" -> ' v ^ : l ."'. %i OEUVRKS DE PARNY PARIS IMPRIMERIE.F.DOriARD BLOT me S'linl - I.mii- , 46, ail M.irai- OE U V R E S DE PARNY ELEGIES ET POESIES DIVERSES NOUVELLE EDITION REVUE E T A N N T 6 E PAR M. A. - -T. PONS AVKC UNE PREFACE DE M. SAINTE-BEUVE PARIS GAHNIER FRERES, LIBR AIRES-EDITEURS , HUE HF.S SAINTS -PtRES ET PALAIS - ROYAL , 215 1862 PARNY POETE ELEGIAC UE I'aruv : le premier poete elegiaque frausais. Ou lui reprocbe la Guerre ties Dienx el on a raison ; roais les Klegius restent, ces Kli-gies sout un des plus agreables muuunieuU de oolre poesie moderne. FONTANES, Projetde retaUiimemenl de FAcadeniie fra>njaisi; 1800. J'ai deja ecril sur Parny '; je voudrais parler de lui une fois encore, et eette fois sans aucune gene, siins aucune de ces fausses I'eserves qu'imposent les (coles dominantes (celle nieme dont on est sorti) et les respects huniains hypocrites. Pour cela, je limite inon sujet comme les presents editeiu*s eux-menies out limit5 le choix des oeuvres , comme Fontanes demandait qu'on le fit des 1800: je laisse de cottf le Parnv du Directoire el de I'an VII. le chantre de la t. An tome III des Portraits coiittiaj.orains et iltrei'x. edition de ages II--I -. VI PAR NY Guerre des Ditiix : 11011 que ce dernier poeme soil in- digne tie 1'auleur par le talent et par la grace de cer- tains tableaux; mais Parny se trompa quand il se dil. en traitant un sujet de cette nature : La grac est tout ; avec cllc tout passe. Un lei poeme, qui n'aurait pas eu d'inconvenient hi entre incredules, aux derniers soupers du grand Fre- deric, et qui aurait tail sourire de spirituels me- creants, prit un tout autre caraetere en tombant dans le public; il lit du mal; il alia blesser des con- sciences tendres, des croyances respectables, et des- quelles la societe" avail encore h vivre. Je laisserai done ce poeme tout & fait en deliors de mon appre- ciation presente. et il ne sera question ici que du Parny elcgiaque, de celui dont Chateaubriand disait : Je n'ai point connu d'ecrivain qui tut plus sem- blable i ses ouvrages : poete et ereole, il ne lui 1'aU lait que le ciel de 1'Inde, line tbntaine, un palmier et une femme. Ne & 1'ile Bourbon, le ti levrier 1753. envoye a heuf ans en France, et place an college de Rennes, oil il lit ses e'tudes, Evariste-Desire de Forges (et non pas Desforges) de Pai'ny entra a dix-huit ans dans un i'egiment, vint a Versailles, a Paris, s'y lia avec son PARNV VII compatriote Berlin, militairc et poete conime lui. Us etaient la. de 1770 a 1773, line petite coterie d'ai- mables jeunes gens, dont le plus age n'avait pas vingt-cinq ans, qui soupaienl. aimaient, faisaient des vers, et ne prenaient la vie a son debut que comme une legere et riante orgie. Que de generations de jeunes gens et de poetes ont fait ainsi, et depuis lors et de tout temps! Mais le propre de celte aimable societe de la Caserne et de Feuillancour. c'est que la distinction. I'e'legance, le gout de I' esprit, surnageaient toujours jusque dans le vin et les plaisirs. Kappele* a 1'age de vingt ans a 1'ile Bourbon par sji lamille, Parny y trouva ce qui lui avail manque jusqu'alors pour animerses vers et leur donner une inspiration originate., la passion. II y connut la jeune creole qu'il a ce'le'bre'e sous le nom d'Eleonore ; il commenca par lui donner des legons de musique: mais le professeur amateur devint vile atitre cbosti pour son H(Mo'ise: les obstacles ne s'apcrcurent que trop tard, apres la faute, apres Timprudence com- mise; 1'heure de la separation sonna; il y eul en- suile un retour, suivi bientot de refroidissement . d'inconstance. C'est rc"ternelle bisloire. Parny a eu I'lionneur de graver la sienne en quelques vers bru- V1I1 PARNY lants, naturels, el que la poesie franchise n'ouhlieni jamais. Les Poesies eroiiques (vilain litre, a caiise du sens trop marque qui s'attache au mot erotique; je prc'fe- rerais Elegies), les Elegies de Parny, done, parurent pour la premiere fois en 1778. et devinrent a 1'in- stant line fete dc Tesprit et du C03iir pour toute la jcunesse du regne de Louis XVI. L'oreille e"tait satis- faite par un rhythme pur, melodieux ; le gout 1'etait egalement par une diction nette, ele'gante. et qui echappait an jargon a la mode, au ton du libertinage on de la fatuite*. Les connaisseurs faisaient une difte- rence extreme de cette langue poetique de Parny d'avec celle des autres poetes du temps, les Bou- llers, les Pezai, les Dorat : c'eut e'te une grossierete alors de les contbndre. Serious-nous dcvenus moins delicats en devenant plus savants : ; Je sais que tout a change ; nous n'en sommes plus a Horace en fait de gout, nous en sommes a Dante. II nous faut du difficile, il nous taut du complique. Le critique, et meme le lecteur fran^ais, ne s'inquiele plus de ce qui lui plait, de ce qu'il aimerait naturellement, sincerement; il s'in- quiete de paraitre aimer ce qui lui fera le plus d'hon- neur aux yeux du prochain. Oui, en France, dans ce PARNY IX qu'on deprime oti ce qu'on arhore en public, on nc pense guere le plus souvent an fond des clioses ; on pense a 1'effet, a 1'honneur qu'on se fera en defendant telle on telle opinion, en prononc.ant tel ou tel juge- ment. Le difficile est tres-6w/ porte; on s'en pique, on a des admirations de vanite. Un critique spirituel et sense" le remarquait a propos de la musique d'Au- her, en parlant d'un de ses derniers operas qui avail fort re"ussi : Pour remporter ce succes avec une ceuvre si e'legante et si claire, un style si aimahle et si cliarmant, il a fallu. disait-il, un t res-grand talent et un tres-grand bonheur: car aujourd'hui, par la pedanterie qui court , par les doctrines absurdes qu'on voudrait accrediter. par 1'ignorance et 1'ou- trecuidance de quelques pretendus savants, la clarto. la grace et I'esprit sont un obstacle plutot qu'uu avant.ige... Le beau merite que d'entendre et d'ad- mirer ce que tout le monde admire et comprend! Ainsi parlait un critique, qui est aussi un tnulucteur de Dante ! . et anquel hien des gens doive'nt de le lire en francais: car 1'original leur est absolument ferme. J'insiste sur ce travers de notre gout, sur cette glo- riole de notre esprit. Que ceux qui arrivent ;'i con- I. M. P.-A. Fioiriitiiio. X PARNY querir et a admirer cos fortes clioses a la sueur de lour front, en aient la satisfaction et 1'orgueil, je ne ti'ouve rien de mieux ; mais que des esprits me'dio- cres et moyens se donnent les airs d'aimer et de pre- ferer par clioix ce qu'ils n'eussent jamais eu I'idee de toucher et d'eflleurer en d'autres temps, voila ce qui me fait sourire. Un des derniers traducteurs de Dante, line maniere de personnage politique, me fai- sant un jour 1'honneur de m'apporter le premier volume de sa traduction. me disait d'un air degagc" : Je 1'ai traduit awe charme. C'est la de la fatuite. (le memo liomme. il y a trente ans, cut tmduit Ilonico a la suite de Daru. avec charme . ou plutot par mode encore, tout comme depuis il avail fait pour Dante. II n'en est pas moins vrai que nous tenons tons plus ou moins de cette nouvelle et rude educa- tion que Ton s'est donn^e; nous avons repris a la scolastique et an ^othiquc par quelque bout; le moyon a?e s'impose a nous, il nous domine : un pen dc Sic et non a nien son charme ; nous avons tons, a doses plus ou moins inhales, avale de I'Ozanam, de cet ardent et vigoureux holier dont ils sont en train de fairc un grand liomme. Ce qui me console, c'est que les gens d'esprit de ces doctes generations assurent que cette voie est la meil- PARNY XI leure. en definitive, pour en revenir a appre'cier tout ce qui rentre dans le ge"nie de la France, et ee qui exprime le gout fran<;ais. Est-il done bien ne'ces- saire d'en passer par la methode de Gervinus pour sentir et admirer la Fontaine? Pour faire a Gresset sa vraie place, pour reserver le rang qu'elle me'rite a line ele"gie de Parny, est-il done indispensable d'avoir I'ait le tour des litleratures, d'avoir hi les Niebelun- gen, et de savoir par coeur des stances mystiques deCalderon? Peut-etrc. C'est, dans tons les cas. le chernin le plus long, et le jour oil Ton rentre an logis , on court risque d'etre si fort fatigue" . que le sommeil s'ensuive. Le simple fruit qu'on se proposait de de"guster an retour ne sera-t-il pas de bien peu de saveur pour un palais blase" el de'daigneux? J'admcts pourtant que si un pen de science nous eMoigne, beaucoup de science nous ramene an senti- ment des beanie's ou des graces domesliques; et alors I'e'legie de Parny. vue l\ son beure, est, en effet, une des productions de 1'esprit fnmcais qui me'rite d'etre conserve'e comme specimen dans I'immense berbier des litte'ratures comparers. Sans y meltre tant de facons, revoyons-la un moment, vivante et dans sa fleur, sous ce regne de Louis XVI. pendant les dix XII PARNV heureuses anne>s qui prece'derent la plus terrible des revolutions. Le poete est amoureux; il Test comme on 1'^tait alors, et meme un pen mieux, comme on Test dans les e"poques naturelles, c'est-a-dire avec tendresse et abandon, d'une maniere precise, positive, non angelique. non alambique'e. et aussi sans y meler un sentiment etranger qui simule la passion et qui va par dela. Je m'explique. Les Byron, les Rene, les Musset sont tres-peu, a mes yeux, des amoureux simples. Us aiment une personne de rencontre, mais ils cherchent toiijours plus loin, an dela ; ils veulent sentir fort, ils veulent saisir 1'impossible, embrasser 1'infini. Je prends Musset comme le plus voisin de nous et a notre porte"e : croyez-votis qu'en aimant sa maitresse, celle qu'il a tant celebree, il n'aimat pas surtout le ge"nie en elle, autre chose que la femme. ride"alisation d'unreve? Le bonheur! lebonlieur! s'e"criait-il dans sa violence de desir; et la moil apres! et la mort avec! Beau cri, mais qui de- passe. ce me semble, la ported de 1'amour, qui sup- pose dans le coeur une rage de bonbcur ant6rieure a ramcur. et laquelle aussi lui survivra. Parny est moins violent et plus simplement amou- reux: il est amoureux d'une personne, nullement PARNY XIII d'un pre'texte et.d'une chose poetique. Sa premiere ele^ie reste charmante : En fin, ma chere Eleonore. . . c'est I'abc des araoureux. Tons ceux qui 1'ont hie 1'ont retenue. et de tons ceux qui la savent par coeur, pas un ne 1'ouhlie. Oh ! je ne vous la donne pas pour une creation profonde et neuve : c'est un lieu com- mun qui recommence sans cesse aux approches de quinze ans pour toutes les generations de Chloe" et de Daphnis; mais ici le lieu commun a passe* par le coeur et par les sens, il est redevenu une Emotion, il est module d'une voix pure ; il continue de chanter en nous bien apres que le livre est ferme", et le len- demain au re'veil on s'e'tonne d'entendre d'abord ce doux chant d'oiseau, frais comme 1'aurore. Faites I'^preuve, s'il est encore temps, si vous n'avez pas atteint le chiflVe fatal oil il est honteux d'aimer : Nee amare dectbit..., cetage, oil, comme le dit Joseph de Maistre, il ne faut etre fou qu'en dedans ; si done vous trouvez encore une heure de reste pour avoir une e'coliere en musique et m$me en amour., re'citez a une jeune fille naive une e'le'gie de* Lamartine , si belle qu'elle soil, et une ele'gie de Parny, vous verrez laquelle ellc comprendra. laquelle elle retiendra. Je ne crains pas le sourcil jaloux des censeurs : XTV PARNY qifils viennent se montrer, s'ils osent, en ces ma- tieres aiinahlos ! Je les renverrai, non pas couronne's. niais toilette's de roses. Le plus re'barbatif de tons, M. de Bonald, a dit : Je crois que la poesie erotique est finie die/ nous, et que. dans une societe* avancee. on sentira le ridicule d'entretenir le public de fai- blesses qu'un liomme en age de raison ne conlie pas nienie a son ami. La poe'sie Erotique n'est pas 1'en- fance, inais I'enfantillage de la poesie. Voila 1'ana- tlieme du vieux Galon : pas si Galon qu'il en avait 1'air. pas si Aristidc du moins. el qui, dans son auste- rile de censeur en litre, ne dedaignail ni les places, ni les Emoluments, ni les hiens solides pour sa famille : Les Bonald, je les connais, disait M. Royer- Gollard. II a done lance I'anatheme aux poetes ainoureux. Je ne sais si leiir regne est aussi 11 ni que le preMisait ce propliete du passe. Ce serait taut pis pour la joie humaine ! Le Devin du milage poun-ait hien en savoir plus long sur 1'amour que 1'auteur de la Legislation primitive. Jusqu'a Parny du moins. le retrain de la ce'lebre chansonnette restait une verite (C'est un enfant, c'est tin enfant!), et 1'tflegie du pocte estbien celle de cet e'ternel enfant. Parny, je dois le dire, a fait quelques concessions de detail, quelques corrections que je n'approuve pas PARNY XV dans ses Elegies revues par lui sous 1'Empire. II y a de lui une Frayeur que j'aime mieux dans les pre- mieres Editions, et qui y est beaucoup mieux moli- ve"e. II y a, par-ci par-la, des invocations a la bou- leille, qui ont disparu dans les Editions plus rassises. II a eu tort. Laissons aux folies de la jeunesse, des qu'elles ont jailli et que la coupe circule, la mousse pelillante et rosi^e dont elles se couronnent. Une tres-belle e'le'gie. c'est le Projet de solitude : Fuyons ces tristes lieux, 6 maitresse adoree ! Nous perdons on espoir la moitie de nos jours. L'echo de Lamartine, cette fois, en a repete" quelqne cliosr : \A moitie de leurs jours, helas ! est r onsnniec Dans 1'altandon des hiens reels. La piece de Parny (trente-deux vers en tout) est pure, tendre, e'gale, d'un seul souffle, d'une seule veine. C'est du parfait Tibulle retrouve" sans y son- ger, et la (lute de Sicile n'a rien fait entendre de plus doux. Le Fragment d'AlcSe n'est que du grec transpa- rent et pour la forme. Parny est trop entieremcnl ('pris et trop paresseux pour aller faire comme Andiv XVI PAR NY Clie'nier, pour revcnir, par line comhinaison de gout et d'e>udition, aux maitrcs de la lyre tfolienne. Ici il n'a voulu que masquer sous des noms anciens le de"- plaisir tout moderne d'un araant qui sent sa mattresse lui e"chapper aux approches de Paques. Les vers sont beaux, fermes, pleins. et d'un e'picure'isme hardi qui rappelle Lucrece. Le Plan deludes : De vos projets je blame 1'iniprudence : Trop de savoir depare la beaute... est agitable. La Rechute est d'un sentiment vrai, na- turel, sans rien de force", ni du cote* de I'angelique, ni du cote de I'erotique. Le Retour est d'un bel e"lan au de'but, d'un jet vif et Men Ianc6 : Ah! si jamais on ainia sur la terre, Si d'un mortel on vit les dieux jaloux... et 1'ensemble a de la le"geret et de la ddlicatesse. Le Raccommodement est JQli.Lc Souvenir serai t line vraie C'le'gie si la fin re"pondait au commencement; mais 1'expression abstraite gate 1'effet : il y manque 1'image. J'en dirai autant de Ma, Retraite; on sent ce qui fait deTaut a 1'aimable pocte. II a plus de senti- ment quc d'imagination, que delude et de science PARNY XV11 pittoresque, que de style et d'art poetique. L'inven- tion lui est refuse* e. II ne songe pas a rehausser et a redorer son cadre, k rajeunir ses images de bordure et de loirutain par 1'observation de cette nature nou~ velle, qu'il avail cue pourtant sous les yeux et qu'il eteignait sous des couleurs im peu vagues : il esti- mait que Bernardin de Saint- Pierre 1'exage'rait et la rendait trop ; lui, il ne la rendait pas. Tout a Tamom 1 et au sentiment, il ne prenait pas garde a sa flore des Tropiques, et ne paraissait pas se douter qu'il y avail la pour le premier occupant une conquete et un tre"- sor. II laissa cueillir la porome d'or de son ile natale par un e'tranger. La langue poe"tique elle-meme avail besoin alors d'etre refrappe'e, d'etre retrempe'e; ellc est fluette, mince et atteinte de se"cheresse. Parny s'en sen avec Elegance, purete", grace, mais une grace qui n'est pas la divine ct la supreme. En un mot, c'est un amant, c'est un poete que Parny, ce n'est pas un enchanteur: il n'a pas la magic du pin- reau. II n'esl pas de force h crc^er son instrument; il se sort bien d'une langue toute faite. trop faite, et dt'ja aflaiblie et un pen us^e. Je n'ai pas craiut de marqucr les dt^fauLs : il est juste de rappeler les quality's et les avantages. La passion die/ Parny se presente nue et sans fard. II XVITI PARNY n'y ajoute rien; il n'y met pas des couleurs a dblouir et a distraire du fond, il no pousse pas non plus de ces cris a se tordre les entrailles. La nature parle; I'expression suit, facile, heureuse, e"gale ft ce qui est a dire, Cc sont deux cm trois belles (Megies quo celles oil il essaye de d^crire le calme rotrouve ; oil il re- trouve tout a coup a I'improviste la passion luimil- tueuse, et oil il invoque enlin avec succes la bion- lieureuse Indifference : D'un long somraeil j'ai goilte la douceur, elc... J'ai elierche dans I'absence un remede a mcs maux, ot<\.. Calme dcs sens, paisible fndilTorcnce, etc... La seconde de ces e* levies est de toute heaute, dans la premiere moitie* surtout, oil s'exhale une si poi- gnante douleur. oil le poete va demander an grand spectacle d'une nature bouleverse'e, a ce qu'on ap- pellc le pays brtile de 1'ile. 1'impression muette et morne a laquelle il aspire et qu'il s'indigne de ne point eprouver : Tout se tail, lout est mort, Moure/. lionleux Mourcz, imporluns souvenirs, etc... II cut fallu un pen plus de nouveaute de pinceau dans 1'autre moilii 1 . Mais au moins aucun trait ne PARNY XIX heurte et n'arrete ; ce qu'on ne saurait dire de bien des e"16gies plus modernes et passionne"es de nos il- lustres romantiques. La derniere de ces trois belles e" levies me rappelle une particularity assez piquante. On lisait a 1'Aca- demie ces quatre vers qui pcignent si bien un pro- loud besoin d'apaisement : Caliue des sens, paisible Indillerence, I.eger sommeil d'un cceur tranquillise , Descends du del ; eprouve la puissance Sur un ainant trop Inngtcmps abuse ! C'est M. Palin qui Ics avail die's dans' un article du Dictionnaire au mot Abuse, et il les lisait (levant une partie de la compagnie, ft ce moment pen atten- tive. Quo c'est mauvais! s'e'crie a 1'instant un eloquent prosateur. Que c'est mauvais! irpe- tent bien des voix. I,eger sommeil d'un nrur Irani/uHline... (>e mot expressif et neuf ainsi plac*' 1 . tmnquillur. choqiiail surtout ces habiles prosatcurs et leur scm- blait prnsaiquc. M. Patin n'^tail pas du tout con- vaincu, mais il se contentait de protester a denii- voix : je I'aisais de meme. en m'iiritant tnulelois un XX PAR NY pen plus vivement de cette faule de gout quc 1'Aca- de'mie allait i'aire, ct de cette injure a Parny, la oil il est excellent et oil il me paraissait le plus digne d'etre cite. M. de Montalembert, ce jour-la mon voi- sin et te"moin de mon fre'missement de critique, m'enhardit a parler et. je puis dire, m'y poussa. Je demandai alors a relire a haute voix ces quatre vers, en indiquant ce qui les precede dans 1'ordre des sentiments et ce qui les amene ; j'en appelai de 1'Acade'mie distraite a I'Acade'mie attentive ; j'insistai pre'cise'ment, je pesai sur 1'effet heureux de ce mot tranquillisc., si bien jete 1 a la fin du vers. Le vent tourna, 1'opinion revint, Parny fut maintenu avec honneur a son rang sur la liste de nos autorite's poe"tiquesj et c'est M. de Montalembert qui en est cause. Deux e'le'gies qui se suivent, apres la rupture, I'une dans laquelle 1'amant tralii menace 1'infidele de tris- tesse et de remords an sein de son nouveau bonbeur (Toi qu'importune ma presence...); 1'autre dans la- quelle il la devine, il la plaint et a peur que sa me- nace ne s'accomplisse (Par cet air de serenite...), sont d'une tendresse bien de'licate et inge"nieuse. En finissant ces quatre livres, on est frappe" de cette va- rie'te' de nuances sur une trame unique. Que de jolis couplets sur un tbeme simple ! II n'a nulle part re- PARNY XXI coin's aux accessoires, a la fantaisie, aux descrip- tions ; tout sort et de"coule d'un seul et meme senti- ment. II a traduit chaque fois ce sentiment a 1'instant memc : son elegie est ne'e tonte voisine du moment de 1'emotion. Parny e"legiaque est complet en soi : il n'appelle pas, comme Millevoye et quelques atitres poetes souffiants et inacheves, 1'idee de plus grand que soi, et ne fait point attendre ni de*sirer vaguement ce maitre futur. Lui-meme, dans son cercle limite*. est u n maitre, non un pre"curseur. Combicn faut-il dc Mallilatre, de Gilbert, de'Dorange, de Dovalle, pour arriver a un grand talent qui re* ussit et qui vit ? On se le demande en les lisant. Quand on lit Parny, il ne donne pas I'ide'e ni I'inquie'tude de ce talent plus puissant. II a ses faiblesses, ses paletirs, mais aussi son cliarme et sa suavite*. C'est line belle lleur qui regne sur son ga/on, pres de sa source : on s'y asseoit avec lui et on la respire. S'il satisfait et contente, ce n'est pas qu'il ne rap- pel le dans le passe, comme cela a lit-u pour les clas- siques du second ou du troisieme age, de beaux ta- lents anterieurs et souvent superieurs an sien. II les rappelle sans pour cela les imiter : c'est Berlin qui imite. et avec feu, avec talent ; cliex Parny ce soul XXII PARNY bien moins dcs imitations que des ressemblances. II ;i pour la mollesse des tons de Quinault, une veine de Racine amoureux, des rencontres, mais de courtes et rapides rencontres seulement, avec La Fontaine. Le Brun, 1'ami d' Andre" Ch&iier, et qui avail, par science et par envie de metier, tout ce qu'il fallait pour mesurer Parny, 1'a appele" un denii-Ti))iille : Parny, demi-Tihulle, ecrivit incitement Des vers inspires par les Graces Et dictes par le sentiment. Le mot est juste. Pour etre un Tibulle entier, ce n'est pas tant la passion e"le"giaque qui a manque a Parny, c'est le sentiment large et naif de la nature champetre, ce qui fait de Tibulle le digne second du chantre des Georgiques. II y a de lui quelques petites pieces qui seraient de parfaites e'pigrammes au sens antique : Vers gra- ves sur un oranger... Au gazon foule" par Eleonore... Reflexion amoureuse..., mais surtout les vers Sur la mort d'une jeune fille, le chef-d'oeuvre des modernes 'pigrammes a inscrire sur une tombe : Son Age echappait a 1'enfance ; Riante comme 1'Iimocenre, Elle avail les traits de 1'Amour. PARNY XXT1I 0. nelipics mois, quelqaes jours encore, Hans ce coeur pur et sans detour Le sentiment allait eclore. Mais le Ciel avail au trepas ' ' , / Condamne ses jeunes appas. Au Ciel elle a rendu sa vie, Et doueemenl s'est endormie Sans murmurer contre ses lois. Ainsi le sourire s'efface ; Ainsi nieurt, saus laisser de trace, Le chant d'un oiseau dans les bois. Simplicity exquise, inde'ttnissable. qui se sent et ne se commente pas! Mais qu'est-ce que cela. me (lit un jeune enthousiaste, aupres du Premier re- grrtde Lamartine, aupres de la jeune lille de Victor Hugo (Its Fantdmes) ? Voila line bien grosse ques- tion que vous me jetez a la tete, et je dois dire que je m'yattendais. Ce n'est jamais nous qui me'dirons du premier La- marline poe'te ; mais rauteur du Premier regret. c'est deja le second on le troisieme Lamartine, et dans cette piece si harmonieuse, si plaintive, si lim- pide, prene/ garde ! u un certain moment, si vous la lisez avec attention, un etrange sentiment se laisse apercevoir : Kile me confondait aver sa propre vie, Voyait tout dans inon amr; et je faisais parliu XXIV PARNY l)e ce montle enrliantu qni llottait sous ses ycux... Avant inoi celle vie elail sans souvenir... Et la tomparaison dtfveloppe'e du beau eygne qui trouble une ondc pure dans un bassin, ne voyez-vous pas comme il la caresse ? Aiusi, quanil je partis, loul tremhla dans cette ame; Le rayon s'eieignit; et sa mouranU- (lainme Remonta dans le del pour n'en plus revenir... Ce sentiment qui se trahit dans le detail et qui / respire dans tout I'ensemblc, c'est une singuliere romplaisance du poete a decrire lemal qu'ilacause, et cette complaisance, a mesure qu'on avance dans la lecture, 1'emporte visiblement sur la douleuf, sur le regret, au point de choquer memo laconvenance.Un soir qu'on lisait a liaute voix et qu'on essayait cette piece devant quelques personnes, parmi lesquelles une jeunc fille spirituelle et pas trop lettre'e, que cette po<*sic me"lodieiise avail d'abord ravie : Mais, s'e'cria-t-elle tout a coup, savez-vous que ce mon- sieur cst fat? il est flatte qu'on meurepour lui. Des que ce sentiment s'est laisse" voir. tout le cliarme dc la piece est evanoui. Les Fantomes de Victor Hugo : Helas ! que fen ai nn mnurir df jeunes filles!... nc sauraient se rappro- PARNY XXV cher davantage de la piece de Parny : c'est une lan- taisie riche, e'clatante, eblouissante, enivree, e"totir- dissante ; je ne sais oil trouver assez de mots pour la caracterjser. C'est un ouragan de jeunes filles ; tant plus de mortes ! taut plus de fantomes { tant plus de poe"sie ! La sensibilite" n'a rien a t'aire la. S'agit-il d'etonner ou s'agit-il de toucher? Une mere tendre, un frcre delicat, s'ils avaient a choisir entre les trois pieces, sur la tombe d'une morte cherie, pourraierU- ils he'siter un seul instant ? Mais ne comparons pas, c'est le mieux. Ne-con- tbndons pas, pour de'precier 1'une ou 1'autre, des in- spirations si ine'gales d'haleinc, des oeuvres d'un genre et d'un ordre tout different. Je n'ai garde, d'ailleurs, d'irriter les dieux ou les ge"nies, je ne veux pas appeler les orages et la tbudre sui' le myr- the odorant et frele pour qui c'est deja trop que de supporter le soleil. Parny nous plait a son matin : il se desse"cha vile : nous 1'abandonnons a son midi. Ce n'est pas qu'il n'ait garde* jusqu'a la lin de ces tons purs, de ces touches gracieuses, et il serai t aise d'en relever des exemples heureux. des applications va- rities dansses divers pocmes : mais il ne se renouvela pas, et il est reste pour la posterite le poete des Ele- gies. Voyez-vous, ma petite, passe vingt-cimi XXVI PARNY ans, cela ne vaut plus la peine d'en parler : ce mot d'Horace Walpole a niadame du DelTand est la devise des ele'giaqucs sinceres et de celui-ci en particulier. Quc devenir en effet, que faire, en avanc,ant dans la vie, quand on a mis loute son ame dans la fleur de lajeunesse et dans le paifum de 1'amour ? Aristote a beau nous dire que le corps est dans toute sa force de trente a trente-dnq ans. et que 1'esprit atteint a son meilleur point dans 1'annee qui precede la cin- quantaine. Grand Aristote, parlez pour vous, pour les sages, pour les politiques, pour les oratenrSj pour les critiques ! Mais les tendres et fragiles poetes, quel triste quantieme vous leur propose/ la en perspective ! II y a longtemps que 1'arhre est d^- pouille a la cime et que la sevc n'y monte plus. - ParnVj dans ses trente dernieres anneesj rima en- core a ses moments perdus, joua beaucoup an whist. e maria, fut un honlme de bonne compagnie, et il motirtit an setiil de la vieillesse proprement dilej ft soixante Ct im ans (5 deCembre 1814). SAINTE-BEUVE. Aout 1 861. ELEGIES ELEGIES LIVRE PREMIER LE LENDEMAIN A ELEONORE Knlin, ma clicrc tleonore, Tu 1'as connu ce pedie si eliarmant 1 , Que tu eraignais, inomc en Ic desirant; t. I'remiere edition Tu 1'as connu, nia clierc Ce doux iilaisir, ce yu'die si chnrmaut. I L1V11E I En le goutant, lu le cruignais encore '. Eh Lien! dis-nioi : qu'a-t-il dune d'eu'rayanl? Que laisse-t-il apres lui dans ton aine? Un leger trouble, un tendre souvenir, L'etonnement desa nouvelle ilaimiie, Un doux regret, et surtout un desir. Ueja la rose aux lis 2 de ton visage Mele ses brillantes eouleurs ; Dans tes beaux yeux, a la pudeur sauvage Succedent les molles langueurs, Qui de nos plaisirs enclianteurs Sont a la fois la suite et le presage. Toil sein 3 , doucement agile, I. 11 tlira a peu yres la uicme chose eu d'auties teruies dans ia piece soivante : Dotix embarras D'uiie pucelle Qui lie salt pas Ge qu'oii veut d'elie, Et dout le cceur Tout has implore Certaiu bonheur Que sa pudeur lledoute encore. i. Premiere edition : Au lis. 3. Premieres editions : Ueja ton seiu. LE LENDEMAIN 3 Avec moins de timidite Repousse la gaze legere l Qu'arrangea la main d'une mere, Et que la main, du tendre Amour. Moins discrete et plus familiere, Saura deranger son tour. Une agreable reverie Remplace enlin cet enjouement, Cette piquante etourderie, Qui desesperaient ton amant ; Et ton time plus attendrie S'abandonne nonchalarnment Au delicieux sentiment D'une douce melancolie. All! laissons nos tristes censeurs Trailer de crime impardoimable Le seul baume pour nos douleurs -', 1. Parny deveJoppe ailleurs cette image, si delkateiueiit indiquce ici : il fait dire a Dina : Aux regards eii vain je derobe De mou sein le double tresor ; Toujours sa rouduur indocile Repousse le voile inutile 2. Premiere Edition : Ce contrepoids de uos douleurs, Expression justemeut critiquee par V A mice lilteraire. 4 L1VKE I Ce plaisir pur, dont un dieu favorable Mil le germe dans tous les occurs. Ne crois pas a leur imposture. Leur zele hypocrite et jaloux Fait un outrage a la nature : Noil, le crime n't'st pas si doux. Edition de 1787 : Le seul charme de nos douleurs. Par respect pom les intentions du poete, nous avons conserve la leron qn'il a preferee, quoique certaineineut eh'trme vaille mieux que baume. Ces deui mots out etc ramis dans ce vers des Uuiscrs dt M. Tissot, et nou sans quelque air de ruuiiuisceiice : Baume de nos cliagrius, charme de nos douleurs, Salut, teudres baisers!... L'HEURE DU BERGER L'HEURE DU BERGER 1 EGLOGUE Hicr Niccttc, Sous dcs bosquets* Somhrcs et frais, Maivliait souletle. Elle s'assit Au bortl clc 1'onde Claire ot profonde; Petix fois s'y vit Jounc et inignonnc, lit la friponne Deux fuis sourit. l)e I'imprudente I. rarnj^s'cst souvenn d'une vieillc chanson dc Oolirrry, pci'tc dn so!zii-me siecle. 11 avail dt''ja traii cc sujct dans Y.\!m.iiin:-h ilrx Unites de 1777, sons la forme d'unc romance. On la Ironvora plus loin i>armi Ics Melniigeit. LIVRE 1 La voix brillante Osait chanter Et repeter Chanson menteuse . Centre r amour, Centre 1' amour Qui doit un jour La rendre heureuse. Le long du bois Je fais silence, Et je m'avance En tapinois; Puis jc m'arrete, Et, sur sa lete Faisant soudain Pleuvoir les roses Qui, sous ma main, S'ofTraient ecloses : Salut a vous, Mon inhumaine; iVayez courroux Qu'on vous surprenne. A vos chansons Nous vous prenons Pour Philomele. Aussi bien qu'elle L'HEURE DU BERGEK Vous cadenciez, Ma toute belle ; Mais mieux feriez, Si vous aimiez Aussi Wen qu'elle J'ai quatorze ans, Re"pond Nicette ; Suis trop jeunette Pour les ainants. Crois-moi, ma cherc : Quand on sail plaire, On peut aimer. Plaire, charmer, Surtout aimer, C'est le partage, C'est te savoir Et le devoir Du premier Age. Oui ; mais cet age. Du moins chez vous. Est dans ses gouts Toujours volage. Sur un buisson l.c | in |ii Hi in Voit-il la rose, II s'y repose. L1VHE I Est-il hcureux, Amant frivole, Soudain il vole A d'autres jeux. Mais la pauvrette, Seule et muette, Ne peut voler... lei la belle Voulait parler, Pour desoler Mon coeur fidele ; Mais un soupir Vint la trahir, Et du plaisir Put le presage. Le lieu, le temps, 1,'epais feuillagc, Gazons naissants Anotreusage; Doux embarras D'une pucelle Qui ne sait pas Ce qu'on vcut d'elle, Et dont le occur Tout bas implore I/IIKUHK DU BKROKR Certain bonlieur Que sa pudeur Redoule encore ; Tout en secret Pressait Nicelte ; A sa defaite Tout corispirait. Elle s'ofTense, Gronde, et rougit; Puis s'adoucit, Puis recommence, Pleure, et gemit, Se tail, succombe, Chancelle, et tombe... En rougissant Elle se leve, Sur moi souleve Un ceil mourant, Et, me serrant Avec tendresse, Dit : Fais sennent D'aimer sans cesse Quo nos amours Ne s'affaiblissent Et nc linissent Qu'avcc nos jours! 10 L1VRE I ENVOI A ELEONORK De cettc idyllc J'ai pris le style Chez les Gaulois 2 . Sa negligence De la cadence Brave les lois 3 ; Mais a Nicette, Simple et jeunetlo. On passera Ce defaut-la. Ceder comme elle, Ma toute belle, Fut ton destin : Sois done fidele Aussi bien qu'elle ; C'est mon refrain. 1. Get envoi n'est pas dans la premiere edition. 2. Ce sont les idees, et non le style, qu'il a empruntees an vienx Goliorry. 3. Le reproche n'est pas merite. Dans nne mesnre assoz diffirilp, il a su garder un air de liberte et line propriijte d'expression remar- quables. La piece cinqnieme du second livre est ecrite dans la mi'-me mesnre etavec nne egale facilite. LA DISCRETION H LA DISCRETION la plus belle cles maitresses! Fuyons dans nos plaisirs la lumiere et le bruit; iNe disons paint au jour les secrets de la nuit : Aux regards inquiets derobons nos caresses. L'amour heureux se trahit aisement. Je crains pour toi les ycux d'uue mere attentive ; Je crains ce vieil Argus, au creur de diamant '. Dont la vertu brusque et retive Nc s'adoucit qu'a prix d'argent. Durant le jour tu n'es plus inon ainuntc. Si je m'offre a tes yeux, garde-toi de rough- ; 1. Lebrun, Ktegitx. I, n : Ou'il fut Inu'luirc! II cut un cceur dc diamant l.o premier qui ravit 1'ainanto a son ainant! 12 LIVKE I Defends a Ion amour le plus loger soupir; Affcete uri air distrait; quc ta voix soduisanlc Kvile de frappcr nion oreille ct mon coeur; N'e incts dans tes regards ni trouble ni langueur. Helas ! de mes conseils je me repens d'avance. Ma chere tleonore, an nom de nos amours, N'imite pas trop bien cot air d'indiffcrence : Je dirais : l^est un jeu ; mais jc craindrais toujours. lULIJiT 13 BILLET Des que la nuit stir nos demeures Planera plus obscurement, DCS que sur 1'airain gemissant Le marteau frappera douzc heurcs, Sur les pas du fidele Amour Alors les Plaisirs, par containe *, Voleront chez ma souveraine, Et les Volupte's tour a tour Prendront soin d'amuser lour reine 2 . Us y resteront jusqu'au jour : 1. Sans la rime, 1'antenr eut surement ecrit par cenlaine*. 2. Premiere edition : Uufilciont devant Icur reino. Le critique de VAinife litteraire s'etait jiistcment moqiu-c aut a nos tendres ebats, Sur le parquet tomberent eu eclats. Des voluptes 1. Premiere edition : L'etonnement fit palpiter soudain Ton faible coeur presse centre le mien. 2. Pourquoi trop? Est-il mecontent de se savoir protege par TAraour? JN'e pouvait-il , pour rendre exactement sa peusee , dire : i Je savais Men ?... LA FRAYEUR 17 De dispenser la nuit et la lumiere, Du jour naissant la jeune avant-courriere Viendrait bien tard annoncer le Soleil ; Et celui-ci * , dans sa course legere, Ne ferait voir au haut de I'hemisphere Qu'une heure ou deux son visage vermeil. L'ombre des nuits durerait davantage, Et les amours 2 auraient plus de loisir. De mes instants 1'agreable parlage Serait toujours au profit du plaisir 3 . Dans un accord re"gle par la sagesse, A mes amis j'en donnerais un quart ; Le doux sommeil aurait semblable part *, Et la moitie serait pour ma maitresse. 1 . Celui-ci est peu poeti([tie. 2. Premiere edition : Et les araants auraient plus do loisirs. 3. Meme edition : des plaisirs . 4. Premieres editions : Au doux sommeil j'en donnerais un quart; Le dieu du via aurait scmMaMe part. LIVRE 1 VERS GRAVES SUR UN GRANGER Granger, clout la voute epaisse Servit a cacher nos amours, Recois ct conserve toujours Ces vers, enfants de ma tendrcsse; Et dis a ceux qu'un doux loisir Amenera dans ce bocage, Que si Ton mourait de plaisir, Jo serais mort sous ton omhrapo. LE REMEDE DANGERECX 19 LE REMEDE DAXGEREUX toi, qui fus mon ecoliere En musique, ct meme en amour, Viens dans mon paisihle sejour Excrccr ton talent do plaire. Viens voir ce qu'il m'en coute, a moi. Pour avoir etc trop bon mall re. Je serais mieux portant peut-f-lre. Si inoins assidu pros do toi. Si moins emprosse, moins fidele, Kt moins lendrc dans mes chansons. J'avais menage des lerons Ou inon creur metlait trop de xelo. All ! viens du moins, viens apniser T.cs maux quo In m'as fails, orucllo! Itnnimo ma lanjjniMir mortelle; Viens mo plaindre, el (ju'un soul haisor Mo rende une sanlo nouvelle. 20 L1VRE 1 Fidele a mon premier penchant, Amour, je te fais le serment De la perdre encore avec elle '. 1. L'abbe de Chaulieu n'avait pas moins d'intrepidite. II avail Li goutte, Pour avoir ete trop paillard, comme il le confesse avec trop de naivete; et, malgre cette sevf-rc leeon, il ecrivait a 1'abbe Courtin : Quand trouverai corps gentil et coeur tendre Qui voudra bien la goutte me dormer, Je suis, abbe, tout pret a la reprendre. DEM A IN 21 DEMAIN Vous ni'amusez par dcs caresses, Vous promettez incessamment, Et vous rcculez le moment Qui doit accomplir vos promesses '. Demain, dites-vous tons les jours. L'impaticnce me devore; L'heure ijii'attendent les amours Sonne enfin, pros de vous j'accours if 1. Premiere edition : Et le Zephyr, en sc jouaut, Emporte vos vaincs proracsscs. i. Mi'ine t-dition : Demnin, dites-vous tous les join's. Je suis chez vous avant 1'aurore ; Mais, volant a votre secours, La Pudcur cliasse les Amours. 22 LIVRE I Domain, repetez-vous encore. Rendez grace au dieu bieufaisant Qui vous donna jusqu'a present L'art d'etre tous les jours nouvelle, Mais le Temps, du bout de son aile. Touchera vos traits en passant; DCS demain vous seroz nioins belle : Et moi peut-etre moins pressant. Et danscelle de 1802 : Demain, dites-vous tons les jours. L'impatience me devore : L'instaut fixe pour les amours Arrive, et pres de vous j'accours.... LE REVENANT 23 LE REVENANT Ma sante fuit : cette inlidele Ne promet pas de revenir, Et lu nature qui chancelle A deja su me prevenir De ne pas trop coinpter sur elle. Au second acte brusqueineiit Finira done ma cornedie : Vile je passe au denoument; La toile tombe, et Ton m'oublie. J'iynore ee qu'un fait la-bas. Si du sein de la nuit prol'onde On peut revenir en ce monde, Je reviendrai, n'en doute/ pas. Mais je n'aurai jamais 1'allure De ees rcveiianls indiscrets, 24 LIVRE I Qui, precedes d'un long murmure, Se pluiscnt a palir leurs traits, Et dont la funebre parure, Inspirant toujours la fraycur, Ajoute encore a la laideur Qu'on recoil dans la sepulture. De vous plaire je suis jaloux, Et je veux rester invisible. Souvent du zephyr le plus doux Je prendrai I'lialeine insensible; Tous mes soupirs scront pour vous : Us feront vaciller la plume Sur vos cheveux noues sans art, Et disperseront au hasard La faible odeur qui les parfume. Si la rose que vous aimez Henait sur son trorie de verre ' ; Si de vos flambeaux rallumes Sort une plus vive lumiere; Si 1'eclat d'un nouveau carmin Colore soudain votre joue, 1. L'auteur designe ainsi une carafe pleine d'eau dans laqnellc trempent les tiges d'un bouquet de roses. II repetera cette figure dans le poeme des Fleurs, en s'adressant a la violetle : Vous reuaissez sur un ti-6ne de verre, Ou vous mourez sur le sein de Venus. LE REVENANT Kt si souvent d'un joli sein Le noeud trop serre se deaouej Si le sofa plus mollement Cede au poids de votre paresse, Donnez un souris seulemcnt A tous ces soins de ma tendresse. (Juand je reverrai les attraits (ju'eflleura ma main caressante, Ma voix amoureuse ct touchanto Pourra murmurcr des regrets; lit vous croirez alors entendre Celte harpe qui, sous mcs doigts, Sut vous redire quelquefois Ce que mon auur savait m'apprendix'. Aux douceurs de votre sommeil Je joindrai celles du mensonge; Moi-meme, sous los traits d'un songe, Je causerai votre reveil. Charmes nus, fraicheur du bel age, Contours parfaits, grace, embonpoint, Je verrai tout : niais, qud doinmage ! Les morts ne ressuscitent point. 26 LIVRB 1 LES PARADIS Croyez-inoi : 1'autre monde est un monde inconnu Ou s'egare notre pensee. D'y voyager sans fruit la mienne s'est lassee : Pour toujours j'en suis revenu. J'ai vu, dans ce pays des fables, Les divers paradis qu'imagina 1'erreur. II en est bien peu d'agreables; Aucun n'a satisfait mon esprit et mon cffiur. Vous mourez, nous dit Pythagore ; Mais sous un autre nom vous renaissez encore. Et ce globe a jamais par vous est habite. Crois-tu nous consoler par ce triste mensonge, Philosophe imprudent et jadis trop vante? Dans un nouvel ennui ta fable nous replonge. Mens a notre avantage, ou dis la verite. Celui-la meutit avec grace Qui crea 1'filysee et les eaux du Lethe; LES PARADIS 27 Mais, dans cet asile enchante, Pourquoi 1'amour heureux n'a-t-il pas une place? Aux douces voluptes pourquoi l'a-t-on ferme? Du calme et du repos quelquefois on se lasse; On ne se lasse point d'aimer et d'etre aime. Le dieu de la Scandinavie , Odin, pour plaire h ses guerriers, Leur proniettait dans 1'autre vie Dos armes, des combats et de nouvcaux lauriers. Attaclre des 1'enfance aux drapeaux de Bellone, J'lionore la valeur, aux braves j'applaudis ; Mais je pense qu'en paradis 11 ne faut plus tuer personne. Lin autrc espoir seduit le Negre inforlune, Qu'un marcliand arracha des deserts de 1'Afrique. Courbe sous un joug despotique, Dans un long esclavage il languit enchame : Mais, quand la mort propicc a lini ses misores, II re vole joyeux au pays dc ses peres, Et cet lieureux retour est suivi d'un rcpas. Pour moi, vivant on mort, je resle sur vos pas. Ksclave fortune, ineme apres mon trepas, Je ne veux plus quitter mon maitre. 28 LIVRE I Mon paradis ne saurait etre Aux lieux oil vous no sorez pas. Jadis, au milieu des nuages, Inhabitant de 1'Ecosse avait place le sien. II donnait a son gre le calme ou les orages; Des mortels vertueux il clierchait rentrolicn ; Entoure de vapeurs brillantes, Couvert d'une robe d'azur, II aimait a glisser sous le ciel le plus pnr, Et se montrait sou vent sons des formes riantos. Ce passe-temps est assez doux ; Mais de ces Sylphes, entre nous, Je ne veux point grossir le noinbrc. J'ai quelque repugnance a n'elre plus qu'une ombre. I'ne ombre est pen de chose, et les corps valent mieux riardons-les. Mahomet cut grand soin de noi:s diro Que dans son paradis Ton cntrait avec cux. Des Houris c'est 1'heureux empire. La les attraits sont immortels ; Hebe n'y vieillit point; la belle Cytheree ', IV un hommage plus doux constamment honoreo, 1. C'est par inadvertance qv.e le pocte place ilans le ciol ile Malm- met ces deux divinilos dn paganisme. LliS PARADIS 29 Y prodigue aux elus des plaisirs eternels. Mais je voudrais y voir un maitrc que j'adore, L' Amour, qui donnc seul un charme a nos desirs, L' Amour, qui donne scul de la grace aux plaisirs. Pour le rendre parfait, j'y conduirais encore La tranquille et pure Amitie, Et d'un coeur trop sensible elle aurait la moitie. Asile d'une paix profonde, Ce lieu serait alors le plus beau ties sejours; Et ce paradis des amours, Aupres d'Eleonore on le trouve en ce monde '. 1. On conuait ces quatre vers de Chaulien : Quoi que nos doctcurs puissent dire Du bonheur que la-haut gouteut les bienlieureu?;, Le vrai paradis oil j'aspire, C'cst d'etre tonjours amoureux. 2. 30 L1VRK I FRAGMENT D'ALCEE POETE GRECl Quel est done ce devoir, cette fete nouvelle, Qui pour dix jours en tiers t'eloignent de mes yeux? Qu'importe a nos plaisirs 1'Olympe et tous les dieux'! Et qu'est-il de commuii entre nous el Cybele? De quel droit ose-t-on t'arracher de mes bras? Se peut-il que du del la bonte paternelle Ait choisi pour encens les malheurs d'ici-bas? Reviens de ton erreur, credule Eleonore. Si tous deux egares dans 1'epaisseur du bois, Au doux bruit des ruisseaux melant nos douces voix, Nous nous disions sans fin, Je t'aime, je t' adore, Quel mal ferait aux dieux notre innocente ardeur? Sur le gazon fleuri si, pres de moi couchee, Tu remplissais tes yeux d'une molle langueur; 1. Alcee n'a rien ecrit de semblable. L'auteur a vonln mettre son epicureisme a Fabri sous le nom du poete grec. FRAGMENT D'ALCEE 3d Si ta bouche brulante, a la mienne attachee, Jetait dans tons mes sens une vive chaleur; Si, mourant sous 1'exces d'un bonheur sans mesure, Nous renaissions encor, pour encore expirer; Quel mal ferait aux dieux cette voluple" pure? La voix du sentiment ne peut nous egarer, Et Ton n'est point coupable en suivant la nature 1 . Ce Jupiter qu'on peint si fier et si cruel, Plonge dans les douceurs d'un repos e"ternel, De ce que nous faisons ne s'embarrasse guere. Ses regards, etendus 2 sur la nature entiere, Ne se fixent jamais sur un faible mortel. Va, crois-moi, le plaisir est toujours legitime; L'amour est un devoir, et 1'inconstance un crime. Laissons la vanite, riche dans ses projets, - Se cre"er sans effort une seconde vie ; 1. Bortin, Les Amours, I, xui. Eh ! qu'importe a ces dieux paisibles, Nourris d'encens sur leurs autels, L'amour de deux faibles mortels Qu'eux-inemes ils out cm''S sensibles ? Saint-Frenx avail drjfi employe les mrmes argnmeiiLs : a N';is-tu pas suivi les plus pnres lois de la nature? 2. Premieres editions : Ses regards deployes... 32 LIVKE I Laissons-la promener ses regards salisfaifs Sur rimmorlalite : rions do sa folie. Get abime sans fond, ou la mort nous conduit, Garde eternellement tout ce qu'il engloulit. Tandis que nous vivons, falsons notre Elysee : L'autre n'est qu'un beau reve invente par Ics rois, Pour tenir leurs sujets sous la verge des lois; Et cet epouvantail de la foule abusee, Ce tartaro, ces fouets, cette urne, ces serpents, Font moins de mal aux morts que de pour aux vi v;inls. PLAN D'ETUDES 33 PLAN TV ETUDES lie vos projets jo blame 1'imprudence : Trop dc savoir depare la bcaute. No perdez point votre aimable ignorance, Et conservez cetto naivete Qui vous ramene aux jeux de votre enfanco. Le dicu du pout votrs donna des lecons Dans 1'art cheri qu'inventa Terpsichore; Un to nd re amant vous apprit les chansons Qu'on chante a Guide; et vous savez encore Aux doux accents de votre voix sonore De la guitare entremeler les sons. Des prejuges repoussunt 1'esclavape, Conformez-vbus a ma religion; Soyez paienne; on doit IV-tre a votre age 1 . I. I'n annntalonr ile Hertin. riiarit cct ondrfiit, tronvo Irop d<: licence dans co (i'dinapi'. 34 . LIVRE I Croyez au dieu qu'on nommait Cupidon. Ce dieu charmant preche la tolerance, Et permet tout, excepte 1'inconstance. N'apprenez point ce qu'il faut oublier, Et des erreurs de la moderne histoire Ne chargez point votre faible memoire ; Mais dans Ovide il faut etudier Des premiers temps I'liistoire fabuleuse, Et de Paphos la clironique arnoureuse *. Sur cette carte, ou 1'habile graveur Du monde entier resserra re'tendue, Ne cherchez point quelle rive inconnue Voit rottoman fuir devant son vainqucur : Mais connaissez Amathonte, Idalie, Les tristes bords par Leandre habites, Ceux ou Didon a termine sa vie, Et de Tempe les vallons enchantes. tigarez-vous dans le pays des fables; N'ignorez point les divers changements Qu'ont eprouves cos lieux jadis aimables : Leur nom toujours sera cher aux amants. 1. Andre Chenier donne le merae conseil dans le sixieme fragment de son Art (I'aimer, et le developi.e avec talent. PLAN D'ETUDES 3o Voila l'e"tude amusante et facile Qui doit parfois occuper vos loisirs, Et preceder 1'heure de nos plaisirs. Mais la science est pour vous inutile. Vous possedez le talent de charmer; Vous saurez tout, quand vous saurez aimer. 36 IJVHE I PROJET DE SOLITUDE Fuyons ces tristes lieux, 6 maitresse adoree! Nous perdons en espoir la moilie de nos jours, Et la crainte importune y trouble nos amours. Non loin de ce rivage est.uiie ile ignoree, Interdite aux vaisseaux, et d'ecueils entoiirej. Un zephyr eternel y rafraiclrit les airs. Libre et nouvelle encor, la prodigue nature Embellit de ses dons ce point de 1'imivers : Des ruisseaux argentes rouk-nt sur la verdure, Et vont en serpentant se perdre au sain des HUT.,; Une main secourable y reproduit sans cesse L'ananas parfume des plus clouces odeurs; Et 1'oranger touffu, courbe sous sa ricbesse, Se couvre en meme temps et de fruits et de fleurs. Que nous faut-il de plus? Cette lie forlunee Semble par la nature aux amanls doslinee. L'Ocean la resserre, et deux fois en un jour De cet asile elroit on aclieve le tour. PROJET DE SOLITUDE 37 La, je ne craindrai plus un pere inexorable. C'est la qu'en liberte tu pourras tre airaable, Et couronner 1'amant qui t'a donne son creur, Vous coulerez alors, mes paisibles journees, Par les noauds du plaisir Tune a 1'autre enchaine*es : Laissez-moi peu de gloire et beaucoup de bonheur. Viens; la nuit est obscure et le ciel sans nuage; D'un kernel adieu saluons ce rivage, Ou par toi seule encor mes pas sont retenus. Je vois & 1'horizon 1'etoile de Venus : Venus dirigera notre course incertaine. fiole expres pour nous vient d'enchainer les vents; Sur les flots aplanis Zephyre souffle A. peine. Viens; 1'Amour jusqu'au port coiiduira deux amanls. 33 LIVRE I BILLET Apprenez, ma belle, Qu'a minuit sonnant, Une main fidele, Une main d'amant Ira doucement, Se glissant dans 1'ombre; Tourner les \errous Qui des la nuit sombre Sont tire's sur vous. Apprenez encorfc Qu'un amant abhorre Tout voile jaloux. Pour etre plus tendre, Soyez sans atours, Et songcz a prendre L'habit des amours FIN DD LITRE PREMIER LE REFROIDISSEMENT 39 LIVRE SECOND LE REFROIDISSEMENT Us ne sont plus ces jours d^licieux, Ou mon amour respectueux et tendre A votre cceur savait se faire entendre, Ou vous m'aimiez, ou nous etions heureux! Vous adorer> vous le dire et vous plaire> Sur vos desirs regler tous mes desirs, C'etait mon sort; j'y-bornais mes plaisirs; Aime de vous, quels voeux pouvais-je faire? tout est changed Quand je suis pres de vous, triste et sans voix, vous h'avez rien h dire; x Si quelquefois je tombe a vos genoux, Vous m'arretez avec un froid sourire, Et dans vos ycux s'allume le courroUx. 40 LIVRE II 11 fut un temps, vous 1'oubliez peut-etrc, Ou j'y trouvais cette molle langueur, Ce tendre feu que le desir fait nailre, Et qui survit au moment du bonheur. Tout est change, tout, excepte mon cccur! A LA NUIT 41 A LA NUIT Toujours le malheureux t'appello, nuit, favorable aux chagrins ! Viens done, et porte sur ton aile L'oubli des perfides humains. Voile ma douleur solitaire ; Et, lorsque * la main du Sommeil Fermera ma triste paupiere, dieux! reculez mon re" veil; . i. Premieres editions: A MA BOUTEILLE. Viens, 6 ma bouteille cherie, Viens enivrcr tous mes chagrins. Douce conupagne, lieureuse amie, Verse dans ma coupe elargie L'oubli des dieux ct des humains. Buvons, mais buvons ;'i plein verre; Et lorsque... 42 LTVRE II Qu'a pas lents 1'aurore s'avance Pour ouvrir les portes du jour : Importuns *, gardez le silence, Et laisscz dorniir mon amour. I. Premieres editions : t Esclaves, mot bien plus naturel dans la boDcbe d'un Creole. LA RECHUTE 43 LA RECHUTE (Ten est fait, j'ai brise* mes chaines! Amis, je reviens dans vos bras. Les belles ne vous valent pas; Leurs faveurs coutent trop^de peines *. Jouet de leur volage humeur, J'ai rougi de ma ddpen dance : Je reprends mon indifference, Et je retrouve le bonlieur. Le dieu joufflu de la vendango I. Prsmi&res editions . Leurs faveurs coutent trop de peines; Je leur dis adieu pour toujours. Bouteille, longtemps negligee, Remplace chez moi les Amours Et distrais mon 4me affligee. Buvons, 6 mes amis, buvons : C'est le seul... 44 LIVRE 11 Va m'inspirer d'autres chansons; C'est le seul plaisir sans melange; 11 est de toutes les saisons ; Lui seul nous console et nous venge Des mattresses que nous perdons. Que dis-je, malheureux? ah! qu'il est difficile De feindre la gaiete" dans le sein des douleurs! La bouche sourit mal, quand les yeux sont en pleurs. Repoussons loin de nous ce nectar inutile. Et toi, tendr& Amitie", plaisir pur et divin, Non, tu ne suffis plus a mon ame e"garee. Au cri des passions qui grondent dans mon sein En vain tu veux meler ta voix douce et sacre"e : Tu gemis de mes maux qu'il fallait prevenir; Tu m'offres ton appui lorsque la chute est faite, Et tu sondes ma plaie, au lieu de la gu6rir. Va, ne m'apporte plus ta prudence inquiete; Laisse-moi m'etourdir sur la rdalite"; Laisse-moi m'enfoncer dans le sein des chimcres, Tout courbe sous les fers chanter la liberte, Saisir avec transport des ombres passageres, Et parler de felicite" En versant des larmes ameres. Us viendront ces paisibles jours, Ccs moments du re"veil, ou la raison severe LA RECHUTE 45 Dans la nuit des erreurs fait briller sa lumiere, Et dissipe nos yeux le songe des Amours. Le Temps, qui d'une aile legere Emporte en se jouant nos gouts et nos penchants, Mettra bientot le terme a nos egarements. mes amis ! alors, e'chappe de ses chaines, Et gue"ri de ses longues peines, Ce coeur qui vous trahit revolera vers vous. Sur votre experience appuyant ma faiblesse, Peut-etre je pourrai d'une folle tendresse Prevenir les retours jaloux. Sur les plaisirs de mon aurore Vous me verrez tourner des yeux mouilles de pleurs, Soupirer malgre" moi, rough* de mes erreurs, Et, merae en rougissant, les regretter encore. 46 LIVRE II ELEG1E Oui, sans regret, du flambeau de ines jours Je vois de"ja la lumiere e"clipsee. Tu vas bient6t sortir de ma pensee, Cruel objet des plus lendres amours! Ce triste espoir fait mon unique joie. Soins importuns, lie me retenez pas. El&more a jure* mon trepas; Je veux aller ou sa rigueur m'envoie, Dans cet asile ouvert ci tout mortel, Oil du malheur on depose la chaine, Ou Ton s'endort d'un sommeil eternel; Ou tout finit, et 1'amour et la haine. Tu ge*miras, trop sensible Amide"! De mes chagrins conserve au moins 1'histoire; Et que mon nom sur la terre oublie Vienne parfois s'offrir a ta memoire. Peut-Mre alors tu g^miras aussi, Et tes regards se tourneront encore Sur ma demeure, ingrate Ele'onore, ELEGIE 47 Premier objet que mon cceur a cholsi. Trop tard, helas ! tu re"pandras des larmes. Oui, tes beaux yeux se rempliront de pleurs : Je te connais; et, malgre' tes rigueurs, Dans mon amour tu trouves quelques charmes. Lorsque la Mort, favorable & mes vceux, De mes instants aura coupe" la trame; Lorsqu'un tombeau triste et silencieux Renfermera ma douleur et ma flamme, mes amis! vous que j'aurai perdus, Allez trouver cette beaute cruelle, Et dites-lui : C'en est fait; il n'est plus. Puissent les pleurs que j'ai verse's pour elle M'etre rendus!... Mais non : dieu des Amours, Je lui pardonne; ajoutez & ses jours Les jours heureux que m'&ta rinfidele *; 1. Ce sentiment est (Tune tendresse bien dedicate et biea tou- eliante. II a souvent ipspir les poetes. Deja Ovide avail ditdaiis scs Uttamorphosea : Deme meis annis et demptos adde parenti. Et Racine dans Yldylle sur la paix : del, 6 Qui prenez soin de ses jours florissants, Retrancliez de nos ans Pour ajouter 1 ses annees. 48 LIVRE II Oui, pour jamais Chassons 1'image De la volage Que j'adorais. A 1'infidele Cachons nos pleurs, Aimons ailleurs ; Trompons comme elle. De sa beaute" Qui vient d'4clore Son co3ur encore Est trop flatle. Vaine et coquette, Elle rejette Mes simples voeux : Fausse et le"gere, Elle veut plaire A d'autres yeux. DEP1T 40 Qu'elle jouisse De mes regrets; A ses attraits Qu'elle applaudisse. L'age viendra; L'essaim des Graces S'envolera, Et sur leurs traces L' Amour fuira. Fuite cruelle! Adieu 1'espoir Et le pouvoir D'etre infidele. Dans cet instant, Libre et content, Passant pres d'elle, Je sourirai, Et je dirai : Elle fut belle. 50 LIVRE II A UN AMP TRAHI PAR SA MAITRESSE Quoi! tu gemis d'une inconstance? Tu pleures, nouveau Celadon? Ah ! le trouble de ta raison Fait honte a ton experience. Es-tu done assez imprudent Pour vouloir fixer une femme? Trop simple et trop credule amant, - Quelle erreur aveugle ton ame ! Plus aisement tu fixerais Des arbres le tremblant feuillage, Les flots agites par Forage, Et Tor ondoyant des gue"rets Que balance un zephyr volage *. 1. Get ami est le chevalier de Bertin. Voyez dans les Amours de Bertin 1'elegie rx du second livre. Elle repond a ces vers de Parny. 2. Premieres editions : Tu fixerais plus aisemont A UN AMI TRAHl PAR SA MAITRESSE . 51 Elle t'aimait de bonne foi ; Mais pouvait-elle aimer sans cesse Un rival obtient sa tendresse; Un autre 1'avait avant toi ; Et, des demain, je le parie, Un troisieme, plus insense, Remplacera dans sa folie L'imprudent qui t'a remplace". 11 faut au pays de Cythere A fripon fripon et cleiui '. Le souffle du zephyr volage, Les flots agites par 1'orage, Et 1'or ondoyant des moissons, Quand les rapides aquilons, Glissant du sommet.des montagncs Sur les richesses des vallons, Sifflent en rasant les campagaes. 1. De Chaulieu ecrivait b 1'abbe Courtin': Dans 1'engagemeut que j'ai pris Mon amour cut toujours des ailes Aussi bonnes du moins que celui de Chloris. Ovide, que je pris pour mattre, M'apprit qu'il faut etre fripon. Abbe, c'est le seul moyen d'etre Autant aimti que fut Katon. 62 ' L1VRE II Trains, pour n'fetre point train ; Previens meme la plus 16gere; Que ta tendresse passagere S'arrete oil commence 1'ennui '. Mais que fais-je ? et dans ta faiblesse Devrais-je ainsi te secourir? Ami, garde-toi d'en guerir : L'erreur sied bien a la jeunesse. Va, Ton se console aisement De ses disgraces amoureuses. Les amours sont un jeu d'enfant; Et, crois-moi, dans ce jeu charmant, Les dupes meme sont heureuses. I . Dans la premiere Edition, ce moreean flnissait ainsi . . . . . . . . L'ennui. Donne tes sens, retieus ton ime. Tout s'use, tout finit un jour : L'amour doit finir'a son tour, 'Et surtout raouour d'une leinme. IL EST TROP TARD 53 IL EST TROP TARD Rappelez-vous ces jours heureux, Ou raon coeur cre'dule et sincere Vous pr&enta ses premiers voeux. Combien alors vous m'^tiez chere ! Quels transports ! quel e"garement ! Jamais on ne parut si belle Aux yeux enchantes d'un amant; Jamais un objet infidele Ne fut aime" plus tendrement. Le temps sut vous rendre volage; Le temps a su m'en'consoler. Pour jamais j'ai vu s'envoler Get amour qui fut votre ouvrage : Cessez done de le rappeler. De mon silence en vain surprise, Vous semblez revenir a moi ; Vous rdclamez en vain la foi Qu'a la votre j'avais promise : S4 LIVRE II Grace & votre tegerete", J'ai perdu la cre'dulite Qui pouvait seule vous la rendre. L'on n'est bien trompe" qu'une fois. De 1'illusion, je le vois, Le bandeau ne peut se reprendre. fichappS d'uri piege menteur, Inhabitant ai!6 du bocage Reconnait et fuit 1'esclavage Que lui pr^sente 1'oiseleur *. , 1. Image graciense qu'Andrl Chenier devait plus tard enchissei dans ces beaux vers de la Jeune captive : Echappge aux reseaux de 1'oiseleur cruel, Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel PMlomele chante et s'elauce. A MES AMIS 55 A MES AMIS Rions, chantons, 6 mes amis Occupons-nous a ne rien faire * Laissons murmurer le vulgaire . Le plaisir est toujours permis. Que notre existence lgere S'evanouisse dans les jeux. Vivons pour nous, soyons heureux, N'importe de quelle maniere. Un jour il faudra nous courber Sous la main du temps qui nous prcsse Mais jouissons dans la jeunesse, Et ddrobons a la vieillesse Tout ce qu'on peut lui derober. 1. De Chanlien avail dit, avec plus de bonheur encore : Occupi de son oisivete. 50 LIVRE II AUX INFIDfcLES A vous qui savez Stre belles, Favorites du dieu d'amour; A vous, mattresses infideles, Qu'on cherche et qu'on fuit tour a tour; ' Salut, tendre hommage, heureux jour, Et surtout voluptes nouvelles ! Ecoutez : Chacun a 1'envi Vous craint, vous adore et vous gronde; Pour moi, je vous dis : Grand merci. Vous seules de ce triste monde Avez 1'art d'egayer 1'ennui ; Vous seules variez la scene De nos gouts et de nos erreurs : Vous piquez au jeu les acteurs Vous agacez les spectateurs Que la nouveaute' vous amene ; Le tourbillon qui vous entraine Vous prete des appas plus doux; AUX INFIDELES 57 Le lendemain d'un rendez-vous, L'amant vous reconnait a peine ; Tous les yeux sont fixe's sur vous, Et n'apercoivent que vos charmes; Pres de vous naissent les'alarmes, Les plaintes, jaraais les degouts. En passant, Caton vous encense, Heureux meme par vos rigueurs. Chacun poursuit votre inconstancy Et, s'il n'obtient pas des faveurs, II obtient toujours 1'esperance *. I . Premieres Editions : Et n'apercoivent que vos grdces; Vous ne donnez pas aux degouts Le temps de naitre sur vos traces. On est heureux par vos rigueurs, Plus heureux par la. jouissance. Chacun poursuit votre inconstancy Et, s'il n'obtient pas vos faveurs, II en a du moins 1'esperauce. 58 LIVRE II RETOUR A ELEONORE Ah ! si jamais on aima sur la terre, Si d'un mortel on vit les dieux jaloux, C'est dans le temps ou, credule et sincere, J'etais heureux, et 1'etais avec vous. Ce doux lien n'avait point de modele : Moins tendrement le frere aime sa soeur, Le jeune e"poux son epouse nouvelle, L'ami sensible un ami de son coeur. toi, qui fus ma maitresse fidele, Tu ne 1'es plus ! Voila done ces amours Que ta pfomesse 6ternisait d'avance ! Us sont passes. Dej& ton inconstance En tristes nuits a change mes beaux jours. N'est-ce pas moi, de qui 1'heureuse adresse Aux'voluptes instruisit ta jeunesse? Pour le donner, ton cffiur est-il a toi? De ses soupirs le premier fut pour moi, Et je recus ta premiere promesse. RETOUR A ELEONORE 59 Tu me disais : Le devoir et I'honneur Ne veulent point que je sois votre amante. N'esperez rien. Si je donnais mon cceur, Vous tromperiez ma jeunesse irnprudente. On me 1'a dit : votre sexe est trompeur. Ainsi parlait ta sagesse craintive, Et cependant tu ne me fuyais pas; Et cependant une rougeur plus vive Embellissait tes modestes appas ; Et cependant tu prononcais sans cesse Le mot d'amour qui causait ton effroi, Et dans ma main la tienne avec mollesse Venait tomber pour demander ma foi. Je la donnai, je te la donne encore. J'en fais serment au seul dieu que j'adore, Au dieu che"ri, par toi-meme adore : De tes erreurs j'ai cause" la premiere; De roes erreurs tu seras la derniere; l-'.l , si jamais ton amant egare Pouvait changer, s'il voyait sur la terre D'autre bonheur que celui de te plaire, Ah ! puisse alors le Ciel, pour me punify De tes faveurs m'oter le souvenir! Bient6t apres dans ta paisible couchd Par le Plaisir conduit furliveiuent> 60 L1VRE II J'ai, malgre toi, recueilli de ta bouche Ce premier cri, si doux pour un ama Tu combattais, timide Eleonore; Mais le combat fut bienlot termine : Ton coeur ainsi te 1'avait ordonne". Ta main pourtant me refusait encore Ce que ton coeur m'avait deja donne". Tu sais alors combien je fus coupable ! Tu sais comment j'etonnai ta pudeur; Avec quels soins au terme du bonheur Je conduisis ton ignorance aimable ! Tu souriais, tu pleurais a la fois; Tu m'arretais dans mon impatience ; Tu me nommais, tu gardais le silence : Dans les baisers rnourut ta faible voix. Rappelle-toi nos heureuses folies. Tu me disais, en tombant dans mes bras : Aimons toujours, aimons jusqu'au tr^pas. Tu le disais! je t'aiine, et tu m'oublies. PALINODIK PALINODIE Jadis, trahi par ma maitresse, J'osai calomnier 1' Amour; J'ai dit qu'a sos plaisirs d'un jour Succede un sieele de tristesse. Alors, dans un acces d'humeur, ' Je voulus precher 1'inconstance. J'e'tais dementi par mon cceur; L'esprit scul a coramis 1'offense. Une amante m'avait Ma douleur s'en pint aux amantcs. Pour consoler ma vanite", Je les crus toutes inconstantes. Le depit m'avait dgare". Loin do moi le plus grand des crimes, Colui de noircir par mes rimes Un seve toujours adore, (Juc 1'amour a fait noire maitre, 4 62 I.I V UK II Qui seul pent donner Ic bonheur; Qui, sans notre exemple, peul-etre IS'aurail jainais etc trompeur. Malheur a toi, lyre lidele, Ou j'ai module tons mes airs, Si jamais un seul de mes vers Avait offense quelque belle! Sexe leger, sexe cliannant, Yos defauts sont vutre parure. Remerciez bien la Nature Qui vqus ebaucha seulement. Sa main bizarre et favorable - Yous orne mieux quc tous vos soins ; Et vous plairiez peut-etre moins, Si vous eliez toujours aimable. LE RACCOMMODEMENT 63 LE RAGGOMMODEMENT 4f "* Nous renaissons, ma clicrc Eleonore ; Car c'est mourir que de cesser d'aimer. Puisse le nceud, qui vient de so former, Avec le temps sc resserrer encore ! Devious-nous croire a ce bruit impostcur, Qui nous peignit 1'un a I'autre infidcle? Notre imprudence a fait noire malheur. Je te revois plus constante et plus belle : Regne sur moi; mais regne pour toujours. Jouis en paix de 1'licureux don dc plaire. Que noire vie, obscure et solitaire, Coule en secret sous Taile des Amours ; Comme un ruisseau qui, murmurant a peino, Et dans son lit resserrant lous scs flols, Clierche avec soin I 1 ombre des arbrisseaux, Et n'osc pas se montrcr dans la plaine. Ci LI V HE 11 Du vrai bonheur les sentiers peu connus Nous cacheront aux regards de 1'Envie ; Et Ton dira, quand nous ne serous plus Us ont aime ; voila toute leur vie. FIN DU LITRE SECOND LES SERMENTS 63 LIVRE TROISIEME LES SERMENTS Oui, j'en atteste la Nuit sombre, Confidente de nos plaisirs, Et qui verra toujours son ombre Disparaitre avant mes desirs; J'atteste 1'etoile amoureuse, Qui, pour voler aux rendez-vous, Me prete sa clarte douteuse ; Je prends h t^moins ces verrous, Qui souvent r^veillaient ta mere, Et celte parure eHrangere, Qui trompe les regards jaloux; Enfm, j'en jure par toi-meme, Je vcux dire par tons mes dieux : 4. 06 LIVUE III T'aimcr csllo bonlicur supreme; II n'cn est point d'autre a mes yeux. Viens done, 8 ma belle maitresse, Perdre tes soupcons dans mes bras ; Viens t' assurer de ma tendresse, Et du pouvoir de tes appas. Aimons, ma chere Eleonore, Aimons an moment du reveil, Aimons au lever de 1'aurore, Aimons au couchcr du soleil ; Durant la nuit aimons encore. SOUVENIR 07 Deja la nuit s'avance, ct, clu sombre orient, Ses voiles par degres dans les airs se deploient. Sommeil, doux abandon, image du neant, DCS maux de 1'existence heureux delasscment, Tranquille oubli des soins ou lesliommes se noient; Et vous, qui nous rcndez a nos plaisirs passes, Tcuehantc Illusion, decssc des mensongcs, Venez dans mon asile, et sur mes youx lasses Secouez les pavots et les aimables conges. Vtiri Tlieure ou, trompant les surveillants jaloux, Je prcssais dans mes bras ma rnaitresse timide ; Voici 1'alcove sombre, ou d'une aile rapide L'essaim des Volupt^s volait au rendez-vous ; Voici Ic lit eommode, oia riieureuse licence Romplacait par degres la mourante pudeur. Importue vertu, fable de notre enfance, Jj- Et toi, vain pre"juge, fantomc de 1'lionneur, Combien peu volre voix sc fait entendre au occur ! T,a nature aisement vousruduit'-au silence; US L1VUE III Et vous vous dissipez au flambeau de 1' Amour, Comme un leger brouillard aux premiers feux du jour. Moments delideux, ou nos baisers de ilamrne, Mollement e"gares, se cherchent pour s'unir ; Ou de douces fureurs, s'emparant de notre ame, Laissent un libre cours au bizarre desir ; Moments plus enchanteurs, mais prompts a disparaitre, Ou 1'esprit echauffe, les sens, et tout notre etre, Semblent se coricentrer pour hater le plaisir; Vous portez avec vous trop de fougue et d'ivresse ; Vous fatiguez mon coeur qui nc pout vous saisir, Et vous fuyez surtout avec trop de vitesse. Helas! on vous regrelte avant de vous sentir. Mais non; I'instant qui suit est bien plus doux encore. Un long calme succede au tumulte des sens ; Le feu qui nous brulait par degres s'evapore; La volupte survit aux penibles 61ans; L'ame sur son bonheur se repose en'silence * ; Et la reflexion, fixant la jouissance, S' amuse a lui preter un charme plus flatteur. Amour, a ces plaisirs 1'effort de ta puissance Ne saurait.ajouler qu'un pen plus de lenteur. 1. Premiere Edition : Suv sa felicite 1'ame appuie en silence. LE SONGE LE SONGE A M. DE F . . Corrige par tes beaux discours, J'avais resolu d'etre sage ; Et, dans un acces de courage, Je congediais les Amours Et les chimeres du bel ftge. La nuit vint. Un profond sommeil Ferma mes paupieres tranquilles; Tous mes songes, purs et faciles, Promettaient un sage reveil *. Mais quand 1'Aurore impatiente, Blanchissant Tombre de la nuit, A la nature renaissante Annonca le jour qui la suit, 1. Prcmii're.i editions : Tous mes songcs ('-talent facilos; Je ne craiguais jioint le reveil. 70 LIVRE III L'Amour vint s'oflrir a ma vue. F,e sourire le plus charmant Errait sur sa bouclic ingenue : Je le recormus aisemerit. II s'approcha de mou oreille. Tu dors, me dit-il douccment j Et tandis que ton cocur sommeille, L'heure s'ecoule incessamment. 1 Ici-bas tout se renouvellej L'homme seul vieillit sans relour; Son existence n'est qu'un jour Suivi d'une nuit eternelle, -Mais encor trop long sans amour. A ces mots j'ouvris. la paupierc. Adieu, sagesse ; adieu, projets. Rcvenez, enfants de ("y there, Je suis plus faible que jamais. & ' MA RETRA1TE 71 MA RETRA1TE Solitude heurcuse et champetre, Sejour du repos le plus doux, La raison l me ramene a vous; Recevez enfiu votrc maitre 2 . 1 . Premieres editions : Le piiutemps me rameuc a vous. 2. m. : Recevez eufin votrc rnaitrc. La jeunc amantc du Zephyr A rauiine vos tristes plaines. Ecbappe de mcs lourdes chaincs, Comme elles, je vais rajcunir. Vous donnez a mes sens vuic nouvellc vie; Mon ame, trop lon^temps flotrio, Aux rayons' naissauts du plaisir Dej.i commence a s'eutr'ouvrir. , maitrcsse toujours plus chore, Do ces lieux tu fais I'orncment! Dans ces licux tu fais sans m^store Le bonheur du plus tendie amant. La simplicito seule orua inou crniitagCi Ou ue voit point chez moi... 72 LIV11E III Je suis libre; j'ecbappe a ces soins fatigants, A ces devoirs jaloux qui surchargent la vie. Aux tyraimiques lois d'un monde que j'oublie Je ne soumettrai plus mes gouts independants. Superbes Grangers, qui croissez sans culture, Versez sur moi vos fleurs, votre ombre et vos parfums; Mais surtout derobez aux regards importuns Mes plaisirs, comme vous enfants de la nature. On ne voit point cbez moi ces superbes tapis Que la Perse a grands frais teignit pour notre usage; Je ne repose point sous un dais de rubis; Mon lit n'est qu'un simple feuillage ; Qu'importe? le sommeil est-il moins consolant? Les reves qu'il nous donne en sont-ils moins aimables? Le baiser d'une amante en est-il moins brulant, Et les voluptes moins durables ? Pendant la nuit, lorsque je peux Entendre degoutter la pluie, Et les flls bruyants d'Oritbye i 1. Parny se souvient ici evidemment de ces beaux vers de Tibulle (I, I, 45), tant de fois imites : Quam juvat immites ventos audire cubantem, Et dominam teuero detiuuisse sinu! Aut gelidas hihernus aquas quum fuderit auster. Securum soninos, imlire juvante, sequi. MA RETRAITE 73 Ebranler mon toil dans leurs jeux; Alors si mes bras amoureux Entourent ma craintive amie, Puis-je encor former d'autres voeux? Qu'irai-je demander aux dieux, A qui mon bonheur fait envie ? Je suis au port, et je me ris De ces ecueils ou 1'homme e"choue *. Je regarde avec un souris Cette fortune qui se joue En tourmentant ses favoris; Et j'abaisse un ceil de mepris Sur 1'inconstance de sa roue. La scene des plaisirs va changer a mes yeux. Moins avide aujourd'hui, mais plus voluptueux, Disciple du sage Epicure, Je veux quo la raison preside a tous^mes jeux. De rien avec exces, de tout avec mesure; Voila le secret d'etre heureux. Tralii par ma jeune maitresse, J'irai me plaindre a l'Amitie, Et conlier a sa tendresse I Liicrtce, livre II : Suave, mari magno turbantilus aequora ventis, E terra magnuiu alterius spectare laborem. o 74 LIVRE III Un malheur bientot oublie". Bieutot Oui, la raison guerira ma faiblesse. Si 1'ingrate Amitie me trahit a son tour, Mon coeur Havre" longtemps detestera la vie ; Mais enlin, console par la philosophic, Je reviendrai peut-etre aux autels de 1' Amour. La haine est pour moi trop penible; La sensibilite n'est qu'un tourment de plus : line indifference paisible Est la plus sage des vertus. AU GAZON FOULE PAR ELEONORE 75 AU GAZON FOULE PAR ELEONORE Trone de fleurs, lit de verdure, Gazon plantc par les Amours, Rccevez 1'onde fraiche et pure Que ma main vous doit tous les jours. Couronnez-vous d'herbes nouvelles, Croissez, gazons voluptueux. Qu'a midi Zephyre amoureux Vous porte le 1'rais sur ses ailes. Que ces lilas entrelaces, Dont la flour s'ammdit en voute, Sur vous mollement ren verses, Laissent echapper goulte a goulte Les pleurs que 1'Aurore a verse's. Sous les appas de ma nmitresse Ployez toujours avec souplesse; Mais sur-le-champ relevcz-vousj De noire amoureux badinage Ne gai'dez point le temoignage : Vous me fericz trop de jaloux. 76 LIVRE III LE VOYAGE MANQUE A M. DE F... Abjurant ma douce paresse, J'allais voyager avec toi; Mais mon coeur repreiul sa faiblesse : Adieu, tu partiras sans moi. Les baisers de ma jeune amante Out derange tons mes projets. Ses yeux sont plus beaux que jamais; Sa douleur la rend plus touchante. Elle me serre entre ses bras, Des dieux implore la puissance, Pleure deja mon inconstance, Se plaint et ne m'ecoute pas. A ses reproches, a ses charmes, Mon coeur ne sail pas resister. Qui! moi je pourrais la quitter! Moi, j'aurais vu couler ses larmes, Et je ne les essuierais pas'. LE VOYAGE MANQUE 7~ Perissent les lointains climats Dont le nom causa ses alarmes ! Et toi, qui ne peux concevoir Ni les amants, ni leur ivresse ; Toi, qui des pleurs d'une maitresse N'as jamais connu le pouvoir, Pars; mes voeux te suivrorit sans cesse. Mais crains d'oublier ta sagesse Aux lieux que tu vas parcourir; Et defends-toi d'une faiblesse Dont je ne veux jamais guerir '. 1. Voici comment cette piece finissait dans la premiere edition Gemit et ne m'ecoute pas. Viens, dit-elle ; uu autre rivage Nous attend au declin du jour; )> Nous ferons ensemble un voyage, Mais, c'est au temple de 1'Amour. 78 LTVRE III LE CABINET DE TOILETTE Void le cabinet charmant Oil les Graces font lour toilette. Dans cette amoureuse retraite J'cprouve un doux saisissement. Tout m'y rappelle ma rnaHresse, Tout m'y parle de ses atlraits; Je crois 1'entendre; et mon ivresse La revolt dans tons les objets. Ce bom i net, dont 1'eclat s'effuce, Toucba I'albatre do son sein ; II se dorangea sous ma main, Kt mes levres prirent sa place. Ce cbapeau, ces rubans, ces (lours, Qui formaicnt bier sa paruro, Do sa llottante cbevelure Conservent les douces odeurs. Voici I'inutile baleine Oil ses cbarmcs sont en prison. LE CABINET DE TOILETTE 79 J'aperfois le soulier mignon Que son pied remplira sans peine. Ce lin, ce dernier vetement... II a couvert tout ce que j'aime : Ma bouche s'y colle ardemment, Et croit baiser dans ce moment Les attraits qu'il baisa lui-meme. Get asile mysterieux De Venus sans doute est 1'empire. Le jour n'y blesse point mes yeux; Plus tendrement mon coeur soupire; L'air et les parfums qu'on respire De 1' amour allurnent les feux. Parais, 6 maitresse adoree! J'entends sonner I'licure sacre'e Oui nous ramene les plaisirs; Du temps viens connaitre I'usage, Et redoubler tons les de"sirs Qu'a fait nailre ta seule image. 80 LIVRE III L' ABSENCE Huit jours sont e"coules, depuis quc dans ces plaines Un devoir importun a relenu mes pas. Croyez a ma douleur, inais nc 1'eprouvez pas. Puissiez-vous de 1'Amour ne point scntir les peincs ! Le bonheur m'environne en ce riant sejour. De mes jeunes amis la bruyante allegresse Ne pent un seul moment distraire ma tristesse; Et mon coeur aux plaisirs est ferine" sans retour. Melant a leur gaiete ma voix plaintive et tendre, Je dernande a la nuit, je redemande au jour Get objet adore qui ne peut plus m'enlendre. Loin de vous autrefois je supportais I'enniii ; L'espoir me consolait : rnon amour aujourd'luii Ne sait plus endurer les plus courtes absences. Tout ce qui n'est pas vous me devient odieux. L'ABSENCE 81 Ah ! vous rn'avez ote toutes mes jouissances; J'ai perdu tous les gouts qui me rendaient hcureux; Vous seule me restez, 6 mon Eleonore! Mais vous me suffirez, j'en attesle les dieux ; Et je n'ai rien perdu, si vous m'aimez encore. 82 L1VRE III MA MORT Do mes pensers conlidente cherie, Toi, dont les chants faciles et flatteurs Viennent parfois suspendre les douleurs Dont les Amours ont parseme ma vie, Lyre fidele, ou mes doigts paresseux Trouvent sans art des sons melodieux, Prends aujourd'hui ta voix la plus touchante, Et parle-moi de ma rmitresse absents. Objet cheri, pourvu que dans tes bras De mes accords j'amuse ton oreille, Et qu'anime par le jus de la treille, En les chantant, je baise tes appas ; Si tes regards, dans un tendre delire, Sur ton ami tombent languissamment; MA MORT 83 A mes accents si tu daignes sourire ; Si tu fais plus, et si mon humble lyre Sur tes genoux repose mollement; Qu'importe a moi le reste de la terre ? Des beaux esprits qu'importe la rumeur, Et du public la sentence severe? Je suis amant, et ne suis point auteur. Je ne veux point d'une gloire penible ; Trop de clarte" fait peur au doux plaisir. Je ne suis rien, et ma Muse paisible Brave en riant son siecle et 1'avenir. Je n'irai pas sacrifier ma vie Au fol espoir de vivre apres ma mort. ma maitresse ! un jour 1'arret du Sort Viendra fermer ma paupiere aflaiblie. Lorsque tes bras, entourant ton ami, Soulageront sa tete languissante, Et que ses yeux souleves a demi Seront remplis d'une flamme mourante; Lorsque mes doigts tacberont d'essuyer Tes yeux iix^s sur ma paisible couche, Et que mon cow, s'e"chappant sur ma bouche, De tes baisers recevra le dernier; Je ne veux point qu'une pompe indiscrete Vienne traliir ma douce obscurite", Ni qu'un airain a grand bruit agit^ 8i LIVRE 111 Annonce a tous le convoi qui s'apprele '. Dans mon asile, heureux et meconnu, Indifferent au reste de la terre, De mes plaisirs je lui fais un mystere : Je veux mourir comme j'aurai vecu. 1. Andre Chenier, Elegie vn. Je ne veux point, couvert d'uii funebre linceul, Qae les pontifes saints autonr de mon cercueil, Appeles aux accents de 1'airain lent et sombre, De leur chant lamentable accompagnent mon ombre. L'lMPATlKNGE 8ii L'IMPATIENGE ciel ! apres huit jours d'absence, Apres huit siecles de desirs, J'arrive, et ta froide prudence Recule 1'instant des plaisirs Promis a mon impatience ! D'une mere je crains les yeux, Les nuits ne sont pas assez sombres; Attendons plutot qu'a leurs ombres Phebe" ne mele plus ses feux. Ah ! si 1'on allait nous surprendrc ! Remets a demain ton bonheur; Crois-en 1'amante la plus tendre, Crois-en ses yeux et sa rougeur : Tu ne perdras rien pour attendre. Voila les vains raisonnemenls Dont tu veux payer ma tendresse ; Et tu feins d'oublier sans cesse Uu'il est un dieu pour les amants. 86 LIVRE III Laisse & ce clicu qui nous appelle Le soin d'assoupir IPS jaloux, Et do conduire au rendez-vous Le mortel sensible et fidele Qui n'est hcurcux qu'a tes genoux. N'oppose plus un vain scrupule A 1'ordre pressant de 1' Amour : Quand le feu du desir nous bride, Helas! on vieillit dans un jour 1 . 1. Andre Chenier, Elegie xv : Les amants malheureux vieillissent en un jour. C'est vine idee emprnntee a Theocrite (Id., XIT, 2). Ceiu qui de- sirent vieillissent en 1111 jour. REFLEXION AMOUREUSE 87 REFLEXION AMOUREUSE Je vais la voir, la presser dans mes bras. Mon coeur e"mu palpite avec vitesse ; Des volupte's je sens deja 1'ivresse ; Et le desiiv precipite mes pas. Sachons pourtant, pres de celle que j'aime, Donner un frein aux transports du clesir; Sa follc ardeur abrege le plaisir, Et trop d'arnour peut nuire a 1'arnour memo. 88 LIVKE 111 LE BOUQUET 13E L'AMUUH Dans ce moment les politesses, Les souhaits vingt fois repetes, Et les ennuyeuses caresses, Pleuvent sans doute a tes cotes. Apres ces compliments sans nombre L' Amour fidele aura son tour; Car, des qu'il verra la nuit sombre Remplacer la clarte du jour, 11 s'en ira, sans autre escorte Que le Plaisir tendre et discret, Frappant doucement a ta porte, Toflrir ses vceux et son bouquel. Quand 1'age aura blanchi ma tete, Reduit tristement a glaner, J'irai te souhaiter ta fete, Ne pouvant plus te la donner. DELIRE 89 DELIRE 11 est passe ce moment des plaisirs Dont la vilesse a trompe mes desirs, II est passe ; ma jeune et teridre amie, Ta jouissance a double mon bonheur. Ouvre tes yeux noye"s dans la langueur, Et qu'un baiser te rappelle a la vie. Celui-la seal connait la volupte, Celui-lii seul sentira son ivresse, Qui pent enfin avec securite Sur le duvet posseder sa maitressc. Le souvenir des obstacles passes Donne au present une douceur nouvelle; A ses regards son amante est plus belle; Tons les altraits sont vus et caressds. Avec Icnlcur sa main voluptueuse D'un sein de neigc enlr'ouvre la prison, 90 LIVRE III Et de la rose il baisc le bouton Qui se durcit sous sa bouche amoureuse. Lorsquc scs doigls egares sur les lis Viciment enfin au temple dc Cypris, De la pudeur prevenant la defense, Par un baisor il la force an silence. II donne un frein aux aveugles desirs; La jouissance cst longtemps differed ; II la prolonge, et son ame enivree Boit lentement la coupe des plaisirs. Eleonore, amante fortunee, Reste a jamais dans mes bras encbainee. Trouble charmant! le bonheur qui n'est plus D'un nouveau rouge a colore ta joue : De tes cheveux le ruban se denoue, Et du corset les liens sont rompus. Ah ! garde-toi de ressaisir encore Ce vetement qu'ont derange nos jeux ; Ne m'ote point ces charmes que j'adore, Et qu'a la fois tons mes sens soient beureux! Nous sommes seuls; je desire, et tu m'aimes; Reste sans voile, 6 fille des Amours! Ne rougis point : les Graces elles-memes De ce beau corps out forme les contours. DEL1RE 91 Partout mes yeux reconnaissent 1'albatre, Partout mes cloigts effleurent le satin. Faible Pudcur, tu resistes en vain, Des vo'.uptcs je baise le theatre. Pardonne tout, et ne refuse rien, Eleonore ; Amour est mon complice. Mon corps frissonne en s'approchant du tien. Plus pres encor, je sens avec delice Ton sein brulant palpiter sous le mien. Ah ! laisse-moi, dans mes transports avider, Boire 1'amour sur tes levres humides. Oui, ton haleine a coule dans mon cocur; Des volupte's elle y porte la flamme : Objet charrnant do ma tendre fureur, Dans ce baiser recois toute mon amp. A ces transports succede la douceur D'un long repos. Delicieux silence, Calme des sens, nouvelle jouissance, Vous donnez seuls le supreme bonheur ! Puissent ainsi s'ecouler nos journees, Aux voluples en secret destinees! (Ju'un long amour m'assure tes attraits; QU'UII long b;iiser nous unisse a jamais. Laisse gronder la sagesse ennemie; 92 LIVRE 111 Le plaisir seul donne un prix a la vie. Plaisirs, transports, doux presents de Venus, II faut mourir quand on vous a perdus * ! 1 . Andre Ghenier, Elegie xxxn : Sans les dons de Venus quelle serait la vie ! Dans 1'mstant ou Venus me doit etre ravie, Que je meure : sans elle ici-bas rieu n'est doux. On pourra se donncr le plaisir de comparer les deux elegies. Ce rap procheuient, nous Tesperons, netournera pas au desavantage de notre poe'te. LES ADIEUX 93 LES ADIEUX Sejour triste, asile champetre, Qu'un charme embellit a rnes yeux, Je vous fuis, pour jamais peut-etre! Recevez mes derniers adieux. En vous quittant, mon coeur soupire. Ah ! plus de chansons, plus d'amours, Eleonore!... Oui, pour ton jours Pres dc toi je suspends ma lyre. FIN CD L1VKE TROISIEUE ELEGIE I 95 ELEGIE I Du plus malheureux des ainants Elle avait essuy6 les larmes; Sur la foi des nouvcaux serments Ma tendresse etait sans alarmes; J'en ai cru son dernier baiser; Mon aveuglement fut extreme. Qu'il est facile d'abuser L'amant qui s' abuse lui-meme '. Des yeux timides et baisses, Une voix naive et qui touclie, Des bras autour du cou passes, Un baiser donne sur la boucbe, 96 LIVRE IV Tout cela n'est point de 1'amour. J'y fus trompe jusqu'a ce jour. Je divinisais les faiblesses; Et ma sotte credulite N'osait des plus folles promesses Soupconnerla sincerite"; Je croyais surtout aux caresses. Helas ! en perdant mon erreur, Je perds le cliarme de la vie. J'ai partout cherch4 la candeur, Partout j'ai vu la perfidie. Le degout a fletri mon cosur. Je renonce au plaisir trompeur^ Je renonce a mon infidele; Et, dans ma tristesse mortelle, Je me repens de mon bonheur. ELEGIE II 97 ELEGIE n C'en est done fait ! par des tyrans cruels, Malgre" ses pleurs a 1'autel entramee, Elle a subi le joug de I'hymene'e. Elle a detruit par des noeuds solennels Les noeuds secrets qui I'avaient encbainee. Et moi, longlemps exile de ces lieux, Pour adoucir cetle absence crucllo, Je me disais : Elle sera fidele ; ^ J'en crois son cceur et ses derniers adieux. Dans cet espoir, j'arrivais sans -alarmes. Je tressaillais, en arretant mes yeux Sur le sejour qui cachait taut de chariues; Et le plaisir faisait couler mes larmes. Je payai cher ce plaisir imposteur! Pret a voler aux pieds de inon amante, Dans un billet trace par rinconstante Je lis son crime, et je lis mon mallieur. Un coup de foudre cut ete rnoiiis terrible. 98 L1VRE IV E16onore ! 6 dieux ! est-il possible ! 11 est done fait ct prononce par toi L'affreux serment do n'etre plus a moi? Eleonore autrcfois si timide, Eleonore aujourd'hui si perlide, De tant de soins voila done le retour ! Voila le prix d'un eternel amour! Car ne crois pas que jamais je t'oublie : II n'est plus temps; je le voudrais en vain; Et malgre moi tu feras mon destiri : Je te devrai le malheur de ma vie. En avouant ta noire trahison, Tu veux encor m'arracher ton pardon : Pour 1'obtenir, tu dis que mon absence A tes tyrans te livra sans defense. Ah! si les miens, abusant de leurs droits, Avaient voulu me contraindre au parjure, Et m'enchainer sans consulter mon choix, L'amour, plus saint; plus fort que la nature, Aurait brave leur injuste pouvoir; De la Constance il m'eut fait un devoir. Mais ta priere est un ordre supreme ; Trompe par toi, rejete" de tes bras, Je te pardonne, et je ne me plains pas : Puisse ton cosur te pardonner de meme! ELEGIE III 99 ELEGIE III Rtl arbre, pourquoi conserver Ces deux noms qu'unc main trop chore Sur ton e'corce solitaire Voulut elle-meme gravor ' ? Ne parle plus d'Eleonore; Ilejette ces chifTres mentours; Le temps a ddsuni les comrs Quo ton ecorce unit encore. Var. : I5el arltre, je vions od'acer Ces noms graves stir ton ecorce. Qui, par un amoureux divorce. Se reprennont pour se laiss>r. 100 LIVRE IV ELEGIE IV Dieu des amours, le plus puissant des dieux, Le seul du moins qu'adora ma jeunesse, II m'en souvient, dans ce moment heureux Ou je flechis mon ingrale maitresse, Mon cffiur credule, et trompe par vous deux, Mon faible cceur jura d'aimer sans cesse. Mais je revoque un serment indiscret. Assez longtemps tu tourrnentas ma vie, Amour, Amour, seduisante folie ! Je I'abandonnc, et meme sans regret. Loin de Paphos la Raison me rappelle ; Je veux la suivre et ne plus suivre qu'elle. Pour t'obeir je semblais etre ne : Vers tes autels des 1'enfance enlraine, Je me soumis sans peine a ta puissance. Ton injustice a lasse ma Constance : Tu m'as puni de ma fidelite. ELEGIE IV 101 All ! j'aurais du, moins tendre et plus volage, User des droits accordes au jeune age. Oui, moins soumis, tu m'aurais mieux traite. Bien insense, celui qui pres des belles Perd en soupirs de precieux instants! Tons les chagrins sont pour les cffiurs fideles; Tous les plaisirs sont pour les inconstants. d02 L1VRE IV D'un long sommeil j'ai goute la douceur. Sous un ciel pur, qu'elle embellit encore, A mon reveil je vois briller 1'Aurore ; Le dieu du jour la suit avec lenteur. Moment heureux! la nature est tranquille; Zephyre dort sur la fleur immobile ; L'air plus serein a repris sa fraicheur, Et le silence habile mon asile. Mais quoi ! le calme est aussi dans moa cceur ! Je ne vois plus la triste et chere image Qui s'offrait seule a ce cceur tourmente ; Et la raison, par sa douce clarte, De mes ennuis dissipe le nuage. Toi, que ma voix implorait chaque jour, Tranquillite, si longtemps attendue, Des cieux enfm te voila descendue, Pour remplacer 1'impitoyable Amour. ELEG1E V 103 J'allais perir; au milieu de 1'orage Un sur abri me sauve du naufrage; De 1'aquilon j'ai trompe la fureur; Et je contemple, assis sur le rivage, Des flots gi'onclants la vaste profondeur. Fatal objet, dont j'adorai les charmes, A ton oubli je vais m'accoutumer. Je t'obeis enfin; sois sans alarmes; Je sens pour toi mon ame se fermer. Je pleure encor; mais j'ai cesse d'aimer, Et mon bonheur fait seul couler mes larmes. 104 L1VRE IV ELEGIE VI J'ai cherche dans 1'absence un remede a mes maux ; J'ai fui les lieux charmants qu'embellit 1'infidele. Cache dans ces forets dont 1'orabre cst eternelle, J'ai trouve le silence et jamais le repos. Par les sombres detours d'une route inconnue J'arrive sur ces monts qui divisent la nue : De quel etonnement tous mes sens sont frappds ! Quel calme! quels objets! quelle immense etendue! La mer parait sans borne a mes regards trompes, Et dans 1'azur des cieux est au loin confondue. Le zephyr en ce lieu tempere les chaleurs ; De 1'aquilon parfois on y sent les rigueurs; Et tandis que 1'hiver habite ces montagnes, Plus bas 1'ete brulant desseche les campagncs. Le volcan dans sa course a de" vore ces champs ; La pierre calcinee atteste son passage : ELEG1E VI 105 L'arbre y croit avec peine, et 1'oiseau par ses chants IV a jamais e*gaye ce lieu triste et sauvage. Tout se tail, tout est mort. Mourez, honteux soupirs, Mourez, importuns souvenirs Qui me retracez I'lnfidele, Mourez, tumultueux desirs, Ou soyez volages comme elle. Ces Lois ne peuvent rne cacher ; Ici meme, avec tous ses charmes, L'ingrate encor me vient chercher ; Et son nom fait couler des larmes Que le temps aurait du secher. dieux! rendez-moi ma raison egaree; Arracliez de mon conur cette image adorec Eteignez cet amour qu'elle vient rallumer, Et qui remplit encor mon ame tout cntiere. Ah ! Ton devrait cesser d'aimer Au moment qu'on cesse de plaire. Tandis qu'avec mes pleurs la plainte ct los regrets Content de mon fnne attendrie, J'avancc, et de nouveaux objets Interrompent ma reverie. Je vois naitre a mes picds ces ruisscaux diflerents, C!i, cliang^s tout a coup en rapides torrents, Traversent a grand bruit les ravines profondes, 106 LIVRE IV Roulcnt avec leurs flots le ravage et I'liorreur, Fondcnt sur le rivage, et vont avec fureur Dans rOce"an trouble precipiter leurs ondes. Je vois des rocs noircis, dont le front orgueilleux S'eleve et va frapper les cieux. Le temps a grave sur leurs cimes L'empreinle de la vetuste. Mon ceil rapidement porte De torrents en torrents, d'abimes en abimes, S'arrete e"pouvante. nature! qu'ici je ressens ton empire! J'aime de ce desert la sauvage aprete ; De tes travaux hardis j'aime la majeste ; Oui, ton horreur me plait; je frissonne et j'admire. Dans ce sejour tranquille, aux regards des humains Que no puis-je cacher le reste de ma vie ! Que ne puis-je du moins y laisser mes chagrins! Je venais oublier 1'ingrate ijui m'oublie, Et ma boucbe indiscrete a prononce son nom ; Je 1'ai redit cent fois, et I'echo solitaire De ma voix douloureuse a prolonge le son ; Ma main 1'a grave sur la pierre ; Au mien il est entrelace". Un jour le voyageur, sous la mousse legere, De ces noms connus a Cythere ELEGIE VI 107 Verra quelque reste efface. Soudain il s'ecriera : Son amour fut extreme; II chanta sa maitresse au fond de ces deserts. Pleurons sur ses malheurs et relisons les vers Qu'il soupira dans ce lieu raeme. 108 LIVRE IV ELEGIE VII 11 faut tout perdre, il faut vous obeir. Je vous les rends ces lettres indiscretes, De votre cceur eloqucnts interpretes, Et que le mien cut voulu reteriir; Je vous les rends. Vos yeux a chaque page Reconuaitront 1'ainour et son langage, Nos doux projets, vos serments oublies, Et tons mcs droits par vous sacrih'es. C'etait Irop peu, cruelle Eleonore, De m'arracher ces traces d'un amour Paye par moi d'un eternel retour; Vous ordonnez que je vous rende encore Ccs traits cheris, dont 1' aspect cnchanteur Adoucissait et trompait ma douleur. Pourquoi chercher une excuse inutile, En reprenant ces gages adores Qn'aux plus grands biens j'ai toujnurs preferes? ELEGIE VII 109 De vos rigueurs le pretextc est futile. Non, la prudence et le devoir jaloux N'exigent pas ce double sacrifice. Mais ces ecrits qu'un sentiment propice Vous inspira dans des moments plus doux, Mais ce portrait, ce prix de ma Constance, Que sur mon cosur attacha votre main, En le trompant consolaient mon chagrin : Et vous craignez d'adoucir ma souffrance ; Et vous voulez que mes yeux desormais Ne puissent plus s'ouvrir sur vos attraits; Et vous voulez, pour combler ma disgrace, De mon bonheur oler jusqu'a la trace. Ah ! j'obeis, je vous rends vos bienfaits. Un seul me reste, il me reste a jamais. Oui, malgre vous, qui causez ma faiblessc, Oui, malgre moi, ce cocur infortune" Reticnt encore et gardera sans cesse Le fol amour que vous m'avez donne. Ill) L1VUE IV ELEdlE VIII Aimer csl un destin charmant ; C'esl un bonhcur qui nous enivre, Et qui nroduil 1'enchantement. Avoir aime, c'est nc plus vivre ; Helas ! c'est avoir achcte Cctte accablante verite, Que les serments sont un meusonye. Que 1'amour tronipe tot ou tard, Que 1' innocence n'est qu'un art, Et que le bonheur n'est qu'un songe. E LEG IE IX HI ELEGIE IX Toi, qu'importune ma presence, A les nouveaux plaisirs je laisse un Hbre cours; Je ne troublcrai plus les nouvelles amours; Je rcmcts a ton conir Ic soin de ma vengeance. Ne crois pas m'oublier; tout t' accuse en ces lieux; Us savent les sennents, ils sont pleins dc nies feux, Us sont pleins de ton inconstancc. La, je te vis, pour mon mallieur. Belle de la seule candeur, Tu semblais une lleur nouvelle, Qui, loin du ze"pbyr corrupleur, Sous 1'oiribrajie qui la recele S'epanouit avec lenteur. C'est ici qu'un sourire approuva ma tendrcsse. Plus loin, quand le trepas menacait ta jeunesse, Je promis a 1'Amour de le suivre au lombeau *. 1. Allusion a des vers stir la tnaladie d'Ettonorc, que Parny avail siipprimes dans ses dcruiurcs editions, et qua nous duuiierons parmi les Melanges. m LIVRE iv Ta pudeur, en ce lieu, se montra moins farouche, Et le premier baiser fut donne par ta bouche ; Des jours de mon bonheur ce jour fut le plus beau. Id, je bravai la colere D'un pere indigne centre moi; Renoncant a tout sur la terre, Je jurai de n'etre qu'a toi. Dans cette alcove obscure... touchantes alarmes! transports ! 6 langueur qui fait couler des larnu-s ! Oubli de 1'univers! ivresse de 1' amour! plaisirs passes sans retour ! De ces premiers plaisirs 1'image seduisante ^ Incessamment te poursuivra; Et, loin de 1'effacer, le temps 1'embellira. Toujours plus pure et plus touchante, Elle empoisonnera ton coupable bonheur, Et punira tes sens du crime de ton coeur. Oui, tes yeux prevenus me reverront encore, Non plus comme un amant tremblant a tes genoux, Qui se plaint sans aigreur, menace sans courroux, Qui te pardonne et qui t'adore; Mais comme un amant irrite, Comme un amant jaloux qui tourmente le crime, Qui lie pardonne plus, qui poursuit sa victime, Et punit rinfldelite. Partout je te suivrai, dans Tcnccinlc des villes, ELEG1E IX H3 Au milieu des plaisirs, sous les forets tranquilles, Dans Toinbre de la nuit, dans le.s bras d'un rival. Mon nom de tes remords deviendra le signal. Eloigne pour jamais de cette ile odieuse, J'apprendrai ton destin, je saurai ta douleur; Je dirai : Qu'elle soil heureuse ! Et ce VCEU ne pourra te donner le bonliour. H4 LIVRE IV ELEGIE X Par cet air do serenite, Par cet enjouement afleete, D'aulres seront trompes peut-etre; Mais nion coeur vous devine inieux ; Et vous n'abusez point incs yetix Accoutumes a vous connailre. L'esprit vole a votre sccours, Et, malgre vos soins, son adresse Ne peut egayer vos discours; Vous souriez, inais c'est toujours [,e sourirc de la tristessc. Vous cachez en vain vos doulcurs; Vos soupirs se font un passage; Les roses de votre visage Out perdu leurs vives couleurs; Deja vous negligoZ vos ehannes; Ma voix fait naitre vos alannes; ELEGIE X H5 Vous abregoz nos entretiens; Et vos yeux rtoyes dans les larmes Evitent constamment les miens. Ainsi clone mes peines cruelles Vont s'augmenter de vos chagrins! Malgre les dieux et les 1m mains, Je le vois, nos ccours sont fideles. Ohjet du plus parfait amour, Unique cliarme de ma vie, maitresse toujours cherie, Faul-il te perdre sans retour? Mi ! faut-il quo ton inconstance No te donne quo des tonrments! Si du plus tendre des amants T,a priere a qnelqne puissance, Trains mieux tes premiers serments ; Que ton coeur me plaigne et m'oublie. Permets a de nouveaux plaisirs D'effacer les vains souvenirs Qui causent ta melancolie. J'ai bien asse/ de mes malheurs. J'ai pu supporter les rigueurs, Ton incoiustance, tes froideurs, Et tout le poids de ma trislessc ; Mais je succombe, et ma tendresse Ne pcut soutenir tes douleurs. HO LI V RE IV ELEGIE XI Que le bouheur arrive lentemcnt ! Que le bonheur s'eloigne avec vitesse ! Durant le cours cle rna Iriste jeunesse, Si j'ai vecu, ce ne fut qu'un moment '. Je suis puni de ce moment d'ivresse. L'espoir qui trompe a toujours sa douceur, Et clans nos maux du moins il nous console ; Mais loin de moi 1'illusion s'envole, Et 1'esperance est morte dans mon cceur. Ce cceur, helas! que le chagrin devore, Ce cceur malade et surcharge d'ennui, Dans le passe vent ressaisir encore De son bonheur la fugitive aurore, 1. C'est le meme sentiment qui a dicte ce vers d'Andre Clienier, elegie xxv : 11s n'ont fait qu'exister; 1'amant seul a vecu. E LEG IE XI 117 Et tons les biens qu'il n'a plus aujourd'hui ; Mais du present 1'imagc trop fidele Me suit toujours clans ces reves trornpeurs, Et sans pitie la verite cruelle Vient m'avertir de repandre des pleurs. J'ai tout perdu ; delire, jouissancc, Transports brfilants, paisible volupte, Douces erreurs, consolante esperance, J'ai lout perdu : 1'amour seul est reste. 118 LIV11E IV E LEG IE XII Calme ties sens, paisible Indifference, Leger sommcil d'un occur tranquillise, Descends du ciel ; eprouve ta puissance Sur un amant trop longtemps abuse. Mene avec toi 1'heureuse Insouciance, Les Plaisirs purs qu'autrefois j'ai connus, Et le Repos que je ne trouve plus ; Mene surtout 1'Ainitie consolante Qui s'enfuyait a 1'aspect des Amours, Et des Beaux-Arts la famille brillante, Et la Raison que je craignais toujotirs. Des passions j'ai trop senti 1'ivresse; Porte la paix dans le fond de rnon canir : Ton air serein resscmble a la sagesse, Et ton repos est presque le bonheur. 11 est done vrai : Tumour n'cst qu'un delire! ELEGIE XII 119 Le mien fut long; .mais enfin je respire, Je vais renaitre ; et mes chagrins passes, Mon fol amour, les pleurs que j'ai versus, Seront pour moi comme un songe penible Et douloureux a nos sens eperdus, Mais qui, suivi d'uri reveil plus paisible, Nous laisse a peine un souvenir confus. 120 L1VRE IV ELEGIE XIII II est temps, mon Eleonore, De meltre un terme a nos errcurs; II est temps d'arreter les pleurs Que 1' amour nous derobe encore. 11 disparait 1'age si doux, L'age brillant de la folio : Lorsque tout change autour de nous, Cliangeons, 6 mon unique amie! D'un boriheur qui fuit sans retour Cessons de rappeler 1'image, Et des pertes du tendre amour Que 1'amitie nous dedomrnage. Je quitte entin ces tristes lieux OLI me ramcna 1'esperance, Et 1'Ocean cntre nous deux Va inettre un inter-valle immense. ELfcGltf XIII II faut meme qu'a mes adieux Succede line eternelle absence ; Le devoir m'en fait une loi. Sur rnon destin sois plus tranquille Mon noin passera jusqu'a toi ; Quel que soil mon nouvel asile, Le lien parviondra jusqu'a nioi. Trop heureux, si tu vis heureuse, A cette absencexlouloureuse Mon cnGur pourra s'accoutumer. Mais ton image va me suivre, Et, si je cesse de t' aimer, f.rois que j'aurai cesse de vivre. 122 LIVRE IV ELEGIE XIV Cesse de m'affliger, importune Amitie. C'est en vain que tu me rappelles Dans ce monde frivole ou je suis oublie; Ma raison se refuse a des erreurs nouvelles. Oses-tu me parler d'amour et de plaisirs? Ai-je encor des projets ! ai-je encor des desirs? Ne me console point : ma tristesse m'est chere ; Laisse gemir en paix ma douleur solitaire. Helas! cette injuste douleur De les soins en secret murmure; Elle aigrit meme la douceur De ce baume consolateur Que tu verses sur ma blessure. Du tronc qui nourrit sa vigueur La branche une fois detachee Ne reprenrt jamais sa fraicheur, Et Ton arrose en vain la Hour, ELEGIE XIV 123 Quand la racine est dessechee : De mes jours le ill est use; Le chagrin devorant a fletri ma jeunesse, Je suis mort au plaisir, et mort a la tendresse. Helas ! j'ai trop aime ; dans mon cceur epuise Le sentiment ne peut renaitre ; Non, non : vous avez fui pour ne plus reparaitre, Premiere illusion de mes premiers beaux jours, Celeste encliantement des premieres amours. fraicheur du plaisir, 6 volupte supreme ! Je vous connus jadis, et dans ma douce erreur, J'osai croire que le bonheur Durait autant que 1'arnour meme ; Mais le bonheur fut court, et 1'amour me trompait. L'amour n'est plus, 1'aniour est eteintpour la vie; II laisse un vide aflreux dans mon ame afTaiblie; Et la place qu'il occupait Ne peut etre jamais remplie. FIN P K S ELEGIES POESIES DIVERSES JOURNEE CHAMPETRE' On m'a conic qu'autrefois dans Palerme, Ville ou 1' Amour out toujours des autels, L'amitie sut d'un nceud durable et ferme Unir entre eux quatre jcunes mortcls. Egalite do biens et de naissance, Conform! te d'liinneur et de penchants, Tout s'y trouvait : 1' habitude et le temps De ces Hens, assuraient la puissance. L'ame d' entre eux ne comptait pas vingt ans 2 ; 1. Fontaues, dans YMmanarh den Muses de 1782, a fait un grand cloge de ce pofine, et il est alle racme jnsqu'a maudire Tantenr d'une critiiinc publiee dans le Hercure de 1780. 2. Berlin , dans sou \'oijni/e tie liiiuri/oi/iie, parlant d'une socielfi de jeunes cuicnriens dont lui et Paniy faisaient iwrtic, dit quo lo plus age ne compte pas encore cimj lustres. 11 scrait possible quo la Jouniee cluiiiijielre nous olfiit, avt-c les changeuients cuiiiiuaudes 128 LA JOURNEli CUA&P&TRE C'etait Volmon, de qui 1'air doux et sage Montrait un coeur naif ct sans detour, Et qui jamais des erreurs du bel age FJ'avait connu que celle de 1'amour. *&* $*** Loin du fracas et d'un monde frivole, Dans un reduil prepare de leurs mains, Nos jeunes gens venaient tous les matins De 1'amitie tenir la douce ecole. Ovide un jour occupait leurs loisirs. Florval lisait d'une voix attendrie Ces vers touchants ou 1'ainant de Julie De 1'age d'or a chante les plaisirs i . Get age heureux ne serait-il qu'un songe? Reprit Talcis, quand Florval cut fini. N'en cloutez point, lui repondit Volny; Tant de bonlieur est toujours un mensonge. FLORVAL. Et pourquoi done? Toute 1'anliquile, Plus pros que nous de cet age vanle, En a Iransmis et pleure la memo! re. par les convenances et force embellissenients poetiqnes, la descrip- tion d'une de ces joiirnees qne consaciaient an plaisir les chevaliers de la Caserne on de Feuillancour. (Yoyez la Preface ) 1. Dans le premier livre des Mttamtrphoses. LA JOURNEE CHAMPETRE 129 VOLNY. L'antiquite mcnt un peu, comme on sail ; II faut plulot 1'adinirer que la croire. Ouvrc les yeux, vois I'hoinnie; et ce qu'il est DC ce qu'il fut te donnera 1'histoire. TALCIS. L'enfanl, qui pint par ses jeuncs attraits, A soixante ans conserve-t-il ses traits? L'honime a vieilli : sans doute en son cnfance II ne fut point ce qu'il est aujourd'hui 1 . Si 1'univers a jamais pris naissance, Ces jours si beaux out du naitre avec lui. VOLNY. Hien ne vieillit... Volmon alors se leve : Mes clicrs amis, tons trois vous parlez d'or; 1. II y a dans 1'edition de 1779, que nous nc counaissons quc par nclijHes citations du Hercure de 1780 : Ne meltons point dans la ineme balance L'hoinme d'alors et 1'hoinme d'aujourd'hui. 130 LA JOURNEE CHAMPETRE Mais je pretends qu'il vaudrait mieux encor Realiser entre nous ce beau reve. Loin de Palermo, a 1'ombre des vergers, Pour un seul jour devenons tous bergers. Mais gardons-nous d'oublier nos bergeres. De 1'innocence elles out tous les gouts : Parons leurs mains de houlettes legeres. L'amour champetre est, dit-on, le plus doux. Avec transport celte offre est ecoutee; On la repete, et chacun d'applaudir. Laure et Zulmis voudraient deja parlir; Egle sourit; IXai's est cnchantee; On fixe un jour ; et, ce jour attendu Commence a peine, on part, on est rendu. Sur le penchant d'une haute monlagne La main du Gout construisit un chateau, D'oii 1'oeil au loin se perd dans la campagne. De ses cotes part un double coteau. L'un est couvert d'un antique feuillage Que la cognee a toujours respecte; Du voyageur il est peu frequente, Et n'offre aux yeux qu'une beaute sauvage. L'autre presente un tableau plus riant : L'epi jaunit ; Zephire en s'egayant Aime a glisser sur la moisson doree ; LA JOURNEE CHAMPETUE .131 Et tout aupres la grappe coloree Fait succomber le raineau chancelant. Ces deux coteaux, arrondis en ovale, Forment au loin un vallon spacieux, Dont la Nature, admirable en ses jeux, A bigarre la surface inegale. Ici s'eleve un groupe d'orangers Dontles fruits d'or pendent sur des fonlainos; Plus loin lleuril, sous 1'abri des vieux chenes, Le noisetier si cheri des bergers; A quclques pas se forme ' une eminence, D'oii le pasleur appelle son troupeau : De la son ujil suit avec complaisance Tous les detours d'un paisible ruisseau : El serpentant, il baigne la i>rairie, 11 fuit, revient dans la plaine lleurie, Oil lour a lour il murmure el se lait, Se relrecil elxoule avec vilesse, Puis s'elargil et reprend sa paresse, Pour faire encor le chemin qu'il a fait - : 1. Se forme est faible et iuiproprej n'elcre etait le mot dcuiandu : tnais il est deja plus Laut. i. Hurt in, ilaus la Description de Trianon, a peint Ic* mciiies ac- cidents : Vois ce ruisseau (jui, dans sa peute, Mollciueul eutraiue, muriuuic it pelil bruit, 132 LA JOURNEE CHAMPETKE Mais un rochcr barre son onde pure ; Triste, il parait etranger dans ces lieux ; Son ombre au loin s'etend sur la verdure, Et 1'herbe croit sur son front sourcilleux. L'onde, a ses pieds, revient sur elle-meme, Ouvre deux bras pour baigner ses contours, S'unit encore, et dans ces champs qu'elle aimc Va sous les fleurs recommencer son cours. Voila 1'asile ou la troupe amoureuse Vient accomplir le projet de Volmon. La n'entre point 1'etiquette orgueilleuse, Et les ennuis attaches au bon ton. La liberte doit regner au \111age. Un jupon court, parseme de feuillage, A remplace 1'enflure des paniers ; Le pied mignon sort des riches souliers, Pour mieux fouler la verdure fleurie ; La robe tornbc, et la jambe arrondie A Tceil charrne se decouvre a moitie ; Se tail, murmure encor, se replie, et serpenle, Va, revient, disparait, plus loin brille et s'enfuit; Et, se jouant dans la prairie Parmi le trefle et les roseaux, Separe a chaque instant ces bouquets d'arbrisseaux Qu'uu pout officieux a chaque instant marie. LA JOURNEE CHAMPETRE 133 DC la toilette on renverse 1'ouvrage ; Dans sa longueur le chignon deploye" Flotte affranclii de son triste esclavage ; La proprefe succede auv ornements; Du corps e"troit on a brise la chainc : Le seiu se gonfle et s'arrondit sans peine Dans un corset rioue par les amanls; Le front, cache sous un chapeau de roses, Ne souticnt plus le poids des diamants. La beaute gagne a ces metamorphoses; Et nos amis, dans leur fidelite, Du changement goutent la volupte. Dans la vallee on descend au plus vite, Et drs temoins on fuit l'u;il indiscret; La Libert^, 1' Amour, et le Secret, De nos borgers forment toute la suite. Deja du ciel 1'azur etait voil^, Deja la nuit de son char e"toile Sur ccs beaux lieux laissait tomber son ombre; IV un pied leger on franc-hit le coteau, Et cis chansons vont reveiller I'Echo Qui reposait dans la caverne sombre : Couvre le muet univers ; Parais, Nuit propice et tranquille, 8 134 LA JOURNEE CHAMPfcTRE Et fais tomber sur cet asile La paix qui regne dans les airs. Ton sceptre impose a la nature Un silence majeslueux; On n'entend plus que le murmure Du ruisseau qui coule en ces lieux. Sois desormais moins diligente, Belle avant-courriere du jour; La Voluple douce et tremblante Fuit et se cache a ton retour. Tu viens dissiper les mensonges Qui bercaient les tristes mortels, Et la foule des jolis songes S'enfuit devant les maux reels. Pour nous, re"veillons-nous sans cesse, Et sacrifions a Venus. II vient un temps, 6 ma maitresse, Ou Ton ne se reveille plus. Le long du bois, quatre toils de feuillage Sont eleves sur les bords du ruisseau ; LA JOURNEE GHAMPl^TRE i.3:> Et le Sommeil, qui se plait au village, N'oublia point cet asile nouveau. L'ombre s'enfuit; 1'amante fie Cepliale De la lumiere annoneait le retour, Et, s'appuyant sur Ics portes du jour, Laissait tomber le rubis et 1'opale. Les habitants ties paisibles hamcaux Se repandaient an loin dans la canipagne ; La corncmuse eveillait les troupeaux; En boiidissant les folalres agueaux Allaient blancbir le flanc de la inonlagne; De mille oisoaux le ramagc eclatant De ce beau jour saluait la naissanct; *. Vohnon se leve, et Zulmis le devance : Leurs yeux cbannes avec ftonnemeut A son re veil conteniplcnt la nature. Ce doux spectacle etait nouveau pour eux ; Et des cites habitants paresseux, Us s'tUoimaient de fouler la verdure, A 1'instant nienie ou tant d'etres oisifs 1. C'e.it [>roLableuicitt 1 cette description qu'appartieanent ces vers de 1'eJitioii de 1779, tittis dans le Mercure Je 1780 : Et F.acliesi.s, pour former cc lieau jour, Ne lila 1'oint uvcc Tor el la sole; Mais la Paressc et le dicu des erreurs L'avaieut lilu de pampres et de flcurs. 130 LA JOURNEK CHAMPfeTRE Pour echapper a 1'ennui qui Ics presse, Sur des carrcaux drosses par la Mollcsse Cherchcnt en vain quelques pavols lardifs. Reine un moment, deja la jeune Anrore Abandonnait 1'horizon moins vermeil ; Volny soupirc, et detourne sur Laure Des yeux charges d'amour et de sommeil. A ses cotes la belle demi-nue Dormait encore; une jambe etendue Semble chercher 1'aisance et la fraicheur, Et laisse voir ces charmes dont la vue Est pour 1'amant la derniere favour. Sur une main sa tete se repose ; L'autre s' allonge, et, pendant liors du lit, A chaque doigt fait descendre une rose. Sa bouche encore et s'entr'ouvre et sourit Mais tout a coup son paisible visage S'cst colore d'un vermilion brillant. Sans doute alors un songe caressant Des voluptes lui retracait rimage. Volny, qui voit son sourire naissant, Parmi les fleurs qui parfument sa couche Prend une rose, et pres d'elle a genoux, Avec lenteur la passe sur sa bouche, En y joignant le baiser le plus doux. LA JOURNEY CBAMPTRE 137 Pour consacrer la nouvelle journee, On dut clioisir un cantiquc a J'Amour. 11 exauca 1'oraison fortunee, Et desccndit dans ce riant sejour. Voici les vers qu'on chantait tour a tour : Divinites que je regrette, Hatez-vous d'animer ces licux. Etres cliannants et fabulcux, Sans vous la nature cst muette. Jeunc epouse du vieux Tillion, Pleure sur la rose nnissante ; eho, redeviens une ainante ; Soleil, sois encore Apollou. Tondre To, paissez la verdure; Naiades, liahitez ces eaux, El de ces rnodestes rtiissoanx Ennoblissez la source pure. Nymplies, con IT z an fond dos hois, Et craijiiie/ les fcux du Salyrc; Quo I'liilomi'li 1 line aulrc f(is A I'ro'-n*' conle son marlyre. 8. 138 LA JOURNEE CHAMP&TRE Renaissez, Amours ingenus; Revicns, volage epoux de Flore; Ressuscitez, Graces, Venus; Sur lies pai'ens regnez encore. C'est aux champs que 1' Amour naquit L' Amour se deplait a la \ille. Un bocage fut son asile, Un gazon fut son premier lit ; Et les bergers et les bergeres Accoururent a son berceau. L'azur des cieux devint plus beau; Les vents de leurs ailes legeres Osaient a peine raser 1'eau; Tout se taisait, jusqu'a Zephire; Et, dans ce moment enchanteur, La nature sembla sourire, Et rendre hommage a son auteur. Zulmis alors ouvre la bergerie, Et le troupeau, qui s'echappe soudain, Court deux a deux sur 1'herbe rajeunie. Volmon le suit, la houlette a la main, Un peu plus loin Florval et son amante Gardent aussi les dociles moutons. Us souriaient, quand leur bouche ignorante LA JOUUNEE CHAMPETRE 130 Sur le pipeau cherchait en vain des sons. Dans un verger plante par la Nature, Ou tons les fruits murissent sans culture, La jeune Egle porte deja ses pas. Quand les rameaux s'eloigrient de scs bras, L'heureux Talcis 1'enleve avec mollesse iPla soutient, et ses doigts de'licats Vont dogarnir la branche qu'elle abaisse. A d'autres soins Volny s'est arrete. Entre ses mains le lait coule et ruissellc ; Et pres de lui son" amante iidele Durcit ce lait en fromage apprete. Airnables soins! travaux doux et faciles 1 ! Vous occupez en donnant le ropos ; Bien dilTe'rents du tumulte des villes, Ou les plaisirs deviennent des travaux. .Lc dieu du jour, poursuivant sa carriere, Regne en tyran sur 1'univcrs soumis. Son char de feu brule aulant qu'il eclaire, Et ses rayons, en faisceaux reunis, D'un pole a 1'aulrc embrasent riieinisjtliere. i. Tout ce tableau pastoral uons parait aiijonrd'liui fade ct ina- nirir : c'ctait le gout du temps, et presque tons les puctes du xviii* tiiecle mil donni: dans le iiieine travers. 140 LA JOURNEE CHAMPETRE Heureux alors, heureux le voyagcur * Qui sur sa route aperroit nn bocage Ou le zephyr, soupirant la fraicheur, Fait tressaillir le mobile feuillage ! Un bassin pur s'etendait sous 1'ombrage. Je vois tomber les jaloux velements, Qui, denoues par la main des amants, Restent epars sur 1'horbe du rivage. Un voile seul s'etend sur les appas; Mais il les couvre et ne les cache pas 1 . Des vetements tel fut jadis 1' usage. Laurc et Talcis, en depit des chaleurs, A la prairie ont derobe ses fleurs, Et du bassin ils couvrent la surface 2 . 1. Edition de 1779 : Les feux du jour et le raeme dessein Avaient conduit sur les Lords du bassin Tons nos bergers etendus sous rombrapre. Je vois tomber. . . . Kt no les cache pas . L'oMl entrevoit, I'esprit voit davantage. 2. 11 ya daos 1'editioii de 1779 une leron differente et meilleure De mille fleurs qui couvrent le gazon, Laure et Dacis vout faire la moisson, Et du bassin tapisseut la surface. LA JOURNEE CHAMPETRE 141 L'onde gcmit ; tons les bras depouilles Glissent deja sur les flots emailles, Et le nageur laisse apres lui sa trace. En vain nies vers vondraient pcindre leurs jeux. Bientot dn corps la toile obeissante Suit la rondeur et les contours moellcux. L'amant sourit, et devore des yeux De mille attraits la forme seduisante *. Lorsque Zulmis s'elanca bors du bain, L'lienreux Volmon 1'essuya de sa main. Qu'avec douceur cette main tomeraire Se promenait sur la jeune bergere, Qui la laissa recommencer trois fois! Qu'avec transport il pressait sous ses doigts Et la rondeur d'une cuisse d'ivoire, Et ce beau sein dont le boulon naissarit Cbercbe a percer le voile transparent! Ce doux travail fut long, coimne on pent croire; Mais il finit. Bientot de toutes parts 1. C'est sans doule a ce rtJcit qu'appartienucnt ccs vcrs dc IVdilion de 1779, cites dans le Mrrcitre : Cos traits cich('s, ces charines arrondis, Sons le monclioir toujottrs cusevelis, L'onde ;'i loisir les baiguc et les ariose. U2 LA JOURNEE CHAMPETRE La modestie eleve des rcmparts Entre Tainan te et Tainan t qui soupire. Volmon les voit, ct je Tentends maudirc Get art heurcux de cacber la laideur, Qu'on decora du beau noni de pudeur. Volny s'avance, et prenant la parole : Par la chaleur retenus dans ces lioux, Trompons du moins le temps par quelques jeux, Par des recks, par un conte frivole. On sail ' qu'Ilercule aima le jeune Hylas. Dans ses travaux, dans ses courses peniblcs, Ce bel enfant suivait toujours ses pasj II le prenait dans ses mains invinciblesj Ses ycux alors se inontraient moins terribles; Le ler cruel ne convrait plus son bras; Et Tunivers, et Venus, ct la gloirc, Etaient dejii bien loin de sa inemoire. Tous deux un jour arrivent dans un bois Ou la cbaleur ne po*.vait s'introduire; En attendant le re tour de Zepbire, 1. Parny a pris ici Theocrite pour guide; et il faut avouer, sans partialite pour les auciens, que 1'iiiiitation est inferieiue a 1'origiual. Que 1'ou compare, pour s'en assurer, 1'idylle treizieiiie du poele grec. Le meme sujet a etc traite avec Lien du talent par A. CLiinier (idylle xi). LA JOURNEE CHAMPETRE 143 Le voyageur y dormait quclquefois. Notre heros sur 1'herbe fleurissante 1 Laisse tomber son armure pesante 2 , Et puis s' allonge, et respire le frais, Tandis qu'Hylas, d'une main diligente, D'un diner simple ayant fait les apprets, Dans le vallon qui s'etendait aupres S'en va puiser une eau rafraicbissante 3 . II voit de loin un bosquet d' Grangers, Et d'une source il entend le murmure. 11 court, il vole oil cette source pure Dans un bassiri conduit ses flots le"gers. De ce bassin les jeunes souveraines Quittaient alors leurs grotles souterraines; Sur le cristal leurs membres deployes S'entrelacaient et jouaicnt avec grace : Us fendaient 1'onde, et leurs jeux varies, 1 . 11 a employe la meme cpithete dans les Galuntcries : Tant&t sur le bord des ruisseaux, Couche daus 1'herbe fleurissaute, De ses pleurs il grossit leurs tlots. I. 11 fandrait son arme, sa ma&sue : Ilercule ii'avait point d'ur- mure. 3. THiocwTE, X, 36 : K' w^iO YXot; o 5*>0^ V'Jcup iiriiJopiriov oc?uv< 144 LA JOURNEE CHAMPETRE Sans la troubler, agilaicnt sa surface. Hylas arrive, une cruche ' a la main, Ne songeant guere aux Nymphes qui 1'admirent; . II s'agenouille, il la plonge; et soudain Au fond des caux les Naiades I'attirent. Sous un beau ciel, lorsque la nuit parait, Avez-vous vu 1'etoile elincelante Se detacher de sa voute brillante 2 , Et dans les (lots s'elancer comme un trait? Dans un verger, sur la fin de 1'autoinne, Avez-vous vu le fruit, des qu'il murit, 1. L'annotatenr dn Parny de la collection Lefevre, que nous avons sonvcut pris pour guide, pretend que le mot criiche n'est pas ele- gauiment choisi. N'aimerait-on pas miem, dit-il, line urue dans la uiaiii? Qu'on nous perinette, pour cette fois, de u'etre pas de son avis. 2. THEOCRITE, XlII, 49 :J .... KarvjoiTrt (J I; (u'ioc* v^uo a9poo;, &>; ox.a Trv^^i; a?r ovpavw -/'OITTEV a^T/;p aOpoo; tv jrovTu. Parny emploie la meine comparaison, mais en variant 1'expres- sion, dans le troisieine chant dV*e/, quand il decrit Ornof conrant avee rapidite dans les rangs ennemis; et aussi dans le premier cLant du Paradis perdu : Rapide, il tombe aiiisi qu'un mcteore Qui fend les airs. . . . Ici la route serait peut-etre raienx que sa rofite. LA JOURNEE CHAMPETRE 145 Quitter la branche ou longtemps il pendit, Pour se plonger dans 1'onde qui bouillonne? Soudain il part, et 1'ceil en vain le suit. Tel disparait le favori d'Alcide. Entre leurs bras les Nymphes 1'ont recu, Et, I'echauflant sur leur sein demi-nu, L'ont fait entrer dans le palais humide. Bientot Hercule, inquiet et trouble", Accuse Hylas dans son impatience; II craint, il tremble ; et son coeur desole" Connalt alors le chagrin de 1'absence. II se releve ; il appelle trois fois, Et par trois fois, comme un souffle insensible, Du sein des flots sort une faible voix *. II rentre et court dans la foret paisible, II cherche Hylas : 6 tourment du desir 2 ! Le jour de"ja commencait a s'enfuir ; Son ame alors s'ouvre toute a la rage ; I. THEOCRTTE, idyl, x, 55: XfKptrpvavix'Jot; Se , TapaTTOutvo; irtpc iraeJt, Tpi; pcv T).av otvatv, . . . ........ apoua o' "xe~o '<;-/. 4 u^atoj. 2. Ibid., 65 : llat'Ja iroSwv Ot-Ji'varo, . . . 6 LA JOUK5EE CHAMPtTRE * La tore an Ion ntentit sous ses pas l ; DCS pkurs krula&ts aflonncnt SOB visagt; Tmibie. il trie : flyte.' flytej Bytes.' * Da fend des facts redwiepand : By las' Et cepewfaat ks fafitacsifiaaes Sar Ion's aenoax tenaieBt FaiiBable enianl, * Lai prttfi^aaaait ks ptos dooces care^es, El i HUM ar^i gear inajmin tmnhtant 1 . Votej M; ks vanes bergeres mat ne compcenaient 1/flifiBntc, 9 dmmnte (Tafliciirs, Daas ies pbtani a'ctait pas scrapoleitse : He w* aMs b pOMtare fieose - . BzBBer ks recx 7 ecovter ct iwtgir : Mi_= .___ : : . ._.... LA JOU3?EE CHJLMPET1E 147 Lorsqae enaye des kaisers de sa befie, 1MB * Mkfle earns frit pw de, Sat TOII aflfige ct n'a nm de knchanL Corobiai de fats, vif rf feger Catale, En vous tisant je n*3ssas poor TOSS! Canteen de bis, wfciptomi TibuBe, rai repooss^, dans mes jitiks degoate, Ges TCTS beoreux qm devenaieBt Bains El iB cacore, A desk Virgik! Votre ame ample, et naive, et tranquiBe, Adoocconnu la fureur de oes gouts 5 ? Poor Capdm tpaA ms qmUez les Graces, Cessez TOS charts, tt roupssez du moias s . I. Hbdh, vdM. b MriUi tft 4Oot Mft 4e Mfa, a stra- pm PBKT Mantiiiux, et a fkit nt&me one fpeoe TFp'trr Ar n"esl poart tare ^Tmmenr lesere, Aprn bebe, ami Naaesis ct Nefae : Ei Htee airtre XDGVT.... U ais k il5 de Veans EEaoe e n^jj IT mil k itom ^e Maxaiins, 1 . .>,>:... i. TAX Je sue teote de TOOS < IBMBL, wjcwe pa le ]K*ie, euh pmrtnit wiDem. fin a fad pttfot Urn mautmaai a Tii'ulit. i Tirr .k . i Cttolk. U8 LA JOURNEE CHAMPETRE On suit encor vos lecons efiicaces; Mais, pour les suivre, on prend de justes soins, Et Ton se cache en marchant sur vos traces. Vous m'entendez, pretresses de Lesbos, Vous, de Sapho disciples renaissantes? Ah ! croyez-moi, retournez a Paphos, Et choisissez des erreurs plus touchantes. De votre cceur ecoutez mieux la voix; Ne cherchez point des voluptes nouvelles. Malgre vos vceux, la nature a ses lois, Et c'est pour nous que sa main vous lit belles. Mais revenons a nos premiers plaisirs, Tournons les yeux sur la troupe amoureuse Qui dans un bois, refuge des zephyrs, Et qu'arrosait une onde paresseuse, Vient d'appreter le rustique repas. La proprete veillait sur tons les plats. La jeune Flore, avec ses doigts de rose, Avait de fleurs tapisse le gazon. Le dieu du vin dans le ruisseau depose Ce doux nectar qui trouble la raison : A son aspect 1'appetit se reveille. de nc plus faire de vers pareils, on de rougir d'eu avoir fait? raais on pent bien leur dire qu'on les aimerait davautage s'ils enssent etu deli cats. LA JOURNEE CHAMPETRE 149 Le fruit parait ; de feuilles couronne, En pyramide il remplit la corbeille; Et clans 1'osier le lait emprisonne Blanchit aupres de la peche vermeille 1 . De ce repas on bannit avec soin Les froids bons mots toujours prevus de loin, Les longs details de 1'intrigue nouvelle, Les calembours si goutfe dans Paris, DCS compliments la routine eternelle, Et les fadeurs et les demi-souris. La Liberte* n'y voulut introduire Que les plaisirs en usage a Paplios ; Le Sentiment dictait tous les propos, Et Ton riait sans projcter de rire. On termina le festin par des chants. La voix d'Kgle, molle et voluptueuse, Fit retentir ses timides accents; Et les soupirs de la flute arnoureuse, Moles aux siens, paraissaient plus touchants. L'eau qui fuyait, pour la voir et 1'entendrc, Conune autrelbis ii'arreta point son cours; 1. L'autenr a place celle avoiilurc ait printeraps; car il dira plus loin qnc I'orme u'est pas encurc en fleur, et se couvre d'nn tcndrc f Mais tout-a-coup le Zephyr empresse" Vient se poser sur la tige naissante, Et par ses jeux le roseau balance Forme dans 1'air une plainte mourante. \. L'nn et 1'autre pied apparemment. 2. OVIDE : \ix prece finila, torpor grnvis alligat artus; Mollia cinguntur temi proecurdia libro ; In frondem crines, in ramos brachia crescnnt. Pe$, modo tarn velox, piijris radicibus hteret. 9. 154 LA JOURNEE CHAMPETRE Ah! dit le dieu, ce soupir est pour moi; Trop tard, helas ! son cceur devient sensible. Nymphe chcrie et toujours inflexible, J'aurai du moins ce qui reste de toi. Parlant ainsi, du roseau qu'il embrasse Ses doigts tremblants detachent les tuyaux; II les polit, et la cire tenace Unit entre eux les diflerents morceaux 1 . Bientot sept trous de largeur inegale DCS tons divers out lixe Tintiirvalle 2 . Sa bouche alors s'y colle avec ardeur. Des sons nouveaux 1'heureuse inelodie, De ses soupirs imitant la douceur, .> Retenlissait dans son ame attendrie. Reste adort de ce que faimais tant, S'ecria-t-il, rdsonne dans ces plaines; 1 . VIHGILE, Egl. ii : Pan primus calamos cera conjungere plures Institu.it. . . . 2. OVIDE, dans la fable de Syrinx : Atque ita disparibus calamis compagine ceres Inter se junciis. . . . VIRGILE, Egl. ii : Est mihi disparibus septem compacta cicutis Fistula. . LA JOURNEE CHAMPETRE 155 Soir et matin tu rediras mes peines, Et des amours tu seras I' instrument. Je le vois trop, reprit la jeune Laure, On ne saurait commander aux amours. Apollon meme et tous ses beaux discours Ne touchent point la Nymphe qu'il adore. Non, dit Florval, et sur le Pinde encore Ses nourrissons, de lauriers couronne"s, Trouvent souvent de nouvelles Daphne's. La vanit^ sourit a leur hommage, On leur prodigue un eloge flatleur; Mais rarement de 1'amour de 1'ouvrage La beaute* passe & 1'amour de 1'auteur. Lorsque Sapho prenait sa lyre, Et lui conflait ses douleurs, Tous les yeux re"pandaient des pleurs. Tous les c(Eurs sentaient son martyre. Mais ses cliants aimes d' Apollon, i) Ses chants heureux, pleins de sa flamiw Et du de'sordre de son ame, Ne pouvaient altendrir Pliaon. Callus, limit la muse toui liante Peignait si bien la voluple', Callus n'en ful pas moins quitte; Et sa Lycoris inconstante io6 LA JOUKNEE CHAMPETRE Suivitj en de"pit des hivers *, Un soldat robuste et sauvage Qui faisait de moiiis jolis vers, Et n'en plaisait que mioux, je gage. Petrarque (a ce mot un soupir Echappe a tous les coeurs sensibles), Petrarque, dont les chants flexibles Inspiraient partout le plaisir, N'inspira jamais rien a Laure ; Elle fut sourde a ses accents ; Et Vaucluse repete encore Sa plainte et ses gemissements. Waller soupira pour sa belle Les sons les plus melodieux; II parlait la langue des dieux, Et Sacharissa fut cruelle 2 . Ainsi ces peintres enchanteurs, Qui des amours tiennent 1'ecole, De 1' amour qui fut leur idole N'eprouverent que les rigueurs. 1. VIRGILE, Egl. x : Alpinas, ah dura! nives et frigora Ekeni Me sine sola vides. . . . 2. Norn poetiqne sous lequel "NValler a celebre les atUaits et aussi la cruaute de lady Sydney. LA JOURNEE GHAMPET11E Io7 Mais leur voix touchante et sonore S'est fait entendre a 1'univers; Les Graces ont appris leurs vers, Et Paphos les redit encore. Leurs peines, leurs chagrins d'un jour , Laissent une longue memoire ; Et leur muse, en cherchant 1'amour, A du moins rencontre la gloire. Florval ainsi critique les erreurs Dont il ne peut garantir sa jeunesse, Car trop souvent, aux rives du Pennesse; Pour le laurier il neglige les fleurs. De ces recits renchainement paisible Du trisle amant redoublait le chagrin; 11 observait un silence penible. Tie sa maitresse il se rapproche eniin : Rassurez-vous;-je vais par mon absence Favoriser vos innocents projets. 11 n'est plus temps d'eviter ma presence ; J'ai pe'netre' vos innocents secrets. Un autre plait, et Laure est iniidele. A vos regards une autre est la plus belle. En lui pai lant, vous avoz soupire. Vous 1'ecoulicz, et vous u'ecoutiez qu'elle. 158 LA JOURNEE CHAMPETRE Aimez en paix ce rival adore". Soyez heureux dans votre amour nouvelle. Oubliez-moi. Je vous imiterai. Volny s'eloigne, et, pour cacher ses larmes, Du bois voisin il cherche 1'epaisseur. Laure en gemit; les plus vives alarmes Vont la punir d'un moment de rigueur. La vanite se trouvant satisfaite, Bientot 1' Amour parle en maitre a son coaur : Elle maudit sa colere indiscrete, S' accuse seule, et cache de sa main Les pleurs naissants qui mouillent son beau sein. Le regard morne et fixe sur la terre, Volny deja, seul avec son ennui, Etait entre dans la meme chaumiere Que sa maitresse habitait avec lui. Faible, il s'assied sur ce lit de feuillage Si bien connu par un plus doux usage. Lh tout-a-coup, au milieu des sanglots, Son cocur trop plein s'ouvre, et. laisse un passage A la douleur qui s' exhale en ces mots : Ah ! Je lirais d'un 03il sec et tranquille De mon trepas I'arret inattendu ; Mais je succombe a ce coup imprevu, Et sous son poids je demeure immobile. LA JOURNEE CHAMPETRE 159 Oui, pour jamais je renonce aux amours, A ramitie" cent fois plus criminelle; i) Et dans un bois cachant mes tristes jours, Je ha'irai : la haine est moins cruelle. Tous ses amis entrent dans ce moment. Le cffiur rempli de crainte et d'esperance, Laure suivait; elle voit son amant, Et dans ses bras soudain elle s'elance. L'ingrat Volny, presse" de toutes parts, Ne voulut point se retourner vers Laure; II savait trop qu'un seul de ses regards Eut obtenu ce pardon qu'elle implore. Ah ! dans tes yeux mets au moins tes refus. Je suis trahi; non, vous ne m'aimez plus! Sa main alors repousse cette aniante, Qui d'un seul mot attendait son bonheur; Mais aussitot, condamnant sa rigueur, II se retourne et la voit expirante. A cet aspect, quelle fut sa douleur ! II la saisit, dans ses bras il la presse, Etend ses doigts pour re"chaufler son C03ur. Lui parle en vain, la nomme sa maitresso. Et de baisers la couvre avec ardeur. De ces baisors 1'amoureuse chaleur Rappelle enHii la bergere a la vie; Elle renalt, et se voit dans ses bras. 160 LA JOURNEE GHAMPETRE Quel doux moment! son ame trop ravie Hetourne encore aux portes du trepas ; Mais son ami, par de vives caresses, Lui rend encor 1'usage de ses sens. Qui peut cornpter leurs uouvelles promesses, Leurs doux regrets, leurs transports renaissants? Chaque temoin en devint plus fidele. Egle surtout regardait son amant, Et soupirait apres une querelle, Pour le plaisir du raccornmodement. La troupe sort; et chacun dans la plaine S'en va tresser des guirlandes de fleurs. Avec plus d'art mariant les couleurs, Deja Talcis avail fini la sienne, Quand sa maitresse, epiant le moment, D'entre ses doigts 1'arrache adroitement, La jette au loin, sourit, et prend la fuite ; Puis en arriere elle tourne des yeux Qui lui disaient : Viens done a ma poursuile '. II la comprit, et n'en courait que mieux. Mais un faux pas fit. tomber la bergere, Et du zephyr le souffle temeraire I. VlRGILE : Et fugit ad salices, et se cupit ante videri. LA JOURNEE CilAMPETRE i61 Vint devoiler ce qu'on voile si bien. On vit, Egle !... Mais non; Ton ne vit rien : Car ton amant, reparant toutes choses, Jeta sur toi cles flours a pleines mains, Et dans 1'instant tous ces charmes divins Furent caches sous un monceau de roses. De ses deux bras le berger qui sourit Entoure Egle, pour mieux cacher sa honte ; Et ce faux pas rappelle a son esprit Ce recit court, et qui n'est point un conte. Symbole lieureux de la candeur, Jadis plus modeste et moins belle, Du lis qui naissait aupres d'elle La rose eut, dit-on, la blancheur 1 . )> Elle etait alors sans epiric, C'est un fait. Ecoutez comment Lui vint la couleur purpurine ; J'aurai conle dans un moment. Dans ce siecle de 1'innocencc, Ou les dieux, un peu plus luimains, 1. Tins loin il (lira dans le poeuie de.s Fleurs : Dans ce moment la rose prit uaissance ; D'un jeune lis elle avail la blancheur. LA JOURNEE GHAMPETRE Regardaient avcc complaisance L'univers sortant de leurs mains, Ou 1'homme, sans aucune etude, Savait tout ce qu'il faut savoir, Ou 1'amour etait un devoir, Et le plaisir une habitude ; Au temps ou Saturne re"gna, Une belle au matin de 1'age, Une seule (notez cela), Fut cruelle, malgre 1'usage. L'histoire ne dit pas pourquoi ; Mais elle avail rev6, je gage ; Et crut apres de bonne foi Qu'etre vierge c'est etre sage. Je ne veux point vous raconter Par quel art 1'enfant de Cythere Conduisit la simple bergere A ce pas si doux a sautcr. Dans une avenlure amourcuse, Pour le conteur et pour 1'amant )) Toute preface est emmyeuse : Venons bien vite au denoument. Elle y vint done ; et la verdure Recut ses charmes faits au tour, Qu'avait arrondis la Nature Expres pour les doigts de 1' Amour. LA JOURNEE CHAMPETRE 163 Alors une bouche brulante Effleure et rebaise a loisir Ces appas voues au plaisir, Mais qu'une volupte" naissante N'avait jamais fait tressaillir. i) La Pudeur voit, et prend la fuite ; Le berger fait ce qu'il lui plait; La bergere tout interdite Ne conceit rien h ce qu'il fait. )> II saisit sa timide proie ; Elle redoute son bonheur, Et commence un cri de douleur ;> Qui se tcrmiije en cri de joie. Cependant du gazon naissant Que foulait le couple folatre, Une rose etait 1'ornement : Une goutte du plus beau sang > Rougit tout-a-coup son albiitre. Dans un coin le fripon d'Amour S'applaudissail de sa victoire ; Et voulant de cet heureux jour Laisser parmi nous la memoire : Conserve a jamais ta coiileur, Dit-il a la rose nouvi lie ; De tes sceurs deviens la plus belie; sois desormais la flcur ; 164 LA JOURNEE CHAMP&TRE Ne crois qu'au mots on la nature Renait an souffle du jmntemps, Et d'une beaute de quinze am Sois le symbole et la peinture. n Ne tc laisse done plus cueiUir Sans faire eprouver ton epine ; Et qu'en te wyant on devine Qu'il fuut acheter le plaisir. Ce recit n'est point men ouvrage, Et mes yeux 1'ont hi dans Paplios A mon dernier pelerinage. En aposlille etaient cesjriots : )> Tendres amants, si d'aventurc )) Vous trouvez un bouton naissant, >) Cucillez; le bouton en s'ouvrant )) Vous guerira de la piqure. Florval alors s'assied centre un orineau. Sur ses genoux ses deux mains rapprochees Tiennent d'Egle les paupieres cacliees, Et de son front portent le doux fardeau. Tous a la fois entourent la bergere, Qui leur presente une main faite an tour, El les invite a frapper tour-a-tour. Nai's approche el frappe la premiere ; LA JOURNEE CHAMPETRE 165 Pour mieux tromper elle ecarte les doigts, Et sur le coup fortemerit elle appuie. La main d'albatre en fut un pen rougie. Egle se tourne, examine trois fois, Et sur Volmon laisse tomber son choix. Ce n'est pas lui ; replacez-vous encore. Elle obeit, et soudain son amant Avec deux doigts la louche obliquement. 0!i ! pour le coup, j'ai bien reconnu Laure. Vous vous trompez, lui dit-on sur-le-champ ; Et Ton sourit de sa plain te naive. Deja Zulmis leve une main furtive ; Mais le joueur 1 , moins juste que galant, Ouvre ses doigts, et permet a la belle De 1'entrevoir du coin de la prunelle. Cette fois done Egl6 devine enfin. L'autre a son tour prend la place, et soudain Sur ses beaux doigls qui viennent de s'etendre Est depose" le baiser le plus tendre Oh ! c'est Volmon, je le reconnais la! Volmon se tut, mais son souris parla. Sur le ga/.on la troupe dispersce Goutait le frais (jui lombait des rameaux. I. C'est Florval iju'il designe par le mot joueur, >{M cst impropre et rend le recit obsciir. 166 LA JOURNEE CHAMPETRE Volmon rfevait a des plaisirs nouveaux., Et ce discours de" voila sa pense'e : L'histoire dit qu'ft la cour de Cypris On celebrait une fete annuelle, Ou du baiser on disputait le prix 1 . On choisissait des belles la plus belle, Jeune toujours, et n'ayant point d'amant. Devant 1'autel sa main pretait serment; Puis, sous un dais de myrte et de feuillage, Des combattants elle animait 1'ardeur, Et dans ses doigts elle tenait la fleur Qui du succes devait etre le gage. Tous les rivaux, inquiets et jaloux, Formant des vo3ux, arrivaient a la file ; Devant leur juge ils ployaient les genoux; Et cbacun d'eux sur sa boucbe docile De ses baisers impriraait le plus doux. Heureux celui dont la levre brulante Plus mollement avail su se poser ! Heureux celui dont le simple baiser Du tendre juge avail fait une amanle! Soudain sur lui ses regards se fixaient, El lous peignaienl le desir et 1'envie; 1. L'idee de ce rlcit est prise dans 1'idylle xn de TLeocrite, vers 30 et suivantSj et daus le I'astor fido, acte II, sceue i. LA JOURNEE CHAMPETRE 167 A ses c6te"s les fleurs tombaient en pluie; Les cris joyeux, qui dans 1'air s'elancaient, Le faisaient roi cle I'amoureux empire ; Son nom cheri, mille fois re'pete', De bouche en bouche etait bientot porte, Et chaque belle aimait a le redire. Le lendemain, les filles a leur tour Recommencaient le combat de la veille. Que de baisers prodigue"s en ce jour ! L'heureux vainqueur sur sa bouche vermeille De ces baisers comparait la douceur ; n Plusieurs d'entre eux surpassaient son attente; Ses yeux, remplis d'une flamme mourante, Laissaient alors deviner son bonheur ; Ses sens, noyes dans une longue ivresse, Sous le plaisir languissaieut abattus; Aussi le soir sa bouche avec mollesse S'ouvrait encore et ne se fermait plus. Renouvelons la fete de Cylhere ; De nos baisers essayons le pouvoir ; Dans 1'art heureux de jouir et de plaire, On a toujours quelque chose a savoir. Non, dit gl^, ce galant badinage i> Ne convient plus des qu'on a fait un choix ; i) Le tenure Amour ne veut point de portage; 168 LA JOURNEE CHAMPETRE - w Et tout ou rien est unc de ses lois. Zephyre alors, commencant h renaitre, Vient mode"rer les feux brulants du jour; Chacun retourne a son travail champetre, Disons plutot a celui de 1'amour. Bois favorable, et qui jamais peut-etre N'avais prete ton ombre a des heureux, Tu fus alors consacre par leurs jeux. Coucbe sur I'berbe entre les bras de Laure. Volny mourait et renaissait encore; Et sous ses doigts la pointe du couteau Grava ces vers sur le plus bel ormeau : Vous qui venez dans ce bocage, A mes rameaux qui vont fleurir Gardez-vous bien de faire outi-age; Respectez mon jeune feuillage; 11 a protege le plaisir. Uri lit de fleurs s'etendait sous I'ombrage 1 ; Ce peu de mots en expliquait 1' usage : (( Confident de mon ardeur, Bosquet, temple du bonheur, * 1. II a dcja dit, p. 140 : Uu bassiu pur s'etendait sous l'oml)rage. LA JOURNEE CHAMPETRE 169 Sois toujours tranquille et sombre ; Et puisse sou vent ton ombre )) Cacher aux yeux des jaloux Une maitresse aussi belle, Un amant aussi lidele, Et des plaisirs aussi doux ! De ses rayons precipitant le reste, Phebus touchait aux bornes de son cours, Et s'en allait dans le sein des amours Se consoler de la grandeur celeste; Son disque d'or qui rougit 1'liorizon Ne se voit plus qu'a travers le feuillage; Et, du coteau s'eloignant davantage, L'ombre s'allonge et court dans le vallon 1 . Enfin la troupe, au cbiiteau retournee, De la cite" prend le chemin poudreux ; Mais tous les ans elle vient dans ces lieux Renouveler la champetre Jem-ne'e. EPILOGUE C'^tait ainsi quo ma muse autrefois, Fuyant la ville et cherchant la nature, 1 . VIROILE : Mnjorcsqne cadunt altis de uwntibus umbra:. \0 170 LA JOURNEE CHAMPETRE De 1'age d'or retracait la peinture, Et s'egarait sous 1'ombrage des bois. Pour y chanter, je reprenais encore Ce luth facile, oublie de nos jours, Et qui jadis dans la main des Amours Fit resonner le nom d'Eldonore. Mon cceur nai'f, mon cceur simple et trompe, N'ayant alors que les gouts de 1'enfance, A tous les cceurs pretait son innocence. Ce reve heureux s'est bienlot dissipe\ D'un doigt leger pour moi la Parque file Depuis vingt ans de cinq autres suivis; La raison vient, j'entrevois les ennuis Qui sur scs pas arrivent a la file. Mes plus beaux jours sont done evanouis! Illusions, qui trompez la jeunesse, Amours na'ifs, transports, premiere ivresse, Ah ! revenez. Mais, helas ! je vous perds j Et sur le luth mes mains appesanlies Veulent en vain former de nouveaux airs. 11 n'est qu'un temps pour les douces folies; 11 n'est qu'un temps pour les aimables vers; LES FLEURS Vous trompiez done un amant empresse, Et c'cst en vain que vous m'avez laisse" D'un prompt retour 1'esperance flatteuse? De nouveaux sqins vous fixent dans vos bois, De cotte absence 1 , lielas! trop douloureuse, Vos dcrits seuls me consolent parfois : Je les relis, c'est ma plus douce etude. N'en doutez point; des les premiers beaux jours, Porte soudain sur 1'aile des Amours, Je parailrai dans votre solitude. I. Cette piece paint- pour la premiere fois dans YAlmauarh deft Mimes de 1780, sous ce litre, leu Fleam, Epilre ii Zelie, et avec ce debut : Quel nouveau soin vous rctient dans vos bois? Loin d'un amant Z,;lie cst-clle heureuse? De cette absence. . . 172 LES FLEUilS Seule ct franquille a 1'ombre des berceaux, Vous me vantez les charmes du rcpos, Et les douceurs d'une sage mollcsse; Vous les goutez. Aussi votre paresse Du soin des fleurs s'occupe uniquement. Ce doux travail plairait a votre amant ; Flore est si belle, el surtout au village! Fixez cbez vous celte beaute volage. Mais ses faveurs ne se donnent janiais : Achclez done, et payez ses bienfails. Des Aquilons connaissez 1'influence 1 , Et de Phebe meprisez la puissance. On vit jadis nos timides a'l'eux L'interroger d'un regard curieux ; Mais aujourd'hui la sage experience A detrompe le credule mortel. Sur nos jardins Phebe n'a plus d'empire. De son rival I'empire est plus reel ; C'est par lui seul que tout vit et respire ; J. VAR Menfaits. CYst a Delille a pcindre la nature; De Saint-Lamhert la voix brillante et pure Nous fit connaitre et cherir ses tresors : Ma faible voix va chanter saparure; Pretez 1'oreille a ses nouveaux accords. LES FLIiURS 173 Et le parterre ou vont naitre vos fleurs Doit recevoir ses rayons createurs. Du triste liiver Flore craint la presence 1 ; C'est au printemps que son regne commence. Voyez-vous naitre un jour calme et serein, Semez alors, et soyez attentive; Car du Zephyr le souffle a votre main Peut derober la graine fugitive. De sa bonte 1'eau doit vous assurer : En la noyant, celle qui, trop legere, Dans le cristal ne pourra penetrer, Sans y germer vieillirait sous la terre. L'oignon prefere un sol epais et gras 2 ; Un sol leger suflit a la semence; i. VAR. DPS que 1'hiver, s'eloignant de nos plaines. Les abandonne aux zephyrs renaissaiits, De leurs sachets tirez enfin les graines Qne votre main recueille tous les aus. Mais nne epreuve est alors necessaire : De leur honte 1'eau doit vous assurer. En les noyant, celle qui, trop Ic-pere, Dans le cristal ne pourra peuetier, Sans y genner vieillirait sur la terre. 2. Ce precede trop gpni'-ral fst inexact. Les planter Liiliiciitcs vcn- lent un sol maigrc ft U'ger. 174 LES FLEURS Confiez-lui votre douce esperance, Et de vos fleurs les germes dclicats. Mais n'allez point sur la graine e"tou(Tee Accuinuler un trop pesant fardeau ; Et, sans tarder, arrosez-la d'une eau Par le soleil constamment echauffee. Craignez surtout que 1'onde en un moment N'entraine au loin la graine submergee. Pour 1'arreter, qu'une paille allongee D'un nouveau toil la couvre e"galement. Par ce moyen vous pourrez aisement Tromper 1'efTort des Aquilons rapides, Et de 1'oiseau les recherches avides. N'osez jamais d'une indiscrete main Toucher la fleur, ni profaner le sein Que chaque aurore humecte de ses larmes ; Le doigt tcrnit la frakheur de ses cliarmes, Et leur fait perdre un tendre veloute, Signe cheri de la virginite". Au souffle heureux du jeune epoux de Flore Le bouton frais s'empressera d'eclore, Et d'exhaler ses plus douces odeurs : Zepliyre seul doit caresser les fleurs. Le tendre amarit embellit ce qu'il louche. Temoin ce jour ou le premier baiser LES FLEURS i75 Fut tout a coup depose sur ta bouclie. Un feu qu'en vain tu voulais apaiser Te colora (Tune rougeur nouvelle; Mes yeux jamais ne te virent si belle. Mais qu'ai-je dit? devrais-je a mes lemons Des voluptes enlremeler 1'image? Reservons-la pour de simples chansons, Et que mon vers de"sormais soil plus sage. De chaque fleur connaissez les besoins. II est des plants dont la delicatesse De jour en jour en jour exige plus de soins. Aux vents cruels derobez leur faiblesse; Un froid leger leur donnerait la mort. Qu'un raur 6pais les defende du nord ; Et de terreau qu'une couche dresse"e Sous cet abri soil pour eux engraisse*e. Obtenez-leur les regards bienfaisants Du dieu cheri qui verse la lumiere. J'aime surtout que ses rayons naissants Tombent sur eux ; mais par un toil de verre De ces rayons mode"rez la clialeur 1 : Un seul suflit pour dessecher la fleur. 1. L'emploi des cloches n'a,pas pourobjet de moderer la chalenr, mais de I'aiigmenter en la concentrant. Et cela est si vrai, que qnel- qnefois il les faut couvrir de paille pour diminuer 1'efiet des rayon.s. 176 LES FLEUHS Dans ces prisons retenez son enfance, Jusqu'au moment de son adolescence. Quand vous verrez la tige s'elever, Et se couvrir d'une feuille nouvelle, Permettez-lui quelquefois de braver Les Aquilons moins a craindre pour elle. Mais couvrez-la quand le soleil s'enfuit. Craignez toujours le souffle de la nuit, Et les vapeurs de la terre exhalees ; Craignez le froid tout-a-coup reproduit, Et du printemps les tardives gelees. Malgre ces~soins, parfois Ton voit jaunir Des jeunes fleurs la tige languissante. Un mal secret sans doute la tourmente ; La mort va suivre, il faut la prevenir. D'un doigt prudent decouvrez la racine ; De sa langueur recherchez 1'origine ; Et, sans pitie, coupez avec le fer L'endroit malade ou blesse par le ver. De cette fleur 1' enfance passagere De notre enfance est le vivant tableau. J'y vois les soins qu'un fils coute a sa mere, Et les dangers qui souvent du berceau Le font passer dans la nuit du tombeau. Mais quelquefois la plus sage culture LES FLEURS 177 Ne pent changer ce qu'a fait la nature, Ni triompher d'un vice enracine. Ce fils ingrat, en avancant en age, Trompe souvent 1'espoir qu'il a donne ; Ou, par la mort tout a coup moissonne, Avant le temps il voit le noir rivage. Souvent aussi 1'objet de votre amour, La tendre fleur se fletrit sans retour. Parfois les flots verses pendant I'oragc Dans vos jardins porteront le ravage, Et sans pitie 1'Aquilon furieux Renversera leurs tresors a vos yeux. Mais quand d'lris 1'echarpe coloree S'arrondira sous la voute des cieux, Quund vous verrez pros de Flore eploivn Le papillon recommencer ses jeux, Sur lours hesoins interrogoz vos plantos, Et reparez le ravage des eaux. Avec uii fil, sur de legers raineaux, Vous soutiendrez leui-s tiges cliancelanles. Cos nouveaux soins, parlages avec vous, Amuseront inon oisive paresse. Mais ces travaux, 6 ma jeune mailresse, Scront iiK'les a des travaux plus doux. 178 LES FLEURS Vous m'entendez, et rougissez peut-etre. Le jour approche ou nos jeux vont renaitre. Hatez ce jour desire" si longtemps, Dieu du repos, dieu des plaisirs tranquilles, Dieu me"connu dans 1'enceinte des villes, Fixez enfm mes desirs inconstants, Et terminez ma recherche imprudente. Pour etre heureux, il ne faut qu'une amante, L'ombre des bois, les flours, et le printemps. ' Printemps ch4ri, doux matin de I'ann^e, Console-nous des ennuis des liivers ; Reviens enlin, et Flore emprisonnee Va de nouveau s'enlever dans les airs. Qu'avec plaisir je compte tes richesses ! Que ta presence a de charmes pour moi ! Puissent mes vers, aimables comrne toi, En les chantant te payer tes largesses! Deja Zephyre annonce ton retour. De ce retour modeste avant-courriere, Sur le gazon la tendre primevere S'ouvre et jaunit des le premier beau jour. A ses cote's la blanche paquerette Fleurit sous 1'herbe, et craint de s'elever. Vous vous cachez, limide violette; Mais c'est en vain : le doigt sail vous trouver; LES FLEURS 179 II vous arrache a 1'obscure retraite Qui recelait vos appas inconnus; Et desline'e aux boudoirs de Cylhere, Vous renaissez sur uri trone de verre, Ou vous mourez sur le sein de V6nus *. L'Inde autrefois nous donna }'ane"mone, De nos jardins ornemont printanier 8 . Que tous les ans, au rctour de 1'automne, Un sol nouveau remplace le premier, Et tous les ans, la flcur reconnaissante, Reparaitra plus belle et plus brillante. Elle naipuit des larmes que jadis Sur un amaiil Venus a ropandues. Larmes d'amour, vous n'etes point pcrdues; Dans celte fleur je revois Adonis. Dans la jacinlhe un bel enfant respire; J'y reconnais le tils de Pierus. II clierche cncor les regards de Phdbus; II craint encor le souffle de Zephyre. 1. Voir p. 24, cette image deji employ6e. 2. Une antre tradition fait iiaitre I'andinoue du sang d'Adouis. Parny a suivi Uiun, 1, 66 : A.Ty.a p'Jaov TC'XTH, to, it jaxpva Tav avcuuvay. 180 LES FLEURS Des feux du jour evitant la chaleur, Ici lleurit rinfortuue Narcisse. 11 a toujours conserve ia paleur Que sur ses traits repandit la douleur : 11 aime 1'ombre a ses ennuis propice, Mais il craint Teau qui causa son mallieur '. N'oubliez pas la brillante auricule. Soignez aussi la riche renoncule, Et la tulipe, honneur de nos jardins, Si leurs parfums nSpondaient a leurs charmes, La rose alors, prevoyant nos dedains, Pour son empire aurait quelques alarmes. Que la houlette 2 enleve leurs oignons 1. Parny se trorape, je crois; le narcisse aime 1'ean. Les poetes grecs, qui en avaient fait 1'observation, Ini donnent les epitbetes de 7P i?, OSaTivo;, oiXop.6f o;. L'auteur pouvait conserver le jeu de la pen- see, en disant que le narcisse aime encore 1'eau qu'il aimait jadis : ce qu'a fait Dorat dans son poeme du Mois de Mai : Narcisse, en s'adorant^ mourut au bord des flots, Et, fleur, il semble eucor se chercher dans les eaux. II y a uue idee pareille dans uue aucienue epigramme latine de Peiitadius. 2. On appelle ainsi nne espcce de Li-che tres-pctile. LES FLEURS 181 Vers le declin de la troisieme annee, Puis detachez les nouveaux rejetons Dont vous verrez la tige environne'e j Ces rejetons fleuriront a leur tour; Donnez vos soins a leur timide enfance; De vos jardins elle fait l'espe"rance, Et vos bienfaits seront paye"s un jour. Voyez ici la jalouse Clytie * Durant la null se pencher tristement, Puis relever sa tete appesantie Pour regarder son infidele am ant. Le lis, plus noble et plus brillant encore, Leve sans crainte un front majeslueux; Hoi des jardins, ce favori de Flore Charme h la fois 1'odorat et les yeux *. Mais quelques fleurs ch6rissent 1'esclavage. L'humble genet, le jasmin plus aime", Le chevrefeuille et le pois parfume I. Ovide, Mtlamorphoses, IV, 26os j'attachai mon destin. Je parcourus Ja vaste Biarmie, La riche Uplande ; et ma robuste main D'un noble sang fut quelquefois rougie. Le nom d'Isnel repandait la terreur, Et 1'etranger a ce nom tremble encore. Un incendie avec moins de fureur Court et s'e"tend sur les champs qu'il de'vore. Mais des combats la sanglante rigueur A la pitie ne fermait point son coeur. Avec la mort son bras allait descendre chevre qui se nonrrit des fenilles de 1'arbre Lerada. De scs mamelles coule de 1'hydromel en si grande abondance, qn'oii en remplit tous les jours une cruche assez vaste pour que tous les lieros aieut large- meut de quoi s'cuivrer. t 1. t Enfer des anciens Scandinaves. (Note de Taniy.) Voyez pins loin, p. 216. il. 190 CHANT I Sur un guerrier qu'il avail terrasse* ; Ce guerrier dit : Malheureuse Ingelse, Surle chemin pourquoi viens-tu m'attendre? Tes yeux en pleurs me cherchent vainement, En vain tes pieds parcourent le rivage ; Plus de retour! sur ce lil de carnage En long sommeil retiendra ton amant. Isnel s'arrete ; a cette voix touchante, Le souvenir de sa maitresse absente S'est reveille* dans son creur attendri, Et le pardon termine sa menace : Sur le rocher telle se fond la glace Que vient frapper le rayon du midi 1 . Dans les moments ou le cri de la guerre N'e"veillait plus sa bouillante valeur, L'amour charmait son repos solitaire ; Sa voix alors chantait avec douceur : Belle Asle"ga, quand 1'aube matinale Leve sa tete au milieu des brouillards, Sur tes cheveux j'altache mes regards. 1. BERNARD DE SAINT-PIERRE; Virginie : t Comme le soleil fond et precipite un rocher de glace du sommet des Apennins, ainsi tomba Ja colere impetueuse de ce jeuoe homme, 4 la voix de 1'objet airne.* ISNEL ET ASLEGA 191 Lorsque du jour la tranquille rivale Jette sur nous son voile tenebreux, Chere Aslega, je baise tes cheveux. Un roi m'a dit : Ma fille doit te plaire ; De nos climats sa beaute fait I'orgueil ; Sa (leche atteint le timide chevreuil; Sa lyre est douce, et sa wix est legcre, De ses amants sois le rival heureux. Mais d'Asldga j'ai baise" les cheveux. Tai vu Rism^ : d'une gorge arrondie Ses cbeveux noirs relevent la blancheur; D'un frais bouton sa bouche a la couleur; Ses longs soupirs et sa m^lancolie Parlent d'amour; 1'amour est dans ses yeux. Mais d'Astega j'ai baise" les cheveux. JR sommeillais : une fille charmante Sur mon chevet se penche avec douceur; Sa pure haleinc est celle de la fleur : Jeune Granger, c'est mot, c'est une amante Qta' de son cozur t'offre les premiers feux. P Mais d'Asldga je baisai les cheveux. Pendant neuf mois sur des rives lointaines 192 CHANT I II promena son glaive destructeur; De I'Oce'an les orageuses plaines Ne tirent point reculer sa valeur. Les rois tremblants 1'invitaient h lenrs fetes, Et leurs trfeors aclietaient son oubli. De ses succes son creur enorgueilli Se proposait de nouvelles conquetes. Un soir, assis pres d'un chene enflammd, II me disait : Ami de mon enfance, Roi des concerts, pourquoi ce long silence ? Parle, retrace & mon esprit charme" Des temps passe's les nobles aventures. Le nom d'Olbrown que tout bas tu murmurcs Pour mon oreille est encore nouveau. A quelques pas s'e"leve son tombeau, Lui dis-je; il dort aupres de son amie. Dans les forets qui couvrent la Scanie Par son adresse Olbrown ^tait connu : Vingt fois de Tours, & ses pieds abattu, Son bras nerveux sut dompter la furiej Frapp^ par lui d'un trait inattendu, Vingt fois des cieux 1'aigle tomba sans vie. Dans Vage heureux d'aimer et d'etre aimc, Aux doux d^sirs son co3ur longtemps ferm6 De la beaute" me'connaissait 1'empire : ISNEL ET ASLEGA 193 II voit Rusla, se de"tourne, et soupire. A ses genoux il portait chaque jour D'un sanglier la hure menacante, Et d'un chevreuil la d6pouille sanglante. II meillait, il obtint son amour. A mes regards tu seras toujours belle, R6pete Olbrown : un sourire charmant Bit que Rusla sera toujours fidele; Et, pour sceller cette union nouvelle, Chacun toucha la pierre du sermcnt '. La nuit descend ; l'e*toile pacifique S'assied au nord sur un lit de frimas. Pres d'un torrent, qui roule avec fracas Scs flots bourbeux, s'eleve un toit rustique; De vieux sapins le couvrent de leurs bras : C'est la qu'Olbrown a dirige* ses pas. Trois fois il frappe, et trois fois il e'coute Si Ton r^pond a ses VCEUX empressds. 11 n'entend rien, et dit : Ses yeux lassds Au doux somraeil ont succomb^ sans doute. n II frappe encore, et soudain il ajoute : 1. MntEvoTi, le UancenWier: f Le lendemain la pierre accoutome'e Avait regu leur sermeut nuptial. 194 CHANT I Belle Rusla, c'est moi; c'est ton amant Qui vient chercher le prix de sa tendresse. Quoi ! du sommeil est-ce la le moment? Reveille-toi, Rusla; liens ta promesse; Ne tarde plus. Un vent impetueux, Un vent glac6 siffle dans mcs cheveux; Sous un ciel pur 1'^toile scintillante Du froid naissant atteste la rigueur. Ne tarde plus; et que ma voix tremblante, Belle Rusla, passe jusqu'a ton co3ur. Un long soupir, e"cliappe de sa bouche, Suivit ces mots : il frappe, et cette fois La porle cede a la main qui la touche. De la pudeur il menagea les droits. Rusla, lionteuse, a voile 1 son visage; Elle rougit de ses premiers desirs, Elle rougit de ses premiers plaisirs. Son jeune sein du cygne offre 1'image, Quand sur un lac, balance mollement, II suit des flots le legcr mouvement. Dans sa tendresse elle est limide et douce ; Tantot ses bras entourent son amant, Tantot sa main faiblcment le repousse; Et son bonheur fut un enchanlement. II dura peu; la trompette e"elatante Le lendemain rappela les guerriers. ISNEL ET ASLEGA 195 Rusla fre*mit, et sa voix gemissante Maudit en vain les combats meurtriers. Olbrown y court. Seule avec sa tristesse Ve"cut alors 1'inquiete Rusla. De noirs pensers affligeaient sa tendresse. Combien de fois de pleurs elle mouilla Ce lit te"moin de sa premiere ivresse ! Combien de fois sa plaintive douleur Redit ces mots e"chapp6s a son cceur ! Dans les combats ne sois point te'me'raire; Grains d'exposer une tele si chere, Crains pour mes jours, et du guerrier puissant Ne brave point le glaive menacant. Mais il te cherche au milieu du carnage; Tu I'attendras; je connais ton courage, Tu 1'attendras : que de pleurs vont couler! Le tre"pas seul pourra me consoler. Jeune heYos, des amants le modele, Dans le sentier ou la gloire t'appelle Tes premiers pas rencontrent le tombeau. Astre charmant, astre doux et nouveau, Tu n'as pas lui longtemps sur la colline; De ton lever que ta chute est voisine ! Tu disparais : que de pleurs vont couler! 196 CHANT I Le tre*pas seul pourra me consoler. A chaque instant, inquiete, ^perdue, Sur un rocher que la mousse a convert Elle s'assied, et du vallon desert Ses yeux en vain parcourent 1'etendue. Si tout-a-coup sur le chemin poudreux Le vent e*leve une e*paisse poussiere, Son co3ur palpite; elle craint, elle esperc; Sa bouche au ciel adresse mille vreux, Et le plaisir brille sur son visage Comme l'e"clair qui sillonne un nuage. Le vent s'apaise : elle voit son erreur, Baisse les yeux, se plaint de son martyre, Laisse echapper urie larme, soupire, Et du rocher descend avec lenteur. Apres six mois un sinistre murmure, Un bruit perfide et trop accredit^, Peignit Olbrown victorieux, parjure, Sur d'autres bords par I'hymen arret^. Par le tre*pas si Ton perd ce qu'on aime, On croit tout perdre : un voile de douleurs S'^tend sur nous; le chagrin est extreme, Et cependant il n'est pas sans douceurs. Mais regretter un objet infidele, ISNEL ET ASLEGA 107 ' Pleurer sa vie et rougir de nos pleurs, C'est pour 1'amour le plus grand des malheurs. Belle Rusla, cette atteinte cruelle Perga ton ame, et depuis ce moment Vers le tombeau tu marchas lentement. Dans les ennuis se fletrirent ses charmes; Ses yeux feints ne trouvaient plus de larmes. toi qu'ici rappellent mes soupirs, Dit-elle enfin, 6 toi qui m'as trahie, Que le remords n'attriste point ta vie ! Tandis qu'ailleurs tu trouves des plaisirs, Moi, je succombe a ma douleur mortelle; D'un long sommeil je m'endors en ces lieux; Et le rayon de 1'aurore nouvelle, Sans les ouvrir, tombera sur mes yeux. L'infortune", qui ne pouvait 1'entendre, Quittait alors les rivages lointains : 11 espe>ait, toujours fidele et tendre, Avftc 1'amour couler des jours sereins. Rusla, mon coBur a garde" ton image; n Ton nom sacre", dans 1'horreur des combats, A fait ma force; et bient&t dans tes bras Je recevrai le prix de mon courage. Disant ces mots, d'un pas prdcipitd II traversait la plaine et le village. 198 CHANT I Un doux espoir brille sur son visage. II voit enfin cet asile e'carte', Ce simple toil qu'il croyait habile* ; Mais a Ten lour regne un profond silence. II entre, il cherche, et cherche vainement. Que fera-t-il ? Inquiet, il balance, Et sur le seuil il s'arrete un moment. De"jji son air devient retfeur et sombre. A quelques pas, sur le bord d'un ruisseau, Ses yeux enlin d^couvrent un tombeau, Qu'un chene e*pais protegeait de son ombre. A cet aspect, de crainte il recula. D'un pied tremblant sur 1'aride bruyere II marche, approclie ; et, penche sur la pierre, II lit : TOMBEAU DE LA JEUNE RUSLA ! Isnel e"coute, et son &me se trouble; A cliaque mot sa tristesse redouble; Mille pensers tourmentaient son esprit. Mais le sommeil sur ses yeux descendit, Et dans un songe il vit sa bien-aimee, Pale, mourante, et d'ennuis consume'e. Le lendemain il dit a ses h^ros : Amis, la gloire a suivi nos drapeaux, Et nos succcs passent notre esperance; n Arretons-nous, et que notre imprudence ISNEL ET ASLEGA 199 Ne risque point le fruit de nos travaux. Avec transport les guerriers obftssent. Au champ natal ils retournent joyeux; Et, deposant 1'acier victorieux, Devant 1'amour leurs courages flechissent. Alors pour moi commenca le bonheur : Chere Aina, des belles la plus belle, A mes regrets je suis encor fidele, Et ton image est toujours dans mon cow. TIV DD CHANT PREUIKH 200 CHANT II CHANT DEUXIEME Egill pleurait. Pour consoler ses larmes, Chacun redit cet hymne des amours, Oh d'AIna lui-me'me en ses beaux jours A consacre" les vertus et les charmes. Ce chant heureux par degres e"claircit Son front charge" d'une sombre tristesso> En souriant, il reprend son re'cit, Et des he"ros il instruit la jeunesse. C'est Isnel seul que cherchent tous les yeux '. II se de'robe a ces soins curieux : De sa maltresse il aborde le pere, Et, d'une voix ensemble douce et fiere, Par ce discours il explique ses voaux : 1. Edition de 1802 : Devant 1'Amour leurs courages fl&hissent: Mais c'est Isiiel que chercheat tous les yeux. ISNEL ET ASLEGA 201 La pauvrete" fut mon seul heritage, Et du besoin j'ai senti la rigueur; Mais des tresors ont paye mon courage, Et d'Astega je merite le cceur. Trente guerriers avaient jure" ma perte, Et contre moi dirigeaient leur fureur; Mais de leur sang la bruyere est couverte, Et d'Asle"ga je me'rite le cceur. Sou vent la foudre e'clata sur ma tele; Le front leve, je 1'attendais sans peur, Et je criais au dieu de la temp&te : Vois, d'AsUga je mtrite le cceur. Sous mon vaisseau que fracassait 1'orage, J'ai vu des mers s'ouvrir la profondeur; Mais je sifflais a 1'aspect du naufrage, Et d'Asl^ga je me"ritais le cceur. D'un roi puissant j'arrachai la couronne : 11 la laissait aux pieds de son vainqueur; Rdgfne, lui dis-je : Asttga te pardonne. D Belle Asldga, j'ai niorit6 ton coeur. Vaillant Isnel, ta demande est tardive, 202 L1VRE II Dit le vieillard : a ma fille pour jamais Du brave ric habile le palais. Que m'apprends-tu? quoi! la fille caplive Esl au pouvoir d'un lache ravisseur? A 1'hymen seul ric doit son bonheur. Elle auraitpu... Dieux! quel hymen pour elle, Et quel bonheur! D'firic Tame est cruelle; Les noirs soupcons y renaissent loujours; Son (Eil esl faux; 1'injure ouvre sa bouche; Ses longs sourcils, son air dur el farouche, Sa voix sinislre effrayaient les amours. Mon amitie protegea son enfance; j> Dans son palais il fixe 1'abondance; Trois cenls guerriers, a ses ordres soumis, Levent leurs bras conlre ses ennemis. \ Qu'un aulre hymen, Isnel, le dedommage : Mille beaulds appellent ton hommage. A ce discours, une sombre douleur Charge son fronl el passe dans son co2ur. Longlemps il marche, erranl el solilaire : Dans le vallon, sur les coleaux voisins, Sans bul il courl, el la seche bruyere Relentissail sous ses pieds incerlains. Ce n'elail plus celle voix douce el lendre Qui de 1'amour exprime le tourment; ISNEL ET ASLEGA 203 Son de"sespoir murmure tristement Des mots sans suite, et 1'on croyait entendre Des flots lointains le sourd mugissement Puis il s'arrete ; appuyg sur sa lance, Morne et terrible, il garde le silence, Et sur la terre il fixe ses regards; Les vents sifflaient dans ses cheveux e"pars. Tel un rocher qu'assiegent les nuages, Triste, s'eleve au milieu des deserts; Ses flancs noircis repoussent les eclairs, Et de son front dcscendent les orages. 11 nomme tine; a ce nom de"teste Son ceil s'ennamme, et sa main d'elle-meme Saisit le fer qui brille a son cote". 11 nomme aussi 1'i n (icicle q if il aiiae Et des soupirs s'dchappent de son sein, Et quelques pleurs soulagcnt son chagrin. Dans les ennuis d'un hymen qu'elle abhorre, Son Asldga, plus malheureuse encore, Ge"mit aussi, rdpand aussi des pleurs, Et dans ces mots exhale ses douleurs : Pardonne, Isnel; un pere inexorable Donna ma main sans e"coutcr mon coeur. 11s sont passes les jours de mon bonheur; lls sont passes, et le chagrin m'accoble. 204 CHANT II Console-toi; seule je dois souffrir, T'aimer encor, te pleurer, et mourir. Pardonne, helas ! quand la rose nouvelle De son calice e"cbappe en rougissant, Elle deraande un souffle caressant : Si tout-a-coup 1'ouragan fond sur elle, A peine eclose on la voit se fle"trir, Languissarament se pencher, et mourir. Pardonne, Isnsl : sur 1'arbre solitaire Une colombe attendait son ami ; Sa douce voix se plaignait a demi : Un aigle etend sa redoutable serre ; Faible, sous 1'ongle on la voit tressaillir, Aimer encor, palpiter, et mourir. Disant ces mots, de la tour eleve'e Ou la retient un epoux odieux, Sur le vallon elle porte les yeux. Mais du soleil la course est acheve'e; Sur I'liemisphere un noir manteau s'etend. Le ciel est froid, orageux, inconstant. Au haut des monts le brouillard s'amoncelc Des vastes mers le bruit sourd est mele Au bruit des vents, au fracas de la grele ISNEL ET ASLEGA 205 Qui rebondit sur le toil e'branle. Bientot du nord les subites rafales Chassent au loin, dispersent les brouillards; Et du milieu des nuages epars L'azur des cieux brille par intervalles. Transi de froid, incertain et trouble", Le voyageur s'e'gare dans sa route j A chaque pas il s'arrete, il e"coute. Mais d'un torrent que la pluie a gonfle" Le malheureux louche enGn le rivage : D'un pied timide il sonde le passage; Un cri s'dchappe, il meurt j les loups errants, L'ours indomplable, et les chiens de vorants, A ce cri seul qu'un triste echo renvoie, Couvrent la rive et demandent leur proie : Tous, en hurlant, suivent ce corps glace", Jusqu'a la mer par le courant pousse". Pour Asldga, cette nuit menacante A des attraits; elle aime son horreur. Mais tout-a-coup une voix ge"missante, La voix d'lsnel, fait tressaillir son cccur : Belle Astega, belle, mais trop coupablo, Pour arriver jusqu'a toi, du guerrier J'ai dqtuse l^lincelant acier. 12 206 CHANT II Je t'ai perdue, et le chagrin m'accable. En d'autres lieux Isnel ira soulfrir, T'aimer encore, et combattre, et mourir. Jouis en paix de ta flamme nouvelle; Que le remords, ce poison des plaisirs, N'attriste point tes volages desirs! Seul je serai malheureux et Gdele. Tu me trains : je ne sais point trahir! Je sais aimer, et combaltre, et mourir. Mais le bonhcur est-il fait pour le crime? Jeune Aslega, crains ton nouvel amour, Crains sa douceur, crains la glace d'un jour; Fragile encore, elle cache un abime *. Adieu, perfide, adieu, je vais te fuir, T'aimer encore, et combattre, et mourir. A ce reproche Asle'ga trop sensible Voulait re'pondre : un bruit inaltendu 1. C'est la meme image que dans ces vers de Roy t * Glissez, mortels; n'appuyez pas : Le precipice est sous la glace. Sur un mince cristal 1'Liver conduit vos pas : Telle est de vos plaisirs Ja legere surface. ISNEL ET ASLEGA 207 Porte 1'effroi dans sen co3ur eperdu. C'est son epoux; mena^ant et terrible, II fait un signe, et sa garde soudain Saisit Isnel, qui re'pe'tait en vain : Faible ennemi, lu m'as vu sans defense; D'acier couvert, entoure" de soldats, Tu fonds sur moi; lache, ose armer mon bras, Et cherche au moins une noble vengeance. Ce fier discours est a peine ecoute*. Dans un cachot Isnel prdcipite Garde longtemps un silence farouche: Le d&espoir enfin ouvre sa bouche : Le jour bientot va rcparaitre, et moi Je vais passer dans la nuit e*ternelle. La nuit! que dis-je? Isnel, reviens a toi : Du Valhalla le grand festin t'appelle ; C'est la qu'on boit la vie et le bonheur *. En m'approchant de ce palais auguste, Dois-je trernbler? non, je fus brave et juste T> Aux yeux d'Odin je paraitrai sans peur. Mais sous la torabe emporter une offense! 1. Cette mStaphore, bllme i tort par le Mercure, est d'nne bonne langue poetiqne. Palissot lui-mirae s'est aper^u qu'il n'aurait pas di critiquer ccs vers du Denya de Marmontel : Sa main d?sesp6r6e M'a fait boire la mort daus la coupe sacrde. 208 CHANT II Dans un cachot en esclave pe*rir! Expirer seul, sans gloire et sans vengeance! A ce penser, de rage on peut palir. Au d&espoir, tandis qu'il s'abandonne, Sur ses deux goncls la porte avec effort Tourne et s'entr'ouvre : il ecoute, il frissonnc, Et puis il dit : Frappe, enfant de la mort. Mais une main caressante et timide Saisit la sienne, et doucement le guide Hors du cachot. Pourquoi difleres-tu, Soldat d'tfric? frappe : j'ai trop ve"cu. Une aulre main sur ses levres s'avance, Et par ce geste ordonne le silence. II obeli, et sort de la prison. L'astre des nuits montait sur 1'horizon, Et lui prStait sa lumiere propice : II reconnait sa jeune conductrice. Cicl! Asle'ga! Moi-me'me. Hate-toi; Fuis; que ton pied louche a peine la terre. Franchis ce mur ; un sentier solitaire Jusqu'au vallon... M'echapper ! etpourquoi? II fut un temps ou j'ai cheri la vie; Je la deleste apres la perfidie. De 1'amour seul on accepte un bienfait; Pour me 1'offnr, quels sont les droib? Je reste. ISNEL ET ASLEGA 200 Jamais mon cceur de cet hymen funeste Ne fut complice, et mon pere a tout fait. Sauve tes jours. Mes craintes sont extremes : Un seul instant peut nous perdre tous deux. Fuis sans retard. Je fuirai, si tu m'aimes. Eh bien ! fuis done. Moment delicieux! Chere Astega, tu detournes les yeux ; Ta main s'oppose a ma bouche e'gare'e. Viens dans mes bras, 6 maitresse adoree! Viens sur ce coeur que seule tu remplis. Eloigne-toi. Tu m'aimes : j'obe"is. II part; le ciel favorisait sa fuite; Des assassins il trompe la poursuite. Je reunis ses guerriers gendreux : Tous font serment de venger son outrage. La haine encore enflainme leur courage; Souvent ric fut injuste pour eux. Bientot Isnel, comme un chene orgueilleux, Leve son- front; sa troupe 1'environne, Et des combats 1'hymne bruyant re"sonne : Frappez ensemble, intrepides piferriers, Et d'un seul coup brisez les boucliers. Malheur h vous si vos glaives s'dmousscnl ! 12. 210 CHANT II Mallieur & ceux dont le pied sans vigueur Quitte un moment le sentier de 1'honneur! L'herbe et la ronce aussitot y repoussent l . Frappez ensemble, intre'pides guerriers, Et d'un seul coup brisez les boucliers. Dans les combats la mort n'est qu'une esclave Obeissante au bras qui la conduit : Elle atteindra le lache qui la full *, Elle fuira devant le for du brave. Frappez ensemble, intre'pides gufirriers, Et d'un seul coup brisez les boucliers. Le brave meurt; sa tombe est honoree; Des chants de gloire 6lernisent son nom* : I. Ce vers rappelle le mot connn de madame Geoffrin : 11 no fant pas laisser pousser Fherbe sar le chemia de 1'ainilie. 5. HORACE : Mors et fugacem persequilur virum. 8. SIWWTDE : Qa'elle est glorieiise la fortane des soldats morts aui ThArmopylesl que leur destines est belle! leur tombeau est un tuteL ISNEL ET ASLEGA 211 Le lache meurt; 1'habitant du vallon Marche en sifflant sur sa tombe ignore. Frappez ensemble, intre"pides guerriers, Et d'un seul coup brisez les boucliers. FIN SU CHANT DEUXIEME 212 CHANT III ' CHANT TROISlfcME La voix d'Egill allumait le courage. A son recit, dans un transport soudain, Chacun re"pond par le cri du carnage, Et sur le fer porte aussit6t sa main '. Nos bataillons s'e"tendaient dans la plaine 2, Reprend tgill, et le roi du destin, Le dieu des dieux, le redoutable Odin *, Etait assis sous cet antique frene *, 1. Ces qiiatre vers ne sent point dans 1'ddition de 1802. 2. Edition de 1802, et dans la Decade, t. X, p. 35 : Nos bataillons s'etendaient dans la plaine. En ce moment, 1'arbitre du destin, Le roi des dieux, le redoutable Odin... 3. t On salt qn'Odin fnt po6te, general, prophete, et enGn dien t des penples du Daneraark, de la Suede et autres pays du Nord. Voyez VHixloire dex gnurernrmenls du fiord, par \\"illiams; YEtldii, etc. (Note de Parny, dans la Decade.) 4. C'est le Irene ydrasil. (Voyez YEdda de Mallet, fable Tin.) ISNEL ET ASLEGA 213 Arbre sacre", dont le front immortel S'eleve et touclie a la voute du ciel. Sur le somrnet un aigle aux yeux avides, Aux yeux percants, aux yeux toujours ouverts, D'un seul regard embrasse 1'univers. Odin recoit ses messages rapides. Incessamment un le"ger e"cureuil Part et revient; la voix du dicu 1'anime; Soudatn du tronc il s'eMance a la cime, Et de la cime au tronc en un clin d'oeil II redescend. Odin, lorsqu'il arrive, Penche vers lui son oreille attentive. Roi des combats, tu rtfglais noire sort, Et des hdros tu pronon^ais la mort. Allez, dit-il, o cbarmanfes Valkyries f , i. Valkyries, fllles d Odin. Elles ^laient trois, presidaient am combats, et ccmduisaient les gueniers raorts avec gloire dans le Valhalla, paradis des anciens peuples du Nord. (Note de Paroy daus la Decade.) Le poete les a decrites pins loin, page 216, et aussi dans le neu- vieme chant de la Guerre des Dieuf : Admirez-vons les trois filles chdries Du fler Odin, les belles Valkyries? Das lances d'or arinent leurs blanches mains ; Blanc est leur casque, et blancbe leur armurt ; Et blancs encor soot leurs coursiers divins; Leur bras toujours porte uue atteiuie sure. * 214 CHANT III De leur tre*pas adoucisscz 1'horreur, Et conduisez leurs ames rajeunies Dans ce palais ouvert h. la valour. Du sombre Eric les phalanges guerrieres Se rassemblaient sur les noires bruyeres. Ses bataillons rcunis et series, En avancant ddployaient par degrcs Un large front : tels on voit des images, Qui dans leurs flancs recclent les orages, S'amonceler sur 1'liorizon obscur, Croitre, s'etendre, et \arier leur forme, S'&endre encore, et sous leur masse dnorme Des vastcs cieux envelopper 1'azur. Aupres d'Eric sont trois chefs inlrdpides, Athol, Evind, Ornof, tous renommes Pour leur adresse, h vaincre accoulurnds, Et des forets devastateurs rapides. Son jeune Ills, 1'aimable et beau Sldrin, Joignant la force aux graces de 1'enfance, Au premier rang impatient s'elance; La voix d'Eric le rappelait en vain. Le Der Athol a ses coles se place, Et par ces mots pcnse nous arreter : Guerriers d'un jour, d'ou viont done volre audace? Faibles roseaux qu'un vent le'ger terrasse, ISNEL ET ASLEGA 215 A 1'ouragan osez-vous insulter? II poursuivait avec plus d'insolence; Mais un caillou qu'Isnel saisit et lance L'atteint au front : il recule trois pas, Ses yeux troubles se couvrent d'un nuage; Un sang e"pais coule sur son visage, Et son ami le soulient dans ses bras. De loin d'abord les guerriers se provoquent; Bienlot leurs fers se croisent et se choquent; De tous coles le casque retentit, L'acier tranchant sur 1'acier rebondit; Les traits brises sur 1'herbe s'amoncelent, Du bouclicr jaillissent mille dclairs, La fleche vole et siffle dans les airs, Des flots de sang sur les armcs ruissellent; L'afTreuse Mort <516ve ses cent voix, Et cent 6chos gemissent a la fois. Quel est ce 13che au front pale et timide? Espere-t-il, par sa fuile rapide, Sc derobcr a la lance d'lsncl? Est-ce en fuyant qu'on dcliappe au tonnerre? Sans gloire il lombe; ct, tourne vcrs la terrc, Son ODil mourant ne revoit pas le del. D'un cri terrible effrayantsa faiblesse} 216 CHANT III Du noir Niflheim 1 la farouche de"esse, Bella *, sur lui s'elance avec fureur. Centre ce monstre il lutte ; un bras vainqueur, Un bras d'airain le saisit et 1'entraine; Sur desglaconsun triple nceud 1'enchainc; Rynsga le frappe, et prolonge sans fin Sa soifardente et son horrible faim 3 . Du Valhalla les belles messageres Planaient sur nous, brillantes et legeres : Un casque blanc couvre leurs fronts divins, Des lances d'or arment leurs jeunes mains, Et leurs coursiers ont l'e"clat de la neige. Du brave Ornof preparez le cortege, Filles d'Odin. Cet enfant des combats, 1. Enfer des anciens Scandinaves. II en a deja et& question, p. ISO. 2. Dans la mytliologie gothique, Hella est la deesse de la mort. Elle flit, dit YEilda, i precipitee dans le Niflheim (les enfers), ou on lui donna le goiivernement de nenf moudes, pour qu'elle y dis- tribue des logements a ceux qni lui sont envoyes, c'est-a-dire a tous ceux qui meurent de maladie ou de vieillesse. > 3. Decade : Du noir Niflheim la farouche d&sse, L'affreuse Hella fond sur lui hrusquement. Centre ce monstre il lutte vainement : Uu bras nerveux le saisit et 1'entraine; Sur des glacons un triple noeud 1'enchaine, Et la, tremblant, a la soif, a la faim, II est livre sans relache et sans fin. ISNEL ET ASLEGA t 217 Foulant les corps des guerricrs qu'il terrasse, D'une aile a 1'autre, et sans choix et sans place, Porte le trouble ct seme le trepas. Ces feux subits qui flans la nuit profonde Fendent les airs et traversdhl les cieux, Semblent moins prompts 1 : Ornof s'eteint comme eux. Isnel a vu sa fureur vagabonde, Et fond sur lui, 16ger comme 1'oiseau : Scaldcs sacres 2 , elevez son Wmbeau. En brave il meurt, les belles Valkyries, Du grand Odin confidentes cheries, En les touchant rouvrent soudain ses yeux; Un sang plus pur deja gonfle ses veines; Du firmament il traverse les plaines, Et prend son vol vers le sejour des dieux. Du Valhalla les cent portes brillantes S'ouvrent : il voit des campagnes riantes, De frais vallons, des coteaux fortunes, D'arbres, de fleurs, et de fruits couronnes. La, des heros a la lutte s'exercent, D'un pied le"ger francbissent les torrents, Cbassent les daims sous le feuillage erranls. Croisent leurs fers, se frappent, se renversent ; 1. Voycz page 141. 2. Voir page 186. 13 218 CHANT 111 Mais leurs combats ne sont plus quo dcs jeux ; La pale Mort n'entre point dans ces lieux. D'autres, plus loin, sont assis sous 1'ombrage f Des temps passes ils ecoutent la voix : 4t Le Scalde chante, et chante leurs exploits ; Un noble orgueil colore leur visage. L'beure s'e"coule, et celle du festin Les reunit a la table d'Odin. Sur des plats d'or Verista * leur presents Du sanglier la chair app&issante ; Leur voix commande, et les filles du ciel, Qui du palais gardent les avenues, Belles tou jours, et toujours demi-nues, Versent pour eux la Mere et rhydromel. Isnel dedaigne une gloire nouvelle ; Du seul trie il demande le sang. Le glaive en main trois fois de rang en rang II cherche Eric, trois fois son cri 1'appelle; Mais le desordre, et la foule, et le bruit, Sauvent trois fois le rival qu'il poursuit. Du jour enlin les derniers feux expirent ; L'ombre sur nous s'epaissit par degres ; 1. Une des duesses du Valhalla. (Note de Paruy.) ISNEL ET ASLEGA 219 Les combattants, a regret separes, Sur les coteaux a pas lents se retirent. De toutes parts des chenes enflammes D'un nouveau jour nous pretent la lumiere; De toutes parts les soldats desarmes Font les apprets de leur fete guerriere; Par rnes accents ils etaient animus : Buvez, chantez, valeureux Scandinaves, Et triomphez dans ces combats nouveaux ; Buvez, chantez, la gaiete sied aux braves, Et le festin delasse les heros. L'homme souvent accuse la nature : a De son partage il s'afllige et murmure. Qne veut encor ce favori du ciel? II a le fer, 1'amour, et 1'hydromel. Buvez, chantez, valeureux Scandinaves > Et trioinplicz dans ces combats nouveaux 5 Buvez, chantez, lagaiete" sied aux braves, Et le festin delasse les heros. Buvons surtout a nos jeunes maitresses, A leurs attraits, a leurs douces promessos, ft A ces refus que suivront les faveurs; 220 CHANT III Mais que Icur nom restc au fond de nos coeurs. Buvez, chantez, valcureux Scandinaves, Et triomphez dans ces combats nouveaux ; Buvez, cliaulez; la gaiete sied aux braves, Et le festin delasse les heros. Buvons encore a nos genereux freres Qu'ont moissonnes les lances meurtrieres ; Gloire a leurs noms! Dans le palais d'Odin 11s sont assis a 1'eternel festin. Buvez, cbantez, valeureux Scandinaves, Et triomphez dans ces combats nouveaux; Buvez, cbantez; la gaiete sied aux braves, Et le festin delasse les heros. Les yeux d'Isnel avec inquietude Semblaient chercber et compter ses amis. A mes festins Evral etait admis, Dit-il ensuite, et la douce habitude Aupres de moi le ranicnait toujours. Ou done est-il? Dans le champ du carnage Mes yeux ont vu sa force et son courage; Un aigle ainsi disperse les vautours. Oil done est-il? Vous gardez le silence! 1SNEL ET ASLEGA 221 )> Vous soupirez! L'ami de mon enfance Dans le lombeau disparait et s'endort! du guerrier inevitable sort! C'est un torrent qui ravage et qui patse; Le Scalde seul en reconnait la trace. Repose en paix, toi qui ne m'entends plus! Approche, Egill ; puissante est ta parole ; Viens relever nos esprits abattus ; Et loin de nous que le chagrin s'envole. J'approche et dis : Le redoutable Odin Parut un jour aux ycux du jeune Elvin. Tremblant alors, le guerrier intrepide Tombe a ses pieds, et courbe un front timide. Ne tremble point, dit le dieu; ta'valeur Dans les combats est terrible et tranquille; De la pitie tu connais la douceur; De 1'orphelin ton palais est 1'asile ; Au voyageur avec empressement Tu fais verser I'liydromel et la'bhTo; > Jamais ta boucbe, au mensonge etrangt-re, Ne profana la pierre du serment; Sur 1'Uomme nu qu'a saisi la froidure Ta main tend une epaisse fourrure : V- A tes vcrtns, Elvin, jc dois un prix; Forme un souliait, soudain je I'accomplis. 222 CHANT III I/liomrne cst aveugle, lielas! son ignorance N'adresse au ciel que des voeux indiscrets; Choisis pour moi. J'approuve ta prudence. Tu recevras le plus grand des bienfaits. Le memo jour il vit sur la colline L'acier briller; au combat il courut. Le premier trait atteignit sa poitrine; 11 fut perce, tomba, rit et mourut 1 . Isnel repond : Enfant de I'liarmonie, Tu rends la force a noire ame affaiblie ; En nous charmant ta bouche nous instruit. Que le somrneil, dont 1'heure passe et fuit, Tienne un moment nos paupiercs fermees. Toi, brave Eysler, entre les deux armees Veille, attenlif aux dangers de la nuit. Eysler s'avance au milieu dc la plaine : Lc bouclicr agite par son bras 1. On pent comparer ce qni est (lit, dans Y^riochns, d'Agamedc et de Trophonins, qni, apres avoir constrnit le temple d'Apollon a Delph^s, demanderent au dieu de leur accorder le pins grand bien dont les homines pnssent jouir : ils s'endormirent, et no so relevt- rent pas. Pareillement Cydippe, prutresse de Junon a Argos, pria la deesse de recompenser la picte de ses denx flls Cleobis et Biton, ot le lendemain matin ils furent trouves morts dans leurs lits. ISNEL ET ASLEGA 223 Brillait dans 1' ombre ; il murmurait tout has Ce triste chant qu'on entendait a peine : Soufflez sur moi, vents orageux des mers; Sur 1'ennemi tenez mes yeux ouverts. i) Loups affames, hurlez dans les tenebres ; Autour de moi grondez, fougueux torrents ; Fendez les airs, meteores brillants; Sombres hiboux, joignez vos cris funebrcs. Soufflez sur moi, vents orageux des mers; Sur 1'ennemi tenez mes yeux ouverts. Belle Gidda, lu soupires dans 1'ombre ; Tes cliarmes nus attendent les amours, Et sur le seuil au moindre bruit tu cours; Relire-toi, la nuit est froide et sombre. Soufflez sur moi, vents orageux des mers; Sur 1'ennemi tenez mes yeux ouverts. Le givre tombe et blanchit le fcuillage, L'epais brouillard buinccte les cheveux; 224 CHANT 111 Retire-toi ; dors : un songe amoureux Entre tcs bras placera mon image. Soufflez sur moi, vents orageux des mers ; Sur 1'ennemi tenez mes yeux ouvcrts. Les feux mourants decroissent et palissent, Et de la nuit les voiles s'epaississent. Viens, doax Sommeil, descends sur les heros. DCS songes vains agitent leur repos. L'un, sur un arbre, attend a leur passage Les daims errants, qui tombent sous ses coups ; L'autre des mers affronte le courroux, Et son esquif est brise par 1'orage. L'un dans les bois et surpris par un ours ; II veut frapper, et ses mains s'engourdissenl; II voudrait fuir, et ses genoux flecliissenl; II se releve, et retombe toujours. Sur le torrent un autre s'abandonne ; Ses bras d'abord nagent legerement; Centre le (lot, qui s'eleve et bouillonne, Bientot il lutte, et lutte vainement; Le flot rapide et le couvre et 1'entraine; Sur le rivage il voit ses compagnons, Et veut crier ; mais sans voix, sans haleine, A peine il pent former de faibles sons. ISNEL ET ASLEGA 225 Un autre enfin sur 1'arene sanglante Combat encore, et sa hache tranchante Ne descend point sans donner le trepas; Mais tout-a-coup son invincible bras Reste enhaine" dans 1'air, et son armure Tombe a ses pieds; le fer de 1'ennemi L'atteint alors ; il s'eveille a demi, Et sur soirflanc il cherche la blessure; II reconnait son erreur,et sourit. Dans le sommeil tandis qu'il se replonge, Le sombre Eric murmure avec depit Ce cbant sinistre, et 1'echo^e prolonge : Je suis assis sur le bord du torrent. Autour de moi tout dort, et seul je veille; Je veille, en proie au soQpcon devorant : Les vents du nord sifflent a mon oreille, Et mon epe"e effleure le torrent. ) Je suis assis sur le bord du torrent. Fuis, jeune Isnel, ou retarde 1'aurore. Ton glaive heureux, redoutaWe un moment, Vainquit Ornof; mais Eric vit encore, Et son epee effleure le torrent. Je suis assis sur le bord du torrent. 13. 226 CHANT III Sera-t-il plaint cle macoupable (Spouse? Est-il aime ce rival insolent ? Tremble, Aslega; ma fureur est jalouse, Et mori epee effleure le torrent ! FIN I)U CHANT THOISltME i ISNEL ET ASLEGA 227 CHANT QUATRlfcME Illustre Egill, dit Latmor, dans mon ame Ta voix entin porte un trouble fatal. J'aime, et 1'hymen est promis a ma flamme. Dois-je aussi craindre un odieux rival? Je hais Eric; et, si le ciel est juste, De la beaute cet oppresseur cruel Sera puni. Mais dis-moi, chantre auguste, Le jeune Odulf combattait pres d'Isnel ; De mon ai'eul Odulf 6tait le frere : m A ce guerrier, dont la gloire m'est chere, Quel bras puissanj porta le coup mortel? A Egill repond : Ami, je vais t'instniire. des beros tyran capricieux ! de 1' amour inevitable empire ! Les temps passes revivcnt a mes yeux *. I. Tout le debut Ac. eft cliant manque dans 1'i'tlition Ac 180':!. 228 CHANT IV Leve-toi clone, Eric; 1'aube naissante Vers 1'orient a blanchi 1'horizon; De tes soldats la troupe menacante S'ebranle, marche, et couvre le vallon. Isriel sourit au danger qui s'approche, D'un 03il rapide il compte ses guerriers," S'etonne, et dit : Penible est le reprocbc ; Mais au combat viendront-ils les derniers, Cos deux chasseurs qui devancaient 1'aurore? Odulf, Asgar, dorment sans doute encore, Et sous leur main leur arc est detendu ; Paraltront-ils quand nous aurons yaincu? Je lui reponds : Ces enfants de I'ep6e N'ont jamais fui dans le champ de 1'honneur. D'ici tu vois cette roche escarpee Qui du coteau domine la hauteur : Son flanc creuse forme une grotte obscure ; D'epais buissons en cachent 1'ouverture : C'est la qu'Elveige attendait son amant ; De la sa voix s'exhalait doucement : Viens, jeune Odulf; 1'ombre te favorise; Viens; me voila sur le feuillage assise. Par mes soupirs je compte les moments : Pour te presser mes bras deja s'etendent ; Mon c(cur t'appelle, et mes levres t'attendent 1SNEL ET ASLEG^r 229 Viens ; raes baiscrs seront cloux ct brulants. Cruel Asgar, je hais ton ceil farouche ; Le mot d'amour est triste sur ta bouche; Va, porte ailleurs cet amour insolent. Un autre enfin a mcs cotes sommeill?, A mes cotes un autre se reveille ; Et son baiser est humj^e et brulant. Mais qui peut done arreter sa tendresse? * * Pour lui je veille, et pour lui nj faiblesse Vient d'e"carter les jaloux v6tements v J'en tends du bruit; c'est lui, de sa presence Mon co3ur m'assure, et mon bonheur commence. Baisers d'amour, soyez longs et brulants. : ' 'a . i. D'un pas rapide il arrive a la grotte, Ce jeune Odulf ; mais d'un autre guerrier II voit dans 1'ombre e"tinceler 1'acier. Soupcon cruel ! son Ame lidsite et flotte j II dit enfin : Quel projct te conduilfr Que cherches-tu? parle, enfant de la nuit. Faible rival, que cherches-tu toi-meme? lluplique Asgar. De la bcaute (iue j'aime Je suis jaloux; c'est un astre nouvcau Qui pour moi seul brille sur fe coteau. 230 CHANT IV Lc fcr en main , Tun sur 1'autrc ilis s'clancent. D'Elveige alors le coeur est alarme"; Elle fremit, et ses pieds nus s'avancent A la lucur d'un tison enflamme. Viens, dit Odulf, de tes vceux iniideles Voila I'offjet : perfide, tu I'appelles; Mais dans la rriort il ira te chercher. Terrible il frappe, et la trpmblante Elveige Tombe a ses pieds comme un flocon de neige Qu'un tourbillon detacbe du rocher. Les deux rivauijfcavec un cri farouche Levent soudain leurs bras desespe"res ; D'uri coup pareil leurs,flancs sont dechires ; Sur la bruyere ilS roulent separes : Le nom d' Elveige expire sur leur bouche; Et de lenr sein s'echappe sans retour Le sang, la vie, et la haine, et 1'araour. Isnel, trouble, repond avec tristesse : Gloire eternelle a ces jeunes heros ! Gloire eteAielle a leur belle maitresse, Et que la paix habite leurs tombeaux ! Faiblcs humains, la guerre inexorable Autour de nous repand assez d'horreurs; Le teridre amour, 1'amour impitoyable, Doit-il encor sufpasser ses fureurs? ISNEL ET ASLEGA 231 Centre un rocher 1' Gee* an se courrouce ; Pour 1'ebranler il roule tons ses flots; Mais le rocher les brise et les repousse : Tel est Isne!, en butte a mille assauts. On voit Eric lever sa lourde lance, Puis s'arreter incertain et reveur. Un noir dessein se format dans son co3ur ; 11 meditait le crime et la vengeance. Au fier Evind il dit : Combats toujour&j i) Defends mon fils, et veille sur sa gloire. Odin m'inspire. A mon palais je cours, )> Et je reviens : commence ma victoire. Folle esperance ! Evind a ses soldats Prete un moment son courage intrepide : 11 ressemblait a 1'ouragan rapide Qui dans un bois s'engouffre avec fracas : 4r Mais du destin 1'ordre est irrevocable, Et pour Evind le Valhalla s'ouvrait. 11 voit Isnel, et se dit en secret : Voilii, voila le danger veritable. Faut-il braver ce glaive redoutable? Faut-il cherchcr un inimortel honneur? Oui, le destirfle livre a rna valeur. II dit et frappe, et la lame tranchante Uu bouclier cntamn 1'epaisseur; Mais sur son bras descend 1 fer vengeur ; 232 CHANT IV L'acier echappe a sa main defaillantc. Rends-toi, guerrier, cede a 1'arret du sort ; i) Ton bras saaglant ne saurait te defendre. Fier ennemi, moi ceder et me retulre ! Jamais. Evind sera vainqueur ou mort. De 1'autre main il reprend son epee ; Mais sa valeur est de nou^pau trompe'e. Sur le coteau que devastaient ses traits Les daims joyeux pcuvent errer en paix ; Sous le rocher la cliarmante Erisfale N'entendra plus ses chants accoutumes, Et de ses pas sur la neige imprimes Ne suivra plus la trace matinale. Le beau Slerin accourt pour le venger. Jeune imprudent, cherche un moindre danger, Lui dit Isnel ; ton bras est faible encore : Crois-moi, re"siste a ce pr^coce orgueil; Fuis; et domain au lever de I'aurore, Tu chasseras le timide clicvreuil. Je suis nourri dans le fracas des lances, Repond S16rin ; et, lorsque tu m'ofienses, Pour te punir mon bras est ass fort. Vois-tu ce trait? il a donne la mort. La fleche siffle, ct dans son vol s'egare. La main d' Isnel aussitot s'en empare ISNEL ET ASLEGA 233 Et cherche un but. Un aigle en cc moment Au haul des airs passe rapidemcnt ; Le trait 1'atteint au milieu de la nue. Loin de ceder, Slerin a cette vue Saisit le fer, s'elance furieux, Et trouve au moins un tre"pas gloricux. Eric alors revenait au carnage. L'infortun6 pousse des cris percants, Et de ses yeux coulent des pleiirs de rage. II lAve enfm sa liache a deux tranchants, v Sa lourde hache, autrefois invincible; A son rival il porte un coup terrible, Et de son casque il brise le cimier. Nous frissonnons : notre jeune guerrier Courbe sa tele, ct palit, et cbancellc; I Mais^reprcnant une vigueur nouvclle, 11 jetle au loin son pesant boucliqj;. Le somflfe Eric a ses pieds croit 1'etendrc; ' - Isncl pre'vient son bras pret a descoridrc, Et dans son flanc^longe le froid acier. Sur I'lierbt! il roule, et son sang la colore. En expirant il se debat encore, Et dit ces mots : Tu lriiiiii[)lii > s, Isnel; Ma inort du moins suflil-elle ?i% liainc? De mon palais la jeunc smiveraiiic 234 CHANT IV Craint pour tes jours ; va, le doute est cruel ; Rends le bonhcur a son ame incertainc; Soyez unis ; et ne maudissez pas L'inforlune qui vous doit son trepas. Isnel, emu par cette voix perfide, Vers moi se tourne : Adoucis son destin. Dans les combats il n'etait pas timide ; -> Avec honneur il peril sous ma main; Dans le tombeau que la gloire le sum 1 . Au ciel assis, soli oreille attentive i) Ecoutera tes chants harmonieux, )> fit le plaisir brillcra dans ses yeux. Vers le palais a ces mots il sfavance, Son front leve rayonnait d'espe"rance, D'orgtieil, d'amour, de gloire, et de bonheur; Son pied rapide effleurait la bruyere. Du large pont il franchit la barriere ; 11 ouvre, il entre, et recule d'horn^ur. Son Aslega sin^ le seuil etendue, Froide et sans vie, e'pouvante sa vue. 11 reconnait ces funestes cbeveux Qu'elle recut pour un plus doux usage ; Ce don fatal, ce cher et triste gage, Fut de sa mort^Rnstrument douloureux ; Son cou (Falbatre en conserve Tcmpreinte. ISNEL ET ASLEGA 235 Desespere, sans larmes ct sans plainte, Isncl saisit le present des amours Que sur son casque il attachait toujours; Avec effort dans sa bouche il le presse : L'air n'entre plus clans son sein expirant : Sur nous ij jette un regard dechirant, Chancelle, tombc aupres de sa maitresse, L'embrasse et raeurt... Pourquoi soupires-tu, Chantre d'Isnel? pourquoi verser des larmes? II est tombe, mais il avail vaincu ; 11 est tombe, mais convert de ses armes. Pleure sur toi, pleurc sur le guerrier Dont le dostin prolonge 1'existence. II se survit, il s' eclipse en silence ; Son bras succombe an poids du Lonelier, Ses pas sont lents, et 1'altierc jeuncsse Par un sourire insulte a sa faiblesse. Dans I'univers, qui ne le connait pins, Indifferent, il ne vent rien connaitre. L'un apres 1'autre il a vu disparaitre Tons ses amis au tombeau descendus : Apres leur mort il resle sur la terre Pour les pleurcr, de deuil enveloppe, Mirne et pensif, lugubre et solitaire (lomme un cypres (jue la foudre a frappe. ANECDOTE HISTOR1QUE Jcune, sensible, et lie" pour les vertus, Jajnsel aimait comme Ton n'aime plus, Et d'Euphrosyne il fixa la tendresse. D'un prompt hymen ils nourrissaient l'spoir, Et ciiaque jour ils pouvaient se revoir. Seuls une fois, dans un instant d'ivresse, Troubles tous deux, e"perdus, entraine*s, Par le bonheur ils se sont enchaine's. Ton souvenir fera couler des larmes, Premier baiser, device d'un moment, Et dans leur cffiur ou penetrent tes charines Tu laisseras un long embrasement! Souvent leur bouche implora riiymenee : Mais sans pitie Ton reix)ussa leurs vocux. Belle Euphrosyne, une mere obstine"e, Pour enrichir un (ils ambitieux, T'avait d'avance au cloitre condamnee. 238 JAMSEL Les lois voyaient ct n'osaient prevcnir Ces attentats : il fallut obeir. DC son amant a jamais separee, Dans ccs tombeaux creuses au nom du ciol, Vivante encore, ellc fut cnterree, Tdhiba sans force aux marcbes dc 1'autel, Et prononca son malheur eternel. A son ami plonge dans la tristesse Le monde en vain offrait tons les sccours, Tous les plaisirs que cberche la jeunesse, Les jeux, les arts, de nouvelles amours : Ilien ne distrait sa morne inquietude ; Pour lui le monde est une solitude. Moins miserable on point le voyageur Sur des rochers pousse par le naufrage : Prive des siens, seul dans ce lieu sauvage, II s'epouvante, et palit de frayeur ; Des pas de I'liomme il cherche et craint la trace, Et sur le roc il monte avec effort ; 11 ne voit rien, n'entend rien : tout est inort; Silence affreux ! d'effroi son cceur se glace ; Vers le rivage il revient promptement; Son ceil encor parcourt avidement DCS Hots calmes la lointaine surface : Mais le rivage et les flots sont deserts, JAMSEL 239 Et ses longs cris se perdent dans les airs. Jamsel enfin en pleurant se rappelle Qu'un tendre pore et qu'un ami fidele, Sacrifies jusqitalors a 1'amour, miL Dcpuis longtemps demandent son retour. J'irai, dit-il ; peut-etre que leur vue Adoucira le poison qui me lue ; De ma faiblesse ils seront 1& soutien, Et dans leur coeur j'epancherai le mien, Comme un torrent au, higubre murmure, Qui, tout-a-coup enfle par 1'aquilon, Dans le bassin ou dort line onde pure Va de ses Hots verser le noir linion. Jamsel retourne aux lieux qui 1'ont vu naitre. 11 croit en vain dans ce sejour champetre Calmer son ame, et respirer 1^ paix : La solitude augmente ses regrets. Ni le printemps, ni les parfums de Flore, Ni la douceur du baiser paternel, Ni 1'amitie plus consolante encore, llien n'elTavait un souvenir cruel. Un noir chagrin lentement le de"vore. De temps en temps son orgueil abatlu Se relevait : honteux de sa faiblesse, Dans les ecrits ou parle la sagesse 240 JAMSEL 11 veut puiser la force et la vertu : Helas ! son ceil en parcourait les pages ; Mais son esprit inattentif, errant, Volait ailleurs, et de tendres images Le replongeaient dans un trouble plus grand. Si quelquefois un ami lui rappelle De ses aieux le rang et la valeur, Aux mots sacres de patrie et d'honneur 11 se reveille ; une fierte nouvelle Dans ses regards remplace la langueur, Et peint son front d'une heureuse rougeur.. D'un joug honteux ce moment le delivre ; 11 a vaincu sans doute, et va revivre Pour 1'honneur seul? Non, ce noble. transport De sa faiblesse est le dernier effort; Et I'amitie, qui ne peut se resoudre A delaisser I'insense' qui la fuit, Voit succeder le silence et la nuit A cet Eclair qui promettait la foudre. Se trouve-t-il dans un cercle nombreux? Seul il conserve un air morne et farouche; DCS mots sans suite 4chappent de sa bouclie, Entrecoupes de soupirs douloureux. Les entrctiens 1'obsedent ; rien ne frappe Ses yeux distraits; sans voix, et sans couleur, Longtemps il garde un silence reveur ; JAMSEL 241 Puis tout-a-coup il frissonne, il s'ecliappe, Et va des bois chercher la profondeur. Infortune! siTamour t'abandonne, D'autres plaisirs peuvent te consoler : Vois-tu les fleurs dont 1'ai'bre se couronrie? Sur ces pres verts vois-tu I'ondc coulcr? Des vastes champs observe la culture; c Du jeune patre ecoute les chansons; Suis la vendange et les riches moissons ; . Homme egare, reviens a la nature. Mais la nature est muette a ses yeux. Aux pres fleuris sa tristesse preTere Un sol aride, un rocher solitaire, Et des cypres le deuil silencieux ' . L'onibre survient : la lune renaissanle Lui prete en vain 5a lueur bienfaisante Pour retourner an toil accoutume' ; Sur le rocher, pensif il se promene; Puis sur la pierre il s'etend avec pcinc, Pale, sans force, et d'ainour consume. Si du sommuil la douceur etrangere Vient un moment assoupir ses doulours, 1. BERTIN, Les Amours, livrc H, elegie xu : De ces lougs pins le deuil religieux. 14 242 JAMSEL Un songc aflreux le saisit, et des pleurs, Des pleurs brulants entr'ouvrent sa paupiere. Le jour parait, il detcste le jour; La nuit revient, il inaudit son retour. a J'ai tout perdu, tout, jusqu'a 1'esperance, Dit-il enfin ; pleurer, voila nion sort. Oh ! malheureux ! a ma longue souflrance Je ne vois plus de terme que la mort. Pourquoi 1'attendre? y courir, est-ce un crime? Non, sur mes jours, mon droit est legilime. Faible sophiste, insense discoureur, Peux-tu defendre au triste voyageur, . Qu'un ciel brulant desseche dans la plaine, De chercher 1'ombre et la foret prochaine? Qu'un soldat reste au poste d&igne'; Sa main tranquille a signe Tesclavage, Et de ses droits il a vendu 1'usage ; Moi, je suis libre, et je n'ai rien signe; Mourons. II dit, et sa main intrepide^ Sans heater, prend le tube homicide : Le plomb s'echappe, et fmit ses tourments. Son ami vient ; 6 douloureux moments ! Mais de son C03ur etouflant le murmure, D'un blanc mouchoir il couvre la blessure; Soin superflu ! Jamsel, en soupirant, Sur cet ami souleve un ceil mourant JAMSEL 243 Qui sc referme l , et, d'une voix e"teinte, Je meurs, dit-il, sans remords et sans crainte. Assez longtemps j'ai supporte le jour. * Pardonne-moi : je ne pouvais plus vivre. Donne a 1'objet de mon funeste amour Ce voile teintd'un sang... II veut poursuivre ; Sa bouche a peine exhale un son confus : Chere Euplirosyne!... il soupire, et n'est plus. Loin de ces lieux, sa malheureuse amie, . Quo fatiguait ic fardeau de la vie, An ciel en vain se plaignait de son sort, Et dcmandait le repos on la mort. He ses chagrins ^111 air Iniliil l;i Ce n'etail plus la beaute dans sa fleur; Lcs longs cnnu^L 1'anioiy^et la langueur, Sur son visage avaient pali la rose : En la peignant on cut peint la Douleur. De sa tristesse on ose faire un crime; Loin de la plaindre, on hate le moment Oil i In malheur cetle faiblc victime Dans le tif]fas rejoimlra sun amant. Ifotre scs mains un mcssager fidele II ouvrc imocil mourant qu'il refcnne soudain. 4 JAMSEL Vient deposer le voile ensanglante. Ejle frissonne, et recule, et chancelle. II ne vit plus, mon arret est porte, Dit-elle ensuite; et sa plainte touchanle Et ses regards se tournent vers le ciel ; Et tout-a-coup sa bouche irapatiente De cent baisers couvre ce don cruel. Tons ses malheurs vivement se refracent A son esprit ; des pleurs chargent ses yeux : Mais elle craint que ses larmes n'egacent D'un sang cheri le reste pre"cicux. Sans moi, Jamsel, pourquoi quitter la vie? Dit-elle enfin d'une voix affaiblic. Mais, attends-moi, je ne tarderai pas : On aime encore au dela du trepas. % .--<& \ Ce dernier coup, et de si longues peines, Ont epuise ses forces ; par degres Le froid mortel se glisse dans ses veines ; La clarte fuit de ses yeux e"gares. Dieij de bonte, fais grace a ma faiblesse ! >^ Apres ces mots, sur sa bouche clle ^r*esse Le lin sanglant, nomme encore Jarnscl, Toml>e, ct s'endort du sommeil etornel. ^ ^T * v>. '''+ FIN DE JAMSEL LA ROSE C'est 1'age qui toucfie a 1'enfancc, C'est Justine, c'cst la candeur. Deja 1'amour parle a son coeur : Credule comme 1'innocence, Elle ecoute ave complaisance Son langage souvent trompeur. Son oeil satisfait se repose Sur un jeune homme a scs genoux, Qui, d'un air suppliant et doux, Lui presente une simple rose : De cet amant passionne, Justine, refusez roffrandc ; Lorsqu'un amant donne, il demando, Et beaucoup plus qu'il n'a donne. \\. 240 TABLEAUX II, LA MAIN Quand on aime bien, 1'on oublie Ccs frivoles managements Quo la raison ou la $lie Oppose au bonheur des amants. On ne dit point : La resistance Enflamme et fixe les de*sirs ; Reculons 1'instant des plaisirs Quo suit trop souvent 1'inconstance. Ainsi parle un amour trompeur, Et la coquette ainsi raisonne. La tendre amante s'abandonnc A 1'objet qui toucha son cceur; Et dans sa passion nouvelle, Trop heureuso pour raisonner, Ellc est bien loin de soupconner Qu'un jour il peut etrc infidele. LE SONGE 247 Justine avait recu la fleur. On exige alors de sa boucJie Get aveu qui flatte et qui louche, Alors meme qu'il est menteur. Elle repond par sa rougeur; Puis, avec un souris celeste, ^ Aux baisers de 1'heureux -\felsin Justine abandonne sa main, Et la main promet tout le reste. LK SONGE Lc sommeil a louche ses yeux ; Sous dcs pavots dtflicieux Us se ferment, et son cocur veille. A rerreur ses sens sont livrds. Sur son visage par degrcs La rose devient plus vermeillej Sa main seinble (^loigncr (luelqft'u Sur le duvet elle s'agite; 248 TABLEAUX Son scin impatient palpite M Et repousse un voile importun. EnGn, plus calme et plus paisible, Elle retombe mollement, Et de sa bouche lentement S'echappeun murmure insensible. Ce murmure plein de douceur Ressemble au souffle do Zephyre, Quand il passe de fleur en fleur ; C'est la volupte" qui soupire. Oui, ce somTles^gemissements D'une vi^rge de quatorze ans, Qui dans un"songe inyolontaire Voit une bouche temeraire * Effleurer*ses appas naissants :,-; Et qui dans ses bras caressants Presse un e'poux imaginaire. I.e sommeil doit etre charmant, Justine, avec un tel mensonge; Mais plus heureux encor 1'amant 9P Qui peut causer un parcil songe!,, LE SEIN 249 > L IV LE SEIN Justine -recoil son ami Dans un cabinet solitaire. Sans doutc il sera temerairc ? Oui, mais seulemcnt a demi : On jouit alors qu'on diflere. 11 voit, il nuiipte mille appas. Et Justine e"tait sans alanncs : Son ignorance nc sail pas A quoi serviront tant dc charmes. 11 soupire et lui tend les bras; Elle y vole avec con fiance ; Sini[tl(! encore et sans prdvoyance, Elle est aussi sans embarras. Moderant I'ardcur qui 1<; presse, Valsin devoile avec lentcur Un sein dont 1'aimable jcunesse 250 TABLEAUX Venait d'achever la rondeur ; Sur des lis il y voit la rose ; 11 en suit Ic leger contour ; Sa bouche avide s'y repose ; 11 1'echaufTe de son amour ; Et tout-a-coup sa main folatre Enveloppe un globe charmant Dont jamais les yeux d'un amant, N'avaient meme entrevu 1'albatre. C'est ainsi qu'a la volupte Valsin preparait la beaute Qui par lui so laissait conduire ; 11 savait prendre un long detour. Ileureux qui s'instruit en amour, Et plus heureux qui pent instruire ! LE BA1SER 251 LE BAISER AJi! Justine, qu'avez-vous fait *? Quel nouvcau trouble et quclle ivresse ! Quoi ! cette extase enchantercsse D'un simple baiser est reflet? Le baiscr de celui qu'ou aiino A son attrait et sa douceur ; Mais le prelude du bonheur K'ut-il etre le bonheur ineme? Oui, sans doute. Ce baiser-lu Est le premier, belle Justine; Sa puissance est toujours divine, Et volre occur s'en souviendra. I: Saiut-Preux commence dc la m6mc faron sa lettre stir le pid- inier h.ii.-rr de Jtilie, siir ce baisor Irop Acre et troji pfnctrant : iju'as-tti fait? ah! qu'os-tu fait, ma Julie? 252 TABLEAUX Votre ami murmurc et s'etonne (Ju'il ait sur lui inoins de pouvoir, Mais il jouit de ce qu'il donnc ; C'cst beaucoup plus que recevoir. VI LES KIDEAUX Dans celte alcove solitaire Sans doute habite le repos ; Voyons. Mais ces doubles rideaux Semblent formes par le mystere; Et ces vetements etrangers Meles aux vetements lexers Qui couvraient Justine et ses cliarmus, Et ce chapeau sur un sofa, Ce manteau plus loin, et ces armes, Disent assez qu' Amour est la. C'est lui-meme ; je crois entendre Le premier cri de la douleur, LE LENDEMAIN Suivi d'un murmure plus tendre, Et des soupirs de la langueur. Valsin, jamais ton inconstanee N'avait connu la volupte ; Savoure-la dans le silence. Tu trompas toujours la beaute ; Mais sois fidele a 1'innocence. VII LE LENDEMAIN D'un air languissant et reveur Justine a repris son ouvrage; Elle brode ; mais le bonheur Laissa sur son joli visage L'etonnement ct la paleur. Ses yeux, qui so couvrent d'un voile, Au soinmcil resistait'iit en vain; Sa main s'arrete sur la toile, II. 254 TABLEAUX Et son front toinbe sur sa main. Dors, et fuis un muiule malin : Ta voix plus douce et moins sonorcj Ta bouclie qui s'ontr'ouvre encore, Tes regards honleux on distraits, Ta demarche faible et genee, De cette null trop fortunee Reveleraient tous les secrets. VIII L'INFIDtiLITE tin bosquet> une jeuiie femme; A ses genoux un seducteur Qui jure une eternelle flamme, Et qu'elle ecoute sans rigueur j C'est Valsin. Dans le meme asile^ Justine, credule et tranquille, Venait rever a son amant : Elle entre. Que le peintre habile Hentle ce triple etonnement; LES REGRETS 255 IX LES REGRETS Justine est seule et gemissante, Et nies yeux avec interet La suivent dans ce lieu secret Ou sa chute fut si louchante. D'abord son tranquille chagrin Garde un niurnc et pro fond silence- Mais des pleurs s'echappent cnlin, Et coulent avec abundance De son visage sur son sein ; Et ce sein fornid par les Graces, Dont le voluptueux satin Du baiser conserve les traces, Palpite encore pour Valsin. Dans sa douleur, elle contuinplu 256 TABLEAUX Ce reduit ignore du jour, Cette alcove qui fut un temple, Et redit : Voilu done 1' amour ! LE 11ETOUR Cependant Valsin inlidele Ne cessa point d'etre constant ; Justine, aussi douce que belle, Pardonna 1'erreur d'un instant. Elle est dans les bras du coupable : II lui parle de ses remords ; Par un silence favorable Elle repond a ses transports ; Elle'sourit a sa tendresse, Et permet tout a ses desirs. Mais pour lui seul sont les plaisirs ; LE RETOUR 257 Elle conserve sa tristesse ; Son amour n'est plus une ivresse : Elle ahandonne ses attrails; Mais cependant elle soupire, Et ses yeux alors semblaient dire : Le charme est detruit pour jamais. FIN DES TABLEAUX LES DEGUISEMENTS DE VENUS -TABLEAUX IMITES DU GREC< Anx bcrgers la naissantc aurora Annoncait 1'heure des t.ravaux; Mais Myrtis soinmeillait encore. Un songe agitait son repos : II se croil aux champs de Cythere. I. Ces nonveaux tableaux, a ditTissot avec bcancoop de vi'-ritu, infurieurs aux premiers, nffrent souvent line conleur brillante et vraic; qiielqnns pi-iiitnrfts iraiuonrs unt tunte la seduction qnc 1'aniy pmivait Inn diiiincr, t'.t ini'uie 1111 ahaiidnii qn'on Ini sonliaitcrait quelqiiefois ailleiirs; mais reiisemlilo u'est p;is exempt de monnto- nie, et Ton commence ii remanpicr mi exc^s de precision, ainsi quo de I'oliMHirite, de la recherche dans la mat)ii:re (In peintrc. 260 LES DEGUISEMENTS Venus, en habit de bergere, A ses yeux apparait soudain : Elle balance dans sa main De myrte une branche legere. Surpris, il flechit les genoux, Et contemple cette immortelle, Que Paris jugea la plus belle, Et dont les bienfaits sont si doux. Longtemps il 1'admire, et sa bouclic Pour 1'implorer en vain s'ouvrait ; Du myrte heureux Venus le louche, Sourit ensuite, et disparait. II Myrtis dans la foret obscure Cherchait le frais et le repos. Zephyre lui porte ces mots Que cbante une voix douce et pure Dans ma main je tiens une fleur. Fleur aussi, je suis moins eclose. DE VENUS 261 Dieu des filles et du bonheur, Je t'offre qtiinze ans et la rose. Mon sein se gonfle, et quelquefois Je reve et soupire sans cause. Jeune Myrtis, c'est dans ce bois Qu'on trouve quinze ans et la rose. J'aflaisse ci peine le gazon Ou seule encore je repose : Si tu viens, rapide Aquilon, Manage quinze ans et la rose. II parait ; elle fuit soudain. Le'gere et longtemps poursuivie, Le larger 1'implorait en vain. M.iis a la fleur elle confie Le premier baiser de 1'amour ; Puis sa main ft Myrtis la jette. II la recoit ; faible et muette, L'autre fleur se donne a son tour. Menage quinze tins et la rose, Calme-toi, fougueifx Aquilon. Un cri s'echappe, et le gaxon... Viens, doux Zt^pliyre, elle est ecloso. If). 2G2 LES DEGUISEMENTS III Dryades, pourquoi fuyez-vous? Des bois protectriccs fideles, Soyez sans crainte et sans courroux, A mes regards vous etes belles; Mais un moment tournez les yeux : Je n'ai du Satyre odieux Ni les traits ni 1'audace impie. Arretez done, troupe che"rie, Au nom du plus puissant des dioux. De Myrtis la pricrc est vaine. D'un pas rapide vers la plaine Les Dryades fuyaierit toujours. line seule un moment s'arrete, Fuit encore, en touruant la tete, Et du bois cherclie les detours. Seize printemps forment son Age; Un simple feston de feuillage Couronne et retient ses clieveux. DE VENUS 263 Des Eurus le souffle amoureux Souleve et jejette en arriere Sa tunique verte et legere ; Et deja Myrtis est heureux. II atteint la nymphe timide Sur le bord d'un torrent rapide, An milieu des rochers deserts, De mousse et d'ecume couverts. tin espace etroit se pre"sentc : L'un contre 1'autrc ils sont presses; Et bientot 1'onde mugissante Mouille leurs pieds entrelace's. IV Dans sa cabane solitaire Myrtis attendait le sommeil. Arrive une jeune dtrangcre. F,e teint de Floro est moins vormeil. Du voile eclatant des princesses Sa iM-aute s'embellit encor; 264 LES DEGU1SEMENTS Sur sa tete le rseau d'or De ses cheveux fixe les tresses ; L'or entoure son cou de lis, Et serre ses bras arrondis; La pourpre forme sa ceinturc; Et sur le cothurne brillant, De ses pieds utile parure, Sa tunique a longs plis descend. Myrtis en silence 1'admire. Je fuis un tyran deteste, Lui dit-elle avec un sourire; Donne-moi I'hospitalite". Embellissez mon toit modeste. Des joncs tresses forment mon lit ; II est pour vous. Ou vas-tu? reste; Du lit la moitie me suffit. Sur cet humble et nouveau theatre Elle s'assied ; un long soupir De son sein souleve 1'albatre : C'etait le signal du plaisir. Sur la cabane hospitaliere Passe en vain le dieu du repos : Myrtis et la belle etrangere Echappent a ses lourds pavots. Leur impatiente jeunesse Jouit et desire sans cesse. DE VENUS 205 Ivres de baisers et d'amour, D'amour ils soupirent encore; Et pourtant la riante Aurore .Entr'ouvrait les portes du jour. Nymphe de ce riant bocage, Venus meme sous votre ombrage Sans doute dirigea mes pas. Elle a ralenti votre fuile; Elle accelera ma poursuite, Et vous (it tomber dans mes bras. DCS mortels souvent les deesses Hecurent les- tend res caresses : Imitcz et craigne/ Venus; Elle punirait vos refus. Malgr6 cette voix suppliante, Et inalgre s(is (h'^sirs secrets, La Nymphe defend scs attraits, Et toujours sa boucbe riante Echappe aux baisers indiscrets. 266 LES DEGUISEMENTS A quelques pas, dans la prairie, I'n fleuve promenait ses (lots. Le front couronne de roseaux, DCS Naiades la plus jolie Se jouait an milieu des eaux. Tantot sous Ic cristal humide Elle descend, remonte encor, Et presente an regard avide De son sein le jeune tresor ; Tantot, glissant avec souplesse, Elle etend ses bras arrondis, Et sur 1'onde qui la caresse Eleve deux globes de Us. Bientot, mollement renversee, Par le flot elle est balancee; Son pied frappe 1'eau qui jaillit. Invisible dans le bocage, Myrtis, ecartant le feuillage, Voit tout, et de plaisir sourit. Alors la cbampetre deesse, Que dans ses bras toujours il presse, Rapproche les raraeaux touffus, O'un voile en rougissant.se couvre, Et sur sa bouche qui s'entr'ouvre Expire le dernier refus. DE VENUS 267 VI Sous des ombrflges solitaires, Devant un Satyrc efTronle Fuyait avec rapidite La plus timide des bergeres. Au loin elle apercoit Myrtis : A mon secours le del t'envoie, Jeunc inconnu ; defends Nai's. Le Satyre liiclie sa proie. La bergere a son protecteur Sourit, mais conserve sa peur. Bannis tes injustes alannes, Dit-il ; je respectc tes cliarmes. Viens done : du village voisin Je vais t'indiquer le cliemin. Elle roujiit, et niohis timide, A pas lents elle suit son guide. Mais elle entend un bruit loinlain Du larger elle prend la main, Et dans scs bras clierche un asile. 268 LES DEGUISEMUNTS Discret, il demeure immobile, Et n'ose presser ses appaS. Ellc voyait son doux martyre. Le bruit cesse ; Myrtis soupire, Et Na'is reste dans ses bras. VII Phebus aclievait sa carriere; Dans les cieux 1'ombre s'&endait; Myrtis a pas lents descendait De la montagne solitaire. One femme sur son cbemin Se place, et doucement 1'arrele. Au croissant que porte sa tete, A sa taille, a son port divin, II a reconnu 1' Immortelle. Cber Endymion, viens, dit-elle. Un moment pour toi j'ai quitte Le ciel et mon trone argente" : Viens; sois heureux et sois fulele. DE VENUS 2fiO Lc bergcr suit ses pas discrete. De celte meprise apparente II profile, et la nuit naissante Protege'ses baisers muets. 11 trouve dans la jouissance L'abandon et la resistance, L'embarras de la nudite", Les murmures de la tendresse, Les refus et la douce ivresse, La pudeur et la volupte'. VIII Berger, j'appartiens a Diano, : Pounjuoi toujours suis-tu incs pas? Je liais Venus. Fuis done, profane; Grains cetle Heche et le Irepas. Elle (lit, et sa main cruolle Sur Tare pose le trait legcr : Mais Myrtis, (jiii la voit si bcllo, Sourit ct brave Ic danger. 270 LES DEGUTSEMENTS Uu fosse profond los separe; Avec audace il est franclii. Imprudent! D'un regret suivi, Le trait vohysiffle, et s'egare. La Nymphe de. nouveau s'enfuit. Le berger toujours la poursuit. Dans une grotte solitaire, De Diane asile ordinaire, Ellc entre ; et sa main aussitot Saisit et leve un javelot. Sa fierle", sa grace pudique, Irritent le desir naissant. D'un c6te, sa blanche tunique Toml)e, et sur le genou descend ; De 1'autre, une agate polie La releve, livrant aux yeux Les Us d'une cuisse arrondie, Et des contours plus precicux. De son sein qui s'enflo et palpile, Et dont ce combat precipite Le voluptueux mouvement, Un globe est nu : le jcune amant S'arrele, et des yenx il devore, i Malgre le javelot fatal, L'albatre pur et virginal Qu'au sonimet la rose colore. DE VENUS 271 11 saisit la Nyraphc ; et sa voix Pour 1'implorer devient plus tendre. Des cris alors se font entendre ; Le cor resonne dans les bois. a Malheureux! laisse-moi, dit-elle. Diane est jalouse et cruelle : )) Si je I'invoiuie, tu peris. Malgre sa nouvelle menace, Le berger fortement 1'einbrasse : Des baisers previennent ses cris. Diane approche, arrive, passe, Au loin elle conduit la cbasse, Et laisse la nyinphe a Myrlis. IX D'firigone c.Vtail la fete. DCS bacchantes sur les coteaux Couraient sans ordre et sans repos. \/d plus jcune pourtanl s'arrcte, iNoinrne Myrtis, et fuit soudain Souvante s'aiTclc. La nymphe retournc la tete, 274 LES DEGUISEMENTS Et de loin, lui teiulant la main, L'appelle avec un ris malin. Le berger un moment balance ; Ve"nus le rassure en secret; Egine, ([u'il poursuit, s'elance, Et dans les flammes disparait. tl s'y jette ; imprudence beureuse ! Sur un lit de mousse et de tleurs 11 tombe, et la nymplie amqureuse Sourit entre ses bras vainqueurs. XI Le ciel est pur, mais sans lumiere ; L'ombre enveloppe I'heimsphere. Myrtis, egare dans les bois, Trouble en vain leur vaste silence: L'eclio seul repond a sa voix. Du rendez-vous 1'beure s'avance; Adieu 1'amoureuse esperance, Adieu tous les baisers promis ! DE VENUS 275 Des nuits inalt'aisaute deesse, Disait-il, je hais la tristesse; Je hais tes voiles eimemis. II parle encore, et ['immortelle, Comine Venus riaute et belle, Se presente a ses yeux surpris. Recouverts de crepes humides, Son char et ses coursiers rapides Ue I'ebene oflrent la couleur. A Fen tour voltigent les Songes, Les Spectres et les vains Mensonges, Fils du Sommeil et de 1'Erreur. De son trone elle est descendue. Le berger se ti'ouble a sa vue, Et la crainte saisit son co-ur; Mais la deesse avec douceur : Jeune imprudent, je te pardoiine. Je ferai plus; oui, mon secours Est sou vent utile aux amours. Que veux-tu? parle : je 1'ordoime. Myrlis, qtie charnie sa beaute, Garde le silence, et I'adinire. I/iininorlcllc par uu sourire Enhardit sa timidilt'; Elle a depose sur la terre Le pale llaiubeuu qui 1'ucluirc: 276 LES DEGUISEMENTS A ses cheveux bruns et tresses Des pavots sont entrelaces ; Une legere draperie, Noire et d'etoiles enrichie, Trahit 1'albatre de son corps, Et de 1'amour les doux tresors. Sur 1'herbe s'assied la deesse; Le berger s'y place a son tour. II voit et baise avec ivresse Des charmes inconnus au jour. Un feu renaissant le devore. Encore, disait-il, encore ! Que nos plaisirs soient eternels ! Elle sourit, et de 1'aurore Le retard surprit les mortels. XII Myrtis sur le fleuve rapide Voit un esquif abandonne, Qui, par le cuurant entraine, Vogue sans raines et sans guide. DE VENUS 277 Au milieu des flots le berger S'elance, et dans 1'esquif leger 11 trouve une fille jolie Sur un lit de joncs endormie. Elle sourit dans son sommeil ; Et sa boucbe alors demi-close Montre 1'ivoire sous la rose. Un baiser produit son re" veil; Un baiser etoufle ses plaintes; Un baiser adoucit ses craintes ; Un autre cause un long soupir; Un autre allume le de"sir; Un autre acheve le plaisir, Et lentement la fait mourir. Elle renait soumise et tendre, Ne voile point ses charmes nus, Et sans peine consent a rendi'e Tous les baisers qu'elle a recus. Soudain les flots sont plus tranquilles, Et le bateau legerement Glisse sur les vagues dociles Qui le baluncent niolleinent. 278 LES DEGUISEMENTS XIII Cache dans une grotte liuiuide Oil vient raourir le Hot amer, Myrtis, 1'oeil iixe sur la mer, Epiait une Nereide. Tout-a-coup se monlre Tethys, Et sous sa conque blanchissante, Que trainent ses dauphins cheris, S'afTaisse 1'oiide obeissante. A 1'entour nagent les Tritons j Leur barbe est d'ecume imbibee; Des coquilles urnent leurs fronts, Et de leur troinpe recourbee Au loin retentissent les sons. Pros du char, les Oce"anides Et les charmanles Nereides, Variant leurs jeux et leurs chants, Glissent sur les Hots caressants. Tethys vei-s la grotte s'avance, DE VENUS 279 Entrc seule, voit le berger, Rit de son trouble passager, Et lui comrnande le silence. La perle dans scs blonds cheveux En guirlandes brille et serpente ; La perle rend plus precieux L'azur de sa robe elegante ; Le sable recoil son manteau, Et lui presente un lit nouveau. Aimez, jeunes Oceanides ; Aimez, rapides Aquilons; El vous, channantes Nereides, Tombez dans les bras des Tritons. XIV Ou'ordonnez-vous, chaste deesse? Hicn : Vesta, troinpant tons les youx, Pour toi soul a t|uitte les cieux. Je I'aiine. Vous! l)e ina sagcsse Tu trioinplies, lunin-ux Myrtis! 280 LES DKGU1SEMENTS J'ai dcs altraits ; mais, trop severe, J'effrayais les Jeux et les Ris : Helas ! j'aurais mieux fait de plaire. De ce triomphe inattendu Myrtis jouit en esperance. / Vesta, sans voile et sans defense, Oubliait sa longue vertu. Au jeune berger qui 1'embrasse Elle se livre gauchement; Ses baisers meme sont sans grace. De son aigre severite, Punition juste et cruelle ! Triste et lionteuse, I'lmmortelle Remporte au ciel sa chastete. XV Dans 1'onde fraicbe une bergero Se liaignait durant la chaleur. Sur lo, rivagc solitaire Myrtis passe; au cri de frayeur II repond avee un sourire : DE VENUS 281 Ne craignez rien; sous ces berceaux, Sage ct discret, je me retire. Mais quand vous sortirez des eaux, Je vous habillerai moi-meme. Sois ge"ne"reux, jeune Myrtis, Et n'emporte pas mes habits. Peut-etre la nymphe qui t'aime Pres d'ici... Discours superflus! Le berger ne 1'entendait plus. De 1'onde elle sort, et tremblante Elle arrive sous le bosquet. Malgre" sa priere touchante, Myrtis poursuit son doux projet. En placant la courte tunique Sur ce corps de rose et de lis, II louche une gorge e"lastique Et d'autrcs charmes arrondis. Sa main rattache la ceinture, Trop haul d'aWd, et puis trop has : La bergere en riant murmure, Et cependant ne 1'instruit pas. A son humide chevelure, On rend le feston de bluets Qui toujours forme sa parure. Les brodequins vieniicnt apivs : Longternps incertaine et craintive, 282 LES DEGU1SEMENTS Elle rougit, enfin s'assicd, A Myrtis presente son pied, Et sa rougeur deviant plus vive. Dans ce moment heureux, Phebus Etait au haut de sa carriere ; Le jour fmit, et la bergere Avail encore les pieds nus. XVI Du midi s'elance 1'orage. Dans son frele bateau, Myrtis, Jouet des vents et de Tethys, Ne peut regagner le rivage. Apaise tes fougueux enfants, Belle Orithye, et sur la rive Pour loi je brulerai 1'encens. Au ciel monte sa voix plaintive. Soudain un nuage leger Sur les ilots mugissants s'abaisse; II s'entr'ouvre, et d'une deesse Les bras enlevent le berger. DE VENUS 283 Tremblant, il garde le silence, Un baiser dissipe sa peur. Keptune jusqu'aux cieux s'elante; Les vents redoul)lent leurs fureurs; Myrtis, cache dans le nuage, S'eleve au milieu de 1'orage, Avec securite fend 1'air, Voit partir le rapide eclair Que suit la foudre vengeresse, Et sur le sein de sa maitresse II brave fiole et Jupiter. XVII De M yrtis que la voix est tendre ! 11 approclie, et n'a pu me voir; Sous cet arbre il viendra s'asseoir; Je veux me caclier et renlendre. La jeune bergere, a ces mots, Sur 1'arbre nionte avec adresse, Kt disparait dans les rameaux. 284 LES DEGU1SEMENTS Le berger sous Icur voiite epaisse Bientot arrive, et les eclios Repetent ses accents nouveaux : <( Un oiseau venu de Cythere Se cache, dit-on, dans ce Ms. Sa voix est touchante et legere, Et son bee erabellit sa voix. Les chasseurs sont a sa poursuite. Mille fois heureux son vainqueur ! Mais il craint la cage, et 1'evite; Et c'est lui qui prend 1'oiseleur. Jeune oiseau, ton joli plumage Fait naitre 1'amoureux desir; Et pour moi, dans 1'epais feuillage, Tu seras 1'oiseau du plaisir. II dit, et sur 1'arbre s'elance : La bergere ne pouvait fuir, Et le rire etait sa defense : Au vainqueur il faut obe"ir. Quelques nymphes de ce bocage Du meine arbre cherchent l'oml)rage ; DE VENUS 28o Mais le bruit cles baisers nouvcaux Sc perd dans le confus ramage Des fauvcttes et des moineaux. XVIII Ma fidelite conjugale > Trop longlemps regretta Tithon ; Trop longtemps j'ai pleure Ceplialc, figis 1 , et le jeune Orion. La douleur fle"trirait mes channcs. Revenez, amoureux de"sirs ! Les roses naissent de mes larmes 2 , Elles naitront de mes plaisirs. A ces mots, la galante Aurore He Myrtis, qui sommeille encore, Hate le paressenx r6veil. 1. Nons ne nons rappelons ricn des amonrs de 1'Anrore pt dn eel Egis. I'arny aurait JH employer le nom moins inr/ninn il r.lilus. 2. Tondre fmit dos jilonrs de rAnrorc. dit Rernnrd a la rose. 280 LES DEGU1SEMENTS Elle a quitte son char vermeil. Sur sa tete brille une efoile. Un safran pur et precieux Colore sa robe et son voile. L'amour est peint clans scs beaux yeux. L'humble lit du berger timide La recoit. douces favours ! Sous elle le fcuillage aride Kenait, et la eouvrc de fleurs. XIX L'amour ne connalt point la crainte. Du bois Myrtis francbit 1'enceinte; II s'y cache, et voit s'approcher Celle qu'il ose ainsi chercher. Ses traits sont purs ; la violette S'entrelace a la bandelette Qui couronne son front serein. Sur sa longue robe dc lin Descend une courte tunique ; DE VENUS 287 Son regard est doux et pudique. Myrtis parait; elle rougit; II previent sa fuite, et lui dit : De Minerve, jeune pretresse, Mes yeux te suivaient a 1'autel. J'ai vu tes mains a la deesse OJTrir un encens solennel... Fuis! Ne sois pas inexorable. Fuis done! Avec toi je fuirai. Des fers attendent le coupable Qui profane ce bois sacre. Ta bouche menace et soupire. Imprudent! je plains ton delire. Grains le trepas, retire -toi. Non. Minerve, protege-moi. Mot fatal ! Son ame alarmee Le retracte^ inais vainement : Entre les bras de son amant Elle est en myrte Iransformee. II reciile, saisi d'borreur; II doute encor de son mallieur ; I)' une voix 6teinte il appelle La jeune viergc; avec frayeur II louche I'ecorce nouvelle ; St;s pleurs coulunt, et sa douluur Maudit la deusse indexible: 288 LES DEGUISEMENTS Dans le bois il entend du bruit ; 11 embrasse 1'arbre insensible, S'eloigne, revient, et s'enfuit. XX De la jeune et belle pretresse L'image poursuivait Myrtis. II fuit les autels de Cypris, 11 fuit la brillante jeunesse, Et chaque jour aigrit son mal. Un soir enfin, du bois fatal II francbit de nouveau 1'enceinte. H baise les rameaux cheris ; Au ciel il adresse sa plainte : Le ciel parait sourd a ses cris. Eole entasse les nuages; De leurs flancs sortent les orages ; Les eclairs suivent les eclairs; La foudre sillonue les airs. Le berger brave la tempete, Et les feux roulant sur sa tele. DE VENUS 289 Le myrte, arrose de ses pleurs, Par un faible et naissant murmure Semble repondre & ses douleurs. Prodi ge heureux ! L'ecorce dure Se souleve, et prend sous sa main L'albatre ej. les contours du sein. Une bouche nait sous la sienne, Et soudain une fraiche haleine Se mele a ses soupirs brulants. Les rameaux qu'en ses bras il presse. Transformer en bras ronds et blancs. Lui rendent sa douce caresse. Plus de combats, plus de refus ; Et de Minerve la pretresse Est deja celle de Venus. XXI l)es dieux la prompte messagere Part, vole, se inontrc a Myrtis, Et dit : \M reiae de Cythere I 290 LES DEGUISEMENTS \ Parul la plus belle a Paris : L'heureuse pomme fut pour elle; Mais entre Junon et Pallas Toujours subsiste la querelle, Et c'est toi qui les jugeras. En parlant ainsi, la deesse Est debout sur son arc brillant. Myrtis conteraple sa jeunesse, Ses yeux d'azur, son front riant, L'or de sa baguette divine, Les perles de ses bracelets, Et 1'echarpe flottante et fine Qui voile & demi ses attraits. Pourquoi gardes-tu le silence ? Reprend-elle : Reponds, Myrtis j Le refus serait une offense. Disputez-vous aussi le prix? Je le pourrais; j'ai quelques charmer _ Voyons. Promets-tu le secret? Oui. Jecrains... Soyez sans alarmes. Eh bien, juge; mais soisdiscret. Ce voile ci vos pieds doit descendre. Ce n'est pas tout : la volupte Embcllit encor la beaute, Et le prix est pour la plus tendre . L'iramortelle baisse les yeux, DE VENUS Repousse la main qui la louche, Aux baisers drrobe sa bouche, Et tombe sur Tare radieux. Assise sur un faisceau d'armes Kecouvert d'un leger tapis, Aux regards de 1'heureux Myrtit Pallas abandonne ses charmes. Le berger hesite, et pourtant tcarte d'une main tiniide Son casque a panaclie llottant, Sa lance d'or, et son egide. La cuirasse tombe a son tour, Et memo la blanche lunique. He Pallas la beaute pudique Vainement eveille r Amour ; Jumais il n'obtienl d<; retour. Le berger utomu* 1'iulmire, Mais affecte un cahne trompuur. 292 LES DEOU1SEMENTS La deesse voit su froideur, . Prend sa main, doucement 1'attire, Lc reroit dans ses bras, soupire, Et prudente elle repetait : On me croit sage ; sois discrut. XXIII Viens, jeune et charmante Theone. Non; Junon peut-etre t' attend : Jamais son orgueil ne pardonne. Qu'importe? Fuis. Un seul instant ! Demain je tiendrai mes promesses. Je brule des feux du desir. Viens : la beaute fait les deesses. Et qui fait lesdieux? Le plaisir. DE VENUS XXIV Myrtis devant Junon s'inclinc. Un diademe radieux, Ue pourpre un majitcan precieux , Un sceptre dans sa main divine, Annoncent la reine des cieux. An juge quo sa voix rassure Elle abandonne sa ceinture Et ses superbes vStements : Sans voiles et sans ornemenls, La nudite fait sa parure. Alors sur des coussins epais Que Tor et la perle enrichissent, Kt qui legerement flecbissent, Le berger place ses attraits 1 . Sis regards trou blent la deesse. Kile soupconne de Pallas La ruse et la donee faiblesse : I. l^s .itli-.iit- XXV Du haut des airs qu'elle colore, La jeune Iris descend encore. Myrlis la recoit dans ses bras. Elle se livre a ses caresses, Et pourtant elle dit tout bas : Si je tarde, les deux deesscs Pourront croire...Separons-nous. Suivent des baisers longs et doux. Je ne puis prononcer entre elles, Dit enfin le berger. Pourquoi? Egalement elles sont belles ; Et la plus aimable, e'est toi. DE VENUS 295 XXVI Reveuse et doucement emue , Elle arrive dans le bosquet Oil de Venus est la statue, A ses pieds d4pose un bouquet, Et dit : ft Cypris! je t'implorc; Protege-moi centre ton fils. Pour lui je suis trop jeune encore. Je ne veux point aimer Myrtis. Quelques jours apres, sa jeunesse De 1'amour craint moins les douceurs. D'un feston de myrte et dc flours Kile couronne la deesse, Oisant : Vois mon trouble secret. J'aime; apprends-moi comment on plait. Elle revient ; et le sourire Ouvre sa bouche qui soupire : " II m'aimc, o propice Vnus ! Seule a ses regards je suis belle ; 296 LES DEGUISEMENTS Mais je veux par qnelques rcfus Irritcr sa flanune nouvellc. Une guirlande sous sa main Sc deploie ; ct tie la statue, Que le ciseau fit belle et nue, Elle couvrait.... Myrtis soudain I)u leuillage sort, et s' eerie : Ne couvre rien, ma jeune amic: Grains Venus. Sans force et sans voix, Ellc rougit, ehancelle, glisse ; Et la guirlande protectrice Reste inutile ciitre ses doigts. XXVII Le sombre Pluton sur la tcrre Etait monte furtivement. De quclque nyrnphe solitaire 11 meditait renlevement. De loin le suivait son epouse : Son indilTeience est jalouse. DE VENUS 297 Sa main encor cueillait la ileur Qui jadis causa son malheur : II rcnaissait dans sa pensee. Myrtis passe; il voit ses attrnits, Et la couronne de cypres A scs chevcux entrelacee. II se prosterne : d'une main Ellc fait un signe; ct soudain Remontc sur son char d'ebene. Pres d'elle est assis le berger. Les coursiers noirs d'un saut leger Ont deja traverse" la plainc. Us volent; des sentiers deserts Les conduisent dans les enfers ; Du Styx ils franchissent les ondes. Caron murmurait vainement; Et Cerbere sans aboiement Ouvrait ses trois gueules profondes. Le larger ne voit point Minos, Du Destin 1'urne redoutable, IVAlecton le fouet implacable, Ni I'affreux ciseau d'Atropos. Avec prudence Proserpine Le conduit dans un lieu secret, Ou Plu ton, admis a regret, Partage sa couclie divine. 17. 2y8 LES DEGUISEMKNT6 Myrtis baise ses blanches mains, La presse d'une voix emue, Et la De"esse dcmi-nue Se pencho sur de noirs coussins. Elle craint un e"poux barbare : Le berger quitte le Tartarc. Par de longs sentiers tenebreux 11 remonte, et sa voix profane Ouvre la porto diaphanc D'ou sortent les Songes heureux. XXVIII Morphee a touche sa paupiere ; Elle dort sous 1'ombrage frais. DPS Zephyrs 1'aile familiere Devoile ses charmes secrets. Myrtis vient. douce surprise ! Hier au temple de Venus, Dit-il, j'ai fle"chi ses refus : Derobons la faveur promise... DE VENUS 299 Non, je respecte son sommeil; J'aurai le baiser du re veil. II voit un bouquet aupres d'elle ; Des roses il prend la plus belle ; Avec adresse, avec lenteur, Sa main la place sur 1'ebene, Et sa bouchc baise la fleur. II s'e"loigne alors, non sans peine, Et se cache dans un buisson, D'oii sort un leger papillon. L'insecte leger voit la rose, Un moment sur elle se pose, Puis s'envole, et fuit sans retour. Myrtis dit tout bas : C'est 1' Amour. XXIX Arretez, charmante deesse ! Votre main, au banquet des cieux, Verse le nectar, ct dos dieux Vous (-ternisex la jcunessc. - II est vrai; dans ma coupe d'ur 300 .LKS DEGUiSEiiEMS Tes levres trouveront cncor De ce breuvage quclquc reste : Bois done. J'ai bu. Quelle cbaleur Penetre mes sens ct inon cccur ! )> Restcz, 6 deesse ! Je rcstc. 11 est heureux, ct ses desirs Deraandent do nouvoaux plaisirs. En riant, la jeune immortelle S'e'cbappe, fuit, et disparatt. Le berger en vain la rappelle. Seul il marche-; de la forot II suit les routes tenebreuses : Et la dans ses bras tour-a-tour Tombent les mai tresses nombreuses Qu'un moment lui donna 1'amour. Un moment, bergeres, princesses, Nympbes, bacchantes, et deesses, Recoivent ses baisers nouveaux, Puis s'echappent : point de repos ; Du nectar la douce puissance Soutient sa rapide inconslance. Ses vooux n'appelaient point Vesta 1 , Et dans son temple elle resta. Las enfin, sous le frais ombrage 1 . Vovcz Inbleaii xiv. DE VENUS 301 II s'assied, et sa faible voix Implore une seconde fois L'ecliansonne au divin breuvage. Elle vient; a Myrtis encor Sa main offre la coupe d'or, Et deja les desirs renaissent; De son bienfait Hebe jouit ; Sous ses attraits les fleurs s'affaissent ; Plus belle ensuite elle s'enfuit. Le berger, dont la douce plainte La poursuit jusque dans les cieux, Sur le gazon voluptueux De ses cbarmes baise rempreinte, Et le sommeil ferrne ses yeux. XXX II doit; un baiser le reveille. surprise, 6 douce merveille! IVAmours lexers onvironne, I'n cliar par des cygncs tram6 Dans Pair IVmporle avec vitesse. 302 LES DEGU1SEMENTS La crainte agite ses esprits ; Mais la belle et tendre deesse Le rassure par un souris. Sur des coussins de pourpre fine, Pres de sa maitresse divine II s'assied, d'amour eperdu. Aussitot un voile etendu Forme pour eux un dais ulile. Myrtis, de surprise immobile, Dans Venus revoit les appas Des deesses et des mortelles Que ses yeux trouverent si belles, Et qui tomberent dans ses bras. Elle reponcl a son silence : Je t'aimai longtemps en secret. Tout est facile a ma puissance ; Et Venus de ton inconstance >> Fut toujours la cause et 1'objet. A ces mots, au bcrger timide Ses bras d'albatre sont tendus ; Par degres a sa bouche avide Elle livre ses charmes nus, Sous les baisers devient plus belle, Enfin permet tout h Myrtis, Et lui dit : Sois aussi fidele. Et moins malheureux qu'Adonis. DE VENUS 303 Consume d'amour et d'ivresse, Sur les levres de sa maitresse Myrtis boit le nectar divin ; II meurt et renait sur son sein ; Et cependant le char rapide, Glissant avec legerete Dans 1'air doucement agitc, Descend vers les bosquets de Gnide. FIN PES DEGFISEMENTS DE VENUS LK VOYAGE DE CELINE GOME EN VERSI La nuit s'eeoule, et vainement J'altends 1'ingrat qui rnc dolaisse. > Qiu'llc froideur dans un amant ! Quel outrage pour ma tendresse! " He"las ! I'liyinen fit mon malliour : Libre enlin, jeune encore et belle, I. Ce conte a etc publie a part, en 18(16, sons ce litre : /,o Voijinjex de Ci-liiie, poeme. Nous ne connai.ssons cette I'-dition qnc par le coinpte qui en a etc roiulii dans la Decade de JS06, t. 111. Ln critifjue tronvait qne le nom de poeme etait Imp aniliitinnt; il n? dontait pis qntt 1'autnur n'adi)ptnt plus I. ml celni de route, qui etait 1 iiKit prnpre. Cette observation ':tait bien li'-gi-re : Parny ton- tefois fn a profit*-. 306 LE VOYAGE J'aimai, je connus le bonheur; Et voila Dorval intidele ! Chez un peuple sensible et bon, Si noble et si galant, dit-on, Combien les femmes sont a plaindre ! L'hymen, 1'amour, 1'opinion, Les lois meme, il leur faut tout craindre. Trop heureux ce monde lointain, Fidele encore a la nature, Ou 1'amour est sans imposture, Sans froideur, sans trouble, et sans tin ! Pendant cette plainte cbagrine, Du jour tombe le vetement, Et sur le duvet tristeraent Se pencbe la jeune Celine. Un propice habitant du ciel, Connu de la Grece paienne, Une substance aerieime Que la-haut on nomme Morphel, Descend, 1'emporte, et la depose Dans ce desert si bien chante" ', Sur ces joncs si fameux qu'arrose Le Mississipi tant vante. 1. Allusion au roman d'Alala. DE CELINE 307 Des vrais amours c'est le theatre. Heureuse Celine ! En marchant, La ronce et le caillou tranchant Ensanglantent tes pieds d'albatre ; Mais ils sont vierges ces cailloux, Vierges ces ronces ; quel delice ! Vierge encore est ce precipice : Pourquoi fuir un danger si doux ? Dans ce moment vers notre belle Un liomme accourt, noir, sale et nu. Debout il reste devant elle, Et regarde : cet inconnu Est un sauvage veritable, Etranger aux grands sentiments, Bien indigene, et peu semblable Aux sauvages de nos romans. ;( Je t'epouse ; mais rien ne presse. j> En attendant, prends sur ton dos Ces outils, ces pieux, el ces peaux. :> Double ta force et ton adresse : " Au pied de ce coteau loinlain Cours vite; choisis bien la place, > Et batis ma liulte. Domain > Je le rejoins, et de ma cliasse Pour moi tu feras un feslin : Je pourrai t'en livrer les restes. 308 LE VOYAGE Bonsoir; bannis cet air chagrin, Et releve ces yeux modostes : Tu le vois, ton maitre est humain. Qu'en dites-vous, jeune Celine? Rien : elle pleure, et de Morpliel Fort, a propos 1'aile divine L'emporte sous un autre ciel. La voila planant sur les iles De ce Pacifique Ocean, Qui ne Tost plus quand 1'ouragan Vient fondre sur les Hots tranquillcs; Ce qu'il fait souvent, comme ailleurs. De vingt pleuplades solitaires Elle observe les lois, les moeurs, Et surtout les galants mysteres; Mysteres? non pas; leur amour A la nuit prefere le jour. Celine, en detournant la vue : L'innocence est aussi trop nue, Trop cynique : ces bonnes gens, Moins naturels, seraient plus sages. A 1'amour quels tristes hommages ! Les malheureux n'ont que des sens. Quoi ! jamais de jalouses craintes? Jamais de refus ni de plaintes? DE CELINE 301) Point d' obstacles? point d'importuns ? La rose est ici sans piqure, D Mais sans couleur et sans parfums. Un peu d'art sied a la nature ; Oui, sur 1'etofle do I' amour Elle permet la broderie. Adieu done, adieu sans retour A toute la sauvagerie, Bonne dans les romans du jour. Helas! elle n'en est pas quilte, Et se trouve, non saris regrets, Parmi les Nouveaux-Zelandais. La peuplade qu'elle visile D'une zagaie arme sa main, Y joint une hache pesante, Et marche Here et menacanle Contre le repaire voisin. Femmes, enfants, et leurs chiens meme, Tout combat : 1'ardeur csl extreme, Chez Celine extreme la peur. Les siens sonl battus : le vainqueur Saisit sa belle et douce proie ; (I louche, en grima<,anl de joie, La jambe, les mains, et les bras ; 11 louche aussi la gorge 'nue, 310 LE VOYAGE Et dit : Elle est jeune et dodue ; Pour nous quel bonheur! quel repas! Elle fremit, et sur sa tete Ses cheveux se dressent; Morphel Derange ce festin cruel ; En Chine elle fuit et s'arrete. Pres d^elle passe un mandarin, Qui la voit, I'emmene, et 1'epouse. 11 n'aimait pas; mais dans Pekin L'indiHerence est tres-jalouse *. Celine d'un brillant palais Devient la reine. Helas ! que faire, Dans un grand palais solitaire, D'une royaute sans sujets ? D'honneurs lointains on 1'erivironne ; A ses beaux yeux. a peine on donne Du jour quelques faibles rayons, Et dans le fer on emprisonne 1. Montesquieu, distiuguant la jalousie de passion d'avec la ja- lousie de coutume, de inceurs, de lois, dit qne celle-ci, froide, mais quelquefois terrible, peut s'allier avec 1'indifference et le me- pris. Au reste, cette jalousie des Chinois est expliquee, et meme justiflee par un autre passage de Montesquieu, qui s'appnie de Fau- torite de Duhalde : o Un livre classique de la Chine regarde comme un prodige de vertn de se trouver seul dans UD apparteinent recule avec une femme sans lui faire violence. DE CELINE 3H La blaiicheur de ses pieds mignons. L'epoux du moins est-il fidele ? Touche-t-il a ce doux tresor? Et sait-il que sa femme est belle ? Point ; il achete au poids de Tor Une guenon, et pis encor. Bon Morphel, hatez-vous : Celine Jamais n'habitera la Chine. II est sans doute moins jaloux, Et, plus brave, il sera plus doux, Le fier et vagabond Tartare, Vainqueur des Chinois si ruses, Si nombreux, et .nomine barbare Par ces fripons civilise's. D'une cabane solitaire S'approche la belle etrangere ; Elle entre : quoi ! point d'habitanls! Vient un jeune horaiue ; en trois instants Elle est amante, epouse, mere : En voyage on abrege tout. I'laignons cctte mere nouvelle. a Du menage le soin t'appelle, bit son Tartare ; allons, debout! > Elle se leve ; il prond sa place, Hume le julep cflicace, 312 LE VOYAGE Avale un bouillon succulent, Puis un autre; craint la froidure, Dans les replis d'une fourrure S'enfonce; parle d'un ton lent, Tient sur sa poitrine velue, ''*" , i Et berce dans sa large main L'enfant que sa mere eperdue Abandonne et reprend soudain, Recoit la bruyante visite * De 1'ami qui le felicite, Des parents, et des alentours ; Et pendant tous ces longs discours, La jeune epouse qu'on delaisse S'occupe malgre sa faiblesse, DC 1'accouche qui boit toujours 1 . A ce sot usage, dit-elle, 11 faudra bien s'accoutunier. Mon epoux du reste est iidele, Point negligent : on peut 1'aimer. Tout en aimant, dans leur chaumiere, 1. Get usage des Tartares est atteste par Marc-Paul. Quelques na- tions anciennes ont eu la meme coutnme; on 1'aretrouvee chez pln- sieurs peuplades du Nouveau-Monde. Elle a aussi existe dans le Bearn : u C'etait, dit Coloraies dans ses Melanges hlstorlques, p. 25, une assez plaisante coutume que celle qui s'observait aiitrefois dans le Bearn. Lorsqu'une femme etait accoucliee, elle se levait, et sou mari se mettait au lit, faisant la commere... DE CELINE 313 Lcur bienveillance hospitaliere Admet un soir deux voyageurs, L'un vieux, 1'autre jeune. On devine Qu'avec grace et gaiete" Celine Du souper leur fait les honneurs. Sa curiosite naive Les ecoute et devient plus vive. Mais pendant les recits divers, Sur leurs yeux les pavots descendent, Et separement ils s'etendent Sur des joncs de peaux reconverts. La Tartarie est peu jalouse. Va, dit-elle a la jeune Spouse, OITre tes appas au plus vieux. Y pensez-vous? Un rien t'etonne. Va, 1'hospitalite 1'ordonne. Vous y consentez? Je fais mieux, Je 1'exige. Mais il faut plaire )) Pour etre aime" : sans le desir, Comment pent naitre le plaisir? Je n'en ai point. Taut pis, ma chore; 11 en aura, lui, je 1'espere. S'il n'en avail pas ! sur mon front Qucl injuste et cruel affront ! Kile oheit, non sans scrupule, I J rcvient un moment apres. 18 314 LE VOYAGE Deja? dit 1'epoux ; tes altraits... Votre coutume est ridicule,, Etvous en etes pour vos frais. L'insolent ! S'il paratt coupable, Son age est une excuse. Non. La fatigue... Belle raisori! Cependant le sommeil 1'accable. J'y mettrai bon ordre; un baton ! A grands coups il frappe, reveille, Chasse, poursuit le voyageur, Et venge son etrange honneur. Puis il dit : L'autre aussi sommeille ; Mais avant tout il voudra bien Faire son devoir et le mien. Va. Peux-tu...? Point de remontrance. J'ai cru qu'on savait vivre en France. Tout s'apprend ; a vivre elle apprit L'etranger poursuit son voyage j A sa fern me docile et sage Le rnari satisfait sourit> Et dit d'une voix amicale : Ecoute; la foi conjugale A 1'usage doit obeir ; Mais a present il faut, ma chere, >) Expier ta nuit, et subir Une penitence legere. DE CELINE 315 Le houx piquant arme sa main ; Son epouse repand des larmes, Et les larmes coulaicnt en vain ; Aux fouets Morphel soustrait ses cliarmes. Voici I'Inde ; spectacle affreux ! Que veulent ces coquins de Brames D'un bucher excitant les flammes, Et ce peuple abruti par eux? La victime est jeune et jolie, Repete Celine attendrie ; Je la plains, et 1'usage a tort. i) On doit pleurer un mari moit, !> Et sans lui detester la vie ; Mais le suivre ! c'est par trop fort. Vers Ceylan 1'orage la pousse. La loi dans cette ile est tres- douce, Et deux maris y sont permis '. Celine plait a deux amis. Entre eux ils disent : Femme entiere Pour chacun de nous est trop chore ; Partageons ; a son entrctien 1. Cettc permission cxistc anssi <]*,,. certains Iroqnois, scion !. temoignage de Liffltcan. D'anlrcs jwnples encore ont legitimii la plnralite des maris. 316 LE VOYAGE Alors suffira uotre bien. Si 1'epouse est active et sage, Les soins, les comptes du menage Par elle seront mieux regies : Les garfons toujours sont vole's. Que fait Celine ? One folie. Mais 1'amour jamais en Asie Ne se file: point de delais; Et \oi\h nos deux Chingulois * Maries par economic. La beaute partout a des droits : Pour Celine, le premier mois Fut neuf et vraiment admirable ; Le second seulement passable, Le troisieme assez miserable, Le quatrieme insupportable. J'aurais du prevoir ces dugouts, Dit-elle. Quel sot manage ! L'homme qui consent au partage N'est point amant, pas ineme epoux. Au public je parais heureuse ; J'ai de beaux schalls, un bel ecrin, Et dans rnon leger palanquin 1. Les natnrcls de fleylan forment deux nations : Ins Bedas et Ins Chingulois. DE CELINE 317 Je sors brillante et radieuse ; Je suis maitresse a la maison, Mais toujours seule. Ma raison Sail juger les lois politiques Et les abus enracines; Dans les Etats bien gouvernes, II n'est point de filles publiques 1 . Passons-lui cet arret leger, Ne fut-ce que pour abreger. Jeune femme que Ton offense Trouve aisement a se venger; Mais, quoique juste, la vengeance Pour elle n'est pas sans danger. Chez leur Spouse avec mystere Les deux amis entrent 1111 soir. Que veulent-ils? Le froid devoir A la beaute pourrait-il plaire? . Au devoir ils ne pensent guere. A quoi done ? Vous 1'allez savoir : L'un d'opiuin tient un plein verre, I/autre un lacet : il faut clioisir. Non, repond-flle ; il faut parl.ir. Elle part, vole, voit I'Afrique, I. Nc fallait-il pas dire " d'l'-poiises pnliliqnes, d't'iionses fni mnnes. IX. 318 LE VOYAGE Passe le brulant equateur, Et chez un pcuple pacifique Trouve 1' amour et le bonheur. Est-il de bonheur sans nuage ? Son amant 1'observe de pres j II craint ; et fidele a 1'usage, II s'adresse a 1'areopage, Compose de vieillards discrets. En pompe on vient prendre Celine, Et dans le temple on la conduit. Blanche et triste y sera sa nuit : De 1'inconstance feminine L'ange correcteur descendra, Et Celine s'en souviendra. En effet, il vient. Notre belle, Tombant sous sa robuste main, Frissonne, et la verge cruelle Va punir un crime incertain : Du pays c'est 1'usage etrange. Mais, par un miracle imprevu, Un eclat soudain repandu Remplit le temple : voila 1'ange Qui s'echappe sans dire un mot, Et Celine crie aussitot : Quoi ! c'est mon amant ? Quel outrage ! Quelle ruse ! Quoique sauvage, DE CELINE 319 Ma foi, ce peuple n'est point sol. Fuyez; le danger peut renaitre. I On parlc d'un peuple voisin ; Cliez ce peuple la loi peut-etre Vous accorde un plus doux deslin : II faut tout voir et tout connaitre. Elle arrive, et sourit d'abord. Point de princes ; mais des princesses Dont les refus ou les caresses De leurs e"poux reglent le sort. L'epoux n'a qu'un mince partage. De sa fcmme empruntant 1'etat, Prince sans cour et sans dclat, II plait : c'est son seul apanage : Amour eternel et soumis, C'est sa dette. De par 1'usage, A l'<5pouse tout est permis, A 1'^poux rien. Veill^ par elle, S'il s'avise d'etre infulele, Le voila deprincipis^, Battu, proscrit, et m^prise. Vous soupirez, belle Celine? Qu'avez-vous done? Je le devine, II faut un trone a la beaut<5; Qu'elle resile, c'est son partage ; 320 LE VOYAGE Mais ce principe clair ct sage, Par les pofites adopte, Et dans les chansons re"pete, N'a point encor change" 1'usage : L'usage est un vieil eiitf'te. Ce pays, si j'etais princesse, Dit Celine, me plairait fort; ' Mais des autres femmes le sort, Comme ailleurs, m'afflige et me blesse. Que je hais la loi du plus fort ! Si la force, frondeuse aimable, Est parfois injuste pour vous, La loi du plus faible, entre nous, Serait-elle bien Equitable? Sur ce point on disputera, Et jamais on ne s'entendra. Femme jolie est difficile. Morphel, toujours preste et docile, La transporte plus loin, plus pres, Je ne sais oil. Dans cet asile Ses vo3ux seront-ils satisfaits? Un peuple immense 1'environne ; D'or et de myrte on la couronne ; Avec pompe sur un autel Un groupe amoureux la depose ; DE CELINE 321 A ses pieds qui foulent la rose On brule un encens solennel ; Les hymnes montent jusqu'au eiel Jadis dans ses plus beaux ouvrages L'homme adora le Createur; Mais du jour 1'astre bienfaiteur Avait-il droit a taut d'liomraages? Femme, nos vccux reconnaissants Reparent celle longue injure; Doux chef-d'oeuvre de la nature, Recois notre eternel encens. Messieurs, dit-elle, quel prodigc ! Chez les plus forts tant de raison, Tant de justice! Mais oil suis-je? De ce pays quel est le nom ? Une voix lui repond : Princesse, Reine, iinperatriee, deesse, Regnez sur un peuple d'amants. Pour les homines sont la trislessr, L'espoir tiniide, les tounnents, La ftille ct jalouse tendresse, Et Tesclavage des serments ; Pour vous toujours nouvelle ivrosso, Toujours nouveaux encliantomonts, Memes altrails, inrme jeunesse; Kt les plaisirs pour votro allosse 322 LE VOYAGE ') En jours changeront leurs moments : Elle est an pays des romans. Tout disparait ; et c'est dommage. Get Episode du voyage Coute a Celine quelques pleurs. Pour la distraire, au loin son guide La promene d'un vol rapide. Dans un bois d'orangers en fleurs, Qu'un vent doux rafraichit sans cesse, Elle entre, et dit : Lieux enchanteurs, Ou sont vos lieureux possesseurs? Passent un Cafre et sa maitresse. Quelle maitresse ! Pour cheveux, L'epaisseur d'une courte laine j Pour habit, des signes nombreux Imprimes sur la peau d'ebene ; Le front et le nez aplatis, Des deux levres la boursoudure, Bouche grandc et los yeux petits, Un sein flottant sur la ceinture, Bref, le fumet de la nature, Et ses gestes trop ingenus : Chez les Cafres telle est V^nus. L'orgueil est parfois raison liable : Celine done de sa beaute DE CELINE 323 Pr^voit 1'efiet inevitable, Et craint un viol effronte. Touchantes, mais vaines alarmes ! A 1'aspect de ces nouveaux charmes, L'Africain recule surpris, De la surprise passe aux ris, Et dit : 1'etrange figure ! D'ou vient cette caricature? Us sont plaisants ces cheveux blonds, Flottant presque jusqu'aux talons. Quelle bouche ! on la voit a peine. Jamais sein, cbez 1'espece hinnaine, D'une orange eut-il la rondeur? Vive une inollc negligence ! Des yeux bleus? quelle extravagance ! Blanche et rose? quelle fadeur ! Va, guenon ; cache ta laiclcur ' . Celine, etoulTant de colere , S'enfuit, et ne pouvait mieux faire. <( Ce pays, malgre" son beau del , )> Malgre son printemps dternel , De tous est le inoins habitable. 1. DCS ccrivains reli'ibres, n dit liernardin, u out avancc que les >'egrcs trouvaicnt leur couleur plus belle que celle des blancs; mais ils so sont trompcs. Fuis il outre dans 1111 detail a&sez long, et peu coacluaiit. 324 LE VOYAGE EHe dit ; Tango sccourable De ces mots devine le sens; 11 1'enleve, et, tandis qu'il vole, Par quelques grains d'un doux encens Sa bienveillance la console '. Celine, moins tiraide alors, Regarde son guide, soupire, Et son trouble en vain semble dire : Pourquoi n'avez-vous pas un corps ? Dans les plaines de la Syrie, Enlin la depose Morphel. Partout on rencontre Israel. Israel la trouve jolie, La mene au marche de Damas, Et met en vente ses appas. Auriez-vous done un prix, Celine ? Un gros Turc arrive en i'umant, De la tete aux pieds 1'examine, I. Decade : Sa bienveillance la console. Bien ruieux que les sages discours, L'encens coiisolera toujours. Cette variaute de la premiere edition necessite quelqne ditt'ereuce dans les vers qni suivent : mais, comme nous 1'avons deja dit, nous u'avons \M nous procurer cette edition. DE CELINE 325 Toujours fume et dit froidement : Est-elle vierge? Nun; Francaise. Combien? Mille piastres. Ah, juif! Grace et gentillesse. Fadaise ! Le regard doux et fm. Trop vif. J'aimerais mieux une rnaitresse D' esprit et de corps plus epaisse. Mais passons sur ce dernier point : Du repos, un mois d'epinettes, Et de baume force boulettes, Doubleront ce mince embonpoint. Trois cents piastres. Par le Propliele, Je suis des juifs le plus honnete, Et je veux au fond des enfers Tombervivant... Point de blaspheme ! Adieu. Cinq cents? Trois cents, et nieme. Allons, prenez-la; mais j'y perds. L'autre paie, a regret peut-etre, Et lentement s'e"loigne. En maitre A sa porte il frappe trois coups r Aussitot se meuvent et crient SeiTures, barres, et verrous. Pauvre Celine, oil tombez-vous! Trois ri vales ! Elles soui lent Mais de depit; ct le courroux S'allume dans lours yeux jalojix. 326 LE VOYAGE L'injure peut-etre allait suivre : Le Mustapha, sans s'emouvoir, D'un rnol les rend a leur devoir : Paix et concorde ! ou je vous livre Aux fouets du vieil eunuque noir. En vain leur fierte mecontente Fit valoir ses drolls au mouchoir ; II fallut a la debutante Ceder le role et le boudoir. Point de premier acte en Turquie ; La Francaise y tenait un pen ; Le Musulman siffle son jeu, Et se fache : la comedie Devient drame, et puis tragedie. Celine done, pour denouement, Prend un stylet de diamant, Le laisse echapper, le releve, S'eveille avant le coup fatal, Et s'ecrie : Ah ! c'est toi, Dorval ! Apres je te dirai mon reve *. Malgre quelques legers degouts, Mesdames, demeurez en France. i . Decade : J6 veux te raconter moii reve. DE CELINE 327 Le pays de la tolerance Est-il sans agrements pour vous? Trop souvent un epais nuage Obscurcit le ciel des amours, Et sur I'hymen gronde 1'orage; Mais, si vous donnez les beaux jours, Convenez-en, presque toujours Les tern petes sont votre ouvrage. Quelle imprevoyance, et parfois Quelle erreur dans vos premiers choix ! L'ennui peut paraitre incommode : Le mot de moeurs est & la mode , La moralite vous poursuit ; En prose, en vers, meme en musique , Sans gout, sans cause, on vous critique , Sans tin, sans treve, on vous inslruit; Maint vieux libertin emerite , Maint petit rimeur hypocrite, Maint abonne" dans maint journal, De vos plaisirs, de vos parures, De vos talents, de vos lectures, Se fait contrOleur g6ne"ral : Eh bien ! a tout cela quel mal ? De vous ces gens n'approchent guere, Et vous ne lisez pas, j'espere, t'n sot qui croit i'tre moral. 328 LE VOYAGE DE CELINE Cessez done vos plaintes, Mesdames. L'infaillible figlise jadis A vos corps si bien arrondis Durement refusa des ames; De ce concile injurieux Subsiste encor 1'arret supreme : Qu'importe? vous charmez les yeu.\ . Le coeur, les sens et 1'esprit meme : Des ames ne feraient pas mieux. FIN DU VOYAGE DE CKMNE MELANGES ROMANCE Vous, qui dc 1'amoureuse ivresse Fuyez la loi , Approchez-vous, belle jeunesse ; Ecoutez-moi. Volre cocur a l>eau se deTendre De s'enflammer, Le moment vient ; il faut so rendre ; II fuut aimer. Hier au Iwis ma cherc Annette Prenail le frais; Kile cliantaitsnr sa musette ; N'aimons jamais. I. Voir, nr cfttc romance, la note <\? la page R. 332 MELANGES M'approchant alors par derriere, Sans me nommer, Je dis : Vous vous trompez, ma cherc, II faut aimer. En rougissant, la pastourelle Me repondit : D'amour la flecho est bieri cruelle; On mo 1'a dit. A treize ans le cocur cst trop tcndro Pour s'enflammer; C'est a vingt ans qu'il faut attendre Pour mieux aimer. Lors je lui dis : La beaule passe Comme une flour ; I'll souffle bicn souvent I'eflaee Dans sa fraicheur; Rien ne pent, quand elle cst flelric, La ranimer : C'est quand on est joune et jolie Qu'il faut aimer. 4F'* llelle amie, a si douce atteinle Cedez un pen; Cot amour, dont vous avez crainle, ROMANCE 333 N'est rien qu'un jeu. Annette soupire et commence A s'alarmer; Mais ses yeux m'avaient dit d'avance II faut aimer. L'air etait frais, 1'instant propice , Le bois touffu. Annette fuit ; le pied lui glisse ; Tout est perdu. L'amour, la couvrant de son aile, Sut Taninier. Helas ! je vois trop , me dit-elle, Qu'il faut aimer. Les oiseaux, temoins de 1'alTaire, Se baisaient mieux ; I/onde, plus tard qu'Jt 1'ordinaire, Quittait ces lieux. Les roses s'empressaient d'erlorc Pour ernbaumer; Kt I'tcbo repotait encore : II faut aimer. 19. 334 MELANGES A ELEONORE Aimer a treize ans! diles-vous; (Test trop lot. Eh ! qu'importo l'age ! Avez-vous besoin d'etre sage, Pour gofiter le plaisir dcs fous ? JSe prenez pas pour une affaire Ce qui n'est qu'un amusement : Lorsque vient la saison de plain;, Le cojur n'est pas longtemps enfant. An bord d'une onde fugitive, Heine des buissons d'ahsntour, Une rose a demi captive S'ouvrait aux rayons d'un beau jour, tgare par un gout volage, Dans ces lieux passe le Zephyr. II 1'apeivoit, et dn plaisir Lui propose 1'apprentissage ; Mais en vain : son air ingenu No louche point In fleur cruelle. A ELEONORE 335 De grace, laissez-moi, dit-elle; A peine vous ai-je cntrevu. Je ne fais encor que de naltre. Revencz ce soir, et peut-etre Serez-vous un pcu niieux recu. Zephyr s'envole a tire d'ailes, Et va se consoler ailleurs; Ailleurs : car il en est des fleurs A peu pres comme do nos belles. Tandis qu'il fuit, s'elevc un vent Un peu plus fort que d' ordinaire, Qui de la rose, en se jouant, Delaclie une feuille legere. La feuille tombe, et du courant Elle suit la pente rapide : Une autre feuille eu fait autant, Puis trois, puis quatre ! en un moment L'effort de 1'Aquilon perfide Eut moissonne tous ccs appas, Fails pour des dieux plus delioats, Si la rose cut ete plus line. Le Xephyr rcvint : mais, helas ! II nt- ri'stail plus que lupine. 331? MELANGES LA MALADJE D'ELEONORE C'cn cst fail : la faux du trepas So leve sur ma jeune amie; Le feu d'une fievre ennemie Brulc ses membres delicats. Jc 1'ai \ue au milieu des peincs; Sur son front j'ai pose" la main : douleur ! j'ai senti soudain Ce fcu qui coule dans ses veines. Ses yeux peignaient I'egaremenl Et le desordre de son ame ; Ses yeux, (jue je vis si sou vent Driller d'une plus douce flamme, N'ont point reconnu son amant. Abandonnez-vous ma maltresse, Dieux, qui veillez sur la jeunesse ; Dieux qui prolcgez la beaute ? Voyez p;ige 111. PORTRAIT 337 Far quel crime ai-je me'rile Le coup dont fremil ma tendresse ? Voyez ses maux, voyez mes pleurs, Voyez son trouble et mon supplice ; Et, si 1'aspect de nos douleurs Ne flechit point volre juslice, A mes cris si vous etes sourds, En vain votre bonte cruelle Me prepare de nouveaux jours : Je n'aurai ve"cu que pour elle. PORTRAIT Zelis'cst aimable el jolicj On lui trouve de loin un air de volupte. De pros c'est bien Venus, rnais Venus assoupic; I.'ame et Vexpression manquent a sa beautt' 1 . Le travail d'cxisler accable sa paresse. Sa lan^ueur quelquefois ressemble a la lendresse, Et dans sa langueur elle [lait. Un long sommeil fait son bonheur supreme. 338 MELANGES En vous jurant qu'elle vous aime, En vous disant 1'heure qu'il ost, Son ton sera toujours le meme. Si je peignais Zelis, sous mes crayons nouvcaux S'eleverait une lie solitaire, Inaccessible au bruit, chere au dieu du repos. Un fleuve avec lenteur y trainerait ses flots ; Jamais I'Aquilon temeraire N'oserait y troubler la surface des eaux; Zephyre merne y sonfflerait a peine. Sur le gazon, qui couvrirait la plaine, Je semerais des lis et des pavots; Les ruisseaux couleraient, mais sans aucun murmure ; De tranquilles amarils, couches sur la verdure, Dans leurs molles chansons rediraient leurs plaisirs j Les regrets ni les soins, 1'espoir ni les desirs IS'e troubleraient le sommeil de leur ame ; Jamais i'amour n'y serait une flamme. Sur un autel de marbre on y ferait des voeux Au dieu du calme et du silence. Zelis regnerait dans ces lieux, Et son nom serait 1'Indolence. A MONSIETR DE F. 339 A MONSIEUR DE F. Je croyais qu'avec I'lnfidcle Tons ines liens elaienl ronipus; Mon cneur ne m'en reparlail plus; De loin je la trouvais moins belle. Doux espoir Irop tot dissipe" ! Elle a souri, je 1'aiine encore, L'inconstante! rile m'a trompe, Elle me trompe, et je 1'adore. Epargne-toi de vains discours. Va, j'entrevois inieux que personnc Le mensonge de ses amours, Kt des plaisirs qu'elle me donne ; Ma raison Taccuse toujours, Et toujours mon crenr lui pardonne. Ce ctBur (ju'elle a Irop meconnu, Ce c(cur pour elle prevenu, Doute enc;or de son inconstancy. Hier, apres deux mois d'altsence, Elle repiirut dans ces lieux : 340 MELANGES J'ai mal cvite" sa presence, Je 1'ai vue : 6 moment heureux ! Sur ses levres, et dans ses yeux, J'ai cru lire son innocence. Tu ris de ma cre'dulite'. Mais du soin de ma liberte En vain ton amitie s'occupe : Le dieu, qui la fit pour charmer, M'avait fait pour toujours 1'aimcr, Et pour etre toujours sa dupe. UN MIRACLE. 1 AN III (17911) Iliez, riez, mauvais plaisants, Des coureurs de messes nouvelles, Des gens a culte, des marchands Au dimandie toujours fideles ! Par un seul mot on vous repond ; 1. Parny a inserecet innocent badinage dans ses editions de 1802 et 1803. Un scrupule exagere 1'avait fait supprimer dans celle de 1827. UN MIRACLE 341 Par un miracle on vous con fond : Miracle des plus authenticities, Des mieux fails, tout frais advenu, Et que cent temoins veridiques En plein jour cle leurs yeux ont vu. Dej& dans Paris il circule; De saints pretres 1'ont raconte; Des amateurs 1'ont colport6, Et la vieille la moins credule A son voisin 1'a repete". Par ses cochons Troye * est fameuse. Dans cette ville trop heureuse Les apotres, depuis les Goths, Posscsseurs de la cathedrale, Tallies en pierre, grands et beaux, Ediliaient ('ceil des devots. Par leur stature colossale, Ce digne ouvrage des Chretiens Aux savants rappelait sans cesse l-e cheval de bois dont la Greco Fit present a d'autres Troyens. L'n fou (notre France en est pleino) De la repuliliqne acheta I. Trnycs cii Champn^'iie. : \'ole tie I'nrny. 342 MELANGES Cettc apostolique douzaine, Qu'il ent mieux fait dc laisser la. II re"pe"tait : Vous etes Pierre, Et ce sera sur cette pierre Que je batirai ma maison. En effet, cet homme pen sage Sur nos saints batit sans facon \ Un Edifice a triple etage. Aucun revers il ne prevoit. Dans une confiance entiere Sa main coupable, sur le toit Attachait 1'ardoise derniere : Alors arrive le de"cret * Qui des messes longtemps bannies, Du Salut, et des Litanies, Tolere le retour discret. Cent bouches soudain le repandent, Et nos saints enfouis l'entendent. Ma patience etait t\ bout, Dit Pierre : Aliens, debout ! debont ! Sa voix leur donne du courage. Du ciment chacun se degage, Chcrche ses jambes et ses bras, Son front carre", ses cbeveux plats, t. Lfi deorct du 3 ventosc an III, snr la Hhcrte des cnltes. EP1TRE AUX INSURGENTS 343 Surtout sa mitre e'piscopale; Reprend ses membres et son bien ; Laisse la maison sans soutien, Et retourne a la cathedrale. L'edifice croule aussitot. Voila notre acquereur bien sot, Bien mine ; disant a d'autres, Qui sur 1'Eglise ont des projets : Helas! croycz aux douxc apotres, Et no les aclietez jamais. EIMTRE AUX INSURGENTS* Parlez done, Messieurs do Noslon ! Se peut-il qu'au siodo on nous sommes, Du monde Iroiiblant I'liinsson, i. Cettc ^[litrc parut en 1777. II y a anssi de Pnrat nno f.pitrr mix Insurgents. Ello ost fl-ins un ton ot un onlre (ridi-cs qni snrprcnncnt im JKIII sous la jiliinic do c fali> poi ; te. AUX INSURGENTS firavo, messieurs les Insurgents! Vainqnenra Les accents flutes de sa voix. Tantot, nageant avec vitesse, II s'egare en un long circuit; Tantot sur le Hot qui s'enl'uit 1. VIBOU.E, Eiifiilf, Vii, 699 : Ceit quondam mm liquida inter nnliila cycni, Quidft sesc e pastil referunt, ct Ivuya ctnwros Dant per cvllu mudvs. 364 MELANGES 11 se balance avec mollesse. Sou vent il plonge comme un trait; Cache sous 1'onde il nage encore, Et tout-a-coup il reparait Plus pres de celle qu'il adore. Leda, conduite par 1' Amour, S'assied sur les fleurs du rivage, Et le cygne y vole a son tour. Elle ose sur son beau plumage Passer et repasser la main, Et de ce frequent badinage Toujours un baiser est la fin. Le chant devient alors plus tendre, Chaque baiser devient plus doux ; . De plus pres on cherche a 1' entendre, Et le voila sur les genoux. Ce succes le rend temeraire; Le"da se penche sur son bras; Un mouvement involontaire Vient d'exposer tous ses appas; Le dieu soudain change de place. Elle murmure faiblement ; A son cou pencfte mollement Le cou du cygne s'entrelace; Sa bouche s'ouvre par degres Au bee amoureux qui la presse; LEDA 365 Ses doigls lentement egares Flatten! 1'oiseau qui la caresse; L'aile qui cache ses attraits Sous sa main aussit&t frissonne, Et des charmes qu'elle abandonnc L'albatre est louche^ de plus pres. Bicntot ses baisers moins timides Sont echaufles par le desir ; Et prece'de' d'un long soupir, Le ge"missement du plaisir Ecliappe a ses levres humides. Si vous trouvez de ce tableau La couleur quelquefois trop vive, Songez quo la fable est naive, Et qu'elle conduit mon pinceau ; Ce qu'elle a clit, je le re 1 pete. Mais elle oublia d'ajouter Quo la m^disance indiscrete Se mit soudain a raconter De L(^da 1'^trange dofaite. Vous pensez bien que ce rdcit Enorgueillit le peuple cygne ; Du moine honneur il se mil digne, El plus d'un surces I'cnhardit. Lt's fttmmes sont capricieuses ; 3f.fi MELANGES II n'&ait flcuveni ruisseau Ou le cliant du galant oiseau IVnttirat les jounos baigneuscs. L'exemple elait vcnu (les cieux ; A mal faire 1'exemple invite : Mais cos vauricns qu'on nomine dicux Ne vculent pas qu'on les imite. Jupiter previt d'un tel gout La dangereu.se consequence ; Au cygne il 6la 1'eloquence : En la perdant, il perdit tout. N U V E L L E EX Til A R D I N A I R E A BERTIN Tu connais la jeune Constance Don I I'orgiicil et 1'in difference Inlimidaient rAmour, les Graces, ct les Jeux : Sa pudcur semblait trop faroucho ; Raremont le sourire cmbellissait sa bouclie; NOUVELLE EXTRAORDINAIRE 367 Raremcnt la douceur se peignait dans ses yeux. Les uns admiraient sa sagesse : Tant de reserve a dix-neiif ans ! D'autres disaient: L' Amour est fait pour la jeunessc; La nature a Constance a refuse des sens. Mais 1'autre jour cette Lucrece D'un mal nouvoau pour elle eprouva les donlours. On dit que malgre sa faiblesse Elle sut retenir et ses cris et ses pleurs. Ce dangereux effort epuisa son courage ; De ses sens un moment elle perclit 1'usage; Puis, en ouvrant des yeux plus calmes et plus doux, Elle trouva 1'Amour couche sur ses genoux. Penetrer ce mystere est chose difficile. Les uns, sur la foi de Virgile, Disent que ce petit Arhour An souffle du Zephyr doit peut-t A> tre le jour *. Mais d'autres avec eloquence Nous vantent le pouvoir de cette fleur sans nom Qui servit autrefois a la chaste Junon, 1. Virgile, parlant des cavales, (Jeor. in, 272 . Ilia-, Ore OHMis rtrsw J'H Zephyrum, slant nimbus altis, Exceptantque Icves auras ; et .sir/ie sine uWi'.s Conjuijiis, venlo gravidtr, mintliile diclu'... Dijfugiunt... 368 MELANGES Lorsqu'au dieu des combats clle donna naissance '. Decide, si tu peux. Hier j'ai vu Constance; Constance a 'perdu sa fierte. Le chagrin sur son front laisse un leger nuage, Et la paleur de son visage Donne un charme a ses traits plus doux que la beaule. Sa contenance est incertaine ; Ses yeux se levent rarement ; Elle rougit au mot d'amant, Soupire quelquefois, et ne parle qu'a peinc. VERS SUR LA MORT D'UNE JEUNE FILLE Son age e'cbappaita 1'enfance; Riante cornme 1'innocence, Elle avail les traits de 1'Amour. Quelques mois, quelques jours encore, 1. Cette fable est racontee dans les Fti.ilfx il'flriile, 1. V, jfr 231 et sniivants. COUPLETS 369 Dans ce cceur pur et sans detour Le sentiment allait eclore. Mais le ciel avait au trepas Condamne ses jeunes appas. Au ciel elle a renclu sa vie , Et doucement s'est endorraie Sans murmurer centre ses lois. Ainsi le sourire s'efface ; Ainsi meurt, sans laisser de trace, Le chant d'un oiseau dans les bois. COUPLETS POUR LE MARIAGE DE MADAME MACDONALD' An X (1802) Aimoz-vous les divers talents, line voix flexible et sonore, Sur le clavier des doigts brillants, i. Madame la mare'ch.ile Macdonald, dnrhes.se de Tarente ct fillo de madame la presidents de Mrmtholon. 21. 370 MELANGES Les pas legers de Tcrpsicliorc? Aimez-vous un esprit sans art Ou toujours la grace domino?* Aimez-vous la beaute sans fard? Clioisissez unc Zepliyrino. Get ensemble cst rare, dit-on. Quand il se trouve, Ton assure Quo souvent 1'affectation Gate cos dons de la nature. Alors ils perdent tout leur prix ; Alors Ics fleurs ont des opines. Croyez-moi, Messieurs, dans Paris On voit hien pou de Zepbyrincs. II est bean durant 1'tipre liiver D'allor conqucrir un royaume 1 , De lerrasser 1' Anglais si ficr -, De vaincre Mack, et Naple, ct Home 3 , D'arrcter le Russe trois fois 4 , 1. Conqnt'te de la Ilolhnde sons les ordrcs dn general Piclicgrii. (Note de Parity.) 2. Campagne en Flandre et dans la Bclgiqnc. (,V, He P.) 3. Campagne d'ltalie, reprise de Rome, et dofaitc de la nora- breuse armee commandee par le roi de Naples et par le general Mack. (.V. tie P.) 4. liataille de la Treliliia. (,Y. rfc />.) INSCRIPTION 371 Kt d'elfrayer au loin Messine * : Mais il manquait a ces exploits La conqtiete de Zephyrine 2 . INSCRIPTION POUR U.\E FONTAINE QUF BEMPLACAIT LA STATUE DE SAINT ItOAHNIQUE l/image du grand Dominique, Biideur de la gent heretiqne, Trop longtemps allristuces lienx. A eft terrible saint succede nne onde pure. C'est prevoyancc ; il faut laisser a nos nevenx Des remedes pour la brulure. 1. Ln roi de Naples sV;lait refiigii'- on i-icilp. (.Y. ilc I'.} 2." Voyf 1. dans la Notice ilc Tiswit snr Parny ilfs details intt'rps- sauts snr la liaisoji di; I'arny ct dn nian'-clial .Macdmiald. 372 MELANGES LE HEVEIL D'UNE MERE 1 Un sommeil calme et pur comme sa vie, Un long sommeil a rafraichi ses sens. Elle sourit, et nomme ses enfants : Adele accourt, de son frere suivie. Tous deux du lit assiegent le chevet ; Leurs petits bras etendus vers leur mere, Leurs yeux na'ifs, leur touchante priere, D'un seul baiser implorent le bienfait. Celine alors d'une main caressante Contre son sein les presse tour a tour ; Et de son coeur la voix reconnaissante Benit le ciel, et rend grace a 1'amour : Non cet amour que le caprice allume, Ce fol amour qui par un doux poison 1. Ce charmant tableau d'interienr montre assez qne Parny, dont le pincean fnt trop sonvent licencieni, savait, a 1'occasion, manier les tons les plus cbastes. On regrette -vraiment de ne pas rencontrer chez lni un plus grand nombre de ces pures inspirations. LE REVE1L D'UNE MERE 373 Enivre 1'anie et trouble la raison, Et dont le miel est suivi d'amertume ; Mais ce penchant par 1'estime ejmre, Qui ne connalt ni transports ni delirc, Qui sur le Cffiur exerce un juste empire, Et donne seul un bonheur assure. Bientot Adele, au travail occupe>, Orne avec soin sa docile poupe"e, Sur ses devoirs lui fait un long discours, 1,'ecoute ensuite ; et, repondant toujours A son silence, elle gronde et pardonne, La gronde encore, et sagement lui donne Tons les avis qif elle-meme a recus, En ajoutant : Surtout ne mentez plus. Un bruit soudain la trouble et 1'intimide. Son jeune frere, ecuyer intre"pide, Caracolant sur un leger baton, Avec fracas traverse le salon Qui retentit de sa course rapide. A cet aspect, dans les yeux de sa sow L'e'tonnement se mt'-le a la lendresse. Du cavalier elle admire I'adressc; Et sa raison condamne avec douceur Cejou nouveau qui pout etre funeste. Vaine le^-on ; il rit de sa frayeur; 374 MELANGES * Dos pieds, des mains, dc la voix et du gestc, DC son coursier il hate la lenteur. Mais le tambour au loin s'est fait entendre : D'un cri de joie il ne peut so defendro. II voit passer les poudreux eseadrons * ; Do la trompette et des aigres clairons Le son guerrier Famine; il vcut descend, 11 vout combattre ; il s'arme, il est arme. Tin chapeau roncl surmonte 'd'un panacho Couvre a demi son front plusenflamme; A son cote fiercment il attache Le buis paisiblc en sabre transform^; II va partir : mais Adele trcmblanle, Courant a mi, le retient dans ses bras, Verse des plenrs, et ne Ini permet pas De se ranger sous 1'cnseigne flottantc. De 1'amitie le langage touchant Flechit enfin ce courage rebel le ; II se desarme, il s'assied aupres d'elle, I. Ges vers font songer atix belles strophes dn Yieii.r Scrgent, do BcTanger : Mais qu'entend-il? Le tambour qui resonne; II voit au loin passer im bataillon. Le sang remonte a son front qui grisonne, Le vieux coursier a senti 1'aiguilloii... A B Ell TIN 375 Et, pour lui plaire, il rcdevienl enfant. A tons leurs Jens Celine cst attentive, Et lit deja dans leur Time naive Les passions, les gouts, et le deslin Que leur reserve un avenir loinlain. A BERTIN Crois-moi, la brillanto conronne Dont tn flatles ma vanito", C'est 1'amilie qni me la donne 1. GYst unc report a ocs vcrs dc Berlin, dans IP Yoyiific ilf aurgngnt y Aimer, cVst tout son art; of tandis qn'a Paris On vnit tant d'auteurs sees, cliarfrrs dc lourd-* ecrits, Gravireu lialotruit an temple dt> Mr'-ifmiic, Lui, fanieux parses smls-lcisirs, Brillant de son Itonhcnr, plcin d'linnroux souvenirs, Comme an sortir (Ur table, il arrive a la gloire, F.n cliantant ses plaisiis. 376 MELANGES Sans 1'aveu de la verite. Fruits legers de ma faible veine, Get honneur n'est point fait pour vous; Modestes et connus a peine, Vous me ferez peu de jaloux. II est vfai qu'a la noble envie D'etre celebre apres ma mort Je ne me sens pas assez fort Pour sacrifier cette vie. Dans les sentiers d'Anacre"on Egarant ma jeunesse obscure, Je n'ai point la demangeaison D'entremeler une chanson . Aux ecrUs pompeux du Mercure, Et je renonce sans murmure A la trompeuse ambition D'une celebrite future. J'irai tout entier aux enfers *. En vain ta voix douce et propice Promet plus de gloire a mes vers; Ma nullite se rend justice. Nos neveux, moins polis que toi, Fl^triront bientot ma couronne : < Non omuis mortar, disait au contraire Horace, se promettant un long avenir. A BERT1N 377 Peu jaloux de vivre apres moi, Je les approuve et leur pardonne *. 1. Nous retrouvons a pen pres les memes sentiments, exprimes avec tout 1'abandon d'nne causerie intime, dans le recit qu'nn jeune poete contemporain de Parny, Dorange, nous a laisse d'une visite qu'il fit, vers 1807 ou 1808, aa chantre d'Eleonore : Un autre homme plus celebre encore, a qui j'ai rendu visite, est M. de Parny; j'ai eu deux conversations de trois heures avec Ini. Ce poete si deli Cat n'est, dans la societe, qn'un misanthrope blesse jus- qu'au fond du cceur, qui se dechaine centre le faux goiit du siecle et la carriere litteraire; il dit qiie les fruits de la gloire soul Irop amers pour tire acheles par de longs travaux. Je lui Ins une ode anacreontique : il 1'ecouta atteutivement, et, apres deux ou trois cri- tiqiies, il me dit : Cela est bean, cela est tres-bien fait pour le fonds et pour le style; cela est supcrienr a ce qui a paru dans ce genre depuis longtemps; mais renfermez ce morceau dans votre porte- feuille, et n'en parlez jamais. Plus vous aurez de merite et plus vous serez malheureux. Ne vous livrez jamais a la poesie qii'avec une for- tune independante : ne m'imitez pas, j'ai leve le masque ; prive par la revolution de cinqnante mille livres de rente qui assuraieut mes loisirs, je me suis declard poete. J'ai prefere la mediocrite et la gloire a tout ce qui m'eut ete avantageux; nn poete reconnu pour tel est repousse de tons les emplois; j'ai langui dans un etat indigent, ou je serais encore sans une place que M. Franrais, de Mantes, a creee pour moi. Que voulez-vons? Cette gloire enivrante m'a tenu lieu de tout; j'ai entendu dire : M. de Parny est rcduit a ne manger que des pommes de terre. J'ai repondu : Oui, mais il y a une sauce a ce plat plus piquante que celle dcs ragouts les plus exquis. 378 MELANGES A M. FRAN CMS CONSEILLER D'ETAT DIRECTEUR GENERAL PES DR01TS- REUNIS I" Janvier 1806 II rentrc Temigre Janus; De nouveau la France 1'implore, VA sa clef profane, ouvre encore Le calendrier de Jesus. C'etait lui dans Rome pa'ienne Qui semait les couplets flatteurs, Les vceux sinceres on menteurs, Les saluts et bonbons d'etrenne. Autant il en fait dans Paris. Tout passe, dit-on : faux systeme ! Nous rebrodons de vieux habits Dont 1'etoffe est toujours la meme. Rome avail ses Droits-Reunis : Un hommc integre, franc, affable, A M. FRANQAIS 379 Ron citoyen, bon orateur, De morgue et d'intrigue incapable, De ces droits etait directeur : II savait Horace par cocur, II lisait Terence et Catulle, Et certain cadet de Tibulle Dans ses bureaux fut redacteur 1 . Trop sou vent la reconnaissance Parle et s'epanche en mauvais vers, Et souvenl aussi 1'indulgence Pardonne ce leger travers : Tilmllinus, faible de tele, Au nouvrl an devient poetc, Enlle une ode, et joyeux la lit A son directeur qui sourit, Puis repond : J'acccple un lioinmage Quo votrc occur vous a dicte ; Mais le coeur vent la verite. Chez Apollon, point de parbgo; Les cadets an Parnasse out tori. A celle injusle loi du sort He bonne gn'ice, il faut souscrire. l.aisscy. done la llulc cl hi lyre ; 1. P.irny cut fircctiveiiifliit un cni|>lni, nn |.|iilol lc lilrn d'un om- jiloi il.in.slc.s Imiviiiv ili* .M. Fi.iin ii~, i|iii .n.iit .ulinis lini- iiistratinn HIM* i|u;nilitf run.siili'-r.il'li! di- LV;I> de lettrn.-. 380 MELANGES Et pour 6treiine, line autre fois, A ma sante qui vous est cliere De falorne buvcz un verre, Pourvu qu'il ait paye les droits. VERS LE BUSTE DE M. LE GOMTE FRANQAIS Pompes, grandeurs, tout change et passe, Et la fausse gloire est sans trace. Enfant des arts, dont la fierte Aux vertus, a leur noble audacc, Reserve un salut merite, Dans ce buste cher au Parnasse Honore I'lmmortalite. A M. FRANQAIS 381 A M. FRANCAIS L1RECTEUR GENERAL DES DROITS-REUNIS DES ROSE-CROIX Bien loin du Pactole superbe, Qui sous vos ycux roule son or, Le Permesse e"gare sur 1'herbe Une onde claire et sans tresor. Mais ses rives out leur parure; Mais ses flots sont harmonieux; Et votre Pactole orgueilleux N'eut jamais ni fleurs ni inurmure. Un moment laissez la les Droits, Et souriez aux Hosc-Croix, Vous, orateur sans verbiage ; Vous dont 1'esprit peut lout saisir; Vous, I'liomme intcgre dc noire age, A qui soul je dois inon loisir. En lisant certain badinage 1 . L poiime de la Guerre Ces baisers brulants el eoupablesj Par Doral si bieii refroidis 1 . N Les Dorals sont conununs en France; Et Jean Second, traduit par eux, Faisait de ses peches heureux tine trop longue penitence. Elle cesse enfin, grace a vous. I. Dorat a traduit, on plutot iuiiti 1 les Baisers de Jean Second. Le Brun a dit, dans une Epigrainme connue : Preiiez, preiiez vers refriguratifs Qu'ami Dorat ses Baisers intitule 1 ; A M. T1SSOT 387 A pros cette ocuvrc meritoire Qui pour nous rajeunit sa gloirc, Vous pi'diez aussi. Vif et doux, One sans fard, a la nature Vous empruntez volre parure. Lo l)on gout ainsi vou's apprit Qu'au Parnasse, comme a Cylhere, Une aniante ne repond guerc An baiscr que donnc 1'esprit. AU MEMK C'on ost fait : vos voila lanrt- Dans co vallon ou la jcuncsso M'avait impruderament pousse; Hans colic arenc, oil le Pcnnosse lloulc son limon courrouco. Dos. consents ainsi lo courage Va reinplacer les vienx soldals, rds lointains de la Tauride, Et seul sur des rochers deserts Qui repoussent les flo'ts'amers, Ainsi parlait Epliime'cide. Absorbe" dans ce noir penser, II contemple 1'onde oragouse ; Puis, d'une course imp Mais j'ai trouve le honlienr iiii' 4 me. IV-rissent les mols oilieux )> Quo. pronoun ma lioncho iinpie! n Oni, I'liomine dans sa conrle. vie F'enl eiirore e'-aler les diciiv. 392 MELANGES 11 dit; sa piete s'empresse De construire un temple en ceslieux. II en bannit avec sagesse L'or et le marbre ambitieux, Et les arts enfants de la Grece. Le bois, le chaume, et le gazon Remplacent leurvaine opulence; Et sur le modeste fronton, II ecrit : A LA BIENFAISANCE. VERS ECR1TS SUR L'ALBUM DE MADAME LAMBERT J'ai vu, j'ai suivi son enfance, Chere encore a mon souvenir ; Dans sa,brillante adolescence, J'ai lu son heureux avenir. La nature la fit pour plaire. Au doux clmrme de la bonte", Elle unit cette e"galite Et ces graces que rien n'altere. CANTATE 393 Son esprit, ainsi que ses traits, Meconnait 1'art et 1'imposture. Les talents, voila sa parure. Les plus belles ont moins d'attraits. line autre, de ces dons trop vaine, Voudrait tout, et n'obtiendrait rien : Alexandrine sait ci peine Ce qu'une autre saurait trop bien. Le portrait qu'ici je dessine Est loin encor d'etre flatte : II faut a eette Alexandrine , Que 1'encens etonne et chagrine, Dire moins que la vdrile". CANTATE POUR LA LOC.E DES NEUF SfEURS Loin de nous dnrmaient les tempetes : Dans co temple a d'lieureuses fetes I,es Muses invilaient leurs disciples epars. 394 MELANGES Id naissait cnlre ftux line amitie touchante. Us s'unissaient pour plaire; et la Bcaute prose n to Les animait de ses regards. Qu'oses-tu, profane Ignorance? Que veut ton aveugle imprudence? Des Muses respecte Fautel : La fume un encens legitime. Arrete ; tu serais victime De ton triomphe criminel. Mais sur la demencc et 1'ivresso Que peut la voix de la sagesse? Telles parfois, dans la saison Qui rend 1'abondance a nos plaines, Pu nord les subites haleines Br Client la naissante moisson. Vous ne gronderez plus, tempetes passageres. Ainsi que le repos, les arts sont necessaires. Qu'ils renaissent toujours cheris. La France ;i leurs bienfaits est encore sensible; Et nos iidcles mains de leur temple paisible Relevant les nobles debris. Amants des arts et de la lyre, A ISA BEY 395 L'Orient reprend sa clartc; Venez tous, et de la beaute Meritons cncor le sourire. Id se plaisent confondus Lcs talents, la douce indulgence, Les dignites et la puissance, Et les graces et les vertus. Arnants des arts et de la lyre, L'Orient reprend sa clarle; Venez tous, et de la beaute Meritons encor le sourire. A IS A BEY KA1SANT iMON POKTKAIT Savant et pur, sap- et brillanl, Sans recherche et mm sans parmr. Isuhi'y tl'une cs(}uisse obscure I)dil-il occuper son talent? 396 MELANGES Je le vois, bravant la critique, Dans un coin du sacrc vallon , Sur un vieux prolil poetique User les crayons d'Apollon. RA DOT AGE De noire Pinde le grand maitre A dit : Rien n'est beau que le vrai ' l ; Mais sur noire Pinde peul-elre Le beau vieillit, el niaint essai Nous promel sa chule prochainc. La sottise est feconde el vaine. Voys le voyez : un vrai nouveau Qui ne veut rien de la nature, Un vrai, donl la raison murmure, Menace le vrai de Boileau. 1. Cette piece a para en 1809 dans le Mercure. 2. BoiLEAU, Epilre IX : Rieu n'est beau que le vrai : le vrai senl est aiinable. KADOTAGE 397 Les novaleurs a la critique Opposent la faveur publique, Celle au moins de leurs feuilletons, De leurs amis, de leurs patrons, Et du commis a la boutique. D'ou vient que loin du droit cheinin Se disperse leur vague essaim? line femme elegante et belle Averlit les yeux et le coeur : quelle gloire et quel bonhcur D'en faire une amante iidele! Mais combien de facheux rivaux, De jours et de nuits sans repos ! Que de soins peut-etre inutiles ! Non, non : abaissons nos desirs; Cherchons des ronquetes faciles, Et moins cber payons nos plaisirs. On prend quelque laide grisette; Soudain sa laideur est beaute, Et la cre"dule vanite" Y voit une Venus complete. Uuand Desprdaux voulait 5crire, Si riche de pfiisers^divers, 11 avail quelque chose u dire, 23 398 MELANGES Et le disait en quelques vers. A genoux devant sa methodc, On s'en fait une plus commode. Nous ecoutons peu les bavards, Mais iious les lisons; et sans peine Nous suivons tons les longs ecarts, Et les detours et les retards De'nos romans a la douzairie. En trois volumes leurs auteurs Etendent 1'intrigue legere De quelque amourette vulgaire, Et leur gout enseigne aux lecteurs Comme on file un enfant a faire. Romanciers, favoris des cieux, Vous seuls vraiment avez des yeux ; La nature est pour vous sans voiles. combien de pensers profonds, Combien de sentiments feconds, Dans un clair de lune ou d'etoiles ! Uh precipice? avidement J'ecoute sa voix sympathique. Un desert? quel tressaillement, A cette voix si romantique ! Dans les mines, dans les bois, Sous les rochers, partout des voix. RADOTAGE 399 Je hais la tienne, sotte liistoire. Chez toi jamais d'illusion ; Rien pour 1'imagination ; Ta froideur glace ma memoire. II faut refaire le passe"; Deja 1'ouvrage est commence". Oui, nous allons de notre France Retouclier les siecles obscurs, Siecles de sang et d'ignorance Dont nous ferons des siecles purs. Fiers barons, faciles baronnes, Gros abbe's d'abbesses mignonnes, Princes et voleurs suzerains, Maitresses, royales catins, Brigands avec ou sans couronnes, Soyez vierges et presque saints. Auteilrs, on a dans cette lice 1'rolit el gloire ; courez tons, ('erles, le moment est propicc> El les paris s'ouvrent pour vous. Le vrai toujours est inllexible; II desencbante : (juels regrets! Eli bien, combaltey, ses progres; He'enchantez, s'il est possible. Les Sciences et la Haisoii 400 MELANGES Genent un peu notre Apollon. Vous le savez : ces mallieureuses, Dont nous dedaignons le soutien, Froides et quelquefois railleuses, A la prose, aux rimes pompeuses, Hesistent ct rie passent rien. Mais ce sont personnes tranquilles ; Quand elles sifflent, c'est tout bas. Avec elles point de debate. Chantez pour gens moins difticiles; Cbantez haut ; du bruit, des eclats : II est des oreilles debiles Que persuade le fracas. Quittez la prosaique plaine ; Cherchez sur la cime lointaine Du vieux Liban, du vieux Athos, La nebuleuse reverie, La sublime niaiserie, Et la vaste sensiblerie Des grands roinans a grand pathos. A MADAME ANTOINETTE GAMOT 401 A MADAME ANTOINETTE GAMOT Quelle est la femme dans Paris Fi plus dignc d'un pur bominage, Et qui, toujours aimable et sage, Sur sou sexc obtiendruit ic prix, Si ce doux prix etait d'usage? Ainsi Ic puissant Oberon, Dos Sylpbes Ic premier, dit-on, Parlait a ses quatre confreres, Qui sur noire ingrate cite, Ou leur nom n'cst plus repele, Etendent, Icurs soins tutelaires. Olle que je ((unmneniis, l)it Tun d'enx, severe pour elle, Kuirait cette palme nouvelle. I. Hello-siriir iln niartVlial Noy fl foinmc ilu gi'-ni'ml <1 Vnynz Tisiuit, Ho/ire Mir I'linty. 402 MELANGES "- ' La douceur est dans tous scs traits. i) Elle a recu de la nature Cette grace, noble parure Que 1'art ja-loux n'imite pas. Son rire ri'a jamais d' eclats. Des beaux-arts amante timido, Dans 1'iige encore ou de plaisirs Son sexe leger est avide , Loin d'un monde brupnt et vide. Elle se fait d'henreux loisir.s. Ses discours au bon gout fideles IX'ont point de vaine ambition ; Mais son imagination A la raison donne des ailes. Le second s'exprime en ces mots : Je pense qu'a votre suffrage Line autre a des litres egaux. A ses enfants elle partage Son amour, ses soins, son repos. Sur leurs penchants qu'elle redresse Veille incessamment sa tcndresse. Son example Eloquent instruit Leur coDur et leur raison novice : Mais, etrangere a 1'artifice, Pour eux elle redoute ef fnit A MADAME ANTOINETTE GAMOT 403 Ces eclairs d'un esprit factice Qui souvent presagent la nuit. Oberon gardait le silence. Une autre encore a votre choix, Bit le troisieme, aurait des droits. ' De I'amitie sa bienveillance Exagere les douces lois. Par leur sort qui change et varie Ses amis tourmentent sa vie. Elle adopte tous leurs destins; Pour eux elle craint, elle espere, Et, quand se leve un jour prospers, Prtfvoit des orages lointains. comliien cet exces 1'bonore! Elle gemit sur leurs mallieurs ; Mais le temps a seclie leurs pleurs, Lorsque les siens coulent encore. (i Trie autre, disait le dernier, Pr&ente un modcle aussi rare. l,e deslin pour elle est avare I)e la sante, ce, bicn premier Don) janiiiis rim no dedommage, Siniuiii ilans If printcinps de I'agi. 1 > Qiie sen! il ferait envier. 404 MELANGES Sans soins pour ellc ot sans alarmcs, Sa souffrance est calme toujours : C'est pour d'autres qu'ellc a dcs larmcs, DCS plaintes, de toucliants discours. Sa voix douce et pure console ; Son sourire est une lecon ; Ce monde si froid, si frivole, Sur sa bouche aime la raison. Ainsi la rose bienfaisante Que battent les vents importuns, Penchant sa tete languissante, Exhale encor ses doux parfums. <( A ces femmes, dit le Genie, 11 faudrait un prix glorieux. Au moins que 1'equitc public Leur exemple si precieux. Prenez ce soin ; et qu'un poete Expiant de values chansons, Dans ses vers proclame leurs noms. Tons repondcnt : C'est AntoinetUs. A ELEONORE 405 A ELEONORE Je 1'aimais du plus tcnclrc amour. Elle m'a tralii, 1'inlidele! Mais elle est traliie a son tour, Et mon rival m'a veng4 d'elle. Quc ses plcurs coulent vainement; Qn'elle tombfi aux pieds d'un amant, Et qu'il soil sourd ft sa priere; Qu'clle eprouvc enfin Ic tourment. D'aimer ct de cesser (k- plairc. Qu'ai-jc dit? vouix inscnsos, Quc 1 (Wpit a pronone6s, Et dementis par la tendresse! Ht'las! ellc, fut rna maHrcsse; \M sotivcMiir de mon lionlienr Est encor present a mon nnur; N'insultons point a s;i Irislesse. I. CVst um> viritiMp (''Irgio; on jKinrrait li jilnrcr ontro la 0* ct l.i 10* du livre IV. 23. 406 MELANGES J 'avals trop compte stir sa foi ; La beaute toujours est Irompeuse. Inconstante! va, sois heureuse, Quand tu devrais 1'etre sans moi. FIN DKS MKLXKCES LETTRES LETTRES LETTRE PREMIERE A MON FRERE" Rio-Janeiro, scptembre 1773. Tu seras sans doute etonne do. reoevoir unc lettre dc moi datee de Rio-Janeiro. Depuis notre depart dc Lorient, les vents nous ont (He absolument contruires; ils nous out pousses d'abord sur la cute d'Afrique quo nous devious (viler. Le 3 juillet, nous nous croyions encore a soixanfe- quirue lieues de cetle cijte. La unit, par un lionheur des 1. Nous jnignons anx (Wjsics dn Farny Ins trois Inttrcs siiiv.intcs, qii'il iV.rivit pendant nn voyage ;i Tile Hnurlx >n. Klli^s aiilnnt ;i fairo liien con- nnilre le caratti-re de ce jKK'te, ct wnferrncut, MIT l c.liuuit ct les iiui-nrs di> son pays naUil, i|iieli[iie.s di^lails inti''i)s.s;iiit.K. 2. I i "mil. de Parny. II (>tail, dit Tiss4>t, Tun dcs liommes Ins |>lns remarijuiis d'nne cour jtMinn ct lirillanle. 410 LETTRE PREMIERE plus marques, fut tres-bclle ; aucun image ne nous dero- bait la clarte de la lune, ct nous en avions grand besoin. A deux heures et demie du matin, uri soldat qui fumait sur le pont decouvre la terre a une petite demi-lieue devant nous. 11 ventait beaucoup; et le navire, centre son ordi- naire, s'avisait de faire deux lieues par hcure. Cette terre est la cote de Maniguette, situee sous le cinquieme degre de latitude septcntrionale ; c'est un pays plat, et qui ne pcut etre apercu qu'a une tres-petite distance : on dislin- guait sans peine des cabanes, des hameaux et des rivieres. Tu penses bien que le premier soin fut de virer de bord ; un moment apres on jeta la sonde, ct Ton ne trouva que sept brasses de fond. Reconnaissance eternelle a la pipe du soldat! Si le vaisseau avait encore parcouru guatre fois sa longueur, e'en etait fait de nous, et j'aurais servi de de- jeuner a quelque requiri aflame. Di meliora * ! Nous avons traverse ensuite avec une rapiditc singuliere le canal de neuf cents lieues qui separe les cotes d'Afriquo de celles du Ikesil, et nous sommes venus a pleines voiles mouiller sur le bane des Abroihos. Nous avions tout aupirs de nous des rocbers fameux par plus d'un naufrage, sur lesquels les courants nous entra'maient. Celte position etait critique, ct nous commencions a perdr<^ 1'esporance, lorsfjue *** 1. VIBGILE, r.forfiiqufs, HI, b!3 : Di meliora piis, erroromque hostibns ilium. A MON FRERK 4H des peebeurs portugais, qui sc trouvaicnt par basard dans ces parages, nous indiquerent la veritable route. Nous manquions d'eau, et une gramle partic dc Fequi- page etait attaquce du scorbut : il fut decide que nous re- laclierions a Rio-Janeiro. Nous decouvrimes le soir m'eme la petite lie du Itepos, qui n'est qu'a quatre lieues de la terrc ferme. L'ile du Hepos! que ce nom flatte agreable- ment 1'oreille et le.coBur! Iwnheur, aimable tranquillite, s'il elail vrai que vous fussiez renfermes dans ce point de notre globe, il serait le tonne de ma course; j'irais y en- sevelir pour jamais mon existence; inconnu a 1'nnivers que j'aurais oublie, j'y coulerais des jours aussi sereins que le ciel qui les verrait naitre ; je vivrais sans desirs, ct je mourrais sans regrets. C'/est ainsi que je m'abandonnais aux cliannes de la reve- rie, et mon ame se plaisut dans ces idees melancoliqties, lorsijue, reprenant tout-a-coup lour cours naturel, mes pensces se tournerent vers Paris. Adieu tons mes projcts de relraite ; 1'iledu Hepos no mo parut plustjue 1'ilede I'l-jiiiui : mon c(pur m'avertit que le Imnbeur n'est pas dans la soli- tude ; et 1'Ksperance vinl me dire a 1'oreille: Tu les reverras, ces picuriens aimables qui jMU'li'iil en ediarpe le ruban gris de lin et la grappe de raisin counmnee de myrle; In la reverras celte maison, non pas de plais;ince, mais de plaisir, ou 1'd'il dfts profanes ne pdnfttre jamais ; lu la re- verras , 412 LETTRE PREMIERE Cette caserne ^heureux sejour Ou 1'Amitie, par prevoyance, Ne recoit le fripon d'Amour Que sous serment d'obeissance ; Ou la paisible Egalite, Passant son niveau favorable Sur les droits de la Vanitc, Ne perrnet de rivalite, Qne dans les combats de la table ; Ou Ton ne connait d'ennemis Que la Raison toujours cruelle; Ou Jeux et Ris font sentinelle Pour mettre en fuite les Ennuis ; Ou Ton porte, au lieu de cocarde, Un feston de myrte naissant, Un thyrse au lieu de hallebarde, Un verre au lieu de fourniment : Ou Ton ne fait jamais la guerre Que par d'agreables bons mots Lances et rendus a propos ; \. Un passage du Voyage dc fioutt/ogne servira ici de conunentaire : Fignrez-vous, madame, nue donzaine de jeunes militaires, dont le pins age ne compte pas encore cinq lustres; transplants la plupart d'un antre hemisphere; unis entre eux par la plus tendre amitie ; passionnes pour tons les arts et pour tons les talents; faisant de la musique; griflonnant qnelquefois des vers; paresseux, delicats, et volaptoutu par excellence; passant 1'hiver a Paris, et la belle saison dans leur delicieuse vallee de Feuillanconr. L'un et 1'autre asile est par eiu nonime la eat/erne. G'est la qu'aimant et bnvant tour a tour, ils mettent en pratique les lerons d'Aristippe et d'Epicure. Euflo , madame, qu'on appelle cette sociele charmante YOrilre de la caserne ou dc Feuillancour, le titre n'y fait rieii; la chose est tout, etc. (Voyez la Preface et la note 2 de la page 127.) A MON FRERE 413 Oil lo vaincu, dans sa colt're, Du nectar fait couler les flots, Et vide insolemment son verre A la barbe de ses rivaux. Cette ordonnance salutaire Est ecrite en lettres de fleurs Sur la porte du sanctuaire, Et mieux eucor dans tous les cceurs : De paj>nous, 1'Amitie fidele, Et plus has, Bacchus et 1' Amour : Ordonnons qu'ici chaque jour Amene une fete nouvclle; Que Ton y pense rarement, De peur de la Melancolie; Qu'on y prefere sagement /> A la Sagesse la Folie, A la Raison le Sentiment; Et qu'on y douue a la Paresse, )> A 1'art peu cotmu de jonir, Tous les moments de la jeunesse : Car td est notre bon plaisir. / Le lendemain le vent augmciita; le eiel Mail sonihro; lout annoiirait un gros Icirips. Peinlant la unit, le lonncrre sc (it entendre tie trois cotes ilifTerents, el les lames rou- vraient (|uel(|iief(iis le vaisseau dans toulc sa longueur. He- veille par le bruit de la tempele, je moult; sur le pont. Nous n'avions pas um i seule voile, t'l tvpeinlanl le navire, faisaif. trois licues par lieure. Peins loi minis lt> siniemeiit s in.iris. nnns ii'avnns vu anninc I'urln.i.'aisc. Kllcs nn surlcnt j:im;iis i|ii':i|>ivs I' IH- f'iiiiin's (ililij-rs ili> ri'iznfdM'r nutre jirison. 416 LETTRE PREMIERE. de jolies; mais unc navigation de trois mois, et la difficult^ de les voir, les rendaient charmantes a mes yeux. On ne trouvait a celte foire que des pierreries mal tail- lees, mal montees, et d'un prix excessif. Pendant que nous portions de tous c6tes nos regards, un esclave vint prier nos conducteurs de nous faire entrer dans un jardin voisin. Nous y trouvames quatre tentes bien dressees. La premiere renfermait une chapelle dont lous les meubles etaient d'or et d'argent massif, et travailles avec un gout exquis; la seconde contenait quatre lits : les rideaux etaient d'une etoffe precieuse de Chine peinte dans le pays, les couver- tures de damas enrichi de franges et de glands d'or, et les draps d'une mousseline brodee garnie de dentelle. La troi- sieme servait de cuisine, et tout y etait d'argent. Quand j'entrai dans la quatrieme, je me eras transporte dans un de ces palais de fee batis par les romanciers. Dans les qua- tre angles etaient quatre buffets charges de vaisselle d'qr, et de grands vases de cristal qui contenaient les vins les plus rares; la table etait couverte d'un magnifique surtout, et des fruits d'Europe et d'Amerique. La gaiete qui regnait parmi nous ajoutait encore a 1'illusion. Tout ce que je man- geai me parut delicieux et apprete par la main des Genies; je croyais avaler le nectar; et, pour achever I'enchante- ment, il ne manquait plus qu'uiie Hebe. Nous sortimes de ce lieu de delicesen remerciant le dieu qui les faisait nai- tre. Ce dieu est un seigneur age d' environ cinquante ans. A MON FRERE 417 11 est puissammentriche; mais il doit plus qu'il ne possede. Sa seule passion est de manger son bien et celui des autres dans les plaisirs et la bonne chere. II fait transporter ses tenles partout oil il croit pouvoir s'amuser, et il deeampe aussitot qu'il s'ennuie. Get homme-la est un cliannant fipi- curien ; il est digne de porter le ruban gris de lin. Meme fete le lendemain ; mais beaucoup plus brillanlc, parce qu'il avait eu le temps de la preparer; cepeiiilnnt pas un seul minois feminin. Nous fimes aussi plusieurs visiles qui remplirent agrea- blement la soiree. Les femmes nous resolvent on ne pent mieux, et comme des animaux curieux qu'on voit avec plaisir. Elles sont toutes tres-brunes; elles ont de beaux cheveux releves ndgligemment, un babillement qui plait par sa simplicity, de grands yeux noirs et voluptueux ; et leur caractere, naturellement enclin it 1'amour, se peint dans leur regard. Nous crimes lu'er un joli concert suivi d'un bal : on ne foniiait id quc le nienuet. J'eus le plaisir d'en danser plu- sieurs avec une Portugaise cliarniante, de seize anset detni : ellu a une taillc de nym[>lie, une physionomie piquante, Et la grice plus belle encor quo la leaute f . On la nomine Dona I. I.A FONTAINE, .\itonn. 418 LETTRE PREMIERE Je ne te dirai rien des eglises, les Portugais sont jtartout les memes; elles sontd'une ricbesse etonnante; il n'y man- que que des sieges. J'aurais etc cbarme de connaitre l'0pe"ra de Rio-Janeiro; inais le vice-roi n'a jamais voulu nous permettre d'y aller. Ce pays-ci est un paradis terrestre; la terre y produit abondamment les fruits de tons les climats; 1'air y est sain; les mines d'oret de pierreriesy sont tres-nombreuses : mais a tous ces avantages il en manque un, qui seul peut don- ner du prix aux autres ; c'est la liberle : tout est ici dans 1'esclavage; on y peut entrer, mais on n'en sort guere. En general les colons sont mecontents et fatigues de leur sort. Nous quittons demain cette rade, et nous faisons voile pour File de Bourbon ; nous relacberons peut-etre au cap de Bonne-Esperance. Adieu, mon frere et monr ami : ttime-moi toujours el ne voyage jamais par mer. A BERT1N 419 LETTHE DEUXIEME A 13ERTIN l)ti cap de Bonno-Espcnuicc, octobre 1773. C'cst ici que Ton voit deux choses bieu cruelles, DCS maris enuuyeux ct dcs femmcs fidcles; Car 1'Amour, tu le sais, u'est pas lutherieii. C'est ici qu'a 1'entour d'une vasle tlieiere, Pres d'un large fromage, et d'uii grand pot a Mere, L'oa digere, I'oii fuine, et Ton ne i>ense a rien. C'est ici que 1'on a saut toiijours lleurie, Visagu de Cbanoiue et pause reboudie. C'est daus ces lieux euiiii qu'ou nous fait aujourd'hui Avaler a longs traits le Constance et I'enuui. On a liicii raisuii de dire, chut/ne ]w/j/s, chwjuc nnxtc. Kn France, les lilies ne s'observent quo daus rexli'-rienr; I'a- I. On |Mit lip' i|;m> le.s <>'.n\ro.- ilu Durtiu la rqiun-so a cvtlv lutlru; vii voici lu (l>'hiit : An rap de Ilonne-Esperauce, 420 LETTRE DEUXIEME inant est toujours celui que Ton recoil avec le plus de froi- deur; c'est celui auquel on veut faire le moins d' attention; et de 1'air le plus decent et le plus reserve, on lui donne un rendez-vous pour la nuit. lei, tout au rebours : vous etes accueilli avec un air d'intelligence et d'amitie qui parmi nous signiiierait beaucoup; vos yeux peuvent s'expliquer en toute assurance, on leur repond sur le meme ton ; on vous passe le baiser sur la main, sur la joue, meme celui Est-ce bien toi qui m'ecris, Entre la Mere et le riz, Le fromage et le Constance, D'aussi jolis vers qu'en France Et dans les murs de Paris ? Quel est done ce bon genie Qui t'accoinpagne en tous lieux? Et qui sur 1'onde en furie Helas ! et loin de uos yeux, Prornenant sous divers cieux Et ta fortune et ta vie, Dans le plus triste sejour, Pres du peuple a face noire, Maudit du beau dieu du jour Et des fllles de memoire, Te fait rencontrer la gloire Et le plaisir et ramour? Je remarque, mon cher ami , que tu es le premier poete, depuis le Camoens, qui ait double ce fameiu cap des Tempetes, regarde si long- temps comme la derniere borne du monde vers le pole austral. Mais le Camoens ne dansa point de rnenuet a Rio-Janeiro, etc. A BERTIN 421 qui semble le plus expressif ; enfin on vous accorde tout, exeepte la seule chose qui s' accorde parmi nous. Que faire done? je ne fume jamais; la fidelite matrimo- niale est bien ennuyeuse ; dans line intrigue ou le coeur n'est que chatouille, on ne vise qu'au denoument : la pro- menade est mon unique plaisir. Triste plaisir a vingt ans ! Je la trouve dans un jardin magnilique, qui n'est frequenle que par les oiseaux, les dryades et les faunes : les divinites de ces lieux s'etonnent de me voir sans pipe et un livre a la main. C'est Ki que je jouis encore, par le souvenir de ccs moments passes avec toi, des douceurs de notre amilie, de nos folies, et des charmes de la caserne; c'est la que je t'e- cris, tandis que tu m'oublies peut-etre dans Paris; Tandis qn'entoure de plaisirs, Toiyours aimc, tonjonrs aiinable, Tu sais partaker tcs loisirs Kntii- les Muses et la taMe. Adieu, conservo Urns ces gouts : Vole toujours de belle en Iwlle; Au Paruasse fais des jaloux : A 1'Ainitiu reste fidtMe. Puisses-tu dans soixante hivers Cneillir les flours de la jonnesse, Carcsser encor ta maltresse, Et la clianler eu jolis vcrs! 422 LETTRE TR01S1EME AU MEME De File de Bourbon, Janvier 1775. Tu veux done, mon ami, que je te fasse connaitre ta pa- trie? Tu veux que je te parle de ce pays ignore, que tu cheris encore parce que tu n'y es plus? je vais tacher de te satisfaire en peu de mots. L'air est ici tres-sain ; la plupart des maladies y sont to- talernent inconnues; la vie est douce, uniforme, et par consequent fort ennuyeuse; la noUrritufe est peu variee; nous n'avons qii'un petit nombre de fruits, mais ils sont excellents. Ici ma main derobe a Toranger fleuri Ces pommes dont Teclat seduisit Ajtalante; Ici 1'ananas plus cheri Eleve avec orgueil sa couronne brillante; A BERTIN 423 De tous les fruits ensenihle il reunit 1'odeur. Sur ce coteau I'atte picrreuse Livre a mon appetit line civme flatteuse; La grenade plus loin s'entr'ouvre avec lentenr ; La hanane jaunitsous sa feuille elargie; La inangue mo prepare une chair adoucie; Un miel solidc et dur pend an hant du dattier; La peche crolt aussi sur ce lointain rivage; Et, phis propice encor, 1'utile cocotier Me prodigne a la fois le mets et le hreuvage. Voilii tous IPS presents quo nous fait Pomone : ponr 1'amanlp d! Zephyre, pile ne visile qu'a regret res cliinats hriilants. Je ne sais pourquoi les poetes IIP maiK|uent jamais d'in- Iroduire 1111 printeinps eternel dans les pays qu'ils veulenl ri'iulre agreahles : rien de plus inaladmit ; la variele Psl la source tie nos plaisirs, et IP plaisir ces.* de Tetre quaiul il ili'vieut habitude. Vous ne voye/ jainais ici la nature ni- jeiuiie; elle est loujours la ineine; un vert triste et sombre vous donne toujonrs la memo sensation. (>s oraugers, eou- verLs en ineine temps de fruits et de lleurs, ifont pour inoi rien d'inleressant, paree que jainais leiii-s branches de|xiiiil- ItM-s ne furent blanchies par les frimas. J'aime a voir la leiiilli- iiaissiinle brisT son onveloppe l^ere, j'aiine ;i la voir eroitre, se d6* - e|opp'r, jaunir et toinher. Le printeinps pl.iir.iil beaucoup inoins, s'il lie venait apres 1'hivfr. <) inuii ami! Inrsque mon exil sera lini. avec ipit>| |>l,ii-ir 424 LETTRE TROISIEME jc revcrrai FcuiUancour * an mois dc mai ! avcc quclle avi- dite je jouirai de la nature ! avec quelles delices je respi- rerai les parfums de la campagne ! avec quelle voluptd je- foulerai le gazon fleuri ! Les plaisirs perdus sont loujours les mieux sentis. Combien de fois n'ai-je pas regrette le chant du rossignol et de la fauvette ! Nous n'avons ici que des oiseaux braillards, dont le cri importun attriste a la fois 1'oreille et le coeur. En comparant ta situation a la mienne, apprends, mon ami, a jouir de ce que tu possedes. Nous avons, il est vrai, un ciel toujours pur et serein ; mais nous payons trop cher cet avantage. L'esprit et le corps sont aneantis par la chaleur ; tous leurs ressorts se relachent ; 1'ame est dans un assoupissemenl continuel; 1'energie et la vigueur interieures se dissipent par les pores. 11 faut at- tendre le soir pour respirer; mais vous cherchez en vain des promenades. D'un c6te mes yeux affliges N'ont pour se reposer qu'un vaste amphitheatre De rochers escarpes que le temps a rouges; De rares arbrisseaTix, par las vents outrages, Y croissent doucement sur la pierre rougeatre, Et des lataniers allonges Y montrent loin a. loin leur feuillage grisatre. 1. Vallee entre Marly et Saint-Germain, oil MM. de Tarny et Berlin habitaient ensemble la merae maison. A BERTIN 425 Trouvant leur surete dans leur peu de valeur, La d'etiques perdreaux de leurs ailes bruyantes Rasent impunement les herbes jaunissantes, Et s'exposent sans crainte au canon du chasseur. Du sommct des remparts dans les airs elance"e, La cascade a grand bruit precipite ses flots, Et, roulant chez Tethys son onde courroucee, Du Negre iufortnn^ renverse les travaux. Ici, sur les confins des Etats de Neptune, Ou jour et nuit son epouse importune Afflige les echos de longs mugissements, Du milieu des sables briilants Sortent quelques toils de feuillage. Rarement le Zephyr volage Y rafraichit 1'air euflamme ; Sous les feux du soleil le corps inanime Reste sans force et sans courage. Quelquefois 1'Aquilon bniyant, Sur ses ailes portant 1'orage, S'elance du sombre orient; Dans ses antres 1'onde profonde S'emeut, s'enfle, mugit, et gronde ; An loin sur la route des mers, Ou voit des montagnes liquides SVUever, s'approcher, s'elancer dans les airs, Retomber et courir sur les sables iiumides; Les flammes du volcan brillent dans le lointain L'0ar les dent bras, un etu- nitenr fram* a grands omjis de nerf de bipnf snr tout le corps... 430 LETTRE TR01SIEME riture est saine et assez abondante : mais ils ont la pioche a la main depuis quatre heures du matin jusqu'au couclicr du soldi ; mais leur maltre, en revenant d'examiner leur ouvrage, repete tons les soirs : Ces gueux-la ne (ravaillont point; mais ils sont esclaves, mon ami : cette idee doit bien empoisonner le mai's qu'ils devorent et qu'ils detrem- pent de leur sueur. Leur patrie est a deux cents lieues d'ici; ils s'imaginent cependant entendre le chant descoqs, et reconnaitre la fumec des pipes de leurs camarades. Us s'echappent quelquefois au nombre de douze ou quiuze, enlevent une pirogue , et s'abandonnent sur les flots. Ils y laissent presque toujours la vie; et c'est pen de chose, lors- qu'on a perdu la liberte. Quelques-uns cependant sont ar- rives a Madagascar; mais leurs compatriotes les ont tous massacres, disant qu'ils revenaient d'avec les blancs, et qu'ils avaient trop d'esprit. Malbeureux ! ce sont plutot ces memes blancs qu'il faut repousser de vos paisibles rivages. Mais il n'estplus temps; vous avez deja pris nos vices avcc nos piastres. Ces miserables vendent leurs enfants pour mi fusil ou pour quelques bouteilles d' eau-de-vie. Dans les premiers temps de la colonie, les Negres se re- tiraient dans les bois , et de la ils faisaient des incursions frequentes dans les habitations eloignees. Aujourd'hui les colons sont en siirete. On a detruit presque tous les marons ; des gens paves par la commune en font leur metier, et ils vont a la chasse des hommes aussi gaiement qu'a celle des merles. A BERT1N 431 Us reconnaissent 1 un fitre supreme. On leur apprend le ratt'vliisme; on pretend leur expliquer rvangile; Dieusait s'ils en comprennent le premier mot! On les baptise pour- tant, bon gre, mal gre, apres quelques jours d'instruction qui n'instruit point. J'en vis un dernierement qu'on avait arrache de sa patrie depuis sept mois; il se laissait mourir de faira. Comme il e"tait sur le point d'expirer, et tres-eloi- gne de la paroisse, on me pria de lui confe"rer.le bapteme. II me regarda en souriant, et me demanda pourquoi je lui jetais de 1'eau sur la tete : je lui expliquai de mon mieux la chose ; mais il se retourna d'uu autre cote, disant en mau- vais francais : Apres la mort tout est fini, du moins pour nous autres Negres. Je ne veux point d'une autre vie ; car peut-etre y serais-je encore votre esclave. Mais Siir cet uffligeant tableau Qu'a regret ma main continue, Ami, n'arretons point la vue, Et tirons un epais rideau. Laissous le Negro mallieureux Crier sous la verge docile, Et sou maitre plus enuuyeux Compter les coups d'uu air tr;iiu|uille : Cest trop longU.'iii|is ni'nccuiier d'eux. 1. 1'reuiiercs editions : Je crois rju'en fjeueral la religion dcs Xi-grcs t le niati-rialisuie. 11s rciniaiMJnt... 432 LETTRE TKOISIEME Degageons mon ame oppressee Sous le fardeau de ses ennuis : Sur les ailes de la pensee Dirigeons mon vol a Paris, Et revenons a la caserne, Aux gens aimables, au falerne, A toi, le meilleur des amis, A toi, qui du sein de la France M'ecris encor dans ces deserts, Et que je vois Miller d'avance En lisant ma prose et mes vers. Que fais-tu maintenant dans Paris? tandis que le soleil est cl notre zenith, 1'hiver vous porte a vous autres la neige etlesfrimas. Realises-tu ces projets d'oryie, auxquels on repond par de jolis vers et par de bons vins 1 ? Peut-etre 1. Une des pieces de Berlin est iutitulee Projel d'orgie, it M. Dora/. Itorat y repondit, je crois, par un morceau de ses Nouveattx lorltt, lequel a poor litre I'Orgie, et commence ainsi : Vous qu'eut aime Chaulieu, Venez, mon jeune Horace, A c6te d'un grand feu Nous boirons a la glace, Et m6dirons un peu... Apportez les tablettes Ou sont ces riens charmants, Et ces conges plaisants (Jue donneut les coquettes A BERTIN 433 qu'entoure de tes amis et des miens, amuse par eux, tu les amuses a ton tour par tes conges 1 charmants. pt Peut-etre, helas! daus ce moment Ou ma plume trop pareeseuse, Te griffonne rapidement Uue rime sou vent douteuse, Assiegeant un large pate, D'Alsace arrive tout-a-1'lieure, Vous buvez tons a ina sant6, Qui pourtant n'en est pas meilleure. Dans ce pays, le temps ne vole pas; il se traine, ['ennui lui a coupe les ailes. Le matin ressemble au soir, le soir res semble au matin ; et je me couche avec la triste certitude que le jour qui suit sera semblable en tout au precedent. Mais il if est pas eloijiiie cet heureux moment, ou le vaisseau A leurs teudres amauts... Le champagne ruisselle; 11 mousse, il ('tincelk 1 , Et resssemble a vos vers... i. Allii.sinu aux vi.'rs precedents de Dorat, et }jcut-&tru an>si a uiiu pirn: de Uertiii, iiititulce le ('.miyf. Garat, dans sa Yif tie Itoiiiinnl, i>eiguaul 1'esprit de la litterature ;" cettc poque, expliqne j>arfaitemeiit :e i>as.sage : Les iH.rie- n'etaieut plus quu des petits-maitres qni parlaient, en vcr> Kais, des femuies qu'ils avaient desolees, des conyf* qn'ils avaient di>nne:, ct iinelquefnis uicmc, puiir etuiiner par le merveillenx, de ceiu qn'il- avaicut re<-ui>. 434 LETTRE TROIS1EME qui me rapportera vers la France sillonnera legeremcnt la surface des flots. Soufllez alors, enfants impetueux de Boree ; enflez la voile tendue. Et vous, aimables Nereides, poussez de vos mains bienfaisantes mon rapide gaillard. Vous ren- dites autrefois ce service aux galeres d'Enee, qui le meri- tait moins que moi. Je ne suis pas tout a fait si pieux ; mais je n'ai pas train ma Didon. Et vous, 6 mes amis ! lorsque 1'Aurore, prenantune robe plus eclatante, vous annoncera riieurenx jour qui doit me ramener dans vos bras, qu'une sainte ivresse s'empare de vos ames : D'ime guirlande nouvelle Ombragez vos jeunes fronts, Et qu'au milieu des flacons Brille le myrte fidcle. Qu'aupres d'un autel tleuri, Chacuu d'une voix legere, Chante pour toute priere, Regina patens CyprH; Pius, veuant a 1'accolade D'un ami ressuscite, Par une triple rasade, Vous saluerez uia sante. i. Horace, I, ode 3. FIN IES OEUVRES DE PAHNT TABLE DES MATIERES 435 TABLE DES MATIERES CONTKNI ES PANS CK V'll.t.ME IMC, PS PntfKAr.K dp M. Saintfl-Benvo. ....... v-xxvi 1 I. E G I E S Le Lendemain 1 L'Heure du lici^tM- r La Discretion II Billot . . . 13 I A Frayeur 15 Vers graves sur un orangci 1s Lc Rpini'-dc ilanpMt'iix 19 Deinain ... 21 Le Kcvenant 2:{ L's I'arudis it; Fragment d'Alci'i 1 30 Plan dV-tiitli's . . :n 436 TABLE DES MATIERES nr.es Projet de solitude ... 36 ffillet . 38 L1VRE It Le Refroidissement . 39 AlaNnit 41 La Rechute. . 43 Elegie 40 Depit