m USE ON University of California Southern Regional Library Facility THE LIBRARY OF THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA LOS ANGELES / HISTOIRE LITTER A IRE DBS TROUBADOURS. TOME PREMIER, H I S T O I R E LITTERAIRE DES TROUBADOURS, C N T E N A N T Leuks vies, les extraits de leurs pieces-^ & plufieurs particularities fur \es moeurs, les ufages , & l'hiftoire da douzieme <% du treizleme fiecles. TOME PRE M 1ER, A PARIS, Chez D u r a n d nereu , Libraire , rue Galandei M. D C C. L X X I V» t AVERTISSEMENT. ^ a K s Ies travaux immenfes de M. de Sainte-' Palaie , l'Hiftoire litteraire de l'Europe, & de la- France en particuiier , auroit toujours ete in- complette. 11 n'y avolt que l'auteur des Me- moires fur I'ancienne Chevalerie , qui put arra- c'ner les troubadours du tombeau , ou leur re- nommee etcit enfevelie avec leurs ouvrages. Ce refbeftable academicien , iacrifiant tout , fante & fortune , aux recherches les plus pro- fondes fur nos antiquites nationales , eft par- N ^ venu a dccouvrir tout ce que Ton pouvoit rai- fbnnablement de/irer , dans un genre d'etude herifle d'epines & capable d'effrayer la paffion rneme du (avoir. Le Public jugera que ce n'efl point une dccouverte de pure curiolite, ni d'eru- dition infruclueufe. Pour conncitre les troubadou's , ces anciens poetes provencaux , les peres de la lirterature inoderne , il falloit trouver & expliquer leurs ouvrages La bibliotheque du Roi en pcflede feulement quafe manufcrits. L'ltaiie en pofTede un grand n ombre. Quoique l'axnour de l'anti- quite & des art', y cut deja conduit M. de Sainte- Pala.e , il entreprit un fecond voyage pour recueuiir tant de monumens inconnus ou negli- a uj FRE8GH REN vj DIVERTISSEMENT. gcs. Au mofs de fevrier 1740, les Nauvelles litter aires de Florence cek'brcrent Con projet Si fon travail. Quatre ans apres , le favant docieur Lami les cek'bra de nouveau dans une eloquence epitre dedicatoire , cii il rend egalement juftice aux qualites de (on coeur & acelles de fone/prit. ( Voyez. Dclicice eruditorutiu ) Si l'academicien franc^ois a epuif^ , pour ainii dire , toutes les bibliotheques d'ltalie , cette efpece de conquete exigeoit une a&ivitc , une depenie, des loins incroyabies. Qu'on en juge par un fait particulier. Les PP. Mabillon & e'e Montfaucon n'avoient pu obtenir que cer- tains manufcrits de Rome leur fufient ccmrau" niques : M. de Sainte-Palaie , pour en obtenir ?a communication , a eu betoin d'un bref du, pape ; (bit qu'une jaloufie litteraire mal enten- clr.e , ou une politique interefiee mit obibicle aux pro^res de nos connoiffances. Apres avoir recueilli environ quatre mille pieces , & les vies originales de plufieurs poetts ; apres avoir vcrifie que les fragmens epars en tiivers endroits , au nombre de dou/.e cants , fe trouvoient tous dans fes recueils ; il lui reitoifc encore les plus grandes difllcultes a vaincre.' Comment bien entendre les troubadcurs I Des gens de Letrres , familiarifes avec le pro venial AVERTISSEMENT. vij Sioderne , trouvoient ibuvent leur langage in- intelligibles. De celebres Italiens qui avoient etudie leurs poefies , Redi & Crefcimbeni , n'en avofent pu traduire quelques morceaux fans tomber dans des meprifes & des contre-fens, M. de Sainte-Palaie etoit reduit a fe faire lui- meme Ton Di&ionn lire : il Fa fait ; & pour peu qu'on connoiffe Ton exactitude fur les plus min- ces derails , on ne doutera point qu'il n'ait exa - mine , refTaffc , compare tous les mots , de maniere a faifir le lens de tout ce qui peut etre interprets. Enfin l'idee feule de fbn travail eft enrayan- te pour F imagination. Quince volumes in-jolio y contenant les pieces provenc/ales , avec les va- riantes des difterens manufcrits ; buit autres volumes d'extraits , ou ces pieces font en partie traduites , ou chacune eft deiignee dans l'ordre alphabetique des auteurs ; fans parler du glo£ faire , des tables , & d'une infinite de notes : voila im des monumens les plus extraordinaires du courage que peut infpirer a Fhomme de Lettres , non Fambitioft ou Finteret , mais le feul defir d'acquerir des connoiffences & de les communiquer. Ccpendant M, de Sainta-Palaie , occupe d'un autre ouyrage d'erudition encore plus impor- a iv viij AVERTISSEMENT. tant , & courbe fous le polds d'une venerable vieilleffe , ne pouvoit donner au public le fruit de fes travaux fur les troubadours. Des amis communs nfinviterent a cette entreprife. Je cms d'abord qu'elle ne convenoit ni a mes prin- cipes ni a mes gouts , qu'il s'agiffoit umque- ment de gr.lanterie , & qu'il importoit fort peu de (avoir comment nos premiers poetes chan- toient leurs dames. Mais j'eus la curiofue de parcourir les extraits ; j'y apercus beaucoup de details intereffans pour l'hiftoire des moeurs , pour celle de Pefprit humain ; je fentis qu'on en pouvoit tirer des lumieres fur une fbule d'obiets , a peine connus de nos jours & obfeur- cis par les images du prcju-gc : alors mes fcru-, pules s'evanouirent. Un fentiment louable de M. de Sainte-Palaie acheva de rue decider. II craignoit qu'une plu- me licencieule ne s'emparat un jour de mate- riaux amafles pour l'utilite publique , & ne les employat au prejudice des bonnes moeurs. II craignoit de meme qu'un faux gout de frivolite ou de bcl-efprit ne degradat fes recherches , en les detournant de leur veritable but , en cher- chant moins a f lire un ouvrage utile qu'un ouvrage brillant & peut-etre pernicieux. Ces vues s'accordoient trop avec les miennes , pen* AVERTISSEMENT. ix que je ne me fifle pas comme un devoir de les leconder. Les aventures, & meme les pieces galantes des troubadours , epurees de tout ce que la pudeur doit profcrire, peuvent fervir fans pedantifme , fbit a caracterifer l'efprit & les maeurs des fie- cles de la chevalerie , (bit a peindre le vice haiifabie quand il trouble l'harmonie & Us devoirs de la fociete. Sous la plume de renelon, Tile encliantereffe de Calypfb , les trompeufes delices de l'amour fourniffoient maticre aux lecons de la lageffe. Ce grand homme ne dou- toit pas que , pour etre foiidement prcmuni contre les defbrdres , il ne fallut en connoitre la nature & les dangers. Auiii l'hifloire & la morale (bnt-elles etroitement lices l'une a 1 'au- tre. La premiere oflfre les faits ; la feconde en tire les consequences. JuHju'aux fatires indecentes de quelques trou- badours contre le elerge , ou centre la ccur de Rome , tout devient maticre d'inftruction# Ellcs tiennent aux faits hiitoriques & aux nvturs du terns : elles prouvent que les fiecles digno r ance furent des fiecles de deibrdres ; que les mini.lres de 1'cgiiie nuifoiem beaucoup a la religion meme, par des abus & des execs trop capable:, d„- louLver les eiprits j que leur mi- a v x AVERTISSEMENT. niftere n'auroit point etc en butte aux traits do la haine , C\ les lumieres & les vertus en avoient garanti leur perlbnne. Combien n'ont-ils pas profite depuis de cette fatale experience ? com- bien le fpe&aele des anciennes erreurs , des anciennes fautes , n'eft-il pas propre a inlpirer J a lagefle ? Quoi qu'il en Colt , le merite de cct ou- trage appartient fpecialement a M. de Sainte- Palaie. Je n'ai fait que mettre en ceuvre avec plailir les materiaux qu'il a raffembles avec fant de peines. J'ai fuivi fes traductions , en dormant au flyle une tournure plus libre & plus varice. Ses remarques & celles de les pre- miers cooperateurs m'ont tpargne l'ennui des iecherch.es. Le choix & ^arrangement des ma- iieres , le loin de les fondre , d'y meler des reflexions, & de remedier autant qu'il eft pof- •£ble a une ennuyeufe unifbrmite , n'exigent pas de grands efforts quand on a de pareils fecours. Quoique j'aie (upprime une infinite de cboies indifferentes , on me reprochera peut- etre d'en avoir laiffe beaucoup trop. Mais ce qui feroit plus qu'indifferent ailleurs , ne Ved point dans l'hiftoire iitteraire , oil les gens de Lettres peuvent trouver important ce que les gens du nxmde jugent inutile. 4VERTISSEMENT. xj Un academicien tres-connu, dont la profonde erudition eft accompr.gnee de toutes ies graces de 1'efprit & de toutes les lumieres de la cri- tique ; dont la fbciete , comme celle de M. de Sainte-Palaie , eft ega'lement douce & avanta- geuie pour ies amis ; & qui ne peut fe derober, aux louanges , quolqu'il ne me permette, point de le nommer , avoit compofe autrefois quel- ques vies de nos troubadours *. J'ai beaucoup profite de Ton travail , en regrettant qu'il ne l'ait pas etendu plus loin, II embraffoit Ies ge- nealogies , la chronologie , Ies difcuftions hiilct- riques , Ies observations litttraires, Lui feul au* roit pu remplir un plan fi vafte. Pour moi y il me falloit etre court , fous peine d'etre en- nuyeux fans utilite. Un autre homms- de Lettres , qui ne vlt plus , s'etoit charge de ftnir l'ouvrage fur le meme plan. Ce qu'il a ccrit fur "cette nia- : tiere ne pouvoit foutenir i'impreflion, Mais j'y ai trouve la plupart des materiaux neceflaires * Ces troubadours font Arnaud Daniel, Ar~ naui de Marvtil , Aimeri de Vcguilain , Ber- nard de Veni.zdour , Geoffroi Rudel , Guillau~ me I.Y comce de Poirau 9 G* Gulllaunie de Cs,~ bejlain^ Z VI xij AVERTISSEMENT. parmi beaueoup de mlnuties & de longucirs infup^ortables. Le Difcou's preliminai-e dont ]e prends fir moi toutes les fames , parce que ie i'ai tire de ines propres obfervatiens, va djveiop-er ce qu'ii me paroit le plus important de fayoir au fujet des troubadours. Ate - Jzusssl'K^'!:-? Yu*-"-.' II Ml X (£ -*■• -£- »• ii * K -5J£- » « J X itO J ? * ■*- * X y -K (£ ••»•■ ••*- *■ » I || MS ' -*•• ' -*■ ' •*• 3 g " ¥■ ' 4- ' f ix Ifc* DISCOURS PRtiLlMINAIRE. JL'es troubadours ne font plus.guere connus que de nom ; & la pfupart des gens de Lertres eux-memes ne s'en forment qu'une idee fort iraparfaite. On fe contente de favoirque ces an- cienspoetesprovencaux fleurirent des le douzieme fiecle , lorfque la bar- barie & Pignorance dominoient en- core en Europe ; qu'ils vifitoient lea cours des princes & des grands fei- gneurSj feuls theatres ou leurs talons pulient briller ', qu"'i!s y etoient favo- rablement accueillis,iurtout paries da- mes, auxqi.e' es ils co facroent leurs JiOiLimagec & leurs chanfons , eniin. xiv Discours qu'ils furent dans nos climats les pcres dc la poefie moderne. Mais on fe lcs figure d'aiJIeurs comme des aventu- riers fans etat; comme des ecrivains fans lumieres & fans gout , dont les fades galanteries meritent un oubli eternel , & dont les ouvrages n'ont rien d'intereffant que pour ces ama- teurs d'antiquites, qui paflent inutile- ment leur vie a derouiller de xnifera- bles monumens gothiques. Les richefTes de notre litterature , capables de fatisfaire tous les efprits , & de nous rendre indifterens pour des objets moins agreables,contribuojent a entretenir ce prejuge : il fembloit devoit fe perpetuer a jamais. Les vies d'exciter ou Ten- thoufiafme ou lindignation poetiques, Si - DlSCOtfRS II eft neceiTaire cTcbaucher ici nn ta- bleau de ces evenemens : on y verra du premier coup cToeil ce que la ma- tiere doit offrir d'inflru&ions-. C'etoit le terns ou les papes , qui avoient perdu de vue les regies , com- me les exemples , de la primitive egli- fe , remuant tout au nom de Dieu 8c de S. Pierre , faifoient d'une religion divine Finftrument d'une politique audacieufe; & tantot difpofant des re* compenfes du ciel , tantot condam-; riant aux fupplices de Penfer , fubju- guoient les nations , ebranloient les empires , detrorioient meme les fou- verains. Les croifades dont Gregoire VII avoit concu la premiere idee, Ct on les confidere fous une face poli- tique, furent le chef-d'oeuvre de l'an- eien defpotifme pontifical. Par elles un pontife pouvoit armer les fujets de tous les princes , en faire (es pro- pres folda.ts 3 les envoyer conquerlj; pre'liminaire; xl j des royaumes , qu'il fe rendoit tribu- taires; lever d'un bout de TEurope a Tautre d'immenfes contributions, dont jl dirigeoit Pufage ; epuifcr d'hommes & d'argent les etats, dont la foiblefie devoit augmenter fa puiffance ; rele- guer en quelque forte au-dela ces mers les empereurs & les rois , dont rdloignement lui etoit avantageux ; augmenter les richeffes ecclefiaftiques, & par confequent fes revenus, du pro- duit d'une infinite de terres , que les croifes vendoient a bas prix pour etre en etat de gagner les indulgences de 3a guerre fainte ; s'etablir enfin adroi- tement le juge de toutes les affaires civiles & politiques , en mettant fous la fauve-garde du pontilicat les biens & les perfonnes de quiconque avoit arbore la croix. Si la politique de Rome nc conc/ut pas d'abord ce fyf- teme dans toute fon etendue , il pa- foit qu'en peu de terns elle i'eten-dit xlij DlSCOUR jufcjues-la ; quoique des ideesreligieu- fcs & myftiques voilaflent to-ujours fes projeis , peut-etre meme a fes yeux comme a ceux des nations fafcinees. Nous trouvons dans Ies poefies des troubadours cent exemples de Ten- thonfiafme \lcs crcifades, & des vains motifs qui le rallumoient fans cede ; mais nous y voyons audi quelquefois une hardieffe a les cenfurer , qui con- trafle fingulierement avec les prejuges de la multitude. Et comment , aprcs tant d'expedi- tions malheureufes , dont l'Europe avoit attendu les plus grands fucces ; comment try auroit-il pas eu des homines aflez raifonnables pour en mieux jugcr, & aflez libres pour en dire leur fentiment ? La puiffance ecclefiaftique , (i refpe&able par fa na- ture, fi utile quand ell'e remplit avec fagefle fon miniftere , s'expofoit elle- meme aux plus dangereufes attaques s *r£liminaire. xliij par des abus done les peuples com- mengoient a s'indigner. Ce fut propremeac Porigine des fedtaires de nos provinces meridiona- les , connus fous differens noms , Ma- nicheens , Vaudois , Albigeois , &c Leurs inve&ives contre le clerge con- tribuerent , autant que leurs erreurs , a la guerre atroce qu'on leur declara pour la ruine du comte de Touloufe. Jufqifalors les croifades avoient eu pour objet d'exterminer les ennemis. du nom chretien. Mais des chretiens , reputes ennemis de Teglife , parurent encore plus dignes d'etre immoles par le zele ; & leur fouverain ofant les proteger , ou plutot les tolerer , le pape, non-content de le foudroyec d'anathemes , fit un devoir de reli- gion & un moyen de falut , de pren- dre les armes pour le depouiller de fes etats. J'indique feulemcnt ici cette hoa* xliv Discours teufe croifadc, celebre par tant d'tiv juitices & de barbaries ; fi fatalc a Rai- mond VI & Raimond VII comtes de Touloufe, malgre lcurs humbles fou- mifiions toujours fuivies d'abfolutions trompeufes ; mais fi utiles a la cour de Rome qui , de leurs depouilles , fe forma une principaute au fein de la France. Plufieurs de nos troubadours inte redes a ccs guerres civiles , on comme acleurs, ou comme partifans des opprimes , oat JaiiTe des details curieux qu'il faut referver pour leurs articles. Le clerge de ces malheureufes pro- vinces, fanatique alors & trop iujet aux paflions d^s gens de guerre , fe fignala par de terribles exces , & les moines peut-etre encore plus. L'lnqui- fition naiflante fe montra d'abord al- tere'e de fanq- ; mais en faifant bruler fes victimes , parmi lefquelles Tinno- ecnt fut plus d'une fois confondu TRBLIMINAIRE. xllf &vec le coupable, die echauffoit la bile des poetes citoyens ou fenfibles a Thumanite. Nous aurons fouvent lieu d'obferver combien la religion devoit gemir d'etre changee par fes minif- tres en tyrannic Quelle gloire pour la faine litterature de l'avoir venge'e de cet opprobre , en oppofant les preceptes de la charite chretiensie aux prejuges d'un fanguinaire fana*- tifme ! Oui , dans les fieclcs meme barbares , les Lettres ont ete fouvent les bienfaitrices du genre humain. Cependant les fouverains pontifes continuoient a regner par des vio- lences. Le facerdoce luttoic toujours avec animofite* contre l'empire. Fre- deric I , ce grand empereur , en avoir recu de dangereufes atteintes ; 8c la revoke des villes de Lombardie, li- guees pour s'affranchir de fa domina- tion, etoit principalement Pellet des entreprifes de la cour de Rome, Foi- xlvj DlSCOURS ble prelude dcs orages qulnnocent III , Gregoire IX , Innocent IV, &c, devoient bientot exciter centre Fre- deric II & les reftes de la maifon de Sonabe. Apres une longue fuite de fcenes fcandaleufes , ou les excommunica- tions , prodiguces par la haine , ten- doient toutes a detroner Pempereur, on le vit folennellement depofe dans un concile de Lyon , dont le pontife di&a le decret. S'il ne perdit point fa couronne , e'eft qu'il eut le courage de la defendre. Scs fuccefTeurs furent encore plus malheureux. Les papes pourfuivirent d'un cote rempereur Conrad , fils de Frederic , & de Fau- tre depouillerent du royaume dcs Deux-Siciles cette maifon qifils detef- toient. L'Angleterre ne fut pas pro- fiter de leur offre. Le frere de S. Louis, deja comte de Provence, reuffit mieux ; s'il faut regarder comme un grand I' R fi L I M I N A I R E. xlvij fucces fa conquete de Naples , cimen- tee par le meurtre juridique du roi Conradin & du due d'Autriche , 8c fuivies de tant d'exces revoltans , que les Vepres Siciliennes en furent pref- que Punique fruit. Quand nous verrons le troubadour Figueira , & quelques autres , fe de-. chatner avec une forte de fureur con- tre Rome , contre les miniilres ou \es imitateurs de ks injuftices ; il faut Pa- vouer , quelque etrange que fut leur audace dans des fiecles iuperflitieux, Phiftoire en donnera ailment Pexpli- cation. A ces evenemens memorable? aux- quels les pieces de nos poetes ont fouveni rapport, ajoutons les demeles de la France avec PAngleterre , la reunion de plufieurs provinces fran- g o i i e s a une couronne rivalc, Pempri- fonnement de Richard I au retour de la PaleiUne,les conquetes de Philippe- xlviij D I S G O U R s Angufte fur Jean , fucceffeur c!e Ri- chard, roppofition d'interets entrc les troubadours de divers partis : quelles fources de particularit.es hiftoriques 8c de traits de poefie , dignes de la curio- fite des lecleurs ! Mais les revolutions arrivees dans Je p'ays meme des mufes provengales fourniiToient , independamment de tout le refte , une ample matiere a leurs chants. Ce pays comprenoit a outre le Dauphine & la Provence qui relevoient de rempire,les trois grands comtes de Touloufe, de Barcelone <5c du Poitou, avec le duche d'Aquitaine. La, comme ailleurs , le gouvernemenc feodal avoit forme , fous une appa- rence d'ordre & de fubordination, urj veritable chaos ou le fuzerain , le vaf- fal , Farriere-vafTal , chacun avec fes droits faclices , fe trouvoient fouvent xeduits au droit du plus fort. Si de cette premiere caufe devoient naitre ? J iL I M I N A I R R. xlitf naltre une infinite de troubles , de violences , de confifcations , d'ufurpa* tions & de guerres ; Theredite & le partage des fiefs occafionnoient en- core des ebranlemens & des varia- tions rapides, furtout quand les lilies fuccedoient au defauc de males. Le manage d'une heritiere attiroit un fou- verain etranger; plufieurs manages de cctte eipece creoient une vafte puif- fance ; Tambition s'agitoit, Tequilibre fe rompoit, les rivalite's eclatoient de toutes parts , & les peuples etoient ordinairement les vi&imes de ceux qui pretendoient les gouverner. Ainfi le Poitou &laGuienne, que le manage d'Eleonore avec Louis le Jeune devoit reunir a la couronne de France , palTerent fous la domination angloife , des que le divorce impru- dent de Louis eut Iaiile Eleonore maitrelle de difpofer tout a la fois de fa perfonne & de fes etats. Ainfi la Toms I, & I DlSCOURS maifon de Barcelone acquit par des manages le comte de Provence, le royaume d'A ragon , & d'autres fouve- rainetes. Ainfi la maifon de Baux , en verm d'un mariage , ofa lui difputer la Provence , fans avoir les forces necef- faires pour foutenir fes pretentions, Ainfi la maifon de Sabran , avec un titre pareil , s'empara du comte de Forcalquier , dont elle conferva beau- coup de fiefs , malgre la puiffance dc fa rivale. Ainfi Pheritiere du dernier comte dc Provence de la maifon de Barcelone , fit paflfer dans celle de France , en epoufant Charles d'Anjou, line principaute qui devoit tot ou tard revenir a la monarchic frangoife. Ces revolutions & leurs fuites, les affaires, foit des grandes, foit des peti. zcs cours , mettant les efprits en mou- vement , & les troubadours jouant quelquefois un role diftingue , ou ayant des liaifons c'troites avec les T R £ L I M I N A I R E. 1J premiers a&eurs , leurs ouvrages rap- pelleront fouvent les faits & les per- fonnes , qui frapperent leur imagina- tion 8c inte'refferent leur ame. II fut mi terns cm les cours d'Aragon , de Poitou, de Touloufc, de Provence, favorifoient a l'envi les mufes. La re- connoiifance n'etoit pas muette ; & fi line partie de nos poetes fignala fon zele pour les princes de Touloufe , nous en voyons clairement la caufe dans les bienfaits de ces princes on de leurs ancetres. Mais en defendant leur caufe contre le clerge , qu'une haine religieufe rendoit ingrat & in- jure , ils pouvoient fuivre eux-memes les mouvemens de l'animofite 8c de l'interet. Qu'il eft rare, en pareiltes circonftances , de fe tenir dans les bornes de la fagefTe ou de requite ! Ne nous paffionnons point en fa- veur des troubadours : ils meritent pour la plupart moins de louanges cij Jij D I 5 C O U R S que de blame. Dans lc compte fuc- cint que je vais rendre de leurs divers genres de poefies, & des principaux cara&eres qui les diftinguent, fcxpo- ferai Jes defams ians prevention , je tacherai de reduire a leur jufte prix les ehofes eflimables. V. Ces pieces font des chanfons , des Jtrvemes J des tenfons ou jeux-partis j des p aft j ur elks j des novdlzs ou contes, &c. Je les diilinguerai d'abord plus utile- meat en poefies galantes , hiftoriques, fatiriques , dida&iques ; & apres les avoir envifagecs aiafi fous des points de vue generaux , nous pafferons a des remarques particulieres. D'apres ce que nous avons obferve fur Tancienne chevalerie, on peut ju- ger d'avance des morceaux de nos poetes, (& c'cft le plus grand nom- bre de leurs ouvrages, ) qui ont pour UlitlMINAlRj. liij 'objet les dames & Famour. Ce ne font prefque jamais de ces penfees inge- nieines , de ces tours fins & etudies , de ces elegans madrigaux , ou fe pei- gnent les agremens de Pefprit , plutoC que les tranfports de la paflion, L'a- mour y eft exprime tantot avec ener- gie, tantot avec une fimplicite naive & touchante. Souvent timide & ref* peclueux , il adore en extafe la beau- tc dont il fait fon idole ; il voit en elie toutes les perfections dignes d'inf- pirer l'enthoufiafmc ; & les moindres faveurs qu'il en efpere font pour lui des joies celedes. Quelquefois il veut fe manifefler par d'heroiques efforts ; d'autres fois il ofe a peine prononcer un mot qui le decele. Enfin le fyfteme galant de la chevalerie regne parmi les troubadours ; & lorfque leurs chan- fons tiennent a dcs aventures fingu- lieres , comma il y en a plufieurs examples, il en rci'ulic une lecture plus c iij liv D i s c u R s; agreable. Mais , je Tavoue , les fades lieux communs de galanterie , les re- petitions fre'quentes des memes pen- fees & des memes expreflions , les longueurs & le mauvais gout ren- droient infupportable un recueil com- plet de leurs ouvrages. II a fallu fup- primer } elaguer beaucoup ; & ces fa- crifices ne meritent aucun regret. 11 y eut , fans doute , parmi nos preux chevaliers & nos galans trou- badours , quelques phenomenes d'a- mour epure , ou Ton reconnoitra des mceurs exemtes de tout reproche. Cependant combien verrons - nous d'exemples contraires! Un commerce de galanterie entre les deux fexes, dans ces terns de deiordres effrenes, devoit evidemment rendre fort rare ce que Ton a fuppofe fi commun. Cetoit beaucoup que les belles , en general , dedaignafTent des amans vul- gaires, dont le nom n'eut rien noujr ? R & L I M I N A I R E. 1 V fclles de glorieux; qu'une mollefTe efTe- minee & une honteufe opulence n'ex- citaffent que Jeur mepris; & qu'il fal- lut meriter par l'honneur & le cou- rage les fecretes recompenfes d'un amour fouvent condamnable , fouvent, contraire aux lois de la fociete.. Apres les poefiesgalantes des trou- badours , les plus nombrcufes font cel- los que j'ai appelees hiftoriques, com- me ayant rapport a des faits , a des perfonnages diftingues , & pouvant fournir des materiaux a Fhifloire. Tcls font la plupart de leurs firventes J forte de difcours en vers, ou leslouanges, les reproches , les plaintes , les mena- ces , les exhortations , les confeils fe placent naturellement au grc de Tail- teur. En les confiderant relativement a riiiftoire , il n'efl pas doutcux que ces pieces n'aient leur utilite, foit pour cclaircir ou pour conftatcr certains details ; mais clles me paroiilent beau- c \v Ivj DlSCOURS coup plus interefiantes fous un autre afpcft. Qnand elles viennent de perfonna- ges illuilres , ceft une peinture na'ive de leurs fentimens, de leurs paflions , de leur facon de voir 5c de s'exprimer. lis paroitront quelquefois femblables a ix heros d'Homere , hautains , arro- gan-s , braves & preibrnptueux , n'epar- gnant pas Ies injures , difant avec une rude franchife & trop longuement tout ce qu'ils ont dans Tame. Le fir- yente du roi Richard , compofe dans la prifon d'Allemagne , & plufieurs au- tres de cette nature , meritent la cu- riofite de quiconque veut connoitrc 1'efprit humain 6c les moeurs anti- ques. Rien n'efl pent - etre plus digne d'obfervation, que Pextreme libertede plufieurs de nos troubadours. Elle fe donne carriere , non-feulement entrc egaux a njais malgre la plus grandc jr£liminaire. Ivij difproportion de rang & de fortune ; non-feulement dans les querelles qui fe decident par Tepee , mais dans le commerce des cours , oil Ton s'attend a ne voir qu'artifices & foupleife. 11 y avoit deja , fur-tout parmi les poetes, de vils courtifans accoutumes au ton de la fervitude , & mendianc par les baffelTes de la flatteric le paye- ment honteux des plumes venales. Cependant la plupart , quoique pen definterefles oc meme avides , perdent quelquefois toute retenue, jufqu'a ne rien menager , pas meme leurs pro- tecleurs. Comment expliquer ce phc-» nomene ? Cell que les hommes confervoienf encore la vigueur de cara&ere qu'ils tiennent de la nature , & que la poli- te (le a enervee autant qu'adoucie. C'efl que les cours protegeoient fans afifujettir : la grandeur y etaloit plus de magnificence que de pouvoir: elle lvilj D I s C o u R S cherchoit a s'attirer des partifans , Be ne pouvoit faire des efclaves : elle defcendoit par la-familiarite au niveau des inferieurs & des fujets, de peur qu'ils ne s'elevafTent contre elle par leur fierte : chacun fentok fa propre force , & favoit ou trouver de Tappui en cas de befoin : le raoindre grief irritoit ces ames altieres : le rellenti- nient ou le point d'honneur etouffoic alors la reconnoiilance des bienfaits ; & la liberte du difcours s'emportoit au-dela de toutes les bornes. Si les auteurs de ces pieces avoient cu autant de genie , ou feuleraent d'efprit que d'audaee, il y auroit une ample moiilon a faire de chofes pi- quantes & curieufes. Mais plufieurs , je dois le repeter , rimoient , pour ainfi dire , en depit d'Apollon & de Minerve. Pai fenti le befoin d'etre fevere dans le choix ; & me faifant fcn;pule d'omettre ce qui renfermet P R £ L I M I N A I R E. Ik quel que inftru&ion , je me fuis du moms borne au pur neceffaire , lorf- qu'il ne fe prefentoit rien d'agreable. Outre les firventes hiftoriques done nous venons de parler, les troubadours en ont laifle un grand nombre de purement fatlriques. Ce genre fut tou- jours du gout des poetes , foit parce qu'ils slrritent aifement , comme un d'eux le difoit dans 1'ancienne Rome, 8c que la fatire venge les bleilures de leur amour-propre , foit parce qu'ils y trouvent un moyen de reuffir en amu- fant la malignite publique ; moyen dangereux , fouvent impardonnable , mais par ou. Pauteur le plus vil s'affure 6cs applaudiflemens, puifqu'il flatce la haine ou Tenvie prefque toujours de- chainces contre le merite. Nous verrons de ces fatires per- fonnelles , groffierement injurieufes , oui eurent beaucoup de vogue dans le terns. Telles font en particulier eel* Ix D I S C O U R S les de Pierre d'Auvergne & du moinrf de Montaudon contre des rimailleurs, fi obfcurs la plupart qu'il ne refte au«- eun veftige de leurs ouvrages. L'un & l'autre ont pu etre appeles le flean des troubadours ; mais a la le&ure , on meprifera le fleau plus que les viclimes frappees de fes coups. De tels fatiri- cjues n'eurent jamais d'autre deftinee ! II n'en eft pas de meme de la fa- tire general e des moeurs , propre a humilier le vice , finon a corriger les vicieux ; utile pour le fiecle qui la .voit naitre & qu'elle chatie ; utile pour la poilerite , a qui du moins elle peut tranfmettre la connoiflance des ages precedens. Divers morceaux de ce genre rendent precieux notre re- cueil ; & Ton peut Tes regarder com- me ce qu'il y a de plus eflimable dans ]es troubadours. La , fe l trouve la preuve complette jFune verite ; dont nous avons tou*? *Rg-LIMItfAIRE. TxJ yours ete convaincus, malgre toutes les declamations qui la eontredifentj Que les moeurs du bon viwx terns v comme on Fappelle avec complai- fance, de ce tems hero'ique de che- valerie, ne meritent point nos regrets, quelque odieux que foient nos vices , & quelques maux qui en puiiTenC naitre, furtout fi Fimpunite les encou- rage & (i le fucces les couronne. La race des chevaliers , cette noblefle dont la probite , la franchife , la gene- rofite font Fobjet de tant d'eloges, comment la verra-t-on depeinte ? Oppreffion des fujets , parjures envers les voifins , cruautes 8c perfidies ire-.- quentes , brigandages continuels , ra- pacite infatiable , debauches au lied de galanterie ; voila les traits ordinal- res. Les fatiriques exageroient , dira*- t-on. He ! n'exagerent-ils pas encore aujourd'hui ? Nous regrettons le tems gaiTe : les troubadours regrettoient le Ixij D I S C O U R s terns pafle , aux douzieme 6c treiziemS fiecles , & l'hiftoire ne connok rien de plus affreux que les deux fiecles anterieurs a cette epoque. Us attaquent furtout avec vehe- mence les vices du clerge & des moi- nes. On en fera peu furpris , fi Ton fe retrace les abus enormes , la fcanda- leufe licence y les fraudes , les vexa- tions & la tyrannic, qui deshonoroient alors plufieurs miniftres de la religion, aux depens de la religion me me. La croifade contre les Albigeois, Tinqui- fition meurtriere qu'elle mettoit en vigueur, fuffifoient pour revolter tou- te ame jufte & feniible. Une piece originale d'Izarn , dominicain miilion- naire 8c troubadour, dans laquelle il fe reprefente difputant avec un here- tique , & le convertitlant par la crain- te des iupplices , plutoc que par la force des argumens , cette piece nous coavaincra que des catliohques ienfejs V R £ L I M I N A I R E. fxilf jpouvoient bienpartager avec les fec- taires , non leurs fentimens fur Ie dogme , mais leur mepris & leur aver- sion pour des abus odieux ou meprifa- bles. Enfin , les invectives de Pierre Cardinal , troubadour illuftre & ver- tueux , que Ie clerge avoit vu parmi ies membres , ( fans parler ici d'autres facires pareilles,) ne laifleront aucun doute fur les anciens execs de ce corps, qu'entrainoit le torrent des paf- lions , que 1'ignorance avoit degrade, & qui s'eft releve depuis avec hon- neur , lorfque (es lutnieres & fa con- dime ont repondu a la faintete de fon minidere. {Jne mauvaife politique , prefque toujours pratiquce & toujours funefte, engageoit les gens d'eglife a perfecu- ter les poe es, ainfi que les novateurs. On croyoit les enchaincr par la craintc ; on les revoltoit en provo- cjuant la colore & Tindignation. .Iiritei* fxiv Discount* des cfprits iiers & audacieux, qui nV voient befoin que d'une plume pour fe venger meme fans paroitre , c'eft une de ces imprudences que rorgueil de la domination commettoit prefque toujours , & dont il devoit tot ou tard fe repentir inutilement. Les poefies didactiques des trouba- dours font en petit nombre , mais cu- rieufes par leur objet. Quelques-unes contiennent dts maximes de morale univerfelle ; elles prouveront encore que les verites morales, dontle germe eft au fond de nos coeurs , ont befoin de la culture de la raifon pour nQ produire que de bons fruits. Quel- ques autres renferment des inftructions relatives aux divers etats de la focietej fpecialement aux candidats de la che- valerie , aux jeunes demoifelles , aux poetes & aux jongleurs. Pen ai re- cueilli plufieurs details finguliers, que. &ul ouyrage conau ne fourniroit, JLa *RELIMINAIR1. IxV prolixite & les minutics y font trop fouvent faftidieufes. On peut y reme- dier en abregeant. D'ailleurs les peti- tes chofes, en certains cas , font mieux connoitre les hommes que les gran- des : elles peignent les habitudes, au lieu qu'on ne voit dans le refte que des efforts. Nos poetes ont eu quelquefois l'a- drcffe d'encadrer , pour ainfi dire , leurs preceptcs dans les agremens de la fiction. Cell un jeune homme , par exemple , qui vient a la cour d'un il- Juftre chevalier , demander fes avis & s'inftmire a fon ecolc ; celt un per- fonnage refpeclable qui, dans une con- verfation fortuite , donne des lecons a la jeuneffe. La connoiiTance des an- ciens auroit beaucoup fervi a perfec- tionner une methode ii judicieufe, Les troubadours fcmblcnt Tavoir tire<2 de leur propre fond. Simples imita- teurs, ils auroient eu vraifemblablc- Ixvj Discotsi lpent plus de gout avec moins dc na- turel. Cependant de ce fonds mal cultive font eclos quelques jolis contes , ou les graces naives paroifTent aflfez tou- chantes , pour qu'on ne penfe point a y chercher de Fefprit. Le meme caraftere diftingue jufqu'a un certain degre les paftourelles des troubadours , idylles galantes , ecrites fans art , avec trop de monotonie , mais qui refpirent la fimple nature. Cette efpece de compofition , egale- ment favorable a la poefie & a Fa- ariour , auroit du , ce femble , etre plus commune parmi eux. S'ils Font rarement cultivee,n'efl:-ce point Feffet de la frcquentation des cours ? La vie champetre infpire les mules paftorales: les cours infpirent un gout de galan- terie faclice , qui prefere le bel-efprit au fenttment. .C'eft furtout par les tenfons que les V R S L I M I N A I R EJ Ixvij troubadours tachoient de fe fignaler. Dans ces dialogues en couplets alter- natifs , ils s'attaquoient , fe repon- doient ; ils foutenoient leurs fenti- mens contradi&oires fur diverfes quef- tions , prefque routes de galanterie. Les cours & les grandes afTemblees fervoient de theatre a la difpute. On prenoit ordinairement pour juges les principaux perfonnages ; & leur deci- fion paroifloit fans dome d'un grand poids. Ces jeux d'efprit devoient don- ner plus de report aux talens ; mais comme les talens mediocrcs ne peu- vent franchir les bornes de la medio- ciite, parmi un tres-grand nombre de tenfons il y en a peu d'un rare me- rite. Elles ont neanmoins Tavantage i cellos memes dont la traJuftion pa- rokroit le plus infipide , de nous inf- truire fur les opinions & les fentimens de leurs auteurs 3 8c fur l'efpric de leuc lxviij DlSCOTJRS fiecle. On y verra , les raffinemens cfc la galanterie romancfque , les cgare- mens du Hbertinage qui triomphoil de fes. maximes, les fauiTes idees dhon- neur & de morale qui l'emportoient fur les devoirs. Par quelles qualites un amant fe rend-il plus dvgne de fa dame ? une dame plus digne d'avoir des amans ? Qu'eft-ce qui decide, en tel ou tel cas , de la fuperiorite d\in chevalier ? cSec. Plufieurs queftions de cette efpece amenent des jugemens , quelquefois tres-la^es , quelquefois in- fenfes &pernicieux.Rien n'etoit mieux imagine, pour inculquer les vraisprin- cipes , qu'un genre de poefie ou ils pouvoients'appliquer amille cas inte- reilans. Mais la plu'part des trouba- dours preferant ]cs bonnes fortunes aux bonnes moeurs , la fapefie avok befoin d'autres organes, dcmalheureu* fement n'en trouvoit guere. A en croire Noflradamus , & unq. ■PRJSLIMINAIRE. IxiX Fouled'auteurs^ces poeres connnrenc & pratiquerent Tarn dramatique. Sans doute l'ufage du dialogue , fi com- mun parmi eux , devoit conduirc en peu dc terns aux representations thea- trales. Ceft peut-etre le fondement d'une opinion dont la fauflete paroit demontree par leurs ouvrages metnes, ou Fon ne voit rien de relatif a cec objet. Quoi ! un objet fi intereflant , qui devoit fournir matiere a tant d'al- luiions & de remarques , ils Tauroient toujours perdu de vue s tandis qu'ds parloient des moindres ufages de la fociete ? pourra-t-on !e croire ? 11 faudroit entendre leur idiome , Sc en counoitre la pronunciation , po'ir i)ien raifonner fur le mecanifme , 'a mefure & Tharmonie de leurs vers : encore n'y auroit-il prefque aucun * Parfut , Hi.1. du Theatre Francois: Velty, Hiil. de France > &c. lxx D I S C O U R s lefteur que cet examen interefsat. Jc me bornerai done a un point beau- coup plus digne dc curiofite , a l'in- fluence que la langue & la poefie pro- vengales ont eue fur la litterature des autres peuples. V I. Le midi de l'Europe avolt tire d\l latin les langues vulgaires, que nousy voyons perfeclionnees aujourd'hui^le frangois , l'italien & l'efpagnol. La provengal , derive de la meme fource 5 remportoitinconteflablement fur tou- tes les autres , foit qu'il participat aux beautes du grec , qui fut long-terns le langage des Marfeillois , foit qu'il eut etc plus tot culrive par des talens ca- pables de rembellir. Les troubadours y ajouterent tout a la fois de nou- veaux charmes & une grande cele- brite.Repandus dans les cours, meme au-dela des Pyrenees , des Alpes & P R E L I M I N A I R E. Ixxj <3e/a M anche, ils y porterent avec le gout de leurs poeiies celui de leur. langue , & lui acquirent prefque la meme reputation , que nos meilleurs ecrivains ont procuree dans ces der- niers terns a la notre. Alors le genie , comme enfeveli au fein d'une ftupide ignorance, fembla tout-a-coup reveille par les fons d'une Jyre enchantereffe. En Italie, en Efpa- gne, en Angleterre, 8c meme en Alle- magne , il fe ranima pour preter l'o- reille a ces Amphions. 11 admira leurs chants & voulut les imiter. Apres d'heureux efTais dans leur idiome , il s'efforga de polir a leur exemple 8c d'illuftrer la langue du pays qu'il habi- toit. Cell ainfi que le Parnaflfe pro- vencal donna en quelque forte naif- fance aux mufes etrangeres; c'eft ainfi qu'elles en tirerent des trefors done elles firent leur propre richefTe. Quelqucs Anglois 8c un plus grand Ixxlj DisCourJ nombre d'ltaliens celebres l'ont eux-' memes reconnn. DryJen ne balance point a dire d'apres Rymer , que Je provenc,al etoit de toutes Jes langues modernes la plus polie, & que Chau- cer en profita pour orner & enrichic Fanglois , tres - fterile jufqu'alors *. Bembo allure egalement que cette langue avoir une grande fuperioritc fur toutes celles d'occident , & que tout homme qui vou'oit bien ecrire, furtout en vers , e'crivoit en proven- c,al. (Prof, i.) Une compilation d'au- torkes ne me couteroit que la peine de tranfcrire les pafTages deja cites par Baflero , dans la preface de fa Crufca Prorer^ale. Mais qu'importent tant de citations , quand il ne faut que raifonner fur nn fait certain ? Confiderons feulement le pays ou la literature fit des progres plus rapi- * Vo}'££ ia preface des Failes de Dry den. des, pr£liminaire. lxxiij des. Cefl-la , c'efl: en Italic que brille- rent nngulierement \cs troubadours. La cour du marquis de Montferrat , Florence, Venife , Mantoue , Genes, & d'autres villes, fe glorifioient d'en avoir produit ou attire quelques-uns. On compte parmi eux des Italiens illuftres , un Malafpina , un Giorgi , un Calvo , un Cigala , un Doria , un Sordel , &c, dont les pieces , en general, annoncentune fuperiorite de talent qui prefageoit de plus grandes chofes. Nos Provencaux frayerent la route aux Italiens , leur fournirent & les modeles a imiter & l'inftrument a mettre en oeuvre. Mais la deflince de ceux - ci ctoit de fervir eux - memes de modeles dans la carricre poetique, apres que d'autres leur auroient appris a y faire lc premier pas ; & rien n'eft plus glorieux aux troubadours que d'avoir cu cle tels difciples , qui cepen- tlant devoient bientoi les furpaffer. Toms L d lxxiv DlSCOURS En cfFet , le Dante , a la fin du trei- zieme fiecle , donna FelTbr du genie a la langue italienne. Des ce moment, on la vit foft fuperieure au provengal. Petrarque parut , Famour Finfpira , & fous le ciel meme de Provence , il fie entendre des fons fi melodieux , des vers fi elegans ; en un mot , il eclipfa tellement les troubadours , que leur nom , leur langage & leurs poefies difparurent prefque cntierement aux yeux de FEurope. La France avoit deja fes poetes, emules des Provencaux leurs maitres, & Thibaut , comte de Champagne , s'etoit diilingue parmi eux. Par tout les langues nationales commencereni a fortir de la barbarie : elles fcrent preferees avec raifon a cet idiome etranger , dont la fortune venoit fur- tout de Findigence des autres. Les grands modeles de Fantiquite , fi long-terns enfouis dans la pouffiere 3 7 R & L I M I N A I R B. Ixx? fixe rent en fin les regards, reprodui- ent les idc.es du beau , infpirerent una plus noble ardeur aux ecrivains. Toutes les langues modernes auroient avance rapidement comme en Italie, fi elles avoient ete cultivees avec le meme foin , par des genies tels que le Dante , Petrarque & Bocace. Mal- feeureufement, ou ce tels genies n'exif- terent point ailleurs, ou ils Ianguirent dans l'ignorance , ou ils affe&erenc le langase de Tancienne Rome , au lieu de perfectionner celui de leurs peres. L'ltalie devint feconde en chefs-d'oeuvre : les autres nations , pour n'avoir pas fuivi Ton exemple , ne produifirent encore long terns que des fruits fauvages ou de mauvais gout. Bevenons a notre fujet. L'origme de la littcrature moderne eft done en Provence , e'eft a dire, dans les pro- vinces mcridionalcs de la monarchic fxxvj DlSCOUR* fhmgoife. Les troubadours ont tire 1'Europe d'un fatal engourdiiTement : ils ont ranime les efprits , qui paroif- foient morts : en les amufant , ils les ont fait penfer : par des fentiers email- les de fleurs champetres , ils les ont mis fur les voies de la raifon , de la perfection meme ; & tel eft TenchaL- nement des chofes humaines , qu'a cette premiere caufe prefque incon- nue on peut attribuer les plus grands effets. Toute revolution dans l'efprit humain merite d'exercer une curiofite attentive ; & les principes de la revo- lution le meritent pour le nioins au- tant que (qs progres. A cet egard combien les troubadours ne doivent-il$ pas intereffer f V I I. II me refte a faire quelques obser- vations fur ies vies manufcrites de nos poctcs j compoiees en provengal pat r R £ L I M I N A I R E. IxxvIJ 'des auteurs contemporains. Un Hu- gues de Saint-Cyr & un Michel de la la Tour font les feuls dont on con- noiiTe le nom. La plupart de ess hif- toires font probablement leur ouvra- ge. Ce qu'il y a de tres-sur, e'efl: que les vies de Noftradamus , comparees a celles-ci , ne doivent paffer que pour un recueil de fables , audi defec- tueux par le fond que par la forme. Cependant j'obferverai plus d'une. fois que les hiftoriens provencaux ne font point eux-memes a Pabri de tout reproche. L'hiftoire exige des qualites qui leur manquoient ; non-feulement afTez de lumieres pour apprecier les bruits publics & les relations douteu- fes , pour dilcerner le vrai & le faux , le vraiiemblable & le chimcrique , enfin pour ne porter que de lolides jugemens ; mais encore une feverite de gout qui , fans negliger l'elegance, rejette hs ornemens fuperflus ; qui d iij fxxviij Discours dedaigne le frivole & s'attache a l'e£ fjntiel ; qui tienne le milieu entre une-precifion seche & un infipide ver- biage.- L'efprit romanefque fe decou- vre dans ces ecrivains. lis aiment a orner une aventure , a en faire dialo- guer les perfonnages , & peut-etre a y repandre du merveilleux. Par-la ils infpirent quelque defiance. On veu« une hiftoire : on craint de ne lire qu'un ro.rian. Au refle , ces defauts ne regardent que certains details. Plufieurs averrtu- res des troubadours , en apparence in- croyables, font confirmees par leurs pieces mcmes. Le romanefque des idees influoit beaucoup dans la con- duite, 8c ce qui fcroit abfurde aujour- d'hui paroiffbit a peine extraordinaire, alors. Sans doute , Phiftorien fait par* ler fcs perfonnages comme il lui plait: lews dialogues font a lui ; mais ces i — ii» * Voyez. fon ouvrage intitule Delia Volga?, foefa , imprimc en 1730 , yol, 2. lxxxij DlSCOURS Palaie, pour triomplier des obflncles qui one effraye ou arrete les Italiens, malgre tous les avantages que leuf pays meme leur procuroit. Les troubadours eurent en AHe- rr.agne des imitatenrs , que M. Ie ba- ron de Zurlauben fe propofe de rirer de Pobfcuritc. II a trouve dans la bibliotheqne du Roi un manufcrit , contenant les chanfons tudefqucs de cent quarante poetes , depuis la fin du douzieme fiecle jufques vers Tan 1330. L'empereur Henri VI , rinfortuni Conradin flls de Frederic II , un roi de Boheme , plufieurs autres princes , eledeurs , dues , margraves , &c , font au nombre de ces poetes , ainfi que des prelats & des moines, Cha- que chanfon eft precedee de quelque peinture : on y voit des lieges , des toumois , des chatTes , des em bid nes , avec les armoiries des troubadours allejiwns. M. Ie baron de Zurlauben * P Pv E L I M I N A I 11 E. lxXXilj dans un memoire lu en 1773 a PAca- demie des Belles lettres , a deja don- n6 des extraits de leurs pieces ; & il fait efperer une notice complette , qui rdpandroit un grand jour fur l'hiftoire litteraire du moyen age , fur les genea- logies & les armoiries des plus an- ciennes maifoasde 'Empire. Ce monu- ment paroit digne de fon zcle pour la litterature. NOTE, Voici la Me des manufcrits proven^aux dont les recueiJs de M. de Sainte-Palaie conticunent les copie* ; (avoir , 4 de la bibliotheque du Roi , i d'Urfe, 1 de Lancelot , T d<» Caumont , j du Vatican , % dc Saibante ou Vatican > Jxxxlv Disc, p r '$ tun n &i i Barberini, i de l'Ambroifienne de Milan; z de Saint-Laurent de Florence; 2 Riccardi de Florence, j de Modene. Fin du Difcours preliminairs. Mv&¥ TABLE D ES ARTICLES Contenus dans ce premier Volume* AvERTISSEMENT, pagev Discours prcliminaire , page xiij Guillaume IX, comte de Poitou &' due d' A quit aim, page i Bernard de Ventadouk, 18 Garin d'A pchier, 2$ Pons de Capdueil, 43 Richard I , roi d'Angleterre^ 5*4 Arnaud de Marveil, 69 Geoffroi Rudee, Sf Bernard -Arnaud de Mont- cuc, 27 P r E R R E R O G I E R S , I Oj» AZALAIS D E PORCAIR AGUES, } IO lxxxvj Table Pierre Raimond, i r 4 guillaume d e b a l a u n 3c Pierre de Barjac, ji e s Troubadours. <§ *jier. Uoccajion ne s'ojfre pas tens Us » jours j que rCen profit om-nous ? II fait- » droit Vemmener au logis, L'autre ap- » prouve & confent, Guillaume accepte *> la proportion par un figne. On arrive » au gite. Bon feu ; bon fouper. On fait » bien manger le muet , & il bok a I'ave- » nanr. On le mene enfuite a fa eh am- » bre ; on le fait metire au lit. Les deux » dames avoient encore quelque inquie— » tude. S'il rfetoit pas aujji muet quil le; vfemble ., ou en ferions-nous ? Comment » s^afjurer de la viriti ? Elles fe regar- ds doient en revant. En fin elles iraagi— x> nent , conime par infpiration , de pren- » dre leur chat, de le gliflerdans le lit de- » ce pauvre horame , de l'y tourmenter ,, » de le rendre furieux. Le chat joue 6qs » grirles avec rage. Le muet , dechire de; = la tcte aux pieds, foutient cette epreu- » ve en heros , & jette feulement quel- » ques cris confus , propres a dilfiper. 3» tout foupgon, Cependant "on o'a pas. Av [10 Hist, l i ■ t t £ r a r r f » encore l'efprit tranquilLe.. La cruelld »epreuve eft reiteree; le muet la fubit » de nouveau avec la meme conftance*. » Alors les dames concluent qu'elles » peuvent fe fier a lui. a Lepoete termine ce conte par un envoi* it fon jongleur , qu'il charge de prefen- rer la piece aux deux dames, en les priant defapartd'exterminer leur maudit chat,. Quelle apparence qu'un prince ait eu« en voyage pareille aventure ?. Ce n'eft probablement qu'une fable , de. l'inven-. tion de Guillaume. L'Eunuque de Te- rence auroit pu lui en fuggerer 1'idee*- Mais nous regarderions comme un pro- dige , qu'il eut feulement connu ce poe— te» On feroit mieux fonde a croire que Palaprat , qui s'applaudiflbit , de noc jours , d'avoir change 1'Eunuque de. Te'rence en muet pour notre. theatre , a, profite de la piece du comte de Poitou, r connue en 1667 P 3r un ouvrage. da- Hauteierr.e s . des Troubadours, ii Deux autres pieces de Guillaume font a-peu-pres du meme genre. Dans Tune il fe rappelle fes bonnes fortunes j il en remercie Dieu & & Julien ; il ra- conte en particulier de la maniere la plus indecente fa victoire fur une fem- me du peuple. Telle etoit la dangereufe fuperflition de ces tems - la :- on invo- quoit le ciel pour le fucces des entre- prifes du libertinage ; & S. Julien etoit furtout le patron auquel on avoit re- cours. Dans la feconde piece, Guillaume femble faire le myfterieux fur fes aven- tures de galanterie : il n'en nomrne point ks heroines ; mais la pudeur n'en eft pas moins bleflee par les images. Le premier de ces morceaux fak mention expreffe des jeux-partis ou ten- fons j & du prix que remportoit le vain- queur. On appelloit ainfi des queftions que les troubadours agitoient pour fi- gnaler leurs talens. Lorfqu'un prince ou tin grand tenok cour pleniere , ils vs.- 12 Hist, litt£raire noient faire afTaut d'efprit fur ces thea- tres. La rnetaphyfique d'amour , fujet ordinaire des diiputes , leur fournifloit une matiere abondante. Des aflfemblees nombreufes excitoient la verve de nos poetes ; & Ton diftribuoit des prix a ceux qu'on en jugeoit les plus dignes. Cet ufage conduifit probablement a l'inftitation des cours d'amour , qui pro- poserent de pareilles queftions , & qui en devinrent les juges. Aucun trouba- dour n'a parle de ces tribunaux de ga- lanterie , quoique leurs pieces foient pleines d'allufions aux ufages de leur terns. Ainfi les jeux-partis ne fuppofent point l'exiftence des cours d'amour ; & Cazeneuve paroit fe tromper , en les foutenant beaucoup plus anciennes qu'on ne la cm jufques ici *. Quatre autres pieces du comte dePoi- tou ne renferment que de la galanterie* * De 1'orlg, des Jeux Floraux, des Troubadour?. 1$ Une dame qu'il aime rejette fes vceux : il l'aimera toujours. II jure par le chef de S.Julien, qu'il mourra s'il n'en obtient un baifer ; du moins fes rigueurs l'obii- geront de fe taire moine. II n'eft plus , dans la huitieme piece, cet amant fidele : c'eft un homme qui ne rient fortement a aucun objet j que nul evenexnent n'affecle d'impreilions durables; dont l'humeur volage n'ad- met que de Iegers attach emens. Lex fees j ajoute-t-il , Vont ainfi conftitue. Nous ne connoiflons pas de temoi- gnage plus ancien fur les fees ; &, fans doute , elles failoient peu de fenfation , puifque les troubadours n'ont point du. tout proflte des resources qu'elles pou- voient fournir a la poefJe. La neuvieme piece eft d'un ton de- vot , tout oppofe au caractere de Guil- laume. II fe difpofoit apparemment a partir pour la premiere croifade, ou il fut entraine par le torrent de l'enthuu- f *4 HlST. LITThAIRE fiafme. II dit adieu au Limoufin , aus Poitou, a la chwalerie quit a tant aimtz* aux vanites mondaines qu'il defigne par les habits de couleurs & par les belles ehauflures. Ce dernier adieu fe concoit ; car les croifes , fuivant Otton de Frifin- gue "*, devoient renoncer a la parure , aux ehiens & aux oifeaux : mais 1'adieu a la chevalerie eft d'autant plus etran- ge , que les croifades lui ouvroient une carriere digne d elle , & de les idees 6c de fes pencharcs. Guillaume ne la confi- dere iei que du cote des fetes , ou des plaifirs : c'etoit un peu degrader Fecolej de rhero'ifme. R confie la garde du Poi- tou au comte- d'Anjou fen eoufin , le. priant , ainfi que le roi dont il tient fori fief, de defendre fon fils encore en*- fant , contre les entreprifes de fes voifins & de fes vaffaux. Enfin il demande pai> don a tous ceux qu'il peut avoir offen- ,* £>e gejl, Frider. J» c B 3 ••%. i>es Troubadours. r£ fis ; il fe jette entre les bras de Dieu , 8c implore , dit-il , fon fecours en latin & eu roman. ( Le mot toman fignirioit la langue vulgaire. ) Voila une forte de tefiament poeti- que bien ferieux. Guillaume , quoique jeune encore , eprouva fans doute ces premieres impreffions de penitence a qu'excitoit par-tout la croifade. On ne parloit que d'expier les peches par la- guerre fainte : on ne voyoit que tranf- ports de componction lugubre , qu'i- mages de mort & de martyre , melees aux efperances de victoire. Mais ce pieux delire , ( car les cerveaux etoient- echauffes , & les eceurs tres-peu conver- tis) laifTa bientot le champ libre au natu- rel & aux pallions; L'entreprife de Guiilaume I X fat; malheureufe ; & le prieur de Vigeois- dit que ce fut en parti e fa faute *'. On » — ....... ■ . i — - i . i -«- * Ct:J}.>i Dei per FrjjtCQS^ 1 6 Hist, litt^raire n'aura pas de peine a" le croire , fi for* refle'chit fur les exces & les impruden- ces des croife's, De retour en fes etats ,. vers la fin de Tan 1 1 02 , il chanta les fatigues, les dangers, les malheurs de cette expedition , dans un pocme que nous n'avons point. Sa gaiete natu- relle y refpiroit, felon Orderic Vital , malgre la triftelTe d'un fujet fi propre a feteindre. II y fema des plaifante- ries qui peignoient fon cara&ere domi- nant. On remarque dans les vers de cet illuftre troubadour , une facilite , une- elegance & une harmonic , dont les- premiers effais de l'art ne paroiifent point fufceptibles. Crefcimbeni le re- garde cependant comme le plus ancien des poetes provencaux *. C'eft , a la verite le plus ancien qu'on connoiiTe ;. mais le fuppofer le premier de tous , ne. * IJior* d&lU vol^ar Foefij*, des Troubadours. 17 feroit-ce pas dire qu'un art ing«nieux s'eft perfe&ionne en naiflant ? Jean Noftradamus , dont nous avons les Vies des Troubadours , pleines de bevues & d'erreurs , ne fait pas mention de Guillaume IX. Les auteurs italiens qui ont ecrit fur 1'origine de la poefe vulgaire, ont egalement ignore fes pie- ces. Parmi les auteurs francois , Haure- ferre touloufain en a parle le premier : il en a publie deux , conformes au texte de nos manufcrits, a quelques variantss pres. * T i8 Hist. litteraire , »!— *- = &$£- — * i _-= =•% I I. BERNARD DE VENTADOUR. JLj a vivacite & la delicatefTe du fenti- naent , la beaute des images , la naivete du ftyle , la facilite d& la verification , diftinguent avantageufement ce poete, dont Petrarque a fait mention avec elo- ge *. Sa naiflance obfcure ne 1'empecha point de briller dans les cours. Quoique le peuple alors ne fut prefque rien, les talens poetiques fuppieoient a la nobleffe dans nos provinces meridionales, ou tout autre talent litte'raire etoit , comme ail- leurs , enfoui & fans exercice. Bernard naquit au chateau de Ventadour , en Limoufin. Son pere etoit un domeftique charge du four. Une figure intereiFante , un caractere aima- * Trlomphe d'Amour ? c. 4« ess Troubadours, ip ble , & fans doute les faillies d'un efprit vif & precoce, fixerent fur le jeune Ber- nard l'attention du feigneur. On prit foin de fon education : la culture eut tout le fucces poflible. II etoit courtois & bien appris : il favoit compofcr & chanter* Ces expre'Iions provencales renferment un grand eloge , pour le terns ou vivoit notre poiite. Son feigneur etoit Ebles II , vicomte de Ventadour , dont le fils mourut au Mont-Cailin en 1170*. Lachronique de Vigeois le furnomme le Chanteur ,• elle dit qu'il aima les chanfons gaies jufques dans fa vieillefTe , & que les fiennes lui attirerent la faveur de Guillaume , due d'Aquitaine & de Poitou. Cette chroni- que rapporte fur Ebles & Guillaume un fait curieux , qui peint les mceurs du fiecle , & la fac^n dont les feigneurs ♦vivoient dans leurs terres. Nous ne le ►— ■ — ■ — 1. ■ ■■ 1 ? Balufe , Hiili de Tulles, p. 1464 20 Hi ST. LITTFRAIRE croyons point deplace ici, quoique etrart- ger a Bernard. II interefle en general l'hiftoire des troubadours ; & on doit la regarder en partie comme 1 hiftoire des moeurs antiques. Voici le fait , tel qu'il eft raconte, ( page 322. ) Un jour , Ebles de Ventadour vint a Poitiers, & entra dans le palais , tandis que le comte etoit a table. Celui-ci or- donna de preparer vite a diner pour Ton hote. On fit de grands apprets : il fallut attendre. Ebles s'impatientoit fans dou- te de la lenteur du fervice. » En verite y » dit-il , un comte de votre importance » ne devroit pas etre oblige de renvoyer. » a fa cuifine , pour recevoir un petit 3f> vicomte comme moi. « Cepropos tom- ba. Mais quelques jours apres , le fei- gneur de Ventadour etant retourne dans fon chateau , le comte de Poitou y arri- va , fuivi de cent chevaliers , a 1'heure du diner. Le vicomte fortit de table , le doutant bien que Guillaume avoit voulu des Troubadours. 2 i le furprendre , & fe venger du propos qu'il avoit tenu. lis etoient enfemble fur le ton de la plaifanterie. Apres les pre- mieres civilites de reception , Ebles dit froidement a fes gens de donner a laver. Auflitot la table fut couverte de plats en fi grand nombre,qu'a peine auroit-on vu rien de pareil aux noces d'un prince. Heureufement c'etoit jour de foire a Ventadour : tout ce qui s'y trouva de volailles & de gibier , les fujets du vi- comte s'etoient emprefTes de le porter au chateau. Ce ne fut pas tout. Sur le foir , un payfan , a l'infgu du feigneur , entra dans la cour avec une charrette trainee par des bceufs , & cria de toute fa force : » Que les gens du comte de Poi- » tou viennent apprendre comment on » donne la cire chez le vicomte de Ven- » tadour. k II coupa enfuite les cercles d'un tonneau dont la voiture etoit char- gee. On en vit forth" une quantite pn> digbufe de pains de cire blanche , qu'il h.2 Hist. liTt^raihS laifla fur la place comme chofe de pe\t de valeur : puis il s'en retourna. La chronique ajbute que le vicomte, pour rccompenfer un homme qui l'avoit fi bien fervi , lui donna en propriete le lieu de Malmont ou il demeuroit ; & que les enfans de ce payfan furent de- cores du baudrier de chevalerie. Les ano- blhTemens font done plus anciens qu'on ne Timagine. Nous en verrons d'au- tres preuves dans l'hiftoire des trouba- dours. De tout terns , la vanite fut un des grands mobiles de la vie humaine. Les princes , les feigneurs fe piquoient alors d'une hofpitalite louvent plus faftueufe qu'utile : lis vouloient briller par la pro- fufion. Leurs fujets fe fai'oient un point d'honneur d'y concourir: des diftinclions flatteufes pouvoient devenir aifement une amorce, pour en tirer de grands fa- crinces. £leve dans cette maifon brillante , i>Es Troubadours. 231 avec un talent propre a l'y rendre eher & recommandable , Bernard y trouva un ecueil ou les troubadours echouerent ordinairement. Agnes de Montlucon , femme du vicomte Ebles , etoit jeune , belle , vive & enjoue'e. Elle fut bientot l'objet unique des chanlons du jeune & tendre poete. L'admlration l'infpira d'a- bord ; un autre fentiment ne tarda guere a l'animer. Le progres de Tamour fe developpe dans fes vers. » Je ne puis , ■» dit-il , me cacher le trouble de mon y> ame ; mais en feignant de chanter & » de rire , je faurai du moins le cacher a » ceux qui m'obfervent. <* II chanta en efFet , tantot le retour du printems , qui rend aux arbres leur verdure, aux prairies l'email des fleurs, au roilignol lharmonie de fa voix ; tan- tot la puiflance de l'amour, les douceurs & les dangers d'un attachement , 1'in- fidelite ou l'indifcretion des hommes , l'inconftance &: les caprices des fejnmes, *4 Hist, litt^raire Vains efforts pour deguifer fa pafllont Il fentit que ce n'etoit qu'un moyen de l'entretenir , & que l'amour feul dictoit ies vers. C'eft ce qui lui fait dire en di- vers endroits : » Les bonnes chanfons » nailfent toutes du cceur. Mais le cceur, ^quipeutl'animerjficen'eftl'amour?. . . » La joie qu'enfante l'amour me penetre, » & pafle dans mes chants pour les embel- » lir. Pourquoi s'etonner du fucces qu'ils » ont dans le monde? Celui qui aime plus » doit auffi mieux chanter. « S'elevant enfuite contre les faux amans, il paroit fe plaindre a la providence, de ce qu'elle ne leur a pas imprime un caraclere diftin&if. Une corne au milieu du front , c'eft la marque a quoi il vou- droit qu'on les diftinguat. Otez la cor- ne, aujourd'hui ridicule, vous retrouvez la penfee d'Euripide fi bien rendue par Racine : Et ne devroit-on pas a des Agnes certains, Reconnoitre le coeur des perfides humains ? u Des Troubadours. $.$ Le refpect, la crainte de deplaire , ter noient depuis long-tems fa langue cap- tive. Enfin , il oia parler ; & il ne trou- va dans la vicomtefle que du mepris. De-la ces plaintes d'un amant paffionne, eparfes dans fes chanions : » Je ne con- » nois l'amour que par les inquietudes » qui m'agkent; mais ces inquietudes me » font cheres. Non , je ne changerois » pas mes tourmens pour tous les biens » que de'firent les hommes. Amour , fi » tes peines ont pour moi tant de char- s' mes, que dirois-je de tes plaifirs ! Ah ! » fais que j'aime toujours , meme fans » etre aime *. « Dans une autre piece : » Tandis que » les annees ont des variations regulie- » res , & qu'une faifon fait toujours pla- » ce a une autre , je languis conftam- . . — . ■) * Roufleau dit aufTi : Du moins , Amour , fais-moi bailler cedule D'.iimer toujours , mane fans etre aime. Tome I t B 5.6 Hist, litteraire ?> ment dans le merae etat ; foupirant fans » cefTe , jamais ecoute. Que fert 1'amour, » quand il n'eil: pas reciproque ? Je pa- r> rois gai , & j'ai la mort dans le cceur. y* Vit-on jamais faire penitence avant le » peche ? Je ne chanterai plus ; je m'e- » loignerai Pviais non ; ma conftan- » ce touchera peut-etre ceile que je » veux fuir. Si j'obtiens ce bonheur , » j'eprouverai ce que dit la Bible : Quen » bonne aventure j un jour vaut bien cent. « Le pocte profane ici fcandaleufement un paflage de David : Dies una in atriis tuisfuper millia. Nous verrons plus d'une licence pareille , tres-propre a caracce'ri- fer f efprit du fiecle. Ailleurs, il s'exhorte a la perfeverance par l'exemple de l'eau , qui 5 tombant goutte a goutte fur une pierre , vient a bout de la percer ; belle image qu'on trouve dans Lucrcce & dans Ovide , mais que tout homme d'efprit peut tirer de fon propre fond. des Troubadours. 27 Enfin , affis un jour aupres de la vicomtefle , a l'ombre d'un pin , il en regut un baifer. » Alors il ne vit plus, n n'entendit plus, ne fut plus ce qu'il faifoit » ni ce qu'il difoit. (C'efc la peinture qu'il fait lui-meme. ) » On etoit au fort de 1 hi- t> ver ; & il fe croit au mois de mait » Les pres lui femblent couverts d'une » riante verdure ; la neige devient poun » lui un tapis de fleurs; & l'hiver fe trans-. » forme en printems. « II comparoit le baifer qu'il avoit regu a la lance d'Achille , feule capable de guerir les blefTures qu'elle avoit faites. Voiia un trait d'erudition, fingulier dans un troubadour. On ne croira point qu'il i'ait emprunte du grec. II connoifloic apparemment , & c'etoit beaucoup , le diftique d'Ovide , faifant allufion a la fable d'Achille & de Telephe : Vulnus inHerculcO qti>e quondam fecerat ha/la } Vulneris auxilium Delias hajla tulit. Remed. Am. L. I. v. 47* 13 ij 2S Hist, litteraire Bernard touchoit a la fin de fon bon- heur. Sa referve 3c fa difcretion l'avoient garanri de la medifance. L'objec de tou- tes fes ehanfons n'etoit nomme dans au- cune , julqu'a celle ou. il parle du bai- fer. Auparavant les noms feints de Bel- refer & d'Arinan rendoient le myftere impenetrable. Mais , foit qu'un premier, devoir viole en fafle fucceflivement vio- ler d'autres , foit que le fucces d'une paf- fion enhardiffe & aveugle egalement , il eut l'imprudence de nommer la vicom- 1 teffe. Ce ne fut pas fans precaution ; car la piece dont il s'agit ell: fort obfcure , quoiqu'en general le ftyle du troubadour ait une grande clarte. Le vicomte foup- conna neanmoins le fecret fatal , & fe livra au reflentiment. Doit-on lui appli- quer une chanfon de Bernard , ou il exhorte une femme qu'il ne fauroit plus voir, a fe venger d'un mari jaloux qui la maltraite , qui la bat ? Un feigneur pouvoit etre capable alors de cette bru- des Troubadours, i$ talite. Tout ce que nous favons , c'eft qu'il fit garder etroitement la vicom- tefTe , & qu'il chaffa le poete , avec de- fen fe de demeurer meme fur les terres du chateau. L'infortune troubadour n'emporte que la confolation de laifler , comme il dit , fon coeur en otage a la dame qu'il veut aimer toute fa vie. Cependant il lui echappe des plaintes contre elle , dont nous ignorons la caufe ; mais fon amour n'en eft pas moins vif, On le voit dans une piece d'adieux a fes amis , ou em- ployant une expreflion d'Ovide , il leuc fouhaite le bon-jour, quil napas*. Cette piece eft adreilee en Provence ; nom commun a toutes les provinces meridio- nales , & par confequent au Limoufin. Un poete, tel que Bernard , ne pou- voit guere manquer d'afyle, en un fiecle d'enthoufiafme pour la poefie galante. * Quam non habet ilia falutem. Biij 3 o Hist, litter a ire II en trouva un a la cour de la duchefie de Normandie , Ele'onore de Guienne , qui , apres le divorce de Louis VII , avoit epoufe en ny2 Henri, due de Normandie , depuis roi d'Angleterre , Henri II [ 1 1/. Cette princeffe, trop connue par fes galanteries , accueillit le troubadour avec une bonte pleine d'eftime & de confederation. II ofa bientot foupirer pour elle. Quoique le langage de l'a- mour ne fut fouvent qu'un jeu d'ima- gination ou d'efprit , il paroit vraiment ferieux dans Ies chanfons ou Bernard celebre Eleonore. Ce qu'il appeloit la tyrannic du rang . etoit peu capable d'en impofer a Ton cceur. Une piece , adreflee directement a la princeffe , le peint embrafe d'amour pour une dame , a qui il n'ofe le dire , parce qu'elle dedaigneroit des vceux; •— 1 — . i r . * Voyez 3a note k h fin de I'ardcle. des Troubadours. %1 indignes d'elle : mais fi la timidite l'em- peche de declarer fes fentimens ; fa foi- blefle ne lui permet pas audi de les fur? monter. » J'aimerois mieux , dit-il aiileurs, * mourir du tourment que j'endure, que » de foulager mon cccur par un aveu » temeraire. Elle m'a permis , il eft vrai , » de lui fane telle demande que je vou- » drai ;(ou, felon le langage de nos ro- => manciers , de demander un don. ) Mais » j'aurois a lui faire une demande de fi x haut prix , qu'un roi ne devroit point » la rifquer. Cependant elle approuve » que je lui ecrive , & elle fait lire. « (Savoirlire n'etoit pas un merite com- mun parmi les grands.) Plufieurs autres pieces font pofterieu- res , fans doute , au depart d'Eleonore pour l'Angleterre. Alors fe felicitant d'urt choix a jamais glorieux pour lui , le pocte s'attendrit au fouvenir de fa dame qui n'eft plus en France. » Que ne Biv '52 Hist, litter a ire » puis-je fendre les airs comme fhiron- » delle , & porter mon cccur , chaque » nuit , aux pieds de celle a qui j'offre de » loin mes chanfons ! ^ II dit encore : » Eloigne de ce que * j'aime , je m'occupe de Ton image gra- ss vee au fond de mon cccur. Tous les » matins , le roffignol me reveille en » chantant fes amours : il me rappelle » les miennes ; & je prefere de fi douces » penfees au plaifir du fommeil. « L'en- voi eft pour Hugonet , fon ami ou jon- gleur , qu'il prie de chanter fes vers a la reine de Normandie. Par un autre envoi , il charge fon mef- fager de pafler la mer avec fa chanfon , & d'annoncer a fa dame que bientot il l'ira voir. » Ce fera , dit-il, avant l'hiver pro- s' chain , pourvu que j'en obtienne la » permiilion du roi d'Angleterre & due » de Normandie , en faveur duquel je • fuis tout enfemble Anglois & Nor- » mand, « des Troubadours. $$ A en juger par quelques endroits de fes pieces , la princeife n'avoit pas dedai- gne les vceux de ce temeraire amant : Quel puiffant motif pour l'attirer en Angleterre ! » Le vent qui en vient , » dit il , apporte.a mes fens tous les par- se fums du paradis. « Nous ne voyons pas cependan: qu'il ait execute fon projet. De la cour de Normandie , il pafla a celle du bon comte Raimond de Touloufe, & y demeura jufqu'alamort de ce prince en 115)4. C'etoit Ray- mond V , celebre protecteur des trou- badours *. La vraifemblablement fluent compo- fees celles des chanfons de Bernard , qui n'ont point rapport aux deux principa- les circonftances de fa vie. Tantot il fe depeint plus heureux qu'auparavant dans les amours ; tantot il fe plaint d'avoir ete facrilie a un rival. Il dit d'une per- * Voyei Hill, du Languedoc, t. 3. By 54 KlST. LITTEKAIRE fide maitrefTe , que ne pouvant fe refoir- dre a ne plus l'aimer, il dilTimuiera pour tacher du moins d'en conferver la moi- tie; quoiqu'en acceptant ce partage, il s'expofe a etre traite de cornard. Ce mot rres-ancien , comme Ton voir , s'ap- pliquoit mcme aux amans. Au fujet de la meme femme , il dit ailleurs que , venge de fa perfidie par 1 inconftance du nouvel amant qu'elle avoit pris , il eft refolu de la quitter , d'autant mieux que YefpJrance bretonne degrade un feigneur , & le fait degensrsr en e'cuyer. La diftance d'un feigneur ou chevalier a un ecuyer etoit done fort confiderable. Quant a Yefperance bre- tonne j expreffion commune des trouba- dours , e'etoit une efperance vaine, com- paree fans doute a celle des Bretons pour le retour du grand Arthur , far qui on racontoit tant de fables. Outre une cinquantaine de chanfons de Bernard de Ventadour , nous avons D E S TROUBADOUfif. ^ ' j* de lui deux tenfons ou jeux-partis , ou. il eft interlocuteur avec Peyrols. Dans la premiere tenfon , Peyrols lui demande „ Comment il pent refifier a la voix ' du rof. fignolj qui C invite a chanter. — Vaunt mieux dormir , repond-il ; V amour eft une folk done je fuis gueri. Dans la feconde, il demande a Peyrols ; Pourquoi il a ete ft long - temps fins faire de chanfons ? — C'ejl j re'pond l'autre , quon nz chants, bien quetant amoureux ; &" je m is fuis plus. Bernard replique : Si cela rend muet j faurois perdu la voix dtpu.ii plus d'un an. Une feule piece nous ofrre quelque chofe d'hiftorique. E'i ; e eft adreiiee a Jeanne d'Efte *. Lc poete y exhorte 1'empereur Frederic I a faire repentk les Milanois de leur revoke , & a pren- dre garde qulls n'aient le deflus. La- * Jeanne d'Efle ne fe trouve point dans Je;;. Tables gcncalogujues de la maifbn d'Efl», pan M. de Chazot, £6 Hist. litt^rAire comte de Touloufe entretenoit des liai~ fons avec Frederic : c'eft etoit affez pou* que Bernard fe declarat partifan de rempereur. Celui-ci fe vengea en effet j car Milan fut pris & rafe en 1 1 63. Plufieurs noms illuftres fe trouvent dans une piece , ou le poete abjure Ta- rn our. » II n'efr. reine ni ducheHe qui » put me tenter. Je refuferois a la com- » teffe de Provence , a la dame de Salu- » ces , & a fa charmante fceur Beatrix » de Viennois , &c. « Peut-etre ne vou- loit-il qu'amener I'eloge de ces dames ; peut-etre degoute en effet des paflions > formoit-il deja le projet d'une retraite religieufe. Qu'un poete galant & homme de cour eut fini par fe faire moine , on ne doit pas s'en etonner, puifque des prin- ces vicieux en donnoient fouvent l'exem- ple. Apres la mort de fon protedeur Raimond V , il fe retira, non au mo- naftere de Montmajour 3 comme le dit des Troubadours. 37 Noftradamus , mais a l'abbaye de Dalon en Limoufin. Nos manufcrits lui attribuent une piece qui paroit avoir ete cornpofee en Svrie , & dont l'auteur vouloit em- ployer les tournois , pour plaire a fa maitrefle. Nous ne la croyons point de Bernard : rien ne peut faire conjecturer qu'il ait ete en Afie. NOTE SUR LA DUCHESSE DE NoRMANDIE. [ 1] L'auteur provenqal de nos vies manufcrl- tes dit que Bernard alia trouver la duchefle de Normandie , & que Henri roi d'Angleterre > 1'avant epoufie , l'emmena de Normandie en Angleterre. II auroit du dire que Henri , qui l'avolt epoufee etant due de Normandie , i'em- mena en Angleterre lorfqu'il eut fuccede au rot Etienne. Noftr; : .damus & fes copiftes ont pris Richard pour Henri 1 1 , en parlant de la duchefTe de Normandie. L hiflorien du Lan- guedoc , d'aiileurs fi iudicieux & fi exact, ell tombc- dans la meme meprife : perfiiade qu'il s'agilToit d'Aiix de France , filie de Louis VII 5 3 8 Hist, litter a ire qui cpoufa Richard d'Angleterre. Mais Richard n'etoit point due de Normandie ; & la princefie auroit du ctre nommee duchefte de Guienne*. La caufe de ccrtc mepriie eft que 1'auteur pro- vencal , pariant de la duchefTe de Normandie , dit qu'elle croit tr'es - jeune ; ce qui oaroit ne pouvoir convenir a Eleonore. Pour refuter une pareille induction , il luffit feulement de remar- quer qu'Eleonore eut huit enfans de (on fecond marl. Elle pou voit done pafTer pour jeune quand elle l'epoufa. %e,$k?l des Troubadours, 552 s 3%£ ==%- 1 1 1. GAR IN D'APCHXER. JLj a maifon d'Apchier , qui fubfifte en- core , une des plus nobles duGevaudan, tire fon nom du chateau d'Apchier , fitue dans cette province. Elle a eu plu- lieurs Garins. Celui-ci vivoit fous Rai~ mond V, comte de Touloufe. Sa naif- fance le difKngue parmi les troubadours plus que Cqs ouvrages. G a r i n d'Apchier fut > felon nos manufcrits , vaillant & bon guerrkr^ bon troubadour > bon chevalier; ilfutbien faire V amour „ fore galant ; & poujfa la liber alite jufqua donner tout ce quil avoit. A en juger par cet eloge, il dut jouir d'une grande confideration. Nous ne trouvons cependant aucune particularity de fes exploits de chevalerie , ni de fes aventures galantes. Comme poete » il merite peu d'etre celebre. 40 Hist. litterairE On lui attribue l'invention du defcordj genre de compofition inconnu. Un glof- faire manufcrit francois & latin , qui eft a Florence dans la bibliotheque de Saint- Laurent , interprcte ce mot , d'une cer- taine diverfite & variation dans le chant* Nous n'en favons pas davantage. Cinq pieces feulement de Garin font parvenues jufqu'a nous ; toutes adreflces a Communal , fon jongleur, qu'il tourne grofTierement en ridicule. Ce vieux jon- gleur avoit la manic de faire le galant & le poete ; deux roles aufli peu compati- bles avec fon age qu'avec fon efprit. Le troubadour lui reproche dans une pre- miere piece , de chanter maufladement fes vers , qui lui font gagner du pain ; & ajoute que la comtefTe de Beziers-Bur- lats 1'exhorte a le conge'dier. Pique fans doute d'une reponfe du jongleur , il revient a la charge avec plus de fiel. » Mon Communal montre bien qus 3 DES TROUB ADO«URS. 4* » s'il pouvoit dire ou faire quelque chofe • pour me facher, il ne s'y e'pargneroit » pas. Mais jeuneiTe S: pouvoir lui man-' » quent; vieilleife & pauvrete l'aflicgent. » II n'a ni ami ni feigneur a qui il ne » deplaife , fi ce n'eft quand il debire mes » chanfons. Si je voulois le ruiner , je » n'aurois qu'a lui oter mes vers : il ne » trouveroit plus de table ou manger. » Aucun mari ne doit le craindre : on • peut lui permettre de faire le galant » aupres de telle femme qu'il voudra. Du » plus mediant morceau de bois , on » feroit un homme aufli bien tourne que » lui. II n'a ni peau , ni chair , ni cou- »leur, ni force, ni jeuneffe. Quel mari » pourroit etre jaloux de ce perfon- » nage? « II lui dit fur le meme ton , dans une troifieme piece : » Vos mauvais Jirventes » me font detefler vous & votre jongle- » rie. J'aimerois mieux entendre limer • des eperons , & chanter des faucons 42 Hist, litteraire » avec des coqs , que de vous enten- » dre. « Le refte eft un reproche gro flier, fur une jeune fille qui avoir, refufe Com- munal. Ces injures, prefque fans efprit , don- nent quelque idee & des mceurs du terns , & de l'etat de jongleur. Elles prouvent aulli qu'un jongleur obfcur, fe melant de verfifier , ofoit tenir tete a un noble troubadour. *?% W* #^ des Troubadours, 43 I V. PONS DE GAPDUEIL. I ons d e C A p d u e i l , rkhe baron dans le diocele du Pui , eft repreiente par l'hiftorien de fa vie , comme reunify fant a tous les avantages de la figure la valeur d'un bon chevalier , l'eloquence d'un beau parleur , les manieres d'un homme agreable & galant , le talent de compofer des vers , de chanter avec grace , & de jouer des inftrumens. L'au- teur provencal ne lui reproche que d'a- voir ete trop econome : ce qiCon auroit eu peine a crolrz ., dit-il > en voyant de quelle fag on il recevou compagnie &fefai~ foit honneur de [on bien. Les feigneurs brilloient & fe ruinoient par la prodigalite. Apparemment Cap- dueil vouloit briller comme les autres fans fe miner, & regloit fa depenfe do- ^.4 Hist. litt£raire meftique en proportion de ce qu'exi- geoient Ies depenfes extraordinaires. II ne feroit point etonnant qu'une fage economie lui eut attire du blame , dans un fiecle ou les execs attiroient l'admi,- ration. On ne dira guere d'un avare qu'il fait fe faire honneur de fori bien. Ce troubabour eut les veritables mceurs de la chevalerie. II rendit celebres fes amours , fans que la pailion parut l'entramer au-dela des bornes de la pu- deur. Azalai's , fille de Bernard d'An-- dufe , feigneur diftingue dans la march* de Provence [i] , & femme de Noifil de Mercosur, grand baron d'Auvergne, fut * la dame a qui il confacra fes hommages. Les fetes qu'il lui donna etoient comme autant de cours plenieres , ou accouroit en foule la nobleffe des environs , ou le fpedacle des joutes rendoit les alfem- blees plus brillantes , ou les deux amans etoient celebres par la poefie & la mufi- que, Le baron de Mercceur fe pretoit a des Troubadours. 47 'Ces de'monftrations de galanterie. On les fuppofoit done egalement nobles & irre- prochables. Un amour romanefque avoit toujours fee rafinemens : plus il etoit plein d'idees fantaftiques , plus il etoit fujet a des caprices bizarres. Apres avoir poflede long-tems les bonnes graces d'Azalai's, & les avoir cultivees par tant de fetes dont elle paroiiToit ravie , Capdueil foup- 9onne quelle ne l'aime qu'en vue de ces divertiffemens qu'il lui procure. Une fe- crete jaloufie le ronge & le rend injufle. Infenfible a toutes les preuves de predir lection qu'il recoit , il ne penfe qu'a eprouver un cceur ou il veut regner pat le pur amour. En effet , il fe retire en Provence , & affe&e de s' attaches: a la femme de Rofce- lin,vicomte de Marfeille[2].Il fe flattoit que la baronne de Mercceur , inconfo- lable de ce changement, lui temoigne- roit fes regrets , s'il etoit aime j & qu'a- 46 Hist. litt£raire lors il retourneroit avec joie lui faire fa cour. Sinon , il auroit du moins une preuve quelle ne l'aimoit pas. Mais il ne tarda guere a fe repentir de fon imprudence. Dcs que la baronne fut qu'elle avoit une rivale , fe croyant me- prifee , regardant fon chevalier comme un perfide, elle refolut d'oublier l'ingrat. Elle defendit de prononcer fon nom devant elle. Lorfque par hafard on par- loit de lui , un filence dedaigneux expri- moit fes fentimens. Enfin pour faire di- verlion a fon chagrin , elle fe livra aux diverthTemens de toute efpece. Capdueil attendoit en vain des lettres pleines de reproches amoureux. II vou- iut du moins etre informe par fes amis de fimpreffion que fa retraite avoit cau- fee. Leurs reponfes aigrirent fa douleur. Impatient de reparer fa faute , il revint dans fes terres ; il ecrivit a la baronne pour demander grace. Point de reponfe. II ecrivit de nouveau avec la plus hum- pes Troubadours. 47 ble foumiffion, demandant a fe juftifier, & d'ailleurs ne refufant aucune peine dont il feroit juge digne. Point de re- ponfe encore. Alors il envoie une chanfon pour gage de fes (entimens. » Vous n'avez vu que legerete & in- » conftance dans ma retraite ; mais il n'y » avoir qu'un execs d'amour. J'ai voalu » eprouver ce que produiroir fur vous » mon eloignement. J'ai eu tort de » croire cette epreuve necefTaire. Si mon » efprit s'eft egare , mon cocur vous a » toujours ete fidelle. Quelle douleur » pour moi , que vous n'ayez temoigne » aucun regret de ma bizarre fantaifie ! » Vous n'en etes pas plus avancee : car » rien ne peut me detacher de vous. « Il fe fache contre le miroir ou Azalais voit fa beaute, qui la rend fi fiere. A cette chanfon trop peu efficace, en fucceda une autre dans le meme fens , & egalement inutile. Notre malheureux 4^ Hist. litt£rair^ troubadour employa un meilleur moyen. II eut recours a trois dames diftinguees , dont la mediation & les inftances le firent enfin rentrer en grace. II jura de ne s'e- carter jamais du droit chemin de l'a- mour : fa ridelite fut en efiet hors d'at- teinte. Nous avons de lui vingt chan- fons que cette paflion lui infpira. Les petits details en font peu intereflans. La mort lui ayant enleve Azalai's , il la celebra dans une complainte, ou il dit que les anges font occupe's a la louer en paradh. La douleur penetre fon ame; i! n'a plus les mcmes defirs : il ne veut plus chanter, & renonce pour jamais a Tamour. Prive de l'objet de fa tendreffe , plon- ge dans une triftefle profonde , Capdueil devint elfeclivement devot. Il fe livra aux fentimens religieux , fi propref a remplir le vide que les parllons laiflent dans Tame. On fait que les malheurs de l'amour ont fouvent infpire le gout du cloitre. d e s Troubadours. 49 cloitre. Mais un chevalier trouvoit alors de quoi fignaler fa devotion , fans quit- ter le monde : c'etoit le terns des croi- fades. Non content de prendre la croix , le troubadour devint en quelque forte urt zele predicateur de la guerre fainte. Ii compofa pour cet objet deux poemes , ou nous trouvons quelques traits afTez remarquables. II dit que le vicaire de S» Pierre a en- voye par fes cardinaux & legats fabfo- lution , en vertu du pouvoir qu'il a recu de delier tous les peches du monde. En confequence , il preflfe bs chretiens d'o- beir aux exhortations pour lacroifade, & d'aller punir les outrages que les Turcs font aux faints lieux. Cette qua- lite de vie aire j au lieu de fuccejjeur de S. Pierre , fuppofe-t-elle une idee difFe- rente des notres, ou feulement une incor- rection du pocte?CeO: un probleme qu'il feroit difficile de reloudre parfaitement. Tome I. C yo Hist, litter airs On ne foupconnera pas dumoins,de fa part , un defTein d'aftbiblir le refpecl: pour l'autorite du pape. II affure qu'cn prenant la croix , les peclieurs fe laveront de leurs crimes , fans etre obliges cTcmbraJJer Vetat monaf- tiquz. II promet le £>aradis a ceux qui partiront , & menace de l'enfer ceux qui rederont. II n'excepte que les malades & Us vieillards : encore doivent-ils don- ner de l'argent aux croifes. Juiqu'ou alloient done les prejugeg fuperftitieux de ce fiecle! Marcher con- tre les Turcs , ou fe faire moine : voila , felon Capdueil , 1'unique voie de falut pour les pecheurs ! II faut courir en Afie , les armes a la main , pour eviter l'enfer & pour gagner le paradis ! Les malades feuls & les vieillards font dif- penfes d'une obligation , qui tend au malheur des families , , a la ruine des royaumesl On les oblige encore d'ache- jer cette difpenfe a prix d'argenti Ceft -tTEs Troubadours, ft ftinfi qu'une aveugle credulite entrainoit les hommes dans toutes fortes d'abimes. Enrin , le troubadour exhorte les rois de France & d'Angleterre a faire la paix, ajoutant que celui qui la fera lc premier en fera plus honore , & aura la couronne des cieux. II fouhaite audi que le roi de la Pouille & Tempereur vivent en paix jufqu'a la delivrance du faint fepulcre. Les guerres de Philippe-Auguire Sc de Henri II fcandalifoient l'Europe , qui ne refpiroit que la guerre fainte. Ces deux rois facrifierent leurs animofites en 1 1 8 8 , pour prendre la croix de concert. Tant l'opinion avoit d'empire , mcme fur les couronnes. Quant au roi de la Pouille, c'etoit Guillaume II , un das principaux appuis de la ligue formee en Italie con- tre rempereur Frederic BarberouiTe. Us eurent erifemble des difputes affez con-: fiderables , mais fans guerre de'claree. Pons de Capdueil ne dementit point Ci, $2. Hist. litteraire fes exhortations par fon exemple : il mourut dans la troificme croifade. Noftradamus , dont il faut relever fans celTe les meprifes, confond ce trou- badour avec un Pons du Breuil , que perfonne n'a connu , -& auquel il attri- bue un poeme fur les amours furieux d' Andre de France ; l'hiftoire ou le roman d'Andre de France , fouvent in- dique dans les poefies provencales» n'eft point parvenue jufqu'a nous. Le heros mourut d'amoUr pour fa maitrelTe: c'eft tout ce que Ton en peut dire de plus certain. Dans its additions de Crefcimbeni aux vies de Noftradamus, il eft parle de Pons de Capdueil conformement aux details que nous avons tires de nos ma- nufcrits. NOTES. [ i ] On appejolt alors marche ( frontiere ) de Provence , la partie du Languedoc qui confine des TroubadouJis, 5-3 a la rive droite du Rhone. On donnoit le meme nom a la partie du comte de Forcalquier , fituee iur la rive gauche. La rnalfbn des feigneurs d'Andufe etoit fort illu fire en L'.nguedoc. [ z ] Rofcelin , cinquieme fiis de Hugues- GeofFroi II , avoit ete rnoine de Sairtt- Victor. II quitta le cloitre , pour partager la vicomte de Marfeille avec Ces freres , & il epeufa vers i'an 1170 Adalafia, fa proche parente , que nos vies manufcrites nomment Audiarrs. Le pape Innocent III , d cclcbre par fes entreprifes con- tre les couronnes , Texcommunia , & voulut empecher les Marfeillois de lui obeir. Aprcs quelque rcfiftance , Rofcelin s'etant humilie , obtint l'abfblution. On lui permit d'adminiftrer fon domaine pour payer fes dettes ; apres q«ox il devoit rentrer dans le cloitre. II y rentra & y mourut. ( Hiji, dc Marfeille , L 3. p. 78.) *f"\* Ciij v 5"4 Hist, l i t t & r a i k e a . i <%£ -■■ ,■ < =% V. RICHARD I , roi d'Angkterre. i. eft: etonnant de trouver parmi les troubadours un roi , done les hiftoriens ne parlent que comme d'un guerrier fougueux, & d'un tyran avare & debau- che. Son role poetique eut , fans doute, peu d'eclat. Des talens fuperieurs dans un fouverain n'echapperoient point a l'hiJToire ; des talens mediocres lui echappent aifement, lorfqu'ils font cou- verts par de violentes entreprifes ou pax des acles d'oppreffion. Quoique Charles IX en France ait ecrit d'affez bons vers, on le connoit a peine pour un pecte ; mais le maffacre de la Saint-Barthelemi i'a rendu fameux. Richard , fils & fuccefTeur de Henri II, roi d'Angleterre, de la maifon d'Anjo'u-Plantagenet,avoitetefaitcomtQ des Troubadours. $$ tlePoitou en 1 174. Dans cette province, ou floriffoit la poefie provencale , il eut le terns de la goiiter , de la cultiver meme. Protecteur magnifique des trou- badours , il en attira beaucoup aupres de lui. En s'amufant de leurs compofi- tions, il apprit a les imiter. On ne peut dire cependant qu'il ait ete infpire par. 1'amour : ce fut plutot par la colere. Nous avons de lui deux fir ventes, qu'il compofa depuis fon avenement a la cou- ronne. Ces pieces ont paru en francois & en provencal : le francois probablement eft une fimple traduction. Nos vies ma- nufcrites & Noftradamus mettant Pvi- chard au nombre des troubadours, nous fommes fondes a croire qu'il ecrivit dans leur langue naturelle. Ses deux firventes ont un rapport curieux avec l'hiftoire , & fourniffent des particularitcs interef- fantes. Latroifieme croifade fut pour Richard une fource de malheurs. II y alia en C iv '5 6 Hist. litt£raire Tan i if) i avec Philippe Augufte. A fori xetour ,• 1'annee fuivante , apres des pro- diges de bravoure aufli fteriles que bril- lans , il fit naufrage fur les cotes d Iftrie. 11 continuoit fa route , deguife en pele- rin , par les etats de Leopold due d'Au- triche , lorfque ce prince It fit arreter. ;Une querelle qu'ils avoient eue au fiege d'Acre les rendoit ennemis implacables. Richard y avoit fait arracher & fouler aux pieds un drapeau de Leopold , que celui-ci avoit arbore fur une tour dont il s'etoit rendu maitre. Le due refpiroit encore la vengeance , & en faifit focca- lion. Henri VI, empereur, de la maifon de Souabe , n'etoit pas moins irrite contre le roi d'Angleterre 5 allie de Tancrede qui avoit ufurpe fur lui la couronne de Sicile. Il obtint de Leopold que cet illuftre prifonnier fut remis entre fes mains ; il le traita indignement , & ne le; laifTa libre - au bout de dix-huit mois. DES Tn 01TB AC OfJK s. S7 qu'a condition de payer cent cinquante mille marcs d'argent , dont le tiers leroit pour le due d'Autriche. Rien n'eft plus fingulierque la manie- re dont on decouvrit, avantcet accord a . le lieu ou Richard etoit emprifonne; s'il faut en croire ce que Fauchet raconte d'apres une ancienne chronique. Un me*- netrier, attache par interet a ce prince, ie cherchoit par tout en Aliemagne , slnformant de tout ce qui pouvoit le mettre fur les voies. On lui indique un chateau en Autriche , ou etoit un pri- fonnier de marque. II y vole. Arrive au pied de la tour , Blondc-1 ( e'eroit Is nom du jongleur) fe met a chanter une chan- fon francoife , qu'il avoit compofee au- trefois avec Richard. A peine a-t-il fini le premier couplet , qu'on lui repond de Ja tour en chantant le fecond. li recon- noic le roi a ce figne , & fe hate de donner avis d'une fi importante decou* verte aux grands du royaume. Vrai ou 5* 8 HltT. LITTISRAIRE faux , le trait n.erite d'avoir place ici parmi tant d'aventures extraordinaires. Pendant la captivite de Richard , foo ambitieux rival , Philippe Augufte, em- ployoit toutes fortes de rnoyens pour fa ruine. II fouleva contre lui Ton frere Jean Sans-terre ; il s'empara de plufieurs pla- ces de Normandie > quoique le.s poflef- iions , comme la perfonne des croiles ,. duffent paroitre inviolables. En mema tems , les vafTaux du roi prifonnier fe montroient fort peu zeles pour fa deli- vrance. Tant de fujets d'indignation lui dicterent en Allemagne ce (irvente , ou fon trouvera de la naivete & du cou- rage. » Nul prifonnier ne parlera jamais » bien de fon fort qu'avec 3a douleur » dans Tame ; mais , pour charmer fes * peines , il peut faire une. chanfon-, » Quoiqu'il ait aflez d'arnis, les pauvres » dons qu'il en recoit ! Ne doivent-ils x> pas iougir de m.e. lauTei , faute d& DE3 T K O U E A T> O U H S. j* j? » rancon , pres de deux ans dans les » fers v ? « » Or , qu'ils fachent , mes Barons , » Anglois, Normands , Gafcons & Poi- » tevins, que je n'eus fi mife'rable com- » pagnon don: je ne voulufle payer la » delivrance. Je ne pretends pas leur » faire un reproche ; mais je fuis encore » prifonnier. <* » II eft trop vrai, Jiomme mort rHa ni » amis ni parens ; puifque pour de l'or & » de l'argent on me delaifle. Je fourrre » de mes malheurs ; je fouftre encore » plus de la durete de mes fujets. Quels * Voici le texte provencal de cette premiere fiance : Ja nits horn prcs non dira fa raifon , Adreitanidiit fe com horn do lent non ,' JILi per conor t pot il fuire dianfon. Pro a d' amis , mus pours fan li don 9 Qnta i auron je por ma reeron •Si)i fait das yytr pris, Gvj 60 Hist, litt&raire *> reproches a leur faire , (I je meurs dans » cette longue captivite ! « » Mon chagrin ne m'etonne point. r> Le roi mon feigneur , jc le fais , porte y> le ravage dans mes terres ; malgre le » ferment que nous fimes pour la furete" x>. commune. Mais une chofe me raflfure: » non , je ne tarderai pas a brifer mes 30 chaines. « » Chanfonniers mes amis , Chail & » Penfavin *, vous que j'ai aimes & que » j'aime encore , chantez que mes enne- » mis auront peu de gloire en m'atta- » quant ; que je ne leur ai point montre y> jufqu'ici un cceur faux & perfide ; » qu'ils fe couvriront d'infamie , ( quits x> agiront en vrais vilains) s'ils me font la » guerre tandis que je fuis en priion. « » Comtefle Soir, Dieu garde votre » fouverain merite , & celle que je re- r> clame & pour qui je fuis prilonnier ! « * Deux poetes inconnus. des Troubadours. 6t ( Point de fituation ou il ne fallut un hommage a f amour. ) Richard ne fut pas plutot en Iiberte, qu'il voulut flgnaler fa vengeance con- tre Philippe Augufle. On prit les armes en u^y. De petites expeditions meur- trieres , fans evenement memorable , fe fuccedoient rapidement ; & faute de ref- fource , on etoit bientot oblige de les fufpendre.il y &ut une treve,par laquelle; Richard abandonne l'Auvergne a Phi- lippe , en echange du Querci : ces pro- vinces ayant leurs feigneurs immediats 9 les rois n'echangeoient que le haut do- maine. Selon notre hiftorien provencal , le dauphin d'Auvergne & le comte Gui, (on coufin , furent tres-faches d'avoir pour fuzerain un monarque ambitieux , dur & avide , tel que le roi de France* Une forterefle qu'il acquit dans la pro- vince , le riche bourg d'Iflbire dont il s'empara, leur prefageoient de nouvelles 62 Hist. litt£raire entreprifes. Richard , recommencant la guerre , cxcita fans peine leur relfenti- ment contre Philippe , & promit de leur fournir des armes & des chevaux , s'ils vouloient fe declarer. C'etoit les livrer a une terrible vengeance ; car il ne tarda point a conclure une nouvelle treve qui les privoit de fon fecours. Auffitot le roi de France fondit fur l'Auvergne , y mit tout^i feu & a fang-, Trop foibles pour lui refifter, ils obtin- rent une treve de cinq mois. Le comte Gui alia en Angleterre fommer Richard de fa parole. II n'en recut que des preu- ves de de'dain. It revint defefpcre , & fe foumit avec le dauphin aux conditions les plus dures. La guerre fe rallume entre les deux rois. Philippe Augufte previent fon en- nemi , en portant la devaftarion dans fes provinces. Richard paffe la mer ; folli- cite de nouveau le dauphin dAuvergne- &~le comte a embraflcr fon alliance , fie D E S T R O U B A D O U 11 S. 6$ ne pouvant les y engager , ecrit un fir- vente contre eux en ces termes : » Dauphin , & vons , comte Gui , » repondez-moi. Q-u'eft. devenue l'ardeuz » martiale que vous fites eclater , dans » notre ligue contre l'ennemi commun > » Vous me donnates votre foi ; & vous » l'avez tenue comme le loup * au re- y> nard , a qui vous reiTemblez par vos » cheveux roux. Vous avez ceflfe de me » fecourir , dans la crainte de n'ctre pas » bien paves de vos fervices ; car vous » favez qu'il n'y a point d'argent a Chi- » non ¥ *. Vous cherchez i'alliance d'un » roi riche , vaillant & fidele a fa parole* » Vous craignez ma lachete & ma le- » fine : c'eft ce qui vous jette dans » f autre parti. Souvenez-vous de l'aven- » ture d liloire. Etes-vous contens d'a- * Allunon a la fable du loup & du renard» Le loup eft appelle Wuijin dans le texte. * * Les fub/ides dsvoient (e pajer a Chinon en, To ur aine. Tcm ced eft line ironic Cq Hist. LiTrhAiRF » voir perdu cette place ? Leverez-vous » des foldats pour tirer vengeance de » l'ufurpation ? Quoi que vous falTiez , le » roi Richard , l'etendard a la main ,, » prouvera qu'il eft bon ennemi, Je vous » ai vus autrefois aimant la magnificen- » ce. Mais depuis , l'envie de conftruire. » de forts chateaux, vous a fait aban- » donner les dames & la galanterie. » Vous avez cefle de frequenter les » cours & les tournois. Gardez-vous des » Francois : ils font Lombards en affai- » res *. « 3> Va , firvente , en Auvergne , ou je » t'envoie. Dis aux deux comtes de ma » part , que s'ils veulent fe tenir en paix , » Dieu les beniffe.Qu'importe fiun horn- » me de peu manque a fa parole ? » Doit-on compter fur la foi d'un icuyer? * Le roi de France etoit accufe de perfidie par fes ennemis ; & les Lombards avoient mau<* vaife reputation en fait de probiie*. dis Troubadours. 6f * L'avenir apprendra qu'ils ont embrafle » un mauvais parti. « Des pareils morceaux feront toujours interefTans , avec leur fimplicite un peu groffiere. Quoique inferieurs aux dif- tours qu'Homere prete a fes heros , i!s n'en peignen: pas moins nature-llement les moeurs d'un fiecle comparable , en plufieurs points , aux tems heroiques de la Grcce. Et d'ailleurs le pocte eft ici le perfonnage meme de Taction ; ce qui donne un prix tout particulier a cette efpece de monumens. Le dauphin d'Auvergne etoit audi troubadour. ( Voyez fon article. ) II re- pondit par un firvente fur le meme ton : » Roi , puifque de moi vous chantez » 50 vous avez autli trouve" votre chanteur. « Vous m'infpirez tant de crainte , qu'il' » fauc bien executer tout ce qu'il vous » plaira de me prefcrire. Mais je vous » en avertis j fi vous laifTeZ; deformais 66 Hist, litteraike » envahir vos fiefs , ne venez pas cher- » cher les miens. Je ne fuis point roi » couronne ; je n'ai point aflez de ref- » fources , pour defendre mes domaines » contre inoti feigneur, puiflant comme » il l'eft. ?>Iais vous , que les perfides » Turcs redoutoient plus qu'un lion ; » vous roi , due de Normandie , comte » d'Anjou, comment fouffrez-vous qu'on » vous retienne Gifors*? a> Si je vous engageai ma foi , j'avoue » que je lis une folie. Vous m'avez don- so ne , & a mon coufin Gui 3 tant de che- » vaux valant mille fous d'or , tant 39 d'efterlings ** de bon poids ! Nos fol- 30 dats jurent de vous etre fideles , audi » long- terns que vous ferez fi liberal. * Philippe Auguile s'etoit empare de ce cha- teau important de Normandie. ** La monnoie d'Angleterre etoit en efler- lings , comme celle de France en livres tour- nois. De-la le nom de livres flerling. On lent I'ironie de ce morceau, t>Es Troubadours. 67 » Vous m'avez abandonne honteufe- » ment, lorfque de votre aveu je mon- » trois de la valeur. Vous m'accufez de » n'etre plus brave. Moi , je vous declare » que je le fuis encore affez , pour atten- ds dre mes ennemis de- pied ferme entre » le Pui Sc Aubuflbn , avec mes gens » qui ne font ni ferfs ni juifs. » Seigneur vaillant & honore , vous » m'avez fait autrefois du bien : fi vous » n'aviez change de conduite , je vous » ferois demeure fidele. Soyez tranquil- » le ; mon roi , qui eft le votre , me ren- in dra IlTbire. J'en ai fes lettres. Je fou- » haiterois votre amitie; mais l'exemple » du comte d'Angouleme m'en degoute. » Vous favez fi bien paye de l'lionneur » qu'il vous a rendu , vous avez ete fi » gener'eux a fon egard , que depuis il v ne vous a plus importune *. Roi, vous * Allufion a quel^us injufiice de Richard en vers le eomte d'Angouleme , Ion vafTal, 6S Hist, litt^raike » me verrez agir en preux chevalier. » L'amour d'une dame, dont j'adore les » volomes , excite mon courage. « Tel etoit vraifemblablement le ton ordinaire des querelles erttre les rois St les feigneurs. Le regime feodal les met- toit en quelque forte de niveau , parce quils y trouvoient un etat de guerre continuel. Les bravades d'un feigneur contre fon propre fouverain n'avoient alors rien d'etonnant; a plus forte rai- fon , contre un roi etranger > quand le feigneur avoit pour roi & pour appui un Philippe Augufte. Le fougueux Richard fut la vidime d'une contention particuliere avec ua gentilhomme limoufin , fon vaffal , qu'il vouloit obliger de lui eeder un trefor irouve dans fa terre. II afTiegeoit en i i peines que tu caufes , que dirois-je de » tes plaifirs ? « Nous avons vu cette derniere penfee dans Bernard de Venta- dour. Les poctes galans femblent n'etre fouvent que l'echo les uns des autres. Souvent auffi leurs temeraires amours aboutilfent aux memes infortunes. Le roi de Caftille ( Alphonfe IV ) , amoureux de la comtefle de Beziers , vit dans Arnaud de Marveil un rival dont il flit jaloux. Pour conferver le roi, Adelaide fut obligee de renvoyer le troubadour. Elle crut adoucir fon cha- grin , en lui defendant de l'aimer encore. » Mais , dit-il , puis-je obeir ? puis-je v meme le vouloir ? « Retire aupres du feigneur de Mont- pellier , dont la cour lui etoit ouverte , il y conlerve fa pailion , & en exprime les amertumes, Diij ^8 Hist, litteraike » Qu'on ne me dife pas que fame » n'efr. touchee que par l'entremife des » yeux. Je ne vois plus l'objet de ma » flamme : j'en fuis plus vivement occu- » pe du bien que j'ai perdu. On a pu » m'eloigner de fa prefence; mais rien ne » pourra rompre le nceud qui lui attache a> man cceur. Ce cceur fi tendre & fi » conltant , Dieu feul le partage avec » elle , & la part que Dieu en poffede , » il la tiendroit d'elle comme mouvante » de fon domaine , fi Dieu pouvoit etre » vaffal , & relever de fief. Lieux form- so nes quelle habite , quand me fera-t-il » permis de vous revoir ? N'apercevrai- » je perfonne qui arrive de ce cote-la ? » Un patre qui viendroit de fon chateau, » feroit pour moi un perfonnage d'im- » portance. Que ne puis-je etre confine »dans un defert, & l'y rencontrer ! ce 30 defert me tiendroit lieu de paradis. « Peu a peu la tendieffe de l'amant fe transforme en humeur fombre 3 & s'ex-- E> e s Troubadours. 7P hale en reproches amers. II aceufe ceux qui font devenus , de fes protecleurs j fes plus cruels ennemis ; celle qui a ete caufe de fes malheurs , & qui, loin de les repa- rer ., V abandonne fans pitie a la. rigueur d$ fon fort. II fe reproche a lui-meme de s'etre trahi par fon indifcretion , de s'etre vante du baifer fatal de la comtefle. En- fin , il ne dent plus a rien fur la terre j il 72 jy a plus d'amis , il ny doit plus rim aimer, Les egaremens de f amour conduifent quelquefois a la fageflfe , & apres avoir ete le jouet des paffions , on trouve dans fa propre experience une fource de lu- mieres pour foi-mcme & pour les autres, Un bon efprit, detrompe de fes erreurs, peutdevenir alors le meilleur maitre. II nous refte une derniere piece d'Arnaud, toute morale , d'enviroh quatre cents vers , qui femble avoir ete le fruit de cette efpece de metamorphofe. L'extrait en fera plus interefiTant que toutes les Div So Hist. litt£raire elegies galantes. Nous y verrons com™ bien les idees de vertu etoient encore imparfaites , ainfi que le gout. Dans un long exorde , (car on con- noifTok peu le merite de la precifion ) 1'auteur fait un devoir aux hommes inf- truits de communiquer leurs lumieres. II cxhorte enfuite a la crainte de Dieu ; & ici, du moins, la religion n'eft point avilie , quoiqu'il n'en tire pas fes princi- pes de morale. II enfeigne l'art de fe conduire dans le monde. Faire un jufte difcernement des bons & des medians; diftinguer les terns , les lieux conve- nables ou a la fagefle ou a la folie ; favoir fe venger des injures , & recon- noitre les bienfaits ; appliquer d'une maniere equitable le blame & la louan- ge : telles font les regies qu'il propofe apres fon pieux debut. II obferve que les fentimens d'honneur ne paflent pas toujours des peres aux enfans ; que la plus haute naiffance , jointe a la plus des Troubadours. 8i grande fortune , ne donnera pas le merite a qui manque des qualites du cceur. » La prudence , le bon efprit , la ge- » nerofite : voila , dit-il, les des de » 1 honneur. La richeffe , 1'autorite , la » puiffance & la force , en font corarae » la ferrure. La raifon garde les cles. » La fcience , telle qu'un meflfager, pu- » blie la gloire d'un homme de merite. » Mais le meme genre de merite ne con- » vient pas a tous. Celui dun chevalier » eft de fe bien battre, de bien conduire 3> une troupe , de bien faire fon fei*vice , * d'etre bien arme , de bien monter a » cheval, de fe prefenter de bonne grace v dans les cours , & de s'y rendre agrea- » 51e. Rarement toutes ces qualites font » reunies. On eftime le plus celui qui en =° a davantage : celui qui n'en a point, a> ufurpe le nom de chevalier. La beau- * te , la modeftie , le talent de bien par- kier,, les manicres nobles, i'air gracieux 3 $2 Hist, littkratre » font le partage des dames. Cert un » grand point que la beaute : cependant » elle fert de peu fans la fageflfe. Les » bourgeois peuvent acquerir de la con- as fideration par la probite, par un carac- al tere obligeant, par un fond de poli- sh teffe , de gaiete & de franchife. S'ils » ont une figure agreable , s'ils parlent » bien , ils peuvent plaire dans les cours , » faire les galans , etre admis dans les » fetes. Parmi les clercs , les uns ont le » favoir , l'eloquence & les belles manie- » res ; les autres , la bonte , l'integrite & » la bonne conduite. Ainfi, dans chaque » etat , on parvient a la confideration , » pourvu qu'on s'efforce de la meriter » par des fentimens honnetes. « Cette maxime conduit le poete a une invective contre les puiffans du fiecle x qui fe rendent dignes de me'pris par Tabus de leurs privileges. » Etablis- uni- » quement pour tenir le monde en paix., » pour donner l'exemple de la clemence^ des Troubadours. 83 * de la juftice & de la generofite; leur » corruption eft telle aujourd'hui , que » tous ceux qui en dependent font con- » damnes a l'oppreflion & a la fervi- 3> tude. « Peu d'hommes , fans doute , avoient le courage de dire cette verite dans une cour. La comtelfe de Beziers mourut vers Tan 1 20 j. Dans les pieces d'Arnaud de Marveil , il n'ert: point parle de cette mort; ce qui peut faire conjeclurer que le poete ne vivoit plus, quoique Noftra- damus le faffe furvivre d'une vingtain& d'annees. NOTE SUR LA COMTESSE DE B E 2 I E P. 5. [ i ] La comteffe de Beziers fe nommolt auffi comtefTe de Buriats , parce qu'el'e etoit nee & avoit ete elevee au chateau de Buriats dans- 1'Albigeois. Noflradamus l'appelle Alexide , au. lieu d'Adcla'ide. Le tradufteur de Marco Equx- cola a etrangement dciigure tou? les nomsv » Arnaud de Maruelles, dit-il , fut amouretw D vj $4 Hist, litter aire » de la comtefle de Eerlats , femme du comte » de Befles » & fille du comte Roman. « ( fol, ZS6. ) Notre vie manufcrite porte : » La comtefle- » de Be/.iers etoit fille du bon comte Ratmond » de Touloufe , mere du vicomte de Beiiers , » que ies Francois fuent mourir apres C avoir » pris a Carcajfonne. « Ces dernieres paroles confirment ce que dit l'hiftorien du Langue- doc , que Raimond Roger, vicomte de Beziers > fils de Roger II , ayant ete pris dans Carcaf 1 - fonne qu'il defendoit contre Simon de Monr- fort , mourut en prifon , & qu'on (bup^onna les croifes d'avcir avance Ces jours. i> e s Troubabouks. $5 V I I. GEOFFROI RUDEL vJTeoffkoi R u d e l , felon l'hifto- rien provencal de fa vie, etoit prince de Bla'ia ., c'eft-a-dire , de Blaye , pres de- Bordeaux. Un amour fingulierement ro- manefque le diftingue parmi les trouba^- dours. Ce que nous allons raconter pa- roitra fans doute un roman ; mais les Secies de la chevalerie ont produit des aventures auffi vraies que peu vrai- femblables. Nous examinerons fi le reck de l'hifcorien fe concilie avec l'hiftoire du tems. Tripoli en Paleftine avoir ete pris par les chreriens fan I io_o, & erigeen comtc pour Bertrand deTouloufe, fils du comte Raimond-Gilles. Cette ville appartenoit encore aux chretiens, lorfque larenom- icee. d'une comteife de Tripoli viat %6 Hist. eitt£raire echaufier rimagination de Geoffroi Ru- de!. Sur le portrait que des pelerins firent de fa beaute & de fes vertus , il fe fentit tranfporte d'un defir violent de la voir ; il prit la croix & s'embarqua. Malgre le filence de l'hiftorien pro- venial , 1'amour nous parolt avoir eu autant de part que la curiofite a ce pro- jet. On en jugera par trois chanfons de notre poete , pleines de la paifton la plus vive. » J'aime un objet que je n'ai point » vu, a qui je n'ai pu expliquer mes fen* » timens , ni demander Texplication des » fiens. Mais je le fais , parmi les beautes » farafines , juives , ou chretiennes , il » n'en eft aucune qui l'egale. ... * Cha- » que nuit , je m'endors plein de fori » image , & des fonges enchanteurs lo£- » frent a moi. Le re veil, helas! diflipe » cette illufion : je n'ouvre les yeux que » pour apprendre qu'il m'eft impoflible i» de la voir, Je me fouviens alors qu'elle DES TrOUBADOITRS, %f » habite une terre etrangere , qu'un ef- » pace immenfe me fepare d'elle. ....•- » Cet efpace , je le franchirai. » Mon voyage pourroit-il n'etre pas » heureux ? Amour fera mon guide. • . • » Celle que j'adore me verra done avec » un bourdon de peierin & un habit de *> toile. Ah ! ft pour l'amour de Dieu , => elle daignoitm'accorderl'hofpice dans » Ton palais! Non , il (liffira a mon » bonheur d'etre prifonnier chez les Sa- r> rafins. Je ferai plus pres des lieux qui r> la pofledent. O mon Dieu! tranfportez- » moi dans fes jardins ou dans fa cham- ps bre. Faites du moins que je la voie , • , » C'en eft fait , je pars. PuiiTe-je feule- » ment ne pas mourir avant qu'elle ait » fu ce que l'amour m'a fait entrepren- » dre pour elle. . . . • . Ma chanfon l'en » inftruira , a mon arrivee. Je lui ferai » chanter mes vers par un interprets 5 » car ils font en langage rowan. Certes 2 . » ft elle n'eft pas touchee de tant d'&- $8 Hist. litt^rairJ »mour, j'aurai lieu de croire que mes » par rains out jet e fur moi un mauvais *>fort ¥ . « Ce qu'il dit de fes parrains fait allufion aux fees, & prouve l'anciennete de I'opinion qu'en ont tranfmife nos ro- manciers. Le troubadour tomba malade dans le vaiffeau, quand on alloit debarquer a Tripoli. Ses compagnons le crurent mort , le depoferent comme tel dans la premiere mailon. On courut informer la eomtefle , d'un evenement capable de 1'interefTer. La pallion du chevalier , les motifs & les circonftances de fon voya- ge , fa cruelle deitinee en touchant au port, penetrerent cette ame fenGble qui., fans le favoir , avoit allume de Loin une flamme fi etrange. Elle fortit aullitot s pour aller voir la victime de 1'amour. GeofFroi refpiroit. encore. Elle l'embraf- * Mai me federon mtypairi, Littcralement- 1 jtles parrains viauront fait uii niauvais din t> e s Troubadours. 8 j? fe. II la voit, & meurt entre fes bras , en louant Dim j & le remerciant de lui avoir accordelefeul bien quil dejiroit. La com- tefTe le fit enterrer pompeufement chez les Templiers de Tripoli. Des le mcme jour , foit devotion ou chagrin , elle fe devoua au cloirre. Quoique ce recit ait les apparences d'une fable, nous le croyons fonde fur des faits. Une ancienne piece proven- c,ale , dont l'auteur eft inconnu , dit expreflement: Le vicomte Geojfroi Rudel, enpajjant les mers pour alter voir fa dame, mourut volontairement pour elle. Ce qui confirme le pafTage de Petrarque : Geof froi Rudel alia chercher la mort a force de voiles &* de rames. Le moine des lies d'or avoit vu , felon Noftradamus , un dialogue fur la queftion ; Lequel contri- bue le plus efficacement a faire naitre l'amour , du fentiment ou de la vue , du cceur ou des yeux ? l'auteur , qui de- cidoit en faveur du fentiment , citok 5)0 Hist, litt^rairit l'exemple de GeorFroi Rudel , avec c&* lui d'Andre de France. Sans aucune preuve , Noftradarnus , imite en cela par Crefcimbeni , place le fait en 1162 [1]. II fuppofe Rudel le plus ancien des poetes proven^aux, & commence a lui leur hiftoire. Son de- faut d'exaclitude eft trop connu , pour qu'il foit necefTaire de le refuter. Des recherches favantes & judicieufement combinees , de M, de Foncemagne , ne donnent que des conjectures probables fur ce troubadour & fur fa dame. II trouve plufieurs Geoffroi Rudelli ., fei- gneurs de Blaye, de la maifon d'Angou- leme [2]. L'hiftoire ne parle d'aucune femme des comtes de Tripoli, qui foit entree dans le cloitre. Mais il trouve une fille d'un de ces princes, Raimond I 9 mort en 1148, qui fe nommoit Meli- fende , & dont Guillaume de Tyr parle aveceloge. (L. 18. c. 31.) Elle devoit, felon l'ufage , porter le titre de comteiTe* des Troubadours, pi Si c'eft l'hero'ine dont il s'agit , un cadet de la maifon d' Angouleme eft auflinotre troubadour, dont la mort fera certaine- ment arrivee vers Tan uo'o ou 1170. Cette difcuflion critique nous detourne- roit trop de notre objet. ( Voyez la note. ) II me refte a parler de quatre pieces purement galantes de Geoffroi Rudel. Dans l'une , il prefere l'hiver a toutes les autres faifons , parce que c'eft la feule qui lui ramene fa dame. Ailleurs , il ce- lebre le printems , dont le retour l'excite a chanter. »Toute la nature me donne un exem- » pie que je veux fuivre. Les arbres, en » fe couvrant de feuilles & de fruits 3 » m'invitent a me parer de mes plus » beaux vetemens. A la vue du rofE- » gnol , qui carefTe fa fidelle compagne, » qui prend dans fes regards aurant d'a- » mour qu il lui en donne, qui chante » fi melodieufement leurs Dlaifirs com- £2 Hist, litter aire » muns ; je fens paiTer dans mon ame » toute la joie qui les anime , je fens » mon cccur embrafe des feux dont ils » brulent. . . . Heureux oifeaux! il vous » efttoujours permis de dire ce que vous » fentez : & moi , retenu par des lois que » vous ne connoiffez point, je n'ofe par- » ler a celle que j'aime Je veux » rompre enfin le iilence. J'irai , je la » fupplierai de recevoir mes fervices. . • » Amour, je te rends graces. Elle exau- » ce mes vceux; elle m'appelle aupres de » fa perfonne , & ne me defend pas d'ef- » pe'rer. « Dans la derniere piece , il fe plaint cependant des obftacles , que rencontre fa pafllon pour cette dame : » Les objets qui m'environnent , la » fraicheur des vergers , la verdure des » arbres, l'email des fleurs , le gazouille- » ment des oifeaux , m'invitent a chan- » ter. Mais mon cceur n'eft pas content : »il ne peur. etre fenlible qu'aux joies des Troubadours, ££ » d'amour , & n'eft point affez heureux » pour les fentir. Que les bergers s'amu- » lent de leurs chalumeaux, & les enfans » de leurs petits tambours. Moi, je ne » me rejouirai point , tant que famour » dont je brule ne fera pas fatisfait. Je » connois une beaute qui reunit tous les » charmes imaginables: mais elle recom- » penfe mal les Coins qu'on lui rend ; Sc *> je fouftre fouvent de ne pouvoir obte- st nir ce que defire mon coeur. Le cha- » teau quelle habite eft fi eloigne!. . . .' » J'envie le fort de fes voifins , plutot x que celui des plus grands feigneurs. » Les graces de fa rigure re'pandent , je » l'imagine , leur agrement fur fes moin- » dres vafTaux. Elle connoit mes fenti- » mens , elle eft feniible : voila le foutien » de mon efperance. Jour & nuit , mille » tendres penfees m'entrainent vers fon 35 heureux fejour. Quand elle reviendra » enfin , me dira-t-elle : mon doux ami ^ * nos envieux font tel bruit de nos amours a 5>4< Hist. litt£raire » qudfera difficile de kur impoferjilence* » £r d'empicher quits tie troublent notrs » bonheur ? « Le moine de Montmajour, cite par Noftradamus , traite Geoffroi Rudel d'homme grojjier, ennemi de tomes les da- mes. Jamais fatire ne fut plus injufte , a en juger par ce que nous connoiffons de la vie & des ouvrages de ce galant trou- badour. NOTES. [ i ] Dans le meme endroit ou Noftradamus fait mourir Geoffroi Rudel en 1 1 61 , il dit que le comte Geoffroi , frere de Richard , roi d'An- gleterre , etant venu en Provence , y trouva Rudel chez le feigneur d'Agoult ; & que , charme des chanfbns de ce poete , il l'emmena avec lui. Noftradamus auroit done du expliquer comment le comte Geoffroi, ne en 1 1 j8 , pou- voit etre l'admirateur d'un poete mort en 1 1 61, [ z ] Guillaume , comte d'Angouleme, mort en iooS , avoit deux fils , Alduin & Jofred. Ce dernier recueillit toute la fucceftion par la mort d' Alduin en 1030. Ii mourut en 1048 , des Troubadours, $f SrlauTa cinq fils , Foulques , Geoff red Rudelli* Arnaud , Guillaume & Adhemar. Geoffred Rudelli eut en partage la feigneurie de Blaye. Au premier coup-d'oeil , ii paroit etre notre troubadour. Mais comment concilier par les dates fa paffion pour une comtefTe de Tripoli? Cette ville ne fut prife & erigee en comte que Vers l'an 1109. Ii avoit figne en 1040 une charte rapportee par Belly , ( page 3 yj. ) II etoit done trop age apres la conquete de Tripoli , pour qu'on lui attribue un amour C\ violent & fi romanefque. D'ailleurs l'inftitution des Tern- pliers ne remonte qu'a l'an 1 1 18 ; & le trouba- bour fut enterre dans leur maifon. Nouvelle difficulte , que nous jugeons infurmontable. Geoffred Rudelli etant mort fans poflerite , la ieigneurie de Blaye fut reunie au comte d'An- gouieme. Mais elle en fut demembree de nou- veau dans la fuite , foit pour l'apanage d'un cadet , ou pour quelque autre raifbn. Dans les inftrumens du Gallic Chri/liana,(t. z. pr. 484.) on trouve un Gerard de Blaye , pere d'un Geof. froi Rudelli, qui doit etre le meme dont la /ignature fe voit au bas d'un fauf conduit de *'an 113 1 , en ces termes : G. Rudelli domimts de Bl.ij'j , ( ib. pr. 289. ) Seroit-ce la le trouba- dour I Mais ii le comte de Tripoli n'eft pas afTex £6 Hist, litt^rair^ ancien pour la premiere hypothefe , nous crai-> gnons qu'il n'ait pas fubfifle" aflez. long - terns pour la feconde. Raimond 1 1 , quatrieme comte de Tripoli } Ii'ayant point d'enfans , donna Ton comte a Rai- mond d'Antioche fbn coufin, &mouruten i ) 87, ( GuiL Tyr. i. x 1. c. ?.) Celui-ci le donna pa- reillement , vers l'an 1 zoo , a fbn frere Raimond IV, prince d'Antioche. Depuis cette epoque , le comte de Tripoli , reuni a la principaute d'An- tioche , n'a point eu , ce femble , de feigneut particulier. L'aventure de Geoff roi Rudel ne peut done fe placer ni avant 1 n 8,niapres 1 200, Nous avons indique dans fa vie la maniere la plus vraifemblable de la concilier avec l'hiftoire. Laprinceffe Melifende, fille de Raimond I, fut accordee avec Manuel, empereur de Conftantl- nople , qui enfuite la refufa. Cet affront dut faire beaucoup parler d'elle , & donna fans doute du relief a fes quaiites. Les eloges des Pelerins , qu'elle avoit peut-etre captive's par fes bienfaits, etoient capables d'echauffer 1'imagination vive du troubadour. Enfin il efl probable que cette princeffe, plutot qu'aucune femme des comtes de Tripoli , embraffa la vie religieufe. Voiia les fondemens d'une conjecture , que nous ne don- nons pas pour un fait certain. VIII. des Troubadours. 97 & ■ ■' ■ ^S > ■ % VIII. BERNAR D-A R N A U D D E MONTCUC. 1 '^ o s manufcrits ne contiennent aucu- ne particularite de la vie de ce trou- badour ; & les auteurs qui ont ecrit fur la poefie provencale ne l'ont point con- nu. II y a deux chateaux de Montcuc , Tun en Querci , l'autre en Rouergue. Bernard-Arnaud etoit apparemment fei- gneur ou originaire de l'un ou de l'au- tre. Un firvente , ou la fatire fe trouve fingulierement melee a la galanterie , eft la (eule piece que nous ayons de lui. On y verra , comme dans plufieurs au- tres monumens , la liberte que prenoien't les anciens poetes de cenfurer la con- duce des princes. Rien n'eit peut-etre plus curieux dans leurs ouvrages. Pour Tome L E 9 8 Hist, litter aire fintelligence de celui-ci , nous devons indiquer le fait hiitorique auquel il pa- rent avoir jrapport. Henri II roi d'Angleterre , apres Ton manage avec Eleonore heritiere des dues d'Aquitaine , renouvela les anciennes pretentions de ces dues fur le comte de Touloufe [i], Refolu de les faire valoir par les armes , il afliegea Touloufe ea nyp. Louis Je Jeune fe jeta dans la place , & lui fit lever le fiege. Le comte Raimond V reconnut feulement la fuze- rainete des dues d'Aquitaine , fauf les droits de la couronne de France. Cette expedition du roi d'Angleterre pretoit matiere aux traits de la fatire. Ecoutons raotre poete. » Quand la nature renait , & que les » rollers font en fleur , les mechans ba- ss rons s'empreiTent d'aller a la chaffe. II » me prend envie de faire contre eux un » firvente , & de cenfurer aigrement ces »ennemis de toute vertu & de touc D E S TfiOUBADOL'JS, $$ r> honneur. Mais Amour repand la gaiete" » dans mon ame , autant que les beaux » jours de mai : je conferverai ma joie, » malgre tant de fujets de triftelTe. « » Nous verrons du cote de Bala- » guier * la nombreufe cavalerie du » preux roi , qui fe vante de l'emportec r> en doire & en merite. II viendra fans » faute dans le CarcafTonnois ; mais les » Francois n'en ont pas peur. Vous r> m'epouvantez bien plus, madame; can »les defirs qu'excitent les charmes de r> votre jolie perfonne , font meles de » toutes les craintes que vos rigueurs » doivent infpirer. a » Je fais plus de cas d'un courfier Telle » & arme , d'un ecu , d'une lance , 8c » d'une guerre prochaine , que des airs » hautains d'un prince, qui confent a It. 3-> paix en facrifiant partie de fes droits 8c * II y a un chateau de ce nom dans le dlo-; ccfe de Touloufe. E ij ioo Hist, litter aire » de fes terres. Pour vous , beaute qutf 30 j'adore , vous que j'aurai , ou j'en » mourrai ; jc m'eftime plus heureux, » tant votre merite m'enchante , d'atta- 30 quer vos refus que d'etre accepte par 3d une autre. « so J'aime les archers , quand ils lan- x> cent des pierres & renverfent des so murailles ; j'aime l'armee qui s'aifem- » ble & le forme dans la plaine. Je vou- 30 drois que le roi d'Angleterre fe plut » autant a combattre , que je me plais , » madame , a me retracer l'image de .» votre beaute & de votre jeuneflfe. « K Quel que meprife qu'il loit, il acquer- » roit beaucoup de gloire, ii en meme a' tems il crioit Gidcnne J &c le montroit » le premier, frappant l'illuflre & valeu- » reux comte. Car fon fceau eft fi decrie , » que je n'ofe le dire, Mais je dirai b.ien, » madame , que je fuis penetre d'amour » dc de crainte. Que ferai-je 5 fi ma bonne ;■ foi ne peut vous toucher ? <■<■- des Troubadours, ioi Guienne etoit le cri de guerre des rois d'Anglererre , quand ils combattoient pour les droits de ce duche. Le fceau decrie de Henri II veut dire qu'on ne fe fioit point a lui. Notre troubadour etoit fans doute fort prevenu contre ce prince , &' fort attache au comte de Touloufe. N O T E. [1] Guillaume IV, comte de Touloufe , mort au plus tard en 10P3 , laiiPa une "fii.'e unique nommee Philippe , qui , ayant d'abcrd ete mariee a Sanche roi d'Aragon, epoufa en fecondes noces Guillaume IX due d'Aquitaine. Raimond de Saint-Giiles , frere de Guillaume IV) herita du comte de Touloufe, en vertu d'une fubfritution de Fens , leur pere commun , qui apueloit a fa fucceifion la ligne mafcuhne preferable nrent a la ligne feminine. Le i'j.z d'Aquitaine prL-tendit que cette fiibfdtu'tion etoit irn'guliere & iniufte , & qu'elle ne pou- voic deer lire les droits de Pnilippe de Tou- loufe , fa femme. II envahit le comte , en l'abfence de Kaimond de Saint-Giiles qui etoit E iij r j02 Hist. litt#. raike allc a la Terre-Sainte. II s'accommoda enfuite moyennant une fomme d'argent , & ceda tous, fes droits fur cette fbuverainete aux enfans de Raimond. Henri I I ne laiffa pas de vouloir les reprendre , apres fori mariage avec Eiconore de Guienne. ( Voyez. Freuves de I'HiJioire du Langitedoc , t. 3. ) d es Troubadours. 203 I X. PIERRE ROGIERS. 1 ierre Rogif.rs etoit un gentit- homme d'Auvergne. Ses parens le defri- nerent a l'etat eccleiiaftique ,' & il fut chanoine de Clermont. Mais la force du penchant l'entramoit ailleurs. Qaoicue favant dans ks Uttrcs J felon i'hiftorieri provencal , ( eloge qui ne fuppofoit pas un grand favoir , ) il aimoit le monde & !es plaifirs, plus que 1'etude 8: la retraite. Ennuve de fon canonicat . if fe fit trou- badour & merne jongleur. On ne refille guere a l'impuliion da genie. D'ailieurs , a ne confiderer que la fortune, les cours offroient une perfpeelive riante aux poetes. Ermerfgarde , fu!e auiee d'Aimeri II vicomte dc Nar'oonne, tue en 1154- >Jt la bataille de Fraga en Efpagne contre R iv J04 Hist. litt£raire les Saralins , etoit l'heritiere de Ton pere, & gouvernoit fes etats avec autant de gloire que de fagefTe *. Outre les graces & l'efprit d'une fern me aimable , elle avoit les talens d'un politique & la valeur d'un chevalier. Son merite lui attiroit une foule d'admirateurs. Les poetes , qu'elle honoroit de fa bienveillance , n'etoient pas les moins emprefles a lui offrir leurs hommages.On pretend qu'el- le tenoit cour d'amour dans fon paiais; mais cet ufage , comme nous l'avons deja oblerve , ne nous paroit pas fi ancien. Gg£c a la cour de la vicomtefle de Narbonne que Rogiers fe fixa bientot. La faveur qu'il y trouva meritoit fa re- conncifTance. Attache d'abord par les bienfaits , il le fut icfenfiblement par cette dangereufe pa/lion , dont les trou- badours ne favoient pas fe defendre, * Hift. du Languedoc t. 2, des Troubadours, ioy Ermengarde devint l'objet de Ton amour, comme celui de fes vers. Huit chanfons qui nous reflent de lui la ceiebrent, fous le nom de Ton-riavz\ 3 mot provengal dont le fens eft un eloge de fa con- duite. Nous abregerons l'extrait de ces pie- ces , pour eviter de fades repetitions. Le poete dit que les gens les plus groffiers acquerroient la plus grande politefTe , s'ils avoient le bonheur de converfer avec fa dame. II fait parler l'Amour , qui l'exhorte a fe rendre digne , par des qualites ^minentes , des bontes d'une dame ii fuperieure a lui par le rang & le merite. II craint de ne pas etre aime; il n'a obtenu aucune faveur , mais l'efpe- rance le foutient. d Amans infenfes , trop d'emprefle- v ment aupres de vos amies vous tour- y> mente , vous rend malheurcux. Les » querelles que vous leur faites , l'habi- -■» tude de les epier avec une curiofke Ev i 06" Hist, litt^raire , »jaIoufe, vous font dcvenir infuppor- » tables* Ce n'eft point la de l'amour. » Quand on aime bien, eiit-on entendu, » eiit-on vu quelque chofe au defavan- » tage de Ton amie , on ne doit croire ni » fes oreilles ni fes yeux. a Ces fentimens delicats toucherent la vicomtefle. Elle ne dedaigna point les feux de Ton troubadour. Mais comment echapper aux regards malins des courti- fans ? Les foup^ons , les bruits facheux fe lepandirent de toutes parts. La reputa- tion d'Ermengarde en fut bleffee. Ja- .loufe de Ton honneur , elle crut devoir eloigner de fa cour celui qu'elle avoit comble de graces. Nos poetes galans s'expofoient trop a ces revers. Rambaud feigneur d'Orange, trouba- dour lui-meme , recut l'infortune Ro- giers, dont le chagrin etoit proportion- Tie a la perte qu'il venoit de faire. Sa douleur eft vivement exprimee dans deux chanfons, II sy peint devore par le de- des Troubadours. 107 felpoir , jufqu'a perdre le boire & le manger. » Ah ! je le fens , les chagrins , les » pleurs & les tourmens d'amour ne font » point mourir. Je ne puis croire lamort » d'Andre de France , puifque je vis » encore. Nul penitent , nul martyr n'a x> fouffert les maux que j'endure. Puifie- » je etre l'efclave de celle qui me le? » caufe , plutot que de regner fur le? » monde entier! Si je pouvois la revoirr » encore, cette beaute ! Elle reunit tou- * tes les perfections & tous les charm es„ » comme la mer recoit les eaux de tous y> les fleuves. Oui , je^voudrois .etre le 33 dernier de fes efclaves. « Sans doute Rogiers fe flattoit d'etre rappele par la vicomtefle de Narbonne, Mais elle fut inflexible : & ne vouluc plus le voir. Pendant fon fejour a Oran- ge , il compofa pour Kambaud un fir- vente fingulier , ou il protefte qu'il ef? venu a fa cour - mains pour avoir par? Evj r io8 Hist. litt^rairE a fes liberalites , que pour donner de feS nouvelles aux perfonnes de Ton pays qui lui en demandent. » Car , dit-il , on » parle de vous diverfement , les uns » bien , les autres mal Dois-je » vous appeler amant ou mari ? je crois 30 que vous pourriez bien etre l'un & » l'autre. Arin de reullir dans le monde , » il faut etre tantot fage , tantot fou , » felon les terns, a De la cour d'Orange , le pocte pafla fucceflivement a celle d'Alphonfe II roi d'Aragon , & a celle de Raimond V comte de Touloufe. La bienveillance , dont l'honora ce dernier, n'effaca point rimprelnon de chagrin, que le fouvenir d'Errnengarde laififoit dans Ton ame. II cmitta le monde , ou il n'efperoit plus de bonheur , ■& mourut moine de Gram- mont. Petrarque parle de lui dans fori Triomphe d'amour. Nous fommes obliges ici de relevet des etreurs gromeres de Noftradamu^ des Troubadours, i op Pierre Rogiers fur, felon lui, a la cour d'Ermenaarde de Narbonne, femme de Roger Bernard ccmte de Foix. II con- fond ainfi Ermengarde, filled' Aimeri IV 5 laquelle epoufa le comte de Fcix en 1232 , avec la vicomtefTe Ermengarde, fa grand'tante. II ajoute , fur la foi d'Ru- gues de Saint-Cefaire, que Rogiers etoit dans la ville de Grade en 1330, lorfque l'antipape Pierre de Corbieri y abdiqua folennellementlatiare. Maiscet antipape n'abdiqua point : il fut enleve par les emiiTaires de Jean XXII, qui le fit mou- rir en prifon. On voit qu'en maticre d'hiftoire , les autorites doivent fubir l'examen de la critique. Noftradamus a ete cent fois cite comme un oracle , parce qu'on ne con- noilToit guere que par lui les poetes pro- vencaux ; & cet oracle fe trouve fans ceiTe en contradiction avec la verite* * no Hist, litteratre X. AZALAIS DE PORCAIRAGUES. w i la chevalerie excitoit des heroines a difputer aux hommes la gloire de la valeur , il n'eft pas etonnant que la poe- fie provencale ait infpire a des femmes le defir de fe fignaler dans la carriere des troubadours. La vivacite de leur imagi- nation , la fenfibilite de leur ame les y conduifoient naturellement. On met en probleme , fi les femmes font propres aux grands ouvrages de genie ; mais il eft hors de doute qu'elles ne puiffent exceller en tout genre de compofition, dont le fentiment & les graces font le principal merice. Az ALA it's DE PORC AIR AGUES eft la premiere que nous trouvions parmir nos poetes. Selon nos vies manufcrites , elle fortoit d'uae famille diftinguee du jdes Troubadours, hi pays de Montpellier ; elle aima Gui Guerujat, & les chanfons qu'elle fit pour fon amant eurent beaucoup de fucces : (peutetre fans en meriter beaucoup.) Gui Guerujat , de la maifon de Mont- pellier, etoit fils de Guillaume VI. II mourut en 1177 *. II ne nous refte qu'une feule piece d'Azalais. Quoique bien ecrite & bien verfifiee, elle n'annoncerienmoins qu'une Sapho. En voici la fubftance , ou ce qui regarde les mceurs peut interefler. Apres une defcription de l'hiver ^ » J'aime , dit-elle , a voir la nature dans » cet etat de triftefle ; tant Tinfidelite du » prince d'Orange me chagrine. Les » femmes font bien folles de s'attacher » aux grands feigneurs. L'amour devient » alors pour elles une fource d'humilia- » tions & de mepris. Elles devroient plu- » tot s'en tenir aux fimples gentilshom- « - » * Voyez. Hill, du Languedocj t. 3, 112 Hist. LiTTkAiRE » mes : car c'efl: un proverbs dans le » Vellai , Quil ny a rien a gagner avec les » grands. Pour moi , j'ai heureufement » un ami loyal ; & en lui dormant mon » coeur , je ne me fuis point mal en- » gage. « Elle adreffe enluite la parole a fon am ant ; elle jure de lui cere eternelle- ment fidelle , pourvu qu'il le foit Iui- merae a fa promeife de ne rien exiger d'elle contre le devoir. Elle falue plu- fieurs perfonnes defignees fous des noms inconnus. Elle envoie enfin fon jon- gleur porter fa chtnfon a Narbonne , a celui dont on vante la bravoure , & chez qui tout refpire la joie. Nous ignorons le trait d'infidelite qu'Azala'is reproche a Rambaud d'Oran- ge. La vie de ce troubadour fera voir qu'il etoit .fort capable dlnconftance, Obfervons feulement ici que les grands avoient peu d'egards pour leurs mai- treiTes d'un rang inferieur. lis fe fal- foient un jeu de les quitter , & de trahis tons Troubadours. 113 le fecret de leurs intrigues. Auili etoit-ce un deshonneur , en plufieurs endroits , pour les femmes de moindre condition , de s'attacher a de tels amans ; & cette opinion •etoit une digue contre le debor- dement des moeurs. j 1 4 Hist, litteraire X I. PIERRE RAIMOND, Iierre Raimond, fuivant la note hiftorique du recueil de fes poe- £es , etoit fils d'un bourgeois de Tou- loufe. Son efprit fin & delre , Ton carac- tere fage , fon talent pour les vers & pour le chant , le rendoient propre a reuflir dans les cours. Celles d'Alphonfe (II) roi d'Aragon , de Raimond (V) comte de Touloufe , & de Guillaume I Vlll ) feigneur de Montpefli'er , fe pol- federent tour- a- tour. II fe maria enrin a Pamiers , oil il mourut. Son hiftoire eft toute differente dans Noftradarnus. Mais , fans nous arreter aux minuties du fujet , il fuffit d'ob- ferver que cet errange hiftorien le fait mourir en 12.15 , & cependant le fait alier en Paleftine a la fuite de l'empe.- pes Troubadours. 115* T€ur Frederic II , qui n'y alia qu'en 122S. Dix-fept pieces galantes de Raimond , quoique d'un ftyle tendre & naturel , nous fourniffent peu de traits remarqua- bles. Les trivialites de l'amour font fi ennuyeufes a la lecture ! Nous mirons foin de les eviter dans no's extraits. Le poere eft amoureux d'une dame que le refpecl: l'empeche de nommer, » On la reconnoitra aifement , dit-il 3 » quand je parlerai de (on aimable fou- » rire , de fes beaux yeux , de fes ma- » nic-res charmantes , de fa gaiete , de * Ton agreable converfation. « La d'affie ayant rejete fes vceux , il abandonne fa patrie , il porte fa douleur en Aragon. Mais l'amour le fuit , & les regrets de l'abfence le devorent. »On voir des enfans , eleves a la cour » d'un brave 3c noble feigneur, le quitter » a un certain age pour chercher une * cour plus illuftre : ne la trouvant point, 1 1 6 Hist, l i t t £ i\ a r r e » ils reviennent honteux , & n'ofent pa- » roitre devant leur premier feigneur. » Tel je quittai imprudemment celle » aupres de qui j'avois ete eleve , & » pour qui men cccur foupire. Que je » lui aurois d'obligation , (l elle deflgnoit » me«reprendre ! Je me foumettrois de » grand cceur a fes chatimens. Si pour- 30 tant on doit punir un fou de ce qu'il » fait dans les acces de la frenefte. C'e- « toit demence de croire que ma belle » feroit courir apres moi. Je lui en de- » mande pardon a mains jointes. « La dame, au moment de la repara- tion , s'etoit attendrie , & lui avoit dit en pleurant : Tu pars ., Pierre Raimond ! Que Dieu tefalje revenir. Son abfence ne laiiTa pas d'etre Iongue. II recut une lettre pleine de reproches ; il en fentit nrieux fa faute , & exprima ainfi fa dou- leur : » Le pauvre , qui l'a toujofirs ete , eft »moins a plaindre que celui qui le des Troubadours. 117, » devient, apres avoir joui de l'opulence. » Rien n'afflige tant un malheureux que » le fouvenir du bonheur quit a perdu. » J'erois heureux auprcs de celle que » j'aime , malgre fes rigueurs. Elle dai- » gnoit quelquefois me parler & me fou- » rire. Et voila quelle m'ecrit durement! » J'irai me ieter a fes pieds. Je lui deman- » derai pour unique grace , qu'il me foit » pennis d'aimer la plus belle dame de » l'univers. « En erfet , il revint a Touloufe. Sa dame lui pardonna , & le regut pour fori ferviteur ; mais fans lui rien accorder de contraire a la plus exa&e vertu. Les mceurs fe maintenoient du moins quel- quefois irreprochables , dans le com- merce du fentiment. Notre pocte , qui n'etoit pas It maitre de lui-meme , fe plaignit par une chanton un peu bur- lefque: » Les maux d'amour que j'ai foufferts y> augrnement de jour en jour. Celle qui 'l 1 8 Hist, litteraire » m'a blefle a entrepris ma guerifon ; so comme Ies autres medecins , elle veut v me guerir par la diete. J'execute fes » ordonnances , & ma langueur redou- » ble. Je veux bien me foumettre a la » diete ; mais je crois qua la fin elle me » tuera. « Cette idee nous paroit bafle aujour- d'hui : elle ne paroiflbit probablement qu ingenieufe dan? Ies fiecles de fimpli* cite'.' des Troubadours, ii^p X I I. GUILLAUME DE BALAUN* & PIERRE DE BARJAC. V^n ne peut feparer ces deux trouba- dours. L'hiftoire lea prefente unis dans une meme fccne , ou leurs amours & leurs vers font mutuellement entrelaces. Nous rapporterons d'apres la note hifto- rique de nos manufcrits, des circonftan- ces qui paroitroient evidemment ima- ginees a plaifir , s'il y avoit moins de preuves des bizarreries de ce tems-la. Guill aume deBal aun, noble * Un manufcrit le nomme Balazun. II eil probable que c'etoit Con nom. On trouve un Pons d e Balazun, Chevalier dtt Vivarak , mort dans une crotfade a la Terre- Sainte. ( Hi/2, du Lanjuedjc , t. i. ) Une bran- che de cette maifbn pouvoit etre etablie danp )a feigneurie de Montpellier. 'lao Hist. litt^rAir^ chdtelain da pays de Montpellier , eui? pour ami intime Pierre d e Bar- Jac^, autre chevalier , galant & poete comme iui. Le premier ayant ete plu- jfieurs fois a Jo viae, dans le Gevaudan, devint amoureux de la dame du chateau, & s'en fit aimer. Confident de fa bonne fortune , Barjac voulut connoitre la maitrefle dont Ton ami lui parloit avec extafe. II l'accompagna un jour chez elle. II y trouva la femme d'un gentil- homme voifin , nommee Viernetta, infe- parablement unie a madame de Joviac. II flit epris de fes charmes , gagna fon cccur , & la trouva trop foible pour ne pas triompher de fa vertu. Les deux che- valiers , egalement fatisfaits de leurs amours , alloient enfemble cultiver la tendrerfe de leurs dames. Au retour d'une de ces vifites , Ba- + II y a eu en Languedoc une mailbn an-^ Cienne de Barjac. laun des Troubadours. 12 1 laun voyant la triftefle fur le vifage de fon ami , lui en demande la raifon. Bar- jac repond qu'il a eu une difpute fort vive avec madame Viernetta , qu'elle lui a mcme delendu de reparoitre a fes yeux. — » Cela n'efi: rien , dit l'autre ; » nous reviendrons , & je ferai votre » paix. « lis ne revinrent pas de quelque terns* Ronge de depit & mcme de jaloufie , Barjac compofe dans l'intervalle une piece pleine d'amertume , oii il dit a fa maitreffe un eternei adieu. II la remercie d'avoir confenri a fon amour ; mais pui£ qu'elle veut changer d'amant, il lui laifle la liberte,.& ne lui en voudra pas plus de mal. » Vous croirez peut-etre que je » parle en homme pique; non , je m'ex- x. plique avec ma franchife ordinaire. Je 33 vous ie declare , j'ai fait choix d'une » dame , qui gagne en beaute ce que 33 vous perdez tous les jours. Elle ne x vous egale point en naiflance ,* mais Tomz i. F 122 Hist, litteraire » elle a plus de charmes , elle eft plus » (oiide. Si nos fermens mutuels s'oppo- » lent a un divorce neeeffaire , adrejjbns- » 72o:.'i a un pritre: vous me donnere% votre » abfolution , vous recevre^ la mknne; &* 53 nous pourrons ainji loyalement former de r> nouvelles amours. Si jamais je vous ai 37 fachee , pardoanez - moi d'aufli bon 33 cccur que je vous pardonne. <* Recourir a un pretre pour fe delier de pareils fermens , pour etre quitte des obligations d'une intrigue de galanterie ! c'eft un trait des plus remarquables de J'influence, qu'avoit la iuperftition dans toutes les chofes humaines ; du pouvoir. qu'on fuppofoit aux prctres de fe meler de tout en fouverains de la confcience ; de 1'abus qu'ils pouvoient faire du mi-r niftere facre ; ennn du point d honneur qu'on attach oit a la ridelite en amour. Mais au fond, qu'etoit-ce que la religion du ferment , dans les chofes meme les plus piTentJ.eiies , dans les traites pap & e s Troubadours. 123' example , & dans l'obeiflfance au fouve- rain , lcrfqu'on s'en croyoit deiie par une formule facerdotale? .» Mechante femme , continue le trou- » badour ! vous m'avez rendu jaloux. » Tous mes defirs e'toient de vous plaire. » Vous direz que je n'ai ni fens ni raifon. » Ah ! fi vous fentiez tout le mal qu'urt » jaloux endure! Ii ne fait lui-meme ce » qu'il dit , ni ce qu'il fait ; il ne peut » refter en place ; il ne dort ni jour ni » nuit. C'en eft fait , trouvez bon que je » vous quitte. Le lepreux doit fe tenir a » l'ecart , pour ne pas infecter les au- y> tres. « Cette piece fut envoyee a madame Viernetta, que Barjac aimoit toujours en proteftant de ne plusl'aimer, & qui fe repentoit deja elle-mcme de s'etre brouillee avec lui. La facilite du raccom- madement en eft la preuve. Balaim ay ant menc fon ami a Joviac , reunit fans peine les deux amans , & Barjac lui Fij '124 Hist, litt^raire aflura que tous les plaifirs qui avoienf precede la brouillerie , n'approchoient point de ceux de la reconciliation. A en juger par I'efFet que procuifit cette confidence , Balaun e'toit infatue des chimeres les plus rornanefques. II fe met dans la tete d'eprouver , f 1 le plaifir de regagner une maitreiTe femportoit reellement fur celui de la premiere con- quete. Sans autre motif, il affecte de rompre avec fa dame. Plus de vifites , plus ce meffages ; pas meme de reponfe aux lettres qu'il en recoit. Egalement furprife & defolee , elle lui envoie un chevalier , confident de leurs amours , non-feulement pour favoir les raifons d : une conduite fi outrageaate; mais pour lui offrir toute forte de fatisfaction , en cas quelle lui ait denne fujet de plain- tes. r> Je ne dirai point le fujet de mes » plaintes,repond Balaun au chevalier; r> parce que je ne la crois pas d'humeur t>Es Troubadours. 12 f » a fe corriger , & que ce n'eft pas chofe » que je puiffe pardonner. « Alors ma- dame de Joviac perd toute efperance , fe livie a l'indignation , & prend le parti d'oublier un infidelle. Se voyant meprife, il tremble bientot d'etre abandonne fans retour. Dans fon inquietude , il part tout feul , fous pre- texte d'un pelerinage ; il arrive en fecret chez une bourgeoife de Joviac ; il fe propofe d'y decouvrir par des voies de- tournees les difpoiitions de fa maitrede. Celle-ci , inftruite de fon arrivee , ne fe poflede plus ; & va de nuit dans la mai- fon oil eft Balaun , fe jeter a fes genoux, pour obtenir le pardon des fautes dont il la juge coupable. Une telle demarche paroit choquer toute vraifemblance. La conduite de Baiaun eft: plus incroyable encore. On attend de fa part des tranfports de ten- drefTe & de repentir. Mais il accable fa dame de reproches, Aulli la voit-on fe Fiij 125 Hist, litteraike retirer furieufe , & refolue de ne jamais le revoir. Au bout d? quelques jours , l'infenfe eft: au defefpoir du rort qu'il s'eft fait a lui-meme. 11 court un matin au chateau pour demander grace. Loin de lui don- ner audience , la darne de Joviac le fait chaffer par les domeftiques. Elle perfe- vere dans fa rigueur une anne'e entiere. 'Balaun ne pent ni la voir ni obtenir la moindre efperanxe. 11 compofe des vets infpires par l'amour & le reperitir ; fes vers memes ne peuvent parvenir jufqu'a, la dame. Enfm Bernard d'Andufe , chevalier galant & loyal , informe d'une rupture fi eclatante , va trouver Balaun pour en favoir la raifon. L'ayant apprife , il rit de fon extravagance , & lui promet de menager 1'accommodement. II porte les vers du troubadour a Joviac ; il rend temoignage de fa fidelite & de fes regrets : yy La raifon eft tout-entiere de votre d e s Troubadours. 127 * cote , dit-il a la dame , & c'cft un mo- » tif de plus pour lui pardonner. « II la conjure pour Bicu d' avoir piue d'un malheureux amant , qui fa foumet ?. rou- tes les peines quelle voucira. *> Je lui pardonne , puifque vous ic » defirez tant , repondit die. mais a une » condition ; c'eft qu ii s'arrache i'ong!e » du petic doigt , & qu'il me 1'apporte » avec une chanfon ou i! exprimera fori » repenrir. « Quoi que put dire le media- teur , e!ie ne voulut point adoucir cette fentence. Balaun s'eftima heureux d'en ctre quitte a ce prix. Sur le champ , ii fe fit lier le doigt & arracher i'ongle par un chirurgien. II foutint la douleur de Tops- ration , fans paroitre la fentir. -II com- pofa la chanfon prefcrite. Ii courut } avec Bernard d'Andufe , fe jcter aux pieds de fa maitreffe , & lui ofFrir Ton facrifice d'expiation. Au fpeclacle de I'ongle arrach-i , die fond en larmes , h 1 iv '128 Hist, litter a ire prend par la main , l'embrafle. La char* fon eft ecoutee avec tranfport. Depuis ce moment , ils s'aimcrent plus que ja- mais. L'hiftorien provencal termine fen* tentieufement fon recit : Ceft bkn fait que celui-ld trouve U mal * qui le cherche. e'tant bkn. II ne refte de ce troubadour qu'une feule piece , conrenant le recit de fon aVenture. Don Vaiflette le compte par- mi les poetes provencaux du douzicme fiecle , qui florhToient (bus Raimond V> comce de Touloufe. t>es Troubadours. 125? XIII. PIERRE DE LA MULA. v-; t. troubadour inconnu a laifle un firvente curieux, ou il fe plaint de ce qu'utie infinite d'hommes fans talent fe melent de la jonglerie. On y voit que ce metier etoit devenu la reflource de gens meprifables qui joignoient l'info- lence a la bafTeiTe. » Je veux abandonner » .le fervice des jongleurs ; car plus en » les fert , moins on y gagne. Us fe font » multiplies au point , qu'il y en a tout » autant que de lapins dans une garene : r> on en eft inonde. « Le pocte leur re- proche en termes groffiers leur ufage d'aller deux a deux , criant cion;ie\-moi 3 car je [ids jnngUur ; & d'injurier ceux qui ne leur donnent rien. » Je ne com* *>prends pas comment de pareilles gens : ? psuvent etre admis dans les cours*. Fv '330 Hist, litteraire fc> J'invite tous ler^ongleurs courtols a ?> s'elever , comme moi , contre cette 50 mauvaife cngeance , avec laquelle nous ;» ne devons avoir rien de commun. « La profefuon de jongleur, & celle meme de troubadour , devoit necefTai- srement degenerer de la forre. Des qu'on. Voit une carriere agreable ouverte aux talens, fi elle excite l'emulation des uns, clle tente l'avidite famelique des autres en plus grand nombre , qui s'y jettent , non avec un noble defir de fe difcinguer, Tii avec les difpofidons necefTaires pour leuffir, mais avec le gout dominant du gain , & la bafTefle qu'inipirent le befoin & les habitudes ferviles. Alors pour un homme vraiment eftimable , cent vils charlatans infeftent la fociete ; & fou- vent leurinfamie perfonnelle rejaillit fur 1 etat qu lis deshonorent. Un amre (irvente de Pierre de la Mula , contre favarice des feigneurs , fl'oiTre rien de rema*quable, DE? TROUBAD C ft - ££c^ - „.--.,.■—■„ * X I V. A L P H O N S E II , rvi d'Arapn. vJ N feroit un long article fur ce prin- ce , ft Ton vouloit eclaircir les particu- Iarites hiftoriques concernant fa maifon ,, & la manicre dont elle monta fur le. trone. Mais on ne reufliroit qu'a en- nuyer le leeieur , par une erudition aride & deplacee. Contentons- nous de dire que le pere d'Alphonfe , Raimond Be- renger IV comte de Barcelone , avoir'" epoufe l'heriticre d'Aragon ; que le com- te de Provence, avec les vicomtes de Carlad en Auvergne , de Milhaud en Rouergue, & du Gevaudan , avoir pairs- dans fa maifon par un autre manage ; & qu'ainfi la poefie provencale , qui faifoit cant de progrcs , devoit aifement s'intro" duire dans cette cour. A L P h o n s 5 II parvint a la cou- F yj '132 Hist, litt^kaike ronne d'Aragon en 1162. Ses vices & furtout fa mauvaife foi etoient capabl'es de le decrier aux yeux du public. Mais il fit des. vers, il honora les troubadours. Les eloges ne pouvoient done lui man- quer. Toutes les vertus fe trouvoient reunies en fa perfonne , fi Ton en croit ces poetes , trop accoutumes , comme les anciens moines , a mefurer les louan- ges ou le blame fur le bien ou le mal qu'on leur faifoit. Combien de faufTes reputations ont eu de pareils fondemens! elles fe difiipent , des que le prejuge ne domine plus. On verra dans l'article de Bertrand de Born ce que la haine pouvoit dieter contre ce prince , malgre les eloges des autres poetes. II ne refle d'Alphonfe qu'une chan- fon , ou il dit qu Amour peut feul .le rejouir > & fe reproche d' avoir mis fort cceur en trop haut lieu : il fe rappclle Tteanmoins avec attendrifTement l'ordre quil recut de fa maitrelTe, en partant x des Troubadours. i^% de revenir au plus tot. Mettre [on caur en irop haut lieu, eft evidemment ici une de ces exagerations triviales , fi ordinai- res a la galanterie. Alphonfe mourut en 115)6" , apres avoir affermi fan autoriteen Catalogue, en Aragon & en Provence. Crefcimbeni obferve qu'il ne fut pas le feul trouba- dour de fa maifon. Zurita, cite par cet ecrivain , dit fous le regne de Jean I , que les roisd'Aragon & particulierement celui-cifaifoient grand cas de la fcience appellee gii faber , & que pour encour rager le talent, ils comblerent de privir leges ceux qui la cultivoient. (Annates d' Aragon ) Le nora de gai fabzr ( gaie fcience, ou fcience gaie) deCgnoit effec- tivement la poefie provencale ; mais la mcine idee palfa dans les autres langues, & les poefies d'alors, felon Zurita, etoient en Catalan. D'ailleurs Jean I pouvoit fa- vorifer les poiltes , fans 4'etre lui-meme* Pierre III, roi d' Aragon, aura ion article paraii nos troubadours*. '154 Hist, litter a ire X V. GUILLAUME DE CABESTAING, tj e dois avouer de bonne foi que la vie de ce troubadour reflemble beau- coup a un roman. Le tiflfu des circonf- tances , la marche de l'intrigue , un de- nouement prefque incroyable , infpire- ront de la defiance au lecleur. Cepen- dant plufieurs vies manufcrites & impri- mees concourent a etablir les faits prin- cipaux. L'ltalie nous en a fourni une manufcrite, plus etendue que les autres , a laquelle nous donnons la preference. 11 eft vrai que certains details, furtout certaines converfations , y decelent un hiftorien qui embellit Ton fujet. Mais on peut reprocher ce defaut a plufieurs hiftoriens de f antiquite ; & d'ailleurs les traits na'ifs qu'on y trouvera , quoi- que de l'invenrion fans doute de lecri- des Troubadours. 155* vain provencal , donnent une idee vraie des anciennes mceurs. Loin de broder le fond du fujet , comme tel autre feroit rente de le faire, jefupprimeraiquelques ornemens fuperfms. GUILLAUME DE CaBESTAING etoit un gentilhomme de Rouflillon. Le feul Noftradamus le fait proveacal 3 peut-etre par l'envie de tranfporter dans fa province les aventures celebres des troubadours. Noble fans bien , il avoir befoin de la reifource ordinaire , qui etoit de s'attacher au fervice d'un grand ou d'un riche feigneur. II fe prefenta lui- fneme a Raimond de Caftel Rouflillon *, pour le fervir en qualite de varlet ou page. L'hiftorien qualifie toujours Rai- mond de monfeigneur j titre affefte aux * Selon la chronique manufcrite ties fel- gneurs Catalans , il y avoit une maifon tres- ancienne du nom de Caftel-Roudiilon. On vail encore en Roaffillon une tour appelee CaJlsL^ Rofetlo. 136* Hist, litter air£ chevaliers. Du refte, Cabeftaing defcert' doit, felon lui, d'une maifon audi an- cienne que celle de Raimond. L egalite de naitfance ne mettoit point obftacle a ce genre de fervice , furtout quand la iu- periorite de fortune etoit relevee par le rang de chevalerie. Avec une ph) (ionomie heureufe , de l'efprit & des qualites aimables, le jeiine homme obtint aifement ce quil defiroit. II fe rendit cher a fon maitre & a fes egaux. Raimond lui donna bientot une preuve d'afiection particuliere, en le fai- fant ecuyer * de fa femme. C'etoit l'expo- fer a de grands perils , mais qu'on ne prevoyoit points * Notre hiftonen dlt don^el. Ce mot ripond ■i ce qu'on appeloit en France damoiieau , titre des ieunes gentilshommes qui n ? avoient pas recu la chevalerie. Domin^eois en Beam ,, do/i^el en Cataldgne & en Savoie , rTgn'fioient la meme choie > & deiignoient les &\s de che- valier, des Troubadours. 137 Madame Margaerite (elle fe nommoit ainfi) trouva fon ecuyer fi emprefTe a lui plaire , d'une humeur fi enjouie , cfun commerce fi charmant, que frappee d'ailleurs des graces de fa figure , elle fe livra aux impreiiions de l'amour, Soit refpect , foit timidite, Cabeftaing, quoi- que trop fenfible , ne penetroit point le myftere , ou n'ofoit eclaircir fes doutes. Marguerite auroit voulu etre devinee. Apres avoir en vain attendu , elle rom- pit le filence. Etant feule un jour avec Ton ecuyer : » Guillaume , dit-elle , reponds-moi. Si y> une dame re donnoit quelque marque a d'amour , oferois-tu bien l'aimer ? — ■ » Vraiment oui * madame , pourvu que la » marque ne fat pas trompeufe. • — Par » S. Jean , tu as parle en brave garcon. » Maintenant je veux favoir fi tu diftin- » gueras les marques d'amour auxquel- » les il faut croire , & celles dont il faut s fe de'fier. « Ce difcours ouvrit les yeus; 13 8 Hist, litter aire de Cabeftaing. Une vive emotion trahit fon cceur. Du moment qu'il fe vit aime , \\ fentit toutes les flammes de f amour. La paflion qui faifoit tant de poetes r ou qui tiroit de la poeTie tant d'avan- tages, lui infpira bientot des chanfons pleines de tendrefTe. Nous en reduirons Textrait a ce qu'elles renferment de moins commun. » Les douces penfees qu amour me » donne , produiient la gaiete de mes •» chants. O vous , dont la beaute me » tranfporte , que je fois maudit de i'a- v mour, fi j'en aime une autre. .... Si » la foi me rendoit audi fiddle a Dieu , » j'irois tout droit en paradis Je 3 n'ai point d'armes pour me defendrc. » de vos appas. Fakes -vous done im »honneur d'avoir pi tie de moi. Per- » mettez du moins que je baife vos » gains. Je n'ofe pretendre a de plus inir- ao gnes faveurs. « Des vers paffionnes avoient des char* des Troubadour?. 13$ mes invincibles pour un cceur deja epris. Marguerite n'ignoroit pas a qui" s'adref- foient les va-ux du troubadour, & n'e- toit que trop difpofee a y repondre. L'ayant fait afTeoir aupres d'elle , dans fon appartement , elle lui dit : » Guil- » laume , as-tu enfm reconnu fi je t'ai- r> mes ; & trouves-tu en moi une amie » vraie oufauiTe? — Ah! madame, depuis » l'heureux inftant que je fuis a votre fer- » vice , j'ai toujours penfe que vous etiez » la meilleure dame qui fut jamais ; que » perfonne ne parloit avec plus de verite, ■» & n'agiflbit avec plus de franchife. — * x Et moi , reprit-elle , je te jure que je » ne te tromperai point. Non, tun'auras y jamais lieu de changer d'opinion a » mon egard. « Elle l'embrafia en difant ces mots. Ce fut comme le fceau d'unt engagement eternel. Le troubadour donne 1'eiTor a fer, fen-, timens par une chanfon : » Entre mille fleurs , dans un fupcrbe ^4° Hist, litteraire » jardin , j'ai choifi la plus belle. Dietf » meme , fans doute, la fit femblable a » fa propre beaute. La modeftie releve » l'eclat de fes charmes. La douceur de » (cs. regards m'a rendu le p^us ten- » dre & le plus heureux des amans. » J'en pleure de joie. Mon amour , que » je n'ofois declarer , peut maintenant » paroitre dans mes vers , au gre de » i'objet qui m'enflamme , qui de tant » d'adorateurs n'a ecoute que moi. Je ne » chante pas de vaines louanges , com- » me les autres poetes. De fes yeux par- » tent des traits , dont perfonne ne peut » fe defendre 5 mais ils n'ont blefTe per- » fonne autant que moi Son me- » rite l'eleve a la plus haute region de » l'honneur. Jamais on ne vit tant de » vertus & tant de graces. Elle excelle *> dans i'art de plaire ; fa fagefle imprime v> le refpecl aux amans prefomptueux , » & fa reputation eft a l'abri de toute ?» atteinte. « des Troubadours. 141I En difant qu'il ne chintz point de vau ncs louanges * commt Us autres pottes s Cabeftaing apprecie afTez jufte les elo- ges qu'ils prodiguent toujours, mcme a dzs maitrefTes imaginaires. N'exageroit il pas auill les perfections de fa dame ? un veritable amant peut en etre foup- £onne. II eft sur du moins que la repu- tation de Marguerite ne fut pas long- tems hors d'atteinte. Les courtifans ont l'oeil.ii fin pour apercevoir le mal , 8c la langue fi legere pour le reveler ! Des rumeurs cruelles parvinrent. jufqu'a Rai- mond. II en fut d'autant plus frappe. qu'il aimoit fa fern me & comptoit fur rhonnctete de fon ferviteur. Ayant demande un jour ou etoit Cabeftaing , on lui dit qu'il chaflbit a l'epervier. Auditor il cacha des armes fous fon habit , monta a cheval , & fuivit feul le chemin qu'on lui avoit indique. Cabeftaing l'apercoit.&s'avance vers lui, non fans inquietude. Leur converfatioOj *42 Hist, lttteraire inventee apparemment parfhiflorien.eft: que j'avois envie de vous voir & de » m'amufer avec vous* Avez-vous fait DJ bonne chaffe ? — Pas autrement ; je s> n ai prefque rien trouve ; & vous favez » le proverbe , Qui peu trouve ne prend » guere. — Fort bien. LaifTbns-la ce dif- s> cours , & repondez en ferviteur franc » & loyal a tout ce que je vais vous » demander. — Pardieu , monfeigneur , » fi c'eft chofe que je puiflfe dire , je ne 33 vous cacherai rien. — Point de condi- » tion. Je veux que vous me diiiez la 25 verite , quelque demande que je vous 3' fafle. — Des que vous l'ordonnez , je »> repondrai a tout felon ma confcience. 53 — Par votre Dieu & votre foi , ajou- » te Raimond , je veux favoir fi l'amour ?> vous infpire les vers que vous faites j d e s Troubadours. 14} » & s'il y a une dame qui en foit l'objet 33 veritable. — Et comment chanterois- 33 je , repond Cabeftaing , (i je n'etois sj amoureux ? En ve'rite, amour m'a tout 33 entier en fa puifTance. — Je le crois : >» fans cela vous ne chanteriez pas 11 bien. » Mais ce n'eft pas le tout. Je veux fa- s' voir quelle eft la dame que vous chan- » tez. — Ah ! feigneur , y fongez-vous ? 33 je m'en rapporte a vous-meme : peut- 33 on fans perfidie decouvrir celle qu'on s» aime? Vous favez ce que Bernard de »» Ventadour dit a ce fujet : Si ceux qui 33 cpient mon amour ., me demandent le u nom de ma belle ., je fais comment un » loyal amant doit fe tirer d? affaire en pa- 33 red cas. II ne doit confier foil fecret qua. »> ceux qui peuvent lid preter confeil &* 3) afflftance. Mais la fidelite quon doit a a fa dame conffie a lui tout dire & a\ 70 ne rien dire d'elle. — He bien , quel s» que foit l'objet de vos amours, jr vous a* promers de vous y aider de tout mon a pOUVOil\ * i44 Hist. litt£rairs Cabeftaing prefle , voulant donner 1& change a Raimond , lui dcclara qu'il ai- moit madame Agnes , four de madame Marguerite , & qu'il en recevoit des preuves de bienveiliance. II le pria de le favorifer, ou du moins de ne lui pas nuire. Rairnond donna dans le piege. Ravi de cette declaration , qui dillipoit fes inquietudes, il ferra la main au trou- badour , lui promit fes bons offices ; & lui montrant le chateau de Robert de Tarafcon , mari d' Agnes, il lui propofa d'y alier enfemble. A mefure que nous avancons , le recic devient plus fufjpect. Ce Tarafcon eft fans do ute celui du comte de Foix dans le diocefe de Pamiers , dont l'eloi- gnement ne s'accorde point Svcc notre hiftoire. Les autres circonftances muiti- plient les difficukes. L'hiftorien femble avoir pris les romanciers pour mode- les. Raimond & Cabeftaing arrivent au chateaui des Troubadours. 14^. chateau. Le premier , aprcs les civilites ordinaires , fe hate de remplir l'objet de fon voyage. Seul avec Agnes, il lui parle ainfi : d Par la foi que vous me devez 99 belle fceur , dites-moi , avez-vous un » amant ? — Oui , feigneur. — Qui eft-il, » je vous prie ? — C'eft ce que je ne 33 vous dirai point. Les femmes ne font 3> pas obligees de confeffer pareille cho- w fe ; & fi on les preffe , on les met dans 3j le cas de mentir. « Raimond affure qu'elle ne rifque rien a lui confier un fecret , qui eft pour lui de la plus gran- de importance. La dame avoit remarquc un air de triftefTe fur le vifage de Ca- beitaing. Elle n'ignoroit pas fes amours. Soupconnant de quoi il s'agiflbit entre lui & fon maitre , ( il faut bien le fup- pofer,) elle fe dit amoureufe de Cabef- taing , com me s'il lui avoit donne le mot. Elle va enfuite tout raconter a Robert de Tarafcon , qui approuve fort la fupercherie de fa ft-mme, & lui permec Tom$ L G T$6 Hist, litterairb de £aire de fon mieux pour perfuadet (on beau-frere. Dans cette vue , elle appelle Cabef- talng dans fa chambre , elle fy retient lpng- terns. On foupe avec beaucoup de gaiete. Elle fait arranger tout pres de fon appartement les lits de fes notes. Enfin , parfaitement convaincu de la tendreffe reciproque de la dams & de jfecuyer, Raimond part content, joyeux, avec celui-ci , & n'a rien de plus prefTe en arrivant , que de reveler a fa femme 1'i.ntrigue qu'il croit avoir decouverte. Marguerite ne douta point que fon #mant ne fut infidelle , que fa fceur ne v |'eut debauclie. Le lendemain matin , apres une nuit douloureufe , elle fappela pour l'accabler de reproches. Cabeftaing fe juftifia aif&ment par le fimple recit de ce qui s'etoit pafTe, Mais , fi notre friftorien djt vrai , la vanjte d'une femme peut l'entrainer plus que l'amour meme # des fautes jnconcevables. Elle obliges bes Troubadours, i^f le troubadour a declarer dans une chan* Ton qu'il l'aimoit & n'aimoit qu'eile. La chanfon fut compofee ; & par une autre imprudence , non moins finguliere, elle fut adreflee a Raimond. C'e'toit l'ufage de plufieurs poetes , d'adrefTec aux maris leurs vers en fhonneur des dames. Dans un cas tel que celui-ci , on r.e pouvoit le faire impunement. En effet, la plus noire jaloufie s'em- pare de Raimond, a cette le&ure. II nc doute plus de l'intrigue; il eft furieux; & refpire la vengeance. Ayant trouve un pretexte pour conduire Cabeftain^ hors du chateau , il le tue , lui coupe la tete , lui arrache le cccur. II ordonne enfuite a fon cuifinier d'appreter ce cceur, comme un morceau de venaifon. II le fait fervir ; fa femme le mange. » Savez- 3i vous ce que vous venez de manger ? s> lui dit-il. — Non ; mais je l'ai trouve m excellent. — Je le crois , puifque c'efi: » ce que vous avez toujours le plus Gij SqS Hi ST. LITTERAIRE » aime.il eft jufte que vous aimiez mort a? ce que vous avez tant aime vivant. « Et montrant la tcte de Cabeftaing : »> Voila celui dont vous venez de man- »> ger le cccur. « A cette vue, a ces paro- les eflroyables , elle s'evanouit. Mais elle reprend bientot fes fens , & s'ecrie : sj Oui , barbare , je l'ai trouve fi deli- » cieux ce mets , que je n'en mangerai =» jamais d' autre , pour ne pas en perdre w> le gout, « Tranfporte de rage , Raimond met Tepee a la main. Elle fuit ; elle fe preci- pite d'un balcon , & meurt de la chute. Noftradamus dit quelle fe tua d'un coup de couteau. Le bruit de cet evenement devoit produire les plus fortes imprefiions, en un terns ou l'amour dominoit fur les mceurs en fouverain, & etoit fouvent , pour ainfi dire , l'ame des exploits mili- tates, Les parens de Marguerite & de Cabeftaing , tous les chevaliers & les des Troubadours. 10 amans du pays , fe liguerent contre le cruel Raimond. II eut m6me pour en- nemi le roi d'Aragon , Alphonfe , qui apres avoir e'clairci le fait fur les lieux, le fit arreter & demolit fon chateau. Ce prince honora enfuite , par de pompeufes funerailles , la memoire des deux amans. On les mit dans le meme tombeau , devant une eglife de Perpi- gnan , & Ton y grava leur hiftoire. II n'eit pas etonnant que la religion fervit alors , parmi tant d'autres abus ,' a con- facrer des amours qu'on celeb roit avec enthoufiafme. Le due de Bourgogne rendit de femblables honneurs a la cha- telaine de Vergi & au feigneur de Vau- drai , fi nous en croyons ce que rap- porte Belleforeft d'apres Bandel *. Que 1'aventure fameufe d'Alix de Vergi foit une fiction romanefque , ou non ; il eft toujours certain que les romans , ainfi * Belleforeft, p, z*6. G iij •'i jo Hist, litteraire que les poefies d'Homere, depofent dc5 anciens ufages. Selon l'hiftorien provencal , il fut un terns ou tous les chevaliers du Rouflil- lon , de la Cerdagne & du Narbonnois, afliftoient chaque annee a un fervice folennel , en rnemoire de Marguerite & de Cabeftaing : tous les amans des deux fexes y venoient prier pour le repos'flc leurs ames. Un manufcrit porte que l'ars- niverfaire fut inftitue par ordre du red d'Aragon. Certainement les mccurs ne gagnoient point a ces pratiques. L'efpece de culte rendu aux dereglemens de l'a- mour etoit une oifenfe pour l'union con- jugate. Le roi d'Aragon , qui .joue Lei un grand role, ne peut etre qu'Alphonfe If. Le Rouffillon & la Cerdagne lui appar- tenoient en 1 1 8 1 [i]. Nul autre Alphon- fe , roi d'Aragon , n'a poilede ces pro- vinces iufqu'au regne d'Alphonfe IV , dans ie cour^nt du quatorzieme fiecle 5 33 es Troubadours, if t lems ou Ton ne parloit plus des trouba- dours. En lifant la fin tragique de nos deux amans , chaeun aura cru y reconnoitre l'aventure du chatelain de Couci & do la dame de Fayel. Couci , mouranc an fiege d'Acre , ordonne a fon e'cuyer def porter fon cceur a cette dame , dont it ell; eperdument amoureux. Le mari ja- loux furprend l'eeuyer , faifit le ca-ur ; le fait manger a fa femme , & lui revel© 1'arrreux fecret. La dame de Fayel jurs de ne jamais prendre d'autre aliment : ; elle meurt de defefpoir. Voila le fond de? Vhiftoire ou du roman. II fe peut quq Couci ait reellement donne la commit iion , que la dame foit morte en rece- vant le gage de fon amour, & qu'un romancier ait orne ce fait de circonftan-^ ces empruntees de l'aventure du RouC- fillon. Les chanfons de Guillaume de Ca-- beftaing, au npmbre de fept , exprimenr; G iv 1^2 Hist. litt£rairb dune maniere naturelle Sc tendre Ies fentimens de Ton amour. Sa maitrefle n'y eft pas nommee. Ce couplet me paroit le plus remarquable,parnu beaucoup de penfees communes : » Tant de merite l'environne , que je 55 ne voudrois pas l'avoir pour coufine : ( apparemment parce que ce feroit un obftacle a fon amour. ) » On ne peut ja- 03 mais lui donner tant de louanges , » qu'on n'en diie toujours la verite. » D'ici a Mefllne , elie n'a point de pa- ss reille. Voulez-vous favoir fon nom ? a> il n'eft ailes de colombe ou vous ne le a> trouviez ecrit fans faute. « NOTE. 1 1 ] Le comte de Roufliilcn , reuni a celui de Cerdagne en 1113, paiTa aux comtes de Barcelone en 111S, Raimond-Berenger IV en fit Papanage d'un de fes fils. II avoit quatre enfans ; Alphonfe , Raimond-Berenger , Pierre & Sanche. Le premier eut en partage PAragon Gc la Catalogne j le fecond , la Provence j lq des Troubadours, iyjj trolfieme , le RoufTillon & la Cerdagne. Ce der- nier etant mort en bas age , Sanche lui fuc-5 ceda, II fucceda enfuite a Raimond-Berenger , comte de Provence, mort en 1181. Alors le RoufTillon & la Cerdagne revlnrent a l'aine , Alphonfe II , roi d'Aragon , qui paroit etre le vengeur de nos deux amans. Alphonie III regna en nS? , & ne polleda point ces provinces. Elles appartenoient aux rois de Maiorque , de la meme maifbn , IotC- qu'Alphonfe IV , dont le regne commence en 1317, pourfiiivit pour crime de felonie Jac- ques III , le dernier de ces rois , & le depouilla de fes etats. ( Zurita , Annates d'Aragon. ) G * i^4 Hist, litteratre X VI. GAVAUDAN LE VIEUX. JL; e s pieces de ce troubadour , dont aucun ecrivain ne fait mention , renfer- ment des traits dignes de curiofite. Ii florifloit a la fin du douzieme fiecle ; puifqu'il gemit de la perte de Jerufalem , queSaladin avoit conquife en 1 187. La maniere dont il exhorte les chretiens a combattre les infidelles, eft remarquable par le ton de fimplicite & d'injures qu'inf- piroit la groflierete des mceurs. » Seigneur , par nos peches la puif- » fance des Sarafins s'eft accrue. Saladin » a pris Je'rufalem, & Ton ne l'a pas en- »core recouvree^C'eft pourquoi le roi » de Maroc a mande qu'avec tous fes » infidelles, il corabattroit tous les rois » chretiens. II a ordonne a tous fes Mau- » res, Arabes & Andaloufites, de s'armet Ces Troubadours. 15 $\ » ; contre la foi de Jefus-Chrift; & il riy »en aura pas un , gras ni maigre , qui 1 - * ne s'aiTemble plus dm & menu que la » pluie. . . . Ces charognes , faites pour * fervir de pature aux milans, detruifens » Ies csmpagnes, & ne laiffent ni hour- s' geons ni racines. Ceux que le roi da x» M'aroc a ehoifis, font tellement gonfle3 : « d'orgueil , qu'ils fe croient les mairrer » du monde, & lachent contre nous lea *> railleries les plus piquantes. » Ecoutez empereur ^Frederic I,) &£ * vous , roi de France Ton coufin (Phi* oj lippe Augufle,) & vous, roi d' Angle- v terre , comte de Poitou , ( Henri II , > 73 fecourez done le roi d'Efpagne- ( A!> * phonfe IX de Caftille,) qui eut tou-=* » jours plus de penchant que perfonner » a fervir Dieu; & avec lui vous vain- » creztous ces ch.ie.ns, abufes par Maho*f -» met. . o . » LahTons-ta nos heritages. Allow ? contre ces chiens de renegats , pottc prophetife vraL Ce qu il dit fera exe- » cute : ces chiens feront mis a mort ; & » Dieu fera honore & glorifie dans les » Iieux ou Mahomet fut fervi. « De pareilles proprieties etoient com^ amines alors. La fauiTete des premieres n'otoit rien a la confiance des enthou- fiaftes ni a la credulite du peuple. On traitoit de chiens les mufulmans, comme its nous traitent encore aujourd'hui. lis nous meprifent malgre notre fuperiorl- t6 , parce qu'ils font barbares & igno- rans : on les meprifoit pour la meme rai- ion ? malgre la gloire qui environnoit h ces Troubadours. 157 grand Saladin. Les hommes fe reffem-: blent par-tout. Gavaudan , avec tous les prejuges de fon fiecle , pouvoit bien attacher un grand merite a l'obfcurite qu'affectoient certains troubadours. Auffi fair-il a def- fein un poeme clos £r convert , pour eprouver ceux qui ont Vefprit ouvert on bouchc. » Qu'on ne s'en moque pas ; & » qu'on ne me blame pas , jufqu'a cs » qu'on ait fepare la fleur comme de la » farine. Car le fat fe prefTe de condam- » ner ; & 1'ignorant baye & mufe , dans » l'embarras ou Is jette ce qui eif trop » favant pour lui. « II declame en ftyle enigmatique contre la decadence de la vertu & de la joie ; comme s'il craigno.it qu'on ne profitat de fes lecons. Nous avons de lui un autre vers 2 » qui vaat d'autant mieux , qu'entre » mille perfonnes , il n'y en aura pas dix s> qui puiflent en comprendre le fens z $ ce fens fexa clair pour ceux qui foi& "I r § H r S T. L I T T l5 R a r 11 E » habiles en- amour, & obfcur pour quii » ignore cette fcience. « L'obfcurite pa- roit ici une forte de referve ; car il te- moigne de violens foupcons au fujec d'un crime dont fa maitrefTe eft aceufee. Prenant de la occanon d'invectiver con> tre les femmes , il dit qu'on fe garanti' roit plutot des dangers del'eau , du feu 3 de la mer, & des voleurs, que de leurs artifices. Leur gout pour le libertinage & la debauche eft le principal* objet de fa fatire: & a cet egard fon.ftyle n'eft quetrop clair, puifqu'il emploie lester*- mes les plus obfcenes. Une complainte fur la mort de fa maitrefTe annonce un meilleur gout. H maudit la mort dene l'avoir pas enleve lui-meme , plutot que de le livrer a des douleurs qui le vieilliifent a la fleur de 1'age , & blanchiftent fa blonde cheve*- lure. » Infenfiblea toute joie , a toute 3» autre impreflion que celle du de'fe£ 31 poir , je. pafTexai le refte de mes tnfbs bes Troubadours, i/jf * jours > comme un tourtereau qui a » perdu fa tourterelle. « On peut juger aufli par deux pajiou* relies de Gavaudan , qu'il connoifToit les agremens d'un ffcyle naturel , & d'une jolie fimplicite. Dans la premiere , il fait la rencontrs d'une bergere , qui d'abord le traite fore mal , qui cite fexemple de Salomon pour prouver les inconveniens de l'a- mour, & qui finit par fe rendre a fes de'firs. Dans la feconde , une autre ber- gere qu'il rencontre le ravit de joie par les plus tendres careiTes. Le poete lui dit que , depuis le terns qu'on les a eloignes fun de l'autre , il n'y a eu pour lui au~ cun plaifir. Je connois cet hat > repond la bergere , fy penfe toutes les nuits £r fen ai perdu lefommeil. »On a eu grand tort * de nous feparer; m ais on n'y gagne » rien. Nous y gagnerons , nous , un » plaifir plus vif a nous retrouver en- » femble. «-Gavaudan benit 1' Amour ds i£o Hist. litt£rair£ les avoir fouftraits a une cruelle domi- nation , pour les ranger fous fon empire. Eve , repond la bergere , a bien tranf- grejfe les defenfes qui lid fur em fakes: cejt done per ire fori terns que lie me defendre de vous voir, 11 eft fingulier de s'autori- fer de l'exemple d'Eve, qui rappelle Tidee d'une fi terrible punition. C'eft une de ces foHes qu on voit naitre du delire des amans. ^ * %*# *«^ feES Troubadours, id XVII. RAMBAUD DO RANGE &LA COMTESSE DE DIE. \J e u x illuftres perfonnages font l'ob- jet de cet article; mais leur hiftoire ofFre peu de particularites interefTantes , & leurs compofitions n'annoncent guere que des moeurs corrornpues. Nos ma- nufcrits contiennent feulement quelques pieces de Rambaud. L'hiftorien du Lan- guedoc nous donnera une idee de fa perfonne. Rambaud etoit fils de Guillaume d'Omelas, de la maifon de Montpellier, & de Tiburge fille unique de Rambaud comte d'Orange , mort dans une expe- dition a la Terre-fainte. Tiburge , par fon teftament fait en 1170, inftitua heritiers fes deux fils Guillaume & Ram- baud , qui partagcrent entre eux Is 162 111 ST. LITT^RAIRI? comte d'Orange. Le dernier en prit le nom , au lieu de celui d'Omelas qu'il portoit auparavant. La petite ville de Courtefon, dans ce pays, devint le lieu de fa refidence. II cultiva la poefie provencale ; mais ce ne fut point avec la delicatefTe de gout, que les grands feigneurs tiennent fouvent de leur education & de leurs habitudes. La plupart de fes pieces * ecrites d'un ftyle batbare , avec une contrainte extraordinaire de rimes, fonc prefque inintelligibles : le texte en eft corrompu en plufieurs endroits , peut- ctre par une fuite de ce def'aut. Comme le poete. etoit libertin, & fort inconftant dans fes amours , on y reconnoit la lege- rete de fes fentimens.Quelques-unesfont remarquables pardes traits originaux ou iinguliers. Tel eft un dialogue de Rambaudavec (k maitrefTe. Celle-ci lui reproche de jietre pas loyal amant, puifqu'il ne pact des Troubadours. i 6*3; ♦age point avec elle les inqnietudes & les peines de 1'amOur. II repond qu'il en porte au contraire tout le poids lui feul. La Maitresse. » Ah-! fi vous en portiez feulement \c » quart, vous fentiriez combien je fuis » malheureufe. a R A M B A U D. » Ge font les mauvaifes langues qui » m'empechent d'etre aupres de vous.« La Maitresse. » Puis-je vous favoir gre de ne pas » me voir par un tel motif ? Si vous v continuez d'etre plus occupe que moi » de ce qui pourroit nousnuire, je vous » croirai plus fcrupuleux que les reli- » gieux Hofpitaliers *. « R A M B A U D. » Vous n'avez perdu que du fable : * Ces religieux. militaires ne joulfloient pas d'une trop bonne reputation. C'eft ici vrai^ femblablemcnt un trait de fatite. 164 Hist, litter aire » moi, je perds de Tor. Oui, je le jure » par S. Martial , je n'aime perfonne au » monde tant que vous. « La Maitress e. *> Non , vous n'etes plus a moi. De » chevalier , vous vous etes fait cban- » geur *. cc R A M B A U D. » Que jamais je ne porte d'epervier, » que je ne chaffe jamais, fi depuis que » vcus m'avez donne votre cceur , j'en » aime une autre ! « Dans les deux envois, ils proteftent alternativement , Rambaud , d'etre tou- jours loyal ; fon amante , de le croire toujours tel. Le nombre & la mefure des vers font les memes pour les deux inter- locuteurs. Ne feroit-ce point ici une efpece de duo fait pour etre chante en- femble ? Le charmant dialogue d'Ho- * Jeu de mots , pour lui reprocher le chans gemenCi des Troubadours. i6fi *ace avec Lydie ( Donee gratus eram ti- hi) etoit vraifemblablement inconnu au troubadour. On croiroit cependant qu'il y a pris fidee de fa piece , dont le plan eft a peu pres le me me , quoique les penfees & le ftyle foient bien dirFerens. Lesmedifans ne l'epargnoientpas fans doute ; car il les attaque dans une autre piece avec chaleur. » lis fe font un jeu » de detruire les perfonnes qui ont le » plus de ridelite 6c de droiture. lis fe » plaifent a mettre les amans dans la » peine , comme le fait madame Lobata, » Quelques-uns veulent faire les agrea- » bles : ils le font, comme le feutre ref- •» iemble a la foie , & le cuir a l'ecarlate. » Ils m'empechent de declarer mon » amour. Que Dieu les maudifTe en ce » monde, & les punifle un jour par fon » jugement! « Sa maitrefle apparemment craignoit peu les propos malins. Mecontente de fa teferve , quelle prenoit pour froideur , \i6$ Hist. litt£rair£ » tent , je le foutiendrai les armes a la » main. Et plut a Dieu que j'eufle du » defTous , que cette cruelle verite fut » un menfonge ! Mais il n'eft chretien ni » farafin , fuflent-ils deux ou trois contre » moi , que je ne vainquhTe au combat ; » tant je fuis anime par la force d'une » verite de'fefperante. J'affe&e un air gai » au milieu de mes chagrins ; & fans » l'amour qui m'arrete , j'irois me jeter » dans un cloitre , ou finir mes jours » dans un ermitage. « Le cloitre ne lui auroit pas convenu: le libertinage avoit fur lui trop d'em- pire. On en jugera par les maximes qu'il debite , en homme plus groiller que ga- lant, dans unefatire contre les femmes: » J'enfeignerai aux galans la vraie » maniere d'aimer. S'ils fuivent mes le- » cons, ils feront rapidement toutes for- » tes de conquetes. Voulez-vous avoir » dQS femmes qui vous mettent a la » mode ? au premier mot defobligeant 35 qu'elles des Troubadours. i6p * qu'elles repondront , prcnez le ton » menacant. Repliquent-elles ? ripoftez » par un coup de poing au nez. Font- » eiles les mechantes ? fovcz plus me- » chant qu'elles ; & vous en ferez ce » qu'il vous plaira. Medire 8c mal chan- » ter vous procureront des bonnes for** » tunes , meme des meiileures , pourvu » que vous yjoigniez beaucoup de pre- » fomption j& de furfifance. Fakes l'a- » mour aux plus laides; montrez de lm- » difference aux belies. C'eft le moyen j> de reufiir. Je n'en ufe pas de la forte. » Mes vieilles habitudes font incorrigi- » bies. Simple , doux , humble , tendre » & fidelle , j'aime les femmes comrae (i » elles etoient toutes mes fccurs. Gardez- r. vous de fuivre mon exemple, & rete- *:jr„7. bien mes preceptes, fi vous crai- 75 gnez les tourmens d'amour. Pour moi, » ^e fuis content de l'anneau qui me fut 55 mis au doigt. Mais e'en eft trop , ma v langue. Trop parisr fait plus de mal Tome I, II 170 Hist, litteraire » qu'un gros peche. Cachons ce que j'ai » dans le coeur. « On n'imagineroit pas que les fiecles de galanterie romanefque aient pu en- fanter une pareille production. Comment la concilier avec le refpect religieux des chevaliers pour les dames ? comme les defordres de tant de chretiens avec la faintete de leur croyance. Les contradic- tions entre les principes & les mceurs font trop communes , meme dans les fiecles de raifon. Nos manufcrits nous apprennent que Rambaud fut aime de la comtefTe de Die , qui epoufa Guiilaume de Poitiertj la tige des comtes de Valentinois & de Diois , du nom de Poitiers , dont la der- piere branche s'eft eteinte de nos jours. Poete elle-meme & femme galante , la comtefTe fe felicitoit d'avoir trouve dans Rambaud un chevalier plein de merite. jElle ne craint point qu'on le fache „ dit-elle dans une chanfon ; & on ne DES TrOUEADOURS. I7B doit pas craindre quelle fafle faute avec lui. Ni elle ni Rambaud ne paronToit dignes de ces louanges. Le troubadour fit infidelite a la comtefTe , comme a tant d'autres dames. Elle en fut au deiefpoir : il tacha de la confoler par des vers , ou. il feint un repentir que fa conduite de- voit rendre plus que douteux. » Je regarderois comme mon bienfai- y* teur celui qui voudroit me pendre, ou » m'arracher les deux yeux. Beaute que » j'ai trahie , j'implore votre cle'men- » ce . . . . Si vous n'etes pas inexorable , » j'en jure par l'ame de mon pere, rien » ne pourra me retenir, j'irai vous voir, » & je ne retournerai de long - terns » aupres des miens. Mais on ne peut la » flechir. . . . CependantDieu pardonna » au bon larron Ma faute n'eft pas » fi enorme ; car je n'aime les autres » dames, qu'autant qu'elles font l'image » de celle dont je reclame la mifericor- » de. « Excufe linguliere ! La maitreife Hij. I70 Hi ST. LITTLFxAlRE » qu'un gros peche. Cachons ce que j'ai » dans le coeur. « On n'imagineroit pas que les fiecles de galanterie romanefque aient pu en- fanter une pareille production. Comment la concilier avec le refpecl: religieux des chevaliers pour les dames? comme lss defordres de tant de chretiens avec la faintete de leur croyance. Les contradic- tions entre les principes & les mceurs font trop communes , meme dans les fiecles de raifon. Nos manufcrits nous apprennent que Rambaud fut aime de la comtefTe de Die , qui epoufa Guillaume de Poitiertj la tige des comtes de Valentinois & de Diois , du nom de Poitiers , dont la der- piere branche s'eft eteinte de nos jours. Poete elle meme & femme galante , la comtefTe fe felicitoit d'avoir trouve dans Rambaud un chevalier plein de merite. ]Elle ne craint point qu'on le fache , dit-elle dans une chanfon ; & on ne des Troubadours, 17B doit pas craindre qu'elle fafTe faute avec lui. Ni elle ni Rambaud ne paroiflbk dignes de ces louanges. Le troubadour fit infidelite a la comtefle , comme a tant d'autres dames. Elle en fut au defefpoir : il tacha de la confoler par des vers , ou, il feint un repentir que fa conduite de- voit rendre plus que douteux. » Je regarderois comme mon bienfai- » teur celui qui voudroit me pendre, ou » m'arracher les deux yeux. Beaute que » j'ai trahie , j'implore votre cle'men- » ce. . . . Si vous n'etes pas inexorable , » j'en jure par l'ame de mon pere , rien v ne pourra me retenir, j'irai vous voir, » & je ne retournerai de long - terns » aupres des miens. Mais on ne peut la » flechir. . , . CependantDieupardonna » au bon larron Ma faute n'eft pas » fi enorme ; car je n'aime les autres » dames , qu'autant qu'elles font l'image » de celle dont je reclame la mifericor- » de. « Excufe (ingulic-re ! La maitrefTe Hij. 172 Hist, litter a ire d'un chevalier ou d'un troubadour ne- toit-elle pas toujours une beaute fans pareille ? II dit ailleurs qu'il a perdu le plus grand des biens ; qu'il fauc ctre de la meilleure foi du monde , pour iaire un aveu (i humiliant , qui doit raffurer tant de maris en garde contre fes entreprifes; qu'il eft comme un guerrier deiarme ; que les maris feroient de bien mauvaife humeur, s'ils le voyoient avec jaloufie courtifant leurs femmes ; qu'il ne fait plus que les chanter , les defirer. & les contempler. La comtefTe de Die exprime d'une maniere fort dirlerente , la douleur que lui caufe l'infidelite d'un volage. La, c'eft de fexageration ou de l'artifice : ici , du natural & du fentiment. Eile va chanter douloureufement , dit-elle , l'ingratitude de celui qu'elle aime plus que tous les biens. Beaute , m elite , efprit , rien ne lert aupres de DES TROUBADOURS. 1 79 lui. Kile eft trompee & trahie , comma fi elle etoit d'une figure choquante, ou qu'elle eut manque d'amour. Parce qu'il a un merite fuperieur, cloit-il la traiter avec dedain , lui qui eft fi honnete e:i- vers tout le monde? II fe voir recherche par toutes les dames ; mais il a trop de ppne'tration pour ne pas diftinguer celle qui l'aime davantage. » Si mon merite , 3> ma naiflance , ma beaute ne vous par- » lent point affez en ma faveur, rendez » juftice a mon cccur : vous n'en trou- » verez jamais d'aufifi tendre. Quelque » part que vous foyez , je vous envoie r> cette chanfon pour meffager. Je veux r> favoir , mon noble & bd ami , poufi- » quoi vous m'ctes fi crush Eft-ce fier- » te? eft-ce averfion ? Meffager, tu lui » diras encore , que l'orgueil a perdu une » infinite cle ( c;ens. « Dans une autre chanfon , qui fait rougir la pudeur , elle reconnoit avoir merite d'etre trahie , en fe rekifant aux Hiij 174- Hist, mtt^kaire defirs de fon amant ; elle en temoigne vivcment fon repentir ; elle fouhaite de coucher avec lui un foir , de l'avoir a la place de fon mari , pourvu qu'il lui promette une docilite fans referve. Voila certalnement de quoi diffiper des preju- ges trop favorables aux mceurs antiques. Ces difpofitions ramenerent peut-etre Rambaud. II parle en divers endroits de la conftance de fon amour pour une dame de haut rang , qui vraifemblable- ment efl: la comteife de Die. Nous avons de lui un difcours en vers, contre l'opinion commune alors, que les femmes fe deshonoroient en s'attachant aux grands feigneurs. C'effc ce qu'Azala'is dePorcairaguesavoitecrit, au fujet de Rambaud lui -mime. La piece de cette dame donna lieu vrai- femblablement a celle-ci: y> Je foutiens que les grands feigneurs, » lorfqu'ils ont le cceur loyal , meritenu 9 mieux que perfonne d'etre ecoutes detf bes Troubadours. i 7jT * femmes. II n'appartient qu'aux ames » viles d'aimer a la derobee , & de choi- » fir pour cela des amans obfcurs. En- s' core ai-je vu des femmes perdue* » d'honneur avec de fimples gemilshom- » mes : chofe impofiible avec un grand, » qui a des fentimens nobles & eleves. » Si quelqu'un foutient le contraire , je » repondrai de facon a lui fermer la » bouche. « S'il n'avoit pas de meiileures preu- ves , on peut croire qu'il auroit ferme la bouche de fon adverfaire a coups dc poing , comme il le confeille dans la fatire dont nous avons rendu compte. Dans une piece plus ingenieufe, inti- tuiee Partiment) ie poete ie reprefente tourmente jour & nuit pr;r les confeils difTe'rens de la fageffe & dc la folic L'une veut qu'il n'aime point , ou s'il aime , qu'il prenne bien garde au choix : autre- jnenr il pourroit s'en repentir. L'autre, qu'il fe livre a tous fes gouts, qu'il em- II iv 1 76' Hist, l i t t £ r aire brafle tout ce qui fe prc'fentera : finon ; il vaudroit autant s'aller jeter dans un cloitre. Par Ton envoi , il demande une decifion. Rambaud d'Orange mourut vers Tan 1 173 a Courtefori. Noftradamus ne de- bite que des fables a fon fujet. Entre autres , il le luppofe un gencilhomme d'Orange, qui dedia un traite de 1'Art d'aimer a la princefTe Marguerite, depuis •femme de Louis IX. II ajoute que loin de le recompenfer , on l'exila aux iles d'Hieres ; mais qu'il fat rappele de fon exii , a la follicitation de Marguerite , devenue reine de France ; & qu'il mou- rut en 1220. Ainfi , mort en 1220 , il dut fon rappel , felon Noftradamus , a une reine qui ne fut reine qu'en 1234. Cet hiftcrien eft: tout aulli exact fur la comtefle de Die. Les pieces de Rambaud font au n om- bre de vingt-huit ; celles de la conitefTe , au nombre de quatre* D E 3 Troubadours, i 77 * *■ ■ s&£ - — ■■■■■% XVIII. PONS BARBA, V__> e troubadour etoit fujet d'Alphon- fe II , roi d'Aragon , ou attache a fa cour. On le volt par un (irvente , ou il le taxe librement de dementir fa generofite enricKiifent des flatteurs qui ont la 1 comphafance de fouffrir leurs egare- x mens Tout eft: renverfd. La cour v du roi Alphonfe, notre chef, etoit une * fource feconde de largefTes : a prefer Hv T~j§ Hist, litt^raire » on ne nous y donne plus rien ; & c^r » qu'on devoit nous donner palfe dans *> les mains des homines les plus vils : » en quoi il y a double faute, de donner » aux mechans , & d'oter aux bons. Roi » d'Araron, rentrez en vous-meme. Son- » gez que vous etes le chei des honnctes * gens , & que vous devez proteger les a> troubadours. « Ne pas combler de largeffes les trou- badours , c'etoit a leurs yeux une des plus grandes fautes que pufTent faire les princes." lis mefuroient d'ordinaire les louanges & le blame aux liberalites qu'ils en recevoient. D'autres ecrivains font le plus grand eloge d'Alphonfe. jVlais les princes les plus celebres ont eu leurs foibleffes , & les flatteurs n'ont jamais manque dans les cours* des Troubadours* 77$ X I X. FOLQUET DE MARSEILLE,. ivtque dz Touloufe* JTolquet etoit fils d'un marchancl de Genes , nomme Alphonfe , etabli 3. Marfeille , qui en mourant le lahTa mai— tre d'une riche fucccflion, dans l'age out les richefies excitent le plus a la prodiga- lite & aux plaifirs. Le jeune herkier avoir une imagination ardente , q\i'on verra. degenerer en fanatifme. Les travaux dir- commerce ne pouvoient lui plairej &: l'opulence ne donnoit point encore aux kommes obfcurs le moyen de fs diftin— guer avec eclat.*Il prefera le fervice des grands & le role de troubadour , a la* vie douce & independante que lui aflu— roit la fortune. Par-la il eut un libre- accts auprcs des plus grands feigneurs- de Ton fiecle, Richard I ro.i d'Angle> I SO HlST. LITTER AIR £ terre , Alphonfe II roi d'Aragon , Ral- mond V comte de Touloufe , lui don- nerent des ternoignages d'eftime. Mais il s'attacha particulierement a Barral , vicomte de MaiTeille, dont la cour fut bientot pour lui un theatre de galart- terie. La vicomte de MaiTeille , erigee en faveur d'un cadet de la maifon de Pro- vence , etoit partagee vers Tan 1170 entre cinq freres. Barral etoit le troi- fieme. Azalai's de Roquemartine , fa fem- me > avoit trop de graces & d'efprit. pour ne pas enchanter le troubadour* Elle devi-nt l'objet de fon admiration „ enfuite de fa tendreflfe. II la celebra dans £es vers, fous des noms empruntes; car ce&t eteune granle felonie-j dit fhiftorien provencal , de laifjer entrevoir le fecret d'une pafjlon pour la femrne de fon fei— gncur. D'ailleurs la vicomteiTe en impo- foit pat fa vertu. -Une douzoine de chanfons exprimenc des Troubadour s. 1 8 f les fentimens refpectueux quelle infpi- roit a Ton amant : » Ah ! que n'a- telle moins de beaute 1 a> Puis-je vaincre mon amour , tandis » que je l'entends parler avec tant de *> grace , que je la vois fourire avec » tant de charmes ! Je n'ofe me decla- 35 rer ; mais elle peut lire dans mes J3 yeux Helas ! d'elle a moi, quelle » diftance i Je me loumets a fa miferi- 3i corde ; car Dieu qui a mis tant de ver- 33 tus en fon ame, ne peut avoir oubiie 3> celle-la. « Nous allons donner l'extrait d'une piece plus remarquable , en vers de huit fyllabes & en ftances de dix vers. Pour rintelligence de cette piece, il faut favoir qu Amour & Merci etoient deux efpe- ees de divinites chez les troubadours : la premiere enfiammoit les amans , la fe- conde rendoit les belles fenfibles a leur » Amour a bien eu tort de venir & 1 8 2 Hist, litter a ire 39 loger dans mon ccrur , fans amener » Merci pour me foulager. Amour r/eft » qu'un tourment , (i Mercl ne vient a » Ton fecours. Amour veut miner tout *> le monde : ne lui feroit-il pas glorieux » de fe laififer vaincre une fois par »3 Merci ? Amour , fi j'obtiens apres tant » de maux un feul bien , y perdrois^tu » de ta gloire ?..... Ah ! que je ferois » heureux , fi enfin Merci flechiflfoit la » branche haute & Ride , a laquelle je a? me fuis attache !..... La meilleure 33 des meilleures , celle qui vaut mieux =» que toute valeur , pourroit accorder 93 aifement ces deux divinites. Elle ac- 23 corde dans fa perfonne des chofes m beaucoup plus contraires : temoin la » blancheur&rincarnatdefon teint. 3 . . » Je ne demande que la liberte de lui 33 declarer mes fentimens ; & tout me dir => que c'eft une temerite impardonnabie, as Comment mon ccrur peut-il contenir » fi enrierement l'amour , qui eft fi grand bes Troubadours. 18^ *> que tout me femble difparoitre devant » lui ? C'eft comme une grande tout » representee dans un petit miroir. ou tard. La beaute que j'aime recon- » noitra un jour mon innocence. Elle ■>■> faura que mon cccur & ma raifon fe 3> difputerent toujours a qui t'aimeroit aj le mieux. Rien ne peut rompre les » chaines dont elle me tient attache. 33 L'efpirance dc la trouver un jour fen- & fible , la douleur de ne recevoir jamais I $6 Hist. lttt£raire » de pardon , m'agiteronr. tour-a- touf 33 jufques au tombeau. « Ni cette piece ni les autres n'annon- cent un genie bien poetique. Folquet va exciter les chretiens a la guerre con- tre les inridelles. Naturellement enrhou- fiafte comme nous le verrons bientot, il devroit s'exprimer ici avec la plus vive chaleur. Cependant fon ftyle ne repon- dra point au fujet. La bataille d'Alarcos , gagnee err 115)4 par le miramolin d'Afrique fur AlpKonle roi de Caftille,repandoit l'alar- me en Efpagne & dans les environs* Vingt miile Caftillans v avoient peri, Le roi s'etoic enfui a Tolede. Flufleurs vilies etoient prifes & faccagees. On craignoit de nouveaux malheurs ; & le miramolin augmentoic fes forces , en faifant precher une gack * efpece de croifade que les Sarafins oppofoient a celle des chretiens : ce qui eft d'autant mains etonnant , que les guerres des des Troubadours. 187 mufulmans paiToient toutes pour guer- res de religion. Alphonfe, de fon cote, implora le fecours du pape , des rois de France & d'Angleterre , &c. Folquet fe flatte fans doute d'echauffer le zele par par fa poefie. » II n'y a plus aucun pretexte de » delai : il faut aller fervir Dieu , & ven- » ger les pertes des chrenens. Le roi » d'Aragon , qui arrere tout ie monde , » ns doit pas s'y refufer ; tons les autres » princes doivent acheter a ce pjix la » couronne de gloire Roi de Caf- » tille , n'ecoutez point les faux bruits » que vos ennemis repandent. Ne vous » decouragez point de vos partes. Dieu » a voulu vous apprendre a ne mettre » votre confiance qu'en kii. « Ce ton , moins digns d'un pocte que d'un moine > femble annoncer la meta- morphofe de Folquet. Prefque tous fes prote&eurs etant morts dans l'efpace de peu d'annees, fsifi d'une profonde melarv? HSS Hist. litt£raike colie , il fe-livra aux fentimens de devo- tion. Par une derniere piece , il confeffe ies peches enormes , implorant la mife- ricorde de Dieu, » a genoux, les mains » jointes, & verfant des rarmes qui coulent » du fond de Ton cceur fur fon vifage. « Il ne foupiroit que poug le cloitre. II engagea fa femme a s'y confacrer , & prit l'habit monaftiqus de Citeaux vers Tan 1200. Ses deux fils faivirent cet exemple. Si le troubadour converti avoit eta un moine oblcur & paifible, on pourroit finir fon hifloire en celebrant d'un trait de plume fes vertus. Malheureufement il reparut fur la fcene avec eclat , pour jouer le role de fanatique , beaucoup plus dangereux fans doute que celui de poete galant & libertin , furtout quand ['intrigue & l'autoritedonnent des arnaes au fanatifme. Deux ans apres fon diangement, Fol- avec Vapotre d'employer la rufe » Vous commencerez par faire la guerre » aux autres heretiques , de peur que , » s'ils 15 es Troubadours. ipj * s'ils etoient tous reunis , il ne fut plus » difficile de les vaincre. ..... Enfuite » vous attaquerez le comte , lorfqu'il fe » trouvera (eul & hors d'etat de recevoit » aucunfecours.«Dumoins auroit-il fallu rougir de profaner fi indignement l'auto- rite de I'apotrt, Les croifes s'avancoient , les ordres de Rome alloient s'executer. Raimond fe hata de remettre les tept chateaux au legat Milon. Un concile devoit le juger a Saint- Gilles: il fe prefenta en chemife dans le veftibule ; il preta tous les fer- mens qu'on voulut; il fut introduit dans l'eglife par le legat , qui le frappoit de coups de verges ; & il recut l'abfolution. Oblige enfuite d'embraifer la croifade & de combattre fes propres fujets , il fe trouva en I20_o au fac de Beziers , ou les habitans furent maffacres fans qu'on daignit meme epargner les catholiques. Tue^-les tous j difoit un moine de Citeaux, legat ; Dleu connote ceux qui font a lui* Toms I, 1^ *j>4 H«ST. LITTER AIRE Ce n'etoit point aflez pour la cour de Rome , pour (cs faiiatiques partifans, 6c. pour le fameux general de la croifade , Simon comre de Momfort , d'accablei: Raimond d'opprcbrcs & de chagrins. On vouloic le depouiller de fes etats ; on lui cherchoit toujours de nouveaux cri- mes. Ayant obtenu la permiilion d'en- trer a Touloufe , il y recur, ordre de liv le comte qui m'a fait eveque , repond » Folquet. Je fuis elu fuivant les lois » ecclefiaftiques , non intrus par violen- » ce & par fon autorite. Je ne fortirai » point a caufe de lui. Qu'il vienne s'il » l'ofe. Je fuis pret a mourir, arin d'arri- » ver a la gloire par le calice de la paf- » fion. Qu'il vienne le tyran , accompa- 3» gne de fes fatellites. II me trouvera so feul & fans armes. J'attends la recom- r> penfe, & je ne crains rien de ce que les v hommes peuvent me faire. «= - Le fanatifme , avec ce langage de faintete , avec ces apparences de mar- tvre, etoit le plus terrible ennemi des fouverajns , des peuples , de la religion des Troubadours. i£7 meme, qu'il rendoit odieufe en afFe£tant de la defendre. Folquet brava le comte pendant trois femaines dans fa capitale. II en /ortit volontairement , mais pour exciter par-tout l'efprit de revoke & de perfidie. II fe trouva au fiege de Touloufe , dans l'armee de Montfort. II declara aux Touloufains qu'on les afliegeoit unique- men t parce qu'ils reconnoiifoient leur prince , & lui permettoient de demeurer parmi eux ; qu'on ne leur feroit aucun mal , s'ils vouloient le chafier avec fes partisans, & recevoir pour feigneur cekii que l'eglife leur donneroit; Imon quon les traireroit comme here'tiques & fau- teurs d'hereiie. Les Touloufains ayant reiufe , il envoya ordre a tous les egcle% fiaitiques de fortir au plus tot : ils forti- rent nu-pieds en procellion , emportant Je (aint-facrement. La fide'lite dcs Touloufains ne fe fou- tint pas contre la fuperftition & centre mi i Es Troubadours. 20/j *' — =-3 £>= . =* X X. GIRAUD LE ROUX. vJTiraud le Roux, felon nos vies manufcrites, naquit a Touloufe d'un che- valier pauvre. La nobleffe fans fortune n'avoit point alors de meilleur parti a prendre , que de s'attacher au fervice d'un grand feigneur. Elle y trouvoit les avantages de feducation , & les moyens de fubfiftance. Si elle y perdoit une cer- taine liberte , du moins l'efprit de la chevalerie -anobliiToit des fon&ions en apparence ferviles , & qui etoient hono- rables, non-feulement a la cour des prin- ces , mais chez de fimples chevaliers > plus diftingues par leur merite que par leurs richefles. Les fervir &'fe formei fur leur exemple etoient la mcrae chofe. Le jeune Giraud entra au fervice du eomce de Touloufe. Alphonfe Jourdaia, 2o6" Hist, litter at r2 qui avoit fuccede a Ton ixere Bertrand „ mort en Syrie Tan 1 1 1 2 . Souple , com- plaifant, aflidu, poli , il joignoit a ces qualites une belle voix & l'art de chan- ter agreablement. C'etoient des moyens infaillibles de plaire dans une cour bril- lante. Ma'.heureufement , avec de fefprir & des graces , on fe croyoit autorife aux paflions les plus temeraires. Alphonfe avoit une fille , que 1 hiftorien provencal ne nomme point [ i ] , dont les charmes firent trop d'impre'Iion fur Giraud. II en devint amoureux. L'amour le renciit pocte , comme il eft arrive tant de fois , lorfquela fenfibilite & le talent etoienr reunis, Mais fes vers , d'un ftyle naturel &: tendre , n'annoncent que les tourmens d'un amour infortune. Nous avons fept pieces de ce trou- badour. Il y prodigue les louanges a la princefle , & lui trouve toures !es per- fections , excepte celle d' avoir picie de fon amanu ; des Troubadours. 20^ » Mes chants , dic-il , ne peuvent fle- » chir la beaute que j'aime. Que ne * ferois-je pas pour lui plaire ! Ce bon- » heur eft au-deffus de moi. Continuerai- » je de lui rendre hommage , ou faudra- » t-il m'en detacher ? M'en detacher , » helas ! je n'ai pas la force de m'y re- » foudre. Je meurs , fi je la quitte ; je » meurs , Ci je ne la quitte pas. Plus j'al » ete malheureux , plus je dois efperer r> que je ceflerai de l'etre : car il y a fin » a tout , & nulle faifon n'eft eter- » nelle. <* » Kile a tant de beaute, qu'entre cinq » cents femmes , tout homme la prefere - » roit d'abord. Mais elle eft infenfible> » C'eft une vertu de moins ; & une verm * de moins fait peidre le merite de tou- » tes les autres Je la conjure d'a- » voir pitie de moi. J'ai deja perdu mon » feigneur \ S'il faut que je perde en- * Coci fuppofe la more d'Alphonfe-Jourdain 5 2o8 Hist, litt^raire » core ce que tout mon cceur defire , ]& » ne pourrai furvivre a mes maux. ...» » Que me reprocheroit-elle ? mon cri- » me eft de la trop aimer j & un exces »d'amour merite-t-il qu'elle m'accable » de fes rigueurs ? Le bonheur eft in- » connu a qui n'a point aime. II feroit » bien terns que celle que j'adore ac- » cordat quelque recompenfe a ma » flamme. Si elle ne fent rien pour moi , » je la fupplie de feindre du moins » qu'elle eft fenfible a mes tranfports, » Je jouirai de ce doux menfonge ; 8c » il vaudra mieux qu'une cruelle ve- » rite. Mon frere veut avoir la terre de » mes enfans ; il veut que je lui en cede » une partie. On dira peut-etre que c'eft » mechancete de ne pas lui ceder le rout, » de ne pas me reduire a devenir fori » humble vafTal. Mais je le declare , il » s'en trouvera mal , s'il ofe difputer » avec moi. Je creverai les yeux a qui r> voudra m'oter mon bien. La paix ne » me convient point ; la guerre feule a » droit de me plaire. Ne rien craindre : » voila mon unique loi. Je n'ai egard ni » aux lundis ni aux mardis. Les femai- » nes , les mois , les annees , tout m'efl: » egal. En tout terns , je veux perdre » quiconque me nuit. Fuffent-ils trois ,' w quelle que (bit leur puifTance , ils ne » gagneront pas fur moi un pouce de p terre , ( la valeur d une courroie). Que? £ r 4 Hist, litt^raire, » d'autres cherchent, s'ils veulent, a em * » bellir leurs maifons , a fe procurer les » commodites de la vie. Pour moi , fairs » provifion de lances , de cafques , de- v> pees , de chevaux , c'eft ce que j'am- » bitionne. A tort ou a droit , je ne » ccderai rien de la terre de Hautefort : » elle eft: a moi , & on me fera la guerre » tant qu'on voudra. « II fe fondoit fur une ceffion que Conftantin lui avoit faite de fon heri- tage , moyennant certaines conditions arrangees a 1'amiable. L'autre foutenoic qu'il y avoit ete contraint par violence , & reclamoit fes droits naturels. Bertrand ajoute la-deflus : . » Je paflerai pour un lache , fi j'aban- » donne a mon.frere la portion qu'il 9 m'a cedee , en me donnant fa foi. Puif- » qu'il refufe mon amitie & tout accom- »modement, pourquoi me condamne- » roit-on de defendre mon droit contre f lui ? Les donneurs d'avis me fatiguent 15 es Troubadours. 21/ *o en fi grand nombre , que , par Jefus , v je ne fais auquel entendre. On m'ap- » pelle imprudent , 11 je refufe la paix ; » fi je veux la faire , on m'appelle un 3J lache. cc Le comte de Poitou , Richard , avoit un motif particulier de vengeance. On conncit les revokes des enfans de Hen- ri II contre leur pere. Apres lui avoir arrache divers apanages, i!s fe brouil- lerent entre eux , & lui-meme (omenta leurs diflenfions , devenues utiles pour fon repos. Richard, fougueux ccavide, eut de grands demeles avec le prince Henri , Ton aine , due de Guienne , & couronne roi d'Angleterre en 1 1 69. II enlevoit les droits de Henri ; il faifoit des incurfions fur fes terres. Les vaflaux prenoient les armes pour Tun ou pour l'autre. Bertrand de Born fut un des plus dangereux ennemis de Richard , qui fe vengea , comme on l'a vu , en facca- geant , avec le vicomte de Limoges , fa fcicneurie. £l6 Hist. tiTThAiRE Bertfand etoit furieux, avoit befoirt ide fecours , & lui fufcita des ennemis de tous cotes. Un grand nombre de fei- gneurs ayant a fe plaindre des vexations du prince , il forma bientot contre lui une ligue redoutable. Les vicomtes de Ventadour , de Segur , de Perigord , de Gordon , de Gevaudan , de Tartas ,$e Turenne ; les comtes de Foix , d'Angou- leme & d'Armagnac ; les feigneurs de Puiguillen , de Clarenfac , de Gragnel & de Saint-Aftier , grands barons de Peri- gord , entrerent dans la confederation ; & le prince Henri en devoit etre Ie chef. Apres avoir fi bien reufli par (qs in- trigues , Bertrand employa les reflbrts de la poefie. Autrefois chez les Spartia- tes , & chez les Celtes nos ancetres , elle fervoit a infpirer l'ardeur martiale : elle pouvoit produire encore le meme eflfet dans une contre'e , o'u l'imagina- tion etoit aula* vive que les cara&eres etoient *>es Troubadours. 217 etoient ardens. Voici la piece du trou- badour : » Puifque Ventadour & Comborns ,' » Segur & Turenne, Montfort & Gor- » don ont fait ligue avec Perigord : » puifque les bourgeois des environs fe » retranchent & relevent leurs murailles ; v il me plait d'affermir leur refolution » par un firvente. Quelle gloire vous » acquerez , Puiguillen , Clarenfac , Gra- ss gnel , Saint - Aftier ! Pour moi , on » m'offriroit une couronne , que j'aurois » honte de ne pas entrer dans cette li- » gue , ou de m'en detacher. Turenne » & Angouleme font pour nous de pui£ » fans appuis. Si Beran, Gevaudan , Ar- » magnac , Tartas , Marfan nous prctent » fecours , le comte Richard aura bien » a faire. Le brave Henri peut refter. a t> Bordeaux. Nous porterons dans le r> Poitou nos bannieres deployees. Nous t» y trouverons Taillebourg , Lufignan , » Mauleon , Thouars & Tonnai , qui Toms I, K. 21$ Hist, lttt^rairs » faifiront avec joie cette occafion de fe » faire juftice de Richard. « Quelque violent que fur. ce prince , il fut difliper l'orage par adrefTe. II nego- cia avec Henri , dont il connoiiToit la legerete & les gouts frivoles , & il vint a bout de l'engager alui ceder fes droits & fes terres, pour une penfion plus conve- nable a fes defirs de tranquillite. La ligue alloit fe mettre en mouvement , lorfque Je traite fut conclu entre les deux freres. Henri fe retira en Normandie ; & s'y occupa de joutes , de tournois & de plai- ns. Ses vaifaux efmyerent la vengeance de Richard : leurs terres furent cruelle- ment devafte'es. C'eft le fujet d'un nou- veau firvente , ou Eertrand invective contre le prince qu'il celebroit avant fa defection. » Je me hate de faire un firvente ; r> je veux incefTamment le publier & le v repandre par tout : fen ai un fujet v; important & trop fenftble. Le jeune DES TrOUB ADOUR S. 2I£ » roi * vient de facrifier tous fes d#oits » en faveur de Richard. II alle'gue un » ordre de Ton pere , qui Vy a force. » Puifqu'il veut bien ne plus pofledcc » ni gouverner aucun domaine , il fera » done deformais le roi des mechans on » des laches. II montre fans dome autant » d'imprudence que de lachete , en con- » fentant a vivre des pen (ions que lui » donne le comte de Poitou. Roi cou- » ronne , qui vit de I'argent d'autrui , » n'eft pas de grande efperance. Des » qu'il trompe & trahit fes vafTaux , il » perd tout droit a leur amour. Eft-ce » en menant une vie oifive , & s'endor- » mant dans les plaifirs , qu'il fe rendra » digne de regner fur 1'Angleterre , de » conquerir l'lrlande* K , d'etre proclame * Le prince Henri avoit cte couronnc , 8c portoit deja le titre de roi. * * Henri II avoit con-]ui<; l'lrlande. I e p.oete veut faire entendre que Ton fils etoit incapably d'une pareille concjucte. &20 Hist, litter a ire » duf de Normandie , de pofleder le » Maine, l'Anjou, le Poitou & la Guien- *> ne ? Richard, qui n'a plus a craindre » Ton frere , pourra done menager en- » core moins qu'auparavant fes fujets , » s'armer contre eux , prendre leurs cha- » teaux, les detruire , les livrer aux flam- » mes ! Plut a Dieu que le comte Geof- » froi ( troifieme fils de Henri II) fiit ne » le premier ! L'Angleterre & la Nor- *> mandie gagneroient plus a l'avoir pour » fouverain ; car il eft franc & loyal. « Quand ces pieces ne feroient qu'un monument de la liberte, avec laquelle on parloit £e on ecrivoit alors , de la fim- plicite avec laquelle on traitoit les gran- der affaires, elles meriteroient d'interefTer I'efprit humain. Par la defection du prince Henri , la Hgue fe trouva comme aneantie. La plu- part s'en detacherent fous divers pre- textes , & Bertrand ofa prefque feul bra- ver la puiiTance de Richard. Mais il fuc- d e s Troubadours, 22 f Comba bientot dans une entreprife fl temeraire. Son chateau etoit affiege. En s'obftinant a le defendre , il eut ete per- du fans resource : il fe rendit. Richard accepta fes foumiilions , l'embrafTa & lui pardonna. Touche de fa clemence , le troubadour compofa cette piece en fon honneur. » Malgre mes pertes , il me refte le » courage de chanter. J'ai rendu Haute- » fort au feigneur Richard ; mais , puifc » que j'ai paru devant lui pour deman- ds der grace , & qu'il m'a pardonne en » m'embralTant , je n'ai plus a craindre » d'autre infortune. Les barons du Li- » moufin & du Perigord , qui m'avoient » donne leur foi, m'ont lachement aban- » donne. Je les abandonne a mon tour. » Si le comte Richard veut m'accorder » fa faveur , je me devouerai a le fervir ; » & mon attachement fera pur comme » f argent le plus fin. Sa dignite doit le » rendre femblable a la mer , qui femble Kiij 222 Hist, littekaike » vouloir retenir tout ce qu'elle re$oit » dans fon fein , & qui bientot le rejette » far le rivage. II convient a un fi haut » baron de reftituer ce qu'il a pris fur un » vafTal qui s'humiiie. Je le prie du moins » de »e confier la garde de mon cha- » teau ; car ceux qu'il en a charges font » mal avec moi , & nous aurions perpe- » tuellement des querelles. En me le » rendant meme , il n'expoferoit point » fon honneur , puifque je fuis pret a le » fervir & l'honorer. C'eft ce que jamais » peut • etre je n'aurois fait , ft fon ne » m'eiit trahi. « Soit que cette maniere franche , & neanmoins flatteufe , de demander pliit a Richard, foit qu'il ne confiderat que l'avantage de s'attacher un fi vaillant chevalier , il recut fa foi & lui rendit lbn chateau. Bertrand profita de la pa : x, pour fe venger des vicomtes de Limo- ges & de Perigord , qui favoient aban- ilonne honteufement. Tout ce que lg des Troubadours. 223 guerre produifoit alors de ravages fut 1'eftet de fa vengeance. Les trois ftls de Henri II s'erant de nouveau revokes , Bercrand faifit I'qc- cafion de fatisfaire fon gout dominant pour 1 intrigue & la difcorde. II renoua fes liaifons avec le prince Henri , prei: a foulever les Gafcons. La morr de ce jeune prince , qu'une maladie lit perir en 1 1 03 , le penetra de la plus vive douleur , parce qu'elle deconcertoit fes •defleins. II compofa deux complaintes a fa louange ; car celui qu il avoir dechire dans une fatire > ne lui paroifToit plus digne que d'eloges. x> Je fuis devore d'un chagrin qui ne » finira qu'avec ma vie. Ii n'y a plus » pour moi d'alegrelfe. J'ai perdu le » meilleur des princes. En me rappelann * fon caractere genereux , fes manieres » obligeantes , fa bonne mine, fes pro- y- cedes honnctes, j.e fuis pre: a etoufier » de douleur. Jamais feigneur plus gr^- K iv '2.1% Hist, litteraire » cieux , plus affable, ni plus emprefle a » rcndre iervice. Quel ordre, quelle ma- » gnificence dans fa maifon ! on y etoit » toujours bien rec,u ; on y trouvoit » bonne chere & grande compagnie. Les » fetes , les divertiffemens s'y renouve- » loient fans cefle. Grand Dieu ! vous 30 enlevez tout cela a ce fiecle , dont la » mechancete le merite bien. Aimable » prince , fi tu avois vecu davantage , » tu ferois devenu le roi des courtois , » & l'empereur des preux. Jeune enco- de , tu avois acquis du renom. Qui- 33 conque t'a connu , doit finir (cs jours » dans le filence & l'arnertume. Nulls so joie ne diflipera ma douleur. Anglois 30 & Normands , Bretons & Irlandois, » peuples de Guienne , de Gafcogne , » d' Angers, de Tours & du Mans, tous » doivent repandre des larmes. « » Si Ton raffembloit tous les defaftres, » qui peuvent fondre fur Jes malheureux * humains , que feroit-ce en comparalj ces Troubadour g. 22^ »fon de la mort de ce jeune roi ? Nous »■ fommes tous abimes dans la triftefle & » le delefpoir. Les guerriers , les trDuba- » dours , les jongleurs ont tout perdu. y> Mort barbare! tu peux te vanter d'a- » voir enleve le meilleur chevalier qui *> fut janjais. Que n'allois-tu lancer tes » dards contre tant de medians que tu » laities vivre , vil fardeau de cet uni- y> vers ? PuifTent les veitus du jeune roi » fervir de modele a tous ceux dont il a » ete connu ! J'implore la mife'ricorde du » Dieu qui eft mort pour nous fauver. * Qu il daigne le placer en honorable » compagnie , au fejour ou il n'y eut »jamais ni peine ni chagrin ! « Le roi d'Angieterre attribuoit a Ber~ trand de Born les demarches feditieufes - ce fon fils. Fvefolu de le punir , il vine 1'attaquer, L'afliegea dans Haute fort , en battit les murs avec fes machines de guerre. Selon Thiftorien provencal , dont is reck auroit befoin , ce me femble ? '2. z 6 Hist, l i t t £ r a i r b d'etre coniirme par de bonnes preuves , Aiphonfe roi d Aragon , qui etoit dans le camp de Henri , envoya demander des vivres a Bertrand , a cet ennemi qu'on afiiegeoit : Bertrand lui en fit por- ter , & comptant fur fon amitie , lui man- da que fes defenfes etoient prefque de- truites , qu'il le prioit de faire tourner les batteries ailleurs. L'Aragonois , loin de lui rendre un pareil fervice , revela le fecret au roi dAngleterre. Les memes attaques furent vivement poufiees , & Bertrand fut pris avec toute fa garni- fon. Conduit au vainqueur , il effuya d'a- bord des reproches tres-piquans. He bien > lui dit Henri II, cejl done vous qui vons vantki a? avoir une fois plus cVefyrit qu'il ne vous en falloit? — J'ai en droit de. le dire en un urns ., repliqua le prifonnier; mais en perdantlejeum roi votre fits jfai pzrdu torn: ce que favois d'efprit 3 de rai- ■fon & 'ixhabihiL Henri verfa des larmes. ues Troubadours. 227 snnom de Ton fils. Ah! Bertrand , s'ecrie- l-il, jnalheureux Bertrand ., il efi uien jujle qui vous aye\ perdu Vefprit en perdant monjils; car il vous aimoit uniquement* Et mot, pour f amour de lui , je vous rends potre liberie * vos liens j voire chateau? je vous rends mes bonnes grdces &' more amide : je vous donne de plus cinq cents marcs pour reparer le mat que je vous at fait. Bertrand fe jette a fes pieds , & lul jure un attachement fans bornes, Tous I&s hiffcoriens atteftent que Hen- ri etoit un bon pere, malgre les revokes continuelles de fes enfans. La more de fainelui avoir caufc la plus cruelle dou- leur; & ce fenriment joint a Tcfprit de la chevalerie pouvoit produire un il beau trait de generofite. Les mceurs an- tiques offrent des contrafr.es finguliers de bonte & de violence. Perfonne n'etoit plus pone que Ber- trand de Born aux execs de la colcre, f- urieux de la perfidie dont il accufok JLvii '22$ Hist. litt£uaire le roi d'Aragon , il fe vengea par deuX ilrventes fatiriques. Ces pieces curieufes re pourroient s'entendre , fi nous ne rapportions ici quelques particularites * qui auroient paru deplacees dans l'arti- cle d'Alphonfe II , parce qu'elles n'y auroient eu aucun rapport avec notre principal objet. La fortune de la maifon de Barce- lona , niaitreile alors du royaume d'Ara- gon & du comte de Provence , excitoit trop de jaloufie , pour echapper aux traits delafatire. Raimond-Berenger III;, ai'eul d'Alphonfe , avoit acquis la Pro* vence , par fon mariage avec la princefle Douce , heritiere du comte Gilbert. Le ills de ce Raimond-Birenger, dumeme nom que lui, parvint au trone d'Aragon par un mariage plus remarquable. Ra- jnire II, dernier roi de la maifon de B> gorre, avoit ete moine & pretre. En: Bsontant fur le trone, il etoit convenu avec Gaxcias roi. ds Navarre , prince des Troubadours. 22.$ ide fa maifon , qu'apres fa mort l'Aragon lui appartiendroit , comme au feul heri- tier qu'il put avoir. Mais s'etant marie, malgre (es engagemens dans le cloitre & le facerdoce , il eut une fille nommes Petronille, qu'il fianca encore enfant au comte de Barcelona. Ceiui-ci lui infpira politiquement des remords , pour le faire retourner au cloitre ; & , quand il y fut rentre, obtint des etats d'Aragon, la re- gence , jufqu'a la majorite de la princefTej De ce manage naquit Alphonfe II. Alphonfe fut en guerre , au fujet de la Provence , avec le comte de Tou- ioufe qui lui difputoit cet etat. Comme les Provencaux , voulant avoir leur prin- ce chez eux , faifoient difficulte de lui obeir , il fut contraint de remettre le comte a fon frcre Sanche ; mais il Tea depouilla enfuite. Notre troubadour lui reproche une pareille injuflice , envers fon troilieme frere auquel il enleva le RouffiUoii,. iZ3° Hist, lit'te'r airf Enfin , nous allons voir qu'on amr- cruoit fa naiflfance ; qu'on le fuppofoit iflii d'un petit fcigneur de Carlad en Rouergue [ I ] ; & qu'on lui imputoit des traitemens odieux a l'egard de la fille de l'empereur Manuel , dont il ad- roit du etre l'epoux. Mais la haine eft injufte, fouvent jufques a la calomnie,. Bertrand s'exprime ainfi dans Ton pre^- mier firvente contre Alphonfe : » Je veux apprendre aux Aragonois :j combien leur roi s'eft deshonore , en sj venant ici avec fes guerriers merce- 53 naires. Je fais que fa famille eft mon- » tee trop haut ; & fefpere quelle re* » tournera au lieu d'ou elle eft venue , 33 a Milhaud ou a Carlad. II perd la Pro- 33 vence > on y fait plus de cas de fon » frere Sanche cyje de lui, qui ne icnge 33 qu'a s'engrainer & a boire dans le 33 Rouftillon, dont fon frere Geoffroi fut 33 deoouille. Par tout il a la reputation » d'homme. fans foi , accoutume au far- r> e s Troubadours. 23 t 35 ment & au parjure J'eftime plus »un roi mecreant ou pai'en que celui » dont j'eprouvai !a trahifon , le jour » meme que je lui rendis fervice. Le bora » roi de Navarre recouvrera 1'Aragon a *> que lui a enleve le moine Ramire, 33 Peut-on lui comparer un perfide ufur- » pateur ? Je m'arrete en confideration 33 de la bonne reine fa femme. Sans a> quoi , je lui reprocherois encore la » noirceur avec laquelle il trahit & mit a> a mort Berenger de Bezaudun. Com- 33 ment a-t-il traite la ftlle de Tempereur oo Manuel ? Le mechant , le parjure ! il » pilla fes equipages & fes trefors ; il la 33 renvoya avec fes gens apres en avoir ■* tire le vert & le fee. « Le fecond firvente eft auffi plein de fiel , quoique le debut annonce des ien- cimens moins amers. => Je voudrois me reconcilier avec le w bon roi d'Aragon. Mais il flit trop » dcloyal & trop mechant, lorfqu'il vim 232 Hist, litter aire » m'apporter la guerre. Je dois lui fairei » fentir fes torts , arm qu'il fe corrige. » Tout le monde en dit du mal. Un de » fes vaflfaux m'a conte la plus noire des w» trahifons, commife en vers un gentil~ >j homme.Ce gentilhomme l'avoit invite » a un repas. Des qu'il fut entre, il chafTa » le proprietaire & ufurpa le fief. c< Voici des reproches encore plus hu<- milians pour un fouverain, Selon notrs poete , Alphorie ayant envoye au fer- vice du roi de Caftille un nornbre de chevaliers , dont cinquante furent pris dans un combat , il exigea de ce prince le payement de leur rancon. ; mais em- porta la fomme qu'il avoit recue , & les IaiiTa dans les fers. Ce trait d'avarice eft fuivi d'un autre prefque incrovable, Le roi d'Aragon avoit emprunte deux cents marabotins d'un jongleur nomine Artufet. II ne le payoit qu'en belles paroles. Pour furcroit d'infortune, Arr.t- fet&un de-fes camarades, attaques par bes Troubadours. 23^ ties Juifs , tuerent un des agrefleurs en fe defendant. Les Juifs porterent leurs plaintes , & promirent au roi deux cents marabotins , s'il vouloit livrer a leur vengeance ceux qu'ils accufoient de meurtre. L'argent fut accepte , les victi- mes livrees. Guillaume Bergedan aflure, dans un firvente , que les Juifs les firent bruler le jour de Noil. Bertrand de Born ne rapporte point cette fin tragique, Mais il accufe encore Alphonfe d'avoir mal pave un autre jongleur, qui lui prita. chevaux & argent * de 1'avoir abandonne a la fureur de la reine douairiere d'An- gleterre , dont il avoit apparemment dit du mal : cette princefle , retiree a Fon- tevrault , 011 les paflions n'etoient pas toujours eteintes fous le voile de la piete, le fit cruellement mettre en pieces. A des traits fi honteux le poete ajou- te un reproche de lachete. » On devina v jufte , dit-il , des la jeuneffe du prince, l» qu'on parle de batailles ., femble le faire » par ennui ou par ignorance en fait d'ar- » mes. « Les guerres de Richard avec Phi- lippe Augufte ouvrirent au troubadour un nouveau champ, pour exercer & foa efprit fatirique & fes inclinations mar- tiales. Attache au premier de ces illuf- tres rivaux , il ne pouvoit etre jufte en- vers 1'autre , tant les paflions avoient d'empire fur fon ame. Nos manufcrits ofixent des particularity inconnues, qui parohTent dignes de trouver place dans Thiftoire. De part & d'autre on- fe preparoit a une bataille fanglante. Les deux rois , a la tete de leurs troupes , n'etoient fepares que par la riviere de Seure , pres de Niort. Us demeurerent ainfi en prefence quinze jours entiers , retenus furtout par leur clerge , dont les efforts pacifiques DES Til OU BAD OURS. 1"$$ tendoient a epargner le fang humairir Un jour que Richard alloit paffer la riviere , & que i'armee francoife l'att en- doit avec 1'impatience de combattre, les ecclefiaftiques & les moines , le crucifix a ia main , conjurerent les deux rois de facriher au Dieu de charite un cruel refTentiment. Philippe proteftoit qu'il ne defarmeroit point , ii Richard ne lui ref- tituoit Gifors , & ne lui faifoit hommage pour la Normandie ,. le Poitou &c l'Aqui- taine. Richard, indigne de ces propofi- tions , monte a cheval , met le cafque en tete , fait fonner la charge. II avoit cor- rompu a force d'argent les Charnpenois de I'armee ennemie ; il comptoit fur leur defection. Effe.clivement Philippe , au moment de livrer bataille , trouve les feuls Charnpenois indociles a (es ordres. Dans l'embarras 011 le jette leur refus de prendre les armes , il aflemble les prelats & les moines qui s'etoient efibr- ce's de lui infpirer la paix , & les envoie '0.^6 Hist, litteraibe au roi d'Angleterre avec promeffe de la conclure. Leurs exhortations furent cette fois efficaces, parce qu'elles etoient accompagnees d'offres tres-avantageufes. La paix fe fit , Philippe- Augufte ceda Gifors ; l'afifaire de 1'hommage refla fuf- pendue. L'hiftorien provenc,al ajoute que les deux rois , devenus economes , & meme avares , ne voulurent plus aflembler d'armees ; qu'ils ne firent de depenfes que pour acheter des terres , & pour lever des equipages de chalTe ; que les barons virent avec beaucoup de cha- grin une paix qui les expofoit aux vexa- tions de leur avarice ; que Bertrand de Born , dont la guerre faifoit tout le plai- fir, en fut fingulierement afflige , d'au- tant plus que fan ambition & fa fortune en fouffroient. Aulli n'oublia-t-il rien pour rallumer le feu de la difcorde. Ses traits fatiriques Je readoient redoutable aux fouverains* des Troubadours. 23^ II les "decocha dans un firvente fur Ri- chard , comme fur Philippe, les accu- fant de luchete , furtout le dernier qu il haifloit. Un roi arme le deshonore , fe- lon lui , quand il traite au lieu de fe bat- tre. II ne falloit qu'une etincelle , les pro-: vinces alloient etre embrafees. Richard, plus arrogant depuis la paix, ne mena- geoit point les terres de France. Philippe- Augufte fe plaignoitvivement des infrac- tions du traite. Ces rivaux altiers convin- rent d'une entrevue. Le fecond eclata en reproches : l'autre lui donna un de- menti : ils fe feparerent apres des delis mutuels.Bertrandtriompha du fucces de fon firvente , & en fit un fecond , pouc ulcerer davantage les cceurs. Dans cette piece , il dit qu'on n'ac- querra aucune gloire folide , tant qu'on ne penfera qu'au plaifir ; il compare le roi de France a des moines amis de la paix ; il l'aiguillonne par l'exemple dp 238 Hist, litt&raire fon rival qui aime plus la guerre que Ie$ Mga'is. Ces Algais etoient quatre freres , fameux chefs de brigands , qu'on voyoit piller & faccager les provinces , a la tete de onze mille fcelerats. Leur metier pa- rohToit , fans doute , a Bertrand de Born, digne d'illuftrer les monarques. Au pre- mier fignal de guerre entre les deux rois, il ne manqua pas d'exciter le fougueux Richard par des eloges. Obfervons que ce prince & le poete s'appeloient entre eux oc & no ( oui &• non). De pareils fobriquets etoient com- muns parmi les perfonnes liees d'amitie ou d'interet. Ainu" Bertrand prenoit avec le comte GeofFroi de Bretagne le nomde Bajfaj & avec le jeune Henri , roi d'An- gleterre, le nom de Marinier. Preuve fen- fible de fa familiarite avec les princes* La devotion ou l'ambition des croi- fades reconcilia en apparence Philippe & Richard. On fait combien celui-ci eut i/.eu de s'en repentir , foit par l'inutilite des Troubadours. 23 £ de fes exploits contre les Sarafins , foit par fa longue prifon d'Allemagne , foit par les delordres qui arriverent dans fes etats. Les barons du Limouim & du Per rigord fe fouleverent , & reprirent une grande partie des places qu'il avoit con- quifes. Bertrand , dont nous avons un firvente pour la croifade , ou Ton voit que l'amour pouvoit le retenir en Eu- rope , s'efforca inutilement de relifter a cette ligue. Mais au retour du roi , il em- ploya fes vers a exciter la vengeance contre les factieux. Sa piece fut envoyee a Raimond JaufTerand , feigneur de Pi- nos dans le comte d'Urgel. » Puifque nos » barons , dit-il , croient corriger le fei- » gneur de Bordeaux en lui faifant la » guerre , & penfent le forcer a etre » franc , fage , modere & courtois ; il lui » fieroit mal de ne pas fe montrer de- » formais 11 difcourtois, que chacun scC- » time heureux de tirer de lui une repon- v fe , & o'ofe remuer , quoiquil les tonde. *4& Hist, litter Air'8 - » £r les rafe* &c. * On doit convenir qu© ce troubadour n'etoit un modele ni de gout ni de vertu. Vaillant chevalier & poete renomme, II pouvoit briller a ce double titre dans la carriere de la galanterie. La princefle Helene , fceur du roi Richard , qui epoufa depuis le due de Saxe , & fut mere de l'empereur Otton , ne dedaigna point fes hommages. Richard lui-meme , alors comte de Poitou , avoit excite l'amour du polite , en lui recommandant de faire a fa fceur tous les honneu/s & tous les plaifirs quil pourroit. Elle , de fon cote » fe montra fenfible a la gloire d'etre cele- bree par un tel amant. Nous avons une piece ou il la depeinc comme la plus excellent* dame qui foit dans toute Cetendue de la terrt 6f de la mer. Ce qu'il y a de plus remarquable , e'eft que la piece fut compofee dans un camp ou fon manquoit de tout, ou Ton jj'avoit ni bu ni mange au milieu du jour. Bertrand des Troubadours. 241 Bertrand de Born charma la faim , en chantant la belle Helene. Cette paillon ne fit , probablement , qu'effleurer fon cceur. Maenz de Monta- gnac fille du vicomte de Turenne , & femme de Tallerand frere du vicomte de Perigord , lui infpira une tendreffe plus vive & plus orageufe. La jaloufie troubla leurs amours. Bertrand prodi- guoit les eloges a une dame de Bourgo- gne, nommee Guifcarde , qui avoit epou- fe le vicomte de Comborn , & qui , avant fon manage , avoit fait des vers pour Bertrand. Maenz le foupconna de lui donner une rivale , & le congedia. Penetre de douleur , il s'efforca de difli- per les foupcons par une piece dont la tournure eft finguliere,. » Je me difculpe , car je n'ai point » tort , de ce que les medifans vous ont » dit contre moi. De grace , ne fouffrez » point qu'on me brouille , madame , t> avec votre tranche, honnete & aima- Tome I. £1 24.2 Hist. litteraikK y ble perfonne Qu'au premier vol » je perde mon epervier , que des fau- v cons fenlevent & le plument a mes » yeux , fi je n'aime mieux rever a vous , » que d'etre aime de toute autre, & d'en ?> obtenir les faveurs !. . . . Que je fois a j» cheval , l'dcu au cou , pendant un orage » aflfreux ; que mes renes trop courtes ne 39 puifTent s'alonger ; qua l'auberge je » trouve l'hote de mauvaife humeur , fi » celui qui m'accufe aupres de vous n'en » a pas menti ! . . . . Ma dame me quitte » pour un autre chevalier 5 & je ne fais » plus que devenir , ni quel ferment faire y> pour ma juftification. Que le vent me » manque en mer; que je fois battu par » les portiers , quand j'irai a la cour du » roi ; qu'au combat on me voie le pre- » mier a fuir , fi ce medifant n'eft pas un » impofteur ! &c. .« Dans une autre piece , il flatte deli- catement Maenz pour 1'adoucir ; il fup- |pofe quelle reunit toutes les perfections » bes Troubadours. 24 f & quil ne trouvera jamais fa pareille , a moins de former un affemblage de ce qu'il y a de plus charmant dans chaque belle femme en particulier. C'eft ainfi que les anciens avdient modele leur fta- tue de Venus. « Puifque rien ne vous egale en beau- si te , en merite , en gaiete , en vertu , =» &c ; j'irai cherchant par tout le mon- * de les plus beaux traits de chaque * dame , jufqu'a ce que de toutes j'eu j> aie forme une qui repare ce que j'ai s> perdu en vous feule. « II prend done le teint frais,le doux & amoureux regard de Tune ; le joli parler afTaifonne de plaifanterie , de f autre; de celle-ci , la gorge & les belles mains ; de celle-la , les belles dents , l'accueil gracieux , les jolies reponfes ; d'une autre , la gaiete' , fair decent & l'humeur toujours egale. => Je ne demande plus que de les aimer 3j toutes autant que je vous aime ; mais » arfame d'un amour qui me devore . je Lij 244 Hist, litt^rairb » prefere la permiflion de vous faire en- s' tendre ma priere , a la liberte d em- s> braffer toutes les autres dames. «« Cependant les rigueurs inflexibles de Maenz le rebuterent au point qu'il alia offrir Ton cocur a la dame Natibors ou Tiberge deMontaufier , une des femmes dont on vantoitie plus la beaute , la vertu & le favoir. Cette genereufe dame fe montre flattee tout a la fois & affligee <\q fes offres. Elle ne defire que de le raccommoder avec fa maitrelTe. »Si vous » n'etes point en tort a Ton egard , lui » dit-elle , je le faurai bien , & alors je » ferai de mon mieux pour vous reunir. » Mais fi vous etes coupable , ni moi , » ni aucune autre ne doit vous prendre » a Ton fervice. « Bertrand , fatisfait d'un procede fi honnete ,- promit , a la dame de Montaufier , de ne jamais aimer qu'elle , s'il ne pouvoit recouvrer les bonnes graces de Maenz. Elle promit , de Ton cote , de le prendre pour cheya** des Troubadours. 245^ iier , (I ejle ne pouvoit reulllr dans fa negociation. Maenz reconnut enfin l'in- nocence du troubadour, & lui rendit fa tendreffe , en exigeant neanmoins ( tant les affaires d'amour etoient ferieufes , ) quil allat prendre conge de Natibors , & fe faire en quelque forte relever de fon ferment. 11 ceiebre cette reconciliation dans un firvente , ou melant a la galanterie des idees fort difparates , il dit a la (in : Les premiers ftatuts de Piionneur ^ cefc de fairs. Li guerre ., de joiner Vavent £r le carime * & d'enrichir les gueniers. Un principe fi odieux ne s'accordoit que trop avec les mceurs. Maenz de Montagnac fut courtifce par Richard comte de Poitou , Geoffroi comte de Bretagne, Alphonfe roid'Ara- gon , Raimond comte de Touloufe , 8c leur prerera toujours Bercrand de Born , quelle avoit choifi , dit l'hiftorien pro- vencal, pour fon amant b'fon maitre. De L iij 24-6 Hist, litter air e tels rivaux lui donnolent cepondant de linquiecude : il cherchoit a les ecarter. Ce fut l'objet d'un firveme adreffe au comte Geoffroi, qu'il nomme Rafla , ou. il devoile les charmes fecrets de fa dame , de maniere a faire entendre qu'il en eft le poffefTeur; ( on ne reconnoit point ici l'amour antique. ) Sans egard pour le rang de fes rivaux , il dit enfuite contre eux: » Je ne puis fouffrir un grand fei- » gneur qui ne donne jamais rien , qui w ne fait accueil & ne parle a perfonne, » qui accufe a tort *ies gens , qui de- al mande grace , & n'en accorde point , as qui refufe la recompenfe des fervices, » & ne fait que chaffer , que faire voler » des bufes & des autours , fans parler a> d'amours ni d'armes. « C'eft peut-etre apres fon raccommo- dement avec Maenz , qu'il dit dans une autre piece : » J'avois coutume de me ao rejouir a faire la guerre & l'amour , & 03 ce metier m'infpiroit de jolies chart* des Troubadours, itf/ sj fons, jufqu'a ce que celle a qui je dois « obeir , me defendit de chanter , 8£ '» excommunia mon chant. Mais enhn , » j'ai eu mon abfolution en amour. Vous- » verrez chanfons aller & venir , puif- ■» qu'il plait a la plus belle des dames de : •» les accueillir favorablement. Elle m'a 33 fait den , pour mon honneur , de fa a> loyale perfonne , que je ne partage » avec aucun des comtes. « La fuite femble dictee par le demon* de la guerre & par celui de la fatire. Ce troubadour peint par tout Ton caraclere- par tout il fe montre violent, fatirk.ue., 8c refpirant la difcorde & !es combats, Je veux , dit-il quelque part , que les rauts b. irons foient cominuellement en fureur' les uns contre les autres. L'amour meme n'emouiToit pas en lui ce fentiment, II finit fa carricre fous l'habit de moi- ne de Citeaux ; ce qui n'a pas empeche le Dante de le mettre dans les enfers , pour avoir divife le chef 8c les membres, L iv '248 Hist. litt£raire en armant le jeune roi d'Angleterre concre fon pere Henri II. La , felon le poete italien , il eft: condamne a porter, en guife de lanterne , fa propre tire-, fe'paree de fon corps. Nous trouvonsparmi les troubadours un iils de Bertrand de Born , auquel on attribue un firvente contre Tin fame la- ehete du roi Jean d'Angleterre , qui fe laijje de'pouiller tout vivant ; qui laijje tomber dans la fange fori honneurj & qui ,, loin dCkte fenfibU aux reprozk.es ., parch flatte de tout le mal qu'on du de lui. Cette piece fe trouve ailleurs fous le nom d'un autre pocte. A' O T E. [ 1 ] Notre hiilorien provencal affaire qu'Al- phonfe , roi d'Aragon , originaire du chateau de Carlad dans le comte de Rouergue , etoit de petite extraction; que Pierre de Carlad epou- la l'heritiere de Milhaud ; qu'il en eut deux rils» dont l'un ccnquit la Provence , & l'autre le comte de Barcelone ayec le royaume d'Aragon ^ des Troubadours. 249 & que ce dernier , mort au bourg de Saint- DaLmas en Italie , laifla trois fils , Alphonfe ( le mcme qui avoir trahi Bertrand de Born , ) Sanche , & B^renger de Bezaudun. Le contrai- re eft attefle par tous les autres monuinens hit— toriques. La maifbn des comtes de Barcelona defcendoit en ligne direfte de Geoffroi le Veiu , premier comte proprletaire de la Catalogue , mort en 9; :,. Voici ce qui peut avoir donne lieu a 1'er- reur de l'niftorien provencal. II paroit certain que Gilbert , comte de Provence , fiicceffeuc de Bertrand , etoit iiis a"un comte de ISIiihaud en Rouergue, qui pouvoit erre ce Pierre de Carlad dont nous venons de parler. IJ paroit en- core qu'Almodis , feconde femme de Raimond- Berenger III , comte de Barcelone , e:oit feur du comte Gilbert •, mais elle mourut fans en- fans. Raimond-Berenger c'pouia en troifiemes noces la princelfe Douce, fille de Gilbert. Ainii les comtes de Barcelone, fucceffeuvs de Rai- mond, tirerent leur origine de Pierre de Carlad,. par le cote maternel, II ne s'enfalt par; qu'Al- phcnfe fat de petite extraction. L'hillorien montre auifi peu de jugement , en difant que Raimond-Berenger IV ■> qui epoufit l'heritiere d'Aragoa ? etoit fils de Pierre de Carlad; ii Lv a$o Hist, litteraire 1'ctoit de Raimond-Berenger III ( Voyez YHlf- joire de Provence , par Bouche , tome z , & la. Chronique manufcrite des cavaliers Catalans 3 par Francois Tarafe,,) ^3 %?. *z h ^ MUM* dSV ty* * .#> * * &*?£ H. B'E S TROUffADOU R S. 2 J It XXII, GUI'LLAUME RAINOLS D'APT. i»T uillaume Raxnols, felotf nos manufcrirs , fut un chevalier de la ; - ville d'Apt au comte deForcalqu'er. II compofa de bons flrventes fur ce qui arrivoit en Provence entre le roi d'Ara-- gon & le comte de Touloufe. II faifoit des airs nouveaux pour chacun de fes {irventes ; & comme ils etoient tous iTiordans, il fe rendit par eux redoutable a tous les barons. En eflfet , fa caufticite fe fait fentir dans quelques-unes de fes. pieces. Nous n'avons point celles qui concer- noient le roi d'Aragcn (Alphonfe) & le comte de Touloufe (Raimond V). It s ? agi(Tblt du manage de Douce heririere de. Provence- aveg le fils de. Raimond,- Is.^2. Hist. ettt^rairE' Les deux camtes auroient ete reunis pat ce moyen fur la meme tete. Mais le mariage n'eut pas lieu ; & le roi d'Ara- gon , coufm germain de Raimond Be- renger III, pere de la princeflfe, futcon- ferver la Provence a la maifon de Bar- celona Ces evenemens appartiennent au douzieme fiecle. Le firvente dont je vais rendre compte, a dii etre cornpofe au commencement du fiecle fuivant , lorfque la croifade contre les Albigeois embrarfoit les con- Trees meridionales de la France. Le troubadour fe dechaine contre le clerge,. a qui Ton attribuoit tant dc violences & d'injuftiees. » Une foible & vile populace , armee »de furplis, qui jamais ne fit un pas en ■*> avant ( pour combattre ) , enlcve aux ■« nobles leurs tours & leurs palais. Elle » fe rend fi formidable , qu'elle a etabli x>. contre leur autorite une juftiee nou- » \slle (I'lnquiiition^i ou die ne les laiiTc ides Troubadour?. 25*3* *> point entendre , fi ce n'eft de travers. » Je vois la mechancete s'elever tres- » haut, tandis que le merite & l'honneur » tombent en pieces. Je vois tout le » monde renverfe par la faute de ces » viiains. Le bouc attaque hardiment le » loup , la perdrix pourfuit l'autour; c'efl » l'agneau qui garde le berger. Je vois » le foible tenir ferme, & le fort dechoir » & tomber; la charrue aller devant les . » bceufs , & Noel apres le nouvel an. * Ces expreffions originales peignent afTez na'ivement un etat de chofes , out les gens d'eglife repandoient effe&ive- ment la terreur , & ecrafoient des pui£- fances confiderables ; mais il falloit ob~ ferver que , ians les armes des ambitieux enthoufiaftes dont ils favorifoient les. entreprifes, ni leurs anathemes ni leur Inquifition n'auroient produit cet effet*. Une tenfon de Rainols avecGuillau- me Magret, n'eft remarquable que par des injures groflieres, Celui-la reprochs i2.y 4 ITl S T. LITTERAIRE a l'autre fa mal-proprete , fa vie debai> chee & crapuleufe ; celui-ci ripofte fur' le meme ton. Deux autres pieces pei— gnent une querelle du troubadour avec fa maitrefle , audi peu interefTante par« les details, des Troubadours. 25*3*) # - ■ - < E>= ==^- XXIII. GUILLAUME & RAIMONDi DE DURFORT, JU e chateau de Durfort en Querci 3 donne Ton norm a cette illuftre maifon de Durfort , Tune des plus anciennes qui fubfiftent dans la monarchie , l'une de celles qui fe font perpetuees en plus de branches, & ou la noblefle des fentimens a le mieux foutenu la grandeur de Tori- gine. II en eft forti deux troubadours 5 car il paroit que Guillaume & Raimond ne font pas le meme , puifque fous les deux noms fe trouvent des pieces difre— rentes. La feule que nous ayons de Guil- laume eft tres-obfcure, par la contrainte des rimes & par la corruption du texte, Elle eft adreflfee au feigneur de Peri- gordj & contient 1'eloge d'un Gui Cap- de-Porc , feigneur inconnu. Le poete Is 2$ 6 Hist. litt£raire loue d'aimer l'honneur &: d'etre coura- geux contre les vices , de n'avoir pas befoin d'ornemens exterieurs , parce qu'il brille par fes vertus. » Que ne lui » reffemblons-nous tous ! cliacun y trou- » veroit Ton bonheur , les pauvres com- » me les riches ..... Ce qui me fache , » c'eft qu'il n'ait pas autant de marcs » que de deniers ; car il dorerou ceux que » les autres plornbent : « ( il enrichiroit ceux que les autres afTomment. ) Ces traits annoncent un noble ecrivain, fupd- rieur aux prejuges comme aux vices de fon fiecle. Les memes fentimens fubiif- tent encore , j'ofe 1'aiTurer, dans des re- jetons de fa race. Deux firventes de Raimond, compo- fes conjointement avec Tuex , Malet & Cornils , chevaliers du Querci , font inintelligibles. Crefcimbeniparie de Rai- mond de Durfort , qu'il die contempo- £aip d'Arnaud Danielv t) e s Troubadours. 2^7 % ■ <££= *j XXIV. RAMBAUD DE VAQUEIRAS ouVACHEIRAS. Jt\ AMBAUD DE VAQUEIRAS etOlt fils d'un chevalier nomme Peirols , de Vacheres dans la principaute d'Orange. Sans reflburces du core de la fortune , il avoit du talent pour en acquirir. C'etoic de'ja en ce terns uu vrai malheur , que le talent ne put guere profperer que par le facrilice d'une liberte precieufe. Mais nous verrons que Vaqueiras ecrivoit dans les cours en homme libre. II s'atta- cha d'abord , en qualitd de jongleur & fans doute de troubadour , a Guillaume de Baux premier prince d'Orange, dont il etoit le fujet. Dcs Tan ^71, la maifon de Baux etoit connue pour une des plus illuftres du comte d' Aries, Elk difputa vers le miliey* 2 $ 8 Hist, litteratrs du douzieme fiecle, le comte de Provence - a la maifon de Barcelone. Bertrand , his de celui qui fuccomba dans cette entre- prife , (Raimond II , ) avoit epoufe Ti- berge d'Omelas , fceur de Rambaud comte d'Orange , qu'on a vu au nom- bre des troubadours. Leur fils Guillaume fe qualiiia prince d'Orange , par concef- iion de l'empereur Frederic I. Cette principaute a pafTe fucceflivement par des manages , de la maifon de Baux dans celle de Chalon, & de celle-cLdans celle- de Nafiau. Guillaume combla de biens & d'hon- neur le troubadour : il lui procura, die l'hiftorien provencal , la connonTance de plufieurs feigneurs; ce qui apparemment etoit un grand avantage , du moins dans la carriere de la fortune. Un firvente de Vaqueiras prouve fon zele pour la maifon de Baux , dont il eprouvoit la bienfaifance. Vingt annees jde.guerre., quelle. foutint contrelamair des Troubadours, sj'p fori de Barcelone, furent une fource de defaftres. Hugues de Baux y perdit beau- coup , & fur oblige enfin de fe foumettre a l'hommage. C'eft de lui qu'on doic entendre ce firvente. Le poete reproche a deux feigneurs 3 Adhemar & Guinend , d'avoir abandon- ne le feigneur de Baux en des conjonc- tures fi critiques. I\ ajoute : » Guinend » fe tranquiilife & ferre fes armes, tan- so dis qu'on ravage les terres de fes amis* so II s'amufe chez lui a babiller plus qu'un sj mendiant quidemande l'hofpice.Et ce- ss pendant Ton chateau de Mornas , le » comte (de Barcelone) en jouit paifi- » blement. ....... Beau , grand , d'une » figure a fe faire craindre de fes enne- so mis , s'il veut acquerir de la gloire , il so faut que fa valeur foit egale a fa naif- 33 fance. Qu'il combatte , qu'il fafTe la so guerre en brave jeune homme. Oul so s'il veut la paix , qu'il pcrde tout. C'eft 33 a lui de choifir. <* '26o Hist, litteraifi .Enfuite le troubabour accufe de me- me Guillaume de Montpellier de ne fon- ger qu'aux plaifirs , lui que nous vimes , dit-il , jurer fur les faints evangiles la guerre & le ravage. II devoit fuivre le parti du feigneur de Baux ; mais le cou- rage lui a manque, Pareil reproche a Bernard d'Andufe, dont le comte m s'ejl pas accru d'un ail, » Que le feigneur de » Baux cherche un autre appui : car » celui-ci ne frappe point de fa lance, » Helas ! il avoit cependant coutume de » fe fignaler par de beaux faits. Quel » dommage qu'il fe demente fi tot, tan- » dis qu'il voit attaquer (os parens les » plus glorieux ! « Un autre firvente regarde le roi d'A- ragon , Alphonfe I , qui , apres avoir cede la Provence a Sanche fon frere, fit la guerre avec ehaleur au comte de Touloufe Raimond V. On parloit de paix entre ces deux princes , iorfque Yaqueiras ccrivit fa piece, ou je ne vois ft e s Troubadours. 26 i Hen d'intereffant. II s'etonne qu'un roifi vante puifTe faire treve ou paix , fans avoir afTL'ge aucun chateau en deca du Rlior.e. La paix ne vaudra rien , s'il ne fait reftituer au prince d'Orange les ter- res que lui a enlevees le comte deTou*- loufe , Ton parent & fon plus mechant voifin. PafTons a des objets plus curieux. Telle eft d'abord la relation tres-fimple d'un tournoi , dont les a&eurs font en general peu menages : » Je vous dirai fans fagon qui fe » comporta ie rnieux. Car perfonne ne *> farde ou ne deguife raoins que moi un «> mauvais procede , en chevalerie com- 3» me en galanterie. . . • .« » Le feigneur de Baux * commenga r> bravernent le premier. Son cheval avoit n belle encolure & larges flancs. II parut * Hugues de Baus , fils de Bertrand & de? .^Tiberge d'Orange, $62 Hist. lttt£raire » (1 rude au choc, qu'il renverfa par terrfi » avec fa lance le brave comte R. . . . • » ( fans doute Raimond d'Agoult 3 comte » de Sault;) & rendit boiteux vingt che- » vaux , fans fe faire de mal. <* » Dans cette foule de combattans > je *vis bientot Dragonet*, monte fur un * petit cheval d'une force prodigieufe. » Le fougueux courfier fit perdre a Dra- » gonet fa vigueur & fon alegrefTe. II le » jeta renverfe fur le fable , & fe fepara » de lui fans avoir regret a fa compa- ss gnie. oc » Le comte de Beaucaire* * parut au » tournoi fur un cheval gris. Le feigneur. » Ponce de Montlaur***, en joutant, * II paroit que c'eft un nom fuppofe ; & aous n'en trouvons point 1'application. * * La (eigneurie de Beaucaire appartenolt auxcomtes de Touloufe, a la fin du douzieme fiecle : elle fut donnee en fief a Simon de Mont-, fort par Parcheveque d'Arles en i z i ?. *t * Ce feigneur du chateau de Montlaur, dans des Troubadours. 26$ £ delivra le cheval de fon cavalier. Mais » le comte en remonta bien vite un au- *> tre plus leger & plus propre a faire ■*> joute. « » Je vis Barral de Marfeille * , arme *> magnifiquement , monte fur un bon » courfier. Mais celui de N. . . . qui etoit » encore meilleur , le rencontra , le heur- » ta , le mit en defordre fous une treille. » Barral tomba la tete en bas comme un » noye. Enfuite il ratrappa fon cheval, & » s'y retint par une oreille. « » Ponce de Montdragon jouta aufli * dans la lice. J'ai peine a le dire ; je le » vis tomber fur l'arene , fans que fa » lance fut rompue. Celui qui l'abattit le diocele de Carcaflbnne , fut un des otages donncs en 1171, pour la fiirete de l'execution du teftament de Guillaume VII de Montpellier. ( liijl. du Languedoc , t. 3. p. 19. ) * Barral de Marfeille eft un des derniers vicomtes de cette ville. Sa rule cpouia Hugues fde Baux. £#4 Hist. litt£rairb » etoit un ecuyer , monte fur un crie- » val alezan , fi maigre qu'on lui voyoit » la grofle veine du cou. Pence ne fe » piqua point de prendre revanche : il * alia chercher ailleurs une nouvelle » joute. o » Le feigneur de Mevaillon * , bien »> arme qu'il n'y manquoit rien, vint fiere- » ment fur un courfier arabe plus gros « qu'une caille. II jouta contre Nicolau* *, » dont il fit fauter le cafque en pieces , » fans qu'il en reftat une maille. Mais » Nicolau ne fit qu'en rire , & dit qu'il *> ne s'en foucioit point. « » Je vis arriver gaillardement dans la » melee mon avengues, ( fans doute , le » prince d'Orange,) fur un cheval d'Ef- * Les (eigneurs de Alevaillon , pres du comte de Sault, efoient alors tres-illullres. Guiliau- rne VI , dernier comte de Forcalquier de la troifieme race , les nomma dans un a&e (es parens , ainfi que les feigneurs de Sabran. I * Ferfcnnage inconnu. 55 P a g n S des Troubadours. 26 f t »pagne impatient, & trop long -terns » retenu. Ii mit en deroute une com- » pagnie de trois etrangers unis enfem- » ble. Mais je n'entendis perlonne les » plaindre , parce qu'ils etoient venus-la » d'une terre etrangere. « Une defcription de tournoi , dans rAriofte, charmeroit fimagination par des tableaux poetiques : celle-ci peut interefler par le ton de plaifanterie qui la diftingue. Le poete femble n'avoic vu ce grand fpeclacle que fous une face ridicule. Les troubadours aimoient a courir le monde , ainfi que les chevaliers. De la cour du prince d'Orange , Vaqueiras pafla en Italic aupres de Boniface, mar- quis de Montferrat. Nous i'y verrons jouer un grand role. En paffant a Genes, il fit connoiflance avec une femme, done il voulut gagner le cccur , & qu'il trouva inflexible. C'eft le fujet d'une tenfon , dialogue naif , ou il s'exprime find Toms I. M 2.66 Hist, litteraire en provencal, & la femme en genois: Vaqueiras, » Belle dame , je vous ai prie de vou- * loir bien m'aimer ; car je fuis votre » efclave. Vous etes bonne , bien appri- » fe , & de toutes vertus remplie : vous a? etes courtoife en tout point ; auili * mon occur s'efl- il attache a vous , plus » qu'a mille autres Genoifes. Ce fera une 3> ceuvre de charite de m'aimer. Vous *■ me rendrez plus content , que fi je pofc » fedois la ville de Genes , avec toutes » les richeffes qu'elle contient. « La Genois e. ■» Juif que vous etes , vous n'avee » nulle courtoine en m'importunant fur t> ce que je ne veux faire. Non , jamais v je ne ferai votre amie , duiTe-je vous » voir a mes pieds eterne^lement. Je t'e- v tranglerai plutot , Provencal malotru* p.J'ai un marl plus beau que toi. Pafl$ ess Troubadours. 267 » ton chemin, & va chercher fortune ail- » leurs. « Vaqueiras. y> Dame gentille & difcrete , gale * » bonne & fenfe'e , que votre bonte mat. » fifte. Car ioie & honneur vous gui- » dent , aulli-bien que courtciiie , meri- » te , raifon , & toute autre vertu. C'efr. » pourquoi je fuis votre fidelle amant „ » fans referve , franc , humble & fup- » pliant. Mon amour , auquel je me com- » plais , me preffe & me domine fi fort , * que vous feriez la meilleure action , ft p j'etois bien voulu & aime de vous. « La Genoise. » Tu es fou de me tenir femblables » propos. Va-t-en comme tu es venu. r> Tu n'a pas le fens d'un chat. Je ferois * chofe infame , de t'accorder ta deman- » dc. Quand tu terois fils de roi , je n'y » confentirois point. Me prends-tu pout M ij z6S Hist, littisraire » une fervante ? Par ma foi , tu ne m'au- » ras pas. Les Provengaux font de trop » mechantes gens. « Vaqueiras. » Dame, ne me foyez pas trop rigou- » reufe : cela n'eft convenable ni decent. » II me convient a moi, s'il vous plait, » de vous faire ma priere ; de vous dire » que je vous aime de tout mon coeur; » de vous conjurer de finir ma peine , » de vous protefter que je fuis votre » homme & votre efclave. En confide- r> rant votre beaute , fraiche comme ro- se fee de mai , je ne vois rien de fi beau. » Je vous aimerai done ; 8c fi vous trom- » pez mon amour , ce fera bien ofFenfer » Dieu. a La Ge noise. » Je n'eftime pas un genois (monnoie » du pays ) ton parler provencal. II ne to me perjfuadera point. Je ne t'entends des Troubadours. 26$ » pas plus qu'un Allemand , Sardainien » ou Barbarin. De toi je ne me foucie » nullement. Cefle de m'en conter. Si » raon mari le favoit, je m'en trouverois » mal. Laiffe-moi en repos. « La naivete groiliere de ce dialogue eft 1 image des moeurs du terns , qui jul- ques dans les cours & dans le commerce des mufes, confervoient un fond de rufti- cite. Le poiite peint fa Genoile fort im- polie ; mais il ne dillimule pas l'idee qu'on avoit en Italic des Provencaux, dont les exces dans le royaume de Na- ples n'augmenterent que trop enfuite la haine des Italiens. Boniface , marquis de Montferrat , fat pour lui un bienfaiteur eclaire & gene- reux. Selon notre hiilorien, Vaqueiras fj perfectionna tellement a fa cour , dans Tart de la guerre comme dans la poefie, qu'il s'attira une grande eftime. Ces deux talens faifoient l'admiration du marquis. Pour Ten recompenfer , il l'eleva au rang Miij &7° Hist, litterairi de chevalier, il le fit meme fon compa- gnon d'armes & de vetemens : c'eft-a- dire, qu'il fe l'attacha comme fon frere d'armes „ union la plus etroite parmi les guerriers ; & qu'il lui donna des habits entitlement femblables aux fiens, diftinc- tion enviee dans les cours. Tant de fa- cVeur ne pouvoit fe foutenir qu'avec un rare merite. Chevalier & troubadour diflingue , ;Vaqueiras avoit de grands avantages pour les aventures de galanterie. II devint amoureux de Ee'atrix , fceur de Boniiace, & femme du feigneur de Del- Carat , pres de Savone. Cette dame demeuroit chez fon frere. A en juger par une petite fcene dont notre poete flit temoin, elle. joignoit aux charmes de fa perfonne des gouts de chevalerie bien fe'duifans. Un jour le marquis entra chez elle , au retour de la chaffe , & apres fa vifite laiffa fon epee dans la chambre. Beatrix, reitt'e feule, fe depouille de la DEs Troueadouks. 27 f robe tramante quelle portoit , ( Ton fur-* tot ; ) elle prend Tepee, fe la ceint com- me un chevalier, la tire du fourreau, la ■ jette en fair, la rcprend avec dexterite > en efpadonne a droite & a gauche. Cer. amufement iifii , elle remet Tepee a fa place. Vaqueiras l'obfervoit par une fen- te de la porte. Celt, ce qui lui fuggera le nom de Bel-cavalier, feus lequel il defi- gne la dame dans fes chanfons. Le refpec~t lui fit long-terns cacher fon amour. II fe contentoit de chanter d'un ton myfterieux , ^ la meilieure, la plus =• \Tciie , la plus brave 6: la plus parfaite » dzs dame?. « II fe plaignoit de ics peines , de f.s efperances rrompeufes. II craignoit de dire quelqae falie en fc*; declarant. 1! afturoit que Bd-cavaliir lui avoit derobc le ca-ur; il 3a fupplioit ce ne pas lui reprccher la diftance, que hi fortune & le rnerite mettoient entre- elle & lui : » Car ce ne feroit pas une » ehofe honncte . d'ofienfer en paroles Miv '2.72 Hist. litt£raire » celui qui n'eft deja que trop mameu- » reux de ne pouvoir reulTir , ni par fes =» foumiffions ni par fes prieres. « Ces chanfons reffemblent a mille autres. Le troubadour briliera davantage ailleurs. Beatrix , comme il le fouhaitoit , de~ vina fobjet de fa flamme. En affedant de fignorer, elle donnoit neanmoins a Vaqueiras des marques d'eftime & de bienveillance , capables de l'enhardir. Enfin il refolut d'ouvrir (on coeur. Voici une de ces conventions nai'ves qu'on doit regarder en partis comme fuppo- fees par fhiftorien , mais qui nous retra- cent , avec autant d'utilite que d'agre- ment , le caraclere ingenu des mceurs antiques. Profitant de l'acces favorable qu'il trouvoit aupres de Beatrix , le chevalier lui dit un jour: » Daignez , madame , 3> me donner confeil ; j'en ai un befoin » pre (Tan t. J'aime une dame gentiile 8c » pleine de merite, Je vis avec elle en t) e s Troubadours. 273 » grande famrliarite , Tans ofer lui dire le » bien que je lui veux , fans oier meme » le laiiTer voir , encore moins la prier » d'amour : rant je redoute Ton merite & y> fa vertu. Pour Dieu & par pitie , dites- » moi de grace fi je dois me laiiTer mou- » rir, pour demeurer dans le filence & » dans la crainte , & fans prier d'amour » celle qui pofiede mon cceur & ma vo- » lonte. a La dame penetroit fes fentimens , & les approuvoit. Touchee de pitie : » En- » core faut-il bien, Rambaud, repondit- » elle, que tout amant loyal , qui aime » une dame de merite, pour laquelle il a » autant de crainte que de refpect , lui » explique fes fentimens avant de fe » laifTer mourir. Je vous confeille de » declarer votre amour, & de prier celle x> que vous aimez, de vous retenir pour so ferviteur & ami. Si la dame eft fage & 3. courtoife , je vous aiTure qu'elle ne le x prendra ni a mal ni a deshonneur > Mv 274 Hist, littkraire » qu'elle vous en eftimera meme davan- » tage. Car vous etes un fi bon cheva- 3> lier , qu'il n'y a point cle dame au » monde , qui ne doive vous choifir vo- *> lontiers pour tel. J'ai bien vu madame » de Saluces foufFrir l'amour de Pierre » Vidal , la comtefie de Burlatz celui y> d'Arnaud de Marveil, madame Marie j» de. Venradour celui de Gaucelm Fai- » dit , & la vicomtefle de Marfeille , » femme du feigneur Earral , celui de » Folquet de Marfeille. Cefr pourquoi » jevousgarantis fur ma parole & iauve- » garde , que vous pouvez la requerir * d'amour. « Cette enumeration feule infpireroit quelque defiance fur la fidelite de Fhif- rorien. Mais il ne s'agit point ici de cri- tique. Sur une garantie fi flatteufe, Vaquei- fas declare 1'objet qu'il aime. » Soyez le » bisn venu & le bien trouve, lui dit fa » d*me, Tacjiez de plus en plus de va- B e s Troubadours. 275", * loir , de bien faire & de bien dire. Si =» jamais vous avez ete gai & amoureux, » vous devez faire de nouveaux efForrs *> pour l'etre davantage. « Elle le retint ainfi pour Ton chevalier. Tout ce recit n'annoncc que des fentimens honnetes, & s'accorde avec les idees de la chevale^ rie fur le pur amour. Vaqueiras chanta Ton bonheur d'une maniere digne de l'evenement : » Amour , pour qui je pleure & je^ * foupire, apprends-moi quelles font tes *> lois. J'ai demande conieil a la plus » charmante des dames. Elle m'a repon- » du d'elever mes defirs audi haut que » jepourrois, m'afTurant que j'en retire^ » rois de l'avantage & de 1 nonneur. Per- » forme n'aime en (i haut lieu , ni une ft » bonne dame. Je l'aime , fuivant foa » propre confeil . plus que Pirame n'ai- yy ma jamais Thifbe Qu'on ne me » condamne point de m'eloLmer pour » die ce Monteil & d'Oranee. Non , je.; Mvj. 0.^6 Hist, litter aire » n'ai rien vu de fi accompli. Je ferois » roi de France & d'Angleterre , que je » quitterois ces deux royaumes pour la » fervir. « II dit dans une autre chanfon : » Je ne croyois pas qu' Amour put » jamais medominer, ni qu'aucune da- » me put me tenir en fa puiffance. Mais » la jeunefTe & la beaute, la figure ai- » mable , les difcours enjoues & enchan- » teurs de mon Bel-cavalier m'ont appri- se voife. Lorfqu'un cceur dur s'adoucit » par amour , il fait mieux aimer qu'un y> cceur naturellement tendre. Celle que » j'aime eft la plus belle, eft la plus efti- » mable des dames. Je n'y trouve rien a » ajouter ni a retrancher. Courtoife , x gaie , avenante , remplie d'honneur , x fachant quand il le faut erre fage , & a> quand il le faut etre folle , il ne lul » manque aucune perfection ..... Que =p Dieu m'en fafTe obtenir la eonquete! » Je crains , madame., de ne point atteix> des Troubadours. 277 » dre a la felicite 011 j'afpire : car avec » des vues trop elevees , on rifque d'etre » precipice de plus haut. • . . Vous avez » tout , excepte merci ; & c'eft merci » que je vous demande. Bonne dame , » ne croyez pas les envieux qui medifent » de moi. « En efFet , les medifans lui firent tort 3 comme nous le verrons dans la flute. Cette piece fut apparemment compofee lorfqu'ils commencoient a repandre des nuages de mauvais augure. Voici un poeme en 1'honneur de fa maitreife , plus intereffant par l'inven- tion , par les images , & par le ftyle , que toutes les autres pieces. C'eft, un tableau vraiment poetique, 011 des traits du genie fe font remarquer. 11 a pour litre Lo carros „ failant allufion a l'ufage etabli alors en Italic , d'arborer fur un chariot le principal etendard: les com- battans n'avoient rien plus a cceur , les uns que de defendre ce chariot , & les *27§ HtfST. LITTER A IRE autres que de s'en rendre maitres. L'idesr d'une guerre entreprife par jaloufie ,-. contre l'heroine du troubadour , & fou- tenue avec gloire , paroitra moins fur- prenante , fi Ton fe rappelle comment Bel- cavalier favoit manier les armes. » Les dames de ce pays veulent com* » mencer une mechante guerre , a 1'exem- » pie des vilains ( des payfans ) qui fe •d revoltent contre leur feigneur. Elles » veulent , foit en plaine , foit en mon- » tagne , conftruire un chateau avec des -» tours. Car fhonneur de madame Bea- 30 trix, amoureufe de la gloire, s'eft tel- y> lement eleve au-deffus d'elles , que 1 3» toutes font refolues d'elever etendard, » guerre , feu , fumee & pouffiere. » Deja la Commune s'affemble pour » faire des murs & des foffes. Les vieilles » accourent au fignal , furieufes d'avoir » perdu leur jeunefie , leur beaute & leur » merite. Que de joutes la fille du mar- j» q.uis d'Efte n'aura-t-elle pasafoutenir* r> e s Troubadours. 275)' » car die eft en poiTeilion de toutes les » courtoi/ies & vertus : die ne veut pas » plus refter en-paixque Ton pere, quand » une fois il fe trouve au combat. » Les dames de Verceil ont deilein de » venir a l'armee. Agnes de Lantu & » de Vintimille. s'empreffe de recouvrec » Ton honneur. Elles accourent en cette •» ville , qu'elles nomment Troie. Mada- » me de Savoie en a recu le gouverne- » merit. » Elles veulent que Beatrix leur ren- » de la jeunefle par de-la le mont Cents, » Les comtefTes invitent la nouvelle » ville a guerroyer fans cefle la dame j, » qui eft fi belle & fi bonne , qui leur » ote la beaute , & dont le teint eft in- » comparable. i- La gouvernante annonce fierement » qu'elle donnera bataille. Elle. forme la » cloche. La vieille Commune avance en » hate. Madame de Savoie afligne a. » chacune fon pofte, Elle fe plaint quq 2 So Hist. litt£raire » madame Beatrix eft devenue maitrelfe » fouveraine de tout ce que la Com- » mune pofledoit ; elle dit que fi elle ne » le rend pas , il y aura bien du fang » repandu. »Toutes leurs forces font rafTemblees. » Elles fortent de la ville ; elles font mar- » cher le chariot qui porte leur eten- » dard i elles s'arment de cuiraflfes & de » carquois. Le combat commence. On » ne doute point que Beatrix ne perde » bientot toute fa gloire. Mais fuftent- » elles quatre contre une , elles n'y ga- » gneront rien. » Les voila qui font tendre engins » trebuchets & mangonaux. Elles alki- » ment le feu gregeois , font voler des » dards, fapent les murs avecdes beiiers, » L'heroi'ne aux nobles manicres ne veui » pas fe rendre. » Elle monte a cheval , armee de fa » feule Vaillance , fans cuifafTe ni pour- » point, Elle fe pre'cipite dans la melee ? des Troubadours. 281 '* portant une mort certaine a quiconque » fe prefente. Elle ferre fes ennemies , » les frappe impetueufement , les met en » deroute. La vieille Commune eft conf- y> ternee. Beatrix les pourfuit jufques » dans leur Troie , & les y enferme. « Plus de tels elcges etoient agreables a la princeiTe , plus les envieux du trou- badour s'efforcoient de le miner dans (on efprit. On conno'it la perMde adrefle des courtifans , pour faifir un endroit foible oil ils puiflfent porter le coup fatal. La vanite domine la plupart des fem- mes , & que ne peut-elle pas au fein de la cour ? C'eft le reiTort qu'ils mirent en jeu. En prelence de toutes les dames , ils dirent a Beatrix : » Qui eft done ce » Rambaud de Vaqueii as , quoique le » marquis fait fait chevalier, pour aimer » fi haute dame que vous etes ? Sachez « que cela ne fait honneur ni a vous ni » au marquis ?« Enfin , felon le langage naif de f hiftorien provencal , tarn mddi- £82 Hist, litt^rairi; rent de cote £r (Taut re j comme font ks me'chantes gens ., que madame Beatrix fen courrouca contre Rimbaud* kt quand il la. prioit £ amour & lui criok merci ? tile rientendoit point fes prihes : au con- iraire ., lui difoit quit devoit porter fori amour a a"autres dames qui fujjent fakes pour lui , & quelle nauroit jamais autre, shofe a lui dire. Le bonheur de Vaqueiras fe difTipe. comme un fonge. Un noir chagrin le devore. Il cefie de chanter l'amour ; & le depit lui di&e ce iirvente injurieux contre le beau fexe ; » Soyez beau , genril , genereux , & 9 ne foyez pas riche : toutes vos bonnes » qualites ne vous ferviront de rien .... » Mais avec de l'argent , un homme de. » la plus vile efpcce , mediant , puant , » fera bien venu aupres des dame?. Elles » me feroient toute forte de carefles & ■» d'embraffades , que je ne voudrois au~ ? cun commerce avec ces femmes fauf- bes Troubadour?. 2$g » fes , que Dieu confonde. . . . . Je n'ai » pas les femmes en haine ; & qu'on ne » croie point que je me plaife a en direr » du mal. Je fouffre de les voir Prodi- s' guer leurs charmes a gens qui en font » indignes Aufli dcs que je pourrai » fortir de leurs mains , je n'y rerournerai » pas de fi tot. a Dans quelques autres pieces, le trou- badour fe plaint avec amertume de l'in- iidelite dont il accufe fa dame. De teiles injures paroiflent impardonnables. La reconciliation fe fit neanmoins avec una fingulicre facilite. A la cour du marquis Boniface arri- vcrent deux jongleurs de. France , qui jouoient parfaitement du violon. Un jous qu'ifs executerent une ftampide J dont tout le monde fut enchante , Vaquei- ras , loin de partager le plaifir com^ mun , demeuroit plonge dans la triileiTe. » Qu'avez-vous , feigneur Kambaud , lui *> dit Boniface ? Pourquoi ne pas vous 1284 Hist. litt£raire » rejouir a entendre de fi beaux airs, & » a voir une Ci belle dame qu'efi: ma » fceur, la plus brave du monde , & qui » vous a retenu pour Ton ferviteur? « — Je nai pas fujet (Titre joyeux ., re'pon- dit-il fe'chement. Le marquis en favoit la raifon. Refoki de lui rendre le repos & la joie , il die a fa fceur : *> Pour l'a- » mour de moi & de toute la compa- ss gnie , je veux que vous daiqniez prier » Ramb-'-ud de s'egayer pour lamour de 39 vous, de fe rejouir & de chanter com- » me il faifoit auparavant. « On voit que la galanterie du poete n'etoit point de nature a exciter les foupcons. La dame fe rendit complaifante aux vceux du marquis. Vaqueiras , encore plus docile aux ordres de fa maitreiTe , compofa une chanfon qu'elle lui avoit demandee. Les couplets en font de dix-huit vers , dont plufieurs de deux fyllabes, & qui riment tous , excepte trois , en a muet, On lui des Troubadours. 285"; donne le nom de Jiampide ., dont il ne refte que cet exemple. L'air etoit le meme qu'avoient joue les jongleurs. Voici la fubftance de cette chanfon : 33 Le premier de mai & les rians apa- 3j> nages ne peuvent me plaire , tant que » je ne recevrai point de votre part un 33 joyeux meflager, qui faffe mourir de s» rage les jaloux. Ne les faites pas rire , 33 je vous prie , a mes depens. Je ne fur- 33 vivrois point au jour funefte que je 33 vous aurois perdue ? Mais comment 33 vous perdre , fans vous avoir ? Je n'ai 93 jamais fait que vous aimer , vous defi- 33 rer & vous craindre. « II fait enfuite les plus grands eloges de fon Bel-cavalier* 8c lui jure l'amour le plus ardent. Ces aventures precedcrent l'an 1204, epoque oli va s'ouvrir une fcene qui in- terefie encore davanta^a. Innocent III , dont nous avons ra- conte ailleurs les entreprifes contre le xnalheureux comte de Touloufe , faifoit ■2.t6 Hist. litt£rair2 precher en France une croifade contre les Turcs. Le comte de Champagne en devoit etre le chef. II mourut. On choi- fit pour lui fucceder le due de Bourgo- gne & le comte de Bar ; mais Tun & 1'autre ayant refufe , on eut recours au marquis de Montferrat. Frere du fameux Conrad , qui , dans les croifades prece- dences, etoit devenu prince de Tyr, 8c avoit ete proclame roi de Jerufalem peu de jours avant fa mort, Boniface devoit ctre porte plus qu'un autre a cette expe- dition. 11 accepta le commandement , paffa en France ou il prit la croix , & concerta l'entreprife avec les principaux ieigneurs du pays. Le troubadour faifit l'occafion de ce- lebrer fon protecteur. L'enthoufiafme des croifades femble refpirer dans fa piece : » On peut voir maintenant que Dieu » fe plait a recompenfer les bons. II a ^cieve la gloire du marquis de Mont^ £es Tkoubadours, 2^7 » ferrat , fi haut par deflus les plus bra- s'' ves , que les croifes de France & de » Champagne l'ont demande au ciel , » comme le meilleur de tous pour recou- » vrer le fepulcre. Ce preux marquis , » Dieu lui a donne de courageux vaf- » faux , de grandes terres , de grandes w richefTes, pour lui afTurer plus de fuc- s» ces .... » Celui qui fit l'air , le ciel , la terre , 3j la mer , le chaud , le froid , le vent , 53 la plaie & le tonnerre, veut que nous w pafilons tous la mer a fa fuite ; comme a> Gui, Gafpard & Melchior * allerent a. ij Bethleem, ou. les Turcs nous enlevent » plaines & montagnes , fans que Dieu ja dife un mot . . . . Puifle S. Nicolas gui- 33 der notre flotte ! Que les Champenois i> drefTent leur banniere. Que le marquis w crie Montferrat; que le comte Bau- * C'eft air./I cju'on appeloit alors les trcis Aliges, £88 Hist. litterairb « douin crie Fiunire *. Que chacurt » frapp e fi rudement qu'il brife lances »> & epees. Nous aurons bientot mis les »> Turcs en deroute Que le vail- s> lant roi d'Eipagne fa (To des conquctes » fur les Maures, tandis que le marquis a? tiendra la campagne & fera des fieges » contre le ioudan. 33 Bel- cavalier * pour qui je fais des *> airs & des paroles , je ne fais (1 pour » vous je prendrai ou quitterai la croix. 33 Car vous me plaifez tant quand je 5> vous vois ! & je fuis fi afflige, quand 3j je ne vous vois pas ! « Rarement famour affoibliiToit l'ardeur militaire , furtout dans les occafions de croifades: il excitoit plutot les guerriers a fe montrer dignes de leurs dames par de grands exploits. Vaqueiras fut cepen- * Baudouin , comte de Flandre , etoit un des principaux croifes. II fut elu empereur , apres la prile de Contlantinople. dant bes Troubadours. 289 dant iache, felon l'hiftorien, de s'embar- quer avec le marquis. II fouhaitoit ref- ter aupres de Beatrix ; & il ne s'eloi- gna que parce qu'il y auroit eu de la home a refufer. Du rede, on connoitroic mal le cceur liumain, fi Ton croyoit les heros exemts de foiblefTes. Cette guerre ,lanctihee par les erreurs du fiecle,deslionora le nom chretien par la prife de Constantinople , au lieu de ruiner la puilTance des mufulmans. Les croifes partagerent en 1204 leurs con- quctes. Le marquis de Montferrat eut le royaume de Salonique & Tile de Can- die. II enrichit Rambaud de Vaqueiras , qui toujours occupe de fa belle Bea- trix , clianta ainfi fes regrets defefpe- rans : o> Que me fervent mes conquctes , 3> mes richefTes & ma gloire ? Je m'efci- w mois bien plus riche , lorfqu'amant si fidelle , j'etois aime. Je ne connois »> d' autre plaifir que celui d'amour. Inu- Tome I, N 2£0 Hist, littera^re » rilement ai «je de grands bicns , de 33 grandes terres. Plus ma puiflance 8c s> ma richelfe augmentent , plus je fens »> de douleur au fond de l'ame , eloigne 33 de mon Bd-ca\ alier. « Une longue piece trcs-curieufe , que Ton va lire , donnera cependanc lieu de ioupconner le troubadour d'avoir eu peu de delmtereffement. II vante fes Cer- vices au marquis , en homme qui folli- cice de nouvelles recompenfes. L'eloge de Tun & de l'autre eft tourne d'une jnaniere fi naive , 8c revetu d'images fi neuves pour nous , que je connois peu de morceaux plus dignes de cette hif- toire. 33 Vaillant marquis, feigneur de Mont- 3s ferrat , je remercie Dieu dont vous 33 avez recu tant d'honneur. Car nul 33 chreiien , portant couronne , n'a plus 33 conquis , plus depenfe , plus donne » que vous. En vous , j'ai trouve un bon i) feigneur, qui m'afljourri , e'quipc, eleve D e s Troubadours. 29 f » d'un bas etat affez haut ; qui de rien 33 m'a fait un chevalier prife , agree en » cour & loue des dames. Je vous ai » fervi de bonne foi & de bon cceur. Ea sj maints bons lieux , j'ai courtife les 3> dames avec vous. J'ai a\ ec vous che- ss vauclie en maintes guerres. J'y ai per- 33 du & gagne , recu & donne des »> coups Je vous ai aide a conque- rs rir des empires , royaumes , duches , » terres etrangeres , iies & comtes ; a » prendre des princes & des rois, a vain- 33 ere chevaliers armes , a forcer villes » & palais. Avec vous, j'ai chaffe l'em- 33 pereur de Romanic , que vous avez » depouille pour donner l'empire a un i3 autre y . Et (i par vous je n'etois eleve 33 en grande richefle, ii ne paroitroit pas 33 que j'eufTe ere avec vous , ni que je * L'empereur de Romanie etoit Alexis Mur- mphle. Les croifes donnerent l'empire au con> te de Fiandre. Nij 2j)2 Hist, litter a ir£ a> vous eulTe fervi. Vous favez , feigneujf » marquis , que c'eft la pure verite. « 3j Quand nous aflaillions autrefois » Azaiftrigo *, quatre cents chevaliers » vous pourfuivoient a force d'eperons. » Avecdix compagnons feulement,vous 53 retournates fur eux ; & ils vous crai- 33 gnirent plus que la grue ne craint le 3s faucon. J'allai a vous , que vous aviez » grand befoin de moi. Nous relevames 33 ie marquis Albert qu'on avoit defar- 5> conne. J'ai ete en dures prifons , pour 33 vous avc ; r utile men t fervi dans vos 9* guerres. Pour vous , j'ai livre beau- 33 coup d'ailauts , brule nombre de mai- ?3 fons , fait quantite de bons coups. Et p vous le favez , je n'en ai guere ete 33 bien pave. A Mefline, je vous couvris 3'jde mon manteau : je vins bien a pro- * Mom de lieu inconnu. Le marquis Boniface avoit foufenu une longue guerre contFe la ville d'Afti. Notre poete fait, fans doute , allufioq ?ir; eycnemenj de cette guerre. des Troubadours. 2$$ 3' pos au combat , dans le terns que 53 vous aviez an vifage & a la poitrine *> carreaux , lances , Heches , epces & 33 coutelas. Et quand vous prites Ron- » dafio , Paterno , Palerme , Calatagiro *, » &c ; je ius le premier lous vocre ban- as mere. « 00 Puis quand vous allates a la croi- 51 fade , je n'avois point en vie , Dieu me => le pardonne, de pailer outre mer. Mais =3 pour me rendre a vos inftances , je 33 pris la croix & iis ma confeffion ..... 93 J'allai feus voire etendard vers El a- 33 quern e ' *; je porta; i_es armes teiies » qu'uu Brabancon * r \ Je comhaitis fur. " Apres ia mort cj Tancrede , dernier re: cie S:ciie , de r;:ce normande , rcmoe'eu- Hen- ri VI enleva ce rrirm? an r : ; da Tai:ccde. Le marquis deMcv.iiciTat lervh ui: lenient Air.- psreur dans cette guerre. ** Pain's a Coiifhnt'ncple. ** ' Les BraLur.cons uoie.U peiamaieni ar- ■vfs, .2^4 Hist, l r t t e r a i r e sj le perron au-defious de la tour , & je a» fus blefle au travers de mon armure. 3> Je combattis fi pres du palais , que !e 33 felon empereur grec tut abattu , ce «» mechant , qui avoir, tue Ton frere en » trahifon. Quand il vir la fumee & la 33 flamme , les murailles percees en plu- 93 fieurs endroits ; quand il vous vit dans » la campagne combattre a outrance , 33 gaiemenr. & fans vous cpargner, (vous » n'etiez qu'un centre cent ; ) quand il a' vit le comte de Flandre, les Francois, 33 Bretons , Allemans , Lombards, Bour- 33 guignons , Efpagnols , Gafcons & Pro- 3j vencaux , tons en bataille , infanterie 33 & cavalerie ; cet empereur , ayant le 33 cceur aux talons , fes vils Grecs fe fau- » vant de routes leurs forces , fans tour- 33 ner bride pendant plus d'une lieue , 33 nous les pourfuivimes cornme le loup jo fait 1'agneau. C'etoient des aiglons 8>£ 93 nous des autours. L'empereur s'enfuit s» a la dt'robee , nous laiiTant le palais ds jies Troubadours. 295* » Bucaleon*, & fa fille (i gentille. Voug » favez , & tons ceux qui font avec vous » le favent , que je ne dis pai un rnot que 3' de vrai. J'ajoute que votre renommee *> s'eft tellement accrue par mes vers & » mes chanfons , qu'elie ira jufqu'a la » demiere pofterite. LoiTque bon vaffal 33 iert un bon fei.rneur, i! lui en revient >= honneur & recompenfe.C'eft pourquoi 5' j'attends de vous bon profit & bong 33 preiens « 33 Seigneur marquis , je veux vouS » rappe'er tons les hauts fait? de vos » premiere!: campagnes. Donner des le-' » cons eH: notre devoir ; & les fairs ec'a- 3: tans de votre jeunefTe doivent fervir » d'inftrucVion a ceux qui voudront en- » trer dans le chemin de la gloire Votre v> bravoure vous eieva rant, qu'on vous 33 !oua comme feigneur, & moi , comme » bachelier. « 4 Palais de Coiiknrlnoplc , (l!~n Ducange, tN iv 2p6 Hist, litteraire m Souvenez- vous de mon attache- *» ment pafTe , des grandes actions que a> nous fimes fur mer , lorfqu'au milieu »> du fouper, vous enlevates du plus fort- s' retranchement, au marquis Malafpina, » la dame Soldina : vous la donnates a » Poncet d'Aquilane , qui etoit au lit » malade d'amour pour elle. Qu'il vous 33 fouvienne du jongleur Aimonet , qui » vous apporta des nouveiles de Jaco- 33 bina, qu'on vouloi: emmener en Sar- as dai-gne pour la m-arier malgre elle : » qu'il vous fouvienne comme elle vcus 3> embrafla en prenant conge de vous , a? & vous priant d'une maniere 11 tea- s' chante de la defendre centre I'injufHce » de fon oncle. Vous tires monter a che- 3> val cinq ecuyers , des meilleurs. Nous 33 courumes la nuit , apres fouper ; moi- 33 meme je l'enlevai du pare , & tout le 33 monde poufTa de grands cris. Des fan- x. tallies c: ass cavaliers nous pourfuivi- » rent j nous primes aullitoc le parti de des Troubadours, 297 ifc nous fauver. Nous penfions etre hor s 33 de peril , quand nous voila attaques » par ceux de Pife. Voyant tant de che- at valiers nous ferrer de pres, tant d'ecus 3^ briller , tant de bannieres voltiger au 33 vent ; il ne faut pas demander fi nous 33-eumes peur. Nous nous cachames en. a> tre Albergue & Final. La nous enten- 3o dimes de routes parts fonner cornets » & clairons , & crier maims fignaux.. 33 Nous reftames deux jours fans boire a' ni manger. Nous en allant le troifieme » jour , nous rencontrames au paiTage- 33 douze voleurs ; & nous ne favions 33 quel parti prendre : car on ne pouvoit » les attaquer a cheval. J'allai contre eux 33 a pied. Je recus un coup de lance 5 33 mais j'en blefiai trois ou quatre , & 33 leur hs tourner le dos a tous.Mes com- 33 pagnons me joignirent ; nous forca~- :o mes les voleurs d'abandonner le paf « fage ; & alors vous putes paffer ew ■» furete, « 2$b HlST. LTTTERAIRE 33 II vous louvient fans douce comme w nous dmames gaiement , quoique nous s> euflions peu a manger, n'ayant qu'un 33 feul pain , & rien a boire. Le foir nous 33 arrivames a Nice chez Puiclair. II 33 nous recut avec tant de joie , que ft 33 vous euffiez voulu , il vous auroit fait 33 coucher avec ia fiile Aiglete , au beau 33 vifage. Vous le matin , comme bon ^ feigneur & brave baron , vous donna- =' tes en mariage Aiglete a Gui Adhe- 33 mar de Montejl ; vous donnates de 3i raeme a Anfelme Jr.cobina , & lui fites 33 recouvrer Ton comte de Vintimille, en =' depit de fon oncle qui Ten vouloit » depouiller. « 33 Si j'entreprenois , feigneur , de ra- ti) conter routes vos grandes actions , 33 don,: je fus temoin , nous pourrions 33 ctre ennuyes fun & l'autre , moi de 33 dire , & vous d'entendre. Plus de cent 33 pucelles vous ai-je vu marier a des » comtes , a des marquis , & a des ba- I) E S" 1ROUBABOPKS. 2p£' ft rons de haut rang , fans que jamais *> jeuneffe vous fit pecher avec aucune* =» Plus de cent chevaliers vous ai-je vu » etablir par don de fief, & cent autres; a» pareillement detruire & ruiner ; e:e- » vant les bons, abaiifant les faux & les » mauvais. Tant de veuves & tant d'or- 35 phelins vous ai-je vu confoler , 8c x tant de malheureux fecourir , qu'ils js devroient vous mener en paradi? , fi 35 par merci on y peut entrer. Jamais* 35 homme eigne de grace ne fut refufe ,, 33 quand il vous la demanda. Er. pour as dire vrai , Alexandre vous laiffa , fei— 3' gneur , fa generofite ; Roland , ie dou> »5 zieme pair , fon courage ; & le preux: :> Berard , fa galanterie & fon beaut o> parler. Dans votre aimabie cour „ 35 regnent toutes les vertus , la magm- as ficence des habits & la bonte de?> 25armes,les trompettes , les jeux, les- » violons & les chanfons. Et jamais n& -> vous plut portier, quand vous etiez C Nvv 5co Hist, litter aire 33 table , comme en ont les riches ava- 33 ricieux. « as Je puis me vantcr, feigneur, que » j'ai fu me bien conduire dans votre •» cour, donner, fervir , ctre complaifant » & difcret. Je n'offenfai jamais perfon- *> ne ; & nul ne peut me reprocher que »> jamais en guerre je vouluffe m'eloi- 25 gner de vous 5 ou que j'aie craint la s» mort , tant qu'il s'aguToit de travailler 35 pour votre gloire. Tout le detail de » votre vie m'etant connu , vous devez 33 me faire plus de bien qu'a tout autre. =» Et cela eft jufte , feigneur marquis. 33 \ ous trouverez en moi temoin , che- 33 valier & jongleur. « Un le&eur attentif peut faire beau- coup de reflexions fur ce morceau. II y obfervera , outre les traits qui cara&eri- fent les anciennes mceurs , autant d'a- dreffe que de {implicite. L'eloge du marquis rend excufable celui du trouba- dour, Rarement oferoit-on aujourd'hus frrs Troubadours, ^d (e louer foi-meme de la forte > quand meme on le pourroit avec juftice. Mais ©n ramperoit davantage , on demande- roit avec bafTefle : & je doute qu'on em fut plus digne de faveur. Ceft ainfi que dans Homere , les heros vantent leurs actions , leur merite , & s'en font un titre, pour demander ce qu'ils fe croient du. Le marquis de Montferrat mourut en I207 , dans un combat contre les Turca, laiflant le Montferrat a Guillau- me fon fils aine, & le royaume de Salo- nique , a Demetrius fon cadet. Nous ignorons fiRambauddeVaqueiras mou- rut avant ou apres lui. Dans une chanfon de ce poe.te , ou il fe plaint des rigueurs de fa maitreffe, jfc trouve un couplet remarquable: s> Le jour qu'amour fit choix de nous 55 deux, votre beaute m'infpira la fierte 33 dupaonlorfqu'ilcontemple lescouleurs 53 de fon plumage , & que tout orgueil- ?> leux il grimpe au haut des murs : il ]£ 502 Hist. LITThArR? 37 conferve cette fierce , jufqu'u ce que » 39 baiflant la tete , il voie les pieds. Ainii » les doux femblans de ma dame m'en- 39 ilent de vanite & de joie, jufqu'a ce » quelle ire fafle la guerre par un norn iiirtout fas ; arice, & fembloient metsre 3 o6 Hist, litt^ratrh la prodigalite la plus foile au premiei rang des vertus. Voici , felon nos manufcrits , une preuve de la Iefine de ce Prince. I! etoit amoureux d'une dame nomraee Marina , qui ayant demande' un jour au bailli de ion amant , du lard pour fricaffer des ccufs , ne cecut que la moitie d'un jam- bon. C'eft la matiere d'une violence in- vective. L'eveque de Clermont , frere da' comte Gui coufin du dauphin 3 genie fatirique & turbulent , fit un couplet pour relever ce trait de Iefine avec ai- greur. Le dauphin, blefTe au vif, fe ven- gea en poete furieux. II chanfonna l'e- veque a Ton tour , lui reprochant fes amours avec une femme , dont il f accufe d'avoir fait aflafliner le mari , & ajou- tant que , s'il n'etoit retenu par d'autres motifs , il tueroit volontiers un eveque. extravagant. Quelque nouvelle (atire du preJat pro* d e s Troubadours. 30^ euifit !e meme effet que la premiere. Le dauphin ripofta par un firvente terrible, ou il lui reproche de refufer la fepul- ture a fes meil'surs amis, fi on ne le pave graflemenr; d'exiger des riches millefous pour une biere , & d'employer le tribute qu'il leve fur les moits a prolonger la guerre contre le roi, Il prie Bieu de le hair , autant que levcque aime l'Angle- terre. C'eft par dcs trahifons qu'il a re- connu, ajoutet-il, les bontes du roi de France , qui lui avoir promis de le tirer de fetat de frere religieux * , pour l'e- levcr en dignite. Eft- il etonnant qu'il' manque aux rois & aux feigneurs , puif- qu'il manque a Dieu & a fa profeflion? L'envoi porte que le prelatmedit de lui, tandis que lui il refpccle le caraclere du prelat: ians quoi il diroit tant de chofes, qu'on le depouillerok de Ton evcchev Quelreipect pour le caractere epifcopall „ _, ■■ ». « * II ctoit chanoine d'-A atari. *jo8 Hist, lttt^raire, II afliiroit au commencement de Iz piece , qu'il attendoit impatiemment le le'gac, pour faire depofer leveque. Dans l'ivrefie de la paffion , rien n'eft plus facile que de fe dementir foi-meme. Du refte , Robert eveque de Cler- mont , meritoit par la conduite de tres-- grands reproches. Brouilieavec Confrere I'e comte Gui , vraifemblablement parce que ce dernier avoit abandonne le roi d'Angleterre pour fervir PliilipDe-Au- gufte , il faccagea fes terres , & ne man- qua pas d'y lancer un interdit general 3 plus funefle fouvent que les armes. Le comte recourut au pape Innocent III. L'archevcque deNarbonne e.ut commit fion de iui rendre juftice. Aprcs une courte reconciliation en 1 195) , les ani- mofites & les violences ie ranirnerent entre les deux freres. Le pape & Phi- lippe- Augufte, avec toute leur autorite? feurent peine a en arreter le cours. Nous avons deux autres pieces du ives Troubadours. 30^ fVrelat centre (on frere. Dans Tune adref- fee au troubadour Pierre de Maenzac , il die que tout le monde feroit perdu , fi le pouvoir du comte egaloit Ton envie -de nuire. » Je ne fais combien de fots & » d'ignorans , ajoute-t-il a la fin , rr.-e di- » fent des folies. Et il le'bon roi Philippe » ne s s en meloit , tel chante contre moi , y qui en pleureioit bien.a Dans la feconde : » Le comte veut *> enfeigner a un eveque a donner des » benedictions. II feroit mieux d'appren- » die lui-mcme ii jouter dans un tou-r- » noi : car je ne crois pas qu'il en alt r> jamais vu aucun ... * Piut a Dieu que je x> vecufle en honneur, juiqu'ace qui! fur- r> paiTe Roland en bravoure. « Pvevenons au dauphin d'Auvergne. II femb'oit no pour les querelles : il en cut une honteufe avec Pierre Pelidier, I our- geois de la vicomte de Turenne , done ]'hin:oricn proverc;al vante le courage , la libe'ralitc & la courtoifie. Ce tour- 510 HtST. LITTEHAIRE geois acquit une confederation au-deflus de (on etat ; vrai phenomene dans les iiecles oii le peuple n'avoit guere que I'aviliflement en partage. Le vicomte de Turenne le fit baiili de toutes fes terres. Ce'toit un emploi confiderable , exerce ©rdinairement par les nobles. Le baiili aflfembloit les milices du reflbrt , publioit les ordres du feigneur,, en pourfuivoit l'execution , faifoit la recette de tous les droits du domaine , paflbit inveftiture aux acquereurs, leur faifoit rendre horn- snage , &c. II gouvernoit comme un miniftre. Le dauphin d'Auvergne, alors amou- reux de la Hlle du vicomte , avoit befoin des fervices de PelifHer. II le trouva pre- venant & genereux: il empruntoit de lui, lorfqu'il venoit voir fa maitreiTe ; mais empruntoit fans reftituer. Peliflier de- manda enfin l'argent qui lui etoit du. Le dauphin affecta de meconnoitre fes Cervices, & cefTa de frequenter la maifon 3des Troubadours. 211' &u vicomte , fans doute pour n'avoir pas a rougir de fes dettes ou a les payer. C'eft ce que lui reproche le bailli dans un couplet, en ces termes: r> Je mande & ordonne au dauphin » de ne quitter fa maifon , & d'y manger » beaucoup , de peur qu'il ne maigrifTe* » Perlonne ne fait manquer plusindigne- w ment a un ami. Quand il a eu tire in- » tercts & capital , les meffagers & les r> couriers ont ceiTe d'aller ; plus de let- » tres ni de billets depuis long-terns. On » ne tint jamais plus mal fes promefies. » Mais il eft jeune ; il fe corrigera. « Une reponfe groffiere du dauphin fut tout le tiuit de cette chanfon. II repliqua ainfi : » Vilain courtois, (pour lui reprocher fa naiiTance & fes airs de noblefle , ) r> vilain courtois, apres avoir depenfe en *» folies & en debauches ce que vous a » laiffe votre pere , croyez-vous done u que je vous enrichhaj de mon bien , ■%T2. Hist, litte rathe » en depit de Dieu qui vous fit un fou » do nature? Par ma foi , je vous jure » que vous n'aurez rien de moi. Allez » demander l'aumone comme un pelerin. w Demandez-la en aveugle , & chantez » contre ceux qui vous la refufent. « Ce ton de groflierete , fi propre a faire fentir combien la politeflfe a change les mceurs , fe trouve encore plus cho- quant dans deux fatires du dauphin con- tre des jongleurs. On n'en fupporteroit pas meme l'extrait. Le dauphin d'Auvergne mourut en '2234, ainfi que l'eveque de Clermont, devenu archeveque de Lyon en 1,227. Noftradamus ne les a connus ni Tun ni 1'autre. XXVI, des Troubadours. 313 fr . 3 £& — .... a XXVI. BERTRAND DE LA TOUR. \J N couplet du dauphin d'Auvergne contre Bektrand de laTour, & fa reponfe au dauphin , font toute la matiere de cet article. Ce font des repro- ches mutuels fur leur facon de vivre. Le premier reproche au fecond , qu'ayant eteriche, puiffant, valeureux, eftime , & ayant voyage loin de fon pays , il fe renferme dans fon chateau , avec fes autours & fes faucons; & que, lorfqu'il a vingt perfonnes chez lui , ii croit tenir la fete de Noel ou de Paques. Bertrand repond , qu'il auroit mau- vaife grace de vivre d'une autre manie- re , tandis que le dauphin lui donne l'exemple d'une vie encore plus retiree ; fuivant le proverbe, Tel eft lemaicre, tel doit fore h valet. Tome I. O J 14 Hist, litter aire II refuke.de la que Bertrand etojt au fervice du cfauphin , & qu'il cefla de vivre magnitiquement , lorfque celui-ci pafla de la prodigalite a l'avarice qu'on fui reprochoir. Nos manufcrits donnent a entendre combiencettevieprivee etoit honteufe dans 1'opinion du temps ; car ils obfervent que le premier couplet flit fait lorfque Bertrand eut quitts vakur &* generojite. bes Troubadours. 315' fc ■■' ■ = < °£ -=-i *■ XXVII. DEUDES DE PRADES. eudesdePrades, ainu nom- ms du lieu de fa naiflance, en Rouergue, fut chanoine de Maguelone. Homme fage , fpirituel , lettre & compofant bien , felon nos hiftoires manufcrites, il eut ce- pendant peu de fucces dans le monde ; fes chanfons y furent mal accueillies , parce qu'elles n'etoient point infpirees par l'amour. Que veut dire fhiflorien provsn^al? Une vingtaine de pieces qui nous reftent de ce troubadour, font pleines de galan- terie & de fentimens amoureux; ecrites d'ailleurs avec plus d'elegance que bien d'autres , dont les auteurs eurent de la 1 reputation. Deudes apparemment vecut loin des cours , de ce theatre 011 les ta- 1-ens poetiques alloient chercher & la Oij %i6 Hist. litt£raire gloire & la fortune. Aujourd'hui meme,' le talent refle quelquefois dans l'obfcu- rite , s'il n'a point Tart de fe produire. Rien alors ne fuppleoit a cet art ; ni limprimerie, qui repand au loin les ou- vrages , ni le gout des lettres , qui excite la curiofite des lecteurs. On jugera par les pieces fuivantes , de la critique de l'hiftorien & du merite de notre poete. » Avec le doux printefns qui renait , » je veux faire une chanfon nouvelle. La jo joie d'un nouvel amour m'y invite. De y> cette premiere joie vient l'efperance » d'une plus grande. Si je ne l'obtiens » pas , ce ne fera point ma faute. Mais y> toujours j'implorerai celle que j'aime , j» toujours j'adrelTerai mes vceux vers le » pays qu'elle habite. » L'efperance me paroit fi belle , que » j'y trouve la plus heureufe pofTeffion. » Content par le feul efpoir, que je ferai » heureux ft, m'appelant mon doux ami, des Troubadours. 317 » elle me dit jamais : Je veux que pour moi » vous i'ous tenie^ en joie , & que nulk » crainte ne detourne voire coeur de m al- io mer! » C'eft ce qui me plairoit bien a en- s' tendre ; mais cela ne peut etre , je le » fais. Une dame ne dit point ce quelle » fouhaite. Plus elle veut en amour, plus » elle le cache par honneur ; plus elle 30 defire fon ami, plus elle s'en fait prier. » Mais un beau femblant vaut mieux n que tout ce qu'elle pourroit dire. » Qui fe connoit en amour peut bien » juger qu'un beau femblant, quun doux » foupir ne font point melfagers de refus. 30 Mais celui-la veut etre refufe, qui de- » mande ce qu'il poflede. Audi je con- y> feille a tout amant veritable , de faire » fes demandes en prenant. « II appuie trop fur cette penfee , que fon etat du moins auroit dii lui inter- dire. Voici l'envoi : s Chanfon , va-t-en & ne t'arrcte Oiij 5 18 Hist. litt£raire » point ; va-t-en a Aries, ou habite la » prouefle merne. Le feigneur de cette » ydle te protegera centre la perfide ra- » a des medians. Si tu veux profperer » dans les bonnes cours , fais-toi amie » des deux freres Roquefeuille , en qui » refide merite & vertu. a Les villes d' Aries, d' Avignon & de Marfeille , profitant de l'anarchie que la minorite du comte Raimond Bcrenger occafionnoit en Provence , s'etoient eri- gees en republiques au commencement du treizieme iiecle.. Un pocefta choiii par le peuple gouvernoit Aries. Guil- laume Obriac le fut en 1 2 1 3. C'eft pro- bablement le feigneur dont il s'agit. Quant aux Freres de Roquefeuille , lis poifedoient: le chateau de ce nom dans le diocefe de Nirnes. Une autre chanfon du chanoine trou- badour annonce un libertinage , qui pouvoit contribuer au peu de fucces de fes pieces ; car fi le clerge rneprifoit im* D £ s Troubadours. 3 i_p punement les blenfeances , on ne per- mettoit guere de pro fane r les idees fu- blimes de f amour, tel que la chevalerie fe le figufoit. Quoiqu'i! foit amoureux , dit- il , d'une dame belle & aimable, il eft encore aimiS d'une pucelle, (on donnoit ce r.om aux. femmcs d'un era: mediocre,) & quand il trouve une fille de joie , il s'en amufe. Son amour n'en eft pas moins courtois , pour etre ainli partage. Apres ce debut, il parle fort librement de la maniere dont il fe comporte avec el!es , felcii kur different etat. La ga-ariterie etc it pour les dames, la familial ire pour les bourgeoifes , les filles de joie etoienr. traitees comme aujourd'hui. On le voit par les tableaux du pocte. I! dit au let de la dame : » II n'y a point d'amour , » oil rcgne l'intei'et , ni avec une per- » fbnne qui aimc le;: p-/efcns, & s'eftime » heureufe , loriqu'eTe a tire de foil p amant des anneaux Cc cies lacets. « U Lv 5^0 Hist, litter a ire La mort d'Hugues Brunet , trouba- dour, eft le fujet d'une piece par laquel- le nous finirons cet article. » Le plaiflr & l'amour doivent etre » dans la douleur ; les hommes ne doi- o> vent plus aimer la vie, puifque celui 33 qui mettoit en honneur courtoifie , « joie, chants & merci , a cefle de vivre. 33 II chantoit fi bien , que les roflignols »> fe taifoient d'admiration pour l'enten- 33 dre. AuJJi Dieu I'a-t-il pris pour [on 31 u f a H 2, ^ e P r ^ e Dicu de le placer a fa 33 droite. Si la vierge aime les gens cour-. 33 tois j quelle prenne celul-la. a II faut avouer que ce chanoine, juf- ques dans fes idees fingulieres de devo- tion , n'avoit rien que de profane. C'e- toit un des grands malheurs de fon fie- cle , que la religion portat fempreinte des mceurs & des prejuges. Nous fouhai- terions qu'il eut mieux repare ce blas- pheme d'une de fes chanfons galantes : Je uq voudrois pas hie m paradis ., at des Troubadours. 321 condition de ne point jximer celle que fa* dore. Deudes de Prades n'a pas ete connu de Noftradamus. Crefcimbeni en fait mention , & cite les manufcrits qui con- tiennent fa vie & fes ozuvres.Nous avons de ce troubadour un traite en vers fur la fauconnerie , dont il s'etoit fait line etude ; traite ou Ton trouve beaucoup de details fur les maladies des oifeaux. Ov 322 Hist, litter aire * r ■ — ^ — :3 &£= - «■ =if XXVIII. PEYROLS D'AUVERGNE. K-j e troubadour fut un chevalier fans- fortune , du chateau de Peyrols dans le pays du dauphin d'Auvergne , au pied de Roquefort. II fe concilia par fa poli- teflfe , fa douceur , & par une figure agreable , les bonnes graces du dauphin, qui le retint a fon fervice ; lui donna des chevaux, des armes, des habits ; & ne le lauTa manquer de rien. Une fceur de ce prince , femme de Bernard de Mercceur grand baron d'Au- vergne, avoit des charmes dont Peyrols devint amoureux. Flattee d'etre l'objet de fes chanfons , elle n'etoit pas d'ail- leurs infenfible a fon amour ; mais la vanite lui fit d'abord rejeter les vceux jd'un homme trop au deffous d'ef.e. §es rigueurs font le fujet de plufleurs D ES Til OUBABOURS. %2J pieces, telles que nous en avons tant vu, qui refpirent l'humilite, la foumiilior* & la tendrefle. En voici quslq.ues traits- des plus remarquablesr » Le haut rang de ma dame me deTe^~ :3 pere ; mais je n'ai pas la force de' » rompre mes chaines : je fais comme l& » joueur qui , pour courir aprcs fon » argent, acheve de s'abimer. ► . . . Les » bois fe parent de verdure , les oifeaux » par mille chants fe repondent les uns =» aux autres. Une infenHble me fait « verfer des larmes , au milieu des ris de- J3 toute la nature. Rien ne peut cepen— m dant me detacher de celle que j'ado* w re. Souvent j'en dis du mal tout express 33 devant le monde ; je rabaiffe fon me- 33 rite, pour voir ce que fon en penfe,. 33 Cell: a qui rencherira fur (cs louan— ;j ges ; & je ne fais par la qu'angmentec ;> mon amour ^ mon mr.l. Mais ce tour- » ment me plait , quand je contempJe* >vles beaux yeux, fa bells bouchs, fa Ov* 324 Hist, litter a ire 33 bonne grace, la fraicheur de fon vifa- » ge. Plus je la confidere , plus je la vols a> s'embellir Aimer eft tout mon » bien , & fait toute ma gloire , &c. ce La comtefTe de Mercceur , a demi- vaincue par une paflion fecrete , ceda volontiers aux inftances du dauphin , qui la follicitoit en faveur du trouba- dour. Elle accepta fon hommage. C'eft: le fujet d'une autre piece, ou fe felici- tant de fon bonheur , il temoigne audi fa crainte que la dame ne vienne encore a le meprifer. Malgrs ces apparences de modeftie, il fut bientot temcraire , au point d'offen- fer la comtefTe, & de s'attirer une brouil- lerie. Le dauphin les reconcilia ; & par une honteufe foiblefle , il fe rendit cou- pable du deshonneur de fa foeur , qui ne devint que trop complaifante pour les de'irs de Peyrols. Celui-ci eut l'audace de celeb rer fon triomphe. t II n'y a qu'un moment que la dou- des Troubadours. 325* >j leur me faifoit mourir. Maintenant je »» ne changerois pas mon fort contre ce- ss lui d'un empereur. Non , on ne peut J3 dire trop bien de l'amour. Quelques *» maux qu'il fafle , il fait en dedomma- 33 ger celui qui le fert humblement. Belle 35 que j'adore , je trouve tant de plaifir 33 avec vous, que je vous fuivrai en tout 33 lieu comme votre efclave. Content de 33 vous fervir, je ne dirai mot , fi vous le 33 voulez. Je fais bien cacher mon jeu 33 quand il le faut ; & fi par fois je jette » les yeux fur vous, je les detournerai a r 3» l'inftant. Si Ton me parle de mes feux, 33 amour m'ordonne de memir. Et pour- 33 quoi , 11 j'aime , m'expoferois-je au 33 courroux de celle que j'aime ? Quel 33 changement , 6 ciel ! la belle qui me 33 faifoit mourir , me comble a prefent 33 de joie. re Un bonheur dont il faut rougir doit etre court, & avoir une mauvaife fin. L'intrigue de Peyrols avec la comtefTe '326 Hist, litter aire fit tant d'eclat , que le dauphin , quoique complice du defordre , blama publique-- merit fa foeur. Peyrols fut chaiTe de la couf j. & la comteiTe elle-merne } foit par humeur ou par bienfeance , l'accabla de marques de eolere & de raepris. On le voit defefpere dans une piece ; ©u il s'exprime en amant fidelle , refolu de tout iouffrir plutot que de renoncer a fa dame : il ira mourir a fes genoux , ic cette mort lui paroitra delicieufe. Mais ce langage paffionne n'etoit fans doute qu'une tentative pour obtenir grace. Le troubadour n'aimoit que fes ' plaifirs ; libertin decide , prodigue de? belles protections^, que fa conduite dementit toujours. II eut bientot une nouvelle mai'trefTe, d'un rang infe'rieur a >a premiere; il fe felicita de fon choix , €omme d'un engagement heureux 8c eternel": » J'ai prudemment reftreint mon am- » bition. Amour ne vaut qu'autant qu'il- Ms TroubadourS. 3 if »• eft rendu. Sa perfection confifte dans. » un retour mutuel de fentimens , d'e- » gards , de complaifances , entre l'a~ » mant & l'amie , fans hauteur de pare » ni d'autre. Jamais je ne me detacherai » de celle en qui je viens de mettre morv » efperance : toujours je ferai uni avec » elle de penfees , de paroles & de vo« »lontes. Les medifans ont voulu trou- » bier notre commerce ; & cent fois elle. » a pleure des coups qu'elle a recus de. » fon mari. Elle fera d'autant mieux de. » s'en confoler avec fon voifin. Je n'en » veux pas dire davarttage. Va , chan- ge fonnette , va dire a n»a belle & douce » amie que je n'aimerai jamais qu'elle , » & mon cceur l'accompagnera en tous- » Jieux. « Les plaintes fuccedent a cet etalage de galanterie. Les caprices ou les ri» gueurs de fa maitrefle. ont tout change., b Quand je fonge a la folie que je fais ,» de foupirer fi long- terns pour elle. 328 Hist. litt£raire » je fuis fur le point de la quitter. Mais » le fouvenir de fes charmes & de fes » vertus me rappelle auffitot ; & au » moment que je crois pouvoir fuivre » une autre padion , raon coeur s'inonde » pour elle d'un torrent d'amour , qui » penetre de tous cotes comme 1'eau 30 dans une eponge. « II n'en fut pas moins inconflant. Une marquife du Viennois lui fit oublier fes anciennes amies. Nouvelles chanfons en fon honneur , telle s que les precedentes , & probablement nouvelle infidelitc. Apres une jeunefle perdue dans ces frivoles amours, Peyrols fe livra comme tant d'autres libertins a la devotion des croifades, lorfque fempereur Frederic I, le roi de France Philippe-Augufte , & Richard roi d'Angleterre , entreprirent leur fatale expedition de la Terre-fainte, Nous avons de lui un poeme compofe en Afie , apres la mort de l'empereur, *> Puifque j'ai vu le fleuve du Jour- des Troubadours. 329 » dain & le faint fepulcre , je vous rends » graces , Seigneur Dieu , de m'avoir » montre le lieu ou vous naquites , 8c » j'en fuis comble de joie. Dieu nous » accorde bonne mer , bon vent , bon » navire & bon pilote ! car je veux » retourner vite a Marfeille ..... Adieu » vous dis-je , Acre , Sour , Tripoli , & » vous , fergens & hofpitaliers. Le mon- » de va en decadence. II avoit de bons » rois & de bons maitres , dans les per- » fonnes de Richard & du roide France. » Montferrat avoit un bon marquis , & » Tempire un ernpereur glorieux. Mais t> ceux qui font a leur place, (les deux » rois etoient fans doute deja partis , ) » je ne fais comment ils fe comporte- » ront. Seigneur Dieu , fi vous mzrt r> croyief j vous prendrief bien garde a qui » vous donneriez les empires, les royau- » mes , les chateaux & les tours : car » plus les hommes font puifTans , moins 91 Us vous conliderent. J'ai vu fempe- 33° Hist, litter air* » reur faire un ferment & enfuite fe par- » jurer. » Vous, empereur, Damiette attend » aprcs vous ; & la tour blanche pleure » votre aigle qui en fut chafle par un » vautour. Bien eft lache l'aigle qui fe » laifle prendre par tel oifeau. La gloire 50 du foudan vous couvre d'ignominie ; » & votre deshonneur emporte notre » ruine , avec la decadence de la foi » chretienne. « ( Ceci regarde vraifem- blablement Henri VI , cet empereur ft digne de reproches , furtout pour avoir tenu prifonnier & ranyonne Ie roi Ri- chard. ) Au retour de la croifade , Peyrols fe maria a Montpellier , ou il mourur. Ses chanfons galantes font au nombre de vingt - quatre. II a laifle de plus cinq tenfons. La plus remarquable eft entre f Amour & le poete : il la compofa etant fur le point de fe croifer. L'Amour commence par lui repro- pes Troubadours. 3 3 S cher d'avoir renonce a lui & aux chan- Tons. P E Y R O L S. » Je vous ai long-tems fervi fans re<- y> proche , & cependant fans la moindre » recompenfe. cc L' A M O U R. » Avez-vous done deja oublie l'accuerl » gracieux & tendre , qu'une dame vous *> fit l'autre jour par mes ordres ? Vous » etes un volage ; & qui l'auroit cru , au » ton gai & amoureux que vous preniez » dans vos chanfons ? « P E Y R O L S. » Amour , j'aimai ma dame du prc- » mier inftant que je la vis ; je l'aime » encore de meme , mais fans folle pen- » fee. Bien des amans me donnent » 1'exemple. lis pleurent en Syrie Jeurs » amies ; & ils auroient ete bien con- » tens de refter ici , fi ce n'ctoit la crol-: » fade contre Saladin, « •332 Hist, litteraire L'A m o u R. » Ce n'eft pas vous qui chaflerez de » la tour de David les Turcs & les Ara- » bes. Ne fongez qua chanter & aimer. » Que voulez-vous aller faire a la croi- » fade , quand les rois n'y vont pas » eux-memes ? Voyez comme ils s'occu- » pent d'autres guerres , & comme les » barons cherchent audi des pretextes » pour fe difpenfer de partir. « P E Y R O L S. » Si je vous manque , c'eft bien mal- » gre moi. Un autre devoir m'appelle* » Jc pris Disu de ins conduiro a !a » Terre-fainte , & de mettre bientot la » paix entre les deux rois ( de France & » d'Angleterre. ) « Dans une tenfon avec Bernard de Ventadour , celui-ci pretend qu'on doit chanter quand meme on eft maltraite par fa mairrefle ; & Peyrols repond, qu'ij ne veut point jeter ainfi les chanfons au vent. des Troubadours. 333' Sa legerete en amour paroit dans une tenfon , ou il demande au dauphin d'Auvergne, fi un amant doit plus aimer fa mie apres en avoir tout obtenu. Le dauphin repond que la jouiflance doit augmenter l'amour. Peyrols dit au con- traire qu'elle eteint l'amour pur & par- fait. La tendrefTe d'un veritable amant , felon le dauphin , ne fait que sechauffer par la reconnoiflance ; & il n'y a qu'un amant peu courtois qui fe refroidifTe pour fa dame , lorfqu'elle ne lui a rien laifle a defirer. » Je ne fais , repond Pey- » rols. En tout cas , je lui confeille , s'il » ne l'aime plus tant, de faire toujours » femblant de l'aimer davantage. — Je » vois , dit le dauphin , que vous jugez » du cceur des autres par le votre qui ne » vaut rien. * Les dernicres tenfons roulent encore fur des jouilTances , plus ou moins fre- quentes , plus ou moins difputces ; ma- ticre digne d'une plume libertine. 534 Hist, litteraire XXIX. ALBERT, marquis de Malafping, J\ L B E R T etoit de la maifon des mar- quis de Malafpina , une des plus illuftres de la Lombardie. Nos manufcrits le de- pelgnent comme un homme vaillant , courtois , liberal , bien appris & bon troubadour. Bembo , Marius Equicola , Crefcimbeni, i'ont celebre & l'ont mis au nombre des principaux poetes de fon terns. II florhToit vers la fin du douzieme fiecle , etant contemporain de Rambaud de Vaqueiras. Une tenfon fort curieufe avec ce dernier en eft la preuve. Le marquis Albert demande a Ram- baud , s'il eft vrai qu'il a ete congedie par une maitrefte, pour laquelle il avoit fait inutilement des chanfons , & qui fa- yoit attaque dans un firvente ? fr-Es Troubadours. 33^ R A M B A U D. r> La trompeufe s'eft eloignee de moi. » Je penfe que vous feriez bien de l'e- » poufer ; car je lui trouve beaucoup de » rapports d'humeur & d'inclination avec » vous , qui tant de fois avez facrifie » votre parole & vos fermens a votre » interet ; vous a qui les Genois repro- » client d' avoir vole fur les grands che- » mins. Et les Milanois ne fignorent » pas. « Albert. » Si je me fuis adonne au pillage, ce » n'efl: point par envie de thefaurifer , » mais pour avoir le plaifir de don- » ner. . . . Vous , Rambaud, je vous ai y vu , dans la Lombardie , aller a pied » comme un mechant jongleur; malheu- » reux en amour , ainfi qu'en fortune. » Alors c'eut ete une belle aumone de » vous donner a manger. Rappelez-vous 9 dans quel e'tat je vous trouvai a Pa- » vie. v. 53'6 Hist. litt^rair* R A M B A U D. » Vous etes le premier homme du » monde pour calomnier , pour faire » toute forte de mechancetes , & le der- » nier en merite & en valeur « Albert. » Et vous , vous avez bien fait une » autre folie , de quitter le metier de » jongleur qui vous mettoit a vdtre aife, » pour devenir chevalier. Cette nou- » velle profeilion vous a donne des pei- » nes etranges ! depuis que vous avez » pris un courfier au lieu d'un rouilin , » vous n'avez fait encore coup de lance » ni d'epee. « R A M b A u D. 3> Pour vous , vous ne favez que ten- » dre des pieges a. vos allies , & manquer » de foi a ceux qui vous fervent. Si je ne » vaux pas Olivier en amour, vous etes » bien loin de valoir Roland. « J'ai peine a concevoir que le marquis de Malafpina ait pu ecrire cette piece , ou »es Troubadours. 337 ©u il eft fi maltraite. Sans doute on a mis fous fon nom les couplets des deux antagoniftes. Les guerriers ne rougif- foienc point alors du pillage & des vio- lences, lis s'en faifoient un jeu ; ils s'en faifoient meme un merite , lorfqu'ils con- facroient a de vaines profufions le fruit de leurs brigandages. Les vols de grands chemins, reproches au marquis , fuppo- foient du moins quelque bravoure ; &c dans l'etat continuel de guerre , ou. l'on etoit alors , de voifin a voifin , on s'ac- coutumoit a les regarder comme un droit des gens. Mais que dire du reproche de mauvaife foi & de parjure ? Un dialogue naif du troubadour avec fa maitrefTe, etant unique en fon genre, merite d'etre prefente au le&eur. *> Je me recommande h vous , ma- » dame. Jamais je n'ai rien tant aime *> que vous. — • Ami , je vous dis & vous » promets que je ferai ce que vous fou- » haitez. « To;ne L P 338 Hist, utthmr! » Vous tardez trop , madame. — Ami, *> vous n'y perdrez rien. Avez done pitie de moi, madame.— • » Audi aurai-je, ami. « x> Je fuis tant rejoui & amoureux pour » l'amour de vous , madame ! — Mon » joyeux ami , mon cceur fans ceiTe eft a » VOUS. « y> Donnez-le mci done , madame. — « *> Oui , j'y confens , mon bel & bon » ami. » Marquis , tu perds Tefprit. « » Madame , je meurs d'envie que vous » vous donniez a moi. — Je m'en gar- * derai bien , marquis. « » Quelle folie a vous ! Vous ne vous *> en repentirez point , madame. — Je ne » my fie pas , marquis, « Nous avons quelques pieces moder- nes en ce genre , qui font goutees de tout le monde. La naivete' plait dans les fiecles memes de rafinement. 34° Hist, litt^raire XXX. OGIER ou AUGIER. v_j E troubadour eft nomme dans nos manufcrits Ogier , Ogiers de Vienne , Augier & Ugier de Saint-Donat, bourg du Viennois. II refida long - terns en Lombardie ; il fit de bonnes tenfons & de bons firventes , ou il loua les uns & blama les autres. Ses pieces prouvent qu'il floriffoit vers la fin du douzieme fiecle. La premiere qui fe pre- fente eft heriflee de jeux de mots , & pleine de rimes bizarres , d'ou refulte autant d'obfcurite que de mauvais gout. s-> Je ferai toujours ferviteur , pour »> dejfervir en fen/ ant les laches riches * » efclaves de leurs richejfes „ environnes 35 de leurs confeillers qui leur confeillent » de meprifer ilionneur. Auili dans leurs ?a court ., courtes de courtsife * perfonne des Troubadours. 341 33 ne peut-il indiquer par un ftgne de tete » un homme bien appris ; de facon que » moi-meme , qui ne le fuis guere , je » trouve que je le fuis beaucoup , quand 33 je me rencontre avec eux Mais » j'ai vu le noble roi Frederic faire tant 33 d'eftime du merite & de la vertu , & » les tant exalter, que je n'imagine pas 3> qu'il puifle empirer quand il auroit 93 ['empire. « Le pocte fe confole enfuite de la cor- ruption , dont la profperite infefte les riches , par i'efperance que le roi Frede- ric ne fe prendra point a ce piege. II fait leloge du marquis de Montferrat & de Raimond-Berenger II comte de Pro- vence, mort en 1 162. Le roi qu'il ce- lebre eft evidemment Frederic I , qui eut le royaume d'ltalie en 1 ij I, & par- vint a l'empire en 1 1 yy. Un autre firvente a pour objetlamort tragique du vicomte de Beziers. Cet eve'nement, raconte dans 1'hiftoire du Piij '34 2 Hist. litt£rairz Languedoc, (t. 2. I. 19.) eft fi remar J quable qu'il merite de nous arreter quel- ques inftans. Raimond Trancaval , vicomte de Beziers , etoit alle au fecours d'un de fes neveux attaque par fes ennemis. Pen- dant la marche, un bourgeois de Beziers prit querelle avec un chevalier , & lui enleva un cheval de charge. Irrite de cette ofrenfe, anime par les autres che- valiers, ie gentilhomme porta fes plain- res au vicomte , demandant reparation de 1'infuke. Les chevaliers menacoient meme Trancaval de l'abandonner , s'il ne rendoit promte juftice. II leur livra xlonc le bourgeois , qu'ils punirent auili- tot d'une peine legere en apparence, mais propre a le deshonorer pour le refte de fes jours. Tous les bourgeois de Beziers refolurent d'en tirer vengean- ce. Des qu© la campagne fut finie , & Ie vicomte de retour , ils le fupplierent de reparer la honte qui rejailliflbit fur Is Tj e s Troubadours. 345 corps de la bourgeoifie. Naturellement honnete & civil , Trancaval leur repon- die avec douceur qu'il pren-droit confeil des principaux habitans j &c il ailigna volontiers un jour pour reparer ce que les circonftances l'avoient oblige de fai- re. On parut content de fa reponfe. Le jour venu (e'etoit un dimanche 17 oelo- bre 1 1 6 j , ) il fe rend a l'eglife de la- Madeleine , fuivi de fa cour. Les princi- paux habitans arrivent , armes de cui- raiTes & de poignards fous leurs habits* Celui qui fe pretendoit ofrerrfe , s'avance le premier , & dit au vicomte : Void un malheureux ennuye de v'wre j puifquil ne ne psut U faire qiCavec home. Dites-nous main: en ant j monfeigneur\, voule^-vous ri- parer le mal qiCon ma fait ? Le vicomte repond honnetement qu'il eft pret a s'en rapporter la-deffus au confeil des f«.i- gneurs , & a l'arbitrage des citovens , comme il l'avoit promts. Vcits dirk- f. re. litn ,. re'pliquale bourgeois , ft noire hon* Piv 344- Hist, litt^raire re pouvoit recevoir cjuelque reparation * mais cela etant impojjible^ die doit fe laver dans votrefang. Auflitot les conjures ti- rent leurs armes , fe jettent en furieux fur leur feigneur , & railailinent devant l'autel avec fes amis & fes barons , mal- gre les efforts de l'eveque , qui eut les dents caffees en le defendant. Tant la pafllon de la vengeance etoit vive & atroce ! Ogier deplore cet attentat dans un fir- vente , ou il dit : » J'ai dans le cceur une fi grande 3j affliction, que je ne pourrai de ma vie a> aflfez pleurer la mort du preux, bon a* & glorieux vicomte de Beziers , le » hardi , le courtois, le joyeux , le loyal sj & le meilleur chevalier qui fut au a? monde. Jamais (i grand outrage ne fe « fit a Dieu , comme celui qu'ont fait »> les chiens de renegats qui font tue .... » Quelle horreur les grands & les petits ?> ne doivent-ils pas avoir 3 quand il s des Troubadours. 345* « voient qu'on oublie un fi bon fei- 5J gneur , fon amour pour les fiens , fon » humanite envers tous ? II eft done »> mort ! Ou pourrons-nous aller defor- » mais ? Mille chevaliers de grand ligna- « ge , & autant de dames de grand me- 3i rite en feront defoles. « II prie Dieu qui jit la faints Trinite de lui meme^de le mettre dans le ciel. Parmi les huit pieces d'Ogier , nous remarquerons encore un firvente contre ceux qui preferent les vieilles femmes aux jeunes. II le compofa a foccafion d'une tenfon ou Bertrand, inconnu d'ail- leurs, foutenoit a un jongleur , qu'il va- loit mieux faire l'amour aux vieilles , parce qu'avec elles on a toute liberte, & que des jeunes on n'a que des coquette- ries , ou des faveurs bien cheres. 33 Moi , (dit Ogier ,) j'aime mieux les v» carefTes de la jeune que de la vieille. » Je ne peux fouffrir le teint blanc & as rouge que les vieilles fe font , avec Pv r 3 I'onguent d'un ccuf battu qu'elles s'ap- a> pliquent fur le vifage , & du blanc par » deflus : ce qui les fait paroitre eclatan* « tes , depuis le front jufqu'au dcflous 3i de l'aiifelle. . . . ... Une jeune femme sj bien faite vaut mieux que cinq cents as vieilles ; & Bertrand , qui a foutenu le 53 contraire, en a menti. Je voudrois qu'il 33 eut la tcte caiTee II paye bien »> cherement fa fo.lie avec fa vieille , flaf- 03 que & degoutante. • . . ... Je tiens pour »> infenfe les galant-amoureux d'un tel 53 vifage peint ; & c'eft grande hortte a »une femme qui perd fa beaute , de o> s'occuper encore de fa parure. Au lieu » de longer a fon corps, deperifTant cha- » que jour, elle devroit s'occuper du fa- 9* lut de fon ame , &c. « La caufe des jeunes n'avoit pas befoin d'etre defendue , furtout avec fi peu d'ef- prit & d'a^rement. Encore ai-je adouci quel que part les expreflions. t> es Troubadours. 547 XXXI. ELTAS DE BAR JO LS, JtL Li A s, ne a Payols en Agenois , etoit le fils d'un marchand. (Noftradamus ert fait un gentilhomme. ) II avoit de l'efpris Sc une belle voix. Le metier de jongleur, lui parut preferable au negoce ; & ii s'afTocia pour l'exereer a un certain- Oli- vier. On les vit bientot dans les cours,. Alphonfe II comte de Provence , dons le regne commence en 1 15*6 & firm en 1209, fe les attacha par des etablifies* mens folides. II les maria , & leur don- na d&s terres a Barjols dans le diocefa de Riez , d'ou Elias a tire fon nom da Barjols. Apres la mort du comte , il devint' amoureux de fa veuve , Garfende de- Sabran, qui fut , felon nos manufcrits-j i'objst de fes chanfons tant qu'il vecut* Pvi 34-8 HlS.T. LITT^RAIBE Nous avons de lui quatorze pieces , ou Ton trouve beaucoup de fentiment mal- gre la contrainte extraordinaire de la rime. Void une des meilleures. » En quoi t'ai-je offenfe , amour ? » Faut-il que la belle , unique objet de 3> mes voeux, me dedaigne & me tue? a> Ceft toi qui en es caufe. Cependant , as amour, apres m'avoir tanttourmente, 35 il conviendroit de me procurer un 35 beau plaifir de la beaute que j'adore. » Si je meurs pour avoir defire en » vain ce bienfait , on fe reprochera si eternellement le refus d'une legere fa- st veur , qui pouvoit me fauver la vie. n Semblable a un pauvre, que le befoin 35 extreme fait folliciter un foible fecours, * il me fufHroit qu'un feul jour, par ta 3? puifTance,mesprieres touchaflfent celle 35 qui me donne la mort. 35 Mais tu ne veux pas qu'on puiile » dire , qu'une telle felicite ait ete le x prix de ma conftance douloureufe* d e s Troubadours. 34*? ,, » J'avouerois prefque cependant qu'elle » a raifon. Car , quoique je me plaigne » de fa rigueur , un foir , il m'en fou- 33 vient , & ce fouvenir m'eft doux , elle as m'accorda une grace dont je merite 33 de m'etre mal trouve , pour n'avoir pas » fu en conferver la glorieufe jouiflance. 33 En difant que je n'avois rien obtenu 33 d'elle , je n'ai pas dit vrai. » Content de cette faveur , pourquoi *> en ai-je recherche de plus grandes ? *» Je meurs de home & de chagrin d'a- » voir viole mes promelfes. Combien ne » devois-je pas avoir a cceur de les te- 33 nir , puifque jamais elle ne m'avoit 33 comble de tant de biens ? Je me fuis 3j cloigne d'elle! Ah ! quelle infamie de 3» m'etre enfui, lorfqu'on me donnoit les 33 efperances les plus flatteufes. 33 La connoiffance me revient comme » au fou , a qui elle ne revient gucre » qu'apres que fa folie l'a corrige en le » perdant, Oui , je fuis corrige j & fi ^3)0 HrsT. LlTThAIRS » celle que j'aime vouloit • . . » « . Mais » doit -die vauloir? l'oferoi9-je dire? * Helas! je trouve un refte de confian-* a> ce, que m'infpirent fon efprit, fon me*- » rite, fa courtoifie, fon honnetete & » fon prodigieux favoir. « Une autre piece contienfun eloge plus fpirituel de la dame, qu'Elias exhor- te a l'amour. II fe propofe de choifir un- ami digne d'elle ; & pour cela , il veutr prendre parmz les meilleurs chevaliers . les perfections qui les diftinguent , & les reunir dans une meme perionne. » Je prendrai a Aimar fa politefTe , a » Trincaleo fa gentilleiTe , a Randos fe » generofite , au Dauphin fes reponfes » obligeantes , a Pierre de Mauleon fa » plaifanterie , au feigneur Beraud fa » bravoure , a. Bertrand fon efprit , atf » beau Cailillonfa courtoifie, a Nebles » fa magnificence dans les rcpas , (car ssjene lui trouve rien autre a prendre;)* ?a_ Miravals (e& chanfons ., a- Pons &c des Troubadours. 37 1 » Capdueil fa gaiete , a Bertrand de la » Tour fa droiture.Un tel amant fera par* » fait : tous deux vous ne fauriez manquer » de vous aimer a caufe de la reffem- » blance. « Dans Ies pieces ou il exprime fora amour pour la comteiTe Garfende 3 on voit les perplexitis d'un amant timide & refpectueux. »H n'ofe declarer fa paflion »a celle qu'il adore. L'amour le fait » efpe'rer , & l'anime a la perfeverance ; x> la raifon le prefTe d'abandonner fes » pourfuites. II I'aimera, £1 elle Tapprou** » ve; il I'aimera encore , dut-elle le trou- » ver mauvais. Quoi qu'elle fafle , il lui » fera toujours fidelle & foumis fans ja~ » mais fe plaindre. Toute la modeftie , » toute l'humilite poffible lui feroient » necelfaires , pour obtenir une dame de » li haut rang. II benit (es yeux & font »cceur, qui ont fait'xhoix de la dame » la plus aimable. C'eft folie de porter »fes vceux jufqu'a elle; mais il ne peu£ 35*2 Hist. litt£raire m s'en detacher. II prie l'humilite de di- » minuer la diftance, que noblefle a mife » entre la comteffe & lui. Si les perfeo » tions de Garfende l'empechent , pour » fon malheur , de rompre fes fers , ce » qui le confole , c'eft qu'on ne perd ja- » mais fa peine a bien fervir un bon » maitre. Ah ! fi merci lui faifoit un peu *> remarquer tout l'amour qu'il n'ofe faire y> paroitre ! fans doute , il verroit bientot » la fin de fes tourmens. « L'hiftoire ne nous apprend point quel fut le fucces de fa paffion ; mais comme plufieurs amans malheureux, il fe devoua pieufement alafdlitude du cloitre. Peut- etre y fut-il entraine par fexemple de la comtefTe*, qui prit l'habit monaftique en 1222, dans le monaftere de la Celle. Il fe fit moine chez les Hofpitaliers de de S. Benoit ou Benefet d' Avignon. Ce fondateur eft connu par le pont qu'il entreprit, ou dont il dirigea la conftruc- tion, furle Rhone. L'objet de foninfti- des Troubadours. 3;^ tut e*toit de conftruire des ponts fur le meme fleuve , & de fervir dans les hopi- taux les ouvriers malades. De tels reli- gieux, quelque bizarre que fut leur eta- bliilement , avoient alors l'avantage de fe rendre utiles a la fociete. On les nom- moit les Freres Vontifes ., ou faifeurs de ponts. Celui du Saint-Efprit eft un monu- ment de leurs travaux. 3f4 Hist. litt£raire XXXII. GAUCELM FA ID IT. v.> e troubadour, eft un de ceux dont la vie eft la plus longue dans nos ma- mifcrits , c'eft-a-dire , dont les aventures galantes font ecrites avec le plus de de- tails : car l'hiftorien provencal aims a s'etendre fur cet objet, & pafie toujours legerement fur les autres. Gaucelm Fa i d i t etoit le fils d'un bourgeois d'Uzerche , bourg du diocefe de Limoges. II eut une jeunefle fort libertine, & fe ruina par la paffion du jeu. Manquant de reflfources , il em- braffa le metier dniftrion & de jon- gleur. Tout ce qu'il gagnoit , il le diiii- poit en bonne chere , mangeant & bu- vant beaucoup ; ce qui le rendit gras outre mefure. II epoufa une fllle publi- que du bourg d'Aleft ( fans doute Alais ~) des Troubadours. 35^ Es Troubadours, 25*7 Henri II , pour retablir le royaume de Jerufalem, Marie de Ventadour obligea Faidit de s'engager dans cette entre- prife , lui temoignant que c'etoit un moyen de fe rendre plus digne d'elle. II ne balanca point. Avant le depart , il compofa une piece par laquelle il dit adieu a la France , oil il a ete nourri , eleve & mis en honneur ; exprimant fori regret de quitter la jolie Limoufine , & le pays quelle habite avec tant d'aima- bles dames ; reprochant neanmoins a Philippe - Augufle , ( dont les retarde- mens occafionnoient des murmures , ) d'aimer mieux refter a Saint-Denis que marcher contre Saladin : il prie Dieu de conduire les pelerins en Syrie , & d'y faire trouver le comte Baudouin & le preux marquis ; ( apparemment le comte de Flandre & le marquis de Montferrat.) Il dit dans une autre chanfon que , s'il n'eft point encore parti pour la croi- lade , c'eft que le roi ne lui donne pas 3j:8 Hist, litter aire ks fecours dont il a befoin : ce qui doit s'entendre de Richard, devenu roi d'An- gleterre. Enfin il s'embarqua. Arrive a laTerre- fainte , toujours occupe de fa dama , il chanta qu'elle lui avoit faitpaiTer la mer, qu'il bruloit d'envie de revenir, & qu'ort lui preferoit un rival. Moins guerrier qu amoureux , il precipita fon retour. Ses efforts d'obeiffance lui paroiffoient affez dignes d'etre bientot recompenfes. Mais il trouva fa maitreife plus fevere que jamais. D'abord il s'en plaignit en chanfon; fe comparant a un homme pre- cipite au fond de la mer , d'ou fon ne peut le retirer, & ou il ne peut refter. fans mourir. Le defefpoir le porta en- fuite a une refolution extreme. Il fe pre- fenta d'un air trouble a Marie de Venta- dour. » Madame, lui dit-il, vous voyez *» un amant hors de lui-meme , trop ac- »3 cable de vos riguerrs. Si vous ne vou- *> lez pas y mettre fin , je fuis refolu de, Des Troubadours, $f$ 9j He vous plus voir. Peut etre trouverai- si je une autre dame qui me meprifera s> moins. « Sans attendre la reponfe , il fortit brufquement avec fureur. Un poete , apres avoir deifie l'objet de fon amour , etoit capable de 1'outra- ger par des fatires , s'il fe croyoit oflfen- fe. Marie de Ventadour le craignit appa- remment. Elle fit appeler madame Au- diart de Malamort, belle & aimable voi- fine; elle lui demanda confeil, & la pria de lui dire comment elle pourroit rete- nir le troubadour, fans lui rien accorder, La dame jugea qu'il ne falloit ni le ren- voyer ni le retenir. » Je trouverai , dit^ s> elle , le moyen de le detacher de vous, 9' de facon que vous n'ayez point a crain- ?3 dre fon inimitie & fes vengeances, a Elle expliqua fon idee , qui parut tres- bonne ; & on prefla l'execution. De retour chezelle, madame Audiart envoya un mefTager courtois a Faidit , pour lui demander, Lequel il aimoit le 5'6"o Hist. litt£rair2 mieux , d'un petit oifeau dans la main / ou d'une grue volant dans les airs ? Cette quefKon pique la curiofite du trouba- dour. II monte a cheval , fe. rend chez Iadame,lui demande le mot de l'enigme. 3j J'ai grande pitie de vous , lui dit-elle, » fachant que vous aimez madame Ma- » rie , qui ne repond a vos foins que par a> politeffe, & parce qu'elle eft flattee de » vos chanfons. Cette dame eft la grue , » & moi le petit oifeau. Vous favez que a je fuis noble , que j'ai de la jeunefle & » des talens , & ft dit-on que je fuis fort » belle. Jamais je n'ai rien promis ou *» donne a aucun amant ; jamais je ne » trompai & ne fus trompee. J'ai envie » d'etre aimee par un homme qui me 3» mette en honneur & en reputation. a> Vous avez pour cela tout le merite s> & toute la celebrite neceflaire ; com- »» me audi je peux vous payer de tout a> ce que vous aurez fait pour moi. Je » vous veux done, pour moia ferviteur & x mon bES Troubadours. 36*1 \* mon amant. Je vous fcrai don de raoi as & de mon amour ; pourvu que vous » preniez conge de madame Marie , 6c » que vous fafliez une chanfon , dans « laquelle , vous plaignant d'elle poli- *> ment , vous lui direz que puifqu'elle » ne veut pas de vous , vous avez trou- *» ve une autre dame tranche , loyale &: =» de grand merite, qui vous aimera. « Ce difcours , quoique invente fans doute par l'liiftorien provenca!, peint au naturel la fimplicite qu'on joignoit alors a la galanterie. Une proportion fi enga- geante , & la beaute de la dame , & fes regards amoureux , firent une telle im- preftion fur l'ame du pocte , qu'il ne fut d'abord ou il en e'toit. Revenu a lui , il lui temoigna la plus vive reconnoiffan- ce , promit de fe foumettre a fes volon- tes , de fe donner a elle , de ne chanter quelle. L'engagement pris de part & ©'autre , Faidit fe retira comble de joie & de fatisfaclion , & compofa. la Tome I, Q 362 Hist, litteraire chanfon qu'on exigeoit pour madame de Ventadour. » II feroit mort, dit il dans cette piece, » des maux qu'il a foufFerts ; s'il ne s'e- » toit apercu que la dame qui en etoit » caufe le verroit s'eloigner d'elle , fans v regretter ni lui ni fes chanfons. II eft » refolu de fe. detacher de cette dame, x> quoiqu'il preferat fes rigueurs aux fa- » veurs d'une autre. Ce n'eft que pour » ne plus la fatiguer de fes importunites, » qu'il accepte les proportions de la da- » me , qui lui a fait dire par un meffager » courtois , qu'un petit oifeau dans la » main vaut mieux qu'une grue dans les » airs. « Madame Marie fut fort aife d'enten- dre cette chanfon. Madame Audiart ne le fut pas moins du fucces de fon arti- fice. Faidit , au bout de quelque terns , alia plein de confiance trouver la der- niere ; lui rappela ce qu'elle lui avoic promis , ce qu'il avoit fait pour elle , &; des Troubadours. 3 6*3 infiifta fur ce qu'il attendoit de fes bon- tes. La dame le recm courtoifement, mais !e glaca par fa reponfe. Apres des com- plimens vagues fur fon merite , elle lui declara qu'elle n'avoit jamais eu la vo- lonte de X aimer <£ * amour ; qu'elle avoit voulu feulement le retirer de l'efclavage, & diffiper les folles efperances ou il avoit langui plus de fept ans ; qu'au fur- plus , fans etre fa maitrefle , elle feroit toujours fon amie, & fort empreffee a faire d'ailleurs tout ce qu'il fouhaiteroit. Ces paroles furent un coup de fou- dre pour le troubadour. II cria merci a la dame, la conjurant de ne pas le trahir, le tromper & tuer de la forte. » Mon in- a» tention , lui repondit-elle , n'eft pas de sj vous tuer ni de vous tromper. Je vous 3> ai delivre de tromperie & de mort , il fa ut s'armer de conftance & tout » fouffrir pour en obtenir les faveurs. « Il fe depeint tellement enfeveli dans fes reveries amoureufes, qu'il n'entend pas ce qu'on lui dit, & qu'il lui en prend des tremblemens & des friiTons. Ces tranfports d'amour furent paves par l'afrront le plus fanglant. Madame d'AubuiTon aimoit Hugues de Lufignan, fils de Hugues le Brun comte de la Mar- che ; & il s'en falloit bien qu'elle fe bor- nat aux fentimens de galanterie roma- nelque. Craignant la jaloufie de fon ma- ri, n'ofant attirer fon amant au chateau , elle imagina de lui donner un rendez- vous dans la maifon mcme de Faidit , pendant fon abfence. Elle feignit une maladie > qu'elle fut faire pailer pour Qiij $66 Hist. litt£jraire dangereufe. Elle fit vccu d'aller a Notre- Dame de Rocamador. Elle avertit (on amant de fe trouver a Uzerche , qui fe trouvoit fur la route ; d'y arriver fecrete- ment & de defcendre chez Faidit. La devotion des pelerinages paronToit com- mode pour ces aventures galantes : aufli fut-elle fouvent profanee. Hugues ne manqua pas au rende2-vous , Margue- rite l'y trouva. La femme de Faidit leur fit' bon accueil. lis palTerent deux jours ertfemble dans cette maifon , & le lit du troubadour fervit au triomphe de (on rival. Faidit arriva quelque terns apres. Inf- truit par fa femrne de ce qui s'etoit paffe, penetre de douleur , tranfporte de colere, il compofa une chanlon fatirique, ou il dit: » J'aime mieux vivre dans fefperance » aupres de celle que j'eftime , que d'ob- » tenir de grandes faveurs de celle que » je n'eftime pas. Je connois une dame des Troubadours. 3 67 so qui jamais ne logea l'honneur fous fa » ceinture. Elle ne doit s'cn prendre qu a x elle du mal que j'en dis 3 puifqu'elle » ne fait que fe decrier , & que je me » de'shonorerois fi j'en parlois autre- *> ment. « II adreffa cette piece a madame de Ventadour , dont il efperoit recouvrer. les bonnes graces ; mais qui refufa de le recevoir. Au milieu de fes infortunes en amour, le poete perdit un bienfaiteur dans la perfonne de Richard roi d'Angleterre , mort en 1 15?^. II fignala fa reconnoif- fance & fa douleur , par cette piece en ftances de vers de dix fyllabes, dont les rimes font repetees dans chaque (lance : » Le cruel evenement ! Jamais je ne » fis une fi grande perte , & n'eprouvai d une fi vive affliction. J'en dois eternel- » lement pleurer & gemir. J'ai a parler » de celui qui fut le chef & le pcre de ;» la valeur, Le vaillant Richard , roi des Qiv 5^8 Hist, litt^raire » Anglois , eft mort. Depuis mille an3 » on n'a vu homme auifi preux. Jamais » il n'aura fon pareil en bravoure , en » magnificence & en generofite. Non » Alexandre, le vainqueur de Darius, » n'eut point une liberalite fi noble. » Charles & Anus ne le valurent point. » II s'eft fait redouter d'une partie du w monde , & admirer de l'autre. » Je m'e'tonne que dans ce fiecle faux » & perfide > il puiffe y avoir un homme » fage & courtois. Puifque les actions » glorieufes n'y fervent de rien , pour- » quoi faire de grands efforts ? La mort » a montre* de quoi elle eft capable : en » frappant Richard , elle a enleve au » monde tout l'honneur, toutes les joies, » tous les biens. Si rien ne peut garan- » tir d'elle , devroit-on tant craindre de » mourir? » Ah ! feigneur, roi vaillant, que de- » viendront deformais les armes , les » tournois , les riches cours, les hauts 8t be s Troubadours. 36*9; » magnifiques dons ; puifque vous n'etes » plus, vous qui en etiez le chef? Que » deviendront ceux qui etoient a votre » fervice , qui attendoient des recom- » penfes ? que deviendront ceux que » vous elevates a la gloire & a la for- =-> tune ? II ne leur rede qua fe donner. » la raort. » De Ions;s chagrins & une vie mal- » heureufe leur font prepares , avec un » defefpoir eternel de leur infortune ; 33 tandis que les Sarafins,Turcs & pai'ens, 33 qui vous redoutoient plus qu'homme » we ^e mere J verront tellement accroitre » leur orgueil & leur profperite , que la » conqucte du faint fe'pulcre en devien- » dra plus difficile. Dieu l'a voulu : car 30 s'il ne 1'avoit pas voulu , fi vous aviez » vccu , feigneur , ils auroient bien ete 30 forces de s'enfuir de la Syrie. => Je n'ai plus deform ais d'efperance, 33 qu'il y aille roi ni prince qui fache la ?> xecouvrer, Quiconque tiendra votre 37° Hist, litteraire 33 place , doit confiderer combien vous 33 aimates la gloire ; quels furent vos 33 deux vaillans freres , le roi Henri & le » courtois comte Geoffroi ; ( le premier » couronne du vivant de Henri II , » l'autre comte de Bretagne :) pour vous 35 remplacer tous trois , il faut fe tenir » bien pret a. de glorieufes entreprifes. Envoi, *» Beau feigneur roi , que Dieu mife- » ricordieux , vraie vie & veritable mer- » ci , vous accorde tel pardon qui vous 33 eft ne'ceflaire; qu'il vous faffe grace de » vos torts , & fe rellouvienne comment » vous faviez bien le fervir ! « S 'il y a dans cette piece de la poefie & du fentiment, il n J y a guere de verite, excepte fur l'article de la bravoure. Ri- chard eut tous les vices , joints a cette fougue martiale qui affrontoit tous les dangers. Mais il avoit favorife les trou- badours , & celui-ci en particulier : il devoit done etre un prince accompli* bEs Troubadours. 37* Boniface , marquis de Pvlontferrat , aimoit auffi les mufes. Faidit fut quelque terns a fa cour : il le defigne fouvent dans (es vers comme le preux marquis. Il fe fixa enfin a la cour de Raimond d'A-goulr, feigneur de Sault , Tun des plus grands feigneurs de Provence. Apres tanr de chagrins eaufes par l'amour , on ne devroit pas s'attendre a le voir encore amoureux: il le fut cependant , & il euc un prince pour rival. Madame Jordana de Brun , femme noble & tres-aimable , habitoit un cha- teau a l'extremite de la Provence , fur la frontiere de la Lombardie. Faidir. fe de- clara fon amant ; & la mit rant en hon- neur , dit l'hiftorien , tant la fervit , tant lui cria merci, qu'elle le fit fon chevalier quoiqu'il ne fut pas homme de condi« tion. Dans fes chanfons > il la noramer toujours fon bd efpoir. Le comte de Provence ,. Alphonfe IE (mort en 1208,) amoureux de cett® Qvf 57 2 Hist. litt£rairE dame , faifoit pour elle beaucoup de de- penfes, fre'quentoit les tournois, & figna- loit fa valeur pour lui plaire. La dame le recevoit fort courtoifement , badinoit % rioit avec lui : ce qui faifoit croire qu'il avoit grande part a fes faveurs. La ja- loufie s'empare de Faidit. II quitte fa maitreffe. Plus de chanfons ; plus de plai- firs. II vouloit mourir de chagrin & de defefpoir. Apprenant a la fin que fes foupgons etoient faux , que tout ce qui! avoit entendu dire n'etoit que difcours de medifans & de trompeurs , il fe repen- tit & demanda grace par une chanfon. II dit dans cette piece , que fi la dame veut lui pardonner & f aimer, il lui fera toute fa vie fort fidelle & plus obeiffant que le lion de Geoffroi de la Tour. ( Selon l'hiftoire des croifades , Geoffroi de la Tour , gentilhomme Limoufin , avoit delivre un lion attaque par un €norme ferpent; & ce lion le fuivit tou- jours depuis comme un chifin fideJte, On des Troubadours. 37 J £eut en douter , malgre le temoignage de Maimbourg. ) II ajoute quelle doit lui pardonner pour deux raifons : Tune > qu'il veut prendre la croix & aller en pelerinage a Rome; mais qu'il ne le peut s'il a guerre & inimitie contre quel- qu'un , ou quelqu'un contre lui: l'autre, que Dieu pardonne a ceux qui pardon- nent , & la traitera comme elle l'aura trai- te. On ignore la fuite de cette aventure. Noftradamus & Crefcimbeni font mou- rirFaiditala eourde Raimond d'Agoult en 1220. En ce cas, on lui auroit fauf- fement attribue dans fon recueil une piece fur la more de Beatrix , comtefle de Provence; car cette princefle, fem- me de Charles d'Anjou , ne mourut que vers l'an 12.60. La piece eft aflez remar- qua'ole. ■» Rien ne peut nous gacantir de la » mort , ni la puiffance, ni 1'efprit , ni les » graces ; puifque la comtefle Be'atrix a » fuccombe fous fes traits, Comment 374 Hist, litter aire » done la crainte de mourir peut-elle » empecher qu'on aille a la croifade , » pour recouvrer les terres de Syrie que w Dku a perdues? Et de quoi profiteront 39 les autres conquetes , dont les rois font » uniquement oceupes? Maifcle monde » reflemble au voleur qui , temoin dix w> fupplice de fon camarade, ne fe cor- » rige point & continue de voler. « Nous avons cinquante-deux chanfons de Gaucelm Faidit, tuTues de lieux com- muns fur l'amour. Une tenfon entre lui & Hugues de Bacalaria , merite de trou- ver place ici. La morale n'en eft pas bonne ; mais elle peint les mccurs des troubadours, & apprend a fe defier de- leurs principes. Gaucelm. 33 J'aime fincerement une dame , qui a- » un ami quelle ne veut pas quitter. Elle so refufe de m'aimer , fi je ne confens 33 quelle continue de lui donner publi- sh quement des marques d'amour j tan-" ftES Troubadours, 57£ » dis que dans le particulier je feraid'elle » tout ce que je voudrai. Telle eft la. x> condition qu'elle m'impofe. « H u G u e s. *> Prenez toujours ce que la jolie dame" » vous offrira , & plus encore quand elle 3> voudra. Avec de la patience , on vient x> a bout de tout ; & c'eft ainfi que bien a» des pauvres font devenus riches. « G A U C E L M. •» J'aime mieux cent fois n'avoir au~ » cun plaifir & refter fans amour, que » de donner a ma dame , dont je fui& » epris , la permiflion extravagante d'a- 33 voir un autre amant qui la poiTede. Je » ne le trouve deja pas trop bon de fon. 33 mari : jugez fi je le fouffrirois patiem- 33 ment d'un autre. Ten mourrois de ja- » loufie ; & a mon avis , il n'eft pas utt 33 plus cruel genre de mort. « H u g u e s. » Celui qui difpofe en fecret d'unC » jolie dame , a bien envie de mourir s'jj. 376 Hist. litt£rairE 3j en meurt. J'aimerois mille fois mieux « l'avoir a cette condition , que de n'a- 33 voir rien du tout. D'ailleurs , je ferois 33 fi bien aupres d'elle , que j obtiendrois *» d'etre decharge de la iacheufe condi- w tion. « G A u c E L M. r> Je ne trouve aucun gout a de fem- » blables plaifirs. Si je l'enleve a Ton J3 amant, je craindrai que fa lege'rete ne oi la porte a me traiter de meme. Elle 3' n'aura point mon amour, fi elle ne l'a 3' tout feul; & fi elle en veut un autre 3 3j je renonce pour jamais a la voir, a H u g u e s. 33 Tout amant qui abandonne une da- 33 me pour fi peu de chafe, ne fait guere 33 aimer. Savez.-vous un parti que je 33 vous confeillerois de prendre? c'eft de 3» l'aimer avec la meme fincerite qu'elle 33 vous aimeroit ; de badiner & de rire 33 comme elle en a ufe avec vous; & de an. faire un autre amour, pour lequel vous des Troubadours. 37^ » chanteriez en loyal amant, tandis que » vous entretiendriez celle-ci iur le me- « me pied qu'elle vous tiendroit. « Cet expedient paroit judicieux a Gau- celm. II en fait juge madame Marie de Ventadour. Hugues y confent; mais il veut qu'on appelle au jugement la mar- quife ( peut-etre de Montferrat ) & le dauphin (d'Auvergne ;) qui favent bien la route que Ton doit fuivre en amour. 3?8 Hist, litteraire Q XXXIII. ELIAS CAIRELS. uoique ce troubadour ait ete in- connu a Noftradamus , & que nos ma- nufcrits ne s'accordent point fur fon compte , il fournit a notre hiftoire quel- ques particularites curieufes. Elias Caikels naquit a Sarlat en Perigord. Sa premiere profeflion fut de travailler en or & en argent , & de defllner des armoiries. Soit caprice , foit ambition , foit penchant irrefiftible , il fe confacra aux mufes ea, qualite de jon- gleur & de troubadour ; mais fes efpe- rances de fucces furent trompees. Selon un de nos hiftoriens, il compofa, chan- ta, viclonna mal ; il parla plus mal en- core ; &: Ton talent fe reduifoit a bien copier les airs & les paroles. Selon un autre , il etoit favant dans les lettres ; bes Troubadours. 37$ Compofoit, difoit , faifoit avec beaucoup de talent tout ce qu'il vouloit ; & cepen- dant il ne reuflit point autant que le meritoient fes ouvrages , parce qu'il me- prifoit le monde & les feigneurs. Le premier manufcrit affure qu'il fut long- terns en Romanie , & qu'il revint a Sar- lat , 011 il mourut ; le fecond , qu'il par- courut la plus grande partie de la terre habitee. Ses ouvrages donnent de meil- leurs eclairciffemens fur l'epoque & les circonftances de fa vie. On a de lui feize pieces. Il fut un de ees poetes qui fe plaifent a multiplier les difficultes mecaniques de fart, pour avoir l'honneur de les vaincre. Les vers courts & les rimes recherchees lui pa- roiffoient un grand merite , audi bien que de commencer chaque couplet par les derniers mots du precedent. II taxe durement de mauvais gout ceux qui pre- ferent une chanfonnette en rimes faciles* Sur de pareilles puerilite's, un ecrivairj 380 Hist. littisraikE devroit etre confine dans la clalTe dei petits genies , s'il y avoit moins d'exem- pies de petiteffes unies mix talens , quel- quefois meme en des fiecles eclaires. La piece ou fe trouve ce faux juge- ment , parle du gracieux roi qui occupe Vempire, » II me fait tant maigrir, dit » Cairels, qu'une lime ne mordroit pas » fu'r moi. Je fuis force de le quitter , ne =» pouvant le fuivre davantage. Je n'ai » pas plus gagne avec lui qu'avec l'a- » mour. « II s'agit de Frederic II, empereur des 1'an 1 220. Ce prince, comme nous le verrons ailleurs , aima & cultiva la poe- fie. Le troubadour s'etoit fans doute attache a fon fervice. S'il le quitta me- eontent , ce fut peut-etre parce qu'il attendoit trop de fa generofite , ou qu'il la meritoit trop peu. Amoureux d'une grande dame , le pocte dit qu'il entreprendroit volontiers le pDrtrait de fes gharmes, s'il ne crai- to e s Troubadours. 381 jgnoit de le manquer. Cetre crainte ne fempeche pas de peindre fa taille fine fans maigreur , fes cheveux blonds com- me de Tor , fon front blanc , fes fourcils delicatement cintre's , fes yeux , fon nez, fa bouche riante. » Je ne fais qui me s> tient , s'ecne-t-il , que je ne l'embraffe 33 devant tout le monde. « Mais devant elle il eft fi timide , qu'il n'ofe lui decla- rer fon amour. Seulement (qs yeux par- lent pour lui. Il la conjure d'avoir plus d'egard a ce qu'ils difent qu'a la fupe- riorite de fa nanTance. » Car amour ne s» compte pour rien la nobleffe au prix » de la courtoifie, de la complaifance & 93 de l'honneur. « Deux envois accompagnent cette pie- ce , fun a Guillaume marquis de Mont- ferrat, fils du fameux Boniface que nous avons eu occafion de faire connoitre ; 1'autre a la dame Ifabelle , la maitreffe du troubadour. Le caractere de Cairels ne fe montre pas en beau , dans une 382 HlST. UTTiRAlRE tenfon ou il eft interlocuteur avec cettC dame. Ifabelle lui demande pourquoi il a porte ailleurs fon amour ; & pourquoi fes chanfons ne s'adrefTent plus a elle , qui ne lui a jamais manque , qui ne lui a jamais rien refufe ? C A 1 r e L s. » Si je vous donnai des louanges , ce s> n'etoit point par amour , mais pour ?3 l'honneur & le profit que j'en efperois ; » comme un jongleur, quand il fait l'elo- 3j ge d'une dame de merite. Mais mou » efperance a ete trompee. « IsABELLE. 3> Je ne vis jamais d'amoureux chan- *s ger comme vous de maitrefle par inte- 3j ret. Si je le difois pour vous faire » affront, on ne me croiroit point, apres a> tout ce que j'ai dit en votre honneur. s> Vous pouvez redoubler votre folie« »3 Pour moi , j'augmenterai toujours en ?» bien & en vertu ; & je n'aurai !des Troubadours. 3 %$ to plus , a votrc egard , ni inclination ni s» "amour. « C A I R E L S. » Madame , je ne m'en defefpererai » pas. Je ferois une grande folie de refter as dans vos liens , fi je n'en ai eu ni s> honneur ni profit.Vous garderez Topi- » nion qu'on a de vous. Et moi , j'irai »» voir ma belle amie , gentille & dune 3j taille charmante , qui n'eft pas fauffe V ni trompeufe. <* Isabella w Quelle eft: votre amie ? dites-ie moi, s? ll vous le trouvez bon , & ne craignez n point : je vous fervirai aupres d'elle, 33 fi elle y confent. a C A I R E L S. 33 Vous me demandez , madaaie , une j> chofe extravagante. Je meriterois de 33 perdre Ton amitie. « Des vues d'interet pourroient bien aujourd'hui , comme alors , fe meler dans yn commerce de galanterie j mais un 5$4 Hist, lttt£rairi! poete n'auroit garde d'en faire Taveif* L'amour - propre s'eft raffine avec l'es mceurs. Apres avoir quitte Ifabelle , le trou- badour s'applaudit de s'etre attache a une dame loyale, & d'oublier tous les maux qu'un amour deplace lui faifoit foumir. II efpere qu'un autre amant le vengera , tandis que fa nouvelle mai- trefTe le dedommagera de fes fouffrances. Elle agree Ton attachement : elle le fait rire & chanter. II ne cefTera de la fervir, jufqu'a ce que merci lui obtienne de rembrafTer; »> car, ajoute-t-il , je ncn s> demande pas davantage. « On le voit ailleurs s'elever contre l'opinion de beaucoup de gens qui , decriant le merite , l'enjouement & la galanterie , veulent tout foumettre aux regies dune froide & infipide raifon. » On eft bien dupe de vouloir toujours » etre raifonnable. J'ai vu fouvent la 9» folia reuflir , ou la raifon ne faifoit » que ©es Troubadours. 385* * que nuire. <* Les hommes fenfes appre- cieront cette maxime de poete, & con- viendront que (i la raifon a fouvent pea de fucces , furtout dans la carriere de la fortune , elle doit meprifer du moins les triomphes du vice & de la folic Horace vante une folie agreable , qui peut pren- dre quelques initans de la vie. ( D ulcer efl dejiperc in loco. ) II ne paroit pas que notre poxite ait eu la meme idee. Piufieurs de fes pieces font de fades lieux-communs d'amour.Deux chanfons fur la croifade intereffent par le fujer. Dans Tune , il fe plaint de l'empereur, qui tarde trop a patter la mer ; & il in- vite le marquis de Montferrat a le fuivre quand il partira. Dans 1' autre , il accufe les chevaliers , les rois , les barons , les marquis , de retarder par leurs guerres particulicres la de'livrance de Jerufalem ; il parle des croifes qui doivent patter en Hongrie fur les terres des Grecs,pour fecourir fimperatrice de Constantinople, Tome I. K 3$ 6 Hist, litt^raire veuve de Pierre de Courtenai , que- Theodore Comnene venoit de faire perir ; il invite l'empereur Frederic au voyage de Jerufalem , & Guillaume de Montferrat a venger fans delai la mort de fon pere Boniface, a venger de mime fon frere qu'on a depouiile. Ce Guillaume, marquis de Montfer- rat , eft fort maltraite dans une autre piece. Cairels lui reproche fon indolence pour des objets effentiels a fa gloire. II veut que les moines de Cluni le mettent a leur rite & le faflent abbe de Ci- teaux ; fatire piquante, quoique les moi- nes euiTent quelquefois les mceurs guer- rieres. II dit que les Lombards, les Fran- cois, les Flamands, les Bourguignons le regardent comme batard ; que fes ance- tres ont ete vaillans ; mais que , s'il n'y prend garde , il perdra tout-a-fait fon nom ; qu'il fe voit force avec douleur de lui appliquer le proverbc : Bon pere a jfiauvais Jils, t>Es Troubadours. 387 Que ces invectives aient eu de 1'in- fluence ou non , Guillaume fe determina enfin en 1224, a tenter la conquete du royaume de Salonique , dont fon frere Demetrius avoit ete depouilld.comme il a ete dit plus haut. L'empereur Frede- ric II lui preta fept mille marcs d'ar- gent ; Guillaume engagea fon marquifat julqu'a l'entiere reftitution de la fomme. Cctte expedition , comme tant d'autres, cut des commencemens heureux & des fuites deplorables. Salonique fut prife ; mais le marquis y mourut 1'anne'e fui- vante , empoifonne , dit- on , par les Grecs. Son fils Boniface retourna en Italie , prefque fans troupes. Les Grecs detronerent de nouveau Demetrius, qui vint chercher un afyle dans les etats de fon neveu *. Aprcs tant d'exemples de l'audace des troubadours a cenfurer la conduite * Vovez Muratori, Annates cTItaHe. Rij 3 8 8 Hist, litterairb des princes , nous no pouvons cr.oire que c/ait etc' la principale caufe du peu de fucccs de Cairels. Tout etant divite, il pouvoit plaire aux uns en invectivant contre les autres. Mais s'il meprifa le rnonde & les feigneurs.comme l'obferve un de nos manufcrits ; s'il n'eut pas le qara&ere fouple d'un pourtifan , ni le genie de l'intrigue , conime fes ouvrages femblent le prouver; ayec plus de me- rite encore , vra.ifemblablement ii eut echoue dans les cours. Elles furent de tout terns l'ecueil des efprits roides, plus jjieme que des ames vertueufes. Ce poete montre cependant beau- CQup d'ambition , par une piece ou il expofe fes defirs. De Tor , de l'argent , 4es beftiaux ; la fageffe de Salomon , la courtoiiie de Roland , la puhTance 4' Alexandre , la force de Samfon, l'amie de Trifbn, la chevalerie de Gauvin , le (avoir de Merlin ; une fi parfaite loyau- te , que nul chevalier & nul jongleur r> e s Troubadours. 3 Sp n aient rien a reprendre en lui ; une mai- trefTe jeune, jolie & decente; mille cava- liers bien en ordre pour le fuivre par tout : voila ce qu'il fouhaite ; enfm , de trouver toujours des marchandifes en vente, & d'avorr toujours de qu'oi tout acheter. Car il voudroit recevoir fans cefle grande compagnie , & pouvoir la bien traiter fans qu'il en coutat rien a perfonne. Comment accorder ces fouhaits avec le mspris du monde & des feigneurs ; a moins de dire qu'Elias Cairels envioit par gout la fortune > & meprifoit par orgueil ou par depit ceux qu'il en voyoit jouir ? Le vrai fage fait mieux fe eontenter de Ton fort : c'eft en mode; ant fes dedrs , qu'il fe met au - deflfus de la richeffe & des grandeurs. ^0 Riij 3£0 Hist. litteea*ike XXXIV. BERTRAND D'ALAMANON. i-N o u s fommes obliges , malgre nous, de recourir a Noftradamus , pour la vie de ce troubadour , dont nos manufcrits provengaux ne contiennent que les ou- vrages. Peu d'hiftoriens , fans doute , meritent moins de confiance ; mais ici du moins on ne le verra pas en contra- diction avec d'autres. Bertrand, fils & petit-fils de feigneurs du meme nom , poffedoit le fief d'Alamanon, (aujourd'hui La Ma- non ) , dans le diocefe d'Aix en Pro- vence. Gentilhomme des plus confidera- bles du pays , il fe diftingua finguliere- ment parmi les poetes. Il eut pour mai- treflfe Fanette ou Etiennette de Gantel- mi , dame de Romanin , qui tenoit alors , dit Noftradamus , une cour d'a- jdes Troubadours. 391' wear dans Ton chateau. Nous avons prouve que ces cours d'amour n'exif- toient point encore; mais continuons de fuivre l'auteur, fans nous arrcter a la critique. La dame de Romanin etoit tante de la fameufe Laure , immortalifee par Petrarque. Alamanon fit de belles chanfons en Ton honneur. II fe degouta de i'amour, on ne fait pourquoi , & fe livra au gout de ia fatire contre les prin- ces. La fatire a eu en tout terns fes dan- gers : elle excite la haine , & la haine infpire la vengeance. Le troubadour n'epargna pas meme Charles II d'Anjou, roi de Naples & comte de Provence , dont il etoit le fujet. Audi Charles fe vengea t-il , en lui enlevant un droit hereditaire de fa maifon , far le fel qui paflbit le pont de la Durance a Pertuis. Ce coup d'autorite occafionna de nou- velles fatires , qui ne pouvoient qu'aug- menter le mal. R iv 3£2 Hist, litt£rairi Heureufement pour le fatirique >. II exerc,a enfuite Ton talent contre les enne- mis du roi de Naples. II attaqua Boni- face VIII, au fujet de Ton animofite con- tre Philippe le Bel & contre Charles II. II attaqua f empereur Henri VII , qui avoit outrage Robert due de Calabre, fits du roi de Naples , & protecteur d'Ala- manon. Robert envoya au roi fon pere le firvente du poete contre l'empereur j & Charles rendit le droit que le poet.e avoit perdu. Dans cette carriere peril- leufe, on pouvoit etre paye par les uns du mal qu'on difoit des autres, Le retleur d'Arles ( Noftradamus au- roit du dire l'archeveque ) efTuya aufH une fatire violente , dont nous rendrons compte. L'hiftorien attribue au trouba- dour un traite en rimes provenc,ales, in- titule les Guerrzs intejiines ^ fur les divi- sions qui regn-oient entre les princes. II place fa mort en 1205-. II le reprefente , c'apres le moine des lies d'or , commq e> e s TroObadcurs. 3P$. Siifll diftingue par fon courage & par Ton habilete en affaires , que par (on talent poetique. Une partie des ouvrages d'Alamarton coniirme le recit de Noftradamus : une autre partie n'y a aucun rapport. Quel- ques-unes de fes pieces ont ere fans doute perducs. Peu importe , au fond , d'etre bien inilruit des particularites de fa vie : les productions de fon efprit doivent fur- tout nous intereffer. Amoureux d'une femrne , qui! troxi- voit fevere , (peut-etre la dame de Ro- manin) il exprime ainfi fesfentimens: » On veut favoir pourquoi je fais une » demi-chanfon : e'eft que je n'ai qu'un x- demi-fujet de chanter. II n'y a d'a- » mour que de ma part ; la dame quo » j'aime ne veut pas m'aimer. Mais ait » defaut des oui qu'elle me refufe , je » prendrai les non qu'elle me prodigue. f* Elperer aupres delle , vaut mieux que » jouir av'vC coute autre. Et ne. pauvanr. Rv 394 Hist, littiiraire » refiiter a Fempire de Tamour , je ne x> fais de moyen pour foulager mes pei- » nes , que de penfer qu'un jour peut-etre » elle m'aimera. « Cette jolie chanfon eft d'une naivete piquante. En voici une feconde , a-peu- pres du meme gout : » Si j'avois tourne cafaque a celle qui x> me refufe, j'aurois bien fait mes aiiai- » res aupres d'une autre , qui du moins » m'auroit pris pour Ton ferviteur. Mais x>. le fou ne quitte point fa folie, & je ne » puis me repentir de la mienne. Cepen- » dant lorfque je m'engageai dans les » chaines de ma dame, il eut mieux valu » pour moi etre dans celle des Mamme- » lus. J'en ferois forti par amis ou par » argent , ou je m'en ferois echappe. » Dans ma prifon, je n'ai aucune de ces » resources. Je vous aime , ma dame ; x> je vous aimerai deux fois autant , (i » vous me voulez du bien. Mais vous » favez que je ne peux vaincre mon pes Troubadours. 35/jr » amour, & vous me maltraitez en con- » fequence ! <* Le firvente contre l'archeveque d' Ar- ies eft une cruelle invective , qu'on croi- roi: pleine de calomnies abfurdes , fi Ton ignoroit combien les mceurs du clerge , en general , fournifToient alors matiere aux cenfures les plus ameres. Alamanon reproche a ce prelat fa iolie & fes defordres. Parjure , meurtre , concuflions , avarice , orgueil , impudi- cites j il. fen accufe ouvertement ', il le traite de faux temoin , de renegat , &c. A l'entendre , » l'archeveque fait conti- » nuellement la guerre , opprime les ci- »toyens, les met en prifon ; & pour j-- comble de fauffete , les excommunie , * les ablout, les enterre, le tout pour de 35 l'argent. Pour de 1'argent, i! fit mourir » Jonquere en prifon, fans qu'on ait pu t en favoir d'autre caufe. On fera trop v malheureux , (1 le legat ne vient le faire » bruler , ou du moins enfermer. Les Rvj 3.95 Hist, litteraire » habitans d'Arles vivoient tranquilles , » avant d'etre en proie a ce perfide paf- y teur, qui ofe prendre leurs biens , Sc »prononcer lui-meme des indulgences m pour les maux dont il les accable. .lis son'auront point de repos , qu'ils ne. » l'aient mis tout vivant dans la tombe. « Quelque charge que paroiffe un tel portrait , on ne peut douter que l'arche- veque ne fut un mechant homme. Etoit- ce une raifon pour que le legat eut droit de le faire bruler, ou meme enfermer? La cour de Rome exercoit par elle- meme , & par fes miniftres , le plus etrange defpotifme. L'idee du trouba- dour en feroit la preuve , fi les autres preuves etoient moins connues. Joint k i'empire de la vertu, le defpotifme auroit pu reprimer les vices. Malheureufement les vices regnoient a Rome encore plus qu'ailleurs. On en peut juger, quoique imparfai- temeru , par un firveate ou la politique b E s Tro u e-a dour s. 357 romaine efl: caracte'rifee avec energie, Le pape Innocent IV depofa au concile de Lyon , en 124J , l'empereur Frede- ric II, dont le crime irremiiiible etoit de joindre la fermete a la puifTance. Aprea cet attentat , devenu commun depuia deux fiecles , Innocent offrit l'empire h difterens princes, ou plutot n'oubliarierj pour le leur faire acheter. Ceft le fujes du firvente. Le poete s'eleve contre les pre'tendans a l'empire, & contre le pontife flottane entre eux , & les bercant de promefTes & d'efpe'rances, tandis qu'il epuife leurs richefles. r> C'eft le pape qui rcgne, qui poflede » l'empire : car il en tire plus de revenu » par les trefors qu'on lui diftribue , & a » fes gens , que n'en pourroit tir-er l'em- v pereur. II ne cherche qu'a fomentec » les troubles. Ce proccs ne fera point ■3> juge. Mais puifque les rois le veulenc » terminer avec les armes, quite fe met- 3.9 8 Hist. litt£raire » tent chacun en campagne ; que Tun » des partis remporte la vicloire. Alors » les decretales n'arrcteront plus, & Ton » fera bien parler le pape. Le vainqueur » fera appele Els de Dieu, fera couronne » par le clerge. Tel eft l'ufage des gens » d'eglife, quand ils trouvent un empe- » reur puiffant , de fe foumettre humble - » ment a fes ordres , & de l'accabler , » quand ils le voient decheoir. « C'etoitje tems ou les cris s'elevoient de toutes parts centre le clerge, contre la cour de Rome en particulier , ou les exactions de l'eglife revoltoient les peu- ples ; ou enfin les efprits commencoient a croire que l'autorite du facerdoce ne pouvoit s'etendre jufqu'a confacrer l'in- juftice & l'oppreflion. Cependant la har- diefle du troubadour etonne encore , pour peu qu'on reflechiffe fur les traite- mens que venoient d'eiTuyer les Albi- geois. Nous n'avons point le firvente , cits des Troubadours. 3pp par Noftradamus , au fujet du droit fur le fel dont notre poete avoit ete de- pouille. II y apoftrophoit un autre trou- badour , en lui demandant lefquels va- loient le mieux , des Catalans , ou des Frangois , des Limoufms , Auvergnats , Viennois , ou des fujets des deux rois ( de France & d'Angleterre ). » Vous » connoiffez , ajoutoit-il , le caractere de => toutes ces nations : je veux que vous s> me difiez celle qu'on doit eftimer da- a> vantage. Pour moi , je fuis dans le » chagrin depuis que le fel de Provence w ne pafife plus fur mon pont. « Peut-etre fait-il allufion aux defagre- mens que lui caufoit le roi de Sicile > dans une piece oil il fe depeint tourmen- te par la chicane. *> Autrefois , dit-il, je » m'adonnois au chant, a la joie, a la 3> chevalerie ,• a la courtoifie , a la galan- o' terie aupres des beautes qui me plai- 53 foient. Amour eft temoin du bonheur 33 que j'y trouvois alors, Mais ce qui me ■400 Hist, litter At R3 » faifoit honneur au terns pane, je crakiS « qu'on ne me le reproche au terns » preterit. Tout eft change ; il faut chan- 3*ger moi-mcme : il faut m'occuper fans- » cefle de proccs, d'avocats, de memoi- » res : fans cefle il faut etre a obferver » s'il n'arrivera point quelque huiiiier 3» efTourHe , dehanche , que la cour de j> juftice m'envoie , pour me fommer. =» de comparoir a peine de perdre ma 33 caufe. Tel eft mon malheureux etat i » pire que la mort , & qui me force de » prendre conge des aflemblees de fei- » gneurs. « Si cette piece intereffe mediocrement par le ftyle , elle eft curieufe par la peiiv ture d'un fleau, dont les ficcles de la che- valerie fembloient devoir etre exemts.. Des proces, des huiflTers, en un terns ou Tepee decidcit prefque de tout ! Trois firventes hiftoriques , par lef- quels nous rmhTons, offrent peu de traits intereflans.- 13ES Troubadours, 40* Dans le premier, Bertrand d'Alama-* non blame Ton feigneur de ne plus demander les villes qu'il reclamoit , &: d'avoir termine pour mille marcs une guerre qu'il avoir, commencee. » Le bruit *> court y ajoute-t-il , que le feigneur a » pris la croix de depit , & veut paffer » en Syrie. Voyez la belle conduite s a> d'aller demander aux Turcs ce qu'on, 35 lui a honteufement enleve ici ! Ii efl: » prcs d'Arles , bien fache de ne pas fe 3j fervir de Ton e'cu. Mais s'il attend le aj comte , il fera fans doute fort trompe t v car le comte s'humilie , a mefare qu'on 93 l'abaiile. « Le feigneur dont il s'agk ctoit vrai- fcmblablement Hugues de" Baux , vi- comte de Marfeille , qui avoit forme une ligue avec les autres membres de fa maifon 5 contre Alphonfe > comre de Provence , pour rcprendre des terres qu'on leur avoit enlevees. Guillaume VI, comte de Forcalquier, entra dans cetto 402 Hist. litt£rair£ ligue. Elle auroit accable Alphonfe , fi Pierre II roi d'Aragon , fon frere , n'e- toit venu a fon fecours. Les confederes furent vaincus, & forces de faire la paix en 1202. Un fecond firvente a rapport au meme fujet. Le comte de Provence y eft loue d'avoir bien defendu fes conquetes, & retabli l'honneur de fa maifon. Ala- manon y felicite audi le comte de Tou- loufe d'avoir repare la honte & le dom- mage qu'avoit foutfert le feigneur de Baux. Ce comte de Touloufe , Rai- mond VI , s'etoit declare pour la ligue, Apparemment il procura quelque fatisrr faction aux vaincus. Dans le dernier firvente , il eft ques- tion du manage de Beatrix , heritiere de Provence, qui epoufa en 1245" Char- les d J Anjou , frere de S. Louis. Rai- mond VII comte de Touloufe , & Jac- ques roi d'Aragon avoient eu en Pro- vence des partifanSj dont les intrigues des Troubadours. 403 pour empecher ce manage furent in- fructueufes. Le potite exhorte Charles d'Anjou a venir dans le pays. m Venez 35 fans delai. Si le ills du roi de France 3> fe laiffe depcuiller par fes voifins > » quelle apparence qu'il fafle de grandes 35 conquetes outre-mer fur les Turcs ? cc Le prince arriva en effet avec une par- tie des troupes deftinees pour une croi- fade. Sa prefence arreta les entreprifes qu'on craignoit de la part du roi d'Ara- gon & du comte de Touloufe, Ces faits , quoique reduits au pur ne- ceflaire , ennuieront peut-etre un grand nombre de lecleur^ ; mais , en les fuppri- mant , je deroberois au public une ma- tiere d'inftrucftion. D'ailleurs , il me pa- roit curieux d'obferver comment les poetes fe mcloient de politique, & quels font les rapports de 1'ancienne poefie avec l'hiftoire, 40 Quelle perplexite me defole ! Je ne » puis me fouftraire a l'empire de l'a-> » mour , qui tGujours me promet des » plaifirs, & toujours m'accable de pei-r- » nes. Ce dieu ne fe laifTe voir que par r 1'imagination ; il prend fon doux elan » de Foeil au coeur , du coeur dans la x penfee ; & il me perce de fes traits.. » Vaincu , fubjugue par la beaute qu'il 406 Hist. litt£raire » a choifie pour me foumettre , j'endure » le plus cruel martyre. Elle veut qu'on » lui rende graces du mal qu'elle fait ; » qu'on reponde humblement a fon or- » gueil ; qu'on foit fatisfait de fes rigueurs, » de (es menaces & de fa fierte. Rien ne » lui plait que la candeur & la foumif- » fion. Elle fait donner a la joie l'air du » chagrin ; diffimuler ce qu'elle veut, & » le faire fentir. Puis elle vous captive » par de beaux femblans & un doux fou- » rire ; en forte que les apparences arti- » ficieufes voilent toujours fes fentimens. » Ah ! 11 elle me veut du bien , qu'elle » me donne fon cceur fans detour. Le » peut-elle refufer a un loyal & fidelle M amant , qui ne fonge qua lui obeir en » tout ? » Ma bouche ne fauroit exprimer fa- it* mour que j'ai pour elle. Je lui ai livre » mon cceur, & l'ai ferm'e a tout autre » objet. PuifTe-t-elle me garder une place » dans (on fouvenir ! Mille tourmens des Troubadours. 407 » d'amour meritent bien cette foible re- » compenfe » Pourvu feulement qu'elle s'occupe » de moi ; pourvu que par de tendres » regards elle empeche mes dehVs amou- * reux de fe diiiiper , je ferai pour elle » complaifant & loumis. Car telle eft la » nourriture des loyaux amans : amour » ne vit que de la joie & des biens qu'on » lui fair. *> Seroit-elle retenue par la crainte des r> medilans ? J'ai pris la precaution de » rnettre la belle que j'adore a couvert » de leur mechancete. Je bailie les yeux, » & ne la regarde que du cceur. Je cache » mon bonheur a tout le monde ; per- » Tonne ne fait ou j'ai place mon amour. » Si Ton me demande a qui mes chants » s'adreffent , j'en fais myftere a mon * meilleur ami , & je feins que c'eft a » telle, dont il n'en eft rien. « Cette referve ne garantit point Bru- xiet de la jaloufie du comte de Rcdez, 40 8 Hist. iiTT^RAiRE Sa maitreife le conge'dia, pour complair** a celui quelle lui avoir toujours prefere, Le poete , facrifie au grand feigneur , embrafla de chagrin la regie auftcre des Chartreux. Le recueil de fes pieces confifte en cinq chanfons & deux poemes en parrie moraux. II declame contre la deprava- tion du fiecle, fujet rebattu dans tous les ficcles, dans ceux memes qu'on nous cite fouvent pour modeles. II dit que chacun apprend ce qu'il devroit oublier, oublie ce qu'il devroit favoir , eleve ce qu'il faudroit rabaiiTer, meprife ce qu'il fau- droit honorer. » J'ai vu que les joies , »i les ris, les couplets, les airs de Chan- s' fon , les cordons , lacets , anneaux & »' gants , acquittoient une annee d'a- *> mour: & maintenant on fe croit perdu 3j lorfqu'on n'eft pas paye comptant. II » fut un temps ou Ton aimoit mieux jo efpererqu'obtenirlesfupremes faveurs a> de l'amour. C'eft qu'on favoit que les a> defirs, des Troubadours. 409' *> de'firs , dont la pointe eft fi douce, » s'eteignent dans raccompliffement* » Oui , l'atrente du bien d'amour vaut 33 mieux que le don indecemment accor- 33 de. Les tourmens font precieux , Tes s> peines agreables ; les foupirs , les cha- » grins meme ont leur douceur. Mais »i des qu'amour eft parvenu fi loin, qu'il 3> n'y a plus rien au-dela , il tombe dans 3> la langueur ; & les efperances de l'a- sj mant n'ayant plus d'objet, il meprife w ce qui excitoit ks deiirs. « Selon Noftradamus , Hugues Brunei fut un gentilhomme de Rodez; il aima madame Juliana, de l'ancienne maifon de Montegli ; n'ayant pu reuilir auprcs d'elle , il le retira aupres du comte , Ton feigneur; il devint amoureux de fa fem- me ; mais le comte qui goutoit fes poe- iics, qui d'ailleurs fe repofoit fur la vertu de la comtelTe , ne fit pas femblant de remarquer cette pafiion du troubadour; celui-ci mourut en 1225. Tome L S 410 Hist, litter aire Noflradamus eft rarement d'accord avec nos manufcrits ; & il debite tant d'erreurs grofticres , qu'on ne peut ja- mais s'en rapporter a fon temoignage. Je remarque cependant que la qualite de madame ne fe donnoit pas aux bour- geoifes. Le manuferit peut done ctre fciutif au fujet de la maitreflb de Brunet, des Troubadours. 411 XXXVI. FERRARI DE FERRARE. IN o u s traduifons d'un manufcrit de Modene la vie de ce troubadour , que Noftradamus&Crefcimbeni meme n'ont point connu , & dont ii ne refte aucua ouvrage. Elie contient des particular! :es inte'relTantes. Maitre Ferrari (comme I'appelle ririftorien ) fut un jongleur de Ferrare. Perfonne en Lombardie n'entendit audi. bien que lui le provencal , & ne com- pofa audi bien dans cette langue : il fit de tres-bons & de tres-beaux livres. Ce fut un perfonnage fort courtois & crai- gnant Dieu. II fervit volontiers les che- valiers & les barons, & fat conftamment attache a la maifon d'Efte. Ce qui fuit eft d'une ecriture moderne, en marge du manufcrit. Sij %i2 Hist. iitt^kAire » II floriiToit du terns d'Azzon VII, *> marquis de Ferrare, en 1264.. Lorf- » que les marquis d'Efte donnoient des » fetes & tenoient cour, tous les jon- » gleurs qui entendoient bien le proven- » gal y accouroient. lis alloient tous fe » prefenter a Ferrari, 8c l'appeloient leur » maitre. S'il en venoit quelqu'un plus » habile que les autres, qui proposat des » queftions de fa faeon ou inventees par » d'auijres troubadours , maitre Ferrari » leur repondoit fur le champ ; en forte » qu'il etoit comme un champion dans » la cour du marquis d'Efte. II ne fit ao jamais que deux ckanfons & une re- *> trouangz. Mais il compofa des hrventes » 8c des couplets fupe'rieurs a tout ce « qu'on connoiifoit en ce genre. De » chaque chanfon ou firvente des trou- » badours, il tira un , deux ou trois cou- y plets , renfermant les penfees les plus » ingenieufes , & dont les expreflions ? e'toient les mieux choifies. Dans cet bes Troubadours. 413 » extrait , il n'infera aucun couplet de* fa » composition. Celui a qui le recueil eft » refte en fit ecrire quelques uns , aiin » qu'il fut memoire de Ferrari. « Le manufcrit ajoute que maitre Fer- rari fut amoureux , dans la jeuneile , d'une dame Curcha, pour laquelle il fie de fort bonnes chofes ; qu'etant vieux , il s'eloignoit peu de Ferrare 3 finon pour aller a Trevife voir meflire Giraud du Camiro * & ies fils , qui lui faifoient de grands honneurs , le voyoient avec plai- fir , l'accueilloient parfaitement , & lui donnoient volontiers pour fon merite &: pour f amour du marquis d'Efte.' On volt par cc recit combien la Ian- gue provencale etoit alors en honneur, Dans le douzieme , le treizieme & le quatorzicme fiecle , elle fat parmi les perfonnes polies ce que devint enfuire la * Maifbn trcs - illuflre du Treviian ; voye£ yilijluire d& l r cr.ife % . S iij 4*4 Hist, litteraire larigue italienne , & ce que la francoife eft aujourd'hui. La reputation & les ou- vra^es des troubadours firentfa fortune. Kien n'egaloit ces poetes. Us infpiroient line forte d'enthoufiafme. Chacun s'em- prefioit de les connoitre , de chanter leurs pieces. C'etoient comme les herauts de la chevalerie & de la galanterie , dont l'empire embraffoit toute 1' Europe meri- dionale. Les ecrivains qui ont fart de plaire contribuent beaucoup au fort des langues. Le provencal n'eft retombe dans i'oubli , que parce que les produc- tions italiennes font efface par leur me- rite. Le role que jouoient les troubadours ne merite pas moins d'etre obferve. Les cours etoient pour eux une lice oil ils venoient faire affaut d'qfprit & de talent. lis fe defioient les uns les autres ; ils fe propofoient des quefHons difliciles a re- foudre ; & leurs combats intereffoient ks fpsclateurs , autant que les joutes des DES iROUBADOURS. 415" tournois. Les princes fe glorifioient d'a- voir un de ces ingenieux champions , capable de tenir tcre a tout venant. Sans doute , les marquis d'Eite fe firent un grand honneur de trouver untelhomme parmi leurs fujets ; & Ferrari ne fut pas le moindre ornement de leu^cour. Ce tableau rappelle les -jeux de la Grece , fi propres a enflammer 1 emula- tion du genie. Mais il faut au ge'nie des modeles de bon gout. Les troubadours n'en connoifibient point : aufli n'ont ils pu que begayer en comparailon des Grecs. Si* 41 6 Hist, litt^raire •H "& > — ■ ■ % XXXVII. C A D E N E T. A-j e chateau de Cadenet fur la Duran- ce, dans Hjfcomte de Forcalquier, ap~ partcnoit a un chevalier indigent & mal- heureux , qui flit le pare de notre trou- badour. Lcs comtes de Touloufe & do Provence s'etant ligues, en I i6y , cen- tre Uuillaume VI , comte de Forcal- quier , ce chateau eflfuya toutes les hor-< reurs de la guerre ; les Touloufains Is ruinerent de fond en comble [ i ]. Ca- denet etoit encore enfant-. Un che- valier nomme Guillaume Hunaud de Lantur l'emmtna priionnier a Touloufe; mais il eut la generofite de lui fervir de pere ; & l'education qu'il lui donna au- roit produit de meilieurs efFets , fi le jeune homme , en fe formant L'efprit , ne ie tut attache au frivole plurot qu'a 1'uti'e., bes Troubadours. 417 s'il n'eut prefere un gout de fantaifie au vrai merite de fon etat. Selon l'hifcorien provencal , il croif- foit en beaute & en courtoifie ; il favoir, bien chanter & bien parler ; il appiit a compofer des couplets & des firventes. C'etoit un avantage, fans doute. Mal- heureufement , enivre de la pafTion. des vers , Cadenet no vk plus rien de fi beau que la profeffion de jongleur. II quitta le chevalier Touloufain ; & fous le nora ignoble de Baguas, qui en pro- vencal fignifie garcon , il fo mit a courit le mo.nde, efperant de percer dans les cours & d'y trouver la fortune avec la gloire- Les premieres tentatives ne lui reulli- rent point. Il fut long-terns pauvre ; il erra long-terns a pied. Des ce terns-la, un mot, le hafard on le manege deci^- doient fbuvcnt du faeces plus que le talent. Net re jongleur langunToit incon- mij.mcme dans fa patrie. « En fin , dit Sv, 4i 8 Hist, litter aire y> l'hLlorien , il prft le nom de Cadenet ; » pour fe faire connoitre , & parce que » ce nom etoit beau a porter. II com- » nofa de belles & bonnes chanfons. » Raimond , le cadet des deux freres de » l'eveche de Nice , le mit en equipage 35 & en credit ; Blacas lui fit beaucoup » d'honneur , & lui donna du bien , dont 3> il jouit plufieurs annees. Apres quoi , y> il entra dans l'ordre des Hofpitaliers , » ou il mourut. Tout ce que fai raconte , » je Vai fu pour F avoir oui dire & pour a> V avoir vu, a Ce temoignage d'un contemporain j^cit l'emporter fur celui de Noftrada- mus, qui rapports des circonftances plus que douteufes. Selon lui , Cadenet fut amoureux de Marguerite de Riez , la celebra dans fes chanfons, & n'en recut que des mepris. II la quitta pour fe ren- dre a la cour du marquis de Montferrar. Mais,quoique traite magniriquement par ce prince , il revint en Provence , le D E S Tr O U E A DOUR S. qi? jEeeur plein du fouvenir de Marguerite, & reiolu de lui renouveler fes vocux & fes hommages. Blacas & Raimond d'A- goult , feigneur de Sauk , l'accueillirenr avec honneur a fon rerour. En vain il ehanta fa premiere dame. Defefperant de- la toucher , il prit de nouveaux engage- mens. La fceur de Blacas , egalement belle & vertueufe', devint fobjet de fa paflion. Mais les medifans dirent tant de^ chofes contre lui , & meme contre fa 1 mai'treffe, qu'il fut contraint de s'en deta- cher. Le chagrin lui dicta un traite con- tre les mauvais plaifans ( les galiaionn),. Il aima enfuite une religieufe d'Aix 9 encore novice ; 8c n'ayant pas rculli au— pres d'elle, il fe fit templier a Saint-Gilles. Il y demeura long-tems ; apres quoi i? alia en PalefKne , ou il fut tue en com- battant lesSarafins,l'an 128c. «Le moi = » ne des lies d'or, ajoute Noftradamus 9 a dit que ce poi'te ne mourut point a » la guerre , qu'il revint en Provence , 420 Hist, litteraire- » qu'il y e'poufa la religieufe d'Aix, dont » il eut un fils, &c. « Pen importe qu'on rejette , ou non k ces particularites. Je les rapporte unique- mem,. parce qu'elles tiennenc aux mccurs des troubadours. Pailbns aux ouvrages de Cadertet. La plupart de fes pieces, au nombre. de ving.t-quatre , font des chanfons tri- viales dsrgalanterie. Les envois s'adref- Cent a la comteffe d'Auvergne , a la comtefle d'Angouleme , au comte da Provence., & a la reine Eleonore. Celle- ci etoic fceur de Pierre IT roi d'Aragon ». epoufa de Raimond VI comte de Tou- loufe. Ells confervoit le tirre. de reine „ que fufage- donnoit aux filles de rois.. Voici: ceile. des chanfons du poiite , que nous jugeons la plus rernarquablc » Si je pouvois forcer ma volonte k » fuivre ma raifon , amour ne. m'auroit spas aifement foumis a fon empire,. Ga a.a'efl pas qu'on foit plus vertueux fans. b'Es Troubadours, 4.2* » amour : car qui aime bisn ne croit. »- jamais aflez bien faire ; qui n'aime. » point ignore, cette noble emulation,, » & ne s'attire jamais autant d'eftime. » que l'amant heureux , ou afpirant a.le: a devenir, » Quelque beau qu'il'foic d' aimer, je- » n'y reviens que malgre moi ; non qua » je craigne.de faire des actions glorieu-- » fes ; mais on n'a. jamais fervi que par » force un feigneur, dont il ny a point » d'afliftance & de. grace a efperer. Tout » feigneur qui , fans cefTe exigeant de fes. »fujets, ne cherche qu'a les miner , ne, » doit etrel fervi. qu'autant que la feau*- r> ti y oblige.. » Une chofe a un peu fouiage ma ; » peine : c'efl qu'avec la deloyauac on. » ne profpere jamais long-tems. On. na » peut s'elever par fon moyen a una r> gloire c'minente , fans tomber a la firw a dans 1'infamie. Souvent , au contraire „ » j'ai.vu la loyaute clever des homines. r ^22 ffrST. LTTTf RATRf » cle has etat. Ainfi c'eft folie de cram- » dre la peine pour acquerir de la con— » fideration : un bonheur arrive bientot,, » quand il doit arriver. » Mon bonheur tarde bien , il eft vrai, » & arrive lentement. Mais les grands » honneurs s'achetent cher ;, & ce qui ■» vaut peu s'obtient plus aifement que: » le meilleur. Avec plus de peine , on: » obtient avec plus de gloire. Quand on 3» n'y reufliroit pas, toujours eft-il beau » de s'etre bien comporte. » Du moins je vous ai aime, madame, » pour un bien qu'on ne fauroit me refur » fer : car mon- cceur eft content des » que je puis etendre votre gloire. => Quand je vois tour ou chateau , ou » homme du pays ou vous regnez , je =° me. fens comble de joie ; & quand je » vais a votre demeure , je crois , dans » mon impatience , reculer en avan- » cant, jufqua ce que je fois auprcs de; P VOUS, « des Troubadours. 423; Envoi. »Eleonore , reine debonnaire , en qui » la fine gloire abonde de plus en plu » fait fi bien dire 8c fi bien faire , que » tout ce quelle dit eft cm en tous » lieux. « Cadenet avolt du gout pour la fatire* Nous avons de lui une piece contre les feigneurs de Ton terns , ou il leur repro- che les brigandages que la licence des guerres rendoient alors fi communs. » Je voudrois que les puiifans fuf- » Tent tels que je ferois moi-meme ', fi » j'avois leur pouvoir. On les verroit: » magnifiques en armes & en habits ; ils » feroient grande chere ; ils brilleroient » dans les cours , verroient les dames , & » donneroient genereufement leur bien, » Cela Vaudroit mieux que la pillerie a » laquelle fe livrent nos barons , qui *> n'ont que des cavaliers armes a la » legcre , pour aller plus vite butiner , ?> comme auili pour, fe. fauver plus vite 4.2$ KrST. rrTTERATRE » quand on lour fait tete. Autrefois Ia ; . y» magnificence des habits , les prefers , ^•les receptions honnetes , & d'autres » femblables qualites difKnguoient lea » galans. On ne fe diftingue plus aujoinr- » d'hui qu'en pillant les bceufs & les bou- » viers. Encore il paroit qu'on n'en eft » pas mieu?* vetu. a-- Les fiecles precedens valoisnt-ils dona mieux que celui de Cadenet ? rien na donnelieu de le penfer. Comme la plu- part des factriques , il exageroit le bien; du rems paffe , pour faire fentir davan* tage le mal preient. Dans une autre piece , adrelTee au vicomte de Burlats en Albigeois, qu'on difoit degenerer de fon anciennevaleur, il l'exhorte a prendre en bonne part fes remontrances : il lui cite i'exemple- d-s Elacas , de Raimond d'Agoult & du marquis de Montferrat , qu'on avercif- foit librement de leurs fautes, fans qu'i's £iv. iufient 'faches„&.fans qu'ils ceilafTeot des Troubadours. 425-1 c!e faire du bien a leurs propres cen- feurs. » Pen vous aime , vicomte , celui » qui ne vous remontre pas votre devoir* » Si vous n'aviez pas des amis capables » de vous y rapp-eler, votre merite feroic » bientot ciecliu, ^ Bonne Iecon 5 dont lcs grands ne pro- fiteront f^uere. fl eft h doux de reajardec fes Piatccur: ccmme fes amis! Ce zele d'un troubadour eft affure- ment ties-louabie. Mais il le poufla un peu trop loin, fur 3e point d'embrafifer l'etat religieux , en exlio; Lar.t Ton. ami Blacas a prendre le meme parti, comme. neceffaire au falut. IL lui die dans une chanfon : » Si je trouvois mon compere Bia- => cas , je lui confeillerois ce qu'il fera » peut-etre fans mon confeil , de ne pas. ^attendie la mort , pour renoncer au 33 monde qui n'efl: que vanite. Autre - » ment je craindrois pour lui lcs fuppli- » ces de l'enfer. Son efprit & fa raifon. '/p.6 Hist. litt£rair^ » le rendroient plus inexcusable qu'unf » autre , s'il avoir la folie de fe precipi- » ter fur un ecueil , qu'on evire des qu'on » le connoit & qu'on le craint. « ( Voyez l'article de Blacas.) C'eft ainfi que les moines artiroient , fouvent de la meilleure foi du monde , une foule de profeiytes. Mais fi le moine des lies d'or , cite par Noftradamus , avoir dir vrai , & que Cadenet eut quitte le froc pour epouier une religieufe ; cet exemple feul ne rendroit il pas fufpe&es de femblables vocations ? « i ■ i ii N o r £. 1 1 ] Raimond Berenger III comte de Pro- vence , ayant epoufe Richilde , fiile de l'empe- reur Frederic II , avoit obtenu de ce prince Pin- YefHture du comte de Forcalquier , au preju- dice de Guiilaume VI, qui avoit manque de jendre hommage !ors de I'avenement de Frede- ric a 1'empire. Celui-ci rempliiToit par la deux, objets ; l'un de faire revivre Tautorite des era- pereurs fur Taneien royaume d'Aries ; Taatre % i>es Troubadours. 427* r!c rendre plus confiderable PetablifTement de fa fille. Muni du diplome imperial , Raimond Berenger crut avoir befbin de fecours pour depouiller Ie comte deForcalquier. Ii eut recours a Raiinond V comte de Touioufe , & lui pro-^ pofa de partager la depouille. Leur accord fe fit a Beaucaire , oit ils eurent une entrevue e» 1165". On y conclut le marisge du fils aine du comte de Touioufe , avec Douce , fille unique du comte de Provence. Bientot apres , Raimond Berenger entra fur les terres du ccmte de For- calqu'er. Ii fut joint par des troupes de fbn alli,e ;. & ce fut alors que le chateau de Cadenet eprouva le deiaftre dont Philtoriencontemporair* denotre troubadour fait mention. Don Vaiffete parle de la ligue des deux com- tes. *> Nous ighcrons, ajoute-t-il , fi Raimond > » comte de Touioufe , joignit fes armes a cellea » de Raimond Eerenjer , confre le comte de » Forcalquier, ainfi qu'ils en etoient convenus. « ( Ili/i. du Languedoc , u 3, p 13.) II efl furpre- nant qu'un hiitorien (i exad ait pu s'exprimec de la forte , ayant connoiffance de notre manu£ crit dont il donne un extrait fide'.le dans Pen- droit 011 il parle de Cadenet. Le chateau de Ca- denet, pillc & faccagc par les gens du comte de Touioufe , prouve que les deux princes avoienS- effeftivement uni leurs forces.. 428 Hist. litt£raire XXXV III. PERDIGON, V_> E troubadour eft un de ceux qui y de fetat le plus abject , fe font eleves lc plus haut par leurs talens; exemple tres- propre a eircqurager le genie , mais ca- pable aufli d'egarer une foule d'efprits mediocres , toujours empreffes a fortir de leur fphere pour courir apres la for- tune. Le talent meme n'y parvient guere fans le fecours de l'intrigue. Perdigon- eto-it fils d'un pauvre pecheur de l'Eiperon , bourg du Gevau- dan. Ne avec de l'efprit & avec une agreabie figure , il fe livra bientot a I'ambition de trouver acces dans les cours. Il faiioit bien les vers, avoit une belle voix , jouoit parfaitement du vio- T Je commence ma chanfon avec le 05 chant des oifeaux; lorfque j'entends le 33 tendre ramage du rollignol & de la sj fauvette ; que je vois les fleurs s'epa- 6> nouir dans les jardins , les bluets parer 2> les buiflbns , les ruiffeaux couler fur w le feble leur eau limpide , & leurfl 45° Hist. litteraire >3 bords embellis par la blancheur des *> lis. 33 Helas! je me rappelle tous les maux »» que j'ai foufferts en amour , par la *> rigueur d'une beaute perfide , qui n'a *> pas craint de me tromper & de me 33 trahir. J'ai eu beau lui crier merci : » elle a ete cruelle jufqu'a me dormer le » coup de la mort. 3> Ceft aimer bien peu que d'aimer « fans jaloufie. On aime peu, quand on » ne fe lache jamais ; on aime peu , »3 quand on n'a jamais de faute a. fe » reprocher. Mais quand on eft bien »3 amoureux , une larme d'amour vaut 33 mieux que quatorze ris. 33 Lorfqu'a genoux je demande par- » don a celle que ]'adore , elle m'accufe , » elle en trouve des pretextes. Les lar- »> mes coulent de mes yeux en abon- »» dance. Alors quelquefois elle me lance 93 un amoureux regard. Je lui baife les si yeux & la bouche : & j'en reiTens un§ 5 joie de para,dis, des Troubadours. 43 z »> Ah ! fa main a cueilli les verges 33 dont me frappe la plus belle dame qui « fut jamais. J'ai fait tant de pourfuites w pour avoir le bonheur de la fervir ! » elle m'a fait pafTer par tant de rudes »> epreuves ; foupirs pleins d'angoiffes , 33 defirs fans efperances , recompenfes 33 toujours au-delTous des fervices ! tout » m' oblige a m'eloigner d'elle. « Le dauphin d'Auvergne etant mort, & n'ayant laiflfe qu'un fils tres-jeune , Perdigon quitta une cour oir il avoit perdu fon prote&eur. II alia fe produire a celle du roi d' Aragon , Pierre II. Com- ble de prelens par ce prince , il repalTa les monts , & s'attacha particulierement a Guillaume de Baux. Selon Noftrada- mus , il fut attache au corr.te de Proven- ce , Raimond-Berenger , dont il celebra les conquetes par un pocme , lorfque le comte eut reuni a fon domaine Vinti- mille, Nice , Genes & le Piemont ; il fut -snrichi en re'eompenfe de fes vers j il 43 2 Hist. LiTThAiRi -epoufa mademoifelle Saure, de la mai- ion de Sabran ; tous deux moururent en i2<5o , & firent le comte de Provence leur heritier. Nos hiftoires manufcrites nous repre- fentent Perdigon fur une fcene toute ditferente. II participa au fanatifme qui fufcita au comte de Touloufe tant d'im- placables ennemis. Avec le prince d'O- range, le feigneur Guillaume de Baux, l'eveq.ue de Touloufe Folquer., & fabbe de Citeaux , il alia exciter a Pvome le zele , ou plutot la haine d'Innocent III; & la croifade contre les Albigeois fut le fruit de leurs conferences. Le roi d'A- ragon , defenfeur du comte de Toulou- fe , ayant peri a la fanglante bataille de Muret en 12 13 , Perdigon fit un poeme pour celebrer fa defaite & le triomphe de la croifade. L'hiftorien obferve que fon animofite contre ce roi , qui avoit ete fon bienfaiteur, le deshonora telle- xnent , que fes amis meme ne voulurent plus des Troubadours. 433 plus le voir ni l'entendre, & qu'il ne put jamais fe relever du mepris que lui atti- ra fori ingratitude. Exempie digne d'etre medite par les adorateurs de la fortune. Un ingrat ambitieux fe confoleroit peut-etre du mepris des honnetes gens , s'il recueiiloit d'un autre cote les fruits de fon injuftice. Perdigon n'eut pas me- me cette reflfource. Le comte de Mont- fort , Guillaume de Baux, & les autres feigneurs dont il efperoit des rccompen- fes , pcrirent dans la croifade 011 ils avoient commis tant de barbaries. Le fils du dauphin d'Auvergne retira les bienfaits de fon pere , en hame de la perfidie de Perdigon. Celui-ci , n'ofant fe montrer, expofe aux derniers befoins, fut reduit a cbcrcber un afyle dans le doitre. Encore ne fiit-ce que par la pro- tection de Lambert de Montal , gendre de Guillaume de Baux , qu'il fut reou dans l'abbave dc Silvebelle : il y mou • rut. Crefcimbeni cite le manufcrit, ou Toms I. T 434 Hist, litterairs fa mort dans ford re de Citeaux eft attef tee ; mais il ne dit point par- quel motif il fe fit moine. Nous avons de ce troubadour onze chanfons, dont quelques-unes attributes a d'autres auteurs ; & une pricre a la Vierge , remarquable par ce trait de fu- perftition : le pocte affure qu'en la priant quarante jourj, on obtient le pardon de fes peches. des Troubadours. 435" * * ■ ==;* XXXIX. GUIouGUIGO, o u s avons un nomore ce pieces fous le nom de Gui, peut-ctre du meme troubadour , peut-ctre audi ce plufieurs qu'il eft impoilible de diftinguer, aucunt ecrivain ne dormant de lumieres fur cet objet. II furfira done d'extraire ce que les pieces peuvent avoir d'intereffant. L'auteur des premieres eft nomme Gui 011 Guigo. II etoitcontemporain de Bei- trand d'Alamanon. Void une tenfon eti- tre eux. G u 1. 53 J'ai vu dans le Gevaudan madame 33 Saure Raimonde , dame de Roque- 33 feuille , & la comteffe de ¥ * *. Elles 33 m'ont demande de vos nouveiles ; a 33 quoi j'ai repondu que dans la guerre jj terrible des deux comtes (de Toulou- Tij 43^ II I ST. LITTERAIKE 93 fe & de Provence , ) f ai laifle votre v ecu bien fain, votre lance bien enticre, » 5c votre perfonne tout audi flaique »> & au'li nonchalante qu'elle la jamais »' ete. « Bertrand. 33 Guigo , je vous en aime mille fois » davantage , d'avoir mal parle de moi a 6J de fi honnetes dames. Je vous en fais 33 bon gre ; car entre honnetes gens , les 33 msdifances d'un mechant homme font » le meme effet que les louanges d'un 33 homme de bien ; & vous etcs de ccs 33 vilains dont les medifances font des 33 eloges. « Ce trait fi piquant peut-iletre deco- c\6 ou public par un pocte centre lui- mems ? Les troubadours s'attaquoient , fe repondoient mutuellement dans les tenfons. On a recueilli fans doute leurs couplets comme formant une feule piece ; & voila pourquoi i!s fe trouvent reunis fous le noni d'un feul. des Troubadours. 437 Dans un firvente fatirique contre le meme Eertrand : =» Si i'on proclame les 30 braves , dit le troubadour , je ne m'e- n chaufierai pas a crier Ala.rn.anon ; car » je fai vu long - terns fuivre la cour 33 de Provence , fans fake ni prefens ni 33 fefrins , mais beaucoup de medians 8c 33 ennuyeux vers , dont je ne le corrige- 35 rai point. « II lui reproche d'etre de- pouiiie de tout merits , de tcute vertu , avec fori corps fiafque fans force & fans valeur. Une tenfon avec Falco , moine de- froque , eft d'un genre particulier. On y voit que le moine, chafle de fon ordre , etoit devenu jongleur, qu'il avoit eu la levre fendue pour des medifances , fans doute tres-criminelles , & qu'on puniflbit de la forte les me'difans. G u r. » Falco , je vols que vous avez faic 33 metier de me'dire ; vous en avez ete » accufe, 6c vous en portez les marques, Tiij 43 8 Hist, litter aire a> Bites-moi pourquoi vous futes chafie *> du cloitrc? carquand un moine profes ^ quicte fon ordre , en ne fait point » d'elime de fa foi : j'en ai oiii murmu- 3i lvr. « F A L C O. s> De quoi vous fert , feigneur , de 35 dire des injures & des folies? Vous n'y S3 gagnez rien , & je puis vous repondre 33 iur le meme ton. a G u i. 3> Un jongleur qui a la levre fendue, •o ne vaut pas un vieil habit jete au re- 03 but. Celui-la vous donna un terrible ai coup, qui vous dit, Ouvrez la bouche 3> pour qu'on vous fende la levre. Parce 3» que vous parliez trop 5 on vous brida a> de la forte. En quoi le marquis a bien 3J fait : car on doit corriger ainfi par le 33 rafoir un infenfe troubadour , qui le ?j merite par fes propos. « F A L C O. 33 J'aime mieux etre coupe par un des Troubadours. 43^ 33 rafoir que touche? de votre main. . . . , 3j d'un homme qui ne tint jamais fa foi =' ni a foi ni aux fiens Vous avez « ere le pire ennemi de tous vos parens; *> jamais vous ne les avez detendus , s> quoique vous fuiHez bien equipe &: 33 ceint d'epee. du nom de la princeffe.. Toutes les cinq formoient un tableau' de fa conduite , depuis l'enfance jufqu a fa mort. L'auteur les offrit fecretemenc au pape, dont il re cut en recompenfe; un canonicat de Sifteron.. Ces ouvrages bizarres auroient affez' convenus au gout regnant. Mais Tart: dramatique fut toujours ignore des trou- badours. Environ quatre mille pieces,, que nous avons raiTemblees d'eux , rap- pellent une infinite d'ufages de lew T Y-jj 444 Hist, litteraire terns ; & aucune , l'idee de tragcdie nl de comedie. Quoi cependant de plus capable d'inte'reffer des poctes , de leur fournir des images ou des reflexions ? Leur filence demontre que le theatre n'exiftoit point. En un mot , Berenger de Palafol , dans Noftradamus , diifere en tout du troubadour dont nous parlons dans cec article. On ne peut admettre fon recit , qu'en firppofant un autre pocte du mime nom , 2c beaucoup moins ancien. Les pieces de Palafol font harmonieu- fes, tendres & naturelles. En voici les traits les plus remarquables : » Si toujours je vivois , toujours je » vous airnerois. Ceil folic de s'attacher *■ a vous , malgre* la defenfe que vous » m'en faites ; mais je ne puis me deli- » vrer de cette folie. Je fuis votre efcla- u ve : je ne payerai jamais ma rancon , » car je ne veux point ravoir ma liber- * te, * . . , % Cells que f airae m'enchaine- des Troubadours. 443* » par un baifer. Je ne concois rien a cet ?> amour : qu'clle me traite bien ou mal ». » je l'aime toujours egalement. « La jalcufie a cependant dicte une au- tre piece , qui eft ou 1'original ou la copie de celle de Pierre de Barjac* (Voyezfon article.) Le pocte veut re- noncer a fa maitrefTe , puifqu'elle choifit un autre amant. Ii lui propofe d'allec demander l'abfolution a un pretre , pons? le repos de leur confeience. II finit par lui demander pardon a elle-meme de fa jaloafle , en peignant la douloureufe de~ mence d'un jaloux. Revenu aux pieds de fa dame , it parle cies peines que lui a caufees l'eloi— gnement : il auroit bien voulu donner fon cceur a une autre ; mais il ne l'a ja- mais pu. Sa maitreile etolt done vraifembiable- inent une coquette fort habile , a en juger par cette peinture : » Elle ne pro- * met nin'accorde; elle refufe pourtaru: \\C Hist, lttter a tri? » de maniere qu'on fe flaite de tout » obtenir. Elle fait fi bien , qu'au lieu de » reproches , elle s'attire la reconnoiffan.- » ce. II faut qu'elle ait un fecret urn- s' que : perfonne ne peut fe defendre de » fes artifices. <* Crefcimbeni , dans fes additions , a fait un petit article fur ce troubadour y ne pouvant le confondre avec celui de Noftradamus. 4* des Troubadours. 447" % . ■ " - — = x* X L I. BLACAS & BLACASSET. \^> N pere & un fils illuftres font le fuje: de cet article ; phenomene rare dans- l'hiitoire litteraire. Blacas, felon nos manufcrits , etoit de Provence , ^ noble baron , riche , » genereux , blen fait , qui fe plaifoit a. 33 faire l'amour & la guerre , a depenfer, a> a tenir des cours plenicres , qui aimoit m la magnificence , la gloire , le chant , 53 le plaidr , & tout ce qui donne de 3> fhonneur & de la confideration dans as le monde. Perfonne n'eut jamais autant si de plaifir a recevoir que lui a donner,. 33 II nourrit toujours les neceffiteux ; ii 33 fut le protecteur des delaiffes ; & plus a^ il avanca en age, plus on le vit croitre 33 en gencrofite, en courtoifie, en valeur, 33 en terres, en rentes Sc en gloire ; plus 448 Hist, litter aire *> audi fe fit-il aimer de fes amis & re* » douter de fes ennemis. II fit les memes » progres en efprit, en favoir, en habi- » lete a compofer , & en galanterie. e s Troubadours. 449 de revcnu foit auili genereux ; & qui fache parler avec autant de grace & de fineiTe que lui ; il laprie de dormer la preference a celui-la. » Car celui qui 33 l'empone en merite , a droit d'etre =' airae de la plus belle des dames. Qu'el- » le ne reearde point ce difcours comme s' unc fanfaronade. II riy a rien que je » ne fois pret a entreprendre pour elle. 33 Mais puifqu'il eft impoilible d'agir fans 33 cceur, je la prie de n'rer ie fan cotur Iz 33 mie/J <{uz)y ai ^ ai JJ^ ■> & de me ^ P r @~ 33 ter feulement Apres quoi elle peut me 33 laiffer courre fur tous ceux qui oferont 33 me difputer cette belle. « Autant ce galimatias eft: ridicule , air- tant eft obfeene un couplet , ou Blacas parle de quelques debauches , celebres par Ieurs exploits avec les femmes. La tenfon fuivante eft plus curieufe : il y difpute avec Pierre Vidal. Blacas. jj Pierre Vidal ,. puifque j'ai a fair© 4yo Hist, litterair? 33 une tenfon , qu'il ne vous deplaife que 3' je vous fafTe une que/Hon importante. » Pourquoi, avant de l'efprit & du k~ 3' voir pour compofer des vers , avez- oi vous l'efp'it ii borne pour beaucoup 33 d'affaires qui vous tournent fi mal ? » Celui qui demeure , etant vieux , au 33 meme point ou il a paffe fa jeuneffe, 33 a vecu tres-inutilement. « V I D A L. 33 Blacas , vous avez tort , & jamais * vous ne proposates un jeu-parci moirw » fenfe. J'ai le lens droit & fubtil en tou- v tes fortes d'affaires ; on y reconnoit 33 bien quel homme je fuis. Des ma jeu- sj neffe , j'ai donne mon amour a la meil- » leure dame & la plus eftimable. Je ne » veux en perdre ni le fruit ni la recom- » penfe : car qui fe rebute eft lache. & »3 infame. « Blacas. 33 Je ne voudrois pas avoir votre fort *> avec une dame fi pleine de merite* Je pes Troubadours. 4J* 3J veux toujours fervir a jeu egal , & fuis » bien aife qu'on me recompenfe* Je 33 vous abandonne le bonheur d'atten- » dre : pour moi, je pretends jouir. Car » fachez qu'attendre toujours eft un fer- as vice perdu , dont il ne relulte aucun »> bieir, «■ V I D A L. » Elacas , je fuis bien different de 33 vous autres , qui ne vous fouciez pas 33 de f amour. Je veux faire line grande 33 journee pour avoir bon g'ite , fervir 33 long- terns pour obtenir bon falaire. a' Celui-Ia n'efl: pas un vrai amoureux , 33 qui change fouvent ; ni celle-la une » bonne dame, qui fe donne facilemenr. » Ce n'efl: point aimer , c'eft abufer , (I » vous demandez aujourd'hui, & quittez as demain la partie. « Dans une autre ten fori, de Blacas , avec Peliflier , il s'agit de decider lequel fut puni plus ieverement de trois voleurs, dont Tun perctit le pied & la main droits 45" 2 Hist, litter at re pour avoir vole des chapons ; le fecond fat pendu , pour avoir derobe deux deniers; & le troifieme brule.pour avoir pris dans un monaftere une lance & un chaperon. Ce bizarre fujet pourroit four- nir des reflexions fur la jurifprudence criminelle. Un morceau fuperieur aux pieces de Blacas, & cres-intereflanc pour fhiftoire, e'eft l'elo.'t* iunebre du raeme trouba- dour par Sordel fon contemporain. Cha- que trait de l'eloge fait la fatire de quel- que prince. » Je veux pleurer Blacas dans cette *> chanfon facile, infpiree par une jufte » affliction : car j'ai perdu en lui un » ami & un bon feigneur. Toutes les » vertus font perdues en fa perfonne. Ce » malheur eft fi grand , que je n'y vois » de reffource que de prendre fon cceur, » pour le donner a manger aux barons » qui en manquent ; & des lors ils en au- » ront aflkz* DEs Troubadours. 45^ y> Que 1'empereur de Rome ( Frede- » ric II ) en mange le premier : il en a » befoin , s'il veut recouvrer fur les » Milanois les pays qu'ils lui ont enleves » en depit de fes Allemands *. » Apres lui en mangera le noble roi 35 dc France ( S. Louis ) , pour reprendre » la Caftille qu'il perd par fa fotife. 35 Mais fi fa mere le fait , il n'en man- as gera point : car on volt par fa -con- 35 duke qu'il craint en tout de lui de- r. plaire**. * Frederic II en 12315 deciara la guerre aux vllles de Lombardie , qui etoient confederees pour fecouer le joug de l'empire. Blacas etoit done mort avant cetre epoque. * Le mariage de Bcrengere avec Alphon- fe IX , pere de Ferdinand III roi de Caftille & de Leon , avoit etc cafTe pour caufe de parente. Ainfi la couronne de Caftille fembloit appar- tenir a S. Louis , du chef de Blanche (a mere, fa-ur puinee de Bcrengere. La reine Blanche , qui avoit beaucoup d'empire fur fbn fils , encore jnineur , ne vcuioit pas foutenir ces preten- ^5% Hist, litt^kaire » Le roi d'Angleterre ( Henri III ) » en doit manger un bon morceau. II » a peu de cceur ; il en aura beaucoup « alors , & reprendra la terre qu'il a laifls *> honteufement ufurper au roi de Fran- » ce , qui profite de fa negligence & de » fa lachete \ » II faut que le roi de Caflille ( Fer- » dinand III) en mange pour deux ; car » il a deux royaumes , & n'eft pas bon » pour en gouverner un feul. Mais s'il » en mange, qu'il fe cache de fa mere; tions , au prejudice de Ferdinand (on neveu. En quoi elle fe montroit d'autant plus {age , que les mariages des princes fe caflbient alors plus legcrement. * Henri III, fils & (uccefleur de Jean Sans- terre , auroit pu profiter des troubles qui agi- terent la France (bus la minorite de S. Louis. Les Normands , les Poitevins , les Galcons l'in- viterent a reprendre l'heritage de fes peres, dont Jean avoit ete depouillc. Sordel , ne refpiranf. que la guerre , lui reproche (on indolence a cet eijard. des Troubadours. 35'/, •» autrement elie lui donneroit des coups » de baton *. » Je veux auili que le roi d'Aragon » ( Jacques I ) en mange pour laver Tin- » fulte qu'il recut a Marfeille ; car il a » beau faire & beau dire : il n'y a que » ce moyen de reparer fon honneur. » Je veux qu'apres lui en mange le 53 roi de Navarre , ( Thibaut , comte de » Champagne,) qui, felon ce que j'en- *> tends dire , valoit rnieux comte que » roi. Ceil grand malheur , quand le de- » faut de courage fait declioir celui que » Dieu eleva en dignite. » Le comte de Touloufe ( Raimond » VII ) a bien befoin auili d'en manger, » s'il fe rappelle ce qu'il pofTidoit autre- x* fois , & ce qui lui refte maintenant. » A moins de prendre un autre coeur , * Ferdinand III refpe&oit effediveir.ent fa mere,,comme S. Louis la fienne. Mais il ne mcritoit point les reproches que lui fait le poeta fatirque. '47 6 Hist, litteraike » pour i ecouvrer ce qu'il a perdu , je » ne crow pas qu'il le recouvre jamais » avec le lien \ » Le comte de Provence ( Raimond » Berenger V) fera bien encore d'en man- » ger , s'il fonge au peu que vaut un » comte depouille de fes terres. Car quoi- » qu'il agifle & fe defende vigoureufe- 30 ment , il a grand befoin de manger » de ce cccur , pour foutenir un tel far- » deau * \ r> Les barons me voudront du mal » de m'entendre fi bien parler. Mais je » leur declare que je fais d'eux aufli peu x> de cas qu'ils en font de moi. « * La croifade centre les Albigeo's avoit demembre l'heritage des comtes de Touloufc. Raimond VII travaiiioit avec ardeur a en reu- nir les parties. Malheureuiemcnt les er.nemis etoient trop puifians. * * Raimond Berenger V, dernier comte de Provence de la maifon de Barcelona , vint a bout de foumettre beaucoup de vllles qui s't- toient formees en republiques. Cette des Troubadours. 4^7 Cette piece originate aeu des copies, que nous verrons dans un autre article, Blacasset fut le Mis du trou- badour dont Sordel exalta le grand cceur. Nos manufcrits le reprefentent digne d'un tel pere , par Ton courage , fa bonce & fa generofite 5 fort devoue au fervice des dames , bon troubadour , & qui fit nombre de bonnes chanfons. De cinq pieces que nous avons de lui , voici la feule remarquable : » Si jamais le mal d'amour me tour- » mente , je ne fais plus a qui demander 33 fecours ; puifqu'elles font entrees dans » le cloitre , les deux perfonnes pour » qui le comte de Provence & moi nous » chantions. Sans leur affiftance , il y a » un an ou deux que je ferois mort. Que » deviendront les beaux yeux & les dents » blanches ? Que deviendront les vertus » & l'honneur , dont elles faifoient la » gloire & le foutien ? Huguette & fa Toir^ I. V 4J 8 H I S T. L I T T K R AIRE » fceur chantcnc leurs lemons dans ua " monafcere , tandis que nous verfons » des larmes. II me prend quelqueiois » envie d'aller la nuit mettre le feu au jo couvent, & y bruler toutes les nones. 3' Peu s'en taut que je ne blafpheme j' contre S. Pons , qui a enleve toute la so joie de la Provence. Helas ! que de » biens nous avons perdus en vous per- x. dant, belle Huguette, charmante Etien r 33 nette ! « Ces deux rellgieufes etoient de la jnaifon de Baux. La preuve s'en trouve dans quelques vers d'un autre trouba- dour , nomme Pojols , ou il loue la piete d'iiuguette de Baux & de fa fceur, reKgicufes a Saint-Pons, qui toutes deux porteront une couronne dans le ciel. II deolore en mime terns la perte que le monde a faite en les perdant. Ceft une repetition prefque litterale de la piece de Blacaffet. Selon Noftradamus, Blacaflet accom* 15 E S TrOUEADOURS, tf $ pagna Charle? d'Anjou a ia conqucte de Naples , & s'y diftingua par fes nuts d'ar- mes, dont il fut magnifiqucment recom- penfe ; le roi Charles , & Robert due de Calabre, fon fils, lui donneren: pluficurs fiefs en Provence. Peu de terns avant ia mort , qui arriva en 1300, il compofa un livre intitule, La manic re clz bien guzr- royer; & en fit prefent au due de Cala- bre. Le temoignage de cet hiitorien eft d'autant plus foible ici , qu 'il fe trompe evidemment au fujet de Elacas. I! place fa mort en 128 1 ; il lui attribue une chanfon, dans laquelle le? Provencaux font blames de s'etre foumis a la mailon d'Anjou, aprcs avoir vecu fi heureux fous celle d'Aragon ; & il en tire une preuve de forigine aragonoife du trou- badour. La piece de Sordel fur Blacas demontre qu'il e'toit mort plufieurs an- nees avant le manage de Charles d'Arw jou avsc lhcriticre de Provence. Vij 4^*0 Hist, litter a ire *. ^_ • 3)%£:~ _ , ■- # X L I I. FOLQUETDE ROMANS. HP I our ce que nos manufcrits nous apprennent de ce poete , c'eft qu'il na- qult a Romans, bourg do Vi.ennois ; qu'il fut bon jongleur, & plut dans les cours ; que les nobles le comblerent d'honneur ; & qu'il compofa des firven- tes pour louer les bons & pour blamer les medians. Nous apprenons de Tea pieces , qu'aprcs avoir chante quelque terns en Dauphins Iqs amours avec une comtefle , 11 paffa en Italic , ou il fit fa cour au roi Frederic , au marquis de Montferrat, & s'attacha particulierement au feigneur de Garret pres de Savone. Frederic If, fi!s de 1'empereur Hen- ri VI, eft certainement le roi dont il s'agit. II avoit recu dans Ton enfance l'inveftiture du royaume de Sicile j l'lta- res Teoueadours. 461 lie flit long-temps Ton fejour : on 1'elut empereur en 12 12. Apres le couronnement de ce prince, Folquet le cenfura dans un firvente oii il s'eleve contre le peu de generofite de fon fiecle. « Je ne veux pas que mon fci- » gneur Frederic s'enrichiife davantage : » car , je lentends dire a tous ceux qui sj viennent de fon pays, lui qu'on voyoit »> fi ge'ncreux avant d'etre riche , il ne 30 penfe plus qua avoir des terres & de 53 l'argent. * Le pocte lui rappelle cette maxime , Pour vouloir trap ai cir, on perd fouvent tout. II 1'exhone a la liberalite 3 tie peur que fi la roue de fortune tour- noit contre lui, il ne devint la rlfee de fes ennemis. II benit Dieu qui lui a dcn- ne une couronne , & qui a eleve fon couiin le marquis (C'eft Guillaume le Jeune , marquis de Montferrat , dont l'aieule paternelle etoit fceur de 1'empe- reur Conrad III , bifaieul de Frede- ric 11. j Viij '4^2 Hist, litthraire Dans une autre piece , il parle du me 1 - me feianeur de Moivfemzt * louant fes vertus fuperieures a celles de fon pere. II dit cependant que ce feigneur a bier* manque aux Lombards , en pafTant en Romanie; & il maudit Salonique qui a ece pour la Lombardie la ruine d'une foule de gens. On a vu un autre troubadour, Elias Cairels , faire un crime au marquis de Montferrat de difterer cette expedition de Salonique. C'eCt ainfi que les hommes ont coutume de juger : la guerre ne fe- fait-eUe pas quand ils la defirent ? les princes font des laches: a t-elle &cs iuites malheureufes? les princes ont eu tort de 1'entreprendre, Les opinions du vulgaire varient fans cede au gre des evenernens, Nous en trouvons une nouvelie preu- ve dans deux pieces de Folquet lur la croilade. Oubiiant les calarr.kc's que ces guerres avoient produites. ce de ranimerrenthoufiafme, II inventive con- des Troubadours. 463 tre les rois & les grands qui combattent pour depouiller leurs inferieurs , au lieu d'aller outre mer venger le chriftianifme. 33 Le monde ell; tout perverti. Les 23 clercs , qui devroient donner l'exem- w pie , font pires que les autres. Les fei- » gneurs , euiportes par l'avarice, ont 33 ecraie la noblefie. Que ne nous vient- 33 il un prince aflfez puiiTant & afTe? (are, ao pour enlever leurs biens a ces me- 33 chans , & en revetir tout autre dont le w feul titre feioit le merite ? Que ne 33 change-t-on !es mauvais prin :c:; , com- 30 me les abbes changem les piicur: ? -c Suit une exhortation au bon ea'ipcreur, qui a pris la croix, a s'armer de cou 'age arm cle venger les faints lieux. Le troubadour ch uge (on (u'venre de paffer le mont Cenis , pour dire au ^Dcir de C ::r:-ct , qu'il ail'e ocai ou .- ; ; a.j norre fauvcur , ' : ronne : jute l. ; e'oire var cv.i: . a-.- 4^4 Hist, l i t t e r a i r e Precher avec chalenr & fe dementir en agiffant , n'etoit pas un phenomene referve a notre iiecle. Folquet avok be- foin lui-meme d'etre exhorte : le vcru de la croifade faifoit peu d'impreirion fur fori ame. Hugues de Berfie, troubadour, connu par un feul firvente , lui dit dans cette piece , pour l'exciter a prendre la croix : » L'homme fage ne doit pas epuifer 33 tout Ton efpritades fblies. Nous avons » Tun & l'autre palTe en debauches une 33 grande partie de nos jours. L'expe- » rience nous apprend affez que la part 33 que nous avons eue eft la plus mau- « vaife. Ainfi il faut reformer notre con- s' duite ; car a la fin on fort de jongle- » rie. Mais il y a tel qui , lorfqu'il fe voir 35 a fon aife , en maifon bien meublee & 33 bien fournie de tout , ne penfe pas w qu'il y ait un autre paradis. Folquet, 33 mon doux ami , vous n'y penfez pas. » Fiiites Rous done gompagnie pour air des Troubadours. 465* 3) ler outre mer. Lieu eft grand ; il ne » nous abandonnera point. « Une note du manufcrit porte qu'il s'agit de la croifade ou alia le marquis de Montferrat; c'eft-a-dire , de l'expedi- tion de 1224 pour recouvrer le royau- me de Salonique. La maniere dont Folquet de Romans en parle , donne lieu de croire qu'il ne s'e'toit pas croife; &; Crefcimbeni fe rrompe en concluant r le contraire du firvcnte d'Hugues de Eerfie. Nous avons trots tenfons d'un Fol- quet, fans favoir lequel. Deux de ces pieces roulent fur ces queftions que les bonnes mocurs doivenr profcrire. La der- nicre eft de pure galanterie, & donnera quelque ice'e de ces fortes de difputes, Folquet demande a Tcftemps; Lequel il prefereroit , d'aimer une maitrefte qui n'auroit point d'autre amant que lui , mais qui ne feroit pas femblant de 1'ai- mer 5 cu den aimer une qui auroit pour 33 '^66 Hist, litteraire lui autant d'amour , & qui lui accorde- roit tous les plaifirs que loyale amie doit faire a Ton ami , mais qui auroit un ou deux autres amans ? T o s T e m p s. 3' Vous me jerez dans un grand em- sibarras, & la proportion eft difficile a =» reloudre. De part & d'autre il y a 03 beaucoup a foufirir. Je ne fais guere de cas d'une maitreffe , des que je lui » fais plufieurs amans , quelques fern- s' blans d'amour qu'elle me fade. J'aime » mieux que la dame au cceur loyal me >3 cache fes fentimens, que d'obtenir des » faveurs que d'autres partageroient. « F O L Q U E T. r> Vous avez bien peu de cceur , de » vous contenter de l'araour d'une mai- » trefTe , qui fe croiroit deshonoree en *> vous carerfant. Moi , je ne voudrois aa de la fille d'un roi a cette condition. 33 J'aime mieux celle qui vous fait d'a- 33 moureux femb'anSjquoiqu'elle en faflfe x autant a a autres, « • B jr. s Troubado u r s. 4 6*7 T O S T E M P S. 33 Vous parlez com me un fou. Une 33 maitreife qui trahit ion ami perd pour S3 jamais route eiHnie , fans que des ca- » reiies exterieures qu'elle lui fait pniL- 3> fent retablir ion hor.neur. Mais les fa- 33 veurs d'une amie vertueufe iont d'un r> prix incilimable.Que m'importe qu'el!e » ne paroiGTe pas rnaimer, d je fuis sur 33 d'c:rc 1c foul qui poilcde ion cceur. «. F O L Q Li E T. 33 Les lo:s troubadours c^crient les 33 don:; de j '"amour, comme gens qui ne =0 s'en foucicnt pjin:. Pour moi , je ne 53 compronds pas quel bien peut faire 33 une ami; qui aP/ecle des airs de hau- s> teur. J airne mieux (oufirir d'a reables v trompv'rie:. « Tost 1: m p s. 33 Prenons pour juge madame Gau- --> celine. Qaoiqu'elle couche avec bien 33 des am.!-:., je no doute pas quelle ne js decidu a . ec e ;ui':e. «• 4<> 3 Hist. litteraire,&c. A en juger par de telles pieces , ces fameux combats d'efprit ou les trou- badours bruloient de fe fignaler } ne produifoient ricn de merveilleux. Un potite midiocre reufliroit mieux aujour- d'hui. Mais les foibles efiais de Tart font utiles a obferver , ne fut-ce que pour fe convaincre , que l'ignorance admira long-tems ce qui eft depuismeprife par le gout & la raifon. Fin du premier Volume, 4** (EUVRES complexes de M. VAbbi Mil lo Tjd.es Academies de Lyon 6f de Nancy j que Von trouve chei le mime Libraire. Elemens de l'Hiftoire de France , depuis Clovig jufqu'a Louis XV , troifieme edition corrigee & augmentee, 177+ , 3 vol. i/2-12, 7 1. 10 d Elemens de PHiftoire d'Angleterre , depuis la conquete des Romains jufqu'au regne de Georges II, nouvelle edition corrige'e & aug,- mentee , 1773 > 3 vol. in-u. 9 !• Elemens d'Hiftoire generale , premiere Partie J contenant l'Hiuoire ancienne , 4 vol. in~*% m 1771. irl« feconde Partie contenant THifloire moderne,- depuis la foun- dation de la Monarchic Fran^oife julqu'a pre- fent , 1773 , 5 vol. in-iz. lfl. lemoires critiques & hittoriques fur plufieurs points d'Anriquhes militaires , par Charles Guilcard, nomme Quintus Icilius , Colonel d'Infanterie au fervice du Roi de Prune , &' Membre de i'Academie Roya-le des Sciences & Belles Lettres de Berlin, enrichis de beau- toup de figures, 1774, 4 vol. w-&°. 14!, *&e Tome L q-76 —»»——■—— I. .I ... i. APPROBATION. *J 'a i lu , par Pordre de Monfeigreur Ie Chan- celier , un Manufcrit ayant pour titre : HiJIoire L'uteraire des Troubadours , compofee d'apres les manufcrits de M. r> e S a i n t e-Pa l a y e. Cet Ouvrage eft bien fuperieur aux Vies des Poetes provenqaux de Noftradamus , remplies de bevues & d'erreurs. Le favant Academicien & Phabile Reda&eur * de fes recherches m# paroifTent meriter , chacun a de bons titres , toute la faveur du Public. Fait a Paris ce 27 Fevrier 1774. CAPPERONNIER, Cenjeur Royal, * M. l'Abbe MlilOT, des Academies de Lyon & de Nancy. PRIVILEGE DU ROI. LOUIS, par la grace de Dieu , Roi de France & de Navarre : A nos amcs & feaux Confeillers les Gens tenans nos Cours de Parlement & Confeils Superieurs , Maitres des Requetes ordinaires de notre Hotel , Prevot de Pan's , Baillifs , Senechaux , leurs Lieutcnans Civils , & autres nos Juiliciers qu'il appartien- dra , Saiut. Notre ame Je fieur Durand neveu , Libraire a Paris, Nous a fakexpofer qu'il deiireroit faire imprimer & donner au Pu- blic, un Ouvrage intitule YHi/Ioire Litteraire desTroubadours ; s'il Nous plaifbit lul accorder nos Lettres de Privilege pour ce nccefTaires. A e E § causis, voulant favorablement traiter 47* I'Expofant, Ncus lui avons permis & permettons par ces Prefentes , de faire imprimer ledit Ou- vrage autant de fois que bon lui femblera , & de le vendre , faire vendre & debiter par tout notre Royaume, pendant le temps dejix annees- confecutives , a compter du jour de la date des- Prefentes: Faifons defenfes a tous Imprimeurs, Libraires & autres perfonnes, de quelque qua- lite & condition qu'elles (bient , d'en introduire d'impreffion etrangere dans aucun lieu de notre obeiffance : Comme audi d'imprimer cu faire imprimer , vendre , faire vendre , debiter ni contrefaire ledit Ouvrage, ni d'en faire aucuns Extraits , fous quelque pretexte que ce puifle etre , fans la permifllon expreffe & par ecrit dudit Expofant, ou de ceux qui auront droit de lui , a peine de confifcation des Exemplaires contrefaits , de trois mille livres d'amende cen- tre chacun des Contrevenans , dont un tiers a Nous , un tiers a l'Hotel-Dieu de Paris , & 1'au- tre tiers audit Expofimt , ou a celui qui aura droit de lui , & de tons depens , dommages & interets ; a la charge que ces Prefentes feront enregiftrees tout au long fur le Regiure de la Communaute des Imprimeurs & Libraires de Paris , dans trois mois de la date d'icelles ; que l'impreffion dudit Ouvrage (era faite dans notre Royaume & non ailleurs , en beau papier & beaux c a ra (Seres, que l'lmpetrant fe conformera en tout auxReglemensde laLibrairie, ¬am- ment a celui du to Avril 1715 , a peine de decheance du prcfent Privilege ; qu'avant de l'expofer en xente , le Manufcrit qui aura fervi de corie a i'impreffion dudit Ouvrage, (era remis dans !e meme etat ou l'Approbation y aura etc donnOe , es mains de notre trcs-cber Si ft'al Chs~ 472 valier, Chanceller Garde des Sceaux de France* le fieur de Maupeou; qu'il en fera enfiiit* remis deux Exemplaires dans notre Bibliotheque publique , un dans celle de notre Chateau du Louvre , & un dans celle dudlt fieur de Mau- Peou, le tout a peine de nullite des Prefen- tes : Du contenu defquelles vous mandons & cnjoignons de faire jouir ledit Expofant & fes ayans caufe , pleinement & paifiblement , fans fbufFrir qu'il leur fbit fait aucun trouble ou empcchement : Voulons que la copie des Pre- femes, qui fera imprimee tout au long au com- mencement ou a la fin dudit Ouvrage, fbit tenue pour diiement fignifiee , & qu'aux copies colla- tionnees par Pun de nos ames & feaux Confeil- lers-Secretaires , foi fbit ajoutee comme a l'eri- ginal i Commandons au premier notre HuiffieE ou Sergent fur ce requis , de faire, pour l'exe- cution d'icelles, tons aftes requis & neceffaires, fans demander autre permiffion, & nonobflant clameur de haro , charte Normande, & Lettres- a ce contraires : C A r tel efl notre plaifnv Donne a Compiegne le dix-feptieme jour du mois d'Aout,l'an de grace mil fept cent fbixante- quatorze , & de notre Regne le premier. Par le Roi en fbn Confeil. Signe > le B e g u e. Kegiftrt fur U Regiftre XIX, de la Cham- bre Hoy ale &* Syndicate des hihraires &' Impri- meurs de Pan's , n°. 1914. fol. ^96. confor- mement au Reg.lement de 1713. A L'aris ce 50 Aout J774» SaillanT, Syndic, De l'lmprimerie dc PRAULT,Imprimturdu Roi* Quai de Gevres, University of California SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY 405 Hilgard Avenue, Los Angeles, CA 90024-1388 Return this material to the library from which it was borrowed. if* !9 KzZM