PQ 2189 B6 A8 A = A = CD n = c -^^— — 1 m = ID m :x) n i^ 3 = o ; 1 = > 5 m ^-» ^ 5 = DO 4 = ^^^ -n H = =^^ 1 — —1 ^^2 -c 8 -^^^ - ^'iS^i .4- ^v^ ^d0'-: -^ iSft-: >•' #. I ^'i^^ ^4hK*^' ^•i^SM- .'"Sf UP 3 ^ DIEGO ■>9 J T' )V«^ ^'i* 15i8 BARTHELEMY. Douze Joiiriues de ia Hi^voliilioii. I'o^mes. Paria. Perrotin, 1835, ill 8, rcl. veaii violet, filel dor^, et eiicudreinciil a froid sur Ics plats, avec import, motif en rosace, don^, an centre, dos orn^', Ir. dor., dent. int. (5) 80 fr. Illiistr-^ lie 10 graviires liors-texte de Rat- fcT'.-'. '• "^' fel. Foil bflle n lime roniantiquf . Exeiu- iK ri-;;^'^* plaire court de marges. Le 2" plat de la reliure a et-i (^rafle sur line petite surface. LKl »•"-- 48' DOLZE JOURNEES DE LA REVOLUTION. IMPr.lMERIE DE JULES DinOT EAINE, hoiilcvail d'Enfcr, n" ^. DOLZE JOURXEES DE LA REVOLUTIO\ POEMES BARTHELEMY PARIS PERROTIN, EDITEUR RUE DES FILLES-SAIXT-TUOMAS . .\° 1 , PRES LA BOURSE. M. DCCC. XXXV PREMItRE JOURIVEE. CJ -^'^ 0«>&*©*€'*S4>»«'S*S-»e*«<3>-S-*««>S«>®S^*©»S«>€«« S>««^4>««* i>8-»€-l>S^j J.3 PREFACE. Avaiit de creuser dans ses details le siijet grandiose qu'il avait entrepris , I'auteur de ces poemes a du faire poser long-temps devant liii lagrande epoque revolutionnaire, jaloux qu'il etait de la saisir et de la reproduire dans son type d'ensemble. Pour la surprendre a nu , ce n'est pas a I'his- toire qu'il s'est adresse : il y eut trouve sans doute de savantes recherches, des apercus ju- dicieux, de lucides calculs financiers, ou de larges appreciations politiques ; il y eut vu en bloc ce beau niouvement d'hommes, suivi sa marche intellectuelle du point de depart au point d'arriv^e; raais la partie dramatique des- criptive de son sujet, ses nuances physiques, son individualite lui eussent ecbappe. \ ij PREFACE. Craignant cet ecueil, I'auteur sest resigne ail plus laborieux travail. Durant tiois longs mois de captivite subis avec quelque courage, il a vecu dans son cacliot de cinq pieds carres, en compagnie des plus ardens revoludonnai- res. Sa chambre a Sainte-Pelagie etait meu- blee de collections completes des journaux du temps : Prudhomme , Marat, le Pere Diichene, le Fieux Cordelier, les Catilinaires de Camille Desmoulins , etc. , etc. , etc., gisaient pele-mele sur quelques rayons etsur une table, seul meu- ble que souffrit le local a cote du lit de sangle oblige. C'estla, c'est dans ces documens ou venaient se refleter les jiassions de cliaque jour, de clia- que heure, que Tauteur des Douze Journees sest initio aux choses et aux hommes d'alors. II a tout ecoute; la voix des Clubs et celle des Assemblees nationales; il a tout passe en revue, Montagnards, Girondins, Feuillans, Cordeliers; il sest mele aux foubouriens qui brandissaient la pique, et aux tricoteuses qui PREFACE. iij hiirlaient dans lenrs tribunes:, il a battu dans tons les sens le pave revolutionnaire, de TAb- baye a Bicetre, des Tuileiies au Temple, de la Bastille a Saint-Roch; il a voulu voir son penple a I'oeuvre, le prendre sur le fait : ici sublime, la hideux; heros ou bourreau , gene- reux ou forcene. Puis, lorsque remis de tout ce bruissement, il a pu rasseoir ses idees, alors seulement il a songe a sa grande taclie epique. Jugeant les j)artis, de haut et de loin, il na voulu embras- ser aucune querelle, arborer aucune couleur. II a pris du drame et de la poesie partout ou il en a rencontre, il a mis sur le piedestal tout ce qui lui en a paru digne, allant cliercher ses he- ros ou ils se trouvaient, dans la Plaine ou dans la Montague, dans la rue ou aux Jacobins, dans les Sections ou a la Commune. Pourtant, il doit le dire, une pensee a do- mine son ceuvre, et la seulement il a quitte le role de peintre pour prendre celui de juge. A son avis, le grand mouvement politique iv PREFACE. qui nr^cipita la France vers la liberie, sa inar- clie melee debienetde mal, etaient line juste el n<^cessaire reaclion centre une terreur royale (le quatorze siecles. II lui semble meme, el au premier coup d'oeil cette assertion sera traitee de paradoxe, il lui semble que les crimes de cette epoque appartiennent moins a ceux qui les commirent c[u'a ceux qui en tomb^rent vic- times. Si Ton se prete en effet a suivre de bonne I'oi la progression revolutionnaire, on en vient a reconnaitre que chaque pas vers la terreur eut sa cause determinante dans une demons- tration contre - revolutionnaire , quelquefois impuissante et fanfaronne, mais le plus sou- vent active et menacante. Ainsi les correspon- dances secretes de Louis XVI amen^rent le lo aout; les troubles de la Vendee, les mani- f'estes de Brunswick, les intrigues de Coblentz preluderent a la catastrophe des 2 et 3 sep- tembre. Plus lard encore, quand la Revolution fut obligee de passer a gue son ileuve de sang, PREFACE. V elle lie s'y enfonca que parceque toute autre voie de salut etait ferm^e pour elle. 11 fallait vaincre au-deliors , comprimer au-dedans tou- tes les volontes mauvaises. Pour sauver la sain- tete du territoire, force etait d'user de tout; de tendre ici la fibre de lentliousiasme , la, de creer des soldats par Tascendant de la peur ; de faire en un mot de I'interieur du royaume quelque chose de si desolant, que cliacun eut le desir d'aller aux armees ou riionneur na- tional restait si pur et si lumineux. Certes, de nos jours encore, a quaranteans d'intervalle , si Tun de ces tribuns farouclies qui battaient monnaie sur la place de la Re- volution, et envoyerent tant de chair Immaine ^lechafaud; si Tun deux, homme d action et d'audace, paraissait devant un jury national nomra^ pour peser sa vie; etquela, pour toute reponse aux accusations de sang, il se bornat a dire : « Sous lere du despotisme vous avez aet^ envahis deux fois : deux fois les Cosa- « ques se sont chauffes avec votre bois de Bou- vj PREFACE. n lofjne j s'ils ne sont plus la, c est que deux fois (( vous avez paye votre rancon. Nous, sous (( notre forte Republique, le sol est rest^ vierge (( de souillure. Les Prussiens out trouve leurs <( Thermopyles dans les defiles de I'Argonne. » Que repondre a cet homme? Comment le ju- ger? Dieu ou d^mon! En cela I'auteur ne pretend pas soutenir que tout ce qui se fit alors, meme en face de la ne- cessity, fut moral aiitant qu'utile. Des crimes sans excuse se commirent a cette ^poque comme a d'autres, des exc^s deplorables souil- l^rent une regeneration qui eiit ete trop belle a demeurer pure. Mais, a tout prendre et a tout peser, I'cnsemble sauve les details; le bien rem])orte sur le mal, le but sur les moyens, le fond sur la forme. Voila quelle pensee-m^re domine cette epo- pee; son esprit se resume tout entier dans la haine du despotisme feodal. Quant au reste, c'est surtout la grande victoire du peuple sur la royaute, victoire qui commence au PREFACE. vij 1 4 juillet pour fiiiir au 21 janviei j c'est en- core a la suite de cet acte decisif , la lutte des partis qui s'entre-tuent, jusqua ce que la rae- sure de sang soit comblee ; c'est enfin la ve- nue de ce messie militaire , qui devait plus tard convertir I'Europe a son epee, et qui deja sous la date republicaine donnait, au i3 vende- miaire et au 18 brumaire, un avant-gout du regime consulaire et imperial. Voila le plan de cette epopee. On comprend aisement qu'il etait impossible den faire une oeuvre selon Aristote. L'auteur est assez de son siecle pour n'y avoir pas seulement song^^ raais il a cru devoir, pour mieux peindre I'e- poque revolutionnaire, en saisir les points cul- minans, et leur donner la forme episodique. II n'a pas meme cherche a lier ses Journees entre elles par des transitions oiseuses et tou- jours prosaiques; ces transitions sont dans la connexite des evenemens, dans leur ordre de deduction, et l'auteur aurait, en suivant une viii PREFACE 'J marc lie conlrairc, a-la-fois (jene la lil)erte de SOS allures poetiques, et fait injure a lintelU- pvncc (le scs lecteurs. ©-< 20 JLIM 1789. Major reruiii rnihi nascitur ordo. ViRGILE. LE JEL DE PAIME Le peuple est patient, car il est eternel ! L'un a I'autre lies par im droit criminel , Treize siecles de rois , de nobles et de pretres Avaient appesanti le front de nos ancetres : 4 PREMIjfeRE JOURNEE. Le pen pie resigne sous des fers ecrasans Se reservait iin jour apres treize cents ans; II avait done subi , docile tributaire , Soixante iisurpateurs par ordre hereditaire, Depuis les premiers Francs sur le pavois elns , Depuis Tage douteux des soldats che\ elus , Jusqu'au roi de malheur, ne pour des jours prosperes, Qui naquit criminel du crime de ses peres ; Oreste couronne dont le destin fit choix Pour clore avec du sang ce long drame des rois. Quel miracle eiit sauve la vieille monarchic ? La couronne pesait a sa tete flechie; Le sceptre , pour finir un reste de chemin , N'etaitplus qu\m baton dans sa caduque main; QuandTarbre estpresde choir, il esttempsqu'onle coupe: Des que I'iniquite deborde de la coupe, LE JEU DE PAUME. Des qu'un jour a comble lere des jours maudits, G'est au peuple a son touj- de dresser des edits ; II taut que sur les grands son bras s'appesantisse Et que la liberte tienne un lit de justice. Ouvre ta grille dor, feodale cite ! Ou on annonce le peuple ! il est ressuscite ! Le voyez-vous ? il vient au temple de Versailles Avec la liberte benir ses fiancailles ; On dirait que le ciel , en signes eclatans , iSe declare complice a cent mille assistans; Dans les bois du cbateau la foudre promenee . Prete un sublime orchestre a ce grand hymenee . Des franges de la nue aux lumineux lambeaux Resplendit pour la fete un cercle de flambeaux : (i I'lU^MlEIlE JOUHNEE. On ontciid line voix, la voix des sombres crises; Elle eveille la coiir en courant siir les frises , Sous Tarche qui conduit an royal corridor, Sur le ddnie effile de la chapelle dor, Surles f'rais pavilions, les longues colonnades. Que balit pour lui seul Ic roi des dra^oonnades : Ob ! c'est la voix du peuple ! il quitte ses sillons; II plante dans le pare ses premiers pavilions ; II sent qu'il est venu son jour de represailles ; ' Pour mieux se faire entendre il a cboisi Versailles; En face du balcon , piedestal du grand-roi , Le fouet en main , il dit aussi : L'Etat, c'est moi. ^ Venez , valets de cour ; a la plebe vassale De vos bras enerves fermez la grande salle; LE JEU DE PAUME. 7 Bien ! refoulez ce peuple ; a ses Representans Barrez des le matin I'^glise a deux battans ; ^ Oh ! lui , pour se montrer dans sa noble roture , Nome pas les lambris de soyeuse tenture ; Pour lui, point de fauteuils aux coussins ramollis, De tapis de velours, sables de fleurs de lis ; Par-tout il tient sa cour ; toit de chaume on mansarde , Vile echoppe de bois dont le mur se lezarde , Hangar de jeux publics ou de cirques forains, Le peuple tient par-tout ses Etats souverains ; Et le lieu qu'il choisit pour ses nobles usages Prend une majeste qui traverse les ages; II imprime sur tout son memorable sceau; Gar tout ce qui fut grand eut un humble berceau : Le chene aux vastes bras jailiit dun fruit immonde; Un patre de Medine a fait trembler le monde; 8 PREMIKRE JOURNEE. liHiiivcrsello Rome cut, dii foin pour cimier, Son colosse futur rampa sur le fumier; L'Evanj^ile naquit sous I'etablc de chaume, Et la liberte sainte aux murs d'un jeu de paume. ^ Salut, auguste enceinte ou le peuple aux abois Demanda son salut a tes voutes de bois ! Avec Icui s yeux de flamme , avec leurs voix souores , Us se lev erent la , comme des meteores , Ions ces hommes hardis dont nous nous souvenons : Us ignoraient encor I'avenir de leurs noms. Pour la premiere fois, ces acteurs de grands roles .letaient aux rangs confus de magiques paroles; Inconnus dans le peuple, ils s'essayaient tout bas Allx eclats dc tribune , aux tragiques debats , LE JEU DE PAUME, 9 Aux tempetes de voix , aux gestes de la toiile , Au retentissement d'lin trone qui s'ecroule ; On les voyait bondir sous le hangar des jeux, Tous ces heros futurs des drames orageux ; Au peuple amoncele , beant aux avenues , Parlant avec des voix depuis lors tant connues ; Deux sur-tout qui semblaient sur leurs fronts reunir Le terrible secret des choses a venir; Mysterieux agens de cette nouvelle ere , Double Crete surgie au volcan populaire : L'un herisse d'orgueil, dans sa laideui- si beau, Ouragan fait de chair, qu'on nomme Mirabeau, Puissance prophetique en un jour revelee, Avec sa voix d'airain, sahure echevelee, Sa parole qui tue ou consterne d'effroi , Tout seul il prend le peuple et le couronne roi. 10 PREMIERE JOURNEE. Geant ne pour le siecle et que le siecle pousse , Sa main va lui donner la premiere secousse , Et Veffort impulsif de ce puissant levier, Fera trembler le sol jusqu au vingt-un Janvier... L autre est muet encor : sa poitrine oppressee Se gonfle d avenir et garde une pensee ; Sa contenance est froide , et pourtant , de son oeil , Tombe un de ces regards qui presagent le deuil, Et I'acces du frisson qui contracte sa face , Revele son histoire a peine a sa preface ; Gette enigme sans mot , ce nom de fange ou d'or, Doit luire ou se fletrir sous le neuf tbermidor. Vous etiez aussi la , penches sur la fournaise , De ce monde nouveau meditant la Genese , Ilommes d'audace calme et d'energique main, Qu'on ne peut faire un pas sans heurter en chemin ; LE JEU DE PAUME. 11 Homeriqiies heros de dix aiis d'epopee , Qui vous dressez la nuit a ma vue occupee ; Et vous qu'ont emportes les politiques veuts , Et vous qui sur le sol restez encor vivans ! Oh ! vierges en ce jour de crimes ou de fautes , Vous pouvez tous ici porter vos tetes hautes ; Aucun reflet de sang ne souille encor ces murs ; Je vous embrasse tous, car vous etes tous purs ; Gloire de bronze a vous qui, les premiers de France. Avez par un serment jure sa delivrance ; Qui, dans le jeu de paume, et sous Toeil du chateau^ Avez pris a deux mains la hache et le marteau ; Et, probes journaliers, sans espoir de salaire, Pose le monument sur sa base angulaire ! 12 1>1{EM1EHE JOURNEE. (^uaraiite aus sont passes entre ce jour et nous ; Mais je vous vois encor sur la terre a genoux ; .To v(nis vois convulsifs du feu patriotique , Le cou, les bras tendus vers le royal portique, Et saisissant au vol Telectrique moment, Repeter comme un choeur votre hymne de serment. i.e president du peuple, ignorant letiquette, Pour son fauteuil d'houneur a pris une banquette ; G'est Taustere Bailly : ce lumineux savant Observe, dans les nuits, I'ordre du ciel mouvant; Mais aux champs etoiles oii son oeil se promene , Jamais il n'apercut un plus grand phenomena : Sur un trepied de bois il apparait , debout , Soufflant la prophetic a ce peuple qui bout, A la sienne unissant tant de nobles pensees , CH\nLEs IX ordonne les affreux massacres de la Saint-Barthe- lemy. Dix mille protestans egorges a Paris , vingt niille dans Ic reste de la France. Le roi donne lui-meme I'exemple. Hekri III , prince lache et livre a la debauche ; son regne est celui des mignons et des capucins. Les persecutions religieuscs continuent par-tout ou les protestans ne sont pas les plus forts. Ce prince avait , comme Charles IX , tire sur les Parisiens la nuit des massacres. Henki IV dilapide nos finances par sa passion du jeu et ses prodigalites a I'egard de ses maitresses. Ce prince qui , malgre ses fautes, est encore le meilleur de nos rois, ce ton Henri punissait des galeres le braconnier qui tirait sur le gibier royal. Louis XIII, Guerre civile rallumee entre les catholiques et les protestans. Long despotisme de Richelieu ; nombreuses victimes condamnees par la servilite des juges. Lotus XIV, surnomme le Grand. Tyran glorieuxet prodigue, qui paya des historiographes , des poetes, des sculpteurs et des pein- tres, pour creer sa renommee. Ses guerres longues et conti- nuelles epuiserent la France d'hommes ; ses fetes et sa passion pour les monuments necessiterent de nombreux impots qui ap- pauvrirent la nation : c'est la neanmoins le beau cote de la me- daille. La fin de son rigne fut dirigee par les jesuites et une vieille devote. L'edit de Nantes fut revoque a leurs instigations , et cent cinquante mille families protestantcs , depositaires de notre indus- trie, quitterent le lerritoire francais, victimes de leur attachement a leur religion. Ccux qui resterent furent, pendant longues an- nees, traques comme des betes fauves, embastilles ou peudus. Des legimens de dragons convertissaient , le sabre a la main, les popu- lations du Midi et arrachaient les enfans a leurs meres. Louis XIV 30 NOTES. mouriit apres soixante-dix ans d'un regne fastueux et tyrannique; Ic nciiple se rejouit dc sa mort et insulta au cadavre du grand-roi. Loiis XV , livr^ toute sa vie a des maitresses du plus has etage qui regnent sous son noni , est le modele le plus accompli du des- potisme dans sa decrepitude. La France descend sous son regne au dernier rang des nations de I'Europe. Ses prodigalitds, jointes a relies des regnes pr6cedens , achevent la raisferc du peuple. On se rejouit a sa inort, et cependant IVi/jnanac/t royal le surnommait /<' Bien-Aime. Louis XVI Louis XVin. Voir a la Biographic des Contemporains les articles : Ncy, Labcdoyere , Mouton-Duvernet, Faucher, Lallemand, Didier, Carbonneau , Bories , Raoulx, Goubin, Pommier, Berton, Caron, CafFe, Vallee, etc., etc. , et cent autres que nous ne pouvons citer, faute d'espace. Se rappeler en outre les depeches telegraphiques, Ics agens provocateurs , les assassinats du Midi , la guerre d'Es- pagne , etc. Charles X. La rue Saint-Denis en 1827 ; la mitraille des trois journees!... Maintenant, I'histoire a la main, comparez, et, si vous fosez, condamnez la nation de 89 et celle de i83o! ! "" « Le fouet en main, il dit aiissi : L'Etat, c'est moi. » On se inppelle que Louis XIV, a peine age de dix-sept ans, et s'essayant. au despotisme, cntra subitement, le fouet a la main, a la suite d'unepartie de cbasse, dans la salle d'audience du parle- inent dc Paris , et fit aux magistrats des reuiontiances severes accompagiices dc menaces. NOTES. 31 C'cst le meme prince qui, dans une autre circonstancc , et plus tard, interrompit le discours d'un consciller qui lui disait naive- raent ; « Le roi et I'ttat. » L'Etat, cest moi , dit le despote. Le con- seiller humilia sa raison devant cet axiome, qui fit fortune et servit a laFrance deCharteconstitutionnellejusqu'en 1789. ^ « Barrez des le matin I'eglise a deux battans. " La cour, pourempecher la reunion des deputes du Tiers, fit fer- mer la porte des eglises des Recollets et de Saint-Louis. C'est alors que les deputes se deciderent a prendre le jeu de paurae pour te- nir leur seance. 4 «Et la liberie sainte aux murs d'un jeu de paume. » Le jeu de paume servait aux exercices des princes , et sur-tout du comte d'Artois. Ses murs etaient noircis et depouilles. Il n'y eut , pendant toute la seance , que deux ou trois mauvais bancs et une table. Mais, dit un ecrivain de I'epoque, ce lieu s'agrandit par la majeste de I'assemblee. Les galcries se remplirent de spec- tateurs ; la foule du peuple entoura la porte, et dans les rues, a une grande distance , se pressa pleine d'interet. Le jeu de paume est aujourd'hui un atelier de meniiiserie. ' « Dans le serment du peuple il ue voit qu'une emeute. " Dans un des premiers mouvemens de 1 789 , le roi s'ecria , cons- terne : ■< Mais c'est done une emeute I " La Rochefoucauld-Liancourt lui r^pondit : Non , sire ; c'est iine revolution. liOuis XVI et sa com etaient vriius jusque-ia sans lo savoir '. :\1 NOTES. '' « Demander iin moment a monsieur le bourreau. » Lorsquc madame Dubarry qui, sortie des dernieres classes de la societc, ^tait parvenuca gouverner despotiqucment Louis XV et la France , fut condamnee a mort et conduite au lieu du supplice, cllc s'cxhala en cris affreux tout le long du trajet. Portee sur I'echa- faud , sa derniere parole fut celle-ci : >< Un moment , monsieur le bourreau !.... " INTRODUCTION A LA DEUXIEME JOURNEE. Le serment du jeu de paume n'etait que le prologue d'un grand drame. L heure approchalt ou Tinsurrection parlementaire allait etre suivie de la revoke des masses ; oil le peuple , las d'etre spectateur oisif de sa regene- ration sociale, devait prendre part a la lutte et peser dans la balance avec ses baches , ses piques et ses canons. Un lit de justice eut lieu le 28 juin dans la salle ordi- naire des liltats. Les deux premiers ordres furent instal- les avec les formes de Tetiquette, mais on laissa long- temps le Tiers-Iiltat attendre sous le vestibule. A la fin les Deputes du peuple se lasserent de cette ridicule tri- bulation; ils allaient se retirer. On se decida a ouvrir, ils entrerent. Louis XVI fut introduit; il adressa une longue serie de reprocbes aux Etats, et fit donner lecture d'une de- claration constitutionnelle. Get edit cassait les arretes du Tiers et les mandats imperatifs, et determinait certaines formes reglementaires. Le roi ordonna ensuite a Tas- semblee de se separer, et se retira lui-meme au milieu du plus profond silence. Apres son depart tous les membres de la noblesse sortirent ainsi qn'une partie du 3 ;{', INTRODUCTION. clerge ; les communes demeureient a leur place et en si- lence. Le grand-maitre des ceremonies, Dreux-Breze, s'approcha de Bailly, et lui dit : "Monsieur, vous avez (I entendu les ordres du roi. » La nation asseniblee na pas d'ordre a recevoir, repondit le president du Tiers. Ce fut alors que Mirabeau prononca ces Immortelles paroles : « Allez dire a votre maitre que nous sommes ici par la <( volonte du peuple, et que nous n'en sortirons que par « la force des baionnettes. » Dreux-Breze se retira. Mais la cour ne se tint pas pour vaincue. Les ordres du roi amenerent a Versailles, a Paris ou dans les en- virons, de nombreuses troupes pretes a agir. On par- lait bautement de releguer I'assemblee a Soissons , ou de la dissoudre par la force. Le ministere futrecompose, et le Genevois Necker, directeur-general des finances, fut exile a Coppet. Cependant une effervescence singuliere se manifes- tait a Paris. Des la nuit du 1 2 au 1 3 juillet, les principales banieres furent incendiees. Le prince de Lambesc, pour etouffer I'emeute , chargea les citoyens a la tete d'un regiment etranger, et tua de sa main un vieillard, aux Tuileries. Ge meurtre fut le signal de la vengeance. Le premier coup frappe sur le vieil edifice lezarde et decrepit de la monarchic capetienne fut la prise de la Bastille par le peuple de Paris souleve au nom de la li- berte et de I'egalite. G'est ce glorieux evenement qui forme le sujet de la deuxieme joumec. DEUXIEME JOURIVEE. 5=1 -5= 14 JUILLET 1789. HiWHfr t||*»)niM"- LA BASTILLE. Ici I'on dause. ( Le PeupU: ) Au flanc des vieilles tours , par les siecles noircies , Le temps a sillonne de sombres propheties ; Sous le crane voiite de leurs blocs chancelans, Uii oracle enfoui dort quelquefois mille ans. 38 DEUXIEME JOURNEE. Les regnes de nos jours, comme ceux des vieux ages, Sous des Palladium conjurent les presages; Mais , quand des potentats Fheure supreme a lui , Leur talisman se brise et les brise avec lui. Le jour oii sur le front de la Gaule vassale,' La Bastille eleva sa tete colossale , Ses creneaux, ses donjons, son large parapet, Un necromant parut devant Charles Capet : "Ij^coute bien, le ciel men donna I'assurance , «Le sang capetien dominera la France; "Sous le nom des Bourbons, a defaut des Valois, "La race de tes fils lui dictera ses lois; "Us la tiendront esclave et ne craindront rien d'elle, cen(3ration de la nature hu- X inainc, etc., etc. » ^ « Voyez-vous son horloge ovi depuis tant d'annees « Se traiiient lentement les heures enchainees? » L'horloge de la Bastille , qui fut brisec a coups de paves , etait supportee par deux statues d'esclaves charges de chaines. Il y avait egalement, par un autre raffinement de barbaric, un tableau qui sci-vait de principal ornement a la chapelle, et qui represen- tait saint Pierre aux liens. Ce tableau , apporte le i5 juillet dans la salle des ^Iccteurs, resta expose aux yeux du public, qui ne pouvait concevoir cette recherche tyrannique. ■' n C'est le jour du quatorze juillet. » L'histoire de la prise de la Bastille est bien connue ; mais nous devons neanmoins placer ici quelques details chronologiques qui nc pouvaient entrer dans le plan des Douze Journees. Le 12 juillet, le prince dc Lambcsc charge le peuple. On se r6- fugie au Palais-Royal, on s'arme et on incendie les barrieres dans la nuit. Le i3 , on sonne le tocsin, on pille les boutiques des armuriers, la populace se munit de batons , de piques et de lances. Le comit6 des electeurs des trois ordres determine I'etablissement d'une garde bourgeoise. NOTES. 61 Le 14 juillet, le peuple attaque la Bastille par le faubourg Saint- Antoine. Lc gouverneur dc Launay fait deployer le drapeau de paix ; alors cinq ou six cents bourgeois armes s'introduisent dans la forteresse ; mais tout-a-coup le pont-levis est hausse, et une decbarge d'artillerie renverse plusieurs citoyens ; le peuple s'epou- vante, le canon tire sur la ville, un grand nombre de Parisiens sonttues ou blesses. Cependant on se rallie, on amene du canon, et les masses debouchent par la cour des Celestins. Une attaque du cote des jardins ne reussit pas, on s'avance dans la cour des sal- petres , on s'empare du corps-de-garde et des logemens des inva- lides. Bientot les chaines du pont-levis sont brisees, et, malgre le feu des assieges qui redouble, la premiere cour est envabie. La vue des morts exaspere le peuple. Apres un combat long et meurtrier , les logemens du gouverneur sont incendies , et les citoyens aguer- ris montent de toutes parts sur les toits et dans les chambres. Les invalides qui composaient la garnison sont presque tons mis a aiort, le deuxieme pont-levis est brise a coups de canon. Des femmes, des enfans, secondent les assaillans de tons leurs ef- forts; on les voit, apres les decliarges de I'artillerie royale, courir sur les projectiles encore cbauds, et les rapporter aux Parisiens , dont les munitions vont mauquer. Un moment s'ecoule, et tout-a-coup, maitres de la forteresse , les Parisiens I'envahissent de tous cotes, ayant a leur tete Elie, HuUin, iviaillard et Arne. Ce dernier arrete le gouverneur, le livre a la foule qui I'entraine, et lui tranche la tete. Les restes de la garnison implorent la clemence des vainqueurs , et sont epargnes. Tel est le sommairc du 14 juillet 1789. Le lendemain, les electcurs ordonnerent la demolition dc la (1-2 NOTES. nastille. Celtc op6ration , a laquellc furent constamment eraployes pies tic mille ouvricrs, aides d'un grand nombre de citoyens, dura plusieurs mois". Le general Lafayette envoya, comme un present, a Washington, une des clefs des grandes portes de cette prison ; et aiues la mine de I'edifice, remplacement fut le theatre de scenes populaires et de rejouissances publiques. L'inscription suivante etait tracee sur Ics debris : Ici I'on danse. Quelque temps apres, on fit construire, avec des pierres de la Bastille, quatre-vingt- trois modclcs de cette forteresse, qui furcnt cnvoyes dans chaque departement. Sous le regne de Napoleon, et pendant les (juinze annees de la Ilestauration , la plupart de ccs morceaux d'ar- chitecture si curieux fureut detruits ; neanraoins quelques uns sub- sistent encore : nous en avons vu un au Musee de Grenoble; cache (lepuis la Republique, il a reparu, par les soins des administra- teurs, apres la revolution de 1 83o. La poesie fran9aisc , bien que sollicitee par un si grand ovene- mcnt, fut sterile a celebrer le 14 juillet. Le re'publicain Alfieri thanta la victoire populaire dans une ode italienne digne du sujet. Du fer qui scellait les murailles de la prison on fondit des ine- dailles patriotiques ; sur les pierres arrachees des fondemens , on grava le nom des vainqueurs. Le luxe et la mode s'emparerent de ces debris , et Ton en vit des fragmens enrichis d'or, etincelans de pierres precieuses, orncr le cou des fcmmes, dont la beaute, les talens, I'espritou les opinions attiraientalors les regai-ds. Madame de Genlis poriait a son cou un des plus riches entrc tons ces me- dallions de circonstance. Voir, pour de plus amples details, les Meuioires de Linguet et dcDussault, recueillis par M. Berville, et le curieux ouvrage qui a pour titre : La Bastille devoilee. NOTES. 63 *• « Silence ! ecoutez tous Camille Desmoulins ! » Un des caracteres les plus forteraent traces et les plus cnthou- siastes que presente notre histoire, depuis 1789,0^ sans doutc celui de Camille Desmoulins. Jcune et ardent patriote, a I'aurore dela revolution, il en ombrassa avcc ivresse tous les principes et toutes les consequences. Ses ecrits respirent une conviction et un entrainement qui etaient dans son ame. Un des promoteuis de I'in- surrection glorieuse du 1 4 juillet , il etait a la tete des attroupe- mens qui, le 17 jnillet 1791 , au Champ-de-Mars, signerent sur Tautel de la patrie la petition qui demandait la decheance de Louis XVI. Membre de la Convention nationale, il vota la mort du roi sans appel et sans sursis. En i 794 , il redigea le Fieux Cor- delier, oeuvre digne de Suetone et de Tacite, mais qui temoignait a chaque page du desir qu'il avait de s'arreter dans la marche de la revolution. Ce pas en arriere lui coiita la vie. Traduit devant le tribunal revolutionnaire , il fut condamne a mort et execute le 5 avril 1794- Sa jeune epouse le suivit de pres a I'echafaud. ^ « La cocarde de feuille. » La premiere cocarde patriotique etait verte ; elle consistait en une feuille d'arbre. On lit a cesujet, dans le Fieux Cordelier, ou Camille Desmoulins raconte la journ^e du 1 3 juillet 1789, le pas- sage suivant : « J'avais les larmes aux yeux , et je parlais avec une action que « je ne pourrais ni retrouver ni peindre. Ma motion fut recue avec " des applaudissemens infinis. Je continuai : — Quelles couleui .s « voulez-vous? — Quelqu'un s'ecria ; Choisissez. — Voulez-vous le « vert , couleur de I'esperance , ou le bleu de Cincinnatus, cm- ^.r^ NOTES. . bicmc dc la Lberte d'Amc-rique et de la democratic? Des voix ..s-eleverent:-Lc vert, couleur de resp6rance! - Alors jem'e- ., criai : Amis , le signal est donne , etc. » Le lendemain le pcuple abandonna la couleur verte (livree du rorate d'Artois), et prit la cocarde rouge et bleue (blason de Paris ). Depuis, la couleur blancbc fut ajoutee aux deux autres. IIVTRODLCTIOIV A LA TROISIEME JOURNEE. La prise de la Bastille porta ses fruits. Les princes, les courtisans, les principaux seigneurs s'eloignerent pre- cipitamment de Paris , et se retirerent au-dela des fron- tieres. Ainsi commenca cette coupable emigration qui devait durer vingt-cinq ans; les fugitifs allaient sollici- ter pendant toute une generation les armes de I'Europe centre la France revolutionnairejjusqu'aujour ou douze cent mille baionnettes , precedees de la trahison , de- vaient ramener leurs debris au sein d'une patrie qu ils avaient repudiee. La nuit du 4 aout 1789 acheva la victoire du 14 juil- let. L'Assemblee nationale abolit, d'enthousiasme , et par acclamation , droits feodaux, justices seigneuriales, privileges, dimes, redevances, et venalite des cbarges; elle declara tons les Francais egaux devant la loi, et ad- missibles a tons les emplois. La declaration des droits de Tbomme et la liberte re- ligieuse furent ensuite decretees. Mais une dynastie de treize siecles, une fois croupie dans le despotisme, ne se resigne pas a mourir sans defense sous le pied du peuple : Louis XVI, qui ne pou- 66 INTRODICTION. vait croire que la liberie fut legitime, la reine, autri- chienne de coeur et de naissance, JaCour enfin, inlia- bile a sentir sa faiblesse, une fois revemis du premier etourdissement, commencerent a agir d'abord sans bruit, puis tete levee, pour le retablissement de Tan- cien regime et le renversement du nouveau, alors de si fraiche date. La capitale cessa d'etre approvisionnee : le ministere essayait de faire craindre aux Parisiens les suites de la liberte. Versailles fut cerne de troupes, et TAssemblee constituante placee sous la haute main du pouvoir royal. C'est encore a Finsurrection populaire qu'il etait re- serve de sauver la liberte naissante ; elle connut sa mis- sion, et sut I'accomplir. TROISIEME JOURIVEE n 1 > ; ': I'Wjt ilKsi. V 1 j '■%;, . •■-' ^r "■-—-' Il i'' '.'■ ■--.■"■. '^' : [fe ~ id^ '^ uV 1 ^m 1 1 1 '1^^ J 1 (i^ ^ lr> K 1 r ;-H« g^ 1 . M %.-^^ ':■"'■■■ i'l i '^^ f. -:^ ^ -'f 1^3:,^^^ r ' B 1 *4j ;■ nJ^iiilS felt' 1 9 -^ ?# P liimB ..-"isjsjfe^^ y- '■'■■■■^^ "" .■,::'j--s-::mmm ^'i 1 -1 ^ i^H w s i '>. 5 ET 6 OCTOBRE 1789. 4)))HIUB LE PEOPLE A VERSAILLES. Paris a reconquis sou roi. ( Paroles de Bailly. ) Quand les palais des rois vont crouler sous la cendre, Qu'importe aiix courtisans les clameurs de Cassandre ! Que leur font ces avis , tonnerres eloquens Qui revelent un sol ou dorment les volcans ! THOISIEME JOUKiNEE. Les hymnes des festiiis, les joy eases cithares, Couvrent le grondement qui sort des solfatares; Siir un drap mortuaire on danse sans frissons. Apres quatre mille ans do terribles lecons, Sous le brouillard de feu dont le dais I'enveloppe, Voyez dans ses parfums s endormir Parthenope : Elle ue quitte point le Pausilippe aime, Le pin hannonieux sur ses laves seme , Ses collines d azur par Toranger couvertes , Son oreiller de rose et son lit d'algues vertes^ Sa coupe etincelante oii tombe le raisin ; Et puis elle fremit, quand le volcan voisin. Las de lui reveler sa colere prochaine , Ouvrant sa gueule rouge , en hurlant se dechaine , Et, dans le sol ouvert, partout ensevelit Lc calme Sibarite etendu sur son lit. LE PEUPLE A VERSAILLES. 71r^ Oiii, tant que rhomme heureux, a la tete frivole, Verra son avenir dans le present qui vole , Tant qu il ne pretera que des organes sourds Aux voix des siecles morts qui lui parlent tou)ours, Qu'il n'accuse que lui , si la noire tempete Le saisit ivre mort dans quelque nuit de fete ; Ses yeux voiles d'orgueil auraient du le prevoir : Le passe qui conseille avait fait son devoir. Les rois, surtout les rois I ceux-la, dans tons les ages Ont constamment ferme leur paupiere aux presages ; G est encore aujourdhui comme aux siecles premiers; Quand la foudre tombait sur les royaux cimiers , Quand le poignard frappait un roi du Bas-Empire , Sur le tr6ne sanglant il en montait un pire , 72 TROISIKME JOURNEE. Un, qui baissant les yeux sur iin passe recent^ I )edaignait la lecon ecrite avec dii sarif;. Tel va ie iiiuiule : aussi la elameur des poetes. Ne letentirait pas sur ces royales tetes, Si le sort qui preside aux au^ustes malheiirs Ne frappait en tombant que les rois etlesicurs; Mais ce sang qui des Gours enregistre les f autes lU^aillit et se fige aux tetes les moins hautes; li'ouragan qui meurtrit Ie trdne le plus beau Va tourmenter le pauvre assis sui- Tescabeau ; Et, bien qu aux yeux de tous la chose soit notoire, La main du coiirtisan qui trace leur histoire, Dun coupable avere contraintc a faire un clioix , Incrimine le peuple et disculpe les rois. 11 est temps que le peuple ait aussi son Plutarque : Discuipous le sujet des fautes du monarque ; LE PEUPLE A VERSAILLES. 73 Qii'aii poids repaiateur de Faustere equite Le salaire du crime enfin soit acquitte. Certes ! des que le ciel , conseiller salutaire , Des debris de huit tours couvre un arpent de terre, Lorsque pour secouer un roi dans sa torpeur 11 transforme dun coup la Bastille en vapeur, Et qu'enivrant les tours , les palais et les ddmes , II fait trembler le sol sous un tremblement d'hommes ; Alors , ouvrant les yeux vers le noir horizon , Un roi doit accueillir la tardive raison : Sa Cour, insoucieuse aux fentes du cratere, Pour ecouter I'orage un instant doit se taire , Rendre la coupe pleine aux mains des echansons, De rhistorique voix mediter les lecons ; 7/j TllOlSIKME JOURNEE. ( ;ai iin seiil join- de plus dans la coiipable or^oie A{jrandit le volcan sur sa base elargie , Un seul jour de vertifjc et de dedain moqueur Inite jusqu'aux os tout un peuple vainqueur, A la froide pitie prepare la victime, Souleve la vengeance et la fait legitime. Eh bien ! non ; quand le ciel en un langage clair Ecrirait I'avenir sur les pages de lair, Et qiie pour dissiper un vertige tenace 11 prendrait cette voix qui parle la menace, Rois, reines, courtisans, sur I'abime joyeux , Du celeste ecriteau detourneraient les yeux, Poui- ne les plus rouvrir qu a cette supreme heure Oil du rouge billot la hache les effleure. O demcnce ! engourdis par vos larges repas , Ilcbetes par Torgueil, vous ne soupconnez pas LE PEUPLE A VERSAILLES. 75 Que le drame du peuple a peine au premier acte ^ Epouvante les airs dun bruit de cataracte , Et qu'on ne trouve plus une assez forte main Pour dompter ce torrent qui se creuse un chemin : Oui , vous avez raison ; il faut qu un palais rie , Que Tinsolente Gour danse a FOrangerie ; D'une chasse royale il faut jouir encor ; II faut Jeter aux bois les sons legers du cor, Et que Versaille entier, dans sa joyeuse allure, Au vent des grandes eaux livre sa chevelure ; II faut railler le peuple , il est si faible! Allons! Que le bal de la nuit ebranle vos salons , Que du parvis au toit le chateau s'illumine 1 Paris n'a pas mange , Paris meurt de famine , G'est bien : chargez la table , avides courtisans , Arrondissez autour vos visages luisans , 76 TROISIEME JOURNfiE. Biivez les vins sortis des royales vendanges, Les vins dont s'inondaient Pompadour et Fontanges. G est bien , Torgie est pleine 1 [Is sont la par milliers Tous ces nobles armes du fer des chevaliers ; Sur la table, a leur tour, ils font leur jeu de paume, lis jnrent a Louis de sauver son royaume, ' Leur delire s'exalte au nom de Fontenoi ; Devant la France entiere ils ouvrent le tournoi ; Sublimes fanfarons, dans leur rage trompee, Contre le peuple absent ils brandissent Tepee , Et les dames au cintre assises sur les bancs Font pleuvoir sur leurs fronts les fleurs et les rubans. Nou , ce n'est point assez pour cette nuit folatre ; Montrez, montrez I'idole a ce peuple idolatre , Que la royaute passe au milieu de ces rangs , Quelle seme partout ses parfums enivrans , LE PEOPLE A VERSAILLES. 77 Que de ses propres mains elle agite la braise : Voici Louis ! voici la fiUe de Theresa ! Gomme pour rappeler de maternels destins , Elle montre son fils aux nouveaux palatins , Elle jette en passant ces paroles de flamme Qui troublent la raison et s'attachent a lame ; Entremelant sa voix a leurs bruyans accords , Aux airs seditieux des Mtes et des cors , La royale Circe subjugue les convives ; Anatheme sur eux! de leurs mains convulsives, De leurs pieds insultans , sur le parquet vineux , De la sainte cocarde ils salissent les noeuds ; Et nul front ne palit, et sur une colonne Aucune main n ecrit I'arret de Babylone ' Point de prophete noir qui de son bras divin Renverse sous leurs yeux les amphores de vin ! 7S TROISIKME JOURNEE. Une voix du dehors seule attriste les ames , Une nocturne voix, mais c est la voix des femmes, Etres aux faibles mains qui viennent a grands cris Leur demander un pain qu'on leur cache a Paris ; Que craindre d'elles?rien, rien; poursuivez Torgie, Sur la cire qui meurt rallumez la bougie; Hautes dames de cour, fieres sur vos plians, Fermez, fermez I'oreille aux pauvres supplians; Hommes d'armes , debout ! que la balle extermine Ces vassaux criminels qui parlent de famine, Gar la Cour a mange ; dragons de Bezenval , Arriere les mutins, sabre en main , a cheval ! O terreur ! les voici ! les larges avenues Se noircissent au loin de femmes demi-nues LE PEUPLE A VERSAILLES. 79 Aux obscenes haillons , aux visages meurtris ; Le tourbillon informe elance de Paris Deborde par Saint-Cloud, par la route de Sevres; Elles sont 1^ , hurlant , la rage sur les levres , Les yeux tout flambbyaus d'une horrible lueur, Tordant les poings souilles de fange et de sueur ; De la race de rhomme effroyables femelles , Elles livrent aux yeux leurs bras et leurs mamelles , Entre-choquent leurs cris , melent leurs rangs confus , Au milieu des chevaux , des caissons , des affiits ; Sur ces groupes sans nom qui pietinent Farene , L'ardente Mericourt domine en souveraine ; ^ Debout sur un canon comme sur son pavois , Elle exalte les rangs du geste et de la voix ; On distingue au milieu de ses soeurs de bataille Ija blancheur de son teint et le fut de sa taille ; HO TROISIEME JOUKNtlE. , A sa male vigueur la grace ii'a pas nui ; Desormais, dii boudoir fuyant le mol ennui, Une lance k la main, la tete echevelee, Elle marche aux perils comme Penth^silee ; Nul homme assez hardi , pieton ou cavalier, Ne jouterait coutre elle en combat singulier ; Le sabre et le fusil pendent a ses epaides : On croirait voir passer la pretresse des Gaules ; C'est la Pythie en feu, qui sur ce noir essaim Souffle le dieu cache qui suffoque son sein. La , s'agitaient aussi dans la horde androgyne Ces chefs puissans d'audace et larges de poitrine , Qui toujom"S, quand sonna Theure d'un grand peril, Trouverent sous la main la pique ou le fusil ; HuUin , qui le premier sous la cocarde verte ^ Bondii dun pied vainqueur dans la Bastille ouverte, LE PEUPLE A VERSAILLES. 81 Et Maillard que juillet compte dans ses heros^, Que septembre inscrii a dans les uoms des bourreaux ; Et tons ces hommes forts, aux sinistres coleres, Dans les jours de vengeance etendards populaires. Gomme on voit ruisseler les laves d'un volcan , Gomme les flots dun fleuve, ainsi marchece camp; Le canon pour escorte et le tambour en tete , Paris vient cette fois presenter sa requete. Maintenant, 6 Versaille ! il est temps de fremir; Dans cette longue nuit garde-toi de dorniir; Hatez-vous , defenseurs de I'auguste famille, Voila les assiegeans : fermez, fermez la grille; Silence ! cachez-vous sous vos larges vitraux; L ours a flaire sa proie a travers les barreaux, 6 82 TROISIEME JOURNEE. Siir les flancs du chateau qui palpite de crainte, L'immense batailloii resserre son etreinte; II prelude ci I'assaut par de sinistres jeux : Le nocturne bi vac etincelle de feux; Au reflet des charbons attises par les piques , TiCS bacchantes en cercle entonnent leurs cantiques: EUes tressent leurs mains , et dun pied qui bondit Passent en tournoyant sous le palais maudit. Et voila tout--a-coup qu'un vaste cri resonne : Une issue est ouverte a I'arniee amazone ; Tout ce peuple se rue au milieu des debris, Son bras devastateur mutile les lambris. Niiit de deuil! pourras-tu danstes sombres abimes Gouvrir ce long recueil d'atteutats anonymes , Ge carnage fumant dans le royal sejour , Ces cndavrrs jetes aux paves de la cour, LE PELPLE A VERSAILLES. 83 Ces tetes qui la veille elegamment coiffees S elevent sur des pieiix en signe de trophees, Et ce boucher hideiix, ce Moloch rugissant. Qui mange des chairs d'homme et se lave dc sang? Non, sur ce noir tableau le jour percant doit luire , Ce pontife du meurtre est ia pom- nous instruire; Meditons bien ceci : dans ces graves momens Ou le ciel veut donner ses hauts enseignemens , DWe main invisible il suscite et promene Les grands executeurs de la justice humaine. La , dans ce noir chaos de tant d'hommes hideux Apparut comme un spectre un homme inconnu d'eux ; D'ou vient-il? on ne sait : quel est son nom? mystere : Sa voix interieure est un cri de panthere , C'est la langue sans mots que parlent les demons , Un ralement sorti des caverneux poumons; 6. ' 84 tkoisieml: journee. Sa baibe, scs cheveux, couvrent ses traits obscenes; Victirnaire public dans ccs bruyantes scenes, Affauie (ill tribut que le peuple iui doit, Des qu'on traine un captif il fait si^ne du doigt; Tout imbibe du sang oii sa fureur se vautre, Quand son oeuvre est finie il en demande unc autre, Et comme pour dresser d'effroyables festins, I! depece en lambeaux de tiedes intestins. Ah! sans interroger une source lointaine. Qui done expliquera ces prodiges de haine r' Gc pretre de la mort qu'on n'a pu definir, Get liorn-inea tongue barbe, effroi du souvenir;' Que savez-vous? peut-etre uiie injuste sentence Vingt ans dans les cachets broya son existence , Peut-etre qu'un seigneur de cette meme Gour Souilla son chaste hymen dun impudique amour, LE PEUPLE A VERSAILLES. 85 Oil que du Parc-aux-Gerfs ime trame infernale Emporta dans la nuit sa fille virginalo. Ah ! ne coiidamoons point ccs homines delirans ()ui rendent des forfaits a des forfaits phis grands ; I.e peuple , dans ce jour que vous nommez netaste, Soldait sur quelques uns les crimes de leur caste ; Non, ce ht parfume de jasmin et de nard, Ces odorans Unceuls que perce le poignard , Ce dome de rideaux qu ouvre la baionnette , Non , ce n'cst pas le lit de Marie- Antoinette ; Le peuple est clairvoyant et n'cst point oublieux , 11 connait de tout point Fhistoire de ces lieux ; C'est le lit oil les rois par gout hereditaire 'rransmettaient a leurs fils des lecons d'adultere ; C'est la secrete alcove aux fetides parois . C'est I'auge oii se vautraient ces maitresses de rois, H(i TUOISIEMl-: JOURNEE. Qui, |)()iir jnix d(' leur danse au soilir d'luie fete, A 1 Ucrode chretien demandaieiit uno tete; (^tii ravissaiciit, la niiit, dans iin cnibrassemeiit , L'ordre dun homicide* a leur royal amant, Et dc leur chair venduehonorant leur famille.. Rivaient par un baiser lecrou de la Bastille. Ainsi, quand sur les toits du criminel chateau Le pouple de Paris tomba comme un marteau. Ce fut justice : « Va, cours chatier Versailles, » Lui criait une voix du fond de ses entrailles ; Tn pouvoir inconnu le poussait en cheuiin : Et ffuel homme assez ferme , en etendant la main , En jetant sur les flots sa parole puissante, Aurait pu refouler cette mer riijnssante? LE PEUPLE A VERSAILLES. 87 Un seul ; mais le genie ami des nations , L ange fort qui preside aux revolutions , A ses sens engourdis cachant le vol des heures , L ecarta cette nuit des royales demeures , Et jusqu'au point du jour a paraitre si long Lafayette dormit sous un rideau de plomb.^ Silence ! il a paru : mediateur sublime , 11 suspend dans les coeurs la colere unanime. Les dards ensanglantes se baissent devant lui ; Sur un pacte sacre I'aube sereine a lui , Elle etend sur le deuil une fete publique • Le monarque a compris la nocturne supplique , 11 n'est pas oublieux jusqu'au point de braver Ges nouveaux courtisans venus a son lever ; 11 obeit : jamais ni Syphax ni Persee , Gontemplant a leurs pieds leur pourpre dispersee ; S8 TUUISIEMK JOURNEE. Juuuiis ces grands captifs que le consul romain Trainait apres son char dans le poudreux chemin Ne porterent au front tristesse plus fatale : G'est done ainsi qu'un roi marche a sa capitale ! O que la route est longue et que le char est lent ! Deplorable jouet dun triomphe insolent, Escorte de canons , de femmes attroupees , De rameaux verdoyans et de tetes coupees , II arrive ; 6 douleur ! que sont-ils devenus Ces cris resplendissans , ces transports ingenus , Qui naguere accueillaient sa fortune meilleure ? Helas ! il a compris qua dater de cette heure , Ce Paris que son oeil parcourt avec effroi IN'a plus qu'un roi, le peuple ; un seul sujet, le roi. NOTES DE LA TROISIEME JOURlNEE. i®©®#©®©©e#®©®®##t#©®#®®©®©©® NOTES DU PEUPLE A VERSAILLES. ' « lis jurent a Louis de sauver son royaume. » C'cst le i" octobre, au moment ou le pain manquait a Paris, qu'eut lieu le celebrc banquet offert par les gardes du corps aux chefs royalistes de la garnison de Versailles. Le local de la fete etait la grande salle des spectacles , exclusivement destinee aux re- jouissances officielles de la Cour. Le nombre des convives etait immense. Le roi, suivi de la reine tenant le dauphin dans ses bras, semblait presider au festin. Au moment ou la musique joua lair connu : O Richard, 6 mon roi, Vunivers t'abandonne !... la scene prit un caractere decisif. On sonna la charge , on escalada les loges, la cocarde blanche fut arboree et les couleurs natio- nals foulees aux pieds. La meme orgie avait lieu dans les galeries du chateau, oil les dames de la Cour prodiguaicnt aux chevaleres- ques officiers les felicitations , les rubans et les cocardes. Les memes scenes se renouvelerent le 3 octobre. ^ « L'ardente Mericourt domine en souveraine. » Theroigne de Mericourt, amazone celebre , qui joua souvent un grand role dans la premiere periode dc la revolution. Fille ()2 NOTES. ,1'iui (ultivatom , aux environs ilc Ln'^fje, oUe vint de honnc hcurc a I'aiis , ou sa beaute seduisit plusieurs personnages marquans dc Icpoquc. Loiii dc rcpousscr Icurs tentatives, elle les niina parses folios ct son faste. Nee avec une ame ardente ct impressionnable , elle sje : il y a la profusion de drames; tons ces sommaires sont electriques, toutes ces dates font vibrer de hauts souvenirs; le poete se trouva embarrasse au milieu de cette eblouissante chro- nologie. Mais, command e par les bornes de cet ouvrage, il crut devoir s'arreter a Tinsurrection du 20 juin, impo- sante preface du 10 aout, Les influences de Dumouriez venaient de faire ren- voyer du ministere trois ministres alors populaires, Roland , Clavieres et Servan. Cette imj)rudence du parti de la Cour fut vivement ressentie par les Giron- dins, qui saisirent I'occasion que leur offrait le roi d'entrer avec ce dernier dans une lutte oii la victoire leur etait d'avance assuree. D'autres fautes du roi exas])eraient encore le peuple : ce prince, a Finstigation de Lafayette, avait appose son veto sur le decret qui ordonnait la formation d'un camp de 20,000 hommes, et sur Ic decret qui punissait de la deportation les pretres rebelles. Toutes ces causes pre- cipitaient d'inevitables evenemens. QUATRIEME JOURIVEE. '-^ H ^ 20 JUIIV 1792. -«HlB»||^||«))Mlii'- LE PEOPLE AUX TUILERIES. Apparet donius iutus , et atria longa patescuiiL ; Apparent Priami et veterum penetralia regum. {Virgile.) L'idole monarchique a perdu son vieiix culte; C'est le vingt juin 1 le jour de la sublime insulte , Oil le peuple, etendu sur les fauteuils royaux, De sa calleuse main touche les saints joyaux; 102 QlJATIirriMt: JOURNEE. ( )ii rhomme du fauboiirfj plonge ses yeux avides Dans IVspace profond des appartemeiis vides ; On \c roi de la rue et le loi du chateau Sur la table des des vont jouer leur manteau : C'cst le dernier moment des pompes souveraines , Le dernier jour de roi du captif de Vareanes. r/ineorrifjible orgueil a feint de ne pas voir Le tourbillon rapace ou nage le pouvoir; En vain , par des complots , par des trames ourdies 11 a cru retarder 1 heure des tragedies , L'ceuvre marcbe a sa fin ; soyez , soyez contens , Diplomates de Gour, conseillers impotens ; Vous avez vouluvoirune pourpre avilie, Ell bien ! Louis boira I'affrout jusqu a la lie ; Vous seuls avez creuse de vos perfides mains Lorniere qui le pousse a de sanglans chemins; LE PEUPLE AUX TUILEUIES. 10;i Aujourd'hui degrade de son aiicien prestige, Sa tete va bondir de vertige en vertige, Jusqu'an jour oii changeant cette pourpre en linceul, Sur son dernier theatre il comparaitra seul. G'est encore un vingt juin ! sous les soleils torrides ' Ge jour ouvrit I'histoire a nos ephemerides ; Date retentissarite a I'oreilie des rois , Elle etincelle encor pour la troisieme fois. L'ouragan est sorti des flancs de la Gironde; ^ Gomme une forge en feu la ville entiere gronde , Non ce lache Paris , boudoir de citadins , Get enclos de bazars , de palais , de jardins, Non ce ventre a chair moUe engourdi de paresse , Get amas corrompu d'intestins et de graisse ; KU (^( ATRIEME JOURNEE. Mais Paris drs faiibourfifs Saint-Antoine et Marceaii, Dc iieiis ct tie tendons ^lectrique faisceau , Arsenal criiomnies forts qui , dune main durcie, Kxercent en suant la tenaille et la seie ; Qui , des que le tocsin frissonne aux ateliers, 8\'lanccnt en trois bonds aux royaux cscaliers , Et IVappent , mieux que nous faibles hommes de plume, 8ur un tione de roi comme sur une enclume. Ce Paris s'est leve de toute sa hauteur , Farouche , menacant comme un gladiateur (^ni de son larfje orteil presse une terre libre lit fixe un oeil ardent sur sa chaine qui vibre. Debordes a-la-fois par un double chemin , Ces fraternels faubourgs se sent serre la main LE PEUPLE AUX TUILERIES. 105 Hardis representans de la grande famille , lis inondent le sol ou tomba la Bastille : Gette place qui fume encor depuis trois ans Resonne sous les pieds des soldats artisans; Le tumulte preside a leurs rangs energiques: Ge ne sont point ici ces pivots strategiques , Ges roides mannequins , automates des rois , Ges soldats bien vetus, bieu alignes , bien droits , Dont les pieds compasses s'avancent en bataille Gomme un soubassement d\me longue muraille ; Leurs contus pelotons se heurtent en tons sens ; lis brandissent des faulx, des hacbes, des croissans : Habilles a la bate ou demi-nus, quimporte? Pour forcer une grille ou briser une porte , Pour broyer a ses pieds de pales bataillons , La vengeance convoque une armee en haillons. lOG (^UAiniEME JOUHNEE. (^iiaiid ;iii |)alais des lois Ic peiiple icnd visite , (hiaiul a Ifur table d'or, superbe parasite , I'onsse par iin outrage il vient s'asseoir enfin, Sa grandc j^^iieiile ouverte en leur disant : J'ai faim; Aiix pointes des fusils presentant sa requetc , G'est alors qu il revet son habit d'etiquette , Et que pour accomplir un dessein medite U se presente en Gour beau de sa nudite. Voyez-les , cette f ois , dans leur cynique allure : liC bonnet phrygien presse leur chevelure; Us oat improvise, par d'unanimes voeux, Des chefs aux seins veins , aux bras noirs et nerveux Dont la voix retentit comme un clairon de guerre ; Et comme chef unique ils out elu Santerre : ^ C est le roi des faubourgs , c'est leur Agamemnon , Un de ceux dont le peuple idolatre le nom , LE PEOPLE AUX TUILERIES. 107 Uii de ceux qu en tout temps , pour dominer la foule , Le prevoyant destin fond dans un large moule ; Ses apres compagnons n'obeissent qua lui ; Sous les feux du soleil son long sabre a relui , G'est riieure du depart : les informes recrues Ruissellent comme un fleuve encaisse dans les rues ; Tons les bras sont leves , tons les fronts sont converts D'epis de la moisson, de fleurs, de rameaux verts; Le sol palpite au loin sous ce peuple qui passe , L'eclatant Ca-ira resplendit dans Tespace ; En guise de drapeau mille mains ont porte L'arbre qui prend racine avec la liberte ; ^ D autres sur deux canons trainent LES DROITS del'homme, Ces tables de la loi de la nouvelle Rome ; Decalogue eternel que le doigt souverain Marqua sur un feuillet bien plus dur que 1 airaiu. 108 QUATIUEME JOURNEE. rai-l<»ut , sur le chemin qui mene aux Tuileries, Marseille a deploye ses riches theories, Ses fetes de la mer, ses parfums d'Orient, Et la sainte revoke a pris un air riant. Ce sont eux : ecoutez leurs sonores syllabes : Ce sont les fils des Grecs, des Romains, dcs Arabes, Les fils de la mer chaude et des brMans climats , Geux qui montent d'un saut a la pointe des mats, (^ui de chaque cheveu dardeut une etincelle , Qui lavent dans la mer leur sueur qui ruisselle ; Scid peuple de nos jours qui garde daus ses yeux L eclair independant de ses premiers aieux. Sur les bonds convulsits des enfans de Phocee La noire multitude au chateau s'est poussee ; ' Une immense clamour assiege le palais , lUnnplit le Carrousel, et Thymne marscillais LE PEOPLE AUX TUILERIES. 109 Gronde avec ses refrains sous la sublime voute Ou , I'oeil terne de peur , la Goiir muette ecoiite. Et cependant , que fait le fantdme de roi ? Que sent-il en son coeur ? le courage ou I'effroi ? Rien;noushommes du peuple,ignorans que nous sommes, Nous supposons aux rois le sang des autres hommes , Nous placons dans leur sein , par un calcul trompeur , '' Des phases d'heroisme et des phases de peur ; Eh bien, non; lair des Gours, latmosphere gothique Ont si bien endurci leur fibre lymphatique, Qu'ils conservent toujours la fraicheur de leurteint; Tout , jusqu a regoisme , en leur ame s'eteint ; Aussi, dans ces grands chocs que leur palais voit naitre, Quand la voix des faubourgs gronde sous leur fenetre, 110 QUATRU^ME JOURNEE. lis out cr calme plat et ce courage faux Qui provoquent le peuple et font les echafauds. 111 I ce moment de deuil le monarque docile l^.iir lancer un veto convoquait son concile, Sans craindre que jamais dans ce pompeux salon T.n hautaine revoke imprimat son talon; Tl avait pres de lui, pour garde et pour escorte, (^uelques vieux courtisans d'une majeste morte, Quelques pretres vetus de blancs habits de lin, ^ Qui de la monarchic assistaient le declin ; Tous ces nains machinaient une oeuvre colossale, lis tressaient un cordon pour la France vassale, Et, martyrs imposteurs du tr6ne et de I'autel, A Tinsolente plebe ils jetaient le cartel. () pitic ! meme a I'heure oii ce peuple qu'on raille Investit de ses bras leur derniere muraille , LE PEUPLE AUX TUILERIES. Ill Ges pretres conseillers, ces nobles fanfarons, Ces eimiiques litres , aux luisans eperons , Jurent d'abattre encor le peiiple qui se leve , Et leur main qui jura laisse tomber le glaive. A peine, sur les cours , quelques hardis valets Ferment a deux battans les portes du palais ; La hache qui surgit du faisceau populaire A deja tout broye comme I'epi sur Taire, Le chene qui defend les larges escaliers , Et les gonds cramponnes au marbre des piliers , Et la grille de fer dressee au vestibule; De rempart en rempart I'etiquette recule; Par un dernier effort , sous un panneau de bois , Elle veut abriter le monarque aux abois ; Que faites-vous ? huissiers ! qu'on ouvre en confiance La bouche dun canon vous demande audience; ^ 112 QUATRIEME JOURNEE. .lauiais uii oiateur marchant sur des affuts A la portc des rois n'eprouva des refus. iMace done! faitcs place a cette immense trombe ! Hirn ! tout est envahi, le dernier rideau tombe ; Le palais de Priam ouvre ses profondeurs : Aiix Pyrrhus des faubourgs, aux noirs ambassadeurs , Aj)paraissent au loin d'immenses galeries, Les secrets reposoirs des saintes Tuileries ; Ces calmes corridors oii , pour faire trois pas , L'etiquette jalouse apportait son compas; Ces lambris d'oii descend une fraiche tenture (^iie ne souilla jamais un parfum de roture: Oh ! tout est profane ! sous ces augustes toits , Marseille a dechaine son tonnerre patois ; La pointe des fusils froisse les girandoles ; Ces lauteuils ou la Gour encensait ses idoles LE PEUPLE AUX TUILERIES. 113 S'affaissent sous le poids de ces conquerans ioiirds ; Des pieds noiis et fangeux marcheiit siir le velours. Non, riiistoire dW peuple, en ses vieilles annales, Ne deroula jamais de telles saturnales : Us agitent les dards, les piques, les couteaux, Les drapeaux de haillons , les grossiers ecriteaux ; lis tiraillent ce roi sans culte et sans couronne ; Gomme un cercle etouffant, ce peuple reuvironne ; A Tangle du salon , debout sur un f auteuil , ^ Louis sur ses sujets jette un calme coup d'oeil, Met la main sur son coeur , et la foule lui crie : Plus de veto! choisis Goblentz ou la patrie ! De hideux orateurs aux sauvages accens Hurleut autour de lui des conseils menacans, Melent des oris de rage aux saccades du rire. A has les noms de roi , de majeste , de sire ! 114 QUATRIIOME JOURNl^E. On rn])|>('llo monsieur; un (i^rotesquc echanson '" Pol tc jiisqii'a sa bouche une horrible boisson; Puis dun usage antique ilsfoutle simulacra: « S'il est roi , dit Legendre , il est temps qu'on le sacre; ' ' « .Tai sa courouue prete ; " et son bras effronte l)u bonnet jacobin coiffe la royaute; Jjouis roi des Francais , le peuple te salue ! Voila la royaute telle qu'il la voulue ! C'est assez pour un jour : de ce sol calcine Le debile roseau n'est pas deracine ; Quclques panneaux brises, quelques grilles tordues, Les rauques voix du peuple au palais entendues, La royaute trainee a son dernier gradin : Voila tout ce qua pu le souffle girondin; LE TEUPLE AUX TUILERIES. 115 Pour amener ce choc, que la mort accompa^ne, 11 faut que Fouragan sorte de la Montague. Va done , ne vide pas sur ce palais ami Ta coupe de colere epanchee a demi; Va, peuple confiant, quWe voix douce enchaine, Mets au front de ton roi la couronne de chenc, Brise dans ton remords tes orageux tambours , Emousse sur le sol la pique des faubourgs ; Louis, instruit eufin, par ce jour d'audience, Rompt avec son clerge tout pacte dalliance; Sa parole est sacree, il te Ta bien promis, Ses amis de Goblentz seront ses ennemis , La sainte liberte va devenir son culte ; Ceux qui dans le chateau, par une trame occulte, Dun sinistre avenir entretiennent Tespoir, Vers un sol etranger s exileront ce soir. 8. IK; (^ITATRIKME JOURNEE. AT«Mison.f;(' ! Ir.iliison! los rois de sacristie Savcnt Tart dobleiiii- qiiclqiics jours tramiiistie; Rc'veilles en sursaut par la rebellion , I. (Ill- hypocrite main assoupit le lion; Ccliii-ci, depensant quelques mcsqiiines ruses, Vn moment a la vague impose des ecluses ; Mais Ir peuple lui garde un terrible retour, 11 icviendra finir 1 ('bauehe de ce jour, Et Jeter surle sol, dans une lutte prompte, Ce front deeouronne qui sua tant de honte ; Pour subir un tel maitre il a trop de fierte ; On pardonne le crime et non la lachete : Un roi qui du balcon sur la publique place Vdit vers ses corridors marcher la populace , Ij ne sail pas trouver dans un recoin du coeur ITn heroique elan d'une male vigueur. LE PEUPLE AUX TUILERIES. 117 Et lie salt pas mourir avec ses domcstiques Sur le champ de bataille ouvert sous ses portiques , Et defeiidre sa tour oii sonne le beffroi , Et clouer a son front sa couronne de roi , Et ne derouille pas, pour jeter Fepquvante, Le fer de tant d'aieux dont toujours il se vante ; Qui, pour se menagerun douteux lendemain, Repudie en son coeur le serment de sa main : Celui-la pent tomber la tete sur la pierre Sans que larnie de deuil humecte une paupiere , Sans qu un cri dc douleur, de pitie , de remord , Eclate dans la villc on Ton dit : 11 est mort. Qui se laisse avilir se fait ses agonies , Contj'e lui tout est juste ; a lui les gemonies., A lui les sombres jours ou le peuple brave Depece une couronne assis sur un pave ! 118 (^UATKIEME JOURNEE. Le {)antcrre (Claude), brasseur de bierc dans Ic faubourg Saint- Antoinc, acquit, des le commencement de la revolution, un grand ascendant sur les habitans de cette partic de la capitale, et se fit i-emarqucr a la prise de la Bastille. Le 20 juin 1792 il comnian- dait les rassemblemcns du faubourg Saint-Antoine. Apres le 10 aoiit, journee au succes de laquclle il contribua puissamment, la Commune lenomma commandant de la garde nationale, et ce fut en cette qualile qu'il conduisit Louis XVI au Temple, et le 21 Jan- vier suivant a I'echafaud. Nomme general d'une armee parisiennc envoyee centre la Vendee, il fut defait par les royalistes. De re- tour a Paris , il y fut arrete comme Orle'aniste , et rendu a la liberte le 9 thermidor. Depuis lors, il a cessede jouer un role important, ct ilestmortaParis en 1808. Santerre, comme prcsque tons les bommes marquans de notrc revolution, est mort pauvre ; exproprie du vaste enclos du Tem- ple sur lequel a ete batie la Rotonde, il subsistait d'une modique pension qui lui avait ete accordee par I'Etat. Un de ses fils vit au- jourd'bui a Paris indigent et obscur. Ne serait-ce pas une justice que le gouvernement de i83o recompensat dans leur generation ceux qui ont si puissamment secouru la revolution de gri ? ^ « En guise de di apeau mille mains ont porle <' L'arbre qui prcnd racine avec la liberte. » La niuhitucic suivil la rue Saint-Honore jusqu'a la hauteur dcs NOTES. 123 Tuiieries, et se preparait a deboucher par la porte des Feuil- lans. A ce moment les groupes populaires, precedes par des hom- mes armes de haches , escortaient un immense peuplier couche sur une charrette ; c'etait I'arbre de la liberie. Toute cette foule etait sans amies. Les uns disaient qu'ils allaient planter cet arbre a la porte de I'Assemblee nationale, dans les batimens du Manege. ( Au- jourd'hui cet edifice et ses dependances sont remplaces par les rues de Rivoli et Castiglione. ) D'autres voulaient I'elever sur la ter- rasse des Tuiieries, en face de la grande porte du chateau. " « La noire multitude au chateau s'est poussee. « Nous allons placer quelqucs details historiques sur les evene- mens du 20 juin. On comprendra sans peine comment, neces- saires pour de'velopper le texte poetique, ils y eussentete deplaces. Les attroupemens commencerent a se former dans les fau- bourgs des cinq heures du matin. Santerre, riche brasseur, s'e- tait fait le chef du quartier Saint- Antoine; les insurges du fau- bourg Saint-Marceau avaient pour general le nomme Alexandre, chef d'un bataillon de la garde nationale. Nonobstant les arretes du directoire, a peine le jour coramencait a poindre, que gardes civiques , invalides, piquiers, liommes sans armes, femmes , en- fans , tout se reunit. Les rassemblemens du faubourg Saint-Marceau s avancaient avec un calme apparent, precedes de deux pieces de canon, et grossis dun nombre considerable d'uniformes. Au faubourg Saint -Antoine I'iusurrection paraissait encore plus menacante: des canonniers, des grenadiers, des commissaires de police re- vetus de leur echarpe, etaient meles a la foule. Cette troupe 10/, NOTES. .1 ciiviioii qiiinzo cents hommcs se grossil consitlerableiuonl clans li- trajt't (111 faubourg au passage ties Feuillans. Le point du depart avail etc a la place dc la Bastille; les tables dc la loi ot plusieurs pieces y opposer. Vingt mille hopimes armes attendent votre decision , dit un depute ropublicain ; vinqt millions de Francais I'attendent aussi, riipliqua Ramond, depute royaliste. Pendant qu'on delibtirait en- core, la foule, lasse d'altendre aux portes, euvabit la salle et defile lentement. L'orateur des faubourgs, nomme Huguenin, prononca une adrcsse longue et diffuse , mais forte de menaces et d'impreca- lions centre la Cour. Elle invoquait le celebre article des droits de NOTES. 12: o riiomme, en vertu duquel se trouvait legalement consacre Ic plus saint des davoirs. Apres la lecture, Santerre offrit un drapeau, cl la deputation sortit au bruit de I'air Ca-ira , traversa les Tuilerics et se rendit au Carrousel. Cette place ainsi que celle de Louis XV ressemblaient a deux vastes camps. ^ « INous placons dans leur sein , par un calcul trompeur, « Des phases d'heroisme et des phases de peur. » M. de Chateaubriand (ce temoignage n'est pas suspect) raconte naivement', dans un de scs ouvrages , que Louis XVI etant a la cbasse surprit sous un arbre un de ses vieux gentilshommes qui s'etait endormi ; le bon roi trouva plaisant de le reveiller en lais- sant tomber une grosse pierre sur la poitrine du vieillard; celui-ci se leva furieux, et rcconnaissant le roi, il s'exhala en injures. Je savais bien, lui dit-il, que vous etiez le plus cruel, le plus barbarc des hommes. Louis XVI, comme etonne qu'on eut pris ainsi la chose, se retira en grommelant cette phrase : Aussi il se fache, il sefache... L'excellent raonarque ne pouvait concevoir qu'une pierro^ tombee sur I'estomac dun vieillard endormi lui eut cause de la douleur. " « Quelques pretres vetus de blancs habits de lin. » Lorsque la foule penetra dans le salon ou se trouvait le roi, plusieurs pretres habilles de blanc, qui cntouraient Louis XVI, disparurent avec precipitation. Sans doute ils ctaient venus la pour le rcmercier du veto royal , appose au decret qui punissait Ics pretres rcfractaircs. |-i(; NOTES. •^ « La bonclie d'un canon vous demande audience. » Qiiclqucs simulacrcs de resistance euient lieu a la porte dii cha- leaii; on en ferma les portcs. Cependant les gendarmes acheval, ;m-deliors, livrerent passage au peuple, qui entra comme un tor- rciiJ. Les gardes nationaux et les antres amis du roi essayerent hien de barricadcr les portes des premiers appartements , mais la presence d'un canon que les faubouriens raonterentsur leurs epau- les leva tous les obstacles; la foule penetra dans le palais. 9 « A Tangle du salon, debout sur un fauteuil. » La scene qui se passa quand Louis XVI et le peuple furent en presence est aussi etrange qu'inouie. De la sallc des Cent-Suisses oil avait et^ trainee la piece de canon , la colonnc des faubourgs entra sans obstacle dans la seconde salle, ct se troiiva arretce a la porte de la troisiemc appclee I'OEil-de- Baeuf. Au premier coup de hache qui frappe cette porte, liOuis XVI sc resigne, crdonne de I'ouvrir, et eric vive la nation en agitant son cbapeau. Le roi prit ensuite place sur une haute banquette, dans I'embrasure d'une fenetre donnant sur la grande cour. Il etait cntoure dc cinq ou six gardes nationaux. En un clin d'oeil la vaste salle se rcmplit de peuple arme de fauix, de piques , de fourches ct dc batons garnis de couteaux. Au milieu de tout ce lumulte et cet appareil etranges, les tables des droits dc I'homme furent placees en face du roi; la foule sc prcssait autour dc lui. Sanctwnnez les decrets, lui criait-on ; rappe- lez les ministies pntriotes ; cliassez vos pretres; choisissezentre Coblentz it Pnrii. Lo roi tcndait la main aux ims, agitait son chapcau pour NOTES. 127 satisfaire les autres; mais le desordie et le bruit ne permettaient pas de I'entendre. '° « Un grotesque echanson II Porte jusqua sa bouche une horrible boisson. » Un des faubouriens presenta au roi une bouteille, et Louis XVI but a la sunte de la nation. La foule Cfia alors le roi boit !Lcs poin- tilleux amateurs d'histoire anecdotique ne sont pas d'accord sur Ic point de savoir si le roi but avec ou sans un gobelet. Une yravure de I'epoque , que nous avons sous les yeux , le represente buvant a la bouteille memc. ' ' « Legendre » Legendre , celebre boucher , prit une part active aux scenes populaires de la revolution. Ce fut lui qui s'adressa au roi en lui disant : » Monsieur... oui , monsieur, ecoutez nous; vous etes nn "perfide, vous nous avcz trompes , vous nous trompez encore; « mais prenez garde a vous , etc. » Selon plusieurs traditions dignes de foi , ce fut ce meme Legendre qui donna a Louis XVI le bonnet rouge dont cc prince fut oblige de se couvrir. Ce signe de la revo- lution servit au roi de sauvegarde, comme, durant la detention de Jean-le-Ron , le chaperon du prevot des marchands, Marcel, sauva la vie du jeunc dauphin, alors regent, et depuis Charles V. [Froissard, tome I.) '^ « Va, peuple confiant, » L'assemblee nationale, effrayee du danger que courait la vie du roi , lui envoya une deputation. Les efforts de ces legislateurs , I2S NOTES. Joints a rciix dc Jerome I'ctliion, maire de Paris, et alors Tidolo «Iu pcuple, nc contribuerent pas peu a persuader aux faubouriens que ieur journee etait suffisamment remplie , et qu'ils n'avaient plus qu'a evacuer le chateau. La foule se retira en defilant devant la rcinc, les princesses, et le dauphin , grotesquement affuble d'un enorme bonnet rouge. Le maire s'evertuait a crier : « Le peuple « a fait ce qu'il devait faire. Parisiens , vous avez agi avec la fierte -et la dignite d'hommes libres. Mais en voila assez; que chacun "se retire! » Et a dix heures du soir la foule s'etait entierement ecoulee. Ainsi se termina la journee du 20 juin ; la monarchie deLouis XVI agonisabien encore jusqu'au 10 aout, mais elle etait veritablcmeni morte du jourou elle avait ete trainee dans la boue, et foulee par les sabots des deux faubourgs. INTRODUCTION A LA CINQUIEME JOURNEE. Le 25 juillet 1792, le due de Brunswick publia son fameux manifeste; il etait date de Coblentz, arsenal et foyer de reniigration. L'etranger, ecrivant sous Tinspiration des Tuileries et de Coblentz, a declare, dans cet insolent manifeste , que Paris vaincu sera livre a une execution militaire , et a une subversion lotale; que les Francais qui oseraient SE DEFENDRE seraient punis comme des rebelles, et leurs maisons demolies ou brulees. Ces inconcevables me- naces devaient necessairement amener des exces popu- laires, des crises sanglantes , d'epouvantables execu- tions; mais le manifeste de Brunswick justifiait tout d'avance ; tout avait deja son excuse dans une criminelle agression. Brunswick et Coblentz avaient soufflete la France ! L'Assemblee nationale venait de jeter a la France ces mots electriques : la patrie est en danger! Les citoyens armes arrivaient a Paris de tons les points; ceux de Marseille se distinguaient entre tous par une ardeur patriotique qu'ils tenaient de leur climat; et i:^0 INTRODUCTION. Icm tiuli(uisiasme contagieux presageait une journee de terrible explosion. Brunswick etait encore trop eloi- gnc, rheure de la bataille n'etait pas venue; mais Tavant-garde prussienne etait au centre de Paris, sur le Carrousel, au chateau. La connivence du roi et de la Cour avec ceux de Coblentz etait flagrante aux yeux, a la raison, a I'instinct du peuple : c'etait done sur le Carrousel qu'il fallait relever le gant jete par Bruns- wick, c'etait dans les Tuileries memes qu'il fallait ecra- ser lestetes de Thydrereactionnaire dont la queue etait a Coblentz. Le 20 juin avait ete oublie comme une vieille page d'histoire; une nouvelle etait a ecrire, avec une date burinee par les boulets sur le marbre du chateau. C'est la date du 10 aovit. CINQUIEME JOURIVEE. Ir .1^1, o > o CO NO ^ ^ m 10 AOUT 1792. LE PEUPLE KOI. Dies ira,' , dies ilia. LA REINE, MADAME ELISABETH. MADAME ELISABETH. Ma soeur ! vcnez done voir le lever de laurore ; ' Jamais sur les tapis du pavilion dc Flore IM cinquiLme journee. i.c solcil ii'a glisse tel que nous le voyons : On croirait , a le voir derriere Notre-Dame , Qu'une triste lueur a colore sa flamme , Quil a du sang dans ses rayons. Ma soeur ! ce soleil rouge est de mauvais augi^ire; Moa Dieu ! le froid du coeur me monte a la figure ; Je tremble pom- mon frere; 6 ma soeur, ai-je tort? Je voudrais bien le voir loin de cette demeure ; Dites , que fait le roi ? que f'ait-il a cette heure ? LA REINE. Ge que fait mon epoux? il dort ! MADAME ELISABETH. Mon frere dort ! que Dieu le couvre de son aile 1 Je veillerai poui- lui comme une sentinelle ; LE PEOPLE UOI. 135 Prions bien I'liiie et lautre au pied de cette croix , Pour que le ciel lui donne un bonheur sans melange Et lui prete le bras et le glaive de I'ange Qui veille aux portes des bons rois. LA REINE. Oui , priez ; la priere est soeur de I'esperance ; Mais moi, femme du roi, moi , la reine de France, Ce n'est pas aujourd'hui le role qu'il me faut ; Je veux prior aussi , mais apres la victoire ; Avant, le marchepied d un devot oratoire N'est qu un degre vers Techafaud. Si le pourpre qui teint le soleil qui se leve Annonce un de ces jours oii Ton tire le glaive On ne me verra point devant mon crucifix ; 136 CINQUU-IME JOURNEE. La fillc (Ics Cesars, quaiid son palais s'ccroulc, Sous los millo poignards dc riiisolcutc foule Doit tombcr on montrant son fils. Puis ces femmes debout a la croisec ouverte Gontemplaient la riviere et sa pelouse verte ^ Les quais deserts cncor du Louvre a la Cite ; Et de ce regard fixe oii la tristessc eclate , Ellcs suivaient aux cieux cc soleil ecarlate, Lc dernier de la royaute. A moi i'insignc lionneur de contci- ccltc liistoirel IMs Hon dcgenere dun brOlant tcrritoirc; LE PEOPLE ROI. 137 Berce depuis treiite ans de Ihymnc solennel , J'ai le droit de chanter le combat paternel. Voiis, qui ressuscitez nos souvenirs epiques, Vous, qui gravez sur bronze avec le fer des piques, Poetes ! librc k vous, dans ces fastes ouverts, De choisir des sujets pour d'heroiques vers ; Par- tout, ailleurs qu'iei , dans I'art des hexametres Je vous proclamerai mes rivaux ou mes maitres ; Mais ce jour m appartient, il est mien tout entier, Mes concitoyens morts m'ont fait leur heritier ; Quand sur le Carrousel le hasard me promene , Je m'arretc, et jc dis : Jc suis sur mon domaine; Laissez-moi done ouvrir ces eelatans feuillets ; Pour parler du dix aout il taut un Marseillais. 138 CINQLIEME JOURNEE. Et toi, qui coiiduisis les destructeurs dii troiie, Dr la plage lointaine ou s'abime le Rhone , Toi, sans qui, derobee aux foudres du dix aotit, La vieille royaut^ serait encor debout , Ombre de Barbaroux, digne enfant de Marseille, ^ Apparais aux lueurs de ma lampe qui veilie , Electrise ce chant de victoire et de deuil ; Viens, avec ce front nu, ce flamboyant coup d'oeil Devant qui s'inclinait la terrible phalange ; Salut et gloire a toi, sediticux archange 1 Gette nuit-la, Paris jetait ces hurlemens Qui precedent toujours les longs enfantemens : Le sombre Il6tel-de-Ville etait comme une tete (Ju le geant pensif medilait la tempete ; LE PEUPLE ROI. 139 Gomme d'immenses bras il tordait ses faubourgs , Formidables leviers qu'il souleve aux grands jours. L'aube luit : le tocsin dont la langue est connue, Cette voix de I'enfer qui tombe de la nue fipanche la terreur sur tout homme vivant : Aux armes, citoyens ! levez-vous ! en avant ! La revoke mugit de toute son haleine ; G'est elle avee sa pique et son casque de laine ; EUe va, secouant ses petillans tisons, Elle heurte du pied I'ardoise des maisons , Agite les marteaux sur les portes sonores , l^parpille dans Fair ses rubans tricolores , Vomit de ses poumons un frenetique chant , Marche la tete haute et grandit en marchant. G'est rheure de mourir ou de gagner un trone ; Paris a salue sa terrible patronne ; 140 CINQUlfiME JOURNEE. Sn grandc voix pareillc au bruit de cent tambours I'^ait sortir tics soldats d'entre les carrefours ; EIlc (i^voquc, en passant, au seuil de la Commune Ges sinistres esprits d'orageuse fortune , Ces apres Cordeliers, cos brulans Jacobins, Qui jurent par le sang comme les chefs thebains, ^ Ces hommes dont les pieds marqueront sur I'arenc : rallieu, Manuel, Fabre, Billaud-Varenne , Bourdon, Merlin, Chabot , sorti du saint dortoir; Legendre, parfume d'une odeur d'abattoir, Santerre dont le nom ravit la populace: Tons marques dans les yeux du rayon de Taudace. Quel est done ce geant qui rugit? c'est Danton : 11 se dresse, pareil au Satan de Milton , II semble de lui seul remplir toute la scene ; C>]i ! contcmplcz sa face , elle en vaut bien la }>eine : ^ LE PEUPLE ROI. 141 G'est iin dogu(3 farouche , im ours demusele , G'est un bloc sulfureux a grands coups cisele; De sa levre de fer que le dedain eontracte Sa parole bondit comme une cataracte ; Jusqu'ici dans la foule il a pu se bannir, Mais pour lui, des cejour , date un large avenir ; Comme une lave ardente il jaillit du cratere, Un boulet de canon le porte an ministere. ■' Voila ceux qu'en ce jour de choc universel I^a sublime furie entraine au Carrousel. A ce grand rcndez-vous sont vcnus des la veille Cinq cents hommes portant leur soleil de Marseille • lis out couru dix jours, suivant avec transport Tj'aiguille du marin qui leur montrait le nord ; U2 CINQUIEME JGl RNEE. Qn'il est beau de les voir, bien loiijO-temps avaiit Fheiire, Comme im brave en duel qui craint d'etre en demeure ! Ces brulants etrangers parlent tons a-la-fois , lis sont par-tout , melant les gestes a la voix , Tour-a-tour gcneraux, oratcurs, sentineUes, Fesant jaillir I eclair de leurs noires prunelles, Insultant le chateau dun poing audacieux, Secouant les canons sur les rauques essieux; Jamais calmes , pareils , dans leur humeur mobile , Aux flots mutins , aux vents qui parlent dans leur ville ; Paris compte sur cux : le combat pent s'ouvrir; lis savent qu'ils sont la pour tuer ou mourir. A ce fier bataillou , phalange volontaire , S'unissent les soldats sortis du Finistere ; Us sont aussi venus avec le sabre au poing; Le Sud ct rOccident ne font plus quun seul point, LE PEl PLE UOI. 143 Et Tocean breton, de sa vague etonnee, Rencontre au Carrousel la Mediterranee. Que la part des lauriers soit egale pour eux ! Freres ! vous etes nes sur un sol genereux ; Votre vieille Armorique enfanta par centaines De rudes chevaliers , de puissans capitaines; C'est assez pour les rois : a son jour de declin, Que le peuple a son tour trouve ses Duguesclin. Ges robustes soldats ouvrlront la bataiJle, On les a reserves pour la premiere entailie , De la hache du peuple ils sont le pur acier; La masse de derriere est un fer plus grossier ; Vous les verrez pourtant prendre part a la scene Geux des faubourgs lointains que divise la Seine ; Du noir H6tel-de-Ville ils ont franchi I'arceau , Liant en un seul nom Saint-Antoine et Marceau : \U CINQUIEME JOUIINEE. Do lours ossoiiscs mains que Ic labour a tcintcs , llii parlaut, iis out pris sous lours forges eteintcs Lc martoau boncUssant , le for des ateliers, Ces instrumens massifs quibrisent les piliers, TiCS portcs des chateaux et la grille insolente, Barriere aux pieux dores que la royaute plante. Une nuit a cree ces milliers d'assaillans : I.es uns sont deploy es sous les murs des Feuillans; D'autres , que Lazowski de sa voix aiguillonnc , 1 )ovaut le Pont-Royal doroulent leur colonnej Westormann a presse ses ardens bataillons En face do la cour et des deux pavilions ; Cost Paris tout entier enivre de colere Qui proscnte au chateau I'assaut triangulaire : Tons, Marseillais, Bretons, citoyens de Paris, Vers le centre commuu s'obranlent a grands oris LE PEUPLE ROI. 145 En secouant les mains vers les hautes croisees , Vers les d6mes converts d'ecailles ardoisees, Vers ces portes de fer, vers ces noires cloisons On la Gour machina ses hautes trahisons. G'est un siege d'Homere , une bataille antique ; lis semblent dedaigner la moderne tactique; A d'autres la prudence et les chemins couverts , L'osier de Tartilleur et les branchages verts ; Eux s avancent , offrant sur les trois avenues Des tetes sans abris et des poitrines nues. A vous , soldats du trone , orgueilleux paladins Inondez de vos rangs la cour et les jardins , Montrez-vous aux balcons , sortez des galeries , G'est. I'heure de sauver vos saintes Tuileries ; lO 14^; (.INQLIEME .TOURNEE. Jamais plus beau tournoi , Sonne par les clairons, Dcvant le Carrousel n appela les barons ; Oh ! vous alloz les voir sur ces mille fenetres Cos heroiques fils d'heroiques ancetres ; lis vont faire onduler aux augustes arceaiix L'armorie guidon, signe des grands vassaux; A riicure du peril une lache faiblesse Nc fera pas mcntir le sang de la noblesse ; lis viendront : tout seigneur qui sur son vieil ecu Porte un signe cclatant du mecreant vaincu ; Tout preux, tout chevalier a devise latine, Fils de ceux dont le sang teignit la Palestine, Seront fiers de montrer a ce peuple arrogant Qu'au dix aoiit la noblesse a releve le gant. Se peut-il ? Dans les cours , sur la royale grille , Nulle banniere au vent, nul eteudard ne brille; LE PEUPLE ROI, 147 Le peuple par trois tois a touche leur blason, Et nul ne s'est montre pour en avoir raison ; Aucun deux n'a paru sur la large terrasse, Tout grand! par I'orgueil de son antique race , Demandant dun ton fier quelle insolente main Avait touche i'armure aux poteaux du cliemin ; Pour defendre leur prince et les sacrcs portiques , lis empruntent des bras aux cantons helvetiques ; lis sont partis , laissant au fusil etranger Un perilleux devoir qu ils n'osent partager ; Ges avares soldats que I'argent seul convie , Aujourd'hui seront seuls a depenser leur vie; Gar ces pales Bourbons si chers aux courtisans, Des que leur trone arrive aux jours agonisans , Somment avec ferveur la France tres chretienne De tendre a leur faiblesse un bras qui les soutienne , lO. I/,K CINQUIEME JOURNEE. l^f nr timivent jamais au pied de leur autel (^iic I'arclier, fils batard de Mechtal ct de Tel. Allons , Suisses massifs , sans peui: et sans colere, Jomnaliers du chateau, gagnez votre salaire; C'est le jour du travail , soyez obeissans ; MautLataircs soldes des paladins absens, Vous avez dans vos mains leur courage et leuis titres Feu de tous les balcons , feu de toutes les vitres , Feu des longs corridors, des corniches , des toits, Du pavilion de Flore et de celui d'Artois ! Que vos deux millc eclairs, du perron jusqu'au faitc, lilvmiinent le roi comme au jour de sa fete ; C'est bien : parmi les feux des rouges pelotons , Du sein de ce palais , camp des treize cantons , LE PEUPLE ROI. 149 Nul cri d amour ne sort , nul cri parti de lame Jetant le nom du roi dans les sillons de flamme , Ce vivat solennel qui vole avec son nom Quand la fete sanglante allume le canon : Helas ! pour proclamer le nom de Louis seize , II nest plus dans ce camp une bouche francaise ! Silence ! on n'entend la , dans ces tristes momens , Que Fordre militaire et des mots allemands. Mais , vis-a-vis , quel bruit dans cette large foule ! U semble au Carrousel que tout Paris s'ecroule , Que le Louvre a rompu ses portiques voiites ; G'est un torrent de voix qui deborde ; ecoutez ! Un chant tombe du ciel dans la tete dun homme, Hymne ne sous la tente et que Marseille nomme , ** 150 cinqui]<:me journee. Un chant (!'pileptique, un refrain colossal, Qui reveille par bonds tout un peuple vassal , De Tesclave des rois arrache les menottes , Fait vibrer dans les airs d'incendiaires notes ; Ge chant du citoyen , cet hymne marseillais Tonne avec les canons sur les murs du palais. Du bonnet phry-^gien la chevelure ceinte, O mesfreres! chantez, chantez la strophe sainte; Promenez sous les cieux cet orageux refrain , Ge tonnerre allume dans vos poumons d'airain ; Chantez , ce chant va bien lorsque le boulet gronde , Quand la balle en passant siffle comme la fronde ; II aime ce fracas qu'on entend aujourd'hui , L'orchestre des canons est seul digne de lui. Voyez comme , a ce chant qui gonfle vos narines , Partout la flamme soit des ardentes poitrines , LE PEUPLE ROI. 151 Gomme les fils du nord qui vous ont ecoutes , Dii meme feu que vous brulent a vos cotes; A tous une seule ame , une volonte seule ! lis se roulenl en bloc comme une immense meule Sur la grille de fer aux solides faisceaux ; La voila qui se mele aux fanges des ruisseaux : Sur ses pieds de granit puissamment etayee , Le bras des deux faubourgs d'un coup I'a balayee ; Partout la citadelle a livre ses abords , Paris et le chateau vont lutter corps a corps. O sainte liberte ! maintenant , sur ton livre Inscris ceux qui pour toi n'ont plus de jours a vivre , Les premiers des martyrs, ceux que nous invoquons. Ceux qui se font tuer sous les royaux balcons ; Ton fanatique amour leur rend la mort legere , Us tombent en riant sous la balle etrangere; 152 ClNQLIltME JOURNEE. lis sont licureux , ils ont leurs freres pour t^moins , Et le Suisse royal a des balles de moins. All ! par- un sang trop piu^ Icur triomphe s'expie : Suldats de rois ! cessez une defense impie ; Faut-il que pour punir vos laches trahisons Ce peuple assassine lance tous ses tisons, Que les ardens canons ranges en batteries Cievent par tous les flancs vos larges Tuileries ? Eh bien done ! entendez rugir sur ces parois La derniere raison des peuples et des rois ; Jamais gueulc d'airain ne fut plus eloquente ; Aux frontons ciseles, aux chapiteaux d'acanthe , An d6me de I'horloge, aux portiques noircis, Aux pavilions jimieaux que planta Medicis, A tout ce vaste amas du royal labyrinthe , Partout le noir boulet grave sa blanche empreinte; LE PEUPLE ROI. 153 II s'engouffre en sifflant dans les rideaux soyeux , Dechire les portraits ou pendent les aieux , Et sur le long pourtour du mur expiatoire Dessine avec fracas un grand tableau d'histoire. Ne voiis etonnez pas : ce haiit renversement , Ges eclats de granit, de marbre, de ciment. La chute de ces mui-s par I'echo r^flechie , G'est ainsi qu'en tombant craque une monarchic. Vous qui lisez , voyez que de debris il faut Pour faire une charpente au royal echafaud ! Voyez au Carrousel quelle grande hecatombe II faut offrir au ciel pour qu'un monarque tombe 1 Gar, au pied du chateau que le Suisse defend , Ge combat du dix aout n est pas un jeu d enfant ; Gar trois mille martyrs, trois mille en quelques heures Ont rougi le pave des royales demeures ; I.V, CINQUIEME JOURNEE. Trois millc lenvers^s avec la balle au front, (^ii'a Icur foyer dusoirles meres pleureront. I't |)oiidant que leurs corps ensanglantent la fangc, Ditcs, que fait le roi, le roi de France? il mange. ^ Tel est leur hei'oisme : abrutis sur leur sort, Les rois comme les boeufs mangcnt devant la mort. Entoure de poignards, parque dans une loge, II entend les versets de son martyrologe ; Bourbon degenere! comme il s'est appauvri Le sang de Louis neuf et du heros d'lvri ! Ge martyr resigue, c est le fils d Henri quatre ! Moins brave qu'une femme, a Theure de combattre, Du tr6ne hereditaire il a fui ce matin : U est li, sans regrets , sourd au combat lointain, Ou quelquefois pretant une oreille apathique Au tonnerre dairain qui brule son portique, LE PEUPLE ROl. 155 Aux cris de ses soldats par le peuple broyes : lis meurent pour leur roi, qu'importe? ils soiit payes. lis sont payes : deja leur journee est finie ; L'echo des lambris d'or rend leurs cris d agonie ; L'horloge du chateau, funeraire beffroi, Sonne, sonne le glas des defenseurs du roi : Leur sang ruisselle a flots ; il filtre des mansardes , Des murs que le boulet dechira de lezardes ; II s'imbibe aux tapis, qu'en soyeux echelons, La rampe fait monter aux portes des salons : G'est que le peuple fort a pris d'assaut la place ; Qu'autour de Tedifice il se serre et s'enlace Gomme un ecrou de fer dun immense circuit , Rempart infranchissable au desespoir qui fuit. \:^i CINQUIEME JOURNEE. Lr |)(ii|)l«* , ccttc fois , entrant aiix Tuileries, N a pas son front cliar(^e dc couronncs fleuries ; Tl no virnt plus joncher les somptneux tapis Do roses du vingt juin et de jannes epis; Sa premiere lecon ne fnt pas entendue, II cntre pour gouter une venfjeance due ; Et puis s'il onbliait des outrages anciens , Ne voit-il pas le sang de trois mille des siens, Large mare eeumeuse ou le Carrousel nage , Dont Tenivrant parfum conseille le carnage ? N'entend-il pas crier du sein des bataillons : Marclions, quun sang impur abreuve nos sillons? Aussi la Pitie sainte est remontee aux astres , Son cuitc est meconnu dans ee jour de desastres ; Le peuple echevele , de sa voix de lion , Proelame a rennemi sa loi du talion, LE PEUPLE ROT. 157 Mort pour mort; il lui faiit jusqu a i'extreme goiitte Que ce palais conquis solde le sang qu'il coilte , Que les morts entasses sur les paves ardens Pesent le poids de ceux qu'on egorge dedans. AUez, I'oeuvre de sang sera pleinp et parfaite, G'est un peuple vainqueur qui preside a la fete ; Anatheme aux vaincus ! tombe sous le couteau Quiconque a respire Tombre de ce chateau ! La vengeance est subtile a flairer les victimes , Le sabre intelligent sonde tons les abimes ; G'est encor pen: rendez ce tableau sans pareil, Ajoutez une flamme aux rayons du soleil , A cette grande fete invitez Fincendie : Le voila battant I'air de son aile agrandie ; Jusque sur les balcons, par un horrible jeu, 11 va lecher le sang de ses langues de feu ; ,-s CINQUlfiME JOURNEE. Siir cr vnslc lli«''alre oil le carnage fume Passe 1 odcur des chairs que la flammc consume ; I,e sang dii citoyen et le sang etranger Sur les paves brfilans coulent sans se figer. llorrour a se voiler les yeux toute une vie ! Vengeance de la mort par la mort assoiivie ! A (]ui la fautc? a qui les dechirans remords? A qui Thorrible droit de manger tons ces morts? AiLv laches qui sen vont au marche des trontieres Vendre notre sang pur , creuser nos cimetieres , ReciTiter les soldats de Prusse ou dii Germain, Lcur designer du doigt letape et le chemin , Nourrir leur roi trompe par d'esperances vaines; Puis , avares du sang qu'ils soignent dans leurs veines , Assis sur les talus de TEscaut ou du Rhin , Atlciidre pour rentier que le ciel soit serein. LE PEUPLE ROI. 159 La faute ? a toi , Brunswick , qui , du seuil cVunc tcnte , Agites sur Paris ta houssine insultante , Qui des rives de lest, sol ou tu debordas , Fais mugir jusqua nous tes feroces soldats; Va, nous les attendons ces bandes sacrileges; Malheur a toi ! malheur au roi que tu proteges ! Tu veux lui replacer le diademe au front ; Eh bien ! sois glorieux , tes \ oeux s'accompliront , Tu sauras dans cinq mois , 6 desastreux prophete , Quelle Gour doit le suivre a sa derniere fete , Dans quelle pourpre vive on teindra son manteau , Et quel trone on lui garde en face du chateau ! NOTES DE LA CINQUIEME JOURNEE. lO ®3#e©©©8©©®e#ft«©®e©sf-®©ss»®©s@««®e®©©e9©s@9St© MOTES DU PEUPLE ROI. ' (! Ma soeur! venez done voir le lever de Fauiore. » On lit dans M. Roederer I'anecdote suivante : « Au moment " qu'on entendit la voiture de M. le maire sortir de la cour, on ou- " vrit un contrevent du cabinet du roi pour voir ce que c'etait que ' ce bruit de voiture. Le jour commencait a luire. Madame Elisa- « betli alia a la croisee; elle regarda le ciel qui etait fort rouge, et " elle dit a la reine qui dtait restee au fond du cabinet : Ma sccur! " venez done voir le lever de I'aurore ; ct la reine y alia. Ce jour, .. elle vit le soleil pour la derniere fois. " (Chronique de cinquante jours , etc., liv. IV, pag. SSg. ) ^ « Ombre de Barbaroux, digne enfant de Marseille. » L'illustreBarbaroux partage avec Danton la gloire d'avoir donne la premiere et la plus puissante impulsion au lo aout. ^ « Qui jurent par le sang comme les cliefs thebains. » Allusion aux sept chefs qui jurerent devant Thebes , en plongeant leurs mains dans lesang d'untaureau noir qu'ils venaient d'egorger. 4 « Oh! contemplez sa face, elle en vautbien la peine. » Danton , le Mirabeau de la populace , avait recu de la nature desi formes colossales , et une eloquence de tribun toute-puissante sur Ics faubourgs. Sa figure, horriblemcnt cicatrisee de pelile vcrolc. |(i', NOTES. son nez ecras6, scs levies saillantcs, ses yeux petits , son regard ■inlen t ct aiulacicux , sa voix rude et tonnantc , liii donnaient Ic droit dc s eerier, conjme il le fit un jour : Tai la taille athldtique et la pliyiiouomie apre de la liberte. On sait que sur I'echafaud il adressa III bourreau ces ^tranges paroles : Quand tu auras coupe ma tete , inontre-la au peuple , elle en vaut bien la peine!... ' « Un boulet de canon le porte au ministere. » fai ete porte au ministere par un boulet de canon. (Paroles de Danton apres le lo aoiit. ) ^ « Hymne ne sous la tente et que Marseille nomme. » La Marseillaise, qui a rcnouvele chez nous les victoires que les in- spirations classiquesdeTyrtde avaientfait remporter aux Spartiates, est , comme toutle monde le sait , I'ouvragc de Rouget-de-l'lsle , of- ficier du gdnie. Ce patriote composa notre hymne national a Stras- bourg, au moment ou I'armee republicaine allait franchir le Rhin. ^ « Dites, que fait le roi, le roi de France? il mange. » Plus la chute de Louis XVI etait grande, plus il devait a sa posi- tion de roi de supporter son malheur avec noblesse et dignity ; il n'en fit rien. Il ne sut opposer a son infortune qu'une resignation stupidemcnt insouciante. Arrive dans la logo du logographe , au moment ou tonnait le canon du lo aout, et oil tombait sa royaute, son premier soin fut de se faire servir a diner. C'est ainsi qu'au re- tour de Varennes il cut la precaution de prendre deux repas co- pieux. Le peu de paroles qui sortaient dc sa bouche etait d'accord avec cettc pitcuse maniere d'agir. En fuyant les Tuileries pour se refugier au sein de I'Assemblee nationale , sa phrase la plus remar- <|Uable fut celle-ci : Voilh bien des feuilles ; dies tombcnt de bonne heure cette nuuee. f M. Roedcrer, pag. Syi . ) INTRODUCTION A LA SIXIEME JOURNEE. 04 Voici une page d'horreur et de frissons, voici une date a rayer d'un glorieux livre ; le sang qui la couvre est plus repoussant, plus odieux a voir que celui des echalauds; c'est le sang du meurtre, du meurtre dans ses plus effrayantes proportions. Le poete qui s'est donne la tache de chanter cette lamentation osera tout dire, il ne voilei'a aucun coin de Thorrible tableau; il faut que la poesie soit cynique de relief a Tceil et a I'es- prit, comme la gravure du frontispice. A quoi bon imi- ter les historiographes des rois, ceux qui glissentadroi- tement sur les crimes des Cours , tout tremblants de compromettre la cause monarchique ? La cause de la liberte n'a pasbesoin d'ecrivains officieux; elle est tou- jours en dehors de toute solidarite criminelle. L'histoire des rois abonde en sanglantes pages, et il s'est souvent rencontre des ecrivains pour les justifier; on a eu Timpudeur de les appeler rigueurs salutaires. Meme tolerance a ete accordee aux vastes executions religieuses de Seville, de Lisbonne, de Goa; mais nous, hommes de la liberte, nous fletrissons le 2 septembre. Pourtant on ne pent etablir aucune commune mesure entre le fievreux et sanglantparoxisme de notre epoque, etles septjouinees royales d'aout 15^2, etles auto-da-fe permanens de TEurope etde Tlnde.Les cinquante mille huguenots massacres an nom de Chai les IX ; les deux mil- 1 1 K;,, KNTnODUCTION. lions (riieretiques Lrules en deux siecles,sont aupres du p.septeinbre, coinme ces immenses tableaux de destruc- tiim peints aux voiites des Musees, et qui absorbent les petites scenes de deuil doniestique suspendues au-des- sous. II y a plus, ces massacres royaux ou religieux etaicnt ordonnances avec calme. Le roi Charles IX, dit nn historien , permit aux Parisiens de tuer les huguenots.' En Espagne et dans Tlnde , on assassinait avec pompe et quietude, par de belles soirees d'ete, sur de riants am- phitheatres, parfumes de roses et de jasmins. Au 2 sep- tembre, le delire etait dans tons les cerveaux; le sol tremblait; Paris etait dans les convulsions de Tagonie; Tennemi emigre et Tennemi prussien etaient a Thorizon avec leurs promesses inviolables d'incendie et de sub- version ; il fallait partir en masse pour se battre, et ceux qui partaient se tournaient de frayeur vers ces pri- sons menacantes, ou rugissaient d'espoir tant de roya- listes imprudents; alors il se trouva, ce qu'on trouvera ton jours dans Paris, des hommes horribles qui se char- gerent dune execution. . . II est etrange que ce soient precisement les apologistes des grands septembriseurs royaux et religieux qui essaient de fletrir notre belle re- volution pour les crimes des Billaud-Varennes et des Maillard. A chacun ses oeuvres ; les causes pures ne craignent rien des folies sanguinaires des hommes. Tor- quemada et Billaud-Varennes n'ont pas laisse une seule tache sur le front de la religion et de la liberte. ' Ticsoi- de VHistoire de France, par Gilles Corrozet, avec privi- lege du rol , 1(145. Paris, chez Clousier, place Dauphine. SIXIEME JOURNEE. ra CD ©C)c)©©C)C)©©C)C)©C)C)C)C) 2 ET 3 SEPTEMBRE 1792. LES MASSACRES. Per strages libertas innocua. Seneque. Quand ce chiffre de sang tombe sur une feuille, Dans un mortel frisson notre esprit se recueille , II semble qu'un long crepe etend ses noirs reseaux : Lepiderme glace se crispe sur les os, no SIXI^ME JOURNEE. Une raideursubite engourdit chaque membre, Et 1 on redit tout bas ces deux mots : DEUX SEPTEMBRE ! Puis, si Ion est de ceux qui jugent hardiment Les choses du passe par I'instinct du moment, Qui mettent sur leurs yeux le drap du mausolee, Qui n'ont vu dans un fait que la chose isol^e, Ne remontant jamais par un profond coup d'oeil Au doigt originel qui prepara le deuil , Alors, dans un acces de vertueuse haine On maudit les fureurs que le peuple dechaine , Et r^poque homicide ou sa main, en passant , Ne semait sur le sol que des dates de sang. Oh ! uon, non, ce nest pas quand rien ne nous agite, Quaiid le calme bonheur regne dans notre gite, Quand I'oisivete d'or, mere des doux ennuis, Nous fait des jours d'azur et d'amoureuses nuits, LES MASSACRES. 171 Quand an Forum muet nul tocsin de discorde De Tare des factions ne fait vibrer ia corde ; Non, ce nest point alors dans ces tiedes instans Qu'on pent juger un jour age de quarante ans , Une enigme de deuil tracee avec la plume, Que I'histoire couvrit d'une sanglante brume, Qui brise dans la nuit I'entendement humain, Et fait tomber le front sur la tremblante main. Sous nos cieux si sereins , pour expliquer Forage , Pour ravir aux tombeaux les secrets dun autre age , Pour saisir un eclair dans ce noir liorizon, Gombien il faut de sens et de calme raison ! 11 faut un grand effort de lucide pensee Pour se creer acteur d'une epoque passee , Pour sonder aujourd'hui dun doigt contemporain L'abinie qu'un volcan ouvrit sur ce terrain, 17-2 SlXri^ME JOURNEE. Ki inf;er les heros des auciennes tempetes, f lommc si I'ourajj^an brAlait encor iios tetes. ' Ell bien ! de ce passe formons notre avenir, De quarante ans eteints sachons nous rajeimir, Dc'taclions notre esprit de ses reves tranquilles, Rcmbrunissons I'azur qni rit au front des villes, Vivons ail deux septembre : ecoutez , ecoutez Le salpetre qui bout sous nos chemins voiites; De Paris a Verdun qu'un eclair illumine Entendez-la {>ronder Tincendiaire mine; Voycz devant Brunswick la frontiere a genoux ; i Verdun est menace , Tjongwy n'est plus a nous ; Le pale drapeau blanc, menacante Gorgone, Goinme un spectre , surgit aux sapins de TArgonne ; LES MASSACRES. 173 L'aigle de Frederic et cent mille emigres Pour monter a Paris n'ont plus que deux degres; La panique terreur sur tous les points rayonne; Des bords de la Moselle aux rives de I'Yonne Tout clocher villageois sonne, sur tout chemin On n'entend que ce cri : Paris est pris demain ! ^ Et Paris tout fievreux , haletant de delire, A chaque bulletin qua peine il ose lire, Tourne ses yeux vers Test et croit a chaque instant Voir tomber en vainqueur Tennemi qu'on attend. G'est I'heure ou dans les fronts la raison s'est eteinte , Ou le bourdon du sang dans chaque oreille tinte, Oil la cervelle brule , ou le frisson nerveux Serpente sur le crane, et dresse les cheveux. Alors tout est permis; aucun crime ne coute ; Plus de ces froids conseils que le bon sens ecoute; I7/( SIXFEMB JOURNth:. C'est une ville folle , et qui , le glaive nii , 8e debat en frappant sur un sol inconnii. FiC genie effrayant qui preside aux tempetes Alois heurte du pied a des portes secretes ; 11 en sort des fleaux avec des noms bumains , Etres qui dans le meurtre enfoncent les deux mains ; Artisans d'^chafaud , contempteurs du salaire , lis servent pour du sang leur maitre populaire, Et marchent, linfamie ecrite sur le dos; Ges tonnerres vivans formes de chair et d'os , En purifiant I'air, laissent voir dans Tespace Le rayon qui console , et le malheur qui passe. Toujours quand le delire egare une cite , Et fait descendre au front la noire cecite, Toujours il en viendra, deboiit, la hache prete, De ces hommes de sang qu'aucun crime n'arrete , LES MASSACRES. 175 Qui paraitront la nuit dans Fombre des cachots, Et fixeront leur levre a des cadavres chauds. S'il est vrai , qu'invoquant des droits illegitimes, Les peuples quelquefois se sauvent par des crimes , Deplorons a jamais ces effroyables jours Ou Ton livre im empire a de pareils secours. Il faut frapper UN COUP ! Ces etranges paroles ^ Vent preparer les mains a de tragiques r6les ; De ce funeste oracle, en cinq mots combine, Le sens mysterieux n est que trop devine : La nuit , la noire nuit tombe avec ses angoisses; Saint-Germain-l'Auxerrois , doyenne des paroisses ,. Eveille a son clocher ce tocsin endormi Qui , sept grands jours , feta la Saint-Barthelemy ; ,7(5 SiXltME JOURNEE. Cettc qjlise dcs rois, qui sonne pour leurs sacres, Prcnd plaisir a sonner pour tous les grands massacres; Ce nest plus cette fois un tocsin grele et long, C'est un niarteau qui bat dans la cloche de plomb , Un son lourd , etouffe comme une voix qui rale Et chante un duo sombre avec la generalcj Dans cette nuit de deuil on I'a choisie expres Pour repondreauxtrois tours deSaint-Germain-des-Pres; Comme sous Charles neuf la cloche est obeie : L'assassinat se leve et marche a lAbbaye; ^ II ouvre en meme temps, de sa hideuse main, La tour du Chatelet, la Force, Saint-Firmin , Et toutes ces prisons aux salles tenebreuses, Aux corridors gluans, aux fagades lepreuses, Bercails de condamnes , reservoirs des bourreaux , Viviers d'hommes, rcmplis a fleur de soupiraux. LES MASSACRES. 177 Vous tous qui, dans les fers scelles a la muraille , Revez la liberie sur la couche de paille, Tremblez ! ce nest pas Theure oii grincent les verrous ; Le peuple-magistrat vient lever vos ecrous; Tremblez ! on vous apporte une justice breve ; La Commune a pris soin d expliquer votre reve. lis entrent ! Voila done ceux qui les ont compris Ges mots mysterieux qui planaient sur Paris ; De I'enigme de mort ce sont les interpretes, lis vont frapp er le coup , les mains sont toutes pretes : Dun conseil invisible, intime confident, Maillard cree un pretoire et s'en fait president ; II prend pour assesseurs deux hommes du cortege, Pour toque un bonnet rouge, un escabeau pour siege , Pour greffier, un boucher depute des faubourgs, Tenant un livre ouvert qu'il feuillette a rebours, 178 STXIEME JOURNEE. Pour lustre, un gras flambeau qui petille et qui sue, Et pour huissier un honime arm^ d'une massue. Sinistre parodie, infame tribunal ! Sur les pas d\m valet qui balance un fanal , Le pale prisonnier vient sous la ge6le noire ; U est debout : deux mots font Finterrogatoire ; Un horrible clin d'oeil juge en dernier ressort ; L'arret dit : A la Force ! II est libre... II est mort. Lc nom des accuses resonne sous la votite ; Suivant Tordre d'appel le reservoir s'egoutte ; Les bourreaux de la rue entendent chaque nom ; Et surtout, qu'on soit prompt a juger, ou sinon Aux grilles du guichet une face livide Se montre , en demandant si la prison est vide , Si Ton derobe au peuple un coupable impuni , Et Ton entend des voix : Est-ce deja fini? • LES MASSACRES. 179 lis sorit tous la guettant qu'une victime sorte ; Sur les etroits degres de la fatale porte Le calme assassinat a mis ses journaliers ; Deux homines sont debout sur les hauts escaliers , Le bras leve , hideux de face et de costume , Comme deux forgerons qui vont battre Fenclume : Chaque fois que marquee au stigmate des morts La tete d'untaptif apparait au dehors, Les deux masses de fer, qu'un double coup revele, Tombent et font jaillir des flocons de cervelle; Femmes aux blonds cheveux, vieillards aux cheveux blancs , Tous les fronts sont broyes sous les marteaux sanglans; Dans la bouche ou murmure un accent de priere Se plonge au meme instant la pique meurtriere ; Trente sabres ranges, sur un double cordon, Goupcnt les bras tendus qui demandent pardon ; ,H!> SIXIEMIi JOURNEK. Et les noirs egorgcurs qu'ahsout la populace . Senivrciit du carnage exhale sur la place, Se penchent sur le sang qui se crcuse un ravin Comme autour dune cuve oii fermente le vin ! Partout des corps mourans a la face ternie , Des membres, des troncons tordus par Tagonie, Ue convulsives mains, qui de leurs doigts crispes, Ltreignent par les pieds ceux qui les 01*11 coupes; Et sur ce lit de morts le bourreau se promene ! Ces cadavres bideux, prives de forme bumaine , C'est ie digne tapis, c'est le moeileux coussiu, C'est 1 eponge fumante ou marcbe I'assassin. Quoi! rholocauste fume ct nul cri ue s elevc! Paris, les yeux fermes, entcnd les coups du glaive! LES MASSACRES. 181 Quoi ! ce peuple muet en ses mortels abois, S'incline sous Marat et sons GoUot-d'Herbois ! Le meurtre court la rue et la loi le protege ! Quoi ! des sept cents tribuns rassembles au Manege, Au seuil dela prison quand le sang coule a flots, Nul d'entre eux ne viendra dans ce lugubre enclos! ^ Ah ! qu'il vienne ! avec lui que rhumanite sainte Comme un astre inconnu luise dans cette enceinte ! O terreur ! le voici , le funesle envoye: Sur le champ du massacre a ses yeux deploye, 11 arrive a pas lents, la figure sereine: La f oule bat des mains devant Billaud-Varenne ; ^ Un pied sur un cadavre, un autre dans le sang , Lui , semble contempler dun regard caressant , Comme un heros vainqueur sur un champ de bataille, Le chantier de carnage oil le peuple travaille ; I 2 ,y2 SIXIEME JOURNEE. 11 piomct le salaire a ses dignes efforts; Impassible, debout sur ces debris de morts, Siir lexecralDle autel dresse par les furies, Oil croirait voir planer le dieu des boucheries. Va douc, puisqu'on t'absoiit, peuple! fais ton devoir; Que rien ne soit vivant dans chaque reservoir ; Que ta lourde massue en tous lieux retentisse; Sur toutes les prisons fais passer ta justice; Va, commande par-tout ou se taisent les lois ; .Te n'ai que trop suivi tes effrayaus exploits ; D'autres derouleront,lapage tout entiere, lis compteront les morts de chaque cimetiere ; lis entendront Hurler, sans secber de frissons, Tes sanglans ca-ira, tes lugubres chansons; lis iront a la Force ou ta main cannibale Distribnait le corps de la blonde Lamballe ; LES MASSACRES. 183 Dans ce large abattoir, a leurs yeux decouvert , lis verront qui fit mieux de Maillard ou d'Hebert : Qu'ils visitent encor, de peur qu'on ne I'oublie , Ge lamentable H6tel oii grince la folie, Le caverneux Bicetre oil le feu des canons Broya les habitans des fangeux cabanons. A ces tableaux de deuil, de carnage, de honte, L'oeil se ternit , la voix manque a qui les raconte ; Je faillis , je succombe aux recits que je dois , La harpe funeraire echappe de mes doigts, Get aspect me poursuit comme un songe funeste : Grace pour ce feuillet, je dirai tout le reste. Qu on blanchisse ces murs , qu'on lave ces carreaux , Appretez la civiere et les noirs tombereaux; Deja depuis trois jours, par un calcul atroce, Vous aviez mesure la largeur de la fosse; ^ 12. 4. 184 SIXIEMK JOUUNEE. Ilatez-vous d'entasser tons ces debris humains Dans le vaste cercueil que creuserent vos mains. Esperez-vous aussi , sous la tombe fermde Eusevelir vos noms hideux de renomm^e? C'est en vain; I'avenir, delateur eternel, Pose sou doigt brulant au front du criminel; li'homme pent quelquefois, conseille par la crainte, Dun attentat visible aneantir I'empreinte ; Dans sa profonde couche un cadavre inhume, Par la terre complice est bientot consume ; Mais pour en derober I'effrayante memoire, Dans un lit de chaux vive on n'otend pas Thistoire. Dechirons, il est temps, ces fastes de bourreaux, Sur des champs moins impurs cherchons d'autres heros. LES MASSACRES. 185 Ge cteluge de sang doit-il noyer la France? Non, voila I'arc-en-ciel , le signe d'esperance^ Qui nous promet encore un splendide avenir; Ijoin d'etre submerges, nous allons rajeunir : Voyez sur I'horizon I'astre saint qu'on implore ! Le voila ! regardez le drapeau tricolore ; Place a lui dans les airs ! Qu'on le suive des yeux Le nouveau labarum qui monte vers les cieux ! Noble soie attachee au long fer d'une lance , Oh ! quelle est gracieuse a I'air qui la balance ! Gomme ces trois couleurs forment sous le soleil Un prisme eblouissant, un rayon sans pareil ! Jamais guidon royal , banniere chatelaine , Oriflamme de pourpre , eleves dans la plaine , Mieux que ce drapeau saint, anime par les vents, Ne parlerent aux yeux avec des traits vivans ; IS(5 SIXIEME JOUKNEE. On diiait, a le voir luire comme une flamme, Qii'un dieu le fit penser et le doua d'une ame , Qu'il frissonne de joie alors quun vent leger Sur le front des soldats le pousse a voltiger. Comme iin ruban d'honneur il decore une armee ; Oh ! pour le saluer , naissant dans la fum^e, II lallait , dans un jour mortel a I'ennemi , Tout I'accompagnement des canons de Valmy. Oublions tout, laissons sous le plomb tumulaire Le crepe de septembre et deux jours de colere; Le ciel est pour la France , et son soleil a lui, Le ciel a pardonne , pardonnons comme lui. Triomphe ! il est sauve notre saint territoire ! Ecoutons cet echo d'une double victoire, Ge canon qui nous fait deux succes au lieu dun, Et chasse I'ennemi des portes de Verdun ; LES MASSACRES. 187 Que Jemmape et Valmy, sous leur noble fumee, Couvrent les corps sanglans d'une tombe fermee. Dites-nous, aujourd'hui , si ce peuple arrogant Qui se precipitait de Goblentz ou de Gand , Sur tous nbs grands chemins se frayant des issues, Sanguinaire vengeur des injures recues, N'eut pas, apres avoir triomphe dans Valmy, Change le deux septembre en Saint-Barthelemy ? Le meurtre, cette fois, n'eiit pas porte sa hache Sous d'etroites prisons ou le crime se cache; Conquis par I'etranger, tout Paris aux abois, Eut vu d'autres Maillard, d'autres Gollot-d'Herbois , Bourreaux fleurdelis^s qui , tels qu'aii moyen age, Auraient sous le soleil promene le carnage , Et sur le Garrousel, au monarque Bourbon, Porte ces corps pourris qui sentent toujoiirs ban, ^ ,,.^ SIXIEME JOUUNEE. C'est de ce jour que date un avenir si vaste ; Un bonheur de vingt ans suivit ce jour nefaste, Ce sang, qui des cachots inonda les degres, Retomba sur le front des royaux emigres ; Notre jeune etendard, radieux sur nos domes, Eleva sur le Rhin uue frontiere d'hommes, De citoyens soldats, novices dans le rang. Qui deja saisissaient la victoire en courant, Et revenaient center leur recente merveillc Au foyer paternel abandonne la veille. On vit s'improviser sur un fecond chemin Des chefs , soldats bier et generaux demain , Qui, portant dans leurs yeux le compas et lequerre Aux premieres lecons avaient compris la guerre, LES MASSACRES. 189 Devine ce grand art ou le sort orageux Jette sur le tapis deux peuples pour enjeux. Tout miracle fut fait; haroais, chariots, tentes, Fusils saisis tout chauds aux forges haletantes , Ganous aeriens dans la plaine egares , Qui volent sur le front des bataillons carres ; Tout surgit en un jour; loute main militaire Eut un fer pour cliasser Tennemi de sa terre , Toute armee eut le chef que son voeu demanda ; Kellermann, Duraouriez , Custines, Miranda, "" Pleiade qu a nos yeux tant de lustre decore, Tant d'autres dont les noms sont flamboyans encore , Astres qui pour monter du terrain le plus has , N'attendaient en ces jours que le vent des combats. L'ennemi qui venait sur nous, la tete fiere, S'arreta tout-a-coup et flechit en arriere ; i;)(> SiXrEME JOURNEE. Brunswick, pale temoin de nos premiers elans, Decliira sa victoire ecrite sur ses plans , Car rheure etait venue ou , partis de Jemniapes , Nous alliens visiter le monde par etapes, Et couvrir sous les fleurs de nos arcs triomphaux Le parfum qui montait du pied des ^chafauds. NOTES DE LA SIXIEME JOURNfiE. ©©©t€#©t'@©®©©©iii)©@ii»@©i)i>®i)@@i)f;©©©f)S#f)®t€)®@t»©'t©® NOTES DU DEUX SEPTEMBRE. LES MASSACRES. ' « Comme si Fouragan brulait encor nos tetes. » II y a dans cette page quelques vers que Nemesis avait emprun- tes aux Dome Journ^es , pour le 1 6 aout de Varsovie , 2 septembi'e poionais. ^ « On n'entend que ce cri : Paris est pris demain ! » A cette epoque , I'armee francaise reunie a Sedan , et privee d'un chef de confiance, paraissait incapable de resister a I'invasion. Le 20 aout, Longwy avait ete investi par les Prussiens ; bombards le 21, il capitule le 24. Le 3o, Verdun subissait le meme sort. Brunswick et remigration etaient sur la route ouverte de Paris ; le manifeste de vengeance allait avoir son plein effet. Qu'on juge du desespoir des Parisiens! ^ « Il faut frapper un coup ! » Ce fut le mot de Danton , a la nouvelle de I'approche de I'en- nemi : ce mot fut repete, et il se rencontra des hommes qui iui donnerent une extension criminelle qui peut-etre n'etait pas 104 NOTES. tlans I'esprit de Danton. Mais I'hcure etait trop brulante pour qu'on put songer a raisonner sur une phrase symbolique. Ceux qui voulaicnt du sang I'expliquerent selon leur horrible passion, ct le 2 septcmbre fut fait. 4 « L'assassinat se leve et marche a I'Abbaye. » La cloche de Saint-Germain-l'Auxerrois , qui sonna le grand 2 septembre de Charles IX, convoqua deux siecles apres, par un tocsin nocturne, les assassins de I'Abbaye. De I'Abbaye on se rua dans toutes les prisons de Paris, aux Carmes, a la Conciergerie , au Luxembourg, a la Salpetriere, a Bicetre, a la Force, a Saint-Firmin. Par-tout le meurtre y repeta les memes tableaux. Le peuple se porta aussi au Temple ; mais la, de- vant le seiiil meme de la prison royale, la Commune avait fait tendre un ruban tricolore ; chose etrange ! ces hommes, enivres et alteres de carnage , s'arreterent devant cette frele barriere comme devant un mur d'airain. 5 « Nul d'entre eux ne viendra dans ce lugubre enclos ! » Pendant ces effroyables egorgemens , I'Assemblee tenait ses stances ordinaires, et sur les rapports qui lui parvenaient a chaque instant, elle passait tranquillement a I'ordre du jour. Toutefois il est juste de dire que le ministre Roland s'eleva avec courage contre ces assassinats ; au plus fort des massacres, il les denonca a I'As- scmbl6e et a la France ; il requit meme Santerre qui etait alors a Versailles. Petion, Dussault, £azire, Manuel, et d'autres magistrals ou De- putes , essayerent aussi de calmer la rage des executeurs ; mais il leur ^allut ceder a la force; leur voix fut couverte par des huees, NOTES. 195 et ce n'est pas sans danger pour eux-memes qu'ils parvinrent a sau- ver quelques prisonniers. En un mot, I'Assemblee 6tait inapuis- sante, elle demeura spectatrice. La formidable Commune seule pouvait tout et ordonnait tout. Les relations sur ces desastreuses journees varient beaucoup sur le nombre des prisonniers massacres. Prudhomme affirme que le nombre des morts ne s'estpas eleve au-dessus de mille quatre cent trente-trois , tandis que Saint-Meard, auteur de I'Jgoniede trente- six heures^ le fait monter a douze mille huit cent quarante-sept. M. Thiers I'evalue de six a douze mille. Dans la seance des Jaco- bins du i3 fevrier lygS, Dufourny deposa sur le bureau du presi- dent une liste des personnes massacrees en septembre ; leur nombre s'elevait a mille soixante-dix-neuf. Des reeberches meme assidues n'araeneraient peut-etre aucun eclaircissement sur ce sujet. Il serait difficile aujoui d'hui de fixer un chiffre exact sur le nombre des victimes , a cause de la partia- lite des auteurs contemporains. D'apres les auteurs cites par Montgaillard , les victimes de la Saint-Barthelemy s'eleverent dans toute la France a cinquante mille. Sully, ministre d'Henri IV, evalue leur nombre a soixante- dix mille. '" « La foule bat des mains devant Billaud-Varenne. » Biilaud-Varennes , revetu de son echarpe, encourageait les mas- sacreurs. « Peuple , disait-il, tu egorges des scelerats, tu sauves la « patrie , tu fais ton devoir. » « 7 Vous aviez mesure la largeur de la fosse. » Quand le jour des massacres fut fixe, on chercha des sepulcres 1% NOTES. assez iarges pour contenir la foule des cadavres ; Hebert visita lui- nicmc, ct designa a cet effet, les vastes excavations de Mont-Rouge. En meme temps , et par la memc premeditation , on avait eu soin de rassembler une quantite suffisante de chaux , de balais, de tom- bcreaux , pour consommer regulierement ces immenses fune- railles. ** n Non , voila rarc-en-ciel , le signe d'esperance. » Lc drapeau tricoiore allait faire sa premiere apparition victo- rieuse a Valmy et plus tard a Jemmapes : e'etait son debut. ^ « Ces corps pourris qui sentent toujour s bon. « Allusion au mot connu d'un roi de France : Le corps d'un en- nemi sent toujours bon. '° « Kellermann, Dumouiiez, Custines, Miranda, '( Pleiade qu a nos yeux tant de lustre decore. . . » Parmi ces hommes, il en est un qui fut terni par la defection, un autre qui perit sur I'echafaud, accuse de trahison; mais alors ils etaient tons grands et purs. INTRODUCTION \ lA SKPTIEME .lOURNEE. — -ai^u^igxa L'Assemblee legislative avait decrete sa dissolution pour le vingt septeinbre; elle devait ceder la place a line nouvelle representation nationale qui Mt a la hau- teur des perils du moment. La Convention, de forte et terrible memoire, accepta Torageux heritage de la Legislative , et ouvrit sa premiere seance au palais des Tuileries , encore tout noirci par la fiimee du lo aout. La Convention avait une tache immense a remplir; elle la remplitjusqu'a la fin, avec un herolsme, un de- vouement, une abnegation qui ne trouvent aucun ante- cedent de comparaison dans toiites les histoires. Elle regnante, nos soldats, forts de son energie et de leur patriotisme, brulerentle manifeste du due de Brunswick, et chasserent Tennemi de notre territoire. II ne devait y reparaitre que vingt-trois ans apres ! La Convention, en proclamantla republique, se sou- vint de son royal prisonnier : c'etait pen pour elle d'a- bolir la royaute , elle se donna le droit d abolir le monarque. Louis XVI comparut a la barre des Repre- sentans, et fut condamne a mort. II etait dans Tordre que cette condamnation fut re- i3 lj,H INTHOUUCTION. Pardee comme un crime colossal par les liommes de CobJentz et de Worms, par ces memes emigres qui ;ivaiep.t dresse Tecliafaud de leur roi; mais Thistoire qui u'attend aucune indemnite pour prix de ses pleurs et de ses expiations, Thistoire impartiale ne fletrira pas les quatre cent soixante jures qui voterent la mort. Ce grand nombre de votans garantit la conscience de tous. Trois bommes assis sur une estrade, pousses par rinstinct du sang, peuvent faire tomber la tete d'un accuse avec une borrible passion; mais on ne pourra jamais demontrer qu'il se soit rencontre quatre cent soixante juges, Telite de la France, parfaitement imis dans cetie communaute d'instinct sanguinaire. Get app^tit du tigre dans les entrailles de Thomme est un phenomene d'organisation qu'on peut supposer cbez quelqnes rares individus, et jamais dans les masses. Les mesquins appreciateurs des grands evenemens, gens peu connaisseurs des hommes revolutionnaires et de leur epoque, ont cru tout concilier en attribuant a la peur le vote du plus grand nombre. La peur et la Convention ! jamais on n'associera ces deux mots. L'auteur de ces poemes avail a raconter cette grande fclegie, il Fa fait saiis baine et sans recriminations. Qui oserait accuser et maudire quand lechafaud est dresse? SEPTIEME JOIJRIVEE. (^(3(3Q>(3(B&(B(^(^^(3(3(3QWQ>S^'€)€)€)€)€)€>€>€>€)€>'€'^^€)'^€i€> 21 JANVIER 1793. LA MORT DE LOUIS XVI. La couronne des rois est un cercle de pointer , lis offrent un aimanta I'eclair sulfureux;* Dks que la foudre passe , elle tonibe sur eux. (SePTIEME .JoURNfeE. ) MEDITA.TION. Vieille de six mille ans , cette terre usurpee , Terre, de tant de pleurs, de tant de sang trempee^' N'est qu un vaste sepulcre oii la main des puissans A toil jours englouti les peuples innocens; 202 SEPTlfiME JOURN^E. Plaiiete de malheur, les rois I'ont parcoiirue En poussant au hasard leur brutale charrue, Eii laissant apres cux, sur les champs devastes, Des ruines sans nom qui furent des cites. Et sur lant de cites que le sang a rougies, Quelle voix murmura de sombres elegies? Les avons-nous pleures ces peuples, expirans Sousle large marteau des royaux conqu^rans? La date de leur mort nous est-elle connue? Palmyre pleure encor dans sa campagne nue ; Et nous ne savons pas quel prince assyrien , En detruisant , crea ce magnifique rien. Oui , quand devant les rois des nations entieres S abiment dans leurs champs creus^s en cimetieres , Jamais une epitaphe, inscrite au grand chemin, Du grand jour de leur mort n instruit le genre humain ; LA MORT DE LOUIS XVL 203 Mais, lorsquapres mille ans dune immense h^catombe, Apres vingt peuples morts, la tete dW roi tombe, Oh! I'histoire dolente enregistre avec soin L'attentat colossal dont elle fut temoin ; EUe impose des pleurs a tout sexe .^ a tout age ; Le pere legue au fils ce deuil en heritage , Et la date accolee a ce royal trepas Est un spectre eternel qu on trouve a chaque pas. Faut-il done qu en regrets notre voix retentisse ? Enfans! nous blasphemous la supreme Justice; Pourquoi tant de pitie? Silence ! Benissons La main qui de si haut fait tomber ses lecjons : Le ciel vengeur du peuple, et jaloux qu'on le craigne, Punit la royaute sans s'informer qui regne. li'un k I'autre les rois, craignons de I'oublier, Par chainons fraternels ont voulu se lier; J,,', SEPTIEME JOURNEE. Eu se taiguaiit ainsi de droits hereditaires , Des toi-faits de leur race ils sout tous solidaires ; SH I'aut en punir uu pour le crime de cent, (^u importe que le sort tombe au plus innocent? Quaud le tounene est piet, le bras fort qui le lance Ne va pas peser rhoniine a sa juste balance ; Que la lecon se donne , il suffit ; le hasard En frappant uu Titus epargne un Balthazard. Us ue Fignorent pas : ces grandeurs couronn^es Pressententnuit et jour de noires destinees. Dans le gobelet dor que remplit rechanson , En buvant Tliypocras ils boivent le soupcon. Jusque dans le sommeil , leurs terreurs occupees Tatent des assassins et des pointes d'epees. Us ont trop lu I'histoire , iielas ! pour leur nialheur ; Les denouemens passes leur presagent le leur ; LA MORT or: LOUIS XVL 205 Un glaive pend toujours sur les tetes regnantes, Et la moitie des rois meurent de morts saignantes. ' lis ont beau se vetir de cuirasses d'airain ; Quand leur dernier jour sonne au cadran souverain, Le spectre inexorable entre sous leur alcdve ; Piete, repeutir, vertus, rien ne les sauve : En vain, Tame abattue et le frisson au sang, Des que sur leur palais un nuage descend, Vers le ciel electrique ils tendent les mains jointes : La couronne des rois est un cercle de pointes ; Ils off rent un aimant a Teclair sulfureux; Des que la foudre passe , elle tombe sur eux. Ainsi, plus de douleurs, lorsque Ian nous ramene Du funebre Janvier la troisieme semaine ; Donnons une pensee a de royaux malheurs, Qu'on ne voie a nos fronts ni sourire ni pleurs , 206 SEPTIEMfc: JOURNEE. Ne faisons pas sortir de cette grave histoire ( )u le chant tdomphal ou I'hymne expiatoite; Cette page de deiiil, il taut la derouler Pour instruire le peuple et pour le consoler. REGIT. Ving^-im Janvier! quatre ans de d^vorante crise Sont ecoules depuis que la Bastille est prise, Et Louis vit encore! oh ! quelle hostile main I/empecha de heurter les ecueils du chemin ? N'a-t-il pu dans ce cours de doiileurs infinies Trouver un jour de mort en quatre ans d'agonies ; Quel invisible esprit de Fabime venu De ses ailes de fer protegea son sein nu i' Quand, sous la sombre nuit, les bacchantes des halles Troublerent Trianon de leurs voix gutturales, LA MORT DE LOUIS XVL 207 Quelle triste faveur du destin ennemi Vint reveiller sit6t Lafayette endormi ? Malheureux 1 quand fuyant la pourpre souveraine 11 se vit au chateau ramener de Vareone , Le long des boulevarts quel bras le defendit? Pourqiioi toujours encor, meme bonheur maudit, Quand au milieu dun peuple ivre d'impatience La bouche d'un canon demandait audience? Et dans ce dernier jour de choc universel Oil le sang dans le leu coulait au Carrousel , A 1 heure ou de sa mort la populace avide En forcant le palais trouva le trone vide? Et dans septembre enfin, juste cinq mois avant , Pourquoi dans sa prison a-t-il dormi vivant!* Quand le bras assassin , que la nuit sombre anime , Laissait au fond des coeurs le poignard anonime, 208 SEPTIEME JOURNEE. En ces deux jours de san^, oii ce peuple en courroux Kfyrayant niagistrat viut lever les ecrous , Et, des guichets de fer forcant la noire issue , x\ssena sur les fronts le sabre et la massue, Pourquoi , pourquoi le meurtre a la gueule sans frein Dans un f aible ruban trouva son mur d'airain ? D'oii vient qu'en I'effleurant la foudre se dissipe? Que u'a-t-il disparu, comme I'aveugle OEdipe, Deracine du trone , emporte loin du sol Par I'ouragau du peuple au gigantesque vol ! II le fallait ainsi : quelque accident qu'on trame Les rois ne meur^nt pas avant la fin du dranie ; Monarque invulnerable au centre des debris , Un infernal pouvoir gardait'ses jours proscrits; La sinistre Commune liabile dans sa haine Le nourrissait vivant pour la publique areae; LA MORT DE LOUIS XVL 209 C'^tait pen qu'il mourilt : il fallait qu un senat Prononcat le supplice et non Tassassinat. LE JUGEMENT. Voici la grande scene oii le drame s'explique : Voici la Royaute devant la Republique. II est nuit; mais jamais en face du soleil ' Ne s'ouvrit plus terrible un supreme conseil ; Nul souvenir des temps, nulle histoire qui nomme Tant d'hommes rassembles pour juger un seul liomme. Sur les triples gradins qui heurtent le plafond La foule , a flots massifs s'etage et se confond ; Les bonnets phrygiens rougissent les tribunes, On voit flamber des yeux sous des paupieres brunes, On voit saillir des fronts qu'ime vague lueur Revele tout luisans de vin et de sueur. 210 SEPllfeME JOURNfiE. Ornemens obliges des seances fatales, Painii ces {jroupes noirs surgissent dans les stalles Oes fenimes au teint pur, debout aux premiers rangs, Melange gracieux dc cheveux odorans , De robes de velours, d'emeraudes luisantes, De parures d'hiver aux formes seduisantes, De tout ce qu'inventa de chefs-d'oeuvre nouveaux La mode qui riait devant les echafauds : Elles sont la, pour voir, pour entendre et pour plaire; D un rayon solennel le lustre les eclaire , II met en relief dans ses reflets tremblans Leur gorge de satin et leurs bras nus et blancs ; Puis, la pale lueur qui tombe et diminue Comme un eclair lointain rejailli de la nue, Olisse au fond de la salle , ou les Representans Agitent leur echarpe et leurs plumets flottans. LA MORT DE LOUIS XVL 211 Et ce livide jour qui nage dans les ombres Blanchit sur un fond noir tons ces visages sombres. Un melange de voix, orchestre rauque etsourd, Pareil au roulement d un tombereau qui court, La foule qui, hatant I'heure du sacrifice , Bat de ses flots epais les flancs de 1 edifice , Les pas tumultueux froissantles corridors, Les appels de Thuissier, les clameurs du dehors, L'heure, la nuit d'hiver, les ombres , tout imprime A ce tableau sans nom une teinte sublime. Mille voix ont sonne le redoutable instant. Puis tout se tait : voila Taccuse qu'on attend, Le roi , voila le roi ! sa misere est complete; LTn impassible huissier lui montre la sellette; Un president s'adresse au royal prevenu , Lui demande son nom comme un nom inconnu , 2] 2 SKPTIKME JOURNEE. Rt , r<^suniant 1 avis du terrible pretoire, Liii permet de s'asseoir pour linterrOjOjatoire. ( )li ! ne le suivons point dans ces tristes d^bats Ou le peuple est si hant et le tr6ne si bas; Hatons-nous ; deployons la scene decisive Ou chaque Depute, I'oeil creux, Fame pensive, Devant un peuple entier, jette a Furne du sort Ija syllabe qui donne ou la vie ou la mort. Deja la Plaine tremble et la Montague groude, Un vent semble rouler la flottante Gironde ; llomnies irresolus, dans leurs vceux delirans, Ilier encore ils criaient: Anatheme aux tyrans ! Tant que pour contenter d eblouissans prestiges, II leiu' fallut du trdne effacer les vestiges, Louis ne fnt qu'un homme ; et consternes d'effroi, Au moment de frapper ils songent qu'il fut roi ; LA MORT DE LOUIS XVI. ilP. Le cri de la pitie dans leur ame francaise Plaide mieux aujourd'hui que Tronchet et Deseze; Leur audace a pali : comme ces uecromans Qui, lanuit, evoquaient de confus ossemens, Et qui mettaient de peur la main sur la paupiere Quandle spectre attendu se dressait de la pierre, Devant leur propre ouvrage ils baissent le regard ; Fraternels Girondins! vos yeux s'ouvrent trop tard, Ge nest plus desormais Theure des theories ; Le jour que votre pied heurta les Tuileries, De cet apre sentier vous deviez voir le bout, II fallait reculer, la veille du dix aotit. Geux qui de la Montague illumineet la erete Ont marche comme vous; mais rien ne les arrete, En partant , ils ont dit : Silence a tous remords ! Leur monument futur sera pave de morts, i4 214 SEPTIEME JOURNEE. Qiiimporte! pour qu'un jour leur empire se tonde, Us sont prets , s'il le faut, a decimer le monde; L'arbre republicain que leurs bras ont plante , Pour monter vers les cieux doit etre ensanglante ; lis seront aujourd'hui, dans leur terrible office, Durs , froids comme le fer qui sert au sacrifice , Et dun doigt inflexible indiquant Fechafaud , Debout sur leur Montagne ils diront : II le faut ! lis sont tons la, groupes dans une attente sombre; Le peuple les connait, et son doigt les denombre; C'est le sage Carnot, general et tribun , Qui doit veiller bientot pour le salut commun ; Dubois-Grance qu'attend un renom funeraire; Voici les deux Merlin; puis Chabot; puis Bnrrere. Qui, rheteur homicide et bourreau caressant, Mele dans ses discours le miel avec le sang; LA MORT IDE LOUIS XVL il5 Tallien dont la voix fut toujours obeie;, Billaud, fumant encor du sang de TAbbaye; GoUot-d'Herbois assis a c6te de Bourdon ; Fouch^ qui de son code a raye le pardon; Le squalide Marat, ame cadavereuse, Qui promet tant de morts a la fosse qu'il creuse ; Et Ghenier, qui, charge du glaive de la loi, Se souvient que Milton fut le juge dun roi. ^ La se montrent aussi sur la cime vivante Trois hommes enlaces, trinite d'epouvante, Destructeurs qui, montes sur un monde nouveau, Elevent dans leurs mains la hache et le niveau : Gouthon qui dans ce jour consacrant sa doctrine, Tousse un arret de mort, de sa faible poitrine; L'extatique Saint- Just , aux courageux frissons ; ' Etle froid Robespierre escorte de soupcons, i4- - 216 septi£:me journee. Qui porte dans son oeil et sa figure bleme De son plan d avenir Tindicible probleme. lis sont tons trois, vivans avec la flamme au front; (^ui dirait qu'avant pen leurs tetes tomberont? L'imperissable vote a cette heure commence Escorte des clameurs d un auditoire immense ; Cbaque juge du roi de son siege descend Pour f rapper le coupable ou sauver I'innocent; Debout a la tribune ou la sentence flotte II dit quelle raison a decide son vote ; Tant qu'il parle, sa voix recueillie avec soin Frappe la votite calme et retentit au loin , Puis, selon qu'il retire ou qu'il cede la proie, T-e peuple ardent rugit de fureur ou de joie , LA MOllT DE LOUIS XVL 217 Et cet immense echo , ce tonnerre de cris Portent sept cents arrets dans le vaste Paris. Tout est fait ; chaque vote est depos^ dans Turne , Le lustre va s'eteindre , et la scene nocturne N'a qu'une lueur vague , un rayon incertain , Gr^puscule d'hiver qui se lie au matin. Un long cri de terreur parcourt le peristyle : Quel ami vient preter un secours inutile? G'est un juge mourant descendu de son lit; ^ II entr'ouvre a deux mains la foule qui palit; Tel que ces spectres blancs qui, vetus de suaires, Parcourent a minuit les pieux ossuaires , 11 entre, en etalant ces nocturnes bandeaux Qui chargent le malade a 1 ombre des rideaux; 218 SEPTIEME JOUUNEE. Le fantdme imposant etend sa main glacee , Et la foule liqiiide est soudain condensee, Et tous ont ecoute, dans un morne repos, Ce souffle solennel qui murmure des mots, Gette voix formidable a la tombe ravie Qui seme pour le roi des paroles de vie. Voila le dernier vote; il tombe d'un linceul ; Les arrets de chacun reunis en un seul , Au milieu des horreurs d'un lugubre silencf Vont charger les bassins d'une double balance ; Tous les yeux de la foule envisagent de pres Le calme president qui suspend les arrets : Alors un des plateaux de la balance austere S'incline avec lenteur et descend vers la terre; La, pesent de la mort les mots silencieux : Le c6te de la vie est monte vers les cieux. LA MORT DE LOUIS XVL 219 LE DERNIER JOUR. Dans le Temple aux froides murailles , O vous , ses derniers courtisans , Ghantez I'hymne des funerailles , Le psaume des agonisans. Ghantez sous la funebre voiite La prose lente de I'absoute ; Qu'il entende un cortege ami ; Que vos voix frappent son oreille , Que ce triste concert leveille ; Car le roi de France a dormi ! Lorsque la sentence est signee , Que le jour supreme est venu , 220 SEPTIEME JOURNEE. Une victime resignee Salt tendre an bourreau son cou nil. te roi , que la revoke enferme , N'avait pas sii dune main ferme Tirer son vieux glaive et sortir. Le chrelien a la foi benie , Dort son bon sommeil d'agonie Avec le calme du martyr. Hornuie ne pour im monastere ! Maudis les malheurs de ton sang ; Maudis le droit ber^ditaire Qui te fit monarque en naissant. 11 te fallait la vie beureuse , TiC toit calme dune Chartreuse , LA MORT DE LOUIS XVL 221 Les concerts de I'hymne sans fin , La cellule oii la paix habite , Et les travaux du cenobite Sous les ailes du seraphin. Quel deuil dans la prison du Temple Aupres du lit oii le roi dort , Le saint pretre qui le contemple Psalmodie un verset de mort; Les pleurs couraient a sa paupiere , 11 commencait une priere, Qu'un bon serviteur achevait. Puis le roi s'eveilla sans crainte, Laissant une derniere empreinte Sur I'edredon de son chevet. 222 i^EPTIEME JOURNEE. Vn bruit sourd retentit dans les noires tourelles, he vieiix manoir du Temple agite son beffroi; Les grilles , en grincant , se disputent entre elles. Qui frappe? G'est la Mort qui vient chercher le roi. Le roi se leva, il rit au jour qui le delivre, Pour les ciseaux de mort soigne ses cheveux longs ; 11 met ses vetemens comme s'il devait vivre, Et donne avec fierte le dernier ordre : Allows ! Et son char funebre roule , Comme un ondoyant cercueil Que la populeuse houle Va briser contre un ecueil. LA MORTDE LOUIS XVI. 228 Vers la sinistre portiere Se presse la ville entiere , Et dans ce cadre flottant On voit par la vitre basse La tete du roi qui paSse : G'est la tete qu'on attend. Des cavaliers au pas leste , , Alignes sur son chemin , Tons vetus de bleu celeste , Marchent le mousquet en main. Santerre , qui le protege , A requis pour le cortege Dix archers le sabre haut. On voit s'avancer en tete 224 SKPTIEMl^ JOURNliE Ces messagers dune fete Qui finit a I'echafaud. A cet effrayaut m'Selange D'liommes sortis des faubourgs, Se joint la vieille phalange Qui marche au pas des tambours ; Geux que le dix aout vit naitre , Ceux qui se firent connaitre Au grand assaut du palais ; Geux qui dune main bardie Allument un incendie Avec le feu marseillais. LA MORT DE LOUIS XVI. 225 Ainsi qu'au front d'une armee , Pourquoi dans ces rangs confus Les canons , meche allumee , Vont roulant sur leurs afftits r' Helas! quand son heure sonne, On ne voit venir personne Au secours du souverain. fiteignez la meche ardente , Car sa noblesse prudente Est assise aux bords du Rhin. La pluvieuse Lutece , Pour ce jour sans lendemain , A pris ce ciel de tristesse Que Ton touche avec la main ; ■2'2{i SEPTlfiME JOURNfiE. Sous les branches effeuillees , Et que la brume a mouillees , Se glisse un vent refroidi ; G'est le deuil dune tempete , G'est la nuit sombre qui prete Ses tenebres a midi. Deja la funebre escorte, Dans ce nocturne matin , A franchi la double porte Saint-Denis et Saint-Martin ; Le boulevart se deroule Aux yeux de Timmense foule Longeant les sentiers etroits , Et le char enfin s'arrete, LA MORT DE LOUIS XVL 227 Avec sa viclime prete , Devant le chateau des rois. Oh ! que d'hommes armes ! cette place ou I'on tue G'est celle ou Louis-Quinze avait une statue ; Ge beau marbre est tombe sous le marteau fatal, II n'en reste plus rien qu'un hideux piedestal , Un grand socle de bois; eh bien ! on le destine Au roi Fermez les yeux, voila la guillotine ! G'est elle ! et que ce nom par la plume trace Avec rhumaine voix ne soit pas prononce ! Le roi vient; nul ami sur la place publique Ne Fa suivi, sinon un pretre catholique, Qui, devant lui marchant au funeste escalier, Serre encore une fois ses mains qu'on va Her, 228 SEPTIEME JOURNEE. T.ui pr^sente le Christ et du doigt le convie A ces cieux ^ternels palais de Fautre vie ; Consolante parole et supreme entretien Qui donne tant de vie a la mort du chretien ! Tout est done pret; le roi monte a son dernier trone, Contemple froidement la Gour qui Tenvironne ; 11 s'apprete a parler : un pouvoir surhuniain A des quatre bourreaux paralyse la main ; Tout-a-coup une voix sortant de dessous terre Retentit a la place ou commandait Santerre , Et cette voix disait : Bourreau ! fais ton devoir ! Alors tout oeil est fixe et regarde sans voir; On touche le chainon de la hache plombee... Dites ! quel est ce bruit? Une tete est tombee! L'homme exterminateur la tient par les cheveux, Vive ettremblante encor d'un mouvement nerveux; LA MORT DE LOUIS XVL 229 Ainsi brillait jadis, suspcndue et coupee, Une medaille d'or a sa gloire frapp ee. Quatre fois le licteiir, aux coins de I'echafaud, Monti e aupeuple beant ce trophee encor chaud; Et ce hideux aspect qua dessein il prolonge Alteste quatre fois que ce n'est point un songe, Que cent mille Franqais , temoins de ce trepas , En conteront Thistoire et ne mentiront pas. En meme temps un homme a la face inconnue Bondit sur I'echafaud , fouille de sa main nue L'egout du sang royal ; de ses doigts palpitans Le secoue avec rage au front des assistans ; Et le peuple enivre , defiant Tanatheme , Accepte en rugissant cet horrible bapteme. Ii> 2;v, SEPTIEME JOURNEE. -i^a^ \j)-0 IIUITIEME JOURNEE. Vor[yniau(l dit encor : << Maintenant , c'est assez ; .< Levez-vous ! serrez-vous de vos bras enlaces ; « Jurez tous, quabjurant une moit clandestine, « Vous paraitrez vivans devant la ^lillotine ; « Que vous perirez tous, sans souiller dun affront « La derniere tribune ou vos voix s eteindront. « Moi , je suis tout a vous ; au moment de me taire , «De la sainte phalanf^e indigne refractaire, « Desertant vos drapeaux bien avant le matin, « Je ne veux pas du v6tre isoler mon destin ; " Prisonnier avec vous dans les memes muraillcs , « Avec vous je m elance au char des funerailles , « Et le dernier adieu sorti de mon gosier , « Vos tetes I'entendront dans la manne d'osier. " LES GIRONDINS. 25L Alors, comme pour faire unejoyeuse ronde, lis s'enlacerent tous an nom de la Gironde ; Tels qu'au libre repas des confesseurs romains, lis mirent en faiscean leurs electriqnes mains ; Guirlande de martyrs qu apres cette veillee Tont Paris devait voir sur le sol effeuillee , Ainsi qu on voit tomber ces lon(>s rameaux mouvans Qu'un dernier joar d'octobre arrache et donne aux vents. Et puis, pour abreger cette nuit eternelle , ^ Dans ce theatre obscur, la troupe fraternellc, Comme pour repeter un spectacle promis , Reveille brusquement les acteurs endormis ; Au jeu de 1 echafaud ils s'exercent ensemble : Riant, ils se couchaient sur la chaise qui tremble; .252 HUITI£ME JOURNEE. L'un d eux, nomme d'office, executeur banal, llluniinait la scene aux clartes du fanal ; Et , leur parodiant la machine qui tue , Laissait tomber sa main sur leur gorge tendue. Devant une mort vraie , athletes courageux , lis charmaient leurs ennuis par ces funebres jeux. Aussi , quand sous I'abri de leur sombre coulisse , lis Guirent sonner I'heure de leur supplice , lis etaient prets, leur role etait su jusqu'au bout, Et I'aurore de mort les eclaira debout. LA PLACE DE LA REVOLUTION. Venez, vous qu'on attend, Timpatience est lasse L'heure deja sonnee aigrit la populace ; On dirait qu'elle veut boire un sang girondin. Que dliommes entasses dans le royal jardin, LES GIRONDINS. 253 Aux Champs-Elyseens , rayons de promenades , Sur le haut Garde-Meuble , aux freles colonnades , Sur les dalles du pont, partout oii Ton pent voir La fontaine de sang qui remplit I'abreuvoir ! On comprend cette ardeur; ce sont de rares fetes Que celles oii Ton vient pour voir tomber vingt tetes, Hatez-vous, on a soif , et lechafaud geant Demande votre cou pour son collier beaut, Les voici ! du guicbet ils ont francbi la porta ; Des pesans cavaliers voila la longue escorte ; A leur tete , au-devant du premier chariot, Etincelle de loin le sabre d'Henriot. En marchant vers I'autel dune farouche idole , Fiers, comme s'ils allaient monter au Capitole, Les vingt triomphateurs , ranges en deux convois , Ghantent la Marseillaise avec leur forte voix : ^ 17 251 IlUITIl^ME JOURNEE. Gloricux de Icur vie, ils se tournent sans honte Vers cc penplc (>rossicr qui Ics nomme ct les compte. lis sont tous 1^ prescns, ainsi qu'ils Tout promis, Tous; car le meme char qui porte ces amis, Cahote en meme temps, au fond dune corbeille, Le corps de Valaze, suicide la veille. ^ Malheureux ! il a era par un coup de poignard Iilpargner une entaille a lacier montagnard ! L'inexorable main qui dressa le supplice , S'empare d\m cercueil , vingt-unieme complice , Et pour donner a tous Tegalite du sort , Traine avec les vivans un cadavre a la mort. lis arrivcnt enfin ; au pied de sa statue , Maudiront-ils en cboeur la liberte qui tue ? Viendront-ils renier , par d'amers repentirs , Celle qui dans un jour a fait vingt-un martyrs ? LES GIRONDINS. 255 Non; ils baissent leurs fronts pleins de nobles idees, Devant la Liberte haute de vingt coudees , Et loin qii un seul d'entre eux la maudisse en passant , Tous venerent la place ou doit jaillir leur sang; G'est que leur vive foi meme ne pent s'eteindie Devant cet ecliafaud que tant de sang doit teindre ; Pareils a ces chretiens qui, par un beau trepas^ En s'immolant pour Dieu , ne le reniaient pas. Montez done , hommes forts , heros du dix brumaire ; Saluez , en mourant , votre terrible mere. On crie autour de vous : Vive la liberte ! Eh bien ! vous , le front ceint dune male fierte , Criez k votre tour , pour sublime replique : Vive la liberte ! vive la Republique ! /• 256 HUITIEME JOURNEE. Gloricux condamnes ! lieroiques proscrits ! Nul ne reste muet pour ces genereux cris. L'impassible bourreau par ordre les appelle ; Son fer est aiguise , car la moisson est belle. lis montent tour-a-tour : sous le couteau mouvant S'abime par degres tout ce qui fut vivant ; Et la haclie infaillible, a coup sur dirigee, Commence a Sillery pour finir a Vigee. '" Chaque fois qu'elle tombe avec un rauque son, Le coem' des assistans est glace d'un frisson ; Le peuple s'en emeut, les ames sont brisees, Un murmurc d'iiorreur sort des Ghamps-Elysees; Car, jeuuesse, vertus, graces, force, talent, Tout s evanouissait sur Tautel ruisselant. LES GIRONDINS. 257 Pourqiioi done cette foule autour d'eux entassee , Ce peuple de Paris , la ville policee , N'a-t-il pas en s'armant des grilles du jardin Sauve de Fechafaud tout ce sang girondin ? Enigmes de ces temps , mysteres politiques, Aussi sombres pour nous que ceux des jours antiques Helas ! notre regard que Thistoire confond Glisse sur les tableaux , et n'en voit pas le fond. Oh ! dans ces jours d'orage oil I'Europe soldee Tendait sa main de fer a la folle Vendee , Quand I'eternel complot, suivi des trahisons, De la Gharente au Rliin allumait ses tisons , Qu une seule bataille en un clin d'oeil perdue Pouvait voir a Paris cette Europe attendue ; Le peuple etait en fievre , il n'avait pas le temps De penser ni d'agir , comme aux calmes instans , 258 IIUITlfiME JOURNEE. Et vers tons les exces son delire mobile Donnait le nom dc crime a la vertu debile ; 11 n'avait foi qu'en ceiix dont la sauvage main Se lavait , chaque jour , avec du sang humain , Et qui pour etouffer une guerre intestine , En face des complots dressaient la guillotine , Fant6me ensanglante , spectre qui pouvait seul Changer le drapeau blaiic en funebre linceul. Lc peuple, dans ces jours de farouche demence, Gouvrait les Montagnards de son amour immense ; II picurait an convoi du hideux Jacobin Que la jeune Gorday poignarda dans le bain , Et cette femme forte au cachot poursuivie Dans les cris d anatheme abandonnait la vie ; Partout ou se montraient tons ces proscrits errans , Issus de la Gironde ou re^us dans ses rangs , LES GIRONDINS. 259 Des rocs dii Calvados au lit de la Garonne , Sur tons les caps Bretons que TOcean couronne , lis trouvaient devant eux la hache et le tr^pas ; L'echafaud voyageur s attachait a leurs pas ; Car dans chaque cite , complaisante vassale , La grande guillotine avait sa succursale , Et le peuple, partout de meme rage epris, Frappait ses Girondins comme ceux de Paris. S'il est , dans cette nuit, un rayon de lumiere , 11 faut toujours le prendre k sa cause premiere, Toujours se replacer sous ce sombre horizon Ou le peuple eperdu n'avait plus de raison, Ou ses bras convulsifs entouraient d'esp^rance Ceux qui creaient Farmee et qui sauvaient la France, Et denoncaient du doigt, a leurs cdt^s assis, Ces tribuns que le sang n'avait pas endurcis. 200 HLITIEME JOUKNEE. AIj ! (niisqiie ces viNGT-UN que ma memoire chante N'ont eii pour Icurs bourreaux qu'une plainte touchante, Qu'aucun cri d'anatheme, eu leurs derniers abois, Ne vint gonfler leur cou dans le collier de bois , Imitons-les ; sachons que sur la place ronde Oil s'epancba le sang des fils de la Gironde , lis ont voulu semer ces germes precieux D'ou nous revient un jour celle qui vient des cieux , La grande liberie qui meurt et ressuscite , Qui m'inspire aujourd'hui ce cbant que je recite , Et s'assied au palais qu'on vient de rebatir ' ^ Pres du sol ou tomba le Girondin martyr. NOTES DE LA HUITIEME JOURNEE. NOTES DU TREISTE-UN MAI. LES GIRONDINS. ' 3 1 mai 1793, LES GIRONDINS. Cettc memorable journee, ou tomba la Gironde , est vulgaire- ment designee, dans I'histoire de la revolution, sous le nom de journee du 3i mai; ce jour-la cependant ne fut remarquable que par la suppression de la commission des douze ; mais I'auteur a cru devoir adopter cette fausse date. Ce fut seulcment le 2 juin que la Convention, cernee par les bandes de la Commune, et intimidee par le canon d'Henriot, decreta I'accusation des Gi- rondins. Ceuxqui perirent le 3i octobre n'avaient pas tous etc compris dans cette premiere proscription. La Convention frappa successi- vement de ses decrets d'autres merabres de la Gironde qui fuient juges et executes avec les premiers le 3i octobre, au nombre de vingt-un, et non de vingt-deux, ainsi que la plupart des histo riens s'obstinent a I'enoncer. Ces vingt-un deputes sont : Brissot, Gcnsonne, Vergniaud, Du- 264 NOTES. pcn-ct, Carra, Gardicn, Valaze, Duprat , Sillery, Fauchet, Ducos, FonFricIc, Lasource, Ecauvais, Duchastel , Mainvicllc, Lacaze , Lcliardy, Roileau , Antiboul , Vigee. Ce grand cv(ineiiicnt offrait done deux actions aux inspirations du poiite: la soanee du 2 juin,ou la Gironde fut ecrasee sous le poids de la Montagnc, et la dcrniere scene de cet episode, con- sommee le 3i octobrepar le supplice des Girondins. L'autcur s'est delcrmind pour cette derniere, commc plus dramatiquc. * « Un seul semble faire dcfaut, « Son fidele poignard crut tromper I'echafaiid. » Valaze, decrete d'accusation, aurait pu s'evader s'il I'eut voulu; ii consulta Lacaze, son ami, sur ce qu'il avait a faire, et celui-ci le dissuada de partir. Bientot on avertit Lacaze qu'un semblable d^cret le menacait lui-meme : on lui offrit de le mettre en suiete. Non, dit Lacaze ; c'est moi qui suis cause que Valaze ne s'est point enfui ; si mon ami meurt, je veux partager son sort. En entcndant prononcer I'arret de mort , Valaze se perca d'un stylet dans la salle mcme du tribunal. Son voisin Ic voyant fris- sonner ot palir lui dit : Tu trembles, Fa laze ! Non, rcpondit-il , je meurs, et il tomba. Tous les details de ce poeme sont rigoureusement historiques. II est faux qu'au moment de leur condamnation les vingt-un Girondms aient jetc des assignats aupeuple, dans I'espoir d'exci- ter un mouvement en leur faveur. Prudhomme a contribue a re- pandrc cette calomnie ; il les a meme repr6sentes, dans une de ses gravures, au moment ou ils se levent de leurs bancs, et eparpillent les assignats dans la salle. Voici c;c qu'on lit a cc sujct dans les NOTES. 2G5 Memoires de Buzot,page 178 : « Les accuses , pour repondrc ct se « defendre, recueillaient , pendant les debats , ce qu'on disait, sur « des notes ecrites. Tout-a-coup Antonelle declare que le jury est « suffisamment iustruit. Les accuses dechircnt leurs notes et les « jettent au vent. » Le courage des Girondins , apres leur condamnation , sera a ja- mais celebre. Ducos composa un pot-pourri extremement gai. Les condamnes fircnt ensemble leur dernier repas ; Valaze seul y man- quait! Ce banquet fut joyeux comme celui d'unefete. Un do- mestique de Duprat les servait en pleurant. Son maitre le con- sola, lui parla avec bonte de ses services, et lui recommanda sa femme. Ce fidele domestique vendit depuis une petite rente qu'ii possedait pour soutenir la femme de Duprat, reduite a la misere. ^«Soyons joyeux; demain nous serons chez les morts. V Ces formes de style etaient familieres aux orateurs de la Gi- ronde. Vergniaud puisait, dans les souvenirs de la Grece, cespoe- tiques images , ces comparaisons mythologiques qui abondent dans ses discours. Dans leur derniere veillee a la Couciergerie , ces illustres condamnes , par leur courage, leur philosopbie et leur langage, realiserent veritablement la scene du Phedon. ^ « Le jour oii je parlai des enfans de Saturne. » Vergniaud avait prophetise son destin, quand il avait dit : La revolution, comme Saturne, devorera ses propres enfans. ^ « Ce poison, le voila » Les hommes de cette terrible epoquc se plaisaient a imiter les 260 NOTES. ancicns dans leur inaniere de vivre et de mourir. Bcaucoup d'entre oux avaicnt soin de se munir dc poison , ct a la derniere extre- mit6 ils avaicnt rccours a ce viatique. Vcrgniaud conservait avec 111! iin nioycn siir de prevenir le supplice; mais, comme le poison ctait insnffisant pour tous ses amis, il n'cn fit pas usage pour lui-niemc, ct prcfera mourir avcc eux. ^ « Tel le jeune Alexandre » Aprbs Alexandre-le-Grand, ce trait a ^te reproduit par plusieurs generaux. Leroi David fit la memo chose; pressc par une soif ar- dente , il s'abstint de Loire I'eau qu'on lui avait rapportee d'une source lointaine, et la repandit en presence de son armee. 7 « Et puis, pour abreger cette nuit eternelle, etc. » On s'accorde a dire qua Tissue de leur dernier banquet, les con- damncs jouerent une comedie ayant pour sujct, la Descente des Girondins aux enfers. Plus tard, quand la mort fut devenue un accident de la jour- nee, ce jeu de la guillotine devint un exercice a la mode dans les prisons. U se fesait au moyen de trois chaises ; le patient s'eten- dait sur celle du milieu, qui etait couchee, et au signal donne, la chaise, en s'ahattant, imitait la bascule de la fatale planche. Les dames memes, a la prison du Luxembourg, prenaient plaisir a ces repetitions de la mort. ^ « Les vingt triomphateurs, ranges en deux convois , « Chantcnt la Marseillaise avec leur forte voix. » Pendant leur trajet de la Conciergerie a la place dc la Revolu- NOTES. 267 tion , la plupart des victirocs repetaient a haute voix le premier couplet de la Marseillaise , ainsiparodid : Allons , enfans de la patrie , Le jour de gloire est arriv^ ; Conlre nous de la (yraunie Le couteau sauglanl est leve, etc. , etc. Fonfrede chantait le refrain : Plut6t la mort que I'esclavage, •^ « Le corps de Valaze, suicide la veille. » Le cadavre de Valaze avait ^te place dans une manne d'ozier ; il fut traine dans la fatale charrette, et assista sur I'dchafaud a Fexe- cution des vingt. »o « Et la haclie infaillible^ etc. » Sillery, comte de Genlis, fut execute le premier ; il salua la foule et mourut avec courage; presque tous adressaient au peuple des paroles dont on ne saisissait pas le sens. Le peuple criait : Vive la r^publique ! et les Girondins repetaient ce cri. Mainvielle fit en- tendre distinctement le cri de Vive la liberty ! Brissot et Fauchet au moment de leur supplice montt erent seuls quelque emotion. Vigee subit la mort apres tous les autres. « " Partoutoiisemontraient tous cesproscrits errans. » Les Girondins proscrits a Paris chercherent un refuge dans les departemens. Les commissaires de la Convention les poursuivi- rent de ville en ville , de caverne en caverne. Guadet , Salles et Barbaroux furent executes a Bordeaux ; Gorsas a Caen. Pethion et 268 NOTES. I5uzot fiircnt trouv^s dans un bois , a demi d^vcrds par les betes fauves ; Condorcct s'empoisonna dans un cachot de Bourg-la- Rcinc ; Roland se donna la mort sur le grand chemin de Rouen ; Riouffc fut detenu quatorze mois a la ('onciergerie ; Louvet, apres des fatigues inouies, apres un voyage miraculeux, arriva de Bordeaux a Paris ; la il parvint a se derobcr a toutes recberches , grace a lintclligence et au devouement de sa Lodoiska. •' « Au palais qu'on vient de rebatir. » Le nouveau palais de la Cbambre des Deputes. 'i'W0-^mf — NEUVIEME JOURME. U'JmDJ-^--P M-a 4o*j«4^ iK.} ^ < • •^' *-^' '% ',ij.>* . -■ ..■ '•-<*i4- "O o No I '^(jd^fii^cld^^^fj)®®®'!;®/!'^^ ' ©©©€)©©€)€)€)€)©©©©© V 9 THERMIDOR AN 2. (27 JUILLET 1794.) LA CHUTE DE ROBESPIERRE. Sscuros dies extrenxts tenor advocat. cic. qffic. La terreur ! c'est le mot qu'en sa longue veillee Entendit si souvent Tenfance emei-veillee , Quand apres le repas, autour de I'atre assis , Notre pere conteur nous fesait ses recits ; o7i NEUVlfiME JOUKNfiE. II r^petait cent fois (tant les crises pass^es Avaient sur un seul temps r^uni ses pensees!) Cent lois, Ics clubs biuyans , les crimes des prisons, Les visites de nuit dans les calmes maisons , Le tocsin qui troublait le sommeil de nos meres , Les proscrits denoncds aux juges victimaires, L'accusateur public , le muet tribunal Ou jufjeaient sans appel Dumas et Coffiuhalj Le grossier tombereau de la Conciergerie Qu'escortait en hurlant la liberte furie ; Et la rouge charpente , a I'oblique couteau , Du chemin de la mort effroyable poteau. Et pendant ces r^cits , nos jeunes mains debiles Se joignaient vers le ciel , et restaient immobiles ; Nos yeux etaient ouverts et vitres de stupeur : Puis tout disparaissait comme un reve trompeur j LA CIlUTli: DE ROBESPIEKHE. 275 Gar Bonaparte alors tondait la nouvelle ere , Et nous protegeait tous dc son nom consulaire. Ah ! sans doute croyons que ces deux tristes ans,. Sur les fronts paternels ont passe bien pesans , Que ces grands jours de fievre et d'immense d^lire, Gette histoire de sang qu on s'epouvante a lire , Ont du tout ebranler dans lame et la raison De celui qui les vit du seuil de sa maison. De la grande Terreur , moi-meme enfant posthume , La nuit, en frissonnant, je lis dans le volume Qui semble ranimer, avec tout leur effroi, La guillotine reine , et le comite roi. Je n'ose derouler, dans mes lugubres rimes, Des souvenirs de gloire entrelaces de crimes : ^_)7(; NEUVlfiME JOURNEE. C'est le piiits sepulcral dii Comtat-Venaissin ; G'est la Loire grondant dans son lit assassin ; C'est Ic bourreau Freron, que Barras accompa^e, Mitraillaut les proscrits du Port-de-la-Montagne; G'est le pale Gouthon, avec CoUot-d'Herbois , Entrant la hache en main dans Lyon aux abois , Pour qu'il ne reste plus, entre ses deux grands fleuves, Qu'un peuple desold d'orphelins et de veuves. Oui, ce temps fut affreux; tout etre qui vivait Ne goMait qu'en tremblant le calme du chevet ; A travcrs le reflet dune lumiere terne , II voyait un cadavre au noeud d'uue lantenae j Et le soir en famillc , il arrivait souvent Quaux rideaux de la vitre, agites par le vent, Tin fant6me aux longs pieds , une ombre colossale Paraissait comme prete a sauter dans la salle : LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 277 Les enfans n osaient pas contempler de leurs yeux Le spectre qui jouait dans le rideau soyeux ; Ou, si run d'eux I'ouvrait avec sa main lutine, Pour regarder la bas ; c'^tait la guillotine ! Gomme un vaste decor qu'on prepare sans bruit , Dans la deserte rue on la dressait la nuit , Et , le matin venu , la charpente livide Apparaissait debout sur un espace vide ; On eUt dit que I'enfer, par un enchantement Avait improvise ce hideux monument. Toujours elle, toujours, sur les places des villas, Offerte comme idole aux populaces viles ; Ou, courant la campagne, et traversant lesbourgs Au son grele et fele des civiques tambours. Ses farouches amis ne juraient que par elle ; Elle fit du supplice une mort naturelle. 278 NEUVltME JOURNEE. I^t sans cessc agitant son triangle d'acier , Lliltat battait monnaie avec ce balancicr. G'ctait la la Terreiir ! Maintenant dans nos tetes , Gherchons-en le mystere et les causes secretes. Scrait-il vrai? faut-il admettre en gemissant. Que rirritable soif des crimes et du sang , L'imperieux besoin d assister aiix supplices, Ont dresse si long-temps ces larges sacrifices ? Faut-il croire, au tableau de ces calamitds, Que les dominateurs des sanglans coniit^s , Dans notre France en deuil , avaient besoin pour vivrc D'inscrire chaque soir quelques morts sur leur livre? Alors doignons-nous de ce monde abhorre, Chcrchons au fond des bois un asile ignore ; LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 279 Renions nos deux noms de France et de famille , Fuyons ce sol maudit, car le crime y fourmille , Gar les fils des bourreaux sont encor sous nos yeux Et peuvent faire un jour ce qu ont fait leurs aieux. Non; sans doute, il en vint, dans lagrande tourmentc, De ceux qui benissaient leur effroyable amante , Baisaient ses bras rougis et fesaient leur festin Des chairs que leur jetait le fer de Guillotin ; Mais I'enfer en fit peu : tous ceux qui dans I'arene Applaudissaient de cris a la machine reine. Qui battaient des deux mains en courant pour la voir Et sans oser y boire admiraient I'abreuvoir, Tous n avaient pas un coeur qui se plait au carnage ; Mais chez eux bouillonnaient la fievre du jeune age , Et ce cuisant delire , impalpable tison Qui sur les fronts brtiles devore la raison; i80 NEUVlfiME JOURNIilE. llelas! il leur semblait que ces atroces fetes, Que ces cuves de sang ruisselantes de tetes , Que le grand abattoir ou tombait ce betail Brillaient k I'ctranger comme un epouvantail ; Et pour justifier ces terribles pensees , Vers le Rhin ou I'Escaut les hordes avancees Reculaient, chaque fois que la terrible main Rougissait notre France avec du sang humain ; Et I'austere Garnot , du fond de son pr^toire , En d^cr^tant la mort decretait la victoire. Tant que la France pale et sauvee a demi Eut a craindre les coups d'un nouvel ennemi , La Tcrreur conserva son formidable empire j II fallut 1 adopter de crainte de voir pire ; LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 281 Mais lorsqu'on ne vit plus fumer aux bords du Rhin Les bivacs ennemis cbasses du sol lorrain ; Lorsque tout fut sauve , gloire , honneur et patrie , Alors on contempla cette France fletrie ; Les hommes purs ou non regardant autour deux Ne virent que debris et qu echafauds hideux , Que spectacles de sang , campagnes desolees , Hameaux rayes du sol et villes mausolees ; La rongeur vint aux fronts, et , le danger eteint , On proscrivit les noms que la Terreur soutint ; Et chacun s'indigna , comme si les supplices N'avaient eu pour auteurs que cinq tribuns complices ; La publique rumeur les accusa tout haut D'avoir 'a leur profit promene I'ecbafaud. Un surtout , dont le nom rayonne d'epouvante , Qui soulevait du doigt la Montagne vivante , 282 NEUVlfcME JOURNfiE. Dicu de cc noir olympe , entoure d'autres dieux , L'imposant Robespierre apparut odieux : On resuma sur lui les forfaits et la honte , Du san(j verse partout on lui deraanda compte ; Sur le sol de la France on eut dit qu'en passant Son pied seul eftt creuse ce long ravin de sang. Encore un peu d'audace , et dans son temple meme Fi 'idole va trembler sous un cri d'anatheme ; Et ceux qui jusqu'ici la soutinrent debout Ouvriront sous ses pieds la fournaise qui bout. Quoi ! Ton n etait point las dans nos sombres murailles De ce drame eterael clos par des funerailles ! Quoi ! ces noirs tombereaux qui traversaient Paris Ne trouvaient done jamais leurs reservoirs taris! \A CHUTE DE ROBESPIERRE. 283 Depuis quatorze mois la France etait fauchee , Et la faulx de la loi n'etait pas ebrech^e ! Helas , non ! la Terreur, prete a s'evanouir, Le jour de ses abois voulut encor jouir; Un soir elle passa dans la sanglante orniere , La charrette de mort, et c'etait la derniere, Portant a Techafaud Tordinaire moisson , Et cet horrible soir Paris eut un frisson , Gar le sang le plus pur, le sang dun grand poete Sanctifiait la marclie et baptisait la fete ; Ce fut toi, doux rapsode, barmonieux Chenier ! ^ Ta main serrait ton front quBttendait le panier ; Devant tes compagnons, ta derniere famille, Tu finissais des chants commences pour Gamille , Et demandais des vers avec des reves d'or Au huitieme soleil du brtUant thermidor. 284 NEUVIEME JOURNEE. Ah ! qiiand sous le couteau des lois illegitimes Tombcnt, imsoir dete, de pareilles victimes, II faut que les bourreaux , saisis le lendemain , Passeiit en criminels par le meme chemin. Voici le nouveau jour, I'aurore qui commence Apres I'ere de mort 1 ere de la clemence ! Un liomme vatombcr, qui voile aux assistans Le secret de sa vie et I'horreur de son temps ; A{Tent mysterieux, dans sa courte carriere S'il a paru, tenant la hache meurtriere , Quel que fiit le foyer qui brula dans son coeur, Qu'il disparaissc enfin, car le peuple est vainqueur; Que le ciel ou I'enfer I'ait envoy^ , qu'importe ! Lora{je le crea, que lorage I'emporte : LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 285 Pourquoi sur une enigme arreter nos esprits ? Le siecle le medite et nul ne la compris. Suivons-le sur ces bancs d'oii sa voix dominaiite Glacait les proconsuls de Toulon et de Nante ; II sy rend aujourdliui, solitaire et reveur, ^ Le front illumine dmie sainte fervour, Evitant les regards , comme un anachorete Qui voudrait fuir le monde et qu'une idee arrete , Et que le monde enchaine et retient malgre lui Sur la terre profane ou sa lumiere a lui. D ou vient ce changement? quelle pensee habite Dans le front sourcilleux du sanglant ceuobite ? Quel terrible secret si long-temps contenu Va, de ce sein profond, sortir comme un fer nu? Depuis quarante jours, de ses levres fatales Des noms entrecoupes tombent par intervalles: 19 .^^^', fs'KUVlEME JOURNEK. Varennes, Tallicn, Foiiche, Gollol-d'Herbois ; Dcbout, tribuns! malhcur si Ton entend sa voix! C'est I'heurc de la peur j c'est Theure du courage ! Oil entend sourdre au loin le souffle de I'orage , Les sieges ont craque, comme aux sommets alpins Quand Touragan du nord courbe le tronc des pins ; Le mont des Jacobins craint qu'on iie les decime , Le volcan recele divise en deux sa cime ; Ces deux fronts orageux par le choc partages Se rcgardent du haut des gradins elages ; Bient6t tremblent les blocs de la double Montagne , Comme vers le detroit de TAfrique a I'Espagne Si Ic front d'Abyla, promontoire escarpe, Se ruait tout-a-coup sur le front de Galpe. La bniyante tribune a rougi d etre esclave , I'allien fait jaillir sa parole de lave / LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 287 Et Ton entend ce cri , sinistre accusateur : Robespierre a la barr^ ! a bas le dictateiir ! Gherchez partout, cherchez dans I'histoire des hommes, Depuis les temps passes jusqu a Tage ou nous sommes , Jamais on n'entendit dans un temple des lots Mugir comme aujourd'bui de plus terribles voix • Formidable combat oii la parole tue , Ou chaque vote annonce une tete abattue , Ou tous les prisonniers pris le discours en main Accuses aujourd'liui sont egorges demain ! Cette fois la Montagne enverra sa fournee ; Gontre son propre flanc sa haclie est retournee Pour la veine feconde ou sa rage a pulse , Elle prepare encor son poignard aiguise. >9- 2H8 NEUVI^ME JOURNEE. Robespierre est muet : une voix souveraine D\in seul mot a couche le geant sur Farene, Des mains ont pris ses mains, on ose le Her, On le traduit au seuil oii veille le geolier; Mais le geolier, tombant la face sur la pierre, Est saisi de frissons en voyant Robespierre ; Ce roi republicain , ce debris du pouvoir Cherche en vain un cacliot qui lose recevoir, NuUe prison ne veut ouvrir sa porte immonde ^ A celui qui voulait emprisomier le monde. Le voila libre encor, le voila dechaine,; La generale bat, le tocsiu a sonn^, La puissante Commune en son nom se souleve Le farouche Ilenriot a ressaisi son glaive , ITenriot, qui du maitre aide les plans secrets , Mezcncc, contempteur des lois et des decrets, (•» LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 289 Qui, toiijours a cheval eclaboussant la fange , Suit le tyran tombe comme son mauvais ange. Que vont-ils faire encor? Robespierre vainqueur Va demain d'un seul coup percer Paris au coeur ; Remnant les esprits de sa parole breve , U convoque les siens a la place de Greve, Et, dun grand desespoir rassemblant tout Teffort, Dans le palais du peuple il se batit un fort. Ses terribles amis que I'ecbafaud reclame , Jettent dans tons les coeurs le courage et la flamnie ; L'indomptable Henriot, Couthon, Saint-Just, Lebas Se dressent en faisceau pour ces derniers combats. Son frere est avec lui ; magnanimc jeune homme ! De quelque nom haineux que Fhistoire le nomme, Get autre Robespierre , a son frere enchaine, Environne d amour cc formidable aine. 29() NEUVIEME JOURNEE. Mvstere inexplicable , insoluble probleme 1 Get homme , objet d'horreur , trouve un frere qui I'aime II a done des vertus, qu'on puisse consentir A se faii-e avee lui volontaire martyr. Tallien a fr^mi ; son prisonnier est libre ; ^ Partout bat le tambour, partout le tocsin vibre; II faut abattre enfin ce terrible ennemi Qu'un arret suspendu n'a frappe qua demi ; Que la Convention et son peuple fidele Assiegent le proscrit, cernent sa citadelle; Mais quel homme energique acceptera I'emploi De proclamer sans peur I'ecrasant hors la loi ? G'est Barras ; le senat lui livre sa fortime ; II court flapper au sein la rebelle Commune: LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 291 A la voix du tribun le peuple suscite Ruisselle par les ponts de la vieille Cite , Comme un nuage noir qui s'agrandit et creve , Et vomit des soldats sur la place de Greve. L'H6tel-de-Ville en bloc par le peuple mine Montre dans cette nuit son front illumine , Ses gothiques arceaux, ses vieux balcons de pierre, Ses noiratres remparts qui gardent Robespierre. Mais I'heure avait sonn^ de son neuf thermidor : Dans Tangle retire d'un vaste corridor, Get archange decbu comprend bien que c'est Iheure Ou la voix qui maudit lui commande qu'il meure ; Son heroique frere accouru dans ces lieux, Et de son propre sort noblement oublieux , Le serre dans ses bras, I'invite a fuir, et tente De lui ravir son arme ouverte a la detente j, .>,,o neuvi£:me journee. Vains efforts ! le coup part ; regardez-le gisant Siir le parquet, le front tout iuonde de sang ; Mesurcz-lc couclie cet immense colosse, II n occupera pas cinq pieds dans une fosse ; II voulut se tuer, de peur que Techafaud Ne reconnut son maitre et ne lui fit defaut; Mais sur ces fronts d'airain la balle toujours glisse; Un coup ne suffit pas pour sauver le supplice. Venez done ramasser Thomme de la Terreur, II est presque cadavre, ainsi n'ayez point peur. Allez , que sans retard , da^is tout le territoire , Vos courriers haletans portent cette victoire; Que cent mille captifs , libres des maux soufferts , Dans Icurs cacliots joycux fassent bruir leurs fers. Dcmain pour consacrer un regne de clemence Consommez, en plein jour, une hecatombe immense, LA CHUTE DE ROBESPIERRE. 293 A Tautel de la mort envoyez pour presens Ces sacrificateurs qui Tout servi deux ans ; Que les deux chariots qui , sur la place ronde , Ont porte les martyrs de la sainte Gironde , Solent encore atteles pour trainer aujourd'hui Le san^lant Robespierre et sa troupe avec lui. Ce sont les jeux du sort , victimes pour victimes; Que frappes aujourd'hui par des coups legitimes, Les vingt-un Montagnards , sur les rouges gradins , Viennent payer le sang des vingt-un Girondins. NOTES DE LA NEUVIEME JOURNEE. NOTES DU NEUF THERMIDOR. LA CHUTE DE ROBESPIERRE. ' « L'fitat battait monnaie avec ce balancier. » Allusion au mot de Barrere : Nous buttons monnaie sur la place de la Revolution. ^ « Ce fut toi, doux rapsode, harmonieux Chenier! » La veille meme du 8 thermidor la Terreur devora Roucher I'au- teur des Mois, et Andre Chenier, qui le premier tenta de ramener la poesie fran^aise a la simplicite antique. On sait que dans ses vers il ne cessaitde celebrer sa Camille, comme Tibulle sa Lesbie , et Parny son Eleonore. Au moment de son supplice,il se frappa vivemeut le front avec la main en prononcant ces paroles : Et pour- tantj'uvais quelque chose, la. ^ « II s'y rend aujourd'hui, solitaire et reveur. » Depuis trente-six jours Robespierre avail cesse de paraitre au Comite de saint public ; il affectait de s'isoler de la Convention , et se rendait chaque soir aux seances des Jacobins. C'estla qu'il com- mencait a semer ses accusations : il denoncait comme les plus dan- gereux ennemis de la patrie, Fouche, Bourdon de I'Oise, Freron , Merlin de Thionville, Lcgendre, Lecointre de Versailles, Bar- "298 NOTES. ras, Dubois-Crance , Dumont , Rov^re , ct surtout Tallien. Il cmbrassait, dans ces sourdes proscriptions, les principaux chefs dc la .Montagne etlcs membres des deux Comites. Eiifin Ic 8 thermidor il se determina a ouvrir son attaque a la tribune dc la Convention, oil il n'etait pas monte depuis long- temps. Lcbut de son discours est de prouver qu'on I'a calomni4 en lui attribuant le systeme de la terreur; il cherche a separer sa cause tie celle de ses coUegucs , et tcrmine par une violcnte catilinaire centre les ambitieux, les intrigans et les fripons qui ne s'etaient fait des cadavres qu'un marcbepied pour arriver a la tyrannic. L'iraprcssion de ce discours est d'abord decretee; mais, sur la proposition de Billaud-Varcnncs ct autres deputes , ce decret est rapport^ a une grande majorite , et aux cris de Five la Republique! Ainsi finit la seance du 8 thermidor. ^ « Tallien fait jaillir sa parole de lave. » A peine la sdance du 9 thermidor est-elle ouverte , que Saint- Just commence la discussion ; il est interrompu par Billaud-Va- rennes. Celui-ci donne des details sur la seance des Jacobins du 8 , ct affirme qu'ils ont resolu d'egorger la Convention en masse ; il ajoute que la force armee est confide a des mains parricides , et de- nonce Henriot, avec son etat-major, Fleuriot, Payan, et toute la Commune dlM^ris. En ce moment, Tallien s'elance a la tribune : « Les conspirateurs "sont demasques, dit-il; ils seront bientot aneantis , et la verite '< triomphera... L'cnnemi de la Convention tombera... J'ai vu bier "la seance des Jacobins, j'ai fremi pour la patrie; j'ai vu se for- « mcr I'armee du nouveau Cromwell, ct je me suis armd d'un ' poignard pour lui perccr Ic sein , si la Convention n'a pas le NOTES. 299 « courage de le decreter d'accusation. « ll termine en demandant la permanence des seances et I'arrestation d'Henriot. Ces propositions sont adoptees. Billaud-Varennes , Barrere, Vadier , Bourdon de I'Oise, prirent successivement la parole pour elever de nouveaux chefs d'accusa- tion contre Robespierre, et chaque fois que ce dernier se levait pour se defendre, il etait interrompu par des cris unanimes : A has le tyran! Tantot il escaladait le fauteuil du president, tantot il se cramponnait k la tribune; un combat restait engage entre sa voix et celle des conventionnels qui lui criaient de se taire. "Pour la derniere fois, s'ecria-t-il, je te demande la pa- I'Tole, president des assassins I » On refuse de I'entendre; il est decrete d'accusation. Alors le jeunc Robespierre s'ecrie : « Je suis aussi coupable «quemon frere;je partage ses vertus, je demande aussi le decret « d'accusation contre moi. » Sa demande est accueillie. Le meme decret est ensuite lance, aux cris de Vive la liberte ! Vive la Re'publique ! contre Saint-Just, Coutlion , et Lebas, qui ont re- clame le meme privilege. lis sont amenes a la barre,puis, sur I'ordre de I'assemblee , conduits par des gendarmes au Comite de surete generale. '' « Nulle prison ne veut ouvrir sa porte immoncle « A celui qui voulait emprisonner le monde. » Quand les gendarmes se presenterent a la prison du Luxem- bourg avec Robespierre et ses compagnons, le geolier refusa de les recevoir, declarant qu'il lui fallait un ordre de la Com- mune; il fallut chercher une autre prison. Pendant ce temps, Henriot, a cheval, parcourait les rues en proclamaut I'insurrection , ;J00 NOTES. ct repantlait dcs troupes dans tous les environs dcs Tuileries ; Ics prisonnicrs furent delivres; eux-memcs marchaient a la lete des pcndarmcs cliargds dc les conduire. '' « Tallien a fremi » A la nouvelle de la delivrance de Robespierre, la Convention deja triomphante toniba dans Tetonnement ct la stupeur. Col- lot -d'llerbois, president ,« s'ecrie : Jurons tous de mourir sur « nos chaises curules. » C'est alors que Tallien monte a la tri- bune : « Tout conspire pour Ic salut de la Convention et la liberte " de la France ; Robespierre par sa revolte et celle de ses com- " plices vient de nous conduire a la seule mesure qui fut prati- " cable envers un tyran. Grace au ci.ol, pour en delivrer la "patrie, nous n'avons plus a attcndre la decision pcu sure d'un « tribunal forme par lui-meme. Il a le premier porte son jugement: B mettons-le hors la loi avcc tous ses complices. Frappons du « memc dccret la Commune rebclle, que sur I'heure elle soil in- « vestie ({uc le soleil ne se leve pas avant que la tete des con- « spirateurs nc soit tombee. » Tous ces decrets sont a I'instant portes. Barras , escorte de dix- iiuit cents homraes et de canons, s'avance vers la place de Greve sur deux colonncs; I'une invcstit I'Hotel-de-Ville , et I'autre, pre- ccdee par deux Deputes et les huissiers de la Convenlion, portant des torches allumces, se range sur la place ; les decrets de raise hors la loi sont lus a haute voix. Ce grand cvcnement se passait dans la nuit du 9 au lo thermidor. L'lIotel-de-Ville est envahi : Ro- bespierre et ses partisans sont arretes, a I'exception de Lcbas qui se brulc courageusemcnt la cervelle ; a neuf heures du matin ils sont conduits a la Conciergeric, et, le merae jour, a quatre heures du soir, sur la place de la Revolution. INTRODUCTION A LA NEUVIEME JOURNEE. r77°^ ^T'^" Un regne de violence et de terreur est necessaire- ment passager; tous ceux qui ont voulu en essayer ont trouve leur neuf thermidor; toutes les histoires depo- sent h I'appui de cette verite : quiconque joue avec le sang humain finit par combler la cuve avec le sien. Ro- bespierre, qui avait de la portee et de Tinstinct, tenta d'echapper au sort commun; effraye des cris de la France eventree, sans douteilrevale retourversun sys- teme de douceur et de pardon; sa niysterieuse retraite de quarante jours, ce careme politique quil s'imposa sur sa Montague, ce maintien de cenobite et de mysti- cisme qu'il affecta, devaient peut-etre servir de transi- tion a ce regime de clemence qui etait plutot un be- soin de son pouvoir que de son coeur. Mais ce caline soudain epouvanta plus que sa Terreur ; on s'effraya dele voir si peu effrayant; les ambitions ri vales, long-temps comprimees, s'agiterent; on specula heureusement sur la lassitude et le degout qui venaient de taut de sang repandu ; les mauvaises passions s'allierent aux bonnes contre Tennemi commun, et le geant de la Terreur tomba. G'etait une necessite. II y a des gens qui ne voient dans Robespierre que Robespierre, et qui le jugent comme on fait d'un cri- minel aux assises : les uns le peignent un coeur d'homme i8 270 IMRODUCTION. a la main et rexpriiuant dans une coupe pour Loire; (rantrcs nous le presentent comme le nieilleur des honinios. Robespierre ne savait peut-etre pas ce qu'il {'tait lui-meme; la circonstance le prit parcequ'elle avail besoin de quelqu'un pour conduire le peuple aux sa- turnales de la liberie. Robespierre sera un sujet elernel de medilalion, une enijime jeiee aux devins; on se de- mandera loujours comnienl il s'esl fail qu'un homme, fjui n'avail aucune de ces formes physiques qui sedui- seni, qui parlait avec faligue pour lui, el ennui pour les aulres, qui n'avait pris aucune pari aux balailles civiles de Paris, qui acceptait meme le reproche de se cacherk riieure des boulets el des balles, quin'etail ni un Dan- ton, ni un Barbaroux, ni un Vergniaud, ailpu jouer le role de Marius, d'Auguste, de Sylla, le role deshommes forts, populaires par la gloire , chers aux soldats, el qui pouvaient naturellement affecler la dictature, el signer des listes de proscription. Robespierre, dit-on, etail incorruptible et tenace, il avail un energique vouloir; c'esl possible; mais ces qua- lites ne constituenipas le dictateur; il en faut vingl au- tr^ j)lu^eblouissantes pour le peuple, el celles-la man- j quaient ^Robespierre. Quant ?iraoi, apres avoi.F.lti'et medite cent volumes sur lui, je n'ai jamais pu comprendre ni son pouvoir, ni sa popularite, ni le secret de son influence sur les masses. 11 parail qu'aux epoques inexplicables, il faut des moieurs inexplicables; heureux les historiens qui comprennent el expliquenl tout ! INTRODUCTION A LA DIXliiME JOURNEE. Robespierre n'avait point d'amis, il etait trop repul- sif aux liaisons sociales ; mais il avait de chauds parti- sans a la Convention , et ils n'etaient pas tons morts avec lui sur Techafaud. Tout grand pouvoir politique qui tombe laisse quelque temps muets et stupefaits ceux qui Tont servi: puis la stupeur s'use, et on tra- vaille secretement a la reaction. 11 faut toujours frapper deux coups pour tuer un pouvoir. Robespierre ne fut decidement renverse qu'apres le premier prairial; c'est le jour ovi ses partisans pousserent le peuple a la Con- vention. II y eut un instant de victoire contre-thermi- dorienne; moins d'energie dans le parti reparateur de la Convention, et Robespierre remontait, sous un autre nom, sur le trone republicain. Le peuple, non celui du 20 juin, ni du 10 aout, mais un autre peuple, demora- lise par les saturnales de la Terreur , fut repousse de la salle ensanglantee, les hommes, par la force des baion- nettes, les femmes, a coups de houssine. Les six con- ventionnels, reconnus principaux instigateurs , furent 20 302 IMIIODUCIION. arretes, et mis en jugement; c'^taient Gilbert Romme, Amable Soubrani, Ernest - Dominique Duquesnoy , Alexandre Goujon , Jean -Michel Duroy , et Pierre Bourbotte. Une commission militaire les condamna a mort le 29 prairial. Ce fut le dernier effort de la Montagne. La Conven- tion victorieuse au-dedans et au-dehors , et touchant an terme de ses travaux, rentrait dans des voies moins orageuses ; elle voulait faire oublier sa terreur en s'epurant de terroristes , et tranquilliser sur I'avenir par un systeme nouveau chez elle de moderation. DIXIEME JOURlVfEE. § (|)(i(i(|)(i(i(ii(|)(l(j(i)(i(j(i(l i^ ^ F" PRAIRIAL AN 3. (30 MAI 1795.) LE PEOPLE A LA COMVEIVTION. Fit via vi, rumpuut aditus, jtrimosque irucitlant. ViRG. Vous avez beau trancher, dans les dimes de sable, La tete du boa, reptile insaisissable, Prenez garde ! vivant de son premier essor. Son troncon convulsif pent vous broyer encor. ,J0<; DIXIEME JOUKNKE, Le loi de la Teneur est abattii ; sa tete Roula sur 1 echafaud avec sa rouge crete ; Siir son cadavre froid, que devore le ver, Ont inurmure la pluie et le vent de I'hiver; Mais par sa juste mort la vengeance assouvie IS a pas eucor tue tous ses germes de vie ; De sou haut piedestal, Robespierre en tombant A laisse par sa chute une empreinte a sou banc : C'est le trepied funebre ou I'amitie poscbume Tente de rallurner le volcan de bitume, Oil viennent s inspirer ceux qui gardent au sein L'inextinguible echo de son dernier tocsin. lis sont six, tous de fer, tribuns que rien n'etonne, Depuis le dernier mois qui preceda lautonme , LE PEUFLE A LA GONVElNTION. :}()7 ILs se sont reciieillis, loin d'uii monde iinportun, Pour mieux oiirdir leur trame et venger leui's vingt-un ; lis attendent ce niois ou le grand soleil brule La tribune du peuple et la chaise curule, Ou r^meute insurgee , aux rendez-vous connus Arrive la sueur an front et les bras nns. Dechaine-toi, lion, pour ta course derniere, Viens apposer ta griffe a la loi prisonniere; Une derniere fois tombe dans la cite , M^teore sanglant par la cloche excite ! Ruisselant escadron de f emmes aux yeux ternes , Enfans qui denouezla corde des lanternes, Tricoteuses d'enfer, vous , qui chaque matin Gomptez si bien les coups du f er de Guillotin ! Paries quais populeux de la Seine troublee, Venez done envahir la terrible Assemblec. 308 DTXrEME JOURNEE. Helas ! ce n'est plus la, dans sa male fierte, Ce peuplc, tel qu'il vint aux jours de liberie, Les epis dans les mains, et les tetes fleuries , Sublime visiteur entrant aux Tuileries : Le long nieurtre public a seche ces fleurons , Et la vapeur du sang a terni bien des fronts. D'abord le peuple est grand , et puis il s'habitue Aux spectacles de fange , a la Terreur qui tue ; Oh 1 ce n'est plus celui du vingt juin , du dix aout II semble qu'aujourd'hui tout Paris se dissout, Tant les places, les ponts, les noires avenues, Jettent au Carrousel de formes inconnues , De spectres feminins et d'enfans k Toeil faux , Qui trainent pour hochets de petits echafauds. • Paris, pour rassembler tant de femmes fetides, A vide cette fois ses Palus-Meotides , LE PEOPLE A LA CONVENTION. 309 Ses impasses impurs, ses couloirs croupissans De la Mortellerie et des Vieiix-Innocens. A leurs gestes virils, a leurs voix gutturales, On reconnait d'abord ces niegeres des halles , Peuple des carrefours, qui sous d'immondes toits, Fait siffler ou mugir son effrayant patois. Avec elles aussi, ces Phryn^s subalternes Qui peuplent dans le jour les vineuses tavernes, Et qui, la nuit venue, errent par noirs troupeaux, Le front entortille de fangeux oripeaux; Puis encore, au milieu de ces groupes infames, Des hommes deguises sous des robes de femmes, Sinistres compagnons aux bras noirs et velus, Qui poussent aux forfaits les coeurs irresolus. Des I'aube de ce jour, la cohue infernale Inaugure, en partant, sa grande saturnale , 'Mi) DIXiKMI^ .101; KNEE. EIIc dei-oule au loin ses inlormes chainons; On croirait voir passer ces visages sans no.ms, Ces fronts maudits dn ciel et marques d'anatheme, Que montrent au soleil les fils de la Boheme. Mille bras deployant le drapeau de la faim, Mille ecriteaux lev^s portent ces mots : Dit pain ! Dii pain ! Ne croyez pas a leur fausse souffrance ; ^ Voyez , voyez leur teint poiirpre d'intemperance ; Tous sont rassasies : la debauch e et le vin Fermentent dans leurs corps comme un grossier levain j Ijcurs yeux sont-flamboyans, leurs poitrines sonores, 1/alcohol corrosif liltre par tous leurs pores ; lis n'ont ni faim ui soif ; mais lemeute a compte Sur I'effet desastreux d'un mensonge effronte ^ Du pain ! c'est le mot d'ordre, et la famine louche. En penibles efforts I'exhalc de sa bouche. LE PEUPLE A LA CONVENTION. ail Voila le bataillon qu'appelle et fait mouvoir La Montague qui veut ressaisir le pouvoir. L'Assemblee est debout , et la salle est fermee. Point d'honneurs de seance a cette ignoble armee ; Qu'on la repousse au loin, car son crime est flagrant; Ou elle campe dehors , le Carrousel est grand. Mais , helas ! par les siens I'Assemblee est trahie ; Elle va deborder dans la salle envahie , Cette anarchique armee, a Tinsolente main , Broyant tout, se faisant par. la force un chemin. Deja, conime un signal de la crise prochaine, La porte sent fremir ses lourds panneaux de chene , Seul et dernier abri jusque-la respecte, Qui du temple des lois garde la saintete; 312 DIXIEME JOURNEE. Elle tombe en Eclats: la foule entre maitresse; Le president se coiivre en signe de detresse : ^ Ge debilc vieillard, incline paries ans, A trop de glace au coeur pour les dangers presens ; Parmi tant de demons elances de Tabime , Sa voix ne pent dompter les hiirlemeus du crime , 11 descend ; le tocsin semble sonner son glas ; Siir son fauteuil vacant monte Boissy-d'Anglas , .leime homme au coeur d'airain , a la poitrine forte, Qui pent vivre pour tons si I'Asseniblee est morte; Qui dun regard serein, sur les bancs montagnards, Arrete une detente et brise les poignards. C'cst ici qu affrontant le crime qui menace , Brille dans son eclat Ihomnie juste et tenaccj .lamais dans les longs jours que lui garde le sort 11 n'aura plus besoin de ce stoique effort. LE PEOPLE A LA CONVENTION. 313 La salle est un champ clos ; de hurlantes furies Ebranlent sous leurs pieds les hautes galeries ; Leurs freuetiques poings roides et contractes Se baissent vers le front des calmes Deputes. Du pain! toujours du pain ! c'est le mot qui resonne^ G'est le cri de combat de ce peuple amazone ; Vingt fois le president veut parler, et vingt fois D'ironiques clameurs ont emporte sa voix. L'ombre de Robespierre errante dans la salle , Semble souffler sa rage a sa plebe vassale. O delire honteux ! etrange aveuglement ! O de ce jour de deuil deplorable moment ! Heure, oii vertus, devoir, liberie, tout s'oublie, Oii ia raison du peuple est changee en folic, ;j|4 UIXIKML: JOURNEE. Oil le crime est si grand do rage et de terreiir, Qnil merite pitie, qu'il echappe a I'horreiir! KntoiH'ons ce feuiliet d'uii crepe mortuaire; Tout est perdu, !a loi n a plus de sanctuaire : Sous les leviers de fer, rouverte a deux battans. La porte va vomir de uouveaux combattans ; Hurlant des chants aigus comme des cannibales, lis rentrent; entendez le sifflement des balles, Vnyez luire partout le poignard assassin ; Gloire a ceux dont la peur n'a point trouble le sein ! Chaque Represeutant I'un a I'autre s'eiilace , Et Ton entend ces cris: Mourons a notre place ! Vive la liberte! De Fun a Tautre bout Sur leurs bancs assieges ils se montrent debout. Un de ces fiers tribuns que Tavenir contemple , Va mourir, comme un pretre, en defendant son temple; LE PEOPLE A EA CONVENTION. 315 Et ce temple sacre qu'iin jour doit rebatir Gardera sur ses murs I'image dii martyr : '^ C'est le jeune Feraud; sur la poudreuse pierre '^ II tombe, un vil boucher I'immole a Robespierre; . Le sacrificateur, en tablier de peau , A choisi sa victime au milieu du troupeau. Feraud ! quel heroisme et quelle destinee ! Pour arreter lui seul la foule mutinee , Sur le seuil d'ou la flamme avec la balle part, II s'etait etendu comme un vivant rempart; Puis relev^, courant a la tribune sainte , II avait demande grace pour cette enceinte ; Inonde de sueur, le cou nu , I'oeil ardent, II couvrait de son corps Fauguste president, Et suppliait la foule a Ihomicide prete , Montrant Boissy-d'Anglas , de respecter sa tete. 316 DIXIEME JOURNEE. Noble enfant! il etait aux jours de puberte, Oil Ton aime d'amour la vierge liberte; 11 revenait des camps, et sa bure grossiere De uos derniers combats rapportait la poussiere; Les boulets cnnemis efflourerent son sein , Et le voila tombe sous un plomb assassin ! Ge nest plus qii'un troncon, la pique est toute prete Et le ler degouttant va promener sa tete , Sa tete aux yeux ouverts, aux mouvemens nei veux Qui font battre sa joue et roidir ses cheveux; Tete horrible, de sang et de sueur luisante ! Devant Boissy-d'Anglas 1 egorgeur la presente , Et lui, lui, ce heros digne des jours romains (Pantheon, ouvre-toi, siecles, battez des mains, Keditcs cette histoire a tons ceux qui Tonl lue), Lui se leve devant la tete, il la salue, LE PEOPLE A LA CONVENTION. Ml S'incline de respect, comme si devant lui Du martyr glorieux Taureole avait lui , ^ Comme on fait, sous la nef du temple catholique, Lorsqu on porte en triomphe une sainte relique. Et la foule applaudit a ces hideux exploits ; La loi nest plus qu'un mot dans I'enceinte des lois, Les tribuns conjures soufflent sur cette braise, lis redisent en choeur : Vive quatre-vingt-treize ! Mais les Deputes purs, installes sur leurs bancs, Agilent leurs cbapeaux aux mobiles rubans; Tous, de leur temple saint embrassant la colonne, Regardent, sans palir, ce peuple qui bouillonne, Qui mugit de fureur, et qui les yeux ardens, Demande une chair d'bomme a broyer sous ses dents. 2t 318 DlXlEiMi: JOURNftE. Oh efit cru voir, ajix jours de Rome souveraine, Quand les lions d'Afrique ensanglantaient I'arene All cirque de Titus, sous un peuple mouvant, Les calmes s^nateurs assis sur le devant. Un instant TAssemblee abandonne son r6le, Le peuple usurpateur s'arroge la parole, Exhale des discours a la vapeur du vin ; An pied de la tribune un (jt'otesque ecrivain Verse sur un papier des caillots d'encre noire Et jette aux assistans son horrible grimoire; G est Tinfame anarchie aux regards delirans , Qui promulgiic ses lois au profit des tyrans. A Tinsolite voix du peuple qui decrete, Les fils de Robespierre out redresse la crete , Entre eux et leurs A'ieux clubs ils resserrent les noeuds Et sui" les hauts gradins se dressent lumineux. LE PEUPLE A LA CONVENTION. 319 Ah ! si la noire plebe aux forfaits enhardie Prolonge plus long-temps sa sombre parodie, G'en est fait pour toujours, thermidor est venge, La Montague triomphe et tout ordre est change; Non , c'est le dernier jour de I'orageuse lice, II faut que sans retard le destin s'accomplisse : Le tambour bat la charge aux portes du senat ; Treve aux coups de fusil , treve a I'assassinat ; Les calmes grenadiers, la baionnette oblique, La poitrine en avant, sauvent la Republique; Le peuple est refoule : ceux qui s etaient assis Sur les bancs des tribuns parleur nombre grossis, S echappent, en niant leurs decrets transitoires , Par tons les corridors, par tons les vomitoires; Moins promptement d'un cirque on d^serte le jeu Quand dans la foule immense une voix crie : Au feu 31. 6 ■^20 DIXIEME JOURNl^E. Force reste a la loi : rinflexible Assemblee, Tout palpitante encor de la chaude melee, 8e change en tribunal et, maitresse a son tour. Mande les conjures, coupables de ce jour. Les voila tons les six , les heros de la fete : ^ T.e glaive les attend , sa lame est toute prete , Gar la Convention prodigue de trepas Est toujours elle-meme et ne pardonne pas. Ge premier prairial , ce jour que je celebre Sous sa date, a-la-fois glorieuse et funebre, Nous allume le front et fait qu'a tout moment On demande au passe si I'histoire nous ment. G est un drame complet, un resume du raonde, On la grandeur s'allie a la bassesse immonde, LE PEUPLE A LA CONVENTION. . 321 Ou le crime, en tombaut, sous I'anet abattu Est si beau, que notre oeil le prend pour la vertu; Vous allez voir. Deja la sentence mortelle De Robespierre eteint frappe la clientelle ; Les six amis, saisis au jour de trahison , Veillent sous les arceaux d'une etroite prison ; La, voyant sur leurs fronts la liache balancee , Tons ont uni leur ame a la meme pensee; lis ne languiront pas dans le fort du Taureau, Paris les revendique et voila le bourreau. Le bourreau ! qu'on Fenvoie a des hommes novices ; Mais eux! la Republique a recu leurs services, La couleur de leur sang est connue aux combats , lis sont montes trop baut pour desceudre si bas ; Non, non, ils n'iront pas au char des gemonies Subir les cris du peuple et ses ignominies. 3-2-2 1)1X1£:ME JCJURNEK. Celui qui veut niourir, mais mourir de sa maiu , All supreme moment tou jours trouve un chemin. Pour d^rober leur tete a 1 echafaud inf ame , lis n'out rien, qu un hochet, que des ciseaux de femme; Admirez tous ! eh bien , cet instrument grossier Tenu par le courage est un poignard d'acier; lis sont sArs I'un de Tautre : un silence de glace A donne le signal; c'est I'heure, c'est la place : Soubrani le premier, suspendant son chemin , Frapp e son coeur viril de lacier feminin , Tombe, et cede au second la pointe montagnarde ; Le suicide est plein , chacun d'eux se poignarde. JNul , au sinistre aspect de son ami gisant, N'a refuse pour lui le mutuel present : Nul n'a repudie ce sanglant heritage ; tin sourire effrayant glisse sur leur visage, LE PEUPLE A LA CONVENTION. 323 Et leur dernier soupir est tellement rendu Que meme de Fescorte il n est pas entendu. , Voila ce qu'ils ont fait. Maintenant , qu'on nous vante Ces sublimes trepas dont la forme ^pouvante ! Un seul des Girondins se sauva dans la mort; Le coeur des Moutagnards est done six fois plus fort; Gessons de nous courber devant Thistoire antique : Voici des homnies , grands comme Gaton d'Utique , Gomme ce fier Brutus , disciple de Zenon , Qui mourut en disant : Vertu ! tu n'es qu'un nom ; En entendant ces vers il semble qu'on recite Ges heroiques morts dont nous parle Tacite ; Comment la pouvait-il respecter chez autrui , Tel homme qui jouait avec sa vie a lui? Trois sont encor vivans ; le bourreau les ramasse ; ^ Les trois autres sont morts, leur vie est contumace; 324 DIXIKME JOURNEE. Elle est due an bourreau qui trafique des corps ; lis seront mis au char et guillotines morts ! Ainsi du raouumeut que batit Robespierre U ne restera plus bientot pierre sur pierre; Gorame on vit sur le Nil les colosses thebains, Nous avons vu crouler les Memnons jacobins! Ainsi passerent tons ces hommes d'epouvante Qui, frappant de leur pied sur la terre mouvanle, En avaient fait sortir un fantome hideux • Pour luer la revoke insurgee aiitour d'eux, Et repousser les rois dont la pensee oblique Dans un reseau de fer cernait la Republique. Ces puissaus jacobins, ces hommes devorans Qui pour la liberte se creerent tyrans, LE PEUPLE A LA CONVENTION. 325 Tons, sur Techafaud, morts dune agonie ardeute, Laisserent apres eux la France independante , Et ce beau souvenir de leurs jours desastreux Adoucit Tanatheme elabore contre eux. De tant de sang verse, du poids de taut de honte, Non, ce ne sont pas eux qui doivent rendre compte ; Je le repete encore, il faut monter plus haut Pour rencontrer la main qui crea Techafaud. Horomes du drapeau blanc, volontaires victimes, Payes, abandonnes par vos rois legitimes, Arsenal de Toulon, toi qui te consumes Quand les trois fleurs de lis scintillaient sur tes mats, Vendee , ile de deuil et mausolee immense De coupable vertu, d'heroique demence, Peuples fanatises par le crime ou I'erreur, Remords a vous, c'est vous qui fites la Terreurl ti2G DIXIEME JOUKNEE. Aujoiird'hui qu'ils sont morts, ces hommes sanguinaires, Qui, vivans, vous brfilaient du feu de leurs toimerres, Aiijoiird'hui qu'en chaux vive ils sont ensevelis, Vous allez reparaitre , adorateui^s des lis 1 Toujours, loin de Paris, la cite devorante, Vous avez promene votre Industrie erraute; Mais la Terreur vaincue , on vous verra venir Devant le Carrousel tenter votre avenir. Oui, I'heure est bien choisie, avancez, volontaires, Partout devant vos pieds s'ouvriront des crateres; Pour vous aneantir, venez voir a Saint-RocL , Quel geant lumineux va jaillir tout dun bloc! NOTES OE LA DIXIfiME JOURNEE. €>®®® Sties' t>®f)€xi'®f>®@'t#S)€>€>i>©€)fxD®©©© ®i^-iB'^i®®®W>®^^®&®^®& NOTES DU PREMIER TRAIRIAL. LE PEUPLE A LA CONVENTION. ' « Et d'enfans h Toeil faux , « Qui trainent pour hochets de petits echafauds. » La Terreur cut aussi le privilege de creer des modes. En ce temps-la, sur la table des personnes riches, on voyait, en guise de surtouts , de petites guillotines construites en bois precicux. Quelques Representans en mission emportaient avec eux ces echa- fauds en miniature , c etait comme leur blasoh en relief. Plusieurs de ces chefs-d'oeuvre furent long-temps conserves au Comite de surete generale. On en vint meme au point de donner cette ressem- blance aux pendans d'oreille et aux cachets de montre. Les enfans, au lieu de leur cheval de bois, demandaicnt a leur papa une jolie petite guillotine. 2 « Dupain! Ne croyez pas a leur fausse souffrance. » Ce jour-la meme, la Convention fit saisir et fouiller plusieurs individus qui vociferaient aux tribunes, et demandaient avec acharnement du pain : on trouva dans leurs poches du pain et dc I'argent. 330 NOTES. ^ « Le president se couvre en signe de detresse. » Unc grande fermentation regnait a Paris, depuis Ic 3o germi- nal ; des bruits de famine circulaient parmi le peuple. Tout-a- coiip, le i" prairial, la gen(§rale et le tocsin soulevent les fau- bourgs Antoine et Marceau. A onze beiires la Convention ouvre la stance. Des ce moment le danger devint sensible : la salle etait cern^e par la populace insurgde. Les orateurs de la rdvolte li- saient a la barre leurs effrayantes petitions. Les tribunes cra- quaient sous le poids de la multitude. Des coups terribles de hache et de crosse de fusil retentissaient a la porte de la salle voi- sincdu salon de la Liberte. C'est en ce moment d'imminent p^ril, qu'Andr6Dumont, president, cede le fauteuil a Boissy-d'Anglas. ^ « Et ce temple sacre qu'un jour doit r^batir n Gardera sur ses murs Timage du martyr. » Dans la salle reconstruite de la representation nationale, au-des- sus du bureau du president, un tableau sera plac^,- retracant la mort de Feraud et I'lieroisme de Boissy-d'Anglas. 5 « C'est le jeune Fdraud « Feraud , depute des Hautes-Pyrenees. L'avant-veille de ce jour, il etait revenu de I'arm^e du Nord ; il 6tait encore tout bott^ , et n'avait pas dormi depuis son arrivee a Paris. Harass^ par deux jours de fatigues, de courses a cheval, le visage souffrant, les habits dechires , ce courageux Representant se jette au-devant de la foule qui deja debordait dans la salle. Il harangue le peuple, lui presente sa poitrine nue, le conjure de ne pas violer la repr6- «cntation nationale, et se jette par tcrre pour barrer le passage NOTES. 331 tie la porte. On passe sur son corps ; la sallc est forcec. Alois Feraud se releve, se precipite vers la ti'ibune, en s'arrachant les chevcux, et cherche a couvrir de son corps le president. En ce moment , les seditieux lui tirent par-derriere tin coup de pistolet ; il tombe, et on I'entraine dans Ic couloir voisin oil on lui tranche la tete. '^ « Les voila tous les six , les heros de la fete. » Romme, Soubrani , Duquesnoy, Goujon, Duroy et Bourbotte prirent une part active dans cette insurrection populaire, avec d'autres Deputes montagnards. Quand le calme fut rctabli dans la Convention, des decrets d'accusation furent lances conti'e un grand nombre de Repr6sentans ; ils furent juges et condamn^s a des peines sev^res. Une commission militaire fut instituee pour juger les six dont les noms figurent dans cette Journee. 7 « Ils ne languiront pas dans le fort du Taureaii. » Les six Montagnards furent d'abord transferes au chateau du Taureau , dans le Finistere. Apres vingt-trois jours de detention , on les ramena a Paris, ou ils furent condamnes a mort le 29 prai- rial. * « Trois sont encor vivans w A la lecture de leur arret, les condamnes ne manifesterent au- cune emotion. Ils firent leurs dispositions funibres, et envoyerent a leurs families leurs portraits et leurs derniers adieux. En des- cendant I'escalier qui conduisait du tribunal a la Conciergerie , ils s'arreterent un moment, et se frapperent tous successivement avec la lame d'une vieille paire de riseaux qu'ils avaient conservee 332 NOTES. dans Ics plis de Icurs vetemens.Romrae , Goujon , Duquesnoy tom- berent morts ; les autres survecurent a leurs blessures , et furent traines a I'echafaud , sanglans et moribonds. Duroy etait abime dans un silence morne ; Soubrani etalait ses entrailles ouvertes , et adressait des paroles au penple ; Bourbotte fut execute le dernier, ct un horrible incident signala son supplice. Au moment oil I'on voulut faire glisser en avant la fatale planche, il se trouva que le couteau n'avait pas ^te releve , de sorte que sa tete rencontra cet obstacle, et heurta la hacbe ensanglantee. Dans cette position , il conserva tout son courage , et ne cessa de haranguer la foule. INTRODUCTION , A LA ONZIEME JOURNEE. Jusqu'a ce jour, les conspirations contre-revolution- naires n'eclataient que sur la frontiere; les royalistes n'avaient pas encore ose se montrer en face de la re- presentation nationale et attaquer la Republique dans le foyer bnilant de son pouvoir. On cut du penser que le parti vendeen aurait perdu toute energie , apres avoir ete echarpe a Quiberon par la mitraille des An- glais et le sabre des republicains; mais le desastre du 21 juillet avait ete oublie par ces homines qui s'ali- mentent eternellement d'esperances chimeriques et de folles machinations, line foule d'hommes laches et am- bitieux s'etaient refugies dans Paris , et leurs gourdes intrigues gangrenaient la population, de royalisme et d'anarchie. lis n'eurent pas long-tem})S a attendre I'occasion de se montrer. La Convention allait enfin deposer sa longue et terrible dictature , et il etait a propos de profiter habilement des semences de dis- corde qui se nianifestaient a Paris , a I'occasion de la Constitution nouvelle ; en menie temps Tinfatigable in- trigue des emigres, secondee par les puissances, venait donner des forces et des esperances aux conspirateurs ■.\M IMKODUCTION. du dedans ; le plan de la coutre-revolution etait fla- grant. Le 2 octobre ( lo vendemiaire), une escadre an- {jlaise jette sur les cotes de France une armee de douze mille hommes, composee d'Anglais et d'emigres francais; et le 3 octobre ( 1 1 vendemiaire), I'insurrec- tion dc'boi'de dans Paris. Cette journee du i3 vendemiaire est celle qui eut pour la France les plus importans resultats. Jamais un peril plus imminent ne s'etait dresse sur la Repu- blique. En effet, si Finsurrection du i" prairial eut ecrase le parti thermidorien , il est possible que la Ter- reur se fut encore replacee sur la Montague ; les erre- mens de Robespierre auraient peut-etre ete suivis; mais au milieu du sang de nouveau verse, h travers les violences de ce regime, la Co-nvention eut ete sauvee, et Tedifice republicain serait reste debout. Mais au 1 3 vendemiaire, le triomphe des sections renversait sans retour Foeuvre entiere de notre regeneration poli- tique depuis le i4 juillet. C'en etait fait de la France, elle allait insensiblement retomber sous le regime pro- scrit de la monarchic; laceree par Fambition etrangere, et decimee par les represailles de Faristocratie. Si cette epouvantable catastrophe n'a pas eu lieu , ce n'est peut- etre ni au courage de la Convention, ni au devoument des citoyensfideles, ni a la lachete des sections insur- gees, qu'il faut en rendre grace; mais a Fexistence seule d'un homme, du lieutenant d'artillerie de Toulon. ONZIEME JOURIVEE. a > ^^ #^^ iJL, (l(l)(i(l(i(l(i(i(i(l)(|)(i(i(li(i(i;^feii)©C>€)i)C>f)C>€)f)CiC'€)€)€)C'^ @(i(i(i(|)(i(i(i(i (1(1(1(1 (ici^B^©©©©©©©©©©©©© 13 I EIVDEMIAIRE AN 3.. (4 OCTOBRE ITOS,)* BONAPARTE. Per fulgura surgens. Bible. G'est la derniere fois qu'il monte sur la scene , Ce gigantesque acteur, tour-a-tour grave, obscene , Fou, sublime, valet, roi, victime, bourreau, Au teint noir , aux bras nus , a la voix de taureau , :y.)S ONZIEMK JOURNEE. Qui toujours d'lin seul jet improvise son r6le, Et qui fait taire tout quand. il prend la parole, Lc Peuple enfin; son corps fl^chit sous le jarret, On DC Tapplaudit plus des Finstant qu'il parait; Son poumpn devient sourd , son bras nerveux se glace j Au theatre public d'autres ont pris sa place, Et ces homnies nouveaux , dont il subit la loi , Des obscurs confidens lui designent Temploi. 11 eut, plus de six ans, dans son drame de guerre, Pour lustre le soleil, TEurope pour parterre ; Qu'il se repose done : dans ses r6les marquans , II ne reparaitra qu'apres trente-cinq ans. Le calme etait venu : le spectre tumulaire IS agitait plus sa faulx com me aux jours de colere BONAPARTE. 339 La main reparatrice avait enfin lave Le Forum de la mort tout de tetes pave. L'echafaud , hors Paris , emportait les supplices , Comma un acteur honteux qui fuit dans les coulisses, Et qu'on ne veut plus voir, et qu un peuple ^tourdi Exile, apres I'avoir a regret applaudi. Les Sylla dechiraient leurs funeraires listes ; Le rire revenu sur les visages tristes , La foule se groupait aux theatres badins , Sous I'arbre neglige des populeux jardins, Sur les sentiers connus et les pelouses vertes D'ou I'oeil pouvait percer dans les prisons ouvertes ; On respirait enfin, apres des jours si longs, Et la mode oublieuse cntr'ouvrait ses salons. Et pourtaut on n'osait s'abandonner encore Au charmc decevant de la nouvelle aurore ; 3i() ONZIEME JOURNEE. II seinbiait quo toujours un matin innocent , En coiirant vers le soir finirait par du sang. Les esprits tout frappes de craintes legitimes, Ne revaient que discorde et nouvelles victimes G'est quon voyait ecrit, dans lair et I'horizon, Qu'une etincelle encor rougissait le tison. La reine de la France, idole colossale, ' Pour la derniere fois a paru dans la salle ;J Gelle qui defia tous les pouvoirs humains Pent seule, et d un seul coup, se briser de ses mains. Quelle est grande aujourd'hui la terrible Assembled Galme , croisant les bras , sanglante et nmtilee , Dune voix solennelle, au bord du monument, A la France elle lit son dernier testament ; BONAPARTE. 341 Muette de douleur, ia France universelle Semble douter encor que le geant chancelle, Et, la main vers le ciel , dans un pieux transport Jure de maintenir sa volonte de mort. Dans ce cri general nul n'a droit de se taire : Avec la voix dii peuple un vote militaire Retentit sur I'Escaut , aux bords de I'Eridan , Sur la Sambre et la Meuse ou triomphe Jourdan. La, tout coeur de soldat sous la tente tressaille : Gent mille hommes debout, sur le champ de bataille, Par la voix des canons adressent leurs saluts A leurs Representans qui bientot ne sont plus. Mais voici Taoarchie a grands flots debordee, L'anarchie, a son aide appelant la Vendee : ,i\2 ONZIEME JOURNEE. Fieres dc dechainer leurs haines en suspens, Ges eternelles soeurs enlacent leurs serpens. Encore un jour de deuil ! un de ces jours sonores Oil le sang dans Paris coule par tous les pores ; Cctte fois c'est le lis, drapeau ressuscite, Qii'on livre a I'ouragan de la grande cite. Se peut-il? quel parti de fievre et de vertige Fonde son avenir sur cette frele tige? La Vendee a Paris ! oh Tliistoire nous inent ! () folie ! ils ont cru que c etait le moment , lis ont cru que lasse de deux ans de souffrance, Paris allait enfin fleurdeliser la France, A leur pale etendard presenter I'olivier , Et pleurer le dix aout et le vingt-un Janvier ! AUons ! a la lueur de la torche allum^e, Appelez au combat votre insolcnte armee : BONAPARTE. 34a Vous etestrente mille, avancez! c'est Tinstant ; Faites votre dix aoiit, le chateau vous attend; Plus de grille a la cour, vous entrerez a I'aise, On n'a pas recrepi la breche marseillaise. Craignez NOTES. Convention, line sorte de crainte et d'incertitude se manifesta dans la salie. Des fusils et des cartouches furent apportes pour etre dis- tribues a tous les membies, comme dernier moyen de salut. On de- libera meme si la Convention en masse ne 8ortirait pas pour aller se r^fugier sur les hauteurs de Montmartre. 5 « Toulon? A ce noni seul voiis avez tous frenii. w • L'incapacit6 inilitaire avait preside aux premieres operations du siege de Toulon; aussi ce siege trainait-il en longueur. On sait que ce fut Bonaparte qui sugg^ra I'idee d'attaquer le Petit-Gibral- tar, formidable redoute que I'armee anglo-espagnole avait con- struite sur un mamelon, au fond de la rade. Le Petit-Gibraltar, une fois au pouvoir des Francais , la flotte ennemie , ancree dans la rade, etait necessairement perdue, et Toulon pris. ^ « Et soQ fort de Faron » Le fort de Faron est bati sur une montagne au pied de laquelle est Toulon. Toute cette montagne est defendue par une ligne de fortification qui aboutit a ce fort. Les Francais le prirent d'assaut. 7 « Lamalgue » Un des plus beaux forts de I'Europe, bati par Vauban , situe sur une colline , dominant la ville, la campagne, la rade et la mer. ' « L'horizon s'alluma » Get orage est historique ; 11 est rest^ comme point de comparai- son dans la memoire des Toulonnais. Les histoires, qui negligent ordinairement les accessoires poetiques , ont pourtant enregistr^ forage epouvantable qui servit d'accompagnement a la prise du Pelit-(;ibraltai. NOTES. 36» 9 « II fallait au heros , digne de cette fete, « Son bapteme de sang, sa blessure a la tete. « C'est a tort qu'on pretend que Bonaparte recut sa premiere bles- sure a Ratisbonne ; ce fut a Toulon , oil il fut blesse a la tete par un eclat de rocher. '" « Paris lui confia sa derni^re bataille. » Il ^tait quatre heures et demie; Bonaparte, accompagne de Bar- ras, monte a cheval dans la cour des Tuileries, et court au poste du cul-de-sac Dauphin , faisant face a I'eglise Saint-Roch. Les ba- taillons sectionnaires remplissaient la rue Saint-Honore , et ve- naient aboutir jusqu'a I'entreedu cul-de-sac. TJn de leurs meilleurs bataillons s'etait poste sur les degres de I'eglise Saint-Roch, et il etait place la d'une maniere avantageuse pour tirailler sur les ca- nonniers conventionnels. Bonaparte , qui savait apprecier la puis- sance des premiers coups , fait sur-le-champ avancer ses pieces , et ordonne une premiere decharge. Les sectionnaires repondent par un feu de mousqueterie tres vif ; mais Bonaparte les couvrant de mitraille , les obligea a se replier sur les degres de I'eglise Saint- Roch. Il debouche sur-le-champ dans la rue Saint-Honor^, ct lance sur I'eglise meme une troupe de patriotes qui se battaient a ses cotds avec la plus grande valeur, et qui avaient de cruclles in- jures a venger. Les sectionnaires , apres une vive resistance , sont deloges. Bonaparte , tournant aussitot ses pieces a droite et a gauche , fait tirer dans toute la longueur de la rue Saint-Honore. Les assaillans fuient aussitot de toutes parts, et se retirent dans le plus grand desordre. Bonaparte laissc alors a un officier le soin de continuer le feu et d'achever la defaite. II reraonte vers Ic Carrou- ;k34 NOTES. sel ct court aux autres postes. Partoiit il fait tirer a mitraille , et voit partout fuir ces malheureux sectionnaires Bonaparte place plusicurs batteries sur le quai des Tuileries , qui est parallele au quai Voltaire ; il fait avancer les canons places a la tete du Pont- Royal , et les fait pointer de maniere a enfiler le quai par lequel anivent les assaillans. Ces mesures prises , il laisse approcher les sectionnaires; puis, tout-a-coup, il ordonne le feu. La mitraille part du pont, et prend les sectionnaires de front ; elle part du quai des Tuileries, et les prend en ecbarpe : elle porte la terreur et la mort dans les rangs...^. A six lieures, le combat, commence a quatre heures et demie , 6tait acheve. ( Thiers. ) INTRODUCTION A LA DOUZIEME .TOURN:eE. Les bornes etroites de ces introductions nous empe- chent de tracer le chainon des evenemens depuis le 1 3 vendemiaire an IV jusqu^a cette derniere journee, et de suivre la Republique dans ses innombrables pha- ses de triomphes et de revers. A Tepoque du retour d'Egypte, la France avait perdu tout le fruit de ses anciennes conquetes en Italie, et son territoire etait menace par la frontiere du Var. En menie temps un malaise general se manifestait a I'interieur; une im- mense inquietude agitait toutes les classes des citoyens, lasses de la stagnante Constitution de Fan III et du gou- vernement pourri des Directeurs. Au milieu des sables du desert, Bonaparte epiait avec attention les evenemens de TEurope, les fautes du Directoire, et la maturiie d'un changement dans la Republique. L'Egypte n'etait plus pour lui qu'une terre de bannissement; il etait affame de retour. Le malheureux succes de son expedition eiit peut- etre efface les souvenirs de sa premiere gloire , si , au lieu de I'Egypte, elle euteu pour theatre I'ltalie ou TAl- lemagne; mais il pensait que sa derniere campafjne ■'4 366 INTRODUCTION. etait comme un episode a part, detache de I'histoire generale; que le Directoire n'aurait pas oublie ses ser- vices au 1 3 vendemiaire, et tous les citoyens ses vic- toires en Italic. II ne se trompait pas : une sorte de pres- tige merveilleux s'attachait a son grand pelerinage mi- litaire; quand il posa le pied sur le rivage de Frejus, on oublia sans peine et la destruction totale d'une su- perbe flotte et le delaissement d'une armee en Afrique. La France entiere battit des mains a sa venue, elle ne vit plus en lui que rhomme capable d'amener une crise salutaire , en refondant sans retard Torganisation po- litique. Peu de jours suffirent a Bonaparte pour connaitre a fond la disposition des esprits, et pour arreter tous les details de son gigantesque plan : calme et insoucieux en apparence, dans sa retraite de la rue Chantereine, il at- tachait a sa fortune les plus illustres generaux de Tar- mee et les membres les plus influens des deux Conseils. II avait la conscience de ses forces, I'intuition de son avenir ; il trouvait des raisons plausibles pour justifier d'avance ses usurpations; a lui seul le droit de detruire son propre ouvrage, de casser une Constitution qu'il avait maintenue, de ressaisir dans les mains du Direc- toire Tautorite qu'il lui avait faite, de nous reprendre la liberte qu'il nous avait donnee. II ne fallait pas moins pour justifier un dix-huit bru- maire que quatorze ans de guerres victorieuses au-de- hors, et de paix profonde au-dedans. DOUZIEME JOURNEE 00 to a > 03 S5 5i ^JsP- 'L i- ^ ^ X. il - C il ii (i ii ii ii ii ii iiV & (^(3(3(3(3(3(3(3(B(3(3(B(S>(§)^^€)^''i)'^€)W^ 18 BRUMAIRE AN 8. (9 NOVEMBRE 1799.) SAINT-CLOUD. Gonsulis imperium hie primus ssevasque secures ' Accipiet. Virg. Lorsque la liberie , cette deesse austere , Descend pour consoler un peuple sur la terre ; Quelle le trouve assis, dans ses ennuis pesans, Sur un sol crevasse mille et quatre cents ans , 370 DOUZIlfcME JOURNEIE. Son oeuvre qui partout rencontre un sol rebelle Est bien laborieuse avant de surgir belle ; Ce n'est point nn travail qui doit payer son prix A ceux qui Font souffert et qui I'ont entrepris ; Helas ! il se refuse a toute main timide ; II use des geans ; c'est une pyramide Gomme celle qui monte avec des travaux lents, Et parait jeune encore apres quatre mille ans. Avant quelle ait assis sur le sable solaire Ses talus de gradins , son flanc quadrangulaire, Et quelle ait revetu Imvisible ciment, Et sa robe de marbre, eternel vetement, Eh bien ! il faut toujours que ceux qui Tout batie, Le monarque architecte, avec sa dynastie, Les journaliers vaincus par d'immenses travaux, Dorment ensevelis dans ses propres caveaux. SAINT-CLOUD. 371 Sous im ciel orageux la liberte s'eleve , Puis contre Tennemi, se confiant au [jlaive, Elle se fait soldat, et rhomme soucieux Suppose quelle est morte ou remontee aux cieux. Elle ne reparait dans sa force premiere Quau jour ou rhorizon a rgpris sa lumiere, Et que les oppresseurs, venus des quatre points, Ont leur glaive a la gorge etleurs chaines aux poings. La liberte ! dix aus semblent Tavoir usee ; Sous le poids de son front elle semble ecrasee. La France, ce pays qui I'aime et I'aime tant, Qui consacre pour elle un culte si constant, Gette France, aujourd'bui , par les rois enlacee, Semble morte aux efforts , elle est deja lassee ; Elle a vu trop de sang , trop de sang a coule; Son sol par le bourreau fut trop long-temps foule , Mi DOUZIEME JOURNEE. Trop d homines ont peri dans ses mille hecatombes, Son peuple fossoyeur a creuse trop de tombes; L'atonie est partout, et partout Ihomme sent La fatigue passee et Tenuui du present. On cherche et Ton demande avec inquietude , Qui viendra rendre nn pueuple a cette solitude , Quel incident subit, que mil na medite, Ravivera ce sol brulant d'aridite. Sans doute, en ce moment d'oppressive faiblesse, Oil plus qu'un dur travail le repos meme blesse, Ou de tant de trepas le sol est encor teint , En cette heure de doute ou tout culte seteint, I Si du bel Orient percant I'antique toile, Comme un acteur nouveau , se leve quelque etoile , Et quelle vienne luire avec ses rayons d or Sur le ciel de Paris ou la vie est encor ; SAINT-CLOUD. 373 Si quelque grand miracle, a cette fonle usee, Surgit de I'horizon ainsi qu'une fus^e, II est encore un germe au fond de chaque coeur , Qui peut reconquerir la pristine vigueur; Et si la liberte dans Tombre se retire , Si meme elle succombe, heroique martyre, En regagnant au vol son trdne aerien , Elle nous reviendra ; quarante ans ne sont rien. Guide par ce flambeau qui 1 echauffe et leclaire, Chaque peuple a marche vers ce grand corollaire ; La liberte se fonde un trone de granit , La tribune commence et le glaive finit. II approche celui dont la parole forte Va tout ressusciter sur une terre morte, 374 DUUZIEME JOURNEE. Celui qui va trouver comme un ciiemin de cris Du golfe de Frejas au fleuve de Paris. II ne preud pas la France ; elle seule se livre, Se jette dans ses bras et lui demande a vivre ; Tout lui sera permis maintenant, il peut tout; Son cliemin est trace ; qu'il aille jusqu au bout ! Le voila dans Paris le grand liomme , il etale Son lustre italien , sa gloire orientale. On a cru voir renaitre un de ces morts fameux Qui venaient des pays poetiques comme eux^ Apportant sur leurs fronts I'aureole sublime Que trace en bruns reflets le soleil de Solyme, Ge soleil qui s'etend sur ces illustres monts Ou passerent un jour tons ceux que nous aimons. Oh! quil comprenait bien leclatante magie Qui de ces pays saints en tout temps est surgie 1 SAINT-CLOUD. 375 Lorsqua Toulon, assis sur le mole riant, Dans les flots opposes il voyait I'Orient, Una secrete voix lui conseillait sans donte De suivre, devant lui, la lumineuse route, Et de s'en revenir, apres, au sol natal, Le front tout rayonnant du type oriental. Bonaparte! a ce nom tout Paris se reveille Et s'agite pour voir passer Thomme merveille : Un long frisson de joie etreint cette cite; G'est encore Paris , il est ressuscite ! Son heros est venu sur le cheval numide Qu'il montait en courant sous une Pyramide ; Sa tempe s'est noircie au feu de ces climats , II tient le fer trempe dans les eaux de Damasj 376 DOUZIEME JOURNEE. 11 froisse du genou la housse dune selle Oil des ornemens turcs I'arabesque ^tincelle ; 11 seme autour de lui ces parfums inconnus, Ges miasmes sans nom de I'Orient venus. Son cheval , domine sous sa main caressante , Emporte avec un bomme une histoire recente , Et la foule, en voyant rhomme et le cavalier, Raconte tous les faits qui viennent s'y lier : C'est lui qui , sur I'figypte osant un soir descendre , Emporta le matin la ville d' Alexandre ; 11 a vu le desert, il s'est fait des chemins Qu'on n'osait plus franchir depuis les temps romains ; II a ressuscite les combats poetiques, Les jours aventureux et les marches antiques; II a vu le Thabor, le Sina, le Jourdain, La plaine oii se battaient Tancrede et Saladin , SAINT-CLOUD. 377 Le sublime Carmel a la cime adoree, Joppe, Ptolemais, la mer de Gesaree: Partout , sur tous les monts de ces pays lointains Ou se sont accomplis les sublimes destins, Ou comme un Ocean le grand desert se leve , Partout il a jete les eclairs de son glaive , Partout il a jete , de Dieu meme applaudi , L'eblouissant drapeau d'Arcole et de Lodi. Qui viendra I'arreter dans son brillant cortege, Get homme qu'aujourd'hui tant de gloire protege ? Gelui qui dans sa main a pese Denderah Pent faire desormais tout ce qu'il tentera. Sans doute qu au moment ou dans Rome encor libre. La voix du Rubicon resonna sur le Tibre , 378 DOUZIEME JOURN^E. Les vieiix patiiciens, au seul noni d'empereur, Ddchirerent leur robe et palirent d'borreur, Le cri de Rome en deuil sortit de la tribune : Cesar n'entendit rien ; il suivait sa fortune. Nul pouvoir ne retient un tonnerre lance : Sur le pont de Saint-Cloud Bonaparte a passe ; ' C etait le Rubicon de la nouvelle Rome : Voici la liberte face a face avec I'homme ! C'est elle ! voyez-vous palir k ce seul nom Celui qui, I'oeil serein, marcbe sur un canon? Oui , Bonaparte eut peur, oui , des frissons timides Etreignirent au sein Tbomme des Pyramides : Tant cette liberte qu'on adore a genoux, Meme fut-elle une ombre, a d'empire sur nous ! Terrible vis-a-vis! %ouvante sublime ! Un vertige Tarrete en niontant sur I'abyme : SAINT-CLOUD. 379 II n'a pas meme vu I'ombre du Montagnard ^ Qui fit luire a son front le reflet dun poignard : Non, il ne pent finir les clioses commencees, Gar son cerveau brulant garde trop de pensees. Viens,Murat,viens, cette oeuvre attend ta large main;'^ Ton sabre seul ici peut s'ouvrir un chemin j Roi futur ! il n est rien encor qui te decele ; Ta couronne est un casque et ton trone une selle; A ces scrupules vains jamais tu ne cedas , Fais ton metier, parais, entre avec tes soldats, Chasse ces avocats hors de leur sanctuaire/ Comme les Mamelucks dans la plaine du Gaire. Tout est done consomme!.... De I'immense linceul Ou s'abyme la loi , se dresse un homme seul ; m) DOUZIEME JOURNEE. La liberte vaincue a ses genoux se range : Voyons! que poiirra-t-il nous donncr en reliance? Tl va prendre le siecle a deux mains , ce geant ; 11 va de ses debris batir sur le neant ; II va Jeter si baut ses ailes colossales Que toutes les grandeurs deviendront ses vassales; Que tous les rois vivans seront autour de lui Commc des feux foUets quand le soleil a lui. Dans son bistoire immense, oh ! comnie tout se lie ! 11 est consul , il va parler a I'ltalie ; U va reconquerir cette terre des dieux Qii a ressaisie encor le Germain odieux. Lecho de son canon sur le Carrousel vibre, C'est Marengo qui dit : I'ltaUen est libre; SAINT-CLOUD* 381 Rome a vu s'exiler le Cesar oppresseur, Et dans Paris lointain elle embrasse une soeiir. Louvre ! agrandis ta porte et bondis d allegresse , Voici le Vatican , voici Rome et la Grece , Tout un meuble complet de marbre et de couleurs ; Voici Venus qui vient de la ville des fleurs, Voici Dominiquin, Raphael, Veronese, La Diane qui chasse et I'Hercule Farnese , Anonymes tresors qu'acbevaient des deux mains Les dieux , quand ils prenaient Sj^ visages humains. Sphinx, Anubis, Typhons, a la face noircie, Bonaparte les donne , et Paris remercie. Encore ! il nous en faut j ourdis un nouveau plan, II nous faut des lauriers pour tons les jours de Fan ; II faut qu'a tes efforts toute victoire due Chasse de notre esprit la liberte perdue. 3SO DOL ZIKME JULiRNEK. Eh bien ! voila trois rois qu'uii meme sort unit, Oui provoquent son aigle encore dans son nid. L'Einpereur s'est leve, du fond des Tuileries, Avec ses fantassins et ses cavaleries ; Et cosaques , landwers , hulans , pandours , strelitz , Tout est mort : a genoux ! saluez Austerlitz ! Gloire a lui ! Notre-Dame ebranlant ses tours noires, Tourmente son bourdon, ce tocsin des victoires; Le canon, repondant au timbre de la tour, Annonce k tout Pms I'Empereur de retour. Toute rue est peuplee, et toute maison vide, On ne voit qu'un regard dans cette foule avide ; E'armee entre, et la Garde, aux regimens d'elus, Avec ses habits bleus et ses bonnets veins, Couronne de soldals, vivante citadelle. Garde Thomme adore qui marche au milieu d'elle; SAINT-CLOUD. :$8:i Elle entre : oh ! c'est alors qu'il etait beau de voir Ce Paris ondoyant sur leurs pas se mouvoir, Quand ses longues clameurs, par les arbres brisees, Ruisselaient, comme a flots, dans les Champs-Elysees. Puis il partait encor, cet homme etincelant, Pour labourer Essling, leua, Friedland, Et de chaqu^ sillon que creusait son epee, Faisait, sons le soleil, jaillir une epopee. Ainsi qu'un voyageur, dans ses gouts inconstaus, Dans chaque capitale il logeait pen de temps ; Tons les palais d'Europe etaient ses Tuileries, En route il les prenait pour des h6telleries, Et ses soldats , veillant dans ces palais etroits , Sans leur faire un salut voyaient sortir les rois. Dans ses jours de repos il taillait des montagnes, II faisait don d\ui fleuve a d'arides campagnes; ■.Wt DOUZIEME JOURNEE. II ouvrait uii coiirs libre a ses vastes desseins; Pour rOcean captif il creusait des bassins; II tressait le fer rouge, et sur les rives neuves II le courbait en ponts le long du cours des fleuves, Ou, prenant sous ses doigts un immense burin, II gravait son armee en spirales d'airain , Et comme un ouragan qui monte et tourbillonne, II la laucait vivante aux flancs d'une colonne. Et toujours dans Paris le monarque pieton Portait son oeil de feu de la dalle au fronton, Dictant des monmnens pour des dates certaines, Faisant jaillir du pied ses quatre-vingts fontaines, Arrachantle vieux Louvre a leternel chantier, Apres soixante rois le creant tout entier , Semant avec sa main, comme I'herbe aux prairies, r^es grands arcs triompliaux, les pares , les galeries, SAINT-CLOUD. 385 Les ponts aeriens, les fastueux jardins , Les hauts temples, debout sur d'immenses gradins, Les museum sacres, labyrinthes de salles; II p^trissait Paris dans ses mains colossales , Afiu que Tetranger ne vit rien de plus beau Que la ville oii ses voeux imploraient un tombeau. II etait aujourd'hui dans sa ville adoree, Et demain le canon de I'eglise doree Annoncait a Paris que son grand souverain Lcrasait I'ennemi sur lEscaut ou le Rhin. Sur quelque monument de batisse trop lente La trace de son doigt etait encor brulante, Et ce doigt formidable, indiquant I'horizon, Donnait a I'etranger ce cercle pour prison. :\Hi\ DOUZIKME JOUKNEE. [1 visitait Madrid, et I'Espa^iie lointaine fienteudait rebondir aux bords du Boristheiie; De Saragosse eteinte, en deux elans, il va nriiler sous ses gla9ons la froide Moskowa. 11 quittait aujourd'hui le chaud pays des Mores, Les filles de Tolede, autour des sycomores Folatrant les pieds nus et la mantille au cou, Et partait le soir meme a cheval pour Moscou, Etson armee a pied, d'etonnement saisie, Saluait sur le pole une ville d'Asie Qui laissait reflechir dans un fleuve lointain Ses minarets aigus et ses domes d'etain. De riieur et du malheur il vit le double faite , Et , grand par la victoire et grand par la d^faite, Trionjphant ou vaincu, dans I'abyme ou debout, De I'extreme recoin du nionde a Tautre bout, SAINT-CLOUD. 387 Toujours en le voyant les nations emues S'inclinaient dans les champs , sons les bois , sur les rues , Et couraient ponr le voir aveic de tels elans, Comme on n'en vit jamais depuis nos six mille ans. Les meres qui versaient des pleUrs tant legitimes Sur leurs fils, de la guerre eternelles victimes, Ties meres pardonnaient au heros triomphant Qui pour se feire dieu leur prenait un enfant. Sur les champs du combat, la tempete finie, Quand son austere voix consolait I'agonie, Les soldats mutiles par le fer ennemi Sur la mare de sang se levaient a demi ; A ce festin de mort chaque faible convive Griait : Mourons, amis , et que FEmpereur vive! G'etait un fanatisme et Si grand et si beau , Que si chaque victime echappee au tombeau , ■,\HS DOUZlEMIi JOURNEE. Gc million de morts qui du Nil a la Loire En quinze ans de combats succomba pour sa gloire , Si ces OS glorieux disperses par les vents, Dans quelque Josaphat reparaissaient vivans, Tous le suivraient encor dans une joie immense, En criant: Que demain notre mort recommence! Vive Napoleon ! oh, qu'il parle! a sa voix Gc ne sera pas trop que de mourir deux fois ! Aujourd'hui qu'il nest plus, et qu un cercueil derobe L'homme qui sous sa main faisait tourner le globe, On doute encore, il semble a notre esprit frappe Qu au gouffre de la mort le dieu s'est echappe , Et qu'il va quelque jour nous tomber de la nue En montrant aux soldats sa face tant connue , Son manteau de triomphe et de deuil, son chapeau, Astre d une batailh^ et son nieilleur drapeau SAINT-CLOUD. 380 Et puis , apres ces vers d'un indigne sommaire , Parlez-nous d'altentat, de crime, de brumaire... Nous sommes sourds, notre ceil ebloui pour jamais, Ne voit que lui, debout sur tous les hauts sommets, Lui qui dans un seul nom a relie Tliistoire, Qui par mille torrens nous a verse la gloire , Gette gloire qui donne une male fierte , Et fait oublier tout, meme la liberte ! NOTES UE LA DOUZIEME JOUUNEE. '9©i)€i©©€)®#t@#©®@©©®©©©l!©@©(ii©©i>#@#®€"t©©®©©©©©®©© NOTES DU DIX-HUIT BRUMAIRE. SAINT-CLOUD. • K Sur le pont de Saint-Cloud Bonaparte a passe. » Le decret de translation des Conseils a Saint-Cloud fut rendu le i8 brumaire. La consommation du vaste plan de Bonspartc n'eut lieu que le lendemain. Toutes les dispositions avaient ete prises ; les troupes de Paris etai^jnt encore electrisees par la revue de leur general, et disposees a obeir aveuglement a lui seul. Mo- reau s'etait charge du poste du Luxembourg oil il tenaitles Direc- teurs en etat de siege. Lannes commandait un corps aux Tuileries. Une reserve fut placee au Point-du-Jour , sous les ordres de Ser- rurier, et Murat, avec une nombreuse cavalerie, et un corps de grenadiers occupait le pont de Saint-Cloud. Les seuls gendraux a redouter etaient Bernadotte et Jourdan ; mais ils n'osaient agir par eux-memes , et attendaient inutilement les ordres du Conseil des Cinq-Cents. A quatre heures, Bonaparte se rend aux Anciens, et force les homines indecis, par ces energiques paroles qui terminent son ;J94 NOTES. %- *^F a^H^^-