fr-^._ n J^ \ V ^ — ^ J^ w^> r VV \i- ETIENNE DE FLACOURT ou LES ORIGIIS DE U COLOMSATION FRANÇAISE MADAGASCAR ; :: 1648-1661 THÈSE DE DOCTORAT PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES T) R PARIS PAIÎ ARTHUR MALOTET ANCIEN ÉLÈVE DE L\ FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS PROFESSEUR d'hISTOIRE AU LYCÉE DE VALKNCIENNES PARIS ERNEST LEROUX. ÉDITEUR 28, RUE BONAPARTE, 28 1898 f- ^L 4 ETIENNE DE FLAGOURT ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE 1 MADAGASCAR 1648-1661 ANGEIIS, 1111'. DE A. BUHDI.N, A, HUE GAR^:KU. STEPHANVS DE FLACOVRT BISET Indiarvm Orient. Colon. Galll. PRiEFECTvs. Natus Avrelius. Deuixit Peregrinus in Occeano, Anno Salulis 1660. Die décima Junii y Aetatis suce ^). Per mare, per terrain perqne auras Astra secutus, Eldtus mediis ignibus Astra tenet. P. Dd Vergier. Ce portrait a ct4 fait par un jeune artiste de 15 ans, fils du savant et illustre Miche Corneille. Il a fort heureusement réussi à représenter l'extérieur de Flacourt. ETIENNE DE FLACOUIIT ou LËH ORiGiis m u (mmmm nmmi MADAGASCAR 1648-1661 • THÈSE DE DOCTORAT PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS PAR ARTHUR MALOTET ANCIEN ÉLÈVE DE LV FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS PROFESSEUR d' HISTOIRE AU LYCÉE DE VALIÎNGIENNES PARIS ERNEST LEROUX, ÉDITEUR 28, RUE BONAPARTE, 28 1898 h. 4. M3/ A'5 ^y? Monsieur a. GKANDIDIER MEMBRE DE l'INSTITUT HOMMAGE DE RESPECTUEUSE GRATITUDE GG5G92 AYANT-PROPOS Il n'est peut-être rien de plus intéressant, de plus utile pour l'avenir des entreprises coloniales que l'histoire des premières années d'une colonie fondée en un temps oii Ton agissait, sinon sans esprit de système, du moins sans plan préconçu. C'est le désir de tirer parti d'une de ces leçons de notre passé colonial, qui a inspiré ce travail sur les origines de notre colonie de Madagascar et sur le premier gouverneur qui ait laissé un nom célèbre dans nos annales, Etienne de Flacourt. La vie et le rôle de l'ancien gouverneur de Fort-Dau- phin n'ont pas été jusqu'ici l'objet d'une étude attentive. Sans doute les nombreux auteurs qui ont écrit l'histoire des diverses tentatives de la France pour s'implanter dans la grande île de l'océan Indien, en ont parlé incidemment, les uns pour le louer sans réserve, les autres pour le blâmer avec une sévérité excessive ; mais la plupart de ceux qui ont VIII AVANT-I'ROPOS porté un jugement sur son gouvernement l'ont apprécié isolément, absiraclion l'aile de ses précurseurs et de la si- lualion qu'ils lui avaient laissée. C'est celle lacune regrel- table que nous nous sommes efforcé de remplir. De là l'importance que celle Introduction a prise à nos yeux. Elle élail, à vrai dire, la base de noire étude. C'est elle qui devait éclairer les rapporisde Flacourl avec les indigènes, et nous mieux faire pénétrer, si l'on peul ainsi parler, dans l'état d'àme du chef de la. colonie el des gens avec lesquels il allait entrer en relations. Force nous a donc été de ne point ménager les recher- ches en vue de faire connaître les actes bons ou mauvais des Européens qui l'avaient précédé à Madagascar, de compulser un grand nombre de relations françaises ou étrangères, parues aux xvi^ et xvii^ siècles. D'autre part, beaucoup de documents de celte époque, restés pendant longtemps inédits, avaient été publiés par l'Académie des sciences et la Société de géographie de Lisbonne. 11 eût été imprudent de négliger des sources aussi précieuses. Une le'clure assidue nous y a fait découvrir des événements d'une haute portée, dont les conséquences devaient se manifester pendant la première moitié du xvii' siècle et principalement sous l'administration de l'homme qui est l'objet de ce travail. Nous avons été moins heureux dans les recherches que nous avons entreprises pour faire connaître l'origine et l'organisation de la Compagnie qui a envoyé Flacourl à Madagascar. Une pièce jusqu'alors ignorée, que nous avons eu la bonne fortune de trouver aux Manuscrits de la Bi- bliothèque Nationale, nous a toutefois permis d'indiquer le nom, sinon de tous les sociétaires de celle Compagnie, du moins du plus grand nombre. Mais il ne suffisait pas de remonter aux origines de la AVANT-PROPOS IX colonisation à Madagascar; une étude sur Fiacouri devait aussi apporter quelque lumière sur le milieu oii il allait se rendre. C'est pourquoi nous avons essayé de présenter, en nous inspirant de son ouvrage, des relations du temps et de récents travaux sur l'ethnographie de ce vaste pays, un tableau de Madagascar au milieu du xvn*' siècle. 11 n'importait pas moins, pour bien pénétrer dans l'intel- ligence de ses actes, de connaître l'homme, son origine, ses antécédents, son caractère, sa tournure d'esprit, ses moyens d'action. Or, jusqu'à ces derniers temps, la généalogie de l'ancien gouverneur était encore obscure ou fausse. C'est seulement tout récemment qu'une étude documen- tée et consciencieuse, publiée par V Armoriai français, est venue dissiper certaines erreurs qu'avaient répétées im- prudemment bon nombre de revues et de journaux. Nous n'avons pas hésité à y puiser largement pour établir l'ori- gine de Flacourt. Mais, à notre grand regret, il nous a été plus difficile de mettre en lumière la vie qu'il a menée en France avant son départ ponr Fort-Dauphin. Les papiers de famille qui sont entre les mains de ses descendants et les archives de sa ville natale ainsi que celles des villes où il a séjourné après son retour de la grande île, ne contiennent, du moins à notre connaissance, aucun renseignement sur ce point. Une brochure du temps dont les assertions paraissent souvent contestables et les pubhcations de Flacourt lui- même sont à peu près les seuls documents que nous possé- dions. On ne sera donc point surpris que nous n'ayons pu, sur ses antécédents, apporter une abondante moisson de ren- seignements nouveaux. Quant à la physionomie morale de l'ancien chef de la colonie et à ses movens d'action, faute \ AN \M -IT.OPOS d'autres dociimenis, pouvait-on mieux s'en faire une idée que par la suite de sa vie (^1 ses propres écrits? Le chapitre de cette étude, qui devait parliculièrement êho rol)jetde notre attention et de nos efTorts, était sans contredit celui qui a trait à l'administration de Flacourt, L'ancien gouverneur a pris soin, il est vrai, d'en raconter les principaux incidents dans la relation que contient son ouvrage, mais cette relation est remplie de détails qui sont présentés le plus souvent d'une manière confuse ; parfois même les faits les plus importants n'y sont point mis en lumière. Élaguer les détails inutiles, montrer l'enchaînement des événements, leurs causes et leurs conséquences, mettre en relief les principaux personnages et leur rôle, tel était le premier devoir qui nous incombait. Ce n'était pas pour nous d'une moins stricte obligation de tenir compte des qualités morales de l'auteur, de sa sincérité, de son impartialité. Avait-il voulu se disculper auprès de ses contemporains en racontant les événements sous un jour qui lui était favorable? Avait-il passé sous silence des faits qui pouvaient lui attirer le blâme des associés de la Compagnie de l'Orient? Autant de ques- tions qu'il était nécessaire de se poser. A qui devions- nous avoir recours pour les résoudre, sinon à ses auxi- liaires et principalement à son compagnon, le P. Nacquart? Les lettres de ce missionnaire et sa Belalion^ publiées dès l'année 1866 parles Prêtres de la Mission, ont élé en effet le meilleur commentaire qui pût nous éclairer sur certains points obscurs du gouvernement de Fla- court. Ces mêmes lettres, auxquelles il faut ajouter une bro- chure insérée dans la première édition de l'ouvrage de Flacourt et un factum de la BibHothèque Nationale, nous AVANT- IT.OI'OS \1 ont fourni la matière de deux autres chapitres. Le premier est tout entier consacré au séjour de l'ancien gouverneur en France depuis son retour de Madagascar, et aux des- tinées de la Compagnie dont il avait été directeur; le second traite des résultats de son gouvernement et de son œuvre colonisatrice. iMais en donnant comme titre à ce travail Les origines de la colonisation française à J/«(/«^«.scar, pouvions-nous nous désintéresser de l'historien de Madagascar, de l'homme qui avait contribué àl'accroissement de nos connaissances sur cette île lointaine ? Pouvions-nous laisser de côté tous les résultats qu'il avait acquis à la science, résultats qui jusqu'ici n'étaient encore que vaguement connus? Si l'on s'est accordé en effet jusqu'à nos jours à reconnaître la valeur de V Histoire de Visle de Madagascar , personne, que nous sachions, n'a encore encore entrepris d'étude critique, d'étude véritablement scientifique sur cet ou- vrage, sur la part d'originalité et d'exactitude qui doit lui être attribuée. On ne pouvait d'ailleurs déterminer la part d'originahté sans s'être informé des données fournies sur la grande terre par les auteurs de l'époque précédente, soit au point de vue géographique, soit au point de vue ethnogra- phique. Aussi bien avons-nous employé tous nos efforts à présen- ter dès le début de notre étude un état consciencieux, sinon tout à fait complet, des connaissances que l'on avait en Eu- rope sur Madagascar avant le départ de Flacourt. Quant à la recherche de la part d'exactitude, rendue presque im- possible jusqu'àces trente dernièresannées par l'ignorance oh l'on se trouvait de tout ce qui regarde le pays et Tori- ginedes habitants, elle nous a été facilitée par les récentes explorations et surtout par les admirables travaux de M. A. Grandidier, le savant qui, de l'aveu de tous, a le XII AVANT-l'llOPOS plus contribué à l'accroissement de nos connaissances sur Madagascar. Ce travail se termine par l'étude du plan de colonisation que Flacourt a placé à la fin de son livre, et qui en est comme le couronnement. C'est en nous appuyant autant sur les idées de ses contemporains que sur l'exposé de son administration et ses propres écrits, que nous avons pu expliquer ses vues sur la colonisation de ce pays d'outre- mer et montrer dans quelle mesure elles lui sont person- nelles. Pour y parvenir, nous avons consulté, outre les remarquables publications de notre époque sur la coloni- sation en général et sur la colonisation de Madagascar, un grand nombre de documents inédits, destinés à nous éclairer sur les idées des contemporains de Flacourt en matière coloniale. Enfin nous avons pensé que notre élude serait de peu de portée, si nous négligions de déterminer la place que doit occuper l'ancien gouverneur de Fort-Dauphin dans l'his- toire coloniale. C'est pourquoi nous nous sommes atta- ché à rechercher quel rang devait lui être accordé, non seulement parmi les différents colonisateurs ou explora- teurs de la grande île, parmi ceux qui ont accru nos connaissances sur ce pays ou indiqué les moyens d'en tirer parti, mais encore parmi les colonisateurs, les explora- teurs des autres contrées du globe, et les auteurs des nombreuses relations qui ont été publiées jusqu'au XIX® siècle. Telle est la méthode que nous avons suivie pour la com- position de ce livre, telles sont les recherches auxquelles nous nous sommes livré. Puisse-t-on, au moment oii la récente expédition de Madagascar donne un intérêt tout particulier ta tout ce qui touche à l'histoire de nos tentati- ves pour coloniser ce pays, trouver dans notre essai quel- AVANT-1>K0P0S XII 1 que part de nouveauté et de vérité sur la vie d'un homme qui, pour avoir commis des fautes regrettables, ne s'en est pas moins montré par ses actes et ses écrits un des plus ardents partisans delà domination française dans l'île que nous venons de conquérir ' ! 1. yu'il me soit permis de remercier ici tous ceux qui se sotil intéressés à mon travail, et m'ont soutenu de leurs conseils ou de leurs lumières, en par- ticulier, MM. A. Grandidier, M. Dubois, H. Froidevaux, G. Marcel. BIBLIOGRAPHIE il. — Imprimés. 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Premières immigrations. — Colonies africaines, juives, ciiinoises, ma- laises, arabes à Madagascar. II. Premières relations des Européens avec les indigènes. — Les explora- tions portugaises et la traite des esclaves au xvi'^ siècle; les essais de prosélytisme et les relations commerciales des Portugais avec les Malgaches au commencement du xvii" siècle. — Passage de quelques navigateurs hollandais et anglais à Madagascar; tentative de colonisa- tion de Powle Waldegrave vers l'année 1644. III. Premières relations des Français avec les indigènes. — Les aventu- riers et les entreprises individuelles. — Tentative de colonisation oITi- cielle en 1642 : La Compagnie de l'Orient et Pronis. — Etienne de Flacourt est désigné pour remplacer Pronis à Forl-Dauphin. I On s'accorde généralement à reconnaître qu'au'.v geiiplaidés de race indonésienne qui, dès une époque très refei;]>3'8',iiya;i ont été portées par les flots vers la grande île de l'océan Indien et l'avaient occupée, sont venues se joindre plus tard des colonies de races diverses, africaines etasiatiques. Longtemps avant l'ère chrétienne, Madagascar dut recevoir de nombreux immigrants noirs, entre autres des tribus nègres de Bantous ou de Gafres de Mozambique. A une époque non moins lointaine, cette île i 2 ETIENNE DE FLACOUHT semble avoir ûlé aussi fréquentée par des Juifs et des Chinois donl les navires allaient faire du trafic jusque sur la côte de Sofala. Les premiers s'élahlircut propablement dans l'île Sainte-Marie et la partie de la côte qui lui est opposée, peut- être même plus au sud, dans le pays d'Isaka. Quant aux Chi- nois, (jui avaient abordé à quelques ports du sud et du sud- ouesl, il est vraisemblable qu'ils y fondèrent des comptoirs*. Après la venue de ces Juifs et de ces Chinois, un temps très long s'écoula pendant lequel aucune immigration importante ne se produisit. Puis vers le ix" ou le x" siècle, des Malais vin- rent s'établir au sud-est de l'île. Ils furent bientôt refoulés par les peuplades qui occupaient déjà cette contrée, et furent con- traints de se réfugier dans le massif central. Là, ils rencon- trèrent une tribu indonésienne, les Vazimbas, avec lesquels ils ne tardèrent pas à entrer en lutte '. C'est à peu près à la même époque (ix^ ou x» siècle) qu'il faut placer la première immigration des Arabes dans la 1. Voir A. Grandidier, Revue scientifique, 11 mai 1872 : Un voyage scienti- fique à Madagascar, p. 1077 et 1085 ; Mémoh'e de l'Institut, 25 octobre 1886 : Madagascar et ses habitants, p. 9 et suiv. ; Histoire de la géographie de Mada- gascar, 1892, p. 103, 17, 170 a ; Bulletin de la Société de géog. de Paris, avril 1872, p. 379 et 380 ; Revue des sciences pures et appliquées, 30 jan- vier 1893; de Quatrefages, Introduction à l'étude des races humaines, p. 396; Mas Leclerc, Les peuplades de Madagascar, p. 6-22. M. Gabriel Ferrand pré- tend qu'il n'y a pas eu d'immigration juive à Madagascar. Les prétendues pratiques israélites que l'on a cru retrouver dans l'île, ne seraient, d'après lui, autre chose que des pratiques musulmanes {Les musulmans à Madagas- car, ire partie, p. 11). Mais on peut lui répondre que les prétendues pratiques musulmanes sont probablement dérivées du judaïsme. 11 faut ajouter que M. A. Grandidier a remarqué à Madagascar des usages ^très,p,arti(juljers d'une origine indienne probable (Revue scientif., mai 1872, ^ V ." 1 û8lij Idxtè et note 4). Pour M. Max. Leclerc, il n'y aurait rien d'impossible à ce que les sectes "iiciijJdhijit^i^.dç Çeylan, remarquables par leur prosélytisme, aient envoyé des • uii*3lob*ila*ire3 â Madagascar. « 11 est de fait, dit-il, qu'au milieu de la confusion iu'Xtricable des superstitions et des croyances religieuses de l'île, on ren- contre des traces fort nettes de panthéisme et même de la croyance à la mé- tempsycose » [Les peuplades de Madagascar, loc. cit., p. 59). 2. Voir A. Grandidier, Mémoire de l'Institut, p. 18; 'Max Leclerc, loc cit., p 28 et suiv. Les traditions hovas nous ont conservé le souvenir des guerres que les Vazimbas ont eu à soutenir avec les immigrants d'origine malaise et qui Sl! sont terminées vers 1600 (A. Grandidier, Mémoires de la Soc. philoma- l/iique, 1888, p. 1.57). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 3 grande île. A la suite d'une révolte, qui avait éclaté en Arabie, les Emozaidij ou sectateurs de Zeyd, arrière-petit-fils du g-en- dre de Mahomet, Ali, durent s'enfuir'. «Je crois, dit M. Gran- didier, que c'est une branche de ces Emozaidij (Echya-Zeyd) qui s'est réfugiée à Madagascar et y a fondé au x^ siècle la co- lonie arabe dont on trouve les traces sur la côte sud-est, celle des Zafy-Raminia (Zafy-Ra-Emin ou Zafy-Ra-Emineh) et des Anakara »^. Ces nouveaux venus durent soutenir une lutte acharnée contre une tribu indigène qui habitait ce pays et vraisemblablement pillait ses voisins, La légende rapporte qu'ils les vainquirent à Antanifotsy, village de la côte orientale'. Quelques siècles après, probablement au rx® siècle, les Zafy- Kasimambo, musulmans de la côte orientale d'Afrique qui tra- fiquaient sur la côte nord-ouest de l'île, longèrent les côtes et arrivèrent jusqu'à Matatane, sur la côte sud-est. Ils y étaient venus sans doute pour y faire du commerce, mais aussi pour instruire les indigènes dans la religion de Mahomet et s'éta- blir dans cette contrée. Mais les Zafferaminia qui l'occupaient depuis longtemps ne voulurent point se laisser déposséder par ces nouveaux immigrants, et tentèrent de les soumettre à leur autorité. Delà une lutte où ils furent vaincus et en grande partie massacrés. Ceux qui survécurent à cette défaite durent quitter le pays et se réfugier de différents côtés. Les uns, les x4.ntarabahoaka, se retirèrent vers le nord, les autres, les An- tanosy, vers le sud. Il semble cependant que leurs femmes et leurs enfants furent épargnés et reçurent des terres propres à la culture, ainsi que des prairies pour y élever du bétail. Quoi qu'il en soit, les nouveaux possesseurs du sol s'y multi- plièrent et y tinrent de nombreuses écoles où ils enseignaient à lire et à écrire les caractères arabes*. Ainsi la seconde immi- 1. A. Grandidier, Histoire de la géographie, loc. cit., p. 26, note S. 2. Id., ibid , p. 27, note a. 3. A. Graodidier, Hist. de la géographie, loc. cit., p. 98, note 21; 99, note 24 ; 105, note a. 4. A. Grandidier, Bull. Soc. de géogr. Paris, \<>^ trimestre 1886 iLescanauxet les lagunes de la côte orientale à Madagascar, p. 89 ; Max Leclerc, loc. cit., p. 37-46. ÉTIENNK DK FLACOURT gralion des Arabes paraît avoir été entreprise dans des vues do prosélytisme. C'est en cela qu'elle se distingue de la pre- mièrequi fut, au contraire, un événement purement fortuit'. 11 Les Asiatiques et les Africains avaient vu depuis longtemps la grande île, alors que les Européens en ignoraient l'exis- tence. Les anciens, Grecs et Romains, avaient, il est vrai, connu sous le nom de Menuthias une île qui semble bien être jotre Marlagascar^ ; mais ils ne l'avaient jamais visitée. Au xiiio siècle le voyageur vénitien Marco Polo avait aussi parlé d'une île (ju'il désignait sous le nom de « Madeigascar » et dont il vantait les richesses \ Mais ses récits passaient pour fabu- leux; de plus au moyen âge on voyageait peu. Il n'est donc pas étonnant qu'à une époque où le cap de Bonne-Espérance 1. Les ;iut(!urs aucieus qui se sont particulièrement occupés de la côte orientale de i'ile s'accordent presque tous pour placer à Matatane (Matita- nana) les colonies arabes auxquelles donnèrent naissance les colonies nuisul- luanes (voir G. Vervuud, Les musuhnans à Madagascar, l" partie, p. 57). « Les chefs du pays d'Aïubolo, dit le !)■• Catat, ont conservé presque intactes une foule de coutumes arabes, réminiscences curieuses d'invasions musulmanes sur la côte orientale, leur pays d'origine » (Tour du inonde, 22 déc. 1894 : Voyage à Madagascar, p. :i8(i). D'après M. Max Leclerc, vers la même époque (xve siècle) où M. A. lirandidier place la seconde immigration arabe à la côte sud-est, il y en eut une autre à la côte nord-ouest [loc. cit., p. 39 et 40). Men- tionnons aussi l'opiuiou de M. Gabriel t'erraud {Les musulmans à Madagascar, 2» partie, p. 64 et 65), d'après laquelle les Zafy-Kasimambo ne seraient pas venus de la Mecque et n'auraient pas une origine arabe. Selon le P. de la Vaissièrn, des relations commerciales auraient existé dès une époque fort reculée entre les Persans et les Malgaches. MM. Guillain et Delagrange ont, de leur côté, recueilli des traditions qui leur ont fait croire à une importante immigration des Persans sur la côte nord-ouest de la grande île. Ils auraient fondé au commencement du xvi» siècle divers établissements à Nossi-Comba, Mahajamba, lioueni, baie de Bombetok et baie de Bali (Max Leclerc, loc. cit., p. 47, texte et note 2). 2. A. Graniiidier, Histoire de la géographie, loc. cit., éd. 1892, p. 1-11. 3. M. A. Crandidier nous parait avoir démontré d'une façon irréfutable que la description de Marco Polo s'applique à Mogdicho et non à I'ile que nous nommons .Madagascar {Uisl. de la géogr., 1892, p. 24-32). M. G. Ferraud croit cependant que le Madeigascar de Marco Polo désignait véritablement la grande île africaine [Les musulmans à Madagascar, 2' partie, p. 83-91). ou LES ORIGINKS DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAP, 5 n'était pas encore doublé, aucun navig-ateur n'ait cru néces- saire d'aller vérifier ses assertions. La première nouvelle authentique de l'existence de Mada- g-ascar fui apportée en Europe sous le règne do Jean II de Portugal, le 7 mai 1487. Ce roi avait, dès l'année 1486, charg-é deux hommes versés dans la lang-ue arabe, Pierre de Covilliam et Alphonse Paiva, de prendre des renseignements surl'Abvs- sinie et la roule de l'Inde. iNlunis de lettres pour le Prêtre Jean, ils s'embarquèrent pourjrEgypte. Du Caire ils se rendirent par la mer Roug'e à Aden où ils se séparèrent. Covilham se dirigea vers l'Inde et Paiva vers Sonakim en Abyssinie. Mais auparavant ils avaient désigné le Caire comme lieu de leur futur rendez-vous. Après avoir séjourné quelque temps à Cananor et à Goa, Covilham partit pour Sofala, port de la côle orientale d'Afrique. C'est dans cette ville qu'il recueillit quel ques renseigne m en Is sur lîle Saint-Laurent, que les Arabes nommaient l'île delà Lune. Il entendit parler des ressources de ce pays en clous de girolle, cannelle et gingembre. Il résolut de ne pas s'aventurer plus loin avant que les précieuses infor- mations qu'il possédait, fussent connues de ses compatriotes. Dans ce dessein, il revint en Egypte où il rencontra des envoyés du roi Jean qui lui apprirent la mort de son compa- gnon. Il remit à l'un d'eux qui retournait en Portugal des lettres pour le roi. Ces lettres rapportaient entre autre choses que les navigateurs qui descendraient la côte de Guinée étaient assurés d'atteindre l'extrémité du continent, et que s'ils conti- nuaient la route vers le sud, ils arriveraient à l'Océan de l'est d'où le meilleur moven à prendre pour aller aux Indes serait de demander le chemin qui menait à Sofala et à l'île de la Lune. C'est ainsi que Jean II eut des renseignements précis sur la navigation dans l'océan Indien et l'existence de Mada- gascar*, 1. Castanheda, Histoire des Indes, trad. Grouchy, MDLIII, p. 3; .Major, The life of Prince Henry the Navigator cité par Oliver : Madagascar, t. I, p. 5 et suiv. 6 l'TIENNK DH FLACOURT Son siiccessoiir, l^]mmaniicl, résolut d'achevtîr l'œuvre si iioblemenl commencée. On avait des ren-^eig'nements sur la route ;i suivre pour aller aux Indes et sur la côte orientale d'Afrique, depuis l'Egypte jusqu'à Madagascar. Il ne restait plus qu'à s'aventurer sur la route indiquée et à reconnaître le sud-esl de l'Afrique, c'est-à-dire la faible partie du continent qui s'étend depuis la hauteur de Madag-ascar jusqu'au cap de Bonne-Espérance. Le roi confia cette mission à un marin expérimenté et brave, Vasco de Gama. On sait comment l'iulrépide navigateur parvint à doubler le cap de Bonne- Espérance. Sa Hotte passa non loin de Madagascar, sans la voir (1497). Deux ans plus tard un autre navigateur portugais, Pedro Alvarez Cabrai, passait dans ces parages et n'était pas plus heureux que Gama. Parti du Brésil pour les indes orien- tales, il eut à subir près du Cap une violente tempête. Les navires qui composaient sa flotte furent séparés les uns des autres. Le vaisseau de Cabrai doubla le cap sans que l'équi- page s'en aperçût. Cependant le pilote reconnut aussitôt sa route et longea la côte orientale d'Afrique. Le vaisseau de Cabrai fut ensuite rejoint par ceux qui s'en étaient écartés. Un seul manquait ; c'était le navire commandé par Diogo Diaz. C'est à ce marin que le hasard réservait la gloire de voir le premier la grande île africaine*. Ne sachant où il allait, Diogo Diaz ne s'approcha pas du continent africain, ainsi qu'il aurait dû le faire. Il fut poussé de l'autre côté de Madagascar, c'est-à-dire vers la côte orien- tale qu'il crut être la côte de Mozambique. Il la longea avec soin et arriva à la pointe septentrionale de l'île. Là, il tourna vers l'ouest; un vent favorable le porta sur la côte occiden- tale. Il reconnut alors qu'il avait côtoyé une île et qu'il s'était égaré. Comme il avait vu celte île le jour de la fête de la Saint- Laurent, il lui donna le nom de ce saint (ISOO). i. Castanheda, qui a raconté les vicissitudes de la flotte de Cabrai n'a point mentionné la découverte de Diogo Diaz. Il s'est contenté de dire, après avoir parlé de la dispersion des navires : «. et Diogo Diaz s'en alla seul d'un autre côlé à la miséricorde de Dieu » (loc. cil., p. 76 et suiv.). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 7 J*][i continuant sa route, il arriva à un port l)ien abrité contre les vents où il rencontra des indigènes qui lui apportèrent des poules, des ignames et des fruits et auxquels il fit distribuer en échange, des couteaux, des haches et des grains de corail. La mort de plusieurs hommes de son équipage le décida à par- tir pour Mozambique où il apprit à son capitaine général Pedro Alvarez Cabrai ce qu'il venait de découvrir. La nouvelle de cette découverte fut apportée par ce dernier à Lisbonne vers le milieu de l'année suivante '. Cette nouvelle ne semble pas toutefois avoir eu un grand retentissement en Portugal. On était alors très préoccupé d'exploiter les richesses de l'Inde dont la route par mer venait d'être connue. Aussi, malgré l'heureuse situation de l'île sur le chemin des contrées riches en épices, et sa réputation de fertilité, aucune expédition ne fut décidée tout d'abord pour aller explorer le pays. Les premiers navires qui y abordèrent y furent poussés par la tempête. Le 10 août 1506, Ruy Pereira Coutinho, capitaine d'un des navires de la flotte de Tristan da Cunha qui se ren- dait aux Indes, fut contraint par le mauvais temps de jeter l'ancre dans un port de la côte occidentale auquel il donnais nom de Bahia Formosa^ Dès son entrée dans le port, Ruy 1. Monumeiilos para a Hisloria das conquistas dos Porti/guezes. Lisboa, 1838 : Pedro Alvarez Cabrai, anno 1500, t. I, !'« série. Hisloria da Asia, p. 132 et suiv. ; A. Graadidier, Hist. de la géoç/r., éd. 1892, p. 38. Depuis le xvi" siècle jusqu'à nos jours, la plupart des auteurs avaient pré- tendu que l'honneur de cette découverte devait revenir à Tristan da Cunha qui aurait vu l'ile le premier en 1506 et lui aurait donné le nom de Saint-Lau- rent. M. A. Grandidier a le premier rectifié cette erreur. Il assure [Histoire de la géographie de Madagascar, édit. 1892, p. 36 et 38) que la découverte de l'île et la dénomination de Saiot-Laurent doivent être attribuées à Diogo Dlaz, marin portugais, qui avait accompagné le capitaine Pedro Alvarez Cabrai dans son voyage aux Indes. Nous avons adopté et repris cette opinion. 2. Bahia Formosa n'est autre chose que la baie de Boiua sur la côte occi- dentale. C'est Ruy Pereira qui lui aurait donué le premier ce nom (10 août 1506) (voir A. Grandidier, Hist. de la géog., édit., 1892 : Tableaux, p. 121). D'après Joào de Barreira. [Commentarios do Grande A fonso Alboquerque, capi- tam geram que fog das Indias orientaes, eni tempo do muilo poderoso Rey dom Manuel, a primeiro deste nome. Lisboa, 1570, p. 17) ; et Barros, Da Asia, Decada segunda, Parte primeira, anno MDCCLXXVII, fol. 6 et 391, Ruy Pereira au- rait abordé à Matatane et c'est de là qu'il aurait ramené ces deux indigènes. Nous n'avons pas adopté cette version qui nous paraît inexacte. C'est à Bahia Formosa qu'avait d'abord atterri ce navigateur, et c'est là qu'il avait 8 ETIENNE DE FLAf.OURT Pereira vil venir une barque où se trouvaient dix-huit indi- gènes Ceux-ci consentirent à monter à bord du navire et ne nlauifosl^rent pas la moindre crainte. Comme quelques-uns portaient des bracfdets d'argent, ou leur demanda où ils s'étaient procuré ce métal. Ils firent comprendre par signes qu'il se trouvait en abondance du côté de Matalane. Ils assu- rèrent aussi que ce pays produisait quantité de clous de girolle et du gingembre. Après avoir obtenu ces renseigne- ments, le capitaine mit à la voile pour Mozambique. Il emme- nait avec lui deux indigènes dont la présence devait prouver à Tristan da Cunha qu'il avait abordé à Madagascar. Arrivé dans cette ville, Ruy Pereira raconta à Tristan da Cunba ce qu'il avait appris sur les ressources de la grande île. Pour montrer sa véracité, il prit comme interprète un Maure nommé Bogima qui connaissait bien ce pays et con- firma ses renseignements. L'amiral s'apprêtait alors à partir pour l'Inde. Malheureusement le temps n'était guère favorable à la navigation. Cette circonstance et les rapports merveilleux que venait de lui faire le capitaine sur Madagascar contri- buèrent k modifier ses projets. Il lui parut qu'un pays où l'on trouvait des clous de girofle et du gingembre devait produire d'autres épices. Si le fait é^'ait prouvé, n'aurait-on pas décou- vert par là même nue autre Inde? En tout cas, pensait-il, quand bien même on ne parviendrait pas à y trouver d'autres plantes que celles qu'avait indiquées Ruy Pereira, on aurait toujours l'avantage d'envoyer en Portugal des navires chargés de ces produits. Il est probable aussi qu'il espérait s'y procurer dos esclaves. On sait en etfet que. dès cette époque, les Portu- gais faisaient la traite dos nègres sur la côte d'Afrique, et que le Brésil devint bientôt un des principaux débouchés de ce honteux trafic. Quoi qu'il en soit, da Cunha communiqua ses intentions aux capitaines de la flotte et à son collègue Albuquerque. La obtenu des renseigoements sur le pays de Matatane. Osorius parle de Bahia Formosaet uou de Matataue, fol. 144 : De rébus Emmcmuelis régis Liisitanix, ColouiiP Agrippiniae, anao MDLXXVl. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 9 plupart des capitaines furent de son avis. Mais Albuqucrque, qui craignait de perdre le temps propice à la navigation, dé- clara au contraire qu'il fallait hâter le plus possible le départ pour les Indes. Le voyag-e à Madagascar fut néanmoins décidé. L'amiral partit en compagnie d'AIbuquerque, des capitaines Manuel Telles, Antonio de Campo, Job Queimado, Ruy Pe- reira, Joao Gomez d'Abreu, Tristan Alvarez, Francisco de Tanara et du Maure Bogima. Le premier mouillage qu'ils aperçurent sur la côte occiden- tale fut une anse située en face de Mozambique, et à laquelle le fils aîné de l'amiral, Nuno da Cunha, donna le nom de Dona Maria da Cunha*. Le temps n'étant pas assez sur pour poursuivre la route jusqu'au pays de Matatane, on jeta l'ancre en cet endroit (8 décembre 1506). L'amiral envoya à terre les capitaines Job Queimado et An- tonio de Campo, accompagnés de Bogima. Leur mission con- sistait à lâcher d'attirer à la côte les indigènes des environs. Bs n'en eurent pas la peine. Ceux-ci vinrent en grand nombre à leur rencontre, et s'entretinrent avec Bogima comme s'ils l'eussent connu depuis longtemps. Après leur avoir appris le motif de l'arrivée de l'amiral dans leur pays, le Maure leur demanda de le conduire à leur chef. Mais à peine eut-il quitté ses compagnons, qu'il fut roué de coups par les indigènes. Ils l'auraient mis à mort sans l'arrivée des Portugais, qui tirèrent sur eux quelques coups de mousquet. Tristan da Cunha voulut se venger des naturels et leur inOiger un châtiment exem- plaire. Mais ceux-ci, prévoyant sans doute le sort qui leur était réservé, se retirèrent prudemment dans les bois des alentours et ne lui en fournirent pas l'occasion. Le jour suivant, l'amiral quitta ces parages et s'en alla trois 1. Nuno da Cunha lui aurait donné ce nom par amour pour cette dame, fille de Martin Silveira. alcade major de Terma. Dona Maria était reçue chez la reine où Nuno da Guuha l'aima et l'épousa (Barros, Dec. II, liv. II, fol. 8, 1777). D'après M. A. Grandidier, ce golfe serait la baie de Boiua {Hist.de la géog., éd. 1892 : Tableaux, p. 121). D'autres l'ont appelé la baie de la Concep- tion, parce qu'on Ta découverte le 8 décembre 1506, jour où l'Église célèbre cette fête (Barros, ibid., et A Grandidier, ibid.). 10 ETIENNE DE FLACOURT lieues plus loin. Là les Portugais s'emparèrent d'un chef de village qui les conduisit dans une île située au milieu de la baie do Lulangane'. Sur Tordre de Tristan da Cunha, cinq ceuls personnes, en majeure partie des femmes et des enfants, et vingt hommes au nombre desquels se trouvait le chef indi- gène, furent emmenées captives. Plus de deux cents de ces malheureux se noyèrent pendant la traversée de l'île à la terre ferme. Les pirogues trop chargées avaient sombré. D'autres furent massacrés en voulant opposer de la résistance. Le len- demain on vit arriver un grand nombre de pirogues. Elles amenaient près de six cents indigènes qui venaient offrir leur vie pour sauver celles de leurs femmes et de leurs enfants. L'amiral consentit à rendre la liberté à ceux qu'il s'était d'abord proposé d'emmener comme esclaves. Pour prix de cette faveur, il exigea des indigènes qu'ils lui amenassent des vivres et du bétail. Ils devaient en outre lui apporter des renseignements sur le pays et l'origine des habi- tants. Trop heureux de retrouver ce qu'ils avaient de plus cher, ceux-ci retournèrent à leur village et revinrent peu de temps après avec une quantité de provisions. Aux questions de l'ami- ral, ils répondirent en assurant que le pays produisait un peu de gingembre, mais ils déclarèrent qu'ils ignoraient s'il y avait dans l'île du girofle et de l'argent. Tout ce qu'ils avaient ap- pris, c'est que de l'autre côté de l'île, au sud, vers Matatane, les habitants porlaient des bracelets en argent. Quant à l'ori- gine des naturels, elle ne leur était guère mieux connue. Ils les regardaient comme des Gafres, ajoutant qu'on trouvait seulement sur la côte quelques villages maures. Da Cunha se montra peu satisfait de ces renseignements. Persuadé que ces gens lui avaient caché la vérité par jalousie des Portugais, il donna le lendemain même le signal du départ pour le village 1. Cette baie serait la baie de Mahajamba, et la rivière Lulangane, celle dg Sofia (Codine, Mémoire géographique sur la mer des Indes, p. 128). Le village de Lulangane serait celui qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de Lan- gauy (A. Graudidier, Uist. de la géog., éd. 1892, p. 124). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 11 de Sada'. De là, il se dirigea vers le nord, et arriva le 25 dé- cembre 1506 à la pointe septentrionale de l'île à laquelle il donna le nom de cap Natal* pour l'avoir découvert le jour de Noël. Des vents contraires l'empêchèrent de doubler ce cap et le déterminèrent à modifier son plan de voyage. On convint qu'Alphonse Albuquerque retournerait à Mo- zambique pour s'occuper des préparatifs du voyage aux Indes. Quant à Tristan da Cunha, il s'en irait avec les autres navires commandés par Francisco de Tonara, Ruy Pereira, Joao Go- mez d'Abreu, verslepays de Matatane.pour s'assurer si, comme on leur avait dit, l'on pouvait y trouver du girofle, du gin- gembre et de l'argent. Mais la tempête vint déjouer ces nou- veaux projets. Le vaisseau de l'amiral dut retourner à Mozam- bique oia il parvint non sans difficulté. Le navire de Ruy Pe- reira, qui le précédait, sombra dans la tourmente. Le capitaine périt. Le maître du navire, le pilote et treize hommes de Téqui- page réussirent seuls à se sauver. Dans d'autres parages, Joao Gomez d'Abreu n'eut pas un meilleur sort. Il parvint, il est vrai, à doubler le cap Natal, et jeta l'ancre dans le port de Matatane où il fui bien accueilli par les indigènes. Mais une violente tempête s'élant élevée pendant qu'il était sur la terre ferme, son navire prit le large, et on ne le revit plus. Ce capitaine mourut de désespoir à la pensée de ne plus retourner dans sa patrie. Ses compagnons se confièrent à une barque qui devait les ramener à Mozambique et furent assez heureux pour ren- contrer un autre navire portugais qui les y conduisit ^ Les dangers que Tristan da Cunha venait de courir sur les côtes de l'île Saint-Laurent_, et probablement aussi le désir de satisfaire aux instructions du roi en continuant sa route vers 1. Aujourd'hui Anorontsangana (Graudidier, Histoire de la géographie, éd. 1892, p. 38, note 2). 2. Aujourd'hui cap d'Ambre (ibid., p. 83). 3. Joao de Barreira, Commentainos do grande Afonso Dalboquerque capitam geram qui foy das Indias orientaes, em tempo do muito poderoso Rey dom Manuel, Lisboa, 1576, p. 17 et suiv. ; Osorius, De rébus Emmanuelis régis Lu- silaniœ, Co]omaè Agrippiaise, anno MDLXXVI, fol. 144-146; Barros, Da Asia, Decana segunda, Parte primeira, anno MOGCLXXYII, fol. 6-17 et fol. 391 ; G. Correa, Lendas da India, t. I, parte II, p. 662-666. 42 KTIKN.NK DK ri-ACOURT les Indes, rcmpêchèrerU de poursuivre l'exploration de la grande terre. Mais, bien (\n'ii vrai dire il n'eût rapporté autre chose de cette exploration qu'une plus am[de connais- sance des pays, il voulut en faire connaître le résultat au roi de Portugal. Dès son retour à Mozauibifjue, il donna l'ordre à un de ses capitaines, Antonio de Saldauha, de partir pour Lis- bonne. Le capitaine s'y rendit muni des échantillons qui de- vaient prouver au roi l'existence de l'argent dans Tîle, et accompagné de quelques indigènes qui devaient apporter d'au- tres renseignements sur ses ressources. Le roi Emmanuel fut enthousiasmé à la nouvelle de celle découverte. Il se montra disposé à entreprendre uneaulre expédition à Madagascar (août loO"). Antonio de Sal danha le pria de lui confier cette expédi- tion. Mais le roi ne voulut pas y consentir. Eclairé par le Bolo- nais Ludovic Varthemasur les richesses de l'Extrême-Orient, sachant que le détroit de Malacca offrait un passage rapide du golfe de Bengale aux Moluques, pays des épices, il avait décidé qu'un de ses officiers les plus habiles, et les plus expérimentés, Lopezde Siqueyra, irait reconnaître la situation de Malacca et tenterait de se mettre en relations avec les habitants Ml profita de Toccasion pour éviter la dépense de doux tlolles et chargea Siqueyra d'explorer en passant Madagascar. Le capitaine avait l'ordre de mieux reconnaître la côte orientale de l'île, et de rechercher si elle produisait les plantes et contenait les métaux précieux que Tristan de Cunha avait déclaré s'y trouver. Au cas où les renseignements de l'amiral seraient exacts, il devait charger ses navires de ces produits ; dans le cas contraire, quit- ter ces parages pour s'en aller à Malacca. Lopez de Si jueyra partit de Lisbonne l'année suivante (8 avril 1508). En route, il rencontra un autre capitaine por- tugais Duarto de Lemos, en compagnie duquel il gagna l'île Saint-Laurent. Le 40 août 1508, il pénétrait dans le port de Turubaya". Le chef du pays, nommé Diamom, vint les voir, 1. L'Univers pittoresque : Porliiçial, p. 182 ; Schefer, Le Discours de la naviga- tion de Jean et Raoul Parmentier^Vb.vX», 1883. p. xv et suiv. de l'Iutroduction ; IlisLoire rjénérale^ par Lavisse et Ramhaud, t. IV, p. 889 et 890. 2. Aujourd'hui Fort-Dauphia (v. A. Grandidier, loc. cit., p. 108). ou LES ORIGIiNES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 13 avec beaucoup d'indigènes. Mais il ne put donner aucune ré- ponse aux questions qu'ils lui posèrent. Il ignorait si le pays produisait du g^irofle, du gingembre, ou renfermait de l'ar- gent. En revanche, il leur apporta quantité de provisions de bouche. De là Siqueyra se rendit à Matatane où il espérait se procurer, d'après ses informations, du gingembre et du gi- rofle. Mais il n'y trouva rien de plus qu'un excellent accueil que lui firent les indigènes. Seulement, il apprit en cet endroit que le girofle qu'on y avait vu avait été apporté par la tempête en même temps qu'un jonc de l'île de Java, et s'était ensuite répandu dans la contrée, ce qui avait fait croire à Tristan da Cunha qu'il venait naturellement en abondance dans l'île. Il courut ensuite le long de la côte pour tâcher de découvrir quelque port où il pourrait obtenir des renseignements sur les richesses du pays. Il parvint ainsi à une baie qu'il appela Saint-Sébastien, pour l'avoir reconnue le 20 janvier 1509, jour de la fêle de ce saint'. Ayant redescendu la côte, il passa de nouveau à Matatane, et le 12 août lo09 il pénétra dans une autre baie à laquelle il donna le nom de Santa-Clara en l'hon- neur de la sainte de ce jour*. De là, n'ayant point trouvé les épices et l'argent qu'il cherchait, Lopez de Sequeyra reprit la route deslndes%et peu de temps après, Malacca tombait au pouvoir des Portugais (1511). Depuis l'exploration de Siqueyra jusqu'au commencement du xvn^ siècle, les Portugais ne paraissent plus avoir été en- voyés à Madagascar, ni par les rois de Portugal, ni par les rois d'Espagne, en vue d'explorer le pays et de s'y livrer au trafic*. 1. Diego Suarez. 2. Saiate-Luce. 3. Barros, Da Asia, Decada segunda. Parte primeira, éd. 1777, p. 391-395; G. Correa, Lendas da India, t. I, parte II, p. 971; Pedro Resende, Os Porlu- guezes em Africa, Asia, etc. 1877, t. I, p. 83; Schefer, Le Discours, etc., loc. cit.. Introduction, p. xv ; Voir pour les dates, A. Graudidier, Hist. de la géog., éd. 1892, p. 83-210 : Tableaux. 4 Nous ne peusoas pas qu'il faille accorder uu grand crédit au récit de quelques historiens qui meationuent encore quelque autres expéditions dues au roi Emmanuel, entre autres celles de Joao Serrao, et de Sébastien de Sousa de Elvas. S'il fallait les croire, en 1510 le roi de Portugal aurait envoyé aux Indes trois flottilles qui comptaient quatorze navires. L'une de ces flot- 14 ETIENNE DE FLACOURT Ou s'en oxpliijtic facilement les raisons. L'Inde et les îles des Épices étaient devenues le centre du négoce des Portugais. C'est vers le Calhay et le Zipangou rcputéspour leurs richesses, c'est vers Goa, un des grands marchés de la côte de l'Inde, qu'Albuquerque avait enlevé aux musulmans, que furent dé- sormais dirigés les regards de ces intrépides navigateurs. Ajoutez à cela que les rois de Portugal se résolurent à ne pas abandonner les droits que (Cabrai leur avait créés au Brésil où ils envoyèrent des déportés et des colons. Dès lors Mada- gascar, dont les richesses étaient encore peu connues ou pa- raissaient douteuses, fut délaissée pour ces contrées dont on avait pu apprécier les immenses ressources. Ce fut le plus souvent pour avoir des nouvelles de quelques navires perdus sur les côtes, que les marins portugais s'y arrêtèrent. Un an après la perte des navires de Manuel de Lacerda et d'Alexis d'Abreu (la27), Nuno da Cunha, fils de l'amiral Tristan da Cunha, vint mouiller dans une baie de la côte occidentale qu'il nomma baie Saint- Jacques (1528)'. Quelques années plus tard (1530) Duarte de Fonseca [et son frère Diogo abordèrent à l'île Saint-Laurent pour y rechercher des naufragés. Ils visi- tèrent dans ce but un grand nombre de mouillages ainsi que l'embouchure des principaux fleuves. Duarte de Fonseca se noya en explorant la côte méridionale. Cependant, tout en recherchant les gens des navires dis- parus, quelques capitaines se préoccupaient de faire du butin. tilles commandée par Joao Serrao devait se rendre au pays de Matataue et de Turubaya. Le capitaine avait l'ordre de conclure des traités de paix et de faire des conventions commerciales avec les chefs de ces deux pays. Serrao serait entré dans le port d'Antipera d'où il se serait dirigé vers les Iles de Santa-Glara. Il aurait pénétré dans la rivière de Monaibo et touché à quelques mouillages de l'ile, pour prendre la route de l'Inde. Une dizaine d'années après cette exploration, en lo21, le roi aurait fait de nouveau partir trois navires commandés par Sébastien de Sousa de Elvas. Ce capitaine avait l'ordre de se rendre à Matatane pour y construire un fort. Mais il n'aurait pu mettre ce projet à exécution à cause de la tempête. Voir Osorius, loc. cil.., fol. 202 et Pedro Resende, loc. cil.., t. II, p. 197, et t. I, p. 96. Plusieurs auteurs portugais et M. A. Grandidier n'ont point fait mention de ces exploratious, à uotre connaissance du moins. 1. Baie de Bet'olaka. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 15 C'est ainsi qu'en 1543, Diogo Soarez envoyé par le gouver- neur Martin Afonso de Sousa à la recherche de son père, at- territ à la baie de Duria*, et remporta du pays beaucoup d'ar- gent et d'esclaves. C'est probablementjpour avoir commis de pareils actes de violences qu'un certain nombre de marins por- tugais venus à l'anse de Ranoufoutsy^ furent massacrés par les indigènes (1548) ^ Ceux qui échappèrent à la mort se ré- fugièrent dans une maison'de pierre qu'ils avaient con-struite et s'y défendirent courageusement contre les naturels auxquels ils firent payer cher cette légitime vengeance par de fréquentes incursions dans les environs où ils brûlaient des villages et rançonnaient les habitants. Tandis que ces tristes événements se passaient dans la province d'Anossi, un autre massacre, où quatre-vingts Portugais trouvèrent la mort, avait lieu dans le pays de Matatane. Ces massacres éloignèrent sant doute les navigateurs de Madagascar, car depuis ce temps les relations ne mentionnent le passage d'aucun marin dans ces parages si ce n'est celui de Balthazar Lobo de Souza à la baie de Boina, sur la côte occi- dentale. Jusqu'au commencement du xvii" siècle, époque qui fut marquée par l'arrivée de traitants portugais à Maintirano*, aucun débarquement important ne semble s'être effectué à Madagascar. C'est que dans l'intervalle le Portugal était passé sous la domination de l'Espagne, alors surtout préoccu- pée d'exploiter l'Amérique. Cette puissance était tellement infatuée de ses possessions sur le Nouveau- Continent , qu'elle n'avait cure des acquisitions que l'annexion du Portugal lui avait procurées en Orient. Rien d'étonnant par suite que Madagascar, située sur le chemin des îles aux Epices et moins riche que ces îles, ait été négligée par les 1. Rivière Sofia et baie de Mahajamba. 2. Côte sud du pays d'Auossi. 3. Daprès Fiacourt, les indigènes les auraient massacrés pour s'emparer de l'or qu'ils possédaient (éd. 1661, p. 18 et 32). Voir aussi pour tous ces détails G. Gorrea, Lendas da India, t. III, l^e par- tie, p. 182, 309 et 385; t. IV, p. 273 ; Oliver, Madagascar, vol. I, p. 7. 4. A. Grandidier, Ihst. de a géog., ouvrage cité, p. 213. 16 ETIENNE DK FAN(:.AiSK A MADACASCAH 17 kîs sciences malhémaliqnes. Ces deux missionnaires ('"(aionl, chargés de pourvoir anx besoins spirituels des Porlui^-ais cl des indigènes. Le capitaine avait l'ordre de se rendre d'abord à Mozambique pour y prendre un pilote qui savait parler la langue de l'île, puis démettre à la voile pour Madagascar. On lui recommanda d'employer tous ses efforts k tacher de décou- vrir des Portugais sauvés du naufrage, ou leurs descendants et de se rendre compte s'il convenait d'en laisser quelques-uns dans le pays pour y introduire l'Evangile. Il devait s'efforcer aussi de connaître les royaumes de celte île, savoir quel peu- ple l'habitait, observer ses coutumes, son genre de vie, recher- cher tout ce qu'elle produisait, vivres, piaules, etc., pour en avoir une connaissance complète. Par suite, il devait visiter et sonder tous les mouillages, toutes les embouchures des fleu- ves, tous les abris qui se trouveraient sur le littoral oriental et occidental, noter leur situation et leur forme, étudier la di- rection des vents, explorer les rivières et en tracer un itinéraire très détaillé, de telle sorte que l'on pût consigner toutes ces observations sur les cartes et de manière à permettre aux navi- gateurs portugais de les mettre à profit. A cet effet le vice-roi donna au capitaine une petite barque qui devait suivre la ca. ravelle à Mozambique et y prendre des provisions pour deux ans. La flottille portugaise quilta Goa le 27 janvier lGl-'{. l'aile atterrit à Mozambicjue le i""" avril de la même année, et le 15 du même mois, elle mouillait dans la baie de Mazalagem- nova^ La première chose que fit le capilnine, fut de ce rendre au- près du chef de ce pays, nommé Samamo. 11 lui oITrit dif- férents cadeaux afin de pouvoir s'attirer ses bonnes grâces et débarquerlibrement. Après celte premièreentrevuo,il retourna à son navire. Mais trois jours après il descendit de nouveau à terre, accompagné cette fois des deux Pères et de douze soldais armés de mousquets. Le chef vint les recevoir avec tous les 1. l]aie (ie Boiua (A. Gr.iiididier, hc.cil., p. 121). 18 KTlKNiNK l)K l'LACOllUT notables du pays el uiio loiilo d'indigènes. Les Portugais ne j3urcnl obtenir do lui aucun renseignement sur ceux de leurs compatriotes que l'on disait perdus dans cette île. Mais il con- sentit à conclure avec eux un traité d'alliance offensive et défen- sive. Par ce traité Samamo ne devait nouer aucune relation avec les Hollandais et les Anglais, tant qu'ils n'auraient pas fail la paix avec le Portugal. Toute faveur et toute liberté de tralic étaient accordées à cbaque navire ou embarcation portu- gaise qui mouillerait dans les ports du pays. Le capitaine était même autorisé à établir une factorerie à Mazalagem-nova. Quant aux Itères, ils pourraient venir y ouvrir des églises et cliristianiser ceux qui le désireraient. De son côté, le capitaine s'engageait à traiter avec la même bienveillance les embarca- tions de Samamo qui viendraient dans les ports où les Portu= gais se seraient établis. 1! devait en outre fournir au chef in- digène les secours d'hommes nécessaires dans les guerres qu'il aurait k soutenir contre ses ennemis. Ce traité fut conclu à la satisfaction générale. Après avoir séjourné une dizaine de jours dans le port de Mazalagem, Paulo Hodriguez da Costa prit la route du sud. Il passa successivement à la baie de Balue', à la rivière Ka- sany* oii il conclut avec le chef du pays Sampilha un traité semblable à celui de Samamo. Il reconnut les îles Corpo de Deus' et Espirito Sancto '' , et le l.'J juin il aborda au village de Sadia^ Les Portugais y reçurent encore un excellent accueil. Capitapa, seigneur de ce village, consentit non seulement à conclure des traités d'alliance avec ses hôtes, mais à leur con- fier son fils Loqucxa, afin que par son autorité il facilitât leur accès auprès des autres chefs de l'île. Les missionnaires par- vinrent même par l'enseignement, la douceur et la persuasion à convertir le père et le lils au christianisme. 1. Baly. 2. Sambaoveloiia. 3. Iles stérile?-. 4. Nosy-Vao. 0. Maromok-i ou Autamotamo. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION EllANÇAlSE A MAliAGASCAU 19 Le surlendemain, ils découvriront les rivières de Mané' et de Manaputa^ C'est dans ce dernier endroit qu'ils obtinrent les premières nouvelles sur leurs compatriotes. Ils aperçu- rent ensuite la rivière Saume^labaie de Sango', la rivière Ferrir% les îles Santa-lzabel % le port Saint-Félix% la baie S. Boaventura ^ Le 19 juillet, ils arrivaient au village de Mas- simanga". Ils reçurent de Diamasuto, chef de ce village, des provi- sions de bouche et toutes sortes de témoignages d'amitié. Mais ce qui ne leur fut pas moins agréable, ce furent les ren- seignements exacts et précis que leur donna une vieille femme sur ceux qu'ils recherchaient'". Ce premier résultat les encou- ragea à poursuivre leurs investigations. Après quelquesjours de navigation ils pénétrèrent dans l'anse de Santa-Clara".Là ils retrouvèrent Diamasuto qui était venu à leur rencontre avec cinq cents indigènes et leur fit le même accueil qu'aupa- 1. Bras sui du Tsiribihiija. 2. MoroQdava. 3. Auakabatomeaa. 4. Baie de Belo. 5. Fangoro ou bouche du Mangoka. 6. Nosy-Ratafany. 7. Baie de Befotaka. 8. Baie de Fauemotra. 9. Bouche de Mauciubo. — Pour les lieux où oat abordé les Portugais, et poui" l'ideutificatioa des uoms, consulter Vllistoire de la géographie de M. A. Graudidier, éd. 1892, p. 211-216 et p. 108-136. Nous n'avous pu ti'ouver le uoQi auquel correspond aujourd'hui exactement la dénomination de Sadia. — Le P. LuizMarianoa attribué le nom de Sauta-Izabel à toutes les îles qui sont semées le loug de la côte entre les baies de Morombé et de Fauemotru, dont il a compté sept priucipales(A. Graudidier, Ww<. ciela/jéog., éd. 1892, p. 114, note 1). 10. Au moment même où ils manifestaient leur joie d'apprendre ces nouvelles, ils furent alarmés par une escapade du fils de Capitapa. Le prince s'enfuit dans une barque avec des nègres. Il fut repris presque aussitôt. Il craignait d'être mis à mort, mais le capitaine lui pardonna quand il sut que c'était l'ennui de la navigatiim et la crainte de nouveaux dangers à courir sur mer qui l'avaient poussé à s'échappcrde ses mains. Le jeune homme proujit d'être plus contiaut et plus docile et il tint parole {Exploraçao Portuyueza de Mada- gascar em 1613, Relaçao inedila do Padre Luiz Muriano, Bolelim da Sociedade de geographia de Lisboa, 1887, p. 326 etsuiv.). 11. Les Portugais apprirent en 1613, à Santa-Clara (Ambolisatrana), que les Anglais fréquentaient ces parages. Ils virent sur des arbres les inscriptions suivantes datées du 19 iinllel :Crislophorus Neoporlus ang/us capilaneus, âO ÉTIENNK DK FLACOURT raviinl. Le cliof indigène se montra particulièrement bienveil- lant pour les Pères et embrassa spontanément la croix. Le 48 août, les Portugais reprirent la route du sud. Ils dé- couvrirent nne belle baie nommée par lesg'ens dupays Unge- lai'. Le chef de celte contrée, qui s'était rendu à la côte avec une grande confiance et sans armes, confirma au capitaine l'exactitude des renseignements qu'il tenait de la vieille femme de Massimanga. Il lui en donna d'autres très détaillés sur les ressources de l'île , et comme les chefs dont nous avons déjà parlé, il permit aux Portugais de venir se fixer dans son royaume, d'y bâtir des églises, d'y enseigner la reli- gion chrétienne et d'y bapliser tous ceux qui en exprime- raient le désir. De là Paulo Uodrignez da Costa se rendit au port Saint- Augustin^ (24 août), où il apprit du chef Diamasinali qu'il y avait des Portugais dans une contrée située à cinq ou six jours de bon vent. Ce ne fut cependant qu'après quarante jours de navigation très pénible qu'ils trouvèrent ceux qu'ils cherchaient depuis si longtemps. Ils apprirent en elTet des habitants du port Saint-Lucas^ qu'ils étaient de race blanche, chrétiens et por- tugais. La croix de fer blanc qu'ils portaient au cou et une colonne sur laquelle était gravée l'inscription suivante: REX PORTUGALENSIS -^^ S 1505 attestaient d'ailleurs leur origine ^ ot Dominits Roherhis Se lie Erleins cornes legatus Régis Persarum (Luiz Mariaao, loc. cit., pp. 329, 330j. 1. Bord sud de la rivière Onilahy. 2. Baie d'Aadroka. 3. Ranofoti-y. 4. C'est proliablemeiit cette coloime que Flacourt trouvera dans l'iIot des Portugais (province d'Anossi) et sur l;iqu 'lie il lira l'inscription : REX PORTVGALE. N. 3 1545 La date l.'i();i indiquée par le I*. Luiz Mariano est inexacte. On doit admettre celle de 1ji3. (Voir gravure, Flacourt, édil. UiSS, p. 340.) ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANT.AISE A MAnA(,ASr.Ar, 21 Le capitaine conclut un traité d'alliance avec leur chef Rau- dumana, tandis que ses gens faisaient des échanges avec les indigènes. Il engagea aussi avec Bruto Chambanga, roi de tout le pays d'Anossi*, des négociations qui aboutirent à la conclusion d'un traité semblable à ceux dont nous avons déjà indiqué les clauses. Le roi consentit même à ce que son fils héritier, Ramach, s'embarquât pour Goa sur le navire du ca- pitaine, afin d'aller voir le vice-roi et observer les usages et les coutumes des Portugais, à la condition toutefois que ceux- ci le ramèneraient au pays natal. Deux missionnaires et quatre Portugais devaient rester en otage dans l'île de Santa-Cruz peu éloignée de Saint-Lucas, pendant le séjour de l'enfant à Goa. Puis le roi signa un acte de donation de l'île de Santa-Cruz aux Pères qui pourraient y édifier une église et y chercher leur subsistance. Bruto Chambanaa et son fils iurèrent solennellement d'exé- cuter leurs engagements. De leur côté, les indigènes mon- trèrent de véritables dispositions à embrasser le christianisme. D'après le Père Luiz Mariano, ils demandaient eux-mêmes qu'on leur apprît à faire le signe de la croix. Le chef Randu- mana importunait le capitaine pour qu'il le fît baptiser ainsi que toute la famille. L'exploration fut ensuite continuée vers l'île de Santa-Cruz. Là on construisit une église et une maison en bois pour les Pères. Le fakir du lieu leur demanda des renseignements sur les archanges Michel et Gabriel. Les Pères lui parlèrent du Créateur des anges et de la croix et lui persuadèrent de leur confier son fils pour qu'ils lui enseignassent leur Innguo et la loi de Dieu. Enfin on se prépara au départ. Le capitaine remit au roi Bruto Chambanga ceux qu'il avait promis de lui laisser en gage et lui rappela sa promesse. Mais le roi ne voulut pas 1. Bruto ChamhaDpa dods parait être le Lhcm Tsicunùan, roi d'Auossi. doot parle Klaconrt, et Anria-Senvae Dian Ramach dont il a racouté lui-uièuie l'aventure (voir Hisl. de Vile de Madagascar, éd. 1658, p. 33 et 46). 22 . l'.TIF.NM'; 1>K l'I.ACOriiT tenir sa parole. Il déclara à l'auio Rodrignoz (la ('oî5ta qu'il no pouvait ronsonlir à lui abandonner son fils. Promossos, pr6sonls,rion ne put triompher do sa résistance. Le capitaine, voyant qu'il ïio pouvait lui arracher son consente- ment, recourut à la rus(\ il prolita d'un moment ofi le roi était venu le voir et où réi^nait une certaine agitation sur le rivage, pour ordonner à un des hommes de son équipage de s'em- parer de l'enfant. Le jeune Andrian Ramach fut pris et em- mené dans une barque. Bien que sans armes, le roi n^écoutant que son amour paternel, se précipita vers l'embarcation pour la retenir au moment où elle quittait le rivage. Mais le maître du bateau le contraignit de lâcher prise en le frappant de son épée. Quant aux indigènes qui étaient accourus an secours de leur chef, armés de leurs sagaies, les Portugais les effrayèrent et les mirent en fuite par des décharges de mous- queterie. L'enfant put ainsi être transporté jusqu'au navire. N'ayant plus rien à faire dans cette contrée, le capitaine se dirigea vers Mozambique par la route du sud. En chemin, il déposa près de Sadia* le prince D. Jérôme Loquexa qu'on lui avait confié, et le 11 février 1614 il arriva au port. Sur ces entrefaites, deux navires portugais vinrent faire escale à Mozambique. Comme ils allaient dans l'Inde, Paulo Rodriguez da Costa jugea à propos d'en profiter pour envoyer le jeune Andrian Ramach au vice-roi. Il le confia au Père Pedro Freire et le recommanda au capitaine de l'un de ces navires. Le départ eut lieu le samedi saint. La disette qui régnait à Mozambique provoqua peu de temps après une nouvelle expédition à l'île Saint-Laurent (26 avril 1614). Cette fois encore, le P. Luiz Mariano accompagna Paulo Rodriguez da Costa. Après avoir abordé à Mazalagem pour y prendre des nouvelles de D. Jérôme Loquexa, et vu les quatre îles de Sada-, ils jetèrent l'ancre dans la baie de Tingi- 1. Maromokri, on Automotamo. 2. Nosy-Ovy. Le I'. Luiz Mariano appelle Sada non seuleiiieat Nosy-Ovy, mais les quatre îles qui ferinf-nt à l'ouest, les haies de Rataralahy, Radama et Ramanetalca (A. Grandidier, loc. <•//., p 126, uote 1). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 23 maro', chef du pays do Sada. Le capitaine qui savait le chef riche et bien approvisionné se proposait de conclure avec lui des traités d'alliance. Malheureiisomont Tinçimaro, qui avait massacré quelques années auparavant un capitaine anglais et les gens do son équipage, craignait d'avoir affaire à des Anglais venus pour venger leurs compatriotes. Ponr dissiper ses craintes, Paulo Rodriguez da Costa lui envoya le maître du navire et un Père avec lesquels il s'était déjà entretenu deux fois. Ceux-ci obtinrent de lui tout ce qu'ils demandèrent, gittce à l'intermédiaire d'un chef indigène, ami de Tingimaro. Les Portugais sortirent de cette baie le 6 juillet, emme- nant avec eux, ainsi que le leur avait recommandé le vice-roi, beaucoup d'esclaves et de provisions. Ils doublèrent les pointes de Santo-Ignacio et de Sanlo-Aleixo ' et voyant le vent favo- rable pour se rendre dans l'Inde ils se dirigèrent vers Goa oii ils arrivèrent le 16 octobre 1614. Andrian Ramacli y était déjà ainsi que le P. Freire. Le vice-roi, qui avait prodigué à l'en- fant les témoignages d'affection, le fît baptiser et confirmer sous le nom de dom André. Puis, lorsque le prince fut bien instruit des vérités de la religion chrétienne et qu'on put fon- der sur lui les plus belles espérances pour la propagation de cette religion parmi ses sujets, il résolut de le renvoyer dans sa patrie. C'est le capitaine Pero do Almeida Cabrai, gentil- homme de grand mérite, qu'il chargea de cette mission. Cabrai partit au mois de février 1616 avec Joao Cardoso de Pina comme second. Sur le même navire s'étaient embarqués deux Pères Jésuites qui se rendaient au pays de Sadia : les Pères Antonio de Azevedo et Luiz Mariano. Au lieu de passer aux îles Cerné et Mascareigne, et d'abor- der au port de Sainte-Luce, ainsi qu'il en avait reçu Tordre, le capitaine se dirigea vers le port de Saint-Lucas. A la nou- velle de l'arrivée d'un navire portugais, Brulo Chambanga envoya sa femme abord pour s'informer si son fils était parmi 1. Confluent de l'AntiraDomalaza avec le Manou^arivo. 2. Cap Anoronkarana et probablement pointe Rantamia. 2\ KTIE-NM-; I)K ILACOlIiT les passagers el demander qu'on voulùl bien l'amener à terre. Touché des larmes el des supplications de la pauvre mère, Cabrai ramena lui-même dom André à son père. Ce dernier ressentit une telle joie de revoir son fils qu'il se montra fort empressé à être agréable au capitaine. Encouragé par une telle altitude, celui-ci lui demanda un autre de ses fils pour l'emmener à Goa. Le roi se borna à lui répondre que celui qui lui restait était encore trop jeune pour être embarqué. Mais il consentit à conclure avec le capitaine un traité de paix et d'alliance, par lequel il s'eng-ageait à recevoir les Pères dans son royaume et à leur accorder tous les secours, toutes les faveurs nécessaires pour prêcher l'Evangile, baptiser el rendre chrétiens tous ceux qui le demanderaient. Le capitaine prin- cipal envoya ensuite son second Joao Gardoso de Pina à la côte occidentale de l'île avec l'ordre d'entrer en relations avec les chefs qui dominaient sur cette côte^ et de transporter les deux Pères de la Gompag-nie de Jésus (les PP. d'Azevedo et Luiz Mariano) au pays de Sadia. L'arrivée de Pina et des deux missionnaires fut fort bien accueillie par le chef et les habitants de cettre contrée. Peu de temps après Pero Almeida de Cabrai partait pour Goa où il amenait à son tour un parent du roi Bruto Gham- banga, Gonmie le prince Andrian Ramach, le jeune homme devint chrétien et fut élevé par les Pères. Il eut pour parrain le vice-roi Dom Jérôme d'Azevedo et s'appela lui-même Dom Jérôme. Au mois de février de Tannée suivante (1G17), le vice-roi chargea le capitaine Manuel Freire de Andrade de ramener dom Jérôme dans sa patrie. Le capitaine avait l'ordre d'abor- der à Porlo-INovo* et de ne point laisser débarquer le prince, avant que son père ne fût venu le réclamer et avant de s'as- surer que tout était tranquille à terre. Ces précautions prises, il enverrait dom Jérôme au roi d'Anossi sous la garde d'un Père et de deux Poitugais. Il lui était en outre; recommandé 1. l^urt situé eutre ceux de Suiut-Lucas et de Saiate-Luce. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 25 de se rendre à Sadia afin d'y prendre des nouvelles des deux missionnaires qui s'y trouvaient depuis quelque temps ' et de voir s'il était facile de recruter des jeunes g-ens de noble famille pour le séminaire de Goa. Les Portugais jetèrent l'ancre dans un port situé entre celui de Porto-Novo et Saint-Lucas, auquel ils donnèrent le nom de Saint-François-Xavier. Avant de débarquer, le capitaine commanda de tirer quelques coups de canon pour attirer à la côte les indigènes. IN'ayant rencontré personne, ils levèrent l'ancre pour Saint-Lucas. En arrivant dans ce port, Andrade tenta comme précédem- ment d'éveiller l'attention des indigènes par quelques coups de canon. Puis il envoya à terre un nègre avec l'ordre de prendre des nouvelles des Pères Manuel de Almeida et Cus- todia da Costa, venus quelque temps auparavant dans le pays. Le nègre était en outre porteur de lettres et de présents pour le roi d'Anossi. Il trouva les missionnaires très-malades et découragés. Les Pères vinrent s'entretenir avec le capitaine et lui déclarèrent qu'ils ne voulaient plus demeurer dans l'île, ajoutant que d'ailleurs ils n'étaient plus en état d'exercer leur ministère. Andrade les supplia de la part du roi et du vice- roi de ne pas renoncer à leur mission. En vain assura-t-il qu'on leur apportait du secours et qu'on leur en enverrait tous les ans, les deux missionnaires persistèrent dans leur refus et quittèrent leurs cases. Quant à Bruto Chambanga, il répondit aux cadeaux par d'autres cadeaux ; il envoya au capitaine des bœufs, des poules, du lait et des esclaves, mais il ne voulut jamais consentir à se rendre auprès de lui, ni à laisser venir son fils Andrian Ramach. Cette prudence s'expliquait non seulement par les événe- ments qu'avait provoqués l'enlèvement de son fils, mais encore par des événements survenus tout récemment. Un Cinghalais qui était captif des Pères et converti au chris- tianisme avait renié sa foi. 11 s'en élait allé trouver le roi 1. C'étaient les Pères Aulouio de Azevedo et Luiz Mariano. 20 I^TIE^'^'F, DF. FLACOUnT Bnito Chambanga, cl lui avait consoillé de se délier des Por- tugais qui, iï roulondro, avaient l'intention de lui ravir son royaume. Ils'élait même engagé, s'il consentait à lui accorder sa confiance, à le débarrasser de tous ses ennemis. Excités par ce lraitre_, plus de mille indigènes munis de frondes et de pierres dissimulées dans leurs pagnes s'étaient rassemblés. Sous prétexte de faire quelques échanges avec les Portugais, ils étaient entrés en relations avec eux, s'étaient qnerellés avec le Père Manuel de Almeida, l'avaient souffleté, et en même temps tous avaient fait usage de lenrs frondes. Le capitaine avait été atteint. Il s'en était suivi une lutte entre les naturels et trente marins qui occupaient un petit fort construit sur le flanc de la montagne, lutte qui s'était terminée bientôt par la fuite des agresseurs. Manuel Freire, ayant appris cette trahison, s'avança vers l'endroit où les indigènes s'étaient retirés, prêt ;\ en tirer une vengeance exemplaire. Il donna l'ordre à vingt hommes armés de mousquets d'aller se mettre en embuscade dans un bois situé sur l'autre flanc de la montagne. Sept ou huit indi- gènes furent tués. Le capitaine ordonna de les pendre aux arbres afin de montrer aux naturels quel profit ils avaient recueilli de leur perfidie. Les Portugais ravagèrent et brû- lèrent ensuite les environs oîi ils ne rencontrèrent que très peu de résistance. Dès lors toute bonne relation cessa avec les habitants de cette contrée. Persuadé qu'il n'y avait plus rien à faire dans ces parages, Manuel Freire de Andrade se décida à partir. Il emmena avec lui Andria Mussa, frère du roi Bruto Chambanga, dont il s'était emparé par force, et dom Jérôme, son neveu, qu'il n'avait pas voulu laisser dans le pays, comme le lui avait recommandé le vice-roi, au cas où les indigènes les accueilleraient mal. Il passa au port de Santa-Gruz où il retrouva des traces du séjour des Portugais et se dirigea vers Mozambique en côtoyant le littoral de l'ouest. Chemin faisant, il aborda à Sadia et envoya prendre des nouvelles des Pères Antonio de Azevedo et Luiz Mariano. Les missionng.ires vinrent peu de ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 27 temps après du rivage et déclarèrent qu'ils étaient résolus à ne plus rester dans l'île. En vain le capitaine les pria-t-il de ne point abandonner leur poste et d'obéir aux ordres du vice-roi, ils voulurent s'enribarquer avec lui pour Mozambique*. Depuis cette époque, il ne paraît s'être fait aucun débarque- ment, aucune exploration portugaise sur les côtes de Mada- gascar, Les navigateurs ou les marchands qui se rendaient aux Indes ont peut-être continué à fréquenter Tîle ; mais s'ils y vinrent, ce fut seulement pour s'y ravitailler et non pour y faire du trafic ou du prosélytisme. L'île est dès lors définitive- ment délaissée pour l'Inde où les Portugais espéraient trouver plus de richesses, et peut-être aussi plus de sécurité. Si parmi les Européens, les Portugais sont les premiers venus à Madagascar, ils ne sont pas les seuls qui y abordèrent. Les Hollandais, les Anglais et les Français touchèrent presque à la même époque à la grande île. \. Exploroçao porlugueza de Madagascar em 1613. Relaçaoinedita do padre Luiz Mariano [Bolelim da Sociedade de geographia de Lisboa, 1887, 7« série, n" 5, pp. 313-315, et 319-354; Dociimeyilos remeltidos da India ou Livras das Monçoes publîcados da Academia real das Sciencias de Lisboa, t. III, pp. 399- 404, t. VIII, p. 336 ; t. VI, l"-" série, Historia da Asia, Decada XIII, parte I, p. 177 et suiv.; parte II, Decada XllI, pp. 481-486 et pp. 677-683. D'après la Relation de Goa les Pères n'auraient pu opérer aucune con- version dans cette île « à cause des empêchements qui s'y rencontrèrent ». Ces termes ont donné lieu à deux interprétations. Pour le P. Cordaro, la vé- ritable cause de l'insuccès des missionnaires serait leur peu de zèle. Le P. Provincial les aurait rappelés secrètement à cause de leur peu de courage. Ils auraient eux-mêmes donné au vice-roi des Indes Jérôme d'Avezedo le conseil d'abandonner un pays où leur mission avait amené si peu de résul- tats. Mais celui-ci n'accepta pas les raisons qu'ils alléguèrent. Le P. delà Vais- sière semble croire au contraire qu'une persécution avait éclaté dans l'île et qu'un des pères, Jean Garces, eu aurait été vers l'année 1616 l'une des prin- cipales victimes. Comme le montre notre récit, ces deux hypothèses sont inexactes. Les missionnaires ont probablement quitté leur poste parce qu'ils s'y voyaient abandonnés, et que le succès ne répondait pas à leur espérances De plus, le P. Mariano ne se trouvait pas à l'endroit (Fort-Dauphin) que l'on suppose. Quant au zèle des deux missionnaires qui vinrent habiter dans cette contrée, nous ne pensons pas qu'il doive être mis en suspicion. Les traces de leur enseignement que l'on a retrouvées plus tard dans le sud de l'île, prouvent qu'ils apportaient le plus grand soin et les plus grands efforts dans l'exercice de leur ministère (P. La Vaissière, Hisloirt de Madagascar, p. 2 et suiv.; Lettre du P. Nacquart à saint Vincent de Paul, 5 février 1650, Archives Nationales, M 214, u° 3, f. 15). 28 KTlRN^iK I>1, FLACOl T.T C'est seulomenl à parlir de la lin du xvi" siècle que la pré- sence des Hollandais est signalée dans l'océan Indien. Jus- que-là ils n'avaient été que les intermédiaires entre les Por- tugais et les diiïérents peuples de l'Europe. Ils allaient chercher à Lisbonne les épiccs et les produits de l'Orient qui devaient approvisionner les principaux marchés du continent. « L'an- nexion du Portugal par Philippe II, en 1580, leur ferma cette rade dont ils étaient les courtiers privilégiés et vraiment comme les maîtres. Les colonies espagnoles de l'Atlantique, les pays à or leur étaient interdits. Il fallut passer des opéra- lions de cabotage européen, non pas à la piraterie, mais aux tentatives de longs voyages et de conquêtes, aller chercher sur place en Orient les denrées aux dépens des monopoles déjà établis ))'. Mais les Portugais exerçaient une étroite surveillance sur la route du Cap qui menait aux pays des Epices, et traitaient comme pirates ceux qu'ils surprenaient dans les mers où ils dominaient. Les Hollandais essayèrent de les en expulser. N'ayant pu y parvenir, ils employèrent leurs efforts, comme les Anglais leur en avaient déjà donné l'exemple à découvrir une route vers la Chine par le nord. Mais leurs navires furent arrêtés par les glaces de laPs'ouvelle-Zemble et du détroit de Yaïgatz. Cet insuccès toutefois ne les découragea pas. Ils se préparaient à une nouvelle expédition, quand ils apprirent qu'un de leurs compatriotes, prisonnier de guerre àLisbonne, Cornélis de Iloutman, avait recueilli des renseignements pré- cis sur le commerce de l'Orient, dans les voyages qu'il avait faits aux Indes avec les Portugais. Comprenant tout l'intérêt qu'ils avaient à s'assurer le concours d'un tel guide, des négo- ciants d'Amsterdam payèrent sa rançon. Ils formèrent une société sous le titre de Compagnie des pays lointains ou Com- pagnie Van Verne et confièrent à Iloutman le commandement de quatre bâtiments qui devaient se rendre à Java par le cap de Bonne-Esiiérance, avec l'ordre de conclure des traités de 1. Jl. Duboi?, Si/iilè7nes coloniaux et peu/des colonisaleurs, Paris, 1805, p. 75. ou LES ORIGINES DE LA TOLOMSATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 29 commerce avec les Indiens, mais parlicalièrement dans les lieux où les Portiig-ais ne s'étaient pas encore établis'. C'est pendant ce voyage que Ilontman relâcha à Madagas- car tant pour sV procurer des vivres que pour refaire les gens indisposés ])ar une longue navigation. Le 10 octobre lo9o, le navire Le Maurice jetait l'ancre dans la baie Saint-Augustin. Les Hollandais furent mal accueillis par les indigènes dès leur arrivée dans ce pays. Ceux-ci, sous prétexte d'aller leur ofTrir des bestiaux, dépouillèrent de tout ce qu'ils possédaient les malades que l'on avait débarqués. Ils leur jetèrent même des pierres qui les blessèrent. Plusieurs Hollandais ne durent leur salut qu'à leurs mosquets. Pour se prémunir contre de nou- velles agressions, Houtman fit construire un petit fort à Taide de branches entrelacées. H y plaça les malades et préposa à sa garde les hommes valides. Ses gens usèrent ensuite de re- présailles. Es entreprirent plusieurs expéditions dans le voisi- nage, enlevant les bœufs, les moutons et tout ce qu'ils ren- contraient. Hs s'emparèrent même de quelques indigènes. L'un d'eux fut tué d'un coup de mousquet en voulant résister. Deux enfants furent pris et emmenés sur le navire La Hollande. Les naturels se vengèrent en attirant leurs ennemis dans un guet- à-pens oij fut assassiné le pilote Nicolas Janson. Cette fois encore les mousquets en eurent raison. Non contents de les repousser dans les bois des alentours, les Hollandais voulurent châtier cette nouvelleagression. Qua- rante-huit d'entre eux partirent dès l'aube, afin de suprendre leurs ennemis; mais ceux-ci pour la plupart prirent la fuite à leur approche. Un seul tomba entre leurs mains. Il fut fusillé à l'endroit même oii le pilote Nicolas Janson avait été tué. Toute relation d'amitié avec les indigènes étant devenue dès lors impossible, Houtman mit à la voile pour .lava (13 déc. 159.">). 1 Wicquefort, Voynf/es aux Elats de l'erse et aux Indes orientales, traduil d'Oiearius, 1G66, t. 11, p. 644 et suiv. ; Savary des Bruslons, Dictionnaire du Commerce, MDCGXXVI, t I, p. 1380; Vidal-Lablache, La Tm-e, p. 259 et 208; Octave Noël, Histoire du commerce du monde, t. il, p. 153. âO KTIKNM-: \)K l'LACOlli;! Tar iiialliuiir, les venls lui furent contraires. Comme uue partie de ré(]uipage était encore malade, Tamiral se réfugia à l'île Sainte-Marie (H janvier 15î)6). Il put y trouver des vivres et même d'autres denrées telles que de la caune à sucre et du gingembre. Mais il lui fut impossible de se procurer de l'eau. C'est ce qui le décida à se rendre à la baie d'Antongil (25 janvier). Les Hollandais n'eurent d'abord qu'à se louer de l'iitlitude des indigènes. Ceux-ci vinrent les voir avec leur chef. Ils leur firent toutes sortes de démonstralions d'amitié et leur apportèrent quantité de provisions qu'ils échangèrent contre des grains de corail do vil prix. Toutefois ces bonnes relations ne furent pas de longue durée. Quelques jours après, pendant une violente tempête, les naturels s'emparèrent de quelques barques qui avaient été détachées des navires et les brisèrent pour en arracher les clous. Les gens de Houtman s'étant mis à la recherche de leurs barques, ils s'efforcè- rent de les empêcher d'atterrir en les menaçant de leurs sagaies et en leur jetant des pierres. On leur répondit par des décharges de mousqueterie : six de ces malheureux tombèrent mortellement atteints. Les autres prirent la fuite, ainsi que les habitants du village voisin qui se réfugièrent dans les bois, après avoir mis le feu à leurs cases. Les Hollan- dais pillèrent le village et emmenèrent prisonniers cinq indi- gènes qui étaient venus leur vendre des citrons, ainsi que leur chef. Ce dernier recouvra cependant sa liberté en faisant apporter des vivres comme rançon. Voyant qu'il ne pouvait se livrer à aucun trafic dans ce pays, et qu'il lui était difficile de se ravitaillera cause de Thostilité des habitants, Houtman se décida à lever l'ancre (10 février 1596) '. Trois ans plus tard (2 mai 1599), les deux vaisseaux, Les 1. Diarium nnutirum ilinens lialavornm inindiam orie.ntalemcursmim^trac- luum variorumque evenluum qui ipsis coniigerunt, diiujenter descriplum. Aruhemi, auuo 15'J8, fol. 3-9; Liadschot, Premier liore de la navigation aux Indes orientales, lOOC, p. C et suiv. ; Valencyu, Oud en nieuw Osl-lndien of Nederlands Morjenlheild, 1'» partie, p. 173; Begin ende Voorlfjang Vande vere- eniffde Neederlandlsclie, Geoctroijcrde Oost-lndiscke Compagnie H Eerslc Deel, 1646, t. 11, 20 partie, fol. 8-15. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 31 Provinces-Unies et Les Pai/s-Bas, commandés par Paul Van Caerden, venaient encore mouiller à la baie d'An tongil pour s'y approvisionner d'eau et de vivres. Le 24 octobre de cette même année (1599) l'amiral Etienne Van derHagen jetait l'ancre dans une baie de la côte méridionale que nous croyons être celle de Sainte-Luce*. Mais n'ayant pu découvrir de l'eau douce dans le voisinage, et la rade lui paraissant mauvaise il se diri- g-ea vers la baie d'iVntongil où il espérait s'approvisionner en même temps d'eau et de riz. Il n'y trouva ni vivres ni habi- tants. Les indigènes qui n'avaient pas oublié les actes de vio- lence des Portugais s'étaient enfuis dans leurs montagnes à la nouvelle de l'arrivée des blancs, après avoir mis le feu à leurs cases et emmené avec leurs femmes et leurs enfants tout ce qu'ils avaient de plus précieux. En vain leur envoya- 1- on deux hommes sans armes, en vain les Hollandais leur jetè- rent-ils de la verroterie leur promettant qu'on ne leur ferait aucun mal, ils ne voulurent pas sortir de leur retraite. Deux d'entre eux cependant osèrent s'approcher, et assurèrent aux Hollandais que leurs mousquets étaient seuls la cause de la fuite de leurs compagnons. Déçu dans ses espérances, l'amiral quitta (21 décembre 1S99) une contrée où il était si difficile de se munir de vivres et continua sa route vers Sumatra. Pendant longtemps encore Madagascar servit d'escale aux navires qui se rendaient aux Indes. Le P. Luiz Mariano nous apprend dans sa Reiaiio/i que vers 1613 les Hollandais venaient relâcher à Manghafia (Sainte*Luce)\ Eu 1619, Guil- laume Is Brantz Bontekou abordait de son côté à l'île Sainte- Marie en allant aux Indes, et jetait l'ancre dans la baie Sainte- Luce à son retour ■\ S'il faut l'en croire, il aurait été bien 1. La relatiou parle de la baie du Soleil. Comme nous ue counaissonsaucutie baie de ce nom sur cette côte, nous avons pensé qu'il s'agissait de la baie Sainte-Luce, située au sud-est, et où les Hollandais relâchaient ordinaire- ment. 2. Luiz Mariano, loc. cit., p. 335. 3. De Constantin, Recueil de voijages qui ont serui à Vélabtissemenl et aux profjfès de la Compagnie des Indes orientales des Provinces-Unies, Rouen, 1725, t. III, p. 155 et 356; t. VIII, p. 239-248, p. 396 et suiv.; Valentyn, loc. cit., 32 ftTiF.NNK DE l'LACOl l!T accueilli p.ir los indigènos pendant son court séjour dans ces deux pays et aurait même réussi à faire la traite. Mais aucun des navigateurs qui vinrent aborder à la grande île ne semble avoir eu le dessein d'y fonder un établissement commercial. Ce n'élait pour eux qu'une étape de leurs longs et périlleux voyages'. Quelques années seulement après le passage de Iloutmann, les Anglais abordaient à Madagascar. Dès l'année 1599, le navigateur John Davis relâchait à la baie de Saint-Augustin pour s'y ravitailler. Mais jusqu'à l'année 1601, ils étaient ve- nus avec les Hollandais. C'est seulement depuis cette époque qu'ils y vinrent pour leur propre compte, ou plutôt pour le compte de la Compagnie anglaise'des Indes orientales qui dans les dernières années du règne d'Elisabeth s'était constituée à l'imitation de la Compagnie hollandaise Van Verne. Dès l'an- née 1599, la princesse avait accordé des lettres patentes et une charte aux marchands de Londres qui s'étaient associés pour cette entreprise. En 1600, la société fut complètement organisée. De bonne heure cette compagnie dirigea ses efforts vers rinde d'où elle se proposait de chasser les Portugais qui possédaient alors sur les deux côtes une longue chaîne de comptoirs florissants. Elle y envoya une flotte de quatre vais- seaux sous le commandement de James Lancaslro. Le célèbre John Davis qui avait déjà accompli ce voyage lui fut donné pour premier pilote. On partit de Torbay le 18 avril 1601. Arrivé dans l'océan Indien, James Lancaslro, voyant la ma- 1"= partie, p. 118 el suiv., Dociimenlos remeltidos da India, loc. cit., t. III, p. 401. II s'agit probablement encore de la baie S.iinte-Luce, bien que la Relation mentionne la baie Saint-Louis. 11 n'existe pas, à notre connaissance, de baie portant cette désignation. 1. D'après Flacourt, les Hollandais auraient fondé à Aniongil une hal)itatiou. Ils y venaient îicheter du riz et des esclaves et faisaient de fréquentes incur- sions dans l'île voisine de Sainte-Marie et emmenaient comme esclaves tons les indigènes qu'ils rencontraient, ce qui avait beaucoup dépeuplé l'île. Parmi les douze qui composaient la petite colonie plusieurs mo'jrureut de la fièvre dans ce lieu malsain. Les autres furent massacrés par les indigènes dans les querelles desquels ils étaient intervenus et qu'avaient irrités leur perfidie et leur cruauté (éd. IGët, p. ±1 et 28, et éd. 1(55S, p. 302). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 33 jeure partie de son équipage atteinte du scorbut et n'ayant pu, par suite des vents contraires, gagner Tîle Rodrigue, comme il se le proposait, se dirigea vers la baie d'Antongil oii il es- pérait trouver des citrons. En passant, il aborda (17 décembre 4601) à l'île Sainte-Marie et lit provision de ces fruits pour ses malades. Mais l'incertitude du temps et le peu de res- sources qu'offrait cette île le déterminèrent à se rendre immé- diatement à la baie d'Antongil. Il y arriva huit jours après. Les habitants montrèrent tout d'abord une grande hésitation à vendre des vivres aux Anglais et, quand ils y consentirent, il fut très difficile de les amener à un marché loyal \ Cette baie fut fréquentée dans la suite par beaucoup de na- vigateurs qui allaient aux Indes. Il suffira de citer parmi tant d'autres, W. Keeling(i608), Henri Midleton (1610), Boolhby, Hammond (1630), le capitaine Willes, Mandelslo (1639) \ Ce dernier qui était allemand de naissance, mais semble avoir voyagé pour le compte des Anglais, s'avança même sur la rivière qui se jette dans la baie de Saint-Augustin, afin de découvrir le pays et de s'y livrer à la traite. Il parvint à faire quelques échanges avec les naturels et conclut un traité d'al- liance défensive avec quelques chefs du voisinage, entre autres, Andrian Machicore et Andrian Panolahé^. Tous ces navigateurs paraissent s'être uniquement préoc- cupés d'entretenir des relations commerciales avec les habi- tants et s'être inspirés des idées de Sir Thomas Roe qui, envoyé en 1613 comme ambassadeur au Grand Mogol par la première Compagnie des Indes orientales, avait déclaré à son retour que « des guerres et du commerce ne peuvent aller ensemble »*. 1 . Haklnyt, Tke Principal Navigations : Voyages, Traffiques and Discoveries oflhe Engiisk Nation, 1599-1600, vol. II, 2^ partie, p. 104 et suivauteâ et édit. Markham, G.B.F.R.S., Loudon, MDGCCLXXVII; Lancasters Voyages to tlie Easl Indies, p. 66, 112, 160 et suiv.; Savary des Bruslons, Dici. du Comm., loc. cit., t. I, p. 1386; A. Graadidier, Hist. de la géogr., éd. 1892, p. 121 : Tableaux. 2. Citons encore les marins W. Finch et Richard Rowles (1608) et le D^ Henri Gouch (v. A. Grandidier, Hist. de la géogr., éd. 1892, p. 211). 3. Vicquefort, Voyage aux Étals de Perse et aux Indes oriental'!!,, Iraïkiit d'Olearius, MDCCXXVII, p. 649-663. 4. Cf. Leroy-Beauliou, De la colonisation chez les peuples modernes, Paiis 4e éd., 1891, p. 43 et 46. ;. KTIEN.NK I) K M.AlOllîl Les relations ne sigiuileiil en ellel auciui acte de violence de leur part. L'impression qn'ils rapportèrent en Angleterre sur la grande île africaine fut bonne, si l'on en juge par le récit enthousiaste que Boolliby publia quelques années après son retour*. C'est même probablement sous l'influence de ce récit et de l'esprit tie colonisation qu'avaient fait naître de l'autre côté du détroit les troubles religieux et politiques, que beaucoup d'Anglais partirent pour Madagascar au printemps de l'année 1644. Cette même année, un marchand, Powle Waldegrave, débar- qua dans la baie de Saint-Augustin avec cent quarante colons venus dans l'espoir d'y fonder un établissement. Ils y furent mal reçus par les habitants. Au témoignage de ce marchand, ceux- ci essayèrent de les attirer par petits groupes dans l'intérieur des terres afin de les massacrer. A plusieurs reprises, des An- glais furent victimes de la perfidie et des paroles mensongères des indigènes. D'autres succombèrent aux privations, à la maladie, aux soulTrances de toute sorte. Powle Waldegrave, qui avait couché sur le sol pendant plus de trente nuits et exploré le pays en tous sens, dut quitter ce pays insalubre oii il avait contracté le flux de sang. Sur cent quarante colons qui étaient venus dans ces parages, il n'en revint que douze en Angleterre '. III Les Français ne furent pas les derniers à fréquenter Mada- gascar. Dès le commencement du xvf siècle, par conséquent, \. Description of llie mosl famous island of Madagascar, l&i&. 2. Powle Waldegrave, An ansv^er to M. BooUihys Book of the Description of Madagascar, London, 1649, in-4 : Préface et chap. m, xiv, xvii. (Cet ouvrage très rare, se trouve au British Muséum.) C'est saus doute de ces Anglais que Flacourt veut parler lorsqu'il nous apprend que vers l'année 1644 un certain nombre d'habitants de la Grande- Bretagne vinrent s'établir à la baie de Saint-Augustin et s'installèrent dans un fort du voisinage qui avait été délaissé, sans vouloir intervenir dans les querelles des indigènes (éd. 1661, p. 43 et 260). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FIîANnAISE A MADAGASCAlî 3fî "longtemps avant les Hollandais et les Anglais, ils avaient marché sur les traces des Portugais et pris la roule des Indes. Deux marins dioppois, les frères Jean et Raoul Parmentier, qui se rendaient à Sumatra, relâchèrent, le 25 juillet 1529, dans le petit port de Maromoka, sur la côte occidentale. Les gens de l'équipage s'emparèrent de deux indigènes qu'ils emmenèrent au navire et qu'ils renvoyèrent avec quelques cadeaux. Les naturels vinrent à leur tour leur apporter des vivres. Mais quelques jours après, sous prétexte de leur montrer du gin- gembre et des mines d'or ou d'argent, ils attirèrent dans un bois les matelots, Vasse, Jacques l'Ecossais et Bréant, et les tuèrent à coup de sagaies. Le lendemain, les compagnons de Parmentier retournèrent à l'endroit où leurs camarades avaient été assassines, afin de s'assurer si, comme les indigènes l'avaient dit aux gens de l'équipage, il y avait là des ressources ignorées. A leur vue, les naturels accoururent et les mena- cèrent do leurs sagaies. Les Français tirèrent sur eux quel- ques coups d'arquebuse qui en blessèrent plusieurs. Mais alors les indigènes arrivèrent eu foule, et les frères Parmentier se hâtèrent de s'éloigner d'une contrée aussi inhospitalière (30 juillet). Le l^août, en continuant leur voyage d'explora- tion, ils aperçurent des îles qu'ils appelèrent îles de Crainte à cause des craintes qu'elles leur inspirèrent'. Depuis cette époque jusqu'au commencement du xvri" siècle, aucun navigateur, à l'exception de Jean Alfonse le Saintou- geois qui aborda en 1543 à la baie de Boina, ne semble avoir passé à Madagascar. Le 19 février 1602, deux navires envoyés par une société bretonne aux Indes orientales pour disputer aux Portugais et aux Hollandais les richesses de ces pays loin- tains, pénétrèrent dans la baie de Saint-Augustin. L'un, Le 1. De là le nom de Port de la Trahison donné au port où avaient abordé les Français. — Les îles de Crainte reçurent plusieurs noms spéciaux : l'île Ma- jeure, l'Enchaînée, l'Utile, la Boquilione, l'île Saint-Pierre, l'Andouille, l'Advan- turée (voir Parmentier. éd. Schefer, ouvrage cité, p. 39, et A. Grandidier, llist. de la géogr., p. 117). D'après Schefer {loc. cit., p. 39, note 1), ces îles de Crainte sont situées au sud du banc Pracel ou banc Parcelar. Elles sont pe- tites, basses, et couvertes de broussailles. On les connaît aujourd'hui sous le nom d'îles Dalrymple, Hosburg, Beaufort, Fliuders, Woody et Smyths. ;i6 KTIKNM': Dh l'LAC.OURT Cor/j/n, t'I.iit (M)nun;ui(lé par Pyraid de Laval, raiilie, Le Crois- sant, avait à bord Jean de Vilré, Les Français commencèrent par conslruire un fort dans le voisinage pour se protéger contre les surprises des liabitanls'.Puis ils essayèrent d'entreren rela- tions avec eux. Ceux-ci se montrèrent d'abord fort efîaroucbés et s'enfuirent. Les compagnons de Pyrard finirent cependant par triompher de leurs appréhensions et firent avec eux quel- ques échanges. Malheureusement le climat malsain de ce pays enleva en trois jours quarante Français ; Pyrard s'empressa de quitter une contrée aussi insalubre. Dix-huit ans plus tard, le 22 mai 1620, le général français Beaulieu jetait Tancre dans la même baie. Pendant son séjour, il fit la traite avec les indigènes, dont il reçut un excellent ac- cueil. Il emporta du pays et des habitants une impression très favorable*. La baie de Saint-Augustin semble avoir été ensuite délaissée par les Français, ainsi que toute la côte occidentale. C'est le plus souvent la côte sud-est qui reçut leur visite. Au mois de juillet 1638, un navire dieppois, commandé par le capitaine Alonze Goubert, venait jeter l'ancre dans la baie de Sainte- Luce. Ce marchand s'était proposé de se livrer au négoce dans la mer Rouge et de fonder un comptoir à l'île de France. Mais, ayant trouvé cette île déjà occupée par les Hollandais, il se di- rigea vers Madagascar doia il espérait extraire de l'argent. Sur le même navire se trouvaient plusieurs Normands parmi les- quels un marchand de Rouen, François Cauche. Dès son arrivée dans l'île, Cauche sut gagner l'amitié des indigènes et en par- ticulier d'Andrian Ramach, qui devenu roi de la province d'A- 1. C'est ce fort que les Anglais avaient occupé en 1645 et que les Français retrouvèrent plus tard dans le même état (Pyrard, loc. cit., p. 20; Morizot, loc. cit., p. 22; Flacourt, éd. 1661, p. 261). 2. Le discours de la navigation de Jean et Raoul Parmenlier, édition Schefer, Paris, 1883, in-8, p. 32-39; Voyage de Pgrard aux Indes orientales, 1615, p. 21 iii suiv.; Fr. Martin de Vitré; DescripLion du voyage fait aux Indes orientales par les Français, de 1601 à IGOS, .MDCIV, p. 20 et suiv. (ouvrage rarissime) ; ïhevenot, lielaiion de voyages curieux, MDGXCVI, t. 1, l""" et 2^ parties; ^'oyage du général Beaulieu aux Indes orientales, p. 15 et suiv. ; A. Graudidier, Ilist. de la géogr., éd. 1892, p. 117 et 118 et p. 213. ou LES ORIGINES DE LA|COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 37 nossi, vint le visiter escorté de quatre cents Malgaches. ■< Ce roi, dit Gauche, avoit le teint un peu enfumé, mais plus blanc que ne le sont les Castillans. Il portoit une petite braie de calson de coton, raie de soie du pais... Ses épaules estoient couvertes d'un manteau carré, de mesme estoffe, qui lui servoit de tu- nique sans manches,, ceinte par le milieu descendant plus bas que la ceinture, portant une chaîne de coral fin en escharpe. Ses cheveux estoient longs et arrondis par le dessous, au lieu que ceux des Nègres qui l'accompagnoient estoient troussés parle dessus avec des filets de coton en façon d'une bourgui- gnotte. Il estoit d'une taille fort haute, bien proportionné en tous ses membres, le visage hardi, sans barbe, la langue et les dents de même que tous ceux de sa suite, noires comme jays et luisant. Il lenoit en main une espèce de pertuisane ayant le fer long d'un pied et demi \ » A la nouvelle de l'arrivée du chef indigène, le capitaine Goubert alla à sa rencontre avec vingt hommes armés. L'en- trevue eut lieu dans un village peu éloigné de Sainte-Luce. Des paroles courtoises furent échangées de part et d'autre. x\ndrian Ramach déclara au capitaine « qu'il estoit le bien- venu avec les siens, pourveu qu'ils ne fissent aucun bruit en ses Etats, qu'il les assisteroit de tout ce qu'il auroit ». Il les invita même à venir le voir dans sa résidence, au village de Fanshere^ Les Français se rendirent quelques jours après à l'invitation et reçurent un excellent accueil du roi et de son gendre AndrianTserong, qui, suivant l'expression de Gauche, leur offrit son logis « avec un visage ouvert et grande dé- monstration d'amitié ))\ On se sépara, non sans s'être offert mutuellement quelques cadeaux. Cette entrevue fut suivie du départ pour la France du capitaine Goubert et d'un certain i . Morizot, Relations curieuses de Visle de Madagascar, voyage de Fr. Cauclie, 1631. Paris, p. 10 et H. 2. Le village de Fanshere est situé sur la côte sud tpays d'Anosy) à la lati- tude de 230 2' 40" et par 44° 34' longitude (v. Graû(Jidier,//is;. de lagéogr., éd. 1892 : Premier tableau, p. 108). 3. Morizot, Voyage de Fr. Cauche, 1651, ouvrage cité : Préface et p. 15 et suiv. :iS KTIUNNK DE rL.\C((lIRT uonibro de ses compagnons \ Les autres, nolammeul Fran- çois Gauche, demeurèrenl dans l'île; ils ne songèrent qu'à s'enrichir el ;ï ])ré[)arer un am{)h^ charg'ement de cire, cuirs et autres produits. Le niai'chand rouennais entreprit toutefois quelques excursions dans la région pour connaître ses res- sources et les mœurs des habitants. C'est ainsi qu'il alla de Sainte-Luce, on il avait fondé l'habitation de Saint-Pierre, à la vallée d'Ambolo (1G39) ; de Matitanana au Mananara, et du Ma- nanara à Fort-Dauphin (1642) ^ Mais l'entreprise de Fr. Gauche, comme celles dos Français et des autres Européens qui l'avaient précédé, n'avait pour but que de servir les intérêts particuliers. Aucun g-ouvernement, aucun roi de France, n'avait encore envoyé à Madagascar des représentants charg-és d'en prendre officiellement possession^ C'est au gouvernement de Richelieu qu'était réservé Ihonneur d'y planter le drapeau de la France. Dès le commencement du xv!!"^ siècle, les Français avaient vu avec admiration et envie les profits que les Hollandais avaient retirés de leur association pour l'exploitation du com- merce des lades orientales. Déjà portés à la centralisation, ils avaieni pensé que la meilleure voie à prendre pour réussir dans leurs grandes entreprises commerciales, était de fonder, à l'imitation de leurs voisins, de grandes compagnies à mono- pole*. Une première compagnie obtint du roi Henri VI (1604) le privilège exclusif de commercer aux Indes pendant quinze ans etdefaire entrer en franchise dans le port de Brest les marchan- j. Goubcrl avait dissipé les marchau dises qu'il avait apportées de Dieppe. Il craignit de ne pouvoir restituer aux jnarchands l'argeut qu'il leur avait em- prunte à la grosse aventure (depuis CO jusqu'à 80 pour 100), avec les produits de l'île chargés sur sou navire. I^our se tirer d'embarras, il simula un nau- Irage eu coulant à fond son navire et partit sur une simple barque pour Dieppe (voir I-'Iacourt, éd. 1661, p. 20S ; Du Fresne.de Fraacheville, Histoi?'e delà Compagnie des Indes, 1738, p. 17). 2. Flacourt, 1661, p. l/i7 et 203; A. Grandidier, HisL de la (jéng., p. 107, 276, 217, 22"). 3. Pauliat, La Nouvel /e Renne, mai juin 1S84 : Mridctgnscnr, p. !:;24. 4. Leroy-Beaulieu, De la colonisuUon chez les peuples inodernes, p. 144 et suiv. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FUANr.AISI-: A MADAC.ASCAU :!9 dises qu'elle rapporterait de ses deux premiers voyages. Le roi s'engageait en outre à fournir aux associés deux canons par vaisseau et les autorisait à s'approvisionner en Hollande des munitions nécessaires, à y construire les bâtiments dont elle aurait besoin et même à en tirer les marins qui lui seraient in- dispensables. Le 29juin 1604, le principal organisateur de cette société, Girard de Roy, qui avait déjà voyagé dans la mer des Indes, reçut des lettres de commission, avec le titre de capitaine général do la flotte des Indes orientales. Ordre lui était donné de partir le plus tôt possible pour les Indes. Cette première compagnie ne profita pas des faveurs et des privilèges qui lui étaient accordés. L'accord régnait parmi les associés, et les ressources financières ne leur faisaient pas défaut; « mais, dit Bonassieux, il était alors impossible de trouver en Europe en dehors de la Hollande le moyen d'équiper une flotte à destina- tion des Indes '. » Cependant Rezimont, un des marins dieppois que l'inac- tion de la Compagnie avait rendus audacieux et qui avaient déjà visité les Indes orientales, avait formé dès l'année 16)^S une compagnie sans monopole. Cette compagnie envoya aux Indes un vaisseau qui revint en France chargé des produits de ces contrées lointaines. Ce premier succès encouragea Rezimont à continuer son entreprise. Il s'associa le capitaine Rigault, et entreprit avec lui quelques voyages avantageux. Rigault devint Tâme de cette association. Comprenant tout le proflt que l'on pouvait retirer de l'exploitation des Indes orien- tales et spécialement de Madagascar, il sollicita de Richelieu la concession'de la grande île et des îles adjacentes. Or à cette époque la marine royale n'était pas assez forte pour protéger les navires français contre les pirateries et les violences de leurs rivaux portugais, anglais et hollandais. Le cardinal pensa que la possession de Madagascar était indispensable à la France pour assurer la sécurité de son trafic dans l'océan Indien. Il saisit avec empressement l'occasion qui s'olfrait à 1. Les grandes Compaf/)nes de commerce, p. 253 et suiv. 4n KTIENNE DK FLACOURT lui (le (lomior une station aux vaisseaux français qui iraient aux Indes et de favoriser ainsi le développement de notre commerce '. Des lettres patentes datées du 29 janvier 1G42 et signées du roi Louis XIII concédèrent à Rigault « Madagascar et les îles adjacentes pour y ériger des colonies et en prendre pos- session au nom de Sa Majesté très chrétienne », avec le pri- vilège exclusif de s'y livrer au commerce pendant dix ans. Voici le texte de l'arrêt du Conseil du Roi qui accordait ce pri- vilège : « Sur la requête présentée auRoi en son Conseil par le sieur Rigault, l'un des capitaines entretenus pour le service de Sa Majesté en la marine, et ses associés, tendant à ce qu'il plaise Sa Majesté approuver et ratifier la concession à eux donnée par M. le cardinal de Richelieu, pair de France, grand-maître, chef et surintendant général de la navigation et commerce de France, portant pouvoir et permission d'envoyer en l'île de Madagascar, anciennement île Saint-Laurent, et autres îles adjacentes et côtes de Mozambique, tel nombre de vaisseaux armés en guerre et marchandises que bon leur semblera, avec les hommes qu'ils jugeront nécessaires pour habiter aux pays, s'ils voient que besoin soit pour la conser- vation de leurs navires et biens, ety faire le commerce et trafic durant le temps de dix années, sans qu'aucuns autres que le sieur Rigault et ses associés puissent faire habitations, traites, trafic et commerce, ni en tirer aucunes marchandises, pendant ledit temps, pour apporter en ce royaume par quelques per- sonnes, nation et conditions que ce soit, si ce n'est de leur consentement par écrit, à peine de confiscation des vaisseaux et marchandises au profit dudit sieur Rigault et de ses associés et autres choses à plein contenues en icelles » '. l.ïSavary des Brusions , Dictionnaire du Commerce, loc. cit., t. I, p. 1338 ; Bonassieux, Les grandes Compagnies de commerce, p. 238. 2. Archives uationales, Arrêts du Consul du Roi, Coûseil des Finances E 167 B ; Flacourt, éd. 1661, p. 203 et 204. Cette concession fut de nouveau confirmée par une lettre du roi, du 20 septembre 1643 (Arch. Ministère des Affaires étrangères, Indes orientales, Asie, Mémoires et documents, [n" 2, fol. 8. — Flacourt, éd., 1658, p. 194). — ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 41 On mit à cette faveur plusieurs conditions. A robligation imposée aux associés de prendre possession de Madagascar au nom du roi, on avait ajouté celle d'y faire passer des gens d'Église pour administrer les sacrements aux Français qui seraient envoyés dans l'île et instruire les naturels des vérités de la religion catholique'. La Compagnie fut désignée sous le nom de Compagnie d'O- rient, des côtes orientales d'Afrique ou de Madagascar ; mais en réalité cette société n'était autre chose qu'une nouvelle Com- pagnie des Indes Orientales et^son commerce s'étendra jusqu'à Surate, ainsi qu'aux autres ports du littoral de cette partie de l'Inde ^ Elle était composée de vingt-quatre parts, «tellement, dit Charpentier, que celui qui y entrait pour une part fournis- sait la vingt-quatrième partie de la dépense, et, si quelqu'un y prenait deux parts, il devait founir à proportion » *. Le nombre de ses membres ne paraît pas avoir été considérable. Elle fut formée « par quelques particuliers en petit nombre » \ parmi lesquels on remarquait, non seulement des négociants, mais encore des hommes qui occupaient de hautes fonctions dans la marine, dans la finance et le Parlement. C'étaient Rezimont, Rigault, le capitaine Le Bourg, le surintendant Fouquet, de Loynes, secrétaire général de la marine, Le Vasseur, con- seiller au Parlement de Paris, de Creil, trésorier de France à Limoges, d'iVligre, trésorier des menus, Berruyer, Caset, de Bausse, parent d'Etienne de Flacourt, deux bourgeois de Paris, Antoine Desmartins et Hilaire Gillot, et peut-être Etienne de Flacourt lui-même ^ Dépôt des cartes et plaus de la Marine, Manuscrits, vol. 84, pièce 9, années 1188 el 1789 : « 11 y a lieu de croire que la première concession du 29 jan- vier 1642, n'était que pour dix ans ». 1. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 3. 2. Savary des Bruslons, [dictionnaire du Commerce, t. I, p. 338; Bonassieux, Les grandes Compagnies de commerce, Y> . 258-259. 3. Relation de rétablissement de la Compagnie des Indes orientales, 1666, p. 27. 4. Ibid. et Savary des Bruslons, loc. cit., p. 1338. 5. Manuscrits delà Bibl. Nat., f. fr. 10209, fol. 71. Fouquet déclare lui-même (Défenses, t. VIII, p. 52) qu'il est dénommé dans l'acte de société signé des associés de la compagnie, acte contenu dans un cahier qui formait la pre- 42 KTIKNNK t)K ri.ACOUnT Les associés se monlrèrcnl 1res empressés à jouir de celte concession. Lo^ directeurs de la Compagnie, renseignés sur les ressources de Madagascar par un de leurs commis, nommé Pronis, résolurent de l'y envoyer ù bref délai comme gouver- neur. Ils lui confieront le commandement des Français, la direction de leur commerce et la mission d'y fonder la pre- mit'ie colonie'. Pronis ne semble pas pourtant avoir réuni les qualités nécessaires à un administrateur et à un fondateur de colonie. D'après M. Pauliat, « c'était un individu brutal, sans jugement, et sans la moindre envergure d'esprit, n'ayant souci que de s'enrichir, fiit-ce aux dépens de la Compagnie dont il avait à défendre les intérêts «'. Mais il avait une cer- taine expérience des affaires commerciales ^ et c'était là une qualité suffisante pour la Compagnie qui se préoccupait de ses intérêts, de trafic et de lucre plutôt que de colonisation réelle et durable. Pour la même raison, on ne doit point s'étonner qu'il ait été choisi pour cbef de la colonie, quoiqu'il fût pro- testant*. Un mois à peine après la signature du privilège, mars 1642, Pronis s'embarquait pour Madagascar sur le vaisseau le Saint-Loun commandé par le capitaine Cocquet. Les associés lui avaient donné comme spuls auxiliaires : Leroy, commis de niière des 120 pièces qu'il a produites au cours de son procès. Malgré de nombreuses recherches dans les bibliothèques et les archives de Paris, nous n'avons pu retrouver cet important document. Nous le regrettons, car il nous aurait permis de faire connaître d'une manière complète et certaine tous les membres de cette compagnie ; nous avons pu toutefois, à l'aide de l'acte constitutif d'une autre société fondée eu 1656 que nous avons décou- vert à la Bibliothèque nationale (f. fr. 10209). indiquer la plupart de ces mem- bres. Voir aussi : Flacourt, Hist. de Madagascar, éd. 1661, p. 401 et 406: brochure, Élojje de Flacourt, loc. cit. — Nous n'ajoutons pas beaucoup de cré- dit à l'opinion de M. Guet, qui range le duc de La Meilleraye parmi les associés de la Compagnie de VOvieai {Origines de la colonisation à Bourbon el à Madagas- car, p. 4''>). 1. Charpentier, Relation de rétablissement de la Compagnie des Indes orien- tales, p. 27 et suiv. 2. La Nouvelle Revue, mai-juin 1884, p. S25 et 526. .3. P. Nacquart, Mémoires de la Congrégation de la Mission, t. IX, p. 107. ■5. On sait en effet qu'à cette époque les statuts des Compagnies excluaient les protestants des colonies (voir Deschamps, /?fii>;/e c/e géographie, novembre 1885, p. 375 : La question coloniale au temps de Richelieu et de Mazarin). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION IT.ANC.AISE A MAnACASCAP, 4^ la Compagnie; Foucquembourg-, autre commis, el ùoiize Fran- çais. Il est à remarquer qu'on ne leur avait adjoint aucun prêtre, aucun religieux catholique et que la plupart des com- pagnons de Pronis appartenaient, comme leur chef^ à la reli- g-ion réformée. C'était, à vraiMire, une colonie prolestante qui partait pour Madag'ascar '. Ces futurs colons avaient reçu des associés des instructions pour aclieler dans l'Ile une grande quantité de cuirs et de cire « et pour s'establir insensiblement et prendre connoissance du païs »^ Quanta Pronis, il ne paraît avoir eu aucune vue personnelle, avant son départ, sur la colonisation du pays oii l'envoyait la Compagnie. Au mois de septembre 1642, le Saint-Louis arrivait en vue do la grande île. Après avoir pris possession au nom du roi des îles Mascareigne ', Diég-o Rois, Sainte-Marie et de la baie d'Antong-il, Pronis explora quelques points de la côte*. 11 choisit comme sièg"e de la colonie qu'il se proposait de fonder le port de Manghafia, situé sur la côte sud-est. Peu de temps après, le chef de la colonie s'en alla avec quelques hommes trouver le roi du pays à Fanshere pour lui demander l'autori- sation de construire un fort en cet endroit, « ce qu'ils obtin- rent facilement, ditFr. Cauche, cela ne mettant point en peine Andrian Ramach qui savoit leur petit nombre dans lequel estoient plusieurs malades »''. Informé de l'arrivée de Pronis à Fanshere, Cauche s'y rendit. C'est dans cette entrevue que le chef de la colonie, qui désirait sans doute tirer parti d'un homme déjà renseigné sur les ressources de la contrée et les mœurs des habitants, voulut lui persuader de quitter son habitation de Manhale pour Manghaha. Mais le marchand roueanais, qui était forte- ment attaché à ses intérêts, n'accepta pas l'offre qui lui était 1. Nacquart, Relation, Mémoires de la Mission, t. IX, p. 107. 2. Flacourl, 1658, brochure, p. 3. 3. Flacourt, éd. 1658, p. 194. 4. Probablemeut Maaaajara (Masindraao, Malitaoa) (voir A. Graudiilier, Hist. de la géog., 1892, ouvr. cité, p. 210). 5. Morizot, lac. cit., p. 88 et suiv. U KTIE.N.NE DE FLACOURT faite. Toutefois ils tombèrent d'accord sur la question du trafic. Il fut décidé que Gauche aurait un délai de six mois pour débiter sa marchandise. Ce délai expiré, il ne pourrait plus faire la traite, sinon j)Our sa nourriture et son entretien'. Pendant que le capitaine Cocquet cherchait de l'ébène au pays de Matatane et dans le pays d'Anossi, un autre navire de la Compagnie commandé par Gilles Rezimont pénétrait dans la baie de Sainte-Luce (mai 1643). Ce navire n'amenait, il est vrai,aucunmissionnaire;maisilétaitarmédevingt-deuxpièces de canon et chargé de toutes sortes d'outils pour bâtir et pour cultiver la terre. De plus^ ce qui n'était pas moins appréciable pour la colonie naissante exposée aux agressions des natu- rels, on en vit débarquer soixante-dix hommes de renfort. Ils venaient dans lîle « afin de s'y fortifier et faire une bonne habitation »'. A la nouvelle de l'arrivée d'un certain nombre de colons, Gauche s'en alla trouver le capitaine du navire. Rezimont, qui était intéressé pour une certaine part dans les alïaires de la Gompagnie, s'informa auprès du marchand rouennais du commerce qu'il était possible d'entreprendre dans le pays. Il l'envoya môme à Matatane pour y chercher de l'ébène et y faire la traite. De retour de son voyage à Matatane, Gauche se vit de nou- veau en butte aux soupçons du chef de la colonie qui l'accusa d'exercer une influence néfaste sur les naturels et de les exciter à ne plus apporter de vivres ou de marchandises. Pronis lui reprochait amèrement d'avoir profité de ses diffi- cultés et de la maladie de ses gens pour se livrer à des entre- prises qui menaçaient d'une ruine totale tout le trafic du pays. Dans son irritation, il lui ordonna ainsi qu'à tous ses compagnons de s'abstenir à l'avenir de tout négoce, sous peine de voir ses marchandises confisquées au profit de la Compa- gnie'. Sur ces entrefaites, le navire du capitaine Cocquet vint 1. Morizot, Yoijaç/e de Fr. Cauc/ie, fTéïa.ce. 2. Flacourt, édit., 1658, brochure, p. 3. 3. Morizot, préface et p. 82. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 45 s'échouera l'anse des Galions, charg-é d'ébène, de comme, de cuirs et de munitions. Au lieu de remettre ces munitions aux colons, les officiers et les matelots les vendirent aux habitants. C'était leur fournir des armes contre les Français, au moment même oii ceux-ci couraient de sérieux dangers. En effet, mécontent de voir des étrangers sur son territoire, craignant sans doute de voir leur autorité se substituer à la sienne, Andrian Ramach souleva ses sujets contre ceux qui venaient s'emparer de leurs bœufs et ravager leurs récoltes. Comme les Français étaient pour la plupart munis d'armes à feu et étaient devenus plus nombreux, il conçut le dessein de les détruire en détail. Par ses ordres, six des colons en- voyés par Pronis à Matatane pour y fonder une colonie, et qui s'étaient aventurés au nord de ce pays pour l'explorer et y acheter du riz, furent massacrés. Au même moment six matelots de Rezimont qui chargeaient de l'ébène dans le pays des Antavares, éprouvaient le même sort. Rezimont partit pour la France au mois de janvier 1644, son navire chargé d'ébène_,mais peu garni de cuirs et de cire, car, d'aprèsFlacourt, les naturels avaient mangé la chair des bêtes avec le cuir, et le miel avec la cire'. Au reste, les Français étaient aux prises avec des difficultés plus inquiétantes que celles qui naissaient des habitudes des indigènes. Proûis, en effet, avait été mal inspiré dans le choix qu'il avait fait de Manghafîa pour y fonder un établissement. Le climat malsain de cet endroit avait causé de grands rava- ges parmi les Français. Presque tous avaient été atteints par la fièvre. La moitié avait succombé en moins de deux mois. Pronis s'empressa de chercher un lieu plus salubre. Il jeta les yeux sur la péninsule de Tholangare, située un peu plus au sud et construisit au fond d'une bonne anse un abri retranché qui reçut le nom de Fort-Dauphin. Le choix était heureux. Il est difficile, en effet, de rencontrer dans ces parages un port mieux abrité et une contrée plus saine. Cette nouvelle résidence ne 1. Flacourt, éd. 1658, p. 3 et suiv, ; éd. 1661, p. iuij et 263. '.6 liTlKNM': DK l'LACOUKT léiiiiiss.iil |i,is loiilefois loules les conditions désirables. Fort- Danphin n'rUiil pas riche en bétail, ni productif en riz. Le ra- vitaillomcnl do la colonie devint difficile. On dut aller cher- cher au loin les approvisionnements nécessaires, ou même g-uorroyer j)our prendre du bétail. Néanmoins la famine était sans cesse ;i craindre dans ce pays éloigné dont on connaissait à peine les ressources. Dans de telles conditions, une administration prudente et économe s'imposait. Malheureusement celle de Pronis fut dc- plorablc. Les colons avaient, au prix de grandes fatigues, et après avoir couru de grands dangers, amassé les vivres né- cessaires à la subsistance du Fort; le chef de la colonie poussa la faiblesse jusqu'à nourrir avec ces vivres les parents de sa femme. « Pronis, dit Flacourt, avoit pris à femme la fille de Dian Marval, grand du pays de la race des Zaferahimina la- quelle s'appeloii Dian Ravellon Manor, et pour cet effet, fai- soit bien de la despense, d'autant qu'il nourrissoit toute la pa- renté; le riz que la barque apportoit du pays de Manghabé esloit bientôt dissipé par son mauvais soin et de ceux à qui il donnoit charge du magasin qui en disposoient aussi de leur coté; ainsi, faute d'un bon ordre, les François estoient le plus souvent tantôt sans ris et ne mangeoient que de la viande, tan- tôt sans viande et ne mangeoient que du ris*. » Et l'historien de Madagascar va jusqu à attribuer à ce gaspillage les malheurs qui ne tardèrent pas à fondre sur la jeune colonie. Quel- que sévère que puisse paraître ce jugement, il n'en est pas moins certain que des provisions de tout genre furent gaspil- lées en peu de temps et, comme l'a fait remarquer M. Gabriel Marcel, si Pronis n'a pas dilapidé lui-même les deniers de la Compagnie, il les a du moins laissé dilapider*. De là le légi- time mécontentement de ses subordonnés. En vain^ son lieu- tenant Foucquembourg entreprenait-il de nombreux voyages pour aller chercher du bétail, en vain parcourait-il le pays des Machicores, des Ampâtres, des Mahafales, des Manamboules i. Flacourt, édit. 1658, p. 3; édit. 1661, p. 207. 2. Revue scientifique, avril 1883 : Nos droits sur Madagascar, p. 430. Oi: LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 47 et des Anachimoussi, il y avait loujours disette de vivres au Fort. Le chef de la colonie ne se bornait pas à accroître les souf- frances de ses subordonnés par le désordre de son administra- tion; il les irritait encore par des paroles imprudentes ou méprisantes. Dans ses entrevues avec les chefs indigènes qu'il voyait entourés d'esclaves, il disait, en parlant des gens de la colonie, « mes esclaves » '. Que ce fût avec Tintenlion de traiter d'égal à égal avec les indigènes ou par mépris affecté et par orgueil, il n'est pas moins vrai que de tels propos n'étaient pas de nature à lui concilier l'affection des colons. Ceux-ci en étaient d'autant plus irrités que Pronis leur faisait exercer en ce pays les métiers de portefai~x et d'esclaves, tandis qu'ils voyaient au fort beaucoup de nègres qui n'étaient assujettis à aucun travail. Il n'y avait pas jusqu'à son titre de huguenot qui n'attirât à Pronis les soupçons et les récrimi- nations de ses subordonnés. Ceux-ci se plaignaient amère- ment d'être troublés dans leur chapelle par les prêches qu'il faisait à ses coreligionnaires. * Telle était la situation du gouverneur de Fort-Dauphin lors- que arriva (septembre 1644) un nouveau navire de la Compa- gnie. C'était le Royal de Dieppe, commandé par Lormeil. Ce navire amenait un renfort de quatre-vingt-dix Français, « pour demeurer dans l'île et y planter du tabac » au compte de la Compagnie. Les nouveaux venus apprirent des colons des nou- velles alarmantes : l'île avait été ravagée par une tempête et il en était résulté une si grande famine dans la province d'Anossi que la moitié des hommes étaient morts de faim; faute de riz et de racines, les naturels avaient dû manger la plus grande partie de leur bétail, et il leur en restait peu, car beaucoup de bêtes avaient péri dans la tourmente. Les Fran- çais subirent naturellement les conséquences de ce désastre, comme les indigènes. L'année 1645 fut une année de pertes pour la Compagnie. On avait fait peu de cuirs et récolté peu I. Fhcourt, éd. 1661, p. 209. 48 ETIENNE DE FLACOURT (lo miel, les indigènes ayant mangé la peau de leurs bestiaux avec la chair et la cire des ruches avec le miel. Aussi les colons endiirèreiil-ils toutes sortes de privations et trouvèrent-ils dif- licilenienl des vivres*. On ne négligea pas toutefois l'exploration de l'île. Elle fut même poussée fort avant dans l'intérieur, et l'on commençait à espérer que l'on pourraitquelque jour retirer de l'île de grands avantages ^ Quant au capitaine Lormeil, qui était âgé de soixante-dix ans et craignait de s'égarer le long de la côte, il demeura sept mois en rade de Fort-Dauphin. Sa seule préoccu- pation fut de faire rechercherTébëne dans lesbois desenvirons, dans le pays des Matalanes et des Antavares. Il partit au mois de janvier 1646 avec une grande quantité d'ébène, de cuirs et de cire. Foucquembourg, qui ne laissai t pas sans douîe d'être inquiet pour l'avenir de la colonie naissante, prolita de ce départ pour retourner en France 3. Pronis resta seul. Il lui fut de jour en jour plus difficile de maintenir son autorité. Les nouveaux colons étaient venus dans l'île avec quelques illu- sions. Elles avaient été bientôt déçues. Ils n'avaient pas été mieux traités que les anciens; on les avait fait travailler sans relâche, et les vivres manquaient parce que Pronis continuait à les gaspiller avec les indigènes. Aussi étaient-ils aigris contre celui qui était la cause de toutes leurs privations, de toutes leurs souffrances Désappointés, ils unirent leurs plaintes à celles de leurs ca- marades. Ils supplièrent Pronis de ménager les vivres. Celui-ci ne tint aucun compte de leurs plaintes et de leurs requêtes. Cette indifférence ne fit qu'exaspérer les mutins. Ils se saisi- 1. riacourt, éd. 1658, brochure, p. 4. 2. Flacourl, éd. KiiiS, p. 4 de la brochure. 3. Flacourt, éd 1061, p. 209. Foucquembourg débarqua à Saiiit-Malo en mai 1646. De cette ville il vint à Paris pour rendre compte de son voyage aux associés. Mais en tra- versant la forêt de Dreux, il fut assassiné par son compagnon de voyage qui le croyait chargé d'or et lui enleva tous ses papiers, perte à laquelle la Com- pagnie fut surtout sensible (Flacourt, édit. 1638, p. 200 et suiv.). Ces pa- piers pouvaient aussi oU'rir un certain intérêt pour l'histoire de notre coloni- sation. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 49 rent de sa personne et le mirent aux fers (15 février 164G). Afin de ne point laisser péricliter les affaires delà Compagnie, ils confièrent le commandement de la colonie au lieutenant Leroy. En même temps, ils poursuivirent l'œuvre commencée par l'ancien chef. Ils envoyèrent des Français au loin pour reconnaître le pays et y faire la traite'. Quant à Pronis, il su- bit une dure captivité pentlant six mois. Il ne dut sa liberté qu'à l'arrivée d'un nouveau navire commandé par Roger Le Bourg qui amenait quarante-trois hommes de renfort. Les factieux avaient déclaré au capitaine qu'ils ne voulaient plus être commandés par Pronis, et lui avaient livré le prisonnier, à condition qu'il le ramènerait en France. Mais Pronis par- vint à gagner Le Bourg. Celui-ci lui promit de le rétablir « moyennant qu'il lui fît trouver son compte ))^ Pronis fut rétabli en effet dans ses anciennes fonctions. A cette nouvelle, les colons accoururent au Fort, menaçant et reprochant à Le Bourg d'avoir violé son serment. Pour les apaiser, ce dernier, d'accord avec Pronis, leur proposa d'aller sous la conduite de Leroy acheter du bétail et faire du trafic dans le pays des Ma- hafales. C'était une proie offerte à leur cupidité des vivres en perspective. Une trentaine acceptèrent la proposition ; vingt-sept autres sous la conduite de Bouguier furent envoyés au pays des Antavares pour y chercher de l'ébène et autres pro- duits. Le chef de la colonie profita du départ des principaux rebelles pour ramener à sa cause le reste des Français. C'est grâce à cette ruse qu'il parvint à rester maître de la situation'. Cependant l'irritation des colons n'était pas encore calmée. Trois mois après (octobre 1646), les Français revenaient avec du bétail, mais plus exaspérés que jamais, et décidés à ne plus obéir à leur ancien chef. Les rebelles se retranchèrent sur une colline située non loin de Fort-Dauphin. Cette fois Pronis marcha contre eux avec l'intention de les combattre. Le lieutenant Leroy usa de son influence auprès des Français 1. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 5. 2. Id., éd. 1661, p. 216. 3. Flacourt, éd 1638 ; Relation, p. 203 et suiv., brochure, p. B. 4 r.O KTIENM': DK KLACOUUT pour leur porsuatler de se soumeLlre. Ceux-ci y consenlirenL sur la promesse d'une amnistie générale. Mais à peine furent- ils arrivés au Fort, que Pronis arrêta douze des principaux me- neurs « auxquels, dit Flacourt, il lit raser barbe et cheveux, leur fit faire amende honorable, nuds en chemise, la corde au col, et la torche au poing, et les exila en l'île Mascareignc '. » C'est le capitaine Le Bourg qui fut chargé de conduire ces malheureux à leur lieu d'exil, en môme temps qu'il s'en irait chercher du riz et de l'ébène au pays des Antavares. Le Bourg débarqua à Port-aux-Prunes et envoya les exilés à Mascareigne où ils arrivèrent à la lin de janvier. La barque qui les avait portés sombra à son retour à Port-aux-Prunes (février 1647). Les matelots qui la montaient, revinrent par terre au Fort-Dauphin, après avoir vu sur leur route un immense lac, passé plus de soixante rivières et franchi une distance déplus de cent quarante lieues. Quant au capitaine, il était rentré à Fort-Dauphin avec son navire chargé de riz; il avait remis ce riz à Pronis et, peu de temps après, il mettait à la voile pour la France avec un fort chargement de cire, de cuirs et d'ébène^ Pronis se montra désormais très dur à l'égard de ses subor- donnés. Sans cesse menacés de la disette, ceux-ci étaient de leur côté toujours mécontents de ses dilapidations. Cette situa- tion leur parut tellement intolérable qu'ils désertèrent au nombre de vingt-deux sous la conduite de Leroy qui, en butte aux soupçons et à la haine de Pronis, craignait à tout instant d'être mis aux fers. Ils se dirigèrent vers la baie de Saint- Au- gustin où ils espéraient trouver quelque navire anglais pour les ramener en France. D'autres déserteurs, le garde-magasin du chef de la colonie, le garde du Fort et même la sentinelle rejoignirent Leroy la nuit suivante avec armes et bagages. Le nombre des Français qui demeurèrent à Fort-Dauphin se trouva ainsi réduit à soixante-douze. 1. Flacourt, éd. 1661, p. 217. 2. Id., édit. 16j8, br., p. 7 et suiv. ; édit. 1U61, p. 215 et suiv. ou LES OPxlGlNES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 31 Ce n'est pas seulement par sa détestable administration que Pronis compromit les intérêts de la Compagnie et le succès de l'entreprise, ce fut encore par sa maladresse à l'égard des indigènes. Ce chef, qui avait provoqué l'indocilité des colons en sacrifiant leurs intérêts, leur vie même, au désir de mainte- nir ses bonnes relations avec les parents de sa concubine, devait tout au moins, en bonne politique, s'efforcer de conser- ver cette alliance. Pronis aima mieux s'aliéner les sympathies des naturels que déplaire au capitaine Le Bourg, comme il avait préféré affamer les colons plutôt que de mécontenter les parents de Dian Ravel. Nous avons vu que la protection ac- cordée par le capitaine au chef de la colonie devenu le prison- nier des colons, n'était pas purement gratuite. Pronis se laissa entraîner par Le Bourg (qui y trouva sans doute son compte) dans une nouvelle faute, la plus grave peut-être qu'il ait com- mise. A l'instigation du capitaine, il fit enlever et vendre comme esclaves à un gouverneur hollandais de l'île Maurice soixante-treize Malgaches^ tant hommesque femmes et enfants, qui étaient venus pour le troc à Fort-Dauphin (1046). Cet acte odieux etperdide, qui rappelle celui de Tristan da Cunha à Lulangane, eut en effet de déplorables conséquences. Il devait porter au plus haut degré l'exaspération des indigènes contre les Français. Andrian Ramach, qui se souvenait de la perfidie des Portugais à l'égard de ses parents, et qui en avait été lui-même victime, comprit qu'il ne devait pas plus se fier aux Français que son père ne s'était fié aux Portugais. Les Malgaches firent dès lors retomber la faute du chef sur tous les colons. Depuis cet événement, il ne vint aucun indigène au Fort, tant qu'il y eut un navire mouillé dans l'anse, et les affaires de la Compagnie reçurent de ce chef un grave préju- dice*. Quelque temps après, Pronis commettait une nouvelle faute. Ayant appris qu'un chef indigène, nommé Razo et frère naturel du roi d'Anossi, était dans les bonnes grâces d'Andrian Ravel, il résolut de s'en défaire en l'attirant dans un guet- 1. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 6 et suiv. ; éd. 1661, p. 219 et suiv. S2 ETIKINNE DK FLACOIIUT apiMis. Ua/o lui laissé \)ouv mort, bien qu'il ne fût que blessé. Colle nouvelle perfidie ne fit qu'accroître l'excitation d'An- drian Rauiach, frère de la victime. De concert avec les autres chefs, il médita la destruction de tous les Français, comme ses ancêtres avaient médité celle des Portugais. Afin de mieux réussir dans leurs projets, ils attendirent le départ de Le Bourg, et aussitôt que le Saint -Laureiit eut mis à la voile pour la France, ils suscitèrent alors Razo, guéri de ses blessures, l'elui-ci, qui ne songeait que la vengeance, réunit une troupe d'indigènes qui devaient massacrer impitoyablement tous les Français écartés du Fort. Sa première victime fut un colon, nommé Alain, qui s'en était allé seul chercher de lambre au bord de la mer. A cette nouvelle, Pronis, déjà mécontent de savoir que sa victime lui avait échappé, menaça Andrian Ramach de lui faire la guerre, s'il ne lui livrait la tête de son frère . Après quelque hésitation, le roi d'Anossi, qui craignait de voir son pays ravagé et ruiné, obéit aux injonctions du chef des Français. Au milieu de Tannée 1647, la tête de Razo fut en- voyée à Pronis qui ordonna de l'exposer au bout d'une pique. Point n'est besoin d'ajouter qu'une telle cruauté eut pour résul- tat d'exciter encore la haine des indigènes pour les Français. Comme ceux-ci se servaient d'armes qui assuraient leur vic- toire dans la lutte, ils eurent de nouveau recours à la ruse. Ils résolurent dès lors de les surprendre et de les détruire par petits détachements. C'est ainsi que peu de temps après (août 1647), Bouguier était massacré avec cinq Français à huit lieues de son habitation, dans le pays des Antavares.Les survivants retournèrent à Fort-Dauphin dans une chaloupe, abandonnant soixante tonneaux d'ébène que Bouguier avait soigneusement amassée*. Ces attaques multipliées obligeaient les Français à être cons- tamment on armes. Ils ne pouvaient se livrer à la culture de la terre. Les vivres manquaient toujours au Fort. Pronis pro- I. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 6 et 7 : éd. IGGI, p. 224 et suiv. ou LES ORIGLNES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 53 posa alors à ceux qui étaient restés, d'aller chercher du bétail au pays des Eringdranes. On décida que quarante-cinq Fran- çais partiraient sous la conduile du lieutenant Angeleaume. Ce voyage s'effectua dans d'heureuses conditions. Les grands du pays accueillirent favorablement les colons. Ils leur promirent mille têtes de bétail, s'ils consentaient aies soutenir dans une guerre contreleshabitants des Vohitsang-hombesjeursennemis jurés. Ce que les Français s'empressèrent d'accepter. Mais après le départ de ce fort détachement, Pronis se trouva réduit à un petit nombre. Il n^avait plus avec lui que vingt-huit hommes. De plus, il se voyait menacé et affamé par Andrian Ramach et les autres grands. Il se tira de cette diffi- culté par la ruse. Pour obtenir des vivres, il déclara aux chefs indigènes qu'il s'embarquerait avec tous les Français sur le premier navire qui viendrait à Madagascar. A cette nouvelle, une grande joie éclata parmi les indigènes. Les approvision- nements affluèrent et les colons purent acheter tout ce qu'ils voulurent. Mais presque aussitôt Andrian Ramach apprenait que des Français étaient revenus au Fort avec beaucoup de bétail : c'étaient les quarante-cinq colons partis en guerre contre les habitants des Vohitsanghombes. Il comprit qu'il avait été trompé par Pronis et résolut de s'en venger en le faisant mas- sacrer ainsi que tous ses compagnons. Andrian Tsissei, beau-frère d' Andrian Ravel, reçut l'ordre de partir pour Fort-Dauphin avec trois cents indigènes armés desagaies.Ilprétexterait qu'il venait rendre hommageàPronis, et au moment oii le gouverneur ne serait point sur ses gardes, ses gens se précipiteraient sur lui et son entourage. Pronis fut averti du complot par la nourrice d' Andrian Ravel. Il prit ses précautions en conséquence. Il ordonna de mettre les Fran- çais du Fort sous les armes et de pointer une pièce de canon devant sa case. Andrian Tsissei arriva au Fort. Pronis l'ac- cueillit fort hospitalièrement, mais il lui déclara qu'il connais- sait bien ses intentions à son égard. Stupéfait, le chef indi- gène avoua tout. Le chef de la colonie lui pardonna et lui fil :\\ !• TIENNE DR FLACOURT faire bonne clière durant trois jours. Andrian Tsissei s'en re- tourna « en lui protestant que jamais il n'entreprendrait rien contre lui » (novembre 1648). L'attitude conciliante que i*ronis venait do montrer on cette circonstance ne devait pas cependant le sauver d'une disgrâce. La Compagnie de l'Orient avait été informée par Le Bourg des désordres qui étaient survenus dans la colonie sous son admi- nistration. Elle avait compris qu'il était nécessaire d'y porter romcdo sans retard, si elle voulait éviter la ruine totale de l'établissement dont elle avait jeté les fondements, et lui avait désigné un successeur. Ce successeur était Etienne de Fia- court». Comme on a pu le voir dans le cours de ce récit, les premiers peuples qui vinrent s'établir dans la grande île n'y sont pas venus, le plus souvent, pour la coloniser. Juifs, Chinois, Nègres africains, Malais, Arabes y ont abordé à la suite de quelque révolution qui avait éclaté dans leur pays d'origine, ou poussés par la tempête, par l'esprit d'aventure et l'avidité mercantile. Seuls les Arabes, au xv" siècle, paraissent y avoir été amenés par le désir d'y faire du prosélytisme. II en fut à peu près de même des premiers Européens qui vi- sitèrent Madagascar, etnotammentdcs Portugais. Toute pensée de conquête, d'initiation agricole, industrielle, commerciale, morale et religieuse, semble avoir été, à l'origine, absente de leurs desseins. Parmi les intrépides navigateurs qui abordèrent à ces rivages ou qui y furent envoyés par les rois de Portugal, il n'y en eut pas un qui se proposât de prendre possession de cette île située sur le chemin des Indes, d'en mettre le sol en culture, de mettre en œuvre les produits du sol ou du sous-sol, d'entretenir de véritables relations commerciales avec les habi- tants et peut-être même de les convertir au catholicisme. Ce qui les y portait, c'était l'espoir d'y trouver des produits rares et recherchés en Occident, tels que l'or et les épices, et surtout d'y faire la traite des esclaves. C'est pour satisfaire 1. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 7 et suiv. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 55 leur cupidité, qu'ils en sondèrent les principaux ports, en re- connurent le littoral, fouillèrent dans les entrailles de la terre, et interrogèrent les habitants sur les ressources du pays. C'est dans ce but qu'ils fondèrent, non des établissementste rrito- riaux destinés à être peuplés par la métropole, mais des comp- toirs qui pourraient en favoriser et assurer l'exploitation. On a vu à quelles violences, enlèvement^ de femmes et d'enfants, pillag-es, décharges de mousqueterie et d'artillerie, massacres, les avait portés cette soif de bulin, et les tristes représailles qui en résultèrent. Sans doute ceux qui vinrent dans la suite comprirent la nécessitéd'user de procédés moins violents, et se proposèrent un but plus noble. Ils ne furent pas seulement poussés vers la grande île par l'avidité mer- cantile, mais encore par l'intention d'en convertir les habi- tants à la religion qu'ils pratiquaient eux-mêmes. Malheureu- sement un prosélytisme effréné les entraîna souvent dans des fautes non moins regrettables que celles de leurs prédéces- seurs et dont les conséquences retomberont sur les Français. Les Hollandais, qui abordèrent à Madagascar longtemps après les Portuga^'s, n'eurent pas pour but comme ces derniers d'exploiter les richesses du pays et de convertir les habitants au christianisme, mais de s'y ravitailler. Cette île située sur le chemin des îles aux épices était pour eux une escale, mais non un comptoir ou un de lieu de propagande religieuse. S'ils ont tenté en passant d'y faire du trafic, ils n'y ont amené tou- tefois aucun missionnaire. Quant aux relations qu'ils entre- tinrent avec les indigènes, elles ne sont guère plus que celles des Portugais à l'honneur d'un peuple civilisé *. A l'instar des Hollandais, les Anglais considérèrent la grande île comme une escale où leurs vaisseaux pouvaient s'approvisionner ou s'abriter sur la route des Indes. Mais, à la différence de leurs voisins du continent, on ne peut leur re- 1. D'après Wicquefort [loc. cit., éd. 1666, t. II, p. 547), le dessein des Hol- landais en abordant à Madagascar était d'y chercher des vivres pour le sou- Infïement de leurs malades. r,f, KTIENNE DE FLACOURT prochor aucun arlo de violence. Plus pratiques, ils song^èrent nirme ;ï y fonder une véritable colonie. .lus(ju'à l'année 1G42, on ne découvre chez les Français aucune intention arrêtée de coloniser la g-rande île. On n'en doit pas moins constater qu'à partir de cette date le gouverne- ment encourage les tentatives des particuliers dans la mer des Indes et à Madagascar par la création d'une Compagnie à monopole. Malheureusement, la Compagnie ne fut pas heu- reuse dans le choix du premier administrateur qu'elle envoya dans cette contrée lointaine. Si Pronis a eu la gloire de pren- dre officiellement possession de certains points de la côte orientale; si, le premier des Européens, il a poussé l'explora- tion assez loin dans l'intérieur des terres; si enfin sa tâche était rendue délicate par les tristes souvenirs qu'avaient laissés dans la province d'Anossi les Portugais, il ne s'en est pas moins attiré l'inimitié des colons par ses dilapidations et aliéné pour longtemps les sympathies des chefs indigènes par des actes d'une insigne maladresse et dignes d'un véritable forban. LIVRE I LE IN/EILIEU Nous connaissons maintenant l'œuvre des précurseurs de Flacourt à Madagascar. Il convient, avant de raconter les événements dont son gouvernement sera l'occasion, et d'étu- dier son œuvre colonisatrice et son œuvre, si l'on peut ainsi parler, scientifique, de replacer l'homme dans son milieu. Nous rechercherons d'abord quelle était la situation poli- tique, sociale et morale de l'île au moment même oii le nouveau chef de la colonie allait s'y rendre. Négliger cette précaution, ce serait s'exposer à présenter son gouvernement sous un faux jour, à exagérer ou à laisser dans l'ombre ses mérites ou ses fautes, puisqu'on ne mettrait point en lumière les cir- constances favorables ou défavorables à sa tâche. De même il importe, si l'on ne veut encourir le reproche d'avoir augmenté ou diminué gratuitement la part d'origina- lité du vieil historien de Madagascar, de ne point apprécier son ouvrage en faisant table rase de tout ce qui a été écrit et publié avant lui sur le pays et ses habitants. « CHAPITRE PREMIER Lia situation à Madagascar avant le départ de Flacourt. Diversité de races. — Organisatiou sociale. — Les luttes intestines. — Ma- nière de faire la guerre propre aux Malgaches. — Organisation de la jus- tice. — Religion et superstitions. — Caractère des habitants et leurs sen- timents à l'égard des étrangers. — Simplicité de leurs mœurs. — Appré- ciation générale. Vers le milieu du xvii" siècle, comme aujourd'hui d'ailleurs, rîle de Madagascar était habitée par un certain nombre de peuplades de races diverses qui s'étaient plus ou moins mélangées dans le cours des âges. Les unes appartenaient à la race nègre africaine , les autres aux races sémitique , malaise, indonésienne. C'est cette dernière qui formait la base de la population malgache. Elle comprenait des peuplades à la face cuivrée et aplatie, au nez épaté, à la chevelure touffue et globuleuse. Ces Indo- nésiens occupaient alors différentes contrées de l'est et du centre. Ils avaient pour voisins les Malais, qui se distinguaient d'eux par leur teint jaune, leurs pommettes saillantes, leurs yeux bridés et allongés, leurs cheveux longs et lisses. Si les Indonésiens l'emportaient par le nombre, les Malais par contre étaient les plus puissants, car ils venaient de triompher de leurs rivaux et d'obtenir la suprématie sur toute la région centrale. Sur la côte occidentale on voyait des gens à la peau cou- leur de jais, aux cheveux courts et crépus, qui rappelaient les Cafres de Mozambique et n'étaient autre chose que des Nègres 60 KTIENNE DE FLACOURT africains. Sur la cùlc orientale, au contraire, s'étaient établis des Blancs, les Juifs et les Arabes. Les premiers constituaient la niajourc partie de la population de l'île Sainte-Marie, des pays d'Antongii et dlsaka; les autres dominaient dans le pays de Malatane. Enfin dans la région australe, on remar- quait (litîerentes peuplades, telles que les Antanosses, ou habitants du pays d'Anossi, les Ampâtres, les Mahafales, les Machicores, etc., chez lesquelles le sang africain ou arabe s'était plus ou moins allie au sang indonésien, et dont il est difficile de déterminer l'origine*. Toutes ces populations, par suite de la prédominance de la race indonésienne et de la suprématie qu'elle avait exercée dans l'île depuis fort longtemps, présentaient de grandes ressemblances dans leur organisation sociale, dans leurs mœurs, leurs coutumes, leur religion. Mais à cette époque, comme aujourd'hui, Madagascar ne formait pas un corps de nation. L'île n'offrait aucune unité politique. On y comp- tait un grand nombre de petits Etats, de villages, de familles soumises à un chef qui était ordinairement le père ou l'un de ses fils. La réunion de plusieurs familles constituait la tribu. Chaque tribu était cantonnée dans les limites étroites de son territoire, de telle sorte que l'on voyait dans l'île un nombre considérable de tribus indépendantes les unes des autres . « Les innombrables tribus ou plutôt familles qui com- posaient cette population, dit M. Grandidier, et que ne réunis- sait aucun lien politique, ni commercial, vivaient dans un isolement absolu et ne se connaissaient point les unes les autres". » Parmi ces tribus se trouvait alors celle des Vazimba, d'origine indonésienne. Elle occupait les pays connus aujour- d'hui sous les noms d'Imerina et de Menabé, c'est-à-dire le centre et une partie de l'ouest. Les Vazimba n'étaient pas, au reste, les seuls habitants de l'ouest; on y rencontrait encore 1. Luiz Mariaoo, Bolet. Soc. Geog. de Lisboa, ouvrage cité, p. 318-329; Fia- court, 1661, p. 6-17; A. Grandidier, Mémoire de l'Institut, p. 9 et suiv. 2. Voir A. Grandidier, llist de la f/éog., 1892, p. :i23; Revue des Sciences pures el appliquées, 30 janvier 1895 : Les Uovas, p. 49. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 61 les Vezo, les Mikehana, les Sandang-oatsy, les Antanandro*. Ces différentes tribus se subdivisaient elles-môni<^s en plu- sieurs castes. La tribu des Vazimba comprenait la caste des Hovas, chefs des hommes libres de race indonésienne, nom qui s'appliquait probablement à tous les chefs des autres tribus malgaches qui avaient la même origine*. La caste la plus connue et la plus puissante était celle des Andriana, nobles qui descendaient des immigrants malais et qui par la force et par la ruse avaient acquis la suprématie sur leur tribu'. Quels étaient alors les Andriana qui dominaient dans les nombreux petits territoires ou États de la grande île? C'est ce qu'il est difficile de dire avec précision. L'insuffisance des documents du temps ne nous permet pas d'en donner une liste complète. Nous ignorons les noms des chefs qui gouvernaient alors les pays des Antavares, des Ampâtres, de Caremboule , de Siveh, d'ivoron, de Conchaa, deLaefouti, d'Hazon, d'Itole, d'Andou- vouche, des Eringdranes, d'Alfissach, des Vohitsanghombes, de Saca, des Antsianakes, On connaît toutefois les chefs d'un certain nombre de contrées, notamment de celles du sud et de l'est. Parmi eux se trouvaient : AndrianRamach, véritable roi de la province d'Anossi; Andrian Panolahé, qui exerçait son autorité sur les Meanamboulois ; Andrian Manhelle , chef des Mahafales ; Raberto, qui occupait la vallée d'Amboule ; Andrian Boulle, maître de tout le pays compris entre Manatengha et Ilapère ; Andrian Raval et Andrian Mananghe, chefs des Machi- cores ; Ratsilia, chef des Anachimoussi ; Raniassa, seigneur de l'île Sainte-Marie*. Un territoire était souvent gouverné par plusieurs chefs. Toutefois il y avait dans chaque territoire un chef dont le 1. A. Grandidier, Mémoires de la Société philomathique, année 1888, p. 157. 2. D'après le même auteur, les Hovas actuels seraient les descendants de ces hommes libres. Ils ne devraient pas être regardés comme un peuple, mais comme une caste {Hist. de la géoç)., 1892, p. 170 «, et Revue des Sciences pures et appliquées, op. cit., p. 50). 3. La caste actuelle des Andriana que l'on trouve dans l'Imeriua est com- posée des descendants des Malais (voir Grandidier, Hist. delà géofj., ibid.; Revue des Sciences pures et appliquées, ibid.). 4. Flacourt, Histoire de Madagascar, 1661, p. 3 et suiv. 62 ETIENNE DE FLACOURT pouvoir l'emportait sur celui des autres et qui était en quel- que sorte un petit roi. Sous son autorité étaient placés les maîtres de villages et à son service étaient attachés un grand nombre d'Andevos ou esclaves de tout ordre et de toute provenance*. Ce chef possédait toutes sortes de privilèges : sans parler du droit de vie et de mort qu'il avait sur ses sujets ou ses es- claves, il pouvait couper la gorge aux bêtes dans les sacri- fices, percevoir des tributs, rendre la justice, imposer des amendes, etc. Il usait de toutes sortes de moyens pour ac- croître ses ressources. Un maître de village venait-il à mourir, les héritiers lui remettaient une partie de Théritage. Dans une expédition, ceux qui l'avaient abandonné pour se ranger du côté de son adversaire, devaient lui payer une amende, s'il remportait la victoire. Non seulement il s'emparait des meil- leures terres qu'il ensemençait de riz ou plantait deslégumes_, mais il prélevait sur les naturels la cinquième partie de leur récolte en riz et en racines. Par de tels procédés il les con- traignait d'avoir recours à ses magasins, en général bien approvisionnés, et en les appauvrissant il les maintenait dans une plus étroite sujétion. C'est aux maîtres de villages qu'il confiait le soin de veiller sur ses intérêts et de faire exécuter ses ordres. Ils étaient chargés de percevoir les tributs, de contrôler l'exécution des corvées, de faire cultiver les champs de riz et construire les cases, de convoquer les indigènes aux assemblées ou kabars, et aux expéditions, d'organiser les fêtes, etc. Quant aux Andevos ou esclaves^ il ne leur était point per- mis de quitter leur maître. Ils n'avaient le droit de se mettre sous la protection d'autres chefs qu'en temps de fa- mine, et lorsqu'on leur refusait les vivres nécessaires à leur 1. Une partie des Andevos actuels est formée par ceux des Vazimba qui, après avoir vécu côte à côte avec les immigrants malais, ont fini par être soumis à leur autorité dans la seconde moitié du xvi" siècle, par Andrian Ma- nelo, par son pctit-fds Ralambo et par son petit-fils Andrian Jaka (A. Grandi- dier, Revue des Sciences pures et appliquées, ja.nY\eT 1895, p. 50). ou LES ORIGINES DE LA COLOMSAriO.N FRANÇAISE A MADAGASCAR 63 subsistance. En général ils étaient assez maltraités, mangeant les restes de leur maître et n'étant jamais tolérés à sa table. Cependant leur sort était plus doux dans le pays d'Antongil. Là^ ils étaient plutôt regardés comme les enfants de la maison que comme de véritables esclaves '. Les nobles, les Andriana ou descendants des Malais, étaient donc les maîtres de la plus grande partie de l'île avant l'ar- rivée de Flacourt, et exerçaient dans chaque petit territoire une autorité le plus souvent incontestée. Mais la cupidité et la jalousie provoquaient fréquemment des luttes entre des chefs voisins. Il y avait aussi des rivalités de tribu à tribu, de peuplade à peuplade. Sous prétexte de vieilles querelles qu'ils n'oubliaient jamais et qui se renou- velaient de père en fils, les Malgaches entreprenaient souvent des expéditions pour se ravir leurs femmes, leurs enfants, leurs proches parents, leurs esclaves ; pour piller les villages et s'emparer du bétail. L'état de guerre régnait depuis long- temps chez les habitants du sud de l'île. Les populations du nord-est, de la contrée qui s'étend de la baie d'Antongil à Ta- matave, se montraient sans doute moins belliqueuses. Les meurtres, les violences, les massacres y étaient plus rares. Cependant les Vohitsanghombes étaient les ennemis jurés des Eringdranes, et les habitants du pays d'Antongil vivaient en mauvaise intelligence avec leurs voisins de l'île Sainte-Marie*. Dans leurs luttes les indigènes avaient pour armes défen- sives la sagaie, sorte de longue lance de fer bien tranchante, et des javelots qu'ils lançaient de loin sur leurs ennemis; un bouclier de peau, appelé rondache, constituait leur seule arme défensive. Ces armes variaient d'ailleurs avec les pays. Près d'Antongil, les sagaies atteignaient la moitié de la longueur des piques françaises, et la rondache était une fois plus grande que dans les contrées du sud. Bien que l'arme le plus généra- 1. Luiz Mariauo, op. cit., p. 317; Flacourt, 1661, Avaat-Propos et p. 4-48, 102, 103, 111; Nacqaart, Mémoires de la Mission, t. IX, p. 39-72 et p. 88. 2. Luiz Mariano, loc. cit., p. 317 ; Flacourt, 1661, p. 9-44; Nacquart, Mémoires de la Mission, t. IX. p. 60. 64 ETIENNE DK FLACOllliT lemenl en usage fùl la sagaie, on rencontrait vers la rivière de Manangourou une tribu de quatre à cinq cents hommes qui se servaient d'arcs et de flèches. Les armes européennes n'étaient pas complètement inconnues des indigènes. Certains chefs avaient eu ctTcl reçu quelques mousquets des Arabes de Mélinde et des Hollandais. Mais la plupart des Malgaches, surtout ceux des baies de Saint-Augustin et d'Antongil, mani- festaient une grande frayeur des armesàfeu,dontils ignoraient le maniement. Un seul mousquet suffisait à en mettre une centaine en fuite. En revanche, ils maniaient la sag^aie et le javelot avec beaucoup de dextérité. Les habitants de Man- g'hafîa et ceux de la côte orientale se disputaient le terrain pied à pied, combattant avec une seule sag'aie, parant les coups avec leur rondache, attendant l'ennemi d'un air résolu. Les habitants de Manamboule se battaient de loin et de près, se montraient très audacieux, fort vaillants et passaient pour les plus redoutables. Les mieux armés et les plus hardis étaient ceux du sud de l'île, les Ampâtres, les Mahafales, les Machicores, les Anachimoussi *. Dans ce pays montueux et boisé où les chemins n'exis- taient qu'à l'état de sentiers, les naturels ne connaissaient, à vrai dire, qu'une sorte de g'uerre, la guerre de surprises et d'escarmouches. Bien loin d'assig-ner un jour de combat à leurs ennemis, ils usaient de ruse. Fréquemment, ils en- voyaient dans le pays des espions qui avaient pour mission de reconnaître la situation du village qu'ils se proposaient d'en- vahir et l'endroit où les habitants avaient caché leur bétail. Dès qu'on avait obtenu ces renseignements, les chefs rassemblaient leurs gens secrètement. Puis ils marchaient toute la nuit à travers les bois, en suivant des chemins dé- tournés, et tâchaient de surprendre leurs ennemis au point du 1. Diariam naulicum, ouvrage cité, t'ol. 4 et 9 ; Pyrard, ouvrage cité, p. 2G; Luiz Mariauo, loc. ci<.,p. 317; llauimoud, Paradox ^jrowing lliat the inliabi- tanls of Ike isle called Madagascar or S^-Laurence are llie happiest people in the world, 1646, réimprimé daue VHarleian Miscellany, Loudou, 10» édition, t. I, p. 261 et suiv.; Morizot, ounrage cilé, p. 11 et 12; Flacourt, 1661, p. 96 et suiv. ou LES^ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 65 jour, au moment où ils n'étaient point sur leurs gardes. Ils at- taquaient alors le village après l'avoir cerné de tous côtés. Les grands marchaient à la tête de leurs hommes. Mais les Malgaches ignoraient l'art de combattre en bataille rangée ; ils n'observaient aucun ordre. Leur seule tactique consistait à pousser des cris effroyables, à faire mille gambades et gri- maces à la face de leurs adversaires, à leur dire toutes sortes d'injures, à proférer toutes espèces de menaces pour les épou- vanter, à leur jeter des ody^ sorte de talismans, de mor- ceaux de bois entourés de chillons et enduits de graisse ou d'huile, dans lesquels ils mettaient toute leur confiance. Ils espéraient, à Taide de ces sorts, causer à leurs ennemis quantité de calamités, leur enlever le courage de se dé- fendre, leur apporter des maladies et toutes sortes de désa- vantages qui amèneraient leur défaite. S'ils étaient vainqueurs, ils pénétraient dans le village oii ils massacraient les femmes, les vieillards et même les enfants. Ils faisaient périr aussi les enfants du chef qu'ils avaient combattu, dans la crainte que ses descendants ne pussent un jour se venger sur les leurs. Leur fureur apaisée, ils emmenaient comme esclaves tous ceux qu'ils rencontraient, enlevaient les bœufs et mettaient le feu aux cases. 11 n'en était pas ainsi toutefois, si par ha- sard le chef qui était attaqué avait le temps nécessaire pour rassembler ses hommes et s'il était courageux. Il n'était pas rare alors de le voir se précipiter sur ses agresseurs et en faire un grand carnage. Comme les Malgaches ne prenaient pas la précaution d'emporter des provisions de guerre pour une longue durée, ils étaient bientôt contraints par la faim de battre en retraite. Si, au contraire, le chef attaqué se sentait trop faible ou n'était plus décidé à continuer la lutte, il envoyait chez son ennemi quelques hommes_, choisis ordinairement parmi les plus prudents, qui devaient lui offrir des présents et deman- der la paix. Pour se prémunir contre de telles surprises, les naturels prenaient soin le plus souvent d'entourer leurs villages de s 66 F-;TIKNNr, 1>E ri.ACOlUT gros pieux qui les reudciieiil d'un accès plus difficile. C'est ce que faisaient les Ampâtres, les habitants de Matatane, de Ma- namboulc, etc. D'autres peuples, tels que les Antanosses, les Machicores, les Mahafales, ne construisaient à dessein aucune clôture, de manière à pouvoir s'enfuir plus facilement et échapper à leurs agresseurs*. Comme on le voit, les Malgaches n'étaient encore que des peuplades primitives dans leur orga- nisation sociale, dans leur armement, dans leur manière de faire lag-uerre. On ne s'étonnera donc point qu'un tel peuple ne fût pas pourvu de lois écrites. Comme chez les Indonésiens, c'était la coutume propre à chaque pays qui avait foree'de loi. Elle de- vait être observée scupuleusement et rég'lait chaque acte im- portant de la vie. S'agissait-il de fonder une ville, de cons- truire une maison, de faire une expédition, etc., on devait s'en rapporter à la coutume. Le chef lui-même était obligé de s'y conformer et il lui était formellement interdit de la mo- difier. S'il commandait à ses sujets quelque chose de contraire à la coutume, ceux-ci avaient le droit de lui refuser l'obéis- sance, sous le seul prétexte qu'il dérogeait à la coutume de leurs ancêtres*. Le principal rôle dans l'administration de la justice lui appartenait; il jugeait les différends lui-même, ou bien il les faisait juger par quelqu'un de ses proches. Ses sen- tences étaient prononcées verbalement et sans appel. Ceux qui étaient convaincus de crime par quelques témoins recevaient 1. Flacourt, 1G61, ouvrage cilc, p. 94^et suiv. 2. Il ea est de même aujourd'hui encore dans les îlej de la Sonde^ ce qui prouve une fois de plus que la plus grande partie de la population malgache est venue de ces contrées. ^ ^ Les naturels de Sumatra sont gouvernés dans leurs querelles par des cou- tumes très anciennes transmises par les ancêtres. Les chefs qui prononcent des décisions ne disent pas « si veut la loi », mais « telle est la coutume » (Mars- den, History of Sumatra, 1811, p. 217). A Sumatra, le peuple ne reconnaît pas aux chefs le droit d'instituer les lois qu'ils jugent à propos, ni d'abolir ou d'altérer les anciens usages auxquels il tient avec une fidélité jalouse (Kaftles, History of Sumatra, p. 217). Chez les Javanais, le seul frein qui s'impose à la volonté du chef du gou- verneiueut est la coutume du pays et le respect que ses sujets ont pour son caractère (Rallies, IlisLonj ofJuva, 1, p. 274). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 67 immédiatement leur châtiment. Los peines variaient suivant les délits: on avait perdu l'ancienne habitude de mutiler les coupables; on les fustigeait ou les incarcérait pour des fautes peu graves; en cas contraire, on les faisait périr à coups de sagaie ou bien on les jetait à la mer. Le vol était puni aussi sévèrement que l'adultère, ce qui laisse penser qu'il était très fréquent dans l'île à cette époque. Au surplus, les peines va- riaient aussi avec la qualité du délinquant; le pauvre était puni de l'esclavage ou de la mort, le riche, au contraire, n'était condamné le plus souvent qu'aune simple amende. Un indigène qui appartenait à la caste des nobles n'était jamais passible de la peine capitale, même quand il s'était rendu coupable de parricide \ Si les Malgaches n'avaient pas de lois écrites, en revanche ils avaient une religion. De même que la race indonésienne constituait le fond de la population, de même la religion de cette race formait la base des croyances et des pratiques reli- gieuses de la majorité des habitants. Comme les Indonésiens, ils croyaient à l'existence d'un Dieu créateur et tout-puissant ; comme eux ils adressaienldes prières àdes divinités d'un ordre inférieur, à des génies. Comme les Indonésiens, ils profes- saient une grande vénération pour leurs ancêtres", aux mânes desquels ils offraient des sacrifices et qu'ils suppliaient d'in- tercéder pour eux auprè's des mauvais génies. Pleins de con- fiance dans les sortilèges et les talismans, ils ressemblaient encore aux Indonésiens en ce qu'ils n'adoraient aucune idole et n'élevaient ni temples^ ni autels. Quelle que fût la ressemblance générale que l'on pouvait constater entre les croyances et les pratiques religieuses de la majeure partie des indigènes, il était néanmoins possible 1. Cf. Luiz Mariano,îo/>. cit., p. 317; Flacourt, 1661, ouvi\ cité, p. 103 et suiv. ; Nacquart, Mémoires de la Mission, t. IX, p. 69 et 70. 2. C'est à tort, à notre avis, que M. Max Leclerc fait veuir de la Ciiiue le culte des ancêtres si profondément enraciné parmi les tribus malgaches [ouvrage cité, p. 36). Il est plus naturel d'en rechercher l'origine chez les Indo- nésiens. (18 ÉTIENNK DK FLACOURT de découvrir certaines différences entre les croyances et les pratiques de quelques peuplades. Ces différences provenaient des innovations apportées dans la religion par plusieurs colonies sémitiques. L'influence juive s'était surtout fait sentir dans l'île Sainte-Marie, dans les con- trées voisines qui s'étendent depuis Tamatave jusqu'à la baie d'Antongil et sur la côte sud-est •, Dans ces contrées les habi- tants croyaient à un seul Dieu, maître de toutes choses, mais ils ne connaissaient ni Mahomet, ni ses califes. Ils regardaient ses sectateurs comme des hommes sans loi et refusaient de contracter alliance avec eux. Circoncis pour la plupart, ils célébraient le jour du sabbat le samedi et non le vendredi comme les Arabes. Les noms d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, Joseph, Moïse, David s'étaient seuls perpétués parmi eux; ils ignoraient les autres prophètes et Jésus-Christ. Ils ne pratiquaient ni la prière, ni le jeûne, et se bornaient à offrir à Dieu des sacrifices de coqs, de chèvres et de tau- reaux. Sur la côte sud-est, à l'influence juive s'était ajoutée l'in- fluence arabe. Ony retrouvait, il est vrai, les mêmes croyances et les mêmes pratiques religieuses que chez les habitants de l'île Sainte-Marie, mais sur ces croyances^ sur ces pratiques, il s'en était greffé d'autres, introduites par les Arabes venus dans l'île à différentes époques. A la différence des peuplades du nord-est, les habitants du sud-est connais- saient Jésus-Christ qu'ils appelaient Rahissa. Ils admet- taient que Jésus était né de la Vierge Marie et de Dieu, et que la Vierge avait enfanté sans douleur et sans perdre sa virginité. Ils savaient qu'il avait été mis en croix par les Juifs et croyaient que Dieu n'avait point permis qu'il mourût, en substituant à son corps celui d'un malfaiteur, mais ils ne voyaient en lui qu'un grand prophète. Certaines traditions 1. Nous lisons dans la Description de l'Afrique, par Dapper, 1686, p. 48 : . {Hisloriarum indicarum, fol. 35, liber primus). Voir aussi A. Tiievut, Les singularitez de la France antarctique, éd. Gaffa- LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 77 En dépit de la découverte qu'en avaient faite les Portugais vers l'an 1500, une grande indécision avait régné en Europe jusqu'à la seconde moitié du xvii« siècle, sur sa situation*. Parmi les géographes, les uns n'avaient tenu aucun compte des renseignements des Portugais et s'étaient bornés le plus souvent à placer, à l'imitation de Martin Behaim, une île de Madagascar en plein océan'; Jes autres avaient abandonné les traditions de Behaim pour introduire dans leurs cartes quel- ques innovations inspirées par les découvertes^ C'est à cette dernière catégorie qu'appartenait Pedro Reinel^ le prerçier qui eût donné une idée précise de sa position*. Mais cette position n'avait pas toujours été conservée par les géographes suivants. Ils avaient apporté sur leurs cartes des modifications en général peu heureuses. C'est ainsi qu'en 1544 Sébastien Munster plaçait Madagascar au nord de Zan- zibar, non loin de la côte d'Afrique appelée Troglodyte. Les latitudes indiquées par les anciens auteurs étaient pour la plupart inexactes. Elles variaient entre 7° (Munster, 1551) et 25° (Sylvano, 1511) pour la pointe septentrionale; pour la pointe sud entre 20° (Munster) et 38° (Ruysch, 1508). Les cartes où elles s'approchaient le plus de la vérité étaient sans contredit la carte deRibeiro et celle de Pedro Reinel qui fixait rel, Paris, 1878, in-8, p. 114 (la I^p édition est de l'année 1356 ou 1358); Wic- quefort, Les Voyages du chevalier Thomas Herbert, 1663, p. 27. L'île n'aurait pas reçu cette dénomination de Madagascar des indigènes, mais des étrangers (A. Grandidier, Hisé. de la géog., loc. cit., p. 32, 1). 1. L'étude de la cartographie de Madagascar antérieure à 1648 que nous donnons ici, a été faite d'après l'inspection des cartes de vieux atlas de répoque (Ortelius, G. Mercator, Hondius, G. Blaeu, etc.), et, en grande partie, d'après V Histoire de la géographie de Madagascar de M. Grandidier, éd. 1892, p. 2-56. 2. Parmi ces géographes on peut citer : Juan de la Cosa (1500) ; Stabius (1515) ; Apiau l'ancien (1320) ; Pries (1522) ; Bordone (1528) ; Roselli (1532) ; Vadia- nus (1534); Servet (1535). — Sur la carte de Servet^ Madagascar se trouve à près de 1000 lieues de l'Afrique, au sud- ouest de Java major {Hist. de la géogr., 1892, p. 36 et 37, texte et notes). 3. C'est ce que l'on constate sur les caries de Canerio (1502) ; Cantino (1508) ; WaltzemuUer (1313); Bordone (carte générale de 1520); Maggiolo (1327); Ri- beiro (1523); S. Cabot (1544); Gastaido (1344); etc. (A. Grandidier, ibid., p. 37, note 2). 4. A. Grandidier, ibid., p. 39. 78 ÉTIEISNE DE FLACOURT ces deux points à H" :{()'. ot 25° 35'. Quant aux long-itudes, considérées par rapport au méridien de Paris, elles étaient fixées par Munster, à 72" pour la pointe de l'île la plus occi- dentale, et à 80 pour la pointe la plus orientale*. De môme la forme que présentait la grande île sur les cartes antérieures à 1648 n'était pas toujours conforme à la réalité. Certains géographes, comme Cantino et Canerio, lui avaient attribué une forme rectangulaire, que copièrent Ruysch, Antoine Salamanca (1532), et Sébastien Munster. Cependant dès l'année 1517 Pedro Reinel en avait donné une forme relativement exacte, qui se retrouvera avec des modifi- cations souvent fantaisistes sur les cartes de Pilestrina(15l9), Maggiolo (1527), Ribeiro (1529), Verazzano (1529), S. Cabot (1544), G. Le Testu (1555), Lazaro Luiz (1563), etc.^ Comme bon nombre de voyageurs européens avaient exploré les côtes de la grande île, les cartes accusaient une certaine connaissance de la zone littorale. Mais nous devons constater que le dessin du littoral n'offrait encore qu'une exactitude tout à fait relative. Le littoral septentrional était en général représenté comme trop incliné vers Test'; en fait de décou- pures, on ne voyait guère sur la partie nord-est que la baie d'Antongil ; encore la configuration de cette baie était-elle le plus souvent défectueuse*. 1. On sait que les latitudes vraies sont pour la pointe la plus septentrio- nale (cap d'Ambre) 11" 59' 52", et pour la pointe la plus méridionale (cap Sainte- Marie) 2oo 38' 55". Les longitudes adoptées par les cartographes de nos jours sont pour la pointe occidentale (entre Fauemotra et Fandivotra) 40° 41' SO", et pour le cap Est, 48" 7 40". Voir A. Grandidier, Hist. de lagéoqr., p. S2. 2. Id., ibid., p. 40, 4. 3. Cependant certaines cartes avaient déjà apporté une amélioration à ce point de vue. Sur la carte de Cabot, la pointe septentrionale de l'île est moins inclinée vers l'est. Sur celle de Hondius la côte nord-est n'est plus eu ligne droite, La déliuéation du littoral s'y rapproche d'ailleurs en général de celle de Pedro Reinel (A. Grandidier, Hisl. de la géogr., éd. 1892, p. 40, A, i; p. 41,_;). 4. Sur la carte de Piiestrina cette baie a sou eutrée tournée vers le nord, tandis que sur le planisphère de Turin el sur la carte de Pedro Reinel elle s'étend vers l'est. Les cartes de Sanuto et G. Blaeu la font, il est vrai, ouvrir vers le sud; mais celle de Sanuto exagère beaucoup le promontoire situé au ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 79 La côte orientale, qui avait été fréquemment visitée, avait été en g-énéral mieux dessinée. On lui donnait avec raison la direction sud-ouest-nord-est. Néanmoins la délinéation s'en trouvait encore erronée; les cartes de Gastaldo, de Vaz Dou- rado, de Gysbert et de Sanuto plaçaient l'île Sainte-Marie trop loin de la côte; en outre, on croyait cette côte beaucoup plus découpée qu'elle ne l'est en réalité '. Le dessin de la côte méridionale, moins connue que la pré- cédente, n'était pas plus satisfaisant; les baies y avaient été placées à la fantaisie des auteurs; le cap Sainte-Marie y pré- sentait des dimensions exagérées, ou bien était à peine visi- ble ^ Mais la côte dont le tracé laissait le plus à désirer était, assurément, la côte occidentale, qui av'ait été cependant ex- plorée en détail par les Portugais. Quelques cartes indiquaient, il est vrai, de grandes baies au nord-ouest, mais ces baies ne portaient le plus souvent aucun nom. La plupart ne représen- taient aucune concavité au milieu, ainsi que cela se voit sur les cartes actuelles. En somme, depuis Pedro Reinel qui avait laissé du littoral un premier aperçu remarquable pour l'époque,' la cartogra- phie côtière avait fait peu de progrès. Les anciennes cartes dénotaient surtout une grande igno- rance du relief. Elles montraient sans doute que l'île était mon- tagneuse, mais elles n'indiquaient pas la véritable disposition des montagnes ^ Les géographes qui les avaient dressées, le nord (G. Blaeu, Le Théâtre du monde, Nouvel atlas, 11» partie, Africse nova description f. 349, CLOLOCXL; A. Graudidier, Eist. de la géogi:, 1892, p. 40, c ; p. 41, i). . 1. Homem et Homo avaient tracé eatre Fenerive et Maaanjara une im- mense lagune, fermée du côté de l'est par deux, grandes îles (A. Graudidier, ouur. cité, p. 41, b, c). 2. Les cartes de Tramezini, Forlani, Sanuto, Hondius, etc., lui donnaient une mauvaise configuration. Sur la carte de Gastaldo le sud de l'Ile se ter- minait en pointe. La meilleure carte pour cette partie du littoral semble avoir été celle de Pilestriua (Hondius, Carte de l'Afrique à 1/24.000.000; G. Mercator, Allas, carte de l'Afrique, 1628,- G. Biaeu, lac. cit.; A. Graudi- dier, ibid.). 3. Quelques montagnes grossièrement esquissées apparaissent pour la pre-^ 80 l-yriKNNE DE l'LAC.OUliT plus souvent en se basant sur les renseignements de voya- geurs qui eux-mêmes n'avaient point franchi la zone littorale, avaient dessiné ces montagnes au hasard et suivant leur caprice; sur la plupart des cartes, sur celles de Berteli, de Gastaldo, de Sanuto, de Hondius, do G. Mercator et de G. Blaeu, une longue chaîne divisait l'île du nord au sud en deux moitiés à peu près égales *. N'ayant aucune donnée précise sur la direction et la distri- bution des montagnes, les vieux auteurs ne pouvaient faire connaître exactement la source et la direction des rivières. Bon nombre de rivières qu'ils avaient tracées ne portaient aucune désignation et avaient un cours tout à fait fantaisiste. Telles étaient, en particulier, celles qui apparaissaient sur les cartes de Sanuto et de G. Blaeu. Cependant on remarquait déjà sur la carte de Pedro Reine! les rivières de Mananjara, de Matitanana, Manampatra, Mananivo, et la rivière de Betsi- boka (sous le nom de Vingangara) sur celle de Gastaldo". Ainsi, jusque vers 1648, les cartes que les géographes ou les voyageurs avaient données de Madagascar, ne permettaient point de se faire une idée exacte et suffisante de la situation astronomique, de la forme du littoral, du relief et de l'hydro- graphie fluviale de ce vaste pays. Ce que l'on savait de l'inté- rieur se réduisait à rien ou à fort peu de chose. Cette ignorance s'explique parfaitement pour les contrées du nord, du centre et de l'ouest qui n'avaient été explorées, ce semble, par aucun voyageur européen; mais il est permis de s'étonner que, dès l'année 1648, les Français n'eussent pas déjà à leur disposi- tion des cartes plus complètes pour le sud et l'est, où quel- ques colons français avaient déjà pénétré. Le pourtour de l'île, qui avait été fréquenté par les naviga- mière fois sur la carte de Bordone. Celle de Ilomem représentait une chaîne dans le nord de l'île (voir A. Graudidier, Atlas et Histoire de la qéogr., 1892, p. 41,è et p. 67). d. Histoire de la géog., ouvrage cité, p. 41, e, et p. 67. 2. Ibid., p. 69 et 70, et Atlas: G. Blaeu, Nouvel atlas, ouvrage cité, Africœ nova descriplio, p. 349; Ortelius, Théâtre de rU?iivers, Africœ tabula nova, édita Antverpiu;, 1570. ou LES OIIIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 81 leurs, était, cela va sans dire, mieux connu que l'intérieur des terres. On en possédait déjà même quelques plans ou quelques cartes particulières, tels que les plans de la baie d'Antongil, de la baie Saint-Augustin, de la rade d'Ampalaza, et une carte de l'île Sainte-Marie, due à Houtman*. Nous sommes surtout frappé du nombre déjà considérable de noms inscrits sur les contours des cartes; nous pouvons dire (approximativement il est vrai) que, vers la seconde moitié du xvii^ siècle, les géo- graphes connaissaient le nom de 14 caps, 17 baies, 18 bou- ches de rivières, 14 îles et 8 villes ou villages ^ Par malheur, nombre de localités avaient une situation inexacte. ■ ' Les descriptions des anciens auteurs n'avaient guère ajouté aux connaissances que les anciennes cartes avaient fournies sur Madagascar. Sur certains points, notamment sur la situation astronomique, le relief et l'hydrographie fluviale, elles n'avaient fait que confirmer ce que les cartes avaient déjà appris. Si quelques auteurs ne s'étaient pas trop éloignés de la vérité dans l'indication des latitudes', par contre on n'était pas encore fixé sur les dimensions de l'île, ni sur celles des îles voisines. Les descriptions avaient représenté Mada- gascar, tantôt plus longue, tantôt plus large [qu'elle ne l'est en réalité*, ou s'étaient souvent bornées à assurer que cette 1. Cf. A. Graadidier, Hist. de la ()éogr., 1892 : Tableaux, p. 232, 234, 250, 265. 2. Sur ce nombre, il faut compter pour la côtes nord-est : 4 caps, 4 baies, 1 ville; pour la côte méridionale : 2 caps, 2 baies, 8 bouches de rivières, 4 lies, 3 villages; pour la côte méridionale : 3 caps, 2 baies, 1 bouche de ri- vière; pour la côte occidentale : 2 caps, 8 baies, 5 bouches de rivières, 6 îles, 3 villages; et enfin pour la côte nord-ouest : 5 caps^ 1 baie, 4 bouches de rivières, 1 village (v. A. Grandidier, Uint. de la géog., loc. cit. : Tableaux, p. 83-184). 3. Thevet disait avec une certaine apparence de raison : « l'îile court vers le pais austral, environ de douze degrés jusques à vingt-six et demi » {Cosmo- graphie universelle, 1575, t. 1, p. 102). Pyrard de Laval plaçait Madagascar entre 14° lat. nord, et 26° lat. sud [Voyage aux Indes orientales, l'» partie, ;p.. 24); Herbert, entre 16° et 26" lati- tude {Relation du voyage de Perse et des Indes orientales, trad. fr., Paris, MDLXIII, par de Vicquefort, p. 28). 4. Ortelius ne lui avait accordé que 100 lieues de circuit, tandis que Pyrard lui en attribuait 100 {Théâtre de l'Univers, ouvi: cité, Voyage aux Indes oWe«- ia/es,p, 24). Voici les longueurs indiquées parles ditléreuts auteurs: 1.200 milles 82 ETIENNK l»K 1I,A( (tUliï ÎK' clail la plus grande des îles coaQues ou décoiivortus '. V^n ce qui coQcerne le relief, elles avaient été encore plus sobres de renseignements. C'est à peine si les autours osaient at'lirmer de temps à autre que ce pays renfermait beaucoup de monta- g"nes». Aucun auteur, à notre connaissance du moins, n'en avait fail connaître l'altitude, l'orientation, la distribution. Toutaussi insuffisantes et non moins vag-ues paraissent avoir été les notions que l'on possédait sur les cours d'eau. On avait pu apprendre avec un certain intérêt que Tile était bien arrosée, et qu'elle contenait quantité de rivières aux eaux limpides et abondantes, mais on avait pu regretter que la plupart des autours n'eussent point désig-né ces rivières,, ni apporté quelques indications sur leur position et sur leurs course A fortiori, dans l'état des connaissances de cette époque, avait- on nég-lig^é d'en étudier le régime et la navigabilité. Pour les raisons que nous avons déjà sig'nalées, Thydrogra- pliie côlière était toutefois mieux connue que l'hydrog-raphie Osorins, /oc. ci/., fol. 146); 200 {\\a.r mol, L'Afrique, trad. d'Ablaocourt, t. III, fol. 105); 1000 milles (Lopez, loc. cit.); 267 (Thevet, Cosmog. univ., fol. 102 el 103); 500 (Herbert, loc. cit., p. 28); 230 (Alphonse le Saintongeois, Melliu de Saint-Gelais, loc. cit., fol. 35). Les uonibres adoptés pour les largeurs par ces mêmes auteurs étaient : 480 milles; 115 lieues; 120 lieues; 100 lieues (ibid.). Les dimensions vraies seraient: 400 lieues de long, et 110 lieues de large (A. Grandidier, Keuwe scientifique, mai 1872, p. 1078). 1. Portulan de Ribeiro, cité par M. A. Graudidier; S. Munster, Cosmographie universelle, 1336, fol. 12(;0; Thevet, Cosmographie universelle, 1375, fol. 102; Léon l'Africain, De V Afrique, traduction française de Jean Temporal : Lettre du Florentin André Corsai à Julien de Médicis en 1613, t. IV, p. 311 ; Estais, empires, royauynes, seigneuries, duchez el principaulez du monde, par le sieur D. V. T. Y., gentilhomme de la Chambre du Roi, Saint-Omer, MDCXXI, t. I, fol. 239, ouvrage rarissime ; François de Belleforest, Cosmographie univer- selle de tout le monde, MDLXXV, Paris, Sonnius. t. Il, fol. 2013. 2. F. de Belleforest avait dit queTilô était « entourée de montagnes et qu'elle en étoit pleine à l'intérieur » {ouvrage cité, fol. 2013) ; Lindschot {Premier, livre de la navigation aur, Indes orientales, fol. 10) regardait l'île Sainte- Marie comme « un terroir moyennement haut et tertreux ». 3. Cependant Joao de Barros {ouvrage cité, Dec. Il, 1. I, fol. 2) avait fait men- tion d'une rivière qui se jette dans le port de Matatane; Lindschot {ouvrage cité, p. 11 et suiv.) avait parlé d'une rivière qui se divise en deux bras et se déverse dans la baie d'Antongil; PyrarJ, d'une rivière qui se jette dans la baie Saint-Augustin {ouvrage cité, p. 23). ou LES ORIGLMiS DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 83 lluviale. On avait acquis quelques données relativement exactes sur les inconvénients que certains points du littoral présentaient pour les navigateurs. Un marin, Alphonse le Saintongeois, et un vieil auteur, Thevet, avaient averti leurs contemporains des dangers que des bancs de rochers faisaient courir aux navires sur les côtes sud, sud-est et ouest'. D'autre part, on était déjà renseigné par les voyageurs Pyrard et Herbert sur les avantages qu'offraient les baies de Saint- Auguslin et d'Antongil^ Mais on ignorait encore la qualité de certaines baies ou rades situées au sud-est et au nord-ouest; ce qui est d'autant plus surprenant qu'un certain nombre d'entre elles avaient déjà été visitées par les Portugais, les Hollandais et les Fran- çais. En outre les renseignements que l'on avait recueillis sur le littoral étaient encore trop incomplets pour que l'on put savoir avec certitude quelle était la partie de la côte où les navires trouveraient les meilleurs abris, et c'est avec témérité que Thevet avait affirmé que les bons porls étaient nombreux dans l'île ^ Quant au climat, il n'avait pas été, on le conçoit facilement, l'objet d'une étude scientifique. Ce serait, en eflet, se placer à un point de vue étroit et faux que de relever chez les vieux auteurs, voyageurs ou géographes, l'absence de données sur les variations et les degrés de la température, le régime des vents et des pluies, la durée et la distribution des saisons, etc., puisque la science connue de nos jours sous le nom de météo- rologie n'existait pour ainsi dire pas. Non seulement l'insuf- fisance de leurs connaissances ne leur permettait pas de se livrer à des observations de cette nature, mais l'idée de les faire ne leur était même pas venue. Les rares appréciations qui avaient été portées sur le climat étaient vagues etsuperli- 1. iMellin de Saint-Gelais, ouvrage cité, 1378, p. 55 ; Thevet, Cosmographie universelle, ouvr. cité, p. 105. 2. Herbert, ouvr, cité, p. 28 el suiv., 537 et suiv. ; Pyrard, toc. ci<.,p. 19. 3. Thevet, ouvr. cité, p. 104, et Singularitez de la France antarctique, loc. cit., p. 114. 84 ÉÏIKNNE 1»K l-LACOURT cielles. Toile était celle de Thevet qui, sans avoir vu, ni habité l'île, déclarait (jue le climat en était sain % ce qui est très contestable pour certaines régions. Il ne pouvait guère en être autrement, d'ailleurs, puisque la majeure partie des régions de Tintérieur restait encore inexplorée. Toutefois, ce qui paraît excusable pour l'intérieur l'est moins pour le littoral, où les Européens avaient séjourné. La côte méridionale était-elle plus salubre que la côte septentrio- nale, la côte occidentale plus salubre que la côte orientale? C'étaient là des questions qui auraient pu s'ofîrir à l'esprit des navigateurs portugais, hollandais, anglais et français. Les quelques observations qu'ils eussent faites à ce sujet n'au- raient certes pas été sans utilité pour l'avenir. Or les seuls renseignements qu'on avait obtenus ne portaient que sur un point du littoral de l'ouest, sur la baie de Saint- Augustin, et les opinions des voyageurs qui les avaient apportés, Pyrard et Herbert', se trouvaient en désaccord. Le premier avait assuré que c'était un lieu fort malsain, sans doute parce qu'il y avait perdu un certain nombre d'hommes de son équipage ; le second, au contraire, l'avait trouvé salubre, ajoutant que, si beaucoup de Hollandais y avaient péri, leurs excès seuls en étaient la cause ^ Ce bref aperçu nous montre que les connaissances léguées par les géographes ou les voyageurs sur leurs cartes ou dans leurs descriptions étaient encore vagues et tout à fait insuffi- santes en ce qui concerne la situation, les dimensions, la con- figuration, et principalement le relief, le climat, les rivières de la grande île. Ces lacunes s'expliquent sans doute, lorsque l'on sait que ces voyageurs n'avaient pas à leur disposition les connaissances scientifiques ou les instruments dont dis- posent les explorateurs de notre époque et qu'ils avaient sur- tout fréquenté le littoral. Elles s'expliquent mieux encore par cette considération qu'ils se préoccupaient beaucoup plus des avantages qu'ils pourraient retirer de leurs investigations 1. Cusr)iOf/. universelle, t. I, p. 102. 2. FyrarJ, loc cil , p. 23; Herbert, p. 29, ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 85 pour leur approvisionnement et leurs intérêts commerciaux, que des progrès que leurs découvertes feraient faire à la science géographique. x\ussi se sont-ils particulièrement atta- chés dans leurs relations à décrire les ressources du pays. Leurs descriptions, ainsi que celles des auteurs qui n'avaient jamais vu Madagascar, décèlent l'impression trop favorable qu'ils avaient rapportée de leurs voyag'cs. Us la reg^ardaient comme une île très fertile, qui produisait en abondance toutes sortes de légumes, de fruits, de bois précieux; Herbert avait même avancé, avec non moins d'enthousiasme que ses res- sources étaient plus que suffisantes pour nourrir ses habitants ' . Ces réserves faites, ce serait se montrer injuste à Tégard de ces auteurs,, que de ne leur savoir aucun gré de l'énumé- ration exacte qu'ils avaient déjà donnée des plantes qui ve- naient à merveille dans l'île, g-ing-embre, girofle, citronniers, orangers, riz, etc. ^ Toutefois leurs connaissances offraient à ce point de vue d'importants desiderata. Oii était cultivée telle ou telle plante, quelles étaient les contrées les plus fer- tiles, ou les moins productives;, voilà ce qu'ils ne s'étaient pas étudiés à faire connaître à leurs contemporains. Sans aller jusqu'à prétendre qu'on aurait pu attendre d'eux des rensei- gnements précis sur la fertilité des régions du centre et du nord, où ils n'avaient jamais pénétré, nous pouvons néanmoins 1. Melliu de Saint-Gelais, Voyages aventureux d'Alphonse le Sainiongeois, Rouen, 1578, foL 55; Joao de Santos, Ethiopia oriental, traduction Charpj-, p. 1157; Léon l'Africain, traduction Temporal, t. IV, p. 311; Odoardo Bar- bosa; Ramusio, Primo volume e seconda editione délie Navigationi e viaggi, in-fol., p. 196, 321 et suiv. ; S. Munster, Cosmograpliie universelle, traduc- tion française, p. 1260 et 1555; Belleforest, loc.cit., p. 2015; Thevei, Singula- ritez de la France antarctique, éd. Gaffarel, p. 115 et 117 et Cosmographie universelle, p. 102, 104 et suiv. ; Osorius, loc. cit., fol. 146; Lopez, Le Congo, trad. Cauhn, p. 199; Fr. Martin de Vitré, loc. cit., p. 23, 85 et suiv. ; Pyrard, loc. cit., p. 24 et suiv.; Diarium nauticum, loc. cit., fol. 4, 9, 10; Lindschot, loc. cit.. fol. 11 et suiv. ; Herbert, loc. 'cil , p. 28, 31: Boothby, Description of the most famous island of Madagascar or Saint-Lawrence in Asia near in to East-India and proposai for an english plantation there, réimprimée dans Collection of Voyages and Travels, dite Collection d'Osborne, 1745, in-4. — Mais Powle Waldegrave allait affirmer que l'ile n'était pas aussi fertile que Bootbby voulait bien le dire, loc. cit., ch. ii, p. 7, et ch. m. 2. Voir auteurs précités, i/jid. S(i KTIKNNK itr, KI.ACnriiT rogrellor lo silence qu'ils avaieiil çardé sur d'autres contrées 011 ils avaient fréquenté. Que C. de Iloutmau ait signalé la stérilité du pays de; Saint-Ançustin et la fécondité de celui d'Antong-il ', que Lindschol ait laissé quelques détails précis, sinon tout à fait exacts, sur les productions de; l'ile Sainte- Marie ', c'est ce qu'on ne saurait dissimuler; mais combien d'autres pays du sud, de l'est et de l'ouest, déjà visités, sur la fertilité ou la stérilité desquels les renseignements faisaient encore défaut dans la première moitié du KYri*^ siècle? Ces auteurs n'avaient pas mieux informé leurs contempo- rains de la distribution géographique des animaux dans l'île, de la richesse des différentes contrées en bétail, que de la dis- tribution des plantes, et de la fertilité plus ou moins grande do certaines régions. Ils s'étaient bornés le plus souvent à une énumération assez longue des animaux qui vivaient dans ce pays d'outre-mer. Encore cette énumération était-elle en partie inexacte. S'ils avaient eu raison d'y comprendre les lézards, les caméléons, les crocodiles, les bœufs à bosse, les moulons à grosse queue, les singes, les serpents, les oiseaux de toute sorte, par contre, ils avaient montré trop de crédu- lité en y faisant entreries éléphants, les chameaux et des bêtes féroces, telles que les lions et les léopards^ Est-il besoin d'ajou- ter que, dans l'état oii se trouvaient encore les sciences natu- relles, ils n'avaient pu être frappés de l'originalité de la faune et de la flore de lîle de l'océan Indien, ni des affinités qu'elles offraient avec la faune et la flore des autres contrées du globe? Bien que certains voyageurs n'eussent point omis de faire 1. Uiarinm nuuticvm, loc. cit., fol. 4, 9. 2. Voyages aux Indes orientales, p. Il et 14. 3. S. Munster, loc. cit., fol. 1260; Thevet, Singularitez, loc. cit., p. 118 et 119; Herbert, loc. cit., p. 31 ; Pyrard, loc. cit., p. 24. Oa voit un éléphant sur la carte de Berteli (A. Grandidier, llist. de la géogr., Atlas, 1883, pi. 11). La mention de ces animaux peut-être considérée comme une réminiscence de la lecture de Marco Polo. Paré et Thevet avaient donné une figure d'un monstre à tête humaine, pu- rement légendaire, la bête Thanatcth {Recueil de Voyages: Les Voyages en Asie au xV^ siècle du bienheureux Frère Odoric de Pordenone, par Henri Cordier, p. 327). ou LES OniGlNES DE LA COLOMSATlOiN l'UA>ir.AlSE A MADC.VASC.Alt 87 connaître à leurs contemporains les ressources minérales de Madagascar, la lecture de leurs descriptions n'avait point permis de savoir où elles pourraient être extraites. Ils s'étaient accordés à dire que l'ile était riche en mines d'or, d'argent, de fer, de cuivre; mais ils ignoraient les endroits qui conte- naient ces richesses*. Tel était le hilan des connaissances du XVI'' et du xvn" siècle sur la nature de ce pays et ses ressour- ces. Il convient maintenant de rechercher quelle idée on se faisait des habitants. Les Européens s'étaient servis jusqu'alors de différents noms pour désigner les indig-ènes ; les premiers navigateurs portugais et hollandais les connaissaient sous le nom de Maures et de Noirs ; quelques anciens auteurs leur avaient donné celui de Buques; un Français, Thevct, les avait nom- més Madag'ascarins". On n'avait point encore adopté de dési- gnation pour l'ensemble des habilanls. On était encore moins bien renseig-né sur leur nombre. Madagascar passait^ au xvi" et au commencement du xvn* siè- cle pour un pays très peuplé. Mais, comme l'île était encore fort pou explorée, on n'avait même pas une idée approxiaia- live de sa population ^ En outi^'e, le champ de leurs observa- tions, l'insuffisance des connaissances ethnographiques de leur temps avaient empêché la plupart des voyageurs de soupçonnerla véritable origine des indigènes. Ceux qui avaient atterri à la côte nord-ouest rang'eaicnt tous les Malg'aches parmi les Maures ou parmi les Cafres\ Il faut noter toutefois, 1. Melliû de Saint-Gelais, Thevet, lîelleforest, E. Lopez, Osorius, ibid.; Her- bert, fol. 30; Ramusio, vol. I, p. 196; Maffeï, Hisloriarum indicarum Libri, p. 121. Cepeudaut Lindschot avait assuré qu'il y avait du très beau fer et cuivre rouge en abondance du côté de la baie de Saint-Augustin, loc. cit., fol. 10. 2. A. Grandidier, Hist. de la géog., ouvrage cité, p. 34, texte et notes. 3. Thevet, Singulurilez de la France antarclique. éd. Gaffarel, p. 115, et Cosmographie universelle, 15T5, p. 102; Belleforest, Zoc. cit.,io\. 2014; Pyrard, loc. cit., p. 426 On lit dans le texte ajouté à la carte de G. Mercator, éd. Hondius, 1630, p. 13: « Au delà le cap de Bonne-Espérance sont austres isles, toutes désertes, fors celle de St-Lorens ». 4. Parmenlier avait parlé de Maures blancs qu'il distinguait des indigènes {Discours de la navigation, éd. Schefer, p. 31-39). — D'après Barros, Tristan 88 KTIKNNK DE KLACOURT que si le Père Luiz Mariano voyait dans les habitants de la côte occidentale des descendants des Cafres, il n'en regardait pas moins ceux de la côte orientale comme des Arabes venus de Mangalor et de la Mecque; chose plus surprenante, il était porté à croire que les premiers habitants de l'île étaient ori- ginaires do Malacca*. Mais ce serait une exagération de s'imaginer que l'idée était venue aux voyageurs européens de rechercher les difîé- rences de race chez les nombreuses peuplades qui occupaient alors ce pays. Si rien, dans les quelques détails qu'ils nous ont légués sur les caractères physiques des indigènes, ne prouve qu'ils aient cru à l'unité ethnique, rien non plus ne ])ermel d'avancer qu'ils se soient rendu compte de la diver- sité de races qu'ont constatée les savants de notre temps. Ce qui est seulement vrai, c'est que l'existence chez ces popula- tions de deux couleurs, la couleur noire et une couleur moins foncée, et celle de deux sortes de cheveux, les uns longs et lisses, les autres, au contraire, courts et crépus, n'avaient pas échappé à leur attention*. Encore leurs observations avaient- elles varié avec les endroits qu'ils avaient fréquentés, et n'étaient-elles pas toujours d'accord . Tandis qu'au dire d'Houtman les naturels d'Antongil n'avaient point la barbe frisée comme les vrais Maures, ni le nez et les lèvres faits de la même façon, au témoignage d'E. vanderHagen, leurs che- veux n'étaient pas aussi crépus que ceux des nègres ^ De même. da Cimha avait appris que tous les habitants de Saint-Laurent étaient des Cafres noirs, et qu'il y avait sur la côte quelques villages maures {ouvrage cité, Decadu I, 1. 1, fol. 4). Thevet avait dit que l'île était habitée par les Maures, mais qu'elle était occupée depuis quelque temps par des barbares noirs {Cosm. u7iiv.,{ol. 105, et Singi/laritez, éd. Gaffarel, p. 11 ij. 1. Loc. cil., p. 324 et 329. A signaler aussi l'opinion du géographe arabe Ibn Saïd d'après laquelle les habitants de Komr (probablement Madagascar) devaient être considérés comme un mélange d'hommes venus de tous pays (voir Codiue, Mémoire géographique sur la mer des bides, -p. 112) et celle de Pyrard pour lequel Madagascar avait été autrefois peuplée par des Chinois {loc. cit., p. 26). 2. Osorius, loc. cil., fol. 146; Diarium naulicum, loc. cit., fol. 4 et 10; Odoardo Barbosa, Ramusio, prim. vol., p. 322. 3. De Constantin, Voyage, etc., ouvrage cité. t. III, p. 353, et Diarium, ibid. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 89 leshabitantsde Saint-Augustin, que Houtman regardait comme des Noirs, ne laissaient pas d'offrir, aux yeux de Pyrard, beau- coup de ressemblance avec les Chinois dans leur teint et leur chevelure *. La meilleure opinion semble encore avoir été celle du P. Lui.^ Mariano qui distinguait les indigènes en trois catégo- ries : les uns au teint couleur de jais, comme les Cafres de Mozambique, ^et aux cheveux rebroussés; les autres au teint noir et aux cheveux lisses; d'autres enfin qui n'auraient été que des mulâtres ^ Quant à la taille, elle paraît avoir laissé le plus souvent les Européens indifférents. Houtman et Pyrard avaient seulement remarqué que les habitants de la baie de Saint-Augustin étaient des gens robustes, grands et bien proportionnés \ Voilà tout ce que Ton pouvait glaner dans les relations du xvi^ et du xvn* siècles sur les caractères physiques des indi- gènes. Ce que l'on pouvait y découvrir sur leur intelligence était-il du moins plus complet et plus exact? Il est permis d'en dou- ter. Si Pyrard les avait regardés comme des « gens d'esprit et advisés » *, si Vincent de Paul les considérait comme des gens adroits % les autres auteurs les avaient trouvés rudes et grossiers*. Lindschot et Houtman assuraient même qu'ils ne pouvaient compter que jusqu'à dix, et qu'ils ne savaient pas diviser le temps en jours, semaines, mois et années ^ L'idée que les voyageurs s'étaient faite de leur caractère n'était guère plus favorable. La plupart, soit qu'ils n'eussent 1. Diarium, ibid., et Pyrard, loc. cit., p. 26. Consulter aussi, pour les variations d'opinion, Alphonse le Saintongeois dans Mellin de Saint-Gelais, Voyages aventureux, etc., ouvr. cité, p. 55; Herbert, ouvr. cité, p. 29. 2. Loc. cit., p. 318, Z. Diarium, loc. cit., fol. 4; Pyrard, toc. cit., p. 26. 4. Pyrard, ouvr. cité, p. 26. 5. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 39. 6. Belleforest, loc. cit.. fol. 2015; Herbert, loc. cit., p. 30. 1. Voyage aux Indes orientales, loc. cit., foi. 9; de Constantin, Recueil de voyages, ouvr. cité, t. I, p. 310. 90 I^TIKNNE I)K FLACOURT pas réussi h k-s amener à des échanges, soit qu'ils eussent subi les cuuséqiinices des procédés violents qu'ils avaient employés à leur égard, les avaient jugés avec partialité, les représentant comme des gens inhospitaliers et méchants*. Sur les croyances religieuses, les opinions émises par les anciens auteurs étaient loin de se rencontrer ; les uns, comme Lopez, Thevet, Houtman, avaient été frappés des ressem- blances qui existaient entre leur religion et celle des niaho- métans*; les autres, comme le P. Luiz Mariano, E. van der Hagen, etc. n'avaient vu en eux que des païens, des gens sans religion\ Les pratiques religieuses des indigènes, leurs superstitions semblent avoir échappé à l'attention de la plu- part des voyageurs. Si quelques-uns avaient remarqué chez eux l'usage de la circoncision*, plusieurs avaient affirmé qu'ils ignoraient la prière. C'est ainsi que Lindschot disait des habitants de Saint Augustin : « Leur religion est qu'ils sçavent qu'il y a un Créateur qui a créé toute chose et sont circoncis, mais ne sçavent que c'est de prier ou de célébrer aucun jour de fèle\ » Avec plus de perspicacité le P. Luiz Mariano avait déjà constaté qu'ils n'avaient ni temples ni autels^; mais il n'avait pas mieux compris que les autres voyageurs en quoi consistait la religion des gens qu'il avait eu la mission d'évangéliser'. Plus exacts et plus précis, quoiqu'encore bien incomplets, paraissent avoir été les renseignements recueillis sur le genre de vie des naturels, sur leur manière de se nourrir, de se 1. Mellin de Saiat-Gelais, ouvr. cité, p. 55; Thevet, Cosm. u?iiv., p. 105; Lopez, Le ConcfO, ouvr. cité, p. 199-200. Houtman avait remarqué que les habitants d'Antougil étaient audacieux et portés à s'enivrer avec de l'eau-de-vie de riz et du vin de miel {Diarium, loc. cit.). 2." Le Conf/o, p. 199-200; Les Singularilez, p. 114; Diariimi, fol. 4. 3. Relaçao, p. 315 et 316; de Coustautin, Recueil de voyages, t. I, p. 310, t. III, p. 353. 4. Diarium, fol. 4; Recueil de voyages, ibid. 5. Voyage aux Indes orientales, ouvr. cité, fol. 6 et 9. 6. Ouvr. cité, ibid. — Voir auteurs déjà cités : Thevet, Osorius, Herbert, Pyrard, Belleforest, Mellin de Suiut-Geiais, etc. or i.i;s or.iGiNES ni-: la colonisation krancaisk a madacascai», 91 loger, de se vêtir, de cultiver la terre, et sur leurs occupations*. Nous pouvons porter la même appréciation sur ceux qui avaient trait à leurs relations commerciales avec les élran- g-ers ^ C'est avec raison que plusieurs auteurs n'avaient fait consister ces relations que dans l'échang-e des esclaves, des métaux, de l'ambre, de la cire et autres produits de l'ile contre des marchandises provenant de l'Inde et du Portug-al ^. Mais il va surtout lieu d'être surpris de ce que quelques autres avaient constaté leur ig-norance de la navigation mari- lime*. Les remarques que certains auteurs avaient déjà faites sur la lang-ue des indigènes ne présentent pas moins d'intérêt. Les Hollandais, qui allaient chercher les épices dans les îles de la Sonde, avaient été frappés des rapports qui existent entre la langue malg^ache et la langue malaise, ainsi qu'en témoi- gnent les titres des ouvrages qu'ils publièrent à cette époque ^ Ces mêmes rapports avaient été aussi aperçus par le P. Luiz Mariano. Ce missionnaire, en elTet, tout en prétendant que la langue cafre était parlée sur la côte occidentale de l'île, avait déclaré que la langue propre aux habitants de l'intérieur et d'une g-rande partie du littoral était toute différente de la langue cafre et se rapprochait beaucoup de la lang"ue malaise ^ Les quelques renseignements que Ton rencontrait dans les relations et les ouvrages généraux du xvi* et de la première moitié du xvii" siècle sur l'armement, les luttes intestines, la manière de combattre des indigènes, sur l'organisation de la famille, de la propriété, de la justice et le mode de gouvor- 1. Voir auteurs précédemmeut cités : Osorius, Ttievet, Lopez, et surtout le P. Luiz Mariano. p. 316 et suiv. Cependant Belleforest avait prétendu que les indigènes appréciaent beau- coup la chair du chameau! [loc. cit., fol. 2015). 2. Belleforest, fol. 2013; Lopez, ibid. 3. Ramusio, loc. cit., fol. 190; Thevet, Sinr/ularitez, p. 119; Lopez, ibid.; Luiz Mariano. p. 319. 4. Belleforest, loc. cit., fol. 2013; Lopez, loc. c?7., p. 199-200. 5. Sprsekende Woordboek inde Male/jsche inde Madagaskarche Talen, van Fr. de Houtman, Amsterdam, 1604 ; Colloquia latino-maleyica et madagascarica, Arthusius Francfort, voir Polybiblion, août 1883, p. 190. 6. Relaçao, loc. cit.. p. 324. 92 KTIKNNK DE FLACOURT nement en vigueur dans co pays primitif, n'étaient pas de na- ture à satisfaire autant la curiosité du lecteur. Ce n'étaient le plus souvent que de simples indications fort vagues et d'une exactitude très relative. Avoir appris à ses contemporains que les gens de Saint-Augustin étaient armés de javelots et ceux d'Antongil de longues piques', avoir dit que l'île était sou- mise à plusieurs petits rois en rivalité et en luttes conti- nuelles, avoir fait mention de quelques châtiments infligés aux coupables', n'était assurément pas sans mérite' ; mais quelles étaient les armes des autres habitants de l'île, comment en- tendaient-ils la guerre, en quoi consistait l'autorité des chefs, quelles étaient leurs attributions, quels étaient ceux qui étaient placés sous leur dépendance, comment et à qui se transmettait le pouvoir de ceux qui gouvernaient le pays, comment et par qui était rendue la justice, à qui appartenaient les terres, etc.? Voilà autant de questions que les voyageurs avaient la plupart du temps négligées, ou qui ne s'étaient même pas présentées à leur esprit*. De l'examen des cartes et des descriptions de Madagascar antérieures à l'année 1648, il ressort donc que les renseigne- ments fournis par les voyageurs et les auteurs du temps sur le pays étaientencoretrèsincompletset souvent inexacts. La con- naissance relative de la situation astronomique et du littoral que les contemporains leur devaient, ne suffisait pas à com- penser l'ignorance où ils se trouvaient, de l'altitude et de Torientation des montagnes, de l'origine, dû cours, de la na- vigabilité des rivières, du climat propre aux différentes régions. Si l'on avait lieu d'être plus satisfait de ce que l'on avait ap- 1. Diarium, loc. cit., fol. 4 et 9. 2. Lopez, le Cong'o, ouvrage cité, fol. 199-200; Pyrard, Zoc. cit., p. 26; Liud- sehot, Voyage aux Indes orientales, loc. cit., fol. 6 et 13; Ramusio, vol. I, p. 321 et suiv. 3. D'après Herbert, chez les iudigèues, le meurtre était puni de mort, l'adultère d'une infamie publique et le vol du bannissement (loc. cit., p. 27) ; Lindsohot avait au contraire prétendu que l'adultère et le vol étaient châtiés par la mort {loc. cit., fol. 9). 4. 11 faut peut-("trc en excepter dans une certaine me.sure le P. Luiz Ma- riano {Relaçao, p. 317). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 93 pris sur les ressources végétales, animales et minérales, on pouvait regretter néanmoins de n'être pas instruit de la dis- tribution géographique de ses ressources; il restait encore à connaître les contrées les mieux dotées par la nature, les plus fertiles, les plus riches en bétail, les plus abondantes en mé- taux précieux ou utiles. Les Européens de la première moitié du xviig siècle n'avaient guère été mieux éclairés sur les habitants, sur leur nom, leur nombre, leur origine, leurs caractères physiques et moraux, leurs croyances et leurs pratiques religieuses. Quelques idées justes sur leur genre de vie et leur langue, quelques indica- tions sur leurs armes, et leur état social, c'est encore ce que l'on peut trouver de plus appréciable dans les relations ouïes ouvrages généraux de cette époque. El F LIVRE II ETIENNE IDE FLAGOURX Il ue suffit pas d'avoir jeté coup un d'œil rapide sur le mi- lieu dans lequel allait vivre le g-ouverneur et l'idée que ses contemporains se faisaient de ce milieu; il importe aussi, pour mieux saisir la raison et la portée de ses actes, pour mieux comprendre la nature et l'importance de ses travaux, d'être renseigné sur Thomme auquel la Compagnie avait confié une si importante mission. Aussi consacrerons-nous d'abord tous nos efforts à mettre en lumière son origine, son éducation, ses débuts, son carac- tère, sa tournure d'esprit, ses projets, ses moyens d'action. CIIAPIIKE 1»1{EMIER Biographie d'Etienne de Fiacoort. Origine. — Education. — Débuts. — Nomination de Flacon it au gouverne- ment du Fort-Danphin. — Portrait piiysique. — Caractère. — Tournure d'es- prit. — Idées sur la colonisation. — Projets. — Moyens d'action. — Appré- ciation générale. S'il faut en croire Taulcur inconnu d'une brociiuie du temps, Etienne de FJacourt avait pour ancêtre Henri Bizet, seigneur de Flacourt, vaillant chevalier anglais qui se distingua par sa bravoure pendant la guerre de Cent ans et fut tué à la ba- taille de Jargeau'. La postérité de ce seigneur se divisa en trois branches qui eurent un surnom différent, mais conser- vèrent les mêmes armes, à savoir : un sautoir d'or, dentelé d'or cantonné de quatre bizets, et probablement aussi la même devise : Stat siirsiim^ non cadet. L'aînée de ces branches, qui possédait la terre de Flacourt, 1. Bien que l'auteur de cette brochure intitulée : Elocje de feu M. de Fin- courL, Directeur général de la Compagnie française d'Orient et commandant pour Sa Majesté très-chrétienne en Vile Madagascar et îles adjacentes, auteur de l'histoire de ces mêmes iles, 1661, assure que l'on peut trouver des preuves de ses assertions dans les grefl'es des juridictions et les registres des no- taires d'Orléans, M. d'Audeville dans l'étude générale qu'il a publiée sur la généalogie de Flacourt, déclare que ses renseignements sont d'une valeur discutable en ce qui coucerue les crigines de la maison de Flacourt {F^' Armo- riai français, juin 1895, pp. .378 et 379). D'après lui, il est sujet à caution lorsqu'il parle des ancêtres du xv^ siècle, et plus riigne de foi lorsqu'il s'oc- cupe des parents d'une époque rapprochée de lu sienne. 11 est cependant dif- ficile d'admettre que cet auteur se trompe lorsqu'il parle des Bizet de Fla- court, puisque V Armoriai général, Bretagne, vol. (, 340, signale dansles armes des Flacourt, comme la brochure précilée, quatre fiizels éployés d'or. 7 9b ETIKNNK HK l'LACOllIlT en adopta le nom. La seconde passa en Champagne, grâce à un mariage, et se coiilenla du nom de Bizet. L'amnistie générale, que le roi Charles VII avait accordée à tous ceux qui avaient servi la cause anglaise, permit à la troi- sième branche de demeurer dans l'Orléanais. Celle-ci unit à son nom de famille le nom de sa terre et se fit appeler de Fia- court dit Bizet. Elle était alliée aux plus anciennes familles d'Orléans, aux Godefroy, Porcher, Rousselel, de Loynes, etc. C'est à celte dernière branche qu'appartenait le futur gouver- neur de Madagascar. Etienne de Flacourt naquit en 1607 à Orléans d'un autre Etienne de Flacourt, et d'Elisabeth de Loynes. Son père était issu de Cuillaume de Flacourt, échevin, et de Madeleine Por- cher ; sa mère était fille de Jules de Loynes et d'Isabelle Petau, tanle du célèbre jésuite du même nom, et apparentée par sa grand'mère et son arrière-grand'mère maternelles aux plus illustres familles d'Orléans. Elisabeth de Loynes était veuve en premières noces de Claude de Beausse, lorsqu'elle épousa Etienne de Flacourt. Elle avait de son premier mariage un fils Pierre de Beausse, qui, lui aussi, deviendra dans la suite gouverneur de Mada- gascar* ; le second mariage lui donna plusieurs enfants mâles, Etienne, Julien, Guillaume de Flacourt et trois filles, Marie, Elisabeth, Charlotte de Flacourt ^ Nous possédons peu de renseignements sur les proches pa- rents de notre Etienne. 11 est permis de croire que son père était établi dans le commerce % mais nous n'oserions l'affir- mer. Ce qui est seulement certain, c'est qu'il était connu pour sa probité. Cotte vertu lui avait attiré l'estime de tous ses 1. Souchu de Uuiinefort. llisloire des Indes orientales, p. 7; Puuget de Suiul-Audré, Correspondance inédite du comte de Maudave. 2. M. d'Aiideville l'ait remarquer que le mauuscrit du chauoiue Hubert, déposé à la Bibliutbèque d'Orléans, ue meutionue pas notre Étienue, et ne nomme que deux fils d'Elicaue I et d'Elisabeth de Loynes, tandi'; que l'au- teur de l'Éloge funèbre nous dit positivement qu'il eut quatre enfauts mâles [Armoriai français, opusc. cité, p. 377-387). 3. Mémoire sur Madagascar, par Grossiu, fol. i22.j (Arch. du Minist. des Atf. élr., Indes orientales, A^ie, n" 3). ou LKS (dilC.LNKS DK LA COLONISATION l'îUNtVMSK A M Vl> \r,AS(',A!; ',)',) conciLoyens qui ravaicrit élevé à loulos sortes do dignités el de fonctions dépendant de la liberté de leurs sullVages. C'est ainsi qu'en iG26 ils l'avaient nommé échevin d'Orléans, charge déjà occupée par quelques-uns de ses ancêtres. 11 mourut quelques années après (1631). Etienne de Flacourt était donc âgé de vingt-quatre ans à la mort de son père. Son intelligence avait été cultivée avec soin. Ses parents, ayant remarqué de bonne heure son goût et ses aptitudes pour l'étude, s^étaient appliqués à les développer et l'avaient fait instruire au collège de l'Université de sa ville natale, alors très réputée*. Là, il apprit les langues mortes, le latin et le grec, qui étaient à cette époque le fond de l'en- seignement*. A sa sortie du collège, il ignorait, comme les écoliers de son temps, l'histoire, la géographie et la plupart des sciences qui servent dans le commerce de la vie. Mais il est probable que dans la suite il consacra ses loisirs, comme ses contemporains, à la lecture de relations de voyages. Soit que celte lecture ait fait naître en lui une vive curiosité et le goût des pérégrinations, soit qu'il fût naturellement d'humeur voyageuse, il parcourut, outre certaines provinces de la France, plusieurs contrées do l'Europe, Tltalie, l'Alle- magne, la Hollande, l'Angleterre. C'est vraisemblablement durant son séjour en Hollande el en x\llemagne qu'il com- pléta sa première instruction en s'initiant à l'élude de la chi- mie, de la médecine, de la botanique ^ sciences d'ailleurs encore fort peu avancées de son temps. De retour en France, de Flacourt s'y maria. A quelle fa- 1. Brochure : Èlor/e dé Flacourt. 2. On retrouve les traces de cette première éducatioa daus ses écrits. Flacourt déclare daus uq passage de sa Relation avoir écrit une lettre en latin à un capitaine de navire. De plus, il nous a laissé une traduction latine de .«ignés célestes. Ailleurs, il laisse entrevoir qu'il connaissait la langue grecque et la langue latine, lorsqu'il nous dit : « Ainsi qu'eu Europe, on apprend les langues grecque et latine ». Enfin, une comparaison de la langue grecque avec la langue malgache qu'on rencontre dans son ouvrage, permet de supposer qu'il n'ignorait pas le grec (voir Flacourt, éd. 1G61, p. 171 et suiv., et p. ISo). Voir aussi Lantoine : L'Enseir/nement secondaire au xvu« siècle, p. 75 et 101 . 3. Bi'jchure citée : Éloge de feu M. de Flacourt. 100 KTIKNNK I>K l'LACOllMT mille apparlcnail son épouse? C'est ce qu'il nous a été impos- sible do découvrir. On a prétendu, il est vrai, qu'il avait con- tracté alliance avec sa cousine, Françoise de Loynes, fille de Jules de Loynes dont l'autre fille avait épousé Pierre de Béausse ', mais l'on n'a apporté aucune preuve à l'appui de cette assertion. Le silence sur ce point de l'auteur inconnu, qui dans son Éloge de Flacourt, s'est étendu avec une véri- table complaisance sur les alliances de ses proches, permet, au contraire, de croire à une union fort obscure ^ Quoi qu'il en soit, il eut de cette union plusieurs enfants'. C'est probablement l'un d'eux qui fit enregistrer ses armes à Brest dans YA7'morial général de 1696, sous le nom d'Etienne de Flacourt, écrivain du roi et officier de la marine*. Nous ne sommes pas fixé sur la carrière qu'embrassa Fla- court dès son retour dans sa patrie. Nous savons seulement qu'il vint habiter Paris. Neveu, sinon gendre de Jules de Loynes, alors Secrétaire général de la marine et membre de 1. Consulter U Armoriai Français, ']mû. 1S95, u» 98, p. 37'J et suiv. 2. Ibid., p. 381. 3. Archives coloniales, Correspondance générale de Madagascar, Mémoire présenté par le duc de La Meilleraye au Conseil du Roi, 1663, et Mémoires de la Mission, t. IX, p. 505. 4. Armoriai général, Bretagne, I, 340. Flacourt ne nous a appris qu'une chose sur sa famille, c'est qu'un de ses frères, dont il n'indique pas le prénom, était trésorier de l'Extraordinaire des guerres au département d'Aunis et de Saintonge {Histoire de Madagascar, 1G61, p. 382). D'autre part, un des neveux d'Etienne de Flacourt, Guillaume de Flacourt, sera chanoine de Saint-Pierre-en-Pont et curé de Saint-EIoi d'Orléans en 1688 (Brainne, Vie des hommes illustres de V Orléanais, t. Il, p. 199; d'Audeville, L'Armoriai français, loc. cit., p. 383). La flliation des descendants de Flacourt n'est pas encore établie d'une ma- nière certaine. 11 est bien vraisemblable, cependant, d'après des renseignements fournis par les représentants actuels du nom, que parmi ces descendants se trouvaient : Jacques-Julien de Flacourt, qui mourut gouverneur de Surate en n36 ; Charles de Flacourt, gouverneur de Madagascar; Guillaume-Martin de Flacourt et Henri-Martin de Flacourt, qui habitèrent la Réunion. Les représentants encore vivants de la famille sont : Antoine-Martin de Flacourt, qui habite toujours la Réunion et qui est père de trois enfants : deux fils, dont l'un a pris part à la dernière expédition de Madagascar, et une fille, Cécile le Payen de Flacourt, mariée à M. Félix Huvier, actuellement inspecteur des contributions directes à Orléans. (Consulter U Armoriai fran- i:ais, loc. cit., p. 384 et suiv.) ou M;S OHir.lNES de I,A colonisation française a MADAGASCAI! 101 la Compagnie de l'Orient, il diil, soil à son mérite persoiniel, soit à la haute situation de son oncle, d'être élevé aux fonc- tions de directeur de cette Compagnie. C'est là qu'on vint lui offrir le gouvernement de Fort-Dauphin'. Quels sont les motifs qui déterminèrent les associés à lui accorder cette faveur? Nous ne pouvons que les soupçonner. Ce furent, sans doute, son expérience des affaires com- merciales, et les sérieuses qualités administratives dont il avait déjà fait preuve. Mais il est permis de croire que ce ne furent pas les seuls. On ne doit pas oublier en effet, que celui qu'il allait remplacer était protestant. Des colons s'étaient plaints qu'il les empêchât de pratiquer le culte catho- lique ^ Informés par le capitaine Le Bourg des désordres qui étaient survenus à Fort-Dauphin ", les associés s'étaie-.rit -repen- tis de leur premier choix. Ils avaient même défendu qu'au- cun hérétique fut admis à passer dans l'île*. Flacci'it évait né et avait été élevé dans la religion catholique; rien de surpre- nant dès lors qu'ils aient tourné vers lui leurs regards. Un contrat fut passé entre le nouveau gouverneur et les as- sociés ^ Flacourt fut intéressé pour la vingt-cinquième partie dans les bénéfices delà Compagnie. Les associés promirent de lui envoyer chaque année un navire avec les approvisionne- ments et les secours indispensables pour subsister dans l'île '^, et lui donnèrent « les ordres, commissions et instructions né- cessaires pour le voyage » ', Ils le chargèrent d'une enquête sur la cause des troubles qui avaient éclaté dans la colonie. Il lui était prescrit de renvoyer Pronis en France, « de lui faire rendre compte du maniement des fonds de la Compagnie, et enfin de restablir le tout en sorte que le commerce et le trafic que l'on y voulait establir ne fût point troublé et empesché » ^ 1. Flacourt, ouvrage cité, 1661, p. 226. 2. Voir noire Inlroductiou, p. 47. 3. Flacourt, ibicl. 4. Mémojires de la Mission, t. IX : Joiiiual du P. Nacquart, p. 108. 0. Flacourt, 1661, p. 226. 6. Id., 1658, p. 13 de la brochure. 1. Id., 1661 p. 226. ». Id., 1658, p. 13 de la brochure. i()o ktiI'.nm: iiK ri.ACoiiUT La l;\cho ne laissait pas d'offrir de nombreuses difficultés; Flacourl était-il préparé pour l'accomplir? L'homme, que la Compagnie avait choisi pour représenter ot défendre ses inté- rêts, réunissait quelques-unes des qualités qu'il est permis d'exiger d'un gouverneur de colonie. 11 était d'une constitution robuste, d'une excellente santé qui devait lui permettre de supporter les privations et les fatigues. A ces avantages phy- siques, il joignait de sérieuses qualités morales qui se reflé- taient sur son visage. Un portrait du temps, que l'on peut voir au commencement de notre livre, le représente avec une physionomie noble et sévère, mais surtout énergique. Si l'on ne peut y remarquer de la. douceur, on peut y lire toutefois une grande fermeté, du courage, de la décision. h était* en .effet résolu, capable de s'éprendre d'une belle , cause,, et de la servir jusqu'à la mort sans faiblir, sans perdre CouVageysanS 'désespérer du succès. Ce qu'il n'était pas moins rare de rencontrer dans un même homme, c'est iqu'à un tem- pérament actif, audacieux, il alliait un caractère relativement prudent, réfléchi. Son amour de l'ordre n'avait d'égal que son amour de la justice. Mais la qualité maîtresse de Flacourl était sa probité, vertu qu'il avait héritée de son père, et qui était au-dessus de tout soupçon. Ces qualités n'excluaient pas toutefois certains défauts. Il nous paraît exagéré de lui attribuer, comme l'a fait un do ses contemporains, « un cœur magnanime et très prompt à pardonner une offense ». Il était, au contraire, vindicatif, peu accessible à la pitié, naturellement soupçonneux, porté à juger défavorablement ceux qui étaient placés sous ses ordres. Il se montrait obstiné dans ses idées et jaloux de son autorité, ne souffrant pas qu'on le contredît, ne supportant en aucune manière qu'on empiétât sur ses attributions. On pouvait aussi lui reprocher trop d'obséquiosité à l'égard de ceux dont il re- doutait l'influence ou dont il espérait gagner les faveurs; et, quoique (liflicile à pénétrer que puisse être ce côté de son ca- 1. Brochure: E/of/e de Flacourl; Collection de factuins, Dibliot. Nat. Dé- fense pour Mario de Cossé, Thoisy 8!), fol. 281 et. sniv. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR d03 ractère, ses actes et ses écrils n'accusent pas lonjours une grande sincérité. Mais ce qui le distinguait par dessus tout, c'est qu'il était vaniteux, altier, et n'avait nullement abdiqué l'org-ueil de la vieille aristocratie féodale. Sans parler des élog-es qu'il ne s'est pas épargnés dans sa Relation^ il a fait son propre panégyrique dans les vers qu'il a pris soin de pla- cer en tête de la première édition de son livre ^ Quels qu'aient pu être les défauts de son caractère, ils ne doivent point nous faire oublier les remarquables qualités de son esprit. Intelligent, éclairé, doué d'un grand bon sens et d'une heureuse mémoire, avide d'apprendre, il s'assimilait facilement ce qu'il avait étudié. Il possédait des connaissances relativement étendues et variées. Observateur perspicace, il avait l'attention constamment en 1. Voir sa dédicace flatteuse au duc de La Meillcraye, éd. 1658. 2. No7i cadet, hxret eiiim lua sors compagibiis arcHs, Alque immola manens culmina iiila lenel. S lai sursum virtnle tua stabilitas, nec ullis Casibus, itnminiii nescia, fada ruel. Crescit : al uucla manel, constansque nepolibus luevcl Sors lua, et xlernum crescil : al aucta mancl. Ton nom va s'augmeutant, et la prospérité • Ne souffrira jamais l'inconstance muable, Mais estant dans son plein se maintiendra capable D'estre continuée à ta po?térité. Ce croissant, qui conserve en soy riiitégritc De l'hermine, en candeur simbole inimitable, Fait voir que ta vertu n'a rien de comparable, Et que tu sers ton Prince avec fidélité, Qu'enfin ce digne fils d'un courage indomptable. Poursuivant ton dessein pieux et cliaritable, Fera de là les mers porter la vérité Où le Mahométan l'a fait passer pour fable. Et par ton zèle seul cet imposteur damnablo Dedans Madagascar sera décrédité. Ces vers, suivis de la signature de Flacourt,ne se trouvent que dans la pre- mière édition de son ouvrage (1638). lis sont inscrits sur une gravure repré- sentant les armes de la famille de Flacourt. L'écusson est soutenu par deux Malgaches armés, l'un de javelots, l'autre d'une sagaie, et entouré d'une banderole où se voit l'inscription : Slal sursum, non cadet, devise que notre auteur a développée dans les vers latins et françnisque nous venons de men- tionner. 104 K'I'IKNNR DK l'I-ACOimT éveil, ot mie préilileclioii loule particulière pour l'éliKle de la nature ol do ses phénomènes. C'est surtout vers les sciences d'observation et les sciences expérimentales que ses goûts le portaient. Par ce côté, il appartenait bien au xvii" siècle, au groupe d'hommes de cette époque qui se montraient plus soucieux d'étuilier ce qu'ils pouvaient voir par eux-mêmes que d'apprécier ce que contenaient de vrai ou de faux les écrits des Anciens Comme bon nombre de ses contemporains, il estimait que le seul moyen de connaître les choses, c'est de les regai'der'. Par contre, il semble avoir eu l'esprit peu philosophique. Il aimait plus à constater les phénomènes ou à les observer, qu'à en rechercher les causes". Pratique, positif par tempérament, il n'était pas porté vers les abstractions et point du tout théo- ricien. Chez lui, les idées dérivaient des faits, mais n'y préexis- taient pas. Enfin, bien qu'il ne paraît pas avoir été complète- ment dépourvu d'esprit critique, il s'en tenait sur beaucoup de points aux opinions de ses contemporains, et était imbu de nombreux préjugés. Aussi bien^ Flacourt ne semble-t-il pas avoir eu, avant de se rendre à son poste, de plan de colonisation personnel. Le directeur de la Compagnie ne paraît avoir eu sur la coloni- sation en général d'autres vues que celles de ses contempo- rains, d'autres idées que celles de son temps. Or, il habitait 1. Lacroix, Dix-septième siècle. Scietices, LeUres et Arts, p. 19 et suiv. ; Seigno- bos, Histoire de la civilisation au moyen âge et dans les temps modernes, p. 359. 2. Il a cepeudaut donné une explication curieuse de l'origine de la foudre dans une lettre au duc de La Meilleraye (éd. 1658 de son Histoire de Mada- gascar). « Les éclairs, écrit-il, sortent des foudres comme de leur prison. Les nuées tirent leur origine des exhalaisons et des vapeurs de la mer et de la terre, comme étant pour ainsi dire de leurs propres sueurs. Ces exhalai- sons et ces vapeurs sont pleines d'un esprit uitreux et sulphuré, resserré par le poids de la moyenne région de l'air dans le corps de la nue qui s'y est coagulée, de sorte qu'estant émue par l'agitation des vents, elle en est telle- ment ébraulée que ce mouvement venant à exciter le feu contenu dans cette matière nitreuse et sulphurée qui eu sort avec violence, cause aussitôt la foudre qui est la terreur de toutes les choses sublunaires. >> Ne pourrait-on pas voir dans cette théorie quelques analogies avec la doctrine chimique du phlogislique défendue plus tard par le célèbre Stahl? 011 LKS OUICINES OK LA ('-OLONIS.VTION FRANÇAISE A M VDAr.ASCAl! 10,". lin pays où l'espril do prosélytisme, ué dans la calholiqno Espagne, avait fait de grands progrès sous l'influence dos Jé- suites. 11 vivait à une époque où les voyageurs unissaioiU leurs efforts à ceux dos missionnaires pour convertir les peuplades sauvages, où les idées de charité commençaient à se répandre, grâce à l'initiative de saint Vincent de Paul, le doux et humble prêtre qui, loin de borner à la France ses généreuses entre- prises, avait soif de les étendre à l'humanité tout entière, et avait su gagner à sa noble cause la régente Anne d'Autriche. Cette princesse, qui portait le titre de grand-maître et Surin- tendant général de la Navigation et du Commerce, ne se pro- posait pas seulement pour but le développement de la pros- périté nationale. Elle avait de plus nobles aspirations. Rem- plie d'admiration pour l'homme qui, à cause de son zèle, avait tant de titres à la reconnaissance de l'humanité, elle voulait comme lui assurer le triomphe du catholicisme dans les con- trées les plus lointaines, et apporter les bienfaits de la civili- sation chez les peuplades sauvages et barbares de l'Amérique et de l'Afrique. La Régente secondait de tout son pouvoir les efforts du Supérieur delà Mission. Convertir les indigènes, tel était le mot d'ordre qu'elle faisait passer par l'intermédiaire de Nicolas Fouquet, alors procureur général et son conseiller, aux voyageurs, aux chefs des colonies récemment fondées'. Il est donc probable que Flacourt avait reçu aussi du confi- deut d'Anne d'Autriche la recommandation de s'intéresser particulièrement à la conversion des habitants do Madagascar. Cela est d'autant plus probable que les lettres adressées plus tard par Fouquet, au gouverneur de Madagascar, no renferment rien autre chose que des instructions relatives à la nécessité d'instruire les indigènes des vérités du christia- nisme^ En admettant que les mêmes instructions eussent été données à Flacourt, il lui était difficile de n'en tenir 1. Deschamps, Revue de géographie, novembre 1885 : La question coloniale en France au temps de Richelieu et de Muzarin, p. 373 et suiv. ; Histoire de la question coloniale, p. 83 et suiv.; Lettres de saint Vincent de Paul, Paris, Dumouliu, 1891, t. IV, XI, passim. 2. Flacourt, 1661, p. 382 et 383, et Dédicace à Fouquet. 106 KTIENNK l)K FLACOURT aucun compte, puisque !e procureur général était alors un des membres les plus influents de la Compagnie de l'Orient et fort en faveur à la cour. On est donc porté à croire, avec le P. Nacquart', qu'il n'allait point partir pour Fort-Dauphin avec l'intention de s'affranchir des obligations dévotes qu'on lui avait imposées. Ce n'est pas à dire que le nouveau gouverneur répugnait à l'idée de faire là-bas œuvre de commerçant. Il n'ignorait pas enelTel, en qualité de directeur de la Compagnie de l'Orient, que la plupart des associés n'étaient point disposés à sacrifier leurs intérêts au désir de plaire à la cour et au parti catho- lique. II savait bien que les Compagnies, en dépit des con- trats passés avec le gouvernement, qui ne leur concédait des territoires qu'à la condition qu'elles favoriseraient la propa- gande religieuse, ne se souciaient que de réaliser de gros di- videndes, et que, tout en colorant leurs desseins du beau prétexte de la religion et de la charité, elles étaient surtout séduites par l'appât du proHt et du gain ^ Se fût-il trompé sur les sentiments de la Compagnie de l'Orient à cet égard % il ne pouvait lui, associé de cette Compagnie, se désintéresser per- sonnellement des avantages qu'on était en droit d'attendre d'une entreprise commerciale. Sans aller jusqu'à mettre hors de doute que le principal mo- tif qui l'avait engagé au voyage de Madagascar fut, comme il l'a déclaré lui-même plus tard, l'espoir qu'il avait conçu de voir la Compagnie en obtenir de grands profits^, il nous semble difficile de nier que cette considération ait dû influer dans une certaine mesure sur sa détermination. 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 108. 2. Flîicourt, Histoire de Madagascar, 1658, brochure : Cause pour laquelle les intéressez 7iont pas fait de grands profits à Madagascar, p. 1 et 2. 3. II a pu, en effet, se faire illusion sur les desseins de Fouquet, qui, en réalité, n'était pas aussi inditférent aux avantages matériels de l'entreprise qu'il voulait le faire croire. On sait, en effet, qu'il a déclaré plus tard dans ses Défenses (t. VI, p. 114) avoir acheté des vaisseaux en Hollande « pour les envoyer en toutes les parties du monde, pour voir les commerces qu'ils y pouvaient faire, les profits qu'on eu pouvait espérer. » 4. Défense pour Marie de Cossé, Lordelot, lac. cit., p. 12 et 13, 011 LKS ORIGINES DR I.A COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 107 Mais Flacourt estimait que la première conditition néces- saire pour exploiter un pays, c'est de le connaître. Si l'on ne saurait affirmer qu'il se soit rendu compte de la nécessité d'acquérir une connaissance exacte des habitants pour mieux comprendre de quelle manière on pourrait agir avec eux, il est du moins certain qu'il regardait comme une stricte obli- gation de rechercher «les choses dont on peut tirer de grands avantages » *. Il n'est donc pas téméraire de croire que c'était aussi avec rintention d'explorer Madagascar qu'il allait s'embarquer*. 11 obéissait d'ailleurs en cela à son humeur voyageuse, à la tournure de son esprit enclin à l'observation de la nature, à l'engouement de ses contemporains pour l'exploration des pays éloignés*. Est-ce à dire, comme on l'a prétendu récem- ment, qu'il allait franchir les mers dans le seul but de re- cueillir sur place les notes nécessaires à la composition d'un ouvrage sur Madagascar*? La plupart des voyageurs de son temps et de l'époque an- térieure avaient, il est vrai, publié des relations de leurs voyages et donné des descriptions des contrées qu'ils avaient parcourues. Il peut se faire que Flacourt, en quittant les ri- vages de sa patrie se soit proposé de décrire à son retour le pays 011 il devait séjourner, mais nous ne saurions admettre qu'il ait été poussé par ce seul mobile; c'est peu connaître son caractère que de lui prêter cette seule intention. Explorer Madagascar, en exploiter les ressources^ s'effor- cer d'en convertir les habitants au christianisme, était une tâche qui pouvait paraître assez belle et suffire à l'ambition de tout autre que Flacourt. Le caractère vaniteux du direc- 1. Flacourt, 1658, brochure, p. 2. 2. On peut même supposer qu'il avait formé le projet d'explorer l'ile tout eutière, car on lit dans uue lettre du P. Nacquart, envoyée de Madagascar le 5 février 1630: « Quand ou aura visité toute cette terre et fait le circuit de l'île avec un vaisseau, nous en ferons savoir toutes les particularités » {Mé- moires de la Mission, t. TX, p. 72). 3. Deschamps, Revue de géographie, déc. 1885, p. 448 et suiv. 4. Guet, Les origines de In colonisalion à Madagascar et à l'île Bourbon, p. 39. IHK l'TlKNNK I>K FLACOUUÏ It'iir (le hi Com]»îif^uii! de l'Orieiil ne devait pas s'en conlenler. Comme beauconp de gens de petite noblesse qui s'étaient adonnés au négoce, il était hanté par les idées chevaleresques de ses ancêtres. Au moment oii tout retentissait du bruit de nos armes, où chaque jour amenait la nouvelle d'une écla- tante victoire, Je nouveau gouverneur caressait quehjue rêve belliqueux. Le contemporain des Turenne et des Gondé s'en allait prendre le commandement de la colonie avec l'espoir de se signaler par quelques exploits, de conquérir là-bas de vastes territoires et peut-être même Tîle tout entière'. Ajoutez à cela que ce paraît avoir été la coutume générale de cette époque, de considérer tout nouveau pays qu'aucune puissance européenne ne s'était '■ encore approprié comme étant en dehors des limites des relations sociales. En consé- quence le ravager, le détruire, le subjuguer afin d'en prendre possession, était, aux yeux de la plupart de ceux qui diri- geaient leurs efforts vers ce but, une chose toute naturelle ^ Ils ne connaissaient alors qu'un seul moyen pour se procurer des colonies : la violence. C'est à cette catégorie qu'apparte- nait Flacourt. « Ses notions en fait de politique colonisatrice, dit Barbie du Bocage, se bornaient à celles de Ferdinand Cortez et de François Pizarre : le type d'un excellent gou- verneur était à son point de vue celui qui avait le plus agrandi le territoire de la colonie confiée à ses soins. Le principe qui consiste à augmenter son influence au moyen de la civilisation et du commerce n'était pas encore connu ; il ne devait naître qu'avec Colbert *. » Ainsi s'emparer par les armes de nouveaux territoires, convertir les indigènes à la religion catholique et les civiliser, explorer le pays pour en faire mieux connaître les ressources et les exploiter, tels semblent avoir été les projets que le 1. C'est ce qui ressort d'un passage de sa lielalioîi : « Aiusi, écrivait-il vers 1656, nous ne manquions que de secours et assistance de France pour pou- voir subjufîuer et réduire à l'obéissance du Roi toute cette grande isle » (Flacourt, Histoire de Ule Madagascar, 1658, p. 323). 2. Copland, Hisiory of Uie islavxl of Madagascar, p. 131. 3. Barbie du Bocage, Madagascar, possession française depuis 1642, p. 186. ou LES Or.ir.lNKS de la colonisation française a MADAC.ASCAI! 109 nouveau g-ouverneur so proposait de réaliser. Et ces projets, il ne paraît pas qu'il ait voulu les mettre à exécution pro- gressivement, au fur et à mesure que les circonstances favo- riseraient sa tentative et lui laisseraient la facilite de la mener à bien par des procédés humains et loyaux, mais si- multanément et avec l'intention de recourir au besoin à la force pour la faire réussir. Or quels étaient ses moyens d'exécution? La petite troupe qu'il devait avoir sous ses ordres comptait à peine quatre-vingts hommes, tant soldats que colons, gens déterminés et résolus, experts dans plusieurs métiers, pouvant exercer à l'occasion ceux de tanneurs, forgerons, menuisiers, etc., mais pour la plupart recrutés çà et là, envoyés dans cette île lointaine par des parents trop heureux de s'en débarrasser ou bienvenus spontanément s'embarquer, épris d'aventures et avides de pillages, gens prompts à l'insubordination et qu'il fallait conduire avec habileté et fermeté*. G'étaientlà les seuls auxiliaires que la Compagnie avait mis à la disposition de Flacourt pour lui permettre de mener à bonne fin l'œuvre de commerce et d'exploitation dont elle l'avait chargé ! Elle avait, il est vrai, promis d'envoyer tous les ans à Madagascar un navire qui lui amènerait du renfort', mais il était permis de se demander ce qu'il adviendrait de la colonie au cas où ce renfort ferait défaut, et quelle résistance cette petite troupe pourrait opposer aux indigènes, si ceux-ci marchaient en masse contre Fort-Dauphin. Plus faibles encore étaient les ressources dont disposait le gouverneur pour l'accomplissement de l'œuvre religieuse rê- vée par la cour et Fouquet. LaCompagnie de l'Orientavait de- mandé des missionnaires au nonce du pape, le cardinal Bagni, qui à son tour s'étaitadressé àsaint Vincent de Paul 3. Le supé- 1. Flacourt, Histoire de Madagascar, 1661, Avant-Propos du second livre et p. 217, 227-236; Mémoires de la Mission, t. IX, p. 83 et 26. 2. Flacourt, ibid., p. 378. 3. Lettres de saint Vincent de Paul, Paris, Dumoulin, 1891, t. IV et XI, pas- 110 ETIENNE I)K l'LACOllI'.T rieur de la CiOngrégalion de la Mission, soit quo ses nombreu- ses œuvres de charité ne lui eussent pas permis de se priver du concours d'autres prêtres, soit qu'il n'eût fait qu'accéder au désir de la (Compagnie, n'avait envoyé à Flacourtque deux missionnaires : le P. Nacquart et le P. Gondrée. C'étaient, certes, de précieux auxiliaires. Tous deux manifestaient de- puis longtemps le désir d'aller évangéliser les peuples sauva- ges. Le premier se recommandait par sa douceur, son esprit judicieux, son zèle pour le salut des âmes. En se rendant à Madagascar, il avait l'intention, ainsiqu'ill'a déclarélui-même, de « prendre possession de ceste isle_, et d'y établir l'empire du Christ »'. Son ardeur pour le triomphe des intérêts reli- gieux était telle que saint Vincent de Paul lui recommanda avant son départ de ne pas se laisser entraîner par un zèle im- prudent et immodéré. Les instructions du supérieur de la Congrégation l'invitaient à concilier ses devoirs envers Dieu avec ses devoirs envers le gouverneur, et ses subordonnés, « leur garder toujours grand respect, être pourtant fidèle à Dieu, pour ne pas manquer à ses intérêts et jamais ne trahir sa conscience par aucune considération, mais prendre soi- gneusement garde de ne pas gâter les affaires du bon Dieu, pour les trop précipiter, prendre bien son temps et le savoir attendre ))^ Quant au compagnon du P. Nacquart, il passait pour un prêtre humble, charitable, non moins que zélé, pour « un des meilleurs sujets de la Compagnie »\ suivant l'expression de saint Vincent de Paul lui-môme. Mais quelles que fussent les qualités des deux missionnaires, quelle que fût leur bonne vo- lonté, leur nombre pouvait paraître peu proportionné à la lourde tache qui s'imposait aux propagateurs de lafoichez des peuplades adonnées encore à toutes sortes de superstitions, et il 1. Mémoires de la Mission, 1«66, t. IX, p. 55 : Lettre du P. Nacquart à saint Vincent de Paul, 5 février 1G50. 2. Mémoires de lu Mission, t. IX, p. 3!) et 40 : Lettre de saint Vincent de Paul au P. Nacquart, 22 mars 1648. S. Ibid., p. ;i60. ou LES Or.IGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADACASCAR 111 était à craindre que, s'ils venaient à succomber victimes de leur dévouement ou du climat, l'œuvre péniblement commencée ne périclitât ou même que leur mission ne portât plus de fruits. Il fut convenu que le chef de l'expédition pourvoirait à l'en- tretien et à la subsistance de ses auxiliaires religieux pendant leur voyage et leur séjour dans l'île. Il est à présumer que le supérieur de la Mission comptait peu sur cette assistance, puisqu'il les engagea à se suffire à eux-mêmes. « Vous verrez, leur dit-il^ si avec le temps vous y pourrez avoir du bien pour vous y entretenir en votre particulier ; il y fait si bon vivre que cinq sous de riz qui tient lieu de pain suffisent pour nourrir cent hommes par jour »'. Il ne faudrait pas en conclure cependant que Flacourt allait s'embarquer sans ressources pour celte terre lointaine. Nous ignorons quelle somme lui remirent les associés pour subve- nir aux dépenses de toute sorte que nécessiteraient son séjour et celui de ses subordonnés dans l'île. Néanmoins, il est cer- tain qu'il fit charger dans son navire, pour les besoins de la colonie, des instruments de travail, des caisses de marchan- dises, vivres, eau-de-vie, tabac, médicaments, et, pour sa défense, des munitions de guerre, canons, armes, mousquets, pislolets, etc.*. D'autre part, il est probable qu'avant son départ^ il s'entoura de tous les renseignements de nature à faciliter le succès de son entreprise. Peut-être même s'informa-t-il des ressources du pays et des mœurs de ses habitants auprès du marchand Fr. Gauche qui n'avait pas encore publié la relation de son voyage, mais était déjà de retour en France ^ Il avait déjà lu d'ailleurs, selon toute vraisemblance, les relations de Lind- schot et de Pyrard, dont il parlera plus tard dans ses Mémoires. Les capitaines de navire qui étaient revenus en France, Re- zimonlLormeil. Le Bourg, l'avaient sans doute éclairé sur les 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 44 : Lettre de aaiut Viuceût de Paul au P. Nacquart, 22 mars 1648. 2. Flacourt, 16(JI, passiin. 3. Ou lit au commeucement de lajrelatiou de Fr. Gauche (Morizot, ouvrage cité) : «Achevé d'iinprhner pour la première fois le lO^jour de septembre 1651 ». 112 liTIblNNE DK FLACOURT difficultés de la situation présente. De ces capitaines el des deux Malgaches que l'un d'eux avait amenés il avait pu sans doute obtenir quelques renseignements sur les produits de l'ilc. Ce- pendant nous ne saurions rien afiirmer à cet égard. Ce qui est seulement certain, c'est qu'il se munit de cartes portugaises'. Mais le nouveau gouverneur n'avait jamais visité Madagas- car, L'opinion qu'il pouvait en avoir était naturellement fort vague, et probablement aussi inexacte que celle de la plupart de ses contemporains. A celte inexpérience personnelle s'a- joutait l'insuffisance de ses connaissances générales, qui, pour être, eu égard à l'époque, assez étendues et variées, ne lais- saient pas d'offrir encore bien des lacunes. Ses voyagesl'avaient initié, il est vrai, à l'observation d'un pays, les quelques no- tions, qu'il avait recueillies de l'étude des sciences naturelles, lui permettaient aussi de se livrer avec fruit à des investiga- tions relatives aux plantes, aux animaux et aux minéraux; mais, n'ayant voyagé qu'en Europe, il ignorait, ou du moins ne devait connaître que très superficiellement, par les rela- tions incomplètes de quelques voyageurs, l'Inde, la Malai- sie, l'Afrique, contrées, qui, certes, offraient de nombreuses analogies avec le pays qu'il se proposait d'explorer. Enfin, si Flacourt avait quelques notions de médecine ou plutôt d'hygiène, indispensables dans un pays où tant d'Euro- péens avaient déjà succombé à la fièvre, il lui manquait toute- fois un secours fort précieux, la connaissance de la langue des habitants avec lesquels il allait se trouver en rapports. Il est très probable aussi qu'il ne savait point le portugais, alors parlé dans le sud de l'île, puisqu'il devra recourir plus lard à un de ses commis pour se faire comprendre de deux Portu- gais*. Tel était l'homme auquel la Compagnie venait de confier le gouvernement de la colonie. Il possédait sans doute certaines des qualités que l'on doit apprécier chez un administrateur colonial, la santé, l'activité, l'énergie, la fermeté, l'intégrité, 1. Uùl. de MddiKjuscur, 16G1, Avaut- Propos et p. 245. 2. Flacourt, l(if)l, p. 232. ou LES ORIGINES DE LA C.OLONLSATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 113 l'intelligence et un ensemble de connaissances qu'il eût été injuste de dédaigner à celte époque, mais le tact, la modéra- tion, l'expérience, l'éducation spéciale, la connaissance de la langue qui sont nécessaires à un tel administrateur dans ses re- lations avec les indigènes lui faisaient défaut; ses idées en fait de politique colonisatrice n'étaient g^uère dilTérentes de celles de ses contemporains, ou même des Européens qui l'avaient précédé, et ses projets, ses vues sur la colonisation pouvaient paraître peu proportionnés à ses moyens d'exécution. Nous allons voir s'il a fait passer les idées dans les actes, et raconter les principaux incidents auxquels son gouverne- ment a donné lieu. CHAPITRE II fiîouvcrncnieiit de Flacourt à lHadagascar, Le g-ouvcrncment de Flacourt à Madagascar a duré du 4 décembre 1648 au 12 février 1655, c'esL-à-dire plus de six ans. Pendant son séjour dans l'île le g-ouverneur a mené de fronl les expéditions militaires, la conversion des indigènes, les explorations et la traite. Mais on ne doit pas s'y tromper. Comme le montrera le récit des événements, c'est la conquête de l'île qui est sa pensée maîtresse, c'est vers ce but que sont dirigés tous ses efforts. A vrai dire, son gouvernement est plus une conquête qu'une administration proprement dite. Tout y est subordonné : rapports avec les colons, rapports avec les missionnaires,, échanges, etc. Tel est le caractère que présente l'administration du nouveau gouverneur. Aussi diviserons-nous l'histoire de son gouvernement on trois périodes marquant les phases de cette conquête : I. Du 4 décembre 1648, date de l'arrivée de Flacourt à Fort-Dauphin, au 29 mai 1650, date de la mort du P. Nac- quart. Cette période comprend le récit des préliminaires de la conquête et l'exposé des causes immédiates de la guerre. II. Du 29 mai 1650 au 22 décembre 1653, c'est-à-dire jus- qu'au premier départ du gouverneur pour la France. Cette période est caractérisée par la lutte acharnée que Fia- court entreprend contre les indigènes pour les subjuguer, lutte où les représailles succèdent aux représailles, les com- plots aux scènes de pillages et aux massacres, où toute lapro- LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 115 vince d'Anossi est mise à feu et à sang, véritable conquête par la terreur. III. Du 22 décembre 1633 au 12 février 16.^5. Cette troisième période comprise entre le premier départ du chef de la colonie, suivi bientôt de son retour, et le départ défi- nitif pour la mère-patrie, pourrait[,ôtre appelée la période de pacification apparente. I Préliminaires de la guerre : Arrivée de Flaeourt à Fort-Dauphin. — Situa- tion de la colonie. — Le nouveau gouverneur s'occupe de l'approvisionne- ment. — 11 envoie Pronis et le capitaine Le Bourg à Ghalemboule pour y chercher des vivres et des pierres précieuses. — Visite des chefs du pays d'Anossi au chef de la colonie. — Entretien de Flaeourt avec Andrian Ra- naach. — Son intervention dans les luttes des chefs indigènes. — Consé- quences de cette intervention. — Retour de Pronis et de Le Bourg. — Celui-ci va prendre possession de l'Ile Mascareigne. — Les Français portent la guerre dans l'intérieur des terres. — Perfidie de Flaeourt à l'égard d'Andrian Ramach. — Départ du capitaine Le Bourg et de Pronis pour la France (1630). — Dissentiments de Flaeourt et du P. Nacquart. — Mort de ce missionnaire (29 mai 1650). Le 19 mai 1648, dans sa quarantième année, Etienne de Flaeourt s'embarquait à la Rochelle sur le Saint- Laurent, na- vire commandé par le capitaine Le Bourg. Il emmenait avec lui quatre-vingts passagers, parmi lesquels se trouvaient les deux Malgaches, dont il a déjà été question *, et les Pères Nac- quart et Gondrée, âgés l'un de trente et un ans, l'autre de vingt-huit*. Après une traversée assez heureuse, le Saint-Laurent arri- vait, le 4 décembre de la même année, à trois lieues de Forl- Dauphin. Dès que le navire fut aperçu de la côte, le canon du Fort se fit entendre, et le Saint-Laurent lui répondit presque aussitôt. Un quart d'heure s'était à peine écoulé que les passa- gers aperçurent un canot qui se dirigeait de leur côté. La pe- tite embarcation se trouva bientôt assez près du navire pour 1. p. 112 de notre livre. 2. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 26 et 360. IIG fiïlKNNK DK l'LACOLHT qu'on pùl (lislinguer les gens qu'elle amonail. Elle conlenaiL treize personnes : un prêtre, nommé de Bellebarbe, venu dans Tile trois ans auparavant', deux Français et dix indigènes. Sur l'invitation de Flacourt, ils vinrent à bord. Le nouveau g:ouverneur s'informa auprès d'eux de la santé de Pronis et de l'état de la colonie, mais il ne leur révéla ni sa mission ni ses in- tentions. 11 se trouvait d'ailleurs à l'égard de Pronis dans une situation délicate, car celui-ci ig-norait qu'on dût le remplacer. Il craignit sans doute de le mécontenter en lui apprenant par celte voie qu'il avait un successeur, et préféra user de ruse. Après s'être concerté avec le capitaine Le Bourg, il fut décidé qu'un des passagers, Descots, irait avec cinq matelots trouver Pronis au Fort, et qu'il lui remettrait une lettre de la part du capitaine. Par cette lettre, Le Bourg informait Pro- nis qu'il n'avait point jeté l'ancre au-dessus de Fort-Dauphin, dans la crainte d'être mal reçu par les colons qui à son der- nier voyage avaient voulu faire feu sur lui, mais qu'il l'invi- tait à venir en personne prendre les lettres qui lui étaient adressées et lui faire connaître l'état de la colonie. Ordre for- mel fut donné au porteur de la lettre et à ses compagnons de taire la présence de Flacourt. Vers quatre heures de l'après-midi, Pronis se rendit à bord du Saint-Laurent. Il manifesta à Flacourt son étonnement de l'y rencontrer. Le nouveau représentant de la Compagnie le rassura par des paroles amicales,, s'entretint avec lui toute la soirée des événements qui s'étaient passés dans la colonie, et lui apprit la décision de la Compagnie. Le lendemain, au matin (5 décembre), le navire parvenait à l'anse Dauphine. Aussitôt de Flacourt chargea deux de ses subordonnés, Marchais et Boivin, de prendre possession de Fort-Dauphin avec vingt hommes armés. Pronis de son côté leur remit une lettre pour ses gens, par laquelle il leur faisait savoir qu'ils eussent dorénavant à obéir aux ordres de Fla- court. A trois heures, le nouveau gouverneur descendit à \. .Vdmoires de la Mission, t. IX, p. 208. ou LES ORIGINES DE lA COLOMSATION FRANfJAISE A MADAGASCAR 117 lerro avec vingt-cinq soldats et se rendit au fort. 11 le Irouva dans im état déplorable : il n'était, plus défendu que parving-t- liuil Français, la plupart maladifs; les vivres manquaient et bon nombre de cases étaient sans couverture. Flacourt fut surpris d'apprendre que Pronis avait pris pour concubine une femme indig-ène, nommée Andrian Ravel, qui liabitait la case du chef de la colonie avec ses servantes et ses esclaves. Il lui enjoignit de renvoyer cette femme le lendemain même, tout en lui déclarant qu'il serait bien aise de la voir*. Quant à Pronis lui-même, il laissa une bonne impression au gouverneur qui crut juste et nécessaire de le maintenir auprès de lui et de le bien traiter. « Je trouvay, dit-il, le sieur Pronis autre que l'on me Tavoit dépeint et ne conneus en lui qu'une grande sincérité et franchise, et s'il y a eu du désor- dre, c'est qu'il n'a pas été obéi, ni respecté, le malheur n'étant venu que des volontaires que l'on avoit envoyés par le passé, qui avoient tout perdu... Je ne voulus pas faire retenir le sieur Pronis, ni luy rendre aucun déplaisir, l'ayant trouvé trop honneste homme et trop disposé à faire ce que j'eusse voulu pour le traiter de la sorte ^ » Quelques jours après (6 janvier 1649), Flacourt recevait la visite d' Andrian Ravel qui, triste et étonnée, venait lui faire part de ses craintes : elle avait appris, disait-elle, de ses es- claves, qui tenaient cette nouvelle des colons eux-mêmes, qu'on se proposait d'incarcérer Pronis, et qu'elle-même serait expulsée du Fort, Le gouverneur s'efforça de dissiper ses craintes. 11 lui fit connaître son intention de traiter Pronis comme un frère, et l'assura que ses gens seraient tenus d'avoir pour elle, non seulement le même respect qu'auparavant, mais même un plus grand encore. Ces paroles rassurantes causèrent une vive satisfaction à la jeune femme, qui eu témoigna à Flacourt toute sa reconnaissance. 1. Flacourt, éd. 1658, brochur* , p. 8; édit. 1661, p. 252 et suiv. ; Mémoires de la Mission, t. IX, p. 53 : Lettre du P. Nacqaart à saint Vincent de Paul, février 1630. 2. Flacourt, Histoire de Vile Madagascar, éd. 1658, p. 246 et suiv. ; 1661, p. 256 et suiv. 118 ETIENNE DK FLACOURT Le même jour, tous les Français du Fort vinrent le saluer. Quelques-uns de ceux qui s'étaient révoltés contre Pronis lui exposèrent leurs griefs contre leur ancien chef. Ils lui repro- chèrent, non seulement de les avoir réduits à toutes sortes de de privations, mais d'avoir été la cause du départ de vingt-deux Français qui, sous la conduite de Leroy, avaient gagné la baie de Saint- Augustin, dans l'espoir de pouvoir s'embarquer pour la France sur quelque navire anglais venu dans ces parages, Flacourt écoula leurs doléances, et après en avoir dressé procès-verbal, il leur imposa silence. Aussitôt après cette entrevue avec ses subordonnés, il donna ses soins à l'approvisionnement de la colonie. Sa première préoccupation fut de se procurer du bétail. Il avait appris que le lieutenant Angeleaume avait été avec quarante-cinq hommes faire la traite et guerroyer au loin, et qu'il possédait dix-huit cents bœufs, mais qu'il était décidé à ne point les amener à Fort-Dauphin avant d'être assuré de l'arrivée d'un nouveau gouverneur, dans la crainte devoir tout ce bétail tomber entre les mains de Pronis; il lui dépêcha deux Français et deux in- digènes pour l'inviter à revenir immédiatement. D'autre part, le riz faisant défaut aux colons, le capitaine Le Bourg reçut l'ordre de partir pour Ghalemboule, pays très éloigné de Fort- Dauphin, afin d'en faire une ample provision. En même temps, il s'efforçait de rétablir l'ordre dans la colonie. Par ses ordres, Descols se rendit avec une quinzaine de soldats à la baie de Saint-Augustin pour y prendre des nouvelles de Leroy et de ses compagnons et les engager à regagner le Fort. En outre, pour donner satisfaction à quel- ques colons qui redoutaient la vengeance de Pronis, s'il de- meurait à Fort-Dauphin, il décida que ce dernier accompa- gnerait Le Bourg dans son voyage à Ghalemboule. Cette décision ne laissa pas de mécontenter Pronis. Il s'en plaignit au gouverneur, ajoutant que le bruit courait dans toute la contrée qu'on l'expédiait au loin pour l'y faire périr, Flacourt lui dit de ne point s'arrêter à de tels discours. Il lui déclara qu'il était nécessaire que l'un des deux y allât, lui-même ou ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAHASCAR 119 Pronis; que pour lui, il olait obligé de rester à son poste, afin de connaître les g-ens placés sous ses ordres et d'étudier les mœurs et la langue des indigènes. En conséquence, il invita Pronis à partir sans retard et lui adjoignit douze Français qui devaient Taider à faire la traite. De son côté, le capitaine Le Bourg reçut l'ordre de pousser son voyage jusqu'à l'île Mas- careigne pour en ramener les douze colons qui y avaient été déportés à la suite de leur révolte contre l'ancien chef de la colonie. Tout en apportant ses soins à ravitailler la colonie, à y réta- blir l'ordre, le nouveau gouverneur s'occupait de rechercher tout ce qu'il y avait de plus utile et de plus précieux dans l'île. C'est pourquoi il recommanda au capitaine Le Bourg d'acheter de l'ébène au pays des Antavares, et à Pronis de rapporter du pays de ]V[anghabé,le plus beau cristal de roche qu'il pourrait y découvrir. Lui-même et ses gens s'en allèrent en excursion dans le pays d'alentour, afin de s'éclairer sur ses ressources. Ils constatèrent qu'il était riche en exquine, gomme, bois d'aloès et poivre blanc. A son grand regret, toutefois, Flacourt ne put obtenir que quelques échantillons de ces produits, car Andrian Ramach avait interdit à ses sujets, sous peine de mort, de vendre quoi que ce fût aux colons'. Entre temps, Pronis, les lieutenants Leroy et Angeleaume étaient revenus à Fort-Dauphin. Pronis avait rapporté une ample provision de riz, mais il avait négligé de se procurer du cristal. Quant aux lieutenants, ils avaient amené à la colonie seize cents têtes de gros bétail. Cependant la nouvelle dq, l'arrivée d'un nouveau gouver- neur s'était bien vite répandue dans la province d'Anossi. Quelques chefs indigènes, entre autres Andrian Tserong et Andrian Machicore, vinrent au Fort dans l'espoir de s'attirer ses faveurs. Afin de lui prouver leur désir d'entretenir avec lui de bonnes relations, ils lui firent de nombreux présents à 1. Flacourt, éd. 1658, broch., p. 8 et suiv. ; éd. 1661, p. 257 et suiv. 120 étiennf; [)K l'LACOiir.T la mode du pays. En retour, Flacourt leur distribua des mar- chandises qu'il avait apportées de France. Peu de temps après, le gouverneur, qui avait sans doute compris l'iinporlancc de cette visite et ne voulait pas être en retard de politesse avec les chefs indigènes, s'en allô voir Tserong à Fanshere. L'excellent accueil qu'il en re^nt l'en- gagea sans doute à se rendre chez le beau-père de ce chef, Andrian Ramach, qui, pourtant, n'avait pas suivi son gendre dans sa démarche à Fort-Dauphin; toujours est-il qu'il eut un entretien avec le roi d'Anossi et que cet entretien fut, s'il faut en croire son propre témoignage, très amical. Le chef indigène (qui était alors âgé d'environ cinquante ans *) lui parla, avec une grande franchise. Il lui avoua qu'il tirait de son titre de magicien son ascendant sur les autres chefs et sur les peuplades voisines, Mahafales, Manemboulois et autres ; il lui confia même qu'il profitait de la naïveté de ses sujets pour leur inspirer de la terreur, menaçant de les frapper à son gré de maladies et d'autres fléaux, en vertu de la puis- sance surnaturelle dont il était investi, opinion qui était d'ail- leurs accréditée dans tout le pays par les ombiasy . Mais il ne dissimula point à Flacourt qu'il n'avait pas oublié l'acte per- fide dont Pronis s'était rendu coupable à l'égard de ses sujets. Non content de lui en témoigner toute son indignation, il dé- clara qu'il était prêt à en faire retomber à l'occasion les consé- quences sur le gouverneur et tous les Français. Flacourt, qui avait déjà été informé par Pronis des représailles exercées quelque temps auparavant par Ramach, Flacourt qui n'igno- rait pas le massacre de Bouguier et de ses compagnons, et le complot ourdi contre l'ancien chef de la colonie, fut très impressionné par les paroles qu'il venait d'entendre. Les me- naces et les révélations du chef indigène ne firent que le rendre plus soupçonneux et plus défiant. Peu rassuré sur ses intentions à son égard, il eut même la précaution de placer pour la nuit une forte garde devant sa case ". 1. P. La Vaissièrc, ouvrage cité, p. 8 et suiv. Cf. Jourual du P. Nacquart. 2. Flacourt, éd. 16(il, p. 220, 259 et suiv. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 121 De retour au Fort, le g-ouverneur apprit la mort d'un certain nombre de Français, notamment celle du P. Gondrée. En moins d'un an cinquante avaient déjà succombé, tant au Fort qu'à Ghalemboule ou dans le voyag-e qu'ils avaient accompli avec Descots et Leroy. Quant à ceux qui survécurent, ils étaient tous très malades. Pour comble d'infortune, les colons manquaient de tout, de vivres, de vêtements, de médicaments. Ils étaient contraints de vendre leurs chemises pour se procurer des vo- lailles, qui pourtant s'achetaient à vil prix. Dans dételles con- ditions, leur guérison devait être longue et difficile. Go n'est en efiet qu'au bout de six mois qu'ils purent recouvrer la santé \ Dès que ses g-ens furent rétablis, Flacourt, à qui sa robuste constitution avait permis d'échapper à la maladie, les envoya explorer diverses contrées où ils « n'avoient point encore esté à la découverte »*. Sur ces entrefaites (juin 1649) douze indigènes du pays des Mahafales arrivèrent à Fort-Dauphin. Ils venaient, de la part de leur chef Andrian Manhelle, demander au gouverneur de les soutenir dans une g^uerre contre un autre chef indig-ène, Andrian Raval, qu'ils accusaient de leur avoir volé deux mille bœufs et plusieurs esclaves. Flacourt, qui était peut-être flatté de jouer le rôle de défen- seur des opprimés, mais qui voulait surtout épargner ses pro- visions et espérait se procurer des vivres par une intervention dans la lutte, prit parti pour Andrian Manhelle^. Il envoya à 1. Nacquart : Lettre à saiot Viuceut de Paul, 9 février 1650 {Mémoires de la Misaion, t. IX, p. 83 et suiv.). 2. Flacourt, éd. 1638, brochure citée, p. 9. Quelles sont ces contrées? L'historien de Madagascar ne les nomme pas, ce qui est regrettable, car il serait intéressant d'apprendre d'une façon précise jusqu'à quel point il a poussé l'exploration dans l'intérieur des terres. 3. Flacourt a donné dans sa Relation le motif de son intervention. Il s'in- digne de voir que « les chefs indigènes ne fout point la guerre à leurs voi- sins pour avoir été offencés : mais seulement à cause qu'ils ont bien des bœufs et qu'ils sont riches, disaus hautement que ceux-là sont leurs ennemis qui ont beaucoup de bœufs. » Kt il ajoute, en se donnant le noble rôle de justicier : « C'est ce qui m'a meu d'envoyer des François à la guerre pour des seigneurs du païs, afin de les deffendre contre leurs ennemis qui les oppri- moient et inquiétoieut pour un semblable sujet >'. Or, le témoignage du P. Nacquart prouve, au contraire, que Flacourt n'a pas eu simplement pour 122 ftTIENNK 1)K l'I.ACOURT ce dernier qualor/e Français et quelques Malgaches sous le commandemenl de Leroy, à condition que les Français rece- vraient une part du butin fait sur l'ennemi. Cette intervention devait l'entraîner dans do nouvelles luttes. En e(Tel, les grands d'Anossi et particulièrement Ramach épiaient ses mouve- ments et observaient ses actes. Ils furent probablement irri- tés de le voir soutenir la cause de Manhelle qui, s'il faut en croire le P. Nacquart, se plaignait à tort de Raval*. Le roi d'Anossi, qui conservait le souvenir des actes de violence des Portugais et de Pronis, craignit d'avoir affaire à de nouveaux ennemis. N'osant attaquer les Français ostensiblement, d'ac- cord avec d'autres chefs du pays, Tserong et Machicore, il excita contre eux une peuplade voisine, les Ampâtres. Leroy fut assailli par ces indigènes, pendant qu'il ramenait le bétail pris dans l'expédition contre RavaP. Il dut écrire au gouver- neur pour lui demander du secours. Celui-ci fit partir dix-huit soldats sous les ordres de Laroche. A l'aide de ce renfort, le détachement put continuer sa route. En chemin, les Ampâ- tres dénoncèrent aux Français les menées des grands d'Anossi. Un de leurs chefs conseilla même à Leroy de s'en défier, lui révélant que Machicore avait donné l'ordre à son frère de mar- cher contre la petite troupe de Laroche, avec trois cents hommes, mais que ceux-ci n'avaient pas osé prendre l'offen- sive. but de faire triompher la cause de la justice, mais de partager les dépouilles de l'ennemi. D'après ce missionnaire, contemporain et auxiliaire du gouver- neur, les guerres entreprises par les Français dans l'île auraient été « faites à l'occasion de quelques bœufs. » Il nous apprend aussi qu'on cherchait toutes sortes de prétextes pour les entreprendre et les justifier, o Ou dit ici, écrit-il à saint Vincent de Paul, qu'on y trouvera bien des prétextes pour le passé et pour l'avenir: et je sais bien qu'il n'y en peut avoir que de faux et capables de détruire l'oeuvre de Dieu et de perdre le salut de ceux qui les continue- ront ; si l'on guerroie, c'est pour éparguer un peu de marchandise ». Le récit de Flacourt lui-même suffirait d'ailleurs à montrer qu'il ne se désintéressait pas du butin. Voir Flacourt, éd. 1658, p. 95 et suiv. ; Mémoires de la Missioîi : Lettre du P. Nacquart à saint Vincent de Paul, p. 79 et 87, 99 et 100. 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 132. 2. C'est celte agression qui expli([ue cette affirmation de Flacourt que «la guerre a été commencée par eux « et « qu'ils le savent bien » (éd. 1661, p. 84). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 123 Ail moment où les Français se défendaient contre les at- taques des indigènes, le gouverneur lui-même courait de grands dangers à Fort-Dauphin. Un Hollandais, nommé Sibran, abandonné dans ces parages par le commandant d'un navire qui y était venu faire la traite des nègres, profita du départ des Français pour tenter de soulever les habitants des alen- tours contre Flacourt. Sa tentative ayant échoué, il s'enfuit pendant la nuit. Cette fuite précipitée dévoila ses mauvaises intentions. Informé de ce complot, Flacourt envoya ses gens à la poursuite du traître. Celui-ci se réfugia auprès des grands du pays d'Anossi qu'il excita à la guerre contre les Français. Mais les chefs indigènes ne répondirent pas à son appel. An- drian Ramach lui conseilla même de rentrer au Fort et lui proposa de demander sa grâce au gouverneur. Sibran se laissa convaincre. Cependant Flacourt, qui redoutait de sa part une nouvelle trahison, s'empressa à son retour de le faire mettre aux fers et profita de la première occasion pour l'expédier en France. Dans ces tristes conjonctures, le Saint-Laurent revint à l'anse Dauphine. Il était chargé de riz et ramenait les douze exilés de l'île Mascareigne. Mais, en dépit de ses instructions, le capi- taine Le Bourg n'avait pas abordé à l'île Mascareigne. D'après Flacourt, il avait fait fausse route « pour s'en exempter » et s'était borné à y envoyer une barque*. Flacourt interrogea les douze exilés sur les ressources de cette île qu'ils lui représen- tèrent comme très fertile. Les renseignements qu'il en obtint le déterminèrent à renvoyer un mois après le navire dans ces parages. Cette fois il donna l'ordre formel au capitaine Le Bourg de passer à l'île Mascareigne, pour en prendre posses- sion au nom du roi, et d'y déposer quatre génisses et un tau- reau, afin d'en multiplier l'espèce. Tel fut le mauvais vouloir 1. Le veut fut-il contraire? Le capitaine a-t-il simplement cédé aux ins- tances du Prouis à qui pouvait déplaire la mission de ramener ceux qu'il avait lui-même exilés? Nous l'ignorons. En tout cas, on se demande quel est le motif qui aurait pu pousser à agir ainsi ce capitaine que le gouverneur ne manque jamais de soupçonner ou même d'accuser. 124 ETIENNE DE FLACOURT du capitaine qu'il mit plus de cinq semaines à gagner celte île à laquelle il donna le nom de Bourbon, et qu'il revint sans rien rapporter de sonvoyage\ Cependant la conduite de Flacourt n'était pas de nature à dissiper parmi les peuplades indigènes les craintes que leur inspirait la présence d'un aussi redoutable voisin. Bien qu'il n'en fasse aucunement mention dans ses Mémoires, il est cer- tain qu'il leur avait déjà donné de nombreux sujets de mécon- tentement et de colère. Il avait porté la guerre jusque dans l'intérieur des terres; ses gens avaient pillé et brûlé de nom- breux villages, massacré des chefs indigènes, des femmes, des enfants^ n'épargnant, au témoignage de son compagnon, le P. Nacquart, « ni le fer_, ni le feu pour massacrer des inno- cents » *, Le gouverneur ne paraît pas davantage s'être efforcé d'en- tretenir de bonnes relations avec les chefs indigènes, surtout avec Andrian Ramach qui était le chef le plus puissant de la contrée et avait de nombreuses raisons de suspecter ses inten- tions. Il lui donna même l'exemple de la perfidie, ainsi qu'on peut le constater par son propre récit. C'est ainsi qu'il fit per- cer la culasse et boucher avec du plomb l'orifice d'un mousquet qu'il voulait offrir à Andrian Tsissei, parce qu'il avait appris que celte arme devait être remise au roi d'Anossi et que celui- 1. Flacourt, éd. 1658; Relal., 255 et suiv ; brochure, p. 10. 2. Dumont d'Urville laisse entendre (Voyage pittoresque autour du monde, p. 72) que ce serait au P. Nacquart lui-même qu'il faudrait attribuer la res- ponsabilité de ces guerres. C'est lui qui, par son prosélytisme, aurait été la cause des « quelques actes de barbarie et de maladroite politique », auxquels s'était laissé aller Flacourt. Cette accusation nous paraît tout à fait mal fondée. Comme nous le verrons plus loin, rieu n'était plus contraire aux idées, aux sentiments et aux intérêts même du missionnaire que la lutte entreprise par le gouverneur contre les indigènes et, surtout que les moyens violents auxquels il avait recours pour obtenir leur soumission. Au reste, Flacourt n'entendait recevoir les conseils de personne. C'est donc lui seul qui doit porter la responsabilité de ces guerres. (Voir Mémoires de la Mission, t. IX : Lettres du P. Nacquart à saint Vincent de Paul et au P. Lambert, du 9 et 10 février 1G50, p. 87, 88, 99, 100.) Au témoignage d'Angeleaume et du commis Philippe Poirier, qui étaient bien placés pour le savoir, la guerre aurait commencé dès le départ du capi- taine Le Bourg, 18 février 1650 (Flacourt, 1661, p. 401, 406 et suiv.). ou LES ORIGINES DE LA C0Li)NISVTIO>; l'llVXn.\ISE A MADAGASCAR 125 ci se proposait de s'en servir contre lui. Pronis et l'armurier étaient seuls dans la confidence. Celte combinaison éclioua par l'indiscrétion du premier qui avertit son parent ïsissei de prendre garde au mousquet. Le chef indigène prévint à son tour Andrian Ramach qui, indigné de ce procédé, proféra des menaces contre celui qui voulait attenter à ses jours. Ces menaces parvinrent aux oreilles du g-ouverneur. Soupçonnant aussitôt Pronis d'être l'auteur de cette trahison, il le fit arrêter et le retint huit jours prisonnier; puis sur les protestations de Pronis lui-même, qui affirmait n'avoir eu aucun dessein cri- minel, il lui rendit la liberté et le reprit même comme com- mensal'. Sur ces entrefaites, le Saint-Laurent revint de Mang'habé. Ennuyé de ne recevoir aucune nouvelle de France et déses- pérant de mener à bien l'œuvre qu'il avait entreprise, faute de secours, Flacourt song-ea à profiter du prochain départ de ce navire pour retourner en France. 11 fit ses préparatifs de dé- part. Puis sa résolution chang'ea brusquement : il prit le parti de rester encore trois ans dans l'île. Comme la saison pressait, bien que le navire fût en très mauvais état, il donna l'ordre au capitaine Le Bourg' de partir le plus tôt possible. On charg-ea le navire de cuirs, de tabaC;, de bois d'aloès, de cire, de gomme, d'exquine, de santal, de tamarin, et de nom- breux échantillons de produits ou objets rares, « le tout, dé- clare Flacourt, amassé par mon seul soin et diligence sans que Le Bourg-, ni Pronis y eussent contribué du leur »'. Le 1. Flacourt, éd. 1661, p. 271. 2. D après Flacourt, si le navire u'emportait pas plas de produits, la faut.e BQ était aux associés de la Compagnie qui u'avaient point envoyé de barque avec le navire, malgré la recommandation qui leur avait en été faite avant le départ : « Car en ce païs-là, dit-il, un navire sans barque, c'est un corps sans âme, et une ou plusieurs habitations sans barque, c'en est de même : car comme tout le négoce ne se fait pas eu un endroit, il faut des barques pour aller de costé et d'autres quérir et amasser les choses nécessaires pour la charge du navire. Si j'eusse eu une barque de quarante tonneaux, en deux ou trois voyages, elle eût apporté, des Àntavares, plusieurs charges d'Hebène et plusieurs autres choses que Ion eust connues bonnes pour porter en France » (Flacourt, éd. 1638, p. Il, brochure). 126 ETIENNE DE ELACOUHT capitaine, qui pendant son dernier voyage à Manghabé avait perdu la moitié de son équipage, demanda au gouverneur cin- quante hommes pour sa défense. Celui-ci lui abandonna très volontiers ceux qui s'étaient révoltés contre Pronis et avaient accompli leur temps de service, ainsi que Pronis lui-même, dont la présence le gênait. Le Saini-Laure?it T^arli (19 février 1650), Flacourt demeura seul avec cent huit hommes pour résister aux grands de la province d'Anossi. Ce nombre était d'autant plus insuffisant que les indigènes, irrités du pillage de leurs villages et du massacre de leurs com- pagnons, se montraient chaque jour plus disposés à en tirer vengeance. « Il n'y a point, écrivait le P. Nacquart le 9 février 1650, à craindre des persécutions, ni des dangers, quand on est avec quelques Français qui portent des armes; mais seul, il n'y a guère de sûreté, particulièrement dans les lieux où l'on a pillé et brûlé ces pauvres gens qui sont toujours sur la méfiance et qu'on a peine où aborder...»'. C'est ainsi que deux Français furent massacrés par les Ampâtres. N'osant avec sa petite troupe entreprendre une expédition contre cette peu- plade, le gouverneur français dût recourir aux naturels eux- mêmes. Il envoya le lieutenant Leroy avec trente Français demander un renfort de mille hommes à Andrian Panolahé, chef des Manamboulois. Leroy fut en même temps chargé d'explorer un pays éloigné, situé vers la rivière de Ranou- mainty et d'y acheter du bétail (11 avril 1650)*. Quelques jours après, Flacourt ayant appris le retour à Fort-Dauphin d'un Français nommé Ranicaze qui avait voulu attirer ses compatriotes dans un guet-apens et leur avait dé- robé cent vingt bœufs, voulut le mettre aux fers. Il ne céda que devant Tintervention du P. Nacquart. Cependant la plus grande cordialité n'avait pas toujours 1. Mcinoires de la Mission, loc. cit., p. 87 et 92. 2. Flacourt, éd. 1661, p. 272 et suiv.; éd. 16.j8, brochure, p. 10 et suiv. Le Hanouniaiaty est une rivière qui, sur la carte de l<"lacourt, se jette dans la rivière de Saiat-Augustiû. Nous n'avons pu déterminer exactement de quelle rivière il s'agit. Peut-être faut-il y voir le Sakondry ou le Taheza de nos cartes actuelles? ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 127 régné entre le g-ouverneur et le missionnaire. La nature gé- néreuse, enthousiaste, désintéressée du jeune prêtre s'accom- modait difficilement du caractèi-e pradent, réfléchi, pratique de ce gouverneur d'un âge déjà mûr. Leurs idées, leurs projets, leurs intérêts n'étaient pas moins opposés que leurs caractè- res. Conquête de territoires, gloire des armes, honneurs, dignités, voilà surtout ce que rêvait Flacourt. Conquête des âmes, bonheur éternel, tel était surtout le but que se propo- sait le P. Nacquart. L'un aspirait à jouer le rôle d'un conqué- rant et n'avait rien tant à cœur que de plaire à la cour et au roi ; l'autre voulait marcher sur les traces de saint François- Xavier, et avait pour principale préoccupation de donner sa- tisfaction à son supérieur et déplaire à Dieu. Si le gouverneur ne se désintéressait pas de la cause catholique, par contre le missionnaire se souciait peu des avantages temporels de l'en- treprise. Flacourt était guidé par le désir de servir les inté- rêts matériels de la Compagnie, Nacquart par l'esprit d'abné- gation et de charité ; l'un voulait faire œuvre d'administrateur, l'autre de missionnaire; le premier représentait les intérêts civils, le pouvoir temporel; l'autre, les intérêts religieux, le pouvoir spirituel. Cette opposition d,e caractères, d'idées et d'intérêts devait nécessairement faire naître un conflit. Dès les premières relations, des dissentiments se révélèrent en effet entre le missionnaire et le gouverneur. Les gens que le gouverneur avait amenés avec lui avaient été recrutés dans toutes les classes de la société. Nombre d'entre eux ne se fai- saient aucun scrupule de tenir en présence du gouverneur et du missionnaire des conversations légères ou immorales. La perle de leurs illusions, les disettes, les privations de toutes sortes qu'ils enduraient, la triste perspective de ne plus revoir la mère-patrie, dont ils ne recevaient aucune nouvelle, les avaient jetés dans un profond découragement. Dans ce pays de mœurs faciles, du découragement à la débauche il n'y a qu'un pas. Ils menèrent bientôt une vie licencieuse et désor- donnée. Soit par indifférence, soit par crainte de s'aliéner les colons et ses auxiliaires, le gouverneur fermait les yeux sur 128 ÉTIENNK DK FLACOURT ces désordres. Le pieux missionnaire, qui était scrupuleux et voulait rester fidèle à sa conscience, s'en montrait au contraire scandalisé cl attristé. «Je n'ai pas trouvé peu de difficultés, mandait-il a saint Vincent de Paul, à pratiquer ce que vous m'aviez écrit touchant la conversation douce et respectueuse, mais fidèle à tenir le parti de Dieu et à ne point trahir ma conscience, car vous savez que les discours des séculiers sont trop souvent des choses qui ne devraient pas être entendues d'un prêtre. Lorsque l'impureté ou la médisance qui d'ordi- naire va sur les ecclésiastiques ou autres personnes se mê- laient dans les entretiens, j'ai lâché de détourner le discours, le plus doucement que j'ai pu, et en voulant rester fidèle à Dieu et à ma conscience, ce n'a pas été sans me rendre odieux; mais des deux j'ai choisi plutôt de plaire à Dieu qu'aux hommes, crainte de perdre les qualités de serviteur de Jésus-Christ. Il n'y a eu que M. de Flacourt qui l'ait trouvé mauvais. ' » La conduite des colons n'affiigeait pas seulement le mis- sionnaire parce qu'elle était contraire aux principes de morale et de la religion dont il était le ministre austère, mais encore parère qu'elle lui semblait de nature à compromettre l'œuvre qu'il se proposait d'accomplir. II était convaincu qu'il ne par- viendrait à attirer les indigènes vers la religion catholique que si les Français leur donnaient eux-mêmes le bon exemple. Voilà pourquoi il témoignait au gouverneur toute l'indigna- tion qu'il ressentait à la vue des fautes de ses subordonnés et n'hésitait pas à réclamer des châtiments pour les coupables. « Il n'y a J)oint ici, écrivait-il, de punition pour les Français scandaleux, ni pour les vilains et les vilaines du pays qui sont au service de l'habitation; » les Français en sont quitte pour dire : « Nous n'irons point à confesse » ; les autres disent que ce sont des chiens. N'y aura-t-il pas moyen que ces Messieurs établissent une justice'? » D'un esprit impatient, comme il l'avouait lui-même, il ne 1. Mémoires de la Mission : Lettre du P. Nacquart à saiut Vincent de Paul, du 9 février 1650, t. IX, p. 11 et 18. 2. Mémoires de la Mission, t IX, p. 79. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 129 se contentait pas de vouloir empêcher l'immoralité dans les paroles et dans les actes, il prétendait encore faire observer toutes les prescriptions de l'Église, avec autant de rigueur et de ponctualité qu'il l'aurait exigé en France. Il voulait impo- ser aux colons le repos dominical avec autant de scrupule que dans un pays civilisé. Il voyait avec peine les indigènes au service de la colonie travailler les dimanches et fêtes, sans permission et avant la messe, contrairement aux règlements de l'Église qui interdisent de se livrer au travail sans nécessité et sans dispense, et ne l'autorisent qu'après la messe. Indigné de voir le peu de cas que les membres de la colonie, sans en ex- cepter le gouverneur, faisaient de la loi d'abstinence, bien qu'il eut déclaré maintes fois qu'il ne dispensait personne de la suivre, sans des raisons légitimes, il se plaignait qu'ils vécussent comme des huguenots sous ce rapport. Il adressait aux colons de vifs reproches*. Ceux-ci le renvoyaient à leur chef. Fia- court, peu scrupuleux, désireux avant tout de vivre en bonne intelligence avec ses subordonnés, refusait d'entendre ses ré- clamations ou l'écoutait froidement. Il l'accusait de vouloir « donner la loi et entreprendre par ambition sur le temporel ». De son côté, le P. Nacquart lui reprochait de ne s'occuper que du temporel, de n'être pieux qu'en apparence, de se contenter de belles paroles et de ne point contribuer, par son exemple, et son autorité, à l'accomplissement des desseins de Dieu^ Tout en s'efforçant de réformer les mœurs des colons, le missionnaire s'employaitàgagner leur amitié et leur affection. Il les voyait dans le plus grand déniiment, en proie à toutes sortes de privations, à la maladie, contraints de déchirer leur linge pour panser leurs plaies; il les entendait se plaindre de mourir faute de nourriture et de médicaments. Ne s'assure- rait-il pas leur gratitude en portant remède à leurs souffran- ces? Par malheur, ses faibles ressources avaient été bien vite épuisées. Ému de compassion, il s'en allait demander respec- tueusement du secours au chef de la colonie, à celui qu'il 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 18 et suiv» 2. Ibid. 130 ETIENNE DE ELACOUUT appelle ironiquement le père de famille. Flacourt, qui se trouvait lui-même dans une situation embarrassée, ot qui ne recevant aucune nouvelle delà Compag^nie, redoutait Tavenir, se croyait tenu de distribuer les vivres ou les médicaments avec la plus grande parcimonie. Aussi accueillait-il les plain- tes et les demandes du P. Nacquart avec la plus mauvaise grâce, le renvoyant à son bréviaire et le priant de ne se point mêler des alTaires temporelles. 11 se montrait d'autant moins disposé à faire droit à ses réclamations qu'il le soupçonnait de pousser ses subordonnés à tenir sur son compte des propos désobligeants, qu'il le regardait comme le fauteur de tout leur mécontentement, et que ses prévenances àleur ég^ard lui parais- saientde nature àentretenir parmi euxdes ferments de révolte *. Mécontent, à juste titre, de se voir rebuté et suspecté, le P. Nacquart seplaig-nait à saint Vincent de Paul de ne recevoir aucun secours du chef de la colonie, en dépit des promesses qu'on lui avait faites avant son départ. « Vous nous aviez mandé, lui écrivait-il, que ces Messieurs nous donneraient les choses nécessaires pour la nourriture et le vêtement, et M. de Flacourt, d'après ce qu'il m'a dit à La Rochelle et ici, n'entend pas fournir de vêtements, en sorte que, pour ne pas le contrister, j'ai employé à La Rochelle en étoffe^ en linge et autres menues nécessités, environ les deux tiers de ce que vous nous aviez envoyé d'argent, sans quoi je ne por- terais plus Fhabit de prêtre, non plus que M. de Bellebarbe qui est à présent vêtu de gris. J'ai dépensé ici le reste à l'excep- tion de six écus, pour avoir les choses nécessaires et suppléer au trop peu que l'on m'a donné pour aller visiter les pauvres à la campagne : éclaircissez-vous de cela, si vous envoyez ici quelqu'un et spécifiez tout afin qu'il n'y ait pas mésintel- ligence. J'ai mieux aimé dépenser tout que d'avoir la moindre parole et je me suis encore engagé pour cent francs envers le capitaine de notre vaisseau, comme je vous le manderai dans une lettre exprès pour lui... »*. 1. Mémoires de la Mission., t. IX, p. 77 et suiv. 2. Ibid.., p. 77. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR ni Il ne dissimulait pas son mécontentement à ce sujet au gouverneur lui-même et lui reprochait de ne point s'acquitter des obligations que la Compag-nie de l'Orient avait contractées à l'égard de la Gongrég'ation de la Mission. Flacourt suppor- tait impatiemment ces reproches : les exigences du Père (il ne le lui cachait pas davantage) lui paraissaient vraiment exces- sives; sa présence n'était pas d'ailleurs indispensable et l'on pourrait obtenir le concours d'autres religieux qui ne seraient point à la charge de la Compagnie ' . Il n'était pas jusqu'à la pra- tique du culte qui ne fût une occasion de discorde entre eux. Flacourt trouvait que le P. Nacquart ne le traitait pas avec assez d'égards dans l'exercice de son ministère. Il se forma- lisait de ce que le missionnaire n'attendait pas qu'il fût arrivé pour commencer la messe. Le P. Nacquart éclairait de son côté saint Vincent de Paul sur la susceptibilité du gouver- neur : « Quand Monsieur n'avait pas fait sa barbe, le dimanche, lui écrivait-il, il fallait retarder la messe; et il s'est plaint de ce que je le considérais peu, en ne l'avertissant pour prendre sa commodité et qu'il y aurait quelque jour d'autres prêtres ici. Je lui fis observer que j'avais donne charge à son serviteur de prendre garde quand il ne serait pas prêt, et de m'en avertir avant le dernier coup sonné, qu'à ce moment chacun étant assemblé et le prêtre habillé, il n'est plus temps d'avertir ^ » Perdant l'espoir de remplir jamais les obligations de son ministère, il proposa à saint Vincent d'abandonner le soin des colons à des prêtres séculiers, ce qui permettrait aux mission- naires de diriger tous leurs efforts vers l'établissement d'une communauté indépendante du chef de la colonie et la conver- sion des indigènes ^ Il estimait que cette séparation s'impo- sait à cause du caractère autoritaire, ombrageux et soupçon- neux de Flacourt, de tous les hommes, à l'en croire, le plus difficile à aborder, en présence duquel il n'osait ouvrir la 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 19 et 80. 2. Ibid., p. 80. 3. Ibid. 132 ETIENNE DE ELACOUUT bouche le plus doucement du monde, dans la crainte de se voir aussitôt congédié publiquement. Cette séparation ne lui paraissait pas moins nécessaire, pour éviter le contact des séculiers qui, dans les repas et en tout le reste, ne gardaient aucune réserve, aucune mesure. Il n'y voyait aucun obstacle, puisque leur institut ne leur prescrivait pas de se soumettre aune autre autorité que celle du supérieur de la Mission lui- même. Que si toutefois l'on ne pouvait se séparer, il était de toute nécessité que tout fût réglé avant le départ des mission- naires que l'on pourrait envoyer dans la suite à Madagascar '. Les relations entre le pouvoir temporel et le pouvoir spiri- tuel devinrent si tendues que le P. Nacquart songea plusieurs fois à confier à un autre prêtre les intérêts religieux de la co- lonie, « De ceci, écrivait-il encore à saint Vincent de Paul, vous jugerez du désordre actuel et de la peine que mon pau- vre cœur en a ressentie. Ce qui m'a fait dire bien des fois que, sans l'obéissance, j'aurais secoué ce joug insupportable à un pygmée comme moi, pour m'en décharger sur un plus fort, spécialement à cause du traitement de M. de Fia- court'. » Certain qu'il n'amènerait jamais le gouverneur à son senti- ment, et qu'il ne pouvait compter sur l'exemple des Français pour convertir les naturels, le missionnaire résolut de recourir à l'influence de leur chef Andrian Ramach. Six jours après son arrivée à Fort-Dauphin, ayant ouï dire que le roi de la province d'Anossi avait demeuré trois ans à Goa d'où il avait été ramené par les Portugais, à l'âge de dix- sept ans, il lui avait fait visite à sa résidence de Fanshere, en se présentant de la part de Flacourt. Il avait reçu de ce roi bon accueil ; il l'avait entendu réciter le Pater, VAve et le Credo en portugais et même après avoir fait des signes de croix sur le front, la bouche et le cœur, prononcer ces paroles caractéristiques : ft Per signum sanctae Crucis, de inimicis nostris libéra nos, Do- 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 91 et 92. 2. Ibid., p. 89. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 133 mine'. » Bien que baptisé, Ramach avait repris les cou- tumes et la religion de ses ancêtres, mais il avait exprimé au missionnaire le désir de les abandonner pour revenir à la religion catholique. Frappé de la piété qu'il avait montrée dans plusieurs circonstances, sachant qu'il avait une très grande autorité sur les indigènes, le P. Nacquart comprit qu'il était du plus haut intérêt de gagner l'amitié d'un tel homme. Il consacra tous ses efforts à entretenir avec lui les meilleures relations. Non content de solliciter de saint Vincent de Paul l'envoi de cadeaux destinés au chef indigène' et aux ombiasy, il insistait auprès de Flacourt, pour qu'il rétablît comme roi à Fanshere celui qu'il avait dépossédé de son pouvoir et qu'il créât dans ce village une petite colonie et un séminaire de jeunes indigènes. Il espérait avec leur concours catéchiser tous les habitants de la contrée et améliorerleurs mœurs. Mais il ne doutait pas que cette façon d'agir serait désavouée par les associés de la Compagnie, particulièrement attachés à leurs intérêts matériels, et il exprimait à son supérieur la crainte qu'il n'accordât trop de confiance à leurs belles paroles. Pour lui, il avait la conviction que, si les associés avaient promis de consacrer de grandes sommes à la défense des intérêts religieux de la colonie, c'était dans l'unique but d'obtenir l'exemption des droits d'entrée en France pour les navires qui y apporteraient des produits de Madagascar et qu'ils n'étaient point disposés à se montrer fidèles à leurs pro- messes*. Flacourt était venu dans l'île, ainsi que l'a reconnu le P. Nacquart lui-même^ avec les meilleures dispositions. La conversion des indigènes, sans être sa principale préoccupa- tion, ne le laissait pas indifférent. Mais la guerre continuelle qu'il leur faisait, les dépenses qu'elle occasionnait, le pous- saient à ménager ses ressources. Aussi n'était-il pas favorable à cette création d'un séminaire à Fanshere, qui ne laisserait 1. Le P. La Vaissière, Histoire de Madagascar ; ouvrage cité, p. 8 et suiv. Cf. Lettre du P. Nacquart à saint Vinceot de Paul, 1648. 2. Mémoires de la Missioii, t. IX, p. 93. 134 ETIENNE DE FLACOURT pas d'ciiLraîiicr dans de nouvolles dépenses la Compagnie dont il était charg-é de défendre les inlérêls. Il craignait d'ailleurs qu'elle n'eût d'autres résultats non moins funestes pour lui- même et son entreprise. Ne se pouvait-il pas, en effcst, que l'autorité du gouverneur dans la province d'Anossi en fût un peu amoindrie ou même compromise ? L'établissement d'un séminaire d'indigènes, d'une sorte de colonie religieuse où le missionnaire jouirait de la plus grande indépendance n'était pas de nature à le rassurer. L'institution d'un clergé indigène à Fanshere ne ferait-elle pas courir de sérieux dangers pour l'avenir à la colonie de Fort-Dauphin? Conseillers écoutés du Roi, les missionnaires n'allaient-ils pas exercer dans l'île une influence qui mettrait en péril les intérêts de la Compagnie ? D'autre part, Flacourt craignait de s'attirer les reproches de Fouquet qui s'intéressait à la conversion des naturels. Il était partagé entre la crainte de mécontenter la Compagnie qui exigeait surtout des profits, et celle de déplaire aux catho- liques de France qui, influents à la cour^ pouvaient lui savoir mauvais gré de n'avoir point favorisé la propagation de la foi chrétienne dans le pays. De là les ménagements qu'il gardait parfois avec le zélé missionnaire dont les plaintes amères auraient pu parvenir aux oreilles de saint Vincent de Paul. Lorsque le P. Nacquart insistait pour qu'il créât cette colonie et ce séminaire à Fanshere, le gouverneur se bornait à une réponse évasive, déclarant « que ce serait bien dispendieux pour la Compagnie et une entreprise de Roi, quoique d'ail- leurs lui et tous ces Messieurs de Paris eussent la volonté d'y contribuer à Texclusion de tous autres » ^ Mais il ne lui donnait que des preuves de dispositions con- traires. C'est ainsi qu'il lui refusait l'interprète qui lui était indispensable pour traduire ses instructions religieuses aux indigènes '. Quant au rétablissement du roi d'Anossi, Flacourt y était 1. Mémoires de la Mission, t. IX : Lettre du P. Nacquart à saint Viuceut de Paul, 16 février IGfiO, p. 101. 2. lùid. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR i;]5 encore moins favorable. Les idées du gouverneur et du mis- sionnaire, qui étaient en désaccord sur tant de points, s'y trouvaient encore davantage sur la nature des relations qu'il convenait d'entretenir avec les habitants du pays. Le P. Nac- quart désapprouvait entièrement la conduite de Fiacourt. Il ne trouvait pas de termes assez énergiques pour blâmer ses guerres qui n'avaient été entreprises que pour acquérir du butin et qui pouvaient être si préjudiciables aux intérêts reli- gieux. Il s'indignait contre ceux qui n'hésitaient pas à user de la violence pour établir leur domination et assurer le triomphe du catholicisme. « Comment faudra-t-il agir, demandait-il à saint Vincent de Paul, touchant les misérables guerres dont je parle à ces Messieurs? On dit ici qu'on y trouvera bien des prétextes pour le passé et l'avenir; et je sais bien qu'il n'y en peut avoir que de faux et capables de détruire l'œuvre de Dieu et de perdre le salut de ceux qui les continueront ; si l'on guerroie, c'est pour épargner un peu de marchandise . . et l'on dit qu'on ne pourra avoir des bœufs pour faire subsister la colonie sans faire la guerre à l'avenir. Quelques-uns ajoutent que pour rester les maîtres, il faut faire main basse sur les principaux, et que c'est même le moyen de mieux assurer le règne de la religion. Ainsi ont fait les Portugais. Jugez-vous même si cela est juste et quel remède nous pourrons y apporter si nous demeurons ici : c'est à quoi j'ai toujours contredit, d'après l'exemple de Notre Seigneur qui n'a pas commandé aux apôtres de lever des armées pour établir le christianisme, mais bien d'être agneaux parmi les loups. Puisque les indigènes blancs se sont rendus les maîtres par industrie ou par force, il ne faudrait que sub- sister ici et maintenir les noirs dans la jouissance de leurs biens et acquêts pour détruire toute la puissance des grands '. » On comprend que les idées et le langage du P. Nacquart, partisan de la conciliation et de la mansuétude à l'égard des naturels, n'étaient point propres à satisfaire l'inexorable 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 87 et 88. 136 ETIENNE DE FI.ACOURT gouverneur. Les bonnes relations que son auxiliaire cnUeLc- nait avec Andrian Ramach et ses sujets avaient d'ailleurs fait naître en lui toutes sortes de soupçons, et accru sa défiance. Il en vint à le soupçonner d'entreprendre du trafic avec les indig-ènes, sous prétexte de leur offrir des présents. Le moindre cadeau, que le missionnaire offrait aux habitants et aux pe- tits enfants pour les attirer et les instruire plus facilement des premières vérités du christianisme, suffisait à éveiller son at- tention. Bien plus, il lui fit demander un morceau de cristal qu'il avait reçu d'un indigène et qu'il se proposait de tailler en forme de croix pour l'église de la colonie *. Cette défiance n'échappait point à celui qui en était l'objet. Il se montra chaque jour plus prudent, plus circonspect. Dans la crainte que les lettres qu'il envoyait en France ne fussent retenues par le gouverneur, il observa la plus grande réserve dans celles qu'il adressait aux associés de la Compagnie. Sans doute, ce n'est pas sans une certaine ironie qu'il leur écrivait « Vous ne pouviez pas choisir un gouverneur plus porté à maintenir vos intérêts »*, mais il n'y formulait aucune plainte contre Flacourt, qui n'était pourtant guère épargné dans celles qu'il faisait parvenir secrètement à saint Vincent de Paul; Tel était toutefois le contraste de leurs caractères, tel était Tanfagonisme de leurs idées et de leurs intérêts, que la mésin- telligence qui régnait entre eux ne fit que s'aggraver dans la suite. Les choses en arrivèrent à ce point que le P. Nacquart, désespérant de réaliser les vues qu'il avait conçues sur la colo- nisation religieuse de Madagascar, se décida à retourner en France. Mais auparavant, il pria le capitaine Le Bourg de lui servir de médiateur auprès du gouverneur pour en obtenir une entrevue. Cette entrevue lui ayant été accordée sans difficulté, il s'en alla trouver Flacourt et lui demanda conseil sur le parti qu'il devait prendre : ou rester dans l'île, à condition qu'on lui donnerait les auxiliaires nécessaires pour exercer son mi- 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 79 et 80. 2. Ibid., p. 95. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 137 nistère, et qu'on l'autoriserait à écrire à son supérieur sans le suspecter, ou retourner en France pour y solliciter les secours nécessaires à la mission. Cédant à un premier mouvement, le chef de la colonie s'empressa de saisir Toccasion qui s'offrait à lui de se débarrasser d'un auxiliaire qu'il regardait comme importun : il lui conseilla de retourner en France. Le mis- sionnaire déclara qu'il suivrait ce conseil et fit ses préparatifs de départ. Mais il se heurta à l'opposition des indigènes qui, àcette nouvelle, accoururentprèsdesacaseens'écriant : « Quoi ! Père tu t'en vas ! qui nous fera prier Dieu? » Ces marques d'af- fection si touchantes de gens qui avaient su apprécier son dé- vouement, et peut-être aussi la crainte de s'attirer le blâme de son supérieur, pour avoir abandonné son poste sans en avoir reçu l'ordre, le firent réfléchir. Il ajourna son départ. Flacourt de son côté avait aussi réfléchi. Il ne se dissimu- lait pas que bon nombre de colons et de soldats éprouvaient un grand attachement pour celui qui avait été le témoin attristé de leurs souffrances et s'était efforcé de tout son pouvoir d'y porter remède. Le départ du P. Nacquart en laissant chez ces gens de vifs regrets, en les irritant contre celui qui en était la cause, pouvait lui attirer de nouvelles difficultés. Or il avait besoin de tout leur concours pour mener à bien l'expédition qu'il avait entreprise. N'était-il pas à craindre d'ailleurs que le missionnaire n'éclairât Fouquet et la Compagnie sur ce qui s'était passé à Madagascar, qu'il-ne l'accusât de laisser la colo- nie dans le dénûment et le désordre, de négliger les intérêts religieux afin de poursuivre la réalisation de ses projets de conquête? N'était-il pas à craindre aussi qu'il ne préparât dès son retour en France Texécution du plan de colonisation reli- gieuse qu'il avait conçu à Fort-Dauphin, pour se rendre indé- pendant du gouverneur ? Quelque difficile qu'il lui parût de vivre en bonne intelligence avec son scrupuleux auxiliaire, il lui semblait dangereux de s'en séparer. Dans cette alternative, il préféra le garder, se bornant à lui alléguer comme raison « qu'il fallait rester pour satisfaire ceux qui n'étaient pas con- tents du prêtre qui restait, quoique cependant il pût faire pas- 138 ETIENNE DE FLACOURT sablemenlle service de la colonie seul »'. 11 avait en elVel tout intérêt à ne point révéler les véritables motifs qui lui avaient dicté cette détermination ^ En tout cas, le missionnaire ne s'expliqua point cette nouvelle attitude du gouverneur ou du moins il n'a pas laissé entrevoir qu'il la comprît : « Voilà donc nos cu'urs unis, écrivait-il à son supérieur, avec promesse de part et d'autre que ce sera pour la plus grande gloire de Dieu... Je ne sais si c'est la faute du pays où il y a force caméléons, mais il est certain qu'ils ne changent pas si souvent de cou- leur que certains esprits de résolution et d'humeur. Vous êtes tanlùt bien, tantôt mal, et plus souvent mal que bien^ » Mais quoique Flacourt lui eût promis de construire un presbytère près de l'église, et de lui accorder ce qu'il demandait, il n'était pas complètement rassuré pour Tavenir. « Dieu veuille qu'il n'y ail point d'autres changements » *, s'écriait-il dans sa lettre à saint Vincent de Paul. Peu de temps après celte réconcilia- tion, le P. Nacquart était atteint de la fièvre, et, au bout de six jours de maladie, il rendait le derniersoupir (29 mai d650)^ II La conquête par la terreur : Complots des chefs indigènes contre le gouver- neur. — Massacre du lieutenant Leroy et de dix-neuf Français à Maropia. — La disette au Fort. — Attaque de Fort-Dauptiiu par Andrian Ramach. — Pillage de Faushere par un détachement de Français et mort d'Audriau Ramach (juillet 1631). — Voyage de Flacourt à Ghaiemboule et à l'île Sainte- Marie. — Nouvelles luttes des Français contre les naturels. — Soumission des maîtres de village. — Dures conditions que leur impose Flacourt (li352). — Résistance de Panolahé. — Prosélytisme de Flacourt. — Ruses des indi- gènes et leur échec à Amboule Tsignaue. — La famine. Après le décès du P. Nacquart, les relations des Français 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 104. 2. C'est probablement pour le même motif qu'il s'est abstenu, dans sa re- lation, de parler de ses démêlés avec le P. Nacquart. Il n'a pour lui que des paroles élogieuses (Flacourt, 1661, p. 274 et 27."i). 3. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 105. 4. Ibid . 5. Flacourt, 1661, p. 274. ou LES ORIGINES DE LA (COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR \:V.) avec les Malgaches devinrent encore plus hostiles. Un profond désir de vengeance couvait dans le sein des populations dont le territoire avait été pillé et ravagé. On en eut bientôt la preuve. Le H juin 1650, douze colons s'étaient rendus au vil- lage de Fanshere pour assister à la fête d'une circoncision. Par honneur pour le chef du pays, Andrian Ramach,ils firent une décharge de mousquets. Malheureusement la bourre d'un de ces mousquets vint à être projetée sur une case qui prit feu. A la vue de la flamme, quelques indigènes se mirent à crier : Tue, tue, pour exciter leurs camarades à l'éteindre. Mais ces derniers interprétèrent mal ce cri qu'ils prirent pour une exci- tation à massacrer les Français. Au nombre de quatre mille, ils allaient se précipiter sur eux lorsqu'ils en furent empêches par Andrian Ramach. Soit qu'il fût décidé à ménager pendant quelque temps encore le chef des Français, soit qu'il fût per- suadé de rinefficacité d'un tel massacre, tant que le chef de la colonie serait sain et sauf, il s'interposa et les sauva d'une mort certaine. Cependant lesmauvaises dispositions des grands de la province d'Anossi ne tardèrent pas à se révéler. Irrités de la perfidie dont Flacourt avait fait preuve à l'égard de l'un d'eux, ils cherchèrent l'occasion de le surprendre pour l'assas- siner, espérant que, lui mort_, il ne viendrait plus de Français dans l'île. A l'instigation d'Andrian Ramach, ils se réunirent à Fanshere, sous prétexte de régler une querelle de famille. En fait, ils se consultèrent sur les moyens à prendre pour se débarrasser de leurs ennemis. Ils mirent en avant différents projets que le commandant de Fort-Dauphin apprit dans la suite d'un indigène de ses amis, Rassambe Manghave. C'est ainsi qu'ils s'étaient proposé de le massacrer avec tous ses compagnons, s'il fût venu à la cérémonie de la circoncision qui eut lieu à Fanshere. Flacourt, qui s'était avancé à deux lieues du Fort, en fut averti à temps, Il ne leur échappa qu'à la faveur des ténèbres. En même temps, une vaste conspiration s'ourdissait dans la province d'Anossi. Le roi avait donné l'ordre à tous les autres chefs de son territoire de se tenir prêts à marcher sur 140 ETIENNE DE FLACOITRT Fort-Daupliin à la première alerte. S'il faut en croire Tan- cien gouverneur, il ne se passait pas de jour sans qu'on vînt l'infornier d'un nouveau complot tramé contre sa personne. La preuve de l'cffervescenco qui agitait les peuplades du sud de- vint bientôt évidente. Flacourt apprit coup sur coup l'assas- sinat d'un Français, nommé Guitaut, ainsi que la nouvelle d'un complot tramé par Ranicaze et les chefs malgaches. Ceux-ci avaient rassemblé une armée de plus de dix mille hommes. Une partie de cette troupe commandée par Andrian Machicore devait aller à la rencontre du lieutenant Laroche, parti à la recherche de Leroy; le reste, sous la conduite d'An- drian Tserong, avait reçu l'ordre de surprendre Fort-Dauphin. Informé de leurs intentions, le gouverneur résolut de les at- tendre de pied ferme. Toutefois il ne laissait pas d'être inquiet sur le sort de Laroche qui n'avait pour se défendre que douze Français. Ces derniers furent en effet assaillis du côté d'Ivoule par Machicore, à la tète de six mille hommes, armés pour la plupart de sagaies et quelques-uns de mousquets qu'ils te- naient soit de Pronis, soit des matelots du capitaine Cocquet, Ils lui opposèrent une telle résistance qu'en'dépit de leur petit nombre^ ils le forcèrent à demander la paix et purent revenir au Fort. Deux de leurs hommes avaient été mis hors de com- bat. L'un d'eux, Nicolas Debonnes, avait été tué ; l'autre, blessé par les mousquets de l'ennemi \ Quant à Flacourt, prévenu à temps, il avait pointé une pièce de canon devant le Fort et mis tous ses gens sous les armes. Ce déploiement de forces obligea les indigènes à battre en retraite. A peine les Français avaient-ils échappé à ce danger qu'ils apprenaient une nouvelle trahison de Ranicaze. Ce traître s'était entendu avec deux chefs malgaches pour dresser des em- bûches à quelques colons que l'on avait envoyés au village d'Icrabe pour y acheter du bétail". Les Français découvrirent 1. Flacourt, éd. 1661, p. 275 et suiv. 2. Village de la province d'Anossi, situé un peu au-dessus de la pointe d'I- ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 141 par hasard le piège qu'on leur tendait, et s'emparèrent de Ra- nicaze que Flacourt ordonna de mettre aux fers. Voyant qu'ils avaient manqué leur coup, les chefs firent des propositions de paix au chef de la colonie. Mais Flacourt, que ces intrigues réitérées rendaient de plus en plus défiant, les repoussa'. Dès lors, il se prépara sérieusement à la lutte. Il augmenta la défense du Fort et dépêcha au lieutenant Leroy de retour à Manamboule quatre nègres pour lui recommander de rassem- bler le plus de Manamboulois qu'il pourrait. Il l'averlit tou- tefois de se défier de ses auxiliaires. Cet avertissement ne fut que trop justifié parles événements. Le 1" octobre 1650, neuf Français arrivaient de Manamboule. Ils apportaient au gou- verneur de tristes nouvelles. Andrian Carindre, chef des trou- pes recrutées par Leroy, s'était laissé gagner par les présents des grands et avaient fait massacrer à Maropia* dans un odieux guet-apens Leroy et dix-neuf de ses compagnons qui avaient recueilli des cristaux daus la rivière de Saint-Augus- tin ^ Au milieu de toutes ses luttes contre les naturels, Flacourt était contraint d'entendre les murmures de ses subordonnés qui craignaient sans cesse de manquer de vivres. Pour les apaiser, il chargea vingt-cinq d'entre eux d'aller chercher du bétail à Imours, village situé à quelques lieues du Fort (10 sep- tembre 1650). Il était plus difficile de se procurer du riz dans un pays sans cesse ravagé et qui n'offrait que Taspect d'un désert. Flacourt se trouva alors pris à son propre piège, et fut obligé d'envoyer des colons en acheter au loin, du côté de Manghabé et de l'île Sainte-Marie, ce qui nécessita la cons- truction d'une barque. Tandis que les Français étaient occupés à la construction de cette barque, ils furent de nouveau attaqués par Andrian tapère (voir Flacourt, éd. 1661 : Carte de Carcaaossi, vallée d'Aïuboule et partie du pays des Machiicores eal'isle de Madagascar). 1. Flacourt, édit. 1661, p. 282. 2. Village situé entre les lleuves Mauampany et Mandrare. 3. Flacourt, éd. 1661, p. 289 et suiv., p. 44 : Lettre d'Angeleaume. 142 ETIENNE DE FLACOURT Ramach, qui s'avança contre le Fort avec dix mille hommes (22 janvier 1651). Le g-ouverneur, ayant remarqué que les mousquets de la petite troupe d'avant-garde ne dispersaient pas les indigènes assez vite, donna l'ordre de tirer un coup de canon, qui les mit tous en fuite. Voyant qu'il ne pouvait ni fléchir Flacourt par les prières, ni le vaincre par les armes, Ramach confia à un indigène la mission de corrompre les esclaves attachés au service des co- lons. Cet indigène devait conseiller à l'un d'eux de mettre le feu aux principales cases, et pendant qu'on s'efforcerait d'éteindre l'incendie, le roi d'Anossi viendrait fondre sur les Français avec une nombreuse troupe. Mais l'esclave sollicite avertit Flacourt, qui ordonna de trancher la tête de l'espion, et de la suspendre à un poteau pour inspirer une terreur sa- lutaire à ceux qui seraient tentés d'imiter sa perfidie *. Il est facile de concevoir qu'avec des dispositions aussi malveillantes de la part des chefs indigènes, qu'au milieu de toutes ces surprises, de toutes ces embûches, il n'était pas facile de se ravitailler. Sans cesse menacés de la disette, les colons murmuraient contre le gouverneur. Celui-ci, d'autre part, ne savait quand viendrait le navire qu'il attendait de la Compagnie. Pour se procurer dos vivres, il fit enlever pendant la nuit du 12 mai 1651, à huit lieues du Fort, le chef le plus puissant de la pro- vince d'Anossi, Andrian Ramach_, et ne lui rendit la liberté qu'après en avoir reçu cent breufs et cent paniers de gomme. En même temps, il se hâtait de faire achever la barque qui devait aller chercher du riz à Manghabé. Désespérant de résister longtemps encore aux attaques in- cessantes et aux surprises des indigènes, il se résolut à frapper un grand coup en se défaisant de l'ennemi le plus redoutable, Andrian Ramach. Par ses ordres, le 19 juillet 1631, en réponse à une U'îgèro provocation, un détachement composé de quatre- vingts hommes tant français qu'indigènes et commandé par 1. Flacourt, éd. 1661, p. 295. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 143 Ang-eleaume envahit le magnifique district de Fanshere.Tout fut dévasté et mis à feu et à sang. Les cases des plus pauvres, comme celles des plus riches, devinrent la proie des flammes ; les récoltes furent ravagées ou détruites par Tincendie, le bétail emmené comme butin. Les soldats de Flacourt massacrèrent tous les naturels qu'ils rencontrèrent; les femmes et les en- fants ne furent pas épargnés. Le roi d'Anossi lui-même^ qui avait eu le temps de s'enfuir avec un de ses fils n'échappa point à cet horrible massacre; il fut tué au passage d'une ri- vière. Ainsi pérità l'âgede cinquante et un ans, cethomme qui, dans sa jeunesse, avait été victime du prosélytisme effréné des capitaines de navire portugais, et qui, dans son âge mûr, devait tomber sous les coups dé quelques aventuriers français. La manière dont les soldats de Flacourt se conduisirent dans ces tristes circonstances ne sauraient trouver des défenseurs en un siècle éclairé; il n'en est pas moins vrai que ce massacre, que ce pillage ne suffirent pas à satisfaire le gouverneur sans pitié qui doit en porter la responsabilité. Peu de temps après (10 septembre 1651), le village de Hatere éprouvait le même sort que Fanshere * . Un mois s'était à peine écoulé depuis ces tristes événements que Flacourt s'embarquait pour Ghalemboule, où il comptait s'approvisionner de riz. C'était une imprudence et on lui a re- proché cette faute avec raison*. En effet, le souvenir des actes de cruauté et de barbarie qu'il avait laissé commettre ou qui avaient été commis par ses ordres, était encore présent à l'es- prit des indigènes. N'était-ce pas leur fournir l'occasion d'en tirer vengeance que de s'absenter pour un aussi long voyage ? Le devoir du gouverneur n'était-il pas de rester à Fort-Dauphin pour prévenir les complots et protéger sa petite troupe contre les naturels irrités? A son arrivée à Ghalemboule, Flacourt rencontra un maître 1. P^lacourt, Ilisloire de Madagascar, 1661, p. 299 et 407 : Lettre de Poirier à de Beausse. 2. Victor Gharlier, Univers pittoresque, Afrique, t. IV : lies Madagascar , Bourbon et Maurice, p. 15. 144 p:tienne de FLACOrr.T de village qui s'engagea à lui fournir une grande quantité de riz. Là, il recul la visite de quatre Français de l'île Sainte- Marie, qui lui annoncèrent la mort de quatre de leurs cama- rades, et se plaignirent de l'insalubrité du climat de ce pays. Ils le supplièrent de les ramener à Fort-Dauphin; ce que Fia- court leur j)romil lorsqu'il en eut obtenu toutes sortes de renseignements sur les ressources de l'île et ses habitants. Après avoir achevé la traite du riz, il appareilla pour l'île Sainte-Marie, où il débarqua le 12 novembre. Dix jours après, il mettait à la voile pour Fort-Dauphin avec les Français qui avaient demandé leur retour. Pendant l'absence de Flacourt, les Français avaient conti- nué leurs ravages, se livrant à de fréquentes incursions sur les montagnes voisines, brûlant les villages, emmenant des prisonniers et du bétail. Après le retour du chef de la colonie, c'est encore la même histoire monotone et sanglante. Les Français surprennent les indigènes, lorsqu'ils sont à l'écart et divisés, les obligent à se réfugier dans les bois et sur les montagnes, attaquant les villages à la pointe du jour, répan- dant partout la terreur et Tépouvante. Les naturels, se voyant affamés et sans ressources, ne pouvant plus cultiver la terre en sûreté, ni jouir en paix de ce qu'ils possédaient, prirent en grand nombre le parti de venir se soumettre au joug du vain- queur. « En sorte que, dit Flacourt, de tout le païs de Carca- nossi, tant du Nord que du Sud_, il y eut bien trois cens maîtres de villages, tant Rohandrians, Anacandrians que Voadziri et Lohavohils* qui vinrent prêter serment pour racheter leur vie, diseient-ils, leurs terres et leurspossessions : ils me firent aussi promettre de jurer solennellement, comme je fis, de les rendre point à leurs maîtres, en cas qu'ils vinssent faire leur paix, ainsi qu'ils avaient ouï dire qu'ils avoient dessein de venir. Pendant deux mois sont venus au Fort se soumettre Dian Tsi8sei,DianRavalia, femme de Dian Mandonboue et plusieurs autres Rohandrians, comme aussi Dian Manangha qui me 1. Ce sont les grauds de cette province que Flacourt désigne ainsi. Voir, éd. 1661: Explicatioii de quelques termes. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 145 vinrent visiter avec cent soixante nègres de sa suite, et m'a- mena son fils et son neveu pour demeurer avec moi. » Le chef de la colonie montra dans cette circonstance une attitude arrogante à l'égard des vaincus'. Il leur imposa de très dures conditions : ils devaient quitter le service des grands et payer tous les ans un tribut, appelé fahensa. Les principaux chefs qui demandèrent la paix ne furent pas mieux traités. Il exigea de Tserong- qu'il vînt s'humilier en personne devant lui et « lui demander pardon de la faute qu'il avoit faite en entre- prenant une guerre si injuste, et témoigner qu'estant descheu de la seigneurie du païs, il falloit qu'il reconneust Louis de Bourbon pour son roy, son seigneur et son maistre ». Il ré- clama, en outre de cet Andrian quatre mille deux cents bœufs comme indemnité et réparation du tort qu'il avait causé aux Français. Tserong tenta de négocier et de lui faire comprendre l'énormité des conditions qu'il lui imposait. L'inexorable gouverneur ne voulut rien rabattre de ses prétentions. Certains chefs n'osaient pas venir le, trouver pour lui faire leur soumission, dans la crainte qu'il ne les fît périr. L'impi- toyable gouverneur, qui était lui-même très défiant à l'égard des indigènes, n'eut pour eux aucune parole rassurante. Quant à ceux qui, comme Machicore, se refusaient à demander la paix, ils étaient poursuivis jusqu'au fond de leurs retraites, et assurés de voir leurs villages pillés et incendiés. C'était iné- vitablement les réduire au désespoir^. Dès lors, en effet, ils se défendirent en désespérés. Andrian Panolahé, Andrian Tserong, Andrian Boulle et plusieurs autres chefs se retirèrent avec leurs femmes et leurs enfants au vil- lage de Mangharanou où ils avaient emporté ce qu'ils avaient de plus précieux. De là_, ils menaçaient de venir brûler et saccager 1. On peut s'ea rendre compte par la gravure insérée dans sa Relation (éd. 1661, p. Lix-l) sous le titre : « Réduction des habitants de la province de Gar- cauossi en l'îsle Madagascar â l'obéissance du Roy par serment solennel faict par les Grands et députés de tout le pays entre les mains du s' de Flacourt, Commandant au Fort-Dauphin en ladite isle au mois de juin 1652. » Assis sur un escabeau et l'iusigae du coinmaudemeut à la main, il regarde d'un œil su- perbe ces malheureux qui se prosternent à ces pieds. 2. Flacourt, éd. 1661 : Avant-Propos du second livre, et p. 315-323. 10 446 ETIENNE DE FLACOUKT les domaines de tous ceux qui s'étaient soumis au gouverneur. Ils espéraient ainsi isoler les Français en terrorisant ceux qui étaient devenus leurs alliés, ou seraient tentés de leur prêter main forte. C'est ainsi que Andrian BouUe vint piller, avec huit cents hommes, les villages qui avaient accepté le joug du gouverneur. Mais il fut repoussé avec perte. N'ayant pu réussir dans leur tentative en employant la violence, ils recoururent à la ruse pour se débarrasser des Français. Andrian Panolahé, le plus audacieux de ces chefs, s'en alla voir Flacourt, sous prétexte de lui faire sa soumission. Le gouverneur, dont la vanité se trouvait flattée par cette démarche d'un des princi- paux chefs du pays, crut à la sincérité de ses paroles et lui permit de rebâtir son village de Fanshere, à la condition tou- tefois qu'il reviendrait au bout d'un mois avec sa femme et ses enfants. Cette soumission n'était qu'une ruse. Eu ellet, Flacourt apprit peu de temps après que le chef indigène s'en était allé rejoindre, au pays de Matatane, son allié Tserong, pour y fo- menter de nouvelles révoltes et soulever tous les habitants de ce pays contre les Français. Le chef de la colonie qui ne com- prenait pas que son excessive rigueur était la cause de toutes ces perfidies, donna l'ordre au lieutenant Angeleaume de partir pour la vallée d'Amboule, alin de s'emparer de la personne de Tserong. Ce dernier, ayant appris le danger qu'il courait, pré- féra se rendre lui-même au Fort, dans la crainte d'être mal- traité par les gens de Flacourt, s'ils réussissaient dans leur tentative. Il rejeta toutes ses fautes sur Ranicaze qui, à l'entendre, l'avait poussé à la résistance, et promit tout ce qu'on voulut. Mais Flacourt, qui avait été déjà trompé par Panolahé, exigea qu'il lui payât comptant cent gros d'or et lui remit cent bœufs. Il l'obligea en outre à demeurer au Fort, ou bien à laisser son fils aîné en otage jusqu'à l'arrivée de sa femme. Huit jours après, Flacourt recevait quatre-vingts gros d'or et cent bœufs. Andrian Ramouza, fils de Tserong, qui avait été retenu comme otage, obtint dès lors sa liberté. Avant son départ, le gouver- neur lui rendit un objet rempli de caractères arabes, nommés ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 147 hiridzi et crut le moment opportun pour faire un peu de pro- sélytisme. Non seulement il s'étudia à détourner le jeune homme de ses vieilles croyances et de ses superstitions, mais il l'exhorta à embrasser la religion chrétienne. Il lui fit espérer « qu'après cela Dieu l'assisterait et le rendrait après dans le monde plus puissant, plus redouté et plus heureux qu'il n'avoit jamais esté » '. Peu de temps après, s'offrit à Flacourt une nouvelle occa- sion de convertir les Malgaches au christianisme. Plusieurs nobles, dont les ignames ne pouvaient pousser à cause de la grande sécheresse, vinrent lui demander un 06?y pour amener la pluie. Le g'ouverneur leur fit comprendre la sottise de leur demande. Il leur déclara qu'ils étaient bien naïfs de s'imagi- giner qu'un simple mortel pût commander aux éléments, puisque Dieu seul s'était réservé ce pouvoir. Il les avertit de se défier de leurs ombiasy, qui les trompaient en leur per- suadant qu'ils se faisaient obéir par la nature animée et inani- mée. Enfin il les invita à changer de manière de vivre et à devenir chrétiens, en les assurant qu'ils obtiendraient ainsi de Dieu tout ce qu'ils lui demanderaient*. Malgré ses tentatives pour amener les Malgaches au catho- licisme,- le gouverneur n'était pas rassuré sur leurs intentions à son endroit. Aussi se tenait-il toujours sur ses gardes. Cette prudence fut encore justifiée par l'événement. Après s'être imposé toutes sortes de sacrifices, après s'être dépouillés de leurs plus belles parures, de leurs plus riches pagnes, de leurs armes les plus précieuses, dans le seul dessein de mieux dissi- muler leurs projets de violence et d'entretenir l'insouciance de Flacourt, après lui avoir fait des protestations de soumis- sion pour mieux masquer une nouvelle prise d'armes, les in- digènes répandirent toutes sortes de faux bruits pour induire lies Français en erreur'. En réalité;, ces fausses nouvelles avaient pour but de dissimuler un nouveau complot des chefs 1. F acourtj éd. 1661, p. 321 et suiv. 2. Flacourt, éd. 1661, p. 336. 3. Flacouxt, ibid., p. 336 et suiv. 148 ETIENNE DE FLACOURT malgaches contre les membres de la colonie. En effet, le 16 mai 1653, Flacourt reçut la visite de Ramouza qui venait lui apporter de nouvelles propositions de paix de la part de Panolahé. Le chef indigène s'eng-ageait, si le gouverneur con- sentait à envover trente hommes dans la plaine de Fanshere, à payer en leur présence le reste de son saze'. Flacourt, qui se doutait avec raison de quelque guet-apens, n'accepta pas la proposition. Chaque jour il apprenait une nouvelle ruse des indigènes pour se défaire de leurs ennemis. Au commence- ment d'août, ils répandirent le bruit que plusieurs navires étaient passés en vue du pays des Ampâtres et de Mananten- g"ha. Ils espéraient ainsi déterminer le chef de la colonie à laisser partir des colons dans ces parag'es et pouvoir les mas- sacrer tous, les uns après les autres. Mais Flacourt ne tint aucun compte de cette nouvelle. De dépit, les g-rands déci- dèrent de rassembler une nombreuse troupe pour aller rava- g'erles ternes de tous ceux qui ne vouaraient pas abandonner le parti des Français. Sur Tordre de Flacourt, Angeleaume marcha contre eux avec vingt-huit Français et quarante indi- g^ènes bien armés. Il les rencontra près du village d'Amboule Tsig-nane' et en fit un tel carnage que « le lendemain matin l'herbe tout à l'entour de leur fort, estoit aussi ensanglantée, suivant l'expression de Flacourt, comme si l'on y eut coupé la gorg-e à plus de trente bœufs ». Les plus riches des An- drians qui survécurent à ce désastre abandonnèrent leurs villag-es, leurs champs de riz, leurs bœufs et leurs vivres pour rejoindre Panolahé. Persuadé que leur fuite n'avait d'autre but que d'entraîner celle des indigènes qui g'ardaient le riz des Français, et de l'alfamer, Flacourt ordonna à un de ses lieu- tenants de s'emparer de Machicore, chef puissant, pour le contraindre, sous peine de mort, à empêcher la fuite de ses sujets. Pris et emmené h Fort-Dauphin, le chef indigène fit comprendre au gouverneur que, si lui-même n'était présent 1. Amende pécuniaire ou mulctuaire (Flacourt : Explication de quelques termes, éd. 1661). 2. Voir carte générale et carte particulière de Flacourt, éd. 1601. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRAN(;AISE A MADAGASCAR 149 au milieu de ses sujets, le riz ne serait pas cultivé. Flacourt, qui commençait à se rendre compte des mauvais effets de son systèmed'intimidalioa, se montracette foisplusaccommodant: il laissa partir Machicore, après avoir gardé son fils aîné et deux de ses neveux comme otages. Pour le gagner à sa cause, il lui promit que, s'il consentait à reconnaître le roi de France pour maître, à user de son intluence auprès des autres chefs pour leur faire payer les tributs imposés et les engager à se soumettre, il lui accorderait en retour un pouvoir semblable à celui dont avaient joui Andrian Tsiamban et Andrian Ra- mach. Machicore tint parole. Quelque temps après, il apporta à Fort-Dauphin (octobre 16S3) la tcte d'un grand du pays des Ampâtres qu'il avait surpris au moment où il allait saccager le pays d'Anossi à l'instigation de Andrian Panolahé et Andrian Tserong et avertit le gouverneur des projets de ces derniers. Ces pillages, ces ravages incessants avaient engendré la fa- mine dans la province d'Anossi et par suite la disette parmi les colons. Sans la fuite des grands, la colonie n'aurait pu subsister, car tout le riz qu'avaient semé les Français, avait été gâté « par leurs malices ». Le gouverneur ordonna de cueillir le riz et les ignames de ceux qui avaient abandonné leurs champs. Grâce à cette nouvelle récolte, il eut assez de vivres pour nourrir Fort-Dauphin pendant trois mois *. III La pacification apparente : Départ clandestin de Flacourt. — La tempête l'oblige à revenir à Fort-Dauphin. — Mécontentement des colons. — Départ d'Angeleaume pour Mozambique, 16o4. — Complot de Couillard contre le chef de la colonie. — Soumission d'Andrian Panolahé. — Flacourt envoie des lettres à de Loynes et à des capitaines de navire pour demander du se- cours. — Arrivée d'un navire du duc de La Meilleraye et de Pronis. — Dé- ception des colons. — Flucourt s'embarque pour la France (12 février 16S5)- Néanmoins, Flacourt était inquiet pour l'avenir. Les indi- 1. Flacourt, éd. 1661, p. 336-359. loO KTIENNE DE FLACOURT gènes paraissaient terrorisés, mais il n'était point difficile île s'a[)('rcevoii\ à do nombioiix indices, qu'ils n'avaient pas al)an- donnc toute idée de révolte. Le moyen de résister longtemps à de nouvelles agressions avec une petite troupe, allaiblie par des luttes incessantes, dévorée par la fièvre, épuisée par les privations, et réduite à soixante-dix hommes? Du renfort, il n'en fallait guère espérer. Contrairement à ses promesses, la Compagnie n'avait envoyé, depuis le départ du nouveau gou- verneur, aucun vaisseau dans les eaux de l'océan Indien, et il ne semblait pas qu'elle fût disposée à se départir de son in- différence. Quant aux vivres, il en avait sans doute pour trois mois encore, mais ce laps de temps écoulé, la disette ne se- rait-elle pas de nouveau en perspective? Sans nouvelles de sa famille, de sa patrie, sans espoir de secours et de renfort, convaincu que les associés avaient renoncé à leur entreprise, le chef de la colonie, qui croyait avoir accompli la partie la plus difficile de sa tâche, en réduisant les indigènes à merci, se résolut à passer en France pour informer la Compagnie de sa triste situation'. Il voulut s'éclairer lui-même sur ses in- tentions, sur le parti qu'elle comptait prendre au sujet de la colonie naissante ', et suivant l'expression d'Angeleaume, « faire diligenter les affaires »^ Il se prépara à ce long-voyag-e et confia l'administration de la colonie à deux de ses lieute- nants, Angeleaume et Gouillard. Mais dans la crainte que les colons ne vinssent mettre obs- tacle à son projet il garda le silence sur ses véritables inten- tions. La seule raison qu'il leur donna de son prochain départ ce fut la nécessité qui s'imposait à lui d'aller acheter des pro- visions et des munitions do guerre aux Portugais de Mozam- bique ^ i. Broctiure, Éloge de feu de M. de Flacourl; Défense pour Marie de Cossé, par Lordelot, p. 3. 2. Flacourt, llisloire de Madagascar, 1661 : Lettre d'Augeleaume à Desiuar- tius, p. 403. 3. Flacourt déclare y avoir été coutraiut par les matelots. « L'anuée mil six ceut cioquaute-trois, je fis renforcer uue grande barque de quaraute ton- neaux que j'avois fais bastir pendant la guerre, et résolus de l'euvoyer à ou LES ORIGINES DE LA COLONlSATtON FRANÇAISE A MADAGASCAR 151 Le 23 décembre 1653, une grande barque de quarante ton- neaux, à la construction de laquelle on avait long-temps tra- vaillé, quittait le rivage de Fort-Dauphin, emportant le gou- verneur et quelques matelots vers la ccMe d'Afrique. Quelle ne fut pas la surprise de l'équipage lorsqu'à une faible distance, suffisante toutefois pour que la barque fût hors de vue de la cote d'Anossi, Flaoourt donna l'ordre au pilote de faire route vers la France ! Par malheur, après quelques jours de naviga- tion, il s'éleva une violente tempête qui obligea le gouver- neur à renoncer à son projet et à diriger les voiles dans la di- rection de l'île xMaurice où il espérait trouver un refuge'. Il ne fut pas plus heureux dans cette tentative, et trop faible pour résister à la violence des flots, la barque dut revenir à Mada- gascar. Après une absence de vingt jours, il rentrait dans Tanse l'île Maurice ou à Mozambique, demander secours des Hollandois ou aux Portugais, d'autaut que la munition de guerre uous mauquoit : mais comme elle fut preste à partir, les matelots ne voulurent point s'embarquer que je n'y fusse en personne : el encor voulurent-ils aller eu France, ce que je fus contraint de leur accorder. » Ailleurs, il attribue sa décision à l'influence de deux charpentiers qui lui avaient dit « il y avoit longtemps que, si ce n'estoit pour aller en France, ils ne travailleroient point à lu barque ». Son lieute- nant Angeleaume, dans la lettre qu'il écrivait a Desmartins, se bornait à dire que « de Flacourt s'était embarqué pour aller eu France », ?ans taire re- tomber la responsabilité de ce départ pour la l^rance sur les matelots. Il est donc difficile de savoir exactement à quoi s'en tenir à ce sujet. On peut tou- tefois remarquer que le gouverneur n'était pas homme à se laisser con- traindre. C'est pourquoi nous avons cru plus juste d'admettre qu'il avait ré- solu ce voyage et qu'il l'avait accompli de sou plein gré (v. Flacourt, éd. 1638, brochure, p. 13; 1661, p. 363 et 413). 1. Legentil prétend à tort que Flacourt a doublé le cap de Bonne-Espérance. « M. de Flacourt, dit-il, dans le siècle dernier, pour revenir de Madagascar, a doublé le cap de Bonne-Espérance dans une simple barque : je ne doute pas que ce ne soit ainsi que je le dis » [Voyage dan"; les mers de l'Inde, \. II, p. 802 : Lettre à M. de La Nux). Nous ne voyons rien dans le texte de l'historien de Madagascar qui puisse autoriser une telle affirmation. Voici seulement ce qu'il nous a relaté : « Le 29 déceaibre, un des matelots me viut dire que la mer estant ainsi haute, il n'y avoit p;is apparence, que nous pussions passer outre, et que si je vou- lois faire route à l'isle Maurice, le veut uous y pourroit mener. Je lui dis que je le voulais bien, puisqu'il n'y avoit pas apparence que 7ious pussions passer outre et le lendemain la mer n'estant plus rude, nous estant retirés d'un si mauvais climat, nous taschàmes à faire la route de l'isle Maurice » (Fla- court, éd. 1661, p. 362). 152 ETIENNE DE FLACOURT Dauphine (13 janvier 1654). Son retour à la colonie fut ac- cueilli par des murmures. Avertis sans doute de ce qui s'était passé durant le voyage par les matelots qui y avaient pris part, les colons adressèrent de violents reproches à leur chef. Ils lui manifestèrent tout leur mécontentement de n'avoir pas été in- formés de la vérité; ils l'accusèrent d'avoir voulu se débar- rasser d'eux en les abandonnant à la merci des insulaires. Le devoir du gouverneur, disaient-ils, n'élait-ilpasde rester àson poste? Pouvait-on s'expliquer une telle conduite de la part d'un homme auquel ils avaient témoigné tant de dévouement, pour qui ils avaient exposé leurs vies, et supporté tant de souf- frances? Était-ce là le prix de leurs services, la récompense de la bravoure dont ils avaient fait preuve dans tant de circons- tances, et de l'endurance qu'ils avaient montrée durant toute la lutte qu'il avait entreprise contre des gens perfides et acharnés à leur perte? Ils ne se contentèrent pas de lui faire comprendre toute l'indignation qu'un tel acte leur inspirait; excités sans doute par Couillard, ils tinrent dans les cases des conciliabules secrets oii l'on délibéra sur l'attitude à prendre à l'égard du gouverneur. Si grande devint leur irritation que plusieurs lui refusèrent obéissance, et prétendirent ne plus reconnaître d'autres chefs que ceux qu'il avait préposés lui- même au commandement de la colonie. Tous ces témoi- gnages de mécontentement, tous ces reproches amers, toutes ces plaintes, n'émurent pas outre mesure Fiacourt qui, dans cette circonstance, comme en plusieurs autres, sut montrer une grande fermeté. Joignant l'habileté à la fermeté, il par- vint à les apaiser en leur affirmant que, s'il avait entrepris ce voyage en France, c'était avec la seule intention d'aller ré- clamer de la Compagnie les moyens d'assurer leur retour dans leur patrie, ou s'il ne pouvait les obtenir, de leur amener du renfort pour achever la conquête de l'île. Calmés par celte ex- plication que Fiacourt voulut bien leur donner de sa conduite, et entraînés par l'exemple des lieutenants Laroche et Couillard qui firent leur soumission, Us se rendirent aux sommations de leur chef et jurèrent tous de lui obéir et de lui rester fidèles. or LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A M.ADAGASCAR 153 Cependant la soumission de Couillard n'était pas sincère. Cet homme, qui se vovait frustré du commandement par le re- tour de Flacourt, résolut d'user de tous les moyens pour le recouvrer et, dès ce jour, il songea à se débarrasser de celui qui était le principal obstacle à Texéculion de ses desseins ambitieux'. L'occasion s'en présenta bientôt. Flacourt ayant proposé à Angeleaume d'aller à Mozambique pour demander au gouverneur de ce pays « quelques geus d'Eglise, du secours, des munitions » et le prier de faire re- mettre des lettres pour les associés de la Compagnie de l'O- rient, ainsi que pour saint Vincent de Paul, le perfide lieute- nant dressa une requête qu'il fit signer par trente-cinq colons. Cette requête engageait le gouverneur à accompagner Ange- leaume dans son voyage à Mozambique. On lui montrait tous les avantages de ce voyage : de Mozambique il lui serait facile de se rendre à Goa d'où il pourrait gagner la Syrie et ensuite la France par la voie la plus courte, la voie de la Méditer- ranée. Flacourt refusa, alléguant comme raison qu'il avait résolu de rester encore une saison au Fort, dans l'espoir qu'il viendrait un navire de France cette année-là. Toutefois ce voyage de Mozambique avait sa raison d'être. Si l'on possédait encore des vivres, les colons n'en étaient pas moins dépourvus de linge. Le gouverneur lui-même n'avait plus de chemises. Pour surcroîtde malheur, les munitions man- quaient, les aimes étaient hors de service. En conséquence, sur l'ordre de Flacourt, la barque partit pour Mozambique, le 30 janvier 1654. Malheureusement, elle ne put tenir la mer. Angeleaumo fut contraint de relâcher à la baie de Saint-Au- gustin. Il y laissa une lettre pour le premier capitaine anglais qui viendrait dans ces parages. Cette lettre, qui dépeignait la triste situation des colons, fut confirmée plus tard par celle que Philippe Poirier envoya à de Beausse^ Entre temps on avait annoncé à Flacourt qu'Antoine Couil- 1. Flacourt, éd. 1661, p. 363. 2. Flacourt, éd. 1661, p 404 : Lettre d'Angeleaume à Desruartias: Lettre de Philippe Poirier à M. de Beausse, p. 408 et 409. 154 ETIENNE DE FLACOURT lard conspirait conlro lui avec les indigènes. Non content dVnvoyer aux g-rands des munitions qu'il avait dérobées aux Français, le traître leur avait promis la tcte de son chef. C'était le jour de Pâques qu'il se proposait de l'assassiner d'un coup de couteau. Ce projet lui était d'autant plus facile à exécuter qu'il prenait ses repas avec Flacourt, et qu'il se trouvait à toute heure auprès de lui. Ce furent les colons qui avertirentlegouverneur de ce com- plot. Flacourt arrêta lui-même le misérable et l'enferma dans une maison de pierre. Quant aux indigènes qui, d'après les ordres des grands, avaient été piller et massacrer ceux qui s'étaient alliés aux Français, le gouverneur les maintint sous son autorité avec son énergie habituelle. Le chef qui lui avait opposé jusqu'alors la résistance la plus acharnée, Andrian Panolahé, dut se sou- mettre. Bien plus, devenu vieux, et se voyant attaqué par tous les chefs à qui il avait fait la guerre, il prit le parti des Français. Afin de gagner la bienveillance du gouverneur, il le renseigna sur les machinations de Couillard dont il confirma la trahison. Il lui fit remettre un moule à balles et un fusil que lui avait donnés le perfide lieutenant et promit même de l'avertir de tout ce qui se tramerait contre sa personne. Peu de lumps après, uu autre chef, Andrian Ramouza, en butte également aux attaques des grands qui lui avaient enlevé ses trésors, imita l'exemple de Panolahé et jura à Flacourt de lui demeurer toujours fidèle. Quant à ceux qui n'avaient pas désarmé, ils tentèrent un dernier moyen pour triompher des Français ; il résolurent de les prendre par la famine. On apprit bientôt que tous les in- digènes d'Imours et autres villages voisins étaient prêts à partir avec leur bétail pour la vallée d'Amboule, sous la con- duite d'Andrian Machicore A cette nouvelle, le gouverneur fit partir un détachement chargé de se saisir de ce bétail, qui était rassemblé dans les villages. Cette expédition fut très fruc- tueuse. Les Français y firent beaucoup de butin et Machicore fut emmené prisonnier à Fort-Dauphin. Flacourt, chose sur- ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 15P prenante, poussa la condescendance et la loyauté jusqu'à pro- mettre aux naturels de leur restituer le bétail qu'on leur avait enlevé, lorsqu'il aurait reçu son bétail de Manamboule. Gomme les malheureux indigènes se plaignaient d'avoir été pillés, il leur rendit toutes les denrées que ses gens leur avaient prises. Le reste fut payé de dix gros d'or et de quatre livres de menilles de cuivre (12 juin 1654) '. Le gouverneur prévoyait d'ailleurs qu'il lui serait déplus en plus difficile de conserver l'attitude qu'il avait eue au début à l'égard des indigènes. Les renforts se laissaient toujours at- tendre. Ce futunenécessilé pour lui de se montrer plus accom- modant. C'est ainsi qu'il offrit toutes sortes de présents à deux chefs indigènes, qui étaient venus le voir. Ces deux chefs étaient Andrian Mananghe, grand du pays des Machicores, et Andrian Ménasotroue, seigneur de la province d'Yongelahé*. Après avoir régalé Mananghe, il le chargea d'aller porter un paquet de lettres à Andrian Mahéqui habitait Saint-Augustin. Ces lettres étaient adressées, l'une à de Loynes, Secrétaire général de la marine, et les deux autres (dont une en latin) au premier capitaine anglais ou hollandais qui aborderait à Saint- Augustin. La lettre destinée au capitaine étranger exposait la déplorable situation de la colonie. L'autre implorait du se- cours et des nouvelles de France. Un capitaine hollandais re- çut la première et répondit en exprimant ses regrets de ne pouvoir porter secours au gouverneur, à cause de la distance qui Ten séparait; mais il s'engagea à faire parvenir les autres lettres à leur destination ^ Bien qu'elle ne promit aucun secours, cette réponse était comme le présage de meilleurs jours. Peu de temps après en ef}et(12 août 1 654) on annonçait l'arrivée de deux navires fran- çais à Sainte-Luce. Sur ces navires se trouvait Pronis, accom- pagné du chirurgien de La Voye et d'un certain nombre de personnes, dont plusieurs étaient déjà venues à Madagascar. 1. Flacourt, éd. 1658, p. 14, brochure ; éd. 16G1, p. 370 et suiv. 2. Pays de Saint-Augustin. 3. Flacourt, Relation, éd. 1661, p. 378 et 379. 156 ÉTIENNK HK Fl.ACOURT Flacoui't ne voulut pas tout d'abord ajouter foi à cette nou- velle. Cependant il fut bien obligé d'y croire lorsqu'il vit arri- ver au Fort deux Français inconnus à la colonie. Ces deux hommes n'étaient armés que d'un pistolet et d'une épée.L'un était de Belleville, lieutenant de La Forest-Desnoyers qui com- mandait les vaisseaux du duc de La Meilleraye ; l'autre, qui s'appidail Dujardin, avait autrefois habité l'île et était revenu en France par le Sainl-Laurent. Le lieutenant de Belleville remit au gouverneur une lettre du commandant. Par cette lettre, celui-ci lui apprenait qu'il avait l'ordre en se rendant à la mer Rouge de prendre des nouvelles de Flacourt. Il lui offrait son assistance en le priant d'agir de même à l'égard de ses gens. Il ajoutait qu'il amenait dans la colonie deux missionnaires et qu'il avait deux lettres à son adresse '. Ravi de cet événement inattendu, le gouverneur se montra très empressé pour les nouveaux venus. Accablés de fatigue et épuisés par une longue traversée, quatre d'entre eux n'a- vaient pu achever leur route et étaient restés à une lieue du Fort. Flacourt ordonna à ses gens de leur porter des vivres. Il envoya aussi des provisions aux navires mouillés à Ilapère. Puis il écrivit à de La Forest pour lui annoncer le retour de Belleville à bord et son intention de le faire escorter jusqu'au navire par une douzaine de soldats. Le lendemain, il recevait une réponse du commandant. De La Forest apprenait au gou- verneur qu'il était délaissé par les associés. On remit aussi à Flacourt, de la part du commandant, trois lettres, dont l'une émanait du surintendant Fouquet, un des principaux associés, et l'autre du frère de Flacourt, trésorier de l'extraordinaire des gueire au département dAunis et de Sointange. La troisième venait d'un des passagers, le P. Bourdaise. Le missionnaire s'excusait d'avoir égaré la lettre que saint Vincent de Paul lui avait remise pour le chef de la colonie*. Grande fut la déception de Flacourt. Pas un des associés ne 1. Flacourt, éd. 1658, p. 14; éd. 1661, p. 381. 2. Flacourt, éd. 1658, p. 15; éd. 1661, p. 382. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 157 lui avait écrit, à rexception de Fouquet et de son frère. Encore ne lui parlaient-ils en rien des affaires de la Compagnie. Ils se bornaient à lui recommander deux prêtres de la Mission. Il ne trouva pas moins étrange l'attitude du lieutenant de Bel- leville.Ce dernier niait la présence de Pronis et affirmait que le duc de La Meilleraye n'avait envoyé personne pour relever le chef de la colonie. Or on avait annoncé à Flacourt l'arrivée de Pronis. Ce silence et ces dénégations le jetèrent dans une profonde perplexité. Cependant il pensa que si Fouquet et son frère lui avaient écrit par celte voie, c'était apparemment avec des intentions favorables pour le duc de La Meilleraye. C'est pourquoi il se résolut à donner au commandant toute la satis- faction qu'il pourrait. Trois jours après cet événement, La Forest arrivai! au Fort avec le P. Bourdaise et une douzaine d'officiers suivis de volontaires. Il présenta à Flacourt deux lettres de La Meille- raye. Elles n'étaient guère plus rassurantes que celles de Fou- quet. Le duc déplorait, il est vrai, l'abandon dans lequel se trouvait Flacourt; il lui offrait même du secours non seule- ment pour continuer l'entreprise commencée, .mais encore pour l'étendre; il lui faisait savoir, qu'avec la permission du roi, il avait envoyé à Madagascar deux vaisseaux afin de se rendre compte des besoins du gouverneur et de faire explorer «divers autres lieux, oii l'on pourroit faire un establissement solide, grand et asseuré j)' ; il terminait en invitant Flacourt à contribuer à cette œuvre par tous les moyens en son pouvoir, lui promettant son concours, s'il y donnait son adhésion ; mais il ne lui apprenait rien sur la situation de la Compagnie. Le gouverneur demanda des explications au commandant. Celui-ci lui fit part des projets du duc de La Meilleraye. Il l'in- forma que ce dernier s'était rendu à Paris pour solliciter du roi la concession de Madagascar; mais il ajouta que pour lui 1. S'il faut en croire Savary des Bruslons {Diciiojinairo du Commerce, t. I, p. 1338), le maréchal avait pris goût pour la colonie de Madagascar, sur les rapports favorables que lui en avait faits Pronis. 158 ETIENNE DE FLACOURT il avait seulement reçu l'ordre de déposer deux missionnaires dans l'île. Toutefois les passagers qui désireraient y rester y seraient autorisés. Quant à la présence de Pronis sur le navire l'Ours, elle ne pouvait en aucune façon inquiéter le gouver- neur, puisqu'on sa qualité de capitaine du navire celui-ci devait retourner en France aussitôt après le chargement. S'il n'avait pas voulu qu'on lui fît connaître plus tôt la présence de l'ancien chef de la colonie, c'était afin de pouvoir la lui apprendre lui-même. Cette présence ne devait pas d'ailleurs lui porter ombrage, car il n'amenait aucun gouverneur pour la colonie. II termina en l'assurant que le duc de La Meilleraye lui laissait la liberté « de faire tout ce qui était nécessaire de faire pour la charge de ses vaisseaux » et qu'il s'ed'orcerait en toute manière de lui être agréable. Flacourt répondit à ces paroles courtoises avec la même courtoisie, promettant de rendre au duc tous les services qu'il pourrait, de ne rien cacher au commandant de ce qui serait avantageux ou utile dans l'île et le renseignant déjà sommai- rement sur ce qui méritait d'être acheté ou recherché. Cependant les nouvelles que La Forest lui avaient appor- tées de France n'éclairaient pas davantage le gouverneur et le laissaient dans un cruel embarras. Le privilège de la Com- pagnie était expiré depuis deux ans, et les associés ne par- laient pas de l'état de leurs affaires. Il se pouvait que le duc de La Meilleraye continuât l'entreprise, mais que s'élait-il passé en réalité entre le duc et la Compagnie? Aucun des nou- veaux venus ne s'était expliqué sur ce point. Flacourt ne sa- vait que penser de ce mystérieux silence'. Ce qui contribuait encore à accroître les difficultés de sa situation, c'étaient les murniures de ses soldats et des colons qui menaçaient de l'abandonner. Les yeux tournés vers la mer, ils avaient, pendant de longues semaines, attendu avec une vive impatience les navires qui devaient amener du ren- fort et qui seraient pour eux le salut. 1. Flacourt, loc . cit., 1661, p. 385 et suiv. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 159 Lorsque les voiles françaises étaient apparues, l'espoir était rentré dans les cœurs. Ils espéraient des nouvelles, des se- cours, (les approvisionnements. Quelle ne fut pas leur décep- tion lorsqu'ils apprirent la triste réalité ! De secours, point; les matelots des deux équipages se trou- vant dans un dénùment presque égal à celui qu'eux-mêmes subissaient depuis si longtemps. Aussi leurs plaintes devin- rent-elles plus amères, leurs reproches plus violents. Ils récla- maient énergiquement des vêtements, du linge, des chaus- sures, et leur solde, qui n'ayant pas été payée depuis plusieurs années, s'élevait à une grosse somme. Indignés d'être retenus malgré eux, alors qu'ils avaient accompli leur temps de ser- vice, ils reprochaient à Flacourt d'avoir voulu prendre à la fois leur solde et leur vie en les laissant si longtemps sans secours et sans espoir de revoir jamais leur patrie. Leur mé- contentement était tel qu'ils commençaient déjà à délibérer sur la décision à prendre et qu'ils otfraient déjà leurs services à Pronis*. Flacourt se trouvait dans une situation sans issue. Ses faibles ressources avaient été épuisées par la durée de la lutte et les colons se mutinaient. Il fut dès lors plus résolu que jamais à retourner en France pour s'assurer si, comme on paraissait le lui laisser entendre, le duc s'était fait continuer la concession de la Compagnie à ses risques et périls. Il se proposait de mettre les associés en de- meure d'envoyer des secours aux colons, ou de les retirer de l'île, s'ils n'étaient plus décidés à poursuivre leur entreprise. Dans ce dessein, il demanda à Fronis et à de La Forest l'autorisation de charger ses marchandises à moitié fret dans leurs navires'. Ceux-ci y consentirent, et un traité fut conclu entre le gouverneur et les agents du duc de La Meilleraye (1^" septembre 1634). Ce traité qui nous a été conservé par la 1. Flacourt, édit. 1658, p. 15; éJit. 1661, p. 386. Dans la Défense pour Marie de Cossé, p. 23, Lordelot affirme que la triste eituatiou de la colonie était encore prouvée par le traité couclu entre Fla- court et La Forest. 2. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 15. 160 ETIENNE DE FLACOURT plaidoirie de l'avocat Lordelot portail que les cuirs et autres marchandises appartenant à Flacourt seraient transportés en France sur les vaisseaux du duc à qui, suivant la coutume, la moitié reviendrait pour droit de fret; que le produit de la vente de ces marchandises serait consacré à payer les gag-es arriérés des soldais; que Flacourt resterait toujours gouver- neur de l'île; que le commandant de La Forest et Pronis se- raient tenus de lui fournir toutes les munitions nécessaires pour la conservation de Fort-Dauphin ; que le duc de La Meil- Icraye serait obligé d'accorder le passage gratis aux Français qui voudraient retourner dane leur patrie; que ceux qui con- sentiraient à demeurer dans l'île passeraient à la solde du duc, mais resteraient sous l'autorité de Flacourt; que les vivres, tant riz que bétail, dont se seraient approvisionnés La Forest et Flacourt, seraient employés en commun à la subsistance du Fort; enfin qu'il serait loisible à Flacourt de retourner en France, auquel cas le duc de La Meilleraye lui accorderait le passage gratuit sur son navire, et où il lui serait nommé un successeur jusqu'à nouvel ordre'. En conséquence de ce traité, de La Forest fournit à Flacourt tout ce qui était propre à la subsistance et à la défense du Fort, vin, eau-de-vie, meubles, ustensiles de toute sorte, voi- les, poudre et canons. Il fit plus : il lui céda quelques-uns de ses soldats qui devaient aller habiter l'île Bourbon et leur donna les choses nécessaires pour y établir une nouvelle co- lonie. Tous les autres soldats qui étaient au service de La Meil- leraye demeurèrent sous les ordres de Flacourt ^ C'est ainsi que Flacourt mit fin aux murmures des colons. Pronis lui 1. Flacourt, Histoire de Vis le Madagascar, éd. 1661, p. 387, 388; Lordelot, Défense pour Marie de Cossé, veuve de La Meilleraye, factum, p. 7 et 8; Thoisy, fol. 441, Bibl. nat. D'après Lordelot dans ce traité Flacourt « parle en maistre et en couimandaut » {ibid., p. 72). 2. D'après l'avocat Lordelot {Défense pour Marie de Cossé, p. 1) cela est jus- tifié par le certificat des soldats, par le traité de 1634 et par les Relations. — Voir aussi, ibid., p. 34 : « Il est constant que Flacourt a reçu des secours considérables du sieur de La Forest, et qu'il luy a fourni les munitions né- cessaires pour la conservation du Fort. Cela se voit par un mémoire signé de sa main, dont la répétition est naturelle et légitime ». ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 161 proposa d'ailleurs de lui prêter son concours au cas où. quel- que révolte viendrait à éclater. Mais le g-ouverneur n'eut plus rien à redouter de ce côté. Tous ses soldats lui conseillèrent de s'en aller en France pour connaître par lui-même les intentions de la Compagnie. Si vive était leur joie qu'ils promirent de ne point contracter d'enga- gement avec le duc de La Meilleraye, avant d'avoir été infor- més du retour de leur chef ou d'avoir reçu les nouvelles ins- tructions des associés. Ils jurèrent de rester au Fort et décla- rèrent qu'ils étaient prêts à obéir à celui que Flacourt charge- rait du commandement'. Parmi les cinquante Français que le gouverneur avait sous ses ordres, il ne s'en trouvait pas un capable de commander, à l'exception du lieutenant qui avait voulu attenter aux jours de son chef. Or il eût été dangereux de le laisser impuni. Flacourt le fit donc déporter avec sept Français à l'île Bour- bon. Ces exilés avaient l'ordre de s'adonner à la culture du tabac et de rechercher dans l'île tout ce qu'il y avait de plus propre à être importé en France. Puis Flacourt confia à Pronis le gouvernement de la colonie, à la condition toutefois que le nouveau chef lui remettrait le commandement en cas de re- tour*. Ce qui détermina surtout le gouverneur au choix de Pronis pour lui succéder, c'est que ce dernier avait plus d'expérience que tous ses autres subordonnés. « D'autant, dit- il, que le sieur Pronis ayant servy les seigneurs en cette qua- lité pendant sept années, j'ai jugé qu'il n'y avoit personne plus capable que luy. » Avant son départ, Flacourt fit preuve d'une certaine pré- voyance. Après avoir chargé ses cuirs sur le navire, il dressa un inventaire de quelques objets qu'il laissait au Fort. Il ne voulut pas quitter Fort-Dauphin sans s'être rendu compte, encore une fois par lui-même, des richesses que pouvait con- 1. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 15. 2. Ibid., éd. 1661, p. 393. D'après l'avocat Lordelot, Défense, p. 10, 11 et 29, cela se voit à la fin du traité de 1654 et dans le certificat de Flacourt, daté du 8 janvier 1655. 11 162 ETIKNNE DE FLACOUliT tenir dans son sein le pays environnant. En compagnie du commandant La Forest, il s'en alla explorer une montagne voisine qui passait pour renfermer de l'or. Soucieux aussi, à juste titre, d'assurer des subsistances aux colons pendant son absence, il prit quelques mesures assez heureuses. C'est ainsi qu^il envoya quelques Français, sous la conduite de La Courneuve, auxpays de Ghalemboule, de Manamboule et d'Am- boule, pour s'y approvisionner. Le 30 décembre 1654, ces hommes revenaient de Manamboule avec deux mille têtes de bétail. Six semaines après, Goascaer, lieutenant de Pronis, rapportait de Ghalemboule une grande quantité de riz qui fut emmagasiné au Fort. Ces approvisiounemenls lui paraissant encore insuffisants, Flacourt ordonna à ses gens d'aller cueil- lir le riz qu'il avait fait planter dans les environs. La récolte fut abondante. Elle donna douze cents paniers qui, ajoutés aux autres produits que l'on possédait fournirent une quantité de vivres suffisante pour nourrir la colonie pendant un an*. L'inexorable gouverneur acheva son administration par des actes de conciliation. Le 14 janvier 1655, Ramandrouac, fils de Andrian Mitowe, et Maimiri, fils de Andrian Raval, vinrent le trouver de la part de leurs parents. Ils le supplièrent de défendre aux Français de Manamboule de se joindre aux en- fants dePanolahé pour leur faire la guerre. Flacourt leur pro- mit d'y veiller, mais à la condition qu'ils s'engageraient eux- mêmes à ne pas attaquer les enfants de Panolahé devenu son allié. Il remit en conséquence à Ramandrouac une lettre pour son lieutenant La Roche à qui il interdisait d'inquiéter Mitowe. Puis, il régla un différend que celui-ci avait avec les enfants et les neveux de Panolahé au sujet de la terre d'Ionghaïvou, en partageant cette terre équitablement. Ces mesures prises et ses préparatifs terminés, il prit congé de La Forest et de Pronis et s'embarqua pour la France sur le navire VOurs (12 fé- vrier 1655) ^ 1. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 16, éd. 1061, p. 388 et siiiv. ; Défense pour Marie de Cossé, p. 10 et 29. 2. Flacourt, éd. 1661, p. 410 et suiv. Mitowe était clief du pays d'Icoadre et Raval du pays d'itanterra. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 163 Les événements auxquels nous venons d'assister prouvent que les associés avaient été bien inspirés et s'étaient montrés clairvoyants en confiant au directeur général de la Compagnie de l'Orient la mission d'aller rétablir l'ordre à Fort-Dauphin. Les désordres qu'avait entraînés la néfaste administration de Pronis exigeaient en effet un homme probe, intègre, et assez énergique pour maintenir les colons dans le devoir; on a pu constater, au cours de ce récit, que Fiacourt avait fait preuve de ces qualités. Aussi, sous son gouvernement, aucune rébel- lion grave n'éclata parmi les colons, en dépit du mécontente- ment que provoquèrent chez eux toutes sortes de privations et surtout son départ clandestin. Par malheur, la Compagnie avait montré moins de perspicacité en chargeant son directeur de favoriser le développement du trafic dans l'île. Elle s'était trompée sur le compte de cet homme qu'elle avait cru entiè- rement dévoué à ses intérêts. Elle avait rêvé négoce, profits, argent; Fiacourt, exploits, gloire, conquêtes. Elle avait espéré que la principale préoccupation du nouveau gouverneur serait d'amasser une ample récolte des produits de l'île; celui-ci, imbu du déplorable esprit de ses devanciers et d'un grand nombre de ses contemporains, avide de satisfaire ses désirs belliqueux, avait tout sacrifié au souci de plaire à la Cour, et consacré tous ses eiïorts à prendre possession de ce pays au nom du Roi. Fiacourt s'était illusionné sur ses forces. La petite troupe, qui était à son service était insuffisante pour tenter une pa- reille entreprise. Un tel projet ne pouvait être mis à exécution qu'avec beaucoup d'habileté et des forces considérables, avec des troupes bien aguerries et bien ravitaillées. Pour conquérir uneile aussi étendue, pour établir la domination de la France sur d'aussi vastes territoires, ce n'était pas assez de quatre-vingts hommes, ni même de cinq cents. N'ayant pas le nombre de soldats nécessaires pour triompher des Malgaches en une seule expédition, Fiacourt a voulu suppléer au nombre en les terro- risant, en intervenant dans leurs luttes sous le beau prétexte de 1 équité et de la justice, en les ruinant en détail, en ravageant 164 KTIENNE DE FLACOIHIT leurs récoltes, un niellanl tout à feu et à sang". D'autre part, par suite de l'incurie et du gaspillage de son prédécesseur, il n'avait pas les vivres indispensables pour subsister longtemps. De là de fréquentes razzias afin de se procurer du bétail et de se ravitailler. On connaît les sanglantes représailles qui en résultèrent, représailles dont Leroy et ses compagnons seront les victimes, comme Bouguier l'avait été de celles qu'entraîna l'administration de Pronis. On a vu comment le chef delà co- lonie avait lui-même subi les conséquences de son système d'intimidation, comment il avait été en proie à la disette, ré- duit à la dernière extrémité, poussé à quitter son poste pour aller au loin en quête de provisions et de munitions, au risque même de perdre le fruit du ses conquêtes, réduit à entreprendre le voyage de France pour implorer du secours d'une Compagnie qui le croyait occupé de négoce, de profits et non de conquêtes ! En vérité, il n'y avait pas un aussi grand mérite qu'on l'a sou- vent dit, à oser s'aventurer sur les mers avec une faible em- barcation et un équipage insuffisant. Peut-on excuser le gou- verneur d'avoir délaissé sa colonie dans les circonstances les plus critiques, après le pillage de Fanshere, le massacre d'An- drian Ramach et d'une foule d'indigènes, de s'être exposé lui- même à toutes sortes de dangers, sans se soucier de ce qui pouvait advenir aux colons, s'il venait à périr pendant la tra- versée? Quelque désespéré qu'il pût être, quelque légitime que fût son anxiété, n'était-il pas [de son devoir de demeurer au Fort, afin de pourvoir aux besoins et à la conservation de la colonie par tous les moyens dont il pouvait disposer et de ne point laisser détruire l'œuvre dont lui-même et Pronis avaient jeté les fondements? En usant du système d'intimidation à outrance, il com- mettait d'ailleurs une grave imprudence, car, s'il pouvait parvenir à soumetire les indigènes, il manquait des moyens nécessaires peur prémunir les colons contre de nouvelles agressions, auxquelles on devait toujours s'attendre de la part de gens qui ne songeaient qu'à la vengeance, ain- si que le montreront les événements qui surviendront ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 165 peu de temps après son départ définitif pour la France. Joignez à cela qu'en faisant d'une politique violente la base de ses relations avec les Malgaches, il n'a pu réaliser qu'une partie de ses projets. C'est celte politique compressive et toute militaire qui Ta empêché de servir les intérêts de la Compagnie, autant qu'il l'aurait peut-être voulu. Quelles rela- tions commerciales pouvait-il, en effet, entretenir avec des gens auxquels il ne laissait d'autre alternative que la soumis- sion à un joug de fer, ou la fuite ? C'est aussi cette politique qui a entravé ses projets de colo- nisation religieuse et d'initiation à la civilisation. En quoi celui qui multipliait les pillages, les razzias, les incendies, les massacres pouvait-il favoriser la tâche des missionnaires? On a vu les ditTérends que l'inexorable gouverneur avait eus à ce sujet avec le P. Nacquart, hostile aux procédés des Portugais, partisan de la conquête des âmes par la douceur, la persuasion, le bon exemple, mais non par les armes et la violence. Les inconvénients de celte politique ne sont pas moins évidents lorsque l'on voit Flacourt s'efforcer de détour- ner de leurs préjugés, de leurs superstitions pour les tourner vers un Dieu de justice et de bonté des gens auxquels il don- nait lui-même l'exemple de l'injustice et parfois de la cruauté, et les naturels ne se laisser point prendre aux belles paroles de celui qui se posait auprès d'eux en justicier, en représen- tant de la civilisation, tout en imitant leurs procédés barbares, tout en cherchant toutes les occasions de leur ravir leurs troupeaux et d'augmenter ses ressources à leurs dépens'. Enfin celte politique n'était guère favorable à l'exécution de ses projets d'exploration; elle n'était pas de nature à lui permettre d'éclairer ses contemporains sur un pays dont on connaissait à peine les ressources, dont on ignorait en grande 1. On connaît l'argument qu'un Malgache opposait un jour à un mission- naire : « "Vous venez volei' votre terre, piller le pays et nous faire la guerre, et vous voulez nous imposer notre Dieu, disant qu'il défend le vol, le pillage et la guerre! Allez, vous êtes blancs d'un côté et noirs de l'autre, et si vous passions la rivière, ce n'est pas nous que les caïmans prendraient » (de Qua- trefages, L'Espèce humaine, p. 341). 166 ETIENNE DE FLACOURT partie les mœurs, les coutumes. Aussi est-il permis de s'éton- ner que lui-même et ses gens aient pu se livrer à des observa- tions géographiques et ethnographiques dans des contrées où ils étaient contraints d'être sans cesse sur leurs gardes, où les chefs recommandaient à leurs sujets le silence sur les ressources qu'elles offraient. Il n'en est pas moins certain qu'au point de vue militaire, commercial et religieux, l'ancien gou- verneur avait été dupe de sa propre politique colonisatrice, de son système d'intimidation, comme la Compagnie avait été elle-même dupe de son choix. Il est vrai que si la Compagnie de l'Orient s'était trompée sur les intentions de son gouverneur, celui-ci, de son côté, s'était mépris sur les desseins de la Compagnie. En entrepre- nant la conquête de l'île, il espérait recevoir des associés les renforts qu'ils lui avaient promis. Cela explique qu'il n'ait point hésité à affaiblir ses forces pour mettre ses projets bel- liqueux à exécution. On doit d'ailleurs reconnaître que, s'il a employé un système de colonisation fort contestable, il a eu du moins le courage de persévérer dans la ligne de conduite qu'il s'était lui-même tracée, et que, s'il s'est exagéré ses mé- rites comme conquérant, il n'en a pas moins fait preuve d'une grande fermeté. Sans doute ses gens, ne recevant point de secours, sans cesse à la veille de manquer de vivres, étaient stimulés par Tappât du butin et résolus à attaquer et à se dé- fendre en désespérés; sans doute, i Is étaient bien unis pour la cause commune, et bien soumis àleur chef; sans doute, s'ils manquaient de munition de guerre, les quelques armes à feu et canons qu'ils possédaient leur donnaient une supériorité incontestable sur des ennemis divisés, sur des gens qui ne détestaient rien tant que leurs voisins et étaient mis en fuite par la moindre détotonation; mais Flacourt ne pouvait oppo- ser à la multitude des malgaches qu'une petite troupe; ses lieutenants et ses soldats avaient contre eux l'ignorance du pays, les privations, la maladie, le découragement qui s'em- pare dans un pays éloigné de tout homme qui se voit sans secours, sans nouvelles de la mère-patrie et les faibles détache- ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 167 ments de la petite colonie devaient montrer beaucoup d'en- durance et d'ingéniosité au milieu des conditions nouvelles de terroir et de climat qui leur étaient imposées. D'un autre côté, il faut savoir d'autant plus de gré à Flacourt de sa per- sévérance qu'il eut à lutter à la fois contre les embûches que lui dressaient les naturels et les menées sourdes de quelques Français qui voulaient g-agner les sympathies des chefs indi- gènes ou supplanter leur chef. C'est grâce à la prudence et à l'énergie dont il a toujours fait preuve au milieu de difficultés sans cesse renaissantes que plusieurs massacres de Français ont pu être évités et que le sud de File a été conquis à la France. Mais hâtons-nous d'ajouter que, si cette conquête était agréable à Flacourt et pouvait l'être à Louis XIV, elle ne faisait point les affaires de la Compagnie qui n'en tiendra aucun compte'. 1. Flacourt dit liii-méme, en parlant des associés, « ne reputans en rien la possession des pais qu'ils ont acquis, quoy que ce fust beaucoup » (éd. 1628, broch., p. 2). LIVRE III L'OEUVF=tE SCIENTIFIQUE OE FLAGOURT Nous avons vu que si la politique adoptée par Flacourt avec les indigènes avait entravé ses projets de commerce et d'ini- tiation relig-ieuse, elle n'avait pas empêché toutefois ses explo- rations ni celles de ses lieutenants d'être fructueuses. Ce n'est pas en vain que Flacourt a visité l'île Sainte-Marie,vu Fenerive, la bouche du Maning-ory, et parcouru les environs de Fort- Dauphin'. Ce n'est pas en vain, non plus, que ses lieutenants et en particulier, Leroy, Descots, Angeleaume, ont mené de front les expéditions, les razzias et les observations relatives aux ressources du pays et aux mœurs des habitants dans la plus grande partie de la région australe. De tous ces voyages Flacourt a recueilli une nombreuse collection de plantes ou de minéraux, et surtout une quantité de renseignements qui lui ont permis, dès avant son départ de Fort-Dauphin, d'écrire d'amples mémoires^ qu'il publia peu de temps après son retour en France (1658), sous le titre d^ Histoire de la gra?ideisle Madagascar*. Ces mémoires qu'il a 1. A. Grandidier, Hist. la gëogr., ouv. cité : Tableaux, p. 207-212. 2. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 205 : Lettre de M. .Mounier à l'abbé d'Ennemont, 5 février 1655. 3. A quelle époque Flacourt a-t-il commencé à composer sou ouvrage ? Il est 170 ETIENNE DE FLACOURT consacrés, non seiilemout au récit dos événements qui ont eu lieu sous son administration, mais encore à la description du pays et des habitants, ne sont pas sans doute uniquement le fruit de ses observations personnelles on de celles de ses subordonnés. Ils ne sont pas non plus entièrement inspirés des traditions ou des légendes qui vivaient encore dans le sou- venir des naturels. Le vieil historien de Madag-ascar a pu prendre et a probablement pris une partie de ses renseigne- ments dans les cartes, les relations des voyageurs de son temps qu'il nomme, ou de certains auteurs qu'il a omis de citer. Mais la plupart de ses descriptions sont d'une telle naïveté qu'elles excluent l'hypothèse d'un simple travail de composition, et nous pouvons le croire, lorsqu'il nous dit qu'en publiant son- livre sur Madagascar il a voulu nous faire connaître le plus consciencieusement possible ce que les naturels lui avaient caché, et ce qu'il avait vu, connu, appris et remarqué dans cette île pendant le long- séjour qu'il y a fait. On comprend de suite, en parcourant son ouvrag-e, qu'il n'a rien néglig-é de ce qui pouvait lui permettre de s'éclairer, de compléter ou de rectifier ses lectures. Soit qu'il nomme^ soit qu'il passe sous silence, on sent toujours qu'il n'accepte pas une opinion sans l'avoir contrôlée et souvent vérifiée sur les lieux mêmes. Comme notre vieil auteur était en situation de bien con- naître le pays et qu'il porte le cachet de la vérité, nous lisons son livre avec la plus vive curiosité. Et l'on ne saurait dissi- muler que cette curiosité trouve souvent de quoi s'y satisfaire. Sans aller jusqu'à nous prendre d'une excessive admiration pour la richesse et la précision des renseig-nements que l'on doit à Flacourt;, sans aller jusqu'à comparer son œuvre aux remarquables travaux de notre temps, il est permis de ne poin t partager l'opinion de ceux qui lui refusent toute estime, sous difficile de le dire d'une façou précise, Tauteur n'ayant pas pris soin d'eu in- former le lecteur. Cependant il semble y avoir travaillé dès l'année 1656. Nous lisons en effet sur le plan de l'îlot d'Anossi : « L'islet an Fort d'Anossi, levé sur les lieux par le sieur de Flacourt, 1656. » C'est probablement dans le cou- rant de l'année 1657 qu'il l'a terminé, puisque le permis d'imprimer lui a été donné, comme il le dit lui-même, le 12 octobre 1657. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 171 le seul prétexte qu'ils ne rencontrent point chez lui des obser- vations coniplètes et véritablement scientifiques. Certes le vieil historien n'est pas un savant clans le sens où nous entendons ce mot aujourd'hui, mais à son époque il pouvait paraître tel et puis qu'il a fourni des données précieuses à la géographieet à lethnog-raphie et même à la science de la colonisation, nous ne voyons pas de raison pour dénier à son œuvre tout carac- tère scientifique. Nous y distinguerons trois parties principales : 1. L'œuvre géographique; 2. L'œuvre ethnographique; 3. Le plan de colonisation ou les théories d'un homme d'ac- tion. Cette troisième partie est comme la synthèse et le couron- nement des deux autres. Elle contient l'exposé des vues sur la colonisation de Madagascar que les explorations ou les observations ont fait naître dans son esprit. Ce sont le plus souvent les conseils inspirés par l'expérience qu'il avait acquise, ce sont les théories dun homme d'action. Notre tâche consistera ici à mettre en relief les innovations, les informations, les investigations qui doivent lui être attri- buées, en un mot la part d'originalité qui lui revient. Pour parvenir à notre but, il nous sera nécessaire de démêler les sources auxquelles il a puisé et de comparer les renseigne- ments qu'il a fournis à ceux que nous avons déjà trouvés chez ses devanciers. Quant à la part d'exactitude qui lui revient, elle apparaîtra plus nettement à la lumière des renseignements recueillis par les explorateurs qui l'ont suivi. CHAPITRE PREMIER L.'. Id., ibid., p. 4-46. i;'6 F.TIENNK DE FLAflOURT plus rares ceux qui avaient apporté des indications exactes. Le vieil auteur est le premier qui ait appelé l'attention sur les pâturag^es de la vallée d'Amboule, des pays de Fanshere, d'icondre. Le premier aussi il nous a appris que le riz, les ignames, la canne à sucre venaient en abondance aux pays de Vohilsbanh et de Manamboulc, le coton au pays d'Adcimou, etc. Avant lui on savait que Madagascar renfermait des bois; mais on ignorait les pays où il était possible de les exploiter. Avec lui on sut qu'il y avait des forêts sur la côte orientale et dans le sud de l'île. Bien mieux, on connut les différentes essences qui croissaient dans tel ou tel pays. On fut informé qu'on pourrait trouver de l'aloës vers le Mandrare, de l'ébène du côté de Fenerive '. Et ces renseignements ne sont point des renseignements de pure fantaisie. Beaucoup sont confirmés par les explorateurs qui ont visité les mêmes contrées dans la suite, entre autres par Maudave et le D' Catat.S'il faut les en croire, il n'y aurait rien à retrancher aux descriptions que le vieil auteur nous a laissées des environs de Fort-Dauphin, de la vallée d'Amboule et de la province d'Anossi en général **. D'autre part, les traitants d'aujourd'hui s'accordent avec Flacourt pour recon- 1. Flacourt, 1061, p. 9-46, Hl-146. 2. a) « La vallée d'Amboule est une fertile vallée pour les plantages et pour les ignames blanches principalement qui y vienneût en grande quantité » (Flacourt, 1661, p. 9). « C'est une magnifique vallée et fertile » (D"" Gatat, Tour du Monde, 18 déc. 1894, p. 384). b) Au sujet des environs du Fort-Dauphin : « C'est un très agréable pays.... et rempli de petites buttes et de plaines très fertiles » (Flacourt, 1661, p. 5). « Cette partie de l'île est d'une grande fertilité » (Maudave, voir Pouget de Saint-André, p. 37). « Tous ces environs de Fort-Dauphin sont véritablement charmants » Dr Catat, Tou7- du Monde, 22 déc. 1894, p. 390). « Cette région est certainement l'une des pins fertiles que nous ayons vueâ à Madagascar : les anciennes descripliojis de Flacourt et de Maudave soutires exactes et en parcourant le pays de Tolanara, la vallée d'Ambolo, tout le Ta- nosy, on doit rendre hommaqe à leur véracité » (Gatat, Bullet. de la Soc. de géogr. de Paris. C. R., 20 mars 1891 : Récit de son voyage à Madagascar, p. 211). Mais Fiacourl a exùgéré la fertilité de i'ile Sainte-Marie. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADA(;ASGAR 19T naître que le pays de Siveh (Salar) est pauvre et stérile. On ne saurait toutefois sans témérité souscrire k l'apprécia- tion qu'il a portée sur la fertilité de l'île en général. L'ancien gouverneur a-t-il obéi à une conviction sincère ou à un en- thousiasme de commande en laissant du pays un tableau aussi séduisant? C'est ce qu'on ne saurait décider. Toujours est-il qu'il a eu le tort d'appliquer à l'île entière ce qui ne devait être dit que de quelques contrées. De nos jours des explorateurs et des savants qui ont parcouru Tîle en tous sens se sont montrés moins enthousiastes que Flacourt qui, à vrai dire, n'en connaissait qu'une partie fort restreinte. Dans sa description des animaux, comme dans celle des plantes, se révèle lalecture des ouvrages de l'époque antérieure. C'est ainsi qu'il reproduit, d'après Paré ou Thevet, la légende du Thanatch, monstre à tête humaine qu'il appelle Tratratra*. De même, à l'exemple de Lindschot et de Cauche, il s'attache à nous faire savoir si la chair des animaux est savoureuse. Comme ce dernier il raille les vieux auteurs trop crédules qui avaient affirmé la présence d'animaux féroces dans l'île. Mais il est incontestable qu'il parle souvent aussi de visu. A propos de ces mêmes auteurs il ajoute, en effet, quelques mots qui attestent ses propres observations : « il n'y a aucun animal nui- sible à l'homme, dit-il, que dans les rivières et estangs oii il y a des crocodiles qui n'y sont point tant à craindre que l'on se pourroit imaginer, d'autant qu'ils ne fréquentent que les endroits les plus solitaires et ne hantent que fort peu les lieux qui sont fréquentés par les habitans. Les chameaux que quel- ques vieux auteurs ont descrits ne sont autre chose que les bœufs dupaïs qui ont tous une bosse de graisse sur le chignon du col; et comme ils n'en ont parlé que par ouï dire, ils se sont figurés que c'estoient des chameaux .>*. Comme pour les plantes, il prend ses informations auprès des naturels et invoque leur témoignage lorsqu'il n'est pas 1. Flacourt, 1661, p. 154; Voyage en Asie du bienheureux Odoric de Por- denone, ouvr. cité, p. 327. 2. Flacourt, ibid., Avant-Propos. 198 ETIENNE M FLACOURT sûr de ce qu'il avance. « Au rapport des nègres, dit-il, en par- lant de l'antamba, elle a la ressemblance d'un Leopart, elle dévore les hommes et les veaux. » Ces observations personnelles et les renseig-nements qu'il a obtenus des indig^ènes lui ont permis d'augmenter la liste des animaux déjà connus. De tous les voyageurs il est le pre- mier qui ait énuméré sous le nom que leur donnent les gens du pays cinquante-six oiseaux, tant terrestres et aquatiques que sylvicoles. Il est le premier, notamment, qui ait signalé la présence dans l'île d'un oiseau gigantesque, désigné dans la science sous le nom à^OEpiornis maximus et qu'il compare à une autruche*. Aux oiseaux il faut ajouter un certain nombre d'animaux d'ordres divers, tels que le sifac (Propithèque de Verreaux)*, la genette, le tenrec, etc. Flacourt est d'ailleurs novateur à un autre point de vue. Non content de décrire les animaux, il a noté (ce que peu de voyageurs avaient fait avant lui) les contrées oii il était pos- sible de les apercevoir. C'est ainsi qu'il a placé le falanouc du côté de Sandravinani, le bret dans le pays des Antsia- anka, etc. 3, A l'époque de Flacourt la zoologie comme la botanique n'était encore qu'une science en voie de formation et dépour- vue de toute méthode scientifique. On étudiait les sujets iso- lément selon qu'ils se présentaient, sans se préoccuper de les ranger par classes d'après leurs caractères de ressemblance*. Il n'y a donc pas lieu d'être surpris de ne point trouver chez lui une classification des animaux de Madagascar telle qu'on pourrait en rencontrer chez les publications de notre temps. La seule classification qu'on lui doive est toute rudimenlaire. C'est celle qui consiste à diviser les oiseaux en oiseaux aqua- 1. A. Grandidier, Histoire naturelle de Madagascar : Oiseaux, p. 737. Cet oiseau qui appartenait au groupe des Casoars a aujourd'hui disparu de l'île. 2. Revue des sciences pures et appliquées, 15 août 1895 : A. Milne Edwards, Les animaux de Madagascar, p. 696. 3. Flacourt, 1661, p. 152-171. 4. Mémoires de VAcadémie des sciences, t. Il, Préface. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 199 tiques, terrestres, oiseaux qui hantent les bois et oiseaux de nuit. Le plus souvent Flacourt énumère les animaux comme il avait éuuméré les plantes, sans aucun ordre et sous dos noms locaux. Chaque espèce est, il est vrai, facile à reconnaî- tre dans sa description et d'illustres savants ont rendu hom- mage à son exactitude ^ Cependant on ne doit pas dissimuler que le vieil auteur a parfois confondu certains animaux avec d'autres. C'est ainsi qu'il a pris l'ibis huppé pour un faisan, et et le fanaloucpour une civette". Flacourt n'était pas naturaliste. De plus, de son temps on n'avait que des notions absolument insuffisantes sur la faune des différentes contrées du globe. Il ne pouvait donc établir de comparaison entre les animaux de la grande terre et ceux des pays qu'il n'avait point visités. C'est seulement beaucoup plus tard qu'il sera possible d'étudier les caractères tout à fait spéciaux' de la faune malgache et de saisir en quoi consiste son originalité. Mais ne peut-on pas s'étonner que Flacourt se soit borné le plus souvent à signaler les ressemblances que les êtres vivant dans cette île ofl'raient avec ceux d'Europe et de France. N'est-il pas surprenant qu'ilne se soit pas plus montré frappé de l'étrangeté de cette faune qu'il ne l'avait été de la beauté de la flore? 1. Milue Edwards, Revue des sciences, loc. cit.. p. 694; A. Grandidier, His- toire >iattirel/e, ouvr. cité, p. 737. La plupart des auimaux cités par Flacourt sont meutionnés par les voya- geurs ou les naturalistes de notre époque. Voir Bull, de la Société de géogr. de Paris. 1872, t. III, p. 373 et suiv.; Revue des Deux-Mondes, septembre-oc- tobre 1872, p. 444 et suiv.; Cortese, Bollet. Soc. geog.italiana, série III, vol. I, p. 985-994; Tour du Monde, 9 juin 1894, p. 354; Foucart, Revue générale des sciences, août 1895, p. 735-738. 2. Blanchard, Revue des Deux-Mondes, septembre et octobre 1872, p. 144 et suiv. 3. C'est un des plus grands mérites de la science contemporaine d'avoir recherché les affinités des espèces de Madagascar avec celles des autres pays. On s'accorde généralement à reconnaître que la faune de la grande île pré- sente quelques espèces communes à l'Afrique, mais qu'elle se rapproche sur- tout de celles de l'Inde, de la Malaisie et de l'Australie (voir A. Grandidier, ouvrages déjà c'dés et Histoire physique, naturelle el physique de Madagascar; Blanchard, Revue des Deux-Mondes, 1872, loc. cit. ; Wallace, The geographical Distribution of animais, 1876; Milne Edwards, Revue des sciences, loc. cit.; Pettit, Revue de géographie, septembre 1895). 200 ETIENNE DE FLACOURT En revanche, la richesse de Madagascar en bétail a attiré l'attention de l'ancien gouverneur, préoccupé sans cesse d'as- surer le ravitaillement de sa colonie, comme elle avait d'ail- leurs déjà attiré les regards de ses devanciers. Mais jus- qu'alors on n'était point informé des contrées où l'on pouvait s'en procurer. Grâce à Flacourt, les connaissances devinrent plus précises. On sut que les pays d'Itomampo, de Matatane, de Mananzari, de Caremboule, et surtout celui desMahafales étaient des contrées très favorables à l'élevage *. Enfin Flacourt qui, dans sa jeunesse, s'était adonné à l'étudede la chimie et des sciences naturelles, telles du moins qu'elles étaient connues alors, ne devait pas rester indiffé- rent aux richesses minérales que certains auteurs avaient déjà attribuées à la grande île. Il avait déjà sans doute puisé quelques renseignements dans l'ouvrage de Linschot, car il invoque son autorité à propos d'un métal connu des indigènes sous le nom de voulafoatchesine. « Qui voudra savoir ce que c'est que ce métal, dit-il, qu'il voie André Libavius... et aussi Hugues Lindschol dans son Voyage des Indes orien- tales^^*. Mais il a voulu se rendre compte par lui-même des ressources minérales, comme il l'avait fait pour les ressources animales et végétales : (> Dans tout ce que j'aypu apercevoir en ce païs, dit-il, je n'ay reconnu que le fer et l'acier qui s'y trouve en grande abondance partout. » De même il déclare avoir vu quelques échantillons d'or et de pierres précieuses. Il ne se bornait pas à des investigations personnelles, il avait encore recours aux indigènes pour s'éclairer à ce sujet. « J'ay appris, dit-il, que vers le nord de la rivière d'Yon- ghelahé, il y a un païs où l'on fouille de l'or. Et j'ay toujours ouy dire par les Grands d'Anossi que c'est vers ce païs-là \. P'iacourt, 16G1, p. 1-46. La richesse eu bétail de quelqaes-uus de ces pays a été constatée au XVIII» siècle par Maudave {loc. cit., p. 16) et de nos jours par MM. Graadi- dier, Revue scientifique, mai 1872; Gremazy, Revue maritime et coloniale, mars 1883; Catat, C. R. de la Soc. de géogr.de Paris, mSiVS, 1891, p. 206 ; Dou- liot, Annales: de r/éoffr., janvier 1892, p. 199; Gautier, Anna/es de géogr., 15 avril 1895, p. 319. 2. Ilist. de Madaga.scar, 1661, p. IH et 148. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 201 qu'est la source de l'or» *. Ce qui montre surtout la conscience avec laquelle il faisait ses investigations, c'est qu'il s'est efforcé de distinguer les métaux importés par les étrang-ers de ceux qui se trouvaient dans le pays à l'état naturel. C'est de cette manière qu'il a pu dans une certaine mesure satisfaire notre curiosité. Il a signalé l'existence dans l'île de précieuses res- sources en or, fer, cristal de roche, basalte, salpêtre, tout en niant l'existence de mines d'arg-ent, de cuivre et de plomb. A la diiïérence des vieux auteurs qui avaient déjà mentionné quelques-unes de ces richesses minérales, il a indiqué les endroits où il était possible de les découvrir. C'estpar lui qu'on apprit l'existence de mines de fer chez les Mahafales et dans le pays d'Ivohron, de mines d'or dans la province d'Anossi, etc. Et s^il a eu le tort de nier la présence de l'argent, du cuivre et du plomb, s'il peut paraître prématuré d'assurer avec lui « qu'il y a de toutes sortes de métaux et de minéraux dans ceste isle ))',il est incontestable que de récentes explorations témoignent en général de l'exactitude des renseignements fournis par Flacourt\ Quelque soin qu'ait pris Fiacourt, dans ses descriptions, de nous éclairer sur les ressources de l'île, il ne faudrait pas croire qu'il soit resté insensible aux charmes du pays qu'il avait eu sous les yeux. Ce vif sentiment de la nature se dé- voile dans plusieurs descriptions qu'il nous a laissées des dif- férentes contrées de la région orientale. Mais ce qui est plus surprenant, c'est qu'il a donné une description enchanteresse de l'île Bourbon qu'il n'avait jamais vue et qu'il connaissait seulement par les douze Français exilés sous Pronis et rame- nés par ses ordres à Fort-Dauphin. Après avoir donné quel- 1. Fiacourt, 1661, p. 9-44, 90, 146-162, 190. 2. Id., ibid., p. 162. 3. Voir A. Grandidier, Bulletin de la Soc. de géogr. de Paris, avril 1872, p. 370; d'Escamps, Madagascar, p. 401 et 402; Sibrée, The great African is- land, p. 31 ; Oliver, loc. cit., vol. I, p. 493; Cortese, Boll. del R. Comit. geo- log. dltalia, 1888, anno XIX, p. 103-123 et Boll. geogr., ser. 3, vol. I, p. 816; D' Besson, Voyage au pays des Tanala indépendanls (Bull.de la Soc. de géogr. de Paris, 3^ trim. 1893, p. 324); L. Suberbie, Revue des sciences pures et ap- pliquées, 15 août 1895, p. 715 et suiv. 202 ETIENNE DE FLACOURT (jues renseignements sur les dimensions de celte île, sur sa configuration, le pays brûlé, etc., il ajoute quelques ligues qui forment un morceau charmant, et révèlent la vive iinag-i- nalion de ce vieil auteur: « Le reste de l'île, dit-il, est le meil- leur pais du monde, arrousé de rivières et de fontaines de tous costés, remply de beaux bois de toutes sortes, comme de lataignicrs, palmite et autres, fourmillant de cochons, de tortues de mer et de terre extrêmement grosses, plein de ra- miers, de'tourterelles, de perroquets les plus beaux du monde, et d'autres oiseaux de diverses façons. Les cosleaux sont cou- verts de beaux cabri ts... « Les estangs et les rivières y fourmillent de poissons, il n'y a ni crocodiles dans icelles, ni serpens nuisibles à l'homme, ni insectes fâcheuses, ainsi que dans les autres isles, ni pulces, ni mouches, ni moustiques piquantes, ni fourmis, ni rats, ni souris... « La terre y est très-fertile et grasse, le tabac y vient le meil- leur qui soit au monde, les melons y sont très savoureux dont la graine y a esté portée par ces misérables exilés. Ce qui fait juger que toutes sortes de légumes et puits y viendront à merveille... « L'air y est très-sain et quoiqu'il y doive estre très chaud, il y est tempéré par des vents frais qui viennent le jour de la mer et la nuit de la montagne. Ce seroit avec juste raison que l'on pourroit appeler cette isle un Paradis terrestre... « Les eaux y sont pures et très-excellentes, lesquelles il fait beau voir tomber le long des ravines des montagnes, de bassin en bassin, en forme de cascades, qui sont admirables à voir, qu'il semble que la nature les a ainsi faites, afin d'allécher les hommes qui les voient à y demeurer » '. 1. Flacourt, Histoire de Visk Madagascar, édit. 1892, p. 2G8 et 269. La plupart des renseignements que Flacourt nous a fournis sur l'île Bour- bon, relief, forêts, cours d'eau, climat, sont exacts, à part quelques erreurs dans l'indication des latitudes (au lieu de 21° 30', 20° 50") et des dimensions (au lieu de 25 lieues de long, la longueur serait de 71 kilomètres et au lieu de 14 lieues la largeur serait de 51 kilomètres) (v. Notices coloniales, p. 12, 13, 15, 39, 57-76; Sauzier, Un projet de république à Vile d'Eden, p. 102 et suiv.). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 203 Tels sont les renseignements que Flacourt nous a fournis sur la géographie physique de Madagascar. Si la sincérité, la véracité est le premier titre du voyageur, rendons tout d'abord hommage à celle de Flacourt, d'autant plus méritoire qu'il était difficile de son temps de vérifier les assertions des voyageurs. Ce n'est pas qu'il ne se trouve dans son livre bon nombre d'inexac- titudes relativement à la détermination des latitudes, à la situa- tion des rivières, à la configuration du littoral et au climat. Le critique minutieux pourra aussi y relever quelques lacunes dans la description de la flore, de la faune et des richesses minérales, et il ne partagera pas les vues enthousiastes de Flacourt sur la fertilité de la grande terre. Il lui reprochera avec raison d'avoir permis à l'opinion de s'égarer par des géné- ralisations hâtives sur un pays qui n'était encore que très peu connu. Mais il ne saurait nier que les données du vieil auteur à ces différents points de vue soient encore plus complètes, plus précises et exactes que celles des auteurs qui l'avaient précédé. La partie de son ouvrage qui est la plus remarquable, celle qui accuse les observations les plus sérieuses et les plus éten- dues, est sans conteste la partie où il s'est étudié à décrire en détail les plantes et les animaux de la grande île. Mais à quel- que point de vue que Ton se place, un des plus grands mérites de Flacourt consiste à ne s'être point borné, comme la plupart des auteurs du siècle précédent, à des vues vagues et générales sur le pays. S'il a eu le tort d'étendre parfois à l'île tout en- tière des observations recueillies sur des points isolés, il est néanmoins le premier à qui l'on doive une description détail- lée et relativement exacte de certaines contrées de la région orientale et de la région australe. En particulier le tableau qu'il nous a laissé du sud-est est si fidèle, il reproduit si bien le modèle qu'il avait eu sous les yeux, qu'il est encore ressem- blant de nos jours et que les descriptions des explorateurs les plus récents n'ont fait qu'en confirmer l'exactitude. CHAPITRE II l^'cpiivre ethnographique de Flacoiirt. Part d'orifîinalitf', de sens critique, de sincérité, d'impartialité et d'exactitude dans la description des habitants : origine, nombre, aspect physique, ca- racti-rc, superstitions, religion, genre de vie, agriculture, industrie, com- merce, manière de compter, langage, manière de combattre, armement, or- ganisation sociale. — Appréciation générale. Nous avons montré, autant qu'il nous a été possible, quelle idée on se faisait, en Europe, vers l'année 1648, des habitants de la grande île. Nous avons vu que les connaissances déjà acquises sur leur nom, leur origine, leurs caractères phy- siques, intellectuels et moraux, sur leur religion et leur orga- nisation sociale, offraient encore bien des lacunes. Ces lacunes ont-elles été, du moins en partie, remplies par les auteurs qui avaient publié des ouvrages sur Madagascar pendant le séjour de Flacourt à Fort-Dauphin? Tout ce qu'on avait appris était dû aux voyageurs dont il a été déjà question, Pow^le Waldegrave et Fr. Gauche, et se ramenait à fort peu de chose. Ce dernier avait désigné les in- digènes sous le nom de Madécasses *, mais ni l'un, ni l'autre n'avait exprimé son opinion sur leur nombre, leur intelli- gence et leur langue. Celles qu'ils avaient de leur caractère étaient loin do concorder. Le voyageur anglais, qui s'élait étudié à réfuter les assertions téméraires de Boothby, avait écrit en 1G49 que les Malgaches étaient des gens cruels, per- fides, dissimulés, sans foi ni parole*; le voyageur français, bien qu'il regardât les peuplades voisines de Saint-Augustin 1. A. Grandldier, Ilisl. de. la géogr., 1892, p. 34. 2. Ouvr. cit(', chap. m, et xvir. LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 20S et les Machicores comme des gens malfaisants et voleurs, avait au contraire une opinion favorable des autres peuplades, surtout de celles du sud-est avec lesquelles il avait fait des échanges *. Tous deux s'étaient montrés encore plus sobres de renseignements que les auteurs précédents sur les caractères physiques des indigènes et leur origine. Gauche s'était borné à prétendre que les blancs, qui se disaient originaires des Indes orientales et que l'on croyait communément venir de la Chine, appartenaient plutôt à la même race que les Européens, « pas un d'eux n'ayant le nez ni le visage plat comme les Chinois ))'. En revanche, ce dernier avait fourni quelques dé- tails intéressants sinon entièrement exacts sur leurs croyances et leurs pratiques religieuses. Comme les anciens auteurs, il refusait aux Malgaches toute religion, parce qu'il n'avait vu dans l'île aucun temple, aucune statue, ni entendu aucun habitant prier Dieu ; mais il avait déjà constaté avec raison des traces de l'islamisme dans certaines pratiques ou coutumes, telles que la circoncision, le repos du vendredi, l'abstinence de la viande de porc, les sacrifices, les ablutions, la polyga- mie, et le régime matrimonial en usage dans le pays. Il avait même remarqué leur croyance en un diable qui leur envoyait la stérilité et les maladies, et en un Dieu qui les faisait mou- rir*. Toutefois le marchand rouennais n'avait point parlé de leurs relations commerciales, de leur manière de cultiver la terre, de leurs occupations, leur genre de vie. On n'avait été guère mieux éclairé par lui surTorganisation sociale. S'il avait indiqué quelques châtiments infligés aux coupables, s'il ne lui avait pas échappé que les Andriana avaient le privilège de couper la gorge aux bêtes dans les sacrifices^ par contre il avait sur le mode de transmission du pouvoir des idées fort contestables, et il n'avait presque rien dit de l'armement des 1. Ouvr. cité, p. 43 et 45, 119, 173. 2. Ibid., p. 109, note et 122. 3. Ibid., p. 120 et 121. 4. Ibid., p. 122, 124 et 125. 206 ETIENNE DE FLACOURT indigènes, de leurs luttes intestines, de l'anarchie qui régnait dans l'île. 11 faut rendre cette justice à Flacourt qu'il a eu le premier le mérite d'accorder une attention toute particulière à l'étude des populations de Madagascar et de contribuer largement au progrès des connaissances ethnographiques sur ce vaste pays. Comme ses devanciers, le vieil auteur a affirmé que l'île était très peuplée. Mais il a fait plus : de tous les voyageurs il est le premier (à notre connaissance du moins) qui ait évalué le nombre de ses habitants. On pourra sans doute lui reprocher d'avoir donné un chiffre trop faible, en ne comptant que huit cent mille âmes', puisqu'il ne s'est fait à Madagascar aucune immigration depuis le xvn* siècle, et qu'aujourd'hui le chiffre indiqué par les auteurs les plus compétents s'élève à quatre millions; mais on ne doit pas se montrer trop sévère pour celte inexactitude d'un auteur qui ne connaissait du pays qu'une partie fort circonscrite^ surtout à notre époque où l'on n'est pas encore fixé sur le nombre qu'il faut admettre ^ Pour ce qui est des caractères physiques, Flacourt ne s'est pas plus attaché à les faire connaître que ses prédécesseurs. Cependant, à ce point de vue, on peut glaner dans son livre quelques renseignements relatifs aux peuplades de la côte orientale. C'est ainsi qu'il a remarqué que les habitants du pays de Vohitsbanh étaient tous noirs avec d'épaisses cheve- lures frisées, et que ceux du pays de Matatane étaient plus basanés que les autres blancs. Il a même observé des dilfé- rences de couleur et de chevelure chez les différentes castes. Il a constaté que, parmi les Andriana, les uns avaient la peau rouge et les cheveux longs et lisses, les autres les cheveux frisés'. Enfin dans ses gravures un peu de convention, il nous 1. F'Iacourt, Hist. de Madagascar, 1661, p. 333. 2. M. Grandidier adopte le chiffre de 4 millions, et M. Sibrée celui de 4 millions et demi (v. Max Leclerc, Les peuplades de Madagascar, ouvr. cité, p. 3). 3. Flacourt, 1661, p. 6, H, 17. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 207 a représenté de véritables nègres aux cheveux crépus et des blancs au type caucasique *. Pas plus que ses prédécesseurs, Flacourt ne semble avoir été frappé de la diversité de races que les savants de notre époque ont constatée dans l'île. Il n'en est pas moins le premier qui se soit appliqué à montrerque les éléments blancs s'étaient juxtaposés aux noirs ^ Il est le premier qui ait fait connaître deux immigrations successives d'Arabes et qui en ait indiqué la date avec une exactitude relative. « Mais, dit-il, les Blancs nommés Zafferamini y sont venus depuis cinq cens ans ». Et ailleurs il relate en ces termes la seconde immigration: «C'est en cette province (Anossi) |qu'habitent les Blancs qui y sont venus depuis cent cinquante ans, qui se nomment Zafferamini ou Rahiminia, c'est-à-dire, la lignée d'Iminia, mère de Maho- met » ; ou bien : « Les Cassimambou sont venus en ceste isle, dans de grands canots; ils y ont été envoyés par le califfe de la Mecque, à ce qu'ils disent, pour instruire ces peuples, de- puis cent cinquante ans seulement ^ ». Il est inexact sans doute que les Zafîecasimambou aient été envoyés à Madagascar vers la fin du xv® siècle par le califfe de la Mecque, puisque l'histoire nous apprend que les califes ne résidaient plus à la Mecque depuis la fin du vw" siècle *, mais le fait d'une immigration arabe à cette époque n'en subsiste pas moins, et c^est au vieil auteur que revient le mérite de l'avoir relaté. C'est grâce à lui aussi que nous avons été in- formés d'une immigration juive dans la grande île. 11 place en effet sur la côte nord-est des gens qui se disent Zatï'e- ibrahim, c'est-à-dire lignée d'Abraham, qui tiennent quelques coustumes du Judaïsme et ne connaissent point Mahomet ». 1. C'est seulemeot de uos jours que de savants explorateurs tels que MM. Graudidier, Catat, etc., ont étudié d'une manière vraiment scientifique les caractères physiques des différentes peuplades de l'île (voir Revue scien- tifique, mai 1S72, p. 1085 et autres ouvrages déjà cités, entre autres Catat, Tour du Monde, 16 juin 1S94, p. 370; 13 décembre 1894, p. 379) 2. C. R. de la Soc. de qéogv. de Paris, séance du 23 mars 1891, p. 215. 3. Flacourt, 1661, Avant-Propos et p. 5, 17. 4. G. Ferrand, Les musulmans à Madagascar, 2^ partie, p. 64. 208 ETIENNE DE FLACOURT Dans un autre passage, il s'exprime en termes plus explicites. Il dit en parlant des habitants de la contrée située entre ïa- matave et la baie d'Antongil : « Ils sont tous provenus d'une même lignée qu'ils nomment Zaffeibrahim, c'est-à-dire race d'Abraham; ils ne connaissent point Mahomet et nomment ceux de sa secte Cafres. Ils reconnaissent Noé. Abraham, Moïse et David, mais ils n'ont aucune connaissance des autres prophètes, ny de Notre Sauveur J. C. Ils sont circoncis, ils ne travaillent point le samedi ils se sentent un peu du ju- daïsme'. » Ainsi Flacourt a distingué les différentes peuplades qui composaient l'élément blanc à Madagascar, et les témoignages des voyageurs ou des savants de notre temps n'ont fait que confirmer l'exactitude des faits qu'il avait rapportés*. Mais il n'en est pas de mêmie pour l'élément noir. Lorsque l'on considère que Madagascar est une île immense qui a été occupée à des époques différentes par des peuplades de races diverses — lorsque l'on songe que ce pays est dé- pourvu pour ainsi dire de traditions écrites, que l'on doit se contenter le plus souvent pour reconstituer l'origine de ces peuplades de traditions orales — on ne s'étonne point que Flacourt n'ait point démêlé parmi les races qui s'étaient suc- cessivement mélangées, celle qui formait le fond de la popu- lation, la race indonésienne. Notre vieil auteur qui vivait à une époque oîi l'on était encore très ignorant de toutes les questions ethnographiques, qui avait peu voyagé et ne con- naissait sans doute que les nègres africains, qui ne possédait aucun des termes de comparaison indispensables pour l'étude des peuplades sauvages, notre vieil auteur n'a vu dans la majorité des habitants que des nègres africains, et il lui était difficile d'y voir autre chose. Il serait donc exagéré d'aller reprocher au gouverneur de Fort-Dauphin, qui n'avait point visité le massif central et 1. Flacourt, 1661 : Avant-Propos et p. 22, 195. 2. Voir A. Grandidier, Revue scientifique, 11 mai 18'72; Rapport à l'Institut, loc. cit., p. 20 et 21 ; Max Leclerc, Les peuplades de Madagascar, p. 37-55. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 209 bien d'autres contrées de l'intérieur, de ne nous avoir rien appris sur la caste des Ilovas, caste d'origine indonésienne'. Pour les mêmes raisons, on ne saurait, sans s'exposer à être taxé de sévérité, lui reprocher de n'avoir point mentionné un autre élément, moins imposant par le nombre que l'élément indonésien pur, mais dont l'injportance est incontestable, Félément malais. Les affinités que les Hollandais et le P. Luiz Mariano avaient aperçues entre la langue malgache et la langue malaise, n'ayant point été entrevues par le viel auteur fran- çais, il lui était impossible d'ailleurs de se rendre compte des liens qui existaient entre les peuplades de l'île et celles de la péninsule de Malacca. Quant aux renseignements qu'il nous a fournis sur certaines tribus de cannibales qu'il appelle Ontaysalrouha et qui sem- blent se rattacher à la grande famille des nègres africains, il ne faut pas leur accorder plus de crédit qu^ils n'en méritent. Flacourt paraît ici avoir ajouté trop de foi aux récits des indi- gènes et avoir pris pour un fait réel une fable semblable à celles que les joueurs de ménestrels avaient coutume de raconter aux crédules indigènes. Notre historien, qui a rejeté comme fabu- leux ce qu'on lui avait rapporté sur l'existence de pygmées dans l'île, aurait pu, ce semble, apporter ici plus de sens critique^. Toutefois il serait excessif de trop insister sur des erreurs ou des lacunes qui s'expliquent par l'insuffisance des connais- sances ethnographiques de l'époque où vivait notre vieil auteur. Elles seront facilement oubliées au surplus par quicon- que s'abandonnera à la lecture d'un ouvrage où se trouvent décrits, dans leurs plus petits détails et dans un style d'une charmante naïveté, le caractère, les mœurs, la religion, les 1. C'est un des plus brillants résultata de la science contemporaine d'avoir comblé cette lacune ; c'est M. Grandidier qui en a eu le premier le mérile (voir Hist. de la géogr., 1892, p. 178, note a; p. 178. note 1 et p. 193, note 1) ; Revue générale des Sciences pures et appliquées, loc. cit., p. 50. 2. Flacourt, Avant-Propos. Voir A. Grandidier, Mém. de la Soc. plnlomalhique, 1888, p. 135 et suiv. ; Sibrée, Madagascar et ses habitants, tra.d. Monod, p. 269; Catat, Tour du Monde, 1er décembre 1894, 210 ÉTIENiNE DK FLA COURT coutumes, et, si l'on peut dire, les iiislilulions du peuple mal- gache. Aiicuii voyageur, avant Fiacourt, n'avait apporté autant de renseig-nemenls sur la physionomie morale des indigènes. Rien de ce qui est pratiquement utile à connaître, rien même de ce qui est simplement curieux n'a échappé à sa perspica- cité. Mais pour voir clair dans les mœurs d'un peuple, pour en tracer un portrait e.\act et impartial, il est nécessaire à l'observateur do s'abstraire de soi-même, d'oublier ses préfé- . rences ou sa haine. L'ancien gouverneur s'est-il tracé cette ligne de conduite? S'est-il toujours gardé des entraînements injustes et des jugements passionnés ? Nous ne le pensons pas. Ce n'est pas de lui qu'on peut dire qu'il a toujours écrit sme ira el odio. Il a parlé souvent des Malgaches en homme qui se souvient des luttes qu'il a soutenues contre eux et qui veut mettre ses compatriotes en déliance contre leur carac- tère. 11 les a peints sous les couleurs les plus sombres. P leur attribue toutes sortes de vices et de défauts. Pour lui, les naturels, à l'exception de ceux de Manghabé, sont des gens capables de tous les crimes, de toutes les trahisons, des gens qui regardent comme autant de vertus la dissimulation et la perfidie. Ecoutons-le plutôt : « S'il y a nation au monde adon- née à la trahison, dissimulation, flatterie, cruauté, mensonge et tromperie, c'est celle-ci, dit-il, et principalement depuis le pays de Manghabéjusques au bout de ceste isle en tirant vers le sud : mais la nation de Manghabé n'est pas de même, ce sont gens de peu de discors, mais de plus de foy, qui ne sont pas si cruels el n'usent point de trahison envers les étrangers. Pour les autres nations, ce sont les plus grands adulateurs, menteurs et dissimulés qu'il y aye au monde, gens sans cœur et qui ne font vertu que de trahir et de tromper, promeltans beaucoup et n'accomplissans rien si ce n'est que par la force et par la crainte, gens qu'il faut mener et gouverner par la rigueur et qu'il faut chastier sans pardon, tant grands que pe- tits eslans trouvés en faute... C'est la nation la plus vindica- tive du monde et de la vengeance et trahison ils en font leurs ou LES ORIGINES DE LA CDLOMSATION I [lANr.AISE A MADAf-ASCAU 211 deux principales vertus, estimans ceux-là niais el sans esprit qui pardonnent. Quand ils ont la force ils ne laissent point échapper l'occasion d'exercer la cruauté sur ceux qu'ils ont vaincus en guerre. Ce sont leurs délices que de rencontrer des enfans qu'ils fendent en deux tout en vie et deschirent en morceaux et des femmes à qui ils fendent le ventre et les laissent ainsi languir à demi-mortes*. » En laissant des indig-ènesun portrait véritablement alfreux, l'ancien chef de la colonie ne semble pas seulement avoir ag'i par haine de ses anciens ennemis, il paraît aussi avoir voulu servir sa cause. On a pu raccuser_, non sans raison,, d'avoir eu pour but, en insistant sur leur cruauté, de justifier les atroci- tés qui furent commises par ses ordres. L'historien anglais Copland va même jusqu'à prétendre qu'il a porté sur eux deux jugements contradictoires. D'après lui, lorsque Fia- court parle d'une façon abstraite, il prodigue aux indigènes les plus grands éloges, il affirme à ses lecteurs qu'ils pos- sèdent toutes les qualités naturelles, mais, quand il nous entretient de ses rapports avec ces mêmes indigènes, il les re- présente comme les sauvages les plus perfides el les plus san- guinaires de la terre ^ Nous n'avons point remarqué ces contra- dictions dans la Relation de notre historien. Dans ses descrip- tions comme dans ses récits il parle avec la même acrimonie. Le seul passage où il montre une certaine modération dans son jugement, c'est celui où il déclare que les lecteurs de son livre « n'y verront pas exercer la barbarie et la cruauté des Améri- cains et des CalTres de Sofala qui sont anthropophages, ny la bestialité des nègres de la Guinée qui vendent père et mère et parens aux nations de l'Europe «^ Partout ailleurs, il n'a que des paroles haineuses pour les habitants de la grande terre*. Quoi qu'il en soit, l'ancien gouverneur n'a pas compris que i. Flacourt, éd. 1661, p. 83 et 84. 2. Bistorij of the island of Madagascar, Préface. 3. Placourt, 1661 : Avant-Propos. 4. « Lisez Flacourt, dit Rochon, vous croiriez que le Malgache est le plus pervers, le plus fourbe de tous les hommes » (Vo'jage à Madagascar, t. I, p. 39 et 40). :>12 ÉTIKNNt; DL FLACOUliT ses procédés comme ceux de ses précurseurs avaient pu dans une certaine mesure modifier le caractère de ces peuplades, les aigrir, les rendre irascibles et perfides. Pouvait-il attendre en edet de la loyauté, de la sincérité de gens qu'il avait traités avec hauteur et mépris, à l'égard desquels il avait usé à toute occasion de menaces et de violences? N'est-il pas naturel que des gens irrités par l'injustice et l'abus de la force cherchent un refuge dans la ruse et la dissimulation, surtout lorsqu'ils n'ont reçu aucune éducation morale? Mais Flacourt n'a pas seulement fait preuve de partialité en insistant sur les défauts et les vices des indigènes, il en a montré encore en passant sous silence leurs qualités. N'était-il pas du devoir de l'histo- rien qui avait la prétention d'en tracer un portrait complet, de signaler leur naturel hospitalier, le respect qu'ils témoi- gnaient à leurs parents et aux vieillards, l'amour qu'ils avaient pour leurs enfants, la douceur avec laquelle ils trai- taient leurs femmes, qualités qui révèlent des sentiments gé- néreux et élevés et que d'autres voyageurs n'ont pas hésité plus tard à leur reconnaître'? En tout cas, Flacourt qui n'avait visité qu'une partie de l'île et n'était pas en situation de connaître les peuplades de l'ouest, du centre et du nord, s'est placé à un point de vue trop géné- ral. Il s'est laissé aller, dans sa description des mœurs, à des erreurs semblables à celles que nous avons déjà relevées dans sa description du pays. Par une longue résidence à Fort-Dauphin et par ses subor- donnés il s'est trouvé en rapports avec les habitants d'Anossi, avec les Mahafales, les Machicores, les Ampâtres. Il n'est donc point surprenant qu'il ait pu les observer de près et qu'il nous en ait laissé une peinture dont plusieurs voyageurs sont venus confirmer l'exactitude ^ Mais en attribuant à tous les habi- 1. EUis, A Hislory of Madar/ascar, t. I, p. 139; A. Graadidier, Rapport à rinsiilul, déjii cité, p. 12. 2. « Ce que le gouverueur du Fort-Dauphia écrivait eu lo.i5 sur les peuplades des Autanosses est encore vrai de uos jours ». « Les Antaudrouis, les Mahafales et les Bares sont des tribus adonuées au pillage, au vol et au meurtre Les Mahafales sout lâches, hypocrites. ou LES ORFOINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAOASr.An 2n tants de ce vaste pays les défauts et les vices que l'on pouvait peut-être à bon droit reprocher à certaines peuplades, il a permis à l'opinion de s'égarer ; de telle sorte que si, d'une part, la préoccupation qu'il avait de justifier sa politique violente à l'égard des indigènes a nui à la sûreté et a la justesse de ses appréciations, d'autre partie sombre portrait qu'il avait pré- senté de ces mêmes indigènes à ses contemporains n'était pas de nature à faire naître en eux le désir d'entrer en relations avec le peuple qu'il avait soumis, ni à déterminer dans le pu- blic un courant d'opinion favorable à ses vues sur la colonisa- tion de la grande île africaine. C'est avec plus de raison que l'ancien gouverneur a reconnu chez les naturels un penchant très prononcé vers l'immora- lité et la superstition. Il serait déplacé d'insister sur le tableau qu'il nous a laissé de la liberté de leurs mœurs. Qu'il nous suffise de constater que ce qu'il en a dit au xvii° siècle n'a pas été démenti, non seulement par les voyageurs contemporains, mais encore par ceux de notre époque. Quant àleurpenchant à la superstition, il avait été observé avec le plus grand soin par celui qui s'était proposé de les convertir au christianisme- Ce côté si intéressant de leur caractère, qui ne semble pas avoir frappé les voyageurs de l'époque antérieure, devait naturellement attirer l'attention de l'ancien gouverneur. Avec quelle curiosité d'esprit, quel souci du détail n'a-t-il pas dé- crit les odys, ces talismans auxquelsles Malgaches attribuaient alors et attribuent encore aujourd'hui des vertus 'merveil- leuses? menteurs, s'adonnent sans vergogne aa vol et à l'immoralité » (A. Grandidier, Archives des Miss, scientif., 1872, t. \ïl; Bulletin de la Société de (féof/r. de Paris, juillet-déc. 1871, et juillet-déc. 1867, p. 393). D'après le D'" Catat, les Antaimoures, les Antaisaka, les Antanosy sont des peuplades guerrières et jalouses de leur indépendance; les Bares du sud et de l'ouest font continuellement la guerre aux tribus voisines pour les piller et ravager leur pays (C. R. de la Soc. de géogr. de Paris, 1894, p 203, 206 ; Tour du Monde, 8 déc. 1894, p. 339). M. E. Gautier assure de son côté que les Baras ont conservé leurs habi- tudes de brigandage et que les Antandroy et les Mahafales sont les plus inac- cessibles de tous les Malgaches (C. R. de la Soc. de géogr. de Paris, 15 mars 1895, p. 118 et 120). 214 ETIENNE DE FLACOURT « Il y a, dit-il, beaucoup de nègres et de grands mosmos qui nourrissent dos auli (odys), que nous autres François nom- mons barbiers, d'autant qu'ils en prennent pour s'en oindre lorsqu'ils sont malades. Ces auli sont dans de petites boistes enjolivées avec de la rassade, du verot et 'des dents de croco- diles, au nombre de six ou huit; il y a quelques manières de figures humaines le tout de bois dans chaque boistc;ils y met- tent de certains bois et racines en poudre avec du miel, de la graisse et autres ordures ; puis attachent cela à leurs ceintures sur les reiqs et le portent avec eux en quelques voyages qu'ils facent. Le matin, le soir, la nuict, ils dressent ces auli sur un baston et leur parlant comme si c'estoit qu'ils eussent raison, leur demandant conseil et secours : bref en toutes choses, ils ont recours à ces auli. Si quelque chose ne leur a pas réussi à leur g-ré, ils leur chantent injures et les menacent de les quitter et sont quelques jours sans leur rien dire, puis après les reflattent derechef, leur portent honneur commo à leur Dieu... Ils leur demandent de la pluie, tantost du beau temps et tout ce qu'ils ont besoin. Ils les nourrissent de temps en temps, les frottent de graisse et les oignant au miel, en sorte qu'ils croyroient que leurs auli ne seroient pas à leurs aises, s'ils n'étoient bien graissés »*. La curiosité d'esprit de Flacourt n'a pas été moins séduite par les pratiques divinatoires auxquelles s'adonnaient cer- taines peuplades de la côte sud-est et particulièrement les habitants de Matitanana. Non content de nous avoir indiqué les noms des figures de géomancie et les signes du ciel con- nus des ombiasy, il a voulu nous initier à l'art de deviner l'avenir, qui était en usage de son temps dans l'île. « Les ombiasses, dit-il, et la plupart des maistres de vil- lages se servent d'une tablette sur laquelle ils estendent du sable blanc et avec le doigt ils marquent de certaines lignes à ondes et de ces lignes ils en forment de certaines figures sur lesquelles ils font leur jugement, en observans l'heure, le jour 1. Flaconrt, éd. ]GC,\, p. 191 et suiv. ou LES ORIGINES DE LA TOLONIS ATION IT.ANrAISE A MADACASCAIÎ 21t delà lune et l'année, .. Au pais des Machicoros ils squiilonl sur une planchette où il y a autant do trous qu'il y ados figures do g-eomance, et sur le trou où ils arreslent un petit baston qu'ils tiennent^ils regardent lafigurecjui y est peinte et ainsi forment leurs figures et en font leur jugement »>'. D'où venaient ces pratiques géomanciennes? Le viel auteur s'est chargé de nous l'apprendre. Costaux Sémites qu'il en a attribué l'introduction dans le pays *. Joignez à cela qu'il semble s'être rendu compte de l'in- fluence que ces pratiques ont exercée sur les mœurs des indi- gènes, sur leur vie privée ou publique. Il est le premier no- tamment qui nous ait parlé de la coutume barbare qu'avaient les parents d'abandonner leurs enfants, s'ils naissaient dans un jour ou dans une époque regardée comme néfaste'. Or l'authenticité dos renseignements qu'il nous a apportés à ce sujet est indiscutable. Non seulement ils sont confirmés par les voyageurs du xvu* siècle*, mais les peuplades de la côte orientale observent encore les mêmes coutumes que Flacourl a vues, il y a plus de deux siècles. Los voyageurs qui par- 1. Flacourt, éd. 1601, p. 17. 2. Id., ihid., p. 4. 3. Flacourt, 1661, p. H, 16, 17. 4. Écoutons en eOfet le P. Nacqiinrt : « Une coutume plus directement con- traire à Dieu et dont l'abolition nous donnera bien de la peine, dit-il, c'est une espèce de culte également ridicule et damnable que les grands du pays et leurs sujets rendent à certaines idoles qu'ils appellent olis, ce qui veut dire onguents. Les ombiasses les font et les vendent; la matière de ces petites idoles est un morceau de bois ou une racine creuse qu'ils attachent à une ceinture. Puis ils y mettent de la poudre et de l'huile et y dessinent des figures de petits hommes, s'imaginant qu'ils sont vivants et capables de leur donner tout ce qu'ils peuvent souhaiter comme le beau temps, et la pkiye, les préserver des maladies, des ennemis, etc. Ils ne manquent pas de leur donner à manger, souvent le cœur de telle volaille, plwtôt que de telle autre. ...Chacun en a dans sa maison et les porte avec soi à la campagne. Ils y ont recours dans leurs nécessités comme nous à Dieu. Ils ne font rien dans leurs doutes sans en prendre conseil; et, à la première pensée qui leur vient ils croient qu'elle leur a été suggérée par leurs olis... Quand ils veulent passer les rivières, ils ont d'abord recours à leurs olis, les priant de les garantir des crocodiles qui y abondent » (Nacquart, Mémoires de la Mission, t. IX, p. 39 : Lettre à saint Vincent de Paul, 3 lévrier 1630. Voir ausi Souchu de Renne- fert, Relation du premier voyage de la Compagnie des Indes orientales en l'isle de Madagascar, Pm-îs, 1688, p. 263). 216 ÉTlENTsK DE FLACOURT courent ce pays son livre à la main peuvent aujourd'hui assister aux mômes scènes et apprécier la sûreté de ses in- formations ainsi que sa véracité *. Presque tous s'accordent avec lui pour reconnaître dans les naturels un peuple très superstitieux et très attaché à ses superstitions*, et si un voyageur de notre siècle a reproché au vieil historien d'avoir fait de la coutume de l'abandon des nouveaux-nés une cou- tume générale, il n'est pas encore prouvé qu'une telle opi- nion fut dénuée de fondement \ Quelque exactitude qu'ait apportée Flacourt, dans la des- cription des superstitions malgaches, il s'est montré partial dans l'appréciation qu'il en a donnée. Sa rancune personnelle ne s'y révèle guère moins que dans la peinture du caractère des indigènes. Il ne voit dans toutes leurs pratiques qu'une nouvelle preuve d'hypocrisie. L'historien qui déclare que ces gens observent la loi naturelle, les coutumes de leurs an- cêtres, celles qu'avaient importées les Zaffeibrahim*, assure que cesmemes gens sont «grands menteurs « et ne s'appliquent à autre chose qu'à « inventer des menteries ))^; menteurs, parce que, dans leurs sacrifices, ils offrent un morceau à Dieu et en réservent un au diable; menteurs, parce que s'ils croient en Dieu, ils ne le prient et ne l'adorent que lorsqu'ils sont malades ou effrayés par des songes®. N'était-il pas naturel de d. Voir G. Ferraud, Les musulmans à Madagascar, \^' partie, p. 87. 2. M. Graodidier assurait eu 1867 que les Mahafales sont dominés par les superstitions les plus incroyables [Bull, de la Soc. de la géogr. de Paris, juillet-déc, 1867, p. 393). D'après le D"" Catat, les Antandroys et les Betsilcos sont superstitieux au plus hautpoint {Tour du Monde, % déc. 1894, p. 359; 22 déc, 1894, p. 382). Catat et Douliot parlent de la croyance des indigènes aux odys dans les mêmes termes que Flacourt (C.R.de la Soc.de géogr. de Paris, 23 mars 1891, p. 208; Bii/L de la Société de géogr. de Paris, i"' trimestre 1895, p. 136). Pour les pratiques géomauciennes, voir G. Ferrand, Les musulmans à Ma- dagascar, Iro partie, p. 74. 3. Ep. Colin, Annales des vngages, t. XIV, p. 308 et suiv. Comparer Maudave dans Pouget de Saint-André, lac. cit., p. 113; Charnay, Tour du Monde, 1864, 2» sem., p. 210). 4. Flacourt, 1661, Avant-Propos et p. 447. 5. Id., ibid., p. 84, 6. Ibid. ou LES ORIGINES DE L4 COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 217 ménager le démon puisqu'il leur semblait plus à craindre? N'est-il pas permis de croire que cette manière d'agir était ins- pirée par la crainte plutôt que par la dissimulation? C'est du moins ce que se serait demandé un voyageur exempt de parti- pris et de préjugés. Or tel n'était pasFlacourt. Aussi ne faut-il pas s'étonner de le voir, à l'imitation de Gauche et de plusieurs voyageurs de l'époque précédente, refuser aux habitants de Madagascar toute religion. Le vieil historien ne s'est pas soustrait aux opinions de son époque. A travers les superstitions qu'il décrit, on sent l'indi- gnation du chrétien. La haute opinion qu'il avait de la religion de son pays lui a fait croire que des peuplades adonnées à de telles coutumes, chez lesquelles ne se voyait aucun temple, ne se pratiquait aucun culte semblable à celui de sa patrie, qui, tout en croyant à l'existence d'un Dieu créateur de toutes choses, ne lui adressaient pour ainsi dire aucune prière et vivaient selon la loi naturelle', que dételles peuplades étaient incapables de conceptions désintéressées et élevées et ne pou- vaient avoir de religion. N'ayant jamais vu d'autres peuplades sauvages, il n'a pas compris que leurs superstitions n'étaient que des preuves de leur simplicité, de leur crédulité, et que chez elles il fallait savoir distinguer les véritables croyances, celles qui constituaient la base de leur religion. Pour les avoir jugées avec ses propres idées, ses propres sentiments, pour avoir oublié qu'il avait devant lui des gens primitifs et n'avoir pas remarqué que les Malgaches adoraient et invoquaient Dieu dans presque tous les actes de la vie*, Flacourt est tombé de nouveau dans l'erreur, sinon dans l'injustice. Sous ce rap- port le gouverneur ne s'est pas révélé observateur plus péné- trant que le P. Nacquart, le zélé missionnaire, pour lequel les croyances religieuses des naturels n'étaient que l'œuvre du démon et n'offraient en aucune manière le caractère d'une 1. Éd. 1661, Avant-Propos, et p. 86. 2. A. Grandidier, Bull, de la Soc. de géoqr. de Paris, avril 1872, p. 38. 218 i::Tl(:N>iE DV. FLACOURT religion '. Pour bion comprendre leur religion, il clait d'ail- leurs ulile, sinon indispensable, de savoir que la race indo- nésienne consliluail le fond de la population et d'avoir des no- tions approfondies sur la religion de cette race, toutes choses que notre historien ne soupçonnait m^'me pas et no pouvait guère soupçonner, eu égard à l'état do ses connaissances et de celles de son temps. C'est pour les mêmes raisons qu'il ne semble pas s'être ex- pliqué le culte que les naturels avaient pour l'âme ou plutôt l'esprit de leurs ancêtres. « Les serments les plus solennels qu'ils font, dit-il, sont sur les âmes de leurs ancêtres. S'ils deviennent malades, et qu'ils tombent en frenaisie, aussitost les plus proches du malade envoyent un ombiasse quérir de l'esprit au cimetière, qui y va la nuit et fait un trou à la mai- son qui sert de sépulchre en appellant l'âme du père du malade ; il luy demande de l'esprit pour son fils ou sa fille qui n'en a plus et tend un bonnet au droit du trou, referme ce bonnet et s'en court promptement au logis du malade, en disant qu'il tient un esprit, et s'en vient promptement mettre le bonnet sur la teste du malade qui est assez fol pour dire par après qu'il se sent bien soulagé et qu'il a découvert son esprit qu'il avoit perdu dans sa maladie et commande que l'on donne re- compense à l'ombiasse »*. Flacoart ne paraît pas avoir entrevu que ce culte pour l'âme des ancêtres avait pour principal motif la crainte de la mort elle-même, et qu'il fallait en chercher l'origine dans l'espoir qu'avaient les vivants de trouver auprès des défunts protection, secours et conseil pour le malade qui soutenait la lutte suprême'. Aussi trouvons-nous tout à fait exagéré de prétendre, comme l'a fait un écrivain de notre siècle*, que le vieil historien de Madagascar a attribué aux Malgaches la croyance à l'immor- talité de l'âme. En effet, outre que le culte des ancêtres n'en- 1. Mémoirex de la Mission, t. IX, p. Gl. 2. FlacoLirt, éd. 16G1, p. 85. 3. Voir P. Piolet, Ma'laqascar, sa description, ses habiinn(s,l89y), p. 494. t. Epidariste Colin, Annales des voyages, t. XIV, p. 97 notes. ou LES ORIGINES DE LA (".OLOMSATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 219 traîne pas nécessairement la croyance à l'immortalité de l'âme, Flaconrt semble avoir été frappé de l'indilTérence dos indi- gènes pour tout ce qui était immatériel. En aucun passage de son livre il n'a laissé entendre que l'esprit auquel ils croyaient était quelque chose d'immortel. Il paraît plulôt avoir admis que, dans leur pensée, c'était quelque chose de matériel, car il a remarqué qu^ils plaçaient à côté du cadavre des aliments, du tabac et des vêtements'. 11 est vraisemblable que son opi- nion à ce sujet n'était guère différente de celle du P. Nac- quart, d'après lequel ils ignoraient si l'âme se séparait du corps pour toujours^ Au mérite de nous avoir fourni plus de renseig-nemenls que ses devanciers sur les croyances relig-ieuses et les supertitions des Malgaches, Flacourt joint celui d'avoir contribué plus qu'aucun d'eux à mettre en lumière la simplicité de leurs mœurs, leur genre de vie, leur manière de se nourrir, de se loger, de se vêtir. Nul n'était entré aussi avant dans le détail, nul ne s'était montré aussi minutieux, aussi précis et aussi exact dans l'observation. Dans ses descriptions se trahit à tout instant l'éveil d'une curiosité qui ne veut rien ig-norer de ce qui est intéressant ou utile. Vivres, habitation, mobilier^ ustensiles de ménage, vêtements, ornements, armes, agriculture, pêche, industrie, façon de comprendre le com- merce, etc., rien n'a été oublié. Il n'est pas jusqu'à leurs arts, leurs jeux, leurs divertissements, leurs danses, leurs fêtes qui n'aient été l'objet de son attention, et n'aient été décrits avec le plus grand soin. On voit que tout cela a été observé surles lieux mêmes; on sent que l'ancien gouverneur a voulu nous faire pénétrer dans la vie privée des indig'ènes. Ce tableau de mœurs est d'autant plus précieux que le témoignag-e de Fla- court se trouve corroboré par celui du P. Nacquarl, son con- temporain, et par celui des explorateurs de notre époque ^ 1. Flacourt, 1661, 'p. 85 et 101. 2. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 72. 3. a)Sur leur nourriture, voir Flacourt, p. 3 et pa';sim. Comparer A. Graii- didier, mai 1872, Revue scienlifique, p. 1082* 6) Sur leurs habitations : Flacourt, p. 74. 77, 78, 89. Comparer Nacquart, 220 KTIENNE DR FLACOIIRT Mais ce qui révèle de sa part une grande clairvoyance, c'est qu'il a expliqué toutes les habitudes privées des Malgaches par la simplicité de leurs goûts. C'est de ce trait de leur ca- ractère qu'il a fait dériver le côté tout à fait rudimentaire de leur agriculture. Non seulement il a rapporté qu'ils cul- tivaient seulement ce qui était nécessaire à leur subsistance, mais ii a constaté qu'ils se servaient d'instruments et de pro- cédés fort simples. Et, ce que personne n'avait fait avant lui , il a saisi la différence qui existait entre ces procédés et ceux qui étaient en usage chez les Européens. Non con- tent d'observer le fait, il en a recherché la cause. Il l'a trouvée dans l'attachement des naturels pour les vieilles coutumes de leurs ancêtres : « Ce qu'ils ont appris de père eniils, dit-il, ils l'estiment plus que ce que Ton leur pourroit enseigner; comme en la façon de cultiver la terre, si l'on leur dit qu'il la faut bes- cher bien profond ou la labourer avec la charrue, ils ont pour répartie que ce n'est pas la coutume de leurs ancestres ». C'est par les mêmes raisons qu'il a expliqué le caractère pri- mitif de leur industrie. Après avoir dit qu'ils ne s'appliquaient pas à inventer autant de métiers que les Européens, parce que leur seule ambition consistait à se procurer ce qui était con- forme aux usag-es et à la mode du pays, il a ajouté que, par fidélité aux vieilles coutumes, ils préféraient le pagne et la ceinture à nos plus beaux vêtements*. Cette fidélité aux coutumes des ancêtres et cette simplicité des g-oûts dont il avait été frappé, il les regardait comme la con- séquence de leur ignorance de la navig'ation et du commerce. Il n'a pas échappé à son esprit observateur que les indigènes n'avaient pas encore la connaissance du commerce tel que le pratiquaient à cette époque les Indiens, les Arabes et les Eu- ropéens. Il a parfaitement vu que leurs relations commer- ciales ne consistaient, à vrai dire, que dans l'échange des pro- duits nécessairesà leur nourriture ou à leur entretien, et qu'ils Mcm. de la Missio7i, t. IX, p. 60 et fil; P. Piolet, Madagascar, sa description, ses hahilanls, 1895, p. 442 et 44!^. 1. Flacourt, éd, 1651, p. 73, 87, 105, 112. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 221 ne se servaient pas de monnaie : « Quant au tratic et commerce qu'ils ont besoin les uns avec les autres, dit-il, il ne se fait que par eschange; ils n'ont aucun usage de monnoie;les merceries et verroteries que les chrétiens leur portent, leur servent de monnoye, quand ils vont en pais loingtain ache- ter des bœufs, du cotton, de la soye, des pagnes, du fer, des sag-ayes, des haches, des coutteaux et autres choses dont ils ont besoin. Ils eschangent du cuivre pour de l'or et de l'argent et font ainsi leur négotiation par eschang-e... Celui qui a be- soin de quelque chose le va cherchei* où il y en a en abondance et à bon marché ; il nV a ni foire ny marché ; la foire est où il abondance de quelque chose plus qu'en autre pays : là le cours y est_, là chacun en envoyé faire sa provision »*. 11 ne s'ensuit pas toutefois qu'il ait regardé les Malgaches comme un peuple tout à fait primitif et ignorant. S'il avait eu intérêt à les représenter comme des gens cruels pour justifier ses actes, il n'en avait aucun à les représenter comme des gens inintelligents, puisque, comme nous le montrerons plus loin, l'initiation de ceux qu'il avait subjugués aux procédés agri- coles et industriels des pays civilisés n'était pas une de ses moindres préoccupations. De même, la conscience qu'il avait de la supériorité de la civilisation européenne ne l'a pas em- pêché de reconnaître les diverses manifestations de leur intelligence. Tout en avouant qu'ils sont pour la plupart pa- resseux et indolents', il déclare qu'ils sont adroits, curieux 1. Flacourt, éd. 1661, p. 90 et suiv. 2. Cette opinion a été partagée par plusieurs voyageurs du xvriio et du xixe siècles. 'is, XI" vol., 2" série, 1839, p. :îO et 31. ou LES ORIGINES DE LA (',(»L(>.MS.\T10N FRANÇAISE A MADAGASCAlt 227 tenir au mari tant qu'elle iia pas contracté une nouvelle union et restitué son douaire '. A Madagascar, au xvn" siècle, comme à notre époque, la famille était la base de l'organisation sociale. C'est ce que Fia- court ne semble pas avoir compris, ou du moins c'est ce qu'il n'a point dit en termes explicites. Il ne paraît pas plus avoir vu que les différentes peuplades qui occupaient l'île n'avaient pas at- teint à une véritable organisation de l'Etat et qu'en réalité elles n'avaient pas dépassé l'organisation de la famille. Il parle parfois des Malgaches comme d'un peuple soumis aux mêmes institutions que les peuples européens et les termes de prince et de 7'oi se rencontrent souvent dans sa Relation. C'est par lui cependant que nous avons été informés de la division des habitants du pays d'Anossi en classes, selon la noblesse de leur origine ou la pureté de leur couleur. « Dans cette province^ dit-il, il y a deux sortes de genre d'hommes, sçavoirles Blancs et les Noirs. Les Blancs sont divisés en trois sortes, sçavoir en Roandrian, Anacandrian et Ondzalsi. Les Noirs sont divisés en quatre sortes, sçavoir en Voadziri, Lohavohits, Ontsoa et Ondeves. Les Roandrian sont ceux qui sont comme les Princes et de la race des Princes. Les Anacandrian sont descendus des Grands, mais ont dégénéré, et sont comme descendus des bastards des Grands; ils s'appellent aussi Antampassemaca, 1. Vlovizoi, Relation du voyage de Fr. Cauche,^. '121 ; Flacourt,éd. 1661, p. 85, 86, 9, 2104. Les renseignements fournis par le P. Nacquart et ceux que nous devons aux voyageurs de notre époque confiraient encore 'la véracité de Flacourt, dans ce qu'il l'apporte sur le mariage : « Le mariage se contracte entre les parents excepté au premier degré : il n'est pas stable et il est permis de se quitter naturellement et de se marier à d'autres, comme cela arrive souvent. La polygamie est permise quoiqu'elle ne soit pas générale, mais seulement chez une bonne partie des graoïis qui ont le moyen de nourrir plusieurs femmes... Parmi les noirs, il n'y pas grande cérémonie pour faire un ma- riage, sinon que le choix dépend des parties et non pas des parents. Le mari d'ordinaire achète ia femme, douuaut pour elle des bœufs ou autre chose aux parents. Mais, parmi les i^rauds, il se fait u)ie assemblée de parents, amis et sujets de part et d'autre, et bien souvent l'accord et promesse de mariage se font par les parents dès la naissance du garçon et de la fille. Ils se marient fort jeunes. On tue des bœufs le jour du mariage » (Nacquart, Mémoires de la Mission, t. IX, p. 70). Voir aussi P. Piolet, Madariascar, loc, cit. p. 449. J28 ÉTlENiNK DE rLACUUUT c'est-à-dire hommes des sables de la Mecque d'où il se disent venus avec les Roamlrians. Les Ondzatsi ont la peau rouge aussi et les cheveux lougs, comme les Roandriau et les Aua- candrian, mais plus vils et plus bas, estant descendus des matelots qui ont amené en ceste terre Dian Racoube ou Ra- couatsi, leur ancestre... Les Yoadziri sont les plus grands et les plus riches d'entre les Noirs et sont maistres d^un ou plu- sieurs villages... Les Loliavohits sont grands aussi entre les Noirs... Les Ontsoa sont au-dessoubs des Lohavohits et leurs parents. Les Ondeves sont les esclaves de père et de mère, achetez ou pris en guerre*... » Non content de nous faire savoir que le pouvoir dépendait surtout de la naissance, Flacourt, pour qui il était du plus haut intérêt d'en connaître l'étendue, puisqu'il voulait établir son autorité dans l'île, nous a aussi laissé sur ce point des ren- seignements précieux. Il assimile les nobles, les chefs, à de petits tyrans qui sont devenus puissants par adresse et par force et estime qu'ils tiennent les habitants dans une étroite servitude*. 11 s'est efforcé, sans oublier toutefois de nous instruire des obligations et des droits des sujets ou des esclaves, de déter- miner les attributions des chefs et leurs privilèges ainsi que ceux des ombiasy. Enfin, il n'est pas jusqu'au mode de succes- sion au pouvoir qui n'ait attiré son attention ^ Avant lui, ou ne savait pour ainsi dire rien sur l'organisation de la propriété. Ici la comparaison de l'ordre de choses établi dans l'île avec ce qui existait alors en France et en Europe, 1. Flacourt, éd. 1667, p. 47. 2. Gomme Flacourt, Maudave assure que les chefs du pays d'Anossi sont de petits tyrans, avides, cruels, qui dépouillent leurs sujets pour le plus léger intérêt. (Pouget de Saint-André, ouvr.cité, p. 45 et 90). 3. Flacourt, éd. 1661, Avant-Propos, p. 4, 9, 45. Le P. Nacquart s'exprime dans les mêmes termes que notre vieil auteur sur les privilèges des nobles et des ombiasy. Comni • lui, il croit que le pou- voir est héréditaire et ne fait d'exception que pour le cas où les enfants seraient trop jeunes à la mort de leur père {Mémoùes de la Mission, t. IX, p. 60j. Fr. Gauche avait formulé une opinion contraire (Morizot, ouvr. cité, p. 12 J). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 229 s'est naturellement présentée à son esprit. Dans le tableau sé- duisant qu'il nous ofï're du pays pour lequel il réclame des colons, il nous avertit que la terre ne s'y vend point, mais qu'elle appartient aux Grands qui ne permettent pas que l'on s'en approprie la moindre parcelle, sans la leur avoir deman- dée. En outre, quelque porté qu'il pût être à généraliser des observations recueillies sur quelques points déterminés il ne s'est pas imaginé que tous les Malgaches menaient la vie sé- dentaire. Il a reconnu avec raison que les Mahafales avaient une vie nomade et pastorale*. Mais c'est surtout sur l'organisation de la justice que Fia- court a été mieux informé que ses devanciers. Ici l'on ne pourra lui reprocher d'avoir prêté au peuple malgache des institutions semblables à celles des peuples civilisés. Il ne s'est point mépris sur le caractère primitif de l'organisation judi- ciaire propre aux habitants de la grande île. Il prend soin d'avertir le lecteur qu'il n'y verra pas observer « la police et le bel ordre des Chinois ». Il ne méconnaît ni l'absence de lois écriteS;, ni le rôle de la coutume, et, pour n'avoir point montré que cette organisation présentait de grandes analogies avec celle des Indonésiens, il n'en a pas moins complété les indications des auteurs précédents en nous renseignant sur ceux à qui il incombait de rendre la justice, sur la nature des châtiments, les causes qui les faisaient varier et sur les consé- quences qu'entraînait pour le débiteur le non-acquittement des dettes *. 1. Flacourt, éd. 1661, Avant-Propos, p. 4, 9, 45. Maudave et Rochou assureront encore plus tard que ce sont les chefs qui déti(!iinent les terres et qu'ils exigent une certaine redevance des habitants par lesquels ils les font cultiver (Pouget de Saint-André, ouvr. cité, p. 103; Rochou, Voijarje à Madagascar, an X, t. I, p. 25). Ce que le gouverneur de Fort-Dauphin disait en 1658 des Mahafales, Dou- liot l'a répéta au sujt't des Sakalaves [Bull, de la Soc. de géogr. de Paris, l'-f trimestre 1895, p. 135). 2. Flacourt, 1661, p. 99-104. Maudave coafirme l'opinion de Flacourt sur le rôle de la coutume (Pouget de Saint-André, oï^Dr. cité, p. 103). Sur la nature des châtiments et sur les causes qui les font varier, le P. Nac- quart s'exprime dausles rarines termes que le gouverneur de Fort-Dauphio [Mémoires de la Mission, t. IX, p. 69 et 70). 230 ETIENNE Di: ri.Af.onîT Enfin les luttes fréquentes que le chef de la colonie eut à soutenir contre les naturels lui ont permis de satisfaire la cu- riosité de ses contemporains sur l'étal social du pays, sur les divisions qui le déchiraient, sur les causes des rivalités des principaux chefs, des guerres que les habitants se faisaient de villag-e à village. Elles lui facilitèrent surtout l'étude de ce qu'on pourrait appeler leur organisation militaire et leur ma- nière de combattre. Il a sans? doute accordé une trop grande importance à des expéditfons qui n'étaient le plus souvent que des razzias, des prétextes à pillage, et à des batailles qui n'é- taient, à vrai dire, que des mêlées confuses, espérant peut-être ainsi donner plus d'éclat aux victoires qu'il avait remportées sur les peuplades du sud de l'île. Mais, ce qu'on ne saurait contester, c'est qu'il a recueilli sur leurs préparatifs de guerre, leurs procédés de reconnaissance, d'intimidation et de défense, sur les diverses sortes d'armes dont ils faisaient usage, des renseignements beaucoup plus complots et beaucoup plus précis que ceux que Ton rencontre dans les ouvrages du XVI® siècle et de la première moitié du xvn^ *. A.près cette courte revue des renseignements apportés par Flacourt sur l'état social des Malgaches de son temps, il n'est pas sans intérêt de se demander à quel jugement il s'était arrêté sur ce peuple. On sait que le vieil auteur n'avait vu en Orient d'autre pays que Madagascar. Il ne connaissait par suite les difïerentes civilisations du monde oriental que par quelques lectures. Les autres contrées du globe, à l'exception 1. Flacourt, éd. 1661, p. 94 et suiv. « Tous les chefs du pays sont ennemis jurés les uns des autres... Les indi- gèoes sont tous ennemis de province à province... « Leurs guerres ne sont que des enlèvements de troupeaux et d'esclaves, des incendies de baraques et quelques meurtres en trahison. Leurs batailles se passeut en injures mêlées de quelques coups tirés au hasard » (Maudave, chez Pouget de Saiut-André, loc. cit., p. 61, 8o, 90). De nos jours, le D'Catata également coustaté l'état de division extrême où se trouvent les territoires du sud. « Ces États minuscules dit-il, sont toujours en guerre les uns contre les autres ». Mais il seluite d'ajouter: « 11 est vrai que cette lutte fratricide se borne à quelques vols de bœufs, à des coups de fusils tirés en l'air et surtout à d'interminables kabary » [Tour du Monde, y2dér. 1894, p. 392). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 231 (l'une parlie de l'Europe, ne lui étaient guère plus connues. De plus, s'il avait l'esprit observateur, il l'avait peu critique. Partant il ne faut pas s'attendre à trouver chez lui des com- paraisons profondes entre les habitants de la grande terre et ceux des autres pays du monde alors connu. Tout ce qu'on peut y découvrir se ramène à quelques réflexions superficiel- les. D'une part, il semble reg-ietter que iMadagascar n'ait point la civilisation de l'Europe, de l'Afrique, de la Chine, du Japon, de la Perse, de l'Inde et d'autres contrées de l'Asie dont il admire le luxe et la richesse. D'autre part, il se plaît à constater qu'on ne pourra y voir des mœurs aussi barbares que celles des Américains, des Cafres de Sofala, des nègres de la Guinée, et des superstitions semblables à celles que l'on rencontre dans les royaumes de Pegou et de Siam*. Flacourt ne paraît pas avoir été plus frappé de l'étrangeté des mœurs de Madagascar qu'il ne l'avait été de celle de la flore et de la faune. Sans aller jusqu'à lui faire un reproche de n'avoir point deviné les analogies qui existaient entre les mœurs des Mal- gaches et celles des Indonésiens, il est permis toutefois de s'clonner qu'il ait négligé d'eu montrer l'originalité, de mettre en lumière les différences qui les séparaient de celles de l'Eu- rope et de la France, P^vs qu'il devait connaître dans une certaine mesure. Il ne suffisait pas de constater que les Mal- gaches passaient plus doucement leur vie que les Européens, parce qu'ils n'étaient pas sujets à beaucoup d'incommodités que l'on éprouve dans les grandes villes; il était utile et à propos d'indiquer en quoi ils s'en distinguaient. Il eût ainsi fait entrevoir la mesure des efl'orts que nécessiterait l'œuvre de civilisation qu'on avait résolu d'accomplir dans la grande terre. Il ne suffisait pas de décrire Torganisation sociale qui régissait les indigènes ; il importait aussi de bien définir en quoi les mœurs et les coutumes des Français de son temps se ditférenciaient de celles du pays qu'il voulait coloniser. Il eût ainsi éclairé ses compatriotes, et aurait pu, en prévenant des erreurs, les préserver de bien des illusions. 1. Flacourt, éd. 1661, Avaul-Propos. 232 ÉTIKNISE 1>K FLACOURT Il résulte de l'examen de l'œuvre ethnographique de Fia- court qu'elle est entachée de quelques erreurs et qu'elle offre encore nombre de lacunes. Comparé aux savants de notre époque, il pourra sans doute leur paraître bien inférieur. On regrettera rinsuffisance de ses observations sur les caractères physiques des habitants, leur origine, la diversité des races de la grande île. On lui reprochera non sans raison de s'être servi exclusive- ment de couleurs sombres pour peindre le portraif moral des Maig'aches de son temps et l'on ne s'étonnera pas moins de le voir refuser toute relig-ion à des g'ens qui, de l'aveu de plu- sieurs voyageurs, ont de véritables croyances et pratiques re- ligieuses. Toutefois, si l'on considère que ces erreurs et ces lacunes s'expliquent le plus souvent par l'insuffisance des connais- sances ethnographiques générales de l'auteur et de son époque, qu'avant lui on savait encore peu de chose sur les peuplades de Madagascar et que grâce à son activité il nous a légué un grand nombre de renseignements nouveaux et exacts sur quelques tribus du sud et parfois sur toute la population de l'île, sur l'immigration et Tinfluence des Juifs et des Arabes, sur les superstitions diverses auxquelles étaient adonnés les Malgaches, sur l'unité de langage qui régnait parmi eux, leur genre de vie, leur adresse, leur industrie, leur intelligence, leur division en castes, et enfin les coutumes qui les régis- saient au point de vue social, on ne fera pas difficulté d'avouer que son œuvre accuse un progrès notable sur celle de ses pré- décesseurs. Jusqu'à ces trente dernières années peu de voya- geurs ont laissé de la vie malgache une peinture aussi vivante, et, il faut bien le dire, le plus souvent aussi vraie, puisqu'elle abonde en traits caractéristiques qui, de nos jours même, de- meurent reconnaissables, quoique souvent modifiés par le temps. CHAPITRE III L.es théories d'un homme d'action ; le plan de colonisation de Fia court. Opinions émises par quelques auteurs sur la colonisation de Madagascar pendant le séjour de Flacourt à Fort-Dauphin. — Part d'originalité, de sin- cérité, d'impartialité et d'exactitude que renferme le plan de l'ancien gou- verneur. Réginae qu'il propose d'adopter. — Régime moral : facilités et diffi- cultés, que l'on rencontrera pour convertir les naturels, moyens qu'il indique pour parvenir à ce but. — Régime administratif : l'autonomie administra- tive, l'organisation de la justice, la défense de la colonie. — Régime éco- nomique : le régime des terres, l'initiation agricole et industrielle, le déve- loppement des relations commerciales, endroits propres à la fondation d'établissements, le peuplement de la colonie, la colonisation des terres australes. — Appréciation générale. Jusqu'à l'année 1648, la plupart des voyageurs qui avaient abordé à Madagascar, quelque favorable qu'eût été l'impression qu'ils avaient recueillie sur la fertilité du pays, avaient négligé d'en proposer la colonisation à leurs compatriotes, soit parce que l'Inde et le Brésil leur paraissaient offrir encore plus de ressources, soit parce qu'un certain nombre de leurs compa- gnons y avaient succombé. Cependant, en 1646, Boothby, un explorateur anglais qui avait touché à la baie Saint-Augustin, engageait ses contemporains à établir une colonie dans celte île dont il proclamait les richesses en termes dithyrambiques *. Non content d'en recommander l'exploitation par des aven- turiers, qu'on y attirerait en leur promettant un lot de terres proportionnel à leur qualité^ il demandait qu'on y envoyât 1. Description of the most famous island of Madagascar, or Saint-Lawence in Asia, near in to East India and proposai for an ençjlish planlation there, Relation imprimée dans Collection of Voyages and Travels, dite Collecliori d'Os- horne, 1745, in-4, oiivr. cité. 234 KTIENM". DK FI. ACOl'HT des niinislres de Dieu pour prodiguer des encouragements aux colons. La même année, un autre explorateur anglais qui avait jiccompagué Boolliby dans son voyage, llammond, allait jusqu'à Tutopie dans une publication où il dépeignait les ha- bitants, de Madag-ascar comme le peuple le plus heureux du monde'. Tout autre sera, quelques années plus tard (1049), l'opinion d'un voyag-eur de la même nationalité, Powle Wal- degrave. Il n'hésitera pas à dissuader ses compatriotes d'une telle entreprise. Il exprimera même le souhait que Dieu épar- gne à tous les braves gens le séjour d'un tel pays, assurant que s'y rendre c'était courir aux souffrances de toute sorte et à la mort". En France, au contraire, il ne semble pas qu'il y ait eu diverg-ence d'opinions sur le même sujet. Fr. Gauche n'avait pas rencontré de contradicteur, après avoir, dans un enthou- siasme exag-éré, manifesté son étonnementque sa patrie n'eût pas encore envoyé quantité de colons occuper et convertir au catholicisme une île si grande, si fertile, si riche en minéraux, et ressources de toute sorte, merveilleusement située entre les Indes occidentales et orientales, pourvue de tout ce qui est nécessaire à la navigation, à l'entretien et à la nourriture de l'homme, une île très peuplée et habitée par des gens d'un caractère doux, traitable, aimant extraordinairement les Fran- çais, se liant et trafiquant avec eux., et tout disposés à adopter leur religion ^ Mais il ne suffisait pas de préconiser la colonisation de Ma- dagascar et d'indiquer les ressources qui permettaient de con- cevoir les plus belles espérances pour le succès de Tentreprise. Il eût été aussi à propos de ne point passer sous silence quel- ques-uns des moyens qu'il convenait d'employer pour la me- ner à bonne fin. Ce que le marchand rouennais n'a point fait, 1. Paradox proving t/ial l/ie Inhabitanls of tlic isle cnUed Madagascar or Saint- f-avrrence are Ike happiesl people in the world. 2. An ansiver toM. Doothbg: Book of'the Description of Madagascar ^ ch. ii, 7 et suiv. 3. Morizot, RelaHon du vogage de Fr. Cauche, ouvr. cité, p. 173. or LES ORIGIMvS DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADACASCAR 235 le gouverneur de Fort-Dauphin l'a tenté dans uu chapitre de son livre, intitulé : « Advantagos que l'on peut tirer en l'éta- bUssement de colonies à Madagascar pour la Religion et le Commerce*. » 11 est le premier qui ait proposé un plan de colonisation de cette île ; il est le premier qui ait fait connaître le régime moral, administratif et économique qu'il était pos- sible d'adopter à l'égard des indigènes. Il est très vraisem- blable que ce plan de colonisation, il l'a composé avec l'inten- tion d'éclairer la Compagnie do l'Orient sur les dispositions qu'il était utile de prendre pour organiser la conquête. Mais il est aussi permis de croire que l'ancien gouverneur qui, dès son retour en France, avait eu des démêlés avec la Compagnie, a voulu se justifier des accusations dirigées contre son admi- nistration, et prouver qu'il était parti pour Madagascar avec le désir de servir les intérêts des associés, mais qu'il n'a pu y donner suite, faute de secours. Flacourt, qui s'était rendu à Fort-Dauphin avec le secret des- sein de tourner surtout ses efforts vers la conquête s'est bien gardé d'avouer que sa préoccupation principale, durant son administration, avait été de soumettre le pays au Roi de France. Il a pressenti sans doute qu'un tel aveu lui attirerait les reproches des associés qui l'y avaient surtout envoyé pour en exploiter les ressources. Mais ce qu'il n'appréhendait pas moins, c'était de se voir accuser par le surintendant Fouquet d'avoir négligé les inté- rêts religieux de la colonie naissante. Il craignait que ses dis- sentiments, ses démêlés avec le P, Nacquart ne fussent con- nus de la Cour et qu'on n'hésitât pour ce motif à lui confier de nouveau le gouvernement de la colonie. Voilà pourquoi il laisse entendre dans un passage de son livre que, si on le char- geait de nouveau des fonctions de gouverneur, il s'emploie- rait à favoriser les progrès du christianisme par la fondation d'un séminaire et d'un établissement destiné à instruire les jeunes enfants et même les vieillards*. Voilà pourquoi il fait 1. Flacourt, éd. 1661, p. 44'). 2. Flacourt, éd. 16.^8, p. tO.5. 236 1^T1^:NNE Di: FLACOURT (le la religion la base do loules ses vues sur la colonisation rie Madagascar. 11 déclare que le catholicisme est la mtMlIenre chose que l'on puisse y établir. Il se pose en cliampion de cette religion et insiste pour que l'on travaille à la propag-ation de la foi dans Tile tout entière. Il s'étonne que les Portugais et les Espagnols, qui ont exploré toutes les terres alors connues, n'y aient point planté la croix et blâme l'indilîérence des princes qui ont envoyé des vaisseaux dans la mer des Indes sans poursuivre ce but. Il s'étend avec une véritable complaisance sur les facilités que l'on y rencontrerait pour convertir les indigènes et les initier aux croyances do la religion catholique. « La disposition y est tout entière, Monseig-neur, disait-il en s'adressant à Fouquet; ils le souhaitent avec tant de passion, que quand ils nous voyoient aux prières dans notre chapelle, ils y entroient en foule pour tascher à nous imiter, ils y présentoient leurs en- fans au baptesme, et prioient que par l'instruction on les rendît eux-mêmes capables de recevoir les sacremens » *. On a prétendu que les affirmations à ce sujet n'étaient pas sûres et que les faits qui ont suivi son g'ouvernement (on par- ticulier le meurtre du P. Etienne) étaient venus les démentir \ Que l'ancien chef de la colonie, dans ce passage comme en beaucoup d'autres, ait exagéré ces bonnes dispositions, afin d'attirer des missionnaires dans l'île et d'encourag-er le roi et les associés de la Compagnie à ne point renoncer à l'entreprise, nous n'y contredirons point. Est-ce à dire que l'on doive rejeter entièrement les assertions d'un homme qui était on situation d'apprécier les dispositions des naturels et se trouvait on cela d'accord avec son auxiliaire relig'ieux, le P. Nacquart? Est-il de bonne logique de conclure d'un fait isolé, et sur la cause duquel on discute encore, aux dispositions de toute une popu- lation? Le P. Bourdaise n'a-t-il pas constaté chez les indigènes la bonne volonté dont avait été témoin le P. Nacquart^? 1. Dédicace à Fouquet, dd. 1(161. 2. Ouet, Les origines de la colonisation à Bourbon et à Madagascar. 3. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 121 et suiv., 203 et suiv. 01 Li:S OUlGirSES de la COLUiMSAliO-N l'KAiNr.AlSE A MADAGASCAlî J31 C'est avec moins de raison queFlacourl, reprenant l'opinion Je Gauche S assure que la conversion des indigènes sera d'au- tant plus facile à obtenir qu'ils n'out aucune religion, car, en admettant qu'ils en fussent dépourvus, ce qui, comme nous l'avons montré, est inexact, il fallait encore compter avec les coutumes et les superstitions auxquelles ils étaient extrême- ment attachés. Quelque porté que puisse être l'ancien chef de la colonie à voir dans les sentiments des naturels des conditions favorables à la propagation du catholicisme, il ne dissimule pas les difli- cultés que pourra présenter une telle entreprise. Il déclare que l'on aura à lutter contre deux sortes d'adversaires : d'une part les étrangers, hérétiques (iVnglais et Hollandais) et Maho- métans, d'autre part les chefs indigènes ^ Or on sait qu'un des statuts de la Compagnie des Cent asso- ciés, statuts qui émanaient du cardinal de Richelieu^ lui impo- sait de n'admettre comme colons que des Français et des catholiques et de veiller à ce qu'aucun étranger ni hérétique ne s'introduisît dans le pays ^ En exprimant de telles craintes au sujet des hérétiques, Flacourt ne faisait donc que céder à l'esprit de son temps et espérait peut-être s'attirer les sympa- thies du parti catholique alors tout-puissant à la Cour, Quant aux Mahométans, ils étaient depuis longtemps Tobjel de l'attention et de la haine des Français et des souverains chrétiens. Nos commerçants étaient exposés à d'incessantes vexations de la part des pirates barbaresques, vexations que les ambassadeurs avaient essayé plusieurs fois en vain de réprimer. Pendant la première moitié du xvne siècle le mal s'aggrava à ce point que les nations commerçantes songèrent à prendre des mesures préventives. Plusieurs princes chrétiens conçurent l'idée d'une croisade contre l'Islam, contre le Turc*. d. Morizoi, ouvr. cité, y. 173. 2. Flacourt, éd. 1658, p. 29 delà brochure cité; éd. 1661, p. 447. 3. Deschauips, Histoire de la question coloniale en France, p. 146 et suiv. Voir aussi Atlaires étraug., Mémoires et Documeuts, t. IV, Amérique, fol. 149 ; Statuts de la Compagnie des îles d'Améiùque. 4. C. Gaillardiu, Histoire du règne de Louis XIV, t. 111, p. 196; Octave Noël, Hisloire du Commerce du Monde, t. Il, p. 218. 238 ÉTIENNK DE ILACOri'.t C'est ce qui nous explique pourquoi Flacourt s'allache à retracer tous les avantages qu'offrirait la création d'établisse- ments coloniaux à Madagascar au cas où l'on voudrait entre- prendre une croisade contre les sectateurs de Mahomet. « L'île, (lit-il, n'a-t-ellc pas la meilleure situation du monde? » Ne pourrait-on pas utiliser le bois des forêts pour la construction des navires que l'on enverrait dans la mer Rouge, le fer pour la fabrication dos canons, des «mortiers, picrricrs et boulets »'. Ne trouverait-on pas dans le pays les provisions de riz et de viande, destinées au ravitaillement des troupes? Une fois ins- tallés à Madagascar, ne serait-il pas facile de s'emparer des nombreuses îles et des bons postes que l'on rencontre sur les côtes de l'Ethiopie et de l'Arabie, et même de nouer une alliance avec l'empereur d'Abyssinie, prince chrétien, qui ne s'intéres- serait pas seulement à l'entreprise, mais qui la favoriserait en fournissant une partie des vivres et des troupes nécessaires*? Au surplus^ ce projet de croisade se conçoit parfaitement de la part d'un homme, toujours avide de gloire et d'exploits, et soucieux de plaire au surintendant Fouquet, souvent tour- menté, comme l'on sait, par des rêves chimériques. Une nou- velle occasion s'étant présentée pour Flacourt d'intéresser à la colonisation do Madagascar le parti de la Cour, il n'y a pas lieu d'être surpris qu'il l'ait saisie avec empressement. Mais ce n'était là qu'un rêve belliqueux. En réalité (et l'auteur de ce projet ne s'y trompait pas), les ennemis les plus redoutables dans la situation sociale de ce pays n'étaient pas ceux de l'ex- térieur. C'était des Arabes qui s'y étaient implantés depuis fort longtemps; c'était dos ombiasy qui exploitaient la crédulité des habitants et des chefs indigènes qu'il était surtout néces- saire de se méfier. Comme le P. Nacquart, Flacourt a compris que ces derniers avaient un intérêt capital à entraver les pro- grès d'une religion qui menaçait de leur enlever toute influence et toute autorité -. Celui qui avait signalé dans les pratiques 1. Flacourt, éd. 1(101, p. 45:3. 2. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 20 ; éd. 1661, p. 447 ; Mémoires de la Mission^ t. IX, p. 61, 62. ou LKS ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADACASCAH 23'J religieuses des Malgaches de nombreuses traces de l'islamisme, devait s'alarmer avec raison du préjudice que les doctrines de Mahomet pourraient causer à l'œuvre des missionnaires et des obstacles qu'elles pourraient faire naître, soutenues qu'elles étaient par ceux qui dominaient dans le pays. Flacourt avait indiqué les facilités et les obstacles que ren- contrerait la propagation de la religion catholique à Madagas- car; il lui restait dès lors à faire connaître les moyens qu'il convenait d'employer pourparveniràce résultat. Lesauxiliaires qu'il réclame pour cette œuvre sont naturellement les mission- naires. Mais ce qu'il importe de remarquer^ c'est qu'il n'a pas seulement en vue la conversion, mais encore la civilisation des indigènes. Il espère qu'avec l'établissement du christia- nisme dans le pays disparaîtront certaines superstitions et coutumes barbares. « Il y a, dit-il, quelque mauvaise coutume qu'ils ont, qu'ils changeroienl bien, comme celle d'abandonner leurs enfans quand ils sont nés en un mauvais jour, celle même d'avoir plusieurs femmes, ils la quitteroient facilement en re- cevant le christianisme qu'ils désirent tous recevoir sans ex- ception, qui est la meilleure chose que l'on y puisse établir. C'est pourquoy on devroit envoyer souvent des navires en celte isle avec des prostrés zélés et affectionnés à cet establisse- meuL*. » Cependant cethomme, dont on a pu constater la ma- ladresse dans ses rapports avec les indigènes, pense avec rai- son qu'il sera à propos de tolérer leurs coutumes dans la mesure où elles pourront se concilier avec les obligations imposées parle christianisme. « Comme il y a quelques grands, maistres de villages, et seigneurs de provinces qui ont plu- sieurs femmes lesquelles sont filles d'autres seigneurs leurs voisins qui ne pourroient pas les renvoyer, sans qu'ils eussent grande guerre contre eux qui seroit cause de beaucoup do maux qui arriveroient dans leur païs, je pense qu'il seroit à propos de les laisser vivre ainsi, pourveu qu'il n'y eust que cela qui les peut empescher de recevoir le baptesme, d'autant 1. Flacourt, éd. 1661, p. 105. 210 ETIENNE DE l'LACULl'.T qu'ils aiment esgalemeul leurs femmes dont ils ont le plus sou- vent des enfans de toutes. A l'advenir ils promettroient de n'en plus prendre d'autres et que leurs enfans quilteroient celte coustunie d'avoir plusieurs femmes, laquelle seroit bien- tost non seulement abolie, mais en horreur parmi eux*. » En proposant ces ménagements à l'égard des coutumes de l'île, Flacourt a-t-il obéi à une tradition française de douceur et d'humanité dont on constate les traces dans la littérature du xvi" siècle, et chez des colonisateurs de l'époque de Riche- lieu * ? Éclairé par ses relations avec le P. Nacquart, a-t-il pressenti les funestes conséquences que pourraient entraîner les excès de zèle de quelques missionnaires ? C'est à quoi nous ne pourrions répondre avec certitude. En tout cas, si l'on ne saurait trop l'approuver d'avoir compris que rinitialion morale et religieuse des tribus malgaches ne pouvait se faire par le seul concours des administrateurs, on doit aussi lui savoir gré d'avoir recommandé aux missionnaires la tolé- rance et la conciliation. Par le premier point, il est bien de son temps, par le second il se rapproche des idées libérales de certains penseurs de nos jours. Or, quelle sorte de missionnaires, Flacourt propose-t-il pour la colonie ? A quelles congrégations devra-t-on s'adres- ser ? Et d'abord il ne veut pas que l'on y envoie des religieux de dilTérents ordres^ tant à cause des démêlés qui pourraient survenir dans l'exercice de leur ministère, qu'à cause de l'ému- lation qu'ils pourraient apporter dans l'accomplissement de leur lâche. Il se préoccupe avec raison des dangers que ces divisions feraient courir à la colonie, et du préjudice qu'elles pourraient porter à ses intérèls *. C'est aux Prêtres de la Mission, qu'il confierait les intérêts spirituels. La raison qu'il en donne, c'est qu'il lui paraîtrait injuste d'empêcher de recueillir les fruits des missions, ceux 1. Flacourt, éd. 1661, p. 105. 2. Voir Deschamps, Lès découvertes et Vopbiion publique en France au xv.e siècle [Revue de géographie, juin 1885, p. 448-457). 3. Flacourt, éd. 1661, p. 453. ou LES OUIGIINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 24l dont les frères ont payé leur zèle de leur vie*. On ne peut qu'approuver une si généreuse pensée. Toutefois il est permis de supposer qu'il ne s'est pas laissé guider uniquement par le sentiment, par la gratitude. Les bonnes relations que saint Vincent de Paul entretenait avec la Régente et la Cour expli- quent qu'il ait accordé la préférence à l'ordre dont celui-ci était le chef universellement respecté. Mais il y a plus. Les Jésuites passaient alors pour se livrer au commerce, en même temps qu'à la propagande religieuse. Dès l'année 1644, ils avaient été violemment attaqués en France, à propos de leurs missions du Canada. On avait fait courir le bruit que ces missions leur avaient rapporté de gros profits. Ils s'é- taient vus dans la nécessité d'expliquer et de justifier leur conduite. La Compagnie des Cent associés avait dû publier une déclaration signée des directeurs et des sociétaires pour disculper ceux que l'on avait accusés, et cette déclaration n'avait pas empêché Pascal de leur faire jouer, dans les Provi?i- ciaies, le rôle de commerçants (1656) ^ Or, Flacourt n'était point d'humeur à supporter que l'on empiétât sur ses attri- butions, encore moins à laisser les missionnaires s'adonner au trafic. On a vu qu'il avait accusé, à tort probablement, le P. Nacquart, de faire du commerce et surtout de vouloir lui ravir une partie de l'autorité dont il était investi. On sait quel conflit s'était élevé entre le gouverneur et le missionnaire. Flacourt craignait sans doute que de semblables différends ne vinssent à se reproduire dans la suite. C'est peut-être pour en éviter le retour qu'il n'a pas accordé la préférence aux Jésuites. C'est incontestablement dans ce dessein qu'il inter- dit aux religieux de s'occuper du commerce, de Tadminis- tration eL de la justice. Il veut établir une démarcation bien nette entre les fonc- tions des missionnaires et celles du gouverneur. Tout en s'efForçant de sauvegarder l'autorité de celui-ci, il ne néglige pas les intérêts de ceux-là. Reprenant sans doute les idées de 1. Flacourt, éd. 1661, p. 454. 2. Charievoix, Histoire delà Nouvelle-France, t. II, p. 257. 16 242 ETIENNE ItK Fl-.VCOUllî Richelieu, il deniandc à la Compagnie d'assurer la subsistance des missionnaires dans l'île en leur assignant dos terres propres à la culture et au cas où le produit de ces terres ne pourrait suffire à leurs besoins, il estime qu'il est de son devoir d'y pourvoir". 11 y voit deux avantages : de cette façon les religieux ne pourraient rion exig-er des habitants, ce qui ne porterait aucune atteinte aux intérêts de la Compagnie ; de plus ils ne seraient nullement détournés des obligations de leur ministère, et poun-aient diriger tous leurs ell'orls, tout leur zèle vers l'éducation religieuse des indigènes. Tel est le régime moral qu'il voudrait voir adopter pour la colonie naissante. S'il faut on croire Flacourt, le régime administratif doit être intimement lié au régime moral. A vrai dire, le régime moral en est, selon lui, la raison d'être. S'il propose d'envoyer à Madagascar un g-ouverneur, c'est surtout pour que ce der- nier veille à la conservation des missionnaires, pour qu'il tienne tête à ceux qui s'elForceraient d'empêcher leur œuvre de s'accomplir. S'il réclame la construction de forts bien dé- fendus, s'il exprime le vœu de voir créer de bonnes habitations aux endroits qui offrent les meilleures conditions, et entre- tenir des barques, des matelots, qui puissent rendre plus faciles les communications entre toutes les régions de l'île, c'est 1. On lisait déjà dans le mémoire préseaté en 1027 pour la Compagnie des Cent associés que, daus chaque habitation, il y aurait au moins trois prê- tres, que la Compagnie s'engageait à défrayer absolument de tout et pour leurs personnes et pour leur ministère pendant quinze ans : après quoi ils pourraient subsister des terres défrichées qu'elle leur aurait assignées (voir Deschanips, Hlst. de la quest. colon., loc. cit., p. 146 et suiv.). Voir aussi Statuts de la Compagnie des îles d'Amérique, 4 février 1635 (Af- faires étrangères, Amérique, Mémoires et documents, t. lY, fol. 136 et suiv.). Les mêmes idées se retrouvent dans d'autres documents de cette époque. « Les lettres patentes accordées aux sieurs de La Potherie et de La Vigne et Com- pagnie pour l'establissemeut d'une colonie françoise dans l'Amérique méridio- nale (mars 1656) leur recommandoieqt d'y faire passer des ecclésiastiques en nombre suffisant, de probité et d'expérience reconnue, auxquels ecclésias- tiques les associés Fourniront le logement^ vivres, ornement, et toutes choses nécessaires... VA, si la dite Compagnie se veut décharger de l'entretien des dits ecclésiastiques, elle leur donnera à leur satisfaction et sous le titre de fonda- tion des terres défrichées et baslies suffisantes » (Afi'aires étrangères, Amé- rique, Mémoires et documents, t. IV, fol. 469). ou 1-KS UlïlGlINES Dli LA CULU.MSATIUN l'UANr.AlSE A MADAGASCAR 243 surtout, à l'entendre, pour en interdire l'accès aux hérétiques'. Mais Flacourt était-il bien sincère en proposant de faire avant tout du gouverneur le champion des intérêts catholiques? Nous en doutons. Ses idées sur ce point sont en contradiction avec ses actes. Son administration, nous l'avons vu, n'a pas été principalement consacrée à servir la cause de la religion. Selon toute probabilité, en exprimant une telle opinion, il a pris à tâche de dissiper tous les soupçons que ses contempo- rains pourraient avoir sur ses intentions, au cas oii il serait question de lui confier de nouveau l'administration de la co- lonie. C'était peut-être aussi en prévision de son retour à Fort- Dauphin qu'il revendiquait l'autonomie administrative et ré- clamait pour le futur gouverneur des pouvoir très étendus. « Il est nécessaire, dit-il, d'envoyer un commandant (gouverneur) général qui ait soubs soi des lieutenans en tous les lieux où on Voudroit establir des habitations et auquel on donnast plein pouvoir d'agir ainsi qu'il trouveroit bon estre pour le bien de la cause commune «^ Et en effet, celui qui s'était montré du- rant son administration si jaloux de son autorité pouvail-il consentir à la voir partagée, et par cela mêm» amoindrie, au cas où il serait choisi pour remplir les mêmes fonctions? Ce n'est pas à dire toutefois qu'il n'ait eu en vue que son intérêt personnel. Par tempérament, Flacourt était ami de l'ordre. Ancien directeur et associé de la Compagnie de TOrient, il ne pouvait se désintéresser de l'avenir de la colonie naissante. 11 a compris que, si le gouverneur était obligé d'attendre les ordres de la Compagnie avant de prendre une décision, il pou- vait en résulter de graves inconvénients à cause de la distance qui sépare Madagascar de la France. Il a sagement prévu que le moindre retard menacerait de causer de grands préjudices aux alï'aires de la Compagnie et de la colonie. N'est-ce pas là en effet une des raisons que l'on invoque encore de nos jours? N'est-ce pas l'autonomie administrative qui a fait la fortune 1. Flacourt, éd. 1661, p. 21. 2. Flacourt, éd. 1661; p. 455. ■2i\ EriKN.NE DE rLACOUHT el la puissance dus eolouics anglaises. N'esl-il pas évident que radniinislialion d'une colonie où la vie doit èlre active, sons peine de langueur et do ruine, doit être plus prompte que l'administration métropolitaine *? Si Flacourt réclame pour le futur g-ouverneur des pouvoirs étendus, il exige par contre de lui peu de qualités. Tout ce qu'il lui demande, c'est qu'il ait assez de prudence pour pré- venir une révolte des colons et se mettre en garde contre les embûches des indigènes^. Jugement sûr, décision rapide, équité, modération, tact, bienveillance, esprit d'initiative, éducation toute spéciale, grand sens pratique, voilà autant de qualités très prisées de nos jours sur lesquelles Flacourt reste muet. Il se montre moins préoccupé de faire accepter la domi- nation de la France aux vaincus que de maintenir celte domi- nation. On en est d'autant plus étonné que ce n'est pas à un gou- verneur militaire, mais à un gouverneur civil qu'il propose* de remettre le soin de la colonie. Go gouverneur, il voudrait le voir assisté de juges et « d'officiers » cliargés de faire res- pecter les lois, de réprimer les délits et de châtier les cou- pables, et même de notaires devant lesquels se passeraient les actes publics. Mais ces juges ne seraient point choisis parmi les indigènes. Flacourt croit qu'il faut donner à Madagascar une organisation judiciaire semblable à celle de la France, des juges français et une législation française % imitant en cela le cardinal de Richelieu qui avait exigé que la Compagnie des Cent associés s'engageât à suivre la loi et la coutume de Paris*. Or c'était là une prétention qui pouvait paraître pour cette époque, sinon exagérée, du moins prématurée, La substi- tution des juges et des lois de la métropole aux juges et coutumes du pays devait sans doute contribuer au développe- ment de l'influence française parmi les habitants, mais il était 1. Leroy-Beaulieu, L'Algérie et la Tunisie, p. 131. 2. Flacourt, éd. lliGl, ]i. 333. 3. Id., ibid., p. 4"3. 4. Voir Deschamps, liist. de la colonisaLion, ouvr. cité. . ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 245 permis de craindre qu'elle ne froissât leurs sentiments et leurs traditions, si Ton ne procédait avec prudence et mesure. Fla- coiirt a-t-il song'é aux conséquences que pourrait avoir pour l'avenir une application trop prompte de ses idées? Ne pou- vait-on pas lui objecter que Madag-ascar, étant un pays neuf, différant essentiellement de la France par son climat, ses res- sources et ses mœurs, ne devait pas être régie comme elle, qu'il était imprudent de vouloir lui imposer de suite une or- ganisation européenne et que celle qu'il convenait d'établir chez les Malgaches devait être adaptée à la contrée oij ils vi- vaient, à leur caractère, à leurs mœurs? Bien que Flacourt accordât la préférence à un gouverneur civil (et ici encore il semble servir sa propre cause), il ne fau- drait pas croire qu'il méconnût l'utilité d'un représentant de l'autorité militaire dans l'île. Il confierait la défense delà colonie à une milice commandée par un lieutenant général. Il est à remarquer que l'ancien chef de la colonie qui avait eu sous ses ordres bon nombre d'indigènes, et avait souvent redouté leur trahison, ne parle, en aucun passage de sa Relation, delà nécessité d'une troupe recrutée parmi les habitants du pays. C'est de la France que viendraient les forces militaires nécessaires à la garde de la colonie. Pour assurer le recrutement de cette milice, il pro- pose d'attirer les soldats dans l'île, par l'appât de certains avantages, concessions de terres, franchises, passage gratuit, etc. Mais il n'oublie pas les intérêts de la Compagnie. Il estime qu'on pourrait les solder dans la colonie avec des marchan- dises que l'on prendrait au magasin du Fort*. C'est ainsi que se trouvent ménagés les intérêts de la défense et ceux de l'ex- ploitation, et que le régime administratif se trouve lié au ré- gime économique. L'homme qui s'est montré si enthousiaste dans la descrip- 1. Flaconrt, éd. 1661, pp. 4r;6 et 457. De nos jours M. Leroy- Beaiilieu propose de recruter des Européens et des Français par voie d'engageuieut volontaire en leur offrant des primes élevées (De la. rn/irnixalion chez les peuples modernes, 4^ éd., p. 74S). 246 ETIENNE DE FLAr.OllP.T lion qu'il a laiss6<> do la grande île, devait y voir plutôt une colonie d'oxploilalion qu'une colonie de peuplomenl. Mais avant d'indiquer les moyens de tirer parti des ressources du pays, il a pris soin de se disculper des accusations portées contre lui parles associés de la Gompagnie de l'Orient qui lui reprochaient d'avoir négligé les intcrêls de la Compagnie. L'ancien gouverneur de Fort-Daupliin a voulu mettre ses compatriotes en garde contre l'avidité à courte vue des Com- pagnies qui comptent en peu de temps réaliser de gros béné- fices et abandonnent Tentreprise au moment même oh les opé- rations les plus difficiles do la conquête sont terminées. On lui doit à ce sujet des réflexions fort justes qui rappellent celles que l'on rencontre de nos jours dans les ouvrages des plus célèbres économistes'. II croit avec raison « qu'avant de re- cueillir le fruict que l'on peut espérer d'une terre, il la faut défricher, il la faut labourer, ensemencer, et attendre le temps de la maturité, pour en recueillir le fruit que l'on avoit espéré ». Selon Flacourt, les Compagnies ne doivent pas se laisser dé- courager par quelques tentatives infructueuses. Il leur pro- pose l'exemple de l'agriculteur qui, en dépit des «. mille incon- véniens causés par les injures du temps » et des pertes qu'il a éprouvées, n'abandonne pas sa terre, et n'en rejette point la faute sur ses laboureurs, mais « y fait travailler comme aupa- ravant, et ainsi persistant, en fait un bon héritage duquel il reçoit enfin toutes les satisfactions qu'il avoit espérées* ». Les reproches qu'il adresse aux Compagnies de commerce de son époque s'appliquent, dans son esprit, particulièrement à la Compagnie de ^Orient^ C'est cette Compagnie qu'il vise lors- qu'il reproche en général aux Compagnies de n'avoir pas eu 1. Flacourt, éd., 1658, brochure: Cause pour laquelle les intéressés u'out pas fait de grands profits à Madagascar, p. 1 et 2. « Il est excessivement rare, dit Leroy-Beaulieu, qu'une colonie fournisse un revenu net à la mère-pairie : dans l'état d'enfance elle ne le peut pas. . c'est une grande illusion de fonder des colonies dans l'espérance d'en tirer un revenu » (De la colonisatmi chez les peuples modernes, p. 73() et suiv.). 2. Flacourt, i/n'd., éd. 1658, p. 1 et 2. :i. Id., ihid. ou LES ORIGINES DE h\ COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 2M la patience d'aUenclreqiio le pays fût exploré, que les habilants fussent initiés au commerce, que les ressources du pays fus- sent connues et mises en élat d'apporter des profils, enfm qu'on eût triomphé de mille difficultés imprévues auxquelles on ne peut porter remède qu'en résidant dans le pays. Bref, Flacourt a voulu faire croire que, s'il n'a pas rapporté plus de profits aux associés, c'est que ceux-ci ne lui ont pas laissé les secours et le temps nécessaires pour mettre à exécution les projets qu'il avait conçus pour l'exploitation des richesses de l'île. Or, quels élaienl ces projets? quel était le régime écono- mique que Flacourt voulait appliquer à Madagascar? Désireux surtout d'attirer des colons dans l'île, il fait savoir à ses com- patriotes de quelle manière ils pourront obtenir dos terres : il faudra les demander soit à la Compag-nie, soit aux habitants eux-mêmes. Pour le premier cas, il propose un système avec lequel il espère satisfaire à la fois les associés et les futurs colons, et qui semble encore inspiré des idées de Richelieu. On sait que le cardinal, dans les statuts des Compagnies, avait concédé des contrées aux associés en leur accordant le droit do rétrocéder des terres avec les charges, droits et devoirs seigneuriaux qu'ils voudraient*. Partisan des institutions féodales en qualité de noble, Flacourt déclare à son tour que les colons « tien- droient les terres qu'ils auroient en propriété pour eux et leurs ayans cause en fief des seigneurs intéressez ». Ce qui revient à dire que les associés les concéderaient à la condition que les colons consentiraient à se considérer comme les obligés de leurs donateurs. De plus, tout en demandant que les colons reçoivent des terres propres à tel genre de culture qu'ils dé- sireront y pratiquer, il met à l'obtention de cos terres cer- taines conditions destinées à défrayer la Compagnie de ses dépenses. Il exige que les colons paient leur passage sur le na- 1. Deschamps, Histoire de la colonisation, p. 146 et suiv. Voir aussi Statuts de la Compagnie des îles d'Amérique. 4 fcvr. lG;{.'i, Atî. étrang., Amérique, t. IV, fol. lUGet suiv., 150. 248 ÉTIENNR DE FLACOUIiT vire ou, s'ils n'onl pas les ressources suffisantes, qu'ils s'eng-a- gent à servir la Compagnie, soit comme soldats, soit comme ouvriers pendant trois ans. Enfin il les astreint à des redevances seig-neuriales, à des droits de mutation et d'enregistrement. Si en soumettant pendant trois ans ù une demi-servitude ceux qui n'auraient pu s'acquitter du droit de passage, il était à craindre qu'il ne décourageât des gens de bonne volonté, mais sans ressources, par contre il se montrait perspicace en n'imposant aux colons que des droits modérés. Il a prévu que si les Fran- çais avaient la certitude de payer à Madagascar les mêmes droits féodaux qu'en France, ils apporteraient sans doute peu d'empressement à partir pour cette île lointaine. D'autre part, Flacourt laisse entrevoir aux colons la facilité qu'ils auraient de se procurer des terres cultivables chez les maîtres de villages,gensfortaccommodants,s'ilfautren croire. Il leur permet aussi d'acheter des terres aux indigènes « pour se les approprier à perpétuité », si les vendeurs y consentent. Mais là encore, il prend en main les intérêts de la Compagnie en soumettant les acquéreurs à des redevances'. Il ne suffisait pas d'indiquer aux colons à quelles conditions ils pourraient se procurer des terres, il fallait surtout leur faire connaître les plantes dont la culture pouvait être avanta- geuse. Flacourt ne s'est point dérobé à ce devoir. Il leur signale le tabac, l'indigo, la canne à sucre, etc. Il leur recommande en outre l'entretien de ruches d'abeille, l'élève des vers à soie, la chasse aux bœufs sauvages, la recherche des richesses mi- nérales de toute sorte, des pierres précieuses, de l'or dans les montagnes et dans les rivières, de l'ambre sur le littoral, etc. Bref, il leur montre la matière qu'il leur sera facile de trou- ver. Mais il fait plus. Il les invite à mettre en œuvre sur place cette matière première. Il voudrait voir naître et se développer dans l'île, l'industrie manufacturière et l'industrie métallur- gique. C'est pourquoi, il exprime le désir que l'on utilise le bois des forêts pour la consiruclion des navires, des maisons ]. Flamurt, (>(]. 1661, p. 447, et 4.06-460. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 249 etrécorce dos arbres pour ^a fabrication de différents objets. C'est pourquoi il signale les conditions favorables à l'installa- tion de forges, telles que minerai abondant, cascades, « bois à bâtir et à brûler »*. Pour cette mise en œuvre Flacourt pense qu'il est utile de recourir aux indigènes. Mais il n'a pas dit que ce serait pour les colons une nécessité. Il ne s'est pas demandé, si leur cons- titution et le climat de Madagascar permettraient aux Français de travailler de leurs bras d'une façon continue. Parmi les qualités que nous croyons indispensables pour le futur colon de la grande île, il en est une qui nous semble aujourd'hui particulièrement précieuse : la santé. L'ancien gouverneur n'y fait aucune allusion. Sans doute il nous renseigne sur les pré- cautions à prendre contre les maladies qui régnent dans le pays et les remèdes à employer, et si, comme les médecins du xvu^ siècle, il prescrit libéralement aux malades atteints de la fièvre, les clystères, les saignées, les purgations, il n'en re- commande pas moins avec raison, comme bon nombre de médecins de nos jours, de suivre les lois de l'hygiène, de s'abs- tenir de dormir au soleil pendant le jour, d'éviter les excès dans le boire et le manger, de ne point absorber d'eau froide et d'imiter les insulaires « qui font chautîer leurs breuvages »*. Mais il n'exige point des colons qu'ils jouissent d'une bonne santé pour pouvoir résister à la fièvre. Celui qui avait présenté le climat sous un jour séduisant afin de recruter de nombreux colons, a probablement négligé, de parti-pris, cette condition géographique dont les colonisateurs doivent tenir le plus grand compte. En revanche, il montre combien il serait facile aux colons de se faire aider dans leurs travaux par des esclaves. A l'en- tendre, on s'en procurerait à meilleur compte qu'en Amérique. De son temps on regardait les esclaves comme les instruments de culture nécessaires dans les pays chauds. Dans cette pensée on avait enlevé de force ou acheté aux roitelets de l'Afrique 1. Flacourt, éd. 1661, p. 450. 2. Flacourt, éd. 1661, p. 470 et 411. 230 ftTlKNNE DE FLACOURT un grand nombre de nègres qu'on importail au Brésil ou aux Anlillos. L'opinion publique était encore à cette époque vive- ment préoccupée de la colonisation de l'Amérique, dos An- tilles et du Brésil. Les explorations de Champlain et ses efforts pour tirer parti de la Nouvelle-France étaient encore présents à l'esprit de tous. Flacourt semble avoir voulu détourner les regards de ses contemporains du Nouveau-Monde pour les reporter vers la grande île africaine enmontrant la supériorité qu'elle présentait sur le Brésil, la Floride, le Canada au point de vue de l'abondance des esclaves*. Un autre avantage qu'offre Madagascar, s'il faut en croire le vieil historien, c'est que les habitants de ce pays ne dédai- gnent pas le travail comme ceux du Nouveau-Continent, qui ne veulent en aucune manière s'assujettir au travail. Les indi- gènes prennent au contraire plaisir à voir les Européens tra- vailler le bois, la soie et autres produits'. A l'exemple de ses contemporains, Flacourt n'a donc point repoussé l'esclavage comme moyen de colonisation, et l'on ne saurait lui en faire un reproche puisque de nos jours on discute encore sur les avantages ou les inconvénients qu'il peut offrir à Madagascar. Mais ce qu'il importe de remarquer, c'est que l'ancien gouverneur qui a conquis l'île à la mode portugaise n'en a pas compris l'exploitation à la façon des Portugais qui se bornaient à enlever les indigènes pour en faire des esclaves, et leur prendre leurs ressources. Dans la pensée de Flacourt on ne devra point se bornera utiliser les bras des indigènes pour exploiter les ressources de leur pays, on devra aussi faire leur éducation agricole. 11 semble regretter que les Malgaches se montrent peu disposés à adopter les procédés de culture et les instruments aratoires de l'Europe, et bien qu'il ne s'exprime pas très nettement h ce sujet, il paraît vouloir qu'on les initie à « la bonne manière de cultiver la terre' ». Or l'agriculture n'était pas plus avancée 1. Flacourt, éd. 1C61, p. 447 et suiv. 2. Flacourt, éd. Kitil, p. 447. 3. Flacourt, éd. 1661, Dédicace à Fouquet et p. 105. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANC-AISE A MADAGASCAR 2r51 au xvii" siècle que les sciences naturelles. En dépit de la pu- blication du Théâtre de V agriculture ^ manuel d'agronomie pra- tique dû à Olivier de Serres, qui avait contribué à introduire dans les campagnes de meilleures méthodes d'exploitation, le paysan français cultivait surtout de routine, et ce n'est qu'au xix^ siècle que l'agronomie fera de sérieux progrès. D'autre part, l'ancien directeur de la Compagnie de TOrient était plus versé dans les sciences physiques et naturelles et dans les ques- tions commerciales que dans l'art de mettre le sol en culture. Aussi ne paraît-il pas s'être rendu compte que, dans l'emploi de tel ou tel procédé de culture, le colon devait se laisser gui- der par la nature du sol, les conditions climatériques, l'expo- sition, et que dans certains cas les procédés des habitants du pays pouvaient être préférables à ceux des Européens. Il n'a pas vu qu'on ne transporte pas toujours impunément les mêmes habitudes sous des latitudes différentes, et s'il a eu raison de croire que les indigènes n'étaient pas entièrement réfractaires à toute initiation, qu'il était possible de triompher de leur in- différence et de leur attachement aux anciennes coutumes, il est toutefois permis de douter qu'il fût aussi nécessaire qu'il le pensait d'envoyer là-bas des laboureurs, des vignerons, des jardiniers et en général des gens chargés d'apprendre aux na- turels à cultiver la terre de la même manière qu'en Europe*. C'est avec plus de raison qu'il conseillait d'amener dans l'île des gens de métier, pour initier les habitants à l'industrie européenne, des ouvriers qui sauraient rouler le tabac, cuire le sucre et le raffiner, préparer le cuir, tisser la soie, des forge- rons, des cloutiers, des maçons, des serruriers, etc. Leur rôle consisterait à former la main d'œuvre et à utiliser l'industrie indigène. « Qui empesche, dit-il, que l'on ne cultive le chanvre et le lin en grande quantité, que l'on ne le fasse filer aux femmes du païs en leur montrant à se servir du rouet? que l'on ne face faire des cordages aux habitants qui en font d'écorce d'arbres aussi bien faicts que peuvent faire nos meilleurs 1. Flaconrt, éd. ir.6i, p, 456. 252 ETIENNE DE FLACOURT maislres cordiers, que l'on ne leur face faire des voiles de chanvre, lorsqu'il y en aura suffisamment de cultivé, ce que l'on peut faire on peu de temps, car le chanvre y vient en per- fection et les femmes savent arlistement faire leurs pag-nes, et estoiïes fortes et à profit * »? Il n'est pas douteux pour l'ancien gouverneur, dont on ne saurait trop louer ici la prévoyance et l'esprit judicieux, que les naturels se plairaient à recueillir et à rechercher les choses qui offrent tant d'attrait pour les Européens, quand ils en au- raient pu apprécier toute la valeur et toute l'utilité, grâce à l'éducation pratique qu'ils auraient reçue. Il est persuadé que Texploitation des ressources de l'île par les Français stimulerait chez les Malgaches le désir de les imiter, de les surpasser même et leur ferait prendre goût au commerce pour lequel il constate, sinon leur répug-nance, du moins leur indif- rence*. En proposant aux colons de se servir des esclaves pour exploiter les richesses du pays, Flacourl avait tenu le langage d'un homme du xvii® siècle; en les invitant à éveiller l'émula- tion des indigènes, il échappe à son temps; par cette idée gé- néreuse il appartient au xix^ siècle. Il est regrettable toutefois que Flacourt, qui a signalé les moyens de développer l'agriculture et l'industrie dans la colo- nie, n'aitpoint remarqué que ce développement serait entravé, si l'on ne construisait des voies de communication, des routes destinées à faciliter les relations commerciales à l'intérieur et 1. Flacourt, éd. 16G1, p. 18 et 451. 2. Flacourt, éd. 1661, p. 449. Cette opinion est corroborée par le témoignage de Mandave : « Il estVraisera- blablo que la force de notre exemple et les persuasions de la cupidité sur- monteront la lâcheté de ce peuple... » (Pouget de Saint-André, ouvr. cité, p. 6:], 86, 87). Le P. Piolet a, de nos jours, la même conviction, du moins au sujet de certaines peuplades:» et je suis copvaincu que, si de longtemps l'on ne peut compter sur le secours des Sakalaves et des autres tribus similaires, trop sau- vages, trop nomades et trop indisciplinées, pour se soumettre à un travail régulier, ou peut du moins espérer que l'amour du gain ou la nécessité de satisfaire à des besoins nouveaux créés par le contact avec les blancs ame- nèrent rapidement certains Be.'^simisaraka, les Ilovas surtout et les Betsiléo à comprendre l'impoitance du travail et à prêter au colon un utile et persévé- rant concours ■) {De In cnlonisntion à Mndar/ascur, hrocliure, 1896, p. 26). ou LES OKIGINKS DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADACASCAK 253 à assurer l'écoulement des produits étrangers sur les marchés indigènes et le transport dos produits indigènes vers les ports. Il ne faut point s'imaginer toutefois que Flacourt ait né- gligé d'attirer l'attention de la Compagnie sur les relations commerciales qu'elle pourrait entretenir à l'extérieur. Il prend soin de faire ressortir la solidarité qui devra exister entre la métropole et la colonie, et il s'attache à montrer comment les ressources variées des deux pays pourront se compléter mu- tuellement. D'une part, il serait nécessaire d'importer des ob- jets de première nécessité, ciseaux, couteaux, marteaux, etc., et des objets de luxe, verroteries, grains de corail, merceries, étoffes indispensables pour se livrer au trafic avec les indi- gènes. D'autre part, on exporterait en Europe et en France, par l'intermédiaire des Indiens, des Arabes et des Vénitiens, du fer, du riz, des viandes et autres produits que l'on trouve dans l'île en abondance. Tout en se préoccupant de multiplier les relations commer- ciales entre la France et Madafascar, Flacourt n'oublie pas que beaucoup de ses contemporains ne veulent pas qu'on dé- laisse les colonies du Nouveau-Monde. Peut-être même n'igno- rait-il pas les projets ambitieux de Fouquet et ses intentions de fonder une Compagnie pour l'Amérique '. Aussi adopte-t-il une combinaison susceptible de plaire à la fois aux partisans de la colonisation du Nouveau-Continent et aux partisans de la colonisation de la grande île africaine. Il ne voit pas d'inconvénient et d'impossibilité à ce que les navires, retour- nant en France chargés de produits de Madagascar, touchent aux ports de l'Amérique. Ne pourraient-ils pas, dit-il, déposer au Brésil et aux îles d'Amérique du riz et des viandes salées qu'on vendrait ou qu'on échangerait contre du tabac, du sucre et de l'indigo*? Ces relations seraient d'autant plus faciles, suivant lui, qu'elles seraient favorisées par les conditions mé- 1. Voir G. Marcel, Revue de géographie, l'rage ta pas : Fouquet, vice-roi d'Aménque;Thoisy, Commerce marchand, t. ILI,fol.211 etsuiv., 237, Bibl. N. ; Affaires étraug., Amérique, t. IV, foL 418-474. 2. Flacourt, éd. 1661, p. 458. 2S4 ETltNNK DE KLACOUHÎ léorologiques, et ce détour n'apporlerail aucun relard dans les transports. « Les vents d'est et nord-est y sont tellement favorables, dit-il, que je pourrois bien dire que ces isles sont comme le cbemiu pour retourner en France et le retour d'un voyage ne se prolongeroit que du temps qu'il faudroil em- ployer au débit du ris et des viandes salées » '. C'était là une combinaison aussi propre à séduire les vues commerciales de Fouquet que le projet de croisade l'était à satisfaire ses rêves de propagande religieuse, mais elle pouvait paraître d'une uti- lité contestable. Il est probable qu'à ce point de vue comme à plusieurs autres, l'esprit positif du gouverneur a cédé devant son désir de plaire à celui qui était le puissant protecteur des entreprises coloniales et en même temps un des membres les plus influents de la Compagnie de l'Orient. C'est avec plus d'à-propos que Flacourt n'oubliait pas de si- gnaler les avantages que présenteraient l'heureuse situation de l'île et ses ressources de toute sorte pour le développement du commerce de la métropole avec les Indes orientales et l'Afrique méridionale. C'est avec raison qu'il faisait remar- quer qu'elle était sur le passage des navires qui se dirigeaient vers les Indes orientales et qu'elle pouvait servir d'échelle, d'entrepôt, aux navigateurs qui s'y rendaientouenrevenaient'. Ne sont-cc pas là, en effet, les motifs sur lesquels s'appuiera plus tard l'académicien Charpentier pour préconiser la fonda- tion de la Compagnie des Indes orientales et la continuation de l'œuvre commencée par Flacourt'? Ne sont-ce pas là les arguments dont on se servira jusqu'à nos jours pour réclamer l'occupation de Madagascar? Mais, pour que la Compagnie pût réaliser de prompts béné- fices par le commerce, il serait nécessaire, selon Flacourt, qu'elle encourageât l'initiative individuelle par quelques fa- veurs. Il serait bon, par exemple, qu'elle accordât à tous les marchands qui lui en feraient la demande, l'autorisation de 1. Flacourt, éd. 1601, p. 450. 2. Flacourt, éd. 1(561, p. 449, 463 et suiv. 3. Discours d'un fidèle sujet du Roi, 1664, p. 162. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 2S5 faire construire dans les ports des navires à destination de Madagascar. De telles facilités auraient pour résultat de mul- tiplier les entreprises privées. Seulement Flacourt ne veut pas que la Compagnie sacrifie les avantages qui découlent de son monopole. Il exige avec raison que les capitaines de navires paient des droits pour les marchandises qti'ils apporteraient ou remporteraient. Ces droits seraient d'ailleurs modérés ; ils ne s'élèveraient qu'à la dixième partie des marchandises expor- tées ou importées. Encore cette légère perception ne frappe- rait-elle que les objets qui ne sont pas de première nécessité, merceries, étolfes et autres produits propres au trafic que l'on voudrait faire avec les indigènes ; les vivres ne paieraient aucun droit. De plus, tout capitaine de navire serait tenu d'amener dix hommes dans l'île, afin d'augmenter le nombre des colons. Les marchandises de ces colons seraient soumises à l'entrée et à la sortie à certains droits, mais on exempterait les hommes du droit de passage *. Tel est le régime commercial proposé par l'ancien gouver- neur. De même que par son régime des terres il s'était efforcé d'attirer des colons à Madagascar, tout en se montrant sou- cieux des intérêts de la Compagnie, de même par de sages rè- glements douaniers il a tenté de favoriser les entreprises des marchands sans porter atteinte à ses privilèges. Il ne suffisait pas de proposer à la Compagnie un régime colonial, de prodiguer les conseils aux colons, de mettre en lumière le parti que l'on pouvait tirer des ressources de l'île ; il était nécessaire de faire connaître les endroits qui réunis- saient les conditions les plus favorables à la création d'éta- blissements coloniaux. L'ancien gouverneur, qui était avant tout un homme pratique et qui rêvait un brillant avenir pour le pays dont il avait entrepris la conquête^ ne s'est point sous- trait à cette lâche ; il ne veut pas que l'on colonise à l'aventure et au hasard. C'est pour cette raison que, ne connaissant point la partie nord-ouest et la zone du littoral nord-est de l'île, il 1. Flacourt, 6d. 1G61, p. 460. 256 KTIKNISE DK FLACOUUT ne propose la fondalion d'aucun élablissemcnl dans ces con- trées. Dans la région sud-ouest il n'appelle l'attention que sur la baie de Saint-Augustin. C'est le littoral oriental, el ce sont les îles qui se trouvent dans ces parages qui lui semblent le plus propres à recevoir des colons. Les points qu'il désigne à cet effet sont Fort-Dauphin, les pays du Mananzari et des Antavares, Port-aux-Prunes (Tamatave), Ghalemboule (Fé- nérive) et le pays environnant, la baie d'Antongil, Tîle Sainte- Marie^ voisine de la cote, et deux îles situées à une certaine distance, Bourbon et Diego Roïs. A l'intérieur des terres, Flacourt ne signale qu'un seul eu- droit favorable : Bohitsantrian, chez les Machicores. Il crai- gnait, sans doute, qu'en créant plusieurs postes, on ne dis- persât imprudemment le petit nombre de soldats fourni parla Compagnie dans une contrée où l'on avait sans cesse à re- douter les surprises des naturels, parfois très nombreux. Dans le choix qu'il a fait de ces différents points, l'ancien gouverneur s'est préoccupé avec raison de la qualité des mouillages, des conditions favorables à l'établissement des forts, des ressources végétales, animales et minérales du pays environnant, et des facilités que l'on pourrait rencontrer pour poursuivre l'exploration. Mais il a négligé un élément géographique de la plus haute importance. Cet homme, qui avait noté dans ses descriptions géographiques l'insalubrité de l'île Sainte-Marie et de la baie de Saint-Augustin, n'a point tenu compte, dans son plan de colonisation, des inconvénients qui en résulteraient pour les colons ', et cela probablement pour ne pas éloigner ceux qui voudraient aller s'établir dans ces contrées. En outre, si l'on peut approuver, au point de vue des ressources qu'offrait le pays, le choix de Fort-Dauphin, de la rivière Mananzari, de ïamatave, de Ghalemboule, de la baie d'Antongil, et surtout celui de l'île de Bourbon, on doit reconnaître toutefois que Flacourt s'est exagéré l'impor- tance des ressources de l'île Sainte-Marie *. 1. Flacourt, éd. 16G1, p. 27, 30. 461. 2. A l'iuiitaliou de Flacourt, Maudave voulait fonder six ou sept établisse- ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 257 Fiacourt ne dissimule pas les dépenses qu'occasionnerait la création de ces colonies, ni le temps qu'elle exigerait. Il pense néanmoins que l'on pourrait beaucoup avancer les affaires si l'on transportait déjà à Madagascar une troupe de cinq cents hommes. Quant aux dépenses, elles s'élèveraient à l.^iO.OOO li- vres, chiffre qui, s'il faut en croire Charpentier, n'avait rien d'exag-éré '. L'ancien chef de la colonie croit d'ailleurs qu'il serait facile de les payer avec le produit de la vente des mar- chandises que l'on expédierait de l'île jusque dans les Indes orientales. Après avoir mis en lumière l'importance de la situation de Madagascar pour les relations commerciales de la France avec les Indes, il nous montre donc l'utilité que l'on retirerait de ces relations pour le développement des en- treprises coloniales à Madagascar. On ne saurait contester qu'au moment oii les regards de l'Europe étaient tournés vers les richesses de Tlnde, il était habile, de la part de Fiacourt, de faire ressortir les avantages réciproques que pouvaient s'offrir ce^ contrées baignées par le même océan. Quelle que soit l'importance que l'ancien directeur de la Compagnie de TOrient ait attachée à l'exploitation des res- sources de l'île, il ne s'est pas néanmoins désintéressé de son peuplement. Il conseille à la Compagnie d'envoyer tous les ans dans Tîle « un grand navire qui apportast des hommes frais et qui vinssent pour peupler ». L'union des colons avec les femmes indigènes ne présenterait, selon lui, aucune dif- ficulté. Beaucoup de maîtres de villages seraient flattés de voir leurs filles contracter des alliances avec les Français. Ceux-ci n^auraient que l'embarras du choix parmi les blanches et les noires. Mais il insiste sur la nécessité de faire une sélection ments échclouûés depuis Fort-Dauphia jusqu'à Féaéiive, ea parliculicr Fort- Dauphia, rivière de Maoanzari et le pays ^des Aotavares (Pouget de Saint- Audré, ouvrage cilé,^. 30, 89, 131). D'autre part, Legentil a remarqué que le riz ne venait point eu abondance aux environs de Fort-DaupLiu et qu'il suftirait seulement à la nourriture des habitants {Voyage dans les mers de l'Inde, ouvrage cité, t. II, p. 384-406). 1. Fiacourt, éd. 1661, p. 463 ; Charpentier, Discours d'un fidèle sujet du Roi, p. 32. n 258 ETIENNE DE FLAGUURI' parmi les gens qui désireraient passer sur la grande lerre. Il exclut les vagabonds, les gens « éventés ». On ne saurait trop l'approuver d'avoir exigé des colons l'honnêteté et la mora- lité dans un pays où la licence des mœurs était extrême, oii régnait le vol, le brigandage, oii presque tout était à créer au point de vue moral. Par contre on peut s'étonner de le voir proposer l'union des colons qui habiteraient les îles Bourbon et Sainte-Marie avec des femmes de mauvaise vie, venues de France, pour cette raison que les habitants de Sainte-Marie, descendants des Juifs, ne veulent point contracter d'alliance avec les chrétiens *. Les vues de Flacourt ne se portaient pas seulement sur la grande île de l'océan Indien, elles s'étendaient à des contrées plus éloignées. L'ancien directeur de la Compagnie de l'Orient avait été séduit par la lecture des descriptions enthousiastes que le Portugais Pedro Fernandez de Queiros avait laissées des terres australes*. Aussi n'est-il pas surprenant qu'il veuille faire de la grande île africaine une sorte d'entrepôt pour le commerce du continent austral, comme il avait voulu en faire un entrepôt pour celui des Indes orientales. D'après lui, la fondation d'éta- blissements coloniaux à Madagascar favoriserait ladécouvcrte, la conquête et l'exploitation des terres australes, car les rela- tions entre Madagascar et ces contrées n'exigent que quelques semaines de navigation. « Pour les terres australes, dit-il, leur continent n'estant esloigné de Madagascar que de quel- ques semaines de traject, il seroit aisé d'entretenir quelque léger vaisseau qui navigeroit incessamment de Madagascar dans les pays austraux et ce qui en viendroil chargé dans les vaisseaux qui de temps en temps doivent aller de l'Europe en 1. Flacourt, éd. 1651, p. 256, 333, 457. Quelques années plus tard, l'académicien Charpentier reprendra en par- tie l'opiaioa de Flacourt : « Il faut faire état, dit-il, de n'y mener que des hommes de courage et de bonnes moeurs et non point des criminels rachetés du gibet ou des galères, ni des femmes persécutées pour leur débauche » {Discours d'un /idele sujet du Roi, p. 29). 2. Flacourt, éd. 1661, p. 464 et suiv. ou LES ORIGINES DE LA COLOMSATION l'HAN^AlSE A MADAGASCAR 250 Madagascar' ». S'il faut l'en croire, les prolits que Ton pour- rait retirer de ce commerce ne manqueraient pas d'clre con- sidérables, car ces contrées sont si étendues qu'il est impossible qu'elles soient dépourvues de toute ressource. Elles seraient même richement dotées par la nature. Mais ce n'est pas la seule raison qu'il allègue pour exciter ses compatriotes à l'exploration et à la conquête de ce troisième continent. Comme le voyageur Queiros, dont il fait mention et dont il semble s'être inspiré, il prétend que le but principal d'une expédition au continent austral devrait être la propaga- tion de la foi'. Il a d'ailleurs subi une autre influence que celle des Mémoires de l'intrépide découvreur portugais. Il est certain que Flacourt se rencontrait souvent chez les évêques de Beyrouth et d'Héliopolis avec l'abbé Paulmier, chanoine de Lisieux et homme très instruit dans les navigations au long cours. Cet abbé, qui descendait de Binot-Paulmier de Gonne- ville, célèbre par sa navigation aux terres australes, lui lit sans doute part de ses vues sur l'établissement d'une mission chrétienne dans ces pays lointains et le persuada vraisembla- blement de la nécessité de les coloniser, car il nous parle des parents de Gonneville envoyés en France et « dont la postérité y continue encore pour nous faire ressouvenir de ne pas négli- ger les pays méridionaux nK Telles sont les vues de Flacourt sur la colonisation de Mada- gascar et des terres australes. Il ressort de cette étude qu'elles paraissent être en partie inspirées des idées de Richelieu en matière coloniale, en partie le fruit de l'expérience person- nelle de l'ancien gouverneur. Comme les hommes de son temps, commeLescarbot, Richelieu, Champlain, il déclare que 1. Flacourt, éd. 1(3(31, p. 464 et suiv. 2. Flacourt, éd. 1661, p. 461 et suiv. ; Raiaaud, f.e continent austral, p. 302, 304, 330, et suiv. 3. Flacourt, éd. 1661, p. 466; de Brosses, Histoire des navigations aur; terres australes, t. I, 1. III, p. 102. Flacourt, a cru à tort que Gouneville avait découvert la Nouvelle-Hollaude. Oq sait aujourd'hui qu'il a ab jrdé à la côte brésilieuue (d'Avezac,. Inna/es des voyages, 1869, t. II, 259-297; 1. 111, p. 12-82). 260 ÉtlKNNE DE FI.ACOUr.T la coloiiisjilion doil embrasser aussi bien les intérêts matériels que les intérêts moraux et religieux, mais qu'on doit songer à convertir avant de songer à exploiter. A l'imitation de ce qu'avait réclamé l'illustre cardinal de la Compagnie des Cent associés, il demande des missionnaires, proscrit de la colonie les étrangers et les hérétiques, veut y introduire l'organisation judiciaire de la France et propose un régime des terres qui les met entre les mains de la Compagnie comme une propriété féodale. Mais quelque difficile qu'il puisse être de dire exac- tement jusqu'à quel point ce plan de colonisation représente ses opinions personnelles, on ne peut s'empêcher de recon- naître que plusieurs de ses vues sur le régime moral, admi- nistratif et économique qu'il désire pour la jeune colonie, lui ont été suggérées par ses relations avec les missionnaires, les colons et les indigènes, et par ses observations géographi- ques et ethnographiques beaucoup plus que par la lecture de diverses publications du temps ou par des conversations avec ses contemporains. On lui doit des considérations neuves et originales (dont quelques-unes pourraient être encore mises à profit à l'heure présente) sur le gouvernement qu'il convenait de donner à la colonie ; l'opportunité d'une certaine tolérance pour les vieilles coutumes, lorsqu'on s'efforcerait d'établir le christianisme dans l'île, les moyens de tirer parti de ses ressources, tout en faisant participer les habitants aux avantages de la civilisation par l'iniliatiou agricole, industrielle et commerciale, la néces- sité pour les Compagnies de se montrer patientes dans l'attente des résultats et de ne point perdre courage, si les bénéfices ne répondaient pas à leurs espérances, les endroits oii il était à propos de fonder des établissements, la main-d'œuvre qu'il était possible d'utiliser, les relations commerciales que l'on devrait entretenir avec les pays voisins ou éloignés de la colonie, enfin sur le régime commercial que l'on pourrait mettre en vigueur. Si quelques-unes de ces considérations peuvent paraître contestables, elles n'en accusent pas moins toutes un grand sens pratique^ une certaine expérience admi- ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 261 nistralive, et, chose surprenante de la part d'un homme qui n'avait laissé aux indigènes d'autre choix que l'asservisse- ment ou la mort, elles feraient croire volontiers à une cer- taine générosité de sentiments. De même, si Flacourt se laisse quelque peu guider par son propre intérêt dans les conseils qu'il donne, il s'applique néanmoins à concilier les intérêts de la Compagnie avec ceux des colons, et il arrive parfois qu'en servant sa cause il sert celle de la France. Que son plan de colonisation renferme des lacunes, si on le le compare à ceux de ses successeurs, des Maudave, des Beniowski et de nos contemporains, nous n'oserions y contre- dire; il est toutefois le premier où l'on trouve un ensemble complet de vues, fort justes souvent, sur le régime qu'il conve- nait d'appliquer à notre colonie de l'océan Indien*. 1. D'après M. Ma.rtinea.u (Madagascar, i« raille, p. 16), « b^lacourt a laissé de son administration et de ses voyages un récit très long où l'on trouve des vues fort justes sur l'administration européenne qu'il convient d'imposer aux peuples malgaches ». EL- LIVRE IV LA FI3Nr D'ETIENNE DE ELAGOURT Les travaux que nous venons d'étudier prouvent que Fia- court avait mis généreusement son intelligence au service de la cause de la colonisation, non seulement pendant son séjour à Fort-Dauphin, mais encore depuis son retour dans sa patrie. Ces travaux ne l'empêchèrent pas toutefois de consacrer tous ses efforts pendant le reste de sa vie à justifier son administra- tion et de veiller à ce qu'on ne renonçât point à l'entreprise qu'il avait commencée. Nous allons voir s'il a réussi dans sa tentative et ce qu'il faut penser en général de son œuvre colo- nisatrice. CHAPITRE PREMIER Flacourt et la question de Madagascar en France. Arrivée de l'ancieu gouverneur à Nantes. — Ses démarches auprès du duc de La Meilleraye et de Fouquet. — Prétentions du duc de La Meilleraye. — Di- visions parmi les associés de la Compagnie de l'Orient. — Accord entre le La Meilleraye et quelques associés. —Fondation d'une nouvelle Compagnie où entre Flacourt. — Situation embarrassante de Flacourt. — Ses démêlés avec l'ancienne Compagnie et son procès. — Les associés se décident à transiger. — Efforts de Flacourt et de saint Vincent de Paul pour unir l'entreprise du duc de La Meilleraye à l'entreprise de la nouvelle Compa- gnie. — Flacourt est envoyé de nouveau à Madagascar. — Son naufrage et sa mort (1660). Le 28 juin 1653, Flacourt arrivait à Nantes avec sept Fran- çais et quatre Malgaches. Le lendemain même de son arrivée, il informait de son retour Flacourt, son frère, associé de la Compagnie, en le priant d'annoncer cette nouvelle aux autres associés. Il s'excusait de ne pas leur en faire part directement, promettant de leur écrire, dès qu'il serait remis des fatigues de son long voyage. De Nantes il se rendit à Vitré pour saluer le duc de La Meil- leraye et le remercier des secours qu'il avait bien voulu lui accorder dans la fâcheuse situation où il se trouvait. Il l'en- tretint de ce qui s'était passé durant son séjour à Madagascar, Le duc lui apprit de son côté son intention de s'intéresser par moitié à l'entreprise de la Compagnie de l'Orient*. Puis Fla- court retourna à Nantes. Là il écrivit aux associés, au direc- teur Berruyer et au surintendant Fouquet, pour leur rendre compte des paroles qu'il avait échangées avec de La Meilleraye 1. Fouquet prétend dans ses Défenses que le maréchal de La Meilleraye « a voulu prendre la moitié de la Société de l'Orient », t. VIII, p. 52. — Pour M. d'Avenel {Richelieu et la Monarchie absolue, t. 111, p. 218), La xMeilleraye a seulement voulu prêter sou appui à l'entreprise de la Compagnie. 266 ETIENNE DE FLACOURT et leur communiquer ses projets. Il perdit beaucoup de temps dans cette ville où il attendit la réponse des associés pendant qu'on débarquait ses marchandises. Ces loisirs, il les consacra à liquider les comptes qu'il avait avec les sept Français reve- nus de Madagascar. L'ancien gouverneur se montra d'autant plus empressé à régler cette affaire, qu'il avait appris, à son retour, plusieurs nouvelles qui l'avaient rempli d'étonnement et ne laissaient pas d'éveiller ses craintes. Pendant son séjour dans Tile, Pronis avait, d'après les or- dres des associés, autorisé quelques colons à faire du trafic pour leur propre compte *. Parmi ces colons, plusieurs avaient livré à Flacourt une certaine quantité de cuirs, cire, g-omme, tabac et autres produits. Le gouverneur avait établi leurs comptes et leur avait remis un reçu de la marchandise qu'ils lui avaient fournie, non sans avoir prélevé les droits imposés par le tarif de la Compagnie. Puis il avait expédié ces marchan- dises en France, en leur promettant que le total en serait ac- quitté par les associés. Mais ceux-ci s'étaient approprié ces marchandises et avaient refusé de solder le compte de ceux à qui elles appartenaient et qui avaient payé les droits. Les Français lésés avaient adressé leurs mémoires à la Compagnie et avaient intenté à Flacourt un procès, bien qu'il fût encore à Fort-Dauphin. Les associés avaient désavoué les instructions qu'ils avaient données à Pronis et Flacourt avait été condamné à verser à quelques-uns de ces colons la somme qui leur était due». Se voyant menacé d'un nouveau procès par les sept passa- gers qu'il avait ramenés^ il emprunta la somme de six mille livres pour les solder lui-même et informa de cet emprunt les associés. Pour toute réponse, on lui conseilla de donner sa- tisfaction aux intéressés avec les produits qu'il avait rapportés de Madagascar. Flacourt vendit donc la moitié de son charge- ment de cuirs pour le compte de la Compagnie. La somme que 1. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 16. 2. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 12. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 261 produisit cette vente fut employée à restituer l'argent qu'il avait emprunté et à payer les dépenses que lui-même et ses passagers avaient faites depuis leur retour *. Cependant le duc de La Meilleraye s'impatientait de ne pas recevoir de réponse des associés. D'après ses ordres, Flacourt partit pour Paris afin de remettre de sa part des lettres à Fou- quet. Après avoir vu le Surintendant qui, à son tour, le chargea d'une lettre pour le duc, il s'en alla faire visite aux associés. Ceux-ci le renvoyèrent au duc et le prièrent aussi de lui re- mettre une lettre de leur part. Flacourt revint à Nantes et s'acquitta immédiatement de sa mission. Après s'être entretenu avec de La Meilleraye il écrivit àFouquet et aux autres membres de la Compagnie pour leur faire connaître les intentions du duc. Pendant un mois il at- tendit vainement leurs instructions. Enfin, ne recevant aucune nouvelle, il se décida à retourner à Paris dans l'espoir d'en obtenir une réponse de vive voix. Dans ce dessein il assista à une assemblée qui se tint chez Berruyer, directeur. Il profita de l'occasion pour leur proposer de leur rendre ses comptes au sujet de son administration. Mais les associés le prièrent de remettre cette affaire aune époque ultérieure. Il ne reçut pas de réponse plus décisive à la demande qu'il leur adressa, con- formément aux promesses qu'il avait faites aux colons laissés à Madagascar, d'envoyer un navire de secours à Fort-Dauphin. Les associés lui déclarèrent que telle était leur intention, mais qu'ils ne pouvaient prendre de décision avant d'avoir conclu un arrangement avec le duc de La Meilleraye, et ils l'invitèrent à aller porter à ce dernier des propositions d'accommodement. Flacourt accéda à leur désir et repartit pour Nantes. A son arrivée dans cette ville, on lui annonça une nouvelle qui ne laissa pas de le suprendre : malgré les droits incontes- \. Flacourt, éd. 1658, brochure, p. 12 et lli ; éd. 1661, p. 399. — Défense pour Marie de Cossé, loc. cit.,p. 11. D'après Lordelot, l'emploi de cette somme est justifié par son propre témoignage et par le compte qu'il rendit aux asso- ciés. 268 ^TIENNE DE l'LACOURT tables de l'ancienne Compagnie Rigault, qui en 1652 avait ob- tenu le renouvellement de son privilège pour vingt ans du duc de Vendôme, chef et surintendant de la navigation et s'était reconstituée, sous le nom de la Compagnie des Indes orientales, avec Cazet, agent de la Compagnie, comme direc- teur, malgré la défense qui avait été faite, par la lettre de concession^ à toute autre personne que les associés de trafiquer sur les côtes de Madagascar et de l'océan Indien, sans le con- sentement du directeur, sous peine de confiscation des vais- seaux et marchandises ', le duc de LaMeilleraye avait persisté dans sa résolution de se substituer à la Compagnie dans la possession de Madagascar. Bien mieux, ou lui assura que le duc venait de faire partir pour cette destination quatre navires commandés par La Roche Saint-André, la Duchesse, la Maré- chale, le Grand-Armand et la Flàte. Ces navires contenaient, disait-on, huit cents passagers, tant soldatsque matelots, et trois prêtres de la Mission, les P. P. Dufour, Prévost et Belleville. Le commandant de la flottille avait l'ordre de déposer à l'île Sainte-Marie des gens qui s'adonneraient à la culture et à Fort- Dauphin un certain Rivau, désigné par le duc de La Meilleraye pour prendre l'administration de la colonie. Flacourt manifesta au duc l'étonnement que lui avait causé cette nouvelle. Celui- ci se défendit de vouloir en quoi que ce fût porter préjudice à la Compagnie et intervenir dans ses intérêts. L'ancien gou- verneur se déclara satisfait de cette réponse et lui transmit les propositions des associés. La Meilleraye ne les ayant pas trou- vées acceptables, il rentra définitivement à Paris oii il continua à jouer le rôle d'intermédiaire *. Les associés tinrent plusieurs réunions, dans lesquelles, au témoignage de Flacourt lui-même, qui y assista, il ne se con- cluait jamais rien. C'est que quelques-uns des membres les plus actifs et les plus autorisés, entre autres Rigault et de \. Bibl. uat., Manuscrits, f. fr. 10209 fol. 70; Archives du Miuist. des Aff. étr., Indes orientales, Asie, Mémoires et Documents, n» 2, fol. 8-10. 2. Flacourt, éd. 1658, p. lG;(!d. lOGI, p. 400, 426 et suiv. nu LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 269 Loynes, él aient morts', c'est que les guerres civiles avaient entravé les entreprises commerciales et coloniales*, c'est que surtout des divisions étaient survenues au sein de la Société. Un certain nombre s'en étaient retirés' et il n'y avait pas unité de vues parmi les autres. Quelques-uns même, suivant Fia- court, auraient été poussés par quelque intérêt élrang-er à susciter des obstacles au développement de l'entreprise*. Ce qui est probable, c'est que les associés, ayant vu leurs bril- lantes espérances déçues, s'étaient laissés aller au décourage- ment. Non seulement ils n'avaient point réalisé les profits qu'on leur avait fait entrevoir, mais à son retour le Saint-Laurent leur avait apporté de fâcheuses nouvelles. Ils avaient appris la perte ou le mauvais état de leurs navires, et les dépenses s'élevaient déjà au chiffre de 450.000 livres^! Aussi hésitaient- ils à continuer une entreprise qui pouvait les entraîner dans de nouvelles dépenses, dans des frais inutiles; aussi n'étaient- ils guère disposés à unir leurs efforts à ceux du duc de La Meilleraye, qui seul peut-être trouverait son compte dans une expédition commune. Cependant les sentiments d'un certain nombre d'entre eux ne tardèrent pas à se modifier. Au mois de septembre 1656, vraisemblablement grâce à l'intervention de Flacourt, un ac- cord survint entre le duc de La Meilleraye et quelques associés de la Compagnie. Il fut convenu qu'on enverrait un navire à Madagascar à frais communs, que le maréchal de La Meilleraye serait obligé d'y faire passer cinq cents hommes à ses frais,, avec cette réserve toutefois que le quart de la dépense occa- sionnée par cette expédition j serait payé par les associés que les navires, munitions et en général tout ce qui à Fort-Dauphin était la propriété de la Compagnie, serait à la disposition du 1. Brochure, Éloge de Flacourt, opusc. cité. 2. Charpentier, Discours d'un fidèle sujet du Roi, 1664, p. 4 et suiv. 3. Manuscrits, Bibl. nat., f. fr. 10209, fol. 70. 4. Flacourt, éd. 1G58, Dédicace à Fouquet. 5. Fouquet, Défense, t. Vlll, p. 35 et 52; Aff. étr., ludas or., Asie, u" 2, fol. 8 à 10 : Lettre de concesssiou du duc de Veadôme aux associés de la Com- pagnie Rigaiilt. 270 KIIL.NNK DK ILACOlIlT Maréchal elqu'eiilin ou partagerait les produits du voyage par moitié, une moitié revenant au maréchal et à ses collabora- teurs, l'autre aux associés de la Compagnie de l'Orient. C'est Flacourt qui fut chargé d'aller acheter à Rouen les marchan- dises dont la Compagnie avait besoin pour la traite'. Cependant la plupart des associés avaient refusé de donner leur adhésion à cette convention dont les principaux articles avaient été signés par Cazet dès le mois de juin de la même année. Ils protestèrent et intentèrent un procès à La Meilleraye*. Au reste, l'accord conclu précédemment n'empêcha pas les autres de former peu de temps après une nouvelle Société pour le commerce de Madagascar et des grandes Indes, sous les auspices de Louis XIY^ En eifet, le gouvernement, voyant la désunion qui régnait dans la Compagnie de l'Orient, la négligence qu'avaient ap- portée les associés à faire valoir les concessions de Madagas- car, oii ils n'avaient envoyé, depuis 1648, ni colons, ni vais- seaux, ni nouvelles d'aucune sorte, avait songé à porter remède à celte situation. Il avait voulu pourvoir « à ce qu'une entre- prise si avantageuse à la religion catholique, si glorieuse à l'État et si utile au commerce » ne demeurât point inachevée. Par arrêt du conseil (10 août 1656), Olivier Lefcvro d'Or- messon et Michel de Marillac furent désignés comme commis- saires pour s'occuper de la formation d'une nouvelle Compa- gnie et l'établir sur des bases solides. Ces commissaires étaient chargés d'entendre les propositions qui seraient faites tant par les associés et intéressés de Tancienne Compagnie Rigault que par ceux qui pourraient se présenter. Le roi promit d'accorder à la nouvelle entreprise tous les privilèges qui seraient néces- saires pour la faire réussir*. 1. Flacourt, éd. 1661, p. 42S et suiv. 2. Charpentier, Be/ation. 1664, p. 31. 3. Flacourt, iùid. Grossia a préteadu à tort que le maréchal de La Meilleraye avait obtenu du Ministère la concession de Madagascar en 166."> et qu'il y associa eusuite Fouquel par bienséance (Archives du Ministère des Affaires étrangères, Indes orientales, Asie, n» 3, fol. 218). 4. Bibliothèque nationale, Manuscrits, f. fr. 10209. ou LES ORIC.INES DE LA COLO.MSATION EKANÇAISK A MADAGASCAR 271 Cet arrêt fdl signifié aux associés. Ceux-ci tinrent plusieurs assemblées pour aviser aux moyens de rétablir l'ancienne Compagnie, et la relever de la déchéance où elle était tombée. Mais ils ne purent s'entendre que sur un point, c'est qu'il n'était pas possible à l'ancienne Société de mener à bien l'en- treprise commencée, avec les concessions qui lui avaient été octroyées précédemment et dans les conditions où elle s'était formée. C'est alors qu'une ordonnance royale (19 septembre 1656) les invita à comparaître le 12 octobre suivant devant les commissaires délégués ci cet effet, pour déclarer s'ils con- sentaient à entrer dans la nouvelle Compagnie ou s'ils préfé- raientse désister*. Des assignations furent envoyées à Desmar- tins, Gillot, à la veuve de de Loynes, secrétaire de la Marine, E. de Flacourt, d'Aligre, Le Vasseur, de Beausse, Estienne, François et Aimé Fontaine, Louis du Bourg, Jeanne Vaubréau, veuve de René Fontaine, « tant pour eux que pour les héritiers de Pierre de La Brosse, tous héritiers du feu sieur Rigault" ». Quatre membres de l'ancienne Société, d'Aligre, de Creil Desmartins, Gillot, refusèrent de donner leur adhésion à la nouvelle Compagnie, avant d'avoir eu connaissance des con- ventions qui avaient été conclues ou qui devaient être conclues avec Cazet, et protestèrent d'avance contre tout ce qui pourrait être décidé au mépris de leurs intérêts. D'autres, en particu- lier Le Vasseur, de Beausse, Etienne, François et Aimé Fon- taine, Le Bourg, Jeanne Vaubréau préférèrent ne pas compa- raître. Quant à Flacourt, son attitude en cette circonstance est assez obscure et il paraît avoir hésité à entrer dans la nouvelle Société. Ce qui est certain, c'est qu'on lui signifia deux dé- fauts de comparution. On lui reprocha de ne s'être présenté ni le 26, ni le 28 septembre. Comme l'assignation ne lui avait été adressée que le 13 du même mois, il manifesta la surprise que lui avaient causée ces reproches, assurant, par l'intermé- diaire de son avocat, Charles de Loynes, qu'il avait déjà com- paru et témoigné de son désir de faire partie de la nouvelle 1. Bibliothèque nationale, Manuscrits, fouds fr. 10209, fol. 70. 2. Ibid. 272 ETIENNE DE FLACOtJRT Compag-nic. Toujours est-il qu'il y entra et avec lui Gazet, Lamoignon, les héritiers de Berruyer et la veuve de Loynes, l'ancien secrétaire de la Marine. Il déclara formellement qu'il désirait être membre de la Société qui allait se fonder au nom de Cazet et qu'il acceptait d'avance les conditions qui seraient adoptées par les associés et trouvées raisonnables par les commissaires du gouvernement*. La Compagnie Cazet fut organisée de la manière suivante. Elle s'intitulait « Compag^nie de l'isleMadag-ascar, autres isles et costes adjacentes », et était composée de cent parts. Faculté lui était accordée d'en attribuer cinquante à la personne la plus considérable qui désirerait en faire partie pour moitié. Chaque part était fixée à dix mille livres, ce qui élevait le capital total à un million de livres. La Compagnie devait être administrée par quatre directeurs qui seraient élus chaque année en assem- blée générale, les sufîrag^es étant proportionnés au nombre des parts et non au nombre des personnes. Au cas oij les suffrages seraient égaux, et où l'on ne pourrait s'entendre au sujet de l'élection, c'est au doyen du conseil qu'il appartiendrait de décider. Les pouvoirs des directeurs avaienl une durée de deux ans. Leurs attributions consistaient à s'occuper des dépenses, des achats de marchandises et de vaisseaux, des approvisionne- ments et des munitions, du transport des colons. Ils nom- maient les commis, capitaines et officiers, et étaient charg-és de vendre les marchandises qui proviendraient des îles, et en g-énéral de tout ce qu'on jugerait à propos d'entreprendre pour contribuer à la prospérité des établissements coloniaux. Le roi accordait à la Compag-nie les mêmes privilèges que ceux qui avaient été accordés précédemment à la Compag-nie des îles d'Amérique. Elle avait le droit exclusif de se livrer au commerce à Madag-ascar, à la, baie de Saldanha et au cap de Bonne-Espérance et autres lieux voisins; aucun associé ne pouvait donner à d'autres personnes l'autorisation d'aller 1. Mauiiscrils de la Bibl. nat., f. fr. 10209, fol. 70 et suiv., factum. ou LES ORIGINKS DE LA COLOMS.VTION FIlANÇiVISE A MADAGASCAIÎ 273 trafiquer dans ces mêmes contrées. Pour la protection de soti commerce, il lui était permis d'armer autant de vaisseaux de guerre qu'elle le jugerait nécessaire. Toutes les munitions, canons, armes, etc.^ toutes les provisions de bouche qu'avait laissées l'ancienne Compagnie, tous les forts ou établissements qu'elle avait construits devenaient sa propriété et elle avait le droit d'en disposer à son gré, sans être obligée de dédommager les associés de la Compagnie Rigault des dettes qu'ils avaient contractées. D'autre part, elle était tenue d'expédier à ses frais à Mada- gascar le nombre de missionnaires, d'artisans et de soldats, nécessaire pour convertir les indigènes au christianisme, les instruire dans les arts et métiers utiles dans l'a vie et les réduire à l'obéissance du Roi '. A peine cette nouvelle Société était-elle constituée que, ne tenant aucun compte des conventions qu'il avait faites avec Cazet, le duc de La Meilleraye se disposa à envoyer un nouveau navire à Madagascar, sans vouloir attendre plus longtemps les marchandises propres à la traite que Flacourt avait achetées à Rouen au nom des associés de l'ancienne Compagnie. A cette nouvelle, Cazet accourut à Nantes. Il pria le duc de relarder le départ du navire jusqu'à l'arrivée de ces marchandises. Mais celui-ci, agissant en maître absolu, refusa d'attendre plus longtemps. Il allégua comme prétexte, qu'il avait rassemblé tous les matelots nécessaires, et il l'ajourna à l'embarquement suivant. Après avoir donné le commandement de son navire à Goascaer, il s'en alla voir Flacourt à Lorient. Il lui enjoignit de demeurer à Nantes jusqu'à ce que le navire fût parti et de venir ensuite le rejoindre. Chollet, secrétaire du duc de La Meilleraye, fut chargé des préparatifs du départ. Une contestation s'éleva entre le secrétaire et le capitaine du navire. Goascaer refusa de partir avant d'avoir reçu les mar- 1. Biblioth. uat., Manuscrits, f. fr. 10209, fol. 69 et siiiv. Pour tous les statuts de cette Société, voir, à la fiu de notre essai, les Pièces justificatives. 18 â14 KTIENNE DK KLACOUlit cliandisos achetées par h^lacourl. (jelui-ci se lioiivait de son côlé dans une siluallon très délicate : il craignait de mécon- tenter le duc à qui il était lié par la reconnaisscince, noa moins que Cazet et les associés de la nouvelle Gompag-nie, qui pouvaient songer à lui au cas où ils s'occuperaient de Texploi- tation du pays qu'il avait conquis. Néanmoins, s'impalientant de ne recevoir aucune nouvelle de Rouen, et ne sachant à quoi attribuer ce retard, il ht savoir à Goascaer qu'il pouvait se dispenser do différer plus longtemps son voyag-e. Cependant quelques jours après, les marchandises attendues arrivèrent à Nantes. Mais le maréchal de La Meilleraye, par une mauvaise volonlé (|ui ne dévoila que trop ses desseins ambitieux, défendit à Flacourt de les expédier et à Cliollet de les recevoir. L'an- cien gouverneur obéit aux ordres du maréchal et le navire partit de Paimbœuf, sans les marchandises que, d'après les conventions, il aurait dii emporter (l'^'" novembre 1636)*. Flacourt d'ailleurs était aux prises avec d'autres difficultés, celles-là beaucoup plus sérieuses. En même temps qu'il s'ef- forçait de concilier des intérêts opposés et d'unir l'entreprise du duc à celle de la nouvelle Compagnie, il devait défendre ses intérêts personnels. Dès son retour en France, il s'était brouillé avec quelques associés de la Compagnie de l'Orient qui avaient refusé de payer les gages des soldats revenus de Madagascar. 11 leur avait rendu un compte très exact de la gestion de leurs intérêts; il leur avait même présenté comme recette, ainsi qu'en témoigne la lettre du commis Poirier à de Beausse, les cadeaux qu'il avait reçus des chefs indigènes. Par une mauvaise foi qu'explique sans doute le méconten- tement qu'ils éprouvaient d'avoir réalisé peu de profits, mais qu'on ne saurait trop blâmer, ils lui avaient contesté ce compte. Dans la suite, ils lui reprochèrent d'être rentré en France sans leur ordre et d'avoir laissé à Fort-Dauphin des gens qui n'étaient plus sous la dépendance de la Compagnie, mais au service du duc de La Meilleraye; ils l'accusèrent de 1. Flacourt, éd. 1G61, p. 429 et suiv. ou LES ORIGINKS DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 215 aialversaLions, de négligence, dincurie. L'ancien chef de la colonie s'indigna de ces reproches qu'il reg-ardait comme in- justifiés. Il se déclara viclime de l'ingratitude et de la haine des associés. Se voyant pressé par leurs créanciers, il les somma de l'aiïranchir ou indemniser de toutes les poursuites dirig-ées contre lui pour des dettes qui, somme toute, étaient les leurs. Il s'offrit à présenter tous les comptes qu'ils exigeraient, mais il prétendit qu^il devait être remboursé des sommes qu'il avait avancées et libéré des dettes dans lesquelles il s'était en- g^agé par pure complaisance. Il leur demanda même des dom- mag-es et intérêts pour les pertes qu'il avait pu faire pendant son séjour à Madag^ascar, par suite de l'abandon où on l'avait laissé pendant sept ans. Enfin il exig-ea qu'ils envoyassent au plus tôt un navire à Fort-Dauphin afin d'en ramener les sol- dats qui avaient accompli leur temps de service et leur payer les salaires qu'il avait promis de faire solder par la Compa- gnie '. Les associés lui intentèrent un procès. La cause fut portée devant le Conseil privé, composé de d'Ormesson, Delafosse, conseillers d'État, et de Lenain, Lerebours, maîtres des Re- quêtes, commissaires délégués par le Roi pour connaître des différends survenus dans la Compagnie de l'Orient et de ceux qui pourraient survenir dans la suite (1657)*. 1. Flacourt, éd. 1638, p. 2, 13, 17, de la bi-ochure; éd. 1661 : Lettre de Phi- lippe Poirier à de Beausse, p. 407; brochure, iVogre de Flacourt; Charpentier, Relation, ouvr. cité, p. 138: Discours d'un fidèle sujet du Roi, p. 29 et suiv. ; Lordelot, Défense pour Marie de Cossé, loc. cit., p. 30. 2. Plusieurs raisons nous ont déterminé à indiquer cette date de 1637. D'abord dans son édition de 1658, Flacourt a inséré une carte générale de l'île Madagascar, datée de 1657. De plus cette même éditioa porte un permis d'imprimer du 12 oclobre 1657, et la mention « Achevé d'imprimer pour la première fois, 16 octobre 1657 ». Or, dans la brochure qui est jointe à cette édition, Flacourt parle de sou procès comme d'un événement actuel, au moment où il écrit. S'il a travaillé à son ouvrage en l'année 1637, on peut donc supposer que la cause fut portée au Conseil du Roi cette année-là. On doit remarquer toutefois qu'on lit sur le plan de l'ilot la date de 1656. Il ne serait doue pas impossible que la cause eût été portée cette même année. Eu tout cas, les Jeux da'.cs de 1656 et de 163: sjnt les seules admissibles. 276 ETIENNE DE ELACUllI'.T Mais Flacoiiil les poursuivit à sou tour pour l'avoir aban- donné, au mépris de leurs promesses verbales et écrites. C'est alors qu'ils le prièrent de terminer le différend à Tamiablo et lui proposèrent d(! se soumettre au jugement de deux per- sonnes initiées aux allaires commerciales. Il y consentit. Deux marchands de Rouen furent choisis comme juges souverains de toutes les difficultés qu'ils avaient au sujet de la colonie de Madagascar_, tant auprès du Conseil du Roi et du Parlement qu'auprès des autres juridictions. Les deux parties s'engagè- rent à se conformer au jugement des arbitres, sous peijie, en cas de refus, de six mille livres dédommages et intérêts (juin 1659)'. L'ancien gouverneur présenta ses comptes devant les arbitres (juillet 1659), comptes qui contenaient un état des recettes et des dépenses qu'il avait faites au cours de ses voyages et de son séjour dans l'île. Il s'offrit à lemetlre à la Compagnie la somme de six mille sept cent cinquante-neuf livres qu'il avait reçue de deux marchands de Nantes, pour la vente de treize cents cuirs qui avaient été apportés en France par le navire du duc de La Meilleraye. Mais en retour il réclama à cette Compa- gnie la somme de quarante mille livres pour l'avoir laissé pen- dant plus de six années sans secours, sans renfort, sans muni- tions d'aucune sorte et avoir ainsi causé la ruine de ses affaires. Les associés refusèrent formellement de faire droit à cette réclamation; ils prétendirent que les guerres civiles avaient mis obstacle à leurs bonnes intentions et qu'au surplus Fia- court pouvait demander seulement indemnité pour un préju- dice d'une durée de deux ans. Mais l'ancien Directeur fit valoir aux arbitres la légitimité de sa demande. 11 déclara que le principal mobile qui l'avait poussé à entreprendre le voyage de Madagascar, c'était le désir de procurer à la Compagnie d'importants profits et assura qu'il les aurait certainement réalisés s'il avait été secouru. Ces allégations convainquirent les arbitres de la justice de sa cause. Après avoir examiné avec 1. Défense pour Marie de Cussé, p. 11. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 2T/ soin SOS comptes, ils reconnurent qu'il devait rapporter la somme de six mille sept cent cinquante-neuf livres provenant de la vente des cuirs, mais ils lui accordèrent en partie satis- faction sur la question des dommages et intérêts. Par un ju- gement rendu le 18 août 1659, ils condamnèrent les membres de l'ancienne Société à payer intégralement à Flacourt une indemnité de quatorze mille livres, sans préjudice de la vingt- cinquième part qui lui revenait dans les bénéfices, en qualité d'associé'. Les associés n'ayant point voulu s'acquitter des obligations que leur imposait celte sentence, l'ancien Directeur porta l'atraire devant le Conseil du Roi. Son avocat posa comme conclusions que la partie adverse serait contrainte de faire partir immédiatement pour Fort-Dauphin un navire qui ramè- nerait les Français dont le temps de service était écoulé, de consigner entre les mains de son client la, solde qui leur était due, enfin de lui payer solidairement et par corps à litre d'in- demnité la somme de quatorze mille livres, tixée par les arbi- tres. Les associés, d'autre part, déclarèrent qu'ils consentaient à verser cette indemnité, mais à la condition que Flacourt abandonnerait sa vingt-cinquième part dans les bénéfices et qu'il « restituerait tous les titres et papiers concernant ladite Compagnie, les mémoires et conventions faites avec ceux aux- quels il avoit livré l'isle de Madagascar et terres adjacentes ». On devine l'irritation que ces mots injurieux firent naître chez l'ancien gouverneur. Se considérant avec raison comme of- fensé, il en exigea la suppression et réclama l'exécution pleine et entière du jugement rendu par les arbitres. Les maîtres des requêtes Lenain et Lerebours rédigèrent à ce sujet un rap- 1. Défense pour Marie de Cossé, p. 11 et suiv. D'après ua mémoire présenté au GoQseil du Roi par le duc de Mazaria et la duchesse de La Meilleraye, de Flacoui't avait iateuté une nctiou coatre les intéressés de la Compaguie de l'Orient, pour obtenir des dommages et inté- rêts, et les intéressés auraient été condamnés à lui accorder satisfaction (voir Archives coloniales^ Madagascar, carton de la Correspondance générale, année 1663, Mémoire sur l'Affaire de Madagascar au sujet des prétentions des an- ciens intéressés en la Compagnie de Madagascar et, aussi Mémoires de la Mission, t. IX, p. 503). 278 ÉT1E^■^■1•: m. F I.ACOII'.T port qui fui suivi (25 octobre 1659) d'un arrêt contradictoire par loquol la sentence dos arbitres fut homologuée et devait être exécutée selon sa forme et sa teneur'. Après un jugement aussi solennel, les associés ne pou- vaient plus contester à Flacourt la légitimité de ses réclama- tions. Ils demandèrent alors à transiger. Ils lui proposèrent de lui payer, conformément aux arrêts du Conseil du Roi, la somme do 14.000 livres et de plus d'acquitter toutes les dettes qu'il avait contractées pour la Compagnie, de l'indemni- ser de toutes ses dépenses et de retirer toutes les instances « en quelques juridictions qu'elles fussent pendantes » ; mais ils exigèrent qu'il renonçât à la vingt-cinquième partie des bénéfices et qu'il promît de rendre tous les titres et papiers dont il était le dépositaire. Flacourt accepta ces propositions. Les conventions furent fidèlement exécutées de part et d'au- tres. Les associés prirent l'engagement par écrit de verser la somme promise et les intérêts entre les mains de l'ancien gou- verneur, et celui-ci, de son côté, remit à l'un des directeurs de l'ancienne Compagnie, de Beausse, tous les titres et papiers qu'il détenait ^ Cependant, au cours même de son procès avec les associés de l'ancienne Compagnie, Flacourt veillait à ce que l'attention de ses contemporains ne fût point détournée de la colonisa- tion de Madagascar. Il s'entretenait fréquemment de ce sujet avec saint Vincent de Paul, le P. Fermanel, supérieur des Missions étrangères, et d'autres personnes qu'il voyait fré- quemment chez les évoques d'Iléliopoliset de Beyrouth^ C'est cette pensée qui inspirait ses dédicaces à Fouquet. Il le sup- pliait de ne pas renoncer à une entreprise qui avait été com- mencée sous ses auspices. «Monseigneur, lui disait-il, secou- \. Défense pour Marie, de Cossé. p. 12 et suiv. 2. Défense pour Marie de Cossé, p. 13-30. « Le sieur de Beausse, dit Souclui de Renuefort, Hisloire des Indes orien- tales, p. 7., qui avait les Mémoires du feu sieur de Flacourt, son frère utérin, autrefois directeur général à Madagascar. 3. De Brosses, Histoire des navigations australes, 1756, t. I, 1. III, p. 102 et 1619. ou LES ORIGINES DK LA COLONISATION FP.ANr.AISE A MADAGASCAU 279 rez-la (l'ilo), assistoz-la et n'abandonnez pas les advanlages que vous y avez à présent, mais envoyez-y des navires et des François le plus promptement (jae vous pourrez, afin que l'on voye aussi les fleurs de lys arborées en môme temps que la croix, pendant votre ministère et par vos soins dans toute l'estendue de la plus grande isle du monde. Que le zèle que vous m'avez fail paraître par vos lettres ne se refroidisse pas ! Que la mauvaise intention que quelques particuliers ont eue pour en ruiner les progrès, porlez par quelque intérestestran- ger, ne vous face pas désister d'un si généreux dessein, autant noble et glorieux pour Tlionneur do la Frace, comme advau- tageux à la religion clirétienne et à la gloire immortelle d'un si grand nom que le vostre » '. En même temps il employait toute son activité à unir la Société Gazet, placée probablement sous la protection de Fouquot, à l'entreprise du duc de La Meil- leraye. Il était dailleurs aidé dans cette tentative conciliatrice par saint Vincent de Paul qui, ayant déjà envoyé plusieurs missionnaires (entre autres le P. Bourdaise) dans l'île sur les navires du duc, se regardait comme son obligé. On a vu que La Meilleraye n'avait montré aucune complai- sance à l'égard do Gazet au moment du départ d'un de ses navires pour Madagascar. De tels procédés n'étaient pas de nature à lui attirer les sympathies des membres de la nou- velle Compagnie. Cependant, au commencement de l'année 1658, à l'instigation de saint Vincent de Paul et par son inter- médiaire, il entama de nouvelles négociations avec son Direc- teur et le premier président Lamoignon, lui-même associé de cette Compagnie. Une combinaison, qui semblait devoir donner satisfaction aux deux parties, fut mise en avant en présence de La Meilleraye, Gazet et Lamoignon. Mais le Maréchal, s'élant vu poser par l'un des associés une question indiscrète, rejeta cette combinaison. De part et d'autre on se prépara ensuite à envoyer un navire à Madagascar. Une grande partie de l'année 1659 fut consa- 1. Dédicaco à Foiiquet, éd. 1661. 280 ETIENNE DE FLACOUUT crée à ces préparatifs, mais la nouvelle Gompagriie fut pendant longtemps incorlaino sur l'époque à laquelle elle entrepren- drait ce voyag-o.Pleind'ardeur pour l'expansion des œuvres de charité, saint Vincent de l*aul cherchait à savoir de Flacourt, qui se trouvait alors à Rouen, quelles étaient les intentions des associés à ce sujet. « Notre frère Etienne, lui écrivait-il (18 août 1659), se dispose à prendre les saints ordres pour les aller exercer à Madagascar, s'il plaît à Dieu. L'intendant de M. le Maréchal dit que le vaisseau de ce bon seigneur partira le 24 d'octobre. J'espère en avoir des nouvelles dans peu, au cas qu'il ait agréable que nous soyons du voyage, sinon que ferons-nous? Pensez-vous, Monsieur, que messieurs de la Compagnie fassent le leur? Travaillent-ils àfairelcleur? Serez-vous de la partie ? En ce cas quand sera-ce ? Je vais bien avant et peut-être trop. Il me suffira que vous me disiez seulement ce qui se peut dire sans rompre le secret et rien si vous l'avez agréable '. » Toutefois les négociations reprirent au milieu de ces pré- paratifs. La Meilleraye pria saint Vincent de Paul (24 no- vembre 1659) de soumettre aux associés de la nouvelle Com- pagnie un nouveau plan d'accommodement destiné à mettre fin à toute contestation : il proposait de faire converger les ressources communes vers le même but. Saint Vincent remit à Cazet le mémoire rédigé à ce sujet par le Maréchal, mé- moire que lui avait communiqué un autre intermédiaire, le P. Etienne. Le Directeur en prit connaissance et exprima d'abord le regret que La Meilleraye n'eût pas accepté la pro- position qui lui avait été faite récemment. Puis il chargea Vincent de Paul de lui laisser entendre que, s'il consentait à reprendre les mêmes moyens d'accommodement et à prier le premier Président d'achever cette affaire, la Compagnie se montrerait disposée à entrer de nouveau en négociations. Mais il ajouta qu'elle était bien résolue à revendiquer ses 1. Lottre de saint Viuceot de Paul à M. de Flacourt à Rouen, Paris, 18 août ItJ.'i'J (Lellfes (le saint Vincent de Paiii, édit. Duniouliu, t. IV, p. 433 et 434). ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 281 droits avec fermeté, sans toutefois manquer au respect qu'elle , devait au Maréchal. Pendant que ces négociations se poursuivaient, La Moilie- raye se trouvait en procès avec les anciens associés qui lui reprochaient ses empiétements sur leurs droits. Ils avaient porté leur différend devant le jug-e de l'Amirauté, accusant le duc de s'être emparé de la colonie par la violence et d'en avoir chassé Flacourt et ses subordonnés. Ce récit mensonger et une prétendue assig^nation firent condamner La Meilleraye, s'il faut en croire l'avocat Lordelot, à leur laisser la libre jouissance de l'île, à leur payer des dommages et intérêts et à leur restituer tout ce qu'ils lui reprochaient d'avoir pris à Fort-Dauphin. Cette condamnation n'émut g^uère le duc qui, au mois de décembre suivant (1639) n'en envoya pas moins un nouveau navire à Madagascar. C'est alors que les associés de la nou- velle Compagnie, poussés sans doute par Fouquet qui venait de se brouiller avec La Meilleraye, et l'accusait d'avoir voulu empiéter sur les privilèges de la Société de l'Orient, et cédant aux instances de Flacourt qui, de concert avec saint Vincent de Paul, avait abandonné le parti du Maréchal pour prendre celui de Cazet, se décidèrent aussi à faire partir un navire pour essayer d'y maintenir les droits et privilèges que leur avait conférés le Roi et pour obéir aux obligations que leur avait imposées l'ordonnance de 1656*. L'accord qui était sur- venu récemment entre Flacourt et les membres de la Compa- gnie de l'Orient, sa qualité d'associé de la nouvelle Compa- gnie,, sa probité et son intelligence, et surtout l'expérience 1. C'est à tort qu'où a prétendu que la Compagnie s'était unie avec La Meil- leraye. « Eu 1660, la Compagnie, s'étaut accordée avec M. de La Meilleraye, envoya un vaisseau qui périt dans un combat avec les Algériens » (Morellet, Dicl. de l' Encyclopédie mélhodique, t. I, p. 560). Bouassieux a repris cette opinion : « La Compagnie, dit-il, lui prêta certain secours eu échange des droits qu'il lui rétrocéda. Il conservait cepeudant la principale part de propriété et d'administration de l'île ou du moins de l'in- fime partie de File occupée par les Français ». Nous n'avous trouvé aucun texte qui vienne à l'appui de ces deux assertions [Les grandes Compagnies de commerce, loc. cit., p. 258 et suiv.). 282 KTIFAM-; DE FLACOllRT qu'il avait acquise, les excellentes inlontions qu'il avait mani- festées dans son remarquable plan de colonisation, enfin ses bonnes relations avec Fouquet et Louis XIV les déterminèrent à lui confier la mission d'aller administrer de nouveau la co- lonie'. Un nouveau contrat fut passé entre Flacourt et la Compa- gnie. On lui promit des appointements mensuels de deux cents livres. Huit jours avant son dépari, d2 mai 1660, il reçut de Louis XIV des lettres patentes qui lui accordaient le gou- vernement de Madagascar. Ces lettres le chargeaient de veil- ler à toutes les choses qui pourraient concerner le service de Dieu et du Roi, ainsi que les intérêts de la Compagnie, et lui confiaient la garde de cette île et des îles adjacentes. Pour lui permettre de s'acquitter plus facilement de cette charge on lui donnait des pouvoirs très étendus. On plaçait sous son au- torité les indigènes et les gens de guerre et colons qui se trouvaient dans la colonie ou pourraient y venir plus tard. C'est à lui qu'était réservé le soin d'entretenir l'union et la concorde parmi les habitants, de maintenir les gens de guerre dans l'ordre, de juger les différends qui surviendraient entre eux, de faire punir les délinquants suivant les ordonnances royales, de développer le commerce et le trafic dans l'île au profit de la Compagnie; en un mot, il avait le pouvoir de faire tout ce qu'il jugerait nécessaire pour maintenir le pays sous l'obéissance du roi et servir les intérêts de la Compa- gnie ^ N'est-ce pas lace qu'avait réclamé Flacourt pour le futur gouverneur dans son plan de colonisation? Il est permis de se demander si, à la veille de se rendre à Madagascar pour la seconde fois, Flacourt avait les mêmes 1. Fouquet, Défense, VII, p. 144, 150 ; 197, t. VIII, p. 52; Mémoires de la Mission, t. IX, p. ;!G6, 380, 386 ; Lettres de saint i inccnt de Paul, Paris, Du- moulin, 1880, t. IV, p. 6 et suiv., 343. 375, 443. 487, 49(3, éd. 1891 ; VI, 183; VII, 443, 487, 496; VIll, 182, 198; brochure. Éloge de Flacourt; Charpentier, lielat., p. 29 et suiv. ; Biblioth. nat., Manuscr. f. fr., u° 6231, Mémoire sur la Compagnie des Indes de 1642 à 1720, fol. 1 ; Défense pour Marie de Cossé, factum, p. 14 et suiv. 2. Défense pour Marie de Cossé ;Du FYesue de Franche ville, Histoire géné- rales des Finances, Compagnie des Indes, 1738, Pièces justificatives. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 283 idées et les mêmes projets qu'à son premier voyage. Il est cer- tain qu'il y allait cette fois avec des vues arrêtées et surtout plus personnelles. Il est probable aussi que les difficultés de toute sorte qu'il avait eues avec les associés dès son retour l'avaient éclairé et lui avaient fait comprendre la nécessité de consacrer principalement ses efforts à préparer la prospérité des établissements coloniaux. Désig-né de nouveau pour l'ex- ploitation de la grande île, il se proposait sans doute d'y faire des plantations, d'y rechercher tout ce qu'il pouvait y avoir profit à transporter en France, et d'y développer les rela- tions commerciales. Toutefois nous sommes fondé à croire qu^il n'avait pas complètement abandonné ses idées de con- quête. N'écrivait-il pas en 1657 que deux cents Français seu- lement suffiraient « pour conquérir de deçà le tiers de toute l'île »? Il n'avait 'pas davantage renoncé à ses projets de pro- sélytisme. Il se préoccupait encore de l'éducation religieuse et de la conversion des naturels. Il avait répété trop souvent, depuis son retour en France, que les progrès de la religion devaient être le premier but de la colonisation pour qu'on pût le croire désireux de se dérober aux obligations dévotes qu'on imposait encore aux Compagnies. En un mot, Flacourt aspirait encore à la conquête religieuse et matérielle de la grande terre. « Envoyez-y des navires et des François le plus promptement que vous pourrez, disait-il à Fouquet, afin que l'on voye aussi les fleurs de lys arborées en même temps que la croix pendant votre ministère et par vos soins dans toute l'étendue de la plus grande isie du monde ». Il espérait qu'avec un effectif de cinq cents hommes on pourrait en rendre toutes les peuplades souples, obéissantes et tributaires. C'est que Flacourt avait toujours à cœur de plaire à Fouquet et au Roi. Les éloges que lui prodiguent les lettres patentes prouvent qu'il avait su gagner les faveurs et l'estime de la Cour. 11 n'est donc pas téméraire de supposer que son plus vif désir était de les conserver et peut-être même de s'attirer de nouvelles louanges par d'autres conquêtes. Enfin il est probable que celui qui voyait dans les Malgaches des gens « qu'il faut mener 284 ETIENNE DE FLACOURT par la rigueur et qu'il faut chastier sans pardon, tant grands que petits » n'était guère disposé à se départir de la politique compressive qu'il avait suivie jadis*. Flacourl s'embarqua à Dieppe le 20 mai 1660. 11 emmenait à Fort-Dauphin plusieurs missionnaires appartenant à l'ordre des Recollets et environ deux cents personnes, tant marins que soldais et passagers destinés à assurer la sécurité de la colonie et à augmenter le nombre des colons. D'après un contempo- rain, beaucoup de ceux qui devaient l'accompagner manifes- tèrent la joie qu'ils éprouvaient de voir l'ancien gouverneur à leur tête, mais le choix de Flacourt n'avait pas satisfait tout le monde. Il s'était môme élevé à ce sujet de tels dissentiments, de telles protestations, qu'au moment de l'embarquement des religieux avaient songé à différer leur départ. Le mauvais temps contraignit le capitaine du navire à relâ- cher dans un port d'Angleterre d'où on ne leva l'ancre que le 4" juin. Ce contre-temps était pour la flottille, le prélude d'événements plus déplorables encore. Si elle fut épargnée par la tempête, elle se heurta à un ennemi non moins redoutable. Le 10 juin, à la hauteur de Lisbonne, elle fut attaquée par trois frégates commandées par des pirates barbaresques. On se disposait à leur opposer une résistance énergique, lorsque le feu prit aux poudres et fit sauter le navire. Beaucoup de gens périrent, à l'exception seulement de dix-sept personnes, matelots et passagers, qui furent sauvées par les corsaires et emmenées comme esclaves à Alger. Telle fut l'issue de ce se- cond voyage qui, commencé sous de fâcheux auspices, devait coûter la vie à tant de personnes et notamment à Etienne de Flacourt^ 1. Flacourt, éd. 1658, p. 142, 323; éd. IGGl, Dédicace, p. 83 et 84, p. 447 et suiv. 2. Brocbure, Éloge de Flacourt ; Charpeutier, Relation, p. 29 et suiv. ; Lor- delot, Défense pour Marie de Cossé, p. 16; Du Fresue de Franchevilln, loc. cil., p. 21 et suiv. CÏTAPITRE 11 L.'oeuvre colonisatrice de Flaeourt. iQSLiffisaace absolue du gouverufimeut de Flacourt au point de vue agricole. — Médiocrité des profits de la Coinpaguie. — La coloaisatioa religieuse. — Résultats avantageux au point de vue territorial dus aux expéditions des lieutenants de Flacourt et à sa persévérance. — Conséquences du sys- tème d'intimidation du gouverneur. — Appréciation générale. Nous avons suivi le célèbre gouverneur dans les différentes péripéties de son existence, soit à Madagascar, soit en France. Nous avons pu constater qu'il l'avait consacrée presque tout entière à nous faire connaître et apprécier la grande île afri- caine et surtout à nous la conquérir, et que, s'il n'avait pas trouvé la mort dans le pays qui avait été le théâtre de ses conquêtes et le champ de ses observations, il n'en avait pas moins péri au moment même oij il s'y rendait pour la seconde fois. 11 ne reste plus qu'à examiner l'œuvre d'une vie si agitée et à lui assigner un rang parmi celles des autres colonisa- teurs. On chercherait vainement dans la relation de notre vieil auteur et dans les relations des siècles suivants les bons ré- sultats que son gouvernement a amenés au point de vue agri- cole. Avoir envoyé à Bourbon des bestiaux qui devaient être la souche des nombreux troupeaux qui sont aujourd'hui une dos principales richesses de cette île, avoir planté la vigne à Fort- Dauphin et fait cultiver quelques rizières aux environs, ce sont là sans doute des actes qu'il serait injuste de passer sous silence, mais qui paraissent bien insuffisants de la part d'un homme qui avait été désigné pour tirer parti des ressources du pays. Des terres dévastées, des récoltes brûlées, des vil- lages incendiés, des troupeaux dispersés, voilà, à vrai dire, 28fi - KTIF.NNE DE l-I,AC,()lir,î les résulLal.s les plus clairs auxquels il avait abouti '. Et ce qui est plus triste à constater, c'est que, loin d'encourager les habitants à la culture de leurs terres, loin d'y multiplier les plantations, il a laissé les contrées oti ses gens avaient été en expédition dans la plus profonde misère et en proie à lafamine. Le P, Bourdaiso rapporte que dès son arrivée à Itapère (1655) il fut très surpris -de voir cette côte d'Anossi, autrefois si peuplée, complètement déserte. Il vint toutefois deux indi- gènes. « Ces pauvres gens, nous raconte en termes émus le missionnaire, ne s'approchèrent de la chaloupe qu'en tremblant et refusèrent de se rendre à l'invitation qu'on leur faisait d'y entrer. Cependant cédant aux pressantes sollicita- tions, appuyées sur les promesses les plus formelles qu'on ne leur ferait aucun mal, ils finirent par se laisser embarquer et conduire au navire... Les voilà introduits par M. de La Forest. Il en eut compassion et tous les passagers aussi en les voyant si maigres et si défigurés. C'étaient le mari et la femme. Quand on leur eut désigné le commandant, ils se jetèrent à terre pour implorer sa bienveillance et ils dirent que le pays était complètement ruiné, que toutes les habitations étaient incendiées, que leurs parents avaient péri par le feu, et qu'ils n'avaient plus rien à manger... ». Et ils ajoutèrent : « Il y a bien des années que les Français nous font la guerre ; tous les nègres, abandonnant le pays, où ils s'établissent, se sontenfuis sur les montagnes et là meurent de faim. Un grand nombre ont déjà succombé » *. Le témoignage du P. Bourdaise confirme d'ailleurs la sincérité des plaintes de ces indigènes : « Il y a en ce moment, écrivait il à saint Vincent, une grande famine, et nous craignons pour la récolte du riz. Je voudrais que vous vissiez la misère de ces pauvres Indiens; ils mangent jusqu'à rherbe crue comme les bêtes. On voit souvent les petits en- 1. l'^lacourl, éd. 1(i()l, p. liiO el 128; Guet, Les origines de la co/onisaiion à Bourbon., 116, Pouget de Saiut-Audré, Correspo7idance médite du comte de Maudaoe, p. 12. 2. Mémoires de la Mission, t. IX, p. ^90 : Letlic du P. Bourdaise à saiut Viuceut de Paul, 8 féviier 1655. ou LES ORir.lMvS m: I.A CltLOMSATION Fr.ANr.AlSK A .MADAr.ASCAU 281 faiils qui op.l faim niaiiL;er du sable ; c'csl uii itisliiict de la nature qui les y pousse, pour que les viscères ne se rétré- cissent pas '. M Quant à la Compagnie, elle avait recueilli peu de profits de l'administration de Flacourt. Sans doute le vaisseau qui était revenu en France en 1650 avait rapporté environ dix-huit tonneaux de bois de santal, une certaine quantité de cire, de gomme et d'aloès, trois mille trois cents cuirs % et le gouver- neur avait pu reprocher non sans raison aux associés de n'a- voir envoyé aucun navireàFort-Dauphin, depuis cette époque, pour prendre d'autres produits qu'on avait amassés. Mais vraisemblablement, si la Compagnie avait fait cette dépense, elle n'en aurait pas accru beaucoup. plus ses dividendes, car la guerre avait entravé l'exploitation des ressources du pays. Flacourt n'a-t-il pas avoué lui-même que « sans la guerre et s'il y eust eu un bon establissement de François l'on eust pu avec le temps tous les ans charger un grand navire de poivre blanc qui abonde dans l'île ' » ? L'infériorité de l'œuvre com-. merciale et agricole de l'ancien gouverneur apparaît encore plus nettement lorsqu'on la compare à celle des colonisateurs de son siècle ou du siècle suivant. Combien plus pratique fut l'œuvre de Champlain qui fit défricher des terres, fonda des établissements commerciaux, des centres de groupement colonial et laissa à sa mort la colonie française du (Canada en bonne voie de prospérité ; celle de Frontenac dont un des principaux mérites fut de ranimer le commerce au moment où il tendait à disparaître ; celle d'André Brue au Sénégal qui, non content de fonder des comptoirs, d'ouvrir des débouchés, ac- croîtra les recettes de la Compagnie dont il avait la direction de sept mille deux cent trente-neuf livres ! Combien plus fruc- tueuses seront au siècle suivant les entreprises de Dupleix sous l'administration duquel le commerce français s'étendra dans 1. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 230, et suiv. 2. Du Fresue de Fraocheville, Histoire ijéne'rale des Finances, Compagnie des Indes, p. 20. 3. Flacourt, éd. 1661, p. 125. 288 KÏIENM': DE rLACOUHT tout le bassin du Gang^e el la valeur des exportations en France s'élèvera à vingt-qualre millions, et du célèbre \\e- niowsky qui, au bout de deux ans de séjour à Madag^ascar, aura la satisfaction de voir les alïaires de la Compagnie se régler par trois cent quarante mille livres de bénéfice ' ! La colonisation religieuse avait sans doute abouti à de meilleurs résultats, mais cela, grâce au zèle et à la mansué- tude du P. Nacquart et en dépit du système d'intimidation de Flacourt. Soixante-sept indigènes, parmi lesquels le fils aîné d'Andrian Macbicore qui vint plus tard en France, avaient reçu le baptême. Cinq des nouveaux convertis avaient même été mariés suivant les rites du culte catholique. Mais depuis la mort du P. Nacquart jusqu'au départ deFlacourt, la colonie resta sans prêtre et il ne semble pas que les tentatives de prosélytisme du gouverneur aient amené de nouvelles conver- sions*. Beaucoup pluscivilisatrice fut l'œuvre de Champlain, qui initia au christianisme de nombreuses peuplades sauvages, livrées au plus triste abrutissement et qui, par sa bonté, sa droiture, sa loyauté, par la confiance qu'il leur inspirait, leur apprit à mieux apprécier la France. Flacourt n'a même pas eu le mérite de faire disparaître de l'île quelques coutumes bar- bares auxquelles les Malgaches étaient adonnés depuis fort longtemps. A vrai dire, les résultats les plus importants de la tentative de Flacourt étaient dus à ses expéditions et à ses conquêtes, ou plutôt à celles qui avaient été entreprises par ses ordres. Une grande partie de la côte orientale depuis Fort-Dauphin 1. Cousulter Berlioux, thèse sur Atidi'e Brue, passim ; iVo/ice.9 coloniales, Colonies d'Afrique, Sénégal el Rivière du Sud, p. 10; Biographie Didol, ar- ticle Dupleix; La Nouvelle Revue, ma'i-imn, 1884, p. 538 et 54(i ; Pauliat, Revue maritime et coloniale, Histoire de la Compagnie française des Indes par Do- neaud du Plan, t. CI, juin 1889, p. S36; Lorin, Le comle de Frontenac, thèse, p. 307 ; L. Audiat, Samuel de Champlain, Saiutes, 1893, ia-8, p. 26 et 29 ; Park- mau, Les Pioniv'ers français dans l'Amérique du Nord, trad. fr., Paris, 1874, in-12. 2. Flacourt, éd. 1(161, Dédicace à Fouquet et p. 53, p. 376. Mémoires de la Mission, t. IX, p. 208 : Lettre du P. Monuier au maréchal de La Aleilleraye, 6 février 1656. ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAC.ASCAR 2SÔ jusqu'à la baie d'Antongil, ainsi que l'île Sainte-Mario et di- verses contrées de l'intérieur, avaient été reconnues par ses soins. Ces expéditions ont renouvelé et consacré les droits de la France sur le sud et l'est de Madagascar, droits incontesta- bles dont l'origine remontait à la première occupation de Pronis et aux voyages de ses colons. C'est Flacourt qui, le premier, a constaté et confirmé ces droits de première occu- pation dans toute leur étendue et dans toute leur authenticité. C'est lui qui a appris à ses compatriotes qu'ils ne devaient pas être restreints à quelques points de la côle orientale ei qu'ils s'étendaient à plusieurs contrées du sud et de l'intérieur. Il serait certes exagéré de prétendre que le gouverneur de Fort-Dauphin a doté la France de la grande île de l'océan In- dien; mais il serait injuste, par contre, de méconnaître les quelques résultats avantageux dus à la longue lutte qu'il avait soutenue contre les indigènes. Non seulement Flacourt a con- servé à Louis XIV les territoires dont Pronis avait pris pos- session (Sainte-Luce, Fort-Dauphin, etc.), et quelques éta- blissements que les Français avaient fondés au pays de Ma- tatane et des Antavares, mais il a obtenu la soumission de toutes les peuplades du sud-est de Madagascar et conquis tout le pays d'Anossi. A la fin de la guerre, comme on l'a vu, un grand nombre de maîtres de villages avaient juré obéissance au roi de France et s'étaient engagés à payer tribut au vain- queur. Certes, ces résultats paraissent médiocres, si on les com- pare aux résultats obtenus par les conquérants du xvi% ou les célèbres colonisateurs des xvii* et xviii^ siècles. Les territoires que Flacourt avait conquis à la France étaient loin d'avoir l'étendue et la richesse des empires que les Cortez et les Pizarre avaient donnés à l'Espagne. De même, ces territoires pouvaient sembler aux contemporains d'une mince impor- tance, en regard des vastes domaines que Samuel Champlain venait de léguer à son pays. Est-il besoin enfin d'opposer la conquête de la province d'Anossi à celle d'une grande partie de rinde par l'illustre patriote du siècle suivant, Dupleix? 19 290 KTII:NNK I)K l'LAf'.Oir.T Mais la possession d'un pays aussi fertile ne valait-elle pas les acquisitions du Portugais Alvarez Cabrai sur la cùle du Brésil, celles des du Plessis, du Poincy, etc., aux Antilles? Les contrées qu'André Brue occupera plus tard au Sénégal mériteront-elles plus que la pointe sud-est de Madagascar d'exciter les convoitises des Européens? Les dix lieues car- rées que Maudave obtiendra des Malgaches seront-elles plus appréciables '? Par malheur ce n'étaient là que des succès éphémères. La soumission des naturels n'était que temporaire. Ils devaient chercher bientôt l'occasion d'assouvir leurs secrets désirs de vengeance. Si Ton ne doit point considérer l'incendie de Fort- Dauphin, qui survint peu de temps après le départ de Fia- court, comme une preuve manifeste de leurs mauvaises inten- tions, mais comme un événement purement fortuit*, il n'en est pas moins vrai que les représailles commencèrent presque aussitôt après la mort de Pronis. qui semble avoir consacré sa seconde administration à réparer ses premiers torts. Et certes, les attaques que subit la colonie ne furent pas moins rudes que celles de l'époque précédente. Andrian Panolahé souleva les peuplades contre les Français et ourdit plus de complots que jamais. Quatre ou cinq villages voisins du Fort- Dauphin firent cause commune avec les rebelles qui se livrè- rent à dos incursions continuelles dans le pays conquis par Flacourt et massacrèrent impitoyablement tous ceux qui se refusaient à les suivre dans leur rébellion. On finit, il est vrai, par s'emparer de la personne de Panolahé. Mais peu de temps après, un autre chef des rebelles occupa la campagne avec deux cents indigènes, semant partout la terreur, de telle sorte qu'il y eut moins de sécurité que jamais pour les colons qui s'aventuréiient sans escorte dans les environs du Fort. Despériers, un des officiers français qui étaient venus ré- cemment dans l'île par le navire du duc de La Meilleraye et 1. ?a.u\\a.t,fM Noi/Dclle Revue : Madariaxrav, mai-juin 1884. 2. Mémoires de la Mission : Lettres du P. BourJaisc à La Meilleraye, t. IX, p 228 et 229. ou LES OIKCI.NES DE LA COLOMSATIU-N EUANr.AlSE A MADAGASCAR 2'Jl qui avait pris la direction de la colonie à la mort de Pronis, fit marcher contre cette troupe et les gens de la vallée d'Amboule qui avaient pris parti pour son chef, douze cents Malgaches, commandés par quarante Français. Ce déploiement de forces obligea les rebelles à se retirer dans les bois. Il n'en fallut pas moins observer la plus grande prudence, et ceux qui négli- gèrent les recommandations qu'on leur fit à cet égard payèrent la plupart du temps leur témérité de leur vie. C'est ainsi qu'un Français nommé Grandchamps, ayant été assez mal avisé pour s'en aller seul dans un village ennemi, fut égorgé par les na- turels, qui portèrent sa tête à Andrian Tserong, devenu, depuis la mort de Ramach, le chef le plus puissant de la province d'Anossi*. Il est incontestable d'ailleurs que les chefs des Français ne se sont pas efforcés d'épargner aux vaincus de nouveaux sujets d'irritation. Témoin ce commandant de La Forest qui ordonnait à ses gens de massacrer quelques chefs indigènes et leurs femmes, dont le seul crime consistait à ne lui avoir point apporté de cristal de roche. Cet acte odieux devait d'ailleurs recevoir son châtiment. Le commandant fut attiré peu de jours après dans un guet-apens où il périt avec cinq soldats qui formaient son escorte. Le gouverneur apprit cette nouvelle du lieutenant Belleville. Per- suadé qu'il fallait voir dans cet assassinat l'œuvre des grands d'Anossi, il ordonna d'en arrêter plusieurs avec leurs familles, entre autres Andrian Machicore. En vain, ces chefs protes- tèrent-ils^de leur innocence, Despériers les fit tuer par ses gens à coups de sagaies après avoir pillé et brûlé leurs cases et les avoir obligés à recevoir le baptême'. Un Français, marié à la fille d'un maître de village et soupçonné pour cela d'exciter les indigènes à la révolte, subit le même sort. Ces atrocités terrorisèrent les autres chefs du pays et les maintinrent pendant quelque temps en respect, mais le suc- 1. Lettre du P. Bourdaise à saiut Vinceut de Paul, 19 février 1637 {Mémoi- res de la Mission, t. IX, p. 287 et 288). 2. Flacourt, éd. 1661, p. iig, ;:ij; Mémoires de fa Mission : Letttre du P. Bourdaise, 10 février 1636, L. IX, p. 239 et siiiv. âJ2 KtlK.NNK IK l'I.ACOlir.t cosseiir de Despériers, Chaiiiargou, qui était venu à Fort- Dauphin par lo naviri' de La Roche Saint-Au(h'é, ayant usé du sysiéme d'inliinichiLiou de Flacourt, multiplié les razzias, les pillages et les massacres, provoqua de nouveaux niécon- tenlemenls cl de nouvelles représailles». Cette fois, les indi- gènes employèrent la ruse. Andrian Manangha ht semblant de se ranger du côté des Français et, pour mieux les persuader de la sincérité de ses intentions, il demanda à recevoir le bap- tême. C'est de cette manière qu'il parvint à attirer dans une embuscade et à assassiner le P. Etienne, missionnaire qui avait accompagné Chamargou dans son voyagea Madagascar*. Ce ne fut pas d'ailleurs le seul acte de vengeance que com- mirent les naturels. Il fut suivi bientôt du massacre de qua- rante Français qui furent surpris au moment où ils étaient occupés à couper de la canne à sucre. La situation s'aggrava à ce point que les colons, cernés de tous côtés, étaient sur le point de tomber entre les mains de leurs ennemis, lorsqu'ils reçurent un secours tout à fait inat- tendu d'un de leurs compatriotes, Lacase, qui, venu dans l'île quelques années auparavant, avait su se concilier les bonnes grâces d'un chef puissant et avait épousé sa fille. Grâce à son énergie, à sa bravoure et à ses alliances, ils purent ré- sister aux attaques des Malgaches et même soumettre de nouveau le pays d'Anossi à l'autorité de la France. Mais la générosité et la bravoure de Lacase le rendirent si populaire parmi les Français et les insulaires que Chamargou en conçut une vive jalousie et tenta de le faire périr. Informé de ce qui se méditait contre lui, Lacase se réfugia dans l'intérieur des terres avec une petite troupe ^ Après son départ les indigènes ne se montrèrent que plus hostiles à l'occupation de leur pays par les Français, et leurs sentiments malveillants à l'égard de leurs vainqueurs se manifestèrent pendant toute la seconde moitié du xvii» siècle. 1. Mémoires delà Mission : Lettre du P. Bourdaisc, t. IX, p. 321. 2. Charpentier, Relation, ouvr. cité, p. 32, 33; Deschamps, Histoire et géo- graphie de Madagascar, Paris, 1884, p. 56 et 57. 3. Biographie Michaud, article Lacase. ou LES ORIGINES DE LA COLOMSATION FRANiUISE A MADAGASCAR 203 Il est donc évident que Flacourt n'avait guère mieux réussi que Pronis dans son entreprise. Sans doute il a conquis plus de territoires, il a mieux compris les intérêts de la colonie et de la Compagnie, il a plus encouragé l'œuvre de l'initialion religieuse ; mais personnellement il n'a pas fait avancer beau- coup plus Tœuvre de la colonisation proprement dite et de la civilisation. En réalité, il n'a entrepris que la conquête matérielle du pays, celle qui laisse aux vaincus le désir de la vengeance ; il a laissé à d'autres le soin d'entreprendre la con- quête morale, celle qui à la haine substitue dans l'ùme du vaincu, la sympathie, l'estime pour le vainqueur. Il s'est préoccupé de se procurer du butin et non d'y multiplier les plantations ou de montrer aux indigènes les avantages de rindustrie européenne. De même, il a fait œuvre de guerrier plutôt que de commerçant. Sa pensée principale pendant les sept ans qu'il est resté dans l'île a été de se distinguer par des exploits et non d'augmenter l'influence de la France à Madagascar par la civilisation et le commerce. Et non seule- ment il n'a rien fondé de grand, mais il n'a rien fondé de du- rable. On peut même lui reprocher d'avoir compromis les ten- tatives ultérieures en rendant les Malgaches du sud-est plus hostiles aux Français. Si Paulo Rodriguez da Costa et Pronis avaient rendu sa lâche plus difficile par leurs violences ou leur perfidie, il a, à son tour, par son système d'intimidation entraîné des malheurs dont il doit en partie, comme quel- ques-uns de ses successeurs, Despériers, Chamargou et autres, porter la responsabilité. S'il a eu le mérite de créer en France un courant d'idées favorables à la colonisation de Madagascar, il n'en a pas moins contribué à l'échec des tentatives que fit l'ilkislre Colbert, pendant la seconde moitié du xvii® siècle, pour maintenir nos droits et notre influence dans le sud de l'île. CONCLUSION I. L"administrateur colonial. — Parti qu'il aurait pu tirer de la situation. — Les circountaucc's atti^nuanles. — Mérites qu'on 'ne peut lui refuser. — Son raniT parmi les colooisateurs et les explorateurs. II. L'auteur de l'Histoire de la grande isle de Madagascar. — Valeur in- triusèquc de sou ouvrage, sa valeur par comparaison avec les relations de l'époque précédente, de l'époque contemporaine et de l'époque suivante. Administrateur, représentant des intérêts français dans l'océan Indien, Etienne de Flacourt apparaît aune époque oii Richelieu venait d'attirer l'attention sur les entreprises com- merciales et maritimes en accordant des privilèges à la Com- pagnie de l'Orient, où la régente Anne d'Autriche, s'efforçait de continuer par l'intermédiaire de son conseiller Fouquet Tœuvre commencée par l'illustre ministre de Louis XIII, mais où Colbert n'avait pas encore donné aux colonies l'impulsion et l'organisation qui devaient leur apporter de nouveaux principes de vie. 11 vivait en un temps où les Compagnies, malgré les instructions du gouvernement, se préoccupaient moins d'acquérir de nouveaux territoires et d'y implanter le christianisme et la civilisation que de s'enrichir. Le Directeur général de la Compagnie organisée par Ri- gault était envoyé à Madagascar pour y développer les germes d'une colonie fondée par les Français dans le sud de ce vaste pays que les Portugais etleSxAnglais avaient délaissé pour les Indes et pour en exploiter les ressources. Or, il prenait la suc- cession de Pronis à un moment où la situation d'un gouver- neur était devenue vis-à-vis des indigènes très délicate, très difficile. Les peuplades malgaches ne répugnaient, ni par leur organisation sociale, ni par leur religion, à subir Tinfluence LES OlUGINKS DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MAI) \(;ASGAI{ 29:i civilisatrice d'une autre race, et ron pouvait encore espérer, en dépit de l'attachement qu'elles montraient pour les cou- tumes de leurs ancêtres, les convertir au catholicisme et les initier à l'agriculture, à l'industrie, au commerce, aux bien- faits de la civilisation européenne, mais elles étaient devenues méfiantes et farouches. Les fautes récentes de Pronis récla- maient un homme plein de tact qui s'efforçât par sa modéra- tion, sa bienveillance et sa douceur d'en effacer les traces. Or non seulement Flacourt manquait de ces qualités, mais les eùt-il possédées qu'il n'en eût probablement pas fait usage, car avec beaucoup de ses prédécesseurs et avec un certain nombre de ses contemporains il croyait que, pour arriver à dominer un pays, il était nécessaire de tenir ses habitants sous un joug- de fer. On comprend dès lors pourquoi le nou- veau g-ouverneurn'a point conformé sa conduite à la situation qui lui était faite et à ses moyens d'exécution. L'idée ne semble même pas lui être venue d'employer ses efforts à dissiper les préventions des indigènes contre les Européens, et surtout contre les Français. Une telle politique était cependant prati- cable, ainsi qu'en témoignent les résultats auxquels est parvenu quelques années plus tard, en dépit des triste? souvenirs laissés dans la province d'Anossi par le gouvernement de Pronis et de Flacourt, un simple aventurier français^ Lacase. No lui était-il pas permis, comme à ce dernier, de nouer de bonnes relations avec les peuplades voisines de Fort-Dauphin et de se les attacher par des traités de paix? iNe lui était-il pas permis, comme à ce même Lacase, de rechercher l'amitié d'un chef puissant de la contrée? Au lieu de se poser en justicier, de prendre une part directe aux démêlés des chefs malgaches, de soutenir celui-ci contre celui-là, et s'exposer par suite à se brouiller avec tous, n'était-il pas préférable de répondre sincè- rement aux avances de Tserong et de Machicore, et surtout de gagner la confiance du roi d'Anossi, Andrian Ramach, par une attitude toute différente de celle des Portugais et de Pronis, par une conduite juste et loyale envers ses sujets, en s'abste- nant de moyens perfides et violents, en ménageant la juste 296 ETIENNE DF, FLACOURT susceptibilité, la fierté et l'esprit d'indépendance de ce chef? Andrian Ramach, qui était intelligent, aurait reconnu qu'il n'avait plus aiïaire à des forbans, mais à des gens civilisés. On est fondé à croire que, ramené à de meilleurs sentiments, il n'aurait plus interdit aux habitants de son territoire d'ap- porter des vivres à Fort-Dauphin et de se livrer au trafic avec les Français. Les autres chefs, on pouvait aussi l'espérer, auraient imité son exemple. Alors combien la lâche de Fia- court eût été plus facile! Il aurait pu faire des indigènes des auxiliaires pour nos colons et des acheteurs pour nos produits, et même les initier au bien-être, aux avantages de l'agricul- ture et de l'industrie, aux bienfaits de la civilisation, les tournera la production et au commerce avec d'autant plus de profit qu'il leur aurait permis de s'adonner en toute sécurité à leurs occupations quotidiennes. C'est ainsi qu'il aurait efficacement servi les intérêts de la Compagnie et les siens, car, outre le profit personnel qu'il en aurait retiré, il aurait pu, sûr de l'amitié de son plus proche voisin, étudier plus à son aise les mœurs des naturels, et ses gens n'étant plus obligés de guerroyer pour se procurer du butin, auraient rencontré moins d'obstacles pour pénétrer dans l'intérieur des terres. Il est permis de croire que, dans de telles conditions, les explorations ou les observations de Fia- court et de ses subordonnés eussent été plus fructueuses encore. Une alliance avec le roi d'Anossi n'offrait pas moins d'avan- tages au point de vue de la colonisation religieuse. On sait les dispositions que montraient les naturels à em- brasser le christianisme et les bonnes relations que le P. Nac- quart, grâce à sa mansuétude et à son habileté, avait réussi à entretenir avec eux et leur chef. Si Flacourt n'avait pas voulu assurer le règne de la religion catholique à la mode por- tugaise, s'il n'avait pas eu recours à des moyens différents de son pieux auxiliaire, il est probable que l'influence et le bon exemple d'Andrian Ramach, unis au zèle du missionnaire et aux encouragements du gouverneur, auraient amené plus de ou LES ORir.INES DE \A COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 297 conversions parmi les indigènes et leurs chefs. La création d'un séminaire à Fanshere n'aurait même pas été nécessaire pour obtenir ces brillants résultats dont Fouquet et le parti catholique de France se seraient sans doute déclarés fort satis- faits. Les échecs des capitaines de navires portugais avaient prouvé l'inefficacité d'un prosélytisme reposant sur la violence ; Flacourt n'avait pas eu plus qu'eux le sens juste des moyens à prendre pour attirer les habitants vers le christianisme. Enfin, une alliance avec Andrian Ramach aurait permis au gouverneur du Fort-Dauphin, d'une manière tout aussi rapide et surtout plus durable que par la violence, de prendre pos- session, sinon de l'île tout entière, du moins d'importants territoires dans les contrées du sud. Avec plus d'adresse, avec du savoir-faire, iFlui aurait été facile, comme il le sera plus tarda Lacase, Maudave, Benyowsky, de profiter des divisions intestines, des rivalités des chefs indigènes pour tâcher d'ac- quérir une haute autorité morale et d'accroître son influence en devenant leur arbitre. Peut-être aurait-il réussi par de tels procédés à se faire accorder par ses obligés de vastes terri- toires et même à se substituer à Adrian Ramach lui-même dans la domination du pays. Il est peu vraisemblable que la Régente et Fouquet l'eussent blâmé de n'avoir planté le dra- peau de la France que sur un terrain ainsi conquis par avance. C'est pour avoir suivi une tout autre politique, c'est pour avoir cédé à ses goûts de conquête qu'il a compromis les inté- rêts de la Compagnie. En vain lui reprochera-t-il de ne l'avoir pas soutenu par des renforts, de ne l'avoir point secouru, la Compagnie n'avait pas autant de torts que son directeur vou- lait bien le dire. Pouvait-il exiger d'elle qu'elle envoyât des secours à celui qui ne lui rapportait point de dividendes. C'é- tait à lui à se tirer d'affaire avec les moyens qu'on avait mis à sa disposition. On ne l'entendait pas autrement à cette époque. C'est aussi pour n'avoir pas mieux compris que Pronis,que la domination dans l'île, pour être rapide, profitable et durable, devait s'appuyer sur la persuasion, l'adhésion du cœur et de la volonté et non sur la violence, la terreur, c'est pour n'avoir 298 KTIENNE DE FLACOURT point VU qu'on ne gagne rien à se mettre au-dessus des lois supérieures de la justice et de l'humanité que parmi les colo- nisateurs il occupe dans l'histoire un rang hien inférieur à celui de Champlain, Lacase,Maudave, Beniowsky et Dupleix. Sans doute ses fautes ne doivent point nous entraîner à oublier ses mérites. Si pendant son gouvernement à Fort- Dauphin il n'a pas montré les qualités éminenles de quelques célèbres aventuriers du xvi" siècle, s'il n'a pas eu l'audace et la valeur d'un François Pizarre ou d'un Fernand Gortez, il a néanmoins fait preuve d'une égale persévérance et d'une aussi grande énergie. De même, de ce qu'on ne rencontre point chez lui l'initiative, les qualités pratiques d'un Champlain ou d'un André Brue, il ne s'ensuit pas qu'on doive lui refuser la même activité, la même ardeur à fairetriompher la cause de la France. Les quelques résultats immédiats qua obtenus Fia- court n'étaient pas, il est vrai, de nature à satisfaire la Com- pagnie qui lui avait confié la défense de ses intérêts, mais ils pouvaient être agréables au roi de France. Les associés n'y trouvaient pas leur compte, mais Louis XIV voyait s'accroître ses droits sur la grande île de l'océan Indien, et ses contempo- rains devaient lui savoir gré des quelques territoires qu'il ve- nait de conquérir dans le sud de l'île. Malheureusement ces quelques résultats avantageux étaient plus brillants que solides. Certes, nous ne commettrons point l'injustice de rendre Flacourt responsable de tous les échecs qui ont suivi son administration. Nous reconnaîtrons bien volontiers que, si les Malgaches fatigués d'une longue lutte ont souvent cherché à se venger de leurs oppresseurs, s'ils ont manifesté pendant longtemps tant d'aversion pour les Euro- péens et pour les Français, il ne faut pas s'en prendre princi- palement à Flacourt. Le gouverneur de Fort-Dauphin n'a pas le premier provoqué cette aversion. Le mal remonte à une époque plus lointaine. Flacourt n'a fait que réveiller de vieilles haines dans des cœurs déjà ulcérés par la douleur. Ses fautes se trouvent donc atténuées par celles de ses pré- décesseurs. ou LES ORir.INES DE :,A COLONISATION FRANÇAISE A MADACASCAR 299 Mais, pour être atténuées, elles n'en demeurent pas moins encore graves. Il est incontestable qu'en donnant l'exemple de la déloyauté et de l'inhumanité à des gens qui n'avaient eu que trop de raisons de se défier des Européens, il a contribué à rendre à son tour la tâche de ses successeurs plus difficile. Il n'est pas moins vrai qu'en préconisant le système d'inti- midation à l'égard des naturels, il a pu permettre à l'opinion de s'égarer sur l'attitude qu'il convenait de prendre à leur égard. Aussi aura-t-il des successeurs dignes de lui dans les Despériers et les Chamargou. La tentative de Flacourt est pour nous un enseignement. Elle nous fait saisir les causes pour lesquelles, la France a échoué pendant si longtemps dans ses entreprises à Madagascar. C'est que si elle a été parfois peu servie par le gouvernement ou les Compagnies, elle l'a souvent été encore moins par ses gouverneurs, qui, au lieu de commencer la colonisation proprement dite, et de réparer les fautes de leurs prédécesseurs, ont accumulé maladresses sur maladresses, violences sur violences. Il va sans dire que Flacourt, occupé surtout de guerre, obligé, comme gouverneur^ de demeurer à Fort-Dauphin, ne saurait être assimilé aux voyageurs célèbres de son siècle_, à Gham- plain, Gavelier de La Salle, Tavernier, Chardin et autres. En réalité, il a plutôt fait explorer qu'il n'a exploré lui-même. Personnellement il ne paraît pas avoir visité plus de pays que Fr. Gauche et Fr. Martin. Toutefois les reconnaissances et les expéditions entreprises par ses ordres ont non seulement renouvelé et consacré les droits de première occupation de la France sur la côte orientale et la région australe de l'île, mais elles ont encore été profitables à la science, non moins que ses propres observations. Pendant son séjour à Madagascar, Flacourt s'appliqua à bien connaître le pays ; de retour en France, il s'employa à le faire connaître. Et il faut avouer qu'il y a en partie réussi. Les résultats de ses observations ont été consignés par lui-même dans un livre d'une incontestable valeur, auquel on ne saurait assimiler les courtes relations de Jacques Cartier 300 ETIENNE DE l'LACOURT qui sont l'œuvre d'un marin illctlré, ni celle de Claude Janne- quin qui, sauf quelques remarques intéressantes sur les habi- tants, n'a apporté que bien peu de chose à la connaissance géographique du Sénégal, ni même celle de Ghamplain sur la Nouvelle-France qui accuse parfois trop de crédulité. En vérité, V Histoire de la grande islc de Madagascar est le premier ouvrage sérieux qui ait été publié sur Madagascar. Il faut sans doute n'accepter qu'avec la plus grande réserve les documents qu'il nous fournit sur ses rapports avec les naturels. Sans aller jusqu'à prétendre qu'il a altéré grossièrement la vérité, il n'en est pas moins vrai qu'il a dissimulé des événements impor- tants, afin de faire croire à la pureté de ses intentions et de présenter sa conduite sous un jour qui lui était favorable. Flacourt sait à l'occasion garder un silence prudent sur des faits qui expliquent l'exaspération des gens dont il a proclamé la cruauté, et le portrait qu'il a laissé des Malgaches laisse entrevoir la haine et la rancune de l'ancien gouverneur. On peut toutefois, en général, croire à la sincérité de ce vieil au- teur. Son livre est bien l'œuvre d'un homme qui a souvent vu les choses dont il parle, quia séjourné dans le pays dont il donne la description, qui a observé les habitants dont il re- trace les mœurs et qui, à la différence de quelques-uns de ses contemporains, ne raconte pas des voyages de pure ima- gination. La relation de Flacourt mérite autrement de con liance à ce point de vue que celles de Vincent Le Blanc et de Fr. Gauche sur le même pays. En dépit de quelques erreurs dues à quelque pou de partialité, à des généralisations témé- raires sur des observations partielles, à l'insuffisance des connaissances géographiquesetethnographiques de l'auteur ot de son époque, on doit considérer cet ouvrage, avec quelques savants qui lui ont souvent rendu justice et de nombreux voyageurs qui ont été frappés de la fidélité de ses descriptions, comme le plus exact de ceux qui parurent jusqu'alors sur le même sujet et même d'un certain nombre de ceux qui parurent jusqu'au commencement du xrx^ siècle. Au mérite de l'exactitude V Histoire de la grande isle de ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION EUANÇAISE A MADACASCAR 301 Madayascar joint dans une certaine mesure celui de la nou- veauté et de la précision. Tout en reconnaissant que l'auteur a puisé des renseignements dans quelques ouvrages du temps et particulièrement dans la relation de Fr. Gauche, nous devons constater que le nombre de données nouvelles qu'on lui doit et les rectifications qu'il a apportées à celles de ses devanciers sont loin d'être négligeables. L'étude détaillée que les auteurs de l'époque précédente n'avaient pu faire sur la géographie et l'ethnographie de la grande île, Flacourt l'a entreprise. Grâce à lui, on eut des connaissances plus précises, sinon entièrement exactes, sur le relief et l'hydrogrciphie du sud-est, sur la côte orientale, et surtout sur les ressources végétales, animales, et minérales, et les peuplades de la ré- gion australe. Bien mieux, on trouve dans la partie de son ou- vrage qui traite des mœurs, des coutumes et des superstitions de toute la population malgache, des détails pleins d'intérêt que bon nombre de voyageurs reprendront et confirmeront dans leurs relations. Nous ne pensons pas qu'on puisse nous taxer d'exagération en soutenant que THistoire de Madagas- car due à notre vieil auteur peut être regardée comme plus complète que toutes les relations antérieures et même que certaines publications des siècles suivants. Ce sont là pour ce livre des titres suffisants à notre estime et qui le feront toujours apprécier par les gens cultivés» C'est ce qui explique la réputation dont Flacourt, en dépit de ses fautes, a joai jusqu'à nos jours. C'est ce qui explique que son ouvrage, écrit parfois d'ailleurs dans un style plein de charme et de simplicité, soit encore aujourd'hui digne d'un très grand inté- rêt, même à côté des publications savantes de notre époque. Mais ce qui n'était pas moins appréciable en un temps où il était surtout question, dans la majorité des relations publiées en France, de martyres, de miracles et de conversions, c'est que l'ancien gouverneur se soit appliqué à mettre en lumière les ressources, les avantages qu'offrait la grande terre et qu'il ait plaidé en faveur de la colonisation d'un pays que la Compa- gnie de l'Orient avait peut-être songé à abandonner. Il est le 302 KTlKNMi DK l'LACOUKÎ premier qui ait iiuliquô aux Français conimenl ils pourraient y fonder des élablissemenls prospères et y jouer un grand rôle en répandant la religion chrétienne parmi les indigè- nes, tout en utilisant les ressources de l'île pour le profit des habitants et de la Compagnie. Il est le premier qui ait sou- levé des questions dignes encore aujourd'hui de solliciter l'esprit des hommes d'État et des colonisateurs. Ces vues sur la colonisation, où l'on retrouve sans doute quelques idées communes à Lescarbot, Champlain, Richelieu, relativement à la conversion des naturels; ces vues beaucoup plus complè- tes, beaucoup plus précises que celles de ses prédécesseurs, Boothby, Powle Waldegrave, Cauche, et auxquelles no sau- raient être comparées que les doctrines des Maudave, des Beniowsky au xvuic siècle, ces vues qui dénotent à la fois une sérieuse connaissance des ressources de Madagascar, un grand sens pratique et le noble désir de concilier les intérêts de la Compagnie et des colons avec l'intérêt plus haut encore de la religion et de la civilisation, étaient plus une œuvre de pro- pagande qu'une œuvre de justification. Par ce plan de colo- nisation où le régime moral se trouve intimement lié au régime administratif etau régime économique, où l'auteur s'efforce de prouver qu'il aurait pu devenir un véritable organisateur de la conquête, si la Compagnie ne l'avait pas abandonné. Fia- court n'a pas seulement voulu se disculper des accusations por- tées contre son administration, mais encore pousser ses com- patriotes à continuer l'œuvre commencée sous Richelieu. L'ancien gouverneur nous y apparaît moins comme le défen- seur de ses propres intérêts que comme le champion de la colo- nisation française à Madagascar. C'est vers ce but qu'ont tendu tous ses efforts depuis son retour en France, même au milieu de tous ses déboires, qui rappellent ceux qu'éprouva Cham- plain dans sa tentative de colonisation au Canada, même au milieu de ses procès avec la Compagnie, qui eurent pour effet de montrer au grandjour sa probité, et si ses démarches pour unir l'entreprise du duc de La Meilleraye à celle de la nou- velle (ompagnie n'ont pas été plus efficaces que celles de Ol: LES ORICINES DE LA COLOMSATION FRANÇAISE A MAT)A(;ASr,Ai; 303 son ami saint Vincent de Paul, on n'en doitpasmoins consta- ter qu'il a ou le courage d'accepter à nouveau la charge d'ad- ministrer la colonie où il s'était trouvé aux prises avec toutes sortes de difficultés et qu'il ne lui fui plus donné de revoir '. \ . Consulter Lacroix, loc. cit., p. 36-72 : Lettres, sciences et arts au xviie siècle ; Deschamps, Revue de géof/rapfiie, loc. cit., mai 1885, p. 375, et suiv. ; nov. 1885, p. 451 ; déc. 1885, p. 445 et 446; Pauliat, La Nouvelle Revue, mai-jniu 1884 : Madagascar, p. 525-552; Berlioux, André' Brue ou les Origines de la colonisation française au Sénégal, Conclusion et passim; Notices coloniales, Colonies d'Afrique, Sénégal; Rambaud, Histoire coloniale de la France, Introduction historique; Vivien de Saint-Martin, Dictionnaire géographique, ^vWc\&s Canada, Sénégal, Madagascar; T. Hamout, Dupleix; H. Froidevaux, Un explorateur inconnu de Madagascar au xvii» siècle, François Martin. PIÈCES JUSTIFICATIVES Renouvellement du privilège dk la Compagnie de l'Orient par le DUC de Vendôme. Avons déclaré et ordonné, déclarons et ordonnons par les présentes, signées de nostre main, plaise le dit s"" Gaset, l'un des associés en ladite Compagnie, ses associés et successeurs et ayans cause, conti- nuer pendant vingt années qui commenceront le vingt-septembre mil six cens cinquante-trois, qui est le jour auquel expire le temps de la concession accordée au s'' Rigault par notre cousin, le Cardinal, duc de Richelieu et le trente janvier mil six cens quarante-deux, con- firmée par nos lettres et déclarations du vingt septembre mil six cens quarante-trois et attachées sous notre contre-scel la jouissance de ladite concession et confirmation en toutes clauses... {illisible) et pro- tection, sauvegarde le s» Caset et les autres intéressez en Société, soubs le nom et titres que nous leur donnons dès à présent de Com- pagnie françoise des Indes orientales et pour cet effect pourront faire équiper tel nombre de vaisseaux de guerre et charges de marchandises qu'ils jugeront à propos d'y envoyer pour ce des- sein Et pourront ledit Caset et ses associés faire ledit voyage et navigation en l'isle de Madagascar, à l'exclusion de toutes autres personnes, faisant défense à tons nos sujets de trafiquer sur les costes sans le gré et consentement dudit sieur Caset et ses associés, à peine de confiscation des vaisseaux et marchandises, et leur offre gouvernement des villes maritimes, places du royaume pour ledit Caset et ses associés dans leur embarquement de vaisseaux •... 1. Affaires Étrang., Indes orientales. 20 306 KTIKNNK DK riACOllUT Formation et Statuts de la Compagnie de Madagascar fondée en 1656 L'an mil six cens cinquante-six, le douzième jour du mois d'oc- tobre, deux heures de relevée, par devant nous Olivier Le Fèvre, sieur d'Ormesson et Michel de Marillac, conseillers du Roy en ses conseils, maîtres des Roquesles ordinaires de l'hôtel de Sa Majesté, commis- saires députez par arrest de Conseil du ISaoust dernier pour le com- merce de France es isles de Madagascar, dites de S. Laurens, autres isles et costes de la Mauzembique; sur ce que, suivant ledit arrest nous aurions délivré notre ordonnance en date du 19 septembre der- nier, pour faire assigner par devant nous tous les associés et inté- ressez audit commerce, pour déclarer s'ils veulent entrer en la nou- velle Compagnie, que Sa Majesté veut estre composée pour ladite navigation et commerce, ou y renoncer. Pour leur dite déclaration faite en eslre dressé procez verbal et iceluy communiqué aux autres commissaires députez par ledit arrest, en estre par nous fait rapport au Conseil, et ordonné ce que de raison, et veu les assignations don-: nées en conséquence aux sieurs Desmartins, Gillot, la veuve du sieur de Loynes de la marine, Flacourt, d'Haligre, trésorier des Menus, Le Vasseur, conseiller au Parlement de Paris, de Beausse, Estienne, François et Aimé Fontaine, frères et soeurs, Louis du Bourg, Jeanne Vaubreau, veuve de René Fontaine, tant pour eux que pour les héri- tiers de Pierre de La Brosse, tous héritiers du feu sieur Rigault, tous assignez à cedit jour, lieu et heure, pour venir faire leur dite déclara- tion. Pour à quoy satisfaire seroit comparu M'^ Louis Bras de Fer, ad- vocat et conseil de M. Sébastien Cazet, des héritiers du defïunct sieur Berruyer et de Madame de Loynes, veuve de feu sieur de Loynes, Secrétaire de la Marine, associez et intéressez dans la Compagnie des Indes de Madagascar et autres faites sous le nom du s"" Rigault lequel a déclaré que les susnommés sont prêts et désirent d'entrer dans la Compagnie qui sera faite et formée par Messieurs les Commissaires pour ladite isle de Madagascar, et autres lieux mentionnez dans les concessions, qui en ont esté ci-devant accordées par Sa Majesté, aux clauses et conditions dont il sera convenu entre ceux qui entrèrent en ladite Compagaie, conformément à Tarrest du Conseil de ladite Ma- jesté, dudit jour dix-huitième aoust dernier et pour satisfaire à la- dite ordonnance dont ce dit Bras de Fer a requis acte. Sifjnr : Bras de Fer. Est aussi comparu M. Jean Chassebras, advocaf et conseil de ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 307 de d'Aligre, conseiller du Roy, trésorier des Menus plaisirs de Sa Majesté, de Creil, trésorier de France à Limoges, Antoine Desmar- tins et Hilaire Gillot, bourgeois de Paris, Lequel nous a dit qu'aupa- ravant que de pouvoir suivant et aux fins de nostre dite ordonnance, rendre responce si lesdits sieurs d'Aligre, de Creil, Desmartins et Gillot veulent entrer en la nouvelle Compagnie, que Sa Majesté veut estre composée pour la navigation et commerce de l'isle de Mada- gascar, dite de S'-Laurent, et autres isles et costes de la Mozam- bique ou y renoncer, il est nécessaire et préalable qu'ils ayent com- munication du nouveau traitté qui s'est fait ou se fera avec le sieur Cazet ou autres, pour iceluy, en rendre telle responce que de raison, et jusques à ce protestent tant contre ledict sieur Cazet que tous autres, de nullité de toutes poursuites, qui, pour raison, de ce pour- raient estre faites à i'encontre d'eux. Signé : Ghassebras. Gomme aussi est comparu M. Charles de Loynes, advocat et con- seil de M. Estienne deFlacourt, cy-devant directeur de la Compagnie françoise de l'Orient, et commandant du Fort-Dauphin en ladite isle Madagascar, lequel nous a dit et remontré qu'il s'étonne de ce que l'on a fait signifier audit de Flacourt deux deffauts les 26 et 28 dudit mois de septembre, attendu que, suivant nostre ordonnance du pre- mier jour dudit mois, assignation luy auroit esté donnée le 13 en suivant, afin de déclarer s'il veut entrer en la nouvelle Compagnie que Sa Majesté veut estre composée pour ladite navigation et com- merce ou y renoncer, qu'il auroit comparu par devant nous et auroit dit, comme il réitère encore qu'il consent audit nom d'entrer dans ladite Compagnie, que Sa Majesté veut estre faite pour ladite isle et autres lieux mentionnez dans la concession accordée audit feu sieur Rigault, et depuis audit sieur Cazet, et ce aux clauses et conditions qui seront portées par les articles qui seront accordez entre les asso- ciés qui entreront dans ladite Compagnie, et qui seront trouvées par nous raisonnables, et messieurs les Commissaires à ce députez par Sa Majesté, auxquelles le dit de Loynes au dit nom se rapporte. De quoy et de tout ce que dessus il nous a requis et demandé acte. Signé : De Loynes. Sur quoy nous, commissaires susdits_, avons uonué acte auxdits Bras de Fer, Ghassebras et de Loynes esdits noms de leurs comparu- tions, dires et réquisitions, et avant faire droit ordonne que dans trois jours pour toutes préfixions et délais les articles qui ont esté dressez pour le fait dudit commerce, de Madagascar et autres isles et costes de la Mauzambique, seront signifiés aux intéressés et associés en 308 l'TlKNNK I)K FLACOUr.T l'ancuînne Compagnie uudil coinmerce, pour y répondre et faire leur déclaration s'ils entendent entrer en ladite nouvelle Gonapagnie, ou y renouveler, pour leur déclaration faite, estre ordonné ce que de raison, et à faute de ce faire huictaine après la sipraification qui leur aura esté faite desdits articles à personne ou domicile, sera fait droit ainsi que de raison et defTaut contre lesdits sieurs Le Vasseur, de Beausse, Estionne, François et Aimé Fontaine, frères et sœurs, Du- bourg, Jeanne Vaubréau tant pour eux que pour les héritiers de Pierre de La Brosse, tous héritiers dudit feu sieur Rigault non comparans, ny advocat pour eux. Et pour le profit que la présente ordonnance demeurera commune avec eux, et soit signifiée. Signé : Le Fkvre d'Ormesson. 1 11 plaira au Roy de faire don à ladite nouvelle Compagnie, par Lettres patentes vérifiées où besoin sera, du fonds et propriété de Fisle de Madagascar dite S'-Laurens, autres isles et costes adjacentes, avec pareils droils, pouvoirs et privilèges que Sa Majesté a ci-devant accordés à la Compagnie des isles de l'Amérique, pour S. Christophle et autres isles par son édit du... II Moyennant laquelle concession ladite Compagnie sera obligée de faire passer dans ledit pays, à ses frais et despens, le nombre d'hommes, soldats et artisans qui seront nécessaires pour bastir des forts aux lieux convenables, et les conserver, réduire les peuples desdits pays à l'obéissance de Sa Majesté, les instruire dans les arts et mestiers nécessaires à la vie civile. III Pour la publication de l'PJvangile parrny les peuples mahomettans et payens ladite Compagnie nouvelle sera tenue et obligée de porter audit pays tel nombre d'ecclésiastiques qu'il sera jugé nécessaire, pour catéchiser, instruire et convertir lesdits peuples à la foy chré- tienne. IV Tout le commerce e\ traficq à faire en ladite isle de Madagascar et autres adjacentes^ et encore aux Bayes de Saldagne, la Table, Cap de Bonne-Espérance, et autres lieux circonvoisins, appartiendra à ladite Compagnie privativement, et à l'exclusion de tous autres pendant vingt années : Pour la conservation ef exercice duquel commerce, ladite Compagnie pourra faire armer et équiper tel nombre de vais- seaux de guerre qu'elle advisera. ou LKS OniC.INKS DK LA COLOMSATION IP.A.Nr.AISI'; A MADAC.ASCAIl 309 V Sa Miijesté donnera à ladite Compagnie nouvelle les forteresses, places et habitations publiques construites par la Compagnie précé- dente, sans que pour raison d'icelles la nouvelle Compagnie soil obli- gée à aucun dédommagement envers la précéilenle. VI Ladite Compagnie précédente pourra disposer librement, ainsi qu'elle trouvera à propos, de tous les canons, armes, munitions de guerre, vaisseaux, barques, chaloupes, agrez et apuraux d"iceux, vivres, ustanciles et toutes autres sortes de meubles qui se trouveront dans ledit pays à elle appartenant. VII Les habitations particulières et terres défrichées que peut avoir ladite précédente Compagnie dans lesdites isles, luy demeureront en propriété pour en jouir et disposer comme elle trouvera pour le mieux, aux droits et redevances envers ladite Compagnie nouvelle, confor- mément aux Lettres patentes qui leur seront accordées. VIII La Compagnie nouvelle ne sera point tenue en façon quelconque d'acquitter les debtes qui pourroient avoir esté contractées par la précédente Société par emprunts, pour gages et apoinctemens de leurs hommes en quelque manière, que ce soit en France, dans ledit pays et partout ailleurs. IX Ladite Compagnie nouvelle sera composée de cent parts et au cas qu'il se trouve quelque personne considérable, qui désix^e d'y entrer pour la moitié ou autre grande portion, elle lui pourra eslre accordée moyennant quelque advantage qu'elle fera à la Compagnie sur les premiers embarquemens en faveur de cette notable portion qu'il luy sera accordée. X Dans l'autre moitié consistant en cinquante parts, les associés de la Compagnie précédente seront préférables à tous autres pour y prendre autant de parts (si bon leur semble) qu'ils en a voient en ladite Compagnie précédente qui estoit composée de 25 parts. Et pour cet effet les présens articles leur seront signitiés et leur sera donné temps de huit jours après la signification, pour déclarer s'ils veulent entrer ea ladite Compagnie nouvelle et pour quelles parts a pris lequel temps passé, ils n'y pourront èlre reçus. :il() ETIENNE T)E rLACOllRT XI Pour faire le fonds jugé nécessaire au soutien de la Compagnie et au succès (le son entreprise, il sera contribué par les associez pour chacune des cent parts qu'ils auront en ladite Sociélé, la somme de dix mille livres, le total revenant à un million de livres. Laquelle contribution se fera pour les sommes et dans les temps que les directeurs auront résolu, sans que lesdits directeurs puissent jamais, pour quelque cause que ce soit, obliger ny engager lesdits associés à aucune autre plus grande contribution que desdits mille livres pour chacune desdites cent parts, si dans une assemblée générale de tous lesdits associés et de leur consentement exprès et par escrit, sans aucun excepter, il n'ostoient résolus de faire plus grande contribution. XII Si aucuns des associés en ladite Compagnie manquent à fournir leur part des contributions qui auront esté jugées nécessaires à faire par les directeurs de ladite Compagnie et dans les temps qui auront esté résolus, lesdits directeurs pourront prendre l'argent que lesdits dé- faillans auroient dû payer au prix courant de la place à leurs des- pens. Et seront déclieus delà part qu'ils ont dans ladite Compagnie, s'ils ne satisfont au principal et interests des sommes qui auroient esté empruntées pour eux dans un an du jour que ladite contribution avoit deu estre faite au cas qu'ils y ayent desja contribué et ayent du fonds dans ladite Compagnie. Que s'ils n'avoient encor fait aucune contribution, ils pourront estre contraints au payement tant du prin- cipal qu'intérêts de la somme qu'on aura pour eux empruntée, comme pour le payement d'une promesse faite pour argent preste. Chacun des associez le consentant dès à présent, sans qu'il puisse estre ci-après contesté. XIII Il sera fait tous les ans au premier jour de février une assemblée générale de tous les associez pour la nomination de quatre directeurs de ladite Compagnie. A laquelle assemblée les associés absens pour- ront donner leurs sutfrages par procuration pour ladite eslection, les- quels suffrages tant des présens que des absens seront comptés sur le nombre des parts qu'ils ont dans ladite Compagnie et non sur le nombre des personnes. Et en cas que lesdit? suffrages se trouvent partagez et égaux, et que l'on ne pust convenir de l'eslection des- dits directeurs, le jugement dudit partage sera remis au doyen du Conseil. XIV Il sera nommé présentement quatre directeurs pour avoir soin par- ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 311 ticulier des affaires de la Compagnie pendant deux années, résoudre les dépenses des achaptS;, des marchandises, des vaisseaux, du fret- lement d'iceux, victuailles, munitions de guerre et de bouche, passage des hommes et ouvriers qui seront envoyés dans lesdites isles, soit aux gages de la Compa^^nie ou autrement, ainsi qu'il sera trouvé à propos, nommer ceux qui commanderont dans ledit pays, les commis qui y seront chargés des effets de la Compagnie, les capitaines et of- ficiers des vaisseaux, vendre et débiter les marchandises qui seront rapportées desdites isles et généralement de tout ce qui sera jugé estre à faire pour le bien et avancement des colonies et leur établissement dans ledit pays. Les deux années estans expirées, deux desdits direc- teurs seront changés, et en sera nommé deux autres en leur place, qui continueront pendant deux autres années, avec les deux anciens qui seront restez, au lieu desquels après lesdites années en seront nommés deux autres, et ainsi de deux ans en deux ans sera nommé deux nouveaux directeurs, XV Un desdits directeurs ou telle autre personne de la Compagnie qui sera jugée à propos, sera nommé pour faire la recepte, cy à Paris, tant des deniers qui seront contribuez par chacun des associés, que des effets qui proviendront des retours des vaisseaux qui auront esté en- voyés dans ledit pays, fait en marchandises, raretés ou deniers pro- venans de la vente d'iceux, et pour en faire la distribution à chacun des associés, ainsi qu'il aura été résolu par la Compagnie. XVI Les quatre directeurs s'assembleront au logis de l'ancien d'iceux tous les premiers mardis du mois au matin et tous les mardis de cha- cune sepmaine, au matin des mois de février et aoust de chacune année, à cause que les embarquemens se doivent faire en ces temps- là où sera tenu registre des délibérations et résolutions qui seront prises dans lesdites assemblées, auxquelles se pourront trouver les- dits associés, si bon leur semble, et néanmoins les résolutions qui se prendront par l'advis desdits quatre directeurs, ou de deux en l'ab- sence des deux autres, et ce qui sera par eux arresté et résolu aura lieu et sera exécuté comme si toute la Compagnie y avoit assisté. XVII Les embarquemens des vaisseaux pour envoyer dans lesdits pays seront faits dans les ports et havres à Normandie, La Rochelle et Bre- tagne, ainsi qu'il sera trouvé plus à propos et avantageux par lesdits directeurs et feront leurs retours, dans lesdits havres, ainsi qu'il leur sera ordonné par lesdits directeurs. 3t2 ETIENNE DE FLACOURT XVIII Aucuns passeports ny pouvoirs, ni pourront estre donnés par aucun particulier associé de ladite Compagnie à qui que ce soit, ny pour quelque cause que ce puisse estre, pour passer, aller trafiquer et né- gocier dans lesdites isles et lieux dépendans de ladite concession, et en cas qu'il y en eust aucun donné par quelqu'un des associez en par- ticulier, on n'y aura aucun égard, non plus que si le pouvoir et passe- port avoit esté donné par un estranger qui n'eust aucun droit ny in- térest dans la Compagnie, et sera procédé contre ceux qui pourroient y aller en vertu desdits pouvoirs et passeports particuliers par saisie et confiscation des vaisseaux et marchandises qu'ils y auroient por- tées. XIX La despence des embarquemens, achapt ou fret des vaisseaux, marchandises ou munitions de guerre ou de bouche, nomination des capitaines de vaisseau, pilotes, maistres, contremaistres et autres officiers de guerre et de marine, la quantité des hommes qui passe- ront dans lesdits pays dans chacun des embarquemens, le nombre des hommes, ouvriers et autres qui y seront envoyés, seront faits, nommés et résolus par l'advis desdits quatre directeurs en charge. XX Les commandans et officiers qui seront envoyés dans lesdites isles et ceux qui y seront chargés du soin des affaires de la Compagnie et de ses effets seront nommés par lesdits quatre directeurs en charge qui en donneront commission et pouvoir de travailler et agir dans lesdits pays pour ladite Compagnie, tant et si longuement qu'ils ad- viseront bon estre, et suivant les ordres qu'ils leur en donneront, auxquels ils seront tenus d'obéir et de leur rendre compte, en raison toutes fois et quantes de ce qu'ils y auront fait, géré et négocié. XXI Les marchandises, raretés et autres choses généralement quelcon- ques qui seront apportées desdits pays dans les vaisseaux, qui y seront envoyés par la Compagnie seront vendues et distribuées, ainsi qu'il sera trouvé estre à faire pour le mieux plus utile et advanta- geux pour la Compagnie par lesdits directeurs incontinent au retour desdits vaisseaux même à l'encan à la sortie d'iceux, ainsi qu'il se pratique en Hollande et ailleurs. XXII Six semaines après le partement de chacun embarquement ou ou LES ORIGINES DE LA COLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR 313 retour de quelques autres vaisseaux, le directeur ou celuy qui sera chargé de la recepte des deniers et effets de la Compagnie, sera tenu et obligé de présenter son compte de recepte et despence auxdits direc- teurs, qui l'arresteront afin que les associés connoissent la despence et profit qu'il pourra y avoir, s'il y aura quelque réparation à faire pour eux, et en quoy consistera le fonds de la Compagnie. XXIII Aucun associé ne pourra vendre ny céder sa part à qui que ce soit qu'au reffus de la Compagnie, et en cas qu'il la vendist sera permis à ladite Compagnie de rembourcer celuy qui l'aura acheptée, après serment par luy preste de la somme à laquelle il en aura composé, et sans fraude, et sera néanmoins permis auxdits associés d'associer en leur part telles personnes que bon leur semblera sans que pour ce leidits sous-associés puissent avoir ny prétendre entrée es-assem- blées, ny voix délibérative en ladite Compagnie, ny lui demander aucune communication de ses comptes et affaires. XXiV Arrivant le déceds d'aucuns des associez de la Compagnie, les veuves, héritiers et ayant cause seront tenus de déclarer dans un an après ledit déceds s'ils acceptent ou renoncent à ladite Société, et en cas d'acceptation par la veuve, elle ne pourra donner son pouvoir qu'à un des associez, pour assister pour elle aux assemblées et déli- bérations. Et tous les cohéritiers et ayant cause nomniiiront un d'entre eux pour estre de la Société et y avoir entrée et voix comme le deffunt, après y avoir fait enregistrer son pouvoir. Et en cas de re- nonciation, lesdits veuves et héritiers pourront prendre leur part des effets de ladite Société qui seront en France, toutes debtes payées lors de ladite renonciation et pour le surplus des vaisseaux, marchandises et autres choses qui seront audit pays et sur mer il appartiendra à ladite Compagnie. XXV Nuls créanciers desdits associez en ladite Compagnie ne pourront demander compte des effets de ladite Société en quelque sorte et ma- nière que ce soit : Et seront tenus de se contenter d'avoir commu- nication de la clôture des comptes et de recevoir ce que pourroit faire leur débiteur, sans estre admis à distraire le fonds, ny prétendre en- trer à la Compagnie, ny aux assemblées d'icelle, pour assister à l'examen des comptes non rendus. XXVI Aucun associé ne pourra demander sa part en essence de mar- 314 ETIENNE DK FLACOURT chandisGs et choses eslans en espèce lesquelles seront vendues en commun au profit de la Compaj^nie, ny demander le capital qu'il aura fourni en la présente Société, jusques après les vinj^t années expirées de la concession accordée à la présente Compagnie pour le commerce des baies de Saldaigne, la Table, Gap de Bonne-Espérance et autres lieux circonvoisins et néanmoins ce qui pourra rester des deniers qui proviendiont de la vente des marchandises et efïets de la Compagnie qu'on aura trouvé à propos de vendre, après les des- pences payées et le fonds laissé pour faire le premier embarquement qui sera jugé nécessaire à faire ensuivant, seront répartis aux asso- ciez à proportion de leurs parts, suivant la délibération qui en sera faite par les directeurs '. Lettres patentes qui accordent a M. de Flacourt le commande- ment DE l'isle de Madagascar, 12 mai 1660 LOUIS, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à notre cher et bien-aimé le sieur de Flacourt, directeur général pour la Com- pagnie françoise de l'Orient en l'isle de Madagascar, autrement dite de Saint-Laurent et autres isles adjacentes, salut. Les progrès que la Compagnie a faits depuis son établissement jus- qu'à présent dans ladite isie de Madagascar et autres isles voisines donnant lieu d'espérer qu'ils seront suivis de nouveaux encore plus considérables par les soins qu'elle continue d'apporter pour y conserver non seulement ce qu'elle y a acquis, mais même s'étendre davantage dans le païs pour y faire de plus en plus reconnoistre Nostre nom et Nostre autorité et travailler avec plus de fruit à la conversion des habi- tans à la foi. Nous avons estimé que pour seconder avantageusement de si bons desseins, il étoit nécessaire de commettre et autoriser quelqu'un de Nostre part pour veiller à toutes les choses qui pourront concerner le service de Dieu et le Nostre audit pais et le profit et l'avantage de ladite Compagnie; et comme Nous sommes assuré que Nous ne pouvons jeter les yeux sur personne qui se puisse mieux acquitter que vous de cet emploi, parce que vous avez déjà exercé ci- devant, au contentement d'un chacun, la direction des affaires de ladite Compagnie audit païs pendant sept années que vous y avez demeuré et avez par votre adresse et votre valeur (animé du zèle que vous avez toujours fait paraître pour étendre Nostre domination), réduit la plu- part des seigneurs, maistres de la contrée et chefs de famille de ladite 1. Bibliotlièque uatioiiale, Manuscrits, 10209, f. fr. ou LES ORIGINES DE LA r.OLONISATION FRANÇAISE A MADAGASCAR :]13 isle^ à se soumettre à Notre obéissance et même à payer annuellement entre Nos mains les tributs qu'ils payoient à leurs princes : Veu d'ailleurs que ladite Compagnie, satisfaite de votre conduite, vous a derechef nommé pour y aller reprendre la même direction : A ces causes et autres à ce Nous mouvant et confirmant, en tant que besoin est ou seroit, l'acte de ladite nomination dont copie est et attachée sous le contre-scel deNostre chancellerie, Nous vous avons commis et ordonné, commettons et ordonnons par ces présentes, signées de Nostremain, pour sousNostre autorité avec la garde de ladite isle de Madagascar et autres adjacentes et des forts qui y sont ou pourront estre ci-après établis, avec pouvoir de commander tant aux habitans desdites isles qu'aux gens de guerre qui y sont ou seront ci-après mis en garnison, comme aussi à tous autres de Nos sujets qui sont ou pourront aller s'y établir, faire vivre lesdits habitans en union et concorde les uns avec les autres ; contenir lesdits gens de guerre en bon ordre et police, juger les différends qui pourront naître entre eux, faire punir les délinquans suivant Nos ordonnances, selon que les cas le pourront requérir, maintenir le commerce et traficq desdites isles au profit de ladite Compagnie et généralement faire et ordonner tout ce que vous connaîtrez estre nécessaire pour le bien de Nostre service et la garde et conservation desdites isles en Notre obéissance, et jouir des mêmes honneurs, autorités, prérogatives, prééminences, droits et émolumens que jouissent les autres pourvus de pareille charge, tant qu'il Nous plaira de ce faire. Nous avons donné et don- nons plein pouvoir, commission et mandement spécial par ces dites présentes, par lesquelles Nous mandons et ordonnons à tous capi- taines, officiers, gens de guerre et habitans desdites isles et autres Nos officiers et sujets qu'il appaitieadra de vous reconnoistre en ladite qualité de vous obeyr et entendre es cho-es touchant et con- cernant le présent pouvoir. Car tel est Nostre bon plaisir. Donné à Biyonne, le douzième jour de mai, Tan de grâce 1660 et de Nostre règne le dix- septième (l). LOUIS. Par le Roy, DE LOMÉNIE. 1. Tiré de VHisloire générale des Finances, par Du Fresne de Francheville, Paris, 1738, Pièces justificatives. TABLE ANALYTIQUE DES MATIÈRES Pages. Avant-propos vi Bibliographie. . . • xv INTHODUCTION LES PRÉCURSEURS DE FLACOURT I. Premières immigrations. — Colonies africaines, juives, chinoises, ma- laises, arabes à Madagascar il. Premières relations des Européens avec les indigènes. — Les explo- rations portugaises et la traite des esclaves au xvi^ siècle ; les essais de prosélytisme et les relations commerciales des Portugais avec les Malgaches au commencement du xviie siècle. — Passage de quelques navigateurs hollandais et anglais à Madagascar: tentative de colonisation de Powle Waidegrave vers l'année 1644 III. Premières relations des Français avec les indigènes. — Les aven- turiers et les entreprises individuelles. — Tentative de colonisation officielle en 1642 : La Compagnie de l'Orient et Pronis. — Etienne de Fiacourt est désigné pour remplacer Pronis à Fort-Dauphin . . 1 LIVRE I LE MILIEU Chapitre I. — La situation à Madagascar avant le départ de Fia- court. Diversité de races. — Organisation sociale. — Les luttes intestines. — Manière de faire la guerre propre aux Malgaches. — Organisation de la justice. — Religion et superstitions. — Caractère des habitants et leurs sentiments à l'égard des étrangers. — Simplicité de leurs mœurs. — Appréciation générale 59 Chapitre II. — État des connaissances européennes sur Madagas- car vers 1648. La cartographie : ce qu'elle avait appris sur la situation astronomique, la forme, la configuration, le relief, les rivières, la nomenclature. — Les descriptions : ce qu'elles avaient appris sur la situation as- tronomique, le relief, le climat, les rivières, le littoral, les res- sources végétales, animales et minérales, l'origine et le nombre des habitants, leur aspect physique, leurs mœurs, leurs coutumes, leurs 318 TAliLK DES MATIÈilKS Pages, croyaucps cL pratiques religieuses, leur'laiijïagc, leur organisation sociale. — Appréciation générale 76 LIVRE II ETIENNE DE FLACOURT CiiAi'iïRK 1. — Biographie d'Etienne de Flacourt. Origine. — Éducation. — Débuts. — Nomination de Flacourt au gou- vernement de Fort-Dauphin. — Portriiit physique. — Caractère. — Tournure d'esprit. — Idées sur la colonisation. — Projets. — Moyens d'action. — Appréciation générale 97 GiiAPriuii; II. — Gouvernement de Flacourt à Madagascar. I. Préliminaires de la guerre. — Arrivée de Flacourt à Fort-Dauphin. — Situation de la colonie. — Le nouveau gouverneur s'occupe de l'approvisiounenicnt. — 11 envoie Pronis et le capitaine Le Bourg à (ilialcniboule pour y chercher des vivres et des pierres précieuses. — Visite des cliers du pays d'Aoossi au chef de la colonie. — En- tretien de Flacourt avec Andriau Ramuch. — Son intervention dans les luttes des chefs indigènes. — Conséquences de cette interven- tion. — Retour de Pronis et de Le Bourg. — Celui-ci va prendre possession de l'ile Mascareigne. — Les Français portent la guerre dans l'intérieur des terres. — Perfidie de Flacourt à l'égard d'An- drian Ramach. — Départ du capitaine Le Bourg et de Pronis pour la France (1650). — Dissentiments de Flacourt et du P. Nacquart. — Mort de ce missionnaire (29 mai 1050) 115 II. La conquête par la terreur. — Complots des chefs indigènes contre le gouverneur. — Massacre du lieutenant Leroy et de dix-neuf Fran- çais à Maropia. — La disette au Fort. — Attaque de Fort-Dauphin par Andrian Ramach. — Pillage de Fanshere par un détachement de Français, et mort d'Andrian Ramach (juillet 1651). — Voyage de Flacourt à Ghalemboule et à l'île Sainte-Marie. — Nouvelles luttes des Français contre les naturels. — Soumission des maîtres de vil- lages. — Dures conditions que leur impose Flacourt, 1652. — Résis- tance de Pauolahé. — Prosélytisme de Flacourt. — Ruses des indi- gènes et leur échec à Amboule Tsignane. — La famine 138 \\\. La pacification apparente. — Départ clandestin de Flacourt. — La tempête l'oblige à revenir à Fort-Dauphin. — Mécontentement des colons. — Départ d'Augeleaume pour Mozambique, 1654. — Com- plot de Couiliard contre le chef de la colonie. — Soumission d'An- drian Panolahé. — Hacourt envoie des lettres à de Loynes et à des capitaines de navire pour demander du secours. — Arrivée d'un navire du duc de La Meilleraye et de Pronis. — Déception des co- lons. — Flacourt s'embarque pour la France (12 février 1655) . . . 149 LIVRE III L'ŒUVRE SCIENTIFIQUE DE FLACOURT CiiAFriKE I. — L'œuvre géographique de Flacourt. Faibles progrès des connaissances cartographiques pendant le séjour de Flacourt à Fort-Dauphin. — Part d'originalité et d'exactitude de Flacourt dans sa carte générale : situation astronomique, relief, hy- TAULK DES MATIÈUES 319 Pages. drogr.iphic fluviale, configuration. — Cartes spéciale» et plans. — Innovations dans la nomenclature. Faibles progrès des connaissances descriptives pendant le séjour de Flacourt à Fort-Dauphin. — Part d'originalité, de sens critique, de sincérité et d'exactitude, dans sa description générale et dans ses descriptions particulières : dénomination, situation, dimensions, relief, hydrographie fluviale, littoral, climat, ressources végétales, animales et minérales. — Appréciation géuérale .x il-2 Chapitre II. — L'œuvre ethnographique de Flacourt. Part d'originalité, de sens critique, de sincérité, d'impartialité et d'exactitude dans la description [des habitants : origine, nombre, aspect physique, caractère, superstitions, religion, genre de vie, agriculture, industrie, commerce, manière de compter, langage, manière de combattre, armement, orgnuisatiou sociale. — Appré- ciation générale 204 Chapithe m. — Les théories d'un homme d'action : le plan de colo- nisation de Flacourt. Opinions émises par quelques auteurs sur la colonisation de Mada- gascar pendant le séjour de Flacourt à Fort-Dauphin. — Part d'ori- ginalité, de sincérité, d'impartialité et d'exactitude que renferme le plan de l'ancien gouverneur. Régime qu'il propose d'adopter. — Régime moral : facilités et difficultés que l'on rencontrera pour convertir les naturels, moyens qu'il indique pour parveoir à ce but. — Régime administratif : l'autonomie administrative, l'organi- sation de la justice, la défense de la colonie. — Régime économique : le régime des terres, l'initiation agricole et iudustrielle, le dévelop- pement des relations commerciales, endroits propres à la fondation d'établissements, le peuplement de la colonie, la colonisation des terres australes. — Appiéciation géuérale . . \ 233 LIVRE IV LA FIN D'ETIENNE DE FLACOURT Chapitre I. — Flacourt et la question de Madagascar en France. Arrivée de l'ancien gouverneur à Nautes. = — Ses démarches auprès du duc de La MeiUeraye et de Fouquet. — Prétentions du duc de La Meilleraye. — Divisions parmi les associés de la Compagnie. — Ac- cord entre le duc de La Meilleraye et quelques associés. — Fonda- tion d'une nouvelle Compagnie où entre Flacourt. — Situation em- barrassante de Flacourt. — Ses démêlés avec l'ancienne Compagnie et son procès. — Les associés se décident à transiger. — Efforts de Flacourt et de saint Vincent de Paul pour unir l'entreprise du duc de La Meilleraye à l'entreprise de la nouvelle Compagnie, — Fla- court est envoyé de nouveau à Madagascar. — Son naufrage et sa mort (1660) 265 Chapitre II. — L'œuvre colonisatrice de Flacourt. Insuffisance absolue du gouvernement de Flacourt au point de vue agricole. — Médiocrité des profits de la Compagnie. — La coloni- sation religieuse. — Résultats avantageux au point de vue territo^ 320 rVULK OKS MATIKI'.HS rial iliis aux expéditions des lioiitenaiils de Flacourl cl à sa pcrscvc- rauce. — Coiisi-qiiciices dd système d'intimidation du gonverueiir. — Apprccialiou f^éiiéralc Pages. 285 CONCLUSION 1. L'adminislvaleur colonial. — Parti qu'il aurait pu tirer de la sitiia- tiou. — Les circonstances atténuantes. — Mérites qu'on ne peut lui refuser. — Sou rang parmi les colonisateurs et les explorateurs. . IL V auteur de l'Histoire de Madar/ascar. — Valeur intrinsèque de son ouvrage, sa valeur par comparaison avec les relations de l'époque précédente, de l'époque contemporaine et de l'époque suivante. . Pièces justificatives Carte de Lazaro Luiz, prototype de la carte de Flacourt. Carte générale de Flacourt. Carte des points du littoral où ont abordé les Européens qui sont venus à Madagascar avant Flacourt. 294 2!)9 :J03 TABLE ALPHABÉTIQUE Abreu (Joao Gomez d'), capitaine de navire portugais, p. 9 et suiv. Albuquerque (Alphonse d'), amiral portugais, p. 9 et suiv. Âligre (d'), membre de la Compagnie de l'Orient, p. 41, 271. Almeida (R. P. Manuel d'), mission- naire portugais, p. 25. Andrade (Manuel Freired'), capitaine de navire portugais, p. 24-27. Angeleaume, lieutenant de Flacourt, p. 118 et s. Arabes, venus à Madagascar aux ix"" et xye siècles, p. 2 et suiv. Azevedo (don Jérôme), vice-roi de l'Inde, p. 32. Azevedo (P. Antonio de), mission- naire portugais, p. 23 et 24. Beaulieu, navigateur normand, p. 36. Beausse (de), associé de la Compagnie de l'Orient, p. 41. Berruyer, membre et directeur de la Compagnie de l'Orient, p. 41 et 267. fiontekou, capitaine de navire hol- landais, p. 31. Boothby, voyageur anglais, p. 33. Cabrai (P. A.), navigateur anglais, p. 6 et 7. Caerdén (P. van), navigateur hollan- dais, p. 31. Gauche (Fr.), marchand rouennais, p. 36-46. Cazet, directeur de la Compagnie de l'Orient, p. 268 et s. Chinois, venus à Madagascar à une époque très reculée, p. 2. Compagnies : Compagnie de l'Orient, p. 39 et s., p. 265 et s. de Madagascar fondée en 1656, p. 270 et s. Costa (Ciistodia da), missionnaire portugais, p. 25. Costa (Paulo Rodriguez da), capitaine de navire portugais, p. 17-24. Cbuillard, colon, lieutenant de Fla- court, p. 150 et suiv. Coutinho (Ruy Pereira), capitaine de navn-e portugais, p. 7 et suiv. Covilham, voyageur portugais, p. 5. Creil (de), membre de la Compagnie de l'Orient, p. 41, 271. Cunha (Tristan da), amiral portugais, p. 8 et s. Cunha (Nuno da), flls du précédent, p. 9 et 14. Davis (John), marin anglais, p. 32. Descots, lieutenant de Flacourt, p-. 118 et s. Desmartins(A.), membre de la Com- pagnie de l'Orient, p. 41. Diaz Diego, marin portugais qui a découvert Madagascar, p. 6. Flacourt (E.), gouverneur de Mada- gascar, origine, p. 79; associé et directeur de la Compagnie de l'O- rient, p. 41, 101 ; ses démêlés avec le P. Nacquart, p. 127 et s. ; ses re- lations avec les indigènes, p. 117- 163 ; ses démêlés avec la Compagnie de l'Orient, p. 274 et s.; sa mort, p, 284. 21 322 TAHLE ALPHABÉTIQUE Fonseca (Duarte et Diogo), capitaines (le navires portiifjais, p. 14. Forest (de La), cominuiidaut des na- vires de La Meilieraye, p. lîi^j et s. Foucquembourg, couniiis de laConi- pafjnie de l'Orieut, lieutenant lie [iiPronis, p. 43 et s. Fouquet, le surintendant, membre delà Compagnie de l'Orient, p. 41 ", ses relations avec Flacourt et La Meilieraye, p. 2f)[i et s. Gillot (Hilaire), membre de la Com- pagnie de l'Orient, p. 41. Gondrée (R. P.), missionnaire fran- çais à Madagascar, p. 110, 121. Goubert (A.), marin dieppois, p. 36, 37. Hagen (E. van der), amiral hollan- dais, p. 31. Hammond, explorateur anglais, p. 33. Houtman (C. de), navigateur hollan- dais, p. 29, 30. Juifs, venus à Madagascar, p. 2. Keeling (W.), marin anglais, p. .33. Lancastre (James), marin anglais, p. 33. Laroche, lieutenant de Flacourt, p. 122, 140. Le Bourg, capitaine de navire fran- çais, associé de la Compagnie de l'Orient, p. 41, !i6, 115-126, 271. Leroy, commis de la Compagnie de l'Orient, lieutenant de Flacourt, p. 42, 118, 122, 126, 141. Lormeil, capitaine de navire français, p. 47 et 48. Loynes (de), secrétaire général de la Marine, oncle de Flacourt, associé de la Compagnie de l'Orient, p. 41, 100. Machicore, chef indigène, p. 33, 145, 149. Mandelslo, explorateur allemand, p. 33. Mariano (R. P. Luiz), missionnaire portugais, p. 17, 23 et s. Meilieraye (de La), envoie navires à Fort- Dauphin, p. 155, IGO, 273; ses relations avec Flacourt, l'ancienne Compagnie, p. 2G5 et s.; la nou- velle, p. 273. Midleton, marin anglais, p. 33. Nacquart (R. P.), missionnaire fran- çais, ses démêlés avec Flacourt, p. 110, 126-138. Panolahé, chef indigène, p. 33, 145, 2!)0. Parmentier (.1. et R.), marins diep- pois, p. 35. Pronis, commis de la Compagnie de l'Orient, premier gouverneur de Fort-Dauphin, p. 42-56, 157, 290. Pyrard de Laval, navigateur français, p. 36. Ramach (Ramaka), chef indigène, roi de la province d'Anossi, ses rapports avec les Portugais et Gauche, Pronis, Flacourt, p. 21, 36. Rezimont, capitaine de navire fran- çais, membre de la Compagnie de l'Orient, p. 39 et suiv. Rigault, capitaine de navire, organi- sateur de la Compagnie de l'Orient, p. 39. Rowles, marin anglais, p. 33. Saintongeois (Jean Alphonse le), ma- rin français, p. 35. Siqueyra (Lopez de), marin portu- gais, p. 12 et s. Soarez (Diogo), capitaine de navire portugais, p. 15. Souza (Balthazar Lobo de), marin por- tugais, p. 15. Tserong (Tseroua), chef indigène de la province d'Anossi ; ses rap- ports avec les Français, p. 37, 145, 291. Vasseur (Le), membre de la Compa- gnie de l'Orient, p. 41. Vincent de Paul (saint), ses relations avec Flacourt, p. 276 et suiv. Waldegrave (Powle), colon anglais, p. 34. Willes, marin anglais, p. 33. ERRATA Page 3, ligne i3, au lieu de : ix" siècle, lire : xV siècle — 33, ligne 14, au lieu de : Cette baie, lire : La baie Saint -Augustin — 39, ligne 7, au lieu de : Girard de Roy, lire : Gérard de Roy — 41, ligue 25, au lieu de : de Bausse, lire : de Beausse — 52, ligne 9, au lieu de : ne songeait que, lire : ne songeait qu'à — 141, ligue 15, nu lieu de : avaient, lij'e : avait — 143, ligne 15, ou lieu de : sauraient, lire : saurait — 195, ligne 11, au lieu de : il regarde, lire : il la regarde Vu et lu en Sorbonne, le 18 décembre 1897 par le Doyen de la Faculté des Lettres de l'Université de Paris, A. HiMLY. Vu et permis d'imprimer, Le Vice-Recleur de l'Académie de Paris, Gréard. AN6KRS. — IMPfttMRKIE ItE A. BURDIN, RUE OARNIER, 4. CARTE DE LAZARO LUIZ (1560), Prototype de la carte générale d'Etienne de Flacourt, communiquée par M. Grandidier. ERNEST LiaiOUX, Éditeur, rue 'Bonaparte, 28 GIIANDES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET OUVRAGES GÉOGRAPHIQUES • l'UULIKS SOUS LES AUSPICES DU xMiNiSTÈiit; DE L Instruction publique et des Beaux Arts L'ASIE CENTRALE TIBET ET RÉ(;iONS LIMITROPHES Par DUTREUIL DE RHINS Texte, uii volume iu-4 de 636 pages et atlas iu-folio, cartoiiué. ... 60 tr. Coiironué par l'Académie îles Iiiscriplious ot Relles-Letlres, pi'ix Gui'uier, et pai' la Société do Géographie, prix Jomard. L'ILE FORMOSE HISTOIRE ET DESCRIPTION Par C. IMBAULT-HUART , Consul de France Avec une introduction bibliographique par H. CORDIER hi-i. illustré de nombreux dessins, de cartes, vues, plans, etc 30 Ir. Couronné i)ar la Sociélé de Géographie, prix Jomard. LA SCULPTURE SUR PIERRE EN CHINE AU TEMPS DES DEUX DYNASTIES H AN Par EDOUARD CHA VANNES l'rufesseur au Collège de France Un volume in-4, accompagné de 66 planches gravées.d'après les estampages. 30 ir . LES SÉRICIGÈNES SAUVAGES DE LA CHINE Par Albert A. FAUVE L Un volume in-4, avec planches 10 fr. Mission A. PAVIE EXPLORATIOJN GENERALE DE L'INDO-CHINE 4 volumes in-4, accompagnés d'un grand nombre de cartes, planches, repro- ductions d'estampages et de textes, dessins dans le texte, etc. {E7i cours de pubiicalion) MISSION SCIENTIFIQUE DANS LA HAUTE-ASIE (1890-1895) Par J. DUTREUIL DE RHINS Publié par M. GRENARD 2 volumes iu-4, illustrés de cartes, dessins et planches. Chaque volume. . 30 Ir. Atlas des cautes. [Sous presse.) ANOEHS, UIP. DE A. BUKDlX, 4, KUE GARNIER THIS BOOK IS DUE ON THE LAST DATE STAMPED BELOW AN INITIAL FINE OP 25 CENTS WILL BE ASSESSED FOR FAILURE TO RETURN THIS BOOK ON THE DATE DUE. THE PENALTY WILL INCREASE TO 50 CENTS ON THE FOURTH DAY AND TO $1.00 ON THE SEVENTH DAY OVERDUE. 0C' F» ' " '86i 103 4 "n iÉimia