ti > ^ /--J THE LIBRA! OF THE UNIV 'V OF CALUK)R '-i LOS ANGEL; h > v ' ^r . fA>' COURS D'HISTOIRE DU CANADA DU CANADA PAR j. B. A. FEELAND; PEETEE, Professeur d'Histoire & njniversit6-Laval. PREMIERE PARTIE 1534-1663 DEUXIEME EDITION QUEBEC N. S. HARDY, L1BRAIRE-EDITEUR 9 et 10, Rue Notre-Dame 1882 Depose, conformement a 1'acte du parlement provincial, 1'an 1861, par 1'editeur, Augustin C6te, au bureau du Registrateur de la province du Canada. Typographic dc C. Darvean. INTRODUCTION (Edition de 1861.) En e*tudiant 1'histoire moderns, nos regards s'arrestent na- turellement sur la patrie de nos aneetres, sur la belle France, qui apparait au premier rang des nations. Fille aine'e de 1'Eglise et gardienne des nobles traditions, nous la voyons, appuyee sur la foi et sur I'honneur, conserver sa haute position, mine apres les plus terribles revers, et se relever saine et forte, lorsque ses ennemis croient 1'avoir renverse'e pour toujours. Foi et honneur ! c'e'tait la devise qu'elle remettait a ses preux chevaliers, lorsqu'elle les envoyait en Orient delivrer le torn- beau du Christ. Foi et honneur ! portant ces deux mots sur les levres et dans le cceur, les missionnaires francais ont fait, briller le flambeau du christianisme et de la civilisation au milieu des tribus qui dormaient plonge'es dans la nuit de 1'in- fide'lite'. Foi et honneur ! tel fut le gage d'union et d'amour que la France remit a ses enfants qu'elle envoyait se creer une nouvelle patrie dans les forets de 1'Occident, sur les bords des grands fleuves de TAmerique. Et ceux-ci, 1'histoire nous 1'apprend, ont respecte" les enseignements de leur mere. Si Ton trouve dans les annales de 1'Europe tant de pages dignes de fixer 1'attention, quel int^r^t ne doit pas insprrer 1'histoire de notre pays, puisqu'elle renferme le tableau aiume* IV IN1KODUCTION. des epreuves, des souffrances, des succes de nos anctres ; puisqu'elle nous retrace les moyens qu'ils ont employes pour fonder une colonie catholiqne sur les bords du Saint-Laurent, et de"signe en meme temps la voie que doivent suivre les Cana- diens afin de maintenir intactes la foi, la langue et les institu- tions de leurs peres ! Les histoires du nouveau monde sont, il est vrai, privies du grave cachet d'antiquite' qui est empreint sur celles de 1'an- cien continent. Tandis que les temps historiques de 1'Europe ont unc e'tendue, ou, pour mieux dire, une profondeur qui fera toujours le de'sespoir des arche'ologues ; au Canada, il suffit de remonter a deux siecles et demi pour assister avec Champlain a la fondation du fort et habitation de Kdbek. Un siecle en arriere, et Ton arrive aux profondes te'nebres dans le sein desquelles ont pris naissance les traditions huronnes et algon- quines. En revanche, 1'histoire du Canada jouit d'un avantage in- connu aux histoires europe'ennes, qui, en remontant le cours du temps, vont se perdre dans les tenebres de la fable. Au- Canada, 1'histoire a assist^ a la naissance du peuple dont elle de'crit 1'enfance, et qu'elle voit arriver aujourd'hui a I'&ge viril. Elle 1'a connu dans toute sa faiblesse ; elle a recu ses plaintes lorsqu'il e"tait tout petit et souffreteux ; elle a entendu ses premiers chants de joie ; elle est pre'pare'e a le suivre et a 1'encourager dang les luttes que recele encore 1'avenir. D'ailleurs, cette histoire pre'sente, dans ses premiers temps surtout, un caiactere d'he'roisme et de simplicity antique que lui communiquent la religion et 1'origine du peuple canadien. En effet, des les commencements de la colonie, on voit la religion occuper partout la premiere place. C'est en son nom que les rois de France chargeaient Jacques Cartier et Champlain d'aller k la decouverte de pays a civihser et a con- vertir au christianisme ; elle e'tait appel^e a be'nir les fonda- tions des bourgades fraacjaises sur le grand fleuve ; elle en- voyait ses prgtres porter le flambeau de la foi chez les nations sauvages de I'mte'rieur du continent, et ces courses lointaines INTEODUCTION. V de quelques pauvres missionnaires amenaient la decouverte d'une grande partie des regions de 1'ouest. Les apotres infa- tigables de la eompagnie de J^sus avaient deja exploit tout le lac Huron, que les colons de la Nouvelle-Angleterre con- naissaient a peine les forets voisines du rivage de 1'Atlantique. Les premieres families, venant pour habiter le pays, y arri- vaient a la suite des religieux, qui [dirigerent les peres dans leurs travaux, et procurerent aux enfants les bienfaits d'une Education chre'tienne. Ainsi, la religion a exerce* une puissante et salutaire influ- ence sur 1'organisation de la colonie francaise au Canada ; elle a recu des elements divers, sortis des diffe"rentes provinces de la France ; elle les a fondus ensemble ; elle en a forme' un peuple uni et vigoureux, qui continuera de grandir aussi long- temps qu'il demeurera fidele aux traditions paternelles. Pendant son enfance, il fut guerrier et chasseur par necessite", e*tant oblige de negliger la culture de ses petits champs pour fournir a ses premiers besoins par la chasse, et pour lutter dans des combats de tous les jours contre les farouches tribus iroquoises. Au milieu des fatigues de la chasse et des dangers de la guerre, il acquit la force et 1'experience qui plus tard lui devaient servir a de"fendre son existence contre les ennemis de 1'exterieur et de 1'inte'rieur. Aussi lorsque, a la suite de revers cause's par les de'sordres de la cour de Louis XV, par 1'insouciance des autorite's et par les speculations honteuses des employes, la France se vit arracher sa plus ancienne colo- nie, les 70,000 Canadiens qui resterent sur le sol de la patrie eurent foi dans la providence et dans leur union. Abandonne* des nobles et des riches, delaisse" par la mere-patrie, le peuple se re*fugia sous les ailes de la religion, qui 1'aida a conserver ses institutions, ses coutumes et sa langue. Parmi les bene*- dictions que Dieu lui a accorde"es, celle que le Seigneui donnait a Adam et a sa famille, Crescite et multiplicamini, ne lui a pas manque", puisqu'aujourd'hui les provinces de 1'Ame'rique britannique renferment au moins un million d'individus d'ori- gine franchise. VI INTRODUCTION. Voila, en peu de mots, 1'histoire du Canada, Elle n'est pas tres-brillante, comme on le voit ; mais elle est rendue inte'res- sante, quelquefois m&ne e"mouvante, par les traits de courage et de cruaute', de noble franchise et d'astuce, de deVouement etld'e'goisine, qui se presentent sous toutes les formes, dans les'rapports entre Thomme civilise* et I'homme sauvage, entre le missionnaire chre'tien arme de la croix et le jongleur secouant le'sac de me'decine, entre les soldats discipline's de la France, et le guerrier iroquois ou algonquin, fier de sa liberte et portant au combat ses habitudes d'independance. L'histoire du Canada fut ne'gligee, pendant plus de soixante ans apres la publication du pre"cieux travail de Charlevoix sur les annales de la Nouvelle-France. Au milieu des troubles qui prece"derent et qui suivirent la prise du pays par les Anglais, peu de personnes eurent le temps de s'occuper d'e"tudes historiques, et de travailler a mettre en ordre les riches mate'- riaux qui existaient encore. En 1804, le sieur Heriot publia, en anglais, une traduction abre"gee de Charlevoix. Plusieurs anne'es apres, en 1815, M. William Smith fit paraitre une histoire du Canada qui s'e"tend jusques a la fin du siecle dernier. Get ouvrage est remarquable par les prejuge's anti-catholiques de 1'auteur et par sa partialite" centre tout ce qui tient a la France ; aussi me"rite-t-il 1'oubli dans lequel il est tombe des les premiers temps apres sa publication. Ce n'est guere que depuis environ quarante ans qne quel- ques hommes, amis du pays et attache's & ses institutions, ont commencd a s'occuper se'rieusement de 1'histoire du Canada. A leur te"te se place le venerable archeologue Jacques Viger, qui, bien qu'il ait livrd peu d'e'crits a la presse, a cependant rendu de fort grands services, en recueillant nombre de docu- ments historiques exposes a se perdre, et en eclairant plu- sieurs passages obscurs des chroniques canadiennes. A ses cote's merite de figurer M. Faribault, dont le precieux travail intitule : Catalogue raisonnd des ouvrages sur I'Amdrique et le Canada, est estirne' en Europe aussi bien qu'aux Etats- INTRODUCTION. VII Unis. II est juste aussi de citer M. Michel Bibaud, auteur d'une histoire du Canada, qui possede un merite re'el. C'est surtout an moyen de la Bibliothtque Canadienne, que M. Bibaud a rendu d'importants seryices aux annales de notre pays. Dans ce journal mensuel, continue* pendant plusieurs anne*es, il a re'uni beau coup de documents importants, et recueilli des faits ignores ou presque oublie"s, mais dignes d'etre conserves. Nous possedons encore au milieu de nous un homme d'un talent distingue, M. F. X. Garneau, qui a consacre une partie de sa vie a la composition d'une histoire du Canada, avan- tageusement connue en France, aussi bien que dans notre pays. Plusieurs autres ecrivains, soit parmiftos compiatriotes, soit parmi les etrangers, ont, de notre temps, voulu travailler sur quelque portion particuliere de nos annales ; il serait inutile de les mentionner ici, mais nous aurons plusieurs fois occasions de les citer en nous servant de leurs utiles recherches. Avec ces secours, il est aujourd'hui plus facile d'e*tudier notre histoire qu'il ne 1'etait ci-devant ; cependant si Ton en veut acque'rir une connaissance exacte et approfondie, il faut remonter aux sources et y puiser avec discernement. Malheu- xeusement, pour la premiere partie de nos annales, c'est-a- dire, jusqu'au temps de la creation du Conseil Supe*fieur, les documents originaux sont peu nombreux. Des mate'riaux pre*- cieux ont e*te\ depuis un siecle, perdus par la negligence de ceux & qui ils e"taient confi^s. Ainsi, le college de la compagnie de Je"sus a Quebec possedait une importante collection de manu- scrits, relatifs aux d^couvertes et aux 6 venements civils et reli- gieux de cette premiere pe"riode ; forts peu de ces papiers ont 4chapp^ k la destruction. Dans le journal du supe'rieur des J^suites e'taient consignes, jour par jour, les faits les plus remarquables, des reflexions sur les affaires de la colonie, des appreciations de la conduite de ses homines publics. Continue* pendant plus de cent ans et tenu avec beaucoup de regularity ce journal e"tait d'une grande valeur pour suivre la marche des VIII INTRODUCTION. e've'nements. Eh bien ! sur trois cahiers qui paraissent avoir ete' complets a la suppression des Jesuites, il en restait encore deux a la fin du siecle dernier ; un seul a e'chappe' aux mains des Vandales, et encore est-ce par hasard, puisqu'il futde'cou- vert dans un fourneau de la cuisine, au chateau Saint-Louis. D'autres causes, comme 1'incendie, I'humidite' des archives, la mauvaise qualite" du papier, ont aussi contribue' k la des- truction de nos richesses historiques. Examinons cependant les tresors qui nous restent pour la premiere epoque, ne nous arretant qu'aux autorites originales qui ont servi a tous les ecrivains poste"rieurs ; car, pour arriver plus surement a la ve'rite', il faut recourir a ceux qui out 4t4 te'moins oculaires des evenements, ou, dans leur absence, a ceux qui se rapprochent davantage des temps et des lieux ou les faits se sont passes. Apres avoir mis de cote les centaines de volumes ecrits sur 1'histoire du Canada, volumes dans les- quels les re"cits des anciens auteurs sont reproduits plus ou moins defigure's, Ton est e'tonn^ du petit nombre d'autorite's ve'ritables qui nous restent. C'est en puisant a ces sources, que Ton peut parvenir ajeter du jour sur des passages obscurs du P. Charlevoix, et a retablir des faits oublie"s ou mal rap- porte's par cet historien, d'ordinaire si exact et si judicieux. Pour la premiere partie de 1'histoire du Canada, nous nous attacherons k suivre les ouvrages imprimis que nous allons mentionner. Voyage de Jean Verazzani, Florentin, aux cotes de la Floride, et de la au 50e degr(5 de latitude nord. Premier, Second, TroisUme Voyages de Jacques-Cartier* Voyage de Jean-Francois de la Rocque, Sieur de Roberval. Routier de Jean-Alphonse de Xainctoigne et quelques fragments de voyages. Tous ces e'crits ont e'te' conserves soit par Richard Hakluy t x soit par Eamusio. II est digne de remarque que les rapports des premiers navigateurs, dont les de"couvertes dans le nord de 1'Ame'rique ont ^t(5 si honorables a la France, nous sont trans- mis par des (Strangers. A 1'exception de la relation du premier INTRODUCTION. IX voyage de Cartier, les autres pieces sont dues a 1'italien Kamusio et & Eichard Hakluyt, ministre anglican et ge'ographe distingue". Histoire de la Floride, par Laudonniere, contenant les ex- pe"ditions de Ribaut et du sieur de Gourgues. Histoire de la Nouvelle-France, etc., par Marc Lescarbot. Nous devons & Lescarbot le re"cit de ses voyages, de ceux de MM. de Poutrincourt et Font-Grave", et une comparaison entre les voyages de Jacques Cartier et ceux de Champlain. II a aussi laiss^ un poeme he*roique sur les exploits de Mam- bertou, chef souriquois. Relation de la Nouvelle-France, etc., par le P. Pierre Biard. Le P. Biard rapporte la fondation de Port-Royal et de Saint- Sauveur, et donne une description de"taillee des cruaute"s exer- ce"es contre les Francais, par les colons de la Virginie. Les Voyages de la Nouvelle-France Occidentale, dite Canada, faits par le sieur de Champlain. II y a eu plusieurs Editions de ces voyages ; la plus complete est celle de 1632. Le Grand Voyage du Pays des Hurons; Histoire du Canada, etc., etc. Ces deux ouvrages sont dus a la plume du Frere Gabriel Sagard, re"collet. Us fournissent des renseigne- ments pre*cieux sur les premiers temps de la colonie, ainsi que sur les travaux apostoliques des Peres Recollets a Quebec, a Tadoussac et chez les Hurons. Relation des Jesuites, en 1626, et depuis 1632 jusqu'a 1672 inclusivement. On y trouve une partie de notre histoire qui, sans elles, serait reste*e k peu pres ignore"e ; elles ren- fennent aussi des details qu'on chercherait inutilement ailleurs sur la langue, les mceurs, les croyances des tribus aborigines. Les Lettres de la Mere Marie de 1'Incarnation sont pre"- cieuses pour I'histoire de son temps ; tout en rendant compte des travaux entrepris pour 1'education des jeunes filles sau- vages, elle s'occupait aussi de tout ce qui regardait 1'^tablisse- ment et le progres de la colonie. Denys, dans sa Description gdographique et Jiistorique des cdtes de VAmdrique Septentrionale, rapporte les principaux X INTRODUCTION. e've'nements des premiers temps de 1'Acadie, et fait connaftre les dissensions qui s'eleverent entre les commandants francais sur ces cotes. Le P. Ducreux ou Creuxius a public" : Historia Canadensis. II latinise tous les noms propres, en commencant par le sien. Dans cet ouvrage, il a re'uni les details donnes par les auteurs des relations sur I'histoire de la Nouvelle-France ; son travail se tennine k l'anne"e 1656. L'Histoire de I' Hotel-Dieu. M. de La Tour, doyen du chapitre de Quebec, parait avoir etc" charge" de faire imprimer, sous ce titre, les annales de I'Hotel-Dieu de Quebec. II s'y trouve des renseignements interessants sur les commence- ments de cette utile institution. L'ouvrage imprime reuferme neanmoins beaucoup de fautes quj ne se rencontrent point dans le manuscrit original. Winthrop's Journal. Le Journal de Winthrop, premier gouverneur de la colonie de Massachuset, comble des lacunes qui se trouvent dans I'histoire des querelles entre D'Aulnay et La Tour, dans 1'Acadie. Aucun livre n'est plus propre a faire connaitre les puritains de la Nouvelle-Angleterre, tels qu'ils e'taient k leur arrive" en Amerique. Voil& pour les imprimis ; quant aux manuscrits qui ren- ferment des mate'riaux pour 1'histoire du Canada, il s'en trouve de fort interessants. Le Journal du supdrieur des Jdsuites, commence" en 1645 par le P. Je'rome Lalemant, donne, jour par jour, les faits de ce que Ton pourrait appeler la vie intime de la colonie. II ne nous en reste seulement qu'un seul cahier. En France, les archives de la marine et de la guerre, ainsi que les archives ge"ne'rales de 1'empire, renferment une foule de manuscrits pre'cieux, relatifs au Canada, a 1'Acadie, & la Louisiane : ce sont des lettres ou des rapports adresse's aux ministres par les fonctionnaires eccle'siastiques, civils, mili- taires, r^sidant dans les colonies. Cependant, assez peu de ces documents appartiennent a la premiere partie de Thistoire du Canada. D'autres collections du m6me genre se rencontrent INTRODUCTION. XI dans des institutions publiques et quelquefois meme chez des particuliers ; mais aucune n'a la valeur de celles que nous avons mentionne'es plus haut. Nous devons ici rendre hommage k la bienveillance et & la libe'ralite' du gouvernement francais, qui admet avec facilite*, aux archives publiques, les hommes de tous les pays se pre'- sentant dans le but de faire des recherches serieuses sur I'histoire (1). Dans notre pays, Ton peut consulter avec avantage les ar- chives de la province, celles des tribunaux, et les registres du Conseil Supe'rieur. Le travail que nous offrons aujourd'hui a la religion et & la patrie, est le resume de lecons que nous avons donne'es a I'Uni- versite'-Laval. Canadien par la naissance et par le coeur, et catholique avant tout, nous avons e'tudie' I'histoire du Canada et nous 1'avons traite'e comme Canadien et comme catholique. Nous avons cherche' la ve'rite' aux sources qui nous ont paru les plus sures, et nous avons essaye" de la presenter telle que nous 1'jvons rencontre'e. (1) Nous sommes heureux de pouvoir exprimer ici nos sentiments de reconnais- sance pour le colonel de Rostaing, chef de bureau aux archives de la guerre, et M. Pierre Margry, aide-conservateur aux archives de la marine. Tous deux nous ont aid6 dans nos recherches, avec une bienveillance que nous n'oublierons jamais. Non con- tent de nous procurer les moyens de connaitre les documents qui appartiennent a 1'etat, M. Margry nous a commnniqu6 des pieces pr6cienses. faisant partie de sa col- lection particuliere. M. Margry a longuement et attentivement 6tudi6 I'histoire des anciennes colonies fran^aises ; aussi, personne n'en possede mieux I'ensemble et les details. AVANT-PKOPOS Premiers habitants de l'Am6riqne Voyages des Islandais, des Gallois D6con- vreurs Christophe Colonib Cabot Americ Vespnce Cort6r6al De Lerjv- Verazzani. Avant de nous occuper specialement de 1'histoire du Canada, il ne sera pas hors de propos de faire quelques observations sur 1'origine des peuples que les d^couvreurs europe"ens du quinzieme siecle trouverent dans le nouveau monde. Le con- tinent ame"ricain e*tait habite" dans toute son e"tendue ; le centre, depuis le Mexique jusqu'au Chili inclusivement, ren- fermait des peuples comparativement nombreux, tandis que les deux extremite's, au nord et au sud, e"taient occupies par des tribus peu considerables, re"pandues sur d'immenses ter- ritoires. Plusieurs controverses ont ^te souleve'es sur 1'origine des Am^ricains. Quelques-uns ont pr^tendu qu'ils appartiennent & une espece distincte de celle qui habite le vieux monde. Us se fondiuent sur les differences de conformation entre les homines de 1'ancien continent et les hommes du nouveau, et sur la difficulte" de passer de 1'Europe ou de 1'Asie en Ame- rique. Nous ne pr^tendons pas discuter cette question; car elle est toute re"solue pour des catholiques. L'e"criture sainte, en effet, nous apprend que le genre humain tire son origine d'un seul homme et d'une seule femme, que la main du cre*a- teur placa dans le jardin d'Eden. La science, apres de longues 2 AVANT-PROPOS. recherches, a fini par reconnaitre que 1'homme blanc, 1'homme noir et rhomine rouge appartiennent a la meme famille. " Unite", " dit Flourens, " unite absolue de 1'espece humaine et variete de ses races : tel est, en dernier re'sultat, la conclu- sion ge'nerale et certaine de tous les faits acquis sur 1'histoire naturelle de rhonime. " L'Amerique a done e'te' peuplde par des families on des tribus venues de 1'ancien moude ; mais il est impossible au- jourd'hui de determiner pr^cisemeut le temps ou les principales migrations ont e'te faites. L'on peut n&minoins assurer que 1'epoque de 1'etablissement de 1'Amerique est ancienne, cornme le prouve retat ou les Europeens y trouverent les arts et 1'in- dustrie. L'emploi du fer et plusieurs des metiers de premiere n^cessite, depuis longtemps en usage dans les parties les plus recuiees du vieux monde, etaient encore ignores des Ame- ricains. Cependant, si leurs peres les eussent poss^des, les generations suivantes ne les auraient pas laisse perdre ; et Ton a droit de conclure que les tribus americaines avaient quitte la terre de leurs aieux avant que ces pre"cieuses decou- vertes y fussent generalement connues. S'il faut en croire les traditions americaines, les premieres colonies seraient venues de 1'ouest, c'est-a-dire, de 1'Asie. Les annales des Mexicains portaient que leurs ancetres etaient arrives du septentrion, et elles designaient les Stapes faites par la nation, dans le grand voyage du nord-ouest a 1'Amerique ceu- trale. Chez les Montagnais ou Tchipeweyans, qui occupent les deux versants et les cretes des Montagnes-Rocheuses, entre le 56e et le 59e degr^ de latitude nord, les memes souvenirs se sont conserves, comme le prouve la le"gende suivante. " Au temps des grants, 1'un deux se promenait sur les bords du grand lac glace. II etait ei grand qu'un homme or- dinaire demeurait dans le pouce de sa mitaine. Ce g^ant en rencontra un autre, avec lequel il engagea un combat singulier. Se sentant pres de succomber, il s'adressa au petit lioinme qui etait dans sa mitaine, et lui dit : " Mon petit-fils, coupe les jambes de mon adversaire, car il est plus fort que moi. " Le petit homme obeit, et le colosse ennemi tomba a la renverse, en travers du grand lac, de faQon que sa tete touchait 1'autre rive ; ce qui forma un pont, sur lequel les caribous passaient d'un bord it 1'autre. Plus tard, une femme entreprit le trajet et y reussit apres plusieurs jours de marche. Elle apport de"partenient de la marine (1). Une flotte envoy^e aux Indes par Emmanuel, roi de Portugal, et commandee par Pierre Alvarez Cabral, fut ported parhasard sur les cotes du Bresil, en 1'annee 1500. Dans les voyages frequents que faisaient les Portugais autour du Cap de Bonne- Esperance, la direction des courants et la violence des vents ne pouvaient manquer d'amener avec le temps un pareil resultat ; la decouverte des cotes d'Afrique devait conduire a celle de 1'Ame'rique Me"ridionale. Aussi la remarque de 1'historien Eobertson est pleine de justesse : suivant les decrets de la providence, le nouveau continent devait etre reconnu par les navigateurs europeens avant la fin du quinzieme siecle (2). En 1500, Gaspar de Cortereal, gentilhomme portugais, vi- sita les cotes du nord de 1'Am^rique. Par la description qu'il donna a la cour de Portugal des pays qu'il avait decouverts, Ton est porte a conclure qu'apres avoir suivi les cotes de la Nouvelle-Angleterre et de la Nouvelle-Ecosse, il toucha a Terreneuve, entra dans le golfe Saint-Laurent, et alia aborder au Labrador vers le 50e degre de latitude (3). II entrepritun second voyage I'ann4e suivante, et ne reparut plus. Des 1'annee 1504, suivant Lescarbot, les Basques, les Nor- mands et les Bretons faisaient la peche des monies sur le grand bane et sur les cotes de Terreneuve. En 1506, Jean Denis de Honfleur publia une carte des cotes de 1'ile de Terre- neuve et des environs. Deux ans plus tard, sous Louis XII, Thomas Aubert, pilote de Dieppe, visita le golfe Saint-Laurent ; s'il faut en croire les me'moires dieppois, il remonta le fleuve jusqu'a quatre-vingts lieues de son embouchure, et mena en (1) Alexandre de Humboldt. Histoire de la Cteog. du nouveau continent. (2) Humboldt, Cosmos Robertson, History of America. (3) Memoir of Sebastian Cabot. 12 AVANT-PROPOS. France un sauvage du Canada (1). II trouva les habitants du pays fort doux, et fit avec eux des ^changes de marchandises europe"ennes pour des pelleteries. II est certain, par les rela- tions de Jacques Carder, qu'une partie des cotes du La- brador, depuis le de'troit de Belle-Isle jusques a Nataskouan, etait frequentee meme avant son premier voyage, par des vaisseaux basques, normands et bretons. Le premier qui ait tente de faire un e'tablissement vers la partie septentrionale de 1'Amerique, fut le baron de Lery et de Saint- Just ; dans Fanned 1518, il entreprit un voyage a 1'ile de Sable, dans' 1'intention d'y Jeter les fondements d'une colonie francaise. Situee pres du 44 e degre de latitude nord et a vingt-huit lieues des cotes de la Nouvelle-Ecosse, sur la route des vaisseaux qui viennent d'Europe, elle a e"te la cause et le theatre de bien des naufrages. L'on a inutilement tente d'y faire des etablissements ; car, ne renfermant que des sables mouvants et steriles, elle ne produit ni arbres, ni broussailles, mais settlement, dans quelques parties, une herbe grossiere, qui peut servir a la nourriture des bestiaux (2). , Ketarde longtemps sur la mer, et ayant e'puise' sa provision d'eau douce, il fut contraint d'abandonner son projet, apres avoir de"barque sur 1'ile des vaches et des pourceaux, qui s'y multiplierent et servirent plus tard aux gens du marquis de la Eoche. Suivant 1'auteur de la narration du voyage de Sir Gilbert Humphrey, des Portugais, vers Tan 1553, mirent de nouveau des vaches et des pourceaux sur 1'ile de Sable. II est & remarquer qu'a cette dpoque les vaisseaux portugais e*taient nombreux pres des banes de Terreneuve, ou ils se rendaient pour la pche de la niorue (3). Pendant longtemps, les rois de France s'occuperent peu de I'Amerique, quoique beaucoup d'armateurs des provinces situees sur 1'ocean fussent dans 1'habitude d'y envoyer leurs vaisseaux et pour la peche et pour la traite avec les sauvages. En 1523, Francois I, bien qu'engage* dans la guerre centre Charles-Quint (4), fit preparer une expedition pour re- (1) Hintoire de Dieppe. (-) II y a ciicore sur 1'ile de Sable quelques chevaux sauvagea ; ello est aussi freqnontee pr rtes loups innriiis. Le pouvernemeut de la Nonvelle-Ecosse y a plac6 un depot de pro visions, et y eutretient quelques agents charts de venir au aecours des naufragek. L'ile de Sablo a dix lieues de longnenr et cinq de largeur ; elle ne reufurme point d'autres habitants que le suriuteiidant du poste et ses dix employes. Bouchette, British Dominions in North America, vol, II. (3) Haklnyt, vol. Ill, p. 197. (4) Hist, de Dieppe, vol. T, AVANT-PKOPOS. 13 connaitre les cotes de 1'Amerique Septentrionale. 11 desirait prendre sa part de 1'heritage laisse par ISToe a ses descendants, et remarquait en badinant que les rois d'Espagne et de Por- tugal faisaient leur lot un pen trop large. Jean Verazzani, na- vigateur florentin, fut charge de commander les vaisseaux qui etaient destines a faire le voyage. La petite flotte se reunit probablement a Dieppe, qui alors renfermait les plus puissants armateurs et les meillenrs marins de toute la France. C'etait au temps ou Ango, le pins riche negociant de 1'Europe, en- voyait annuellement vingt de ses navires anx grandes Indes et a la cote d'Afrique, et ou, pour venger 1'honneur de son pavilion attaque par les Portugais, il lancait dix-sept vais- seaux centre le port de Lisbonne, et forcait le roi de Portugal a faire des excuses a Francois I (1). Verazzani avait vraisemblement passe une partie de sa vie a Dieppe ; car les historiens de la ville disent qu'il com- mandait mi des deux vaisseaux avec lesquels Aubert visita le golfe de Saint-Laurent en 1508. Dans une lettre qu'apres son retour il adressa de Dieppe a Francois I, Verazzani rend compte de son voyage, commence vers la fin de 1523 et termine* en 1524. Par cette lettre, il paraft que Verazzani etait parti dans I'automne de 1523, avec 1'instruction d'at- taquer les batiments espagnols, et d'aller a la decouverte des terres neuves au dela de Tocean (2). II s'etait dirige, avec ses quatre vaisseaux, vers les cotes des Pays-Bas, alors soumis, aussi bien que 1'Espagne, a 1'Empereur Charles V. Comme ils s'elevaient vers le nord, une tempe'te violente en forca deux, le Normand et le Dauphin, a se refugier dans un port de la Bretagne ; le sort- des deux autres n'est pas connu. Ayant repare leurs avaries, le Normand et le Dauphin repri- reut la mer, et croiserent quelque temps sur les cotes d'Es- pagne. Verazzani songea alors a snivre la seconde partie de ses instructions. Le dix-sept Janvier 1524, il quitta les rochers de I'lle de Madere; son vaisseau, le Dauphin, portait cinquante hommes. ainsi que des vivres et des munitions pour huit mois. Assaillis par une terrible temp6te, ils eurent le bonheur d'echapper au naufrage, et, apres cinquante jours de navigation, ils arriverent en vue des terres de 1'Ame'rique, sous le 34 degre' de latitude nord, vers 1'endroit ou est situe"e la ville de (1) Hist, de Dieppe. <2) Kamusio, vol. ITJ; Hdkluyt, vol. HI. 14 AVANT-PROPOS. Wilmington, dans la Caroline du ISTord. Verazzani courut cin- quante lieues an sud pour trouver un bon havre ; mais, deses- perant d'en rencontrer dans cette direction, il reprit sa route vers le iiord, et ne fut pas heureux de ce cote. II se decida a mouiller en mer, et a envoyer une chaloupe vers le rivage, ou Ton apercevait un grand nombre de personnes reunies. Les Francais furent bien'recus des sauvages. Laissons Verazzani lui-m^me raconter son entrevue avec les habitants du pays. " ISTous voyant approcher, ils s'en- fuirent ; puis ils s'arreterent, et nous regardaient avec etonne- ment. Etant rassures par nos gestes, quelques-uns des- cendirent jusqu'a la mer, semblant se rejouir et admirer nos habits et la blancheur de notre peau. Ils nous indiquerent par signes le lieu ou nous pourrions plus facilement debar- quer, et nous inviterent a partaker leur nourriture. Ces peuples sont nus, a 1'exception des parties du corps que la defence enseigne de cacher, et qu'ils couvrent de peaux retenus avec des liens de foin. Jusques sur leurs genoux tombent des queus de differentes betes, aussi attachees a la ceinture. Quelques-uns portent des guiiiandes forme 1 es de plumes d'oi- seaux. Ces gens sont d'une couleur rousse, et ressemblent assez aux Sarrasins : leurs cheveux noirs et epais sont portes courts et noues en queue sur la nuque. Leurs meinbres sont bieu formes ; leur stature est moyeune et peut-etre un peu plus elevee que la notre ; ils ont la poitrine large et les bras vigoureux. II n'y a rien de difforme dans leur personne, si ce n'est que le visage est large, et encore tous ne 1'ont pas tel. Ils sont agiles et bons coureurs, autant que nous avons pu en juger par 1'experience. Par ces deux qualites ils ressemblent aux peuples de 1'orient et surtout a ceux qui habitent les par- ties les plus reculees de la Chine." II decrit ensuite le pays, qu'il trouva fort beau. Peu de jours apres, conime il continuait a suivre la c&te, il voulut distribuer des presents a uue bande de sauvages rassembles sur le rivage. II chargea un jeune matelot, bon nageur, de leur por- ter quelques colifichets. Celui-ci, ne se fiant pas trop a leurs dispositions, lanca de loin les presents vers la^ terre, et s'empressait de retourner vers le vaisseau, lorsqn'une vague le jeta contre les rochers. Les naturels, le voyant a demi mort, le prirent et le porterent a une petite distance de la rner. Plus effraye qu'auparavant, il cominenca a crier de toutes ses forces ; de leur cotu, les sauvages criaient encore plus fort, afin de 1'encourager. Ils 1'eteudirent au soleil, et 1'examinerent AVANT-PROPOS. 15 avec curiosit^, pendant que d'autres attisaient le feu et fai- saient secher ses habits. Ses compagnons, qui, du vaisseau, voyaient tout ce manege, craignaient qu'ils ne le fissent rotir pour le manger, et lui-meme le craignait encore davantage. Quand il eut recouvre" ses forces, les sauvages lui prodiguerent des marques d'amitie, et le conduisirent au rivage. Apres qu'il se fut jete a la mer, ils le suivirent des yeux jusqu'a ce qu'il eut rejoint le vaisseau. Poursuivant sa course vers le nord, Ve"razzani entra dans un port, qu'il decrit de maniere a faire reconnattre le port de New- York, et dontil parle avec admiration ; il visita ensuite plusieurs autres endroits de la cote. Dans les pays des Armou- chiquois, des Abenaquis et des Etchemins, il trouva des hommes plus forts et plus rudes que ceux qu'il avait rencontre's vers le midi. Ils ne voulaient permettre a aucun etranger de descendre a teiTe, et ils lancerent des fleches contre les Francais quand ceux-ci, armes et au nombre de vingt-cinq, entrerent dans la foret pour visiter le pays. Le voyage de d^couverte se termina au nord pres des cotes de Terreneuve. " Cette terre, " dit Verazzani, " fut reconnue par les Bretons dans les temps passes ; elle est sous le cinquantieme degre de latitude. " Ainsi, ce fut au nom de la France que Verazzani visita le premier toute la cote des Etats-Unis, depuis la Caroline du Sud jusqu'au Maine inclusivement, puis la ISTouvelle-Ecosse et 1'ile du Cap-Breton (1). II prit possession de toutes ces con- trees, descendant a terre en plusieurs endroits, et arborant le pavilion francais dans les principaux havres. Suivant 1'opinion commune, il donna le nom de Nouvelle-France aux pays qu'il avait ainsi visites. " Je crois, " dit le Pere Biard, " que c'a e'te' ce Jean Verazzani qui a ete le parrain de cette denomination de la Nouvelle-France (2). " Telles e"taientles formalites alors usitees parmi les peuples de 1'Europe, lorsque Ton prenait possession d'une terre nouvellement de"couverte. Et, quand plus tard les Anglais, dans leurs aggressions injustes contre les etablissements francais de Port-Eoyal et de Saint-Sauveur, (1) Tous Ifta aatours anciens s'accordent a plaeer en 1524 le voyage de V6razzani sur les c6tP8 de I'Ameriqno. Le Pere Charlevoix est le premier qui ait nientionn6 un premier voyage de Vei'azzani en 1523. et un second en 1524. Cette opinion le jette dans une antre erreur ; car il fait terminer en 1525 un voyage dont V6razzani rendit compte a Fran9ois I an niois de jnillet 1524. D'apres la lettre ci-dessus cit6e, le voyage que Charlevoix croit 6tre le second et r6ellement le premer qne le c61ebre navigateur ait fait sur la cote d'Am6rique. a moins qu'il n'y ait 616 en 1508 avec Thomas Aubert. (2) Relations des Jesuites, vol. I, 6d. de 1858. 16 AVANT-PEOPOS. invoquaient en leur faveur le droit de premiere possession, ils avaient fort mauvaise grace, puisque la relation du voyage de Ve'razzani etait conmie chez eux, et que de fait elle a. et4 con- serve'e par recrivain anglais Hakluyt. L'Angleterre ne pouvait appuyer ses preventions sur la priorite du voyage des Cabot, car dans leur premiere navigation ils ne virent que la terre du Labrador et 1'ile de Terreneuve ; dans son voyage de 1517, apres avoir cherche" h ptfnetrer vers 1'ouest par le de'troit qui recut plus tard le nom d'Hudson, S^bastien Cabot rebroussa chemin et descendit vers la Floride, en suivant les cotes de loin et sans jamais aller a terre. Lorsque Verazzani arriva en France, il trouva la guerre allumee. La malheureuse journee de Fa vie, dans laquelle Fran- cois I fut fait prisormier an inois de fevrier 1525, et la capti- vite de ce prince, qui dura jusqu'en 1526, ne permirent pas a la France de s'occuper de decouvertes dans 1' Amerique. Quel- ques auteurs croient neanmoins qu'en 1525 Ve'razzaui fit avec des Francais uu autre voyage, dans lequel, apiesquelques de- couvertes, il disparut de la scene sans qu'on en ait jamais entendu parler. D'autres au coutraire rapportent que, ri'ayant plus d'esperance du cote de la France, il passa en Angleterre, et fut envoye" en Amerique par Henri VIII, a qui il pre"senta line carte des cotes qu'il avait visitees. II parait bien certain que Ve'razzani ne perit que longtemps apres son voyage de 1524. Suivaiit une lettre d'Annibal Caro, citee par Tira- boschi, Verazzani etait encore vivant en 1537. Banmsio ra- conte qu'apres sa premiere expedition, e"tant en Italic avec ses amis, Verazzani leur disait vouloir engager le roi tres- chre'tien a envoyer des colons pour habiter, sur les cotes qu'il avait decouvertes, un lieu 6u 1'air e'tait tempere, les terres fertiles, les fleuves beaux et les ports capables de contenir de grosses flottes. Eamusio indique par ce passage qu'il dut rester assez longtemps en Italie, inais sans fixer la date de sa derniere navigation. Ce qni est certain, c'est que le capitaine florentiu etant de'barque' avec quelques matelots, ils furent pris par le peuple du pays, et, en presence de leurs compagnons rest^s sur les vaisseaux, ils furent r&tis et devores (1). A propros de V^razzaui, Charlevoix dit avec raison : " II est bien glorieux a 1'Italie que les trois puissances qui partagent au- jourd'hui presque toute 1* Amerique doivent leurs premieres decouvertes a des Italiens : savoir, les Castillans a un Genois \. les Anglais a des Venitiens, et les Francais a un Floreritin. " (I) Bainusio, vol. III. LIVRE PREMIER CHAPITKE PKEMIER Jacques Cartier clioisi pour conduire une expedition en Amerique D6part de Saint-Malo He des Oiseaux Port de Brest Cote du Labrador Esquimaux Bale dsa Chaleurs Baie de Gasp6 Cap Tienuot Ketour des vaisseaux en France Second voyage de Cartier Baie de Saiut-Laureut Les Esquimaux Divisions territorialea Havre de Sainte-Croix Stadacon6 Cartier se rend a Hochelaga Le Mont-Royal Riviere de Fouez Mai de terre Voeti Les Ton. damans Cartier s'empare de Donuacona. et retourne en France. En 1'annee 1534, Francois I jugea a propos de prendre ses projets de decc-uvertes dans le nouveau monde, d'ou il voyait les Espagnols tirer de si grandes richesses. II avait toutefois une arriere-pensee : il songeait encore plus peut-etre a faire arriver ses vaisseaux " aux Indes, au Cathay et aux lies de Zip'angu (1)." Philippe de Chabot, amiral de France, 1'engageait a ce projet ; il lui pre"senta comnie capable de 1'executer, un capitaine malouin nomme Jacques Cartier, dont il connaissait le merite (2), et qui avait vraisemblablement voyage* dans les mers du nord avec les p^cheurs bretons et normands. Ayant e"te agre'e' par le roi, Jacques Cartier fit ses preparatifs ; et, apres que les capitaines, mattres et compa- gnons eurent fait serment de se comporter fidelement au ser- vice du roi, le vingt avril 1534, 1'expedition partit de Saint- Malo ; elle e'tait coniposee de deux vaisseaux, dont chacun (1) La Chine t'-tui t alors connue sous le nom de Cathay, et le Japou sous celui de Zipangu. (2) Lescarbot. 18 CODES D'HISTOIEE [1534 etait d'environ soixante tonneaux (1) et portait soixante-un hommes d'e"quipage. Le dix mai, Cartier reconnut le cap de Bonnavista, dans Tile de Terreneuve ; mais, ayant trouve pres de la cote une grande quantite de glaces, il tourna vers le sud et entra dans un port qu'il nomma Sainte-Catherine (2). Le vingt-un mai, il fit voile vers le nord et arriva pres d'une ile (3), ou, en moins d'une demi-heure, ses deux barques firent une si abondante provision d'oiseaux, que, sur chaque vaisseau, on en sala quatre ou cinq tonneaux. II continua sa route en longeant la cote de Terreneuve jusqu'au detroit de Belle-Isle, qu'il appelle le golfe des Chateaux, et qu'il croyait etre le seul passage pour entrer dans le grand golfe (4). L'ayant suivi du nord au sud, il s'arreta a Blanc- Sablon ; puis il entra dans le port des Ilettes, aujourd'hui nomme port de Brador (5), et visita la baie de Brest (6) ou il fit dire la messe le jour de St. Barnabe, pour tout son Equipage. Tous ces lieux e"taient de"ja connus des Basques et des Bretons, de qui ils avaient recus leurs noms, et ils paraissent avoir e"te frequentes par les pecheurs avant le voyage de Cartier. II raconte en effet, que, vers le fleuve de Saint- Jacques, maintenant la bale des Eochers, il rencontra un grand vais- seau de la Rochelle, cherchant le port de Brest pour y aller faire la peche. " En somrae ", dit Cartier, parlant de la cote de Labrador qu'il venait de visiter, " je pense que cette terre est celle que Dieu donna a Cam. La on voit des hommes de belle taille et grandeur, mais indompte's et sauvages. Ils portent les che- veux lies au sommet de la tete et e"treints comme une poignee de foin, y mettant au travers un petit bois ou autre chose, ou bien un clou, et y tient ensemble quelques plumes d'oiseaux. Ils sont vetus de peaux d'animaux, aussi bien les hommes que les femmes Ils se peignent avec certaines couleurs rouges. (1) Premier Voyage de Jacques Cartier. (2) Aujourl'hni Catalina. (3) Funk Island. (4) Un peu plus tard, il reconnut le passage entre Terreneuve et 1'lle du Cap- Breton. (5) Ce lieu fnt pendant longtemps nomm6 Baie de Phelypeaux ; on y batit, pour la protection des pecheurs. le fort de Pontchartrain. Au commencement du dernier siecle. M. T-e Gardeur de Courtemanche y faisait la traite et la peche sur une grande echelle. (6) Port du Vieux-Fort, environne d'iles, et on Ton trouve de vieux murs qui ont fait partie d'anciennes fortifications de la fin du XVIe sieole, s'il en faut croire dea traditions locales. 1534] DU CANADA. 19 Us ont leurs barques faites d'e'corces d'arbres de boul, avec lesquelles ils pechent grande quantite de loups-marins." Les naturels ici mentionnes etaient des Esquimaux, qui ne sout pas tels que les ont peints certains voyageurs. Ils sont d'une taille moyenne, forts, robustes, intre"pides et capables de se defendre ; pendant bien des anne"es, ils firent une guerre achamee aux raarins bretons et normands, dont quelques-uns avaient abus6 de leur confiance (1). Apres s'etre avance sur des barques jusqu'a Checatica, qu'il nomma port de Jacques Cartier, il rejoignit ses vaisseaux, rested au port de Brest. Ayant mis h, la voile, il se dirigea vers Terreneuve, dont il visita la cote occidentale sur une grande longueur ; il reconnut les ties de Brion et de la Magde- laine, et entra, le trois de jjuillet, dans une baie considerable, qu'il appela Baie des Chaleurs, parce qu'il y eprouva des cba- leurs excessives. Monte" sur une barque, il s'avanca fort loin dans la baie, esperant trouver un passage vers 1'ouest. Pendant cette excursion, il eut plusieurs entrevues avec les sauvages, qui s'^taient reunis au nombre de pres de trois cents, et qui suivaient les Francais, partie par curiosite", partie pour trafiquer avec eux. Les premiers moments de defiance passes, ils s'approcherent avec assurance des Strangers, sau- tant, chantant et donnant mille signes de rejouissance. Ils apporterent des peaux et autres objets de peu de valeur, et recurent en retour des hachots que les matelots bretons nom- maient mitaines, des eouteaux, des chapelets et autres mar- chandises. Les terres parurent fort belles. " Leur pays est plus chaud que n'est TEspagne," dit Cartier, " et le plus beau qu'il est possible de voir, tout egal et uui, et ii'y a lieu si petit ou n'y ait des arbres du froment sauvage, qui a l'e"pi comrne le seigle et le grain comme de Tavoine, et des pois aussi epais comme s'ils avaient e"te semes et cultiv^s, du raisin des fraises, mures, roses rouges e.t blanches et autres flours de plaisante, douce et agreable odeur." Certains qu'il n'y avait point de passage de ce cote, les Fran- cais tirent voile poui continuer leur exploration. Ils allerent mouiller entre 1'ile de Bona venture etle Cap Perce", que Cartier nomine Cap de Prato. Ils entrerent ensuite dans la baie de Gaspe" ; pendant une tempete qui leur fit perdre une ancre, (1) Les Esquimaux sont en g6n6ral fort laids ; une tradition explique 1'origine de leur laideur ; deux loup-iuarins, fatigues de la mer. se ret'ujiierent sur la terre t'enue, et deviureut les aucetres des Esquimaux, a qui Us out Ie^u6 leur physumoiuie. 3 20 COUKS D'HISTOIRE. [1534 ils se reTugierent dans le bassin de Gaspe*, on il demeurerent depuis le seize de juillet jusqu'au vingt-cinq. En ce lieu, ils trouverent une quarantaine de families sauvages, occupies a faire la peche. " Ceux-ci peuvent etre vraiment appeles sau- vage," dit Cartier : " d'autant qu'il ne se peut tronver gens plus pauvres au monde, et je crois que tous ensemble ils n'auraientpu avoir la valeur de cinq sous, excepte leurs barques etrets Ils portent la tete entierement rase, hormis un flo- quet de cheveux au plus haut de la tete, lequel ils laissent croitre long comme une queue de cheval, qu'ils lient sur la tete avec des aiguillettes de cuir. Ils n'ont d'autre demeure que dessous ces barques lesquelles ils renversent, et s'etendent sous icelles sur la terre sans aucnne couveiture." Cartier trouva chez eux du mais, des feves et des prunes. Leurs rets ^taient faits des fibres du chanvre, plante naturelle au pays. Trouvant ces gens tout-a-fait bienveillants envers les Fran- cais, Cartier voulut profiter de leurs bonnes dispositions, pour planter, sur la pointe de 1'entree du port, une croix haute de trente pieds, et sur laquelle e*taient graves les rnots : Vive le Roi de France. A peine les Francais etaient-ils de retour a leurs vaisseaux, qu'un cannot s'en approcha, portant le capitaine des sauvages et ses trois fils. Couvert d'une vieille peau d'ours, le chef se leva et fit une longue harangue ; il montrait du doigt la croix, puis toute la terre des environs, et seniblait vouloir faire comprendre que, tout le pays lui appartenant, on n'aurait pas du y planter la croix sans sa permission. Cependaiit on re*ussit a le calmer au moyen de presents ; Cartier le renvoya gatisfait, et garda deux de ses fils, qu'il conduisit en France. Apres avoir quitte la baie de Gaspe", les vaisseaux remon- terent le bras meridional du grand fleuve, que Cartier prit pour un golfe profond ; autant qu'on peut e'tablir des conjectures sur le r^cit obscur du reste du voyage, il cotoyerent 1'ile d'Anticosti, et arriverent au cap Tiennot, aujourd'hui le Mont- Joly, pres de Tembouchure de la riviere Nataskouan. La saison e*tant d^ja avanc(5e, Cartier crut qu'il ^tait temps de retourner en France. Les vaisseaux s'arreterent quelques jours h. Blanc- Sablon, d'ou ils firent voile le quinze aout. Apres une traverse's assez heureuse, ils arriverent le cinq septembre k Saint-Malo, d'ou ils etaient partis quatre mois et demi auparavant. Cartier rendit compte de son voyage au roi et a la cour ; son rapport lui procura des protecteurs, qui comprirent combien il importait k la France de former des e'tablissements dans 1'A- m^rique. Charles de Mouy, sieur de La Meilleraye et vice- 1535] DU CANADA. 21 amiral de France, qui avait favorise" le premier voyage, s'oc- cupa activement de hater les pre*paratifs du second ; il obtint pour le chef de 1'exp^dition des pouvoirs plus amples, et il lui fit donner trois na vires. Dans la commission adresse'e a Cartier, Philippe de Chabot, grand amiral de France, de Bretagne et de Guienne, le charge de " conduire, meuer et employer trois navires e'quipe's et avictuailles chacun pour quinze mois, au parachevement de la navigation des terres conimence'es & decouvrir outre les terres neuves, et en icelui voyage essayer de faire et accomplir ce qu'il a plu au roi commander et or- donner. " II lui donne aussi " pouvoir, commission et mande- ment especial avec la totale charge et superintendance d'iceux navires, voyage et navigation, tant a aller que retourner. " Le capitaine breton e"tait plein de religion, et, lorsque 1'occa- sion s'en pre"sentait, il ne craignait pas de se montrer ouver- tement enfant de" voue" de I'e'glise ; aussi, dans une adresse au roi, a 1'occasion de son second voyage, il presentait 1'exten- sion de la foi catholique comme uu des plus pressants motifs pour continue!' les decouvertes. Avant de partir pour cette expedition peVilleuse, il regla les affaires de sa conscience, et voulut que ses compagnons fissent de meme, sachant que, lorsqu'ils n'auraient plus rien & craindre du cote de Dieu, ils seraient mieux disposes a rencontrer les perils de la navigation. Sou depart fut preeed6 d'une touchante ce'remonie, qu'il de"crit avec beaucoup de naivete. " Le dimanche, " dit-il, " jour et fete de la Pentecote, seizieme jour de may, au dit an 1535, du commandement du capitaine et du bon vouloir de tous, chacun se confessa, et recumes tous ensemble notre createur en 1'^glise cathedrale du dit Saint-Malo ; apres lequel avoir recu, nous fumes nous presenter au chceur de la dite e*glise devant r^v^rend pere en Dieu, monsieur de Saint-Malo, lequel en son e"tat episcopal nous donna sa benediction. " Le mercredi suivant, dix-neuf mai, le vent dtant favorable* la petite flotte init a la voile. Les trois navires de Cartier, savoir : la Grande Hermine, de cent a cent-vingt tonneaux, la Petite Hermine (1) de soixante tonneaux, et I'Emerillon de qua- rante, portaient les premiers Europeens qui aient hiverne' dans la vallee du Saint- Laurent. Un ancien registre de la commu- naute inalouine fournit les nonis des compagnons de Cartier (2). (1) La Petite Hermine portait auparavant le nom de Courlieu, chang6 pour ce voyage. (2) Pi^ce cotnmuuiqufie par M. Cunat au journal Le Commerce Breton de Saint- Malo. M . Faribault a bieii voulu nous faiiu coniiaitre ce document. 22 COURS D'HISTQIRE [1535 A bord de la Grande Herrnine etaient Cartier et plusieurs jeunes gentilshommes, embarques comme volontaires; parmi eux se trouvaient Claude de Pontbriand, fils du Seigneur de Montce- velles, Charles de la Pommeraye et Jean Poullet. Marc Jalobert commandait la Petite Hermine, et 1'Emerillon avait pour eapitaine Guillaume Le Breton. L'expedition etait accompagee de deux chapelains, Dom Guillaume Le Breton et Dom Antoine. Se"pares les uns des autres par une longue succession de tem- ples, les trois navires se reunirent le vingt-six juillet au havre de Blanc-Sablon, qui &ait le rendezvous designe. La flottille se mit en route pour continuer les decouvertes commencees 1'annee pre*cedente. Elle s'avanca entre Tile de 1'Assoinption ou d'Anticosti (1) et la cote du Nord, que Cartier faisait examiner soigneusement, aim de reconnattre s'il n'y aurait pas quelque passage vers 1'ouest ; car la recherche d'un chernin vers les Indesetla Chine semble Pay oir beau coup preoccup^, et c'etait alors le but principal de toutes les expe- ditions qui de FEurope se dirigeaient vers 1'occldent. Du cap Tiennot, qu'il avait reconmi 1'annee pre"cedente, il alia chercher, a vingt-deux milles plus loin, un petit havre, qu'il nomma Havre Saint-Nicolas (2). Le dix aout, un vent contraire le forca a chercher un abri " dans une fort belle et graude bale pleine d'isles, et bonnes entries et posage de tons les temps qu'il pourrait faire, et pour connoissance d'icelle baye y a une grande isle comine un cap de terre qui s'avance plus hors que les autres. " En 1'honneur du saint dont on celebrait la fete en ce jour, il la nomma la bale de Saint-Laurent. " Ce nom> " remarque Charlevoix, " s'est ^tendu & tout le golfe dont cette baie fait partie ; et, parce que le ileuve qu'on appelait aupara- vant la riviere de Canada se decharge dans ce meme golfe, il a insensiblement pris le nom de Saint-Laurent qu'il porte (3). " En comparant la description de la baie de Saint-Laurent, donneepar Cartier, avec celle que le eapitaine Bay field (4) fait du port de Sainte-Genevieve, il est difficile de ne pas recon- naitie que les deux noms ck'signent le m^me lieu. (1) Charlevoix (lit qne Tancion nom sauvago Jfattmtee s'est chang^ en celi/i A' An ticoMti, daiiH la Imncho douro])6ena- Natanhkmich. nom mainteimut ilmuif par les Mdiitaunnirt, aiguille : '"lieu ou Von va ehcrcher I' our*. " (2) D'aprfcs les distances (Ionn6es par Cartior, le havro do Saiut-Nicolas serait I'acliiirhilion. putit havre ob les goiilettea cotieres trouvent xui abri. (3) Charlevtfix, Hint, de la N. France, liv. I. (4) Failing direction* for the Qti(f and River of Saint-Lairrtnee. Loport de Snint - fJciicvirvc i-st ii oinqoante-deax milli-s de In grande livi('^<^ >]i- X:iiii>lni:ni <-i Tn Hout-Juli: n>. leu nntrtx. La baie ae Siiiiitu- < ;'.'iii-vieve pent avoir trois quarts de lii-ue de pvot'ondeur. II y a trois groupe.s d'iles bui.sees : IOH iles Saint-Charles, lea Betcliouaunes et les iles Sainte-Genevieve." (1) Second voyage de Jacques-Cartier. 24 COURS D'HISTOIRE [1535 dans le royaume de Saguenay, qui s'e'tendait depuis la riviere Saint-Jean jusqu'au Canada. Cette region etait habitee paries Montagnais ou Algonquins inferieurs, qui se partageaient en plusieurs petites nations, celles des Bersiamites, des Papina- chois, des Oumamiois et des Kacouchakhis ou Pores-epics. Soixante-quinze ans apres le second voyage de Cartier, le P. Biard e"valuait le nombre total des Montagnais a mille ames. Au nord de ces peuples, du cote de la Baie d'Hudson, vivaient les Ounascapis, nation timide, qui, pour e* viter les demeles avec ses voisins plus rapproches du grand fleuve, se tenait isolee au milieu des immenses forets de la hauteur des terres. Depuis une centaine d'annees, une partie des Ounascapis est descendue vers le grand fleuve, et s'est fondue avec les restes des tribus montagnaises, considerablement reMuites en nombre par les maladies et surtout par 1'usage des boissons enivrantes (1). Charlevoix croit que Cartier s'est trompe en restreignant le nom de Canada a une tres-petite partie du pays qui est arrose" par le Saint-Laurent. " II est certain," dit-il, " que des les premiers temps les sauvages donnaient le nom de Canada a tout le pays qui est le long du fleuve des deux cote's, particu- lierement depuis son embouchure." Le meme historien rap- porte que, suivant la tradition, le nom de Canada est venu des Espagnols, qui, e'tant entre"s dans la baie des Chaleurs et n'y trouvant aucune apparence de mines, prononcerent plusieurs fois les deux mots, aca nada, rien ici ; et que les Francais entendant les sauvages re'pe'ter ces mots les prirent pour le nom du pays. Cependant nonobstant la haute autorite' de Charlevoix, il est permis de croire que Cartier dans ses rapports avec les sau- vages, pendant les deux hivers qu'il a passes pres de Stada- cone", a du apprendre les noms des differentes parties du pays. II s'explique fort clairement sur les divisions territoriales recounues par les nations qui habitaient les bords du grand fleuve ; et, d'apres leur tdmoignage, il e'tablit 1'existence des royaumes de Saguenay, de Canada et de Hochelaga, chacun desquels ^tait soumis a un chef principal. Donnacona, dont la residence ordinaire etait a Stadacon^ et dont 1'autorit^ ne s'e'teudait pas au-dela de quelques lieues autouT de sa bourgade, (1) Lea Montagnais sont devpnns anssi titnidos que les Nascapis, avec qui Us se Hont allies : lorsque qnelque bruit extraordinaire se fait entendre, ils xout saiHisd'uue fnvj'eur extreme, duns la cruinte oh ils sont d'etre attaqiii-s par ! Mic.iiiacs. Cette terreur cut traditioiiMcllf. et prouve (jue les M icinars, uujourd'hui pt-u uombreux et de mceurs duuces, s'6taieut autretbis reudus redoutablea & leuru voiuius. 1535] DU CANADA. 25 est toujours design6 comme roi de Canada. Cartier lui-m^me, le rentier de Jean-Alphonse et 1'auteur du voyage de Roberval donnent le nom de Canada a Stadacone", et a la pointe de terre sur laquelle etait ee village. Ce fut plus tard que le nom de riviere de Canada fut assigne" par les Francais au fleuve qui traverse le pays. Quant aux mot Canada, il n'est point ne'ces- saire 'de recourir aux Espagnols pour en decouvrir 1'origine. A la suite du second voyage de Cartier, est doim6e une liste de mots canadiens, portant pour titre : " Ensuit le langage des pays et royaumes de Hochelaga et Canada, autrement appeles par nous la Nouvelle- France ; " et un des articles de cette liste nous apprend que Canada ou Kannata signifie un village. D'ail- leurs, Charlevoix lui-meme remarque que plusieurs derivent ce nom du mot iroquois Kannata, qui se prononce Canada et qui signifie un amas de cabanes. C'est certainement la 1'ety- mologie la plus naturelle. Tandis que les navires de Cartier e"taient a 1'ancre, entre la terre du nord et la pointe oriental de 1'ile d'Orleans, les sauvages, occupes a faire la p6che dans les environs, visiterent les chaloupes des Francais, et leur porterent des anguilles et d'autres poissons, ainsi que de gros melons et deux ou trois charges de mais. On ne sait quelle espece de melons cultivaient les naturels du pays avant 1'arrivee des Francais ; peut-etre n'avaient-ils que cette sorte de citrouilles connues au Canada sous le nom de citrouilles iroquoises, et qui ont pu e~tre prises par les matelots bretons pour des pasteques ou melons d'eau. Quant au mais ou ble-d'inde, les petits champs autour de Stadacone en fournissaient, mais trop pen pour les besoms de ses habitants ; tandis que les nations sedentaires du sud le re'coltaient en tres-grande quantite. Le lendemain de cette premiere visite, Donnacona, " Agou- hanna ou seigneur de Canada, " s'approcha des vaisseaux francais avec plusieurs canots. Son royaume n'e"tait pas tres- e"tendu, il ne renfermait qu'un seul village ; mais le chef cana- dien ne manquait pas d'une certaine dignite dans son maintien. II prononca, suivant I'expression de Cartier, un grand prche- ment, accompagne de gestes extraordinaires. Taiguragny et Domagaya, qui avaient appris un peu de francais pendant 1'hiver precedent, servirent d'interpretes. A la suite de la conference, Cartier partit sur des barques pour aller choisir un lieu propre a 1'hivernage de ses navires. II cotoya la grande ile, a laquelle il donna le nom d'ile de Bacchus, parce qu'il y trouva beaucoup de vignes sauvages, et arriva dans 26 COURS D'HISTOIRE [1535 un havre qu'il decrit avec complaisance. " A\i bout d'icelle lie vers 1'ouest," dit-il, " y a un affourc d'eau bel et delectable pour mettre navires ; auquel y a un detroit du dit fleuve, fort courant et profond, mais il n'a de large qu'environ uu tiers de lieue ; le travers duqiiel y a une terre double de bonne hauteur toute laboured, aussi bonne terre qu'il soit possible de voir ; et la est la ville et demeurance du seigneur Donnacona, laquelle demeurance se noinme Stadacon^ sous laquelle haute terre vers le nord est la riviere et hable de Sainte-Croix." Comment, avec cette description, ne pas reconnaitre le havre de Quebec, ou les eaux de la riviere Saint-Charles se reunissent a celles du Saiut-Laurent, qui lui-meme se partage en deux branches pour former 1'ile d'Orl^ans ? Entre Quebec et la Pointe-LeVis, est le detroit fort courant et profond qui amoins d'un mille de largeur : est affourc d'eau- bel et delectable, a 1'embouchure de la riviere Saint- Charles, cette terre double ou a deux versants ; sous cette haute terre vers le nord, une riviere et un havre : voil& des traits qui caracterisent si e"minemment le site de Quebec, qu'on est tout e*tonne de voir Charlevoix les appliquer a 1'embouchure de la riviere Jacques-Cartier, a laquelle ils ne conviennent aucunement. Quelque tradition mal fondle, ayant cours de son tejips, aura pu 1'engager a contredire Champlain. La Poterie et autres, qui font hiverner Cartier pres de la riviere Saint-Charles, ou Sainte-Croix, comme elle fut d'abord nomme'e par les Francais. Elle portait parmi les sauvages le nom de Cabir-Coubat, a raison de ses nombreux meandres. Plus tard, lorsque les Eecollets eurent bati leur convent sur ses bords, elle recut, selon le Frere Sagard (1), le nom de Saint-Charles, en 1'honneur de messire Charles Des Boues, grand vicaire de Pontoise. " Les vaisseaux de Cartier." dit Champlain, " hivernerent en un endroit ou maintenant les Je"suites ont leur demeure, sur le bord d'une autre petite riviere qui se de"charge dans celle de Sainte-Croix, appelee la riviere Jacques-Cartier." Or les Jesuites batirent leur premiere maison ainsi que leur chapelle de Notre-Dame des Anges, & la pointe formed par les rivieres Saint-Charles et Lairet. C'est done a 1'embouchure de la riviere Lairet et vis-a-vis de la Pointe-aux- Lievres que furent placets pour 1'hy ver la Grande ( 2) et la Petite Heruiine ; car, apres avoir reconnu les environs de Stadacone', (1) Hittoire du Canada. (2) Ecrivant probablonient Hiir Aea mfimoires hicorrepts, ChBrlevoix (lit qne la Grande Hrrinint ne put entrtr dims hi riviere, ussertioii qui eat loruiellennjiit i!6- iiii-ut ii- par la rrhitiiui du voyage de Cartier. 1535] DU CANADA. 27 Cartier e'tait descendu au bas de 1'ile d'Orleans pour faire re- monter ses navires. Les deux jeunes sauvages, qui, dans leur voyage, avaient e"te te'moins de bien des merveilles en France, avaient parle a leurs compatriotes de 1'effet et du bruit du canon. Les Canadiens exprimerent le de'sir d'entendre la grosse voix de 1'artillerie franchise. Cartier se rendit volontiers a leur demande. " De quoi, " dit-il, " ils furent si e'tonne's, qu'ils pensaient que le ciel fut chu sur eux, et se prirent a hurler et hucher si tres-fort qu'il semblait qu'enfer y fut vuide. " Ce fut 1& la premiere fois que le bruit du canon retentit sur les eaux de la rade de Quebec, et fut re'pe'te' par les echos des Lau- rentides. Les sauvages qui avaient e'te' rencontre's au cap Tourmente revinrent en assez grand nombre & Stadacone", residence ordi- naire de Donnacona et de ses sitjets. C'etait un village compose de cabanes d'ecorce de bouleau, et bati sur une pointe de terre qui a forme d'une aile d'oiseau, et qui s'e'tend entre le grand fleuve et la riviere Sainte-Croix ; a cette circonstance etait du probablement le nom de Stadacone", qui signifie aile en langue algonquine. On ne sait rien de'prdcis sur le site de la capitale de Donnacona, si ce n'est qu'il e'tait a une demi-lieue de Ten- tree de la riviere Lairet, et qu'il en etait separe par la riviere Saint-Charles (1). Le galion I'Etnerillon avait dt^ laisse dans la rade, parce que Cartier voulait remonter jusqu'a Hochelaga, dont il avait en- teudu parler. Ce dessein ne semblait pas convenir aux habi- tants de Stadacone. Peut-etre regardaient-ils avec jalousie ceux de Hochelaga, qui pre'tendaient exercer une espece de suzerainete sur les bourgades de Donnacona ; ou bien ils crai- gnaient que les presents des Francais ne fussent partag^s entre les deux peuplades. Donnacona fit avertir Cartier que la riviere e'tait mauvaise. L'avis n'eut pas 1'effet qu'il en attendait. Alors il eut recours a un stratageme qui, aux yeux des sauvages, devait produire un magnifique re'sultat. Tandis que le galion se pr<$parait a (1) II est probable qne Stadacon6 6tait sitn6 dans 1'espace compria entre la rue do la I'abriquc. et le cflteau de Saintn-Genevieve. pros de la cote d'Abraliam. En eft'et de ees deux points a la riviere Lairet. il y a environ une demi-lieue do distance. II failait de I'eau pour les besoins du village, et les sauvages n'ainient pas a aller la chcrcher bien loin : ici ils en anraient ou en abondance. car un ruisseau avait son lit la oil est uiaintcnimt la rue do la Fablique; il allait toniber daua la riviere Saint- Charlea pres du lieu oti est I'Hotel-Dieu. A rextr6mite du terrain, un autre ruis- seau descendait lo long du c6t<^au Saint-Genevieve. Cette question n'est pas d'une {traude linportanoo ; inais un Cauadiou doit aiuiei- a couuaitre le liuu ou 6tait la devauci^re de Quebec. 28 COURS D'HISTOIRE [1535 partir, un canot descendit le fleuve, et vint passer pres du vaisseau ; il etait monte par trois homines, ve'tus de peaux de chiens, portant sur la tete de longues cornes, et ay ant le visage tout noirci de charbon. Celui du milieu debitail un merveil- leux sermon, sans neamoins tourner les yeux vers les Francais. Au moment ou le canot allait donner centre le rivivage, les trois hommes tomberent comme morts ; ils furent emportes par les sauvages dans la foret, qui retentit de cris pendant une demi- heure. Taiguragny et Domagaya sortirent alors du bois, les mains jointes, le chapeau sous le coude, et les yeux leves au ciel : "Jesus ! Jesus !" cria Taiguragny. "Jesus ! Maria ! Jacques Cartier ! continua Domagaya. " Cartier leur demanda ce que tout cela voulait dire. " Piteuses nouvelles ; " lui repondirent- jls : " Cudouagny notre Dieu a parle" a Hochelaga, et les trois hommes sont venus de sa part annoncer les nouvelles qu'il y avait tant de neiges et de glaces, que tous mourront. " Les Francais ne firent que rire de ces menaces, et de*cla- rerent que Cudouagny e*tait un sot, et que Jesus saurait bien les garder du froid. Malgre cette assurance, Taiguragny et Do- magaya refuserent de se joindr-e a 1'expedition. Le lendemain, dix-neuf septembre, Cartier, fit voile avec le galion et deux barques pour remonterle fleuve ; il fut enchante* de la beaute du pays. " Nous trouvames, " dit-il, les plus belles et meilleures terres qu'ils soit possible de voir, aussi unies que 1'eau, pleines des plus beaux arbres du monde, et tant de vignes chargees de raisins, le long du fleuve, qu'il semble mieux qu'elles y aient e'te' planters de main d'homme qu'autrement. " Le brave Breton espe'rait qu'un jour de beaux et fertiles vignobles s'etendraient sur les coteaux qui bordent le Saint-Laurent. On rencontrait c,a et la des cabanes, dont les habitants s'occupaient a faire la peche ; sans temoigner aucune crainte, ils s'approchaient des embarcations franchises pour ^changer leur poisson centre quelques articles qu'on leur offrait en retour. A quinze Heues environ de Stadacone, Ton trouva un village nomme' Achelacy ou Hochelai, pres duquel le courant du fleuve, devenu rapide et seme" de rochers, rendait la navigation fort dangereuse. Le capitaine du lieu monta a bord du galion, et, par des signes accompagne's d'un long discours, il parut vouloir faire comprendre que plus haut la navigation devenait tres-difficile ; pour marque d'affection, il donna a Cartier une petite fille, agee de huit a neuf ans. II est probable que ce village, le seul que les Franqais remarquerent entre Stadacone' 1535] DU CANADA. 29 et Hochelaga, etait situe" sur la pointe du Platon. Lorsque plus tard Champlain y exit arbore le signe sacre* de la redemption, ce lieu recut le nom de Sainte-Croix que porte aujourd'hui la paroisse voisine. Arrives a 1'extre'mite' occidentale du lac d'Angoule'me ou ie Saint- Pierre, auquel Cartier donne cinq ou six lieues de lar- geur sur douze de longueur, il eutbeaucop de peine a decouvrir un passage ; n'ayant pu trouver le principal chenal au milieu des ties de Eichelieu, il laissa en ce lieu I'Emerillon, et, accom- pagne' des sieurs de Pontbriand, de La Pommeraye, Jalobert et Le Breton, il continua son voyage sur les deux barques. Le deux octobre, il arriva a Hochelaga, ou toute la population vint au-devant des Francais et leur fit 1'accueil le plus cordial. Les homines dausaient d'un cote*, et les fenames de 1'autre, en signe de re'jouissance ; les uns jetaient du poisson dans les barques, les autres y lancaient des galettes de ma is ; les meres apportaient leurs enfants pour les faire toucher par Cartier. Celui-ci de son cote distribuait aux hommes quelques couteaux ; aux femmes il donnait des colifichets et des patenotres. Le soir, les Franqais s'etant retires dans leurs barques, les sau- vages demeurerent sur les bords du fleuve, et, pendant toute la nuit, ils continuerent leurs danses a la lueur des grands feux qu'ils tinrent allumes. Le lendemain matin, Cartier, ayant laisse ses barques au pied du courant de Sainte-Marie, partit, accompagne de quel- ques gentiishommes et de vingt matelots, pour aller visiter la bourgade de Hochelaga et la montagne au pied de laquelle elle etait situee. Apres avoir parcouru une lieue et demie de chemin, ils furent arretes par un des capitaines du pays, qui fit un long discours renfermant sans doute des compliments a 1'adresse des etrangers ; une demi-lieue plus loin, ils trouverent des terres cultive'es, et des champs converts de tiges de mais. Au milieu de ces belles campagnes, e*tait situee la bourgade de Hochelaga (1), fort soigneusement fortifiee a la manure des grands villages hurons et iroquois. Une palissade circulaire, ayant vingt pieds de hauteur et formee d'un triple rang de pieux, entourait Hochelaga et lui servait de defense. Lea pieux de la range'e du milieu etaient plante's droita ; ceux des deux autres rangee se croissaient par le haut, et le tout e'tait fortement lie' avec des branches. Une seule porte donuait entre'e dans la bourgade. En dedans (1) Hochela^a etait vraisemblablement sur le cdteau qui a'^teud au pied de lamon- tague, da c6t6 de la villo de Montreal. 30 COURS D'HISTOIEE [1535 de 1'enceinte, e"tait line espece de galerie, garnie de pierres pretes a etre lance"es centre les ennemis qui auraient voulu monter a 1'assaut. La bourgade contenait environ ciuquante cabanes, dont chacune avait une longueur de cinquante pas et ime largeur de douze ou quinze. Ces habitations, construites en ecorces cousues ensemble, renfermaient plusienrs cham- bres, dont chacune e*tait occupee par une faniille. Au centre dans la cabane, Ton avait reserve" une salle commune, ou les feux etaient places ; des tablettes pratiquees sous le toit ser- vaient de greniers pour conserver la provision de mais. Le mais etait la nourriture de toutes les saisons : on le man- geait en tourteaux cuits entre des pierres, que Ton avait fait chauffer ; on le grillait sur le feu ; on en preparait aussi un potage, en y joignant des pois, des feves. de gros concombres et des fruits. La culture de la terre, jointe a la peche, fournis- sait aux habitants de Hochelaga des ress ources suffisantes pour les besoins de la vie. Us s'occupaient peu de la chasse, n'ai- mant pas a s'eloigner de leur village, et n'ayant point de gout pour la vie nomade, si chere aux tribus du Canada et du Sa- gueuay. Ainsi que tous les aborigines de I'AmeTique du Nord, ils regardaient comme tres-precieux les grains de porcelaine,, qui leur servaient de monnaie, de parures et de gages dans les trace's de paix. Ces grains etaient faits de la nacre de certains coquillages marins. Apres les avoir arrondis, on les percait, puis on les enfilait, et ainsi Etaient formees les branches de porcelaine. Les Andastes jouissaient d'une grande reputation comme fabricants d'ornements de porcelaine. Cartier appelle ces coquillages, esurgny ; chez les sauvages de la Nouvelle- Angleterre, ils Etaient connus sous le nom.de wampum. Plus tard ils f urent remplace's par la rasade. Uh autre usage de ces barbares a e"te introduit avec succes chez les peuples civilises, quoiqu'il ait d'abord grandement e"tonn^ Cartier : " Ils ont aussi, dit-il, une herbe de quoy ils font un grand amas durant I'e'te' pour 1'hyver, laquelle ils estiment fort, et en usent les homines seulement en la facon qui ensuit : ils la font secher au soleil, etla portent a leur cou en une petite peau de bete, en lieu de sac, avec un cornet de pierre ou de bois ; puis a toute heure font poudre de la dite herbe, et la mettent a 1'un des bouts du dit cornet, puis un charbon de feu dessus, et soufflGnt par 1'autre bout tant qu'ils s'emplissent le corps de fume"e, tellement qu'elle leur sort par la bouche et les nazilles comme par un tuyau de cheminde. Ils disent que cela les tient sains et chaudemeut, et ne vont jamais sans les dites choses. Nous 1535] DU CANADA. 31 avons experimente la dite fumee, apres laquelle avoir mis dedans notre boucbe, semble y avoir de la poudre de poivre, tant est chaude." La description que fait Cartier des mceurs et des coutumes de cette peuplade porte a croire qu'elle appartenait a la grande famille huronne, bien plus industrieuse et intelligente que ne 1'etaient les nations algonquiues ; et ce qui donne plus de force a cette opinion, c'est que les mots de la langue, conserves par Cartier, appartiennent tons au huron. Malgre leurs habitudes sedentaires, les habitants de Hochelaga paraissent avoir e'te' retoutables dans la guerre ; car ils avaient assujetti les Cana- diens et huit ou neuf autres petites peuplades, situees sur les bords du grand fleuve (1). Ce peuple regardait sans doute les Francais comme des etres d'une nature supe'rieure, car Ton apportait devant Cartier les borgnes, les boiteux, les impotents, comme pour demander qu'il leur rendit la s.inte. L'Agouhanna ou TO!, voulut lui- meuie recourir a la puissance miraculeuse du capitaine francais. Perclus de tous ses membres, il fut ap porte sur une peaoi de cerf par neuf ou dix hommes, qtti vinrent le poser sur des nattes au milieu de 1'assemblee. L'accoutreinent du souve- rain n'etait pas plus splendide que celui de ses sujets, a demi couverts de mauvaises peaux de betes sauvages ; seulernent il portait autour de la tete, comme marque de distinction, une lisiere rouge brodee en poils de pore-epic. Voyant la confiance de cea bonnes gens, et etant lui-rneme rempli de foi, Cartier lut sur eux le commencement de 1'evangile selon Saint Jean et la passion de Notre-Seigneur ; il priait Dieu en rneme temps de se faire connaitre a ce pauvre peuple plonge dans les te- nebres de 1'idolatrie. II leur distribua ensuite des presents, et les laissa tout satisfaits de sa visite. Plusieurs d'entre eux raccompaguerent sur la montagne, distante d'un quart d,e lieue de la bourgade de Hochelaga. La il fut tellement enchante du tableau magnifique qui se de'roulait devant lui, qu'il donna a ce lieu le norn de Mont-Royal, change depuis en celui de Montreal. Au nord etau sud couraientdes chaines de montagnes, entre lesquelles s'etendait a perte de vue uue plaine vaste et fertile ; au milieu de ces profondes solitudes et a travers d'e'paisses forets deja revetues des teintes brillantes de Tautomne, reposait dans toute sa majeste* le grand fleuve qu'il avait remonte" et qu'il voyait se prolonger k 1'ouest vers des terres iuconnues. (1) Second Voyage de Jacques Cartier. 32 COUES'D'HISTOIRE [1535 Au moyen de signes, les sauvages lui donnaient a entendre qu'au dela de trois sauts, semblables a celui qui etait devant lui, Ton pouvait naviguer sur le fleuve pendant plus de trois luues ; puis se tournant vers le nord ils lui de"signaient une autre grande riviere descendant aussi de 1'ouest et coulant au pied des montagnes. L'un d'eux saisit un poignard d'argent a manche de laiton brillant et une chame a laquelle etait sus- pendu le sifflet du capitaine, et fit comprendre qu'on trouvait des metaux semblables en remontant le fleuve. L'imagination de Cartier voyait s'ouvrir les portes de 1'occident inconnu, recelant dans son sein de riches tresors et conduisant vers les regions dorees de 1'Inde et du Cathay : en s'avancant vers les sources du fleuve, il trouverait un passage, plus court et plus avantageux que celui que Magellan avait decouvert pour 1'Espagne. En secouant ces beaux reves, avec quelle pitie 1 le marin breton dut laisser tomber ses regards sur 1'humhle bourgade de Hochelaga, avec ses cabanes d'e*corce, ses miserable pa- lissades, ses e'troits champs de mais, et sa population plongee dans la barbarie ! Pres de trois siecles et demi se sont ecoules depuis le jour ou Cartier, du sommetdu Mont-Royal, examinait les environs de Hochelaga ; s'il lui etait aujourd'hui donne* de revoir ces memes lieux, avec quelle surprise il contemplerait la grande et belle cite" qui a remplace la bourgade indienne ! Elle e"tonnerait le vieux navigateur par ses nombreux etsplen- dides monuments, par son port couvert de vaisseaux et borde d'une longue ceinture de quais, par son pout tubulaire unissant les deux rives du fleuve, par sa population nombreuse, s'agi- tant sous 1'impulsion du commerce et de 1'industrie. Et comme il serait emerveille" en suivant des yeux les vaisseaux a feu lance's au milieu " des trois sauts d'eau " qui 1'inte'ressaient si vivement, ou remontant le rapide courant de Sainte-Marie sans le secours des vents ! Comme il admirerait la vallee du grand fleuve, non plus cou verts de forets, mais se de'roulant devant lui jusqu'auxlimites de 1'horizon, parseme'ede champs, de bourgs et de villages, traverse'e par des voies ferries, sur lesquelles glissent avec la vitesse de 1'oiseau de longs convois de voitures guide's par une colonne de fume'e ! Les profondeurs de 1'ouest ont e'te' sondees, les vastes contre'es qu'elles renferment sont depuis longtemps ouvertes a la civili- sation ; la mer myste'rieuse annoncde a Cartier s'est trouve'e fort dloign^e ; le passage qui devait y conduire des vaisseaux n'existait que dans les re'cits des sauvages. Mais, grace a 1535] DU CANADA. 33 1'industrie et a la perseverance de 1'liomrne, line route d'un autre genre sera bientot tracee, elle servira a rapprocher les deux oceans, et a transporter les richesses de 1'orient vers les contrees de la vieille Europe. Les destinies futures du royaume de Hochelaga ne durent pas apparaitre aussi brillantes a. 1'esprit de Jacques Cartier, malgre toute la partialite qu'il devait ressentir pour un pays decouvert par lui et devenu ainsi pour lui un titre de gloire. L'on n'en saurait etre surpris ; car, meme sur le continent d'Amerique, pen de villes ont marche aussi rapidement que Montreal vers une grande prosperite. Des circonstances par- ticulieres et surtout les grandes d^couvertes, faites dans 1'in- teret des arts et du commerce pendant le dernier demi-siecle, ont beaucoup contribue' a favoriser 1'accroissement et le deve- loppement de cette ville, qui n'a cependant pas encore atteint 1'apogee de sa fortune. Apres avoir obtenu des renseignements importants sur le cours du grand fleuve et sur les habitants des pays qu'il aiTose, les Francais firent leurs adieux et se rembarquerent pour retourner a Stadacone. Avec 1'aide du courant, ils des- cendirent rapidement et rejoignirent le galion le lundi qua- trieme jour d'octobre. Cartier parait avoir 6t& desireux de connaitre plus parti culierement la position du pretendu royaume de Saguenay, qu'on lui disait renfermer des mines de cuivre, et qu'il croyait s'etendre au nord, en arriere de Hochelaga. Ce fut peut etre dans ce dessein qu'il essaya de remonter le Saint-Maurice, nomme par lui riviere de Fouez. L'ayant trouve peu profond, il renonca a son entreprise ; et, apres avoir plante une croix sur une des iles place'es k 1'em- bouchure, il continua sa route vers le havre de Sainte-Croix, ou il arriva le onze d'octobre. Pendant son absence, un retranchement de pieux avait dte' ^lev^ autour des na vires et arme' de pieces de canon, de ma- niere k etre aise'rnent defendu contre toutes les forces du pays. Cette precaution ^tait dictee par une sage pr^voyance ; car, pendant 1'hiver, il s'eleva quelques nuages, passagers il est vrai, entre les habitants de Stadacon^ et les Francais, alors reduits a un deplorable etat de faiblesse. Une maladie res- semblant au scorbut se d^clara parmi les compagnons de Cartier ; c'^tait probablement la funeste epiddmie connue sous le nom de mal de terre, qui, dans les premiers temps de la colonie, exerca souvent ses ravages dans les etablis- semeuts nouveaux. Le fleau s^vit avec tant de violence, que, 34 COTJRS D'HISTOIRE [1536 vers le milieu de fevrier. sur cent dix homines, il n'y eu avait pas dix qui fussent en saute et capables de secourir les autres. Les malades perdaient bientot leurs forces ; leurs jambes s'enflaient considerablement et deveuaient noires ou tachetees de sang ; I'eunure s'etendait aux epaules, aux bras et au cou ; les gencives se pourrissaient et tombaient avec les dents. La situation paraissait si grave, que presque tons avaient perdu 1'esperance de jamais rentrer en France. Dans ces circonstances facheuses, le capitaine, n'attendant aucun secours des hommes, s'adressa avec confiance a celui qui console les affliges. II fit mettre tons ses homines en prieres ; une image de la Sainte Vierge fut attaehe'e a un arbre pres du fort ; et, le dimanche suivant, tous ceux quie'taient en etatde marcher, sains et malades, allerent en procession a cet oratoire, chantant les psaumes de la penitence et les litanies de la Sainte Vierge, et se mettant sous la protection de la mere de misericordes. Apres avoir assiste" a la messe qui j fut cele"bree, Cartier fit le vceu d'aller en pelerinage a Notre-Dame de Eoc-Amadour, si Dieu lui accordait la grace de retourner en France (1). Vingt-cinq hommes furent emportes par la maladie, et les corps furent caches sous la neige, parce qu'il etait impossible, meme aux plus vigoureux des survivants, d'ouvrir la terre gelee. Les francais craignaient beaucoup que les gens du pays ne s'apercussent d'une si triste situation. Aussi, lorsque quelques-uns des sauvages s'approchaient des vaisseaux, Cartier, qui avait echappe a I'e'pide'mie, sortait avec plusieurs hommes, auxquels il paraissait donner des ordres pour presser les travaux ; les malades frappaient avec des batons et des pierres contre les flancs des vaisseaux, faisant du bruit comme s'ils eussent ete occupes a calfater. La defense d'entrer dans le fort ayant e'te' intirnee aux sauvages, ces petites ruses suffirent pour les empecher de connaitre ce qui s'y passait. Dans une des occasions ou il sortait ainsi, Cartier apercut Domagaya, qui peu de temps auparavant etait lui-meme retenu par la maladie sans pouvoir marcher ; il avait e'te' gueri en employant, comme [1] Nostre capitaine, voyant la piti6 et maladio ainsy osineue, fit mettre le niii(l en pri^res et en oraisons et fit porter une iin;iy.i' ct rcineiiibrance de la Vierge Marie contre un arlire, distant d nostre fort d'uii traict d arc, 1 travers des neiges et glaces. et ordonua quu le dimanche ensuivant Ton diroit audict lieu la messe, ct quo tous ceux qui potirroieut cbeniiner. tant sains que inalndrs. iroicnt a la procession, cliiintans les wept psauiues de l)avid avec la litanie. en priaut latlicte Vierge qu'il luy plut prior son cher enfant qu'il eust piti6 de nous : et la messe dicte et chautee de vant la (|inte image, se fit le capitaine pelerin a Nostre-Dame, qui se faict de prier a Rocqueniadou. priiinottant y aller si l)ieu luy douuoit la grace de retourner eu 1'riuice. Second Yvyage de Jacques Cartier. 1536] DU CANADA. 35 remade, les feuilles et I'e'corce d'tm arbre qu'il designa : cet arbre, nomme Anedda par les sauvages, e'tait vraisemblable- ment 1'epiuette blanche. Le traitement indiqu^ fut assaye avec sucees ; et les guerisons furent si rapides et si completes, que tous eeux qui voulureut s'en servir furent sur pied en huit jours. Au printemps, les Francais eurent d'autres inquietudes, en voyant Donnacona revenir de la chasse avec un grand nombre de sauvages etrangers & Stadacon^ ; les nouveaux venus avaient etc attires par la curiosite" plutot que par 1'envie de faire la guerre. Cartier, cependant, crut devoir prendre des precautions et se bien tenir sur ses gardes. II declare, dans ses memoires, que, renferm^ dans son fort, il n'aurait pas craint toute les forces du pays. D'ailleurs ces forces n'auraient pas ete considerables, quand toutes les peuplades du Saguenay et du Canada se fussent reunies ; car les villages y e'taieut peu nombreux et peu peuples. Cartier, en effet, n'en mentionue que quatre depuis I'entre'e du fleuve jusqu'a Stadacone et un seul de Stadacone a Hochelaga. II n'est pas surprenant que, malgr^ la beaute du pays, mal- gre 1'abondance de la chasse et de la peche, il n'y eut que le village d'Achelacy entre Stadacone et Hochelaga ; cette partie du cours du grand fleuve e'tait expose'e aux incursions d'enne- mis terribles, venant du sud et faisant une guerre acharnee aux Algonquins. C'etaient les Toudamans, qiii, plus tard furent connus sous le nom d'Iroquois. Donnacona racontait a Cartier que, deux aus auparavant, deux cents Algonquins, hommes, femraes et enfants, s'en allant & Honguedo ou Gasp4, avaient e^ attaques par les Toudamans, dans une tie situe'e vis-a-vis les terres du Saguenay. Les Toudamans, apres avoir mis le feu aux abattis derriere lesquels s'e'taient abrites les Algonquins, les tuerent tous a la reserve de cinq, qui re'ussirent a s'echapper par la fuite. Une tradition, conserve'e parmi les families sauvages de Gaspe et de Ristigouche, porte qu'autrefois un grand nombre des leurs furent mis a mort par les bandes iroquoises, dans une caverne peu eloignee du Bic ; et cette tradition est con- firmee par la decouverte d'une masse d'ossements humains trouve"s, il y a plusieurs annees, dans une grotte sur une des lies du Bic. Au retour de la belle saison, Cartier se pre*para a retourner en France ; il desirait y conduire avec lui quelques sauvages, qui pourraient servir a prouver la ve'rite de ses decouvertes. 36 COUKS D'HISTOIRE [1536 II voulait surtout se saisir du grand chef Donnacona ; mais 1'entreprise n'etait pas d'execution facile, car 1'Agouhanna etait fort defiant. Dans ses conferences avec les Francais, il avait tou jours I'o3il aux bois, suivant 1'heureuse expression de Cartier. Cependant, profitant d'une occasion favorable, celui- ci r^ussit a s'emparer du chef sauvage et de quelques-uns des principaux de la bourgade. II crut reparer tin acte si repre'- hensible, en distribuant des presents aux prisonniers, ainsi qu'a leurs parents et a leurs amis. II esperait que 1'Agouhanna piquerait la ctiriosite du roi, en lui racontant les merveilles qu'il prdtendait avoir vues; car Donnacona, deja avance" en age, avait beaucoup voyage dans le pays, et se plaisait & rapporter des choses tout a fait extraordinaire. Ainsi il disait avoir visite* le royaume du Saguenay, ou il avait vu de 1'or, des rubis et des hommes blancs comme les Francais, vetus de drap de laine. II pretendait avoir rencontre, dans des pays eloignes, des gens n'ayant qu'une jambe ; ailleurs il en avait trouve qui vivaient sans manger et etaient depourvus des organes de la digestion. La capture du chef et de ses compagnons remplit de conster- nation ses sujets, qui s'enfuirent de tous cotes, les uns se jetant a la riviere, les autres courant vers la fore't dans la crainte d'eprouver un sort semblable. L'on ne saurait pallier 1'injustice d'un tel precede" envers un veillard inoffensif, qu'on arrachait a sa famille et a son pays, pour le transporter au-dela. des mers et le jeter sur une terre etrangere. Quelque sauvage que fiit sa patrie, elle ne pouvait manquer d'etre chere a son cceur : elle avait nourri son enfance, elle renfermait les os de ses peres, elle avait et4 le t^moin de toutes les peines et de toutes les joies de sa longue camere. La seule excuse qn'il soit possible d'alldguer en faveur de Cartier, c'est 1'exemple des d^couvreurs, ses devauciers ou ses contemporains, qui avaient agi de la meme maniere, ne se faisant point scrupule d'enlever quelques pauvres sauvages pour les offrir h la curiosit^ des hommes civilise's de 1'Europe. Donnacona et ses compagnons subirent leur malheur avec le calme et la resignation qui dis- tinguent les homines de la race rouge ; ils ddclarerent h leurs freros qu'ils reviendraient dans douze 1 tines, et que le capitaine et ses compagnons les traitaient avec beaucoup de bonte. Cartier laissa le port de Sainte-Croix le six mai 1536, y abaiidonnant un de ses navires, probablement la I'etite Her- miue, parcequ'il ne lui restait pas assez de monde pour com- plcter les equipages de trois vaisseaux. II fit route entre 1'ile 1536] DU CANADA. 37 d'Anticosti et Gaspe", par un passage qu'il n'avait pas encore xeconnu. Le voyage fat heureux ; et, malgre plusieurs relaches, soit a 1'ile de Brion, soit aux lies Saint-Pierre de Miquelon, ou se trouvaient quelques navires venus de France, 1'expe'dition arriva & Saint-Malo, le seize de juillet, un peu plus de deux mois apres son depart de Stadacone". Cartier rendit compte & Francois I des incidents et des re*sultats de son voyage ; il lui de"crivit la recondite* de la terre, la beaute et 1'etendue du grand fleuve ; il lui repre'senta les espe'rances qu'offrait le pays de la Nouvelle-France, pour 1'e'tablissement de la foi et pour I'accroissement de ,la puissance des rois tres-chre'tiens (1). Francais voulut voir et entendre les eaptifs canadiens ; apres les avoir fait interroger, il ordonna de les placer en Bretagne, ou ils furent instruits dans la foi catholique, et recurent le bapteme. Les dix personnes ainsi conduites en France mou- rurent dans peu d'annees, k 1'exception d'une petite fille d'environ dix ans, qui avait e*te donnee par le cnef d'Achelacy. Thevet dit avoir convers^ souvent avec Donnacona, qui, apres un sejour de quatre ou cinq ans en France, de'ce'da dans les sentiment d'un bon Chretien. (1) Second Voyage de Jacques Cartier. 38 COUES D'HISTOIRE [1540 CHAPITRE SECOND Troisieme voyage de Cartier Roberval, nomm6 Vice-Hoi, se rend dans la Xouvelle- France Quatrieme -voyage de Cartier Mort de Roberval. Les circonstances n'e"taient pas assez favorables pour qu'on songeat aux affaires de la Nouvelle-France ; car le roi avait recommence", du cote* de 1'Italie, une guerre qui ne lui laissait point le temps de s'occuper de decouvertes lointaines. Cepen- dant il n'avait pas renonce 1 au projet de former des etablisse- ments dans 1'Amerique du Nord. Quatre ans plus tard, il entreprit de le realiser, en dirigeant vers la Nouvelle-France une expedition chargee spe'cialement de reconnaitre le pays du Saguenay, dont Donnacona lui avait vante la beaute* et les grandes richesses. II confia cette commission a Francois de la Rocque sieur de Roberval, qui, par ses qualite's et par ses gouts, semblait propre a re'ussir dans une semblable entreprise. Ce gentilhomme, natif de la Picardie, possedait un tel credit dans sa province, que Francois I 1'appelait le petit roi de Vimeux. Roberval recut 1'ordre de continuer les decouvertes commence'es dans la Nouvelle-France, et, par lettres patentes du quinze Janvier 1540, ilfut declare* seigneur de Norembegue (1), vice-roi et lieutenant general en Canada, Hochelaga, Sa- guenay, Terreneuve, Belle-Isle, Carpont, Labrador, la Grande- Baie et Baccalaos. Ces titres sonores n'e'taient pas d'une grande valeur en eux- memes ; car tout restait encore a faire pour assurer a la France la possession de contrees si nombreuses et si vastes. On vou- lait d'abord pre'parer 1'etablissement d'une colonie ; et, dans ce dessein, le roi donna (2), le quinze juin 1540, un <$dit auto- risant le sieur de Roberval a lever une armee de volontaires " avec victuailles, artillerie, etc., pour aller au pays de Canada et Saguenay." Le roi lui permettait aussi de choisir des criminels dans les prisons du royaume, afin de les etablir dans les pays dont on allait prendre possession. (1) L'on donnait le nomdeSToremb^gne aux terres arrosfies par la riviere Pentagoet on Penobscot, et aux c6tes voisiues de son embouchure. (Champlain, Biard, Kela- tions des Jeuuites.) (2) Archives de la Bibljotheqne publique de Bouon. 1541] DU CANADA. 39 Cette expedition devait e'tre Gonfie'e & un capitaine connais- sant dejk les lieux et posse"dant I'habilettS ndcessaire pour con- duire surement la flotte, au milieu des dangers de la mer et des difficulty's que pre*sentait la navigation sur le grand fleuve ; il lui fallait un chef ferme et vigilant, capable de se faire craindre et respecter de la troupe d'aventur;ers que Ton destinait a former le noyau de la colonie. Jacques Cartier re'unissait toutes ces qualites ; encore dans la force de 1'age (1), il avait fait ses preuves dans ses deux premiers voyages. Aussi le dix-sept octobre 1540, le roi, qui connaissait son merite, lui adressa une commission, renfermant un glorieux temoignage pour le pilote breton. " A plein confiant," dit Francois I, " de la per- sonne de Jacques Cartier et de ses sens, suffisance, loyaute*, prud'hommie, hardiesse, grande diligence et bonne experience, icelui avons fait, constitue et ordonne" capitaine general et maitre pilote de tous les na vires et autres vaisseaux de mer par nous ordonne"s etre mene's pour la dite entreprise et expe- dition." II e"tait en meme temps autorise" a prendre, dans les prisons de 1'etat, cinquante detenus qu'il jugerait utiles pour 1'^tablissement a faire dans la JSTouvelle-France. Le choix des colons e"tait une garantie certaine que 1'entreprise ne reus- sirait point : car la fondation d'une colonie demande, dans ceux qu'on y veut employer, la sobrie'te, 1'ob^issance, 1'amour de 1'ordre et du travail ; or il est bien rare qu'on trouve ces qua- lite"s dans des repris de justice. Le roi avait donne quarante-cinq mille livres tournois pour les frais de 1'expedition. Le tiers de cette somme, remis a Roberval, devait etre employe* par lui ; Cartier recut le reste pour acheter ou noliser cinq navires, chacun du port de quatre cents tonneaux, et pour faire les approvisionnements (2). Les preparatifs trainerent en longueur par suite de difficultes impr^- vues. Cependant, au printemps de 1541, les cinq navires avaient et4 e"quipes a Saint-Malo pour le voyage ; tous les hommes e"taient rendus a bord ; Ton n'attendait plus que le sieur de Roberval pour lever 1'ancre. II arriva sur ces entrefaites ; mais n'ayant pas encore recu 1'artillerie, les poudres ni les munitions necessaires qu'il attendait de la Champagne et de la Normandie, il se de'termina a rester en France, afin d'y hater 1'embar- quement de ces objets. Apres avoir fait une revue des gentils- hommes, soldats et matelots qui devaient faire le voyage, il donna a Cartier la permission de partir et de prendre les de- (1) Cartier pouvait alors avoir 46 ana ; il 6tait n6 le dernir jour de I'aun&e 1494. (2) Manuscrits de Saint-Malo. 40 COUKS D'HITOIRE [1541 vants. Le vingt-trois mai 1541 (1), la petite flotte fit voile, fournie de provisions pour deux ans. Des vents contraires et des tempetes presque continuelles les retarderent tellement qu'ils n'arriverent devant le havre de Sainte-Croix que le vingt-trois aout. Us avaient, dans leur longue traverse'e, souffert beaucoup par le manque d'eau ; ils furent meme obliges d'abreuver avec du cidre les bestiaux, chevres, pores qu'ils apportaient pour les repandre dans le pays. Les habitants de Stadacone* se haterent de venir demander des nouvelles de ceux qu'on leur avait enleves cinq ans aupa- ravant. L'agouhanna avait promis de revenir apres douze lunes ; ees douze lunes et bien d'autres aussi etaient passe'es, sans qu'il fut revenu. On leur re'pondit que Donnacona e"tait mort ; que les autres etaient restes en France, ou ils vivaient comme de grands seigneurs ; qu'ils etaient mane's et n'avaient aucun desir de revenir au Canada. Le successeur de Donna- cona ne fut pas trop fach<$ d'apprendre que 1'ancien agouhanna e'tait mort et qu'il ne pouvait plus reHIIIIU si le Ibu eut ete subiteiueut eteiut. 1549] DU CANADA. 45 d'un homme moins perse* verant que Roberval. Malgrd la grande diminution causee par la mort dans le nombre de bouches, les provisions manquaient, et la famine aurait ete affreuse parmi les Francais, si les sauvages ne les eussent secourus (1). Dans des circonstances si deplorables, les Francais durentse rejouir grandement de voir arriver 1'ordre de rentrer en France. Sui- vant Lescarbot, Francois I, ne pouvant envoyer les secours demandes, et desirant se servir de Eoberval a la guerre, lui fit signifier sa volonte* par Jacques Cartier, qui fut charge* d'entre- prendre un quatrieme voyage au Canada, pour rarnener en France les tristes debris de la colonie. Des pieces officielles nous apprennent que ce voyage dura hurt mois (2). II ne faut point regretter la facheuse issue de cet essai de coloniser un pays au moyen de malheureux qui auraient legue* k leur posterite leur iniseres tant physiques que morales. Pour I'honneur de la France et du Canada, la tentative e"choua completement ; ceux que la mort avait epargnes suivirent leurs chefs ; et les tribus algonquines demeurerent seules en posses- sion de Stadacone et du royaume du Canada. Des memoires amrment que Roberval, apres s'etre distingue dans les guerres entre Francois I et Charles-Quint, s'embarqua de nouveau en 1549 avec son frere pour continuer ses de'cou- vertes, et qu'il pent rniserablement ainsi que tous ses compa- gnons de voyage. Ces assertions sont contredites par The vet, qui dit que Eoberval fut tue de nuit pre3 de Saint-Innocent k Paris. Que se passa-t-il sur les bords du Saint-Laurent apres le depart des Francais ? On ne saurait le dire, les traditions sauvages s'alterant et se perdant bien vite. Lescarbot et Champlain, qui, les premiers ensuite, chercherent a les re- cueillir, n'y purent r^ussir a leur satisfaction. Lorsque les Francais revinrent pour fonder Quebec, soixanteans plus tard, ils ne trouverent plus le peuple de langue huronne ou iroquoise, qui avait si bien accueilli Cartier a Hochelaga. Press4 par les nations algonquines, qui habitaient la riviere des Outaouais et la partie inferieure du Saint- Laurent, il s'etait peut-etre retir4 vers le midi ou 1'ouest. (1) Th6vet. Coxmoyrapliie. (2) Et. eii ce qui est du tiers nnvire. niettre ponr dix-sept mois qn r il a 6tfi an dit voyage (troisi&B> voyam 1 ) dn dit Carti^r ; et pour liuit niols qu'il a 6t6 ;': rc'touriitT qn6rir le dit Robwval au (lit Canada.'' (Iti-nli-iimit de cninptex entre Rulffriil n uaartier, ftM. au varlemant d Souen. le 21 jitin. l.")44.) Parti dans I'autormie do 1543 Doar son. qaateidme voyage. Cartier aiirait liivern^ au Caiiada, et 1'aurait quitte k la fin d'avrii ou au c'oiniiu-iiceuifciit de mai 1544. 46 COURS D'HISTOIRE [1549 En effet les nations iroquoises paraissent avoir tabite", a une certaine e*poque, les bords du grand fleuve. Suivant le Pere Lafitau (1), les Agniers croyaient que, sortis de 1'ouest, leurs ancStres e'taient venus deuieurer a Stadacone. Le celebre Nicolas Perrot, homme parfaitement instruit des traditions et de 1'histoire des sauvages, dit -que " le pays des Iroquois etait autrefois le Montreal et les Trois-Rivieres ; que, craignant les suites d'un de'mele avec les Algonquins, ils s'eloignerent et se re*fugierent vers le lac Erie", ou e'taient les Chouauons, qui leur firent la guerre et les obligerent de s'aller e"tablir le long du lac Ontario." (2) Cependant d'autres e'crivains (3) rapportent que la nation algonquine des Onontchataronons, ou de 1'Iroquet, occupait autrefois 1'ile de Montreal. Lorsqu'en 1642 M. de Maison- neuve et sa petite colonie ce'le'brerent pour la premiere fois dans Villemarie la fete de 1'Assomption, une petite bande de ces Algonquins y assistait avec (konnement et admiration. Apres la fete, les principaux Francais, accompagne"s des sau- vages, se rendirent a la montagne ; la, deux des Algonquins, s'arretant sur le sommet, dire qu'ils appartenaient a la nation qui avait autrefois habite* 1'ile ; puis, etendant le bras vers les collines qui sont & Test et au sud de la montagne : " Voila," ajoutait Tun d'eux, " ou il y avait des bourgades tres-peuplees. Les Hurons, qui pour lors etaient nos ennemis, ont chasse" nos ance'tres de cette contre'e ; les uns se retirerent vers le pays des Abenaquis, d'autres allerent trouver les Iroquois, et une partie se rendit aux Hurons memes et s'unit avec eux. Voila comme cette terre est reste'e deserte (4)." Cette tradition fut, a diverses reprises, confirme'e par des vieillards dont les parents avaient v^cu en ce lieu et en avaient 4t4 chassis par les Hurons. Avec les traditions obscures des anciens habitants du Canada, il est difficile de reconstruire 1'histoire des temps qui ont pre*- ce'de I'arrive'e de Champlain. N'ayant pour conserver le sou- venir des faits, d'autres moyens que les re"cits confi^s par les peres a la me'rnoire de leurs enfants, les tribus du Canada (1) Moeurs des sauvageg, vol. I. (2) Afotiir*. coutumfK et relliyion des saitvayeg dans VAmiriqtie Septentrionnle ; par Nicolan Prrot. C'est un ni6inoire tnanuncrit tr6s-iut6res.sant. dont le P. Lafltua cite des pa^ea entidres. Ilonnuo courasenx, ecrivain honuete et bon ob8ervatur, Perrot avait loiigtomp.s vecu au uiiiiuu des nations de I'oUMt qui lui 6taieut fort atta- chees. (3) Relation del Jtxuitea, annee 1646, p. 34. (4) Delation dei Jituite*. 1642, p. 38. 1549] DU CANADA 47 n'avaient garde* que des idees confuses de leur origine, de leurs migrations et de leurs guerres, les faits anciens se melant sou vent avec les eve'nements d'une date re'cente. Nean- moins, de la relation de Jacques Cartier et des recits des sau- vages, Ton peut inferer qu'un parti de Hurons, apres avoir chasse* les Onontchataronons, e'tait reste* avec quelques-uns de ces derniers dans 1'ile de Montreal, et y avait e'tabli la bour- gade que les Francais trouverent au pied de la Montagne en 1535 ; que plus tard les Hurons, harceles paries anciens pos- sesseurs de Tile et peut-etre par les Agniers, auront e'te forces de se replier vers le gros de la nation. Quelque vraisemblable que paraisse cette opinion, elle demeureratoujours enveloppee dans le doute et 1'incertitude. 48 COURS D'HISTOIRE [1562 CHAPITRE TKOISIEME Exp6dition des Huguonots franais dans la Floride Ribaut Laudonnidre Du G-ourgues. Apres avoir suivi les inutiles efforts d'une poigne'e de Fran- catholiques pour fonder un etablissement durable sur les bords du Saint-Laurent, jetons les yeux sur un essai de colo- nisation fait par des huguenots francais, dans une des plus belles parties de 1'Amerique du Nord. Sous Francois I et Henri II, les huguenots avaient tente quelqiies soulevements, promptement reprimes par ces princes. En general, les Francais n'eprouvaient point de penchant pour le calvinisme, au fond duquel ils apercevaient un despotisme de"guis4 sous le masque de la religion. Ils avaient devant eux les re"sultats produits par les sectes nouvelles, en Angle- terre, en Allemagne, en Suede, oil les princes, ay ant re'uni 1'autorite spirituelle au pouvoir temporel, etaient devenus papes et rois, maitres des corps et des consciences de leurs sujets. D'ailleurs, la France avait vu les huguenots a I'ceuvre. Henri II mourut en 1550, laissant sa couronne & Francois II, qui avait e'pous^ Marie Stuart, reine d'Ecosse et niece du due de Guise. Des lors deux partis s'e"taient forme's : les Guise e'taient a la tete du parti catholique ; les chefs apparents des huguenots etaient les deux freres Antoine de Bourbon, roi de Navarre, et Louis, prince de Conde*. Mais Tame du parti protestant e"tait Gaspard de Chastillon, sire de Coligny, hornme d'une grande capacite et issue d'une des premieres families de France. La conjuration d'Amboise, ourdie par les protestants, ayant e*t de'joue'e par 1'habilete et la fermet^ du due de Guise, Louis de Cond6 se retira dans les ^tats de son frere, ou il manifesta 1'intention d'embrasser le calvinisme. Une telle demarche, de la part d'un prince du sang, encouragea les re'forme's ; ils re- prirent les armes dans le Dauphind, la Provence, le Lauguedoc et la Gascogne : ils ravagerent ces provinces, incendierent les <5glises, chasserent les pretres, exhumerent et bruleient les corps des (5 veques, et jeterent leurs cendres au vent. Au milieu du ces devastations, ils exercerent leur fureur sur les restes [1562 DU CANADA. 49 venerables de saint Francois de Paule. Dans le Beam, beaucoup de pretres furent massacres et les biens des eglises pilles. Tant d'atrocites exasperaient les catholiques, et les preparaient a exercer de terribles represailles. Aussi Coligny pressentait les dangers qui menacaient son parti lorsqu'il se serait e'puise par ses fureurs ; et il songeait a lui procurer un lieu de refuge, pour le cas ou il serait force de quitter la France. Deja, en 1555, sous Henri II, il avait essay e de fonder au Bre"sil une colonie de religionuaires. Nicolas Durand de Villegagnon, che- valier de Saint- Jean de Jerusalem, devenu calviniste, avait ete mis a la tete de cette entreprise, qui n'eut point de succes. Revenu bientot de ses erreurs et ne recevant aucun secours, Villegagnon fut contraint de tout abandonner en 1558 et de retourner en France. Coligny n'avait pas renonce a son projet ; sous Charles IX, il profita d'un moment de treve entre les deux partis, pour tenter do faire dans la Floride I'etablissernent qui n'avait pu reussir dans 1'Amerique du Sud. Ayant obtenu I'agre'ment du roi et 1'argent necessaire, il eut recours aux armateurs de Dieppe (1), ou le calvinisme comptait alors des adherents. Pour la conduite de cette expedition, il s'adressa au capitaine Jean Eibaut, huguenot, qui deja s'etait distingue* a la tete d'une flotte dieppoise. Ce fut dans le port de Dieppe que se fit 1'ar- mement, compose* de deux navires. Les equipages, en y joi- gnant les volontaires envoyes par Coligny, s'elevaient a plus de six cents hommes (2), tous calvinistes ; parmi eux etaient beaucoup de gentilshommes et de vieux soldats. Au. mois de fevrier 1562, Ribaut partit de Dieppe, et, apres une heureuse traversee de deux mois, il aborda a la cote de la Floride, sous la latitude de Saint-Augustin (3). Eernontant vers le Nord, il re- connut la riviere de May, aujourd'hui nominee Saint- Jean, et continua sa course jusqu'k Port-Royal, qu'il prit pour 1'em- bouchure d'une grande riviere. Charme* de la beaute du lieu, Ribaut y batit un petit fort, auquel, en 1'honneur du roi Charles IX, il donna le nom de Charlesfort. II laissa pour le garder une trentaine d'hommes, sous les ordres du capitaine Albert de la Pierria, et mit & la voile pour aller en France rendre compte du succes de son voyage et chercher d'autres colons. Mais comme la guerre civile s'y etait rallume'e, il ne put obtenir les secours qu'il desirait. (1) Histoire de Dieppe, vol. I. (2) Hintoire de Dieppe, vol. II. (3) Laudouuiere, Histoire de la Floride. 50 COURS D'HISTOIRE [1563 Cependant les bommes de guerre, qui formaientla population de Charlesfort, s'occuperent fort peu du soin de cultiver la terre pour pourvoir a leurs besoins. Lorsque la famine les manacait ils recouraient aux caciques des tribus voisines, qui en plusieurs occasions leur fourriirent du mais et des feves en abondance. Un incendie ayant red nit en cendres les maisons du fort avec tout ce qu'elles renfermaient, les sauvages vinrent encore au secours des Francais, et, en moins de douze heures, ils batirent des logements presque aussi grands et aussi bien faits que ceux qui avaient e'te' brules. A la famine et a 1'incendie succe"derent bientot les dissensions et le meurtre. Un soldat fat pendu par ordre du capitaine Albert pour une cause assez frivole ; les inurmures croissant, et les desobe'issances devenant plus frequentes et plus graves, le commandant se livra a des emportements, auxquels ses soldats mirent fin en le faisant mourir. Ils se clioisirent ensuite un autre chef nomme Nicolas Barre, homme plus sage que son devancier, et qui reussit a retablir la paix. Mais s'ennuyant bientot de ne point recevoir de nouvelles de France, ils re"so- lurent de construire un petit brigantin pour se repatrier. L'entreprise e*tait difficile, car ils n'avaient ni ouvriers, ni mate'- riaux pour greer un vaisseau. Mais ces homines, qui avaient preTere 1'inaction aux utiles travaux de la culture, se mirent a 1'ouvrage avec une ardeur extreme, quand il fut question de retourner en France. Ils e'taient devenus charpentiers, forge- rons, calfats, et voulaient tous mettre la main a 1'ceuvre. Des que la eoque du brigantin fut acheve'e, ils allerent dans la foret chercher de la mousse, qui est fort longue dans le pays, et ils s'en servirent pour calfater ; les chemises et les draps se transformerent en voiles ; ils obtinrent du goudron en faisant des incisions dans I'e'corce des pins et les sauvages fournirent des cordages. Quand le petit vaisseau fut pret a prendre la nier, ils se haterent d'abandonner le fort et de se mettre en route, sans avoir eu la precaution d'embarquer une provision suffisante de mais, qu'ils pouvaient facilement obtenir. Des calmes sur- vinrent lorsqu'ils n'etaient qu'au tiers de leur voyage ; 1'eau douce manqua, les vivres etaient e'puise's, et chaque honime ne recevait plus que douze grains de mais par jour. Pour comble de malheur, 1'eau pe'ne'trait de toute part dans leur vaisseau. Une partie des hommes mourut de faim et de fatigue ; les autres se de"ciderent a 6gorger Tun d'entre eux, pour se nourrir de sa chair. Le sort tomba sur celui dont la punition avait 6t cause de la mort du capitaine Albert ; son corps fut 1564] DU CANANA. , 51 depece* et partage* en portions egales entre ses compagnons. Apres cette longue serie de malheurs, ils eurent la bonne fortune d'etre rencontres par un navire anglais, qui les arracha a la mort et les porta en Angleterre. Ainsi se termina, en 1563, la premiere entreprise des huguenots fraiujais pour e'tablir une colonie dans la Floride. Un ealme momentane etant survenu au milieu des agita- tions de la guerre civile, Coligny s'empressa d'en profiter afin d'obtenir du roi des secours pour retablir la colonie. En 1564, Charles IX ordonna d'equiper trois navires pour cette expe- dition ; et Rene* de Laudonniere fut charge* de la conduire. C'etait un homme intelligent, qui avait aceompagne Ribaut en 1562, et qui etait bon marin quoiqu'assez mediocre so*ldat. II a eerit la relation des voyages faits pour I'etablissement de la colonie de la Floride, et comme il e*tait protestant, Ton peut croire que dans son recit, il n'a rien dit de trop contra ses coreligionnaires. Les souvenirs qui se rattachaient a Port-Royal n'etaient pas de nature a attirer Laudonniere de ce cote. Arrive^ sur la cote de la Floride apres deux mois de navigation, il se dirigea vers la riviere de May, ou il fat bien accueilli par Saturiona, paraousti ou seigneur du canton. Celui-ci aida meme les Francais dans la construction du fort qu'ils Reverent; en 1'honneur de Charles IX, ce fort recut le nom de Caroline, qui s'est conserve* et a ete plus tard donne a deux des etats. de la republique ame'ricaine. Laudonniere, au lieu de chercher a maintenir la paix avec toutes les tribus voisines, s'allia avec Saturiona pour attaquer un cacique de I'int^rieur, qui possedait des mines d'argent. Mais, s'apercevant du danger auquel il s'exposait en se confiant trop a son allie*, il voulut s'assurer de sa fidelite et retenir prisonniers quelques-uns de ses sujets. Cette conduite provo- qua le ressentiment de Saturiona contre les Franqais ; et pour surcroit de malheur un esprit de mutinerie s'empara d'une partie des hornmes de Laudonniere. A la suite de plusieurs menaces de leur part, ils le saisirent et le retinrent prisonnier pendant quinze jours, sur un vaisseau mouille au milieu de la riviere ; il ne sauva sa vie des mains de ces furieux, qu'en signant un ordre, par lequel il leur permettait de faire voile vers les colonies espagnoles. Le pratexte qu'ils alleguaient e"tait la crainte de mauquer de vivres ; mais le motif veritable de leur voyage etait 1'amour du pillage. Ils avaient form($ le plan de comrnencer leur campagne Le"ogane, dans Tile d'Halti ; ils y 52 COURS D'HISTOIRE [1565 devaient prendre terre la veille de Noel r entrer dans 1'^glise pendant la messe de minuit, et massacrer tons les assistants, Le huit decembre, soixante-six hommes partirent avec ce dessein sur deux vaisseaux ; et, sans egard pour les ordres que leur avait donnas Laudoimiere d'eViter toute hostility contre les Espagnols, ils commirent plusieurs actes de piraterie. Les huguenots francais furentainsi les premiers dansle Nouveau- Monde, a donner le signal de la guerre entre des Europeens, Les commencements de la course leur furent favorables. Quoique la dissension eut, au moment du depart, separe les deux vaisseaux, ils prirent plusieurs batiments et s'empare- rent du gouverneur de la Jamaique. Mais leurs succes furent de peu de dure*e ; par Tespoir de faire un grand butin, ils se laisserent attirer dans un port, ou un corps nombreux d' Es- pagnols les attaqua. Le gouverneur fut delivre* ; plusieurs des pirates furent pris ; les autres s'ecbapperent avee peine et furent forces par la famine de retourner a la riviere de May, Laudonniere, aupres duquel ils se rendirent, fit fusilier quatre des plus mutins et pardonna aux autres. Quelques caciques fournissaient des vivres en abondance au capitaine francais, de qui ils obtenaient, en retour, des soldats pour les soutenir dans leurs guerres contre les nations plus e'loigne'es. Pendant 1'hiver, personne ne s'occupa de menager les provisions, parce que Ton s'attendait a recevoir des secours au printemps. Aussi, durant I'e'te', aucun navire n'arrivaut, la misere fut extreme ; et Laudonniere, apres avoir e'puise' toutes les ressources afin d'empecher ses hommes de mourir de faim, tachait de faire r^parer les vaisseaux pour retoumer en France, lorsque Sir Charles Hawkins, qui venait de vendre une cargaison d'esclaves aux lies, arriva avec sa flotte a 1'entr^e de la riviere de May. Ayant reconnu les besoins des Francais, il leur fournit des vivres et leur laissa m^me un de ses navires. Pourvus de ce secours, les colons allaient s'embarquer lorsque, le vingt-huit aout, ils apercurent des voiles qui s'approchaient du port (1). C'e'tait Eibaut, qui sur sept navires amenait plusieurs families, avec des vivres, des instruments d'agriculture et des animaux domes- tiques. II ^tait charge de prendre le commandement de la colonie, et de signifier a Laudonniere Tordre de repasser en France, pour y rendre compte de sa conduite. Pendant que Tarrivee de Ribaut ranimait les courages, cinq gros navires espagnols se pr^senterent a 1'entr^e de la riviere (1) Laudonuiire, Uittuirc de la Floride ,- trouritme voyage des Franfais* 1565] DU CANADA. 53 et vinrent mouiller a une petite distance de la flotte francaise. La cour d'Espagne, informee des pirateries auxquelles s'e"taient livres une paitie des honimes de Laudonniere, et croyant peut- etre que la eolonie toute entiere n'e"tait qu'un repaire de bri- gands, entreprit de se debarrasser de voisins si incommodes. D'ailleurs elle regardait la Floride comme lui appartenant, par suite des expeditions qu'y avaient faites les Espagnols a plu- sieurs reprises. Des 1'annee 1512, Ponce de Lon, Tun des compagnons de Colomb, desirant faire des decouvertes arma trois na vires a Porto Kico, croisa au milieu des lies de Bahama, et s'approcha d'une terre situee au 30 e degr de latitude septentrionale. II en prit possession au nom de son souverain, et la nomma Floride, parcequ'il j debarqua le jour de paques fleuri. Quel- ques-uns pre"tendeut qu'il etait a la recherche de la celebre fontaine de jouvence, que les Indiens disaient exister dans le pays. Neuf ans plus tard, Ponce de Leon revint sur la cote ; mais il fut attaque si vigoureusement par les sauvages, qu'il perdit une partie de ses hommes et recut lui-mme une bles- sure mortelle ; il fut porte sur ses navires et alia expirer a Cuba. En 1525 Vasquez de Ayllon n'eut pas un meilleur succes. L'anne*e suivante Pamphile de Xarvaez, muni d'une commission de Charles Quint, alia debarquer avec trois cents hommes sur la cote occidentale de la Floride. S'etant avanc6 pour s'ern- parer de la eapitale des Apalaches, au lieu d'une ville fort riche qu'il croyait prendre, il ne trouva qu'un amas de cabanes ; et bientot environne d'ennemis, il fut oblige de se retirer vers le golfe du Mexique. On ne sait ce que devint Narvaez ; mais de toute sa bande trois hommes seulement purent rejoindre leurs eompatriotes. La soif de 1'or, qu'on esperait trouver en abondanee dans la Floride, y eonduisit encore plusieurs troupes d'aventuriers espagnols. Ferdinand de Soto, gouverneur de Cuba, essaya de s'en rendre maitre avec neuf cents fantassins et trois cents cavaliers. II debarqua dans la baie d'Espiritu Santo, d'oii il remonta vers le nord-est, sans cesse harcel par les indigenes. Toujours a la recherche de Tor qu'il ne trouvait point, il retourna vers le golfe, visita la baie de Pensacola, gagna vers le nord ;en 1541, il s'avanca jusqv.es sur les bords du Missis- sipi, puis passa dans les pays de 1'ouest, et endn vint mourir sur les bords du grand fleuve, au mois de mai 1542. Dans le printemps de 1543, Muscoso de Alvarado, qui avait pris le eommandement apres la mort de Soto, descendit le Mississipi 54 COTJRS D'HISTOIRE [1565 jusqu'au golfe, avec les debris de sa petite arme'e, et arriva & Panuco dans I'automne de la merne annee. Cette expedition avait dure quatre ans, et fut aussi inutile et aussi desastreuse que les pre'cedentes. Don Pedro Melendez de Aviles, Fun des meilleurs officiers de mer que posse'dat 1'Espagne, avait ete charge de fonder une colonie dans la Floride, lorsque Philippe II fut inform^ que des huguenots francais venaient de s'y e"tablir. Melendez recut o > j 1'ordre de les chercher, et de les chasser du territoire reclame" par la couronne d'Espagne. Lorsqu'il parut dans la rade, les matelots des quatre navires que Eibaut avait laisse"s eou- perent les cables, abandonnerent les ancres et s'eloignerent en toute hate vers la haute mer. Us furent inutilement pour- guivis par Melendez, qui retourna vers le lieu deja choisi pour sa colonie, i huit ou dix lieues du fort de la Caroline. Le hint de septembre il prit possession du pays au nom de Philippe II, et il commenca les fondations du fort qui devait proteger la nouvelle ville. Elle recut le nom de Saint- Augustin, parce que les vaisseaux espagnols avaient apercu les terres de la Floride le jour de la fete de ce grand saint. Dans la colonie francaise une discussion orageuse venait de s'e"lever. Eibaut proposait d'aller attaquer les Kspagnols pen- dant qu'ils e*taient occupe*s au d^barquement, et avant qu'ils se fussent fortifies ; Laudonniere au contraire lui conseillait de commencer par se inettre a 1'abri d'une attaque des ennemis. Malheureusement le parti de 1'aggression pr^valut ; le dix septembre, Eibaut sortit avec sa flotte, ne laissant pour de*- fendre le fort qu'un petit nombre d'hommes avec des femmes et des enfants. Des qu'il fut en mer, il s'eleva une si furieuse tempe" te que les sauvages assuraient n'avoir jamais rien eprouve" de plus terrible. Les navires francais furent entraintSs vers le sud par les vents, et jetes a la cote ou il se briserent ; presque tous les matelots et les soldats furent sauv4s, mais ddja affaiblis par les fatigues de la navigation et extenue"s de faim, ils manquerent d'eau et de vivres. Pendant que la mer detruisait la flotte de Eibaut, les Espa- gnols conduits par un Francais, ancien soldat du paiti de Laudonniere, vinrent a travers les forets et les savanes pour raser le fort de la Caroline. Apres trois jours de marche, ils y arriverent le vingt septembre 1565. Un broullard e"pais, accompagn(i de pluie, leur permit de s'approcher des portes du fort, avant qu'on les eut apercus. Au cri d'alarme pousse par la trompette, Laudonniere, suivi d'une poignde des siens, 1565] DU CANADA, 55 s'elanca au devant des ennemis ; mais il e'tait trop tard. Les Espagnols avaient deja pene'tre' dans la place et commence un massacre general, Presque tous les soldats francais furent tues ; Laudonuiere et quelques-uns de ses compagnons reussi- rent a se sauver sur un des vaisseaux ; les femmes et les enfants trouves dans le fort furent seuls e*pargnes. Laudon- riiere ne songea plus qu'a s'eloigner de ce lieu de desolation ; apres avoir recueilli plusieurs des siens qui avaient eu le bon- heur de gagner les bois, il fit voile vers la France, ou il arriva enfin longtemps apres son depart ; car pendant quelque temps il avait e"te retenu en Angleterre par la maladie. Plusieurs Francais qui avaient echappe au massacre s'etaient rendusaux Espagnols ; ils furent joints aux prisonniers faits a la prise de la Caroline. Melendez les fit tous pendre a un arbre, auquel on avait attache" un ecriteau avec cette incription : " Ceux-ci sont ainsi traites, nou pas comme Francais mais comme here'- tiques et ennemis de Dieu." Apres son uaufrage, Ribaut se trouva avec sa troupe dans une position deplorable. Ses hommes, malgre" leur faiblesse et les difficultes des chemins, entreprirent de regagner la riviere de May a travers les bois ; sans cesse arrete's au passage des rivieres, reduits a un etat extreme de faiblesse, n'ayant plus d'esperance d'obtenir de secours, ils consentirent a se rendre aux Espagnols, sur des expressions Equivoques par les quelles Melendez semblait leur promettre d'agir avec gene'ro- site. Cependant, les Espagnols leurs firent traverser la riviere par petites bandes ; a mesure que les Francais debarquaient, on leur liait les mains, et on les conduisait ainsi a Saint- Augustin, ou, sans pouvoir se defendre, ils furent massacres de sang-froid, sur un signal donn par le roulement des tambours. Quelques catholiques, qui se trouvaient mel^s parmi les hugue- nots, furent seuls epargne's dans cette boucherie. La lachete" et la cruaute' qui avaient signal^ la coiiduite de Melendez, envers les malheureux prisonniers de la Caroline, exciterent une indignation g^nerale en France. Mais Coligny et les siens, occupes a combattre contre leur souverain, n'avaient pas le temps de songer a venger leurs co-religionnaires. Ce fut un catholiq ue qui s'en chargea. Dominique de Gourges, ne au Mout-de-Marsan en Guienne, avait servi la France dans toutes ses guerres depuis vingt-cinq a trenle ans, et s'^tait acquis une grande reputation de bravoure. Pres de Sienne en Toscane, a la tete de trente hommes, il avait arret6 pendant quelque temps une partie de I'armEe espagnole. Presque tous ses soldats 56 COURS D'HISTOIEE [1567 ayant &e tue*s pendant Faction, il fut Ini mme fait prisonnier et, centre les lois de la guerre, condamue aux galeres. La galere sur laquelle il avait &< jete fut prise par les Turcs, conduite a. Rhodes, puis a. Constantinople ; mais, ayant repris lamer, elle tomba entre les mains des chevaliers de Malte, qui rendirent la Iibert4 au brave de Gourgues. Apres ces premieres aven- tures, il entreprit plusieurs voyages, passa en Afrique, puis au Bresil, et navigua sur les mers du sud. Dans ces expeditions, il avait acqnis la reputation d'un habile marin, et d'un coura- geux soldat (1). Ainsi prepare de longue main par de rudes travaux aux entreprises les plus hasardeuses, il re"solut de venger les Francais, et de punir les Espagnols sur le theatre meme ou. ils avaient exerce leurs cruaut^s. Dans ce dessein, il vendit une partie de ses biens, emprunta a. ses amis, et r^ussit a armer trois navires, portant cent cinquante soldats et quatre-vingts ma- telots choisis. Partie de la Charente le vingt-deux aout 1567, sa petite flotte arriva heureusement sur les cotes de la Floride, et alia mouiller devsirit la riviere Tacatacourou, a quinze lieues du fort de la Caroline. II trou va la des amis parmi les sau vages, que les mauvais traitements des Espagnols avaient aigris et eloignes. Plusieurs caciques, a qui il expliqua ses desseins, se joignirent avec leurs guerriers aux soldats francais. Aide des secours de ses allies, de Gourgues surprit les Espagnols, qui, au nombre de quatre cents, gardaient 1'ancien e*tablissement francais. II s'empara d'abord de deux petits forts eleve's pres de 1'embouchure de la riviere de May ; et, comme les fuyards avaient dans leurs rapports grossi le nombre de ses troupes, il profita de la consternation des ennemis pour attaquer le fort principal, situ^ sur 1'emplacement de la Caroline et portant le nom de San Matthdo. II s'en approcha k 1'abri de la foret, et il se proposait d'attendre au lendemain pour donner 1'assaut, lorsque la precipitation des Espagnols vint hater leur malheur. Un corps de soixante arquebusiers, que le gouverneur fit sortir pour reconnaftre les Francais, fut attaque en tete et en queue, et si mal men^ que tous les soldats dont il e*tait compost demeurerent sur la place. Les autres, effrayes, abandonnerent le fort pour s'enfuir dans les bois, ou ils p^rirent presque tous sous les coups des sauvages. Quelques-uns des Espagnols ayant dte faits prisonniers, de Gourgues les fit pendre ^i des ai'bres, en retour des cruautds exercees coutre Ribaut et sa ' (1) Eittoirt de la Floride ; quatrilme voyage den Vranyai*. 1568] DU CANADA, 57 troupe ; et, a la place de l'e"eriteau qu'avait plac Melendez, il en mit un autre portant les inots suivants : " Je ne fais ceci corame a Espagaols, ni eomme a mariniers, mais comme a traitres, voleurs et ineurtriers." De Gourgues ne crut pas devoir demeurer en ee lieu : il avait rempli sa mission, et il n'etait pas dispose & fonder une colonie. Quand il aurait eu eette intention, le voisinage de Saint- Augustin, ou les Espagnols e"taienten force, aurait rendu sa position fort perilleuse. II fit done miner les forts par les sauvages, afin que les Espagnols ne pussent y rentrer, et, apres avoir recompense ses allies, il s'eloigna de la Floride le trois mai 1508. Au mois de juin, il arriva a la Eochelle, d'ou la nouvelle de son sueces se repandit bientot dans toute la France. La nation entiere, a 1'exception de la cour, rendit un hommage bien merite a la bravoure et au patriotisms de Dominique de Gourgues. II est facheux cependant pour sa gloire qu'il ait imit^ la con- duite des Espagnols, en livrant ses prisonniers a la mort ; ces tristes represailles ne sauraient etre approuvees par la justice, puisque souvent elles tombent sur des innocents, plutot que sur les coupables. De Gourgues mouruta Tours en 158 2, au moment ouil allait prendre le commandement d'une flotte, avec laquelle Don Antoine de Portugal se preparait a conqu^rir son royaume, tombe au pouvoir des Espagnols depuis la mort de Don Sebas- tien. Les Francais renoneerent a la Floride, apres la malheu- reuse tentative des huguenots pour s'y etablir; et ce beau pays passa sans contestation sous la puissance de 1'Espagne. Le caractere remuant et 1'esprit d'insubordination des homines employe's dans les expeditions de Bibaut et de Lau- donmere furent les premieres causes de leurs malheurs ; par leurs pirateries, ils fournirent a 1'Espagne des pretextes pour les attaquer ; par leurs dissentions intestines, ils s'affaiblirent et se mirent hors d'etat de resister a leurs ennemis, qui avaient 1'avantage d'etre soumis a la direction d'un seul chef. 58 COURS D'HISTOIRE [1578 CHAPITEE QUATRIEME Lajannaye-Chaton et Jacques !Noel Le marquis de la Roche Chauvin Le com mandeur de Chates Samuel de Champlaiu et Poutgrave a Tadoussac De Monts Charte de la Virginie Acadie Colonie oonduite par de Monts a 1'Acadie Etablisseme.nt foi-m6 a Saiute-Croix. transfere a Part-Royal De Monts retourne en France Trait6 avec Poutrincourt. qui conduit des seeours a Port-Royal Marc Lescarbot Membertou Caractere et mceurs des Souriquoia Us font le signe de la croix pour imiter les Francjais. Apres le retour de Eoberval en France, il s'e'coula bien des annees, pendant lesquelles le Canada semble avoir etc* com- pletement perdu de vue par la cour des fois tres-chretiens. Neanmoins la grande bale et 1'entree du fleuve Saint-Laurent continuaient d'etre frequentees par les Malouins, les Normands et les Basques, qui remontaient jusqu'a Tadoussac pour y faire la traite des pelleteries. Lajaunaye-Chaton et Jacques Noel, neveux et he"ritiers de Jacques Cartier, voulurent aussi avoir une part de ce commerce lucratif. Mais plusieuis de leurs pataches ayant e'te d^truites par des compagnies rivales, ils presentment une requete au roi, afm d'obtenir une commission semblable a celle dont avait joui leur oncle. Par des lettres- patentes en date du quatorze Janvier 1588, ils furent auto- rise's a faire seuls le trafic des pelleteries. De leur cote", les marchand de Saint-Malo armerent leurs vaisseaux pour r^- sister a ceux qui tenteraient d'entraver leurs relations avec les sauvages, et ils firent jouer tant de ressorts, que le privi- lege accorde* a Chaton et a Noel fut revoqu4 (1). Un homme bien plus important que les neveux de Cartier, s'occupait vers le meine^ temps de fonder des colonies dans le nord de 1'Ame'rique. Troilus du Mesgouez, marquis de La Roche, issu d'une ancienne famille de la Bretagne, avait etc attache a la cour des sa jeunesse, comme page de Catherine de Medecis (2). Prot rencontra alors un homme d'une grande capacite : c'etait Samuel de Champlain, qui consentit avec joie a faire partie de 1'expe"- dition. Ne a Brouage en Saintonge (3), Champlain avait servi pendant deux ans et demi comme officier de marine, aux Indes Occidentales (4), et ensuite dans le midi de la France contre les Espagnols. II e*tait depuis peu de temps & la cour (1) Aiijourd'bui uno belle peau de rcnard noir se vend cent piastres, sur la cote du Labrador ; ellc en vuut trois cents en Ruttsie. (2) Ijf, voyages de la Xouvelle France, etc., par Cbamplain, liv. I, chap. vii. (3) Samuel de Cbamplain 6tait flls d'Antoine de Cbamplain. capitainc dc \ aisseau, et de Marguerite le Koi ; on trouve ces noius dans son coutrat de uiariage. (4) Cliamplain a laisse. sur son voyage aux Indes Occidentales, des mtmoires, qui sont outre les mains de M . K6ivt, de Dieppe. 1603] DTJ CANADA. 63 ou il jonissait d'une pension. Le voyage fut heureux. Laissant leurs vaisseaux a Tadoussac, Pontgrave et Champlain remon- terent le fleuve en chaloupe jusqu'au saut Saint-Louis. Us ne puient aller plus loin, et reprirent le chemin de Tadoussac, examinant soigneusement le pays, et recevant des sauvages quelques informations sur les rivieres qui tombent dans le grand fieuve ; ils remarquerent surtout le beau havre au milieu duquel s'avance le promontoire, des lors connu sous le nom de Kebec. Mais leurs esperances furent fortement e'branle'es, lorsqu'en arrivant a Honfleur, dans 1'automne de 1603, ils apprirent la mort du commandeur de Chates, qui n'avait pu accompagner 1'expedition. Champlain comprenant que 1'ceuvre projete ne pourrait avancer, a moins qu'elle ne fut conduite par quelque seigneur, possedant un assez grand credit pour re'primer faci- lement les entreprises de ceux qui voulaient obtenir les avantages de la traite avec les sauvages, sans avoir aucune charge a supporter. L'on n'aurait pas eu a craindre ces in- conve"nients avec M. de Chates, qui, e'tant aime* et estime* de Henri IV, jouissait de toute 1'autorit^ necessaire pour faire respecter ses droits. Champlain, qui fait rernarquer toutes les fautes commises dans les expeditions anterieures, reconnait que dans celle-ci il n'y en avait point eu, M. de Chates avait pris toutes les precautions pour la faire re"ussir. Jusqu'alors on avait commence par reunir des colons, qu'on envoyait avant d'avoir choisi un lieu propre a les recevoir. De la il arrivait qu'on tatonnait longtemps avant de trouver une position conve- nable. Pendant ces delais, les provisions s'e"puisaient, et, lors- que tout semblait pret, il fallait retourner en France afin de ne pas s'exposer a mourir de faim. M. de Chates avait tenu une conduite plus raisonnable ; avant d'envoyer des colons, il avait eu la sagesse de faire examiner les lieux pour choisir celui qui serait le plus propre a ses desseins (1). Sa mort fut done une perte serieuse pour le Canada, et un facheux contretemps pour Champlain et Poutgrave'. Cependant il se pr(3senta un nouveau protecteur, qui, sans donner toutes (1) Lo tombeau de M. de Chates est dans 1'Eglise de Saint-R6mi, & Dieppe. Le choeur de cette ejjlise renferme un autre souvenir du Canada : c'est un morccau de sculpture, represeutaut des sauvages. Suivaut une tradition locale, ces stsitnettes aur;iitintet6 placfies pour rappeler quelque voyage des Dieppois dans 1'Amerique du Nord. Le tombeau du c61ebre arinatcur Augo. bienfaiteur de Dieppe, est dans la belle eglise de Saint-Jacques. Dieppe est tin petit Canada; un grand nombrc dr l':i- milles canadiennes sont sorties de Dieppe ou de scs environs ; on y trouve les noms Irs plus connus an Canada ; la prononciatiou et certaiucs locutions cauadienues nous sont communes avec les Dieppois. 64 COURS D'HISTOIRE [1603 les garanties qu'offrait le commandeur de Chates, etait cepen- dant, sous beaucoup de rappoits, digne de lui succeder (1). Pierre du Guast sieur de Monts, natif de la province de Sain- tonge comme Champlain, offrit a Henri IV de former quelques e'tablissements en Amerique, sans qu'il en coutat rien a la couronne.' II e"tait gouverneur de Pons, et gentilhomme ordi- naire du roi. Pendant tous les troubles de la ligue, il avait rendu d'importants services au roi, qui avait en lui une pleine confiance. Sa demande fut agreee, et, par un e"dit du huit novembre 1603, il fut nomm lieutenant general " au pays de la Cadie (2), du 40 e au 46 e , pour peupler, cultiver et faire habiter les dites terres le plus promptement, faire rechercher mines d'or, d'argent, etc., batir des forts etdes villes, conceder des terres, etc." M. de Monts crut devoir conserver la compagnie formee par son pre'de'cesseur ; il 1'augrnenta meme en y admettant plusieurs marchands de Eouen et de la llochelle (3). Afin de fournir aux associes les moyens de subvenir aux defenses n^cessaires pour exploiter le pays, le roi, par des lettres pa- tentes en date du dix-huit de'cembre de la meme annee, leur accordait pour dix ans, le privilege exclusif du commerce des pelleteries et autres marchandises, "depuis le cap de Eaze, jusqu'au quarantieme degre", comprenant toute la cote de 1'Acadie, terre et Cap-Breton, baie de Saint-Cler, de Cha- leur, lies Perches, Gaspay, Chichedec, Mesamichi, Lesquemin (4), Tadoussac, et la riviere de Canada, tant d'un cote* que d'autre, et toutes les baies et rivieres qui entrent au-dedans des dites cotes." Ainsi le territoire accorde* a de Monts descendait un pen au sud de 1'embouchure de la riviere Manhatte ou Hudson ; au nord, il renfermait une partie de Tile du Cap-Breton ; quand au privilege exclusif, il s'&endait sur le golfe et surle fleuve de Saint-Laurent. De cette date, furent jete's les germes de division qui plus tard entrainerent la France et 1'Angleterre dans une longue suite de guerres. Vers les anne"es 1502 et 1603, quelques vaisseaux anglais avaient crois sur ces cotes, et avaient tents', sans succes, d'y (1) L'eacarbot ; Champlain, liv. I, chap. vra. (2) Les anciens documents portent tantot Acadie. tantfit Cadie: 1'origine de cenom est mcuunue. On le retrouve dans les uiots composes : Tracadie, Shubenacadie, Chykabenakdie. (3) Champlain. liv. I, chap. vin. (4) Miramkhi, Encoumin. 1603] DU CANADA. 65 former des e"tablissements. En 1606, trois ans apres la date des lettres patentes accorde"es au sieur de Monts, Jacques I avait donne une charte pour la colonisation de la Yirginie, a laquelle il donnait pour bornes le 36 e degreau sud, etle 45 e au nord. On voit par la que les deux concessions, se croisaut et empietant 1'une sur 1'autre, devaient amener des collisions inevitables entre les sujets des deux couronnes. Aussi, sous differents noms et avec des limites mal definies, 1'Acadie a-t-elle etc pendant un siecle et demi un sujet de contestations toujours renaissantes entre la France et 1'Angleterre. La guerre se terminait par un traite", concu en termes ambigus et qui laissait une porte ouverte d'abord a des interpretations incon- ciliables, puis a de nouvelles hostility's. Les autorites de la meme nation ne s'accordaient point toujours sur ce qu'il fallait entendre par 1'Acadie. Cependant, d'apres 1'opinion la plus ge"nerale, ce nom s'ap- pliquait a lape"ninsule de la Nouvelle-Ecosse. Denys, pendant longtemps gouverneur d'une partie de 1'Acadie, donne une autre division du pays appartenant a la France. II le partage en quatre portions. La premiere commencait a la riviere Pen- tagouet ou Penobscot, et s'etendait jusqu'ala riviere Saint- Jean (1) ; c'etait la province des Etchemins. La seconde renfer- mait les cotes de la Baie Erancaise, et se terminait au cap Fourchu ;il la nomme la province de la Baie-Francaise (2). La troisieme, portant seule le nom d'Acadie, embrassait les cotes depuis le cap de Sable jusqu'au detroit de Canseau. La qua- trieme, qui formait le gouvernement de Denys, etait entre Can- seau et Honguedo ou le cap Fourillon ; il appelle cette derniere la province du Saint-Laurent. Telles sont les divisions donnees par Denys, qui, mieux que tout autre, connaissait le pays et ses commencements. Toutes ces contrees etaient encoie entre les mains des tribus sauvages. Les Souriquois ou Micmacs occupaiept la peninsule acadienne, la Gaspesie et le pays qui s'etend de 1'une a 1'autre ; les Malecites ou Etchemins habitaient entre les rivieres Saint- Jean et Pentagouet ; leur pays avait recu le nom de cote de Norembegue. Au sud du Pentagouet, e'taient les Abenaquis (3), qui avaient aussi quelques villages sur la riviere Kinibeki. (1) Nomm6e Ouygoudy par les sauvages. (2) La Bale Frai^aise re^ut son nom deM.de Monts ; on ne pent deviner ponrquoi les Anglais 1'out nominee baie de Fnndy. Auraient-ils traduit par Hay of Fundy, lew mots que portent d'anciennes cartes : Fond de la Baie t (3) Wabanakki, orientaux. de wAban, il et anroro; etykki. terre. Ces doux mots appanieuiieut a la laugue des Sauteurs. (Kote de M. Lafleche, inissionnaire.) 66 COURS D'HISTOIRE [1604 L'on rencontrait ensuite, en descendant vers le midi, les Ar- mouchiquois, nation adomiee a la culture de la terre, mais tres-me'chante ; puis les Massachusets, lesWampanoags, les Pequods, les Narragansets (1). Vers le haut de la riviere Con- necticut etaient les Socoquiois, qui s'etendaient jusqu'aux sources de la riviere Chouacouet. Entre le Connecticut et la riviere Hudson, se trouvaient les Loups ou Mahingans, appele"s Mohicans par les Anglais. Toutes ces tribus appartenaient a la grande famille algon- quine ; leurs langues, ayant une origiue commune, devinrent avec le temps si differentes les uues des autres, que denx tribus voisines avaient peine a se comprendre. Plus tard, les trois tribus du nord, c'est-ft-dire les Souriquois, les Abe- naquis et les Malecites, se rapprocherent pour se preter un mutuel secours dans leurs guerres contreles colonies anglaises. Elles ont quelquefois e"te confondues ensemble, par des ecri- vains anglais et francais, sous la denomination collective de tribus abenaquises. Josselyn, ecrivain anglais qui visita la Nouvelle-Angleterre en 1638-39, dit que tout le pays, depuis le Cap Cod en remon- tant vers le nord, appartenait aux Aberginiens, qu'il partage en trois tribus : les Massachusets, les Wappanacks ou Abenaquis, et les Tarentines ou Etchemins. II parait ne pas avoir connu les Souriquois, ou les avoir confondus avec les Etchemins. Ayant rencontre, dans son voyage a Tadoussac, des cotes ste'riles et un climat froid, de Monts crut devoir porter sa colo- nie vers le sud et s'e'tablir sur une terre plus fertile. II pensait, comme Lescarbot, " qu'il est bon de se loger dans un doux climat, lorsqu'on peut tailler en plein drap." Sa compagnie, e'tant compose'e de riches marchands de Eouen et de la Rochelle, put pr^parer un armement plus considerable que ceux qui avait e'te' faits pre'ce'demment. Elle freta quatre na vires, dont un e*tait des- tine" a faire la*traite des pelleteries a Tadoussac; le second, place" sous les ordres de Pontgrave 1 , devait croiser dans le de*troit de Canseau et autour de 1'ile du Cap-Breton, pour empecher les marchands Strangers a la compagnie de faire le commerce avec (1) Les Massachusetts s'attachercut aux Anglais, qui 8'6taient 6tablit an milieu a nature, " (1) IltKlson ne d6cotirrit 1ft riviere Manhattfi qn'en 1(500 ; il 6tait alors au service de Iu Hollunde. Lea Hollaodais pi-oflteretit de cette decouverte pour 6tendre lenr com- merce. En 1CI4, ils remonterent la riviere, et dons I'automne ils hatin-nt tin fort sur tine ile pres d' Albany. Le foit Orange, nujourd'hui Albany, ne fnt COIIIIIH nrt' ;|u'rn 1C23 ; en IGi'V-quulqiioH colons furent envoyes pour linliiici duns 1'ilc dc Munliatte et les Hollandais se niirenta y construire lefort ue New- Amsterdam, muinteuaut New- York.^r(Collect. of the New York Hist. Soc. Vol.111). 1605] DU CANADA 69 dit Charlevoix, " n'a presque rien e"pargn^ pour en faire un des plus beaux ports du monde. II a deux lieues de long, surune grande lieue de large ; line petite ile, qu'on a nomme'e 1'ile aux Chevres, est presque au milieu du bassin, etles vaisseaux peu- vent en approcher de fort pres Le climat est temper^, 1'hiver moins rude qu'en beaucoup d'autres endroits de la cote, la chasse abondante, le pays charniant, de vastes prairies en- vironnees de grandes forets, et partout des terres fertiles (1)." Ces avantages avaient frapp6 Poutrincourt, et, avant de re- tourner en France, dans rautomne de 1604, il avait demande Port-Boyal a M. de Monts, qui le lui accorda. De Monts avait aussi pris possession de toutes les c6tes jusqu'au 41 e degre ; il avait visite les lieux, et doune des noms aux endroits les plus remarquables. Le droit a ete sou vent invoque par les Francais et par les Anglais, dans leurs longs demeles au sujet de la possession de 1'Acadie, de 1'ile du Cap- Breton et de Terreneuve ; mais, dans la pratique, la de'ci- sion a toujours etc* confiee a la force. Tantot les Francais, tautot les Anglais s'eniparaient d'un territoire conteste ; et, dans 1'occasion, les uns et les autres employaient le meme argument de la force contre les nations sauvages. Par mal- heur pour la France, elle n'a pas deploy^, pour la conserva- tion de ses colonies, 1'obstination que inettait 1'Angleterre a s'en emparer, et, apres avoir repousse* longtemps la force par la force, aux Indes, en Afrique, au Canada, elle a fini par se retirer de la lutte, abandonnant a sa rivale des pays que les soldats et les colons francais avaient arroses de leuio ^ucurs et de leur sang. Vers rautomne de 1605, de Monts, laissant Pontgrave* pour commander a sa place, passa en France, ou il trouva les clioses 1 bien changees. Les pecheurs bretons, basques et normands s'etaient plaints d'etre gene's dans la peche par le employe's de M. de Monts (2). Us repre'senterent auroique si Ton ne faisait un reglement pour preveuir les abus, la peche serait inter- rompue, et par suite les douanes en souffriraient, et eux- memes, ainsi que leurs families, seraient reduits a la pauvret^, Le conseil comprit le tort que devaient causer aux p^cheries les precautions prises par M. de Monts pour proteger la traite (1) Charlevoix, Hist. Generate de la Nouvelle- France, liv. III. II faut 86 garder de coufoudre ce Port Koyal. situe dans 1'Acadie, avec celui quo viait6reut les huguoiiots frau^ais dans la Floride. (2) Voyages de Champlain, liv. I. chap. VII. 70 COURS D'HISTOIRE [1606 des pelleteries, et en consequence le privilege exclusif qui lui avait ete accorde fut revoque". Sans se laisser deeourager par ce contretemps, il fit un nouveau traite avec Poutrincourt, qui se chargea de conduire une expedition & Port-Eoyal. Le vaisseau partit de la Eo- chelle au mois de mai 1606, portant des ouvriers et quelques amis de Poutrincourt, parmi lesquelles se trouvait Marc Lescarbot, avocat de Paris. Lescarbot a laisse un ouvrage tres-precieux sur les decouvertes des Francais dans 1'Aine'- rique du Nord, et sur les premiers e'tablissements qu'ils y firent. Quoique frondeur et pen ami des je*suites, il etait religieux et assez bien instruit des verite's chretiennes pour servir de catechisme aux sauvages des environs de Port-Eoyal. II en remplit les fonctions avec zele, a defaut de pr^tres ; car ceux qui e*taient venus en 1604 avaient laisse 1'Acadie, et M. de Poutrincourt, presse* de partir, n'avait pu en obtenir pour 1'ac- compagner. Homme d'esprit et doue d'un grand bon sens, Les- earbot aida au succes de 1'etablissement, par sa gaite et ses bons conseils. Le voyage fut si long, que les habitants de Port-Eoyal, voyant la saison s'avancer sans qu'il arrivat de secours, se crurent abandonnes. Pontgrave, qui avait commaud4 pendant 1'hiver, ne pouvant plus resister aux instances de ses gens, partit pour la France et laissa deux hommes & la garde du fort. Heureusement il ren contra, avant de sortir de la Baie- Francaise, une chaloupe qui lui annonca 1'arrivee de Poutrin- court. II retourna a Port-Eoyal, ou 1'abondance avait && ramen^e par les secours venus de France. Durant 1'automne, Poutrincourt et Champlain, desireux de connattre encore mieux le pays, entreprirent une course vers le midi. Us visiterent ensemble les cotes de la Baie-Francaise, puis s'avancerent jusqu'au-dela du cap Malebarre, se mettant en rapport avec les naturels, donnant des noms aux lieux les plus remarquables, et preuant des reuseignements sur les tribus sauvages et sur l'(5tat du pays. A leur retour, ils trouverent leurs compagnons qui se prdparaient pour les approches de 1'hiver; les travaux avaient e*te pousses avec activity parce qu'ori s'y livrait avec entrain et avec de gi andes espe"rances pour Tavenir. La saison des neiges et des froids se passa gatment, sans que Ton eut beaucoup a se plaindre du terrible mal de terre. Autour de Poutrincourt, se trouvait rdunie une bonne et joyeuse compagnie de gentils- hommes, parmi lesquels se distinguaient son fils le jeune Biencourt, Champlaiu, Lescarbot, Louis Hubert, et probable- 1607] DU CANADA. 71 ment Claude de La Tour, ainsi que son jeune fils, Charles Amador de La Tour. Champlain etablit la societe de Bontemps, dont les membres servaient de maitres-d'hotel, chactm a son tour, et devaient, pendant le temps qu'ils occupaient cette charge, veiller aux besoins et aux amusements de la compagnie. La peche et la chasse, extrernement abondantes, foumissaient des ressources inepuisables a ce fonctionnaire public. Le prin- temps venu, Ton enseinenca les terres, qui produisirent heu- reusement le froment et les autres grains. Plusieurs des prin- cipaux personnages de la colonie prenaient line part active aux travaux de la terre ; Champlain prepara un jardin et le cultiva avec beaucoup de soin ; Louis Hebert sema du bled et planta des vignes. Quant a Lescarbot, il re"ussissait a 1'agriculture et a la mecanique, tout aussi bien qu'a la poesie ; il construisit un moulin pour broyer le grain, il arrangea un alambic pour faire du goudron, et dressa des fourneaux afin de preparer le charbon de bois. " Tons les jours," dit Charlevoix, " il inventait quelque chose de nouveau pour 1'utilite publique, et jamais on ne com- prit mieux de quelle ressource peut etre, dans un nouvel erablissement, un esprit cultive par 1'etude II eut ete aussi capable d'etablir une colonie que d'en ecrire 1'histoire." Les Fraiicais entretenaient les meilleurs rapports avec les Souriquois, dont le sagamo ou chef, Membertou (1), jouissait d'une grande reputation parmi les siens. II etait fort avance en age, et il pretendait qu'il etait deja pere de famille, lorsque Jacques Cartier visita les cotes du golfe Saint- Laurent. Cepen- dant, en 1607, il avait tellement conserve ses forces et sa vi- gueur, qu'on ne lui aurait pas donne plus de cinquante ans. " C'etait un homme," dit Lescarbot, "qui avait de la dignite", d'une haute taille et portant une grande barbe.", II etait intel- ligent et comprenait facilement les veritds chretiennes. Mem- bertou dans sa longue carriere avait appris bien des choses ; il avait etc" autmoin, c'cst-a-dire, jongleur ou prophete, et avait pratique* la medecine sauvage ; de plus il e*tait causeur, et in- teressait les Francais par ses re"cits. Denys remarque qu'en ge'ne'ral les chefs souriquois etaient grands conteurs et grands rieurs. Comme ils voyageaient beau- coup, et tenaient souvent des conssils avec les sagamos des villages voisins, ils s'accoutumaient a parler longuement en public. Apres les repas, accompagnement oblig(5 des conseils, le petunoir ou calumet 4tait mis en jeu, et, pendant qu'on se (1) Lescarbot ; Cbamplain ; P. Biard. 72 COUKS D'HISTOIEE [1607 livrait a cet exercice favori du sauvage, les plus habiles dis- coureurs racontaient des histoires, dans lesquelles les animaux jonaient ordinairement le role principal. Tons ecoutaient dans un grand silence ; mais, si Tun se mettait a rire, le rire devenait general. Quelquefois un re"cit commence le matin se continuait jusqu'au soir, sans que I'atteiition des auditeurs en parut fati- gue"e, et sans qu'on cess&t de petuner. Le calumet etait toujours aux mains des sauvages lorsqu'ils n'etaient pas en marche. Le fourneau etait forme d'un pouce de homard ; on en faisait aussi de pierres vertes ou rouges. Le tuyau e"tait souvent travaille avec soin et orne de poils de pore-epic. Us cultivaient un tabac vert dont la feuille n'etait pas plus longue ni plus large que le doigt : ils le faisaient secher et le mettaient en petits pains. Ce tabac e"tait fort bon et fort doux. Les Souriquois etaient si gais et si communicatifs, qu'ils se lierent facilement avec les Francais, dont ils devinrent les amis fideles ; aussi, de leur cote, les Francais s'etaient-ils attaches a ce peuple. Lorsque plus tard 1'Acadie fut tombee au pouvoir des Anglais, les Acadiens refuserent obstinement de faire la guerre a leurs anciens allies. " Nous avons ve"cu ensemble," disaient-ils ; " nous avons prie ensemble, nous avons partage les memes dangers, ce sont nos freres : nous ne les attaquerons jamais." Cette nation sauvage a presque entierement disparu ; il n'en reste plus que quelques villages dans la Nouvelle- Ecosse, le Nouveau-Brunswick et le Bas-Canada; dans un siecle, on n'en trouvera peut-etre plus de trace. Les vieillards ne conservaient que des ide"es vagues et in- certaines sur leur origine et leur histoire. " Nous sommes n<5s sur cette terre comme les arbres, comnie les plantes du pays," disait un vieux chef a un missionnaire ; " c'est tout ce que nous savons sur 1'origine de nos peres." Avant rarriveedes Francais, suivantl'abb(5 Maillard (1), une de leurs grandes inquietudes dtait de conserver le feu du vil- lage. La garde en e"tait confine a la femme d'un chef, qui devait 1'entretenir ; elle se servait pour cela d'une grosse buche de sapin, qu'elle couvrait de cendres. Si elle le conservait pendant trois lunes, le feu e"tait sacr^ et la gardienne recevait de grands honneurs ; elle avait le droit de parattre dana 1'assemblee des guerriers, ou chacun, apres avoir alluine son calumet au foyer, devait, en signe de respect et de reconnaissance, lui lancer uue bouffee de fumee au visage. (I) ilauuscrit couserv6 aiuc archives du S6miiiaire de Quebec. 1607] DU CANADA. 73 Les Souriquois n'etaient pas exposes a souffrir de la famine comme les Alg'onquins et les Hurons. Les lacs et les rivieres leur fournissaient du gibier, les betes sauvages e"taient nom- breuses dans leurs forets, et la mer renfermait une multitude de poissons. Aussi, c'etait a force d'imprevoyanee qu'il leur arri- vait de manquer de vivres. Leur cuisine ressemblait nn peu a celle des temps heroiques de la Grece ; ils faisaient rotir les viandes au feu, et, avant qu'elles fussent completement cuites, la partie grille e'tait rnange'e, et le reste se replacait devant le feu. Quelquefois aussi, on mettait bouillir les viandes dans des chaudieres de bois qui e"taient fixes. Ils brulaient un arbre & une hauteur de deux ou trois pieds, puis creusaient la souche avec des tisons ardents et des outils de pierre, et la chaudiere e'tait prete. Le plus grand inconvenient d'un tel systeme e'tait qu'il leur fallait avoir une souche creusee, dans tous les lieux ou ils allaient passer quelque temps. Quand ils s'en voulaient servir, ils emplissaient le bassin d'eau, y mettaient la viande ; puis ils y jetaient des pierres rougies au feu. Des remedes simples et efficaces suflisaient a gue'rir presque toutes leurs maladies, qui d'ailleurs etaient fort rares ; le plus ordinaire et aussi le plus puissant de tous e'tait la suerie. Beaucoup d'entre eux e*taient dans 1'habitude de se faire suer tous les mois ; les Francois adoptereiit la meme pratique dans leurs maladies ou a la suite de grandes fatigues, et ils s'en trouverent tres-bien (1). Les idees des Souriquois, sur la morale et sur la croyance a un autre monde, etaient assez embrouillees. Ils avaient cepen- dant adopte un grand principe, qui <^tait le premier et peut-etre 1' unique article de leurs lois : c'etait de faire a autrui ce qu'ils souhaitaient qu'on leur fit & eux-memes. Aussi, ils vivaient ensemble en bonne intelligence et ne se refusaient aucun secours les uns aux autres ; si une famille manquait de vivres, les voisins lui en donnaieut aussi longtemps qu'ils en avaient eux-memes. Quoique la polygamie fut pratiquee, les femmes se montraient tres-fideles a leurs maris ; aussi les families etaient nombreuses. Les filles etaient extremement modestes et reservees ; parnii elles, 1'on ne trouvait rien qui ressemblat aux mauvaises mceurs des hommes. Les Souriquois avaient 1'esprit martial et soutenaient des luttes frequentes contre leurs voisins du midi ; mais ils regar- daient comme leurs plus redoutables ennemis les Esquimaux chez qui ils porterent souvent la guerre. Pour aller attaquer ce (1) Deuys, vol. II, chap. xxiv. 74 COUES D'HISTOIEE [1607 peuple dans son pays, ils ne craignaient pas de traverser, sur de freles canots d'ecorce, le bras de mer qui s^pare la Gaspesie dti Labrador. Avant de partir pour la guerre, ils employaient un singulier moyen pour connaitres'ilsreussiraient, ou non, dans leur expedition. Les guerriers attaquaient leurs femmes ; s'ils avaient le dessus dans la lutte, la guerie devaient etre malheu- reuse ; mais, si les femmes restaient victorieuses, les ennemis devaient courir toutes les chances d'etre battus a leur tour. Vainqueurs, ils massacraient les vaincus et leur levaient la chevelure ; mais ils n'avaient pas la barbare coutume de les manger, comme le iaisaient les Iroouois et le Algonquins. Malheureusement, dans leur commerce avec les Europeens, les sauvages de 1'Acadie prirent beaucoup de vices des peuples civilises, avant d'avoir le bonheur d'embrasser la religion chre'tienne. Comme ils e"taient peu accoutumes a re"primer les penchants de la nature, et ne s'occupaient jamais que des besoins de tous les jours, il fallut du temps et des peines infinies pour elever leur intelligence a la hauteur des idees catholiques, et pour preparer leurs coeurs a gouter les ensei- gnements de la religion chretienne. Quelques ames d'elite, toutefois, furent bientot dignes d'etre admises dans les sein de 1'Eglise ; mais le nombre en fut d'aboid petit. Poutriucourt se trompa sur les dispositions des sauvages, et crut qu'on devait les admettre facilement au bapteme, parce qu'ils n'a- vaient point d'objection a le recevoir, et qu'ils adoptaient avec plaisir les pratiques exte"rieures de la religion. L'experience prouva qu'ils n'agissaient ainsi que pour faire plaisir aux Francais. Lescarbot parle d'un sagamo de la riviere Saint- Jean, qui, afm de passer pour Francais, ne mangeait point sans avoir leve" les yeux au ciel et fait le signe de la croix, parce qu'il avait vu les Fran^ais en agir ainsi. Pour la meme raison il avait plant6 une croix devant sa cabane, et il en portait toujours une sur sa poitrine. Comme d'autres imi- terent ce sagamo, il n'est pas surprenant que, quatre-vingts ans apres, Mgr. de Saint-Vallier et les Peres Kecollets aient trouve" la croix en veneration chez les sauvages de la riviere Miramichy, de la baie des Chaleurs et de Gaspe". 1607] DU CANADA. 75 CHAPITEE CINQUlfiME Etablissement anglais (lacs la Virginie Fondation de Jamestown John Smith Pocahontas et John Rolfe Port-Royal al>aiidonn6 Poutriucourt y conduit une nonvelle coloiiie M.-Flech6. missiounaire: baptise Membertou Lies Peres B;ard et Masse dansl'Acailie Mort de Meinberton Madame de Guercheville fonde la colonie de Saint-Sauveur Argall detruit Saint-Sauveur en pleine pats II s'em. pare de Port-Royal Mort de Poutriucourt -.Lea jesuites de Saiut-Sauveur sout renvoy6s en France. Tandis que l'e*tablissement de Port-Royal paraissait en voie de se consolider, un ennemi dangereux venait s'asseoir sur la cote de 1'Amerique Septentrionale, et transplantait sur le nouveau continent le germe des rivalries qui, dans la vieille Europe, avaient soule.'e tant de guerres entre 1'Angleterre et la France. Vers la fin de 1'annee 1606, lorsque Poutrincourt visitait les pays qui sont au sud de 1'Acadie, dans la baie de Chesapeake se fondait une colonie anglaise, qui devait iufluer beaucoup sur le sort des etablissements francais. Nous avons remarque deja qu'en 1'annee 1606 le roi Jacques I, octroya des lettres pa- tentes a une compagnie charged d'envoyer des colons dans la Virginie ; ce nom avait ete donne a une partie des cotes de 1'Amerique, en 1'honneur de la reine vierge, Elizabeth. Trois vaisseaux quitterent la Tamise dans les derniers jours de decembre 1606, avec une centaine de personnes, destinees a commoncer la colonie. Cette petite communaute portait avec elle sa constitution, pre'paree d'avance par le Salomon e'cossais, Jacques I, regnant alors sur TAngleterre. Les ncms des conseillers appeles a diriger 1'etablissement etaient ren- fermes dans une boite, qui ne devait etre ouverte que sur les lieux. Le voyage f ut long ; retardes par les vents et les tempet.es, les vaisseaux de Newport, commandant de I'expe'dition, n'en- trerent dans la baie de Chesapeake que quatre mois apres leur depart de la Tamise. Quand ils eurent examine" le pays envi- ronnant, les chefs se d^ciderent a remonter la riviere de Powhatan, a laquelle ils donnerent le nom de James. Le treize mai 1607, ils s'arreterent a une p^ninsule, dont ils prirent 76 COTJES D'HISTOIRE [1607 fonnellement possession. Dans ce lieu, ils commencerent a batir une bourgade, qui fut uommee Jamestown en 1'honneur du souverain. Ainsi la fondation de Jamestown preceda celle de Quebec d'un peu plus d'une annee. Les sept conseillers furent proclames, clioisirent un president et prirent la conduite des affaires publiques. Cependant la discorde se mit dans le con- seil ; on voulut, sous de futiles pretextes en eloigner rhomme le plus habile de la colonie, John Smith, qui, pendant de longs voyages en Asie et en Afrique, avait acquis une grande expe*- rience des affaires. Pour retablir la-paix et lui faire rendre sa charge, il fallut toute 1'adresse de I'aumonier. Des lors Smith devint 1'ame de 1'entreprise, et rendit d'importants services. Avec Newport, il remonta le Powhatan, dans 1'esperance de rencontrer quelque riviere qui les conduirait a la mer du sud ; car on n'avait pas encore perdu de vue la recherche d'un pas- sage a la Chine et aux Indes. Ils arriverent a la capitale de Powhatan, grand chef du pays ; c'etait une bourgade composee d'une douzaine de cabanes. Quoique bien recus par le maitre, ils reconnurent a leur retour a Jamestown, qu'il ne fallait pas trop se fier aux apparences exterieures. Les sauvages avaient surpris les Anglais, tue* un jeune garcon et blesse* dix-sept hommes. Pour prevenir de nouvelles attaques, la ville fut environnee de palissades, les canons furent place's, les soldats s'armerent et s'exercerent. A la vue des pre'paratifs qui se faisaient, les sauvages demanderent la paix, et Newport re- partit pour I'Angleterre, laissant cent homines avec des pro- visions et des armes (1). Quelque temps apres, Smith alia avec quelques hommes visiter le pays. Mais la de'sobeissance de plusieurs d'entre eux devint funeste a toute la bande ; ils furent pris avec leur chef. Cependant celui-ci, a force d'adresse et de courage, reussit a s'4chapper. De'ja attache" a un arbre, il allait etre percd de Heches, lorsqu'il tira de sa poche une petite boussole et la presenta aux sauvages, qui, a la vue de cette merveille, le crurent dou^ d'une puissance surnaturelle. Le prisonnier fut promend dans les differents* villages de la nation, et enfin con- duit dans la bourgade de Powhatan, ou son sort devait se decider ; la, on lui fit un grand festin, a la suite duquel se tint le conseil des sauvages. Condamne' k la mort, il fut li^ et e"tendu sur une pierre ; deja plusieurs guerriers avaient leurs massues levees pour lui ecraser la tete, lorsqu'une enfant de douze ans, (1) Purchaa, I ; Smith's Virginia, etc. 1609] DU CANADA. 77 Pocahontas, fille de Powhatan, se jeta au-devant des bour- reaux, et les empecha de frapper, en etendant ses mains sur la face du malhetireux prisonnier. Elle avait deja sollicite sa grace sans succes, mais ce dernier effort lui reussit ; Smith fut sauve, et, deux jours apres, Powhatan 1'envoyait a Jamestown, avec une escorte de douze homines. La jeune princesse fut depuis la protectrice de la colonie. En 1609, au pe"ril de sa vie, elle se rendit a la ville pour pre- venir les Anglais qu'une conspiration redoutables des tribus les menacait ; elle retablit la paix entre eux et Powhatan ; elle sauva la vie a plusieurs prisonniers tombes entre les mains des sauvages. Apres ces faits, Ton est etonne de la maniere dont elle fut recompensed. Quelques soldats anglais, conduits par Samuel Argall, enleverent la fille de Powhatan et Tamenerent captive , ils oserent meme faire demander une rancon au pere outrage". Plein d'indignation, le vieux chef se pre"parait a renouveler la guerre, qui menacait de devenir serieuse. Cependant, parmi les habitants de Jamestown, se trouvait alors un jeune Anglais ; c'etait un enthousiaste religieux, nom- me John Kolfe. II crut avoir des visions ; le jour, la nuit, il en- tendait une voix qui lui faisait des reproches. Pourquoi avait- il ete cr4e ? Ne devait-il pas conduire les aveugles dans le droit chemin ? Ne fallait-il pas travailler a lendre la princesse chre- tienne ? D'un autre c6te\ il se rappelait les reproches adresses aux enfants de Levi et d'Israel, parce qu'ils s'etaient unis a des femmes etrangeres, et il craignait qu'en s'alliant a une race barbare et maudite, il n'attirat sur lui-meme la maledic- tion divine. Enrin, il c4da a 1'inspiration, fit connaissance avec Pocahontas, 1'engagea a se faire instruire dans la religion chretienne et a recevoir le bapteme. Peu de temps apres, dans le petit temple de Jamestown, elle fut baptisee et s'unit avec Eolfe par le mariage. Au bout de quelques annees les deux poux passerent en Angleterre ; oii la princesse americaine mourut, laissant un fils qui fut la tige de plusieurs families distingu^es de la Virginie (1). Ce mariage fut un gage depaix entre Powhatan et les Anglais. La colonie de la Virginie, malgre" des defaillances et des revers, s'accrut assez rapidement sous la direction de John Smith ; et, lorsqu'il retourna en Angleterre dans I'ann^e 1609, elle renfermait pres de cinq cents Europe'ens. Quelques anne"es (1) Le c616brci John Kandolph. membre dn congr6s des Etats-Unis. honime remar- quabl p:tr ses talents et par sou excentricite. ilescendait par les foiniues, du ills de Pocahuutas. 78 COURS D'HISTOIRE [1609 plus tard, elle etait en e"tat d'attaquer et de detruire les eta- blissements francais de 1'Acadie. Dej'a de nombreux malheurs assaillaient de Monts, de tons les cotes. Ses ennemis lui avaient fait retirer sa commission, et la societe qu'il avait formee se trouvait detruite parlespertes que venaient de lui causer les marchands hollandais, en enle- vant les castors et les autres pelleteries de la graude riviere du Canada. Ces nouvelles furent envoyees a Poutrincourt, qui, se voyait ainsi prive* de tout espoir de secours, se decida a retourner en France et a abandonner pour un temps 1'etablis- sement de Port-Royal. Avec lui repasserent Lescarbot et Champlaiu, qui etait reste en Amerique depuis 1'automne de 1604 ; les batiments furent laisses a la garde des sauvages, desole's de voir partir leurs allies (1). Les depenses faites par le sieur de Monts avaient etc* e*nor- mes ; pour Ten dedommager, le roi lui assigna une rente annuelle de six mille francs, qu'il devait prelever sur les vais- seaux qui iraient faire le commerce de pelleteries. Cette con- cession etait une amere ironie : car, pour recouvrer cette sonime, il aurait fallu faire de grandes depenses, et surveiller plus de quatre-viugts vaisseaux qui frequentaient la cote : de fait, les debouises auraient depasse de beaucoup les recettes. Aussi, apres avoir essay^ de recourir a ce privilege, M. de Monts fut-il oblige* de tout abandonner. Entraine par les marchands avec qui il s'etait associ^etqui voulaient obtenir de prompts retours, de Monts avait voulu aller trop vite, et en rneme temps embrasser plus qu'il ne pouvait surement ^treindre. II aurait du, suivant Champlain, commencer par faire reconnaitre un lieu propre a recevoir les fondements d'une colouie ; ce qu'il pouvait executer avec une depense de quatre ou cinq mille livres. II fallait choisir un endroit propice, et y commencer des defrichements pour ne pas dependre entierement des secours de France, qui pouvaient manquer ; l'(5tablissement se serait affermi dans quelques annees, et sa colonie se serait etendue peu a pen, sans avoir a redouter le retrait d'un privilege odieux, propre a soulever des jalousies et des ri value's. Toutefois, Poutrincourt n'avait pas renouc^ au projet de s'etablir dans 1'Acadie ; mais il manquait des ressources neces- saires pour suivre cette entreprise. Se fiant aux proinesses de quelques seigneurs qui avaient parti porter de Tinteret h. son (1) Champlain. 1610] DU CANADA. 79 ceuvre, il s'e"tait laisse amuser pendant deux ans par 1'esperance d'obtenir leuf aide, et pendant ce temps rien n'avancait (1). Henri IV avait ratifie la concession de Port-Royal faite par de Monts ; il croyait merne 1'affaire terminee, lorsqu'en 1609, il apprit que Poutrincourt n'avait pas encore quitte la France ; il en exprima si fortenient son mecontentement, qu'il n'y avait plus moyen de reculer. Presse" de satisfaire les desirs du roi, Poutrincourt s'assura le concours de quelques marchands de Die]>pe, et fit ses prepartifs a la hate. Le vingt-cinq fevrier 1G10, il prit la mer, conduisant avec lui un petit iiombre d'honi.etes artisans (2). Apres un long voyage, il arriva a Port-Royal, ou les sauvages le recurent avec joie ; ils s'infor- maient de ceux des Francais qui n'etaient point revenus. Membertou apprit avec beaucoup de plaisir que Lescarbot ne 1'avait pas oubli^ et avait chante les exploits de son vieil ami, dans un poeme publie en France. Pres de trois ans s'etaient e'coule's depuis que Port-Ptoyal avait ete abandonne", et cependant Poutrincourt trouva les batiments bien conserve's, a 1'exception des couvertures, qui avaient pourri ; chaque meuble etait encore a la place ou il avait ete laisse au depart. Cette circonstance est egalement honorable aux sauvages, qui avaient respecte* la propriete de leurs allies, partis peut-etre pour toujours, et aux Francais qui avaient su inspirer de tels sentiments de bienveillance a des barbares. Avant son depart de France, Poutrincourt avait donne des raisons pour ne pas amener les deux jesuites qu'on lui offrait, a la demande du roi Henri IV (3); ce qui ne 1'empecha pas neanmoins de conduire a Port-Royal le sieur Jessd Fleche, pretre du diocese de Langres, homme instruit et vertueux, envoye par Robert Ubaldini, nonce du Pape a Paris. La veri- table cause du refus fait par Poutrincourt etait la crainte des Jesuites. " C'e"tait, dit le P. de Charlevoix, un fort honnete homme et sincerement attache a la religion catholique, mais les calomnies des pretendus reforme's contre les Jesuites avaient fait impression sur son esprit, et il e*tait bien resolu de ne les point mener au Port-Royal." Cependant, des son arrive'e a Port-Royal, M. Fleche com- menca ses fonctions de missionnaire. Le sagamo Membertou, ses enfants et ses plus proches parents avaient ete instruits (1) Lescarbot. (2) Claude de T,a Tour et son flls repasaorent en cette aiuiee & 1'Acadie. (3) Lescarbot, liv. IV, chap. vm. 80 COURS D'HISTOIRE. [1610 des ve"rites de la religion, par Lescarbot et quelques autres francais, dans les anne"es precedentes. M. Fleche, environ un mois apres son arrivee, les jugeant convenablement disposes, les baptisa au nombre de vingt-un, le vingt-quatre juin 1610. Us furent les premiees de la foi chez les Micmacs, nations qui s'est toujours montre'e docile aux enseignements des mis- sionnaires (1). Plusieurs autres furent baptises vers le meme temps ; mais le missionnaire ceda trop tot a leurs importunites, et ne les eprouva pas assez ; car, apres leur bapteme, ils conti- nuerent a vivre dans la polygamie, sans vouloir ce'der aux reniontrances qu'on leur faisait a ce sujet. M. Fle'che' reeut de ses ouailles sauvages le surnom de patriarche, qui passa aux missionnaires ses successeurs ; aujourd'hui encore, chez les Micmacs et Abenaquis catholiques, le pretre est toujours nomme patliasse. Le vaisseau sur lequel Poutrincourt etait passe dans 1'Acadie, reporta en France son fils, le sieur de Biencourt, age d'environ dix-sept ans. Celui-ci etait charge de procurer, pour 1'hiver suivant, des vivres, dont on etait nial pourvu ik Port-Royal ; en meme temps il portait la bonne nouvelle du bapteme des sauvages. Le provincial des Je*suites, en execution des promesses faites au roi Henri IV,nomma pour aller en Ame'rique avec Biencourt le P. Pierre Biard, professeur de theologie a Lyon, et le P. Enmond'Masse, compagnon du P. Cotton. La reinemere, Marie de Medicis, leur fit livrer au nom du jeune roi, cinq cents e*cus pour couvrir les frais de leur voyage et de leur (kablis- sement (2) ; quelques dames de la cour, a la tete desquelles e'tait madame de Guercheville, leur fournirent des ornements, du linge et les autres choses necessaires. Arrives a Dieppe, ilsapprirentque deux marchands huguenots, les sieurs Du Jar- din et Du Quesne (3), associes de Poutrincourt, ne voulaient point perraettre d'embarquer des je"suites a bord du vaisseau de Biencourt. Ils se de'claraient pre^ts a accepter des capucins, des cordeliers, des recollets, mais non des jesuites. Madame de Guercheville, epouse du due de La Rochefoucault de Liancour, gouverneur de Paris, jouissait d'un grand credit a la cour ; elle fut fort iudignee des proce'de's de ces marchands ; (1) Lescarbot. (2) Champlaiii, liv. Ill, ch. I. (3) Dans I'lTitMre de Dieppe, vol. n, il eat fait menti uvinlate, qui conniiandait, un vaisseau do Dieppe, en .-IK -:i! et de l'Aiu6i iiue. Abraham i)u Ouesuo t'ut le p -' mention T Abraham Du Quesne, ngag6 dans 1 commerce ilu . p6r du c61ebre aiuiral du mi-Hi.' iium, in- a I )n |i]n- eu Hiin. 1611] DU CANADA. 81 et, ayant su que leurs avances ne s'elevaient qu'& quatremille francs, elle fit line quete, avec le produit de laquelle elle les remboursa. Elle obtint, dans le meme temps, que leur contrat d'association avec Poutrincourt fut annulle (1). S'interessant beauconp aux missions, elle consacra des sommes considerables afin de former des rentes pour 1'entretien des missionnaires ; car elle desirait qu'ils ne de"pendissent point de Poutrincourt. Le produit des avances faites par madame de Guercheville devaitetre employe au soutien des Jesuites, a qui etait reserved une part des profits de 1'association dans la peche et le com- merce des pelleteries. Quoique les Jesuites ne fussent point parties dans ce traite, on en prit occasion de les attaquer. " C'est ce contrat d'association, " dit Champlain, " qui a fait tant semer de bruits, de plaintes et de crieries contre les Peres Jesuites, qui en cela et en toute autre chose se sont e*quitablement gouverne's selon Dieu et raison, k la honte et confusion de leurs envieux et medisants." M. de Biencourt ne put partir de Dieppe que le vingt-six Janvier 1611,emmenant avec lui les Peres Biard et Masse (2i. Mais, obliges de s'arreter sur plusieurs points de la cote de 1'Acadie et retardes par les glaces, ils n'arriverent a Port-Royal que le vingt-deux de mai. Poutrincourt, de"sirant retourner en France pour re"gler ses affaires, chargea son fils de prendre soin de 1'habitation, dans laquelle resterent environ vingt per- sonnes, en y comprenant les deux Jesuites. 11 aurait voulu porter a la cour une longue liste de sauvages baptises, et il s'e*tait imagine* que le P. Biard et son compagnon s'empresseraient d'admettre au bapteme tous ceux qui se pre"senteraient. Mais les deux religieux avaient d'autres idees ; ils saVaient qu'on ne doit pas trop se fier aux promesses des sauvages. En effet plusieurs de ceux qui, a leur bapteme, etaient convenus de renoncer k la polygamie n'en conservaient pas moins plusieurs femmes ; le baptesme leur paraissait une pure ce're'monie civile qui les attachait aux Francais. M. de Poutrin- court avait concu de la mauvaise humeur au sujet de ce retard ; Lescarbot lui-meme, homme ordinairernent juste, parait croire que les Peres auraient du se montrer plus tolerants. " Les sauvages, dit-il, ayant par la liberte* naturelle 1'usage de la polygamie, c'est-a-dire, de plusieurs femines, ainsi qu'aux premiers siecles de la naissance et renaissance du monde, ils les ont de premier abord voulu require & la monogamie, chose (1) Champlain, liv. Ill, ch. I. (2) Champlain ; delation du P. Biard. 82 COUKS D'HISTOIKE [1611 qui ne se pouvait faire sans beaucoup de scandale a ces peuples, ainsi qu'il est arrive .... Fallait que cela fut venu de gre & gre, ou autrement laisser les choses en 1'etat qu'elles se trouvaient, par une tolerance telle que Dieu 1'avait eue envers les anciens peres, auxquels la polygamie n'est en mil lieu blamee ni tournee a vice." Ce raisonnement n'est certainement pas catholique, car la religion catholique ne peut faire de coin- promis avec 1'erreur ; elle veut etre recue avec ses dogmes et sa morale par ceux qui 1'embrassent. Dans ces circonstances, Membertou se montra 1'ami des jesuites ; comme il savait le francais, .il voulut leur enseigner la langue souriquoise, afin qu'ils fussent en etat d'instruire ses compatriotes. A son tour, il eut bientot a reclamer leur secours. Au mois d'octobre 1611, quelque temps apres le depart de Poutrincourt, il tomba dan- gereusement inalade. Ayant recu les sacrements de 1'eglise, il r^unit ses enfants autour de sa natte, et leur recommanda de vivre en paix entre eux et avec les Francais, d'aimer Dieu et de demeurer fervents en la foi qu'ils avaient eu le bonheur de recevoir ; puis, leur ayant donne sa benediction, il termina sa longue carriere. Son corps fut porte an cimetiere des Chretiens avec tons les honneurs militaires, les Francais etant sous les armes et marchant au son du tambour (I). Membertou aimait les Francais, et leur avait temoigne' une bienveillauce constante. Fort accre'dite' dans sa nation, en recevant le bapteme il avait donne* un exemple d'autant plus beau et plus frappant, que lui-meme avait et4 autmoin. A 1'ar- rivee des deux jesuites, il avait cherche* a leur rendre des services. De leur cote", les missionnaires s'attacherent & lui, parce qu'ils lui trouvaient beaucoup d'esprit et de bonnes nianieres. II n'avait en effet, au temoignage de Lescarbot, rien de barbare que 1'ext^rieur et la fierte'. Brave et habile guerrier ^ la facou des sauvages, il avait eu dans la guerre des succes, qui le relevaient aux yeux de sa nation et qui avaient fait connattre son nom chez les peuples voisins. 11 etait d'une graude taille, que la noblesse de son port semblait encore re- lever. Une autre particularity le distinguait encore des siens ; c'est qu'il portait la barbe, qui ne se rencontre presque jainais chez les tribus amdricaines. Par ses grandes et belles qualitc's, il avait obtenu sur toute sa nation urie autorite' qu'au- cun de ses devanciers n'avait encore poss(5dee (2). (1) Champlain; Relation du P. Biard. () ItcUttion du P. Biurd. 1611] DU CANADA. 83 Quelques jours apres la mort de Membsrtou, Biencourt et le P. Biard partirent pour visiter la cote voisine jusqu'au Kinibequi qu'ils remouterent. Ils y furent bien acjueillis par les Cannibas, tribu abenaquise, dont le nom est reste h la riviere. Ce peuple leur donna des provisions, dont on avait grand besoin a Port-Eoyal. Les anglais avaient, peu de temps auparavant, tent^ de faire un e'tablissement sur cette riviere ; niais ils avaient ete contraints de se retirer, leurs manieres hautaines ayant indispose les sauvages (1). Pendant ce temps, le P. Masse, voulant connaitre le pays, s'etait rendu jusqu'k la riviere Saint- Jean, ou il tornba malade. Son com- pagnon, Louis Membertou, fils du feu sagamo Henri, parut un jo-ur tres-inquiet ; le Pere lui en demanda la cause. " Ecoute, Pere," repondit le chef sauvage, " tu vas mourir : ecris a Biencourt et k ton frere que nous ne t'avons pas tueV' " Je m'en garderai bien," dit le jesuite ; " car, apres que j'aurais ecrit cette lettre, tu pourrais me tuer, tandis que la lettre porterait que tu ne m'as pas tueV' " Eh bien ! " reprit Louis, riant de sa bevue, " prie done Jesus que tu ne meures pas, afin qu'on ne nous accuse pas de t'avoir fait mourir (2)." Ce trait caracterise Ijien les sauvages, ajoute Charlevoix en le lapportant : " en beaucoup de rencontres, on serait tente' de croire qu'ils n'ont qu'une demi-raison, tandis qu'en une infinite d'autres ils sont plus homines que nous." Par malheur pour la colonie, les chefs, tout occupes de la traite, pensaient peu a la culture de la terre, qui aurait pu leur fournir de quoi nourrir tout leur monde. Par suite de cette negligence, il fallait chercher de cote* et d'autre des vivres, difnciles a trouver et peu convenables aux gouts des Erancais. D'une autre part, Poutrincourt manquait de succes en France (3). II avait espere" obtenir de nouveaux secours de madame de Guercheville ; mais, le voyant assez mal dis- pos envers les Jesuites, cette dame se contenta de lui faire avancer quatre cents ecus, qu'il employa pour envoyer des provisions et des marchandises h. Port-Eoyal. Cornrne Madame de Guercheville souhaitait ne plus se servir de Poutrincourt, et ne voulait pas que les mission- naires demeurassent plus longtemps a Port-Royal, elle tourna ses vues d'un autre cot^. Champlain lui proposa de s'associer avec de Monts, dont il lui garantissait la droiture ; mais elle (1) Lescarbot. (2) Relation du P. Biard. (3) Charaplain ; Lescarbot. 84 COUES D'HISTOIRE [1613 refusa d'accepter cette oifre, parce que de Monts e'tait calvi- niste. Elle dut plus tard regretter de n'avoir pas employe, pour un e'tablissement sur le Saint-Laurent, les fonds qu'elle depensa inutilement a 1'embouchure de la riviere de Penta- gouet. Posse'dant beaucoup de credit a la cour, ayant d'amples ressources a sa disposition, Madame de Guercheville, en s'as- sociant avec de Monts et donnant ainsi ime plus libre carriers a 1'energie et a la capacite de Champlain, aurait hate le deve- loppement de la puissance francaise dans 1'Amerique du Nord, et aurait bien plus utilement servi la propagation de la religion chre'tienne parmi les tribus sauvages. Jet^s sur les cotes de 1'Acadie ou de la Norembegue, les missionnaires n'avaient gueres de rapports qu'avec les tribus voisines ; tandis qu'eta- blis a Quebec, ils penetraient par le Saint-Laurent jusqu'au centre du continent, et pouvaient porter le flambeau de la foi chez des centaines de nations, plongees dans la plus grossiere ignorance. Madame de Guercheville se borna a acheter les droits du sieur de Monts (1). Pour prevenir les difficultes qui auiaient pu s 'clever a ce sujet, elle obtint des lettres patentes par lesquelles une donation nouvelle lui etait faite de toutes les terres de la Nouvelle-France depuis la grande riviere de Saint- Laurent jusqu'a la Floride, a 1'exception de Port-Royal, de*ja donne ^ Poutrincourt. II n'etait pas arrive' de secours a la petite colonie dans 1'aiitomne de 1612 ; aussi la misere y fut-elle grande pendant 1'hiver suivant ; Ton vecut de glands et de racines sauvages, qu'on nomma canadas. " Dans la ndcessite," dit Lescarbot, " Dieu a fait trouver des racines, qui font aujourd'hui les delices de plusieurs tables de France, lesquelles, ignoram- ment, plusieurs appellent a Paris topinambours ; les autres plus ve'ritablement Canada, car elles sont de la venues (2)." Au printemps, on arma en France un vaisseau, qui devait aller prendre les j^suites a Port-Royal, et les porter au lieu choisi pour le nouvel e'tablissement de la marquise de Guercheville (3). Le chef de cette expedition tait le sieur de La Saussaye, qui menait avec lui le Pere Quentin et Frere Gilbert Du Thet, (1) Champlain, liv. m, chap. I. (2) Lescnrbot. Par ce passage il setnble qn'on a crn les topinnmboiirs oripinaire de la Kuuvelles-Ecosse et de la Nouvelle-Angleterre ; il ue parnit pas qu'oii les trouve a 1'etat sauvage Jaim 1 Canada; du nuiiiis. on n'en rencontre pns dans le I3as- Canada. Suivant le P. Biani, ces racinea seruieut celles, nou du topiuambour, uuiis de I'apiot tuberosa, ou uoix de terre. (3) Chauiplaiu. 1613] DU CANADA. 85 jesuites. La reine elle-mme avait voulu contribuer a 1'achat des armes, des poudres et de quelques munitions. Le vaisseau partit de Honfleurle douze mars 1613 ; il s'arretaa Port-Royal, ou en 1'absence de M. de Biencourt, qui etait alle" chercher des vivres, Ton presenta au sieur Hebert les lettres de la reine, ordonnant de laisser partir les Peres Biard et Masse. Les deux jesuites de Port-Royal allerent rejoindre sur le vaisseau leurs deux confreres venus de France, et tous ensemble firent voile vers I'lle des Monts-Deserts, placed a 1'entree de la riviere Pentagouet. Cette riviere traversant le milieu du pays des Etchemins, allies et voisins des Souriquois, les Peres espe 1 - raient pouvoir, de la, travailler a la conversion des deux peuples, aiusi qu'a celle des Abenaquis, qui habitaient vers le sud-ouest. Les Fraricais eleverent a la hate un petit retranchernent, auquel ils donnerent le nom de Saint-Sauveur ; des logernents furent prepares pour les homines qui devaient y passer 1'hiver ; les Peres jesuites dresserent une croix, enfin de prendre posses- sion du pays au nom de la religion catholique et de la France. L'on commencait deja a preparer la terre pour la culture, et tout annont?ait un heureux succes pour 1'entreprise, lorsque swrvint un orage qui ren versa la colonie de fond en comble, et detruisit toutes les esperances de Madame de Guercheville. Depuis qu'ils s'etaient etablis dans la Virginie, les Anglais, euvoyaient tous les ans plusieurs vaisseaux pour faire la peche de la morue, a quinze ou seize lieues de I'lle des Monts-Deserts. Comme nous 1'avons de"ja dit, ils pretendaieut que, d'apres une charte de Jacques I, leurs possessions s'elendaient jusqu'au 45 e degre* de latitude nord. Dans le meme temps que les Francais commencaient 1'etablissement de Saint - Sauveur, Samuel Argall partait de Jamestown avec onze vaisseaux, pour faire la peche. II apprit de quelques sauvages que les Fran- cais etaient sur Tile de Monts-Deserts ; quoique la paix existat entre les couronnes de France et d'Angleterre, cornme il se seutait le plus fort, il se decida a en profiter et a detruire la colonie naissante. C'etait un acte de vraie piraterie, et Ton a d'autant plus sujet de s'e"tonner de cette attaque iujuste, qu' Argall parait avoir joui d'une bonne reputation parmi les siens ; il fut meme, quelques ann^es plus tard, juge digne d'etre nomm^ gouverneur de la Virginie. Mais alors, dans des coutr^es si 4]oigne"es de la metropole, il arrivait souvent aux armateurs anglais, hollandais et espagnols de faire la guerre a leur profit 86 COURS D'HISTOIRE [1613 particulier, exemple qui a ete suivi quelquefois par les anna- teurs francais de LaRochelle et de Dieppe. Les Francais n'avaient point de canons au fort de Saint- Sauveur ; ceux qu'ils avaient apportes e'taient restes sur leur vaisseau, mouille dans le port. Comme on ne songeait nulle- ment a une attaque dans tin temps de paix, rien n'etait pret & bord pour recevoir les ennemis : les voiles avaient ete de- tendues et servaient a abriter le tillac ; les matelots e'taient descendus a terre, et ainsi, a 1'approche des Anglais, les ancres ne purent etre levees. Cependantdix hommes de bonne volonte, parmi lesquels e*tait le Frere Du Thet, eurent le temps de se jeter sur le vaisseau, tandis que La Saussaye restait a terre avec le plus grand nombre des siens. Argall, dont le navire portait quatorze canons et soixante soldats de marine, dirigea un feu terrible contre le batiment francais, qui ne pouvait repondre, n'ayant point de cauonnier. Le Frere Gilbert Du Thet, qui prenait part & la defense, fut renverse sur le pont par un coup de feu ; plusieurs soldats furent blesses, et le vaisseau francais dut se rendre aux forces superieures des Anglais. Apres cela, le fort ne pouvait resister, et il tomba facilement entre leurs mains. L'on ne put alors trouver La Saussaye, qui s'etait retirt? dans les bois avec une partie de son monde. Dans la vue d'excuser 1'injustice de son proce'de' devant ses supe'rieurs, le capitaine anglais usa d'une supercherie indigne d'un homine d'honneur. Ay ant examin^ les coffres de La Saussaye, il trouva sa com- mission et s'en empara. Lorsque le lendemain cet officier se presenta pour le visiter, Argall lui dsmanda de montrer sa commission (1). Le francais, tout e'tonne' de ne la point retrouver, de*clara qu'il ne savait ce qu'elle ^tait devenue ; Argall, le traitant de forban et de pirate, donna ordre que Ton pillat le fort et le vaisseau. Sur les representations des je"suites, 1'anglais fit semblant de s'apaiser, et donna a une partie des prisonniers une cha- loupe, pour aller joindre quelque vaisseau de leur nation sur les cotes de 1'Acadie. Parmi eux dtaient La Saussaye et le Pere Masse. Une autre bande, conduit par le pilote, s'etait enfuie sur la chaloupe du vaisseau francais ; ces derniers eurent le bonheur de rencontrer pres de La Heve deux navires, qui les conduisirent a Saint-Malo. De son cotcte jusqu'a deux fois. Dans les dinerents dijilectesalydiiquins. Kepak on Kebbek signihe reire>-iM'ineiit d'une rivi6re. " Quebec. " dit M. Ri<;her Lafieche. " veut dii'e, chez les Cris, c'est boucl,e. II vient de Kepak, temps iid6h'ni du verbe Kipao.' Voici ce qu'ecrivait ft ce stijet, M. Jean-JIarie Boll anger, ancien missionnairo. un des homines de notre temps (|'ui out le inieux coiinu la langue des Micmacs. " Kebek, en micmac. vent dire retrecittgemeut des caiix furin6 pur (ii-ux langues ou pointcs do terre qui e croiHNent. Dans les premiers temps que j'etais dans ics missinus, .je des- ceudais>de Kistigouche a ('arletoii ; les deux wnvaga* qtli me iiieiiuient en v\ r, r6iietant souvent le mot K6bek. je leur demundai s'ils se preparaient a aller iiicnlot & Quebec. Us me reimudirent : Ron ; regarde li'g deux pointes et I'eau qui est resscrree en aedans : on appeUe cela Kebek en notre langue.." ongnea wwtertsnoni de M. Huwkins, pour }>rouver que Ics 1) M role, oomtea M" Suffolk portaient un res. necultiveut point la trr. et cles sources du Mi.sMssjpi. ainsi (|in> li-s Sinux ill- la int a 1'ngriciiltiire- Leu Miin) If s:iMi'H wont t'urt bicuteuues, etreufeniient deu I its. ce qu'ou lie rencontre point chez lus uut-res tribua sauvagos. (Note de M. Beluourt, anciuu miasionnaii-e.) 1608] DTJ CANADA. 95 d'esprit et d'intelligence que les Hurons-Iroqnois, mais en revanche, ils etaient plus francs, moins adonnes au vol et au libertinage. A 1'arrivee des Europeens, deux langues meres se parta- geaient les vastes territories qui formerent la Nouvelle-France, la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-Hollande, la langue huronne-iroquoise et la langue algonquine ; chacune se divisait en plus ou moins de dialectes, suivant le nombre de nations particulieres qui la parlaient. La langue huronne est noble, e*nergique et abondante ; la langue algonquine a moins de force, mais elle possede plus de douceur et d'elegance. Toutes deux ont une richesse d'expres- sions, une variete de tours, une propriete de termes, une regularite qui e'tonnerent les premiers missionnaires, lorsqu'ils commencerent a les etudier. Elles ont pu changer un peu depuis la decouverte du pays ; mais elles conservent encore leurs caracteres distinctifs, au milieu des petites populations qui les ont gardees comme un heritage de leurs peres (1). " Les langues huronne. et iroquoise," dit le P. Lafitau, " n'ont, a proprement parler, que des verbes qui en composent tout le fonds ; de sorte que tout se conjugue et que rien ne se decline. Mais, dans ces verbes, il se trouve un artifice admi- rable, qui supplee a tout le reste, et c'est cet artifice qui fait toute 1'economie de ces langues, lesquelles ont leurs beautes comme les notres. Mais comme il n'y a point de langue parfaite, avec leur regularite' elles ont aussi leurs irregularites, qui les rendeiit difficiles et epineuses (2)." La plupart des mots de la langue huronne sont composes presque entierement de voyelles. Cela vient de ce que plusieurs consonnes leur manquent ; ainsi ils n'ont pas une seule labiale. Un missionnaire remarquait qu'ils avaient toujours les levres separees, et que, lorsqu'ils parlaient bas, il etait impossible de les comprendre, si Ton n'etait tres-accoutum^ a leur langue (3). Les Algonquins sont pareillement prive's de plusieurs lettres ; ils ne peuvent prononcer les consonnes, /, I, v, x, z ; aussi ils defigurent les noms francais dans lesquels se rencontrent ces lettres. Comme les Hurons, ils conjuguent les noms et les (1) Rien deplusvrai. Ces languesaont moins snjettes nux changements que, bien des laiifiues 6crites. Cela est dft au ridicule qui, parnri les sauvages. s'attache ,\ ceux qui oseut iunover dns le langa^e. LCH qnelquea cliaugeiueuts iutroduits depuis trente aus, dans la langue algonquine de 1'oueHt. I'ont ete par des Metis qui one voulu tra- duire litteraleiuuut des expressions fran^aises. employees d'une uiauiere metapho- rique. (M. Belcourt.) (2) Laflteau. Mceurs des gauvagei. (3) Relation de 1636. 96 COURS D'HISTOIRE [1608 adjectifs ; ils multiplient les verbes pour exprimer la meme action, selon qu'elle se rapporte a un etre anime, on a une chose sans vie. Le verbe change encore, si 1'action tombe sur un objet ou sur plusieurs, si elle se passe sur 1'eau ou sur la terre, si elle s'exerce envers une chose appartenant a celui qui parle ou k une autre personne, chacun do ces rapports deman- dant une conjugaison differente. Cette variete 1 et cette abon- dance presentent des difficultes qui, dans les premiers temps de la colonie, paraissaient presque insurmontables aux Fran- cais (1). Aussi le P. Lejeune, apres avoir 4tudi4 la langue algonquine pendant deux ans, desespe"rait de la pouvoir jamais mattriser. " Ils ont une richesse si importune," ecrivait-il, " qu'elle me jette quasi dans la creance que je serai pauvre toute ma vie en leur langue (2)." Cependant, a force de travail et de perseverance, plusieurs des missionnaires r^ussirent a apprendre 1'algonquin et le huron; quelques-uns des jesuites parlaient les deux langues plus purement que les meilleurs orateurs sauvages. C'est aux veilles et aux rudes etudes de ces hommes apostoliques, que Ton doit les grammaires et les dictionnaires, qui resteront comme les premiers et les plus durables monuments des anciennes langues du nord de 1'Ame'rique. De toutes les nations septentrionale, la nation huronne etait la plus intelligente, la plus avancee dans les arts, et la plus susceptible de recevoir de 1'instruction. Cependant quoique le Huron montrat du bon sens dans les affaires temporelles, il semblait tout & fait borne" et avengle des qu'il s'agissait des choses spirituelles. Les passions brutales et les vices degra-: dants auxquels il se livrait avaient obscurci et abaisse son intelligence ; tombe* dans la barbaric, il e'tait condamn^ a ne remonter au niveau des nations civilis^es qu'apres bien des generations. Du moins, dans les decrets de la misericorde divine, il lui etait des lors permis de prendre sa place a cote des peuples Chretiens, mais a la condition de rompre avec ses habitudes sensuelles et grossieres. Par bonheur pour lui, quelques lueurs de la connaissance de Dieu se manifestaient dans les id^es qu'il conservaitd'une puissance bonne ou niau- vaise, sup^rieure a celle de 1'homme. mcours oratoire puissant, noble, cadence. J-a niemoire noit laire ae grand* i-fl'orts pour Haiir la multitude desesperatite de variations dans l<;s verbus. 11 y a. cependaut. dans ces chaugements un euchaSneinent uiethodique et r6^ulier qui, reiidu visible par un tableau, soulage puissanmieut la rn6nioire. (M. Belcourt.) t-2) Relation de 1638. 1608] DU CANADA. 97 Les Hnrons, reconnaissaient pour tige de leur nation une femme nominee Atahentsic, qui tomba du ciel par quelque accident. Comme sa chute se prolongeait, elle fut apercue par la tortue, qui rassembla en conseil les animaux, vivant alors tous dans 1'eau, car la terre ne paraissait pas encore. Ils furent d'avis qu'il fallait plunger au fond de la mer et en rap- porter une motte de terre, qu'on mettrait sur le dos de la tortue. On confia cette mission au castor, et le fidele animal la remplit convenablement. En se grossissant, la motte forma une lie, sur laquelle la femme tomba mollement. Quelque temps apres sa chute, Atahentsic mit au monde urie fille, qui elle-tneme devint mere de deux fils, Tawiscaron et Jouskeha. Ayant grandi, ils s'attaquerent Tun 1'autre ; Jouskeha tua son frere, et fut le pere des Hurons. II est aujourd'hui le soleil, et Atahentsic est devenue la lane. A Jouskeha les homines doivent 1'art de faire du feu, art qu'il avait lui-meme appris de la tortue. C'est lui qui leur procure une chasse abondante, et qui donne la croissauce et la maturite aux fruits et aux bleds ; en un mot c'est un bienfai- teur, de qui ils ont recu 1'eau, le feu, le gibieret les moissons. Telle e"tait apeupres toute leur theologie, et encore plusieurs articles etaient grandement controversee ; car les circonstances de la chute d'Atahentsic Etaient rapportees de bien des ma- nieres, et quelquefois Jouskeha, au lieu d'etre le soleil, se voyait remplace comme tel par Areskoue, dieu de la guerre. Les nations algonquines regardaient Michabou on le grand lievre (1), comme le chef des esprits et 1'architecte de notre globe. Le terre e"tait toute couverte d'eau ; Michabou flottait sur un amas d'arbres, avec les animaux dont il e"tait le chef. Souhaitant obtenir un grain de sable pour en former le noyau d'une terre nouvelle, il fit plonger la loutre et le castor sans obtenir de resultat. Le rat musque se devoua enfin pour la cause publique, et s'enfonca sous les eaux. Vingt-quatre heures apres, il reparaissait a la surface, mais sans vie j a la suite d'une recherche minutieuse, on trouva un grain de sable attache* a Tune de ses pattes. Saisissant ce grain de gable, le grand lievre le laissa tomber sur 1'amas de bois, qui se couvrit de terre, et s'etendit peu a peu. Quand la masse ainsi formee fut de la grosseur d'une montagne, le grand lievre en fit le tour a plusieurs reprises, et la terre grossissait k mesure. Le renard fut charge de surveiller les progres de reparation, et (1) Kicolas Perrot le nomme Messon. Les Sauteurs le nommeut Misaaboa ou Mitohecl\aboa, Iievre-g6ant. (Note de M. Belcourt.) 98 COUKS D'HISTOIRE [1608 d'avertir ses compagnons, lorsqu'il croirait la terre suffisam- meat etendue pour fournir la vie et le convert a tous les animaux. II se pressa trop de faire un rapport favorable ; le grand lievre ayant voulu connaitre la verite* par lui-meme, trouva la terre trop petite ; il continua done et continue encore d'en faire le tour et de 1'agrandir de plus en plus (1). Apres la formation de la terre, les animaux se retirerent dans les lieux qu'ils jugerent le plus commodes ; quelques-uns moururent, et de leurs corps le grand lievre fit naitre des homines, auxquels il apprit a faire la peche et la chasse. A 1'un d'eux il presenta une femme, en lui disant : " Mon fils, pourquoi crains-tu ? Je suis le grand lievre ; je t'ai donne la vie ; aujourd'hui je veux te donner une compagne. Toi, hornme, tu chasseras, tu feras des canots et tout ce que rhomme doit faire ; et toi, femme, tu prepareras la nourriture a ton mari, tu feras ses souliers, tu passeras les peaux et tu fileras ; tu t'acquitteras de tout ce qui regarde la femrue." Ces recits de la creation du monde et de 1'origine de rhomme, quelque extravagants qu'ils puissent paraitre, sont aussi rai- sonnables que les fables de'bite'es sur les memes sujets, par les peuples civilises de 1'ancienne Grece et de la vieille Italic. II n'y a rien en cela qui nous puisse surprendre ; car partout ou le flambeau de la revelation s'est e'teint, la pauvre raison humaine, livre's a elle-meme, s'est egaree dans un dedale d'er- reurs et de mensonges, des qu'elle a voulu expliquer les mys- teres de la creation. Les Algonquins reconnaissaient pour divinites principales, le grand lievre, le soleil et les demons, qu'ils nommaientmamfows. C'tStait aux manitous que les jongleurs avaient recourspour ob- tenir des moissons. Les Hurons remplissaient Tuni vers de ces de- mons, qui parmi eux e"taient connus sous le nom d'okis. Toutes les nations avaient des divinites inferieures qu'elles ckoisis- saient parmi les choses de la terre, de 1'air et des eaux (2). Les dieux de 1'air e"taient le tonnerre, les Eclairs, la lune, les ellipses, les tourbillons de vent, en un mot tout ce qui f rappait les yeux d'une nmniere extraordinaire. Les betes nuisibles, veniineuses, difformes, ^taieut aussi place'es parmi les etres (1) Mmoire do Nicolas Perrot. (2) Chez les Sauteurs et les Cris. le grand esprit, maatre de la vie. et les esprits eccondaires. ju'ilH appelleiit leum rineg, sont Ie8 objets de leur adoration. Fut-ce ane pii-rre <|iii nit dtd 1'objet du rfived'un Cris. elle devlent pourlui un dieu tut61aire. (Mote de ,M . Belcourt.) 1608] DU CANADA. 99 superieurs ; a cause de leur intelligence et de leur importance pour le chasseur, le castor et Tours jouissaieut d'une grande veneration. Suivant les circonstances, lessauvages adressaient des demandes a certains manitous, et leur offraient mme des sacrifices, soit pour obtenir le secours de ceux qui e*taient bons, soit pour appaiser le courroux des mauvais. Les offrandes consistaient le plus souvent en feuilles de tabac, qu'ils jetaient a 1'eau ou dans le feu. C'etait au ciel ou aux corps celestes qu'ils se recommandaient avec le plus de confiance, dans leurs necessites ; ils croyaient les cieux habites par un oki ou une puissance, reglant les saisons, tenant en bride les vents et les flots, et capable de les secourir dans leurs besoins (1). Mais la croyance aux songes formait la base de presque toutes leurs superstitious ; ils les recevaient comme des ordres et des arrets irre" vocables, qu'il n'est jamais perrnis de m^priser, et dont on ne doit pas differer 1'execution. Le songe presidait a leurs conseils, reglait pour eux la petehe, la chasse, la guerre, les travaux les plus importauts ; afiii de lui obeir, ils auraient brule ou jete* a la riviere les produits d'une heureuse chasse, d'une peche abondante, de la plus riche moisson. Le songe reglait les festins, les danses, les chansons et les jeux ; en un mot, il etait le premier chef et le grand legislateur des tribus huronnes et algonquines (2). Voici quelle e'tait sur cette matiere la theorie des plus intel- ligents. Les songes sont la parole de Tame, qui manifesto ses desirs innes ; or ces de'sirs demeurent inconnus au fond de 1'ame, s'ils ne sont re've'les par les songes (3). Lorsque les songes sont realises, Tame est satisfaite ; rnais si on neglige de les ecouter, 1'ame s'irrite ; alors, loin de procurer le bonheur du corps, elle 1'accable d'infirmites, le tourmente de mille ma nieres et le conduit au tombeau. Quand un objet eloigne" es represent^ a 1'esprit dans le somnieil, c'est que Tame raison- nable, en 1'absence de laquelle le corps peut conserver la vie, s'est se"paree de lui pour se transporter aupres de cet objet. II n'est done pas etonnant qu'avec de telles idees les sauvages aient regarde" comme tres-important d'dtudier les songes, afin de de'couvrir les desirs de 1'aine et de la satisfaire. Non-seule- ment celui qui avait fait un songe devait tacher de remplir les obligations indiquees dans le sommeil, par son ame inUrieure ; mais tous ceux a qui il s'adressait e'tait tenus de lui prater (1) Les Maudales adorent le soleil comme maitre de la vie. (Xote de M. Belcourt.) (2) Relation de 1636. (3) Relation du P. Bressani, traduction du R. P. Felix Martin. 8 100 COURS D'HISTOIEE [1608 leur conconrs, et de mettre toutes leurs ressources a sa disposi- tion. Lorsque les choses demandees ne pouvaient etre fournies par les particuliers, le village se chargeait de les procurer, et y employait tous les moyens qu'il possedait. Parmi des peuples civilises, cette pratique aurait pu produire de mauvais effets ; mais les idees recues chez les sauvages sur la saintete" des songes, les empechaient ordinairement d'en abuser. D'ailleurs, si quelqu'un avait e"te tente* d'en faire un usage frequent et dangereux pour 1'etat ou pour les individus, il y avait un remede assure* : tout autre e"tait autoris a avoir des songes eontraires, qui de"truisaient 1'effet des premiers. Telle etait 1'importance qu'on attachait aux songes, qu'une fete avait e"te institute pour fournir une ample satisfaction a tous les reveurs (1). La fete des songes ou, suivant 1'expression des Iroquois, le renversement de la cervelle, etait une espece de bacchanale, pendant laquelle on se livrait aux plus e*tranges folies ; chaque acteur dans la scene, s'etant de"guise d'une maniere ridicule, courant de cabane en cabane, bouleversant et renversant tout, sans que personne osat s'opposer a ses extravagances. A la fin de la fete, les dommages e"taient r^- pares, et un festin annoncait le retour k la vie ordinaire. Plusieurs philosophes sauvages pretendaient qu'il y avait des ames errantes, se transportant d'un lieu ^, un autre, et s'in- troduisant dans certaines personnes, pour tenir compagnie & 1'ame principale et parfois lui disputer le terrain (2). Quel- ques-uns se croyaient abandonnes par leur ame principale, et re'duits a Tame vegetative. Ainsi, un vieillard declarait un jaur au P. Lejeune, que depuis deux ans son ame e"tait partie pour aller rejoindre ses parents defunts, et qu'il ne lui restait plus que celle de^son corps, destin^e a descendre avec lui au tombeau. De fait, la religion des peuples de 1'Am^rique Septentrionale 4tait une espece de panthe'isme ; suivant leurs iddes, tous les e'tres visibles avaient un ou plusieurs esprits, assez intelligents pour jouer un role dans les affaires du monde. Quant h, 1'ame de 1'hornme, ils la croyaient divisible : ils lui donnaient une tete, des bras, des jambes, bref un corps tout entier. Apres la mort, elle demeurait quelque temps pres du corps ; elle le suivait au tombeau, et se tenaitaux environs du cimetiere. Pendant la nuit elle se promenait dans le village, entrait dans les cabanes et se nourrissait de ce qui e"tait rest^ dans les chaudieres. A la (1) Charleyoix. , (2) Delation 1639. 1608] DU CANADA. 101 suite de la fete des morts, les ames quittaient les cimetieres, parees des robes neuves et des colliers qu'on avait mis sur les fosses ; alors les plus vigoureuses partaient de compagnie pour un grand village sitUe* vers le soleil couchant. Quant aux ames des vieillards et des petits enfants, elles n'osaient entreprendre un si long voyage ; mais elles demeuraient dans le pays, ou elles avaieiit des villages particuliers ; aussi enten- dait-on souvent le bruit des portes de leurs cabanes et les voix des enfants chassant les oiseaux. Elles semaient les champs que lus vivants avaieiit abandonnes ; et, si quelque bourgade devenait la proie des flammes, comme cela arrivait fre'quem- ment, elles allaient gratter dans les cendres pour y faire pro- vision de mais roti. Le chemin conduisant au pays des ames e"tait fort rude. Pour arriver au terme, il fallait passer une riviere profonde et rapide, sur laquelle un arbre ren verse servait de pont. La rive opposee etait gardee par un chien, qui tachait d'eftrayer les ames, et malheur a celles qui tombaient dans la riviere, car elles etaient ernporte'es par la violence du torrent et etouffees sous les eaux. Le village des morts ressemblait & celui des vivants : on y faisait la peche et la chasse ; on mettait la chau- diere au feu ; on y prisait les baches, les robes, les colliers et les arrnes. La seule difference etait que jour et nuit les ames y poussaient des ge'missements, nonobstant les efforts des capi- taines, qui essayaient inutilement d'arreter les soupirs et les plaintes (1). D'autres cependant repre'sentaient le pays des morts sous des couleurs plus gracieuses. Suivant ceux-ci, les ames pas- saient le temps dans des festins, des danses, des divertisse- ments qui se succedaient sans interruption ; elles n'avaient plus a redouter les chagrins, les infirmites, les vicissitudes de la vie presente. De nombreux contes, deque's de toute vrai- semblance, servaient k entretenir ces croyances, et e'taient re'- petes comme des autorite's irrefragables. La mort n'^tant, suivant leurs ide"es, qu'un passage en un pays peu different de celui-ci, les sauvages la voyaient arriver avec indifference ; personne ne cherchait & cacher a un malade le danger dans lequel on le croyait. On exposait devant lui la (1) Les Sauteurs pr6tendent que les m&nes restent antour des tombeaux pendant le temps de la decomposition 4 (2). Le nom d'un homme celebre ne se perdait jamais ; ordinaire- ment le chef de la famille ou quelque proche parent le ressus- citait, en abandonnant son propre nom pour prendre celui du de"funt. A cette occasion, il donnait un grand festin, pendant (1) On ne Wdine point nn mari qui' se remarie pen de terns apres la mort de as ferame. Bnrtout s'il artes enfants eii ban A{r, ou si, etant \m i-linssrur, il a bcsoin d'unu femme pour dresser les IHMI'\. Une t'emme est en deuil, cheveux ('pars, pirds IIUH. pendant deux aits et plus. Pour se remarier. il lui taut payer le corps de sou defunt inuri, en i'aisant des presents aux parents du ilet'imt. ce- eu q.uoi elle est aidee par sou i'utur mari. ( M. Belcourt.) (2) Bressoni, traduetion dn P. F. Martia. 1608] DU CANADA, 103 lequel il faisait une levee de jeunes gens pour aller en guerre et ])rouver, par ses hauts faits, qu'il avait he'rite non-seulement du nom, niais encore de la valeur du chef qu'il remplacait La fete des morts, une des plus solennelles parmi les Hurons, i avait lieu tous les dix ou douze ans ; elle se faisait dans une des bourgades choisies pour cela par un conseil general. On 1'annoncait dans le pays, arm que tous pussent apporter les restes de leurs parents. Alors, dans tous les villages, les osse- ments desseche's des defunts etaient ramasse's ; les femmes les nettoyaient et les enveloppaient dans de belles peaux de castor, qu'elles ornaient de rassades, de colliers, de figures en poil de pore-epic. Lorsque le jour de la fete approchait, de tous les cote's arrivaient des bandes de sauvages, portant sur leurs epaules les morts de leurs families. Tous etaient bien recus ; on leur ouvrait les cabanes, et les sacs renfermant les osse- ments Etaient suspendus aux pieces du toit (1), Dans la campagne voisine, Ton creusait d'avance une fosse commune, assez grande et assez profonde pour contenir tous les corps et tous les presents qui les devaient aceompagner. Le fond et les cote's en etaient doubles de peaux de castor et de robes entierement neuves ; sur les peaux, on rangeait avec soin des baches, des chaudieres, et des colliers. Tout ayant ete convenablement dispose", du haut d'un echaufaud les capitaines vidaient dans la fosse les sacs contenant les squelettes; on jetait par-dessus de nouveaux presents et une provision de ma'is ; apres quoi, tout cet amas d'ossements, de fourrures et de vivres e"tait reconvert de peaux, puis d'e'corces et de terre. Au-dessus du tertre ainsi forme, on dressait uii toit pour proteger les morts centre le froid et les neiges en hiver, centre les pluies et 1'ardeur du soleil en ete (2). Aux larmes et aux lamentations succedaient les festins, dans lesquels les chefs cherchaient a se surpasser les uns les autres ; aussi la profusion y etait telle, eu e"gard a leurs moyens, que sou vent il fallait combler le vide cre'e dans le magasin des provisions, par un jeune long et rigoureux. Cependant ces fetes, quoique bien dispendieuses, avaient un cote* avantageux ; elles servaient a Her plus e'troitement entre elles les tribus qui (1) n est tr6s-rare que les Santenrs snspendent leurs morts ; il n'y a cT exception :\ 1'nsnge comiunh que pour les chefs de graude reputation. Les Santeurs aiment ; visiter lus tomheaux ete leurs parents et de leurs amis; ils y font des festins et de- mr,ure,nt campus aupres peudant quel(ue jours. Ils tie.niient les environs des torn- beaux fort propres. sarclaut 1'herbn. et coupaut Ie8 brous.sailles. Les tombeanx sont tonjours places dans uu lieu bien choisi, et pres d'un cbeinin frequente. (Note de M. Belcoui-t.) (2) Sagard, (Irand Voyage du pays des Hurons. 104 COURS D'HISTOIEE [1608 avaient donn^ une fosse commune a leurs parents decade's ; elles inauguraient une nouvelle paix, qui devait subsister pavmi les vivants, comme elle se maintenait parmi les morts (1). (1) H est d'usage parmi les Sautenrs, que lorsqu'ils se rfeunissent, ce qni n';;rriye qu'une ou deux fois par' an, les principaux chefs de famille s'entr'invi'i-i.i ii title temps qu'ils sont ensemble ; on terminc ces rencontres, par un mitewi ov !(" f ' -ie m6- decine, oti les jeunes gens sont re5us du mitewi ; plusieurs jours d'avniu'. . l > jeunes chasseurs ont fait des amas de provisions pour le festin. (Note de M. .i^.' i.u. t.) 1608] DU CANADA 105 CHAPITRE SEPTIEME Cations sauvages Gonverneraent Bourgades Champs Droit de propriet6 Code criminel Peines Vols Gtierres Petite gueiTe Grande guerre Chanson de guerre Danse et festiir de guerre Chanson de mort Armies Campague Depart et retoui- des guerriers Prisonaiers. La forme du gouverneraent; ehez les nations huronnes, iro- quoises et algonquines, n'e"tait pas fort complique'e. Le peuple etait libre ; ehaque bourgade e"tait independante ; dans la bour- gade, ehaque chef de famille e*tait maitre de ses actions ; dans la cabane, ehaque enfant reelamait une liberte* presque illi- mitee. Cette masse de liberte* e"tait bien propre a embarrasser la marehe des affaires ; aussi les chefs avaient besoin d'une grende habilete pour diriger toutes les volontes vers un but commun ; car, pour gouverner, ils n'avaient d'autres moyens a leur disposition que la persuasion, la libe'ralite' etla confiance qu'ils pouvaient inspirer. La guerre, les ambassades, le gouvernement interieur de la nation, les interests des partieuliers, les festins, les danses, les jeux et les funerailles ; telles etaient les affaires dont s'occu- paient les conseils de la nation, et dont la direction etait remise aux capitaines (1). Parfois il y avait autant de capitaines que de genres d'affaires, surtout dans les grandes bourgades. II arrivait aussi, cependant, qu'un chef etait charge" de veiller seul sur les interets du village entier, a raison de ses talents, de son credit ou de ses richesses. Le premier rang e*tait sou- vent accorde a celui des capitaines qui s'e"levait au-dessus des autres par son esprit, sa liberalite et ses autres belles quality's. Regulierement, la charge de capitaine se transmettait comme un heritage, du cote de la mere chez les Hurons, du cote" du pere chez les nations algonquines (2). Elle ^tait quelquefois conferee par Election. Les homines ainsi elus par la nation n'acceptaient pas toujours la charge impose'e ; ils refusaient (1) Relation de 1636, P. de Brebenf- (2) Parmi les Sauteurs. la place de chef eat her6ditaire. Qnand le chef n'est pas nn orateur. il se fait remplaoer par un ancieu qui ponsede le talent de la parole ; il pruml iu"iiic qaalqaafpla un jeuue humme deja counu couime parlaut facileuieut. (Note de M. Belconrt.) 106 COURS D'HISTOIRE . [1608 de recevoir cet honneur, les ims parce qu'ils ne pouvaient parler en public, d'autres parce qu'ils manquaient d'une qualite indispensable ou qu'ils prefe"raient vivre tranquilles ; car les fonctions d'un capitaine etaient si nombreuses, qu'il etait pres- que, toujours occupe aux affaires publiques. Si l'on tenait un conseil de la nation dans un village eloigne, il devait s'y rendre, quelque temps qu'il fit ; sa cabane e"tait ouverte pour les assemblies qui avaient lieu dans sa bourgade ; il etait tenu de faire les annonces de maniere que tous en eussent connais- sance, malgre les inconvenients qui en pouvaient resulter pour lui-me'me. Et cependant en retour de ses services, il ne rece- vait qu'une autorite" fort restreinte (1). Les affaires publiques se traitaient dans un conseil compose" des anciens et des priucipaux de la bourgade. Les propositions, apres avoir e"te longuement discutees, Etaient adoptees ou re- jetees a la pluralite des voix (2). En general les avis des anciens etaient d'un grand poids dans la decision des affaires ; mais c'e"tait surtout le talent de la parole qui assurait le plus d'influence dans les assemblies publiques. Aussi ce talent etait-il cultive avec soin, et plusieurs y reussissaient merveil- leusement. Souvent il est arriv^ qu'uE orateur sauvage, par ses raisonnements et son habilete a haranguer, a force" des officiers francais a embrasser une opinion differente de celle qu'ils avaient d'abord soutenue. Les conseils se tenaient ordinairement dans la cabane du principal capitaine de la bourgade. Un chef annoncait le temps et le lieu de i'asseinble"e, pendant qu'on prdparait le feu du conseil, autour duquel venaient s'asseoir tous les int^ress^s, a mesure qu'ils arrivaient, en ayant le soin de r^server la place d'honneur pour le premier capitaine. Les fenmies, les filles et les jeunes gens Etaient exclus des assemblies ; on permettait cependant a des guerriers de vingt-cinq a trente ans d'assister au conseil general. S'il s'agissait de ddlibin fait mourir avunt do Ics ivndi-e au camp. Au rosto. uu sauteur. coinmc. un sioux. s'il pr6voit qn'il i>eut etro pris. e deehitr^e pas sou fusil ou u'6puisc jias son car- quoiH. aftn quo. jinr la craiiite d'appvocher. son eunemi soil force de tirer de loin. (Note de M. Belcourt.) (2) Latitau, Maeurs des suucagfg. 1608] DU CANADA. 117 parents se retiraient pomr les pleurer dans leurs cabanes, ou ils recevaient les compliments de condoleance de leurs amis. Les morts ayant ete dumcnt honores par des larmes, ufi (/ second cri appelait les habitants, auxquels on communiquait les bonnes nouvelles de la canipagne. Si le parti n'avait eprouve aucune perte, an lieu du cri de mort, i'euvoye repe- tait le mot kohe d'-une maniere triomphante, en le prononcant avec une mesure plus breve et plus saccadce ; il le repetait autaut de fois qu'il y avait de prisoimiers ou de clievelures enlevees (1). Les anciens en voyaient des depiites au-devant des vainqueurs pour les feliciter siir leurs heureux succes. Le jour .destine a 1'eutree, les guerriers laissaient les prisouniers au soin des personnes qui n'avaient pas assiste a 1'expedition ; pour eux, coinnie s'ils n'avaient eu aucun interet dans 1'affaire, 'ils entraient dans le village, marchant a la fille les uus der- riere les autres, sans chanter, sans avoir le visage peint, couverts d'habits dechires, plus semblables a des gens qui arrivent d'un long voyage, qu'a des guerriers retournant d'uue course victorieuse. C'etait la, la pratique des Iroquoia. Chez d'autres nations, I'eiitree a la bourgade d'un parti de guerre ^tait une sqrte de triomphe : le chef marchait it la tete de sa troupe, avec toute la fierte d'un conquerant; les guer- riers suivaient sur deuxrangs, au milieu desquels s'avancaient les prisonniers, le visage peint et vermillonne, les bras lies avec une corde au-dessus des coudes, tenant d'une main un baton orne de plumes, et de 1'autre le chichikoue. Les captifs chantaient leur chanson de mort, dans laquel]e ils vacontaient leurs prouesses, bravaient leurs enneniis, et expriniaient le m^pris des tournients. De temps en temps, on les arretait pour les faire danser, et ils se livraient a cet exercice comme s'ils . avaient ^t4 entoures de leurs amis (2). Ils rappelaient ceux qu'ils avaient tu&s et brules ; ils n'oubliaient point de nommer les parents ou les amis des vainqueurs qu'ils avaient eu le plaisir de torturer. Ils semblaient s'e vertuer a provoquer la vengeance de ceux qui allaient decider de leur sort. Cette vanite* leur coutait cher ; mais les tourments les plus cruels ne pouvaient ordinairement abattre la fiert^ des prisonniers ; au (1) Chez les sauvages de 1'ouest, si le parti de guerre a frappe, il met le fen & la prairie ; ce feu pen s apercevoir le soir a une tres-grande distance, en se refletant sur les images. S'il est vainquenr, il met le feu pins loin, le lendemain ; etc'estainsi qn'ils telegrapbent les phases interessantea de la cainpagne. (Note de M. Beloourt.) (2) Charlevoix, Journal d'un Voyage dans VAmerique Septentrionale.. 118 OOURS D'HISTOIRE [1608 contraire la plupart paraissaient s'en enorgueillir et y trouver im veritable plaisir. Quelquefois on les faisait courir entre deux lignes de sau- vages, armes de batons, de pierres et de tisons ardents, et chacun s'efforcait de les maltraiter. Les captifs avaient la liberte de se deTendre ; mais, lie's comme ils 1'etaient et accables par le nombre, leur resistance etait a peu pres inutile. On cherchait k les faire tomber en leur ban-ant les jambes, afin de s'amuser de leurs chutes et de leurs efforts pour s'e relever. A certaines stations, des femmes et des vieil- lards les arretaient pour leur arracher les ongles a belles dents, et leur couper quelque phalange des doigts. La permission de faire ces mutilations n'^tait cependant accordee qu'a ceux qui I'achetaient par des presents offerts au maitre du prisonnier. Ce droit d'entree se payait dans tons les villages par lesquels on passait, jusqu'a celui ou le sort des captifs devait etre decide". Apres 1'arrivee dans le village ou se devait faire la distri- bution des prisoimiers, on les iiitroduisait dans'une cabane de couseil ; on leur doimait a manger, on les faisait 'chanter et danser. Pendant plusieurs jours, durant lesquels on les tenait dans rincertitriue sur leur sort, ils servaient de jouets a la population, et'ne pouvaient obtenir uu moment de re"pit. A la suite, d'nn grand conseil ou Ton prononcait sur leur sort, ils etaient conduits au milieu de tout le peuple assemble, et li im ancien faisait connaitre la decision qui avait et6 prise. Les uns entraient dans des families qui avaient perdu quel- ques parents, et ils y etaient adopted pour remplacer les morts ; les autres etaient donnas comme esclaves aux personnes con- siderables de la nation, ou envoye"s en present aux peuples allies ; quelques-uns etaieut reserves au feu, et devaient se resigner a mourir apres avoir endure tous les supplices que la barbaric la plus raflinee pouvait in venter. 1608] DU CANADA. CHAPITRE HUITIEME Nations sanvages Ambassades Traites Constitution physique des sauvages Habits Maladies Hedecins et remedes Sueries Jongleurs Mariages Tra- vanx 'des homines Ouvrages des femmes Enfants et leur education Noms douues aux enfauts Berceaux Les femines sauvages Lecons et corrections don- n6es aux enfauts Qualities morales Force d'ame Hospitalite Vanite Eloigue- ment des querelles Justice Condoleances Orgueil et vengeance Fonrberie Jenx de crosse, de paillo,de ndyaux Festins Nourriture CLasses Chiens Fes- tin de chassc Observations astronomiques Voyages. Dans les guerres continuelles que se faisaient les nations sauvages, il etait tres-important pour chacune d'elles de se cre'er des allies, et de les couserver au moyen d'ambassades et de traites de paix. Malgre leur rudesse apparente, les ambas- sadeurs savaient jouer leur role aussi Men que les diplomates europeens. Pendant qu'ils negociaient une paix ou un traite, ils evitaient de montrer de 1'empressenient a atteindre leur but, aim de convaincre 1'autre partie qu'ils n'^taient mus ni par la peur, ni par la necessite. Lors meme que les affaires de leur nation allaient mal, ils ne rabattaient rien de leur fierte, et souvent, a force d'adresse, de morgue et de perseve- rance, ils reussissaient a obtenir quelques concessions d'un enneuii victorieux. Les propositions des ambassadeurs etaient appuyees par des presents consistant en fourrures et en colliers de porcelaine, qu'ils offraient en plein conseil, et qui leur servaient, pour ainsi dire, de memoires ; car a chaque present etait attachee une demande ou une proposition. Hors du conseil, ils avaient le soin de se faire des amis panni les chefs, avec lesquels ils entamaient des negociations particulieres. Si le traite de paix converiait a ceux a qui il etait propose, les ambassadeurs re- prenaient le chemin de leur pays, et etaient bientot remplaces par d'autres deputes charges de preparer les voies a un arran- gement d^finitif (1). Si le projet de traite n'etait pas .favorablement recu, les (1) Les traites de paix se proposent par 1 envoi de tabae et d'un i-aluinct. dont la couleur douiinante est le vert ; on ii ne dift'^reut des Sioux et des Assiuibouar.es quo par la forme de leurs habit et de leurs aouliers, leur teint, leurs traits, leur taille .'-taut presquo les inemes. (Xote de M. Belcourt.) (2) La maniei'e dont les sauvages se peignent les change tellement, qu'un mission- naire qui faisait uu present a chaque pere de famille, le fit cinq fois au memo individu avant de pouvoir le reconnaitre. parce que, chaque fois, il avait changfl de toilette si / habilement qu'i' paraissait un tout autie homnie. Comme quelqu'un 1'accusait et que le missiouiiaire n'y pouvait croire. coljai-ci lui dit : " Avoiio-moi irancliement si ee que 1'on dit de toi est vrai, et je te donnerai une part de plus.'' Le sauvage avoua sa ruse, et recnt la part promise. (Note de M. Belcourt.) (3) Voyages de Champlain. 122 COUKS D'HISTOIRE. [1608 pendant 1'hiver, ils s'eiiveloppaient d'un manteau fait de peaux d'ours, de cerf ou de castor. Ils y joignaient de longs bas ou mitasses, rnontant jusqu'a la ceinture, et des manches qu'ils attachaient avec des cordons sur le dos du manteau. Les souliers de peau passe"e etaient legers et souples, fort com- modes pour chausser la raquette, mais peu propres a preserver les pieds de I'huniidite (1). Les femmes pour 1'ordinaire se couvraient modestement. Leurs robes, aussi de peaux, etaient liees sur les epaules avec des cordes, tombaient jusqu'aux genoux, et s'arretaient autour des reins par une bande servant de ceinture. La vanite avait invente quelques ornements pour les habits de fetes ; on les garnissait do bandes enjolivees de couleurs brillantes, et brode'es avec des polls de pore-epic (2). Les montagnaises et les algonquines etaient reputees fort habiles dans ces sortes d'ouvrages. Aux graudes occasions, les filles se chargeaient de porcelaine du pays, qu'elles travaillaient en forme de colliers, de chatnes, de bracelets et de pendants d'oreille. " En cette facon vetues et habillees poupinement," dit Cham- plain, " elles'se montrent volontiers aux danses, ou leurs peres et meres les envoient, n'epargnant rien pour les embellir et parer ; et je puis assurer avoir vu en des danses telle fille qui avait plus de douze livres de porcelaine sur elle, sans les autres bagatelles dont elles sont chargees et atourees " (3) Les sauvages avaient peu de maladies avant I'arrivee des Europeens ; les deux principales etaient les ecrouelles et la phtisie. Lorsqu'ils echappaient a ces deux fleaux, auxquels ils etaient exposes surtout dans la jeunesse, ils arrivaient forts et vigoureux, a un age tres-avance, a moins qu'ils ne fussent euleves par quelque accident. Dans les maladies dont ils croyaient conuaitre la cause et ou ils ne soupcoiinaient point de malefice, ils avaient recours aux moyens naturels, avec lesquels ils reussissaient a ope'rei 1 ' (1) Relation de 1632. (2) Chez les fenimes. les manches lie font pas partit; do la robe : dies sont ccusiies lepuis le coudo jusqii'au poiguet. Le reste. depuis le coude ^aaqa'fta-deMOB de l'6paule, n'fst. pan cousn ; un coin du bras gauche en avant so joint a celui du bra* droit; une baiidu de cinq ou six pouccs di- larguur. partantdu bras gaucho et. pait.-uit sur 1'estoniac, vajoiudre le bras droit. Cetto partic < st onuV ciniiiiif l'6phode des grands prdtres. En arriere. les deux autres coius des mauches sont joints de la ni-nn- maniere a peu pros et plus oriies encore. Des tavelles ou des rubaus rouijcs. ve-rt.w. jaunes, couleurde rose eu forinant It; fond; ces inaucbes se noiiiuient iiakkw> ;/. ]<>s ta- velles ou rubans se nomment nakkieri/ah, au tmiguliur ; c'cst le mot employi- pour si- gnitier arc-en-ciel. (Note do M. Belcourt.) (3) Champlain, Voyage*, etc. 1608] DU CANADA. 123, des cures remarquables (1). Les plantes medicinales du pays, la suerie et la diete formaient le fond de leurs prescriptions. II ne fallait pas courir bien loin pour trouver le medecin, car chaque cabane renfermait toujours plusieurs personnes, hommes ou femmes, habiles dans la medecine sauvage. Pen de plaies resistaient a leur traltement, dans lequel ils em- ployaient des vulneraires d'une grande puissance. Aujourd'hui encore, an milieu des populations rurales du Canada, on se sert avec avantage de plusieurs specifique dout la vertu a dte enseignee aux Francais par les sauvages (2). Cependant la suerie etait le remede le plus universellement employe ; on s'en servait pour guerir les malades et pour communiquer une nouvelle vigueur aux personnes en sante. Pour la suerie, on preparait une cabane ronde et basse, qu'on couvrait de nattes et de fourrures. An milieu de cette espece de four, ils mettaient de grosses pierres rougies an feu, et ceux qui voulaient se faire suei', se glissaient a 1'inte'rieur, apres s'etre depouilles de leurs habits autaut que le permettait la bienseauce. Pour favoriser la transpiration, ils s'agitaient, ils ciiaient, ils haraiiguaient, ils chantaient, cliacun sur un ton different. Des que les pierres perdaient de leur chaleur, ou les arrosait avee un pen d'eau ; aussitot une vapeur tiede se re"pandait dans toute la cabane, et en augmentait beaucoup la chaleur. Quant ils avaient passe une couple d'heures dans ces etuves, ils en sortaient ruisse- lants de sueur, et ceux d'entre eux qui n'etaient point malades allaient se precipiter dans la riviere pour se rafraichir. Uiie autre espece de bain de vapeur etait encore en usage pour la guerison des malades, et paralt avoir produit des efi'ets salutaires. L'on faisait bouillir, dans une grande chaudiero, des branches d'epiuette et d'autres arbres resineux ; la vapeur qui s'en elevait ^tait conduite sous une estrade ou le malade avait ete place (3). Voilk les remedes dont la medecine naturelle se servait *avec beaucoup de succes. Mais ils n'etaient pas suffisants pour satisfaire les reveries superstitieuses des sauvages ; aussi recouraient-ils assez sou vent a la me'decine clivinatoire, exercee par les jongleurs, afin de decouvrir les sorts qui avaient produit (1) P. Lafltau, Mceurs des Sauvayen. (2) Los Sauteurh sent litibilcs a ^uei-ir leu umladies <{\i\ nti inanifestciit a i'inti-ri^ur. ii 1'exception des 6crouelle8, de la puliilouie et tic la pctite vi'-role, aiiX(iiifllcH IN sue conibeut toujoiirw eu p-and nombre. J'ai vu uu c;is il't''i-y.si])i-lt' <)!ii. soi.uni- pur un m6- deciu anglais, devint d6ae.spere. et qu un sauteur gu6i'il. snivant s:i proinesse. avec la plus grandu facilite, pnVli.sant d'avunct- ICH plius<'s progressives rte la liu (Note de M. Beleourt.) (3) Relation de 1634. 124 COUKS D'HISTOIRE [1608 la maladie et d'en detourner les pernicieux effets (1). Ces char- latans s'adressaient a leurs demons familiers, au moyen des- quels ils pretendaient trouver la source et la nature des mala- dies, obtenir la connaissance des remedes propres a les guerir, expliquer les songes, faire reussir les entreprises des guerriers et des chasseurs. Ils se vantaient aussi de savoir ce qui se passait dans les lieux eloignes, et de predire les eVeuements futurs (2). Lorsque le jongleur etait appele a guerir un malade, il se faisait batir une cabaue, dans laquelle il devait commu- niquer avec 1'esprit. La construction de 1'edifice exigeait pen de preparatifs : six poteaux e'taient fortement enfonces dans le sol ; on les liait par le haut, de maniere a y laisser une ouver- ture pour le passage des espfits, a leur arrive'e et leur depart. Des robes e'taient etendu.es et liees aux poteaux, de maniere a fermer le sanctuaire du devin ; arm de son manitou, il se glissait a l'interieur, en rampant sur les pieds et sur les mains. Tous les feux etaient e*teints, afin de ne pas e"pouvanter les genies. Alors il commencait les invocations a voix basse ; s'animant ensuite peu a peu, il chantait, il criait, il hurlait comme un possede. La cabane s'agitait d'abord doucemeut, puis avec une telle violence que les poteaux paraissaient prets a se rompre. L'esprit, selon les sauvages,. faisait connaitre son arrive'e par tout ce mouvement. Des voix tantot fortes et rudes, tantot faibles et donees, se faisaient entendre a I'inte'rieur. " L'esprit est la ; cette voix grele est la voix de 1'esprit qui lui parle," se disaient les assistants. Puis, s'adressant au ge*nie, ils 1'invitaient a appeler ses compagnous au secours. Des bruits discordants, des voix confuses prouvaient que le premier genie avait recu des renforts. Diverses questions e'taient alors adres- s^es : " Quelle etait la maladie ? Qui 1'avait donnee ? Comment 1'oter ? " On profitait de la circonstance pour obtenir des infor- mations sur d'autres sujets. " Quant arriveraient les chas- seurs ? Q.uels succes avaient-Hs eus ? L'hiver serait-il long ? "' Beaucoup d'autres questions e"taieut posees. aux esprits, qui etaient censes tout savoir. Les remedes indiqu^s par les jon- gleurs a la suite d'une de ces conferences, etaient ordinaire- (1) Charlovoix, Journal Historique d'un Voyaye. etc. (2) Chez les. jonsrlcurs pour la guerison de deux malades. Vingt- quatre personnes designees pour chanter et faire les ce'remo- nies, firent entendre des chants " si effroyables," dit le Pere, (1) Cette pitoyable croyance anx soufflevrs. on plutot suceurs, est encore extrfime- ment enracjn6e, tellemeut qu'on a peino A empecher les n6opli3'tes de rccoiirir aux soufflenrs. qnaiul ils sont en danger ; souvent ils sont tent6s do croire qu'il meurent victimes de leur nouvelle croyance. (Note de M. Belcourt.) 126 COURS D'HISTOIRE [1608 " que, si les demons et les damues chantaient dans 1'enfer, ce serait a peu pres de la sorte." Des cailloux avaient etc* mis dans le feu, et, lorsqu'on les y eut bien fait rougir, les tisons furent e'cartes. A yam les mains derriere le dos, les me'decins prirent les cailloux brulants entre leurs dents, et, apres les avoir gardes un peu de temps dans leur bouche, ils les por- terent ainsi aux malades. L'une des pierres etait de la gros- seur d'un osuf d'oie, et elle etait encore si chaude, lorsqu'elle tomba aupres des malades, qu'on en vit sortir des etincelles. Apres la cere"nionie, des francais eurent la curiosite d'examiner les levres et la langue des jongleurs, et, a leui grande sur- prise, ils n'y trouverent aucune trace de brulure (1). Apres avoir e"te te*moins des espiegleries auxquelles se sont livres de uos jours les esprits frappeurs et les tables tour- nantes, il est difficile de rejeter comme fabuleux les nombreux rapports donnes sur les operations et les predictions des jon- gleurs, par les ancieus ecrivains et par les yoyageurs canadiens qui vivaient au milieu des tribus de 1'ouest. Parmi beau- coup de supercheries palpables, il s'est passe des faits qu'on ne pent certainernent expliquer par les voies ordinaires. Les -parents, qui, a la recommandation des jongleurs, fai- saient taut d'efforts et de sacrifices pour rendre la sante a un malade, 1'abandonnaient avec une grande facilite quand il.s croyaient n'avoir plus d'esp^rance de la guerir. Si, dans leurs voyages, il devenait difficile de transporter un infirme, on le laissait rnourir de faim, ou Ton mettait de suite un terme a sa vie par un coup de massue. Cette cruaute s'exercait quelquefois sur un pere et une mere, par des enfants lasses de les trainer a leur suite. Les mariages, sans ^tre regardes conmie indissolubles, se brisaient difficilenient cliex quelques nations (2). Ainsi, parmi les Outaouais, le mari ne repudiait sa femme que pour de tres- graves raisons ; autrement il s'exposait a des.avanie.-s serieuses : car la femme delaissee sans sujet pour une autre, avait le droit de reunir ses parents et d'aller piller la caibane de son mari ; elle pouvait lui arracher les cheveux, lui dechirer le visage, sans qu'il eut la liberte* de s'y opposer. S'il avait resseuti les injures de celle qu'il avait ainsi renvoyec, il aurait ete expose aux risees et aux moqueries de tout le village. Mais, si I'homme pouvait prouver que sa femme lui avait ete infidele, il en epou- sait une autre sans que personne put lui en faire de repro- (1) Relation de K;:n. (2) Meiiioire de X. Parrot. 1608] DU CANADA 127 ches (1). Quant a la femme, elle ne devait point, de son chef, abandonner son mari, parceque celui-ci, 1'ayant achetee et paye*e, en etait ainsi le maitre. Parmi les Mahingans, les Iroquois et plusieurs autres peuples, le lien conjugal se brisait suivant le caprice de I'homrne ou de la femme. II se trouvait par exception des e"poux qui s'aimaient sincerement et demeu- raient pendant toute leur vie attache's Tun a 1'autre ; mais la plupart, et surtout les jetmes gens, s'unissaient avec I'intention de. se s^parer au bout de quelques annees. II arrivait meme assez souvant qu'un homme prenait une femme pour un voyage de chasse ; pendant ce temps, ils vivaient ensemble, et au retour ils se separaient, apres avoir partage les profits. Beaucoup d'entre eux, partant pour quelques mois, laissaient 1'epouse principale chargee du soin de la cabane, et menaient avec eux des femmes engagers pom la duree de 1'expedi- tion. Un.hoinme avait assez souvent deux ou trois epouses, qui habitaient ensemble dans sa cabane. La paix regnait entre elles, quand elles etaient soeurs, ce qui arrivait parfois (2) ; naais si elles n'etaient pas parentes, des discussions, des que- relies et des luttes a coups de poing s'elevaient entre elles. Les families respectives y preuaient part ; des rixes serieuses avaient lieu entre les deux partis, et quelquefois le sang coulait ; alors settlement les chefs avaient le droit d'intervenir pour retablir la paix, mais il n'y wkississaient pas toujours. Les travaux des hommes et ceux des femmes etaient assez clairement definis. A 1'homme appartenait de faire la peche et la chasse, d'apporter le gibieretla venaisonjusqu'a la portede la cabane, et le poisson jusqu'au lieu du debarquement. II fournissait le bois et les eeorces necessaires pour batir la cabane dans le village ; mais il n'avait pas a s'occuper de celles qu'il fallait dresser dans les voyages. Les ouvrages les plus rudes, dans la construction et la reparation des canots, lui revenaient. Pendant la marche, au contraire, il n'avait a porter que ses armes ; cependant, si la femme dtait accablee sous un fardeau trop lourd, pour la soulager il en prenait une partie, et chargeait sur ses ^paules ou trainait sur une taba- gane les enfants qui ne pouvaient marcher. La femme e"tait mattresse de la cabane ; elle entrait, prepa- (1) Un mari dontla femme s'est Iaiss6 s6duire, et qui cependant 1'aiine trop pour s'eu s6parer. lui coupe le nez et les oreilles. et personne n'a rien a redire. (Note de M. Belcourt.) (2) Memoire de N. Perrot. 128 COURS D'HISTOIRE [1608 rait et faisait secher les viandes laissdes a la porte par son mari ; elle allait chercher dans le canot le poisson qu'il avait pris ; elle fournissait 1'eau ainsi que le bois ne'cessaire pour entretenir le feu de la cabane, et appretait la nourriture ; elle preparait la terre pour recevoir le grain, le semait et le recueillait ; elle faisait des souliers pour toute la famille, tressait les nattes, passait les peaux, taillait les robes et les cousait, faconnait les plats d'ecorce. Dans les bois, quand il fallait changer de place, elle transportait les decrees et-les nattes qui servaient a couvrir la cabane. Les algonquiuts et les montagnaises rnontraient beaucoup d'habilete a faire de petits ouvrages en ecorce ou en peau, qu'elles brodaient en poils de pore-epic et d'orignal ; des les premiers temps de la colonie, ces objets etaient envoyes en France comme des curiosite's. Les sauvages ternoiguaient a leurs enfants un vif attacherueut, qui degenerait souvent en faiblesse ; car, pour ne les point attrister, ils leur faisaient raremeut des reproches, et ne les chatiaient presque jamais. Quand un enfant e"tait arrive a 1'age de cinq a six mois, le pere et la mere faisaient' un festin, au- quel ils appelaient un jongleur avec plusieurs de ses disciples. En lui adressant la parole, le pere 1'inforinait qu'il 1'avait appele pour percer le nez et les oreilles de son enfant, et qu'il offrait ce festin au soleil ou a quelque autre divinite. Le jon- gleur repondait par la formwle stiivie dans les occasions- sem- blables, et faisait une invocation a 1'esprit que le pere avait clioisi ; il prenait ensuite part au festin, dont les restes lui appartenaient. A la suite du repas, la mere remettait 3 'enfant au jongleur, qui le passait u 1'un de ses assistants ; lui-rneme chantait une nou velle invocation a 1'esprit, pendant qu'il tirait de sou sac les instruments qui devaient servir a la ceremonie, c'est-a-dire, une alene et un poincon plat formd d'un os. Avec 1'alene il percait le nez de 1'enfant. et il se servait du poincon pour les deux oreilles. Deux petits rouleaux d'ecorce dtaient enfonces dans les cicatrices des deux oreilles ; dans 1'ouver- ture faite au nez, il passait un bout de plume, qu'il y laissait jusqu'a ce que la plaie fut gudrie (1). Cette cdremouie, usitee parmi les nations de 1'ouest, n'etait pas pratique'e chez les peuples situes sur .la partie inferieure du Saint- Laurent. Cependant, parmi les derniers, Ton observait (1) T,e notn d'Otfciwa (Ottawak. eeux (it<'- la vie a cenx qni les proteraieiit. Lc> Santenrs lie o moutreiit ilitspo-su-s a la fraudu que vis-a-vis des truiieurs, (Note de M. Belcoort.) (3) Memoire de N. Perrot. 134 couns D'HISTOIRE [1608 ils etaient armes de batons recourbes, terminus par line espece tie raquctte. Chaque parti avait son chef,qui faisait une harangue pour eucourager ses compagnons a bien faire. Les deux bandes se disposaient sur le terrain, attendant avec impatience qu'im des joueurs donnat le signal en lancant dans 1'air une boule de bois leger. Au moment ou elle paraissait au-dessus des tetes, tons s'elancaient pour la suivre, et cherchaient a la pous- ser avec la crosse vers le but de la partie adverse ; une masse confuse d'hommes se dressait, s'agitait, se portait tantot d'un cote, tantot de 1'autre ; les batons redoublaient d'activite et de vigueur, les coups pleuvaient sur la balle, plus sou vent encore sur des jambes, des bras et des tetes. Quelquefois un robuste jouteur 1'arrStait entre ses pieds, attendant le moment favo- rable de la lancer vers ceux de son parti ; pour maintenir sa position, il lui fallait une grande force de resistance, car les crosses tombaient rudement sur ses jambes. Si enfiu un coup habilement porte jetait la balle au-dessus de la foule pressee des combattants, les plus alertes la suivaient et s'assuraient de la victoire en la faisant passer par de-la la ligne que de"fen- daient les ennemis. Les enjeux, souvent d'une grande valeur, Etaient remis aux vainqueurs par les juges, qui avaient aussi h, prononcer sur les contestations, quand il s'en elevait. Le jeu de crosse causait de frequents accidents ; il arrivait que de malheureux blesses etaient emportes hors de 1'arene avec une jambe casse, un bras fracasse, une epaule d<'mise ; mais en sonime il produisait de bons effets, car il rendait les jeunes gens alertes, dispos et habiles a parer les coups de inassue, lorsqu'ils se trouvaient engages dans un combat veritable. Les sauvages etaient naturellement fort legers a la course, et ils s'y exeraaient souvent; cependant il arrivait que leurs meilleurs coureurs se laissaientdevancer par des francais. Dans une grande reunion des Algonquins et des Hurons aux Trois-Rivieres, le vainqueur a la course fut, a leur grande sur- prise, un jeune francais, Thomas Godefroi de Normanville, a qui aucun d'eux ne put tenir tete. Deux autres amusements etaient en vogue chez les sauvages, le jeu de pailles et celui de noyaux. Un paquet de pailles, d'<5gale longueur et en nombre impair,' e'tait employ^ pour le premier jeu, dans lei juel la memoire, le calcul et la vivacite* de 1'oeil etaient necessaires pour rdussir. Le jeu de noyaux n'exigeait pas les memes qualite*s, car le hasard y de"cidait de la victoire. Six petits os, ressemblant a des noyaux de prunes, noirs d'un cote" et blancs de 1'autre, etaient agite's comme des 1608] DU CANADA. 13," de"s dans un plat de bois. Apres avoir secoue le plat au-dessus de sa tte, le joueur en frappait la terre, sur laquelle il le lais- sait tournoyer ; pendant ce temps, il priait 1'esprit des des de lui tre favorable. Le norubre des d^s amends avec la meme couleur determinait le gain de la partie. L'on voyait des villages entiers s'attacher a ce jeu sans interruption pendant plusieurs jours, et des individus y perdre leurs biens^ leurs femmes, leurs enfants et m^rne leur propre liberte". Les jeux e"taient accompagne's et suivis de festins, que les sauvages rendaient aussi frequents que le permettaient leur imprevoyance et leur pauvrete*. 11s avaient les festins d'adieu et de re*jouissance, des festins a chanter et des festins pour guerir les malades (1). Celui qui voulait donner un festin, mettait la chatidiere au feu, et faisait ensuite les invitations. S'il voulait avoir un certain nombre de personnes des villages environnants, il envoyait d'avance aux chefs autant de batons qu'il demandait de convives. Chez les Hurons, il arrivait quelquefois que huit ou neuf villages et meme tous ceux du pays e'taient appelds a deputer des repre'sentants pour assister a un grand repas (2). Le P. de Breboeuf parle d'une fete semblable, ou vingt cerfs et quatre ours furent mis an feu dans trente chaudieres. Les convives s'asseyaient sur les nattes, qui servaient de chaises et de tables ; chacun d'eux avait du apporter sa gamelle et sa cuiller de bois. Un cri du niattre annoncait que le repas etait pret ; puis il nommait les ani- maux qui garnissaient les chaudieres. Chacun marquait son approbation en frappant la terre de son plat et en re'pe'tant du fond de I'estomac : Ho ! ho ! Les chaudieres devaient etre viddes, quand m^me tous les convives auraient du en mourir ; celui qui ne pouvait avaler en un jour ce qu'on lui avait servi, et qui, meme en offrant des presents, ne trouvait personne pour le secourir, devait res- ter sur la place jusqu'au lendemain, afin d'^puiser sa gamelle. Ordinairement, le mattre demeurait simple spectateur, funiant le calumet et faisant servir les invites. Ceux qui arrivaient apres le commencement du repas -etaient renvoyds, avec 1'a vis qu'un festin est une affaire trop importante pour etre mutile"e. Parmi le plus grand nombre des nations sauvages, les vivres ordinaires (itaient le mais, les f^ves, les haricots, les citrouilles et les glands ; elles se seraient regardees comme dtant dans la (1) .Relation de 1638. (2) Siigard, Grand Voyage, etc. 136 COUES D'HISTOIRE [1608 disette, si elle en avaient manque, meme lorsque la viande e"taient en abondance (1). Chez les Christinaux, les Assinibouanes et les Malhoumines, la folle avoine, qui croit dans les lacs peu profonds, remplacait le mats. Pour la recolter, les sauvages s'avan^aient en canots au milieu des longues tiges qui le portent ; les tetes chargees de grain mur dtaient courbe"es et appuye"es sur les bords du canot, et on les battait avec 1'aviron. Lorsque le fouds de la petite embarcation etait convert de grain, on allait le deposer & terre pour recommencer le meme travail. Les Montagnais et les autres peuples du nord, presque tou- jours errants, comptaient principalement sur la peche et la chasse pour leur nourriture. Les orignaux, les caribous, les ours, les castors forrnaient les grosses pieces de la chaudiere ; mais, dans certains moments de disette, ils etaient fort aisesde rencontrer un lievre, une perdrix, un pore-epic ; ils ne dedai- gnaient meme pas alors les martres et les renards, dont le gout est si mauvais, que les chiens n'en margent qu'a 1'extre- mite. Au bouillon qu'ils en tiraient, ils joignaient des raeinei?, des oignons de martagon canadien, des bluets et la tripe de roche, mousse gris^tre et seche, renfermant un }>eu de ma- tiere nutritive. Ils mangeaient aussi 1'ecorce de 1'trable, qu'ils faisaient bouiilir et dont ils tiraient, dit le P. Lejeune, " un sue doux corame le miel ou comme du sucre" (2). Dans les regions septentrionales la disette e"tait assez frequente, et il est arrive" que des femmes pressecs par la faim ont ddvor^ leurs propres enfants. La chasse etait une des occupations favorites des sauvages. Montes sur des raquettes, les chasseurs atteignaient facilement les caribous et les orignaux lorsque les neiges e*taient hautes ; ils les tuaient & coups de fleches, d'une distance de quarante- cinq a cinquante pas. Dans ces courses, ils etaient aides par les chiens, qui leur rendaient d'importants services. Le chien paralt avoir dte le me'ine chez les Souriquois de 1'Acadie, chez les Esquimaux du Labrador, chez les Algonquins du Saint- Laurent et chez les Hurons des grand lacs. Le vrai chien esquimau est de bonne taille ; sa robe est blanche, tachete'e (1) Mtmeirt do Nioolsw Perrot- (2) Lfis Krancais anrent tirer profit du sue de l'6rable ; ils furent iirobablpment les premier** en fUro du sucre Vor 1'anneo 1695. La Hontun ecrivait : Oil fait de i6ve de 1'erabln. du uncro -t (In Hirop si preoieux. qu'on u'a janiais tionve de rcnieilt) plus propro a fditiH.-r la poitrine." Le F. Sunrd parle de I'emploi de 1'ean a arable pour crtninoa maladit-n. 1608] DU CANADA. 137 de noir ; il a le poil long, les oreilles pointues, la queue touffue et relevee. II n'aboie point, mais il pousse des cris courts et e'touffes qui serablent etre des essais d'aboiement. II res- seuible tellement au loup du nord, qu'on pourrait croire qu'il est le loup devenu le serviteur de rhomme. C'etait le seul animal domestique des tribus septentrionales de TAmerique, et il y etait eu si grande estime, que, dans les festins solennels, Thote, pour faire preuve d'une grande generosite, presentait un chien roti a ses convives; cela n'arrivait jamais cependant chez les Montagnais, qui n'avaieut point de gout pour cette viande. La chasse au castor se faisait ordinairement pendant le cours de 1'hiver, car les sauvages profitent de.s glaces pour aller Tat- taquer dans les cabane* baties par cet ingenieux animal, au milieu des lacs qu'il a lui-meme formes au moyen de digues. Lorsijue plusieurs chasseurs etaient r^unis, la chasse au cari- bou etait facile et amusante. Autour d'une plaine ou d'une savaue, ils faisaient une longue cloture d'arbres abattus, en ayaut le soin de laisser, a de petites distances, des passages oft Etaient tendus des lacets fortement attaches a deux piquets. Entrant dans 1'espace ainsi enferme, les chasseurs poussaient de grands cris ; les caribous effrayes se precipitaient vers lei ouvertures qu'on avait menag^es, et allaient se prendre aux lacets. Les nations rapprochees des vastes prairies de 1'ouest vi- vaient dans 1'abondance ; car, outre les ressources ordinaire* des Hurons et des Algonquins, elles avaient encore les boeufs Illinois, dont les troupeaux nombreux etaient une richesse in^puisable. Les Sauteurs ou Ojibewais, situes au midi du lac Superieur, visitaient souvent, pour y faire la chasse, les grandes prairies des Nadouessioux, leurs voisins et leurs amis a cette e"poque recul(5e. L'ours etait regarde" par les sauvages avec une veneration superstitieuse ; aussi la guerre qu'ils lui faisaient e'tait-elle pr^cedee, accompagn^e et suivie de ceremonies qu'ils n'obser- vaient point pour la chasse des autres betes de la fore't. Eeduit a un dtat d'extr^.me maigreur pendant les mois de juillet et d'aout, Tours reprend de 1'embonpoint pendant 1'automne ; car il trouve alors partout les fruits dont il est tres-friand. Quand 1'hiver arrive, il s'abrite dans quelque trou, dans une souche creuse, ou sous les racines d'un gros arbre renverse par les vents. Cette retraite e*tant couverte de neige, Tours y demeure, chau- dement tapi, jusqu'au printemps ; malgr^ la s^verite d'un si long 138 COURS D'HISTOIBE [1608 jefine, il en sort alors aussi gras qu'il y e*tait entre". C'e"tait surtout pendant le temps de 1'hibernation qu'il e*tait attaqu^ par ses ennemis. Un chef de guerre formait un parti de jeunes gens pour aller a la chasse de Tours. Le depart e"tait ce'le'bre' par un festin, auquel tous s'e*taient pre'pare's par un jeune de septou huit jours ; pendant ce temps, les chasseurs n'avaient ni bu, ni mange", afin d'obtenir que I'animal leur fut favorable, c'est-a-dire, que la chasse fut abondante et sans accident pour le parti (1). Le chef jeunait pendant le festin, se contentant de servir les autres. Au moment du depart, tous se pre*sentaient, le visage noirci de charbon, armes et e*quipes comme pour la guerre. Les habitants du village se pressaient autur du chef et de ses compagnons, en les exhortant & bien faire. Des que les chas- seurs etaient arrives a un lieu ou Ton esj strait trou ver des ours, ils formaient un grand cercle, d'un quart de lieue ou d'une demi-lieue de circonference, suivant leur nombre; puis, se rapprochant du centre et visitant les arbres, les racines, les rochers, ils tuaient facilement tous les ours qui se trouvaient sur le terrain circonscrit. Dans ces occasions, ils observaient soigneusement une coutume fondle sur le respect qu'ils avaient pour 1'esprit de Tours ; car, des qu'ils en avaient tue* un, ils inse'raient entre les dents de Tanimal le tuyau d'un calumet aHume*, et ils hii soufflaient la fumee dans la gueule, de ma- niere & la faire sortir par les narines. Ils lui adressaient en meme temps des compliments, etle priaientde ne point nuire a leur chasse, de ne point garder de rancune contre eux^ parce que la ndcessite seule les avait pouss^s & le tuer. Ils ne se fiaient pourtant point entierement k cette amende honorable ; car, pour s'assurer du succes qu'ils auraient pendant le reste de la campagne, ils lui arrachaient le filet de la langue et le de*posaient dans un sac. Le soir, apres une invocation, tous les filets ramasse's dans la journe'e 4taient jet^s sur la braise. Si les fibres se retiraient et se tordaient avec bruit, Ton en augu- rait une bonne chasse ; dans le cas contraire, qui e"tait fort rare, ils n'esp^raient pas un re'sultat favorable de leur voyage. Pendant la dure'e de Texpckiition, qui ^tait ordinairement de huit jours, ils se noircissaient le visage tous les matins, et ne rompaient le jeune que le soir apres s'^tre lave's. Suivant leurs id^es, la violation de ces reglements aurait entraind de graves malheurs. (1) Memoire fje N. Perro^. 1608] DU CANADA. 139 L'entre'e au village sc faisait triomphalement : les chasseurs, portant les depouilles des animaux qu'ils avaient tues, e*taient recus avec une joie bruyante, par les femrnes, les enfants et les vieillards, qui vantaient leur adresse et leur courage. " II n'y a que des homines de coeur, " criait-on de tous cote's, " qui puissent combattre et vaincre des b^tes si redoutables." Eux- mejnies se plaisaient a re"peter le compliment. Les viandes e*taient distributes dans toutes les families ; aussi la joie et 1'abondance devenaient ge"ne"rales. Cependant, il restait encore a accomplir un devoir important : les vingt-cinq ou trente chasseurs du parti, a 1'invitation de leur chef, se rendaient dans sa cabane pour prendre part a un festin solennel ; ils e"taient tenus de manger, dans un seul repas, le plus gros ours tue dans la campagne. Grille dans son entier avec la peau, sans meme qu'on en eut retire les intestins, il e"tait depece 1 , et Ton faisait ensuite bouillir les quartiers dans des chaudieres publiques, leservees pour les grandes occasions. Chaque convive, outre la viande qu'on lui servait, avait a manger une laniere taille'e dans la peau, et une tranche de suif de la longueur d'une brasse ; pour faire descendre les morceaux, il avalait lagraisse fondue, comme si c'eutete de 1'eau (1). Si Ton ne voulait pas offenser 1'esprit de Tours en 1'houneur duquel le repas e*tait donne, il ne fallait pas permettre aux chiens d'y gouter, etl'on n'en devait cependant rien laisser. Aussi les convives faisaient- ils des efforts incroyables pour vider les chaudieres ; celui qui mangeait le plus etait le plus estime* et avait le droit de vanter le prouesses de sa machoire. Apres le repas, tous e"taient enfles jusqu'a la gorge ; on les voyait haleter comme des gens e'crases par la fatigue ; plusieurs restaient malades a la suite de ces exces, et meme il arrivait parfois que quelques-uns en mou- raient. Dans leurs longues courses de chasse et de guerre, le soleil, la lune et les e*toiles servaient d'horloge et de boussole aux peuples am^ricains. Comme les anciens, ils comptaient le temps plutot p"ar les nuits que par les jours, par les lunaisons plutot que par le cours du soleil (2). L'anne'e solaire etait cependant celle dout ils se servaient pour mesurer les temps ^loign(5s et les longues periodes; mais, quand il s'agissait d'un terme assez court, pour un voyage, une expedition de guerre, une chasse, ils comptaient par les lunes. Les priucipaux groupes d'e'toiles avaient e"te" obsen r i?s et (1) Memoire de Xicuilaw Perrot. (2) P, Latilau, Mceif,rs des Sauvaycs. 140 COUKS D'HISTOIRE [1608 avaient meme recu des norns. Chez les Iroquois, les Pleiades etaient les Danseurs et les Danseuses ; la voie lacte*e portait le nom de chemin des times ; la grande Ourse e*tait designee par un mot sail vage qui avait la meme signification. " Us nous raillent." dit le P. Lafitau, " de ce que nous donnons une grande queue a la figure d'un animal qui n'en a presque point, et ils disent que les trois etoiles qui composent la queue de la grande Ourse, sont trois chasseurs qui la poursuivent. La seconde de ces Etoiles en a une fort petite, laquelle est pres d'elle : celle-l& est la chaudiere du second de ces chasseurs, qui porte le bagage et la provision des autres (1)." L'etoile polaire e*tait designee comme I'Moile qui ne marche point ; elle servait a diriger les sauvages dans leurs longues marches a travers les forets et au milieu des grandes prairies de 1'ouest. Cependant, lors meme que le ciel etait couvert, ils etaient guides dans les bois par certains signer infaillibles. Ils avaient en effet remarque* que la cime des arbres est penchee vers le midi ; que 1'ecorce est plus obscure, plus terne et plus ^paisse, du cote du nord. Ils observaient encore, pour plus grande precaution, de casser de petites branches, de distance en distance, lorsqu'ils devaient revenir sur leurs pas, et que IA neige soulevee par le vent pouvait couvrir leurs pistes. (2). Avec ces precautions et aides par une espece d'instinct qui venait de 1'habitude, ils ne s'e*cartaient jamais de la route et arrivaient surement an point ou ils voulaient aller. D'ailleurt leur me'moire des lieux etait prodigieuse, car il leur suffisait d'avoir visite* une fois un endroit, pour en avoir une connais- sance qui ne se perdait plus. II n'avaient pas besoin de toutes ces observations en voya- geant sur les rivieres de leur pays, dont le cours leur e*tait connu. Pour passer d'un lieu en un autre, ils prefeVaient la navigation lorsqu'elle e"tait possible. Habiles a rnanier 1'aviroa et k conduire leur leger canot, ils le lancaient avec s^curite an mih'eu des cascades ; s'ils arrivaient a un rapide impraticable, ils soulevaient sur la tete et sur les epaules leur frele et legere embarcation, et la portaieut ainsi jusqu'au lieu ou la riviere redevenait navigable. Accoutume des 1'enfance a surmonter des difficulte's sans nombre, soit au sein des forets, soit sur les rivieres et les fleuves dont le cours e*tait interrompu par des rapides, le (1) P. Lafituu. Miri/r-x des Saunaget. (2) P. Lafltau, Morurs act Sauvages. 1608] DU CANADA. 141 sauvage avait, dans son pays, de grands avantages sur les etran- gers. Aussi les Francais, dans leurs guerres centre les Iroquois, eurent longtemps a souffrir par suite de leur inferiorite sous ces deux rapports ; mais ils devinrent facilement vainqueurs, quand, par une longue experience, ils eurent appris a traverser les forets comme les indigenes, et 2i conduire les canots d'e"- corce au milieu des cascades les plus perilleuses. LIVRE SECOND CHAPITRE PREMIEE Fondation de Quebec Une habitation est eonstrnite Conspiration centre Cham- plain Les conspirateura sent arretes et punis Misere des Sauvagea Guerres des Iroqaois contre les Algimquius et lea Hurons Champlaiu auit les Algonquius et lea Hurons a la guerre Riviere des Iroquoia Lac Chainplain Les Iroquois sent defaits Barbaric dea vainquenrs Retour dea guerriera. Champlain, apres avoir examine" attentivement les environs du beau port dans lequel il s'etait arret^, se d^cida a placer les magasins et 1'habitation sur une pointe, alors ^troite. qui, du pied du cap de Quebec, s'avancait dans le Saint-Laurent. Elle protegeait, contre les vents du nord-est, une anse aujour- d'hui combine par les quais du march^ Champlain, et qui offrait un abri assur^ aux chaloupes et aux barques. Ce fut le trois juillet 1608, que les Francais mirent pied a terre et prirent possession de Quebec, en arborant le drapeau blanc. Le village de Stadacone" avait disparu ; il avait e'te' transport^ ailleurs, tres- probablement a la pointe qui recut dans la suite le nom de Puiseaux. En effet une carte des environs de Quebec, publi^e en 1613, indique que les sauvages dressaient souvent leurs cabanes dans cet endroit. Le site que choisit Champlain convenait admirablement a son dessein de cre'er et d'organiser une Fiance nouvelle dans Plac<5 a cent trente lieues de 1'embouchure du 1608] COURS D'HISTOIEE DU CANADA. 143 Saint-Laurent, Quebec possede un havre magnifique, qui peut conteuir les flottes les plus nombreuses, et ou les plus gros vaisseaux peuvent arriver facilement de la mer. A ses pieds coule le grand fleuve, qui fournit une large voie pour penetrer jusqu'au centre de I'Amerique Septentrionale. Sur ce point, le Saint-Laurent se re"trecit considerablement, n'ayant au plus qu'un mille de largeur ; de sorte que les canons de la ville et de la citadelle peuvent foudroyer les vaisseaux qui tenteraient de franchir le passage. Quebec est done la clef de la valle'e du grand 'fleuve, dont le cours est de pres de huit cents lieues ; il est la sentinelle avance"e de l'immeuse empire francais que reva Louis XIV, et qui devait se prolonger depuis le de"troit de Belle- Isle jusques au golfe du Mexique. Champlain montra la suret^ de son coup d'ceil non-seule- ment dans le choix qu'il fit d'une position avantageuse pour .la future ^capi tale du Canada, mais encore lorsque, peu de temps apres, il de'signa le site d'un autre fort a 1'endroit qui est devenu le centre de la ville de Montreal. Des e'erivains anglais out remarque la position heureuse des premiers eta- blissements francais en Amerique : Quebec, Montreal, la NouveUe-Orleans ne pouvaient etre mieux places ; les petits forts jetes de distance en distance a 1'ouest etau sud, prouvent aussi que les ingenieurs francais, meme ceux d'un grade infe- rieur, etaient des hommes dont la vue penetrait bien loin dans 1'avenir. Aussitot apres son arrivee, Champlain mit ses hommes a 1'ouvrage : les uns abattaient les arbres, les sciaient et les pre"- paraient pour la construction des Edifices ; les autres arra- ohaient . les vignes, creusaient des fosses et enlevaient les terres. Quelques-uns furent renvoyes a Tadoussac sur une chaloupe, afin d'en rapporter les provisions, les meubles etles instruments qu'on y avait laisses. Comme il importait de mettre les vivres et les marchandises a couvert, on commenca par clever le magasin, qui fut placd au lieu ou est pre"sen- tement 1'^glise de la basse- ville ; Ton y joignit tr'ois corps de logis a deux etages. Un fosse, ayant six pieds de profondeur et quinze pieds de largeur, entoura tous les batiments (1). Entre le foss^ et la riviere, fut dresse'e une plateforme, sur laquelle on mit des pieces de canon pour la defense de 1'habi- tation. La place qui est aujourd'hui devant 1'^glise de la basse ville fut des lors re"serv($e ; elle mesurait de cent a cent-vingt pas de longueur sur cinquante ou soixante de largeur. (1) Voyaget dc Champlain, 1613. 144 COUES D'HISTOIKE [1608 Pendant que les travaux de construction se continuaient, Champlain, voulant connattre ce que la terre pouvait pro- duire, fit ddfricher le terrain voisin de 1'habitation ; il y fit semer des graines de jardin ainsi que du mais, qui reussirent fort bien ; il fit aussi planter des vignes du pays, dans I'espe*- rance que plus tard on en pourrait tirer parti (1). " Notre habitation." dit Cham plain, " est par le 46e degre* et denii de latitude. Pour ce qui est du pays, il est beau et plaisant, et apporte toutes sortes de grains et de graines a maturite, y ayant de toutes les especes d'arbres que nous avons en nos forets par deca, et quantite* de fruits, bien qu'ils soient sauvages, pour n'etre cultives, comme noyers, cerisiers, pruniers, vignes, framboises, fraises, groseilles vertes. et rouges. La pche de poisson y est en abondance dans les rivieres, ou il y a quantite de prairies et gibier qui est en nombre infini." Cependant qiielques esprits brouillons, qui se trouvaient parrai les ouvriers, ourdirent une conspiration contre Cham- plain (2). A la tete du complot, etait un serrurier normand, nomme Jean Duval. Cethomme, d'uncaractere remuant, s'dtait assure* le concours de trois compagnons qui ne valaient pas mieux que lui, et ceux-ei a leur tour en avaient engage" plu- sieurs autres a devenir leurs complices. Les chefs suggeraient des plaintes, a propos de la nourriture et de la durete" du travail ; ils proposaient de tuer Champlain, puis de s'mparer des provisions et des marchandises, et de se retirer en Espagne, sur quelqu'un des vaisseaux basques et espagnols qui e'taient a Tadoussac. Un des conspirateurs, Antoine Natel, de'couvrit toute la trame a Champlain, quatre jours avant le moment fixe* pour 1'execution du projet des conspirateurs. Les quatre chefs furent saisis et envoye's a Tadoussac sous la charge de Pontgrave*, pendant qu'on poursuivait 1'instruction du proces parmi leurs compagnons. Leur culpabilite" ayant <5te reconuue, le conseil les condamna a la mort. Le chef de 1'e'chaffoure'e fut execute ; les trois autres furent renvoye's en France, ou ils obtinrent leur grace (3). Get acte de vigueur re'tablit la soumission parmi les me'contents ; les autres coupables reconnurent leur faute, et requrent leur pardon. Ainsi se termiua une conspiration qui (1) La carte de Qucbeo d6j& inentionn^e repr6sonte les jardins commo attendant an j)iod du cap. rt'iin c6t vers In. rue de la Moutagne. et de 1'uutre vers la rue Cbaui- yluin. Dn an tra petit jardin se trouvait au bord de 1'eau. (2) Voyages de Ohamplain, 1613. (3) Voyages de Ohamplain, 1613. 1609] DU CANADA. 145 placa la colonie & deux doigts de sa perte, en menacant les jours du seul homme capable par son energie et sa prudence de faire reussir une entreprise pleine de dimaultes. Pontgrave retourna en France pour y porter les pelleteries obtenues par la traite de 1'annee. A peu pres trente homines resterent & Quebec avec Champlain ; ils continuerent pendant 1'automne les travaux dejk commences, et durant 1'hiver ils furent occupe's <\ con per et h transporter le bois de chauffage pour 1'habitation. Get ouvrage fut retarde par le mal de terre, qui enleva une grande partie des travailleurs (1>. Huit seule- ment survecurent aux attaques de ce terrible fleau, et encore plusieurs d'entre eux etaient considerablement affaiblis vers la fin de 1'hiver. La sante revint cependant avec le printemps, qui se montra vers le commencement d'avril, la.neige e"tant des lors eiitierement disparue. Durant la saison des froids, qui le retint a 1'habitation, Champlain fit connaissance avec les indigenes des environs ; il les peint avec des couleurs si sombres, qu'on est porte conclure qu'ils avaient bien degenere' de leurs ancetres vus par Cartier. Sales, menteurs, craignant toujours d'etre atta- que*s par leurs ennemis, ils n'avaient rien d'attrayant pour les Francais. Leur paresse les einpechait de profiter des avan- tages que leur offraient la p^che et la chasse. Deux mois apres 1'arrive'e des Francais, vers la mi-septernbre, les sauvages avaient commence la peche des anguilles, qu'ils continuerent nonchalamment jusqu'a la mi-octobre. Ils les faisaient se*cher et avec uu peu de prevoyance, ils auraient pu en garder suffi- samment pour attendre le temps de la chasse. Neaninoins, par leur faute, beaucoup d'entre eux seraient morts de faim pen- dant 1'hiver, si les Francais, qui avaient des provisions en abon- dance, ne les eussent charitablement assistes. Un jour, au milieu du mois de fevrier, pendant que le fleuve 6tait convert d'enormes glacons, Champlain apercut sur le rivage oppose plusieurs sauvages, qui faisaient de grands efforts pour traverser, mais qui paraissaient trop faibles pour en veuir & bout. Leur frele canot d'e'corce fut e"crase entre les glaces, et eux-memes furent jetes & 1'eau. II e"tait pdnible d'en- tendre les cris de ces malheurex, mais il n'y avait point moyen de leur porter secours. Par bonheur, ils reussirent i uiouter (1) Beancoup d'. trouvant point de passage vers I'occidi.-nt, il se neciiia a biverner au milieu des glaces. AH printeraps de 1611, il tenta di: so dirig_er vers le nord-ouest sur BBS chaloupes, Son caractere s'6tait un peu aijrri i la suite des peinos ot des dilficultfis de 1'biveruage ; d'nn autre cote, plusieurs U- ses liommea ftaiont disposes ^ la r6volte. Atissi, a la suite de quelques difficult ,s. il sai siren t Hudson avec plusieurs matelots restes fldeles, les mirent dans uiio lialoujie et les abaiidonnerent ainsi a la inerci des vents ct des flots. On u : a plus cut 'i\du parler de Hudson ; plus tard ces details furent fonrnis par 1'un de CPUS qui ava en t. pris part a !a niutiuerifi. Des I'aniifee 1610, les Hollandais coraraeiicerent a 1'ai e ie commerce avec \c.a sauvages de la riviere Manbatte, et il a pu arriver qn'Argall, :iu rctour de son exp6dition centre Port-Koyal en 1613, ait, comrae quel<|uc.s-uiis le pretondent, trouve sur 1'ile de Manhatte, des magasins appartenant aux Hnllandais. Suivant Latit. (Hintoire du Nouveau Monde., hv. Ill,) ce fut en JU14-J 5 tjue les Hollandais 61everent un premier fort, sur une ile voisine d' Albany. En 16--.'3. les premiers colons venus de la Hollaude. commencerent le fort d'Orange. qui rccut plus tard le nom d'Albany ; en 1625-26 fut bati sur 1'lle de Manbatte le fort do Xow-Amsterdam, ber- ceau de la ville de New- York. (1) Probablement la riviere Sainte-Aune de la Peradr. (2) Voyages de Champlain, liv. Ill, ch. vm. (3) Elle est encore nommee riviere Sorel et Chambly. a cause des forts de Sorel et de Chambly. qui furent eleves plus tard. 1 un :'i son cinbouchure, et 1'antre au pied da grand rapide ou commencait un portage difficile. Cbamplain remarqua, au sud du lac Saint- Pierre, deux belles rivieres :il no:nm:i la pi'emiere riviere Du Pont, c'est probablement oelle de Kiuolet ; la secando fut appelee riviere de Gennes. 1605] DU CANADA. 151 les autres, au contraire, re*solurent de continue! 1 leur iruuvlie vers le pays ennemi. La riviere Richelieu e'tait la grande voie qui couduisait au pays des Agniers ; c'etait la route que suivaient ceux-ci pour descendre vers le Saint-Laurent. Apres avoir parcouru quinze lieues sans rencontrer de grandes difficultes, les allies se trouverent tout a coup arretes par des rapides (1), qu'il etait im- possible de remonter avec les canots. Champlain, ayant renvoye" sa barque, et ne retenant avec lui que deux francais, qui s'offrirent d'eux-me'mes a le suivre, continua sa route par les bois jusqu'au lieu ou la navigation devenait possible. Les sau- vages firent portage, c'est-a-dire qu'ils porterent sur leurs epaules les canots, les armes et les bagages, jusqu'au-dessus du rapide. Le deux juillet, la petite bande etant prete a se rembarquer, on fit la revue, et il se trouva vingt-quatre canots portant en tout soixante homines, partie hurons et partie mon- taguais et algonquins. L'expeditioii etait conduite a la maniere sauvage : en avant etaient les e'claireurs, fouillant les petites rivieres et les anses pour decouvrir des traces de leurs enne- mis ; le gros de la troupe suivait a distance, chaque guerrier gardant ses arrnes pretes et sous la main ; en arriere se tenaient les chasseurs, occupes a faire la guerre au gibier, pour appro- visionner le parti. Le soir veiiu, Ton descendait a terre ; tous .se reunissaient pour preparer le campement et se reposer pen- dant la nuit. Les uns dressaient les cabanes ; les autres abat- taient des arbres et formaient une banicade du cote de terre ; on rangeait les canots sur le rivage, de maniere qu'a la pre- miere alarine chacun put s'y embarquer. Le camp etant e"tabli, quelques eclaireurs partaient pour reconnaltre les environs ; s'ils ne decouvraient aucim signe de danger, tous les guerriers se livraient au sommeil saus inquietude. Peu accoutume' a ce m6pris des precautions les plus ordi- naires, Champlain representait a ses allies la ne"cessite de tenir quelques hommes aux aguets pendant la nuit, aim de. veiller k la surete du camp. Us se contentaient de lui repondre qu'apres avoir bien travaille et bien chasse durant le jour, il etait juste de se reposer pendant la nuit. Une precaution ii'e'tait cependant jamais oubliee : avec eux etait un jongleur (2) charge de consulter le manitou. Chaque soir, des que les tentes etaient dresse'es, il entrait dans la (1) Rapides de Chambly. (2) Voyages de Champliiin, Hv. Ill, ch. IX. Le jongleur ou deviii est uoimue pil<- tois par Champlain. 152 COURS D'HISTOIRE [1608 sienne, qui etait soigneusement recouverte de peaux de bete. Pendant que les guerriers, range's alentour et assis par terre, fumaient le calumet dans un profond silence, il commencait ses invocations ; bientot, s'animant de plus en plus, il criait et s'agitait comme un posse'de. Tout a coup la cabane s'ebran- lait ; une voix grele et cassee se faisait entendre. " Voila," disaient les sauvages, " voila le inanitou qui parle ; il lui an- nonce ce qui doit arriver et ce qu'il faudra faire." " Nean- moins," continue Charnplain, " tous ces garnements qui font les devins, de cent paroles n'en disent pas deux ve'ritables, et vont abusant ces pauvres gens, pour tirer quelque denree du pjuple." La riviere qu'ils suivaieut les conduisit dans un grand lac, auquel Champlain donna son nom, et qu'il juge etre de cinquante a soixante lieues de lonrr.eur, quoiqu'il n'en ait en Te'alite' qu'environ trente-six. De grandes et belles iles offraient, ainsi que tout le pays environnant, les signes de la fertilite et de 1'abondance ; les bois servaient d'abri h. une grande quan- tite* d'animaux sauvages, tels que cerfs, clievreuils, caribous et ours; des prairies naturelles s'etendaient aux bords des eanx, couvertes de gibier et abondante en poisson. La riviere des Iroquois et tous les ruisseaux qui y tombent, c'taient habites par des families de castors rarement troubles dans leurs habitudes industrieuses. L'homme seul manquait dans ces lieux ; partout rc'gnait la solitude la plus profonde depuis le Saint-Laurent jusqu'aux extremites du grand lac. Ce pays avait autrefois ete habite ; mais, depuis que les guerres etaient eommencees entre les Iroquois d'un c6te et de 1'autre les Hurons et les Algonquins, la population s'etait retiree ; les partis arme's le traversaient fn5quemmeut ; quelquefois des combats s'y livraient; mais toute la contr^e ^tait trop exposes et trop plein de dangers pour que Ton s'y arret&t longtemps, meme ])our y faire la. chasse. Bien loin vers le midi, apparaissaient de hautes montagnes, que les compagnons de Champlain lui dirent etre le commen- cement du pays des Iroquois ; avant d'y arriver, il fallait par- courir le grand lac et en passer un autre petit de quatre i cinq lieues de longueur. Celui-ci, nomme Andiatarocte par les Agniers, fut, longtemps apres, appele' lac du Saint-Sacrement par le P. Jogues, qui 1'avait apercu la veille de la Fotc- Dieu (1). (1) Relation de 16-16. 1609] DU CANADA. 153 A raesure que Ton approchait du territoire des ennemis, les precautions devenaieiit plus ne'cessaires : aussi, arriv^ a deux ou trois jours de marche du pays des Iroquois, le parti se reposait pendant le jour, et n'avancait que durant la nuit ; on n'alluinait plus de feux, et il fallait avaler les vivres dans leur etat naturel, sans les faire cuire. Depuis plusieurs jours, les guerriers demandaient fre'quem- ment a Champlain s'il avait fait quelque reve pendant son sonimeil. Malheureusement il ne re'vait point, ce qui les inquietait beaucoup, car ces peuples attachent une grande importance aux songes. II s'avisa enfin de rever, et il raconta a son re veil qu'il avait vu des Iroquois qui se noyaieut dans le lac ; il savancait pour les sauver, quand on lui dit qu'il fallait les laisser perir, parce qu'ils etaient trop mechants. Ce recit porta la joie dans tons les coeurs, et Ton ne douta plus de la victoire. L'attente ne fat pas de longue dure'e ; car le yingt-neuf juillet, vers les dix heures du soir, comme les canots s'avancaient lentement et sans bruit, Ton rencontra, au detour d'uii cap (1), un parti d'Iroquois qui allaient lever des chevelures. Les deux bandes saisirent leurs armes, au milieu de cris effroyables ; les Hurons et les Algonquins pousserent leurs canots vers le large, tandis que les Iroquois se jetaient au rivage, ou ils commencerent a abattre des arbres pour se retrancher. A la suite de quelques messages de part et d'autre, 1'ont convint d'attendre le lever du soleil pour livrer le com- bat. Les allies des Francais passerent la nuit dans leurs canots, chantant et echangeant avec les ennemis des bravades et des injures, comme s'en adressaient les heros d'Homere sous les murs de la ville de Troie. Aux premiers rayons du soleil les Hurons et les Algonquins descendirent a terre, ayant soin de cacher les trois francais au milieu de leurs rangs. Environ deux cents iroquois s'avan- cerent a leur recontre, marchant " au petit pas, avec gravit^ et assurance (2)." A leur t6te etaient trois chefs, reconnais- sables aux longues' plumes qui leur servaient de panaches. Les deux partis e'tant en face, a peu de distance Tun de 1'autre, les allies ouvrirent leurs rangs, et Champlain s'avanqa seul jusqu'& trente pas des Iroquois. Lorsque ceux-ci le virent, (1) Qnelqnt'H ancieuties carten (16sigiient eoimne lien de cette rencontre la pointe de Carillon, atijonrd'hni connue sous le noin de Ticonderoj:a. Au nieme endroit, pres de cent cinquant^ au apres, lea Francais d^fireut 1'armee aiiglaise qui s'nvanc:iit ponr s'emparer du Canada. <2) Voyages de Champlain, livre ITJ, ch. ix. 154 COURS D'HISTOIRE [1609 ils s'arr&erent et contemplerent avec surprise cet homme vetu d'une facon si etrange pour eux ; mais, apres un mo- ment d'he'sitation, ils s'ebranlereut de nouveau pour 1'attaque. Chainplain, portant a 1'epaule son arquebuse charge'e de quatre balles, fit feu SUT un des chefs, qui tomba mort avec un de ses coinpagnons, tandis qu'un troisieme iroquois etait mortellement blesse". An milieu des cris et des hurlements de toute la bande, une gre'le de fleches fut lancee des deux cotes. Les deux autres francais s'etaient jete's derriere des arbres avec quelques sauvages ; en ce momont, 1'un d'eux dechargea son arquebuse sur les ennemis. Ceux-ci, s'apercevant que leurs boucliers, faits de bois recouvert d'une espece de coton, ne pouvaient les garantir des balles, furent epouvantes et s'en- fuirent dans la foret, ou ils furent vivement poursuivis. La victoire etait gagnee ; outre les guerriers tues sur le champs de bataille, les Iroquois perdirent en cette rencontre dix ou douze hommes, qui furent faits prisonniers, et qu'on re'serva pour les plus horribles tourments. Le soir du meme jour, les Hurons et les Algonquins se uiirent en loute pour regagner le Saint-Laurent. Le premier campement fut marque par la mort d'un des prisonniers. Apres qu'on lui eut adresse une harangue pour lui reprocher les cruautes commises par ses compatriotes, on lui fit entendre qu'il allait en endurer de semblables, et on 1'invita a s'y preparer en chantant. II ob^it et entonna un chant triste et lugubre ; c'etait sa chanson de mort. Cependant, les feux avaient ^ allurnes ; chaque sau- vage saisissant un tisson ardent 1'appliquait aux parties les plus sensibles du prisonnier, et le faisait bruler aussi lente- ment que possible. De temps en temps, ils le laissaieut un peu reposer. et lui jetaient de 1'eau sur la tete, pour le rafrai- chir ; apres quoi ils recoinrnencaient a le torturer, lui arrachant les ongles, lui brulant les doigts dans le fourneau de leurs calumets, lui enlevant la chevelure, et versant ensuite sur le crane nu une gomme tout enflammee. Ils lui percerent les bras pres des poignets, et, avec des batons, ils tiraient les nerfs et les arrachaient ou les coupaient. Des cris de dou- leurs e'chappaient parfois au uialheureux prisounier ; mais, a part ces mouvements de la nature, il montrait tant de Constance, qu'ou 1'eut dit sup^rieur a toutes les douleurs. ludign^ de cette barbaric, Champlain leur t^moigna son me'contentement, et, a force d'instances, il obtint la permission de mettre un terme aux souffanCes de la pauvre victime jpar un coup d'arquebuse. 1609] DU CANADA. 155 La mort du captif n'avait pas encore assouvi la rage des vainqueurs ; k peine eut-il reiidu le dernier soupir, qu'ils lui ouvrirent le ventre, et jeterent ses entrailles dans le lac ; ils lui couperent la tete, les bras, les jambes, et les dispersereut de cote et d'autre ; ils lui arracherent le cceur, le hacherent en pieces, et de vive force ils en firent entrer quelques morceaux dans la bouche de son frere. Tout horrible que parut cette sanglante execution aux yeux des Francais, elle semblait legi- time et naturelle aux sauvages ; suivant eux, c'etait un des droits de la guerre et uue coutume religieusement suivie des deux c6tes ; c'etait le sort qu'avaient subi leurs parents et leurs amis tombes entre les mains des Iroquois ; c'etait celui qui leur etait reserve k eux-m^mes, s'ils etaient jamais faits pri- sonniers. Les jours suivants, les confederes repasserent le lac. Arrives aux rapides de la riviere, ils se separerent, les Hurons et les Algonquins superieurs se rendant par des ruisseaux vers 1'en- tre"e de la riviere des Outaouais, etles Montagnais continuant avec les Francais a descendre vers le Saint-Laurent. Le retour se faisait promptement, mais avec ordre, quand un songe vint jeter le trouble parmi les guerriers. Vers I'embouchure de la riviere de Richelieu, un montagnais vit en re>ve les ennemis qui les poursuivaient ; e'en fut assez pour jeter 1'epou- rante parmi eux ; quoique la nuit fiit fort mauvaise, il fallut de'camper et aller attendre le lever du soleil au milieu des grands roseaux du lac Saint-Pierre. Deux jours apres, tous arrivaient -k Quebec, ou Champlain leur fit distribuer du pain et des pois, ainsi que des colifichets dont ils voulaient orner les chevelures enlevees a leurs ennemis. 156 COUKS D'HISTOIRE [1610 CHAPITEE SECOND. Champlain retourne en Franco Privilege de M. de Honts expire Sa compagnie en- roie deux vaisseaux a Tadoussac Champlain et Pontgrav6 retonrnent & Qn6bec Champlain marcho centre les Iroquois II detrnit lenr fort, pres de I'embouchure de la riviere des Iroquois PrisonnieratonnnentesparlesMontagnais Les Hurons t les Algonqnins arriveut Us apportent du cuivre tronv6 pres des grands lacs , Liberte du commerce avec les sauvages ntiisible Champlain en France 6pous* Heleue Botille Retour a Quebec Saut Saint-Louis Place-Royale et lie de Sainte- Helene Champlain vent r6tablir la compagnie de M. de Honts Mort dn comte d Soissons, nomm6 gouverneurde la Nonvelle-France Le prince de Cond6 vice-roi Champlaiu :t Tile des Algonquin* Tessonat Baie da Nord Terreur panique r.ompagnie de Ronen formee. Champlain, an retour de son expedition, resolut d'aller en France rendre compte a M. de Monts des travaux qii'il avait executes durant les quinze mois passes dans le pays. II partit de Tadoussac a.\\ mois de septembre, en compagnie de Pont- grave", laissant dans son absence, le capitainc Pierre Chauvin chargd du commaudement. L'on craignait que les maladies ne reparussent pendant I'hiver, comme 1'annde pr^cddente; on fit done couper de bonne heure tout le bois de chauffage ne- eessaire pour les cinq ou six mois de grands froids ; moyennant eette precaution, par laquelle on ^pargnait aux hommes un travail penible pendant la saison la plus rigoureuse, les mal- heurs de la premiere ann^e ue se renouvelerent pas. Champlain fut recut favorablement par Henri IV, auquel il pre*senta une ceinture travaill^ en poil de porc-e"pic. Le roi e"couta avec plaisir le re*cit de ses expeditions, et des details sur la situation de la Nouvelle-France (1). Toutefois, le privi- lege de la traite des castors, accorde pour un an t\ M. de Monts, e"tait expire, et il lui fut impossible de le faire renouveler a cause des plaintes eievees centre le monopole par les mar- ehands normands, bretons et basques. De Monts eut recours a ses anciens associes. La compagnie dont il etait le chef, et au nom de laquelle s'etait fait 1'etablis- sement de Quebec, ne voulut pas 1'abandonner. Elle fit armer (1) Voyoget de Chantplaln, 1613. 1610] DU CANADA. 157 deux navires, dont elle remit le commandement a Pontgrave et a Champlain ; le premier etait charge de la traite des pelle- teries, et le second du gouvernement de la colonie et de la decouverte du pays. Ayant pris avec eux quelques ouvriers pour travailler a 1'habitation de Quebec, ils partirent de Honfleur le dix-huit avril 1610, et mouillerent a Tadoussac le vingt-six mai. Ils y trouverent des vaisseaux arrives depuis le dix-neuf, ce qui, suivant les anciens, ne s'etait pas vu depuis plus de soixante ans (1). Les Montagnais, deja reunis a Tadoussac, attendaient Champlain avec impatience, pour l'emmener avec eux a la guerre. Les Basques, les Normands et les Bretons avaient bien promis aux sauvages de les accompagner dans leur expedition ; mais ceux-ci n'avaient confiance ni aux paroles ni a la bravoure des traiteurs, qu'ils designaient sous le nom general de Mistigoches. A Quebec, Champlain trouva ses hommes pleins de sante. La aussi, il etait attendu par des sauvages, qui lui firent tapagie (2), suivant les coutumes du pays, pour 1'engager & aller combattre les Iroquois. On lui annoncait par des emis- saires, que dans deux jours les Algonquins et les Hurons se trouveraient a 1'entree de la riviere des Iroquois ; qu'il y aurait la quatre cents guerriers, presque tous sous la conduits du chef Iroquet, qui I'anne'e precedente 1'avait accompagne dans son expedition. Parti de Quebec le quatorze juin, Cham- plain s'arreta aux Trois-Kivieres ; il y trouva les Montaguais, qui le suivirent, et avec lesquels il arriva le dix-neuf a une tie pres de 1'entrde de la riviere des Iroquois. En remontant cette riviere, les eclairetirs avaient de"couvert, a. une petite distance, un parti de cent iroquois, qui s'e"taient fortement retranches. Ils avaient form^ une enceinte circulaire, en abattant de gros arbres, dont les branches avaient etc croisees et enlacees les unes avec les autres. Champlain, accompagn^ de quatre francais, se pre"para a suivre les guerriers sauvages ; il invita les marchand.s reunis an meme lieu sur plusieurs barques a se joindre au parti de guerre. Mais les Mistigoches, si ardents a demander la liberte du commerce, (Staient trop laches pour defendre leurs pretendus droits en exposant leur vie. (1) Voyages de Champlain. 1613. Cettc remarque, rapport^e par Champlain, prouve qne, depuis le dernier voyage de M. de Koberval en 1649, lea Basques, le. Normands et les Bretons avaient contiim6 de faire le trafic des pelleteries k Ta- doussac. (2) Assemblee convoqu<5e pour fumcr le calumet. 158 COUES D'HISTOIRE [1610 Les Algonquins et les Montagnais s'^taient portes en avant avec precipitation. Sans attendre les Francais, ils avaient atta- que" le retranchement des Iroquois ; mais, ayant etc" recus fort chaudement, ils menacaient de battre en retraite. Aussi, lorsque parut Charaplain avec ses compagnous, ses allies le saluerent par des cris de joie, et recommencerent vigoureuse- ment le combat. De leur cote, les Iroquois, quoique etonnes a la vue des Francais, se defendaient courageusement, et opposaient une resistance opiniatre aux efforts des assaillants. Champlain fit tirer plusieurs coups d'arquebuse ; mais les balles, arretees par les branches, produisaient pen d'effet, tandis que les fleches des ennemis causaient beaucoup de mal a ses gens ; lui-nieme fut K'gerement blesse". Le combat se prolongeant au-dela de son attente, deja il songeait avec inquietude que la poudre et le plomb allaient lui manquer. Cependant, de I'entre'e de la riviere, ou etaient restes les autres francais, Ton entendait clairement la fusillade. Un jeune homme de Saint- Malo, nomme Des Prairies, plus coura- geux que les autres, les accusa de lachete, et, par ses reproches, il en engagea quelques-uns a le suivre pour porter secours a. lenrs compatriotes. Se jetant dans une chaloupe, ils firent force de rames, et arriverent bientot sur le lieu du combat, ou leur presence devenait necessaire. Dans 1'mtervalle, d'apres les conseils de Champlain, quelques-uns des Algonquins avuieut attache des courroies aux troncs de 1'abattis, qu'ils s'effor- caient d'arracher afin de s'ouvrir un passage, tandis que d'autres renversaient des arbres voisins pour ecraser les retranchements. Far ces moyens, une breche venait d'etre pra- tique"e, quand Des Prairies et ses compagnons arriverent fort it propos et firent jouer leiirs arquebuses sur les assieges. Plu- sie ur.s iroquois ayant et<5 ren verses par des balle.3, les autres resterent tellement effrayes que, des qu'ils etaient touches, il> se jetaient a terre, se croyant deja morts. Les allies profiterent de I'^pouvante des enuemis pour dou- ner 1'assaut. Mais les Iroquois n'attendirent pas la charge ; prenant la fuite ils sautaient par-dessus 1'abattis et se sau- vaient dans toutes les directions. Les uns se uoyerent dans la riviere, les autres furent tailles en pieces, et il n'en demeura en vie que quinze, qui furent faits prisonniers (1). Les vainqueurs porterent sur leurs cauots les corps de trois de leurs compagnons tuds dans le combat et cinquante guer- (1) Voyages d* Chuiiplaiu, 1613. 1610] DU CANADA. 159 Tiers plus ou moins grievement blesses. Le cadavre d'un iroquois avait \ depece ; les quartiers, reserve's pour un grand repas en I'honneur de la victoire, etaient portes en triomphe, ainsi que trois tetes plantees sur des batons. Les allie's descendirent ainsi en chantant, jusqu'a ime des ties qui sont vis-a-vis de 1'embou enure de Ja riviere Eichelieu ; et la ils celebrerent un de leurs horribles festins, dont les delices etaient rehaussees par 1'odeur du sang et de la chair ici!is de la charge de vice-roi, donnees au due d'Ampville (d'Anville) ma le mois de juillet 1655, rap^ellent qne, par lettres patentes du nnit octobre 1612, ait '!< fait gonverneur et lieutenant general du roi dans 1 Nonvelle-France. (2) Voyages de Champlain, 1613. 1613] DU CANADA. 163 taient de feuilles, et les champs etaient emailles de fleurs. Apres avoir fait signifier sa commission aux maitres des vais- seaux qui arrivaient, il se rendit an saut Saint-Louis (1), ou il espe'rait rencontrer les sauvages de 1'ouest. Cependant, ceux-ci, qui 1'annee precedente avait e"te maltraite's, ne vinrent qu'en petit nombre au rendez-vous. Champlain de"siraittou jours pe'netrer dans les pays de 1'ouest. Un de ses hommes, nomnie DuVignau, avait passe* un hiver avec les Algonquins de 1'Outaouais et du lac Temiscamingue. Parmi eux, il avait entendu parler d'une mer assez voisine ; c'e'tait sans doute la grande baie du nord, que Hudson venait de decouvrir, en 1610. En effet, du lac Temiscamingue a la baie d'Hudson, il n'y a gueres qu'une centaine de lieues, et les tribus du nord pouvaient avoir communique' a DuVignau des renseignements sur la proximite de la mer ; peut-etre aussi avait-il appris la de'couverte faite par Hudson. Toujours est-il qu'il declarait avoir visite" lui-meme cette baie du nord et en connaitre le chemin. Voila ce qu'il y avait de faux dans ses paroles ; car les renseignements qu'il avait recus des sauvages etaient h peu pres conformes a la verite*. Ebranle par les dis- cours de DuVignau et fortemeut entrain^ par son propre desir de faire des decouvertes, Champlain partit le vingt-sept mai de 1'ile de Sainte-Helene, avec deux canots conduits par quatre francais et un sauvage. Laissant le lac Saint-Louis derriere eux, ils suivirent la riviere des Outaouais. Champlain raconte son voyage avec clarte, et entre dans de si grands details, qu'il est aujourd'hui facile de reconnattre les lieux qu'il a visites ^2). II decrit exactement le site de la ville d'Ottawa. Apres avoir remarque que les Algonquins, pour eviter la rencontre des Iroquois, passent avant d'arriver chez les Francais, par une ri- viere qui les conduit au moyen de quelques portages, jusques a d'autres rivieres tombant dans le grand fleuve bien loin en aval du saut Saint-Louis, il ajoute : " A 1'embouchure (1) Voyagex de Champlain, 1613. udage tombe devant le mot sauvage de Quenechouan. 164 COURS D'HISTOIRE [1613 d'icelle, il y en a une autre qui vient du sud, ou a son entree il y a tine chute d'eau admirable ; car elle tombe d'une telle inip^tuosit^ de vingt on vingt-cinq brasses de haut, qu'elle fait une arcade ayant de largeur pres de qnatre cents pas ; les sau- vages passent par-dessous par plaisir, sans se mouiller que du poudrin que fait 1'eau. II y a une ile au milieu de la riviere, qui est, comme tout le territoire d'alentour, remplie de pins et de cedres blancs." II remonta la riviere des Outaouais jusqu'a la residence de Tessouat, chef de la nation de 1'Isle. D'apres le re"cit de Cham- plain et la description qu'il fait de ce lieu, il est clair qu'il s'arreta a 1'ile des Allumettes, place dans le lac du meme uom, et principale residence d'une nation algouquine. La carte qu'il a publiee confirme cette opinion, quoiqu'il place la demeure de Tessouat sous la latitude 47 e degre", c'est-a-dire, k un degre" plus au nord que n'est 1'ile des Allumettes. Pareille erreur n'a rien qui doive surprendre, dans une expedition ou il lui devait tre difficile de faire des observations exactes. Tessouat fut etonne' de voir arriver chez. lui le capitaine franeais, avec qui il avait fait ainitie au saut Saint-Louis ; il ne pouvait s'expliquer comment il avait pu surmonter les diffi- cultes de la riviere. Le chef algonquin tt3moigna toute sa joie de voir dans le pays son ami et son allie". Pour lui souhaiter la bienvenue, il voulut lui donner un grand festin, que Cham- plain de"crit longuement. Tons les convives arriverent, chadun avec son e"cuelle de bois et sa cuiller de inme matiere (1) ; tout etant assis par terre, 1'arnphitryon Tessouat, condamn^ a jeuner par les regies de la civilite' indienne, distribua une espece de bouillie faite de mais e"crase, de viande et de poisson. Ce melange, qui n'e"tait pas meme assaisonne de sel, n'e"tait pas de nature a flatter des palais europe"ens ; aussi Champlain, qui d'ailleurs n'etait pas rassure" sur la proprete 1 des cuisiuiers indigenes, prdfera quelques morceaux de poisson et de viande, qu'il fit r6tir lui-m^me sur les charbons. Quand le repas fut fini, c'est-a-dire, quand on eut tout mange, suivant une regie severe de 1'etiquette, on s'occupa du conseil. Tons les jeuues gens se retirerent; et les anciens, rest^s sur la place, remplirent de tabac leurs petunoirs ou calu- mets, et commencerent a fumer. Chacun a son tour venait presenter son calumet au capitaine franeais, qui, apres en avoir (1) La cniller de boin oHt nominee inicouanne par les Algoiiquins. Ce mot a t-ii adopte par les frau9iii8 du Canada. 1613] DU CANADA. 165 tire quelques bouffees de fumoe, le rendait a son maitre. Une demi-heure se passa ainsi sans que personne paiiat. Enfin, rompant le silence, Charaplain leur exposa qu'il e'tait venu d'abord pour visitor, et ensuite pour aller chez les Nipissiri- niens, avec le secours desqtiels il esperait se rendre a la mer du nord. Tons essay erent de le detourner d'un semblable projet, en lui representant que les rivieres e"taient mauvaises, et que les Nipissirinieiis etaient des sorciers. II re'futa leurs objections : " II ne" pouvait y avoir de passages plus dange- reux que ceux qu'il avait rencontre's dans le bas de leur riviere ; quaiid aux sorciers, il ne les craignait point, et il con- naissait assez leurs charmes pour les dej'ouer ; enfiri il s'assu- rerait de leur bonne volonte par des presents." Cedant a ces raisons, les chefs consentirent a lui fournir quatre canots avec des homines pour les conduire. Cependant de nouvelles diffi- cultes furent suscitees ; comme tons renouvelaient 1'enumera- tion des obstacles qu'il aurait a surmonter pour executer son projet, Champlain en appelaau temoignage de .DuVignau, qui assurait etre alle sur les cotes de la mer du uord, y avoir assiste au naufrage d'un vaisseau anglais, et avoir vu les tetes de quatre-vingts homines de I'e'quipage, massacres par les sau- vages. Ce discours fut accueilli par une explosion de reproches, adresse's a DuVignau. II fut surtout pris a partie par Tessouat, chez qui il avait passe 1'hiver pendant son sejour dans le pays. " Nicolas," lui dit le chef, " tu es un effronte uieuteur. Tu sais bieu que, tons les soirs, tu couchais a mes cot^s avec mes enfants ; et, tons les matins, tu te trouvais a la rneine place. Si tu as ete chez ces peuples, ca ete pendant ton som- meil (1)." Force eufin d'avouer ses mensonges, DuVignau d^clara a Champlain que tout ce qu'il avait dit touchant la mer du nord etait faux ; qu'il ne 1'avait janiais vue, et qu'il avait fait ces contes aim de revenir au Canada. Champlain vit ainsi s'evanouir la douce esperance de pe'ne'- trer, par la voie du nord, aux pays de la Chine et des Indes ; car cet article faisait partie de ses instructions, et lui-mnie le regardait comme un des points importants de sa mission. Ne trouvant plus rien a faire dans ce lieu, il se remit en route pour le saut Saint-Louis, accompagne' d'une partie de la nation de Tessouat. A mesure que la bande descendait, elle se gros- sissait de nouveaux canots. A dix ou douze lieues au-dessous de 1'ile des Allumettes, tous s'arreterent pour renouveler leurs (1) Voyages de Champlain 1613. 166 COURS D'HISTOIRE [1613 provisions par la peche, fort abondante en ce lieu. Vers le milieu de la nuit, des pe'cheurs vinrent donner 1'alarme, en annoncant qu'ils avaient vu quatre canots de leurs ennemis ; le fait etait probable, car, quelque e'carte que fut le pays, les Iroquois y venaient souvent faire la chasse aux hommes, aussi bien qu'aux betes de la fort. Aussitot on depecha trois canots pour les reconnattre. La recherche ne fit cependant rien de*- couvrir ; rnais il resta une certaine inquietude dans les esprits, p.t tandis que les hommes dormaient a terre, les femmes, peu rassnrees, restaient dans les canots. Un peu avant le jour, un sauvage songea que les ennemis 1'attaquaient ; il se leva en sursaut et courut vers la riviere en appelant au secours. Ses compagnons s'eveillerent, pleins de frayeur, et se precipiterent & 1'eau en criant de toutes leurs forces. Le bruit alarma les Francois, couches a quelque distance. II coururent au secours ; mais leur surprise fut grande quand ils apercurent les Algon- quins sautant et se debattant dans 1'eau, sans aucune raison apparente. Ayant reconnu la cause de tout le vacarme, Cham- plain retablit le calme parnii les sauvages, et se moqua avec eux de leur terreur panique. Telle e'tait la crainte inspire'e par les Iroquois dans tout le pays, que des scenes du meme genre se renouvelaient assez souvent parmi les tribus algonquines. Le lendemain, la flottille se remit en route. Au saut des Chaudieres, Champlain assista a une ce>e*inonie que les sau- vages n'omettaient jamais. Ce passage e'tait doubleinent dan- gereux, et a cause de la violence des eaux qui oblige de faire portage, et parce que les Iroquois profitaient de cette cir- constance pour dresser des ambuscades dans les environs. Apres avoir porte* leurs canots au bas du saut, tons les voya- geurs s'assemblaient ; un plat de bois etait porte autour du cercle, et chacun y de"posait un morceau de tabac. La quete faite Ton dansait et Ton chantait autour du plat ; une ha- rangue lui e'tait adresse"e ; on allait ensuite Jeter le tabac dans le saut, en accompagnant cette offrande au nianitou, d'un cri ge'ue'ral et prolong^. Passer au-dela, sans faire le present accoutuine 1 , aurait <$te" insulter le manitou, et s'attirer de sa part une vengeance certaine. De retour au saut Saint-Louis, Champlain convaincu qu'il n'avait rien k faire dans le pays pendant 1'hiver, se de*cida a aller en France, ou sa presence pouvait tre utile aux inU3rets de la colonie. Aussi le vingt-six aout, il s'embarqua a Tadoussac pour Saint-Malo. L'on comprend difficilement comment Champlain, a une 1614] DU CANADA. 167 epoque si recule"e et en fort peu de temps, a pu airisi explorer le pays dans toutes les directions. II avait, des I'aime'e 1609, remonte la riviere des Iroquois jusqu'au lac Saint-Sacrement ; en 1613, il pe'ne'trait bien loin vers les sources de la belle riviere des Outaouais ; et, deux ans apres, il visitait les grands lacs et les pays voisins, qui sont presque au centre de 1'Aine'rique du ISTord. Dans ses voyages, rien n'e'chappe a ses observa- tions : il de"crit le cours des rivieres, examine la qualite" des terres, observe les .arbres, les fruits, les animaux ; il indique les difficulte's des entreprises et les moyens de les surmonter ; il etudie les moeurs, le caractere et les gouts des sauvages ; il dresse des cartes fort exactes des contre'es qu'il parcourt. Cependant les decouvertes ne formaient qu'une faible partie des travaux de Champlain ; car il avait a fonder sa colonie, a lui donner de bons reglements, a veiller sur ses employe's, et a les diriger dans leurs travaux. II fallait trouver les moyens de soutenir son etablissemeut, organiser des socie'te's pour cette fin, et s'assurer, a la cour, de protecteurs capables de defendre les droits des colons et ceux des associe's. Aussi la perseverance de cet homme remarquable et sa foi dans le succes de son entreprise sont dignes de notre admi- ration : ses biens, son temps, ses talents, sa vie meme sout devoues a la colonie naissante. Au milieu de toutes les contra- dictions, il rnarche courageusement, vers le but qu'il s'est propose pour 1'honneur de la religion et pour la gloire de la France. Tantot il lutte contre les passions des sauvages ; tautot il se roidit contre les mille tracasseries que Tego'isme et la jalousie lui suscitent dans la mere patrie. II est neglige par les grands ; a leur tour, les marchands, plus empresses a partager les profits qu'k fournir aux depenses necessaires, 1'abandonnent a ses propres ressources : sa prudence et sa Constance sur- montent a la longue tous les obstacles, et font enfin re'ussir la bonne oauvre. Rentre* en France, Champlain travailla, sous la protection du prince de Conde*, k former une soci^te puissante, composee des marchands de Saint-Malo, de Eouen et de La Eochelle. Mais cette derniere ville, a laquelle on avait reserve* un tiers de 1'aventure, mit tant de de'lais dans ses demarches, que les deux autres durent prendre chacune la moiti^ des parts. Apres de nombreuses difficult^s suscit^es de tous les cottSs, la soci^td fut enfin constitute pour onze anuses ; Champlain la fit ap- prouver et autoriser par le roi et par le prince de Condd (1). (1) Voyages de Cbaiuplaiu, liv. IV, ch. v. 168 COUES D'HISTOIEE [1615 CHAPITRE TROISIEME Quatre rSeollets passent an Canada Messe & Quebec et aux Trois-Rivieres Eglise du Canada Cotes de la Nouvelle-Angleterre visit6es par John Smith Champlaiu etle P. Le Caron an pays des Hurons Outaouais Nation huronno Champlaiu suit les Hurons a la guerre II traverse le lac des Eutouoronnons on lac Ontario Attaque et une petite chapelle avec le secours des Francais et des sauvages. Ce fut un beau jour pour Champlain et pour les colons re'unis autour de lui, que celui ou, dans la petite et pauvre chapelle de Quebec, ils assisterent pour la premiere fois au saint sacri- fice de la messe sur les bords du grand fleuve de Saint- Laurent, inaugurant ainsi la foi catholique dans le Canada. Pendant un siecle et demi, I'e'glise de Quebec a etc" le centre et le seul foyer du catholicisme, dans les immenses regions qui s'e"tendent depuis la baie d'Hudson jusqu'aux possessions espagnoles. Quelques missionnaires, il est bien vrai, visiterent, en 1633, la colonie de lord Baltimore, et annoncerent les ve'rite's chre- tiennes aux nations voisines ; mais ils ne purent tenir longtemps contre la persecution des protestants, leurs voisins, car, en 1645, leurs compatriotes, apres les avoir saisis et maltraite's, les conduisirent en Angleterre comme prisonniers (2). (1) Sagaixl, Hintoire du Canada. Snivant nn m6nioire pr68ent6 au Roi par les U'Tiilii-i > <-n 1637, une mrssc avait 6t6 c616br6e quelqnea jours auparavaut, par un Jt s r6colli;t8, a la rivifere des Praii-iea. (2) Shea, History of th' catholic missions, etc., of the United States. Les ouvrages de M. Shea out jot6 beaucoup de jour sur I'histoire des anciunucs missious de 1'Ame- rique du Kord. 1615] DU CANADA 171 Pendant que la colonie francaise prenait de la consistence sous la conduite de Champlain, les Anglais songeaient a s'em- parer de la cote de Norembegue et des terres des Massachusets. En 1614, John Smith, dontil a e'teparle' a 1'occasion de 1'eta- blissement de Jamestown, fut envoy <$ avec deux vaisseaux pour prendre possession du pays. II releva les cotes, et en fit un rapport si avantageux, que le prince Charles donna le nom de Nouvelle-Angleterre a toute cette partie de I'Amerique (1). Malheureusement, Smith avait laisse" un de ses capitaines sur la cote pour s'occuper de la p6che, et celui-ci trouva plus profitable de faire la chasse aux homines. Ayant invite" vingt- quatre sauvages a monter sur son vaisseau, il les renferma a fond de cale, et alia les vendre sur les cotes de 1'Espagne. La des religieux eurent connaissance de I'infame conduite du capitaine anglais, et firent enlever les captifs par les autorites espagnoles, qui leur rendirent la liberte". Les sauvages de la Nouvelle-Angleterre garderent longtemps dans leur coeur le souvenir de cette trahisou ; et, 1'annee suivante, le capitaine Hobson ayant ete envoy^ avec des colons, son vaisseau fut attaque et forc d'abandonner la cote. Ainsi e"choua, en con- se"quence de la perfidie d'un seul homme, une entreprise qui avait coute de grandes depenses aux armateurs, et qui ne put etre reprise que beaucoup plus tard. Quelque temps apres I'arrive'e des vaisseaux a Quebec, Ton tint un conseil, auquel assisterent Champlain, les Peres Ke"- collets et quelques-unes des personnes les plus intelligentes de la colonie. L'on y convint que les missionnaires seraient places sur differents points du pays ; que le P. Denis Jamay resterait a Quebec, d'oii il desservirait les Trois-Bivieres ; que le P. Dolbeau irait deineurer a Tadoussac, pour instruire les Montagnais et visiter les autres tribus sauvages jusqu'au golfe (2) de Saint-Laurent. Quant au P. Le Caron, son par- tage fut le pays des Hurons, ou les Francais n'avaient pas encoi'e pe'ne'tre'. Le champ etait large ; aussi y avait- on taille* largement, car, depuis le golfe Saint-Laurent jusqu'a 1'extr^- mitx^ occidentale de la mission confine au P. Le Caron, Ton comptait trois cent cinquante lieues en ligne droite. Le P. Dolbeau se rendit, au commencement du mois de de"cembre, a Tadoussac, ou il batit une cabane ; il y menagea une sorte de chapelle, afin d'y faire les offices, et d'y reunir les (1) A. description of New-England in 1614, by John Smith. (2) P. Leclercq, Etablissement de lafoi. 172 COURS D'HISTOIRE [1615 Francais et les sauvages. II ne s'occupa pas seulement des Moutagnais, mais il alia encore jusque chez les Betsiamites, les Papinachois et les Esquimaux. Champlain, se dirigeant du cote oppose, partit avec le P. Le Caron pour visiter les contrees de 1'ouest. Au saut Saint- Louis, il rencontra des hurons qui 1'attendait et qui le pres- serent de monter dans leurs pays pour leur porter secours contre les Iroquois. Us declaraient qu'ils ne pourraient plus veiiir faire la traite avec les Francais, parce que leurs enuemis acharne's les guettaient partout stir leur passage. Voulaiit s'attacher cette nation, Champlain leur promit du secours ; et en effet. pen de temps apres, douze francais partireut pour le pays des Hurons, avec quelques sauvages qui 4taient descen- dus afin de vendre leurs pelleteries (1). Us furent accornpa- gnes du P. Le Caron, qui avait hate d'etudier le pays, et de prendre connaissance de la langue et des habitudes des peuples confies a son zele. Le voyage fut long et penible. " II serait difficile," ecrivait le Pere, " de vous dire la lassitude que j'ai souffert, ayaut <$te oblige d'avoir tout le long du jour 1'aviron a la main et de ramer de toute ma force avec les sau- vages. J'ai marche plus de cent fois dans les rivieres, surdes roches aigues qui me coupaient les pieds, dans la fange, dans les bois, ou je portais le canot et mon petit equipage .... Je ne vous dirai rien du jeune penible qui nous desola, n'ayant qu'im peu de sagamite, espece de pulment compost d'eau et de farine de bled d'iude que Ton nous donnait soir et matin, en tres-petite quantiteV' (2) Peu de temps apres, Champlain, a la te'te de plusieurs fran- cais, se mit en route pour les rejoindre. Ayant remontd la riviere des Outaouais, il passa dans la Matawan, afin d'arriver au pays des Algonquins Nipissiriniens, situe"s autour du lac Nipissing. Ces sauvages, dont le nombre s'elevait a environ sept cents ames, ne s'occupaient presque point de la culture, et vivaient de peche et de chasse. Us recurent fort bien Cham- plain, qui se reposa chezeux pendant deux jours. Descendant ensuite la riviere des Francais, il arriva sur les bords du lac Huron, qu'il nonima mer Douce. Pres de Tembouchure de la riviere des Francais, il rencontra un gros parti d'Outaouais, avec qui il fit amitie\ Us dtaient occupe"s k cueillir et k faire secher des bluets, pour leurs provisions d'hiver (3). II les (1) Voyage* de Champlain, liv. IV, chap, vr. (2) P. O. Sagard. Hittoire du Canada. (3) Voyages de Champlain, liv. IV, ch. VI. [1615 DU CANADA. 173 appelle la nation des Ckeveux-Relevds, parce que les hommes soignaient particulierement leur chevelure, et la relevaient vers le milieu de la tete avec autant de soin que 1'auraient pu faire les courtisaus les plus fiers de leur personne. Le premier aout, Champlain aborda au pays des Hurons, qui s'e'tendait, du nord au sud entre les rivieres nomme'es aujour- d'hui Severn et Nottawasaga, et de 1'ouest k Test entre le lac Simcoe et la baie Georgienne. Sa longueur e'tait de vingt a vingt- cinq lieues (Y), et sa largeur ne de'passait pas sept ou huit lieues. Quoique le sol fut tout sablonneux, il etait neanmoins fertile, et produisait abondamment du mais, des feves, des citrouilles, ainsi que I'helianthe annuel ou soleil, dout on tirait de 1'huile. Aussi le pays des Hurons etait-il regarde" comme le greiiier des nations algonquines, qui, des bords du lac Nlpis- sing et de la riviere des Outaouais, veiiaient s'y appro visionnner. Champlain y trouva dix-huit bourgades, qu'habitaieut quatre tribus paiiant la meme langue : les Attignaouantans ou tribu de 1'Ours, les Attignenonghacs ou tribu de la Corde, les Arendar- rhonrtons ou tribu de la Roche et les Tohotahenrats (2). Dans son voyage de 1609, il donne aux Hurons le noni d'Ochasteguins ; il les appelle plus tard Attignaouantans, du nom de la principale tribu. Eux-niemes se nommaient Wendats. Us avaieut recu le noni de Hurons vers 1'annee 1600, lorsque ayant entendu purler des Francais qui faisaient la traite a Tadoussac, ils y etaient descendus pour echanger leurs pelleteries. Chaque tribu etait cornposee de families plus ou moins e'tendues, qui couservaient soigneusement le nom et la memoire de leurs ancetres. Les Attignaouantans et les Attignenonghacs e'taient les deux tribus les plus considere'es, parce que le pays leur appartenait, et qu'elles y avaient recu les autres. Elles etaient aussi les plus nombreuses et avaient adopte beaucoup de families e"trangeres (3). Apres avoir travers^ plusieurs bourgades, Champlain arriva a celle de Carhagouha, qui semble avoir et4 Tune des plus irnportantes ; elle etait entouree d'une triple palissade, qui la protegeait centre les attaques des enne- mis. Ainsi que les autres bourgades du pays, elle ressemblait a celle que Cartier avait autrefois trouvee k Hochelaga. Les cabanes, en- forme de tunnels, avaient cent quatre- vingts ou deux cents pieds de longueur, sur vingt-cinq ou trente de lar- (1) Relation des Jesuites, 1639. (2) Relation des Jesuites, 1639. (3) Relation des Jesuites, 1639. 174 COUES D'HISTOIRE [1615 geur. Au milieu, regnait un corridor, de chaque c6te" duquel etaient des logements pour une vingtaine de families. Le P. LeCaron s'etant arrete dans la bourgade de Carhagouha, on lui batit, avec des perches et des decrees, une cabane se- paree, dans laquelle il dressa un autel pour la celebration des saints mysteres (1 >. Champlain arriva assez tot pour entendre la premiere niesse, a la suite de laquelle une croix ftit dresse'e et benite, tandis que les Francais saluaient, par le chant du Te Deum et au bruit de la mousqueterie, 1'e'rectioii du signe de salut sur cette terre encore couverte des tenebres du paga- nisme. Champlain profita du temps qui lui restait avant 1'ouverture de la campagne, pour visiter quelques villages des Hurons ; il poussa jusqu'a Cahiague, principale bourgade du pays et renfer- mant deux cents cabanes. La devait se re'unir I'armee hu- ronne, arm de se preparer au depart. Les chefs et les guerriers leverent la chaudiere de guerre, et firent les festins d' usage. On d^puta des ainbassadeur^, vers une nation puissaute qui avait promis aux Hurons un secours de cinq cents homines ; c'e*tait celle des Andastes, appartenant a la langue huroune. Autrefois voisine des Iroquois, elle avait soutenu contre eux de longues guerres, et elle avait enfin etc forcee de se retirer vers les cotes de la nier, pres de la riviere Susquehamiah. La petite arme"e des Hurons s'ebranla le premier septembre, sous la conduite de Champlain, qui se faisait accompagner de douze francais. Pour se reridre chez les Iroquois, les allies suivirent 1111 pays ou le gibier et le poisson (Staient si abon- dants, que la chasse et la peche suffisaient a nourrir toute la troupe. Champlain nous decrit bien clairement les mouvements des allies, et on peut les suivre facilement sur les cartes actuelles, 11s traverserent la Severn pres de sa sortie du lac Simcoe ; remontant ensuite quelques petites rivieres, ils pas- serent par im portage, a des lacs qui se de"chargent dans la riviere Trent. Ils descendirent celle-ci, et par la baie de Quinte ils arriverent, apres un voyage d'environ trente-cinq jours, au lac Ontario, que Champlain nomine lac des Entouoronnons (2 . " La," observe-t-il, " est 1'entr^e de la graude riviere de Saint- Laurent (3)." (1) F. G. Sax:n d. Histoire du Canada. (2) Les Entouoronnons funtnt, il une epoqiic post. inviolable au roi et (Conservation de Vautor.it6 du dit seigneur vice-roi ; voyant, cependant la rochaine mine de tout le pays, a ete rt'inm pareille voix dt-libi-iv cjue 1'nn t'eroil; hoix d'une personne de 1'a.sseinblitepour allei-. . . . aux pieds du roi. . . . presenter ehoix d'une personne de I'ametnWiepOUr allei-. . . aux pieds du roi. . . . pr vec toute huniilite le eahier du pays, auquel seront contenus lt-s desordres arrives n ce pays ct uotamnieut cetto aunee 16^1 . . . . et, pour ce, tons d'un pareil consent* 1621] DU CANADA. 199 Apres avoir deerit la beaute" et la fertilite du pays, apres avoir parle" des mines de fer, de plornb et de cuivre, des bois, des pelleteries, de la potasse, de la re'sine qu'on en pent tirer pour de fort grosses sornmes, ils ajoutent, en faisant allusion aux entreprises des Anglais : " II ne faut pas tant s'assurer aux paupieres abattues des lions, que Ton ne sache qu'ils mordent en dormant ? . . . Un autre (peuple) qui possederait la dite terre pourrait de Ih, tenir en bride et contrainte plus de mille vaisseaux de votre etat, qui viennent annuellement aux peches. ... Ils regretteraient de voir le titre auguste de Nou- velle-France change en un autre, soit de Nouvelle-Hollande, Flaudre, Angleterre." Ils rappellent ensuite les menaces continuelles de 1' Angleterre, les sourdes menses des huguenots de La Kochelle, qui, tous les ans, fournissaient des munitions et des armes a feu aux sauvages, en les encourageant a couper la gorge aux Francais ; ils demandent que la religion catholique soit maintenue dans le pays ; que les preteudus reformes n'y puissent demeurer ; qu'un fort soit bati sur les hauteurs de Quebec ; qu'un seminaire soit fonde pour cinquante enfants sauvages ; que la justice soit administre avec plus de vigueur ; que le roi entretienne pendant six ans une garnison de cin- quante hommes ; que Sa Majeste donne des canons, poudres et munitions ; enfin que Ton ^tende 1'autorite du sieur de Champlain, et que Ton augmente ses appoiutements, qui, n'4- tant que de deux cents ecus, ne pouvaient suffire a ses de- penses (1). Le roi e*tait occupe a comprimer les' troubles de religion que le parti calviniste suscitait de nouveau. La ligue des re'forrne's, voulant soutenir vigoureusement sa levee de boucliers, avait choisi pour ge"neralissime le due tie Kohan. Ses principaur boulevards etaient La Rochelle, Montauban et Montpellier ; de ces centres d'action, elle agitait tout le midi de la France. mt-nt ot de la nieine voix, connaissant la salute ardeur a la religion chr6tieuno qu'a toujoura constaniment et fi delement temoi, pendant les quatre ann6es de privilege qui restaient encore. Ctte demand? tendait ;i amiuler IH droits accord6s le huit uovembre 1620, ;> la nonvclle rompagnie composee des sieurs GuillauiueDeCaen, Ezecbiel deCaen, et Gnillaume Hobin, mar- chaudH, Francois de Troycs, president des tresoriers de France a Orleans, Jacques de Troves, marcband, Claude Le Bacois, receveur general des finances a Limoges, Ar- nould de Nouveau. maitre de la chambre aux deniera, Pierre de Verton, couseiller secretaire du roi, et Francois Herve, marchaiul bourgeois de Paris. (Collection par- ticnlilre de M. P. Margry!) 1622] DTJ CANADA. 201 sieurs De Caen. " Le fiieur cle Champkin, lieutenant du vice- roi, aura la pittance en terre, coannaadera a 1'habitation de Quebec et dans toutes les autres habitations et ge*ne*ralement dans toute la Nouvelle-France, aux Frangais et autres qui y re'sideront. Pour ce qui sera du travail et ouvrages des Fran- cais et habitants au dit pays, le dit lieutenant aura jusques a dix hommes, nourris et gages de vingt livres par an pour chaque homme, aux depens du dit De Caen et de sa societe", lesquels hommes le dit lieutenant emploiera au bien, service et utilite" de 1'habitation .... " Le dit sieur De Caen ou la dite socie'te' sera tenue de nourrir six Peres Recollets k 1'ordinaire et comme les ouvriers, compris deux qui seront sou vent aux de"couvertes dans le pays parmi les sauvages. " La dite compagnie nourrira et entretiendra six families de laboureurs, charpentiers et macons, de deux ans en deux ans." Elle e"tait aussi tenue de payer douze cents francs d'ap- pointemeuts par an au lieutenant du vice-roi. Sur les offres qui lui en furent faites, 1'ancienne compagnie conseutit a renoncer aux dix mille francs d'indemnite' qui lui avaient e'te' accordes, et a prendre en retour cinq douziernes de la compagnie de Montmorency ; un des cinq douziemes fut re'serve' au sieur de Monts, qui vivaient alors retire & son cha- teau d' Ardennes, dans la Saintonge. Tels furent les arrangements qui mirent fins aux disputes entre les deux compagnies rivales. Le Pere George LeBaillif avait beaucoup aide" k obtenir ce resultat, et il eut le plaisir de voir toutes les discussions termine'es et la paix faite, dans le printemps de 1622. (1). Par les vaisseaux qui etaient retourne's 1'automne precedent, Champlain avait renvoye en France deux families, qui n'avaient encore rien fait snr leurs terres, quoiqu'elles eussent e'te' dans le pays depuis plus de deux ans. II se plaignait amerement de ce que 1'ancienne compagnie avait fait passer dans la colonie des bouchers et des faiseurs d'aiguilles, tandis que Ton avait besoin d'hommes accoutume'i aux rudes travaux de la terre, ou sachant quelques metiers utiles (2;. Dans le meme temps qu'il ^loignait ceux, qui, par leurs de*sordres ou par leur paresse, Etaient devenus une charge pour le pays, il voulut assurer la s^curit^ des autres par de sages reglements ; k cet effet, le (1) Danit I'airfit prononc6 par le csuneil d'6tat, il cat noinme J'>re George Leliaillit' de la Haye. (2) Voyages de Champlain. 202 COURS D'HISTOIRE [1622 douze septembre de I'anne'e 1621, il publia quelques ordon- nances, propres a rnaintenir dans le respect ceux qui auraient pu etre tentes de troubler 1'ordre (1). C'est a cette annee que remontent les premiers registres de baptemes, manages etde"ces, pour Quebec, ou plutot pour la colonie toute entiere. On avait sans doute commence aupara- vant & tenir des registres, mais 1'incendie de 1'eglise et du presbytere, en 1640, les detruisit tous. On fut oblige de dres- ser une nouvelle liste, d'apres les souvenirs conserve's dans les families ; c'est celle qui existe encore, et qui ne renferme point d'actes anterietirs h. 1'annee 1621 (2). Pendant le cours del'hiver, Champlain conclut de nouvelles alliances avec quelques tribus sauvages ; les seuls iroquois de- rneuraient intraitables. Cette nation orgueilleuse et guerriere, qui depuis longtemps avait entvepris de soumettre les autres peuples, ou de les detruire, s'apercut que les Francais fournis- saient des secours et des armes a sesenneuiis. Pour se venger, elle mit en campagne ses guerriers, et les partagea en differents corps, afin d'attaquer de tous les cote's en meme temps. Le P. Guillaume Poulain fut enlev^ par un de ces partis, aupres du saut Saint-Louis, ou il e"tait monte 1 avec ceux qui y faisaientla traite ; il etait deja attache" au poteau, et on avait comment & (I) L'oa ne trouve plus de copie des reglemcnts faits par Chanii>laiu. II gerait fort intercssunt de connaitre cette premiere ebauche d un code cauadien. (3) La premiere entree, snr le registre de Xotre-Dame de Quebec, est celle du manage, de Guillaume Oouillard avoo Guiilenn-tte Heberl. IJeux inoi.s <;t demi au- paravnut, le 12 mai 1621, avait eu lieu a Plyinoulh le mariage d'Edouard Wiuslow et de SiiHaimah White, lo y>reniier qui nit 6te c6lebre dans la Nouvelle-Aiigleterre. La lixtf dfs liajitixei! commence au inois d'octubre par le bapt6me d'Eustachc Martin, flls d' Abraham Miirtin dit VJUxcowr.w. pilot.- de la riviere Baint-Liuirent, et de Marie Langloin. Abraham Martin & Iaiss6 par ses flllcs uno txAs-DOmbreOHe post6rito. Le vieux pilote. nuMiiionne plusienrs foi dans le journal du superieur des Jesuites. sous le noin ,Ie Maixtre Abralunii, a I6;iu6 ce nom aux c61ebrc.s plaiui-s oil sedecida. en 1759, le sort de la Nouvclle-France. Dans les archives d-s Dames Ursulines. sont les titres de deux terres tjui lui out appartenn : l:i jireiuit^iv. conteuaiit vinj-t ai pcnts, lui fut donn6e en 104(i, liar le .iieur Ailrien DuCbi'sne, chiriir^icn ; et la secomlc. di % douze arpents. lui fut conc6d6e par In compagnie de la Nouvclle-Fi-auce- Ces deux terres re'unifs f;irent vendues aux Ursulines 's notes fort curieuses .sin les plaines d Abraham M sur les faits d'armes dont elles ont ete le theatre. Charles-Amador Martin, le senl fils d' Abraham qui lui ait survecit. cut pour ]>ar- rain le celebre Charles- A mador de La Tour, qui etait a Quebec en 1640. Charlos- Amador Martin, distingue pai- ses heureuses dispositions et ses talents pour la mu- sique. fut le second canadien eleve & la pretrise ; il fut meuibre du seminaire des missions etran^ores de Quebec, et chanoiuo de la cathcdrale. 1622] DU CANADA. 203 le tounnenter, lorsque les Francais, informes de sa captivite, le firent echanger centre quelques prisonniers iroquois. Ainsi prive du martyr, le Pere poursuivit ses courses apostoliques jusques chez les Nipisshiniens. Une autre bande de ces barbares, monte'e sur trente canots, passa vis-a-vis du poste des Trois-Eivieres, et se rendit aux environs de Quebec. Quoique Champlain flit absent, ils n'oseseut cependant pas s'approcher du fort, dans lequel s'etaient refugies les femnies et les enfants ; mats ils allereut attaquer 1'etablissernent des Eecollets, sur les bords de la riviere Saint-Charles. Heureusement ce couvent etait capable de defense, et il e'tait de plus protege par un petit fort, qui venait d'etre termine. Les Iroquois furent repousses avec perte de sept ou huit de leurs, par quelques francais et des sauvages allies, qui avaient couru au secours (1). Les navires sur lesquels De Caen avait fait un cbargement ' considerable, firent voile de Dieppe vers le milieu de mai. Parmi les passagers, etaient le P. Galleran, visiteur et supe'- rieur de la mission du Canada, le P. Irenee Piat et quelques jeunes francais, recommandables par leurs belles qualities. Les deux recollets apportaient la permission d'ouvrir un no- viciat au couvent de Saint-Charles ; et, dans le mois de sep- tembre 1622, Ton y recut comme novice, sous le nom de Frere Charles, le sieur Pierre Langoissieux, natif de Rouen. Depuis trois ans, ce jeune homme e'tait employe aux Trois-Eivieres, a instruire le^ sauvages, dont il etait aime et respecte (2). Guillaume de Caen, quoiqu'il ftit huguenot, se montrait plein d'honnetett5 pour les religieux ; par ses bonnes manieres, il avait su plaire a tout le monde. En partant pour retourner en France, il laissa Pontgrave' charge de la direction de ses affaires. Pendant 1'hiver suivant, il ne resta a Quebec que cinquante personnes. ]-)ans tout le reste du Canada, il n'y avait que quelques employes des marchands, vivant au milieu des sauvages, ou gardant les postes de traite de Tadoussac et des Trois-Eivieres. Le P. le Caron re'sidait^ Tadoussac, sou- piraut toujours apres la mission du pays des Hurons ; le P. Guillaume Poulain s'etait availed jusque chez les Nipissiriniens, et le P. Huet demeurait aux Trois-Eivieres, pour y administrer les sacrements aux Franqais. Dans le meme temps, une autre (1) ' Madame Couillard 6taitu CANADA. 207 peuples differents. Cepeudant, par les sages airangeinents que prit Champlain, il n'y ent point de troubles ; chaque nation avait ses interpretes, qui les mettaient en rapport avec les autres. Les ceremonies ordinaires se firent re'gulierement ; la chaudiere de paix fut suspendue ; on donna des festins, et Ton prononca des discours ; les diverses nations assemblies s'offrirent des presents les unes aux autres. Enfin la paix, si longtemps desiree, fut conclue entreles Iroquois, les Francais, les Hurons et les Algonquins ; suivant le langage figure des sauvages, les baches de guerre furent jetees a la riviere. Quelques families huronnes, au lieu de retourner dans leur pays, descendirent a Quebec pour demeurer aupres des mis- siounaires et se faire instruire. D'autres families etant venues de differents cote's avec la meme intention, on vit ainsi se xe'unir aupres de Quebec un nombre de sauvages bien plus grand qu'a 1'ordinaire. On eut meme pendant quelque temps 1'esperance de les fixer et de les former a la francaise. Voici les remarques qu'a cette occasion le P. Joseph adressait & ses superieurs, sur les croyances des sauvages et sur 1'espoir de leur conversion. " On fait pen de veritables c'on versions parmi nos sauvages, le temps et la graces ne sont pas encore arrives. On les policera par les lois etles manieresde vivre a la francaise, avantdeles rendre capables d'entendre raison sur des mysteres si Sie- ves . . . Car tout ce qui regarde la vie humaine et civile sont des mysteres pour rios barbares dans 1'etat present, et il faudra plus de depenses et de travaux pour les rendre hommes, qu'il n'eii a fallu pour faire chretieris des pen pies entiers. " Ces peuples ne manquent pas de bon sens, en ce qui regarde l'interet public et particulier de la nation . . . . et nean- moins ils n'ont rien que d'extravagant et de ridicule, quand il s'agit ou de dogmes de religion, ou de regies de mceurs, de lois et de maximes .... Chez les huit ou dix nations dans le bas du fleuve, Ton entrevoit a travers leur aveuglement quelques sen- timents confus de divinite. Les uns reconuaissent le soleil, d'autres un genie qui domine en 1'air ; quelques-uns regardent le ciel comme une divinite", d'autres un manitou bon et mau- vais. Les nations du haut du fleuve paraissent avoir un esprit universel qui domine partout ; ils s'imaginent qu'il y a un esprit dans chaque chose, meme dans celles qui sont inanimees, et ils s'adressent quelquefois a lui pour le conjurer .... Lea songes leur tiennent lieu de prophetic, d'inspiration, de lois, de commandements et de regie, dans leurs entreprises de 208 COURS D'HISTOIRE [1624 guerre, de paix, de traite, de pche, de chasse ; c'est meme une espece d'oracle .... Cette ide'e leur imprirae une espece de necessite, croyant que c'est un esprit universel qui les commande. " S'il y a quelque saut difficile a passer, quelque pe'ril & e'viter, ils jetteront dans 1'endroit meme une robe de castor, du petun .... pour se concilier la bienveillance de 1'esprit qui y preside. " Ils croient communement une espece de creation du monde, disant que le ciel, la terre et les hommes ont e"te faits par une femme, qui gouverne le monde avec son fils ; que ce fils est le principe de toutes les choses bonnes, et que cette femme est le pricipe de tout le mal ; qu'elle est tombee du ciel enceinte, et qu'elle fut recue sur le dos d'une tortue, qui la sauva du naufrage .... " Ils font profession de croire a I'lmmortalite* de Tame et une vie future, ou on trouve me'me une chasse et une pche abon- dante, du bl^ d'Inde et du petun .... Ils tiennent que Tame n'abandonne pas le corps aussitot apres le mort ; c'est pour- quoi on enterre avec le corps, arc, fleche, ble d'Inde, viande, et sagamite', pour la nourrir en attendant .... Ils estiment que les hommes, apres la mort, chassent les ames des castors, elans, renards, outardes, loups-marins, et que 1'ame des raquettes leur sert a se tirer des neiges .... Ils s'imaginent que les ames se promenent invisiblement dans les villages durant un temps, et qu'elles participent a leurs festins et re^gals, dont ils laissent toujours leur portion. " Ces pauvres aveugles professent de me'me une infinite' d'autres superstitutions .... II ont une manie de ne pas pro- faner certains os d'elans, de castors et d'autres btes, ni de les faires manger a leurs chiens : mais on les conserve pre'cieuse- ment, ou bien on les jette dans le fleuve. Ils pre'tendent que les ames de ces animaux viennent voir de quelle maniere on traite leur corps, et en vont donner avis aux betes vivantes et a celles qui sont mortes, de sorte qu'elles ne voudront plus se laisser prendre, ni dans ce monde-ci, ni dans 1'autre. " Parmi une infinite* de superstitions, on ne voit rien a quoi ils s'attachent par principes de religion ; ce n'est qu'une fan- taisie, toute pure .... Si on les presse sur nos mysteres, ils ^content cela avec autant d'indifference que s'ils vous racon- taient leurs chimeres . . . J'en vois plusieurs qui semblent se rendre a cette vdrit^, qu'il y a un principe qui a tout fait ; mais [1624 DU CANADA. 209 cela ne fait qu'effleurer leur esprit, qui retornbe an meme mo- ment dans 1'assoupissement et dans sa premiere insensibilite. " De 1& vient que commuuement ils ne se soucient pas d'etre instruits .... On leur apprend leurs prieres, et ils les recitent comme des chansons, sans aucun disceruement de foi . . . Je ne sais si leurs ance'tres ont connu quelque divinite ; mais il est vrai que leur langue, assez naturelle pour toute autre chose, est tellement sterile en ce point, qu'on y trouve point de termes pour exprimer la divinite, ni aucun de nos mysteres, pas meme les plus cominuns. " Un des plus grands obstacles a leur conversion, c'est que la plupart ont plusieurs femmes, et en changent quand il leur plait, ne comprenant pas qu'on puisse s'assujetir k 1'indisso- lubilite du mariage .... " Tin autre emp^chement est 1'opinion, qu'on ne doit con- tredire personne et qu'il faut laisser chacun dans sa pensee. Ils croiront tout ce que vous voudrez, ou, du moms, ils ne vous contrediront pas, et ils vous laissent aussi croire tout ce que vous voulez. C'est une indifference profonde, surtout en matiere de religion, dont ils ne se mettent pas en peine. " Ils laissent chacun dans sa croyance ; ils aiment meme ce qu'il y a d'exterieur dans nos ceremonies ; et cette barbaric ne fait la guerre que pour les interets de la nation. Us ne tuent les gens que pour des querelles particulieres, ou par ivro- gnerie, ou par brutalite", par vengeance, pour un songe .... Et ils sont incapables de le faire en haine de la foi. " Tout est brutal dans leurs inclinations ; ils sont naturelle- ment gourmands. . . . L'opposition est grande au christianisme du cote de la vengeance, quoiqu'ils aient beaucoup de douceur a l'egard de leur nation ; mais ils sont cruels et vindicatifs au dela de 1'imagination, envers leurs ennemis ; ils sont naturel- leinent inconstants, moqueurs, medisants, impudiques ; enfin, parmi une infinite de vices ou ils sont absorbes, on ne remarque aucun principe de religion, ni de vertu morale ou payenne .... " II faudrait, pour les convertir, les familiariser parmi nous. . . II faudra done les fixer et les porter a de"fricher et a cultiver les terres, a travailler de diffe*rents metiers, cornme les Fran- cais ; apres cela, peu a peu on les civilisera entre eux et avec nous .... " Nous avons attire" ici quelques iroquois. J'estime, quoi- qu'on dise de la cruaute* et de la fierte de cette nation, qu'ils ont plus d'esprit, de raisonnement, de politique que les autres, et sont par consequent plus capaHes de concevoir nos ve'rite's." 210 COUKS D'HISTOIRE [1624 Les premiers missionnaires se flatterent d'amener les sau- vages a la civilisation, et, par la, au christianisme ; plus tard, ils reconnurent que ces enfauts de la foret, accoutumes la liberte la plus absolue, lie pourraient jamais etre asservis a la gene qu'impose la vie civilisee. Vainement a-t-on essaye de les engager a cultiver la terre ; il fut to u jours impossible d'eta- blir parnii eux 1'agriculture, avec sou travail assidu, avec ses instruments de labourage, avec ses habitudes d'ordre, d'eco- nomie et d'ussiduite. Les femmes sauvages cousentaient a cultiver quelques petits champs de ble d'lnde et de fe'ves ; mais il ne fallait pas songer a en obtenir da vantage. Quand aux hommes, ils dedaignaient ce travail, et le regardaient comme etant au-dessous de leur dignite. Apportant, en venant au monde, 1'instinct de I'independaiice, accoutume des 1'enfauce & poursuivre au milieu des bois, Tours, rorignal, le chevreuil, a faire glisser son leger canot sur les eaux des lacs et des ri- vieres, a transporter sa derneure d'un lieu a un autre, sui.vant le caprice du moment, comment le sauvage aurait-il pu denieurer courbe sur la glebe, retournant un penible sillon, et parcouraut sans cesse 1'etroit enceinte du meme champ ? Dans sa vie er- rante, libre de toute inquietude pour le leudemain, pouvait-il se soumettre h Texistence de 1'homme civilise, toute pleine de sollicitudes, de calculs, d'appreheusions ? Bien des fois depuis, dans la vue de les former pour le saint miuistere, on a essaye de faire faire un cours d'etudes a de jeunes sauvages doues d'heureuses dispositions, et jamais Ton n'a reussi. A peine avaient-ils subi une ou deux ann^es de captivittS au college, que, pousses par un mouvement irrc'sistible, ils jetaient bas les habits de 1'^tudiant, endossaient le capot du chasseur, et s'elancaient, ivres de joie, vers les sentiers de la foret. Les metiers europeens leur convenaient encore moins que 1'agriculture et 1'^tude. Avant 1'arrivde des Francais,ils savaient faire leurs canots d'^corce, tailler dans la pierre des tetes de calumets et tresser des paniers ; ils h'apprirent rien davantage. On n'a peut-^tre jamais vu un sauvage du Canada manier le marteau du forgeron, le rabot du menuisier, la truelle du macon (1). D'ou peuvent nattre cette inaptitude et ce degout pour les arts et les metiers de la civilisation ? Est-ced'une dis- pensation spticiale de la Providence, qui a voulu que des ine- galites existassent entre les families du genre humaiu ? de (1) Nos remarqiii'K lie 'appliqnent qu'auxsauvago-f du Canada. C^peudant BI I'UQ e.xcepte la iiatiou di-s ChorokiM mix Etats-Uiiis, oll-s coiivifinlniient A toutes le de I'Auifriqiie du X ord. 1624] DU CANADA. 211 1'im possibility, pour une race tombed dans la barbaric, de re- monter au rang dont elle est de"cbue ? des charmes d'une vie libre, independante et sans soucis ? Nous ne croyons pas devoir les attribuer a une seule de ces causes en particulier ; mais, toutes tiois re* unies ont concouru a produire, dans le caractere des sauvages, les resultats que signalerent les premiers-inis- sionnaires. Malgre tous les essais, qu'ont encourages, depuis cette ^poque, la puissance civile Bt les autorite's religieuses, aucuue des tribus canadiennes ne s'est avance"e au-del& d'une demi-civilisation, et presque toutes se sont e"teintes avant d'y parvenir. Aujour- d'bui encore, les Moutaguais et les Tetes-de-Boule du Saint- Maurice, rnalgre leurs rapports frequents avec les blancs, sont plonges dans 1'etat sauvage, et se plaisent a y demeurer. Eb bien ! quoiqu'ils n'aient pas adopte les coutumes des Fran- cais, ils n'en sont pas moins devenus d'excellents cbre"tiens. La vie des bois les conserve dans leur attacbement a la foi ca- tholique et dans la purete' de leurs moeurs. Moins leurs rap- ports sont frequents avec la civilisation, et niieux ils gardent la dignite de caractere et l'innocence de vie qui appartiennent aux vrais disciples du Christ. II semble done qu'il aurait fallu diffe"rer trop longtemps 1'ad- mission des sauvages du Canada dans le sein de 1'Eglise, si Ton avait attendu qu'ils eussent adopt^ la civilisation euro- peenne, il fussent deveuus semblables aux Francais. Sans doute, il etait n^cessaire de donner aux sublimes ve'rite's de 1'^vangile le temps de germer dans des coeurs barbares et d'y prendre racine ; et les premiers missionnaires ont etc* accuses de precipitation, lorsque leurs neopbytes, manquant de perse- v^rauce, retombaient dans I'lnfidelite" apres avoir recu le bap- t^me. Mais ces apostasies e*taient presque toujours dues au de*faut d'instruction, aux inspirations mauvaises des blancs. ou a quelque circonstance extraordinaire ; la vie sauvage, par elle-mSme, n'a jamais e'te' un obstacle a la fide'lite' des vrais catholiques, soit chez les Hurons, soit cbez les Algonquins. 15 21:2 co UBS D'IUSTOIBE [1624 CHAPITRE SIXIEME Saiut Joseph clioiai pour patron du pays L'ancienne habitation de Quebec eat abattu et on commence a en eonstniire une nouvelle Champlain conduit sa femuie en France M. le due de Ventadour, vice-roi Cinq jesuites viennent au Canada Le P. Nicolas Viel uoye dans la riTiere des Prairies Lea Jesuites batiasent une residence sur leur terre de Notre-Dame des Angea Commission nouvelle donn6e a Champlain, qui retourne A. Quebec Le fort Saint-Louis agrandi Deux j6suites et un recollet au pays des Hurons Mort de Louis Hebert L compagnie de 1 Jfouvelle-Frauce ou des Cent Associes a'organise Sea privileges et sea obliga- tions. L'aimee 1624 fut marquee, a Quebec, par une solennite" reli- gieuse, 2t laquelle assisterent tous les Framjais et plusieurs sauyages. Elle fut c^lebr^e en execution d'un vceu fait a 1'hon- iieur de saint Joseph, qui, dans cette occasion, futchoisi comme premier patron de la Nouvelle-France. Depuis ce temps, la devotion envers saint Joseph s'est toujours conserved vive et efficace parmi les Canadiens, ainsi que 1'attestent les noin- breuses e"glises plac^es sous sa protection, et les confre'ries etablies en son honneur (1). Des bestiaux avaient e'te' introduits dans le pays, des les premiers temps de la colonie, comme le proure une carte de Quebec et de ses environs pour I'anne'e 1608, carte donn^e par Champlain, dans Tuition de ses voyages qu'il publia en 1613. II y designe en effet un lieu, " ou Ton amassait des her- bages pour le betail qu'on avait meneV' Pendant 1'^t^ de 1623, Champlaiii et De Caen dtaient descendus jusqu'au cap Tour- mente, pour y examiner les belles prairies naturelles qu'on leur avait dit s'^tendre au pied des montagnes. Us trouverent ce h'eu (2) agreable, et reconrmrent qu'il pouvait fournir des pa- turages et du foin en abondance. Aussi, des la me^me annee, ils y fireut plus de deux mille bottes Je ibni, qu'on transporta a 1'habitation sur des barques. C'e'tait une epoque d'ameliorations pour Quebec : Champlain ouvrit un chemin commode, conduisant du magasin au fort (1) LeClereq, Ktnblitsement de lafi. (2) Saint- Joachim. 1624] DU CANADA. 213 Saint-Louis sur la hauteur, aim de reraplacer le sentier e'troit et difficile dont on s'etait servi jusqu'alors. Les ouvriers conti- nuaient en rne'ine temps les travaux du fort. Eeconnaissant le mauvais e*tat de 1'habitation, et desespe"rant de la pouvoir reparer convenablement, il entreprit d'en batir une nouvelle, et rassembla les materiaux pour la commeneer au printemps de 1624. Vers les premiers jours du mois de mai, il fit abattre tous les vieux batirnents, a 1'exception du magasin, et les fon- dations furent posees. Pour conserver la me'moire de cette recon- struction, Ton enfouit une pierre sur laquelle etaient gravees les armes du roi, ainsi que celles du vice-roi, avec la date et le nom de Champlain, lieutenant du due de Montmorency (1). Ces batiments devaient consister en un corps de logis, long de cent huit pieda, avec deux ailes de soixante pieds, et quatre petites tours aux quatre angles de I'edifice ; devant 1'habitation et au bord du fleuve, etait un ravelin, sur lequel on disposa des pieces de canon ; le tout etait environne" de fosses que traver- saient des ponts-levis. Ces constructions, plus e'tendues que les premieres, occupaient toute la pointe de la basse ville, au nord- est de Tanse du Cul-de-sac, qui servait alors de port pour les barques et les chaloupes. Pendant que ces ouvrages s'exe'cutaient, Champlain se de'cida a repasser en France, ou il n'avait pas e'te' depuis plus de quatre ans, et a y reconduire sa femme. Accoutumee aux dou- ceurs de la vie de Paris, elle avait du souffrir beaucoup de la privation des choses conside're'es comme indispensables a son etat (2). Son mari etant fort souvent absent avec le sieur Boulle, elle n'avait d'autre compagnie dans 1'habitation que les trois femmes de sa suite, et se trouvait ainsi expose a bien des ennuis. Champlain* apres avoir instamment recommande" de conti- nuer non-seulement les travaux de 1'habitation, mais encore ceux du fort, qu'il savait n'etre pas du gout de messieurs les associe's, se mit en route le quinze d'aout 1624 ; il laissait le commandement a Emeri De Caen, qui e'tait en meme temps principal commis de la compagnie. Avec celui-ci restaient a (1) Cette pierre, retroavee dans une des fouilles faites ear I'emplacement du vieur magasin, avait 6te plac6e au-dessus de la porte d'entree d'une maison qui touchait & la chapelle de la basse yille. Tin incendie detrnisit cette maison en 1854, et 1'inacrip- tion a disparo, (2) Chroniqueg de I' Ordre des Ursuliaes, Vie de Marie-Helene Bonllo. 214 cotras D'msToiRE [1625 Quebec cinquante-une personnes, tant hommes que femmes et enfants (1). Cependant les Peres Re'collets reconnurent qu'il fallait songer a obtenir de nouveaux ouvriers pour les missions ; ils avaient parcouru une grande partie du pays, et y avaient trouve" bien des tribus, disperses sur nn immense territoire. Que pou- raient, an milieu de tant de peuples, cinq ou six missionnaires, dont la moitie devait rester aux environs de Quebec, pour les Francais et quelques sauvages ? La compagnie s'etait chargee de subvenir aux besoins de six re'collets ; et elle comptait avoir de'ja beaucoup fait en fournissant a leur subsistance. Les aumones de France, jointes a ce que donnait la compagnie, ne suffisaient pas pour etablir les cinq missions juge"es necessaires. Les missionnaires conclurent qu'il serait bon de s'adresser a quelque communaute religieuse, qui, jouissant de secours plus abondants, voudrait offrir a la Nouvelle-France un certain nombre de pretres. Ils convinrent done de d^puter en France quelqu'un d'entre eux, pour en faire la proposition aux Jesuites, qu'ils croyaient les plus propres aux rudes missions du Canada. Le P. Irenee Piat fut choisi pour cette ambassade, et partit avec Champlain et le F. Sagard. Sur les representations de leurs confreres de Quebec, les re- collets de Paris s'adresserent aux Jesuites, qui de'ja, comme nous 1'avons vu, avaient tente" d'etablir des missions sur les eotes de 1'Acadie. Le de"finitoire de la province de Saint-Denis s'adressa a ces Peres plutot qu'a d'autres corps religieux, pare* que les deux socie'te's avaient toujours subsist^ dans une union tres-e'troite, les Eecollets et les Je'suites travaillant ensemble dans plusieurs missions avec une entente toute cordiale. Let Jesuites recurent avec plaisir 1'invitation de prendre part aux missions de la Nouvelle-France. Le nouvel arrangement fut soumis a M. de Ventadour, ik qui le due de Montmorency, de'goute' des querelles continuelles enire les deux parties de la eompagnie du Canada, venait de vendre la charge de vice-roi avec tous ses inte'rets dans la Nouvelle-France. Henri de Levis (2) due de Ventadour, neveu de son pre'de'- U) Le Orand Voi/age du Pays des Hurons, pat- F. Gabriel Sa-runl. Toyagex de Champlain. Champlain faisait chaque jour des obervntionB tiirle cli- iniit du Canada. II en a cnnKigne dans ses Merits uii assez grand noiubro, qn'il fit *ur- tent en 1624. Voir appendix 1'.. (2) La famille de LCVIB pr6tendait descendro du patriarche Jacob par son fits L6Ti. Kt a ce propos Ton i-apporte que, dans nue chappelle de la faraille, on voyait un ta- bleau representaut la sainte Viorge, et un menibro de la maisou do Levig tenant le chapeau a la main. Deux inscriptkmsexpliquaientla situation: " Convrez-voua. inon cooHin," disaitla Vierge Marie. "C'ust nnu plaisir, macousine," repoudait le descen- dant de Levi. 1625] DU CANADA. 215 cesseur dans la vice-royaute", s'e'tait retire" de la cour, et avait me"me recu les ordres sacres. En se chargeant des affaires de la Nouvelle-France, il n'avait pas 1'intention de se Jeter de nouveau dans les embarras du monde ; il voulait venir au secours des missions, et favoriser la conversion des sauvages. Aussi approuva-t-il le projet d'envoyer desje'suites pour aider les Recollets. II en parla au roi, dont il obtiut le cousente- ment, et il fit entendre a messieurs de la compagnie qu'ils seraient obliges d'y concourir, de gre ou de force. II n'est pas etonnant que plusieurs des associe's aient vu cet arrangement de mauvais ceil. Beaucoup d'entre eux e"taient huguenots aussi bien que les chefs de la compagnie, et aimaient assez peu les ordres religieux. Us avaient tole're' les pauvres Recollets ; mais ils redoutaient la venue des Je"suites qui avaient de puissants protecteur a la cour, et qui pouvaient faire arriver leurs plaintes jusqu'au pied du trone. Or la compagnie de la Xouvelle-France avait bien des reproches a s'adresser. Elle n'avait presque rien fait pour I'avancement du pays, s'etant contentee de profiter des avantages de la traite, sans beaucoup s'occuper des charges qui y e*taient attaches (1). L'on avait bien enroye quelques families a Quebec, mais on ne leur avait point procure les moyens de cultiver la terre, ce qui seul pouvait les fixer dans le pays. Les membres de la famille de Louis Hebert n'etaient parvenus a defricher leurs terres qu'k force de courage et en surmontant mille obstacles. On les contrariait en toute occasion. On continua de les harceler lors- qu'ils eurent comment a recolter assez de grains pour leurg besoms ; car on les obligea alors de veiidre leursdenre"es a un prix fixe par la compagnie, qui seule pouvait les acheter. " Tout ceci," ajoute Champlain, qui n'avait pas le droit de s'opposer a ce monopole, " se faisait a dessein de tenir to uj ours le pays necessiteux, et oter le courage & chacun d'y aller habiter, pour avoir la domination entiere sans que Ton s'y put accrottre." II fallut cependant ce"der a la volonte du vice-roi, qui fit lui-meme les frais necessaires pour le voyages des Pere Charles Lalemant, Jean de Brebeuf, Enmond Masse, et de deux Freres. Les cinq je'suites furent prets a partir des 1'ann^e 1625, et s'embarquerent, ainsi qu'un recollet, le P. Joseph de la Eoche- Daillon, de la maison des comtes du Lude, sur les vaisseaux que Guillaume De Caen conduisait au Canada. Champlain, maintenu dans sa charge de lieutenant ge'ne'ral du vice-roi, (1) Voyages de Champlain, lir. II, ch. vi. 216 COUES D'HISTOIRE [1625 demeurait en France, pour les affaires de la colonie et celles de sa famille. Lorsque les Je'suites arriverent a Quebec, ils s'apercurent qu'on avait travaille' a exciter des pre'juge's centre eux ; un livre intitule" Anti-Cotton, qui attaquait la compa- gnie de Je'sus, circulait de main en main ; aussi toutes les portes leur e'taient ferme'es. Guillaume De Caen les engageait a retourner en France, lorsque les re'collets vinrent leur offrir I'hospitalite' dans le convent de Saint-Charles. Les je'suites accepterent avec joie, et les deux communautes demeurerent, pendant deux ans, logees sous le meme toit, vivant et tra- vaillant ensemble dans la meilleure intelligence (1). Le nombre de missionnaires se trouvant ainsi considerable- ment augment^, Ton jugea ik propos d'envoyer du secours au P. Nicolas Viel, qui etait demeure 1 aux Hurons. Le P. de Brebeuf, je'suite, et le P. de La Koche-Daillon, recollet, furent destines pour ces missions, et se rendirent aux Trois-Rivieres. Ils se disposaient a en partir avec des hurons, lorsqu'ils apprirent la mort du P. Nicolas. Le bon religieux, qui n'e'tait point descendu a Quebec depuis deux ans, fut prie" par quel- ques hurons de les accompagner au lieu de la traite. II vou- lut profiter de cette occasion pour aller faire une retraite aupres de ses supe'rieurs. Parmi les hurons qui 1'accompa- gnaient e'taient quelques hommes brutaux et ennemis de la foi, quoiqu'ile fissent bonnne mine au missionnaire. La flotte de canots suivait le cours de la riviere des Prairies ; un gro temps les ayant disperses, le P. Nicolas se trouva avec trois malheureux, qui, suivant les rapports des Hurons, le jeterent a 1'eau, ainsi qu'un jeune neophyte, son compagnon de voyage. La riviere tait rapide et profonde dans cette partie, aussi tous deux furent bientot submerges. En m^moire d'un si triste 4v^nement, ce lieu a flepuis ^ connu sous le nom de Saut-au-E(5collet. Les Peres de Brebeuf et de La Roche-Daillon, ayant appris la f&cheuse nouvelle de la mort du P. Nicolas Viel, crurent que ce serait une t^m^rit^ de se confier aux compatriotes des meur- triers, dans un voyage long et dangereux ; si bien que, par 1'avis des Francais et meme de quelques hurons, ils re'solurent de descendre a Quebec, remettant la partie pour une autre anne'e. Ce temps ne fut pas perdu ; pendant 1'hiver suivant, les deux religieux purent visiter quelques families sauvages des envi- rons, et se livrer a I'e'tude de leur langue. Dejk les Ke"collets (1) F. G. Sagard, Hittoire du Canada. Le Clercq, Etdblisstment de la foi. 1625] DU CANADA. 217 avaient commence ;\ former des dictionnaires huron et algon- quin (1). Le dictionnaire de la langue huronne avait &t& ebauche' par le P. Le Caron des I'anne'e 1616; il y ajouta des regies et des principes, pendant le second voyage qu'il fit au pays des Hurons. II y travailla ensuite sur les notes du P. Nicolas Viel, de sorte que dans I'anne'e 1625, le P. George Le Baillif pre'senta au roi quelques Etudes sur les langues hu-.. ronne, algonquine et montagnaise. Les Je'suites de"sirant ne point demeurer a charge aux Eecol- lets, choisirent, pour y placer leur e'tablissement, un endroit tres-agre'able, situe a une petite distance du couvent de Saint- Charles (2). C'e'tait une pointe, forme'e par la jonction de la petite riviere Lairet avec le Saint-Charles, et alors connue, selon Sagard, sous le nom de fort Jacques-Cartier. Le premier septembre 1625, ils y planterent une croix avec toute la solennite 1 qii'ils purent mettre a cette ce're'monie, en presence des Peres Re"collets et des principaux francais. Des le mme jour, Ton commenca a abattre les arbres et a pre"parer le terrain. Pour ne pas etre troubles dans leurs travaux, ils obtinrent du due de Ventadour la concession des terres avoisi- nantes, auxquelles ils donnerent le nom de Notre-Dame des Anges. L'acte qui leur accorde cette seigneurie est du mois de mars 1626. Elle s'etendait depuis la riviere Sainte-Marie, qui la separe de la seigneurie de Beauport, jusqu'a un ruisseau situe a 1'ouest du Lairet. La maison de Notre-Dame des Anges fut pendant plusieurs anne'es la principale residence des Je'- suites. Tout en instruisant les Francais et les sauvages, ils com- mencerent a donuer 1'exemple de 1'application a la culture de la terre. Les Peres et les Freres se livraient aux rudes travaux du de"frichement, et, des I'anne'e suivante, ils purent ense- niencer leurs petits champs. La concorde e*tait loin de re'gner parmi les membres de la compagnie du Canada. Au retour de son voyage a Quebec, Guil- laume De Caen essuya un proces intente par les anciens asso- ci^s. Outre cela, le due de Ventadour avait con^u du m^conten- tement centre lui. Les catholiques se plaignaient des insultes que recevait leur religion de la part des huguenots employe's en grand nombre par les sieurs De Caen. Ces iusultes avaient ^t^ telles, selon Champlain, que les sauvages commenqaient a t(5moigner du ni(3pris pour la foi qu'on leur annoncait ; Guil- (1) P. Le Clercq, EtablisKement de la foi. (2) Ifercure Franyau. 218 COURS D'HISTOIRE [1626 laume De Caen lui-meme avait inquiete' des framjais catholiques, durantson se"jour a Quebec, et avait voulu sur ses vaisseaux les forcer a assister aux prieres des calvinistes. Champlain et le P. Le Caron ayant fait des representations a ce sujet, le roi or- donna a De Caen de nommer un cominandant catholique selon les directions du vice-roi, pour conduire les vaisseaux au Canada. En vertu de cet ordre, le sieur de La Ealde fut mis a la tete de la flotte, sur laquelle Champlain retourna ik Quebec, avec Eustache Boulle" (1), son lieutenant, et le P. Joseph Le Caron. Ne pouvant trouver place sur les vaisseaux de la compagnie, les Jesuites avaient Iou4 du sieur de Caen un petit batiment qui porta le P. Noyrot, procureur des missions, le P. de Noue, un Frere et vingt homines engage's a leur service. Une com- mission nouvelle, accordee a Champlain, 1'autorisait a batir des forts, a instituer des officiers pour la distribution de la justice, pour le maintien de la police et des ordonnances, a faire la guerre et la paix avec les peuples sauvages, a ddcouvir un che- min pour aller par 1'occident au royaume de la Chine et aux Indes orientales, en un mot, a exercer sur les lieux tous les pouvoirs du vice-roi, pour le bien et le service de sa majeste" tres-chretienne. Pendant pres de deux ans que Champlain avait etc* absent les travaux de 1'habitation avaient langui, et le fort e*tait reste* dans 1'etat oii il 1'avait laisse". Les ouvriers perdaient une grande partie de leur temps, durant la plus belle saison de l'anne"e, a faire les foins au pied du cap Tourmente, et a les transporter de la. Pour parer a ees iriconvenients, il y fit batir des etables et deux corps de logis, et y envoya tous les bestiaux dont on n'avait pas besoin a Quebec. II songea aussi a faire re*pa.rer et achever le fort Saint-Louis ; mais, le trouvant trop petit pour recevoir tous les habitants dans un cas de ne'nessite', il le fit abattre, et le remplac,a par un autre plus grand dont 1'enceinte fut formed de fascines, de terres et de troncs d'arbres. De leur cote, les J^suites avaient mis leurs homines a 1'ou- vrage ; le P. Lalemant les occupait a batir, et a de"fricher les terres. " Us n'ont perdu aucun temps," dit Champlain, (1) Euxtache ItoulK, qui dcrait ;'i sa souiir, Madame do Chaniulain, sa conversion au Catholicism?, en fut touiours tendremcnt ainie. " II se reuuit n-ligioux minime ' comme pour la pr6cedr dans co saint 6tat. Elle, qui I'aimait uniqueincut, I'assista " avec taut de g6n6ronite qu'etant euvoy6 en Italic, on il denioura dix HUH. elle lui " founiit mille lirres par an, sans encompter sixmiilu t tous les meubles de saui6re " qu elle lui donna iv xa niort ; et depuis olle lui asf*igna quatre cents hvres de pen- " sion viagere." Ghronique de I'Ordre des Umulines. Vie de Marie-Heleuo Boull6. . 1627] DU CANADA 219 " coinme gens vigilants et laborieux qui marchent tous d'une meme volonte, sans discorde, qui eut fait que dans peu de temps ils eussent eii des terres pour se pouvoir nourrir et passer des cornmodites de France ; et plut & Dieu que, depuis vingt-trois a vingt-quatre ans, les societes eussent ete aussi reunies et poussees du meme desir que ces bons Peres : il y aurait maintenant plusieurs habitations et menages au pays." La culture des terres avait en effet ete grandement negligee ; car, lorsque les Jesuites arriverent, Ton avait a peines de- friche vingt arpents ; encore ce travail etait-il du, non aux compagnies, mais aux Eecollets et a la famille de Louis Hubert. Le Pere de None, compagnon du P. Noyrot, fut destine* a accompagner au pays des Hurons les PP. de Brebeuf et de la Koche-Daillon, qui avaient manque leur voyage Fete" precedent. Des difficultes furent suscitees de nouveau ; coinme le Pere de Brebeuf etait d'une haute stature, personne ue voulait se char- ger de lui, chacun le declarant trop pesant pour un canot. Enfin un sauvage plus hardi que les autres, ayant consenti a 1'em- barquer, les trois missiounaires se mirent en route pour le theatre de leurs travaux apostoliques ; ils y parvinrent peni- blement, mais sans accidents facheux (1). Le P. Daillon alia visiter la nation Neutre, ou des Attiouandaronk, dont le pays s'etendait entre celui des Hurons et le lac Erie. " Ce pays," ecrivait le Pere Eecollet, " est incornparablement plus grand, plus beau et meilleur qu'aucun autre de ces regions. II y a un nombre incroyable de cerfs, et grande abondance d'orignaux ou elans, castors, chats sauvages, et des ecureuils noirs, plus grands que ceux de France ; grande quantity d'outardes, coqs d'Inde, grues et autres animaux, qui y sont tout 1'hiver, qui n'est pas long ni rigoureux conime en Canada, et n'y etaient encore tombees aucunes neiges le vingt-deux de novembre, lesquelles ne furent tout au plus que de deux pieds de haut, et commencerent a se fondre le vingt-six Janvier. Le huit mars, il n'y en avait plus du tout aux lieux decouverts, mais bien en restait-il uu peu dans les bois. Les rivieres fournisseut quan- tite de poissons, et tres-bons ; la terre donne de bons bles d'Inde, plus que pour la ne"cessite .... II y a des citrouilles, feves et autres Mgumes a foison, et de tres bonne huile ; telle- ment que je ne doute point qu'on devrait plutot s'y habituer qu'ailleurs." Voila la plus ancienne description de la penin- sule huronne, qui est aujourd'hui la partie la plus fertile et la plus riche du Haut-Canada. (1) Le Clcrcq, Etablissement de iafoi. 220 COURS D'HISTOIRE [1627 Les missionnaires s'occupaient a baptiser les enfants, et a jeter au milieu des peuples les premieres semences de la foi catholique. II fallail beaucoup de temps avant que les ve'rite's se*veres du christianisme pussent faire impression sur 1'esprit de ces peuples, encore incapables de s'elever au-dessus des ide"es mate'rielles, et mettant le bonheui dans la jouissance des plus grossiers plaisirs des sens. La colonie e'prouva une perte re"elle, au commencement de 1'annee 1627, par la mort de Louis Hubert, 'qui, apres Cham- plain, avait pris la plus grande part a 1'e'tablissement de Quebec et a 1'avancement de la Nouvelle-France. " Q'a etc"," dit Cham- plain, " le premier chef de farnille residant au pays, qui vivait de ce qu'il cultivait." Tandis que les autres habitants per- daient leur temps a faire la traite avec les sauvages, Louis Hdbert avait compris que le plus solide fondemeut de la pros- pe"rite d'un pays nouveau, est 1'agriculture, qui attache le colon au sol, en lui fournissant les premiers besoins de la vie etlerendant ainsi iude"pendant de secours etrangers. II avait de'friche' et cultive" avec intelligence une portion de sa terre ; et deja, a sa mort, ses champs fournissaient largemeut a la subsistance de sa faniille (1). Des hommc'S, tels que Louis Hubert et son gendre Guil- laume Couillard, sont des bienfaiteurs pour un pays nouveau, dont ils deVeloppent les sources de ri chesses par leurs bons sens et leur travail sagement dirig^ vers la culture de la terre. Voila ce que ne pouvaient point comprendre les diffe'rentes compaguies qui se succedaient dans 1'exploitation des res- sources du Canada ; elles avaient hate de s'enrichir, et s'occu- paient peu de 1'avenir du pays. Ainsi le sieur De Caen, de qui Champlain avait espe're' plus d'attention aux inte'rets rdels de la colonie, songeait exclusivementauxavantages que pouvaitlui procurer le commerce des fourrures. De leur cote", les Je'suites poursuivaient leur ceuvre avec courage et avec intelligence (2). Le P. Noyrot, rentre en France, avait prepare", pour le printemps de 1627, un navire muni de tous les secours ne'cessaires pour 1'^tablissement de Quebec. De Caen prit ombrage de cet arme- ment, et comme il croyait avoir k se plaindre du Pere, qui (1) Le Clercq ; Etablutement de la Fui. Oil eiiterra Holeuuellement le corps de Louis Hubert dans le cinietiire d K6colletg au couvent de Saint-Charles. Le t.-rr:iiu ayant ete boulov'r86 plus tard, ou trouva 868 ossements eufermes dans 1111 ccn-iu'il de cedre. Eu 1678. le P. Valentin LeKoux, superieur des Kecollets, les fit transpor- ter dans la cave, de I'eglise de ces religienx, a la haute ville de Qaebec. Le corpa a Hfebert fut depose a cote de celui du F. Pacifique Du Plessis. (2) Voyaqet dt Champlain. 1627] DU CANADA. 221 e*tait proeureur des missions, il fit en sorte que le vaisseau des Jesuites fut arrete'. pendant qu'il ^tait encore a Tancre. Pour mettre le comble aux embarras de la colonie, la compagnie envoya cette anne'e fort pen de provisions a Champlain, qui en avait cependant un besoin extreme. La consequence naturelle de ces mauvaises mesures fut que le Pere Charles Lalemant reconduisit en France vingt travailleurs ; car il voyait que la colonie aurait a peine assez de vivres pour nourrir pendant 1'hiver les cinquante-cinq fran- qais qui restaient avec Champlain. II laissait a Quebec les Peres Masse et de Xoue, celui-ci venait de descendre du pays des Hurons (1). II ne manqua pas, aussitot qu'il fut arrive a Paris, de faire connaitre 1'etat pre'caire dans lequel se trouvait la colonie ; il informa le vice-roi que Champlain et ses hommes etaient dans un grand besoin de choses ne'cessaires par la faute de la com- pagnie, et que, si Ton n'y apportait un prompt remede, bien- tot le Canada serait perdu non-seulement pour la religion, mais encore pour la France. L'affaire avait deja e'te' porte'e au conseil du roi, a la t6t duquel e"tait alors un des plus grands miuistres des temps modernes, le celebre cardinal de Kichelieu. C'etait pre'cise'- ment dans le temps que I'arme'e royale se preparait a assie'ger la ville de LaRochelle, de venue le principal foyer de 1'agitation calviniste. Emportes par un esprit de revolte incomprehen- sible, les chefs protestants avaient, en 1627, recommence la guerre civile ; ils Etaient soutenus par 1'Angleterre et la Hol- lande, dont les flottes combiners attaquerent les c6tes de la France sur diffe'rents points, avant me>ine que ces deux puis- sances eussent fait aucune declaration de guerre. La ville de La liochelle, orgueilleuse de sa puissance sur les rners et del'e- tendue de son commerce, songeait & s'e"riger en etat democra- tique, tandis que le due de Rohan, chef du parti, desirait se placer a la tete d'un ^tat independant, a 1'exemple du prince d'Orange dans les Pays-Bas. Richelieu allait conduire 1'arm^e royale sous les murs de La Rochelle, afin de mettre fin a ces bouleversements periodiques, qu'amenait dans le royaume 1'es- prit remuant des religionnaires. Or, au moment ou il cherchait a arreter en France les progres du calvinisme, il ne pouvait per- mettre qu'on 1'implantat, au detriment du catholicisme, dans une colonie francaise Des 1'annde 1626, Ton avait dress^ (1) Du Creux, Historia Canadensig. 222 COURS D'HISTOIRE [1627 quelques articles pour 1'etablissement d'une compagnie de cent associes, destinee " a faire le commerce tant par terre que par mer au ponant et levant." Cette societe, sous le nom de compagnie du Morbihan, devait entrer en possession de la Nouvelle- France (1). Mais il ne semble pasqu'elle ait jamais recu une existence legale. Elle paratt cependant avoir conduit a la creation d'une compagnie qui occupe une large part dans 1'histoire du Canada. Devenu grand-maitre et surintendant general de la navigation et du commerce de France, Richelieu prit sous sa protection speciale la colonie de la Nouvelle- France. Apres avoir engage* le due de Ventadour a resigner sa charge de vice-roi (2), il entreprit de former une societe* puissante, capable de donner de la vie et de 1'importance a la colonie, et de procurer en ineme temps la conversion des nations sauvages. II trouva des auxiliaires de bonne volonte" dans les sieurs de Roquemont, Houel, controleur general des salines en Brouage, de Lattaignant, bourgeois de Calais, Dablon, syndic de Dieppe, Du Chesne, echevin de la ville du Havre- de-Grace, et Jacques Castillon de Paris. Le vingt-neuf avril 1627, le cardinal de Richelieu et les cinq personnes que nous venons de nommer, signerent 1'acte d'e"tablissement de la com- pagnie des Cent Associes, ou de la Nouvelle-France. Get acte commence par expliquer les causes qui ont entrave jusqu'alors les essais de colonisation (3). " Ceux aussi," y est-il dit, " qui avaient jusqu'a present obtenu pour eux seuls tout le commerce es dits pays, ont eu si peu de pouvoir ou de volonte* de le peupler et cultiver, que, jusqu'a present qu'il ya sept ans que les articles en furent dresses, ils ne se sont mis en aucun devoir, ni commence de satisfaire a ce dont ils s'e"- taient obliges. Car, biens qu'ils soient tenus de passer pour trente-six livres chacun de ceux qui voudraient aller au dit pays de la No uvelle- France, ils se sont rendus si difficiles et ont tellement effarouche les francais qui y voudraient aller habiter, que, bien qu'on leur permettre pour leur usage le commerce avec les sauvages, ne*anmojns c'est avec telle restriction, que, s'ils ont un boisseau da ble* par leur travail plus qu'il ne leur faut pour vivre. il leur est de"fendu d'en secourir les francais et autres qui en pourraient avoir besoin, et sont contraints de (1) Traite de la tfatrigation de P. Bergeron. . (2) Richelieu fit remettre au due de Ventadour la somme qjie celni-ci avait payee au due de Montniorency pour obtenir sa charge. Ces deux vice-rois ont leaue leurs noing, le premier a la Poiute-Levis ; le second 4 la riviere et an sant de Montmo- rency. (2) Mercure Franfait, Vol. XIV. 1627] r>u CANADA. 223 I'abandonner & ceux qui ont la traite ; leur e*tant de plus la libert^ ote'e de le donner a qui leur pourrait apporter de France les commouite's ne"cessaires pour la vie. " Ces de"sordres etant parvenus & ce point, mon dit seigneur le cardinal a cru etre obhW d'y pourvoir .... C'est pourquoi, ayant examin^ diverses propositions sur ce sujet, et ayant re- connu n'y avoir moyen de peupler le dit pays, qu'en revoquant les articles ci-devant accordes a Guillaume De Caen et ses associe"s, comme contraires a 1'intention du roi, mon dit sei- gneur le cardinal a con vie* les sieurs de Roquemont, Houel, Lattaignant, Dablon, Du Chesne et Castillon de Her une forte compagnie pour cet effet, s'assembler sur ce sujet et en pro- poser les memoires." Les associe"s s'obligerent & faire passer deux ou trois cents hommes dans la Nouvelle-France, des 1'annee 1628, etils de- vaient continuer d'en envoyer annuellement, de sorte qu'au bout de quinze ans la colonie renfermat au moins quatre mille francais catholiques (1). La compagnie devait les y loger, nourrir et entretenir de toutes choses necessaires a la vie, pendant trois anne'es ; ce temps expire", elle assignait a chaque colon une quantite de terre deTrichee, suffisante aux besoins de sa famille, et lui fournissait le ble necessaire pour les premieres semences et pour la nourriture jusqu'a la re"colte suivante. La compagnie e'tait encore tenue de placer dans chaque habi- tation trois pretres, auxquels elle devait donner pendant quinze ans tout ce qu'il faudrait pour la vie et pour Texercice du saint ministere. En retour des grandes de'penses qu'elle aurait & encourir, voici les avantages que le roi lui faisait. II lui accordait k perpe'tuite' le fort et 1'habitation de Quebec, " avec tout le pays de la Nouvelle-France, y compris la Floride que les rois pre*- de*cesseurs de sa rnajeste avaient fait habiter, et tout le cours des rivieres qui passent dans la mer Douce et se dechargent dans le grand fleuve Saint- Laurent, et aussi de celles qui se jettent dans la mer, les mines, ports, havres, fleuves, iles, etc. " Le roi ne se re'servait que le ressort de la foi et hommage, avec une couronne d'or de huit marcs a chaque mutation de roi, et la provision des officiers de la justice souveraine, nomme's et pre'sente's par les associ^s, quand il serait juge t\ propos d'en ^tablir. II donnait aux associe's libert^ de faire forger toutes sortei (1) Charlevoix, presque touiours tr^ss-exact, s'ost ici trompe : il a port & quinze niilli- le nombre d'hommea qu on devait fairn passer en Amerique, dana 1'espace do quinze a us. Du Creux, le Mercure Fran^ais. les MeniuireH des CommUsaireB a'ac- cordent tous Bur le nombre de quatre mille. 224 COUKS D'HISTOIRE [1627 d'armes offensives et defensives, de batir et fortifier des places, et de faire toutes choses requises soit pour la surete* du pays, soit pour la conservation du commerce ; et aussi droit de distri- buer les terres du pays avec les titres, honneurs, droits, pou- voirs et faculte's que la compagnie jugerait a propos d'accorder, des lettres de confirmation devant etre prises de sa majeste*, si Ton erigeait des duche"s, marquisats, comtes, baronnies. Toutes les concessions anterieures de terres etaient re"vo- que"es. Aux associes etaient remis pour toujours le trafic des cuirs, peaux et pelleteries de la Nouvelle-France, et, pour quinze ans a dater du premier Janvier 1628, tout autre com- merce par terre ou par mer qui se pourrait faire en quelque maniere que ce fut dans 1'etendue du pays. L'on re'servait la peche des morues et baleines, de'clare'e libre pour tous les Francais. Ne"anmoins les habitants du pays qui ne seraient ni nourris, ni entretenus aux de'pens de la compagnie pourraient librement faire la traite des pelleteries avec les sauvages, pourvu que les castors ainsi achetes fussent ensuite livres aux associes ou a leurs commis, tenus de payer chaque peau bonne, loyale et marchande, sur le pied de quarante sous tournois. Le roi promettait de faire aux associes don de deux vais- seaux de guerre, arme's, e'quipes et capables de porter deux a trois cents tonneaux. Les associes, manquant de faire passer quinze cents francais dans les dix premieres anne'es, devaient restituer au roi le prix des deux vaisseaux ; la nieme peine ctait imposed dans les cinq autres annees, s'ils ne"gligeaient de faire passer le reste des hommes. La compagnie etait autorise"e a nommer les capitaines de ces vaisseaux, lesquels prenaient leur commission du roi ; elle faisait choix des soldats et des matelots appeles a y servir. Les commandants des places et des forts dejk construits ou a construire, devaient tre nommes par le roi, et choisis parmi ceux qui, de trois en trois ans, lui seraient presented par la compagnie. Quant aux autres vaisseaux, la compagnie en don- nait le commandement a qui bon lui semblait, en la maniere accoutume'e. Pour engager ses sujets a se transporter dans la Nouvelle- France, et favoriser 1'e'tablissement de manufactures, le roi de'clarait : 1 Que tout artisan, ayant exerce son art ou me"- tier dans la Nouvelle-France pendant six ans, serait re'pute' maltre (1), s'il retournait dans le royaume, et pourrait tenir (1) La qualit^ de maitre dans un metier donuait le privil^^e et le droit d'avoir une boutique suit pour vendre des marciiaiidises, soit pour travailler a quelque manufac- ture. Ferriere, Dictionnaire de Droit. 1628] DU CANADA. 225 boutique dans Paris et autres villes, en rapportaut un certificat authentique de service ; 2 que, pendant 1'espace de quinze ans, toutes les marchandises provenant de la Nouvelle-France seraient exemptees de tous inapots et subsides, quoiqu'elles fussent voiturees et vendues dans le royaunie ; que pareille- ment " toutes munitions de guerre et autres choses necessaires pour 1'avitaillement et enibarquement a faire pour la France seraient exemptes et franches de toutes impositions et sub- sides pendant le meme temps ; 3 qu'il serait permis a toutes personnes, de quelque qualite qu'elles fussent, ecclesias- tiques, nobles, officiers ou autres, d'entrer dans la dite compa- gnie, sans deroger aux privileges accordes a leurs ordres ; que les cent associes pourraient meme en recevoir cent autres dans la compagnie ; et en cas qu'il s'en rencontrat parmi eux qui ne fussent point d'extraction noble, le roi en anoblirait jusqu'a douze ; 4 que les descendants des francais qui se fixeraient dans le pays,ainsi que les sauvages qui embrasseraient la foi catho- lique, seraient censes et repute's naturels francais, et jouiraient en France de tous les droits de sujets francais, sans etre teuus de prendre aucune lettre de declaration ou de naturalite". Par cet arrangement entre le cardinal de Bichelieu, grand mattre, chef et surintendant general de la navigation et com- merce de France d'un cote, et les cent associes, de 1'autre, Ton avait defini les obligations dont la compagnie demeurerait ehargee et les avantages que le roi accorderait en retour. Les associes deciderent de faire un fonds de trois cent mille livres. La societe recut le nom de compagnie de la Nouvelle- France; le maniement et la conduite des affaires fut remis a douze directeurs, munis de pleins pouvoirs pour nommer les officiers, distribuer les terres, etablir a leur gre des facteurs et des commis, faire generalement tout commerce loisible et per- mis, et disposer des fonds communs (1). L'acte contenant les articles accordes a la compagnies des Cent Associes est date du vingt-neuf avril 1627 ; ce ne fut que le six mai de 1'annee suivante que furent donne'es les lettres patentes du roi ratifiant ces articles. Bientot la compagnie re"unit plus de cent associes, a la te'te desquels etaient le cardinal de Richelieu et le marquis d'Effiat, surintendant des finances ; sur la liste, se trouvent les noms du commandeur de Eazilly, de Champlain, du celebre imprimeur (1) Ces rdglements ont beaaconp de ressemblance avec cenx qui, qnelqnes ann6es anparavant, avaient et6 donn6s en Angleterre a one compagnie naissanto des Indes Onentales. 226 COUKS D'HISTOIRE [1628 Se'bastien Cramoisy, de l'abb de la Magdeleine et de plusieurs des principaux marchands de Paris, de Rouen, de Dieppe et de Bordeaux (1). Fortement organise'e et soutenue par de puissants protecteurs, la societe" nouvelle donnait les plus belles espe'rances pour 1'avenir de la colonie ; si les conditions qui lui etaient impose'es eussent e'te soigneusement observe'es, la Nouvelle-France aurait grandi rapidement et serait de ve- nue assez forte pour register a ses ennemis. Les associe's se montrerent pleins de zele dans les commencements. Dans 1'annee 1628, ils e"quiperent quatre navires, qui furent places sous le commandement du sieur de Roquemont, 1'un des mem- bres de la compagnie. Un batiment, fre'te' par le P. Noyrot pour le compte des J6" suites, se joignit & la flotte, qui fit voile de Dieppe le trois mai. Avec le P. Noyrot Etaient deux Freres coadjuteurs, tandis que les Peres Charles Lalemant et Rague- neau Etaient monte's sur les navires de la eompagnie. Mal- heureusement ces secours n'arriverent point ^i Quebec; ils furent enleve's par les ennemis, et ainsi les premiers efforts des associes furent rendus inutiles par des malheurs qu'ils n'avaient pu prevoir. (1) DuCreux. Historia Canadensis. 1628] DU CANADA. 227 CHAPITRE SEPTIEME David Kertk s'eiupare de Taduu.ssac Tl fuit sommer Champlain tli' lui i-eiucttiv 1'liR- bitation de Quebec Noble repotim- ! nioiiif Nicholas M;usnlct, interprdte monU- ffnais et alffonquill, qui. qui;lque8 anuses plus tard. esi mentionn ii;iiis Ifs rr-isin-s t dansle Journal desJAwiltea. A rcitcilri-niiT<- rpoquc. il t-tait duvcuii ban boorgeoia de Quebec, i-lcvant bunndtemeut avc<- sa frmnn-. .Minir Le Barbier, In uuinbi-euse I'ainille ijiril en avait -ue. 11 avair o!>tcin. la oonoeoaion de plnnieon tiet's, sin- 1'un dcsqiit-ls. li-s prairies dc Maisol. t, pies des Trois Rivtore*, ou il alia di-incuror. Ses di-sc.i-n.Iaiits sont enoorenombreuz dans le district des Trois- .Kivieren. Une de 8M flllea upoUM le sieur Daiiioui.-,. ineinbre du conseil .>upi in in ; iiin- autre .M- iiiaria avec .I-au I.eMire iiii.eetri- me foule de details et de rep6titions, propres a fournir un beau champ aux chicanes des avocats. Apres avoir euum6re tous les grands titres de propruite, elle descend dans des particularities tout a fait curieuses: " Nous accordons aussi la possession des maisons, edifices constrnits. ou a construire, jardins. plaines, bois, marais, chemius, routes, caux, 6taug.s, ruisseaux, ^res, paturages, moulins, droits de.s grains moulus, chasse'des oi.seaux et des b6tes tauves, peches, tourbes et tourbieres, charbons et charbonnieres, lapins et gareiines, colonibiers et pigoonniers, ateliers, forges, bruyeres. genets, foret, bois de haute f utaie, bois tallies, arbrisseaux, carrieres, matiei-es a faire de la chaux, avec cours de justice et leurressort, droit de seigneur sur les vasseaux, droits de remise, droits d'aubaine dans les manages, droits de fourche et lieux patibulaires, culs-de-fosse, droits de frauclie-court, de sok, de sak, thole, thane, infangthief, outfangthief, out- wrark, wavi, week, venysone, pit et gallous, etc., etc." (1) De Laet, Histoire du Nouveau-Monde, liv. II, ch. xxm. (2) Voyages de Champlain, vol. II, liv. 1, oh. VIII. Apres la mort de son pere, le jeune Biencourt prit le nom de Poutrincourt. qui passait an chef de la i'umillo. 11 continua d'etre appe!6 tantot Biencourt, tantdt Poutriucourt. 246 COUES D'HISTOIRE [1630 roi par Charles- Amador de La Tour, commandant alors dans 1'Acadie (1). Le nom de La Tour occupe une large place dans la pre- miere partie de 1'histoire de 1'Acadie. Claude Turgis de Saint- Etienne sieur de La Tour, avait quitt Paris avec son fils Charles-Amador, age* de quatorze ans, pour se fixer dans 1'Acadie aupres de Poutrincourt, qui dans ce temps fondait Port-Royal. Quelques revers de fortune paraissent avoir en- gage" Claude de La Tour a prendre ce parti. Lorsque les e'tablissements francais furent detruits par Argall, en 1613, Charles de La Tour s'attacha a Biencourt, qui, avec plusieurs autres francais, se refugia au milieu des Souriquois. Vetus comme les sauvages, les deux amis vivaient comme eux de la chasse et de la p6che, attendant des secours de la mere patrie. En ayant enfin recu, ils purent se maintenir dans le pays, et conserver plusieurs postes. Charles de La Tour fut d'abord enseigne, puis lieutenant de Biencourt, qui, en rnourant, lui le'gua ses droits sur Port-Eoyal, et le nornma son successeur dans le commandernent (2). Pendant les quatre annees suivantes, il vecut oublie au fort Saint-Louis du cap de Sable (3). Vers ce temps, les anglais de Kinibeki et de Chouacouet formerent le dessein de chasser les Francais de 1'Acadie, afin de les priver de toute part dans les pe'cheries et dans la traite des pelleteries. Ce projet e*tait peut- 6tre lie* avec les plans de colonisation de sir William Alexander. A cette occasion,. Charles de La Tour adressa a Louis XIII uue lettre, dans laquelle il demandait d'etre nomine* commandant sur toute la cote de 1'Acadie. II espe'rait reussir a se defendre avec sa petite bande de francais et les guerriers d'une centaine de families souriquoises, qui lui e'taient sincerement attachees. Cette lettre fut confiee a Claude de La Jour, qui 4evait plaider la cause de son fils aupres du roi. Malheureusement le coup pre'pare' par les Anglais centre 1'Acadie se fit avant 1'ar- rive"e des secours de France. Kertk, parti en 1628 avec uue flotte de dix-huit vaisseaux, prit possession de Port-Eoyal au nom de sir William Alexander, et y laissa, a ce qu'il paratt, quelques families e"cossaises. Presse" de s'emparer de Quebec pour son propre compte, il n'essaya pas de re'duire les autres postes de 1'Acadie. Cependant il prit, sur un des vaisseaux de (1) Lettre du sieur de La Tour au roi ; Collection de M. P. Margry. (2) Lettre du sieur de La Tour. (3) Le port sur lequel 6tait sitne le fort Saint-Louis portait le nom de Port La. Tour ou Lomerou. 1630] DU CANADA. 247 Boquemont, Claude de La Tour, qui revenait de France pour rejoindre son fils dans 1'Acadie. Conduit en Angleterre comme prisonnier, La Tour, qui e"tait huguenot, laissa ebranler sa fidelite envers son souverain. II trouva a Londres, parmi ceux de sa religion, des amis, qui le pousserent a trahir son pays, en lui faisant epouser une dame de haute condition, probablement proche parente de sir Wil- liam Alexander (1 ). Celui-ci esperait se servir de La Tour pour faire valoir ses droits sur 1'Acadie, et entrer en possession des postes occupes jusqu'alors par les Francais ; car les Anglais n'avaient pu encore prendre pied dans le pays. En 1630, sir William Alexander nomma les deux La Tour baronnets de la Nouvelle-Ecosse et leur ceda tous ses titres et ses droits aux terres de 1'Acadie, se reservant toutefois le droit de seigneurie et le fort de Port-Koyal (2). Claude de La Tour croyait que son fils se laisserait gagner a la cause de 1'Angle- terre, par les avantages nombreux qui lui etaient offerts de ce cote. Ce don etait accorde, suivant 1'acte de concession, " en consideration des grandes depenses que le sieur Claude Saint- Etienne avait faites en batiments et en faisant valoir le pays, pour la grande amitie' et les services qu'il avait rendus a sir William Alexander, a condition que les dits sieurs Saint- Etienne continueraient d'etre bons et fideles sujets du roi d'Ecosse." Muni de pouvoirs e'tendus, et ayant a sa disposition deux vaisseaux armes en guerre, sur 1'un desquels il s'embarqua avec sa femme, Claude de La Tour se rendit, en 1630, au cap de Sable. II s'aboucha avec son fils, dans 1'esperance de 1'engager a remettre son fort aux Anglais, et il lui deVeloppa toutes les propositions dont il e*tait porteur. Charles de La Tour devait garder le commandement de son fort ; il e"tait nomine baronnet, et on lui accordait, pour lui et ses he'ritiers, la possession des cotes de 1'Acadie (3). Son pere et sa belle- mere s'offraient de rester aupres de lui, comme cautions des bonnes intentions et des promesses du roi d' Angleterre. Ces offres Etaient se"duisantes sans doute ; mais elles ne purent Ebranler la fidelite* du fils (4j. (1) Denys, Description Geographique, etc. (2) Memoires des Comrnissaires, etc. - (3) Denvs rapporto que Charles de LaTour re^iit anssi par les mains de son p6re 1'ordrede la jarretier* ; les autres meraoires du temps n'en disentrien. C'est dans une visite qn'il fit :i Charles de La Tour que Denys apprit cette circonstance. II pent se faire qn'il ait confondu avec 1'ordre de la jarretiere le nouvcl ordre de baronnets qne venait d'etablir le roi d' Angleterre. (4) Denys, Description Geographique, etc. 248 COURS D'HISTOIKE [1631 II repondit qu'il avait beaucoup d'obligation au roi d'Angle- terre, qui se montrait si bienveillant a son e"gard, mais que son maltre e"tait capable de reconnaitre sa fidelite ; que, pour lui, il ne pouvait remettre la place, ni recevoir d'autre commission. Les commandants des vaisseaux anglais employerent inutile- ment les plus belles paroles pour le persuaber ; il demeura ferme dans sa resolution, et avertit son pere que, vu les circonstances presentes, ni lui ni sa femme n'entreraient dans le fort. Ne pouvant reussir par les promesses a vaincre la fermete du commandant francais, les Anglais entreprirent de lui enlever son fort de vive force. Le lendemain, ils firent des- cendre & terre une partie de leurs hommes, et coinmencerent 1'attaque. Le combat dura tout le jour et toute la nuit ; il fut peu favorable aux Anglais, qui eurent beaucoup de soldats blesses et tus. Le jour suivant 1'attaque fut renouvele'e centre le fort par des troupes plus nombreuses ; mais le succes n'ayant pas ete" meilleur, 1'entreprise fut abandonnee par Claude de La Tour, qui, avec les colons ecossais, au nombre d'une cen- taine, se retira k Port-Eoyal (1). Ce fut pen de temps apres ces evenements qu'arriverent au cap de Sable les deux vai>seaux envoyes par la compagnie sous les ordres du capitaine Marot. Charles de La Tour fut tres-aise de se voir inopine"ment secouru, apres avoir e'te' si longtemps livr^ k ses seules ressources. Un pen plus tard, il recut une nouvelle preuve de la confiance qu'avait inspir^e sa conduite ; car, au mois de fe"vrier 1631, il fut nomme lieutenant general de I'Acadie, Fort Saint-Louis, Port de la Tour (2). II ^crivit alors a son pere pour lui donner avis de sa nomination, et en meme tomps pour 1'engager & rentrer dans le devoir envers son souverain. II n'en fallait pas tant pour ramener Claude de La Tour. N'espe"rant point faire fortune avec les Anglais, qui n'avaient plus rien & attendre de lui, il se rendit avec sa femme aupres de son fils, a qui il rapporta que de graves maladies avaient re'gne' dans Port-Eoyal pendant 1'hiver, et que trente de ses Ecossais etaient morts. Suivant une condition qu'il avait accepted, Claude de La Tour ne fut pas admis au fort, mais il se logea dans une petite maison, que son fils lui fit batir a quelque distance, et ou le sieur Denys (3) rapporte 1'avoir visite (1) Ce bean tcait de courage et dn fidelite a inspir6 un jeune poete canadien, M. Gerin-Lajoie, qui a chante lu siege du fort Saiut-Louis. (2) Archives provinciates. (3) Denys, Description Qeoyraphique. 1631] DU CANADA. 249' en 1635. La presence de Claude de La Tour a Port-Ikry al avait contenu les sauvages des environs ; mais a peine fut-il parti pour rejoindre son fils, que les families e"cossaises furent atta- que'es et tenues renferm^es dans leur fort. Mauquaut de tout secours, les malheureux colons moururent du scorbut, ou furent massacre's par les Souriquois. Une seule famille echappa, grace & la protection de quelques francais, et se joignit dans la suite a la colonie du commandeur de Eazilly (1). Cependant Kichelieu voulait obtenir raison de 1'Angleterre, au sujet de la prise de Quebec. Les Anglais convenaient volon- tiers qu'ils s'en e*taient empare's apres la conclusion du traite" de paix eutre les deux cours. Charles I avait ordonne de le restituer au plus tot a ses maitres le'gitimes ; et ne"anmoins pres de deux ans s' etaient e'coules, sans que les Anglais se fussent de'cide's a remettre le Canada eutre les mains de la France. Louis Kertk avait voulu gagner I'amitie' des sauvages ; mais il n'avait pu encore leur faire oublier les Francais (2). Cette cir- constance, publiee en France par des navires qui venaient de trafiquer vers Tadoussac, engagea a faire de nouveaux efforts pour reprendre possession du Canada. Les missiounaires sol- licitaient en cour la permission de retourner vers leurs ouailles ; de son cot la compagnie des Cent Associe"s adressait des remontrances au sujet des pertes qu'elle dprouvait par ces retardements. Cependant les ministres etaient partage's d'opi- nion touchant le re* tablissement de la colonie. Le Canada, valait-il la peine qu'on entamat des negotiations avec I'Angleterre pour le reprendre ? Toutes les tentatives faites sous Francois I, pour fonder des colonies sur les cotes de 1'Ame'rique, avaient comple- tement echoue' ; en dirigeant des families franchises vers le Ca- nada, le royaume etait expose* a se depeupler, comme 1'Espagne s'^tait d^peuplee par ses dtablissements au Mexique, au Perou et au Paraguay ; il faudrait de grandes de'penses pour resister aux Hollandais et aux Anglais, qui entretenaient d^ja des colonies puissantes, depuis la Floride jusques a 1'Acadie, ces peuples re"ussissant mieux que les Francais dans les pays nou- veaux ; on ne pourrait jamais amener les sauvages a adopter les manieres et les mceurs des Europ^ens, ni les engager dans les intere'ts de la France. Voilk quelles etaient les objections (1) Archives de la marine. Memoire de La Mothe- Cadillac sur VAcadie, Janvier 1720. En 1685, la Mothe-Cadilac vit, a Port-Royal, deux hoiumes de cette famille, qui s'etaient faita caiholiques et avaient epou6' de frangaiges. Leur mere s'etait retiree a Boston, oil elle yivait eiicore, ag6e de quatre-vingt-dix ans. (2) Le Clercq, Etablissement de la foi. 250 COTJRS D'HISTOIKE [1631 soulevees centre le prqjet de reprendre Voeuvre de la colonisa- tion (1). Des homines plus clairvoyants alle"guaient, au contraire, de tres-fortes raisons en sa faveur. Les pecheries de Terreneuve, du Cap-Breton, de 1'Acadie et de 1'ile Perce'e occupaient deja de mille a douze cents na vires francais ; elles etaient des mines intarissables pour la France, a laquelle elles appartenaient par droit de premiere possession; la pe'che des marsouins, des baleines et des loup-marins, faite dans ces parages par les Basques, fournissait une quantite prodigieuse d'huiles, qui etaient necessaires aux manufactures du royaume. On avait decouvert de 1'e'tam, du plomb, du cuivie et du fer en plusieurs endroits de la Nouvelle-France ; il s'y trouvait de riches mines de charbon de terre, et les forets offraient en abondance des bois propres aux constructions navales. Beaucoup de francais etant portes par le gout des aventures a laisser le royaume, il n'y avait gueres de pays en Europe ou ils ne fussent en grand nombre : or le Canada renfermait de vastes contre'es, ou ils pourraient satisfaire leur penchant pour les voyages, et fonder des colonies sans que la population du royaume en fut affaiblie. Le commerce des pelleteries prenait une grande valeur, la cornpagnie ayant rapport^ annuellement pour cent mille ecus de peaux de castor. Ces raisons etaient fortes, et elles preva- lurent. Le cardinal de Eichelieu etait jaloux de placer la France au premier rang parmi les nations de 1'Europe ; son ge'nie supe- rieur avait compris que la marine francaise devait puissam- ment contribuer a atteindre ce but. Aussi cherchait-il les moyens les plus propres a 1'entretenir, a 1'augmenter et a la rendre formidable. Les colonies et les pecheries exigent de nombre ux vaisseaux ; elles servent a nourrir et a vivifier le com- merce ; les navigations lointaines et hasardeuses sontf la meil- leure eeole pour former des rnatelots hardis et adroits. Ainsi les colonies et les pecheries procurent le double avantage d'alimenter le commerce, et de fortifier la marine d'un e"tat. La Nouvelle-France, offrant ces deux resultats a la mere patrie, ne pouvait etre abandonnee sans qu'on causat un grand tort a la marine francaise et, par contre-coup, a la puissance du royaume. Cette consideration suffit pour engager Eichelieu a conserve! 1 les vastes regions de I'Amerique, qui appartenaient a la France et par la premiere possession et par les traitds. D'ail- (1) Le Clercfi, EtaUisscment dc lafoi. 1632] DU CANADA. 251 leurs la gloire de la nation y e*tait directement interessee ; en pleine paix 'avec 1'Angleterre, le pavilion francais avait ete insulte" par des anglais : il devait etre releve et replace avec honneur, aux lieux memes ou 1'injure avait ete commise. Ainsi, la colonie francaise du Canada rencontra Tine source de vie dans les efforts que firent ses eunemis pour la de"truire ; si elle n'avait ete prise par les Anglais, Ton aurait continue a ne s'en pas occuper, et Ton aurait ignor^ les avantages qu'elle offrait a la population surabondante de la France. Les negotiations trainaient en longueur depuis deux ans, lorsque le cardinal ministre se decida a employer I'argument le plus capable de convaincre la cour d'Angleterre ; il fit armer en guerre une flotte composee de six vaisseaux et de quatre pataches, pour aller prendre possession de la Nouvelle-France. Le conimandeur de Eazilly, homme de conseil et d'energie, fut charge de la conduire a Quebec. Portee a Londres, la nouvelle de cet armement engagea le roi d'Angleterre a prendre son parti et a restituer la colonie francaise a ses premiers maitres. L'effet voulu par Eichelieu ayant ete obtenu si prompte- ment, 1'ordre donne a Eazilly fut contremande, et, le vingt-neuf mars 1632, un traite entre les deux couronnes fut conclu a Saint-Gernaain-en-Laye. Par les articles de ce trfeite', le roi d'Angleterre promettait " de rendre et restituer a sa majeste tres-chretienne tous les lieux occupe's par les Anglais en la Nouvelle-France, 1'Acadie et le Canada ; " d'ordonner a tous ceux qui commandaient a Port-Eoyal, au fort de Quebec et au Cap-Breton de remettre ces lieux, huit jours apres la notifica- tion, aux officiers nommes par le roi de France, et de faire reparer les dommages causes au sieur De Caen et aux autres individus, qui avaient des interets a Quebec lorsque Kertk s'en etait empar^. Quand il s'agit d'envoyer quelqu'un pour prendre possession du Canada, Ton songea d'abord a Champlain ; mais la compagnie n'avait ni vaisseaux pour faire le voyage, ni fonds pour en obtenir (1). Ainsi Ton crut qu'il valait rnieux charger de cette affaire Guillaume De Caen, qui, a de grande richesses, joignait de la moderation. D'ailleurs, comme la prise de Quebec par les Anglais lui avait cause' de graves dommages, il sem- blait juste de lui fournir 1'occasion de reparer ses pertes. En consequence, le roi lui accorda la jouissance des revenus du pays pendant une anne'e, apres laquelle Champlain devait (1) Du Creux, HiBtoria Canadensis. 252 COURS D'HISTOIRE [1632 reprendre son ancienne charge. Emery De Caen fut done envoye" a Quebec, comrae commandant non-seulement de la flotte, mais encore de toute la colonie. Sous ses ordres fut place le sieur Du Plessis Bochart, dont la presence dtait propre a contrebalancer les tendances calvinistes du chef. Kichelieu n'oublia pas les missions. Pour obtenir des mission- naires, il s'adressa d'abord aux Capucins. Cenx-ci ayant repre- sente qu'il n'e'tait pas juste de priver les premiers ouvriers du fruit de leurs travaux, le retour des Jesuites fut decide. Les Peres Anne de None et Paul Le Jeune, siipe'rieur de la residence de Dieppe, partirent sur les vaisseaux qui firent voile du port de Honfleur, le dix-huit d'avril 1632. De Caen arriva a Quebec au commencement de juillet ; il avait deja expe"die un courrier a Thomas Kertk, qui commandait alors en ce lieu, pour lui communiquer le re'sultat du traite de Saint-Germain, et lui intimer, de la part des deux rois, 1'ordre d'evacuer le fort dans 1'espace de huit jours (1). L'officier anglais, ayant lu les ordres signe"s de la main de son souverain, promit qu'il sortirait dans le temps marque. II regettait sans doute ce changement dans les affaires ; car, dans une seule annee, il avait exporte de Quebec des pelleteries au montant de trois cent mille livres. Ses gens au contrair^ furent tres-satisfaits ; depuis quelques mois, en effet, ils avaient beaucoup souffert de la faim et du mal de terre, qui avait enleve quatorze hommes dans un seul hiver. Le treize de j uillet, Quebec fut rernis entre les mains d'Emery De Caen et du sieur Du Plessis Bochart ; et, le meme jour, les Anglais firent voile sur deux na vires charges de pelleteries et de marchandises (2). II y avait de"ja pres de trois ans qu'ils s'e"- taient empare's du Canada. Les francais reste's dans le pays avaient trouve" ce temps bien long ; aussi furent-ils reniplis de joie, lorsqu'a la place du pavilion anglais ils virent flotter le drapeau blanc. Leur satisfaction fut complete quand ils purent assister au saint sacrifice de la inesse, qui fut ce'le'bre' dans la demeure de la famille Hubert. Depuis le depart de Champlain, ils avaient ete prive's de ce bonheur (3) ; et, pour (1) Mercure Fran5ais. (2) DuCreux, Histnria Canadensi*. (3) L'anteur U CANADA. commun, ils pouvaient arreter so* courses et dvmpter son orgueil. Mais, pour rendre cette ligue effective, il fallait promptemeut soutenir les Hurons, sur lesquels les Iroquois preuaien.t depuis quelque temps un ascendant marque dans la guerre ; il fallait venir au secours de cette nation alliee, avant qu'elle ne fut trop affaiblie. Quelques forts et cent cinquante fraucais bien srmes auraient alors suffi . pour repriiner 1'audace des cinq nations, qui ne possedaient encore que peu d'aimes a feu. Voila ce que Champlain marquait au cardinal, dans la derniere lettre que nous avons de lui (1). Quant aux missionnaires, il etait naturel qu'ils choisissent, pour centre de leurs operations, un pays ou habitait un peuple intelligent, et d'ou ils pouvaient evangeliser une grande partie des tribus de I'Amerique du ISTord. Force leur fut cependant de remettre a une autre anne"e leur campagne evangelique, quoiqu'ils fussent en nombre suffisant pour la commencer. Le P. Le Jeune, voyant la porte fermee du cote" des Hurons, et sachant que Quebec posse'dait plus de prtres qu'il n'en fallait, partit pour aller passer 1'hiver avec une petite bande de montagnais, dans la vue d'apprendre plus facilement leur langue. II s'associa a la famille de Mestigoit, partageant la maigre pitance et toutes les miseres de la cabane, se soumet- tant aux desagrements d'un genre de vie fort difficile pour un homme accoutume aux habitudes et aux cornrnoditesdel'Europe. Dans le temps que Champlain e"tait forcement retenu en France par suite de 1'expedition des Kertk, il avait promis que, s'ilrentrait a Quebec, il erigerait une chapelle sous le vocable de Notre-Dame de Recouvrance ; il accomplit son vceu, Famine nieme de son retour. La chapelie qu'il construisit fut batie pres du fort Saint-Louis (2), et elle devint la premiere eglise paroissiale de Quebec. On y placa. un tableau recouvre du naufrage dans lequel perit le P. Noyrot. Ballotte par la mer et jete* sur la cote par les Hots, ce tableau fut recueilli sans avoir e"te gat^, et fut envoye a Quebec pour orner la chapelle votive de Champlain (3). Get edifice ne fut pas longtemps suffisant pour la population francaise, qui, chaque a nnee, s'ac- croissait par Tarrivde de nouveaux colons, et bientot apres il fallut 1'agrandir considerablernent. " Yoritablement, " ecri- (1) Lettre do Cliarn plain nu cardinal de Iliclu-Iicu, 15 aofit Hi35. (2) Ellu <':tait snr riunplacement on dans 1 voisinagi- iinniediat nglicane actuelle. (3)Arcliives du Sfiiuiuaire ;t de In parois.se di- Xotrf-Puiii" dc (^ 266 COURS D'HISTOIEE [1634 vait en 1636 le P. Le Jeune, " noiis avons sujet de benir Dieu, voyaut que 1'accroissement de nos paroissiens est raugmenta- tion de ses louanges. Les premiers sacrifices de la messe que nous presentames en ces continues furent offerts dans un mediant petit taudis, qui maintenant nous ferait honte. Nous nous servimes par apres d'une chambre ; puis on fit batir une chapelle ; on a tache de la changer en eglise, I'augmentant de moide* ou environ, et avec tout cela, les jours de fetes, les deux premieres messes * sont si frequentees, que cette petite eglise se voit remplie d'un bout a 1'autre. " Le retour des Francais au Canada avait produit quelque niouvement dans les provinces maritimes de 1'ouest de la France, et particulierement dans la Nomiandie. De plusieurs cotes Ton faisait des offres de service ; des personnes pieuses envoyaient des aumones, soit pour les missions, soit pour rinstruction des Franqais et des sauvages; dans plusieurs conmiuiiautes, des religieuses se presentaient pour aller soi- gner les malades, ou clever les jeunes filles ; quelques-unes, meme, s'y qtaient engagees par vceu. Des families chretienues, desirant chercher la paix dans les solitudes du nouveau monde, demandaient des renseignements sur les a vantages que pouvait leur offrir le Canada. Get inte'ret fut excite par les relations que les Jc'suites envoyerent en 1632 et 1633. Iniprirnees et repandues u Paris et dans les provinces, elles avaient attire retention publique sur la colonie. De Dieppe, de Eouen, de Honfleur et de Cherbourg, partirent quelques jeunes gens pour tenter fortune sur les bords du Saint-Laurent ; plusieurs peres de famille les suivirent, et bientot le niouvement s'etendit au Perche, a la Beauce et a l'lle-de-Franee. 1'our rendre Immigration plus facile, des associations se for- merent. Une des plus heureuses fut etablie a Mortagne, en 1634, sous la direction du sieur Robert Giffard, qui connaissait d^ja le Canada ; il avait visite Quebec, comme mMecin atta- che aux vaisseaux qui s'y rendaient annuellemeut. D'apres Sagard, il s'y trouvait pendant 1'ete de 1627, et s'etait meme bati une cabane pres de la riviere de Beauport, pour y jouir des plaisirs de la chasse. II retournait a Quebec en 1628, lorsqu'il fut fait prisonnier par les Anglais, sur uu des vaisseaux de M. de Ro |uemont. En retour des services qu'il avait rendus, la compagnie de la Nouvelle-Frarice lui concdda la terre de Beau- port, le quinze Janvier 1634 (1). M. Giffard engagea des arti- |1) " Ij'i compa^iiie de la Nonvellc-France, aynnt reconnn on plusiears occasions lo zelc du sieur Giffurd pour 1 etablissement de la colonio do la Nouvclle-Prance 1634] DU CANADA. 267 sans et des laboureurs percherons a s'unir a lui pour aller exploiter sa seigneurie ; par des actes passes a Mortagne, il s'obligea a leur distribuer des terres, en leur imposant des conditions faciles. Des le printenips de la. meme annee, il SQ met en route avec sa famille et ceux d'entre ses censitaires qui se trouverent prets a entreprenclre le voyage, les autres devant le rejoindre dans les annees suivantes (1). Giffard, s'embarqua a Dieppe, sur un des quatre vaisseaux qui se ren- daient au Canada sous les orclres du sieurDu Plessis-Bochart. Arrives a Quebec au niois de juiu, ses colons se mirent vigou- reusement a 1'oauvre ; ils construisirent un manoir pour le seigneur, quelques modestes maisons pour les censitaires, et deTricherent la terre pour y jeter les premieres semences. Sous 1'habile direction du chef, le petit etablisseinent de Beauport s'assit bientot sur un terrain arrache' a la foret, et, des 1'automne suivant, le village naissant se dressait gaie- ment en face de Quebec, au-dessus de la magnifique nappe qu t nm fois 1'an, sur les papiers et sur les gazettca que quelques-uus apporteut do 1 aucienne France." (2) Voir Appendice C. 1635] DU CANADA. sequence la cour de France donna des ordres precis pour empe'cher d'en faire passer d'autres dans la Nouvelle-France. Les soupcons entretenus centre les agents des sieurs De Caen, la trahison ouverte des Kertk et de plusieurs calvinistes francais qui combattirent sous leurs ordres centre la France, e"taient bien propres en effet a preVenir le gouvernement centre Tentr^e des religionnaires dans la colonie. Les francais eureut aussi a regretter la defection de Claude de La Tour et de Radisson, qui tous deux etaient huguenots. Cependant, malgre les defenses de la cour, quelques-uns pe'ne'traient de temps en temps dans la colonie, et finissaient ordinairement par devenir catholiques. Quelles que soient les opinions qu'on puisse entretenir sur 1'article de la tolerance religieuse, il faut avouer que 1'exclusion des huguenots a eu pour effet de pro- curer plus de liaison entre les differents elements de la socie"te* canadienne, et d'emp^cher de graves divisions a I'inte'rieur. Dans 1'histoire des premiers temps de la colonie, 1'on remar- que une classe d'hommes qui ont joue" un grand role dans les rapports des Franqais avec les nations sauvages. Ce sont les interpretes, qui Etaient charges par les gouvernements et par les compagnies de traiter avec les Iribus sauvages. La plu- part d'entre eux Etaient des hommes hardis et intelligents, qui, attires par 1'amour de la liberte" et le desir de faire des d^couvertes, s'etaient avances dans 1'interieur du pays et avaient vecu au milieu des peuplades indigenes, apprenant leurs langues, se formant a leurs coutumes et adoptant quelquefois la ludesse et la liberte de leurs mceurs. Generalement admia a faire partie de la nation dans les villages de laquelle ils de- meuraient, ils Etaient regaid^s comme ses enfants, et acque"- raient, au moyen de leur adresse et de leur e"nergie, une grande autorite dans les conseils. Lorsque plus tard les cir- constances les ramenaient parmi leurs compatriotes, ils deve- naient fort utiles par la connaissance des langues sauvages, et par les liaisons qu'ils conservaient avec leurs freres de la for^t. Comme interpretes, ils recevaient un traitement de la compagnie, a laquelle ils rendaient beaucoup de . services pour le commerce des pelleteries. Les plus renomm^s d'entre eux, sous le gouvernement de Champlain, furent Etienne Brule", Nicolas Marsolet, Jean Nicollet, Francois Marguerie, Jean Godefroy et Jacques Hertel. Plusieurs de ceux-la devinrent fondateurs des meilleures families du pays. L'autorite* de Champlain 4tait fort e"tendue, et Ton a bien le droit de lui attribuer le bien qui est resulte* de son administra- 19 276 COUKS D'HISTOIRE [1635 tion, puisqu'elle avait un large champ, pour le mal comme pour le bien. Dans sa personne il re'unissait les fonctions de l^gislateur, de juge et d'administateur. D'apres la commis- sion qu'il recut en 1625, il avait le droit " de batir des forts, de faire la paix ou la guerre avec les nations sauvages, de com- mettre, e"tablir et substituer tels capitaines et lieutenants que besoin serait ; faire observer les lois et reglements mentionnes dans la commission, par ceux qui seraient sous sa charge et son commandement, de commettre des officiers pour la distri- bution de la justice et entretien de la police, reglements et or- donnances." Dans une communaute" du genre de celle qui existait alors a Quebec, Ton ne pouvait s'astreindre a suivre les formes re"gu- lieres des cours de la mere patrie ; Ton est cependant fond4 a croire que la coutume de Paris avait e'te' adoptee, et e"tait observe'e autant que le permettaient les circonstances. Bignon, substitut du procureur general, dans le proces suscite" a 1'oc- casion du testament de Champlain, observe que " ce testament est impugn^ comme defectueux en la forme, pour n'etre fait selon les solennite's prescrites par les coutumes de France, particulierement celle de Paris, que Ton dit devoir etre observe'e en la Nouvelle-France jusqu'a ce qu'il y ait d'autres lois Mgiti- mement etablies." Champlain avait nomm des officiers de justice. Dans une piece conservee par le Frere Sagard, il est fait mention d'un procureur du roi, d'un lieutenant du prevot, et d'un greffier de la juridiction de Quebec ; il nous reste un acte de 1634, qui declare que cette juridiction avait e*t e*tablie en vertu des commandements du roi et du cardinal due de Richelieu. Les affaires de quelque importance e*taient ndanmoins soumises a la decision du gouverneur, qui se faisait probablement assister de quelques assesseurs ou conseillers, comme le fit plus tard M. de Montmagny. Ainsi, dans une discussion qui eut lieu en 1635 entre les sieurs Gaspard Boucher et Thomas Giroust, les plaintes furent adresse"es a Champlain lui-meme ; mais, comme il e"tait alors malade, il ne put entendre la cause, qui ne fut vidde que quelque temps apres sa mort (1). Depuis le retour des Francais a Quebec, les Je*suites (5taient charges de I'administration du spirituel: les uns donnaient leurs soins aux europe'ens ; les autres e*taient employes aux mission parmi les sauvages. Dans 1'automne de 1635, les (1) Archives dec cours de justice & Quebec. 1635] DU CANADA. 277 residences et les missions de la Nouvelle-France renfermaient dejk quinze Peres et quatre Freres de la Compagnie de Je'sus. A Quebec se trouvaient aussi deux pretres se'culiers. L'un, le sieur Gilles Nicollet, natif de Cherbourg, e*tait venu rejoindre son frere, le celebre voyage ur Jean Nicollet, et pendant sa resi- dence au Canada jusqu'en 1647, il fut employe* a visiter les habitations francaises de la cote de Beaupre", entre Beauport et le cap Tourniente. L'autre, M. Le Sueur de Saint-Sauveur, ancien cure* de Saint-Sauveur de Thury (1), en Normandie, demeurait chez son ami et son compatriote le sieur Jean Bourdon. L'on n'avait pas encore songe a s'informer de quel diocese de'pendait la mission du Canada ; mais les missionnaires rece- vaient leurs pouvoirs du nonce du Pape a Paris, ou directe- ment de la Congregation de la Propagande a Eome (2). (1) Le bonrg de Tliury porte aujourd'hui le nom de Tbury-Harcourt, ou simple- un'iit Harcourt. (2) " Les Recollets n'out point ete au dit pays sans aven. Le Pape Paul V, requis par M. I'ambassadenr residaut a Rome, Van 1(518, au nom de sa majeste, commanda a son nonce en France, M. de Bentivole, mainteuant cardinal, de donner la mission on son nom aux R6collets de Paris." Memoire des Jiecollets, en 1637. Lorsqne les R6collets voulurent revenir au Canada, ils s'adresserent a Rome pour obtenir de nouveaux pouvoirs, qui leur fnrent aecord6s par la Sacree Congr6gation de la Propagande, nceineiit de 1C3G, on y attaclia un lioiniui- coiivaincii do '6tro enivr6 et d'avoir bl:8phen)6. (2) Relation de 1636. Cesdonx families nobles do Normandie rimt'orinaient quarante- cinq porsonnos. I'iorro Le Gardeur do K*pentii;ny aniouait avec lui sa fnnitue, sa in6re, son frer Charles Lo Gardeur de Tilly, des Bfleurn et plusieura onf'auts; Us taii-iil do Thury, aur 1'Orue. Le sieur Le Neitf de La Pothorie. avait austii avec lui Fa m6r et son frerc, lo sieur Michel Le Neuf du H6risson. La famille Le Neuf 6tait de Caen. Qitelqucs-uns des descendants dn sieur de La Potherie servireut dans 1'Acadie, AUUS les uom* de I, a V ; Hero et de Beaubassin. 1636] DTJ CANADA. 281 e'jouissance, nos grands bois et nos montagnes re'pondant k ces coups par des echos roulant comme des tonnerres inno- cents, qui n'ont ni foudres ni eclairs. La diane nous reveille tons les matins ; nous voyons poser les sentinelles. Le corpg de garde est toujours bien muni ; chaque escouade a ses jours de faction : en un mot motre forteresse de Quebec est garde"e dans la paix, comme une place d'importance dans 1'ardeur de la guerre. . . . Nos sauvages, qui ne sont pas de grands admira- teurs de 1'univers, s'etonnent, disent-ils, de voir tant de capi- taines et tant d'enfants de capitaines." Les nouvelles apportees de France temoignaient hautement de 1'inte'ret que beaucoup de personnes pieuses portaient a la colonie. Le jeune due d'Enghien, qui fut plus tard le grand Cond^, e'crivait au P. Le Jeune pour 1'assurer de ses sentiments de bienveillance, ajoutant qu'on en verrait les effets a mesure que Dieu lui ferait la grace de croitre en age. Des carmelites, des ursulines, des visitandines, des hospitalieres suppliaient de leur donner part aux souffances qu'avaient a endurer lea missionnaires parmi les nations sauvages. " II faut que vous sachiez," e'crivait une de ces filles de vouees, " que la Nouvelle- France commence d'entrer dans les esprits de plusieurs per- sonnes ; ce qui me fait croire que Dieu la regarde d'un oail favorable. Helas ! que diriez-vous, mon R. P., si la divine majeste disposait les affaires en sorte que nous eussions bientot le courage et le moyen de vous aller trouver ? Je vous dirai que, si telle est la volonte de Dieu, il n'y a rien en ce monde qui m'en puisse empecher, quand meme je devrais etre en- gloutie des ondes en chemin (1)." Madame la duchesse d'Aiguillon, niece du cardinal de Ri- chelieu, offrait de fonder un hopital. Voici ce qu'elle proposait dans une de ses lettres : " Dieu m'ayant donne le desir d'aider au salut des pauvres sauvages, apres avoir lu la relation que vous en avez faite, il m'a semble' que ce que vous croyez qui puisse le plus servir a leur conversion _est I'^tablissement dea religieuses hospitalieres dans la Nouvelle-France ; de sorte que je me suis re'solue d'y envoyer, cette annde, six ouvriers pour d^fricher des terres, et faire quelques logements pour ces bonnes filles. Si je puis contribuer quelque autre chose pour le salut de ces pauvres gens, pour lesquels vous prenez tant de peine, je m'estimerai bien heureuse (2)." (1) Relation de 1636. (2) Relation de 1636. Marie-Madelaine de Wignerod, duchesse d'Aiguillon, etait fillede Rene de Wignerod. seigneur DuPont deCourlay, et de Frangoise Du PlessU, 282 COURS D'HISTOIRE [1636 Enfin, un autre bienfaiteur se pre"sentoit, avec le dessein de batir un s^minaire pour les petits hurons. En signalant ces offres, le P. Le Jeune ne peut s'emp6cher d'exprimer son admiration. " Dieu soit a jamais beni du soin qu'il a de cette colonie, la favorisant du seeours de personnes qui ch^rissent ces pauvres barbares beaucoup plus qu'ils ne se sont jamais aime's eux-meines !" Encourages par ces assurances de secours, les Je"suites admirent dans leur maison, comme seminaristes, quelques jeunes gens qu'ils avaient obtenus de leurs parents au pays des Hurons. Depuis pres de deux ans, les missionnaires avaient en effet commence' leurs travaux apostoliques chez ce peuple : aux Peres de Brebeuf, Daniel et Davost, s'e*taient joints les Peres Pijart et Le Mercier. Tous avaient rencontre* beaucoup de dif- ficultes en se rendant sur le theatre de leurs missions, retar- de*s tantot par les embarras des rapides et des portages, tantot par la mauvaise volonte de leurs guides et de leurs compa- gnons de voyage. Souvent il leur fallait jeuner, quand ils ne pouvaient trouver les caches de vivres faites par les sauvages : et lors meme qu'ils les de*couvraient, ils n'en e"taient guere mieux, puisque les meilleurs repas consistaient dans un peu de mais casse grossierement entre deux pierres. Ils couchaient sur la terre nue, exposes aux intempe'ries de 1'air, apres avoir pendant toute la journe'e marche" dans 1'eau, dans la boue et dans les marais, ou manic* 1'aviron comme les sauvages. Et encore, avant de s'endormir, il leur fallait reciter 1'office a la darte* de quelques tisons fumants ou de quelques e'corces enflammees, distraits fre'quemrnent par le bourdonnement et les piqures des mouches. Quand ils furent arrives aux bour- gardes huronnes, les miseres changerent un peu de forme, sans diminuer consid^rablement. A peine la cabane servant de chapelle a Ihonatiria avait-elle ^t4 couverte, que les sauvages s'y rendirent de toutes parts pour HI-HI dn cardinal de Richelieu. Mademoiselle de Wignerod fat marine & Antoine da Roure de Coiuhalet. lont elle n'eut point d'enfants. JEocore jeuiie quaiid elle rest* Teuve, elle demeura Rapes de eon oncle, qni lui b6 Bois ; Qu6bec, chez Augustin Cdte. Dans le premier do ces ouvragos, la lettro adresfie fi M. doMontmajni^ pprte la date de 1034; il y a 6videnimeut errour. puisque M. de Moiitniiijiny est arrivii en 1G36 au Canada, ou il 6tait incnnnu. D'ailleui'8 les Rolations des .T6suites nous aj>prennent que les faits doiit parle M. de Sillery se sont paases en 1637, date r6elle do la lettre adresste a M. do Monlmagny. (2) Les murs do la chapolle de Sillery 6taient encore doboiit, il y a nn pen plus do trente ans. Maintenant, snr le bord du fleuve. a nu millo au-dessus do S. Colomb. ou reconnait encore los fondations de la chapelle et de 1'hopital. La niaisou des missiou- naires est occupee par les bureanx de M. Le Mesurier, ^ qui apparticiincnt les ter- rains voisins. Le site avait ete bien choisi: la bourgadede Sillery etaitau milieu d'une anse quo tormincnt deux caps; elle 6tait abrit6e par les hauteurs centre leu vents du nprd ; & 1'entour. 8'6tendaient des prairies arrosees par plusieurs ruisseaux, qui four- nisscnt des eanx excellentes. Pros des murs de I'ondatioii de la chapelle, est une fon- taino, dout 1'eau est d'uno Iimpidit6 et d'nno Iegeret6 remarquables. 1638] DU CANADA. 295 sauvages, et savait que le seul moyen de leur faire appre'cier un bienfait, e"tait de le leur faire de'sirer ; il ne leur commu- niqua pas d'abord les intentions du ge'ne'reux fondateur. II permit cependant a deux capitaines, Negabamat et Nenas- koumat, d'habiter une des maisons, an printemps suivant ; mais en leur faisant bien comprendre que cette permission ne serait prolonged que si le proprie"tarre y eonsentait. La reponse arriva dans Fete" de 1638, et ne manqua pas d'etre favorable. Ce delai avait e"te suffisant pour engager les sauvages & pro- fiter de suite des avantages qu'on leur offrait. Douze families chre'tiemies, fort nombreuses, prirent possession des logements qu'on leur avait prepares, et furent bientot suivies de plu- sieurs autres. Dans ce lieu, les Montagnais et les Algonquins se formerent peu a peu a quelques coutumes franchises, et prirent surtout un esprit et des mceurs convenables a des chretiens. Le voisinage de Quebec, loin de le.ur nuire, leur flit favorable ; car les habitants de cette ville naissante, menant generalement une vie reguliere, ne pouvaient qu'in- spirer de 1'estime pour la religion aux neophytes de Sillery. L'annee 1638 fut rendue memorable dans 1'histoire ameri- caine, par la frequence et la dure" de ces terribles convulsions de la surface du globe, qui a certaines epoques ont re"pandu la consternation parmi les habitants de notre continent. Les annales des colonies anglaises renferment de longs details sur des tremblements de terre qui se firent sentir dans toute la Nouvelle-Angleterre, depuis le premier de juin 1638 jusques au vingt-un du rneme mois. Les maisons e"taient e'branle'es par des secousses, qu'annoncait un roulement sourd. semblable au bruit d'un tonnerre loiutain, ou, selon un e"cri- vain du temps, pareil & 1'ebranlement caus4 par le passage d'un grand nombre de caresses sur les paves de Londres (1). Un de ces tremblements de terre fut ressenti au Canada, le onze juin ; quoique tres foit, il ne paratt pas avoir eu lameme violence que ceux qui agiterent les colonies anglaises (2). Les phenomenes de ce genre ont ete" autrefois bien plus communs et plus redoutables qu'ils ne le sont maintenant, dans le nord de rAinerique. Suivant The* vet (3), les sauvages parlaient avec effroi a Cartier et a sen compagnons des bouleversements qu'a (1) Winthrop's Journal. Josselyn, Neto England. Josselyn dit qao, cette aniu'r. Boston 6tait un village renibrmant de vingt & troute niaisons. (2) " Le jour de Saiut-Barnab6 nous avons eu un treniblement de terre .... H se fit si bien sentir que les sauvages etaient etonnfes de voir leurs plats d'6corce a'en - trechoquer et Feau sortir de leurs chaudieres." Relation de 1G38. (3) Cosmographie universelle. 296 COUES D'HISTOIRE [1638 certaines epoques les tremblements de terre avaient causes dans le pays. La surface tourmentee de plusieurs locality's, au nord de Quebec, prouve bien clairement qu'il n'y avait rien d'exagere dans leurs rapports. Quelques amis de la colonie projetaient deux e"tablissements d'une grande importance pour un pays nouveau : ils de"si- raient fonder un h6pital destine k recevoir les malades, soit francais, soit sauvages, et etablir une ecole pour 1'iustruction des filles. Ces ceuvres trouvaieut de puissants protecteurs parmi les personnes pieuses de la mere patrie : car la charite catholique n'est arr^tee dans ses entreprises, ni par 1'eloigne- ment des lieux, ni par les diffi cuke's a surmonter ; il suffit qu'il y ait du bien a faire, pour qu'elle se hate d'y concourir. Madame la duchesse d'Aiguillon s'etait chargee de la fonda- tion de 1'Hotel-Dieu, ayant obtenu un terrain a Quebec, en 1637, comme nous 1'avons dit, elle y envoy a des homines pour def richer 1'emplacement de I'hopital, et comme ncer k en jeter les fondations. Comme elle voulait cornier cet etablisse- nient a des religieuses, elle .s'adressa, dans ce dessein, en 1638, aux Augustines qui tenaient 1'hopital de Dieppe. Sa demande fut agree'e avec un tel plaisir, que toutes les bonnes filles de la communaute s'offrirent a passer dans la Nouvelle- France. On en choisit trois, qui recurent avis de se pr^parer h partir par les premiers vaisseaux, au printemps de 1639. C'etaient la Mere Marie Guenet de Saint-Ignace, et les Meres Saint-Bernard et Saint-Bouaventure. La secoude institution fut entierement 1'oeuvre de la Provi- dence ; ni la compagnie de la Nouvelle-France, ni les protec- teurs ordinaires de la colonie ne furent appele's k y prendre part. Plusieurs fois Ton avait ete sur le point de lui trouver des patrons, et toujours il etait survenu quelque circonstance, qui avait renvers^ les plans formes par les amis du Canada. Enfin une jeune dame, Marie- Madeleine de Chauvigny, veuve du sieur Charles Grivel de la Peltrie, fut conduitepar des voies merveilleuses a faire rdussir une entreprise si souveut aban- donnee. Apres avoir surmontd des dimcultes incroyables, elle obtint la grace de consacrer ses biens et sa persoune & la fon- d.ition d'une maison religieuse pour I'e'ducation des jeunes filles de la Nouvelle-France. D'Alencon, lieu ordinaire de sa residence, elle alia & Paris, oft elle consulta le P. de Condreii, de 1'Oratoire, et S. Vincent de Paul, qui approuverent son des- sein et 1'encouragerent (1). Par 1'entremise deM. de Bernieres, (1) Lettres historiques do la M. do ITncamation. 1639] DTT CANADA. 29T qui lui servait de protectenr, elle apprit qu'une religieuse ursuline de Tours avait, depuis plusieurs anne"es, exprime* le de*sir de se consacrer a 1'instruction des filles du Canada, et n'attendait qu'une occasion favorable pour executer son des- sein. C'etait la mere Marie de 1'Incarnation, remarquable par ses vertus et par ses talents en tout genre. Mimie des lettres de recoinmandation du commandeur de Sillery et des sieurs de Lauson et Fouquet (1), Madame de la Peltrie se mit en route pour Tours. M. de Bernieres voulut encore 1'accompa- gner dans ce voyage, pour 1'aider de ses conseils et de son credit. Honime d'une haute piete, il donna plus tard un nou- veau gage de son affection pour le Canada dans la personne de M. de Laval, qui s'etait forme aupres de lui a la pratique des vertus les plus relevees. L'archeveque de Tours, sollicit^ par des avocats si puissants, permit a la Mere de 1'Incarnation d'obeir a la voix interieure qui depuis longtemps 1'appelait a Quebec. Elle avait besoin d'une compagne, pour la secourir dans sa penible mission ; la position fut briguee par toutes les religieuses de la communaute\ qui, avec la permission de leur sup^rieure, allerent, les unes apres les autres, se Jeter aux pieds de M. de Bernieres et lui demander d'etre pre'fe're'es pour cet honneur. Le choix tomba sur une jeune personne appar- tenant a une famille fort distingue'e de 1'Anjou, mademoiselle de Savonniere de la Troche, connue chez les ursulines de Tours sous le nom de Marie de Saint-Bernard. Comme elle attribuait a la protection de Saint-Joseph la grace d'avoir etc" preferee a ses sceurs pour la fondation du couvent de Quebec, en partant pour le Canada, elle prit le nom de Marie de Saint- Joseph, qu'elle porta toujours dans ce pays. Apres avoir rencontre un si beau succes a Tours, madame de la Peltrie alia a Paris, pour s'entendre avec les J^suites charges des missions du Canada, et pour obtenir encore une religieuse. N'ayant pu en trouver, elle se rendit avec ses compagnes a Dieppe, ou une troisieme ursuline, la mere Ce*cile de la Croix, lui fut accordee par le couvent de cette ville. Le.quatre mai 1639, les trois ursulines, accompagne"es de leur fondatrice et des religieuses hospitalieres, s'embar- querent a Dieppe, sur un vaisseau que commandait le capitaine, Bontemps, et sur lequel prit passage le P. Vimont, nomine" supeVieur des je"suites de la Nouvelle-France. Le voyage fut (1) Probablement le famenx Nicolas Fouqnet. alors maitre dea requites, et plus ui d snrintendant des finances. 298 COURS D'HISTOIEE [1640 long et penible ; le vaisseau faillit tre ecrase par une e'norme glace, et n'e"chappa au danger de se perdre que par une protec- tion toute particuliere de la providence. Le reste de la traversee fut heureux ; et, le premier aout 1639, la colonie de religieuses arriva clevant Quebec, a la grande joie des habitants. Elles y e"taient impatiemment attendues par les Francais et les sau- vages, qui se porterent au rivage pour assister a leur debar- quement. En mettant pied a terre, elles baiserent le sol de leur patrie d'adoption, afin d'en prendre possession au nom de la charite. Environnees des demonstrations de la joie pu- blique, elles furent recues par M. 'de. Montmagny, qui les con- duisit a la chapelle de Notre-Dame de Recouvrance, ou Ton chanta un Te Deum en action de graces. Avant de se se'parer, les deux communautes visiterent le village de Sillery ; elles virent avec une joie indicible les pauvres families sauvages, au service desquelles elles s'e"taient de'voue'es. Pleins de vivacite et d'ardeur, madame de la Peltrie ne pouvait contenir sa joie. a la vue des petites montagnaises, qui allaient devenir ses Sieves et ses enfants. La maison des Ursulines n'etait pas encore commenced, et Ton avait & peine jete" les fondations de celle des hospitalieres ; il fallut done ieur chercher des logernents. Les hospitalieres furent placees dans une maison neuve, apparteuant a la compagnie des Cent- Associes, et qui se trouvait pres du fort Saint-Louis ; aux ursu- lines Ton assigna une petite maison, ne renfermant que deux pieces. Ce batiment appartenait a M. Juchereau des Chatelets, associ^ du sieur Boste, et ^tait situe sur un quai, pres du magasin de la compagnie de la Nouvelle-Erance. Dans ce miserable taudis, les ursulines re9urent, comme pensionnaires, six petites filles sauvages, qu'elles instruisaient avec quelques jeunes francaise.3. Les bonnes inrtitutrices n'etaient pas a 1'aise, renferm^es avec toutes leurs Sieves, dans les deux chambres, qui servaient de dortoir, de cuisine et de classes ; niais elles se trouvaient heureuses, parce qu'elles se voyaient entourdes de celles pour 1'amour desquelles elles avaient abandonne leur patrie et leurs parents (1). Durantriiiver, qui fut fort rigoureux, les hospitalieres furent tres occupees a soigner les malades ; car la petite vdrole s'e'tait r(5pandue parmi les sauvages et les francais nes dans le pays. Kile faisait de grands ravages et rernplissait 1'hopital de malades, il est assez remarquable que les francais venus de la mere (1) Lettreg de la M.de 1'Incarnatioii. ** 1640] DU CANADA. 299 patrie n'en furent point attaques. Les religieuses e'taient acca- blees de travail et de privations ; aussi toutes trois tomberent nialades ; comme on ne pouvait trouver personne pour prendre soin de 1'hopital, les Jesuites furent obliges de s'en charger jusqu'au re'tablissement des hospitalieres. Au printemps de 1640, le quatorze juin, le feu se declara dans la rnaison des Jesuites et la consuma entierement (1). En peu de temps les flammes envahirent I'e'glise et la chapelle du gouverneur, qui etaient voisines et construites en bois. L'incendie fut si subit, que les Peres perdirent une grande partie de leurs meubles et de leurs papiers, ainsi que les pre- miers registres de Notre-Dame de Quebec (2). " Nous avions ramasse dans cette maison," ecrivaitle P. Le Jeune, " cornme en un petit magasin, tout 1'appui et le support de nos autres residences et de nos missions. Dieu a re"duit tout cela au neant. Le linge, les habits et les autres meubles necessaires pour vingt-sept personnes que nous avons aux Hurons, etaient tout prets d'etre portes par eau dans ces pays si eloignes .... Le vent assez violent, la se'eheresse extreme, les bois onctueux de sapin dout ces Edifices etaient construits, allumerent un feu si prompt et si violent, qu'on ne put quasi rien sauver ; toute la vaisselle et les cloches et calices se fondirent." Les Jesuites furent forces de se re"fugier a 1'hopital, ou ils occu- perent la grande salle, tandis que la petite chapelle des reli- gieuses servait d'eglise paroissiale (3). Ce malheur etait grand, vu les faibles ressources de la colo- nie ; il fut neanrnoins supporte avec courage. La paix et la bonne intelligence qui regnaient entre les chefs du pays et les colons inspiraient & tous de la confiance et de la fermete. Et ces beaux resultats etaient produits par le sentiment chretien. " II est vrai," ^crivait-on en France, " qu'en ces contrees on vit dans une grande innocence ; la vertu y regne comme dans son empire, le vice .... n'y parait qu'en cachette et h. la ddro- bee, ne se produisant jamais sans confusion. Les principaux habitants de ce nouveau monde, dcsireux de conserver cette benediction du ciel, se sont ranges sous les drapeaux de la Sainte Vierge, k 1'honneur de laquelle ils entendent tous les samedis la sainte messe," et frequentent sou vent les sacrements (1) Hixtoire de VHotel-Dieu de Quebec Relation de 1640. (2) On reeneillit do la boucho des habitants du pays tons les d6t(vils n6cessaires pour retablir les actes de baptfemes, de manages et de sepultures. (3) Lfe gouverneur ayant ensuite prct6 anx Jesuites une maison dans laqnellf 1 ils se logerent, la graude salle qu'ils avaiont occup6is servit d'eglise paroissiale, iusqu',^ ce qu'une nowvelle 6glise etit 6t6 construite sur 1'emplacement doune par le sieur Couillard. 300 COUES D'HISTOIKE [1640 de vie .... Cette devotion a banni les inimitie's et les froi- deurs, elle a introduit de bons discours au lieu des paroles trop libertines, elle a fait revivre la eoutume de prier Dieu publiquement soir et matin dans les families .... Au reste nous vivons ici fort contents et fort satisfaits ; les Francais sont en bonne sante. L'air du pays leur est bon, aussi est-il pur et sain ; la terre commence a leur donner des grains abondamment ; les guerres, les proces, les d^bats et les querelles ne 1'empestent point ; en un mot le chemin du ciel semble plus court et plus assure de nos grands bois que de vos grandes villes (1)." Des fetes publiques, qui devaient paraitre magnifiques aux sauvages et aux francais n^s dans le pays, etaient parfois celebrees et reunissaient la population de Quebec, qui donnait alors un libre cours aux eclats de sa joie. Lorsque la nou- velle de la naissance d'un dauphin arrivaau Canada, en 1639, cet eve'nement si longtemps desire fut cele'bre avec enthou- siasme, par des processions et par un feu de joie, dont un te'moin oculaire fait la description suivante : " On fait voler des feux au ciel, tomber des pluies d'or, briller des etoiles ; les serpenteaux brulants courent partout, les chandelles ardentes eclairent une belle nuit : bref le canon fait un grand tonnerre dans les cchos de nos grands bois. Les Hurons qui se trouverent presents se mettaient la main sur la bouche en signe d'aclmiration et d'etormement." L'anniversaire de cette fete fut solemnse* 1'annde suivante. A cette occasion, M. de Montmagny fit jouer une tragi-come'die, en 1'honneur du prince nouveau-nd ; Ton trouva a Quebec des acteurs qui remplirent leurs roles fort convenablement ; entre tous, se distingua le sieur Martial Piraube, secretaire du gou- verneur et tabellion, qui conduisait Faction et en repre"sentait le premier personnage. Mais, pour les sauvages, la partie la plus ^mouvante du spectacle fut un mystere du genre de ceux qui, au moyen age, faisaient une si vive impression sur 1'esprit de nos ancetres. L'ame d'un infidele, poursuivie par deux demons parlant le plus pur algonquin, tomba entre leurs mains et fut trainee dans une fosse vomissant des flammes. Cette pantomine frappa plus forternent 1'esprit des sauvages, que ne 1'auraient pu faire les meilleurs diseours sur les peines de 1'enfer. Pen de temps apres 1'incendie de la maison des Je'suites, les (1) Relation de 1640. 1640] DU CANADA. 301 hospitalises recurent de la duchesse d'Aiguillon des lettres, dans lesquelles elle les invitait & aller demeurer & Sillery, pour 1'avantage des sauvages. Afin de faciliter ce cliangement de domicile, elle ajoutait a ses premiers dons une somme de vingt niille francs. Les religieuses souscrivirent d'autant glus volon- tiers k 1'arrangement propose, qu'elles s'e'taient fort genres en cedant une partie de leur logement. Une maison fut aussitot commencee pour elles a Sillery. En attendant qu'elle fut pre"paree, M. de Puiseaux les engagea a habiter celle qu'il avait a 1'anse de Saint-Michel, entre Sillery et Quebec. Elles accep- terent avec reconnaissance et y derneurerent jusqu'au commen- cement de 1'annee 1641 ; alors elles purent eutrer dans 1'hopital bati aupres du village des sauvages (1). (1) " Nous alliimes bientot reprendre notre maisou. do Sillery, qui etait encore fort peu avanc6o; nous y loge&ines comrno nous pftines, et ce quo nous y souft'rinies de froid et do inisere ne so pent exprimer." Jlistijire de V Hotel- Dieu de Quebec. 302 COURS D'HISTOIEE [1638 CHAPITEE SECOND. Henrenx succes des Hurona contre les Iroquois Supplice de Pierre Ononkouaia, chef iroquois Residence de Sainte-Marie Guerres des Irequois contre les Hurons, les Algonqnius et les Franais Captivit6 de Marguerie et de Thomas Godefroy chez les Aguiers Les deux itanais sont rendns & leurs compatriotes Messieurs de la Dauversiere, de Fancamp et Olier entreprennent d'6tal>lir une colonie dans 1'ile de Montreal M. de Maisoimeuve Mademoiselle Mance accompagne les premiers colons de Montreal Geu6rosit6 de "Madame De Bullion Fondation de Montreal Ha'oilcte et courage de M. de Montmagny. La petite colonie des Francais au pays des Hurons s'i5tait trouve"e, en 1637, dans une situation Men perilleuse par suite da la mortalite qui avait afflige la population. Aux orages, le calme avait heureusernent succe'de' ; mais il e"tait, de temps en temps, trouble par rinconstance et par les ide*es supersti- tieuses des sauvages. Cependant les plus grands dangers etaient passes, et les Je"suites purent etendre le cercle dc leurs penibles travaux. Comme Ihonatiria restait presque desert, par suite de la terreur qu'y avait repandue la maladie, les missionnaires transporterent leur residence de Saint- Joseph a Tdanaustayad, Tun des bourgs les plus considerables du pays. Us eurent le bonlieur d'y baptiser des la premiere anne'e plu- sieurs hurons et quelques iroquois prisonniers, parmi lesquels fut un capitaine des Onneiouts, nomm^ Ononkouaia, homme d'un courage et d'une vigueur peu ordinaires (1). Les Hurons n'avaient pas depuis longtemps obtemi autant de succes qu'ils en remporterent durant 1'ann^e 1638, les courses de leurs partis de guerre ayant presque toutes e'te' heureuses. Dans une de ces occasions, une troupe compose"e de trois cents homines, tant hurons qu'algonquins, s'etant mise en campagne, jeta en avant quelques dclaireurs, qui tomberent inopin(5ment au milieu d'une embascade de cent iroquois. Quoique surpris, les Hurons purent se replier sur le gros de leur parti ; un seul d'entre eux fut fait prisonnier. Le ruse captif, voyant les Iro- quois disposes a retourner dans leur pays, leur donna a en- (1) Relation de 1639. Bans le recit qui suit, nous avons cite presqnc textuellement le rapport dn P. J6r6me Lalemant. 1638] DU CANADA. 303 tendre qu'ils n'avaient rien a craindre, parce que les guerriers hurons e*taient peu nombreux, et incapables de forcer un si puissant ennemi. II reussit a se faire croire, et les Iroquois commencerent un abatis, re'solus d'attendre les ennernis der- riere ce retranchement. Leur surprise et leur rage furent gran- des, quand ils se virent environne's par un corps de troupes trois fois plus considerable que le leur ; aussi, sur le champ, le pri- sonnier paya de sa vie le service qu'il venait de rendre a ses compatriotes. Conime il restait aux Iroquois une voie pour s'e'chapper, ils tinrent conseil ; plusieurs se de"clarerent prets a prendre la fuite. Ononkouaia, jetant les yeux au ciel, leur montra le soleil dans toute sa splendeur : " Freres," s'e- cria-t-il, si le ciel etait cache', si le soleil e"tait. obscurci, nous pourrions suivre votre avis et fuir devant 1'ennemi; mais au grand jour, a la clarte" du soleil, il n'y faut point songer. Combattons tant qu'il restera quelque chance ; ehacun s'echap- pera ensuite comme il le pourra." La voix du chef fut e"coutee ; tous atteudirent de pied ferine I'attaque des Hurons. Ceux-ci donnerent avec tant de vigueur que les Iroquois furent presque tous tues on faits prisonniers, quatre on cinq seulement ayant reussi a s'echapper. Parmi les prisonniers se fcrouva Onon- kouaia, qui, reserve au supplice du feu, s'y prepara en se faisant instruire de la religion chretienne. Baptist sous le nom de Pierre, il sembla se revetir d'une generosite" toute chre- tienne, qui donnait un caractere nouveau a la force naturelle et au courage du barbare. Aussi, Pierre Ononkouaia s'avanca sur 1'echafaud avec uue noble fermete". Pendant qu'on le tounnentait au moyen de tisons et de fers brulants, il con- solait son compagnon dans les supplices, en lui rappelant le bonheur dont bientot ils jouiraient tous deux dans le ciel. Celui-ci e"tant mort trop tot au gre" de ses bourreaux, ils de"- chargerent toute leur rage sur Pierre ; et, apres 1'avoir longtemps brulc^, Tun d'eux, le croyant pres de mourir, lui leva la chevelure. Ce corps brise", inutile*, roti, semblait prive* de vie, lorsque, a la surprise des spectateurs, il se dressa tout h coup. Le sen- timent de 1'honneur, agissaut puissamment sur le cceur de Pierre, avait ramme" ses membres, dont les liens ^taient tombe's au milieu des flammes. Un capitaine, suivant les id<5es d'hon- neur de ces barbares, ne doit pas mourir comme un captif ; du moment qu'il est libre de ses mouvements, il lui faut braver ses ennemis et ddfendre contre leurs outrages les derniers instants de sa vie. Ononkouaia, en se levant, saisit de ses mains meurtries un tison enflamme', et en menace ses bourreaux. A 304 COUKS D'HISTOIRE [1638 cette vue, leurs cris de rage redoublent ; armds de fers rougis an feu, ils se precipitent pour escalader 1'e'chafaud. De son cote, il ren verse les echelles, il lance des brandons sur les assaillants, et, tout convert du sang qui ruisselle de sa tete, il a encore la force de les repousser. Les uns lui jettent des cendres chaudes et des charbous ; d'autres, places sous 1'dcha- faud lui brulent les pieds et les jambes avec des torches ; partout les feux le suiveut. Pendant assez longtemps il se defend, sans que personne re"ussisse a mouter aupres de lui ; mais un faux pas le fait tomber en arriere : ses bourreaux pro- fiteut de 1'accident pour le saisir ; ils le brulent de nouveau et le jettent au milieu du feu. Le guerrier iroquois n'est pas encore vaincu. Du milieu du bucher, il se leve, revetu d'uue couche de cendres, de charbons ardents et de sang coagule'. Portant a chaque main un tison enflamme, il s'avance vers le gros de ses ennemis, pour avoir la satisfaction de les voir fuir encore une fois devant lui. En effet, persoune n'ose 1'attendre, pendant qu'il marche fierement vers le bourg, comme s'il y voulait inettre le feu. Un baton qu'on lui lance le fait choir. Avant qu'il ait pu se relever, ses ennemis le saisissent ; ils lui coupent les pieds et les mains, et, ayant sou- lev^ ce tronc mutile, ils le trainent sur plusieurs braisiers ; enfin ils le poussent sous un arbre renverse", dej& enflammd dans toute sa longueur. Incapable de se laisser abattre par la cruaute des supplices, cette nature ferme et e"nergique fait un dernier effoit ; n'ayant plus ni pieds ni mains, Ononkoua'ia se roule sur. les charbons ; il se tratne sur les coudes et sur lea genoux vers ses bourreaux, et une fois encore il jette I'e'pou- vante au milieu de la foule. La mort seule peut dompter son invincible courage. Lasses de cette lutte de'sespe'ree, les Hu- rons se voient contraints de inettre fin a ses tourments ; un des plus hardis s'approche et lui tranche la tete avec son couteau. II y avait eu quelque chose d'extraordinaire dans la con- stance et la force de Pierre Ononkouaia au milieu des supplices ; aussi les Hurons paiens avouaient hautement que le bapteme avait seul pu le soutenir et lui communiquer un tel courage. De la ils prirent la resolution de ne plus souffrir qu'on baptisat les prisonniers condamne"s au feu, parce qu'ils auguraient de grands malheurs pour leur pays, lorsqu'ils ne pouvaient arra- cher des cris de douleur aux captifs qu'ils tourmentaient. Cependant, en voyantle theatre de leurs travaux s'agrandir,et le nombre des chr^tiens s'accroltre sensiblement, les Je"suites reconnurentqu'au lieu de se partager dans plusieurs residence*, 1640] DU CANADA. 305 il valait mieux en former uue seule, d'ou ils s'etendraient dans le pays, et ou les missionnaires viendraient de temps en temps se retremper, en se reposant de leurs fatigues. Ne voulant pas s'exposer a changer de demeure tons les sept ou huit ans suivant la maniere des saiivages, ils choisirent uue place con- venable a leur dessein, et qui n'etait encore occupee par per- sons. Ce lieu, situe vers le centre du pays et a pen de distance du grand lac, e*taik baigne* par une petite riviere, nominee aujourd'hui Wye (1). Des 1'^te de 1639 ils y transporterent la residence qu'ils avaient a Ossossane, et le printemps suivant ils y reunirent celle de Saint-Joseph de Te"anaustayae. Le lieu choisi pour le nouvel etablissement de Sainte-Marie re"unissait beaucoup d'avantages. De tous les cotes Ton s'y pouvait rendre avec facilite ; de ce point, la riviere conduisait d'un cote" au grand lac, de 1'autre vers les villages de 1'inte'- rietir. La facilite des communications par eau e"tait pr- cieuse dans un pays ou Ton n'avait pas d'autres moyens de transport que des canots (2). La terre dans les environs de Sainte-Marie, sans etre tres-fertile, produisait abondamment le mais qui formait la nourriture ordinaire des Hurons. Plusieurs families chretiennes s'etablirent autour de la de- meure des missionnaires, attirees par les secours qu'elles s'at- tendaient a y rencontrer et pour le corps et pour Tame. Tout pres de leur maison, les Jesuites firent batir une grande cabane, ou chaque voyageur etait heberge gratuitement pendant trois jours, et ou Ton recevait les malades pour les traiter. Dans une seule annee, Ton y admit plus de trois mille persomies venues de toutes les parties du pays. L'hospitalite si large- ment donn^e n'entrainait point dans des depenses fort consi- d^rables ; car les sauvages n'avaient pas besoin d'un ameuble- ment couteux ; ils etaient accoutum^s a se contenter, pour leur nourrirure, de mais assaisonn^ avec du poisson f ume' et broye*. Cependant la g^nerosite chretienne des missionnaires eut le bon effet d'attirer les infideles aussi bien que les neophytes, d'affaiblir les pr^jug^s hostiles et de favoriser de nombreuses conversions. Se rapprochant peu a peu de la civilisation par le christia- nisme, unie plus ^troitement dans les liens de la charite", et fortifie'e par la presence des Fran9ais, la nation huronne serait (1) Notes da P. F. Martin, S. J. La relation da P. Bressani a et6 traduito d 1'italien en frai^ais par le P. Martin, qui i'a enrichie de notes pr6oieases poor l'hi- toire dos missioiis haronnes. (3) Relation de 1640. 306 COUES D'HISTOIEE [1640 arrives a former im corps solide et durable, si elle n'avait ele* mine'e sans cesse par 1'ennemi puissant et acharne qui ne lui donnait aucun repit. Les Iroquois avaient entrepris de la miner ; la perseverance, 1'habilete dans les conseils, la per- fidie, tout aussi bien que la valeur guerriere, leur avaient acquis dans cette lutte line supe'riorite, dont ils ne voulaient point de'choir. Aussi s'attachaient-ils a ne laisser aucun repos a la nation huronne ; s'ils semblaient parfois avoir envie d'en- trer en accommodement avec elle, c'etait seulement pour la tromper, et la frapper plus surement. Le contre-coup de leur name retombait sur les Francais, amis et allies de leurs adver- saires. Les cantons superieurs on occidentaux etaient particu- liereinent charges de harceler les Hurons, tandis que les Agniers, plus ra pprochs's de la colonie francaise, avaient entre- pris de la detruire. Ce canton renfermait trois bourgades bien peuplees, rapprochees les unes des autres et place'es avantageu- sement sur des collines (1). Se confiant dans la force de leurs petites citadelles et dans la difficult^ d'en approcher, les Agniers " ne craignaienl point de les laisser a la garde des femmes et des vieillards ; et, sans inquietude, ils se repandaient sur les rivieres et sur le grand fleuve, afin de surprendre quelque francais s'occupant a faire la peche, voyageant pour ses affaires, ou travaillant a defricher son petit champ. Les attaques de ces barbares etaient d'autant plus dangereuses, qu'ils faisaient la chasse aux hommes, conmie ils Etaient accoutumes a la faire aux betes. Cache's derriere une pointe de terre, couche's & 1'oree d'un bois, ou abrites par un pli du terrain, ils guettaient leur proie avec une adresse et une patience incroyables. Si, apres avoir frappe' un premier coup, ils se sentaient trop faibles pour pousser leur pointe, ils s'enfuyaient dans la foret, ou il aurait e'te' inutile de les suivre ; car ils couraient avec la l^gerete du cerf, et d^paysaient facilement les francais qui les voulaient atteindre. Sur la fin de I'autonme de 1640, quatre-vingt-dix guerriers agniers se rcSpandirent per pelotons sur les bords du Saint- Laurent, depuis 1'ile de Montreal jusqu'aux Trois- Rivieres. Pres de cette derniere habitation, Francois Marguerie, interprete algonquin, et Thomas Godefroy (2), s'^tant avances a quelque (1) Relation de 1641. (2) Francois Marguerie et Thomas Godefroy ris leurs precautions. A une petite distance dans 1'interieur de la foret, ils avaient prepare un autre fort, en 4tat de rdsister aux balles et inerne aux boulets. Se voyant chaudement attaques, ils passerent presque tous dans ce second fort, y porterent leurs canots avec les provisions, et laissereut dans le premier les feux allum^s et des arquebusiers, qui con- tinuerent a tirer sur les chaloupes. Quand la nuit fut avance'e, tous se r^unirent ; s'embarquant alors sur leurs canots, ils reus- sirent a s'(5chapper, a la faveur des tdnebres, et se repandirent (1) Lcs 11 a rons et les Iroquois avaient donne le nom d Onontkio a M. do Mont- magiiy. Ononthio, comiue Montmagny, signifle Grande montagne. 1640] DU CANADA. 309 de tous cote's autour du lac Saint-Pierre, pour surprendre les embarcations algouquines et huronnes, dont plusieurs furent at- taque"es et pillees (1). Le P. de Brebeuf, qui descendait des missions de 1'ouest pour passer un pe^^ de temps parmi ses con- freres de Quebec, faillit etre arrete" par ces pillards, au mo- ment ou il arrivait aux Trois-Rivieres. Ainsi inenacee par des ennemis redoutables, dont la haine n'etait rebutee ni par les dangers, ni par les defaites, la colonie du Canada ne recevait point de la compagnie de la Nouvelle- France la protection qu'elle avait droit d'attendre. Si plusieurs des associ^s denieuraient encore fideles a Taccomplissement de leurs promesses, d'autres, qui avaient en vue des profits imme'diats, negligeaient de remplir leurs engagements, et cau- saient ainsi de graves donimages et & la compagnie et a la colonie. Cependant la providence avait veille" h. envoyer de nouveaux secours par des voies extraordinaires, an moment ou Ton en avait le plus pressant besoin. Une relation de la Nouvelle-France, qui decrivait la position avantageuse de 1'ile de Montreal, tomba entre les mains de M. Le Eoyer de La Dauversiere, receveur des tailles a La Fleche ; c'dtait un homme d'une e'minente piete" et' ton jours occupe de bonnes osuvres (2). Apres 1'avoir lue, il concut de suite la pensee d'etablir dans ce lieu une colonie consacre'e a la Sainte Vierge. II en parla a quelques amis pieux, auxquels, comme par inspiration, il donnait des details circonstanci^s, sur la position, sur 1'^tendue et sur le sol de 1'ile de Montreal. Ces descriptions furent plus tard reconnues comme e"tant d'une merveilleuse exactitude. II associa a cette entreprise le baron de Fancamp, gentilhomme riche et charitable ; et tous deux se rendirent a Paris pour y former une societe. Us eurent le bonheur d'y rencontrer M. Olier, qui venait de refuser l'e"pis- copat et qui allait devenir fondateur du se"minaire de Saint- Sulpice. Ce ve'ne'rable pr^tre crut devoir inviter plusieurs de ses amis a prendre part &, la bonne ceuvre ; et des lors il forma le noyau de 1'association nomme'e depuis SocidU de Notre- Dame de Montreal (3). (1) n parait, par los details donn^a snr cotte affaire, qne le premier fort etait sur la rive meridioiialo du Saiut-Laurent, vis-a-vis des Trois-Rivieres ; le second 6tait pi-o- bablement sr la petite riviere Godefroi, d'ofc leurs canots pouvaient facilement sortir pour remouter le fleuve. (2) Histoire du Montreal, par M. Dollier de Casson, pretre du seminaire de Saint- Sulpice. (3) Histoire de m.'wlempiselle Mance par M. I'abb6 Faillon. Les npmbreux ouvrages de M. Faillon sur 1'histoire de Villemarie et de ses institutions religieuses sont favo- r ablement connus de tons les lecteurs catholiques du Canada. 310 COURS D'HISTOIEE [1640 L'ile de Montreal avait e'te' conce'de'e par la compagriie de la Nouvelle-France a M. de Lauson, qui avait aussi obtenu pour un de ses fils la seigneurie de La Citiere, embrassant une graude e"tendue de pays sur la rive ineridionale du Saint-Laurent (1). II faillait commencer par acheter cette ile. M. de La Dauver- siere, n'ayant point re"ussi dans sa premiere tentative, ne se laissa point de"courager ; il s'adressa au P. Charles Lalemant, qui, cornprenant 1'importance de ce projet pour le Canada, consentit a aller ne*gocier 1'affaire a Vienne, ou demeurait M. de Lauson, alors intendant de la province. Le zele du jesuite et de M. de La Dauversiere fut enfin couronne de succes ; car, au commencement d'aout de I'anne'e 1640 (2), M. de Lauson si- gnait un contrat par lequel il cedait purement et simpleinent Tile de Montreal a messieurs de Fancamp et de La Dauver- siere, aux monies conditions qu'il 1'avait lui-mme obtenue. Les difficulte's e"tant ainsi heureusement aplanies de ce c6te, les associe's chercherent les moyens de faire un premier arnie- inent. II fallait envoyer, pour fonder le nouvel e"tablissement, des homines accoutume's au travail et en mme temps capa- bles de se de"fendre contre les attaques des Iroquois. De plus il devenait necessaire de placer a la tete de la petite bande de travailleurs un chef propre a assurer le succes de 1'entreprise, et re"unissant aux vertus du bon ehre'tien les talents militaires et les quality's du fondateur. Dans ces circonstances, un gentilhomme champenois, homme de guerre et fervent catholique, pouss^ par 1'esprit pieux et che- valeresque du temps, s'adressait au P. Lalemant pour connaitre si, dans la Nouvelle-France, il ne pourrait point se rendre utile au service de Dieu et a celui du roi. C'etait le sieur de Maisonneuve, dont le nom est intimement lie" avec la fon- dation de Montreal. Paul de Chaumedly, sieur de Maisonneuve, avait, des I'&ge de treize ans, commence ses campagnes dans la guerre de Hol- lande. Au milieu des dangers des camps, sa jeunesse avait tou- jours &t& fort sage ; et, afin de n'etre pas entraine* par 1'ennui . dans les mauvaises compagnies, il avait appris a pincer du luth, et passait dans cet amusement ses heures de loisir (3). Perse- verant toujours dans ses heureuses dispositions, il songeait (1) *'La scigneurie do La Citi&re comraen9ait a la rivi&re Saint-Franfois, qui se d- charge dans le lac Saint-Pierre, et s'etendait au desaus du saut Saint-Louis en romoii- ' , tatit le Saiut-Laurout." Mi'-./nnin: sur lafamille de Lauson, par Sir L. II. LaFontaiue, baronnet. (2) Histoire du Montreal, par M. Dollier de Cassun. (3) Hutoire du Montreal, par M. DC 7 Her de Cassou. 1641] DU CANADA. 311 depuis quelque temps a aller dans un pays eloigne se consa- crer a la gloire de Dieu en exercant sa profession, lors- qu'une relation de la ISTouvelle-France, tombee par hasard entre ses mains, 1'engagea h se mettre en rjpport avec le P. Charles Lalemant, qui, du premier coup, sut apprecier son me'rite. Aussi, peu de jours apres, M. de La Dauversiere e'tant venu trouver le P. Jesuite pour lui exposer 1'embarras des associe"s, celui-ci lui recommanda M. de Maisonneuve comme une personne tres-propre & diriger 1'entreprise projete'e. La liaison entre ces deux hommes de bien fut bientot faite ; M. de Maisonneuve offrit ses services a la compagnie, de"cla- rant qu'il n'avait ancune vue d'interet, que ses biens suffisaient a ses besoms, et qu'il offrait sa bourse, son epee et sa vie, pour le soutien d'une ceuvre ou Ton cherchait 1'honneur de Dieu et le service du roi. Les associes, pleinement satisfaits d'une si heureuse ren- contre, cornmencerent a pre*parer un envoi d'hommes et de pro- visions ponr le printenips de 1641. Des I'e'te' precedent, ils avaient fait transporter a Quebec vingt tonneaux de denrees, d'outils et d'autres effets, en priant le P. Le Jeune de les faire conserver. M. de Maisonneuve, ayant etc" nomme gouverneur de la future colonie par la compagnie de Montreal, suivant le pouvoir qu'elle en avait recu du roi, partit pour La Kochelle avec messieurs de La Dauversiere et de Fancamp. Lk ils firent hater les preparatifs du depart ; ils recruterent des hommes forts, vigoureux, propres a manier 1'epee aussi bien que la houe et la hache ; ils acheterent les approvisionnements n^cessaires ; enfin ils n'epargnerent rien pour la reussite de 1'entreprise. Aussi cet equipement couta vingt-cinq mille ^cus aux six associes qui formaient alors la compagnie.^ Leur p^nible tache n'^tait pas encore termin^e ; il leur fallait trouver une femme vertueuse, capable de prendre soin des malades, de veiller & la garde et a la distribution des vivres et des marchandises. Outre ces qualites, elle devait posseder assez de courage et de denouement pour consentir & s'expatrier, et k aller depenser sa vie dans les privations au milieu d'un pays encore livre* a la barbarie. Celle que Tor n'aurait pu leur procurer, la providence la leur amena dans son temps. Depuis un an, Dieu, par des voies myste'rieuses, disposait une fille pieuse et. sage a prendre part a I'e'tablissement de Montreal. Mademoiselle Jeanne Mance, fille d'un procure ur du roi a (1) Histoire du Montreal, par M. Dollier de Casson.' 312 COURS D'HISTOIEE [1641 Nogent-le-Eoi, pres de Langres en Champagne, avait e^e" con- duite a Paris par 1'inspiration qu'elle ressentit de se consacrer an service de Dieu dans la Nouvelle-France. Elle s'aboucha avec le P. Lalemant, qni 1'engagea a perseV^rer dans sa voca- tion. La reine Anne d'Autriche et plusieurs des premieres dames de la cour, informe'es de son merite et de sa resolution extraordinaire, voulurent la voir et 1'interroger; a leurs ques- tions, elle repondait qu'elle savait bien que Dieu la voulait dans le Canada, mais qu'elle ne savait pas pourquoi. Cependant sa position future commenca a se dessiner un peu plus nettement. Madame de Bullion, veuve d'un surinten-* dant des finances, etait restee maitresse de grands biens, qu'elle employait en bonnes oeuvres. Elle desira voir made- moiselle- Mance, a qui elle demanda si elle ne serait pas aise de se charger d'un hopital dans la Nouvelle-France, ajoutant qu'elle avait 1'intention d'y en fonder un. Mademoiselle Mance se declara prete a tout entreprendre pour obe"ir a la volonte 1 de Dieu. Lorsque, au printemps de 1641, elle se mit en route pour aller s'embarquer h. La Rochelle, elle recut de madame de Bullion, une bourse de douze cents francs, pour subvenir a une partie des frais de son voyage. Arrivee a La Eochelle quekfue temps avant le depart des vaisseaux de la cornpagnie de Montreal, elle rencontra M. de La Dauversiere chez les Jesuites ; il reconnut de suite en elle la personne que ses associes avaient jusqu'alors cherchee inutilement. Aussi la pressa-t-il de se joindre aux colons qui partaient pour Montreal, et de se charger de veiller sur la distribution des vivres et sur les soins a donner au,x malades. Elle y consentit de grand ccfiur, apres avoir cependant consult^ ses guides ordinaires. Deux navires furent expedies de La Rochelle : sur 1'un e"taient M. de Maisonrieuve, un pretre s^culier et vingt-ciuq hommes ; sur 1'autre, mademoiselle Mance, le P. de La Place et douze hommes. Un troisieme vaisseau, e'quipe' a Dieppe, portait une dizaine d'hornmes et trois femmes. Le navire sur lequel etait monte* M. de Maisonneuve arriva au terme de son voyage le vingt-cinq aout, longtemps apres les deux autres. Quelques personnes, mues par des intdrets particuliers, voyaient d'assez inauvais ceil qu'on allait separer du reste des francais colons nouvellement arrives, afin de les envoyer a soixante lieues de Quebec, dans un endroit expos^ aux incursions des Iroquois. " N'y ayant encore que deux cents europeens dans tout le pays, ne valait-il pas inieux, " disait-on, " ruunir les forces nouvelles aux anciennes pour se rnettre en ^tat de 1641] DU CANADA. 313 register plus efficacement aux ennemis ? " Cette raison pre*- sente'e a M. de Montmagny fit impression snr son esprit, et, a 1'arrivee de M. de Maisonneuve, il lui proposa d'etnblir sa colonie dans 1'ile d'Orle'ans, qui est a la porte de Quebec. " Ce que vous me proposez serait bon," re"pondit M. de Maisonneuve, " si on m'avait envoye pour de'libe'rer et choisir un poste ; mais la compagnie qui m'envoie ayant determine' que j'irais an Montreal, il est de mon honneur et vous trou- verez bon que j'y monte pour commencer une colonie, quand tous les arbres de cette lie se devraient changer en autant d'lroquois. Quant a la saison, puisqu'elle est trop tardive, je me contenterai avant 1'hiver d'aller reconnaitre le poste avec les plus alertes de mes gens, afin tie voir le lieu ou je pourrai camper avec tout mon monde le printemps prochain (1)." Une re'ponse si noble et si prudente plut tellement a M. de Montmagny, qu'il voulut lui-meme conduire M. de Maison- neuve a 1'ile de Montreal, afin de lui en faire prendre posses- sion immediate. Accompagnes du P. Vimont, ils monterent jusqu'au lieu ou devait s'elever la ville future ; et, le quinze octobe 164:1, ils firent les ce're'monies de la prise de posses- sion aii nom de la compagnie de Montreal (2). M. Pierre de Puiseaux, venerable vieillard, qui avait acquis une petite fortune aux iles espagnoles, et qui dans I'espe'rance d'etre utile a la conversion des sauvages, etait venu joindre Champlain quelques annees auparavant, possedait aupres de Sillery le fief de Saint-Michel, et la seigneurie de Sainte- Foye (3). Sur sa terre de Saint-Michel, il avait construit une maison qui passait pour un bijou dans le pays ; c'etait la que les religieuses hospitalieres avaient habite* avant d'aller prendre possession de leur maison de Sillery. II roffrit au gouverneur de Montreal, qui 1'accepta. ; et ce fut la que de- meurerent pendant 1'hiver M. de Maisonueuve, mademoi- selle Mance, M. de Puiseaux et madame de la Peltrie, qui restart assez souvent en ce lieu pour etre plus rapproche'e des sauvages. La plupart des employe's occuperent des maisons de Sillery ; les -plus habilcs charpentiers furent envoye's a la terre de Sainte-Foye, ou ils trouverent en abondance du chOnc, dont ils se servirent pour batir deux barques pendant 1'hiver. (1) Histoire du Montreal. (2) JHistoire du Montreal. (3) Tie flef do Saint-AIichol, s6par6 fie la, soigneurio dn Siller^' par nne lisrne qni commence a l;i PointB-ii-Puiaeaux, apparticiit aujourd'hui an scMiiinah-o tie Qu6bec. La seigneurie de Sainte-Foye, dont il n'est plus fait mention, parait avoir occnp6 314 COURS D'HISTOIRE [1642 M. de Montmagny craignait probablement que les prero- gatives de sa charge ne fussent le'se'es, et que son autorite, si necessaire pour le bien du pays, n'en fut diminuee. Pendant 1'hiver, il s'eleva a ce sujet, entre lui et M. de Maisonneuve, quelques brouilleries qui furent heureusement bientot dissi- pe*es. Le vingt-cinq Janvier, fete de la conversion de Saint Paul, patron de M. de Maisonneuve, ses homines, en signe de rejouissance, tirerent plusieurs coups de canon et nrent quelques d^charges de mousqueteries ; ce qui parait avoir etc* centre les reglements etablis. Surpris et un peu incite* de ce precede", M. de Montmagny, apres enquete faite, retint en prison pendant quelques heures celui qui avait fait jouer les pieces de canons. L'affaire n'eut pas d'autre suite ; et, comme des deux cotes Ton cherchait le bien, on oublia bieutot ce petit diffe"rend, pour travailler a fortifier la colonie et- a la de*fendre contre les Iroquois. Tout etait pret pour commencer I'^tablissement de Montreal au printemps de 1642. Une petite flotte, consistant en deux barques, une pinasse et une gabare, partit de Saint-Michel de Puiseaux le huikde mai ; M. de Montmagny voulut con- duire lui-meme 1'expedition, afin d'assister a 1'inauguration de la colonie. M. de Puiseaux et madaine de La Peltrie mon- taient en meme temps a Montreal, le premier avec le dessein d'y demeurer, la seconde poussee par I'ide'e de fonder une autre maison d'ursulines. Tous les vaisseaux e"tant arrives a leur destination, de grand matin, le dix-liuit du meme mois, les colons prirent possession de leur nouvelle patrie, en assis- tant a uiie messe qui fut celebide par le P. "Vimont. C'est de ce jour que date la fondation de Montreal. Le premier soiu. des habitants fut de batir un petit fort en pieux, au lieux ineme que Champlain avait de'signe' trente ans auparavant. L'etablissement d'un poste avance', d^fendu par des hommes courageux et de"ja faits a la guerre, e"tait propre a raviver les espe"rances des anciens colons, par 1'aide qu'ils en devaient attendre contre 1'ennemi commun ; c'e'tait pour eux une nou- velle preuve que le Canada possddait en France de puissants protecteurs et des amis sinceres. A 1'interieur de la colonie Ton trouvait aussi des promesses d'un meilleur avenir. k-Hdcux c^tes de la rivhNi-n du Cup-Ilouge. L'ombouchuro do cette rivic-rc etuir,, siiivant les snuvagt-s. a uno journ6o de marclte de Qu6bcc, o'cst-a-diiv :i niii> di/iiinn de Tnillcs ; olio ofl'ro une excollonto position pour la construction de petits vaisseaux ; elle 6tait autrcfois bord6e do 1: >aux arbres, parini Icsouels on tronvait beaucoup do chenes. 1642] DU CANADA. 315 " Chaque famille francaise," e'crivait le P. Vimont (1), " fait sa petite provision de froment, seigle, pois, orge et autres grains ne'cessaires a la vie humaine, qui plus, qui moins, les uns pour la moitie' de 1'annee, les autres pour une partie, et com- mencent a connaitre le genie du lieu et les saisons propres a la culture de la terre. L'ouvrage est bien commence', il a en- core besoin de secours ; rnais il avance notablement, graces a Dieu. Vous voyez de plus, en chaque maison, quantite d'enfants bien faits et de bon esprit, et, ce qui est de principal en tous, un ardent de"sir de leur salutet une e*tude particuliere de la vertu. II semble que la resolution de se donnpr entierement a Dieu nait avec la pensee de s'etablir en la Nouvelle-France. . . . Au reste il serait difficile d'expliquer les soins et les peines, que M. de Montmagny, uotre gouverneur, a pris et prend encore tous les jours pour aplanir les difficultes de la colonie ; tout autre aurait cent fois perdu courage (2)." II fallait certainement a M. de Montmagny une grande habi- lete et beaucoup de courage pour faire face a toutes les diffi- cultes de la situation, et pour repousser avec une poignee d'hommes les nombreux partis iroquois qui harassaient sans cesse les habitants du pays. Cependant, au'milieu des embar- ras, la colonie devenait forte et vigoureuse ; peut-etre meme est-ce a ses nombreuses epreuves qu'elle a du cette force d'adherence au sol et la vitalite" extraordinaire qu'elle a con- serve*es jusqu'a present. Peu de temps apres 1'arrivee de M. de Montmagny au Ca- nada, quelques desordres, cause's par les dissensions et par 1'ivrognerie, avaient menace de troubler le repos public. Par bonheur, ils ne furent pas de longue dur^e ; la concorde et la temperance furent retablies par la main ferme et puissante du gouverneur, ainsi que par le zele et la charite des mission- naires. (1) Relation de 1643. (2) II parait que la commission de M. de Montmagny fat renonvelee en 1639 ; ello le fut certaiuement en 164a et 1645; le renouvellenieut s'en faisait ainsi tous les trois aii8. La commission de 1645 est semblable a celle de 1636, quant mix pouvoirs accor- des. M. de Montmagny y est charge dit commandement en temps de paix et en temps de guerre ; il est aussi autoris6 a.juger souverainement et en dernier ressort avec li;a chefs de la colonie, jnsqu'a ce qu'il y ait lies juges souverains etablis dans le pays. 516 COURS D'HISTOI^E [1642 CHAPITKE TROISIEME Prise du P. Jogues et de ses compagnous Leur captivit6 et leurs tourraeiits 31. de Montmaguy fait batir le fort de Richelieu, pres de 1' embouchure de la riviere des Iroquois Ce fort est attaque par les ennemis, qui sont repousses Van Corla-"- cherche & obtenir la dlivrauce du P. Jogues et des autres captifs fran9ais Mort de Keae Gonpil Delivrauce du P. Jogues Mort dn cardinal de Richelieu Jean Nienllet - Premiere attaque des Iroquois oontre Montr6al Arrivge de M. D'Aille- boust H est charg6 de fortifier 1'habitation de Montreal Belle defense de iJ, de Maisouneuve centre uu parti iroquois. Les heureux e've'nements qui, an printemps de 1642, avaient re"joui la colonie, furent, pen de temps apressuivis demalheurs capables de la renverser, si Dieu n'eut etendu sur elle une protection particuliere. Pendant 1'hiver precedent, les Iroquois avaient surpris et jaassacre quelques partis d'Algonquins, qui se croyaient en surete dans leurs pays de chasse vers le nord, ou jamais ne s'e*taient montres leurs farouches ennemis. Les bandcs iroquoises n'avaient cependant point emp^ch6 les Hurons de se reudre a 1'ordinaire aux Trois-Rivieres, pour y faire la traite. Avec eux etaient descendus les Peres Jogues et Raymbault, qui, 1'annee prec^dente, avaient pe'ne'tre' jusqu'au saut Sainte-Marie, aim d'y anuoncer la parole de Dieu aux Ojibewais ou Sauteurs ; le premier venait a Quebec pour con- ferer sur les affaires des missions, le second pour y mourir au milieu de ses freres. Le deux d'aout, les Hurous, avec douze canots, reprenaient le chemin de leur pays, ramenant avec eux le P. Jogues, Guil- laume Cousture, iuterprete, et Rene* Goupil, jeune chirurgien, qui allait exercer son art aupres des chre'tiens. La petite flotte portait les approvisionuements des missionnaires et de leurs compagnons, ainsi que les objets n^cessaires pour les chapelles. Les voyageurs avaient laisse les Trois-Rivieres depuis deux jours et etaient tres-probablement arrives aux lies du lac Saint-Pierre, lorsqu'ils decouvirent sur le rivage Tem- preinte des pas de quelques homines (1). Situe pres de I'em- bouchure de la riviere des Iroquois et travers<5 par des canaux (1) Relation du P. Bressaui; traduction duP. Martin, S. J. 1642] DU CANADA. 317 nombreux et etroits, ce groupe d'iles offre bien des points ou Ton pent facilement dresser des embuscades. Aussi les Agniers s'y tenaient ordinairement lorsque la navigation e"tait ouverte ; car, outre la facilite d'y surprendre les canots hurons et algon- quins, ils y trouvaient le gibier et le poisson en abondance. Eustache Ahatsistari, chef de guerre huron, ranima le courage de ses gem, et leur repre*senta qu'etant quarante hommes, .ils n'avaient rien a craindre d'une poigne'e d'iroquois. A peine avaient-ils fait encore im mille de chemin, qu'ils furent enve- loppe*s par une bande de pres de quatre-vingts iroquois, qui, par nnc decharge d'arquebuses, forcerent les canots a preudre terre. En touchant le rivage, presque tous les hurons s'enfui- rent dans la foret. Quelques-uns seulement resterent fermes, et, soutenus par quatre francais, se-deTendirent vaillamment ; mais enfin, ecrases par le uornbre des eimemis, qui recevaient des renforts, ils fureat contraints de fair, en laissant an pouvoir des Iroquois, Kene Goupil et plusieurs hurons. Le P. Jogues aurait pu les suivre; toutefois, ne voulant pas abandonner les pri- sonniers, il alia se rendre a 1'un de ceux qui e'taient charges de les garder. Bientot apres, le chef chretien Eustache Ahatsistari et d'autres hurons furent amends pour grossir le nombre des captifs. Le dernier qui revint aupres du P. Jogues fut Guil- laume Cousture. Jeune, plein de feu et d'agilite', il s'etait enfonce dans les bois, laissant les ennemis bieii loin derriere lui, lorsque, s'apercevant que le Pere Jogues ne 1'avait point suivi, il vint de lui-m^me s'offrir pour partager sa captivite". Tiers de leur victoire, les Iroquois commencerent aussitot a tourmenter leurs victimes ; et Cousture, qui dans le combat avait tue* un de leurs chefs, fut expose a toute leur fureur ; ils lui arracherent les ongles, lui broyerent les doigts avec les dents, et lui passerent une epee a travers la main. Quelque atroce que fut la douleur, il la supporta avec calme et sang- froid (1). Les Iroquois reprirent le chemin de leur pays, charge's de butin ; chaque soir, ils se delassaient des fatigues de la journe'e en tourmentant les captifs. Dans deux occasions surtout, a la rencontre de guerriers qui allaient en course, les supplices (1) Guillaume Cousture, n6 a Rouen, fut frequomnieut employ^ dans les n6gociations avec les sauvages ; il so distinguadaus toutes les occasions par son intelligence et son courage. En 1649, il 6pousa Anne Aymart, et s'6tablit a la Pointe-L6vis, ou il fut s6n6chal et capitaino dela cote. II niouruten 170iJ, ag6 de 94 ans. Ses descendants sont tres-nombreux dans le district de Qu6bec et dans celui do Gaspe. Mousoigueur Turgeon, archevfique de Quebec, et Mgr. Bourget, 6v6quo do Montreal, descendeut, par les femrues, de ce martyr de la foi. 318 COUES D'HISTOIEE 1642] devinrent plus longs et plus terribles. La premiere fois, dans une petite ile du lac Champlain, les prisonniers f urent caresses, suivant 1'expression des sauvages, par une bande de deux cents bourreaux, qui melaient a leur barbaric une sorte de bien veil- lance pleine d'ironie. Comme ils partaient pour la guerre, ces homines se croyaient obliges de preluder a leurs exploits par la cruaute'. Apres avoir rendu graces au soleil, dieu des com- bats, et felicite" leurs freres vainqueurs par une bruyante fusil- lade, ils se jeterent dans la foret voisine pour y couper des batons. En mettant pied k terre, les prisonniers eurent a passer au milieu des guerriers, ranges sur deux lignes et frappant de toutes leurs forces avec leurs batons. Le P. Jogues, qui mar- chait le dernier, tomba ecrase sous les coups et ne put se relever. A demi mort, il fut saisi et porte" sur un echafaud, ou, pendant la plus grande partie de la nuit, on continua a le dechirer et a le bruler, ainsi que ses sompagnons (1). Eustache Ahatsistari eut les deux ponces coupe's, et, par la plaie de la main gauche, on enfonca jusqu'au coude un baton tres-aigu ; en heros chretien, il supporta courageuseinent ce supplice, que des demons seuls pouvaient inventer. A la tete du lac Andiatarocte, aujourd'hui le lac George (2), le parti laissa ses canots, et, pendant quatre jours que dura le reste du voyage, les prisonniers, malgre' leur etat de faiblesse, furent forces de porter le bagage. Ils arriverent enfin au premier village des Agniers, ou le P. Jogues et Eene Goupil s'attendaient a voir recommencer leurs tourments. Pendant la route, ils auraient pu fuir, n'e'tant point lies et se trouvant assez souvent eloignes de leurs gardiens ; mais le jeune chirurgien ne voulait point se se*parer de son compagnon, et celui-ci aimait mieux souffrir que d'abandonner les francais et les hurons qu'il esperait consoler dans leurs derniers moments. A 1'entree du village, les captifs furent de nouveau con- damne's a passer entre deux lignes de jeunes gens arme's de batons et de baguettes de fer, qu'ils faisaient tomber k coups redouble's sur les malheureuses victimes. Les mauvais traite- ments redoublerent lorsque les fiancais et les hurons furent months sur le theatre e'leve' au milieu du village. Une algon- quine chretienue, captive depuis quelques mois, fut forc<5 de couper le police gauche au missionnaire ; un de ses compaguons (1) Relation du P. Bressani, traduction du T. Martin, S. J. (2) Le P. Joguos. en 1646 lui donua le noin do lac du Saiut-Sacremont, parce qu'il y passn au tvinpo oh Ton c616bre eotte f6te de 1'Egliso. 1642] DU CANADA. 319 eut a subir la meme operation, rendue plus douloureuse parce qu'elle fut faite non avec un coutsau, inais avee une ecaille d'huitre. La nuit on les reunissait dans une cabaue, oii les jeunes gens et rueme les enfants s'arnusaient a Jeter sur eux des cendres rouges et des charbons ardents. Le P. Jogues fut suspendu par les bras a deux poteaux planted dans la cabane, et telles etaient ses souffrances, qu'il en serait mort, si un jeune iroquois n'avait eu pitie" de lui et ne 1'eut delie*. Cette charite fut re'compense'e ; car, quelques mois apres, le Pere, 1'ayant rencontre fort malade, 1'instruisit, le baptisa et lui ouvrit ainsi les portes du ciel, le nouveau chretien etaiit mort peu apres son bapteme. Pendant sept jours, les prisonniers furent tralnes de village en village, ne changeant de lieu que pour trouver des bour- reaux plus frais et niieux disposes a continuer 1'oeuvre de sang. On leur annonca enfin qu'ils allaient perir par le feu ; et le P. Jogues profita des moments qui leur restaient pour exhorter ses compagnons a perseve'rer dans leurs bonnes dis- positions, et k se preparer ainsi a entrer dans une meilleure vie. Cependant un grand conseil fut convoque", et il y fut resolu d'accorder la vie aux francais et & la plus grande partie des hurons, trois de ceux-ci seulement etant condamnes a mourir. L'un d'eux e*tait le brave Eustache Ahatsistari, qui perit au milieu des tortures avec toute la grandeur d'ame et la patience d'un martyr des premiers siecles de l'e"glise. Guil- laume Cousture fut donne a une famille sauvage, qui 1'adopta et le conduisit dans le village le plus eloigne. 'Le P. Jogues et Goupil demeurerent ensemble, jouissant d'un peu de liberte*, mais soumis aux mauvais traitements et sans cesse exposes a etre assommes par quelqu'un de ces barbares. On led chercha meme uu jour pour leur donner la mort et venger ainsi les mauvais succes d'un des partis iroquois. L'on etait fort inquiet dans la colonie sur le sort des prisoii- niers ; mais les Francais etaieut trop faibles pour aller les reclamer les armes k la main. De leur cote, les sauvages allies raisonnaient sur les re*sultats que pouvait produire cette mau- vaise affaire dans les rapports eutre les Francais et les Iroquois, " Sitot que ton frere sera arriv4 dans leur pays," disait un algonquin au P. Buteux, " les capitaines s'assernbleront, et, si le nom francais leur fait peur, voici comme ils parleront : Ne mangeons point la chair des Franqais : cette chair n'est pas bonne k manger ; c'est un poison qui nous fera mourir, si nous en goutons : ramenons-les a leurs freres et ^ leurs compatriotes. 320 COURS D'HISTOIEE [1642 Voila ce qu'ils diront s'ils vous craignent, et au printemps ils ramenercnt ton frere et les deux francais qu'ils tiennent pri- sonniers. Que si au contraire ils vous ont a mepris, ils s'e*crieront a la vue de ton frere et des deux francais qui 1'accompagnent : Qa, mangeons ; voyons quel gout a la chair des Francais, avalons-les tout entiers. La-dessus ils les brule- ront, ils leur feront souffrir mille tourments, ils les mettront en pieces, ils les jetteront par quartiers dans de grandes chau- dieies, ils les mangeront avec delices ; tout le monde voudra en gouter et quand ils seront bien souls : Voila de bonne viande, diront-ils : cette chair est delicate, il en faut manger. Un capitaine haranguant excitera la jeunesse a aUer a la chasse des Francais, pour faire de semblables festins dans leur pays. Alors il n'y aura point d'habitation de Francais ou ils ne viennent dresser des embuches pour les surprendre et les niener a la boucherie." C'etait de la politique sauvage ; fondee sur les usages et les penchants des Iroquois et des Algonquins, elle avait peut- etre au fond autant de valeur que celle des ruse's diplomates de 1'Europe. Aussi, craignant que les Iroquois ne prissent un gout trop prononce pour la chair francaise, M. de Montmagny crut qu'il serait a propos de leur fermer le passage par lequel ils penetraient ordinairement dans le pays. Les deux ou trois cents agniers qui s'e'taient arrete's pour maltraiter le P. Jocques et ses compagnons, avaient ensuite continuee leur route vers le Saint-Laurent. Arrives a 1'embou- chure de la riviere des Iroquois, qu'ils avaient suivie, ils furent etonne's de trouver- qu'on y elevait un fort. En effet M. de Montmagny, ayant visite I'entr^e de la riviere par laquelle ils descendaient, jugea a propos d'employer des recrues recem- ment arriv^es de France, pour batir un fort, au lieu ou plus tard s'eleva celui qui prit le nom de M. de Sorel. Le gouver- neur arriva de Quebec le treize aout avec trois barques portant des ouvriers, des soldats et du canon. Sept jours apres, comme tous les homines s'occupaient a dresser une palissade pour se mettre a co avert, le parti agnier dont nous avons parle" se glissa dans la foret voisiue. Divise's en trois bands, les Iroqupis attaquereut les ouvriers de plusieurs cote's et avec une furie extreme ; les Francais coururent aux armes. Le brave caporal Du Eocher, voyant les ennemis prets a franchir le retranche- ment, s'avanqa avec quelques hommes et les repoussa vigou- reuse-uent. Du haut de son brigantin, M. de Montmagny aper- Qut le danger que couraient ses soldats; il s'empressa d'aller a 1642 DU CANADA. 321 leur secours et se jeta dans 1'enceinte, qui n'e'tait pas encore terminee. Un grand iroquois, portant autour de la tete un bandeau teint en ecarlate, s'avancait a la t6te des siens ; il f ut frappe" d'une balle qui le renversa mort et plusieurs de ses guerriers recurent des blessures. Malgre" leur bravoure, qui etonnait les Francais, les Iroquois furent enfin rejete's vers les bois. Forces de battre en retraite, ils se retirerent en asse^' bon ordre dans un - abri qu'ils avaient prepare secretement, a une lieue au-dessus du fort. Cette affaire eut le bon effet d'inspirer de la crainte aux Iro- quois, en leur faisant comprendre qu'un petit nombre de francais pouvait register a leurs bandes nombreuses ; de leur cote, les soldats frsncais apprircnt a se de"fier d'un ennemi rapide comme 1'aigle, ruse comme le renard et brave comme le lion (1). Ge fut la nouvelle de cete defaite qui faillit causer la mort du P. Jogues et de son compagnon ; plusieurs agniers en effet proposaient de les tuer pour expier la mort des guer- riers tombds dans 1'attaque du fort de Kichelieu (2). Sur ces entrefaites arriva a Agnier le commandant du fort hollandais ; c'etait Arendt Van Corlaer, dont le nom a longtemps servi parmi les sauvager a designer les gouverneurs d'Orange. Pen- dant plusieurs jours, il traita avec les Iroquois de la delivrance des prisonniers francais, leur faisant beaucoup d'offres et de promesses, mais sans pouvoir rien obtenir de leur part. Dans les conseils qui se tinrent apres son depart pour decider si on donnerait la liberte" aux captifs, 1'opinion du petit nombre, qui leur e'tait. favorable, fut mise de cote*. Vers le mesme temps, quelques mauvais sujets se chargerent de -les tuer, ce qui fut exe'cut^ en partie. En effet, comme le Pere Jogues et son com- pagnon, le jeune chirurgie% rentraient au village, re'citant leurs prieres, deux jeunes gens les arr^terent, et 1'un deux, tirant une hache cach^e sous son vetement, en porta un coup violent sur la tete de Kene" Goupil, qui fut renverse" et mourut peu d'instants apres, en prononcant le saint nom de Je"sus. A la vue de la hache ensanglate'e, le P. Jogues se jeta & genoux, ota son bonnet, et, se recommandant & Dieu, attendit que la hache lui tomba sur la t6te. " Leve-toi," lui dit le meurtrier, " je n'ai point le droitde te tuer, car tu appartiens a une autre famille." Plein de piete 1 , de courage et de denouement, le bon Kene' (1) Relation de 1642. (2) Le nom de Bicheliea donno au fort bftti par M. de Montmagny s'etendit ensoite a la riviere qoi coule anpres. 322 couns D'HISTOIRE [1643 mourut martyr de son zele tout chre"tien. Ayant un jour fait faire le signe de la croix a un enfant qui vivait dans sa cabaue, un vieillard superstitieux prit eette action pour un malefice, et ordonna a son neveu de tuer le francais, le neveu executa fidelement cet ordre barbare. Keste seul au milieu des Iroquois, le Pere Jogues passa encore pres d'une annde endurant uu esclavage pire que la mort. Dans les bois, ou il suivait ses maitres pour la chasse, il eut a souffrir toutes les extre'mite's de la faim et du froid ; sa seule consolation e"tait de se retirer au fond de la foit, ou il s'entretenait avec Dieu. Chaque fois qu'arrivait une nouvelle, vraie ou fausse, de la deTaite d'un parti iroquois, les mauvais traitements redoublaient a sou e*gard. Au niois d'aout 1643, se trouvant avec quelques agniers pres du fort de Rensselaerwick (1), on 1'informa qu'a la suite de revers eprouves par leurs guerriers, les habitants de son village avaient resolu de le tuer. Le commandant hollandais le fit avertir que, s'il voulait s'echapper, on laisserait une chaloupe, au moyen de laquelle il pourrait pendant la nuit s'embarquer sur un vaisseau mouille" au milieu de la riviere. Le P. Jogues, au grand e'tonnernent du commandant et du rniuistre du lieu, Jean Megapolensis, demanda quelques heures de reflexion. II voulait peser dans sa conscience les consequences de sa demarche, par rapport au service de Dieu. Pendant sou se'jour parmi les Iroquois, il avait baptise' des enfants mourants, il avait soutenu le courage des prisonniers, il avait prepare a la mort ceux qui e"taient condamnes au feu, il avait catechise de pauvres chretiennes algonquines marines a des iroquois, il avait meme seme des germes de christianisme chez ses bour- reaux : avant de fuir, il voulait oennaitre si, en vue du bien a faire dans le pays des Iroquois, il ne valait pas mieux y rester, expose a tous les dangers, que d'accepter la liberte*. D'un autre c6te", il voyait de graves raisons qui 1'engageaient i s'61oigner. La mort 1'attendait surement dans son village ; or, il ne devait point sacrifier sa vie inutilement : il valait done mieux la conserver pour reprendre les me'mes travaux un pen plus tard, lorsqu'ils pourraient deveuir utiles a la gloire de Dieu. Cette consideration le ddcida ; il accepta 1'offre qu'on lui faisait, et, pendant la nuit suivante il prit la fuite. Quoique blesse grievement a la jambe par les morsures d'un chien de garde, il se tralna jusqu'a la riviere, et parvint & se re"fugier sur le vaisseau. a) Plus tard Orange ; aujourd'Lui Albany. 1642] DU CANADA. 323 Furieux de voir e"chapper leur captif, le lendemain les Iro- quois le chercherent de tous les cotes ; il s'^tait heureuse- ment tapi dans un coin obscur de la cale, ou ils ne le pou- vaient decouvrir. Ils menacerent d'incendier les maisons et de tuer les bestiaux, si on ne rendait le prisonnier ; de son cot, le P. Jogues s'offrait de se livrer lui-meme, si cela deve- nait rie'cessaire pour calmer la tempete. Les Hollandais parle- menterent, et des presents finirent par appaiser les sauvages. Toutefois, il e"tait encore n^cessaire de le tenir cached II fut alors loge* aux frais publics chez un vieil avare, qui le faisait presque mourir de faim et de soif. Se"pare\ par une cloison de planche mal jointes, de rappartement ou le maitre de la maison faisait la traite avec les Iroquois, le Pere Jogues passait les jours entiers, accroupi derriere un tonneau et sans oser tousser ou cracher. Son ami, le ministre Megapolensis, inform^ de ces faits, en avertit Guillaume Kieft, gouverneur de la colonie, qui fit descendre le jesuite a la Nouvelle- Amsterdam (1), et le fit embarquer sur un vaisseau de cinquante tonneaux, qui aborda la veille de Noel a Falmouth, en Angleterre. Les matelots hollandais, 4tant tous descendus a terre pour se delasser apres leur long voyage, des voleurs trouverent le Pere seul, lui enle- verent les habits que Kieft lui avait fait donner, et profiterent de 1'occasion pour piller le vaisseau. Le patron d'un bateau a charbon le transporta sur les cotes de la Bretagne, ou il descen- dit, mis(5rablement vetu et n'ayant qu'un bonnet de nuit pour se couvrir la tete. La, un honnete paysan breton lui donna 1'hospitalite ; les filles de ce brave homme, touchees de com- passion, viderent dans la main du pelerin leur bourse renfer- mant quelques sous,qu'elles avaient m4nag($s depuis longtemps. Cette charite catholique, ^i laquelle le P. Jogues n'e"tait plus accoutume', le toucha jusqu'aux larmes. II arriva enfin a la . maison des Je"suites a Rennes, le cinq Janvier 1644, tout dis- pos6 a reprendre le chemin de ses cheres missions du Canada. Dans 1'annee 1642, marquee par les premiers succes des Iroquois contre les FranQais, le Canada perdit son protecteur le plus puissant. Le cardinal de Richelieu mourut le quatre d^cembre 1642, n'e"tant encore ag^ que de cinquant-sept ans. Si la France, tout en rendant hommage aux talents et a la capacit^ sup^rieure du plus grand ministre qu'elle ait eu, a pu lui reprocher sa seV^rit^, son ambition, et ses liaisons avec la (1) New-York. 22 324 COTJRS D'HISTOIRE [1642 cause protestante en Allemagne, le Canada ne 1'a connu que par ses bienfaits, par sa gene"reuse protection, par son zele pour la conversion des sauvages et la propagation de la foi catholique. La pieuse duchesse d'Aignillon, qui avait pris une si grande part dans ses bonnes ceuvres an Canada, les continua avec un redoublement de charite* apres que la mort le lui eiit enleve". A rinte'rieur, la colonie perdit aussi un ami moins puissant, mais encore phis devone que le grand homme d'etat. Le P. Charles Eaymbault, use par ses travaux apostoliques chez les Hurons et les Nipissiriniens, e"tait, comme nous 1'avons dit, descendu a Quebec pour se pre*parer a la mort. Apres une longue maladie, il s'endormit paisiblement dans le seigneur, vers la fin du mois d'ociobre 1642. Par une marque d'estime toute speciale, M. de Montmagny le fit inhumer pres des restes de Chanlplain, a qui Ton avait elev4 un sepulcre particu- lier (1). Quelques jours apres, pe*rit dans 1'exercice d'une ceuvre de misericorde, un des voyageurs les plus entreprenants des premiers temps de la colonie. Jean Nicollet (2) e"tait arm4 dans la Nouvelle-France en l'ann(5e 1618 ; encore jeune, d'un caractere heureux, dou d'une excellente me*rnoire, il donnait des lors les plus belles espe"rances. Les detaile que rap portent les Relations, sur ses voyages et sur les services qu'il rendit, sont bien propres a nous faire connattre la vie aventureuse des franc_ais qui etaient employe's au milieu des tribus sauvages pour les concilier et pour veiller aux inte're'ts des compagnies. L'annee rneme de son arriv^e, on 1'envoya chez les Algon- quins de 1'Ile pour y apprendre leur langue, qui etait d'un usage general. Avec ce peuple, il passa deux ann^es, sans voir un seul francais ; dans toutes les courses, dans tous les voyages de ces barbares, il les accompagnait, ayant a supporter des fatigues et des privations incroyables. Plusieurs fois, il passa sept ou huit jours sans manger, et, pendant sept semaines en- tieres, il n'eut d'autre nourritur6 que des e"corces d'arbres. Quatre cents Algonquins e"tant alles traiter de la paix avec les Iroquois, Nicollet les accompagna et fit re"ussir les negotiations. A la suite de ce voyage, il demeura pendant huit ou neuf ans chez les Nipissiriniens, ou, comme un des membres de la nation, il (1) DuCreux, Higtoria Ganadensis. (2) Relation de 1643. Jean Nicollet n6 & Cherbourg, 6tait flls de Thomas Nicollet, messager ordinaire de Cherbourg a Paris, et de Marie La Mer . il 6pousa, en 1637, Marguerite fllle de Guillautne Couillard et de Guillomottu Hebert. 1642] DU CANADA. 325 etait admis aux conseils et avait sa cabane et son dtablisse- ment particulier. On le rappela enfin au sein de la colonie, et il fut nomine commis de la compagnie et interprete. En cette qualit^, il fut depute avec sept sauvages pour aller conclure la paix entre les Hurons et la nation des Gens de mer, placee, sui- vant son rapport, a trois cents lieues au couch ant du pays des Hurons. Cette nation etait celle des Winepigons, ou Puants,qui habitaient les bords du lac Michigan. Nicollet, pendant cette excursion, voyageait avec toute 1'etiquette des ambassadeurs sauvages. II avait a passer au milieu de plusieurs petites nations ; aim de n'etre point pris pour des ennemis, en arri- vant chez un de ces peuples, les deputes plantaient en terre deux poteaux, auxquels ils suspendaient des presents ; c'etait la ceremonie d'introduction. Etant encore a deux journees de la nation des Winepigons, Nicollet depecha un de ses hurons pour annoncer qu'un francais, hommes merveilleux, venait conclure la paix. Plusieurs jeunes guerriers s'avancerent a sa rencontre aim de lui faire les honneurs du pays. Revetu d'une e"toffe de damas de la Chine, toute parsemee de fleurs et d'oiseaux, et tenant a chaque main un pistolet, ou le tonnerre, suivant 1'ex- pression sauvage, il paraissait aux Winepigons un e'tre vrai- nient superieur. La nouvelle de son arrivee s'etant re"pandue dans tout le pays, quatre ou cinq mille hommes se trouverent reunis, et la paix fut conclue au milieu des festins donnas par les chefs (1). Ce dut etre pendant ce voyage que, suivant la relation de 1640, il remonta une grande riviere; c'etait la riviere aux Renards, qui tombe dans le lac ou la baie des Winepigons. Les sauvages I'informerent qu'en naviguant en- core trois jours, il pourrait arriver a la mer. " Ces paroles,", remarque M. Shea, " prouvent que Nicollet, aussi bien que le lieutenant de De Luna, crut que 1'expression, les grandes eaux, employee pour designer le Mississippi, devait s'appliquer a la mer. II est certain qu'k Nicollet est du 1'honneur d'etre arrive le premier jusqu'aux eaux du Mississippi (2)." En effet, des sources de la riviere aux Renards on arrive facilement a celles du Wisconsin, tributaire du grand fleuve. Du pays des Hurons, il fut appele" aux Trois-Rivieres, ou il passa plusieurs anne"es. Dans I'e'te' de 1642, Olivier Le Tardif, commis ge"ne"ral de la compagnie, e"tant all^ en France, Nicollet le remplaqa a Quebec. Un mois ou deux apres, on apprit que (1) Relation de 1640. (2) Discovery and Exploration of the Missittippi Valley, by John Gilmary Shea. 326 coiras D'HISTOIRE [1643 les Algonquins, re'unis en grand nombre aux Trois-Rivieres, voulaient faire bruler un sokokiois, qu'ils avaient surpris dans une de leurs courses. M. de Montmagny desirait sauver la vie au malheureux prisonnier, et il fallait se hater pour 1'arracher aux mains de ses bourreaux. Au milieu d'une tempete e"pou- vantable, Nicollet se jette dans une chaloupe avec le sieur de Chavigny et deux autres francais. Vis-a-vis de Sillery, une rafale de vent renversa la chaloupe ; Chavigny parvint a gagner terre"; mais Nicollet, qui ne savait pas nager, fut englouti sous les eaux, en meme temps que ses deux autres compa- gnons (1). La perte de Nicollet fut vivement regretted ; car il s'etait concilie" 1'estime et 1'affection, non-seulement des Francais, mais encore des sauvages, dont il savait manier les esprits avec une dexte'rite' admirable. Sou vent de'ja il s'e'tait expose* au danger de la mort par des motifs de charite. " II nous a laisseY' observe le P. Vimont, " des exemples. . . . qui tiennent de la vie apostolique, et laissent une envie au plus fervent reli- gieux de 1'imiter." Cependant le sokokiois qui avait e'te' la cause innocente de la mort de Nicollet fut sauve* par 1'intervention des mission- naires, et renvoye dans son pays. II montra une grande recon- naissance pour les Francais qui 1'avaient delivre 1 , et, a force d'efforts, il engagea ses compatriotes a envoyer une deputation chez les Iroquois leurs allies, afin d'obtenir la delivrance du P. Jogues. L'ambassade n'eut point de succes a la ve'rite', mais elle prouva que la reconnaissance n'est pas e"trangere a tous les cceurs sauvages. L'habitation de Montreal avait eu le bonheur de n'etre point de'couverte par les Iroquois dans 1'annee 1642 ; aussi les tra- vaux y furent conduits si heureusement, que, des le printemps suivant, les colons purent laisser leurs cabanes d'dcorce pour entrer dans les maisons qu'ils s'etaient construites. Malheu- reusement les ennemis ne tarderent pas a ddcouvrir leur retraite. Dix algonquins, fuyant devant un petit parti iroquois, se refugierent a Montreal. Ceux qui les poursuivaient recon- nurent la place, et se retirerent sans donner aucun signe de leur presence; mais ils ne manquerent pas de retourner bientot pour faire des prisonniers. En effet, au mois de juin, (1) A vant de disparattre sous les eanx, Nicollet recommanda RS femme et sa fille an sieur de Chavigny. Mademoiselle Nicollet 6ponsa dans la suite M. Le Gardeur de Kepentigny, et entra iiiuui dans une famille qui a ete une des plus conHid^rablas de y 'Aiuferique frai^uiso. 1643] DU CANADA. 327 ils s'&aient places en embuscade a quelques milles au-dessus de 1'habitation, lorsqu'une flottille huronne, charge'e de pelle- teries, vint donner au milieu d'eux et fut rec, ue a coups d'arque- buse. Surpris par cette attaque inopine'e, les Hurons ne songerent point a se de"fendre ; vingt-trois d'entre eux furent pris, tandis que les autres s'enfuyaient vers le fort franc.ais, vivement poursuivis par les Iroquois. Ceux-ci, s'avanqant jusqu'au pied des palissades, massacrerent trois francais et en emmenerent deux autres prisonniers. Apres avoir assomm.4 uue partie des Hurons, ils reprirent le chemin de leur pays, charge's de butin et conduisant avec eux les captifs. On apprit ces e've'nenients par un des prisonniers francais, qui reussit a s'echapper et rapporta & ses compatriotes les details de cette inalheureuse affaire. M. de Montmagny, arrivant a Montreal quelque temps apres, commuuiqua des nouvelles, qui ne pouvaient manquer d'etre agitable a la colonie isolee et environnee d'ennemis. Les associes de France ne 1'avaient pas oubliee. Sur les vaisseaux arrivaient des secours pour Montreal, conduits par un gentil- homme champenois, M. Louis D'Ailleboust de Coulonge, qui e"tait accompagne de sa femme et de sa belle-sceur. Madame de Bullion avait fait une fondation de deux mille livres de rente, pour 1'entretien d'un h&pital & Montreal ; elle avait de plus donne douze mille livres, tant pour le batir que pour le fournir de meubles (1). D'un autre cote", Montreal perdit cette annee deux personnes qui avaient assiste* & sa fondation. Attaque* de paralysie et arrive' a 1'age de soixante-dix ans, M. de Puiseaux demanda a passer en France, pour y chercher les soins dont il avait besoin. M. de Maisonneuve lui procura les moyens du faire ce voyage, et eut soin que jusqu'k samort il fut trait^ avec les plus grandes attentions. Madame de la Peltrie, qui e"tait mont(5e a Montreal dans I'esp^rance d'y fonder une seconde maison d'Ursulines, ne se trouvant pas en e"tat d'y r^ussir, et voyant .que mademoiselle Mance avait un nombre suffisant de per- sonnes de son sexe pour 1'aider, descendit & Quebec dans 1'in- .tention' de se fixer permanemment chez les Ursulines. Comme M. D'Ailleboust avait quelque connaissance des regies de 1'architecture militaire, il fut charg^ de fortifier 1'habitation de Montreal ; sous sa direction les pieux du premier enclos furent arrachds, et on eleva des retranchements revetus de bastions (1 ) M. Dollier de Gascon, Histoire du Montreal. 328 COUES D'HISTOIRE [1644 solides. Ces travaux furent execute's fort a propos pour mettre les colons a 1'abri des attaques de leurs ennemis, qui ne cessaient de les harceler, et se tenaient souvent caches dans les champs voisins, aim de profiler de quelque occasion favorable a leurs mauvais desseins. Ce demi siege durait dja depuis quelque temps, quand les Francais, se lassant d'etre chaque jour insulted par les Iroquois, demauderent avec instance la permis- sion de sortir pour attaquer un ennemi si incommode. Us ne pouvaient comprendre les motifs de prudence qui engageaient M. de Maisonneuve a se tenir sur la defensive, et a ne point exposer inutilement la vie de ses soldats dans les bois, ou ils n'etaient pas accoutume's a combattre. Ses raisons pleines de sagesse ne convenaient pas a Tardeur des Francais ; ils se plaignaient hautenient et taxaient leur chef de tiinidite. Informe de tous ces murmures, M. de Maisonneuve resolut de les satisfaire une bonne fois, afin d'arreter un me'conten- tement qui aurait cause* plus de mal que la perte de quelques hommes. On avait dresse" des chiens de 1'habitation a de"cou- vrir les Iroquois ; sous la conduite d'une chienne, pleine d'in- telligence et de courage, ils faisaient chaque jour une grande battue, pour reconnaitre les environs du fort et suivre les pistes des rodeurs. Le trente mars, ils donnerent 1'alarme par des aboiements furieux et prolonge's ; 1'ennemi dtant sans aucun doute dans le voisinage : aussi, comme a 1'ordinaire, les Francais les plus bouillants demanderent a marcher centre lui. M. de Maisonneuve y consentit et ordonna de se pre*parer au combat. A la tte de trente hommes, il s'avanca vers le bois ou Ton esperait trouver les Iroquois. Ils y etaient, en effet ; deux cents de leurs guerriers tomberent tout & coup sur les Francais, qui, apres avoir e^puise leurs munitions dans une vigoureuse defense, furent force's de se retirer vers le fort. La retraite de ses soldats s'e'tant faite rapidement, M. de Maisonneuve resta seul en arriere ; il se retirait lentement, portant deux pistolets, et se tournant de temps en temps vers 1'ennemi pour le tenir a distance. Les Iroquois le reconnurent, et espe'rerent re'ussir a le prendre vivant. Charge* de cette ha- sardeuse mission, le chef serrait de pres le commandant fran- ^ais, lorsque celui-ci, se retournant subitement, d'un coup de pistolet ^tendit 1'iroquois mort a ses pieds. La pbursuite cessa ; craignant qu'on n'enlevat leur chef, . les sauvages emporterent son corps dans la fore't, pendant que M. de Maisonneuve ren- trait au fort. Dans cette rencontre, plusieurs franqais avaient <5t4 tu^s, et d'autres blesses ; c'^tait une perte sensible, mais 1644] DU CANADA. 329 elle eut le bon effet de montrer combien avait 4t4 prudente la conduite du gouverneur, et de prouver en inme temps que, s'il e'tait sage, il e'tait encore plus courageux. Ce combat fut suivi de bien des attaques pendant tout le cours de 1'ete" ; et, quoique M. de Maisonneuve eut reQu des recrues par les vaisseaux, sa petite garnison n'e'tait gueres plus forte dans rautomne, par suite des pertes continuelles qu'elle eprouvait. Les blesses et les malades e*taient devenus si nom- breux, que la salle qui leur e'tait re'serve'e se trouva & peine sumsante pour les recevoir tous, lorsqu'au mois d'octobre mademoiselle Mance ouvrit son hopital (1). (1) Get hopital 6tait & 1'endroit, oil, juaqu'A ce jour, a 6t6 1'Hdtel-Dieu de MontrtaL 330 COURS D'HISTOIRE [1644 CHAPITEE QUATRlfcME. Le P. Bresaani eat fait prisonnier Tourments auxqnela il est soumis II est d61ivr6 par lea Hollandais Lea religieusea de 1'Hotel-Dieu laiaaent Sillery pour retourner a Qu6bec Succea des Huron s et dea Algonquina centre leura ennemia Hants faite de Piescaret, capitaine de l'He Guillaume Constnre ramen6 aux Trois-Rivieree par dea ambaaaadeurs iroquois Grand conaeil tenu aux Trois-Eivierea ; les Fran- ^ais, lesHurona et les Algonquina confereut avec la deputation iroqnoise Discoure de Kiotsaeton La paix est conclue La compagnie de la Nouvelle-France code la traite des pelleteries aux habitants du pays Conditiona de cet arrangement Mort dea PP. Masse et De Noiie N6gociations Le sieur Bourdon et le P, Jogues sont deputes vera les Agniers Second voyage dn P. Jogues ; il est tue par le Iroqnois Mort de sou compagnon. La situation de la colonie etait critique : 1'orgueil et la cruaute* des Iroquois croissaient avec leurs succes, et & mesure que les Hollandais leur facilitaient les moyens de coutinuer la guerre. Les marchands d'Orange et de Manhatte, sans s'occuper beaucoup des re'sultats, qui auraient pu tourner contre eux- memes, fournissaieut en abondance a leurs allies des arque- buses, de la poudre et du plomb, tandis que les Francais n'en cedaient qu'avec beaucoup de precaution aux Algonquins et aux Montagnais. Aussi les Iroquois profitaient de cet avantage pour prendre 1'ascendant sur leurs ennemis, dont la plupart n'avaient que leurs anciennes armes. Quelques hurons devaient remonter dans leur pays avec le P. Bressani, jesuite romain, arrive depuis deux ans au Canada. Pour e" viter la rencontre des Iroquois, ils partirent au commen- cement du printemps, lorsque le fleuve n'^tait pas encore entie- rement libre de glaces. Le jour meme du depart, a une petite distance au-dessus des Trois-Eivieres, la maladresse d'un huron forqa le parti de s'arreter; en d^chargeant son fusil sur une outarde, cet homme fit chavirer le cauot dans lequel e'tait le missionnaire. L'accident parut de mauvais augure aux sau- vages, qui voulurent retourner aux Trois-Rivieres. Craignant qu'il n'y cut quelque idde superstitieuse dans cette proposition, le P. Bressani resolut de passer outre. Cependant avec une imprudence caracteristique, les Hurons tiraient fr^quemment 1644] DU CANADA. 331 sur les outardes et sur les canards sauvages, qui a cette saison foissonnaient sur les eaux. La fusillade donna 1'eveil a une bande de trente iroquois, qui dresserent une embuscade pour sur- prendre les voyageurs. En effet un moment ou les Hurons, apres avoir pass 1'embouchure d'une riviere, doublaient la pointe voinine, ils furent attaque"s par les canots des ennemis (1). La partie n'etant pas e'gale, le Pere Bressani comrnanda a ses compagnons de mettre bas les armes. Les Iroquois s'emparerent de lui et de ses compagnons, ainsi que de tous les objets dont il etait charge pour les missions et les missionnaires. Un des Hurons ayant e'te tue au moment de 1'attaque, les Iroquois firent avec son corps un de leurs horribles festins. Puis, apres avoir partag^ le butin, ils se haterent de regagner leur pays avec les prisonniers. Le P. Bressani eut a endurer tous leg tourments qu'avait subisle P. Jogues ; ses mains furent mutilees et brulees ; son corps entier fut torture avec le fer et avec le feu ; et il n'at- tendait plus de delivrance que de la mort. Dans la relation de sa captivite, il avoue qu'il redoutaitde mourirsur lebucher ; cette horreur bien naturelle 1'engagea a demander qu'on changeat le tourment du feu en tout autre supplice qu'il souffrirait volon- tiers. " Non-seiilement tu ne seras pas brule\" lui re'pondit un des chefs, "mais nous avons pris la resolution de ne te point faire mourir." En effet, un conseil de deux mille sauvages s'e"tait tenu dans le bourg ou etait le Pere, et, a leur propre e"tonnement, ils deciderent de lui conserver la vie. Avec toutes les ceremonies du pays, il fut donn a une vieille femme pour remplacer son grand-pere, autrefois tu4 dans une rencontre avec les Hurons. Trouvant son nouveau parent trop infirme et trop maladroit pour en tirer des ser- vices, elle le ceda pour une somme de deux cent cinquante a trois cents francs, & des hollandais, qui le re^urent avec la plus grande bienveillance. Apres son retablissement, ils 1'envoye- rent a La Rochelle, ou il arriva au mois de novembre 1644, plus fort et plus vigoureux qu'il ne 1'avait jamais etc" depuis son entree dans la compagnie de Jdsus. Comme son modele, le P. Jogues, il repassa au Canada pour y reprendre les durs travaux des missions. La nouvelle des courses des Iroquois, portee a Sillery, y avait rpandu la terreur, et, sur les instances re'iterees du gouver- neur et des habitants, les religieuses laisserent Sillery, (1) La relation de 1644 donne lo nom de Marguerite a cotte riviere, et la met a six lieuesdes Trois-Eivieres. Ce doit 6tre une des deux rivieres Machiche, ou bien la riviere du Loup. 332 COURS D'HISTOIKE [1644 abandonne" par la plupart des families sauvages. Avant d'oc- cuper leur convent et leur hopital de Quebec qui n'^taient pas encore prts, elles furent obligees de se refugier pendant quelques semaines & la basse ville, dans une petite maison abandonnee. Les Ursulines avaient quitte" ce lieu depuis 1'au- tomne de 1642 pour entrer dans leur monastere, batiment grand et solide, oii elles pouvaient demeurer en surete parce qu'il n'e'tait qu'a cent pas environ du fort Saint-Louis. Elles avaient toujours, depuis leur arrivee, continue d'instruire outre les jeunes franchises, " un assez bon nombre de filles sau- vages, tant pensionnaires arrete'es que passageres (1)." Dans la petite guerre que soutenaient les Hurons et les Algon- quins unis contre les Iroquois, il arrivait parfois que les partis se croisaient ; ainsi, pendant que les Iroquois e"taient en embus- cade dans les lies du lac Saint- Pierre, leurs ennemis remon- taient la riviere de Richelieu pour les attaquer. Dans une de ces occasions, soixante hurons, s'etant glisse"s avec quelques algonquins au milieu de la flottille qui les guettait, passerent inapercus et allerent tomber sur un parti iroquois, qui se tenait cache* autour du fort de Richelieu. Us 1'attaquerent re"solument au milieu des tenebres de la nuit et le disperse- rent. Trois de ces iroquois furent faits prisonniers et amene's en triomphe aux Trois-Rivieres, ou aussitot les Algonquins commencerent a tourmenter un des captifs, qui leur avait e'te' donne. Comme c'etait un capitaine important dans sa nation, M. de Champflour, commandant aux Trois-Rivieres, en fit imme'diatement avertir le gouverneur M. de Montmagny, de*si- rant avoir quelques prisonniers afin de s'en servir pour obtenir la paix, se hata de se rendre sur les lieux, et, a force de presents, il retira des mains des Algonquins, le chef iroquois, qui avait dejk e'te' fort maltraite". Quant aux Hurons, dans un grand conseil, ils refuserent de ce"der les deux prisonniers qu'ils s'e"taient r^servds ; la vue des presents qu'on leur offrait comme ranqon ne put ebranler leur resolution. Se levant pour re"pondre aux demandes des Fran- cais, un de leurs capitaines s'e'cria tout dmu : " Je suis uu guer- rier et non un marchand ; je suis venu pour conibattre et non pour faire le commerce. Ma gloire n'est pas de rapporter des presents, mais de ramener des prisonniers. Qu'ai-je k faire de vos haches et de vos chaudieres ? Si vous avez tant d'envie d'avoir nos prisonniers, prenez-les ; j'ai encore assez de cceur (1) Relation de 1643. 1645] DU CANADA. pour aller en chercher d'autres. Si 1'ennemi nous tue, on dira dans le pays qu'Ononthio ayant retenu nos prisonniers, nous nous sommes jete's a la mort pour en avoir d'autres." "Tu ne vois ici que des jeunes gens," ajouta avec calme un huron chr^tien, " les anciens de notre pays de'cident les affaires. Si on nous voyait retourner avee des presents, on nous prendrait pour des marchands avaricieux et non pour des guerriers; nous avons donne* parole aux capitaines de notre pays que, si nous pouvions prendre quelques prisonniers, nous les remet- trions entre leurs mains. Les soldats qui t'environnent, te ren- dent obeissance : et nous obe'issons a ceux qui ont droit de parler. ... Tu veux la paix ; tu dis que c'est le bien du pays que la riviere soit libre ; nous avons les memes pensees. C'est pourquoi nous n'avons fait aucun mal a nos prisonniers, nous de'sirons les avoir pour amis. . . Quand nous diions k nos capi- taines : " nous voulons la paix : " ils ne nous feront pas rougir. Mais ils nous couvriraient de honte si nous parlions de la paix sans presenter nos prisonniers. La riviere, dit-on, est pleine d'ennemis : quand nous retournerons dans notre pays, nos pri- sonniers seront notre sauvegarde. Ils se leveront, si nous ren- controns nos ennemis, et diront la bonte d'Ononthio, et les managements que nous avons eus pour eux (1)." Les raisons des Hurons parurent solides a M. de Mont- magny: et il comprit que, connaissant les formes usite'es parmi les sauvages pour la conclusion des traitds, ils re'ussi- raient bien mieux que les Francais, & atteindre ce but au moyen de leurs prisonniers. Les Hurons retournerent dans leur pays, emmenant les deux captifs. Avc eux partirent les PP. de Brebeuf, Chabanel et Leonard Garreau, ainsi que plu- sieurs soldats notivellement arrives de France. Une autre expedition fournit a M. de Montmagny le moyen de se procurer encore quelques prisonniers, Piescaret, capi- taine des Algonquins de 1'Ile, e'tait renomme pour sa bravoure ^ chretien depuis trois ou quatre ans, il s'e'tait fait baptiser sous le nom de Simon. Des le printemps de l'anne"e 1645, il partit avec six guerriers pour aller couper le chemin a quelque bande iroquoise. Les sept algonquins remonterent par la riviere de Richelieu jusqu'au lac Champlain, et s'arre'terent dans une !le, ou ils pouvaient commode'ment attendre leur proie. Un coup d'arquebuse qu'ils entendirent les avertit que des iroquois e'taient dans le voisinage ; bientot en effet, de 1'abri ou ils se (1) Relation de 1644, 334 COURS D'HISTOIRE [1645 tenaient caches, ils apercurent deux canots s'avancant vers eux. A 1'intant ou le premier allait toucher an rivage, six des guerriers qu'il portait furent renverses morts par les balles des algonquins ; un septieme put se jeter a 1'eau et s'e'chapper a la nage. Pendant ce temps, le second canot mont^ par huit hommes avait dt^ vigoureusement pousse* et allait prendre terre a quelque distance, lorsque les algonquins, se pre"sente- rent pour s'opposer a leur de'barquement. Un des rameurs fut renverse par une balle, et, en tombant, fit tourner le canot. Ses compagnons furent precipites dans 1'eau; au milieu de la confusion qui suivit, quatre d'entre eux furent tu^s, deux res- terent prisonniers, le huitieme seul s'e'chappa (1). Quoique chretien, Piescaret avait garde beaucoup de sa rudesse payenne ; il avait cependant appris a ne point mal- traiter ses prisonniers. Le plus jeune des deux captifs se plai- gnit d'etre trop fortement lie*. " Camarade," lui repondit un des vainqueurs, " tu sembles ignorer les lois de la guerre." ' II les connait bien," reprit 1'autre prisonnier, " car il a vu pleurer plusieurs de vos gens pris et brules dans notre pays ; il ne craint ni vos menaces, ni vos tourinents." Deux on trois coups lui furent portes pour le faire taire ; et ce fut le seul mauvais traitement que les captifs eurent a endurer. Dans une assemble tenue a Sillery, Piescaret remit ses deux prison- niers a M. de Montmaguy, en le priant de les faire servir pour obtenir la paix. Quelques traditions sur les hauts faits de Piescaret parais- seut s'etre conserves parmi les Iroquois, aussi bien que chez les Algonquins. Nicolas Perrot, en a recueilli quelques-unes, qui me'ritent d'etre rapporte'es (2). Peu avant 1'expe'dition dont nous venons de parler, il en avait fait une autre, dans laquelle aucun de ses compatriotes n'osa le suivre. Connaissant parfaitement le pays des Iroquois, il partit done seul pour s'y rendre, vers le temps de la fonte des neiges. Afin de tromper ceux qui auraient pu rencontrer ses pistes, il eut le soin de mettre ses raquettes, sans devant derriere. Pour plus grande surete 7 , il sui- vaitde temps en temps les coteaux oula neige e'taitde'ja fondue, de sorte que sa trace dtait aiusi perdue. Aux approches d'un des villages iroquois, il se cacha ; et, la nuit suivante entrant dans une cabane, il tua dans leur sommeil tous ceux qui 1'habitaient. (1) Jtf lotion de 1645. (2) M6moiro de Viculas Perrot. Cadwallnder Colden, dan son onrrage intitnlA History of the fine Indian Nation* of Canada, a traduit ces r6cits de Perrot, ainsi qu'unt* partie tlu nienoire de oe c61ebre voj'ageur. 1645] DU CANADA. 335 Le lendemain, on chercha iDutilemjent celui qui avait fait ce coup ; il s'etait si Men tapi au milieu d'une pile de bois h cote* meme de la cabane, que personne n'eut la pensee d'y fouiller. La seconde nuit, une autre famille avait e'te massacre'e. Con- vaincu que dore'navant tout le monde resterait sur pied pour faire la garde, Piescaret quitta sa retraite au commencement de la troisieme nuit,emportant soigneusement toutes les chevelures qu'il avait leve'es. Sur le point de partir, il ne put cependant re'sister a la tentation de faire encore quelque victime ; favorise" par les te'nebres, il passa de cabane en cabane et trouva partout les habitants aux aguets. Enfin il rencontra une sentinelle qui sommeillait ; il I'assomma et prit le temps de lui enlever la chevelure. Mais le bruit qu'il fit ayant donne* 1'alarme, tout le village fut en un instant sur pied. Piescaret crut qu'il e'tait temps de partir ; il s'eloigna sans trop se hater, sachant qu'aucun sau- vage ne pourrait 1'atteindre & la course. II se laissait approcher par les quelques braves qui oserent le poursuivre ; puis il s'elancait avec la vitesse du chevreuil, et disparaissait bientot devant eux : par ce manege il voulait les fatiguer et les eloigner de leurs compagnons. La nuit venue, il se cacha dans le tronc creux d'un vieil arbre. Les iroquois, ayant perdu ses traces, s'ar- reterent pour se reposer, et, comme ils le croyaient deja bien loin, ils s'endormirent dans la plus profonde securite*. Piescaret veillait ; lorsqu'il les vit plonges dans le sommeil, il s'appro- cha d'eux a pas de loup, et quelques coups de casse-tete le de*- barrasserent de ses ennemis, dont il joignit les chevelures a ses autres trophees. " Souvent," remarque Colden, " un sauvage parcourra seul, trois ou quatre cents milles, et se cachera pen- dant plusieurs semaines sur le territoire ennemi, dans 1'espe- rance de venger la mort d'un parent ou d'un ami. Ils sont tel- lement adonne's a la vengeance, que cette passion semble leur ronger le coeur et ne leur laisser aucun repos qu'elle ne soit satisfaite." M. de Montmagny, ayant a sa disposition trois prisonniers iroquois, re"solut de s'en servir pour engager leurs compatriotes k eonclure la paix. II donna la Libert^ au chef agnier pris I'anne'e prece'dente, et le renvoya en r-on pays, le chargeant de declarer qu'Ononthio le rendait en retour de la d^livrance des deux captifs, Marguerie et Godefroy ; que lea Francais avaient encore deux prisonniers pleins de saute* et qu'ils 6taient pre^ts a leur donner la libert^ ; qu'ainsi 1'occasion ^tait favorable pour aplanir la terre et procurer une paix universelle. Deux mois apres, arriverent au fort de Richelieu deux capitaines 336 COUKS D'HISTOIRE [1645 agniers, accompagnes du prisonnier qui avait ete relache. Us venaient remercier le gouverneur de sa gehe"rosite, lui remettre Guillaume Cousture et parler de la paix. On leur fournit une chaloupe pour se reudre aux Trois-Eivieres, ou Cousture, qui devancait les ambassadeurs pour annoncer leur visite, fut requ avec une grande joie ; car on 1'avait regard^ comme mort, ou condamne, du moins, & passer le reste de sa vie dans une dure captivit^ (1). Les ambassadeurs furent conduits chez M. deChampflour, qui leur fit le meilleur accueil. Le premier d'entre eux, Kiotsaeton, fut gene"ralement admire par son intelligence et ses bonnes manieres. M. de Montmagny ne tarda pas a arriver avec le P. Vimont, pour recevoir les propositions que les Iroquois avaient a lui faire. Une audience leur fut accorde'e le douze de juillet dans la cour du fort, au-dessus de laquelle avaient ete tendues des voiles pour prote'ger les assistants centre 1'ardeur du soleil: A une extre'mite', se tenait M. de Montmagny avec sa suite et les ambassadeurs iroquois ; a 1'autre, etaient les Algonquins, les Montagnais et les Attikamegues ; les deux cote's Etaient occupe's par des francais et des hurons. Les presents des Iroquois, consistant en colliers de porcelaine, furent exposes au milieu de la cour. Kiotsaeton donnait la signification de chacun, en le presentant au gouverneur (2). Prenant un des colliers, et I'attachant au bras de Cousture : " C'est ce collier," dit-il, " qui vous ramene ce prisonnier. Je n'ai point voulu lui dire, lorsque nous etions encore dans mon pays : Yas-t-en, mon neveu ; prends un canot et retourne & Quebec. Mon esprit n'aurait pas e'te' en repos ; j'aurais toujours pens et repense" en moi-mesme : Ne s'est-il point perdu ? En ve'rite', je n'aurais pas eu d'esprit, si j'eusse agi de la sorte. Celui que vous avez renvoy4 seul a eu toutes les peines dans son voyage." Et, par une pantomine parfaite, il representait les fatigues et les dangers que ce capitaine iroquois, pendant son voyage solitaire, avait rencontre's dans les rapides, dans les portages et dans les bois. " Encore," ajoutait-il, " si vous 1'eussiez aide* a passer les sauts et les mauvais chemins, et puis, en vous arrtant et petunant, si vous 1'eussiez regarde de loin, vous nous auriez console's. Je n'ai point fait de me'me : Allons, mon neveu, ai-je dit a celui-ci, suis-moi ; je veux te rendre dans ton pays au pe*ril de ma vie." (1) Relation de 1645. (2) Lettres Sistoriquet de la M. de 1'Incarnation. 1645] DU CANADA. 337 En pre'sentant un collier pour temoigner que le souvenir des Iroquois tues paries Algonquins allait etre efface de la me'moire de ses compatriotes, Kiotsaeton laissa voir que la paix etait difficile a conclure entre les deux nations. " J'ai passe*," dit- il, aupres du lieu ou les Algonquins nous ont massacre's ce printemps, dans le combat ou les deux captifs ont e'te pris. J'ai passe vite, ne voulant point voir le sang des miens, qu'on a repandu, ni les corps qui sont encore sur la place ; j'ai detourne les yeux pour ne pas exciter ma colere." Puis, frap- pant la terre et se penchant comme pour ecouter, il continua : " J'ai entendu les voix de mes ancetres massacres par les Algonquins. Leu-rs voix amies m'ont crie : Mon petit-fils ! mon petit-fils ! Assieds-toi ; n'entre point en fureur ; ne songe plus a nous : il n'y a plus moyen de nous arracher a la mort. Pense aux vivants ; sauve ceux que le fer et le feu poursuivent. Un homme vivant vaut mieux que plusieurs tre'passe's. J'ai entendu leurs voix; j'ai passe outre, et je sttis venu a vous pour delivrer ceux que vous tenez captifs." Le premier jour des negociations, on n'entendit que la haran- gue de Kiotsaeton ; ainsi le voulait I'e'tiquette de la diplomatic sauvage. Avant de re'pondre a une proposition si importante, il fallait prendre le temps de refleehir. S'il y avait du vrai dans les sentiments exprimes par Kiot- saeton, il y avait peut-^tre encore plus de faux. L'orateur ayant fait allusion au chagrin des Agniers lorsque le Pere Jogues leur avait ete enleve, celui-ci, qui etait revenu au Canada et qui avait ete appele de Montreal pour assister au traite, ne put s'empecher de sourire et de remarquer qu'ils avaient deja pre'pare' son bucher, quand il s'etait sauve" de leiirs mains. Malgre' ses protestations publiques, Kiotsaeton proposa en secret de laisser les Algonquins en dehors du traite. M. de Mont- magny lui re'pondit que jamais les Francais n'abandonneraient les Algonquins Chretiens ; que, pour les autres, il etait difficile de les mettre de cote, quoiqu'on ne leur dut rien. Le gouverneur ayant repondu par des presents a ceux qu'a- vaient offerts les Iroquois, les articles du traite" de paix furent arrete's. Apres les festins et les fetes qui sont de rigueur dans ces occasions parmi les sauvages, les ambassadeurs, accom- pagne's de Cousture, partirent pour aller faire ratifier par leur nation les conditions stipule'es entre les parties. Le voyage ne fut pas long, et, au mois de septembre, dans une grande assem- ble tenue aux Trois-Rivieres, la paix si ne'cessaire a la colonie fut enfin conclue entre les Iroquois d'une part, et, de 1'autre, 338 COTJRS D'HISTOIRE [1645 les Francais et leurs allies. Plus de quatre cents hurons, atti- kamegues, montagnais, algonquins de 1'Ile et autres se trou- vaient rdunis a cette solennite'. Soixante canots hurons, charges de pelleteries, etaient arrives fort a propos, peu de jours auparavant. Sur une de ces embarcations e'tait descendu le P. Jerome Lalemant, se rendant a Quebec pour y remplir les fonctions de supe'rieur, auxquelles il avait etc" appele depuis plus d'un an (1). De grands changements venaient de s'effectuer dans le ma- niement des affaires de la colonie. Les associe's de la compa- gnie generale avaient ce'de' le commerce des pelleteries aux ha- bitants du pays, moyennant certaines conditions. Tous les co- lons avaient le droit d'etre admis dans la nouvelle association, qui recut le nom de societe" des habitants. Les negotiations avec la compagnie de la Nouvelle-France avaient et^ conduites par M. de Kepentigny, qui rapporta iui-meme a Quebec la nou- velle de leur heureux resultat (1). II avait obtenu un arret en date du six mars 1645, par lequel le roi approuvait " le traite* fait le quatorzieme jour du mois de Janvier, entre les dits associe's d'une part et le depute* des habitants de la Nouvelle-France fonde" sur leur procuration, de 1'autre." Le traite" renfermait des clauses nombreuses dont voici les principales. 1 La compagnie de la Nouvelle-France conservait son auto- rite et ses droits de pleine proprie'te, de justice etde seigneurie sur tout le pays .... 2 Elle continuait de jouir, dans toute'la Nouvelle-France, des droits seigneuriaux et feodaux, etc., etc., selon la coutume de Paris, qui devait etre observe'e dans toutes les jurisdictions du pays. 3 Elle choisissait le gouverneur et lieutenant ge'ne'ral du roi ; elle se re'servait la faculte 1 de nommer les juges souverains, (1) A son arrived a Qu6bec. le P. J. Lalemant conimenc.a a tenir un journal, oil il notait, jour par jour, les priucipaux 6venenients qui se passaieut dans la colonie. L* journal fut continu6 par ses successcurs; malheureusement, comme il a dejk 6t6 dit, il ne nous reste qu'un seul cahier, de trois ou quatre ^ui existaicut encore au com- mencement de ce siecle. Quelques courts extraits que nous en avons sout de nature :i faire regretter la perte de ces pr6cieux manuscrite. (2> Au depart de M. de Repentigny pour la France dans 1'automne de 1644, la Mere de 1'lncarnation ecrivait a son flls : "Voici 1'occasion d'un honufete geutil- homme, lieutenant de M. le gouverneur de la Nouvelle-France, et qui est 1 on de nos meilleurs amis. . . . Vous le prendrez pour un courtisan, mais achez que c'est un homme d'nne grande raison et d une vertu bien 6pur6e. Sa maiaon, qui estproche de la not iv. est reclee comme une maison religieKse. . . . Je vous dis tout ceci, afln que Toushonoriez M. de Kepentigny, c'est aiisiqu'il senomme; et afin de vous faire voir 'iii'il y a de bonnes Ames en Canada. 11 passe en France pour les affaires da pays et de la colonie franchise." Lettret Spirituelles de la Mere de 1'Incarnation. 1645] DU CANADA. 339 quand il serait trouv6 a propos d'en etablir, et de pourvoir a ce qui regardait les officiers de la justice ordinaire. 4 Se d^partant des justes eSperances qu'elle avait de se de"- dommager par la traite des pelleteries, des avances de plus d'un million de livres employees a fonder la colonie, elle cedait aux habitants de la Nouvelle-France la dite traite des pelleteries, et leur en abandonnait la jouissance, a 1'exclusion de tous autres, " dans l'4tendue des terres, au long du grand fleuve Saint-Laurent et autres rivieres se dechargeant en icelui j us- que a son embouchure dans la mer, a prendre a dix lieues pres de la concession de Miskou du cote sud ; et, du cote* du nord, autant que s'etendaient les boines de la compagnie." 5 L'Acadie, Miskou et le Cap-Breton etaient exclus des limites de la concession. 6 et 7 Les habitants associes jouiraient des privileges ac- cordes, non se'pare'ment, mais en comniunaute'. Aucune cession de parts ne pouvait etre faite sans 1'agrement de la compagnie generale. 8 Les habitants s'obligeaient d'entretenir dans chaque habi- tation le nombre d'ecclesiastiques requis pour I'administration des sacrements, et de leur payer les pensions annuelles que la compagnie des Cent-Associes avait eoutume de payer. 9 La comniunaute des habitants e'lait chargee de 1'entretien du gouverneur, de son lieutenant, des capitaines, officiers et soldats, auxquels elle fournissait les vivres necessaires et dont elle payait les appointements ; elle reparait les forts, et entre- tenait cent homines au moins pour les garnisons du pays. 10 Les armes et munitions de guerre e'taient laisse"es aux habitants, a condition qu'elles seraient remplace'es au besoin. 11 En retour, les habitants dechargeaient la compagnie geuerale de totite depense pour 1'entretieu de la colonie, et se chargeaient des obligations contractees envers la duchesse d'Aiguillon, les Hospitalieres et les Ursulines. 12 La comniunaute des habitants dtait tenue de faire pas- ser tous les ans au Canada, vingt personnes de Tun ou de 1'autre sexe, etc., etc. 13 Les congds necessaires pour le depart des vaisseaux devaient etre expe'dies par la compagnie gt$ne"rale. 14 Pour droits et redevances seigneuriales, les habitants s'obligeaient a payer en France a la compagnie ge'ne'rale un millier pesant de castors assortis. Les autres articles entraient dans des derails sur la cession que la compagnie ge'ne'rale faisait des vivres et des marchandises 23 340 COUKS D'HISTOIKE [1640 restaut dans ses magasins de la Nouvelle-France, et de plus "des barques, chaloupes, agres, munitions et victuailles (1)." Aussitot apres I'arrive'e de*M. de Eepentigny, les inven- taires des effets contenus dans les magasins furent piompte- ment faits, et ils e'taient terinines avant la venue des Hurons ; de sorte que, des cette premiere annee, toutes les pelleteries furent achete'es par la nouvelle socie'te'. La Nouvelle-France perdit, dans la premiere partie de 1 646, deux de ses plus anciens missionnaires. Le douze mai de'ce'da, a Saint- Joseph de Sillery, le P. Enmond Masse, age de soixante- douze ans. II avait ete le compagnon du P. Biard a Port- Royal et Saint-Sauveur ; et des lors il s'etait montre* le digne pre'de'cesseur de la bande d'hommes apostoliques avec lesquels il e" vang^lisa plus tard les tribus sauvages des bords du Saint- Laurent. Chasse" de ses cheres missions, une premiere fois par Argall, et une seconde par les freres Kertk, il s'empressa d'y revenir en m6me temps que Champlain en 1633 ; cette fois, c'etait pour y mourir. Trop age et trop infirme pour se rendre au pays des Hurons, il avait e"te* employe a Quebec, puis a Sillery, ou il consacra ses dernieres annees au salut des sauvages. Au mois de Janvier precedent, le P. Anne de Noue avait e'te' trouve^ gele* sur le grand fleuve, a quelques lieues du fort de Richelieu. Quoique age" de soixante-trois ans, le P. de Noue e"tait encore capable de faire de longues marches. Monte" sur des raquettes et accompagne' par un huron et deux francais, il e"tait parti des Trois-Rivieres pour aller donner une mission aux soldats qui passaient 1'hiver au fort de Richelieu. Le premier jour, ils n'avaient parcouru que six lieues, environ la moitie de la distance ; ils avaient ^te retardes par les deux jeunes francais, nouvellement arrives dans le pays et peu accouturne's a 1'usage des raquettes. La nuit se passa dans un trou creuse sous la neige. Deux heures apres minuit, la lime e"tant fort brillante, le P. De Noue partit seul, pour se rendre an fort et euvoyer de la du secours aux deux soldats. Bientot le ciel se couvrit de nuages ; des tourbillous de neige envelopperent le pauvre voyageur, lui de"robant la vue du ciel et de la r terre. Poursuivant son chemin sur les glaces, il passa vis-a-vis du fort sans s'en apercevoir. Lorsque le jour suivant, le huron, son compagnon de route, y arriva, il fut tout e'tonne' de ne point rencontrer le Pere. Des messagers parcoururent les environs (1) Documents de Paris, aeoonde 86rie, Tol. I. 1046] DU CANADA. 341 saiis rie u decouvrir ; entin 1111 soldat accoutunic au pays, s'etant fait accouipaguer de deux hurous, trouva le corps gele du missionnaire, a quatre lieues au-dessus du fort. II etait agenouille aupres d'un trou qu'il avait commence a ereu- ser dans la neige avec ses raquettes. Ses deux mains croisees sur sa poitriiie temoignaient qu'il priait lorsque la mort etait venue mettre un terme aux souffrances causees par la faim, la fatigue et le froid. Le soldat fraucais, en s'approchant du Pere, qui conservait 1'attitude et le calnie de la priere et dontles yeux eteiuts se tournaient vers le ciel, tomba a genoux sur la neige, saisi de respect et d'admiration. Les restes du courageux mis- sionnaire furent transported aux Trois-Rivieres, ou on les en- sevelit dans le cimetiere public, au milieu des regrets des Fran- t^ais et des sauvages. Fils d'un gentilhomme de Champagne, le P. De ISToue avait ete a la cour dans sa jeunesse ; les dangers qu'il y avait rencontres pour son salut 1'avaieut bientot engage k s'eu eloigner et a entrer dans la compagnie de Jesus. La paix n'avait ete conclue qu'avec un des cantons iroquois, celui d'Agnier, le plus rapproche" de la colonie francaise ; les quatre autres teiiaient encore la hache levee contre les Algou- quiiis et les Hurons. L'on doutait meme de la bonne foi des Aggers. Le plus grand nombre d'entre eux etaient cependant sinceres, du moins pour le moment ; rnais, dans une societe" si mal organise'e, un seul mauvais sujet suffisait pour rallunier le feu de la guerre. Quelques algonquins ayant e"te tu^s pendant 1'hiver on craignit d'abord que ces meurtres ne fussent 1'ceuvre des Aguiers. Deux algonquins, laisse"s pour mort, mais qui etaient seulement blesses, furent a force de soins rappel^s a la vie, et fire nt connaitre que les assassins etaient des sokokiois (1) ; cette nouvelle fut peu apres confirmee par Cousture, qui, ayant pass4 1'hiver chez les Agniers, avait assist^ a leurs conseils. II arriva vers le commencement de mai aux Trois-Rivieres avec sept ainbassadeurs iroquois, qui y rencontrerent M. de Mont- magny. Us offrirent des presents pour affermir la paix, pour essuyer les larmes des Francais & 1'occasion de la mort des Peres Masse et De Noue, pour allumer et entretenir un feu de conseil aux Trois-Rivieres. M. de Montmaguy crut devoir profiter de 1'occasion pour envoyer une ambassade dans leur pays. Le P. Jogues et le sieur Jean Bourdon furent choisis pour remplir cette mission (1) Komm6a Agaokouekik par les Montagnaia, Relation de 1646. "42 COURS D'HISTOIRE [1646 delicate et daugereuse ; car, en de"pit de leurs protestations d'amitie si souvent reiterees, Ton conservait ton jours des doutes sur les dispositions reelles des Agniers. Le P. Jogues consentit a retourner chez ses anciens bourreaux, plutot comme envoye de Dieu que comme anibassadeur des hommes. Cependant, a la pense'e de revoir les lier.x ou il avait tant souffert, la nature se revolta en lui, comme il 1'avoua inge'nurnent a son superieur ; mais, ce premier mouvement reprime, il se rejouit d'avoir ete choisi pour coiitinuer 1'oeuvre commencee pendant sa captivite. Son compagnon, le sieur Jean Bourdon, e'tait un homme energique, plein de bon sens et de ressources, devoue a son pays d'adoption et toujours prgt a lui rendre service. Tour & tour ingenieur, arpenteur, legiste, soldat, ambassadeur, de"cou- vreur, conseiller, Jean Bourdon se montra toujours digue des fonctions qui lui furent confiees ; mais avant tout il etait honnete homme et bon chretien (1). Les Algonquins, voyant le missionnaire prt a partir, et con- natssant par leur propre experience 1'effet que les severes lecons du christianisme devaient produire sur 1'esprit des infideles, lui donnerent un avis qu'ils croyaient important. " Ne parle point d'abord de la priere, " lui dirent-ils : " car il ii'y a rien de si rebutant au commencement que les paroles de la priere, qui semble de"truire tout ce que I'homme a de plus cher; et, comme ta longue robe noire pre'che aussi Men que ta bouche, prends un habit sembable a celui des autres francais." Le P. Jognes suivit cet avis, d'apres le conseil de ses stip4- rieurs, quijugereutqu'un missionnaire doit se faire tout a tous pour procurer la plus grande gloire de Dieu. Le seize mai, les deux ambassadeurs partirent des Trois- Eivieres avec une escorte de quatre agniers et de deux algon- quins, A six lieues au-del& du lac Andiataroct(5 ou Saiiit- Sacrement, ils tomberent sur la riviere Oiogue (2; ; ils pousse- rent jusqu'au fort d'Orange, ou le P. Jogues put remercier ses anciens amis et ses libe'rateurs. L'ambassade arriva, le sept de juin, a la premiere bourgade des Agniers, nomme'e Oneu- giour6 (3). Le missionnaire fut bien recu, et, le dix du rnerne (1) N i'- & Rouen, Jean Bourdon Tint au Canada en 1633 ou 1634 ; en 1635, il 6pous a Queliec demoiselle Jacqueline Potel. II pbtint en 1637 et 1639 une seignenrie, & ItKjuelie il donna le uom de Domboure et qui depuis recut les noma de Xeuville et de Poiute-aux-Trembles. II s'otait H6 d'une aniitie 6troite avec M. Le Sueur, ancien cur6 de Raint-Sauveur de Thury, et premier pr6tre a6cnlier qui soit venu en Canada apres la foiidation de Quebec. (B) C'eat la rividre Hudson, alors nomnu&e Van Maurice par lea Hollandais. (3) Relation de 1646. 1646] DU CANADA. 343 mois, a une assemble ge'ne'rale des principaux capitaines et des anciens pays, il de'ploya les presents de M. de Moiit- inagny, et les offrit en exhortant les Agniers a maiutenir la paix. II donna aussi un collier a la famille du Loup, par laquelle il avait etc" adopte, et un autre aux Onnontagues qui etaient presents, aim de leur faire entendre que les Francais avaient dessein d'aller jusques dans leur pays. La famille du Loup assura Ondessonk, (ainsi nommaient-ils le P. Jogues,) que les Francais seraient toujours les bienvenus, et que lui- meme aurait toujours sa place dans la cabane pour se reposer, et un feu pour se chauffer. Passant ensuite aux affaires de son maitre, le missionnaire re"unit quelques Chretiens qui se trouvaient 1& ; il les instruisit, et les fit participer aux sacrements de 1'eglise. Mais il ne put demeurer parrni eux aussi longtemps qu'il le souhaitait, car les Agniers pressaient les Francais de partir, sous le pre"texte que les Iroquois des cantons superieurs gardaient les passages afin de surprendre les Hurons. Au moment de se mettre en route avec son escorte, il confia a son note une petite caisse, ren- fermant des objets qu'il de"sirait retrouver quand il viendrait se fixer dans le canton. Pour prouver qu'elle ne renfermait aucuu malefice, le P. Jogues 1'ouvrit devant plusieurs per- sonnes, et leur montra ce qu'elle contenait. Apres avoir rendu compte de son ambassade, il repartit des Trois-Kivieres le vingt-quatre septembre, pour retourner chez les Agniers, ou il e"tait charge" de travailler a maintenir la paix. Mais, de"ja avant son arrivee, les cantons superieurs avaient e^e" invites par cette perfide tribu a lever la hache contre les Francais. La re- colte avait e"te mauvaise, et les maladies s'etaient repandues ; de la les Agniers conclurent que le P. Jogues avait jete* parmi eux des mal^fices, au moyen desquels les Francais les vou- laient exterminer. A mesure que le missionnaire approchait, les bruits de guerre arrivaient plus frequents & ses oreilles: les hurons, ses compagnons de voyages, s'en effrayereut et rebrousserent chemin. Pour lui, il continua sa route avec un jeune homme natif de Dieppe, nomine" Lalande. A ini-chemin entre le lac Saint-Sacrement et la premiere bourgade, les deux francais furent arrete's par des iroquois, qui les d^pouillerent et les battirent cruellemeut. Conduit avec son compagnon a Gandawague, lieu de sa premiere captivite*, le P. Jogues entendit prononcer la sentence de mort port(5e contre eux ; " Vous ne serez pas bruits ; nous vous frapperons avec nos haches." La decision sur le sort des prisonniers ^tait loin 344 COTJRS p'msToiRE [1646 d'etre unanime. La famille de 1'Ours voulait du sang ; les families de la Tortue et du Loup cherchaient a sauver la vie des deux captifs. Le soir du dix-huit octobre, le P. Jogues fut invite" a se rendre dans une cabane pour y souper. Au moment ou il entrait, un homme cache derriere la porte, lui fendit la tete d'un coup de hache. Le lendemain Lalande fut massacre de la mme maniere, et les deux tetes furent plante'es sur les pieux de 1'enceinte. Ces tristes nouvelles ne furent apprises a Quebec que I'anne'e suivante, au mois de juin, par une lettre que Kieft, gouverneur de Manhatte, adressait a M. de Montmagny. La tribu de 1'Ours avait seule prepare et execute le double meurtre. Interroges par le ministre d'Orange sur les raisons qui les avaient engages a tuer le P. Jogues, les principaux d'entre eux re"poudirent qu'il avait place le diable dans un coffre laisse a leur garde, et que par ses malefices il avait fait pe"rir leur mais. Leurs prejuge's centre le christianisme etaient tels, en effet, qu'ils attribuaient tons leurs contretemps a ceux qui le professaient, et surtout aux missionnaires, qu'ils regar- daient comnie de grands sorciers. Le P. Jogues fat ge*neralement regarde comme un m;;rycr de la foi ; anssi ses confreres se sentirent plutot portes t\ 1'in- voquer qu'a prier pour le repos de son ame. II avait, depuis son retour de France, esp^re que ses superieurs le charge- raient de la mission chez les Iroquois, et il s'en rejouissait, dans la confiance qu'il y pourrait offrir sa vie pour le service de son mattre. Peu de temps avant d'etre choisi pour aller chez les Agniers, il ecrivait a un de ses confreres alors en France : u J'ai sujet de croire que j'y serai employ^, ayant quelque connaissance de la langue du pays Le cosur me dit que, si j'ai le bien d'etre employe en cette mission, ibo et non redibo (1) ; mais je serais heureux si notre Seigneur voulait achever le sacrifice ou il 1'a commence*, et que ce peu de sang que j'ai xe'pandu en cette terre fut comme les arches de celui que je lui donnerais de toutes les veiries de mon corps et de mon coeur." Le P. Jogues etait d'uiie simplicity et d'une douceur udmira,- bles dans le commerce ordinaire de la vie ; cependant, s'agissait- il de raccomplisseinent d'un devoir, il se montrait ferine oL iuc- branlable. Dans les occasions iiuportaiites, avaut de se decider a prendre uu parti, il examinait 1'affaire louguement et dcvuul JJieu ; sa decision une fois j)ri6e, il la suivait sans bruit, uvcc (1) J'irai et jo nt- revicnrtrni pas. 1646] DU CANADA. 845 une grande simplicite, mais aussi avec la force et la perseve'- raiice que la conscience du devoir pent seule inspirer. " Ondes- sonk," lui disaient les Agniers, " tu fais 1'enfant quand on te com- inande quelque chose, mais tu fais bien le maitre quand tu veux. Tu te feras tuer ; tu paries trop hardiment. Tu es prisonnier dans notre pays, tu es seul de ton parti, et tu nous tiens tete. Que ferais-tu si tu e"tais en liberte" parmi tes gens ? II s'e- tonnait quelquefois lui-meme de la hardiesse avec laquelle il les reprenait. Comme il avait fait par avance le sacrifice de sa libert^ et de sa vie, il se montrait e'leve' au-dessus de toute crainte, et par son courage et sa noble franchise il forcait les plus iutelligents de ces barbares a le respecter. Lors de sa mort, le P. Jogues n'avait que quarante-huit ans ; il conservait encore toute sa vigueur, malgre les fatigues et les tourments qu'il avait endures. Le compagnoii de ses souffrances et de sa mort, le jeuue Lalande, se moutra le digne e"mule des Goupil, des Cousture, et des autres laics qui, dans ces temps de foi, bravaient la mort pour prendre part aux merites des missionnaires. Connaissaut les dangers auxquels il s'exposait en accompagnant le P. Jo- gues dans ce voyage pemble, il avait proteste a son depart que le desir de servir Dieu etait le seul motif qui 1'engageait a entrer dans un pays ou il s'attendait a trouver la mort (1). (1) Relation d*. 1647. 346 COUKS D'HISTOIRE [1646 CHAPITEE CINQUIEME. Fort de Montreal terming par M. D'Ailleboust pendant 1'absence de M. de Maison- neuve Les Abenaquis demandent un missionnaire Le P. Druilletes les va visitor Acadie Sivalit6 entre Charles de La Tour et D'Aulnay La Tour & Boston Discussion a son snjet H obtient des secours et attaque D'Aulnay, qui passe en France et revient avec 1'ordre do vivre en paix avec les Anglais Madame de La Tour a Boston M. Marie. envoy6 de D'Aulnay, conclut un trait6 avec les autorit6s de Boston Madame de La Tour conduit trois navires au fort La Tour D'Aulnay attaque le fort La Tour et le prend Prisonniers mis a mort Mort de Madame de La Tour La Tour se rfefugie & Boston puis a Qu6bec Caractere de D'Aulnay MM. Louis et Marie Boston. La paix faite 1'automne precedent et qui venait d'etre si honteusement violee, avait donne aux habitants de Montreal le temps de respirer. N'osant cependant se fier aux promesses de leurs perfides ennemis, ils ne sortaient jamais sans etre bien arme's ; au son de la cloche, ils se reunissaient pour se rendre au travail, et en revenaient avec les memes pre"cau- tions. M. D'Ailleboust, qui commandait en 1'absence de M. de Maisonneuve, s"e hata, pendant la dure"e du calme, de faire achever le fort, qu'il re'duisit a quatre bastions rtSguliers. La nouvelle de la mort de son pere et le besoin de regler des af- faires de famille avaient engage* M. de Maisonneuve a passer en France, dans 1'automne de 1645. Au printemps suivant, il s'empressa de revenir au Canada; mais a peine e'tait-il d4- barque a Quebec, qu'une lettre, qui 1'avait suivi de pres, le forca de retourner en France, sans lui permettre meme de vi- siter Montreal (1). Tandis que les Iroquois se montraient si hostiles envers les Francais et si peu disposer a recevoir les enseignements du christianisme, la nation guerriere des Abenaquis, sur les terres de laquelle les Anglais avaient e"tabli plusieurs postes, envoyait au Canada trente de'pute's charg^ de traiter avec les autoritds de Quebec, et de demander qu'un chef de la priere les visitat. De'signe' pour aller reconnaltre les dispositions de ce peuple et muni de recommandations de M. de Montmagny, le P. Druilletes parti avec les deputes abenaquis, au mois d'aout de I'anne'e 1646 (2). Ils remonterent vraisemblablement la (1) Hixtoire du Montreal, M. Dollier de Casson. (2) Relation de 1C46. 1638] DU CANADA. 347 riviere Chaudiere pour atteindre la hauteur des terres entre le Saint-Laurent et 1'Atlantique, et suivirent ensuite le Kini- beki. Le missionnaire visita les villages de Narantsouak et de Koussinoc, (1) puis descendit jusqu'ala mer. Les Anglais, qui avaient plusieurs etablissements sur la cote, le traiterent avec beaucoup de bienveillance. Son guide abenaquis voulut le conduire en canot jusqu'a Pentagouet, residence ordinaire du sieur D'Aulnay ; le P. Druilletes y fut recu avec amitie par les Peres Capucins, charges de cette mission. A son retour, il rencontra le sieur John Winslow, principal commis de la compagnie de Plymouth au poste de Kinibeki, et les rapports les plus amicaux s'etablirent entre le riche marchand anglais et le pauvre missionnaire catholique, qui passa tout 1'hiver chez les Abenaquis. Winslow avait eu de frequentes relations aveo les chefs des petits etablissements francais situes au nord de son poste ; en effet les Anglais s'etaient mole's aux querelles soulevees entre LaTour et D'Aulnay, et plusieurs fois leurs etablissements de commerce entre la riviere Pentagouet et le Kinibeki avaient du souffrir, lorsque La Tour, leur allie, avait eu le dessous. Celui-ci venait enfin d'abandonner 1'Acadie apres une longue suite de revers, et il s'etait reTugie a Quebec, deux ou trois semaines avant le depart du P. Druilletes pour le pays des Abenaquis Ces dissensions entre les chefs francais duraieut depuis long- temps. Apres la mort du commandeur de Eazilly, 1'Acadie e'tait reste"e sous les ordres de ses deux lieutenants, Charles de La Tour et Charles D'Aulnay de Charnisay. Tous dsux posse- daient de grandes etendues de terre dans le pays : tous deux s'occupaient du commerce des pelleteries avec les sauvages, et e'taient a la tete de compagnies particulieres, qui les sou- tenaieut dans leurs contestations et leurs luttes. Des diffi- cultes si vives surgirent entre eux au sujet des limites de leurs gouvernements respectifs, que la cour dut les regler par des lettres du dix fevrier 1638. D'Aulnay fut nornm^ lieutenant general du roi " en la cote des Etchemins, a prendre depuis le milieu de la terre ferme de la baie Francaise (2), en tirant vers les Virginies, et gouverneur de Pentagouet." II lui e'tait defendu, ne"anmoins, de s'immiscer dans les affaires de 1'habi- tation que possddait La Tour sur la riviere Saint- Jean. Celui- ci demeurait lieutenant ge'ne'ral du roi " en la cote d'Acadie, (1) Augusta. Les Anglais avaient etabli un inagasin en ce lieu. (2) Vraiaemblablement an cap Chignecto. Jfemoires des Commissaires. 348 COURS D'HISTOIRE depuis le milieu de la baie Francaise jusqu'au de"troit de Can- seau," sans avoir le droit de rien ordonner dans les habita- tions de La Heve et de Port-Royal, que D'Aulnay administrait an nom de Claude de Razilly, frere et heritier du commandeur, et qu'il Unit par acheter en 1642. Le nouvel arrangement n'apporta point de changement dans les dispositions de ces deux hoinmes ; ils ne purent garder la paix entre eux, et bientot leurs diffe'rends de'gene'rerent en une guerre ouverte, digne des chatelains du moyen age. D'Aulnay, \ quiavait a la cour un puissant protecteur dans la personne de son pere, le sieur de Charnisay, se fit donner 1'ordre d'arr^ter son competiteur et de le faire repasser en France. Attribuant cette mesure a de faux rapports, La Tour se retira dans son fort de Saint- Jean, resolu de s'y defendre vigoureusemenfc. II avait ete e^eve dans le pays par un pere huguenot et an mi- lieu des aborigenes : aussi il trouva des amis parmi les Souri- quois, parmi les protest-ants de La Rochelle et niemr parmi les puritains et les independants de la Nouvelle-Angleterre. Comme le major Gibbons de Boston etait devenu un de ses associes pour le commerce, La Tour envoya en cette ville un rochelois protest-ant, le sieur Rochette, pour proposer uux Bostonais de s'unir avec lui pour attaquer d'Aulnay, retire dans le fort de Pentagouet, ou il avait place son principal eta- blissement de commerce. Cette premiere demaude et une seconde, qui fut faite Taunee suivante pour le merue objet, demeurerent sans resultat. Enfin, en 1643, le douze avril, La Tour entra dans le port de Boston sur un navire portant cent quarante personnes, parmi lesquelles e'taieut deux religieux. II informa le gouverneur Wiuthrop que ce batiment, frete a La Rochelle par quelques-uns de ses associe*s, n'avait pu pe"netrer dans la riviere Saint-Jean, dont l'entre"e etait bloque"e par les vaisseaux de D'Aulnay, et que lui-meme avait trouve moyen de se rendre a bord, afin de le conduire a Boston, en attendant des circonstances plus favorables (1). La Tour fut recu avec de grands honneurs par les autorit^s de la ville, tant a cause de ses liaisons de commerce avec plusieurs des priucipaux citoyens, que parce qu'il etait regarde comme lieutenant gene*- ral du roi de France dans 1'Acadie, le vice-umiral du royaume lui donnant ce titre dans une lettre. Une autre raison se joiguuit peut-etre aux deux premieres pour ])ro(Hnv.r a L;i Tour uiu; reception favorable. Le gouverneur Wiuthrop semble 1'indi- ([uer dans le passage suivant de ses me'moires. " En cette occa- (1) Wiuthrop'g Xw England, vol. II. 1643] DU CANADA 349 sion, " dit-il," le Seigneur nous permit de remarquer notre faiblesse ; car, si La Tour eut ete mal dispose a notre e'gard, il avait un avantage que jamais aucun autre n'aura, je 1'espere. Passant devant le chateau et le saluant, il ne se trouva personne pour lui re'pondre. La derniere assemble de la cour gend- rale avait ordonn^ d'abandonner le chateau de 1'ile, et une partie des remparts etait tombee ; de sorte qu'il aurait pu s'em- parer de toute I'artillerie qui s'y trouvait. II aurait pu ran- conner Boston, et, ayant tant d'hommes armes avec lui, il pou- vait par leur moyen s'emparer de deux vaisseaux qui etaient dans le port, et se retirer sans danger et sans resistance (1 )." La Tour alia loger chez son associe, le major Gibbons. Ce- pendant le gouverneur Winthrop r^unit les magistrats et les deputes qui se trouvaient a Boston, et le capitaine du vaisseau francais leur pre'senti, sa commission. Elle me fut expose", et peut-etre a bon droit, aux soupcons qui planaient deja sur son compagnon. Tous deux passerent un dimanche a Boston ; le gouverneur les informa que, dans ce jour, chacun devait se rendre aux assem- blies religieuses, on demsurer tranqaille au logis. II les invita a passer la journee chez lui, et Ton rernarqua qu'ils s'occupe- rent du matin au soir soit a se promener dans son jardin, soit a feuiller des livres latins (1). (1) WintLrop'a New England. 356 COUES D'HISTOIRE [1647 CHAPITRE SIXIEME Affaires de la compagnie des Habitants Reglement de 1647 Hostilites des Iroquois Mort do Piescaret Une prisonniere algonquiiie s'echappe d'eutre les mains des Iroquois II. D'Ailleboust remplace M. de Montmagny dans le gouvernemeut du Canada Belles qualites de M. de Moutmaguy Regleuient de 1648. La compagnie des Habitants, qui depuis un an jouissait seule des a vantages de la traite, recut dans ses magasins, en 1646, plus de cent soixante poincons de castor. C'etait done une valeur de plus de trois cent mille livres, le poincon etant de deux cents livres, et chaque livre de castor valant alors dix frans sur le marche de France. De plus, elle exporta une grande quantite" de paux d'ours, d'orignaux, et de loutres. Ce grand commerce, conduit par une socie"te organised dans la colonie, donna lieu a des jalousies et h. des plaintes qui n'etaient pas toujours sans fondements. Les directeurs voulurent faire augmenter leurs salaires et obtenir des indemnites pour ser- vices extraordinaires. Cette tentative de la part des niembres du conseil fut repoussee par les associes ; le projet de gratifi- cations fut aussi forcement mis de cote", apres que M. de Maisonneuve eut declare qu'il ne le signerait point (1). Les amis de la colonie s'adresserent a la cour pour empe- cher que de semblables demandes ne fussent renouvelees. En consequence, " un reglement pour ^tablir uri bon ordre et police en Canada, " fut donne par le roi en son conseil, le vingt-sept mars 1647, sur le rapport des sieurs Laisnd, de Morangis et de Mesme, conseillers et commissaires deputes pour les affaires de la Nouvelle-France ; ce reglement etait une espece de chartc constitutionnelle, octroyant quelques b'bert^s aux habitants du Canada. Le prdambule declare que, " vu la requete prdsentee au roi par ses sujets, habitants du Canada, contenant leurs plaintes sur les abus et malversations qui s'y commettent au fait des traites de pelleteries, il doit e"tre promptement pourvu a y mettre un terme. " Puis vient le dispositif renfermant les articles qui suivent. (1) J mirnal des JeguiUs. 1647] DU CANADA. 357 Le roi e*tablissait un conseil compose : 1 du gouverneur du pays ; 2 en attendant qu'il y eut un e"veque, du supe'rieur de la maisondes Je"suites, residant k Quebec; 3 du gouverneur par- ticulier de Montreal. En leur absence ils etaient remplaces par leurs representants. Le conseil se reunisSait en la maison commune, au lieu ou e*tait etabli le magasin de Quebec. Par le conseil, a la pluralite des voix, il etait pourvu a la nomination du general de la flotte, des capitaines et des autres officiers de vaisseaux, ainsi que des commis et coutroleurs de la traite, tant au Canada qu'en France. Le conseil nommait un secretaire pour garder les registres, recevoir et expedier les actes, commissions et resultats des deliberations, les delivrer a qui il appartenait. Le secretaire pouvait aussi, comme notaire et personne publique, recevoir tous autres actes et contrats entre les partieuliers, faisaut signer deux temoins avec les parties, conformement aux ordonnances gardees en France. Au conseil etaieut vus, examines et arrete's tous les cornptes, regies les gages et appointements des officiers et commis; Ton y pourvoyait generaleinent a tout ce qui e*tait nt$ces- saire pour la traite et le bieu du pays, sans que les officiers et commis pussent pretendre aucun profit, directement ou indi- rectement, autres que leurs appointements accordes par le conseil ; ils ne pouvaient non plus etre nourris aux ddpens du magasin. Le general de la flotte et les syndics des habitants de Quebec, des Trois-Rivieres et de Montreal avaient entree et stance au conseil avec voix deliberative pour y representer seulement ce qui regardait les charges et les inte"rets de leurs commettants. Les officiers comptables etaient tenus de rendre compte au conseil, chaque annee apres 1'arrivee des vaisseaux ; ils ne pou- vaient etre continues dans le maniement des affaires, ni pourvus d'autres charges qu'apres avoir rendu et appure leurs comptes. Tous les ans il etait proc^de dans le conseil, a la nomina- tion des officiers, qui ne pouvaient etre continues dans la meme charge plus de trois aniiees de suite. L'on permettait a tous les habitants francais du pays de faire le commerce des peaux et pelleteries avec les sauvages, mais seulement au moyen des produits fournis par le pays et a la charge d'apporter les dites peaux et pelleteries aux magasins communs pour le prix fixe par le conseil, a peine de confiscation et d'amende arbitraire. 358 COURS D'HISTOIRE [1647 Sur les profits obtenus par la vente des pelleteries en France, vingt-cinq inille francs devaient etre preleve"s annuellement, taut pour les appointements du gouverneur et ceux de sea lieutenants a Quebec et aux Trois-Rivieres, des officiers et des soldats, que po'ur leur nourriture, pour entretenir les forts de ces lieux, d'armes, de munitions de guerre et de bouche et de toutes choses necessaires. Sur les memes fonds Ton payait une somine de dix milles livres au gouverneur de Mont- re"al, tant pour ses appointements et ceux de ses officiers et soldats, que pour 1'entretien du fort de Villemarie, dans lequel etait maintenue une garaison de trente hommes. Les habitants de Quebec, des Trois-Rivieres et de Montreal elisaient au scrutin des syndics, qui ne pouvaient etre continues plus de trois ans de suite dans leur charge. L'amiraut^ ne delivrait de conge* pour aller dans le fleuve Saint-Laurent, qu'a ceux de la flotte du pays, et, si d'autres s'y trouvaient, les vaisseaux et marchandises demeuraient confis- ques. Chaque anne*e, etait envoye par le secretaire du conseil aux commissaires deputes par sa majeste* un court etat des affaires du pays, du nombre et de la qualitc des hommes places dans les garnisons et des autres choses requises pour ^information du roi. Ce reglement devait etro lu, publit* et registr^ au greffe du conseil pour y e^tre garde et observe. Vers le commencemant du mois d'aout, 1647, il fut porto a Quebec, ou il etait attcndu avec impatience, car Ton esperait qu'il mettrait fin aux troubles qui agitaient la compagnie des Habitants. D*?ja, dans une assemble generale tenue au mois de juillet, M. Bourdon avait cte nomine* procureur-syndic ; peu de jours apres, il presentait la requete des habitants qui, en attendant un reglement di'fmitif, mettaient de cote les anciena directeurs et confinient le soin des affaires a M. de Mont- magny (1). En effet les habitants regardaient le gouverneur comme leur protecteur naturel ; et, pour le remercier de ses services passes, ils lui avaient, peu de temps auparavant, fait present d un cheval, le premier qui eut encore 6t& apporto au Canada. Ce reglement fut publie le onze aoiit, et fut mis de suite en operation. II semble cependant n'avoir pas e'te du gout des principales families, qui jusqu'alors avaient pris la plus grande part dans le maniement des affaires. Suivant le sieur Aubert de (I) Jo H-nal dei Jtmitei. 1647] DTJ CANADA. 359 la Chesnaye (1). M. d'Ailleboust, alors gouverneur des Trois- Kivieres, passa en France avec le titre de commandant de la flotte ; il :i valeur et son aiiresse. Etaut aux Trois-Uivi6res, 1'hiver precedent, il avait provoque les Frangaia et les sauvage a la course, soit avec des ruquettes aoit sans raquettes. 11 remporta la victoire sur tons ceuz qui se mesurerent avec lui. Sou hunieur t'-tiut si gaie et si agreablu, qu lea vaiin-.ua eux-nieuioa lui temoignereut de 1'auiour et du respect. (3) Cliarlovoix, Hittoire de la tfouvelle France, liv. IV. 1648] DU CANADA. 363 quelles mesnres e*taient les plus convenables pour les circon- stances. Ayant recu des mains de Champlain la colonie naissante et k peine e"tablie sur les bords du Saint-Laureut, il 1'avait gouverne'e et protegee avec toute 1'affection d'un pere. Suivant soigneusementia marche tracee par son predecesseur, il s'attacha & asseoir la petite colonie sur les seules bases solides d'un etat, la religion et 1'honneur.' " C'etait," diseut les annales de I'Hotel-Dieu, " un homme fort brave, tres-accommodant, plein de compassion pour les pauvres, zele pour la religion, et tout propre a inspirer 1'amour du christiauisme par 1'exemple de sa piete." Avec des ressources tres-faibles, M. de Montmagny re"ussit h. conjurer les dangers qui menaeerent la colonie, sur tout du cote des Iroquois, devenus plus audacieux depuis qu'ils posse"- daient des arrnes a feu. Pendant tout le cours de son adminis- tration, il ne cessa de montrer une prudence et un courage qui inspiraient de la confiauce aux colons, et tenaient les sauvages dans le respect. II est assez cominun de trouver des hommes capables de faire face a un danger pressant durant un court espace de temps ; mais il est rare d'en rencontrer qui puissent, pendant la dure'e de plusieurs annees, fournir des preuves journalieres de ces belles qualites sans jamais se de"mentir. M. de Montmagny possedait a uu haut degre la perseverante e"nergie qui ne se lasse jamais devant des difficultes toujours renaissantes. " Aussi, il emporta," dit le P. Lalemant, " les regrets de la colonie, et laissa une memoire eternelle de sa prudence et de sa sagesse (1)." Apres avoir lui-meine fait les honneurs d'une reception officielle a son successeur, il de*posa Tautorite entre ses mains, et 1'assista de ses conseils. M. de Montmagny s'embaiqua pour la France vers la fin du mois de septembre, et se chargea du commandement de la flotte pendant le voyage (2). M. D'Ailleboust apportait un nouveau reglement royal, donn& le cinq mars 1648, et modifiant considerablement celui de 1'annee pre'cedente. Voici quelles en etaient les dispositions. Dans la suite, le gouverneur-g^neraldevaitetre nomine pour trois ans ; celui qui sortirait de charge une premiere fois pou- vait etre continu^ dans ses fonctious pendant trois autrea annee. Le roi creait un conseil compose du gouverneur de la (1) Relation de 1648. (2) L'on ue tronve plus rien de bien antheutiquesiir M. de Moutmapny. M. Aubert de LaChesnaye dit-cependaut qu'il silla moiiiir a Saiut-Christophe. chez son parent M. de Poiucy ; cette assertion u'est appuyee d'aucuue preuve. 364 COURS D'HISTOIEE [1648 colonie, du superieur des J^suites de Quebec, en attendant qu'il y eut un e veque, du dernier gouverneur sorti de charge, de deux habitants du pays elus de trois ans en trois ans par les gens tenant le conseil et par les syndics des communautes de Quebec, de Montreal et desTrois-Eivieres (1). S'il n'y avait point d'ancien gouverneur dans le pays, 1'on choisissait le cinquieme conseiller parmi les habitants de la colonie. Le conseil forme en 1648, fut compose* de M. D'Ailleboust, du P. Jerome Lalemant et des sieurs de Chaviguy, Godefroy et Giffard (2). Les gouverneurs des Trois-Eivieres et de Montreal avaient entree, seance et voix deliberative an conseil lorsqu'ils se trouvaient a Quebec. Toutes les autres dispositions du reglement de 1 647, e"taient maintenues et confirmees. L'ordre de choses qui resulta du remamement de 1'ancien reglement, semble avoir satisfait aux besoins de la colonie pen- dant longtemps. Voici les remarques que renferme sur ce sujet un me'inoire presente an roi en 1719 et attribue* a M. D'Auteuil. " Ce qui a donne lieu aux depenses annuelles au- dela des depenses necessaires, est que messieurs les secretaires d'etat ont abandonne 1 1'execution du reglement de sa majeste" par arret du conseil du trois mai 1648. Get arrt fixe la depense annuelle et indispensable a trente-cinq mille livres. Que si, depuis 1666 a 1675, il y a en augmentation d'emplois et de depenses, ce changement n'est venu que de 1'imagination des ministres du roi, par des vues particulieres qu'on ne doit pas imputer an Canada, puisqu'il etait pour le moins aussi bien gouverne et conduit sous I'ex^cution de ce reglement qii'il 1'a ^te depuis En faisant attention a ce reglement on con- statera que 1'intention du roi etait que le gouverneur ge'ne'ral du Canada put etre choisi du nombre des habitants du pays, puisqu'il y est dit expressement que 1'ancien gouverneur, sor- tant de charge apres trois ou six ans sera encore pour trois ans du conseil, que cet arret e*tablit a Qudbec Ce reglement a e'te' executd pendant dix-huit ans sans augmen- tation de depenses depuis 1648 en 1666 ; et il le serait encore, si MM. les secretaires d'etat u'avaient pas eu de parents et creatures a placer, auxquels ils ont procure ce poste en y atta- 0) Lcs syndics oil procurenrs syndics, dans les affaires et les procea reprfaen- taient les corps qui les avaient t'-lus. (2) Francois de Charignv de Berchereau 6tait 116 & Crfeancoy dans la Champagne ; Jean-Fanl Godefroy, etait de Saint-Nicola-des-Champs a Paris. 1648] DU CANADA. 365 chant de gros appointements, outre trois mille livres pour le gouvernement particulier de Quebec, des capitaines de gardes, des pensions." Ces reglements donnaient une part dans les affaires inte*- rieures de la colonie, aux habitants du pays, regarded comme naturellement interesses a les bien conduire. Le conseil avait le droit de faire des lois locales ; il reglait les affaires de com- merce, decidait de la paix et de la guerre avec les nations sau- vages, jugeait les differends entre les particuliers ; il posse- dait des pouvoirs legislatifs, executif et judiciaires, toujours ne"anmoins sous la. direction du gouverneur general. Les par- lements de Paris et de Rouen, qui avaient deja voulu s'im- miscer dans les affaires de, la colonie, et dont 1'intervention a une telle distance ne pouvait qu'etre nuisible, furent avertis que le roi re*servait a son conseil la revision des decisions du conseil de Quebec et 1'examen des affaires du Canada. Les reglements de police et les affaires municipales etaient aussi du domaine du gouverneur et de ses conseillers. On concoit que, dans les premiers temps de la colonie francaise, I'autorite de ces fonctionnaires devait etre fort e"tendue et s'exercer d'une maniere paternelle, sans qu'on s'attachat trop scrupuleusement aux formes suivies alors dans les parlements de France (1). Get etat de choses est sans contredit le plus convenable et le plus avantageux pour une cornmunaute naissante. Adoptant des pratiques analogues, les assemblies de la N"ou- velle-Angleterre s'etaient affranchies des formalites en usage dans les cours et le parlement de la mere patrie, et s'occupaient de matieres qui sembleraient aujourd'hui d'une trop mince im- portance pour attirer 1'attention de la legislature d'un pays. Apres la mort de Winthrop en 1649, Endicot fut choisi pour le remplacer comme gouverneur (2). Dans ce temps, le rigo- risme des honnetes gens de la colonie e"tait a son apogee. Endicot, le plus severe de tous les magistrats, etant devenu gouverneur, de concert avec la cour des assistants, commenca une croisade centre des innovations qui leur semblaient re- prehensibles. Us s'opposerent surtout a la coutume de por- (1) Parmiles actesofflciels qui nonsrestentdece conseil, onentronve un en date da que tous pnissent aller se chauffer chez lui .... II ne gardera personne pe grand'mesae. le Bermon, le cat^chisme et les vepres. Cet acte eat sipi6 par M. D'Ailleboust, gouverneur, lo P. J. Lalement et les sieurs de Chavigny, Godei'roy et Giffard. (2) Hutchinson, History of Massachusetts Bay. 366 COUES D'HISTOIKE [1648 ter les cheveux longs. Un texte de Saint Paul servit de base aux arguments qu'ils employerent pour condamner cet usage comme immoral et digne de la plus severe censure (1). Pen cPannees auparavant, 1'emploi du tabac avait etc* defendu sous peine d'amende. Au soutien de cette loi quelques savants magistrats du temps crurent devoir e"crire pour prouver que la fumee du tabac est semblable a celle qui s'eleve du fond de 1'abime. Cependant plusieurs ministres ayant contract^ 1'habitude de funier, le gouvernement declara qu'on pourrait a 1'aveuir se servir de tabac sans enfreindre les lois de la colonie.. (1) " Vu que la coutume de porter les cheveux longs, & la fa9on des bandits et des indiens barbares, acomiueiic6 a s'introduire dans la Nouvelle-Angleterre, contraire- iiM-nt aux directions de la parole de Dieu, qui ditqu'il est honteuxpour un homme de porter tie lougs cheveux, et eu opposition a la luuable coutume de toutes les per- sonues religieu.-ies de noire nation jusQu'a ces deruieres annees, nous les magistrats oussignes declarons et publions que nous reprouvons etdetestons la coutume de por- ter les cheveux longs, la regardant comme 6tant centre la politesse et indigne d'uu homme, puisque par !ii 1'liomine se dcflgure, scandalise les persoiiues sages et mo- destes, et corrompt les manieres honnetes. Nous supplions done les ancieiia de manii'ester leur zele contre cette pratique .... et de 1'aire en sorte que les membres de leurs eglises respectives ii'eu soie'nt point souilles ; 'afin que ceux qui se inontre- i-out obstiues et ne se corrigerimt poiut aieut Dieu et les homuies comuie temoinu outre eax. (Slsn6) ENDICOT, THOMAS BUDLET. 1648] DU CANADA. 367 CHAPITEE SEPTIEME Colonie franchise choz les Hurons Maison da Sainte-Marie Menrtre d'nn fran- $ais et mauvais vouloir d'uue partio des Hurons Flottille hnronne attnqne* par les Iroquois snr ie lac Saint-Pierre La nation neutre menacee Bourgade de Saint-Joseph detrnite ; mort du P. Daniel Destruction dos Lourgs de Saint.- Ignace et de Saint-Louis Snpplice et mort des Peres De Brebeuf et Gabriel Lalemant Beau caractere des deux: missionnaires Ketraite pr6cipito dec Iroquois. Outre les etablissements francais formes a Quebec, aux Trois-Eivieres et a Montreal, il en e'tait un quatrieme qui, avec des circonstances favorables, pouvait de venir important ; c'e'tait celui qui avait ete commence au pays des Hurons. La petite colonie europe'enne qui s'y trouvait en 1648, etait composee de quarante-deux francais : dix-huit appartenaient a la compagnie de Jesus, les autres etaient des homines choisis, dont la plu- pait s'etaient devoues a la propagation de 1'evangile, et assis- taient les missionnaires au moyen de leur travail et de leur in- dustrie. A cette bonne ceuvre ils apportaient un courage, line fidelite et une piete qui n'avaient rien de la terre. " Aussi, " <5crivait le P. Eagueneau, " n'est-ce que de Dieu seul qu'ils en attendent la recompense, s'estimant trop heureux de rd- pandre leurs sueurs et, s'il en est besoin, tout leur sang, pour contribuer ce qu'ils pourront a la conversion des bar- bares (1). " La maison de Sainte-Marie dtait, comme nous 1'avons vu, la principale residence des missionnaires et de leurs compa- gnons europeens ; c'etait aussi un asile pour tons les Chretiens hurons, qui y trouvaient un hopital pendant leurs maladies, un refuge dans les dangers de la part des Iroquois, et une hotellerie dans leurs voyages,ou lorsqu'ils allaient visiter les missionnaires. Dans le cours d'une seule ann^e, trois mille pelerins y avaient trouv^ le gite et la nourriture. A chacun des hotes qui Etaient recus Ton distribuait trois repas par jour ; ce qui paraissait ma- gnifique aux sauvages, accoutume's a des jeunes longs et forofo. (1) Relation de IMS. 368 COUKS D'HISTOIRE [1648 Les repas, cependant, n'etaient pas somptueux ; car ils ne se composaient que de mais pile*, bouilli dans 1'eau et assaisonne" avec du poisson fume 1 ; mais ils couvenaient aux habitudes des Hurons, et suffisaient mme aux besoins des missionnaires. Situee dansle coeurdu pays, la maison de Sainte-Marie avait jusqu'alors ete peu exposed aux attaques des Iroquois. Aussi les Francais y vivaient en assurance et aucun d'eux n'avait encore ete surpris par les ennemis. Deux ou trois jesuites y residaient toujours; les autres e"taient disperses pour le service des dix missions du pays. Deux ou trois fois par an, cependant, les missionnaires se r^unissaient a Sainte-Marie, pour se re- tremper dans la retraite et pour conferer ensemble sur les moyens d'etendre le royaume de Dieu. Si la religion chretienne faisait des progres parmi les Hurons, elle trouvait neanmoins des adversaires acharne's, capables d'employer tous les moyens pour lui nuire. Au mois d'avril de 1'annee 1648, Jacques Douart, jeune homme qui, par zele s'etait attache gratuitement au service de la mission (1), fut assomm^ a coups de hache pres de la maison de Saiiite- Marie. La mort de ce francais, qui e'tait singnliereinent estime pour ses bonnes qualit^s, causa de 1'emoi dans tout le pays. Les hurons chre"tiens cornprireut qu-3 ce mauvais coup avait dte commis enhaine dela foi. Ils se reunirent en grand nombre a Sainte-Marie, pour protester aux missionnaires qu'ils etaient pr^ts a mourir pour defendre leur religion contre la con- spiratiori ourdie par quolques mauvais esprits. L'on decouvrit que six chefs payens, appartenant aux bourgades voisines, avaient commande a deux assassins de tuer le premier francais qu'ils rencontreraisnt. Leur but etait d'epouvanter les mis- sionnaires, de les obliger a quitter le pays, et d'arreter ainsi les progres de 1'evangile. Un conseil general des chefs fut convoque pour prendre cette facheuse affaire en consideration. Les auteurs du meurtre soutinrent que, bien loin de s'en occu- per, il fallait chasser du pays tous les chre'tiens ; et, dans le conseil, ils trouverent des partisans prets a adopter leur proposition. Mais la fermete' des ndophytes triompha de la haine de leurs ennemis. Apres deux jours de luttes, les chefs Chretiens re"ussirent a obtenir qu'on donnat, au nom du pays, une satisfaction complete pour 1'assassinat. Suivant les cou- tumes des sauvages, les capitaines, dans une grande assem- ble, offrirent aux Francais des presents pour couvrir le mort, (1) Relation du P. Bressani; traductioii du P. Martin, S. J. 1648] DU CANADA. 369 appaiser la douleur de ses amis et effacer toute trace du crime. Le resultat fut beaucoup plus favorable que ne 1'avaient espere les missionnaires ; leur credit s'accrut dans la nation, tandis que 1'acte des meurtriers fut fietri par uue reprobation gene'rale (1). Cette affaire ayant etc* heureusement anangee, les Hurons se de'ciderent a faire un voyage aux Trois-Rivieres, ou ils n'e"- taient point descendus depuis deux ana retenus par la crainte de 1'ennerni, qui d'un cote menacait leur pays, et de 1'autre infestait tous les ehemins. Mais la ne'cessite' d'obtenir des marcliandises francaises obligeait a s'exposer aux dangers du voyage (2). Deux cent cinquante hommes, conduits par cin'j capitaines et accompagne'e de P. Bressani, entreprirent de forcer le passage, qu'ils croyaient ferine par les bandes iroquoises. Ils arriverent cependant sans aucun accident jus- qu'au lac Saint-Pierre. Comme ils approchaient du fort des Trois-Rivieres, ils pousserent leurs canots au milieu des joncs, afin de faire leur toilette avant de se montrer aux Francais. Pendant qu'ils s'occupaient a huiler leurs cheveux et k se peindre le visage de diffe'rentes couleurs, ils furent apercus par des iroquois qui, au nombre de cent, se tenaient en embus- cade sur la rive opposee. Ces maraudeurs s'embarquent avec precipitation pour fondre sur leur proie. De leur cote les Fran- cais du fort out remarque les mouvements rapides des iroquois et ils les ont vus se diriger a force d'avirons vers deux ou trois canots hurons, qui se sont arretes en dehors des massifs de joncs. On sonne le tocsin au clocher de la petite chapelle ; a ce signal, les Francais et les Algonquins s'arment promp- tement .et courent, en suivant le rivage, a la rescousse de leurs allies. Rendus sur les lieux, ils entendent des cris et une vive fusillade dans les bois voisins; mais ils ne peu- vent distinguer les combattants. Dejk accoutumes aux ruses des Iroquois, ils s'imaginent que c'est un piege tendu par ceux-ci pour les surprendre, et ils se retirent lentement vers le fort. A peine y sont-ils rentres, qu'ils apercoivent sur le fleuve un canot huron, voguant a toute vitesse vers le fort et chaudement poursuivi par deux canots iroquois. Quelques legeres embarcations francaises sont aussitot poussees a 1'eau et s'avancenf pour prot^ger les Hurons. Mais la surprise est (1) Relation de 1648 (2) Relation de 1648. 370 COUKS D'HISTOIRE [1648 grande du cote des Francais, lorqu'ils reconnaissent le P. Bressani dans le premier canot, et qu'ils sont informes que lea deux autres ont ete enleves aux ennemis et sont conduits par des hurons. Eneffet la victoire etait restee a ceux-ci. Des canots places en vedette avaient annonce aux chefs les mouvements des Iro- quois. Laissant a la hate les huiles et les couleurs, les Hurons avaient saisi leurs armes et s'etaient ranges en ordre pour sou- tenir le choc de rennemi. Apres avoir essuye le premier feu, ils s'etaient prdcipites avec tant de fureur sur les Iroquois, que ceux-ci avaient ete culbute's en un instant ; fort pen d'entre eux s'etaient e'chappe's, la plupart ayant dte" tue"s ou faits pri- sonniers. La joie que causa cette victoire fut grande : d'un cote" les Francais sa rejouissaient d'avoir et^ delivres d'une troupe d'as- sassins dont ils ne soupconnaient pas meme la presence ; de 1'autre, les Hurons se felicitaient d'avoir termine heureusement leur voyage, en gagnant une victoire complete sur 1'ennemi, presque sous les yeux de leurs allies. Les affaires de la traite etant terminees, la flottille huronne remonta, portant les PP 4 Bressani, Gabriel Lalemant, Bonin, Greslon, Daran et environ trente laics francais. " C'est une grande benediction " dit le P. Jerome Lalemant, parlant de ce depart, " de voir le courage et le zele de ces bons Peres ; leur joie paraissait si grande sur leurs visages, qu'on cut dit qu'ils s'en allaient tous prendre possession d'une couronne et d'un empire, et, ce qui me semble encore plus dtonnant, c'est que dans ces rencontres il se trouve des jeunes gens qui. . . . veu- leut entrer dans les ine"mes risques, protestant que 1'amour du salut des times et non pas 1'espoir d'un lucre passager leur fait entreprendre un voyage si long, si rude et si dungereux." Les cantons iroquois avaient pris uu ascendant decide sur les peuples voisins, et ils poursuivaient leur systeme d'extermi- nation avec autant d'habilete et d'ardeur que de perfidie et d cruaute. Leurs partis de guerre etaient lancds. non-seulement centre les tribus huronnes qui penchaient vers leur mine, mais ils s'attaquaient deja a la nation neutre, qu'ils avaient jusques 1& respectee. En 1647, les Aondironnons, tribu des Neutres, virent un jour arriver dans leur bourgade trois cents Tsoimon- touans, qui furent recus comme des amis et distribu^s dans les cabanes. Pendant qu'on leur pre"parait a manger, les trattres Iroquois, a un signal convenu, sejeterent sur leurs hotes et en firent un massacre g^ndral. On s'attendait que la nation neutre 1648] DU CANADA. 371 se leverait tout entiere pour venger une si iusigue perlidie ; mais elle n'osa encore saisir la hache de guerre, et sembla vou- loir conserver son ancien principe de maintenir la paix a tout prix. Cependant, de part et d'autre, les deux peuples s'obser- vaient et se tenaient sur leurs gardes, i/'e leurcote, les Hurous tachaient de detourner 1'orage qui menacait de fondre sur eux ; ils avaient me" me eu quelques pourparlers avec les Onnon- tagues dans 1'espoir de conclure la paix ; ils avaient aussi euvoye des deputes chez les Andastes de la Susquehannah, leurs an- ciens allies, pour les engager a favoriser un traite de paix entre les Hurons et les Iroquois, ou a recommencer la guerre centre les derniers. La negoeiatioii traina .en longueur ; les Andastes envoyerent une deputation aux cantons iroquois, afin de les iu- viter a rnettra bas les armes et a s'occuper de faire la paix. Mais les regies de la diplomatic chez les sauvages exigeant de longs preliminaires avant qu'on puisse arriver a traiter les affaires serieuses, les Iroquois profiterent de ces de"lais pour suivre leurs projets de destruction, et attaquer les habitations les plus ecartees du pays ennemi. C'etait surtout la terreur qui avait empech6 les Hurons de descendre a Quebec en 1647 pour y faire le commerce accou- tume. Neamnoins, dans d'autres circonstances, ils montraieut beaucoup d'imprudence, et se girdaient avec si peu de soin, qu'ils semblaient marcher volontairement vers leur mine. Deux bourgs, situes sur les frontieres huronnes et formant la mission de Saint-Joseph, 4taient les plus exposes aux attaques des Iroquois ; dans 1'ete de 1648, ils furent tout a coup assail- lis, au moment ou presque tous les homines capables de por- ter les armes etaient sortis, les uns pour la chasse, les autres pour quelque petite guerre. Le bourg principal renfermait environ quatre cents families ; Ton y comptait beaucoup de chre'tiens, qui avaient etc* formes par le P. Daniel, et qui vivaient encore sous sa conduite. Le P. Daniel venait de finir la messe h. laquelle les fideles de la bourgade avaient assiste en grand nombre, lorsque sou- dain des cris de guerre se firent entendre. Les ennemis, qu'on ne savait pas en campagne, avaient fait leurs approches pendant la nuit, et attaqnaientles palissades. L'alarme devint gen(5rale ; les uns fuyaient avec e*pouvante, les autres marchaient hardi- ment au combat. Le missionnaire s'avance en hate vers le lieu ou il apercoit le plus grand danger ; il exhorte a recevoir le bapteme les infideles qu'il a deja instruits, et il a le bon- heur d'en voir beaucoup se rendre a son invitation. Tel en est 25 372 COURS D'HISTOIRE [1648 le noinbve, qu'il est oblige de les baptiser par aspersion an moyen de son mouchoir trempe dans 1'eau (1). Le temps presse, car 1'ennerai continue de se ruer avec fureur cjntre les retranchements de la place ; il les a bientot renverses, et se re'pand en un instant dans la bourgade mettant tout a feu et a sang. Le P. Daniel refuse de fuir ; il se retire dans son eglise, qu'il trouve remplie de Chretiens et de cate'- chumenes; il baptise les uns, donne 1'absolution .aux autres, et les console to us par ces paroles : " Mes freres, nous serons aujourd'hui dans le ciel." Averti de ce qui se passe, 1'ennerai accourt vers la chapelle en poussant d'eilroyables burlements. " Fuyez, mes freres. " dit le Pere a ses iiouveaux enfants, " fuyez et pre*servez votre foi jusqu'au dernier soupir. Pour moi, je dois demeurer ici tant qu'il y aura quelque ame k sauver. Ma vie n'est rien ; nous nous reverrous au ciel." II s'avance vers les Iroquois, qui s'arreteut un instant, etonnes de voir un homme marcher seul a leur rencontre. Bientot revenue de leur surprise, ils 1'environnent de toute part, et ils le couvrent de fleches. Enfin une balle le frappe au milieu de la poitrine ; le bon pasteur tombe, en prononcant le saint nom de Jesus et en recommandant son ame k Dieu. Son corps est hache en pieces par les barbares et jete' au milieu des flammes, qui consument la chapelle de Saint- Joseph. . Son devouement sauva la vie a un certain nombre de ses Chretiens ; car, taudis quo les Iroquois s'acharnaient contre lui, beaucoup de huron.s eureut le temps de s'echapper et de se niettre en lieu de surete. Plusieurs de ceux qui avaient fui se refugierent pros de la maison de Saiute-Marie, ou ils trouverent des secours dans leur extreme misera. Pros desept C3iits personnes, dont la pi apart dtaient des femmes et des eui'ants, furent tuees on trainees en captivitd. Le Pere Daniel fut le premier jdsuite qui recut la couronne du martyre au pays des liurons! N6 a Dieppe, d'une famille honnete, il etait entre de bonne heure dans la compagnie de J6sus. II travaillait depuis quatorze ans dans les missions huruiiiies, avec un courage et une patience que tons adrni- rdieut. Depuis neuf ans, il demeurait dans les places froutieres les plus expose'es aux attaques de 1'ennemi, attendant toujours le bonheur de mourir pour la foi. Au mois de septembre suivant, 1'arrivde de la flottille qui (1) Relation de 1649. 16-19] DU CANADA. 37 revenait de la traite ranimn. les esjMjrances cles Ilurons ; elle apportait la nouvelle de la defaite des Iroquois pres des Trois- Kivieres, et elle amenait une trentaine de francais, dont la plupart avaient deja fait la guerre (1). Sur undes canots etait une petite piece de canon destinee a defendre la maison de Sainte-Marie. Ces secours arrivaient fort a propos, mais ils ne suffisaient point pour retablir les affaires des Hurons. La na- tion avait perdu confiance dans ses propres forces, et elle sem- blait deja resignee a sa destruction par les Iroquois. Le courage de quelques individus ne pouvait tirer les masses de leur inertie, ni les- engager a observer les regies que present la prudence la plus ordinaire. Ainsi la providence paraissait avoir decide la chute de la nation huronne et la dispersion des elements de foi et de civilisation qu'y avaient introduits les missionnaires. Le P. de Brebeuf avait assiste a 1'e'tablisse- rnent de la mission ; il avait pris une grande part aux peines et aux travaux qu'il avait fallu endurer pour la fonder ; Dieu voulut que sa mort fut le signal de la ruine non-seulement de la mission, mais de la nation tout entiere (2). Les Iroquois, determines a profiter des avantages qu'ils avaient deja obtenus, resolurent de detruire les unes apres les autres toutes les bourgades huronnes. Dans 1'automne de 1648, rnille guerriers, presque tous munis d'armes a feu obte- uues des Hollaiidais, partirent pour cette expedition. Pendant tout 1'hiver, ils firent la chasse dans les bois, s'approchant peu a peu du pays huron ; ils parcoururent ainsi plus de cent lieues, sans avoir ete de"couverts. Le seize mars, ils etaient arrives pres du bourg de Saint-Ignace, qu'ils firent reconnaitre pen- dant la nuit. 11 etait protege de trois cotes par de profondes ravines, et envirorme d'une palissade de quinze a seize pieds de hauteur. Un seul point etait accessible, et ce fut par la qu'a 1'aube du jour 1'ennemi fit ses approches. L'attaque fut con- duite avectant de silence et fle rapidite, que les Iroquois furent maitres de la place avant qu'aucun des habitants n'eut eu le temps de se defendve. D'ailleurs il s'y trOuvait peu d'hornmes capables de combattre, la plupart etant all(5s a la chasse ou a la recherche des ennernis. Aussi la victoire ne couta que dix guerriers aux Iroquois. Presque tous les habitants, homines, femrnes et enfants, furent- massacre's ; ceux qu'oii epargna (1) Journal des Jesuites, Anno 1648. (2) Relation du P. Brosaani, traductiou da P. Mti-tin. Relation det Jesuitcs, 1649. 374 COURS D'HISTOIRE [1649 alors etaient reserve's & une eaptivitd plus cruelle que la mort.. Trois homines seulement s'echapperent presque nusjils fuirent an milieu des neiges qui couvraient encore la terre, et reus- sirent a gagner le bourg le plus voisin, ou leur recit repandit 1'epouvante. Les Iroquois les suivirent de pres ; car, ne voulant pas dormer a leurs ennemis le temps de se preparer a la re"sis- tance, ils pousserent si vivernent vers le bourg de Saint-Louis, qu'ils s'y presentment vers le lever du soleil. Des femmes et des enfants venaient d'en sortir, dans la crainte d'e'prouver le sort des habitants de Saint- Ignace. Quatre-vingts hurons de- termines se precipitent vers la palissade pour la defendre ; ils repoussent deux assauts, et tuent une trentaine de leurs enue- mis. Mais enfin le grand nombre 1'ernporte ; les pieux sont renverses a coups de hache ; les Iroquois penetrent par les breches, et font un horrible massacre de ceux qu'ils ren- contrent. Le feu est mis aux cabanes, et bientot une colonue de fumee, s'elevant au-dessus du bourg de Saint-Louis, avertit les habitants de Sainte-Marie, situe'e a une lieue de la, que les Iroquois ont recommence' leur ceuvre de devastation. Dans le bourg de Saint-Louis se trouvaient alors les Peres de Brebeuf et Gabriel Lalemaut, qui etaient charges des cinq bourgades voisines (1). Ils avaient refuse de suivre les fuyards, et etaient restes pour secourir.ceux des Chretiens qui allaient etre exposes aux dangers du combat. Au milieu des horreurs de la melee, pendant que les decharges de la inousqueterie, les cris des guerriers, les gemissements des blesses formaient autour d'eux une dpouvantable confusion de bruits, qui d^chi- raient les oreilles et attristaient le cceur, les deux missiou- naires se tenaient aupres de la breche, 1'un occup^ a baptiser les cate'chumenes, et 1'autre donnant 1'absolution h ceux qui etaient deja Chretiens. Ils furent bientot saisis eux-menies et envoy^s avec les autres prisonniers au bourg de Saint- Ignace. En me'me temps, les vainqueurs expediaient des e'claireurs pour examiner les defenses de la maison de Sainte- Marie, et, sur leur rapport favorable, le conseil de guerre de"cida de 1'attaquer le lendernain. De leur cote, les Francais se preparaient a une vigoureuse defense, tons dtant resolus de mourir plutot que de se -rendre. Deux cents iroquois s'avancereut en effet ; mais ils furent repousses par (^eshurons de la tribu de 1'Ours (2), et obliges de se mettre kl'abri derriere ce qui restait de palissades de Saint-Louis. Apres plusieurs (1) Kelat O'i de 1C49. (2) Les Attignaouantana. DU CANADA. 375 escarmonch.es, oil tour a tour les deux partis furent vainqueurs et vaincus, les Iroquois resterent roaitres du champ de bataille ; la victoire leur avait cepeudant coute cher, car ils avaient perdu pres de cent de leurs meilleurs guerriers. Cepeudant ceux qui etaient entres au fort de Saint-Ignace voulurent se donner le plaisir de torturer les deux je'suites. Ceux-ci s'attendaient deja aux tourments reserves aux prison- niers ; le P. de Brebeuf avait meme, quelque temps aupara- vant, annonce sa mort comme procliaine. Salues a leur arrivee par une rude bastonnade, ils sont atta- ches au poteau et tourmentes avec le fer et le feu ; on leur suspend au cou un collier de haches rougies sur des charbons ; on leur met des ceintures d'ecorce, enduites de poix et de re'sine enflammees ; en derision du saint bapteme, on leur verse de 1'eau bouillante sur la tete. Quelques hurons transfugesse montrentles plus cruels, et joignent 1'insulteala cruaute : " Tu nous as dit, Echon, " repetaient-ils, " que plus on souffre en ce monde plus on est heureux dans I'autre : eh bien, nous sommes tes amis, puisque nous te procurons un plus grand bonheur dans le ciel. Kemereie-nous des bons services que nous te rendons. " Dans le plus fort de ses tourments, le P. Gabriel Lalemant levaitles yeux au ciel, joignant les mains et demandant a Dieu du secours. Le P. de Brebeuf denieurait comme un rocher, insensible au fer et au feu, sans pousser un seul cri, ni meme un seul soupir. De temps en temps, il elevait la voix pour annoncer la verite aux infideles et pour encourager les Chretiens qu'on torturait autour de lui. Irrites de la sainte liberte avec laquelle il leur parlait, ses bourreaux lui couperent le nez, lui arracherent les levres, et lui enfoncerent un fer rouge dans la bouche. Le he'ros chre'tien conserva le plus grand calme, et son regard e'tait si ferme et si assure", qu'il semblait encore >commander a ses bourreaux. On amena alors pres du P. de Brebeuf son jeune compagnon au les conduit a Quebec Dispersion du re.ste de la nation Destruction du bourg de Saint-Jean, chez les Tionnontates Mort du P. Gamier et du P- Chabanel Anahotaha, chef hnron, surpreud et massacre un parti iroquois La nation iientre chassee de son pays par les Iroquois Les hurons Chretiens sont places dans 1'ile d'Or!6ans JTtigociatious avec les colonies anglaises Le P. Druilletes sur le Kini- beki et a Boston Gouverneiueut et 6tat de la Xouvelle-Angleterre Le P. Druil- letea visite le R6v. John Eliot Le P. Druilletes et Jean-Paul Godefroy. charges de proposer aux Anglais line alliance offensive et defensive centre les Iroquois, ne reussissent point dans leur mission Funestes effets de la decision des autorites an - glaises. Les Hurons demeurerent completement de'courages k la suite de ces de'sastres r^petes ; ils se persuaderent que leur nation e'tait destinee a p^rir sous les coups des Iroquois, a a xquels pendant si longtemps elle avait resist^ avec succes. Quinze bourgs furent abaudonn^s par leurs habitants, qui se disper- serent, les uns dans les forets ou des rivieres et des lacs e"loignes, les autres parnii les nations voisines encore assez fortes pour se deTendre centre 1'ennemi commun. Plusieurs se refugierent dans 1'ile d'Ekaentoton, nominee plus tard Manitoualin, et dans quelques iles voisines alors iuconnues aux Iroquois. La residence de Sainte-Marie se trouva ainsi de'couverte de tous les cot^s, et expose* e aux premieres attaques de 1'ennemi. Demeurer dans ce lieu, d'ou les Hurons se retiraient et ou les Algonquins n'auraient plus eu iut^ret a venir, etait s'exposer sans raiaou et rendre inutile la presence des missionnairas. Trois cents families, presque toutes chr4- tiennes, s'etaient re"unies dans 1'ile de Saint- Joseph (1) ; elles envoyerent une deputation de douze capitaines pour prier les missionnaires d'aller s'etablir aupres d'elles, afin d'en faire une ile de chrdtiens. Incapables de re'sister aux raisons qu'alleguerent les deputy's, (1) Aiyourd'hui Charity ou Christian Island, pres de Penetanguishine. Le P. F. Martin, jesuite, qui a visite les lieux consar.r6s par les travuiix et les souffrances des anciens missioiiiiuires, a pnbli6 des details d'un grand iutC-retsur le pays des Huron*, dana les notes qu'il a joimes a sa traduction de 1 ouvrage du P. Bressaui. 1650] DU CANADA. 381 les missionnaires transporterent la residence de Sainte-Marie a Tile de Saint-Joseph. Avant de s'eloigner de leur ancienne demeure, ils mirent le feu a la chapelle, aux rnaisons et a 1'hopital. Quarante seculiers etaient attaches a la mission par pur denouement religieux ; s'occupantordiuairement & diffe'rents travaux, tons devenaient soldats quand il s'agissait de repousser les Iroquois. Ils suivirent les missionnaires a 1'ile de Saint- Joseph, et mirent la main a 1'ceuvre avec tant d'activite, qne, dans 1'ete', la nouvelle habitation fut acheve'e, et la bourgade huronne enyironnee d'un retranchement et de quelques re- doutes (1). Les families arrivees les premieres a 1'ile de Saint-Joseph avaient pu ensemencer la terre, qni produisit abondamment. Mais un tres-grand nombre d'autres s'e'tant ensuite re'unies a la petite colonie, la recolte se trouva insuffisante pour tant de personnes. Duraiit 1'ete, la plupart avaient ve'cu de racines, de fruits sauvages et de quelques poissons ; ses secours man? querent lorsque I'liiver eut glace les lacs et les rivieres, et reconvert la terre d'une epaisse couche de neige. Pendant quelque temps Ton se procura des glands, que Ton mangeait avec devices ; quand il n'y eut plus moyen d'en trouver, la disette devint extreme et forca de devorer les objets les plus de'goutants. Bientot une maladie contagieuse, se joignant a la famine, fit de nombreuses victimes, surtout parmi les enfants. Pour comble de miseres, le jour et la unit, il fallait se tenir sur ses gardes contre les Iroquois, qui avaient menace" d'enlever les postes de 1'ile et d'en exterminer tous les habitants. Plu- sieurs hurons, s'etant eloignes pour trouver de quoi soulager leur faim, tomberent dans les embuscades de 1'ennemi, et furent massacre's,. Frappee par des maux multiplies et sans cesse renaissants, la petite colonie se voyait condamnee a p^rir, si elle s'obtinait a rester dans 1'ile de Saint- Joseph. Aussi, lorsque le printemps fut arrive, deux capitaines vinrent, au nom de tous, prier le P. Ragueueau, supdrieur de la mission, de les conduire a Quebec pour y derneurer. Apres avoir consult^ ses confreres, il resolut de sauver la petite troupe de chr^tiens que la famine et la guerre menacaient de detruire. La proposition ayant ete inurement pesee, il fut decide que tous descendraient ensemble a Quebec ; le prqjet, une fois arrete, fut de suite mis a execution, afin d'empecher les Iroquois d'en avoir conuaissance. ' (l) IMation " 1650, 382 COURS D'HISTOIRE [1650 Trois cents Chretiens hurons partirent avecles missionuaires pour eutreprendre ce long et dangereux voyage. I)e tons cotes Ton decouvrait les raarques du passage des Iroquois, des ca- banes a deuii-brule'es, des champs abandonnes, des restes de buchers sur lesquels avaient ete tourmentees les malheureuses victimes de leur barbarie, plusieiirs forts ou ils avaient passe 1'hiver en faisant la chasse aux hommes aussi bien qu'aux betes. Les bords du grand lac des Nipissiriuiens etaient de- venus une profonde solitude, depuis que les habitants des en- virons avaient ete massacres par les Iroquois. A mi-chemin, uue alarrne assez vive fut jete*e pariniles voya- ge urs ; 1'avant-garde ayant decouvert les pistes d'un parti nom- breux, on cvut que des ennemis etaient dans le voisinage. La joie fut doncgrande lorsqu'on reconnut que c'e'tait une bande de vingt hurons et de quaraute francais, quiremontaient accompa- gnes du P. Bressani, et qui, attaques pen de jours auparavant par des iroquois, se tenaient depuis surleurs gardes. Se confiant dans leur nombre, ils s'e'taient laisse' surprendre sur la riviere des Outaouais, et voici ce qu'ils rapportaient. Des iroquois, qui avaient hiverne en ces lieux et qui au printemps etaient restes pour attendre le passage des canots, avaient apercu la fume'e s'elevant au-dessus du lieu ou etaient carnpes les compagnons du P. Bressani ; pendant la nuit ils firent une reconnaissance, et bien qu'ils ne fussent que dix guerriers, ils eurent 1'assurance d'attaquer ces soixante hommes. S'etant glissds dans le camp pendant que lesHurous et les Francais dormaient, ils decharge- reiit leurs coups sur les premiers qu'ils rencontrerent. Eveill^ par les plaintes des mourants, le P. Bressani se leva et appela aux armes ; dans le ineme moment il recut trois blessures. Les allies, tires par ces cris de leur profond sommeil, saisi- rent leurs armes, et, se jetant sur les assaillants, en tuerent six et en firent deux prisonniers. Informee des malheurs arrives au pays des Hurons, la bande du P. Bressani se joignit aux families qui descendaient, et rebroussa chemin. Les Hurons arrivaient & Quebec avec d'autant plus de con- fiance, qu'ils connaissaient I'inte're't que leur portaient les Frauc.ais. II comptaient aussi sur la coutume, fidelement suivie chez les peuples sauvages, de donner 1'hospitalite a ceux que des malheurs forcent a abandonner leur patrie. A Montreal, on les invita & s'e'tablir dans 1'ile ; mais ils fefuserent cette offre g^n^reuse, parce qu'ils redoutaient les visites des Iroquois, et savaient qu'a Quebec, ils se trouYeraieut plus 1649] DU CANADA. 383 eloisraes de leurs farouches ennemis. Dans ce dernier lieu, on O * recut avec charite* les pauvres exiles. Les Ursulines et les Hospitalieres se chargerent de nourrir plusieurs families ; le gouverneur et quelques particuliers genereux en firent autant. II en resta encore pres de deux cents aux soins des Jesuites, qui pour fournir a ces depenses, renvoyerent en France plu- sieurs des missionnaires, rendus disponibles par la destruc- tion des missions huronnes. Les chretiens qui s'etaient refugies a 1'ile de Saint- Joseph en 1649, ne formaient qu'une partie de la nation, car plusieurs bandes de hurons s'e'taient disperses de differents cotes, line d'elles alia se re'fugier dans 1'ile d'Ekaentoton, ou les Jesuites avaient d'abord songe a conduire le gros des chretiens ; une a litre se retira a Michilliinakinac, ile a vantage usement situde pres de 1'entree du lac Michigan et conside'ree comme sacre'e parmi les tribus de 1'ouest. Quelques families se joignirent aux Eries ou Chats, place's sur la cote meridionale du lac du meme nom. Peu d'annees apres, ces families huronnes furent enveloppees dans la ruine totale de la nation qui les avait adoptees. Les habitants des deux villages de Saint-Michel et de Saint- Jean-Baptiste, ne sachant que devenir, en appelerent k la gene- rosite de leurs ennemis, et furent admis dans le canton de Tsounontouan. Bon nombre de ces hurons e"taient chre'tiens ; et non seulement ils conserverent leur foi, mais ils inspirerent a plusieurs de leurs nouveaux allies le de"sir de connaitre la religion chretienne. Lorsque, bien des annees apres, quelques missionnaires penetrerent dans ce canton, ils furent remplis d'etonnement et d'admiration en trouvant, au milieu des de- sordres de la barbarie, une petite re* union de chre'tiens fervents et constants dans la foi. Enfin, beaucoup de hurons se refugierent dans les mon- tagnes de la nation du Petun, ou les Jesuites avaieut deux missions. Le bourg principal d'une des missions avait recu le nom de Saint-Jean. II se trouvait pres des froritieres du pays, et par consequent fort expose* ; mais, comme il y restait plus de cinq cents families, on se croyait en surete. Au mois de novembre de 1'annee 1649, ony appritque trois cents iroquois rodaient dans les environs, cherchaut a surprendre quelque village. Les habitants du bourg Saint- Jean, hommes de main et de courage (1), les attendirent de pied ferme pendant plu- U) Relation de 1650. 384 COURS D'HISTOIKE [1649 sicurs jours; cnHu, voyarit quo 1'ennenii ne ss niontrait pas, " ils partirent pour aller le rencontrer et le detruire, car ils etaient assures de remporter la victoire. Les Iroquois avaient fait un detour pour cacher leur marche, et, pendant qu'on les cherchait au loin, iis parurent le sept d6cembre devant le bourg, qu'ils savaient etre degarni d'hom- mes. Les portes furentfacileinentforcees, et les Iroquois, pres- ses d'en finir dans la crainte d'etie surpris, se haterent de massacrer tons ceux qui n'auraient pu facilement les suivre dans leur retraite precipitee. Le Pere Charles Gamier, d'une riche famille de Paris, etait alors le seul missionnaire residaut dans le bourg. Aux eris des assaillaiits, il reconnait tout le danger, et court a 1'eglise, ou Etaient reunis quelques chre- tiens. " Mes freres, " leur dit-il, en entrant, " nous sommes morts ; priez Dieu, et prenez la fuite par ou vous pourrez vous echapper. " En vain ces bonnes gens le pressent de fuir avec eux ; il leur donne sa benediction, et s*e jette au milieu des groupes de vieillards, de fenmies et d'enfants qui n'ont point la force de fuir ; il les exhorte, les baptise, les absout et les pre- pare a aller a Dieu. Pendant qu'il exerce ces saintes fonctions, il est atteint de deux balles et renverse baignant dans son sang. Revenu bientot a lui-meme, il se releve un peu pour prier, et apercoit a quelques pas un pauvre chretien, qui comme lui a 6te" laiss^ pour mort. II se traine de son cote" pour 1'assister ; niais, ayant et6 observe par des iroquois dans 1'ac- complissement de cet acte de sublime denouement, ces bar- bares le renversent mort, en lui assenant deux coups de hache sur les tempes. Deux jesuites etaient dans la mission voisine. Ils accueil- lirent avec charite les pauvres fugitifs. Le lendemain, ayant appris la retraite de 1'ennemi, ils allerent visiter les mines fumantes du bourg de Saint-Jean, pour porter secours a ceux qui auraient pu <5chapper et pour donuer la sepulture a leur confrere. Ils trouv&ent son corps convert d'une couche (5paisse de sang et de cendres. Se oMpouillant d'une partie de leurs habits pour couvrir ces restes precieux, ils les iuhu- rnerent au lieu meme ou avait etc" 1'eglise. Deux jours apres la prise etl'incendie du bourg, les guerriers hurons et tionnontates, revenant de leur course inutile, s'ar- re"tent sur les debris de leurs demeures d<5solees. Pas une plainte n'est prof<$r<$e ; pas une lanne n'est vers^e ; car aux femmes seules il appartient de pleurer et de se plaindre. Dans un profond silence, ils allurnent les feux ; et, assis a 1'entour ICoO] DU CANADA. 385 suivant In facon des snuvages, ils demeurent une denii-journde sans parler, sans lever les yeux, sans meme pousser un soupir ; c'etait-la le seul deuil qui fut permis a des homtnes. Deux jours avant la destruction de la bourgade de Saint- Jean, le P. Chabanel compagnon du P. Gamier, etait paiti sur 1'ordre de ses superieurs pour se rendre a la residence de Sainte-Marie, Avec lui cheminaient sept ou huit hurons Chretiens. Fatigue a la suite d'une penible marche et surpris par les teuebres, ils s'dtaient un soir arretes au milieu des bois pour y passer la nuit. Pendant que les hurons dormaient, le P. Chabanel veil- lait ; vers le milieu de la nuit, il entendit un bruit confus de pas, des cris, des gemissements : c'etait 1'armee iroquoise revenant victorieuse et traiuant a sa suite les malheureux captii's, dont quelques-uns avaient entonne la chanson de guerre. II comprit ce qui etait arrive*, et eveilla ses compagnons ; ceux-ci prirent la fuite avec precipitation, et abandonnerent le missionnaire, qui ne les pouvait suivre. Comme il n'avait point paru depuis, on crut d'abord qu'il etait mort de froid ou de faim ; mais plus tard on apprit qu'il avait e^e tue 7 par un huron apostat, qui s'etait vante qu'il donnerait la mort a quelqu'un des Peres J^suites (1). La dispersion des Hurons fut accompagnee de plusieurs episodes interessants, dont un des plus remarquables se passa a Saiute-Marie, dans 1'ile de Saint-Joseph. Eri partant pour Quebec, le P. Eagueneau y avait laisse" plusieurs families qui devaient? le suivre dans 1'automne de 1650 ; mais des circons- tances impre'vues les emp^cherent de tenir leur promesse. Malgre reloignement de cstte ile, les Iroquois n'y laissereut pas en repos les malheureux qui s'y etaient retires. Vers la fin do 1'automne de 1650, un parti eiineini eleva un fort sur la terra ferine, et attendit patiemment 1'occasion de surprendre ceux qui a'eloigneraient de Habitation. Enfin quelques chasseurs hurons, etant sortis, tomberent dans une ernbuscade ; parmi eux etait Anahotaha, chef celebre dans les conseils aussi bien que dans les combats, et remarquable par sa prudence et par sa finesse. II se preparait a vendre cherement sa vie, lorsqu'il fut arrete par les paroles des capitaines iroquois, qui lui ddcla- rerent qu'ils avaient des pensdes de paix, et qu'ils veuaient engager les Hurons a se refugier parmi eux, afin de former un seul peuple. Accoutume a toute espece d'aventures et con- naissant la fourberie des Iroquois, il s'avanca avec assurance (1) Relation de 1650. 386 couns D'HISTOIEE [1650 jusques dans leur fort, resolu de les prendre dans lenrs pro- pres pieges. Us etalereut des pr&ents devant Anahotaha, et ltd firent en m^rne temps des propositions. " Ce n'est pas a nioi," leur repondit-il, " qu'on doit offrir ces presents, et faire ces propositions ; c'est anx vieilles tetes qui sout le conseil et 1'ame de notre pays. Gardez-moi comme otage, et envoyez vers eux quelques hommes de conduite et de courage." " Non pas," lui repondirent-ils ; " tu ira toi-me'me, et tes compa- gnons resteront ici comme otages." Trois iroquois partent avec Anahotaha, pour traiter de 1'union des deux peuples. Un cri de joie, qu'il jette en entrant dans la bourgade, met en emoi tous les Hurons qui accourent aupres des ambassadeurs. " Mes freres," leur dit Anahotaha, " le ciel nous est favorable ; les Iroquois n'entretieunent plus de pensees de sang centre nous; ce sont nos freres et nos peres : ils nous donnent aujourd'hui la vie, apres nous avoir conduits au tombeau." A ces mots, des acclamations retentis- sent de toutes parts. Les Iroquois, temoins de cette manifes- tation, ne peuvent rien attendre de plus favorable. Pendant que chacun les fete de son mieux, Anahotaha tient un conseil secret avec trois ou quatre des meilleures tetes ; on y conclut que, 1'ennemi cherchant a tromper, il faut le prevenir et le pren- dre dans ses propres filets ; et le chef huron est charge de mettre le projet a execution. Un cri public annonce a tout le village qu'on va partir avec les Iroquois, aim d'aller derneurer dans leur pays ; les femmes pilent le mais ne"cessaire pour le voyage, qu'on doit commeucer dans trois jours ; hommes, fernrnes, enfants, tous se pre"parent a se mettre en route. Anahotaha est le premier a porter cette nouvelle aux Iroquois ; les visites deviennent frequentes de part et d'autre, et la confiance semble completement tkablie entre les deux peuples. Treute iroquois e*taient dans le fort des Hurons lorsque, a un signal donne, les baches huronnes se levent sur leurs tetes, et ils sont tous massacre's, a 1'exception de trois, sauves par Ana- hotaha, en reconnaissance de ce qu'eux-memes lui avaient conserve la vie. L'un des blesses avoua ingenument qu'au moment ou ils furent attaques, ils iitaient sur le point de faire main basse sur tous les Hurons. Decourage par la inort de leurs plus braves coinpagnoiis, les Iroquois qui e"taient restes sur la terre ferme, reprirent precipitamment le chemin de leur pays, et laisserent tranquilles les Chretiens de Sainte-Marie. (1) Relation de 1631. 1651] DU CANADA. 387 Ce repos ne pouvait etre que momeritane' ; les Iroquois devaient chercher a. laver dans le sang de leurs ennemis 1'af- frout qu'ils venaient de recevoir. Voila ce que comprirent les Hurons ; aussi, au printemps suivant, ils s'eloigneient de Sainte-Marie, et allerent chercher une retraite a soixante lieues de la dans 1'ile d'Ekaentoton. II etait temps; car, a peine avaient-ils laisse 1'ile de Saint-Joseph qu'ime bande d'iroquois y arriva et dechargea sa fureur sur quelques pauvre's chre'tiens qui n'avaient pu suivre leurs freres. En meme temps qu'ils poursuivaient a. outrance les restes de la nation huronne, les Iroquois entreprenaient de detruire la nation neutre, qui jusqu'alors s't'tait maintenue a force de managements ; elle avait porte la patience si loin, qu'un de ces bourgs ayant e"te surpris par trahison et completement detruit, elle avait garde un honteux silence. En vain s'etait-elle courb^e sous I'liumiliation ; son sort etait prouonce. Occupant le beau pays qui s'etend an nord de la riviere de Niagara (1), entre les lacs Ontario et Erie, les Attiouandaronk ou Neutres etaient trop voisins des Iroquois pour se flatter de rester longtemps tranquilles. Ceux-ci, en effet, mirent sur pied des forces con- sid^rables, et enleverent deux bourgades des Neutres, dans Tune desquelles il y avait plus de seize cents hommes ; la pre- miere fut prise dans Pautomne de 1650, et la seconde au printemps suivant. Cette perte fut si grande et si douloureuse, qu'elle entraina la ruine de la nation neutre ; car les bour- gades eloignees furent aussitot abandonnees de leurs habitants, qui s'enfuirent pleins d'epouvante et se disperserent dans les forets ou sur les rivieres les plus eloignees. Les Hurons qui s'e"taieiit refugi^s chez les Neutres furent encore forces de s'enfuir ; quelques-uns gagnerent vers 1'ouest, et d'autres se dirigerent vers le midi, pour se joindre a leurs allies les Andastes (2). Commencee en 1650, la destruction de la nation neutre fut completee en 1651. La politique des Iroquois semble, vers cette epoque, avoir 4te d'entourer leur pays d'une vaste solitude, et d'etendre sans cesse ce cercle de desolation, par la destruction ou la disper- sion des tribus environnantes. Vers le midi et Test, ils eprou- (1) Le P6re Rafineneau cst le premier 6crivain qni ait mentionn6 la catnracte de Niagara. Dans la Kelatipn de 1648, il en 6crit comnie suit: " De la m6me nation neutre tirant vers le midi, on trouve un graud lac, quasi de deux cents licues de tour, iiomm6 Eiie, qui se forme de la d6charge de la mer Douce, et qui va se pr6ci- piter par uue chute d'eaux d'uiie efiroyable hauteur, dans uu troisieiue lac nuiumo Ontaiio." (2) Relation de 1651. 2G 388 OOUKS D'HISTOIKE [1651 verent une vigoureuse resistance, qu'ils ne parvinrent jamais k vaincre : les Andastes, les Mahingans et les Abenaquis, puis- sants et accoutume's a la guerre, e'taient des ennemis redou- tables ; aussi les Iroquois portaient-ils de pre'fe'rence leurs armes au nord et a 1'ouest, centre les tribus algonquines et chez les nations de la langue huronne, alors livre"es a cet esprit de vertige qui precede la chute des peuples. La plupart des missionnaires qui e'taient revenue du pays des Hurons, partirent pour la France ; plusieurs e'taient use's par les fatigues, et trop age's pour recommence! 1 1'^tude de quelque autre langue sauvage. 11 en resta cependant pres de trente dans le pays, pour les besoins des Francois et des sauvages Chretiens. Les hurons arrives avec le P. Eagueneau passerent 1'hiver & Quebec ; au printemps de 1651 on les plaga a la pointe de Tile d'Orleans, dans un lieu aujourd'hui nomine* 1'anse du Fort ; ils y furent bientot rejoints par quelques petites bandes qui s'etaient arretees aux Trois-Kivieres, a Quebec et k Beauport (1). Les exiles y trouverent une nouvelle patrie, a laquelle ils donnerentle nom de Sainte-Marie, en souvenir des Heux qu'ils avaient e*t4 forces d'abandonner. Le site e*tait admirablement choisi, pres d'une ause du Saint-Laurent, ou les canots pou- vaient aborder avec surete. Le village fut bientot form^ ; autour d'une humble chapelle, la premiere qui ait e*t<$ batie dans 1'tle d'Orleans, s'eleverent les cabanes faites sur le modele des anciennes denieures huronnes ; aupres, ^taient les champs dans lesquels la petite colonie cultivait le mais ; la foret 6tait toute voisine, et le grand fleuve fournissait les moyens de faire la peche et la chasse. La destruction de la nation huronne, qui avait toujours e'te' la fidele alliee des Francais, causa dans la colouie une doulou- reuse sensation, a laquelle se melait un sentiment de profonde inquietude. Debarrass^s de leurs redoutables adversaires, les Iroquois ne se tourueraient-ils pas avec une nouvelle fureur contre les habitations francaises, alors qu'ils n'avaient plus a craindre d'etre attaqu^s du cote" de 1'ouest ? Dordnavant ils pourraient reunir toutes leurs forces, pour ^eraser d'un seul coup les faibles postes de Quebec, des Trois-Rivieres et de Montreal. Dej& quelques petits partis iroquois s'dtaient avanc(5s (1) Vie dii P. Chrtumonot. Demoiselle Eleonoro do GrandmaittoD, veuve de sieur Chavipny de Berchereau, vendit. pour retablisseinent burou, une partie des terrcs i-ultivi'-cs de mill ticf, aiijuurd'hui couuu HOUS le uoni de tief lieaulieu uu Gourdeau. La niaiHou de Koe'l Boweii, ecuyer, uccupe aujourd'hui le uiilicu de uu fort dot) Huron*. 1650J DU CANADA. 389 jusqu'a trois lieues de Quebec au mois de mars 1650, brftlant les maisons et massacrant plusieurs homines isoles ; ces courses avaient suffi pour jeter I'^pouvante parmi les habitants (1). L'on attendait impatiemment de France des secours qui n'ar- rivaient point. Les affaires paraissaient etre dans un e"tat si deplorable, qu'on crut devoir envoyer en Europe le P. Jerome Lalemant, sup^rieur des missions, pour faire conuaitre la posi- tion critique de la colonie. II partit en effet au commencement de novembre avec le P. Bressani et quelques-uns des princi- paux habitants du pays. Cependant, au milieu de la consternation generale, il se trou- vait des ames fortes et courageuses, qui, mettant leur confiance dans la providence, attendaient sans crainte le retour de jours meilleurs. " Au reste, " ecrivait la Mere de 1'Inearna- tion (2), " pour delabrees que soient les' affaires, n'ayez point d'inquietude a mou egard, je ne dis point pour le martyre, car votre affection pour moi vous porte a me le desirer, mais j'en- tends des autres outrages qu'on pourrait appre"hender de la part des Iroquois ; je ne vois aucun sujet d'apprehender, et, si je ne suis bien trompee, j'espere que les croix que I'eglise souffre maintenant seront son exaltation. Tout ce que j'en- tends dire ne m'abat point le coaur ; et, pour vous en donner une preuve, c'est qu'a 1'age que j'ai, j'etudie la langue huronne et en toutes sortes d'affaires no as agissons comme si rien ne devait arriver. " Ecrivant du Havre-de-Grace a son provincial, le P. Jerome Lalemant exprimait les memes esperances : " Le quatrieme sujet de consolation que je voyais dans ce pauvre pays desole est le courage et la generosite de nos religieuses tant hospita- lieres, qu'ursulines ; c'est une des esperances que j'ai de la conservation du pays, ne pouvant penser que Dieu abandonne des ames de cette nature, si saintes et si charitables. II me semble que tous les anges du paradis viendraient plutot a leur secours, si tant est que les hommes de la terre manquassent de procurer leur conservation en ce nouveau monde, " Cette anne"e m^me, Dieu ^prouvait les Lrsulines d'une manifere terrible. Dans la nuit du trente decembre, le feu prit a leur boulangerie, et, lors qu'on s'en aperc,ut, il avait deja gagne 1'etage sup^rieur, ou ^taient couch^es les jeunes pension- naires. A peine les religieuses et leurs Sieves, a demi vetues, (1) Lettres Historiquet de la M. de 1'Incarnation. (2) Lettre i sou flls, du 17 eoptembre 1650. COURS D'HISTOIKE [1651 eurent-elles le temps de s'arracher aux flammes et de se jeter sur la iieige qui couvrait le sol. En moins d'une heure le monastere fut entiereuient consume ; meubles, habits, papiers, tout avait ete la proie des flammes. Aussi 1'e'tonnement des Francais et des sauvages fut grand lorsqu'ils virent les reli- gieuses, reunies autour de leur superieure, s'agenouiller sur la neige, pour remercier Dieu en recitant le Te Deum et pour ltd faire line nouvelle offrande d'elles-ni^mes. Leur seule inquie- tude etait qu'on ne vouliit les faire repasser en France (1). " Mais, " remarque le P. Eagueneau, " tout le pays a inte'ret a leur retablisserneut, principalement h cause de leur semiuaire ; car I'expe'rience nous apprend que les lilies qui ont ete aux Ursulines s'en ressentent toute leur vie, et que dans leur manage .... elles elevent bien mieux leurs enfants. " Accueillies par les religieuses de 1'Hotel-Dieu, les Ursulines demeurereiit chez elles pendant trois semaines ; elles allerent ensuite se loger dans une petite maison, batie par Madame de La Peltrie et voisine des ruines de leur monastere (2). Tous les citoyens, meme les plus pauvres, s'empresserent de leur porter des secours. Elles firent des emprunts, avec lesquels elles commencerent la reconstruction de leur maison, et, moins de dix-huit mois apres 1'incendie, elles prenaient possession de leur nouvelle demeuro. " C'est une chose admirable, " dit la Mere de 1'Incarnation, a cette occasion (3), " de voir de quelle maniere Dieu gouverne ce pays ; lorsque Ton y croit tout perdu, il meut de certains ressorts caches aux yeux du monde, par le moyen desquels il rdtablit ou modere toutes choses. " Dans le inenie temps que les UrsuHnes s'occupaient de rele- ver leur seuiinaire pour les filles, les Peres Jesuites ^tablis- saient un pensionnat modeste pour les garcons. II fut place sous la direction d'un honnete laique, qui leur apprenait & lire et a ecrire, et qui leur enseignait le plain-chant. Comme ce pensionnat ou se"minaire 4tait voisin de 1'dglise et du college, les Sieves servaient comme enfants de cho3ur, et les plus avanc^s allaient en classe au college. " Sans cela, " dit le P. (1) Lettrfg ftpiritit.f.lles et HMoriqu's de la M6re de 1'Incarnation ; Relation de 1051 ; Higtoire de I'Rotel-Dieu de Quebec. (2) Cottc raaiaon servit plus tard de demeure a Afgr. de Laval; elle existait encore, il y a vingt-cinq ana. Quolque petite qu'elle fftt, il fall tit y loger ti-oize reli- fieuseti avoc U-urs pousiounaires, et y pratiquer uue chapelle, uu chcour et de* coles. <3) Lettres Spirituellet de la Mere de 1'Incaruation. 1651] DU CANADA. . 391 Eagueneau, " nos Francais deviendraient sauvages et auraient moins d'instruction que des sauvages monies (1)." De son cote, M. D'Ailleboust employait de son mieux les faibles ressources laisse'es a sa disposition, afin de conjurer les malheurs qui menacaient la colonie et de relever les esperances de se$ habitants. D'apres une lettre du conseil de Quebec, datee du vingtieme jour de juin 1651, il parait que les autorite"s du Massachuset avaient fait des avances pour etablir des relations commerciales entre la Nouvelle-Angleterre et le Canada (2). Le P. Druilletes avait du etre le porteur de semblables propositions lorsqu'il revint du pays des Abenaquis en 1647; elles etaieut alors demeurees sans re'sultat, quoique le conseil s'en fut occupe" en 1648. Des abenaquis vinrent en 1649 a Quebec pour inviter le P. Druilletes a aller demeurer parmi eux ; ils por- taient en meine temps les lettres des marchands anglais, qui desiraient hater la conclusion du traite* de commerce. Les Francais n'avaient garde de rejeter les propositions qui leur etaient faites ; mais, comme un simple traits' de com- merce (Start tout & 1'a vantage des Anglais, ils voulurent y an- nexer la condition, que les deux peuples s'uniraient pour faire la guerre aux Iroquois, et empecher ces barbares de d5truire les tribus attachees aux interets des Europeens. Le P. Druilletes fut charge 7 d'entamer les negociations, et il partit le premier de septembre 1650, conduit par Noel Negabarnat, chef des algonquins Chretiens de Sillery, et par Jean Guerin, attache* au service des missionnaires. Par la riviere Chaudiere, les envoyes atteignirent les sources du Kinibeki, qu'ils desceiidirent jusqu'a Narantsouak Co) premier bourg des (2' Les rpgistreH des colonies de Boston et de Plymouth gardent le silt-iu-i- sur ces preini6rc8 avance.-s t'aites par les autorites do hi Nouvi'llo-Aii^ictcrrc au cnii*cil do Quebec. Hutchinsou serable. avoir suivi Charlevoix ; void ce qa'il en (lit : ' 1'ropo- 8als had been made in the year 1648 ti> monsieur D'Ailleboust, ^o ^i-rnoi 1 ot Canada for <3) Aujourd'hui Norridgwock. 392 COUES D'HISTOIRE [1650 Abenaquis ; & quinze lieues plus loin, ils trouverent Kous- siuoc (1), habitation des marchands anglais. La colonie de Plymouth avait pris possession du Kinibeki et des terres voisi nes, et elle avait autorise une compagnie de marchands a y faire le trafic avec les sauvages. Le principal commis de cet etablissenient e'tait le sieur John Winslow (2), homme cpn- sidere" dans la Nouvelle-Angleterre et pour lui-meme, et pour les services rendus par sa famille. Winslow se montra plein de bienveillance envers le je*suite ambassadeur, et voulut le conduire a Boston, ou il fut accueilli avec bienveillance et loge chez le major general Gibbons (3). Son caractere d'en- voye' du gouverneur de la Nouvelle-France fut pour lui une sauvegarde suffisante, quoique une loi fort severe eut e'te passee, quelques anne'es auparavant, contre les Jesuite et tous les ecclesiastiques catholiques (4). II fut conduit par les sieurs Winslow et Gibbons & Roxbury, ou demeurait le gouverneur Dudley. Voici comme il rend compte de sa mission dans une lettre adressee a ses superieurs. " Je lui pre'sentai la lettre de cre'ance de la part de monsieur le gouverneur de Kebec, et lui demandai audience en qualit^ d'ambassadeur et agent, non-seulement au nom de monsieur le gouverneur , mais aussi de la part des cate'chumenes abnaquiois qui sont sous la jurisdiction de Plymouth Le jour de mon audience fut differe jusques au mardi suivant, par ce que M. le gouverneur d'ici devait assembler les migistrats ce jour-la pour quelque autre occasion " Avant de vous exposer ce que j'ai fait ici de ma double arnbassade, il est necessaire que je vous donne connaissance de I'e'tat et gouvernement de ce pays. (1) Taconnock. (2) Frere d'Edoitard Winslow, agent des colonies anglaises en Angleterre. (3) Le major Gibbons etaitcoiinu des Francais de. 1'Acadie par suite de ses liaisons de commerce avec diaries de L Tour. G'etait un honmie important a Boston ; ouoi- qu'il fut engage dans les att'ai res de commerce, ii etit oi'dinaireinent <-h;irs:e de la conduite des affaires miliraires. 11 fut major jrenerui de la coionio depuis 1649 jus- qu'a 1654. annee articuliers a inaintenir la paix en Amerique parini les -Europ6ens, nonobstant les guerres qui ppurraient survenir entre les ditferenta peuplos de 1'Europe. Ce fut en vertu de ce projet que les colonies anglaises flrent des traites de paix avec D'Aulnay et avec La Tour, at qu'elles adressereut dee propoai- tious an gouverneur du Canada. de Commissairet ; d6cidees par la cour itt nations etrangeres. S'il >f y avait paa unanimity dans le decisions, une propoHition ce pouvait etra adoptee que si elie eCait soutAiiue par Ion deputes de trois colouies. Le affaires in;6 - rieures de chaque uolouie eUieut r^gle*a par sa U^iBlaturs porticuliere. Cette union ubsiata pendant plus de quaranta an*. 394 COURS D'HISTOHIE [1650 officiers de cette cour particuliere sont crees et confirmes au mois de mai, qui est le temps auquel la cour ge'rie'rale de toute la colonie se tient, c'est-a-dire, la chambre haute, composee des plus considerables de la colonie, et la basse, composee des deputes du peuple .... C'a ete cette cour particuliere de Boston qui m'a donne audience, apres m'avoir invite" a diner, le treize de decembre (1). " Ayant appris a Boston que la cour des commissaires, repre- sentant les colonies miles de la Nouvelle-Angleterre, pouvait seule s'occuper de ses propositions, le P. Druilletes e"crivit au sieur Winthrop, gouverneur du Connecticut, pour 1'engager a achever ce que son pere avait commence a Boston. II se rendit ensuite a Plymouth, ou le gouverneur Bradford le recut bien et lui donna des esperances (2). Apres avoir expose" les resiiltats de son ambassade, il ajou- tait : " 1 Je suppose comme chose tres-assuree que les Anglais des quatre colonies unies, a savoir Boston, Plymouth, Kene- tigouc, Kouinepeia, ont fort bonne main pour exterminer les nations sauvages ; ils en ont extermine" deux usque ad min- gentem ad parietem ; ils sont si puissants en nombre, que quatre inille homuies peuvent etre mis sur pied dans la seule colonie de Boston; ils sont quarante mille ames dans les quatre colonies pour le moms, et d'ailleurs le chemin pour aller aux Iroquois est fort court et fort facile. " 2 Je suppose 1' article expres de leur union qui porte que, sans le consentement des commissionnaires ou des deputes de ces quatre colonies, auc<:ne ne pent entreprendre aucune guerre offensive ; et partant, il faut que les dits deputes s'as- semblent pour deliberer la-dessus, et que trois colonies con- sentent a ce secours, aim que la pluralite des voix 1'eiuporte. Or, cela suppose, je pense que nous avons assez bonne espe"- rance de ce secours par le moyen des Anglais, pourvu que nous ayons une morale assurance que, de quatre colonies, trois sont pour consentir. " Puis, examinant les dispositions des colonies, il concluait que celles de Boston, de Plymouth et de Connecticut seraient favorbles a 1'envoi de secours, tandis que celle de New-Haven ne serait pas opposee a la proposition. II espikait encore beaucoup de 1'appui d'Edouard Wiuslovv, qui etait agent des (1) LeUre du P. Lruilldtes. (2) Narre du voyayefait pour la 'mission des AbiKif/uiuig et des connaissance* tireet de la Xouvelle-Aiiyieterre et de la disposition de* inagittratu de cette republique pour le tevurs contre lea Iroqwnt. 1651] DU CANADA. 395 colonies a Londres, dont le credit etait fort grand dans toute la Nouvelle-Angleterre. En retournant de Plymouth a Boston le P. Druilletes s'ar- reta a Roxbury, ou residait le Reverend John Elliot, nomm4 par ses compatriotes 1'apotre des Indiens, parce qu'il s'occupait, a quelques milles de Boston, de la conversion des sauvages du voisinage. Eliot avait appris la langue des Aberginiens, ou Massachusets ; il leur faisait des sermons et leur enseignait a lire la bible. II dut etre im peu e'tonne en voyant ce niissiou- naire jesuite, qui parlait les langues sauvages aussi bien que les indigenes eux-memes ; qui avait passe plusieurs hivers dans les cabanes enfumees des Oumamiouek et les Papinachois, a trois ou quatre cents milles des habitations francaises ; qui venait de traverser d'epaisses et interminables forets, et dont " 1'habit ainsi que 1'equipage le rapprochaient plus d'un sauvage que d'un francais de mediocre condition (1)." Eliot traitafort honnetement le P. Druilletes, comrne celui-ei en rend temoignage. " Le ministre," ecrit-il, " noiiimd maitre Heliot, qui enseignait quelques sauvages, me retint chez lui, a cause que la nuit me suiprenait, et me traita avec respect et affection, et me pria de passer 1'hiver avec lui (2)." La voix du devoir appelait ailleurs le missionnaire : ay ant, pour le moment, termine ses fonctions d'anibassadeur, il alia passer le reste de 1'hiver au milieu de ses catechumenes abenaquis,. pour les instruire et les confirmer dans la foi. Au priutemps, il retourna a Quebec, ou il arriva le quatre juin 1651. II rendit compte de ses negotiations ; et, 1'affaire ayant e'te' examine de nouveau par le conseil, il fut charg4 d'aller a Boston avec le sieur Jean-Paul Godefroy, 1'un des conseillers. remettre une lettre adressee " aux cornmissaires de la Nouvelle-Angle- terre, et discuter avec eux la question du secours demaude contre les Iroquois." Dans cette lettre, datee du vingt juin 1651, les conseillers presentaient des raisons en faveur d'une alliance entre les An- glais et les Francais contre la nation iroquoise. La Nouvelle- Angleterre ayant propose de Her commerce avec la Nouvelle- France, il etait desirable " d'entrer en menie temps en une ligne offensive et defensive contre les Iroquois, qui empecheraient ce commerce ; " de plus les Anglais etaient interesses a r^priruer I'insolence des Iroquois, qui massacraient les Sokokiois et les Abenaquis, allies et amis de 1'Angleterre. (1) Lettre du P. Druilletes. (2) Narre du voyage fait pour La, mission den Abnaquiois, etc. 396 COURS D'HISTOIRE [1651 Les deputes partirent vers la fin de juin (1) ; mais, en arrivant a Boston, ils decouvrirent que les sentiments avaient change. La colonie de Plymouth s'opposait a la guerre centre les Iro- quois, et refusait meme aux Francais la permission de passer sur ses terres pour aller combattre 1'ennemi (2). Cependant, la cour des commissaires, s'e'tant assemblee, discuta les pro- positions des deputes, et, apres une longue deliberation, leur remit une reponse aux demandes du gouverneur et du conseil de Quebec. Les commissaires exprimaient le de"sir d'etablir la libert^ de commerce entre les colonies anglaises et les colonies francaises ; mais ils aimaient mieux y renoncer que de s'engager dans une guerre contre les Iroquois. Cette decision fut prejudiciable aux interets des deux par- ties. Les colonies anglaises auraient rencontre de grands avan- tages dans 1'echange de leurs produits ainsi que des marchan- dises anglaises contre les riches fourrures du nord ; tandis que le Canada obtenait a Boston un excellent marche pour ses pelleteries, et, dans les disettes, pouvait y trouver facilemenfc les grains et les farines, qui ne lui arrivaient de France que bien tard, en petite quantite et de mauvaise qualite. Ce trafie aurait et^ pousse" avec vigueur par les armateurs anglais; car deja, sur le bruit qu'un traits' de commerce allait avoir lieu, un vaisseau de Boston charge* de marchandises et de provision remontait le Saint- Laurent au printemps de 1651. Certains d'avoir facilement par la mer une part clans le com- merce des pelleteries, les Anglais n'auraient pas e'te tentes de faire de grandes avances, pour 1'attirer par une voie difficile et couteuse a travers les terres. De leur cote", les Franqais n'auraient pas ete sans cesse aux aguets, pour eloigner leurs dangereux rivaux du commerce de 1'ouest. Les deux nations n'auraient pas e'te reduites a adopter des precedes humi- liants, meme aux yeux des sauvages, pour attirer le castor chez elles ; les longues et de'sastreuses guerres suscite'es pour ce seul motif n'auraient janiais eu lieu. Si la Nouvelle-Angleterre eut voulu declarer aux Iroquois (1) Les propositions qne poi-taient ies (lepntes 6t,-iiiiain de vjiis.seau et cous<-il- ler, avai't poiie une fiile du Sieur Pierre LeGanieiir tie Keuentigiiy. (2) Records of the Colony of Plymouth, June 5th 1651. - "Whereas a rennest was made the last winter by u IRMHnltger f rotn the French at Cana6 Faillou, Vie de mademoiselle Mance, vol. I. Le seul hoiniue dont les r:';iur:in run-ill & ieu Kegistres de Notre-Dame de Quebec. De lafamiUe des Lauson.) (2) Archives du Ministere de la Marine. Paris: Requete de M. de Vilieray. (3) Memoires sur l# vie de Mgr. de Laval. (4) Nicolas Le Vieux. ecuyer. sieur Dudeville, paralt avoir t Du Piessis-Kertionot. I! avait ^pi)Ue Etiiintt,H DesPrex, fiile d " ntbl hoinni Nicolas DesPres et de Denioi- t;ile Majidelt-ine Lc.biiuu:. MiKlame DuPieHKis avait dans 1 pays deux Mu elle jouit dMine reputa- tion bien meritee pour I'educatiini des jeuneH lilies. Les religieimes du coiiveni des Oiveaux euiretieunetit dea rapports d'aiuitie avec les lilies de iasceur Boiu-geoyn. COURS D'HISTOIRE [1654 pagne la continuerent dans cette charge pendant douze ans, Dieu lui ayaut fait connaitre d'une maniere particuliere qu'elle e"tait appele*e a travailler a 1'instruction chre'tienne des filles dans la Xouvelle-France, elle se consacra de tout son cceur a cette ceuvre. Par 1'entremise d'une soeur de M. de Maisonneuve, elle fut presentee a ce gentilhomme, qui lui procura les moyens de se rendre a Montreal. Elle ne put cependant commencer sitot a exercer les functions d'institutrice, n'y ayant point encore d'enfant en etat de frequenter les e"coles. Jusqu'alors en effet, il y avait eu fort pen de personnes mariees a Montreal ; et, pendant les huit premieres annees apres sa fondation, les enfants francais qui y naquirent moururent tous en bas age (1). Apres deux ou trois ans d'attente, mademoiselle Bourgeoys put commencer a instruire les jeunes filles, dans un miserable batiment situe pres de 1'hopital de Montreal. C'etait une an- cienue etable, que lui accorda M. de Maisonneuve, et qui eut ainsi 1'honneur de devenir le berceau de la pieuse et utile so- cie"te de la congregation de Notre-Dame. Peu de temps apres le depart des ambassadeurs agniers, les capitaines des Hurons, decouvrirent aux autorites francaises de Quebec un secret qui etait reste* cache* Jusqu'alors. Us offri- rent trois beaux colliers de porcelaine : " Ce sont," dirent-ils, " des presents venus du fond de la terre, apport^s par un demon, qui nous a parle" dans 1'horreur d'une nuit obscure. Ce demon nous fait peur, parce qu'il aime les tenebres (2)." La nuit qui avait suivi la conclusion de la paix, Teharihogen, principal ambassadeur agnier, avait donn ces colliers aux Hurons de 1'ile d'Orl^ans, pour les engager a aller s'^tabKr dans son canton ; il avait declare* en meme temps que c'^tait la le principal objet de toutes leurs demarches depuis 1'hiver. Des propositions du meme genre furent apportees, au mois de fe" vrier suivant, par des ambassadeurs onnontague"s. Tout en amusant les autorite's francaises, ils engageaient sourdement les Hurons a monter dans leur canton, le printemps suivant, avec toutes leurs families et leur bagage. Informed de toutes ces intrigues, les Franqais restaient inquiets sur les resultats qu'elles pouvaient avoir par rapport a la paix. Les chefs hurons les plus senses ^taient embarrasses, (2) Relation de 1654. 1654] DU CANADA. 417 car ils prevoyaient que plusieurs des leurs se laisseraient tenter par les offres se*duisantes qui leur etaient faites. Mais ces offres ne cachaieut-elles pas quelque nouvelle perfidie ? les Agniers avaient a venger la mort d'Aontarisati, brule aux Trois- Bivieres ; les Onnontagues n'avaient pas oublit^ que plusieurs des leurs, se preparant a surprendre 1'ile de Saint-Joseph, avaient e*te prevenus et tu^s par des hurons. Et quand il u'y aurait pas en de trahison a craindre de la part des Iroquois, si Ton se decidait a accepter les offres d'uu canton, Ton s'ex- posait k exciter le ressentiment de 1'autre. Les Hurons resolurent de gagner du temps, dans I'espe*- rance que le cours des e"veneinents pourrait les tirer d'em- barras. Ainsi les Onnontagues, invites a presenter leurs de- maudes ouvertement dans un conseil public, proposerent a la colonie huronne de se faire une nouvelle patrie, dans un pays autrefois ennemi, mais qui ne 1'etait plus. Les Hurons repon- dirent par deux presents, le premier pour renvoyer 1'execution de ce projet a une autre annee, le second pour exhorter les Onnontagues a batir une cabane aux robes noires. Us assu- raient que si les missionnaires y allaient, la colonie huronne les suivrait volontiers. M. de Lauson declara au conseil qu'il etait satisfait de cette decision ; les Hurons et les Iroquois parurent contents, et les arnbassadeurs reprirent le chemin de leur pays, en promettant que la paix serait inviolable. Chez les sauvages en ge'ne'ral, les traite"s le plus solide- ment etablis par les hommes pubh'cs n'etaient pas consi- de'res comme devant gener la liberte des individus. Lorqu'une fantaisie, un songe, un acces de mauvaise humeur saisissait quelque guerrier, il se croyait le droit d'attaquer meme les nations amies. En vertu de ce droit, malgr^ les negociations ouvertes, au printemps de 1654 des onneyouts firent une course vers Montreal, et prirent un jeune chirurgien, qui s'^tait ^loigne pour chasser. Des onnontagues, arrivant a Montreal peu apres, parurent craindre que cette trahison ne tuat la paix, suivant leur expression. En consequence ils firent partir de suite quelques chefs, qtfi, a force de presents, obtinrent la grace du chirurgien et le ramenerent a Montreal. Les Onnontagues voulaient sincerement la paix.si Ton en peut juger par les bonnes dispositions qu'ils montraient alors ; car ils demanderent inslamment qu'on leur envoyat un des Peres Je'suites. Pour satisfaire & leur desir, le P. Simon Le Moyne, qui avait autrefois etd chez les Hurons, partit au commence- ment de juillet pour visitor ce canton et de'livrer des prison- 418 COUES D'IIISTOIRE [1654 niers francais. A peine e"tait-il en route, qu'un chef aguier, connu parmi les Francais sous le nom de Batard Flamand parce que son pere e"tait hollandais, vint a Quebec pour y ramener deux captifs francais. L'orgneil de 1'agnier f ut cheque par la preference accordee aux Onnontagues : " Ne savez-vous pas, " dit-il aux Francais, " que les cinq nations iroquoises ne forment qu'une cabane ; nous n'avons qu'un feu, et nous habitons sous le mime toit. Pouiquoi n'entrez-vous pas dans la cabane par la porte qui est an bas. C'est par nous Agniers, que vous deviez commencer. Vous aimez mieux remonter bien haut chez I'Onnoutague" ; vous entrez dans la cabane par le toit : n'avez-vous point peur que la fumee ne vous aveugle ? ne craignez vous point de tomber du haut en bas ; " M. de Lauson lui donna 1'assurance qu'Ondessonk (1) irait aussi visiter les Agniers, s'ils 1'y invitaient. Mais le P. Le Moyne e"tait deja loin, et les envoye's ne parent le rejoindre. Son voyage se fit heureusement. II rencontra chez les On- nontague*s un grand nombre d'anciens chre'tiens du pays des Hurons ; ces bonnes gens te*moignerent une vive joie en re- voyant un de leurs missionnaires. Dans ses conversations avec eux, il reconnut qu'ils avaient conserve 1 leur foi au milieu des payens, et qu'ils avaient rne'ine re'pandu quelques con- naissances du christianisme parmi les Iroquois. II se rendit au principal village des Onnontagues, situe* k quelques milles de leur lac, et il y fut accueilli avec honneur, au milieu des fetes et des festins des sauvages. Le dix aout, dans une grande assembled t\ laquelle, avec les chefs onnontague"s, assistaieut des deputes onneyouts, goyo- gouins et tsonnontouans, le P. LeMoyne fit ses presents, pour les inviter a maintenir la paix et t\ se faire instruires des verity's de la religion. II termina sa harangue en essnyant les larmes des jeunes guerriers qui avaient 4t^ maltraites dans la campagne centre les Erie's, et qui y avaient perdu un de leurs principaux capitaines (2). Ke*pondant au nom des cinq cantons, un chef onnontague invita les Francais a ba"tir un village au milieu du pays et a venir y habiter. II ajoutait que les Iroquois se rendraient plus aise*ment pour se faire instruire, et que de L\ les missionnaires pourraient s'dtendre de tous les cote's. 9 Le retour du P. LeMoyne se fit par la riviere nomme'e aujour- )1) C'est In nom que les Iroquois donnereni an P. Simon LeMoyne auresla inort du P. Jogiies, a qui il avait pnreiilement eie cuuferu. (2) Relation de* Jetuittt, 1654. 1654] DU CANADA. 419 d'hui Oswego. En passant pres d'un petit lac, on lui fit remar- quer un grand bassin a demi dessecW, dans lequel une source se dechargeait. La, suivant les sauvages, residait un manitou, qui rendait 1'eau si puante, qu'il n'en pouvaient boire. Le Pere voulut gouter cette eau, qu'il trouva fort salee ; et, en ayant fait eVaporer, il en tira de beau sel qu'il porta avec lui a Quebec. Ainsi, bien des annees avant 1'etablissement des Europeans dans cette partie de I'e'tat de New- York, un pauvre missionnaire avait decouvert ces sources, qui devait un jour devenir d'une grande valeur pour les populations de 1'ouest ( 1). Les Onnontagues le ramenerent vers le temps qu'ils ava;ent mar- que\ efc arriverent a Quebec le onze du mois de septembre (2). Le P. LeMoyne reniplit la promesse qu'il avait donne"e aux Onnontagues ; et il engagoa M. de Lauson a envoyer des fran- cais s'e"tablir chez eux. 11 de"peignit la beaute et la fertilite" de leur pays, aiusi que 1'abondance de la peche et de la chasse sur les iles nouibreuses qui commencent' a la de*charge du lac Ontario (3). II fut convenu qu'au printenips suivant trente francais seraient envoyes chez les Onnontagues. Le P. LeMoyne remon- tait a Montreal pour preparer les voies, lorsque son canot, que conduisaient deux chefs onnontague"s, fut attaque par des agniers. Un des Onnontagues fut tu<5, et plusieurs hurons recu- rent des blessures. Les agniers firent ensuite quelques excuses au Pere, en disant qu'ils ri'etaient pas ennemis des Francais, mais qu'ils voulaient tuer les Algonquins et les Hurons. Cette echauffouree fut attribute au Batard Flamand. " C'est," dit la Mere de 1' Incarnation, " un homme fort bien fait, subtil et (1) Ces sources sont & Salina, pres du lac Onondaga. ' (2) Relation des Jexuites. 1654; Lettres de la, Mi>re. de V Incarnation. Chnrlevoix dit d'O ap ces faita. Nous ferous remarquer qu'il# a pen do documonts sur 1 histoire du Canada dans les annees 1054, 1055 ct 1056. Eu effet les sources oriUnairos innnquent en tout ou en partie pour ces annees. Le Journal des Jesttit.es fait d6l'aut. depuis f6vrier 1654 jusqu'au mois d'octobre 1656, car le P. LeMercier. alora superieur. avait ecrit le journal de ces deux aunties sar un cahier qui est perdu. La relation de 1655 fut en- levee au messager qui la portait de la Roebelle .'I Paris ; il fut attami6 par des volenrs, qui s'empar^rent des valeurs et des lettres conflees a ses Hoins. La reliition de 1656 ne parle guere que des missions et des sauvages. L'histoire du P. Du Creux se ter- mine au commencement de 1656, et no renferme pour les ann6es precedentes que les faits rapportes par les Relations. Les seuls documents qui nous restent pour rcfaire nn pen cette partie de notre histoire sont le lettrea de la Mere de I'lncamationet qnelqaes mauuscrits. (3) Millc-IU-8. 28 420 COUKS D'HISTOIKE [1654 vuillaut, qui ressemble a un europeen, excepte qu'il n'a point de barbe." La raison veritable de cette attaque e"tait le depit qu'avaieut conqu les Agniers de ce que 1'ambassadeur francais n'avait pas visit<$ leurs pays. Cependant, malgre la mauvaise volonte que ternoignaient quelques brotiillons-parmi eux, Ton espe"rait que la paix serait inaiutenr.e, et Ton entrevoyait un nieilleur avenir pour la colonie. "Si cette paix dure," dcrivait encore la Mere de riucarnatioii, " comme il y a lieu de 1'esperer, ce pays sera tres-boii et 'tres-comuiode pour 1'etablisseinent des Eraucais, qui se nmltiplient beaucoup et font assez bien leurs afi'aires par la culture des terres, qui deviennent bonnes. . . . Apres trois ou qnatre auuees de labour, elles sont aussi bonnes et par en- droit nieilleures qu'eu France. Cette paix augmente le com- merce purtieuliereinent celui des castors, dont il y a grand nombre cette anuee, parce qu'on a eu la liberte d'aller partout a la chasse sans crainte (lj." Anne d'Autriclie preuait beaucoup d'interet a 1'accroisse- meut de la colonie, aussi bien que plusieurs des principales datnes de la cour. " Ce printemps," ecrit le P. Le Jeune (2), " la lieiue y envoya quelque nombre de filles fort lionnetes, tirees des maisons d'houneur. On n'en recoit point d'autres dans cette nouvelle peuplade. Je sais d'assurance que dix-huit ans se sont ecoules, sans que le inaitre des hautes-oeuvres. . . . ait fait aucun acte de son metier, siuon sur deux vilaiues, que Ton banuit apres avoir e"te publiquement i'ustigees. Tant que ceux qui tiennent le timon, defendront aux vaisseaux d'amener de ces marchandises de contre-bande, tant qu'ils s'opposeront au vice et qu'ils feront regner la vertu, cette colonie fleurira et sera benie de la main du Tres-Haut." (1) Lettres. etc., do la Mere de i'lncarnatioii, 1654. La IJriMiion de 1653 rnnfernie qui:i(iiie.sdetnil.s iiiiereBbiints.sui' ICH ressonrces du pays. Voici ce qu'mi cu de maladies : les rnf.uil - y sout ires-beaux ot tres-fauiles a eiovcr. C'est uuu beiiedictiou puruculiere." (2) Relation de 1054. L'Histoiro drHAtel-T)ieu rupporre qu'ii s'y tronvaitplusieuvs demoiselles placees sous la garde d' uuo relinieu.se, la M. llenee de la JJativite. Kn effel vcr.s co temps les registres de X. 1). de Quebec contieuneiit les actesde manages de persomies portant du beaux nonis. Panui plusieurs auires est ceiui do Gublicllo Holland d'AsDouville, liilo do d AsBouville, aucieu gouvoruour (ie Xaucy. 1655] DU CANADA. 421 Vers cette epoque, plusieurs des principaux colons s'effor- caient de faire valoir des ressources dupays jusqu'alors n^gli- gees. En 1653 on envoya en France du bois merrain. La meme anne*e messieurs D' Ailleboust et Jean-Paul Godefroy, directeurs " d'une conipagnie pour la peche de la inorue et etablissement du commerce en la Nouvelle-France, " expedierent un vaisseau a Perce pour y pecher la morue, avec instruction au capitaine de porter a Saint-Cliristophe le produit du voyage. Au printemps de 1655, les Agniers, mites de n'avoir pu re- ussirdans ieurs desseins sur les Hurons, se montrerent par petites bandes. Le Frere Liegeois, etant occupe a la construc- tion d'un petit fort pour proteger les champs des sauvages pres de Sillery, s'avanc.ait vers le bois pour s'assurer qu'il n'y avait point d'ennemis, lorsqu'il tomba dans un parti de liuit ou dix agniers, qui le renverserent d'un coup d'arquebuse, etlui cou- perent la tete. Vers le meme temps, une famille algonquine fut prise par cinq agniers, qui lierent e'troitement le pere. Profitant d'une occasion favorable, sa feinme qui etait restee libre, saisit une hache ; de deux coups, portes a droite et a gauche, elle abat deux des enneinis, et pendant le premier moment de surprise elle reussit a delier son mari. Les trois autres sont tellement effrayes de cet aete de courage, qu'ils s'enfuieut et la laissent mattresse du champ de bataille. Les courses des Iroquois s'etendirent meme en aval de Quebec, sous la direction de quelques trattres hurons. Le sieur Moyen, bourgeois de Paris, qui s'etait etabli a 1'ile aux Oies avec sa famille, fut surpris dans sa maison par quelques agniers, pendant que ses serviteurs etaients absents. II fut tu^ avec sa fenime ; ses enfants ainsi que ceux du sieur Macard furent emmenes captifs (1). Les Agniers dirigerent aussi Ieurs attaques contre Montreal et les Trois-Kivieres ; mais ils furent si rudement re^us dans ces deux quartiers, qu'ils perdirent un pen de leur fiert^. Comme les Montre'alistes (2) avaient pris plusieurs agniers dans diverses rencontres, un des premiers chefs de guerre des Iro- A (1) 1,'lle aax Oies avait 6t6 coiic-cdee par la compaguie de la Nonvelle-Franee :i M. de Montmagny, qui visitait fr6 luoaimont ce lieu, pour y jouirjdu plaisir de la cba.sse. Apres le depart de M. de Montiuagny, son procureur eu vendit la nioitie au eieur Louis-Th6andre Chartier. et 1'antre moitie au sieur Moyen, qui y conduinait des traraux considerable^ lorsqu'il fat tu6, (Archives du grett'e de Quebec, actes de Jean Durand, notaire, 1654.) (2) Les batman? s de Montreal ont ele ainsi desigu^s des les premiers temps de la colonie; 1'usagea consacreco nom, qui s'est conserve jusqu'anos jonrs. Aussi semble t-il devoir etre preftre a celui de Montrualais, qn'on chrche aujourd'hui a lui subatituer. 422 COUKS D'HISTOIKE [1655 quois, nomine la Grande- Arm ee, proposa un e'change de prison- niers ; les Francais ne demandaient pas mieux. Les captifs iroquois furent rendus a leurs compatriotes, qui en retour remi- rent les enfants appartenant aux families Moyen et Macard, ainsi que plusieurs autoes captifs (1). L'e"change de prison- niers fut suivi d'un nouveau trait de paix avec les Agniers (2). Us y mirent cependant certaines restrictions, dont ils ne vou- Inrent point se departir. Ils consentaient volontiers & vivre en paix avec les Francais dans toute 1'etendue du pays ; ni les Hurons, ni les Algonquins ne seraieut attaque"s tant qu'ils ne remonteraient pas au-dessus des Trois-Kivieres ; mais, s'ils de*passaient cette limite, ils s'exposaient aux chances de la guerre. Les Agniers demanderent qu'Ondessonk visitat leur pays en qualitd d'ambassadeur, afin de cimenter la paix. Le P. Le Moyne se rendit done chez eux avec deux franqais, pour ra- mener les prisonniers et consolider la paix, du moms autant qu'il e"tait possible avec une nation dont chaque individu se glorifiait de ne reconnaltre aucune autorite. Peu apres le depart des Agniers, arriverent des ambassadeurs onnontague's et tsonnontouans, qui venaient conclure des traites, non- seulement avec les Francais, mais encore avec les Hurons et les Algonquins. Ils invitaient de nouveau le gouverueur & envoyer cinquante francais dans leur pays. Parmi les Onnontague's se trouvaient un grand chef et sa femme, une capitainesse. (3) Les capitainesses obtenaient ce titre soit par droit de naissance, soit pour quelqiie important service lendu a la nation. Elles posse'daient le droit de prendre part aux deliberations dans les conseils, et proposaient leurs avis aussi librement que les hommes ; dans cette occasion elles avaient de'legue' les ambassadeurs qui venaient parler de la paix. Une des causes qui les avaient porte'es a appuyer la mesure, e*tait probablement le ddsir d'accompagner les d^put^s a Quebec, pour voir les religieuses, ou les filles vierges, comme les sauvages les de"signaient. Les Hospitalieres et les Ursulines ^taient en effet un objet de curiositd pour tons les sauvages. La capitainesse d'Onnoiitague', avec ses compagnes, assista chez , (1) Par la suite, mademoiselle Marie Moycn 6ponsa le su-ur I)u Gu6, capitaine an regiment do Carignun ; sa soeur Elizal>et'h se inaria avec le sieur Lambert Closse. 1,'ainee des fllles du sieur Macart s'unit en mariau r c an Mt-ur Baxii-e. Tun des plus riches marchaiids de la colonie ; la cadette deviiit 1'epouse du sieur do Villii-rs. (2) Jlixtoire du Montreal, par M. Dollier de Cassou. (3) C'est ainni qu'on appelait dans la colonie les femmes qui jouissaient du droit lie commander parmi les sauvages. Mere do 1'Incamatiou, Lettres Historiquet. 1655] DU CANADA. 423 les Ursulines aux examens publics des petites huronnes ; elle s'attacha surtout a une jeune huronne de dix ou douze ans, nominee Marie, une des eleves les plus distinguees des ecoles. Par ses bonnes manieres et son intelligence, la petite Marie reussit a capter completement la bienveillauce de la capitai- nesse, qui se retira charmea, et remporta de bons souvenirs de sa residence a Quebec. Avec les Onnontagues partirent les Peres Chaumonot et Dablon. Le P. Chaumonot avait fait, sous les Peres de Brebeuf et Daniel, un dur apprentissage de la vie de missionnaire ; il avait travaille avec le P. de Brebeuf a une grammaire huronue, et il parlait fort bien la langue huronne-iroquoise. Comme orateur, il eut de grands succes dans les conseils ; il savait si bien allier le langage poe"tique et figure" des sauvages aux res- sources que lui fournissait son instruction classique, qu'il jetait ses auditeurs iroquois dans I'admiration. De son cote, le P. Dablon, qui avait apporte des instruments de musique et qui en jouait fort bien, charmait les loisirs de ses compagnons de voyage. Aussi s'etaient-ils rendus si agreables, que ses hornmes grossiers et ignorants ecoutaient avec bonne volont^ les lecons qui leur etaient adressees sur les verites du christia- nisme. Les missionnaires furent recus avec honneur par les chefs d'Onnontague et avec grande joie par les hurons chre"- tiens qui habitaient dans le canton. Tous etaient etonnes da rencontrer dans le P. Chaumonot un francais parlant eloquem- ment la langue du pays, et connaissant fort bien les coutumes de la nation iroquoise. La chaudiere de guerre etait sur le feu et devait y rester jusqu'au mois de fevrier ; pendant ce temps, les guerriers qui desiraient faire partie de 1'expddition se pre"seutaient aux chefs. Le P. Chaumouot fut invite a mettre quelques herbes dans la chaudiere. S'accornmodant a leur rnaniere de parler, il repondit que c'etait sou dessein, et il les assura que les Francais place- raient de la poudre sous la chaudiere. La guerre e"tait annonce'e pour le printemps ; les Gnnontagues la voulaient faire pour detruire ou eloigner les restes de la nation des Erids, qui ve- nait d'eprouver une sauglante d^faite, et qui allait tomber sous la hache iroquoise pour ne plus se relever (1). Braves et noinbreux, les Eries habitaient un pays tempe"^ t fertile, sur le bord meridional du lac qui a garde" leur nom ; ils y avaient recu d'importants debris de la nation huronne. {!) Relation det Jesuites, 1656. . 424 COUKS D'HISTOIRE [1654 Comme ils e*taient voisins des Tsonnontouans et des Goyogouins, letir puissance etait un danger permanent pour la ligne iro- quoise. Cependant la guerre entre les deux peuples aurait pu etre retardee, si le respect sans bornes pour le droit des indi- vidus n'eut entraine a sa perte la nation entiere des Erics. Cette maxime favorite du droit des sauvage etait la cause de la plupart des querelles entre les peuples de I'Amerique du Nord. Les Erie's avaient envoye trente ambassadeurs a Tsonnon- touan pour confirmer la paix qui existait deja entre les deux nations. Par hasard un erie tua un tsonnontouan, dont les compatriotes indignes firent mourir tous les ambassadeurs, a 1'exception de cinq. Ceux-ci s'echapperent, et porterent la nou- velle de ces meurtres dans leur pays. De la commenca une petite guerre entre les Iroquois et les Erie's ; de part et d'autre, on faisait des prisonniers pour avoir le plaisir de les bruler. Un chef onnontague, homme de haute consideration, ayant e'te' fait prisonnier, fut conduit dans le pays ennemi pour y etre brule ; mais il plaida si bien sa cause, qu'il fut donne* a la sceur- d'un des ambassadeurs mis a mort. Cette femme etant absente du bourg, on prepare la fete de 1'adoption en attendant son retour : 1'onnontague est revetu des meilleurs habits ; on donne des festius, et on fait comprendre au prisonnier qu'il sera renvoye' aux siens. Sa sceur adoptive est informee, h son arrivee que son frere va revivre, qu'elle doit le bien regaler et lui rendre sa liberte. Loin d'e'couter cette demaiide, elle pleure et proteste qu'elle veut etre vengee. Les anciens lui representent que la mort d'un homme si important va susciter une guerre d'extermination entre les deux peuples. Aucune raison n'ebranle cette femrne ; elle veut user du droit d'assouvir sa vengeance. Les anciens sont enfin forces de coder et de lui livrer le prisonnier pour qu'elle en dispose & sa volonte" (1). Pendant qu'on delibe'rait sur don sort, le chef onnontague prenait part a un festin : on le saisit et on le conduit dans la cabane de cette femme sans lui rien communique!'. Lorsqu'a son entree on le ddpoiiille de ses habits, il reconnatt avec sur- prise que sa mort a etc* decid^e, mais il se r(5signe stoique- ment k son sort. Plac(5 sur 1'echafaud, il ^leve la voix r " Ecoutez, Erie's," s'(5crie-t-il : " ma mort sera venge'e : en me brulant, vous allez bruler un peuple tout entier." Sa prediction fut malheureusement accomplie. La nouvelle de cet ^v^nement futportd chez les Onnontagues, qui coururent aux armes, et se mirent en route pour aller venger la mort de (I) Delation, dts Jesuiie.- 1656. 1G55] DU CANADA. 425 leur chef. C'etait, parait-il, dans 1'automne de 1G54. Dou/e cents gnerriers s'etaient reunis pour cette expedition, autour de deux chefs renomme's, dont 1'im fut baptist par le P. Le Moyne pen de temps avant le depart de I'arniee (1). La marche des Onnontagues fut si rapide, qu'ils arriverent dans le pays ennemi sans avoir (Ste* apercus. Les Erie's, surpris, abandonnent leurs bourgs et se retirent en desordre. Plus de deux niille combattants. et un nombre proportionnel de femmes et d'enfants fuient pendant cinq jours, apres les- quels ils s'arre tent, pour clever un fort de bois ; ils s'y retran- cheiit de leur iriieux, et attendent les Onnontagues. Ceux-ci font leurs approches et essaient de renverser la palissade ; partout ils sont repousses et perdent beaucoup de monde. Honteux de se retirer devant des homines qu'ils sont venus chercher si loin, ils s'avisent d'un nouvel expedient : ils prennent leur canots et les portent devant eux comme des boucliers ; quand ils. sont reudus au pied de la palissade, ils les dressent et s'en servent en guise d'echelles pour monter a 1'assaut. Cette manoeuvre deconcerte les Erie's, deja a bout de leurs munitions de guerre, et les plus alertes d'entre eux cherchent a s'echapper par la fuite. Les autres sont assaillis dans le fort par les Ounontagues, qui tuent un si grand nombre de femmes et d'enfants, qu'en certains endroits ils marchent jvisqn'au genou dans le sang. La nation des Eries etait brisee ; mais les vainqueurs avaient eux-memes souffert de grandes pertes, et ils furent forces de passer deux mois dans le pays ennemi pour enterrer leurs morts etguerir leurs blesses (2). Lorsque les Peres Ghaumonot et Dablon arriverent a Onnontagu4 dans rautomne de 1655, les Iroquois t3taient encore occupeg a poursuivre les petites bandes d'Eries, qui avaient echappe au massacre et qui tachaient de se rei'ugier chez des peuples amis. Malgre les bonnes dispositions qu'on leur tdmoignait a Onnon- tague, il y avait pour les missionnaires des moments d'inquie- tude. La malveillance et la crddulitd s'nnissaient assez souvenir pour faire courir des bruits ridicules, dont les chefs venaiont demander raison aux missionnaires. Un jour on assurait que des chasseurs onnontague'i avaieut etc arr^tes a Montreal, mal- (1) Lo P. I.e^toyno rapportc on:; ilix-hnii cents hnmmcs 6taiont sur le point do partir pour cette 6xp6riiit<>i!ips il H'aiuasaouno i frraude quantite de tourtert-lKss. qu'on en proud jnsqu a sept cents dans uno ma- tinije. . . . 11 se rencontre an meine endroit ivrtaiu .serpent, quo nous appelons ser- pent & Honnettes. Les onjrmaires du pays disent quo HOS ei-uillcs sont excellentes centre lo mal do dents, i-t quo na chair, qii'ils trouvcnt d'aussi bon godt quo celle de 1'nnguille. {nierit de la fl6vre. Ils eu coupont la queue ot la tCte, ot iiiangent le reste." Relation de 1657. ('') Lo supericnr des jeauitos i-tait iiinsi dusigue par les Troquols. 1656] DU CANADA. 429 second point etait I'etabrissement des Francais dans le pays ; les de'pute's 1'agreerent avec les temoiguages d'une grande bienveillance. Le troisieme e'tait line invitation de mettre des presents dans la chaudiere de guerre, c'est-a-dire de fournir aux defenses communes de la confederation . De nombreuses harangues furent prononce"es dans le conseil ; mais le discours qui eut le plus de succes fut celui du P. Chau- monot. Paiiant 1'iroquois mieux que la plupart des iroquois eux-memes ; employant, avec tout 1'avantage que lui donnait une instruction superieure, les allegories et les metaphores habituelles aux sauvages ; jetant dans ses discours une ve"he- mence qui les entrainait malgre eux, il produisait sur les esprits et sur les coeurs une impression profonde qui se tradui- sait a 1'exterieur par des demonstrations plus bruyantes qu'a I'ordinaire (1). En meme temps que les Peres Cliaumonot et'Dablon mon- taienta Onnontague en 1655, le P. LeMoyne, comme il a (Ste* dit, se dirigeait vers le canton d'Aguier, pour affermir la paix contracted avec eux. Ces barbares prodiguerent de belles pro- messes, qu'ils confirmerent par des presents. Les presents etaient juges necessaires dans toutes les grandes affaires, car ils servaient de documents officiels ; a chaque present se ratta- chait une clause d'un traite, ou quelque promesse donne'e par une des parties contractantes. Sans so fier beau coup a la parole des fourbes Agniers, le P. LeMoyne passa quelque temps avec eux : il visita la colonie hollandaise de Manhatte, qui etait alors fort inquiete par les sauvages des environs, et revint a Montreal vers le milieu du niois de novembre. Cependant la paix, si souvent renouvelee et affermie, parais- sait lourde et ennuyeuse aux jeunec guerriers d'Agnier. Au nombre de trois ou quatre cents, ils passaient aux Trois- Bivieres le printemps suivant ; ils y promettaient de nouveau au P. LeMoyne d'observer fidelement le traite de paix c'est- a-dire, de respecter les Francais partout, et de ne jamais attaquer les Hurons au-dessous des Trois-Bivieres ; quel- ques jours apres, ils attaquaient, a la pointe de Sainte-Croix, les Onnontagues et les Francais, sous le pretexte qu'ils les avaient pris pour des Hurons. Apres s'etre excuses de leur (1) II y an rait bien des rapprochements a fairo ontre la ligno iroqnoiso et la fede- ration des Etats-Unis. Fondees toutes deux snr 1" nrincipe de Ialibert6 dtil'lioinine, ellcs en out larfjenif'iit ndoptu les consequences: ...,.>. " 1< > la nation, do l'6tat, de la commune, consoiLj frequents, baraugueurs uombreux v .. . 4 i-orators) ; iu- d6pendanco d Tbonime, do la iVnuuo, dea eiitants ; et, au milieu kiberti-M, 1'esclavage. 430 COUBS D'HISTOIKE [1656 pretendu erreur, ils descendirent a 1'ile d'Orleans, afin d'y surprendre les liurons Chretiens, en donnant pour raison qu'ils voulaient venger la mort d'un des leurs. Peu de temps auparavant, deux iroquois, s'etant glisses aux environs de Itle d'Orleans, de"chargerent leurs fusils sur deux hurons qui abordaient au rivage. L'un tornba mort; 1'autre, quoique blesse, se jeta dans s on canot, et s'echappa. A cette nouvelle, vingt hurons s'embarquerent pour poursuivre les meurtriers. Ils en.prirent un qu'ils condamnerent a mourir. Les missionnaires auraient voulu garder cet homme prisonnier, afin de detourner par son moyen 1'attaque dont 1'ile etait me- nacee ; mais les esprits etaient trop e"chauffes pour qu'on ecoutat cette raison. Le jeime huron tue si brutalement etait un fils unique et appartenait a la plus riche famille de la bourgade ; plein de belles qualites, destine" a etre capitaine, il avait depuis deux ans donne la vie a cinq agniers, qu'il avait pris a la guerre. Aussi le meurtrier fut brule, suivant le code de lois recu parmi les sauvages. Cet acte de justice fut un pre"texte que les Iroquois mirent en avant pour couvrir leur perfidie. Malgre les promesses faites par les Agniers au P. LeMoyne, les Hurons avaient bien encore quelque defiance, mais mal- heureusement ils ne se tinrent pas sur leurs gardes. L'on e"tait au temps des semailles. Apres avoir entendu la messe suivant leur coutume, les Hurons s'etaient disperses dans leurs champs ; tout a coup les Agniers, qui pendant la nuit s'etaient caches dans la foret voisine, fondirent sur les travailleurs epars et sans armes ; ils en massacrerent plusieurs sur la place, et emmenerent plus de soixante prisonniers. Apres cet acte de peifidie et de cruaute', les traitres eurent reffronterie de ranger leurs canots en ordre de bataille et de passer aiusi en plein jour devant Quebec, poussant des cris de triomphe. Les habitants de Quebec, quoique pen nombreux, voulurent leur donner la chasse ; mais M. de Lauson, qui parait avoir eu plus de prudence que d'energie, s'y opposa dans la crainte de com- promettrele sort de la colonie, etles Francais furent contraints de de* vorer le chagrin que leur causait un pareil affront. Les Agniers couduisirent les prisonniers dans leur pays, ou les hommes pdrirent par le feu, et ou les femmes et les enfants furent reduits a une dure captivite. Dans cette expedition, les ennemis affecterent de ne molester aucunement les Francais, declarant a ceux qu'ils rencontrerent qu'ils de*siraient vivre en paix avec eux. Par ces protestations hypocrites, ils cher- chaient a voiler le complot d^ja forme de se tourner coutre 1656] DU CANADA. 431 >^ la population fraucaise, quand ils auraient detruit la colonie huronne. Au mois d'aout, pour la premiere fois depuis deux ans, Ton vit arriver a Quebec cinquante canots outaouais, qui venaient des pays de 1'ouest, charges de castors. Deux jetmes francais conduisaient le convoi. Partis de Quebec en 1654 avec la permission du gouverneur, ces jeunes gens pleinsde courage et d'e'nergie avaient visite" les nations situees autour du lac Michi- gan, et apportaient des renseignements sur les Nadouessioux, les Pouanak, les Kiristinons (1). Les Outaouais obtinrent du gouverneur la permission de mener dans leur pays quelques robes noires, et repartirent avec les Peres Leonard Garreau et Druilletes. Trente jeunes francais avaient, en quelques jours, fait leurs preparatifs pour les suivre ; mais, rendus aux Trois- Bivieres, ils durent remettre la partie au printemps suivant, leurs provisions e"tant insuffisantes et leurs embarcations trop faibles pour un si long voyage. Quant aux jesuites ils etaient trop heureux de retourner dans les missions de 1'ouest, pour consentir a s'arreter ; ils continuerent done leur route, accom- pagnes seulement de trois francais. Cent vingt agniers, rodant pres des Trois-Bivieres, avaient eu connaissance du depart de la flottille ; ils la suivirent avec patience et precaution, se cachant pendant le jour et epiant 1'occasion de la surprendre avec a vantage. Quoique avertis de se tenir sur leurs gardes, les Outaouais voyageaient avec grand bruit ; comme ils avaient achete des armes a feu, qu'ils n'a- vaient jamais maniees auparavant, ils prenaient un plaisir singulier a entendre les coups de fusil repetes par les echos. Arrives a la riviere des Outaouais, les Agniers prirent les devants, et s'ernparerent d'une eminence pres de laquelle devaient passer les canots en remontant. Ils eureut la precau- tion, selon leur habitude, de fortifier leur camp en I'entourant d'un abattis. Tandis que des sentinelles etaient placets sur des points Sieve's pour signaler 1'approche de la flottille outa- ouaise, leurs meilleurs tireurs se jetaient dans les joncs au bord de la riviere. L'avant-garde des Outaouais s'avancait sans defiance, lorsqu'elle fut accueillie par une decharge de mous- queterie qui blessa et tua plusieurs personnes ; un des mis- sionnaires, le P. Garreau, fut renverse par une balle qui lui rompit 1'epine dorsale (2). (1) Lea Sioux, les Assinibuines, lea Cr'.t. (2) Relation de 1656. 432 COURS D'IIISTOIRE [1656 Les Outaouais sautent a terre, poursuivent les Agniers, et cherchent inutilement a s'emparer de leur camp. Dans 1'espe- rance de les lasser, ils font eux-niemes un retranchernent, et at- tendent que la soif et la faim fassent sortir les ennemis de leur fort. Mais, bientot ennuyes, les Outaouais s'esquivent pendant la nuit, laissant dans leur camp les deux jesuites et leurs trois compagnons francais, que les Iroquois prirent et conduisirent a Montreal. La, les traitres protesterent qu'ils etaient faches de 1'accideut survenu a la robe noire, et declarerent qu'ils etaient to uj ours les amis des Traiicais. Peu de jours apres, le P. Garreau mourut, avec la consola- tion d'avoir recu le coup de la mort dans Taccoinplissement de son devoir. 1656] DU CANADA 433 CHAPITEE ONZI&ME II. de Lauson retoumo entrance Lesienrde Cliaray rcmplit lo.s functions tie gou- verneur La tribu tie 1'Ours laissc File- d'Orleaus pour siiivreles Agniers La tribu du Itocher part avcc led Onnoutagues Trahison den Iroquois envers des hurons -Le vicomte d'Argensou eht noimn6 gouveiueur da Canada M. de Cliamy passe en France, et M.D'Ailloboust le remplace en attoiiriant I'an-iv6o ris aux Trois- lliviercs et envoyes i Quebec Hospitalieres do La Flecbe couduites a Montreal par Mile Mance Sctuv Uonrgeoys Observations de M. D'Argenson sur les ITran- ^ais du Canada L'abbe deMontigny, nomme 6veque de Petree. estsacrei Paris Jurisdiction attribuee a 1'archeveque de Eouen L'evequc de Petree arrive a Quebec Son caractere DilHcultes au sujet de sa jurisdiction Arrivee de secouri pour Montreal Maladies. M. de Lauson avait compris qu'il ue convenait plus aux cir- constances dans lesquelles se trouvait la colonie. II etait arrive a sa soixante-treizieme annee, et n'a% r ait jamais etc homme de gaerre ; il fallait cependant commander a des soldats et ^ des colons qui etaient presque toujours sous les arnies. D'ailleurs il existait contre lui des meconteutements au sujet de la traite. Le gouverneur avait defendu a la compagnie des Habitants de faire la traite du cote de Tadoussac ; il avait crde 1 , dans cette partie du pays, une ferine particuliere, dont les produits etaient employes a payer ses appointements et ceux des conseillers, a entretenir la garnison et a fournir une pension aixnuelle aux Jesuites, aux Hospitalieres et aux Ursulines. Ces defenses Etaient nommees les " charges du pays ou I'e'tat des trente- mille francs (1). " II lui avait fallu recourir acemoyen, apres (1) Memoire du sieur Aubert de La Chosnaye, aux archives de la marine Corame il a dej et6 dit, la compaguie des Habitants, en obtenant le privilege de faire seule le commerce des castors avec la France, s'etait chargee de livrer le quart des castors Bcrtaut de ses inagasins aiiu de subvenir aux charges du pays. 434 COURS D'HISTOHIE [1657 la destruction de la nation huronne, parce que le quart impose sur les castors ne suffisait plus pour acquitter ces charges. Un peu plus tard, la guerre centre les Iroquois exigeant de grandes depenses, il cessa de payer a la compagnie de la Nouvelle- France les mille livres de castor qu'elle s'etait reserve"es, en remettant la traite & la communaute' des habitants. D'un autre cote", M. de Lauson e"tait peu airae des colons, qui lui reprochaient de ne pas faire les depenses ne'cessaires pour soutenir sa dignite. Aussi ses amis lui conseillerent d'aban- donner son gouvernement, et il partit "dans 1'ete de 1656, pour retourner en France, ou il servit depuis en qualite de sous-doyeri du conseil du roi (1). La seconde pe"riode triennale du gouveruement de M. de Lauson ne devant se terminer qu'en 1657, a son depart, il nornma, pour tenir sa place, son fils le sieur de Charny, lie au pays par les terres qu'il y posse"dait et par son manage avec une fille du sieur Giffard, seigneur de Beauport. Bien que M. de Charny lie fut point homme de guerre, il e"tait jeune, actif et brave ; il payait de sa person ue, et ne manquait point de courir, au premier signal, aux lieux que les Aguiers menacaient. Depuis peu, il etait devenu Evident qu'on ne pouvait se fier aux promesses de cette nation perfide et menteuse, qui n'observait les conditions de la paix que suivant ses caprices et ses inte'rets. Des deputes se presen- terent de sa part dans 1'automne de 1656, avec de grandes protestations d'amitie. Leur but e'tait de confe"rer aves les Hurons, pour les engager a aller demeurer dans leur canton ; mais ces derniers, toujours vacillants dans leurs precedes, firent remettre la partie au printemps suivant. En consequence de cette response, au mois de mai 1657, des agniers se rendirent a Quebec pour sommer les Hurons de leur tenir parole. Dans une assemblee a laquelle assisterent des francais, le chef de 1'ambassade prit la parole pour renouveler les invitations de son canton. " Mon frere, " dit-il au Huron, " c'est a toi que j'adresse la parole. II y a quatre ans, tu me prias de te prendre par le bras pour te lever et t'emmener dans mon pays. Quand je 1'ai voulu faire, tu 1'as retire ; et pour cela je t'ai frappe de ma hache sur la tete. Ne le retire plus ; leve-toi, il est temps que tu viennes. Je ne te regarde plus comnie mon ennemi, mais comme mon parent. " (1) " Jl logeait, " dit M. Aubert, "an cloitre Notre-Dame, clioz son fils, chanoine 4e la . Mnrio-Louine Oiffavd, niorte lo trento octobrp 1656, M. de Gharnv avait tonne lo projet d'embTM86T I'otat ecclcsiasliqiu'. Une soeur de madame deCbarny, Maric-Francoise Giii'nnl ic Siiinto I^nncc, religieuse hospita- liere, mourut le . Peu de temps apres son retour a Quebec, M. de Queylus fut appele* a visiter un lieu que la protection particuliere de Dieu et la piete' de nos peres ont rendu celebre dans tout le pays. Lorsque les premiers e'tablissements se formerent a la cote de Beaupre*, une modeste chapelle fut batie sur le rivage du Saint-Laurent ; ce fut probablement un souvenir du celebre pMerinage de Saint- Anne d'Auray en Bretagne qui engagea les habitants du voisinage a demander qu'elle fut place'e sous (1) Higtoire du Montreal, par M. Doll ier de Casaon; Journal des Jetuitet ; Ltttret spirituelles et historiques de la Mere de ITiicarnatiou. 438 COURS D'HISTOIRE [1657 le patronage de la bonne sainte Anne. Dieu sembla des lors repandre des graces speciales sur ceux qni visitaient 1'humble sanctuaire. Malheureusement la chapelle avait & place"e trop pres du fleuve ; les quelques pouces de terre qui couvraient le roc ayant e'te' emporte.s par les eaux et par les glaces, il fallut songer a batir une eglise dans un lieu moins expose* aux inon- dations. M. de Queylus designa le site de ce nouvel edifice, dans 1'automne de 1657 ; et, des le printemps suivant, lestra- vaux de construction furent commences. Termine'e en 1660, I'e'glise de Sainte- Anne a et depuis ce temps visite"e tous les ans par de nombreux pelerins, et les ex-voto qui sont suspen- dus a ses murs te'moignent que la protection de la bonne sainte Anne n'a pas ete moins efficace au Canada, que sur les c6tes de 1'Armorique (1). Le trois novembre 1657, mourut a 1'Hotel-Dieu une jeune huronne, nominee Genevieve-Agnes Skannadharoi. Eleve'e par les hospitalieres, elle avait etc* admise comme novice quelques mois auparavant. La veille de sa mort, elle fit ses vosux, et I'abb4 de Queylus lui donna 1'habit religieux. Elle fut la pre- miere fille sauvage admise comme religieuse, car Ton avait jus- qu'alors redoute 1'inconstance naturelle aux aborigenes, accou- tume's des 1'enfance a jouir d'une liberte presque entiere. Deja cependant Ton avait vu, chez les Ursulines, des huronnes et des algonquines pieuses, bien re'gle'es et capables d'enseigner la lecture et I'e'criture a leurs compagnes. Attachees a leurs maitresses, et desirant se consacrer au service de Dieu, elles finissaient par solliciter la grace de devenir religieuses. Mais, comme il fallait les eprouver pendant longtemps avant de les admettre a prononcer des vceux, elles se lassaient d'etre ren- fermees, et finissaient par declarer qu'elles n'avaient pas assez d'esprit pour demeurer toujours dans le meme lieu. On esp^- rait alors que 1'amour de la liberte et du changement finirait par diminuer, quand les Hurons et les Algonquins auraient adopte* une vie sedentaire et pris les habitudes de la civilisation. II est cependant digne de remarque que leurs rapports avec les Europe'ens depuis deux siecles ont bien pen modifi^ leur esprit d'inde'pendanee et de liberte". Plusieurs des filles hu- ronnes et algonquines qui avaient e*t6 (Slevdes chez les Ursulines (1) Les anciens missioniiaircs avaient inspir6 anx sanvages line d6votion tonte particulifere pour sainte Anne. Pendant plus d'nn siecle, les sauvages Chretiens furent dans 1'habitude de se rendre chaqne annee a Sainte- Anne de Beanpr6 ; Us y venaient en grand nnnibre de toutcs les parties du Canada pour assister a la fete de la pa- tromu da lien. 1658] DU CANADA. 439 se marierent avec des francais ; ces alliance furent toutefois assez rares a I'interieur de la colonie (1). La paix, conclue avec les Iroquois et tant de fois ratifiee par eux, ne les empechait point d'attaquer les Francais, quand ils en trouvaient 1'occasion. Vers la fin d'octobre, quelques on- neyouts, venus a Montreal sous la garantie des traites, inas- sacrerent trois francais qui travaillaient sans defiance a la pointe Saint-Charles. Deux d'entre eux, Nicolas God et son gendre Jean de Saint-Pere etaient fort respectes dans la colonie. Le premier etait un honnete homme que la compagnie avait fait venir de Normandie avec sa famille en 1641 ; le second, remar- quable par une grande pie'te', avait beaucoup d'esprit et unju- gement tres-solide (2). Se fiant sur la paix jure*e, les Francais avaient cesse" de ce tenir sur leurs gardes ; cet assassinat eut I'effet de les engager a surveiller les demarches de 1'ennemi. Des lors on ne permit plus aux Iroquois de s'approcher du fort, et, en apprenant la nouvelle d'un si facheux evenement, M. D'Ailleboust ordonna d'arreter tous ceux d'entre eux qui se presenteraient aux habi- tations de la colonie, a quelque canton 'qu'ils appartinssent. Les Francais eurent bientot entre leurs mains douze agniers, qui avaient ete faits prisonniers en differentes rencontres. Deux furent renvoyes dans leur pays pour avertir les anciens de ce qui s'etait passe ; les autres furent gardes comme otages. On avait en effet reconnu que c'etait le meilleur moyen de tenir les Iroquois en respect, parce que les parents des captifs. craignant qu'on ne vengeat sur ceux-ci la mort des francais, tachaient ordinairement de conserver la paix. Trois jeunes gens furent envoyes par les Agniers pour re'cla- mer les prisonniers, et ils arriverent a Quebec le trois Janvier 1658. La reponse de M. D'Ailleboust ne leur fut donne"e que vers le milieu du mois suivant, parce que auparavant il avait (1) T/o sieur Pierre Boucher Spousa en preiniferes noces une huronne, 616ve dea IJr- suliiii .1, nominee Marie Chretieune. La signature de Marie Chretienne, auposfie au contrat de mariage est ti-acee d'une main fenne ; c'est nne des meillenres de cette piece. Uii . sieur Blondeau 6pousa aux Trois-Rivieres. la fllle dc Pigarouich, chef al- gonquin. Maurice Bloudean, issu de ce mariage, obtint une assez graude etendue da terre en vertu des droits de sa mere. (2) Hixtoire du Montreal, par M. Dollier de Gasson, qni rapporto en ces termes un tradition conserv6e a Montreal : " Ces mfiraes assassinateurs out assitrfe que la tfite de feu Saint-Pere, qu'ils avaient coupes, lour flt quantity de reproclies ; qti'olle leur disait en fort bon iroquois. quoique ce d6funt no rentendit point en sou vivant: " Tu nous tues ; tu nous fais roille cruautes ; tu veux anantir les Francais : tu n'en vien- dras pas a bout ; ils seront un jour vos maitres et vous leur obeirez ; vous avez buaa faireles mechants." Les Iroquois dtsent que cette voix se faisait euteudre de temps en temps, le jour et la nuit." 440 COURS D'HISTOIEE [1658 fallu tenir plusieurs assemblees. Elle reufermait des ve'rite's et des reproches, auxquels 1'interprete donna line tournure iroquoise (1). " Je m'etonne, Agnier, que tu me regardes comme im enfant. . . . Tu me prends pour un chien. Quand on frappe un chien, il crie, il s'enfuit ; et, si on lui presente & manger, il revient et il flatte celui qui 1'a frappe*. Toi, Agnier, tu me tues. Moi qui suis francais, je crie : on m'a tue ; et tu me jettes un collier de porcelaine, comme en me Mattant. Tais-toi, me dis-tu : nous somnies bons amis. Ecoute : le Francais entend la guerre. . . . il ne souffrira plus que tu le me'prises. II ri'y a qu'un mot qui serve : fais satisfaction, ou dis qui a fait le meurtre. Je ne repondrai plus a tes paroles. . . . Quitte les trahisons : faisons la guerre, si tu ne veux point la paix. . . . Tu demandes a 1' Algonquin et au Huron ce qu'ils ont dans le cceur. Ton frere 1'Onnontague a tue le Huron, et tu venais pour massacrer 1' Algonquin : et tu leur demandes ce qu'ils ont dans le cceur. S'ils ne me respectaient, le collier dont tu leur as fait present aurait servi de licou pour t'e'tran- gler." Peudant qu'a Quebec on tenait ces assemblees, les Agniers avaient convoque un conseil secret auquel assisterent les anciens des autres nations iroquoises. L'on y de"cida que lors- que les prisonniers auraieut ete delivre's, on ferait main basse sur les francais de Gannentaha ; et que si Ton ne reussissait pas a obtenir I'elargissement des prisonniers, on se coiiten- terait de tuer une partie des francais, et que les autres seraient offert en e* change. Deja, une assemblee avait etc tenue a On- nontague, dans laquelle Ton s'etait arrete aux nie'mes conclu- sions. Quelques chefs, amis des missionnaires, avaient toutefois obtenu que 1'execution du fatal projet serait retard^e et ils avaient clonne des avis secrets sur tout ce qui se tramait. Le meurtre des francais de Gannentaha n'etait que le prelude des desseins qu'ils me"ditaient ; car ils devaient ensuite attaquer les Hurons et les Algonquins, puis se r(5pandre dans la colonie, y detruire tous les etablissements et massacrer les Francais. De"jk deux cents agniers etaient partis pour passer 1'hiver vis-a-vis de Tadoussac, et se preparer a attaquer an printemps les peu- plades montagnaises, sur la rive septentrionale du Saint-Lau- rent ; une autre bande fort nombreuse se dirigeait vert Touest, afin de poursuivre jusques sur le lac Supe"rieur les Outaouaiset les Hurons, qui s'etaient rdunis et formaient un grand village k 0) Delation de 1658. 1658J DU CANADA. 441 Chagouamigon. Par suite de ces avis, les cinquantt de Gannentaha resolurent de quitter leur prison et de descen'dre 11 Montreal, des que la saison le permettrait. II fallait se piv- parer secretement pour ce voyage, car il importait de ue pas e* veiller les soupcons des Onnontagues. La petite colonie avait quatre eanots iroquois et autant de canots algonquins ; mais ces embarcations pouvaient a peine contenir la moitie de son nombre. N'osant s'adresser aux sauvages pour obtenir d'autres canots, les Fraucais entreprirent de faire des bateaux plats, tels qu'ils en avaient vu sur la Loire. Comme leur habitation etait sans cesse remplie de sauvages, le travail se faisait dans un grenier tenu soigneusement ferme. Le vingt mars, les bateaux e*taient finis, les canots raccom- modes, et les provisions toutes preparees pour le voyage. Le milieu de la riviere par laquelle il fallait descendre.au lac Ontario e"tant de'gage de glaces, il ne restait plus qu'a y transporter les embarcations et le bagage ; mais, ce jour-la meme, devait se tenir dans le fort de Gannentaha un grand eonseil, qui .allait grossir la foule des desoeuvres et des curieux,toujours aux aguets autour du fort. Le temps pressait, car 1'orage qui se formait depuis long- temps pouvait a chaque instant se deehainer. Pour binderies dif- ficult4s,l'on eut recours a une ruse d'autant plus propre are*ussir, qu'elle etait fondee sur une des superstitions les plus enracinees parmi les sauvages. Un jeune francais qui avait ete adopte par un chef iroquois, et qui savait bien la langue du pays, declara a son pere qu'il avait eu un songe, par lequelil e'tait avertide faire un festin a tout manger, s'il ne voulait uiourir bientot. " Tu es inon ills, " repondit 1'iroquois; " je ne veux point que tu meures ; prepare le festin, et nous inangerons tout. " Les Francais fournirent les provisions, en abondance ; des pores, des outardes, des poissons furent jet^s dans de graudes chau- dieres, qui ne servaient qu'aux occasions solennelles. Les iroquois qui se trouvaient dans le fort et aux environs furent appeles an festin; personne ne pouvait y manquer sans com- mettre une faute qui ne S3 pardonuait point entre sauvages. Aussi tous se rendirent a 1'entree de la imit, et commencerent une vigoureuse attaque sur les pieces du repas. Parmi les invites e"taient des francais, dont quelques-uns jouereut des instruments de musique pour ainuser I'assemblee (1). Comme les convives avaient apporte beauconp de bonne volonte", ila continuerent longuement et courageusement u jouer leur role (l) 7x 'ttm de la M6re de 1'Incarnation ; Relation de 1658. 442 COUES D'HISTOIRE [1658 pour la guerison du malade ; mais il leur fallut enfin deinauder quartier, bien long-temps avant que les provisions fussent epuisees. " Aie pitie de nous, " disaient-ils au jeune liomme, " envoie-uous reposer." " Vous voulez done que je meure ? " repondait celui-ci. A ce reproche amer pour eux, ils se remi- reiit k 1'ouvrage avec 1'energie du desespoir : il fallait sauver la vie d'un homme, dussent-ils tous en mourir eux-memes. Pendant que le festiu occupait toute 1'attention des convives, les Francais avaient mis a 1'eau les bateaux et les canots ; ils avaient aussi embarque les objets qu'ils desiraient emporter. Tout e*taut pret pour le depart, 1'amphitryon fut informe qu'il pouvaitfaire grace du reste du festin. " C'est assez," s'ecria-t-il, " j'ai pitie de vous ; cesser de manger, je ne mourrai point. Je vais faire jouer la niusique pour vous endormir. Dormez, et ne vous e veillez que demain, quaud on fera 1'appel pour la priere.' ' Charges de viandes, les Iroquois furent bientot plonges dans un profond sommeil ; les convives francais en profiterent pour rejoindre leurs compagnons, quiles attendaientdans un profond silence. La unit etait si froide, qu'une nouvelle couche de glace se formait sur les eaux, et menacait d'arreter la marche des bateaux ; il fallait aussi passer des rapides fort perilleux avant d'arriver an lac Ontario. Quoique les dangers fussent grands, il n'y avait pas a balancer ; la fuite dtait pour les cinquante fran- uais le seul inoyen de conserver leurs vies. Les enibarcations se mettent en rnouvement ; elles se suiveut les unes a la file des autres, les bateaux les plus forts etant places en tete du couvoi pour ouvrirle chcmin. Quelques rapides difficiles se franchissent sans accident, et, apres vingt-quatre heures d'une navigation iuterrompue par un portage qui occupe tous les homines pen- dant un temps considerable, le convoi arrive au lac Ontario situe a vingt lieues du point de depart. De grands dangers menacaient encore les voyageurs. Crai- gnant d'etre poursuivis, ils n'oserent s'arreter pour laisser passer les glaces qui se brisaient sous 1'action du soleil ; ils suivirent done lentemeut les progres de la debacle, poussant leurs freles canots au milieu des cascades, dans Tune des- quelles trois homnies se noyerent. Enfin, le trois avril, ils aborderent a Montreal, ou leur arrivee causa de la surprise et de la joie, car on eraignait que tous n'eusseut peri victimes de la perfidie iroquoise. On ne saurait d^crire retounement des Onnontaguds, qui s'^taient endormis a la suite du grand banquet, lorsque le lendemain ils reconnurent la situation. Le soleil e*tait d(5ja sur 1658] DU CANADA. 443 I'horizon, quand ils sortirent de la cabane du festin pour roder autour de 1'habitation francaise ; la porte en etait ferraee, et un pi-ofond silence regnait a 1'inte'rieur. Ils crurent d'abord que la priere se faisait, et se resignerent a attendre qu'elle fut finie. Decouvrant enfin qu'elle se prolongeait outre mesure, ils frap- perent a la porte ; les chieus, laisse"s expres a I'interieur, leur repondirent pai des aboiernents. Les Onnontagues en conclurent que les maitres etaient encore la, d'autant plus qu'ils avaient peu auparavant enteudu le chant des coqs. Cependant, la journee s'avancant, et personne ne paraissant songer a sortir ils enfoncerent les portes afin de reconnaitre la cause de ce lugubre silence. Leur inquietude se changea en effroi, lors- qu'apres avoir visite to us les appartements depuis la cave jusqu'au grenier, ils ne trouverent personne. Qu'etaient deve- nus les Francais ? Telle e*tait la question qui preoccupait les Onnontagues. Ils n'avaieni point vu de bateaux ; aucune empreinte de pas n'avait etc laissee sur le sol, apres le passage d'un si grand nombre d'homrnes, car heureusement une neige epaisse, tombee pendant la nuit, avait completement efface* toutes les traces. Les recherches dans la maison, dans le fort et dans les bois voisins restant inutiles, les sauvages se persuaderent qu'un puissant manitou avait enlevd les Francais dans les airs, et que bientot ils reviendraient pour se venger. Ce depart efTectue avec succes, au milieu de tant d'obstacles et de difficultes, fit beaueoup d'honneur au sieur Du Puy, qui avait commande le parti depuis qu'il avait quitte Quebec pour Gannentaha ; il lui valut la reconnaissance de ceux qu'il avait ainsi arraches a une mort presque certaine. Apprenant ce qui s'etait passe a Onnontague, le P. Le Moyne crut prudent de laisser le pays des Agniers et de se retirer dans la Nouvelle-Hollande ; il esperait retourner de la a Quebec, par une barque hollandaise qui devait s'y rendre. Mais le voyage n'ayant pas eu lieu, il revint a Agnier, ou on le chargea d'accompagner trois nouveaux ambassadeurs, qui allaient a Quebec solliciter la delivrance des prisonniers iro- quois (1). M. D'Ailleboust e'couta leurs deniandes dans une assemblee convoquee au fort Saint-Louis, mais ne voulut leur (1) A 1'uno des assemblies tenues it Quebec dans cetto occasion, assist6n> ch-s f">- 5ais et des sauvagos allies, qu'on avait convoqn6 ]>our d!ib6ivr. " OPUX qui 'y trouvei-ent s'ei ant glissos eu grand noinbru de la Halle du chateau dans une galeiio endoiuinag6. 444 COTJRS D'HISTOIRE [16. ^8 accorder que deux ou trois de ceux qu'ils demandaient, reser- vant les autres pour servir d'otages. La paix cependant existait plutot en imagination qu'en rcalit6, car. malgriS les professions d'amitie souvent renouvelees par les Agniers, ils contintiaient leurs courses hostiles, non- seulement contre les sauvages allies, raais encore contre lea Francais. Aussi les liurous de 1'ile d'Orlearis, reduits a un petit nombre par la guerre et par 1'emigration, ne s'y crnrent plus en surete, et demanderent la permission de placer leurs cabanes a Quebec, aupres clu fort Saint-Louis, permission que leur ac- corda volontiers M. D'Ailleboust, et dont ils s'empresserent de profiter. M. d'Argenson nomine gouverneur depuis plus d'un an arriva a Quebec le onze juillet 1658 ; il fut recu avec tous les honneurs dus a son rang par M. D'Ailleboust, qui avait agi en qualite de son lieutenant, depuis le depart de M. de Charny (\). Pierre de Voyer, vicomte d'Argenson, appartenait a une fa- inille distingue'e dans la robe. Quoique encore jeune, il avait e'te' recommande pour le gouvernement de la Nouvelle-France par le premier president, de Lamoignon, qui appreciait sa sa- gesse et ses mceurs severes (2). Le lendemain de son arrive'e, an moment ou il allait se mettre a table, le cri do guerre se fit entendre : une femrae montagnaise venait d'etre tuce, dans les champs par des iroquois. Sans perdre un instant, il pour- suivit les assassins, a la tete de deux cent cinquante hommes ; inais il ne put les rejoindre, parcequ'ils s'etaient enfonce"s dans la foret, ou il etait inutile de les suivre. II avait pris la resolu- tion de lancer des partis contre les Iroquois, chaque fois qu'ils se presenteraient en armes. Ces expeditions servaient a con- vaincre les ennemis (]iie les Francais etaient sur leurs gardes et ne se laisseraient pas surprendre ; mais elles n'avaient pas d'autres resultats, car ces petites bandes iroquoises, par la rapidite de leur fuitc et leur adresse a se cacher, se rendaient insaisissables. (1) M. D'Aillfbonst Sf retira :i Montrenl, oil il mourut an coiniucinicjiKnit ile juiu 16CO. sans liiissw li'enfants. II avait aupres d Ini un ilc scs m-\ cux. qu'il re-janlait comme son tils. C neveii, Cliarics D'Ailleboust a\ s. ot cut line nnm'DiviisH i'uiniilc,. Plusinui's do ses descendants no sont ilist incurs duns laguorro, et sur toirti et ur iner. Qui-hjuos-uus out occupe d-s poatea importturta :iu\ lies J-'ran5iiises. (2) " M. d<> Lamoiprnoti, alors premier president, lit IIO:III>UT en place doM.de Lnnson, M. d'ArgnOH jeunc iuniiini! dc- trcnte a trente-dciix ans. sagy an possible.'' (MiMOirt de M. Aul)ertdo La Ch.-snaye). L. ])6ro t lo frfcrn aim- d(^ il. d'Ar.L'eiiMiii avaient 6t6. 1'un et 1'autrc. BmbwutadeaTS. La bibUothdqae de 1'ArHuual a Pariw pos- sSde des lettres du converneur du ('anadn. eonservees parnii les papiers de soil ar riere-petit-neveu, M. d'Argenson uiarquia de Faulaicy. 1658] DU CANADA. 445 Pendant que le gouvernenr montait aux Trois-Rivieres avec deux cent cinquante homines pour eloignerles ennemis, vingt agniers vinrent jusques au Cap-Rouge afin d'y surprendre quel- ques francais. N'ayant point reussi de ce cotf-, ils se rappro- ehererit des Trois-Rivieres. Vers la fin du naois d'aout, dix d'entre eux s'etant caches dans les bois, les dix autres se pre'- senterent hardiment dans le bourg, comme des arnbassadeurs envoyes par la nation. On savait fort bien qu'ils n'&aient point venus avec le dessein de negocier ; il se trouvait mme aux Trois-Rivieres un francais qu'ils avaient blesse' deux jours au- paravant. Aussi M. de La Potherie, commandant du lieu, les fit saisir et en envoya sept a Quebec; a leur tete etait un chef, nomme' Michtaemikouan par les Algonquins, et connu par les Francais sous le nom de la Grande-Cuiller. Cette capture amena bien des negotiations et des ambassades de la part des Agniers, et les porta a se tenir tranquilles pendant quelques mois. M. d'Argenson avait apporte des lettres de 1'archeveque de Rouen, par lesquelles le superieur des Jesuites etait charge d'exercer les fonctions de grand vicaire a Quebec, tandis que M. de Queylus remplirait les memes devoirs a Montreal. Celui- ci en consequence remit I'administratioa de la paroisse de Quebec ,aux Jesuites, et se retira aupres de ses confreres a Montreal. L'hopital de ce lieu ne possedait pas encore de religieuses hospitalieres ; il etait dirige par mademoiselle Mance, qui allait repasser en France pour y consulter les medecins, et pour aviser aux moyens d'obtenir des religieuses de Saint- Joseph, communaute etablie a La Fleche, par M. de La Dauver- siere. L'abbe de Queylus avait connu les hospitalieres de Quebec pendant son sejour en cette ville, et il avait appris a les estimer. Persuade que, dans une colouie jeune et faible comme celle de la Nouvelle-France, il valaitmieux ne pas multiplier les instituts, il imagina de faire monter deux religieuses de Quebec, probablement dans Tesp^rance que mademoiselle Mance leur remettrait le soin de 1'hopital pendant son absence. Si c'e"tait la son but, il se trompa ; car des arrangements avaient et4 faits du temps de M. Olier, avec M. de La Dauversiere, qui s'etait engag^ a fournir des filles de Saint-Joseph a la colonie de Montreal. M. de Maisonneuve et mademoiselle Mance, qui avaient eu connaissance des engagements pris de part et d'autre ne les voulurent point rompre ; aussi, cettft derniere donna bien rhospitalite' aux religieuses de Quebec, mais elk- laissa la con- duite de sa maison en d'autres mains. Elle partit accornpagne' de 446 COURS D'HIbTOIRE [1658 mademoiselle Bourgeoys, qui allait chercher en France les moyens d'etablir une cbmmunaute d'institutrices. M. d'Argenson conserva 1'ancien conseil tel qu'il etait forme", et evita d'introduire des changements dans les affaires inte- rieures de la colonie ; cependant, pour assurer les appointements des officiers publics, il organisa une nouvelle compagnie, com- pose"e de douze des meilleurs bourgeois du pays, et il lui accorda la ferine de Tadoussac (1). II s'appliqua beau coup a etudier les ressources et les besoins de la colonie, et a con- naitre le caractere de ses habitants. Dans une de ses lettres, il leur reproche 1'amour des proces et leur penchant a faire des depenses inutiles pour les plaisirs de la table. D'un autre cote, il rend temoignage aux bons effets produits par les soins qu'on avait pris de maintenir les moeurs pures (2). Lui-meme s'oc- cupa d'eloigner les elements de corruption. Ainsi il renvoya en France tine fille debauchee venue sur un vaisseau de la Eochelle, et il condamna a une amende et a tous les frais le marchand sur le vaisseau duquel elle avait pris passage. On avait adopte des precautions et on les observait encore, pour ne point admettre de femuies debauchees dans la colonie ; et sur ce sujet, M. Boucher, gouverneur des Trois-Eivieres, remarquait avec raison qu'on ne recevait point dans le pays " de ces marchandises de contrebande (3). " Depuis plusieurs anne*es, on comprenait en France la ne"ces- site de donner un chef k 1'eglise du Canada, qui commencait a se former, et qu'il importaitde soumettre a une seule autorite ecclesiastique. Conime il a e"te dit, Ton avait d'abord songe a presenter M. de Queylus pour le futur si^ge episcopal ; mais, pendant son sejour a Quebec, quelques dissentiments dtant survenus entre lui et les Jesuites, qui formaient alors la plus grande partie du clerge de la Nouvelle-France, Anne d'Au- triche, qui avait dejt\ voulu presenter a la cour de Eome le P. Le Jeune ou le P. Jerome Lalemant, s'adressa de nou- (1) Memoire de M. Anbert ile LuChesnaye. (2) " J'ai trouv6 la paroisso fort bien servie et romplie de beaucoup do peuplo ; et j'ai vn aussileH confessioununx dcs Peres fort frequenter.. " (Lett rede M. d Arpenson. 5 septembro 1658 " Un inavchatid do La Koclielie a et6 assez iusolent quo do nous eiivoyer en ce pays tine tilio debauchee, actuellniuoiit grosso, ot qu'il savuit etre en cet etat. Je 1 ai' condainne & la raniener il La Kochelle, & tous les d6pens qu'il fii pouvait avoir faits, et ceux qu'avait fails celui & qui il 1'nvait dounee on service, et ;i 1")0 livres d'araende cela remettra uotro pays en reputation, que Ton eontoml avec le iles Saiut-Christophe, et euipecbera les marohauds de charger do ce betail." ans 1' Arable se trouvait 1'cglise de Petree, arcbevech6 et m6tropole de la province. 448 COURS D'HISTOIRE [1659 choisi cette eglise, parce que 1'abbaye de Saint-Germain-des- Pres etait independante des archeveques de Paris et de Rouen, et par la on voulait obvier a quelques difticultes en matiere de jurisdiction religieuse et d'autorite civile. L'archeveque de Rouen regardait sa jurisdiction conime e"tant etablie par 1' usage dans le Canada. En effet, un grand noinbre de ses dioeesains s'y etaient fixes, et, n'y ayant point d'e'veque sur les lieux, ils avaient du quelquefois lecourira son autorite. En 1648, le P. Viuiont reveuait a Quebec avec le titre de grand vicaire de 1'archeveque de Rouen, et, en 1649, le meme prelat envoyait au P. Annat des lettres de grand vicaire pour le superieur des Jesuites dans les missions de la Nouvelle-France. C'etait aussi de 1'archeveque de Rouen que M. de Queylus avait recu son titre et ses pouvoirs pour le Canada. L'on s'etait ainsi accoutume peu a peu a regarder le Canada comme faisant partie du diocese de Rouen. Mais le chef de 1' eglise, qui avait tolere* 1'exercice de cette jurisdiction lorsqu'elle etait utile, avait droit d'y mettre fin, en nommant un vicaire apostolique et le chargeant de prendre soin de la nouvelle chre'tiente'. D'un autre cote* les parlements de Paris et de Rouen pre*- tendaient aussi avoir des droits de jurisdiction sur la Nou- velle-France, et ils craignaient que la presence d'un e*veque a Quebec ne portat le roi a y etablir un conseil superieur. Deja, par 1'arret de 1648, les appels des jugements prouonces par le gouverneur et ses conseillers etaient reserve's au conseil du roi ; il ne restart plus qu'un pas a faire pour enlever aux deux parlements tous leurs droits pretendus ou re"els sur les affaires de la colonie. Nonobstant les difficulty's suscitees de plusieurs cotes, I'e've'que de Petite partit de France an printemps de 1659, et arriva le seize juin a Quebec, ou sa presence causa une grande joie ; mais, camme on ne s'attendait pas a cet heureux 6* ve*ne- ment, aucun pre"paratif n'avait t^te* fait pour recevoir le prelat, qui alia descendre chez les Jesuites. II etait accompagne* du P. Jerome Lalement, de messieurs Torcapel et Pelerin, Pretres, et d'un jeune neveu de M. de Bcrnieres qui se destinait a 1'etat eccle"siastique (1). Sur un autre vaisseau e*tait M. de Charny (1) An depart de M. de Queylus pour Montr6al, il ue resta quo deux pr^trea sccu- liei-H dans le gouveriiemcnt de Quebec, M. do Saiiit-Sauveur, ancieii "cliapolain de l'H6tel-I>ieii, alors avance en dge, et M. Vaillant, qui desscrvait la cMe de Beau- pi-. M^r de Laval, apres avoir passe quelc^ues jourei cbez les Jetmites, occupa dea appartementa nenl's a i'lIotci-Dicu : il n'y demeura que trois inuis, ci alia habiter due potito MiuisiPii batie par inadame de LaPeltrie, et qui servait de Hi'-iuinaire pouc 1659] DU CANADA. 449 qui rentrait comine simple pretre, dans lo pays oil il avail commando en qualifeS de lieutenant du gouverneur. Apres avoir recu les marques de respect quo lui prodi- guerent les Francais a son arrive'e, M. de Laval fut compliment^ par les sauvages. II leur rdpondit fort a propos, a la fin d'un repas qu'il leur donna dans une des salles de la maison des Jesuites. Ces festins prepares pour les sauvages n'etaient ni splendides, ni couteux ; niais ils avaient une grande impor- tance aux yeux des convives (1). Ce fut dans cette occasion qu'ils nomnierent 1'eveque, Hariwawagui, " ce qui dans la langue liuroune signifie : I'homme du grand affaire ; " et le nom, lui convenait parfaitement. Monseigneur de Laval a exerce une grande influence sur les destinees du Canada, et directenient par lui-ineme, et media- tement par les institutions qu'il a fondees, ainsi que par 1'es- prit qu'il sut inspirer au clergti de son immense diocese. Tons ceux qui out parle de lui s'accordent a reconnaitre qu'il posse- dait uue haute piete" et les plus belles quality's du cceur et de 1'esprit. Appuyee sur de profondes convictions et souvent requise pour etouffer le mal dans sa naissance, pour feconder et developper de. nobles projets, sa fermet^ ne reculait ni devant les suggestions de 1'amitie, ni devant les menaces de la haine. Quelques-uus lui ont reproche d'avoir ete ferme jusqu'a Topiniatrete. Nulle vertu n'est parfaite sur la terre ; il a pu quelquefois se tromper ; mais il vaut mieux que le fondateur d'uue societe peche par exces de ferinete que par faiblesse. II importait qu'une main vigoureuse fit entrer dans la bonne voie le petit peuple qui venait de naitre sur les bords du Saint- Laurent. Si on lui eut permis de prendre une fausse direction a son point depart, il se serait ecarte de plus en plus du sentier de 1'honueur et du devoir, a mesure qu'il aurait avanc^ dans sa carriere ; il n'aurait pu etre ramene dans la bonne voie, que par un de ces grands chathnents au moyen desque!s la providence purifie les nations. " II ne salt ce que c'est qi'.e les elves des Ursulines. " Is'oiis lui avons pr6t6 notre snminaire, q"i est ii n a liaison do madarae de T^a Peltrie a 6t6 de'molic, il y a environ vingt-ciuq aus : remplaceuieut est occupe par 1'ecole des 616ves extcrues. batie en 1836. (1) M. d'Argeusou. dans nne de ses lettres, decrit aini tin repas qu'il donna aux snuvages, peu aprfts sou arrivee dans le pays : ''Co lestin consistait i-n sopt chaii- dieres de comiuunaut6, pleines do bie-d'inde, de pois, de prunes, d'esturgeons, d'au- guillus et de graisses ; ce qu'ils devorerent apron avoir chaiite a leur mode. TU SP servaient ordinairemeut d'avirons pour bien mfilcr toutes les parties de cette 450 COURS D'HISTOIRE [1659 respect humain," ecrivait la Mere de I'lncarnation en parlant de 1'eveque ; " il est pour dire la verite* a tout le monde, et il la dit librement dans les rencontres. II fallait ici un homme de cette force (1). " Le conflit commence en France au sujet de I'autorite du vicaire apostolique, faillit se continuer au Canada. " II y eut plu- sieurs discussions, dit la Mere Juchereau de Saint-Ignace pour gavoir a qui les communautes obeiraient .... car M. 1'abbe de Queylus avait des pouvoirs de 1'archeveque de Rouen, reconnu jusqu'alors pour le supe*rieur du pays ; bien des personnes disaient qu'il e*tait au-dessus de monseigneur de Laval qui n'e"tait que vicaire apostolique (2)." Tous cependant, apres quelques hesitations chez plusieurs, eurent le bon esprit de se soumettre a 1'autorite de 1'eveque qui etait envoye par le saint siege et dont la mission etait approuve'e par le roi. Les subtilites de messieurs des parlements de Paris et de Rouen ne pouvaient invalider des titres si surs et si legitimes. M. de Queylus avait recu des lettres de I'archeveque de Rouen ; il parut d'abord vouloir se servir des pouvoirs de grand vicaire qui lui e"taient confers par ce prelat (3) ; mais, apres plus mure consideration, il se decida a repasser en France. Peu apres 1'arrivee de 1'eveque un vaisseau, amena un secours considerable pour Montreal : il portait deux pretres (4), mademoiselle Mance, la soeur Bourgeoys, trois religieuses hos- pitalieres de La Fleche, quelques institutrices qui venaient se devouer a 1'ceuvre des ecoles, et environ cent colons, pamii lesquels e*taient des nobles et des bourgeois. Ce secours e*tait le plus considerable que la colonie de Montreal eut recu depuis celui de 1653, et il servit beau coup a la consolider, dans un temps ou elle s'e"tait atfaiblie par ses frdquentes luttes avec les Iroquois. La traversee s'etait faite dans des circonstances fa"cheuses. Le vaisseau avait pendant deux ans servi d'hopital militaire, et depuis n'avait pas et6 purifie ; aussi des maladies se declarerent a son bord pendant le passage, et fournirent a la soeur Bourgeoys, ainsi qu'a ses compagnes, 1'occasion de de*- ployer leur charitd. Huit ou dix personnes moururent sur la mer. Apres Tarriv^e du vaisseau a Quebec, ces fievres conta- (1) Lettres Historiques do la M6re de rincamatioii. (2) Histoire de V 'Hotel- Dieu de Quebec. (3) Journal den Jesuitet. (4) Messieurs Vignal et LeMaistre. M. Guillanme Vignal avait ete chapelain des Ursulines et vicaire de M. d Queylus, pendant one celui-ci desservnit la paroisse de Quebec ; 1'anuee precedeiite 11 etait retourn^ eu France et en revenait comme sulpi- ien. 1659] DU CANADA 451 gieuses se communiquerent aux habitants, et en enleverent plusieurs. " Presque tout le pays a etc* infecte", 6cnva.it la Mere de I'lncarnation (1) ; " et I'hopital rempli de malades ; monseigneur notre prelat y est continuellement pour servir les malades et faire leurs lits. On fait ce que Ton peut pour Ten empecher et pour conserver sa personne ; mais il n'y a point d'eloquence qui puisse le de"tourner de ces actes d'humilite. Le E. P. Dequen, par sa grande charite, a pris ce mal et en est mort. C'est une perte notable pour la mission ; car c'^tait 1'ancien missionnaire des Algonquins, oii il avait travaille depuis vingt-cinq ans avec des fatigues incroyables. " (1) Lettres de la M6re de I'lncarnation. 452 COURS D'HISTOIKE [1660 CHAPITRE DOTJZIEME. Les Agniers obtiennent la d61ivrance des prisonniers de leur nation et recommeneenfc la guerre Les guerriers iroquois se rassemblent a la Roehe-Perce'e. et menacent toui.e la colonie Les Francais font des preparatifs de defense Expedition de Daulac et de ses conipaguons eontre lea Iroquois Des hurons et des algonquins se joignent a eux Leur fort aii sant des Chaudieres est attaqne Abandonnes par une partie des hurous, l<^s francais se dependent avec courage Bravoure et mortde Daulac, d'Anahotalia et de leurs compagnons Les Iroquois se retirent; dos prisouniers hurons s'6chappent de leurs mains Mort (ie M. D'Ailleboust Tourrnents des captifs fra9ais et hurous M. d'Argeuson s'expose a toiuber dans nne embuscade Goyogouins captifs Cessatiou d'hostilites pendant la moisson Le P. Mesnard chez les Outaouai.s Situation de la colonie Representations et demandes de secours faites a la conr Elles sont pen 6ooutees Massacres commis par les Iroquois A, Montreal, aux Tn>is-Bivieres,a Tadouasao, a la cAte de Beaupr6 et dans 1'ilo d'Oiieans Le graud seu6chal tu6 pres de la riviere Maheust. A force de prieres et de protestations d'amitie, les Agniers avaient reussi k obtenir 1'elargissement de presque tons leurs compatriotes detemis prisonniers a Quebec. A peine les der- niers captifs avaient-ils pris le cheniiu de leur pays, que les Agniers, oubliant toutes leurs promesses 'de garder la paix, reprirent les armes et se mirent en campagne. Leurs premiers coups tomberent sur les Trois-Rivieres, ou ils prirent huit francais, qu'ils conduisirent dans leur canton pour les y bruler. Depuis quelque temps, ils etaient decides a rompre le simu- lacre de paix, qu'ils avaient pretendu maintenir, tout en con- tinuant de faire la guerre aux allies de la colonie. Ces luttes continuelles devenaient si harassantes, que beaucoup d'hommes, arrives avec 1'intention de s'etablir dans le pays, e'taient decides k retourner en France lorsque leur engagement serait termine. Au printemps de 1660, la guerre parut devoir prendre des proportions serieuses. Des algonquins de Tadoussac surprirent, dans les ilesde Richelieu, im canot iroquois envoye a la decou- verte. Trois des ennemis furent tuds ; le quatrieme, grievement blessd, fut conduit a Quebec ; c'etait un mahingan ou loup, adoptd par les Aguiers. Desesperant de le conduire en vie jusqu'& Tadoussac, les vainqueurs s'arr^terent t\ Quebec, et 1660] DU C.VNADA. 453 re"solurent de le traiter suivant les dispositions du code sau- vugs. Les juges dtaient algonquins ; le prisonnier &ait cense* iroquois, et il etait venu sur les eaux du Saint-Laurent comma eunerni ; aussi les fornialites ne furent ni longties ui nombreuses on le condamna a mourir par le feu. Ne pouvant lui sauverla vie, uu des niissionnaires obtiut un simsis, pendant lequel il 1'instruisit et le baptisa. Comme une coutume des sauva^es autorisait un captif attache au poteau a dire tout ce qu'il savait, le mahingau, avant de mourir, crut devoir decouvrir les secrets des Agniers. II declara que huit cents iroquois e"taiont campe's a la Eoche-Percee, pres de Montreal, et qu'ils y attendaient encore quatre cents guerriers. Leur desseiri etait de s'emparer de Quebec, et d'attaquer ensuite les Trois-Bivieres et Montreal, dont ils esperaient se rendre facilement les maitres, apres avoir de'truit la capitale. Ce rapport fut peu apres confirm^, et i'on apprit par une voie sure que I'arnies ennemie s'etait arretee pres de l'embouchure de la riviere de Eichelieu (i). Comme le danger etait imminent, on fit promptement avertir les habi- tants de Montreal et des Tims-Rivieres de se tenir sur leurs gardes. Quebec n'dtait point defendu du cote de la carnpagne ; le fort S. Louis, le petit camp fortifie des Kurons, et le carre forme par les batiinents du college des Jesuites offraieut les seuls abris ou Ton put etre a couvert d'urie attaque. Les com- muLautes de 1'Hotel-Dieu et des Ursulines etaut fort exposees dans leurs couvents, l'(jv^que de Petree ordonna aux reli- gieuses de se retirer tous les soirs avec leurs pensionnaires dans une partie du college, qui n'etait point occupee ; la Mere de I'lncarnation obtint cependant la permission de demeurer pendant la nuit avec trois de ses compagnes, dans la maison des Ursulines.' Des redoutes fureut elevees sur les points les plus exposes ; et des piquets d'hornnies armes 3taient places chaque soir dans les couveuts, qu'on fortifia non-seulement pour proteger les religieuses, mais encore pour y abriter quel- (^ues families, car toutes ne pouvaient se loger au fort Saint- Louis. On comptait aussi beaucoup sur la vigilance des chiens, que Tapproche d'un seul sauvage rendait furieux, et qui t-taient aussi fort redoutes des Iroquois. Cependant les craintes diminuererit conside'rablement lors- qu'apres quinze jours d'attente on ne vit paraitre aucun ennemi. Le temps des semailles t3tant deja avance", les families qui (1) J/Hr*delaM6iedi; 1'IncaniatiDii; Journal dee Jesuttet; Ktlation de 1660. 454 COUKS D'HISTOIRE [1660 s'etaiont refugees & Quebec, se disperserent pour ensemencer leurs champs. Vers le commencement de juin, huit hurons apostats, qui, avant de passer aux Iroquois et de renier leur ibi, avaient reside" au fort de 1'ile d'Orleans, s'approcherent de la cote de Beaupre, dans 1'intention de surprendre quelqu'un des habitants. A Sainte-Anne, une jeune femme (1) etait reste'e scula & la maison avec ses quatre jeunes enfants, pen- dant que les autres membres de la faniille etaient aux champs. Les Hurons, n'aperce vant personne aux environs, debarquerent en ce lieu, pillerent la maison et jeterent dans leur canot la malheureuse mere et ses enfants. La nouvelle de ce rnalheur ayant aussitot e'te portee a Quebec, M. d'Argenson envoya une troupe de francais et d'algonquius, pour arreter les rnaraudeurs a leur passage devant Quebec. Les algonquins se mirent en embuscade a la Pointe-Levis, pres de laquelle ils savaient que le canot iroquois devait passer en remontant. Dans la crainte d'etre poursuivis, les voleurs hurons s'e'taient tenus cache's pendant unejournee.il est facile de comprendre quelles devaient etre les angoisses de la pauvre prisonniere, a la vue des souf- frances et deslarmes de ses petits enfants. Cette femme, d'une pie'te remarquable, ne pleurait pas pour elle-meme, bien qu'elle sut qu'on la destinait au feu ; mais elle voyait avec horreur le sort qui attendait ses enfants, exposes aperirdans les supplices, ou a devenir des barbares et des infideles parmi les Iroquois. Elle avait cependant un pressentimeut que par la protection de la Sainte Vierge, pour laquelle elle avait une devotion par- ticuliere, elle serait de'livre'e en passant a Quebec. Elle ne se trompait pas en eftet : le second jour de sa captivite", vers le soir, le canot huron remontait dans I'obscurite', serrantde pres les rochers de la Pointe-Levis. Les algonquins places en vedette 1'avaient apercu, et le laisserent approcher. Lorsqu'il fut pres d'eux, ils firent une decharge g^n^rale de leurs arque- buses ; puis, s'elancant k 1'eau, ils s'en rendirent mattres en fort peu de temps. Deux hurons avaient (Ste* tu^s, et deux ou trois autres etaient Hesse's. La prisonniere, ayant leve" la tete au moment ou elle entendit des voix amies, fut elle-meme frappee d'une balle, qui tua en me"me temps un de ses enfants. Elle mourut quelques jours apres & 1'Hotel-Dieu, remerciant (I) Marie Caron, fllle de Robert Caron et epouse do Jean Picard, fut prise le quatre .juin 1660. LaraaiHou dans Itiquello elle demeurait etalt sur uuo terre appartenant encore aux descendants de Robert Caron ot situ^e a PIMI pros a uu mille au dessons del'egliae de Sainte- Anne du Petit-Cap. Reyistres de 2f. D. de Quebec; Lettret ea de la M. do 1'Incarnation. 1660] DU CANADA. 455 Dieu avec une grande joie, de ce qu'il avait delivre sa jeime farnille des mains de ces barbares. Les prisonniers, e"tant des traitres a leur nation eti\ leur foi, ne pouvaient attendre de mise'ricorde de la part des sauvages : 1'und'entreeux cependant, n'ayant encore que quinze ans, eut la vie sauve ; sur les cinq autres, trois furent brules a Quebec et deux aux Trois-Kivieres. Tons avaient e"t^ instrnits de la religion chretienne et savaient encore leurs prieres ; ils recon- nurent leur faute et moururent en chre"tiens. Avant leur supplice, ils confirmerent les declarations dej'a faites par le prisonnier naahingan, et ajouterent que I'arme'e iroquoise devait etre en marche pour descendre a Quebec ; ils s'e"tonnaient mme qu'elle ne fut pas encore arrive'e, et conjecturaient qu'elle s'e"tait arretee pour assie"ger les Trois-Kivieres (1). Bientot apres, on apprit les e" venements qui avaient empecke' les Iroquois de se rendre a Quebec. Dix-sept braves francais de Montreal avaient de'tourne le coup, en pe"rissant glorieuse- ment pour sauver leurs freres. Un jeune homme, appartenant a une bonne famille, etait arriv^ depuis peu k Montreal, avec 1'intention de se distinguer par quelque coup d'dclat contre les Iroquois. Daulac (2) avait send dans 1'arm^e en France ; sa premiere campagne prouva qu'il etait tout ^ fait propre a la guerre sauvage. Plein d'euergie lui-meme, il sut communiquer ses sentiments ^i seize jeuncs gens, qu'il engagea ^i le suivre dans une expedition contre les Iroquois. Ces dix-sept braves se preparerent a la mort, de maniere a n'avoir aucune inqui^- tude soit temporelle soit spirituelle. Chacun d'eux fit son testament ; tous se confesserent, communierent ensemble, et, en presence des autels, promirent de ne jamais demander quartier et de se souteuir tidelement les uns les autres. Vers la fin d'avril, ils firent leurs adieux, comme s'ils eussent e'te certains de ne jamais revenir ; et, le premier mai, ils s'ar- reterent au pied du saut des Chaudieres, sur la riviere des Outaouais. Ayant trouve la un petit fort sauvage, fermd de pieux a demi pourris qu'on avait plantes en terre, ils se deci- derent h. y attendre les Iroquois, qui allaient descendre des terres de chasse situ^es au nord. Ce miserable reduit, qui ne (1) Relation de -1660 ; Letires JTint^ri'jufs do la M6ro de, 1'Incarnation. 456 COURS D'HISTOIRE [1660 valait pas la plus mauvaise chaumiere, e*tait eUoigne de 1'eau et commande" par un coteau voisin. Quelques jours s'^taient e'coule's dans 1'attente, quand les braves francais furent rejoints par une bande de hurons et d'algonquins, qui leur dernanderent la permission de partager leurs perils. Le vieux chef Anahotaha, parti pour faire une course contre les Iroquois, avec quarante guerriers de la petite colonie huronne de Quebec, s'etait arrete* aux Trois-Rivieres, on sa troupe recut un renfort de six algonquins, conduits par Mitiwemeg, capitaine renomin^ parmi les siens ; les Hurons avaient defie' les Algonquins, les avaient invite's & les suivre dans les combats, et le de'fi avait e'te accept^. A Montreal, ils demand erent a M. de Maisonneuve la permission de se joindre aux compagnons de Daulac ; elle leur fut accorded, quoique avec repugnance, car Ton n'avait pas une entiere confianee dans la bravoure d'une partie des hurons. Le lendemain de I'arrivee des guerriers sauvages au camp des Francais, deux hurons, e*tant alle*s & la decouverte, rapporterent qu'ils avaient apercu cinq canots montes par des iroquois. C'e"taient des e"claireurs envoyes par une bande de deux cents onnontague*s, qui revenaient de leurs chasses. Le conseil des allies de"cida qu'on attendrait I'ennemi de pied ferme, et que le lendemain on eleverait une seconde palissade autour de 1'ancienne. Mal- heureusement le temps manqua ; car, pen apres, on vit d^filer en bon ordre les canots iroquois. Les chasseurs onnontague's avaient pris la tenue de guerriers qui s'avancent contre 1'en- nemi : ils portaient la hache du combat a la ceinture ; les fusils e"taient ranges sur 1'avant de chaque canot, et ils e'taient prets h 1'attaque et h. la defense. Les allies furent surpris : en ce moment, ils ctaient a genoux, faisant la priere du soir. Pres du rivage, les chaudieres avaient e'te placees sur les feux pour pri^parcr le souper; ils n'eurent que le temps de se jeter dans le fort. De part et d'autre, on se salua par des cris et par une vive fusillade. Un capitaiue onnoutagu(3, s'avancant sans armes, dleva la voix pour deman- der & quelle nation apparteuaient les d(5fenseurs du fort. " Ce sont des francais, des hurons et des alonquins," leur rdpondit- -on ; "et ils demandent h 1'Iroquois de camper sur 1'autre rive, s'il veut parlementer." Les deux partis comprirent qu'tme lutte etait inevitable. Les onnontagues entourent leur camp d'une pali.ssade ; de leur cot^, les allies travaillent a assurer leur fort ; ils lieut les pieux avec des branches, ils les conso- lident avec de la terre et des pierres, en ayant le soin de Jaisser des meurtrieres d'espace en espace. 1660] DU CANADA. 457 Les assie'ge's n'avaient pas encore termine leurs travaux de fortification, lorsque les iroquois donuerent 1'assaut, en pous- sant leurs oris de guerre. Les francais les recurent chaude- ment ; a chaque meurtriere etaient places trois tireurs, dont les balles decimaient les raugs iroquois ; beaucoup d'onnontague's tomberent morts ou blesses. Les ennemis, apres des efforts inutiles, battirent en retraite, tout surpris d'^prouver une si vigoureuse resistance. Eecourant alors a leurs ruses ordi- naires, ils firent semblant de vouloir parlementer, pendant qu'ils envoyaient avertir le gros corps d'agniers, rassembl^ dans les ties de Eichelieu. Les hurons et les algonquins ne voulaient point rejeter trop brusquement les propositions des ennemis ; mais les francais refusaient tout accommodement, certains qu'on voulait les tromper. Et, de fait, pendant que les iroquois amusaient les hurons d'un cot du fort, ils cherchaient a faire des approches de 1'autre cote". Toujours sur leurs gardes, les francais repousserent de nouveau le.s ennemis, et les forcerent a se tenir hors de la portee du fusil. Pendant sept jours le fort demeura ainsi investi : les a.3sieges, resserr^s dans un e*troit espace, Etaient soumis a mille incomnioditeS ; le froid, 1'insomnie, la faim et la soif les harasaaient beaucoup plus que les iroquois. L'eau e"tait si rare qu'ils n'en avaient pas assez pour delayer la farine de mais qui faisait leur nourriture, et qu'ils etaient obliges de 1'avaler toute seche. Bientot le plomb manqua aux algonquins et aux hurons, qui ne 1'avaient pas menage suffisamment, et Daulac dut leur en fournir. Ce- pendant jusqu'a ce moment les assie'ge's n'avaient encore perdu aucun des leurs. Apres une semaine d'attente, les onnontague's eurent la satisfaction de voir arriver les agniers et les onneyouts au nombre de cinq cents. Des cris sauvages retentirent dans la foret, de maniere a effrayer les coeurs timides et a faire croire que des milliers de guerriers 1'envahissaieiit. Le fort fut entoure de toutes parts ; la fusillade se continuait le jour et la nuit ; les attaques Etaient fre*quentesetvigoureuses. Au milieu de toutes ces difficult^ les francais restaient admirables de courage, de vigilance et surtout de pidte". Aussitot qu'ils avaient repousse une attaque, ils se mettaient genoux pour remer- cier Dieu et se recommander a sa protection. Cependaut la soif pressait tellement les assie'ge's, que les sauvages n'y pouvaient plus tenir. Les hurons d^courag^s son- gerent a la paix, et envoyerent quelques-uns des leurs pour s'aboucher avec les ennemis. Les envoye*s furent re9us par les 458 COURS D'HISTOIRE [1660 iroquois avec de grands cris, qui effrayerent les hurons rested dans le fort. Trente d'entre eux cependant, engages par les in- vitations et les belles promesses de leurs compatriotes apostats, sauterent par dessus la palissade, pour se rendre aux ennemis, malgr les sanglants reproches que leur adressait Anahotaka. Apres cette honteuse fuite, il ne resta avec lui de sa bande que sept ou hurt homines ; les francais et les algonquins etaient trop fiers pour consentir a se mettre entre les mains des iroquois. Les fuyards causerent un double dommage par leur lache conduite : ils affaiblirent les forces des allies, et ils rani- merent le courage des iroquois en leur faisant connaitre la faiblesse des compagnons de Daulac. Des parlementaires, suivis d'une troupe de guerriers, se rap- procherent de nouveau du fort pour inviter le reste des hurons a se rendre ; mais, se defiant de tous ces pourparlers, les francais les recurent k coups de fusil, en tuerent plusieurs et forcerent les autres a prendre la fuite. Les iroquois etaient honteux : depuis dix jours, une che'tive palissade, defendue par une poignee de fiancais et quelques sauvages, arretait leur arinee tout entiere. Ils voulurent tenter un effort supreme. Desbuchettes furent distributes; ceux qui en acceptaient une se devouaient a monter a 1'assaut. Tons ensemble les asaaillahts se ruerent au pied de la palis- sade et s'y cramponnerent au-dessous des canonnieres, de maniere que, n'y ayant de bastion d'ou on put les battre, les assiege"s ne pouvaient leur faire de mal ; ainsi abrites, les iroquois travaillaient & coups de haches k abattre les pieux. Dans cette extre'mite', les francais eurent recours a tous les moyens que le courage et 1'experience leur purent fournir. Ddpourvus de grenades, ils les romplacaient par des canons de fusil, qu'ils chargeaient k crever et qu'ils lancaient ensuite sur 1'ennemi. Daulac s'avisa de jeter au milieu des ennemis un petit baril de poudre, auquel il avait ajustt^e une fusee. Malheu- reusement une branche arreta lo projectile et le rejeta dans le fort, ou il fit explosion, portant la mort au milieu des combat- tants. Etouffes par la fumee, les assieg6s ne pouvaient plus distinguer les assiegeants, qui profiterent de la confusion, et s'emparerent des rneurtrieres, d'ou ils faisaient un feu e'crasant. Dans ce moment supreme, un neveu d'Anahotaha, qui dtait pass6 aux iroquois, in vita son oncle a se rendre, en lui proinet- tant la vie sauve : " J'ai donne ma parole aux Francais. " r^pondit le chef; " je mourrai avec eux. " Peu apres, le vieux guerrier tomba frapp(5 1\ mort ; mais, avant d'expirer, il pria un 1660] DU CANADA. 459 de ses compagnons de lui mettre la tete sur les charbons, afin que les Iroquois n'eussent pas I'honiieur de lui enlever la che- velure. Pousse par un sentiment d'humanite mal entendue, un francais, voyant les assaillants sur le point d'entrer dans le fort, acheva a coups de hache ses compagnons blesses a mort, afin de les deliver des supplices qu'ils auraient eus a endurer de la part de leurs cruels ennemis. Les assie'ges avaient assurement tout a redouter de la rage des iroquois. Ceux-ci, en effet, ayant penetre dans le fort, renverserent a coups de fusil quelques braves qui se defen- daient avec un courage desespe"re, et se livrerent a toutes les fureurs de la vengeance. Deux francais qui respiraient encore furent trained sur le feu, et tourmente's de la maniere la plus horrible. Quatre autres conservaient assez de force pour etre conduits a la suite des vainqueurs ; on les distribua aux cantons d'Onnontague, d'Ouneyout et d'Agnier, qui avaient pris part a la liitte. Avec ces captifs francais furerit menes prisonniers quatre hurons, qui avaient combattu jusqu'a la fin avec Anahotaha ; le merae sort fut reserve & ceux de leurs compatriotes qui pendant le siege avaient eu la lachete 1 de passer aux ennemis. Des sept cents iroquois qui avaient assiste au siege du petit fort, un grand nombre avaient etc mis hors de combat. Au rap- port d'un huron pris avec les francais, des masses de ca- davres iroquois s'eleverent autour de la palissade durantla der-' mere attaque, et servirent aux assiegeants pour 1'escalader. Les vainqueurs etaient restes stupefaits de la resistance que leur avaient opposee les dix-sept francais, renfernu's dans un si faible reduit, sans eau, sans nourriture, et sans un instant de repos. Aussi, affaiblie et lassee, 1'armee iroquoise renou^a au projet d'attaquer Quebec. Pendant le retour dans leur pays, les Iroquois avaient grand soin de surveiller leurs prisonniers : le soir, on attachait chacun d'eux a quatre piquets fortement plantds en teiTe, et on lui serrait autour du corps une courroie, dont un bout s'en- roulait sur les bras d'un gardien. ISTonobstant ces precautions, quelques-uns des captifs reussirent a s'echapper. Un huron, nomme' Louis, avait conserve quelque espoir de recou vrer la li- berte", tout en se pr^parnt a la mort ; il se disposait a mourir en bon chr^tieu, par la priere et la resignation a la volonte 1 de Dieu. Quand la bande s'arr^tait, il s'occupait a reciter le ro- saire ; et, si alors ses maitres I'invitaient a chanter selou la cou- tume des prisonuiers, il s'en excusait en pretextant qu'il vou- 460 COUKS D'HISTOIRE [1660 lait menager sa voix pour mieux chanter sur 1'echafaud. Cette raison e*tait admise comme valable ; car souvent les prison- niers se glorifiaient de la force de leurs poumons et de la beaute de leur chant, meme sous le couteau de leurs bour- reaux et au milieu des buchers. La conduite de Louis avait adouci son gardien, qui un soir lui fit remarquer que ses liens etaient nioins serres qu'a 1'ordinaire ; le prisonnier s'en re- jouit inte'rieurement, et concut le dessein de profiter de la cir- constance pour s'en debarrasser completement. Quandle som- meil eut gagne" tous les iroquois, il reussit a degager une de ses mains. Coinrne il avait cache* un couteau sous son habit, il s'en servit pour couper la corde qui lui retenait 1'autre main. II se preparait a en faire autant des attaches qu'il avait aux pieds, et se -mettait sur son se'ant pour en venir plus facilement a bout, lorsqu'il apercut aupres du feu un grand iroquois, qui paraissait occupe" a fumer son calumet. Le huron se crut perdu ; mais 1'autre n'avait pas apercu ses mouvements. Un peu plus tard, il so disposait a se lever apres avoir complete- ment tranche tous ses liens, lorsqu'il vit approcher un vieux chef, qui parcourait les rangs des prisonniers afin d'exa- miner s'ils etaient bien attaches. L'iroquois passa sans voir Louis, qui a la troisieme tentative reussit a s'e"chapper du mi- lieu de ses gardiens. II se jeta dans les bois, et, apres une longue course, il arriva a Montreal exte'nue de faim et de fa- tigues. Ce fut lui qui fournit les premiers details, sur les inci- dents et les rdsultats de I'expddition de Daulac et de ses braves compagnons (1). Louis arrivait a Montreal deux on trois jours apres le deces de M. d'Ailleboust. Les habitants de ce lieu, deja afflige's de cette perte, dprouverent un rodoublement de cha- grin en apprenaut la mort des courageux jeunes gens qui s'&aient de'voue's pour le salut de la patrie. La nouvelle en fut promptement portde aux Trois-Eivieres et a Quebec, ou presque toutes les families liuronnes eurent a pleurer la perte de quelqu'un de leurs membres. La colonie entiere reconnut qu'elle avait e'te' sauv(5e par Th^roisme de Daulac et de ses compagnons. Tout en regret- tant leur mort, les cceurs catholiques des colons etaient con- sols par la pensee que ces biaves soldats etaient tombes le fusil k la main, l'e,sp(5rance dans Tame et la priere sur les levres. On dtait tente* de les v^ndrer comme des martyrs de la (1) M. Dollier de Cassoii, Histoire du Montreal ; Relation de 1660 ; Lettrei do la M6rt> de 1'Incnroation. 1660] DU CANADA. 461 foi ; et certes Ton pent bien comparer, avec ce que 1'histoire offre de plus noble, le spectacle donne* par ces homines, sur le theatre obscur qu'ils avaient choisi pour combattre et mourir. Sept ou huit des prisonniers hurons souffrirent la mort , quelques-uns furent adoptes par des iroquois, et plusieurs rejoignirent plus tard leurs families a Quebec. Deux des pri- souniers francais furent bruits. Un d'eux fut donnd aux Onnon- tagues, au milieu desquels il avait vecu a Gannentaha, pen- dant que les missionnaires y etaient ; dans la captivite* et dans les supplices, il fut pour les hurons im.ange destine* a soutenir leur foi et a rammer leur courage. Ayant ete condamne' a la mort, on lui appliqua le fer et le feu sur toutes les parties du corps ; ses bourreaux lui couperent les doigts 1'un apres 1'autre, en apportant a cette operation toute la lenteur qu'ils se plai- saient h y mettre, quand ils voulaient savourer pins longue- ment les douleurs de leurs victimes. L'heroique chretien ne poussait pas une plainte ; au contraire, chaque fois qu'on lui coupait un doigt, il se jetait a genoux pour 1'offrir a Dieu, qui 1'avait trouve digne de souffrir dans sa sainte cause. Avec toute leur fe'rocite, les Iroquois ne pouvaient s'empecher de temoigner leur admiration, a la vue de la fermete et de la patience qu'il conserva jusqu'a la mort; aussi les guerriers onnontaguds crurent rehausser leur courage en deVorantquel- que partie des membres d'un homme si brave. Le corps fut hache par petits morceaux, les parties les plus dedicates furent partage'es, et les restes jetes sous 1'e'chafaud, pour devenir la pature des chiens, qu'attirait 1'odeur du sang. Ces details furent rapportes par un huron, qui avait ete' attache" pres du francais, sur 1'e'chafaud. Pendant tout le voyage, des ties de Richelieu a Onnontague, ce piisonnier huron avait ete dans une sorte de delire cause par les soufirauces et par 1'horreur des supplices qu'on lui reservait. La nature chez lui se re* voltait a 1'idee du bucher et des tortures. Une nuit, il Avait eu la tentation de se couper la gorge, avec un couteau que lui avait jete un de ses compatriotes domicilif5 a Onnontagu^. Mais, se rappelant les instructions des missionnaires, .qui lui avaient enseigne que I'homme n'est pas le maitre de sa vie, il repoussa la pens^e du suicide. Comme on le conduisait a 1'e'chafaud, une sorte d'hallucination s'empara de lui. 11 se crut transport^ a Quebec dans la chapelle des Jdsuites : il voyait les tableaux, les autels; il reconnaissait les pretres occup^s aux fonctions du miuistere ; puis un iiuage sombre descendit sur tous les objets qui venaient de passer devant lui. 462 COURS D'HISTOIRE [1661 Lorsque la vision eut disparu, il se trouva environne" de feux allumes, sur lesquels rougissaient des houes, des scies, des baches ; les instruments de supplice se pre*paraient ; lui-meme etait lie* a deux poteaux, de maniere qu'il lui etait impossible de - se mouvoir. Bevetus de leursplus belles robes, les Onnon- tagues allaient commencer a le torturer, lorsqu'un nuage e"pais, s'etendit sur la bourgade, et deroba la vue du ciel ; line pluie torrentielle se joignant a I'obscurite, les bourreaux s'enfuirent dans leurs cabanes par la crainte de gater leurs habits de fete. Pendant toute la nuit, le prisonnier resta attache au poteau, avec la triste perpective d'etre brule le lendemain. Aussi sa surprise fut grande, lorsque, le matin du jour suivant, le chef de la famille a qui il avait e"te donne", vint publiquement le re- clamer, en se plaignant de ce que sans 1'avertir on avait aiusi dispos de son esclave. Une robe portant les marques de la famille fut jete*e sur les e'paules du prisonnier, qui se crut la victime d'une amere ironic, jusqu'a ce qu'il se fut apercu que son liberateur agissait serieusement. Peu de temps apres, comme il se trouvait avec des chasseurs dans le voisinage du Saint-Laurent, il s'echappa et se rendit a Montreal, ou il fit le naif re'cit de ses craintes, de ses visions et de sa de*li- vrance (1). Pendant le reste de 1'annee, les Iroquois demeurerent plus tranquilles qu'a 1'ordiuaire ; ce que Ton attribua a la rude lecon qu'ils avaient recue au saut de la Chaudiere. Cependant, au mois de juillet, un de leurs partis, ayaut surpris sur lelac Saint- Pierre deux algonquins, dout Tun fut tue et 1'autre fait prison- nier, M. d'Argenson, qui se trouvait aux Trois-Rivieres, partit avec une centaine d'hommes montes sur des chaloupes, afin de donner la chasse aux ennemis. Arrive pres du lieu ou les iro- quois s'etaient retires, il voulut descendre a terre ; les fran- (jais lui representerent qu'il etait imprudent de se Jeter dans la foret, et lui rappelerent les tristes suites de la faute com- mise dans une circonstance analogue par M. Du Plessis- Bochart. Les chaloupes s'etaient arretees ; mais personne ne paraissait dispos6 a ddbarquer. Pour donner 1'exemple, le gouverneur sauta a 1'eau, et s'avanca seul vers lerivage; tons alors s'empresserent de le suivre. Cependant, comme on 1'avait pre* vu, les ennemis etaient embusques a 1'oree du bois : caches derriere les arbres, ils occupaient une position si avanta- geuse, que les francais, dans Timpossibilite de les en de"loger, furent forces de regagner les chaloupes sous un feu des plus (1) Relation des Jesuitet 1UGO. 1661] DU CANADA. 463 meurtriers. Le gouverneur comprit alors que la valeur seule n'etait pas suffisante pour vaincre les Iroquois, mais qu'il fallait y joindre la prudence et 1'experience. Aux yeux d'un homme accoutume' & la discipline europe'ennp, rien ne parais- sait au premier abord plus meprisable que ces gueniers iroquois a demi vetus, combattant sans ensemble et sans ordre apparent ; ne'anmoins dans la foret, ou au milieu des joncs de leurs lacs et de leurs rivieres, il se montraieut tres-redoutables, et dans maintes occasions ils firent e'prouver de douloureux echecs aux Francais, avant que ceux-ci eussent appris a se defter des ruses et a respecter la bravoure d'un ennemi aussi adroit que cou- rageux. On concevait des inquietudes pour le temps de la moisson ; car, si les Iroquois s'etaient alors repandus dans le pays, le colon aurait eu a choisir entre deux tristres alternatives : il lui aurait fallu ou s'exposer a tomber entre leur mains, on courir le danger de perir par la famine. Une circonstance heureuse fournit les moyens de les obliger a garder une treve force'e. Au commencement du mois d'aout, quinze goyogouins pa- rurent aux environs de Montreal. Yoyant les habitants sur leurs gardes, quatre d'entre eux s'approcherent pour parle- menter. Sur leur demande, on permit & ces ambassadeurs improvises de se rendre a Quebec, ou ils soumirent a Ononthio des propositions insidieuses : par Tune d'elles, ils promettaient de demeurer neutres, a condition qu'on enverrait une robe noire demeurer dans leur pays. M. d'Argenson reconnut faci- lement qu'ils etaient des espions ; car ils n'avaient aucune des marques ordinaires des ambassadeurs sauvages. Aussi il crut devoir profiter de leur effronterie pour assurer la paix pendant le temps de la re'colte, et pour delivrer les francais teuus captifs dans les cantons. Afin de parvenir t\ son but, il ordonna d'arreter les goyogouins qui etaient reste's pres de Montreal, et d'en renvoyer deux ou trois avec instruction de declarer aux anciens de leur canton qu'Ononthio voulait revoir ses enfants qu'ils gardaient prisonniers dans leur pays. Ces ordres ayant etc* fidelement execute's, on entama des negotiations ; et, pendant ce temps, les re'coltes se firent dans une parfaite se'curite'. L'e'veque de Petre'e piofita de ce re'pit pour visiter les Trois- Kivieres et Montreal ; il etait accompagn^ dans ce voyage par M. de Charny (1). II trouva a Montreal trois cents outaouais (1) Journal des Jesuites. Au mois d'octobre suivant, M. de Charny _ fat fait grand vicaire, et M. tie Bernifcres, qui avait 6t6 ordonn6 prfitre au mois de mars d la meme anii6e, fut noinm6 cut! de Quebec. MM. Torcapel et Pelerin repaas^reut en France. 464 COUKS D'HISTOIEE [1660 descendus sur soixante canots, et apportant des pelleteries pour une valeur de deux cent mille francs. Avec eux etait Chouart des Groselliers qui, pendant 1'hiver, avait explore" le pays autour du lac Superieur, et visite quelques villages des Assiniboines et des gens de la nation du Bceuf on Nadoues- sioux sedentaires. Les Je*suites voulurent profiter d'une si belle occasion pour eVangeliser la nation outaouaise, la plus rude et la plus gros- siere de toutes celles qui habitaient dans la valise du Saint- Laurent. Le P. Mesnard, ancien missionnaire, partit avec les Outaouais, lors de leur retour ; il etait accompagne d'un des plus fideles employes des Je'suites, de Jean Guerin, qui depuis longtemps servait dans les missions du pays. Gueriu etait un homine vigoureux, accoutume aux voyages pe"nibles et parlaut plusieurs laugues sauvages. Malgre la rnauvaise volonte des Outaouais et leurs procede's brutaux, il conduisitle P. Mesnard jusques dans leur pays, et mit en ceuvre pour le seeourir tous les moyens dout il pouvait disposer. Depuis plusieurs annees, 1'accroissement de la colonie etait paralyse par les hostilites contumelies des Iroquois. Ces guerres arretaient un grand nombre de francais, qui auraient de'sm$ ameliorer leur sort, en emigrant au nouveau monde ; elles etaient cause que des colons abandonnaient le pays, ou ils ne pouvaient jouir des avantages de la paix, et chaque annee elles rnoissonnaient une partie des homines les plus vigoureux et les plus utiles. Se prolongeant quasi sans inter- ruption depuis pres d'un demi-siecle, elles avaient produit des pertes materielles fort graves, et avaient retarde I'e'tablisse- rnent d'une colo nie, qni offrait d'immenses ressources a 1'agri- culture et au commerce. A ce sujet, les missionnaires i^crivaient comme suit en 1660. " II faut avouer qu'avec cela la face de nos colonies francaises serait aimable, si la terreur des Iroquois n'fii rendait point le sejour dangereux : la terre est d'un heureux rapport, et, pourvu que le laboureur qui la cultive y travailte avec soin, en peu d'anndes il se verra, non-seulement hors de necessity, nut is a son aise, lui, sa feinme et ses enfants. Nous en voyons plu- sieurs qui, ay ant eu une concession qui ne coute ici qn'a de- niander, en moins de cinq ou six annees recueillent du bl abondamment pour se nourrir avec toute leur famille, etracme pour en vendre. Ils ont toutes les commodity d'une basse- cour ; ils se voient en peu de temps riches en bestiaux, pour mener une vie exempte d'amertume et pleine de joie." 1661] DU CANADA. 465 " En pen d'annees les families se multiplient, car, Tair de ce pays etant tres-sain, on voit peu d'enfants mourir dans le berceau. Quoique 1'hiver soit long, et que les neiges couvrent la teiTe cinq niois entiers, 2i trois, quatre et cinq pieds de pro^ fondeur, toutefois les froids y paraissent souvent plus tolera- bles qu'en France, soit a cause que les hivers ne sont pas ici pluvieux, soit a cause qu'on a le bois a sa porte. . . . Souvent Ton a devant sa porte la peche en abondance, principalement de 1'anguille, qui est en ce pays tres-excellente, n'et.mt pas bourbeuse comme est celle de France. . . . Dans les mois de septembre et d'octobre, cette pe'che d'anguilles est si heureuse, que tel en preudra quarante, ciuquanto, soixante, septante rnilliers. Et le bon est qu'on a trouve le moyen de la saler commodement et par ce moyen la conserver en sa bonte*. . . . Durant 1'hiver, on court les orignaux sur les neiges, et tel de nos Francais en a tud pour sa part trente ct quarante, dont la viande se conserve aisement par la gelee et sert de provision pendant 1'hiver ; les peaux sont encore plus precieuses. Cette chasse paraissait autrefois comme impossible a nos Francais, et maintenaut elle leur sert de recreation. Us se sont aussi formes a la chasse du castor, qui fait une des grandes richesses de ce pays (1)." Tous les amis du Canada comprenaient que le temps dtait venu ou il fallait arreter les Iroquois et leur inspirer du respect pour le nom francais, si on ne voulait voir perir la colonie. Les prisonniers echappes aux feux de 1'ennemi rapportaient que toute la nation iroquoise, ou comme ils s'exprimaieut, la cabane entiere, s'etait liguee afm d'exterminer les etrangers. Pour resister h, cette attaque formidable, et porter la guerre dans le pays ennenii, de grands secours e'taient necessaires. Le P. Le Jeune, charge de les demander & la cour, presenta au roi une humble requete, dans laquelle, apres avoir expose 1'^tat de la Nouvelle-France, il le priait de vouloir bieu y envoyer des trou- pes pour prote"ger les colons et humilier la nation iroquoise (2)^ La cour donna des esperances ; on promit d'envoyerdes troupes et de s'occuper du Canada ; mais, au milieu des f^tes cc'ld- brees a la naissance d'un dauphin, Louis XIV qui venait d'or- donner a ses ministres, de s'adresser dorenavant h lui pour les affaires, ii'avait gueres le temps de songer a une obscure et lointaiue colonie, habitee par quelques ceutaines de francais. (1) Relation dro* Voyant que tous ses efforts pour resister au torrent du mal <5taient inutiles, Mgr de Laval se de"cida a porter lui-meme ses plaintes au pied du trone ; il desirait proposer en me me temps quelques inesures avantageuses a la colonie, et surtout (1) Leitres JIU 1662] DU CANADA. demander 1'erection de l'vech de Quebec, pour raffermir I'autorite e^iscopale. II s'embarqua le douze d'aout, laissant les esprits des bons citoyens partag^s entre l'esprance et la crainte. " S'il ne reussit pas dans son dessein, " e"crivait encore la Mere de 1'Incarnation, " je crois qu'il ne reviendra pas, ce qui serait une perte irreparable pour cette nouvelle eglise et pour tous les pauvres francais." II avait t4 prce"d par le secretaire du gouverneur, M. Pe"ronne de Maze", qui allait a Paris pour defendre la cause de son sup^rieur. M. Boucher, envoye en France 1'annee prec^dente, avait fait comprendre a la cour 1'iniportance que pouvait un jour pren- dre le Canada, les germes de prosperity qu'il renfermait, et 1'urgente n4cessit4 de lui envoyer des secours, si on ne voulait le laisser pe"rir. Le roi promit d'expdier, 1'annee sui- vante, un regiment destine a attaquer les Iroquois dans leur propre pays ; pour marque de sa bonne volont<$, il fit passer, dans deux de ses vaisseaux, cent soldats commandos par le sieur Dumont, qui tait eharg6 en meme temps de dresser un rapport sur 1'etat du pays. Plus de deux, cents nouveaux co- lons e'taient venus sur ees batiments, a la suite de M. Boucher qui etait bien propre a les diriger dans leurs projets d'etablis- sement. Le passage dura quatre mois ; aussi, tous eurent a souffrir considerablemeiit car les capitaines n'avaient pris de provisions que pour deux mois ; quarante personnes moururent de fatigues et de miseres avant la fin du voyage. Les vaisseaux s'etant arretes a Tadoussac, il fallut, avec de grands embarras, transporter a Quebec les soldats, les colons et tout le bagage sur des barques et des chaloupes (1). M. Dumont avait, en passant a Terreneuve, pris possession du port de Plaisance, au nom de la France ; c'^tait un poste d'une grande importance pour la protection des pecheries qui se faisaient dans le golfe de Saint-Laurent et sur le grand bane de Terreneuve. II y laissa un ecclesiastique et trente soldats charges d'eloigner les Hollandais et les Anglais, qui desiraient s'en ernparer. Afin de connattre par lui-meTne les ressources du Canada, il visita les environs de Quebec, et remonta jus- qu'aux Trois-Eivieres accompagmS de M. Boucher, qu'il installa comme gouverneur du lieu. Lorsque, le mme automne, il partit pour retourner en France, il s'etait form4 du pays une idee fort avantageuse ; aussi son rapport servit a confirmer 1'exactitude des details (1) Lettres Ifistoriqueg de la If 6re de 1'Incarnation ; Relation de 1662 : Juurnal de* Jetitites, 32 484 COURS D'HISTOIRB [1663 donnas & la cour par le gouverneur de la colonle et par M, Boucher. Cependant, au milieu des esperances que suscitala visite du commissaire du roi, de vagues inquietudes- se glissaient dans les esprits : 1'eloignement du premier pasteur, le sujet de son absence, les progres du mal cause aux aborigenes, par la vente des boissons enivrantes, e'taient bien propres a attrister les bons chretiens et a leur faire craindre les chatiments de Dieu. " Le mepris de I'excommunication continuant," ditune chroni- que du temps, " on la renouvela, et, s'en etant suivi pen d'a- mendement, Dieu parut vouloir punir ses injures (1)." La main de Dieu se montra en effet si visiblement dans les pheno- menes qui se suece'derent pendant septmois, qu'il etait impos- sible de la meconnaitre. " Le ciel et la terre nous ont parle bien des fois depuis un an," ecrivait le P. Je'rome Lalemant dans 1'automne de 1662. ... " Le ciel a commence par de beaux phe"- nomenes ; la terre a suivi par de furieux soulevements . . . Nous avons vu, des 1'automne dernier, des serpents embrase's, qui s'enlacaient les uns. dans les autres en forme de caducee, et volaient par le milieu des airs, portes sur des ailes de feu ; nous avons vu sur Quebec un grand globe de flammes, qui faisait un assez beau jour pendant la unit, si les etiucelles qu'il dardait detoutes parts n'eussentmele de frayeur le plaisir qu'on prenait a le voir. Ce merne meteore a paru sur Mont- re'al mais il semblait sortir du sein de la lune, avec un bruit qui etait celui des canons ou des trompftttes, et, s'etant promene' trois lieues en 1'air, fut se perdre enfin derriere la grosse mon- tagne doirt cette ile porte le nom." Des meteores ignes, aiusi que les mouvements rapides et brillants des aurores boreales, avaient souvent ete remarques au Canada, mais ils semblerent se relier si naturellement avec les convulsions de la terre qui suivirent peu apres, qu'on les regarda comme des avertisse- ments du ciel. Les autorites les plus respectables (2) de 1'dpoque rapportent que des avis mysterieux de ce qui allait arriver furent communiques a quelques personnes. U^e femme algonquine &g^e, de vingt-six ans, bonne, simple et sincere, fit devant deux Peres Jesuites une deposition con- firme'e par son mari, son pere et sa mere, tons trois temoins de ce qui s'e'tait pass4. Voici ce qu'elle rapportait. (1) Journal deg Jexuites. (2) lii'lutiun de 166:); Lettres Hittoriquet de la M. de I'lncaruation ; Histoire de I'Hvtei-Dieu de Qttibec. 1663] DU CANADA. 485 " La nuit du quatre au cinq fdvrier, e*tant entierement ^veillee et en plein jugement, .... j'ai entendu une voix dis- tincte qui m'a dit: II doit arriver aujourd'hui des choses Granges ; la terre doit trembler. Je me trouvai pour lors saisie d'une grande frayeur, parce que je ne voyais personne Hemplie de crainte, je tachai de m'eiidormir avec assez de peine ; et, le jour etant venu, je dis tout bas a Joseph Onnon- takite 1 , mon mari, ce qui m'etait arriv^ ; mais m'ayant rebutee, disant que je mentais et lui en voulais faire accroire, je ne parlai pas da vantage. Stir les neuf ou dix heures du meme jour, allant au bois pour bucher, a peine etais-je entree dans la foret, que la meme voix se fit entendre, disant la meme chose, et de la meme facon que la nuit precedente. Ma peur fut bien plus grande, parce que j'etais toute seule ; je regardai aussi de tous cotes pour voir si je n'apercevrais personne, mais rien ne parut .... M'en retournant, je reucontrai ma soeur a la- quelle je racontai ce qui me venait d'arriver. Elle prit en inme temps les devants, et, rentraut dans la cabane avec moi, elle redit a mon pere et a ma mere ce qui m'etait arrive" ; mais, comme tout cela etait fort extraordinaire, ils 1'ecouterent sans aueime reflexion. La chose en demeura k\, jusques a cinq ou six heures du soir du meme jour, ou, un treinblement de terre survenant, ils reconnurent par experience que ce qu'ils m'a- vaient entendu dire avant midi n'etait que trop vrai." C'etait le lundi gras^cinquieme jour de fevrier 1663 ; la journee avait e'te belle et sereine. Bieu des gens avaient com- mence a celebrer le carnaval par les amusements et les exces ordinaires; de leur cote*, les personnes pieuses assistaient aux offices qu'on faisait dans 1'eglise des Je'suites en 1'honneur des martyrs du Japon, et demandaient a Dieu d'eloigner les fltkux dont la colonie semblait menaced. Pour les memes fins, des prieres particulieres s'etaieut faites dans les communaut^s religieuses. Suivant THistoire de 1'Hotel-Dieu, a la suite de 1'exposition du Saint Sacrement dans la chapelle des hospi- talieres, la Mere Catherine de Saint-Augustin ; personne jouis- sant d'une grande reputation de piete", cut une vision qui lui annoncait que la main de Dieu allait s'appesantir sur la colonie. " Elle vit, " rapporte 1'annaliste, " quatre demons furieux, aux quatre cote's des terres voisines de Quebec, qui les secouaient si rudement, qu'ils se proposaient de reuverser toute la colonie. En meme temps, elle apercut uu jeune homma d'un air majestueux. qui montra I'autorite' qu'il avait sur ceg spectres, en ce qu'il les arreta un peu de temps, puia 486 COURS D'HISTOIRE [1663 il leur l&cha la bride, et elle entendit les demons qui disaient que ce qui allait arrivait convertirait tous les pecheurs, mais que ce ne serait que pour uii temps, et qu'ils avaient bien des moyens pour les ramener dans le chernin du vice." Cette vision est rapportee dans des termes presque identique par le P. Lalemant, dans la Relation de 1663, et par la Mere de 1' In- carnation. Deja la Mere Catherine de Saint- Augustin avait fait connattre a plusieurs reprises les pressentiments qu'elle avait au sujet des chatiments de Dieu sur la Nouvelle-France. Elle priait encore, lorsque, vers cinq heures et demie du soir, on sentit dans toute 1'etendue du Canada un fre'missement de la terre, suivi d'un bruit ressemblant a celui que feraient des milliers de carrosses, lourdement charges et roulant avec vitesse sur des paves. Bientot cent autres bruits se melerent a ces deux premiers : tantot Ton entendait le petillement du feu dans les greniers, tantot le roulement du tonnerre, ou le mugisse- ment des vagues se brisant contre le rivage ; quelques fois on aurait dit une grele de pierres tombant sur les toits ; le sol se soulevait et s'affaissait d'une maniere effrayante ; les portes s'ouvraient et se fermaient avec bruit ; les cloches des eglises et les timbres des horloges sonnaient ; les maisons etaient agitees, comme des arbres lorsque le vent souffle violem- ment ; les meubles se renversaient, les cheinine'es tombaient les murs se lezardaient ; les glaces du fleuve, epaisses de trois ou quatre pieds, Etaient soulevees t et brise'es cornme dans une soudaine et violente debacle. Les anirnaux domestiques te*inoignaient leurs craintes par des cris, des beuglements, des hurlements ; les poissons eux-memes Etaient effrayes, et, au milieu de tous les sons discordants, Ton entendit les rauques soufflements des marsouins aux Trois-Rivieres, ou jamais on n'en avait vu auparavant. L'agitation e"tait irreguliere : un moment, on sentait sous ses pieds des mouvements saccade's et fort rudes ; puis ce n'etait plus qu'un balancement, comme celui qu'on eprouve sur un gros vaisseau herce* par les vagues ; plusieurs ressentirent des soulivements de cosur semblables a ceux que cause le mal de mer. La premiere secousse dura pres d'une demi-heure ; ce- pendant sa plus grande force ne se deploya que pendant uii petit quart d'heure, ou, selon le Journal des Jdsuites, 1'espace de deux miserere. M. d'Avaugour lui donne une dure"e uu peu moindre. " Nous avons eu," ^crivait-il, " un tremblement de terre qui a dure pres d'un demi-quart d'heure, assez fort pour nous favoriser k un bon acte de contrition." II ajoutait: 1663] DU CANADA. 487 " Comme ces choses non communes rangent parfaitement les Chretiens a leur devoir, il est a croire que dans le cceur des autres, elles portent puissamment la terreur et la crainte, par- ticulierement parmi cette canaille d'Ame'ricaius, habitues de sacrifier au demon pour savoir 1'avenir." En effet la terreur fut generale parrni les Chretiens, comme parmi les payens. Chez les Francais, les uns croyaient a un incendie, d'autres saisissaient leurs armes, persuades que les Iroquois amvaient pour les attaquer. Plusieurs se prosternaient a terre, et implo- raient la misericorde de Dieu ; quelques-uns couraient aux eglises afin de se confesser, et c'e"taient surtout ceux qui avaient deja commence" a ce'le'brer le carnaval. Les Montagnais et les Algonquins chre'tiens croyaient que les demons avaient ete laches sur la terre, pour les punir de leur ivrognerie. Des sauvages payens s'imaginerent que les ames de leurs ancetres s'agitaient pour rentrer en possession de leurs anciennes terres de chasse ; dans cette pense'e, ils firent plusieurs de*- charges de mousqueterie, afin de les eloigner et de les forcer a retourner au pays des ames. La premiere secousse fut le prelude de plusieurs autres : pendant la nuit suivante, une personne en compta trente-deux, dont six seulement furent bien sensibles. Le foyer des feux souterrains qui produisirent ce grand e"branlement parait avoir ete sous la chatne des monts Laurentins, depuis le Labrador jusqu'a 1'Outaouais ; de la, le mouvement s'e'tendit jusque dans la Gaspe'sie, la Nouvelle-Angleterre, la Nouvelle-Hollande et 1'Acadie, mais en diminuant d'intensite a mesure qu'il s'eloi- gnait du point de depart (1). D'apres les renseignements les plus authentiques, on put constater qu'une superficie de plus de quarante mille lieues fut, a la meme heure, plus ou moins agite'e. Ce premier tremblement de terre fut suivi d'une suite d'ebranlements semblables, qui continuerent jusque vers le vingt d'aout, c'est-a-dire, pendant six mois et demi. " II est vrai," dit le P. Lalemant, " que les secousses n'e'taient pas toujours egalement rudes. En certains endroits, comme dans (1) Twenty-sixth January, 1663, at the shutting in of the evening, a great earth- quake in New England ; and another in the night ; and again, on the 28th of the same month, another about nine in the morning. New England's Memorial, by Thomas Morton. Le vingt-six Janvier de la Nouvelle-Angleterre repondait au cinq fevrier de la Nouvelle-France. Les Anglais tenaient encore au vieux style, tandia quo les Fran^ais, avec 1'Eglise catholique, avaient adopte le calendrier grejrorien an- jourd'hui suivi chez tout^s les nations civilisfees, except6 dans la Russie et la Grece. Morton remarque que les plus forts tremblements de terre dans l'Am6rique Septvu- trionale ont eu lieu en 1638, 1C58, 1063, 1727, 1755. Dans tous les cas, le mouveuieut se dirigeait du nord-ouest au uud-est. 488 COTJRS D'HISTOIRE [1663 les montagnes qne" nous avons k dos, le tintamarre et le tre- moussement y out etc" perpetuels pendant un long temps ; en d'autres endroits, comme a Tadoussac, il y tremblait d'ordi- naire deux et trois fois le jour avee de grands efforts, et nous- avons lemarque qu'aux lieux plus eleves 1'emotion etait moin- dre qu'au plat pays (I)/' La presence de feux souterrains se manifesta de diversea manieres et dans des lieux tres-eloigne's les uns des autres, Aux environs des Trois-Bivieres, 1'atmosphere devenait par fois fort lourde; quoiqu'on fut au milieu de 1'hiver, des bourlees d'une chaleur etouffante se succe'derent pendant t orate la nuit du cinq au six fevrier. L'on vit de grosses fumees et des jets de boue et de sable s'elancer au-dessus des eaux du fleuve, vis-a-vis de Quebec. A Tadoussae, il tomba des cendres, qui eouvrirent le sol a une epaisseur de plus d'un pouce. Pendant plusieurs mois, Ton apercut dans les airs un grand nombre de meteores ignes, sous la forme de lances, de boules, de serpents. Les habitants de la cote de Beaupre' remarquerent un globe e'tincelant s'etendant au-dessus de leurs champs, comme une grande ville devoree par 1'incendie ; leur terreur fut extreme, car ils crurent qu'il allait tout embraser. Le meteore traversa cependant le fleuve sans causer de mal, et alia se perdre au- dela de 1'ile d'Orleans. Pendant I'e'te', les exhalaisons brulantes- qui sortaient du sein de la terre produisirent une si grande sdcheresse, que les herbes et les bles jaunirent, comme s'ils eussent etc" arrives a leur maturite. Des ebranlements si longs et si violents, dans Tintdrieur de la terre, durent necessairement amener bien des bouleversements a la surface. Des sauvages et des francais rapporterent que dans le Saint-Maurice, a cinq ou six lieues des Trois-Rivieres, des coteaux fort escarp^s furent aplanis, ayant etc* enleves de dessus leurs bases et, pour ainsi dire de'racines jusqu'au niveau de 1'eau. Ainsi renverses dans la riviere avec des massifs d'arbres, ils forme rentune puissante digue ; les eanx arr^- tees s'eleverent, se i-dpandirent sur les rivages, minerent les terres dbouldes et les entrainerent en si grande abondance vurs le Saint-Laurent, que sa couleur en fut eutierement changt^e pendant plus de trois mois. Le sol leger et sablonneux da pays qui avoisine le Saint-Maurice et le Bastiscan cedant facilenient a 1'action des eaux, du dt^gel et des secousses, bien des chan- (1) Relation de 16C3. La in 6me observation a 616 faite & 1'occasiou dn trembleinent de terre du dix-sept octubre 1360. DU CANADA 489 geraents s'opererent sur leurs rivages. De nouveaux lacs se formerent, des coteaux s'affaisserent, des sauts furent aplanis, de petites rivieres disparurent, de graudes forets furent ren- verse"es. Depuis le cap Tourmente jusqu'a Tadoussac, la physionomie de la cote fut graveinent modifie'e dans plusieurs locality's. Pres de la baie Saint-Paul, une colliue isolee, ayant environ un quart de lieue de tour, descendit sous les eaux et en res- sortit pour former un ilot ; vers la pointe anx Alouettes, un grand bois se detacha de la terre ferine, glissa sur les rochers j usque dans le fleuve, ou, pendant quelque temps, les arbres resterent droits, elevant leurs cimes verdoyantes au-dessus des eaux (1 ; . Les secousses du tremblement de terre se firent sentir sur le fleuve plusieurs fois durant 1'eteVAu mois de juin, la cha- loupe du sieur de Lespinay remontait a Quebec, poriant le secretaire du gouverneur, M. Mize, qui s'e'tait embarque" a Gaspe*. Lorsqu'elle approchait de Tadoussac, elle commenca tout d'un coup a trembler et a s'agiter d'une maniere Strange, le flot la soulevaut fort haut et la laissant retomber a des inter- valles irreguliers. Comme aucun des passagers n'avait jamais rien eprouve de semblable, tons resterent surpris et effrayes. Au milieu de leur etonnement, ils tournereut les yeux vers la terre, et virent une montagne s'ebranler, tournoyer, et s'aby- mer, de sorte que le souimet se trouvait au niveau du sol environnant. Dans leur frayeur, ils se haterent de gagner le large, craignant que quelques debris ne f assent lances jusques sur leur chaloupe. Un grand navire, suivant la meme route pen de temps apres, fut fortement ebranl^ ; saisis de terreur, les matelots et les passagers se jeterent a genoux pour se pre- parer a la mort. Ils voyaient les eaux du fleuve agite'es, tour- mente"es dans toutes les directions, et ils ue pouvaient s'expli- quer un mouvement qu'ils n'avaient jamais remarque" aupara- vant. Ce qui etonna grandement, c'est qu'au milieu de tous les bouleversements, par une protection particuliere de Dieu, per- sonne ne fut blesse, aucune maison ne fut renvers^e. Toute- fois 1'effet moral n'en fut pas moins grand sur les consciences meme les plus endurcies. " Quand Dieu parle," dit la Relation de 1663, " il se fait bien entendre, surtout quand il parle par la (1) Tons les details donn6* sur le tremblement de torre de 1'anneo 1663 sont da 4 des Wmoiiis oculaires,par-ni lesquel se trouveiit le P. Laleiaant, la M. de 1'incar- nation, 1'aonaliHte de l'H6tel-L)ieii, Joaselyn, eto. 490 COURS D'HISTOIR [1663 voix des tonnerres on des tremble-terre, qni n'ont pas moms ebranle les coeurs endurcis que nos plus gros rochers, et ont fait de plus grands remuements dans les consciences que dans nos forets et sur nos inontagnes." La pensee que la fin du monde arrivait s'e'tait emparee des esprits : aussi, se croyant aux portes de I'eternite, chacun se pre"parait au jugement der- nier. Le mardi gras et le mercredi des cendres ressemblaient au jour de Paques, par le grand nombre de personnes qui s'ap- procherent de la sainte table. Tout le temps du careme con- tinua de presenter le spectacle le plus e"difiant : les ennemis se reconciliaient, des restitutions se faisaient, on se livrait de toutes parts a des ceuvres de penitence et de charite". II n'est pas surprenant qu'au milieu de la frayeur ge'ne'rale, bien des personnes aient cru voir des prodiges dans des choses fort ordinaires, que leur imagination defigurait. C'etaient tantot des spectres epouvantables, tantot un feu, ayant la figure d'un homme qui vomissait des flammes ; Ton entendait dans les airs des clameurs, des hurlements, des plaintes, des menaces. Les profondes solitudes de la Nouvelle-France, ses vastes et sombres forets, les legendes mysterieuses des tribus sauvages e"taient bien propres a inspirer aux colons fraucais un pen- chant au merveilleux, penchant que durent alors augmenter les effrayantes convulsions de la nature. Des circonstaiices semblables avaient produit les memes eifets sur les habitants de la Nouvelle-Angleterre. C'est la remarque que fait 1'historien Hutchinson : " Je pourrais," dit-il, " d'apres les manuscrits et les documents imprimis, recueillir, dans les diffe'rentes parties du pays et a diverses ^poques, autant de prodiges qu'il en faudrait pour remplir un petit volume." Laissant de cote" les quelques exagerations que la cre^ulit^ populaire a pu ajouter ^ la ve'rite' des faits, il reste une masse suimsante de temoignages respectables pour nous prouver que le tremblement de terre, arriv^ en 1663, fut remarquable par son intensity, par sa longue dure'e, par les circonstances ex- traordinaires qui le prec^derent et I'accompagnerent. Dana "des vues providentielles, Dieu voulut que ce bouleversement de 1'ordre physique, servit a r^tablir 1'ordre moral, gravement compromis dans le Canada par les exces des deux derniejcea annees. 1663] DU CANADA. 491 CHAPITEE QUATOKZlfiME. Conrses des Troqnois Prisonnier fran$ais delivre par des algonqnins Cinq fran$ai arrivent de 1'ouest avec cent cinquante outaouais Missions et mort du P. Mes- nard Jean Guerin Mort du sieur d'Aulnay La Tonr est nomm gouverneur de 1'Acadie Emmanuel Le Borgne, creaucier de D'Anlnay, vent s'emparer de sa suc- cession II attaque Nicolas Denys Le major Robert Sedgwick s'emparedespostes- fran9ais dans 1'Acadie Trait6 de "Westminster Cromwell accorde 1'Acadie it Charles de La Tour et aux sieurs Thomas Temple et Crowne Mort de La Tonr Propositions de M. d'Avaugour pour 1'extensionet I'afierniissement de la domina- tion fniiR-uisi' dans 1'Amerique du Nord Rappel de M. d'Avaugonr Sa Hiort Arrivee de M. de Mesy, de Mgr de Laval, et de M. Dupont-Gaudais, commissaire dn roi La Compagnie des Cent-Associes remet an roi la Nouvelle-France Nou- velles institutions Temps h6ro!ques Beaux exemples donnes par des lalques. Les Iroquois, occupes par les guerres lointaines qu'ils avaient entreprises, craignant peut-etre de fouler une terre qui s'agi- tait encore sous les pieds, laisserent les colons francais de Quebec et des Trois-Bivieres cultiver en paix leurs champs. Montreal fut seul trouble par deux ou trois petites bandes des ennemis. Quelques hurons, canape's aupres du fort, furent mas- sacres par sept agniers, qu'ils avaient recus dans leur cabane. La veUle de la Pentecote, quarante guerriers, tant agniers qu'onneyouts, saisirent, aux portes de Montreal, deux franqais occupe's dans leurs champs. L'un des deux prisonniers fut donne aux onneyouts ; 1'autre fut gard^ par les agniers, qui prirent le chemin de leur pays, ou ils voulaient bruler leur captif. Celui-ci e'tait un honnete homme, plein d'une confiance filiale dans la sainte Vierge, et fermement persuad^ qu'elle le protdgerait contre ses bourreaux, quoiqu'il y eut pour lui peu d'apparence de salut. Cependant les algonquins de Sillery avaient entrepris de faire la petite guerre. Quarante hommes e"taient partis, de'cide's a s'avancer Men loin vers les terres des Iroquois ; arrives au lac Champlain, ils s'arreterent et se plac^rent en embus- cade. A peine e*taient-ils a couvert, qu'ils aperqurent les agniers revenant de Montreal avec leur prisonnier. Les algonquins les suivent des yeux, et remarquent attentivement la situation de leur campement. A la nuit close, les guerriers 492 COUKS D'HISTOIKE [1662 chre'tiens font leurs approches dans un profond silence ; ils entourent le camp ennemi, et se tiennent prets a 1'attaquer vers la pointe du jour. Garistarsia, nomine" Le Fer par les Francais, etait le chef du parti iroquois ; homme vigilant et renomme pour ses exploits, il s'e veilla an leger bruit que fit un des algon- quins en marchant : aussitot il donna 1'alarme & ses compa- gnons, qui, dans un instant, eurent les armes a la main et furent prets a combattre. S'etant apercus de ce mouvernent, les algonquins, apres avoir decharge' leurs fusils et saisi leurs baches, se precipiterent sur les agniers. Dans 1'obscurite', ils frappaient a droite et a gauche, sans trop savoir sur qui portaient leurs coups. Gahronho, chef des algonquins, re- conn ut le capitaine iroquois ; il le suivit pas a pas, le rejoignit, et, le prenant par sa longue chevelure, voulut le forcer de se rendre. La hache de Garistarsia se leva k 1'instant pour repoudre & cette sommation ; mais son adversaire le pr^vint, et, d'un coup vigoureusement assdne, le renversa monrant. En voyant tomber leur chef, les iroquois furent saisis d'dpou- vante, et s'enfuirent dans toutes les directions. Lid au sol par les pieds et les mains, le prisonnier francais etait reste* temoin silencieux, pendant la duree de la lutte. Mais, voyant un al- gonquin s'avancer pour I'assominer, il cria qu'il etait francais ; il fut aussitot reconnu, ses liens furent brise's, et les vainqueurs le ramenerent a Montreal. Les hostilites des Iroquois n'empechaient point les Francais de s'avancer peu a peu vers 1'interieur du continent. Neuf voyageurs dtaient partis, en 1060, avec une bande d'outaouais, pour pdnetrer dans les pays de 1'ouest et y faire des decou- vertes. Sept d'entre eux arriverent a Montreal, le vingt-cinq juillet 1663, conduisant trente-cinq canots outaouais ; deux de leurs compagnons e'taient morts pres des grands lacs : c'etaient le P. Mesnard et son fidele assistant, Jean Guerin. Malgrd les protestations d'amitie' que les Outaouais avaient faites au P. Mesnard avant le depart de Montreal, ces hommes, reputes les plus grossiers d'entre tous les sauvages, 1'avaient traitd fort mal, 1'obligeant, malgrd son age avancd, & porter de lourds fardeaux dans les portages et a ramer pendant tout le voyage. Par suite de leur impre'voyance, les vivres avaient manque*, et la disette s'dtait fait si cruellement sentir, que le vieux missionnaire etait extdnud lorsque le convoi arriva a 1'entrde du lac Superieur. Le canot qui le portait se brisa en cet endroit, et le P. Mesnard fut impitoyablement abandonnd avec trois sauvages sur les rochers du rivages. Sans vivres 1663] DU CANADA. 493 et sans moyens de continuer leur voyage, ils demeurerent 1& pendant six jours, souffrant toutes les horreurs de la faiuu Pour s'empecher de mourir, ils pilaient des os qui etaient restes autour d'une cabane abandonnee, et ils en faisaient une espece de potage, aussi degoutant au palais qu'a 1'odorat. Les chefs outaouais eurent enfin I'humanite' de les venir chercher, et de les transporter dans le lieu ou la bande devait hiverner, C'etait uue baie, a laquelle le Pere donna le nom de Sainte- Therese ; la il eut le bonheur de retrouver ses compagnons- francais, dont il avait e'te' se'pare' pendant tout le voyage. Le bon Jean Guerin se de" voua de tout cceur a son service ;, encore eurent-ils ensemble beau coup a souffrir, car ils passe- rent 1'hiver dans une miserable hutte, formee de branches de sapin. Un petit poisson, cuit a 1'eau claire et partage entre quatre ou cinq personnes, 4tait pour eux un regal ; les repas. ordinaires con-sistaient en une espece de mousse, nominee tripe-de-roche, qu'ils faisaient bouillir avec des aretes de pois- son, des os broyes, des ecorces de chene, de bouleau, de tilleul. Pendant 1'ete qui suivit, ils se trouverent uu pen rnieux > graces a la chasse et aux fruits sauvages. Voyant que la grossierete et le libertinage des Outaouais les- rendaient indifierents aux ve'rite's de la religion chretienne, le P. Mesnard se decida a entreprendre un voyage de plus de cent lieues, pour rejoindre une portion de la nation huronne qui se trouvait alors sur les terres des Nadouessioux, vers les sources de la riviere Sainte-Croix. Selon Nicolas Perrot, le pays des. Nadouessioux, ou Sioux, s'etendait jusqu'a une petite distance du lac Supe*rieur ; il embrassait, a Test du Mississipi, un terri- toire qui forme aujourd'hui une grande parti du Wisconsin et de 1'Iowa. Apres avoir fui devant les Iroquois jusques sur les. bords du Mississipi, en compagnie d'une bande d'outaouais^ ces hurons s'etaient enfin arret^s dans- le pays, et, 1'ayant trouve parseme de lacs et de marecages, ils s'y crurent & 1'abri des attaques de leurs anciens ennemis. Parmi eux e'taient des chr^tiens, que le P. Mesnard desirait secourir, et, au mois de juin 1661, il partit pour les chercher, avec un jeuue armurier et plusieurs hurons. Ceux-ci, apres quelques semaines de marche, donnerent les deux francais, sous le pre'texte d'obtenir du secours au village. Campds pres d'un lac, le Pere et son compagnon attendirent inutilement leur retour pendant quiuze jours; se voyant alors completement d<5pourvus dei vivres, ils raccommoderent un petit canot qui avait e'te' laisse* dans les broussailles, y jeterent leurs paquets et s'embarquerent 494 COURS D'HISTOIRE [1663 pour continuer leur voyage. Un jour, vers la mi-aout, le P. Mesnard etait descendu a terre, pendant que son compagnon conduisait le canot a travers un rapide dangereux. Arrive" a 1'autre bout de ce passage difficile, celui-ci attendit pendant long- temps le vieux missionnaire ; apres 1'avoir cherch^ et appele", il fit plusieurs decharges de son fusil. Tout ayant e"te* inutile, il se nata de pousser vers le village huron, ou il aborda deux jours apres, et d'ou il expedia un jeune sauvage, pour suivre les traces du P. Mesnard. L'envoy^ revint au bout de quel- ques heures, pre*tendant avoir et^ effray^ par la rencontre des ennemis. Le P. Mesnard s'e"tait e"gare. II a pu mourir de faim et de fatigue, ou etre tu4 par quelqu'uu de ces barbares. De fait, quelque temps apres, on decouvrit un saki, portant des objets qui avaient appartenu au missionnaire, et plusieurs annees apres, selon N. Perrot, on trouva chez les Sioux son breViaire et sa soutane, qu'ils exposaient dans' les festins et auxquels ils vouaient leurs mets. Jean Guerin, le fidele compagnon du P. Mesnard, avait e"te laiss^ chez les Outaouais ; il y demeura, remplissant une partie des fonctions d'un missionnaire, instiuisant, exhortant, bapti- sant et preparant les voies pour 1'e'tablissement de missions regulieres. L'anne'e suivante, il fut tut$ par la decharge acciden- telle d'un fusil. " C'e"tait un homme de Dieu," e"crivait le P. Jerome Lalemant ; " il s'etait donne a nous afin de cooperer par ses services, a la conversion des sauvages : de fait il avait accompagnd nos Peres .... soit aux Iroquois, soit aux Hurons, aux Abenaquiois, aux Algonquins donnant partout des marques d'une saintete tres-rare." Instruit des importantes de'couvertes qui se faisaient chaque jour dans les regions de 1'ouest, et ayant examine' par lui-m^me les lieux qui pouvaient imme'diatenient etre occupe's par des colons autour de Quebec et de Montreal, M. d'Avaugour nour- rissait de brillantes espe"rances sur 1'avenir de la Nouvelle- France. Mais il comprenait que, pour les rt5aliser, il fallait dompter les Iroquois et arreter les empietements des Anglais. Depuis plusieurs anne'es, ces derniers s'^taient rendus maitres de Port-Eoyal, et avaient pris possession des c6tes de la Baie Franqaise. Leurs envahissements successifs du c6t^ de 1' Acadie avaient malheureusement ^t^ favoris^s par les longues luttes qui, depuis la mort de M. de Eazilly, regnaient sans in- terruption, entre les commandants franqais de ce pays. M. D'AuInay n'avait pas joui longtemps de ses conquetes, ni des concessions obtenues de la cour ; car il mourut en 1650, 1663] DU CANADA 495 trois ans settlement apres avoir e'te' nomme gouverneur de toute 1'Acadie (1). Alois La Tour passa en France, se fit absoudre des accusations portees centre lui, et obtint, en fe"vrier 1651, des lettres patentes du roi, le confirmant dans ses possessions et lui accordant le gouvernement de 1' Acadie. A son retour dans le pays, madame D'Aulnay lui remit le fort La Tour sur la riviere Saint- Jean, ou il avait i'ait sa principale residence avant son voyage au Canada. Cependant la paix ne fut pas retablie par ces nouveaux arrangements. Le sieur Emmanuel LeBorgne, marchand de La Eochelle, ayant obtenu un arret du parlement, s'empara de la succession de D'Aulnay, en compensation des avances considerables qu'il lui avait fait. D'un autre cote", La Tour e'pouse la veuve du sieur d'Aulnay, et crut avoir ainsi acquis le droit d'entrer dans toutes les possessions de ce der- nier. Pendant que les cours de France examinaient les droits des deux parties, Le Borgne voulut assurer ses pretentious par la force, et entreprit de chasser de 1'Acadie La Tour et Denys. Nicolas Denys etait venu en Ame'rique a la suite du com- mandeur de Eazilly, dans le meme temps que son frere Denys de Vitre. Homme entreprenant, Nicolas Denys etablit d'abord une peche se"dentaire au port Eossignol; pour 1'exploiter, il s'etait associe avec M. de Kazilly et un marchand d'Auray en Bretagne. Apres la mort de son protecteur, il fut nomme par la compagnie de la Nouvelle-France " gouverneur en toute 1'eten- due de la graude baie Saint- Laurent et lies adjacentes, a com- mencer depuis le cap de Canseau jusqu'au cap des Eosiers." II forma alors deux nouveaux etablissements, 1'un a Cheda- bouctou (2), et 1'autre a Saint-Pierre dans 1'ile du Cap- Breton. II arrivait dans cette ile muni de sa commission, lorsqu'il fut assailli, sans aucune provocation de sa part. Soixante nommes envoye's par Le Borgne attaquerent son habitation, enleverent ses travailieurs, et pillerent son vaisseau, qui e"tait charge de marchandises. Peu de jours apres, Denys lui-meme fut saisi, conduit a Port-Eoyal, et jete dans les fers comme un malfaiteur. Ayant ete relache", il passa en France pour se plaindre, et re- vint en 1654 reprendre possession de ses postes, avec une nouvelle commission donnee au nom du roi (3). (1) 3femoires des Commissairen, etc.. etc. D'Aulnay 6tait reste dix-sept ans dans 1'Acadie. II avait en pluaienrs enfants d un premier manage. Ses fils. entr6s au ser- vice, t'urent tues a la guerre ; le dernier, major au regiment de La Ferte. peril au Biejte du Luxembourg. Une fllle, n6e de son second mariage, fut eievee en France, et devint chanoiuesse de Poussay. (Archives de la marine.) (2) Aujourd'hui Guyborough. (3) Denys, Description geographique et historique des cotes de I'Ainerique Septen- triouale. 496 COURS D'HISTOIRE [1663 Debarrasse de Denys, Le Borgne se pre'para a attaquer La Tour, qui etait a son fort sur la riviere Saint- Jean. Ces troubles entre les commandants francais sugge"rerent a quelques parti- culiers de la Nouvelle-Angleterre T'idee de profiter des cicon- stances pour s'emparer des postes en litige, quoique la Grande Bretagne et la France fussent alors en paix. Cromwell venait d'envoyer des vaisseaux et des troupes pour surprendre les Hollandais a Manhatte. Cette expedition ayant ete anete'e, le commandant, Robert Sedgwick, embarqua sur ses vaisseaux cinq cents hommes fournis par la province de Massachuset, se dirigea contre les e'tablissemants francais, et s'empara sans resistance du fort de La Tour, de'pourvu d'hommes et de mu- nition. Le Borgne essaya de se defendre a Port-Royal ; il re- poudit assez fierement a la somrnation de Sedgwick, et fit sortir line partie de ses hommes pour attaquer trois cents soldats anglais, qui s'avancaieut pour assaillir son fort. Mais, les chefs du petit parti francais ayant e^e tues, les soldats s'enfuireut n de'sordre. Quoique Le Borgne eut encore les moyeus de prolonger la lutte, comme il n'entendait rien a la guerre et n'avait personne pour commander, il crut devoir se rendre aux ennemis. Par la capitulation, signee le seize aout 1664, il ftit stipule que les soldats de Port-Royal sortiraient avec les hon- neurs de la guerre, et seraient conduits en France ; que les ha- bitants pourraieut demeurer dans le pays, conservant leurs biens et jouissant du libre exercice de leur religion ; que les missionnaires capucins resteiaient pour remplir les fonctions ierre posee dins les fondations et portaii t la date de 1624 fut trouvee vers 1830; elle fut placee dans le mnr d'une maison adossee a t'Ejjlise de la b;isse ville, et forinaut 1'encoignuve des rues Sous-le-Fort et Notre-Dauae. B. PAGE 214. Climat da Canada. Les premiers Europeans qui arriverent an Canada, fnrent sur- pris de remarquer une difference notable entre la temperature de 1'ancien mondeet celle du nouveau, sous lea memes degres de la- titude. Ainsi Quebec n'est gueres plus au nord que La Rochelle j il est a plus de deux degres au sud de Paris: et cependant 1'hiver de I'ancienne capitate du Canada est beaucoup plus rigoureux que celni de ces deux villes europeennes. On avait era que, par une regie generale, 1'intensite du froid et la rigueur des cliniats angmentaient a mesure qu'on se rapproche du pole; mais, au Canada, les calculs se trouverent en detail t. Voici ce qn'en dit le P. Bressani (Relation abregee de quelques missions des PP. de la Compagnie de Jesus). " Les premiers frangais qui habitaient cette contree crtirent que les forets immenses qui la couvrententiereraent etaieut la cause da r'roid si excessif. Pour inoi, je crois que si les forers nues et sans feuilles, comme elles sont en hiver, peuvent empecher le soleil de rechauffer la trre et de temperer la rigueur du froid, eltes devraient y apporter bien plus d'obtacles encore en ete, quand elles sont garnies d'un feaillage epais. Or cependant elles ne produisent pas cet effet j car la chaleur, au milieu inerae de ces forets, est alors excessive, bien qu'il y gele pendant certaines nuits, autant qu'en biver." L'bistorien Charlevoix embrasse un sentiment contraire, et pretend que, meme de son temps, les defrichements avaient pro- duit quelque changement dans le climat, et 1'avaient rentlu moina froid que dans les premieres annees de la colonie. De nos jours on se demande si la destruction des grands bois qni bordaient le Saint-Luiurent a cause quelque amelioration dans la temperature dupays; c'est une question fort interessantc, qu'il est curieux d'examiuer. Comme les raisonnemeuts ne sauraieut 6elaireir le snjet, nous avons groupe ici quelques observations meteorolo- giques, propres a jeter du jour sur ee sujet eta faire entrevoir bi nous (levons esperer que ia severitede notrs climat diminuera. Les observations le plus anciennement faites sur la temperature du Canada sont celles de Jacques Carder, pendant 1'hiver de l.V'i.V 36, qu'il passix pres de la riviere Saint-Charles. " Depuis la mi- novembre," dit-il, "jusques au dix-huttieme jour d'avril r avons ere contiuuellement etifermes dedans lesglaces, lesquelles avaient plus de 4eux brasses d'epaisseur ; et, dessus la tene, y avait hi hauteur de qua tie pie da de neiges et plus, tellemeiit qu'elles APPENTIOE. 507 etnient plus hnntos qne les bords de nosnavires; lesquelles ont dure jusques an dir, temps; e.n sorfce qne tons DOS breuvages- etaient tons geles dedans des fn tallies et etii.it tout le dit flenve, par autant qne 1'eau douce en con tient, jusques au-dessus de Hoehelaga, gele." Ainsi, pendant 1'hiver qne Cartier passa a Stadacone, il y a pins de trois siecles, les glaces se formerent versla mi-novembre, et la debacle ent lien vers le milieu d'avril; la terre pendant 1'hiver fnt couverte d'une conche de qnatre pieds de neige. En- viron huit ans plus tard, voici les reinarqties qne faisait sur le ineme snjet Jean Alphonse, pilote du sienr de Eoberval. " Tonte 1'etendne de ces terres pent avec raison e"tre appelee la Nonvelle-France ; car 1'air y est aussi tempere qu'eu France, et elles sont sitnees dans la merne latitude. La raison pour la- qnelle il y fait si froid en hiver vient de c que le fleuve d'eau donee est natnrellement plus froid qne lamer, et aussi parce qu'il est large etprofoud,et dans quelques endroits, ila une demi-lieue- et plus de largeur ; et aussi parce qne la terre u'y est pas cnltlvee, iii remplie de peuples, et qu'elle est toute converts de forets, ce qui est la cause du froid Si le pays etait cultive et rempli di^ peuples, il y ferait aussi chaud qu'a La Rochelle; et la raison pour laquelle il y neige plus souveut qu'en France, est parce qu'il y pleut raremen t." Ces remarques ne renferraent rien de precis; elles montrent senlement qn'on esperait voir le climat s'adoucir, a mesure que les defrichements is'etendaient. Passons aux observations de Champlain. " 1U08, Octobre ler. Je fls semer du ble, et an 15 7 du seigle. 3. Quelques gelees blanches, et les feuilles des arbrea cora- inencerent a comber an 15. 24. Je fis planter des vignes da pays." " Noveinbre IS. Tomba quantite de neiges, mais elles ne durerent que deux jours sur la terre." 1613. Lorsque Champlain arriva a Quebec le 7 mai, lesarbrea se couvraient de feuilles, et les champs etaient emailles defleurs L'hiver avait ete doux et le fleuve libre de glaces. " I(i23, Mars J9. Temps fort violent, accompa.gne de vents, ton- nerre, grele et eclairs, bien qu'en ce temps 1'air est encore froidi et le pays rempli de neiges et de glaces." " Aviil 16. II y avait un piedde neige dans quelques endroits, Je semai toutes sortes do grains, le viiigt du dit mois, derriere 1'habitation ou les neiges etaient pins tot fondues qu'ailleurs r pour etre au midi et a 1'abri du vent du uord-ouest." "Sur la fin de novembre, la petite riviere Saint-Charles fnt presque prise de glace. Depuis le mois de novembre jusqu'a li fin du dit mois, le temps fnt fort variable et se^ passa en journees- assez froides au matin avec gelee, bien qu'il fit beau le reste du jour, se faisaut quelqnefois de la plnie et des rieiges, qui parfois se fondent a mesure qu'elles tombent. Nous avons remarque qu'il n'y a point qninze jours diiferent d'une annee a antre pour la temperature de 1'hiver, qui est depuis le vingt noveiubre jus- ques eu avril, que les neiges se fondent ; et mai est le pi intemps. Quelquefois les neiges sont plus grandes en une annee qu'en 'autre, qui sont de un pied et deuii, et troia et quatre pieds an 508 APPENDICE. plus en plat pnys : car aux montagnes, du cote du nord, elles sont de cinq a fix pieds de haut." " Decembre 10. La grande riviere fut chargee d'un grand noinbre de ghices, de sorte qu'elle charria, et le bordage pris ne pouvait plus permettre de navi^ner." " 1624, aviil 18. En ce temps est la saison do la chasse da gibier, qui est en grand nombre, jusques a la fin de inni qu'ils se ret ire nt pour pondre, et ne reviennent qu'au quiuziome sep- tembre; qui duie jusques a ce que les glaces se torment le long des rivages, qui est environ le vingt novernbre." " Mai 8. Les cerisiers commencerent a epnnouir leurs bontona pour pousser leurs feuilles dehors ; en ce meme temps sortaient de la terre de petites fleurs, gris de lin et blanches, qui sont les primeveies de ces lieux. 9, les framboises commenceient a bou- tonner, et toutes les heibes a pousser hors du terre. JO an if, le sureau inontra ses feuilles. 12, des violettes blanches qui se firent voir en fleurs. 15, les arbres furent boutonnes et les cei isiers re- Yetus de feuillages, et le fromeut moute a nn empan de hauteur; les framboisiers jeterent leurs feuilles; le cerfeuil etnit bon la a couper: dans les bois Poseille se voit a deux polices de hauteur. .18, les bouleaux jettent leurs feuilles ; les autres arbres les sui- veut de pres ; le cheue a ses boutons formes et les pommiers de France qu'on y avait transpiantes, commeaussi les pruniers bou- tonnaient; les cerisiers y out la fuuille assez grande ; la vigue boutonnaient et fleiirissait '; 1'oseille t;iit bonne a couj)er; le certeuil des bois paraissaic fort grand ; les violettes blanclies ec jaunes etaient en fleur ; le l>le d'Inde se seme ; le ble froinent croissaic d'un empan de hauteur. 29, les fraises coinmencerent a fleurir et les cheues a jeter les feuilles assez graudes en ete. 30, les fraises furent toutes en fleur ; les pommiers commeucereut a epanouir leurs boutons pour jeter leurs feuilles ; les chenes avaient leurs fnuilles environ d'un pouce de long; les pruniers et cerisiers en fleurs, et le ble d'Inde commencait a lever." Voici nirintenant ce que, dans 1'aunee 1026, le P.Charles Lale- mant, supeiieur de la mission du Canada, ecrivait a son frere. " Le lieu ou ies Fran^ais se sont habitues, appele Kebec, est par les 46 degres et demi, sur le bord d'un des plus beaux fleuves du inonde. Or, quoique le pays ou nous somiues soit par les 46 degres et demi, plus sud que Paris de pres de deux degres, si est-ce que 1'hiver pour I'ordinaire y est de cinq mois et demi ; les neiges de trois ou quatre pieds de hauteur, inais si obstinees, qu'elles ne fondeut point pour 1'ordiuaire que vers la mi-avril, et commeucent toujmirs au mois de uovembre. Pendant ce temps, on ne voit point la terre, voire meme, nos fraii5ais m'out dit qu'ils avaient traiue le mat tmr la ueige avec des raquettes. " Le plus doux hiver qu'on ait vu est celui que nous y avons passe, disent les anciens habitants, et cependant les ueiges com- mencerent le seize novembre, et vers la fin de niars commen- cerent a fondre. La longueur et la continuation des neiges est telle, qu'on pouvait douter si le froinent et le seigle reussi- rout bien en ce pays ; j'eu ai vu ne.mnioins d'aussi beau que dans uotre France, et uieme le uotre que nous y uvous seme ue lui cede en rieu. APPENDICE. " Depuis I'emhonehure de cette riviere jusqnes ici, il n'y a point de terre defrichee; ce ne sont qne bois. Cette nation ici ne s'occnpe point a cultiver In terre ; il n'y a qne trois ou quatro families, qui en out defriche deux ou trois arpeuts, ou ils seuieut du ble d'lnde.' r Eli bien, voila quel etait le climut des environs de Quebec, il y a 230 ans, alors qne les frnngais n'avuient encore defriche qu'une vingtaine d'arpents de terre: I'hivercomtnei^ait eu novembre, il finissait a la mi-avril ; trois ou quatre pieds de ueige couvraieut la terre aiitour de Quebec. Afin de procurer quelques autres termes de comparaison, nous doimons des extraits du Journal des Jesuites. 1645, noverabre 15. " Coinmencent les neiges a demeure." 1646, avril. " Du 17 au 18, In riviere fut libre, eton com men ga a seiner un pen auparavaut." " Novembre7, il cominencaa geler a glace, et le lendemain il ueigea pour la premiere fois." J647. " Mars 11, commeii5a le degel d'uu hiver sans hiver, n'ayant pas fait froid jusqu'alors." " Novenibre 4, coiumeu^u la neige." Ib'48, Novembre 18, " la neige commenga a demeure." 1649. La navigation etait ouverte entre Quebec et les Trois- Rivieres le 22 avril ; les glaces de la rivieres Saint-Charles se rom- pireiit le 27, et le 2d on eommenca a semer. J650, avril 25. La debacle eut lieu sur la riviere Saint-Charles. u Le 23 riovembre, une barque allant porter de I'auguille a Montreal, revint a Quebec parce que les glaces se formaieut sur le lac Saint-Pierre." Voila les observations que nous avons pu recueillir sur le cli- mat de Quebec, tel qu'il etait dans les premiers temps de la colonie ; en void quelqnes-une faites de nos jours. 1855, novembre Id, la neige tombe en abondance; 1!), la terre est blanchie, et 1'on commence a se servir do voitures d'hiver; 25, des bateaux a vapeur, partis pour Montreal, sont forces par les glaces de venir se niettre en hivernage a Quebec. 1856, avril, les glaces du lac Saint-Pierre descendant depnis le . 23 au '27 ; 19, le cours de la riviere Saiut-Charles est libre* ; 20, la ueige a dispa.ru. 1857, avril 20, le milieu des champs est decouverfc ; 24, les glaces de la riviere Saint-Charles se briseut; 28, voitures d'et^ ; les glaces du lac Saint-Pierre passeut vis-a-vis de Quebec. Mai, 30 et 31, les pruniers et les pommiers sont eu fleur. Octobre 28, la premiere neige blanchie la terre etdisparaitau bout d'unehouro. Novembre 23, traineaux. La navigation reste ouverte eutre Quebec et Montreal jusqu'au 3 decembre. 1858, avril 7, voitures d'ete ; 18, la riviere Saint-Charles decou- verte ; 14 et 15, les glaces du lac Saint-Pierre passent devaut Quebec. Juiu 1, pommiers et pruniers en fleur. Novembre 8, neige ; 14, voitures d'hiver ; 30, la navigation est fermee eutre Quebec et Montreal. 1859, mars 30, voitures d'ete ; 18 avril, les glaces du lac Saiut- Pii-rre se brisent ; 22, riviere Saint-Charles libre. Mai 16, pru- niers et cerisierb en fleur. Octobre 21, la ueige blauchit le sol. 510 APPENDICE. Novenabre 1 1 , voitures d'hiver ; 29, la navigation est interrompue entre Quebec et Montreal. 1860, avril 17, hi navigation est ouverte ; 25, les glaces de la riviere Saint-Charles se brisent. Mai 19, pruniers en fleur. Novembre 18. premiere neige. La navigation reste ouverte jua- qu'au 7 decembre. 1861. Les glace s du lac Saint-Pierre se brisent le 25 avril ; 27, riviere Saint-Charles libre ; voitures d'ete. En coinparant lea observations faites ail seizierae et au dix- spptieme siecles, avec celles du milieu du dix-neuvieme, ou pourra se convaincreque le climat du Canada, du moins dans lea environs de Quebec, est aujourd'hui a pen presce qu'il etait, il y a deux cents ans. Alors, trois ou quatre pieds de neige ; aujour- d'hui, au moins an taut ; les premieres neige.s, dans la premiere quinzaine de novembre ; la debacle de la rivieres Saint-Charles, du dix-huit au vingt-sept d'avril ; la navigation entre Quebec et Montreal interrompue par les glaces, dans la derniere semaine de novembre ets'ouvrant vers la fin d'avril; les cerisiers, pruniers et poinmiors flemissant dans les derniers jours de mai et premiers jours de juin : voila ce que nous recoonaissons aux deux epoques. Sous ce rapport lien ne parait change; et les defrichements faits jusqu'a ce jour ont exerce bieu peu d'iuflueuce sur la temperature generate du Canada. C'est done a d'autres causes qu'a 1'existence des forets, que 1'on doic attribner les grands froidset la longueur des hi vers dans notre pays. On pent les expliquer par la secheresse de I'atmos- phere ; par le voisinage de la baie d'Hudson, couverte de glaces pendant une grande partie de 1 'an nee; par la frequence des vents de 1'ouest, qni eloignent d 1'Ainerique les vapeurs attiedies, produites par lo courant du golfe du Mexique ; peut-etre, par la proximite du pole rnagnetique, qui, suivaut le capitaine Ross, se trouve au uord de 1'Aiuerique, vers le 70e degi e de latitude, taudis que les plus grands froids se font sentir au 72e et 73e degies. En effet, le rapprochement des poles du fro id et du magnetisine ter- restre s.emblerait iudiquer qu'il existe quelque rapport, eutre la temperature et le mugnetisme du globe terrestre. C. PAGE 274. Colons arrives au Canada depuis 1615 a 1641 inclnsivemcnt. Normandie. Jean Nicollet, de Cherbourg ; Olivier Le Tardif, Honfleur; Guillaume Huboust, Mesnil-Duiand ; Jean Godefroy, Lintoi ; Francois Marguerite, Rouen; Jacques Hertel, Fecamp; Adrieu DuChesne, Dieppe ; Nicolas Marsollet, Rouen j Noel Lau- i;lois, Saint Leonard ; Thomas Godefroy, Lin tot j Nicolas Bel- langer, Touques ; Paul de Raiuvillu, Tonques ; Jacques LeNeuf de la Potherie, Caeii ; Michel Le Neuf du Huiiasou, Caen ; Jean APPENTICE. 511 Bourdon, Ronen ; Antoine Brassard, ; Etienne Racine, Fimiichoii pies Lisieux ; Pierre Le Gardenr de Repentigny, Thury ; Jean Cochon, Dieppe; Charles Le Moine, Dieppe; An- ine Dainien, Rouen ; Nicolas Bouhomme Du Lac, Fecamp ; eonnrd Gouget, Thury ; Rene Maiseray, Thury; Jean Le Poutrel, toine Le< Caen ; Charles Le Gardeurde Tilly, Thury; Guillaume OrimaucL Pays de Caux.. (27) Perche. Robert Giffard, Mortagne; Frangois Drotiyn, Du Pin p. de Mortagne; Jean Guyon, pere, Mortagne ; Jean Guyon, tils, Mortagne; Z.ieharie Cloustier, Mortague; Pierre De Lauiiay, Fresnay-le-Viconite ; Claude Poulin, ; Julieu Mercier, Tourouve; Pierre Gadois, Appenai ; Robert Drouin, Du Pin p. de Mortagne ; Gaspar Boucher, Mortagne; Mariu Boucher, Mor- tagne; Francois Boucher, Mortagne; Francois Bellanger, Mor- tagne ; Jean Poisson, Mortagne ; Noel Pinguet, Tourouvre ; Henri Pingiiet, Tourouvre; Jacques Maheust, Saint-Michel Auvertuy; Pierre Maheust, Mortagne; Rene Maheust, Mortagne ; M. Mau- ger, Saint-Martin da. Vieux-Belle.suie ; Mathurin Gagnon, Tou- rouvre; Pierre Gagnon, Tourouvre; Jean Gagnon, Tourouvre; Thomas Hayot, ; Guillaiuue Bigot, I'ourouvre ; Thoiuas Giroust, Mortagne; Pierre Paradis, Tourouvre. (^8) Picardie. Adrien d'Abaucour, Soissoiis; Pierre Gareman ; Phi- lippfi Aiuiot. (3) Maine. Jacques Boissel; Jean Millouer dit Dumaine, Saiufc- Leger en Charnie (Haut-Maine). (2) Brie. Noel Morin, Brie-Couite-Robert ; Jean Jolliet, Sezaone. (2) Champagne. Francois Chavigny de Berchereau, Creancey ; Ni- colas Macart, Mareuil-sur-Die. (3) Beauce. Noel Juchei'eau des Chastelets, La Ferte-Vidame ; Jean Juehereau de Maure, La Ferte-Vidaine ; Nicolas Pelietier, Saint-Pierre de Galardon. (3) Paris. Louis Hebert, Charles Sevestre. (2) Bretagne. Jean Gory, Pout-Avon. (1) He de France. Louis Sedillot, Gif. (I) Poitou. Jacques Gourdeau, Niort. (1) Lieu de natisance inconnu. Guillaume Couillard, Abraham Martin, Nicolas Pivert, Jean Cote, Jacques Scelle, ItoberD C iron, Guillaume Boivin, Denis Du Quay, Pierre do la Porte, Martin Giouvel, Germain Le Barbier, Pierre Masse. 0-) Depuis 1641 jasqu'au commencement de 1CGC. Normadie. Jean Le Blanc, Saint-Lambert, ev. de Bayenx ; Etienne Morel, Neuville pies Dieppe; Gilles Bacon, Caen; Mariu de Repentigny, Grandmesnil; Pierre 1,-eMieux, Ronon ; Gabriel LeMieux Rouen ; Jacques Aubusson, Dieppe; Nicolas Patenostre, Berville, pays de Caux ; Gnillaume Fournier, Coul- mier; Jean Gloria, Dieppe; Gabriel Gosselin, Combray prea Thury; Jean Le Mire, Rouen ; Guillaume Thibant, Rouen ; Guil- laume Cousture, Rouen ; Francois Bissot, N. D. d Preaux, pies 512 APPENDICE. Pont-Au'lorner; Antoine Poulefc, Diepne ; Rene" de La Voie, Rouen ; Rmiiin D'E-*trep igny (:in.jonnl'!nii Trepanier), Muche- dent pay-* deCaux; Pierre. Le Febvre, Villie,rs-sur-Mer, Ev. de Listen* ; Louis Fontaine, Dieppe; Denis Briere, ROUHII ; Charles LeFraneois, Mueiiedent ; Andre L^ Loutre, Honfleiir; Louis De Lainare, Pitre; Er.ienne de, Lessard, Chamboy, ev. de Seez ; Jiicques Marette, ; Nicolas Forget D^spatis, Alencon ; Nicolas *Godehout. B'rneval pies de, Dieppe; Jean LeVtoyne, Pitre; Laurent. Da Bos, Ho it mi ; Jean Routier, Dieppe; Laurent Ar- mati'le, Rouen ; Isaac Lami, Saint Martin-sur-Renelle, Rouen; Charles Godin, Saint-Laurent de Beaumesii\l ; N. Pain, Tlnry j Francois Becquet,, N D. de Preaux ; Loui.s Samson, Saiut-Queu- tiu pres d'Avranches; Sebastien Liin^elier, Fre.squienue pres de Rouen ; Abraham Fisette, Dieppe; Thomas LeSueur, Rouen; Mathieu Brnnet, Dieppe ; Jean Veron Grandmesnil, Saint-Mai tin de.s Noyers. pres de Livarot; Claude Larchevesque, G-russey ; Francois Tniffley dit Rottot, Rotiot pres de Rouen ; Nicolas Goupil, Mesnil-Durnnd ; Christophe Crevier, Rouen ; Pierre La- Brec<}ue, Dieppe ; Guillaume Lelievre, Saint-Lienard, pre* Hoii- fliiiir; Joachim Girard, diocese d'Kvreux ; Etienne LH Tellier, Pitre ; J>-an Charpentier, Pays de C;iux ; Antoine Pepiii La- chance, Havre de Grace; Jean De Noyon, Rouen ; Richard Grouard, Flancourt en Roamois; Francois Fortin, Dieppe ; Nicolas Queu- tin, Go nieville pres Honfleiir ; Nicolas LeBlond, Honfl-nr; Mar- tin Guerard, Riviere Saint-Leonard pies llonfleiir ; Jean Barret te, Berclieville pres Lisieux; Thomas Grandi ye, Caen ; Jean Aubu- chon, Dieppe; Philippe Foubeit, Dieppe; George Pelletie.r, Dieppe; Jacques Asseline, Dieppe; Paul Huppe, AleiiQon ; Ni- colas Pre, Appeville-siir-Monttbi t ; Elie JIamelin, Honftenr ; Adrien Blanquet, Acqueville pres Dieppe; Jean Primont, Lam- l>ei ville pres Bacqueville ; Marin Ni>uri(te, Saint-Oueu de Long- j)aon ; Charles Gamier, Tournebec, eveche de B lyeux ; Jonas LeClei'9, Dieppe ; Nicolas D'Odelin, Rouen ; Pierre Mortrel, Ronen ; Maurice Pouliu, Villebadin (Orne) ; Louis Ozaune Saint Romain; Nicolas Thibault, Rouen; Jean Desinarets, Brouville pres de Rouen ; Fiancois Fal'ard Lat'ramUoise, Ho tot, e"veched'Evre!ix ; ]Merre Dizi, Rouen; Jacques Vaudii, Lainberville ; Pierre La- Rue, Rebec; Jean Belief, Saint-Jean de Folleville ; Jean D>. La- Rue, Bray, ev. Seez , Guillaume Barrette, Benseville, ev. de Li- sieux; Guillaiuue LaRue, Rouen; Pierre Boyvin, Rouen ; R;>!lin Lanrrlois, Francois Bixirlier, ROUIMI ; Andre D.unetz, Dieppe; Antoine Primot,Gonueville ; .Jean Duiue.tz. Dieppe ; Ro- bert Le. Cavelier, Cherbourg; Jacques LeBer, Pi ere ; Pierre Valiee, R.xien ; Mariu DuVal, Saint-Aubin ; Michel LeCourt, Livarot, pre* Lisieiix; Robert Foubert, Dieppe. (98) PercJie. Robert Gi^uiere, Tourouvre; N. Guillebault, Tonrou- vre ; Louis Guimont, Di-s Cliamps pres Touronvre ; Nicolas Gaudry Bourbon niere, Fay; Julien Mercie.r, Tourouvre; An- toine Pelletier, Bresolles; Pierre Parent, Mortngue ; Jean Rons- sin, Tourouvre; Louis Hondo, M inon, (confins de la Beance ]>res La Loupe); Rene Mahenst, Reveillan, pres Moita^ne; Fisincois Gollin, Vieux-Bellesme ; Pierre Tremblay, Randoiinai ; Robert Gagnou, Tourouvre ; Pierre de Hoisiuorel, Senonches ; APPENDICE. 513 Jnlien Trottier, Tge ; Nicolas DeLaunay, Tonrouvro ; Francois Provost, Tourouvre ; Pierre Nonnaiul. S;rint- Martin de Bellesme ; Jean Trudelle, Parfondi-val, pres de Morrairne; Francois Bourret, Tourouvre ; Je;iu LB Normand, Ige ; Guillaume Landry, \ r eu- trouze ; Charles Potilliot, Beilesme ; Francois G-ollin, Saint- Martin dn Vieux-Bellesrae; Antoine Le Fort, Tourouvre : Charles Turgeon, Mortag'te; Jean de, Saint-Pere, Ige; Jean L Due, Ige; Jean Cordeau Deslauriers, Daugeau. (29) Saintonge. Cesar Leger, Mornac; Etienne, de La Fond, Saint- Laurent, de la Barriere : Jean Chesnier, Celles; Jean Martineau, Courbillac; Jean Durand, Saint- Jean d'Angely ; Louis Blanchard, Nercillac; Jean Jacqueroaii, Tonnay-Charente ; Jean Noei, Ton- iiay-B'>ntonnH; Louis Martineau, Saint-Saviuien : David Letour- lu-an, Murnn ; Pierre Plnchon, Cliampdolent ; Philippe Estienue, La Brosse ; Denis Jean, Taillebourg. (13) Aunts Jacques Arch am ban It, Doinpierre ; Pierre Mivilledit Le Sui-sse, L;i Rochelle; Paul Chalil'oux, Bernay ; Antoine Nolin, Lou- geves; Nicolas Flan re, Laleu ; Jean Doyon, Bi-rnay ; Pierre Chap- peau, Saint-Soiille ; Jacques Ratte, Laleu ; Pierre Clement, Sur- fferes ; Jacques de Lengre, LaRoclielle; Joachim Martin, Aytre ; Pierre Aigion La Mothe, Aytre; Jean Griguon, Saint-Jean da Perrofc, LaRochelle; Pierre Pellerin Saint-Ainand.Brouage ; Jeau Joninean, Notre-Dame de Cogue, La Roehelle; Jacques Cailleteau, La Rochelle ; Henri Bureau, Ballon ; Jean Rabouin, La llochelle ; Jacques Vezinat, Puyravault; Rene Reanine. La Rochelle; Isaac Bedard, LaRochelle; Pierre Carrier, Saint-Hilaiiv, La, Roclielle; Pierre Cat tier, La Rochelle ; Daniel Suire, LaRochelle; Michel Bouchard, Rocherenard ; Mathuriu Marecot, Laleu : Pierre Pinel, La Rochelle ; Nicolas Le Petit, Gue d'Allere ; Elie Bouriault, La Rochelle; Louis Pinard. LaRochelle; Jean Morisset, .Sargeres ; Severin Anieau, La Roche,lle ; Mathuriu Proiitot, LaRochelle; Jean Gauvin, Croixcliapeau ; Pierre Joniueau, Not.re-Da.ine de Cogue, La Rochelle; Pierre Paillereau, Vildpnne; Rene Brisson, Saint-Xandre. (27) lie de She. Antoine Le Boesme, Bourgneuf ; Ren6 Emond, Saint-Martin ; Vincent Verdou, Saint-Martin. (3) lie d'Oleron. Guillaume Albert, Saint-Pierre; Pierre Gendrot, Saint-Denis; Jeau Cicot; Jeau Chauveau, Saint-Piei-re; Nitola8 Gendron, Chateau-d'Olerou. (5) Champagne. Louis D'Ailleboust ; Noel Jere"mie, Marenil-sur- Oge; Pierre Marconx, Cruzy ; Jean llouymier, Vigny; Cliar.es D'Ailleboust de Musseaux; Michel Le Gardeur, Langres. (6) Poitou. Jean Nepvcu, Montaigu ; Paul Vachon. Copechaignere ; Jean Beriau, Mariguy; Jean Nonet; Jean N T orrnand; Jacipies Greslon, Poitiers ; Mathurin Chabot, Saint-Hilaire. eveche do Lucon; Jean Gibeau. Fontenay-le-Comte ; Louis Garnault. La Grimandiere pres Moucontour ; Jeau All. lire, Saint-Piiilbert ; Charles Allaire, Saint-Philbert ; Joan de La Rue; Jerome Billau- deau, Sainte-Soline ; Pierre Aufroy, Notre-DaifTe d'Olonne ; Ma- thuriu Cliaille, Sainte-Radegonde la Vineuse ; Jean Bourasseau, Saint-Fulgent; Antoine Boutin, Verrue ; Michel Julieii, Sainte- Verge; Rene Du Bois, Cisse; Pierre Picher, Saint-Georges de 514 APPENDICE. Ilex ; Etienne Dauphin, Bore; Jean Magneton, Marigny; Jean Chapeleau, Bou>say ; Pierre Biron, Sa5nte-Hrniine ; Rene Fiiias- trenu, Saint-Anbin de Douliiy; Gregoi re De Blois, Chanipagne- Monton; Nicolas Massard, Grand-Maignou ; Abel BeooUt, Saint- Herman, ev. de Lncon ; Louis Tetreau, Saint- Martin de Poitiers ; Mathnrin Gonin, Angliers ; Pierre Cailleteaii, La Roche; Jacjues Bcandouir], Fontenay-ie-Couite ; Pierre Chamarre, Saint-IIilaire pies Niort. <33) Blaisois. EtieunePezard de La Touche, Blois; Jacques Jahan, Blois. (2) Maine. Jacques Doilier, Champaissan ; Pierre Voyer, Marolles- les-Brocles ; Michel Chiuvin, Saintt;-Snzinne en Charnie ; Jean Brossier; Antoiue Ronillard, Saint-Cosine le Vert; Francois G.irnier, Saint-Cosme le Vert; Chuulo Bouchard, Siint-Cosme le Vert; Michel Buisson, Saint-Cosine le Vert; Gervais Hnisson. Saint-Cosine le Vert ; Paschal Le Maitre, ChumtVemont : Michel Lhomnie, Boune>table; Mathurin Le Prestre, Bonnestable; Marc Girard, Mans; Rene Cuiller:er, Clermont pres La Fleche. (l&) LaMarche. Leonard Le Blanc, Brousse. (1) Languedoe. Autoine Martin, Montpellier. (I) Bretagne. Bertrand Chesne La Garenne, Yffiniat, 4v. de S:iint- Brieuc: Mathurin Gerbert ; Guill.iarae Constiiutiu, Cesson pres de Rennes; Jnlien Petau, Tours de Bulan ; Jean Neau, Mohon- Trinite ; Michel Hmost (et Eneand/, Sarzean pres Vannes; Jac- ques Descailhunt de La Tesserie, Saint-lierblon ; Jean Poydras,