brille, Comme uu oeil pret a s'assoupir ; Qui, lorsqu'en des manoirs sauvages J'erre, chercliant nos vieux berceaux, M'environnant de mille images, Comme un bruit du torrent des ages Fait mugir 1'air sous les arceaux ; Elle, qui, la nuit, quand je veille, M'apporte de confus abois ; Et, pour endormir mon oreille, Dans le calme du soir, eveille Un cor lointaiu au fond des bois ! Que ce soit Urgele ou Morgane, J'aime, en un reve sans effroi, Qu'une fee, au corps diaphane, Ainsi qu'une fleur qui se fane, Vienne peucher son front sur moi ! VICTOR HUGO. 379 1 L'ENFANT MALADE PENDANT LE SIEGE. (L'Aiitiee Terrible.) Si vous contmuez d'etre ainsi toute pale Dans notre air etouffaut, Si je vous vois entrer daiis mon ombre fatalc, Moi vieillard, vous enfant ; Si je vois de nos jours se confondre la chaine, Moi qui sur mes genoux Vous contemple, et qui veux la mort pour moi procliaine, Et lointaine pour vous ; Si vos mains sont toujours diaphanes et freles, Si, dans votre berceau, Tremblante, vous avez 1'air d'attendre des ailes Comme un petit oiseau ; Si vous ne semblez pas prendre sur notre terre Racine pour longtemps, Si vous laissez errer, Jeanne, en notre mystere Vos doux yeux mecontents ; Si je ne vous vois pas gaie et rose et tres-forte, Si, triste, vous revez, Si vous ne fermez pas derriere vous la porte Par oil vous arrivez ; Si je ne vous vois pas comme une belle femme Marcher, vous bien porter, Hire, et si vous semblez etre une petite ame Qui ne veut pas rester, Je croirai qu'en ce monde, ou le suaire au lange Parfois peut confiner, Vous venez pour partir, et que vous etes 1'ange Charge de m'emmener. 380 MANUAL OF FRENCH POETRY. LA SORTIE. (L'Annee Terrible.) L'aube froide blemit, vaguement apparue. Une troupe defile en ordre dans la rue ; Je la suis, entraine par ce grand bruit vivant Que font les pas humains quand ils vorit en avant. Ce sont des citoyens partant pour la bataille. Purs soldats ! Dans les rangs, plus petit par la taille, Mais egal par le coeur, 1'eufaut avec fierte Tient par la main son pore, et la femme a cote Marche avec le fusil du niari sur Fepaule. C'est la tradition des femmes de la Gaule D'aider 1'homme a porter 1'armure, et d'etre la, Soit qu'on nargue Cesar, soit qu'on brave Attila. Que va-t-il se passer ? L'enfant rit, et la femme Ne pleure pas. Paris subit la guerre infame ; Et les Parisiens sont d'accord sur ceci Que par la lionte seule un peuple est obscurci, Que les aieux seront contents, quoi qu'il arrive, Et que Paris mourra pour que la France vive. Nous garderons Phonneur ; le reste nous 1'offrons. Et 1'on marche. Les yeux sont indignes, les fronts Sont pales ; on y lit : Foi, Courage, Famine. Et la troupe a travers les carrefours chemine, Tete haute, elevant son drapeau, saint haillon ; La famille est toujours melee au bataillon ; On ne se quittera que la-bas aux barrieres. Ces hommes attendris et ces femmes guerrieres Chantent ; du genre humaiu Paris defend les drafts. Ils arrivent anx murs, ils rejoignent Farmee. Tout a coup le vent chasse un flocon de fumee ; Halte ! c'est le premier coup de canon. Allons ! Un long fremissement court dans les bataillons, Le moment est venu, les portes sont ouvertes, Sonnez, clairons ! Voici la-bas les plaines vertes, Les bois ou rampe au loin Pinvisible ennemi, VICTOR HUGO. 381 Et le traitre horizon, immobile, endonni, Tranquille, et plein pourtant de foudres et de flammes. On entend des voix dire : " Adieu ! Nos fusils, femmes ! " Et les femmes, le front serein, le cceur brise, Leur rendent leur fusil apres 1'avoir baise. LES FEMMES DE PARIS PENDANT LE SIEGE. (L'Annee Terrible.) Ce qui fit la beaute des Romaines antiques,* C'etaient leurs humbles toits, leurs vertus domestiques, Leurs doigts que 1'apre laine avait faits noirs et durs, Leurs courts sommeils, leur calme, Amiibal pres des murs Et leurs maris debout sur la porte Colline. Ces temps sont revenus. La geante feline, La Prusse tient Paris, et, tigresse, elle mord Ce grand cceur palpitant du monde a moitie mort. Eh bien, dans ce Paris, sous Fetreinte inhumaine, L'homme n'est que Tranpais, et la feinme est Romaine. Elles acceptent tout, les femmes de Paris, Leur atre eteint, leurs pieds par le verglas meurtris, Au seuil noir des bouchers les attentes nocturnes, La neige et 1'ouragan vidaut leurs froides urnes, La famine, 1'horreur, le combat, sans rien voir Que la grande patrie et que le grand devoir : Et Juvenal au fond de 1' ombre est content d'elles. Le bombardement fait gronder nos citadelles ; Des 1'aube, le tambour parle au clairon lointain ; La diaue reveille, au vent frais du matin, La grande ville pale et dans 1'ombre apparue ; Une vague fanfare erre de rue en rue. On fraternise, on re ve un succes ; nous oifrons Nos coeurs a 1'esperance, a la foudre nos fronts. * Pnestabat castas htmiilis fortnna Latinas, ( '.-isubr, somnique breves, et vellere tusco Vexatse duiwque manus, et proximus urbis Anuibal, et stantes Collina iu turre mariti. Jurenal. 382 MANUAL OF FRENCH POETRY. LE GRAND HOMME. Le grand Lomnie vaincu peut perdre en un instant Sa gloire, sou empire, et son trone eclatant, Et sa couroune qu'on renie, Tout, jusqu'a ce prestige a sa grandeur mele Qui faisait voir sou front dans un ciel etoile ; II garde toujours son genie ! Ainsi, quand la bataille enveloppe un drapeau, Tout ce qui n'est qu'azur, ecarlate, oripeau, Frange d'or, tunique de soie, Tombe sous la mitraille en un moment hache, Et, lambeau par lambeau, s'en va comme arrache Par le bee d'un oiseau de proie ! Et qu'importe ? A travers les cris, les pas, les voix, Et la melee en feu qui sur tous a la fois Fait tourner son horrible meule, Au plus haut de la hampe, orgueil des bataillons, Ou pendait cette pourpre envolee en haillons, L'aigle de bronze reste seule ! LA FRANCE. O Dieu ! si vous avez la France sous vos ailes, Ne souftYez pas, Seigneur, ces luttes eternelles ; Ces troiies qu'on eleve et qu'on brise en couraut ; Ces tristes libertes qu'on donne et qu'on repreud ; Ce noir torrent de lois, de passions, d'idees, Qui repand sur les moeurs ses vagues debordees ; Ces tribuns opposant, lorsqu'on les reuuit, Une cliarte de platre aux abus de granit ; Ces flux et ces reflux de 1'onde contre 1'onde ; Cette guerre, toujours plus sombre et plus profoude, Des partis au pouvoir, du pouvoir aux partis ; VICTOR HUGO. 383 L'aversion des grands qui ronge les petits ; Et toutes ces rumeurs, ces chocs, ces cris sans nombre, Ces systemes affreux echafaudes dans 1'ombre, Qui font que le tumulte et la haine et le bruit Emplissent les discours, et qu'on enteud la nuit, A 1'heure ou le sommeil veut des moments tranquilles, Les lourds canons rouler sur le pave des villes ! LA LYRE ET LA HARPE. Dors, 6 fils d'Apollon ! ses lauriers te couronnent, Dors en paix ! Les neuf Soeurs t'adorent comme un roi ; De leurs choeurs nebuleux tes Songes t'environuent ; La Lyre ckante aupres de toi ! LA HARPE. Eveille-toi, jeune homme, enfant de la misere ! Un reve ferme au jour tes regards obscurcis, Et pendant ton sommeil, un indigent, ton frere, A ta porte en vain s'est assis ! LA LYKE. Ton jeune age est clier a la Gloire. Enfant, la Muse ouvrit tes yeux, Et d'une immortelle memoire Couronna ton nom radieux ; En vain Saturne te menace : Va, POlympe est ne du Parnasse, Les poetes out fait les dieux ! LA HARPE. Homme, une femme fut ta mere. Elle a pleure sur ton berceau ; Souffre done. Ta vie ephemere Brille et tremble, ainsi qu'un flambeau. 384 MANUAL OF FRENCH POETRY. Dieu, ton maitre, a d'uii sigue austere Trace ton chemr.i sur la terre, Et marque ta place au tombeau. LA HUE. Chante. Jupiter regne et 1'univers 1'implore ; Venus embrasse Mars d'un souris gracieux ; Iris brille dans 1'air, dans les champs brille Flore ; Cliante : les immortels, du couchaut a 1'aurore, En trois pas parcourent les Cieux ! LA HARPE. Prie ! II n'est qu'uu vrai Dieu, juste dans sa clemence, Par la fuite des temps sans cesse rajeuni. Tout s'acheve dans lui, par lui tout recommence. Sou etre emplit le monde ainsi qu'une ame immense ; L'liternel vit dans 1'Infini. LA LYRE. Ta douce Muse a fuir t'invite. Cherche un abri cabne et serein ; Les mortels, que le sage evite, Subissent le siecle d'airain. Viens ; pres de tes Lares tranquilles, Tu verras de loin dans les villes Mugir la Discorde aux cent voix. Qu'importe a 1'heureux solitaire Que 1'Autan devaste la terre, S'il ne fait qu'agiter ses bois ! LA HARPE. Dieu, par qui tout forfait s'expie, Marche avec celui qui le sert. Apparais dans la foule impie, Tel que Jean, qui vint du desert. Va done, parle aux peuples du monde : Dis-leur la tempete qui gronde, Revele le Juge irrite ; VICTOR HUGO. 385 Et, pour mieux frapper leur oreille, Que ta voix s'eleve, pareille A la rumeur d'une cite ! LA LYRE. L'Aigle est 1'oiseau du Dieu qu'avant tous on adore. Du Caucase a 1'Athos 1'Aigle planant dans 1'air, Hoi du feu qui feconde et du feu qui devore, Contemple le soleil et vole sur Feclair ! LA HARPE. La Colomhe descend du ciel qui la salue, Et, voilant PEsprit-Saint sous son regard de feu, Chere au Vieillard choisi comme a la Vierge elue, Porte un rameau dans 1'arche, annonce au monde un Dieu ! LA LYRE. Aime ! 6ros regne a Gnide, a 1'Olympe, au Tartare. Son flambeau de Sestos allume le doux phare, II consume Ilion par la main de Paris. Toi, fuis de belle en belle, et change avec leurs channes. L' Amour n'enfante que des larmes ; Les Amours sont f re res des Ris ! LA HARPE. L' Amour divin defend de la Haine infernale. Cherche pour ton coeur pur une ame virginale ; Cheris-la, Jehovah cherissait Israel. Deux etres que dans 1'ombre unit un saint mystere Passent en s'aimant sur la terre, Comme deux exiles du ciel ! LA LYRE. Jouis ! c'est au fleuve des ombres Que va le fleuve des vivants. Le sage, s'il a des jours sombres, Les laisse aux dieux, les jette aux vents. 17 Y 386 MANUAL OF FRENCH POETRY. Enfin, comme un pale convive, Quand la mort imprevue arrive, De sa couche il lui tend la main ; Et, riant de ce qu'il ignore, S'endort dans la nuit sans aurore, En revaut un doux lendemain ! LA HARPE. Soutiens ton frere qui chancelle, Pleure si tu le vois souffrir : Veille avec soin, prie avec zele, Vis en songeant qu'il faut mourir. Le pecheur croit, lorsqu'il succombe, Que le neant est dans la tombe, Comme il est dans la volupte ; Mais quaud 1'ange impur le reclame, II s'epouvaute d'etre une ame, Et freniit de 1' Eremite ! Le poete ecoutait, a peine a son aurore, Ces deux lointaines voix qui descendaient du ciel ; Et plus tard il osa parfois, bien faible encore, Dire a Pecho du Pinde un liymiie du Carmel ! LA LIBERATION DU TERRITOIRE. FRAGMENT. Avant peu PArcher noir embouchera le cor ; Je calcule combien il faut de temps encor ; Je pense a la melee affreuse des epees. Quand des frontieres sont par la force usurpers, Quand un peuple gisaut se voit le flauc ouvert, Avril peut etre plein de nids et de bruits d'ailes ; Mais les tas de boulets, noirs dans les citadelles, Ont I'air de faire uu songe et de fremir parfois, Et les canons muets ecoutent une voix Leur parler bas dans 1'ombre, et 1'avenir tragique Souffle a tout cet airain farouche sa logique. VICTOR HUGO. 387 LA PRIERE POUR TOUS. Ma fille ! va prier. Vois, la nuit est venue. Une plauete (Tor la-bas perce la nue ; La brume des coteaux fait trembler le contour ; A peine un char lointain glisse dans 1'ombre. Ecoute ! Tout rentre et se repose ; et 1'arbre de la route Secoue au vent du soir la poussiere du jour ! Le crepuscule, ouvrant la nuit qui les recele, Fait jaillir cliaque etoile en ardeute etincelle ; L'occident amincit sa frauge de carmin ; La nuit de 1'eau dans 1'ombre argente la surface ; Silloiis, sentiers, buissons, tout se mele et s'efface ; Le passant inquiet doute de son chemin. Le jour est pour le mal, la fatigue et la haine. Prions : voici la nuit ! la miit grave et sereine ! Le vieux patre, le vent aux breches de la tour, Les e tangs, les troupeaux, avec leur voix cassee, Tout souifre et tout se plaint. La nature lassee A besoin de sommeil, de priere et d'amour ! C'est Pheure ou les enfants parlent avec les anges. Tandis que nous courons a nos plaisirs etranges, Tous les petits enfants, les yeux leves au ciel, Mains jointes et piedb nus, a genoux sur la pierre, Disant a la meme heure une meme priere, Demandent pour nous grace au pere universel ! Et puis ils dormiront. Alors, epars dans 1'ombre, Les reves d'or, essaim tumultueux, sans nombre, Qui nait aux derniers bruits du jour a son decliu, Voyant de loin leur souffle et leurs benches vermeilles, Comme volent aux fleurs de joyeuses abeilles, Viendront s'abattre en foule a leurs rideaux de lin ! 388 MANUAL OF FRENCH POETRY. O sommeil du berceau ! priere de 1'enfance ! Voix qui toujours caresse et qui jamais n' offense ! Douce religion, qui s'egaye et qui rit ! Prelude du concert de la nuit solenuelle ! Ainsi que 1'oiseau met sa tete sous son aile, L'enfant dans la priere endort son jeune esprit ! LA FRANCE AUX ROIS. (La Liberation du Territoire.J Vous vous faites cadeau d'un peuple, apres souper ; L'aigle est fait pour planer et 1'homme pour ramper : L'Europe est le reptile et vous etes les aigles ; Vos caprices, voila nos lois, nos droits, nos regies ; La terre encor n'a vu sous le bleu firmament Rien qui puisse egaler votre assouvissement : Et le Destin pour vous s'epuise en politesses; Dsvant vos majestes et devant vos altesses Les pretres mettent Dieu stupefait a genoux : Jamais rbn u'a semble plus eternel que vous ; Votre toute-puissance aujourd'hui seule existe ; Mais, rois, tout cela tremble, et votre gloire triste Devine le refus profond de 1'avenir; Car sur tous ces bonbeurs que vous croyez tenir, Sur vos arcs triomphaux, sur vos splendeurs hautaines, Sur tout cs qui compose, 6 rois, 6 capitaines, L'amas prodigieux de vos prosperites, Sur ce que vous revez, sur ce que vous tentez, Sur votre ambition et sur votre esperance, On voit la grande main sanglante de la France. CONSEIL A UN ENFANT. Oh ! bien loin de la voie Ou marche le pecheur, Cliemine ou Dieu t'envoie ! rwTOR HUGO. 389 Enfant, garde ta joie ! Lis, garde ta blancheur ! Sois humble : que t'importe Le riche et le puissant ! Un souffle les emporte. La force la plus forte, C'est un coeur innocent ! Bien souvent Dieu repousse Du pied les hautes tours ; Mais dans le nid de mousse Oil chaute une voix douce II regarde toujours ! Reste a la solitude ! Reste a la pauvrete ! Vis sans inquietude, Et ne te fais etude Que de 1'eteruite ! II est, loin de nos villes Et loin de nos douleurs, Des lacs purs et trauquilles Et dont toutes les iles Sont des bouquets de fleurs. Flots d'azur oil 1'on aime A laver ses remords ; D'un charme si supreme Que Pincrcdule meme S'ageuouille a leurs bords. L' ombre qai les inonde Calme et nous rend meilleurs ; Leur paix est si profonde, Que jamais a leur onde On n'a mele de pleurs ! MANUAL OF FRENCH POETRY. Et le jour, que leur plaine Reflete eblouissant, Trouve 1'eau si sereiue Qu'il y liasarde a peine Un uuage en passant ! Ces lacs que rien n'altere, Entre des monts geants Dieu les met sur la terre, Loin du souffle adultere Des sombres oceans, Pour que nul vent aride, Nul flot mele de fiel N'empoisonne et ne ride Ces gouttes d'eau limpide Ou se mire le ciel ! O ma fille, ame heureuse ! O lac de purete ! Dans la vallee ombreuse, Reste ou ton Dieu te creuse Un lit plus abrite ! Lac que le ciel parfume ! Le monde est une mer; Son souffle est plein de brume, Un peu de son ecume Rendrait ton flot amer ! Et toi, celeste ami qui gardes son enfance, Qui le jour et la nuit lui fais une defense De tes ailes d'azur ! Invisible trepied ou s'allume sa flamme ! Esprit de sa priere, ange de sa jeune ame, Cygne de ce lac pur ! Dieu te 1'a confiee et je te la confie ! Soutiens, releve, exhorte, inspire et fortifie Sa frele humanite ! VICTOR HUGO. 391 Qu'elle garde a jamais, rejouie ou souifrante, Get ceil plein de rayons, cette ame transpareute, Cette serenite Qui fait que tout le jour, et sans qu'elle te voie, Ecartant de son cceur faux desirs, fausse joie, Mensonge et passion, Prosternant a ses pieds ta couronne immortelle, Comme elle devant Dieu, tu te tiens devaut elle En adoration ! I UN VOYAGEUR. Ami, vous reveuez d'un de ces longs voyages Qui nous font vieillir vite et nous changeut en sages Au sortir du berceau : De tous les oceans votre course a vu 1'onde, Helas ! et vous feriez une ceinture au monde Du silloii du vaisseau. Le soleil de vingt cieux a muri votre vie, Partout ou vous mena votre inconstaute envie, Jetaut et ramassant, Pareil au laboureur qui recolte et qui seme, Vous avez pris des lieux et laisse de vous-meme Quelque chose en passant. Vous etes fatigue taut vous avez vu d'hommes ! Enfin vous revenez, las de ce que nous sommes, Vous reposer en Dieu. Triste, vous me contez vos courses infecondes, Et vos pieds out mele la poudre de trois moudes Aux ceudres de mon feu. Or, maintenant, le cceur pleiu de choses profondes, Des enfants dans vos mains tenant les tetes blondes, Vous me parlez ici, 392 MANUAL OF FRENCH POETRY. Et vous me demandez, sollicitude amere ! " Ou done ton pere ? ou done ton fils ? ou done ta mere ? " Us voyagent aussi ! J'etais a leur depart comme j'etais au votre ; En diverses saisons, tous trois, 1'un apres 1'autre, Us ont pris leur essor. Helas ! j'ai mis en terre, a cette lieure supreme, Ces tetes que j'aimais. Avare, j'ai moi-meme Enfoui mon tresor. Je les ai vus partir. J'ai, faible et plein d'alarmes, Vu trois fois un drap noir seme de blanches larmes Tendre ce corridor. J'ai sur leurs froides mains pleure comme une femme. Mais, le cercueil ferine, mon ame a vu leur ame Ouvrir deux ailes d'or ! Je les ai vus partir comme trois hirondelles Qui vont chercher bien loin des printemps plus fideles Et des etes meilleurs. Ma mere vit le ciel et partit la premiere, Et son ffiil en mourant fut plein d'une lumiere Qu'on n'a point vue ailleurs. Et puis mon premier-ne la suivit, puis mon pere, Tier veteran age de quarante ans de guerre, Tout charge de chevrons. Maintenant ils sont la, tous trois dorment dans 1'ombre, Tandis que leurs esprits font le voyage sombre Et vont ou nous irons ! Si vous voulez, a 1'heure ou la lune decline, Nous monterons tous deux, la nuit, sur la colline Ou gisent nos a'ieux. Je vous dirai, montrant a votre vue amie La ville morte aupres de la ville eudormie : Laquelle dort le mieux ? VICTOR HUGO. 393 Venez ; muets tous deux et couches centre terre, Nous eutendrons, tandis que Paris fera taire Son vivant tourbillon, Ces millions de morts, moissou du fils de 1'homrae, Sourdre confusement dans leurs sepulcres, corame Le grain dans le sillon ! Combien vivent joyeux, qui devaient, soeurs ou freres, Faire un pleur eteruel de quelques ombres cheres ! Pouvoir des ans vaiuqueurs ! Les morts durent bien peu : laissous-les sous la pierre ! Helas ! dans le cercueil ils tombent en poussiere Moins vite qu'en nos coeurs ! Voyageur ! voyageur ! quelle est notre folie ! Qui salt combien de morts a chaque heure on oublie, Des plus chers, des plus beaux ? Qui peut savoir combien toute douleur s'emousse, Et combien sur la terre un jour d'lierbe qui pousse Efface de tombeaux ? BONNE NUIT. Bonne nuit ! bonne nuit ! Loin de nous le jour s'enfuit ; Mais comme un flambeau celeste, La bonte de Dieu nous reste ; Elle nous garde et nous suit. Bonne nuit ! bonne nuit ! A demain ! A demain ! Mais demain est incertain. Nos paupieres vont se clore ; Pourrons-nous revoir 1'aurore ? Nous disons peut-etre en vain : A demain ! A demain ! 17* 394 MANUAL OF FRENCH POETRY. LE SOLEIL COUCHANT. Le soleil s'est couche ce soir dans les nuees ; Demain viendra Forage, et le soir, et la nuit ; Piiis 1'aube, et ses clartes de vapeurs obstruees, Puis les nuits, puis les jours, pas du temps qui s'enfuit ! Tous ces jours passeront; ils passeront en foule Sur la face des mers, sur la face des mouts, Sur les fleuves d'argent, sur les forets ou roule Comme un hymne confus des morts que nous aimons. Et la face des eaux, et le front des montagnes, Rides et non vieillis, et les bois toujours verts S'iront rajeunissaut; le fleuve des campagnes Prendra sans cesse aux monts le not qu'il donne aux mers. Mais moi, sous cliaque jour courbaut plus bas ma tete, Je passe, et, refroidi sous ce soleil joyeux, Je m'en irai bientot, au milieu de la fete, Sans que rien manque au monde immense et radieux ! EXTASE. J'etais ssul pres des flots par une nuit d'6toiles. Pas un uuaga aux cieux, sur les mers pas de voiles. Mes yeux plongeaient plus loin que le monde r6el. Et les bois, et les monts, et toute la nature Semblaient interroger dans un coufus murmure Les flots des mers, les feux du ciel. Et les etoiles d'or, legions infinies, A voix haute, a voix basse, avec mille harmonies, Disaient, en inclinant leurs couronnes de feu ; Et les flots bleus, que rieu ne gouverue et n'arrete, Disaient, en recourbant 1'ecume de leur crete : C'est le Ssigneur, le Seigneur Dieu ! SA1NTE-BEUVE. 395 SAINTE-BEUVE. 1804-1869. CHARLES-AUGUSTIX SAINTE-BEUVE, though more especially known in French literature as a learned critic, has also earned a very honorahle distinction as a poet. He was born at Boulogne and died in Paris. From the very beginning of his literaiy career, Saiute-Beuve showed himself the disciple of Victor Hugo and the champion of the romantic school. Even in his studies upon the poets of the sixteenth century, he is be- lieved to have had for his aim the justification of the tendencies of this school. His poetical works are comprised in three small volumes, enti- tled respectively Joseph Delorme, Les Consolations, and Pensees- d' Aout. Although very limited in extent, compared with his prose writings, these works are such, both in quantity and quality, as to show that the author did not lack the true inspiration. Surely no one can read the selections here given without discovering the traces of the true poet in the thought as well as in the style. The charming causeur might apparently with the same facility have won at least an equal fame in another field. REVERIE. II est soir : la lime s'elance Sur son trone mysterieux ; Les astres roulent en silence ; Comme un lac immobile, immense, Mon ame reflechit les cieux. Dans les ondes de la pensee, Dans ce beau lac aux sables d'or, La voute des cieux balancee A mes yeux se peint, nuancee De couleurs plus molles encor. Amoureux de la grande image, D'abord j'en jouis a loisir ; 396 MANUAL OF FRENCH POETRY. Bientot desirant davantage, Poete avide, enfant peu sage, J'etends la main pour la saisir. Adieu soudain, voute etoilee, Blanclie lumiere, eclat si pur ! Au sein de mon ame ebranlee, Phebe tremblante s'est voilee ; L'image a perdu son azur. Phebe, ne voile plus ta face ! Je renonce a mon fol espoir. Lors, par dsgres, le not s'efface, L'ame s'apaise, et sa surface Des cieux redevient le miroir. Irai-je, pour saisir 1'image, De 1'onde encor troubler le cours ? Non ; mais penche sur le rivage, Puisque la nuit est sans nuage, Je veux rever, rever toujours. LE JOUEUR D'ORGUE. Nous montions lentement, et pour longtemps encore : Les ombres palissaient et pressentaient 1'aurore, Et les astres tombants, humidement verses, fipanchaient le sommeil aux yeux enfin lasses. Tout dormait : je veillais, et, sous 1'lmmble lumiere, Je voyais cheminer, tout pres de la portiere, Un pauvre joueur d'orgue : il nous avait rejoints ; Ne pas cheminer ssul, cela fatigue moins. Courbe sous son fardeau, gagne-pain de misere, Que surmontait encor la balle necessaire, Un baton a la main, sans un mot de chanson, II tirait a pas lents, regardant 1'hori/on. " Vie etrange," pensai-je, " et quelle destinee ! SAINTE-BEUFE. 397 Sous le ciel, nuit et jour, rouler toute 1'aunee ! Jeune, 1'idee est belle et ferait tressaillir ; Mais celui-ci se voute, et m'a Fair de vieillir. Que peut-il esperer ? Rieu au coaur, pas de joie ; Machinal est le sou qu'aux passants il envoie." Et je continuais dans mon coin a peser Tous les maux, et, les biens, a les lui refuser. Et par degres pourtant blanchissait la lumiere ; Son gris sourcil s'armait d'attention plus fiere ; Sa main habituelle a 1'orgue se porta : Qu'attendait-il ? Soudain le soleil eclata, Et 1'orgue, au meme instant, comme s'il eut pris flamme, Feta d'un chant 1'aurore, et pria comine une ame. Salut attendrissant, naif et solennel ! Get humble cceur comprend les spectacles du ciel. A 1'eternel concert, sous la voute infinie, Pour sa part il assiste, et rend une harmonie. Ainsi, Nature aimee, aux simples plus qu'aux grands, Souvent aux plus chetifs, souvent aux plus errants, Tu livres sans replis ta splendeur ou ta grace. L'opulent, 1'orgueilleux, a perdu loin ta trace ; Le petit te retrouve : un beau soir, un couchant, Quelque echo de refrain sous la luue en marchant ; Le taillis matinal que le rayon essuie ; Les champs de bles mouvants, rayes d'or et de pluie ; Un vieux pont, un moulin au tomber d'un flot clair, Bruits et bonheurs saus nom qu'on respire avec 1'air, Souvent on les sent mieux dans sa route indigente, Et, meme sous le faix, 1'ame s'eveille et chante. A DAVID. STATUAIHE. A 1'heure ou 1'on est loin de la foule envieuse, Quand la neige, a minuit, lente, silencieuse, Tombe aux toits endormis, 398 MANUAL OF FRENCH POETRY. Et que seul, 6 David, dans ton atelier sombre Tu veilles au milieu de tes bustes sans nombre Comme au milieu d'amis ; Quand ton poele s'eteiut ; quand ta lampe mourante Tremble a tous ces fronts blancs, et comme une ame errante Passe et joue a 1'entour, Bien des fois, n'est-ce pas ? 1'enthousiasme austere Par degres te saisit et t'enleve a la terre, Epris d'uu noble amour ! Tu penses a la gloire, a 1'oubli qu'on redoute, A seiner ici-bas le marbre sur la route Ou d'autres vont venir, A prendre rang un jour au Pantheon sublime Des notes immortels que ton ctseau ranime Et garde a 1'avenir. Et deja sous la lampe et ses rayons debiles, Tu vois autour de toi tes marbres imrnobiles Premir et s'ebranler ; Us viveut : un regard sort de chaque paupiere ; Comme le Commandeur, tous ces hommes de pierre Te font signe d'aller. Et bientot, s'agitaut, ils passent sur la tete, Puis repassent ; et toi, tu voudrais a la fete Suivre ces grands vieillards ; Telles sur Ossiau, au sein des nuits neigeuses, Se penchent des aieux les ombres voyageuses Que bercent les brouillards. Le pan de leur manteau flotte aux vents et te touche ! Emu, tu sens la voix expirer a ta bouche Et tes yeux se mouiller ; Et 1'extase pour toi prolonge ce beau reve, Jusqu'a ce que ta lampe en mourant te 1'enleve Et te vienne eveiller. SAINTE-BEUVE. 399 Helas ! dans les cites la foule qui sommeille ; CJi et la, vers minuit, 1'artiste en pleurs qui veille Et leve au ciel les bras, Et quelques noms sacres que toujours lui ramene Un ardent souvenir, c'est la la gloire humaine, David, et tu 1'auras ! Tu 1'auras ; car, puissant dans ta pierre feconde, D'Argos a Panama tu vas orner le monde D'illustres monuments ; Tu peuples de heros les vieux ponts de nos villes, Les continents nouveaux, et les lointaines iles, Et les tombeaux dormauts. LES POETES ROMANTIQUES. La poesie en France allait dans la fadeur, Dans la description sans vie et sans grandeur, Comme un ruisseau charge dont les ondes avares Expirent en cristaux sous des grottes bizarres, Quand soudain se rouvrit avec limpidite Le rocher dans sa veine. Andre ressuscite Parut : Hybla rendait a ce fils des abeilles Le miel frais, dont la cire eclaira tant de veilles. Aux pieds du vieil Homere il cliantait a plaisir, Montrant 1'autre horizon, 1'Atlantide a saisir. Des rivaux, sans 1'entendre, y couraient pleins de flamnie ; Lamartine ignorant, qui ne sait que son ame, Hugo puissant et fort, Vigny soigneux et fin, D'un destin illegal, mais aucun d'eux en vain, Tentaient le grand succes et disputaient 1'empire. Lamartine regna ; chantre aile qui soupire, II planait sans effort. Hugo, dur partisan, Comme chez Dante on voit, Florentiu ou Pisan, Un baron feodal, combattit sous 1'armure, Et tint haut sa banniere au milieu du murmure : II la maintient encore ; et Vigny, plus secret, Comme en sa tour d'ivoire, avant midi, rentrait. 400 MANUAL OF FRENCH POETRY. Venu bien tard, deja quand chacun avait place, Que faire ? ou mettre pied ? en quel etroit espace ? Les veterans teuaient tout ce champ des esprits. Avant qu'il fut a moi, 1'heritage etait pris. Les sentiments du cceur dans leur domaine immense, Et la sphere etoilee ou descend la clemence, Tout ce vaste de 1'ame et ce vaste des cieux, Appartenaient a 1'un, au plus harmonieux. L'autre a de beaux elans vers la sphere sereine Melait le gout du cirque et de 1'humaine arene ; Et pour temoins, au fond, les lutins familiers, Le moyen age en choeur, heurtant ses chevaliers, I^merveillaient 1'echo ! Sous ma triste muraille, Loin des nobles objets doiit le mal me travaille, Je ne vis qu'une fleur, un puits demi-creuse ; Et je partis de la pour le peu que j'osai. STANCES. Laissez-moi ! tout a fui. Le printemps recommence ; L'ete s'anime, et le desir a lui ; Les sillous et les creurs agitent leur semence. Laissez-moi ! tout a fui. Laissez-moi ! dans nos champs les roches solitaires, Les bois epais appellent mon ennui. Je veux, au bord des lacs, mediter leurs mysteres, Et comment tout m'a fui. Laissez-moi m'egarer aux foules de la ville ; J'aime ce peuple et son bruit rejoui ; II double la tristesse a ce cceur qui s'exile, Et pour qui tout a fui. Laissez-moi ! midi regne, et le soleil sans voiles Fait un desert a mon ceil ebloui. Laissez-moi ! c'est le soir, et Pheure des e"toiles ; Qu'esperer ? tout a fui. SAINTE-BEUVE. 401 Oil ! laissez-moi, sans treve, ecouter ma blessure, Aimer mon mal, et ne vouloir que lui. Celle en qui je croyais, celle qui m'etait sure. .... Laissez-moi ! tout a fui. LE VRAI BONHEUR. Helas ! non, il n'est point ici-bas de mortelle Qui se puisse avouer plus lieu reuse que moi ; Mais a certains moments, et sans savoir pourquoi, II me prend des acces de soupirs et de larmes ; Et plus autour de moi la vie epand ses charmes, Et plus le monde est beau, plus le feuillage vert, Plus le ciel bleu, 1'air pur, le pre de fleurs couvert, Plus mon epoux aimant comme au premier bel age, Plus mes enfants joyeux et courant sous 1'ombrage, Plus la brise legere et n'osaut soiipirer, Plus aussi je me sens ce besoin de pleurer. C'est que me me au dela des bonheurs qu'on envie II reste a desirer dans la plus belle vie ; C'est qu'ailleurs et plus loin notre but est marque ; Qu'a le cherclier plus bas on 1'a toujours manque ; C'est qu'ombrage, verdure et fleurs, tout cela tombe, Renait, meurt pour renaitre enfin sur une tombe ; C'est qu'apres bien des jours, bien des ans revolus, Ce ciel restera bleu quand nous ne serous plus ; Que ces enfants, objets de si cheres teudresses, En vivant oublierout vos pleurs et vos caresses ; Que toute joie est sombre a qui veut la sonder, Et qu'aux plus clairs endroits, et pour trop regarder Le lac d'argent, paisible, au cours insaisissable, On decouvre sous 1'eau de la boue et du sable. Mais comme au lac profond et sur son lira on noir Le ciel se reflechit, vaste et cliarmant a voir, Et, deroulant d'en liaut la splendeur de ses voiles, 402 MANUAL OF FRENCH POETRY. Pour decorer 1'abime, y seme les etoiles, Tel dans ce fond obscur de notre humble destin Se revele 1'espoir de 1'etcruel matin ; Et quand sous 1'oeil de Dieu Ton s'est mis de bonne heure, Quand on s'est fait une ame ou la vertu demeure ; Quand, morts entre nos bras, les parents reveres Tout bas nous out beiiis avec des mots sacres ; Quand nos eufants, nourris d'une douceur austere, Continueront le bien apres nous sur la terre ; Quand un chaste devoir a regie tous nos pas, Alors on peut encore etre heureux ici-bas ; Aux instants de tristesse on peut, d'un ceil plus ferme, Envisager la vie et ses biens et leur terme, Et ce grave penser, qui ramene au Seigneur, Soutient 1'ame et console- au milieu du bonheur. SONNET. Enfant, je m'etais dit et souvent repete : " Jamais, jamais d'amour ; c'est assez de la gloire ; En des siecles sans nombre etendons ma memoire, Et semons ici-bas pour Fimmortalite." Plus tard, je me disais : " Amour et volupte", Allez, et gloire aussi ! que m'importe Fhistoire ? Fantome au laurier d'or, vierges au cou d'ivoire, Je vous fuis pour 1'etude et pour 1'obscurite." Ainsi, jeune orgueilleux, ainsi longtemps disais-je ; Mais comme apres 1'hiver, en nos plaines, la neige Sous le soleil de mars fond au premier beau jour, Je te vis, blonde Helene, et dans ce coeur farouche, Aux rayons de tes yeux, au souffle de ta bouche, Aux soupirs de ta voix, tout fondit en amour. SAINTE-BEUVE. 403 SONNET. A BOULANQBB. Ami, ton dire est vrai; les peintres, dont 1'honneur Luit en tableaux sails uombre aux vieilles galeries, S'occupaient assez peu des bautes theories, Et savaieut mal de 1'art le cote raisonneur ; Mais, comme dans son cbamp des 1'aube un moissonneur, En loyaux ouvriers, sur leurs toiles cheries Us Iravaillaient pencbes, seuls et sans reveries, Pour satisfaire a temps leur maitre et leur seigneur. Nous done aussi, laissant notre age et ses querelles, Et taut d'opinions s'accommoder entre elles, Cloitrous-uous en iiotre oeuvre et n'en sortons pour rien, Atiu que le Seigneur, notre invisible maitre, Venu sans qu'ou 1'attende et se faisaut connaitre, Trouve tout a bon terme et nous dise : "C'est bien," SONNET. L'autre nuit, je veillais dans mon lit sans lumiere, Et la verve en mon seiu a flots silencieux S'amassait, quand soudain, frappant du pied les cieux, L'eclair, comme un coursier a la pale criniere, Passa ; la foudre en cbar retentissait derriere, Et la terre tremblait sous les divius essieux ; Et tous les animaux, d'effroi religieux Saisis, restaient cbacun tapis dans leur tauiere. Mais moi, mon ame en feu s'allumait a 1'eclair ; Tout mon sein bouillonnait, et cbaque coup dans 1'air A mon front trop charge dechirait un image. 404 MANUAL OF FRENCH POETRY. J'etais dans ce concert un sublime instrument ; Homme, je me sentais plus grand qu'un element, Et Dieu parlait en moi plus haut que dans 1'orage. DESERT DU CCEUR. Desert du coeur, en ces longues soirees Qu'Automne amene a notre hiver sans fleur, Que vous avez de peines ignorees, De sourds appels, de plaintes egarees, Desert du coeur ! Dans la jeunesse, alors que tout commence, Avant d'aimer, Pimpatiente ardeur S'en prend au sort et parle d'inclemence ; Alors aussi vous paraissez immense, Desert du cceur ! On veut 1'amour ; on croit le Ciel barbare ; Tout 1'avenir u'est qu'orage et rigueur ; Et Ton demaude a 1'horizon avare Quel infini du bonheur vous separe, Desert du coeur ! Illusion ! Courez, Jeunesse franche ! Kien qu'a deux pas, c'est le buisson en fleur ; Plus de desert ! Mais, a 1'age oil tout penche, Est-il encor buisson ou rose blanche, Desert du cceur ? Lenteur amere ! attente inconsolee ! Oh ! par dela ce sable au pli trompeur, N'est-il done plus de secrete vallee, Quelque Vaucluse amoureuse et voilee, Desert du coeur ? SAINTE-BEUVE. 405 IL EST TROUVE. II est trouve le bonheur et le charme, L'Ange clement qui planait au berceau, L'etre adore, dans 1'enfaiice si beau, Que bien souvent nous cachait une larme. L'amour parfait et de tout temps reve, II est trouve ! II est trouve ce bien de tous les ages, Le fruit du coeur, le frais rameau d'espoir, Que des douze ans je clierchais sans savoir Dans tous les bois, par les sentiers sauvages. Le nid d' amour sous la mousse couve, II est trouve ! II est trouve ce port que ma jeunesse A poursuivi sur les flots agites, Sous tous les vents et les feux irrites. Plaisirs moqueurs, qui me trompiez saus cesse ! Le vrai signal, le bel astre leve, II est trouve ! II est trouve 1'ombrage ou 1'on repose, Le droit chemiu par le devoir trace, Qu'un doux printemps si tard recommence Borde pour moi de sa plus jeune rose. Le calme sur au coeur trop eprouve, II est trouv6 ! II est trouve le bienfait de nature, Le sein aimant qu'un Dieu nous vient rouvrir, Ce qui permet de vivre et de mourir, Ce qui fait croire, esperer sans murmure, Et dire encor, meme au terme arrive : II est trouve ! 406 MANUAL OF FRENCH POETRY. AU LOISIR. Loisir, ou done es-tu ? le matin, je t'implore ; Le jour, ton charme absent me trouble et me devore ; Le soir vient, tu n'es pas venu ; La nuit, j'espere eiifiu veiller a ta lumiere ; Mais deja le sommeil a ferine ma paupiere, Avant que mes yeux t'aieut couuu. Loisir, es-tu couche sur quelque aimable rive, Au bord d'un antre frais, pres d'une oiide plaintive ? Te moutres-tu sous le soleil ? Ou de jour, abusant Psyche qui se lamente, Ne descends-tu jamais au bras de ton amaute Que sur les ailes du Sommeil ? Sylphe leger, ton vol effleure-t-il la terre, A 1'lieure de silence, ou Phebe solitaire Visite uu berger dans les bois ? As-tu fui pour toujours par dela les images ? Et dans les coeurs epris de tes vagues images N'es-tu qu'un reve d'autrefois ? Loisir, entends mes voeux : sur le lac de la vie Errant depuis un jour, et deja poursuivie Des flots et des vents courrouces, Au milieu des ecueils, sans timon, sans etoiles, Ma nef m'emporte et fuit ; j'entends crier mes voiles, Et mes jeunes bras sont lasses. Mais, si tes yeux, d'en haut, s'abaissaient sur ma tete, A ton regard serein cederaif, la tempete, Et je verrais le ciel s'ouvrir ; Les vents m'apporteraieut uue fraicheur uouvelle, Et la vague apaisee, autour de ma nacelle, En la bercant vieudrait mourir. SA1NTE-BEUVE, 407 Moi, le front appuye sur la rame immobile, J'aimerais savourer la volupte tranquille D'uii eternel halaiicemeut ; Ou J'aimerais, la tete en arriere eteudue, L'cail eutr'ouvert, meler mon ame repandue Aux Hots d'azur du firmament. Et puis, je chanterais le Loisir et ses charmes, Ses souris nonchalants, la douceur de ses larmes, Larmes sans cause et sans douleurs ; Ses accents qu'accompagne une lyre d'ivoire ; Sur son front, le plaisir couronne par la gloire, Et le laurier parmi des fleurs. Mais le Loisir a fui, tandis que je Pappelle, Comme au cri du chasseur 1'alouette rebelle, Comme une onde qu'on veut saisir ; Le Temps s'est reveille ; ma tache recommence : Adieu, besoins du coeur, solitude, silence, Adieu, Loisir ! adieu, Loisir ! SONNET. Osons tout et disons nos sentiments divers ! Nul moment u'est plus doux au cceur male et sauvage Que lorsqu'apres des mois d'un trop ingrat servage, Un matin, par bouheur, il a brise ses fers. La fleche le percait et pcuetrait ses chair*, Et le suivait partout : de bocage en bocage II errait. Mais le trait tout d'un coup se degage : II le rejette au loin, tout sauglant, dans les airs. joie ! 6 cri d'orgueil ! 6 liberte rendue ! Espace retrouve ! courses dans 1'etendue ! Que les ardents soleils rinondent maintenant ! 408 MANUAL OF FRENCH POETRY. Comme un guerrier muri que 1'epreuve rassure, A mainte cicatrice ajoutant sa blessure, II porte haut la tete et triomphe en saigiiant. SONNET - EPILOGUE. J'ai fait le tour des choses de la vie ; J'ai bien erre dans le monde de 1'art ; Chercliant le beau, j'ai pousse le hasard : Dans mes efforts la grace s'est eufuie ! A bien des coeurs ou la joie est ravie, J'ai demande du bonheur, mais trop tard ! A maiut orage, eclos sous un regard, J'ai dit : " Renais, 6 flamme evanouie ! " Et j'ai trouve, bien las enfin et mur, Que pour 1'art meme et sa beaute plus vive, II n'est rieu tel qu'une grace naive ; Et qu'en bonheur il u'est charme plus sur, Fleur plus divine aux gazons de la rive, Qu'uu jeune cceur embelli d'un front pur ! ESPERANCE. 'Ce soleil-ci n'est pas le veritable; je ra'attends k mieux." Ducts. Quand le dernier reflet d'automne A fui du front chauve des bois, Qu'aux champs la bise monotone Depuis bien des jours siffle et tonne, Et qu'il a neige bien des fois ; Soudain une plus tiede haleine A-t-elle passe sous le ciel : , SAINTE-BEUFE. 4Q9 Soudain, un matin, sur la plaine, De brumes et de glapons pleine, Luit-il un rayon de degel : Au soleil, la neige s'exhale ; La glebe se fond a son tour ; Et sous la brise matinale, Comme aux jours d'ardeur virginale, La terre s'eufle encor d'amour. L'herbe, d'abord inaperpue, Reluit dans le sillon ouvert ; La seve aux vieux troncs monte et sue ; Aux flancs de la rocbe moussue Perce deja le cresson vert. Le lierre, apres la neige blanche, Reparait aux cretes des murs ; Point de feuille, au bois, sur la branclie ; Mais le sue en bourgeons s'epanche, Et les rameaux sont deja murs. Le sol rend 1'onde qu'il recede ; Et le torrent longtemps glace Au fond des collines ruisselle, Comme des pleurs aux yeux de celle Dont le desespoir a passe. Oiseaux, ne chantez pas 1'aurore, L'aurore du printemps beni ; Fleurs, ne vous pressez pas d'eclore ; Fevrier a des jours encore ; Oh ! non, 1'hiver n'est pas fiiii. Ainsi, dans 1'humaine vieillesse, Non loin de 1'eternel retour, La brume par moments nous laisse, Et notre ceil, malgre sa faiblesse, Entrevoit comme un nouveau jour ; 18 410 MANUAL OF FRENCH POETRY. Etincelle pale et lointaine De soleils plus beaux et meilleurs, Reflet de 1'ardente fontaine, Aurore vague, mais certaine, Du printemps qui commence ailleurs ! PENSEE D'AUTOMNE. Au declin de I'automua, il est souvent des jours Ou Pannes, on dirait, va se tromper de cours. On oublie a ses pieds la pelouse fletrie, Et la branche tombee, et la feuille qui crie ; Trois fois, p.es de partir, un charme vous retient, Et 1'on dit : " N'est-ce pas le printemps qui revient ? " Avant la fin du jour il est encore une heure, Ou, pelerin lasse qui touchs a sa demeure, Le soleil au penchant se retourne pour voir, Malgre taut de sueurs regrettant d'etre au soir ; Et, sous ce long regard oil se mele une larme, La nature confuse a pris un nouveau charme ; Elle hesite un moment, comme dans un adieu ; L'horizon a 1'eutour a rougi tout en feu ; La fleur en tressaillant a recu la rosee ; Le papillon revole a la roso baisee, Et 1'oiseau chante au bois uu ramage brillant : " N'est-ce pas le matin ? n'est-ce pas 1'orient ? " Oh ! si pour nous aussi, dans cette vie humaine, II est au soir une heure, un instant qui ramene Les amours du matin et leur volage essor, Et la fraichs rosee, et les nuages d'or ; Oh ! si le cceur, repris aux pensers de jeunesse, (Comme s'il esperait, helas ! qu'elle renaisse) S'arrete, se releve, avant de defaillir, Et s'oublie un seul jour a rever sans vieillir, Jouissons, jouissons de la douce jouruee, Et ne la troublous pas, cette heure fortunee. BAUEIER. BARBIER. 1805- HENRI-AUGUSTE BARBIER, a native of Paris, began his literary career soon after the revolution of 1830 by the publication of a collection of poems, entitled lambes. These were a strange medley of wild extrava- gance and poetic dignity, and all overflowing with indignation at the cor- ruptions of the age. " Had B.irbier been born to poetry in a time of peace," says Crepet, "his life would have doubtless been devoted solely to that search for the beautiful to which in his later years he has more and more inclined ; but coming at a time when poetry had descended to the street and heroism was in rags, and when ' foul was fair and fair was foul,' the lively impression of this sad spectacle determined his direction." The very spirit and boldness of this strange vindictive poetry caused a profound sensation in the literary world. And whatever may be the judgment of critics in reference to the merits of the lambes, these, with several volumes of poetry of milder tone which have since appeared, have left no doubt of the author's abundant talent, and all together have won him a respectable place among the French poets of our day. DAMTE. Dante, vieux gibelin ! quand je vois en passant Le platre blanc et mat de ce masque puissant Que Part nous a laisse de ta divine tete, Je ne puis m'empecher de fremir, 6 poe'te ! Tant la main du genie et celle du malheur Out imprime sur toi le sceau de la douleur ! Sous Petroit chaperon qui presse tes oreilles Est-ce le pli des ans, ou le sillon des veilles, Qui traverse ton front si laborieusement ? Est-ce au champ de 1'exil, dans Pavilissement, Que ta bouclie s'est close a force de maudire ? Ta derniere pensee est-elle en ce sourire 412 MANUAL OF FRENCH POETRY. Que la mort sur ta levre a cloue de ses mains ? Est-ce un ris de pitie sur les pauvres Immains ? Oh ! le mepris va bien sur la bouche de Dante, Car il refut le jour dans une ville ardente, Et le pave natal fut un champ de gravier Qui dechira longtemps la plante de ses pieds. Dante vit comme nous les factions humaines Rouler autour de lui leurs fortunes soudaines ; II vit les citoyens s'egorger en plein jour, Les partis ecrases renaitre tour a tour ; II vit sur les buchers s'allumer les victimes ; II vit pendant trente ans passer les flots de crimes, Et le mot de patrie a tous les vents jete, Sans profit pour le peuple et pour la liberte ! O Dante Alighicri ! poete de Florence ! Je comprends aujourd'hui ta mortelle souffirance. LE CORREGE. Nourrice d'Allegri, Parme, cite chretienne, Sois fie re de 1' enfant que tes bras out porte ! J'ai vu d'uu oeil d'amour ta belle antiquite, Rome, en toute sa pompe et sa grandeur pa'ienne ; J'ai vu Pompei morte, et comme une Athenienne, La pourpre eiicor flottant sur son lit deserte ; J'ai vu le dieu du jour rayonnant de beaute ; Et toute humide eucor de la vague ionienne : J'ai vu les plus beaux corps que 1'art ait revetus ; Mais rien n'est comparable aux timides vertus, A la pudeur marchant sous la robe de neige ; Rien ne vaut cette rose, et cette belle fleur Qui secoua sa tige et sa divine odeur Sur le front de ton fils, le suave Correge. BARBIER. 413 ARNOLD DE WINKELRIED. " Qui rompra cet amas de lances et de piques, Cette foret d'airain qui s'avauce sur nous ? Dans cet epais carre d'armures germaniques, Qui fera penetrer la vigueur de uos coups ? Fils de la liberte, fils des monts helvetiques, Serons-nous Autrichiens, esclaves ? et les loups Troublerout-ils la paix de nos chalets rustiques ? All ! qui se devoura pour le salut de tous ? " " Moi, moi ! " dit Winkelried ; et le bon capitaine, Comme un fort moissonneur, que Ton voit, dans la plaine Presser les epis murs centre son sein voute, De lances en arret le plus qu'il peut embrasse, Tombe, et par le grand trou qu'il ouvre dans la masse Fait passer la victoire avec la Iibert6. MICHEL-ANGE. Que ton visage est triste et ton front amaigri ! Sublime Michel-Ange, 6 vieux tailleur de pierre, Nulle larme jamais n'a baigne ta paupiere, . Comme Dante, on dirait que tu n'as jamais ri. Helas ! d'un lait trop fort la Muse t'a nourri : L'art fut ton seul amour et prit ta vie entiere ; Soixante ans tu courus une triple carriere, Sans reposer ton coeur sur un coeur attendri. Pauvre Buonarotti ! ton seul bonheur au monde Fut d'imprimer au marbre une grandeur profonde, Et, puissant comine un Dieu, d'effrayer comme lui : Aussi, quand tu parvins a ta saison derniere, Vieux lion fatigue sous la blanche criniere, Tu mourus longuement plein de gloire et d'ennui. 414 MANUAL OF FRENCH POETRY. BRIZEUX. 1807-1858. JuLiEX-AuGUSTE-PELAGE BuiZEUX, a French poet of Celtic descent, as the name clearly indicates, was born at Lorient, in Brittany. Besides several smaller poems full of a remarkable simplicity, freshness, and beauty, he is the author of a poetical fiction, entitled Marie, in which he has reproduced with great fidelity and beauty the picturesque scenes, habits, and customs of that portion of France which gave him birth. Another poem, entitled Les Bretons, also a picture of rustic life, won for him the poet's crowu of the French Academy. LA CHA1NE D'OR. Non, non, la poesie, amour d'une ame forte, L'antique poesie au moude n'est pas morte ; Mais cette chaiue d'or, ce fil mysterieux Qui liait autrefois la terre avec les cieux, Notre orgueil 1'a rompu ; devant taut de merveilles, Nous sommes aujourd'hui sans yeux et sans oreilles. Quelques patres grossiers, des poetes enfants, Plus forts que la science et ses bras etouffunts, Doux et simples d'esprit, seals devinent encore L'eusemble hurinoiiieux du mouda qui s'ignore, De la terra et du ciel la socrete union, Et les liens caches de la C.-eitiou. Le monde est une chains ebctrique et mouvante ; Dieu tient par Pun des bouts eette chaiue vivante, Dans chaque anneau descend uu invisible feu Qui les parcourant tons remonte jusqu'a Dieu. Gloire, dans leurs hameaux, quaud la nature entiere N'est plus pour le savant qu'uue aride matiere, Un sujet de calculs orgueilleux et menteurs ; Gloire, dans leurs hamaaux, a ces peuples pasteurs ! BRIZEVX. 415 Le monde est pour eux seuls une douce harmonic, Et leur ame inuocente a la science est unie. Tout s'enchaine a leurs yeux, et le bruit de la mer, La voix des animaux, les sifflements de 1'air, Tout leur paiie, et leur dit la vie universelle ; Elle respire en eux, ils respirent en elle ; L'abeille rit et chante autour de leur berceau, Et 1'humide matin pleure sur leur tombeau. LES VACANCES. O mes freres, voici le beau temps des vacances ! Le mois d'aout, appele par dix mois d'esperances ! De bien loin votre aine, je ne puis oublier Aout et ses jeux riants ; alors, pauvre ecolier, Je veux voir mon pays, notre petit domaine, Et toujours le rnois d'aout au logis me rainene. Taut un coeur qui nourrit un regret insense, Un co3ur tendre s'abuse et vit dans le passe ! Quelle joie en rentrant, mais calme et sans delire, Quand debout sur la route, et tachant de sourire, Une mere inquiete est la qui vous attend, Vous baise sur le front, et pour vous, a 1'instant, Presse les serviteurs ! Quand le foyer petille, Et que nul n'est absent du repas de famille ! Monotone la veille, et vide, la maison S'anime, un rayon d'or luit sur chaque cloison ; Le convert s'elargit ; comme des fruits d'automne D'enfants beaux et vermeils la table se couronne ; Et puis mille babils, mille gais entretiens, Un fou rire, et souveut de longs pleurs pour des riens. Mais plus tard, lorsqu'on touche aux soirs gris de septembre, En cercle reunis dans la plus vaste chambre, C'est alors qu'il est doux de veiller au foyer ! On roule pres du feu la table de noyer, On s'assied ; chacun prend son cahier, son volume ; Grand silence ! On n'entend que le bruit de la plume, 416 MANUAL OF FRENCH POETRY. Le feuillet qui se tourne, ou le chataignier vert Qui craque, et 1'ou se croit au milieu de 1'hiver. Les yeux sur ses enfants, et reveuse, la mere Sur leur sort a veiiir invente une chimere, Songs a 1'epoux absent depuis la fin du jour, Et prend gards que rien ne manque a son retour. L'aieule, cependant, sur sa chaise se penche, Efc devant le Seigneur courbe sa tete blanche. coutez-la, mon Dieu, pour elle et pour nous tous ! Cette femme, 6 mon Dieu, qui vous prie a genoux, Ne la repoussez pas ! Soixante ans a la gene Et toujours courageuse, elle a porte sa cliame : Une lieure de repos avant le grand sommeil ! Avaut le jour sans fin, quelques jours au soleil. A LA FANTAISIE. Puisqu'il vous plait, ma chere Fantaisie, De voler en chantant vers tout objet aime, Et, comme en 1'alveole etroit et bien ferine, De condenser votre ambroisie, Allez, 6 Fantaisie, allez faire du miel ! Sur les fleurs de la terre et sur les fleurs du ciel Cherchez partout la liqueur blonde : Des jardins au desert et de la plaine au monde Allez, votre calice est sur s'il n'est profond. Dieu vous protege, abeille vagaboude. RAPHAEL. Tu re9us en naissant le don de la beaute* ; Un front pur, un regard plein de serenite, D'ou sortait par eclairs, comme une chaste flamme, L'ideale beaute que renfermait ton ame ; Les vierges, les enfants et les anges de Dieu, Ce qu'on voit de plus pur en tout temps, en tout lieu, BRIZEUX. 417 Morts a jamais sans toi, retrouverent la vie, Et ta main amoureuse en sema 1'Italie : Amour et gloire a toi, peintre euvoye du ciel, Jeune ange au long profil appele Raphael ! LA VIE. Quand on est plein de jours, gaiment on les prodigue, Leur flot bruyant s'epanche au hasard et sans digue ; C'est une source vide et faite pour courir, Et qu'aucune chaleur ne doit jamais tarir. Pourtant la chaleur vient, et 1'eau coule plus rare ; La source baisse, alors le prodigue est avare ; Incline vers ses jours comme vers un miroir, Dans leur onde limpide il cherche a se revoir ; Mais en tombant deja les feuilles 1'ont voilee, Et 1'ceil n'y peut saisir qu'une image troublee. LES TROIS VOYAGES. Pour avoir rang parmi les sages, Tout homme, durant ses trois ages, Doit faire ici-bas trois voyages. Parcourir la terre et les mers, S'impregner des climats divers, Sied aux jours florissants et verts. Pour les jours virils, Tame humaine Ouvre son immense domaine Ou 1'esprit entre et se promene. Puis, on va calme au dernier jour ; Mais, jeune ou vieux, le seul sejour, C'est le royaume de 1'amour. 18* 418 MANUAL OF FRENCH POETRY. MERCCEUR. 1809-1835. MERC(EUR was born at Nantes, and died in Paris. The follow- ing notice of her brief career is given by Mr. Poitevin. " Miss Mercceur was indebted to an intelligent friend, who had early discovered her rare natural endowments, for the education which her parents were unable to give her. Her first attempts at poetry, which date from her earliest years, caused the most lively sensation in the province where she resided. All the journals contended for the honor of bringing her to the notice of the literary world. Following her fame, she came to Paris with a heart full of hope. She here wrote her verses in the intervals of the lessons which she was obliged to give in order to support herself and her aged mother. Finally, through the efforts of her friends, a small pension was granted her by the government. She had but just entered upon this, however, when the Revolution of July took it away. Thanks to the un- tiring efforts of Casimir Delavignc, it was restored to her by Louis Phi- lippe. But, already exhausted by her labors and privations, her health now gave way, and she died at the early age of twenty-four. Her poems, which were afterwards collected and published by her mother, are full of the evidences of a lively and graceful imagination, and a charming origi- nality of style." PHILOSOPIIIE. Lorsque je vins m'asseoir au festin cle la vie, Quand on passa la coupe avi convive nouveau, J'ignorais Ic degout dont 1'ivresse est suivie, Et le poids d'unc chaine a sou dernier amieau. Et pourtant je savais quo les flambeaux des fetes, Iilteints ou consumes, s'eclipsent tour a tour ; Et je voyais les fleurs qui tombaient de nos tetes, Montrer en s'effeuillaut leur vieillesse d'un jour. J'apercevais deja sur le front des convives Des reflets passagers de tristesse et d'espoir. MERCCEUR. 419 Souriant au depart des heures fugitives, J'atteudais que 1'aurore inclinat vers le soir. J'ai connu qu'un regret payait 1'experience, Et je n'ai pas voulu I'acheter de mes pleurs ; Gardant comme uu tresor ma calme insouciance, Dans leur fraiche beaute j'ai moissonne les fleurs. Preferant ma demence a la raison du sage, Si j'ai borne ma vie au moment du bonheur, Toi, qui n'as cru jamais aux reves du jeune age, Qu'importe qu'apres moi tu m'accuses d'erreur ? En vain tes froids conseils cherchent a me coufondre ; L'obtiendras-tu jamais ce demain attendu ? Lorsqu'au funebre appel il nous faudra repondre, Nous aurons tous les deux, toi pense, moi vecu. Nomme cette maxime ou sagesse ou delire, Moi je veux jour a jour depenser mon destin. II est heureux, celui qui peut encor sourire, Lorsque vient le moment de quitter le festin ! L'AVENIR. Ce voile dout le ciel couvre la destinee, Ce voile qu'en fuyaut souleve cliaque annee, Pourquoi le decltirer ? Au livre du destin s'il essayait de lire, L'homme verrait a peine une heure pour sourire, Un siecle pour pleurer. Si tu veux que, semblable au torrent qui s'ecoule, Ou comme 1'horizou, a tes yeux se deroule Ton sort mysterieux, Mortel, que tes regards s'arraclient a la terre, Que d'un soleil divin un pur rayon t'eclaire : Cherche-le dans les cieux ! 420 MANUAL OF FRENCH POETRY. Mais, avant de le voir, interroge ton ame. Silence. Ecoute-la ! peut-etre elle reclame Un juste repentir. Eh bien ! voile tes yeux : si le matin de 1'age Est encor dans ton COPUT comme une douce image, Contemple 1'avenir. La, fermaut pour jamais sa paupiere lassee, Le chretien en mourant dirige uue peusee, Qui moute dans les airs ; Et d'elan, et d'amour, tendre et sacre melange, Deja sa voix s'unit, comme la voix d'un ange, Aux celestes concerts. La, s'exhale epure 1'encens de la priere ; La, tout s'evanouit ; et 1'orgueil de la terre Meurt comme un faible son. Les heros, dans ce monde, ou pour eux la victoire Arrose de ses mains les palmes de la gloire, Que laisseut-ils ? . . . Un nom ! LA FEUILLE. Pourquoi tomber deja, feuille jaune et fletrie ? J'aimais ton doux aspect, dans ce triste vallon. Un printemps, un etc, furent toute ta vie ; Et tu vas sommeiller sur le pale gazon. Pauvre feuille ! il n'est plus le temps ou ta verdure Ombrageait le rameau depouille maintenant. Si fraiche au mois de mai ! faut-il que la froidure Te laisse a peine encore un incertain moment ? L'hiver, saison des nuits, s'avance et decolore Ce qui servait d'asile aux habitants des cieux ; Tu meurs, un vent du soir vient t'embrasser encore, Mais ses baisers glaces pour toi sont des adieux. DE MUSSET. 421 DE MUSSET. 1810-1858. ALFRED DE MUSSET, one of the most popular of the recent French poets, was a Parisian by birth and education. Although he is manifestly to be classed among the disciples of the romantic school, his style is strongly marked and peculiarly his own. He is the most wildly imagina- tive of all the writers of his period, and some of his early efforts exhibit a daring disregard for all the rules both of literary taste and sound moral sense. But in his later compositions, it may be observed that his imag- ination, purified and improved by the lessons of sad experience, rises, sometimes at least, to the lofty sphere of the true ideal. It was under this better inspiration, no doubt, that he composed Les Nuits. And among his dramas, also, two are mentioned as especially worthy of note ; they are Lorenzaccio, and On ne badine pas avec 1' Amour. In 1833 Alfred de Musset published a collection of poems entitled Le Spectacle dans un Fauteuil. These poems arc highly tinctured with the scepticism of Manfred and Faust, characters in literature which had evidently been the author's study. He also published subsequently several small volumes of poems and proverbs, all of which have proved popular in the extreme. "Alfred de Musset," says Mr. Poitevin,-" is of all our modern poets the most oiiginal, and the most eminently French. His verse, always fresh and elegant, is marvellously varied to suit the subject, and possesses a peculiar fascination. But in his poems he unfortunately gives expression to those bitter doubts, that vague and sombre sadness, with which the men of 1830 were so generally possessed." LA NUIT D'OCTOBRE. Est-ce done sans motif qu'agit la Providence ; Et crois-tu done distrait le Dieu qui t'a frappe ? Le coup dont tu te plains t'a preserve peut-etre, Enfant, car c'est alors que ton coeur s'est ouvert. L'homme est un apprenti, la douleur est son maitre. Et mil ne se connait, tant qu'il n'a pas soufiert. 422 MANUAL OF FRENCH POETRY. C'est vine dure loi, mais uue loi supreme, Vieille comme le monde et la fatalite, Qu'il nous faut du malheur recevoir le bapteme, Et qu'a ce triste prix tout doit etre achete. Les moissons pour murir out besoiu de rosee, Pour vivre et pour seutir I'homme a besoiu des pleurs La joie a pour symbole uue plante brisee, Humide encor de pluie et couverte de fleurs. Ne te disais-tu pas gueri de ta folie ? N'es-tu pas jeuue, hsureux, partout le bienvenu ? Et ces plaisirs legers qui font aimer la vie, Si tu n'avais pleure, quel cas en ferais-tu ? Comprendrais-tu des cieux 1'ineffable harmonic, Le silence des nuits, le murmure des flots, Si quelque part la-bas la fievre et I'iusomnie Ne t'avaient fait songer a 1'eternel repos ? De quoi te plains-tu done ? L'immortelle esperance S'est retrempee en toi sous la main du malheur. Pourquoi veux-tu hair ta jeune experience Et detester un mal qui t'a rendu meilleur ? DELIVRANCE. Creature d'un jour qui t'agites une heure, De quoi vieus-tu te plaindre et qui te fait gemir ? Ton ame t'inquiete, et tu crois qu'elle pleure ? Ton ame est immortelle, et tes pleurs vont tarir. Le regret d'un instant te trouble et te devofe ; Tu dis que le passe te voile Pavenir ; Ne te plains pas d'hier ; laisse venir 1'aurore : Ton ame est immortelle et le temps va s'enfuir. Ton corps est abattu du mal de ta pensee ; Tu sens ton front peser et tes genoux flechir : Tombe, agenouille-toi, creature inseusee ; Ton ame est immortelle, et k mort va veuir. DE MUSSET. 423 UNE VISION. Du temps que j'etais ecolier, Je restais un soir a veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s'asseoir Un pauvre enfant vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. Son visage etait triste et beau ; A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. II pencha son front sur sa main, Et resta jusqu'au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j'allais avoir quinze ans, Je marchais uu jour, a pas leuts, Dans un bois, sur une bruyere. Au pied d'un arbre viut s'asseoir Uu jeune homme vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. Je lui demandai mon chemin; II tenait un luth d'une main, De 1'autre un bouquet d'eglantine. II me fit un salut d'ami, Et, se detournant a demi, Me montra du doigt la colline. Un an apres, il etait nuit ; J'etais a genoux pres du lit Oil venait de mourir mon pere. Au chevet dii lit vint s'asseoir Un orphelin vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. 424 MANUAL OF FRENCH POETRY. Ses yeux etaieut noyes de pleurs ; Conini3 les anges de douleurs, II etait couronne d'epine ; Son luth a terre etait gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine. Je m'en suis si bien souvenu, Que je 1'ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C'est une etrange vision, Et cependant, ange ou demon, J'ai vu partout cette ombre amie. Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaitre ou pour en finir, J'ai voulu m'exiler de France ; Lorsque, impatient de marcher, J'ai voulu partir, et chercher Les vestiges d'uue esperance ; Partout ou j'ai voulu dormir, Partout oil j'ai voulu mourir, Partout ou j'ai touche la terre, Sur ma route est venu s'asseoir Un malheureux vetu de noir, Qui me ressemblait comme un frere. LE TYROL. FRAGMENT. Tu n'as rien, toi, Tyrol, ni temples ni richesse, Ni poe'tes ni dieux, tu n'as rien, chasseresse ! Mais 1'amour de ton coeur s'appelle d'un beau nom La liberte ! Qu'importe au fils de la montagne Pour quel despote obscur, envoy e d'Allemagne, L'homme de la prairie ecorche le sillou ? DE MUSSET. 425 Ce n'est pas son metier de trainer la charrue ; II couche sur la neige, il soupe quaud il tue ; II vit dans 1'air du ciel qui n'appartient qu'a Dieu. L'air du ciel ! 1'air de tous ! vierge comme le feu ! Oui, la liberte meurt sur le fumier des villes. Oui, vous qui la plantez sur vos guerres civiles, Vous la semez en vain, me me sur vos tombeaux : II ne croit pas si bas, cet arbre aux verts rameaux. II meurt dans Fair huinain, pleiu de rales immondes ; II respire celui que respirent les mondes. Montez, voila I'echelle, et Dieu qui tend les bras. Montez a lui, reveurs, il ne descendra pas. Prenez-moi la saudale et la pique ferree : Elle est la sur les monts, la liberte sacree. C'est la qu'a cliaque pas 1'homme la voit venir, Ou s'il 1'a dans le cceur, qu'il 1'y sent tressaillir. TRISTESSE. J'ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaite, J'ai perdu jusqu'a la fierte Qui faisait croire a mon genie. Quand j'ai connu la verite, J'ai cru que c'etait une amie ; Quand je 1'ai comprise et sentie, J'en etais deja degoute. Et pourtant elle est eternelle, Et ceux qui se sont passes d'elle . Ici-bas ont tout ignore. Dieu parle, il faut qu'on lui reponde : Le seul bien qui me reste au monde Est d'avoir quelquefois pleure. 426 MANUAL OF FRENCH POETRY. STANCES. Que j'aime a voir, dans la vallee Desolee, Se lever comme un mausole*e Les quatre ailes d'un noir moutier ! Que j'aime a voir, pres de 1'austere Monastere, Au seuil du barou feudataire La croix blanche et le benitier. Vous, des antiques Pyrenees Les ainees, Vieilles cglises decharnees, Maigres et tristes monuments, Vous que le temps n'a pu dissoudre, Ni la foudre, De quelques grands monts mis en poudre N'etes-vous pas les ossements ? J'aime vos tours a tete grise Ou se brise L'eclair qui passe avec la brise ; J'aime vos profonds escaliers Qui, tournoyant dans les entrailles Des murailles, A 1'hymne eclatant des ouailles Font repondre tous les piliers ! Oh ! lorsque 1'ouragan qui gagne La campagne Trend par les cheveux la montagne, Que le temps d'automne jauuit, Que j'aime dans le bois qui crie Et se plie, Les vieux clochers de 1'abbaye, Comme deux arbres de granit ! DE MUSSET. 427 Que j'aime a voir, dans les vesprees Empourprees, Jaillir en veines diaprees Les rosaces d'or des cou vents ! Oh ! que j'aime aux voutes gothiques Des portiques, Les vieux saints de pierre athletiques, Priant tout has pour les vivants ! LA POESIE. Chasser tout souvenir et fixer la pensee, Sur un bel axe d'or la tenir balaucee, Incertaine, inquiete, immobile pourtant ; Eterniser peut-etre un reve d'un instant ; Aimer le vrai, le beau, chercher leur harmonic ; Ecouter dans son coeur 1'echo de son genie ; Chanter, rire, pleurer, seul, sans but, au hasard ; D'un sourire, d'uu mot, d'un soupir, d'un regard, Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme, Faire une perle d'une larme : Du poete ici-bas voila la passion, Voila son bien, sa vie et son ambition. LES DEUX ROUTES. II est deux routes dans la vie : L'une solitaire et fleurie, Qui descend sa pente cherie Sans se plaindre et sans soupirer. Le passant la remarque a peine, Comme le ruisseau de la plaine, Que le sable de la fontaine Ne fait pas meme murmurer. L'autre, comme un torrent sans digue, Dans une eternelle fatigue, 428 MANUAL OF FRENCH POETRY. Sous les pieds de 1'enfant prodigue Roule la pierre d'lxion ; L'une est bornee, et Pautre immense, L'une meurt oil 1'autre commence ; La premiere est la patience, La seconde est Pambition. A CEUX QUI ACCUSAIENT L'AUTEUR. Byron, me direz-vous, m'a servi de modele, Vous ne savez done pas qu'il imitait Pulci ? Lisez les Italiens, vons verrez s'il les vole. Rien n'appartieut a rien, tout appartient a tous. II faut etre ignorant comme un maitre d'ecole Pour se natter de dire une seule parole Que personne ici-bas n'ait pu dire avaut vous. C'est imiter quelqu'uu que de planter des choux. A UNE FLEUR. Que me veux-tu, cliere fleurette, Aimable et charmant souvenir ? Demi-morte et demi-coquette, Jusqu'a moi qui te fait venir ? Sous ce cachet enveloppee, Tu viens de faire un long chemin. Qu'as-tu ? que t'a dit la main Qui sur le buisson t'a coupee ? N'es-tu qu'une herbe dessechee Qui vient acliever de mourir ? Ou ton sein, pret a refleurir, Renferme-t-il une pensee ? Ta fleur, helas! a la blancheur De la desolante innocence ; DE MUSSET. 429 Mais de la craintive esperance Ta feuille porte la couleur. As-tu pour moi quelque message ? Tu peux parler, je suis discret. Ta verdure est-elle un secret ? Ton parfum est-il un langage ? S'il en est ainsi, parle has, Mysterieuse messagere ; S'il n'en est rien, ne reponds pas ; Dors sur mon coeur fraiche et legere. Je connais trop bien cette main Pleine de grace et de caprice, Qui d'uu briu de fil souple et fin A noue ton pale calice. Cette main-la, petite fleur, Ni Phidias ni Praxitele N'en auraient pu trouver la sceur Qu'en prenant Venus pour modele. Elle est blanche, elle est douce et belle, Tranche, dit-on, et plus encor; A qui saurait s'emparer d'elle Elle peut ouvrir uu tresor. Mais elle est sage, elle est severe ; Quelque mal pourrait m'arriver. Fleurette, craignons sa colere, Ne dis rieu, laisse-moi rever. ADIEU. Adieu ! je crois qu'en cette vie Je ne te reverrai jamais. Dieu passe, il t'appelle et m'oublie ; En te perdant je sens que je t'aimais. 430 MANUAL OF FRENCH POETRY. Pas de pleurs, pas de plainte vaine. Je sais respecter 1'avenir. Vienue la voile qui t'emmene, En souriant, je la verrai partir. Tu t'en vas pleine d'esperance, Avec orgueil tu reviendras ; Mais ceux qui vont souffrir de ton absence, Tu ne les reconnaitras pas. Adieu ! tu vas faire un beau reve Et t'enivrer d'un plaisir dangereux ; Sur ton chemin 1'etoile qui se leve Longtemps encore eblouira tes yeux. Un jour tu sentiras peut-etre Le prix d'un coeur qui nous comprend, Le bien qu'on trouve a le connaitre, Et ce qu'on souffre en le perdant. MARIE. Ainsi, quand la fleur printaniere Dans les bois va s'epauouir, Au premier souffle du zephire Elle sourit avec mystere ; Et sa tige fraiche et legere, Sentant son calice s'ouvrir, Jusque dans le sein de la terre Fremit de joie et de desir. Ainsi, quand ma douce Marie Entr'ouvre sa levre cherie, Et leve, en chantaut, ses yeux bleus, Dans rharmonie et la lumiere Son ame semble tout entiere Monter en tremblant vers les cieux. MOREAU. 431 MOREAU. 1809-1838. HEGESIPPE MOREAU, a poet of rare intellectual endowments, but of a brief, sad career, was born at Provins and died in Paris. Being of poor parentage, he received his education through the generosity of some friends, at the Seminary of Avon, near Fontainebleau. While here he gave intimations of his future calling by the great facility with which he turned his Latin verses. After the death of his mother, the young Moreau was forced to engage, for his support, in a printing establish- ment, in his native village. While thus employed his natural and ever- increasing melancholy was soothed by the pure friendship of a young girl whom he always called his sister. She was the Laura of his inspira- tion. But after a time, finding his vocation in the country quite too dull and irksome, he went to Paris in search of his fortune, confidently believing that he had only to make known the talent which he was con- scious of possessing to insure an abundant success. But disdaining to enter upon any regular employment, he soon saw himself destitute and abandoned. In his disappointment and misery he sought relief in the intoxicating bowl. In the mean time a collection of his poems, under the title of Myosotis, was published and attracted general attention. A long article also appeared, from one of the best critics of the day, declar- ing Hegesippe Moreau a great poet. But it was too late ; the un- fortunate man died a few days after at the hospital La Charite. His biography has since been written by Armand Lebailly, and his works edited by Mr. Sainte-Beuve. SUR LA MORT D'UNE JEUNE FILLE DE SEPT ANS. Helas ! si j 'avals su, lorsque ma voix qui preche, T'ennuyait de lefons, que sur toi, rose et fraicbe, Le noir oiseau des morts plauait inapercu ; Que la fievre guettait sa proie, et que la porte Ou tu jouais hier te verrait passer raorte : Helas ! si j 'avals su ! 432 MANUAL OF FRENCH POETRY. Je t'aurais fait, enfant, Fexistence bien douce ; Sous chacun de tes pas j'aurais mis de la mousse ; Tes ris auraient sonne chacun de tes instants ; Et j'aurais fait tenir dans ta petite vie Un tresor de bonheur immense, a faire envie Aux haureux de cent ans ! Loin des banes oil palit 1'enfance prisonniere, Nous aurions fait tous deux 1'ecole buissonniere, Dans les bois pleins de chants, de parfums et d'amoTir ; J'aurais vide leurs nids pour emplir ta corbeille ; Et je t'aurais donne plus de fleurs qu'une abeille N'en peut voir dans un jour. Puis, quand le vieux Janvier, les epaules drapees D'un loug manteau de neige, et suivi de poupees, De magots, de pantins, minuit sonnant, accourt, Au milieu des cadeaux qui pleuvent pour etrenne, Je t'aurais fait asseoir comme une jeune reine Au milieu de sa cour. Mais je ne savais pas, et je prechais encore ; Sur de ton avenir, je le pressais d'eclore, Quand tout a coup, pleurant un long espoir defu, De tes petites mains je vis tomber le livre : Tu cessas a la fois de m'entendre et de vivre. Helas ! si j'avais su ! UN SOUVENIR A L'HOPITAL. Sur ce grabat chaud de mon agonie, Pour la pitie je trouve encor des pleurs ; Car un parfum de gloire et de genie Est repandu dans ce lieu de douleurs : C'est la qu'il vint, veuf de ses esperances, Chanter encor, puis prier et mourir : Et je repete en comptant mes souffrances : Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir ! MOREAU. 433 Us me disaient : " Fils des Muses, courage ! Nous veillerons sur ta lyre et ton sort : " Us le disaient hier, et, dans 1'orage, La pitie seule aujourd'hui m'ouvre un port. Tremblez, mediants ! mon dernier vers s'allume, Et, si je meurs, il vit pour vous fletrir ! Helas ! mes doigts laissent tomber ma plume : Pauvre Gilbert, que- tu devais souffrir ! Si seulement une voix consolante Me repondait quand j'ai longtemps gemi; Si je pouvais sentir ma main tremblante Se rechauffer dans la main d'un ami ! Mais que d'amis, sourds a ma voix plaintive, A burs banquets ce soir vont accourir, Sans remarquer 1'absence d'un convive ! Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir ! J'ai bien maudit le jour qui m'a vu naitre ; Mais la nature est brillante d'attraits, Mais chaque soir le vent a ma fenetre Vient secouer un parfuin de forets. Marcher a deux sur les fleurs et la mousse, Au fond des bois rever, -s'asseoir, courir, Oh ! quel bonheur ! Oh ! que la vie est douce ! Pauvre Gilbert, que tu devais souffrir ! L'OISEAU QUE J'ATTENDS. Les beaux soleils morts vont renaitre, Et voici deja mille oiseaux Pendant leurs nids a la fenetre, Peuplant les bois, rasant les eaux. Tous les matins un doux bruit d'ailes Me reveille, et j'espere. Helas ! A mes carreaux noirs d'hirondelles L'oiseau que j'attends ue vient pas. 19 mi 434 MANUAL OF FRENCH POETRY. L'ambition me fat connue Quand je vis Paigle au large vol Un jour coutempler de la nue Les insectes poudreux du sol ; Je vois a la tempete noire L'aigle encor livrer des combats ; Je le vois sans rever la gloire : L'oiseau que j'attends ne vient pas. Voici le rossignol qui cueille Un brin d'herbe pour se nourrir, Puis se cache au bois sous la feuille Pour chanter un jour et mourir : II chante Pamour. Ironic ! Oiseau moqueur, chante plus bas ; Et qu'ai-je besoin d'harmonie ! L'oiseau que j'attends ne vient pas. Plus loin, le martinet des greves, Sur un beau lac d'azur et d'or, Comme un poete sur ses reves, Se berce, voltige et s'endort. Dors et vole a ta fantaisie, Heureux frere ; deyant mes pas, Moi, j'ai vu fuir la poesie ; L'oiseau que j'attends ne vient pas. Arrive enfin, je t'en supplie, Noir messager dont Dieu se sert ; Corbeau qui, sur les pas d'^lie, fimiettais du pain au desert. Portant la part que Dieu m'a faite, Arrive, il est temps; mais, helas ! Mort sans doute avec le prophete, L'oiseau que j'attends ne vient pas. MOREAU. 435 LA FERMIERB. Amour a la fermiere ! elle est Si gentille et si douce ! C'est 1'oiseau des bois qui se plait, Loiii du bruit, dans la mousse. Vieux vagabond qui tends la main, Enfant pauvre et sans mere, Puissiez-vous trouver eu cuemiu La ferme et la fermiere ! De 1'escabeau vide au foyer La le pauvre s'empare, Et le grand bahut de noyer Pour lui n'est point avare ; C'est la qu'un jour je vins m'asseoir, Les pieds blancs de poussiere, Un jour, puis en inarche ! et bonsoir La ferme et la fermiere ! Mon seul beau jour a du finir, Finir des son aurore ; Mais pour moi ce doux souvenir Est du bonheur encore : En fermant les yeux je revois L'enclos plein de lumiere, La haie en fleur, le petit bois, La ferme et la fermiere ! Si Dieu, comme notre cure Au prone le repete, Paye un bienfait, meme egare", Ah ! qu'il songe a ma dette ! Qu'il prodigue au vallon les fleurs, La joie a la chaumiere, Et garde des vents et des pleurs La ferme et la fermiere ! 436 MASVAL OF FRENCH POETRY. GAUTIER. 1811- THEOPHILE GAUTIER, one~of the most spirited aud original of modem French writers, was born at Tarbes. " In prose as in verse," says Mr. Poitevin, " he paints whatever he describes with a marvellous vivacity of color. His style, always picturesque, exhibits in its most 1 dar- ing flights, and even in its eccentricities, a profound knowledge of the subject which is being treated, as well as a true respect for the language which is used. For nearly thirty years he has held the sceptre of criticism, and \i\sfeuilletons of art and the drama never fail to interest the reader." Gautier's poetical compositions are comprised in a single volume, and seem to have been but the fruit of an occasional brief pastime amid the incessant labors of this most industrious prosateur. LA SOURCE. Tout pres du lac filtre une source, Entre deux pierres, dans un coin ; Allegrement 1'eau prend sa course Comme pour s'en aller bien loin. Elle murmure : " Oh ! quelle joie ! Sous la terre il faisait si noir ! Maintenaut ma rive verdoie, Le ciel se mire a mon miroir. Les myosotis aux fleurs bleues Me disent : ' Ne m'oubliez pas ! ' Les libellules de leurs queues M'egratignent dans leurs ebats ; A ma coupe 1'oiseau s'abreuve ; Qui sail ? Apres quelques detours GAUTIER. 437 Peut-etre deviendrai-je un fleuve, Baignant vallons, rochers et tours. Je broderai de mon ecume Fonts de pierre, quais de graiiit, Emportant le steamer qui fume A 1'Ocean on tout finit." Ainsi la jeune source jase, Formaiit cent projets d'avenir ; Comme 1'eau qui bout dans un vase, Son not ne peut se contenir ; Mais le berceau touche a la tombe ; Le geant futur meurt petit ; Nee a peine, la source tombe Dans le grand lac qui 1'engloutit ! NIOBE. Sur un quartier de roche, un fantome de marbre, Le menton dans la main et le coude au genou, Les pieds pris dans le sol, ainsi que des pieds d'arbre. Pleure eternellement sans relever le cou. Quel chagrin pese done sur ta tete abattue ? A quel puits de douleurs tes yeux puisent-ils 1'eau ? Et que souffres-tu done dans ton coeur de statue, Pour que ton sein sculpte souleve ton manteau ? Tes larmes, en tombant du coin.de ta paupiere, Goutte a goutte, sans cesse et sur le meme endroit, Out fait dans 1'epaisseur de ta cuisse de pierre Uii creux ou le bouvreuil trempe sou aile et boit. O symbole muet de 1'humaine misere, Niobe sans enfants, mere des sept douleure, Assise sur 1'Athos ou bien sur le Calvaire, Quel fleuve d'Amerique est plus grand que tes pleurs P 438 MANUAL OF FRENCH POETRY. PAYSAGE. L'automne va finir ; au milieu du ciel terne, Dans un cercle blafard et livide que cerne Un nuage plombe, le soleil dort : du fond Des etangs remplis d'eau monte un brouillard qui fond Collines, champs, hameaux dans une nieme teiiite. Sur les carreaux la pluie en larges gouttes tinte ; La froide bise siffle ; un sourd fremissement Sort du sein des forets ; les oiseaux tristement, Melant leurs cris plaintifs aux cris des betes fauves, Sautent de branche en branche a travers les bois chauves, Et semblent aux beaux jours envoles dire adieu. Le pauvre paysan se recommande a Dieu, Craignant un hiver rude ; et moi, dans les vallees, Quand je vois le gazon sous les blanches gelees Disparaitre et mourir, je reviens a pas lents, M'asseoir, le coeur navre, pres des tisons brulants, Et la je me souviens du soleil de septembre Qui donnait a la grappe un jaune reflet d'ambre, Des pommiers du chemin pliant sous leur fardeau, Et du trefle fleuri, pittoresque rideau S'etendant a longs plis sur la plaine rayee, Et de la route etroite en sou milieu frayee, Et surtout des bleuets et des coquelicots, Point de pourpre et d'azur dans 1'or des bles egaux. PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS. Taiidis qu'a leurs oeuvres perverses Les homme3 courcnt haletants, Mars qui rit, malgre les averses, Prepare en secret le printemps. Pour les petites paquerettes, Sournoisement lorsque tout dort, GAVTIER. II repasse des collerettes Et cisele des boutous d'or. Dans le verger et dans le vigne II s'en va, furtif perruquier, Avec une houppe de cygne, Poudrer a frimas 1'amandier. La nature au lit se repose ; Lui descend au jardin desert, Et lace les boutons de rose Dans leur corset de velours vert. Tout en composant des solfeges, Qu'aux merles il siffle a mi-voix, II seme aux pres les perce-neiges Et les violettes aux bois. Sur le cresson de la fontaiue Ou le cerf boit, 1'oreille au guet, De sa main cachee il egrene Les grelots d'argent du muguet. Sous 1'herbe, pour que tu la cueilles, II met la fraise au teint vermeil, Et te tresse un cliapeau de feuilles Pour te garantir du soleil. Puis, lorsque sa besogue est faite, Et que son regne va finir, Au seuil d'avril tournant la tete, II dit : " Printemps, tu peux venir ! " LES COLOMBES. Sur le coteau, la-bas ou sont les tombes, Un beau palmier, comme un panache vert, Dresse sa tete, ou le soir les colombes Viennent nicher et se mettre a couvert. 440 MANUAL OF FRENCH POETRY. Mais le matin elles quittent les branches : Comme un collier qui s'egrene, on les voit S'eparpiller dans Pair bleu, toutes blanches, Et se poser plus loin sur quelque toit. Mon ame est 1'arbre ou tous les soirs, comme elles, De blancs essaims de folles visions Tombent des cieux, en palpitant des ailes, Pour s'envoler des les premiers rayons. LES PAPILLONS. Les papillons couleur de neige Volent par essaims sur la mer ; Beaux papillons blaucs, quand pourrai-je Prendre le bleu chemiii de 1'air ? Savez-vous, 6 belle des belles, Ma bayadere aux yeux de jais, S'ils me pouvaient preter leurs ailes, Dites, savez-vous oil j'irais ? Sans prendre un seul baiser aux roses A travers vallons et forets, J'irais a vos levres mi-closes, Fleur de mon ame, et j'y mourrais. LA MONTRE. Deux fois je regarde ma montre, Et deux fois a mes yeux distraits L'aiguille au meme eudroit se montre ; II est une heure, une heure apres. La figure de la pendule En rit dans le salon voisin, Et le timbre d'argent module Deux coups vibrant comme un tocsin. GAUTIER. 441 Le cadran solaire me raille En m'iudiquant, de son long doigt, Le chemin que sur la muraille A fait son ombre qui s'accroit. Le clocher avec irouie Dit le vrai chiffre et le beffroi, Repreuaut la note finie, A 1'air de se moquer de moi. Tiens ! la petite bete est morte. Je ii'ai pas mis hier encor, Tant ma reverie etait forte, Au trou de rubis la clef d'or ! Et je ne vois plus, dans sa boite, Le fin ressort du balancier Aller, veuir, a gauche, a droite, Ainsi qu'un papillon d'acier. L'eternite poursuit son cercle Autour de ce cadran muet, Et le temps, 1'oreille au couvercle, Cherche ce coeur qui remuait ; Ce coeur que 1'enfant croit en vie, Et dont chaque pulsation Dans notre poitriue est suivie D'una egale vibration, II ne bat plus, mais son grand frere Toujours palpite a mon cote. Celui que rien ne peut distraire, Quand je dormais, 1'a remonte ! 19* 442 MANUAL OF FRENCH POETRY. LE MERLE. Un oiseau siffle dans les branches Et sautille gai, plein d'espoir, Sur les heroes, de givre blanches, En bottes jaunes, en frac noir. C'est un merle, chanteur credule, Ignorant du calendrier, Qui reve soleil, et module L'hymne d'avril en fevrier. Pourtant il vente, il pleut a verse ; L'Arve jaunit le Rhone bleu, Et le salon, tendu de perse, Tient tons ses hotes pres du feu. Les monts sur Pepaule ont 1'hermine, Comme des magistrate siegeant. Leur blanc tribunal examine Un cas d'hiver se prolongeaut. Lustrant son aile qu'il essuie, L' oiseau persiste en sa chanson, Malgre neige, brouillard et pluie, II croit a la jeune saison. II gronde 1'aube paresseuse De rester au lit si longtemps, Et, gourmandant la fleur frileuse, Met en demeure le printemps. II voit le jour derriere 1'ombre, Tel un croyant, dans le saint lieu, L'autel desert, sous la nef sombre, Avec sa foi voit toujours Dieu. GAUTIER. 443 A la nature il se confie, Car son instinct pressent la loi. Qui rit de ta philosophic, Beau merle, est moins sage que toi ! CAMELIA ET PAQUERETTE. On admire les fleurs de serre Qui loin de leur soleil natal Comme des joyaux mis sous verre, Brillent sous uii ciel de cristal. Sans que les brises les effleurent De leurs baisers mysterieux, Elles naisseiit, vivent et meurent Devant le regard curieux. La porcelaine de la Chine Les re9oit par groupes coquets, Ou quelque main gantee et fine Au bal les balance en bouquets. Mais souvent parmi 1'herbe verte, Fuyaut les yeux, fuyant les doigts, De silence et d'ombre couverte, Une fleur vit au fond des bois. Un papillon blanc qui voltige, Un coup d'oeil au hasard jete, Vous fait surprendre sur la tige La fleur dans sa simplicite. Belle de sa parure agreste S'epanouissant au ciel bleu, Et versant son parfum modeste Pour la solitude et pour Dieu. 444 MANUAL OF FRENCH POETRY. Sans toucher a son pur calice Qu'agite un frisson de pudeur, Vous respirez avec delice . Son ame daus sa fraiche odeur. Et tulipes au port superbe, Camelias si cher payes, Pour la petite fleur sous 1'herbe, En un instant, sont oublies ! LE SOULIER DE CORNEILLE. Par une rue etroite, au coeur du vieux Paris, Au milieu des passants, du tunmlte*et des cris, La tete dans le ciel, et le pied dans la fange, Cheminait a pas lents une figure etrange ; C'etait uu grand vieillard severement drape, Noble et sainte misere, en son maiiteau rape ! Son ffiil d'aigle, son front argente vers les tempes, Rappelaieut les fiertes des plus males estampes ; Et Ton eut dit, a voir ce masque souveraiu, Une medaille antique a frapper en airain. Chaque pli de sa joue austerement creusee Semblait continuer un sillon de pensee, Et dans son regard noir qu'eteiut un sombre ennui, On sentait que 1'eclair autrefois avait lui. Le vieillard s'arreta dans une pauvre echoppe. Le roi-soleil alors illuminait 1'Europe, Et les peuples baissaient leurs regards eblouis Devant cet Apollon qui s'appelait Louis. A le chanter, Boileau passait ses doctes veilles ; Pour le loger, Mansard entassait ses merveilles ; Cependant, en un bouge, aupres d'uu savetier, Pied nu, le grand Corneille attendait son soulier ! Sur la poussiere d'or de sa terre benie Homere, sans chaussure, aux chemins d'lonie, Pouvait marcher jadis avec I'antiquite", GAUTIER. 445 Beau comme un marbre grec par Phidias sculpte ; Mais Homere, a Paris, sans ci-aiute du scandale, Un jour de pluie, cut fait recoudre sa sandale ; Ainsi faisait 1'auteur ft Horace et de Cin/ia, Celui que de ses mains la Muse couroima, Le fier dessinateur, Michel-Auge du drame, Qui peignit ies Remains si grands, d'apres son ame. Louis, ce vil detail que le bou gout dedaigne, Ce soulier recousu me gate tout ton regne. A ton siecle en perruque et de luxe amoureux, Je ne pardomie pas Covneille malheureux. Ton dais fleurdalise cache mal cette echoppe ; De la pourpre ou ton faste a grands plis s'enveloppe, Je voudrais prendre un peu pour Corneille vieilli, S'eteignant pauvre et seul, dans 1'ombre et jlaus Poubli. Sur le rayonnement de toute ton histoire, Sur 1'or de ton soleil c'est uue tache noire, O roi, d'avoir laisse, toi qu'ils out peiut si beau, Corneille sans souliers, Moliere sans tombeau ! Mais pourquoi s'iudigner ? Que viennent Ies annees, L'equilibre se fait entre Ies destinees ; A sa place chacun est remis par la mort : Le roi rentre dans 1'ombre et le poe'te en sort ! Pour courtisans, Versailles a garde ses statues, Les adulations et Ies eaux se sont tues ; Versailles est la Palmyre ou dort la royaute. Qui des deux survivra, genie ou majeste ? L'aube moute pour 1'uu, le soir descend sur 1'autre ; Le spectre de Louis, >au jardin de Le Notre, Erre seul, et Corneille, immortel comme un dieu, Toujours sur son autel voit reluire le feu Que font briller plus vif en ses fetes natales Les generations, immortelles vestales. Quand en poudre est tombe le diademe d'or Son vivace laurier pousse et verdit encor: Dans la posterite, perspective inconnue, Le poe'te grandit, et le roi diminue. 446 MANUAL OF FRENCH POETRY. L'ART. Oui, Poeuvre sort plus belle D'une forme au travail Rebelle, Vers, marbre, onyx, email. Point de coutraintes fausses ! Mais que pour marcher droit Tu chausses, Muse, un cothurne etroit. Fi du rhythme commode Comme un soulier trop grand Du mode Que tout pied quitte et prend ! Statuaire, repousse L'argile que petrit Le pouce, Quand flotte ailleurs 1'esprit ; Lutte avec le carrare, Avec le paros dur Et rare, Gardieus du contour pur ; Emprunte a Syracuse Son bronze oil fermement S'accuse Le trait fier et cbarmant ; D'une main delicate Poursuis dans un filon D^agate Le profil d'Apollon. GAUTIER. 447 Peintre, fuis Paquarelle, Et fixe la couleur Trop frele Au four de I'emailleur. Fais les sirenes bleues, Tordaiit de cent facons Leurs queues, Les monstres des bksons ; Dans son nimbe trilobe La Vierge et son Jesus, Le globe Avec la croix dessus. Tout passe. L'art robuste Seul a 1'eternite. Le buste Survit a la cite. Et k medaille austere Que trouve un laboureur Sous terre Revele un empereur. Les dieux eux-memes meurent, Mais les vers souverains Demeurent Plus forts que les airains. Sculpte, lime, cisele ; Que ton reve flottant Se scelle Dans le bloc resistant ! 448 MANUAL OF FRENCH POETRY. COMPENSATION. II nait sous le soleil de nobles creatures Unissant ici-bas tout ce qu'oii peut rever, Corps de fer, coeur de flamme, admirables natures. Dieu semble les produire afin de se prouver ; II prend, pour les petrir, une argile plus douce, Et souveut passe uu siecle a les parachever. II met, comme uu sculpteur, Pempreinte de son pouce Sur leurs fronts rayouuant dc la gloire des cieux, Et 1'ardente aureole en gerbe d'or y pousse. Ces hoinmes-la s'en vont, calmes et radieux, Sans quitter un instant leur pose solennelle, Avec Trail immobile et le maiutieu des dieux. Leur moindre fautaisie est une oeuvre eteruelle, Tout cede devant eux ; les sables inconstauts Gardent leurs pas empreints, comme un airain fidele. Ne leur donnez qu'un jour ou donuez-leur cent ans, L'orage ou le repos, la palette ou le glaive : Us meneront a bout leurs destins eclatants. Leur existence etrange est le reel du reve ; Us executeront votre plan ideal, Comme un maitre savant le croquis d'un eleve. De ceux-la chaque peuple en compte cinq ou six, Cinq ou six tout au plus, dans les siecles prosperes, Types toujours vivants dout on fait des recits. Nature avare, 6 toi, si feconde en viperes, En serpents, en crapauds tout gonfles de venins, Si prompte a repeupler tes immondes repaires, GAUTIER. 449 Pour taut d'animaux vils, d'idiots et de nains, Pour taut d'avortements et d'o3uvres imparfaites, Taut de moustres impurs echappes de tes mains, Nature, tu uous dois encor bien des poe'tes. TOMBEE DU JOUR. Le jour tombait, une pale nuee Du haut du ciel laissait nonchalamment, Dans 1'eau du fleuve a peine remuee, Tremper les plis de son blanc vetement. La nuit parut, la nuit morne et sereine, Portant le deuil de son frere le jour, Et chaque etoile a son trone de reine, En habits d'or s'en vint faire sa cour. On entendait pleurer les tourterelles, Et les enfants rever dans leurs berceaux, C'etait dans 1'air comme un frolement d'ailes, Comme le bruit d'invisibles oiseaux. Le ciel parlait a voix basse a la terre ; Comme au vieux temps ils parlaient en hebreu, Et repetaient un acte du mystere ; Je n'y compris qu'un seul mot : c'etait Dieu. LA DERNIERE FEUILLE. Dans la foret cbauve et rouillee II ne reste plus au rameau Qu'une pauvre feuille oubliee, Kien qu'une feuille et qu'un oiseau. II ne reste plus dans mon ame Qu'un seul amour pour y chanter, Mais le vent d'automne qui brame Ne permet pas de Pecouter ; 450 MANUAL OF FRENCH POETRY. L'oiseau s'en va, la feuille tombe, L'amour s'eteint, car c'est 1'hiver. Petit oiseau, vieus sur ma tombe Chanter, quand 1'arbre sera vert ! ELEGIE. D'elle que reste-t-il aujourd'hui ? Ce qui reste, Au reveil d'un beau re ve, illusion celeste ; Ce qui reste 1'hiver des parfums du printemps, De 1'email veloute du gazon ; au beau temps, Des frimas de 1'hiver et des neiges fondues ; Ce qui reste le soir des larmes repandues Le matin par 1'enfant, des chansons de 1'oiseau, Du murmure leger des ondes du ruisseau, Des soupirs argentins de la cloche, et des ombres Quand 1'aube de la nuit perce les voiles sombres. FANTAISIES D'HIVER. Le nez rouge, la face bleme, Sur un pupitre de glafons, L'Hiver execute son theme Dans le quatuor des saisons. II chante d'une voix peu sure Des airs vieillots et chevrotants ; Son pied glace bat la mesure Et la semelle en meme temps ; Et comme Hsendel, dont la perruque Perdait sa farine en tremblant, H fait envoler de sa nuque La neige qui la poudre a blanc. SEGAL AS. 451 SEGALAS. MADAME ANAIS SEGALAS was bora in Paris. " Her poetic talent," says her biographer, " revealed itself very early in a series of elegant and graceful compositions which were at once much applauded in the home circles, and which have surely lost nothing of their freshness and beauty by being brought to public view. Hers is a modest muse, closely related in mind and heart to that of Madame Tastu. There is no one of her poems which the most rigid of her sex cannot read and endorse. As daughter, wife, and mother, she has expressed in turn the varied senti- ments which these several relations inspire in a true and noble heart." LES VIRTUOSES DBS BUISSONS. Laissez ce nid fragile, 6 petits ravageurs, Attilas de dix ans aux instincts destructeurs. Ce frais palais d'oiseaux n'est point vaste, superbe, N'a point de haute tour se dressant vers le ciel, Mais c'est nn monument de Pamour maternel Fait de duvet, de mousse et d'herbe. Plus tard ces nouveaux-nes, musiciens des pres, Vous diront des chansons que vous applaudirez. Ce nid peut renfermer des voix melodieuses, Quelque chanteur brillant, quelque tenor leger, Peut-etre une Sontag qu'on verra voltiger En robe de plumes soyeuses. Oh ! laissez-les grandir, ces artistes charmants Qui pour filer des sons n'ont point d'appointements ; Us vont sans interet perler leur doux ramage. Quand pres de leurs buissons le pauvre passera Sans lui faire payer son billet d'opera Us chanteront sous le feuillage. 452 MANUAL Of FRENCH POETRY. Les oiseaux, voyez-vous, des liumbles paysans Sont la troupe lyrique. On dit que la fauvette Est la prima donna, c'est la douce coquette. Le petit rossignol aux raerveilleux accents Est yillustre tenor, le roi des virtuoses. A son theatre il n'a qu'un parterre de roses, Qu'une rampe de vers luisants. Le pinson vif et gai chante la chansonnette, Le merle en habit noir dit avec Palouette Un ravissant duo dans un frais buisson vert ; Le moineau discordant criant dans la prairie Est le petit joueur d'orgue de Barbarie Au milieu de ce beau concert. Souvent pour louer Dieu 1'oiseau dit un cantique, Un pater cadence, 1'arbre est 1'autel rustique. Avec ses doux parfums la fleur sert d'encensoir. L'alouette se leve et chante les matines, Et c'est le rossignol aux notes argentines Qui fait la priere du soir. Enfants, si Ton detruit ces lyres du feuillage, Que dira le prin temps qui chaque annee engage Ses chanteurs emplumes ; helas ! on n'entendra Sur 1'arbre vert theatre aucun petit artiste, L'air, ehemin des oiseaux, deviendra une rue triste Comme un desert de Sahara. Bien vous laissez en paix ces petits oiseaux freles ; Nous avons dans les pres oil s'ouvriront leurs ailes Tant de boeufs aux pas lourds, tant d'epais animaux, Aux cites tant d'esprits positifs et sans flamme, Qu'il faut bien quelquefois pour consoler nos ames Des pietes et des oiseaux. StiGALAS. 453 LA PETITE FILLE. Aliens, dans les jardins suis tes compagnes blondes, Enfant, va te meler aux tournoyantes rondes ; Et les mains dans les mains, courez, sautez, riez ; Ou bien saisis ta corde et bondis intrepide, Forme ce double tour qui passe si rapide Sous tes deux petits pieds. J'aime tes mouvements si souples quand tu joues, Les riantes couleurs qui nuaiicent tes joues, Tes pas legars, glissant sur les gdzons foules, Ta bouche qiii sourit, et ta grace ingenue, Et tes cheveux tombant sur ton epaule nue, Tout blonds et tout boucles. Tout est celeste en toi ; 1'enfant candide ct rose, Nouveau venu du ciel, en garde quelque chose ! Un regard d'ange luit dans ton bel oeil d'azur ; Ta voix faible n'est pas encor la voix humaine ; Ton corps, si petit, semble appartenir a peiue A notre monde impur. Mais quoi ! tu viens a moi les yeux en pleurs ! Ta mere T'aura parle peut-etre avec un ton severe ? Est-ce un jeu qu'on defend, un devoir impose ? Est-ce un oiseau captif qui t'echappe et s'envole ? Une Ie9on bien longue a dire dans 1'ecole ? Quelque jouet brise ? Oil ! cours dans les jardins, lance 1'escarpolette Jusqu'aux grands marronniers ; ou bien fais la toilette De ta poupee aux yeux d'email, au frais chapeau, Ou jette ce volant qui glisse entre les branches, Et que tu vois, dans 1'air, avec ses plumes blanches, . Passer comme un oiseau ! Comme il va s'ecouler ton age d'innocence ! Adieu, rire eclatant, et jeune insouciance, 454 MANUAL OF FRENCH POETRY. Et folatres pensers rayonnant dans 1' esprit ! Tout cela fuit avec nos brillantes jouruees ; Et, comrae le visage, au souffle des annees, L'ame aussi se fletrit ! LES CINQ SENS. Regarde, mon enfant, ma frele paquerette, La nuit qui luit, chante, embaume, te jette Rayons, fleurs, rossiguols, et n'est qu'euchantement ; C'est qu'elle est joyeuse, je gage, D'avoir eii toi fait un ouvrage Si delicat et si charmant. La lumiere te dit : " Je suis le jour splendide ; Dieu me fit pour tes yeux ; je suis 1'aube timide Qui te ressemble : en nous rien ne peut eblouir, Car nous sommes deux etmcelles ; Mais a nous voir deja si belles, On sent que le jour va venir. " Oui, mon ange, je suis cette aurore vermeille Qui frappe a tes rideaux, et te dit : ' Qu'on s'eveille ! ' Je suis ce beau soleil qui brille triomphaut ; Je suis les etoiles, la June, Qui te disent quand vient la brune : ' II taut dormir, petit enfant.' " L'oiseau dit : " Moi, je suis la chanson, la fauvette, Pour ton oreille, Dieu fit ma yoix pure et nette, Moi, je suis Palouette, a 1'aurore on m'eutend : Pour que les jours que Dieu t'euvoie Te semblent venir pleins de joie, Je te les annonce en chantant. " Je suis le blond serin qui parle son ramage ; La lyre des foyers, et 1'hote de la cage. Les maisons m'ont toujours dans quelques petits coins, SEGALAS. 455 Afin que 1'homme en sa demeure, Ou souvent, helas ! sa voix pleure, Ait une voix qui chante au moins." La fleur te dit : " Je suis le parfum, viens, respire, Dieu, pour ton odorat, m'emplit d'ambre et de myrrhe. Je suis la giroflee au baton d'or ; 1'oeillet Qui se panache et se satine ; Le muguet, perle blanche et fine, Qu'on trouve en mai dans la foret. " Dieu, comme vous, enfants, me fit riante et belle ; 11 me fit ma corolle en velours, en dentelle ; II vous fit des teints frais, des contours ravissants ; Et puis, les deux O3uvres ecloses, II donna le parfum aux roses, II donna la grace aux enfants. " Retiens longtemps mon charme et mon humeur frivole, Faisons notre bonheur d'un papillon qui vole. Mais surtout, bel enfant, qui descend du ciel bleu, Gardons, toi, dans ton ame aimante, Moi, dans ma corolle odorante, Un peu d'encens pour le bon Dieu." Et le vent du printemps dit : " Je suis la caresse ; Dieu m'a fait pour ton front. Je touche avec mollesse Ton visage et les Us, et j'aime a m'y poser Sur ta peau de satin, plus fraiche Que 1'eglantine, que la peche, Je glisse aussi doux qu'un baiser." Tout cela, c'est la vie, enfant, qui vient de naitre ; Ce n'est pas le bonheur. Si tu veux le connaitre, Ton pere et moi, tous deux baisant ta joue en fleur, Nous te dirons : " ma charmante, Nous sommes 1'amitie constante, Et Dieu nous a faits pour ton coeur." MISCELLANEOUS POEMS FROM ADDITIONAL AUTHORS. MISCELLANEOUS POEMS. LA POESIE. HAllSVY. Elle etait jeune, elle etait belle ; Son front, meme au milieu des pleurs, Empreint d'uiie grace eternelle, Brillait de lumiere et de fleurs ; Sa voix faisait tomber les chaiues Qui pesent sur les malheureux ; Elle endormait desirs et peiiies : Oil done es-tu, fille des cieux ? Elle avait un chaste langage, Un doux sourire, nn accent pur, Soit qu'elle chantat dans 1'orage, Ou pleurat sous un ciel d'azur ; Elle venait, douce hecatombe, Parer nos travaux et uos jeux, Feter la vie, ou bien la tombe : Ou done es-tu, fille des cieux ? Elle etait pleine de croyance, Aussi les peuples la croyaient ; Quaud elle parlait d'esperance, Tous les cceurs brises esperaient : Libre, et fiere de son empire, Au pouvoir d'un maitre orgueilleux Elle ne vendait pas sa lyre : Oil done es-tu, fille des cieux ? 460 MANUAL OF FRENCH POETRY. LA MARSEILLAISE. EOUGET DE 1,'lSLE. Aliens, enfants de la patrie ; Le jour de gloire est arrive. Centre nous de la tyrannic L'etendard sanglant est leve : Entendez-vous dans les campagues Mugir ces feroces soldats ? Us vienuent j usque dans nos bras ligorger nos fils, nos conipagnes ! Aux armes, citoyens ! formez vos bataillons ! Marchons, qu'uu sang impur abreuve nos sillons ! Que veut cette horde d'esclaves Centre nous en vain conjures ? Pour qui ces ignobles entraves, Ces fers des longtemps prepares ? Fran9ais, pour nous, all ! quel outrage ! Quels transports il doit exciter ! C'est nous qu'on ose menacer De rendre a 1'autique esclavage. Aux armes, etc. Tremblez, tyrans, et vous perfides ! L'opprobre de tous les partis ; Tremblez ! vos projets parricides Vont eiifin recevoir leur prix. Tout est soldat pour vous combattre ; S'ils tombent, nos jeunes lieros, La terre en produit de nouveaux, Contre vous tout prets a se battre. Aux armes, etc. Amour sacre de la patrie, Conduis, soutiens nos bras vengeurs. Liberte", liberte cHe"rie, MISCELLANEOUS POEMS. 461 Combats avec tes defenseurs ! Sous HOS drapeaux que la victoire Accoure a tes males accents ; Que tes emiemis expirauts Voient ton triomphe et notre gloire ! Aux armes, etc. Que Pamitie, que la patrie, Fassent Ppbjet de tqus nos voeux ! Ayons toujours 1'ame remplie Des feux qu'ils inspirent tous deux : Soyons unis, tout est possible, Nos vils emiemis tomberont ; Alors les Franpais cesseront De chanter ce refrain terrible : Aux armes, citoyens ! formez vos bataillons ! Marchons, qu'un sang impur abreuve nos sillons ! LE MONTAGNARD EMIGRE. CHATEAUBRIAND. Combien j'ai douce souvenance Du joli lieu de ma naissance ! Ma soeur, qu'ils etaient beaux ces jours De France ! O mon pays, sois mes amours Toujours ! Te souvient-il que notre mere Au foyer de notre chaumiere Nous pressait sur son sein joyeux, Ma chere ! Et nous baisions ses blancs cheveux Tous deux. Ma soeur, te souvient-il encore Du chateau que baignait la Dore ? Et de cette tant vieille tour 462 MANUAL OF FRENCH POETRY. Du Maure, Ou 1'airain sonuait le retout Du jour ? Te souvient-il du lac tranquille Qu'effleurait 1'hirondelle agile ; Du vent qui courbait le roseau Mobile, Et du soleil couchant sur 1'eau Si beau ? Oh ! qui me rendra mon Helene Et ma montagne et le grand chene ! Leur souvenir fait tous les jours Ma peine : Mon pays sera mes amours Toujours ! S'lL FAUT PENSER, C'EST POUR AGIR. Cette route obscure, incertaine, Que 1'on nomme la vie humaine, Offre peu de sentiers fleuris, Centre 1'orage, peu d'abris. Souvent, pour comble de misere, Le destin nous fait voyager Avec des gens d'uu caractere, Au notre eutierement contraire, Et dont tout nous est etranger. Au milieu de tant de traverses, En butte aux passions diverses, II faut les vaincre ou les regir. Le sage a besoiu de culture ; De son esprit, par la lecture, II voit la sphere s'elargir : Mais prenons garde que 1'etude Ne soit qu'une vaine habitude, S'il faut penser, c'est pour agir. MISCELLANEOUS POEMS. 463 LE TEMPS ET L' AMOUR. A voyager passant sa vie, Certain vieillard nomine le Temps, Pres d'un fleuve arrive et s'ecrie : "Ayez pitie de mes vieux ans. He quoi ! sur ces bords on m'oublie, Moi qui compte tous les instants ! Mes bons amis, je vous supplie, Venez, venez passer le Temps." De 1'autre cote sur la plage, Plus d'une fille regardait, Et voulait aider son passage, Sur un bateau qu' Amour guidait : Mais une d'elles, bien plus sage, Leur repetait ces mots prudents : " Ah ! souvent on a fait naufrage, En cherchant a passer le Temps." L' Amour gaiment pousse au rivage ; II aborde tout pres du Temps, II lui propose le voyage, L'embarque et s'abandonne aux vents ; Agitant ses rames legeres, II dit et redit dans ses chants : " Vous voyez bieu, jeunes bergeres, Que 1' Amour fait passer le Temps." Mais tout-a-coup 1'Amour se lasse ; Ce fut toujours la sou defaut, Le Temps prend la rame a sa place, Et lui dit : " Quoi ! ccder si tot ! Pauvre enfant ! quelle est ta faiblesse ! Tu dors, et je chaute a mon tour, Ce vieux refrain de la Sagesse : Ah ! le Temps fait passer 1' Amour." 464 MANUAL OF FRENCH POETRY. Une beaute dans le bocage Se riait sans management De la morale du vieux sage, Et du depit du jeune enfant : " Qui peut," dit le Temps en colere, " Braver 1'Amour et mes vieux ans ? " " C'est moi," dit 1'Amitie sincere, "Qui ne crains jamais rieu du Temps." LE NID. SOUVESTRE. De ce buisson de fleurs approchons-nous ensemble ; Vois-tu ce nid pose sur la branche qui tremble ? Pour le couvrir, vois-tu les rameaux se ployer ? Les petits sout caches sous leur couche de mousse ; Us sont tous endormis ! Oh ! viens, ta voix est douce : Ne crains pas de les effrayer. De ses ailes encor la mere les recouvre ; Son ceil appesanti se referme et s'entr'ouvre, Et son amour souvent lutte avec le sommeil : Elle s'endort enfin. Vois comme elle repose ! Elle n'a rien pourtant qu'un nid sous une rose Et sa part de notre soleil. Vois, il n'est point de vide en son etroit asile, A peine s'il contient sa famille tranquille ; Mais la le jour est pur et le sommeil est doux. C'est assez ! Elle n'est ici que passagere ; Chacun de ses petits peut rechauffer son frere Et sou aile les couvre tous. Et nous, pourtant, mortels, nous passagers comme elle, Nous fondons des palais quand la mort nous appelle ; Le present est fletri par nos voeux d'avenir ; Nous demandons plus d'air, plus de jour, plus d'espace, Des champs, un toit plus grand ! Ah ! faut-il tant de place Pour aimer un jour et mourir ! MISCELLANEOUS POE3IS. 465 LA BEAUTE, L'ESPRIT, ET LA VERTU. MADEMOISELLE DE SCUDEKY. La fleur que vous avez vu naitre, Et qui va bieiitot disparaitre, C'est la beaute qu'on vante tant ; L'une brille quelques journees, L'autre dure quelques annees, Et diminue a chaque instant. L'esprit dure un peu davantage, Mais a la fin il s'affaiblit ; Et s'il se forme d'age en age, II brille moins plus il vieillit. La vertu, seul bien veritable, Nous suit au dela du trepas ; Mais ce bien solide et durable, Helas ! on ne le cherche pas. DIEU. C'est Dieu qui du neant a tire Punivers ; C'est lui qui sur la terre a repandu les mers ; Qui de 1'air eteudit les-humides contrees ; Qui sema de brillants les voutes azurees, Qui fit naitre la guerre entre les elements, Et qui regla des cieux les divers mouvements. La terre a son pouvoir rend un muet hommage ; Les rois sont ses sujets, le monde est son partage. Si 1'onde est agitee, il la peut affermir ; S'il querelle les vents, ils n'osent plus fremir ; S'il commande au soleil, il arrete sa course ; H est maitre de tout, comme il en est la source. Tout subsiste par lui, sans lui rien n'eut etc, Et lui seul des mortals est la felicite. 20* DD MANUAL OF FRENCH POETRY. LES BROIJILLARDS. LACHAMBAUDIE. D'une profonde obscurite Les brouillards ont couvert les champs et la cite ; Et chacun saisi d'epouvante Se croit enveloppe d'une eternelle nuit. Que 1'beure sonne triste et lente ! Un homme que Pespoir conduit, Une torcbe a la main, sort de la ville et suit, A travers la montagne, une route incertaine. Bientot il apercoit, au-dessus de la plaine, Le soleil le plus beau dans le ciel le plus pur. A ses pieds, la vapeur, comme une mer immense, Ondule et se balance, Et, plus haut, il contemple une voute d'azur. Aussitot, plein de joie, il redescend dans Pombre, Certain que du soleil un regard bienfaisant Dissipera le brouillard sombre, Ainsi que le reveil chasse un reve affligeant. Amis, si vous voyez le sage Fixer d'un ceil tranquille et d'un calme visage Le doute suspendu sur le monde attriste, C'est que, bien au-dessus des tenebres bumaines, Sa foi s'est ranimee aux regions sereines Ou resplendit la v6rite". LE SYLPHE. ALEXANDBE DUMAS. Je suis un sylpbe, une ombre, un rien, un reve, Hote de Pair, esprit mysterieux, Leger parfum que le zepbire enleve, Anneau vivant qui joint Phomme et les dieux. MISCELLANEOUS POEMS. 467 De mon corps pur les rayons diaphanes Flottent meles a la vapeur du soir ; Mais je me cache aux regards des profanes, Et 1'ame seide, en songe, peut me voir. Rasant du lac la nappe etincelante, D'un vol leger j'effleure les roseaux, Et, balance sur mon aile brilkute, J'aime a me voir dans le cristal des eaux. Dans vos jardins quelquefois je voltige, Et, m'enivrant des suaves odeurs, Sans que mou poids fasse incliner leur tige, J3 me suspends au calice des fleurs. Dans vos foyers j'entre avec coiifiance, Et, recreant son 021! clos a demi, J'aime a verser des songes d'innocence Sur le front pur d'un enfant endormi. Lorsque sur vous la nuit jette sou voile, Je glisse aux cieux comme un long filet d'or, Et les mortels disent : " C'est une etoile Qui d'un ami nous presage la mort." LE PAPILLON ET L'ABEILLE. ANON. " S'il fait beau temps," Disait un papillon volage, " S'il fait beau temps, Je vais folatrer dans les champs." " Et moi," lui dit 1'abeille sage, " Je me mettrai a mon ouvrage S'il fait beau temps." 468 MANUAL OF FRENCH POETRY. A LA GRACE DE DIEU. " Tu vas quitter notre montagne Pour t'en aller bieu loin, helas ! Et moi, ta mere et ta compagne, Je ne pourrai guider tes pas. L' enfant que le ciel vous envoie, Vous le gardez, gens de Paris ; Nous, pauvres meres de Savoie, Nous le chassons loin du pays, En lui disant : ' Adieu ! A la grace de Dieu ! Adieu, a la grace de Dieu ! ' " " Ici commence ton voyage ! Si tu n'allais pas revenir, Ta pauvre mere est sans courage Pour te quitter, pour te benir ! Travaille bien, fais ta priere, La priere donue du creur, Et quelquelbis peuse a ta mere, Cela te portera bonlieur ! Va, mou enfant, adieu ! A la grace de Dieu ! Adieu, a la grace de Dieu ! " Elle s'en va, douce exilee, Gagner son pain sous autres cieux ; Longtemps, longtemps dans la valise Sa mere la suivit des yeux. Mais lorsque sa douleur amere N'eut plus sa fille pour '.moin, Elle pleura, la pauvre mere ! L'enfant qui lui disait de loin : " Ma bonne mere, adieu ! A la grace de Dieu ! Adieu, a la grace de Dieu ! " MISCELLANEOUS POEMS. 469 CHARMANTE GABRIELLE. Charmante Gabrielle, Perce de mille dards, Quand la gloirc m'appelle A la suite de Mars, Cruelle departie ! Malheureux jour ! Que ne suis-je sans vie Ou sans amour ! L'amour, sans nulle peilie, M'a, par vos doux regards, Comme .un grand capitaine Mis sous ses etendards. Cruelle departie ! Malheureux jour ! Que ne suis-je sans vie Ou sans amour ! Si votre nom celebre Sur mes drapeaux brillait, Jusqu'au dela de 1'Ebre L'Espagne me craindrait. Cruelle departie ! Malheureux jour ! Que ne suis-je sans vie Ou sans amour ! Je n'ai pu, dans la guerre, Qu'un royaume gagner ; Mais sur toute la terre Vos yeux doivent regner. Cruelle departie ! Malheureux jour ! Que ne suis-je sans vie Ou sans amour ! 470 MANUAL OF FRENCH POETRY. Partagez ma couronne, Le prix de ma valeur ; Je la tiens de Bellone : Tenez-la de moil coeur. Cruelle departie ! Malheureux jour ! C'est trop peu d'une vie Pour taut d'amour. Bel astre que je quitte, All ! cruel souvenir ! Ma douleur s'en irrite : Vous revoir ou mourir. Cruelle departie ! Malheureux jour ! C'est trop peu d'une vie Pour tant d'amour. Je veux que mes trompettes, Mes fifres, les echos, A tout moment repetent Ces doux et tristes mots ! Cruelle departie ! Malheureux jour ! C'est trop peu d'une vie Pour tant d'amour. SUR LE TEMPS. SC AKRON. Superbes monuments de 1'orgueil des humains, Pyramides, tombeaux, dont la vaste structure A temoignc que 1'art, par 1'adresse des mains Et 1'assidu travail, peut vaincre la nature ; Vieux palais mines, chefs-d'oeuvre des Remains, Et les derniers efforts de leur architecture, MISCELLANEOUS POEMS. 471 Colisee oil souvent ces peuples inhumains De s'entr'assassiner se donnaient tablature ; Par 1'injufe des temps vous etes abolis, Ou du moius la plupart vous etes demolis. II n'est point de ciment que le temps ne dissoude. Si vos marbres si durs out senti son pouvoir, Dois-je trouver mauvais qu'uu mediant pourpoint noir, Qui m'a dure deux ans, soit perce par le coude ? LE DEPART POUR LA SYRIE.* DE LABOEDE. Partant pour la Syrie, Le jeune et beau Duuois Venait prier Marie De benir ses exploits. " Faites, reiue immortelle," Lui dit-il en partaut, " Que j'aime la plus belle, Et sois le plus vaillaut." II trace sur la pierre Le serment de Phonneur, Et va suivre a la gueire Le comte son seigneur. Au noble voeu fidcle, II dit, en combattant : " Amour a la plus belle ! Honueur au plus vaillant ! " " Je te dois la victoire, Dunois," dit le seigneur. " Puisque tu fais ma gloire, Je ferai ton bonheur. The music of this popular song was composed by Queen Hortense. 472 MANUAL OF FRENCH POETRY. De ma fille Isabelle Sois 1'epoux a 1'iiistant, Car elle est la plus belle, Et toi le plus vaillaut." A 1'autel de Marie, Us contractent tous deux Cette union cherie, Qui seule rend lieureux. Cliacun dans la chapelle Disait, en les voyant : " Amour a la plus belle ! Honneur au plus vaillant ! " SOUVENIRS D'UN VIEUX MILITAIRE. " Te souviens-tu," disait uu capitaine Au veteran qui mendiait son pain, " Te souviens-tu qu'autrefois dans la plaine Tu detournas uu sabre de inon sein ? Sous les drapeauxd'une mere cherie, Tous deux jaclis nous avons combattu ; Je m'en souviens, car je te dois la vie : Mais, toi, soldat, dis-moi, t'en souvieus-tu? Te souviens-tu de ces jours trop rapides, Oil le Francais acquit tant de reiiom ? Te souviens-tu que sur les Pyramides, Chacuu de nous osa graver son nom ? Malgre les vents, malgre la terre et 1'onde, On vit Hotter, apres 1'avoir vaiiicu, Notre etendard sur le berccau du monde : Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu? Te souviens-tu que les preux d'ltalie Out vainemcnt combattu contre nous ? MISCELLANEOUS POEMS. 473 Te souviens-tu que les preux d'Iberie Devant nos chefs out pile les genoux ? Te souviens-tu qu'aux champs de I'Allemagne Nos bataillons, arrivant impromptu, En quatre jours out fait une campagne : Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ? Te souviens-tu de ces plaiues glacees Oil le Fran9ais, abordant en vainqueur, Vit sur son front les neiges ainassees Glacer son corps sans refroidir sou creur ? Souvent alors au milieu des alarmes, Nos pleurs coulaient, mais notre ceil abattu Brillait eucor lorsqu'on volait aux armes : Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souvieus-tu ? Te souviens-tu qu'un jour notre patrie Vivante encor descendit au cercueil, Et que 1'on vit, dans Lulece fletrie Des etrangers marcher avec orgueil ? Grave en ton coeur ce jour pour le maudire, Et quand Bellone enfin aura paru, Qu'uu chef jamais u'ait besoin de te dire : Dis-moi, soldat, dis-moi, t'en souviens-tu ? Te souviens-tu ? Mais ici ma voix tremble, Car je n'ai plus de noble souvenir ; Viens-t'en, 1'ami, nous pleurerons ensemble En attendant un meilleur aveiu'r. Mais si la mort, planant sur ma chaumiere, Me rappelait au repos qui m'est du, Tu fermeras doucemeut ma paupiere, En me disaut : ' Soldat, t'en souviens-tu ? ' " 474 MANUAL OF FRENCH POETRY. A QUI PENSE-T-IL? DELPHINE GAY. Ange aux ^eux dc flamnies, Tu sais nos secrets ; Tu lis dans nos ames, Dis-moi ses regrets. Sur 1'onde en furie, Chercliant le peril, Loin de sa patrie, A qui pense-t-il ? Quand ses blanches voiles Flottent dans les airs, Quand 1'or des etoiles Brille sur les mers, Quand seul il admire L'onde sans peril, Si son coeur soupire, A qui reve-t-il ? Alors qu'il succombe Au plus triste ennui, Et qu'une colombe Vole devant lui, Dans ce doux preuage, Sauveur du peril, Voit-il un message, Et qui nomme-t-il ? Quand 1'orage gronde Au sein de la nuit, Qu'on entend sous 1'onde Un funeste bruit ; Si dans la tempete, Un affreux peril Plane sur sa tete, Pour qui tremble-t-il ? MISCELLANEOUS POEMS. 475 Mais de son empire Est-il etonne ? Tout ce qu'il inspire L'a-t-il devine ? Un jour s'il arrive An port sans peril, De loin sur la rive Qui cherchera-t-il ? JEUNE FILLE ET JEUNE FLEUR. CHATEAUBRIAND. II descend ce cercueil ; et les roses sans taches Qu'un pore y deposa, tribut de sa douleur, Terre, tu les portas ; et maintenant tu caches Jeune fille et jeune fleur. Ah ! ne les rends jaraais a ce monde profane, A ce moude de deuil, d'angoisse et de malheur ; Le vent brise et fletrit, le soleil brule et fane Jeune fille et jeune fleur. Tu dors, pauvre l^lisa, si legere d'annees ! Tu ne crains plus du jour le poids et la chaleur ; Elles ont aclieve leurs fraiches matinees, Jeune fille et jeune fleur. Mais ton pere, Elisa, sur ta cendre s'iucUne, Aux rides de son front a monte la paleur, Et, vieux chene, le temps fauche sur sa racine, Jeune fille et jeune fleur. LA ROSEE. HENRI MURGER. Le sylphe matinal qui verse la rosee, Trop amoureux du lis, oublia ce matin De baigner 1' humble fleur demi-morte et brisee Qu'une larme du ciel ramenerait soudaiu. 476 MANUAL OF FRENCH POETRY. Comme fait un amant avec sa fiancee, A quelque muse triste ayant donne la main, Che reliant 1'ombre et la paix, pied lent, tete baissee, Un poe'te le soir traversa le chemin. Soit amour mal eteint, soit douleur mal fermee, II pleurait en marchant sous 1'ombreuse ratnee ; Une larme tomba de ses yeux sur k fleur, Sur la fleur demi-morte au pied du lis superbe, Et qui reprit bientot, parmi ses soeurs de 1'herbe, Son arome champetre et ses vives couleurs. BARCAROLLE DE MARIE. " Batelier," dit Lisette, " Je voudrais passer 1'eau, Mais je suis bien pauvrette Pour payer le bateau." Colin dit a la belle : " Venez, venez toujours," Et vogue la nacelle Qui porte mes amours. " Je m'en vais chcz mon pere," Dit Lisette a Colin ; " Eh bien ! crois-tu, ma chere, Qu'il m'accorde ta main ? " " Ah ! " repoudit la belle, " Osez, osez toujours." Et vogue k nacelle Qui porte mes amours. Apres le mariage, Toujours dans son bateau, Colin fut le plus sage Des maris du liameau. MISCELLANEOUS POEMS. 477 A sa chanson fidele, II repeta toujours : " Et vogue la nacelle Qui porte mes amours." L'AMOUR. ANON. " Dis-moi, mon coeur, mon coeur de flammes, Qu'est ce qu'amour, ce mot cliarmant ? " " C'est une pensee et deux ames, Deux coeurs qui n'ont qu'un battement." " Dis d'oii vient qu'amour nous visite ? " " L'amour est la car il est la ! " " Dis d'ou vient done qu'amour nous quitte ? " " Ce n'est pas 1'amour, s'il s'en va ! " " Dis quel est 1'amour veritable ? " " Celui qui respire en autrui." " Et 1'amour le plus iudomptable ? " " Celui qui fait le moins de bruit ! " " Comment accroit-il sa richesse ? " " C'est en donnant a chaque pas." " Et comment parle son ivresse ? " " L'amour aime et ne parle pas." LES ADIEUX.* SEGUR. Vous me quittez pour aller a la gloire, Mon triste coeur suivra par tout vos pas. * When, in 1808, the rumors of the divorce first came to the ears and heart of Jo- sephine, her husband was just about to set out for Wagram. She appealed to the poet for help. The result was this little ballad, which she contrived to have her daughter, who had set it to music, sing to the Emperor on the eve of his departure. Josephine watched closely his countenance for the effect which it might produce. Napoleon, having listened to the end, approached the Empress and said, "You are the best creature in the world," and then turned hastily away and went into his study. Jo- sephine burst into tears, for from that moment she knew that her destiny was sealed. MANUAL OF FRENCH POETRY. Allez, volez an temple de memoire, Suivez 1'hoimeur ; mais ue m'oubliez pas. A vos devoirs comme a 1'amour fidele, Cherchez la gloire, evitez le trepas : Dans les combats oil 1'honneur vous appelle Distinguez-vous ; mais ne m'oubliez pas. Que faire, helas ! dans mes peines cruelles, Je crains la paix autant que les combats ; Vous y verrez tant de beautes nouvelles ; Vous leur plairez ; mais ne m'oubliez pas. Oui, vous plairez et vous vaiucrcz sans cesse ; Mars et 1'Amour suivrout partout vos pas. De vos succes gardez la douce ivresse, Soyez heureux ; mais ne m'oubliez pas. LES FLEURS. MICHAVD. Ce sol, sans luxe vain, mais non pas sans parure, Aux doux tresors des fruits mele 1'eclat des fleurs. La, croit 1'ceillet si fier de ses mille couleurs ; La, naissent au hasard le muguet, la jonquille, Et des roses de mai la brillante famille, Le riche bouton d'or, et 1'odorant jasmin, Le lis tout eclatant des feux purs du matin, Le tournesol, gcant de 1'empire de Flore, Et le tendre souci qu'un or pale colore ; Souci simple et modeste, a la cour de Cypris, En vain sur toi la rose obtient toujours le prix : Ta fleur, moins celebre"e, a pour moi plus de charmes ; L'aurore te forma de ses plus douces larmes. Dedaignant des cites les jardins fastueux, Tu te plais dans les champs ; ami du malheureux, Tu portes dans les cosurs la douce reverie ; Ton eclat plait toujours a la melancolie ; Et le sage indien, pleuraut sur un cercueil, De tes fraiches couleurs peint ses habits de deuil. MISCELLANEOUS POEMS. 479 LA TRAGEDIE ET LA COMEDIE. QUERY. Lucinde, en perdant son epoux, Pleure, et du sort maudit les coups ; Voila la Tragedie. Trois jours apres, elle a grand sohi De sanglotter devant temoin ; Voila la Comedie. Dans certains drames, quelquefois, Les bourgeois s'expriment en rqis ; Voila la Tragedie. On en voit d'autres ou les rois S'expriment comme des bourgeois ; Voila la Comedie. Au bois deux auteurs d'opera Vont pour savoir qui perira ; Voila la Tragedie. Les rivaux, prompts a pardonner, S'embrassent, et vont dejeuner ; Voila la Comedie. Pour un melodrame bien noir Paris va s'etouffer ce soir ; Voila la Tragedie. De Moliere un O3uvre charmaut N'aura persomie, et cepeudant Voila la Comedie. Mondor manque, et, par contre-coup, Vingt maisons manquent tout-a-coup ; Voila la Tragedie. Mais, belas ! ces infortunes Donnent toujours de bons dines ; Voila la Comedie. 480 MANUAL OF FRENCH POETRY. Belles, autrefois vos amants, Sure de vos coeurs, mouraient constants ; Voila la Tragedie. De vos serments, de nos amours, On peut bien dire, de nos jours : Voila la Comedie. MA NORMANDIE. BEEAT. Quand tout renait a 1'esperance, Et que I'liiver fuit loin de nous ; Sous le beau ciel de notre France, Quand le soleil revient plus doux ; Quand la nature est reverdie, Quand I'liirondelle est de retour, Je vais revoir ma Normandie, C'est le pays qui m'a donne le jour. J'ai vu les champs de 1'Helvetie Et ses chalets et ses glaciers, J'ai vu le ciel de 1'Italie Et Venise et ses gondoliers ; En saluant chaque patrie, Je me disais : " Aucun sejour N'est plus beau que ma Normandie, C'est le pays qui m'a doune le jour." II est un age dans la vie Oil chaque reve doit finir, Un age oil Tame recueillie A besoin de se souvenir ; Lorsque ma muse refroidie Aura fini ses chants d'amour, J'irai revoir ma Normandie, C'est le pays qui m'a donne le jour. MISCELLANEOUS POEMS. 481 LA FLEUR ET LE NUAGE. LACHAMBAUDIE. L'ete regne ; une fleur, languissante au vallon, Appelle un nuage qui passe : " O toi ! qui voles dans 1'espace Sur les ailes de 1'aquilon, Verse-moi tes flots de rosee, Et par toi ma tige arrosee Verra renaitre sou printemps." " J'y peiiserai," dit le nuage ; " Mais je dois remplir un message ; Attends." H s'eloigne ; elle meurt, vers la terre peuchee. Le nuage revint sur la fleur dessechee Repandre, mais trop tard, des oudes par torrents. Toujours le malheureux nous trouve indifferents. Mais quand sous sa croix il succombe, Souvent nous allous, sur sa tombe, Semer de vains regrets, de steriles tresors. Ni largesses ui pleurs ne reveillent les morts. UN RIEN. MME. DE STAEL. Quand on aime, rien n'est frivole ; Un rien sert ou nuit au bonheur ; Un rien chagrine, un rien console ; II n'est pas de rien pour le coeur. Un rien pent aigrir la souffrance, Un rien 1'adoucir de moitie ; Tout est rien pour 1'indifference ; Uri rien est tout pour 1'amitie. 21 EE 482 MANUAL OF FRENCH POETRY. LA VIOLETTE. DUBOS. Aimable fille du printemps, Timide amante des bocages, Toil doux parfum flatte mes sens ; Et tu sembles fuir mes hommages. Comme le bienfaiteur discret Dont la main secourt 1'indigence, Tu me preseiites le bienfait Et tu crains la reconnaissance. Sans faste, sans admirateur, Tu vis obscure, abandoimee, Et 1'oeil encor cherclie la fleur Quand 1'odorat 1'a devinee. Sous les pieds ingrats du passant Souvent tu peris sans defense ; Ainsi sous les coups du mediant, Meurt quelquefois I'humble innocence. Pourquoi tes modestes couleurs Au jour n'osent-elles paraitre ? Aupres de la reine des fleurs Tu crains de 1'eclipser peut-etre ? Rassure-toi ; me me a la cour La bergere sait plaire encore ; On aime 1'eclat d'un beau jour Et les doux rayons de 1'aurore. Viens prendre place en nos jardins, Quitte ce sejour solitaire ; Je te prornets tous les matins Une eau toujours limpide et claire. MISCELLANEOUS POEMS. 483 Que dis-je? non, dans ces bosquets Reste, 6 violette cherie ! Heureux qul repand des bienfaits, Et, com me toi, cache sa vie ! LES DEUX LUTTEURS. BOULAY-PATT. Deux athletes toujours dans uu terrible effort, Luttent a qui vaincra, mais pendant des annees L'un a longtemps de fleurs les tempes couronnees, Et frais et beau longtemps, il semble le plus fort. L'autre, athlete vieilli, sans pitie, sans remord, A les bras tout uses d'etreintes acharnees, L'oeil creux, le teint livide et les mains decharnees : Ces deux hardis lutteurs, ce sont 1'homme et la mort. La mort prend Pavantage et de plus pres le serre. L'homme enfin sous le pied de son pale adversaire Tombe ; la mort le montre et. dit : " II a vecu ! " L'homme un instant sous elle a sa gloire abattue, Puis se dressant arme de son ame, il la tue, Et triomphe au moment qu'on le croyait vaincu. MAZEPPA. BOULAY-PATY. Sur la terre tout passe avec rapidite ; Les instants ont le vol des fleches empennees, Les heures ont le sort qu'ont les feuilles fanees, Et les jours not sur flot vont dans 1'immensite. Comme les ouragans dans les moissons d'ete", Comme dans les forets les trombes effreuees, MANUAL OF FRENCH POETRY. L'avenir vient sur nous, effeuillaut les anndes, Et terrassant la force ainsi que la beaute. Regardez Mazeppa, par mout, plaiue et rivage Emporte, lie nu sur un cheval sauvage, Le front battu du vol de 1'oiseau carnassier ; Tout fuit vague a ses yeux, a peine s'il respire ; II devient libre et roi quaud le coursier expire. L'homme, c'est Mazeppa, le temps, c'est le coursier. LES ETOILES. Pytliagore des cieux entendait 1'harmonie, Mais quels reveurs encor croiront a son genie r 1 On rit de ses concerts, car, en uos tristes jours, Les astres sont nmets ou les hommes sont sourds. Un pecheur de Naxos, couche dans sa nacelle, Contemplait de ces feux la lumiere eternelle, Lorsque avec les rayons quelque bruit descendu Porta soudain le trouble en son coeur eperdu. " Rassure-toi, nocher," dit la voix etheree ; " Apprends qu'a ton sujet s'emeut tout 1'empyree. Un mot pour contenter nos desirs curieux ! Des celestes clartes laquelle te plait mieux ? " L'etoile qui parlait etait bien la plus belle ; Mais lui, montrant le Nord, il dit : " La plus fidele." LES MOI. PIEON. Deux Moi, sans cesse, en moi se foiit sentir, Entre lesquels, se voulant divertir A mes depens, quelque malin genie A fait si bien germer la zizauie MISCELLANEOUS POEMS. 485 Que chiens et chats vivent moins desunis. Ce sont griefs et debats infinis. L'un tire au ciel ; Pautre tient a la terre : Voila de quoi longtemps nourrir la guerre. Mais tout le mal encor ne vient pas d'eux, Voici bien pis : perplexe entre les deux, Un Moi, troisieme, etabli pour entendre Et pour juger, ne sait quel parti prendre ; Et, ballotte par les raais et les si, Lui-meme eu deux se subdivise aussi. Conclusion. Si la Sagesse habile N'y met la main, bientot je serai mille. C'est trop souffrir un abus importun. Messieurs les Moi, je pretends n'etre qu'un : Que la-dessus, s'il vous plait, on s'arrange, Et qu'il en reste un bon Moi sans melange, Un Moi tout simple, et qui soit desormais Indivisible et tranquille a jamais. LE VRAI PHILOSOPHE. BOUFFLEES. Le bonheur est partout ; avec son heritage, Le riche ne 1'a point recu ; Dans I'ame tranquille du sage, II habite avec la vertu. L'homme vraiment heureux pourra 1'etre sans cesse : Aux caprices du sort il conforme son gout : II souffre la misere, il rit de la richesse, Et sait autant jouir que se passer de tout. II craint moins la mort que le crime, II aime sa patrie, il aime ses amis, Et s'il leur faut une victime, Le sacrifice est pret : la gloire en est le prix. 486 MAKUAL OF FRENCH POETRY. LES ALOUETTES. Des temps passes oubliant les outrages, Je sommeillais ; pourquoi me reveiller ? Qui vient ainsi becqueter mes vitrages ? Qui done m'arrache a mon doux oreiller ? L'aurore accourt sur nos vastes retraites Eparpiller les roses de son teint. Filles des champs, gentilles alouettes, Reveillez-moi quand naitra le matin. Dieu ! quel spectacle a mes yeux se presente ! Tout se revet des plus vives couleurs ! Une rosee active et bienfaisante Gorge de sues le calice des fleurs. En se glissant dans les feuilles discretes, L'abeille accourt y chercher son butin. Filles des champs, gentilles alouettes, Reveillez-moi quand naitra le matin. Le soleil vient ; d'un seul rayon qu'il lance Les noirs brouillards sont fondus, engloutis ; Au sein des airs a 1'instant qu'il s'elance, Grands sceptres d'or, que vous etes petits ! Rubis, saphirs, diademes, aigrettes, Aupres de lui, tout palit, tout s'eteint. Filles des champs, gentilles alouettes, Reveillez-moi quand naitra le matin. Astre immortel, voila 1'heure oil je t'aime ; Souvent plus tard tes rayons imprudents Pompent la terre, et te forcent toi-meme A soulever des orages ardents. La foudre alors vient gronder sur nos tetes ; Malheur, helas ! a celui qu'elle atteint ! Filles des champs, gentilles alouettes, Reveillez-moi quand naitra le matin. MISCELLANEOUS POEMS. 487 Ce vaste azur, quand le soleil se leve, Est embaume de parfums amoureux ; Vers 1'Iiternel mon ame alors s'eleve, Et je devine un monde plus heureux. L'echo muet de ces plaines muettes Trahit pour moi les secrets du destin. Filles des champs, gentilles alouettes, Reveillez-moi quand naitra le matin. FIN D'UNE BELLE JOURNEE DE PRINTEMPS. Mais, tandis qu'a regret je quitte ces demeures, Entrainant dans son cours le char leger des Heures, L'astre brulant du jour s'incline vers les monts, Et Zephyre, endormi dans le creux des vallons, S'eveille, et, parcourant la campagne embrasee, Verse sur le gazon la feconde rosee : Un vent frais fait rider la surface des eaux, Et courbe, en se jouant, la tete des roseaux. Deja 1'ombre s'etend ; 6 frais et doux bocages ! Laissez-moi m'arreter sous vos jeuues ombrages ; Et que j'entende entar. pour la derniere fois, Le bruit de la cascade et les doux chants des bois. De la cime des monts tout pret a disparaitre, Le jour sourit encore aux fleurs qu'il a fait naitre ; Le fleuve, poursuivant son cours majestueux, Reflechit par degres sur ses Hots ecumeux Le vert sombre et fonce des forets du rivage. Un reste de clarte perce encor le feuillage ; Sur ces toits eleves, d'un ciel tranquille et pur L'ardoise fait au loin etinceler 1'azur ; Et la vitre embrasee, a la vue eblouie Offre a travers ces bois 1'aspect d'un incendie. 488 MANUAL OF FRENCH POETRY. AURORE. TURQUETY. Oil vas-tu, souffle d'aurore, Vent de miel qui vieus d'eclore, Fraiche haleine d'uu beau jour ? Oil vas-tu, brise iucoustante, Quand la feuille palpitaiite Semble t'rissouner d'amour ? Est-ce au fond de la vallee, Dans la cime echevelee D'un saule ou le ramier dort ? Poursuis-tu la fleur venneille, Ou le papillou qu'eveille Un matin de flarame et d'or ? Va plutot, souffle d'aurore, fiercer Tame que j'adore : Porte a son lit embaume L'odeur des bois et des mousses, Et quelques paroles douces Comme les roses de niai. LA LOT DE LA HACHE. Des arbres droits et forts raillaient un de leurs freres, Qui, tortu, rabougri, rampait entre leurs pieds, Sur ses coudes estropies. Bientot 1'abatis vint plein de deuils fuueraires. Le bucheron choisit eutre tous les plus hauts ; Le nain resta. Partout, dans les jours de tempetes, Quand peuples ou rois font leur abatis de tetes, Les plus hautes, de droit, montent aux echafauds. MISCELLANEOUS POEMS. 489 LE POINT NOIR. GERARD DE NERVAL. Quiconque a regarde le soleil fixement Croit voir devant ses yeux voler obstinement Autour de lui, dans Fair, une tache livide. Ainsi, tout jeune encore et plus audacieux, Sur la gloire un instant j'osai fixer les yeux : Un point noir est reste dans mon regard avide. Dapuis, melee a tout comme un signe de deuil, Partout, sur quelque endroit que s'arrete mon ceil, Je la vois se poser aussi, la tache noir ! Quoi, toujours ? Eiitre moi sans cesse et le bonheur ! Oh ! c'est que 1'aigle seul malheur a nous, malheur ! Contemple impunement le Soleil et la Gloire. DANS LA FORET. L'aurore a deploye son manteau de satin ; La prairie etincelle, humide de rosee, Mais voici le soleil ! son haleine embrasee Seche ces pleurs tombes de 1'urne du matin ; Et bientot ce n'est plus qu'une goutte epuisee Chancelant au sommet du muguet ou du thym, Et que le papillon, dans son vol incertain, Essuie, en se jouant, de son aile irisee : Ainsi notre soleil, de sa lourde chaleur, Meme avant que 1'enfance ait sa voile pliee, Goutte a goutte en notre ame absorbe la fraiclieur. Heureux pourtant, heureux 1'homme, oomme la fleur, Quand au fond du calice une larme oubliee, Sous la corolle aride humecte encor le cceur ! 490 MANUAL OF FRENCH POETRY. LA ROSE. GENTIt BEKNARD. Tendre fruit des pleurs de 1'aurore, Objet des baisers de Zephir ; Reine de 1' empire de Flore, Hate-toi de t'epanouir. Que dis-je, helas ! differe encore, Differe un moment a t'ouvrir ; L'instaut qui doit te faire eclore, Est celui qui doit te fletrir. L'AMOUR DANS LA MAISON D'ANACREON. Au milieu de la pluie et d'une obscure nuit, Quand tout dort dans les airs, sur la terre et dans 1'onde, L'autre jour a ma porte on vint faire du bruit. Du lit, ou je dormais dans une paix profonde, Je crie, en sursaut reveille, " Quel bruit fait-on la-bas ? Qui frappe de la sorte ? " " C'est moi, c'est un enfant tout transi, tout mouille," Dit-on, " ne craignez rien. Ouvrez-moi votre porte : Dans 1'ombre de la nuit j'ai perdu mon chemin." Cette voix excita ma pitie secourable. Je me leve, et descends une lampe a la main, J'ouvre, et vois en effet un enfant tout aimable ; Uu arc qu'il empoignait me le rendit suspect. Uu carquois tout rempli de fleches acerees Resonnait sur son dos arme d'ailes dorees. Trappe de crainte et de respect, Je le pris pour 1'Amour. Helas ! c'etait lui-meme, La suite me le fit bien voir ; Pres du feu je le fis asseoir, Tachant entre mes mains, avec un soin extreme, De rechauffer ses mains, de secher ses cheveux. O soins contraires a mes voeux ! MISCELLANEOUS POEMS. 491 A peine il est seche, que, d'une main hatee, II preud un trait dans son carquois, Un trait fatal dont il fait clioix. " La corde de mon arc n'est-elle point gatee ? " Dit-il, " essayoiis : " et soudaiu II decoche ce trait, et ai'en perce le sein. II s'applaudit du coup, et de joie il en saute, Et me dit, en partant, avec un ris moqueur, " Mon arc n'est point gate ; mais preuds garde a ton C03ur. Adieu. Je paye aiusi mon hote." AU LEVER DU JOUR. Sur la montagne errant je vois le jour eclore, II plonge ses rayons dans 1'azur eclairci, Les sommets sont en feu, la foiet se colore, Je pense a Dieu, le front incline, je 1'adore ; Jour de 1'anie, dans moi vas-tu renaitre aussi ? Les fleurs a la rosee ouvrent leur fine gaze, Purs calices berces par un vent adouci ; Chacune a son rubis, sa perle ou sa topaze, Je me sens le coeur plein d'amour, de foi, d'extase ; Fleurs de 1'ame, allez-vous en moi renaitre aussi ? L'alouette s'envole en chaiitant vers la nuc, La caille, le bouvreuil sont caches pres d'ici, Dans 1'humide buisson j'entends leur voix connue ; La joie est dans mon cceur de bien loin revenue : Voix de 1'ame, allez-vous en moi chanter aussi ? LE SECRET. RESSEGUIER. Dis-moi de quel secret ta harpe solitaire T'entretieut au declin du jour ? 492 MANUAL OF FRENCH POETRY. Dis-moi si cle ton cceur revelant le mystere, Elle exhale uii soupir d'amour ? Si ta pensee intime en ton ame eveillee Te dit de craiudre ou d'esperer ; Si tu sens, sous tes doigts, uue corde mouillee, Et si tu chantes pour pleurer ? Dis-moi si d'un accord, d'uue note plus tendre, Ton coeur se trouble quelquefois ; Si la voix d'uu absent soudaiu se fait entendre ; Si tu reponds a cette voix ? Mais non ; non, ne dis rien ; cliaute, soupire, pleure. Cache le secret de ton co3ur ; Si tu le dis jamais, il faudra que je meure De desespoir ou de bonheur. LA FTLLE DE RHIGAS. Aux fetes de Castri la jeunesse accourue, Et de joie et d'amour paraissait s'enivrer : Tout a coup, au milieu de la foule eperdue, L'ceil hagard, une vierge est soudain apparue, Et se prend a pleurer. Du malheureux Rhigas c'est la fille insensee, Au milieu des tombeaux, errante nuit et jour ; Recouvrant par acces sa raison eclipsee, L' amour de son pays survit a sa pensee ; C'etait son seul amour. Les danses et les chants s'interrompent pour elle ; L'audace brille encor dans son regard distrait ; Du sublime Rhigas c'est le regard fidele ! On 1'entoure, ou 1'admire, elle etait jeune et belle : Elle parle, on se tait : " Malheur ! malheur a vous, Grecs ! si dans trois annees L'Archipel belliqueux ne domine les mers. . MISCELLANEOUS POEMS. 493 Malheur ! malheur a ceux dont les mains euchainees Ne sauront conquerir de nobles destinees, Meme au sein des revers ! " Et vous tous, rois chretiens, quand la croix vous rassemble, Est-ce pour protege r Mahomet contre nous ? Protecteurs des lyrans, que votre peuple tremble ! Allies du sultan, soyez maudits ensemble ; Malheur ! malheur a vous ! " Vous nous devez vos lois, vos arts, et Massilie ! Du sang de notre Christ vous nous desheritez ; L'Europe, par ses vceux, a nos destins s'allie, Mais contre leurs sujets, dans 1'Europe avilie, Les rois sont revoltes. " Grecs, n'en esperez rien ; rien, sinon le parjure. Levez-vous et marchez, marchez toujours unis. Dans les pleurs, dans le sang, vengez tous votre injure. Moi, fille de Rhigas, moi, dont la bouche est pure, Frappez ! je vous benis. " J'ai predit vos destins, j'ai lance 1'anatheme, Et je sens de mes jours s'eteindre le flambeau; Castri, ton sol est libre a mon moment supreme. Pour la liberte sainte il est, des ce jour meme, Conquis par mon tombeau." Elle dit, et n'est plus. De la pauvre insense*e, Bientot on oublia la mort et les leyons. Loin de son corps meurtri la foule dispersee, De ses propres malheurs detourna sa pensee, Et reprit ses chansons. A la danse, au plaisir, le sistre encore appelle ; Quelques danseurs pourtant n'ont point repris leur rang, Et Ton trouva trace, des 1'aurore nouvelle, Aux rochers du Parnasse, aux murs de la chapelle : "Le sang paira le sang." 494 MANUAL OF FRENCH POETRY. L'HISTOIRE. G. LEGOUV& Avant qu'on vit briller sa lumiere feconde, Les temps se succedaieut dans une nuit profonde ; Les peuples, tour a tour par Poubli devores, Sur la terre passaient 1'un de 1'autre ignores ; Les grands evenements n'avaient point d'interpretes ; Les debris etaient morts et les tombes muettes. L'histoire luit, soudain les temps out recule ; L'ombre a fni, les tombeaux, les debris out parle ; Les generations s'entendeut et s'instruisent, Et de 1'esprit humain les travaux s'eternisent. O charmes de 1'etude ! 6 sublimes recits ! Dans quels transports le sage, a son foyer assis, Suit les nombreux combats et d'Athenes et de Rome, A travers deux mille ans applaudit un grand homme, Consulte 1'orateur et le guerrier fameux, Partage les revers des peuples grands comme eux, Voit 1'empire romain, sous les fers des Vandales, De ses vils empereurs expier les scandales, Et bientot, dechire par divers potentats, Son cadavre fecond enfanter cent tats ; Retrouve en d'autres lieux, sur la sanglante arene, Marius dans Conde, Scipion dans Turenne, Et, rempli des heros et des faits eclatants, Aiusi que tous les lieux embrasse tous les temps. LE FRUIT DC LA DOULEUR. DE LAPRADE. Sur le versant pierreux d'un plateau du midi, llespirant le soleil d'un hiver attiedi, J'errais en longs detours ; les collines desertes D'arbustes odorants etaient au loin couvertes. Promeneur attentif, au plus humble arbrisseau MISCELLANEOUS POEMS. 495 J'evitais en marchant de blesser un rameau. J'avais deja suivi tous ces sentiers des landes Saiis briser une tige, une feuille aux lavandes ; Aussi, de leurs bouquets intacts et respectes, Nul parfum ne montait dans 1'air, a mes cotes. A travers champs, bientot, dans ma course plus prompte, Je m'elauce, et des fleurs je ue tiens plus de compte ; Je marche au plus touffu des arbustes meurtris, Et disperse a grands pas leurs feuilles en debris. Alors jaillit, alors le vent a longs flots roule Un doux torrent d'odeurs des plantes que je foule, Et plus mon pied rapide, au penchant du coteau, A coups precipites frappe comme un fleau, Plus j'ecrase, a pas lourds, feuilles, rameaux et tiges, Plus 1'essaim des parfums rapidement voltige, Et plus epais, dans I'air que j'entraiue en courant, S'amasse et monte au loin un nuage odorant. Vous, mon Dieu, parmi nous quand nos ames sont mures, Vous cheminez ainsi, malgre nos vains murmures, Faisant votre moisson ; et lorsque vous voulez Respirer les parfums dans nos coeurs receles, La douleur vous precede : elle vient, sans colere, Ainsi que le coursier fouknt le ble sur 1'aire, Et brise sous ses pieds, comme moi ces rameaux, Nos fleurs et nos fruits murs et nos espoirs nouveaux. Vous dirigez, Seigneur, tous les coups qu'elle porte ; Les plus durs sont toujours pour 1'ame la plus forte. C'est vous, dans la douleur, qui nous etes present ; Vous ne nous visitez, mon Dieu, qu'en nous brisant. Mais c'est alors aussi qu'a travers ses blessnres La fleur exhale au loin ses senteurs les plus pures ; Alors, mon Dieu, le coeur brise par le chagrin Vous livre ses vertus comme 1'epi son grain, Et mille odeurs ont fui de ses veines subtiles, Qui dormaient jusque-la dans la plante inutiles. 496 MANUAL OF FRENCH POETRY. Alors enfin versant, de 1'argile ou de 1'or, Le flot immacule qui s'y gardait encor, L'homme a vos pieds repaud, comme fit Madeleine, Les plus divius parfums dont sou aine etait pleine. LES NEUF MUSES. DEMOt'STIEK. Par un discours seme de fleurs Calliope ouvrit 1'assemblee. Melpomene, triste et voilee, Des heros plaignit les malheurs, De Pamour deplora les cliarmes, Et, par ses aimables douleurs, Fit eclore dans tous les ccEurs Le plaisir, du sein des alarmes. Thalie, avec un air malin, Des traits aigus de la satire Cribla le pauvre genre humain, Mais, en le piquant, le fit rire. Polymnie ensuite etala Les faits, les vertus, la memoire Des Turennes de ce temps-la. Clio, sur 1'aile de la gloire, Portant ces heros vers les cieux, Les fit voler au rang des dieux. Urauie ouvrit ses tablettes, Et lut intelligiblement Le systeme du mouvement Des tourbillons et des planetes. Enfin la champetre Erato Chant a les amours du hameau Sur 1'air plaintif de la romance, Euterpe, de son flageolet, L'accompagna ; puis en cadence Terpsichore, par un ballet, Termina gaiemeut la seance. MISCELLANEOUS POEMS. 497 LE PRINTEMPS. Avez-vous entendu, lorsque la nuit est belle, La chanson du Priutemps qui flotte dans les airs ? La brise qui s'enfuit 1'emporte sur son aile, Et caresse en passant le saule aux rameaux verts ; Alors, si vous laissez vos rideaux entr'ouverts, L'etoile fait briller le feu de sa prunelle ; Elle semble eclairer de sa douce etincelle L'orchestre dont les chants eiidorment 1'univers. La foret retentit comme un orgue sublime ; On distingue la voix profonde de 1'abime Dont les graves accords montent au ciel en feu ; Dans ce concert divin, oil toute la nature Mele son harmonie inimitable et pure, Le spectateur c'est 1'homme, et 1'artiste c'est Dieu ! LA BIBLE. Ta Parole, Seigneur, est ma force et ma vie ; A nos sentiers obscurs elle sert de flambeau, Et, semblable au soleil, sa clarte vivifie : De ton amour pour nous, c'est le don le plus beau. Elle est la verite, la sagesse supreme ; Par elle je connais mon eteriiel destin. Ce fidele miroir me devoile a moi-meme, Coupable et corrompu, quand je me croyais saint. Par ta Parole, 6 Dieu, tu reveles ton etre, Ta grandeur, ton conseil, la gloire de ton nom. Par elle notre coeur apprend a te connaitre, Pere de Jesus-Christ, Dieu juste autant que bon. 498. MANUAL OF FRENCH POETRT. Livre consolateur inspire par Dieu meme, Mes yeux se sont ouverts a tes vives clartes. Oui, je sais maintenant que le Seigneur nous airae ; Tu moutres a quel prix Dieu nous a rachetes. C'est toi qui nous soutiens au moment de la lutte, Quand le mal veut en nous reprendre son pouvoir. Tu garantis nos pas des dangers de la chute, Et sur le lit de mort tu nous donues 1'espoir. Heureux celui qui croit la divine Parole ; Heureux celui qu'enseigne et que guide 1'Esprit ! Heureux qui, detourne de ce monde frivole, S'est assis humbleinent aux pieds de Jesus-Christ ! Par ta Parole, 6 Dieu ! par ta puissante grace, Regenere mon coeur et viens regner en moi ; Et jusqu'a la journee ou je verrai ta face, Qu'ici-bas, en croyant, je marche devant toi ! LA SAINTE CENE. Est-il bien vrai, Seigneur, qu'un fils de la poussiere A ton festin d'amour par toi soit invite ? Pour titre a tes faveurs je n'ai que ma misere : Mon seul droit c'est ta charite ! Du Dieu qui nous crea consolante assurance : Lui-meme s'est charge de toutes nos langueurs ; Pour prix de tant d'amour et de tant de souffrance II ne demande que nos coeurs. Je viens done altere de pardon, de justice, Recevoir de ta main les symboles touchants Qui retracent ici ton sanglant sacrifice Au souvenir de tes enfants. MISCELLANEOUS POEMS. 499 Toi qui m'as tant aime, qui lavas ma souillure, Qui dans raon coeur trouble fis desceudre la paix, O Jesus, pain du ciel, deviens ma nourriture, Et qu'eii toi je vive a jamais ! Oui, Seigneur, en toi seul je veux puiser ma vie ; J'ai vecu trop lougtemps du monde et du peche. A ta faible brebis ouvre ta bergerie, Et dans ton seiii tiens moi cache. A UN PARFAIT AMI. Malgre la mort, malgre la vie, Je veux te suivre et t'adorer, Malgre moi-meme et ma folie, Je me sens vers toi soupirer. Tu me retiens, tu me captives, Quand je m'egare ou me distrais. A travers mes larmes furtives, Quand je suis seul, tu m'apparais. L'eclair, soudant la nuit profonde, Est moins percant que ton regard ; L'orbe riant du vaste moude M'einbrasse uioins de toute part. L'oiseau qui seul se fait entendre, Quaiid la nuit tout dort sous les bois, M'appelle d'une voix moins tendre Que dans mon coeur ne fait ta voix. Elle me dit : " Je t'aime, ecoute ! En moi tu peux tout retrouver. Pourquoi me fuir ? pourquoi ce doute ? Hors moi qui peut done te sauver ? 5UO MANUAL OF FRENCH POETRY. jf " Je t'aime plus qu'on n'aime un frere Tu sais ma demeure et mon nom. Brise le noeud qui m'est contraire, Et jamuis ue mo redis : ' Noil ! ' " Ne me crains plus. Sois-moi fidele. Je vais sails cesse a ton cole : Mais, pour me suivre, garde uue aile, Car j'habite 1'Eteruite." LE BONHEUR DU CHRETIEN. MONOD. Que ne puis-je, 6 mon Dieu, Dieu de ma delivrance, Remplir de ta louange et la terre et les cieux, Les prendre pour ternoius de ma reconnaissance, Et dire au moude entier combien je suis heureux ! Heureux quand je t'ecoute et que cette parole Qui dit : " Soit la lumiere ! " et la lumiere fut, S'abaisse jusqu'a moi, m'instruit et me console, Et me dit : " C'est ici le chemin du salut ! " Heureux quand je te parle, et que, de ma poussicre, Je fais monter vers toi mon hommage et mon voeu, Avec la liberte d'un fils devant son pere, Et le saint tremblement d'un pecheur devant Dieu. Heureux lorsque ton jour, ce jour qui vit eclore Ton ceuvre du neant et ton Fils du tombeau, Vient m'ouvrir les parvis ou ton peuple t'adore, Et de mon zele eteint rallumer le flambeau. Heureux quaud sous les coups de ta verge fidele, Avec amour battu, je souffre avec amour; Pleurant, mais sans douter de ta main paternelle, Pleurant, mais sous la croix, pleurant, mais pour un jour. MISCELLANEOUS POEMS. 501 Heureux, lorsque, attaque par Pange de la chute, Prenaut la croix pour arme et I'agneau pour sauveur, Je triomplie a geuoux, et sors de cette lutte Vainqueur, mais tout meurtri, tout meurtri, mais vainqueur. Heureux, toujours heureux ! J'ai le Dieu fort pour pere, Pour frere Jesus-Christ, pour couseil I'Esprit-Saint ! Que peut oter 1'enfer, que peut donner la terre A qui jouit du ciel et du Dieu trois fois saint ? SONNET.* SUE LA MORT DU CHRIST. Lorsque Jesus souffrait pour tout le genre humain, La Mort, en 1'abordant au fort de son supplice, Parut tout interdite, et retira sa main, N'osaht pas sur son maitre exercer son office. Mais Jesus, en baissant la tete sur son sein, Fit signe a la terrible et sourde executrice, Que, sans avoir egard au droit du Souverain, Elle achevat sans peur le sanglant sacrifice. L'Implacable obeit, et ce coup sans pareil Fit trembler la nature et palir le soleil, Comme si de sa fin le monde cut ete proche. Tout gemit, tout fremit sur la terre et dans 1'air ; Et le Pecheur fut seul qui prit un coeur de roche, Quand les rochers semblaient en avoir un de chair ! * This admirable little poem, of unknown authorship, was found inscribed upon the principal gate of the cemetery which formerly surrounded the church of Sainte-Trin- ite, in Cherbourg, and dates probably from the 17th century. It was copied and pre- served by some individual, and has but recently been published for the first time. TEXT-BOOKS IN FRENCH FIRST LESSONS SVMS'S FIRST YEAR IN FRENCH $0.50 FASQUELLE'S INTRODUCTORY FRENCH COURSE . . .65 BULLET'S FIRST LESSONS IN FRENCH . . . .50 DREYSPRING'S EASY LESSONS IN FRENCH . . . .60 WORMAN'S FIRST FRENCH BOOK ..... .40 WORMAN'S SECOND FRENCH BOOK .... .40 METHODS MUZZARELLI'S ACADEMIC FRENCH COURSE. First Year and Second Year. Each ...... .OO BUFFET'S NEW FRENCH METHOD (Hennequin) . . .20 FASQUELLE'S FRENCH COURSE .35 GASTINEAU'S CONVERSATION METHOD WITH THE FRENCH, .25 LANGUILLIER AND MONSANTO'S FRENCH COURSE . . .45 READERS DE FIVAS'S ELEMENTARY FRENCH READER . . . .52 DE FIVAS'S CLASSIC FRENCH READER .... 1.05 DREYSPRING'S FRENCH READER .75 FASQUELLE'S COLLOQUIAL FRENCH READER . . . .90 WORMAN'S FRENCH ECHO (Conversation) . . . .90 LITERATURE GUERBER'S CONTES ET LEGENDES. Two Parts. Each, .60 MAIRET'S LA TAcHE DU PETIT PIERRE (Healy) . NODIER'S LE CHIEN DE BRISQUET (Syms) BUFFET'S FRENCH LITERATURE .72 FENELON'S TELEMAQUE. (Fasquelle.) .... .90 RACINE (CHEFS D'CEUVRES). (Fasquelle.) . . . .90 Copies of any of the above books will be sent prepaid to any address, on receipt of the price, by the Publishers : American Book Company New York Cincinnati Chicago (73) The Academic French Course BY ANTOINE MUZZARELLI Professor of Modern Languages and Literature ; author of " Les Antonymes de la Langue Francaise." " English Antonymes," French Classics, etc. Muzzarelli's Academic French Course, First Year . . $1.00 Muzzarelli's Academic French Course, Second Year . r.oo Keys to each of the above books . . . each, i.oo THE ACADEMIC FRENCH COURSE embodies in two books a complete system of instruction in the French language. It is preeminently practical, advancing from the easiest steps to those more difficult in a constant gra- dation. It has been prepared especially to meet the wants of English-speaking pupils, the author's long residence in this country and his successful experience as a teacher of the French language familiarizing him thoroughly with the fundamental differences between the English language and his mother tongue. From MICHEL BR^AL, Membre de 1'Institnt francais (Academic des Inscriptions et Belles-Lettres), du Conseil supeVieur de 1' Instruction publique (Section permanente), Commandeur de la Le'gion d'honneur, etc., etc. PORNIC (Loire InfeVieure), 7 Septembre, 1895. CHER PROFESSEUR MUZZARELLI : J'ai re^u ici, oft je me suis re'fugi^ contre les chaleurs, votre " Academic French Course." Autant que j'ai pu voir, c'est un ouvrage qui rendra des services, car il est clair, simple, et bien pratique. Tout en admirant sa simplicity grammaticale, j'ai eu le plaisir de me trouver presque toujours d'accord avec vous en vos jugements sur les difficultes que vous avez parfaitement expliquees. Je desire que cet ouvrage n'ait pas moins de succes que ses aines. Soyez certain que ce nonveau service & la cause de I'e'ducation hatera 1'heureux moment oil les palmes acadfemiques descendront sur votre te'te. Recevez, cher monsieur, 1'assurance de ma sympathique consideration. MICHEL BRfiAL. Copies of Muzzarelli's Academic French Course -will be sent, prepaid, to any address on receipt of price by tke Publishers : AMERICAN BOOK COMPANY NEW YORK CINCINNATI CHICAGO (74) CONTES ET LEGENDES Jere PARTIE Linen, I2mo, 183 pages. Price, 60 cents Jjme PARTIE Linen, I2mo, 192 pages. Price, 60 cents PAR H. A. GUERBER Auteur de "Myths of Greece and Rome." This collection of Fairy Tales and Legends, in two handy volumes for convenient use, is intended as an introduction to general French Literature. The stories are narrated as graphically as possible to arouse an interest in the plot and to stimulate curiosity, thereby inducing the pupil to read to the end. In the first part the stories are told in the simplest manner possible, the same words and idioms being often re- peated to secure fluency and the memorizing of all the words in common use. In the second part the new words are not repeated so frequently, because any pupil having gone through the first part has already secured a fair vocabulary and has learned to remember the new words with comparative ease. These stories have been used with pupils of all ages and at different stages of progress with most gratifying results, either with or without the accompaniment of a grammar. The most successful methods for using the stories in teaching the language and introducing pupils to the great literature of which the French people are deservedly so proud, is indicated in each of the books by the author, and can be easily employed by any teacher of the language. Copies of Guerbers Contes et Lcgendes, Parts I. and //., will be sent prepaid to any address on receipt of the price (60 cents per part) by the Publishers : AMERICAN BOOK COMPANY NEW YORK CINCINNATI CHICAGO (75) Syms's First Year in French By L. C. SYMS Bachelier fes Lettres, Licencie en Droit de l'Universit de France Linen, i2ino, 128 pages ... Price, 50 cents This book is intended for the use of children beginning the study of French. In its preparation the author has aimed to ally two contend- ing systems of teaching languages, one of which is known as the Natural or Conversational Method, the other as the Translation Method, with the regular teaching of grammar. The first ten lessons are object lessons, the vocabularies of which contain only names of objects found under the eyes of children, in any schoolroom, or easily at hand. These vocabularies are generally divided into several parts, each of which contains words or model sentences, and corresponds to one of the exercises that follow. The author, far from condemning entirely the use of English in teaching French, has given an English translation of the vocabularies, and has introduced into his method English exercises to be translated into French. He is also of the opinion that, whenever a short explanation in English appears to be necessary, it is perfectly right to use this means as the most rapid and natural one. At the end of the book are given French-English and English- French vocabularies which contain the words and all the idiomatic expressions used in the texts. Copies of Syms's First Year in French will be sent prepaid to any address, on receipt of the price, jo cents, by the Publishers : AMERICAN BOOK COMPANY NEW YORK CINCINNATI * CHICAGO (76) TEXT-BOOKS IN GERMAN FIRST LESSONS DREYSPRING'S EASY LESSONS IN GERMAN . . . $0.60 WOODBURY'S EASY LESSONS IN GERMAN . . . .90 WORMAN'S FIRST GERMAN BOOK .30 WORMAN'S SECOND GERMAN BOOK .... .40 METHODS AHN'S GERMAN GRAMMAR . . . . . .70 DREYSPRING'S CUMULATIVE METHOD .... 1.20 GASTINEAU'S CONVERSATION METHOD IN GERMAN . 1.25 OLLENDORFF'S METHOD IN GERMAN (ADLER) . . .87 VAN DER SMISSEN AND ERASER'S HIGH SCHOOL GERMAN GRAMMAR 1.25 WOODBURY'S NEW METHOD WITH GERMAN . . . 1.35 WORMAN'S ELEMENTARY GERMAN GRAMMAR . . i.oo WORMAN'S COMPLETE GERMAN GRAMMAR . . . 1.40 READERS DREYSPRING'S FIRST GERMAN READER .... .60 ECLECTIC GERMAN READERS : Primer . . . $0.20 Third Reader . . $0.42 First Reader . . .25 Fourth Reader . . .60 Second Reader . .35 Fifth Reader . . .72 JOHONNOT'S BUCK VON KATZEN UND HUNDEN . . .30 WORMAN'S ELEMENTARY GERMAN READER . . . .90 WORMAN'S COLLEGIATE GERMAN READER . . . 1.25. WORMAN'S GERMAN ECHO (Conversation) . . . .90 LITERATURE KELLER'S BILDER AUS DER DEUTSCHEN LITTERATUR . .75 MODERN GERMAN TEXTS : Carefully selected with regard to interest and style, and liberally supplied with notes, vocabularies, etc. GERMANIA TEXTS. Reprinted from Germania. A series of texts for advanced students, furnishing chapters from popular German writers. Price, each . . . . .10 Copies of any of the above books will be sent prepaid to any address, on receipt of the price, by the Publishers : (68) American Book Company New York Cincinnati Chicago (Eclectic Scries of (Berntan Keabers for American Schools By W. H. WEICK and C. GREBNER German Primer. (Deutfdje #bel) $0.20 German First Reader. () 60 German Fifth Reader. (Sfinftes Cefebud?) .... .72 THE above books constitute a complete and well graded series of German Reading Books for American Schools, and, in addition, embrace a thorough course in German language lessons, composition, translation exercises, script, etc. The reading material of the books is abund- ant, admirably selected and carefully graded throughout. The primary books are filled with entertaining stories and dialogues which children will be eager to read because of the interest they excite. The higher books contain selec- tions from the best German and German-American litera- ture in poetry and prose. All the books of the series are beautifully illustrated, including, in the Fifth Reader, portraits of the leading German authors represented and sketches of the lives of all. Descriptive Catalogue Section of text-books in the Modern Languages -will be sent to any address on application. Copies of the Eclectic German Readers -will be sent prepaid to any address on receipt of the price by the Publishers : 2lmertcan 3ook Company NEW YORK CINCINNATI CHICAGO BOSTON. ATLANTA PORTLAND, ORE. (69) "f An Introduction to the Study of American Literature BY BRANDER MATTHEWS Professor of Literature in Columbia College Cloth, i2mo, 256 pages ... Price, $1.00 A text-book of literature on an original plan, and conforming with the best methods of teaching. Admirably designed to guide, to supplement, and to stimulate the student's reading of American authors. Illustrated with a fine collection of facsimile manuscripts, portraits of authors, and views of their homes and birthplaces. Bright, clear, and fascinating, it is itself a literary work of high rank. The book consists mostly of delightfully readable and yet compre- hensive little biographies of the fifteen greatest and most representative American writers. Each of the sketches contains a critical estimate of the author and his works, which is the more valuable coming, as it does, from one who is himself a master. The work is rounded out by four general chapters which take up other prominent authors and discuss the history and conditions of our literature as a whole ; and there is at the end of the book a complete chronology of the best American literature from the beginning down to 1896. Each of the fifteen biographical sketches is illustrated by a fine portrait of its subject and views of his birthplace or residence and in some cases of both. They are also accompanied by each author's facsimile manuscript covering one or two pages. The book contains excellent portraits of many other authors famous in American literature. Copies of Brander Matt/tews' Introduction to the Study of American Literature will be sent prepaid to any address , on receipt of the price, by the Publishers : American Book Company New York Cincinnati Chicago (83) Bilber fcer Deutfcfyen Citteratur Br DR. I. KELLER Professor of German in the Normal College, New York. Linen, i2mo, 225 pages. Price, 75 cents. THE plan of this work will commend itself to teachers who believe that the teaching of German literature should concern itself with the contents and meaning of the great works themselves more than with a critical study of what has been said about the works. With this aim the author gives in twenty-one "Bilder" a survey of the lan- guage and literature at its most important epochs, singling out for detailed study the chief works of each period and writer. A re'sume' of the contents of each work so treated is given, generally illustrated by quotation from the work. The simplicity of the treatment and language, and the clearness of the page secured by the use of the Schwabacher type fit this work for younger students as well as for those of more advanced grade. Copies of Keller's Bilder aus der Deutschen Litteratur will be sent, prepaid, to any address on receipt of price by the Publishers : American Booh (Eompany NEW YORK * CINCINNATI CHICAGO BOSTON . ATLANTA . PORTLAND, ORE. (70) UC SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY A 000 847 570 9