\J> >ypLAA V- '. . HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE ET ANECDOTIQUE DES CHIENS DE TOUTES LES RACES PARIS. IMP. SIMON BACON ET COMP., RUE D'ERFL'RTH. 1 HIST 01 RE . ^ * PHYSIOLOGIQUE ET ANECDOTIQUE DES CHIENS DE TOUTES LES RACES BENEDICT-HENRY REVOIL i PREFACE ET POST-FACE PAR % i. i: \ t \ IIK !: in *i %s PARIS E. DENTU, LIBRAIRE-EDITEUR PALAIS-ROYAL, 17-19, GALERIE o'ORLEANS 186J7 Tous droits reserves. BIOLOGY LIBRARY 6 BIOLOGY LIBRARY PREFACE Les chiens sont des candidats a I'humanite, a dit Miche- let. Plus misanthropiquement, Toussenel affirme que ce qu'il y a de meilleur dans I'homme, c'est le chien. A ces deux litres, les chiens meritaient d'avoir leur histoire. Mais I'histoire des chiens est plus difficile a ecrire que celle des hommes. Us n'ont ni chroniqueurs, ni legen- daires, ni annalistes. Esope et la Fontaine les ont fait parler, mais ils ne sont point parvenus a les faire ecrire : aussi n'avons-nous point I'histoire de la race, mais de quelques individus seulement. Nous connaissons le chien d'Ulysse, chante par Homere; nous admirons le chien de Montargis, apotheose par Guilbert de Pixerecourt. TI PREFACE:. Mais en'tre ces deux grandes celebrites canines, il existe une lacune de trois mille ans. Notre savant ami Robin seul pourrait nous dire celle que Ton doit mettre entre le premier chien cree par Dieu et le chien d'Ulysse. Selon toutes probabilites, dix mille ans; car, selon lui, on le sait, le monde aurait treize mille ans d'existence. Maintenant une question plus difficile a resoudre est celle-ci : Dieu n'a-t-il creequ'un chien et qu'une chienne, comme il n'a cree qu'un homme et qu'une femme, ou bien a-t-il cree toutes les varietes de chiens qui existent entre le chien turc qui grelotte sous un soleil de 40 et le chien de Terre-Neuve qui plonge sous les glaces du pole; entre le chien de la Havane qui tient dans le manchon de sa maitresse et le chien du Saint-Bernard qui rapporte un homme a r hospice comme un braque rapporte un lievre a la maison? M. deBuffon est pour le chien et la chienne uniques, et il s'appuie sur ce qu'il y a autant de varietes d'hommes que de varietes de chiens. Toussenel, au contraire, pretend que Dieu a daignr iaire pour le chien ce qu'il n'a point daigne faire pour 1'homme, c'est-a-dire qu'il a cree les types principaux qui, en s'ecartant des souches primitives et en degene- rant, ont donne 1'espece entiere. Benedict Bevoil, Tauteur du livre qu'on va lire, a adopte I'^pinion des origines multiples, et par un chapitre enlier PREFACE. in il essaye de iaire prevaloir cette opinion sur celle de M. de Buffon. An reste, .apres la physiologic du chien qui ouvre le livre, vient 1'origine du chien dans laquelle on trouvera la solution de cette importante question. Le livre de Revoil est done le premier, on a peu pres, qui traitera non-seulement du chien, en general, mais des chiens en particulier : la race aura eu son histoire, les individus leur biographic. Revoil, chasseur emerite, qui a parcouru 1'ancien et le nouveau monde, qui a chasse en France, en Allemagne et en Angleterre le sanglier, le chevreuil, le daim, le lievre, le faisari, le coq de bruyere, la gelinotte, la perdrix ; qui a poursuivi dans le Far-West le bison, la panthere, la poule de prairie, Tours et I'opossum ; a la Havane, les palombes, les agoutis et les iguanes ; a la Louisiane, les alligators, les cerfs aux bois renverses et les ibis bleus; Revoil qui, comme Audubon, son illustre ami, a etudie 1'histoire naturelle dans le grand livre de la nature et non dans son cabinet comme M. de Buffon, qui compto au nombre des autorites cygenetiques, a cote des Elzear Blaze, des Leon Bertrand, des Houdetot, des Lavallee et autres; Revoil, qui tire comme un maitre et qui, plus qu'aucun des chasseurs que j'aie jamais connus, a bon pied et bon ceil; Revoil qui, a 1'endroit des recherches et surtout de celles qui ont rapport a la chasse, son occu- pation favorite, est un des qneteurx pour rue servir d'une expression tiree du sujet le plus consciencieux iv ^3* PREFACE. que je connaisse ; Revoil seul pouvait mener a bonne fin une pareille oeuvre. Tout ce que Ton a dit sur cet estimable et utile qua- drupede, que Ton est convenu d'appeler le bon et fidele ami de I'homme, et qui, en effet, est son bon et fidele ami, jusqu'a ce qu'il devienne enrage et qu'il le morde, Revoil se Test procure : livres anglais, italiens, alle- mands, espagnols, arabes, chinois meme, il a tout corn- pulse, soit par lui-meme, soit a 1'aide d'amis polyglottes. Ce qu'il y a de meilleur, de plus pittoresque, de plus original dans ces differents ouvrages, il se Test approprie et peut, par consequent, offrir a ses lecteurs un ouvrage tout a la fois amusant et instructif. Qu'on ne s'y trompe point cependant, YHistoire des chiens de Benedict Revoil n'est point une compilation, c'est une oeuvre originale dans la double acception du mot : Originale comme invention, Originale comme narration. Les anecdotes relatees en Thonneur de la race canine abondent, coinme on doit le penser; mais moi qui aime les choses completes, j'eusse demande un chapitre sur les chiens qui out mordu leurs maitres. Revoil n'a pas cru devoir mentionner ces cas-la. line anecdote, ou plutot un renseignement, manque dans le livre de mon ami Revoil, et il manque, non point parce qu'il est oublie, mais parce que 1'auteur n'a pas PREFACE. \ ose le publier, s'en rapportant a moi pour le placer dans cette preface. J'essayerai. II n'est personne qui n'ait remarque la facon dont les chiens s'abordent, et personne qui n'ait cherche a se rendre compte de cette maniere de se donner une poi- gnee de mains. Quelques naturalistes pensent avoir resolu la question, mais je prefere aux explications des modernes la legende des anciens. Pline pretend que les chiens de la Laconic, voyant la chute d'Hippias et le triomphe des lois de Clisthenes, c'est-a-dire Tere de la democratic s'etablir en Grece, vou- lurent, eux aussi, s'etablir en republique. Mais pour que leur republique a eux ne fiit point sujette aux boulever- sements dont leurs ancetres avaient ete temoins dans les differents essais qui en avaient ete fails jusqu'alors, ils resolurent de s'assurer de 1'appui de Jupiter, en deman- dant sa permission et en quelque sorte son protectorat. En consequence, ils tracerent sur parchemin une sup- plique au maitre du tonnerre et chargerent un levrier de lui porter leur petition sur le mont Olympe. Pour faire honneur au messager, qui s'en allait tenant la supplique entre ses dents, une ciriquantaine de chiens choisis parmi les plus considerables resolurent de Pac- compagner jusqu'a 1'Eurotas. L'Eurotas, chacun le sail, meme ceux qui n'ont pas suivi son cours, est un fleuve dans le genre du Manzanares, du Yar et de 1'Arno, c'est- TI PREFACE. a-dire qu'on peut le passer a pied sec pendant les trois quarts de 1'annee. On n'avait done aucune inquietude pour le messager. Mais en arrivant sur les rives on vit, grace a un terrible orage qui avail eclate la veille, le fleuve roulant ses eaux a pleins bords, Le messager n'etait pas embarrasse pour traverser le fleuve : il nageait comme une loutre, mais il songeait que dans la traversee un malheur pouvait arriver a la supplique. Oii la mettre pour que 1'eau n'en effagat point les ca- racteres? Le messager n'avait ni poche ni escarcelle a 1'abri de 1'eau. Tin des chiens de Feseorte, et qui a cause de sa finesse et de ses ruses passait pour le ills d'un renard, s'ecria comme Archimede : Eureka! c'est-a-dire : J'ai trouve! II prit alors la supplique aux dents du levrier, la roula comme une cigarette et la fourra... ouM. Vidocq nous a appris que les forcats fourraient leurs limes faites avec des ressorts de montres. Le levrier, rassure sur le sort du message, sauta bra- vement a Teau, traversa 1'Eurotas sans accident, et, ar- rive sur 1'autre bord, fit de la patte un signe d'adieu a ses compagnons. Puis, s'elancanta toutes jambes dans la direction du mont Olympe, il disparut. Jamais depuis on n'a revu le messager. PREFACE. TII Absence prolongee et inquietante qui explique la facon dont les chiens s'abordent depuis ce temps-la. Us esperent dans chaque chien inconnu qu'ils aper- coivent retrouver le messager qui leur rapporte la re- ponse de Jupiter. Maintenant, quelques auteurs qui se sont preoccupes de ce que pouvait etre devenu le malheureux ambassa- deur, pretendent qu'il obtint 1'autorisation de Jupiter, mais qu'un grand brouillard 1'ayant surpris en descen- dant de I'Olympe il s'egara, marcba tou jours devant lui, traversa 1'Ocean sur les glaces polaires, arriva en Ame- rique, et fut le Washington de ces chiens des prairies, qui, chacun le sait, vivent en republique au milieu des deserts du nouveau monde, depuis deux mille ans. ALEXANDRE DUMAS. _HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE ET ANECDOTIQUE DES CHIENS DE TOUTES LES RACES PHYSIOLOGIC DU CHIEN Le chien est 1'ami dc 1'homme, a ditBuffon. A mon avis, en retournant la phrase : C'est rhomme qui est 1'ami du chien. C'est lui qui a civilise, entraine, eleve cet animal pour son usage, qui en a fait sa chose, qui a croise les races, multiplie les especes et obtenu ces produits nombreux, utiles et inutiles avec lesquels il partage son affection, la meme, j'ose le dire, que celle de la farnille; car les chiens admis au milieu des maisons, dans 1'interieur des demeures de rhomme, accaparent a la fois les soins de celui-ci, son temps et les bribes de son amitie. 1 c^rc;;- AHISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Mais aussi, quelle reconnaissance! quelle spontaneite inces- sante de retour de la part du chien pour toutes les caresses que I'homme lui prodigue! quelle lec.on donnee par le quadru- pede a rimmanite ! Quand celui de nos semblables que Ton a secouru, que Ton a lire d'ernbarras, que Tori a aime et soutenu comme un frerc, vous paye de la plus noire ingratitude, le cbien, que bieri soirvent Ton a battu, vient, a chaque instant, poser sa bonne lete sur vos genoux, lecher vos mains et vous dire, avec le langage des yeux : Je t'aime, maitre, et tu peux cornpter sur moi ! Le chien a ete dans tous les temps un objet de consideration de la part des hommes. L'Ancien Testament indique le chien de Tobie qui, quoique aveugle, reconnut son maitre. Dans la rnythologie, nous voyons le chien jouer uri grand role, car on le sacrifiait a Mars et a Mercure, a Pan et a Esculape, a Hecate et a d'autres divinites. II etait le compagnon de Diane et 1'attri- but des lares. Les Egyptiens de 1'antiquite, dont les dieux croissaient au milieu de leurs jardins, les Egyptiens qui adoraient Toignon et Tail, professaient aussi pour le chien un respect idolatre. Ils pleuraient chacuri de ceux qui mouraient et 1'enterraient en graride pompe. Plutarque raconte aussi, dans son ouvrage Adversus stoicos, que, de son temps, il existait une population qui avait pris pour roi un chien dorit le portrait etait grave sur les inonriaies. Mairit peuple s'est egalement laisse gouverner plus tard par uri chien rogue et dangereux ne se distinguant de Fespece ordinaire que parce qu'il n'avait que deux pieds de moins. En un mot, on a tellcment venere les chieris, qu'ori les a eleves jusqu'au firmament^ places parmi les etoiles, et Ton voit briller le grand Chien^ a Fesl, sous Orion, et le petit Chien, au sud, sous les Gemeaux. PHYSIOLOGIE DU CHIEN. 5 L'histoire, de son cote, nous revcle de nornbrcuscs particu- larites sur les chiens. Herodote rapporte quc le grand Cyrus avait dispense qua t re \illes de toute contribution, parce qu'elles avaient sporitane- inent nourri de nombreux cbieris royaux. Alcibiade paya > selon Plutarque, pour un de ses chiens de chasse, la somme enorme pour ce temps -la de sept mille drachmas (environ cinq mille six cent vingt-cinq francs). Barnabo Visconti possedait cinq cents chiens de chasse, qui claient nourris par les couvents de Bologne et des environs. A Genes, dans le jardin du palais Doria, on voit un magniiique mausolee en marbre, eleve a la memoire d'un chien qui fut le lavori du brave inarin Andre Doria. Ce chien, decede en 1605, re-gut pendant toute la duree de sa vie du roi Philippe II d'Espagne une pension annuelle de cinq cents ducats d'or. 11 le chien etait servi par deux esclaves, qui lui apportaient sa pitance dans des plats d'argent. Frederic le Grand fit elever un monument semblable, dans le jardin de Sans-Souci, a sa chienne bien-aimee Alcmene. Une autre chienne, Biche, qui etait tombee aux mains des Autri- chiens a la bataille de Soor, en 1745, lui fut rendue, sur ses instantes prieres, par le general Radasdi. Le philosophe de Sans-Souci etait, du reste, un grand amateur de chiens : certain jour ne dit-il pas au marquis d'Argens : J'aime tous les chiens, excepte les Autrichiens. A Voltaire, qui ne pouvait comprendre sa predilection pour les chiens, Frederic se plaisait a citer le peuple moiosse, qui faisait a ses chiens de splendides funerailles; les Agrigentins, qui elevaient, en 1'honneur des chiens, des statues commemoratives avec inscriptions; Alexandra le Grand, qui, en 1'honneur d'un chien mort, avait construit une ville; 1'empereur Adrien^ qui, en memoire de sa chienne decedee, ordonna de grands banquets le jour des funerailles : et Serge, 4 HISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. qui, en souvenir de son chien Arzibour, devore par les loups, avail dccrete un jour de jeune general dans tout son royaume. Les chiens ont loujours cu leurs places dans les palais sou- verains. Le levrier de Charles IX est historique. Henri 111 raffolait des cariiches. Je me souviendrai toujours, dit M. de Sully, de 1'allitude et de 1'attirail bizarre ou je trouvai ce prince uri jour dans son cabinet. 11 avail 1'epee au cote, une cape sur ses epaules, une petite loque sur la tete, un panier plein de petits chiens pendu a son cou par un large ruban, et il se tenait si immo- bile, qu'en nous parlant, il ne remua ni lele, ni pieds, ni mains. Le roi Charles XII de Suede fil enterrer solennellemeril son chien favor i Pompe el composer pour lui des poesies et des epi- laphes. L'imperalrice Calherine II de Russie aimail aussi son epa- gneul Rogerson au dela de loul, el, apres sa morl, elle com- posa a son sujel une epilaphe en frangais. Mais ce n'esl pas seulemenl parmi les tetes couronnees qu'il y a eu de grands amateurs de chiens; les savants et les poe'tes en complent aussi un nombre considerable. Le celebre cardinal Pietro Bembo possedail un chien donl la morl 1'affligea profondement. Le philosophe, astrologue et alchimiste Corneille Agrippa de Nettesheim avail jour el nuil pres de lui un chien qui reposait sur ses pieds el passail aux yeux des gens superslilieux pour uri diable deguise. Le savanl Jusle Lipse avail trois chiens, qui s'appelaienl Mops, Mopsulus el Saphims : il les aimail au poinl qu'il fil peindre chacun d'eux a parl el qu'il leur dedia des poemes a tous Irois. Le dernier, qu'il cherissail plus tendrement, elant PHYSIOLOGIE DU CHIEN. 5 tombe dans un vase d'eau bouillanle, Lipse ecrivit a son ami Philippe Rubens : Tristis hsec scribo et juxta lacrymas, non rideo. Saphirus meus obiit et id violenta morte. On voit, a la biblio- theque de 1'universite de lena, le portrait de Juste Lipse peint avec un chien dans les bras. Le fameux jesuite Maimbourg etait un amateur si passionne des chiens, qu'un jour il prit ces animaux pour sujet d'un ser- mon, dans lequel il decrivit exactement le chien du roi David, et compara les dcrgues anglais aux jansenistes, les matins aux trappistes et les vigilants chiens de garde aux jesuiles. Un autre reverend, le pere du Gerceau, qui ecrivit la Vie dc Rienzi, a aussi chante son chien Mirtille. Paul Scarron dedia un de ses romans comiques au petit bi- chon de sa soeur, auquel il avait donne le nom de Girillemette. Lorsqu'il se brouilla avec sa famille, il eut la mecliancete dc mettre dans la seconde edition parmi les errata de la pre- miere : Au lieu.de : la chienne de ma sceur, lisez : ma chienne de scsur. Bruzen de la Martiniere dedia la seconde partie de ses En- tretiens des ombres aux Champs-Ely sees au chien favori du libraire Uytwers, d' Amsterdam. Un poe'te anglais, Swift, si je ne me trompe, fit hom- mage d'un de ses ouvrages a son petit epagneul. Le roi Henri IV, le modele des souverains franc,ais, aimait fort les chiens, ce qui prouvait sa bonte. Devenu roi de France, le Bearnais, qui possedait un toutou chcri, nomme Fanor, 1'envoya a Dieppe pour y prendre les bains de mer, ce qui crea historiquement la reputation therapeutique des bains diep- pois. II parait que Fanor, maigre roquet, si Ton en croit la chronique, avait pense que la faveur du roi son maitre lui per- meltait de chercher impunement noise a un matin de race tres-roturiere et fort peu end u rant. Le roquet du roi fut hous- f, TI1STOIRE DES RAGES DE CHIENS. pille, et apprit a ses depens qu'un titre honorifique ne donne pas droit d'insolence. Henri IV envoya Fanor a Dieppe pour guerir ses blessures dans Feau salee. Le gouverneur de la ville, Charles-Timoleon de Beaux-Ongles, seigneur de Sygognes, offrit an blesse des festins de Balthazar, et gagna ainsi la faveur d'Hcnri IV, qui disait tres-serieusement : - Qui m'ayme ay me mon chien. Le roi Cliarles X avail pour ses meutes une consideration toule particuliere, dont un volume precieux, le Livret des chasses royales de 1828, fait mention. Madame Deshoulieres composa une tragedie sur la mort du chien favori de son ami (la Mort de Cochon, chien de M. le ma- rechal de Vivonne, Amsterdam, 1709). Une ducliesse franchise prit le deuil a la suite de la mort de son chien et regut, dans son lit, les compliments de condo- leance de ses amis, Un comte de Clermont porta egalement le deuil de son chien Citron, et chargea son aumonier de composer une epitaphe pour le defunt. Cette epitaphe, la voici : Ci-git Citron qui, sans peut-etre, Avait plus de sens que.... son maitre. Une comtesse autrichienne clevait toute une armee de petits griffons, et, lorsque Pun d'eux mourait, elle faisait dire une messe. La princesse Anne de Wurtemberg, qui vivait en 1753 a Moempelgard et faisait ensevelir ses chieris dans des cercueils de plomb, couvrit un jour les bras d'une de ses cameristes, qui avait ri de cette habitude, de nombreuses piqures d'epingles sur lesquelles elle repandit ensuite de la cire a cacheter en ignition > 9 PHYSIOLOGIK DU CIIIEN. 7 ce qui fit condamner la trop sensible princesse a cinq annees de bannissement par le tribunal de Colmar. Newton avait un epagneul qu'il aimait beaucoup. Un jour, il le laissa seul dans son cabinet, et Diamant renversa, en jouant, une bougie qui consuma les calculs auxquels le savant avail consacre une partie de sa vie. Celte perte etait irreparable. Newton se contenta de pousser un soupir, et dit tranquillement a son chien : - Diamant, tu ne te doutes pas du tort que tu m'as fait. Alphorise Karr a eu Freischutz, qui le mangeait un pen, et notre grand poe'te Lamartine est eritoure de levriers splen- dides. Mon illustre ami Alexandre Dumas a eu de nombrcux cbiens autour de lui dont il a raconte les faits et gestes dans cet amusant recit intitule : Histoire de mes betes. L'empereur de Russie, Alexandre II, lors de son dernier voyage a Nice ou il conduisait, aim d'y retablir sa sante, son fils mort depuis si prematurernent, avait a sa suite, sous la garde d'un domestique, un admirable setter, noir jais, de forte taille, a soies magnifiques, et de formes admirables. Mylord, tel est le nom de ce chien que 1'empereur affectionne tout particu- lierement, qui ne le quitte jamais, meme dans ses chasses a Fours, ou, couche a ses pieds dans la neige, il reste dans une immobilite complete, spectateur impassible de Faction. Jadis excellent pour Parret, Mylord., en sa qualite de favori, est de- venu aujourd'bui un chien d'appartement, qui se contente de temps a autre, et quand la chose lui convient, de rapporter la piece tuee. II est excessivement doux, et, compagnon insepa- rable de l'empereur Alexandre II, il le suit pas a pas, non-seule- ment dans Finterieur des salons du palais, mais jusque dans son cabinet de travail, ou il a sa place reservee. C'est lui qui, durant la nuit, garde la porte de la chambre a 8 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. coucher de son maitrc, et le tzar, qui tient a le nourrir de sa main, ne permet a personne, sauf a son aide de camp particu- lier, de lui donner la moindre chose. Notre souverain Napoleon III n'est pas exempt de cette faible tendresse pour les chiens. Je pourrais citer maint quadrupede qui a cte flatle et choye par lui. Je borne ma mention a son dernier favori Nero qui lui a ete offert par M. le baron de Bulock. Nero est uhe admirable bete an poil noir, a Pceil in- telligent, aux allures a la fois fieres et debonnaires, car il est 1'ami intime de Brucker, le chien du marechal Vaillant. Dans les salons des Tuileries, comme a Biarritz, Fontaine - bleau ou Compiegne, Nero a ses grandes entrees, des qu'une porte est entr'ouverte et il penetre au milieu de la societe, malgre les rappels de Felix et des huissiers du cabinet dont il a trompe la vigilance. L'Empereur le gronde bien un peu, il fait mine de le faire emmener par un huissier, mais 1'animal resiste et se couche a plat ventre. Tout aussitot les dames lorsqu'il y en a ou les messieurs implorent sa grace : Nero demeure tranquillement couche dans uri coin et ne remue plus qu'au moment ou Ton apporle le the, qu'il apprecie fort sous la forme de gateaux. Quelle bonne tete de chien que celle de Nero qui m'a, une seule fois, je Tavoue, donne la patte et tcndu la tete a caresser ! II n'est pas de nation qui airne autant les chiens -que celle dc laGrande-Bretagne. Un des proverbes anglais esl celui-ci : Love me, love my dog. En aucun lieu du monde, on ne trouve d'aussi beaux chenils qu'en Angleterre. Le palais des chiens du due de Richmond a coute, dit-on, vingt mille livres sterling, et celui du due de Bedford soixante-dix mille. Bon Dieu ! je le demande sincerement a mes lecteurs, le sort de tous ces chiens n'est-il pas enviable? De tous ceux que le Createur du monde a mis sur la terre, PHYSIOLOGIE DU CHIEN. 9 pour la plus grande joie de 1'homme, le chien de chasse esl sans contredit le plus sympathique, car il sert aux plaisirs de Fhomme, et lui est necessaire pour pourvoir a ses besoms gas- tronomiques. II va sans dire que Pouverlure de la chasse, une des inventions de nos moeurs civilisees, est pour le chien une fete et une satisfaction donnee a sa gloriole, a son amour- propre. Pendant six mois de Parmee, il a attendu cette heure solennelle, comme le fait un comparse qui doit avoir un role dans une pice nouvelle. Tel braque, tel epagneul, tel pointer, rempli de talents qu'il ne demandait qu'a exhiber, a etc re- duit a rester au chenil, a ne sortir que traine en laisse et force de devorer la honte de la museliere, en depit de toutes les re- presentations faites par son maitre aux agents entetes de Pau- torite qui s'obstinent a donner cette puerile salisfaction aux timores, persuades qu'ils sont, disent-ils, qu'un chien muscle n'est pas darigereux, tandis qu'ils devraient savoir que la rage d'etre prive d'air engendre Phydrophobie; le seul bon sens le dit : mais, helas! les sourds n'entendent point ! Les pauvres chiens de chasse aspirent done lous a Pouver- ture de la chasse, a cette heure sans pareille qui leur rendra leur liberte et leur permettra d'etirer leurs membres au milieu des guerets, des luzernes et des betteraves, a Pombre des taillis et des ronciers de la foret, desireux qu'ils sont tons de meriter les caresses et les flatteries de leur mailre, qui seul peut leur donner les moyens de devenir artistes dans leur genre, tandis que jusqu'alors ils n'etaient que comparscs. Mes confreres en Saint-Hubert ont ete assez souvent en bulte aux plaisanteries des sceptiques a la foi cynegetique, pour que je me pose, la plume eri main, comme un defenseur un don Quichotte peut-etre de leur passion inoffensive. Qu'on le sache bien, une fois pour toutes, ce qui en traine un vrai Nemrod, ce n'est point Pappat plus ou moins fallacieux de tuer 10 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. pour les manger, ou meme afm de pouvoir les offrir a ses amis, lievres, perdreaux, cailles, chevreuils, lapins, becasses, canards, etc., mais bien ledesir de faire travailler, de procurer un plaisir a son chien, au comedien habile qui est souvent maitre passe en fait d'art. Get homme a 1'accoutrement bizarre, au chapeau excentrique, aux harnachements, aux caparagons souvent ridicules, qui ar- pente les guerets, se mouille dans les trefles, comme s'il y cherchait son petit couteau, de peur d'etre gronde par son papa; cet homme qui suit son chien pas a pas, allant de ci, de la, comme s'il accompagnait un... cochon (sauf vot' respect) cher- chant des truffes : c'est un spectateur idolatre de son comedien favori, un admirateur d'un talent hors ligne. On a beau medire du noble plaisir de la chasse, dont 1'origine remonte aux epoques les plus reculees de 1'antiquite, a la sortie de 1'homme du paradis terrestre ; on a beau dire que le massacre des perdreaux, ces parents eloignes des pigeons, des indisciplines de Pordre reglementaire promulgue par 1'homme, est une boucherie inutile ; que 1'assassinat d'un lievre, le roulement d'un lapin, sont choses mechanics et que les maris, les amants, les ministres, ont grand tori d'aban- donner des journees entieres leurs femmes, leurs maitresses et leurs portefeuilles pour se leindre les mains de sang : nul ne pourra arreter ce torrent dechaine de la passion cynegetique. Ellea ete,elle est, elle sera. Alphonse Karr, lui-meme, tu quoque, a cru devoir dire ceci centre Pemportement irresistible du chasseur : On voyage pour avoir voyage, on chasse pour avoir chasse ; on ne se pro- mene pas, on se demene, on ne regarde pas Pespace, on le devore. Allons done! moi qui suis loin depretendre au talent de mon illustre confrere, je ne lui jetterai aucune grimace au visage et ne lui reprocherai point sa passion pour... la peche. PHYSIOLOGIE DU CHIEN. 11 L'une'vaut 1'aulre, assurement; mais, a tout prendre, j'aime rnieux chasser que pecher... a la ligne. Quel plaisir, lorsqu'apres une marche frenetique a la pour- suite d'un gibier nombreux, on rentre le soir au logis, 1'esto- mac criant famine, le gosier pret a dessecher un lac de medoc, et quand, apres s'etre change, on s'assied autour d'une table elegamment servie, pres de femmes charmantes, devant un trophee de bougies, egaye et egayant, joyeux et dormant du plaisir aux autres ! Je sais bien que certains esprits mal faits reprochent aux chasseurs de ne parler que de leurs exploits et qu'on leur par- donne aussi peu leurs histoires banales, qu'on excuse les vieilles culottes de peau de narrer leurs batailles et leurs vic- toires. Mais quand, a cote d'un chasseur, vient un Nemrod modeste, qui attribue toute la gloire a son chien, rendant a Cesar ce qui appartient a Cesar, on ne se lasse pas d'exalter le quadrupede, en admirant sa sagacite et sa haute intelligence. Qu'il est beau, le bon chien de chasse, lorsqu'il bondit en avant au depart, en exhalant sa joie, en caressant son maitre, dont il mordille les mains en signe d'affection ! A peine sorti de sa niche, il se sent libre et abuse un moment de sa liberte. Mais patience ! nous voici hors du pare, et la bete folle a tout a coup repris ses allures de sagesse. On dirait Alcibiade devenu tout a coup Louis XL D'une anarchic complete, le chien a passe a une politique profonde. Grace a son Hair exquis, il depiste le gibier \oile a tons les yeux ; sa queue se roidit, et il adresse a son confident de. nombreux signes d'intelligence. Attention ! voyez-le poser delicatement sa patte, la lever de me" me, retenir son souffle, reprimer toute envie de rire, toute velleite d'eternuer. Bing ! le coup est parti, et une fois la deto- nation produite, le bon animal, au milieu de la fumee, s'est elance pour reparaitre a 'instant la queue en panache, galopant 12 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. ot portant a la gueule, tantot un perdreau, tantot un lievre ou bien un faisan. On dirait un acteur qui ramasse les couronnes qu'on lui a jetees. Decidement, 1'affection que 1'homme porte au cliien est juste ; jc dis plus, elle est meritee. Toutes les natures douees du sens moral, amies de leurs semblables, les organisations d' elite qui ont pour principe que la bonte est le don d'un e"tre superieur, ou meme encore les organisations ordinaires restees candides mal- gre les mechancetes des hornmes, toutes ces natures onl un penchant pour le chien. Quelque neglige qu'il soit par son maitre, il ne tient pas moins a lui par des liens affectueux ; car il est le reflet moral de 1'humanite, comme le singe est notre reflet physique. Cette bonne bete a le regard de Thomme, regard qui est la traduction de ses sentiments, de ses sensations, j'allais dire de ses pensees. La compagnic d'un chien est une compagnie. Le cote plaisant (je n'entends pas dire ridicule) du chien, consiste dans sa demarche, dans ses intonations de voix, dans ses propos, dans son sommeil meme, car il est bon nombre de chiens qui songent a des lievres rotis ou a des perdreaux en sal- mis, comme les hommes a des fonctions lucratives ou a des decorations etrangeres. Son cote moral ressemble fort a celui du genre humain ; rempli de sublimites et de bassesses, dc lachetes et d'audaces, de sociabilite et de mesintelligence, de ridicule et de bon sens, de vices et de vertus; gourmand, gourmet, paternel ou lascif; grossier ou poli, desinieresse ou egoiste, independant ou ser- vile ; tels sont les chiens, tels sont les hommes ! Eux comme nous ont dans leurs rangs des parvenus, des ilotes, des despotes, des envieux ou des philosophes. Pour eux aussi bien que pour- nous, 1'habit fait le moine et ils aboient, souvent meme ils mordent celui dont la toiletle n'est pas irreprochable. Tel PHYSIOLOGIE DU CHIEN. 15 chien, eleve au salon, meprise son pere relegue a la cuisine ; dedain du riche pour le pauvre. Petillant comme s'il etait heureux de vous retrouver, celui-ci vient a vous, laissant voir un rictus a ses babines : on dirait qu'il sourit : vous lui donnez un morceau de pain trempe dans de la sauce, il se sauve et ne vous connait plus. Cherchez des fails semblables aulour de vous : ils ne manquent pas. Ces chiens amis de tous ceux qui les caressenf, ne ressem- blent-ils pas a ces hommes prets a serrer la main au premier venu? Mais, par centre, ceux-ci ne se livrent pas aussi facile- ment et n'accordent leur estime, 1'estime d'un chien ! qu'a bon escient. Ils se tlaltent de juger les bipedes et se trom- pent moins sou vent que nous. Les ennemis des chiens ont voulu faire courir le bruit que la pauvre bete elait peureuse, servile; se sont-ils regardes ceux- la, pour ne pas avouer que leur vulgarite etait au-dessous de celle du chien ? Non, les chiens ne sontpas laches parcequ'ils lechent la main qui vient de les rosser, souvent d'une fac.on tres-injuste. Ils pardonnent les injures, et cela d'une fac.on tres-chretienne. J'avoue qu'il y a des chiens effrontes ; mais, bon Dieu ! com- bien de cyniques parmi les hommes ! Les uns, comme les au- tres, sont des Diogenes, mais j'ai connu bon nombre de chiens plus pudiques qu'une miss du continent anglais et exprimant de leur mieux le mot shocking. Pourquoi tant d'hommes qui ne revent qu'a manger, trou- vent -ils mauvais que bon nombre de chiens ne songent qu'a leur (errine de soupe ! Et la nuit, quand on ne peut dormir, grace aux jappements qui se repondent d'ici, de la, ne songe-t-on pas, tout en mau- greant, que ces aboiements ressemblent fort aux cancans des villages et des bourgs de tous les pays? 14 HiSTOIRE DES RACES DE CHIENS. Regardez la-bas, devant cette porte, un roquet malpropre, impeigne; une chaise de poste eftleure la porte, et soudain le chien s'elance aux jambes des chevaux et contre le moyeu des roues. Le mailre du chien parait, et on entend cet individu trapu, hargneux, murmurer ces mots : Ces canailles de riches! Tel maitre, tel valet. Examinez ces deux chiens qui se montrent les dents tout en reculant : ils grognent et retrogradent toujours, image f'rap- pante de ces chercheurs de dispute qui n'ont mutuellcment dc courage quequand ils sontloin de leurs insultes. Voici ensuite le chien magnanime, dedaignant les cris in- senses d'un carlin, et representant le liberalisme et la force. Qui done oserait nier que 1'espece canine est le miroir des carac- teres de I'hurnanite? J'ajouterai meme que ces quadrupedes hoi s ligrie sont si bieu faits pour riiomme et si harmonieusement photographies sur lui, qu'un type analogue au leur est toujours chose trouvable. Tel homme, tel chien. Suivez bien mon raisonnement : Le levrier est le symbole de Faristocratie de haute lignee, d'une valeur incertaine, mais d'une grace exquise. Le terre-neuve, c'est la force aristocratique, simple, grande, spirituelle. Le braque, le pointer, affables, pleins de charme, d'une in- telligence au-dessus de 1'ordinaire, plutot bons que mechants, sont le prototype de la plupart des gens. Le chien de berger n'est-il pas rude, grondeur et rigide sur la consigne comme le douanier et lesergent de ville? Le boule-dogue, rapace et cruel, ne represente-t-il pas a rios yeux le preteur sur gage, Pusurier ? Voyez le basset, crotte jusque par-dessus 1'echine, d'une ac^ PHVSIOLOGIE DU C1IIEN. 15 tivite incessante, et comparez-le avec rhomme d'affaires, de la ville et de la campagne. Le terrier, c'est le depisteur de bibelots anciens et mo- dernes. Le bichon de la Havane, joujou de provenance douteuse, est a mesyeuxune de ces vicieuses poupees recouvertes de soyeuses eloffes par des vieillards impuissants. Le barbel et le griffon sont prototypes des moralisles de la race canine, dont le caniche^Pacademicien. Le bloodhound en est le cannibale, car, cornme lui, il mange la chair hwnaine de ses semblables. Quant a ces chiens turcs et maures, batteui's d'eslrades sur le macadam, ou plulot la boue des grandes villes de 1'Orient, ne sont-ce pas les bohemes de 1'espece ; eux qui ne savent ou diner et qui pourtant ne se couchent jamais le venire vide? Un de mes confreres de lettres et de . . .fantoccini, Lemercier dc Neuville, a decouvert le chien boherne, qui s'altache auxpas d'un homme bien mis ou d'unc cuisiniere de grande maison, lui inspire de la pitic, se fait heberger, bien garnir 1'estomac, et le lendemain, des 1'aube, profile d'une porte ouverte pour decamper. Le roquet personnifie la bourgeoisie mesquine, egoi'ste, lou- jours opposee aux principes de liber te et de liberalite. Le matin, c'est le portrait de ce souteneur aux epaules herculeennes, pret a se quereller avec to us les passants. Le chien-loup, au col rehausse d'un carcan de fourrure, represente les cochers hisses sur le siege de leur vehicule. Quant au carlin, le mythe, le a chastre, Yoiseau rare de 1'espece canine, s'il est disparu, c'est que son type correlatif n'exisleplus de nos jours. Qu'imporle, apres tout ! le chien est aimable, il faut 1'aimer. Depuis que je connais les homines, moi qui vous parle^ amis 16 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. lecteurs, je prefere a tout la compagnie des chiens. Et pourtant dans la famille des chiens, s'il y a des individus qui se de- vouent et se font tuer, qui ne reprochent jamais 1'os qu'ils out offert, qui franchissent mille lieues pour retrouver leur maitre, s'associent a son chagrin, partagent son malheur et meurent s'il meurt ; il en est d'autres qui sont gloutons. egoistes et renegats. Et puis,n'est il pas juste d'avouer que nous autres hommes, nous aimons trop a montrer notfcpouvoir, et que nous abusons du chien en en faisant noire ilote? Si nous nous laissons prendre a des airs de soumission, de complaisance, nous nous plaisons aussi a exhiber notre despotisme et a jouir de 1'amitie que nous prodiguons a ces animaux. L'homme se caresse au chien, comme le chat se caresse a 1'homme. D'ailleurs, nous n'avons rien a dire, apres tout, car Peducation du chien est la notre, puisque nous la lui donnons nous-memes. Pour resumer ce chapitre, j'ajouterai ceci : le chien repre- sente 1'humanite avec ses merites et ses \ices. Aimons done le chien : de celte fagon nous serons porles a aimer nos semblables. II L'ORIGINE DU CHIEN Le chien est, sans contredit, apres Thomrne, 1'animal qni possede le plus d'amativite. C'est lui que leCrealeur de toutes choses a designe pour etre le compagnon iidele et Fami du roi de la terre. Celui-ci met a contribution certains quadrupedes que la so- ciete a appeles des animaux domestiques, pour 1'aider dans ses travaux et servir a ses plaisirs : mais des que leur tache est accomplie, il les rend a leurs patures, ou les parque dans des lieux couverts a 1'abri des intemperies de 1'atmo- sphere. Plusieurs races de chiens, au contraire, suivent 1'homme sous le toit qu'il habite ; ils s'associent d'eux-memes aux joies et aux tristesses de leurs maitres et veillent sur eux pendant leur sommeil. Les premiers animaux domestiques dont parle la Genese, - 18 IIIST01RE DES RACES DE CHIENS. ce livre rempli do traditions aulhentiques, sont le mouton et la brebis. Abel etait berger. Naturellement un chien, com- pagnon de sa solitude, aide de son labeur, avail ele place pres de lui par le Createur supreme. ()uel etait cet animal? a quelle race apparlenait-il? Nul ne saurait repondre a cetle question, dont, au reste, aucun iri- dice ne trabit le mystere autre que celui de la tradition he- braique. On ne pent done iaire autre chose que de supposer ceci, c'est qu'il faisait souche de Pespece des chiens de berger et que le Createur du monde, qui a multiplie les especes d'oi- seaux et d'animaux d'une meme farnille, quoique d'une forme, d'un plumage ou d'un poil differents, avait egalement cree des chiens de diverses races. Libre a M. de Buffon de dormer pour origine aux types mul- tiples de Pespece canine un etalon et une lice, un loup sans louve, sortis du paradis terrestre; c'est la urie fantaisie de haul style qui ne prouve rien, Ne vaut-il pas mieux croire au discours latin de Grolius dans son poe'me de la Chusse : ORIGINE DU CHIEN. 19 Mille canum patriae, Audi ab engine mores Cuique sua '. Quoi qu'il en soit, des le commencement du monde, le chien etait le protecteur de Phabitation des liommes. Chez les Remains, 1'irnage de ce qiiadrupede etait reproduite sur le piedeslal des statues consacrees aux dieux lares, gardiens du logis et de la famille. Depuis Page le plus recule, noustrouvons le chien participant aux travaux de I'homme, partageant avec lui les dangers et se livrant, de compte a demi, aux plaisirs de la chasse. Des les premieres phases de la civilisation, 1'liomme se donne, pour compagnons de travaux, des auxiliaires empruntes aux quadrupedes dociles de la creation, mais le seul ami qu'il garde pres de lui est le chien, dont les services sont Jibrcs et qui a etc reconnu par le roi de la terre comme susceptible de reconnaissance el d'affection pour son bienfaiteur. Dans tous les pays du globe et a quelque epoque que Ton se reporte, on troirve enlre I'homme et le chien une liaison bien differente de celle qui relie a lui les autres quadrupedes. Le boeuf et la brebis obeissent a ses ordres, mais leurs affec- tions sont personnelles et toutes relatives a leur progeriiture. C'est a peine si quelques individus de ces deux races se dis- tinguent, de temps a autre, de leurs congeneres et monlrcnt a leurs maitres un certain sentiment d'intelligence quand ils se trouvent avec lui, de fac.on a lui prouver qu'ils le reconnais- sent. La plupart ne manifestent ce sentiment qu'a ceux qui leur donnent leur provende ordinaire. Le cheval une exception a la regie generale partage 1 Les chiens out eii nriille patries difterentes, et cliaque race a une origiue et des instincts qui lui sont propres. (Traduction.) '20 HISTOIRE DES RACES DE CIIIENS. nos plaisirs. On le voit eprouver une joie toute particuliere a suivrc urie chasse, et quand, sur I'hippodrome, il est lance a fond de train avec quelques-uns de ses rivaux, on comprcnd bieii vite quclle emulation Pentraine vers le but et lui fait doubler sa vitesse pour arriver le premier. La se borne rintelligence des chevaux,et a quelques ex- ceptions pres il en est peu qui reconnaissent leur maitre et luiprouvent par des tremoussements, par leremuementdeleur queue, ou leurs cris, le bonheur qu'ils eprouvent a le voir pres d'eux. leur vraie joie ne se manifeste qu'au moment ou 1'homme leur apporte leur avoine, ou leur botte de foin. G'est la ce qu'on appelle Intelligence de I'estomac. Le chien est le seul animal susceptible d'une affection desin- teressee ; lui seul considere 1'homme comme son souverain el son compagnon; lui seul se plait a 1'accompagner partout comme un veritable ami; lui seul manifeste a chaquc inslant le desir de lui etre agreable et utile; lui seul se montre hen- reux de s'attacher a son maitre par un mouvement spontane qui bien souvent n'a eu d'autre moteur qu'une simple caresse, ou un mot dont 1'inflexion lui a paru flatteuse. Le cheval a qui 1'on ole son mors, retourne aussitot a son paturage, ou rentre dans son ecurie, landis que le chien, qui nous a suivi a la chasse, qui est harasse de fatigue, nous ac- cornpagne partout et ne nous quitte point, continuant ainsi son role d'ami devoue et deserviteur fidele, nous prouvant par des signes affectueux et des actes sinceres la joie qu'il ressent a r ester pres de nous. Le chien partage aussi bieri 1'abondance de la maison riche que lapenurie de la cabane pauvre. Vivanl, il nous aime; expi- rant, il nous cherit toujours, et souvent un chien ineurt cou- rageusement pour defendre encore son maitre. Exemple uni- ORIGINE DU CHIEN. 21 que ou du moins ires-rare parmi les bipedes, n'en deplaise a rnes semblables. Comme animal de trait, le chien rend de grands services dans certains pays. Que deviendraient les habitants des re- gions glacees si le chien ne trainait pas leur chariot a patins? Comment feraient les Lapons, les Kamtchatkadales si ce bon quadrupede n'entrainait pas leur vehicule sur les couches de neige durcie avec une rapidite telle que bien souvent ils fran- chissent plus de cent milles par jour? A Terre-Neuve, 1'on emploie les chiens a trainer, de la mon- tagne au rivage de la mer, les billes de sapin qui forment un des points les plus irnportants du commerce de 1'ile, et dans les differents comtes de 1'Angleterre, le chien, bete de somme, a sa place marquee dans les services demandes par la civilisa- tion aux animaux. A dire vrai, a Londres comme a Paris, 1'usage a engendre Tabus, 1'ignorance a eu pour consequence la brutalite, In cruaute meme, et a Pheure qu'il est, les chiens traineurs sont defendus par une loi speciale dans la capitale de la Grande- Bretagne, et en France par uri decret qui s'apelle la loi Grammont. Nos voisins d'outre-Manche semblent desirer voir cette pro- hibition s'etendre dans tout le territoire duRoyaume-Uni, et leurs journaux, organes de toutes les opinions, sans aulre con- trole du pouvoir, contiennent journellement a ce sujet des reclamations qui ameneront un jour ou 1'autre la promulga- tion universelle de la loi anglaise dans toute Tetendue du pays gouverne par la reine Victoria. Cette loi ramenera le chien a son etat normal dans la crea- tion, car il a etc destine non point a trainer des fardeaux, mais a veiller a la siirete de riiomme, a 1'accompagner et a Taimer. 22 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Pour ne citer qu'un exemple parmi les races de la gent ca- nine qui sauvent leurs maitres au peril de leur vie, je nom- merai le chien de Terre-Neuve, le sauveteur le moins medaille du monde et celui qui meriterait le plus de 1'etre. Dans le musee de Berne on rnontre aux visiteurs un terre- neuve empaille qui, sa vie durant, a arrache quarante-sept personnes a une noyade certaine. Ce n'est pas seulement pendant sa vie que le chien est utile a 1'homme : dans un grand nombre de pays, et meme en cer- tains endroits dont on ne se doute pas, le chien une fois mort sert aux besoins du roi de la nature. Sa peau se change en gants, en jarnbieres, en tapis, en tabliers d'ouvriers. Les Romains, c'est un fait certain, prisaient fort un chien gras et dodu pour un repas fin ; il n'y a done rien d'etonnant que les peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amerique considerent le chien comme un quadrupede propre a leur subsistance, etnous aurions mauvaise grace de nous moquer des Chinois pour qui un chien est un mets exquis. Si le volume que j'offre aujourd'hui au public etait le pre- mier de ce genre, je pourrais, je devrais meme m'etendre bien au long sur les nobles qualites de ce bon quadrupede; je me bornerai dans un chapitre special a raconter certains fails celebres et quelques autres qui me sont personnels. J'ai deja dit precedemment ce que je pensais sur 1'origine du chien et quels etaient mes motifs de croire que les races creees par le maitre du monde avaient ete diverses. Buffon n'est point le seul qui ait fait descendre uniquement le chien du loup. Tin celebre professeur anglais, M. Thomas Bell, auteur d'un ouvrage forl interessant sur 1'histoire des quadrupedes, professe haulement la meme opinion. II se fonde en cela sur Pexamen de 1'osteologie du chien, qui differe a peine de celle ORIGINE DU CHIEN. 25 de Panimal feroce; sur le crane qui a la meme forme, sur les croisements que Ton pourrail operer entre les deux especes. On pourrait bien objecler a ces raisonnements que le chien, dans tous les pays du monde, a quelque race qu'il appartieniie, est doue d'une pupille circulaire, tandis que chez les loups cette meme pupille est oblique. Le docteur Bell, un savant a d'ordinaire reponsc a tout, prouve que le chien a la disposition de regarder en avant, par cefte seule raison que depuis... trcs-longtemps, le deluge peut etre, le chien s'est accoutume a regarder I'hornme de- vant lui et a n'obeir qu'a sa voix.Pour un homme instruit c'est la une plaisanterie inadmissible. II suffit d'avoir \u quelquefois des loups, en Europe, comme dans les autres parties du monde, pour comprendre quelle dif- ference il y a entre cet animal et le chien, comme types, et cela par la forme de la pupille, celle de la queue, et particu- lierement encore par le langage. J'ajouterai enfin que Ton trouve des chiens dans toute 1'etendue du monde, sous toutes les latitudes, sous tous les cli- mats, tandis que le loup n'est pas universellement connu et ne hanle que certaines contrees. Je n'oublierai pas non plus de menlionner ce fait, que les moeurs et les gouts des uns et des autres different d'une facon toute speciale. Tandis que le chien est sociable, doue d'un naturel affec- tueux, le loup conserve toujours, apeu d'exceptions pres, un caractere sombre et peu susceptible d'assouplissement. On cite parmi les exceptions la femelle qui s'humanise en mainte occasion avec le chien, et cede aux desirs de ce der- nier a 1'epoque de ses feux. Ce sont la des cas tres-excep- tionnels. On cite encore, comme preuve de la domestication possible 24 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. des loups, et par consequent de cette possibilite d'une descen- dance de la souche primitive metamorphosee a 1'heure qu'il est en chiens d'especes diverses, la louve de Mussidan, dont le Journal des chasseurs a raconte la vie dans son vingt et unieme volume. Buffon a pretendu que le loup ou la louve apprivoises ne s'attachaient pas a leur maitre : c'est la une erreur. Le grand naturaliste en a commis bien d'autres ! Sarah disait le narrateur, tel est le nom de la louve aime celui qui Ta prise et qui la garde. Elle se plait a rester aveclui. Cet exemple n'est nullement convaincant ; d'une part il est unique, et de 1'autre il appert que dame Sarah etait d'une voracite feroce, qu'elle etrangla deux chiens, qu'elle devalisa la cuisine et devora un agneau dans la bergerie de son maitre. 11 est probable que si ce dernier avait voulu corriger Sarah, celle- ci eut montre les dents, et peut-etre meme eut-elle saute sur la main qui la chatiait. Quelle difference, il faut en convenir, avec le naturel du chien qui esl soumis au supreme degre ! II leche la main qui le frappe, sans rancune, comme si rien ne s'etait passe! II n'est pas probable que 1'homme ait eu assez d'influence ou de pouvoir pour modifier ainsi Finstmct et Pappetit naturel du loup, de fagon a en faire un chien. On a egalement mis en avant, dans cette recherche de 1'ori- gine du chien, le chakal d'Afrique, d'Asie et d'Amerique 1 , regarde par quelques notables de la science comme une des souches de plusieurs varietes connues. De nos jours un savant illustre, M. de Quatrefages, attribue 1'origine du chien au chakal. 1 Le chakal de 1'Amerique du nord s'appelle coyote dans le pays, particu- lierement au Mexique, dans la Californie et les prairies indiennes. ORIGINE Dtl CHIEN. 25 En observant les mceurs de ces quadrupedes africains, asia- tiques et am6ricains, on verra qu'a part les habitudes sociales enlre pareils, les instincts sont fort differents de ceux des chiens, comme on pourrait s'en convaincre en examinant a fond la question. Mieux encore, dans les pays chauds ou resident les chakals, chaque fois qu'on amene un chien, au lieu de le voir vivre en sante, procreer et prosperer, on s'aperc.oit qu'il deperit, dege- nere et meurt souvent, pour ne pas dire toujours. Les chakals apprivoises conservent loujours une sauvagerie sans pareille, et 1'influence de 1'homme ne peut point parvenir a assouplir ce caractere indomptable ; tandis que le chien de- venu sauvage reprend tres-facilement ses habitudes domes- tiques du moment ou il se trouve en contact avec 1'homme. Je ne citerai pour exemple que cette page du recit des naufrages du navire Wayer, faisant partie de la flolte de 1'ami- ral Anson : Nous rencontrames plusieurs troupes de chiens sauvages, mais il ne nous fut jarnais possible de les approcher d'assez pres pour en tuer un seul. Un jour, en rodant c,a et la, nous apercumes une ventree de jeunes chiens qui, des qu'ils nous virent, allerent se cacher dans des trous, comme font les lapins; nous les poursui- vimes, et, a force de fouiller dans le sable, nous les trou- vames. Cette decouverte nous determina a nous reunir lous pour aller fureter dans les terriers que nous avions remarques aux environs. Nous vinmes a bout de nous emparer de treize jeunes chiens que nous ernportames dans notre cabane, a dessein de les ap- privoiser, s'il etait possible. Avec le temps, Us devinrent aussi dociles que des epayneuls 26 HISTOTRE DBS RACES DE CHIENS. anglais, et nous rendirent de tres-grands services. Ghacun do nous avail sa petite meute. Ces chiens chassaient a merveille; ils nous tuaient souvent des armadilles latous et meme une fois ils nous forcerent un cerf Dans une de nos chasses, nous fimes rencontre d'un trou- peau de cochons sauvages; nos chiens se mirent a leurs trousses et saisirent deux jeunes marcassins. .. II est certain que les chiens sauvages dout il s'agit etaient semblables a ceux qui obeirent a 1'homme dans les premiers temps, a 1'epoque ou 1'animal n' avait point encore subi la vo- lonte de la creature essentiellement divine. On remarquera co- pendant que ces chiens se creusaient des terriers, ce que ne font pas d 'ordinaire les quadruples de la race canine appri- voisee. M. de Quatrefages, a 1'appui de sa theorie, raconte, d'apres les details que lui a fournis M. Lartet fils, attache a la suite de M. le due de Luynes pendant son voyage d'exploration de la mer Morte, le cas suivant, qu'il trouve tout a fait concluant. Le noble due avait ramene de Syrie deux chiens de bazars, pris tout jeunes dans les fosses de Jerusalem. Quelquc temps apres leur arrivee en France, on s'aperc,ut que la femelle etait pleine. Aubout du temps voulu, on reconnut qu'elle etait delivree, mais on ne trouvait pas les petits. Apres bien des recherches sculement, on les decouvrit au fond d'un terrier de 2 metres de profondeur, que la mere avait creuse en cachette dans un coin ecarte du pare. Et M. de Quatrefages ajoute ceci : C'est que, fille d'une race qui vit libre et sans maitre, quoique au milieu des villes, cette chicnne avait conserve ou retrouve ses instincts natifs, attestant ainsi une fois de plus, au milieu de nous, saparente avecle chakal. ORIGINE DU CHIEN. 27 Mais les chiens tie bazars sont de vrais chakals, des chiens sauvages,^ non point des chiens de la vraie race. Voila, a mon avis, la difference qu'il y a entre le vrai chien et son congenere du genre carnassier. Certains naturalistes ont voulu donner pour souche a la race canine le cynhyene de PAfrique centrale, ou le cyon de I'Hyma- laya. Ce sont la, il n'y a pas a en douter, des races de chiens sauvages distinctes, comme Test le levrier sauvage decouvert par le voyageur Rueppel dans les montagnes de PAbyssinie. La domesticite n'est done point la cause unique et absolue de la variete des races canines ; tout concourt a prouver que ces varieles ont eu des souches diverses, et cela se voit rien qu'en comparant les formes et les caracteres exterieurs, rien qu'en examinant les instincts particuliers qui predestinaierit ces creatures a servir aux besoins de Fhomme. II est seulement extraordinaire que Tori n'ait pas retrouve, dans les pays nouvellement explores, les types primitifs de ces chiens sauvages ; on cut ainsi resolu un des plus interessarils problemes de 1'histoire naturelle. II ne faut pas esperer rencontrer en Europe aucun type d'ori- gine primitive, car en examinant ce qui se passe pour les autres races, on verra qu'un grand nombre d'animaux auxiliaires de rhomme ont disparu des contrees ou ils habitaient. On ne les rencontre plus que sous la main de celui qui les a domptes a son usage. Le cheval lui-meme, s'il existe en manades nombreuses, dans la Tartarie, 1'Amerique du Nord et celle du Sud, n'est en ces endroits que par le fait de Fabandon de rhomme, qui Py avail amene en venant conquerir lepays. Quant a la formation des varietes multiples, eu egard au nombre restreint de la creation, on Texpliquera facilement en se disant que ceux des nnimaux primitifs soumis par rhomme 28 I1ISTOIRE DES RACES DE CHIENS. qui Font suivi dans ses peregrinations lointaines, se sont trou- ves en contact avec leurs congeneres et ont produit des \arietes par le croisement, dans des conditions toutes particulieres. Je n'entends pas pretendre que ce fait se soit toujours pre- sente; 1'importation et 1'acclimatation ont bien plus fait quc I'accouplement d'especes diverses. Mais il est certain que 1'homme a guide lui-meme la multiplication ou la destruction de certaines races, selon ses besoins, ou plutot la bizarrerie do ses gouts. C'est ainsi que nous avons vu les chiens a double nez, pro- duits d'un jeu de la nature, faire souche, ainsi que les animaux a queue courte, resultat d'une paternite dont les ancetres, do pere en fils, avaient eu Pappendice caudal relranche, etc., etc. Je reviens main tenant aux recherches faites sur Porigine du chien, sur la taille colossale ou minuscule de ces quadru- pedes. M. Georges Pouchet m'a fourni la-dessus des documenls tres-curieux, fruits de recherches parfaites. Daubenton, a la fin du siecle dernier, a essaye de se rend re compte par des mesures exactes des differences que pouvaient presenter deux individus appartenant a la race canine. Le plus gros chien de montagne qu'il examina mesurait, du bout du museau a 1'origine de la queue, l m ,52 ; il etait haut de 0"',77. On connait aujourd'hui des races de chiens plus grandes que cela. -- Le plus petit bichon que put se procurer Daubenton n'avait que O m ,22 de long sur O m ,1l de haut. Nous ne croyons pas que cet ideal ait ete surpasse a aucune exposilion de chiens. L'antiquite ne parait pas avoir connu ces petits etres turbu- lents et desagreables qui faisaient deja au seizieme siecle les delices du monde elegant. D'ou viennent-ils? de qui descendent-ils? comment se sont ORIGINE DU CHIEN. 29 formes ces prodiges d'abatardissement et ces merveilles de de- crepitude? On ne sail trop. Ce qui est certain, c'est qu'ils sout le fruit de la domesticite et de 1'eselavage. (Test a dessein que j'emploie ce mot d'esclavage; il est le seul qui qualifie avec une rigueur scientifique la condition du chien dans les civilisations avancees. Get animal est soumis, devoue jusqu'a la mort, tant que 1'on voudra ; mais il est esclave et ces preuves d'abnegatiori dans 1'etat servile sont loin d'etre rares. Peut-etre meme ne sont-elles pas 1'exception. Ce qui fait 1'esclave, c'est la docilite au fouet du maitre^ le chien a vendu sa liberte au premier coup qu'il a endure. Bien differente est la position sociale du chat, qui n'est pas uri esclave, et a traite avec I'homme en lui disarit a sa maniere : Je t'aiderai, je purgerai la maison de rats, de souris, de mulcts et de toute cette vermine qui ronge ton bien. Mais toi, a tori tour, tu me donneras le gite et la patee, ce sera mon sa- laire. Je me reserve le droit de te quitter aussi bien que lu as celui de me cbasser. C'est ainsi que parlent les egoistes, ceux qui n'airnent rien, on bien pen de chose, qu'eux-memes. Le fait est que I'homme ne serait pas fache d'avoir deux de ces amis commodes semblables au chien, courbant 1'echirie sous les coups et obeissant a tous ses commandements. Comme je 1'ai dit plus haut, 1'origine des rapports entre riiomme et le chien a ete une association libre, telle qu'elle convient a deux etres forts et armes tous les deux pour le com- bat. Presque partout les voyageurs ont retrouve le chien libre- merit associe a riiomme plutot que son esclave : dans la plus grandc partie de PAfrique, dans les deux Ameriques, en Aus- tralie, dans plusieurs archipels de la rnei du Sud, et enfin chez 50 HISTOIRE DES RACES DE CHIEFS. tous les peuples circumpolaires, au dela des regions ou le renne trouve encore le modesie lichen qui suffit a ses besoins. Mais depuis quand le chien s'est-il ainsi fait 1'associe de, 1'homme? et depuis quand est-il devenu son esclave? com- ment cette transformation s'est-elle operee etaquclle epoque? Ce sont ia autant de questions a peu pres insolubles, dans Tetat actuel de nos connaissances. En remontant aussi loin que possible le cours de 1'histoire, la seule decouverte qu'on ait faite, c'est que, la ou elle com- mence, le chien etait a peu pres ce qu'il est aujourd'hui. II faudrait remonter encore, et au dela nous ne trouvons plus que la geologic, qui ne peut pas nous appreridre grand'chose avec des ossements, sur les rapports de Phomme et du chien. On coric,oit qu'il ne peut plus etre question ici de carlins, ni de havanais, ni interne d'epagneuls, de levriers, de bassets ou de dogues. Les geologues appellent du nom de chien la grande famille ou on rencontre avec celui-ci le loup, le chakal et le reriard. Tous ces animaux se ressemblent par la conformation inte- rieure de leurs organes et par leur squelette. C'est pour ccla qu'un certain nombre de naturalistes n'ont pas hesite a regar- der le loup et le chakal comrne la double source d'ou seraieril descendues toutes les races de chiens aujourd'hui connues. C'est la une erreur, car il existe, au centre de 1'Asie eh particulier, des chiens completement sauvages qui forment des especes distinctes, au meme titre que le loup et le chakal. Le chien, pris dans la large acception que donnent les na- turalistes a ce nom, n'est pas un tres^ 7 ieil habitant de la terre* II serait plus raisonnable de dire simplement qu'on ne Ta pas rencontre jusqu'a ce jour tres-profondement dans les couches du sol, car nous ignorons la surprise de demain. C'est a peine si nous avons ecorche la surface de nos conti- OK1GINE DU CHIEN. 51 nents, et nous n'avons guere apergu que le seuil du prodigieux monde des morts. Aujourd'hui meme quelques debris d'os remues par un terrassier ou par un mineur peuvcnt venir bou- leverser tout ce qu'on croit sa\oir, et prouver que le chien, 1'homme peut-etre aussi, cxistaient deja dans des ages bien autrement recules . Les plus anciens ossements de chiens connus remontent an temps ou se sont deposees les assises des carrieres a platre de Montmartre. Cuvier a trouve la des debris irrecusables attestant Pexis- tence deces animaux au milieu d'especes aujourd'hui perdues. C'etait Page ou le palaeotherium et Panoplotherium broutaient Pherbe et le feuillage sur un continent qu'aucun etre a forme humaine n'avait encore foule. Plus tard, beaucoup plus tard, nous voyons le chien mele aux fossiles du deluge. Etait-il deja en ce temps-la un ami pour rhomme? 1'a-t-il aide a se defendre des elephants, des rhinoceros, des grands cours des cavernes? ou s'est-il mele d'abord a tous ces ennemis? S'il estvrai que Petal ou vivent aujourd'hui les trilnis ex- tremes du pole ait quelque analogic avec Pexistencc de nos ancetres du deluge, on peul admeltre que le chien etait deja pour eux un auxiliaire et un allie. On a beaucoup parle depuis quelque temps de ccs amas pro^ digieux d'ecaillcs de coquilles qu'on .trouve sur les cotes du Dancmark. Apres avoir longlemps disserte sur Torigine de ces debris qui forment parfois d'iinposantes assises de terrain, il a fallu se rendre a ^evidence. Ce sont les reliefs gigantesques de repas seculaires; On les appclle en Allemagne les debris de cuisine- G'est la place ou des generations sans nombre ont jete les co- quilles dont P animal les avait nourries. 32 H1STOIRE DES RACES DE CHIENS. On y trouve meles des os de chiens. Ceux-ci etaient vraisemblablement les compagnons de ces infatigables pecheurs d'huilres, de moules et de coquillages de toute sorte. 11s ont du parlager ces maigres repas, dont le menu montre assez que I'homme n'avait pas encore dresse le chien a chasser pour lui. La domestication proprement dite du chien n'eut lieu sans doute qu'apres bien des siecles d 'alliance libre. Elle suppose chez le mailre une civilisation deja raffmee. L'epoque ou se fit cette transformation nous echappe; il faut la placer, selon toute apparence, longtemps avant Finvention de Fecriture, longtemps avant le commencement de 1'histoire. Quand nous remontons aux plus anciens monuments graphiques que nous ait laisses le passe, nousy trouvons precisement la preuve irrecusable que deja existaient plusieurs races distinctes de chiens dornestiques. Au dela de 1'histoire, dans les horizons brumeux des ori- gines aryennes, on a cru retrouver aussi la preuve que le chien etait deja, dans les demeures de I'homme, a peu pres ce qu'il est chez nous. II faut se defier de ces recherches dites dc pa- leontologie linguistique. Mais si nous en sommes reduits a de vagues hypotheses pour ce qui est des Aryas, au moins est-il certain que les livres sa- cres de 1'Inde et de la Perse viennent attester 1'antique domes- tication du chien dans ces regions de 1'Asie, pendant qu'a Textreme Orient, les plus vieux monuments de la litterature chinoise semblent contirmer par un temoignage indirect ce que nous disent les Vedas et le Zend-Avesta. Les cinquante noms que porte le chien en Sanscrit suffi- raient seuls a prouver la domestication du chien et les ser- vices varies auxquels il sc pretait deja sous plusiours formes. Le principal de ces noms, cvau, serait ineme, au dire des liu- gnistes, la source dc tons ceux qui ont servi a le designer dan-s OlUGhNE DU CHIEN. 55 I'antiquite, et ineme de tous ceux par lesquels on le designe aujourd'Jiui dans les differenls idiomes de 1'Europe. Le Zend-Avesta, cetle autre expression sublime de la civi- lisation aryenne, est precisement de tous les livres sacres de TAsie celui qui mentionne le plus souvent le chien, un des trois animaux que la religion mazdeenne prescrivait anx fideles de nourrir dans leur demeure. Un passage du Irvre dit m6me ceci : Lorsque le chien a six mois, il i'aut qu'une jeune liile le nourrisse ; cette fille aura le meme merite que si elle gardait le feu, fils d'Ormuzd. 11 est curieux de voir un traite chinois, qui ne le cede guere en antiquite aux saints livres aryens, le Ghou-Kiny, ne parler au coritraire du chien que comme d'un animal elranger et qui n'aurait fait que depuis peu son apparition dans 1'Est de I'Asie. Voici Thistoire telle que In raconte M. de Quatrefages. C'etait vers 1'an 1122 avant notre ere (j'emprunte ces faits a VRlstolre de la Chine, par M. Pothier), c'est-a-dire a peu pres a 1'epoque de la guerre de Troie, peut-etre a ce moment ou le noble Argus, immortalise par Homere, expirait de joie en re- voyant son maitrc. Le prince Fa venait de detroner le dernier des Chang et de fonder la dynastie des Tcheou. Sous le norn de Wou-Wang, il regnait sur un immense empire, et recevait de toutes parts hommages et tributs. Parmi les cadeaux eri- voyes du pays de Lou, situe a 1'ouest de la Chine, figurait un grand chien que le roi Guerrier (signification litlerale du riom de Wou-Wang) semble avoir accueilli avec une faveur trop marquee, car elle lui altira de serieuses remon trances de la part du premier ministre. UnTai-Pao, sorte de grand personnage, s'exprime ainsi dans le Ghou-Kiny en adressant une remoritrance au prince Fa Wou- 5 34 IIIST01RE DES RACES DE ClllENS. Warih : Un chien, un cheval, sonl des animaux etrarigers a notre pays, il n'en faut pas nourrir. Le Chou-Kiny fut ecrit du \ingt-deuxieme au vingt-septieme siecle avant Jesus-Christ. Si la Chine, a cette epoque, regardait le che\al ei le chien comme des nouveautes, depuis longtemps elle nourrissait les vers a soie, et ses riches industriels s'habillaient d'etoffes cha- loyantes, tandis que dans les forets de la Gaule, des especes de sauvages, nos peres, \etus de peaux, se faisaierit la guerre et se taillaient des pirogues avec des armes en hronze et des outils en pierre. On s'est etonne de ne retrouver le chien dans aucurie des scenes pastorales de la Genese. Le passage de ce livre sacre relatif a Nemrod, qui fut le premier chasseur, n'en fait pas meme mention. L'art a represente le chien de Cain defendant son maitrc contre les betes affamees de la terre. C'est la une tradition rabbinique qui a sa source en dehors du texte meme des \er- sets sacres : elle date de 1'epoque du Talmud. 11 est meme probable que les ecrivains d'Israel ont tres-long- temps ignore que le chien put servir a la garde des troupeaux. En Egypte, meme de rios jours, il .n'y a jamais ete employe. On ne trouve mention du chien de berger, dans la haute anli- quite, que sur les vieilles peintures etrusques. Une autre omission des livres hebraiques, plus singuliere, est celle-ci^ que le chien ne figure pas meme dans la triple liste d'animaux purs et impurs que trace le Levitique. Un tel oubli ne semble pas eh etre un. On serait prestjue eh dfoit de se demander si les premiers legislateurs des douze tribus n'aVaient pas rapporte du pays d'Anubis quelque chose de celte vague terreur qu'inspirent OH1GINE DU CHIEN. 5> encore les chiens, apres le soleil couche, aux habitants de la vallee du Nil. Pour tout ce qui touclie aux moeurs d'interieur, ce sont les hypogees de 1'Egypte qui donnent les renseignements les plus precis sur Thistoire du chien domestique. Quelelecteurveuille bieri me suivre a 1'extreme limit e de 1'antiquite monumentale ties pharaons. Cette limite est marquee par de si grandes choses, qu'elle laisse deviner derriere elle un passe au moins aussi grand quo celui qui nous en separe. Les plus prodigieux monuments de 1'Egypte sont justement les plus anciens : le Sphinx et les Pyra- mides. Qu'on retourne comme on voudra la question ; meme enl'ab- sence de toute ecriture, n'est-il pas evident qu'il a fallu des sie- cles a un peuple, si bien doue qu'on le suppose, pour inventer le cordeau et 1'equerre, pour apprendre a tailler et a mettre en place les pierres de lagrande pyramide, pour savoir dresser les plans d'un pareil monument et mener a bonne fin une entre- prise architecturale que jamais les plus orgueilleuses civilisa- tions n'ont egalee? La preuve trouvee qu'a Pepoque ou se dressait la graride pyramide de Giseh, ou du moins peu apres, le chien etait deja aussi profondement modifie par Pesclavage qu'il Test de nos jours, amerie Ibrcernent Thomme qui i'ait des recherches a renoncer a decouvrir les origines de la domestication. Mais on peut encore considerer cette preuve comme toute nouvelle, apres tant d'autres, de Tantiquite aussi prodigieuse qu'inconnue de la civilisation dans la vallee du Nil. Voila done au moins trois mille ans que le chien a atleinl, de Pest a 1'ouest, les deux extremites de Tancien monde^ et les monuments egyptiens atteslent qu'il etait en Afrique bieri avant cette epoque. 50 HIST01RE DES 1UCES DE CHIEFS. Apartir de ce moment, toules les fois qu'un document de nature a Jeter du jour sur cettc question nous est revele, nous y voyons 1'homme et le chien associes ou marchant ensemble a la coriquete du monde. En feuilletant Fceuvre immortelle dela commission d'Egyple, et surtout le grand ouvrage de Lepsius, on peut clairement se rendre compte qu'une exposition de chien s a Memphis ou a Thebes, au pied du meme obelisque quifait si triste figure sur la place de la Concorde, a Paris, n'eut pas ete sans variete et sans interet. Peut-etre n'y eut-on pas trouveces roquels inutiles qui font les delices de nos dames, mais bien des epagneuls, des levriers, des bassets, des dogues, lesquels eussent ete nobleinent representes. La boutique de colliers n'eut pas meme fait defaul; il y en avait a cette epoque de fort jolis, brodes et festonries, avecdes agrements en couleur. Deja, dans un tombeau qui date de la quatrieme dynastic, on troiwe la representation tres-nette d'un levrierde grandelailie. C'etait sans doute le favori du mort. II portele collier au cou : c'est done bien un animal domestique qu'on a dessine au ci- seau sur cette pierre. La quatrieme dynastie florissait vers 1'an 3400 avant Jesus- Christ. II n'etait pas encore question de 1'obelisque de la place de la Concorde. Mais le monument le plus curieux pour 1'histoire du chien est un autre tombeau ouvert a Berii-Hassan. Sans etre aussi vieux que le precedent, il est encore d'urie antiquite fort re- commandable : il appartient a la douzieme dynastie; il est par consequent anterieur a Rhamses III, mieux connu sous le nom de Sesostris. II date de 2300 ans environ avant Jesus-Christ. C'est a peu pres 1'epoque ou les savants de Port-Royal ont place le deluge, la tour de Babel et la confusion des langues. ORIGINE DU CHIEN. 57 11 ne faut pas trop leur en vouloir : ils n'avaient pas comma nous a leur disposition les travaux des Champollion, des Rosel- lini, desLepsius et des Mariette. Cetle tombe, dontnous parlons, est celle de quelque fanieux sportsman du temps. Les egyptiologues ont dechiffre son hiero- glyphe : il avail nom Roti 1 . L'habitude etait, en Egypte, de pcindre dans les tombes des morls les objets de leurs affections et aussi leurs occupations habituelles. Le seigneur Roti est re- presente chassant la gazelle avec Pare, entoure de ses piqueurs ctde ses chiens qu'on mene couples. Ce personnage'possedait une meute qui n'eut pas depare une exposition, a ceci pres que son chenil n'avaitpas d'unilbrme ; ce n'efait sans doute nila mode, ni le grand ton. Ainsi un epagneul blanc, tachete de noir et de roux, esttenu par la meme couple qui retient un levrier aux oreilles droites, de pelage uniforme et de couleur noisette. On voit aussi representes sur la tombe du seigneur Roti des chiens qui ont les oreilles coupees au ras de la tete, sans doute pour des chasses speciales. Quant a ce qui est de toutes les petites especes de chiens, on ne connait point de monuments del'antiquite qui les rappelle. On dirait qu'ils sont sortis du moyen age. Ce qui est posilif, c'est qu'ils etaient en favenr aupres des raffines du seizieme siecle. I La facilite qu'ont eue de tout temps les professeurs de langues inconnues pour lire, ex abrupto, les hieroglyphes qui leur etaient presentes, me rappelle le fait suivant. M. Champollion revenait d'Egypte et passait a Aix en Pretence. Invite -a de- jeuner parM. S..., amateur de curiosites, 1'idee vint a ces messieurs, apresle repsB, d'ouvrir une caisse renfermant une momie comme pour se divertir. Le cercueil est eventre ; c'etait celui d'une femme. On deroule les handelettes qui entourent le cadavre, et Ton trouve a 1'extremite de 1'une d'elles un signe hie- roglyphique. M. Champollion s'en empare, le regarde, et s'ecrie sans hesiter : Elle s'appelait Dade, c'etait la reineDade.w II lallait le rroire, ou... y aller yoir. On y crut. 38 I1ISTOIRE DES RAGES DE CHIENS. Le Veronese nous les montre sur les tables, jouissant deja de toutes les caresses et de toutes les licences. Les grands chiens etaient seuls recherches des anciens et seuls estimes. L'emotion que causa dans Athenes la celebre fantaisie d'Al- cibiade montre tout le as qu'on faisait d'une belle bete ct tout le prix qu'on y mettait. On ne savait pas de plus riches presents a faire que des chiens. La tradition veutqu'une reine d'Ethiopie ait envoye a Alexan- dre urie meute de quatre-\ingt-dix de ces animaux dresses a la chasse aux hommes. Dans une autre circonstance, quand le conquerant macedo- nien etait en marche pour 1'Indus, on lui amena des dogues enormes. C'etait sans doute la meme race qu'on dit s'etre per- petuee jusqu'a nos jours dans le Thibet. Les rois des rois en avaient a leur cour : un curieux bas- relief assyrien de 1'epoque de Nabuchadnedzar nous montre un de ces chiens depassant de la tete le coude de l'homme qui le mene en laisse. Les lions et les tigres devaient toe leur gibier. Leurs maitres furent cette forte race d' hommes que M. Miche- let nous montre sauvegardant la notion du droit et du devoir sur les apres plateaux de 1'Iran. On ne comptait, en Grece, que trois principales especes de chiens : la premiere, la plus vantee, venant d'un chien et d'une chienne de Lacedemone; la seconde, d'un chien de Lacedemone et d'un molosse; la troisieme, la moins estimee, d'un chien de Lacedemone et d'un renard. L'historien Xenophon ne nomme que deux races : les Alope- cicles (tueurs de renards) et les Castorides (chiens de Castor). Ces derniers, originaires de la Laconic, etaient ainsi nommes, parceque Castor, si connu pour sa passion pour la chasse, ai- mait particulierement cette espece. L'auteur grecest cependant ORIGINE J)U CHIEN. 50 d'avis qu'avec le temps ces deux races se mdlerent ensemble, au point de ne plus 6tre distinguees. Les chiens d'une seule couleur n'etaient pas estimes chez les Grecs. Pendant mori sejour aux Etats-Uriis, mon honorable ami, M. Stephens, qui avail fait plusieurs voyages dans le Yucatan, m'a montre divers monuments quiches prouvant que le chien se trouvait a la cour de Xibalba, dans la ville de Palenque, comme en font foi les legendes de Nohalpu et de Exbolanque. Chez lesMahoris, les premiers colons partis d'Harvalki pour la Nouvelle-Zelande emmenerent avec eux le chien que Ton retrouve dans toute la Polynesie. On voit les traces de cette migration dans les chants sacres recueillis par sir Georges Gray. 11 va sans dire, et en cela je suis de 1'avis de nos naturalistes franc.ais, que dans ces nombreux voyages, le chien a subi d'im- portantes modifications qui ont produit de nouvelles races ; mais il est inadmissible que cerlaines especes de chiens sau- vages soient identiques avec des chiens civilises, et ne soierit que les fils, devenus libres, d'animaux soumis a Phomme dans les temps recules. Si ce fait peut exister, et encore est-il contestable, pour PAmerique du Sud, ou Ton trouve, dans la republique Argen- tine, des limiers sauvages, tres-redoutables et horriblement feroces, soi-disant echappes du camp de 1'armee espagnole, il n'y arien d'equivalent dans PAmerique du Nord, ou le coyote et les loups ne se civilisent point, ni dans les autres parties du monde, ou les chiens sauvages ou libres, si mieux on aime, sont tout simplement des carnassiers qu'il serait impossible de dompter et de soumettre a la volonte humaine. N'en deplaise a nos illustres naturalistes, le diozo de PAus- tralie, le buansn du Nepaul, le paria de PInde et de PHimalaya, 40 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. le dhole des monts Rhangani, sont bien des especes distinctes qui n'ont point leurs semblables, meme approximativement, dans les races civilisees. Que, dans un temps donrie, Thomme, avec sa tenacite ordi- naire, parvienne a croiser, s'il le croit opportun et utile, les races libres avec les races asservies, cela se comjoit, cela est possible; mais il faut des siecles pour dompter un animal sauvage, et nul de nous ne pent dire ce que sera le monde d'ici la. En attendant, contentons-nous d'avoir sous la main des ani- maux aussi utiles, aussi bons, aussi doux, aussi devoues que les chiens des races humaines. Le chien n'a pas son pareil dans tout Poeuvre de la creation. Ill (.'INTELLIGENCE DU CHIEN Quoi qu'on ait dit et quoi qu'on en dise, detous les animaux crees pour Phomme, le chien est le plus sagace, le plus intel- ligent. II sait raisonner, supputer, cornpter, comprendre la parole et deviner par Pexpression des yeux, par un geste, un signe, un rien. II suffit de s'occuper du chien, de 1'elever, de le tenir a ses cotes pour le voir graduellement se developper en intelligence, en sagacite : je dirai plus, en esprit. Cette aptitude, le chien la montre non-seulement a la chasse, mais encore dans les choses les plus elementaires ou les plus difficiles de la vie interieure. A mon avis, cependant, comme a celui de bien des gens, un chien qui joue aux cartes ou aux dominos ne vaut pas un chien qui chasse avec discernement et suivant les regies. II n'est chasse que de bons chiens, dit le proverbe, et les proverbes ont rarement tort. 42 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Buffon a dit quelque part : Le chieri, sans avoir comme 1'homme la lumiere de la pensee, a toute la chaleur du sentiment : il a, de plus que lui, toute la fidelite, la Constance dans les affections. Buffon s'est trornpe, et certes ce n''est pas cette seule fois qu'il a fait erreur. Le chien pense, et la meilleure preuve, c'est que lorsqu'on le punit pour certaine chose, il n'y revient plus si son maitre est la. Mais celui-ci s'est-il absente, le naturel revient au galop. Qui nierait que ce ne soit la pensee qui le fait agir ainsi ? A la chasse, le chien ne consulte-t-il pas son maitre du re- gard pour savoir ce qu'il va faire? si c'est a droite ou a gauche qu'il doit se diriger? Le chien s'agite et gambade lorsqu'il voit toucher a 1'attirail de chasse ; que se passe-t-il done chez ces animaux? Un phe- nomene intellectuel que nous appelons le souvenir ; .ils se rap- pellent, unissent et composent a leur maniere 1'impression produite par la souvenance d'une impression passec. Ils ont done la memoire et associent leurs idees. Saint Basile, a 1' oppose de Buffon, s'exprime ainsi : Le chien raisonne et sait la dialectique. Saint Ambroise ajoute : Aucun animal ne se souvient, comme le chien, d'un bienfait ou d'une injure. Or, raisonner, se souvenir, n'est-ce pas penser? Le degre d'instruction que certains chiens peuvent recevoir, les habitudes qu'on leur fait contracter, tout cela developpe en eux ce souvenir, qui devient de plus en plus net et precis. Le chien d'un de nos amis avait le defaut, lorsque celui-ci dejeunait au coin du feu, de passer devant lui pour aller prendre le morceau de pain qu'il lui tendait du cote oppose a celui ou il etait couche, et il laissait quelques-uns de ses poils attaches a ses vetements. Un jour son maitre le frappa legerement, el INTELLIGENCE DU CHIEN. 45 depuis ce moment, le chien fait toujours le tour du fauteuil. Nous ne voulons pas pretendre que ce chien ait conc.u les idees superieures de Futile et du nuisible. Nous n'avons pas besoin de le croire capable de generaliser les idees, de les com- parer autrement que d'une maniere empirique ; non, rnais le jour ou il a passe trop pres des genoux de son rnaitre, il a rec,u une petite correction, et c'est le souvenir de cette correction, unie au fait de passer devarit le fauteuil, qui lui a fait com- prendre que Tune des deux choses serait suivie de 1'autre ; tel est le principe de toute conception chez les animaux. De meme le tout jeune enfant qui s'est brule ou qui s'est blesse en tou- chant a de certains objets, s'abstiendra desormais d'y porter les doigts. Ainsi, de ce que les animaux sentent, perc,oivent et associent les idees, il en resulte qu'ils ont une intelligence. J'ai lu quelque part qu'un veterinaire avait reboute la patte d'un chien. Celui-ci, quelques mois apres, revint pres du doc- teur, eleve d'Alfort, en lui amenant un caniche qui s'elait casse la cuisse. Les chiens ont la plus grande aversion pour les remedes, et cependant, apres la seconde ou la troisieme dose, ils se pre- tent d'eux-memes, quand ils sont malades, a Tadminis- tration de tout ce qu'on juge a propos de leur offrir. Elzear Blaze raconte qu'un de ses chiens se tournait vers lui.... du cote de la queue, quand il etait.... constipe. Le chien est acteur, comme il est joueur. Du temps de Ves- pasien, un chien, nomme Zopian, parut sur le theatre et y fit flores. C'est Plutarque qui 1'assure. De nos jours, ne voit-on pas chaque soir des chiens se m61er aux acteurs et jouer leur role aussi bien que ces mes- sieurs dans les drames de nos grands auteurs? Albert le Grand raconte qu'un chien tenait la chandelle dans .44 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. la gueule, tandis que son maitre prenait son repas. C'est ce meme savant qui a laisse un traite fort explicite pour dresser des chiens de saltimbanques. En somme, 1'Ecriture sainte dit qu'un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort ; et 1'Ecriture a toujours raison. La celebre Ninon de Lenclos avait un chien nomme Baton, qui 1'empechait de manger des mets qui pouvaient lui faire mal, de boire des liqueurs qui Feussent excitee. Le chien de 1'aveugle, cette providence d'un infortune, un caniche d'ordinaire, n'est-il pas le type de ['intelligence ? Le chien a ete honore par toutes les peuplades de la terre en raison des services qu'il rend, de Intelligence qu'il deploie, del'amour qu'il voue a 1'homme. Les Egyptiens avaient un si grand attachement pour cet ani- mal, qu'a la mort d'une chienne, il ne devait plus rester un poil sur tout leur corps, et qu'ils se couvraient le visage et le corps de boue. Les sauvages de 1'Amerique du Nord accordent au chien une haute et unique origine : Le Grand-Esprit, disent-ils, apres avoir cree le ciel, la terrc ct les animaux, voulut faire mieux, en donnant 1'etre a Fhommc et a la femme; comme il tenait dans sa puissante main la matiere a ce destinee, il la partagea en deux parties egales, et de son souffle il anima la premiere qui fut rhomme; mais comme il voulut que 1'homme fut maitre de tout, il retrancha un peu de ce qui allait devenir Cemme, et il fit le chien, qu'il mit a leurs pieds. Pline rapporte plusieurs exemples curieux de I'attachernent et de la fidelite du chien. Solin affirme qu'on ne put jamais separer un chien de son maitre condamne a mort, et qu'il raccompagna au supplice en poussant des hurlements affreux. INTELLIGENCE 1)U CHIEN. 45 Elien raconle qu'un chien se laissa mourir de laim sur le tornbeau de son maitre. Antigone de la cecite, le bon animal dirige les pas du pauvre aveugle et s'arrete a la porte charitable, tandis qu'il neglige celle de 1'egoisle. Cela se peut-il compreridre sans ratiocination ? a dit Mon- taigne. Le chien calcule et raisonne, et c'est pour cela qu'il reve, partarit il se rappelle. Lucrece (livre IV) a ecrit a ce sujet sept vers dignes de passer a la posterite, dans lesquels il depeint 1'aiiimal errant, se demenant dans son sommeil, comme s'il assistait a une chasse au lievre. Ne craignons done point, en accordant aux animaux quelque peu de notre intelligence, de ravaler la nature humaine.N'alloiis pas refaire, avec notre esprit mesquin et etroit, 1'oeuvre de la creation. Le souverain dispensateur des dons de la nature a jete sur le globe toutes les facultes intellectuelles, comme le semeur jette dans ses sillons la graine qui doit germer ; con- statons seulement ou elles sont tombees, et ne soyons pas assez temeraires pour critiquer ses volontes. D'ailleurs 1'homme a sa large part. II a, ce que ii'auront jamais les animaux, les notions de 1'infini qui le renderit capable d'avoir 1'idee de Dieu. Je reviens a ceci, que le chien est le seul etre de toute la creation animale qui moritre un atiachement parfait,le seul qui comprenne les desirs de Fhomme, qui se plie a ses habitudes, qui se sournette a ses volontes, qui s'ideritifie avec lui comme un ami. Le service de 1'homme, tant qu'il y a entre eux un seul lien, est une necessite de son existence. On lacheles chiens de Siberie pendant 1'ete pour qu'ils trou- vent leur vie comme ils peuvent : ils ont beau etre surcharges de travail, traites avec brutalile et a peine nourris, ils n'en re- 40 HISTOIRE DES HACKS DE CHIENS. viennerit pas moins chez leurs maitres a 1'approche de Timer, pour se laisser atleler de nouveau au traineau et parcourir les steppes couvertes de neige au grandissime galop, suivent les habitudes du pays. Le chien jparia de 1'Inde, lorsqu'il n'a ni maitre ni asile, s'al- lachera a un etranger et epuisera tous les moyens de seduc- tion pour se faire adopter par lui. On a vu un de ces chiens ac- eompagner pendant un temps considerable, en tenant les yeux fixes sur lui, certain personnage qui voyageait rapidement en palanquin, et continuer sa course jusqu'a ce qu'il tombat sur la route, epuisede fatigue. Cette sympathie du chien pour I'homme est evidem'ment un don special de la Providence, accorde dans Finteret de notre espece. D'autres animaux surpassent le chien en beaute et en force, et pourtant le chien seul est, dans toutes les parties du globe, 1'allie de rhomme, parce que liii seul est doue d'un caractere qui le rend sensible a nos avances et docile a nos \olontes. La reduction du chien a 1'etat de domesticite est, selon Cuvier, la conquete la plus complete, la plus utile, la plus singuliere INTELLIGENCE DU CHIEN. ' :i / 47 que nous ayons faite, et cette conquete, ajoute-t-il, fut peut- elre essentielle a Fetablissement de la societe. Sans le chien, nous aurions ele la proie des betes que nous avons subjuguees. Le chien est, suivant la charmante expression de M. Blaze, un transftige qui, abandonnant nos ennemis, a passe dans noire camp, pour nous aider a nous rendre maitres du monde anime. Cerlaines especes de chiens sont douees d'une force et d'un courage vraiment extraordinaires. L'anecdote, rapportee par Plinc, de ce chien albanais d'Alexandre qui triompha successi- vement d'un lion et d'un elephant, a tout 1'air d'un conte; on peut en dire autant des circonstances ajoutees par Elien, qui nous apprend qu'on lui coupa 1'une apres 1'autre, la queue, les paltes et la tele, sans parvenir a lui faire lacher prise, sans meme qu'il manifestat aucun signe de douleur. Le colonel H. Smith fut temoin d'un combat entre un dogue et un bison : le dogue sauta aux naseaux de son ennemi, et s'y tint cramponne jusqu'a ce que le bison furieux 1'eut ecrase. Le basset tient tete a des beles \ingt fois plus grosses que lui ; il a beau lre cruellement dechire, il meurt sans laisser echap-^ per un gemissement. Le chien qui, par son agilite, procure au sauvage le gibier dont il se nourrit, sait aussi le proteger par son courage. Nous avons peu d'especes domestiques qui possedent au meme degre ce courage et ce mepris de la dou- leur. La nature developpe dans le chien les facultes qu'exigent les circonstahces* tin chien esquimau, amene en Angleterre, fai- sait usage de certains stratagemes a peu pres inconnus a nos chiens d'Europe, qui ne sont point, en general, obliges de vivre de leur indtistrie : il eparpillait son manger autour de lui, puis faisait semblant de dormir, afin d'attirer la volaille et les rats, qu'il ajoutait regulierement a son ordinaire. 48 H1STOIRE DES RACES DE CHIENS. Meine chez nous, les chiens qui chassent pour leur propre compte font preuve de plus d'intelligence que ceux qui chassent pour le compte de leur maitre. On salt 1'hisloire de ce chien d'arret qui s'etait associe avec un levrier ; Pun, ayarit 1'odorat plus fin, se chargeait de decouvrir le gibier, 1'autre, aux jambes plus agiles, de 1'attraper. On cut quelques soupc,ons sur la conduite du chien d'arret, et on lui init une chaine pour gener ses mouvements. Comme il n'en continuait pas moins sa \ie vagaboride, on le surveilla, et on iinit par decouvrir que le levrier, son associe, pour lui donner le moyen de remplir la tache qui lui etait assignee, portait le bout de la chaine dans sa gueule, jusqu'au moment ou lui- merne devait entrer en chasse. L'intelligence du chien courant ordinaire, quoique moins frappante, est neanmoins proportionnec aux exigences du ser- vice. Si un jeune chien est en defaut, un de ses camarades, plus experiment, se chargera d'eventer les manosuvres du renard ou du cerf : la pratique lui a appris a connaitre toules les ruses de I'animal qu'il poursuit, a ne pas se laisser tromper par les artifices mis en jeu pour le derouter et lui faire perdre la voie. II est un point toutefois par lequel tous les chiens, jeuries et vieux, sauvages et apprivoises, se rcssemblent : c'est 1'interet qu'ils prennent a la chasse. Ses apprets ne manquent jamais de produire chez eux les transports les plus vifs. 11 arrive parfois que le chien dont le maitre se trouve empc- che de prendre part a la chasse aille chercher un autre chasseur et s' attache a lui pour lajournee; mais on essayerait vaine- ment soit de le detourner pour quelque autre service, soit de le retenir quaiid la chasse est fmie. Lors merne qu'il accom- pagneson maitre, il lequittera momentariement, malgretoule sa fidelite habituelle, pour suivre un elranger plus adroit au INTELLIGENCE DU CHIEN. 49 tir et cependant il n'est mu par aucun interet egoiste, car il n'aime pas les os de toute espece de gibier. Comrne portefaix, la tache la plus delicate que le chieri ail a remplir est celle d'agent du commerce de contrebande qui se fait sur le continent entre Etats limitrophes. II deploie dans ce service penible, qui lui est toujours fatal, une merveilleuse sagacite. Charge de marchandises, il part a la faveur de la nuit, flaire de loin le douanier, 1'attaque s'il peut le faire avec a vantage, ou, s'il n'est pas de taille, se blottit derriere une haie, un buisson, un arbre. Arrive a sa destination, il ne se moritre qu'apres s'etre bieri assure qu'il n'y a aucun danger. 11 est evident qu'une armee entiere de douaniers ne suffit pas pour exterrniner ces contrebandiers, qui se multiplient en quel- que sorte a 1'infini, qui franchissent la frontiere en silence, dans 1'obscurite, a travers champs et bois, et qui peuvent se soustraire par leur vitesse au danger que le vent leur a revele. Le chien de berger est, dans sa sphere d'action, un prodige d'intelligence. II comprend la voix, le geste, le regard de son maitre; sur un simple signe, il rassemble le troupeau disperse, le pousse dans la direction qui lui est indiquee, et le maintient dans 1'ordre et Fobeissance, moins encore par 1'activite de ses evolutions que par les diverses inflexions de sa voix, qui se prete a tous les tons et exprime tout ce qu'il veut dire. Le chien sait, au besoin, faire mieux encore. Sept cents agneaux confies a la garde du berger d'Ettrick s'echapperent pendant une belle nuit, et sedisperserent eri plu- sieurs bandes par les plaines etles vallons! Sirrah, mon garc.on, ils sont partis! dit tristement Hogg a son chien, pour donner cours a sa pensee, mais saris aucune idee de lui intimer un ordre. Puis il se mit a courir de tous c6tes a la recherche de ses agneaux fugitifs, tandis que, silen- cieusement et a son irisu, car 1'obscurite ne permettait pas de 4 50 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. distmguer les objets, le chien s' etait eloigne. Au point du jour, epuise de lassitude et le desespoir dans 1'ame, le pauvre berger- poete se disposait a retourner vers son maitre, lorsqu'a son grand etonnement il apenjut au fond d'un ravin profond son lidele Sirrah qui gardait, non pas une partie de ses agneaux, comme il 1'avait d'abord suppose, mais le troupeau tout entier et au grand complet. Ce chien etait parvenu lui seul, dans I'intervalle de minuil au lever du soleil, a reunir tous les fuyards. On peut se demander si toute Intelligence que deploie le ehien, dans ses fonctions auxiliaires duberger,egalecelledont il fait preuve lorsqu'il a contracte 1'habitude de manger les moutons, habitude deplorable, et dont il est impossible de le guerir autrement qu'en le tuant. Sir Thomas Wilde cite I'exemple d'un chien qui se debarras- sait de son collier, et le remettait lorsqu'il rentrait de ses ex- cursions nocturnes. Dans un cas du merne genre, le coupuhlc avait en outre la precaution de laver dans un ruisseau sa gueule ensanglantee : toutefois, il est possible qu'il n'eut, en agissant ainsi, d'autre motif que celui d'etancher sa soif. Bewick parle, dans son Histoire cles quadrupedes, d'un de ccs chiens qui commit pendant trois mois d'affreux degats, malgre tout ce qu'oii put faire pour se debarrasser de lui. II avait pris position sur une hauteur qui commandait les routes des en- vironsj de maniere a etre a 1'abri d'une surprise et a pouvoir battre en retraite a 1'approche du danger ; il finit cependant par etre tue d'un coup de fusil dans ce poste, qu'il n'avait adopte que parce qu'il en avait compris les avantages. Le vrai chien de maison a le caractere plus aimable, sans etre pour cela moins utile. On a pretendu, saris aucun fondement, que son utilite etait en raison de sa timidite, parce que le desir d'obtenir pro- INTELLIGENCE Dt CHIEX 51 lection pour lui-meme le rendait d'autant plus bruyant. Mais un chien de cette espece ne sert pas plus a signaler le danger qu'une cloche d'alarme qui sonnerait sans cesse : tout le fait aboyer, levent et la lune aussi bien que lesvoleurs; il vous tient constamment sur le qui-vive, ou vous habitue a ne faire aucune attention a ses avis. Ce n'est pas a dire qu'il n'y ait point d'alternative entre le silence et la lachete ; tous ceux qui connaisserit les chiens savent d'ailleurs qu'il y a des especes Ires-bruyantes qui sont en meme temps Ires-braves. Cependant on peut dire en general du chien trariquille ce qu'on dit en pareil cas du soldat, que c'est ordinairement le plus resolu. Le chien de garde est susceptible d'arriver, par 1'education, a un liaut degre de perfection. De sa niche placee dans la cour, il distingue le commensal de la maison du visiteur accidental, le visiteur de 1'etranger, 1'etranger du voleur, ainsi qu'on peut le recorinaitre aux differentes intonations desavoix. L'ouie est probablement le sens principal a 1'aide duquel il opere ce tra- vail d'analyse; c'est a 1'oreille qu'il reconnait le pas des habi- tues . Le meilleur modele d'un bon gardien est le chien du voitu- rier, auquel Cliarles Dickens a donne un role dans son joli corite du Grillon du foyer. Le chien du voiturier ne forme point une espece a part, maisil est remarquable parl'energie avec laquelle il defend la propriete contieea sa garde. M. Blaze a vu le caiiiche d^un pauvre aveugle, qui> ayant perdu son maitre, continuait le commerce pour son comple : il jeta un sou dans sa sebile, et le chien courut a la boutique d'un boulariger, d'ou il rapporta un morceau de pain. Edwin Landseer, celui de tous les peintres modernes qui rend le mieux la beaute des betes, parce qu'il a etudie leurs moeurs uvant de traduire leur physionornie, a spirituellement desigrie le chien de Terre-Neuve coinme un meinbre distingue de la 52 IIISTOIRE DES RACES DE CHIKNS. societe humaine, et cet animal a \raiment bien merile cet hommage d'un grand artiste. L'eau est son element, et sa pro- fession est de nous venir en aide. On a vu a Paris un chien de cette espece qui ne voulait pas meme permettre qu'on se baignat : il se promenait sur les bords de la Seine, se jetait a 1'eau pour aller saisir les baigneurs, et les ramenait de force au rivage, avec la marque de ses denis. Aussi, en presence d'un danger reel, le zele officieux du chieri de Terre-Neuve n'a-t-il pas besoin d'etre slimule. N'a-t-on pas vu le chien de Terre-Neirve aller cherclier du se- cours lorsqu'il se sentait lui-meme insuffisant a 1'accomplisse - ment de sa tache? Dans son genereux devouement, il ne cornpte sa vie pour rien; c'est ainsi qu'il fera des efforts inouis, en- core bien qu'il lui soit impossible de hitter contre une mer furieuse, pour porter une corde d'un vaisseau en danger jus- qu'au rivage. 11 n'y a pas de sacrifices dont un chien ne soit capable pour son maitre. La crainte du feu est tres-vive chez les animaux, et cependant le chien n'hesitera pas au besoin a traverser les ilammes comme le ferait un pompier. Un chasseur de Libourne avait donrie sa vieille defroque pour habiller un mannequin dont on devait faire un auto-da-fe aPaccasion du careme-entrant l . Son chien se trouvait sur la place au moment oil ce mannequin fut livre aux flammes ; croyant reconnaitre son maitre, il se jeta plusieurs Ibis dans le feu pour Fen retirer, mordant ceux qui cherchaient a le rete- nir : il cut irifailliblement peri, si son maitre en personne n'etait accouru. Peu de passages de VOdyssee ont ete plus admires que celui qui montreUlysse devinepar son chien Argus apres une absence 1 Fete du mercredi des Cendres a 1'occasion de laquelle on brule un man- nequin dans les departments du Midi de la France. INTELLIGENCE DU CHIEN. 55 de vingt ans. Homere decrit cette reconnaissance comme ayant etc instantanee. Sir Walter Scott s'est montre plus fidele ohservateur de la nature en meltant une certaine gradation dans la reconnaissance de Morton par son epagneul : 1'animal commence par aboyer, comme il eut fait pour un etranger; puis, revenu de sa premiere surprise, apres avoir longtemps flaire et examine, il continue a bondir et a manifester sa joie 1 . L'aflection que se portent des amis ou des parents, le cliien la temoigne, etavec plus de Constance, aux hommes qui le trai- tent bien. II y avait dit le professeur Wilson, poele et redac- teur du Blackivood Magazine, en parlant d'un de ses chiens certaines personnes qu'il ne pouvait souffrir, et il n'aurait pas accepte d'elles une pomme de ferre rotie sortant de la leche- frite. S'il grogne a Tapproclie de tel individu, le chien prodi- gue ses caresses a tel autre ; sa decision est aussi prompte que son jugement est sur. Bewick raconte qu'un chien de Terre-Neuve, de passage a liord d'un batiment qui fit naufrage devant Yarmouth, en 1789, gagna la terre a la nage, tenant dans sa gueule le portefeuillo du capitaine ; il ajoule qu'apres avoir resiste aux efforts deplu- 1 Un de nos habiles ecrivains, M. Amedee Pichot, directeur de la Revue brilannique, a public, dans le recueil intitule Paris-Londres, un memoire plein d'interet et de charme sur les chiens des romans de Walter Scott ; nous eiterons ici ce qu'il dil du chien de Morton ; c'est une scene charmante : L'Ar- gus des romans ecossais est Elphin, le chien de Morion dans Old Mortality. Elphin hesite un moment avant de lecher la main de son mailre, qui se laisse aller a une injuste accusation contre tous ses amis, sans en excepter son gro- gnard i'avori ; mais Elphin a recueilli ses souvenirs : son instinct ne le trompe pas. II s'approche de 1'etranger avec une lamiliarite affectueuse, il le caresse jusqu'a rimportuner : u A has! Elphin! a has! s'ecrie Morton impatiente... a has ! Ah ! notre chien vous caresse, et vous connaissez le nom de notre chien... un nom qui n'est pas commun cependant, dit Tancienne femme de charge du vieux Milmvood! Qui seriez-vous, si vous n'etiez Henri Morion? Henri Morton s'est train lui-meme. Le, nouvel Argus est justifie. 54 HISTOIRE DKS RACES DE CHIENS. sieurs individus qui cherchaient a s'en emparer, il le deposa entre les mains d'un homme de la foule dont la physionomie lui inspirait plus de confiance. Quand le chien oublie sa bonte naturelle, c'est la faute de 1'homme. Que de fois on a repete que le levrier etait mefiant, capricieux, incapable d'attachement, et meme dangereux! Ces defauts proviennerit uniquement du mode d'education qu'on lui donrie lorsqu'il est dresse pour la chasse. Faites-lui une exis- i tence vraiment domestique en le gardant pres de vous, en le choyant, en lui parlant fort sou vent j'en parle par expe- rience vous le trouverez tout intelligence et affection ; vous admirerez 1'imperturbable egalite de son caractere. On a beaucoup ecrit pour prouver que le chien peut arriver n comprendre la conversation ordinaire d'homme a homme. Gall declare avoir souvent parle a dessein d'objets qui pou- vaient interesser son chien, en ayant soin de ne pas prononcer son nom, de s'abstenir de toute intonation ou inflexion de \oix, de toutgeste qui put eveiller son attention; il etait neanmoins facile de voir par la conduite de I'animal qu'il comprenait ce dont il etait question. Lord Brougham affirme tenir d'une personne tres-veridique que ses chiens de chasse comprirent un jour, par une conver- sation qui avait lieu devant eux, qu'on se proposait d'aller lo lendemain en deplacement dans le Nottinghamshire. Une mere demandait a son fils d'aller chercher les habits de sa jeune sceur. L'enfant ayarit refuse d'un air maussade, la mere dit, en forme de reproche : Alors Black ira les chercher, lui! et le chien fit aussitot la commission. Lorsque les paroles sont adressees directement au chien, on voit qu'il en saisit le sens, soit par le ton et Taction qui les ac- cornpagnent, soit par la repcHifion de quelques phrases qui lui sont bien connues. INTELLIGENCE DTJ CHIEN. 55 Autre exemple de 1'intelligence du chien : M. Blaze s'etant un jour egare a la chasse, un paysaa lui offrit de le faire conduire par son chien a une certairie maison. S'adressant a 1'animal : Mene monsieur a tel endroit, lui dit le villageois. Tu n'entreras pas dans la maison, entends-tu? et tureviendras tout de suite.... Voyez-vous, monsieur, ajouta-t-il, je lui dis de ne pas entrer, parce qu'il se batfrait avec les autres chiens. Le guide quadrupede se conforma litteralement a 1'ordre deson maitre; il conduisit M. Blaze, n'entra point, et revint au galop. Ici, il est clair que le nom de la maison a laquelle ce chien fut envoye lui etait aussi familier que son propre nom, et qu'ii avait ete souvent gronde pour s'etre aventure sur cette habitation et. y avoir en des querelles avec les chiens du logis. Le chien semble aussi avoir le sentiment exact dela duree du temps. 11 distingue le dimanche des autres jours; mais il ne faut attacher qu'une mediocre importance a ce fait, car tout a, le dimanche, un aspect bien different des jours de la semaine ; le chien peut s'en apercevoir au premier coup d'ceil. Ce qui est plus etonnant, c'est qu'il connait aussi le retour des six jours successifs. Un dogue, cite par M. Blaze, savait se rendre compte de Fheure. aussi bien que du jour : ce meme animal assistait aux prieres qui se faisaient le soir en famille, et du moment ou Ton commenc,ait le dernier Pater, il se levait et se plac,ait pres de la porte pour etre le premier a sortir des qu'on Pouvrirait. Sans doute il etait averti par quelque leger mouvement dans le cercle des diseurs d'oremus. Le chien connait aussi les couleurs. On a vu, dit M. Blaze, des prisonniers qui se servaient de leurs chiens pour porter des lettres : ils ecrivaient. sur papier jaune, rouge ou bleu, et le chien savait, par la couleur du papier, a qui il devait porter la 56 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. lettre. II est certain que le chien peut, avecunpeu ^instruction, devenir un excellent commissionnaire. M. Blaze connaissait un caniche qui avail couturne, non pas de tirer la sonriette, mais d'accompagner a la porte la servante qui allait ouvrir, puisde suivre le visiteur jusqu'a la chambre de son maitre. Devenu sourd dans sa vieillesse, et ne pouvant plus entendre tinter la sonnette, il s'etablit dans un endroit d'ou il pouvait 1'observer, et, Pceil toujours fixe dessus, il so levait des qu'ii la voyait en mouvement. Le chien possede une faculte dont il nous est impossible de nous rendre compte bien qu'elle lui soit commune avec d'autres animaux c'est celle de se diriger par une route qu'il n'a jamais parcourue. Un chien, qui fut envoye de Londres en Ecosse par mer, s'e- tant echappe, revint a Londres par terre. Boisrot de Lacour, qui a ecrit sur la chasse, emmena une bassette de Rochefort (Seine- et-Oise) a Paris; cette chierme fit le voyage dans un cabriolet, et dormit tout le long de la route; cependant, elle ne fut pas plut6t mise enliberte, qu'elle alia re- joindre son ancien maitre. Une autre fois, il emprunta d'un chasseur qui demeurail a douze lieues de chez lui un chien courant : ce chien, ayant ete mene a la chasse le lendemain de son arrivee, s'echappa et retourna chez son maitre, rion par le meme chemin, mais a travers champs et en passant deux rivieres a la nage. M. Blaze appelle cet instinct un sixieme sens. Le chameau conduit son maitre a trois cents lieues dans les sables du desert, la oil nulle route n'est tracee. -- Les pigeons portent des lettres a travers les airs. Les oiseaux de passage nes en Europe partent pour 1'Inde, et, ce qui est fort remar- quable, ils voyagent ordinairement saris leurs parents, qui ont deja fait le meme chemin. Le cheval retrouve sa route a tra- INTELLIGENCE DTI CHIEN. 57 vers la neige, et probablement tous les animaux ont cette meme faculte. Le fait suivanl est rapporte dans un memoire lu a 1'Institut. II s'agit d'un barbel, appartenant a un deerotteur, dont le talent consistait a procurer de 1'ouvrage a son maitre. Pour cela, il allait salir ses pattes dans le ruisseau, et venait les poser sur les souliers du premier passant. Aussitdt le decrotteur d'offrir ses services. Tantqu'il etait occupe, le chien restait paisiblement assis a c6t de lui; mais la pratique expedite, il recommenc.ait son manege. Un Anglais, enchante de 1'esprit de ce chien, 1'acheta et Femmena a Londres. La petite bete saisit la premiere occasion de s'echapper, retrouva le bureau ou s'etait arretee la voiture qui 1'avait amenee, suivit cette \oiture jusqu'a Douvres, et apres s'etre faufilee a bord d'un paquebot qui la trans- porta a Calais, finit par arriver a Paris a la suite d'une autre voiture, L'habitude qu'ont les chiens de quitter une ville a 1'approcbe d'un trernblement de terre habitude que Ton attribute sou- vent a quelque etrange et inexplicable instinct tient uni- qucment a leurs perceptions journalieres : le roulement sou- terrain frappe leurs oreilles longtemps avantqu'il soitentendu des habitants, et leur inspire urie terreur qui est la cause de leur fuite. Dans les observations dont le chien est 1'objet, on n'attache pas, en general, assez d'importance a la finesse de ses organes. Cette finesse est telle, qu'un chien qui dort sail si c'est son niailre qui le louche ou un etranger, et reste tranquille ou s'e- veille en grognant, selon que c'est Pun ou 1'autre. Les qualites parliculieres du cliien d'arret, qualiles enliere- ment arlificielles, sont devenues pour ainsi dire innees par voie de generation ; c'est ainsi que les petits d'un chien de berger, en service actif, garderont instinctivement les troupeaux, tan- 58 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. dis que, si leur pere ou leur ai'eul a ete enleve a son occupation naturelle, ils auront perdu cette aptitude speciale et ne pour- ront etre dresses que tres-difficilement. J'ai vu, dit uri auteur anglais (M. Knight, qui a consacre plusieurs annees a Tetude du chien), un basset, dont les ance- tres avaient eu Phabitude de faire la guerre aux putois, donner des sigries d'une vive irritation la premiere fois qu'il avait de- couvert la piste de cet animal, encore bien qu'il ne put voir 1'a- riimal lui-meme. Un epagneul, eleve avec le basset, ne mani- festa aucune emotion dans cette circonstance ; mais il se mit a la poursuite d'un faisan, la premiere fois qu'il en vit un, en aboyant et donnant des marques de joie. Unjeune chien d'arret qui n'avait jamais \u de perdreaux, ayant ete mis en presence d'une compagnie de ces oiseaux, s'arrSta tout a coup, palpitant d'emotion, les yeux fixes et les muscles tendus. Et pourtant ces differents chiens ne sont que des \arietes d'une meme espece, et la nature n'a donne a cette espece aucune de ces habitudes. Les faisans frequentent dans Fhiver le bord des ruisseaux et des cours d'eau qui ne sont pas geles. Les vieux chiens, qui savent apprecier le degre de froid qui force ces oiseaux a quitter leurs converts habituels, se dirigent toujours du cote des eaux. Non-seulement les petits de ces chiens precedent de la meme maniere, mais il est avere que leur intelligence, an moment de leur naissance, est propor- tionnee a 1'experience que possedent leurs parents. Les chiens de chasse du Mexique attaquent par derriere, et jamais par devant, les grands daims de leur pays, qui, sans cette precaution, les terrasseraient et leur briseraient les reins. Leurs petits heritent de cette tactique de leurs peres, tandis que tous les autres chiens commettent la faute d'attaquer 1'ennemi de front et se font generalement tuer. INTELLIGENCE DU CHIEN. 59 Je pourrais citer a Pinfmi des traits relatifs a la sagacite du chien. Mes lecteurs suppleeront a ce que je ne puis dire, car on ecrirait des volumes sur cette matiere attrayante et ils existent deja dans plusieurs langues. IV LES CHIENS SAUVAGES Qui n'a pas un certain faible pour les bergers, leurs chiens et leurs moulons? qui ne joiiit point avcc delices de la me- lancolie pastorale, et ne tressaille pas a 1'aspect de ces val- lees depouillees d'arbres, au fond desquelles serpenle le lil pierreux d'uri torrent desseche, dont le silence n'est inter- rompu que par les belements confus des troupeaux paissant an flanc des collines? Mais comme il y a beaucoup de pays on Ton ne trouve ni bergers ni troupeaux, et qui cependant abondent en chiens d'une nature inculte et sauvage, beaucoup plus dis- poses a dechirer les moutons pour les manger eux-memes qu'n les garder pour le compfe d'autrui, on ne saurait adrnettre, commejeraiditprecedemment, cette theorie de Buffon : quc le chien de berger est la soucbe et le modele de 1'espece en- tiere. 11 me parait inutile de chercher a rapporter toutes les especes de chiens domestiques a une commune origine, a une source LES CHIENS SAUVAGES. 61 unique. Quelques modifications qu'ait pu produire la domesti- cite, les varietes que presenterit, dans leur nature comrne dans leurs attributs, ces differentes especes, sont trop nombreuses pour pouvoir s'expliquer, soil par les effets de cette domesli- cite, soit par les influences du climat surles descendants d'une seule espece primitive. Pallas, naturaliste allemand,qui passa une partie de sa vie en Russie, exprima un des premiers I'opinioii que le chien, en- visage sous un aspect general, devait etre considere jusqu'a un certain point comme un animal accidenlel, c'est-a-dire comme le produit du melange varie, quelquefois fortuit, de plusieurs races naturelles. C'est la une idee assez bizarre, qui a pourtant son cote specieux. Un excellent riaturalisle anglais, M. Bell, adopte, dans son liistoire des Quadrupedes britanniques, la vieilie opinion que le loup est la souche primitive d'ou proviennent tous nos chiens domestiques. II y a bien des loups dans ce monde, il y en a de tres-sau- vages en Amerique, et, a tout prendre, il serait assez difficile de iaire entre eux un choix impartial, quoique les chiens des regions occidentales aient peut-eire quelque droit de se regar- der comme descendant de leurs propres loups , de meme que les notres pourraient revendiquer les loups d'Europe comme leurs auteurs. Or, les especes sauvages de 1'ancien et du nou- veau monde etant considerees comme distinctes par la ptupart des naturalistes, et chacune de ces deux grandes divisions du globe nous donnant ainsi plus d'un loup, on voit qu'eri nous engageant dans ce systems, nous trouvons des le principe une paternite assez complexe. En France, le vrai chien sauvage, c'est le loup, qui n'est quoi qu'en ait dit Buffon qu'une variete de 1'espece ca- nine. Ce qui le prouve, c'est qu'il s'accouple fort bien avec le 02 111ST01RE DES RACES DE C11IENS. chien, et que les individus qui resultent de cette union pro- duisent a leur tour et se multiplient. Mieux encore, tout ce que Buffon a ecrit sur leurs caracteres, et particulierement sur leur antipathic contre les chiens, est absolument faux et le resultat des prejuges de Tepoque ou vi- vait cet ecrivain. L'.'.'LLL S . 11 n'est aucun de mes lecteurs qui n'ait vu un loup dans sa vie, cet animal, au pelage d'un fauve grisatre et orne d'une raie noire sur les jambes de devant, quand il esl adulte. Sa queue est droite, ses yeux sont obliques, a iris d'un fauve jaune. Dans le Nord, on en trouve quelquefois une variele entiere- ment blanche. II habite toute FEurope, excepte les ilesBritan- niques, ou Ton est par\ 7 enu a le detruire. De tous les temps, le loup a ete le fleau des bergeries et la terreur des bergers ; ii est d'une constitution tres-vigoureuse LES CHIEFS SAUVAGES. 65 il pout laire quarante lieues dans une seule nuit, et rester plu- sieurs jours sans manger. Sa force est superieure a celle de nos chiens de plus grande race. Heureusement que la ferocite de son caractere ne repond pas a cette extreme vigueur, et que, par ses qualites morales, il ne merite pas la reputation qu'on lui a injusternent faite. Le loup n'est ni lache ni feroce, c'est ce que son histoire prouvera quand on la debarrassera des absurdes contes dont on a coutume de la falsifier. Si le loup n'est pas tourmente par la faim, il se retire dans les bois, y passe le jour a dormir, et n'en sort que la nuit pour aller fureter dans la campagne. Alors il marche avec circori- spection, evitaijt toute lutte inutile, fut-ce meme avec des arii- maux plus faibles que lui. II fuit les lieux voisins de 1'habita- tion des hommes; sa marche est furtive, legere, au point qu'a peine l'entend-on fouler des feuilles seches. II visiteles collets tendus par les chasseurs, pour s'emparer du gibier qui peut s'y trouver pris; il parcourt le bord des ruisseaux et des ri- vieres pour se nourrir des immondices que les eaux rejetlent sur le sable. Son odorat est d'une telle finesse, qu'il lui fait decouvrir un cadavre a plus d'une lieue de distance. Aussilot que le crepuscule du matin commence a rougir Phorizon, il regagne 1'epaisseur des bois. S'il est derange de sa retraite, ou si le jour le surprend avant qu'il y soit rendu, sa marche de- vient plus insidieuse : il se coule derriere les haies, dans les fosses, et, grace a la finesse de sa vue, de son ouiie et de son odorat, il parvient souvent a gagner un buisson solitaire sans etre aperc.ii. Si les bergers le decouvrent et lui coupent le pas* sage, il cherche a fuir a toutes jambes ; s'il est cerne et atteint^ il se laisse devorer par les chiens, ou assommer sous le baton sans pousser un cri, mais non pas sans se defendre. Quand cet animal est pousse par la faim, il oublie sa dc- liance naturelle et devient aussi audacieux qu'intrepide, sans 64 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. renoncer a la ruse quand elle peut lui etre utile. 11 se deler- mine alors a sortir de son fort enplein jour; mais, ayant do quitter les bois, il ne manque jamais de prendre le vent. Ar- rele sur la lisiere, il evente de tous cotes, et recoit ainsi les emanations qui doivent le diriger dans sa dangereuse excursion. 11 parcourt la campagne, s'approche des troupeaux avec precau- tion pour n'en etre pas apercu avant d'avoir marque sa vic- time, s'elance sans hesiter au milieu des chiens et des bergers, saisit un mouton, Fenleve, 1'emporte avec une legerete telle, qu'il ne peut etre atteint ni par les chieris ni par les bergers, et sans montrer la moindre crainte de la poursuite qu'on lui fait, ni des clameurs dont on 1'accompagne. D'autres fois, s'il a decouvert un jeune chien inexperimente dans la cour d'une grange ecartee, il s'en approche avec effronterie et souvent jusqu'a portee de fusil : il prend alors differentes attitudes, fait des courbettes, des gambades, se roule sur le dos cornme si son intention etait de jouer avec le jeune novice. Quand ce- lui-ci se laisse surprendre a ces trornpeuses amorces et s'ap- proche, il est aussitot saisi, etrangle et entraine dans le bois voisin pour etre devore. J'ai ete temoin de ce fait, qui prouve dans le loup autant d'intelligence que d'audace. Mais quand un chieri de basse-cour est de force a disputer sa vie, le loup s'y prend differemment : il s'approche jusqu'a ce que le chien Tapergoive et s'elance pour lui livrer combat; alors 1'animal sauvage prend la fuite, mais de maniere a exci- ter son ennemi a le suivre, ne s'en eloignant que suffisammerit pour n'elre pas atteint. Le matin, ariime par ce commence- ment de victoire, poursuit le loup jusqu'aupres d'un fourre ou un second loup 1'attend et aide son camarade a 1'etran- gler, comme il 1'aidera un moment apres en prenant part au repas . Maintes fois aussi, cela se comprend, le loup est surpris par LES CHIENS SAUVAGES. 65 le chasseur, et il paye de sa mort son audace, ses crimes et ses depredations. Tel est le premier chien sauvage, qui doit trouver sa place a la tete des autres dans ce volume. Apres lui, afin de suivre la nomenclature naturelle, vient inaitrc Fox, le renard ordinaire, tres-connu de tous les sports- men d'Europe et du monde entier, car on le rencontre, outre la France et PAngleterre, en Suede ou il s'appelle Rwf, en Po- logne Liszka, en Suisse Kohl fash, en Russie Lisitza, en Perse et en Turquie Tulki, en Arabic Taaleb ou Doren, et dans les hides Nor. (Test un charmant animal d'un fauve plus ou moiiis roux en dessus, blanc en dessous, et noir derriere les oreilles. Sa queue est touffue, terminee par un bouquet de poils blancs. Le renard charbonnier' ne differe des autres que par le bout de sa queue, qui est noir ainsi que quelques poils de son dos.et de son poitrail. Le devant de ses pattes anterieures est egale- ment noir. 11 y a dans PAmerique du Nord de tres-gracieuses betes qui sont des renards de 1'espece dite Charbonniers. 66 HISTOIRE DBS RACES DE CH1ENS. Je ne raconterai point ici les moeurs de ces depredateurs de noscbasses et de nos basses-cours, qui, a elles seules, rempli- raient un volume et sortent du cadre que je me suis trace. II existe dans divers pays bien des chiens sauvages propre- ment dits, presentant dans leur caractere et leurs moeurs des differences tres-remarquables ; mais aucun d'eux, meme apres des siecles deliberte en supposant que ce soient simplement des varietes emancipees n'est retourne a Fetal de loup. Le vrai chien paria de FInde habite, comme espece sauvage, les forets qui s'eterident loin du sejour des hommes, sur les pentes inferieures des monts Himalaya, 011 le loup est egale- rnent connu; mais il ne s'associepas a ce dernier dans Fetat de nature. Cependant on sait depuis longtemps, par des experiences faites dans un etat de sequestration (on ne saurait dire de do- mesticite), que le loup et le chien s'accouplent volontiers; on a meme acquis la preuve plus decisive encore (un de ces ani- maux etant alors a Fetat completement sauvage) qu'ils se re- cherchent et s'associent librement, comme appartenant a une meme race. On a eu, pendant le premier voyage de sir Edward Parry, des exemples frequents de chiens des equipages seduits et entraines par des louves. Dans les mois de decembre et Janvier, saison du rut pour les loups, dit ce voyageur, une femelle venait presque tous les jours roder autour des vaisseaux. Elle fut bientot re- jointe par un chien couchant, appartenant a Fun de nos offi- ciers* Us restaient ordinairement deux a trois heures ensem- ble; et comme ils ne s'eloignaient pas beaucoup, a moins qu'on ne cherchat a s'approcher d'eux ^ on obtint des preuves nombreuses et positives du motif pour lequel ils se reunis- saient. Les absences du chien devinrent de plus en plus longues, et un beau jour il ne reparut plus ; il avait sans doute LES CHIENS SAUVAGES. 67 etc tue dans un combat centre quelque loup. La femelle conti- nua neanmoins ses visites aux vaisseaux comme par le passe, et debaucha de la meme maniere un second chien, qui, apres plusieurs absences, revint grievement blesse. Le chien des Hare-Indiens (Tndiens-lievres) est une petite es- LE CIIIEN DES IXDIENS. pece domeslique employee principalement, ainsi que 1'indique son nom, par les Hare-Indiens et autres tribus qui frequentent les bords du lac du Grand-Ours et du fleuve Mackenzie. Sir John Richardson dit qu'il ressemble tellement a une espece sauvage appelee le coyote des prairies, qu'en comparant en- semble deux echantillons vivants, il ne put decouvrir aucune difference, soit dans les formes (le crane est cependant un peu plus petit dans Fespece domestique), soit dans la nature et les accidents memes du pelage. Ce chien des Hare-Indiens parait etre au coyote des prairies ce qu'est le chien des Esquimaux a Fespece grise de plus grande taille; il est joueur et caressant, 68 HISTOIRE DBS RACES DE GHIENS. il s'attache facilement a ceux qui le traitent bien, mais il ne peut supporter la privation dela liber le. TJn jeune chien que j'avais achete aux Hare-Indiens, dit sir John Richardson, s'atlacha beaucoup a moi, et parcourul, n'ayant pas a cette epoque plus de sept mois, une dislance de neuf cents milles en courant sur la neige a cote de rnon trai- neau, sans souffrir de la fatigue. Pendant cetle longue mar- che, il lui arriva souvent de porter, 1'espace d'uri ou deux milles, une petite baguette ou un de mes gants; mais, quoique tres-doux de caractere, il montrait peu d'aptitude pour un exercice que les chiens de Terre-Neuve apprennent si vite, je veux dire pour aller chercher un objet et le rapporter sur Por- dre de son maitre. II fut tue et mange par un Indien, qui pre- tendit 1'avoir pris pour un renard. Le capitaineBack mentionnc un fait encore plus important en ce qu'il a trait a une branche au moins de la genealogie de la race canine c'est que les produits du loup et du chien sont eux-memes prolifiques, et eslimes des voyageurs comme betes de trait, parce qu'ils sont plus forts que les chiens ordi- naires. J'ai vu a Moscou, dit Pallas, une vingtaine d'animaux metis provenant du croisement de chiens avec des loups noirs. Us ressemblent pour la plupart a des loups, si ce n'est que qucl- ques-uns d'eux portent la queue plus haute et font entendre une sorte d'aboiement. Us s'accouplent entre eux, et leurs pro- duits sont quelquefois de couleur gris de fer, ou tirent meme sur le blanc, comme les loups arctiques. Le loup a Tetat sauvage offre des varieles remarquables de couleur. Dans les Pyrenees, il est communement noir; les Es- pagnols Pappellent lobo, et il ressemble tellement a un gros chien feroce, que beaucoup de personnes le considerent comrne une espece mixte et hybride. LES CHIENS SAUVAGES. f>9 Le loup odorant est plus grand que notre loup d'Europe. Son poll est obscur et pommele a sa partie superieure, et ce qui domine sur ses flancs, ce qui le distingue de ses congeneres, c'est 1'odeur forte et fetide qu'il exhale. Get animal, d'un aspect redoutable, se trouve dans les plainesdu Missouri desEtats-Unis. II vit en troupes nombreuses, associees pour la chasse, 1'alta- que et la defense, aguerries, soumises a une sorte de tactique reguliere. Us poursuivent les daims et autres animaux ru- minants, les forcent ou les surprennent et les devorent en commun. Us osent meme assaillir le bison quand ils le trou- vent ecarte de son troupeau, et ils viennent assez ordinaire- ment a bout de le terrasser. Les sauvages qui peuplent le pied des montagries Rocheuses el les bords de 1'Arkansas redou- tent cet animal; et, quand ils sont parvenus a en tuer un, ils se font un trophee de sa depouille, qu'ils portent en forme de manteau, avec la peau de la tete pendante sur leur poi- trine. Le coyote se trouve dans les memes contrees que le loup odorant, et a les meme habitudes; cependant il parait qu'il est un peu moins carnassier, car il se nourrit souvent de baies ct autres fruits. Son pehge est d'un gris cendre, varie de noir et de fauve cannelle terne; il a sur le dos une ligne de poils un peu plus longs que les autres, formant comme une sorte de courte crinierc; ses parties inferieures sont plus pales que les superieures, et sa queue est droite.Le coyote de laColombie est lememe animal. Dans le Canada, et plus au nord, on voit souvent des coyotes entierement blancs. Dans les contrees aux fourrures, on en rencontre qui sont tachetes de noir, c'est-a-dire pies; mais ils s'accouplent avec les loups gris ordinaires, et sir John Ri- chardson observa une fois cinq louveteaux qui jouaient et se roulaient ensemble et paraissaient appartenir a une mSme 70 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. portee. L'un etait tachete, un autre entitlement noir, le reste du corps gris. Le loup coyote que Ton trouve au Mexique est un peu moins grand que le loup d'Europe. Son pelage est d'un gris rougeatre, strie de fauve, marque de plusieurs bandes noires. Le tour du museau, le dehors du corps et les pieds sont blanchatres. Cette espece habite tout le Mexique et est moins feroce que le loup rouge. On trouve dans PInde, au dela de Krichna, des chiens sau- vages qui onl beaucoup d'analogie avec le loup, et il existe des especes correspondantes dans PAmerique du Sud et jusque dans la Nouvelle-Hollande. Le loup lui-meme manque au dela de la ligne, et son absence y est, a vrai dire, peu regrettable. Les chiens sauvages et domestiques sont indigenes dans PAmerique du Sud, quoiqu'il ne se trouve pas de loups pro- prement dits dans ces contrees. Les premieres especes sont desigriees dans les idiomes du pays par des noms inconnus aux langues de PEurope : le mot Awn, mentionne il y a plus de trois cents ans par Herrera, existe encore aujourd'hui dans la langue maypure. Le plus grand animal sauvage de la race canine, dans PAme- rique du Sud, est YAguara, qui est de la taille de nos plus grands loups, et dont la couleur generale est d'un roux can- nelle, fonce sur les parties superieures, plus pale en dehors, presque blanc dans Pinterieur des oreilles. Le museau et la pointe de la queue sont noirs. line courte criniere noire part de la queue et s'etend tout le long du dos. C'est un animal dont la force ne repond pas a la ferocite. On ne le trouve pas au nord de Pequateur; il habite principalement les regions mare- cageuses et plus decouvertes du Paraguay, les plaines buisson- neuses de Campos Geraes, la Guyane et le Bresil, ou les pampas de la Plata. Ses moeurs sont solitaires; il nage bien, a le nezfm LES GHIENS SAUVAGES. 71 et donne la chasse au menu gibier, dont il se nourrit, ainsi que d'animaux aquatiques, etc. VAyuara yuazu, tel est son vrai nom, n'est point un animal dangereux, car il est beaucoup moins hardi que les loups du Nord; il n'attaque pas les bestiaux, et 1'opinion commune au Paraguay, que son estomac nepeut digerer le bceuf, a ete con- firmee jusqu'a un certain point par les experiences du docteur Parlet, faites sur un stijet captif, qui rejetait la viande crue apres la deglutition, et ne digerait que la viande bouillie. Les bons traitements furent, du reste, sans effet sur cet animal; il persista dans la m6me attitude de defiance, et ne se familiarisa pas meme avec les autres chiens. II ne pouvait supporter P eclat du grand jour, et allait se coucher vers dix heures du matin, puis a minuit; ses yeux brillaient parfois dans Pobscurite comme ceux d'un vrai loup. Une fois lache, il n'avait aucune idee d'obeissance, et on ne parvenait a le reprendre qu'en le bloquant dans un coin; il se couchait alors et se laissait saisir sans opposer de resistance. VAyuara yuazu, bien qu'il ne soit pas chasse, est extr6me- ment defiant, et comme il a Podorat et Pouie tres-fins, il sail se tenir a distance des hommes; on Paperc,oit souvent, mais rarement a portee de fusil. La femelle met bas au mois d'aout, et sa portee est de trois ou quatre petits. Cet animal a un cri trainant, qu'on pent figurer par a-you-d-d-d, cri qu'il repete, et qui s'entend de fort loin. Je rappellerai ici un autre fait bien connu : c'est que les animaux de la race canine n'aboient point a Petat de nature, ils ne font que hurler. L'aboiement est une habitude, bonne ou mauvaise je n'emettrai pas d'opinion a ce sujet car elle a probablement ses a\antages et ses inconvenients mais une habitude qui s'acquiert sous Pinfluence de circonstances pure- ment artificielles. 72 HISTOIRE DES RACES BE CHIENS. Les chiens domestiques retombes a Fetat sauvage cessent bientot eux-memes d'aboyer, et ne font plus entendre qu'un hurlernent aigu et prolonge; reciproquement, Fespece silen- cieuse des pays barbares ou a demi civilises apprend facile- ment a aboyer comme nos especes domestiques, et, a 1'instar de beaucoup d'autres creatures d'un ordre plus eleve, elle de- vient si fiere de ce nouveau talent, qu'il lui arrive souvent de faire beaucoup plus de bruit qu'il n'estnecessaire. On a donne a Fanimal sauvage precedemment cite le nom de loup-ayuara, bien qu'il ait la tete un peu moins forte que le loup, et les jambes proportionriellement plus longues; il a pres de 4 pieds et demi de long sur 26 pouces de hauteur. Mais il existe en outre dans FAmerique du Sud d'autres especes sauvages, appelees chien-ayuara, a cause de leur ressemblancc encore plus grande avec les anciennes especes domestiques de ce continent. Les naturels indiens reconnaissent generalement que ces aguaras sauvages sont la souche de leur race de chiens domesliques; mais ils encouragent depuis longtemps la pro- pagation de la race europeenne, qu'ils appellent perro, d'apres les Espagnols, et le chien domestique indigene est maintenant remplace presque partout par le chien d'Europe, qui supporle beaucoup mieux la fatigue de la chasse. II paraitrait qu'il n'y a pas maintenant a i'extremite meri- dionale de FAmerique du Sud de chiens a Fetat veritablement sauvage, et que ceux qui vivent avec les naturels sont plutot rares que nombreux. Le capitaine Fitzroy decrit le chien de Patayonie comme egal en grosseur a un grand chien a renard, et ayant une res- semblance generate avec le chien de berger, mais en meme temps un air de loup qui ne previent point en sa faveur. 11 chasse a Foeil et sans aboyer; mais lorsqu'il attaque ou qu'on Fattaque, il grogne et aboie. LES CIIIENS SAUVAGES. 75 Le chien de la Terre cle feu est beaucoup plus petit, et res- semble a un basset, ou plutot a un melange du renard, du chien de berger et du basset. II garde les habitations des na- turels et signale 1'approche d'un etranger par des aboiements furieux. On I'emploie pour chasser la loutre et pour attraper les oiseaux blesses ou endormis. Comme on ne lui donne pres- que jamais a manger, il se nourrit de moules et de mollusques qu'il detache adroitement des rochers a la maree basse. Dans les temps de disette, ces animaux sont si precieux dans quel- ques-unes de ces contrees lointaines de I'Amerique du Sud, que les indigenes aiment mieux, si Ton en croit le capitaine Fitzroy, assouvir leur appetit cannibale sur les vieilles femmes deleurs tribus, quetuer un seul chien. Leschiens, disent-ils peu galammerit, prennent des loutres, mais les vieilles femmes ne sont bonnes a rien ! L'absence de chiens sauvages dans les parties les plus me- ridionales de I'Amerique du Sud est un fait d'autant plus sin- gulier, qu'il y existe une espece tout a fait indomptee, se rap- prochant beaucoup du chien-aguara, dont elle est neanmoins distincte. C'est le seul quadrupede indigene de ce groupe a 1'exception peut-etre d'un mulot et il est connu des natura- listes sous le nom Aeculpea (chien antarctique). C'est un chien un peu plus grand que le chakal, au poil d'un gris roussatre, dont les jambes sont fauves, la queue rousse a son origine, noire au milieu et terminee par une houppe blanche. On le trouve au Chili, dans les lies Falkland, 1'une des Malouines, ou il a ete decouvert par le capitaine Freycinet et precedem- ment par le commodore Byron. Cel animal se creuse un ter- rier dans le sable, et se nourrit de lapins et de gibier, qu'il saisit a force de patience. Bougainville pretend 1'avoir entendu aboyer. Tous les chasseurs de phoques, Gauchos et Indiens, qui ont 74 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. visile ces lies, affirment qu'on ne trouve dans toute 1'Amerique du Sud aucune creature semblable. Molina Fa confondu avec le culpeu du continent; mais celui-ci forme une espece diffe- rente c'est le chien de Magellan, commun au Chili et dans le voisinage du detroit dont il tire son nom. Quant aux loups ou cMens sauvages des iles Falkland, ils ont etc decrits par le commodore Byron, qui signala leur disposi- tion curieuse et la hardiesse de leurs allures. Le chakal anthus ne se trouve qu'en Afrique, particuliere- ment au Senegal. Son pelage est gris, parseme de quelques taches jauriatres en dessus, blanchatres en dessous; sa queue est fauve, avec une ligne longitudinale noire a la base, et quel- ques poils a sa pointe. Ses mofiurs sont absolument les mSmes que celles du chakal de 1'Inde, seulement 1'odeur qui s'exhale de son corps est tres-forte. Le chakal commun, connu sous le nom de chien loup dore, de T/ios 1 , de Thoes\ de Go/a 3 , de A 7 an 4 , de Ttirfl 8 de Mebbia\ d'Adive ou Adibe\ de Deceb ouDib* et de Waui\ a le pelage d'un gris jaunatre en dessus, blanchatre en dessous, en gene- ral d'une couleur plus foncee que celui de Fanthus. Sa queue, assez grele et noire a rexlremite, ne lui descend qu'au talon; il exhale une odeur forte et desagreable. Sa taillc est presque celle du renard, mais il est un peu plus haut sur jambes, et sa tele ressemble a celle du loup. 11 est tres-commun en Asie et en Afrique, si, ainsi que je le crois, il n'est qu'une legere va- riete de 1'anthus. Les chakals n'ont rien du caractere sauvage et farouche du loup et du renard; ils s'approchent avec securite soit des cara- vanes en marche, soit des tentes dressees pour la nuit; leur * Pline, Hist, naturelle. 2 Aristote. 5 hide. 4 Coromandel. - 5 Georgie. G Abyssinie. 7 Colinies du Portugal. 8 Afrique du Nord. 9 Arabes du Maroc. LES CHIENS SAUVAGES. 75 taille est moyenne entre les plus grands et les plus petits chiens; leurs poils sont plus durs que chez aucun chien, et d'une moyenne longueur entre les chiens qui les ont le plus longs et ceux qui les ont le plus courts. Leurs moeurs sont en- core plus conformes que leur organisation; et, en domesticite, leurs manieres sont absolument les memes que c.elles du chien; ils pissent de c6te en levant la cuisse, dorment couches en rond, et vont amicalement flairer les chiens qu'ils rencontrent. L'o- deur du chakal, beaucoup moindre qu'on ne Pa dit, est a peine plus forte que celle du chien al'approche de I'orage, etc. Les chakals vivent en troupes composees d'une trentaine d'in- dividus au moins et souvent de plus de cent, particulierement dans les vastes solitudes de 1'lnde et de 1'Afrique. Quoique ces animaux n'aient pas la pupille nocturne, ils dorment le jour dans 1'epaisseur des forets, ou, selon les anciens voyageurs et nos naturalistes, dans des terriers. Comme ils se retirent volontiers dans des grottes et des trous de rocher quand ils en trouvent 1'occasion, cette habitude, mal interpretee, aura donnelieu de croire qu'ils se creusent des habitations souterraines. Mieux encore, le renard deBengale et le korsac, du meme pays, ayant ete souvent confondus avec le chakal, on aura attribue a celui-ci des habitudes qui n'appartiennent qu'aux deux premiers. Quoi qu'il en soit, la nuit, ces animaux parcourent la campagne pour chercher leur proie tous ensemble, et, pour ne pas trop se dis- perser, ils font continuellement retentir les forets d'un cri Jugubre, ayarit quelque analogic avec les hurlements d'un loup et les aboiements d'un chien. On pourrait en donner une idee en prononcjarit lentement et sur un ton tres-aigu les syllabes oua... oua... oua. Ils sont alors tellement audacieux qu'ils s'ap- prochent des habitations, et entrent dans les maisons qui se trouvent ouvertes. Dans ce cas, ils font main basse sur tousles aliments qu'ils rencontrent, et ne manquent jamais d'emporter 70 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. ceux qu'ils ne peuvent devorer a 1'instant. Toutes les matieres animales conviennent egalement a leur voracite, et ils atla- quent, faute de mieux, les vieux cuirs, les souliers, les harnais des chevaux et jusqu'aux couvertures de peau des malles et des coffres. Comme les hyenes, ils vont rendre visite aux cime- tieres, deterrent les cadavres et les devorent. Aussi, pour mettre les morts a 1'abri de ces animaux, est-on parlbis oblige de meler a la terre dont on les recouvre de grosses pierres et des epines qui, en dechirant les pattes des cliakals, les arretent dans leurs funebres entreprises. Si une caravane ou un corps d'armee se mettent en route, ils sont aussit6t suivis par une legion de chakals qui chaque nuit viennent roder autour des campements et des tentes, en poussant des hurlements si nom- breux et si retentissants qu'il serait impossible a un voyageur europeen de s'y accoutumer au point de pouvoir dormir. Apres le depart de la caravane, ils envahissent aussitot le terrain du campement et devorent avec avidite tout ce qu'ils trouvent de debris des repas, les imrnondices et jusqu'aux excrements des hommes et des animaux. Les voyageurs sont tous d'accord sur ces particularites , qui ne peuvent appartenir a des especes sedenlaires comme sont necessairement celles qui habitent des terriers. Lorsqu'une troupe de chakals se trouve inopinement en pre- sence d'un homme, ces animaux s'arretent brusquement, lo regarderit quelques instants avec une sorte d'effronterie qui denote peu de crainte, puis ils continuent leur route sans trop se presser, a moins que quelques coups de fusil ne leur fas- sent hater le pas. Quoiqu'ils se nourrissent de charognes et de toute espece de voiries, quand ils en rencontrent, ils ne s'oc- cupcnt pas moins de chasser chaque nuit, et quelquefois en plein jour. Ils poursuivent et attaquent indistinctement tous les animaux dont ils croient ponvoir s'emparer ; mais nean- LES CHIENS SAUVAGES. 77 moins c'est aux gazelles et aux antilopes qu'ils font la guerre la plus soutenue. Us les chassent avec autant d'ordre que la meute la mieux dressee, et joignent a la finesse du nez et au courage du chien la ruse du renard et la perfidie du loup. On a dit que les chakals se jettent quelquefois sur les enfanls et sur les femmes : ceci me parait une exageration que Ton n'ap- puie sur aucune observation positive. II est plus certain qu'ils poussent quelquefois la hardiesse, malgreleur petite taille, jus- qu'a attaquer des boeufs, des chevaux et autre gros betail ; mais pour cela ils se reunissent en grand nombre et emploient avec beaucoup d'adresse leur force collective. Ils eritrent ha'r- climent alorsdans les bergeries, les basses-cours et autres lieux habites, et enlevent a la vue des hommes tout ce qui esl a leur convenance, Tous ces animaux ressemblent plus ou moins a de petits loups, car ils sont d'une taille intermediate entre eux ct les vrais chakals. Ils ne se lerrent pas comme ces derniers et ne vivent pas eri troupes; aussi ne les entend-on pas hurler en clioeur, comme font les chakals; ils ne sont pas impreigries d'urie mauvaise odeur, ou du moins cette odeur est-elle tres- faible. Les vrais chakals sont d'une taille rnoyenne; leur repartition aussi est differente, car on ne les trouve pas seulement, comme les autres, en Afrique et dans PAsie occidentale, mais aussi dans 1'est de 1'Europe et dans le midi de 1'Inde. Ils se creusent des terriers, se reunissent en troupes, et ont une odeur fort desagreable Leur hurlement plaintif, qui commence au cou- cher du soleil et se prolonge presque sans interruption jus- qu'au matin, est un fleau bien connu de ceux qui ont visite 1'Orient. Ces chakals suivent les traces des grands animaux de la race feline pour s'emparer, a ce qu'on dit, des debris de leurs repas; toujours est-il constant que, loinde servir de proie 78 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. au roi des animaux, ils paraissent faire tout ce qui depend d'eux pour le mystifier. Dans 1'Inde, ou leur cri nocturne est repete par tous leurs compagnons jusqu'a fatiguer les echos des forets, ils ont un certain signal d'alarme qu'ils font entendre a 1'approche d'un tigre, et auquel succede immediatement le plus profond silence. Les petits chakals (il y en a de plusieurs especes) penetrent aussi dans les villes pendant la nuit, pour se nourrir de debris de viande et de tout ce dont ils peuvent s'emparer. Pendant la saison des fruits , ils rodent dans les vignes et s'engraissent de raisin. Ils ne sont pas difficiles a apprivoiser, mais leur mauvaise odeur rend leur societe peu agreable dans un in- terieur. Les chakals s'accouplent volontiers avec les chiens, et il n'est pas rare de rencontrer desproduits de cet accouplement possedant eux-memes la faculte reproductrice. Beaucoup de chiens domestiques de FOrient se rapprochent singulierement de quclqu'une de ces especes. Le professeur Kretschmer pense que les Egyptiens ont obtenu leur race do- mestique du dib; et le colonel Hamilton Smith soupc,onne que le levrier du desert provient originairement d'une espece qui tient de pres a cette memc section, si elle ne lui appartienl pas entierement. Si les chiens domestiques, dit-il, etaient autre chose que des loups modifies par 1'influence des besoins de Thomme, il est permis de croire que les chiens des pays mahometans, auxquels on refuse les soins domestiques, qu'on laisse vaguer selon leur caprice, et qu'on ne tolere dans les villes d'Asie que parce qu'ils servent a ramasser les immondices, auraient repris depuis longtemps quelques-uris des instincts du loup. Dans tous les cas, si le retour de ces animaux a leur na & ture primitive n'a pas eu lieu, ce n'est pas le temps qui a LES CHIENS SAUVAGES. 79 manque, puisqu'il est question d'eux dans les lois meme de Moise. Us etaient deja consideres a cette epoque comme des animaux impurs, car toutes les betes mordues, blessees, on qui n'etaient pas tuees suivant les formes prescrites, devaient Jeur etre abandonnees. On salt que les rues et les faubourgs des villes de POrient sont encore infestes de ces chiens, auxquels le roi David faisait evidemment allusion lorsqu : il priait le Seigneur de le delivrer de ses ennemis : Us reviendront vers le soir, et ils seront affames comme des chiens, et ils tourneront autour de la ville. (Ps. LIV. 6.) Le sort de Jezabel offre un autre exemple de leur nature ieroce; et Pon rapporte que les bords du Cison et la vallee de Jezrahel etaient particulierement infestes par une race de chiens sauvages. De notre temps les chiens des villes d'Orient habitent la rue et ne sont a personne. Le jour ils dorment c.a et la dans les carre- fours etendus an soleil, sans souci des passants. La nuit ils font sabbat et courent la ville en quete d'une pietre nourriture toujours rudement disputee. Les vieux meurent de faim dans les coins et finissent par etre manges. Comme ils purgent la ville des immondices de chaque jour, on les respecte. La loi meme est intervenue pour couvrir de sa protection ces citadins a quatre pattes. Celui qui tue un des nombreux chiens errants dans les rues est condamne a couvrir entierement de farine le cadavre du chien mort, suspeiidu par la queue, le museau touchant a lerre. Cette farine est employee a faire des pains que Pon distribue a tous les aiitres chiens des rues , aux frais du meur trier. Comme on le volt, les OrientaUx ont besoin de ces cliiens sauvages et ils les menagent. 80 H1STOIRE DES RAGES DE CH1ENS. Les chiens errants de Turquie sont de couleur jaune pale, blanc et jaune et quelquefois tricolores ou a moitie fauves, ce qui leur donne Taspect du chien courant d'Europe. On trouve chez ces chiens tous les types , tous les caracteres essentiels du loup, dont ils ne different que par la petitesse de la taille. En effet, c'est bien la meme robe, la meme rudesse de poil, meme conformation de tete, meme finesse de pied, merne port de la queue que chez le depredateur des forets. Le chien turc a la cuisse plate et les muscles moins saillants que le loup, mais il faut attribuer cette particularite au manque d'exercice et a la vie de lazzarone qu'il mene a Constantinople et dans les autres villes de Tempire ottoman. Le chien turc est au loup ce que le cochon est au sanglier. Si le chien turc n'est pas maltraite paries musulmans, il est condamne a vivre errant et vagabond au milieu des rues, expose a toutes les intemperies, ne recevant pour toute nour- riture que des debris de cuisine, insuffisants ei malsains, jetes a la voie publique par la bienveillance souvent oublieuse des habitants. De la des maladies de peau frequentes, le rou- vieux. Mais par une anomalie assez singuliere, tandis que les chiens d'Europe, si biens soigries, deviennent frequemment enrages, leurs congeneres turcs offrent rarement des cas d'hydrophobie. Cela tient a ce qu'en Turquie les animaux sont libres, non museles et peuvent se livrer librement a des accouplemenls naturels. Dans le nombre des races de chiens turcs, je n'oublierai pas celle des chiens de bazars qui se trouve a Jerusalem et dans la Judee. C'est la une espece tout a fait particuliere a etudier pour ses moaurs et pour ses habitudes sauvages. II existe un animal tres-dangereux, de la race canine, qui suit, dit-on, les caravanes de Bassora a Alep. Les Arabes Tap- LES CHIENS SAUVAGES. 81 pellent chib, et Ton pretend que tous ceux qui sont rnordus par lui en meurenl. Le docteur Russell cherche a expliquer ce tail en supposant que Panimal est atteint de la rage; mais il oublie que ces chiens sauvages \ivent en societe et voyagent par trou- pes, ce que ne font jamais les chiens enrages. L'existerice de rhydrophobie dans 1'Asie occidentale a meme ete revoquee en doute; mais cela n'est pas exact, car dans I'lnde les hyenes, les loups, les chakals, les renards y sont sujets aussi bien que les chiens domesliques. Inclependammerit des chakals, il existe uri autre groupe im- portant d'animaux sauvages de la race canine, connus sous le riom general de chiens rouges. Repandus au loin dans beaucoup de contrees de 1'ancicn monde, ils sont representes dans le nouveau par le loup aguaru, deja inentionne, et dans TAustralie par le dingo de la Nou- velle-Galles du Sud; en .4sie, on les trouve depuis les corilre- 82 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. forts meridionaux des monts Himalaya jusqu'a Ceylan, et, de 1'ouest a Test, depuis les bords de la Meditcrranee jusqu'a la Chine. 11 leur manque ordinairement la seconde dent tubereu- leuse de la machoire inferieure ; ils ont le corps un peu al- longe, les yeux legerement obliques et la plante du pied veluc. Ils vivent retires dans les bois, et Ton ne croit pas qu'ils se terrent. Leur cri naturel estune sorte d'aboiement; ils chassent la nuit comme le jour, par petites troupes. Ils craigrient riiornme, mais ils attaquent courageusement toutes les autres creatures, meme les especes redoutables et d'une force supe- rieure, telles que le sanglier et le buffle; on assure qu'ils savent, en agissant de concert, braver le tigre lui-meme. II est constant, du moins, qu'ils ont pour tons les grands animaux de la race feline une haine instinctive, semblable a celle que beau- coup de chiens d'Europe portent a nos chats domestiques; aussi font-ils une guerre acharnee a leurs petits. L'accord, 1'au- dace et la tenacite qu'ils deploient dans leurs luttes avec les pa- rents est, si 1'on en croit les chasseurs indiens, la cause prin- cipale de la frayeur que temoigne le tigre a la vue d'un chieri, ne fut-ce qu'uri epagneul domestique. Au groupe des chiens rouges appartient cette espece interes- sante que M. Hodgson a decouverte dans le Nepaul, et qu'il a decrite sous le nom de cams primxvus. Son veritable nom est buansa . Get animal chasse, la nuit comme le jour, par bandes de six a dix individus; il poursuit sa proie guide par 1'odorat plutot que par ses yeux, ainsi qu'on doit le supposer d'apres la nature accidentee du pays qu'il habile, et, une fois sur sa trace, il ne 1'abandonne plus. On ne saurait Papprivoiser du moment oil il a pris sa croissance ; mais ses petits, lorsqu'ils sont captures fres-jeunes et eleves avec des chiens domestiques, montrent de la douceur et de 1'intelligence. Ccttc espece habile les mori- LES CHIENS SAUVAGES. 85 tagnes rocheuses et boisees qui separent le Setlege du Brahma- poulra, et elie parait s'etendre, a quelques modifications pres, jusqu'aux Gathes et a la cote de Coromandel. Le buansa serait, a en croire M. Hodgson, la souche primi- tive de toutes les especes de chiens domestiques du mondc entier, et c'est dans cette hypothese qu'il a cm pouvoir lui donrier ce nom un peu pretentieux de cards primxvus. Gommc il a toutes les habitudes du chien de chasse, il est perrais de supposer qu'il a ete apprivoise et dresse de bonne heure par les peuples chasseurs, qni auront tire parti de ses dispositions naturelles ; c'est ainsi, sans doute, qu'il aura pu devenir la souche des chiens de chasse de peuples dit'ferents, et par la suite meme tres-eloignes de son pays natal. Mais on ne voit dans les caracteres particuliers de cette espece, non plus que dans ceux d'aucune autre espece donnee, rien qui puisse auto- riser a conclure qu'elle ait ete la souche de tous les chiens de la terre. Le buansa ne ressemble pas plus au chien que les Groenlandais attelent a leurs traineaux, que le levrier de Perse ne ressemble au basset anglais. Nous dirons ici en passant que le chien sauvage appele kolsun, et decrit par le colonel Sykes, le dhole decouvert par M. Wooler dans les monts Mahabblishwar, et le guild, tel que 1'a reconnu le docteur Spry, peuvent etre rapportes a la race buansa. Le chien sauvage du Beloutchistan est farouche et mediant, et se tient loin des habitations des hommes. Le colonel Hamilton Smith le cite comme 1'une des especes de chiens sauvages qu'on trouve dans les montagnes boisees du sud de la Perse, et qui s'etendent probablement jusque dans le Kaboul, par les grands plateaux a 1'ouest de 1'Indus. Ces chiens chassent par troupes de vingt a trente; lorsqu'ils sont ainsi en force, ils at- taquent les buffles et les taureaux, et quelques instants leur suffisent pour les mettre en pieces. 84 HISTU1BE DES RACES DE C11IENS. Les dholes de 1'Inde (ce nom est derive d'un vieux mol asia- tique qui signifie insouciance) se rattachent aux especes dont nous venons de parler. Le vrai dhole est represente comme etant d'urie taille intermediaire entre le loup et le chakal, assez mince, de couleur bai clair, avec une tele angulaire et des yeux pergants. Ses formes generates rappellent celles du levrier ; sa queue est droite et non touffue, ses oreilles larges, ouvertes et triangulaires ; son nez, son museau, le derriere de ses oreilles et ses pattes sont couleur de suie. II chasse en troupes nom- breuses, et lorsqu'il est sur la voie, il fait entendre, dit-ori, un cri qui ressernble a celui du chien a renard, entremele d'urie espece dc glapissement. Le docteur Daniel Johnston a vu une troupe de dholes attaquer un sanglier. 11s ont etc quelqucfois apprivoises et employes comme cbiens de cbasse. Le eapitaine Williamson reconnait leur vitesse, mais il pretend qu'on ne peut compter sur eux pour chasser a courre, attendu qu'ils sont sujets a lacher pied pour se jeler sur des chevres ou des rnoutons. Us sont neanrnoins precieux pour la cliasse au sati- glier. Le vrai dhole, qui parait etre assez rare, se rencontre principalement dans les monts Rharngany, et quelquefois dans les Ghates occidentales. Le cbien sauvage de Ccylan est aussi un dhole, aussi bieri que les chiens de Dakhun. Le paria, chieri sauvage, est plus gros que le chakal, niais il est bas sur pattes, et rappelle a cet egard le basset ; sa queue, de moyenne longueur, et peu flexible, est plus fournie de poils a 1'extremite qu'a sa naissance ; ses oreilles sont droites, poiri- tues et tournees en avarit ; ses yeux sont de couleur noisette : I'epaisseur de sa fourrure varie suivant la latitude, et la cou- leur rougeatre de son corps est plus foncee dans le Nord que dans le Midi, oil les parties superieures ont un ton argente au lieu d'une teinte noir. Les parias domestiques de J'lndc ibi'inent, il est vrai, une LES CHIENS SAUVAGES. 85 race tres-melangee, quelquefois les instincts de la vie sauvage se trahissent encore chez eux, et souvent ils off rent, dans leur aspect, les signes les moins equivoques de degeneration. Bruyants et laches, ils ne manquent cependant pas d'une cer- taine sagacite; aussi les Chekaris les dressent-ils a leur ma- niere particuliere de chasser, et les paysans les emploient ega- lement pour le meme objet. On est fort etonne de trouver dans ces animaux negliges les m6mes qualites qui distinguent leurs freres plus heureux de 1'Europe. Ils sont souvent, en effet, plus negliges et plus miserables que les chiens du Levant. On enlre- tient des crocodiles dans les fosses de certains forts de Kama- tic, et tous les chiens parias trouves dans 1'enceinte de la place sont jeles en pature a ces monstres devorants. les parias d'Egypte, c'est-a-dire les chiens des rues, quoiquo aussi bien degeneres par suite de Tirregularite de leur genre de vie et de leurs croisements continuels avec des roquets do basse extraction, conservent encore des traces d'un sang pur et ancien : ces traces nous conduisent au levrier akaba des de- serts, espece feroce et de grande taille, fort estimee des Be- douins nomades, qui s'en servent pour chasser 1'antilope et pour garder leurs tentes et leurs bestiaux. Cette espece off re beaucoup^d'analogie, par sa forme et son caractere general, avec ces animaux de la race canine qu'on voit representes sur les anciens monuments de 1'Egypte. Toutes les especes sau- vages ayant les oreilles droites, tandis que la plupart des es- peces domestiques les ont rabatlues, on a pense que ce dernier caractere etait le resultat de la domesticite. On trouve sur les tombeaux des rois thebains, qui datent de plus de trois mille ans, des figures de levriers et d'autres chiens ayant presque invariablement les oreilles droites, tandis que les sculptures grecqucs du temps de Pericles, plus modernes de pres d'un millier d'annees, commencent seulement a presenter une es- 86 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. pece correspondante a\ec les appendices des organes de I'ouie a demi-rabaitus. On ne voit pas dans les anciennes sculptures persanes de Takhti Boustan (del'epoque des Parthes) de chiens aux oreilles pendantes. Le colonel Hamilton Smith n'a pu in- diquer qu'une seule figure orientale, tres-ancienne, d'un chien ayant les oreilles tout a fait pendantes ; c'est dans un sujet de chasse egyptienne, public par Caillaud, et tire, a ce que nous croyons, des catacombes dont nous parlions lout a 1'heure. Ce n'est point un levrier, mais un lyemer (de lymme, courroie) ou chien mene en laisse, le chasseur qui 1'accompagne tenant son arc a la main. Le colonel suppose que c'est le chien elymeen, qui fut peut-etre introduit en Egypte par les rois pasteurs, ou ramene par Sesostris apres son expedition a 1'Oxus. On peut dire, d'une maniere generate, que les oreilles des chiens do- mestiques etaient originairement droites et pointues dans toutes les especes a longs poils et a museau allonge; a demi rabattues dans les especes a museau allonge, mais a poils ras, et pendantes dans les especes a museau arrondi. On peut encore mentionner, com me ayant une certain c affi- nite avec les chiens rouges et avec les dholes, une rernarquable espece sauvage deTAustralie, qu'on appelle le dingo de la Nou- velle-Hollande. Quelques personnes pretendent que c'est une espece importee, et la zoologie tres-exclusive de la grande lie meridionale oil on la trouve aujourd'hui ne rend pas cetle liy- pothese inadmissible. Le dingo est peut-etre, parmi les grands quadrupedes, le seul lien qui rattache d'une immiere quelcon- que les produits animaux de ce pays avec ceux des autres contrees : son caractere anormal dans cette meme localite est 1'argument qu'invoquent ceux qui voudraient le iaire conside- rer comme une espece importee plutot qu'indigene. On ne possede, toutefois, aucune preuve, soil directe, soil tradition- nelle, de cette importation. TI faut prendre, en attendant, le dingo LES CHIENS SAUVAGES. 87 ou nous le trouvons, et cet animal se rencontre avec tous les attributs essentiels d'une bete sauvage. II parait 6tre repandu dans toute 1'Australie, au moins dans tout ce que nous connais- sons de cette terra fere incognita, et il chasse soit par couples, soit par petiles families de cinq a six. C'est un animal fort et de grande taille, aussi actif que feroce; et lorsqu'il attaque des moutons, il semble prendre plaisir a en tuer le plus grand nombre possible, plutot par une sorte d'instinct sanguinaire que pour satisfaire aux exigences naturelles de la faim. A un defrichement appele New-Billholm, a environ cent soixante-dix milles de Sidney, un de ces dingos tua en une seule matinee quinze belles brebis. Quand la terre de Van Diemen commenca a etre colonisee par des cultivateurs euro- peens, leurs troupeaux eurent aussibeaucoup a en souffrir ; et telle etait 1'adresse en meme temps que la ferocite de ces chiens sauvages, que les gardiens et les feux etaient a peu pres impuissants centre eux. Douze cents moutons et agneaux furent, dans Tespace de trois inois, enleves ou detruils dans un seul etablissement ; sept cents dans un autre. Lorsque ces animaux sauvages rencontrent des chiens do- mestiques, ils sejettent aussitot sur eux pour les devorer. 11s montrenten pareil cas beaucoup plus de courage que les loups, et poursuivent les chiens de chasse pour ainsi dire jusqu'aux pieds de leur maitre. Un dingo amene en Angleterre, et dont on supposait les moeurs fort adoucies par une longue traversee, ne fut pas plutot debarque qu'il se rua sur un pauvre ane peu prepare a cette attaque, el qui aurait ete mis en pieces si on n'etait venu promptement a son secours. Un autre, au Jardin des Plantes de Paris, s'elanc,ait centre les barreaux des loges des betes feroces, lors meme qu'il voyait ces loges occupees par un jaguar, une panthere, un ours, avec lesquels il n'elait cerlairiement pas de force a lutter. 88 1IISTOIRE DES RACES DE CHTENS. Prives de la liber te, ces memes animaux, dit-on, deviennent pour la plupart muets; ils ne hurlent pas, n'aboient pas, et ne manifesterit qu'en montrant leurs dents les sentiments qui les agitent. Les jardins de la Societe zoologique de Londres possedent depuis longtemps plusieurs individus de cette espece, qui n'ont jamais pu, ou voulu aboyer comme les autres chiens dont ils sont entoures. Cependant, quandunetranger se montre ou quand arrive Pheure de manger, le hurlement des dinyos est le premier bruit qu'on entend, et ce bruit domine tons les aulres. A 1'efat de liberte, ils poussent de temps a autre un cri lugubre et prolonge. Ils paraissent, malgre leur na- ture sauvage, avoir beaucoup d'affection les uns pour les a utres. Un voyageur connu, M. Oxley, inspecteur general de la Nou- volle-Galles du Sud, raconte le fait suivant : Nous tuames un clrien du pays, et nous jetarnes son corps sur un buisson. En repassant par le meme endroit, nous le trouvarnes a trois ou quatre toises du buisson, et, couchee au- pres, la femelle mourante : il est probable qu'elle etait la de- puis le jour ou le chien avait ete mis a mort. Elle etait telle- ment faible et amaigrie, qu'elle ne put meme se deranger a notre approche; nous crumes faire un acte de cbarite en lui tirant un coup de fusil. J'ajouterai que les naturels Ont apprivoise le dingo a leur fac^on, et qu'il les aide a chasser Temu et le kangurou. II s'ac- couple, dit-on, moins facilement avec le chien ordinaire que celui-ci avec le loup, quoiqu'on ait des exemples de ces croise- ments. Les metis conservent une grande partie des mows sauvages du dingo. Les petits sont bien faits et joueurs, mais ne brillent pas par leur docilite. Ils heritent d'une disposition naturelle a fouiller la terre, comme s'ils voulaient se creuser LES CHTENS SAUVAGES. 8 des terriers, et, tout jeunes encore, ils attaquent la volaille, habitude dont on ne peut jamais les guerir. II ne faut point oublier dans cette nomenclature raisonnee des chiens sauvages, le quao, qui se trouve dans 1'Inde, au mi- lieu des montagnes du Ramghur, dont les oreilles sont pointues et la queue noire. Le chien de Sumatra, dont le nez est pointu, les yeux obli- ques, les oreilles droites, les jambes hautes, la queue pendante et tres-touffue, plus grosse au milieu qu'a sa base. Son pelage est d'un roux ferrugineux, plus clair sur le ventre. 11 vit a Petal sauvage dans le pays de Sumatra. Dans les montagnes de PHimalaya, on rencontre encore le wah, qui a le museau pointu et la tele allongee, les oreilles droites et pointues, le poil brun et soyeux, laineux a sa racine, d'un gris cendre sous la gorge, avec deux taches noiratres sur les oreilles, et la queue touffue. Je passe au poul de la Nouvelle-Islande, moitie plus petit que le dingo , ayant un museau pointu , les oreilles courtes et droites, les jambes greles, le pelage ras, brun et fauve. Get animal, tres-hardi, courageux et vorace, n'est chasse par les habitants que pour etre mange a Petat de gibier. Le koupara, ou chien yrabin de la Guyane, est une variete du chien domestique. Son pelage est cendre et strie de noir en dessus, d'un blanc jaunatre en dessous; ses oreilles sont bru- nes, droites, courtes, garnies de poils jaunatres en dedans; les cotes du cou et le derriere des oreilles sont fauves ; les tarses et le bout de la queue noiratres. Par ses qualites morales, il le dispute a nos chiens les plus intelligents. Le koupara vit en famille dans la Guyane frangaise, ou on le rencontre en troupes composees de sept ou huit individus, ra- rement plus ou moins. II se plait dans les bois ou coulent des rivieres peuplees d'ecrevisses et de crabes, qu'il sait fort bien 00 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. pecher, et dorit il fait sa nourriture de predilection. Quand cette ressource vient a lui rnanquer, il chasse les agoutis, les paccas el autrespetits mammiferes. Erifm,faute demieux,il se contente de fruits. II est pen farouche, et s'apprivoise avec la plus grande facilite. line fois qu'il a reconnu son maitre, il s'y attache, ne le quitte plus, ne cherche jamais a retourner a la viesauvage, et devient pourtoujours le commensal dela mai- son. II s'accouple sans aucune repugnance avec les chiens, et les metis qu'il produit sont tres-estimes pour la chasse des agoutis et desakouchis. Ces metis, croises de nouveau avec des chiens d' Europe, produisent une race encore plus recherchee pour la chasse. Dans noire colonie franchise on trouve egalement le petit koupara, d'une taille moindre que le precedent, dont la tele est plus grosse, le museau plus allonge, et la robe au poil long et noir. Les sauvages Guaranis 1'elevent pour la chasse de pre- ference a tous autres. Le korsac duBengale est de la taille d'un chat; son poil gris fauve, uniforme sur le dos, devient d'un blanc jaunatre par dessous. Ses membres sont fauves; la queue fort longue, tou- chant a terre et noire a rexlremile. Ghacune de ses joues esl ornee d'une raie brune. On le trouve dans la Tarlarie et dans les Indes. Les korsacs vivent en troupes dans le desert, non dans les bois, mais dans les steppes converts de bruyeres, ou sans cesse ils sont occupes a chasser les oiseaux, les rats, les lievres el autres petits.animaux. Pendant la nuit, ils font enlendre leur voix, moins glapissanle que celle des chakals, mais lout aussi desagreable. Ils s'accouplent au mois de mars ; la femelle porle aulanl de jours que la chienne, el melbas, en mai ou en juin, de six a huit pelits, qu'elle allaile pendant cinq ou six se- maines. Elle les fait sortir ensuile de sa relraile, leur apporle LES CHIENS SAUVAGES. 91 a manger, et leur apprend peu a peu a choisir leur nourriture et a chasser. Ces animaux n'ont pas moins de finesse que le re- nard pour s'emparer de leur proie, consistant quelquefois en nids de canard et autres oiseaux dont ils mangent les ceufs et les petits. On dit que le korsac ne boit jamais, rnais il est per- mis d'en douter nonobstant 1'affirmation de Georges Cuvier. Get animal, si peu connu en France qu'on va le voir a la Mena- gerie comme une curiosite, a neanmoiris ete commun a Paris sous le regne de Charles IX, parce qu'il etait de mode chez les dames de la cour d'en avoir au lieu de petits chiens ; elles le designaient sous le nom d'adive, et le faisaient venir a grands frais de 1'Asie. Dans les monies contrees, on trouve le karagan, petit chien de la forme du korsac, seulement d'une taille un peu plus grande; son pelage, d'un gris cendre au-dessus, est d'urt fauve pale sous le ventre. Sa fourrure est fort recherchee. Le kenlie du cap de Bonne-Esperance, de la Nubie, de 1'Abys- sinie et du Sennaar, est une espece curieuse qui porte sur le dos une plaque triangulaire d'un gris noiratre onde de blanc, large sur les epaules, et finissant en pointc vers la base de la queue; ses flancs sont roux, sa poitrine et son ventre blancs ; sa tete est d'un cendre jaunatre; son museau roux, ainsi que ses pattes ; sa queue, qui descend presque jusqu'a terre, a deux on trois anneaux noirs sur son tiers posterieur, ainsi que son extremite. Le chien-hnp de Java ressemble fort au loup ordinaire pour les formes et pour la taille, mais ses oreilles sont plus petites ; son poil est d'un brun fauve, noir sur le dos, a la queue et aux pattes. C'est le voyageur Leschenault qui 1'a decouverl a Javn. Le Ischerno-burol de la Russie est un loup noir qui reside dans les steppes de cet empire, et que Ton rencontre par basard 92 HISTOIRE MS RACES DE CHIENS. dans nos montagnes de France. Sa robe est cntierement noire et sa ferocite redoutable. Tant que les chiens n'ont pas entierement depouille leur na- ture sauvage, ils devorent le roi de la creation avec aussi peu de scrupule ques'ils'agissaitdu dernier des animaux sou- rnis a son empire. Sur les champs de bataille on les rencon- tre meles aux vautours et aux chakals, et les aidant activement a remplir la mission que la nature sernble leur avoir donnee. Lord Byron les vit, a Constantinople, devorant sons les rmirs flu serail les cadavres des janissaires insurges et vaincus; do la ces vers si connus du Siege de Corinthe : Du crane d'un Tartare ils enlevaient la peau Comme on pele une figne ail moyen du couteau. La chasse a courre contribue a entretenir les instincts san- guinaires au sein meme de la domesticite : n'a-t-on pas \u des chiens courants devorer des malheureux qui s'etaient laisscs tomber dans leur chenil, ou qui avaient eu I'imprudence d'y entrer sans etre munis d'une arme pour les tenir en respect? Robert Bruce depista les chiens qu'on avait mis sur sa trace en traversant une petite riviere, et en s'elanc,ant sur un arbre, sans toucher le bord. Wallace se sauva en tuant un de ses com- pagnons dont il suspectait la fidelite ; les chiens s'arreterent devant le sang repandu, dont la vue les troubla et emoussa en quelque sorle la finesse de leurs perceptions. Du reste, il ne devait pas etre toujours facile de se soustraire a la poursuilo des chiens. Robert Boyle raconte qu'un limier suivit une fois un domes- tique a la piste pendant plusieurs milles, le long d'une route publique, jusqu'a la maison ou il demeurait, sur la place du marche d'une certaine ville, sans etre un seul instant mis en defaut par la multiplicite des traces etrangeres. LES CHIENS SAUVAGES. 95 Les limiers, reserves jadis pour chasser les princes etles he- ros, ne f'urent plus guere employes par la suite qu'a traquer des bra conniers et des criminels vulgaires. Us etaient depuis long- temps reduits a ces ignobles lonctions, lorsqu'ils procurerent la capture du dernier rejeton dela royaute qu'ils eurent 1'hon- neur de poursuivre, I'infortune due de Monmouth ; ils le de- couvrirerit dans un fosse ou il s'etait cache apres la b^taille de Sedgernoor. L'emploi du chien a la guerre est un article ires-con testable dans le code du droit des gens. LES CHIENS DE GARDE Les chiens de berger appartiennent sans contredit a la race la plus vieille du monde; ils tiennent a la fois du loup et du renard. Leur museau pointu, leurs oreilles droites, 1'epaisseur de leur poll, souvent laineux et foule, leur queue allongee et \elue, leur robe generalement de couleur sombre, leur saga- cite et leur intelligence, denotent un animal deja tres-remar- quable a Tetat sauvage et maintenant sans rival dans la place que lui a faite la civilisation. La taille de ces animaux est generalement moyerme, et ce- peridant il existe certains chiens de berger aussi hauts sur jambes que les terre-neuve. D'ordinaire la bete est peu fami- liereettres-indifferente aux caresses deThomme, .dont il est le serviteur sans etre pourtant son ilote, car il Faide dans son office de gardeur de brebis ou de boeufs, avec une sagacite qui fait souvent le quadrupede 1'egal du bipede. Quel que soit le pays dans lequel on etudie le chien de her- LES CIIIENS DE GARDE. 95 ger, quelle que soil la race a laquelle appartienne Pindividu, on le trouve toujours fidele, obeissant et incorruptible. Selon toute probability le chien de berger n'a point change de forme : sa race est toujours la meme. On en compte eri France plusieurs tres-remarquables, entre a utres, celle des chiens de Brie, dont le poil soyeux et long est de couleur fauve ou isabelle. La taille varie de O'"j60 a O m ,70 1,E CHIEN DE BERGEU. de hauteur, quelquetbis O m ,8(), et la longueur de l m ,25 a l m ,50. La plupart de ces chiens ont la queue coupee; cependant, un grand nombre de bergers prouvent un meilleur gout que leurs confreres et laissent a leurs chiens de tres-beaux panaches naturels. Les chiens de la Crau 1 sont de grands quadrupedes a la robe ! Vaste plaine couverte de cailloux qui s'etend, dans le departeinent des Bouches-du-Rlione, entre Aries et Saint-Chamas. 96 HiSTOIRE DES RACES DE CHIENS. fauve ou noire quelquefois blanche comme neige au pelage loufl'u, munis de grandes oreilles droites et pointues, favorises par une queue aux poils splendides. On cite encore, parmi nos races franchises, une variete con- nue sous le nom de chien de montayne, tres-repandue dans tous nos departements, plus haute sur paltes que les chiens deBrie, le poil court sur la tete et les epaules, qui devient laineux comme celui du caniche sur le dos et la croupe, ou il est comme 1'oule par larges plaques allorigeesassumant une teinte rougeatre. Les chiens toucheurs, autrement dit les animaux apparte- narit a la race canine de berger, destines a aider les conduc- leurs de bestiatix, sont dociles au dela de toute expression, et leur ressemblance avec leurs congenercs est vraiment remar quable, quoique leurs habitudes soient tout a fait differentes. Dans certaines contrees de France et d'Angleterre surtout, la surveillance des troupeaux de boeufs est entitlement abari- donnee aux toucheurs, dont le prix s'est souvcnt eleve a des sommes fabuleuses. Les conducleurs se fient si bien a la sagacite de leurs chiens, que maintes Ibis ils suivenl un autrc chemin, pour vaquer a differentes affaires, se trouvanl ainsi debarrasses du soin de ramener a leur etable les boeufs qu'ils ont achetes au marche, ou dans les fermes. J'ai \u, en Amerique, un de ces toucheurs partir d'une metai- rie avec un troupeau qu'il devait conduire, de Westfarms a New- York, une distance de douze lieues, et amener tout le betail a 1' enceinte habituelle ou son maitre avait coutume de se pla- cer le jour du marche, enceinte qui etait d'avance preparee pour lui. La plus grande parlie de ces chiens riaissent sans queue na- turellement, mais on attribue avec raisori cette anomalie a une transmission hereditaire provenant de la section de cet appen- dice, faite aux ancetres de ces animaux. LES CH1EINS DE GARDE. 97 Les chiens de berger anglais et e'cossais sont urie race dont la structure differe essentiellementde celle de leurs congeneres de France. On dirait des enormes renards au poil long, aucou entoure d'une fourrure epaisse, a la queue pareille a celle du lerre-neuve, ou plutot semblable a unc criniere fourree et frisee, legerement tordue en trompette. Le museau pointu d'un levrier, les pattes fines, Pceil vif, quoique enterre sous d'epais sourcils, les oreilles droites ou seulement retombant en avant : telle est la description exacte du scotch sheep-dog, animal a la robe grise, striee de taches noires. CHIEN DE BERGER (RACE COLMEY) ECOSSAIS. 11 existe aussi une variete dont le poil est noir, marque de feu, c'est la plus estimee. Ils ont souvent le poitrail blanc et la pointe de la queue de la meme couleur. Les ergots supple- mentaires des pattes de derriere sont generalement doubles. 7 98 11IST01RE DES RACES DE CHIENS.' Les chiens de berger russes ou siberiens sont d'enormes arii- inaux ayarit de grandes analogies avec nos grands chiens deBrie, et pourtant ils ressemblent fort a des loups demoyerme taille, tant pour la forme que pour le poll. Leur robe, composee de soies Ires-longues, est feutree depuis les epaules jusqu'a Fextre- miledela queue, cequi est singulier et Ires-prise des amateurs. Le chien de garde chinois, d'un fort beau galbe, qui vient du Celeste-Empire, est tres curieux. 11 y en avait un specimen a ['Exposition de 1865, qui attira fort 1'attention des amateurs. Je ri'ai pas de grandes notions sur cette race exotique et, eu egard a mon ignorance du chinois, il m'a etc impossible de me procurer des documents dans les livres du pays. En Allemagne, il existe une race de chiens de berger de pe- tite taille, remarquable par une queue fournie de tres-longs poils, ayant le museau court, la robe rude, generalement noire ou d'un brun pale. Tres-affectueux pour leur maitre, fort in- telligents, ils sont recherches par tous ceux qui aiment les ani- maux u tiles el agreables. Le chien de Pomeranie, autrement appele chien pour loups, est destine, comme le dit son nom, a proleger les troupeaux conlre ces carnassiers. Un museau pointu, des ofeilles courtes el droites, la taille d'un loup ; une robe, des oreilles jusqu'a Fex- trernite de la queue, bien fournie de poils, a 1'exception du museau et des pattes, le tout de couleur noire, grise ou blan- che quelquefois jaune ; telle est la description de cet animal. Les chiens de garde et de montagnes sont encore une variele de la race canine qui a dans la nature de nombreux speci- mens. Leur laille colossale, leur poil dur et frise, de fac.on a pouvoir resister aux intemperies de 1'atmosphere, la largeur de leur front, la longueur de leur museau, la forme de leur poitrine, et la force apparente et existante de leur marche, font de ces quadrupedes une classe hors ligne que riiomme LES CHIENS DE GARDE. 99 a bien fait d'attacher a sa personne et d'adapter a ses besoins. D'autre part, leur forte taille leur permet de hitter centre des ariimaux sauvages et dangereux , des loups, des lynx , et c'est pour cette raison que nous avons choisi et fait multiplier ces diverses races, afin d'avoir nos maisons et nos personnes protegees. La plus remarquablerace parmi leschiens de garde etde mon- lagnes est celle connue sous le nom generique dechien desPyre- nees, betes de forte taille, au poil blanc, strie de plaques orange,' ocre ou grises a la tete et au cou ; ayant la queue touffue, douees d'un courage feroce et defendant avec une audacesans pareillele maitre, le troupeau et Fhabitation attaqiiee par les animaux car- nassiers, oupis encore paries hommes mis auban de la societe. Les chiens des Alpes, pareils pour la forme aux precedents, n'ont de difference avec eux que la longueur du poil et la droiture des oreilles, qui se tiennent debout comme celles des chiens loulous. Les chiens de Leonbery sont de grands animaux aux mem- bres enormes, aux tetes proeminentes, aux longues levres, qui ressemblent fort aux chiens du mont Saint-Bernard, race par- ticuliere qui occupe un rang important dans notre civilisation, grace aux services qu'ils rendent dans les Alpes aux voyageurs surpris par les neiges et engloutis par les avalanches. On a raconte et on raconte encore des histoires merveilleuses de 1'intelligence de ces animaux qui, guides par un instinct tout particulier a leur nature, s'aventurerit dans les sentiers les plus deserts, les plus dangereux, et arrachent souvent a la mort un malheureux sur le point de perir. Le chien du mont Saint-Bernard , autrement dit Ye'payneul des Alpes, est une espece distincte qui ne se trouve que dans cette partie du vieux continent resserree entre la Suisse et la Savoie. Leur race est evidemment espagnole, autrement dit pyreneenne. Jl est inutile d'apprendre a tous rues lecteurs, qui le saveril 100 HISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. aussi bien que moi, les dangers que Ton court le long dcs pen- tes abruptes des moniagnes, rendues glissantes par la glace fondue ou par la neige amoncelee qui recouvre souvent des abimes sans fond. Le sentier qui frole la montagne laillee a pic, est coupe au-dessus d'un precipice, et malheureux est celui qui se trouve force de passer par la. L'avalanche (qualifiee d'/iorw- dftepar 1'auteur du pocme de Guillaume Tell) se delache mainte Ibis des flancs du rocher et ensevelit le voyageur. Mais celui- ci a-t-il evile la mort, il court encore le peril d'errer, en cherchant sa route, au milieu d'une solitude glacee, vaste lin- ceul de neige, et de voir arriver la mort sans avoir atteint uri asile. S'il se couche, s'il s'endorl, c'est un homme perdu : le froid glace ses membres, et, comme la neige tombe sans cesse, ce corps inanime n'offre plus qu'une masse informe qui ressem- ble aussi bien a un rocher qu'a une creature humaine. Le couvent du mont Saint-Bernard, place au sommet des Alpes, au milieu d'une des routes les plus dangereuses du mont Blanc, conserve avec le plus grand soin la race des chieris de secours dont la gravure ci-contre est la parfaite image. La nuit, quand la rafale siffle et fait rage dans les ravins alpcstres, on ouvre le cbenil et les chiens s'elancent au dehors, portant a leur cou un barillet de spiritueux destine a ranimer les forces des malheureux qu'ils vont decouvrir dans la montagne. Lo flair de ces bons animaux est tel que le voyageur tombe, fut-il reconvert de 6 pieds de neige, ils reussiraient a le depister. Les voyez-vous creusant la neige et ecartant les obstacles, se reposant de temps a autre pour aboyer etpousser ces longs rugissemerits qui, repercutes par les eclios, vontamener pres de Phomme eri- gourdi les bons peres du convent. En effel, un moine semonlre au detour du sentier, il accourt, le voyageur est sauve, car le religieux charitable va 1'aider a regagner le toit hospilalier au somrnet duquel s'elevc la croix de ia Redemption. LES CIIIENS DE Les c/titftts rfw Saint-Bernard ont generalement la robe fauve fonce a I'extremife teintee de noir. Leur poitrail est d'un poll blanchatre comme le dessous du ventre et la poinie de la queue. La tele est large, le museau carrc et les oreilles courtes. La bonte la plus grande est 1'apanage de ces chiens sauveteurs, dont plusieurs ont manifesto des prodiges de bravoure. On cile, enlre aulres, un cbien, nomme Barry, qui portait a son collier une medaille inentionnant ses exploits graves sur les deux faces, avec les noms de ses debiteurs et les dates des evenements. Barry avait sauve la vie a quaranle personnes. 11 mourut dans les circonstances suivantes. Tin courrier sarde, vcnant de France, avait atteint le Saint-Bernard, ct, malgre les moines qui le prevenaient du danger, il voulut s'en aller an village de Saint-Pierre, ou Patlendait sa famille, qui devait 6tre fort en peine sur son compte. Ne pouvant vaincre Pobstination de cet bomme, on lui donna deux guides et deux chiens, dont Tun etait 1'illustre Barry. Les cinq 6tres animes s'eloignent, mais a une demi-lieue du couvent, Pavalanche les engloutit fous et on ne retrouve leurs cadavres qu'a la fonle des neiges. Un peu plus loin, a une demi-lieue, le meme bloc de neige avait enseveli les parents du courrier qui se rendaient au con- vent afin de savoir si celui qu'ils cberchaient etait arrive dans ce saint asile. Une trcs-belle lithographic que j'ai cue entre les mains re- presente Barry, portant sur ses epaules un charmant enfant, sauve par lui dans le glacier de Balsore. La jolie creature serre de ses petits bras le cou du noble chien, qui semble tout glorieux de la conquete qu'il vient de faire sur la mort impi- toyable. En regardant ce dessin on sent des pleurs s'echapper de ses yeux. En Tan 1820, -cette race disparut, a 1'exception d'un seul individu, et les moines du morit Saint-Bernard reussirent a m , jtlSTOlRE DBS RACES DE CHIENS. repeupler leur chenil en accouplant cet etalon avec des lices de Leonberg. Le chien du mont Saint-Bernard est d'une taille de O m ,70 a IU ,8U de hauteur. La couleur de son poll est rougeatre ou fauve, et le museau noir, souvent strie de la meme nuance que la robe. Sa tete ressemble a celle du matin CHIEN DU MOIST SAlM-BKldNARH. anglais, quoique plus epaisse. Le poil rude de quelques chiem du Saint-Bernard laisse croire a tin croisement ancien avec le chien a sangliers. Les mdtins fran?ais, que les Latins appelaient canis lama- rim, race croisee dont la tete est allongee, le front plat, les LES ClliENS I)E GARDE. 103 orcilles pendantes et la robe generalement fauve, sont une variete de la race canine qui est, a la tbis, chien de berger et chien de garde, fonction dont elle s'acquitte generalement avec la fideliie la plus grande et une sagacite sans pareille, quoique 1'on ne soit pas porte a lui accorder tout d'abord une grande intelligence au simple examen du crane. Les chiens des Abruzzes sont encore une belle et bonne race a 1'aspect hardi, aux moeurs courageuses, a la demarche elas- tique. Us appartiennent aux animaux qui servent tout a la fois a la defense de 1'homme et a la conduite des troupeaux, Leur aspect est veritablement imposant. On comprend, rien qu'au simple examen de ces nobles betes, quels services elles peuvent rendre aux bergers de ces provinces napolitaines dont Fa pat hie naturelle, 1'indolence de lazzaronc, doit ctre slimulee et pour mieux dire assistee par un compagnon actif et devinant les de- sirs de son maitre. Leur poil est d'un blanc pur, quelquefois melange de fauve. Lors de la presence dans le Gevaudan de cct illuslre loup- rervier qui desola cette province, en 1765, le chevalier An- thoine, porte-arquebuse du roi Louis XT, envoye par ce mo- riarque pour combattre et mettre a mort cette horrible bete, amena avec lui des chiens des Abruzzes qui Paiderent fort ;i remporter la vicloire 1 . Je citerai encore les matins de Bretayne, dont le poil est noir, quelquefois poivre et sel, ou fauve et noir, et les mdtins d'Es- pagne, qui sont roux ou marrons. Les chiens de Camaryue sont indubitablement les descen- dants des chiens des Alpes et des Pyrenees. On s'en sert, dans le Delta du Rhone, pour conduire les troupeaux et garder les mai- sons. Leur robe est d'une entiere blancheur, sans etre le- 1 Voir le volume intitule: Bourres de fusil, ou j'ai raconte au long cette hi?- toire. Chez Dentu, libraire, Palais-Royal, 104 IHSTOJRE DES RACKS DE CHIENS. gere, car le poil en est frisc et laineux. Joignons a cette des- cription des yeux bleus rarete chez les animaux des oreilles pointues, retombant en avant, des paites un peu courtes et les phalanges de ces pattes largement palmees. Les chiens de Saint-Dominyue et du Mexique se rapprocheril plus de la forme du loup que de celle du chien. On les emploie pour trainer de petites voitures, afm de s'eviter la peine de legers transports. Les Newfoundlands anglais, chiens de Terre-Neuve, race herculeenne, tres-aimee et fort estimee en Europe sont chacun le sait des epagneuls geants, originaires de 1'ile pres de la- quelle on peche la morue et dont les habitants s'occupent 1'hiver a couper du bois pour le conduire a la ville de Saint-John, I'eto a encaquer des morues. A Terre-Neuve, ce sont les chiens qui remplissent Fofflce de chevaux et de mulcts : ce sont eux qui trainent les fardeaux sur des traineaux, comme les rennes en Laponie. Ces pauvres animaux, dont la nourriture est fort in- suffisante et se compose tres-souvent de poisson pourii, sont d'un courage et d'une resignation uniques et admirables. Un tres-grand nornbre de ces quadrupedes ilotes meurent de fa- tigue et d'epuisement avant la fin de 1'hiver. Pendant la saison de la peche, la plupart de ces pauvres betes sont abandonnees a elles-memes. Forcees par la faim, on les voit se reunir en nombre pour chasser et braconner, de fac.on a assurer leur vie contre les atteintes de la faim. Dociles et serviables, les terre-neuve sont d'une fidelite a toute epreuve et d'un devouement tel qu'ils defendent, au prix de leur existence, leurs maitres et leur propriete, de quelquc nature qu'elle soit, le logis ou les objets confies a leur garde. 11 ne leur manque qu'une chose, selon moi, la faculte de la pa- role, a laquelle ils suppleent par 1'expression de leurs yeux. II est inutile, sans doute, de mentionner ici ce fait connu LES CHIENS DE GARDE. 105 que 1'element dans lequel vit un terre-neuve est plutot 1'eau que la terre : et les cas de sauvetage accomplis par ces nobles betes sont si nombreux, qu'on ne les compte plus. Ghacun a lu les vers celebresde Byron, qui pleura longtemps la mort d'un terre-neuve qui 1'avait suivi dans ses voyages et qui traversa avec lui a la nage la voie liquide ou passait Leandre pour re- trouver Hero. The poor Dog! in life the firmest friend, The first to welcom, foremore to defend; Whose honest heart is still his masters's own ; Who labours, fights, lives, breathes for him alone ! L'intelligence du terre-neuve est surprenante ; je ne citerai pour la prouver que le fait suivant, dont je garantis 1'authenti- cite. Un de mes amis demeurant a Asnieres, M. de R , possede une tres-belle chienne de cette race qui dedaigne d'ordinaire les roquets des environs, habitues a lui aboyer aux jambes quand elle passe sur les chemins. Un jour un loulou, plus temeraire que les autres, poussa 1'audace jusqu'a mordiller les talons de Zora, tel est le nom du chien de mon ami. Cette liberle passait les bornes. Le terre-neuve, qui n'a pas, apres toul, la pa- tience d'un ange, saisit le coupable par la peau du cou, le porla tranquillement au bord du quai et le laissa tornber dans la Seine. Le malheureux loulou pataugeait d'une terrible fac,on; la berge etait abrupte; ii avait deja fait mainte et mainte tenta- tive inutile pour prendre pied, et poussait des cris lamenla- bles. En un mot il allait couler, lorsque la grosse chienne, qui, severe mais juste, avait assistea cette scene avec une impassi- bilite plus apparente que reelle, se jeta a 1'eau et alia elle- m^me repficher sa victime. II va sans dire que le loulou n'aboie plus a son sauveur. 106 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. L'espece primitive est toute noire, a poil plutut onde que frise, petite de taille, un peu longue de corps et basse sur pattes. C'est par des croisements avec des chiens de montagnes que Ton a obtenu la grande variete de terre-neuve blancs et f CHIEN DE TEriRE-NElJVE. noirs, si commune chez nous. En Angleterre, Pespece typique noire, quoique assez commune, est la plus estimee. II y a des chiens de Terre-Neuve a polls ras; ils sont tout noirs, un peu bas sur pattes et longs de corps. Cette variete est rare et peu connue en Europe. LES CHIENS DE GARDE. 107 Les chiens du Labrador sont une variete de 1'espece terre- neuve et different en ceci que leur robe est d'un poil plus rude, leur aspect plus sauvage. Comme leurs congeneres, ces ani- maux sont propres a la garde du logis, au transport des far- deaux destines a la peche, a Palimentation et a la defense de leurs maitres. Quelques-uns de ces quadrupedes sont dresses <:IIIE.>' UU LABRADOR. par les habitants du Labrador a la chasse des ours, des rennes et des phoques. Rien n'est plus curieux que de voir ces chiens atteles a im traineau, quelquefois au nombre de douze, a la queue les uns des autres, comme qui dirait en tandem. Us vonl de la fagon la plus rapide, sans etre conduits par des renes, a la simple indication de la voix de leur maitre. Le 108 IlISTOIRE DES RACES DE CHIENS. premier chien, celui qui court en lete des autres, est d'ordi- riaire un veteran qui sert de guide aux plus jeunes et aux moins experimentes. II faut bien se garder de trop f rapper ees chiens, car 1'usage du fouet leur est antipathique, et celui qui est atteint par la laniere de cuir se precipite sur son voisin, qui, a son tour, saute sur la bete placee devant et ainsi dc suite, de telle facon que la balaille devient generale et 1'equi- libre du traineau est souvent detruit. Avec eux plus fait dou- ceur que violence. Un chieri du Labrador peut trainer jusqu'a 120 livrcs sur la neige, en parcourant de 7 a 8 milles par heure. Le poids que peut porler un labrador varie de 30 a 50 livres. Laisses en liberte, quand vient la saison d'ete, par leurs maitres , a qui les services de leurs betes deviennenl inutiles,on les voit revenir fidelernent a leur logisrespectif aux premieres rigueurs de la saison. Dans plusieurs zones du Labrador on a etabli des relais dc chiens, comme des postes aux chevaux dans cerlains pays. On les attache au riombre de quatre a un petit traineau, et ces quatre betes suffisent pour conduireun homrne a destination. 11 va sans dire qu'on double le nombre de quadrupedes si 1'on a joule un bipede sur le traineau. L'aspect general des labrador est assez ordinaire, et pour- tant, a les regarder de plus pres, on devine leur force et leur sagacite. Leur large poitrine, leurs jambes d'acier, Pepaisseur de leur poil, plus laineux et plus boucle que celui du terre- neuve , qui a souvent en hiver 5 pouces de long, et dont la couleur est un melange de brun dore et de gris, tout concourt a faire de ces chiens des animaux tres-utiles a riiomme, sur- tout dans la contree sauvage ou la nature les a procrees. Les chiens des reyions boreales, de grandes et petites races, ont pour type le chien des Esquimaux, au poil droit, rude et soyeux, au museau tres-pointu, a la tete allorigee, aux oreilles LES CHIENS DE GARDE. 109 lorigues, roides et droites, a la queue en brosse comrne celle du renard, et recourbee, aux jambes Ires-fines et denudees eri entier. Le pelage est peu fourni, tres-fin, ondule de eou- leurs diverses avec de tres-grandes taches noires et grises. La taille de ces chiens de eeux de forte taille est la meme que celle des clriens de Terre-Neuve. CI1IEN DES ESQUIMAUX. Ces betes, accouturnees aux privations dans le pays ou elles vivent, au milieu des tribus de sauvages, sc nourrissent de poisson et de gibier, se contentent des debris du festin de leurs maitres, maigres debris, car ceux-ci rongent les aretes ct les os, de fac,on a ne rien laisser contre les parois. Les chiens des Esquimaux sont indubilablement d'origine orientate (de la presqu'ile de Kamtchatka); farouches avec 110 I11STOIRE DES KACES DE C11IENS. leurs maitres, souvent dangereux pour les etrangers. 11 parait que les chienries se derobent quelquefois pour s'accoupler avec les loups ; il en resulte des metis qui ressemblent fort a leurs peres. Lorsqu'on parvient a dompter ces chiens ils sont fort dociles, eton peut les atteler aux kometiks (traineaux du pays), de facon a ce qu'ils rendent quelques services. Leur odorat esttres- subtil pour retrouver la piste et ramener le voyageur au toit hospitalierverslequelil se dirige pour fuir la tempete deneige. En cherchant 1'origine de ces chiens au Labrador, on est porte a croire que ces animaux ont emigre vers la partie nord de 1'Amerique, en traversant le detroit de Behring, et ont pe- nelre vers la cote de Mackenzie, le long de la baie d'Hudsori, et vers le nord du Labrador, pour arriver jusqu'aux terres du Greenland. Les Esquimaux emploient leurs chiens au trainage. Leur harnais consiste en une courroie fixee sur la poitrine, a la- quelle est attachee une simple corde. Pas de mors, partant pas de guide; la voix du maitre dirige les coursiers ; son fouet leur iridique la rapidite qu'il exige. En tete de 1'attelage, 1'Esqui- mau voyageur a soin de placer une bete intelligente et iidele, qui est chargee de conduire toutes les autres qui la suivenl. Ces chiens sont seulemerit employes de la sorte pendant I'hi- ver, trainant des sleighs sur la terre glacee, les rivieres con- gelees et la neige durcie; quand vient 1'ete, les Esquimaux les rendent a la liberte, leur laissarit licence pleine et entiere d'a- gir comme bon leur semble et de pourvoir eux seuls a leur subsistance. Dix a quinze chiens, atteles ensemble et conduits par uri captain doy (le chef de file), franchissent de 30 a 40 kilometres par jour, en entrainant de 500 a 750 kilos. La maniere de les conduire est le fouet accompagne du cri : Aout! aout ! LES CH1ENS DE GARDE. HI Les ckiens de Siberie, de Tartarie, du Greenland, du Canada et da Kamtchatk-a, sont des varietes de la race, a cette diffe- rence pres que cette derniere espece est plus grosse et plus elancee. Elle differe, pour la taille, de O m ,45 a IU ,50 de hauteur. Le museau de ces chiens est tres-pointu, pareil ace- lui de maitre Fox, ie front large, les oreilles droites et tou- jours oiivertes en avant comme celles d'un loup ; le corps est solide et porte has le poll dru, long et tres-epais, les pattes lines et bien formees. La couleur de la robe est generalement isabelle fonce, mouchete, et la peau du museau noire, ou bien gris ardoise et cendre. Les chiens flrlande et de Laponie ont les memes moaurs, les memes formes, le meme poil rude des esquimaux, a cette difference pres qu'ils sont de plus forte taille, qu'ils ressem- blent plus encore a des loups, et que leur caraclere est moins docile. La couleur de leur robe est d'un noirbrillant, pareil a celui d'un ours de Russie. Ces chiens font unechasse acharnee a une sorte de rats sans queue, nommes lemmings par les Nor- vvegiens comme par les Anglais. A de certaines epoques de 1'annee, ces petits rongeurs apparaissent en quantite inriorn- brable en Laponie. On en trouve dans les moindres trous; ils sont en bandes dans toutes les plaines, sous toutes les pierres. La couleur de leur poil est roux et noir, et leur peau, pareille a celle du hamster, sert a doubler les manteaux. Le chien qui les tue ne les fait pas fuir, et Ton en a vu s'attaquer aux che- vaux. Ceux-ci les ecrasent sans meme les voir, et dans leur pla- cide justice, ils representent assez bien la Gloire terrassant 1'Envie. Le soir^ quand la chasse est terminee, to us ces chiens grou- pes sous la tente^ autour du foyer de leurs maitres, attendent avec patience qu'on leur jette quelque chose a manger. Le chien Ionian faussemenl surnomme chieri de Pomera- 112 IliSTOIRE DES RACES DE C1IIENS. nie et le chien cl Alsace, qui est une variete du premier, etaient autrefois tres-communs en France. On les voyait sur 1'irnperiale des diligences qui sillormaient la France, au sorn- met des ballots d'un char de camionneur, ou ils defendaient en aboyant 1'approche des colis confies a leur vigilance. Leur taille variait de O m ,20 a O m ,25, sur O m ,30 a O m ,35 de longueur de corps. Je rappellerai ici, pour 1'acquit de ma conscience, la pliysionomie de ces animaux, rcssemblant toul a fait, en dimi- riutif, a cellc du chien des Esquimaux, a cetle difference pres qu'ils etaient plus has sur jambes. Quant a la couleur de leur poil, elle variait du blanc au noir; ces deux couleurs pures etaient les plus estimees. De nos jour>, le type est bien diminue en France. 11 s'est refugie dans les Pays-Bas, ou on en renconlre un certain nombre sur les bateaux qui naviguent sur les canaux de ce royaume. En Angleterre, le loulou est actuellement de mode et fait prime quand il est fort joli. LES CHIEFS DE GARDE. 113 Le chien chinois, comestible, appartient a la race du loulou. Ce n'est pas de celui qui est tout a fait nu qu'il s'agit ici : celui dont il est question est de taille basse, de pattes courtes, et son poil d'un rouge vif et orange. Les doyues sont ce que les Anglais appellent des mastiffs, dorit la caracteristique est d'avoir une enorme tete, due au vo- lume des muscles de la machoire eta 1'ecartement de ses bran- ches, delongues pattes, d'enormes cuisses, une large poitrine, les levres pendantes, la queue en trompette, les oreilles cour- tes et mi-retombantes, le museau aplati, le nez fendu et les yeux flamboyants. Leur peau forme sur le front des rides nombreuses et leur poil est ras et serre. Us servent de chiens de garde et aboierit surtout d'une fac.on remarquable, dans la cour d'un chateau ou sur le fumier de la ferme. Convaincus de leur force rnaterielle, ils ont rarement recours a la ruse et se jettent tete baissee au-devant du danger. Le dogue est sans contredit d'origine anglaise 1 , et ceux qui furent importes par les Espagnols a Cuba, lors de la conquete d'Hispaniola, venaient de la Grande-Bretagne. Las Casas, pretre hisloriographe de la decouverte du Nouveau-Monde, raconte de la maniere la plus graphique la terreur subie par les pauvres Indiens a 1'aspect de ces hideux quadrupedes, a qui leurs mai- tres avaient enseigne a se nourrir de chair humaine et a cou- rir sus a tous les bipedes peaux rouges. Au dix-neuvieme sie- cle, les dogues sont moins sanguinaires, ce qui ne les empeche pas d'etre encore fort dangereux la nuit, lorsqu'ils rodent, de- chaines, autour d'une habitation eloignee. Comme les chiens de garde et de montagnes, les dogues ont de nombreuses varietes dans leur famille. Parmi celles-ci, je citerai en premiere ligne le mastiff anglais, dont riinportatiori 1 II parait cependant, au dire d'Oppiau, que lesGrecs connureiit ce chien a la suite de la conquete de la Macedoiue. 8 H4 H1STOIRE DES RACES DE CHIENS. chez nos voisins d'outre-Manche fut faite par les Geltes et les Remains, qui les employaient dans leurs combats du cirque. Au dix-neuvieme siecle, les mastiffs anglais ont une robe uniforme, fauve, et une raie noire sur le dos qui deteint sur la face. Quelques-uns sont rayes de cette meme couleur noire. t-.WcLLS. MASTIFF ANGLAIS. En France, le dogne de Bordeaux, d'urie tres-graride taille O lll ,80 a O m ,85 sur pattes a le poil ou tout blanc, ou blanc et noir, ou fauve bronze. Les dogues espaynols, plus petits que les precedents, sont ern- LES CHIENS DE GARDE. 115 ployes a la chasse aux sangliers, ou bien encore, dans les corri- das de los toros, pour exciter le taureau qui mollit au milieu du cirque et resiste aux piqures des picadores et des bandille- ros. On les nomrne perros de presa. CllIEM DE CUBA, CHASSEIJH ll'ESCLAVES. Le dogue molosse a museau noir, gros, court, et aux levres noires, epaisses et pendantes, est, en outre, orne d'oreilles courtes, redressees a la base. Son corps est allonge, gros, ro- buste, sa queue relevee et recourbee en dessus, a l'extremite. Sonpoil ras, d'un fauve ordinairement pale, plus ou moins on- dule de noir, lui donne un aspect singulier. Nul animal de la race canine n'est plus courageux qu'uri molosse et plus propre 116 H1STOIRE DES 1UCES DE CHIENS. au combat. Si ses habitudes sont grossieres et brutales, son atta- chement a son maitre est sans pareil. C'est a cette race espagnole, croisee avec les bloods hounds, qu'est due 1'origine de ces horribles dogues des pays a esclaves de rAmerique; aux Etats-Unis, a Cuba, au Bresil, ils servent a la chasse du negre marron. J'ai assiste, sur une plantation de la Louisiane, aux environs de Baton-Rouge, a une expedi- tion de ce genre, et je declare serieusernent que si je n'avais pas eu egard a Fhospitalite du planteur de Fairfax-Lodge, je me serais embusque au coin d'un bois ou nous recherchions deux marrons, et que j'eusse fait coup double sur les deux mons- tres a quatre pattes qui suivaient la piste des malheureux noirs. J'ajouterai seulement que maintes Ibis dix-huit Ibis sur vingt les chiens a esclaves rentrent bredouille au chenil. Le doyue du Tltibet est 1'animal le plus caracteristique commo physionomie du genre dogue. Qu'on se figure un molosse au museau allonge, aux babines pendantes, aux yeux enflammes, enfonces dans leurs orbites et sanguinolents, au poil long, soyeux et d'un noir brillant comrne de la peluche ; des culottes de soie d'une longueur de O m ,25 a O m ,30, une queue de O m ,50, Ibrmarit le plus admirable panache qu'on puisse revcr : lei esl le dogue employe par les Thibetains a la garde de leurs trou- peaux et a celle de leurs bergeries ; car, dans cepays, ce sont les epouses et les jeunes filles qui veillent sur les bceufs et les moutons.La physionomie de cet animal offrea la vueun aspect feroce qui inspire la terreur. Lesbullen-beisseroubserenbeisser (dogues propres a la chasse a lours) sont des chiens allemands qui approchent de la taille du dogue anglais, mais dont la tete et le corps sont plus ramas- ses et plus courts. Lcur tele a quelque ressemblance avec celle du chien d'Epire LES CHIENS DE GARDE. 117 ou molosse. Certains individusontle nez fendu etla queue tres- courte; plusieurs sont tout a fait camus. La couleur de la robe de ces chiens est le plus souvent jaune ou noire. Leur museau est toujours noir. MIIEN DO TIUIIET. Quoique destines specialernent a chasser les ours, on em- ploie generalement les bullen-beissers a Tattaque de tous les grands animaux. Les bull-terriers, bringes, blancs, fauves, noirs, tricolores, sont des chiens qui ont leurs admirateurs et dont je ne com- prends precisement pas 1'utilite dans la civilisation, a moins 118 HISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. que ce ne soit pour detruire les chats et attraper des rats et des souris. II en est cependantque Ton assure tre excellents destructeurs de vermine. On a souvent vu des bull-lerriers pe- sant moins de 4 kilogrammes, prendre des renardeaux ou de jeunes blaireaux gueule dans gueule, et les arracher a re- culons du fond de leur repaire. Par suite de 1'usage auquel ils sont destines, on doit rechercher les bull-terriers de petite taille, qui peuvent terrer plus facilement, et sont par conse- quent plus utilisables. Issus du croisement des bull-dogs et des terriers a poil ras, ils tiennent des unset des autres : ce qui n'estpas plus elegant pour cela. Leur seule qualite est d'etre fort sagaces ; mais, d'autre part, je dois dire que leurs coleres sont atroces. Sir Walter Scott avail un grand faible pour les bull-terriers. Son favori, nomine Gamp, ayant un jour mordu le boulanger du rnanoir, 1'auleur A'lvanhoele^rit entre ses mains, le mordit a son tour, et lui expliqua si bien Penormite de son crime, qu'a dater de ce jour, toutes les fois que le maitre faisait au chien la moindre allusion a cette aventure, 1'ariimal allait se cadier dans 1'endroit le plus sombre de 1'appartement. Les bull-dogs, une des plus anciennes races de 1'espece ca- nine en Angleterre, sont des chiens assez laids dont 1'espece est devenue Ires-rare en France, surlout depuis la promulga- tion de laloi Grammont. Jadis, il y a vingt-cinq ans, a 1'epoque ou les combats d'animaux etaient toleres, tous les bouchers de Paris et les fancy-men de notre capitale se donnaient le plaisir d'avoir un bull-dog chien taureau a leur disposition pour le conduire en champ clos et lui faire coiffer un malheureux baudet qui n'en pouvait mais, et quelquefois un ours pele, a moitie epuise par les chaines, les coups de baton et la mau- vaise nourriture. A voir cette tete carree, une veritable ca- boche d'Allemand, ces levres pendantes, ornees de verrues, LES CHIENS DE GARDE. 119 recouvrant une machoire aux crocs aceres et terribles, on com- prend tout d'un coup le danger que Ton court a Stre attaque par un de ces chiens, vrais rejetons de ceux quigardaient lejardin des Hesperides. Les moeurs du dogue taureau, tristes et mo- roses, sorit de se jeter sans crier gare sur 1'inconnu qui rode L.WEIL* pros de sa niche, qu'il soit honnSte hommeou malfaiteur, et de le retenir bon gre, malgre, jusqu'a ce que les gens de la maison soient arrives : systeme barbare suivi par beaucoup derustres qui frappent d'abordets'expliquent apres. Le bull-dog, pour tout dire en quelques mots, est incapable d'une education serieuse, quoiqu'il s'attache a son maitre : ce qu'on n'a pas besoin de lui apprendre, c'est d'attaquer avec un courage qui tient de la ferocite et de ne lacher prise qu'eri emportant les morceaux entre ses dents tranchantes. Non missurus cutem nisi plenm cruoris 120 IIISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Le nombre des bull- cloys est devenu tres-restreint. Us etaient autrefois plus gros qu'ils ne le sont de nos jours ; mais leur cou- rage et leur impetuosite n'ont point change a mesure que leur taille a diminue. On ne les emploie maintenant qu'a la chasse des rats, des blaireaux et des renards, comme aussi pour la garde desmaisons. La construction du bull-dog est vraiment exceptionnelle, et la physionornie de cet animal doit etre comme suit : Une tete ronde et un crane eleve, les yeux moyens, separes par un creux tres-marque, les oreilles droites, petites et bien plaeees des deux cotes de la tete, au sommet presque, de tellc facon qu'on croirait qu'elles tendent a se rejoindre; le museau court et des babines pendantes ; des machoires d'acier; les reins ecourtes, bien cambresvers la queue. Un certain nornbre de bull-cloys ont la queue tordue; on dirait que les vcrlebres de cet appendice ont ete brises. La poitrine doit etre large, les jambes fines etles pieds etroits et bien fendus. Le pelage de ces animaux est generalement fin et serre, quel- quefois laineux en certains endroits. 11 y a parmi la grosse espece des bull- cloys bronzes, d'autres chiens aupoil noir et blanc; certains sont d'un jaune fauve, on completement blancs. Dans la petite race, les memes couleurs se represented dans un melange pareil. Je n'oublierai pas non plus dans cette nomenclature d'especes le dorian, qui differe du bull-cloy par son nez fendu. Les terriers se divisent en deux sections distinctes : les ter- riers apoil ras, et ceux a poll long. Les premiers se distinguent particulierement par la con- vexite de leur te"te, la proeminence de 1'opil, Facuite de leur museau, la tenuite de leur queue legerement recourbt'^e - generalement coupee a la longueur de O m ,15 la roideur de LES CHIENS DE GARDE. 121 leurs oreilles droites -- ecourtees par la mode la cou- leur noire ou fauve de leur robe et les taches de feu au-dessus de leurs yeux. En Angleterre, il y a toujours au milieu d'une meute de Fox-Hounds, un terrier destine a se couler dans CIIIK.N TFIIfSlKIt AXG( le Terrier i ou le renard aura cherche un dernier refuge, et a Pen relirer avec ses crocs implantes dans les fesses de la victime. C'est a douze ou quinze mois que le terrier est d'une utilite certaine. Le chasseur a developpe toute son intelligence, et il rend alors de grands services, a la ferme comme aux champs, ou il declare une guerre acharnee aux belettes, aux fouines, aux putois et a toutes les betes puantes. Un fmifrpeut. detruire cent gros rats en huit ou neuf minutes. Le plus cele- bre des terriers a poil ras , chante par tons les bardes de la 1 (Test la ce qui leur a fait dormer cette denomination. '122 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Grande-Bretagne, s'appelait Billy. II vecutlongtemps, edente et aveugle, massacrant encore cinquante rats en dix minutes. Les terriers ont la course tres-facile et peuvent franchir 8 kilo- metres en trente-trois minutes. TERRIEliS (llACE MIXTE). Les terriers a poil ras sont hauts sur pattes; leur pelage est tantot blanc ou noir et feu, quelquefois bronze defauve et de marron. Les varietes les plus remarquables sont d'abord celle appelee terrier a renard, blanc et fauve ; puis les terriers noir et feu, grands destructeurs de rats et fort prises en Angle- terre. Autrefois, les Anglais coupaient les oreilles a leurs favoris, mais de nos jours cette mode n'existe plus. On a compris que cet appendice naturel etait la pour proteger naturellement 1'in- terieur de 1'oreille et en outre comme conducteur acoustique. LES CHIENS DE GARDE. 123 Cerlains terriers ont un double nez, et leurs nariries sont separees tres-distinctement. Cette originalite ne constitue ce- pendant pas une race speciale. Les terriers a longs poils sont divises en trois classes dis- tincles ayant quelques croisements a cote d'elles, croisements qui ne font pas type. TERIUER ECOSSAIS. La premiere est le scotch-terrier, ayant le poil long, de cou- leur fauve, dur et frise comme celui du griffon, et dont le pore est le highland- terrier. La seconde est le skye-terrier, et la troisieme le dandy-dw- mont, qui ressemble fort aux autres. La forme du corps de ces trois races les fait ressembler aux premiers, et comme eux on les apprecieparticulierementpour la chasse d'animaux nuisibles et de betes puantes. 124 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Le scotch-terrier presente deux varietes : 1'unc a poll dur, de couleur rouge et grise, qui fournit certains chiens de luxe; 1'autre basse sur pattes, au corps allonge et ayant une robe a soies longues ettouffues. Le highland-terrier, qui a ete Fetalon de cette race, est d'une taille plus elevee, mais en tout conforme aux premiers animaux. Le skye-terrler (chien issu de Pile de Skye) est le basset de Fespece; corps allonge, pattes courtes, long poil, oreilles grandes et droites. On les emploie pour la chasse aux lapins, et particulierement pour celle des animaux nuisibles. Le dandy-dinmont est une espece particulierc a FEcosse, qui se trouve rarement de nos jours. On les distingue par la petitesse de leurs pattes et leur robe fournie d'un poil rude et long, de couleur gris porvre et sel, quelquefois strie dc fauve. LES CHIENS DE GARDE. 125 Les yriffons de 1'espece ont generalement deux iiez : on les remarque par la beaute de leurs yeux, qui sont bleu d'azur. CHIENS DANUIES-DINMONT. Les danois appartiennent a la lamille des dogues, quoique cependant, quelle que soil leur taille, grande ou moyenne (chiens de Dalmatie), ou bien petite (arlequins), ils ressemblerit plus pour la forme a un beau pointer dont les pattes seraient celles d'un braque. Leur robe a cela de particulier qu'elle est 1 d'ordinaire grise, mouchetee de tachcs noires, rondes et as- sez regulieres, de fac,on qu'on les appelle quelquefois les chieris tigres. Le vrai danois est d'une taille assez forte; son museau, au nez rose, coupe carrement, est assez gros; ses j oreilles courtes, un peu pendantes, ses yeux vairons ou blancs. |i Leur origine est, dit-on, tracee par les blairs, dont on trouve ; une description dans Gaston Phoebus. Si celte race est devenue fort rare en France, il n'en est pas 126 HIST01RE DES RACES DE CHIEiNS. de memo en Allernagne, en Danemark, en Russie, ou on 1'em- ploie a la chasse aux elans et aux ours. Comme chien de garde, les danois eussent du etre conser- ves en France, car cette race est non-seulement tres-belle de formes, mais encore on cite Pamenite et la douceur de son ca- ractere, qualite rare chez les chiens destines a proteger le seuil du logis, qui bien souvent ont devore leur maitre, le prenaut pour un autre, sans doute. Le danois de Dalmatie, dont 1'origine est tres-obscure, etait jadis Fanimal choye par nos peres. Certains auteurs attribuent la race de ces chiens a 1'Orient, car on trouve sur certains monuments de ce pays des danois au pelage convert de taches. LES CHIENS DE GARDE. 127 Les formes du dalmate sont a la fois celles d'un chien cou- rant et d'un pointer. II est surtout remarquable par la regula- rite de sa robe, au fond blanc mouchete de taches noires, rondes, de la grandeur d'une piece de 50 centimes. Les chlens de Dalmatie , remarquables par leur affection pour les chevaux, servaient en France de suivants aux riches equipages, ou bien au cavalier seul. On 1'essorillait tres- particulierement et avec un tres-grand soin. C'est seulement en Angleterre qu'on trouve a notre epoque une tres-bclle race de chiens danois dahnates. VI LES CHIENS DE CHASSE A COURRE 11 n'est pas de veritable sportsman, d' amateur meme, qui n'ait suivi, ne fut-ce qu'une fois dans sa vie, le drame d'une chasse a coun;e, assiste a la quete, au lancer, releve quelque defautetjoui du spectacle d'un hallali. Pour les veneurs, la chasse a courre est le nee plus ultra des plaisirs, comme aussi pour les chasseurs la chasse a tir n'a rien d'egal au monde. En principe, pour etre un des habiles dans Part de chasser a courre, il faut etre un ecuyer hors ligne, uri centaure cloue sur la selle d'un cheval aux jarrets d'acier, et ne craindre ni les chutes, ni les fatales rencontres d'une branche d'arbre qui vous coupe la poilrine en deux. Une fois ces dangers meprises, on est un veneur emerite et Pon se fait un riom parmi les lou- vetiers et les tueurs de sangliers de France, de Navarre et du monde entier. De tous temps, la France a ete le pays des veneurs ; et meme a Tepoque ou notre patrie etait tout sirnplemerit la Gaule, Part LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 129 de la venerie, quoiqu'il fut dans Penfance, n'en etait pas moins en grand honneur. Lepays etait des plus giboyeux, etlesqua- drupedes ruminants comptaient parmi eux : Pauroch, ce tau- reau geant dont nos forets etaient peuplees, et qui maintenant n'existe plus que sous les futaies de Bielaowitz, en Pologne ; le bison; les rennes; les sangliers; les ours noirs et rouges; les loups argentes ; les cerviers, les lynx et les itatis aux fourrures d'azur. Je ne parlerai que pour memoire des cerfs, des daims, des chevreuils souvent attaques par les gloutons embusques sur les arbres, et attendant ainsi le passage assure d'une proie quelconque. Les Gaulois avaient done toutes facilites de chasser, et la chasse a courre etait leur passe-temps favori. Les chiens employes par les Gaulois a la chasse etaient les vautraits (vertragyi), remarquables par la rapidite de leur course, leur taille et la finesse de leur poil ; les segusiers, sortes de barbets, nommes du premier nom pour rappeler le pays qui les avait vus naitre ; les epagneuls et les levriers. Ces deux dernieres races servaient non-seulement a courir le lievre, mais encore certains oiseaux chasses par les faucons, que ceux-ci ne pouvaient point reduire. Les chiens des Gaulois, celebres par la rapidite de leur course et leur audace, se vendaient fort cher, et FAngleterre fournissait a la Gaule d'enormes molosses dont on se servait pour la chasse et pour la guerre. L'invasion romaine dispersa la plupart des animaux que je viens de nommer, et en diminua le nombre ; mais grace a nos premiers rois des Gaules eux qui inventerent la venerie francaise, en grand honneur dans le monde entier, puisqu'elle a fourni les termes de chasse a tous les autres pays les re- serves furent etablies, le gibier de meutc se multiplia, et il 9 150 HISTOIRE DES RACES DE GHIENS. fut facile aux seigneurs de se livrer aux deduicts de la chasse a courre sur toute Fetendue de leurs domaines. Parmi les souverains veneurs dont la tradition a apporte les noms jusqu'a nous, je citerai : Cherebert, Dagobert, Frede- goride, Clotaire, Charles Martel, Pepin le Bref, Charlemagne, Louis le Debonnaire, Charles le Chauve, Carloman, Louis d'Outremer; puis, sous les Capetiens, Philippe Auguste, saint Louis, Philippe le Bel, Charles le Bel, Charles YI et Louis XI 1 , qui fut le premier veneur serieux de France, et a qui 1'on doit 1'introduction des chiens bauds ou griffons. Le roi se plaisait fort a courir le daim dans la foret de Rouvray, qui, de nos jours, est devenue le bois de Boulogne. 1 Jusqu'a saint Louis, les meutes de nos rois n'avaient ete composees que de chiens noir et blanc. Lebon roi introduisit en France urie nouvelle race qui subsista fort longtemps et conserva toujours des qualites qui se perpetuerent, sans s'alterer, pendant plusieurs siecles. A la premiere croisade, les gentilshommes avaient emmene leurs meutes et leurs laucons, cequi causa de nombreux desordres et fut depuis defendu. Le roi Charles IX, dans son livre sur la chasse, nous apprend que : Le roi saint Louis etant alle a la conquete de la terre sainte, tut fait pri- sonnier ; et comme entre autres bonnes choses il aimait le plaisir de la chasse, etant sur le point de recouvrer sa liberte, et ayant su qu'il y avait une race de chiens en Tartarie qui etaient excellents pour la chasse au cerf, il fit tant qu'u son retour il en ramena une meute en France. Cetle variete de chiens sont ceux qu'on appelle gris. La vieille et ancienne race est privilegiee, si bien que la rage ne les atteint jamais. On citait, parmi les chiens du moyen age, les allanl vautres, pour la chasse aux ours et aux sangliers; les allanl gentils, a latete enorme et aux formes de levrier quant au train de derriere, destines a toutes sortes de gibier ; puis les allant de boucher, chiens conducteurs de bestiaux, et les courants gris, noirs, fauves, blancset bauds, autrement dit les greffiers ou griffons. Louis XI, ce roi si avare qui, pour tout ce qui concerne la chasse, se mon- tra le plus fastueux et le plus prodigue de nos rois a Texception de Fran- cois 1" le pere des veneurs mit en relief une quatrieme espece de chiens, nommes abaux ou grefliersw, qui chassaient parfaitement le cerf, mais qui avaient le desavantage de ne bien gouter que cette chasse. Cette race de gref- fiers , decrite par Salnove et autres ecrivains cynegetiques, eut pour etalon Souillard, une bete sans pareille> s'il faut en croire les historiens du temps. LES CIItENS DE CHASSE A COURRE. 151 Jc ne saurais oublier Louis XII 1 , Francois l ur , Henri II, Charles IX, Henri IV, qui prenait trois cerfs en une journee, Louis XHI, Louis XIV, et, avec lui, la duchesse de Berry et le dauphin, Louis XV, qui reinplit une carriere sans lacune dans le noble art de la \enerie, et sous le regne duquel furent ecrites les fanfares de chasse encore en usage de nos jours. Certes, a Fepoque dont il s'agit, on faisait de magnifiques chasses dans les forets de la couronne; mais c'est egalemerit a cctte epoque qu'au grand regret des veneurs de France, on in- troduisit des chiens anglais pour croiser le sang des deux races. Louis XV avait donne Pexemple le mauvais exemple, au dire de nos meilleurs maitres en 1'art de chasse a courre et les gentilshommes suivirent le courant. Nos chiens blancs au large poitrail, a 1'odorat subtil, a la gorge de fer, race deSain- 1 Louis XH qui, le premier, a Texemple de Galeas, due de Milan, introduisit des leopards dans ses equipages de chasse, rie partagea pas Fengouement de son predecesseur pour les greffiers ; mais on revint a se servir des chiens, qui avaient ete si negliges sous le regne de Louis XII. Lui-meme traga la vie et Thistoire de fielais, le plus fameux des chiens de cetterace. Voici sa biographie. lielais, issu de la race des chiens qui, dans la venerie, appartenaient au due de Bourgogne, avait ete donne, a Page de douze mois, a Louis, due d'Orleans, alors en Brelagne. il le servit dans ce duche jusqu'a ce que ce prince fut par- venu a la couronne. La France entiere devait etre le theatre des exploits decefier animal. II fut dans toutes les provinces et dans toutes les forets la terreur des betes qu'on abandonnait asa poursuite. Aftranchi de la couple qui tient les chiens sous un joug qu'il cut trouve indigne de son courage, il marchait, comme un general, a la tete de tous les autres, leur montrant toujours la droite voie et les y ra- menant lorsqu'ils s^en etaient ecartes. La nuit avait-elle derobe un cerf a ses recherches, il couchait sur la place, se relevait avec le jour et des jambes neuves; il reprenait ses erres et ne reve- nait point qu'il n'eut remporte la victoire. On ne parlait que de lui; il etait cheri de tout le monde et surtout de son roi, qui lui fit I'lionneur d'etre son historiographe, pour animer les descendants d'un aussi brave chien a se ren- dre aussi bons que lui et encore meilleurs s'il se pouvait. 11 etait dans sa trei- zieme annee, lorsque, le jour meme de sa mort, a la vue du roi et de tous ses courtisans, il attaqua et forca un cerf dix-cors jeuriement. Le roi ne fut pas ingrat ; il tit ecrire et publier le dernier acte cTun si brave et si iidele serviteur. 132 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. tonge, du Poitou et de Normandie, furent detrones par une race peu bavarde, mais en revanche fort rapide, qui forc.ait le cerf en une heure. Au dix-septieme siecle, les chiens anglais devinrent a la mode, et, si Ton en croit Salnove, un rnaitre en matiere de ve- nerie, ils etaient plus dociles, sinon meilleurs, que ceux de France, ce qui ne Pempechait pas de trouver fort mauvais le croisement de cette race avec la notre. Louis XVI n'aimait pas la chasse, ou plutot le malheureux roi avait trop a faire pour lutter contre le torrent politique pour qu'il lui fut possible de songer a aucun plaisir. Apres la tourmente de 93, lorsque Barras se plac,a a la tete du Directoire, il cut le premier un equipage de chasse. Bonaparte, devenu empereur, retablit la venerie, et, sans etre chasseur, rendit pourtant a la chasse Phonneur qui lui etait du. Apres 1815, le due de Bourbon d'abord, puis Charles X, fideles aux traditions de leurs ancetres, donnerent a la venerie un eclat qui n'avait rien eu de pareil avant eux. Le due de Bour- bon a ete, de notre temps, celui qui avait conserve le mieux les traditions des grands maitres, et 1'on cite avec etonnement, dans les cercles de veneurs, les chasses de 1828, pendant les- quelles le prince de Conde preriait quatre-vingt-dix cerfs sur quatre-vingt-douze courus, et celles de 1829, ou sur cent vingt- quatre sangliers deux seulement echappaient a ses meutes. Sous le gouvernement de Louis-Philippe, les princes d'Or- leans entretenaient egalement une meute ; mais le gouverne- ment a bon marche ne comporlait pas trop de depenses, aussi cette meute n'avait-elle rien de particulierement remarquable. Les riches proprietaires du pays ont toujours ete mieux mon- tesen piqueurs eten chiens que les princes d'Orleans. De nos jours, tout cela est bien change. La venerie impe- riale possede une meute complete, qui n'est pas appreciee par LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 135 les vrais amateurs, par cette raison qu'elle est composee de ba- tards anglais. Mais ce que veut le souverain, c'est une chasse rapide, et il Pobtient au moyen des anglais. Quant aux autres proprietaires de meutes de nos departements de France, leur nombre, quoique tres-restreint, n'en est pas moins encore con- siderable, et pourrait au besoin former une armee. Toutes les forets de notre pays, tous les pays boises dans les- quels les loups font des ravages, sont souvent temoins des steeple-chases de ces Nemrods intrepides lances a la poursuite d'un cerf inoffensif, ou d'un carnassier terrible, acharnes a la mort Pun et 1'autre pour le plus grand amusement des sports- men, comme aussi pour celui de leur meute. Certes si les hommes prennent plaisir a la chasse, il est cer- tain que les quadrupedes de la race canine n'eprouvent pas une moindre jouissance. Les bonnes betes intelligentcs, pour- quoi n'auraient-elles pas aussi leur passe- temps? D'autant plus que, pour la plupart du temps, ce qu'on leur laisse est bien peu de chose en comparaison de la peine qu'elles se sont donnee. Les chiens de Gascogne et de Saint onge sont des animaux generalement tricolores, dont la taille varie de 24 a 30 pouces, dont la robe est tantot un melange de sous-poil blanc tigre de noiretde fauve, tantot de marques de lie de vin, ayant sou- vent du feu aux yeux et aux pattes. Leur forme consiste en un cou allonge, une large poitrine, des reins larges et mus- cles, une queue fine et relevee, des babines ct des oreilles pen- dantes, tordues comme des tire-bouchons, et un oeil plein d'animation. Ces chiens ont pour qualite une finesse de nez ex- quise, un jarret d'enfer et une gorge de Stentor. On assure qu'il suffit de deux heures et demie a trois heures au plus a ces chiens pour forcer leur animal. Sans etre juge en fait de vitesse, ce peu de temps-la prouve un certain pied chez ces chiens. 134 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. La plus belle meute frangaise de chiens de Gascogne et de Salntonge appartient a M. le comle de Carayon-Latour, pro- prietaire du chateau de la Virelade, qui a pris les plus grands soins pour le croisement des deux races, en se gardant bien d'accoupler les betes provenant de la meme famille; ce qui, soit dit en passant, produit les memes effets chez les quadru- pedes que chez les hommes. M. de Carayon-Latour a eu pour centaures Chiron, MM. le baron de Rubble et le comte Saint-Legier, savants veneurs, dont le premier entretient une meute celebre de gascons et le second de saintongeois, types qui se sont multiplies et existent encore de nos jours sur son territoire de chasse. Les uns et les autres chassaient le loup, avant toutes choses, puis ensuite ils ont couru le lievre. A ces races distinctes, M. de Carayon-Latour joignit encore les chiens de Bordeaux, provenant d'une association de chas- seurs presidee par M. Desfourniel. Selon toute probabilite, la descendance de ces chiens gascons et saintongeois provient de ces fameux chiens mentiormes par Charles IX dans sa Venerie- Royale. Chiens gris, grands, chiens hauls sur iambes et d'oreilles; ceux qui sont de la vraye race sont de couleur de poil de lieure, ont Vechine large et forte, le jarre droict et le pied bien ferme... Ce sont chiens enrages, car il se font rompre le col et les iambes pour les tenir. Si un cerf se dresse, Us le prendront et bien viste. Tels ils etaient autrefois, tels ils sont encore aujourd'hui, et 1' equipage de la Virelade, dont la fondation date de 1851, est d'une elegance et d'une vitesse sans egales; temoin les chasses de chaque annee pendant lesquelles on n'a a enregistrer que peu de defaites. Les chiens de Gascogne ont ete celebres de tout temps. Gas- ton Pho3bus les cite, et Henri IV s'en servait pour chasser les LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 155 loups, en compagnie do M. d'Andrezzi, son premier veneur. C'est a cette race qu'appartenaient les chiens de M. Mira- mon de Montbrun. Ses aieux avaient ramene des croisades, auxquelles ils prirent une noble part, quelques chiens d'ori- gine asiatique, aussi remarquables par la beaute de leurs formes que par leurs excellentes qualites. Cette race, con- servee et perpetuee dans la famille de M. Miramon, qui s'en reservait la propriete exclusive, a ete detruite a sa mort, en execution de ses dernieres volontes. N'ayant pas d'heritiers, il n'a pas voulu que cette propriete passat dans des mains etran- geres, et, par un exces d'egoi'sme inexplicable, il a ordonne que ses malheureux chiens fussent tous sacrifies sur sa tombe. Ces chiens avaient une valeur considerable, et Ton raconte que M. Miramon, se trouvant un jour dans un embarras d'ar- gent, avait refuse de vendre seize mille francs un de leurs couples. On fait generalement reproche aux gascoris d'etre lents, mais en revanche ils ne quittent jamais la voie, leur gorge sonnc, quoique souvent bas et tantot a la maniere d'un ophi- cleide, et s'ils manquent quelquefois d'intelligence, leur flair est d'une finesse sans egale. On pretend que les gascons, dont la chasse du loup est le triomphe, ont eux-memes des pieds de loups. M. le comte Le- couteulx de Canteleu, un maitre en matiere de venerie ', le dit dans son ouvrage, et cela doit etre. Ce qui plait dans les sain- tongeois c'est leur forme ; du moins c'est ce qui frappe les yeux lorsqu'on examine de pres la meute de M. de Carayon- Latour. On comprend dans cette race de chiens de Gascogne les 1 Auteur de deux tres-rernarquables volumes : la Venerie francaise et la Chasse du loup, a qui nous devons nos renseignements les plus exacts sur toutes les races de chiens. (Note de I'auteur, B. #, R.) 136 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. chiens de Toulouse, leurs peres, remarquables par les marques sang de boeuf qu'ils portent sur le corps. Us orient beaucoup et bas, d'un ton doctoral, et out de belles fagons. Quand ils parlent on pent les croire, seulement ils ont plus de volonte que d'activite. Leur tete est generalement grosse et tres-long coiffee. CHIEN DE SAINTONGE. Le chien de Saintonge, pur de toute alliance depuis trente generations, ne ressemble qu'a lui-meme. Sa robe, d'un beau blanc argente, admet quelques marques noir d ? ebene. Sa poi- trine, demesurement profonde, vient mourir en cintre a son flanc resserre. Sa patte est seche et allongee; sa queue effilee, LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 137 son rein arque; sa construction ressemble un peu a celle du levrier. Dans les a vue, il en a la vitesse. D'autre part, il est peu mordant, sans ambition au fourre ou il est gene par sa grande taille, mais jamais il ne fait un pas sans toe sur de la voie et cela invariablement, a moins de-circonstances imprevues. Le pays-mere des saintongeois est, a 1'heure qu'il est, la contree des Landes, du cote de Lavardac (Lot-et-Garonne), et enfin les environs de Bordeaux. La race vient des vallees avoi- sinant Pau. Blancs, marques de noir avec quelques feux pales, legere- ment tachetes de noir sur le poil, les chiens de Sa'mtonge ont 1'oreille longue et papillotee, le cou long et mince, la poitrine profonde, le rein etroit et cambre, la cuisse plate, la queue attachee bas, la patte de lievre seche et nerveuse. La race pure de Saintonge est devenue rare depuis quelques annees; mais beaucoup de nos races meridionales en descendent. Elle n'est pas decrite dans les premiers traites de venerie, mais on la retrouve incontestablement dans quelques vieux tableaux. La noblesse et 1'antiquite de ces cbiens est done cerlaine, et Ton ne peut s'empecher de penser qu'ils doivent avoir un degre de pa- rente tres-proche avec les chiens blancs du roi . Les chiens du haul et du bas Poitou se rapprochent par la race de la famille des saintongeois, a ce point qu'on les con- fond souvent ensemble. Le chien de Poitou est plein de sang : sa tete fiere, seche et nerveuse, adrnirablemerit attachee sur une large encolure, est decoree de deux pendants minces, legers, poses bas mais courts, et formant en se repliant sur eux-memes le plus gra- cieux contour. Son nez long et busque, dont il se sert souvent avec un petit mouvement nerveux d'une rare intelligence, an- nonce assez la puissance de son odorat. Sur 1'os frontal, au- dessus des yeux, sont deux petites bosses saillantes que Gall 138 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. cut surement definies bosses de 1' intelligence et qui semblent en effet rayonner de cette precieuse faculte. Ses formes ner- veuses sont grosses de muscles plutot que de graisse; son poil long, gros et d'un ton sale, plus abondant aux fesses et a la queue, annonce de la rusticite-. C'est un chien actif, requerant, prompt aux expedients, et par-dessus tout un limier capable d'enlever au galop les plus vieilles erres . Les chiens de haul et bas Poitou sont essentiellement de haut nez et ont des voix de tonnerre, a Pencolure des chiens anglais. Qu'un veneur examine trente chiens de cette race, lances sur la piste d'un loup, passe meme depuis six a huit heures; le nez colle sur la voie, jeunes et vieux se lancent et rapprochent leur animal par des chemins sees, les carrefours, defaisant exactement la nuit, soit a la foret, soit en plaine; une fois 1'animal en vue, ils ne le quittent plus qu'a Fhallali. C'est a M. de Larye, gentilhomme limousin, nous apprend M. le comte Lecouteulx, qu'est due la conservation de cette race choyee des veneurs et originaire d'Ecosse. La guillotine de 1793 coupa la tete au tueur de loups de Pile Jourdairi, situee dans la commune de Vigeau, et la meute de M. de Larye fut detruite, a Fexception de trois ou quatre betes dont une seule resta debout et fut le premier des poitevins qui existent de nos jours. Le meme auteur raconte la seconde version que voici : Deux de ces chiens de Larye survecurent seuls aux autres, et pour que leur mine d'aristocrate ne portat pas ombrage aux sans- culottes, leur maitre, qui y tenait beaucoup aux chiens leur coupa la queue et les oreilles, et de cette fac,on les garda assez longtemps pour voir la Terreur cesser, et ses animaux procreer de tres-beaux rejetons pourvus des appendices man- quants a eux-memes. Une soeur du gentilhomme avait garde ce depot fidele pendant son exil force. LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 139 Les chiens du Poitou out la robe tricolore. Elances, un pen maigres, hauts d' environ 20 a 23 pouces, le 'dos harpe, la poitrine large, la tete fine, 1'oeil intelligent, 1'oreille courte et papillotee, la voix sonore, le fond infatigable et le flair tres-fm ; telle est la meilleure description que Ton puisse faire de cette race exceptionnelle. Je dois ajouter que F education de cette race de chiens est tres-difficile. On ne les eleve et on ne les nourrit qu'avec des precautions meticuleuses. En dernier lieu, pour terminer ce panegyrique, les poite- vins mSles aux saintongeois produisent, d'apres 1'avis des sportsmen les plus habiles, les meilleurs batards du monde. Les chiens du bas Poitou se rapprochent de ceux de Sain- tonye par la couleur du poil blanc et noir. line des plus belles meutes de chiens franc, ais des races du Poitou est sans contredit celle de M. le vicomte Einile de la Besge, residant au chateau de Persac. Ces chiens chassent in- distinctement le cerf et le chevreuil, mais leur passion domi- nante est la poursuite du loup. Les animaux de la meute de M. de la Besge ont en general une taille de O m ,63 a O m ,65, et la couleur de leur robe est tricolore. Quelques-uns seulement ont un manteau noir. Leur forme est parfaite, leur front large et busque, leur nez large, rioir et tres-epanoui ; Poreille est bien placee, fine et papillotee, et les types de ces chiens, exposes en 1863, repre- sentent a eux seuls la vraie race poitevine, quelque greffee qu'elle soit a\ec la race anglaise. A dire \rai, le croisement a ete fait avec une telle intelligence, qu'on distingue a peine le sang anglais, et que la forme originaire n'a ete en rien alteree. M. le vicomte Emile de la Besge a dote le Poitou d'une race UO HISTOIRE DES RACES 1)E CHIENS. qui a oublie les defauts de la souche, en cela qu'elle court plus vite et qu'elle a un flair excellent et irreprochable. Les chiens bleus de Foudras datent du commencement du dix-huitieme siecle. Ce fut un eveque de Poitiers, M. de Foudras-Chateautiers, qui les forma par 1'accouplement d'un chien bleu de Gascogne et d'une lice de Saintonge. Ces chiens, plus longs de corps que bauts sur pattes, ont le rein large et bien fait, la queue fine et bien arquee, les oreilles seches, bien modelees et soyeuses. Leur poil est tigre par- dessous, quoiqu'il paraisse blanc. II resulte de cette singularity que, quand ces chiens soul mouilles par 1'eau ou la rosee, ils paraissent d'un bleu d'ar- doise. La gorge des chiens de Foudras est excellente, ils collent a la voie, sont d'une vitesse ordinaire, lents peut-etre et pro- pres au change. Cette race est fort rare, mais il est facile d'en reproduire avec les memes etalons. Les chiens Ceres, de la Charente et du Limousin, sont unc race presque perdue aujourd'hui; elle date d'une epoquc tres-reculee. L'origine de son nom est inconnue. Leur taille est petite, d'envirori O m ,54, et ils sont cependant elegants et tres-fms. La couleur de leur robe est blanc et orange fauve. la cou- leur orange est toujours par plaques rondes et larges sur le dos, aux oreilles et de chaque cote des joues, le poil ras et brillant, le corps un peu levret, la queue forte a la naissance, et fine a la pointe un peu retroussee, les oreilles fort trans- parentes et en tire-bouchon. La voix sonore quoique un peu flutee. Ils chassent le nez haut sur la voie et sont estimes pour la poursuite du loup et du lievre. La race normande ou baiibis etait et est encore une des LES CHIEiNS DE CHASSE A COURRE. 141 plus belles de France, et la gorge sonore, le fond et 1'odorat de ces chiens etaient choses proverbiales. Sous le regrie de Louis XIV, ou ils formerent la meute royale, ils etaient fort prises. 11 y avail a cette epoque deux races, une blanche, Fautre gris fauve et noire. L'crivain cynegetique d'Yauville donne pour origine a ces chiens la race de saint Hubert, car les nor- mands de son epoque etaient noirs s tries de blanc et de feu. C'est de la sans doute que sont venus les chiens tricolores. Le roi Louis XV, ayant introduit en France la race anglaise qui chassait plus vite, detrona la race normande; mais cet en- vahissementne reussit pas a la detruire. Ces admirables chiens, dont le manteau est d'ordinaire tricolore ou orange, ont deux bosses assez dominantes sur le front, la tete large et longue, le nez court, des rides sur la face, des levres pendantes, des oreilles minces, allongees et papillotees eri dedans, 1'oeil gros et la paupiere inferieure tombante, les reins larges et solides, la taille svelte, les pattes fortes, seches et pointues, le fouet grossier, le farion de boeuf ; mais leur fa c, on de chasser est sans pareille. Aucun auteur n'a assigne une origine bien certaine aux chiens de cette espece* On pense qu'elle remonte aux peuples du Nord qui 1'amenerent avec eux lorsqu'ils s'impatroniserent dans la Neustrie sous la conduite de Rhou. D'autres font re- monter la race des normands a ces chiens gris si vantes que saint Louis fit venir de la Tartarie. Des le regrie de Louis XVI, les normands etaient devenus rares par suite des croisements faits avec les chiens anglais amenes en France par les ordres de Sa Majeste Louis XV. Les chiens d'Artois sont originaires du pays artesien, de la Picardie, et on les prisait fort jadis pour former un equipage destine a la chasse au lievre. La couleur de leur robe etait blanc avec taches grises et fauves. Si on les reconnaissait a 142 HJSTOIRE DES RACES DE CHIENS. leur tete courte, a leur nez caraard ot a la Roxelane, a leur front large, a leur bel oeil, un peu gros, a leurs oreilles plates et allongees, a leur corps rable, a leur queue fournie, re- troussee et souvenl arquee, on les appreciait particulierement pour la justesse de leur voix, leur quete sans pareille qui leur faisait trouver la piste d'un lievre au milieu de secheresses ou le timide quadrupede avait passe une heure avant. La gueule du chien d'Artois s'eritendait de fort loin, et on leur faisait quelquefois chasser le loup; le renard seul leur etait antipathique. Le chien courant suisse a d'ordinaire le poil noir marque de feu et des formes epaisses. Cette race, dont le caractere est tres-mechant et dont le flair est aussi bon que 1'ardeur inepui- sable, fournit d'excellents limiers. A la fin du siecle dernier, on faisait grand cas dans Test de la France de ces animaux de petite taille a poil ras, blancs et oranges, qui ont la tete fine, les oreilles moyennement lon- gues et bien tournees; ils crierit bien et saventparfaitemerit se servir eux-memes. Le marquis de Foudras a rendu celebre un petit equipage de ces chiens suisses amene par le comte de Choiseul et surnomme les chiens de porcelaine. Le corneau provient de 1'accouplement du chien courant avec le matin. S'ils sont moins siirs pour suivre un animal en chasse, en revanche ils sont tres-\igoureux et tres-rapides. Dans un pays decouvert ou ces chiens n'ont pas la possibilite de perdre de vue 1'auimal de meute et de prendre le change, leur emploi est excellent. Les chiens vendeens se divisent en deux especes : les bauds ou poils ras et les griffons. Dans la premiere race, les qualites particulieres de ces'su- perbes chiens sont celles-ci : une tete nerveuse, les oreilles minces et tombarites, le poil court et fin, la queue effilee, le LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 145 fond inepuisable, le flair parfait, la chasse gaie, la quete dili- gente, 1'ardeur soutenue. Les defauts qui n'en a pas? toute medaille a son revers sont d'etre querelleurs ah! ah! - d'avoir la voix faible, et de mourir jeunes helas ! II n'y a pas a en douter, les vendeens descendent de 1'espece nommee vertraggi dans les auteurs latins, espece originaire de la Gaule, et qui fut mise en evidence sous le regne du roi Louis XI, qui donna le fameux chien Souillard au senechal Gaston, afm qu'il accouplat la bete avec sa celebre lice Baude, dont la reputation etait universelle. Les produits de cette union qui, dit-on, fut tres-heu- reuse appartinrent exclusivement a la couronne et aux gentilshommes. Sous le regne de Louis XIV, on les nommait : les grands chiens blancs de Sa Majeste. Dans le principe, ils avaient le poil un peu plus blanc (quoi- que le manteau du pur vendeen soit toujours de cette cou- leur). C'est le roi Francois I er qui, par le croisement fait avec son chien Miraud, nuanga la robe de 1'espece. Les vendeens orit la tete nerveuse, 1'orcille souple, rnince, longue et tombante, le poil court et fin, le fouet effile, incom- parables pour la finesse de 1'odorat; ils ne craignent pas la chaleur, mais redoutent un peu le froid, et se creancent difli- cilement, Un chien vendeen pur sang est intrepide a Pattaque et facile a rallier. U coque , mais fournit beaucoup. II a un peu de toutes les qualites qui denotent le bon chien, et avec du fond et de la tenue, on en fait un excellent chien de commerce, propre a faire un peu de tout, line nombreuse meute de vendeens peut remplir de belles chasses et les mener a bonne fin. Dans ce pays classique de la chasse, la Vendee^ ou les sangliers, les renards et les loups aboridaient avant 1795 et sont encore tres-norn- breux, chacun tenait a honneur d'entretenir des meutes pur- 144 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. sang, dignes de figurer aux brillantes parties organisees tous les ans ; aussi la race jouit-elle bien vite d'une grande cele- brite. Le Bocage et la contree qui avoisine Bourbon- Vendee el le Poire-sur-la-Roche sont fort reputes pour leurs chiens. La re- production et la vente de ces animaux forment un objet de commerce et d'exploitation en coupe reglee qui rapporte gros aux gens du pays. Un bon vendeen s'achete plus cher au marche qu'une vache ou qu'un boeuf. II y a deux foires a chiens par an a Bourbon-Vendee : 1'une le deuxieme lundi de mai ; Fautre le deuxieme lundi du mois de juillet. M. Charles Frossart de Guipy, dont la residence est a Cou- lange-sur-Yonne, possede une meute d'environ soixante chiens verideens digne d'une mention toute speciale, car elle fail souche en France. Ces animaux, tous tricolores, sont de belle taille, hauts sur pattes, solides du jarret, forts en gueule, et doivent etre, sij'eri crois mon jugement, ou plutot ma theorie, d'excellents chasseurs de sangliers. II n'est pas un veneur du Nivernais qui n'admire les chiens de Guipy, dont M. Frossart prend le plus grand soin lui-meme, et qui forment a eux tous la meute la plus admirable de toute la France. La race que possede M. Frossart est la meilleure de toutes celles de France, et les vrais amateurs la preferentaux meutes de Saintonge et du Poitou, quoique ces animaux soient gene- ralement de forte taille et tres-elegants, qu'ils chassent le nez haut, le cou sur le dos, et aient une gorge assez sonore. Si on leur accorde de suivre la bete avec exactitude, d'autre part on leur reproche de s'amollir au moment ou la victoire prochaine exigerait plus de courage et plus d'entrain. C'est le contraire LES CHIENS DE CHASSE A COUKRE. 145 des chiens de Vendee, qui chassent avcc un entrain saris pa- reil et redoublent d'excitation quand ils sont a la veille de por- ter has 1'animal de meute : leur gorge est moins forte, mais leur allure est plus rapide. Les stay-hounds, les blood-hounds, les southern- hounds, sont les grands chiens de chasse employes par les Anglais pour leurs ch asses a courre le cerf. Markham, auteur cynegetique du temps de Jacques I er , donne du stag-hound une description qu'on dirait copiee dans Du Fouilloux. Les premiers, les plus grands, les plus forts et les mieux t'aits pour cette chasse etaient au temps jadis en grand hori- neur, quand le pays, moins civilise, moins coupe de ci, de la, par les murailles des grands pares, recelait dans ses grandes ibrets des animaux de toutes tailles dont le nombre etait inde- iini. D'autre part les lois sur la chasse etaient tyranniques, et lout braconnier etait impitoyablement mis a mort. II n'y avail que les seigneurs ayant fief et domaine qui pussent chasser le cerf. Quand la culture cut defriche lesforets, lorsque les pares eurent ete construits, les cerfs etant enclos dans des espaces limites, il devint moins necessaire d'entretenir des chiens ra- pides et de longue haleine. Comrne je viens de le dire, la chasse du cerf etait jadis un exercice tres-recherche. Dans les comtes du centre, et particu- lierement dans ceux de Norfolk et de Suffolk, dans le Berk- shire, FEssex, le Hampshire et le Glocestershire, les lords passaient leur temps a chasser. Autrefois, la meute royale et celle de North Devon, toutes deux formees depuis longues ari- nees, etaient les seules connues pour cette chasse. La derniere ne poursuivait que le daim ; mais de nos jours elle n'existe plus, soit que les souscriptions pour son entretien n'aient pas ete suffisantes, soit par cette raison que les fermiers ontdetruit 10 140 HIST01KE DES RACES DE CHIENS. les daims pour preserver leurs terres a ble des ravages causes par ces animaux. Quelques explications sur cette chasse seront, je le pense, iriteressantes pour mes lecteurs. Les chiens qu'on y employait etaierit de tres-forte taille et ressemblaient plus au limier qu'aucune autre espece de chiens de nos jours. Us avaient les oreilles longues et le museau tres-grand; c'etait sans doute une espece issue du limier. Us ne couraient pas si vite que ceux d'aujourd'hiii, mais ils etaient peut-etre plus surs. Lorsqu'on faisait la chasse, on commencait par lacher dans le bois quelques chiens d'elite des lurchers pour faire lever le daim. Quand 1 ; animal quittait son fort, ce que les tu- flers annonc.aient par leurs aboiements, la meute etait decou- plee sur la voie et ne devait jamais quitter la trace de 1'animal qu'elle ne Peut force et mis par terre. Les animaux d'alors etaient si vigoureux et si vifs, qu'il n'etait presque jamais ne- cessaire d'en lever un second. La distance que Ton parcourait dans ces chasses etait de 20 a 30 milles, et Ton employait a les franchir la plus grande partie du jour; car les chiens, reunis a huit heures, ne ren- traient au chenil qu'a la nuit. Quelle difference dans le systeme de chasse suivi de rios jours ! Le rendez-vous est pour midi, la bete est forcee dans une heure ou une heure et demie, sauf quelques cas exception- nels ; puis 1'on rentre au manoir pour s'habiller et diner au- pres d'un bon feu. Depuis la mort de Georges III, qui appreciait fort ce genre le chasse, les stay-hounds furent demodes, et s'il en existe encore quelques meutes, ce n'est plus que dans les chenils royaux et chez quelques lords richissimes; Les six qui sont les plus importantes en Angleterre sont : LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. Ul Celle de la reine Victoria, a Ascot-Heath pres Windsor, sous le commandement d'un capitaine des chasses qui reside a Swinleg-Lodge ; De sir C. Constable, a Hull ; De M. Fenwick Brisset, dans le Somerset; De M. Heath-Cote, dans le comte de Surrey ; De Thonorable F. Petre, dans FEssex ; Et de M. le baron de Rothschild, a Montmoor. En Irlande, la seule meute de stag-hounds citee est celle de M. Alley, a Dublin. Ces sept meutes comptent cent soixante-quatorze chiens entre elles toutes. Les stag-hounds (chiens de cerf) sont d'admirables betes, dont la tele est large etossuee, les levres pendantes, les oreilles tres- longues, lepoitrail large : elles possedent un fouet recourbe, orne de poils assez longs. Leur taille est d'ordinaire de U1 ,55 a O m ,40; une tfite fine et expressive, bien attachee sur une large encolure; les epaules sont hautes et plates, la poitrine bien descendue, sans exageration cependant; les reins legere- rnent harpes, sans etre pourtant bossus; les hanches saillantes et bien accusees, les cuisses longues, nerveuses, elastiques; les jarrets plats et larges; la patte seche et serree; qu'on joigne a cela la finesse du pelage, Fair noble et intelligent, une beaut e plastique en un mot, et Fon aura la meilleure des- cription d'un chien de cerf. Rien qu'a examiner ces chiens, on comprend leur force, leur fond, leur habilete a discerner les veritables voies parmi les fausses. II est rare qu'une meute de stag-hounds fasse buis- son creux. Aussi faut-il voir detaler un cerf des qu'il ouit la gorge de ses ennemis* II fuit, il vole, jusqu'a ce qu'il n'en- tende plus cette voix territiante. Cette deroute continue, en- tremel^e de ruses et de fausses demarches, jusqu'a Fhallali* 148 11IST01RE DES RACES DE CHIENS. qui estloujours magnifique, car generalement le dix-cors fail tele aux chiens el se defend comme un lion. Les chiens pour la chasse au cerf ou au daim sonl generale- menl tires des meutes deslinees a la chasse du renard. D'ordi- naire, de 1'autre cote du delroit, quand on veut faire un beau chasser a courrc, on s'empare d'une belle bele que Ton nourril avec de 1'avoine, des feveroles de premiere qualite el d'excel- lenl foin. L'animal couii bien, mene ses ennemis factices Ires-loin, et n'est jamais mis a inort. C'est la une comedie qui se renouvelle une fois par mois pour chaque cerf, sauf quel- ques exceptions pour les cerfs d'une conslilution plus robuste. On cite en Angleterre deux dix-cors nomnies Ripley el Capx- ///, qui avaienl ete chasses dix et onze fois. Ce dernier n'etait pas d'une taille Ires- forte; mais il avail des proportions su- perbes : la tele petite, le cou tres-gros et fort, le dos el les jambes courles, les reins d'une laille el d'une force extraordi- riaires. Les chasses que 1'on a donnees a ces animaux onl ele racori- lees, d'une fa^on graphique el pompeuse, dans les colonnes de lous les journaux anglais. Ceux d'enlre mes lecteurs qui ont assiste aux chasses de Sa Majeste la reine Victoria connaissent les exploils du cerf Ripley, bel animal rie dans le pare de Windsor, qui ful chatre par la fanlaisie d'un garde. Celle operation, faite quelques jours apres sa naissance, fut cause que ce cerf n'eut jamais de bois, el c'est probablemcril aussi a cette ablation qu'il faut at- Iribuer le developpement exlraordinaire et parliculier que prirenl ses muscles lorsqu'il ful plus avance en age. Sa lete et son cou etaient tres-beaux, quoique petits, et cornme il ri'a- vail pas de comes, on le preriail souvenlpour urie biche. Son exlerieur offrait un ensemble remarquable ; ses cuisses et ses jambes de derriere etaient aussi fortes que celles d'un cheval LES CHIENS DE CHASSE A OOURRE. 140 de grande race. A sa maturite, 1'ensemble de son corps etait sans defaut ; a trois ans pourtant c'elait encore une be" te qui ne jouissait d'aucune consideration, un si mauvais coureur que, le 26 octobre 1827, on le fit sortir de Tenclos de Swinley en presence de toute la meute, pour mettre en train les jeunes chiens et leur servir de cur6e, ce qui semblait ne devoir pas etre une longue affaire. Le jeune cerf trompa tous les calculs. Apres avoir parcourn plus de 50 milles en trois beures, il fut pris au-dessous de Henley, a la distance de plus de 20 milles en ligne droite du lieu ou il avait ete lance. Le 17 de- cembre de la meme annee, il fut repris dans 1'Oxfordshire, apres une autre longue course. Au commencement de fe- vrier 1828, il executa une course extraordinaire de trois heures, de la nouvelle loge a Winkefield jusqu'a Ripley, dans le comte de Surrey, d'ou lui vient son nom de Ripley. Depuis, il fut chasse trois ou qualre fois par an pendant dix saisons suc- cessives, faisant toujours des courses superieures et fatiguant chevaux, chiens et chasseurs. Pendant trois fois il fut laisse a la nuit, ayant couru jusqu'a la brune; et une fois, en 1832, ayant ete perdu pres de Saint-Albans, on ne le retrouva que luiit jours apres; ce jour-la, il distanc,a les chiens a la nuit pres de la Tarnise, et ne fut pris que le jour suivant dans le voisinage de Staines, et cela lui arriva apres une semaine d'une vie errante et penible : il avait soin cependant de s'etablir la nuit dans des champs de feves ou de pois. II fournit sa plus brillante course le 8 avril 1850. 11 fut lance pres'de Maidenhead, sur les bords de la Tamise, dans le Beck- shire, ettraversa immediatementle fleuve en passant a travers les domaines de sir George Warrender. 11 parcourut une im- mense etendue de pays sous un solell brulant, et fut pris a Finchley, a cinq heures du soir Les chiens ayant ete mis sur la voie a onze heures et demie du matin, ils rentrerent a leur 150 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. chenil ce soir-la meme, et en supposant que le cerf eut couru en ligne droite, si Ton jette les yeux sur la carte, la distance qu'il a parcourue semble presque incroyable. Doue d'un odorat tres-fm, ce cerf eut deroute par ses ruses toutes les meutes et tous les veneurs. II commerigait par courir ventre a terre durant une demi-heure, puis il s'arretait pour ecouter, et, s'il en avait le temps, *il revenait sur ses pas pen- dant un quart de mille environ ; il prenait ensuiteune nouvelle direction de toute la vitesse de ses jambes. II employait une autre ruse qui consistait a entrer dans quelque grande piece d'eau apres avoir couru pendant une heure; alors il etendait son corps sous la rive et ne laissait sortir de 1'eau que ses narines. C'est ainsi que sa trace echap- pait aux chiens pendant des heures entieres. Get intelligent animal, ce pauvre Ripley, fut tue dans Pete de 1 839 . Les blood-hounds, ou chiens de Saint-Hubert, sont do plus forte taille que les precedents : ce sont eux qui servaient a la chasse a Thorn me, aussi les avait-on appeles chiens de sang, car ils suivaient la piste du voleur, de Passassin , de Pincendiaire, et devenaient ainsi les puissants auxiliaires de la justice humaine. De nos jours, les limiers de cette race ne devoreraient pas tous le coupable. S'il tentait de s'enfuir, quand ils Pauraient atteint, ils se contenteraient de Pentourer et de hurler jusqu'a ce que les constables fussent arrives. II en est pen qui se jette- raient sur lui, ivres de sang et de carnage : cependant le cas s'est malheureusement souvent presente. Les blood-hounds, sont de tres-grande taille et mesurent sou- vent O m , 75 a Pepaule. Leur pelage court et fin, particulierement aux oreilles et sur la t6te, est d'un noir rougeatre ; les sourcils sont feu, les pattes de meme couleur ; les oreilles longues, les reins assez courts, les jambes moins haut.es que celles des LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 151 normands. Moins disciplinables que tous les autres chiens courants, ils sont plus ardents, plus rapides, et ne refusent aucune chasse, pas memela chasse a 1'homme. Chasseurs intrepides, ces chiens ne quittent leur animal qu'a la mort, et c'est a eux que revient souvent Fhonneur de ces chasses extraordinaires dont se glorifiaient les annales de la vieille venerie. Vers la fin du septieme siecle, dit-on, saint Hu- bert introduisit dans les Ardennes cette race de chiens, qui a pris son nom, et que les abbes de Saint-Hubert conserverent precieusement en memoire de leur fondateur. Au moment de la conquete des Normands, ils passerent pro- bablement en Angleterre. Le roi Charles IX prisait fort cette race et lui a consacre une page de son livre. Ils ont des marques rouges ou fauves sur les yeux, dit-il,et communement le,poil de leurs iambes est de la meme couleur : s'ils ont du blanc, c'est peu et sur la poi- trine. Ce sont chiens loups, peu rabies, etc. Cette description royale n'est pas toujours exacte, car on a \u, et il existe des chiens de Saint-Hubert blancs, mouchetes de noir et marques de feu. Les rois de France, jusqu'a saint Louis, n'eurent pas d'autres chiens dans leurs meutes. II y en eut sans doute aussi une grande importation sous Henri IV, lorsque MM. de Beaumont et Dumoustier menerent a Jacques I er des chiens de France. La finesse extraordinaire de leur odorat a ete employee dans la Grande-Bretagne comme dans rArnerique du Sud, ou cette race avait ete introduite par les Espagnols, a la poursuite de Thomme. Les Edouards se sont servi de ces chiens dans leurs guerres en Ecosse contre les Bruces, et Elisabeth dans les guerres d'Irlande. Cette race domina longtemps dans tous les equipages de France, ou elle a toujours fourni des limiers jusqu'a la Revo- 152 IllSTOIRE DES RACES DE CHIENS. lution ; mais peu a peu elle disparut presque completemcnt chez nous, et on ne la retrouve guere plus aujourcThui qu'en An- gleterre et a Cuba, ou on emploie ces chiens a la poursuite des negres marrons. Depuis longtemps les Anglais ne se servent plus des blood- hounds pour la grande chasse a courre. Tin seul equipage, celui de M. Thomas Nevill, chasse encore le cerf avec une quaran- taine de ces chiens; mais beaucoup de nobles families anglaises ont conserve cette race dans toute sa purete, et se servent d'un ou de deux blood-hounds pour la chasse des daims, qui vivent en troupeaux si considerables dans les pares anglais, ou ils sont d'un tres-grand rapport. En Angleterre, les blood-hounds fauves, a manteau noir, sont considered comme les plus beaux ; mais il y en a de roux uni- forme, ou dont le manteau est simplement un peu plus chaud de ton; la couleur est celle du poil de lievre. Parrni les limiers franc,ais celebres denotre epoque, on citnit, il y a quelques annees, Badineau, eleve par Fortin, le veneur habile de Chantilly. C'etait un chien blanc et orange, porteur d'une admirable tete, admirablement fait, d'une grande intel- ligence et d'un flair exquis. Quand Badineau avait parle, la chasse etait resolue , et Ton faisait rarement buisson creux. Les chiens de sang se recrutent parmi tous leurs conge- neres. C'est une disposition particuliere qui les fait decouvrir au milieu des autres et enroler parmi les buveurs d'eau rouge (red water drinkers). Autrefois ces chiens etaient indispensables a la securite pu- blique sur les frontieres de 1'Angleterre et de FEcosse, et dans le Northamptonshire, pour repousser les attaques des maraii- deurs. Les villages, les fermes de ces zones etaient obliges d'en- tretenir des meutes de blood-hounds; mais quand la civili- LES CHIENS DE CIIASSE A COURRE. 153 sation progressa, quand la justice n'eut plus besoin de ces auxiliaires, on cessa d'elever ces animaux pour la chasse a riiomme. 11 en exisle pourtant encore dans certains domaines, afin de servir d'epouvantail aux braconniers et de protection aux grands animaux de meute. Les blood-hounds de Cuba, employes a la chasse des negres marrons etpropages dans tousles pays a esclaves, ont le meme pelage, mais ils sont plus lourds de formes, les rides de leur visage sont plus marquees, et ils ont les babines plus grosses et plus pendantes. Le southern-hounds, autrement dit Talbot, sont, selon toutc probabilite, les chicns qui ont fait souche dans toute 1'etendue de la Grande-Brelagne, et particulierementdans le midi de 1'ile, d'ou leur est venu leur nom : chiens du sud. Les premiers habitants de 1'Angleterre les employment aux grandes chasses, et si depuis ils ont etc delaisses pour des races plus rapides, c'est a cause de leur peu de fond, car ces animaux par eux- memes etaient d'une belle prestance, d'une forme effilee, pour- vus de belles et solides pattes, munis d'oreilles superbement longues etd'un fouet arque tres-elegant. Ces chiens avaient en outre une excellenle gorge et un flair exquis ; mais, comme ils etaient un peu lents a la chasse, ils se sont vu detroner par des chiens plus rapides. On cite cependant encore dans le Devonshire, au village de Aveton-Gifford, quelques meutes de southern-hounds , tres-re- marquables, appartenant a de simples fermiers. Les fox-hounds, qui ont detrone toutes ces vieilles races, sont les favoris des veneurs anglais. Ces chiens, race toul arti- ficielle, tenant un peu de toutes les races possibles, et dont 1'ori- gine provient du croisement des vieilles races de chiens cou- rants et des levriers, ont a la fois de la vitesse, du fond, des pnttes nerveuses etunodorat Ires-fin. Ce qu'il fallait a la chasse 154 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. anglaise, qui aime a courir et a atteindre vite le but, c'etait un chien de course comme le sont les chevaux qui se disputent le prix a Ascott ou sur les autres hippodromes, et a force d'es- sayer, ils ont obtenu le produit desire. Or, ce produit existe, il vit, il a fait souche. DWELLS LE FOX-HOUND. CIIIEN COURANT POUR RENARP. A tout prendre, le fox-hound est un joli chien dont le train de derriere est ramasse, la poitrine large, les jarnbes droites, les pieds arrondis comme la patte d'un chat, la queue epaisse, bien garnie et legerement recourbee. II a en outre 1'oreille pe- tite, placee tres-haut et plate, et on a, dans les equipages an- glais, Fhabitude de 1'arrondir. Du reste, on trouve, dans chaque chenil en Angleterre, un type de fox-hound different, et les memes maitres d'equipage ont souvent change plusieurs fois leur race pendant le cours de leur carriere. LES CHIENS DE GHASSE A COURRE. 155 Le fox-hound est docile de caractere et facile a mettre en meute, d'une rapidite souvent extreme, ce qui le rend chiche de voix. II est inestimable pour sa belle construction et la vigueur de sa constitution, et il retraite gaiement apres les chasses les plus fatigantes. II existe en Angleterre cent sept meutes connues de fox- hounds. On en cite huit en Ecosse, vingt et une en Irlande : ce qui compose un personnel dell, 079 chiens. LE CHIEN POUR RENAttDS, PURE RACE. Peut-etre le plus vieux sang de fox-hounds d'Angleterre se trouve aujourd'hui dans le chenil du comte de Lonsdale, a Cot- tesmore. A 1'exception des meutes de lord Yarborough, de M. Ward, du comte Fitzwilliam, du due de Beaufort, etc., et de quelques autres, les meutes des chiens courants anglais ont change si souvent de maitres depuis cinquante ans, qu'il est presque impossible de certiiier leur origine. Gependant les meu- 156 IIISTOIRE DES RACES DE CHIENS. tes les plus estimees aujourd'hui sont celles desducs de Rut- land, de Beaufort, de lord Fitzwilliam, du marquis de Cleve- land, de MM. Ralph Lambton et Osbaldesdone. Toutes les meutes de 1'Angleterre chassent environ deux ou trois jours par semaine, ce qui donne une moyenne de quatre- vingt-deux chasses par jour. Les rendez-vous sont annonces dans les journaux de sport et dans tous les villages qni envi- ronnent les chenils. Les sportsmen qui desirent assister a ces parlies de plaisir peuvcnt trouver des cottages a louer pour la saison avec ecuries pour leurs chevaux. Aussi, grace a la publi- cite, ces chasses sont tres-suivies. Aujourd'hui que le cerf s'est refugie, en Angleterre, dans les vieilles forets aristocratiques, on ne peut plus le chasser que dans un petit nombre de localites; la chasse du renard est devenuc la premiere entre toutes chez nos voisins d'outre-Manche. Cest elle qui developpe, par un exercice vigoureux, les plus nobles qualites du cavalier et celles du cheval, ce fidele et genereux compagnon du chasseur. En un mot, dans la Grande-Rretagne, on la considere comme la vraie chasse du well bred gentleman, de 1'homme comme il faut. Chasser le renard est en Angleterre le combledu dandysme; un Anglais aime assez a se promener dans Regent-street, vein d'un habit rouge, botte et eperonne, afm de pouvoir dire a ses amis : J'arrive du Yorkshire, tout couvert deboue, moa; j'ai chasse le renard ! Et souvent meme le hableur n'est pas sorli de Londres et ne possede ni bois, ni terres, ni chiens. Voici comment il s'y est pris pour pouvoir mentir sans era irite d'etre dementi. II est alle trouver John Stuart a Picadilly, et dans ce manege excentrique il est monte sur un cheval de bois. Une fois la, afm d'avoir bien Fair d'un chasseur revenant du Lincolnshire, il s'est fait asperger d'une boue jaunatre fa- briquee avec de la vraie terre du terroir ci-dessus nomme; LES CHiENS DE CJIASSE A COURRE. 157 puis il a passe dans im sechoir, et, une fois sec, a regagne Regent-street. II a chasse le renard. Pour jouir des plaisirs de la chasse au renard dans toute son etcndue, et pour offrir cet amusement d'une maniere convenablc aux amis que 1'on revolt, il est indispensable a tout sportsman liospitalier d'observer plusieurs points capitaux. La meute, son education, son entretien, Tart de bien conduire une chasse jus- qu'au bout, quoique dependant du merite d'un grand nornbre d'individus divers et de dispositions de differents ordres, res- sortissent neanmoins egalement au genie du maitre qui, pour bieri commander et diriger a propos, ne doit ignorer rien de ce que ses piqueurs doivent savoir. Et cependant, pour la masse des chasseurs, pour les invites, Tunique attrait c'est la chasse elle-meme ; le grand talent, c'est de suivre la meute de pres et de se trouver un des premiers a Phallali. Voila ce que pense la majorite des sportsmen; mais le veritable huntsman exige plus de science de lui-meme et des autres : il doit, avant tout, con- nailre les localites frequentees par maitre fox, ses habitudes et ses ruses ; il doit, en outre, etre un excellent ecuyer et rie se voir arrete par aucun obstacle ; car, pour etre en mesure de tenir les chiens en haleine, de les exciter et de diriger tous leurs mouvements, il est important qu'ii soit capable de les suivre par tout. En un mot, la chasse au renard est uri steeple-chase des plus dangereux, eu egard a la nature du sol, a la position des grands cours d'eau, des canaux, des ponts et des barrieres de la Grande- Bretagne, et ceux qui la pratiquent peuverit se vanter d'etre des ecuyers emerites. C'est la un point d'amour-propre que per- sonne ne contesteaux Anglais, quoique je proclameici, comrne je 1'ai fait deja ailleurs, qu'en fait d'audace et de courage, a la guerre comme a la chasse, les Frangais ri'aient pas de maitres. En France, nous comptons un nombre de chefs d'equipage 158 HIST01RE DES MCES DE CHIENS. beaucoup plus grand qu'on ne se 1'imagine en general. Mais comme chacun chasse pour soi, les resultats de ces chasses, a peu d'exceptions pres, sont tres-peu connus. Nos journaux de sport publient le compte rendu des chasses imperiales, quelques hauts fails des grands sportsmen de France et de certains lieu- tenants de louveterie ; mais ces journaux n'ont pas toute la publicite desirable. Ce serait pourtant un puissant moyen de vulgariser le gout du cheval et de Pequitation, car c'est au Fox hunting que les Anglais doivent leur superiorite dans cet art. J'ai parle de la meute de fox-hounds de Sa Seigneurie M. le due de Beaufort : il y a quatre ans, le noble lord la transporta du sol anglais en Poitou, aim d'y entreprendre la chasse du loup. Les chiens de Sa Grace ne reussirent point sur notre continent. 11 me parait curieux de mentionner ici en quelques mots comment Sa Grace le due de Beaufort a herite de quatre a cinq cent rnille francs de rente, mais a la condition de tenir toujours ses chiens en haleine et de chasser sans fin et sans cesse. C'est un Nemrod errant a perpetuile; il appartient plus a sa meute que sa meute ne lui appartient. Done, un jour, apres avoir battu les buissons -de tous les comtes d'Angleterre, la voix testamentaire lui criant : Chasse I il franchit le detroit avec ses cent chieris, ses quarante piqueurs, et il arriva en Poitou, le pays des loups. Le malheur est que les chiens du noble lord n'avaient eu jusque-la d'autre ennemi que le renard. Le loup, ils ne le connaissaient pas meme de reputation. Aussi ne prirerit-ils seulement pas la peine de le poursuivre, laissant aux chiens franc,ais tout I'honrieur de la bataille. Ceux-ci forcerent le loup, comme de braves chiens qui ont vu le loup, mais et c'est la que la chose devient comi* que les chiens anglais, qui avaient dedaigne la poursuite, ne furent pas aussi dedaigneux a 1'endroit de la curee. Le soir, ils mangerent le loup chasse et force par les chiens poitevins, C'est la veritablement un trait tout a fait britannique. LES CHIENS DE CHAS.SE A COURRE. 159 Mais je reviens a la meute de Sa Grace, chez laquelle on re- marquait urie grande regularite de taille et de couleur, un en- semble parfait pour la legerete, le fond et la force, et un parfait entretien de leur personne. On voyait, en examinant ces chiens, que les piqueurs anglais sont passes maitres en fait de lenue, et ceux de Badmington n'ont pas deroge. Si les chiens du due de Beaufort n'ont pas reussi en Poitou, j'hesite a croire que Jes notres les suivissent en Angleterre dans un steeple- chase vertigineux a la poursuite des renards. La meute de fox-hounds de M. le comte d' Osmond un iri- trepide parmi les veneurs, qui, quoique ayant perdu 1'avant- bras droit a la chasse a tir, cultive la chasse a courre pour ne pas abandonner le culte de saint Hubert est une des plus belles de France. On cite ex aequo la meute de M. le vicomte de la Rochefoucauld, a la Gaudiniere, composee de magnifiques betes tricolores. Une autre grande race de chiens courants anglais qu'il faut rapprocher du southern-hound, qui en descend, dit-on, est le kerry-beagle d'lrlande, grand chien tres-analogue de formes au blood-hound, et qui mesurejusqu'a *26 pouces de taille. MM. John O'Connell, de Killarney, et A.Herbert, de Mucross, membres du parlement, ont ete les possesseurs des deux dernieres meutes connues de cette ancienne race. Les griffons vendeens, grands et magnifiques chiens courants au poil rude et frise, sont une variete du chien de Vendee. C'est M. le comte de Lecouteulx de Canteleu, lieutenant de louveterie des arrondissements des Andelys (Eure) et de Lou- viers, qui possede la meute la plus complete et la plus pure que Ton connaisse en France. Ces bonnes et vaillantes betes ont le poil rude, blanc, lessive de fauve ou de noir, les oreilles mHongues, les pattes poilues et solides, la poitrine vaste et la taille tres-grande. 160 HISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. Fort recherchee pour la chasse du loup et du sanglier, for- mant des chiens incomparables pour rapprocher une voie ou suivre une piste dans les ruisseaux et les etangs, d'une con- stitution plus solide que les chiens a poil ras, cette race a pres- que toujours fourni dans les equipages un chien dont on se souvient toujours. Les chiens bretons, autrement dit les griffons fauves de Bre- tayne, sont signales dans les plus anciennes chroniques armo- ricaines. Us sont aujourd'hui devenus fort rares; ce sont des chiens de grand coeur, entreprenants et de haut nez , gardanl facilement le change. D'assez haute faille, leur constitution est forte et ils ne craignent ni les eaux ni le froid. Us sont parfaits pour le loup et le sanglier. Leur pelage d'un rouge vif est ca- racteristique ; quelques-uns sont marques de blanc, de gris on de rioir, mais ils sont moins estimes. Suivant quelques auteurs, cette race etait celle des meutes des seigneurs et dues de Bre- tagne, de Famiral d'Annebaut, du fameux Huet de Nantes, qui rivalisait avec Gaston Pho?bus; enfin, du seigneur de Lamballe, qui vint un jour, du comte de Penthievre, prendre un cerf sous les murs de Paris. Une autre belle Yariete de chiens courants griffons, egale- ment devenue rare, est le chien de Bresse, race sans aucuri doute issue en ligne directe des chiens segusiens decrits par Arrien au troisieme siecle de notre ere : C'etaient, dit-il en parlant des segusii, des chiens courants egaux aux chiens de Carie et de Crete pour la finesse de Fodorat, mais plus lents et d'une mine triste et sauvage. En chasse ils criaient beaucoup, tant sur le gite que sur les voies, mais d'un ton si lamentable, que les Gaulois les comparaient a des mendiants implorant la charite publique. Les bdtards anglo-francais . L' introduction en France du sang anglais a eu pour consequence la creation de races interme- LES CH1ENS DE CHASSE A COURRE. 101 diaires. Cette immixion dans nos races fut si rapide qu'elle a presque fait disparaitre leur purete. Les bdtards anylo-francais composaient, des la firi du regne dc Louis XIV, une par tie notable des meutes du roi. Gaffet de la Briffardiere, qui constate le fait, dit que les batards sont mieux construits, qu'ils ont la menee beaucoup plus belle et qu'ils chassent mieux que les anglais de pur-sarig. Les bdtards anglo-franfais sont reellement des chiens ravis- sants, et qu'ils soient issus d'un chien normand et d'une lice anglaise, ou bien d'un chien anglais et d'une lice normande, on ne les classe' pas moins comme des chiens de race et de toute beaute. L'aspect general du batard est celui-ci : haut sur pattes, poitrine large, tete moins allongee que celle du saintongeois et des gascons, oreilles egalement moins longues, queue forte et arquee, et surtout une voix terrible. C'est d'eux qu'on dit volontiers, avec Leon Bertrand, auteur de mainte fanfare illustre : Entends-tu cette gorge ? Jamais marteau de forge A-t-il si bien cogue? Va ! le soir, ton pain d'orge * Mon brave, est bien gagne. La grande majorite des meutes francaises se compose au- jourd'hui de chiens anglo-frangais dont il s'est forme dans nos provinces plusieurs sous-races fort estimables : anglo-ven- deens, anglo-poitevins , anglo-saintongeois , anglo-normands, reunissant une bonne partie des qualites distinctives de leurs aieux fran^ais a celles de leurs ascendants d'outre-Manche. Ces meutes ont I'inconvement de ne pouvoir se recruiter en elles-memes, les batards perdant rapidement leurs qualites des les premieres generations. On ne peut les conserver telles ii i6 l 2 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. qu'a condition de revenir toujours a des etalons pur-sang, soil anglais, soil franc.ais. A Charitilly, dans la vieille foret de Retz, dans la Giroride, Ic Fox-hunting entrepris a Paide des meutes de batards anglo- irangais, donne chaque saison de nombreux plaisirs aux pro- prietaires de ces meutes et a leurs amis. MM. Desvignes, le comte Roger de Chezelles, le \icomte Duchatel comptent parmi les veneurs emerites pour qui les batards anglo-francais sont des chiens hors ligne. LJNkLLS LE CHIEN A I.OUTUES. Les otter-Rounds (chien a loutres) sont a peu pres inconrius en France. On les emploie en Angleterre pour la chasse aux loutres. Ce sont des chiens ressemblant fort aux southern- hounds pour la forme et la taille, a cette difference cependant que le poil est rude et long comme celui du griffon vendeen. 11s sont cependant plus bas sur pattes, ont la tele longue et LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 165 bien coiffee, mais couverte (Tun poil assez ras, tandis que le reste du corps est abondamment garni d'un pelage long et dur, de couleurjaune ou rougeatre avec des taches noires ou grises. Autrefois on les employait beaucoup dans le pays de Galles pour la chasse du lievre. De toutes manieres ce chien est, a 1'heure actuelle, une espece particuliere, qui nage et plonge avec une grande habilete, et dont les machoires sont de vraies tenailles ; qualites essentielles pour 1'emploi auquel ils sont destines. Un chien a loutres de belle prestance a environ de \ingt-deux a vingt-cinq pouces de hauteur. II est a regretter que nous n'ayons pas eu un seul specimen de cette espece a Fexposition des Champs-Elysees. Les briquets et chiens alievres. Les briquets, autrernent dit braquets, mot qui signifie petit Braque, sont d'excellents chiens provenant, au dire des plus experts en matiere de chasse, du croisement de toute espece de races. On trouve dans le Roman du Renard, qui date du treizieme siecle, cinq vers relatifs a ces animaux que 1'ori appelait brackets a cette epoque : Alant out renard escrie Li braconnier qui 1'ont veu, Et li Bracket sont esmeu Si viennent sous le chesne droit, Oil dans Tybert li chaz etait. M. de Maricourt, dans son Traite.de la chasse du lievre et du chevreuil, ecrit en 1627, est le premier qui emploie le terme de briquet a 1'egard d'un chien courant. Le propre des bri- quets, dit-il, est de courre le connil (lapin). Generalement les briquets sontd'une taille exigue, etleur place marque entre les chiens dont la classification precede et ceux que Ton noinme Bassets. La couleur de leur robe n'a rien de tres-regulier : les uns sont gris pommele^ d'autres marroii, 164 1I1ST01KE DES HACKS DE CHIEFS. ccux-ci blanc et noir, ceux-la blanc et orange, ct eniin il eri est chez lesquels la couleur jaune est toutafaitdominante. Comme chiens de chasse pour le courre du lievre, ce sont les meilleurs et les plus estimes. Ce sont de petils chiens durs, cognants, in- disciplines, ralliant mal, que Ton a essaye eri vain de metlre en meute et qui sont surtout employes pour la chasse du fusil. Du reste, ils ne sont pas de longue haleine et mettent has sou- vent apres line vigoureuse poussee. Les races de la Haute-Marne, du Morvan, de la Gascogne, celles de la Normandie, des Vosges et de Corse, sont les plus connues. Les plus estimes out le poil rude, et, grace a cette robe, ils se glissent sans la moindre crainte au milieu des four res les plus inextricables. Les harriers sont une race de chiens anglais destines a la chasse au lievre, dont le nom a pour racine le mot Hare, (lievre), race intermediate entre le beayle etle fox-hound. C'est ,a vrai dire un diminutif de ce dernier, dont il garde, d'ordi- naire, la large poitrine aux vastespoumons, le corps allonge, les os epais, la tete forte, les oreilles longues, la gorge solide, la surete sur la voie, et enfm mille qualites qui rejouissent le chasseur. Leur origine est plus ancienne que celle du fox- hound. Le harrier etait, en un mot, un chien d'ordre en minia- ture; mais c'cst a peine si on retrouve ce type dans quelques equipages, et les harriers de nos jours ne sont a proprement parler que de petits fox-hounds un peu mieux gorges que ne le sont habituellement les chiens de cette race. 11s sont aussi mieux coiffes et ont le nez plus fin; mais, chaque jour, 1'ancien type seperd. Les fermiers anglais se plaisent a entretenir des harriers, qui rie les cntrainent pas trop loin de chez eux, et n'exigent pas un Ires-grand, entretien. LES CHTENS DE CHASSE A COURRE. 165 Plus d'un squire anglais monte sur un cheval solide et fort rapide, monturea la foisde voyage et de chasse, suit la course de ses harriers, accompagne de son piqueur qui appuie les chiens du haul de la selle d'une bete de trait, ou bien souvent en courant a pied. La chasse est restreinte aux limites de sa propriete, et les enfants de son fermier jouissent souvent de la L. W E L L S . ^-=^^?~ I.ES C1IIEXS IIAIIISIKKS. vue de cette course tranquille, et pourtant emouvante, du haul du pigeonnier place sur la droite du cottage. Pour eux, comrne pour 1'ecuyer chasseur, ce sport est preferable a toutautre d'un genre plus grandiose et plus aristocratique. La taille du harrier wirie de dix-neuf a vingt pouces. Plus il est petit, plus il est estime, a la condition toutefois de garder sa vitesse et de posseder un bon gosier. Ce qu'evite un eleveur, c'estla graisse qui alourdit et rend Fanimal apathique. Ce qu'il 166 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. craint, c'estd' avoir un chien qui court trop vite et qui met trop tot le lievre has. Du reste, la vitesse du harrier depend princi- palement de la configuration du pays dans lequel il chasse. On se sert quelquefois du harrier, en Angleterre, pour la chasse aux renards ; mais les fox-hounds sont plus recherches ou, pour mieux dire, plus a la mode. D'autre part, les harriers sont meilleurs pour la chasse qui leur est personnelle, et quand on leur fait faire les deux metiers a la fois, ils negligent Tun pour 1'autre. Nul ne peut servir deux maitres. En dernier lieu, comme la chasse du lievre estun plaisir tout particulier, il est necessaire que ceux qui la pratiquent jouis- sent de ce plaisir in extemo. Le lievre se defend mieux avecdes harriers qu'avec des fox-hounds. Avec les premiers, il met en pratique mille ruses diverses, tandis qu'avec les derniers il perd la tete, et est trop totpris. On cite soixante-neuf meutesde harriers (briquets) pour chas- ser le lievre dans le Royaume-Uni, dont quarante-neuf en An- gleterre, une en Ecosse et dix-neuf en Irlande, qui complent en- viron deux mille chiens. Les beayles ont une origine inconnue que Ton attribue toute- fois au croisement du chien courant de grande taille (hound) et du harrier. Le produit de ce croisement est un animal de taille inferieure, bien rable, ramasse sur lui-meme, a la poitrine large, aux pattes de devant solides et musculeuses, au train de derriere nerveux et bien decoupe. Un des caracteres de la phy- sionomie du beagle est d'avoir le museau allonge et des oreilles qui ont la forme d'un rognon ou plutot d'une moitie de foie, revenant quelque peu en avant sur le museau par la pointe. Les beagles ont en general le poil ras, mais il y en a de grif- fons, comme dans nos races de briquets de pays. Du reste, on peut dire que les beagles sont les briquets de TAngleterre. Bloome, auteur anglais qui ecrivait en 1650, en decrit trois LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 167 varietes : 1 les beagles duSud, semblables aux grands chiens du Sud, mais plus petits et plus rabies ; 2 les beagles du Nord, appeles aussi cat beagles, plus vites et de moyenne taille; 5 en- fin, les petits beagles ou beagles a lapin, qui atteignaient ra- rement 35 centimetres de hauteur. Ce sont de petils chiens bien faits, a oreilles larges et plates, coiffes en avant, dont la robe est blanche piquetee de points gris ou noirs, et marques de ta- ches fauves, noires ou orange. Leur voix est assez harmonieuse; ils sont remarquables par leur activite. !&# .'I t.J-J* >:, Le beagle a la demarche lente, et c'est a cette cause qu'on doit attribuer la defaveur dans laquelle sa race etait tombee. Les meutes de beagles, si estimees autrefois, alors quela chasse savante etait en honneur, et que Ton demandait aux chiens de la voix plutot que de la vitesse, diminuent chaque jour, etPon n'en connait guere que trois qui se composent d'une trentain^ de chiens. 168 HISTOIRE DBS RAGES 1)E CHIENS. II y a six annees cependant, le prince Albert avail introduit une meute de beayles dans le pare de Windsor. A dire \rai, les beagles sont solides et ont plus de pied qu'on ne Pimagine. La race des beagles se divise en plusieurs series, dont trois principales : la grande, la moyenne et la petite. La race moyenne est plus estimeeque la premiere, et se dis- tingue par une tete large et ronde, par un nez court et carre, par des oreilles lines et tres-larges, par des pieds solides, par un poil long et un plumet frise a la queue. Une gorge sonore, un flair tres-fin qui pourtant fait quelquefois defaut a certains animaux. Leur laillevarie de douze a quatorze pouces. Le beagle a poll dur est, selon toute probabilite, un croi- sement entre le beagle moyen et le terrier, et pourtant cer- tairies personnes pensent que c'est une race particuliere. Quoi qu'il en soit, 1'animal ressemble au harrier de Flandres, et son origine est inconnue. La voix est moins sonore que celle des au- tres courants de la meme espece, mais le flair est parfait. Le beagle nain, employe pour la chasse aux lapins, est un diminutif de la seconde espece; sa taille est souvent si exigue que les porte-carniers et les gardes des domaines anglais em- portent un ou deux chiens dans leur gibeciere, et Ton a souvent vu porter une meute entiere au rendez-vous dans une paire de paniers sur un cheval de bat. De cette facon, la meute ne se fa- tigue pas, et elle est mise sur pattes a 1'endroit meme ou on veut commencer la chasse. C'est la un mode de chasser qui n'est point usite en France; et, a vrai dire, je nele comprends en ac- tion que dans la Grande-Bretagne, ou tout est aristocratique, tout est compasse et meticuleux. La taille de ces courants lilli- putiens varie de neuf a dix pouces. La reine Elisabeth possedait de si petits beagles que 1'on pou- vait en mettre un dansun de ces grands gants que les homines portaient alors. LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 169 Quant a la forme de leur corps, elle est un peu trop allongee pour etre gracieuse. Du reste, leur fagon de poursuivre le gibier est bien plus lente que celle de leurs congeneres de taille su- perieure, cela se comprend, et il est indispensable aux chas- seurs de les appuyer frequemment et de ne point ceder sur le change quand il a lieu. Rien n'est plus facile que de suivre a pied une meute de beagles nains ; les chevaux sont inutiles et devanceraient trop I'animal de meute et ceux qui le poursui- vent. Importes en basse Normandie bien avantla revolution de 1 789, par M. le comte de Roncherolle, chasseur emerite, les chiens beagles, matines avec tous les hourets du pays, ont presque en- iierement disparu du sol neustrien. Le wild board-hound (chien pour sanglier], Pun des plus beaux specimens de la race canine, produit du croisement du levrier, du matin et du terrier, c'est-a-dire possedant la vi- tesse, la force et le courage, et enfin le flair. Quelques ecrivains se sont imagine que ce chien etait une race particuliere, et ils Tont classe dans les especes connues et faisant souche ; mais comme il est evident que ces chiens ont dif- ferentes formes, suivant le pays ou ils sont nes, un poil souvent blanc et orange, d'autres fois noir, plaque de fauve, tantot long, tantot court, je ne puis etre de Tavis de mes confreres. Generalement le board-hound ressemble, pour la couleur de sa robe, aumdtin. Quelques-uns sont gris d'ardoise strie de ta- chesbrunes. La taille de Tamma! varie de trente a trente-deux pouces, le corps est solide, les pattes nerveuses, la tete est allongee et etroite, le museau carre, pareil a celui du mdtin, les oreilles courtes et droites, la queue tordue en trompette. Ce chien est celui que les Allemands appellent le limier grand danois et qu'ils ont applique a la chasse du sanglier. En Dane- mark el en Norwege, il sert a poursuivre les elans. 170 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. Le chien courant polonais tient egalement de la m6me race, et celui de Russie, le kostrowa^ a des varietes qui ont une grande analogic avec les autres. Leurs oreilles sont mi-tombantes et petites, leur museau un peu pointu. Le chien a loups italien est un magnifique quadrupede dont la taille est g6ante et dont la force ne le cede en rien a celle du CHIEN POUR SAXGMER. loup qu'il terrasse en toute rencontre. Aussile loup evite-t-il toujours un pareil ennemi et ne fait-il tete qu'en derniere res- source. Sa robe est generalement blanche ou grise, quelquefois noire; le poil est court sur la tete, aux oreilles et aux pattes, mais long et soyeux sur le corps et a la queue. Un front eleve, un museau pointu competent la description de 1'animal, LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 171 L'attachement de ce chien a son maitre est extraordinaire et sa sagacite est essentiellement grande. Dans les pays infestes de loups, un chien pareil est indispensable. Le dachsund ou teckel est un limier allemand d'un corps allonge, d'une taillecourte et d'une force sans pareille. Sa tete est ronde et ses oreilles tres-longues. Bien souvent les pattes de devant sont arquees, et quand il creuse la terre, c'est a la facon des taupes. La couleur de cet animal est celle du tan strie de noir, ou bien encore du tan tout seul ; sa taille varie de qua- torze a seize pouces. Ces chiens, originaires de Saxe, ont ete tout dernierement importes en certain nombre en Angleterre. La finesse de leur odorat est proverbiale de Tautre c6te du Rhin, et ils sont em- ployes dans toute 1'etendue de I'Allemagne en qualite de limiers destines a happer le braconnier. C'est de la que vient leur nom de dach's-hund, chiens de braconnier. Les bassets sont d'origine tres-ancienne, el. a Rome, quand la republique florissait, ils etaient grandement prises par les sportsmen de cette epoque. Dans son livre de Venatione, Arrianus ecrit cette phrase a leur endroit : Les peuples barbares de la Grande-Rretagne, dont le corps est peint de couleurs di verses, elevent ces chiens avec le plus grand soin. Us les nomment Agasses dans leur langue. Gonnus au temps des rois merovingiens sous le nom de bi- barhunts ou chiens a castors, on les employait alors pour terrer; plus tard ils prennent le nom de chiens de terre, et enfin de bassets. Le roi Louis XIII avait une meute de bassets dresses a chasser la fouine. On les avait habitues a monter sur des echelles et a descendre de la meme facon ; aussi relanc,aient-ils une fouine dans un grenier a foin et meme dans les combles d'une eglise. 17^2 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Quoiqu'il y ait dcs bassets a poll ras, a poll long, a pattes droites et a jambes torses, on n'est pas dans 1'usage de classer ces animaux autrement que comme des varietes de Tespece : les bassets a jambes droites et les bassets a jambes torses, et dans chacune de ces sections on en trouve de toutes les tailles et de tous les pelages. C'est un chien tres-connu en France et en Allemagne, mais dont il n'y a pas de representant en Angle- terre, si Ton en excepte le turnpit ou tournebroche, espece de terrier a petites oreilles, a corps longet a paltes torses, dont la race est aujourd'hui perdue. Leur apparence est celle-ci : une tete assez forte, ornee de belles babines, de longues oreilles torchees, un corsage allonge, un corps bien rable, des pattes demesurement courles et une gorge puissante. 11 est facile de comprendre que cette structure alourdit leur chasse; mais, grace a son temperament solide, a sa force musculaire, le basset defie la fatigue. II chasse toutes les betes, quoique le lapin soit son gibier favori, et pourtant les veritables bassets se delectent dans la poursuite des grands animaux. La robe des bassets est de couleurs variees, tantot blanche, marquee de noir, striee de fauve, tantot unicolore, marron ou noir, avec des taches feu au-dessus des yeux. Un grand nombre de bassets ont le poil long, rude ct de couleur grisatre. C'est une variete de griffons qui est fort re- putee. Les meilleurs, dans les deux especes, sont ccux qui sont blancs et oranges. II va sans dire que les bassets, eu egard a leurs courles jam- bes, chassent tres-lentement. C/estacette cause qu'il faut attri- buer 1'estime dans laquelleils sont en France. Mes confreres en saint Hubert les prisent fort, par cette bonne raison qu'avec des bassets on tue enormement de gibier, lievres, lapins ou che- LES CHIENS DE CHASSE A COURRE. 173 vreuils. Les animaux n'etant pas effrayes trottinent devant Jes bassets, s'arretent en pretant 1'oreille, sautent par-ci, se dero- bent par-la, et arrivent bientot devant le chasseur embusque. A huit ou neuf mois, les bassets sont bons a conduire en chasse. II m'est impossible de trancher ici une question souvent debattue : Quels sont les meilleurs bassets? ceux a poil long, ou ceux a poil ras? D'aucuns disent que ce sont ces derniers, grace a la parfaite conformation de leurs epaules et de leurs cuisses, a leurs levres epaisses, a leurs larges narines; mais, selon moi, ils ont peu de fond et sont fourbus avant la fin d'une saison de chasse. Les chiens a poil rude el long sont moins sujets a la fatigue. CIIIEN BASSET. Les bassets a jambes torses sont ainsi nommes a cause de 1'arcure de leurs pattes de devant, ce qui rend leur course plus lente. Les braconniers el les gardes prisent fort les bas- sels, surtout quand ils sont muels, ce qui arrive quelquefois. Dans le grand-duche de Bade, on rencontre une race de chiens bassets tres-remarquables, pareille a celle que les Anglais ap- pellent cockers, qui soril employes avec grand succcs a la 174 HISTOIRE DES KACES DE CHIENS. chasse aux faisans comme chiens d'arret. On les ernploie egale- ment a la chasse a courre. Us sont mieux coiffes queles riotres, et leurs longues oreilles trainent jusqu'a terre. Dans la Grande-Bretagne, on estime au plus haul degre les bassets nains. Ceux du colonel Hardy, qui lui furent voles de la 1'agon la plus bizarre et disparurent a tout jamais, ont long- temps passe pour une merveille. Ces bassets lilliputiens, au nombre de vingt-quatre, eiaient d'ordinaire portes dans des paniers, a dos de cheval, sur le ter- rain de chasse. Une nuit, un voleur forc,a les portes du chenil, jeta toute la meute dans les paniers et disparut avec les deux douzaines au complet, sans laisser de traces. Oncques on ne revit les chiens au manoir du colonel Hardy, et jamais on rie sut ce qu'ils etaient devenus. Les especes connues sous le nom de bassets de Burgos, de Saint-Dominyue , de Houyrie et ftlllyrie, n'ont rien de tres- particulier qui les distingue des autres. Ce sont des genres et des sous-genres, sans trop de gradation. En France, les bassets les plus renommes viennent de TAr- tois et de laFlandre. Yll LES CHIENS DE CHASSE D'ARRET Bien avant la periode cynegetique ou Ton inventa la fleehe, 1'arbalete et autres armes de chasse, a 1'epoque ou les faucons et les autours servaient a pourvoir le garde-manger de nos peres, on se servait des chiens d'arret qui quetaient et faisaient erivoler le gibier. Dans plusieurs pays, et notamment en Angleterre, en Hoi- lande, a Loos, eri Allemagne, enllongrie, ou la fauconnerie est encore tres-honoree, en Afrique meme, ou les Arabes chas- sent a 1'oiseau, les chiens ne servent qu'a trouver la piste, a la suivre, et a faire envoler ou courir. Les premiers chiens de cette race n'avaient point Parret ferme, ils pourchassaient le gibier. Mais bientot, lorsque Tin- \ention de Parquebuse obligea le chasseur a tirer pose, on dressa les chiens a ne point bouger de place, a datel* du mo- ment ou ils parvenaient a s'approcher de 1'oiseau ou de I'a^ nimal de piste. 170 HISTOIRE DES RAGES DE CHIENS. Les dresseurs du moyen age forc,aient leurs chiens a sc coucher sur le ventre et a rester immobiles : ils en prirent ge- neralement si bien 1'habitude qu'on fmit par les appeler chiens couchants. Peu a peu, cependant, lorsque Ton perfectionna 1'ar- quebuse et qu'on en fit un fusil a silex, on n'eprouva plus le besoin de voir un chien couche ; le terme couchant ceda la place a celui d'arret qui, de nos jours, est le seul en usage. L'expression braque (venant du mot briquet ou bracket), date du commencement du seizieme siecle. Quant a celle de pointer ou de pointeur, elle est d'origineari- glaise et a ete importee en France paries anglomanes, avec les animaux designes de cette fac,on. Chien elegant de forme, aux jambes greles comme celles des levriers dont ils derivent, chasseurs-trotteurs, arretant le nez au vent, ou bien se cou- chant devant le gibier. Tandis que cette race detronait en France Celle du braque francos, les Anglais, par esprit d'opposition, sans doute, re- venaient aux chiens ayant le poil marron, les pattes larges, la poitrine vaste, le museau court, la tete carree. Cette race subsiste encore de nos jours dans tout le Royaume-Uni, ou le pointer anglais, dit de Saint-Germain est completement demode. Un vrai sportsman anglais ne connait et n'admet dans son chenil que des chiens de forme solide, et le poil noir est celui qu'il prefere de nos jours a toule autre couleur. En France, nous n'avons pas de parti pris. Tout chien d'ar- ret a droit de cite, a la condition d'etre bon, docile et ferme devant Tennemi, c'est-a-dire en presence du gibier. En Italic, en Allemagne et en Russie, les braques ont les formes assez lour des et epaisses. 11 ne faut pas leur demander de Felegance, de la race, mais eri revanche on peut trouver chez eux des qualites sans pareilles, uniques : un Hair a mil LES C1IIENS DE CHASSE D'ARRET. 177 autre egal, une tenacite an travail qui donnerait du coeur au chasseur le moins passionne. Les braques de toutes les races sont egalement susceptibles d'education de saltimbanque. En 1839, M. Leonard, de Lille (Nord), amena a Paris deux superbes pointers braques, Tun, Philax, age de deux ans trois mois, croise de race espagnole, 1'autre, Brack, plus jeune de six semaines, d'origine franchise, qui professaient I'arithmetique et resolvaient des problemes, qui ecrivaient, a 1'aide de caracteres jetes eri tas et epluches, lettre par lettre, par eux ; qui discernaient les couleurs qu'on leur nommait, au rnoyen de cartons peints de nuances diverses ; qui cherchaient au milieu d'un certain nombre de figures de coqs, poulets, anes, sangliers, cerfs, breufs, lions en bois de Nuremberg, etales par terre, le quadrupede dont leur maitre leur montrait 1'image; qui dansaient, valsaient et montaient a cheval Fun sur 1'autre, et enfin jouaient aux dominos. Tout cela pour 'prouver, disait M. Leonard, jusqu'a quel point on peut developper 1'intelligence des chiens. Ce preambule sur la race des chiens d'arret une fois ecrit, je passe aux descriptions. Le pointer espagnol. Les meilleurs naturalistes , les plus habiles physiologistes n'ont pas pu donner d'origine precise a ce bel animal. Les auteurs de la Peninsule le font descendre du chien courant que Ton aurait maintenu dans une certaine education, ce qui fait que, de famille en famille, cette race nouvelle aurait garde des aptitudes speciales en acquerant des qualites precieuses inlierentes a sa nature. II n'y a pas de chien au monde qui possede un flair plus lin, un raisonnement plus juste et une obeissance plus passive que le pointer espagnol. II doit avoir la tete fort large et une cer- velle enorme ; par consequent, un nez tres-gros : ce sont la des signes caracteristiques de race. Or, comrne tout amateur re- 12 178 11IST01HE DES RACES DE CHIENS. cherche un animal doue de ces apparences physiques et que cette conformation est celle du braque, on a ete souverit dis- pose a croire que le pointer espagnol avait eu le pointer bra- que pour premier etalon. J.E POINTER ESPAGNOI.. Mon avis, corrobore par celui de bien des auteurs, c'est que le pointer espagnol , aussi bien que le pointer anglais , sonl deux races distinctes qui remontent tres-loin, en admettarit meme qu'elles ne soient pas issues du Paradis terrestre. II n'y a qu'a examiner le genre de chasse, la maniere de manoauvrer des differents chiens que je viens de nomrner, pour etre con- vaincu de ce que j'avance. L'education n'aurait jamais donne au chien d'arret les qualites inherentes a sa nature. Le chien courant a toujours le nez par terre alors qu'il est en que"te, tandis que le pointer espagnol tient la tete haute et s'adresse a la brise pour flairer, au lieu d'interroger le sol. LES CHIENS DE CHASSE D'AKRET. 179 Rien n'est plus rare, de nos jours, que de rencontrer un pointer espaynol de pure race. Les signes distinctifs sont ceux que j'ai signales precedemment. Si ce chien a 1'aspect pataud, commun, peu aristocratique de forme, en revanche il ne court pas, marche et s'avance d'un pas regulier, et convient par con- sequent tout a fait a la chasse de la perdrix, du faisan et des grouses en Angleterre et en Ecosse. Jadis, nos bons ai'eux, qui aimaient a se donner de la peine en chassant, preferaient le pointer espagnol a tout autre chien; mais de nos jours, ou nos modernes sportsmen en prennent a leur aise et laissent a leurs chiens le soin de travailler pour eux exclusivement, ce que Ton demande a un compagnon de chasse, c'est la rapidite, le travail prompt, la quete au petit irot. De la ce gout prononce pour le pointer anylais que Ton a obtenu par des croisements bien entendus entre le fox- hound et le levrier. 11 va saris dire que les etalons et les meres ont ete pris parmi les plus vites de la vieille race. Ce qui distingue le pointer espagnol des autres chiens marqueurs, c'est sa taille, sa corpulence, la grosseur de ses os, 1'epaisseur de ses rnembres, ses pattes larges et deve- loppees, un museau carre, une tete enorme, des oreilles pleines et retornbaiit en avant, a cette difference pres avec celles du fox-hound qu'elles ne sont pas aussi longues. Le deiaut du pointer espaynol, dont j'ai vante les qualites, c'est de se lasser facilemerit, eu egard a sa corpulence : aussi s'essouffle-t-il bientot et traine-t-il les pattes. Trois ou quatre heures de chasse par jour suffisent a ces animaux. Les meilleurs pointers espaynols actuellement sont ceux de Majorque, qui, patients et sages devant les perdreaux, devien- nent ardents et courageux au marais, penetrent dans les joncs, les fourres inextricables, et arrachent au milieu des lamariris 180 HISTOIRE DES HACES DE CHIENS. les poules d'eau et les rales mieux qu'aucun chien an moride. La couleur de la robe des pointers espaynok est lantot eri- tierement rouge, ou rouge et blanche. II y a aussi de ces ani- maux gris, gris et blancs, tout a fait noirs ou bien jaune clair. Naturellement ces races, intactes dans 1'origine, ont produit des melanges. Toutefois les races pures sont celles que jevieris de decrire. II y a egalement eri Portugal une race de pointers qui ri'est qu'urie branche de la famille espagnole. I.E POINTEU AMGLAIa. Le pointer anglais est un chien, d'origine britannique, qui, sans contredit, a ete produit par le croisement des braques et des levriers. Dansl'origine, lespointers anglais avaientlepoil long comiuc les epagneuls. LES CHIENS DE CHASSE D'ARRfiT. 181 Generalement, ces chiens, ires-elegants de formes, hauts sur pattes, different des braques du continent en ceci qu'ils precedent par bonds et par cercles tout autour du maitre qui les conduit a la chasse, et qu'ils arretent le nez an vent el tres- haut. En France, les pointers que nous connaissons, aux robes blanches ornees de taches oranges, ont rec,u des chasseurs la denomination de chiens de Saint -Germain, ou quelque- fois de Compiegne. Us descendent de la race de chiens qui florissait sous Louis XV, telle qu'on la voit representee dans les tableaux d'Oudry, regeneree par Pimportation des pointers anglais faite par le grand veneur de S. M. le roi Charles X, M. de Girardin, qui amena ces bonnes betes d'Arigleterre, en 1820, les presenta a Sa Majeste, qui les accepta avec reconnais- sance et les adopta sur-le-champ. Le souverain, sportsman au supreme degre, commengait a demander du nouveau, afin de varier ses plaisirs. La premiere chasse faite par le roi fut trou- v6e charmante; on se le dit a la cour, et des lors les chiens pointers anglais firent fureur. Tout gentilhomme voulut avoir son chenil pourvu de ces chiens d'outre-Manche. L'anglomanie s'est peu a peu infiltree dans nos moeurs, depuis la Restauralion; si bien qu'avec mille choses ajoutees a notre civilisation franchise, on peut ajouter le gout des pointers d'An- gleterre. L'origine de ces chiens provient sans aucun doute de 1'accou- plement d'un fox-hound (chien a courre le renard) avec des chiennes d'arreH d'Espagne. Avecle perfectionnement cette race a fait souche, et a 1'heure qu'il est elle marque dans la classification des races de I'espece canine. Le physique exige des pointers anglais consiste en une tele de moyenne grosseur, plutnt large qu'allongee; le crane proemi- 182 - HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. nent, un ceil intelligent, plutot petit que gros; un museau carre au-dessus des yeux; des babines arrondies sur la machoire in- ferieure, sans qu'elles pendent trop pour cela. llest important de remarquer Patlache du cou,qui doit etre elegante chez les chiens derace. Lepoil enestdoux, soyeux et epais, al'encontre de celui des autres chiens qui 1'ont rude en cette partie du corps. Le corps du pointer anglais est etire, la croupe large, la poitrine developpee, les cotes arquees; celles du c6te du crou- pion sont generalement fort longues. Quand au fouet, au- trement dit la queue de 1'animal, sa beaute consiste a etre te- nue, osseuse et allongee proportionnellement, se terminant par un piriceau pointu comme Paiguillon d'une abeille. A tout pren- dre, on dirait un nerf de boeuf couvert d'un poil fin. Le fouet ainsi fait est signe de race, tandis que le contraire signale une mesalliance de la mere avec un chien courant ou toutautre chien. Un point important du physique du pointer anglais , c'est la largeur des epaules : sans cette qualite de conformation, un ani- mal est harasse a mi-journee et refuse de chasser davantage ; sans compter qu'il ne peut pas se retourner aussi facilement que ses autres congeneres doues de cette precision de formes qui denote la souplesse. Quant aux pattes, elles doiventetre rierveuses, allongeesjus- qu'au coude qui est generalement court et mince. Les os sont forts, converts d'un tissude muscles et de tendons; etles doigts, s'elargissant sous le poids de'l'animal, reprennent, lorsque le chien souleve la patte, la forme aristocratique de ceux d'un le- vrier. La robe du pointer anglais la plus recherchee est de couleur blanche, car le chasseur aime assez a apercevoir son compa- gnon dans le champ convert d'une toison verdoyante ou le chien semble nager. LES CHIENS DE CHASSE D'ARRET. 185 Les pointers au pelage de couleur fauve, chocolat ou noir, sontgeneralement fort beaux : mais on leur prefere les premiers, par cette raison que fort souvent, lorsqu'ils sont a 1'affut derriere un buisson ou au milieu de hautes luzernes,on ne les aperg oil point facilement. C'est pour cela qu'on prefere le pelage fond blanc mouchete de marron, de noir ou d'orange. Plus il y a de regularite dans les taches de Panimal, plus il est trouve beau. Les amateurs preferent une tete toute blanche, avec les oreilles de la meme couleur, a une tete couverte de taches me"me regulieres. Un pointer avec une etoile sur le front est une bete generale- ment marquee au sceau de la finesse et de la bonte. Quelques pointers de robe noire ou blanche portent souvent sur les yeux une marque rougeatre; et chez les noirs, on re- marque une ligne de meme couleur sur les babines : c'est la Pindice d'un croisernent avec la race fox-hound. II y a cependant des exceptions a cette regie; car deux poin- ters male et femelle, Tun orange strie de blanc, 1'autre blanc strie denoir, s'accouplant ensemble, peuvent produire cette sin- gularite. Le poil du pointer pur-sang est court et soyeux. Cependant si le chasseur frequente les pays ou croissent les ajoncs et les epines, il recherchera de preference un pointer au poil rude, dont les jambes et les pattes sont bien couvertes. Ces chiens-la se trouvent facilement, quoiqu'on ne leur attribue pas une ori- gine pure. L'essentiel c'est que 1'animal ait un vaste poitrail, orne au milieu d'un os saillant, comme la proue d'un navire. C'est la le signe caracteristique d'un pointer anglais de race sans melange. Le braque fran$ais constitue une race tout a lait distincte qui se divise en plusieurs varietes. La plus estimee est la race Dupuy, representee par de grands 184 HIST01RE DES RACES DE CHIENS. chiens au pelage blanc et marron, d'une forme plus legere et plus elanc6e que celle des autres braques franc,ais. Le nom de Dupuy est celui du chasseur qui crea celte race dans le Poitou et Pa en suite transmise a ses confreres en saint Hubert. Les oreilles du braque Dupuy sont petites et plantees haut sur la tete; le poitrail est large, les pattes solides, le museau court et tres-bien proportionne, les levres pendantes et flas- ques, Tceil petit, le front long et droit ; tels sont les signes ca- racteristiques d'un braque de cette espece. La race qu6te au pas, tete haute, evente le gibier a de tres- grandes distances, tant elle a du nez, et arrte aussi ferme que si elle etait changee en pierre. Elle est la seule dont les qua- Iit6s olfactives ne soient point alterees par les chaleurs ca- niculaires. Les chiens Dupuy n'aiment generalement pas 1'eau. Lorsqu'on desire les employer a la chasse au marais, il faut les forcer tres-jeunes a se mouiller les pattes. Le braque (dont le nom a pour origine le verbe braqner, c'est-a-dire tourner) quete habituellement en allant de droite a gauche et vice versa, devant son maitre. Certaines personnes ont eu Pinfamie, il y a quelques annees, d'ecourter et d'essoriller leurs chiens braques. C'etait la mode! Heureusement que cette mode n'a pas eu de suite, et tout a ete dit. Us n'y a plus que les terriers a qui Pon fasse subir ce mar- tyre, en depit de la loi Grammont qui defend de maltraiter les animaux. II est assez difficile de depeindre les proportions que doivent avoir les organes olfactifs pourvus de papilles nerveuses tres- sensibles; neanmoins cette race de chiens, la plus intelligente de 1'espece, a les parietaux s'ecartant et se renflant des leur naissance, au-dessus des temporaux, de telle fagon que le cer- LES CHIENS DE CHASSE D'ARRfiT. 185 veau est plus volumineux et que les sinus frontaux sont plus developpes. Viennent ensuite le braque navarrais, a la robe blanche mouchetee de taches lie de vin et dont les yeux ressemblent a de la porcelaine ; Le braque de Picardie, dont le poll est tantot brun, tantot rougeatre ; Le braque bleu , dont le pelage ressemble fort a celui^des chiens courants de Gascogne ; Le braque sans queue, du Bourbonnais, race trapue, fort grossier d'enveloppe, mais dont les qualites cynegetiques sont remarquables. Quant a leur ecourtement, il est heredi- taire ; Le braque d'Anjou, dont le manteau varie du blanc strie d'o- range au blanc mouchete de gris ; Le braque zain, noir, jaune, niarron , gris, dont quelques specimens ont la paupiere couverte de poil feu ; Lebraque allemand, de formes lourdes et epaisses, manquant de distinction, mais a cela pres tres-bon chasseur; Le braque du Benyale, dont Porigine indoue se perd dans une multitude de meandres de families tres-curieux, a le nez un peu moms epais que le braque ordinaire, les jambes plus hautes, le corps un peu plus svelte. Son pelage est toujours blanc avec de grandes taches de brun marron et de nombreuses mouche- tures d'un brun grisatre. II a, en outre, sur les yeux et mainte fois sur les pattes de devant de petites taches d'un rouge vif. Quant a ses qualites personnelles, elles tiennent tout a fait du braque fran^ais. Son intelligence et son attachement pour son maitre sont excessifs. Ses passions sont tres-\ives, trop vives peut-etre. La seconde espece de chien d'arret est celle que 1'on appelle 186 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. l, originaire de Barbarie ou plutot d'Espagne, comme 1'indique le nom qu'elle porte. La taille de ces chiens est a peu pres la meme que celle du braque, et Pon se plait a admirer leurs longues oreilles dia- phanes, frangees et ondoyantes, leur poll soyeux et tres-long, surlout aux jambes de derriere et en dessous du fouet dont les soies forment panache. Les epagueuls sont d'excellents chiens d'arret, d'une dou- ceur, d'une soumission, d'une fidelite remarquables, et particu- L'EPAGNEUL. lierement d'un riaturel moins turbulent et moins coureur que la plupart des chiens a poil ras. Leur seul defaut est (Fetre fiers, defaut dont la cause est la timidite. J'ajouterai a ce defaut un vice inherent a la race, celui de n'avoir pas Fete la meme finesse d'odorat que Thiver, car la chaleur et la secheresse du sol accablent le chien au bout de quelques heures de chasse et le privent de ses facultes ordinaires. Ce qui n'ernpeche pas que Ye'pagneul convienne a la chasse de toute espece de gibier et surtout a celle du gibier d'eau qu'il arr6te et rapporte a merveille. LES CHIENS DE CHASSE D'ARRET. 187 J'ai parle de la fidelite de repayneul, et comme preuve de cette fidelite, je mentionnerai ici que Fordre de FElephant, conslitue en Danemark par le roi Christian ou Christiern l er , en 1478, fut institue en memoirs d'uri epagneul, nomme ((Wild- brat, qui avait temoigne un grand attachement a son maitre, delaisse par ses courtisans et ses sujets. La devise de cet ordre est encore de nos jours celle-ci : Wildbrat fut fidele. On cite egalement, dans 1'histoire d'Angleterre, 1'histoire d'un epagneul celebre, que je vais consigner en passant. Celui-ci avait nom Meru, et apparteriait a Lodebrock, du sang royal de Danemark, qui fut le pere de Humbar et de Hobba. Pendant une excursion a la iner, le prince fut jete, par la tempete, sur la cote de Norfolk, avec ses faucons et son chien. Surpris par les soldats d'Edmond, roi des Angles de Fest, il fut amene devant ce monarque, sous 1'accusation d'espionnage. Quelle que fut la faute du prince danois, vraie ou fausse, il n'en fut pas moins traite avec courtoisie par Edmond, qui Fad- mit dans son intimite et parut emerveille de ses connaissances en matiere de chasse et de fauconnerie. Cette affection du monarque des Angles excita la jalousie du fauconnier en chef de ce souverain, qui, craignant que Lode- brock ne lui nuisit dans Fesprit de son maitre, le poignarda et cacha son cadavre dans un bois. On ne tarda pas a remar- quer Fabsence de Lodebrock, et le pauvre Meru, qui avait re- trouve les restes inanimes de son maitre et veillait sur eux, decouvrit le meurtre en sautant a la gorge du fauconnier, quand celui-ci passa avec la chasse pres de Fendroit ou gisait le corps du prince danois. Edmond condamna Fassassin a etre abandonne, dans un ba- teau, en pleine mer, et, fait singulier, les flots porterent le fauconnier sanguinaire sur les cotes du Danemark, ou, afin d'eviter la torture, il declara faussement que Lodebrock avait 188 HISTOIRE DES RACES DE CIIIENS. peri par les ordres d'Edmond. Cette nou\elle exaspera les Danois, qui, pour venger la mort du prince, envahirent 1'An- gleterre. La race des epayneuls est divisee en plusieurs varietes. Si grande que soit la difference entre le gigantesque chien de rcnard et le roquet ou le chien de la Havane, elle ne peut etre comparee a celle qui separe Y epagneul des Alpes de ces races lilliputiennes dont quelques individus pesent moins de deux kilos et demi. L'epayneul francais a les oreilles larges, longues, tombantes, terminees par de longs poils soyeux; les jambes assez c'ourtes. La robe est ordinairement de couleur marron, soit uniforme, soit striee de blanc ou de noir. Le greclin est un petit epagneul noir, qui a etc en grande mode sous le roi Louis XV, mais dont 1'espece est tout a fait perdue, ou peu s'en faut. Le pyrame est urie variete du gredin au pelage mouchete de taches de feu. Cette race est moins rare. Un chasseur de la ville d'Apt, dans les Basses-Alpes, M. Gyaliane, possedait, il y a quelques annees, quelques chiens pyrames si petits qu'il les portait dans son carnier, afin de ne les point fatiguer, et de celte facon il les mettait a terre alternativement, 1'un apres Taulre, en les relayant. Les epagneuls anglais ressemblent fort a leurs congeneres de France et du continent. On les divise, par dela la Manche, en deux races : les springers (traqueurs sautant) et les cockers (qui relevent le gibier). Je n'oublierai pas non plus les water spaniels (epagneul de terre et d'eau) et les retrievers (retrou- veurs de gibier), les setters (chiens couchanls), \esclumbers (chiens epagneuls bassets), les Sussex, les welsh, les devonshire, les blenheim, les nor folks et les poodles. L'Epagneul cocker pur-sang, que Ton appelle souvent bien a LES C11IENS DE CHASSE D'ARRET. 189 tort Ic king's charles, etait dans Porigine d'une seule couleur : soit noir, soil brim noir, ou rouge plus ou moiris fonce. D'une petite taille, sans etre cependant aussi mignon que le fciw/V charles, car il n'a que les trois cinquiemes de la taille et de la vigueur du setter (le plus grand des epagneuls anglais) ; il a les formes plus dedicates et les oreilles flexibles, recouvertes de poils soyeux et onduleux ; son nez rouge ou noir cette der- niere couleur est le meilleur signe de race ; sa queue assez courte. Tout contribue a rendre ce chien un des plus elegants de tous ceux que le chasseur emploie aux besoins de ses plaisirs. COCKEP.S AN'OLAl* ET \\EI.CI1ES. Lord Rivers mort depuis quelques annees, qui fut un Nemrod sans rival, possedait une race de cockers, blanc et noir, tres-renommee en Angleterre. 190 HISTOIRE DBS RAGES DE CHIENS. Les king's charles sont des chiens tres-connus, d'une taille exigue, d'uri poll tres-long, tres-soyeux, d'une robe noire, avec soies terminees quelquefois par une pointe blanche ou feu. Cette derniere couleur est toujours placee aux cils des pau- pieres. Les yeux des king's charles sont enormes ; on les com- pare a des boules de lotos. II existe en Angleterre, au sujet des king's charles, uri pre- juge populaire qui tient au caractere religieux de la nation et que mes lecteurs connaitront, je pense, avec plaisir. Un Anglais de mes amis, sportsman emerite, me disait cer- tain jour : - Les cockers king's charles sont des queteurs infatigables, excellents pour penetrer au milieu des ronciers. Nous les ai mons fort en Angleterre, ou tel parmi eux, suivant sa genea- logic, se vend fort cher. Nous ri'avons-qu'un seul reproche a leur faire, mais, malheureusement, ce reproche s'attache a la race entiere . Quel est-il? lui demandai-je. Us sont tristes, reprit gravement mon Anglais, depuis la mort de Charles I er . Superstition naive et touchante a laquelle prete on ne pent mieux la melancolie habituelle des king's charles. Quant au blenheim, souvent appele marlborough, s'il est en France corisidere comme un chien de dame, il passe en An- gleterre pour un chien de chasse, malgre son exiguite, en de- pit de sa faiblesse. La couleur de son pelage est noir strie de feu et de blanc, et quelquefois fond blanc couvcrt de taches blondes. On considere comme une beaute particuliere des oreil- les orange avec la tete pareille, a 1'exception du nez et d'une place qui forme etoile au milieu du crane. L'interieur de la gueule est noir, comme chez les king's charles. J'ai dit plus haut quc Ic blenheim n'etait pas considere en LES CHIKNS DE CHASSE D'AHRET.. 101 France comme un chien de chasse, et cependant madame de Sevigrie, quipossedait un petit blenheim BU\ Rochers, en 1675, disait que c'etait agreable a voir briller et chasser devant soi dans une allee. Le terme briller est reste, parce qu'il etait extremement juste. II fait partie du vocabulaire des chasseurs et est synonyme de queter. On dit d'un chien qui bat bien le bois et la plaine : 11 brillc bien. V KING'S CHARLES ET BLENHEIMS. Les blenheims, difficiles a dresser au rapport, si Ton apporte a leur education des soins et de la perseverance, finissent cependant par obeir au vouloir de leur maitre. Generalement, ils n'aiiuent pas a se mouiller ; mais quelques-uns vont volon- tiers chercher une piece tombee a 1'eau. Avec toutes les appa- rences d'une organisation frele et delicate, ces chiens, tout en 192 HISTOIRE DES RACES DE CI1IENS. exigeant de tres -grands managements, sont d'une vigueur ex- treme. Ingentes animos angusto in corpore versant. S. M. Louis XV aimait beaucoup les blenheims tricolor es, el Oudry, son peintre de chasses, en a represente plusieurs d'une belle espece dans de charmants cadres de la collection du Lou- vre. Le gout de ces charmants animaux en France remonte a Louis XIV, qui tenait la race de la reine d'Angleterre, et qui crea tout expres pour en prendre soin une place de valet de chambre des petits chiens , dont le premier titulaire fut M. Bazire, auteur des Bazire qui ont servi depuis dans des emplois de con- fiance sous LL. MM. Louis XV, Louis XVI, Louis XV11I et Char- les X. Le springer possede un nez d'une finesse sans pareille; son obeissance est passive et ses allures tres-lentes. Quelques-uns de ces chiens ne donnent jamais de coup de gueule a la vue du gibier, tandis que d'aulres ne manquent jamais de Jeter ce signal d'alarme afin de prevenir le chasseur. Tous les epa- gneuls springers avancent avec une precaution mesuree, sur- tout si on les compare aux cockers; ils se lassent tres-facile- ment, et trois ou quatre heures de quete suffisent a leurs forces. Aussi les emploie-t-on rarement dans un pays ou les chasseurs ont a arpenter beaacoup de terrain. Le cocker et le springer sont les chiens que les Anglais pre- ferent (le premier plus que le second cependant) pour chasser les coqs de bruyeres (Browses), par cette raison qu'ils s'eloignent peu de leur maitre, qu'ils barrent et se balancent brillamment au petit galop, a droile et a gauche, et tombent ensuite tout a coup en arret. Le setter anglais differe sous peu de rapports de notre epa- LES CHIENS DE CHASSE D'ARRET. 195 gneul franc,ais ; seulement il a pris en Angleterre divers man- teaux de couleur noire, fauve, blanche ou marron. Les animaux les plus prises sont ceux dont le poil est noir et blanc avec marques de feu aux yeux, au nez et aux fesses. En Irlandc et en Ecosse, les setters sont fort nombreux, car les sportsmen de ces deux pays trouvent que ce sont les meilleurs chiens pour chasser les grouses, les grosses becasses, les becassines el les lapins qui pullulent dans leurs moors, les marais des Lowlands (basses terres) et des Highlands (hautes terres). Le dressage de ces trois especes d'epagneuls prouve jusqu'a quel point Fhomme peut influer sur 1'education de la race ca- nine. On parvient, avec une grande patience, a leur faire chasser les grouses, bieri qu'ils se refusent a manger les os de cet 13 194 HIST'OIRE DES CH1ENS DE CHASSE. oiseau. Ces epagneuls ont surtout un instinct tout particulier pour dejouer les ruses de 1'oiseau et du quadrupede qui fuient devant lui. II est prudent de commericer leur dressage des le quatrieme ou cinquierne mois, et c'est la que git la difficulte, si Ton veut arriver a un heureux resultat. Le clumber spaniel, dont la race a ete longtemps la proprielc exclusive de la famille de Newcastle, est devenu depuis quelque temps une race tres a la mode. Ce sont des chiens de taille allongee et tant soit peu lourds dans leur demarche ; leur taille varie de O m ,55 a O m ,40. Leur tete est large, le museau carre et la couleur de leur peau rosee. Joignez a ce signalement, comme signe particulier, des narines ouvertes, des babines pendantes, de longues oreilles tapissees d'un poil frise, comme le reste du corps; les cotes bien separees, une queue poilue, des epaules carres, des avant-bras tant soit peu arques, des pattes de derrieres tres-elastiques et bien fournies de poil, et vous aurez la description complete d'un dumber, La robe de ces epagneuls, les plus estimes, est d'ordinairc blanc et orange, ou bien marron strie de blanc. Un fait reconnu, c'est que cette race n'aboie jamais a la chasse et au chenil. L'epagneul Sussex ressemble peu au precedent pour la forme, le pelage et merne pour la quete. La seule analogic consisle dans la taille et la forme de la tele. La longueur de son corps n'estplus la memo, et ce qui prouve, - a peu d'exceptions pres 1'aptitude a la chasse de ces ani- maux, c'est la rondeur de leur corps. Le poil d'un Sussex est egalement soyeux el doux au tou- cher, maisilne frise point; il ondule. La lete ri'est pas aussi massive que celle des autres epagneuls dont la description pre- cede; elle est seulement carree dans la partie frontale, etl'ex- pression de la physionornie est grave et pleine d'intelligence. LES ClHEiNS DE CHASSE D'AKKET. 195 KPAGNEULS CMJMBEB. El'AGNEULS SDSSEX. 196 HISTOIRE DES GHIENS DE CHASSE. Les oreilles sont longues et peu fournies de poll ; le museau est plat, et la machoire inferieure plus courte que celle du dessus. Je passe maintenant sans transition a 1'epagneul anglais, destine a la chasse au marais, le water spaniel, qui n'est a pro- prement parler qu'un metis, un batard, issu du croisement du braque et de F epagneul. II differe du braque par des formes moins musculeuses, et de 1'epagneul par son poil long, soyeux et frise sur les oreilles et sur le dos, tandis que la tete, les cuisses et les autres parties du corps sont couverts d'un poil beaucoup plus uni et plus court. En France, les epagneuls d'eau de toute grandeur sont assez repandus ; mais c'est surtout en Angleterre qu'on emploie ces animaux pour la chasse au marais. Certains chasseurs pensent que la couleur du poil est 1'indice d'aptitudes speciales, et attribuent au noir une hardiesse plus grande ; au brun, plus de vigueur a la nage ; au mouchete, plus de flair. G'est la une erreur : 1'education est le seul motcur du chien. L'on distingue un water spaniel d'un autre epagneul destine a chasser seulement en plaine on dans les bois par la largeur du pied, qui est plus grande chez les premiers que chez les der- niers. Le poil est en quelque sorte natte et huileux, ce qui donne a 1 animal une odeur forte et force le maitre a le releguer au chenil, au lieu de lelaisser libre au logis. Un epagneul d'eau pur sang ne refuse jamais d'entrer dans 1'eau en quelque saison que ce soit, la froidure fut-elle sibe- rienne. II nage admirablement pendant plusieurs lieu res, sans trop se lasser, et quand il sort de Felement liquide, on dirait a peine qu'il s'est mouille, tant il a ete preserve du contact de 1'eau par son poil huile. On reconnait un water spaniel au signalement suivant : Tete allongee et pointue, petits yeux, oreilles moyennes, d'une forme LES CHIENS DE CHASSE D'ARRfiT. 197 elegante, recouverte d'un noir natte; poitrine corpulente et de forme gracieuse, flarics rebondis, jambes assez longues, tres- fortes et particulierement musculeuses ; pattes palmees et pro- tegees par du poll. 11 existe, en Irlande, deux especes tfepayneuls d'eau : celle du Nord, tres-chaudement vetue d'un pelage marron strie de I,E WATER SPANIEL. blanc plus ou moins fonce ; celle du Sud, qui est plus ele- gante en frisure, dont la robe est uniformement brune, sans taches, et dont la longueur est d'environ O m ,80. C'est la une race que 1'on appelle Mac Carthy, et qui est fort appreciee dans toute 1'etendue du continent anglais. Le chasseur habitue facilement ces chiens a chasser la nuit, 198 HIST01RE DES CHIENS DE CHASSE. ce qui est fort utile pour les passees aux canards, tin Mac Car- thy de pure race, bien dresse, bien forme, se vend depuis dix livres sterling jusqu'a vingt livres. On a vu des chasseurs enthousiastes payer quarante et cinquante livres une bete de choix. Le retriever (dont le nom signifie retrouveur, rapporteur de la piece de gibier tuee 1 ) est le produit hybride d'un epagneul et d'un terre-neuve. Un des deux parents au moins doit avoir le poil roide, la peau dure et les jambes courtes ; sans compter qu'il est important que les deux betes aient un flair de premier ordre et une grande passion pour la chasse. Ceux qui dressent les retrievers leur enseignent avant tout ceci : de ne prendre leur elan que sur Pordre du maitre, quand il a tire et abattu une piece. Les pointers ne bougent pas; lo retriever seul s'elance dans la direction indiquee et rapporte le gibier qu'il a retrouve dans un parfait etat de conservation. C'est la un point essentiel ; car rien n'est plus hideux qu'un faisan, une perdrix, un lievre ou un lapin souille de bave, on dechiquete. Les retrievers les plus estimes sont de couleur noire bril- lante comme du jais ; leur t6te doit etre de la taille de celle d'un setter, a cette difference pres que les oreilles sont plus courtes et moins fournies de poil. Quant a la forme du corps, elle est generalement plus forte que celle du terre-neuve; les cotes sont plus espacees, le pied moins large. Le poil est frise, 1 La chasse anglaise differe essentiellement de la notre, De 1'autre cote du detroit, un sportsman emerite croirait deroger en n'ayant qu'un seul chien pour tout faire : arreter et rapporter. Nos confreres d'outre-Manche ont done en leur compagnie un ou plusieurs pointers ou setters. Des que le coup de feu est parti, quand la piece est tombee, les chiens d'arret doivent rester immobiles ; le retriever va chercher et apporte a son maitre. Nous autres sportsmen francais, nous trouvons avec certaine raison que cela fait deux domestiques au lieu $im. LES CHIENS DE CHASSE D'ARRET. 1M9 comme je 1'ai dit, sur le dos et sous le ventre; mais les pattes sont fort peu vetues et les allures differentes. Le griffon est originaire du Piemont ; il a le poll long et rude, irregulierement plante et herisse ; ses formes sont saillantes et anguleuses, ses articulations allongees, surtout celles des poi- gnets. Les oreilles sont epaisses et arrondies, les yeux petits, la tete effilee ; et, comme si le courage ou tout au moins les attributs belliqueux devaient se produire exterieurement, il porte des moustaches et une barbiche. En effet, il n'est pas de chien qui affronte mieux que le grif- fon les epines, les ajoncs, les houx, les broussailles et les ro- seaux coupants. La couleur de la robe des griffons varie et offre a la fois un melange de noir, de gris et de blanc, ou bien de fauve et d'orange strie de blanc. Ces deux pelages sont les plus appre- cies des amateurs, qui pensent que ce sont la des signes ca- racteristiques de force et de vigueur. La taille du griffon est moyenne (meme parmi les chiens cou- rants de cette espece, dont un grand nombre de veneurs forment leur equipage), mais on en trouve cependant d'assez haut jam- bes. Tout en etant moins bien forme que le pointer, le braque ou Yepagneul, le griffon n'en est pas moins un animal tres-utile au chasseur et tres-estime des sportsmen. II va a 1'eau cornme un water spaniel, et, eu egard a la nature de son poil taille en brosse, il s'elance au plus fourre des buissons, comme s'il etait cuirasse. Le griffon n'a pas besoin d'ericouragement; rien ne 1'effraye. Comme un sanglier fuyant loin de sa bauge, il passe a travers les forts les plus inextricables sans seulement fermer les yeux. On dirait un grotesque Yankee langant son go-ahead sans sourciller. Le chien griffon de Russie passait en Angleterre, il y a environ 200 HISTOIRE DES CHIENS DE CHASSE. trerite ans, pour le meilleur chien de chasse connu. De nos jours, ces animaux sont tres-rares dans toute 1'etendue de la Grande-Bretagne, et c'est a peine si on en rencontre un, par ci par la, dans le chenil de riches sportsmen. fi GRIFFON DF, P.USSIK. Le signalement d'un griffon de Russie est comme suit : une robe de poll natte qui le couvre des pieds a la tete et le rend tres- vulnerable a la chaleur ; son museau est convert de poils comrnc celui d'un terrier ou d'un chien-courant a cerfs, a cette distinc- tion pres que ce poil est de la laine. Les jambes droites et tres- fermes, propres a la course et au galop, quoique 1'animal les emploie peu d'ordinaire a cet usage. Les pattes sont larges et plates, recouvertes de poil, meme entre les jointures, de telle fac,on que le plus dur labeur ne parvient pas a les endomma- ger. La sagacite de ces chiens est aussi remarquable que leur endurcissement a la fatigue. LES CHIENS DE CHASSE D'ARRET. 201 En France, les griffons des dunes de Boulogne sont renommes a juste titre. On cite encore le bouffe, dont le poll est le plus laineux de la race, et qui porte sur les epaules un epi tres-caracterisque. Quant a la touffe, elle est de couleur de terre de Sienne. Telle est aussi la teinte de la robe, dont le poll a les pointes dorees, d'une couleur plus brillante que celle des cockers, des devonshire ou des irlandais. Les pattes et les oreilles sont tres- fortes et couvertes, a 1'epreuve du froid. Quant a la queue, on dirait un panache. Les chiennes sont d'ordinaire de taille plus petite que les e talons. Les sussex donnent de la voix. Quand ils se trou\ent en arret devant un faisan ou une grouse, on les entend glousser d'une fac,on plus aigue que d'habiludc. Les epagneuls de Norfolk ressemblent, pour 1' aspect general et les proportions, a un setter anglais, tout en etant d'une taille inferieure qui ne depasse pas d'ordinaire 17 ou 18 pouces. La robe est noire et blanche, quelquefois marron et blanc, par grandes plaques de la couleur foncee sur un fond blanc. C'est la une race qui rend de tres-grands services au chasseur ct qui est fort nombreuse dans toute 1'etendue de la Grande- Brelagne. On pretend meme qu'on ne 1'y trouve plus dans toule sa purete, eu egard a des croisements avec les epagneuls dum- ber et sussex, sans compter d'autres melanges peu sortables. L'e'pagneul welsh est une charmante bete qui pese de 7 a 10 kilogrammes; dont la forme est tres-elegante et dont les allures sont brillantes et fort animees. La tete est ronde et le crane elcve. Son museau est plus pointu que celui du springer, les oreilles moins massives, quoique d'une bonne longueur et re- couvertes d'un poil tres-doux; Toail est moyen. Les dispositio-ns de 1'animal pour aller a 1'eau a peu pres nulles. 202 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Get animal tient la queue entre les jambes quand il chasse. Jadis il etait d'usage de couper cet appendice a la moitie envi- ron de sa longueur, le welsh s'ecorchait la queue centre les buissons ; mais a 1'heure qu'il est, on a renonce a cette muti- lation. Ges chiens sont bien converts, et leur vetement est de couleur orange fonce, noire ou marron. On en voit aussi de noir strie de blanc, de blanc et orange, et de blaric cafe au lait. On tient cette race en tres-grande faveur dans le comte de Galles, ou les grouses abondent et ou les chasseurs aiment ce genre de sport. Uepayneul de Devonshire est, a peu de difference pres, le portrait de celui qui precede. La couleur ordinaire de son poil est marron. Le chien canne, autrement dit barbet en frangais, ou poodle en anglais, est revetu d'une laine douce qui Pa souvent fait ap- peler chien-mouton. C'est un animal ramasse, replet, plus dis- gracieux que le griffon, car son corps est court, ses jambes disproportionnees, sa tete ronde et mal attachee sur ses epaules, ses oreilles pendantes et d'une largeur demesuree. En revan- che, ses qualites rappellent le proverbe qui declare qu'il ne faut pas juger sur les apparences. Un excellent flair, une fidelito de... caniche, une intelligence telle qu'on en a vu jouer aux dominos et aux cartes, une activite unique, tels sont les re- marquables instincts du barbet. L'eau est Pelement dans lequel vit cette race de chiens, qui nage avec tant de facilite, qu'avant la mode des terre-neuve, les capitaines de navires embarquaient toujours un barbet avec eux, soit pour aller chercher ce qui tombait par hasard du navire, soit pour rapporter les oiseaux de mer qu'ils luaient pendant la traversee. Par malheur, les barbets exigent de trop grands soins de pro- LES CHIENS DE CHASSE D'ARRET. 205 prete. II faut, si on ne veut pas le$ voir converts de vermine et iomber malades des suites de cette invasion, les peigner fort souvent, les tondre aux pattes, sur le museau, et a la naissance de la queue. Le barbet a eu probablement pour souche Yepayneul de terre et I'epagneul (Veau. Jadis, en Danemark et dans le CHIEN BARBET. Piemont (deux pays qui se disputent Fhonneur d'avoir procree et propage ces animaux) on les employaient a la chasse au ma- rais. Au seizieme siecle, les barbels servaient a chasser les ca- nards, d'ou leur vient le sobriquet de canne, caniche; mais au dix-neuvieme siecle, on a cesse de les utiliser de la sorte ; 1'on se contente d'en faire des chiens savants. 204 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Je citerai pour memoire le chien barbel Munito , qui a fait les delices de nos jeunes annees. En 1829, on exhibait, a Lon- dres, deux barbels qui, assis gravement sur une table, taillaient un ecarte aussi rapidement que deux joueurs de profession. Les tarots etaient etales devant eux, et chacun a son tour touchait la carte a jouer de sa patte droite. Je laisse a mes lecteurs le soin de deviner le precede employe par ceux qui avaient donne a ces chiens cet agreable talent de societe. Quoi qu'il en fuf, cela plaisait fort aux spectateurs. C'est aussi aux barbels que Ton enseigne 1'art choregrapbi- que, et les clowns de nos cirques, les saltimbanqucs de nos places publiques et des foires departementales n'ont affaire qu'avcc ceux de cette race. VIII LES CHIENS LEVRIERS La race des levriers, dont 1'origine est asialique, remonte a la plus haute antiquite, et on trouve la representation de ces chiens, essentiellement destines a la chasse, sur tous les mo- numents hieroglyphiques de 1'Egypte et de Flnde. Le cliien singe (canis simensis), recernment decouvert par M. Ruppell dans les montagnes de 1'Abyssinie, espece a formes tres-elancees et tres-sveltes, a tete longue et fine, est, a tous les points de vue, un veritable levrier; seulement il a les oreilles droites comme 1'ancien levrier egyptien, qui semble le passage du canis simensis aux levriers actuels. Les levriers ne seraient done pas, comme on Pavait cru, des chiens ordinaires tres-modifies par les soins de Fhomme, mais des races ayarit leur origine propre et leur type special conserve jusqu'a ce jour dans ses caracteres principaux. Ces races se sont d'ailleurs melees depuis longtemps avec les races issues des chakals du meme pays, de ceux d'Asie, du 206 HISTOIHE DES RACES DE CHIENS. canis mesomelas, ct peut-etre de quelques autres especes en- core, pour constituer ce qu'on a si longtemps appele la pre- miere espece du genre canis, le canis familiar is. Les levriers a quelques exceptions pres sont prives des qualites olfactives ; ma is, en revanche, leur vue est perc.ante et leur vitesse vertigineuse, aussi n'ont-ils pas grand'peine a re- joindre la proie a la poursuite de laquelle ils sont lances. La robe des levriers est tres-variee en couleurs et en qualite de poil. Les unes ont le pelage long, oridule et soyeux, comme par exemple les levriers de Siberie etdeRussie; les autres, laineux et astrakane comme les animaux du Kurdistan; cerlaines robes sont a peine recouvertes d'un poil fin sur le corps, tandis qu'elles ont les oreilles et la queue tres-garnies, comme chez les levriers d'Ecosse; cerlaines autres sont tout a fait rases, par exemple chez leslevriers de la Grande-Bretagne, ou Ton prend pour 1'eleve et 1'education de ces animaux autant de soin que pour les chevaux de courses, dans le but de rendre la race aussi rapide que possible pour les chasses aux- quelles on 1'emploie. Dans ces courings ainsi que s'appellent ces chasses aux levriers en Angleterre on fait moins d' attention a la prise du lievre, qui fait attribuer le prix au levrier victorieux, qu'a la vitesse et Penergie de Tanimal pendant la course. Nos voisinsd'outre-Manche apprecient moins qu'autrefois, a 1'epoque ou nousvivons, \elevrier qui poursuit le lievre et a recours a la ruse, en coupant au plus court et en profitant des fautes des autres chiens lances avec lui; aussi 1'habitude d'avoir des levriers n'est pas aussi generate parmi les sporting gentlemen, bien que, dans certaines localites, la chasse au lievre a la course soit toujours un exercice des plus attrayanls, pour quelques-uns des debris de la vieille ecole. Avant la loi sur la chasse qui prohibe, en France, Tusage des LES CHIENS LEVRIERS. 207 levriers, on prenait souverit dans le Midi particulierement le deduict d'une chasse avec les chiens de cette race. De nos jours, ce passe-temps n'est plus dans nos moeurs. 11 faut done Iraverser la Manche pour assister a une chasse aux levriers'; avec cette seule difference, comme jel'ai deja dit, que les Anglais aiment plus a voir courir leurs chiens, qu'a leur voir attraper le gibier. Un levrier qui couperait au plus court et profiterait des fautes d'un autre chien serait done repute, par nos confreres de la Grande-Bretagne, comme un mauvais animal et declare tel, quoiqu'il cut pris et tue la bete de meute avant son ou ses camarades. Cette chasse aux levriers^ en Angleterre, est une occasion de se reunir entre voisins et amis pour se procurer une journee de plaisir. Dans la plupart des villes, quelques riches nego- ciants et manufacturiers possedent des levriers. Un certain major Topham a ete celebre chez les Anglais pour ces sortes de joutes, et son levrier Snowball est aussi renomme parmi les chiens de sa race que 1'a ete la jument Blackbess du gentilhomme des grandes routes Dick Turpiri. Les chasses du major Topham avaient lieu dans le comte d'York, a iMalten. De nos jours la chasse aux levriers ou plutot la course aux levriers (the couriny) est dans les bruyeres de la Grande- Bretagne ce que sont les courses de chevaux a Ascott ou a Epsom. Que mes lecteurs en jugent en lisant le reglement que void, qui est celui des courimjs anglais : HEGLEMENT SUR LA CHASSE A LA COURSE 1, Tous les jours a diner les membres presents nommeront deux stewards charges de diriger la chasse et de presider le 208 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. diner les jours suivants. Us regleront les mesures a prendre pour battre le terrain avec Fassentiment du proprietaire ou du fermier du domaine ou devra se faire la chasse. II. Trois ou cinq membres, le secretaire compris, formeront un comite de direction, lequel nommera urie personne pour juger les courses; tous les cas douteux leur seront soumis. III. Toutes courses se feront par ordre, avec une seule cou- ple de levriers. IV. L'heurc ou Ton devra lancer la premiere couple de chieris sera fixee la veille a diner. S'il y a un prix et qu'un seul cliien soit pret a courir, il fournira sa course, et son proprietaire re- cevra le prix. Si aucun chien n'est pret, la course sera reri- voyee au jour que le comite jugera convenable de fixer. Dans un pari, s'il n'y a qu'un seul chien pret a courir, le proprie- taire de ce chien recevra la gageure; si aucun des deux chiens qui doivent courir n'est pret, le pari sera porte le dernier sur la liste. V. Si une personne engage un levrier sous un nom different de celui sous lequel il a paru la derniere fois en public, sans faire connaitre ce changement de nom, elle ne pourra gagner la course et perdra son pari. VI. On n'admettra comme jeune chien aucun levrier, si ce n'est celui qui serait ne depuis l er Janvier de 1'annce qui prece- dera le jour de la course. VII. Tout membre de la societe ou loute personne faisant courir un levrier dans la chasse, ayant un autre chien qui se joindra a la chasse pour laquelle on se sera reuni, payera un souverain d'amende, et si le chien appartient a Tune des per- sonnes ayant fourni les levriers actuellement engages, cette personne aura perdu par ce seul fait. VIII. Le juge setiendra dans une position d'ou il verra les chiens prendre leur elan; il les reconnaitra a leur couleur; il LES C1IIENS LEVRIERS. 209 trarismettra son jugemenl a une personne designee : sa deci- sion sera en dernier ressort. IX. S'il y a des prix a gagner et que le juge pense que la course n'a pas etc assez longue pour lui permettre de decider du merite des chiens, il demandera au comile s'il doit ou non porter son jugement sur la course. Si la reponse est negative, les chiens seront lances de nouveau. X. Le juge ne devra repondre a aucune question qu'a celles qui lui seront adressees par le comite. XL Si un membre fait une observation a portee de 1'ouie du juge au sujet d'une course et pendant la course meme, ou avant que le juge ail porte son jugement, il payera un souverain d'a- rnende pour le fonds commun, et si Tun des chiens lui appar- I tient, il perdra la course. S'il cherche a influencer la decision du juge, 11 payera deux souverains. XII. Lorsqu'une course d'une longueur iixe est si bien dis- putee que le juge ne puisse juger lequel des deux chiens a Fa- vantage, les proprietaires des chiens devront tirer au sort pour decider de la victoire; mais si 1'un d'eux refuse, Ton fera de nouveau courir les chiens quand le comite le jugera conve- nable; mais si 1'un des chiens est retire, le chien gagnant ne sera pas oblige de courir une seconde fois. XIII. Lorsqu'on fait une course pour un pari, lejuge peut declarer qu'il n'y a pas lieu a adjuger le pari. XIV. Si un membre engage plus d'un chien a lui appartenant bona fide, ses chiens ne courront pas en meme temps, s'il est possible de 1'eviter; et si deux levriers appartenant au meme maitre demeurent jusqu'a la derniere course, il peut les laisser courir, ou en retirer un s'il le juge a propos. XVo Lorsque deux chiens engages sont de la meme couleur, le dernier engage doit porter un collier. XVI. Si unlevrier s'arrete dans une course, lorsqu'il aper- 14 210 HiSTOIRE DES RACES DE CHIENS. c.oit un lievre, le proprietaire de ce levrier perdra la course; mais si un levrier tombe de fatigue, et si le juge pense que jusqu'au moment de sa chute il a eu 1'avantage, le juge pourra accorder la vicloire a ce levrier s'il le juge a propos. XVIL Si deux lievres se sont leves, et que les chiens se di- visent avant d'atteindre celui qui doit etre poursuivi, la course demeurera indecise et sera recommencee, lorsque le comite le jugera a propos, a moins que les proprietaries des chiens ne veuillent tirer au sort ou retirer un des chiens; et si les chiens se divisent apres avoir couru quelque temps ensemble, ce sera au comite a decider si la course doit etre jugee jusqu'au mo- ment ou les chiens se sont divises. XVIII. Lorsqu'un chien sera assez inal dresse pour causer du derangement dans la course, elle cessera aussitot. t XIX. Si un membre ou son domestique font passer leur che- val par-dessus le chien de 1'adversaire, lorsqu'il court, de irw- niere a le blesser ou a le gener, le chien qui aura ete ainsi de- tourne sera cense avoir ete victorieux. XX. On engage toutes les societes a nommer un comite de cinq membres, compose des membres de differerits clubs, pour juger toutes les difficultes et tous les cas douteux. Les regies suivantes devront servir de guide aux juges pour etablir leurs decisions. Les traits de merite sonl : La course au lance, et le premier arret ou la saisie du lievre, pourvu que ce soit un bon lance et une course sans division .; Lorsqu'un des chiens fait une feinte contre son compagnori, au milieu de la course, et arrete ou saisit le lievre; Si 1'un des chiens est dans la droite ligne et que 1'autre ne fasse que Tarreter lorsqu'il passe., ce n'est point une bonne feinte ; LES CHIENS LEVRIERS. ail Lorsqu'un chien arrete le lievre qui revient a son gite et garde 1'avance de maniere a pouvoir reprendre haleine, et qu'il donne un second arret au lievre sans perdre 1'avance. Etendre ou tuer le lievre tandis qu'il revient a son gite equi- vaut a un arret du lievre courant dans la meme direction, ou vaut peut-etre mieux, si le chien a deploye plus d'agilite que son compagnon en le faisant. Si un chien atteint la patte du lievre et le fait boiler ou s'abattre, cela equivaut a un arret du lievre courant vers sa retraile. Lorsqu'un chien blesse ou mord deux fois de suite uri lievre sans perdre 1'avance, cela equivaut a un arret. IV. B. II arrive souvenl, lorsqu'un lievre a ete arrete et qu'il court dans le sens oppose a son gite, qu'il tourne de lui-meme, pour gagner du terrain, vers sa retraile, lorsque les deux chiens sont a ses trousses. Dans ce cas, le juge ne pourra ac corder un arret au chien qui se trouvera en tete. Jl y a souvent dans une course d'autres avantages moins im- portants, par exemple lorsqu'un chien montrant une agilite superieure, tourne sur un espace moins large, et court tout le temps avec plus d'ardeur que son adversairc. Alors le juge decidera d'apres ses propres inspirations. Comme mes lecteurs le voient, cette chasse aux levriers est tres-serieuse chez nos confreres anglais. Je passe maintenant a la description des instruments de cette chasse. La course aux levriers florissait deja^ en Angleterre, sous le regne de la reine Elisabeth > qui 1'aimait, et, chose remar- quable, les reglements, dus au due de Norfolk et des cette epoque en vigueur, sont les memes, a quelques modifications pres, qui subsistent encore aujourd'hui. Les races de levriers connues aulrefois etaient peu nom* 212 H1STOIRE DES RACES DE CHIENS. breuses. Du temps de la reine Elisabeth, le due de Norfolk de- crivait ainsi la forme d'un levrier d'un an et demi : II a la tete longue et maigre, le nez effile, sans transition au-dessous des yeux; Foeil grand etvif; les oreilles minces, courtes et repliees sur le derriere de la tete ; le cou long, un peu penche; la poitrine large; les jambes de devant rappro- chees 1'une de Pautre ; les flancs creux ; les cotes serrees ; le dos carre et plat; les filets forts et courts; les hanches bien separees 1'une de 1'autre ; la queue forte ; le pied arrondi et les comblettes solides. Cornme on le voit, au siecle dernier, la bonne conformation du levrier etait deja appreciee, et les genlilshommes de cette epoque veillaienteux-memes a tout ce qui etait relatif au cheiiil. De nos jours, les levrier s sont tombes en oubli, et si Ton en voit encore quelques-uns destines a la chasse, c'est seulement dans le midi de la France, dans la Crau ou dans la Camargue, ou Fusage de ces animaux est sinon permis, du moins tolere. Dans le nord de la France, les levriers ne sont corisideres que comme chiens de luxe. Les levriers se divisent eri deux classes : ceux a poil ras et ceux a long poil. Dans la premiere, je place en tete : Le grey -hound anglais, qui, d'apres la tradition, parait avoir existe eri Angleterre depuisla premiere epoque du peuplernent de cette ile. On trouve le nom de levrier mentiorine dans un vieux proverbe hollaridais et dans une loi edictee par le roi Canut. Suivant Buffon, les premiers levriers eurent pour soucbe un bulldog et un matin. Je conteste, comrne je 1'ai deja fait, cette origine anticreatrice primordiale. Le levrier grey-hound est un type, un specimen d'une race distincte. II n'en faut pas douter. LES CHIENS LEVRIERS. 215 En Angleterre, au temps jadis, il n'y avait que les grands seigneurs qui eussent le droit de posseder des grey-hounds ; a notre epoque, I'exclusivite de ce privilege est tombe en desuetude, et chacun, commerc,ant ou snob, fermier ou idler, a le pouvoir d'entretenir un ou plusieurs le'vriers, si bon lui semble, LEVRTEP. A POIt, HAS. Le nombre des grey-hounds est e\alue a dix-huit ou vingt mille tetes dans toute 1'etendue du royaume anglais. Dans ce nombre cinq ou six mille sont entretenus avec soin pour Tusage des courres publics, le reste est disperse chez un certain 214 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. nombre de proprietaires baronnets ou land owners qui se plai- sent a chasser le lievre a 1'aide de ces quadrupedes rapides. L'etymologie de la qualification gray qui precede le subslan- tif hound (chien de chasse) est explique de trois fac,ons par nos confreres en saint Hubert de laGrande-Bretagne. Selon les uns, gray vient de Padjectif great, grand, haut de taille; selon les autres, il signifie grec (animal \enu de Grece), ou bien encore gris (de la couleur de son poil) . En effet, le grey- hound pur sang a le poil et la peau d'une couleur d'aeier, qui olfre a la vue un chatoiement remarquable et particulier a la race. A mon avis, c'est cette couleur grise, dont I'oi thographe an- glaise eslgrey, qui a fourni le nom aux levriers anglais. Le grey-hound a ete celebre en vers descriptifs, en 1496, dans un poe'me, ecrit parWynkyn deWorde, qui dit de 1'animal de son epoque : The head of a snake, The neck of a drake, A back like a beam, A side like a bream, The tail of a rat, And the foot of a cat *. A vrai dire, la description n'est pas tout a fait exacte, car le serpent a la tete large, plate, et le Levrier a la tete pointue et arrondie. Je n'hesite pas a croire, avec Stonehenge, Youatt et autres auteurs anglais, que le levrier d'autrefois, avant le croisement du bulldog, avait une toute petite tete. Tant mieux pour le levrier de nos jours, car le developpement de la cer- velle donne de la force et du courage. La machoire d'un bel etalon doit etre maigre et plate, les dents chose importante ! 1 La lete d'un serpent, le cou d'un canard, le dos pareila un timon. les cotes d'une breme, la queue d'un rat, la patte d'un chat. LES CHIENS LEVRIERS. 215 tres-blanches et regulieres, bien aiguisees, comme un cou- teau de Sheffield frais emouiu. Joignez a cela un ceil brillant et rond, des oreilles fines, souples et retombant sur le milieu, et vous aurez un levrier parfait,.. de visage. Quand au corps, le cou de canard veut dire un col souple et arrondi, dont la longueur ne doit pas depasser celle de la tete. Le dos d'un timon signifie des reins solides, car il faut que la force reside dans cette partie du corps, comme aussi dans les cotes y compris la poitrine qui doivent etre bien developpees et saillantes. Passons maintenant a la queue de rat. Get appendice ainsi fait n'est pas d'absolue necessite pour la velocite du grey- hound, seulement la mode a consacre sa forme qui est Pin- dice de pure race. Certains amateurs n'ont cependant pas d'objection a un fouet dont la partie inferieure forme un leger panache. Les pattes d'un chat. Voila un point essentiel, car dans leurs courses folios, les grey-hounds ne doivent toucher le sol que de leurs talons, de fagon a proteger leurs ongles, contre les- quelles le moindre coup serai t douloureux. 11 est done essen- tiel, indispensable que la peau qui couvre la patte, le cuir qui sert de semelle soit aussi epais que possible. Le rimeur Wynkyn de Worde a oublie, dans sa poesie, l;i mention du train de derriere, lequel est cependant la partie la plus serieuse a examiner. C'est la que git la force, c'est la que convergent tous les muscles, tous les tendons. Un croupion solide doit etre le point de mire de tout amateur de le- vriers . Quant aux pattes de devant, il les faut longues, fines, ner- veuses et musculaires. J'ai parle du -pelage du grey-hound, qui est d'ordinaire pour 210 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. la plupart du temps de couleur gris ardoise, acier. Cela n'empeche pas qu'on trouve de tres-beaux levriers noirs, fau- ves, mouchetes et blancs, ou bien encore cafe au lait, orange, brun, marron, et souvent rayes de deux ou trois couleurs. Les plus estimes pour la robe, parmi les levriers, sont ceux dont le poll est noir, fauve ou orange. Le bout du museau la truffe rose chez ces deux derniers animaux, est un signe de race. Jadis ces chiens avaient le poll si court sur les joues et les cuisses qu'on aurait pu croire qu'ils etaient peles ou chauves; mais, depuis le melange des races, ces signes pa-rticuliers on! disparu, et le poll est plutot rude que fin. Tant mieux, selon moi, car le chien ainsi pourvu supporte avec plus de courage les intemperies de 1'hiver, la pluie, la neige et le froid. On classait autrefois, en Angleterre, les yrey-hounds de la fa- c,on suivante, eu egard aux types connus : Newmarket, Will- shire, Lancashire, Yorkshire et Ecossais ; en 1867, toutes cc s distinctions n'existent plus. Les families se sont confondues en une seule. Le levrier cVIrlande, le seul dont la race soit encore debout parmi les families dont je \iens de parler, sont de tres-grande taille quelques-uns ont de O m ,70 a O m ,75 de hauteur In couleur de leur poil tres-rude est fauve, et leurs oreilles retombent sur le cou. Cette race est fort rare. A 1'epoque ou les loups foisonnaient dans les deux iles de la Graride-Bretagne, on cultivait la race des levriers crirlantle, car elle seule pouvait coiffer un loup et le porter has. Quelques auteurs mal informes, quoique chasseurs erne- rites, pretendent que les chiens levriers de force ne peuvent point venir a bout d'un loup par eux-m( A ?mes; ils ajoutent qu'on ne les emploie que pour rejoindre 1'animal carnassier, le rete- LES CHIENS LEVRIERS. 217 nir par la patte ou tout autre membre, jusqu'a ce qu'un doguc ou un matin \ienne a leur aide pour abattre le loup. C'est la une erreur tres-grande. Un Irish Deer-hound pcut terrasser son ennemi et le mettre a mort. On cite mille exemples pourun de ce courage feroce. Le levrier sloughi est essentiellement d'origine arabe. A vrai dire, leur famille n'a pas franchi le desert africain. On dirait qu'elle ne se plait que dans ces steppes brulantes et arides, au milieu de ces sables oil se jouent les gazelles et les lievres. La velocite d'un sloughi est proverbiale. II existe un pro- verbe arabe qui dit : Que ta fleche vole aussi vite quo le slou- ghi rapide. Quelques chasseurs m'ont assure qu'un lievre lance dans le desert africain courait au plus pendant trois minutes ou trois minutes et demie, a moins d'accidents de terrain qui favori- saient sa fuite. Le sloughi 1 arabe, qui se trouve dans toute Petendue du nord de 1'Afrique et meme dans les oasis du Sahara, tire son nom de Slougkia, le pays de leur origine. II est de couleur fauve, '< hautde taille; possedeun museau effile, a le front large, les oreilles courtes, lecou musculeux, les membres de la croupe (res-prononces, pas de ventre, les membres sees, les tendons bien detaches, le jarret pres de terre, la face plantaire peu a developpee, seche, les rayons superieurs tres-longs, le palais et la langue noirs, le poil tres-doux. Entre les deux ilions, il doit y avoir place pour quatre doigls ; il faut que le bout de la queue passee sous la cuisse atteigne 1'os de la hanche. Les Arabes appliquent ordinaire- ment cinq raies de feu, a chaque avant-bras, pour consolider les articulations. 1 Voir, pour tous ces details interessants sur le slotighi, le livre remarquable de M. le general Daumas : les Chevaux du Sahara et les Mceurs du Desert. 218 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Les sloughis les plus renommes sont ceux du Sahara, et on les tire destribus Hamyans, Oulad-Sidi-Chickh, Harrar, Arba"a et Oulad-Nayl. On prefere ceux-ci aux sloughis du Tell. Dans le desert africairi, tandis que les chiens de diverses especes sont peu apprecies et confondus dans les rangs des esclaves de la domesticite, le sloughi, au contraire, a Festime, la consideration, la tendresse attentive de son maitrc. Le riche et le pauvre le regardent comme le compagnon de leurs plaisirs chevaleresques et le pourvoyeur de leur besoin le plus imperieux : Palimentation. On comprend des lors les soins que Ton prodigue a une sloughia et la surveillance que 1'on exerce sur les accouplements. Un habitant du Sahara fait souvent vingt-cinq ou trente lieues pour accoupler une belle levrette avec un levrier renomme, c'est-a-dire un animal qui prend la gazelle a la course. Lorsque hasard fatal une sloughia a ete couverte par un chien de garde, on la fait avorter en massant les petits dans son ventre lorsqu'ils sont formes, ou bien on jette ceux-ci aussitot qu'ils ont vu le jour, line mesalliance est souvent fatale a une sloughia. Le maitre, furieux en apprenant que sa b,te favorite s'est souillee au contact d'un chien de berger, la fait immediatement rneltre a mort. Comment, s'ecrie-t-il, toi, une chienne de race, tu te pro- stitues a des roturiers! C'est infdme! Que ton crime meure avec toi ! Lorsque la sloughia a mis bas, on ne perd pas un instant de vue les petits. Les femmes memesleurdonrient quelquefois leur lait, et quand ces animaux sont en age d'etre sevres, tous les voisins, les amis du maitre de 1'animal, le harcelenl pour obtenir de lui un des produits de sa sloughia. Ce n'est (( qu'au bout de sept jours que 1'Arabe fait son choix, et voici comment ce choix est motive. Dans une portee de la sloughia, LES CHIENS LEVRIERS. 219 un des nouveau-nes se tient toujours sur le cU>s des autres. Ce fait est-il du au hasard ou a la vigueur du jeune animal? Afin de s'en assurer, on 1'eloigne de sa place habituelle, et si, pendant sept jours de suite, il y revierit, le maitre fonde sur lui de si grandes esperances qu'il ne le changerait pas pour une negresse. Unprejuge fait considerer comme les meilleurs produits d'une porlee ceux qui naissent le premier, le troi- sieme ou le ciriquieme; les numeros impairs. Les petits sont sevres au bout de quarante jours : on leur u donne encore neanmoins du lait de chevre ou de chamelle, rnele de dattes et de couscoussou. Souvent meme on leur fait teter des chevres. Loi sque les jeunes sloughis ont atteint trois ou quatre mois, on s'occupe de leur education. Les enfants de la tribu cher- client dans leurs trous des gerboises ou des rats appeles boualal et lancent sur eux les petilslevriers. A cinq ou six mois, c'est sur le lievre qu'on les exerce. Apres le lievre, on passe aux jeunes gazelles, plus faciles a atteindrequelesvieilles; ce qui fait qu'apresquelques courses preparatives, le levrier, qui a parfaitement reussi, commence a s'acharner a la poursuite des meres. A un an, 1'education du sloughi est faite ; mais on menage 1'animal et on ne le fait chasser qu'a quinze ou dix-huit mois. Le levrier sloughi sent le gibier, il le suit a la piste, et des qu'il a aperc,u la harde de trente a quarante gazelles, il se met a trembler et a regarder son maitre, qui lui dit : Ah ! fils de juif! tu ne diras pas cette fois que tu ne les a pas vues? Tout en parlant ainsi, 1'Arabe a rafraichi le dos, le ventre et les parties sexuelles du sloughi, qui, dans son impatience, tourne contre son maitre un oeil suppliant. II est libre enfin, il bondit, se dissimule toutefois, se baisse s'il est vu, poursuit sa course oblique, et ce n'est qu'une fois a portee qu'il se lance de toutes 220 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. ses forces et shoisit pour victime le plus beau male du trou- peau. Quand le chasseur depece la gazelle, il donne au sloughi la chair qui avoisine les reins. Si on lui donnait les intestins, il les repousserait dedaigneusement. Un levrier qui, a deux ans, ne sait pas chasser, ne le saura jamais. On dit a ce sujet : Sloughi men bad haouli Ou radjel men bad soumein. (Le levrier apres deux ans et 1'homme apres deux jeunes, S'ils ne valent rien ne donnent aucun espoir.) Le sloughi est intelligent et plein d'amour-propre. S'il n'a pas reussi et qu'on lui fasse des reproches, il est tres-sensiblo ct s'eloigne horiteux, sans reclamer sa part. Un sloughi de race ne mange ni ne boit dans un vase sale ; il refuse le lait dans lequel on a plonge les mains. 11 coucho dans le compartiment de la tente reserve aux hommes, sur des tapis, a cote de son maitre, ou sur son lit meme. 11 es! vetu, garanti du froid par des couvertures, comme le cheval ; on lui sait bon gre d'etre frileux : c'est une preuve de plus qu'il est de race. On prend plaisir a le parer d'ornements, a lui attacher des colliers de coquillages ; on le garantit du mauvais osil en pendant des talismans a son cou. Nourri avec soin, avec recherche meme, pendant la nuit de preference au a jour, le sloughi accompagne son maitre dans ses visites et rec,oit sa part de la cliff a qui lui est offerte. Ce chien aristocratique par excellence sait, par sa propreir, son respect des convenances et la gracieusete de ses manieres, reconnaitre la consideration dont il est 1'objet. II a toujours le soin de creuser un trou pour faire ses excrements qu'il recouvre soigneusement. LES CHIENS LEVRIERS. 221 Au retour du maitre, apres une absence un peu prolon- gee, le sloughi, d'un bond, se precipite sur la selle et le ca- resse. La mort d'un slouyhi est un deuil pour toute la tente. Femmes et enfants le pleurent comme ils le feraient d'une personne de la famille. C'etait quelquefois lui qui suffisait a la nourriture de tous. Le slouyhi male vit vingt ans ; la femelle douze. Le levrier des ties Baleares, qui se retrouve dans le midi de la France, et est le seul tolere, est un joli animal de moyenne laille, au poil rougeatre ou fauve, aux oreilles droites, a la construction un peu massive, mais doue d'un flair tout parti- culier. On les emploie a Majorque et a Minorque, comme aussi dans le sud de la France, pour la chasse aux lapins. II existe, dans Tile de Sardaigne, une charmante espece de levrier que 1'on nomme chien biche, ainsi nominee parce quc ces chiens ont la forme semblable a celle de cet animal aux pieds legers et que leur poil est de la meme couleur. Afm de rendre la ressemblance plus exacte, les proprietaries font comme Alcibiade, et de cette fagon, 1'appendice caudal restant court, la couleur blanche prele a 1'illusioii. Cette race est fort rare. Le levrier de Perse est un tres-elegant animal, aux formes elegantes, a peu pres semblables a celles du levrier tfltalie, c'est-a-dire de proportions delicates. On emploie cet animal, dans 1'empire des Shahs, a courir 1'antilope et le lievre, comme aussi quelquefois pour la chasse des anes sauvages. Lorsque c'est 1'antilope que poursuivent les chasseurs, ils ont soin d'a- voir des relais de distance en distance, dans les passages ordi- naires du gibier, et ils lancent les chiens quand la bete ou la harde est en vue et a portee. La taille des le'vriers tie Perse est de 0"',45 a O m ,50 de hau- 222 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. teur sur 1 metre de longueur. Les oreilles sont pendantes el recouvertes de poll, comme celles d'un epagneul anglais. II en est de meme de la queue. Ce sont les seules parties du corps qui soient velues, le reste originalite naturelle est ras, comme chez les chiens grey-hounds. Quant a la couleur du pelage, elle varie du gris au lauve. On voit pen de ces chiens de Perse stries de couleurs di verses. L'Amerique du Sud possede aussi des levners d'une race tout a fait particuliere, non point par la forme, mais par la robe qui est tigree et mouchetee de noir ou de fauve sur un fond brun clair. C'est dans le Bresil et a Montevideo que Ton trouve les plus beaux animaux de cette race, tres-bonne pour la chasse ct possedant un flair d'une grande finesse. Les charnegues ou charnaigres sont egalement des Levriers matines par 1'accouplement entre les premiers et les chiens courants. Ces chiens metis, originaires d'Espagne et de Portu- gal , offrent les particularites suivantes : taille de O ni ,45 a O m ,50; poil ras, fauve, quelquefois zigzague de couleur foncee; les oreilles pendantes; les pattes solidement construi- tes, la sole du pied charnue et dure ; Tceil intelligent; le nez le meilleur que Ton puisse trouver. On les emploie particulierement dans les pays couverls de broussailles epaisses, dans les landes ou croissent les bruyeres. C'est la qu'on les voit bondir plutot que courir en poursuivant a outrance le gibier. Ces animaux chasserit mieux la nuit que le jour, avec la lumiere leur odorat est moins fin. On trouve centre eux, dans une ordonnance du roi Henri IV, de 1607, une grave accusation, celle de detruire et d'avoir detruit les perdrix etles cailles. On decreta done contre eux une proscrip- tion gerierale, a laquelle quelques tetes echapperent , meme sous Louis XIV, qui les proscrivit a son tour^ preuve que les LKS CHIENS LEVR1ERS. 225 charneyues avaient encore multiplies de son temps. Dans le rnidi de la France, en Crau, pres d'Arles, dans Hie de la Ca- margue, dans tout le Languedoc, on trouve encore quelques charneynes de race pure. Les levriers a long poll, tels que ccux que Ton emploi.e dans les grandes cliasses a courre d'Angleterre et d'Allemagne ont LE DEER HOUND (CHIEN DE CEKF) DE L*ECOSSE. pour type, par excellence, le deer-hound (chieri courant pour cerf), qui est, sans contredit, la plus ancienne espece du Royaume-Uni. De nos jours, a part dans quelque manoir sei- gneurial des Highlands, on rencontre peu de ces admirables chiens si passionnes pour la chasse, si admirablement con- struits pour la course, et si bien doues de courage. 224 HISTOIRE DBS RACES DE CHIEFS. Arrian, qui a decrit les varietes de chiens de son temps, parle de ce levrier, qu'il depeint de fac.on a ne pas laisser douter un instant que ce ne soit la meme espece que celle d'E- cosse. En effet, ce sont les memes formes que celles du levrier a poll ras, la mme expression de visage, la meme taille, a cette exception pres que les muscles du croupion et des jam- bes de derriere sont moins souples. N'importe, les deer-hounds sont de vaillanles betes que Ton ne pourrait pas remplacer, dans les montagnes de TEcosse, par d'autres cliiens de chasse. Generalement parlant, le deer-hound est de plus forte tailk 1 que le grey-hound; il y a certains de ces animaux qui ont de 1U ,70 a O m ,80 de hauteur. Si le deer-hound est le meilleur coureur de toute 1'espece canine, et Tanimal le plus courageux pour la chasse au cerf, en revanche, il est d'une obeissance douteuse. Ce defaut serai I impardonnable, s'il ne joignait a la premiere qualite, celle d'uri tlair si fin qu'il suit une piste froide, sans defaut. Maida, le celebre deer-hound appar tenant au romancier Walter Scott, avait eu pour pere un splendide levrier (jreij- hound dont la lice appartenait a la race blood-hound. Les deer-hounds de 1'Ecosse offrent a la vue des robes de dif- ierentes couleurs, dont les plus ordinaires sont fauves, rou- geatres, striees de noir et de fauve, ou de fauve et de blanc, grises ou noires. Le poil est rude, long et divise eri meches appointees. Vers les joues particulierement le poil est plus dur qu'ailleurs. 11 est bon de remarquer que la race des deer-hounds n'est plus aussi pure qu'elle Tetait il y a deux cents ans. Comme partout la mode a passe par la. Le levrier ecossais, aussi nomrne : chien de loup (wolf- cloy), esl de la meme race que le precedent, avec cette diffe- LES CIIIENS LEVR1ERS. 225 rence qu'il est plus haul sur pattes et plus fort. Cette espece distinctc cependant se remarque par son pelage fauve a poinle teintee de rouge et par ses oreilles retombant en panache. Le Levrier ftAlbariie est un superbe specimen de la race, dont la taillc varie de O m ,70 a O m ,80. Le corps est solide et re- plel; le museau tres-pointu; le poll fin, rni-long, a Pexceptiori I,E LKVRIER Dli GRECK ET de celui qui couvre la queue et qui forme un panache pareil a celui d'un Terre-Neuve. C'est encore un chien employe a la chasse du loup et du san- glier. Les bergers hellenes se servent aussi du leorier en ques- tion pour la garde des troupeaux, c'est-a-dire pour la defense des brebis si souverit altaquees par les carnassicrs. 22ti HIST01RE DBS RACES DE CHIENS. Le levrier de Grece differe du yrey-hound anglais par la taille et par la longueur du poll, qui est d'environ O lll ,3 a O m ,4 sur le corps, et de O m ,25 a O m ,30 a la queue. Du temps de Xenophori, le levrier existait a Athenes, et cet auteur en a parle dans ses ouvrages. Le levrier de Tartarie, comme les anirnaux deja decrits, est une bete de haute taille, d'une force et d'une ferocile sans pa- reilles. Leur intelligence est loute particuliere et leur flair d'une subtilite remarquable. Les Tartares Mongols possedent des animaux dont la race est perpetuee avec un soin pareil a celui que Ton met a obtenir de beaux produits de la race che- valine. On trouve dans plusieurs relations de voyage le recit de chasses faites dans la Tartarie, a 1'aide de ces animaux a poil long et rude, qui captivenl le lecteur et lui donnent le desir d'assister, imjour dans sa vie, a ces drames cynegetiques donl nous n'avons qu'une faible idee en Europe. Les levrier s de Russie out la celebrite de chiens doues d'un nez tres-fin, d'un pied rapide, d'une force suffisante. Les grands seigneurs du pays entretiennent de nombreuses meutes de ces chiens pour guerroyer centre les loups et les ours, hotes des forets de la Russie, comme aussi, joignant Futile a 1'a- greable, pour forcer un cerf ou courir un lievre. C'est sur- tout pour ces dernier s combats que les levrier s russes sont recherches, car leur courage n'est pas a Tepreuve des dents du loup ou de Tours. La taille d'un levrier russe varie de O m ,60 a O ni ,65. II porte les oreilles droites, retombant de quel- ques lignes a la pointe ; ses jambes sont longues, tandis que sa croupe est faible et ses cotes renfoncees. La robe fournie d'uh poil epais, quoique court comparative- ment, a I'exception de celui qui couvre Pappendice caudal, le- LES CHIENS LEVR1EH 227 quel est tout frise en spirale, est de couleur brim fonce ou gris d'acier. Les levriers de Circassie appartiennent a la race de ceux de Perse, avec cette difference que leur ferocite est proverbiale, et que leur fac.on de chasser procure aux Europeens des emo- tions fortes et tres-repulsives. Cette double race s'enivre de sang, et montre une rage et un acharnement incroyable sur 1'ennemi tombe par terre. Quelques recits de journaux accusent les levriers circassiens d'avoir devore des Russes pendant les guerres 4 e Schamyl. Cela se pourrait bien, mais ne vaut-il pas mieux se refuser a croire cet horrible recit? La race des levriers du Kurdistan, ou du Taurus, differe de celle des levriers d'lrlande en ce qu'ils sont moins grands, plus fins et mieux decouples pour la course. Us ont, en outre, Ic poil long et fourre; la queue et les oreilles abondamment fournies de soies longues et fines, ce qui n'existe pas chez les levriers d'lrlande, tous a poil ras. Ces chiens sont doues d'une incroyable vitesse. On les conduit a la chasse aux ga- zelles aceouples par paires, de fac,on a pouvoir les lacher des que le gibier est a portee. Les chasseurs, tous a cheval, en assez grand nombre, une fois arrives sur le terrain, se placent sur une seule ligne pour battre la plaine au pied des montagnes. On envoie ordinaire- ment d'avance, sur plusieurs points, des relais de levriers, accompagnes de quelques cavaliers, afm de refouler les ga- zelles si elles tentaient de quitter la plaine pour gagner la montagne. Des qu'on a aperc.u ces ravissantes chevrettes du desert, les chiens sont lances et les cavaliers suivent. Gazelles, levriers, chevaux, emportes comme dansuntourbillonrapide,parcourent d'enormes distances en quelques moments, franchissant tous 228 1IISTOIRE DES RACES 1)E CHIKNS. les obstacles qui se presentent. Les levriers gagnent bientot de vilesse : la gazelle haletante perd peu a peu see forces. D'ordi- naire, au bout de cinq minutes elle est forcee et entouree par les chiens et les cavaliers. Cette chasse est d'un immense interet. IX LES CHIENS DE LUXE Les chiens de luxe, ou chiens d'appartement, appartiennent lout simplement aux differentes races (dont ils sont les por- traits en miniature), avec certaines hideurs cependant tres- appreciees des vrais amateurs, de cesespeces rabougries, Ires a la mode, c'est-a-dire patronees par cette sotte deesse qui marche de concert avec la fantaisie. Or la mode a donne une place si importante a ces animaux dans nos maisons, dans nos gynecees meme, que Tori doit compter avec eux. Compter est le mot pr.opre en cette circonstance, car enfin il n'y a pas de chien de ce genre qui ne se vende lorsqu'il est beau aussi cher qu'une bete utile. Du reste, la classification des chiens de luxe n'est pas longue a enregistrer : efle se compose des especes connues, en tete desquelles je placerai : La levrette italienne ou espaynole, dont les formes sveltes, les allures legeres, les pattes fines, le poil soyeux, la physio- 250 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. nomie ahurie, sont generalement Ires-admires par les dames de haute et de petite volee. Le museau de cette race de chiens, noir ou gris fence, n'est generalement pas aussi allonge que celui de la grande espece; mais les yeux ont 1'orbite plus large, le crane est plus bombe. La queue, fort tenue, doit etre un nerf couvert de peau, presque sans poil. Afm d'etre elegante, il faut qu'elle soit a peine recourbee, tandis que si elle est arrondie de facon a for- mer un 0, elle n'est point appreciee et gate la physionomie du chien. La couleur de poil la plus appreciee est celle d'un fauve dore, puis celle de tourterelle. Vient ensuite, dans 1'apprecia- tion des amateurs, la robe cafe au lait ou gris de souris, et bleu ardoise. Les levriers les plus apprecies sont ceux uniformes de cou- leur, sans aucune tache blanche. TJne etoile, meme tres-regu- liere, placee sur le front ou ailleurs, est consideree par les vrais amateurs comme une irregularite, un defaut de de- cheance. Tin levrier de salon ne doit pas peser plus de six a huit li- vres. Par rnalheur les betes de ce poids pechent par la syme- trie. Or, il ne faut pas croire qu'un chien levrier un peu plus lourd, mais tres-bien proportionne, soit un animal a dedai- gner. Cependant un levrier pesant plus de douze livres ne peut pas passer pour un italien ou un espagnol pur sang. Les levriers italiens noir de jais, dans les memes propor- tions, les memes formes que les precedents, passent pour les plus rares et sont par consequent tres-recherches. Stonehenge, dans son ouvrage sur le chien, cite deux specimens de cette race, Billy (le male) et Mimie { la femelle) , ayant appartenu a M, Gowan, qui ont ete consideres, de 1851 a 1860, comme le LES CHIENS DE LUXE. 231 nec plus ultra de I'elegance dans ce genus de chien a la mode. Les descendants de ees deux animaux font prime sur tous les marches anglais. Les levriers de Grece ou de Syrie sont une race tres-delicate, presque identique a celle d'ltalie et d'Espagne. Le poil est ge- neralemerit d'un fauve clair, cafe au lail ou gris defer. Le chien nn de la Chine compte egalement parmi les levriers d'appartement. Son originalite provient de 1'absenee totale de poil sur le corps, a 1'exception du dessus de la tele, de la nu- que, des oreilles qui sont converts de longues soies raides, noires et blanches, et le bout de la queue orne d'un pinceau de crin de meme couleur. Originates de Chine, ces chiens ont etc introduits dans 1'A- merique du Sud par ces coolies venus du Celeste Empire, afm de travailler au lieu et place des negres, et on en trouve un fort grand nombre dans le Perou. Grace a de nombreux croisements, les amateurs sont parve- nus a rendre plus doux le poil place aux endroits dont j'ai parle, mais le corps des nouveau-nes est toujours reste sans vete- ment de fourrure. II va sans dire que ces chiens sont prodi- gieusement frileux . On trouve egalement ces chiens au Mexique. Le chien turc, autrement dit le chien de Barbarie, a le crane developpe, le museau pointu, les oreilles assez larges, hori- zontales; les memhres greles; la peau presque entitlement nue, noire, ou couleur de chair, ou a laches brunes ; sa queue est relevee et recourbee; sa taille ne depasse pas celle d'un grand roquet. 11 est originaire d'Amerique, ou le trouverent Christophe Colomb et les Francois qui aborderent les premiers a la Martinique et a la Guadeloupe, en 1655. II est encore tres- commun a Payta, dans le Perou. On l'a dit d'abord de Turquie, puis ensuite de la Barbaric et de FAfrique. 252 1IISTOIRE DliS RACES DE CHIENS. Le chien lure a c rimer e ne differe du precedent que par sa faille plus grande, et par une sorte de criniere etroite de polls longs et rudes qui commence sur le sommet de la tele et s'e- tend en bande etroite jusqu'a la riaissance de la queue. II est metis du chien tnrc et d'un epayneul, ou d'une autre variete a longue soie. Dans la race des epaynenls, il y a de tout petits chiens qui, de tout temps, ont passe pour des betes de luxe, dignes d'etre choyees et fetees. Avant 1'introduction des chiens de la Havane en France et en Europe, les plus estimes de tous ces epagneuls miniscules etaient les king's charles, ainsi appeles comme je 1'ai dcja dit a la page 190 du nom de ce roi malheureux Charles II d'Angle- terre, qui les mit en vogue et en legua la race aux dues de Nor- folk, qui les ont conserves depuis lors dans toute leur purete. Les kinys diaries, malgre leur air trisle, sont aimables au logis, qu'ils meublent par leur elegance, leur coquetterie, qu'ils animent par une gaiete prevenante, qui plus est leur vi- gilance garde la maison, en meme temps que leur presence la pare etlui donne unair comme il faut, un certain parfum d'aris- locratie, car Teclat de ces jolis chiens, le lustre de leur robe soyeuse, les font ressembler a autant de petits pages en livree, faisant un service d'honneur aux portes, dans les salons ou ils onl le privilege d'etre admis. M. le prince Paul de Wurtemberg possedait une paire admi- rable de ces chiens, en 1842, et M. de Machedo, noble porlu- gais, qui a ete le lion de Paris par ses excentricites hippiques ot autres, avait egalement chez lui une race des plus pures'de kings-Charles ^ vrais portraits deceux peints par Van Dyck dans le portrait en pied de Charles T r d'Anglelerre. La description du kings -charles minuscule est celle-ci : un museau court, un nez uri peu releve, la Uite presque ronde, un LES C1UENS DE LUXE. 235 oeilsaillant presque hors de son orbite, tant il est gros et dis- proportionne, les oreilles tombantes jusqu'a terre et revetues de longues soies frisees, ondulees, d'une extreme tenuite. Les pattes de devant et de derriere sont, elles- memes, r'ecouvertes de ce meme poll. La couleur de la robe est invariablement noire avec des mar- ques de feu aux yeux, aux pattes et a la poi trine. La variete de Mngs-charles a la robe blanche et noire est un peu plus grosse, mais elle est moinsestimee par les amateurs. line particularity de ces chiens, c'est d'avoir 1'habitude de laisser pendre leur langue hors de leur gueule. Les epagneuls blenheim deluxe, dont j'ai parle au chap. VI, ont, a peu de distinction pres, les memes formes que \e king's- charles. On les distingue par la couleur de leur poil, qui est fond blanc, mouchete de taches orange d'une nuance foncee, et la gueule a 1'interieur noir. C'est au due de Marlborough que Ton doit la naissance de cette race de chiens lilliputiens. Elle eut lieu dans son chateau de Blenheim, pres Woodstock (Oxford- shire), ainsi nomme par le vainqueur de Bou filers, de Vil- lars, de Villeroi et de Tallard, en souvenir de sa victoire de Schlemberg et de Blenheim. Du nom du chateau, les chiens de Marlborough prirent le leur qui a passe et passera a la pos- terite. Quelques-uns de ces chiens de salon ont un nez excellent et rhassent admirablement le faisan et lelapin. II est a regretter qu'on ait dedaigne cette race ; pour la chasse, elle eut rendu de Ires-grands services ; mais, denos jours, on vit vite et on veut lout faire dela meme facon. Le chien epagneul ckinois, tres-estime dans 1'Empire celeste par les belles dames de Canton, de Hong-Kong, de Peking et mitres villes,estremarquablepar sa forme allongee, la brievete des pattes et le museau court, la queue tres-recourbee sur le 254 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. dos, de fac,on a former PO. La couleur du poil est d'un blanc orange. II est nne autre espece dont la robe est noire et striee de blanc. Comme les kiny's-charles , ces chiens ont aussi la langue pendante. Les caniches, que Ton nomme aussi bichons, constituent une race de chiens de luxe a poil laineux ou soyeux, ayant les oreilles longues et pendantes, les jambes courtes , le corps trapu, le museau epais, un peu allonge, le pelage de couleur noir ou blanc ou mele de ces deux couleurs. Le bichon de la Hollande a le pas sur toutes les especes de son genre, et il tient la corde de la mode, car on raflollede sa toison blanche, semblable a du coton sortant de sa gousse. Par malheur, les chiens amenes en Europe ne peuvent pas y vivre longtemps, eu egard a Pinclemence de la temperature. Le chien bichon du Pe'rou, dont la forme est tout a fait pa- reille a celle du precedent, a la toison moins epaisse, moins soyeuse et moins frisee. Le bichon de Malte, un des plus jolis chiens de tous ceux qui ont pris place dans nos appartements et au coin de notre foyer domestique, est le plus ancien de ces races minuscules qui ont vecu dans la faveur de nos ancetres. L'historienStrabon dit quelque part: II existe une ville de Sicile, Melita, d'ou 1'on exporte des chiens nains admirablement beaux et fort bien proportionnes, que Ton appelle Canes Me- litei. Autrefois, si les dames romaines et grecques choyaient fort les chiens de Melita (d'ou 1'on a fait le nom de chiens deMalte) de nos jours nos princesses, nos douairieres ont abandonne la pauvre bete qui est, generalement, aussi attachee a son maitre qu'elle est hargneuse a Petranger. LES CHIENS DE LUXE. 235 Le bichon de Malte a le corps long, la tte ronde, les oreilles . tombantes ; ses soies sont d'une couleur jaunatre sale auxpattes et aux oreilles, mais le poll qui couvre le corps est blanc. Comme les chiens de cette race, son panache est tout a fait con- tourne en spirale, 1'extremite revenant au-dessus de la nais- sance de la queue. Les chiens des lies Baleares et les chiens Mchons crAutriche ont le poil laineux du caniche, frise en petites boucles, et leur queue est egalement recourbee sur ledos. Le Men lion, dont 1'origine est due au croisement d'un Men turc et d'un Men de Make, est la copie, en forme de nain, du roi du desert. Sa tete, son cou, ses epaules et ses jambes de devant, jusqu'aux pattes, sont reconverts d'un poil rougeatre, tandis que tout le reste du corps, a 1'exception de Fextremite de la queue ou se trouve un bouquet de poils, est nu etrase. C'est une espece deveriue rare aujourd'hui. En depit des classifications des professeurs d'histoire natu- rclle, je place ici le Men loup (une variete du loulou), un petit animal de la taille d'un renard lout au plus, doue d'une grande intelligence. Un museau efiile, des oreilles droites, la queue horizontale ou relevee, enroulee en dedans ; le poil mi-long, soyeux sans elre frise, d'un blanc jaunatre, mais rarement gris noir ou jaune, tel est le signalement d'un loulon. La grande qualite de ces chiens, c'est d'etre tres-attaches a leurs maitres et d'avoir un courage qui surpasse ses forces. L'alco ou techichi, qui nous vient de 1'Amerique, est de la laille du bichon et possede une te"te d'une petitesse exception- nelle. Son dos est arque, son corps tres-trapu, sa queue est courte et pendante, sa robe longue, jaunatre et blanche a la queue. Dans le nombre des chiens de luxe, ii ne faut pas oublier les terriers de taille naine, pesant a peine quatre livres, qui sont 23f) IIISTOIRE DES RACES DE CHIENS. le vrai portrait diminutif de lews congeneres des grandes races. La couleur de leur robe varie du blanc, jaune, noir et feu. G'est de ces deux dernieres teintes que sont marques les toij terriers des Anglais, aveclesquels on fait la chasse aux rats, et qui sont tres-habiles chasseurs des rongeurs ennemis de 1'homme et de ses provisions. Les toy terriers, lorsqu'ils sont de pure race, doivent etre completement noir et feu , sans autre couleur. Le poil sous le ventre et sur la poitrine est absent. Place maintenant aux carlins et aux roquets. Le premier, autrefois tres-commun en France, en Hollande et en Allemagne, est a peu pres introuvable sur le continent. On ne le trouve a 1'etat pur sang qu'en Angleterre. Le carlin Mopse ou puy dog, tel est son nom en anglais, est im diminutif, une miniature du bouledogue, possesseur d'une tete ronde. Saface sans museau est noire jusqu'aux yeux, sem- blable a celle de Carlino qui jouait Farlequin a Rome, et c'est de la quelui est venu le nom de carlin, en souvenir du masque noir de ce personnage theatral. La queue du carlin est recourbee en trompette, ses jambes sont courtes, son corps trapu et son pelage d'un jaune fauve. Ce chien de luxe est criard, sans in- telligence ni attachement. 11 a en outre le defaut d'avoir 1'ha- leine forte et une odeur tres-desagreable. Le chien rf' Alicante a les memes formes que le carlin, c'est- a-clire le museau court du bouledoyue, tandis que son corps est entierement recouvert d'un poil frise comme celui de Ye'pagneul d'eau. On le croit issu de ces deux varietes. Voici le roquet, un autre chien a peu pres mythe, qui a les yeux gros, la tete ronde, le front bombe, les oreilles petites, a demi pendantes; la queue redressee, les jambes petites, le pelage ras, noir et blanc. II est je dirai presque, il etait LES CHIENS DE LUXE. 257 petit, mais courageux, hargneux, attache a son maitre et tres- fidele. II existe encore un carl-in, un roquet, comme bon semblera a mes lecleurs, qui s'appelle le chien d'Irlande, et a une grande analogic avecle carhn, a celte seulc difference qu'il est de taille superieure. Telles sont le races de chiens de luxe ou d'appartement con- nues etvivantes. Nos contemporains les dames surtout ont une grande passion pour tous ces animaux et on a pu s'cn convaincre aux deux expositions qui ont eu lieu en 1865, et!865. Jusqu'ou va cette amitie? on en a eu de curieux exemples sous les tentes reservees aux chiens deluxe et d'appartemerit. II y avait la des betes souvent tres-mediocres qui reposaient dans des berceaux de satin enguirlandes de ruches et de dentelles ; il y en avait qui ne mangeaierit et ne buvaient que dans de la vaisselle d'argent ; le compartiment d'un de ces chiens etait uri vrai cabinet de toilette, et Ton y trouvait les brosses, les peignes, les eponges, leshouppes, les parfums,les boites mysterieuses, necessaires a une bete a la mode. Chacun a pu voir, comme moi, un petit animal, gros comrni 1 le poing et d'une incontestable hideur, qui reposait douillette- ment sur un oreiller et qu'on avait enveloppe dans un vrai ca- chemire de Tlnde. Celui-ci buvait du lait chaud dans une soucoupe d'argent ; celui-la mangeait un biscuit dans un bol en porcelaine. Un affreux petit Mchon, dont on ne voyait pas les yeux, etait estime deux mille cinq cents francs. On n'a YU, comme specimen de la race carline, qu'une paire de ces animaux a Fexposition de 1865, et si cette race n'estpas eteinte, comme on Favait dit, elle est bien pres de s'eteindre. Le proprietaire de ces carlins males cherchait depuis trois ans dans loute 1'Europe une carline qu'il netrouva pas. 238 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Saluons le dernier carlin ! Puisse-t-il, a defaut de posterite, avoir son historien, comme le dernier des Mohicans ! Je ne puis terminer ce chapitre sans faire ici mention d'une fantaisie de la mode qtii a ete decouverte par un de mes con- freres, M. E. Chapus. Depuis quelque temps, ecrivait-il dans un journal de Paris, on voit, dans les voitures qui se promenent au bois de Boulogne et paftois sur le sable des allees, des petits chiens de luxe, des king's- diaries, des caniches de la Havane, des bouledogues de la petite espece dont le poii naiurel est remplace par un poil de pure fantaisie du a la ieinture et qui comporte une tres-grande variete de teintes : c'est 1'art de la toilette et du maquillage applique aux animaux domestiques. Cet art n'est pas absolu- ment nouveau. 11 y a trente aris environ, d'apres ce que nous rapportent les chroniqueurs du temps, un savant fit grand bruit en appliquarit aux animaux vivants le precede de coloration employe pour le bois des arbres. II injectait les veines d'uri quadrupedequelconque de la con- leur demandee, et procurait ainsi, sans le moiridre effort, un pore bleu de ciel, un veau lilas, un chien vert pornme, un anon prune de monsieur, un mouton jaune safran, un agneau rouge^ etc. II attestaitunefois deplus cette grande verite, que rien n'est nouveau sous le soleii, Mais le precede dont on use aujourd'hui pour obtenir ces bizarres metamorphoses n'est plus celui qu'employait le savant en question. 11 infusait la couleur; maintenant on la commu- nique a 1'aide de la teinture; on teint le poil des animaux comme on est parvenu a le dorer. Onsesouvient qu'un homme, dont la rapide fortune fit beau- coup parler de lui il y a quinze ans, avait eu la fastueuse idee de tout convertir en or chez lui. Cette manie s'etenditjusqu'au LES CHIENS DE LUXE. 239 petit chien i'avori de sa femme, dont les longues soies parurerit un jour dans ses salons rulilantes d'or, de meme que les cotes rugueusesd'un certain nombre de melons qu'il avait fait servir quelques jours auparavant dans un diner d'apparat. II y a des dames qui raffolent de cette mode de coloration artificielle du poil des chiens, a 1'aide de laquelle leurs petits favoris peuvent devenir des multiples d'eux-memes, un jour verts, un jour bleus, un autre violets, sans que, pour cela, clles soient dans la necessite de partager leur tendresse entrc plusieurs. Cette coloration, paraitrait-il, est tres-favorable a la sante des animaux, en ce qu'elle est essentiellement insecticide ; mais le cote le plus curieux de Pinvention, le void : il a ete observe que le naturel des chiens subit des influences, en raison de la nuance qui leur est donnee. Leur instinct en est diversement affecte. 11s deviennent timides, hargneux, intelligents, doux, stupides, poltrons, mordeurs ou jappeurs, selon la couleur qu'ils regoivent. Deja cet etrange phenomene, dont les physiologisles n'ont pas encore le mot, avait ete observe sur le bichon du financier dont nous venons de parler. Le jour ou ce petit animal etait fraichement dore, il ctait intraitable ; il passait fier a cote des plus familiers delamaison, riejouantpasavec les autres chiens qu'il semblait dedaigner, et ne revenait a son charmant petit instinct tres-caressant que peu a peu et a mesure que son poil se dedorait, c'est-a-dire qu'il perdait son or. La teinture en rouge rend les chiens tres-difficiles. Le vert ou le rose parait les egayer, c'est ainsi qu'on avait toilette, decore deux chiens que nous voyions prendre leurs ebats, Fautre jour, aux abords du premier lac du bois de Boulogne. Us etaient comme ivres de joie, et tout petits qu'ils etaierit, ils faisaient des bonds de levriers d'Ecosse* La couleur chocolat 240 H1STOIRE DES RACES DE CH1ENS. les attriste et le bleu les rend mediants en les rendant rna- ladcs. Gette couleur est laxative outre mesure. Avis aux dames qui possedent des bichons tendrement ai- mes et qui seraient tentees d'essayer sur eux les efl'ets de cette coloration artificielle dont la mode semble vouloir se genera- lise! 1 . J'oublie, a dessein, les chiens issus de pere et mere incon- nus, qu'il est impossible de classer d'aucune fac,on, et que Ton Irouve sur son passage, dans les rues et les eampagnes. Ces animaux sont les desh&rites de 1'espece canine, el sou vent on rencontre de tres-jolis specimens dans leur nombre. C'est a la sagacite de mes lecteurs de trouver la place qui leur corivient pa rrri i les especes deja decrites. X LES EXPOSITIONS DE CHIENS Les expositions de chiens sont d'origine anglaise. Les pre- mieres se sorit bornees a des speculations de marchands qui exhibaient, le soir, dans quelque taverne obscure et enfumee d'un quartier rnal fame, ou sous quelque hangar aux etais a peine reconverts d'une bache et Peclairage consistaril en une douzaine de chandelles fumeuses, des terriers, des king's-char- les, des bull-doys, lesquels trouvaient pour admirateurs des do- mestiques et des cochers, pour acheteurs des Sportsmen attires en cet endroit non-seulement dans le but de se procurer un animal convoite, mais encore avec 1'intention de se divertir et d'avoir le plus de fun possible, le tout arrose de gin et de brandy. La premiere grande exposition de chiens que Ton cite en Angleterre eut lieu a Birmingham en 1860, par les soins de MM. Carts wright etRiley qui avait offer t a la curiosite publique environ deux cent cinquante specimens. En 1861, a Leed, le 16 242 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. North-British hog's exabitiou, patrone par les lords du comte et de tous les comtes environnants, au nombre desquels mar- quaient les comtes de Derby, Grey, Grosvenor, Ripon, lord Nevel, lord Paget, le due de Northumberland, le due de Car- lisle, etc., etc., depassa tout ce qu'on avait fait jusqu'alors et peut-etre ce que Ton fera de 1'autre cote de la Manche. A lameme epoque, au mois de mai, un M. Barret, directeur d'un etablissement particulier destine a la vente des chevaux, comme le Tattersaal de cette ville et celui deParis, organisait chez lui une exposition de chiens qui eut egalement un grand succes. Cela 1'engagea a renouveler 1'annee suivante cette heureuse tentative qui est devenue, a 1'heure qu'ilest, un des besoinsde la vie des sportsmen a Londres et en Angleterre comme le sont les courses et les cok's fights. L'etablissement de M. Barrett dans Holborn-street a donne son nom a Tetablissement dont il s'agitqui est appele : Holborn horse repository, et c'est la que, le 20 mai de 1'annee 1865, fu- rent exhibes au public amateur et aux curieux 345 specimens divises en 55 classes, mais qui ne faisaient partie que de chiens de luxe, de chiens de garde et de petit sport. J'ajouterai cependant que les retrievers anglais, ces celebres epagneuls qui chassent a 1'eau d'une maniere si remarquable, et les blood-hounds destines a la chasse a courre etaient representes par des sujets d'une beaute sans pareille. Outre les chiens de chasse on trouvait chez M. Barrett des dandy s dynmont, race de terrier tres-rare, des terriers noirs, mouchetes de feu, des carlins dont le prix est toujours tres- eleve eu egard a leur hideur, sans doute des chiens chi- nois, ramenes du palais de Yung-Ming- Yeng ; des chiens tar- tares pris sur les rives de FAmour ; des chiens esquimaux, des levriers danois, issus de la race de ceux dont le roi Alfred fit LES EXPOSITIONS DE CHIENS 245 usage en Irlande pour exterminer les loups et les sangliers qui desolaient File de Saint-Patrick ; des terre-neuve geants, des chiens maltais; des levrettes, des chiens dePomeranie blenheim ; des matins anglais, des levriers australiens, etc., etc. Pendant les hull jours que dura Pexhibition de M. Barrett, plus de 45,000 visiteurs se rendirent a Holborn horse repository, et la recette fut tres confortable. L'annee suivante, le 24 juin, un commerc,ant de Leeds, M. Th. Dawkins Appleby, aide par un comite preside par leduc de Beaufort, ouvrit dans la grande salle de la Royal agriculture society, a Islington, faubourg eloigne de Londres, une exposi- tion de chiens ou se trouvaient plus de 800 tetes auxquelles lurent distributes 22,500 francs de prix. II y avait encore la des chiens de toutes especes, dont un grand nombre avait paru dans Holborn Street. Les animaux divises en deux categories et cinquante-deux classes offraient a la vue des visiteurs des specimens hors ligne de toutes les races. Chaque exposant avait paye : pour la classe des fox-hounds une somme de 151 fr. 25 c. ; pour la classe des chiens de chasse 26 fr. 50 et une entree de 2 fr. 85 c. par chiens admis ; pour les levriers 53 fr. et 6 fr. 25 c. par chien expose. Les chiens de luxe seuls ne forc,aient pas leurs maitres a payer de souscription, mais a prendre au bureau un droit d'entreede 9 fr. 45 c. pour leur admission. Nos voisins d'outre-Manche sont a mon avis le seul peuple qui comprenne le confortable je ne dirai pas Pele- gance, aussi ^exhibition de Islington-Hall etait-elle fort cu- rieuse a examiner de pres. Cetait un magnifique coup d'oeil que celui de ces chenils sur lesquels etaient enchainees toufces les races imaginables des chiens du globe terrestre* Ge qui frappaitle plus levisiteur, c'etait la meutedeSa Grace "2U HIST01RE DES RACES DE CHIENS. M. le due de Beaufort, sous la direction d'un celebre piqueur nomme Clarke, a qui la Societe offrit une coupe d'argent de dix guinees, comme temoignage de satisfaction du bon etat de ses betes, son maitre ay ant refuse la coupe de soixante guinees qui lui etait presentee. Venaient ensuite d'admirables&/0ot/s-/i0Mwds, nosvieuxTalbot franc, ais, etalons de tous les chiens courants, des dogues a poil blanc et noir que Ton retrouve dans tous les tableaux de chasse des anciens maitres, lorsqu'ils represented une chasse au sari- glier, des le'vriers d'Ecosse au poil rude, des molosses de Cuba. des chiens lures, des chiens tartares tout noirs exterieure- ment et interieurement ; des griffons autrichiem, des epagneuls bassets, des chiens it chasser la loutre avec pieds palmes, des beagles de la reine Elisabeth, etc., etc., et une multitude d'autres animaux qu'il serait trop long d'enumerer ici. L'exhibition de Islington avait attire 85,000 visiteurs qui produisirent une somme de 80,000 francs, car il y avait eu beaucoup de billets donnes. line vente aux encheres termina cette exposition et tous les proprietaries qui avaient eu 1'intention de montrer leurs ani- rnaux pour mieux s'en defaire, reussirent dans le but qu'ils s'etaient propose. L'un d'eux, un superbe braque rioir et feu de haute taille fut paye 2,100 francs. Le catalogue seul,vendua 10, 000 exemplaires, accumula une somme equivalente en francs. Le benefice net de cette enlre- prise fut de 50,580 francs, realise eri quatre ou cinq jours. La premiere exposition de chiens en France date de 1865. Elle fut ouverte le 3 mai dans 1'encemte du Jardin zoologique d'acclimation du bois de Boulogne, et fut placee tout autour de Penceinte, a partir de 1'entree derriere les serres jusqu'a la porte de sortie du cote de Saint-James. Le comite et les mern- LES EXPOSITIONS DE CHIENS. 245 bres du jury, compose de MM. Drouyn cle Lhuys, president des deux Societes reunies ; le baron James de Rothschild, president honoraire de la Societe du Jardiri ; de Quatre-Fages, vice-presi- dent de la Societe d'acclimatation; le comte d'Epremesnil, se- cretaire-general ; Jacquemart, vice-president de la Societe zoologique et membre du conseil d'administration ; Pomme et Huffier, membre des deux conseils; le prince de Wagram, le vicomte Ladislas de Saint-Pierre, le vicomte de la Rochefou- cauld, membres du conseil du Jardin ; Rufz de Lavison, direc- teur du Jardin, membre du conseil ; Albert Geoffroy Saint-Hi- laire, directeur-adjoint, actuellement directeur au lieu et place de M. Rufz de Lavison, suivit 1'ordre le meilleur pour diviser les diverses races de chiens, dans leur classification la plus ra- tionnelle et la plus scientifique. Quelques hommes etrangers tres-competents preterent aussi leurs noms a ce brillant Conseil des douze. C'etait MM. le vicomle Paul Daru, le due dePlaisance,le baron Lambert, Pierre Pichot, Anatole Gilet de Grandmont ; le docteur Vernois ; PaulGeruzez, Godefroy Jadin, Rousseau et Jacque, artistes peintres ; 11. Dela- marre; le comte Henry Greffulhe ; Mackensie Grieves, le comte Paulde Lorges, le comte Henry de PAigle; le vicomte deGrente, le vicomte deRoisgelin, MajoudelaDebulrie ; levicomteRoger de Ghezelles, Paul Caillard, Leblanc, veterinaire; le comte deLan- tilhae, de Carayon-Latour ; baron de Noirmont, baron Le Coul- teulx de Canteleu , Edouard, Andre Desvignes, Dnfour et de Salver te. 11 manquait bien dans ce nombre quelques autorites cynege- tiques, mais on sait que dans tous les comites possibles, quand on a besoindediplomates onchoisitdes gensaimables.Cela suffit. Ces noms honorables ethonores n'en prouvent pas moinsque 1'exposition des chiens eut un cote serieux, et il serait injuste 246 HISTOIRE DES RAGES DE CHIENS. de ne point reconnaitre de prime abord, qu'a part certains points du programme qui ne furent point atteints, le reste me- rita les plus grands eloges. De nombreuses souscriptions du ministre de ragriculture et du commerce, du Jockey Club, et des compagnies du cheminde fer, celles de 4000 fr. inscrite par les deux Socieles d'acclima- tation, y compris les dons suivants des dames patronesses du Jardin, pour 1,800 fr. ; de la ville de Paris, pour 1,000 fr. ; du baron de Rothschild, pour 500 fr. ; de la Venerie imperiale, pour 500 fr. ; des chasseurs du Poitoo, pour 280 fr.; du jour- nal la Vie a la campayne, pour 200 fr. ; et du Journal des chas- seurs, pour 70 fr., formerent un total d'environ douze a Ireize mille francs qui furent affectes a la distribution des recom- penses. Ce qui frappa surtout le chasseur, le veneur devrais-je dire, dansl'ensemble decette exposition de 1863, c'etaittoutd'abord la serie des meutes parmi lesquelles on remarquait les chenils deMM. deChezelles, de 1'Aisne; Majou de laDebutrie, de la Ven- dee ; deCarayon-Latour, de laGironde; du comted'Osmond, de 1'Yonne ; du baron Le Coulteux de Canteleu, de 1'Eure; Desvi- gnes, de la Sarthe ; du vicomte de la Rochefoucauld, du Loire- et-Cher ; enfm, last not the least de Sa Grace M. leduc de Reau- fort. La beaute de chiens, la bonne tenue de leur litiere, leur obeissance aux piqueurs etaient vraiment chose notable. Venaient ensuite des chiens de chasse, chiens d'arret a poil long et a poil ras, les chiens d'utilite, les levriers et les chiens de luxe. Quant aux chiens exotiques, ils etaient representes par quel- ques races specimens. Les chiens de chasse avaient ete places uniformement, de deux metres en deux metres, dans le style anglais, sur un plancher formant estrade et d'un plan incline, attaches les uns LES EXPOSITIONS DE C1IIENS. 247 a cote des autres, par des chaines de un metre et demi de lon- gueur, de fagon a avoir toute liberte, sans toutefois pouvoir ni s'atteindre, ni se mordre. Les meutes, au nombre de douze, classees dans des en- ceintes tres-spacieuses, avaient toutes une couchette en es- trade. Quant aux chiens de luxe et d'appartement, chiens de / Havaiie, roquets espece presque perdue -- levrettes, bi- chons, k'nufs-charles, etc., etc., on les avail parques aristocra- liquement dans des niches d'nn metre carre hermetiquement closes et bien calfeutrees, de facon a garantir du froid ces beies si frileuses. En resume, cette exposition de la race canine, tout incom- plete qu'elle ait etc au point de vue.universel, c'est-a-dire pour offrir aux curieux un specimen de toutes les races de chiens du monde, qu'il eut ete fort difficile de rassembler, servit a constater, a la grande joie des amateurs qui deplorent avec raison Tabatardissement de nos vieilles races de chiens fran cais, et quelquefois leur disparitiori, que la venerie et Tart de Du Fouilloux n'etaient pas rnorls en France, et que nos res- sources pouvaient etre encore grandes. Ce qu'il est bon de mentionner dans ce livre, c'est que la Societe d'acclimatation, apres avoir cree un jardin destine a recueillir, acclirnater et repandre les animaux des plus loin- tains pays, susceptibles d'etre utilement employes dans nos campagnes; apres de beaux essaisde pisciculture; apres lesuc- ces immense obtenu par son celebre aquarium ; la Societe avait reconnu que le but qu'elle poursuivait, peu pratique en lui- meme, n'etait pas facile a atteindre. Elle avait pense que, dans un avenir fort prochain peut-etre, elle retomberait au rang de simple jardin zoologique, uniquernerit frequente par les en- fants, les meres de famille et les amateurs passionnes de lamas, 248 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. de yacks, d'oiseaux aquatiques et de promenades solitaires ; aussi aspirait-elie a de plus hautes destinees. Forte de son etablissement magnifique, plus forte encore de son solide capital, elle eritreprit, par sa seule initiative et a ses risques et perils, d'offrir au public des exhibitions periodiques d'ani- maux. Elle osa ce qu'aucune societe franchise n'avait ose jusque-la, sans solliciter ni les conseils ni les subsides de FEtat; elle marcha seule et sans lisiere, et inaugura en France Fere de Tinitiative individuelle. Ces modestes exhibitions, fondees ainsi par ces hommes independants, sans 1'estampille du gouverne- ment, ont ete accueillies avec le plus grand succes. Dix mille personnes visiterent, le jour de Pouverture, FExposition des chiens ; ce fut un vrai triomphe, fait pour encourager les adini- nistrateurs a perseverer dans cette voie feconde. En somme, la Societe d'acclimatation avait, pour son coup d'Etat, fait un vrai coup de maitre. Apeine leJardin d'acclimatation avait-il clos son Exposition de chiens, que nos voisins d'outre-Mariche en ouvraient une autre, sur un pied beaucoup plus large, dans Y Ayr i cultural- Hall, a Londres. On n'y comptait pas moins de seize a dix-sept cents animaux, divises en deux classes : les chiens de sport et les chiens tfagrement. Les premiers etaient places au rez-de-chaussee, qu'ils occu- paient en totalite; on trouvait les seconds cases dans des gale- ries superieures. L'ensemble de 1'Exposition, etabli sur des plates-formes, etait dispose en avenues qui embrassaient toutc la longueur du batiment. On avait reconvert les planchers de sciure de bois qui, a cette epoque de Fannee, en ete, valait mieux que la paille pour cet usage. On pouvait, en se plagant dans la galerie Ouest, juger d'un seul coup d'oeil FExposition tout entiere et se faire aisement LES EXPOSITIONS DE CIIIENS. 240 une idee de son importance ; la longueur des plates-formes depassait deux milles et demi (plus de quatre kilometres). L'Exposition etait divisee en soixante-six classes, dont qua- rante comprenaient les chiens de sport et vingl-six les chiens d'ayre'ment. La valeur des primes qui furent distributes s'eleva a plus de 1,000 livres sterling (25,000 fr.). En somme, 1'Exposition presentait dans toutes ses categories de merveilleux specimens qu'il serait trop long de decrire et d'enumerer ici. Je me bornerai a rappeler seulement que dans la division des chiens d'agrement, les Anglais, dont on connait du reste 1'excentricite, avaient laisse Alcibiade loin derriere eux. II y avait la des chiens comiques, d'apres la propre expression anglaise. Les uns avec des nez enormes, les autres en possedant de tres-plats ; ceux-ci avec de tres-longues queues, ceux-la de courtes, d'autres enfin n'en ayant pas du tout. Quelques-uns etaient d'une espece tellement bizarre qu'il etait impossible, a premiere vue, de distinguer la tete de la queue. Ce qui frappait Je plus les yeux du visiteur, c'etait le luxe que les proprietaires de certains bichons et king's - diaries avaient deploye a leur egard. La plupart de ces petits chiens, couches nonchalamment sur des coussins de satin et de velours, se prelassaient dans de veritables petits palais d'acajou et de cristal et semblaient' parfaitement comprendre leur position superieure et aristocratique. II n'est pas moins curieux de mentionner ici le prix d'esti- mation des principaux chiens exposes, que j'ai copie sur des notes authentiques. D'abord un sk-ye-terrier, portant le nom irlandais de Garry, evalue a lamodeste somme de 1,500 livres sterling(37,f)00 fr.) ; Brenda, chienne de chasse a courre, d'une taille de 51 pouces 250 IIISTOIRE DBS RAGES T)E CHIENS. anglais (0.78 centimetres), qui fiit payee par lord Stamford 150 guinees (3,967 fr. 50) ; un kings-Charles espagnol, d'une beaute extraordinaire, nomme Jumbo, vendu 100 livres sterling (2,500 fr.), etSylvey, levrier ilalien, 6galement 100 livres ster- ling. II en est beaucoup d'autres dont les noms ne sont plus sous mes yeux, qui furent mis en vente par leurs proprielaires, auxprix de 1,250 francs, 2,500 francs et 12,500 francs. Je mentionnerai avec regret Pabsence complete de chiens francais a cette Exposition. Us auraient pu cependant y paraitre avec quelques avantages. L'annee suivante, un autre dogs' show eut encore lieu dans ce me" me emplacement, a Islington, et cette fois la il y avail des exposes cotes depuis 5 livres sterling jusqu'a 2,000 gui- nees. Dans cette babel des chiens, qui hurlaient, aboyaient et gla- pissaient a coeur joie, on trouvait des quadruples de 1'espece canine, appartenant a des races perdues, depuis le carlin jusqu'a ces enormes molosses a sanglier que Ton admire dans les peintures de Snyders ou de Rubens, chiens de toutes sortes, de toute robe et de toute valeur, ranges dans des boxes le long de galeries spacieuses. Ce spectacle etait vraiment des plus bizarres. Le bruit de tous ces animaux, les uris fort dociles, les autres tres-dangereux a renconlrer demuseles et errants au coin d'un bois, en plein champ, ou le long d'une rue, dorninait toute conversation et la rendait impossible. II serait fort long et tidious, disaient les Anglais d'enu- merer, d'apres le catalogue, les noms de tous ces chiens, dont un grand nombre m'etaient incormus de race et de physio- nomie. On admirait surtout un Suffolk appele Sailor, bete sans pareille, appartenant a M. G. Bishop, estime a mille livres sterling (25,000 fr.). Un beau prix pour un animal, quel qu'il LES EXPOSITIONS DE CHIENS. 251 soit. Puis ensuite Captain, un chien terre-neuve geant, propriete de M. Frank Berkeley, de la valeur de cinq cents livres sterling (12,500 fr.). Le due de Beaufort avait envoye quarante chiens de sa meute de fox-hounds, celebre parmi tous les sportsmen, et leurs formes elancees ; leur manteau rougedtre mele de gris, tres-uniforme chez tous ces quarante camarades, attirait Tap- probation universelle. Vefiait erisuite urie serie nombreuse de king's-charles cares- sants et de terre-neuve hurleurs, dont je ne m'occupai qu'en passant, car je cherchais seulement dans cetle tbule les chiens de chasse, et il y avait la des griffons pour chasser la loutre, des epagneuls bassets pour le bois, grands chasseurs de faisans et de becasses, des griffons, des pointers, des retrievers, des bassets jambes torses pour le lapiri, des amours de levriers qu'on m'assura etre passes maitres dans la chasse aux lievres des Highlands. J'eus aussi a admirer les epagneuls de la Chine et plusieurs chiens de Tartarie, hauts sur patte, a 1'oeil fauve, au poil rude, des animaux dont la garde doit etre precieuse. Le 18 aout 1864, une autre exhibition de chiens fut ouverte a Cremorn Gardens, et je pus voir par moi-mme cette curiosite ariimee, qui se composait de specimens nombreux de terre- neuve, de setters, de retrievers, de pointers, de fox-deer-grey ct blood-hounds, de bull-dogs, de terriers, de poodles, de da- nois, de levriers, etc. Tout ce qui me parut remarquable dans cette reunion de quadrupedes fut un admirable pointer blanc et orange, marque sur la tete avec une regularile telle qu'on eut pu le croire peint, orne sur les deux epaules de deux taches jaunes parfaitement egales, et possedant un jarret d'une tenuite sans pareille. C'etait la un etalon de pure race, le front large, 1'oreille un peu haute, mais tombant a merveille, le museau court, mais tres-bien modele ; la truffe noire, comme aussi 252 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. 1'interieur de ]a gueule; pas trop gros, pas trop petit, un vrai chef-d'oeuvre de la nature. Le pointer en question etait estime mille livres sterling par son proprietaire ! Laseconde exhibition dechiens a Paris fut prepareeen 1865 Jes soins des administrateurs du Jardin d'acclimatation, non point au bois de Boulogne, dans 1'enceinte de I'etablissement, qui avait etc juge trop eloigne pour la commodite du public, mais sur Femplacement du Cours-la-Reine, ou Ton avait etabli une quadruple rangee de stalles en bois a plan incline, suivant la coutume anglaise. Tout cela formait une etendue d'un kilometre, c'est assez dire qu'il y avait environ deux mille chiens exposes. Outre les animaux de toutes races amenes de Paris et de la province, on rencontrait la des meutes fort remarquables appar- tcnant aux noms suivants : M. le comte d'Osmond avait un equipage compose de 1 5 bea- gles-harriers. Lc meme, 50 chiens grands fox-hounds. M. Majou de la Debuterie, 25 chiens bdtards poitevins. M. Paul Caillard, 44 chiennes dwarf-fox-hounds. M. de Champagny, 12 griffons de Vendee M. Labroise, des normnnds. M. Laurence, 9 bdtards poitevins. M. dePully, 16 id. M. delaBesge, 25 id. M. Iloudaille, \6briquets d'Artois. M. le marquis de Langle, 16 bdtards saintonfieois. M. Babinet, des bdtards poitevins. M. de Bejary, 18 bdtards saint onyeois. M. Four, 7 briquets d'Artois. M. Piston, 22 gaseous. LES EXPOSITIONS DE CII1ENS. 253 M. Ramier, 28 bdtards saintonyeois. M. de Madec, 7 griffons de Bretagne. M. Baudry d'Assori, 37 vendeens de race pure. M. le comte d'Ambrugeac, des fox-hounds. M. le comte de Laferriere, id. M. Champmann, des harriers. D'autre part, on remarquait parmi les chiens d'arret, en premiere ligne, les jolies chiennes de M. Paul Gaillard. Le jury octroya la grande medaille d'honneur a 1'equipage de M. Lau- rence ; puis a M. le vicomte de Madec, a M. le comte d'Osmond, a M. Paul Caillard. La grande medaille d'honneur pour le plus beau chien cou- rant fut decernee a une admirable bete appartenant a M. de la Besge. Le chien s'appelait Boliveau et etait issu de Monthabor, a qui le^meme prix avait ete donne lors de 1'Exposition de 1863. J'ajouterai en passant que si Ton compare le nombre des chiens exposes en 1865 au nombre des prix offerts, on trouvera ce doy's show assez incomplet ; mais si Ton reflechit aux diffi- cultes du transport et du sejour, si Ton pense aussi qu'un chien est souverit un ami dont on se separe avec peine, on comprend que cette expedition fut tout ce qu'elle pouvait etre. En somme, s'il est un pays ou une Exposition de chiens doit reussir, c'est assurement a Paris. Nulle part les chiens ne sorit aimes, choyes comme a Paris ; c'est a croire que plus les rela- tions sociales sontsuivies, plus les hommes se melent, plus ils se voienl et se connaissent, plus ils eprouvent le besoiri d'aimer les chiens. Le directeur du Jar din d'acclimatation a fait construire, en 1861, un chenil qui peut etre considere comme un modele du genre ; il consiste en un pavilion octogone a plusieurs com- partiments, eleve sur un sol betonne au ciment, avec niches et banes converts ; le tout entoure d'un grillage et ornemente de 254 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. fac.on a ne pas deparer la jolie collection d'installations rusti- ques que le public est accoutume d'admirer dans cet etablisse- ment. On peut faire entrer desormais le chenil dans la deco- ration des pares ! Dans chaque compartimentdece chenil modelese trouvaient des specimens de chiens dont il est bien rare devoir les pareils. C'etaient d'abord les deux beaux levriers kurdes a longs poils rioirs et blancs, donnes au Jardin d'acclimatation par la So- ciete imperiale d'acclimatation de Moscou. Lorsque ces chiens sont dresses sur leurs pattes de derriere, ils depassent de la tete Phomme de la plus haute stature et paraissent plutot de taille a coiffer les loups et les sangliers qu'a poursuivre les simples lievres. Si on pouvait dresser ces animaux a courir au-devant des voitures dans les Champs-Elysees et au bois de Boulogne, ils remettraient a la mode ce genre de sport, au- jourd'hui delaisse, et autrefois si bien rempli par les chiens danois. Je trouvai encore dans ce chenil deux jeunes chiens de La- ponie, de 1'espece de ceuxqui remplacent la poste aux chevaux dans les steppes neigeuses de la Siberie, du Greenland et du Labrador ; ils avaient ete envoyes au Jardin par S. A. le due de Rianzares. J'ajouterai comme souvenir plusieurs varietes de chiens chinois, les molosses de Barcelone, si celebres dans la tauromachie de PEspagne ; les dingos ou chiens sauvages d'Australie, et deux jolis petits terriers du Mexique, dons de Son Exc. M. le rnarechal Forey, etqui paraissaient des modeles de grace et de vivacite. Depuis deux ans le chenil du Jardin d'acclimatation est de- sert. Les animaux qui le peuplaient sont morts, ou ont ete vendus. On ne les a pas remplaces. Tous les vrais amateurs de chiens ont regrette eel abandon de la part de la nouvelle direction. On eut pu faire, dans cet LES EXPOSITIONS DE C11IENS. 255 endroil si bien aere, non-seulement un chenil pour la repro- duction et la vente des produits tout dresses, mais encore un hopital qui n'eut pas eu de pareil au monde. C'est la une lacune qui pourrait etre comblee et a tres-peu de frais. XI L'HYDROPHOBIE La rage canine a ele connue de lout temps, et cependant les anciens, s'il faut en croire Aristote qui ne dit pas vrai cette ibis-ci croyaierit que I'homme seul etait exempt des atteirites de 1'hydrophobie. Quoi qu'on ait ecrit, quoi qu'on ait dit sur cette liorrible maladie, la terreur de toute I'humanite, il reste prouve que 1'art medical ignore encore ce qu'il faut faire pour prevenir et pour guerir la rage. Quelle que soit Fopinion de certains savants et de M. le prefet de police, il est prouve que ce ne sont pas les grarides chaleurs et les grands froids qui engendrent Phydrophobie chez les chiens mal nourris. Mainte preuve pourrail etre consignee ici, a Pappui de cette opinion, et c'estbien a tort que la museliere ce supplice invente par des ignorants a passe dans nos moeurs. Au lieu de pre- L'HYDKOPHOBIE. 257 venir, d'empecher le mal, elle Paggrave ; mais a quoi bon pre- cher a des sourds? D'abord la museliere n'est, la plupart du temps, qu'un engin illusoire qui n'empeche aucunement un animal de mordre, et, malgre Pimpot, les cas de rage se sont tres-sensiblement ac- crus, proportionnellement au nombre des chiens recenses avant et apres Pimpot. A Constantinople et sur les rives du Danube, les chiens er- rants se comptent par milliers, ou plutot on ne saurait les compter : Us sont innombrables. La rage canine y est tres- rare. D'ailleurs la rage se montre aussi spontanement chez d'autres carnivores : le chat, le loup, le renard. Sur 250 cas, on compte 204 chiens, 30 loups, 15 chats, 1 renard. Les herbivores ne contractent la rage que par suite de mor- sures : cheval,ane, mulet, boeuf, mouton, chevre, lapin, oiseaux de basse-cour sont sujets a ce terrible fleau. Le pore seul jouit de Pimmunitc. Serait-ce a cause de 1'epais- seur de sa peau, de sa graisse? le venin des serpents n'a pas davantage d'action sur lui. Ce qu'il y a de curieux, c'est que la salive seule communique la rage. Le sang d'un animal enrage inocule a un autre animal n'a pas d'effet. Le danger commence avant que Panimal donne des signes de fureur. Et malheureusement le public, qui n'est pas du tout au courant des manifestations symptomatiques, ne s'emeut au sujet des chiens enrages qu'a Papparition des actes de frenesie, alors qu'il est deja trop tard. Nous allons essayer de le mettre en garde contre le fleau redoutable, en detaillant les prodromes et les diagnostics de la maladie. 17 258 IIISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Shot qu'un chien eprouve les premieres atteintes de la rage, il se retire dans sa niche, triste, mais ne montrant aucune disposition a mordre. Bientot il devient inquiet, change a tout moment de position et ne se trouve jamais bien couche. II vous regarde fixement comme pour vous demander un remede a ce mal interieur qu'il sent venir; puis son regard prend une ex- pression indefmissable, etrange, egaree. II va, vient, rode d'un coin a un autre, comme en quete d'un objet perdu, se couche, se leve, creuse sa paille, la met en tas avec son museau, puis la repousse tout a coup et s'elance au mur comme pour saisir ce qu'il croit y voir. II a Pair de chasser aux mouches. Si c'est un chien de compagnie, doux, affectueux, caressarit, il continue de temoigner a son maitre autant et plus d'attache- ment et de soumission. Mais bientot des fantomes semblent se dresser dans son ima- gination, il se croit entoure d'ennemis, et il s'elance sur eux, happant, mordant le vide. Si c'est un chien mediant, hargneux, comme certains chiens de garde, son aspect devient epouvantable, horrible, terri- fiant. Puis 1'acces se dissipe, les yeux se ferment, le corps penche, on dirait qu'il va tomber; mais Faeces recommence, il aboie du hurlement rabique, et s'elance avec fureur tout droit devant lui. Un des traits caracteristiques de celte terrible maladie, de cet empoisonnement, c'est la depravation de Pappetit, un pro- fond degout pour la nourriture habituelle. D'ordinaire, le chien enrage a la queue tombante, la gueule ouverte, la langne pendante et bleuatre, la demarche chance - lante, mais il ne have pas toujours. 11 y a la rage mue ou muette et la rage hurlante. Dans celle-ci, leg chiens ont ce qu'on appelle la voix de coq, L'HYDROPIIOBIE. 259 c'est-a-dire Taboiernent voile et comme enroue. L'aboiernent se termine par un hurlement file sur la sixte, la seplieme ou 1'octave superieur. Celui qui une fois 1'a entendu ne 1'oublie jamais. ."'* II importe de ne pas confondre ce hurlement avec celui \du chien qui aboie a la June ou a la mort. Celui-la va en des- cendant, tandis que 1'aboiement rabique va en montant. Un chien bien portant, battez-le, il gueulera; rouez de coups un chien enrage, il gardera le silence. Les animaux sains reconnaissent tout de suite les animaux enrages ; ils les fuient. Un molosse se sauve d'un chetif roquet qu'il pourrait abatire d'un coup de patte ou d'un coup de ses crocs. Dira-t-on que c'est de Tinstinct? Moi, je dis : C'est de 1'intelligence. N'est-ce pas aussi de 1'intelligence cette faculte bien extraor- dinaire qui fait que les animaux enrages se jettent de prefe- rence, pour les mordre, sur 1'espece qui leur a communique le virus ? Un mouton se precipitera sur le chien ; un cheval, uri canard, agira de meme. Partant de ce principe , et voyant le chien s'elancer sur riiomme pour le mordre, ne serait-on pas tente de soupgonner 1'espece humainc d'etre 1'instigatrice de la rage sur le chien? Comment? je n'en sais rien. On a parle de Tempechement des rapporls sexuels, on a accuse la privation de nourriture, et aussi une nourriturc trop abondante et trop substantielle ; le fait est que, experi- mentalement, on n'a jamais pu provoquer la rage par ces moyens. J'ai eu mainte fois 1 'occasion de rencontrer sur mori passage, ou d'apercevoir dans la plaine, ou au milieu des villes, des chiens enrages. C'est la un triste spectacle pour un ami de la race canine ; mais, apres tout) je ne suis pas fache d'avoir ete 260 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. temoin de ces souffrances, ne fut-ce que pouvoir ecrire ce chapitre devisu, avec toute cormaissance de cause. Mon desir est, non-seulement de detruire les prejuges ridi- cules qui courent le monde, mais encore de prevenir d'horribles accidents, des malheurs inseparables . On croit generalement qu'un chien enrage devient furieux, qu'il aboie, qu'il bondit, qu'il cherche a mordre, qu'il refuse de boire. Cela est une erreur, erreur qui cause presque toujours de graves malheurs, parce qu'on ne prend aucune precaution coritre un animal qui parait docile, ce qui n'empSche pas sou- vent qu'il ne soil malade. Je crois done utile de rappeler en quelques mots les pre- miers symptomes qui se manifestent au debut de cette maladie. En les observant on peut etre certain d'eviler des conse- quences facheuses. Les personnes qui ont des chiens et ont 1'habitude de les avoir constamment pres d'elles, connaissent naturellement leur caractere et leur maniere d'agir; aussi remarqueront-elles le moindre changement qui se manifestera dans 1'existence de 1'animal. L'hydrophobie a trois phases bien distinctes, qu'il est facile de diviser de la fac.on suivante : PREMIERE PERIODE. DU PREMIER AU TR01SIEME JOUR. Tristesse du chien, il se glisse dans les coins, il ne boit presque pas, il mange pen, il a sans cesse la queue entre les jambes. DEUXIEME PERIODE. DU QUATRIEME AU SiXIEME JOUR. Le chien leche par terre les matieres salees. II aboie d'une facon toute particuliere, le son est guttural; il lance des L'HYDROPHOBIE. 261 coups de dents sur les murailles comme un jeurie chien qui fait ses molaires. Un des moyens de reconnaitrc la rage canine a cette periode, c'est de cracher a terre, le chien malade lechera la salive. TKOISIFME PERIODE. DU SEPTIEME AU NEUVIEME JOUR- Le chien se demene, il mord les barreaux de sa cage, le poil se herisse, la crise commence, Taboicment prend des tonalites lugubres, 1'ceil s'injecte, la bete s'affaisse, puis arrive la suffocation et la mort. Voila done qui est bien entendu. Le chien ayant deja les germesde lamaladie devient sombre et agite. II ne peut rester une minute en place, il cherche sans cesse une nouvelle position. Inquiet et indecis, 1'animal se refugie dans les coins les plus obscurs de Papparlement, sous les meubles ou il se tient blotti ct crispe sur lui-meme, la tete appuyee sur le sol, cachee entre ses pattes de devant. Une des choses les plus curieuses de la rage du chien, c'est son affection pour son maitre, qui semble redoubler. II va par moments pros de lui, se couche a ses pieds, le regarde reso- lument, comme pour lui demander un soulagement a ses souf- f ranees. On a vu souvent des chiens enrages se precipiter furieux sur les meubles, broyer du bois sous leurs dents, mordre les tapis, se jeter sur une personne etrangere, mais eviter toujours leur maitre, qu'ils fuient meme, lorsqu'ils ne se sentent pas assez forts de leur propre volonte pour ne pas porter leurs atteintes sur celui qu'ils aiment par-dessus tout au monde. Mais bientot la rage arrive a son apogee, et c'est la le moment le plus dangereux, meme pour le propnetaire du chien, car ce dernier ne connait plus personne. 262 HISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. L'animal semble en proie a des hallucinations... Un moment il parait attentif, il ecoute un bruit imaginaire, puis tout d'un coup il se lance dans Fespace et cherche a mordre un objet qui n'existe que dans son imagination. Parfois ce delire se mani- feste par des convulsions etranges ; il se tord brusquement, ou bien il fait agir ses pattes de devant, comme s'il voulait retirer un os qui se serait arrete dans son gosier. Combien de personnes s'expriment journellement ainsi : Oh ! rien n'est plus facile que de voir si un chien est enrage. On n'a qu'a lui presenter dc 1'eau... s'il boit, il est bien portant; s'il refuse, alors il y a danger. Voilacertainement un prejuge qui a cause des accidents mul- tiples et que 1'on devrait effacer de 1'esprit de bien des gens. Non ! mille fois non ! ce n'est pas la une raison. Un chien enrage n'est pas hydrophobe, c'est-a-dire n'a pas horreur de 1'eau. Offfez-lui de ce liquide, et vous le verrez, au contraire, s'ap- procher du vase et essaycr dc boire, car il arrive souverit que sa gorge constrictee ne permet pas la deglutition ; mais, nean- moins, il agit comme un chien bien portant, il lape 1'eau avec sa langue, et il est tres-difficile au premier abord de savoir si le chien boit ou ne boil pas. L'aboiement peut plutot servir d'avertissement. Celui du chien enrage est caracteristique, et il suffit de 1'avoir entendu une seule fois pour le reconnailre dans la suite ; c'est une sorle de hurlement rauque, voile, sinistre, qui part du fond de la gorge et va en s'affaiblissant. Une particularite, tres-utile a connaitre, caracterise la rage chez le chien. C'est 1'impression qu'il subit en presence d'un autre animal de son espece. Dans ce cas, une exasperation s'em- pare de lui, il entre en fureur et se jette sur son semblable qu'il cherche a mordre. Du reste, il est a remarquer que, dans ses courses furibondes, L'HYDROPHOBIE. 265 le chien enrage cherche de preference les animaux. II ne s'at- taque a I'homme que lorsque celui-ci se place sur son passage pour 1'arreter. Bisons maintenant quelques mots de la derniere periode dc cette terrible maladie. Si le chien est enferme, il s'agite continuellement dans sa niche, comme s'il etait en proie a des convulsions; son ceil ardent lance un regard sombre et farouche; si on parait le regarder avec insistance, il devient impatient, pousse un hur- lement plaintif et fait mine de s'elancer sur vous. Furieux de son impuissance a ne pouvoir vous atteindre, il se jette alors sur les barreaux de sa niche et les mord avec une telle force, qu'il endommage souvent sa machoire. Parfois cette excitation fait place a une lassitude pendant laquelle il semble reprcndre de nouvelles forces ; mais un rien 1'excite et lui donne un nouvel acces. Quand il a sa liberte, 1'animal s'elance devant lui et parcourt Pespace dans une course desordonnee. Mais bientot, affaibli par la fatigue, epuise par ses efforts, la faim et la soif, et aussi par 1'effet de la maladie, il ralentit sa marche, penche la tete et laisse pendre, de sa gueule beante, une langue bleuatre, recou- verle de poussiere et d'ecume. A ce moment, la malheureuse bete approche de la fin de ses souffrances. Epuisee et sans force, elle s'affaisse sur elle- meme, mais s'accroupit de preference dans les endroils isoles, au fond des fosses qui bordent les chemins, et la, termine sa triste existence... Souvent une somnolence de quelques heures lui rend ses forces momentanement, mais cette fureur s'eteint bien vite et 1'animal relombe epuise. La paralysie est toujours la fin du chien enrage. Je terminerai ce rapide resume en donnant quelques obser- 264 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. vations curieuses qui peuvent avoir cle 1'utilite dans les cas d'hydrophobie. II arrive souvent que, des les premiers symptomes de la rage, le chien, ayant pour ainsi dire conscience du danger de sa maladie, et voulant eviter de faire du inal a son maitre, s'eloigne de la maison. Mais trop souvent, malheureusement, apres avoir erre plusieurs jours de suite a 1'aventure, Pinstinct etant en lui plus fort que la raison, il revient chez son mailre, presque toujours dans un triste etat, convert de sang et de boue. (Test dans cette circonstance surtout qu'il faut se tenir en garde contre un acces de rage subite et eviter de donner a 1'ani- mal des caresses insensees. Quand il est enrage, le chien parait insensible a la douleur. Soit qu'ori le frappe, qu'on le blcsse ou le brule, il ne fera entendre aucune plainte, quoique, par ses mouvements, il manifeste une certaine dauleur. C'est la un point important que Ton ne doit pas negliger de remarqucr. Souvent, le chien atteint de la rage, surtout dans les premieres periodes, vomit des matieres sanguinolentes qui proviennent de ce que Tanimal a avale, dans un acces, des corps durs, poin- tus, metalliques, qui Font blesse. Quant a la bave du chien, on aurait tort de croire, commc beaucoup de persoiines, que quand celle-ci n'exisle pas, le chien n'est pas enrage ; c'est une grande errcur. Gela depend des ani- maux. Chez certains chiens, la gueule se remplit d'une have abondante et ecumante ; chez certains autres, au coritraire, la muqueuse est entierement seche. En resume, on doit prendre des precautions contre un chien qui presente les symptc A )mes suivants : Quand il devient sombre, agite et semblc fuir ses maitres ; Quand il aboie autrement que de coutumc et mordille les meubles, les tapis, etc., etc. ; Quand il vomit du sang; L'HYDROPHOBIE. S65 Quand il eprouve une sorte d'inquietude et de fremissement h la vue d'un autre chien ; Quand il devient muet si on le frappe. Je crois pouvoir dire qu'en observant au moins une de ces particularity, on peut etre certain d'etre mis en garde contre les atteintes funestes de Phydrophobie. Les sorciers du moyen age pretendaient pouvoir guerir les enrages bipedes et quadruples en leur faisant avaler un inor- ceau de pain ou un quartier de pomme, sur lesquels on crayon- nait ces mots : Hax, Pax, Max, Deus, Adimax. On ne dit pas cornbien de malheureux ont recouvre le calme et la sante par ce traitement bizarre. Une savant medecin du seizieme siecle, Fernel, proposa de faire prendre des pilules fac.onnnees avec les os broyes du crane d'un pendu. De nos jours, on n'a rien encore decouvert d'el'ficace, et ce- pendant on assure que les bains de vapeur sont un remede souverain. La science n'a point sanctionne cctte trouvaille hu- manitaire. II faut done attendre sa decision. Comme preuve a 1'appui de Pefficacite de ce remede, voici un petit drame qui s'est passe a Versailles, vers la fin de la Restau- ration. A cette epoque, se trouvait attache au manege du chateau royal, en qualite d'ecuyer, une sorte de geant d'une quaran- taine d'anriees, beau et robuste gargon, ancieri militaire de 1'Empire, longtemps prisonnier enAllemagne, etqui, durantla campagne de France, avait rempli, dans un regiment de cava- lerie, les fonctions d'aide-veterinaire. Personne ne s'entendait mieux que lui a soigner les chevaux, voire a les guerir ; enfm, il passait pour posseder certains secrets medicaux infaillibles dont il faisait mystere, et qu'il ne mettait jamais impunement en pratique. Aussi recourait-on a lui non-seulement a Versailles , 2ti6' HIST01RE DES RACES DE CHIENS. mais encore dans toutes les campagnes voisines, lorsqu'un des bestiaux et meme parfois des hommes de ferme tom- baient dangereusement malades. Jean Pratt c'etait le nom de cet individu ne tarda pas, comme il advient toujours aux gens de haute taille, a s'epren* dre d'une petite et toute mignonne jeune blonde, qui atteignait a peine de la tete au coude de Fecuyer, quand elle se hissait autant qu'elle pouvait sur la pointe de's pieds. Quoique Louise ne comptat guere plus de dix-huit ans, et que son amoureux, je vous 1'ai dit, frisat la quarantaine, elle le trouva fort a son gre ; si bien que les deux amoureux se ma- rierent. Or, comme une bonne, aisance regnait dans leur logis, et que la position aisee de Jean en tenait ecartes le malaise et les soucis materiels, ilsfirent un excellent menage. Jean, qui adorait sa femme, s'ingeniait du matin au soir ct du soir au matin a complaire a Louise, d'ou il advint que celle- ci, des le lendemain des noces, prit sur lui un empire absolu et peut-etre meme exerce parfois avec plus d'autocratie qu'il ne seyait. Louise non-seulement voulait energiquement ce qu'elle voulait et n'en demordait jamais, mais encore elle se livrait assez volontiers a des fantaisies et meme a des caprices qu'il fallait que son mari satisfit, comme s'ils eussent etc les idecs les plus sages du monde. Done Jean ne voyait et n'agissait que pour sa femme. En historien fidele, consciencieux et qui ne ca- che rien a ses lecteurs, je dois ajouter qu'il la craignait meme quelque peu, et que plus d'urie ibis il lui arriva de renoncer a d'innocentes parties avec ses carnaradcs par peur des semonces qui 1'eussent, a son retour, attendu au logis. Quoi qu'il en soit, Jean et il avait raison -- se tenait pour Fhomme le plus heureux de la terre ; aussi sa bonne figure exprimait-elle sans cesse un imperturbable contentement. Un matin, neanmoins, il arriva au manege, sombre et sou- L'HYDROPHOBIE. 267 cieux. Sans proferer une seule parole, lui qui se montraitsi gai et si avenant, il se rendit aux ecuries, ou, huit ou dix jours auparavant, on avait enchaine un dogue que Ton supposait en- rage et qui avait mordu dans la ville plusieurs autres chiens. Apres avoir considere longtemps le pauvre animal, il rentra chez lui plus morne que jamais, et il dit a sa femme : Louise, tu vas venir avec moi au manege. Croyant a une plaisanterie, elle le regarda et lui rit au nez. Tu vas venir avec moi sur-le-champ au manege, lui repeta- t-il d'un ton qui ne souffrait pas de replique et qu'elle ne lui avait jamais entendu prendre avec elle. Et comme elle resistait, il la saisit dans ses bras robustes, et silencieusement, sans aucune explication, il Femporta au ma- nege, dont il ferma derriere lui soigneusement les triples ver- rous de la porte. Maintenant, lui ordonna-t-il en la deposant au milieu de 1'enceinte circulaireou Fon fait manoeuvrer les chevaux, tu vas courir de toutes tes forces et sans t'arreter. Elle crut decidement a une plaisanterie. Mais elle ne put se defendre d'un sentiment d'effroi en lisant sur les traits de Jean une inexorable expression de volonte. Mon Dieu! se disait-elle en elle-meme, il perd la raison ; il se trouve en proie a un acces de fievre chaude! A demi morte de terreur, elle voulut s'enfuir. Ecoute, Louise, je ne puis te dire les motifs qui m'obli- gent a exiger de toi une course effrenee dans ce manege. Mais je te jure qu'il faut que tu la subisses, dusse-je recourir a mon fouet . La jeune femme resista, pleura, cria, se revolta. Un vigoureux coup de chambriere, applique sur ses epaules, la mit aussitot a la raison et elle obeit. Elle commenQa done a courir de toutes ses forces autour du cirque, et chaque fois qu'epuisee de fati- 268 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. gue, haletante, baignee de sueur, elle faisait mine de s'arreter, le terrible fouet claquail a ses oreilles et meme la frappait au besoin ; il fallait qu'elle se relevat et qu'elle recommenc,at a courir. A la fin elle tomba evanouie. Alors Jean, qui put enfin donner un libre cours a ses larmes, cnveloppa Louise dans une couverture de lairie avec la sollicitude qu'y met la mere la plus tendre, la transporta sur son lit, 1'y couvrit de tous les vetements qui lui tomberent sous la main, s'agenouilla pres de celle qu'il venait de si brutalement mal- mener, et attendit avec anxiete qu'elle se reveillat, c'est-a-dire jusqu'au lendemain matin. Sauvee ! tu es sauvee ! dit-il en couvrant de baisers sa femme, qui le regardait avec un ressentiment bien naturel, et qui repondit a ses caresses par une paire de soufflets des rnieux appliques. Bats-moi, egratigne-moi, donne-moi les noms les plus odieux, te voila sauvee, ma Louise! Sais-tu bien quenotrechien avait ete mordu, il y a huit jours, par un dogue enrage et qu'il t'a morduetoi-memc? Or, j'ai tue le pauvre animal, etj'ai passe quatre mortels jours a epier chez toi les premiers symptomes del'horrible maladie. Us ne se sont quetrop manifestos! Alors, s'en t'en prevenir car tu serais morte d'epouvante j'ai recouru a un remede que j'ai vu employer efficacement par un celebre rnedecin allemand, chez lequel, lorsque j'etais prison- nier de guerre, j'ai passe comme domestique deux anneesde ma captivite. Me pardonnes-tu maintenant? II s'agissait de te sau- ver ou de te laisser perir de la plus horrible. et de la plus im- pitoyable des maladies ! Louise repondit en appuyant sa tete sur celle de Jean, et je vous reponds que la guerison de la jeune femme fut complete. Celle-ci etait sauvee ; voici 1'histoire d'un malheureux qui L'JIYDROPHOBIE. 209 n'eut pas la memo chance : .c'est Alexandre Dumas qui la raconte : J'ai vu mourir un de mes amis de la rage. II se nommait Sarrasin et etait artiste veterinaire. II avait un chien dont il fit cadeau a un de ses amis. Le chien devint trisle, inquiet, hargneux. Viens done voir ton chien, il est malade, dit le nouveau proprietaire a 1'ancien. Sarrasin y alia par deux raisonsila premiere, il airnait son chien ; la seconde, il etait artiste veterinaire ; c'etait son de- voir. Le chien s'etait refugie sous un four, an fond de la cavite. La il se remuait sur la paille, qu'il fouillait du nez avec colere. Sarrasin appela le chien, qui ne voulait pas venir ; alors, confiant dans 1'amitie que son chien lui portait, il se glissa sous le four, un bougeoir a la main, examina les machoires du chien, reconnut les vesicules rabiques et le declara en- rage. Commeil s'eloignait a reculons, sans que le chien lui out fail aucun mal, il crut etre sorti de la cavite, releva la tele et se frappa a la voute. Le chien, qui s'etait vaincu jusque-la, s'elanc,a et mordit Sarrasin a la levre superieure. Sarrasin, qui, en traversant la cuisine de son ami, avait vu la femme de chambre repasser les plis d'uri bonnet avec un petit fer de la grosseur d'une forte aiguille a tricoter, courut a la cuisine, prit sur le rechaud le fer rougi et se le passa dans les trois morsures. Maintenant, dit-il, si je n'ai pas avale du virus avec ma salive,j'ai chance d'en revenir. Trente-trois jours se passerent sans accident ; le trente- quatrieme jour, comme il se rendait a cheval avec son ami, 270 IIISTOIRE DES RACES DE CHIENS. il se trouva tout a coup, au detour du chemin, en face de la riviere. A I'etrange sensation qu'il ressenlit a la \ue de 1'eau, la terrible verite se fit en lui. 11 mil son cheval au galop, et, au lieu de rentrer chez lui, on, garcon, il n'eut pas rec.u tous les soins convenables, il rc- vint chez sa mere et se fit mettre immediatementla camisole de force. Uno heure apres, il eut un premier acces. Le bruit se repandit rapidement dans la petite \ille, ou 1'acciderit etait connu, que Sarrasin etait enrage. Tous ses amis coururent le voir. II etait attache sur son lit. Ses amis essayaient de le consoler en lui disant : Tu es fou, ce n'est pas la rage. Mais lui se contentait de leur repondre en riant : Si ce n'est pas la rage, venez m'embrasser. Et, chaque fois, sa mere y allait et le couvrait de caresses, en iui disant : Tu vois bien qu'ils ont raison. Et lui repondait : <( Je \ r ois que tu es ma mere, voila tout Le matin du troisieme jour il mourut. II ri'y a pas de mort plus epouvantable. Eh bien, je suis profondement corivaincu d'une chose, ajoute Dumas, c'est que la rage est determines chez Thomme par Tintroduction dans Feconomie d'un virus special contenant des animalcules vivants qui se multiplient et qui, inocules, se perpetueraient comme la petite verole ou le vaccin. Je suis certain encore, continue le maitre en litterature, que si la nature a laisse surprendre le secret de ses antidotes a I'endroit des serpents, elle laissera deviner un jour le contre- poison de la rage, ou plutot la substance insecticide qui pour- L'HYDROPIIOBIE. 271 suivra dans les vcines ou dans Pestomac, dans 1'estomac si Ton a avale de la have, dans les veines si Ton a absorbe, par la mprsure, du virus de chien enrage, les germes ou les ferments qui mettent jusqu'a trente jours a se developper. De tous les remedes, celui qui, au dire des medecins veteri- naires, est.le meilleur, celui qui offre le plus de succes, c'est la cauterisation prompt e, intense, profonde, au moyen du fer rouge. Dans ces moments d'apprehension et de frayeur, a peine si la brulure est douloureuse. Mais un remede qu'il est sage de ne pas mettre en doute, c'est celui dans lequel, f ut-il empirique, le blesse a mis sa confiance. La foi, d'un cote, le fer rouge de Pautre, on est sur d'etre sauve. Ajoutons aussi que moitie des personnes mordues ne con- tractent meme pas la maladie; mais il ne faut pas se fier en- tierement a cette chance. AlexandreDumas conseille PacidepheniquePeiroux ; mais ce n'est la qu'un conseil, et les experiences n'ont pas encore donne de resultats satisfaisanls. On s'est souvent demande quelles etaient les races de chiens les plus facilement atteintes par Phydrophobie. 11 est fort difficile de repondre categoriquement a cette ques- tion ; mais ce qu'il y a de certain, c'est que le chien libre bien nourri, pouvant remplir sans entraves toutes ses fonctions surtout celles de la procreation est rarement en proie aux horreurs de la rage. Le chien de chasse et les animaux destines a la garde sont aussi exempts de ce malheur; mais le maudit chien de luxe, votre chien favori, yotre petit ami du foyer, le chien auquel vous laissez genereusement un peu de chair sur Pos du poulet, le chieri qui regoit vos sucreries et vos caresses, votre note, volre commensal, celui qu'on lave et parfume, qui a une cravate 272 HISTOIKE DES RACES DE CHIENS. de sole rose, et meme parfois un petit paletot d'hiver ; i'anirnal qui vous fait promettre cent francs de recompense sur une affiche jaune, s'il s'egare; celui qui vous met en contravention dans les chemins de fer; celui qui a une niche en damas grenat avec des clous dores, si meme il ne couche pas sous votre edre- don! le chien enfin que vous defendrez, au besoin, de Pepee, si un passant 1'a trop sans fagon effleure de sa canne. . . celui-la, ce bichon cheri est un monstre terrible, qui, tout a coup, et lorsque vous le caressez, vous mord a la levre... au doigt... ct vous inocule une mort qui est de toutes les morts la plus im- placable et la plus horrible, une mort qui est cause qu'ori vous fuit comme un chien meme, et qui fait penser a vous etouffer entre deux matelas... Aimez doncle chien de salon, le chien de luxe! Cette horrible disposition des especes lilliputiennes a etre atteintes de la rage provient surtout de la privation de plaisirs charnels dans lesquels on les retient. C'est la un des vices inhe- rents a la position d'esclave favori. Aussi pourquoi aimer ces etres inutiles, ces mulcts de la creation, dont la propagation est le fait d'une depravation de gout, n'en deplaise a la plus belle espece du genre humain, en adrnettant qu'une fille d'Eve ait la curiosite de jeter ses jolis yeux dans ce volume aride. Le vrai chien, le seul chien digne d'etre 1'ami de I'homme, celui dont la civilisation a rendu les moeurs douces,les caresses desinteressees, c'est le chien de chasse en premier lieu, poin- ter, braque, epagneul, griffon, courant, levrier celui-ci est un peu ingrat cependant les barbels, les terriers, les lou- lous et les carlins meme ; mais je trouve indigne de Tamitie de I'homme le terre-neuve, a Tesprit haineux quand meme, sournois au dela de toute expression etne reprimant jamais ses acces de colere; le chien de la llavane, sale comme une L'JiYDKOHlOBlE. 275 huppe, malgre les corrections, et hargrieux meme pour qui Ic soigne. Je comprends que Ton redoute un pareil monstre, quelque blanc qu'il soit a cette condition toutefois d'etre lave dans six eaux de savon et peigne a dix reprises lui qui mordrait son maitre et le bon Dieu lui-meme, le createur uni- \ersel si Dieu pouvait etre mordu et devenir hydrophobe. Le chien de chasse, lui, est une exception a toutes les regies. D'une part, il n'est sujet a* la rage que dans Pexception mal- heureuse d' avoir ete mal soigne, et encore ce cas est-il fort rare. Puis, s'il est mordu par un chien malade et qu'il tombe malade lui-meme, 1'instinct, developpe chez lui a un point tel que, selon moi, la parole seul manque a cet etre cheri, le porte a se cacher loin de son maitre et de ceux qui Font aime, alors qu'il etait bien portant, preferant la inort sans secours, a 1'horrible malheur de dechirer de ses dents empoisonnees la main qui 1'a riourri. Je veux, comme preuve a 1'appui de cette assertion, rnen- tionner ici deux faits personnels que je declare authentiques : 11 y a vingt-cinq ans, je me trouvais dans ma belle Provence, au logis paternel, ou j'eritretenais deux chiens braques, le male et la femelle, prodiges d'obeissance et modeles de beaute comme forme et comme robe. 11s me venaient d'un mien voisiri, grand chasseur et fort habile tireur, qui possedait cette race depuis nombreuses annees. De pere en fils les Mir ant tel etait le norn de cette race de chien avaient fait Padmiration de leur maitre etdes amis du chateau. Obteriir de M. de V... un produit de ses Miraut etait une grande faveur; aussi avais-je ete fort recon- naissant du present qui m'avait ete fait par lui. Mon chien et rna chienne avaient tout au plus quatre ans el vivaient en parfaite intelligence. Je ne vous parlerai pas de la fermete de leur arrct, de la douceur de leur dent, de la prompti- tude de leur rapporl. Je vous dirai seulement, amis lecteurs, 18 274- I1ISTOIRE DES RACES DE CHIENS. que leur tendresse pour moi, pour mes oncles et pour tous les membres de la familie, etait extreme : aussi avaient-ils maint privilege, entre autres celui d'etre admis a la salle a manger aux heures des repas, et au salon, au coin du feu, pendant les longues veillees d'hiver. Tin jour, en pleine canicule, par un soleil torride, un chien de berger enrage passa devant le manoir, et se voyant poursuivi par Medor, le male de mes Miraut, se retourna, mordit la pauvre bete, et disparut dans Ja montagne, pour aller perir plus loin d'un coup de feu. Nul n'avait ete temoin de 1'accident arrive a Medor. C'est a peine si je fis attention a la blessure ayant entame la peau de sa cuisse gauche. L'ouverture dela chasse arriva, et Me'dor, aussi bien que Diane, firent des merveilles pendant mes longues excursions cynege- tiques chez tous les proprietaires des environs. Un jour, vers la fin de septembre, je remarquai la tristesse et 1'etat morbide de Medor. Et, m'approchant de lui, je voulus m'assurer des symptomes de son malaise. Au moment ou j'en- tr'ouvrais les machoires de Medor j'en fremis encore a 1'heure ou j'ecris ces lignes mon pauvre chien grogna et fit un effort pour me mordre; mais il se retint, et, se levant par un bond vigoureux, sortit aussitot de la cour du chateau, s'e^ lanc,a vers les sentiers de nos montagnes et disparut a mes re- gards. Je n'avais pas compris tout d'abord cette boutade, et je ne me 1'etais expliquee que par la crainte d'une correction rnotivee par cette mauvaise humeur, a laquelle je n'etais pas accoutume ; mais quel ne fut pas mon etonnement, lorsque le soir je ne ne trouvai pas Mddor a sa place, couche pres de Diane. On ne le vit pas a la ferme, et le lendemain matin il n'etait pas revenu au chenil. L'HYDROI'IIOBIE. 275 Le soir du troisieme jour qui suivit cette disparition, le ber- ger de la maison vint me dire qu'il avait aperc.u Medor dans le trou aux Fees, mais qu'au moment ou il s'etait approche, 1'ani- mal etait rentre dans la profondeur d'un des orifices. Des le lendemain matin, je pris mon fusil et me dirigeai seul vers le rocher des Alpines, sous lequel les fees du pays avaient fait election de domicile. Je n'apergus rien tout d'abord, et je me mis a appeler. Tout a coup Medor se montra a Tune des gueules superieures ; mais a peine m'eut-il contemple qu'il rentra dans le trou et ne voulut plus reparaitre. Je restai la une demi-heure, m'egosillant a appeler Medor : je ne vis plus rien. Le soir, je repassai encore a la m6me place; je criai de nou- veau et j'eprouvai la meme deconvenue. Je ne comprenais point cette obstination d'un chien fidele et devoue, et mes oncles, a qui je racontai le fait, se perdirent en conjectures ; puis on oublia Pabsent et tout fut dit lorsqu'on eul prononce cette phrase : II reviendra des qu'il aura faim. Le lendemain apres midi, le jardinier de la ferme vint me trouver d'un air consterne. Monsieur, me dit-il, j'ai trouve Medor. La pauvre bete est morte... morte enragee. Quelle sottise me contes-tu la ? Rien n'est plus vrai ; ce brave animal est la-haul, devant le trou aux Fees, roide, la gueule remplie d'ecume, et moi qui m'y connais, monsieur, car mon cousin est mort de la rage, helasl vous le savez bien ; je vous dis que Medor etait hydro- phobe. Je compris tout alors : je devinai cet instinct, cette noble intelligence qui avait entraine 1'animal loin de la demeure des hommeS) ses amis, chez lesquels il eut porte le desespoir, en depitde sa volonte de ne pas causer de malheur. Cette creature 270 HJSTOIRE DKS RACES DE CHIENS. du bon Dieu s'etail refugiee dans uri trou et y avail creve de male rage. Jc sais bien que quelques erudils me diront que le tail est impossible, puisque le chien hydrophobe est porte a courir et a fuir comme un fou furieux : n'importe, je rapporte une histoire vraie et je pourrais au besom en appelerau lemoignagede gens dignes de foi et qui vivenl encore. La seconde histoire que j'ai promise sera plus courte que celle-ci et j'en garantis egalement 1'authenticite, quoiqu'il me tut plus difficile d'en donrier la preuve, eu egard a la distance qui nous separe du pays ou elle s'est passee. Pendant mon sejour aux Etats-Unis, vers 1842, j'avais perdu, ecrase sous les roues d'une locomotive, un chien epagneul de fort belle race qui etait venu me rejoindrc tout seul a New-. Yoii, a bord d'un navire a voile. A dire vrai, il avail ele corifie par ma mere a la diligence de Paris, puis par le conducteur des messageries au cook d'un packet americain : V Admiral* Pauvre bete qui rendit le dernier souffle en me lechant et en pleurant comme un enfant. Je reviens a mon anecdote. La compagnie d'un chien m'esl necessaire : aussi je clierchai a remplacer Fami defunt, et j'y parvins au bout de quelques semaines. Un Yankee tres-amaleur de chasse, avec qui je m'elais lieau milieu des bois, me fit present dun griffon pur sang, dont le nom etait Tarry, et qui ne tarda pas a s'attacher a son nouveau maitre. La chose ne lui tut pas difficile, j'en suis sur, car j'ai toujours la mauvaise habitude de trailer les chiens comme des enfants, c'est-a-dire de les gater, afin de les rendre parfaits a la chasse (c'est un moyen qui me reussit). Turry devint bientot ce que 1'on appelle un fameux chien et m'accompagnait dans mes excursions de chasse, ou Frank Forrester, mon frere en saint Hubert, m'entrairiail sou vent I/HYDROPHOBIE. 277 dans les bois de Fordham et dans les marais du New-Jersey. Tin jour Turry se battit avec le chien d'une ferme pres de la- quelle nous passions. 11 fut mordu a la nuque, mais non grieve- ment, car il se mit a chasser avec courage, et son ardeur ne se ralentit pas un seul instant de 1'aube au crepuscule. A vingt jours dela seulement, le pauvre animal devint triste et sa tristesse ne fit qu'augmenter de jour en jour. Je ne com- prenais rien a cette fac,on d'agir : la plaie s'etait refermee, et, par consequent, je ne songeais plus a la morsure qu'il avait rec.ue. Je le purgeai, je lui fis poser un seton, rien n'y fit. Turry se montrait taciturne ; il perdit bientot toute gaiete. Un matin, le trente-neuviemejour depuisl'aventure que j'ai racontee, Forrester vint me chercher. 11 m'emmenait au-dessus des patisseries du New-Jersey, a la chasse des grouses qu'on y trouvait en grand nombre. II va sans dire que Turi'y fut de la partie. Nous gravimes lespentes abruptes de ces rochers failles a pic qui dominent PHudson, puis, une fois parvenus sur le plateau superieur, nous entrames resolument dans les taillis. Le gibier tenait, nos coups de fusil se succedaient et nos gibecieres se gonflaient en s'alourdissant. Soudain Turry s'emporte ; je veux le corriger, rnais il monfre les dents, ce qui ne lui etait jamais arrive. Je m'avance le fouet a la main ; il va se jeter sur moi, lorsque tout a coup, prenant sa course, il s'elance, tombe dans le gouffre, la t6te la premiere, enpoussant un cri supreme et va se briser sur les rochers qui bordaient le fleuve. Goddam! vous Pavez echappe belle! s'ecriait au meme instant Frank Forrester, pale, comme un cadavre et trcmblant a quelques pas de moi. Turry etait enrage. Que me dites-vous la? La verite. Quand j'ai vu brillor les yeux feroces de Pani- mal, j'ai devine ce qui se passait en lui. Je me suis souvenu de 278 HISTOIRE DBS RAGES DE CHIENS. la bataille pendant laquelle il avait ete mordu et de la nouvelle qu'on m'avait donnee, nouvelle vaguement ecoutee et aussitot oubliee de la mort de male rage de ce maudit chien de fefme. Ah ! mon cher camarade, nous Favons echappe belle, je vous le repete ; je dis nous, car, maugrebleu ! je pouvais etre 6gale- ment mordu. A mon tour, je racontai a Frank Forrester Phistoire de Medor qui me revint a la memoire, et il fut convaincu que Turry s'etait donne la mort plutot que de se jeter sur la main qui Pavait nourri, sur le maitre qu'il aimait. Pour diminuer la quantite de chiens et par consequent les terribles chances de la rage, on a eu recours en France, a Pexemple suivi par la Belgique et PAngleterre, a un imp6t tres-bien organise et perc,u avec soin. Jusqu'en 1855, le chien etait un animal tolere, a cause des services qu'il etait appele a rendre. C'est alors qu'une loi est venue reconnaitre sa position et assigner a la b6te une place dans la societe ; Futilite de sa mission s'est trouvee accrue par Pacquittement d'une taxe municipale qui lui a donne droit a une protection efficace. La loi a atteint le vagabond ; elle a voulu que tout chien eut un maitre qui put repondre de ses faits et gestes et payer sa cote personnelle. La surete publique devait ainsi y trouver son compte, puisque le nombre des chiens diminuait de tons ceux qui, vivant errants et vagabonds, souffrant de la faim et de la soif, portaient la terreur dans les families, en vouant annuelle- ment cent victimes a Phydrophobie. Cette loi donnait encore sept millions de francs aux com- munes rurales, et rendait a la classe pauvre trente millions de pain. C'est un pas de plus vers le progres ; on reconnaissait au chien le droit de vivre legalement, en assurant son existence, son L'HYDROPHOBIE. 279 avenir, son bonheur. Les gardes champeHres, au lieu de traquer ces pauvres animaux, devaient les proteger et veiller sur eux avec toute la sollicitude et le respect qu'ils doivent aux contri- buables et aux plus forts imposes. La morale publique devait aussi y gagner ; car, dans les villes, 1'mfame poison, le fatal tombereau, les massacres revoltants, la museliere merne, cet instrument d'un supplice sans nom, puisqu'il supprime la transpiration, n'avaient plus aucuneraison d'etre. Et maintenant la loi a-t-elle obtenu le but qu'elle se propo- sait? Evidemment non! puisque le nombre des chiens n'a pas sensiblement diminue, que les cas de rage sont devenus plus nombreux et que la protection du chien qui gagne son droit de vivre, n'est pas efficace, et cela par la mauvaise execution d'une bonne loi. II serait cependant si simple de rendre son application pratique, en obligeant tous les chiens a porter, suspendue a leur collier, une plaque qui serait la quittance du payement de leur taxe; celle des chiens de garde aurait une forme et une couleur differente. De cette maniere, tous les employes de la police pourraient constater sans peine toutes les infractions a la loi. Si, malgre cela, le nombre des chiens ne diminuait pas suffisamment, pour desencombrer nos places et nos rues, si la securite publique n'etaitpas suffisamment sauvegardee,on augmenterait progressivement la taxe jusqu'a ce que ce resultat fut atteint. Qu' import e qu'ils murmurent, pourvu qu'ils payent, disait le celebre cardinal Mazarin. Us payent, en effet, etbeaucoup, les pauvres chiens. Le dernier denombrement de nos amis fideles s'elevait, Tan dernier, au chiffre de 1,860,113 chiens. Pour peu que cette armee canine ait augmente sa famille, depuis douze mois, cela doit faire un chiffre fort respectable. 280 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. Dans ce nombre, il faut compter 495,522 chiens de luxe et de chasse et 1,364,791 chiens de garde. Le gibier de nos forets , et les moutons de nos plaines n'ont qu'a bien se tenir. II va sans dire qu'il ne s'agit ici que des chiens enregistres ; beaucoup de ces interessants quadrupedes echappent au con- trole qui en fait des contribuables. Le produit dela taxepour 1866 ecoule, s'est eleve au chiffre assez rondelet de 5,762,196 francs. Et il y a des gens qui pretendent que tons les chiens ne rap- portent pas! XII ANECDOTES SUR LES CHIENS La Fontaine a fait parler les b6tes, ce qui n'est pas le moins illustre cote de son talent de fabuliste; quant a moi, plusmo- deste dans mon ambition, je veux les faire agir. Les chiens qui ont eu jadis la parole, si Ton ajoute foi a Bo- naventure Duperier, auteur d'un ouvrage, le Cymbalum mundi, qui fut brule par la main du bourreau sous le regne du roi Francois I er , 1'ont perdue de nos jours; mais, en revanche, ils ont conserve le grand talent de se rendre tres-comprehensibles. L'homme qui vit avec eux n'a pas besoin de grande imagination pour savoir ce que leurs yeux et leurs gestes cherchent a ex- primer. Si le Createur de toutes choses a permis que certains oiseaux bavardassent, tandis que les cliiens restaient muets, il a bien fait, cequ'il faisait, sans en cbercher la preuve. Du reste, qu'est-il besoin que notre chien parle, s'il aboie 282 HISTOIRE DES RAGES DE CHIENS. aux voleurs, aux facheux, aux loups, aux ennemis, et s'il grogne de joie en vous voyant, ou en apercevant un ami? Tout chasseur, qn entendantla voix de ses chiens, ne devine- t-i] pas quel gibier ils ont mis sur pied? Tout homme ayant un chien qu'il choie et qu'il aime ne com- prend-il pas, aux mouvements de ses yeux, de ses pattes, de son corps, de sa queue, ce que cette bonne be"te cherche a lui dire? Ce preambule un fois pose, je poursuis mon travail, en con- signant dans ce chapitre certaines anecdotes connues et incon- nues sur les amis les plus devoues de la race humaine. LE CHIEN DE XANTIPPE Plutarque, qui ne dedaignait jamais de recueillir ce qui pouvait instruire les hommes, propose, en passant, pourexem- ple d'attachement, les chiens des Atheniens, a Tepoque ou ce peuple, menace par 1'armee innombrable de Xerxes, s'embar- qua pour se retirer a Salamine. La desolation 6tait generate, et les animaux domestiques eux-memes prirent part au deuil public. On ne pouvait s'empecher d'etre touche et attendri en les voyant courir, avec des hurlements, aupres deleurs maitres qui lesabandonnaient. Entre tous les autres, onremarqua le chien de Xantippe, pere de Pericles, qui, ne pouvant supporter de se voir eloigne de son maitre, se precipita dans la mer, et nagea toujours pres de son vaisseau jusqu'a ce qu'il aborda, presque sans force, a Salamine, et mourut aussitdt sur le rivage. Plu- tarque ajoute que de son temps on montrait encore 1'endroit ou avait ete enterre ce bon animal, et que Ton nommait ce lieu la Sepulture du chien. ANECDOTES SUR LES CIIIENS. 283 LE CHIEN D'HESIODE Plutarque raconte qu'Hesiode, celebrepoete grec, fut tue par les Locriens, qui le jeterent dans la mer ; mais son corps ayant ete porte jusqu'a terre par des dauphins, on reconnutle meur- tre. Le chien d'llesiode s'acharna tellement centre les enfants de Ganistor-Naupactien, qu'ils furent accuses d'etre les auteurs de cet assassinat. On acquit des preuves de leur crime, et ils furent punis de mort. LE CHIEN D'ANACREON Anacr6on allait un jour a Theos, suivi d'un seul domestique qui portait un sac d'argent, et d'un chien qu'il aim ait beau- coup. Le domestique, oblige de s'arreter, s'eloigna de la route, et, quand il rejoignit son maitre, oublia de reprendre le sac qu'il avait depose. Arrive a Theos, Anacreon s'aperc.ut que son chien n'etait pas la. Son domestique se rappela alors qu'il n'a- vait plus son sac. Anacreon, ne pouvant terminer ses affaires, faute d'argent, retourna a sa campagne pour en chercher d'autre, car il croyait bien perdu celui que le domestique avait oublie. Mais en passant pres de 1'endroit ou son domestique s'etait arrete, le chien apercevant son maitre vint a lui, et le conduisit pres du sac, qu'il n'avait pas quitte. LE CHIEN D'ALEXANORE LE GRAND Le grand Alexandre, en partantpour la conqute dans PInde, regut du roi d'Albanieun chien d'une taille enorme. Cet animal, d'une force extraordinaire, ayant plu a ce conquerant, il or- donna qu'on lachat d'abord contre lui des ours, puis des san- 284 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. gliers, puis des daims; mais ce chien, qui meprisait de tels adversaires, resta couche et immobile. Alexandra, qui etait le courage meme, fut indigne de trouver tant d'indolence dans un si grand corps, et le fit tuer. Le bruit en vint aux oreilles du roi d'Albanie, qui lui envoya un second chien de la meme espece, nomm6 Peritas, avec cette condition expresse, qu'il ne mettrait pas celui-ci a de si faibles epreuves, mais qu'il eprouverait son courage contre un lion ou centre un elephant; ajoutant qu'il n'avait eu que deux chiens de cette espece, et que si ce second etait tue, la perte serait irreparable. Alexandre, sans differer, fit lacher un lion devant Peritas, qui, a 1'instant meme, le mil en pieces. II lan^a ensuite contre le chien un elephant, et jamais spectacle ne lui parut plus curieux. D'abord on vit les poils se dresser sur Techine de Panimal qui se mit a aboyer d'une ma- niere terrible. Un moment apres, Peritas assaillit cette redou- tablebete, se dressant contre elle a droite et a gauche, joignant la ruse au courage, ainsi que le cas 1'exigeait ; tant6t le provo- quant et tantot 1'evitant, jusqu'a ce qu'etourdie, a force de pi- rouettes, elle tomba a terre d'une chute si lourde que tout le sol des environs en fut ebranle. Apres la mort de Peritas, on ou\rit son corps, et Eustachius rapporte qu'on trouva son cceur entoure de poils. LES CHIENS DE MISTRA Virgile, dans son quatrieme livre des Georgiques, a fait un fraite de la republique des abeilles; on ne s'imagine peut-etro pas que les chiens en ont aussi une. Rien n'est pourtant plus constant; et c'est a Lacedemone, aujourd'hui Mistrn, qu'elle existe, soutenue par la charite des mahometans. Dnns refto \ille, les Turcs n'ont. pas de chiens domestiques, et les chiens n'ont pas de maitres particuliers. II en faut excepter de tres- ANECDOTES SIR LES CHIENS. k 285 petits que les dames font venir, par curiosite, de Malle et de Pologne. La charite mahometane fourriit aux naturels du pays a boire et a manger; et quand une chienne est prete a faire ses petits, le plus charitable Turcde la rue lui accommodeune pe- tite place avec du foin et de la paille au-devant de sa maisori. Quant on va a la mosquee, ou qu'on en sort, on achete de petils morceaux de pain fort minces et a demi cuits, qu'on distribue aux chiens. Mais ce qu'il y a d'admirable, c'est le departement de ces animaux qui est regie entre eux, car ils sont distribues par bandes dans les rues particulieres qui leur sont affectees; en sorte que chaque bandedemeure eri son quartier ordinaire; et le chien vagabond qui s'emancipeen allarit dans le quartier des autres pour picorer, est assure d'etre bien etrille s'il ne se sauve au plus tot Les chiennes memes d'un quartier ne sont jamais couvertes par les chiens d'un autre ; il s'observe la- dessus une police tres-severe, car les delinquents de Fun et 1'autre sexe sont etrilles d'importance par les plus anciens. II n'y a nulle part tant de chiens qu'au Japon. Chaque rue a les siens, qu'on doit nourrir soigneusement, et qu'il n'est pas permis d'insulter ni de tuer sous des peines tres-rigoureuses, quelquefois rneme de mort. C'est Peffet du caprice singulier d'un monarque. Ce prince etant ne sous le signe du Chien (qui estparmi les Japonais un des douze signes du zodiaque), avait coiic,u reflection la plus tendre pour ces animaux. La tendresse alia si loin du temps de cet empereur que, quand un chien mourait, il fallait le porter sur le sommet des moiitagnes et lui faire un enterremenl magnifique. LES CHIENS ROIS Qui pourrait croire qu'il y a eu des chiens eleves au rang su- preme? Ostin, ills d'un roi de Norvege, ayant ete elu roi de 286 HISTOtRE DES RACES DE CHIENS. Suede, vers Tan 230 de 1'ere vulgaire, lorsque les Norve- giens eurent massacre le roi son pere qui les traitait cruel- lement, mit tout a feu et a sang dans ce royaume et, pour comble de mepris, etablit sur le trone un chien, nomme Su- emny, pour gouverner le pays. Elien fait aussi mention de quelques peuples d'Ethiopie qui avaient pour roi un chien, dont les gestes et les mouvements etaient consultes et interpretes dans les affaires essentielles de 1'Etat. Pline rapporte encore que les Toembars obeissaient a un semblable maitre. Malgre ces graves autorites, je doute que les chiens qui trottent dans nos rues veuillent jamais croire qu'il y a eu parmi leur race des teles couronnees. LES CHIENS DES ROIS DE DANEIYIARK Lodbroc, roi de Danemark, fut assassine par un certain Bern, fauconnier du roi Edouard, qui le tua etl'enterra en secret. Le meurtre fut ensuite decouvert par un chien courant qui appar- ienait a Lodbrok, et qui ne quittait le corps de son maitre que lorsqu'il etait presse par la faim, et seulement pour la satisfairc. Ce chien caressait le successeur de Lodbroc et les gens de la cour toutes les fois qu'il etait force de les voir. Comme on le connaissait pour avoir appartenu a Lodbrok, il fut observe et suivi jusqu'a Tendroit ou gisait le corps de son maitre. Bern fut decouvert pour le meurtrier du roi, par la maniere dont le chien le traitait toutes les fois qu'il le voyait. Beaucoup d'autres circonstances donnerent la conviction de son crime, et cet assassin fut condamne a etre lance a la mer dans un vaisseau sans voiles et sans rames, livre a la merci des vagues. Pope dans seslettres, etle chevalier de Warwick dans ses me- moires, rapportent que Christian l er , roi de Danemark, fut aban- donne, dans un instant tres-critique, par tous ses amis et par ANECDOTES SUR LES C1UENS. 287 tous ses courtisans ; tandis que son chien seul, nomme Wild- brat^ demeura aupresde sapersonne. Ce contraste de la fidelite du chien avec I'ingratitude des hommesdont Christian avail ete le bienfaiteur, fit une telle impression sur le monarque, qu'il consacra ce fait par les lettres initiales suivantes, gravees dans la decoration de 1'ordre le plus distingue du Danemark, T, I, W, B, qui, dans la langue du pays, signifient en abrege : Wild- brat fut fidele. LES CHIENS WIGS ET TORYS On lit dans les Nuits peruviennes Fhistoire de deux petits chiens qui furentcondamnes, dans lesiecle dernier, en Ecosse, a etre pendus, et qui furent reellement executes. Leur crime etaitde porter le nom de deux hommes dont les cabales avaient entraine la revolution de 1688. M. Gibbs, marchand a Aberden, ville maritime de 1'Ecosse septentrionale, s'etait permis de nommer Wigs et Torys deux petits chiens qu'il possedait.Les magistrats decette ville prirent connaissance de cette affaire, qu'ils prirent fort au serieux ct ils condamnerent les deux chiens a etre pendus, ce qui fut execute. Les querelles de partis ont toujours entraine de grands malheurs, mais, cette fois-ci, ce fut une injustice cruelle. LE CHIEN DU PORTE-BALLE On voit dans Feglise de Lambeth, a Londres, sur les vitraux d'une fenetre, le portrait d'un homme et d'un chien. Voici Porigine du sujet de cette peinture. tin porte-balle tres-pauvre, passant sur une piece de terre, ne put jamais parvenir a forcer son chien de quitter un endroit ou il n'avait cesse de gratter. Etonne de cette opiniatrete, et k J88 H1STOIRE DES RACES DE CHIENS. soupc.orinarit qu'il y avail quelque chose de cache dans cet en- droit, il sonda la terre avec son baton, seritit quelque resistance, et, en creusant, troiwa un pot rempli d'or. II acheta le terrain d'une partie de son argent, et s'etablit dans la paroisse. On doit penser combien il feta le chien qui lui avait procure cetle fortune. Cette piece de terre, qui coritient un acre et dix-neuf perches, porte le nom de VAcre clu porte-balle ; elle rapporte au- jourd'hui deux cent cinquante livres de rentes. En 1504, cet homme en lit don a sa paroisse, a condition que son portrait et celui de son chien seraient perpetuellement con- serves sur un panneau de 1'une des fenelres de 1'eglise. Les paroissiens out execute cetle clause avec une exactitude reli- gieuse. LE CHIEN DES MONTS GRAMPIANS Un berger ecossais, qui faisait paitre ses troupeaux dans les vallees qui separent les monts Grampians, avait 1'habitude d'emmener avec lui, dans ses excursions journalieres, un de ses enfants, age d'environ trois ans : cet usage est pratique par tous les habitants des montagnes d'Ecosse, qui accouturnent de bonne heureleurs enfants a endurer les rigueurs du climat. Le berger, apres avoir traverse son paturage, accompagne de son chien, se trouva dans la necessite de se porter au somrnet d'une montagne, a quelque distance de la : comme la montee etait trop rapidepour son enfant, il le laissa dans la plaine, en lui enjoignant d'une fac.on expresse de ne pas bouger de place jusqu'a son retour. A peine etait-il parvenu a la cime de cette montagne, que Phorizon fut aussitot obscurci par 1'un de ces impenetrables brouillards qui descendent frequemment avec taut de rapidite sur les hauleurs, que, dans 1'espace de quel- ques minutes, ils changent les jours en nuits. Le pere, ac- ANECDOTES SUR LES CHIENS. 289 cable d' inquietude, descendit en courant a 1'endroit ou il avail laisse son enfant ; mais a travers Pobscurite et dans son agita- tion, il perdit son chemin. Apres une recherche infructueuse de quelques heures au milieu des marais et des cataractes dont ces montagnes abondent, il se trouva surpris par la nuit la plus obscure, en errant c.a et la, sans savoir ou il portait ses pas. Etant parvenu entin avec beaucoup de peine a decouvrir la lisiere du brouillard, il s'aperc,ul, au clair de la lune, qu'il elail parvenu au fond de la vallee, et qu'il se trouvait a une tres-petite distance de sa chaumiere. II eul ele pour lui aussi dangereux qu'inulile de continuer sesrecherches; il se vit done oblige de retourner a sa cabane, apres avoir perdu son enfant et le chien qui, depuis plusieurs annees, etait son compagnon fidele. Le lendemain matin, a la pointe du jour, le berger, suivi d'une foule de paysans, se mit a la recherche de son enfant ; mais apres avoir passe la journee enliere a se fatiguer inutile- men t, il fut enfm oblige, sur le soir, de descendre de la mori- tagne. En revenant a sa chaumiere, il apprit que le chien qu'il avail perdu la veille, apres etre venu a la maison et avoir rec.u un morceau de pain, s'etail enfui aussitot. Pendant plusieurs jours de suite, le berger ne cessa de courir a la recherche de son enfant ; et toujours, en revenanl vers la brune a sa chau- miere, il apprenail que son chien avail paru et qu'il s'etail enfui, apres avoir rec,u sa nourrilure ordinaire. Frappe de celle singuliere circonstance, il resta uri jour a la maison ; el lorsque le chien parlil comme de coulume avec son morceau de pain, il resolul de le suivre el de connailre le molif de celle conduite extraordinaire. Le chien se dirigea vers une cataracle siluee a quelque dislance de 1'endroil ou le berger avail laisse son en- fanl; les bords de celle chule d'eau, reunis presque enlieremenl a leurs extremites, mais separes par un abime d'une profondeur 19 290 H1STOIHE DES KACES DE CHIENS. immense, presentaient aux regards effrayes cet aspect qui cause si souvent tant d'effroi aux voyageurs egares dans les monts Grambiens, et indiquaient en meme temps que ces lacunes ne sont pas Pouvrage silencieux du temps, mais 1'effet soudain de quelque violente convulsion de la nature. Le chien, sans hesi- ter, descendit dans Pun de ces precipices, d'une profondeur presque perpendiculaire, et enfin disparut dans une caverne dont Pouverture etait presque de niveau avec le terrain. Le berger Py suivit avec beaucoup de difficulte ; mais quelles furent ses emotions en entrant dans la caverne, lorsqu'il apergut son enfant mangeant avec beaucoup de satisfaction le morceau dc pain que le chien venait de lui apporter, tandis que ce fidele animal se tenait a cote de lui, en regardant d'un oail de com- plaisance son petit protege! D'apres la situation dans laquelle le pere trouva 1' enfant, il comprit qu'il s'etait ecarte jusqu'au bord du precipice et qu'il avait roule jusqu'a Porifice de la grotte. La peur avait en- chaine ce petit etre timide, et le chien, Payant suivi a la piste, Pavait preserve de mourir de faim en lui apportant sa ration journaliere. II parait aussi que le bon animal ne quittait cet enfant ni le jour ni la nuit, a P exception des instants ou il allait chercher sa nourriture, instants ou on le voyait courir de toutes ses forces, en venant a la chaumiere, ou en retournant a la caverne. LE CHIEN DE DUBLIN La Gazette de France, du 15 Janvier 1811, rapporte Pa venture suivante, arriveedans les environs de Dublin. Un gentilhomme etant alle a une foire de chevaux du voisinage, perdit, en reve- riant chez lui, sa bourse dans laquelle il y avait cinquanle ducats : il ordonna a son chien barbet d'aller la chercher. Le ANECDOTES SUK LES CHIENS. 291 chien 1'avait retrouvee, et la rapportait a son maitre, quand il fut rencontre par un autre gentilhomme qui chassait avec son monde et ses chiens, et qui emmena la bete, ravi de la rencon- trer nantie d'une bourse ou il y avait de Tor. . Le chien plut au maitre, qui le traita fort bien, mais 1'empecha de sortir. Neuf mois s'etaient ecoules, lorsqu'un jour ce gentilhomme, se dis- posant a aller aussi a une foire de chevaux, mit sur la table une bourse de cent cinquante ducats. Au moment ou il tournait la tete, le chien prit la bourse dans sa gueule et courut la porter a son ancien maitre. On peut juger de la joie et du plaisir de celui-ci. Ces deux gentilshommes se rencontrerent par hasard quelque temps apres et se raconterent leur histoire. Celui qui avait perdu cent cinquante ducats les reclarnait ; 1'autre refu- sait de les rendre. L'affaire fut portee devant un tribunal, qui condamna le gentilhomme aux cent cinquante ducats, pour avoir garde pendant pres d'unan, d'une maniere inconvenable, le chien et 1'argent qui ne lui appartenaient pas. LE CHIEN DE L'A M BASSA DE U R WITSHIRE On ne se douterait pas que 1'attachernent d'un Anglais pour son chien a ete la cause du schisme de 1'Angleterre. Voici comment quelques memoires historiques rapporterit le fait: Henri VIII, roi d'Angleterre, apres avoir presque rompu avec la cour de Rome, voulut faire encore une tentative pour obtenir que le pape approuvat son divorce ; le pape, de son cote, crai- gnant le schisme, semblait etre dans des dispositions plus favo- rables. Henri choisit, pour cette importante negociation, le comte de Witshire, homme distingue par son rang et son merite. Get ambassadeur avait un chieri qu'il aimait passionnement et qui ne le quittait jamais. A la premiere audience du pape, au 29'2 H1STOIRE DES RACES DE C11IENS. moment ouSa Saintete avanc, ait son pied pour que 1'ambassadeur put le baiser, le chien fidele, comme pour defendre son rnaitre, se jeta sur le pied du pape et le mordit au talon, si bien que le sang coula. Aussitot 1'audience fut finie, la negotiation rompue et le schisme consomme. LE CHIEN DU PRINCE D'ORANGE Ungros chien, repousse dedifferentes maisons,vint unjourse refugier sous la chaise du celebre prince d'Orange, tandis qu'il etait a table. Le prince le chassa plusieurs fois et le fit expulser par ses gens ; mais le chien ne rnanquait jamais de revenir a Pheure des repas, et prenait si bien son temps, que Maurice le trouvait toujours a ses pieds. Enfm, las de le rebuter, et remar- quant la Constance de cet animal, il defendit qu'on le renvoyat. Le prince lui donna lui-meme a manger, le chien le caressa, et ce nouveau courtisan accompagna partout son maitre sans Pim- portuner. II demeurait a la porte de sa chambre et suivait le prince lorsqu'il en sortait. S'il allait hors de son palais, le chien marchait a cote de son carrosse, et Ton cut dit qu'il etait un de ses gardes. Cela plut tellement a Maurice, qu'il prit cc chien en amitie, lui dorina acces dans son cabinet, et lui legua enfin, en mourant, une somme avec laquelle il fut entretenu pendant sa \ieillesse, qui se prolongea tres-longtemps. LES CHIENS LEGATAIRES Dansles grandes villes de Turquie, il y a des hopitaux fondes pour les chiens. Tournefort assure qu'on leur laisse des pen- sions en mourant, et qu'il y a des gens a gages pour faire exe- cuter 1'intention des testateurs. Je viens de raconter comment le prince d'Orange avait legue a son chien une somme assez ANECDOTES SUR LES CHIENS. 295 forte pour le nourrir, dans la crainte qu'on n'en prit pas assez de soin apres lui. Voici le comte de Pembroke, qui vivait sous Charles I er , et fit un testament singulier ou Ton trouve cet article : Item. J'entends que mes chiens soient partages entre tous les membres du conseil d'Etat. J'ai assez fait ce qu'ils ont voulu. J'ai travaille tantot avec les pairs, tantot avec les communes ; ainsi, quelque chose qui arrive de moi, j'espere qu'ils ne lais- seront pas mourir de besoin mes pauvres chiens ! M. Roscall, riche proprietaire a Pressau, en Angleterre, mort dans le courant de mai 1806, legua, dans son testament, mille livres sterling (25,000 fr.) en faveur d'un aveugle qui mendiait dans les rues, conduit par un petit chien des plus interessants. Un apothicaire de Londres, nomme Miller, laissa, en mou- rant, tous ses biens a son chien, nomme Arlequin Sinesina. II lui donna pour tutrice et curatrice la servante qui les servait tous deux, a la condition que celle-ci en prendrait un soin ex- treme, faute de quoi une autre personne, qu'il nommait, pour- rait dc plein droit 1'evincer de cette tutelle et curatelle. Une femme de qualite dicta ce testament aux notaires qui re- cjirent ses dernieres volontes : Attendu que mon chien fut toujours le meilleur de mes amis, je le declare mon executeur testamentaire, et lui confie la disposition de toute ma fortune, sous la surveillance et 1'autorite du marquis de Villemur. J'ai beaucoup a me plaindre des hommes; ils ne valent rien, ni au physique ni au moral. Mes amants etaient faibles et trompeurs, mes amis faux et perfides. De toutes les creatures qui m'entouraient, mon chien est le seul etre anirne a qui j'ai reconnu de bonnes qualites. J'ai done raison de disposer de mon bien en sa faveur, et j'ordonne qu'on distribue des legs a ceux qui recevront ses caresses. 294 11ISTOIRE DES RACES DE CHIENS. LE CHIEN PROTECTEUR Un medecin de Londres, revenant du theatre, apercut un rassemblement devant un corps de garde ; il entre par curiosite et trouve, au nombre de quelques personnes ivres qu'on venait d'arreter, un ami qu'il n'avait pas vu depuis plusieurs annees. Celui-ci lui demandant son adresse, le docteur tira, pour la lui donner, son portefeuille dans lequel il avait 500 livres ster- ling en billets de banque. Deux hommes qui s'en etaient apergus le suivirent. Chemin faisant, le medecin se sentit plusieurs fois frotter la main par le museau d'un gros dogue deTerre-Neuve, qui ne cessait desauter et qui s'attacha a ses pas. Arrive dans Grosvenor-Square (le medecin demeurait aParc-Lane), les deux hommes qui Pavaient toujours suivi sauterent sur lui, le sai- sirent au collet et lui demanderent son portefeuille. Mais le chien, aussi prompt qu'eux, s'elanca sur les deux coquins, blessa Tun grievement a la jambe et les forca tous deux a s'en- fuir. Le dogue poursuivit son chemin avec celui qu'il avail sauve, arriva a la maison du docteur, et attendait sur le pas de la porte qu'on eut ouvert au maitre. Celui-ci, plein d'admira- tion, voulut fa ire enlrer ce genereux animal ; le dogue s'y re- fuse avec lant d'opiniatrete qu' on fut oblige de fermer la porte; un moment apres, le medecin la fit ouvrir, le dogue avail dis- paru. II attribua au hasard 1'heureuse rencontre de ce chien qui Tavait secouru avec tant de courage etdedesinteressement, mais quelle fut sa surprise quand il retrouva le lendemain, dans ce dogue, le chien de 1'ami a qui il avait donne son adresse au corps de garde. II ne douta pas alors que Tanimal ayant devine le complot des deux voleurs, ne 1'eut suivi dans 1'intention de servir d'escorte a 1'ami de son maitre, pour le defendre contre ceux qui avaient forme le projet de le voler. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 295 LE CHIEN DES TOMBEAUX Toutes ies ames sensibles ont connu a Londres ce quadrupede qui vivait au milieu des tombeaux. Get emule d'Hervey etait un chien fidele, inconsolable de la perte de son maitre, qui ne voulut pas le quitter, meme apres sa mort. Les voisins du cimetiere de Saint-Octave, temoins de son devouement, repan- dirent par toute la ville cette touchante histoire , dont Ies journaux ont recueilli Ies details. Get animal, digne modele des amis, n'avait pas perdu de vue son maitre pendant une longue maladie. II le vit enfermer au cercueil et Faccompagna a sa derniere demeure en poussant des cris lamentables. Des que la triste ceremonie fut achevee, au lieu de suivre ceux qui Fappe- laient, il se refugia dans une ouverture qu'offrait un tombeau mine, pres de Fendroit ou reposait son maitre. C'est ce trou, a peine assez large pour le contenir, qui devint sa demeure. Fuyant tout commerce avec Ies individus de son espece, comme avec Ies hommes, il restait dans sa demeure sepulcrale, et n en sortait que lorsqu'il y etait force par le besoin extreme de la faim. II ne souffrait cependant la lumiere du jour que le temps necessaire pour aller tristement a une maison voisine prendre Ies aliments qu'on lui offrait. En vain essaya-t-on de le faire sortir du cimetiere ; il n'avait pas plutot satisfait le besoin de la faim qu'il retournait a son poste cheri et s'ensevelissait de nouveau. Si, en se rendant de sa triste demeure a la maison ou il recevait sa riourriture, il rencontrait quelques individus de son espece, il ne donnait pas la moindre attention a eux. II avait rompu tout lien social avec Ies vivants pour ne vivre qu'avec Ies morts. Get animal vecut pres de dix ans au milieu des tombeaux. Ayant enfin tarde.a reparaitre plus qu'a Fordi- 296 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. naire, on alia le chercher dans sa retraite, et on Je trouva mort sur la pierre qui couvrait les restes de son maitre. LE CHIEN DU COUVENT Mehemet Saladiri, empereur du Mogol, avail fait placer dans la cour de son palais une cloche qui resonnait dans son appar- tement, etl'avertissait de la presence de ceuxqui demandaient une audience, qu'il ne refusait a personne. Un chien qu'il aimait, et pour lequel il faisait beaucoup de depenses , alia sonner la cloche pour lui faire voir que Ton supprimait, par cupidite, la plus grande partie de sa nourriture. Onraconte ce meme trait d'uri chien que Ton nourrissait dans une communaute. Les personnes de la maison qui arrivaient trop tard et voulaient prendre leur repas, tiraient une petite son- nette, et le cuisinier passait leur portion par le moyen d'une boite tournante, qu'on appelle tour dans les maisonsreligieuses. Le chien etait atlentif a tous ces mouvements, parce qu'ordi- nairement on lui abandonnait quelques os dont il se regalait. Ces revenants-bons ne satisfaisaient pas toujours son appetit; neanmoins, il s'en contentait; lorsqu'un jour, n'ayant pu rien attraper, il s'avise de tirer lui-meme la sonnette avec ses dents. Le gargon de cuisine, croyant que c'etait une personne de la communaute, passa une portion. Le chien se montra tres- satisfait et 1'avala dans le moment. Le jeu lui parut doux, il recommence le lendemain et, sur de sa pitance, ne fit plus la cour a personne. Cependant le cuisinier, qui s'etait plusieurs fois aperc,u qu'on lui demandait une portion de plus, se tint sur ses gardes. On fit des recherches, on examina et Ton surprit a la fin le drole, qui ordinairement n'attendait pas que toutes les personnes de la communaute eussent leur portion pour de- mander la sienne. On admira la finesse de cet animal ; et, pour ANECDOTES SUR LES CHIENS. 297 ne pas le priver du fruit de son Industrie, on continua de lui passer sa pitance, laquelle se composait de tout ce qui etait reste sur les assiettes. LE CHIEN DU STATHOUDER On voit, a Delf, la statue du chien de Guillaurne I er , stathou- der de Hollande. Get animal merita cet honneur par le tendre attachement qu'il avait eu pour son maitre. Un jour que le prince dinait en grande ceremonie dans une ville hollandaise, ce chien vint se coucher a ses pieds. On avait beau le chasser, il se remettait doucement a son premier poste, en lechant les pieds et les mains du stathouder, qui, touche de tant de per- severance et detant de caresses, ordonna enfin qu'on lui laissat son nouvel ami. Depuis cet instant, cet animal si fidele, qui ne briguait assurement ni titres, ni places, ni pensions, suivit loujours le prince, ne mangeant meme que ce qu'il recevait de la main de son maitre. Ce chien, la honte des ingrats et des cceurs interesses, ne put survivre a Guillaume I er . Vivement touche de sa mort, il refusa toute nourriture, et expira peu de jours apres. LA LEVRETTE DU GRAND FREDERIC Frederic aimait beaucoup les chiens. C'est du chenil d'un chasseur de Berlin qui elevait une troupe de jolies levrettes que le roi tirait ses favoris ordinaires et il renvoyait ensuite ceux qui avaient encouru sa disgrece. Le lit et les meubles du mo- narque portaient des marques sensibles des libertes cyniques de ses petits courtisans effrontes : ce qui offrait un contrasle assez singulier avec 1'ordre politique et moral qui caracterisait le regne de ce prince laborieux. La levretle favorite ne le quittait 298 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. jamais, pas m6me dans les batailles, et ce ne fut qu'apres avoir mis son maitre en un danger tres-evident, que Biche perdit le privilege de 1'accompagner aux champs de la victoire. Un jour, le roi qui s'etait engage, a pied, trop loin de sa suite , vit venir de son cote une troupe de pandours, et il ne put les eviter qu'en se jetant dansun fosse, ou il se tint cache sous un mechant pont de bois, jusqu'a ce que le detachement ennemi fut passe. Sa fidele Biche pouvait le trahir en aboyant au bruit que firent les chevaux des pandours en trottant sur le pont ; mais la fortune de Frederic prevalut. Biche se tapit en silence sous le manteau de son maitre, qui ayant rejoint ses gens, leur dit, en montrant sa levrette : Messieurs, voila ma meilleure amie! Cependant Biche, depuis ce jour, ne quitta plus les bagages. Les equipages du roi ayant ete pris a la bataille de Soor, Biche , prisonniere de guerre, devint le partage du general Nadasti, qui la donna a son epouse. II fallut negocier longtemps avec cette dame avant qu'elle consentit a Pechange de sa captive. Enfin Biche fut renvoyee au general de Rothembourg. Le roi ecrivait, le dos tourne vers la porte, au moment ou le general la lui ramenait. Apercevoir son maitre, s'elancer sur sa table, renverser les depeches et se dresser avec deux pattes sur les epaules du mo- narque, tout cela fut pour Biche Taffaire d'un seul bond. Frede- ric, agreablement surpris, ne put recevoir ces caresses sans attendrissement. Biche, cherie tant qu'elle vecut, re^ut apres sa mort les honneurs d'un monument et d'une inscription qui se voient encore sur la grande terrasse de Sans-Souci. ANECDOTES SUR LES CHIENS. .299 LES CHIENS QUI PARLENT Un soldat allemand du regiment de Wartenslben avail un chien d'une race tres-commune, qui grognait quand on le touchait. Son maitre, profitant de cette habitude, lui tenait d'une main la machoire d'en haut, et de 1'autre celle d'en has; et pendant que 1'animal grondait, il prenait de differentes ma- nieres, tantot I'une, tantot 1'autre machoire, et souvent toutes les deux, ce qui faisait faire diverses contorsions a la gueule du chien, et lui permettait en meme temps de prononcer des paroles plus ou moins distinctes, selon que le maitre prenait les machoires avec plus ou moiris de justesse. Le soldat faisait dire ainsi une soixantaine de mots au chien qui jamais ne prononc.ait plus de quatre syllabes de suite. Elisabeth etait de tous les mots celui qu'il prononcait le mieux. Son maitre avait employe six ans a amener son chien a ce point d'education. Leibnitz a vu aupres de Zeik, dans la Misnie, un chien qui parlait naturellement, c'est-a-dire sans qu'on employat aucun moyen pour le faire prononcer. C'etait un chien de paysan, d'une race des plus communes et de grandeur mediocre. Un jeune enfant lui entendit pousser quelques sons qu'il crut ressem- bler a des mots allemands, et aussitot il se mit en tete de lui apprendre aparler. Le maitre, qui n' avait rien de mieux a faire, n'epargna ni son temps, ni ses peines. Le chien avait environ trois ans quand il commenga ; au bout de deux ans, il prononc,ait environ une trentaine de mots. Un lieutenant-colonel au service de Pologne avait une petite chienne, nominee Zemire, qui riait aux eclats quand elle vou- lait exprimer sa joie; ce qui est d'autant plus etonnant, que les animaux ne rient jamais. Get officier demeurait a ArgenteuiL 300 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. La chienne mourut dans ce village; il lui lit eriger un petit mo - nument, decore d'une epitaphe. LE CHIEN DE CREBILLON Crebillon le tragique avait pour lescliiens le plus tendre pen- chant; il ramassait et emportait sous son manteau tous ceux qui etaient delaisses dans les rues. Beaux ou laids, propres on non, ils trouvaient chez lui 1'hospitalite ; mais il exigeait de cha- cun d'eux certain exercice ; et quand, au terme prescrit, il etait convaincu que Peleve n'avait pas profite de Peducalion qu'on lui donnait, Fauteur de Rhadamiste le reprenait sous son manteau, 1'allait poser sur le pave ou il 1'avait ramasse, et, detournant les yeux en gemissant, il 1'abandonnait a son mauvais sort. Regnard, dans son Voyage enLaponie, parle d'un chien qui faisait dans ce pays 1'office de nos berceuses d'enfant. Nous entrames, dit-il, dans une cabaneou nous trouvames une femme qui donnait a teter a un petit enfant . Un arbre creuse et plcin de mousse fine etait suspendu au plancher, et servait de ber- ceau. Quand la mere eut place son enfant, le chien de ces bonnes gens vint mettre ses deux pattes de devant sur le ber- ceau, et lui donna du mouvement ainsi qu'aurait pu faire une personne. # LE CHIEN DE NINON DE LENCLOS / L'aimable et spirituelle Ninon de Lenclos avait pour rnedecin un petit chien svelte, mignon, a 1'oeil noir, au poil fauve, qu'elle appelait Raton. Quand Ninon allait diner en ville, Raton 1'accompagnait. Elle le pla^ait dans une corbeille, tout pres de son assiette. Raton laissait passer sans mot dire le potage, la piece de boeuf, le roti ; mais des que sa maitresse faisait sem- ANECDOTES SUR LES CHIENS. 501 blant de toucher aux ragouts, il grommelait, la regardait fixe- ment, et les lui interdisait. Quelques entremets n'eveillaient pas toute sa severite ; mais il y en avait qu'il proscrivaient absolumerit , surtout quand une odeur d'epices annongait quelque danger. Le docteur jappant voyait de son corbillon passer et se succeder tons les services sans rien prendre pour lui, sans convoiter un os de poulet : ce n'etait point un medecin prechant la temperance et gourmet a table; quelques macarons suffisaient a son appetit. II permettait le fruit a discretion; mais, servait-on le cafe, la disapprobation etait formelle : ses yeux devenaient demi-ar- dents de colere. Decoiffait-on 1'anisetle, Raton aussitot de se serrer contre sa maitresse, comme dans 1'instant duplus grand peril, d'emporter entre ses dents le petit verre et de le cacher soigneusement dans le corbillon. Ninon feignait-elle de vouloir prendre du nectar prohibe, notre petit Sangrado se mettait a gronder ; Ninon insistait-elle, c'etait bieri autre chose ; il se demenait comme un lulin, et jamais Purgon, sur notre scene comique, ne parut plus emporte. Chacun se pamait de rire en voyant la grande fureur hippocratique logee dans un corps si mince. Docteur, disait Ninon, vous me permettrez bien au moins de boire un verre d'eau ? A ces mots, le gentil animal se radoucissait, il remuait la queue, sans plus de colere. En signe de reconciliation, Raton acceptait et grugeait une gimblette ; puis il faisait mille tours et sautait d'aise et d'allegresse d'avoir vu passer encore un repas conforme a 1'ordonnance et qui ne devait pas nuire aux jours precieux de son inseparable amie. 302 HlSTOiRE DES RACES DE CliiENS. UN CHIEN DE LOUIS XIII Louis XIII, encore enfant, mais deja roi de France, avait uri chien qu'il aimait beaucoup et dont il s'occupait la plus grande partiede la journee. Get animal lui faisait perdre un temps pre- cieux qu'il devait donner a son instruction. Le precepteur du prince, David Rivault, ennuye de voir cette bete venir sans cesse troubler les legons, et surtout incommode de 1'habitude qu'elle avait prise de sauter sur tout le monde, la repoussa un jour du pied pour la chasser. Le petit prince etait un enfant gate ; il se mit dans une colere violente et osa frapper son pre- cepteur. Celui-ci, fache a son tour et connaissant par Pexpe- rience que Ton ne fait jamais rien d'un enfant qui sait trop qu'il est son propre maitre, se retira de la cour et ne voulut plus donner de lemons a un prince qui n'en connaissait pas le prix. Le roi sentit pourtant qu'il avait tort. II se reconcilia avec son precepteur et lui promit un eveche, dont la mort empecha ce dernier de jouir. II eut ete trop honteux qu'un chien Femportat dans son coeur sur un homme, et principalement sur son pre- cepteur. Quant au chien, on eut dit que la lec.on lui avait pro- lite et jamais il ne vint plus interrompre les legoris de David Rivault. LE CHIEN DU REGENT Le due d'Orleans, regent du royaume, possedait un chien danois d'une espece rare. Ce sage animal, comme s'il eut ap- prehende de detourner son mailre des soins importants qui Foccupaient, ne le voyait qu'une fois le jour. 11 se rendait tous les matins a la porte de son cabinet, y grattait modestement avec la patte, sans aboyer ni se faire entendre autremurit, et ANECDOTES SUR LES CHIENS. 305 apres avoir rec,u quelques caresses du prince, il traversait, en s'en retournant, (Tun air fier et la tete haute, les salles remplies de courtisans, comme s'il eiit senti le prix des faveurs dont il etait comble. Si, au contraire, on ne lui ouvrait point, il se retirail egalement, mais la tete basse, confus et chagrin de n'avoir pu obtenir audience. LES CHIENS SAUVEURS Des milliers de personnes ont ete sauvees du trepas par leurs chiens. En 1616, le pont Saint-Michel s'ecroula. Un enfant, en- seveli sous les ruines, fut heureusement a couvert sous deux poutres qui s'etaient croisees, et ne rec,ut aucune blessure. Un chien qui s' etait trouve a cote de lui au moment du danger, en fut preserve comme lui. Ce chien, serre entre les ruines qui rempechaierit de sortir, aboya de toute sa force, et attira par ses cris quelques personnes qui le degagerent. Ayant ainsi recouvre saliberte, ils'en rejouit d'abord; mais nevoyant point son petit compagnon de malheur, il entra sous les debris qui le cachaient, recommence a japper, et parvint enfm a faire de- couvrir F enfant. Dans le mois de thermidor an XII, le chien d'un M. Druliri, de Pont-Sainte-Maxence,retira du milieu de TOise un enfant qui se noyait. Dans la ineme annee, un batiment autrichien perit dans le canal de Constantinople, et le capitaine fut sauve par son chien, qui le saisit par Fhabit, le soutint sur Peau et Taida, en nageant, a gagner le rivage. Deux voituriers de Burgenbach, presMontmedy, etant tombes sans connaissance au milieu des neiges, le 18 fevrierl807, le chien qui les accompagriait courut aussitot vers le village, aboyant d'une maniere lamentable apres tous ceux qu'il ren- contrait sur la route, allant, veriant d'uri air inquiet, montrani 304 111ST01RE DES RACES DE CH1ENS. le chemin qu'il fallait prendre ou le prenant lui-m&me, tirant les uns par leurs vetements, se couchant aux pieds des autres. II reussit enfm, par ses mouvements extraordinaires et ses cris continuels, a fixer Tattention de plusieurs personnes, les- quelles, guidees par cet excellent animal, le suivirent, et arri- verent a temps pour rappeler a la vie deux individus qui, sans de prompts secours, allaient infailliblement perir. Pendant Pun des frequents incendies de Pera, a Constanti- nople, la maison d'un interprete grec brulait. 11 avail, a 1'aide de plusieurs janissaires, sauve presque tous ses effets. Un de ses enfanls au berceau etait reste oublie. On ne pouvait plus penetrer ; tout etait en feu. Le malheureux pere, au desespoir, croyait son enfant devenu la proie des flammes. Tout a coup un tres-gros chien qui lui appartenait parut a la porte et s'enfuit de la maison, 1'enfant a sa gueule ; il le tenait par ses langes. Le Mercure de 1781 rapporte 1'histoire d'une bergere des environs de Fontenay-le-Comte qui allait etre devoree par une louve, et qui dut la vie au courage de sa chienne, nominee Bichonne. Le celebre comedien anglais Dryden, attaque par cinq bri- gands dans un bois, echappa au danger par le courage d'un gros ievrier nomme Dragon^ qu'il emmenait toujours avec lui. Cet animal occupa tellement les voleurs, que son maitre cut le temps de s'evader. Dryden revint au secours de son chien, avec quatre bucherons qu'il avait rencontres ; mais la bataille etait finie. Deux des bandits etaient etendus morts ; le troisieme etait blesse et hors de combat, quant aux deux autres ils avaient pris la fuite. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 305 LE CHIEN DE SAINT-GERMAIN Un chasseur du 9 e regiment, caserne a Saint-Germain-en-Laye, possedaitun chien caniche qu'il aimait beaucoup. Ce soldatayant eu une querelle avec un de ses camarades, se battit en duel et fut tue. On Penterra dans la foret. Des ce moment, le chieri ne quitta point la sepulture de son maitre et demeura plusieurs jours sans vouloir prendre de nourriture. Chaque fois qu'il apercevait quelqu'un, il faisait retentir la foret de ses hurle- ments lugubres. La populace de Saint-Germain repandit le bruit que cet animal etait devenu enrage, et deja elle se transportait pour le tuer, lorsque la municipality, mieux instruite et vou- lant rendre une espece d'hommage a la touchante amitie de ce chien, prit un arrete qui le mit sous sa sauvegarde et defendit a qui que ce fut de lui faire aucun mal. Un restaurateur de Saint- Germain se chargea de faire porter a manger a ce bon animal. D'abord on lui jeta la nourriture de loin ; car depuis le fatal combat de son maitre, ce chien semblait avoir pris 1'espece humaine en aversion et ne se laissait approcher par personne. Peu a peu cependant, il se laissa toucher par les demonstrations affectueuses de 1'homme sensible qui prenait soin de lui; et au bout de quelque temps, ilconsentitenfin ale suivre danssamai- son, ou il lui resla fidelement attache. Voici un fait plus recent : Au mois de mars 1834, le sieur Prudent, habitant de Paris, disparut de son domicile, et son cadavre, trouve pres de la Villette, fut porte a la Morgue. Son chien, qui ne 1'avait pas quitte, se coucha pres du vitrage, et lorsque le Tils du sieur Prudent se rendit a la Morgue pour reconnaitre son pere, le chien le combla de caresses. On ne put determiner cet animal a s'eloigner du corps de son maitre qu'en lui donnant son mou- choir, avec 1'ordre de le porter au logis. 20 306 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. LE CHIEN ET LE LION Le directeur de la Compagnie des Indes avait envoye en France un lion du Senegal pris tres-jeune et eleve dans le pays avec un chien braque du meme age. Ces deux animaux, d'une espece si differente et d'un caractere si oppose, s'elaient lies d'une affec- tion mutuelle. Quand on transfera la menagerie de Versailles a Paris, on mit le lion dans une cage qui servait a changer les animaux de loge. Quant au chien, attache a un des barreaux, il le suivit dans la meme voiture et vint partager sa nouvelle demeure. ( n a pu voir au Jardin des Plantes le roi des animaux prodiguer a son chien les plus tendres caresses. Celui-ci les re- eevait et les rendait sans crainte comme sans defiance : sa gaiete naturelle, son air franc et ouvert temperaient Thumeur grave et serieuse de 1'animal terrible. Souvent il se jetait sur sa criniere et lui mordait, en jouant, les oreilles; le lion se pretait a ses jeux et baissait la tete. Souvent, a son tour, il 1'invitait lui-meme a jouer, en se mettant sur le dos et le serrant entre ses pattes. La foule qui 1'entourait, les objets nouveaux qui passaient sans cesse devant ses yeux, rien ne pouvait le distraire de la societe de son chien. Cherchait-il le repos : c'etait a ses cotes qu'il ai- mait a dormir; a son reveil, c'etait encore lui qu'il voulait revoir. Les repas senls suspendaient un moment cette intimite. Chaque animal s'ecartait alors pour recevoir sa portion, ert Tun n'aurait ose attenter a la propriete de 1'autre, pas meme la con- voiter des yeux. Pour se rapprocher, celui qui avait le plus tot acheve attendait que 1'autre eut fini ; et 1'on pense bien que le lion etait tou jours leplus expeditif. Unjour 1'etourderie de rhommc qui les servait fit que la portion de viande alia tomber sur le nez du chien et le pain sous la gueule du lion. Celui-ci, au meme instant, se tourna vers son compagnon qui, montrant les dents, ANECDOTES SUR LES CHIENS. 307 lui defendit d'approcher et avala sous ses yeux un diner tel qu'il n'en avait jamais fait de sa vie. Cette hardiesse de la part du chien n'a rien qui etonne, quand on considere que Famitie de ces deux animaux s'etait fortifiee de 1'inegalite meme de leurs forces, et que le plus faible avait acquis en puissance morale tout ceque Fautre avait perdu enforces physiques, pour n'etre que son egal. II y avait dans Fattachement mutuel de ces animaux une nuance tres-remarquable qui explique les caprices, les humeurs de 1'un et Finalterable bonte de 1'autre. Independant sur la terre, sauvage et fier par instinct, maintenant solitaire et captif, le lion s'etait associe un ami. II aimait Fami pour Fami meme, et Faimait uniquement. Egalement sensible, le chien aimait aussi ; mais avant de se donner au lion, la nature 1'avait donne a Fhomme. Fidele a son instinct, c'etait a Fhomme qu'il reportait les caresses qu'il faisait au lion et jusqu'a celles qu'il en recevait . L'un n'avait qu'un ami qui faisait toute sa consolation ; Fautre, en se livrant a ses caresses, semblait encore en attendre de Fhomme. Avec quelle tendresse n'accourait-il pas a celui qui, ouvrant la porte de sa prison, le rendait pour un moment a a liberte ! Comme il s'empressait autour de lui ! comme la gaiete eclatait dans ses yeux! tandis que son pauvre ami, inquiet de son absence, poussait des rugissements plaintifs, s'agitait le long de ses barreaux, allait au fond de sa loge, s'arretait a Fen- droit par ou il etait sorti, revenait et retournait encore. Fallait-il rentrer? le chien revoyait avec joie son compagnon ; mais son dernier regard semblait dire au gardien qui s'eloignait : C'est pour te complaire ; je t'obeis. Le chien couchaitsur une banquette de la loge, le dos appuye contre un mur humide. II y contracla une gale dont on s'aperc.ut trop tard pour y porter remede. II mourut. Le lion, prive de son ami, Fappelait sans cesse par de sombres rugissements. 518 HISTOIRE DES RACES DE ClilENS. Bientot il tornba dans une profonde tristesse ; tout le degoiitait : ses forces et savoix s'affaiblissaientpar degres. Dans la crainte qu'il ne succombal, on voulut donner le change a sa douleur, en lui presentant un autre chien. On en chercha un qui, par sa taille et sa couleur, ressemblat au premier. Quand on eul trouve ce chien, ilfutamene d'abord devant les barreaux de la loge. Le lion le fixe d'un ceil etincelant, la fureur eclate sur toute sa face ; il pousse un rugissement effroyable, etles paltes tendues, les griffes deployees, il est pret a s'elancer... A cetle passion subite et violente, on croit avoir trompe 1'instinct de ranimal, et que, dans sa fureur, il ne veut se jeter que sur celui qui retient son chien bien-aime. On n'hesite plus a le lui abandonner. A peine le chien est-il enlre dans la loge que le lion 1'etrangle... Apres ce malheureux essai, il eut ete inutile dc soriger a de nouvelles teritatives ; en effet, ce n'etait pas un chieri qu'il regrettait, c'etait un ami. Le temps ne put ef facer ses re- grets, et la menagerie perdit bientot ce superbe animal. LE CHIEN OBEISSANT A Andrezy, pres Poissy, M. le comte de Boissier avait, en 1774, un dogue tres-redoutable aux inconnus, mais fort sou- mis a son maitre, et ne Petant qu'a lui. Lorsqu'un ami venait passer quelques jours dans cette campagne, il y avait du danger pour lui a traverser la cour pendant la soiree ou dans la nuit. Si avant de lacher le chien, M. de Boissier le faisait veriir, lui montrait Tetranger et lui disait : Pluton, monsieur est de mes amis, respectez-le , des lors la surete de 1'individu etait parfaite. Mais sans cette petite harangue, il aurait ete dechire. Quand M. de Boissier faisait un voyage, il mettait vis-a-vis Pun de Pautre son principal agent et son chien, auquel il don- nait cette consigne : Pinion, monsieur me represente en ANECDOTES SUR LES CHIENS. 51 W mon absence, vous lui obeirez. Le chien obeissait au substitut comme au mailre. Mais le lendemain du retour le ci-devant delegue n'avait plus sur lui aucune autorite et aurait tente en vain de le commander ou de le retenir. LES CHIENS PROTECT EURS Le celebre Huet, 6veque d'Avranches, rapporle le trait sui- vant, qui prouve que le chien sait distinguer et secourir Top- prime : Dans un village situe entre Caen et Vire, sur la lisiere du canton qu'on appelle le Bocage, un paysan d'un mediant ca- ractere maltraitait souvent sa femme au point que les voisins etaient quelquefois obliges, par les cris de cette derniere, de venir mettre le hola dans le menage. Get homme ayant resolu de se defaire de sa femme, feignit de changer de sentiment a son egard : il se conduisit mieux que jamais avec elle, et dans les jours de loisir, il I'emmenait a la promenades et a des parties du plaisir. Un jour d'ete, la chaleur etant forte, le mari amena sa femme pour se reposer sur le bord d'une fontaine : pretextant d'etre fort altere, il se coucha de son long a plat ventre, se desaltera a longs traits, en vantant la fraicheur de 1'eau et proposa a sa femme d'en faire autant. A peine la vit-il elendue sur le bord de la fontaine, qu'il se jeta sur elle et lui plonga la t6te dans 1'eau pour la noyer. La pauvre femme se defendait de son mieux pour sauversavie; mais elle aurait infailliblement succombe sans le secours de son chien, que le mari n'avait pas songe a renfermer a la maison. Ce courageux animal, voyant la violence que son maitre faisait a sa femme, se jeta sur lui, le prit a la gorge, lui fit lacher prise et sauva la vie de sa maitresse. On lit dans Pline qu'im jour Cosingis, femme de 310 HISTOIRE DES RACES DE CHIKNS. roi de Bithynie, batifolait avec son mari, lorsque le chien du monarque, qui etait de race molosse, se jeta sur elle, croyant qu'elle attaquait serieusement le roi, et, en quelques coups de dents, il lui enleva Pepaule droite. LE CH IEN V INDICATIF Un habitant de Lyon etait venu a Paris voir un de ses amis, marchand de tableaux. A son depart, celui-ci, nomme Trem- blin , lui donna un superbe chien appele Cesar, dont il voulait se debarrasser depuis longtemps, sans pouvoir en venir a bout, parce que le chien quittait toujours ses nouveaux maitres pour revenir chez celui qui 1'avait eleve. Cette fois il se crut quitte d'une riouvelle visite, en 1'envoyant si loin. Effecti- vement Cesar ne revint plus chez lui. Certain jour, en traver- sant le pont Neuf, M. Tremblin se sentit mordre a la jambe, et reconnut son chien. II Tappela, mais Cesar s'eloigna en aboyant et ne reparut plus. A la meme epoque, le Lyonnais ecrivit a son ami que son chien avait saisi le premier moment ou on 1'avait laisse libre pour quitter sa maison. M. Tremblin, qui avait doute quelque temps que ce fut veritablement Ce'sar qui Peut mordu, fut alors persuade. Ce trait le charma tel- lement qu'il retourna plusieurs jours de suite sur le pont Neuf, esperarit retrouver son chien et se promettant bien de ne plus le donner. Mais quelle fut sa surprise quand il apprit que Cesar etait revenu chez son ami a Lyon, ou il vivait en toute liberte, sans songer a s'eloigner de la maison ! Cette anecdote paraitrait incroyable, si je ne Favais entenduraconter et attester par des personnes dignes de foi. Cependant il existe d'autres {raits semblables. J'ai ouicertifier par des personnes tres-\eridiques qu'un chien danois, appartenant a M. Lambert, libraire-impri- meur a Paris, et qu'il avail donne a un seigneur etranger, etait ANECDOTES SUR LES CHIENS. 311 revenu a son premier maitre de Pextremite de PAllemagne. Les anciens nous ont conserve des traits de ce genre. Teren- tius Varron rapporte qu'Aufidius Pontianus, d'Amiternum, elait convenu, en achetant des troupeaux de brebis, au fond de POmbrie, que les chiens seraient compris dans la vente, et que les bergers ne quitteraient point les troupeaux qu'ils ne les eussent conduits aux bois de Metaponte. Les bergers s'en re- tournerent, eri consequence, chez eux, apres les avoir conduits au lieu convenu; mais peu de jours apres, les chiens, regrettant leurs premiers rnaitres, s'en allerent d'eux-memes les rejoindre en Ombrie. LA RANCUNE DES CHIENS Le Dictionnaire encydopedique rapporte qu'un chanoine et un chien eurent une grande querelle ensemble; le chien mordit le chanoine, qui s'etait arrete devant la porte de son maitre ; le chanoine battit cet animal a coups de canne. On separa Phomme d'Eglise et Panimal, mais le chien ne sut se mieux venger qu'en contre-faisant a Peglise la voix du chanoine, qui etait aigre etfort desagreable. Les jours de fetes et les dimanches, le chien ne manquait jamais d'aller a Peglise avec son maitre, et aussitot que son ennemi chantait, il hurlait de toute sa force, a peu pres sur le meme ton, et cessait de le faire des que le chanoine ne chantait plus. Celui-ci s'en plaignit au maitre du chien, quilui promit de Penfermer quand il irait a la messe ou a vepres. II lint parole, et en entrant a Peglise, il dit au chanoine: Vous ne vous plaindrez pas de mon chien aujourd'hui, car je Pai enferme. Mais Panimal cherchait les moyens de s'echapper; il sauta par une fenetre qu'il trouva ouverte et courut se meltre sous un bane dans Peglise, sans que Pon s'en fut aperc,u. Tant que le chanoine ne chanta point, le chien ne dit mot; mais des 512 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. qu'il eut enlonne un psaume, le chien hurla de toute sa force. Le chanoine fit assignor le mailre, pretendant qu'il avail pris part aux insolences de son caniche, et conclut aux reparations. L'on en rit a 1'audience, et les parties furent renvoyees hors de cour. Ce proces risible eut lieu a Amiens. On raconte qu'un veterinaire ayant fait 1'amputation d'une patte a Matapan, chien caniche appartenant a un chef d'escadron de la gendarmerie, cet animal qui, avant son accident, avail coutume de faire accueil au docleur, un ami de son mailre, ne se laissa jamais approcher par lui depuis 1'operalion doulou- reuse qu'il lui avail fait endurer. J'ai vu chez un directeur des posies, a Fonlainebleau, un chien appele Zozo, qui avail une aversion determinee pour un con- ducleur de diligence, au poinl qu'il ne pouvait le voir sans chercher a lui mordre les jambes : on presume qu'il en avail rec,u quelque mauvais traitement. Le directeur fil un voyage, et ce ful 1'homme en queslion qui conduisit la voilure. Zozo eiant tombe sous les pieds ducheval regut uncoup qui le meur- Iril. Le conducleur le ramassa aussildl, el malgre le mauvais accueil qu'il en recevail journellemenl, il en pril un soin exlreme. Depuis ce moment Zozo, oublianl toule rancune, le- moigna aulanl d'amilie a eel homme qu'il lui avail montre d'aversion auparavant. Ce meme chien s'avisa un jour de poursuivre un lievre dans la foret de Fontainebleau ; un garde-chasse, sans pilie, lachaun coup de fusil charge a petit plomb sur noire petit braconnier a quatre patles. Zozo, blesse, revinl tout penaud a la maison, saignant el boilanl. II fut Ires-malade pendanl huil jours; mais il fmil par guerir. Depuis ce temps-la, il ne rencontrait jamais un garde-chasse, sans aboyer apres lui avec colere ; il les re- connaissail a leur uniforme, el ne s'y Irompail jamais. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 315 LE CHIEN QUI JEUNE Un de mes camarades, ami des chiens, m'a assure en avoir connu un qui jeunait tous les dimanches jusqu'a qualre heures du soir, sans qu'on put lui faire manger la moindre chose. On trouva, apres y avoir fait attention, la raison de cette sobriete singuliere. line personne qui ne manquait jamais ce jour-la de venir vers les quatre heures a la maison, lui apportait des amandes lisses dorit il etait tres-friand, et lui en donnait tant qu'il en pouvait manger. II nevoulait pas, sans doute, gater ce bon repas par tout autre mets moins a son gout. t LE CHIEN DU LAYON II est arrive, dans le voisinage de Chalonne, departement de Maine-et-Loire, un evenement dont lerecit fournit une nouvelle preuve de Pattachement des chiens pour leur maitre, de leur courage et de leur intelligence dans un moment de danger. Un marchand nomme Lambert, age de soixante ans, venait d'un bourg appele Gonnord , a 5 ou 4 lieues de Chalonne, conduisant devant lui deux chevaux charges. II montait le troisieme, et etait accompagne de son chieri, qui gardait ordinairement ses chevaux et ses marchandises pendant qu'il vaquait a ses affaires. Entre Chaudefond et Chalonne, vers un endroit nomme la Pierre-Saint-Nozille, est un sentier resserre d'un cote par une colline, et de 1'autre par le Layon. Cette riviere etait debordee lorsque le marchand s'y presenta. Les deux chevaux charges passerent sans accident ; le troisieme fit un faux pas et entraina le cavalier dans sa chute. Aussitflt le chien se jeta a la nage, saisit son maitre par une ceinture de laine nouee autour de son 314 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. gilet, Pattira vers la terre et il Paurait infailliblement sauve, si P6toffe eut pu resister a ses efforts. Par malheur elle se rompit lorsqu'il atteignait le rivage. Tin miserable lambeau fut tout ce qui lui resta entre les dents. II le deposa promptement sur le sable, et courut se rejeter a Peau. II etait trop tard : Lambert avait disparu au moment meme oia la ceinture s'etait brisee. Tout entier au danger dans lequel il voyait son maitre, et menace de la perte la plus sensible, le fidele animal n'avait pas perdu la pensee de ses devoirs ; il songa que les deux premiers chevaux poursuivaient leur chemin sans defenseur et sans guide ; il se souvint qu'etant confies a sa garde, il en etait en quejque sorte responsable. II vola done a leur rencontre si precipitamment et les arreta d'une maniere si brusque, que 1'un d'eux, effraye, broncha, tomba sous le faix, et resta sur la place en proie a des convulsions. Get accident devint pour le pauvre chien un surcroit de rnalheur ; rien ne peut exprimer son angoisse. II avait seulement voulu retenir les chevaux, pour se livrer sans distraction et sans reserve a la recherche de son maitre. Sa presence etait devenue necessaire pres de Panimal abattu ; il voudrait le remettre sur pied ; il Pexcite, il aboie, le quitte un moment, revient a la charge, s'agite dans la plus peniBle irresolution ; il voudrait etrepartout. Incapable de prendre un parti, il gemit, il hurle, il court cent fois en un moment de ses chevaux a la riviere et de la riviere a ses che- vaux. Jamais on ne vit un embarras plus touchant, une solli- citude plus active. Un jeune homme allant vers Chaudefond fut temoin de ce fait. II voulut relever le cheval qui succombait sous la charge. Le chien, accoutume a ne laisser approcher que des personnes de sa connaissance, le contraignit a s'eloigner. Arrive a Chau- defond, oil Lambert s'arretait quelquefois, le voyageur raconta ANECDOTES SUR LES CHIENS. 315 ce qu'il a vu. On comprit ce qui s'etait passe et on se transporta sur le lieu de 1'accident. Lorsque le chien reconnut les amis de son maitre, il se h&ta de les guider vers le rivage ou avail peri M. Lambert ; il leur montra le lambeau de la ceinture, et se mit a hurler de la maniere la plus expressive, ce qui servit d'indication pour la recherche de ce malheureux dont la destinee ne fut plus revo- quee en doute. On releva le cheval et on le conduisit, ainsi que Fautre, vers Chaudefond. Le chien les suivit tristement, non sans tourner plus d'une fois ses regards vers le rivage fatal. II fit plusieurs voyages pendant la nuit et le lendemain matin, jusqu'au moment ou les fils de Lambert etant arrives, emmenerent avec eux ce pauvre animal. Les Lambert continuent le commerce de leur pere. Chaque fois qu'ils se rendent a Chalonne, leur chien les accompagne, et Ton assure qu'il ne manque jamais de s'arreter et de hurler a Tendroit ou il a perdu son maitre. LE CHIEN DE DECROTTEUR Sous la restauration vivait a la porte d'un hotel de Paris un petit decrotteur ayant un grand barbet noir dont le talent par- ticulier etait de lui procurer de 1'ouvrage. Ce barbet trempait dans le ruisseau ses grosses pattes velues et venait les poser sur les souliers du premier passant. Le decrotteur, empresse de reparer le dommage, presentait la sellette : Monsieur, decrottez la ! Tant qu'il etait occupe, le chien s'asseyait pai- siblement a cote de lui. II aurait ete inutile alors d'aller crotter un autre passant ; mais des que la sellette etait libre, ce petit jeu recomrnen^ait. L'esprit du chien et la gentillesse de son jeune maitre, qui so rendait serviable aux domestiques, donnerent a 1'un et a 316 HISTOIRE DES RAGES DE CHIENS. 1'autre, dans la cour de I'hotel et dans la cuisine, ime celebrite qui, de bouche en bouche, monta jusqu'au salon. Un Anglais illustre s'y trouvait. II demanda a voir le maitre et le chien. On les fit monter et le fils d' Albion se passionnant pour 1'ani- mal, voulut 1'acheter. II en offre dix louis, quinze louis. Les quinze louis tentent 1'enfant, ebloui d'ailleurs par tant de grands personnages. Le chien fut vendu, livre, enchaine, mis lelendemaindans une chaise de poste, embarque a Calais, d'ou il fut mene a Londres. Son maitre le pleurait avec une tendresse m6lee de quelques remords. Joie inesperee! le quinzieme jour le chien reparutala porte de I'hotel, plus crotte que jamais et crottant encore rnieux les passants. Oblige de descendre plusieurs fois pendant la route, il avail sans doute observe qu'on s'eloignait de Paris dans une voiture, en suivant une certaine direction ; qu'on s'embarquait ensuite sur un paquebot, et qu'une troisieme voiture menait de Douvres a Londres. La plupart de ces voitures etaient des carrosses de renvoi.Le chien, retourne de chez son acquereur au bureau du depart, avait suivi unvehicule, peut-etre le meme, qui prenait en effet, et en sens oppose, la route par laquelle il etait venu. Parvenu a Douvres, il avait attendu le meme paquebot sur lequel il avait deja passe, et, debarque a Calais, il se mettait a la suite de la meme voiture qui 1'avait amene la. Toutes ses peregrinations precedentes lui avaient fait deviner qu'apres avoir bien marche pour aller quelque part, il fallait retourner sur ses pas pour revenir au gite, et son gite etait a cote de son ieune maitre. ANECDOTES SUR LES CH1ENS. 517 LE CHIEN DU SOLDAT Un militaire revenant d'Espagne, charge de butin, se trouvait en route dans les environs de Toulouse. 11 etait si content de posseder tant de tresors qu'il faisait part de sa joie a tout le monde dans 1'auberge ou il s'etait arrete. L'hotesse le fit appeler pour Pavertir de son imprudence. Je ne saurais re- pondre,dit-elle, des personnes qui sont chez moi ; elles peuvent etre honnetes, il peut aussi se trouver des brigands par mi elles. Bah ! repliqua le militaire, avec mon chien je ne crains rien ; si Ton vient nous attaquer, lui et moi, nous nous tirerons bien d'affaire. II partit le lendemain matin. A un quart de lieue de la ville, trois homines Farretent; il fut poignarde avant d'avoir pu se mettre en defense. Quand son chien le vit baigne dans son sang, il s'acharna centre 1'assassin, le terrassa et Petrangla. Les deux complices du bandit, effrayes, monterent sur un arbre, pensant que le chien leurlaisseraitbientot le passage libre ; ils se trompaient. Lejour paraissait lorsquedes gendarmes pas- serent ; ils entendirent crier au secours et trouverent un chien qui aboyait avec fureur centre deux hommes perches sur un arbre qui pretendaient que ce chien etait enrage. Les gendarmes ordonnerent a ces hommes de descendre et les virent alors couverts de traces de sang. Ces miserables pretendirent que le sang provenait des blessures que le chien leur avait faites. Get animal voulait toujours les attaquer ; sur cet indice et quelques autres soupgons, on les arreta. A vingt pas de 1'arbre, on decouvrit deux corps morts. Le chien fidele courut a son maitre, le caressa et se mit ensuite a aboyer avec plus de violence qu'il n'avait encore fait. Les gen- darmes examinerent le cadavre du militaire : il avait ele blesse 318 HIST01RE DES RAGES DE CHIEFS, dans le coeur d'un coup de poignard qu'on trouva pres du corps. L'autre cadavre portait des marques des attaques du chien. On amena les coupables et le chien a Toulouse : lui seul etait temoin a charge; mais cette preuve suffisait. Le chien etait tres-doux : il se laissait caresser par tout le monde, et n'en- trait en fureur que lorsqu'on le mettait en presence des assas- sins de son maitre. Sur cette preuve souvent reiteree, les deux scelerats furent condamnes a mort et avouerent leur crime au pied de Pechafaud. LE CHIEN DE SOLBACH II y a quelques annees deux enfants de trois et quaire ans, de la commune de Solbach, aux environs de Strasbourg, s'e- taient perdus, le matin, dans les montagnes. Leurs parents les chercherent tout le jour sans les trouver. La nuit etant surve- nue, et leur inquietude redoublant, tout le rnonde vint a leur secours ; on sonna le tocsin dans les trois communes de Lab- bach, de Widerspach et de Waldersbach, et tous les habitants, munis de pistolets, de fusils, de lanternes, parcoururent le pays. Les chiens des trois villages etaient a la tete des paysans, et 1'on comptait beaucoup sur Finstinct de ces animaux. C'etait un coup d'oeil singulier de voir tous ces feux errants au milieu de la nuit la plus obscure. On cherchait en vain depuis quelque temps, lorsque tout a coup un des chiens qui servaient de vol- tigeurs dans cette expedition, accourut en aboyant avec joie. En effet, il avait suivi la piste, et Ton trouva les deux enfants endormis dans la neige. Des coups de fusil et de pistolet annon- cerent aussitot 1'heureuse decouverte, et on rapporta entriom- phe ces pauvres enfants au village. La petite fille avait encore les mains chaudes, le garc,on etait roide de froid ; cependant tous deux vivaient; mais ils auraient peri iridubitablemerit, AiNEGDOTES SUR LES CHIENS. 319 s'ils eussent demeure la toute la nuit. 11 fallait voir la joie du bon chien qui les avait decouverts : tout le long du chemin, il sautait autour d'eux, il les lechait, il courait en avant, puis il revenait bien vite , paraissant tout fier de les avoir retrouves. II semblait dire a ceux qui composaient le cortege : G'est a moi qu'appartient la gloire de leur retour ; c'est moi qui leur ai sauve la vie ! LE CHIEN A LA CULOTTE M. Dumont, negotiant, rue Saint-Denis, se promenant sur le boulevard Saint-Antoine, avec un ami, paria que son chien lui rapporterait un ecu de cinq francs qu'il cacherait dans lapous- siere. Le pari fut accepte. L'on cacha Pecu, auquel on eut soiri de faire une marque particuliere. Lorsque les promeneurs furent a quelque distance, le maitre dit a son chien de chercher, qu'il avait perdu quelque chose. Caniche retourna sur ses pas, et les deux amis continuerent leur chemin vers la rue Saint-Denis. Sur ces entrefaites, un marchand forain qui revenait de ia fete de Vincennes, dans une carriole, aperc,ut 1'ecu que les pieds du cheval avaient mis a decouvert ; il descendit, le ramassa, remonta dans sa voiture et s'en alia a son auberge, rue du Pont-aux- Choux. Caniche etait arrive au moment ou le marchand ramassait Fecu, il 1'avait flaire et avait voulu le lui arracher des mains* L'animal suivit la carriole, entra dans la maison et ne quitta plus le marchand. II sautait continuellement autour de lui, seritant dans le gousset de cet homme Fecu de cinq francs qu'on lui avait dit de rapporter. Le marchand crut que c'etait un chieri perdu ou abandonne, qui cherchait un maitre. II prit ses de- monstrations pour des caresses^ et comme le chien etait fort beau, il resolut de le garder. II lui fit faire un bon souper et Fernmena coucher dans sa chambre. A peine cet homme eut-il 320 , H1STOIRE DES RACES DE CHIENS. 6te sa culolte, que Caniche s'en empara ; Ton crut qu'il voulait jouer, on la lui retira. Le chien se mit a aboyer a la porte : le marchand, soupQonnant quelque besoin, la lui ouvrit; aussitot Caniche prit la culotte a sa gueule et s'enfuit. Le marchand, en bonnet de nuit et en calegon, le poursuivit avec une inquietude mortelle, car il y avait dans son gousset une bourse renfermant plusieurs napoleons d'or de 40 francs. Caniche courut ventrea terre jusque chez son maitre, ou le marchand forain arriva tout essouffle et fort en colere, en traitant le chien de voleur, Monsieur, lui dit le maitre, Caniche est tres-fidele ; s'il vous a derobe votre culotte, c'est qu'il y a dedans de 1'argent qui ne vous appartient pas. Le marchand se mit en colere. Ne vous emportez pas, reprit en riant le maitre de Caniche ; votre bourse renferme sans doute un ecu de cinq francs marque de telle maniere, que vous aurez ramasse sur le boulevard Saint-Antoine, et que j'avais jete la, avec la certitude que mon chien me le rapporterait ; voila ce qui est cause du larcin qu'il vous a fait. L'etonnement succeda a la colere ; le marchand remit la piece d'argent, et ne put s'empecher de caresser celui qui lui avait cause une si grande inquietude et 1'avait tarit fait courir. Le pere Schot raconte que, du temps de 1'empereur Justinien, il y avait a Constantinople un charlatan qui disait aux personnes reunies autour de lui, qu'elles pouvaient Jeter par terre les anneaux de leurs doigts ; que son chien rapporterait exactement a chacune le sien : ce que Panimal executait effectivement saris se tromper. LES CHIENS INTELLIGENTS Le dirnanchc 30 septembre 1810, Jacques Barbier, cultiva- teur a la Grange-aux-Bois, pros Sainte-Menehould, partit de ANECDOTES SUR LES C11IENS. 321 grand matin avec ses deux chiens pour aller ramasser de la faine (fruit du hetre). Arrive dans la foret, il apergut un arbre eleve dont on pouvait a peine embrasser le tronc. II monta, et parvenu a une hauteur considerable, un de ses pieds s'engagea entre deux branches fourchues, ou il resta suspendu, les pieds en 1'air et la tete en bas, a environ 40 pieds de hauteur. Ses chiens, qui ne le voyaient point descendre et qui 1'en- tendaient crier, avaient sans doute compris 1'embarras du malheureux, car on s'aperc.ut a des marques certaines qu'ils avaient gratte au pied de 1'arbre comme pour essayer de le deraciner. L'un resta en faction pour garder son maitre, tandis que 1'autre retournait a la maison , vers dix a onze heures du matin, en aboyant, sautant et manifestant des inquietudes extraordinaires. Le mari avait promis d'etre de retourpour la messe. Sa femme et ses enfants, ne le voyant pas revenir et remarquant les cris singuliers et 1'agitation extraordinaire du chien, resolurent d'aller a sa recherche. Le fidele animal marcha aussitot en avant, sedirigeant vers lebois, et jappant avec force toutes les fois qu'on lui demandait : OU est ton maitre? Sit6t k qu'on fut arrive dans le bois, et que 1'autre chien entendit qu'on venait au secours, il se joignit a son compagnon, et tous deux conduisirent les personnes au pied de 1'arbre ou 1'homme etait suspendu. Par malheur, lorsque les secours arriverent, cet infortune etait mort. LE CHIEN DE CHARENTON Un chien qui avait coutume d'aller regulierement tous les dimanches aCharenton, pres Paris, avec son maitre, futun jour laisse au logis, ce qui ne lui plut nullement. II imagina que ce n'etait que pour cette fois qu'on lui jouait ce tour et il prit patience. Comme, le dimanche suivant, on le renferma de nou- 21 522 H1ST01RE DES RACES DE CHIENS. veau, il comprit bien que c'etait un parti pris el qu'on ne vou- lait point cle sa compagnie ; il prit en consequence ses pre- cautions pour qu'on rie 1'attrapat point une troisieme fois. f iQue fit-il alors? II partit de Paris des le samedi soir, et alia attendre son mailre a Charenton, qui 1'y trouva a son arrivee, et apprit qu'effectivement il y etait des la veille. Un homme pourrait-il raisonner plus juste? LE CHIEN DU COLLEGE DE LA FLECHE Differents rnanufacturiers se servent de chiens pour tourner leurs roues : egalement on placail autrefois des chiens dans les roues qui faisaient tourner les broches des cuisines. Voici un fait arrive au college de la Flechc, et rapporte par Hart-Soeker. Le cuisinier ayant un jour garni ses broches pour faire cuire le souper, ne trouva point dans la cuisine le chien qui devait tourner ce jour-la. II le chercha et il 1'appela inutilement de tous cotes; tandis qu'un de ses camarades, qui n'etait point de service, se tenait etendu nonchalamment devant le feu. Au defaut du premier, le maitre voulut faire tourner celui qui se trouvait sous sa main ; mais il en fut tres-mal accueilli. Apres quelques grognements, le chien le mordit et prit la fuite. L'homme resta etonne de ce mauvais traitement dela part d'un animal fort doux et qui Faimait beaucoup : la plaie elait pro- fonde, saignante et necessitait qu'on y mit un appareil. Tandis que cet homme etait occupe de ce soin, il entendit des aboie- ments reiteres; c^etait le chien qui venait de s'enfuir et qui poursuivait a coups de dents celui qui devait travailler et 1'arne- nait a son poste. II etait alle le chercher dans le pare, et 1'ayant trouve, il le pourchassait devant lui, en le conduisant a la cuisine, ou il ne se fit pas prier pour monter dans la roue. ANECDOTES SUR LES CHIENS 325 LE CHIEN OE LA BESACE Le chien des capucins de Troyes, en Champagne, etait alle deux fois avec le pere provincial dans le eouvent de Chalons, celebrer la fete de saint Frangois, et il avail ete parfaiternent rec,u. L'anirnal reconnaissant des politesses de messieurs les capucins, parlait tous les ans de Troyes, la veille^de la Saint- Francois, et venait a Chalons pendant Toctavedu saint. Besace, tel etait le nom du chien, ne manqua jamais, pendant dix ans, de faire ce voyage. Les reverends peres de Chalons, flattes de 1'amitie dc Besace pour leur eouvent, avaient fait un reglemeril en sa faveur. La veille de la Saint-Francois, le portier etait en faction pour 1'attendre. Des qu'il lapercevait, il sonnait la cloche. A ce signal, la communaute descendait dans le chapitre ; on lavait les quatre pattes du chien, et le gardicn le remettait entre les mains du frere cuisinier. Le chien etait a la double portion. A son deparl, le superieur ecrivait une lettre a la communaute de Troyes, et Besace la rapportait tidelement. LE CHIEN DE L'ABBE Les ariciens habitues du jardin du Luxembourg se rappellent M. 1'abbe Trent e -mille-hommes, nouvelliste intrepide, qui avail acquis ce nom par la fermete avec laquelle il decidait des drolls et des inlerels de tons les souverains de TEurope, moyennanl treute mille homines, d'une nalion ou d'une aulre, qui, a sa volonle, passaienlles rivieres, gravissaient les montagnes, pre- naient les villes et gagnaient les balailles. Disciple deTurenne, il n'etait pas pour les grandes armees ; trerile rnille homines suftisaieril a tout. L'ardeur guerriere de cet ubbe ne pouvait souffrir le casernernent. 11 arrivail au jardin de bonne heure, 324 HISTOtRE DBS RACES DE CHIENS. dejeunait au cafe de la grande porte, dinait chez le concierge do la porte des carmes, buvait le soir une bouteille de biere el mangeait,conjointementavec son chien,sixechaudes a la porte d'Enfer, ne quittant la place que lorsque les suisses 1'avaient plusieurs fois pri6 de sortir. Les jours de pluie, il restait chez Tun des trois suisses, a lire, relire et commenter la gazette, adressant la parole a son chien lorsqu'il n'y avait pas d'autre compagnie. II mourut. Sultan, son fidele ami, chien-loup de moyenne taille, couvert d'un poil roussatre, refusa de prendre un autre maitre, quoique plusieurs amis de Fabbe lui eussent offert un asile. Depuis longtemps son domicile le plus habituel etait le jardin. II y resta, couchant sur les chaises quand il fai- sait beau, et dessous en cas de mauvais temps. La bonne bete conservait de 1'affection pour le groupe des nouvellistes, les suivait dans leurs lentes promenades, s'arretait avec eux durani leurs longues stations, regardait atlentivemerit les figures qu'ils trac,aient sur le sable, obtenait aisement des preneurs de cafe au lait quelques morceaux de pain, des buveurs de biere quelques echaudes qu'il saisissait en 1'air a merveille, et des pratiques du traiteur quelques aulres debris. II ne tenait cependant pas si fortement au Luxembourg qu'il ne flit tres-joyeux quand on 1'invitait a diner en ville, ce qui tlevint assez frequent lorsqu'on eut remarque combien il etait sensible a cette politesse. La formule etait : Sultan, veux-tu venir diner chez moi? Quelques-uns, encore plus civils, lui disaient : Veux-tu me faire 1'honneur de diner aujourd'hui chez moi? II acceptait avec caresses, s'il ri'etait pas engage. Au contraire, s'il avait deja promis, apres un petit signe de reconnaissance, il allait se ranger a cote de celui qui lui avait parle le premier. II 1'accompagnait pas a pas, bondissant en sortant du palais, dinait de grand appetit, et tant que durait le festin, faisait mille geritillesses. G'etait un excellent convive. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 5*25 La nappe enlevee, il attendait quclques moments, temoignant encore de la satisfaction. II demandait ensuite poliment a sor- tir ; et, si Ton tardait a ouvrir la porte, il gemissait, puis il se courroucait. On essaya souvent de le retenir. II s'echappait et ne se rap- prochait plus de ceux qui avaient voulu transformer une marque de bienveillance en un titre d'esclavage. Un maladroit, qui peut-etre 1'aimait, mais quin'etait pas assez delicat pour sentir qu'on ne peut conquerir par la force une arne elevee, osa le faire attacher. Sultan futdansPindignation, mordit 1'executeur, rongea la corde, s'enfuit au galop, et n'a jamais rencontre ce faux et per fide ami, sans lui reprocher sa trahison par de \ioler>ts aboiements, et sans terminer la querelle par un geste meprisant. J'ai connu Sultan, dit M. Dupont (de Nemours), membre de I'lnstitut, qui racontait cette histoire ; il m'a fait plusieurs fois 1'honneur de diner chez moi, parce que je respectais scrupu- leusement sa libcrte. II y restait meme plus longtemps qu'ail- leurs, parce qu'il s'etait convaincu qu'on lui ouvrait la porte a sa premiere requisition. LES CHIENS DU SAINT-BERNARD Par une sage et humaine prevoyance, on a etabli sur le mont Saint-Bernard un hospice ou les voyageurs egares ou indigents trouvent des secours momentanes. II y a dans cette maison d'enormes dogues eleves pour roderle long des sentiers etroits et tortueux. Ces chiens ont d'ordinaire une bouteille fermee , remplie d'eau-de-vie et attachee a leur cou par une chaine de fer ; ils vont la presenter aux voyageurs harasses de lassitude, afin de les rechauffer un peu au milieu des frimas 326 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. qui les entourent, puis ils guident leurs pas incertains vers 1' hospice. Un de ces dogues faisant sa ronde, selon sa coutume, ren- contra un petit garden de six ans, dont la mere etait tombee au fond d'une gorge, sans qu'il fut possible de la retrouver. Sur- pris par la vivacite du froid, epuise de faim, de douleur et de fatigue, cet innocent etait couche sans force au milieu du chemin et s'y lamentait. Le dogue accourut a lui, et levant la tete, lui montra la liqueur restaurante qu'il portait pour le service des voyageurs. Ne comprenant rien a la nature de cette offre, 1'enfant tressaillit de frayeur et fit un mouvement pour se retirer. L'animal, afin de Penhardir, leva doucement la patte, qu'il posa ensuite bien plus doucement encore sur ses petits pieds tout en lech ant les mains engourdies par le froid aigu. Rassure par ces demonstrations arnicales et paciflques, 1'enfant fit un effort pour se relever; mais ses jambes, ses bras, tout son corps etaient si glaces, si roides, qu'il ne pouvait mar- cher. Compatissant a la faiblesse du petit, le chien s'approcha bien pres de lui, et, par un signe expressif, il lui fit entendre de se hisser sur son dos. L'enfant s'y placa, en effet, le mieux qu'il lui fut possible, et s'y tint courbe en deux. L'animal bienfaisant le porta ainsi avec grande precaution jusqu'a 1'hos- pice, ou Ton ne manqua point de lui donner tout ce qui etait necessaire pour le rechauffer. Ce trait produisit une vive sensation dans tous les cantons d'alentour ; un riche particulier se chargea du petit orpheliii. II fit meme peindre cette touchante aventure par un habile artiste de Berne, et ce tableau fut ensuite place dans la maison ou le dogue hospitalier faisail le service ordinaire. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 527 LE CHIEN DE L'AVALANCHE Le chevalier Gaspard de Brandenberg, traversant a pied le mont Saint-Gothard, fut enseveli avec son domestique sous une avalanche. Le chien qui les accompagnait, et qui avail echappe a cet accident, ne quitta pas les lieux ou il avait perdu son maitre. Heureusement 1'endroit n'etait pas eloigne d'un mo- nastere. Le fidele animal gratta la neige et hurl a tres-longtemps de toutes ses forces ; il courut au convent a plnsieurs reprises, et revint autant de fois sur ses pas. Les gens de la maison le suivirent ; il les mena directement a 1'endroit oil il avait gratte la neige, et le chevalier, ainsi que son domestique, furent retires sains et saufs de dessous 1'avalanche. Sensible a rattachement de Panimal auquel il devait la vie, le chevalier Gaspard ordonna qu'a sa mort, il serait represente sur sa tombe avec son chien. On voit a Zug, dans 1'eglise de Saint-Oswald, le tombeau de ce chevalier represente avec un chien a ses pieds. LES CHIENS ACTEURS Plutarque fait mention d'un petit barbet nomme Zoppico, qui aurait rivalise avec les meilleurs sujets de notre scene choregraphique. L'empereur Vespasien prenait le plus grand plaisir a lui voir jouer la pantomime. Cedrenus, historien du sixieme siecle, rapporte avec admiration les merveilles opcrees par une troupe de chiens qui se signalerent sous le regne de Justinien. On rencontrait, il y a quelques annees, dans les rues de Paris, un homme qui jouait du galoubet et du tambourin et qui con- 328 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. duisait par la bride un petit ane, accompagne d'une douzaine de chiens traines dans un chariot par un gros dogue, habilles, les uns en arlequin, d'autres en pierrot, en marquis, en com- missaire, etc., se tenant droits, et sautant sur leurs pattes de derriere, dansant le menuet, la gavotte, tendant le chapeau pour faire la quete parmi les spectateurs rassembles autour d'eux. Un jour, cette troupe passait dans Tile Saint-Louis, lorsqu'on sonna avec force a la porte de Pappartement ou je me trouvais avec une nombreuse compagnie ; un domestique ouvre, une dame de 15 a 18 pouces de haut, costumee comme la comtesse d'Escarbagnas, entre, qui nous fait mille reverences, en sautant avec joie. Est-il possible! s'ecria la dame de la maison,c'estFi/teMe, c'est ma chienne! Etvoila tout aussitot la vieille comtesse dans les bras de la jeune dame, qu'elle ac- cable de caresses. Cette petite bete, pleine d'esprit et de gen- tillesse, etait perdue depuistrois mois. L'instituteur des chiens 1'ayant rencontree et lui jugeant des dispositions, 1'avait placee dans sa troupe dansante, et ce n'etail pas 1'acteur le moins a vise. Finette, passant devant la porte de sa maitresse, reconnut sa maison. Sauter en has du chariot qui la conduisait et gagner Papparternent avait ete Paf'faire d'un instant. Le directeur de la troupe canine, s'apercevant de sa desertion, se presenta pour la reclamer ; mais a peine Finette Peut-elle aperc,u, qu'elle ar- racha sa coiffure, sa robe, et alia les deposer a ses pieds, comme pour lui dire : Voila ce qui t'appartient ; emporte, et moi je reste. Ce dernier trait enchanta toute la compagnie; on paya an maitre des chiens tout ce qu'il demandait pour indemnite de la nourriture, de Pentretien et de Feducation de Finette. La dame acheta en outre Phabillement de comtesse ; et, pendant cette soiree, Finette^ dans son costume, fit Pamusement de toute la compagnie. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 529 LE CHIEN .... INDISCRET Un de nos senateurs etant alle voir un de scs amis a la campa- gne, celui-ci Pengagea a faire une partie de chasse; et comme il s'en defendait, n'etant pas, disait-il, Ires-adroit a cet exercice, pour le determiner, le maitre de la maison lui donna son meil- leur chien. A peine sont-ils en campagne, que Vaillani fait lever une volee de perdrix : le senateur tire dessus; mais le chien eut beau chercher, on n'avait rienabattu. Plus loin Vail- lant decouvre une aulre volee; le chasseur ajusle aussi bien que la premiere fois, et reussit de meme. Le chien s'arrete un instant, paraissantreflechir s'llcontinuera a chasser avec un lei compagnon ; enfin, il se met une troisieme fois a la decouverte ; mais le senateur ayant ete tout aussi maladroit qu'auparavant, Vaillant revint, fit deux ou trois tours entre les jambes du chas- seur, leva la patte, pissa contre ses bottes, et s'en retourna aussitot a la maison. Nous tenons cette histoire du senateur meme, qui s'amusait a la raconler a table a ses amis. LE CHIEN RUSE Un de mes amis possedait, il y a trois ans, un admirable grif- fon au poil roux et roide, valant son pesant d'or pour le flair, 1'intelligence et le jarret. Pour vous donner une preuve de Pesprit de ma bete, me disait-il un jour, figurez-vous que Pannee derniere, au mois de juin, mepromenant le long du bois de Marly, je vis Platan qui fouillait dans un massif de bruyeres. Tout a coupun cri se tit entendre. Platon, revenant avec un lapin entre les dents, me regardait fierement et battait Pair de sa queue. Hercule dut etre moins satisfait quand il revetit la peau du lion de Nemee. Au 330 HISTOIRE DES RACES DE GHIENS. meme instant, un garde de la commune apparut au bout d'un sentier voisin, et se dirigea vers nous, en manifestant des inten- tions hostiles. II lorgnait le chien, qui, a son tour, examina Phomme. Je croyais, me dit le garde, que la chasse n'etait pas ou- verte. Vous dites?... Que votre chien braconne. Je savais qu'il chassait les rats, repondis-je au garde, mais j'ignorais qu'il courut aux lapins. Platon, fixant les yeux sur nous, cherchait, je pense, a de- viner notre colloque. II se dit sans doute qu'il avait eu tort de se saisir de ce lapin, qui ne demandaitqu'a brouter lethym ct le serpolet ; il se dit encore que 1'homme etait le representant de la loi violee, et, tout en pensant a ces choses, il lacha le lapin. Celui-ci secoua les oreilles, gratta son museau et s'enfuit au plus vite. Le garde se mit a rire : la force armee etait vain- cue. Je lui offris.... une poignee de mains, et nous nous quit- tames les meilleurs amis du monde. LE CHIEN DU PALEFRENIER Un voyageur de commerce, nomme M. Hulot, demeurant rue des Francs-Bourgeois, se promenait au bord de la Seine, du cote du basMeudon, vers huitheures et demie du soir, lorsque son oreille fut frappee d'une sorte de hurlement tellement plaintif que, quoique persuade que celte lamentation provenait d'un chien, il pressentit un malheur et se dirigea rapidement du cote d'ou elle partait. Bicntdt un chien noir s'clanc,a vers lui, changeant en un aboiement precipite son cri lamentable, et le tirant avec force par les pans de son paletot dans la direction de la riviere. ANECDOTES StIR LES CHIENS. 551 Apres avoir marche quelques instants en obeissant a ceite traction, M. Hulot aperc,ut un cheval couche dans 1'eau peu profonde eri cet endroit. II s'approcha et distingua, sous 1'ani- mal renverse, un homme qui ne pouvait degager ses jambes et qui s'efforcait d'elever sa tete, pour respirer, jusqu'a la sur- face de la riviere, qu'il ne parvenait a depasser que pendant un court instant, car la retraction de ses muscles 1'obligeait a quitter cette position anormale. II rie pouvait crier^ et il eut incontestablement peri par asphyxie, si M. Hulot ne fut venu a son secours et n'eut fait lever le cheval. Cet homme etait un palefrenier, qui, un peu pris de vrn, avait voulu fairebaigner a cet endroit un cheval qu'il rameriait. L'heurc choisie pour ce bain ne convenait pas sans doute a 1'a- nimal fatigue. II avait temoigne sa disapprobation en se cou- chant et en renversant sous lui le malavise cavalier, qui dut la vie a un de ses semblables, mais avant tout, a son chien. L'AMI DU PRESIDENT LINCOLN Lors des obseques du president des Etats-Unis, Abraham Lin- coln, un chien suivait, la tete basse, la marche lente et ca- dencee des chevaux caparac,onnes de noir. Ce chien se nommait Bruno, et etait un saint-bernard de pure race, appartenant a M. Edward H. Morton. 11 avait connu M. Lin- coln quelque temps avant 1'assassinat, et avait pris en sym- pathie le president, qu'il aimait a caresser. II se tenait, pres de son mailre, au coin de Broadway et de Chambers-street, a New- York, quand le char funebre vint a passer. Aussitot il chercha et trouva dans 1'air des effluves connus, puis soudain bondit a travers la foule, la divisa de son puissant poitrail, et, sans ecouter les appels reiteres de son maitre, alia prendre place 332 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. sous le corbillard, qu'il suivit jusqu'au chemin de fer, oil Ton transportait les restes mortels de la victime de Booth . LE CHIEN JALOUX M. T... est le mari d'une jolie femme, et son chien, guide par un rare instinct, paraissant comprendre tous les dangers auxquels celle-ci est exposee a cause de sa beaute, mettait toute son ardeur a les conjurer. Tout le temps que son maitre etait present, Phanor-- tel etait son nom ne gardail madame T... que d'un ceil; mais sitot qu'il n'etait plus la, il fallait voir avec quelle mefiance il accueillait les visiteurs, les hommes bien enteridu. Son regard ne les abandonnait pas un instant ; il suivail leurs moindres mouvements, il observait le jeu de leur physio- nomie, on eut dit qu'il cherchait a lire dans leur pensee. Tant que Ton se tenaita distance, c'etait bien ; mais si on s'appro- chait, Phanor s'approchait aussi, et gare alors ! un geste, un mouvement eussent pu quelquefois couter cher aux trop ga- lants visiteurs. Une fois Phanor sauta aux mollets d'un cavalier qui avait voulu saluer madame T... a 1'anglaise, c'est-a-dire lui serrer la main. Phanor avait pourtant d'ordinaire 1'humeur la plus paci- fique; mais il avait interprete cette politesse comme une in- fraction aux egards que 1'on devait a la femme de son maitre, et il avait voulu punir a sa fac/m ce manque de respect. Cette maniere d' entendre le role qu'il etait appele a jouer dans la maison genait parfois madame T..., mais elle charmait M. T..., qui, sans etre jaloux, n'etait pas fache d'avoir chez lui un gardien aussi vigilant de son honneur. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 355 LE CHIEN DE L'lVROGNE Un de mes amis, qui habile 1'Auvergne, m'a raconte avoir rencontre un soir un mauvais sujet, un ivrogne, longeant la riviere de la Dore... II avait jete son chien a Peau, ne pouvant pas donner dix francs de droit, car c'etait un petit chien de luxe. La bete, ayant une pierre au cou, disparut... et 1'abruti se mit a pleurer sur la rive en songeant a la perte de son ami. Si tu frequentais moins le cabaret, lui dit mon ami, il te serait facile de mettre trois centimes par jour de cote pour payer son impot... ettuaurais encore quatre-vingt-quinze cen- times en plus a la fin de Pannee... pour lui acheter un collier. Au moment ou il raisonnait ainsi, le desole poussa un cri de joie. La pierre mal attachee etait tombee seule au fond de la ri- viere. Le chien, nageant com me un poisson, s'avancait vers son maitre avec des regards pleins de tendresse... Le malheureux embrassa la bete toute trempee par les ondes, et il se corrigea de ses dereglements bachiques. Quand on lui demandait la cause de sa continence si louable, il repondait en caressant son chien C'est depuisque Medor a failli boire un coupque... je nVnbois plus... LE CHIEN DU MORT Un vieillard, habitant le faubourg de Schaeibeek, a Bruxelles, avait un chien de la plus commune espece, qui ne le quittait jamais d'un instant. Apres une courte maladie, le 534 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. vieillard vint a mourir. Le pauvre animal, qu'ori n'avait pu se- parer de son maitre pendant sa maladie, voulu t le veiller apres sa mort, et pendant pres de trois jours resta sous le lit du de- funt, refusant de boire et de manger. Cependant 1'heure des funerailles etait venue, et Ton craignait que le ehien montrat les dents et s'opposat a Penlevement du cadavre. On s'em- para done de force du chien et on Penferma jusqu'au lende- main. On crut pouvoir enfin lui rendre la liberte, et Ton espera qu'il accepterait quelque nourriture. Mais la pauvre bete refusa tout ce qu'on lui offrit et s'erifuit en aboyant d'une ma- niere desesperee. On apprit le lendemain, qu'apres deux heures de recherches il avait decouvert le cimetiere et la fosse ou Ton avait, la veille, enterre son maitre, et qu'il etait reste longtemps sur la terre fraichement remuee, hurlant et pleu- rant comme pour appelerdu secours. Depuis lors , tons les jours Tanimal rendit sa visite a la tombe de son maitre. II savait a quelle heure on pouvait entrer au cimetiere. II arrivait la queue basse, le nez en bas et se faufilait avec prudence dans 1'enceinfe sacree, comme s'il crai- gnait d'en etre chasse. Arrive sur la fosse il se couchait en silence, et d'une patte tremblante il remuait faiblement la terre. Les surveillants avaient une sorte de respect pour cette mal- heureuse bete, si iritelligente, si fidele, et bon nombre de gens qui entraient au cimetiere avec insouciance, par desoeuvrement, en sortaient les yeux pleins de larmes. Quant au chien, in- different a tout ce qui se passait autour de lui, a la curiosite dont il etait 1'objet, il restait la pendant un quart d'heure, abime dans un profond desespoir, puis disparaissait pour revenir le lendemain. ANECDOTES SUR LES CHIEJNS. 5o5 LES CHIENS SONS CAMARAOES Un jour d'automne, trois chiens, appartenant a un riche proprietaire de la Vendee, etaient alles a la chasse saris leur mailre. Ayant relance un lapin qui s'etait refugie dans son terrier , Pun des chiens s'introduisit si profondement dans ce terrier que toute retraite lui devint impossible. Apres avoir gratte inutilement pour le secourir, ses deux compagnons retournerent au logis, tristes et fatigues ; le lendemain et le surlendemain, meme disparition le matin et meme retour le soir des deux chiens harasses et refusant toute espece de nour- riture, les pattes ensanglantees, le corps convert de sueur et de terre. Le troisieme jour, les trois chiens revinrent, et celui qui avait ete perdu, escorte par ses deux camarades, etaitmou- rarit de faim et maigre comme un squelette. II fut evident que les deux chiens avaient travaille et reussi a delivrer leur cama- rade ; ce que demontra la large ouverture faite au terrier. LE CHIEN FIDELE JUSQU'A LA MORT Un tres-honorable habitant de Septemes pres Marseille tomba gravement malade. Son chien , qu'il avait toujours particulierement affec- tionne, s'installa au chevet du lit et refusa obstinernent de prendre aucune nourriture. Quelques jours apres, le malade mourut, etle chien, mele a un nombreux cortege d'amis, ac- compagna son maitre jusqu'au bord de la fosse, d'ou on fut oblige de Parracher. Mais le lendemain, a peine libre, il courut de nouveau au cimetiere et n'ayant pu parvenir a forcer la porte, il s'elanc.a, par-dessus la muraille, dans le champ du repos . 536 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. Inquiet de la disparition de 1'epagneul, le frere du defunt crut devoir, trois ou quatre jours apres, pousser ses recherches jusqu'au cimetiere; il retrouva, en effet, le fidele animal... mais froid et sans vie sur la tombe de celui auquel il n'avait pu survivre... Charlet a eu raison de mettre dans la bouche de- son chiffon- nier philosophe ces paroles : Ce qu'il y a de meilleur dans i'homme, c'est lechien. LE CHIEN DU CAFETIER Le maitre d'un des cafes du boulevard a un chien caniche blanc de la plus belle espece, toujours lave, peigne, raseet ruse ; il est le bijou, non-seulement des garcxms, mais , encore de tous les habitues de I'etablissement. Or, en dehors de ses qualites physiques, Toto c'est le nom du chien possede aussi des qualites serieuses ; ainsi, il s'acquitte avec beaucoup d'adresse des commissions dont on vent bien le charger. Notamment, c'est lui qui, chaque matin, va, un panier dans la gueule, chercher chez le boulanger les petits pains. II fait deux, trois, quatre, cinq voyages s'il le faut ; et cela, non-seulement sans le moindre grognement, mais encore sans se permettre aucun detournement. II est vrai que Toto est nourri comme un prince ; mais les petits pains qu'il porte sont bien dores et bien tentants !.,. Un certain matin, notre caniche apporta son panier plein a sa maitresse. Celle-ci compte les pains ; il en manque un : cela doit etre une erreur du boulanger, pense-t-elle, car elle est incapable de soup^onner son chien. Un gargon est envoye aussitot pour eri faire Tobservation. C'est possible , repond le boulanger en rendant au garc.on le petit pain qui manquait; ce n'est pas moi qui les ai AiNECDOTES SUR LES CHIENS. 337 comptes, et vous pouvez dire a votre dame qu'on y fera attention demain. Mais le lendemain, le petit pain manquait encore. On retourne chez le boulanger pour lui faire des reproches, qu'il prit fort mal cette fois. J'ai mis moi-meme le compte dans le panier du chien, je suis done bien sur qu'il y etait ! s'ecria-t-il de mauvaise humeur. Est-ce done de ma faute si votre caniche est un gour- mand? Accuser Toto etait chose grave, mais pourtant les presomp- tions contrelui etaient fortes. Cependant la maitresse du cafe, voulant douter encore, tant la vertu de son chien lui semblait chose sure, se decida a le faire suivre pour le prendre en fla- grant delit, si tant est qu'il fut coupable, le malheureux. Le lendemain, un garc,on se met en embuscade, voit Toto entrer chez le boulanger, en sortir le panier plein; puis, au lieu de suivre son chemin direct, prendre une rue delour- nee. Le garcon, intrigue de cette manoauvre du chien, le voit entrer dans une allee de maison et s'arreter devant une porte d'ecurie ayanten bas une chatiere. Alors Toto pose son panier, prend delicatement un petit pain qu'il depose a Fou- verture de la chatiere, ou une autregueule de chien parut tout a coup, comme si 1'animal enferme attendait sa pitance ; puis Toto reprend son panier et regagne son logis au plus vite. Le garc.on, que cette scene etrange avait interesse, inter- roge la portiere et apprend que, dans cette ecurie, est une chienne, laquelle venait de mettre bas depuis trois jours, juste le compte de jours a dater desquels les petits pains manquaient. Rentre au cafe, le garcon raconta a sa maitresse ce qui venait de lui etre dit ; celle-ci se recria d'abord, puis elle or- donria de laisser a Toto toute sa liberte d'action et... de petit pain. Aussi le bon animal continua-t-il quelques jours encore 23 558 HISTOIRE DES 1UCES DE CIIIENS. son singulier manege sans encombre ; puis, quand la chienne fut relevee de couche, Fhonnete Toto rapporta, comme par le passe, le nombre exact de petits pains. LE CHIEN DU DOCTEUR Chacun sail que les proprietaries et les concierges a quelques exceptions pres ont une sainte horreur pour les chiens qui salissent leurs escaliers cires, et polluent quelque- fois le paillasson. Le fait suivant est authentique : il n'en est que plus drolc. Le plus homoaopathe des medecins et le plus spirituel des homceopathes, M. le docteur Cabarrus, cherchait un logement ; il fmit par en trouver un a sa convenance. Comme le concierge enumerait les charges et les servitudes de la location, notre aimable confrere (soit dit en passant, M. Cabarrus est un des meilleurs tireurs de France, comme il est un des medecins les plus consciencieux) 1'interrompt pour lui dire : Ah ! j'oubliais de vous dire que j'ai un chien. Un chien ! s'ecria le concierge. Et quelle est la profession de Monsieur? Medecin. Parfait. J'aurai Fhonneur de rendre notre reponse a Mon- sieur, demain avant midi. Le docteur n'attendit pas j usque-la. Le soir meme il rece- vait par la poste le billet suivant : Passe pour un chien; mais un medecin, jamais ! La question des visiteurs 1'avait cette fois emporte sur celle des pattes du chien. UN CANICHE SAVANT Un soldat d'un de nos regiments de cavalerie de 1'armee franchise possede un chien comme on envoit peu, Ce chieri est ANECDOTES SUR LES CHIENS. 35!) uri caniche, et le caniche est deverm une des raretes de notre epoque, cette race commengant a disparaitre et menac.ant de devenir, dans un temps tres-rapproche, une chose dont on ne parlera plus que pour memoire, comme du gredin, sous Louis XIII, et du carlin, sous Napoleon l er . Le caniche dont il s'agit est beau, blanc, gras, bien eleve et adore du regiment, comme jadis feu Vert -Vert des Visitandines ; enfin, tous les officiers, meme le colonel, le caressent a Poccasion. Tampon, c'est le nom du caniche, merite cette tendresse, non-seulement par la bonte de son coeur, mais encore, et sur- tout, -par les talents d'agrement dont a su le doter son instruc- teur, ou plutotses instructeurs, car tout le regiment s'est un peu mele de cette education-la. Tampon, qu'est-ce que fait ton maitre a 1'exercice ? lui demande-t-on. Et aussitot rhonnete chien de bailler a se decrocher la machoire. Tampon ! quand onmarche a 1'ennemi, comment agit-on? lui dit-on, si Ton vent continuer son interrogatoire. Le caniche s'elance comme un trait, prend la premiere chose qu'il rencontre el la dechire sans pitie. Et 1'ennemi, comment procede-t-il ? lui demande-t-on en riant. A cette demande, le chien se transforme, il baisse la queue et les oreilles, prend un air piteux, puis va tout en rampant se blottir dans un coin. II sail encore, quand on lui dit qu'il est malade, lever une patte, marcher en boitant, prendre un billet d'hopital et aller se coucher en gemissant, puis une foule d'autres jolies choses. Vous comprenez si, instruit de la sorte, Tampon est repute comme une merveille ! Aussi, tous les etrangers demandent-ils a voir le chien. 540 HISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. Or, certain jour, un Anglais, apres avoir admire Panimal, proposa de 1'acheter. Aoh I je donne a \6 un cheque de mille francs ! On rejeta avec un dedain superbe cette etrange proposi- tion ; mais le jour meme le caniche avait disparu. C'est 1'Anglais qui a fait le coup ! s'ecrierent en chceur les dragons ; mais nous reprendrons la bete, ou le diable s'en melera... Et la suite de ce serment fut une permission demandee par dix hommes au capitaine, qui leur accorda aussitot la chose. Voici done nos soldats qui se separent en deux detache- ments ; les uns vont cerner les rares hotels de la ville, et les autres s'embusquent a Pembarcadere du chemin de fer, pensarit bien que le voleur du chien, qui devait etre un etrariger, serait pressede quitter les lieux. En effet, au moment ou le train allait partir, le maitre du chien, qui faisait partie du detachement de la gare, apercoit son marchandeur du matin, qui, suivi d'un garcon de I'hotel portant une malle, tenait entre ses bras un enorme paquet tres- remuant. Pardon, excuse, monsieur PAnglais, tit le dragon en donnant a celui-ci un enorme croc en jambe qui 1'envoya rou- ler d'un cote, tandis que Penorme paquet, qui n'etait autre que Tampon, entortille dans une couverture, retombait de Pau- tre, le soldat frangais reprend son bien ou il le trouve. Et tout en parlant ainsi, il delivra le pauvre chien, qui le couvritde caresses. L'Anglais, furieux, montrait lespoings. Silence! s'ecrierent en chceur les dragons, et filez au plusvite, ou Pon appelle Pautorite, qui vous mettra au clou. L'Anglais se le tint pour dit ; il se tut, prit son billet et partit par le plus prochain convoi. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 541 Quant a maitre Tampon, i\ fut ramene en triomphe par les dix dragons et, a 1'heure qu'il est, il fait toujours les delices du regiment, se montrant de plus en plus reconnaissant pour son maitre et pour ses nombreux amis. UN CHIEN RUSE Un chasseur emerite de Paris, tres-connu par le sportsmen, possede un grand epagneul qui fut, certain jour, injustement rosse par le domestique du logis. Tant qu'il avait etc chatie pour un fait qui en meritait sa peine, Panimal n'avait point garde rancune ; mais, cette fois, il se facha tout de bon, et le soir me'me, pendant que son maitre savourait son diner, Black fit entendre un long cri de detresse. Mon ami s'imagina que son domestique avait marche sur la patte du chien. Brutal ! imbecile! s'ecria-t-il. Mais, monsieur, je vous jure! Taisez-vous et une autre fois faites un peu plus attention aux pattes de Black. Le lendemain, au moment du dejeuner, le m&me cri se re- nouvela et 1'animal se sauva en hurlant. Vous le faites done expres ! s'ecria le maitre qui tan^a le valet plus vertement encore. Le surlendemain, au soir, la meme scene eut lieu. Cette fois, non-seulement Black se sauva, mais encore il se cacha de telle fac,on qu'on ne put pas le retrouver. Cette fois aussi le valet qu'on avait gronde declara qu'il priait instamment Monsieur de vouloir bien examiner les allu- res de son chien. Black fut surveille et surpris au moment ou il allait reprendre le cours de ses plaisanteries. Pour le coup mon ami partit d'un grand eclat de rire, a ce point que Black demeura en arret ; settlement, quand il s'a- 542 HISTOIRE DES RACES DE GHIENS. perc.ut que son ennemi ne recevait plus de reprimande, il essaya deboiter, de trainer la patte, etc., et son maitre se di- vertit de plus belle de cette invention. LA CHIENNE D'UNE DAME SOURDE Parmi les anecdotes relatives aux chiens d'aveugles, un con- frere en saint Hubert m'a raconte le fait suivant : Mirette est une chienne, appartenant a une maitresse pres- que entierement privee de 1'ouie. Lorsque cette dame est au logis et que la sonnette se fait entendre, Mirette, qui ne peut ouvrir la porte et qui comprend bien que si elle aboye, elle aura aboye en pure perte, tire sa maitresse par la robe, pour avertir que quelqu'un demande a entrer. Ce n'est pas tout ; quand on est dans la rue ou a la promenade, et qu'une voiture ou un cavalier s'approche, Mirette donne le mme avis, en usant d'un semblable moyen; aussitot la pauvre sourde se lient sur ses gardes. Les yeux de 1'aveugle sont ceux de son chien, comrne les oreilles de la sourde sont celles de Mirette. LE TERRE-NEUVE INTELLIGENT J'ai lu dans un journal des Etats-Unis : Une dame qui passait Pete a Weehawken employaitune par- tie de ses loisirs a visiter sa basse-cour, ou elle elevait une mul- titude de petits poussins avec des soins tout maternels. Depuis quelques jours, elle avait pris 1'habitude de retirer de son nid a une heure fixe une poule qui couvait avec une assiduite telle, qu'elle se serait laissee mourir defaim si on ne 1'avait derangee. Un enorme terre-neuve accompagnait la fermiere amateur dans ses expeditions, et paraissait suivre tons ses mouvements ANECDOTES SUR LES CHIENS. 345 avec un vif inlerel. Un jour que la dame avail neglige de s'ac- quitter de sa ta"che quotidienne, elle entendit un grand remue- menage dans la basse-cour. Elle regarda et apercut le terre-neuve qui avail emporle dans sa gueule la couveuse effarouchee a une Irenlaine de metres de dislance, el s'elail gravemenl assis sans se soucier deses cris furieux el des coups debec dont celle-ci lui labourail le crane. La dame se hala de s'inlerposer enlre son lerrible rempla- c.anl el la pauvre poule, qui se serail bien passee d'une si ef- frayanle sollicilude. Quanl au chien, il elail fier de son exploil, el semblail chercher dans les yeux de sa mailresse la recom- compense du service qu'il lui avail rendu. LE CHIEN MAITRE ET LE CHIEN VALET II y avail a Florence, en 1847, un officier ilalien el son do- mestique, et chacun d'eux elevail, sous le meme toit,un chien indigene, mais de race differenle. Quand ils durenl abandon- ner la Toscane, les deux chiens ne voulurenl pas quiller leur pays nalal. Resles sans mailres, ils ne se sonl jamais separes depuis cetleepoque,el le chien dudomeslique a loujourssuivi, comme un domeslique, celui du mailre de son mailre : celui- ci, eleve arislocraliquemenl, frequenle, comme il en avail 1'ha- bilude, les cafes Doney, Castelmuro, les reslauranls du cafe d'Halie, de Paris, de la Luna, elc., ou il s'esl fail de nombreux amis ; mais ce qui esl plus elonnant, c'esl que ces deux chiens n'onl jamais voulu s'atlacher a personne, ni coucher deux fois au meme endroil, el loujours le proletaire suil Faristocrale a Ires-pelile dislance. Des le malin, ils visilenl les cafes ou les consommaleurs leur donnenl a dejeuner. Apres quelques heures de repos, ils flanenl par la ville, ensuile ils parcourenl les reslauranls ; 344 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. apres le diner ils vontau eafeet aux Cascines, ou tres-souvent ils sont pris dans la voiture d'un elegant ou de quelque etranger. Le chien-maitre, qui s'appelle Burasca, saute dans 1'interieur de la voiture, et 1'autre, qu'on nomme il Segretario, monte aupres du cocher ou suit la voiture a pied. Le peristyle de thea- tre leur offre un gite confortable pour la nuit..., et c'est ainsi que ces deux chiens se sont rendus independants et amis de . la bonne societe de Florence. Leur photographie se trouve partout, et les etrangers rem- portent comme une curiosite et un souvenir. LE CHIEN . . . DU COM M ISS AIRE Dans une ville de province, un chien courait, poursuivi par des gamins qui lui avaient attache une casserole a la queue. Malgre la frayeur qu'il eprouvait, le pauvre animal regardait avec soin les maisons du boulevard ; il semblait en chercher une. L'ayant trouvee, il n'hesita pas et entra tout droit dans la maison du commissaire de police. Une fois arrive dans le bureau du magistral, le chien se coucha tranquillement et dans Tattitude d'une securite com- plete. Le commissaire fit chercher la proprietaire de 1' animal, et celle-ci vint reclamer son chien. Quelques jours auparavant, cette femme, qui est d'un cer- tain age, s'etant trouvee en butte aux mauvaises plaisanteries des memes gamins, etait allee seplaindre au commissaire. Le chien avait accompagne sa maitresse, et, se souvenant de la protection que le commissaire lui avait accordee, il la recla- maitpour lui-meme. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 545 LE CHIEN MEDECIN Certain soir, a la veillee, un de mes amis me racontait lefait que voici : Me trouvant a la maison des champs d'un de mes parents, je passais pres d'un noyer sous lequel tourbillonnait une foule d'insectes. Je ne leur disais rien, car j'aime toutes les petites creatures de Dieu, lorsqu'une grosse guepe vint sournoise- ment me piquer au cou. Je criai d'abord, puis je courus au logis demander de 1'alcali. M. A., mon parent, se mit a rire et me ramena au jardin, en me racontant que son chien Perdreau avail etc, comme moi, un jour, pique, mais au nez. Aussitot, son maitre 1'avait vu courir a urie planche de poireaux, fouiller le carre avec sa gueule et avec ses pattes, jusqu'a ce qu'enfm le jus des plan- tes coulat assez abondamment pour qu'il put y tremper son nez enfle; ce remede 1'avait gueri au bout de quelques minu- tes. Onm'a traite, ajouta mon ami, comme Perdreau 1'avait in- dique, comme tout le village fait a son exemple, et ma blessure n'a pas eu d'autres suites. LE CHIEN GOURMAND II existait a Rome, il y a trois ans, peut-etre existe-t-il encore, un chien surnomme Beefsteak, qui etait le roi des mendiants quadrupedes, comme Beppo etait le roi des men- diants a deux jambes ou a une seule jambe. Beefsteak n'avait pas daigne se donner la peine d'etre chien d'aveugle, chien de berger, ou chien de chasse ; il voulut vivre de ses rentes sur la charite publique. II etait venu a Rome avec un maitre polonais. Romelui plut etil y resta. II avait du gout pour les arts et s'at- 346 HISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. tacha aux artistes qui, de tous les points de 1'Europe, se don- nent rendez-vous aux bords du Tibre. La plupart de ces jeunes gens frequentent les salles du fa- meux restaurateur Lepre (fameux pour son macaroni et son vin d'Orvieto) et le cafe Greco ; Beefsteak s'etait fait naturaliser parmi eux et avait gagne leur amitie. Le matin, il allait leur rendre des visites dans leurs logements ou dans leurs ateliers, puis, a 1'heure des repas, il les precedait chez Le- pre et les y attendait, sur d'etre traite en convive bien ac- cueilli. Beefsteak etait devenu un veritable epicurien, un gourmet acheve, et s'il ne mangeait pas beaucoup, il rnangeait bien, flairait les morceaux en chien connaisseur, et n'acceptait que ce qui lui convenait. Apres le diner, il se dirigeait vers le cafe Greco, ou il ecoutait les discussions des artistes, et savourait le moka et le sucre qu'ori ne manquait pas de lui offrir : ccs complements du festin avaient pour lui un attrait tout particu- lier. La nuit venue, il suivait un de ses amis etacceptait Thospi- talite sur un tapis ou un paillasson jusqu'au lendemain matin. G'est une faveur qu'il accordait, a tour de role, aux eleves des academies, en reconnaissance de leur protection, et Beefsteak s'arrangeait pour ne jamais fatiguer ses hotes par des sejours trop prolonges chez eux. On ne 1'a pas vu rester plus de deux ou tout au plus trois jours, chez le meme artiste : tous etaient ses amis et aucun ne pouvait se dire son maitre. Helas ! bien des grandeurs disparaissent et la grandeur de Beefsteak a ete du nombre; un beau matin il cessa de se montrer et tout porte a croire qu'il mourut ignore, dans un coin, sans secours et sans ami. Pauvre Beefsteak! ANECDOTES SUR LES CHIENS. 547 LE CHIEN QUI MET LE HOLA On m'a montre a la Grande-Villette un chien qui remplissait les fonctions de commissaire de police. C'etait un gros caniche assezlaid, mais robuste, quise tenait d'ordinaire etendu devantla porte de son maitre. Si deux boule-dogues qui appartiennent a uri boucher du voisinage venaient a attaquer, par suite de leur humeur bru- tale, un chien rnoins fort qu'eux, aussitot le caniche, se jetant sur les agresseurs, les obligeait a lacher prise, et soutenait an besoin un combat en regie contre les deux tyrans a la petite patte. Les chiens du quartier savaient si bien cela, qu'a la moindre menace des boule-dogues, ils se refugiaient pres de leur protec- teur ordinaire, qui alors se dressait et se preparait a accorder Paide qu'on lui demandait. Quant aux deux boule-dogues, ils pouvaient se battre Pun contre Pautre tant qu'ils le voulaient. Le caniche les regardait tranquillement et les laissait faire sans jamais s'interposer entre eux. LE CHIEN DU CHEVAL Le chien et le cheval sont d'ordinaire bons amis, et se plai- sent a vivre ensemble dans la plus parfaite intelligence. S'il habite une ecurie ou se trouvent des chevaux appartenant a plusieurs personnes, le chien ne donne son affection qu'au cheval de son maitre. A Strasbourg, deux freres avaient leurs chevaux dans la mme ecurie et deux palefreniers differents pour les soigner ; un chien vivait avec eux en tres-bonne har- monic. L'un des chevaux recevait, comme supplement de nour- 548 HISTOIRK DES RACES DE CHIENS. riture, de succulentes carottes qu'il aimait beaucoup, et un gros tas de ces racines etait la tout proche comme approvisionne- ment. On s'aperc, ut que ce tas diminuait rapidement, et, apres surveillance, il fut reconnu que le chien etait 1'auteur de cette soustraction. II tirait les carottes par le collet el les portait au cheval de son maitre, lequel etait prive de la pitance quoti- dienne dont jouissait son camarade. LE CHIEN QUI A DES AMIS Un fermier de la Beauce rec.ut un jour la visite d'un de ses voisins de campagne qui partait en voyage. Ce voisin le pria de vouloir bien se charger de son chien pendant son absence. Cc chien etait un jeune basset a jambes torses qu'on avait deja mene en chasse. Notre ami voulut bien continuer cette educa- tion jusqu'au retour du maitre du basset. Pendant les premiers jours de cette hospitalite, tout alia bien, etle basset s'habituait on ne peut mieux a son nouveau domicile. Mais line altercation s'eleva entre le chien de ferme et le nouveau venu. Le basset, fort malmene dans cette lutte inegale, disparut de la maison. Qu'etait-il devenu? La chose etait inquietante. On battit les environs ; on appela : rien. Le lendemain, on le vit entrer dans la cour. II etait accom- pagne d'un enorme dogue son ami, dont il etait alle taire requi- sition au logis de leur commun maitre. C'etait son allie, un troisieme personnage introduit dans le differend de la veille. line explication etait imminente pour tous les spectateurs ; elle eut lieu en effet. Le lecteur a devine le reste de la scene : al- taque, par les allies, du chien inhospitalier ; vengeance tiree du coupable, et retraite triomphante du protecteur et du protege. ANECDOTES SUR LES CH1ENS. 349 LE CHIEN DE ROME ANCIENNE Lorsque Titus Sabinus, pour a\oir ete l'ami-de Germa- nicus, fut condamne avec ses esclaves, le chien d'un de ceux-ci ne put etre ecarte de la prison, et il accornpagna le corps aux gemonies, poussant des hurlements lamentables en presence d'unefoule de peuple.On lui avait jete un morceau de pain, il le porta a la bouche de son maitre. Et quand le cadavre fut precipite dans le Tibre, le chien s'y elanc.a lui-meme, essayant de le soutenir sur 1'eau. Et Ton venait admirer de toutes parts cct animal fidele. LE CHIEN TRES . . .COURANT Uri jour, en 1864, les voyageurs emportes par la vapeur, dans un convoi de Perigueux a Coutras, furent temoins, a la gare, d'une course d'un nouveau genre et des plus interes- santes. Au moment ou le convoi se mettait en inarche, un jeune chien, de 1'espece levrier, croisee de chien de berger, ayant \ 7 u son maitre monter dans un wagon, se mit en tete de le suivre. Depuis Perigueux jusqu'a Razac, le rapide animal suivit le convoi cote a cote, sans se laisser distancer, malgre la grande vitesse de celui-ci. A Montanceix, le convoi devanc,a le chien, qui le suivit pendant quelques minutes a une distance de 50 metres. A la hauteur de Jeyvas, le chien avait perdu beaucoup de terrain, et on ne le \oyait plus que comme un point noir. Enfin, le convoi etant arrive dans la station de Saint-Astier, on attendit le coureur, qui parut bienlot et arriva trois minutes apres la descente des voyageurs. La distance de Perigueux a Saint-Astier etant de 18 kilo- 350 1IISTOIRE DES RACES DE CHiENS. metres, il y a, pensons-nous, peu d'exemples d'un chien par- courant cette distance en trente minutes. LE CHIEN DU BOUCHER On enterrait a Graulhet, dans le departement du Tarn, un boucher mort a la suite d'une courte maladie. Ce boucher pos- sedait un chien de 1'espece dite boule-dogue. Pendant tout le temps que dura la maladie de son maitre, on ne put le chasser de sa chambre. II s'etait pelotonne pres du lit et restait la, refusant toute nourriture. Quand on se rendit au cimetiere, il suivit le convoi, et ce ne fut qu'avec les plus grandes diffi- cultes qu'on put 1'arracher de la fosse. Quelques jours apres Fenterrement, le Ibssoyeur alia creuser une tombe voisine de celle du boucher. Quel ne fut pas son etonnement de voir un large trou creuse au milieu de la tombe qu'il se souvenait bien d'avoir comblee ! II s'approche, il re- garde, et il apercoit dans ce trou, profond de pres de 2 me- tres, le chien fidele du defurit, couche sur les planches de la Mere, que ses ongles ensanglantes n'avaient pu entamer. Saisi de pitie pour le pauvre animal, il alia avertir les pa- rents de ce qui se passait. Ceux-ci vinrent le prendre et le ramenerent de force chez eux. Deux jours s'ecoulerent, et le chien, qui coritinua a refuser toute espece de nourriture, mourut de chagrin dans une maison voisine. LE CHIEN DU DIPLOMATE M. le comte de Sponneck, ex-conseiller intime de S. M. le toi des Hellenes Georges I er , ernmenait certain jour, dans un voyage sur iner, de Copenhague a Hambourg, un chien ANECDOTES SUR LES CHIENS. 351 qu'il affectionnait beaucoup. Pendant la traversee, cette bete courait et gambadait autour de lui sur le pont. Emportee par ses elans, elle tomba a la mer par-dessus bord... Mon chien... mon chien ! s'ecrie le comte vivement emu... Capi- taine, de grace, arretez. Jesuis desespere, dit le capitaine, mais le reglement nous interdit formellemerit de nous arreter pour des animaux ; nos minutes sont comptees. Je ne puis stoper. -- Et si c'etait un homme? dit le comte. Ah! un homme... ceserait different. A peineces paroles etaient-elles proferees que les cris : Un homme a la mer ! se faisaient entendre. Le comte de Sponneck s'etait jete tout habille dans Peau. Le batiment s'arreta immediatement, la chaloupe fut mise a la mer, et je dois ajouter que si Thomme fut sauve, le chien le fut ega lenient. LES CHIENS DU PRESIDENT M. X. un de nos plus illustres presidents de chambre, ma- gistrat eclaire et integre, ce qui complete la chose, est un grand amateur de chiens, ce qui prouve, a mes yeux, sa bonte d'ame. M. X. a 1'habitude, tous les jours, en revenant du Palais, de s'enfermer une heure avec ses animaux. Personne ne peut s'introduire dans la piece consacree a ce recueillement. Un des bons amis du president lui demandant quel plaisir il pouvait avoir avec sa meute : Quel plaisir? repliqua le president... diable! on voit bien que vous ne comprenez pas le bonheur qu'on eprouve de se trouver en compagnie d'etres qui ne patient pas, lorsqu'on a passe six ou sept heures a entendre MM. les avocats qui parlent trop. 552 I11ST01RE DES RACES DE CHIENS. LE CHIEN EXCELLENT AMI Un vieux chien courant, de 1'espece suisse, nomme Mir ant etait enferme dans le meme chenil a cote d'un petit beagle, grand amateur de chasse au renard, eu egard sans douie a son origine anglaise. Des que ces deux betes pouvaient s'echapper, ils filaient droit au bois et on entendait bientot la basse sonore du courant Miraut et le soprano du petit beagle parfaitement d'accord a la poursuite d'un charbonnier ou d'un poil rouge. Certain jour, le petit beagle disparut. On crut qu'il avail ete etrangle par un renard, et quinze jours apres on 1'avait oublie. Le seizieme jour on vit arriver Miraut qui s'etait echappe de son chenil. II revenait de la for6t, et portait dans sa gueule le cadavre de son petit camarade, qu'il deposa devant la porte du chenil, apres quoi il se mit a pousser des cris lamentables qu'on ne put faire cesser qu'en lui enlevant 1'objet de ses re- grets, qui se trouvait deja dans un etat de putrefaction avancee. LE CHIEN DU DOCTEUR CABARRUS L'aimable docteur de Cabarrus, amateur de chasse emerite, dont j'ai deja parle, avait pour ami le comte d'Orsay, qui fut le Brummel du dix-neuvieme siecle. La plus etroite amitie liait le docteur au gentleman franco-anglais, si bien qu'en mourant, ce dernier legua par testament au docteur Cabarrus ses armcs de chasse et un chien hors ligne, qui desceridait d'une race unique, conservee precieusement, par le marquis de Scarbo- rough, dans son manoir du comle d'York, situe sur la plus belle baie de la mer du Nord. Le chien legue par le comte d'Orsay a son ami devint ma- lade; il etait deja vieux, si bien que le bon docteur, ne pou- AiNECDOTES SUR LES CH'IENS. 355 varit pas garder 1'animal chez lui, le mil en pension a Alibrtou a Charenton. Or, il faut dire que le marquis de Scarborough, tres-jaloux de sa race de chiens, qui n'avait consenti qu'a grand'peine a offrir un individu de cette espece au comte d'Orsay, ayant appris la mort de celui-ci (a qui il avail fait donner la parole d'honneur de ne point permettre de reproduction a son etalon), ecrivit a lord Cowlay, ambassadeur d'Angleterre, pour lui demander ce qu'etait devenu le chien du defunt. L'ambas- sadeur anglais repondit au marquis, en lui apprenaht la con- duite du docteur Cabarrus vis-a-vis de labele malade et mori- boride; une seconde lettre annonc.a bientot a lord Scarborough la fin du descendant de la race, qui avait etc enterre dans le coin d'unjardin. Deux ans apres cet evenement, le docteur Cabarrus venait de rentrer chez lui, un soir, vers onze heures ; il etait desha- bille et se disposait a entrer dans son lit, lorsqu'un coup dc sonnette ebranla son domicile. Qui est la? que me veut-on? dit-il a travers la porte. Je desire parler a M. le docteur Cabarrus, repond du palier une voix qui avait un accent britannique des plus pro- nonces. Je ne sors jamais la nuit ; adressez-vous a un aulre me- decin. 11 no s'agit pas de consultation, monsieur le docteur, mais d'une affaire de chasse. Le docteur ouvre enfin sa porte et se trouve face a face avec un laquais en grande livree, tenant en laisse tine admirable chienne, qui s'appelait Mirza, et que le marquis de Scarborough lui envoyait, apres 1'avoir fait dresser a la frangaise par son meilleur garde, et cela en souvenir des buns soins que le doc- lour avait prodigucs uu chien a lui legue par le comic d'Orsay. 354 H1ST01RE UES RACES DE CHIENS. - Je suis arrive a Paris a sept heures, et ne vous ai point trouve envenant ici. Je repars a 1'instant rneme, monsieur, dit le laquais au doc- teur, et j'avais hate de remplir les ordres de rnylord mon maitre. Mirza a ete la merveille de tous les animaux que mon illustre confrere... en Saint-Hubert ait jamais eu en sa pos- session. LE CHIEN DE L AVEUGLE 11 y avait un jour un aveugle, un chien et une actrice d'un infime theatre quietaient amis. Pour obeir a la tradition qui cxige qu'un romancier ne puisse mettre des persormages en scene sans donner au lecteur un portrait bien detaille de ses heros, j'ajouterai done que Faveugle etait fort vieux, que le chien etait un canicheet que 1'actrice etait bien peu riche, car ses appointements se montaient a quinze sous par representa- tion. Les jours ou elle ne jouait pas, elle devait vivre d'espe- rance. Vous voyez que ce triod'amis vivait sous la raison so- ciale : misere et compagnie. L'actrice, par bonte d'ame, soignait les hardes et le menage del'aveugle et peignait Baptiste (le chien!) tous les dimanches. Ces attentions etaient payees le soir par Paveugle en quelques beaux recits des gloires du premier empire, qu'il avait servi. Gette confraternite de la mansarde dura jusqu'au jour ou le corbillard des pauvres, en passant devant la porte, emporta 1'aveugle ; les deux autres le suivirent a son dernier gite, el, quand ils revinrent, Baptiste s'installa chez 1'actrice. C'etait un bien miserable logis que celui de la jeurie ieniine, si miserable qu'il ne tenta pas meme les voleurs, car il ne fer- rnait pointa clef et la porte n'avail qu'un modeste loquel, que ANECDOTES SUR LES CHIENS. 555 Baptiste^ avec sa sagacite de chieri d'aveugle, avail, en deux jours, appris a soulever. L'artiste ne jouait pas et elle voyait rapidement s'epuiser ses petites economies, que ne venaient pas alimenter les quinze sous dont le theatre payait son talenl les jours ou il en faisait emploi. Elle repetait a la verite, mais, pour arriver a la representation, il devait s'ecouler bien des jours, que son mince pecule n'assurait pas jusqu'au bout centre la faim. Vous pouvez comprendre ses inquietudes. Ah ! j'oubliais d'ajouter qu'elle etait sage ! Deux jours apres, quand Partiste revint de sa repetition, elle crut faire un reve I Les carreaux de sa mansarde etaient jonches de pieces de deux sous, de dix sous, d'un franc, voire rneme de deux francs ! L'addition donna un total de trente-cinq francs une fortune ! Au milieu de ces tresors, Baptiste etait eteridu ct dormait avec toute 1'insouciance d'un chien philosophe. En vain la jeune femme chercha quel pouvait etre ce bien- faiteur maniaque qui venait ainsi, dans les mansardes, Jeter par terre une aumone qu'il pouvait placer sur un meuble. Le lendemain le bienfait anonyme se reproduisit, et Tartiste, auretourdu theatre, recueillit, toujours sur le carreau, une somme de plus de trente francs. Au bout de huit jours, riche de plus de deux cent cinquante francs, elle voulut connaitre celui qui profitait de son absence pour 1'enrichir, et, manquant a sa repetition, elle se mit au guet dans le couloir. Dix minutes apres, elle connaissait son bienfaiteur. C'etait Baptiste ! Aussitot son amie partie, Baptiste, la sebile a la gueule, sou- levait leloquetet allait dans laville s'installer a la place occu- pee si longternps par son delimt maitre. En voyant le chien seul, lespassants qui le connaissaient croyaient son proprietaire malade et, par une generosite que cette supposition rendait plus large, ils quintuplaierit, dans la sebile, leur offrande a 1'aveuglo 5jO H1STOIRE DES 1UCES DE CU1EINS. absent. Deux heures apres, Baptiste rapportait au logis sa sebile pleine qu'il vidait par terre. Le lendemain de cette decouverte, le theatre, presse, joua la piece, ou 1'actrice, par son talent, se fit remarquer d'un directeur d'une scene rivale, qui 1'engagea a des appointements plus serieux. Vingt annees se sont ecoulees depuis cette aventure. Au- jourd'hui, 1'actrice est riche et celebre, et Baptiste n'a jamais quitte son toit. Voici bientol douze ans qu'il occupe une place d'honneur dans le salon (il est vrai qu'il est empaille), et quand on demande a la inailresse de quel droit ce chien est ainsi installe en plein gueridon sur un coussin de soie, elle vous fait le recit que je viens de transcrire. LE CHIEN A L HOPITAL Certain jour, dans la ville de Villefranche, departernent du Rhane, une voiture ecrasa la patte d'un jeune chien ; il se reri- dit clopin-clopant a la porte de Fhospice, sollicitant, par des ^emissements plaintifs, son admission pour sa patte dechiree. C'etait le soir ; ses plaintes n'ayantpas ete comprises, il se re- fugia dans une maison voisine pour y passer la nuit. Au point du jour, M. Taumonier del'hopital, qui allait rendre auxmala- des sa visite journaliere, fut surpris de se voir suivi par le pau- vre animal ne marchant que sur trois pattes, et qui semblait, par ses cris douloureux, implorer sa pitie. louche de ce spec- tacle, le digne aumonier parla au medecin, faisant sa visite, el celui-ci s'empressa de panser le blesse. Des ce moment il fi.il. admis au nombre des holes de I'etablissement. Chaque matin, au momeril de la visite, on voyail accourir i'ialelligeut quadt'upedequi^coftiprenant leprixdu lemps, avail ANECDOTES SUR LES CHIENS. r.?>7 soin d'enlever le bandage avant de presenter sa patte a Phomme de 1'art. S'il etait toujours present a Pheure de la visile, nous devons ajouter qu'il etait encore plus ponctuel a celle de la distribution des vivres. II etait choye par tous les habitants de cette hospi- taliere maison, ou, pour les petites comme pour les grandes douleurs, on est toujours sur de trouver sympathie, consola- tion et devourment. LE CHIEN DE L'ARMEE PRUSS1ENNE Quel admirable chien quele chien du regiment ! Comme il est aime, choye, caresse, adule, bichonne par les soldats dont il est le fidele compagnon en paix comme en guerre ! Mais il yen aun en Prusse, qui meriterait bien la medaille militaire allemande. Lors de la guerre du Danemark, on ne faisait pas line pa- Irouilie sans Pemmener ; avec un flair incroyable il depistait Pennemi cache dans les broussailles. Quand un de ses amis tombait frappe par une balle, il s'erigeait en chirurgien, et, se couchant pres du blesse, il etanchait le sang de sa blessure avec sa langue, restant aupres de lui jusqu'a CR qu'on vint en- lever son cher malade. Pendant toute laduree de la campagne, il ne recut pas uno seuleegratignure. D'ailleurs il flairait Papproche des boulets dont il savait evi- ler les atteintes, en sautant lestement par-dessus. Ce bond opportun lui sauva plus d'une Ibis la vie. Lors de la prise de Duppel, au moment ou les troupes s'elan- caient en avant, il devanc,ait son bataillon, bondissait sur les hauteurs, et penetrait le premier dans la place, au grand eton- nement de Pennemi. 11 aboyait en signe de victoire, remuait la 558 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. queue et semblait dire: Jo suis ici; venez me delivror. Ce qui ne manquait pas d'arriver. Au passage d'Alsen, ne voulant pas prendre la place (Tun soldat dans des bateaux trop petits, il suivait ses compagnons a la nage et arrivait le premier sur Pautre rive, se secouait sur les jambes de 1'ennemi, et attendait 1'occasion d'affronter do nouveaux dangers. Aujourd'hui le pauvre chien se repose sur ses lauriers, et, comme'un vieux militaire, il tressaille encore au bruit du tambour et du clairon, et semble dire au regiment qui passe : Et moi aussi, j'etais a la prise de Duppel ! LE CHIEN DE L' EMPIRE CELESTE Pendant la guerre faite par les troupes franchises a 1'empe- reurde la Chine, un chien, appartenant a la femmed'un man- darin de Pekin, passait sa journee a croquer les friandises que lui donnait sa jeune maitresse. S'etant aventureun moment hors du logis, il se laissa seduire par les graces martiales d'un de nos tambours-majors et le suivit au quartier. L'ordinaire du regiment lui donna des remords et il regretta les sucreries de la mandarine. Mais, ne connaissant pas les rues de la grande \ille, et craignant de tomber en de plus mauvaises mains, il se resigna, faute de mieux. Vintl'epoque du depart de nos troupes. Le chien, qu'en rai- son de son origine, on avait appele Pekin, avait pris gout a la vie militaire ; on le voyait par tout, aux parades, a la soupe ? aux corvees ; il ri'est pas jusqu'aux fanfares ou il voulait faire sa partie en donnant la note la plus sentimentale de son gosier, pendant que le clairon sonnait. Pekin rendait done a nos troupiers 1'affecl ion qu'ils avaierit ANECDOTES SUR LES CHIENS. 350 pour lui. II etait effectivement devenu le chien du regiment, lorsqu'arriva 1'ordre d'embarquement. Or le reglement in- terdit la presence d'un animal a bord. Comment faire?Une idee lumineuse traversa 1'idee du beau tambour ; il cacha Pekin dans son bonnet a poil. Comment ce contenant put loger ce contenu, on ne se 1'explique guere. Le fait est vrai pourtant, puisqu'il est consigne dans 1'histoire. line fois en mer, le chien ne recouvra sa liberte qu'en cou- rantle danger de perdrelavie. Le capitaine venait d'ordonner de le jeter par-dessus bord. On interceda pour lui, et Pekin fut sauve. Le voila a Paris avec son maitre ; mais celui-ci, qui venait d'obtenir son conge, voulut se marier, et sa future detestait les animaux. L'amour 1'emporta sur I'amitie, et Pekin fut vendu a un mar- chand de tabac, qui lui apprit aussitot a tenir une pipe aux dents. Quelle degringolade ! Lui, un chien d'abord favori d'une grande dame, puis marchant a la tete d'un regiment franc,ais, ot servant au jourd'hui d'enseigne ! LE CHIEN RECONNAISSANT Un chien blesse fut admis a 1'hospice de Lyon en 1865. On lui rhabilla sa patte cassee. Tine bonne sffiur le soigna jus- qu'a complete guerison, et chaque jour, ponctuel et resigne, on le vit paraitreal'heure dupansement. Lan'estpointla mer- veille, et Tinstinct de la conservation explique cette intelligente assiduite. Mais voici ou cet amour de chien prouve qu'il a au- lant de coeur que d' esprit. II n'ost point de la ville, il habite aux champs, et depuis de longs mois sa patte se porte a ravir. Eh bien, le mal dis- 560 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. paru, il se souvient du traitement. Chaque fois quo son maitre \ient a Villefranche vaquer ases affaires, il luifausse un ins- tant compagnie, et court tout droit a I'h6pital, flairant, que- tant de salle en salle jusqu'a ce qu'il ait rencontre la religieuse. Alors, ce sont des bonds, des cris de joie ; il se roule a ses pieds, il lui lecheles mains, lui saute au visage et, par mille caresses tendres, lui temoigne sa reconnaissance. Le bon la Fontaine n'a jamais cite d'exemple aussi edi- iiant. UN DINGO APPRIVOISE Le celebre voyageur anglais Mac Dowal Stuart, mort il y a quelques annees, a son retour de FAustralie avait eu pour coin- pagnon fidele et intelligent un chien enleve par lui de la bauge d une chienne sauvage appar tenant a Pespece particuliere a 1'Australie, et dont M. Jules Verreaux a rapporte en Europe une pairo qu'on voyait recemment encore a la menagerie du Museum de Paris : Ce chien, qui portait le nom de Hope, quoique eleve aver beaucoup de soin, conservait encore une partie du caractere farouche de sa race, ne se montrait docile et tendre que pour son maitre. 11 repoussait les caresses des autres membres de lexpedition et ne s'eloignait jamais de Mac Dowal Stuart. A un signe de ce dernier, il se mettait aussitot a la poursuite des kanguroos et ne tardait point a les atteindre et a rapporter un ou deux de ces grands animaux si alertes, que rendent si re- doutables les ongles tranchanls dont leurs pattes de devant sorit armees et qui sont un gibier exquis. La riuit, au lieu de dormir, Hope veillait pres de son rnaitre endormi. L'oreille et les narines aux aguets, il epiait les moin- dres bruits, et loutefois il nedonnait jamais le signal d'alarme ANECDOTES SUR LES CHIENS. 361 qu'aux approches d'un peril reel. Les indigenes, dont la cupidite etait eveillee par les armes et les provisions des voyageurs, recouraient en vain a toutes les ruses pour mettre en defaut la surveillance deHope ; celui-ci eventait ioujours leurs approches, eveillait silencieusemerit Mac Dowal Stuart, en lui frottant douce- ment la teteavec son museau; puis, celui-ci et ses compagnons, mis sur la defensive, le brave chien se jetait sur les sauvages, surpris a I'improviste, en etranglait deux ou trois, et savait eviter avec une adresse merveillense leurs Heches et leurs homo3rings. Mac Dowal Stuart lui dut plusieurs fois la vie et lui temoignait une affection qu'on s'explique sans peine. Hope, pendant la maladie de son maitre, qui pouvait a peine, surtout pendant les derniers mois, se trainer de son lit a son fauteuil, ne le quitta pas un seul instant. Toujours couche a ses pieds, il s'y assoupissait parfois, mais a chaque instant il inter- rompait son sommeil pour regarder avec sollicitude le malade ets'assurer qu'il nedesirait rien. Aumoindre signe, et m6me au moindre desir exprime par le regard eteint de Pagonisant, il se levait, et, devinant sa pensee, il executait des ordres sou- vent compliques qu'il comprenait, ou plutot qu'il devinait sans que celui qu'il cherissait tant lui adressat une seule pa- role. Le jour de la mort de Mac Dowal Stuart, Hope, avec Pinex- plicable prescience qui caracterise certains individus de la race canine, redoubla de sollicitude pour son maitre. A chaque in- stant, il s'approchait du chevet ou reposait la tete du celebre voyageur etpoussait de petits gemissements. Tout a coup ces gemissements devinrent des hurlements desesperes ; Mac Dowal Stuart venait de rendre le dernier soupir. A dater de ce moment, Hope se coucha silencieusemerit au pied du lit de son maitre, dont n'approcherent qu'avec terreur les personnes chargees d'ensevelir ce dernier, car elles con- 562 H1STOIRE i)ES RACES DE CHIENS. naissait 1'humeur farouche, la force et la violence du chien. A leur grande surprise ilne remua point, il etaitmort. LE CHIEN DE MONTARGIS Aubry de Montdidier, passant seul dans la foret de Bondy, fut assassine et enterre au pied d'un arbre. Son chien resta plu- sieurs jours sur la fosse, et ne la quitta que presse par la faim. 11 vint a Paris chez un intime ami du malheureux Aubry, et, par ses tristes hurlements, sembla lui annoncer la perte qu'ils avaient faite tous les deux. Apres avoir mange, il recommence ses cris, alia a la porte, tourna la tete pour voir si on le sui- vait, revint a cet ami de son maitre, et le tira par son habit, comme pour le prier de venir avec lui. La singularite de tous les mouvements de ce chien, sa venue sans son maitre qui, tout a coup, avait disparu, et enfm la main de la Providence qui ne permet guere au crime de rester impuni, tout cela fit qu'on suivit le chien. Des qu'il fut au pied de 1'arbre, il redoubla ses cris, en grattant la terre comme pour indiquer qu'on devait fouiiler on cet endroit. On creusa, en effet, et Ton trouva le corps du malheureux Aubry. Quelque temps apres, le chien aperc,ut par hasard 1'assassin que les historiens appellent le chevalier Macaire ; il lui sauta a la gorge, et Ton eut grand'peine a lui faire lacher prise. Chaque fois qu'il le rencontrait, il le poursuivait avec la meme fureur. L'acharnement de ce chien qui n'en voulait qu'a cet homme, commenc.a a paraitre extraordinaire : on se rappela Paffection qu'il portait a son maitre, et en meme temps plu- sieurs occasion oil ce chevalier Macaire avait dorine des preu- ves de sa haine et de son envie contre Aubry de Montdidier. Ouelques autres circonstances augmenterent les soupcons, et ANECDOTES SUR LES CHIENS. 5(55 le roi Charles V, dit le sage, sachant tous les discours quo Ton tenait, se fit amener le chien, qui demeura tranquille jus- qu'au moment ou apercevant Macaire au milieu de vingt cour- tisans, il aboya et chercha a se jeter sur lui. Dans ce temps-la on ordonnait le combat entre Taccusateur et 1'accuse, lorsque les preuves du crime n'etaient pas con- vaincantes. On nommait ces sortes de combat jugements de Dieu, parce que Ton etait persuade que le ciel aurait fait un mi- racle, plutot que de laisser succomber 1'innocence. Le roi, frappe de tous les indices qui se recueillaient contre Macaire, jugea qu'il echeait gage de bataille, c'est-a-dire qu'il ordonna le duel entre le chevalier et le chien. Le champ clos fut marque dans Tile Saint-Louis, qui n'etait alors qu'un terrain vague et inhabite. Macaire etait arme d'un gros baton ; le chien avait un tonneau perce pour sa retraite et ses relance- ments. On le lacha, et aussitot il courut, tourna autour de son adversaire, evitant ses coups, le menagant tantot d'un c6te, lantol d'un autre. De cette fagon il fatigua enfm Macaire, le saisit a la gorge, le renversa et Pobligea a faire 1'aveu de son crime, en presence du roi et de toute sa cour. La memoire de ce chien merita d'etre conserves par un mo- nument que Ton voit encore sur la cheminee de la grande sallc du chateau de Montargis. LE CHIEN DU 3' ZOUAVES Pendant la guerre d'ltalie qui se termina a Solferino et a Villafranca, le 5 e zouaves s'embarqua a Alger pour Genes; mais une difficulte se presentait : defense formelle avait ete faite d'admettre des chiens a bord ; la desolation etait au camp des zouaves qui tenaient a leurs caniches. 11 etait difficile de Iromper la surveillance de 1'interidant. On sait que pour gagner .ifi4 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. le navire, chaque soldai defile sur une planchc, a 1'appel de son nom ; il est presqu'impossible d'arriver a bord subrepti- cement ; neanmoins on trouva un moyen de passer les chiens, ce qui n'etait pas chose facile. Les tambours demonterent leurs caisses et y cacherent les meilleures betes des bataillons et les moiris grasses, bien en- tendu. Toutou, vu ses services et sa petite taille, etait du nombre. Ces pauvres animaux se pelotonnaient et prenaient respiration par le trou de cordes de la peau d'ane. Le regiment se mit en marche ; selon la couturne, on defi- lait sans musique. Pour les embarquements, on va un peu a la debandade, et chaque tambour ou clairon, au lieu de se trouver en tete, prend rang dans sa compagnie pour les appels du bord. Mais le colonel voulut saluer par une derniere fanfare cette terred'Afrique que Ton allait quitter. Ordre est donne aux cla irons et tambours de prendre la tele de la colonne et de jouer un air entrainarit. On peut juger de la figure des tambours, qui avaient tous un chien dans leur caisse. Les clairons jouent tousseuls; le colonel s'etonne el exige que les ra et les fla accompagnent la sonnerie ; mais les tambours ne remuent pas leurs baguettes. Le colonel se fache, il faut s'executer. Une nombreuse population saluail les zouaves de ses vivats. - Vivat ! un vrai salut de circonstance pour des hommes qui vont affronter la mort ! - Letambour-maitre, qui a vu le colonel froncer le sourcil, comprend qu'il n'y a plus a plaisanter ; le signal est donne et le tambours battent a coup redoubles. Mais, 6 surprise ! Au milieu des roulements cadences, d'ef- froyables clameurs se font entendre ; des chiens hurlent avec r;ige. On regarde partout, on no voit rion. Les tambours uno AiNECDOTES SUR LES CHIEFS. 505 fois lances ne s'arretent pas ; plus les aboiemerits redoublent, plus ils frappent ; c'est un tapage infernal. Chacun cherche les chiens quicausent ce sabbat; nul ne les aperc,oit. Enfm, a la stupefaction generate, un epagneul toinbe du fond d'une caisse, roule a terre, se releve et s'enfuit a toutes jambes ; le pauvre diable, affole de terreur, avait creve la peau de timbre avec ses pattes pour s'echapper. Et les spectateurs de rire a se tordre ! Les officiers comprirent ce qui s'etait passe ; ils firent sem- blant de n'avoir rien vu ni entendu. Les tambours cesserent de battre et Ton arriva sur les quais. Mais le bruit de la farce qui s'etait jouee avait precede Parrivee des bataillons ; les controleurs etaient prevenus. Done, quand un tambour se pre- sentait, il devait frapper sur sa caisse ; si un aboiement ecla- tait, le chien matron etait tire de sa prison et chasse a terre. Un seul fut embarque : Toutou I Toutou qui ne broncha pas ; Toulon qui ne souffla pas ; Toutou qui s'etait tenu coi ! LE CHIEN DU FACTEUR RURAL Un lacteur rural du canton de Randan mourut en faisant sa tournee. Une indisposition subite Payant atteint, il s'etail assis sur le bord d'un chemin peu frequente, et y avait expire sans secours. La fatigue d'une course penible dans des pays boueux, son estomac surcharge d'aliments et un peu d'ivresse enfurent les causes. Lorsqu'onletrouva, son chien, fidelecom- pagnon dechaque jour, etait tristementcouche entre ses jambes, ct montrait les dents a ceux qui voulaient s'approcher du cada- vre de son malheureux maitre. II mordit le bras du gendarme charge de recueillir le sac des depeches, et aurait fail opposi- tion a la levee du corps si Pon ri'elait point parvenu a Peloignei un moment. 5t>0 illSTOIRE DES RACES DE CHIEJNS LE CHIEN DE LA FERMI ERE A une distance peu eloignee du petit village du Gassin (Var), im chien sortait de temps a autre, au mois d'aout 1864, du milieu des bois, venant sur la route au-devant des voyageurs et aboyant vainement d'une maniere plus ou moms expres- sive. Madame X... ayant ete deux fois chez M me veuve Raymond, agee de soixante-dix ans, qui habitait seule sa maison de cam- pagne, ne 1'ayant jamais trouvee et voyant toujours les portes fermees, s'empressa, a sa derniere visite, de faire appeler les deux ills Raymond qui habitaient a quelques kilometres de la, et ceux-ci se rendirent immediatement a 1'habitation de leur mere. Dans la basse-cour, les pigeons, les poules et les lapins etaient tous etendus morts d'inanition. Le seul animal qui avait resiste a une privation de nourri- ture, qu'on suppose avoir ete de pres de cinq jours, etait un pore. 11 est vrai qu'a peine il pouvait se tenir sur ses membres, taut il etait faible. Le bruit des personries qui, en ce moment, se trouvaient a la inaison, deserte depuis quelque temps, y altira le chien qui s'avanga triste et abattu. Apres avoir prodigue ses caresses aux enfants de son infortunee maitresse, il fit mine de vouloir retourner a Tendroit d'ou il etait venu, et, en eflet, il se mit en marche. Tout le monde suivit le chien. Quand il eut parcouru une distance d'environ 150 metres, il prit un petit sentier, et bieritot il se glissa a travers un epais buisson pour aller reprendre le poste qu'il occupait depuis cinq jours^ probableinent sans manger, Ce buisson recouvrait un ravin, au fond duquel un liavranl spectacle s'ol'lrit aux yetix de lous les assistants : une ANECDOTES SUK LES CH1ENS. 307 ieinine et un cheval, morts a peu pres simultanernent depuis plusieurs jours, et un chien qui n'avait point abandonne ni le cheval ni sa maitresse aupres de laquelle il etait venu re- prendre sa place. Alors on s'expliqua Tacharnement de ce pauvre animal a courir au-devant des passanls pour les amener sur le lieu du sinistre. On supposa que M me veuve Raymond, voulant relever elle- ineme son cheval qui etait tombe dans Je ravin, avait rec,u un violent coup de t6te qui Pavait tuee sur-le-champ. UN CHIEN ENRAGE... CHASSEUR Un grand amateur de chasse, peintre distingue, se lamen- tait dene pouvoir ouvrir la chasse comme a P ordinaire. II rele- vait a peine d'une grave maladie, et son docteur lui avait pres- crit un repos absolu. II avait pres delui uri magnifique braque blanc et orange, qui paraissait inquiet de ne pas voir son maitre vaquer aux soins precurseurs d'une epoque cherie de lout vrai chasseur. Pourquoi M. C... ne visitait-il pas les batte- ries de son fusil, les poches de son carnier? Pourquoi ne fa(;ori- uait-il pas des cartouches comrne a Pordinaire? Pourquoi ne procedait-il pas a la confection d'une valise on au gonflement d'un sac de nuit. Enfin, le jour de la chasse arriva : soleil ra- dieux, bonne brise, temps charmant. Ou done est Nick ? demanda le rnaitre a son domestique, vers dix heures du matin, quand on annonc.a le dejeuner. Nick n'etait plus la, il avait pris la fuite eri profitant du moment ou Pori avait uuvert la porte a un fournisseur. Avait-il entendu aboyer quelque autre chien ? Avail-il senti 1'odeur de la poudre? Le fail est qu'on retrouva le chien passiorme a la gare du 51)8 H1ST01RE DES RACES DE CHiElNS. chemiri de fer del'Ouest, rue Saint-Lazare, attendant le depart d'un convoi, ou la main exercee d'un voleur de chiens. LE CHIEN PECHEUR Je connais un chien qui vaut son pesant d'or; c'est une bete sans pareille, un boule-dogue, et pourtant, qui le croirait, uri chasseur emerite... ou plutot un pecheur, ce qui est plus rare. Je 1'ai vu, de mes yeux vu, au marche au poisson de la Halle, suivre, la queue entre les jambes, son maitre qui marchandait un homard cru, dont les pinces etaient libres. Le crustacee rnenacait la canne qu'on lui presentait d'un serrement du genre de celui d'un etau. Afin de mieux juger Failure du homard, le proprietaire du chien posa 1'ecrevisse de mer a terre, et la marchande de lui dire : Mettez-y done vot' nez entre ses tenailles, ou bien tant seulement la queue de vot' chien. Oh! quant a c,a, j'y consensl Ici, P/ocfc, tout beau! ne bouge pas. Et ce qui avait ete propose fut fait. Le chien se prend a hurler et fait plusieurs bonds ; le homard ne cede pas, et, comme pris d'un vertige, le quadrupede s'elance en droite ligne tout le long de la rue Montmartre. Appelez done vot' chien il emporte mon homard. - C'est bien plutot a vous d'appeler votre poisson. Allons ! aliens ! ne vous tracassez pas, ma bonne feinme, je vais courii apres mon boule-dogue. Et le rnaitrc de Plock se mit a courir en elTet, mais il courul si bien qu'on ne le resit pas. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 7iiM LE CHIEN DU ROI LYSIMACHUS L'histoire nous a conserve le souvenir do chiens lideles qui se sont voues a une mort volontaire pour rie pas survivre a leurs maitres. Montaigne en cite deux exemples empruntes a 1'antiquite : Hyrcanus, le chien du roi Lysimachus, son rnaistre mort, demeura obstine sur son lict, sans vouloir boire ne manger, et le jour qu'on en brusla le corps, il print sa course et se jecta dans le feu, ou il lent brusle; comme feit aussi le chien d'un nomme Pyrrhus, car il ne bougea de dessus le lict de son maistre depuis qu'il feut mort ; et quand on 1'em- porta, il se laissa enlever quand et luy, et finalement se lan^a dans le buchier ou bruslait le corps de son maistre. (Essais, Hv. II, chap, xn.) UN CHIEN REVENU DE LOIN Ceci estl'histoire d'un chien-loup apparlenarita M. B..., em- ploye d'une maison de commerce du Havre. Au depart du trois- mats Normandie, son maitre le donna au capitaine Maraine, que Blanchet accompagna sur son navire. II passa la ligne, vit Buenos Ayres, doubla le cap Horn. D'une lettre du capitaine Maraine la derniere, helas ! qu'il devait ecrire 1 il re- suite que Blanchet se trouvait encore a bord de la Normandie quand ce batiment quitta les Chinchas avec un chargement pour la Reunion. Dans la nuit du 8 au 9 juillet 1865, le navire arrivait a sa destination, mais en se brisant sur la cote de Saint-Benoit. Le capitaine perit avec une partie de son equi- page. II n'est pas probable que dans un tel naufrage on se preoccupa de Blanchet. Gependant, un soir, madameB..., 1'ancienne maitresse de Blanchet, entendit gratter a sa porte. Elle ouvrit et resta stupe- 24 570 H1STOIRE DBS RACES DE CHIENS. f'aile en reconnaissant le fidele animal, qui gambadait autour d'elle et remplit la maison d'aboiements joyeux. Comment avait-il eterapatrie? On est porte a croire qu'apres s'etre sauve a la nage, il elut domicile a bord de quelque navire qui, parti des Indes orien- tales, relacha a la Reunion en se rendant au Havre. UNE AUTRE CHIENNE DE REGIMENT Un des regiments du corps d'armce de Paris possedait une chienne qui est morte apres quatorze ans d'une existence qui merite d'etre connue. Cette chienne, appelee Minetle, sans doufe par opposition a sa structure peu delicate, fut trouvee par un bataillon frangais dans une razzia kabyle. Elle avait un an au plus. Elle suivit le bataillon, qui, apres une marche pe- nible, par un brulant siroco, cherchait partout de 1'eau pour s'abreuver. Minette, conduite par son instinct, guida les soldats vers un puits cache dans le fond d'un ravin. Ce service signale la fit adopter par nos troupiers, qui ne voulurent plus se separer d'elle, et lui donnerent part au feu, a la chandelle et a la soupe. Ellen' avait pas besoin de s'occuper de ses repas : le bataillon, et bientot apres le regiment, se fut prive de nourriture plutot que de ne pas fournir la ration de Minette. Elle suivit son dra* peau en Crimee, rec,ut pendant le siege une blessure causee par une detestable habitude, qu'on ne pouvait lui faire perdre, celle de courir apres les obus. Un eclat d'un de ces projectiles lui laboura 1'echine. Pansee avec une tendre sollicitude, elle ne tarda pas a guerir. Malgre les perils de la tranchee, elle y vecut une partie du temps pendant lequel le regiment fut en Crimee, et souvent elle evehta les partis russes. Au moment de la guerre d'ltalie, le regiment de Minette ayant te designe pour faire campagne, elle passa les Alpes u sa place ANECDOTES SUR LES CHIENS. 371 de bataille, a gauche dela cantiniere. Minette n'etait pas belle, rnais elle etait grande, forte, avait le poll dur et souvent he- risse, les oreilles pointues et d'une dimension extraordinaire ; enfin, les deux plus formidables rangees de dents qu'ait jamais eues un chien. Elle n'etait heureuse qu'au milieu des pantalons garances. Blessee en Orient, elle assista aux batailles de Magenta et de Solferino, ne reculant jamais quand le regiment avangait, et aboyant centre 1'ennemi tant qu'on etait aux prises avec lui. Lapauvre Minette s'est eteinte agee de quatorze ans, entouree de tous les soins possibles. Sa mort, nous n'avons pas besoin de le dire, a ete fort regrettee. Paris a ete sa derniere etape. Un an de plus, el elle avait ses trois chevrons. LE CHIEN CAISSIER Un bon vieux cultivateur se presenta chez un marcharid de drap et y fit un achat de cinquante-cinq francs. Quand il voulut prendre sa bourse pour s'acquitter envers le marchand, la bourse manquait a 1'appel. Comment avait-elle disparu? C'est ce que le .brave homme rie pouvait s'expliquer. Au moment ou le bon villageois sortait de la boutique, lais- sant la son emplette, il s'aperc,ut que le chien qui Paccompa- gnait tenait quelque chose dans la gueule. C'etaitla bourse en question quicontenait quatre-vingt-cinq francs. II se rappela alors que s'etant arrete en route, il avait depose a terre le sac qui renfermait son argent et avait oublie de le re prendre. Le vieillard caressa son chien, paya le marchand et emporta sa merchandise. J7-2 JIISTOIRE DES RACES DE CH1ENS. ENCORE LES CHIENS DE REGIMENT Le chien domestique, qui vit sous le toit d'unefamille, aime son maitre, sa maitresseet tous les gens du logis. Le chien de la caserne s'attache luiaussi, a la gran def ami He qui s'appelle le regiment. Seulement, au lieu d'aimer dix personnes, il eri aime deux mille, voila tout. Sous la restauration, il y avait au 6 e de la garde un chien qui s'appelait Misdre, sans doute parce qu'il se pliait aux capri- ces de tout le monde, et que dans le nombre il y en avait de mauvais. C'etait un caniche d'uneentiere blancheur ; il portait sur le cote exterieur de la patte gauche de devant, a hauteur de 1'epaule, trois chevrons rouges appliques sur sa peau fine et rasee, absolument comme sur un uniforme, et il en paraissait aussi Her qu'un vieux grenadier. Sa salle de police eiait la plahche a pain dela chambree. On 1'y mettait lorsqu'il avait commis quelque faute, et, par obeissanceautantquepar cr.ainte de faire un saut perilleux, peut-etre, il y restait avec resigna- tion, jusqu'a ce que sa puniti.on fut levee. I) y avait au 48 e de ligne, vers la meme epoque, un joli epa- gneul noir et blanc, a queue panachee, qui s'appelait Pompon. Tous les jours, a Fheure de la parade, il defilait a la tete des gardes montantes, accompagnait le poste principal jusqu'a la place d'armes, et revenait ensuite a la caserne avec la garde descendante. Pompon assistait a toutes les revues, manoeuvres et prises d'armes du regiment. Sa place de bataille etait a la tete des tambours, a cote du tambour-major. Quand Je regiment etail en marche, si quelque autre chien venait a Tetourdie pour jouer avec lui, Pompon le regardait d'abord d'un air dedai- gneux, et si le chien insistait, il lui inontrait les crocs d'un air ANECDOTES SUK LES CHIENS. 37, r > courrouce, qui voulait dire : Va-t'en, ou sinon... je ne plaisanle pas quand je suis sous les armes. Le chien ainsi econduit paraissait comprendre d'instinct la superiorite de position du chien du regiment : il se retirait prudemment et le laissail tranquille. -\ Le chien du regiment nes'attache pas seulement aux hom- mes, il aime les chevaux, s'il sert dans la cavalerie. II y avait au 4 e hussards, en garnison a Castres, une chienne qui, un jour, mit has ses petits dans une mangeoire. Le cheval voisin non-seulement ne leur fit aucun mal, mais encore les endura complaisamment et parut meme les proteger. La chienne lui en garda toujours reconnaissance ; quand le cheval se couchait sur sa litiere, elle se couchait pres de lui, le lechaitet le regardait avec une affection visible. Bien plus, lorsqu'un hussard donnait un morceau de pain de munition a la chienne du regiment, il arrivait souvent a celle-ci de le conserver intact a sa gueule ; puis on la voyait courir a 1'ecurie, se dresser sur les pattes de derriere et presenter le morceau de pain a son cheval favori, qui 1'acceptait avec gratitude. Auretour de Pexpedition de Crimee, il y avait au regiment de la gendarmerie de la garde une petite chienne nominee Louloute, qui, habituee comme Pompon a accompagner le regi- ment partout, 1'avait suivi pendant toute la campagne, puis etait revenue en France avec lui. En partant pour la guerre, Louloute avait laisse au depot du corps un fils auquel les gendarmes donnerent le nom de Bataillon. II etait fort petit alors etsa mere le trouvabien grandi au retour; aussi il fallait voir la joie de Louloute en retrouvant sa famille et ses penates ; elle semblaitdire a tons: Je reviens de la tranchee de Sebastopol ; j'assistais a la prise du Mamelon-Vert ! G'est surtout en campagne, c'est a la guerre qu'il est cu- rieux, disons plus, qu'il est utile d'etudier le chien du regi- 574 IUSTOIRK DES RACES DE CHIENS. ment. Le marechal Bugeaud, de si populaire et si paternello memoire que les clairons de nos regiments jouent encore 1'air de la chanson composee sur la Casquette du pere Buyeaud ; le marechal Bugeaud, disons-nous, qui avait vu dans les campa- gnes d'Espagne, lorsqu'il servait comme chef de bataillon sous les ordres du marechal Suchet, les services rendus par des chiens dans ce pays accidente et favorable aux surprises, avait conseille en Algerie aux chefs de nos colonnes Femploi de ces animaux. En Afrique, au commencement de notre occupation surtout, des factionnaires furent assassines pendant la nuit. L'Arabe, rampant sur le ventre comme un reptile, s'avang-ait doucement et sans bruit, puis, surgissant tout a coup, il plon- geait le fer dans le corps du soldat, avant que celui-ci eut eu le temps de se mettre en defense. Quelques chiens bien dresses, employes aux avant-postes, comme auxiliaires des vedettes el des sentinelles, firent cesser cetetat de choses. L'hommeleplus brave qui ne craint pas Tennemi lorsqu'il le voifc, a naturelle- ment peur de 1'ennemi qui, se cachant dans Fombre, peut le surprendre etle frapper par derriere. La presence d'unchien dissipecelle crainte. Lorsquecet ani- mal ne voit pas encore 1'ennemi, il le sent et 1'entend deja : son poil, qui se herisse sur son cou et ses grognements mena- c.ants avertissent qu'il s'approche, tandis que sa tete se tourne et ses yeux se fixent du cote par ou cet enriemi s'avance. Du reste, 1'assassin qui sail qu'un chien veille a c6te d'une senti- nelle, ne cherche meme pas a la surprendre, il sait d'avance qu'il ne reussirait pas. I] y a quelques annees, il y avait a Bone un escadron du train des equipages au milieu duquel se trouvait une chienne bien extraordinaire, que tous les soldats appelaient la Bedouiue, ;t cause de son origine arabe. Elle paraissait appartenir a la race ANECDOTES SUR LES CIIIENS. -,75 du chien-loup, et tenir un peu de celle de nos chiens de berger. Quand un detachement du train transportait a dos de mulel des vivres et des munitions dans les cantonnements, la Be- (lomne Faccompagnait toujours et valait a elle seule dix senti- nolles. La nuit venue, lorsqu'on plantait les tentes, elle faisait autour du petit camp sa ronde active et vigilante. Malheur a FArabe assez temeraire pour se hasarder a venir y commettre quelque vol ! Bientot les soldats, eveilles en sursaut par des cris dechirants, apercevaient la Bedonine qui mettait le bur- nous et la chair durodeur nocturne en lambeaux. Un jour, dans une expedition lointaine ouily avait desplai- nes de sables brulants a traverser, la Bedouine mit bas ses pe- tits et mourut. Les soldats Fenterrerent et lui donnerent une larme de regret ; puis ils recueillirent les nouveau-nes et les installment aussi commodement que possible dans une peau de bouc vide suspcndue au flanc d'un mulct. Des qu'on ren- contra uri douar , ils y coururent et se procurerent du lait ; mais, malgre tous leurs soins, ils ne purent parvenir a con- server qu'un seul chien a la vie. De retour a Bone, ils firent son education ; bientot 1'animal fut a m6me de debuter dans Futile emploi que feu sa mere avait si courageusement et si tidele- ment rempli, et comme elle, il eut chaque jour sa gamelle a part, prelevee par les soldats reconnaissants de ses services, sur Pordinaire de 1'escadron. Lorsqu'au retour de la campagne d'ltalie, les troupes victo- rieuses, reunies etcampees dans la plaine de Saint-Maur, firent leur entree solennelle dans la capitale, au milieu de la popu- lation enthousiaste, leur jetant des bouquets et des couronnes de laurier, comme cela avait deja eu lieu quelque temps au- paravant pour nos glorieux regiments revenant de Crimee, on remarquait, defilant fierement avec les zouaves et rnarchant a la hauteur des serre-files du dernier peloton, un chien de moyenne 576 HISTOIRE DBS RA ES DE CHIENS. taille, a 1'allure vive, a Fair intelligent et decide, ayant au con un collier a grelots et sur ledos un petit harnachement exacte- ment pareil a celui des mulcts debal qui, dans nos expeditions d'Afrique, portent les cantines des officiers. Deux de ces petites cantines etaientfixees aux ilancs de Solferino, nom qu'a la suite de cette bataille celebre, les soldats dormerent au chien dont il s'agit, et dontvoici Thistoire. On se battait un jour dans le village habite par ses maitres. Les Autrichiens occupant ce village en etaient vigoureusement deloges par les Francois. Les balles pleuvaient, les boulets bon- dissaient, tuant et ravageant tout sur leur passage, et, pour comble de desastre, les Autrichiens, en se relirant, mettaierit le feu aux maisons dans lesquelles ils ne pouvaient plus se maintenir. Ce fut au plus fort du peril que le futur Solferino, qui devaitun jour braver si intrepidement le feu du champ de bataille, rie sachant plus ou chercher son salut, se refugia iri- slinctivement dans les rangs des zouaves, et trouva parmi eux un abri sur. Apres 1'affaire, il caressales soldats, qui, charmes de sa gentillesse, lui donnerent a manger et s'attacherent a lui. II ne les quitta plus, fut des lors a bonne ecole, et son education militaire ne laissa bientot plus rien a desirer. Cependant, pour utiliser leur eleve ettirer le meilleur parli possible de ses heureuses dispositions, les zouaves s'aviserent de faire de leur chien un cantinier de nouvelle espece. Ce fut alors qu'ils 1'equiperent comme il est dit plus haut. Seulement, les deux boites ou cantines fixees a son bat, au lieu de contenir des comestibles et des liqueurs, renfermaient des rouleaux de bandes de toile pour dormer les premiers soins aux blesses du champ de bataille en attendant les secours de Tambulance, et quelques toniques pour leur reconforter le coeur, s'ils venaient a defaillir. Sur le champ de bataille, le fidele Solferino ap- paraissait aupres des zouaves prets au combat, marchant en ANECDOTES SUR LES CHIENS. 577 colonne ou deployes en tirailleurs, et il se portait par une course rapide, au premier appel, au premier signe, partout ou sa presence etait necessaire. Au camp de Saint-Maur et quelquefois a Paris, ou il se pro- menait avec son chien d'ltalie, portant son petit harnachernent de mulct de bat, le zouave plus parliculierement charge de donner des soins a Solferino racontait a qui voulait Pen- tendre les traits de devouementet les prouesses de cet intelli- gent animal. i_E CHIEN VOYAGEUR Certain Nemrod etait parti pour aller chasser dans le Niver- nais, et, pour se rendre au lieu de sa destination, il avait du prendre un itineraire peu direct. D'abord, le chemin de fer 1'avait entraine au riord, un'ecorrespondance de voiture 1'avait fait virer au sud-ouest, et enfin la diligence 1'avait conduit a Test, au rendez-vous convenu. Le chien, pendant ce voyage en zigzag, ronflait comme un vrai philosophe aux pieds de son maitre, ou dans le cabanon cellulaire du wagon aux bagages, ou enfin sousle tablier du coupe de la diligence. A peu de jours de la, le Nemrod, au retour d'une chasse fructueuse, regut une lettre qui le forc,ait a partir pour la ville voisine, et, avant de s'en aller, il recommanda a ses hdtes de bien garder son chien a la chaine et de ne le faire sortir que tenu a la laisse. Les domestiques rec,urent ces ordres avec le plus grand respect apparent et se promirent bien in petto, sui- vant 1'usage, de n'entenir aucun compte. Au retour du chas- seur, le chien avait disparu. Sans prendre le temps de gronder les coupables, il se mit a sa recherche, mais toutes ses de- marches furent inutiles; ni ce jour-la, ni le lendemain, les investigations n'amenerent aucun resultat. Quatre jours apres, 578 HISTOIRE DBS RACES DE CHIENS. seulement, une lettre venue de Paris, apprenait a mon con- frere en Saint-Hubert, que le chien a la recherche duquel il etait, avait reintegre le domicile de son maitre, bien harasse, bien rompu, mais se montrant fort joyeux d'etre arrive. Quel chemin la pauvre bete avait-elle pris ? G'etait la son secret ; mais servie par son attachement, elle avait parcouru 50 lieues et endure la faim pendant plus de trois jours pour re- joindre celui par qui elle croyait avoir ete delaissee. LE CHIEN DE L'OFFICIER Le capitaine Pollone avait un chien tres-fidele qui le suivait partout. Lorsque la compagnie Pollone engagea le combat avec la bande Fuoco, sur le mont Coppa, le brave chien, qui avail ete le premier a s'apercevoir de Tapproche des brigands et a donner 1'alarme, se jeta au milieu des combattants en mordant ;i droite et a gauche tous les scelerats qui lui tombaient sous la dent. Quand son maitre fut blesse, le pauvre animal se jeta sur lui et poussa de longs et emouvants gemissements ; il se mit a lecher le sang qui s'echappait de la blessure ouverte. Les brigands arriverent en combattant jusqu'au malheureux Pollone, et Pacheverent a coups de baionnette. Mais le coura- geux animal sauta a la nuque du premier qui porta la main sur le capitaine, et le mordit si violemment, qu'il tomba roide mort. Ne pouvant plus sauver son maitre, il courait a et la entre les rangs des soldats, en aboyant de toutes ses forces, comme pour les exciter a venger leur capitaine, si barbarement mas- sacre. Le jour suivant, 1'animal affectueux se mit a la tele d'un autre detachemerit qui avait la mission d'explorer le terrain ANECDOTES SUR LES CHIENS. 570 ou le malheureux capitaine Pollone etait tombe. Les soldats suivirent presque instantanement le chien, qui les conduisit en courant au lieu ou gisait le cadavre de son maitre. II y eut la une scene impossible a decrire. A la vue du ca- davre, le fidele animal sembla devenir furieux, il fut impos- sible de le detacher de ce lieu : on dut le placer sur le cercueil ou fut depose le corps de son maitre. LETTRE D'UN MARECHAL AMI DES CHIENS A M. NICOLAS FETU, A DIJON IJUI DEMANDAIT I. E MASSACRE FIE CHIENS EX FRANCE Paris, 8 juin 1860. Monsieur, Je voudrais pouvoir vous remercier de Penvoi que vous m'avez fait de votre brochure sur /' Extinction de la race canine ; mais, en verite, mon courage neva pas jusque-la. J'ai horreur de ce nouveau massacre des innocents, objet de votre requisi- toire; j'ai horreur de cette autre Saint-Barthelemi de chiens prechee par vous. Quoi ! vous tueriez le chien d'Ulysse, ce vieux chien aveugle qui reconnait son mail re apres une absence de plus de vingt annees et qui tente un dernier effort pour venir encore une fois lui lecher la main ! Grace, monsieur, grace pour Argos, ne le tuez pas ! II succombea 1'exces de sa joie... laissez-le mourir debonheur ! Vous tueriez le chien du jeune Tobie accourant de si loin pour annoncer au pauvre pere aveugle la prochaine arrivee de son fils et la fin de ses malheurs ! Vous tueriez ce chien dont 1'instinct plus que merveilleux sut decouvrir saint Roch mourant de la peste, au fond d'une 380 HISTOIRE DES RACES DE CHIE3NS. caverne, dans un affreux desert ! ce chien qui rendit au monde un homme presque Dieu par la charite et que tant d'actes de sublime devouement devaient conduire au ciel I Vous tueriez ce vaillant chien deMontargis sans lui laisser le temps de denoncer I'assassm d'Aubry de Montdidier, son maitre, et de forcer Richard Macaire a confesser son crime ! Vous tueriez Fido, le chien de Jocelyn qui a inspire a Lamartine ces vers delicieux que Ton ne peut lire sans se sentir les yeux mouilles ! Vous tueriez le Chien du regiment, le Chien du convoi du pauvre, le Chien de Terre-Neuve, celui de I'hospice du Saint- Bernard, apres qu'il aurait retire votre fils d'un precipice rem- pli de neige, ou qu'il Paurait arrache aux flots prets a Pen- gloutir! Tous y passeraient sans exception, sans merci ni misericorde... ... Vous tueriez Nero 1 !... Votre rage s'exercerait meme sur mon chien qui est la couche contre la main qui vous ecrit, les yeux fixes sur les miens et y lisant Pindignation dont je suis anime contre vous ! Gronde ce monsieur, semble-t-il me dire, gronde-le bien fort ; dis-lui cornme je t'aime, comme nous nous aimons ! com- bien j'aime ta soeur, ta niece, tons ceux qui te sont chers ; dis- lui comme je veille sur toi a chaque instant du jour et de la nuit; cite-lui lesnoms detous les gens que j'ai mordus ; parle- lui de tous les pantalons que j'ai dechires, de toutes les robes que j'ai mises en lambeaux, uniquement parce que les per- sonnesqui lesportaient voulaientte parler de troppres; recite- lui quelques-uns des vers que le due de Malakoff, ton fidele ami, a faits sur moi plus fidele peut-etre encore! Montre a ce 1 Le chien de S. M. Ttfmpereur. ANECDOTES SUR LES CHIENS. 381 vilain hornme quelques-unes des epitres franchises, latines, allemandes, italieimes, quej'aiinspirees auxgens de cceur qni ont su m'apprecier chez toi ! Dis a ce calomniateur, incapable saris doute de comprendre un attachement pur et absolument desinteresse, qu'au has du beau portrait que 1'habile Jadin a fait de ton chien, une jeune lille de douze ans, encore plus jolie, sinon plus douce et plus aimable que moi, a fait graver parmi bien d'autres vers, tous a ma louange et que je rnerite, j'osele dire, ces deux lignes qui m'ont plus toucbe que le reste : Du bien de mon bon maitre en ami je protite; J'aimerais son pain noir, s'il etait malheureux! Dis-lui aussi que, sur une belle gravure faite d'apres ce portrait, par le fils d'un general celebre, on voil ecrits ces autres vers : Sult'ureis captain depinxit doctus in arvis Artificis calamus, quse sedet, ecce canem; At ne quaere, precor, faciei dote venustam, Nee quse blanditias fundere dulcis eat : Corpus enim pingens animi meliora relinquit Munera, nee vidit pectoris ille sinum. Victa equidem vici victorem, corde fideli, Cura, grato animo, caliiditate, jocis. Explique-iui bien que arvis sulfureis doit signifier : sur le champ^de bataille de Solferino; que captarn veut dire que c'est toi qui m'a prise ; que sedet exprime que je suis repre- sentee assise et non pas debout sur mes quatre pattes ; dis-lui que la petite antithese (si c'est ainsi que cela s'appelle) victa vici victorem est de toi, et que je la trouve assez jolie Mais, mon bon maitre cheri, fais mieux encore, n'ecris pas a ce bourreaujdes chiens; attends que nous allions en- semble presider le conseil general de ton cher pays ; alors tu 382 HISTOIRE DBS RACES DE CHIEiNS. rn'oteras ma museliere pendant quelques instants seulement, et lu verras si je ne rends pas la pareille a 1'indigne qui vient de nous dechirer a si belles dents. En attendant que Brusca mette son projet a execution, croyez-moi, monsieur, Votre tres-humble serviteur, L MAKECHAL VAILLAKT. LE CHIEN VOYAGEUR Un gentleman de Sparta (Illinois) partait pour la Californie avec sa familleet un cliien dont on lui avait fait cadeau depuis peu. Les emigrants, parvenus au terme de leur long voyage, s'etablirent dans une des plus charmantes vallees de la terre de Tor. Mais la nouvelle residence, si agreable qu'elle fut, ne paraissait nullement convenir au chien. II refusait de manger, il etait constamment triste et abattu; enfm, il avait la nostalgic. Un beau jour, il disparut, et son proprietaire pensa qu'il etait alle mourir de chagrin dans quelque coin solitaire. Mais il se trompait fort. Le quadrupede avait tout bonnement repris le chemin de Tlllinois. Quelle boussole le guida pendant cet interminable voyage V Quels aliments lui servirent a ne pas mourir defaim? Com- ment echappa-t-il aux morsures de ses pareils, fort peu hos- pitaliers pour les elrangers, auxpierres des gamins, plus inhos- pitaliers encore, a la rapacite des voleurs? nous ne savons , maisle fait est qu'il flnit par arriver cbez son ancien maitre, a Sparta, extenue comme on peut croire, et dans un etat a faire pitie. Mais il y arriva, etl'on n'a qu'a jcter un coup d'oeil sur la carte des Etats-Unis pour voir que le fait est des plus extra- ordinaires. AiNECUOTES SUR LES CHIEiNS. 383 LE CHIEN OU COMMISSIONNAIRE II y avail, dans la rue Bellefonds, un pauvre vieux commis- sion-naire de soixante-treize ans qui, depuisdelonguesannees, avait la clientele du quartier, et, sa besogne du jour fmie, s'en allait. ouvrir les portieres des voitures a 1'une des entrees du Theatre-Francais. Ce bonhomme avait un petit chien blanc et noir, a poil ras, qui 1'accompagnait dans toutes ses courses pendant la journee ; le soir, ce fidele ami a quatre pattes faisait encore avec lui le petit voyage de la rue de Richelieu et le regardait ouvrir les portieres. Un soir, dans la derniere semaine de decembre, le vieux commissionnaire trebucha dans Pescalier qui conduisait a son galetas, il tomba a la renverse et mourut de cette chute. Les voisins nourrirent le chien : il ne lui fallait pas grand'- chose : depuis la mort de son maitre, il n'avait guere d'appetit. Un d'eux voulut 1'adopter; mais le chien rie repondit pas aux avances et aux caresses. Son ancien logis lui etait ferine; il n'eri voulait pas d'autre, et couchait sur le seuil, dans Tescalier. Le jour venu, il allait faire des courses comme autrelbis. Le soir, devant une des portes du Theatre-Francais, on pouvait encore voir^ il y a deux ans, un petit chien noir et blanc, a poil ras, qui regardait ouvrir les portieres des voi- tures. C'etait le chien du pauvre commissionnaire. NOMBRE DE CHIENS TAXES EN FRANCE Eri taisaiit avec attention le releve des tables de Timpot sur les chiens, j'ai constate qu'il y avait en France, en 1866, 384 HISTOIRE DES RACES DE CHIENS. 1,960,789 chiens de soumis a la taxe. Ces chiens donnent un produit de 5,461,116 fr. Quoique ce chiffre soil fort raison- nable, un statisticien pretend que dans les grandes villes 50 pour 100 des chiens ne sont pas imposes, et qu'une plus grande quantite est declaree de deuxieme au lieu de premiere categoric. II existe cependant, dit ce stalisticien, un moyen d'obliger les refractaires a seconformer a la loi, et pour cela il propose un collier uniforme et obligatoire pour tous les chiens en France. Sur ce collier serait fixee une plaque de metal, poinc,onnee et constatant Pannee, la ville, la commune, ou le chienlaurait ete impose et la categoric a laquelle il appartient. De telle sorte que tout chien qui ne serait pas porteur du collier obligatoire, serait considere comme refractaire et mis en fourriere. II existe d'ailleurs une ordonnance de police du 27 mai 1845 qui ordonne que les chiens auront tous un collier, soit en metal, soit en cuir garni d'une plaque de metal, oil seront it graves les nows, demeure des personnes auxquelles Us appartien- dront. Cette idee nous parait tres-ingenieuse, et nous croyons qu'elle remplira parfaitement le double but qu'elle se propose, de sauvegarder la sante publique, en meme temps qu'elle rendra plus facile 1'application de la loi. LA TAXE DES CHIENS L'idee de la taxe des chiens date d'un siecle. En 1770, le nombre des chiens de toute espece etait devenu si considerable dans le royaume, qu'une statistique, faite par ordre, avait constate 1'existence de 4 millions de ces animaux. Or, comme on a\ait remarque que deux chiens absorbent autant de nourriture qu'une personne, il s'erisuivait que, dans ANECDOTES SUR LES CHIENS. 585 un moment ou les vivres etaient rares et chers, les chiens con- sommaient aulant que le sixieme de la population. C'est a la suite de cescalculs etdeces constatations qu'on fut un instant sur le point d'etablir un impot de six livres sur cliaque chien. On esperait ainsi en diminuer le nombre. Ce projet n'a eu de suite que de nos jours, et nous ne croyons pas qu'il ait diminue le nombre de ces animaux, dont une partie est fort utile, mais dont une bonne moitie n'offre, eri realite, que des dangers sans avanfages pour la population. LES CHIENS DES ALPES Les chiens du mont Saint-Bernard ne s'ecartent jamais des sentiers battus recouverts de neige, a moms que ce rie soit pour secourir un voyageur perdu. Le chien le plus intelligent quel'hospice aitpossede est celui dont la depouille figure aujourd'hui au musee de Berne et qui s'appelait Paris. Doue d'une vue excellente, il apercevait les \oyageurs d'urie tres-grande distance. On compte une trentaine de pauvres malheureux qui lui ont du la vie, entre autres trois soldats frangais qui, egares dans les neiges a Pentree de la nuit, sui- vaient une direction qui les ecartait de 1'hospice et devait bientot les conduire au pied de rochers inaccessibles. Paris les vit, attira Pattention par ses cris, se fit suivre, et les trois soldats lurent sauves. Ce chien, qui etait a 1'hospice au moment du passage de Parmee franchise en 1800, avait la singuliere habitude d'o- bliger tous les soldats isoles qu'il rencontrait a mettre Parme au bras ; il leur barrait la route, jusqu'a ce qu'ils se fussent con- formes a cette consigne. Un jour, il refusa obstinement de franchir un passage dan- 25 78G HIST01RE DES RACES DE CHIEFS. gereux par ou le frerc qui 1'accompagnait voulait le fairc passer. A lieu d'obeir, il fit un long detour. Le frere jugea convenable de I'imiter et fit bien, ear, au meme instant, une avalanche ensevelit sous la neige le chemin que 1'instinct de Paris lui avait fait eviter. Un autre chien, nomme Drapeau, sauva un homme d'une maniere tres-intelligente. Le messager, que Drapeau accompa- gnait, fut enseveli sous une avalanche, d'ou sa tete seule sor- tait. D'abord le chien fit tout ce qu'il put pour debarrasser ce nialheureux ; mais la neige etant fort dure, il n'y put reussir. Alors il se mit a aboyer avec force, regardant anxieusement de tous cotes. Personne ne repondant a 1'appel, Drapeau prit enfin son parti ; il courut de toute la vitesse de ses pattes, non a 1'hospice, mais a un village moins eloigne du lieu de la cata- strophe. Le voyant seul, les habitants penserent bien qu'il etait arrive quelque malheur et 1'agitation du bon chien le disait assez. Us le suivirent et sauverent le messager, qui attendait les secours avec confiance. Ges derniers mots, qui renferment le plus bel eloge qu'on puisse faire de Drapeau, sont exti'aits d'une lettre du prieur de 1'hospice. Ce messager fut sauve une seconde fois par le meme chien. LE CHIEN DE LA PAUVRE VIEILLE FEMltiE La rue de la Sourdiere est une des rues les plus melancolU ques de Paris, melancolique comme rinfirmite que son nom rappelle. Situee a cote du marche Saint-Honore, elle proteste silencieusement contre le brouhaha et 1'activite qui 1'environ- rient. Elle boude les trafiquants et les enrichis. Dans la rue de la Sourdiere, a quelques pas devant moi, ANECDOTES SUR LES CHIENS. 387 marchait, uri jour, une vieille lenime tenant eri laisse un vieux chien. La malheureuse ressemblait a toutes les vieilles femrnes dupeuple. Le chien etait simplement repoussant. Gros, court et petit, sans race, d'une couleur obscure, il trainait son ridi- cule embonpoint en dodelinarit une tete ou deux yeux ronds refletaient tous les hebetements d'unestomac satisfait. II obeis- sait paresseusement aux tendres secousses de la corde de sa maitresse. Je les suivais de I'oail machinalement, le long du trottoir dela rue de la Sourdiere. Tout a coup, deux enfants de quatorze a quinze ans, deux gamins, deux apprentis, pas- serent devant moi en riant ; et j'entendis Fun dire a 1'autre : Je vais faire une bonne farce, tu vas voir ! Voici ce que fut cette bonne farce. II se jeta, comme uri distrait, entre la femme et le chien, pesant de toutes ses forces sur la corde, qui se teridit, mais ne rompit pas. Azor roula du choc dans le ruisseau; son corps, qui n'etait qu'une boule, tourna trois et quatre fois sur lui-menie, pendant que la corde s'enroulait autour de son cou. Surpris dans son indolence et dans sa digestion, il n'eut pas le temps de pousser un cri. Sa gueule ne s'ouvrit que pour laisser sortir une langue demesuree, a la poursuite d'un der- nier souffle d'exislence. Azor elait mort ! J'avais pu voir expirer un chien ignoble sans m'emouvoir plus que de raison ; mais jene pus me defendre d'un serrement de cceur en voyant la vieille femme chanceler et s'evanouir, en s'appuyant centre le mur. Uri air de supplication effaree se lisait sur sa physionomie. Elle n'avait pas lache la laisse de son chien. On la transporta chez le pharmacien de la rue de la Sourdiere. Quelques drogues rendirent la connaissance et le sentiment a la pauvre femme. Elle se rappela, et frissonna. Puis elle balbutia quelques paroles , et prenant et cachant le cadavre du chien sous son tartan, elle s'en alia, sans savoir OIL 588 HISTOIRE DES RACES DE CIIIENS. Elle en mourra, me (lit Ic pharmacien. Comment ! pour cette laide bete? Oui, certainement. Depuis ce jour, je n'ose plus rire des dernieres affections des vieillards. Un chat ronronnant sur un fauteuil, un perro- quet mordillant les batons de son perchoir, un serin dans sa cage, n'amenent plus comme autrefois la moquerie sur mes levres. Je me dis qu'ils tiennent peut-etre lieu des erifants partisou morts, des epoux ingrats, des filles seduites. Alors, j'ai une caresse plus sympathique pour Minet ; je donne une cerise a Jacquot, uri biscuit a Fifi. A Page ou le vide se fail aulour des gens de soixante et de soixante-dix ans, les arii- maux sorit la, objets insuffisants des tendresses pretes a s'e- teindre. Ne rions done pas des animaux. En effet, amis lecteurs, ne rions pas des chieris quoique Ton ait souvent dit qu'ils avaient la demarche ridicule. Ils orit du co3iir, si je puis me servir de cette expression, et Jes nombreux exemples qui precedent doivent en avoir donne la preuve POST-FACE ONE ANECDOTE DE CHIEN J'ai toujours la manie de fourrer des chiens dans mes ro- mans. J'ai meme un de mes romans, et ce n'est pas lo plus mauvais, qui porte un nom de chien : BLACK. Dans leChecalier d'Harmental j'ai Mirza, dans les Mohicans Bresil, enfin, dans la San Felice, Jupiter, dont je ne sais que faire, maintenant qu'il a joue son role. Mais je n'avais pas encore eu 1'idee d'en fourrer dans mes pieces. J'avais entendu parler de 1'intelligence du cliien de Montar- gis, de la verve du chien des Cosaques. Faisant les Mohicans, je ne doutai point que 1'on trouvat un artiste qui rivalisa de zele avec sesdeux devanciers. On me le promit. Je cms pouvoir m'en rapporter sur ce point a M. Harmand, un des directeurs les plus amoureux de sa mise en scene que jeconnaisse etqui a une veritable passion pour les details. Je n'arrivai done que quand la piece etait a peu pres sue des 7m POST-FACE. artistes. Je m'etais a plusieurs reprises informe du chien. On m'en avait fait des eloges merveilleux. J'entre en scene ; je fais mes compliments aux artistes, puis je demande a voir BresiL On me montre une espece de barbet, crotte jusqu'aux oreilles, don't on me vante Pintelligence. Quant a la preuve de cette intelligence, on me la donnera le lendemain. Le lendemain arrive : on lache le chien ; il fait juste le con- traire de ce qui lui etait indique par la brochure. Je m'etonne, je m'inquiete, je demande si c'est la ce chien tant vante dont on m'a dit des merveilles. On m'avoue que cen'estpas lui. L'autre ! mais 1'autre ! L'autre avait ete renvoye a son maitre. On avait decouvert chez lui un cas redhibitoire des plus graves. Ma premiere pensee fut qu'il etait devenu enrage. Ce n'etait point cela. Le barbet allait si mal, que Ton avait 6te oblige de prendre un epagneul ; 1'epagneul allait si mal, qu'on avait ete oblige de prendre un chien des Pyrenees ; le chien des Pyrenees allait si mal, que Ton etait en train de chercher un chien du Saint-Bernard . J'allai trouver Harmand, qui, je ne saurais trop le redireici, ne Payant point assez dit ailleurs, mettait a satisfaire toutes mes demandes une complaisance que je n'ai jamais vue dans aucun directeur. Je le poussai tant et si bien a Pendroit du chien renvoye, que je connus le motif de son expulsion. J'appris done que le malheureux Bresil ou plutot que ce chien si intelligent qui devait jouer le role de Bresil, qui Pavait repete a la satisfaction de tout le monde ; j'appris que Trim son vrai nom etait Trim habitait une maison mal famee, son maitre en etant le principal locataire. POST-FACE. 591 La pudeur d'Harmand s'etait revollee, et cependant le d6sir de m'etre agreable luiavait fait faire une concession. II avail offert, ou d'acheter le chien, on de le mettre en pension chez Dumaine. Lemaitre avail refuse. De la venait Pabsence de Trim . A force de sophismes, je levai les unes apres les aulres toutes les susceptibilites d'Harmand ; el il fit pour moi ce que j'affirme qu'il n'eut fait pour personne, il me donna carte blanche, et... je ramenai triomphalemenl Trim au thealre. Mais il etait deja Irop lard. Trim manqua du nombre de repetitions necessaires; enfin, disons le mot, Trim fut d'une faiblesse quifaillit compromettre Pouvrage. On comprend qu'apres ce qui venail d'arriver a Paris, la pre- miere chose que je fis, lorsque M. Desfosse m'ecrivit pour aller monter les Mohicans a Marseille, fut de lui ecrire : Occupez-vous du chien, je me charge des artistes. On me repondit par le lelegraphe : Nous avonsun chien prodigieux. Je partis sur celle promesse, et cette fois, comme Nonelle , on Pappelail Nonette, comme Nonette habitat une maison convenable, je pus, des le jour de rnon arrivee, jouir de ses talents, avec la certitude que ses talents seraient employes au benefice du drame. Ah! bien oui, Phomme propose, Dieu dispose; je vous 1'ai deja dit, je crois ; eh bien, je merepete : les grandes veriles ne peuvent pas elre trop redites. Tout alia bien jusqu'a la repetition generale, c'est-a-dire jusqu'a la veille de la representation ; Nonette ne manquait pas une enlree , pas une replique , pas un jeu de scene ; Nonelle enfm faisaita la fois Padmiration des artisles et des rares privilegies admis aux repetitions. 392 POST-FACE. Mais a la repetition generate seulement. on avail juge a pro- pos de repeter avec tous les accessoires. Or, un des accessoires du tableau du Pare est un coup de pis- tolet tire par Loredan sur Salvator. Jusque-la on avaittirele coup de pistolet a blanc, c'est-a- dire sans poudre, soit par motif d'economie, soit de peur du feu. A la repetition generate, on tira le coup de pistolet en realite. II parait que c'etait la premiere fois que Nonette entendait un coup de pistolet; elle poussa un cri de terreur, s'elanga paries degres en hurlant d'une fa^on lamentable, et disparut. On comprend la stupefaction de tout le monde. Un espoir restait : C'est que Nonette serait rentree chez elle. On y courut; personne n'avait vu Nonette. Sa terreur 1'avait emportee plus loin. En attendant, plus de Bresil. Une des artistes, mademoiselle Coindre, charmante soubrette que je voudrais voir veriir a Paris pour y jouer les Dejazets, offrit pour remplacer Nonette un chien de chasse fort intel- ligent, disait-elle, nomme Leo. On fit venir Leo ; Leo etait fort intelligent, en effet: maisc'etaitun charmant toutou qui ne pouvait inspirer aucune terreur. L'effet etait done completement manque. Quant a moi,je declarai que, ne voulant pas consacrer un fiasco par ma presence, je me retirerais, laissant le directeur et les acteurs s'en tirer cornme ils pourraient. Et je m'enfuis, en effet, a la Ciotat. Je n'en revins que le lendemain a onze heures du soir, et an lieu d'aller voir au theatre, ou en etait ou plutot ou n'en etait POST-FACE. 395 pas ma premiere representation, je rentrai sournoisement a 1'hotel du Petit-Louvre et me couchai sans rien dire. Vers une heure, je fus reveille par im grand bruit de flutes, de violons et de clarinettes en meme temps que je sentais quel'on me posait quelque chose sur le front. Je me reveillai j'ouvris de grands yeux, et, a la lueur d'une vingtainede bougies, je vis tout uri orchestre rangeautour de mon lit. Quanta ce que Ton m'avait mis sur la tete, c'etait une cou- ronne en feuilles d'or, assez large pour la tete de saint Charles Borromee, et qui me tomba sur les epaules aussitot que j'es- sayai de me soulever. On criait a mes oreilles : TRIOMPHE ! ! ! sur toutes les notes de la gam me. - Mais, le chien? demandai-je. Nonette etait revenue, allez-vous me dire. Ah! bien, oui : Nonette court encore, et bien habile sera celui qui la rattrapera. Et le chien alors? demanderez-vous a votre tour. Voici ce qui s'etait passe. On etait decide a jouer quel que put etre le resultat de la representation, avec le toutou de mademoiselle Coiridre : cependant, comme on le comprend bien, cette determination ne satisfaisait pas completement le directeur. II etait done a la porte de son theatre, segrattant 1'oreille lorsqu'il vit passer une espece de paysan, avec un gros baton a la main et un magnifique chien marchant derriere lui. On eut fait faire expres le chien pour jouer le role de Bresil qu'il n'eut pas ete mieux reussi. Une inspiration passa par le cerveau du directeur. He ! monsieur? dit-il a Phomme au baton. - Qu'y a-t-ilpour votre service? 594 POST-FACE. Vous a\ez la uri beau chien. N'est-cepas? Est-ce que, continua le directeur, il aurait des disposi- tions pour le theatre? Comment! monsieur, des dispositions pour le theatre! mais c'est un artiste consomme. Serait-il libre, par hasard? 11 cherche un engagement. Et comme cela se trouve ! Donnez-vous done la peine d'entrer. L'homme au baton entra, son chien le suivit, Desfosse suivit le chien. Le chien montra ses elats de service ; il avait joue le chien de Montargis a Beziers et le chien des Cosaques a Nimes le tout avec le plus grand succes. On avait encore le temps de faire deux repetitions, 1'une le soir, Fautre le lendemain, pendant lejour. C'etait presque de trop. Le soir de la representation, Gourdiri c'est le nom de ce grand artiste Gourdin fut magnifique et enleva tous les suffrages. Et voila comme le directeur du theatre de Marseille fut tire du plus grand embarras ou il se fut trouve de sa vie par un chien qui passait; et voila comment je fus reveille a une heure du matin avec vingt bougies dans ma chambre, un orchestre au pied de mon lit> et line couronne geante autour de mon cou. Mais si le chien n'etait pas passe! ALEXANDRE DUMAS. TABLE DES MATIERES PREFACE I I. PHYSIOLOGIE DU CHIEN 1 II. L'ORIGINE DU CHIEN 17 III. L'INTELLIGENCE DU CHIEN 41 IV. LES CIJIENS SAUVAGES 60 V. LES CH1ENS DE GARDE 94 VI. LES CHIENS DE CHASSE A COURRE 128 VII. LES CHIENS DE CHASSE D^ARRET 175 VIII. LES CHIENS LEVRIERS. '..... 205 IX. LES CHIENS DE LUXE 229 X. LES EXPOSITIONS DE CHIENS 241 XL L'HYDROPHOBIE 256 XII. ANECDOTES SUR LES CHIENS < 281 POST-FACE . 589 PARIS. IMP. SIMON RAgOX ET COM1 1 ., liUE D'tRFl'IUM, i. 1 Bl f" It H &1 I BIOLOGY LIBRARY THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA LIBRARY iT 7 1