ilty of Californi hern Regional rary Facility I (IraiiialH]iie '1 THEOPtflLE (-ACTIKI! HISTOIRE L'ART DRAMATIQUE ; RANGE D K I' I IS \ I N (i T-C I N (,) \ N s PARIS MAC.MN, :;:. r- H I S T I R E L'ART DBAMATIQUE KIMTIO i:\TERIUTE POt R L ETRANGER I)UO!T I)K TRAIHCTlOPi ET DE REPRODUCTION RESERVE BKIXKLLES. TYP. DE V J. VAN BUGGENHOUDT Rue do Schacrbrck, 12 THEOPHILE fiAUTIER HISTOIRE L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE DEPUIS VINGT-CINQ ANS scric) PARIS EDITION HETZEL L1BRA1R1E MAGNIN, BLANCHARD ET COMPAGN1E 59, rue Saiul-Jacqucs 1858 . L'histolre du theatre clicz un people mobile et passionne' coiiunc le noire, qui veul de la varied, ou, lout au moins, le semblanl de la variele* dans ses plaisirs inlelleclucls, et, comme un sullan blase, dcmande incessammenl a ses amuseurs : Du nouveau ! du nou- veau! c'est, a propremenl parler, 1'bisloire des gouts et des cn- gouemenls litte'raires de la foule. Aussi nous semble-l-il que, pour elre reelle et vivanle, pour ne pas se guinder dans les abslraelions de la philosophic elde I'eslhe'lique, une pareille hisloire ne doil pas elre ecrile apres coup et loin de l'e"ve"i>emenl. C'est la surlout qu'a noire avis, le narrateur a besoin d'elre un te'moin. Le succes ou la chute, sur ce terrain chanceux du theatre, nc pre'jugenl pas loujours la valeur inlrinseque d'une oeuvre draina- lique ; mais ils onl au moins leur raison d'etre a I'hcure ou ils se produisenl, raison que Ton peul difflcilemcnl appnicier a dislance, a II AVERTISSEMENT DES EDITEURS c'esl-5-dire quand les circonslances ne sont plus les memes el que les impressions du moment se soul eflace'es. A part ces rares ebefs- d'ccuvre qui onl le privilege de rester toujonrs jeunes et qui brillent au del de I'art dans leur immortelle sercnite", il n'est guere de piece, nieme ayant eu la vogue, qui, reprise au bout de quelques anuses, ne paraisse avoir vieilli, ou dans ('ensemble ou dnns les details, ou par le fond ou par la forme. Telle donnee dramatique que Ton accep- lait dans un temps, n'esl plus supporlee dans un autre; tel agence- ment, lelle coupe sont devenus suranne"s, el ne repondent plus a I'es- pril du jour ou au perfectionnement materiel de la mise en scene. Noire the'alre a done ses modes, capricieuses el fugitives commc lonles les modes; et ou faul-il en chercher I'hisloire sinon duns ces chroniques liebdomadaires qui sont une des specialites du journa- lismc franc, a is el dont le public ne cesse de se montrer avide? Parmi les e'crivains qui se soul acquis une celebrite" dans la critique dramatique, s'il en est un donl les feuilletons meritenl de survivre a la publicite ephemere du journal, c'esl, a coup sur, M. Tue'opliilc Gaulier. Au plus haul sentiment litleraire, il reunil des quality's de style, un talent de description qui I'ont fail reconnaitre universelle- menl pour un de nos plus savants maitres en I'art d'e"crire. Avec quelle verve humorislique et dans quelle langue brillanle, colored, pittoresque, il sail raconter une piece, drame, comedie ou vaude- ville, ope"ra, fe"erie ou ballel! Comme ses portraits d'acleurs et d'aclrices sonl admirablement toucbes! quelle fermete de lignes, quelle vigueur, quel relief! Dieux aux petites exigences de son libretto. II a voulu n'etre que gai, vif et gracieux, la ou lant de jeunes debutants au- raienl (He" certainement pre"tentieux ct solennels : c'est une preuve de tact el d'esprit dont il faut lui savoirgre. Les gens assez maitres d'eux pour se faire, au besoin, plus petits qu'ils ne sont, sont rares, et, en faisant ainsi. M. Thomas a prouve" qu'il comprenait son poc'me, son theatre et son public. PORTE-SAINT-MARTIIN. La Guerre des Servants. Le litre de celte piece excilait depuis longtemps une vive curiosil(5. On se de- mandait comment mademoiselle Georges conscntirait a rcmplir un role do servant c, et bien des gens pcnsaient qu'ahandonnant le m< r> - DEPUIS VIN<;T-CINQ ANS 29 lodrnme, comme die avail aliandonne la trage'die, mademoiselle Georges allait essayer de rivaliser, d'un bout ;i I'aulre du boulevard, avec mademoiselle Flore des Varidie's, passer de Lucrece Borgia a la sensible Vicloire, el adopter un couteau de cuisine pour poignard. C'e'lait la, sans doule,une grande nouveautd; mais nous savions bien, quant a nous, que mademoiselle Georges ne consentirail jamais a devenir une servanle dans I'acceplion triviajedu mol : mademoiselle Georges ne pouvail elre servanle que comme Nausicaa e"lail blan- chisseuse, comme Marie-Antoinette etail laitiere; une servanle lout au plus de ce beau pays d'Eldorado, ou les hoteliers sonl des princes couronne's, ou les marmilons rtk-urent les casseroles d'or avec du sable de diamanls, ou les porcliers garden! leurs beles a cheval, ou de bienfaisantes fees fonl la layelle des pelits enfants! Celte fanlai- sie de mademoiselle Georges nous rappelle 1'ancienne description d'un ballet des Truands, ou Louis XIV voulut danser en personne sous le costume d'un cagou. Toute la cour pril part a ce divertisse- ment, dont Benserade a chante les merveilles. Les malheureux de la Gourdes Miracles, manchots, culs-de-jalle, boileux, se Irouvaient repre"senle"s au naturel par les plus beaux cavaliers de la cour; les plus grandes dames n'avaient pas de'daigne' les oripeaux de'chiquete's el les haillons des mendiantes et des bohe'miennes ; seulemenl, c'e"taient dc magnifiques baillons dc velours et de salin, charge's de broderies et de denlelles, qui, de'chire's, coupe's, froisse's, imitaient d'un peu loin les livrc'es de la gueuserie; de pareils pauvres eussent pu faire I'aumone a bien des riches, et force honnetes gens n'eussent pu register a la lenlation de de"lrousser des voleurs si bien couverts. C'e'tail ainsi que Ton Iraduisail la misere a la cour de Louis XIV. Noire public, qui a sifTte les Iruands exacts VEsmeralda, les eul rnieux accueillis sans doule ajuslesde celle fa^on. Eh bien, imaginoz que les servantes de MM. The'aulon, Alboize et Harel ressemblent un peu aux mendiantes du ballet des Truands; celles-lii peuvent aller faire leur halle en carrosse, comme dil Victoire. La principale d'enlre elles, Vasla , n'esl pas seule- menl une servante-mailrpsse, c'esl une servantc-reine : le vieux roi de Boheme, Pr^mislas, lui faisait la cour du vivanl de sa femme Lilmssa, el lui a jun 4 de Te'pouser un an apr6s la mort de la reine. 30 L ART IWAMAT1QUE EN FRANCE Or, Libussa cst mortc, Vasla a donne" un fils au roi depuis plusieurs amices, el, le ternie expire, elle viont sommer Pre*mislas de tenirsa promesse. Ici commence tine discussion qui dure forl longtemps : Epou- ser unc servante! s'e"crie a tout moment le vieux roi. line ser- vanle comme moi vaut bien un roi comme vous ! lui repond Yasla. Le roi ne sail trop que repondre; il pre'texte un grand ennui de la royaute" , el veut abdiqucr la couronne en faveur du prince Ludger, son fils. La servanle 1'accable dc mcpris et le traile comme un valet. Pre'mislas se decide a reunir sa cour pour ceder la couronne a son fils. Au milieu de la ceremonie, il tombe lout a coup dans les bras de ses gardes, il sent qu'il va rnourir, et, faisant appelcr Vasla, il lui offre de 1'or. Celle-ci refuse avec indignation et 1'accable d'in- jures : Que Ton cliasse celte servanle! s'ecrie le vieillard mou- ranl. Les gardes la mellenl a la porte du palais malgre ses menaces et ses cris. Le second acte commence sur la place publique de Prague, el nous assislons presque a une scene d'Arislopliane. Les servantes de la villepuisent de 1'eau a la fontaine, en riant et causanl, quand Vasla accourt au milieu d'ellcs el les appelle a la vengeance. Voici quel est son projel : le gouverneur de I'arsenal est amoureux d'elle, et clle veut entrer a son service; une fois dans I'arsenal, elle y introduira en secrel loutes ses compagnes; elles enivreronl les gardes elde"li- vreront trois mille Saxons, caplifs de Pre'mislas, qui les aideront a soumeltre la ville. Ce projet est accueilli avec enluousiasrne, el lout se prepare pour 1'expedition. On voit que c'esl une scene de la co- me'die grecque de Lysistrata, ou les femmes alueniennos s'emparent du Parthenon au moyen d'une ruse exactemcnt pareille. Mais il manque a Vasla un compagnon courageux qui la seconde et sc fasse i'instrument de ses projels : juslemenl, un mendiant se presente : Je suis I'homme qiie lu cherches ! Tu es I'homme qu'il me faut. La conversation s'engage entre la servante et le myste'rieux e'lran- ger : Qui es-lu? Je ne sais. Tes parents? ,le n'cn ai pas. Tuesdonc un enfant perdu? Je suis un enfant trouve. Quel esl ton pays? Le monde. Que fais-tu? Je me vends a qui m'aclM'lo. Tu scrs done les autres? Dilcs que je me sers des DEPU1S VINGT-CINQ ANS 31 autres. Je ne te comprcnds pas. Je ne me eompremls pas moi- meine. Que fcrais-tu si je te donnais une armee? Je te donne- rais I'Allemagne! Ce dialogue, qui est texluel, c"lablil Lien la position. Vasla de"couvre ses projets au mendianl; le mcndiant la suit. A la faveur d'un cban- gement a vue, nous assistons a la prise de la ville; les servantes paraissent armc^s en amazones; les Saxons sejoignent & elles. Le mendiant, qui s'appelle Graff, arrive en triomphe, revelu de I'ar- mure dc Wilikind et de sa cuirasse d'e"cailles, qui semble elre un anneau du grand serpent de mer. II ne dcmande a Vasla, pour prix de son courage, que la tele du prince Ludger, qu'on vient de faire prisonnier, ainsi que toute sa cour. L'armde des servantes de'fiie, les sapeures en tele, pour aller prendre possession du palais; les offi- cieres portent des hausse-cols d'argent. Ce triomphe des droits de la femme a excite dans le public une vive admiration. Le troisicme acte nous monlre Vasla dans sa gloire, reine de la Boheme et de tous ses chateaux. Elle interroge rinconnu qu'elle n'a pas encore cotnpris; celui-ci raconte son Listoire, et de"peinl ainsi son caraclere : Le ciel a mis deux natures en moi, comme si j'etais nc" de I'alliance monstrueuse de I'homme et de la lionne ! Celle definition, qui rappelle un pcu celle de Fanimal singulier, ne de Vaccouplemenl incestueux d'une carpe el d'un lapin, ne nous apprend rien dc plus; seulement, Graff hail Ludger, parce que ce prince est le fiance de la princesse Marie, qu'il aime. Vasla lui pro- pose un echange. Elle a des vues sur Ludger : que Graff lui aban- donne sa vengeance, et elle lui abandonnera Marie; seulement, il faut qu'il I'enleve el sorle a I'inslant de Prague; car Vasla a re"solu d'e'pouser le prince, et 1'amour de Graff sert le sien. Graff consent a tout. De'barrasse'e de sa rivale, Vasla donne a ses compagnes un festin magnifique; elle fait venir le prince et ses seigneurs, et les oblige a servir a table leurs anciennes servantes : A nous les plaisirs, maintenant ! s'ecrie-l-elle; a nous les caprices ! a vous la peine et Ic travail ! Cliacun son tour, mes nobles mailres ! dependant, le peuple au dehors pousse des cris et demande le prince et ses mi- nislres, prisonniers de Vasla. Vasla veut leur faire jcter la tele des 32 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE minislres. Ludger ne peut les sauver qu'en conscntant a e"pouser la servanle viclorieuse. L'liymen va done s'acconiplir, quand une femme en deuil accourl. C'est le Pliorbas d'OEdipe en jupon ; e'cst la nourrice de Ludger. Que vas-lu faire? crie-t-elle a Vasla; Ludger esl ton fils ! ton fils, que tu avais perdu et que j'ai eleve ! Mon fils, s'e"erie lendrenient Vasla ; et moi qui tout a I'heure vou- lais 1'envoyer a la mort!... Cette phrase nous a rappele cellt: qu'on avail tant applaudie dans une piece de M. de Rougemont : Ln pere peut cnvoyer son fils a re"chafaud; une mere, jamais ! Vasla, toute au bonheur d'avoir retrouve son enfant, envoie a la poursuile du ravisseur de Marie, et pose la couronne de Boheme sur le front de Ludger. D'apres son avis, elle congedie les Saxons, fait rentrer ses servanles dans le devoir, et remet a Ludger loule son aulorile. Quand Vasla s'est ainsi desarme'e, Ludger ordonne qu'on 1'arrcte : On vous a trompe, lui dit-il, vous n'eles pas ma mere... En effet, Regine a trompe Vasla pour sauver Ludger. La pauvre servante est maintenant condamnee au suppllce du creneau. Scion les auteurs, ce supplice consisle a etre precipile du haul d'une tour entre deux creneaux. Tout le peuple est rassembie" pour jouir de ce spectacle; il sc trouve que le bourreau manque; un inconnu se pre- sente pour remplir eel office; c'est Graff. Graff, a qui Vasla a fail enlever Marie au moment ou elle a cru que Ludger elait son fils, tient a ce que Vasla perisse de sa main. Elle nionte, en effet, sur la tour el en esl precipilee. Au moment oil celle justice vient de s'ac- complir, Graff apprend que c'e'tait lui-meme qui etail le fils de Vasla : Graff, eperdu, s'elance entre les crenaux et pique a son lour une tele dans I'dternile". Ce denoument rappelle celui du vieux me'lodramc de Kenilworth. Mademoiselle Georges, la (rage'dienne, ne lombe-t-elle pas bien bas a se faire pre'dpilcr ainsi, bien que ce ne soil qu'en efllgie? Les decorations sont fort belles; les costumes, dessines parGavarni,sonl pleins de gout el de caraclere. Mademoiselle Georges a rencontre" d'lieureuses inspirations; Me'lingue ne manque pas de cbaleur el reprc'scnle assez bien Bocage; il s'esl fail beaucoup applaudir au Iroisieme aclc avec un gesle a la Frederick; pourquoi n'esl-il pas plus souverit lui-meme ? DKPUIS VIXCT-C1NQ AXS 33 La nomination de M. Ilarel, parmi les auleurs, n'a pas '(<' I'un des plus me'diocres agremt'iits de la soiree. Apres avoir lanl abuse" de I'afliche, il ne reslail plus a 1'habile direcleur qu'a y exploiter sa propre renomme'e. II scmble, du reste, quo rien n'ait (He" pris au serieux dans cette representation ; mais qu'on y songe pourlanl ! il y a quelqu'un qui a plus d'esprit que les auteurs, gens d'un talent incontestable; plus d'esprit que M. Harel lui-meme : c'esl le pu- blic. OPERA. Dtfbut de ntadame Sloltz. Un public nombreux encom- brait, 1'aulre soir, la salle de I'Ope'ra, attire* par la belle musiquc de la Juive, la presence de Duprez et le de"bul dc madame Stollz. Cello jeune dame, dleve de I'e'cole Choron. a obtcnu beaucoup de succes. Doue'ed'une voix magnifique de soprano, d'une jolie figure et d'une laille cbarmanle, elle a jouc el cbante le role de Rachel avec un talent d'expression vraiment remarquable. Ojioiqu'elle semblal doniine'e par une vive Emotion, elle a su rendre avec une grande veritc", sans imiter personne, les nuances diflerenl.es de ce role si difficile. La ro- mance du deuxicme acle : // va venir, celle du trio qui suit, el surlout le cinquieme acle, ont prouve" qu'elle savail donner a sa voix aulanl de charme que d'e^nergie, et nous ne doutons pas qu'elle ne lienne un rang distingue" parmi les meilleurs sujets de I'Ope'ra, surtoul si elle parvienl a mailriser la fougue un pcu exagc're'e qui 1'emporte trop loin dans les scenes passionnees, el qui lui fail trou- ver des effels quelquefois un peu hasardds. II faul que madame Slollz conserve longtemps cette voix si pleine et si e"tendue, el, dans son inle"ret, nous lui conseillons de se menager davantage. Elle avail dans celouvrage a cole d'elle, dans Duprez, le cbanleur qui pouvait le mieux lui prouver qu'on peul elre en meme lemps e'nergique el pur, el que la grace esl une qualile essenliclle de 1'arl qui doil s'allier a loulcs les aulres. :U LART DKAMATIQUE EN FRANCE 111 SEPTEMBRE 1837. -Vaudeville : Mon Coquin de neveu, uri acte de M. Roehefort. Lepeinlre jcune reduit 5 lui-meine. Madame Guillemin. M. Emile Taigny. Yarietes : le Matclot a lerre, par MM. Fenimore Cooper, Eugene Sue, itdouard Corbicre el "". Debut dc M. Felicien. Le flambard. Palais-Royal : Bruno le fileur, vaudeville de MM. Co- gniard frercs. Lc vaudeville moral. Opera : mademoiselle Fanny Elsslcr. Sa danse el celle de Taglioni. VAUDEVILLE. Mon Coquin de neveu. Le Vaudeville a retourne sous toutes ses faces la position tie loncle el du neveu; il nous don- tiait derniercmeril, sous le Hire de L'n Parent miliionnaire , une piece qui aurail pu s'intiluler Mon Coquin d'oncle. Aujourd'liui , I'agc et la position sont interverlis a la fois : c'est Taigny qui joue 1'oncle, c'esl Lepeintre jeune qui fait le neveu. Lepeintre esl un gros neveu, simple et nai'f, en pcrruque blonde boucle'e, venu de Roller- dam par le paquebot, grand amateur de lulipes el chasseur de pa- pillons. Celte caricature est assez bouffonne; mais Lepeintre jeune ne lremble-l-il pas de s'abandonncr si forla la charge en ['absence d'Arnal? Lepeintre jeune sans Arnal, c'est Odry sans Vcrnet, Serres sans Frederick; il esl imprudent de dedoubler ces alliances lieu- reuses, et de poser, a deTaul du chiffre, un e'norme zero qui lui ajoulail tanl de valeur, et qui n'en avail que par lui. Comme nous sommes convenus qu'il n'y a rien de nouveau sous le lustre, non plus que sous le soleil, et que, si le Francais, ne ma- lin, a cree Ic vaudeville, le vaudeville, lui, n'a rien cre'e, observons que ridee premiere de celle piece appartient encore a Marivaux. Dans une dc ses plus jolies comedies, on rencontre de meme un oncle rival de son neveu, el plus jeune que lui. La donnee n'esl que romancsque dans Marivaux ; le vaudeville a cssayd de la pousser an DEPUIS VINGT-CINQ ANS 35 comique : mnlheureusemcnl, ccla ne donne qu'une seine, el meine qu'une entire; du momonl que Lepeinlre jeutie a saute" au cou de Tuigny, en I'appdant son oncle, loul est flni, la piece csl vue, Kid^e est usfte. El il u'y a, en effet, pas grand'chose de plus. Le neveu est un riche fiance", cullivateur de lulipes, qui vient meltre ses oignons auxpieds de sa fiancee : on voil comme la plaisanterie vient de loin ! il pourrait aussi bien elre facleur d'instrunienls, ct lui meltre dcs cors nux pieds : le public n'en rirail pas moins. Le public a done ri un pen de cela, un peu de Lepeinlre, jouant un role tres- jeune, un peu de raadame Guillemin, velue d'une robe de chambrea ramages et de"bilant des phrases romanliques. II n'a pas ri d'Emile Taigny, perse"cule par celle femme au-dessus de Irenle ans, qu'il finil par marier a son enorme neveu : il epouse lui-meme la belle Corne'lie. Ce double noeud forme le de"noument. Celte pi6ce est de M. Ilochefort, I'auleur du celebre vaudeville dc Verther el de la farce de Jocko. VARIETIES. Le Matelota lerre. Le Matelot a terre a servi de piece de de"bul a M. Fe"licien. M. Felicien se prcsenle-t-il commo comique? II 1'esl me"diocremenl. Cot acleur appartienl h celte classe d'acteurs douleux, tels que M. Matis et M. Joseph, auxquels il faut faire des roles de grognards, de malelols, dc paysans, de mau- vais sujels;il leur faul ne'cessairenienlune grande orgie ou ils se grisent, quelques couplets de faclure, une scene d'altendrissemenl; puis on dit parloul qu'ils sonl appelt's a recueillir Phe'rilage de Gon- tier. Si I 'on veut parler de son venire, a la bonne heure; ils onl tons de fort belles dispositions. Le malelol h terre esl loujours le memo malelol de Cooper, d'Eu- gene Sue el d'Edouard Corbiere : le fl-ambard qui fait d'enormcs farces avec sa part de prise ou rarrie"r<5 dc sa paye, qui chanle a lout pro- pos la ballade : Duvons du grog et cassons-nous les reins ! qui jelte loul par la fenelre ct la maison an besoin, comme on le voil dans un de ces recils inge'nieux, oil une sociele de flambards s'amuse a de'molir I'holellerie dans laquelle ils 'boivent, el qu'ils ont payee, laissant une seule fenelre dcboul de lout I'Cdifice, afin qu'il soil dit que la maison a etc" jelc'e lilteralemenl par la fenelre; c'esl se don- ner bien de la ]icine pour une facelie, qui n'csl pas mcnic un calem- L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE bour. Lc mutelot des Varietes nc pousse pas les choses jusque-la; jl se conlente de payer du punch a tous les paysans, de rosser un ncgre qu'il a pris pour valet et de se metlre sur le corps une foulc de costumes plus ou moins bizarres. Outre son domeslique, il a pris une maitresse, un carrosse ; il se fail accompagner par dcs violons ; il casse les chaises et les verres lant qu'il peut, et, malgre tout cela, il ne peul arriver a de'penser tout son argent avant le depart de son vaisseau. Son capilaine vient le chercher a son auberge et Tengage a se tenir prel pour repartir le lendemain; mais comment faire? Il lui reste huil cents francs encore, et c'est tout ce qu'il peut faire de les depenser en qualre jours, avec son carrosse, sa rnailresse, son negre, etc. Eh bien,lui dit le capitainc, prends deux carrosses, deux waitresses, deux negres, deux habits, deux chapeaux, ainsi de suite, niels les morceaux doubles, el bois pour deux! Le malelot ne tarde pas a reconnaitre la difficulle d'agir selon ce conseil. II pro- pose a Louiselle, la fille de 1'aubergiste, de 1'aimer pour ses hull cents francs. Louiselte refuse; elle aime un batelier nomme' Jacquet. Le matelot s'apercoil qu'il n'a ricn de mieux a faire que de jouer le role du soldat Stanislas, de Michel et Christine; de grognard a flambanl il n'y a que la main. II dote avec ses huit cents francs Louiselle cl s'embarque en donnant un soupira son sacrifice : Un matelot sail souffrir et sc (aire Sans murmurer ! PALAIS-ROYAL, Bruno le fileur. Encore un vaudeville moral et manufacturer! Avant celte saison qui esl si proche et qui nous ramene les piquanles gravelures de Dejazel, la mere peut, quelques jours encore, permetlre le Palais-Royal a sa fllle, 1'oncle peul le re- commander a son neveu, le maitre a son domeslique, le sergenl-major a son garde national, le portier a son locataire, etsurloul le bour- geois a son ouvrier. La sociele" a e"te" moralise'e tout cet etc dans ces diverses positions par les vaudevilles Cogniard, Deslandes et Didier ; ils ont prcchc tour a tour la caisse d'e'pargncs, le service dc la garde nalionale, racquitleinenl re'gulier des impositions, les socieles dc tempe'rance, la philanthropic cl lesvoHurcscelluIaires.Iis rcprennciii. DEPU1S V1NGT-C1NQ ANS 37 cetle fois, une th&se lraile"e de"ja dans Ic vaudeville de Riquiqui : a savoir, que 1'ouvrier ne doll e"pouser qu'une feiiime de sa condition el serait de'place dans la haute sodrie par ses manieres, quoique, sous le rapport des verlus, il soil susceptible d'en faire I'ornement. Ceci a e't dtfrnonlre" par I'exemple du savelier Riquiqui aux gens de son etal. 11 s'agit maintenant de faire pene'lrer la meme conviction dans le co3ur dcs ouvriers de la filature. Si I'on nous demar.de pourquoi MM. Cogniard freres out dioisi de pre'fe'rence les ouvriers fileurs, nous rfyondrons que ce mot prele merveilleusement au calembour et au couplet de fadure. Le public n'a pas manque" d'accueillir chacune de ces Equivoques avec une extreme hilarite". Au lever du rideau, on pleure la mort de M. Blain- ville, manufacturier, 5 Sainl-Ouen; tout manufacturer de vaude- ville esl un modele de vertus. Aussi, la filature est plonge"e dans I'af- fliclion : I'oraison funebre de cebonM. Blainville, qui ctail le perede ses ouvriers , et qui avail ne'cessairemenl servi sousle grand homme, se produit en une foule de couplets sur I'air Ten souviens tu? et Mon pauvre chien. Mais M. Blainville est surtout sinceremenl re- grelte par Bruno, son conlre-maitre, liomme e*galemenl verlucux el sensible. De nombreux parents comptenl sur I'hdrilage defa. Blain- ville, et se re'unisscnt dans la maison pour c"couter la lecture du tes- tament. Mais M. Blainville, qui detestait sa famille, les a tous de'she'- riles, et legue lous ses biens au contre-mailre Bruno. Le pered'une charmaritc niece du deTunt, nommee Adele, se trouve compris dans la meme proscription. Bruno, voulant re"parerle malheur de cetle fille inte"ressante, ne voit qu'un moyen de lui restitucr en quelque sorle la fortune sur laquelle elle avail du compter : il lui offre de I'epouser. Une fois marie avec une femme d'une education supe'rieure a la sienne, Bruno se voil forcd de changer ses habitudes. Dans celte so- cie"le nouvelle. ou son manque d'usage et d'inslruclion 1'expose a une foule d'humiliations, il ne tarde pas a rcgretler son ancienne vie d'ouvrier. De plus, un joune bomme Elegant fait la coura sa femme; Bruno surprend unu lellre et provoque legalant. II est blesse" coninie Danville, par suite de son ignorance 5 manier une e'pe'e; mais sa femme, repenlante ainsi qu'Hortense, finil par se decider a fuir le monde, el se retire a la campagne avec Ini. L ART IMAMATJQUE EN FRANCE Le second aete de cette piece ne manque pus d'inlerel, el MM. Co- gniard out su broder quelques jolies scenes sur une Irame usee a loules ses faces, coupe'e a lous scs plis. 11 scptcnibre. OPERA. Mademoiselle Fanny Elssler. Mademoiselle Fanny Elssler vienl de faire sa rcnlree dans le role d'Alcine, de la Tempcte. Le ballel de la Tempete csl un ballet, c'esl loul ce qu'on peul en dire de plus favorable. 11 a, en outre, Favantage de gater un des plus Leaux sujels d'ope'ra qui se puissc rever. On ne sail trop pourquoi Oberon se trouve dans cetle pifecc au lieu de Prospero; Oberon esl inseparable du Sonye d'une nuit d'c'tc, il ne peut aller sans sa fennne Titnnia ; Alcine, cette prestigieuse creation de I'Ariosle, a Fair toute depayse'e dans File des Tempetcs, a cote" de Caliban, et je doute fort que Fernando lui fassc oublicr Roger, le brillant chevalier. Mais nous ne pousscrons pas plus loin nos observations sur le me'rite inlrinseque du livrel; la lilterature des jambes n'esl guere discu- table; avisons au plus vile a Fanny Elssler. De nombreux applau- dissements onl eclate" lorsque le voile de gaze, s'e'cartanl, a laisse" voir la se'duisante magicienne, el personne ne doulait que le ver- lueux Fernando ne devinl bientot infidele a la pensee de Lea, la pro- ie"gee d'Oberon. La danse de Fanny Elssler s'eloigne comple'lemenl des donnees academiques, elle a un caraclere parliculier qui la se"pare des aulres danseuses; ce n'esl pas la grace adricnnc el virginale de Taglioni, c'esl quelque cliose de beaucoup plus huniain, qui s'adresse plus vivement aux sens. Mademoiselle Taglioni est une danseuse chr6- tienne, si Fon peut employer une pareille expression a propos d'un art proscrit par le calbolicisme : elle \ollige comme un esprit au milieu des iransparentes vapeurs des blanclies mousselines dont elle aime a s'entourer, elle ressemble a une ame heureuse qui fail ployer a peine du bout de ses pieds roses la pointe des flours celestes. Fanny Elssler est une danseuse loul a fail pai'enne; elle rappelle la muse Terpsicbore avec son tambour de basque et sa lunique fendue sur la cuisse el relevee par des agrafes d'or; quand elle se cambre liardi- menl sur ses reins ct qu'elle jctle en arricre scs bras enivre's et morts DEPLIS V1NGT-CINQ ANS 39 M Ac volupte, on croil voir une de ces belles figures d'Herculanum ou de Fompe'i qui se delachent blanches sur un fond noir et accom- pagnent leurs pas avec les crolales sonorcs; le vers de Virgile, Critpum sub crotalo dodo movere latin, vous revient involontairemenl a la memoire. L'esclave syrienne qu'il ainiait tant a voir dnnser sous la blonde Ircille de la- petite uolellerie devait avoir bcaucoup de rapport avec Fanny Elssler. Sans doule, le spirilualisme est une cliose respectable; mais, en fait de danse, on peut bien faire quelques concessions au mate'rialisme. La danse, apres tout, n'a d'aulre but que de montrer de belles formes dans des poses gracieuses et de de"velopper des lignes agre"ables a I'oeil; c'est un rhyllime muet, une musique que Ton regarde. La danse se prele peu a rendre des ide"es me"taphysiques; elle n'exprime que des passions : I'amour, le de'sir avec loules ses coquelteries; riiomiiu' qui allaquc et la femme qui se defend mollemenl, torment le sujet de loutes les danses primitives. Mademoiselle Fanny Elssler a compris parfaitement cette ve'rile'. Elle a plus ose" qu'aucune autre danscuse de TOpera : la premiere, elle a transport^ sur ces planches pudiques I'audacieuse caclmcha, sans presque rien lui faire perdre de sa saveur native. Elle danse de tout son corps, dcpuis la pointe des cheveux jusqu'a la pointe des orleils. Aussi, c'est une veritable et belle danseuse, landis que les autres ne sont qu'une paire de jambes qui se de'menenl sous un tronc immobile! 40 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE IV OCTOBRE 1837. Opera : Reprise de la Mwtlede Porlici. Duprez dans le role de Masaniello. Mesdames Noblel et la cachucba. Dolores. Mademoiselle Fanny Elssler dans le role de Fenella. Le Ve'suve de M. Duponchel Cirque-Olympique : Djenyniz-Khan , dranie a spec- tacle, de M. Anicel Bourgeois. Opera : Nathalie on la Laiticre sitiase. Lcs comediens d'aulrefois ct les come'dicns d'aujourd'hui. Trop grande personnalite des acteurs et des aclrices. La Chattc me'tamor- phosee en fcmrne, ballet de M. Duveyrier. Fanny Elssler. Yarie'Ies: Le Perede la Debutante, vaudeville de MM. Tlie'auloii et Bayard. V cruel. Le vaudeville bien fait. 2 octobre. OPKRA. Reprise de la Muette de Portici. Un triple interet fai- sait courir la foule a la reprise de la Muette de Porlici : d'ahord, le debut de Duprez dans le role de Masaniello, rempli autrefois par Nourrit; ensuite, celui de Fanny Elssler, a qui mademoiselle IS 7 obIet, par une generosite peut-elre un peu perfide, avail cede le personnage de Fenella; a cela se joignait le ragout d'un nouveau pas espagnol, danstf par madame Alexis Dupont et sa soeur, et le de"sir de juger I'effet que produirait la musique de M. Auber, apres les grandes et solennelles partitions des Hugucnols, de Guillaume Tell ct de la Juive. Vous voyez que celle repre"senlion e'tait du regal le plus friand etle plus exquis. Dupreza comple"tenient confirm^ ce que nous avions dit de lui a propos du role d'Eleazar, auquel il avail imprime un si puissant ca- clu't judai'que, a savoirqu'il elail un des plus grands, sinon le plus grand, des aelcurs lyriques de I'^poque. II a rendu a Masaniello, dont Nourrit avail fail un conspiratcur de salon, un prince m5connu que 1'on doil rcconnaitrea la linde la piece pour flls de roi, sa veritable coulenr liislorique et locale. DKPU1S VINGT-CIXQ ANS 41 Masaniello, quel que suit le role qu'il ait jom ; , n'eUiit apres tout qu'un lazzarone ; une e'meule Ic rendil maitre de Naples; niais la tele lui lourna, ct le vertige Ic prit quand il se vit lout a coup sur Ic plus haul sommct du pouvoir, car il n'e'tait pas au niveau dcs e've'nements qu'il avail provoqu^s. Duprcz a parfailemenlcompriscclte verile*; il csl cnlri5 profondemen t dans le caraclere napolitain ; il a rcpcinl d'un boul a I'aulre la Icrne csquisse du livrel, cl nous a monlre" Masa- niello lui-meme, un Masaniello dont, a coup sur, M. Scribe no s'e'tail pas doute". II a etc au commencement familier, goguenard, jovialement tri- vial, petulant clans ses geslcs,avecdes mouvemenls de tele et d'e*paulc pleins de cette insouciance bienheureuse qu'inspire le beau ciel de Naples, el je nesais quel puissanl laisser aller coinnic d'un lion au repos; puis onl delate de soudaines eruptions de colere pareilles a cclles du Vesuve; les grands cris el les grands mouvemenls tragiques soul arrives ; le lazzarone s'cst transform^ en beros : il est devenu Ic ilieu d'une population deliranle. Cependanl Duprez, ineiiie dans les cndroits les plus be'roi'ques, a su garder sa pbysionomie de pecheur. Ainsi, dans la pompe triompbale du quatrieme acle, il indique par un dodelinement joyeux une ebriete de satisfaction d'etre monte" sur un beau cheval avec des pages devant et derriere, un orgueil nai'vemenl enfanlin de se voir couverld'un riche manleau de brocarl d'or, qui monlrcnl cliez le grand chanteur la plus snvanle analyse des passions linniaines et une profonde entente de la mimique. Legrandsucces de la soiree a etc" pour Ic pas espagnol demesdamos Noblel. On allendail leur entree avec impatience : elles ont paruavec la basquine de satin blanc, lame'e et paillelee d'argcnt, la rose dans lescheveux, le grand peigne a galerie, toule la folle loilelte de L)o- lores Scrral. Puis, au son d'une mdlodie nai've, comine lous les airs nalionaux, el coupe'e a lemps ^gaux par le ricancmenl des casla- gneltes, elles onl clause Ic pas le plusose, le plus ardeniinent devcr- gonde qu'onail jamais execute" a rOpe*ra. C'^tait prodigieux, exor- bitant, incroyable; c'e"tait cbarmant. Figurez-vous des frc'lillemenls de bandies, dcs cambrures de reins, des bras el dcs jambes jetfs en 1'air, des mouvements dc la plus provoquante volupt^, une ardeur cnrage'e, un entrain diabolique, une danse a r(5veiller les morls. I. 4 42 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE L'effet de cctte danse, sur des speclaleurs habitues aux poinles, aux entrechats et a toules les poses anguleuses dc la choreographic franchise, a depasse assunSment les espe"rances les plus hardies des partisans de mademoiselle Noblet. Les deux soeurs ont ele" applau- dies comme jamais personne ne I'a ele", ct, chose peut-etre inouie dans les fastes de I'Opgra, on les a fait revenir, ct recommencer le pas el Jateo de Jeres. Mademoiselle Noblet a donne" Fenclla a mademoiselle Elssler,mais clle lui a pris sa cachucha ; ces dames ne se doivent rien, ou plutol elles doivent heaucoup toules les deux a Dolores Serral, qui, la pre- miere, a import^ la cachucha 5 Paris, et qui a etc" imitee d'abord par Fanny Elssler, etensuitepar mademoiselle Noblet. Malgre" la haute reputation et la position plus favorable de ses rivales, Dolores Ser- ral n'en est pas moinsla premiere danseuse de cachucha etdebo!6ro que nous connaissions. Son talent a un caraclere lout parliculier : dans les hearts les plus excessifs de cetle danse si vive et silibre,elle n'est jamais inde"cenle; elle est pleine de passion et de voluple", el la vraie volupte" est lou- jours chaste; on la dirail fascine'e par le regard de son cavalier; ses bras se dessinenl pames d'amour; sa tele penche en arriere, comme enivre'e de parfums el ne potivant supporter le poids de la grande rose au cosur vermeil qui s'epanouil dnns les touffes noires de ses cheveux; sa taille ploie avec un frisson ncrveux, comme si elle se renversait sur le bras d'un amant; puiselle s'affaisse sous elle-meme en rasanl la lerre de ses bras, qui font claquer les caslagnettes, el se relcve vive el prcste comme unoiseau, en jelanla son danseur son rire e'lincelanl. La cachucha esl pour Dolores une foi, une religion : on voil qu'elle y croil; elle 1'execute avec toule I'ame, loute la passion, toute la candeur et tout le se'rieux possibles. Fanny Elssler et mademoiselle Noblet la dansent tin peu en incre'dules, plulol par caprice ou pour e"vei!ler un peu les lorgnettes du public, ce sultan blase", que par con- viction re"elle ; aussi y sont-elles loutes deux vives, coquettes, spiri- tuelleset point amoureuses, crime impardonnable dans une cachucha ou un bolero. Pourquoi Dolores Serral, donl les pas obtienncitt lanl dc succes URPU1S VINGT-CIXQ AXS 43 avec Ics jambes dc Fanny elde Noblel, u'esl-elle point elle-meme a i'Opera, oil sa place cst marquee depuis lungtcmps, ainsi quo celle de Camprubi? L'essai de mademoiselle Elssler n'a pas etc* dcs plus hcureux. Le role de Fenella, place au milieu d'une infinite de personnages qui ne sont pas muets, a quelque cbose de contrarian! el d'ennuycux. II fait songer a 1'hislrion des farces romaines, qui faisait les gestes de la tirade que de'bilait un acteur place a cote de lui, ou a ces anciens spectacles forains ou un seul acleur avail droit de parler. Quandelle esl entree, pale, effare'e, scs yeux bruns faisanl lache au milieu de sa longue figure blanche, ses cheveux noirs et lustres plaque's sur son crane en facon de serre-lele de taffetas, elle m'a rapped pardonne-moi, 6 Terpsichore! Jean -Gaspard Debureau, paillasse des Funambules, cl cetle ressemblance a frappe plusicurs personnes comme moi. Ce rapprochement n'a, du reste, rien d'inju- rieux pour mademoiselle Elssler; car Debureau, que beaucoup de gens s'obstinent a croire un spirituel paradoxe de Janin, esl, en ve- rile" le plus grand mime de la lerre. Mademoiselle Fanny Elssler, qui a lire 1 le meilleur parti du mondc d'un role ingrat, a eu un moment magnifique: c'esl lorsque, repoussee par les gardes de la chapelle ou le manage de son seducleur se celebre, elle s'assoil h terre et laissc tomber sa tele dans sa main en poussantdes sanglots; on euldil une figure de Bendemann, le peinlre de Jcrcntie, ou unc dcs Troyennes d'Euripide; elle tHait belle comme une sialue anlique. Son costume napolilain, d'une exactitude et d'une seve'rite' extremes, s'arrangeait en grands plis ausleres el d'un slyle incomparable; on cut voulu la dessiner. Mademoiselle Fanny joue son role sans co- quellerie envers le public ; elle esl loule a son de"sespoir, el celle conscience a pu nuire a son succes, qui ne s'est pas prononce" nelte- menl. Nous ne lerminerons pas eel article sans gourmander M. Dupon- chel sur son Ve'suve, qui e'lait des plus miserables, et qui n'a fail Eruption qu'apres toile baisse'e. C'e'lail bien la peine de faire monler de lerre des images d'un gris odieux pour pre'parer un effel de pyro- lecbniesi mcsquin! Ic Ve'suve ne s'esl pas pique d'exaclilude locale, comme Duprez-Masaniello; il avail I'air de la lanterne d'un estaminei 4-1 L_ART DHAMAT1QUE EN FRANCE llamand. Quandon fait d'aussi belles rcccltes que M. Duponclicl, on devrait clre un pen moins chiche de feux dc Bcngale. Toutes cos menucs critiques, aiguillons dc guepc aux flancs d'un hoeuf, n'cmpechent pas que la reprise de la Mitetle n'amene Ions les soirs la foule a I'Opera. Les nns viennenl pour Duprez; les aulres pour mademoiselle Elssler; ceux-ci pour madame Alexis Dupont; ceux-la pour mademoiselle Noblel ; quelques-uns pour M. Auber; tout le monde vient! 9 oclobre. CiRQi'E-OiiYMPiQUE. D'jenc/uiz-Kkan. D'jenguiz-Khan n'est aulre que Gengis-Khan barbarise" el chinoise a 1'imitalion de M. Auguslin Thiorry, qui a si bien restitu^ leurs verilables noms aux princes francs, gaulois ou celli's, qu'a moins de savoir le haul allemaml ou le the'otisque, il esl impossible d'en rcconnallre un seul. Cc D el ce J, separe"s par une apostrophe, pretcnt au nom du con- que'raiit tarlare quelque chose d'et range et d'incongru qui lui sied on ne peut mieux, ct 1'on ne saurait que louer M. Anicet Bourgeois d'avoir bourre" le nom dc son heros de toutes ces romantiques con- sonnes. La piece (Jcrile n'est guerc qu'un pnHexte a decorations, une cspece de livret pittoresque ; nous aurions pu ne parler que de la piece pcinle. Mais , commc nous somnies naturellement conscien- cieux, nous apprendrons aux lecteurs, curieux de le savoir, que I'empereur de la Chine se trouve dansun grand embarras; comme rAgamcmnon anax andrdn, il faut qu'il sacrifle sa (illc au bien public, c'est-a-dire qu'il la m:irie a D'jenguiz-Khan. Or, tout pere qui a le cceur un peu bien situo nipugne naturellement a donner sa lllle en mariagc a un liommc b(5riss(5 de toutes parts, comme un oursin de mer, de lettrcs extravaganles ct d'apostroplies incroya- bles, quoiqu'un pere chinois, capable de s'appeler lui-meme Fou- Tsee. Hoang-Kong ou Tchi-Kao, doive se monlrer moins diflicile que lout aulre. L'imperalricc, Clytemncslrc de paravent avec une robe de satin jaunc semoc de dragons verts, renouvelle les priercs antiques et fail une ccinlure pcrpeluclle de scs bras suppliants a sa lllle Elmai', que Ton veut entrainor. Quand ecla a dure assez long- DEPU1S VINGT-C1NQ ANS 45 temps, on emmene la jeune vierge de'voue'e au cruel minotaure tarlare, au camp de D'jenguiz-Khan, qui (pardon, Euphonic a voix flulde !),au lieu dc Pepouser lui veul faire couper la lele a propos dc je ne sais quelle violation de traitc". Marco-Polo, le voyageur ve"ni- tien, se trouvc la, a point nomine, el propose au khan d'cmpoisoi.- ner Elmai, ce qui est beaucoup plus decent et convenable pour unc jeune personne mineure; il se charge lui-me'me dc reparation. Nc soyez pas cHonne' de voir I'honnete Marco-Polo, a qui personne n'a jamais reproche" d'autre vice que d'etre un peu hableur, se charger de gaiele" de coeur de la besogne de bourreau ; il est amoureux de la princesse Elmal. Vous trouverez peul-elre que c'est la un Strange motif; mais, pour peu que vcus ayez ('habitude des moyens drama- liques, vous comprendrez lout de suite que la flole est remplie du poison de Juliette el de la Tisbe", c'est-a-dire d'un narcotique puis- sant qui fait ressembler le sommeil a la mort et le corps au cadavre. On cmporte la princesse Elmai dans une litiere ferrate; D'jenguiz- Khan, liomme de procedes lout a fail incivils, envoie a 1'imperatrice la princesse Elmal empoisonne'e. A celle vue, la mere e"clale en cris furieux, elle appelle lerre et ciel a la vengeance et fait fort mauvaise mine a Marco-Polo, qu'elle ordonne meme tfentralner a la mort. Marco-Polo, qui ne veul pas elre entralne, ouvre les rideaux de la Iiliere,oii Ton voll lout d'abord percer le nez poinlu de la princesse, qui revient a la vie. Speclacle agreable! Ma mere! Ma fille! ma fille! Ma mere! ma mere! tel csl le dialogue allendrissanl qui s'engage. Bref, apris plusieurs marches et conlre-marches, combats regie's a Fhache et au sabre, batailles avec accompagnements de canons verl-pomme comme il convienl a dcs canons chinois, la ville de Pe"kin esl prise d'assaul, Pempereur d^capiie", et l'impe"ralrice el sa fille se refugienl en Europe sous la conduile du brave Marco-Polo, qu'e'pouse sans doulc la princesse. Grand bien lui fasse, el puisse- l-il n'avoir pas beaucoup d'enfanls! La loile lombe sur un magni- fique incendie en feux de Bengale verts et rouges de beaucoup supd- rieur a Irruption du Vesuve a l'0pe"ra. Cede piece n'esl pas plus mauvaise que beaucoup d'aulres qui se jouenl dans les salons pislache ct beurre ranee dcs Ihe'alres qui ont dc plus hauli's prelenlions lilteraires; elle est assez adroitement i. i. 46 L'ART I>UAMATIQUE EN FRANCE arrangde el ne manque pas d'inle>et ; en outre, elle esl monlde de la maniere la plus somplueuse, el les decorations sonl d'un effel magique. Trois de ces loiles nous ont paru vraiment remarquables : ce sont des tableaux que Ton peul critiquer sdrieusemenl, car ils onl une valeur rdelle el sortent lout a fail du barbouillage de la de"co- ralion. La premiere reprdsenle une ville cliinoise; les coulisses sonl for- me'es par des pavilions el des kiosques pavoiscs de longs elendards flottanls dont les couleurs vives et gaies fonl fuir les derniers plans a une grande profondeur. La ville s'elend a perte de vue, avec ses maisons peinles el vernisse'es, aux combles recourbds comme une pantoufle de mandarin, et portant a leurs angles des ccufs d'aulruche ou des clochetles d'argent, ses tours de porcelaine fine, h dcssins blancs el bleus, donl chaque elage esl marque" par des loils sembla- bles a des parapluies retourne's dans un grand vent; avec ses jar- dins he'risse's de rocailles faclices, ses ponts en forme de dragons , ses grands pots dc faience craquele'e, ou se ralalinenl des arbrcs nains cl des ve'ge'laux de forme bizarre; ses pechers couverts d'une neige de fleurs, ses saules trempanl le boul de leurs cheveux verts dans les eaux claires et miroitanles ou le heron a aigrelle d'or plonge crainlivemenl sa maigre palte; ses treilles aux mailles rouges laissanl passer les peliles teles reveuses des jeunes filles prisonnieres qui suivcnl d'un O2il d'envie le vol fuyard des libres hirondelles; avec son ciel bleu comme un pot du Japon, ou floltenl des nuages venire de carpe, de formes baroques et semblables a des griffons volants; ses monlagnes de'charne'es, bossues, pleines de verrues el de gibbosile's, risibles i voir comme des magols de biscuil; une realisation parfaite de la Cliine, que nous revons d'apres les lasses, les soucoupes, les pots et les paravenls, seuls documents aulhenliques que nous ayons dc ce myste'rieux et singu- lier pays, ou les oiseaux sont plus grands que les maisons, ou I'om- bre et la perspective semblent ne pas exister. Le camp des TartareSjVude nuit, forme le sujeldela seconde de"co- ralion :c'esl un effel de lune froid el vaporeux, tout baignede brumes bleualres ou sdntillent, I'oiiiine des- milliers de vers Iuisauls,!es feux DEPU1S V1NGT-CINQ ANS 47 dessoldalsau bivac. On dirail un del renverse doulles cloiles soul dcs lanlernes; rien de plus original ct dc plus fanlaslique. La truisicme repre"seute une vuc du grand ponl de Pekin pris par le travers. C'esl uuc toile blonde, luniineuse, aerce, comparable aux plus belles du Diorama ; ses eaux, loules charge'es de jonques aux voiles de bambou, soul d'une transparence et d'une limpidile charmanles ; les Edifices, d'une arcliiteclure bizarre elgracieuse, s'y mirent compluisainmenl, el le soleil du matin dore d'un rayon enjouc les blancs escaliers de marbre qui descendent au fleuve Jaune; on dirail une Venise chinoisc, un Canaletli sur porcelaine. Ajoulez a cela des processions, des lanlernes, des palanquins, des courses de bagues par des ocuyeres amazones, un role de gros mandarin poltron, grand buveur de the, grand mangeur de nids d'Jiirondelles salanganes et de jeunes chiens cuits dans leur graisse; des ballets enlremele's de sonueltes el de sauls perilleux; vous aurez un spectacle des plus agreables. 1 6 octobre. OPRA. Nathalie. Mademoiselle Nathalie a joue" le role de Na- thalie; ce rapprochement dc noins amusait el surprenail beaucoup de braves gens. Us se demandaienl si mademoiselle Nalhalie avail etc faile pour la piece ou la piece pour mademoiselle Nathalie; et plusieurs honnetes provinciaux se sonl retires tres-persuade's que le ballet n'e'iaii aulreque I'liisloire aulhenlique et consciencieuse de la debutante. Cclte crreur esl, du resle, forl excusable, maintenant que les aclcurs onl, comme nous le disions naguere, pris I'habilude de subsliluer opiuialremenl leur individuality aux caraclercs des differents personnages qu'on leur confle. 11 u'existe plus aujourd'hui ni pieces, ni roles ; chaque come'dien un peu ce'lebre, el tous sonl ce"lebres,a son repertoire dc mols a eflVi qu'il dcmande a I'auleur; les uns disenl Tori bicn : mon Dieu! MON DiEf ! MON DIEU ! D'autres sanglolent avec une grace par- faile ccllc phrase : Je suis bien malheureuse, allez ! Celui-ci jellu le juron moyen age d'une fa^on toule chevaleresque el toule fc'odalr; cclui-la possedc un certain ricanemenl mephislophelique qui cnleve les applaiidisseuieiils el qu'il tienl beaucoup a placer. Que le role LART DRAMATIQUE EN FRANCE soil gai ou trisle, il faut que le ricancmcnt y entre taut bien quc inal; certains roles de mademoiselle Georges sont dcs mervcilles du genre; ils ne conliennent pas un scul molqui n'ait ele" applaudi pre 1 - ceHlemment : c'est un travail de casse-lele chinois, une mosai'que de phrases on ne pent plus curieuse. Apres cela , viennent les exigences de costume : quelques actrices, a qui le turban ne sied pas, ne joueront jamais dans une piece orientale; d'aulres qui out dc vilains bras proscrivent les roles grecs et remains, et ainsi de suite. Les acleurs refusent de couper leurs favoris et Icurs moustaches, et bienlol Ton ne pourra plus reprcsenler que des pieces contcmpo- raines, parce que les come'diens ne voudront plus quitter leur frac a queue demorue, ou leur redingolc a brandebourgs. L'autcur, avant de faire une piece, est oblige" d'aller prendre mesure a Pacleur; 1'acteur est maigre, il lui faul un role maigre; 1'actcur prcnd du venire comme un amoureux du Gymnase, il faut chercher pour lui des types pansus, demesnes, hippopotamiques. Odry a le nezlaille" en bouchon de carafe : c'est la une grande partic de son talent; I'auteur est oblige^ de ne jamais perdre de vue ce nez magistral et triomphant, ct de pratiquer dans son action toutes sorlcs de Irefles el de lucarnes, pour le laisser voir sous toutes ses facelles. Lepeinlre jeunc esl d'une cnormile si jovialc, que, des qu'on le roule sur la scene, loul le monde e'ciatc de rire; un role de lonneau ou d'e'le-phanl esl indispensable a lout vaudeville qui veul reussir. Par suile de celle subslitulion de I'acleur au personnage, on ne dit plus Buridan, Robert Macaire, Adele d'Hervey ; on dil Bocagc, Freclc'rick, madame Dorval ; c'est une grande faute : un bon acteur ne devrail pas elrc rcconnu quand il enlrc en scene dans un role nouveau ; la pcrsonna- lile du veritable acteur n'existe pas, et c'esl ce qui fail quc, lant qu'ils onl eu du talent, Ton n'a pas considerc" Ics come'diens commc des hommes. En eflet, ils cHaicnt Scapin, le valel malois, 1'Yago jovial au manleau zebrd de blanc el de rose, a la plume sournoise- ment penche'c ; Ltfandrc, le bel amoureux, 1'adorable marquis, en juste-au-corps a brevcl avec sa perruque in-folio, ses canons qui soul du grand volume, ses majichelles el son rabat dc la bonne fai- seuse; Turcarel, boutonnant a peine, sur son venire Iiydropique d'ecus, les boulons de diamants de sa veste mordorce; Orgon, Ic OEPUIS VINGT-CINQ ANS 49 rabacheur scmpilerncl, qui s'appuie sur sa canne a pomme d'or et gourmandc incessammenl monsieur son flls, qui ne fait qu'en rire; Liselle ou Marlon, I'efl'ronie'e soubrelle, le nez el la gorge loujours nu vent, les mains dans les pocbes de son lablier de mousseline, I'ceil vlf, la joue allume'e et la bouclie en co3ur; ou bien Dorimene, l'el(5- ganle el perflde marquise, qui joue de I'evenlail ii ravir, mieux qu'une dona de Seville; Eliante, riionnete el la raisonnable discou- reuse, que Ton Spouse loujours a la fin de la piece : its e'laienl lour a tour, les braves comediens, ces lypes adorablcs, e"lernellemenl vrais, elernellemenl jeunes, mais, a coup sur, ils n'e'laieni jamais monsieur un tcl ou madame une lelle. Ils avaienl meme si peur de delruire I'illusion lbca,lrale el d'etre pris pour des etres r6els, que, desccndus de leurs planches, pilori infame cl glorieux, ils s'appelairnl de nonis de guerre loul a fiiil fabu- leux el impossibles : Mondonville, Bellerose, Larancune, Floridoret aulres noms romancsques el peu Chretiens. Aujourd'hui, les choses sonl bien cuange'es! les comediens ne prennenl plus de sobriquels; ils ne rlpondent qu'a Icur veritable mini de famille; ils se marient, foul des cnfanls, payenl leurs delles, monlenl la garde, achelent des chateaux, obliennenl la croix d'hon- neur, el vivenl de la vie la plus prosai'que du monde; Ce'limene specule sur la rente ; Alcesle intrigue pour elre iionuiie sergenl dans sacompagnie; Marlon vient au llie'atrc avec des socques arlicul^s cl en parapluie coulant-Cazal ; ellcesld'une vertu ignoble elmons- irueuse; c'esl une vestale. Deja les danseurs de corde gagnenl les prix Mont yon; les soubretles de come'die concourront bienlol pour elrc rosieres. sainle morale! frotte de joie les mains jaunes aux ongles noirs ! mais, avec ces facons, que devienncnl I'eclal de rire insolent, la gaiete bardic, la verve et 1'enlrain endiable" des comediens d'aulrefois? ou cst la folle vie d'arlisle, le gaspillage cffrdn son air stupidc et a son frac e"carlale; le monsieur sc suhslilue en- 52 LART DRAMATIQUE EN FRANCE suite au mannequin pre"paraloirc el recoil un baiser de la jeune fllle. La-dessus, les parents enlrent, les dames en amazones revicnncnt, el Nathalie epouse le jeunc seigneur couleur de honiard. Tout cela est entremele' du comique de'sespoir d'Elie, cet excellent mime, quo ia maigreur dldgiaque et plaintive de ses mollets fait repousscr de toutes Icsjcunes filles qu'il courtise avecunc inepuisable patience. Mademoiselle Nathalie a tir5 le meilleur parti d'un role insi- gniflant; elle a danse" d'une maniere qui ne manque pas de nou- veaute"; elle a du rebondissemenl, de la raquetle, ct promel de dcvenir avec du travail une danseuse remarquable. Sculement, elle est encore trop anguleuse et elle garde en dansant une mine triste el conlrarie'equi ole du charme a sa figure. Sansdoute, le sourire des danseuses est quelque chose de stupide et de plus horrible que le ricanement de"charn6 de la mort elle-memc; mais une physionomic plus gaie et plus screine sierail mieux a une jeune fllle enjoue"e el nai've, comme doitetre une petite laitiere suisse. La seule chose qui nous aitamus^ a cetle representation, c'esl le re- lour p<5riodique d'une grande tache d'huile dans les eaux du torrent. 23 octobre. SAISON D'HIVER. Le cataclysme dramatique est arrive! Les theatres out ouverl leurs <5c!uses lous a la fois;el ballets, melo- drames, vaudevilles onl coule a grands flots. Quel deluge, bon Dieu ! Que de francais elrange, que d'incplies plus ou moins laborieuses n'avons-nous pas e'US forc<5 d'enlendre ! La critique lhe"alrale dcvient de jour en jour plus impraticable: un pauvre critique n'a pas le don d'ubiquite^ el nous ne savons trop le moyon d'etre a la fois dans trois endroits differents. Quand les theatres sont voisins, comme le Cirque-Olympique et la Gaietd, ou comme la Porte-Saint-Marlin el 1'Ambigu-Comique, on pcul aller, a la rigueurj voir un acte chez Tun et un acle chez 1'aulre; mais cela n'a pas toujours lieu, el alors le deplorable feuilletoniste ne sail ou donner de la tele. II n'y a que deux moyenspourobvier a eel inconvenient : il faut prendre a ses gages deux jeunes hommes de coeur el de style que 1'on envoic 6 sa place, ou acheter une voilure el Irois chevaux bai-ccriso. Cela n'esl pas & la portee de lout le monde. DEPUIS VINGT-CIXQ ANS 53 Cetle averse de pieces a lieu de deux semaines Tune, ct peul s'as- similer aux pluies pe>iodiques de la haute Egyptc. Pour cetle fois, nous avons eu, d'une seule onde"e, la Chatte me- tamorphose'e en femme, Margot, le Corrfgidor de Seville, Deux vicux Garfons, Ce bonM. Blandin! Rita I'Espagnole. Helasethola! six analyses ! c'est-a-dire six squeletles qu'il faut allerchercher sous les chairs flasques de vaudevilles ou de melodrames inalsains, afin dc monlrer au public I'enchassement des verlebres el k's jointures dcs os ; six charpentes dramatiques a depouiller de leur velenicol dr tirades, pour les exposcr aux ycux, toul dvenlr&s el crevasses comme des maisons qu'on demolit, avec leur enchevelrement bi- zarre, leurs angles contraries, leurs morlaises grossierement clievil- le"es, leurs poutres emboit(5es a faux, lotiles les pauvretes inte'rieurcs de la construction. misere! repe'ter six fois: La princesse aime le jeune liomme, le pere s'oppose a cette union; I'Hymcn couronne leurs amours. Monsieur un tel rentre, madame une telle fait une sortie; toul se debrouillea la fln, I'inconnuesl reconnu; Ton s'embrasse, vaudeville final, la toile lombe. Conlenlons - nous d'analyser le ballel de 1'Ope'ra, auquel nous devons la pre'fe'rence par motif hierarcliique. La Chatte me'tamorphose'e en fennne n'a pas obtenu tout le succes qu'on en attendait ; la donne'e csl lire"e d'un vaudeville de M. Scribe, ou le principal role esl renipli par mademoiselle Jenny Vertpro; seu- lemenljl'aclioi) se passe en Chine, au lieu dese passer en Allrmagne, lieu nature! de toules les imaginations fantasliques el sau:;renucs. Oug-Lou, jeune lettre, aime epcrdumenl sa chatte, el vil retire dans une cabane d'assez pileuse apparence avec une vieille srrvanle : il a les femmes en horreur, il prefere sa clialle blanche. C'est un goiit comnie un autrc; ilcsldnnsla nature. La princesse de la Chine qui aime Oug-Lou (pourquoi?) imagine de faire prendre le mors aux denls (esl-ce aux dents ou a la irumpe qu'il faul dire?) a Tel^phant qu'elle monte, et s'arrange do facon ;> gtre sauve"e par Oug-Lou, qui I'emporle dans sa cabam; ct la fait revenir d'un feint vanoulssemenl. i. LART DRAMATJQUE EN FRANCE Nous en demandons bien humblemenl pardon a M. Duvcyrier; mais comment s'y prend-on pour faire qu'un e'le'pliant s'emporle h point nomine* ot pour qu'un hommeappelc Oug-Lou ct puissammenl amoureux d'une clialle se trouve sur votre passage et vous sauve? Cela nous parail difficile, meme pour la fille de 1'empereur de la Cliine, pays drolatique et bouffon , si Ton doit croire les paravcnls, les ballets et les mimodrames. La princesse Kie-Li signific a son gouverncur Kiang-sse-Long, ou Qui en sail long, chef du tribunal des malhe'maliques, qu'elle veut (Spouser Oug-Lou, et lui ordonne de faire venir Oug-Lou et Kan-Kao & la fete qui va se donncr dans le palais imperial. Avant de partir, la princesse donne sa main au bel Oug-Lou et lui tdmoigne I'inlerel le plus tendre; mais Oug-Lou, domincpar sa manic, re- lourne bientol a sa clialte (livrel textuel); la princesse s'irrite el s'lHonne; i! y a vraimenl de quoi : abandonner mademoiselle Elssler pour un affreux lapin empaillc', qui a la pretontion lout a faitde*nuee de fondemcnt de ressembler a une clialte blanche! La vieille nour- rice taclie d'ajusler Ics choses el explique a la princesse la passion exlravagante d'Oug-Lou pour sa clialte et sa non moins exlravagante horreur a 1'endroit des femmes. Kic"-Li souril el remonle dans son palanquin. Quand Oug-Lou saura qu'elle esl flllc de 1'empereur de la Cliine, il abaiidonnera sa chatteau premier malou dela goultiere. C'esl du moins I'espoir de la princesse. La scene change et represenle, dil le livrel, un immense amplii- IhcYitrc dans le palais de I'cmpereur. Nous donnons la definition du livrel faule d'autre, car nous n'avons jamais pu trouver nous-meme ce quo le thealre representail. A gauche, il y a deux grands rochers joints par un pont, et puis un soleil qui a passablemcnt I'air d'un ceuf sur le plal; ajoulez a cela 1'accompagnement oblige de bannieres floltanles el de lours de porcelaine avec des toils en parapluie. Cetle d(5coralion esl d'un ton assez brillant; mais elle a le defaut d'etre inhabitable, defaut commun a beaucoup de decorations. On execute toutcs series de danses, on promene une infinite* d'oHendards el de parasols. Oug-Lou el Kan-Kao, porlanl dans un panicr peu chinois le meme lapin blanc mediocremenl empaille donl nous avons parle plus haul, sont places a la droile du spectateur; le DKPUIS VIXCT-C1XQ AXS 55 soleil (notcz bicn ceci) continue a papilloler sur la gaucbe, et rcs- semble toujours a un oeuf sur le plat ; la princesse refuse; dcs popu- lations dc princes incongrus, que son pere veut lui faire epouser: un coup de lam-lam frapp<5 a la porlc de I'cnccinlc annonce Kiang- sse-Long, gouverneur de la princesse el chef du tribunal dcs mathematiques; if vienl dire ;i I'empereur que le soleil va elre mange* par le dragon. * C'esl I'idee malerielle que se font les Chinois d'une Eclipse, dit le livret. bienbeureux, 6 mirilique el sacro-sainl livret! II faul que la princesse Spouse Ic premier bomme qti'elle ren- conlrcra lorsque les le"nebres s'effaceronl; en effel, un pain a ca- cbeler noir commence a s'avancer sur le disque du soleil , la rampe se baisse, et il regne sur la scene ce qu'on est convenu d'appeler I'obscuril^ au UieTilre. Kiang-sse-Long, qui esl moins slupide que sa simarre rouge h ramages prodigieux el son venire de poussali pour- raienl le faire croire, conduit la princesse a cote d'Oug-Lou; le pain a cacheter disparait, el la lumiere du soleil, enlicremenl sorli de la gueule du dragon, e*claire la belle princesse Kie"-li donnanl la main au jeune e*ludianl Oug-Lou. A I'acte suivant, nous sommes dans une forel; il y a la un ours qui mel sa lele sous son bras el que nous n'avons jamais pu comprcndre, surloul en nous aidanl du livrel. Kiang-sse-Longse Irouve dans celle forel el donne a Oug-Lou un bonnel de forme bizarre donl la proprie"U$ consiste a cbanger les cbatles en femmes. Ici, une diffi- cult se presenle : si Oug-Lou aime les challes et ne pcul soufTrir les femmes, pourquoi est-il si conlenl d'avoir cc bonnel qui va faire d'un animal qu'il adore un elre qu'il execre? Mais le ballet n'y regarde pas de si pres. Ce bonnet est une invention de la princesse Kie"-Li, qui est vrai- menl benucoup Irop inventive pour une personne de son age. Oug- Lou n'a rien de plus prcssc que d'essaycr le pouvoir du bonnel sur sa challe. ]| leve le voile qui couvre le panicr qui serl de nid au lapin gris que le livrel s'obsline a dt 5 signer sous le nom de clialle blanche. surprise! il apercoil mademoiselle Klsslerarcroupio, se froltanl le museau lelong d'une deses palles. Mademoiselle Elsslcr saute horsdu panier en faisanl loulcs les cballeries imaginables; elle saule sur les meubles , jouc avec les pclotons de fll , de'croche les cages dc serins, 5(5 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE boil du lait duns une assictte, fait le gros dos, quilte son arnant pour unc sotiris qu'ellc cntend trotler derrierc unc armoirc, ct se sauvc surles toils. La princesseKie'-Li a \oulu fa ire voirau jeune etudiant quo les cliatlcs nc valenl pas inicux que les femmes, qu'elles sont encore plus insupportables, s'il est possible. La scene change et re- prc'scnte une terrasse dominant la villc do Pe'kin; les pages s'y livrent a loutes sortes de jeux. La princesse, que le jeune Oug-Lou pi-end toujours pour sa thalle nietamorphosee, se conduit on ne peul plus legeremenl avec les jeunes pages imperiaux. Oug-Lou est au de'scspoir, quand, tout a coup, le veritable lapin blanc, que la vieille Kan-Kao a vendu dans un moment de detresse, de'bouche d'unc goultiere et traverse le theatre en remnant tour a tour les deux jambes du meme cote". Tout se decouvre. Oug-Lou epousc la prin- cesse dans un palais splcndidemcnl illumine. Voila une analyse aussi consciencieuse que possible ct conscicn- cieusement cnnuyeuse. N'aurait-il pas (He plus agreable pour nous el pour nos lecleurs de parler de mademoiselle Elssler, qui a ele" aussi cliiirnianlc qu'a son ordinaire, ct qui a deploye" une vraie souplesse de cliatte dans le pasajoule a la deuxieme representation? II est im- possible de deguiser plus gracieuscment la monslrueuse nullite du canevas. 50 oclobrc. VARIETIES. Le Pere de la Debutante. Cclte semaine n'a produil qu'un vaudeville; mais il est vrai que ce vaudeville est en cinq acles; ce qui vaut bieu trois vaudevilles. Lcdil vaudeville en cinq actes esl de M. Theaulon, qui 1'avait de\ja fait lout seul, et qui vienl de le refaire en compagnie dc M. Bayard. II s'appelait aulrefois le Dene'- ftciaire. et il etail jou6 par Potier; il s'appelle maintenanl le Pere de la Debutante, et il esl joue par Vernct. Vernet done, ou, si vous aimcz raicux, M. Gaspard, est un vieux comedien de province, siflle a entrance et criblc de pommes cuites el aulres, pendant trenle-qualre ans de sa vie. II adore son arl; il ne reve que tragedies, tirades a effet, grands airs d'op6ra, et, ne pou- vanl rcussir par lui-meme, il espere parvenir au moyen de sa lillc; car il possede en propre unc perruque noire laissanl passer des die- DEPUIS VINGT-CINQ ANS 87 veux d'un blanc verdalre, un panlalon de nankin, el une fllle beau- coup trop farde"e. Un jeune cornte un de ces jeunes comtes fashionables et impossibles dont le vaudeville abuse fail la cour o la jeune fllle et lui propose de 1'emmener en Russie ou en Italic; la jeune lille refuse : elle ne veut d'engagement qu'ii Paris. Honnele jeune fille! A tout cela se trouve mele'e une prima donna de je ne sais quel theatre, du nom d'Anita, avec qui le jeune comte Ernest entrelient des relations assez inlimes, et ii qui la fille du vieux come'dien par- vient h escamotcr un role de vierge du soleil, dans la piece de M. Castor, auteur en vogue. N'oublions pas un journalisle velu a la Francois I er , avec une simarre de velours noir, un bonnet moyen age, et qui habile un logement plein de bahuts de la renaissance, de fragments du Palissy, de meubles sculpted et de toules lessomptuo- site's imaginables, a qui les aclrices viennent soubailer sa fete, des bouquets & la main,et qui, du haul de son feuilleton, semble faire la pluie el le beau lemps, comme un aulre Jupiter Tonnant. Le journa- liste nous parail avoir pris des dimensions exage're'es aux yeux dc MM. Theaulon el Bayard ; leur feuillelonisle esl invesli de droits bien seigneuriaux et bien ftfodaux. Nous ne croyons pas, pour noire part, que la profession de feuilletoniste ait d'autre privilege que de vous faire hai'r par un peu plus de monde que vous ne 1'auriez e"le" naturellement. Toutefois, nous encourageons de tout noire co2iir cette tendance respeclueuse de MM. les vaudevillislesi nous regar- der comme des elres supe*rieurs, doue"s du pouvoir de Her el de de"- lier, de cre"er el de delruire. Vernel esl adorable dans le role de Gaspard ; il esl impossible de micux dessiner une physionomie comique. Comme c'est bien le vieux come'dien de province, le comedien monomane incurable, qui ne voit rien au monde que les coulisses, qui regarde le soleil comme peu de chose a col6 d'un lustre de Ihealre, le come'dien e'reinle', use" jusqu'a la corde, plus rape" que son habit, la joue have el fle'lrie par le fan! grossicr des sallimbanques, la langue pendanle, la bouche de*meu- I)le"e, 1'oeil cnfonce, meurtri, onloure de grands cercles bruns, mais brillani encore d'unc passion flevreuse, la cravatc Iftche, le gilel en i. s. 58 LAUT DKAMAT1QUE EN FRANCE de'sarroi, la culolle riant par toutes les coulures, les souliers liranl la langue, toul le de"sordre du gc"nic, sauf le ge"nie! L'opiniatrele' et I'enthousiasmc de ce Gaspard ont fini par nous effrayer. Quelle ve'he'mence continue ! quelle passion sans repos! II vienl, il ne s'arrele pas un instant; il flalle cclui-ci, il flatle celui-Ia; il dit des mots agrt ! ables au sergenl de ville, il embrasse le pompier; on le chasse par la fenetre, il revient par la porte ; vous ne voulez pas de lui comme premier role, comme comparse, il saute dans 1'or- cliestre, toujours suivi de sa lille inevitable, et se fail timbalier ou grosse caisse. Le grand Inco-Manco-Capac eslenrbume, il propose an direcleur sa fllle pour le remplacer;la prima donna refuse dejouer dans la piece, sa lille sail le role. Des qu'une breche s'ouvre quelque part, ciihomme se pre'senle avcc sa lille pour la bouclier. Jls savent lout faire : ils sont chanleurs, trage"diens, comediens, acrobates, funambules, lout ce que vous voudrez. Ils vous demandent qualre mil le francs, ils desccndent a quatre cents francs, a nioins encore, a ricn, pourvu qu'ils jouent, pourvu que mademoiselle Marie de"bute sur un Ihe'atrede Paris. C'esl un acharnement, un emportement donl on n'a pas d'ide"e et qui, a la longue, prend une couleur sinistre et tragique. La vocation sans talent, cliose plus commune qu'on ne le pense, I'amour insense pour une muse qui ne vous le rend pas, la medio- crite" tenace et persistante, s'accrocbant, avec ses pinces de crabe, a la moindre saillie et s'y cramponnanl en de'sespe'ree ; quoi de plus Iriste, de plus humain et de plus symbolique ! Talma eul echoue" vingl fois, la ou Gaspard a reussi. Toul cela n'empeche pas le vaudeville de MM. Thdaulon el Bayard d'etre bouffon el amusanl. Une cbose nous parait surlout louable dans ce vaudeville, c'est qu'il est complelement denue" de prcHentions, c'esl-a-dire qu'il est franchemenl de'cousu, sans nceud, sans intrigue, sans style, sans conduite; un veritable vaudeville, une succession de scenes qui vous passenl devanl les yeux on ne sail trop pourquoi, el qui vous font rire ; quelque cliose de debrailie" et de vulgaire donl I'acteur fail lout le me'rile; un canevas suflisant pour y broder des jeux de mols el des calembours. Le vaudeville bien [ait, le vaudeville qui veul arriver a la comedie DEPU1S V1NGT-C1NQ ANS 59 >i la plus insupportable mixture que Ton puisse imaginer. Mainle- nant, tous les vaudevilles soul bien fails. Corriges paries plaisan- U-ries incessantes des feuillelons, les faiseurs de vaudevilles se sent nioins abandonne's a leur facilite nalurelle; les oncles d'Amerique et les coquins de neveux out comple'leinenl disparu; Ton a cesse" de chanter le couplet : DM haul des cieux, ta dcmeurc dernierc, Mon colonel, tu dois dire content .'... Les colonels du Gymnast- n'osent plus se reproduire, nic'nie au Gymnase; les grognards ventrus et les offlciers en relraile, si avan- tageusementrepresente's par Gonlier el Ferville, sont lout a fait hors d'usage; on ne se hasarderait pas a donner un pendant au clebre inorceau d'ensemble qu'oua clianlesi longlemps : LB GROGHARD. Je reconnais cc mil it a' re ! CHOECR. II reconnaltcc militaire ! II. GROGNARD. Je 1'ai vu sur le champ d'honneur ! CHOECR. II Pa vusur le champ d'honneur!... LE (. KIM. \ vim. Un scnlimeiil involoutaire 1'res dc lui fait hatlre mou coeur ' CHOGCR. Pres de lui fait ballre son c;ur ! Le vaudeville acluel esl sobre, conlrainlel retcnu; il crainl d'etre stupide ou absurde; il lache de juslifler les enlre'es cl les sorties do ses personnages ; il Iravaille ses couplets, rime de trois letlres, el fait si bien, qu'il arrive ii n'elrc qu'iJiie comedic manquee, la pirc 60 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE chose qui soil au nionde! Dans le plus petil acte joue, soil au Vau- deville, soitau Gymnase,on voit 1'inlcnlion de parvenir a la Come'die- Francaise el, de la, au fautcuil academique. Les palmes vertes de M. Scribe cmpeclienl de dormir son anne'e de collaboraleurs. Le role de critique est assez difficile avec celle maniere de faire les pieces. On ne saurait leur reprocherautre clioscque d'etre pro- digieusemenl ennuyeuses et plus soporifiques que les pavots de Morphe'e lui-meme. Comment cribler dts dards aigus de la moqueric ce brouillard grisalre et impalpable? a quoi s'accrocher, oil se pren- dre, pour 1'eloge ou pour le blame? Cela ne manque pas d'une certaine adresse d'agencemenl; cela est e"crit a peu pres en francais, et n'est guere en arriere que d'un an ou deux sur les plaisanleries des pelils journaux. II est malaise d'appeler quelqu'un imbecile pour avoir commis une de ces choses sans nom ; il scrait encore plus dif- ficile de 1'appelcr grand homme, ou seulemenl homme d'esprit. NOVEMBRE 1857. Opera-Comique : Pii/uillo, paroles dc MM. Alex. Dumas et Gerard de iVerval, musiquc de M. Hipp. Monpou. .Mademoi- selle Jenny Colon. Cliollct. Gymnase : le lieve d'un Savant, pro- blemede MM. Bayard etde Bieville. Lc Balthazar Claesde M. de Bal/ae. Palais-Royal : Ma Maison du Pecq. Les eliemins de fer pris comnie moyen drunialiquc. Porte-Saint-Marlin : le Huron dc Monlrcvel. M. Victor Hugo conlre la Comedie-Francaise. Opera: le f)icu ct la liayadirc. Mademoiselle Louise Fitzjames. Porte-Saint-Marlin : Mademoiselle Georges duns la Scmiramis de Vollaire. 6 novcmbre. . Piquillo. Enfin, voila une piece qui ne ivs- scrnble pas aux autres et qui ne tienl en rien fi ce vaudeville e'lerncl qui nous poursnil de theatre en theatre; au milieu de ce fouillis inex- tricable de chardons aux dards ace' re's, d'orlics au duvet brulanl. de DEPUIS VINGT-C1NQ ANS 61 folle avuine et dc plaiiles sleriles qui croissent cnlre les planches poussie'rcuses de la scene, sous les pales rayons du lustre, nous avons e"le tout heureux de voir s'e'panouir une belle fleur de fantaisle, avcc une lige colcle'e d'argenl, des feuillcs bizarremenldenlele'es, de ce vert glauque el prasin, vert ide*al et fabuleux, ou I'oiilremer do- inine etque les peinlres appellcnt verl Veronese, une fleur au calice evase", zebre'e et tigrec derayurcs flambanlcs, une fleur moilie papil- lon, moilic oiseau, d'oii s'e"lanccnl, en guise de pistils, des aigrettes de paon, des barbes de he>on, el des vrilles de flligrane d'or. Don Mendoce a pouss6 un coup d'epee, une botle d'un gout supe- rieur, a travcrs le pourpoinl de salin d'un cortejo, don Fabrice d'Oli- varez, lils du niinistre : le lout parce que le susdit bidalgo donnail des aubades sous le balcon de sa so3ur, dona Leonor. Don Fabrice risque d'aller porter aux rives de I'Ache'ron le dernier e*chanlillon des modes de Madrid, el son vieux pere, qui n'a pas la faluite de eroire qu'il pourrail se fa ire un herilier, el que de"sespere I'idee dc voir son grand noni s'eleindrc, met a prix la tele du meurlrier. Don Mendoce, prevenu a lumps, se sauve avec dona Leonor, qu'il fail passer pour sa fenime, cl se cache dans une petite maison isolee au milieu des bois, non loin de Seville, si noire memoire geograpliique est exacle, cliose peu imporlanlc en fail d'opera-comique cl d'imbro- glio espagnol. Sous le nom de don Dicgue, don Mendoce vil la, dans ce nid, ca- che sous les feuilles comme un ermile, comme un sage, evilanl lous les regards; mais, si delouniti que soil le bois, si separee que soil la maisonnette, les yeux de dona Leonor, comme deux lumieres pro- pices qui guident dans I'ombre le voyageur vers le bul desire, foul fillrer leurs rayons a iravcrs les porlcs closes au verrou et les fene- Ires calfeulre'es. Un porleur de guilare, le sombrero sur les yeux, le manleau couieur do muraille sur I'ejiaule, rode a pas de loup sous le balcon inaccessible de la belle Leonor. Malheureusemenl pour ['incognito qu'il desirait garder, de jeunes cavaliers en parlie de chasse onl fait halle devanl la maison memo, en fcstoyanl les bouleilles el les paltis de vi-naison, sous I'abri d'une lenle dont les coins soul attache's aux branches si'culaires des arbres dc la forel. 62 L ART DRAMAT1QUR EN FRANCR Sylvia dame do tout point charmante, qui sera, si vous voulez, uneciintatrice d'un grand theatre de Madrid, ou une veuve de quel- (|iie gouverneur niorla propos dans les Indesou aillcurs mele les roulades perlees de son clianl de rossignol aux refrains un peu avines des jeunes seigneurs; elle declare, en versd'une preciosite adorable, qu'elle n'esl pas PlicKbc, la deesse voile'e, qui punit Action d'avoir surpris, sous la transparence de 1'eau, le mystere de sa beaute vir- ginale ; elle ne ressemble en rien a la severe ehasseresse, donl les epaules de marbre ne recoivent d'autres baisers que ceux des bran- ches amoureuscs qui s'ecartent sur son passage; bien qu'elle soil en compagnie de chasseurs, elle n'en veul pas aux sanglicrs ecumanls, aux faons lachete's, aux biclies qui descendent boire a la source, mais bien au coeur des homnies : c'est le but dans lequel vont se planter les (leches de son carquois d'ceillades. Tout en faisant celle profes- sion de foi avec les plus delicieux ramages que Ton puisse imaginer, elle apercoit la premiere le pronicneur inconnu ; elle devine don Fabrice sous cet accoutrement : les chasseurs vont tour a tour sa- luer don Fabrice, qui, se voyant decouvert, s'execule de bonne grace. La mandoline dont il est porteur le fait convaincre du crime d'amour flagrant; il avoue sa fauteet raconteson histoire. Sylvia lui promel son aide, et le debarrasse du mari au moyen de la ruse sui- vante : Elle fait simuler aux cavaliers une attaque de voleurs sur sa personne, et appelle a grands cris au secours. Don Mendoce sort 1'epee a la main, les pretendus brigands prennent la fuile ; il ne trouve plus queSylvia,qu'il s'offred'accompagner a la ville pour la preserver conlre une seconde atlaque. Sylvia laisse ses bijoux chez don Men- doce, se menageant ainsi une seconde enlrevue avec lui; car, en aidant Fabrice, Sylvia n'a pas agi tout a fait en desinteressee : elle aime don Mendoce depuis longtemps. Par malheur, Piquillo, le plus illustre tire-laine de toutes les Es- pagnes, un drole qui rendrait des points a Figaro et a Gil Dlas, con- trarie dans ses gouts par la police de Seville, el ne pouvant plus demeurcr nulie part, perche pour le monienl sur le grand arbre qui est a la gauche du spcclaleur ; il a entendii toute la conversation ; le depot des bijoux a reveille son humour entreprenanle. Piquillo a la DEPUIS VINGT-CINQ ANS 63 plus furieuse passion pour I'orfevrerie; il aimc a la rage les colliers, les bracelets, les boucles d'oreilles ; et, comme il a la bosse de la col- lectivite", il en fait de petiles collections a son usage. II y a trois ma- nieres d'entrer dans les maisons : par la porle, cheniin du mari; par la fenelre, cheniin de I'amant; par la cheminc'e, route du ramoneur. Piquillo, lui, dedaigne ces moyens vulgaircs; il passe lout bonne- ment a travers les niurs; mais, commec'esl un voleur artiste, plein de gout eld'adresse, il soigne son Irou comme un morceau d'arclii- teclure et le decoupe en Irefle golliique, de facon a donner au moins au mailre de la maison la consolation de penser qu'il a e"l6 vole" par un liomme ingenieux, pass mailre en I'arl de la pince el du croc. Pendant que noire hoinme d'art fail tomber des briques de la mu- raille, la ronde de null vient a passer. Piquillo, qui esl done d'un aplomb rcmarquable el qui ne se deconlenance pas pour pcu de cbose, se transforme tout de suite en amant, grace a la mandoline oublie"e par Fabrice : du voleur a I'amanl, la nuance esl impercep- tible, surloul la null; aussi le bon alcade s'y Irompe-t-il, et, quand Mendoce veut rentrer chez lui, il s'efforce de le relenir pour donner a Piquillo le temps de s'e"chappcr; deux alguazils font la courte e"chelle, el Piquillo se sauve en jelanl a 1'alcade un remercimenl ironique. A peine a-l-il gagn<5 au large, que I'alcade apercoil le trou fail a la muraille, el reconnail la maniere de 1'artisle; les bijoux de Sylvia ne se relrouvent plus, et don Mendoce, de"sole de ce conlre- lemps, prend les diamants de sa soeur pour les porter a Sylvia. Au second acte, nous revoyons Piquillo cjiez Sylvia; il esl vet u avec une magnificence exage're'e; son pourpoint esl couverl de bro- deries, d'aiguilleltes, de passequilles el de noeuds de rubans; le plumes de son chapeau se lortillenl d'une maniere iriomphante; ses moustaches, goudronnees soigneusement, se conlournenl en fer de lance; sa royale est tailleedans le dernier gout, sa rapiere poignarde le del; il porle a la main une canne donl le pommeau esl fail d'un diamanl e"norme; c'esl un cavalier parfail et du meilleur air. Vous pensez bien que Piquillo ainsi harnache' ne s'appelle plus Piquillo : c'est maintenanl don Alfonso Oliferno y Fucnles y Dadajos y Riol^s, etc., etc., troisieme fils du vice-roi du Mcxique, a qui son pere a donne 1 les mines d'or de Guadalajara pour ses menus plaisirs. 64 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE Cc noble seigneur veut prcndre un pen I'air de la cour, ct, different do ses illustres ai'eux qui onl ele cherclier un tre"sor, d'Espagne on Amerique, il on vienl cherclier un d'Amerique en Espagne. Ce tresor n'esl autre que la belle Sylvia, 1'etoile de Vtfnus, la perle d'Orient, le diamanl des Espagnes, la Circe modernc, 1'cnchantcressc de Ma- drid! Mais le malencontreux don Alfonse Oliferno y Fuentes y Ba- dajos y Rioles offre a la cruelie beaute 1 , pour lui faire dtfpouiller la peau de tigresse liyrcanienne dout ses appas sont recouverls, preci- sement les memes bracelets qu'elle a laisses dans la maison de don Mendoce. Sylvia envoie secretemenl cliercher I'alcade, el fait rend re. gorge a Piquillo, qu'elle force, en outre, a dieter son signalement a I'alcade. Cetle scene est d'un excellent comique. Piquillo, qui csl mince, brun et fluet, fait ecrire : Un liomme enorme, yeux bleus et cheveux roux. L'alcade, muni de ces precieux renseignements, sc fait fort de mellrc bientot la main sur I'mtrouvable Piquillo. A pcine Piquillo esl-il sorti, qu'on entend un coup de feu : don Fabrice fait enlever dona Leonor, et c'est Piquillo qui s'esl charge de cetle belle ceuvre. Don Mendoce, qui a reconnu dans Piquillo le seigneur don Alfonse Oliferno, qu'il a vu le matin chcz Sylvia, arrive chez elle tout en desordreet lui demandc ('explication de ce qui se passe; Sylvia, qui prenait Leonor pour la femmede Mendoce, et voyail en elle une ri- vale qu'il fallait ecarter .a tout prix, loinbe aux genoux de Mendoce, avoue sa faute et lui promet que sa soeur lui sera rtndue. An troisieme acte, nous sommes chez Fabrice. Dona Leonor cst retenue captive dans une salle latenile. On n'attcnd plus que la chaise de posle et les chevaux. Piquillo, satisfait du sueces de sesdernieres expeditions, songe a se retirer des affaires en attendant Fabrice, qui va lui payer la sommc convemie. On frappc a la porte : c'est Sylvia qui demande a voir Leonor, qui la fait sorlir et s'enferme dans le cabinet a sa place. Piquillo vcut s'opposer a ce manege; mais Sylvia connail la maniere de le prcndre. Un de ses valets est alle cherclier I'alcadc; a cela, Piquillo n'a rien a objector. Fabricc revient else fait rendre comple de 1'enlevement. Piquillo, qui flairc i'aicade de loin, lire toujours du cote de la porte, ct, an moment oil il va la fran- chir, il apercoit deux familiers de la Sainle-Hermandad, automates DEPUIS VINGT-CINQ ANS 65 roides el impassibles, qui DC suvent que metlre leurs cscopedes en Iravers. L'alcade arrive bientot, suivi de ses estaflers; la medic est e'vente'e. Piquillo a un quart d'heure pour se pre"parer a elre pendu ; Fabrice a quinze minutes pour se decider a e'pouser la femme qu'il a enleve'e. Piquillo se jelle aux pieds de 1'alcade, el, desesperanl de I'allendrir, il lui coupe sa poche, lout en embrassanl ses genoux. L'alcade sort el laisse DOS deux seigneurs forl pileux ;car,au lieu de Leonor, on a trouve Sylvia dans le cabinel; ce qui n'esl pas le comple de Fabrice. I'.iiiin, loul se debrouille au moyen de la poche de 1'alcade coupe"e par Piquillo, el de laquelle on tire premieremenl une bourse assez plate, un memoire des vols dc Piquillo dans les diflerentes villes d'Espagne, des leltres de noblesse pour 1'alcade, plus la grace de don Mendoce. Piquillo se fail capucin; Fabrice espouse Leonor; Mendoce n'epouse pas Sylvia, qui esl trop veuve pour elre jamais ('pouM'e, ct la toilelombe au bruit des applaudissemenls detoule la salle. Nous avons Iach6 de suivre dans ses devours les plus fuyanls eel imbroglio complique* loul a Tail dans le gout des pieces de Calderon, dc Lope de Vega el d'Alarcon. Nous ne nous nations pas d'avoir loul dil; les (Wnemcnls sonl tenement serres, qu'une analyse exacte se- rail aussi longue que la piece elle-meme. Le slyle rappelle souvenl les allures des petiles pieces de Moliere : c'esl un slyle net, vif, coupe", prompt a la riposte, le panache au vent, Pair ma la more et loul a fail different de ia prose empale'e el filandreuse des ope>as-comiques ordinaires; les vers, Perils soigneu- semenl, la pluparl, ressemblenl aux vers libres d'Amphitryon,e"nade, il s'esl monlrl gracieux, elegant, plein de reverie et dc passion, tout en jetanl ca et la quelques intonations railleuses pour rappeler qu'il aimail mieux, apres tout, les bracelets que les bras. Le succes sera la seule chose que Piquillo n'aura pas vole*e. 20 novembre. GYMIUSE. Le Reve (fun savant. Le Gymnase, au bout de ses ressources el ne saclianl plus de quel bois faire piece, a eu celle ide'e inge'nieuse d'employcr I'algebre comme moyen dramatique; sans doule, il s'ennuyail d'entcndre tous les matheinaliciens de feuille- tons lui dcmander a propos de ses vaudevilles : Qu'est-ce que cela prouve? Alors, au lieu de litre, il lui a paru triomplianl et sans repliqued'imprimersur son afllche la formulesuivanle : a X M Z = X x. Ce qui veut dire : Elanl donne un delicicux roman de M. de Balzac, diviscur M. Bayard, mulliplicaleur M. de Bieville, on a pour resulial un vaudeville tres-mise"rable. Balthazar Claes est un de ces personnages courbes sous une ide^e dominaule, que M. de Balzac excelle a peindre. Claes cherche Vab- solu; il veut faire de I'or el decomposer 1'azole; il espere arrivcr au diamanl : voila lout le livre, rien n'esl plus admirablemenl conduit. Vous voyez d'ubord une maison flamande; cent pages de descrip- tions plus inie'ressantes que Ic drame le plus vif : M. de Balzac donne aux pierres, au bois, a loule la nature morle une vie el une expres- sion singulieres; Gerard Dow, Mclzu ou Mieris, n'atieignent pas a celle patienle perfection. Les lapis de Perse, travuilles poinl par point; les vaisselles detain, piquets de paillettes lumineuscs; la vitre blonde el rousse, oil flolle Pombre des feuilles de houblon ; les boiseries de cliene brun ; les dressoirs glace"s fa el la de hdsants su- bits ; le pol du Japon 5 grands dessins bleus, ou s'epanouissenl, C!.MIJ 68 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE lour robe de cliambre ze"bre"e de pourpre el d'or, Ics belles lulipes de Leyde et de Harlem ; le rayon furlif qui glisse sous les rideaux de damas, et trace une bande d'or sur le champ de sable de 1'obscurile" : lous ces millepetits details recueillis et mysterieux de la vie inlimu sont rendus avec une finesse de louche el une preciosity de pinccau toute hollandaisc. Quand celle maison, si propre, si bien range"e, si nette, si vernis- see, si recure'e, si pleine d'argenterie, de verres de Venise, de ta- bleaux de bons mailres, est racontee d'un bout a I'aulre, vous e"prouvez un fremissement Strange. Vous sentez qu'il y a la-dessous quelque chose de suspect et d'anormal ; en y regardant de bien pres, les figurines de bois sculple qui vous semblaient rire d'un cocur si joyeux et si franc aux chambranles des porles, aux piliers des buf- fels et sous le manteau de la chemine'e, n'ont plus qu'une grimace ironique el menacanle. Cette dame, dont vous admiriez le maintien tranquille et doux, le linge d'une blancheur flamande, la jupe etoffe'e, la carnation reposed el les belles mains a fossettes, vienl de pleurer lout a I'heure; cettegoutte d'eau avec son point brillant, son reflet, sa Iransparence cl son ombre portee, pareille aux perles qui roulent sur les lleurs vcloulees des lableaux de Van Huysum,cen'esl pas une goulle de pluie ou de rosee secoue"e par le venl, d'une branche d'arbre du jardin ou de lavigne vierge dela fenetre; c'est une larme, vous dis-je, une larme amere et corrosive, qui brulera comme 1'eau-forte la joue qn'elle sillonne. He"las! loule la vie d'une femme est dans celle larme. Madame Claes vienl de s'apercevoir qu'elle n'est plus la premiere pense'e de son mari. Elle vienl de lomber a la seconde place, chule plus pro- fonde que celle des anges en enfer. Sur celte seule larme, peinic avec un soin curieux el Iravaille'e comme un bijou d'orfevrerie, on seni quo celle femme esl perdue; le lecleur.le moins clairvoyant devine qu'elle n'a plus qu'a mourir; dans ce point de lumierc metallique pose"e sur cette perle iremblanle avec le plus fin poil d'un pinccau de marlre, ily a plus d'agonie que dans les sepl glaives flamboyants qui traversent le flanc de la Mere de douleurs. On y li.l en loulcs lellres : Irreparable! Bientol Claes arrive, il fail Irois pas : vous le savcz loul cniier; DEPUIS VIXGT-C1NQ ANS 69 ses picds Iraineut pesamment sur Ics dalles marquetees du corridor; au son de cc pas, vous comprencz que toule la vie de eel nommc s'cst retire'e au cerveau, et qu'il est un ivrogne de science, qui boil a pleines coupes le vin dangereux des recherches occulles. Sous ces paupieres alourdies el rclaches, s"cintille un regard a la fois lernc el vivace, aveugle pour le re'el, clairvoyanl pour l'ide"al. A celle de"- marche chancelanle,a ce regard verligineux, Ton voil que la pense"e lulle dans eel homme avec la monomanie el qu'il marche sur la crele I'lroite qui se'parele ge"nie de la folio. De quel cole* tombera-l-il? Peu a peu, les drcssoirs se ddgarnisscnl de leur belle vaisselle armorie'e; les buffets sculple"s de Verbruggensuivenl bientotla vais- selle ; les lulipes disparaissenl avec Icurs pols de celadon craquele", les Jordaens, les Olto Venius, lus Quenlin Melsys vonl relrouvcr les lulipes. Cependanl un fllel de fumde continue loujoursa s'e"lever en spirale de la cheminde presque calcinc'e ; une lueur rouge tremble nuil et jour a la lucarne du grenier. Chios Iravaille avec soft valel Leroul- quinicr, a qui il a inspire* son fanalisme; car toule passion violentc est conlagieuse. La misere entre a pas de souris dans eel inle'rieur si moelleuse menl assoupi el d'un Ion si harmonieux. Claes vend ses lerres, ses maisonsdecampagne, pourachelerducharbon; son fourneaude"vore toul : les forels s'envolenl en fume, les fermes loinbenl en cendre, Tinsaliable fourneau dcmandc toujours. Claes lui jelle cinq ou six fortunes; que lui importe! Demain,il fera del'or; dcmain, il fera du diamanl ; il a presque Irouve" la poudre de projection. Par pitic", un boisseau de cliarbon a ce grand homme, il no lui font plus que cela pour cuire a poiril sa mixture ; regardez la belle couleur qu'elle a dans I'alambic, comme cc pre'cipite' est d'un beau rouge; ni Paracelse, ni Raymond Lulle, ne sonl arrives a ce degre" ! Mais le feu refroidit, la liqueur se fige en brouillard conlre le verre de la cornue. U mon Dieu! plus de charbon, plus de bois, pas un seul meuble a jeter dans ce feu qui s'e'leinl; 6 mon travail dc dix ans perdu! 6 mo es- pe'ntnce a jainais e'vanouie! C'est ici que le livre de M. de Balzac s'e'K-vea une hauteur de pas- sion admirable; pour avoir de I'argenl, le vieux Claes devient ruse I. 6. 70 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE com me un loup-cervier, comme un enfant, comme une vieille chatto, comme un come'dien de province; il est souple, dissimule", bon- homme, palli(Hique, niais, lendre, cruel, denature : il parcourt toute la gamme des passions humaines. Sa femme meurt, il y prend a peinc garde ! il 1'aurait jelee dans son fourneau, celte femme autrc- fois adordc, et, a coup sur, il regrelte le bois perdu a lui faire un ccr- cueil. Maiiitenant, c'estsa fille qu'il taehe de depouiller; il 1'entoure de sos replis ecailleux, il la circonvient, il flaire son argent comme un corbeau sa proie, il so trainc a ses genoux, il baigne ses pieds de larmes, il lui parle de ses cheveux blancs comme Robert Macaire, le vieux sceleral de savant qu'il csl ; il dil qu'il va se tuer el il setuera peut-etre. Donne-moi ces cinquante mille francs, ma fille, je te rendrai des tonneaux de diamants. On ne peut s'imaginer loutes les coquettcrics, loutes les cliattcries de ce vieux drolc pour soulirera celle pauvre lille le reste de sa fortune; jamais courtisane n'a obse'de plus e'troitemcnt un vieillard a qui elle veut faire dieter un testament en sa favour; il pleure comme une byene, il rit comme un crocodile, il a toujoursvinglgriffeselenduesen avant comme un sphynx.pretes a saisiret a empocher le moindre <5cu qui se monlre a I'horizon. La fortune de sa fille hue, il mange les dpargnes de son valet Lemulqui- nier ;ilvoleraitsurla grande route, ilassassinerait, il prostituerait son enfant vicrge pour enlretenir le feu sous son alambic : il est arrive a I'cgoi'smc ft s roce du savant, qui ne voil que son idee au monde. Apres plusiours alternatives de richesse et de misere, Claes,epuise de relte dobauclio de science, tombe malade et meurt. Dans Pagonie, la tnie qui couvrait los yeux dc son esprit se de*lache, un rayon su- preme traverse celte intelligence pres de s'eteindre, il trouve la formule si vainemcnt et si laborieusemcnl chercbee! Eureka ! eu- reka!" s'ecrie-l-il comme Arcbimede, avecun cridejoie surliumain, melange d'une amertume incxprimahle; puis un dernier spasme (i'iigonie 1'agilc sous les couverlures froissees de son lit, ct son secret est a jamais perdu. a X M Z = X x. Nous doulons que le Gymnase fasse de Tor avec celle formule ; UEPU1S V1NGT-CINQ 'ANS 71 MM. Bayard cl tic Uie'viile n'onl pas recueilli le dernier mol du vieux Claes. Ne pas fa ire d'argent avec l.ouITo est un probleme aussi difllcile que de faire de I'oravec du plumb; le Gymnase 1'u viclorieuseinent resolu. Ce theatre esl mainlenanl 1'endroil le plus desert dcParis; I'herbe pousse dans les couloirs, Ics cryptogames ouvrent ieur parasol ve'ne'neux dans 1'liumide solitude des loges, le lierre grimpe aux colonnes d'avant-scene, les hiboux el les griffons y liabileronl bienlol comme dans les ruines dc Baby lone. On parle de composer une I'lore parliculiere desplanles qui pous- sent au Gymnase,pour faire pendant a la Flore de la place Vendomc, qui compte irois cent soixante et dix especes. PORTE-SAINT-MARTIN. Le Baron de Montrevel. Le Ihe'alre de la Porle-Saint-Martin se livre immode're'ment a la verlu et a la simplicity depuis les drames a trois queues de M. de Rougemont. La critique s'cst (ant plaint des tueries de la Tour de Nesle et du poison de Lucrece Borgia, on a lant crie" centre I'horreur et 1'effroi tra- gique, que Ton en est revenu aux innocences les plus pastorales. II n'y a plus une sculc goulle de sang verse dans les me'lodrames; les morts iir soul qu'endormis, les em poison nes se trouvenl if avoir bu que de la limonade ou du sirop pectoral; au lieu de se tuera la fin, Ton s'e"pouse, Ton a beaucoup d'enfanls. Ce syslenie dramatique se rapproche beaucoup de celui des ro- nians d'Anne lladclifle, oil Ton linii par decouvrir, apres les plus suffocantcs lerreurs, que Ic spectre nYiaii qu'un torchon sur un balai el ou lout s'explique au moyen de trappes et de ficelles plus ou moins compliquees. Le Baron de Montrevel esl construil de celle maniere; it com- mence par la Sainl-Bartlielemy , avec force coups d'escopelle , clameurs el hurlements, pour aboulir a un mariage ou a une ITCOII- ciliation. C'clait bien la peine de faire tanl de bruil! II ne faul pas nous dissimulcr que, si nous en sommesdeja a I'liivcr relalivemcnt a la lemperalure, la qualilc des pieces que donnenl les Ihe'alrcs nous mainltenl toujours en plcin cte*. Aucun succes ne s'est encore bien dessine dans les theatres de vaudeville. 72 LART DRAMATIQUE EN FRANCE A quo! faut-il altribuer ce symplome? La concurrence cles con- certs nuit-ellc d6cide"ment aux theatres ? Nous pensons que ceia peut bien y etre pour quelque chose ; la masse flollanle du public se compose de de'sceuvre's, de provinciaux, d'hommes aimables qui onl des dames a dislraire, et beaucoup de ces personnes trouvcnl commode de passer une soiree entiere, e'claire'es, chauffe'es el RE- GARD^ES, pour la bagatelle de 1 franc. Mais il faut aussi tcnir comptc de 1'epuisement des sujets dramaliques. Voila dix ans que le vaude- ville vit sur le theatre etranger ancien et moderne. On ne saurait croire jusqu'a quelles sources remontent ces investigations sa- vanles. Une grande partie du theatre grec y a passe"; les theatres espagnol, anglais et allemand ont fourni la moilie", pour le moins, de nos comedies melees de couplets. Les romans et conies de tous les lemps ont donne" lieu a presque tout le reste; de sorle qu'il dc- vait naturellement arriver, apres tant de fe'condlle', une e"poque non moins steJ'ile que les sept anne"es maigres de 1'figypte. Nous entrons dans celte periode facheuse ou nos vaudevillistes seronl obliges d'avoir recours enfin a leur imagination. Le grand e've'nement dramalique de la semaine est le proces de M. Victor Hugo, contre la Comedie-Francaise, qui doit se de"nouer aujourd'hui. L'issuen'en parait pasdouteuse, et nous nous rejouis- sons a I'idee de voir enfln au The'alre-Francais aulre chose que des come'dies sans couplets fabrique'es par des vaudevillistes a la retraite. II est tres-curieux que Viclor Hugo, le plus grand poe'le de France, soil oblige de se fairc jouer par aulorit6 de justice comnie M. La- verpilliere, auteur des Deux Mahometans. Heureuscmcnl, M. Viclor Hugo aura pour lui, en premier et en dernier ressort, tous les juges, le tribunal et le public, 27 novcmbre. OrjiRA. Le Dieu et la Bayadere. Certainement, on ne pouvait avoir une idtfe plus malheureuse que de faire remplir le role de la bayadere par mademoiselle Louise Fit/James! II est lotijours d<5sagreable pour nous d'altaquer une femine a cause de ses defecluosiles physiques, et nous sommes afllige de dire des verilcs maussades a mademoiselle Filzjames. Nous savons OEI'UIS VIXGT-C1NQ ANS 73 qu'il ne depend pas d'ellc d'etre plus grasse; cependaiil 1'aspecl de celte misere de formes est tout a fait pe'nible. II ne Taut pas oublier que la premiere condition qu'on doive exigerd'une danseuse, c'est la beaule; clle n'a aucuue excuse de ne pas elre belle, el Ton peut lui rcprocher sa laideur, comme on reprocherait a une actrice sa maiivaisc prononciation. La danse n'est autre chose que I'arl de monlrer des formes elegantes el cor- rectes dans diverses positions favorables au developpemenl des lignes; il faut ne'cessairement, quand on se fait danseuse, avoir un corps sinon parfait, tout au moins gracieux. Mademoiselle Louise Filzjames n'a pas de corps; elle ne serait memo pas assez substan- tielle dans 1'emploi d'ombre ; clle est diapbane comme une corne de lanterne, el laisse parfailemenl transparaitre les figurants qui se tre"moussent derri&re elle. La danse est essentiellement paienne, materialiste et sensuelle; les bras de mademoiselle Louise Filz- james sont, en verite", Irop spirilualisles, el ses jambes sonl eslh&- tiques; elle est maigre comme un lexard, comme un ver sole, plus maigre que la fameuse mademoiselle Guimard, qui vivail cependant sur une bonne feuille, la feuille des benefices de M. de Jarente; a sa place, nous essayerions pendant six mois du kai'ffa d'Orient, du sagou analeptique et du racahoul des Arabes. La seule raison que nous puissions Irouver a cctte distribution de role, c'csl que Lafont etanl un dieu forl lourd , pour ne pas rcndre son vol impossible quand il remonle au ciel d'lndra, Ton a juge a propos de lui adjoindre une danseuse imponderable. Les bayaderes sont divides dans ce ballet-opera en bayaderes chanleuses el bayaderes danseuses. Ces deux divisions en renfermenl deux autres : les bayaderes couleur de cbair et les bayaderes cafe" au lait. Ces dernieres (6 de"saslreux sacrifice a la couleur locale!) out aux bras des bas de filoselle el aux mains des gants de sole ou dc coton d'une teinte inqualiflable. Leur figure est nlgligcmmenl bar- bouillee d'ocre ou de jus de re"glisse, ce qui les fail plulot ressembler a des ramoneurs qu'a ces voluplueuses enchanleresses dorees avec un rayon de soleil, qui fonl sonner les clochetlcs d'argenl deleurs bracelets devanl la porle des chauderics et sur les marches des pagodcs. II nous scmble qu'il serail facile de composer une tcinture 74 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE d'un blond asscz cliaud pour rendre celle belle nuance d'ambre jaune des leints oricntaux, ou Ics ycux s'epanouissent comme des fleurs noires; on cviterail ainsi cetle affrcuse teinte cliocolat ct ces has dc filoselle, inadmissibles meme aux yeux les plus myopes; ou Men il faudrait admellre loul honncmenl que Ics negresses soul blanches. Pour notre part, nous nous preterions volontiers a celle convention : les peaux rouges des Mohicans el les peaux jauues de la Bayadere nous ont degoiild de la couleur. PORTE-SAINT-MARTIN. Mademoiselle Georges dans Se'niiramis. C'etail unegrande curiosittf lilte'raire que de voir une piece aussi comple'tement oublie"c que la Se'miramis, une de ces pieces que I'on n'a jamais lues el pour lesquelles on nourril un sentiment vague d'admiration iradilionnelle, dont on ne cherche pas a se rendre compte. Se'niiramis a el composee par Voltaire a son retour d'Angle- lerre; c'est Hamlet m^diocrement babylonise : lout esl imile, jusqu'a 1'ombre si vaporeusemenl bleuatre du pere d'Hamlet; mais, au lieu de la pale et melancolique figure d'Ophelia, avec sa couronne de folle avoine et de brins de paille, nous avons Azema, singulier nom pour une princesse assyrienne! Se'miramis est un melodrame rime plulot qu'une lrage"die; les moyens sont grossiers et niala- droits. M. Guilbert de Pixcre"court revcndiquerail I'apparilion de 1'ombre et le meurlredans le tombeau. II y a loin de la aux douces larmes et aux soupirs poeHiques de Racine, ou a I'liorreur sombre elsolennelledes anciens tragiques grecs. Les acteurs, desliabilues de ce style et de celtc maniere, ont pre- senle un spectacle assez diverlissanl : les uns jouaient d'apres les regies el iradilions anciennes; los aulres comme dans un drame de M. Anicel Bourgeois ou de M. Francis Cornu. Mademoiselle Noblet if avail pas meme juge" a propos de quiller le coslume moyen age : elle avail une couronne de comlesse el un corsage a poinle comme Valentine de Milan ; les aulres etaicnl habilles avec des rideaux donl Ics anncauxcl les tringleselaient ii peine retire's. Mademoiselle Georges seule faisail exceplion a ce laisser aller general. Son coslume, d'une grande magnificence et d'un beau caractere anliquo, rchaussail incrvcilleusemcnl sa preslance royale. DEPU1S VINGT-C1NQ ANS 75 Un diadi-me side-nil, a poinles aigues, elincdant de pierreries, d'un slylcasiiiliqueet babylonien, tenant le milieu entre I'aure'ole de la d^esse et la couronne de la rcine, pressait sous un cercle d'or ses clievcux noirs, tout eloil^s dc diamanls comme les cheveux de la Nuil. Un grand raanteau imperial, vert prasin et seme" de palmes d'or, tombait de ses blanches epaules en plis ahondauls et riches, snr des tuniques blanches forodees ct drapees dans le grand gout. Mademoiselle Georges, aiiN arranged, remplissail admirablemeni I'idee que Ton sc fail de Se"miramis, la reine colossale d'un monde demesure ; Se'miramis, dont la main puissanle soulenait en I'air Ics jardins suspendus, I'une des sept merveilles dc I'univers antique, et qui, du haul de son trone, commandail a un cercle de demi-dieux el a des nations de rois. VI DECEMBRE 1837. Porte-Saint-Martin : reprise de Lucrece Borgia. Mademoiselle Georges. La queue dn diable. Opera-Comique : If Domino noir, paroles de M. Scribe, musiquc de M. Auber. Madame Damoreau. Italiens : Lucia di Lammermoor, libretto du signer Comma- rano,musique de Donizetti. Debut demadame Persian! dans cet opera. L'exe'culion et la mise en scene. Les decora! ions du cdlebre Ferri. i decembre. PORTE-SAINT-MARTIN. Lucrtce Borgia. Cette reprise avail attire beaucoup de monde; a 1'aflluence des spectateurs, on culdit une premiere representation. La recelle s'est e"levee h quatre mille francs : eloge posilif et malhe'malique. Quoi qu'on disc, les oauvres des poeles ont aulant d'action sur le public que les charpentes des faiseurs; les vrais succes d'argent sont encore les succes lille'raircs; I'inleret de curiosite" amorti, il reste Pintc'ret de style et de derail, au- quel la foule esl plus sensible qu'on ne le croil et qu'elle ne le croil elle-meme. 76 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE Nous ne saurions dire le plaisir que cette representation nous a cause". Apres tant de fatras, lant.d'ineplies, de faules de franc.ais, de couplets de vaudeville, voir celte grande et noble passion, ces belles phrases aux plis riches et soulenus comme ceux d'une eHoffe de bro- cart, qui montenleldescendent d'unpas si ferme et si vif les degrtfs de marbre de leurs pc'riodcs, cettc intrigue simple el forte qui se noue sur la terrassc d'un palais v5nitien, dans une joyeuse fete, pour flnir par ce funebre souper de Ferrare, plus sinislre et d'une plus haute terreur que le repas des Atrides : une pareille joie nous ost raremenldonne'e. La scene qui lermine le premier acte esl une des plus belles qui soient au theatre. Tous ces beaux jeunes seigneurs, ruisselants de soie et de dorures, se changeant lout a coup en autanl de spectres accusateurs, qui marclienl le doigl en avanl vers la pale viclime, ren- verse"e et ployee a terre, commc les Furies qui poursuivaienl Oresle, le parricide et rinceslueux : voila un eflel digne de la trage'die anti- que el de la plus haute poesie ; les faiseurs, avec toute leur habilete, ne Irouvenl poinl de ces clioses-la. Mademoiselle Georges a joue" Lucrece en actrice consomme'e : clle a dil la scene conjugale du second acte avec toule la finesse d'inlen- tion de mademoiselle Mars. Le charmant sourire, la voix veloule'e, argentine, le regard moelleux el provoquant, rien n'y manquait; Ton aurait dit que mademoiselle Georges n'avait fail aulre chose toule sa vie que de jouer Ce'limene el Sylvia. Mais, a la moindre resistance d'Alphonse d'Esle, on enlendait rugir des lonnerres eloufles sous les langoureuscs roulades, el I'on voyait la blanche main abandonne'e frissonner el se crisper comme pour saisir le manche d'un poignard. II est impossible de inieux rendrecelle admirable situation. Le fameux hcin? du dernier acte, a e"l pouss avec un ralement guttural toul a fail leonin, a faire Irembler les plus intrepides. La crilique s'esl beaucoup acliarnee sur les cercueils, la croix noire, les moines voile's et toul 1'allirail fanlasmalique du de"noumenl; nous ne sommes pas de I'avis de la crilique. L'allenlion haletante et le saisissemenl du public prouvenl que I'effet de lerreur a ole ita- liennequi pretend succe'der ;'i Rossini. Sa reputation esl grande par dela les monts, c'esl le maestro en vogue; ses operas tonlfanatisme a Naples. Donizetti nie'rite celte faveur: il a une excessive facility, dc la sensibilite, du palhe"tique; ses cantilenes sonl heureuses, il excelle a grouper les voix; son instrumentation est vigoureuse et savante, sans exage>ation ni pe"dantisme ; son style se fait remarquer par 1'abondanccet la limpidite" : Anna Bolena esl un des operas lesplus remarquables qui se soienl fails depuis Rossini; le The'alre-ltalien a done bien merite du public en montanl celle nouvelle piece. Voici a peu pres la fable imagines par le seigneur Commarano : Lord Aslbon a une soeur, Lucia di Lammermoor, qui esl aimee d'Edgard de Ravenswood, I'ennerai de la famille. Le sir de Ravens- wood erre comme une ombre sous les arbres du pare autour du cha- teau d'Henri Aslhon, cherclianl un instant favorable pour parler ^ sa bien-aime'e. Astbon, qui n'est pas a beaucoup pres aussi cre"dulcque les chorisles, ne doute pas que \efantdme ne soil Edgard de Ravens- wood ; il fait une querelle horrible J sa sceur, el veul lui fairee"pouser lord Arturo, repre'senl(5 par Zamboni, qui a bien le nez le moins e"pousable qu'on puisse voir. La petite n'e'coute pas les menaces de son grand frere, etva dans le parcau rendez-vous d'Edgard; la, ils chantenl des cavalines, e"cbangenl des anneaux, el se flancent ji la face du ciel. A I'autre acle, Lucia, Irompe'e par une fausse lettre, consent a SO L ART DHAMATIQUH KN FRANCE (ipouser le deplorable ncz d'Arturo ; mais, an moment ou le central se signc, Edgard so prtfscnte, accable Lucia de sa colere, et lui re- proclie d' avoir troinpe le del dim homme. Lucia s'evanouil, Kdgard soii au milieu du tumullc general. Lucia devient folle et lu son mail, el le sire de Havenswood se poignarde en entendant sonner les fune'railles de Lucia. Nous omettons la scene oblige'c de de"fi enlre Arluro et Edgard , le frere el I'amant. Tamburini a chante avec so perfection ordinaire; cependant les roles bouffes, ou de mezzo carattere, vonl mieux a son talent ; Tamburini a la mine e'minemment peu dramaliquc. Rubini, dans la grande scene du second aclc, s'cst eleve' jusqu'au tragique, et s'esl monlrc aussi grand acteur que clianteur accompli. Madame Persian! cst petite ; elle a des yeux bleus dont lecristallin est tres-blanc el Ires-large, des clieveux chalain clairchauffes sour- demenl de Ions fauves, le fronl liaul ct le nez un peu long; ses bras sontassezjolis etsalournure ne manque pas de grace; elle esl sinon belle, du moins Ires-convenable. Quanl a sa voix, elle a une etcn- due, une douceur el une vibration surprenantes ; c'est une des plus merveilleuses qu'il ail 6te donne aux dilettanti d'enlendre; elle va sans effort jusqu'au re el au fa aigus. La melliode de madame Per- sian! esl sure, large, irrcprochable. C'esl la meme perfection dc dd- tail, le meme fini de florilure quc madame Damoreau, a cetle diffe- rence pres quc madame Damoreau n'a a gouverner qu'une voix assez faiblc, et que madame Persian! maitrise el dirige avec une admirable facility un organe d'unc puissance extraordinaire. Nous croyons madame Persian! appelee a s'asseoir tres-procliaincment sur le I rone d'or des Grisi, des Sonlag el des Malibran. Nous ne finirons pas sans nous occuper de la mise en sc6ne, lou- jours si ctrange aux Halicns. Rien n'est plus burlesque que ('accou- trement des choristes. L'action se jiasse en Ecosse; I'Ecosse, le pays des plaids, des tartans et des >ol 6u de cette piece, consiste dans la phrase suivante, quo prononce lo principal person- nage en levant les youx el. les bras au del : DEPU1S V1XGT-C1NQ ANS 89 Les parents ne compmidronl-ils juinais le danger qu'il y a a confler Education dc leurs fillcs a un maitre jcunc encore?... Celte id(5e de MM. Paul Duport el Arsene Deed a (He" dejd expri- me"e etde'veloppe'eparun nomine" Jean-Jacques Rousseau. La nouvelle Novvelle HeMse, dont le Gymnase vient d'occupcr ses rares speclateurs, a ete" plus coupable que I'ancienne : ellc a cede" compltHemenl h I'ainour d'un Saint-Freux reprosenle" par Saint- 1 Aubin, el que la piece ne nous pre'senle que viiigl ans apri-s son inde"licatesse, c'est-a-dire age d'une cinquiinlaine d'annees, bouffl, plisse", venlru, passe" a I'ctat de grand parent el orne d'un remords plus ou inoins palhtHique, qui fait allernativcment le sujet de sa con- versation et de son silence. L'aclion s'egaye ou plutot se complique au moyen d'un lyce"en espiegle, represent*} par mademoiselle Eugenie Sauvage, en redin- gole bleue (que d'aclrices auraienl tenu a jouer en habil!). Le lyce"en, qui s'appelle Justin, a surpris un mystere dans la maison : Quel est done ce mystere ? Une vieille servante passe avecun panier. Quel mystere esl de"ja conlenu dans ce panier?C'eslun pain de carton, un poulet de bois et une grosse bouteille au cachel rouge, que la vieille confesse elre du bordeaux. Elle porle ce panier dans un pavilion du jardin. Quel aulre myslere conlient ce pavilion? Ce n'est rien de moins qu'une jolie fille, nomm5e Ce'cile, qui full d'in- jusles parents. Un jeune homme aux cheveux inculles qui a le malueur d'etre reprdsenle par M. Cacliardy, joinl a ce desagre"menl pbysjque Ic chagrin de ne point connaitrc son pere. C'est lui qui cache la jeune fille dans le pavilion, et la nourrit solidement, comme on a pu voir. Maintenant, voici le Lovelace e'merile, 1'ancien Sainl-Preux, qui fait son entre"e a la maniere de Falkland. Falkland n'avail eteint qu'une vie d'homme; mais lui a brise tin honneur de femmc. Professeur d'une jeune fille, il a abuse" de sa confiance : c'esl ce qu'il avoue a Guslave, en lui conseillant de se livrer b 1'dtiit eccle'siasti- que, afin d'^chapper au danger d'en faire autant. Lc jeune homme Idmoigne peu de vocalion pour cette carriere, el son proleclcur ne tarde pas, grace au lyc5en, a decouvrir le myslere du pavilion, llen- reuscmcnt, la jeune Ce'cile possede dt-s papiers qui t'-claircissenl la 90 LART DRAMATJQUE EN FRANCE position de tous les personuages ; la lecture en etanl faite, 1'un d'eux s'ecrie : Quoi ! vous etes mon perc? i'autrc rcpond : Me le pardonnes-tu, mon flls? Guslave epouse alors Cecilc sans difli- culte, et il faut esperer qu'ils auronl bcaucoup d'enfanls. Mais un vertucux pere est un bien precicux Qu'on ne tient qn'une fois de In bonle dos cieux ! 22 Janvier. TniUTRE-FRANgAis. Reprise tfllernani. C'est samedi der- nier qu'a eu lieu la reprise A' Hernani, par autorite de justice. Avrai dire, la physionomie de la salle n'avait rien de tres-judiciaire, et 1'on ne se serait guere doute" qu'une si nombrcuse affluence de spectateurs se portal a une pieccjoueede force; beaucoup d'ouvrages repre'sente's libremenl sontloin d'atlirer une telle foule, memedans toute la fraicheur de-leur nouveaute". Outre sa valeur poe"lique, Hernani est un curieux monument d'histoire litte'raire. Jamais oeuvre dramatique n'a souleve" une plus vive rumeur, jamais on n'a faitaulant de bruit autour d'une piece. llernani etait le champ de bataille ou se colletaient et lultaient, avec un acharnement sans pareil et toute I'ardeur passionne"e des haines litteraires, les champions romantiques et les athletes classiques; chaque vers ^lait pris et repris d'assaut : un soir, les romanliques perdaienl une tirade; le lendemain, Us la regagnaient, et les classi- ale. Perez entre liumanl fair, furelanl dans les coins et flai- ranl le Franeais comme un ogre qui sent la chair fraiche. Le trouble mill clissiimiie de sa lillo lui donne des soupcons ; cependant, comme loul pere, lout mari complaisant qui vcut laisser aller le drame jus- qu'au cinquieme acte, il ne s'apercoil de rien. La boile de Jolibois el Jolibois lui-meme lui paraissenl ires-suspects, el il force le faux colporleur a de"guerpir promplemenl; mais I'eleve de Sainl-Cyr II'H pas cu le lemps de remonler dans la machine, cl Jolibois irouve sa boite dlsaslreusemcnt Iiere inlidele el quelques mots echappes a Parisina dans le trouble (Tun reve sur la couche de son e"poux soupconneux, les deux amants sont entralnes devanl un conseil compost des familiers du due. Ugo est condamne a mort; Parisina finira ses jours dans un convent. L'amour palernel combat chez Azzo le ressentimenl de I'epoux; mais, apres plusieurs alternatives d'attendrissement ct de colere, la fureur jalouse 1'emporte : la tele d'Ugo roule aux pieds dc Parisina, qui devient folle etdisparait sans qu'on ait jamais pu savoir ce qu'elle e'tait devenue. Azzo termine sa vie dans une noire tristesse, et, depuis ce jour-la, comme le roi de Thule, on ne le vit jamais sourire. Assuremenl, Parisina conlient tous les elements d'une veritable trage"die : intdret profond, passions combattues, fatal enivremenl de I'amour, beauie*, poesie, jeunesse, tout ce qui peut pallier un adul- fere complique" d'inceste; mais peul-etre la musique esl-elle moins propre que la poesie a rendre ces remords, ces elans compriiues, toule cotte grande passion inavoue'e el contenue, et ce sujet est-il moins favorable au compositeur qu'il ne le parait d'abord. Parisina esl la partition favorite de Donizetti, il la preferede beau- coup a SPS aine'es; cette complaisance palernelle ne nous parait pas fondee, Parisina est loin d'etre superieure a la Lucia di Lammer- moor ni a ['Anna Bolena ; peut-etre le charmc poetique de la piece enlre-t-il pour quelque chose dans cette preference, a I'insu memo de I'auteur. Mademoiselle Grisi a chante admirablemenlel joue" en tragedienne consommee; il faut voir quels beaux soupirs dramaliques soulevent ce scin de marbre qu'on croirait sculpte" par Cleomene, quelles no- bles el pudiques rotigeurs passent sur ce fronl d'une purele tout a fail grecque, el quels cris d'indignation superbe jaillisscnt de ces I6vres divinement modelees! Mademoiselle Grisi esl merveilleuse- ment belle! ses ^paules, son cou el ses bras peuvenl le disputer de perfection aux statues antiques les plus renomme'es. Le paros n'a pas plus de finesse et de fermele", ni une blancheur plus mate el plus blonde. Assuremenl, la couronnc irail bien sur ces bandoaux de clie- veux noirs el sur ce fronl d'ambre pale, et, si les graces seules don- naienl le sceplre, il y a longtemps quo mademoiselle Grisi scrail DEPUIS VINGT-CINQ ANS 113 souverainc. Mais on n'a pus, en France, la religion de la beanie, on se taisse prendre a des affeteries ct a des genlillesses; on aban- donne la ligne simple ct magistrate pour le contour capricirux el lourmcnte", ct, cependant, la beaute est sainte puisqu'elle vient de Dieu, ct que pcrsonnc ne peul I'acheter ui la donner; la beaule, coiniiic le bonhcur, cst une chose surhumaine, digne de tous nos respects el de loule noire admiration. Apres Malibran, Grisi. La reino est morle; vive la reine! Elle ne chante peut-etre pas aussi bien, inais die a les plus beaux yeux bleus du monde, un profit de Niobe" el des mains d'une purete" el d'unc transparence royales; cela com- pense, et au deld, une ou deux notes de moins. Tamburini, qui remplissail le role d'Azzo, a exprime" avec une grande puissance les passions farouches el I'bumeur jalouse du vin- dicatif mari ; centre son ordinaire, il etait costume 1 d'une maniere convcnable. Pour Rubini, il e'tailde'guise' en Espagnol,en moyen age pcndule de la fanm In plus grolesquc du monde. Dans un theatre moins poli et moins bien e'leve' que le The'alre-Ilalien, on poursui- vrait Rubini de clamcurs malhonnetes ; et, meme au Thi-aire-I (alien, il a fullu lout le respect et toutc {'admiration que Ton porlea son divin talent, pour comprimer une envie de rire assez caracte'rise'e. Que Rubini consulle dore'navanl quelque artiste de gout, ou change de costumier. Les decorations du signer Ferri, quoiqne Ires-magnifiques pour le Thealre-ltalien, out cependant des fraternite's un peu trop sensiblcs avcc les papiers pcints des salles ;i manger, ou Ton voit le couron- nement des Incas et la procession des vierges du soleil; mais, au moins, elles ne sont pas ge'ographiees de laches d'huile et repous- sanlcs a voir. 12 mars. OPERA. Guido et Ginevra, ou la Pesle de Florence. II est bien certain maintenant que I'opera de M. Hale"vy exisle : a 1'heure ou nous ^crivons ceci, il en est de"ja a sa Iroisieme repre"sentalion. Du rcste, nous n'avons rien perdu pour altendre : Guido el Ginevra (lilre deflnilif)a parfailemenl reussi; c'dlail justice. Le livrol est naturellement de M. Scribe, le fournisseur bre- 414 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE vete de toute espece de denree dramatique. Celte fois-ci, il a clioisi un sujet poetique el renfermant des situations vraiment musi- cales. La fable, qui a des rapports avec Romeo et Juliette de Shakspeare, est liree d'une nouvelle italienne bien connue; scule- ment, M. Scribe, pour motiver le luxe de costumes et de decorations exige par un grand opera, a fait de Ginevra la fille de Come de Medi- cis; nous ne le chicanerons pas la-dessus, et nous n'irons pas com- pulser les chroniques florentines, pour savoir si le Come de I'opera est Come I er ou Come II, el si la peste qui sert a delayer le drame de quelques personnages embarrassants est la grande ou la petite peste, peu importe : le livret est bien coupe, quoiqu'il eul gagne" a n'avoir quequatreactes ou meme trois, nombre essentiellemenl thealral,car il contient 1'ex position, le nceud et le denoument; c'est la seule coupe ralionnelle, et, sur cinq actes, il y en a toujours deux qui ne renfer- ment quedes longueurs ou des preparations fastidieuses; le second acte et le cinquieme sont presque toujours malheureux, le second n'elant que la repetition du premier, et le cinquieme que la queue du qualrieme. M. Halevy en est venu au point ou Ton peut parler d'un artiste avec loute sincerite sans crainte de le decourager par le blame, ou de lui tourner la lete par les eioges. C'est un talent tout a fait mur et arrive a son apogee; sa reputation est faite, sa place est prise a la tete de I'ecole franchise : il n'a plus qu'a la bien garden. Une imagi- nation brillante, une science profonde, une connaissance parfaite des ressources de Torcliestre, un tact exquis dans le cboix des instru- ments, 1'horreur du commun, la flnesse et la distinction de ses me- lodies : voila les eminentes qualites que nous avions deja signalees dans la Juive, el qu'on retrouve, quoique a un moindre degre, dans ce nouvel ouvrage. La romance de Duprez Helas ! elle a fui commc une ombre, En me disant .- Je reviendrai ! est une des plus ravissantes melodies que M. Halevy ait jamais pro- duiles. Au reste, cetle romance csl 1'idee mere de la partition, ct, dans le cours dc 1'ouvragc. M. Haievy a su la ramener souvent avec DEPUIS YINGT-CINQ ANS 115 bonhcur. Ecrite dans ie ton inelancolique par excellence, elle esl suave, douce et naive, et Duprez la clianie avec un charme inexpri- inalile. Toules les formules de louanges out etc e'puise'es sur ce grand artiste, et pourtanl il ne s'e*tail pas encore e"leve" a un si haul degre* conime chanleur et comme comexlien. Dans son grand air du troi- sieme acle, il reunit tout : style, conduite, expression, poi-sie. Le morceau, il Taut Ie dire aussi, est admirablemenl adapte a ses moyens, et, si nous en exceptons 1'air de Guillaume Tell, Duprez n'avail rien rencontre d'aussi bien fait pour ses brillantes qualites. Les decorations ne sont pas aussi belles qu'elles pourraienl I'elre; ['absence des qualre peintres, Feucheres, Se"chan, Die'lerle et Des- ple'chin, se fait tristement senlir. II y a loin de ces de"cors a ceux de Stradella. Les caveaux devraient elre plus sourds etplus e'touffe's de ton : la donne"e r-iait originate, mais on n'en a pas bien lire parti; il aurait fallu la un de ces cauchemars archilecturaux, comme Piranese en realise dans ses fie'vreuses eaux-forles, un dedale de rampes, d'arcades, de colonnes, de clefs de voutes, de poulres enchevelre'es, une construction effrayante et noire, propre aux actions Granges, un parti pris violent de lumiere et d'ombre, seul moyen de produire 1'effet et 1'illusion. La place de Florence pre*senle une silhouette con- fuse; la lueur de la lune est moins bleue que cela, elle est plus gris de perle, plus violette; et la neige n'a jamais e"te de celle couleur, memo en temps de peste. II cut mieux valu copier tout bonnement la place de Florence. Le petit salon de 1'orgie, qui est fort grand, esl d'un assez bon style, mais il est d'un ton trop clair. Quant a la de- coration du (.'iiKjuiriuci acte, il nous a i-it: impossible d'y rien com- prendre : c'est un mc"langede brindilles devigne, d'arbresde'chiquetc's a jour, et de constructions re*liculaires, ou 1'on ne peut se recon- naitre; la vue des Apennins est dure et ne fuit pas. Les costumes sont beaux, pleins de caractere et d'exactitude; ils sont, pour la plu- part, copies sur des fresques florenlines et pisancs. 19 mars. GYMNASB. L 'Interdiction . Nous avons joui d'un spectacle bien rare au Gymnase, celui d'une salle pleine. C'est Bocage qui avail fait cela: Bocage 1'ele'ganl et me'lancolique acteur, I'Hamlet en frac, Ie 416 LAUT DHAMATIQUE EN FRANCE reveur ardent ct sombre, qui semble avoir 616 fait expres pour 1'ecole moderne, le Didier de Marion Delorme, I'Antony de Ma- dame d'Hervey, le Buridan de la Tour de Nesle. line cliose nous inquietait beaucoup, c'etait de savoir si Bocage chanlerait des cou- plets de facture; Bocage n'a pas chanle; c'est donimage. La piece intitulee {'Interdiction est de M. Emile Souvestre; M. Emile Sou- vestre fait du draine simple el vcrtucux a la maniere de M. Balissan de Rougemont; I'aclion, selon la poelique du genre, y est tres-faible- ment denouee par une providence en culotte de sole, en perruque a boudins, en souliers a boucles d'or; le procureur ho uncle et le notaire patriarcal remplacent, dans le drame Kougenionl, le Dens ex maclund. Dans {'Interdiction, c'est Ferville qui joue le role de la providence. II est probable que {'Interdiction a du etre refusee d'abord a la Porte-Saint-Martin. A quelques poutres dramatiques que M. Souveslre a oublie de relirer, on reconnait la carcasse d'une plus grande cbarpente dramatique. Est-il fort necessaire de fa ire une analyse detaillee de cctte piece? La seule ligure qui se dessine neltement dans notre memoire, c'est Bocage, vieux prisonnier a barbe blanche, echappe de la Bastille avec 1'echelle de Latude, et que I'aspecl de la nature e'loime ct ravit : le bleu du ciel, la couleur du feuillage, le vol des papillons, Tarome des fleurs le jelicnt en des ravisscments ineffables. Bocage a exprime ce sentiment de la maniere la plus poetique. II etait parfailemenl grime" ; c'elait bien le leint plomb6 et maladif, la paleur humide d'un prison- nier que le soluil n'a pas louche depuis quinze ans de ses levres d'or, le front depouille" et poli, la barbe longue ct negligee, la poilrine affaissee, les bras lombanls, les pas incertains, les mains lalonnanles coinme d'un homme habitue a marcher dans I'obscurile. II s'est mon- lr5 aussi comedien consomme dans la scene de la folie, et, tout le long de son role, il a ele d'une sdnilit6 admirable; il a loujours eu soixanle ans, cliose difficile pour un acteur ardent et jeune comme Bocage. Son succes a ete complet. Ce draine ramenera-t-il la foule au Gymnase? C'est une question assez difficile a resoudrc. iN'ous verrons bien. VARIETKS. Midi a qualorze heures. Midi a qnalorze hcures est le noiu d'une charmantc nouvellc de M. Alphonse Karr, dont on UEI'UIS V1NGT-CINQ ANS 117 a en I'url ilc faire un assez pituyable vaudeville. A propos du cela, n'esl-il pas tout a Tail malhonnele el de"sagreable , d'exposer un brave et spirilucl garcon a etre sillle en efllgie?Ce doit elre une sensation singuliere que de voir des personnagcs de votre inven- tion, des scenes Irouvc'cs et combines par vous, agir, se derouler devanl vos yeux sans que vous y soyez pour rien; vous prenez mal- gre" vous une part des silflets qui ne s'adressent qu'a 1'auteur du vau- deville, et vous devez reconnaitre en vous-meme que, de'cide'ment, vous n'avez point le g<5nie dramatique ! 21 mars. LA MORALE ET LES vAOEViLLEs. Nous avons eu occasion de"ja de nous attaquer au vaudeville pre'leutieux, au vaudeville bien fait, au vaudeville bonne come'die, a loute cette litle'ralure secondaire qui veut etre autre chose qu'amusante, a ces divertissements qui veulenl etre des lecons, a ces romans qui veulenl etre des gpopees, a ces couplets qui veulent etre des strophes d'odes, a ces parades qui sont stfrieuses tanl qu'elles pcuvent, et prelendenl viser ainsi au suffrage des gens sense's et scrupuleux. C'est un travers non moins funeste a la vraie morale qu'a la vraie el folle gaiete. La devise que Sanleuil composa pour Arlequin, le fameux castigat ridendo mores, a perdu pour loujours Arlequin. Du jour ou on lui a dil qu'il corrigeail les mocurs en riant, il a eu la prevention de les corriger sans rire. Le vaudeville aura le meme sort. Le vaudeville, ne malin, mourra slupide, si 1'on n'y prend garde; el ce n'esl la peine d'y prcndre garde, en verite. Rien n'est amusant comme 1'aplomb qu'ont certains auteurs de facelies a se poser en maitres d'e'cole ouen predicaleurs. Ne dirail- on pns que le bon gout, la morale, le bon sens, onl bcsoin de tels dt5fenseurs, et qu'il faul i la sagesse moderne, comme a cellc clonl parle Rabelais, un cortege dansanl de gens ivres el masques? N'y a-l-il pas la, au contraire, un ridicule qui rcjaillil sur les choses les plus vraies el les plus sainlcs ? Qu'une haute question morale, polilique ou litte*raire surgisse lout a coup, el voila le vaudeville qui accourl faisanl grand bruit, non de grelots, mais dc noix vidcs, scion la mclapkorc laline; i. in. LART DRAMATIQUE EN FRANCE parlez-lui de gloire el de patrie, voila son slyle qui s'eleve, et comine a I'homme de Terence, rien ne lui cst Granger : II reconnaitcc mililaire, II 1'a vu sur le champ d'honneur !... Le vaudevillisle a servi, voyez-vous ! Et, s'il le fallait, pour la France II reparlirait a rinslant... Un vieux soldat sail souffrir ct se taire Sans murmurer (bis). Car la Pologne (bis) cst ennemie d'la Russie !... Des novateurs litteraires viennent-ils insuller a la gloire de nos ecrivains classiques, soyez tranquilles, grands homines, le vaudeville va vous defendre : Les pieces de Moliere Ca fait toujours plaisir! Ca fait, ca fait toujours plaisir !... Au Pantheon ! Au Pantheon! Le grand Corneilleau Pantheon !... Admiraleurs du genie etranger, Ne craignez pas d'insulter nos grands hommes, Momus saura les proteger ! Qui ne se souvient encore de la croisade entreprise conlre les drames immoraux des Francis et de la Porte-Sainl-Martin, paries aulcurs de Fr&illon, AeSous clef, de la Marchandede gonjons, de la Chevaliere d'on, etc. ! Rien n'etait plus ddifianl. On sail que ce sont les vaudevilles des freres Cogniard qui ont surtout moralise la classe ouvriere, el soulenu les caisses d'epargnes. Aujourd'luii, il s'agil d'cmpecher les fortunes d'allcr se perdre dans le goufl're de^ speculations; il s'agil de proteger I'lionneur el le bonheur des fa- milies; il s'agil d'empeclier Paris de s'eiigloulir comine Gomorrhi 1 UEl'UIS V1NGT-C1NQ ANS 119 dans un lac de bilume. Rnssurons-nous, le vaudeville est la; le vaudeville etend le bras; il dit a celte mer d'asphalte : Tu n'iras pas plus loin ! Les speculations de ces derniers temps prdsenlaient sans doule de fort bons sujets de vaudeville dc circonstance ; mais il ne faul pas que le vaudevilliste s'exagere sa mission el se pose en caie*chumene. Ces reflexions nous son I sugge're'es par la Bourse el M. Gogo, donnas, I'une au Vaudeville, I'autre aux Varie'le's. Il y a dans ces deux pieces une exuberance de morale et de sen- timents verlueux assez de'place'e en vaudevilles; la verlu n'a pas besoin d'etre venge"e par des flonflons, et, quand elle veut parler sur la scene, elle ne prcnd pas la trompelte fek ; e du paillasse de la foire, mais la bouche du masque antique, ce porle-voix de bronze qui brise la phrase qu'on y souffle, en vers sonores et puissants. La pense"e morale, realised ainsi noblement, s'appelle alors le Misan- thrope, les Femmes savantes, le Tartufe, le Philinte. Mais les mailres de la scene n'oscraient moraliser en prose, tanl ils craignenl de rendre les hautes maximes triviales et banales, en employant un langage commun a tous. L'auteur de Turcaret, lui-meme, en e"cri- vant la satire la plus violente qui existe, contre le vice, I'avidite", la rapine, la speculation, n'a vise qu'5 la gaiete et a la verite'du tableau, et laisse le spectateur en lirer lui-meme la moralite" et I'aflabulalion. Rien n'esl plus Iriste aujourd'hui que d'entendre un acteur bouflbn debiter se"rieusement de haules maximes sociales, ou chanter la morale sur 1'air Muse des bois, ou Ten souviens-tn? 120 L ART DKAMATIQUE EN FRANCE X AVRIL 1858. Thealre-Francais : r/ttlente, par madame tic Senanl. Un nouvel cmploi draniatique. Varieles : Madame Pinclion, vaude- ville de M. Diimanoir. Vernct. Madame Jenny Vertpre. Bubino : Itestons dans nos foyers. Discours d'un monsieur cu habit noir. Gucl-apens tendu au critique. Lamentations sur I'indigencc drama- tique. Le theatre el le pot-au-feu. Les actrices marines. Plus de poesic. Complicity des autcurs. 9 avril. THEATRE-FRANCAIS. UAttente. L'Atlente est tine petite piece qui n'a pas re"pondu a I'atlente du public ni probablement a celle de I'auteur, ou del'auleure, pour nous servir de la lerniinologie feminine de madame Madeleine Poulret de Mauchamps, redacteure en che//e de la Gazelle des Femmes, car la piece csl d'une dame. On ne peut pas dire que ce soil une eomedie, car il n'y a pas le plus petit mot pour rire, ni un drame, car il n'y a pas I'ombre d'ac- tion; ce n'est pas meme une conversation, c'est une eli'gie; une ro- mance donl le refrain pourrait elre : 11 ne vientpas, il reviendra. Betourne et Crevel de Charlemagne, ces heros du genre, n'eussenl assuremcnt pas mieux fait. Tout le long de ce petit acte, une ccrlaine demoiselle nomine Clary dc Linard attend son Leoncc. Le Le'once de mademoiselle Clary est un jeune homme obscur, sans nom, sans fortune, sans famille, ainsi qu'on doit 1'etre pour plaire a une jeune personne de roman ou de comedie. La famille de mademoiselle Clary veul lui faire epouscr un M. The'odore de Saint-Martin, parti fort sortable; tout ce que la pauvre Clary a puobtenir, c'cst un delai de troisans pendanl Icquel M. Leonce a carte blanche pour devenir millionnairo. Or, comme mil if est prophete en son pays, M. Leonce est alleau I'erou ou dans les hides orientalcs, aux sources niemes dc la richesse, pour puiscr ii pleincs mains dans les mines d'oi el de diamanl. DEPU1S V1NGT-C1NQ ANS 121 Comme dans la ballade populaire, la Triniti se passe, Malbrouck 'ne revient pas. Clary monte a sa tour si haul qu'elle pout monlcr; mais elle nc voit rien venir. Clary pleure, sanglole, s'assoil dans des coins, la tele penchge, et recite plus ou nioins d'elegies; la maman, qui est pour les ide'es positives, s'efforce de persuader a Clary que son Le'once ne reviendra pas el qu'il esl marie" : esl-il raisonnable de supposer qu'un jeune lionimc aura resiste" si longlemps aux cliarmes provocateurs des bibiaderi el des belles brahmines? Le dernier jour du de"lai fixe va bienlol finir, el, si M. Le"once n'est pas revenu, mademoiselle Clary de Linard doil e'pouser son cousin, M. The'odore de Sainl-Marlin ; mais voici qu'un domestique inconnu apporle une boite de palissandre. Qui peut envoyer des boites de pa- lissandre a mademoiselle Clary? Son cousin The'odore. Le cousin protesle de son innocence ; plus de doute, c'esl de la part de Le'once. Personne n'ose ouvrir la boite, qui a Unite I'apparence d'un joujou a surprise : s'il allail en sorlir un diable noir avec une languc de drap e"carlale! Une jeune fllle, amie de Clary, se devoue, el la fatale boite estouverte. Elle renferme un bouquet, une couronne de fleur d'oranger, un voile blanc el aulres brimborions nupliaux; Clary s'en revet a la bale, ce qui produit, du reste, un effel passablemenl gro- tesque sur sa robe de pou-de-soie rose; mais celle joie esl de courle duree : la boite a devance Le'once; un journal annonce la pcrle du brick rEsperance, que monlail le jeune liomme ! Apres la lecture d'un fail divers aussi de"sastreux, mademoiselle Clary ne trouve rien de mieux que de devenir folle. Pendant qu'elle se livre a des gestes exlravaganls avec paroles assorties, les porles s'ouvrenl brusquemenl, un jeune bomme parail : c'est le Le'once tanl allendu ! Clary lombe dans ses bras; Le'once embrasse tres-vivemenl mademoiselle Plessis sur ses belles epaules nues, et la toile tombe. Le role de M. Le'once, qui ne dit pas un sent mot et n'a fait qu'em- brasser mademoiselle Plessis, nous parail le plus agitable de la piece. L'acteurqui repre"senlail Le'once a mis beaucoup de conscience etde verite dans son jeu; settlement, il a mordu au cou mademoiselle Plessis, qui a pousse un petil cri d'effroi. Voila un nou vel emploi Ihealral : on Aimjcune embrasseur coinnie on Ail jeune premier. 122 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE Toutes ces belles clioses out etc eonvenablemenl sifflees; el, si Samson n'avail pas change la phrase sacramenlelle : La piece que nous venons d' 'avoir Vhonneur de repre'senter devant vous, elc., en Madame de Senant est Uauteur de la piece que, elc. (diplomatic fort habile), il n'aurail pas pu nommer I'auteur pseudonyme ou veri- lable. VARIETES. Madame Pinchon. II y a une nouvelle decoration dans cette piece; une nouvelle decoration dans un theatre de vau- deville est une chose assez rare pour qu'on la signale. Olle-ci n'est pas Irop raauvaise; elle repre"senle une cuisine de ferme d'une facon pittoresque el vraie; la petite branche devigne qui entre familiere- ment par le carreau casse" est d'une poesie assez cuampelre; mais ne nous arretons pas plus longtemps au fond sur lequel se detachent les figures, et venons aux personnages memes : Madame Pinchon est une petite fernme, a I'oeil mnlin, au pied lesle el a la main plus leste encore, qui porte les culoltes, el mene son benel de mari par le bout du nez. M. Pinchon n'existe que pour la forme, et toul le monde, dans la maison, le regarde comme un ze"ro en chiffres; si par hasard, il ordonne quelque chose, les valels se lournenl vers mada:ne Pinchon el disenl : Que decide madame Pin- chon? Tanl el si bien, que le nom de M. Pinchon esl devenu syno- nyme de jobard, el n'est presque jamais separe" de cornichon, sa rime naturelle; cependanl madame Pinchon a envie d'etre maire (ce n'est pas une faule d'orthographe), el, dans ce maudit pays de France, les femmes ne sont pas maircs. M. Pinchon peutseul lui donner ce con- tenlemenl, en se faisant e"lire par les paysans de I'endroit ; mais M. Pinchon est toul a fail deconsidere, el sa presentation seule excite dans le busting campaguard un rire universel, homdrique, olympion. Un ouvrier, ami sincere de Pinchon el amoureux de sa jolie niece Perine, representee par la charmante mademoiselleOlivier,decouvrc a madame Pinchon la cause de ce refus; madame Pinchon, frappe"e du tori cause a son mari par ses manieres despotiques, eprouve un de ces revirements soudains qne Ton ne voil guere qu'au theatre: elle devient en quelqucs minules la plus douce, la plus re'signee, la plus obdissanle des femmes, el, par des gradations habilemenl me'nagees, elle mene Pinchon a des altitudes plus viriles. Le bonhomme sort de DEPU1S V1NGT-CINQ ANS 123 son hcbelemenl servile avec un air de stupefaction el de joie craiolive admirablement rendu par Vernet, cc come"dien si nature! el si parfait, que nous preTe'rons de beaucoup a Bouffe" ; il disthbue des coups de pied el des soufflets, fait la grosse voix, propose des duels aux amants de sa fenime et Tail le matamore d'autorilc* maritale. Les paysans, e'bahis de voir qu'un si fler luron se cachail sous les apparences pla- cides de Pinchon le debonnaire et le faine'anl, n'ont rien de plus presse que dc le nommer main 1 . Madame Pinchon est salisfaile. L'ouvrter vertueux e"pouse la genlille Ferine, el le goguenard direc- teur des posies qui jouail des tours a Pinchon, lui faisait porter des paves et courlisail sa femme, se retire avec trois pieds de nez. Ge vaudeville n'est pas plus mauvais qu'un aulre, quoiqu'il ait etc plus sidle 1 qu'un autre. Vernet represente Ires-bien Pinchon. Made- moiselle Jenny Vertpre" esl toujours la meme petile personne aigre- lelle, saulillanle el pince'e, que Ton admirail il y a quelque vingl ans. Kile n'a point change*, a ce que discnt les ancicns du feullleton, qui onl pu la voir dans ses beaux jours. "VAUDEVILLE. La Fille majeure. Athe"naTs, comme le he'ros de la Fable, apres avoir de'daigne le goujon ct le frelin, se Irouverail Ires-heureuse de souper d'une grenouille ou d'un vermisseau. En (Tallin's termes, Athe'nais a lanl refuse de partis, qu'elle esl devenue fllle majeure; fllle majeure! terrible mot. On la Irouve vieille, on nc veul plusd'elle; les e"pouseurss'enfuienl; pasle moindre petil mari ; mais vieille fllle fail jeune femme. Athe'nais sera done femme en ap- parence, du moins, en attendant mieux; elle prend pour mari fictif un sien oncle. L'oncle Boisjolin se prele a ce manage : le couple parl aux eaux. La fausse madame Boisjolin de coqueler, dc faire I'oeilel de provoquer les amoureux : elle en allume deux, 1'un jeune, 1'autre d'un age raisonnable; quand ils sont e'chaufTc's 5 un point convenable, elle declare la ve'rite' au jeune Octave, qui ne refuse pas de l'e"pouser, bien qu'elle soil majeure el demoiselle. Mais Octave esl aime" 5perdu- mi'iit d'une jeune personne, el la fausse madame Boisjolin, qui ne de- sirc apres lout qu'un mari, ne voulanl pas briser le cosur de 1'amanle delaisse'e, e"pouse M. Verdelet, I'homme mur, et rclourne triompha- lemenl Verdun femme el non plus fille majeure. Mademoiselle Brohan a e'u ; ^lincelanted'espril dans le role difflcile 124 I, ART DRAMATIQUE EN FRANCE d'AlMnai's. G'est une des plus fines cl des plus mordanles actrices que nous ayons. II est dommage qu'elle nous donne si rarement 1'oc- casion de I'applaudir. 23 avril. BOEING. Restons dans nos foyers. Samedi dernier, plusieurs de nos amis nous demanderent des stalles ct des loges pour une piece de nous inlilulee : hestons dans nos foyers, qui se jouait pour la premiere fois , devinez ou , grand Dieu ! Au the'atre du Panlhe'on? au theatre de la Porle-Saint-Anloine? chez madarne Saqui? Mieux que cela : au theatre forain du Luxembourg... a Bobino, puisqu'il faut 1'appeler par son nom ! Fort surpris d'avoir commis une O3uvre thealrale sans nous en apercevoir, nous courumes droit au premier mur el nous vimes une triomphante afliche jaune de plusieurs toises de haul, sur laquelle il y avail, en effel : RESTONS DANS NOS FOYERS, par M. Theophile Gaulier. Nous (Haul transported Bobino, nous avalames preparatoiremenl un dra me en cinq actes en prose, du nom de Caligula, qui n'avait rien de particulier, sinon que I'acleur charge du role de jeune premier ne pouvait prononcer le mot Caligula el Irepignail de colere chaque fois que ce nom malencontreux se represenlail. Caligula poignarde, la toile se releva et laissa voir un monsieur loul de noir habille, avec des inlenlions de jabot et de cravate, qui s'avanca pres de la rampe et dil d'une voix creuse : Nous sommes a la cour d'assises; apres quoi, il se mil a de"clamer, en gesliculant de la maniere la plus furibonde, des vcrs centre la manie que les femmes onl aujourd'hui d'assisler aux scenes de la cour d'assises. Celle production ne fut pas bien accueillie des dames de 1'endroit, et la pluie de trognons de pomrne devint si intense, que le malavise" de'cla- mateur fut oblige d'adresser au public on jupons celle allocution in- genieuse el louchanle : Mesdames, celte piece de poesie n'cst pas dirigde contrc les DEPU1S V1NGT-C1NQ ANS 125 femmes; ellc ne regarde que celles qui fre"quentent la cour d'assises, et vont voir guilloliner. Je ne pense pas qu'il y en a ici. Cetle harangue, bien que Ires-iuge'nieuse, n'eut pas le moindre succes. Alors le de'clamateur, ahuri, proposa la seconde piece, c'est-a-dire Restons dans nos foyers, et, sans allendre Pavis du parterre, qui demandail a grands cris le Postilion de ma'me Ablou, il commence ainsi : Italic, Italic! Si riche et si doree, oh ! comme ils font salic ! Ir- picds dcs nations ont !'<> u IT- tcs chemins, Lcur contact a lime Ics vicux angles remains. Lespelits lords By... Id, les sifllets devinrent siaigus, que le de"clamaleur pirouella sur ses talons et s'enfuit derriere la coulisse pour se meltre a I'abri des projectiles. Nous avons done eu hier la satisfaction d'etre sidle" subitement lout vif, sans avoir rien fait pour cela ; nous avons etc" plus egaye" qu'au- cun vaudevilliste ne le fut de m6moire de critique; car nous devons I'avouer, ces qualre vers ont e"te commis par nous dans une piece intitule'e, non pas Restons dans nos foyers, ma is la Chanson de Mignon, qui se trouve imprime'e a la suite de la Comedie de la Mort. Notre d6but au theatre n'est pas dcs plus brillants et a de quoi con- soler Ics auteurs dramatiques nos victimes habituelles. Aucun d'eux n'a jamais excite" tin si violent bacchanal pour quatre lignes quel- conques. 30 avril. INDIGENCE DRAMATIQUE. L'embarras du critique augmente tous les jours ; le meme vaudeville se joue perpe"tuellement partoul sous des noms a peine diffe"rents, et les acteurs, faisant, comroe nous 1'avons dej'ii dit, tous leurs efforts pour conserver leur individualite propre au lieu de representer le personnage donl ils sont charge's, le theatre devient d'une monotonie desespOante; on se lasse bienlol 126 L'ART DRAMATIQUE EN TRANCE de voir M.lel ou lei avec ses habitudes el ses lies, qu'il conserve pre"- cieusement, sa moustache el ses favoris, que rien au monde ne sau- rail le decider a sacrifier. Depuis bien longlemps, helas! Part el la poe'sie onl disparu du Ihe'alre; le theatre, ce charmant refuge de la fanlaisie, peuple" par line nation a parl avec des mceurs exceptionnelles, especc de bohe*- miens de I'arl campant an milieu de la civilisation, dans des forets de toile, des places publiques el des palais de carlon peinl, avec le lustre pour soleil, n'esl plus aujourd'hui qu'une enlreprise indus- trielle, comme une fabrique de sucre de belleraves ou une socie'te' pour le bilume (fonds social : un million). Les acleurs ne sonl plus excommunie's;on Jes enterre comme les plus ordinairesdes hommes; ils sonl ciloyens, gardes nalionaux, peres de famille, ils placenl des renles sur le grand-livre; quelques-uns meme onl la croix, comme M. Simon, premier diable vert a I'Opera ; ils feraieril, au besoin, de recommandables epiciers, ct la pluparl, pour occuper leur journee, onl par la ville quelque commerce supplemenlaire; les uns sont Iraileurs, les aulres marchands de nouveaute's, ceux-ci quincail- Hers, etc.; industries bonorables, sans doute, mais qui n'ont rien de tragique ni de comique. Les comediennes se sonl adonnees a la vertu; occupation tout ii fait digne d'elogcs; elles se marienl exlrememenl, el se montrenl fortse'veres sur 1'arlicle des moeurs : en sortanl d'une scene pallie"- lique, la grande coquette domic le sein, dans la coulisse, a son nou- veau-ne, que lui lend sa femme de cliambre ; beaucoup de ccs dames ne veulenl plus jouer de roles d'amoureuses qu'avec leur marl, et le public s'en apercoil de resle au laisscr aller de leur jeu lout a fail conjugal; nous ne doutons pas qifelles ne soient excellenles mdna- gcres : nous croyons me me qu'elles fonl lr6s-bien les reprises et raccommodenl les hauls-de-chausses d'une facon supe'rieure ; elles ne salenl pas irop le pot-au-feu et ne laissenl pas bruler le rol; mais nous aimerions mieux qu'elles eussenl dc I'espril, de la verve, de la folie,dc la petulance dans leur jeu : loutes ces qualiles domestiques, forl bonnes pour des bourgeoises, ne valenl rien pour des come- diennes. L'economie esl une belle chose; mais il esl on ne pent plus enmiycux de miconlrer dans la rue la blanche vision de la veille DEPL'IS V1XGT-CIXQ AXS 427 avec des socques-paracrottes, un cliapeau doutcuxel un parapluie suspect. On connail les Irois toilettes de mademoiselle Mante de la Come'die-Francaise : la toilette bleue, la toilette rose et la toilette blanche ; on pourrait citer beaucoup de robes aussi connues au the'a- tre. Quelle difference de celle pauvrete" a la magnificence que lesco- me'diennes de"ployaienl autrefois dans leurs costumes! Cette e"cono- mie expliquc pourquoi toules les aclrices de la Come'die-Francaise, par exemple, s'obstinenl a jouer Molidre en robes a la mode de 1838; ce sont des robes ;i deux (ins, qu'elles flnissent d'user a la ville et avec lesquelles elles vont en soire"e ou au concert. L'Opera lui-meme,ce grand satrape, si bien subventionne", montre une predilection funeste pour les e"loffes qui peuvent s'envoyer au blanchissage, et ceci est d'autant plus condamnable, que les salaires des come'diens chanteurs et danseurs se sont Sieve's a des taux exor- bitants et en donors de loule proportion avec ceux des aulres ar- tistes; beaucoup de danseuses gagnenl cent mille francs par an; et chaque mouvementde mademoiselle Taglioniluirapportetrente-sept francs dix sous; les chanteurs un peu ce"!6bresse payent soixante mille francs, quatre-vingl mille francs et au-dessus; des acteurs d'une mediocrite" parfaite el qui, employe's partout ailleurs, ne gagne- raient pas quinze cents francs, el seraient tout au plus bons a etre portiers, resolvent vingt el trenle mille francs. Les actrices, pour peu qu'elles soienl vieilles, et n'aienl plus de talent, sont re'tribuees plus ch^rement encore. II nous semble que eel argent serail mieux em- ploye" en satin, en velours, en denlelles, en perles, en diamanls, en plumes, en fleurs rares, qu'en depots a la caisse d'epargnes ; nous ne verrions aucun inconvenient a ce que les come'diens et les come- diennes renconlrassent, sur la fin de leurs jours, a I'hopital, les poetes et les e"crivains qui out etc" la cause premiere de leur opulence. Le theatre, ou se refugiait le peu d'originalile que comporlenl DOS moeurs d'automates, n'existera bienlot plus que sous la forme d'un pensionnat, ou les meres enverront leurs fllles pour faire des ma- riages avanlageux. Le vrai mari d'une actrice, quoi qu'en puissent dire les prudes de coulisses, c'est le public; c'esl au public qu'elle doil ses plus fins sourires, ses ocillades les plus lendres; au public, sa beauie", sa jeu- 128 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE nesse, sa fraicheur vraie ou fausse. Lc public ne veul pas qu'un mari voie ces belles clpaules si complaisarnment d<5couvertes ; ce mari gene sa fantaisie amoureuse; il rencontre la grosse face epanouie et bete de ce monsieur, quand son imagination entreprenante ou- vre a demi la portedu boudoir ou de la loge; le nom d'un mari sur une actrice, c'esl une chenille sur une rose. Qui se douterait que ma- dame VolnysfutLeontine Fay ?qui iraitchercher mademoiselle Jenny Colon dans madame Leplus? L'amanta quelque chose de plus vague, de moins brutal ; il laisse du champ auxespoirs. Le public s'en fache moins que d'un mari. Tout cela n'est pas d'une moralit<5 peut-etre bien exacte; mais rien n'est plus vrai ; le theatre n'est ni un couvent, ni une e"cole de the"o- logie. Les auteurs, du reste, favorisent de leur mieux cclte tendance prosalque et bourgeoise par la plate triviality de leurs conceptions, leur manque complet de style et de fanlaisie; tout ce qui se debile sur le theatre est si pauvre, si insigniflant, si visiblement fabrique a la mdcanique, qu'il est impossible d'y meltre la moindre intention spiriluelle; reciter lous les soirs de semblubles tartines esl un metier quise rapproche beaucoup de celui d'huissier-priscur ou de crieur public, et I'arl n'a rien a y faire. Nous qui sommes condamne au theatre a perpetuite, nous pou- vons aflirmer qu'il ne s'est pas produit, depuis deux ans, un talent nouveau : il n'y a pas eu d'e'venement litteraire au theatre. Les re- prises d'llernani et de Marion Delorme ont pourtant fait voir que les pieces poislique el magislrale, doivenl choqucr a lout instant les susceptibilile's d'un audiloire accoulume aux facons prclenlieuscsel minaudieres du vau- DEPUIS VINCI-CINQ ANS 133 dcville de M. Scribe; le public a le gout sincere de la ine'tliocrile* propre el luisaule; il prefe"rera loujours M. Dubuffe cl M. Scribe a Michel-Ange de Caravage et Moliere, ces maitres cnliers et francs jusqu'a la rudesse. Et pourtant, quel style admirable! comnie ces phrases sont alla- I'lk'cs avec solidile! quelle lialeine et quelle vigueur! quelle char- manle tournure cavaliere et quel beau port de tele! Tout esl vif, clair, facile, plein de couleur et de mouveraenl; pas de de"veloppe- menls parasites; pas un mot de trop; une sobriete mcrveilleusc qui ne null en rien a ('imagination et au caprice, a qui elle prete du nerf et de la re'alite'; la plus belle langue qu'il ait jamais etc" donne a I'homme de parler. En regardant cette ravissanle comedie, si folle et si raisonnable, comme toutes les pieces de Moliere, ou la fantaisie la plus vaga- bonde laisse toujours voir un bon sens inexorable, nous faisions cette reflexion que, malgre* Papparente sdveriie" des regies d'Aristote, 1'art avail, en ce temps-la, des coude'es plus franches qu'aujourd'hui, apres toutes les belles reTormes de I'e"cole nouvelle; jamais la har- diesse romanlique n'a eHe" plus loin ; 1'unite" de lieu entendue de cette fac.on n'a rien que de fort commode, et Moliere en prend aussi a son aise que Claveret, qui, de"sirant conserver I'unile" de lieu dans une tragi-come'die, Ceres et Proserpine, dont Faction se passait au ciel, sur la terre et aux enfers, conseillait au speclateur scrupuleux de tirer en imagination une perpendiculaire qui traversal ces trois cenlres. La scene de I'Ecole des Marts se passe dans celle espece de lieu vague que Ton appelail place publique dans I'ancien Ihe'aire : une place publique avec fenelres au rez-de-cbausse'e, balcons a hauteur d'homme, banes de pierre pour que 1'intrigue puisse s'asseoir com- modt ! ment, el toules sortes de facilHes pour les imbroglios, les rapts et les echanges ; une place publique ou il ne passe jamais personne, ctd'ou Ton a banni les chevaux, les voitures, les chaises a porleurs, el loul ce qui pourrail Iroubler Ergasle et Isabelle dans leurs amours; voila un cndroit admirablemenl prepared pour une comedic gaie, amusante, ou Ton ne peril pas le lemps ;i moliver les entries el les sorties. 13-t LART DHAMATIQUE EN FRANCE Dans I'ficole des Marts, les moyens soul d'une bonhomie char- manto; le luteur d'lsabelle voudrait toucher deux mols au jeune marquis Ergaste, qui serre de pres sa pupille; rien de plus simple : il va frapper a la maison prochaine, la porte s'ouvre, Mascarille parait, I'oeil e'carquille', le sourcil circonflexe, la bouche e'panouie en coeur, le nez au vent, qui subodore le tuteur d'un air circonspect et matois ; au lieu de faire entrer le vicux, ce qui serail tout naturel, il fait sortir son maitre el 1'enlrclien a lieu dans la rue. II faut un commissaire : on heurle a une aulre muraille; la mu- raille s'ouvre, et il en jaillit un eommissaire, comme le diable d'un joujou a surprise; un second coup fait sortir un notaire. Toute la piece se passe a ouvrir el fermer la porte; et, quand on a besoin de quelqu'un, il sufflt, pour le faire venir, de donner un coup de pied au premier mur venu. Les faiseurs riraient aux Eclats d'une piece ainsi charpente'e et di- raient que Moliere manque de planches. Aucun direcleur de the'alre ne recevrait aujourd'hui I'Ecole des Marts, ce qui ne 1'empeche pas d'etre une piece admirable, au conlraire! 28 mai. PALAIS-ROYAL. Le Tireur de carles. La semaine a e"le bonne pour le feuilleloniste; demain les journaux seront pleins d'eslhe"- tique, d'hislorielles, de digressions philosophiquesetautres menues faritaisies, car il n'y a eu qu'un tout pelit vaudeville microscopiquc joue au Palais-Royal et dont la plupart de nos confreres ignorent probablemenl 1'existence. Le Tireur de cartes a ete, en effel, tres-adroitement escamote dans une representation au benefice de n'imporle qui; 1'incognito le plus strict a ete garde. De plus, le direcleur malicieux a eu soin de faire jouer, aux representations suivanles, ce vaudeville invisible a six heures du soir, moment auquel les critiques prennent leur nour- riture comme de simples elres mortels, s'ils onl de 1'argent ou s'ils soul inviles a diner par quelqu'un. Nous qui nous piquons d'exac- lilude, nous sommes parvenu a voir ce mysle"rieux Tireur de cartes cntoure' de tant de precautions el dc lanl de voiles. 11 faisait grand DEPUIS VINGT-qiNQ ANS 135 jour el I us rayons n ;i seche a des hourgeois qui craignent 1'liumidile el aiment mieux nager pur terre. Six tonnerres d'applaudissements mil prouvl h Moessard le cas que le public faisail de sa coupe et de sa personne. Cela fait, Moessard, trouvanl que los Grccs sont en bien petit nombre, montre 1'exercice ct la charge en douze temps aux jeunes femmes et jeunes lilies; beaucoup de gardes nalionaux n'en savejit pas autant : elles cliargenl leurs fusils, font des feux de file et dcs feux de peloton comme de verilables lourlourous. Moessard el le co- lonel sont satisfaits de leurs eleves, surlout Moessard. Ceci s'est de"ja vu dans la Revolte au Strait, dans le Pensionnat de Montereav, Anns D'jenguiz-Kan, AMIS I' lie des Pirates et dans mille aulres lieux. Mais qu'imporle! la nouveaule" n'est pas ce qu'on cuerclie au thea- tre, et eel exercice peut etre recreatif pour les gens qui ont le bon- heur de n'avoir vu aucune des pieces ci-dessus menlionnees. On enlend un lapage infernal, tambours, grosse caisse, trom- bones, flfres, ophicleides, chapeaux chinois : c'esl I'armee franchise qui arrive, c'esl-a-dire la musique lout enliere d'uii regiment de ligne et un demi-quarteron de comparses; le resle esl cache par un buisson comme I'armee du due d'Angouleme aux figures de cire de Curlius. Queiques petards e"c!alent dans la coulisse; les Turcs re- viennent atlaquer les Grecs ; mais, celte fois, grace a la prdscnce de I'armee francaiseetau courage desamazones instruiles par Moessard, ils sont completemenl rosses. La Grece esi de'livrc'e! Pour cclcbrer celte heureuse d^livrance, on danse un pas de cinq, suivi d'un galop ge'ne'ral. Get acle esl intitule PAS UE CINQ ; et de trois. C'est lout.L'on a redemand<5 Moessard. M. Harel, qui se moque pourtant du public avec lanl d'esprit, n'a jamais fail une meilleure plaisanlerie quecelle-ci; il n'y a que luiau mondequi soil capable de la Irouver. Capsali est le ballet le plus htfroi'quement slupide qu'on puisse voir, et nous ne le menlionnons que comme une boufTonnerie n'jouis- sante a force de s?ricu.\. Gepcndanl, nous pciisons qu'il y aurail une i. 12. 142 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE chance de succes pour la Porte-Saint-Martin a cultiver !e genre du ballet : I'Ope'ra est tres-cher; il a, d'ai!leurs,son public special, et qui n'a rien de commun avec celui des autreslh&Hres; des ballets bien monies, avec des decorations et des costumes sp'lendides feraient fa- natisme au boulevard; la Porte-Saint-Martin devrait tendre a deve- nir rOpe"ra de la petite propriete, et faire alterner la danse el le drame, Terpsychore et Melpomene. 11 juin. AMBIGU. Gaspard Hauser. Gaspard Hauser, dont la destinde myslerieuse a tant intcressd les ames sensibles et romanesques, n'est autre chose qu'un canard de M. Mery. Jamais canard n'eul un tel succes, pas meme Faraigne'c de mer, le rat dilettante, le vol des tableaux du Musee, pre"cieuses inventions dues a ['imagination de notre ami Gerard. Schubri lui-meme, avecsesaventures incroya- bles et ses resurrections merveilleuses , n'a jamais agi si puissam- menl sur 1'abonne' crddule et palriarcal. Le theatre, qui est toujours en arriere de tout et qui n'avise une idee que lorsqu'elle esl vieille, use"e, rebattue, et qu'elle a traine le long des livres et des feuillelons, s'est enfin empare de Gaspard Hauser; ce sujet a paru si fertile aux auteurs du boulevard, qu'ils en out fait deux pieces joules en meme lemps a I'Ambigu et a la Gaiete";d'un cote, Albert, avec ses r ronflantes; Saint-Ernest, qui semble lie" pour reciter le vers de Racine : Pour qui sont res serpents qui sifflent sur a lete? de I'autre, Laferriere, et sos grimaces nerveuses, attrails assez m^diocres de part et d'autre. N'ayantdonc aucune pri5f(5rence, nous avons tir6 a la courte-paille entre rAmhigu-Coniique et la Gaiete; le sort a decide pour 1'Ambigu- Comique au prtijudice de la Gaiete. Une noble fille allemande a eu, avant son manage, un enfant qu'on a fait disparaitre pour lever tout obstacle a une illustre alliance fort desire"e par le pere de la jeune personne; jusqu'a I'age de dix-buit ans, Penfanl a et(5 lenu prisonnier dans d'liorribles oubliettes commc DEPUIS V1XGT-C1NQ ANS 143 il nc s'en trouve que dans les romans d'Anne Radcliff el les sept cha- teaux du roi de Boheme. Priv6e de lumiere, a peine couverte de haillons, n'ayanl jamais entendu le bruit du nionde exlerieur, la malheureuse viclime ve"gete dans une perpe'tuelle somnolence sur quelques brins de paille pourrie ; il fait nuil dans sa tele comme dans son cachot; la pense'e n'a jamais fait rayonner sa lumineuse pe"nombre a travers ces e"paisses Ie"ri6bres, te'nebres physiques, lenebres intel- lecluelles; un jour, le gardien qui lui apporle sa maigre pi lance a tarde' plus qu'a i'ordinaire, Gaspard a faim et pousse d'affreux hur- lements. Un jcune me, porle a ses levres une bague donl le chaton contienl un poison violent, car il aime mieux mourir que de voir I'honneur de sa maison souille". Gaspard Hauser, dont I'amour est repousse" par la petite Anna, comprenant qu'il n'y a pas dc place pour lui sur le monde des vivants, arrache la bague des mains du baron, et suce le poison d'une bouche avide; les commissaires de 1'empereur s'en relournenl sans avoir pu pene"trer cet insondable myslere. Cette piece, donl le second acte est inle'ressanl et bizarre, a tres- bien re"ussi. On a rappele* Albert, on a rappele" Saint-Ernest, avec un enlhousiasme difficile a de'crire : on ne voil de ces succes-la qu'a I'Ambigu-Comique. Les auleurs, les acleurs el le public de ce Ihe'atre s'aiment et se comprennenl ; leurs angles renlrants et sorlanls s'em- boitenl d'une fac.on merveilleuse; en ve"rile, nous regretlons, dans notre e.oriacite' de critique, cette facilite" a se prendre a Timbrel d'un drame qui passionne si furieusement pour une fable invraisemblable et biscornue. Certains habitues de rAmbigu-Comique allendent les acteurs a leur sortie pour dire des injures au traitre, et fe"liciler le beau role de son denouement el dc ses actons ge'nereuses. Voila un public! VARIETES. Mathias I'Invalide. Vernet en invalide est tout ce 14H L ART nUAMATIQUK KN FUANCE que 1'on peut imaginer de plus rejouissant el do plus grotesque; Vernet esl un lout aulre coniedien que Houffe, que Ton semble lui preferer : il a une flcur denature! que I'arl n'atteindra jamais. Les plus savanlcs combinations ne peuvenl donner celle aisancc jointe a hi rigoureuse virile. Vernet est coniedien de temperament; il enlre facilement dans I'iime el la pcau des pcrsonnages qu'il repre"- senle; il s'oublie toul a fait el ne cherche pas a imprimer a ce qu'il joue un cachet, une maiiiere, comme bcaucoup d'acteurs de grand talent, du reste; il est toul simplemenl, lout nai'vemenl, toul bonne- ment un invalide, un porlier, un paysan, un vieux come'dien ^reinle, selon le role. L'invalide eslune de ses plus parfailes creations; il est impossible d'avoir plus de laisscr alier, de finesse, de bonhomie et de sensibi- lite. La scene de Tivresse est rondue avcc une verile si complete, quo 1'on doute si ce n'esl pas un invalide veritable, et que 1'on a besoin de regarder autour de soi pour se convaincre que 1'on assisle a une representation thealrale. A propos d'ivresse d'invalide, nous aliens, si vous Ic permeltez, racoriier une pelite hisloire assez bouffonne. On doiine, a ce qu'il parail, vingl sous de prime aux ames compa- lissanles qui rapporlcnt aH'liolel des Invalides les vieux grognards ampules ou autres, qu'un coup de vin de trop a fait device dans quelque fosse ou Irehucher en chemin. Des industriels se font un revenu avec cette prime, et, pour cela, ils n'ont qu'a faire pousser par un gamin, en apparence inallenlif, lous les lils de Mars saulillant sur une ou deux jambes de bois qui, clopin-clopant, regagnenl a la brune leur glorieux hopilal ; I'invalido, sur son dos, ne peul se rele- ver lout seul et se demene e"perdumenl comme un cloporle relourne". Alors arrive I'induslriel avec une brouette; il le ramasse, le campc dessus el le ramene a 1'holel, en lui conseillant d'un air ironique de ne pas tantboire une aulre fois; puis il va lui-meme boire lesvingt sous au cabaret... Voila un metier nouveau a joindre aux etranges professions que nous revole tous les jours la Gazette des Tribu- ncnix. Relourneur d'invalides, cela va bien avec preposeaux banne- lons el aux Irognons de a ponime, culolteur de pipes, el promeneur de cliiens convalescents. Nous n'avons pas opere" 1'analyse de celle piece, qui n'esl qu'un cadre, muis un cadre tres-liabilement dispos(5 DEPUIS VINGT-CINQ ANS U7 pour faire ressorlir le lalenl dc Vernel ct de Flore. Toul Ic monde in In voir, el ce sera, avec les Saltimbanqnes, le succes de la saison. Nous recornmandons aux journaux de mode I'incroyable loilelle de Flore, ex-vivandi6re, passed baronne : robe verl-pomme, avec une guirlande de fleurs, be>et jonquille. et plumes e"carlales. Vernel el Flore onl e'te' rappele*s. Contrairemcnl a ('usage ordinaire, c'e"lail juslice. 18 jiiin. VAUDEVILLE. Les Impressions de Voyage. L'annonce envaliil loul aujourd'liui. Rien ne peul vous meltre a I'abri de ses guel-apens, de ses surprises el de ses coups de Jarnac. L'annonce vous poursuil jusque dans les recoins les plus inlimes de votre existence; point de refuge, poinl de treve; elle vous surprend le matin au saul du lil, et, pour pe'ne'lrer cliez vous, emploie plus de ruses qu'un cre"ancier ou qu'un garde du commerce; il faut a loute force que vous Paper- ceviez; pour accrocher volre regard distrait, elle s'habille de loules les couleurs de I'arc-cn-ciel. C'esl elle qui a invente", pour teindre ses afflches, \ejonquille flambant, la queue de serin pdme, le rai- sin de Corinthe exorbitant, le rouge escarboucle, le flamwe de punch, Ve'carlate reflet d'enfer,vl tout ce que la decomposition du spectre solaire peut fournir de nuances bizarres i-t iranehees; elle se faitdifforme, extravaganle, illisible, e"gyplienne, bieroglyphique, ru- nique, trapue, allonge'e, cune"iforme, diagonale, perpendiculaire, tressed en re"seaux comme un manuscril cbinois; 1'importanl esl d'attirer I'allenlion, n'imporle a quel prix. line tres-spiriluelle bro- chure intitule'e : la Quatrieme Page desjournaux, devoile les ruses de PAnnonce el de sa soeur la Reclame, couple Prot^e a qui noire ami Alphonse Karr a fail une guerre si vive el si amusanle. Mais 1'Annonce a plusde t^tes que Phydre de Lerne, et la massue d'Hcr- cule n'^ ferait rien. Abattue d'un cote", elle se roleve de Paulre. Maintenanl, elle a pris pied sur le tht'atre; du vaudeville, elle se fait une reclame el de I'acteur un liomme-afflche. Ainsi M. Ambroise Duponl, e"diteur de M. Alexandre Dumas, a fait jouer cetle semaine au Vaudeville une annonce en deux actes des Impressions de Voyage. 148 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE L'annonce a parfaitement r^ussi, grace au jeu d'Arnal, qui est tou- jours d'une belise e"bouriffante. Arnal-Gambillard est ne comme Jean Belin, a I'age de trois ans, de parents pauvres mais malhonneles, dans la rue Mauconseil. Tout homme ne" rue Mauconseil doit elre naturellemenl cosmopolite el sentir le besoin de quitter sa patrie; Gambillard se met done en route. Comme Ulysse, il est le jouet de 1'onde el du sort; il a vu les moeurs et les villes de beaucoup de peoples, mores multonnn vidit el urbes; moins heureux qu'Alexandre Dumas, il a mange plus de civets de chat que de biftecks d'ours, on lui a servi des omelettes chevelues et des oeufs a la coque pleins de plumes et prels a s'en- voler ; raremenl il a joui du bonbeurde renconlrer un polage chauve. D'impressions en impressions etd'auberge en aubergc, notre voya- geur arrive aux environs de Rome, et devient amourcux de la niece d'un certain Trombolino, contrebandier de son etat et un peu bri- gand, comme tout conlrebandier italien. Trombolino! Gambillard! vous concevez d'ici le contrasle. Trombolino!... nom retentissant comme un eclat de trombone ou un roulement de tonnerre, nom he"- risse, rogue et faroucbe, avec des moustaches vehementes ft des favoris prodigieux. Gambillard, nom timide, bonleux, presque furlif, nom bien fendu et tout en jambes, le nez au vent, les oreilles couchees sur le dos comme un lievre qui a peur et prompt a tirer au large au moimlresignededanger. Gambillard redoule aulant Toncle qu'il adore la niece, el il passe alternalivement des angoisses de la passion aux transes de la peur; rien n'est plus diverti&sanl. Ses amours ne sont pas heureuses, car Arnal n'est qu'un jeune premier mediocre, el, comme Odry, il jouil d'un physique fail pour les e"poux et pour les peres. De memo qu'Elie a 1'Ope'ra, Arnal est toujours repousse avec perte, et ses dulcinees le malmenenl elrangemenl; c'esl ce qui lui arrive dans les Impressions; et, voyant qu'il ne peul decker son inbumaine a se de'pouiller, en sa favcur, de la peau de ligresse qui rccouvre ses appas, il suspend son cceur a un aulre croc, et revient a Paris, ou il vend ses Impressions de Voyage a un libroire roman- lique. Semez sur celte Irame un peu frelc, des ra!embours, des jeux el des transpositions de mots, des couplet!', des pointes, du DEPU1S V1XGT-C1XQ ANS U9 gros poivre, el du sel plus ou muiiis allique, ct vous n'aurez encore qu'une idee fort imparfaite de la piece. La piece, c'est Arnal; allez voir Arnal, ou bien restez chez vous, el lisez I'bisloirc de Tours el la peche a coups de serpe, dans les ve"rilables Impressions; ce qui vaudra encore mieux. Xlll JU1LLET 1858. Gymnase : le Mcdecin de Campagne, par MM. Lau- rencin et **'. Madame Dorval. Une face ignorde de son talent. Palais-Royal : M. de Coislin ou fHomme poli, par MM. Marc Michel et Lefranc. Debut de Grassot. Ambigu : Rafael, drame en cinq acles Belle inn \iini- a 1'usagc des criminels. Varietds : Moustache, vaude- ville de M. Paul de Koek. Le fumler d'Ennius retourne. Cirque- Olympique .- Lawrence et Redisha , clowns anglais. 9 juillct. GYMNASE. Le Medecin de Campagne. Le Gyranase semblaii ("tonne" el ravi. Apres un si long jeune, un careme si rigoureux de speclaleurs, voir du monde aller el venir, desccndre el monler les escaliers, n'en etre plus rieur. Voila comme nous aimons les danseuses. Escudero rappelle Camprubi. C'est un grand e"!oge. 27 aout. VARIETIES. Debut des Bayaderes. La curiosity publique e"tait ailume'e au plus haul degre". Les recils inerveilleux fails par les quclques journalisles privilegies admis dans la rnysterieuse relraile de Pallee des Veuves, ou loge la tribu indienne, avaient excite" vive- ment 1'imagination deslecleurs: on ne parlail plus, on nerevail plus que de bayaderes. Avez-vous vu les bayaderes? elait la question qui avail rem- place le banal Comment vous portez-vous? Par quel moyen par- venir jusqu'a elles? Danseront-elles sur un theatre? a 1'Opera, aux Variele's, a la Portu-Saint-Martin,au Palais-Royal, qui relen tit encore des castagnelles espagnoles? Qui I'emporlera, de M. Duponchel, de M. Dumanoir ou de M. Harel? On dil que 1'on a arrange pour ellcs le Dieu et la Bayadere; c'est une exccllenle idee. On pretend qu'elles soul noires. Fi done! Jaunes? rouges? Non : cho- colal. Quclle horreur! Et mademoiselle Taglioni, qui est si blan- che et si rose ! Quelques personnes accoutumees aux araigne'es de mer, aux m/.s dilettantes, aux pltiies dccrapauds, aux ne'nresses quijouent les Ui:PUS VIXGT-C1XQ ANS 163 roles de mademoiselle Mars, et aulres inventions qui remplissent les journaux pendant la session lilleraire, pnHendaienl m<"me que les bayaderes n'e'laient qu'un simple canard dans le genre de Gaspard Hauser, du vol des tableaux du Muse"e, de la division de la France. Les plus incre"dules allaienl jusqy'a dire que le vieux Kama- lingam avail (He porlier dans li-ur maison, qu'Amany n'tHait qu'une modiste leinle au jus de reglisse, et que Saoundiroun avail tenu un rale a Lyon, il ya quinze ans (Saoundiroun a qualorzc ans). Quant a Deveneyagorn, c'elail un tamhourde la banlieue el Savara- nim un u'fre de regiment ; car, s'il y a des lecteurs de facile composi- tion, il y en a d'autres qui ne peuvent croire s'ils n'onl un doigl dans la plaie, comme feu saint Thomas. II exislc des gens qui sont encore persuades que les Usages e'taienl des has Bretons mis en couleur. Les douteurs, en lisant dans les De'bats le compte rendu de la re- ception des bayaderes aux Tuileries, commencerent a croire qu'il y avail quelquc probability que les bayaderes ne fussenl pas des mo- distes, el vinssent ve"rilablemenl de la pagode de Tendiv ini-Pouroum. Cependanl, lesuns alllguaienl la fausse ambassadesiamoiseenvoyee au grand roi. Mais, quand ils virenl sur I'afllche des Variele's : LES BAYADERES. Le Salut du prince, par Veydoun. La Toilette de Shiva, par Saoundiroun el Ramgoun. Le Pas mtlancolique, par Amany. Les Colombes, par Amany, Saoundiroun el Kamgoun. Le Malapou, par Tille", Amany, Ramgoun el Saoundiroun. MCSICIENS. Ramalingam, Savaranim, Deveneyagorn. ils ne parent qu'envoyer louer des loges et des stalles : c'est ce qu'ils firenl; si bien, que la salle est prise jusqu'a ia sixieme repr(5senta- tion. Le jour du debut, il y avail dans le public unc altentc plcine d'anxie'le' ; car on allait voir enlin quclque cbose d'etrange, de mysie"- 164 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE rieuxetdecharmant, quelque chose delouta faitinconnu a 1'Europe, quelque chose de nouveau ! et les speclateurs les moins enthou- siastes ne pouvaient s'empecher d'etre e"mus de cette curiosite" crain- tive qui vous saisirait, si Ton ouvrail lout a coup devanl vous les porles du serail si longleraps impe"nelrables. L'impatience du public e"lail si grande, qu'un petit prologue fort spirituel et Ires-bien joue par Re'bard et mademoiselle Flore, ne put clre e'coute' jusqu'au bout, et que force fut de baisser la toile des les premieres scenes. La toile se releva ; et, sur une decoration aussi hindoue que pos- sible, on vit se detacher les cinq bayaderes dans leur parure e"liri- celante. Elles flrent le salam avec leur grace et leur souplesse ordinaires ; Ramalingam se mil a frapper ses cymbales et a reciter le poe'me de la toilette de Shiva, accompagne" par la flute de bambou de Sava- ranim, et le lambour de peau de riz de Deveneyagorn. Les mouvemenls des danseuses, si rapides et si brusques, qu'ils ressemblent plulot a des tressaillements de gazelles effaces qu'a des allitudes humaines; les oeillades prodigieuses, ou le noir et le blanc de 1'ceil disparaissent tour a lour, la sauvage singularite de leur cos- lume, elonnerenl d'abord le public, plus surpris que charme". Mais, quand la belle Amany re"cita sa me'lancolique complainte, la beaule antique de ses poses, la souplesse voluplueuse de sa taille, la langueur pleine de tristesse de ses gesles, la plainlive douceur de son demi-sourire, cnleverent tous les applaudissemenls. On eul dil la brune Sulamile du cantique des cantiques, pame'e d'amour, et cherchant son bien-aime" sur la montagnc du baume et dans le jar- din des plantes aromatiques. Le pas des colombes a eu un succes prodigieux; en effel, Ton a peine a concevoir comment deux danseuses qui pivotenl sur elles- memes avec une effrayanle rapidite", peuvent faire une colombe sur un palmier d'un grand morceau de mousseline blanche donl le vo- lume doll les embarrasser beaucoup. Saoundiroun el Ramgoun, quand leur ouvrage fut termine", allerent gracieusement le presenter aux dames qui occupaient les baignoires d'avanl-scene. DEPUIS VINGT-C1NQ ANS 16S Ce pas laisse bien loin derriere lui les pas de cliule et aulres enche- vf'tiTmniis de foulards plus ou moins indiens que nous avions cou- tume d'admirer. L'id^e en est charmanle. Amany e"crit sur une feuille de pal- mier une lellre a son bien-aime 1 . Ses compagnes Saoundiroun el Ramgoun lui font des colombes avec leur e"cbarpe, pour porter son message. Rien n'cst plus frais et plus gracieusement naif. Le pas des poignards a une expression tragique et sauvage de I'ef- fct le plus saisissant. Le Malapou, ou danse surprenante,se rapprochede la Jota arago- nesa; le mouvement en esl vif et joyeux, les danseuses serenverseni en arriere, en levant les bras au-dessus de la lele, avec une sOuplesse inlinie. C'esl la pose cboisiepar M. Barre, qui est en train de faire la sta- tuette d'Amany : on ne saurait rover un plus adorable pendant a la de'licii'iiso figurine de Fanny Elssler. Madame la duchesse de C** s'occupe de la statuette de Saoundiroun ; aucun genre d'illuslralion ne manque done aux bayaderes ; I'art, la fasbion el la vogue, toul se re"unil pour les feler ; ce sonl les vraies lionnes de la saison. A propos de vogue, mademoiselle Fanny Elssler, qui etail alle'c aux Variele's rendre visile a ses so3urs les bayaderes, el voir s'il y avail au monde des pieds plus pelits et plus legers que les siens, a Oh' saluee d'une salve d'applaudissements quand elle est enlre'e dans la loge, sans doute en qualiUS de reine de la danse. Si nous avions e'te' la, nous aurions batlu des mains plus fort que toutaulre, car personne plus que nous n 'admire mademoiselle Fanny Elssler; cependant nous aimerions qu'on re"serval un pcu decelen- tbousiasine pour les grands poeles ou les grands composileurs; nous voudrions aussi que Ton applaudil Lamartine, Victor Hugo ou Rossini, quand ils paraissenl au speclacle : un peu moins d'admira- tion pour les jambes et le gosier qui exe'cutoni, un pcu plus pour le cerveau qui cre"e. 166 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE XV SEPTEMBRE 1858. Opera-Comique : la Figurante, paroles de M. Scribe, musiqiic de M. Clapisson. Ambigu : les Chiens du mont Saint-Bernard. Reputation surfailc de Pespe'ce canine. Enumeration des chiens celcbres. Opera : Bcnvenulo Cellini, poeme de MM. Atiguste Barbierct Jules de Wailly, musique de M. Hector "Berlioz. La Reforme litte'raire. Caractere du laleut de M. Berlioz. Gaiete" : le Vicomte de Chamilly, un pen par M. Ancelot, beaucoup par M. Saintine. Opera : reprise de la Sylphide. Les vicux ballets. La nouvelle Sylphide. Les dangers du vol. 2 septembre. OPERA-COMIQUE. La Figurante. La Figurante n'esl autre chose que la mise en scene d'une assez jolie nouvelle que M. Scribe a publie'e, il y a quelques mois, sous le litre de Judith. Le premier acte se passe au foyer de la danse a 1'Opera. Judith arrive sous les apparences d'une simple fille de portiere, comme la pluparl des figurantes; sa mise est fort modeste : elle porte la robe d'indienne, le tartan et les socques de la vertu, tandis que ses bril- lanfes compagnes sont cliaussces par le satin du vice. Cependant Judith, malgr son chapeau piteux et sa robe e'plore'e, a fait une glorieuse conquete. Le jeune comle Arthur 1'a rcconduite dans son coupe a la loge de sa mere. Un conite! une voilure! la tele tournerail a moins ! Aussi Judith est-elle fort tendrement pre"oc- cupee a I'endroil du bel el^ganl. Quoique Judith soil une jolie personne, orne'e de toules les qualiles possibles, le comle Arthur n'en est point amoureux : s'il lui a rendu des soins, c'cst pour faire piece a sa famillc, qui desirerait le voir en- Irer dans les ordres. La soutane et la tonsure sourient mediocrement au beau flls } qui aimerait mietix etre d'e"j)ee que de religion. Un de ses amis (Espagnol) honime de hon conseil, et secretaire d'ambassade, I'cngnge a prendre une fille d'Opera el a fcindre pour DEPUIS VINGT-CINQ ANS 167 elle une passion violente : moyennant quoi, ses braves parents n'au- ront rien de plus pressed quo de le faire voyager. Arthur Irouve le conseil bon el affiche Judith le plus ostensible- ment qu'il peut. Cependant il Pa toujours respectee, el la petite n'est sa raailresse qu'aux yeux du monde. Judith est dans ses meu- bles (style de figurante), et les meubles sont magniflques. Aussi la prima donna, qui meprisail la pauvre lillc maigremcnt habille'e, vient rendre visile a I'e'le'ganle danseuse, mailresse d'un comte. Elles s'appellent re"eiproquement ma chere... et s'embrassent comme deux ennemies inlimes. Malgre" lout ce luxe, Judith croit qu'elle n'esl pas aime'e, et cetle pense"e altere son bonheur. Arthur reste quelquefois longlempssans la voir, el semble distrait en sa presence. Comme elle se livre a ces dole"ances, survient Arthur, qui, voulanl la faire publiquemenl recon- naltre pour sa mailresse, lui propose une promenade aux Tuileries, el lui demande a souper. Judith accorde lout, et Ton prend jour. Arthur se retire. A peine est-il remonie" dans sa voilure, qu'il lombc des nues au milieu du salon, devinez quoi : un ulcade! . . . I.'on ne s'attendait guerc A voir Ulysse en celte affaire. Un alcade chez une danseuse! passe encore un commissaire de police! Alcade, embuscade, arcade, eslocade, se're'nade, proinenade! que vient faire ici la couleur locale, et comment les Contes cFEspa- gne et d'ltalie se trouvent-ils transported dans une Ires-prosaique action qui se deroule de la rue de Provence a la rue Lepellelier? Voici pourquoi : Judilh, conlrairemenl a la nouvelle, n'est pas ce qu'elle paralt etre. C'cst loul bonnemenl la niece d'un grand d'Es- pagne, rien que cela. Excusez du peu. A POpe'ra-Comique, il faul beaucoup se defier des fllles de porlieres figurantes cl verlueuses. Le coinle de Lemos I'avail confie"e loule pelile a I'alcade avec une forle somme pour la faire (Hover dans un couvent. Au lieu de cela, le vieux drole a mis Pargenl dans sa poche, et I'en- fanl chez un porlier; mais le comle de Lemos rcdemande sa niece, et I'alcade, ne sachant comment sc lirer d'afTaire, avouc loul a Judilh, I'onleve cl la conduit chez son oncle. 168 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE De la rue de Provence en Espagne, il y a un fameux saut. Mais ML Scribe, qui est de I'Acade'mie, ne s'est jamais beaucoup soucie" des regies d'Arislote. C'esl la son moindrc pe'che'. D'ailleurs, les lie'ros dramaliques voyagent sur les ailes de la pense"e, moyen de transport beaucoup plus prompt que le manteau de Faust, 1'hippo- griffe de Roger, le baton d'Abarys, la posle a dix francs de guides, les bateaux a vapeur et les chemins de fer. Nous voici done a Madrid, a la plaza de Toros. Judith et son oncle assistent dans une loge a une course de taureaux ; aveceux se trouve le secretaire d'ambassade, ancien ami d'Arlhur. Arthur, que ses pa- rents font voyager, et qui est e'galement venu voir la course, aperce- vant Judith, pousse un cri et s'e'lance dans la loge du ministre. II se jette aux pieds de Judith, lui rappelle Paris ; mais Judith, feignant de ne pas le reconnailre, lui dit qu'il se trompe, et le laisse sortir, en ordonnant toutefois a Palcade de ne pas le perdre de vue, car elle 1'aime toujours; et le comte Arthur, malgre" son apparente froideur, n'a pu register a tantde charmes et de vertus; il est on nepeut plus surpris de la faussele" de Judith, et s'imagine que la fortune a change son cceur. Judith est maintenant un excellent parti, etle roi a de'cide' qu'elle serait marine au secretaire d'ambassade. Judith veut faire manquer ce projet. Pour cela, elle dil a son oncle que celui qu'on veut lui donner n'cst qu'un debauche, un damne* viveur. Le premier minislre refuse de la croire jusqu'a ce qu'il ail des preuves. Judith ne sail trop comment faire pour s'en procurer quand le hasard lui en fournit d'excellenles. L'alcade s'est marie ; en croyant epouser la veuve d'un general francos, il a pris pour fenmie 1'ancienne amie de Judith, la prima donna de 1'Opera. Judith s'adresse a elle el obtient quelques- unes des leltres que lui avail adresse'es le secretaire d'ambassade alors qu'il e"tait son amant. Judilh va remeltre les lellres a son oncle; mais I'alcade vient lui apprendre qu'Arthur s'est batlu en duel et qu'on 1'a arrete" ! Judith supplie son oncle de lui accorder la grace d'Arthur. Ne pou- vant I'obtenir, elle lui raconle tout ce qui s'est passe" a Paris, et flnil par lui avouer qu'elle Paime. Le premier ministre esl inflexible. Alors Judilh lui dit que, si elle n'oblienl pas ce qu'elle demande,elle se DEPUIS VIXGT-CINQ ANS 169 fera comedienne; el, pour prouver qu'elle est capable d'execuler sa resolution, elle danse la cachuchaens'accompagnanlde la voix eldes castagnetles. Le premier minislre, craignanl que le conseil, assemble chez lui, ne voie sa niece se livrer h des cachuchas exagerees, la sup- plie de cesser; mais Judith repoml qu'il lui faul la grace d'Arthur. Tout a coup, I'alcade annonce qu'Arlhur esl condamne" ; Judith con- tinue sa danse ; mais la douleur lui die la voix, ses genoux flechissent, elle va s'evanouir. Le premier ministre, en voyant tant d'umour, ac- corde la grace d'Arthur el le marie a Judilh. Nous savions qu'Orphe'e apprivoisail des tigres, qu'Amphion balissail des murailles avec une cavaline; mais nous ne connaissions pas encore celte maniere d'a- doucir des oncles sanguinaires. La cachucha, employee comme moyen oratoire, ne nous parait pas Ires-convaincante. Ce libretto est plulol un vaudeville qu'un opera-comique; il y a beaucoup de couplets etd'airs, mais forl peu de morceaux d'ensem- ble, elseulement deux pelits choeurs assez insigniflants. La partition de M. Clapisson s'est forcement ressenlie des propor- tions un peu eiroites du poe'me qu'il avail 5 meltre en musique, et, le poete ne lui ayanl donne quc de pelites choses a faire, il n'a ndces- sairemenl fait qu'une petite musique. Quoique I'harmonie de plusicurs morceaux soil elegante, quoiqu'il y ail du piquant dans quelques alleralions d'accords, les melodies sonl si legeres, qu'il nous a semble qu'elles seraient plus jolies en airs de danse qu'en opera-comique, el qu'elles convenaienl mieux a la salle de Musard qu'au theatre dc la place de la Bourse. Nous allendions mieux de M. Clapisson, a qui un certain nombre de romances agreables avail donne une sorte de ceiebrite. 10 septcmbre. AMBIGU. Les Chiens du mont Saint-Bernard. Le chien esl un animal beaucoup Irop vanie, selon nous, el donl on abuse outre me- sure pour faire honte a I'hommc de son peu de sensibiliie : 1'his- toire des chiens celebres remplil deux gros tomes el conlienl plus de beaux trails que la Morale en action. La gravure el la peinlure se sonl plu a reproduire des scenes ou les chiens jouenl le beau role. 170 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE Les chions n'ont pas le droit dc dire, comme les lions : AL ! si les lions savaient peindre! Nous avons : 1 Le Chien du Tambour, par Horace Vernet, he'roi'que caniche qui mord les mollets des Prussiens, recoil une blessure au champ d'honneur et serait decore" s'il n'e'tait quadrupede. 2 Le chien qui veut elre fusille" avec son mailre, et fait pleurer un piquet de soldals, lecaporal y compris. 3 Le chien qui garde, des corbeaux et des loups, le corps de son ami lue" en defendant le drapeau qui lui sert de linceul. Ce chien etait fort mal vu sous la Restauration. 4 Le Chien du Pauvre, par Vigneron, barbel ele'giaque, affreuse- raenl crotle, qui suit, par une pluie froide et pendtranlc, un corbillard a 1'aquatinla. 6 Le chien qui regarde d'un air profonde'menl pileux un Iron dans la glace par ou son niaitre a disparu. Un chapeau de soie impermeable, forme tromblon, rcste" sur le bord du gouffre, rend cetle scene on ne peut plus dramatique. 7 Le chien qui meurl de douleur sur la lombe de sa maitresse, et gralle la fosse avec scs pattes. Spectacle attendrissant! qui fait dire a lous les maris par leurs fenimes : Si je mourais, lu n'en ferais pas aulanl, gros insensible! 8 Le chien qui retire un enfant de 1'eau. 9 Le chien etouffant la vipere qui allait piquer le flls endormi de son mailre. Belle action, qui le fail assommer sur place par le susdit maitre, qui lui voil du sang a la gueule, et s'imagine qu'il a eu la gourmandise de manger 1'enfant. 10 Le chien du monl Saint-Bernard retirant de la neige qui la couvre, une pauvre mere avec son marmot gele de froid sur son sein. Tout cela sans compter le chien de Tobie, le chien d'Ulysse, le chien de saint Roch, le chien d'Alcibiade, le chien d'Alphonse Karr, et memele chien du Louvre, cele'bre par M. Casimir Delavigne. Lion, le chien de I'Ambigu-Comique, est un fort beau chien de monlagne, cafe au lait, trapu, corse", avec le nez double, une bonne et brave bete qui joue son role assez couramment et ne manque pas d'aller manger consciencieusement. a tous les angles du thdalre oit DEPU1S V1NGT-CINQ ANS 171 I'aclion I'appclle, les assietlcs de pate'e quc Ton y a postfes a cet effel. A la fin de la piece, on rappclle le chien et Saint-Ernesl. Lion arrive donnant la patte a I'acleur. Lfc me'lodrarae au Iravers duquel Lion aboie et gambade, n'esl pas plus mauvais que toutautre me'lodrame; mais il n'esl pas meilleur. L'aclion se passe au temps des guerres de religion ct des dragon- nades. Les trois dernieres decorations sonl fort belles ; elles repre"sen- tent une vue du monl Blanc, le Trou-du-Diable et la Grande-Char- treuse. Les de"cora lions onie"l< forlapplaudies. Les camarades de Lion, Jupiter, Finol el Ulysse, ont eu des mo- ments agre"ables et donnent des espe"rances. Somme toute, succes. 17 septembre. OPERA. Benvenulo Cellini. L'altente de celte premiere repre"- sentation cxcitait dans le monde musical la meme anxicie curieuse qu'e"veillaient dans le monde lilte'raire, aux epoques les plus turbu- lenles de la re"forme romantique, les drames du Luther qui cut Sainle-Beuve pour Me"lanchlhon. Bonne ou mauvaise, chaque- piece soulevait d'immenses questions de style, dc forme et de versifica- tion ; ennemis ou amis, il fallait que tout le monde s'eri occupat, per- sonne ne pouvait demeurer neutre : c'eMait un beau temps! un temps de jeunesse et de folle ardeur ! La passion et la furie des artistes du xvi e siecle semblaienl etre sorties de leur tombc comme les nonnes de Robert le Diable, avec leur vivacile* de mouvemenls et leur luxe d'exislence. Peu s'en fallul que Ton n'en vint aux coups, et n'eul e"te la rigueur prosai'que du code, Ton cut jou6 des couteaux dans les parterres, et I'on ne se fut pas plus fait scrupule que le Benvenuto de daguer un champion de la bande opposed. Pendant cetle bienheureuse pe'riode surgirent d'un seul coup, el comme par enchantement, Lamarline, Victor Hugo, Sainle-Beuvo. Alfred de Musset, de Vigny, Deve>ia, Eugene Delacroix, Louis Bou- langer, Alfred et Tony Johannot, et quelques aulres, alors disciples en revoke et brisant los faux dieux de I'Empire, aujourd'hui 172 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE reconnus el revant, du haul de leur pedestal de gloire, le coude sur le genou, le menton dans la main, comme le Penseroso de Michel- Ange, quelque ceuvre sereine et merveilleuse, bientol classique a la facon d'un chef-d'oeuvre grec. M. Hector Berlioz, dont la premiere jeunesse et les essais remon- tent a ce temps de flevre et d'inquie"tude ou I'art tout entier etait re- mis en question, ou les prefaces etaient a la fois des diatribes et des arts poe"tiques, ou chaque piece devenait une arene tre"pigne"e par les pieds furieux des factions litte'raires, transporta dans son art les prin- cipes de rebellion professes par le chef de Pecole. Si le retentissement a e"t6 plus e'louffe', c'est que le nombre des personnes en e"lat de juger un sysleme musical est malheureuscment beaucoup moindre que celui des gens qui se piquent de juger des choses de la poe'sie ; et puis, pour se traduire, Pidee du musicien exigc un attirail enorme dont se passenl le poete et le peinlre, qui n'ont besoin que d'une feuille de papier ou d'une loile. M. Hector Berlioz, reformateur musical, a de grands rapports avec Victor Hugo, reformaleur lilte"raire. Leur premiere pense"e a tous deux a e"te" de se soustraire au vieux rhythme classique avec son ron- ron perpetuel, ses chutes obligees et ses repos prevus d'avance; de meme que Victor Hugo deplace les cesures, enjambe d'un vers sur 1'autre et varie, par toutes sorles d'artiflces, la monotonie de la pc- riode poetique, Hector Berlioz change de temps, trompe Poreille qui attendait un retour symetrique et ponctue a son gre" la phrase musi- cale; comme le poete qui a double la richesse des rimes, pour que le vers regagnat en couleur ce qu'il perdait en cadence , le novateur musicien a nourri et serre' son orchestration ; il a fait chanter les in- struments beaucoup plus qu'on ne I'avait fait avant lui, et, par 1'abon- dance et la varie'te' des dessins, il a compense" amplement le manque de rhythme de cerlaines portions. L'horreur du convenu, du banal, de la petite grace facile, des con- cessions au public, distingue e'galement le musicien et le poete, encore pareils pour 1'amour exclusif de I'art, Pe'nergie morale et la force de volonte; il serait peut-etre pue"ril de pousser plus loin des rappro- chements plausibles et faciles ; chez lous les deux, c'est le meme en- thousiasme pour I'art reveur et complique" de PAIIemagne et de I'An- DEPU1S V1NGT-C1XQ ANS 1T3 glelerre, el Ic memo dedain pour la ligne trop nue el trop simple de I'art classique, c'est la meme recherche de grands effets violenls, le meme penchant a proce"der par masse et a mener plusieurs penstk-s de front, comme des e"cuyers surs d'eux-memes qui ticnnent enlre leurs mains les renes d'un quadrige el qui nese Irompenl jamais de cheval ni de bride ; c'esl aussi la meme Iraduclion exacle (!> etTels de la nature. M. Berlioz exige done plus d'altenlion qu'un vulgaire croque-noles donl la musique, enlendue d(''j;i sur tous les pianos el toutes les orgues du monde, s'ocoute, pourainsi dire, avcc les pieds. Avanl de juger ce qu'il a fail, il esl bon de s'enque"rir de ce qu'il a voulu faire, a/in de voir s'il a tenu le programme qu'il s'esl impose* a lui-meme, el de ne pas lomber dans la faute de celui qui reprocherail a M. Ingres de n'etre pas coloriste, ou 5 Delacroix de n'elre pas des- sinaleur. II n'esl pas rare que Ton dise aux gens : Monsieur, voire Irage'die ne m'a pas fail rire, ou volre come"die ne m'a pas fail verser assez de larmes. Si Ton nous monlre un porlrail d'Hercule, n'al- lons pas nous Verier sollemenl qu'il ne ressemble pas le moins du monde ft Venus, la blanche de"esse. Le livrel de Benvenulo Cellini, quoiqu'il soil de M. Auguste Bar- bier el de M. de Wailly, Tun grand poe'le, 1'aulre liomme d'espril, a ge"ne"ralemenl eie Irouve" detestable ; pour nous, dans le fond de noire conscience, nous le trouvons aussi mauvais el aussi bon que loul aulre poeme; seulemenl, il aurail fallu e"crire tout simplcmenl sur I'afllche : Optra bouffe. A la premiere representation, beaucoup dc mots onl excite des murmures de'sapprobaleurs qui n'auraienl pro- duil aucun mauvais effet si les speclnteurs ne se fussenl altcndus a quelque chose de grave et de formidable. Le seul reproche que nous ferons au libretto, c'esl d'etre trop ladie" el de ne pas sortir assez de la maniere des faiseurs; il csl probable que les poetes y auront mis de 1'amour-propre et auront voulu mon- trer qu'ils fabriqueraient, au besoin, d'aussi piloyable poe"sie que M. Scribe lui-meme; ils y onl trop bien re"ussi! L'ouverture de Benvenuto est tres-belle, aussi belle que cdle A'Euryanthe ou de Fidelio. Tout I'ouvrage esl seme de motifs Ira- vailles avec beaucoup de soin, accompagnes souvent de conlrc-sujcts, L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE d'imilatious el de canons qui denolent diez M. Berlioz une pro- fonde science d'harmoniste, el qui auraii'iil du faire c'couter avec une aUenlion plus religieuse, une ocuvre de conscience, de talent, de volonlo, et peul-elre de genie. GAIETE. Le Vicomte de Chavullt/. Le Vicomle de ChamiUy, de M. Ancelot , est tire A'Une Maitresse sous Louis XIII, de M. Saintine, auteur de Picciola el de Jonathan le visionnaire. Qui a lu !c roman a vu la piece. Nous nc nous e"!everons pas ici contre celte methode facile de decouper un livre el de le metlre sur la scene en remplaoant les descriptions par des decors. Sliakspearc ne se genait en aucune maniere pour tirer ses sujets des nouvelles et des romans de I'e'poque, el nos dramaturges ne sont pas (ache's de ressembler en quelque chose a Shakspeare. M. Ancelot, qui a eu jadis quelque talent pour la versification, et a qui une longue habitude de la planche a donne une habilele male- rielle incontestable, s'est tire fort adroitement de sa tache, el le drame joue hier a la Gaiele ne manque pas d'un certain interel. 11 esl supe- rieur de lout point aux rapsodies ampoulees qui se hurlerit d'ordi- iiaire sur le boulevard du Crime. D'anciennes habitudes litle'rairesquc n'ont pueffacer completement sept a huit annees de vaudeville, se trahissent ca et la dans le style, el consolent un peu les oreilles de Thorrible patois qui se debite main- tenant pour du francais sur les dix-huit theatres dontnous sommes affliges. OpfiRA. Reprise de la Sylphide. L'0y6r&, il faut le dire, manque de ballets et ne sail a quoi employer son armee dc danseuses et de jolies figurantes; il parail qne la litteralure des jambes esl la plus difficile de loutes, car personne n'y pcut reussir. Les reprises de la Fille mat garde'e, de la Somnambule, du Car- naval de Venise n'ont eu qn'un inlerelde comparison, sans influence sur la recetle. A voir ces vieilleries qui ont cliarme nos pores et dont les airs, roucoules par les orgues a tons les carrefours, ont berce noire pre- miere jeunesse, il vient au cceur une espece de sentiment doux etme- lancolique, comme lorsque, on fouillant dans quelque recoin de tiroir poussiereux, vous retrouvcz des jupes gorge de pigeon, des denlelles DEPUIS VINGT-CIXQ ANS ITS jaunies, un e"ventail de'sempare', avec une romance d;> Jean-Jacques Rousseau d'un cole", cl une bergerie a la gouache de I'aulre, reli- ques oublie"es d'une grand'merc ou d'une grand'ianle morte depuis longlemps. Mais ce senlimenl tout pot?tique, quoiqif il ne soil pas sans dou- ceur, ne sufllt pas a remplir une salie d'ope>a; d'ailleurs, ledcla- brenieni des de"coralions, entierement passees et rompues a tous leurs plis, nc permet pas d'exhumer ces moniies de ballels qui onl peut-etre eHe", il y a quelque vingl ans, des corps frais et jeunes, de charmanls visages au joyeux sonrire, mais qui auront toujours pour nous quelque chose de ridicule, de suranne"et dc paternel. Depuis longlemps, il e"lait question de faire reprcndre les roles de mademoiselle Taglioni, la Sylpbide , la Fille du Danube, par made- moiselle Fanny Elssler; les taylionistes criaient au sacrilege, a ('abomination de la desolation; on cut dil qu'il s'agissail de tou- cher a I'arche sainle; mademoiselle Elssler elle-meme, avec celte modestie qui sied si bien au talent, craignait d'aborder des roles ou son illustre rivalc s'e"tait montre'e si parfaile, mais il ne fallait pas qu'un charmant ballet comme la Sytphide fut raye" du repertoire par des scrupulcs exagere's ; il y a mille manieres de jouer, et surlout de danser une meme chose, el la preeminence de mademoiselle Taglioni sur mademoiselle Elssler esl une question qui pourrait par- faitementsecontcster. Mademoiselle Taglioni, fatigued par d'inlerminablcs voyages, n'est plus ce qu'elle a etc"; elle a perdu beaucoup desa le'gerete'el deson e"le"valion. Quand elle enlre en scene, c'esl loujours la blanclie va- pour baignee de mousselincs transparenles, la vision adrienne el pudique, la volupttf divine que vous savez; mais, au bout de quel- ques mesures, la fatigue vient, I'lia'cine manque, la sueur perle sur le front, les muscles se lendent avec effort, les bras et la poilrine rougissenl ; lout a 1'heure c'e'lait une vraie sylpliide, ce n'est plus qu'une danseuse, la premiere danseuse du monde, si vous voulez, mais rien de plus. Les princes et les rois du Nord, dans leur admira- tion sans prevoyance et sans pilie, I'onl lanl applaudie, lant enivrt'e de complimenls, ils onl fait desccndre sur elle lanl de pluies de flcurs el de diamanls. qu'ils onl alourdi ces nicds infaligables, qui, 176 LART DRAMAT1QUE EN FRANCE pareils a ceux de la guerriere Camille, ne courbaient memo pas la pointc des hcrbes; ils 1'ont chargee de lant d'oret de pierreries, la Marie pleine de graces, qu'elle n'a pu reprendre son vol, et qu'elle ne fait plus que raser limidement la terre, com me un oiseau donl les ailes sont mouillees. Mademoiselle Fanny Elssler est aujourd'hui dans toule la force de son talent; elle ne peut que varier sa perfection et non aller au dela, parce qu'au-dessus du Ires-bien il y a le trop bien, qui est plus pres du mauvais qu'on ne pense ; c'esl la danseuse des liommes, com me mademoiselle Taglioni etail la danseuse des femmes ; elle a I'e'le- gance, la beanie, la vigueur hardie et pelulante, la folle ardeur, le sourire elincelant, et, sur tout cela, un air de vivacitc espagnole tem- peree par sa nai'vele" d'Allemande, qui en fait une Ires-charmante et Ires- adorable creature. Quand Fanny danse, on pense a mille choscs joyeuses, l'imagination crre dans des palais de marbrc blanc inondes de soleil et se dctachant sur un ciel bleu fonce, comme les frises du Parthenon ; il vous semble elre accoude sur la rampc d'une lerrasse, des roses aulour de la tele, une coupe pleine de vin de Sy- racuse a la main, une levretle blanche a \os pieds ct pres de vous une belle femnie coiflee de plumes et en jupede velours incarnadin ; on entend bourdonner les lambours de basque et tinier les grelots aucaquetargenlin. Mademoiselle Taglioni vous faisait penser aux valises pleines d'ombre el dc fraicheur, ou une blanche vision sort toul a coup de Pe'corce d'un chene aux yeux d'un jeune pasteur surpris et rougis- sanl; elle ressemblait a s'y mdprendre a ces fees d'Ecosse, donl parle Waller Scott, qui vont errer au clair de lune, pres de la fon- taine myslerieuse, avcc un collier de perles de rose"e el un lil d'or pour ceiniure. Si Ton peut s'exprimer ainsi, mademoiselle Taglioni est une dan- seuse chreHienne ; mademoiselle Fanny Elssler est une danseuse pai'enne. Les lilies de Milet, les belles loniennes dont il esl lanl parle dans 1'antiquile, ne devaient pas danser aulrement. Ainsi done, mademoiselle Elssler, quoique les roles de mademoi- selle Taglioni ne soient pas dans son temperament, pent sans risque et sans peril la remplacer partout ; car elle a.assez dc flcxibilite el UEPUIS V1NGT-CINQ ANS 177 di' talent pour se modifier et prendre la physionomie pariieuliere du pcrsonnage. Le sujet de la Sylphide est un des plus heureux sujets de ballet que Ton puisse renconlrer; il renferme une ide"e touchante et poe"- tique, cbose rare dans un ballet et meme ailleurs, et nous sommes charni^ qu'il soil reinis au theatre; I'aclion s'explique el se com- prend sans peine et se prete aux tableaux les plus gracieux; do plus, il n'y a presque pas de danses d'hommes, ce qui est un grand agreement. Le costume de mademoiselle Elssler eHait d'une fraicheur ravis- sanle; on aurait dil qu'elle avail coupe* sa robe dans le crepe des libellules et chausse" son pied avec le satin d'un lis. Une couronne de volubilis d'un rose ide"al cntourait ses beaux cheveux bruns, el derriere ses blanches epaules palpilaienl el tremblaienl deux peliles ailes de plumes de paon, ailes inutiles avec des pieds pareils! La nouvelle sylphide a e"te" applaudie avec fureur; elle a mis dans son jeu une finesse, une grace, une legerete" inflnies; elleappa- raissail el s'e'vanouissail comme une vision impalpable; vous la croyiez ici, elle e"lail la. Dans le pas avec sa sosur, elle s'est surpas- se"e elle- meme; il esl impossible de rien voir de plus parfail ni de plus gracieux ; sa pantomime, quand elle est prise par son amanl dans les plis de l'e"charpe enchanle'e, exprime avec une rare poesie le regret et le pardon, le sentiment de la chute et de la faute irrepa- rable, et son long et dernier regard sur ses ailes tombe'es a lerre est d'une grande beaule" tragique. Au commencement de la piece, il est arrive un petit accident qui if a pas eu de suite, raais qui nous a ulurme tout d'abord : au moment ou la Sylphide disparait par la chemine'e(singulier chemin pour une sylphide) , mademoiselle Fanny, emporle'e troty rapidement par le contre-poids, a heui'te assez violemment du pied le bois du cham- branle. Heureusemeul, elle ne s'est fait aucun mal ; mais nous prenons occasion dececi pour nous re"crier centre les vols, qui sonl une Ira- dilion du vieil opera. Nous ne trouvons rien de bien gracieux a voir cinq a six malheureuses lilies qui sc nieurenl de peur suspendues en I'air par des His de fer qui peuvenl fort bien se rornpre; ces pauvre:? 178 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE creatures agitent epcrdumenl leurs bras et leurs jambes comme des crapauds depayses et rappellent involonlairement ces crocodiles cmpailles que I'on pcnd au plafond. A la representation an benefice de mademoiselle Taglioni, deux sylphides resterenl en Pair; Ton ne pouvait ni les descendrc ni les remonter; loute la salle criait de ler- reur; enfin,un macbinislcse devoua etdescendit par lescombles au bout d'tine corde pour les debarrasser. Quelques minutes apres, mademoiselle Taglioni, qui n'a parle" que cette fois dans sa vie (au theatre bien entendu) s'avanca sur le bord du theatre, et dil: Mes- sieurs, personne de blesse. Le lendemain, les deux sylphides de second ordre recurenl un cadeau de la vraie sylphide. II arrivera probablement bientotquelque anicroche de ce genre. XVI OCTOBRE 1838. Cirque-Olympiquc : David et Goliath, exhibition en trois actcs. L'hiver et 1'ete. Les ailes d'un ange et la queue d'un nuagc. M. Bihin, geant beige. Petitcs misfires de la grandeur. Italiens : Olello, Lucia. La musique drama! iqtie. Nos griefs centre MM. dcs Bouffes. Justice distributive. 15 oclobre. UE. David et GoliaUi. H^las! voici 1'hiver, il faut bien en convenir. Nous avons garde le plus longlemps possible le panlalon d'ete et la petite redingote courle, ne voulant pas re- connaitre ceite triste verit^; a I'heure meme ou nous dcrivons ces lignes, nous sommes habille fort a la le^gere, dc toile et de coulil, comme si nous etions au mois de juin. Mais il est juste de dire qu'un grand feu petille et flambe dans notre chemiriee; le ciel est bleu, le jour blond et clair, un gai rayon de soleil dore les branches den- tele"es des acacias et le vernis du Japon qui se balance devant la fenetre; si Ton ne iremblait pasde froid dans la rue etsi le nez de? DEPU1S VINGT-CIXQ ANS 479 femmes ne prenait pas une fraicheur dc teinl plus convenable pour leurs joues, Ton serait librc tie se croire en die*. Nous avons poursuivi, jusqu'au rliume de cerveau inclusivement, I'applicalion d'une lhe"orieparadoxa!edeMery, Ic spiriluelct frileux poele que vous savez; Me"ry prdtend que les saisons ne changeraicnt pas si Ton gardait loujours Ics memes habits; I'e'te", scion lui, n'arrive que parce que Ton met des panlalons de nankin, des clia- peaux de paillc et des vesles d' la maniere de Bre'bffiuf, enlasscr sur les rives De morU ou ile muuraiils cent uiuntugncs plaintivcs ! D'ailleurs, toulcs ces cloquentes calilinaires conlre les ttomains dn lustre nous paraissenl manquerderaison et de justesse; le claqueur en soi n'a rien de di l sugre"able, et il rend autanl service an public qu'a 1'adniinislration; personnelleraetit, c'est un liomnie lellre" el plein d'erudilion drarnatique. Ilconnait le forl el le faible dcs pieces, el, quoiqu'il ne refuse jamais aux morceaux marques le nombre de ballements voulus, il a ses admirations particulieres el u'csl pas la dupe du limit qu'il fait, comme beaucoup de gens plus baut places. S'il esl vrai quc le theatre castitjut r/riendo mores, per- sonne ne doil avoir les mceurs plus chalices, puisque, par elal, il frdquenle plus assidument que qui quc ce soil les salles de specta- cle; s'il a quelquefois protege la me'diocrite', il a souvenl soulenu une ceuvre aventureuse el nouvelle, decide le public he"silanl el fail laire 1'envie, qui ricanail el sifllolait dans quelque coin obscur; en relenanl sur la penle de leur chute des pieces qui avaient nt'cessM des frais considerables, il a empfiche' la ruine d'une vaste entreprise et le descspoir de cent families. II egaye et rend vivanles les re- presenlalions, qui, sans lui, seraient monies et froides; il esl la mechedu fouclqui fail bondir I'acteur ct le precipite ausucces; il donne du coeur a la jeune premiere qui tremble, et desserre la gorge de la debutante qui ne pourrait, sons lui, laisser lillrer un son per- ceplilile; ses applaudissemenls sonl un baume pour I'amour-propn- blessd des autcurs, qui oublient aisemenl qu'ils onl ete commander le matin. Bref, le claqueur esl une prevenance du directeur an public, qu'on suppose Irop bon genlilhomme el trop bicn ganltS pour applaudir lui-meme; Ic moindrcgeste, le plus legcr signc dVinotion 192 L ART URAMATIQUE EN FRANCE elant inlerdilpar I'usage a cc qu'on nomme la bonne compagnic, ct toullemonde sejugeant de la bonne compagnie,le silence le plus fu- nebre et le plus somnolent regnerail dans les theatres, plus muels el plus creux que les necropoles d'Egyple. Si Ton supprinaait les claqueurs pendant liuil jours, le public les rcdemanderait a grands cris. Et la preuve qu'ils sont indispensables, c'est qu'il y en a toujours eu. Le claqueur n'est, du rcsle. qu'une nature admirative un peuexa- Seree. OpERA-CoMiQUE. Le BrassBur de Preston. Avant la rcprfecn- tation du Brasseur, nous avons recueilli le dialogue suivant cnlrc un monsieur el un autre monsieur : PREMIER MONSIEUR. On prepare un nouvel ouvrage a 1'Opera- Comique? SECOND MONSIEUR. Oui : le Brasseur de Preston, en Irois acles. PREMIER MONSIEUR. Tres-bien. De qui sonlles paroles? SECOND MONSIEUR. Les paroles sont des auleurs du Postilion de Longjumeau. PREMIER MONSIEUR. Qui a fail la musique? SECOND MONSIEUR. Le compositeur du Postilion de Longjumeau. PREMIER MONSIEUR. Et les decorations? SECOND MONSIEUR. Les decoraleurs du Postilion de Longjumeau. PREMIER MONSIEUR. Ah ! diable ! ce sera ires-joli. Qui joue dans la piece? SECOND MONSIEUR. Les acteurs du Postilion de Longjumeau. PREMIER MONSIEUR. II y aura beaucoupde monJe? SECOND MONSIEUR. Tout le monde du Postilion de Longjumeau. Nous sommcs de I'avis du second monsieur. Le Brasseur de Pres- ton aura toul le succes de son aine. Peul-elre meme obliendra- l-il tine vogue encore plus grande. Le poiime esl pour le moins aussi jovial, el la musique, sans elre moins gaie et iroins vive, nous a paru d'une faclure plus ferme et plus serree. D'aulres de"sireraienl une orchestration plus forte, des masses plus nourries, un dcssin d'un gout moins trivial; mais, lelle qu'elle est,cclte musique convienlpar- failemenl au sujel et au genre de rOpcra-Comique : elle est gaie, franohe, d'une allure derideV, claire et facile a compi'endre, c'est la DEPUIS V1NGT-C1NQ ANS 193 vraie musique qu'il Taut au public ; le public a pcut-clre tort, mais c'esl ainsi, el M. Adam sail parfailcmenl trouver le bout de lit bobine donl pdrle Ga'the dans ses Afftnite's e"lectives. C'e"lail I'autre soir, .HI lli&Ure de la Bourse, des Irlpignemenls, des bravos, des bis et des cboeurs de Cannes qui prouvaienl la profonde satisraclion des spectateurs. Nous avons vu rarement un succes aussi franc et aussi complet. 12 novembrc. RENAISSANCE, liny Bias. Jainais solennile litleraire n'a excite* dans le public un inte'ret aussi vif; car, outre la premiere represen- tation de Ruy Bias, il y avail la premiere representation de la salle, et I'Vluil ce soir-la que devailde'linitivement sejuger la grande ques- tion de savoir si Frederick parviendrait a depouiller cette uideuse defroque de Robert Macaire,dont les lambeaux semblaient s'altacher a sa chair comme la tunique empoisonnee du centaure Nessus. Position e'lrange que cclle d'un acteur qui ne peut se separer de sa creation, et dont le masque garde trop longlemps limt par devenir la figure. Ruy Bias qu'une plume plus docle que la noire a dignement appre'cie' ce matin Ruy Bias, disons-nous, a rdsolu le probleme. Robert Macaire n'est plus; de ce las de haiilous, s'esl elance", comme un dieu qui sorl du tombeau, Fredrick, le vrai Fre'de"rick que vous savez, me'lancolique, passionne", le Frederick plein dc force et de grandeur, qui saitlrouver des larmes pourattendrir, des lonnerres pour menacer, qui a la voix, le regard et le gesle, le Fre'de'rick de Faust, de Rochester, de Richard Darlington el de Gennaro, le plus grand come'dien el le plus grand lrage"dien moderne. C'est un grand bonheur pour I'art dramatique. La salle csl deforce avec une elegance el une splendeursansegalcs, dans le gout dit renaissance, quoique certains ornements serappor- tent au commencement du regnede Louis XI You meme de Louis XV; le ion adopte esl or sur blanc; des meMaillons en camaleti ornenl le pourlour des galeries; de targes cadres sculplt's el dore's rempla- cent, aux avanl-scenes, I'inevilable colonne corinlhienne el fonl do chaque loge une espece de lableau vivanl ou les figures paniisscnl 194 LART DRAMATJQUE EN FRANCE a mi-corps comme dans les loiles du Valentin et du Caravage; le ridcnu, peint par Zara, reprcsenle une immense draperie de velours incarnat relevee par dcs tresses d'or el laissant voir une ifoublure de satin blanc d'une richesse extreme; le plafond, que l'on a sur- baisse, offrc une foulede figures alle"goriquesel mylhologiques dans dcs carloucbes ovales, par M. Valbrun. Ces figures nous ont paru peu dignes du reste de la decoration ; dies rappellent un peu trop les paravents du temps dc I'Empire; c'est la seule chose que nous trouvionsii reprendre dans toutc 1'ordonnance de la salle. Lcsloges sont tenducs d'un bleu lendre Ires- favorable aux toilettes; de moel- leux tapis rouges garnissent les couloirs ; et meme, chose irioui'e! les ouvreuses sont jeunes, jolics et gracieuscs, recherche de bon gout; car rien n'est plus deplaisant a voir que les ouvreuses ordinaires, pour qui semble avoir e"te fait ce vers de don Cesar : Affreusc compagnomic, Dont le nientoii iluurit ct donl le ncz trognonne ! Nous souhaitons mille prospe"rites au Ihealre nouveau, enlrefran- chement dans unevoie d'arl eldc progres, et qui, nous l'espe"roi)s, ne s'appellera pas pour rien le theatre de la Renaissance. Un discours de M. Mery, un drame de M. Hugo, voila quiest bien. Continuez; mais, surtout, pas de prose ! des vers, et puis des vers, et encore des vers! il fant laisser la prose aux boutiques du boulevard; des poe'tes, pas de faiseurs ; il n'y a pas besoin d'ouvrir un nouvel elal pour les fournitures de ces messieurs ; il faul bien que la fantaisie, le style, Pesprit, la poe"sie aient un petit coin pour se produire dans celte vaste France qui se vante d'etre le plus intelligent pays du monde, dans ce Paris qui seproclame lui-meme le cervcau de I'uni- vers, nous ne savons trop pourquoi : il y a bien assez de dix-huil theatres pour !e melodrame et le vaudeville. PORTE-SAINT-MARTIN. Dom Sebastien de Portugal. La scmaino est heureuse, liny Bias, jeudi ; vendredi, Dom Sebastien de Por- tugal; deux pieces litteraires, deux pieces en vers, c'est charmanl. Dans 1'insipide me'tier que nous faisons, de pareilles bonnes fortunes se presentent trop raremcnl, helas! Celte tragedie a e"te refusee aux Francais, qui aimenl mieux jouer DEPU1S V1NGT-CINQ ANS 195 Miulume de Liynerolles, Richard Savage el autres belles choses do ce genre; elle a aussi rii; rcfux'-c ;i I'Odton, ce tombeau de taut de jeunes pieces. Dom Sebaslien de Portugal, de rctour de sa fabuleuse expedition eii Afrique, apres avoir frappe inutilemcnt a ces deux theatres, et voulaul prouver qu'il n'etait pas morl conirne on le di- sait, a ele" trouver M. Harel, qui I 'a reconnu pour vrai et legitime, mais lui a fait I'objection qu'il parlail en vers, langue dcferidue au boulevard, qui devruil bien defendre a son tour a la rue Richelieu d'usurder la sienne. Dom Sebaslien nc s'esl pas rebute" pour cela, ct il a rtrdi'Miiiinler ;ui minislrc de I'int6rieur la permission de reciter ses imprecations versifiees, sur les planches ou sautillenl les gre- nouilJes de Peau-d'Ane. La permission a etc arcordee, et dom Sebaslien est venu se inonlrer, vendredi soir, ;'i son peuple revolle". M. Paul Foucher est un poe'le de lalenl ; sa piece frlseult Raim- Uault, joue"e a l'0de*on, (Hail bien conduite el versifle'e energique- nii.'iii: il a, avanl lous les autres, le\i- 1'etendard romanlique : Amy Robsart esl un des premiers pas que r<5cole moderne ail fails sur le theatre. Plusieurs drames int^ressants, tels que Jeanne de Naples, \*0flicier bleu et Guillaume Colmann, out donne h M. Foucher une place honorable parmi les dramalurges du boulevard ; mais il a de plus que ses confreres un senlimenl lilte'raire tres-distingue ; il comprend la po^sie (il esl vrai qu'il est a bonne e"cole pour cela), el supporle convenablemenl sa dangereuse parenle, sa position d'eloile a cole du soleil. ID novcmbrc. RENAISSANCE. Olivier Dasselin. Olivier Basselin esl, dil-on, I'invenleur du vaudeville; c'esl une trisle recommandation ; pour noire parl, nous lui en .savons un gr6 Ires-mediocre. II a cre"e" un fleau plus redoutable que la peste el le choldra. Un fleau qui ravage le mende enlier, el qui ne finira que le jour ou les clairons du jugcmenl dernier fcront taire les grelols feles el les violons criards donl il s'accompagne. Un vaudeville, ou vaudevire, pour parler en style moyen age, c'esl quelque chose qui n'esl ni de la poe'sie, ni de la musiquc, cl qui 196 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE justilie pleinement 1'axiome de Beaumarchais : Ce qui ne vaut pas la peine d'etre dit on le chanle. Maudit soil done Olivier Basselin pour sa damnable invention ! Boileau avail dit collectivement : Le Francais, ne malin, forma Ic vaudeville. II parail que Basselin tout seul doit elre charge" dc celtc iniquile; nous en soinmes bien aise pour les Franc.ais, inculpes en masse par le vers de Boileau. Nous avons exprime, Paulre jour, a propos de la Renaissance, des craintcs que nous ne pensions pas devoir elre silot rdalise'es. Ce charmant theatre, si brillamment inaugure par Ruy Bias, ne doit-il etre, en definitive, qu'une succursale du Gymnase ou des Varie'tes? Est-ce que, reellcment, Olivier Basselin e'tail la meilleurc des petites pieces presentees? L'iinaginalion des milles jeuncs gens de talent et d'espril qui encombrent la litteralure n'a done rien produit de plus singulier et de plus recreatif que cette bluelte mediocre due a MM. Brazier et de Courcy, un vaudevilliste mort et un vaudevillisle vivant?Car nous supposons que M. Ante'nor Joly n'a donne Olivier Basselin qu'a defaut de quclque chose de superieur. Les vaudcvil- listes et les faiseurs de libretti out les Varietes, le Gymnase, Ic Vau- deville, le Palais-Royal, le Pantheon, la Porte-Saint-Antoine, la Porte-Saint-Marlin, I'Ambigu-Comique, I'Opera-Comique, la Gaicle, le Theatre-Francais memo, et Bobino et le Petil-Lazary; ils out lout! laisscz la Renaissance aux poe'tes. Le seul moyen de faire de 1'argent aujourd'hui, c'esl d'etre litie'raire, il n'y a plus que cela de neuf. Pourquoi n'avoir pas demande une piece a M. Alfred de Mussel, au charmant auteur de Fantasia, des Caprices de Marianne, de la Nuitve'nitienneel de vingl autres delicieuses comedies qui peuvent lutter de finesse avec cellesde Marivaux et quiont, de plus, une fleur poeHique qui manque aux Jeux de I'atnour et du hasard; les ro- mances et les airs qu'il y aurait semes auraienl beaucoup mieux valu, pour la musique, que ces lignes sans rhylhrne el sans poesie sur lesquelles M. Pilali a du travailler. DEPIMS V1NGT-C1NQ ANS 197 L'auleur du theatre de Clara Gaztil esl-il done si obsliuemenl relink sous sa tenlc administrative, qu'il ne puisse donner un pendant a la Famille Carvarjal ou aux Espagnols en Danemark? Qui empecherait que Ton nc jouat quelque chose de M. de Balzac, liomme des plus habiles a serrer une intrigue, et le mcilleur peintre de caracteres que nous ayons eu depuis Moliere? II consentirait peul- e"tre a quitter la nouvelle pour le drame. De celte sorte, le theatre de la Renaissance me'rilerait son nom, et pourrail se fonder une existence durable. II serait bientol temps que la scene ne ful pas abandonnce aux mediocriie's actives el four- millantcs, et que les gens d'art et de poe*sie pussenl I'aborder; car il est honleux que des canevas grossiers, recouverls a la bate d'un style filandreux ct terne, soienl les seuls plaisirs sce"niques d'une grande nation. Depuis que nous faisons le trisle me"lier de feuilletoniste, il nc s'est joue" que trois pieces forties et dont nous ayons garde" le souvenir : Caligula, liuy Bias et Dom Sebastien; lout le resle n'est que besogne el marcbandisc, et n'a d'autre merite qu'un inte'rei ma- teriel. Voilii de"ja trois vaudevillisles pour deux representations. C'cst trop do deux, mailamc! De ce train, Ton irail vile; car les vaudevillisles sonl innombrables comme les sauterelles d'Egyple, avec qui ils ont plus d'une ressem- blance. L'avenir de la Renaissance n'est pas la ; il faut des pieces hardies, singulieres, elrauges mome, quelque chose de neuf et d'impre'vu, dans le gout de la come'die italienne, ou des pieces romanesques a la facon de Shakspeare, tout ce que vous voudrez, hors des vaude- villes ou des operas-comiques. Lady Melvil, ou le Joaillier de Saint-James, donne" a ce mfime the"alre de la Renaissance, a eu 1'avantage de servir de de"bul a ma- dame Anna Thillon, la plus de"licieuse crOalure qui se puisse voir. Jamais les livres de bcautts, les illuslralions de Byron ou de Shaks- peare ne nous onl offerl rien dc plus vaporeusemenl idt'al el de plus coqnettemenl fe'minin; le burin de Finden, de Cousins el de Robin- son n'atleindrait pas a cettc flnesse el a celte Elegance. I. 17 198 I/ART DRAiMATlQUE EX FRANCE Deux sortcs d'Anglaises exislent sur la terre. La premiere sorle el la plus norabreuse, dont on peut voir do nombrcux echanlillons aux bals des ambassades, se compose de creatures exorbilantes, avec des picds a la poulainc, des nez d'ecrevisse, des yeux de faience et des accoutrements cxotiqucs, coraux, madrepores, oiseaux de paradis ct autres comestibles, qui les font ressembler a des biscuits de Savoic ou a des assicltes montees. L'autre categoric, beaucoup moins e'tendue, se compose d'angeliques et diapbanes jeunes filles, plus belles qu'on ne saurait les rever, avec des blancbeurs d'opale, des sourires de rose, et dans la prundle des langueurs de violelte trem- pe"c de rose'e; des chcveux aux spirales lustrees quo le joli doigt blanc de Titania semble avoir pris plaisir a tourner pendant une reverie d'amour; des tallies fi qui les petitcs mains d'un sylplic feraient une ccinture encore trop large ; et, sur tout cela, une voluplc" nonchalante, une Emotion conlenue et pudique, une chnrmantc gau- chcrie de gazelle effaroucbe'e ou dc colombe surprise au nid, un petit grasseyement enfantin d'une grace adorable ct dont la plume la plus delicate ne pourrait donner une ide"e. Ces deux descriptions aboutisscnt a 1'axiomc suivant : Ricn n'est plus laid qu'une Anglaise laide; axiome incontestable, qui a pour anlithese cet autre axiome, egalement incontestable : Rien n'est plus beau qu'une belle Anglaise. Madame Anna Tbillon appartient a la seconde de ces deux categories. La place de madame Thillon, consi- deree commc jolie femme, est marquee a cole de mesdames Grisi el Fanny Elssler ; elle portera a trois le nonibrc des Graces de la scene. Quant a sa voix, elle est fraichc, dtendue, sonore, d'un cbarmant timbre, mais elle n'est pas encore tout a fait posee; madame Anna Tbillon a cbaate avec beaucoup de gout la marquise de Mclvil; nous csp6rons qu'elle aura bicntot a remplir un role d'une plus haute im- portance musicale. La musique de Lady Melvil ne nous a pas paru tres-originale; nous atlendions quelque chose dc mieux de W . Grisar ; pourlanl nous avons distingue, dans le cours de 1'ouvrage, des motifs qu'Aubcr ne de'savoucrait pas. Le poeme, du a la plume experimcnte'e de M. de Saint-Georges, est amusant ct bien coupe; il aurait facilcmcnt porle une musique plus forte. UEPUIS VIXGT-CINQ ANS 199 XV1I1 DECEMBRE 1838. Varietiis : Tronquelle to Somnambule, vaudeville ile MM. Cogniard freres. La piece et les actcurs. Mademoiselle Pi- geaire et 1'Acadeinie des sciences. Un mot sur le inagnclisine. Ope>a . debut deM. Mario (comledeCandia) dans Hubert le Diable.lA. Duponchel invcnleur de tenors. Ilaliens : Roberto Devereux ou d'Evreux, librcllo du signer Commarano, musiquc de M. Donizetti. Le Cod save the king. Ovation faite au maestro Donizetti. Les poetes el les comddiens - Cirquc-Olympique : la troupe des singes ct des chicns savants. M. le professeur Schneider. 1" dccembrc. VARifixfis. Tronquelte la Somnambule. Ne vous allendez pus a quelque lamentable histoire de jeune lllle somnambule se rcndant a travers toils dans la chambre de quelque colonel. II ne s'agil pas de cela, et les Varieties ne donnenl pas dans ces faiblesses romanesques. Ceci esl du vaudeville arisloplianique, du vaudeville actuel, palpitant d'actualite, corume on dit a present. Le nom meme d'un des personnages rappelle, par sa consonnance, le grand magne'liscur Figeaire, a qui de re"centes experiences out donne" de la cele'brite'. II s'agit ici d'une espece de Robert Macaire qui ne parle que de fluides sympatbiqucs, de passes a grand couranl, d'eflluves, de rayonnements et autres mots dc I'argot niesme'rien, et qui caressc la manie d'un vieil Allemand enticli6 de magnetisme ct fort riche, dont il desire c^pouscr la fille Mina. Ce Robert Macaire possede un Bertrand, comme tout Robert Macaire un pcu bicn situe", car un Berlrand esl un oulil aussi indispensable qu'un rossignol ou qu'un monseignetir. Ce Bertrand a pour amanlc une jeunc cuisiniere ou fllle d'aubergc de Leipzig donl son patron vcul faire un sujct pour leurs operations ; hcureusemcnt qu'un cousin ou nevcu dc Fisher, 200 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE amoureux de la jeune Mina, se substitue S la servante Tronquette, ct, dans une stance de somnambulisme, de" voile au vieillard imbecile les ffrojets dc Saint- Bernard et de Pamphile, son acolyte. Le vieux, de'sabuse', voyant qu'au lieu de lui faire trouver des Iresors, on veut lui soulirer son argent el sa fille, se met dans une colere rouge et jette a la porte les deux intrigants. Cetle piece a reussi sans opposition, et le public a fait comme les somnambules, il n'a pas dormi. Re'bard est excellent dans le role du pere Fisher. Prosper Gothi esl merveilleusement servi par son physique, pour avoir Fair d'un marchand d'orvietan ou de vulne'raire suisse. Quant a Gabriel, il fail tons les jours des progres, et il finira par devenir un bon acteur, s'il ne I'est deja ; il est fort drole dans son costume de Tronquette. Hyacinllie a un certain habit noisette avec un pantalon congruanl de la tournure la pluscomique; Hyacinthe recoil toujours les coups de pied au derriere et les soufflets a la figure avec son phlegme el sa superiorite accoutumes. G'est un paillasse ne", et la nature lui a plante falalement la queue rouge au bas de la nuque. Mainlenant que nous avons constate le succes de la piece, faisons remarquer combien le theatre est loujours en arriere et n'ose risquer une plaisanlerie que lorsqu'elle esl usee depuis forl longlemps dans lous les almanachs plus ou moins liegeois : quand une idee a traine dans les livres, le long des feuillelons, le the'atre s'en empare en tremblant de sa hardiesse, si la chose n'a pas au moins trois ou qualre ans de dale; la lecon vienl loujours quand le iravers esl passe, et il y a, dans ces pieces atlardees, des allusions couverles a des circonslances que I'on ne sail plus. Jamais la scene n'a 1'initia- tive, elle ne fail que reveler et vulgariser. Tous les bons et les mauvais mots possibles out etc" fails sur les disciples de Mesmcr et les partisans du magnetisme, el les droleries de Tronquette n'ont pas grande nouveaute, ce qui n'empechc pas la piece d'etre forl gaie : a la scene, ce qui est drole une fois I'est deux fois et memo trois, contrairement a la niaxime latine. Sepia huil situations et une douzaine de plaisanlcries suflisent a defrayer un theatre pendant un siecle. Ce vaudeville contient une situation ou est reproduite la scene do DEPUIS VINGT-CINQ ANS 01 mademoiselle Pigeaire et de son triple bandeau de velours noir; nous en sommes bien faclie" pour MM. Cognlard et MM. de I'Acade'mie, mademoiselle Pigeaire lisait re"ellemenl a travers un masque com- pose de trois e'paisseurs de velours supcrposc'cs, avec des tampons de ouatc dans la cavile" de I'orliite, el une bnnde de toile qui se nouait derriere la tele; par surcroit de pre"caulion, les barbes de cc masque semblable a ceux des dominos, a I'exception des yeux, elaient 00116*65 avcc oclile, nous vous en demandons pardon, mnis vous savez bien que jamais nous n'avons eu aucun velemenl de nankin ! Gel ingenienx domino parul forl de"concert du peu de swn's de sa phrase, et se fondii dans la noire foule apres eel essai d'inlriguenon suivi d'effct. Quel esl done I'allrail qui pousse si imperieusement la foule au bal de I'Ope'ra? C'esl 1'esperance d'un plaisir qui fuil loujours : on suppose aux aulres les aventures qui ne vous arrivenl pas, et, sans doute, lorsqu'on nous disait celle agre'able phrase que nous venons de citer, les gens qui passaient aupres dc nous s'imaginaienl quelque chose de beaucoup plus curieux , supposition que nous avons faite a noire lour sur d'aulres ; le spectacle du nonheur des aulres esl de'jii un bonheur, el vraiment, a voir celle foule affairee qui va, vienl, se prend, se quitle, monle, dt-scend el circule dans he grand corps de I'Ope'ra, on croirail qu'elle irouve du plaisir; elle fail du moins lont ce qu'elle peul pour se r^jouir. On attend ; \c matin 220 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE vicnl avec ses trainees de jour bleuatre, el Ton se coticlie assez las pour croire qu'on s'esl amuse beaucoup. XX FEVRIER 1839. Opera : la Gipsy, ballet de M. Mazillier, musique de MM. Benoit, Tliomas et Marliani. Mademoiselle Fanny Elssler. La Cracoviame. LYnlliousiasine economiquc. Renaissance : Diane de Chivry, par M. Frederic Soulie. UEau merveilleuse, paroles de M. Sauvage, ninsique dc M. Grisar. Gymnasc : la Gilana, par MM. Laurencin el Dcsvergers. Vogue des boliemienncs. Mademoi- selle IS'allialie et ses costumes. Cirque-Olyinpique : les Pilules dn Diablo, feerie de MM. Anicct Bourgeois et Laurent. Prodiges sur pro- diges. Porte-Saint-Martin : le Jlfnnoir de JHontlouvier, drame i:i.sme; la bohi 4 - mienne esl, en cffct, un type cliarmant, cl il n'esl pas de grand pctele qui n'ait pris plaisir a esquisscr colic brunc ligtire, svelte poe'sie du i>">4 L ART DRAM.VTIQUE EN FRANCE carrefour, e'lincelantc au milieu d'un (ourbillon de clinquant ct dc ]);iilletlcSj les pieds dans la bouc, la tele dans le soleil ct Ics flcurs. Mignon, Fenclla, Esmerakla, tour ft tour caressees par Gcellie, Walter Scott el Victor Hugo prouvenl I'amour des ames poc*liques pour ce caractcre fier ct libre qui donnc tout an hasard ct reveille dans Ics esprits les rnicux regies un sourd instinct dMndependance ct de vie crranle. La Gitann du Gymnasc esl liree d'une anecdote rapportee dans les Memoires de Tallemant des Keaux. C'est 1'liistoire de la belle Liancc, bohemienne sage comme une actricc d'aujourd'hui, dont la vertu scandalisa tous les rafflnes du temps, et qui alia demander au roi Louis XIII la grace d'un mari idiot et voleur qui la battait ct qu'elle adorail suivant I'usagc. L'intrigue de la piece est pen de chose, el MM. Laurencin et Desvergers ont suivi,pas a pas, la donne'e de Tallemant. L'inlrigue, c'esl mademoiselle Nathalie, qui met dans son role un esprit, une graced une genlillesse extremes. Mademoiselle Nathalie a fail a la cachncha un succes de vogue qne la Gitana conlinnera. II esl impossible d'etre ajustec avec plus de gout el de richesse que la gilana du Gymnase : dans une piece assez courte, elle change qualre fois de costumes, et ces costumes sont d'une elegance rare: le premier cst en velours pense'e avec des cannetilles d'or et une coif- fure de liligrane, egalemerit d'or, qui encadre on ne peutmieux la cliarmanle figure de mademoiselle Nathalie; le second n'est pas orange avec des faveurs bleiies, comme le pourpoint du marquis de Marion Delorme, mais bleu avec des faveurs orange, ce qui n'est pas moins joli; le troisieme esl de lampas rose el blanc; le quatriemc, dessine" avec la plus grande fantaisie, resscmble au cos- tume des femmes de Smyrno; il sc compose de velours incarnadin el de gazes lamees. Nous insistons sur cola, parce que nous avons dcpuis longlemps remarque" dans les theatres une tendance au cos- tume simple qui nous ravit mediocrement. La gaze blanche, 1'organdi ctaulrese'loffese'conomiques devicnnenl d'un usage par trop general: les theatres sont voues au hlanc ct ressemblent a des pensionnats do jeuncs demoiselles, a 1'epoque dc la distribution des prix ou de la premiere communion. Ce ne sont, par toules les coulisses, que des DEPU1S V1NGT-C1NQ ANS .Ji5 (Jloges perfidcment calculus SUP !a fraiclieur cl reflet du blanc : On n'a I'air habillee qu'avcc du blanc; Ic blanc va si bien aux brunes, elc., etc. Le seul costume csl mainlcnanl uu peignoir dc gaze et de mousseline, quels que soient le lieu cl Ic temps ou se passe faction. Nous savons done beaucoup de gre" a mademoiselle Nathalie des sacrifices qu'ellc fail pour ses costumes; de beaux habits sur de jolies femmes, rien n'est plus charmant. En outre, elle tire les carles comme mademoiselle Lenormand clle-meme, cl danse, avcc plus de grace qu'une vraie danseuse, un pas bolic'micn avcc accom- pagnemcnl de tambour de basque, d'un dessin tres-gracicux. En voila plus qu'il ne Taut pour faire r<5ussir une piece par le vaudeville qui courl. 18 fcvricr. CiRQt'E-OLYNPiQUE. Les Pilules du Diablc. Les Pilules du Diable! voila un litre supcrlalif, un litre triomphanl, presque aussi beau quc le Billet de mille francs, ou Ic Bacuf enragd des Funam- bulcs. Comme cela fail prcssenlir des explosions, des pluies de feu et autres inventions d'un mauvais ge'nie, au de'lrimenl de quelque Cassandre ou de quelque Pierrot. Faire 1'analyse d'une scmblable folie est une chose impossible : c'est un reve que Ton fail lout e" veil 1(5 ; loule la creation vous passe sous les ycux en qiielqucs beures : vous allez dc la terre au ciel, dc la plaza Mayor de Madrid au cliemiu dc fer de Saint-Germain; du moycu iige a I'e'poquc acluclle; de I'ile des denies au bal Musard, c'esl un pclc-mele plus embrouilltJ que le chaos, ou il y a lout,cxccplii une piece. Le sujct (il n'y en a jamais eu qu'un pour les pieces fe'erios) esl reternelle rivalite du beau Le'andre et du seigneur I'antalon, qui vcul epouser Colomhinc avec rautorisalion du pore Cassandre, plus sen- sible aux ecus qu'aux belles manieres. Leandre enleve Colombiue; Piinlalon el Cassandre les poursuivenl a Iravers un feu roulanl de petards, dc coups de pied au dcrriere el d'encliantemenls dc lonles sortes. Au Cirque, Leandre esl un peinlrc franrais, habille en don Juan do Mai-ana ; Colombiue. une pelile Audaloiisc a basi|uiii'- L ART DKAMATIQUE EN I'UANCE bleue et noire, nominee Isabelle ; le Cassandre se transforms en Seringuinos, espece d'apolhicaire osseux et niaigre, dans le gout du docleur Sangrado do Gil Bias; le Panlalon est rcmplacc* par un Iranclie-montagne poltron et stupicle, hahiHc" de jonquille, appele significalivement don Sottinez; un garoon apothicairc d'entendemeiit pcu (Hcndu , un valet a long nez, comnie I'ecuyer du chevalier des iniroirs dans Don Quicholte font I'oflice de Pierrot et d'Arlequin cl servent de souffre-douleurs aux me'cliantes fees el aux genies face"- tieux de la piece. Le comique ressort principalement des deux donnees suivantes. Le Seringuinos, plus fatigue que Ce'res a la poursuite de sa fille, veut se couclier et dorinir ; son valet a un desir non moindre de manger et de boire, ou tons les deux, si c'etait pos- sible, prelention raisonnable s'il en fut ; mais les gdnies s'y opposent. Le pauvre Seriiiguinos nc peut parvenir a fermer 1'oeil : les (liaises s'affaissent sous lui ou s'allongent en ecbelles; les lits de- viennentdes baignoires ou des puits; les murs reculeni quand il veut s'y appuyer ; son propre fusil lui part aux oreilles; les clocbes s'agilent loules seules et sonnent a pluines volees; cnfin , il arrive, n'en pouvant plus, devant un liotel de magnifique apparcnce qui porle ecrit au fronlispice cette inscription consolante : Maison de repos. II sonne tout joyeux; le proprielaire est un medecin de ses amis qui lui promet la tranquillile la plus complete. L'antre de Morphe'e n'est rien aupres de sa niaison. Il n'y a pas, Ji trois lieues a la ronde, un cbien, un coq ou une borloge. Le Silence met, pour se promener dans cet etablissement, des cliaussons de lisiere avec des semeilesde feutre; les scrrures sont huiie'es, les portes matelassees, les volets et les rideaux triples; 1'Insomnie elle-meme dormirail la sans opium et sans pavols. Seringuinos choisit une chambre et s'y installe, casque a mecbe en tele, eteignoir au poing; il va dorinir, il dort... 6 voluplt 5 sans seconde! Soudain toutes les fenetres de la maison s'ouvrent, el, du grenier a la cave, on voit des serruriers qui mai'telent, des menuisiers qui cognent, des clianteuses qui font des gammes, des piqueurs qui donnent du cor de cliasse, des eleves musiciens qui dludient le tambour, la grosse caisse et I'opliicleide. - Le bonhomme, furieux, se releve el se plaint amerement. - Ton les les fenetres se referment. Vous revez, lui repond le me- DEPU1S VINGT'CIXQ ANS 2i7 dccin. II n'y a ici quc dcs malades, les uns a 1'agonie, les aulres niorls; tons gens forl paisibles de leur nnlurcl. En cffol, I'on voit, par les fenelres qui s'e"carlcnt, des malades blemcs avalanl des potions ou dormant dans des faiitenils. Pourderniere tribulation, la maison se renverse : c'esl-a-dirc qne le toil dcvient le rez-de- chausse'e, et que les homes prennent la place des girouettes. II n'y a guere nioyen de dormir dans une maison ainsi rctourne'e, nous en defierions les loirs et les marmottes. Le valet n'esl pas moins mallieureux dans ses tenlalives de nourriture avec pre'me'dilalion, non suivies d'effet. Arrive dans une auberge apres mainle tra- verse, il s'assoil else fait servir a diner. L'enseigne qni represent un More couronnc, descend snr la table, vide son verre el remonle a sa place. Des grenouilles, qui ne sonl aulre que Lawrence el He- dislia, ces deux merveilleux clowns, sortenlen sautillant de la mare voisine, el lui volent sa bouteille. Daus une aulrc holellerie, les pigeons rolls s'animenl, ballenl des ailes, el vonl s'eugloulir dans la gueule d'un monstrueux portrait de Gargantua pcndn a la muraille, les pale's e"clatent comme des bombes, les tables se de'doublenl, saulent an plafond, rentrent dans lerre ; les bougies devk-nnenl des chandelles romaines, les rolisseries el les boutiques de mart-hand de vin se sauvenl a loutes jambes, el se changenl en olTicines d'apo- Uiicaires, pleines d'affreux melanges. C'est inimaginable : a regardt-r, cela, on perd toula fail le senliment du possible ou de ['impossible ; tout ce inoHcle va, \ient, court, crie, cliantc, tombe, se releve, donne des coups et en recoil avec un fourmillemenl qui trouble 1'oeil et la tele; les uns vonl a qualre palles, les autres a Irois, ceux-ci a cloche-pied, ceux-la sur la tele ou sur les mains; ilssaulenl en crapauds, s'aplatissenl en lorlues, serpenlenl en couleuvres, se (le*mcnenl sur le dos comme des cloporles relourne's, se lordml comme des nceuds de boas, el prenni'iil loulcs les formes, excepte" la forme humaine. Toulobjelest suspect el renferme quelque pie"ge; ne vous flez h rien : celle momie , confite dans son bilumc ^pypticn, va se degager de ses bandclelles, el vous donner des coups de pied toul aussi bicn que I'ierrol ou Cassandre; le singe empaill^ vous tirera les cheveux, le pelican haillera avec vous et vous dira : l>ieu vous benisse! si vous tHcrnucz. Lc portrait du chal miaule, cclui du 228 LAUT DRAMAT1QUE EN FRANCE cliien aboie el niord, le poisson volant agile ses ailerons el jelle par ses larges prunelles rondes des e'lincelles phosphoriques el mcna- cantcs; les foclus vous lirent la langne, el prennenl des poses de cancan dans ''eau-de-vie de leur Local. Si vous voulez lire, volrc bougie s'allonge comme un nial de cocagnc, el vous etes oblige de prendre une echelle pour vous approdier de la Incur. Vons vous baltcz avcc quclqu'un : il vous passe a t ravers le corps I'epee el le bras, comme a iravcrs un cerccau; vous donnez une eslocade a tin aulrc couche* dans urie voilure : vous coupcz I'homme el !e carrosse d'un seul coup, en sorle quo les jambes s'cn vonl avec le Irain dc dcvanl. Le monde feerique cstainsi fail; le hcros fut-il decapitt', empale*, hache* comme chair u pale, mis dans tin morlier el broye au pilon, cela ne nuil en rien a la sante; lous les personnages se relrouveront sains el saufs a la lueur iriomphanle des feux du Ben- gale. Ce qu'il y a de cliarmant dans ce genre de piece, c'esl le voyage immense que I'on fail avec les yeux sans bougcr de sa loge. A chaque inslanl, le theatre change : ce sonl des paysages avec des perspectives blenatrcs, des arbres panaches, des gazons verts tout e'loiles de fleurs, des chanmieres avec leurs' puils en tonnelle, des hotclleries a renseigne mirifique, au toil de luilcs rouges lout enveloppees des follcs brindilles du lioublon el de la vigne vierge, des palais e'lincelanls de dorures, des places publiques a archilccture moresquc ou golhique, des officincs de sorcieres , mctiblees dc crocodiles, d'alambics ct de cornues; des ilcs cnchante'cs, avcc kiosqncs et pavilions cliinois ; des enfers lout rouges el des ciels lout blcus, lout ce que la fantaisie la plus erranle pent fournir au pin- cean du de'corateur. Seulcment, i! esl dommagc quo Ton parle el surlout que Ton cliante dans des pieces aussi vagucs : la pantomime vaudrail mieux; car c'est un spectacle uniquement fait pour 1'oeil, rien ne doitdislraire. Leu Pilules du Diable auront pour le nioins le succes de Bijou , de reau-d'Anc. Le pas des pierrols, danse par Lawrence el Pe- disha, est la chose la plus invinciblemciit comique que Ton puisse imagincr, et leurs cxcraccs, dans le ballet final, de'passent lout cc que nous avons vn de pins fort ct de plus audacieux : ilspe'lrissenl leurs corps comme um 1 pale mol'e. el pourfant crp corps. *i flexible? DEPLIS V1XGT-CJXQ ANS 4J el si souples on apparence, out la roideur el Ic ressort do I'acier Ic inieux trempe. C'csl prodigicux! PORTE-SAINT-MARTIN. Lc Manoii' de Moiitlouvier. Made- moiselle Georges. Void un franc succes. Avcc mndemoisellc Georges la fortune dc la Porte-Sainl-Mnrlin est revenue; sa rentn'-c a ele iriompliale. Nous en sonimes charme ; car mademoiselle Georges est la dcrniere tragedienne, la derniere Glle dc la Mrlpomene antique qui soil encore deboul dans la force et dans la bcaute" comnie un marbre imperissable sur les ruines dc I'arl classique. La piece dc M. Rosier, tres-adroitcmenl arrangce, coupee avec bcaucoup d'arl, menee vivemenl, est de beaucoup supe>ieure a celles que Ton joue liabituellement au boulevard. M. Rosier a de bonnes habitudes lilleraires; i! a etudie les mailres et en parliculier Beaumarcbais, dont il a garde la coupe et le mouvcment de style. La donnee dc cette piece estdramatique, el a fourni ii mademoi- selle Georges et a mademoiselle Theodorine de frequenles occ;isions de faire voir les belles qualites qu'elles possedent. Apres la chute du rideau, on a rappele" mademoiselle Georges. Elle 5tait fort belle et fort ricbement coslume'e, avec Ic grand gout el la fourrure royale qui lui sonl ordinaires. Voila la salle plcinc pour longtemps et, par consequent, la caisse. XXI MARS 1839. A bas les charpcnlicrs! Prcjuges dcs dircclcurs conlrc les homines dc style. Voles nouvcllcs ouverles aux uutcurs drama- liques. Opiira-Comique : le Planlcur, paroles de M. de Sainl-Gcorges, iinisiqne de 51. Ili|>polyle Monpou. La piece ct la partition. Amliigu : Tiegaull Ic Lonp, dramc en cinq actes, de 51. Ft'Iicien 51allcfille. Les errenrs d'un hommc d'esprit. Nobles et prok'laircs. A BAS LES CHARPENTIERS ! Nous sommcs c'tonne, depuis deux ans que nous suivons les theatres, de n'avoir pas vu se produire une 230 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE scule id<5e nouvelle. Les choses en sont exaclementau point ou ellcs elaienl le jour ou nous avons debute dans la critique. Les gens qui ne vont pas reguliercment au spectacle ne s'apercoivcnl pas do cetle monolonie; mais nous, qui sommes poursuivi de salleen salle par la meme piece, nous <5prouvons une exasperation d'ennui diflicile a decrire. Les directeurs de theatre sont pour beaucoup, nous 1'avons deja dit, dans cetle obslinalion a represenler la meme chose; ils ne laisstnljouer une scene que lorsqu'elle a deja reussi dans une aulro piece; toute combin.lison neuve est ecartee coinnie dangcreuse. Une plaisanlerie, pour elre admise, doit avoir Iraine dans les alnianachs el les pelits journaux, ct etre trop vieille pour Malhieu Laensberg; (|iiant au sujet, il esl lire d'un roman, d'un feuilleton ou d'une anec- dole lue de tout le monde. Outre cela, les directeurs ont horreur du style; une piece bien e"crite est pour eux une chose qui ne pout pas se jouer. Une piece ecrite en francais, sans barbarisrne, sans sole- cismc, sans incongruile de langue, 6 ciel ! ils aimcTuicnl inieux encore vous aecordcr des costumes neufs et dcs decorations failes expres. Cos messieurs s'imaginent que les ecrivains dont la repula- tion est e'lablie, qui ont fait preuve de science et de talent dans di [re- rentes branches de la litlcralure, ne peuvent pas travailler pour le theatre; ils ne connaissent pas la charpeute, disent-ils. Eh! lant inieux, s'ils ne la connaissenl pas; ils feroril autrement que les gacheurs dramatiqucs ordinaires, il y aura de I'imprevu, du risque, du nouveau ; les entre"es et les sorties ne s'opereront pas a\'cc cello regularile mecanique ou les pcrsonnages paraissenl et disjiaraissent a point nomme comme les jacquemars des horlogcs a carillon, et qui permcl au critique un peu usage de savoir la fin d'une piece des le second mot de la premiere scene : du mauvais nouveau est preferable a du beau Irop connu, el le connu de ces messieurs esl loin d'etre le beau. Comment! a Paris, cetle ville qui se proclame clle-meme le ccrveau du monde, le centre des idees, la mere nourrice de la civilisation, vingt theatres de marionnettes! Les Parisiens, ces Alheniens mo- dernes, se contenlenl pour leurs recreations lillcraires de fadaises ecriles en slyle de inarcliandes d'herbes; non pas de marchandcs d'herbcs dans le goul de cello qui reprochail a Theophrasle, DEPU1S MNGT-C1NQ ANS 231 SUP Ic marclic d'Allii'iics, un le'ger vice de prouondalion , mais dc vraics fruitieres du carreau des Ilalles. b'immomles mix- tures sans gak-tt' 1 , s;ins poesie, sans style, sont servies en aliment a I'avidite intellecluelle d'unc population qui nc cominunie plus qu'au llKMirc el qui, a defaut du pain de fame, vienl au moins chcrcber le pain de 1'esprit; une action basse et commune avec accompagnemi'nl de musique criarde, sur des paroles paloise"es, des calcmbours que Tabarin cut desavoutfs, des gravelures que les actrices elles-memes osenl a peine dire : voila ce qui compose le bagage ordinaire du vaudeville, seule (literature de noire temps. Jamais rien de grand, jamais rien d'htfroi'que, rien qui eleve lYime etqui inspire le sacrifice el le devouemenl, rien d'harmonirux, de calme etde severe qui soildigne de la litlt'ralure d'un grand pcuplo, el qui rappelle les proportions majestueuses de Tart antique. II scrail temps de chasser les vendeurs du Temple etde meltre les poe'les a la place des coupleliers. Tout homrne eminent doit avoir main tenant un pied sur le theatre et I'autre sur le journal, ces deux tribunes du haul desquelles on jelle sa pense"e a la foule attentive et muelle, qui attend en bas que Ic verbe descende. Nous ne voulons pas cependant que le theatre soil une chaire de morale; le poete n'csl oblige" qu'a la beauUS; mais le beau csl le cue- min du bon, et des homines qui s'occupent de la perfection d'un vers el qu'une tirade podlique ravitd'enlliousiasme, sonl toujoursde fort honneles gens. Nous ne croyons pas que Ton ail guillotine" beau- coup d'assassins sacliant par co3ur vingt vers de Moliere ou de Corneille. Maintenant que les esprits sont revenus ;i I'impartialit^ sereinc qui caract^rise les ^poques d'intelligence, que Ton admet tous les dieux et tous lesheros,que les romanliquess'accommodcnl tres-bien d'Aga- memnon et de Clylemneslre, el que les classiques souffrenl palifm- ment Borneo el Julielle, il nous semble que Ton pourrail faire pour le theatre autre chose que des vaudevilles et dcs melodrames. L'histoire est plus fouille"e el mieux comprise; In conleiir locale, que ne connaissaient pas les maitres du xvn e sieole, permel de varirr a I'infini I'aspecl des compositions cl d'habiller les passions humaines 232 L'AKT DHAMATIQUE EN FRANCE do velcmcnls de millc cotileurs; 1'abolition de 1'unile de temps laisse aux besoius du poele la facilile dc cent combiuaisons nouvellcs, et le de"barrassc des entraves qui on( empeche Corneille d'e'galer Shaks- peare ct fait e"puiser les plus beaux g<5nics dans la recherche d'expe"- dienls et de subterfuges pue'rils. M. Victor Hugo, quc I'on trouve loujours sur la breche, a ouverl, dans le qualrieme acte de Ruy Bias, une large porte a la fanlaisic cavaliere empanache'e, disparue de notre theatre et qu'on croyaii ne devoir jamais y revenir; nous sommes e'tonne quo Ton en ail si peu profile el que les jeunes esprils ne se soienl pas pre'cipiles par cetle breehe avec plus d'ardeur. 12 mars. OPERA-COMIQUE. Le Planteur. M. Monpou. La scene se passe a la Louisiane, pres de la Nouvellc-Orleans. Jenny Makensie, fille du riche John Makensie, mort depuis deux ans, quand la piece com- mence, va epouser sir Arthur Barcley. Tout se prepare pour un heu- reux mariage, quand les dettes laissees par le pere de Jenny, dellcs inconnues de la jeune fille, viennenl tout a coup changer en pleurs les elans de joie de la jolie Creole. On vient tout saisir dans la plan- tation , et Jenny elle-meme, Jenny, la plus riche el la plus brillanle heriliere de la colonie, se trouve devenir la propriety des creanciers de son pere, commc lille d'esclave non affranchie et vendue a ce litre pour indemniser les farouches colons des pertes que leur cause la ruine de Makensie. Cetle situation, aussi impre'vue que dramalique, a produit le plus grand effet el decide le succes du premier acle. Au second, nous bommes dans ['habitation du planleur Jakson ; ce planleur est un ruslique el grossier personnage, voisin de Jenny, et qui, depuis son enfance, est 1'epouvanlail de la jeune fille. C'esl lui qui 1'a achetee a la fin de 1'acte precedent. Elle s'allend a etre 1'objet des dureic"s de eel hommc qu'clle abhorre. Quelle esl sa surprise de le Irouver plein d'egards el dc bonl<5 pour elle. II apprend (ju'elle est promise a son cousin el il veut I'unira lui ; mais une subito revolu- tion s'opere dans le cceur de la jeune crcole : elle a decouverlquc sir Arlhur a aime. aime encore une aulrc femme, qu'il la irompe, DEPUIS VINGT-CINQ ANS J . : eile, Jenny, depuis longtemps, el qu'il n'a d'aulrc projet que dc I'en- lever pour en fairc sa maitresse. L'amour et le de'vouemenl de la jeune lillc se cbangenl en antipathic, et Jakson, par sa ge'm'rosile', gugne dans le cceur de Jenny tout ce qu'Arlhur y perd par son infl- dflit*. Un evenement ajoute encore ;i I'affection de Jenny pour le plan- teur. Arthur, dont 1'adresse au pistulet esl toujours faUilc a son ennemi, a provoque" le colon. Olui-ci a acceple* Ic duel,qui va lui couter la vie, pour lenir la parole qu'il a donnc'e a Jenny, de ne pas reveler le secret qu'elle lui a confle' ; puls il renonce cnsuite a s, el, sous pre'texle qu'il n'esl pas genlilhomme, il cst plus insolent que le plus insolent marquis. II fail d'enormes je>e"miades sur le malheur de sa destined; il se sent, dit-il, une force 5 soulever le monde en- lier sur ses e"paules; el il ne peul porter un fagot a rarchevequc, don I il est serf. A quoi bon ces recriminations furibondos? pourquoi celle amer- tunie? Voilii bien assez longlemps quc 1'on flatie le peuple; ce n'esl pas une raison pour posse'der toules les verlusque d'etre m ; au der- nier rang : sous une e"corce plus rude, les serfs, ou, si vous aimcz iiiiciix, les prole"taires, cachenl une corruplion loul aussi profonde que les seigneurs a pied cam lire el 5 mains blanches, el ce parli pris de mellre loutes les vertus d'un col et tous les vices de 1'aulre, nous semble souverainemcnl faux, souverainemenl injuslc; on peul etre due ou comle sans elre un lache, un deliaudic, un fripon, un assas- sin et un trail re, qualites qui accompagnent ordinairemenl loute de- nomination nobiliaire dans les drames el les mtflodrames; d'ailleurs, n'esl-il pas minimum dc monlrer a ceux qui souffrcni, accroupis en bas dans 1'ombre, les Echelons supcrieurs loul inundi^s de luniiere et cuarg<5s de rayonnantes figures? II en sera toujours ainsi ; c'esl un mal sans remede, el il vaudrail mieux precher la resignation que 1'envie; les tyrans sonl, du reslc, bifn mallraiies par les victimes, d beaucoup dc maltres voudraienl bien enlrer au service de leurs ilomestiijucs. Nous somnics etonn6 qu'un espril dislingu6 coiuine M. Mallclillc se soil laisa- aller h des declamations dc ce genre. 236 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE XXII AVRIL 1859. Opera : le Lac des Fees, paroles de MM. Scribe et Meles- ville, musique de M. Auber, ballet de M. Corally. Caractere Ju talent de M. Auber. Sa nouvelle partition. Mademoiselle Nau, Duprez, Levasseur. Le ballet ct les decorations. Renaissance : I'Alchimistc, drame eu vers de M. Alcxandre Dumas. Mademoiselle Ida. Le Vingt- quatre fevricr de Z. Werner, traduit en vers par M. Camillc Bernay. Porte-Saint-Marlin : Leo Burkart, on line Conspiration tfeludianls, drame de M. Gerard de Nerval. 8 avril. . Le Lac des Fees. M. Auber. Ami lecleur, et vous, lectrice amie, si nous pouvons nous permettre ce terme de familia- rite 1 intellectuelle, connaissez-vous les montagnes du Harlz? D'apres le ton de'libe're dont nos confreres en parlent, il parailrait que rien n'est plus connu; nous sommes vraiment honteux que la geographic de noire feuilleton soil inferieure a celledes autres, mais nos ren- seignemenls sur les montagnes du Hartz sont d'une mesquinerie deplorable! Si une description fort exactede la bulte Montmartre, que nous apercevons de noire fenelre, pouvait remplacer celle des raontagnes du Hartz, nous ne vous la refuserions pas. Le soleil dore les flancs a demi e"boules de la colline; les trois moulins lour- nent et le telegraphe de"manche ses grands bras, au-dessus des tulles rouges de I'e'glise ; sur une (Hroile bande d'azur flotle un bane de nuages ressemblant a s'y me"prcndre a des ocufs a la rieige. Quant au Hartz, Goethe y a place le sabbat de Faust et notre ami Henri Heine en a fait une description dans ses Reisibilder. Le Hartz est done une montagne inconleslablement allemande, fre^quentee par les e"tudiants allemands, grands amateurs de sites pitloresques, qui vont Loire de la bierc a i'auberge du Lion Rouge el DEPU1S VINGT-CINQ ANS i37 regarder, lorsqu'ils sent ivres, le lever de la lune dans les arnioires, qu'ils preonenl pour des fenelres. Albert et ses camarades vont se promener a la montagne du Hartz, corame ils en ont le droit en leur qualite* de joyeux burschen allemands, et chantcnt ces vers, assez singuliers pour des ecoliers lurbuleuts el tapageurs : Parcourons ces rochers terribles, Ccs montagaes inaccessibles, Mais ne nous exposons jamais : La prudence mene au succes ! II est juste de dire qu'un palre leur a raconle" la le"gende du lac des Fees, sur les bords duquel ils se trouveni; cette le"gende n'a pourtant rien de bien terrible ; la montagne complaisante a rassem- ble* dans une immense baignoire de rocbe I'cau clairc ct diamante^ qui flltre de ses flancs, et fail une sallc de bain naturellc aux tees de I'air, qui viennent s'y baigner el peigner Icurs blondes chevelures. Voir de jolies femmes en costume de baigncuses n'a rien de bien e'pouvantable que nous sacbions ; cepcndanl, les compagnons d' Al- bert se retirent toul effraye's. Albert rcste seul, decide" a tenter 1'avenlure; il ne tarde pas a voir neiger du ciel de blancs tourbillons de jeunes fe"es qui s'abattent sur les bords du lac comme un essaim de colombes, el se mettent a folatrer. Les unes voltigent de rocbors en rocbers, comme des oiseaux pe'lulanls, les aulres plongenl dans I'cau diapbane, qui fail d'utiles trahisons a leurs cbarmes. Albert, cache" dans le creux d'une roche, s'enivre dece cbarmanl spectacle, el se re"jouil de son beureuse te"me"rite'. Les fe"es conlinucnl lours jeux, el Albert derobe I'eYJiarpe de gaze que la belle Zeila a pos^c sur le gazon de la rive; or, ce voile talismanique a la meme propricte* que les ailes de la Sylphide : sans lui, la fir n'est qu'unc femme capable d'aimer et de mourir. Inquielsde la longue absence d'Albert, ses camarades Iccliercbcnl el Tappcllent. Lcurs cris et leur presence intimidcnl les fees, qui reprennenl leur ecbarpe, el s'envolent dans les frisos. Mais 7,'ila, privee de son talisman, ne peul suivrc ses coiiipagiH-s, file crre tris- tcmenl sur les bords du lac, forl cmbarrasse'e de sa pcrsonne, car Ic i. " 238 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE ciel lui cst plus familier que la lerrc, et ses plantes dedicates, habi- lue"es a fouler le tapis ouale des nuages, s'oflensenl aisemenl des asperites du chemin. Pour comble de malheur, un orage eelate, vents, pluie et tonnerre! Zeila ne sail ou s'abriter, elle tremble de peur el de froid ; le patre, par un oubli bien concevable quand il pleut, a laisse" sur un rocher son chapeau de paille et son manteau ; Zeala s'en revet el se met en marche pourcherclierun asileelretrouver son voile, si la chose est possible. Au second acte, le theatre represente une holellerie, charmante bolellerie vraimenl: une grande cour avec de beaux arbres abrilant les tables ous'accoudent les buveurs, des bailments avec des lucarnes a pignons, des galeries et des poleaux de bois sculptes ; puis, tout au fond, la grande porte loule brodee de houblon el de folle vigne lais- sanl voir la route et la campagne ; rien n'y manque ; les oiseaux lus- iranl leur plumage sur le toil, la cigogne qui fail son nid sur la mai- Iresse cheminee, les poules qui picotenl la lerre, les auges de bois el les anneaux pour les chevaux, les plals et les mesures d'etain soi- gneusemenl ecure"s; sur loul cela joue un gai soleil papillotant, jetanldes pailletles aux carreaux el des rayons a loules les feuilles. Dans cetle hospitaliere auberge, il y a une non moins avenante hotesse, osil noir et vif, fin sourire, geste prompl, allure de'gage'e. Une si charmante hotesse, qui fait credit, ne peut manquer d'etre adoree; aussi y a-t-il promesse de mariage enlre elle et le jeune etu- dianl Alberl, qui lui doil vingt-cinq e"cus d'or, qu'il aimail aulanl lui payer de celte maniere. Albert, comme tout etudianl allemand, un peu revcur el un pen mystique, avail bien un ideal; mais cet ideal ne Pempechail pas de rendre justice aux agremenls posilifs de Marguerite ; il eiil e'le un forl bon mari, si la rencontre de Zeila n'eul change loutes ses idees. Maintenanl, il ne revc plus que fe"es, que sylphides, qu'union avec les esprils supe'rieurs, et ne veut plus entendre parler de mariage; mais ces diables de vingl-cinq ecus d'or, qu'il ne peut payer, 1'embar- rasscnt terriblemenl; car il a de la delicatesse dans I'ame, et sail forl bien qu'il faut e'pouser ou payer; trisle allernalive ! Le juif Issachar, usurier damnc, vrai pendant de Scliylock, offre de lui preter la somme. mais a la condition qu'il lui fera un billet spe- DEPmS ViNGT-CINQ ANS 139 ciliantque, s'il ne peul payer ft l'e"poque dite, sa personne, sa liberty et son sang apparliendront ;iu pre'leur de la somme. Le mart hand de Venise n'exigeail qu'une livre de chair au (emps dc Suakspeare. Le laux de 1'usure dramalique esl sensibleinenl augment. Le pauvre Albert uinie encore mieux De l'li\ iiini allunier le flambeau, qoe d'emprunter de 1'argent a un pareil inleret. Mais void quo /.c'ila arrive dans 1'auberge avec le cbapeau de paille el le manteau du p&tre tirnide ; elle demande a elre servante, et, quant aux gages, die n'en veut pas. Marguerite, qui ne savail sans doute pas le mot de M. de Talleyrand: Je n'ai pas le moyen d'avoirdes domestiqucs sans gages, consent, a ce prix, a essayer des talents de Ze"ila, qui ne veul qu'un asile et un abri. Les vers qu'elle cbanle en demandant I'liospitalile valent la peine d'etre rapporle"s : J'ui faim, J'ai bien fro id . 1'iiir. noble dame ! J'ai faim, j'ai bien froid, Prcnez piti dc moi t... Pour la rime, it faudrait e"crire froi ou moid, ce qui seraite"galement joli.Apres tout, il faul bien passer quelque chose a Penlhousiasrue lyrique, et le grand sens de ces vers doit faire excuser la pauvreie" de la consonnance. Albert ne tarde pas a reconnaitre Ze"ila sous la colte bardie et le jupon court de la servante d'auberge. Zeila,de son cote, reconnait Albert; car elle I'avail remarque parmi ses jeunes compagnons, en quoi elle fail preuve d'un gout assez me- diocre; Albert, enflamme', incendie, ne songe plus qu'J rompre son mariage el a solder sou compte; il signe au juif Issachar une lettre de change en style passablcmenl bizarre : Dans deux mois au plus tard, nous promotions dc reudrc Ces vingl-ciuq ecus d'or qu' Issachar nous prcta ; Si j'y manque, j'enchalne a lui, des cc jour-la, Malibcrle, mon sang... 240 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE Albert paye Marguerite et rorapt avec elle de la maniere la plus de'gage'e. Rodolphe de Cronembourg, habitue de I'aubergc, seigneur d'un certain age, grand buveur, grand chasseur, grand libertin,dont Marguerite avail repousse les avances, achete le billet du juif Issa- cbar pour s'en servir en temps et lieu et se venger du jeune Albert en lui enlevant 1'une ou Paulre de ses mailresses, ou meme toutes les deux; car Ze"ila lui plait fort aussi, et son ceil de connaisseur a devine celte beaute surhumaine a travers les humbles velements qui la re- couvrent. Albert elZe"ila se relirent dans une petite chambretleouils vivent comme frere et sceur, travaillant nuit et jour pour gagner les terribles vingl-cinq e"cus d'or. Zeila brode comme une vraie fe"e qu'elle est, I'etudiant copie de la musique. La somme est com- plete, et c'est une grande joie dans le charmant taudis de. I'etudiant, e'claire' par la blanche presence de la sylphide humanise'e ; aussi, le couple re"joui descend-il sur la grande place de Cologne pour voir passer la procession des rois mages. Les corporations et les metiers avec leurs blasons et lours em- blemes defilent les premiers; puis viennerit les pertuisaniers, les pages noirs, les rois mages, Gaspard, Melchior et Balthasar, months sur leurs chevaux de parade, les hippogryphes, les centaures, les chimeres et mille autres fantaisies monstrueuses, sans compter les bacchantes avec leur thyrse et leur peau tigre"e, le bon vieux Silene el Bacchus, pere de joie ; une de ces intcrminables mascarades fla- mandes, comme on en voit gravces en sepl ou liuit cartons dans 1'ceuvre des vieux maitres. Albert, qui est un personnage nai'f, porte les vingl-cinq louis d'or dans Pescarcelle pendue a sa ceinlure, et, toul absorbe par le plaisir de donner le bras a sa de"esse el de lui parler d'amour, ne s'apcr- coil pas que des lireurs de bourse lui coupenl fort adroitcmenl les cordons de la sienne. Albert n'est pas en veine ce jour-la; il porle sur son sein 1'echarpe que Ze"ila lui a rendue apres une lulle de ge- nerosite en lui disanl : Ticns, Albert, rcprcnds-la pour moi ; Lc ciel est ici pres ilc toi. El lout a I'heure celle echarpe va lui elrc enlcvec. Irop DEPU1S V1NGT-C1NQ ANS gauche etlrop maladroit etudiant, la liaison avec an esprit ne t'en a guere doiinti! Rodolphe de Cronembourg, donnant le br a Mar- guerite, magniflquemenl haltillee, traverse la place, el,apercevanl Al- bert, va droit a lui, et lui redemande les vingl-cinq ecus d'or. Albert lui repond qu'il esten mesure, et, portanl la main a son escarcclie, il n'en trouve plus que les cordons tres-proprcment coupe's. Grand de'sespoir ! Rodolphe de Cronembourg, excite par Marguerite, veul s'emparer de la personne d'Albert scion la teneur du billet; une lulte s'engage enlre les soldatset les e*tudiants. Albert prend une !>< el fond sur Rodolphe, et, au lieu de porter dans le gros venire du sei- gneur une bonne bolte a fond, comme le ferait lout aulre qu'un IHTI-S d'opgra, il blesse Ze"ila, qui s'etait jolee entre les combatlanls. - Albert, fou de douleur, s'e"vanouit, et Marguerite, sous pr&exle de le secourir, ouvre ses habits el lui prend cetle gcharpe mysterieuse, qui avail taut de fois excite ses soupeons. En revenanta lui, Albert s'apercoil qu'il n'a plus le voile pre'cieux, son plus cher tresor, puisque a ce voile ticnl I'lmmortalite* de /.r-il;i : la tele lui tourne de rage el de de'sespoir; il y a bien de quoi : dans le meme acle, s'elre laisstS voler sa bourse, son talisman el avoir tue" sa maitresse au lieude son chancier, c'esljouerde malheur. A 1'acle suivanl, nous sommes au chaleau do Cronembourg. Ro- dolphe boil avec ses amis; las de Marguerite, il veut e"pouser Xe"ila el fail son boufTon d'Alberl, devenu fou. Dans un momenl de lu- cidite', Alberl se fait rendre le voile par Marguerite, a qui il cxplique que Zcila, aussitol qu'elle aura I'^charpc, retournera au cie! pour ne plus revenir. En effet, aussilol que le voile esl pose" sur le from de Ze"ila, ses habits disparaissent, el elle s'enleve dans les airs avec le simple costume de la fee du Lac, c'esl-a-dire une simple (unique de gaze fort claire, au grand ebabissement de I'assislance. Le tb&Ure change et represente une plaine des airs. Ze"ila s'en- AUie de loutes ses forces ; elle trouve les plaisirs du clel monotones apres avoir goute ceux de la terre. Elle monte au palais de la reine des fe'es, lui expliq^ue ses douleurs el lui demandc la permission de desccndre au sejour des humains; la fee lui accordc sa rcquete, el 7Ma, toute joyeuse de n'elre plus qu'une simple mortelle, traverse les image's avec la rapid ite de la flechc. 242 L'ART DRAMATIQUE KN FRANCE Bienlot Ton commence a voir les lignes bleuatres de 1'liorizon, puis le sommet des monlagnes, puis les villes avec leurs clochers, et enfin la mansarde de PeHudiant, ou elle a passe de si heureux jours. Lorsque la fe"e atleint la petite chambrette, la toile tombe et l'ope"ra Unit. M. Auber, quo Ton a vivement conleste dans ces dernieres annees, surtout parmi les musiciens, comme manquant de science etde pro- fondeur, est un compositeur d'un merite liors de ligne. II a un style a lui, ce qui est, a notre avis, la premiere quality de tout artiste. Ce style, il est vrai, n'a peut-elre pas toute la severite" desirable; mais il a un caractere bien tranche", et se fait aisement reconnailre : une phrase de 31. Auber n'esl pas la phrase d'un autre, et personne ne s'y trompe; il a une abondance de motifs et de chants bien rare en ce temps de contre-musique, ou chacun s'ingenie a etonner 1'oreille el non a la charmer, ou des executants prestidigitateurs escamotent des impossibilites charivariques. sans se soucier le moins du niondc du sentiment, de la grace, de la passion, du plaisir enfln, seul et veritable but de Tart. Quoiqu'il ne soil pas inaccessible, M. Auber est cependanl un musicien tres-habile, de beaucoup de science et d'esprit; il n'cst jamais commun et trivial, et ses fautes ne sonl pas des fautes de gout; ce qu'il fait, sans etre d'une passion profonde, a de la vie, de la clialeur, un entrain indpuisable ; il a un vif sentiment du rhythme et r^ussit parliculierement dans les airs de ballet. Somme loule, c'cst un maitre; a force d'esprit, il a presque du ge"nie, et, s'il n'est pas le premier, il est a coup sur des premiers ; nous n'avons pas une telle quantite de grands compositeurs, que nous ayons le droit de faire les dedaigneux avec celui-ci. Le Lac des Fees est un beau Iriomphe pour M. Auber; la re'ussite du premier jour n'a fait que se consolider, et I'allention des specta- tcurs, moins occupes du livret et des decorations, y de"couvre chaque fois de nouvelles beautc"s; la musique du Lac des Fe"es est (Meganle, facile, reveuse et parfaitement appropriee au sujet : la me'lodie et I'liarmonie s'y marient heureusement, les accompagnements sonl riches, bien nourris, sans tumulte et sans casserolage. Tout se des- sine clairement et nettement; le souffle musical circule avec facilite DEPUIS VINGT-CINQ ASS d'un bout a I'autre* de I'ouvrage qui, hicn que Ires-long, ne cause pas un moment d'ennui, resuliat difllcile a oblenir pour uo open f&rique en cinq actes. Mademoiselle Nan, qui remplit le role de Ze"ila, offre I'avanlage bien rare de remplir exactement I'ideal que le compositeur le plus exigeanl pourrait se faire du personnage. Elle est jeune, elle est belle, elle a une voix charmante : son age est exprcaslmcnt celui que les immortelles gardent e"lernellemenl; sa figure, delicate el gra- cieuse, ses formes, de la plus ele'gante sveltesse, sont cedes d'une vraie sylpbide; sa voix, perle"e, argentine, vibrante comme le cris- tal, a quelque chose d'aerien el de magique, et, a tous res avnntapes, elle joint une si excellenle me'lhode, un gout si pur, une execution si achevee, que Tilania, la reine des gnomes, ne chanleraii pas mieux; Zftla esl le role le plus importanl ou Ton ail encore vu cetl jeune canlatrice, si recommandable, que la limidile' avail seule cm- peche'e jusqu'ici deprendre la place qui lui convienl; comme surele" de ton, comme Idgerele" de vocalise, il n'est guere possible d'aller plus loin. C'est une perfection qui rappelle madamc Damoreau. Duprez a ete chaleureux, patbltique, enlrainanl, dans le duo du troisieme acte, qui sera pour lui un second Anile he'rtditaire, et il a joue la folie en acleur consomme 1 . Nous n'avons pas besoin de le louer plus au long; son nom seul esl le meilleur lloge que nous en puissions faire : il a oie egal a lui-meme, c'esl tout n> qu'on peut lui demander. Levasseur a bien chante" son air de cbasse, ct dil un certain nous vcrrons avec une ialention fort comique. Quant a madame Stolz, elle a tin' 1 lout le parti possible d'un role ingral el sacrific 1 ; elle a bien dil I'air assez difllcile du second acle, el s'est monlre* la plus vive el la plus sdmillante holesse du monde; son coslume frais, leger, galiinl el bien Irousse" lui alia it a ravir, el nous trouvons qu'Albert s'est de"cide" bien vile a rompre avec elle. Mais que pcul une morlclle 5 qui Ton doil vingl-cinq ?cus d'or conlre une fee a qui Ton ne doil rien du loul ! Le ballel dessine" par M. Corally esl remarquable par une tontalive de re"no\alion mytbologique. II represenle une espece de baccbanale a la facon antique ; les danseuscs onl la peau de ligro ou de panllieri', 2 W L ART DRAMATIQUE EN FRANCE Ic thyrse el la couronne de pampre. Mademoiselle Noblet el madame Alexis Duponl onl danse avec leur legereie", leur correclion el leur en- Irain ordinaires, un pas qui a etc Ires-applaudi. Ce pas, dessine" avec une vigueur qui sorl du caraclere ge'ne'ral des danses francaises, rap- pelle un peu ces bole'ros dans lesquels les deux soeurs oblienneril de si grands succes. Mademoiselle Maria, en Erigone, e"tail on ne peul plus gracieuse, el elle danse, avec une mollesse el uno le'gerele' ex- tremes, un pas assez original. Elle a exprime' tres-de"cemmenl la petile poinle d'ebriele rendue ne"cessaire par le sujet. Les decorations, quoique forl belles, n'onl pas assez de realile" ; le bleu y abonde, el 1'eflel de la perspective acrienne y esl Irop exa- gere. Dans la decoration de Cologne, les montagnes du fond sonl lourdes el d'un Ion criard. II nedevrait pas yen avoir; car le Hartz qui nous intriguait si forl, et donl nous nous sommes informe", esl situe" a quatre-vingts lieues de Cologne. Si les monlagnes ctaient bieu faites, nous n'e"leverions pas cetle chicane, peu importanle apresloul. La mise en scene esl exacle el riclie, plus exacte encore quo ricbe. Les chevaux habilles en chimeres sont tres-recreatifs el le cortege, qu'il soil ou non dessine d'apres Lucas de Lcyde, Cranach, Albert Durer et Burgmann, n'en est pas moins un forl beau spec- lacle. 15 avril. RENAISSANCE. L'Alchimiste. Mademoiselle de Belle-Isle esl encore dans Unite sa premiere fleur, el voici que M. Alexandre Dumas fait representer un grand drame en cinq actes en vers. Succes sur succes! Pelion sur Ossa! Ou esl le pre"cepte d'Horace, qui conseille de gander un ouvrage neuf ans sur le metier? Le sujel de VAlchimiste esl tir6 d'un conte italien de Grazzini, de I'Academie deyli Umidi; Milman en a fail une Irage'die que MM. Frederic Soulic el Adolphc Bossange onl imile'e dans Clotilde, en denaturant et en ddpnysant I'histoirc. M. Dumas la reproduit sous le nom de VAlchimiste, qui sc rapproche dc la donnee ilalienne et de la piece anglaise : seulcmenl, jetez sur ce canevas une poesie nerveuse, energique el brillante, avccloutcs les qualites el tous les (lefauls de M. Alexandre Dumas, eel liomme d'un lemperamenl si DF.PUIS VINCT-CINQ ANS 845 dramalique, el vous aurez un drame plein de terreur el demotion, qui a I'atlrail d'tui conte fanlaslique el d'une nouvelle ilalicnne. Mademoiselle Ida joue le role de Francesca avec une sensibilile" el une passion enlrainanles; elle mel a sa crealion ce cacliel d'inlelli- gence poe"lique qu'elle imprime a luus ses roles el qui In dislingur parliculieremenl. Frederick Lemaitre a Ires-bien rcndu les dl- verses nuances de Fasio (Palchimisle) ; malgre" ses enormes deTauls, c'esl loujours le plus grand acleur d'aujourd'hui : il a de I'ampleur, de la force el des enlrailles; ['inspiration le visile sou vent, el sa propre creation agil sur lui-meme. Le Vingt-qualre ftvrier, de Zacharias Werner, mis en vers par M. Camille Bernay, auteur du Mtnestrel, a oblenu au meme llititre le succes litteYaire qu'il devail avoir. C'esl une Grange fantaisie qui vinl a Zacharias d'aller mellredans la pauvre auberge de Schwartz- bach, perdue sous la neige des Alpes, la fatalite" des Alrides el les liorreurs du festin de Tliyeste; la terrenr la plus noire el la plus etouffante pese sur la piece allemande; c'esl comme si Ton avail sur la poilrint! legenou du cauchemar, comme si Ton enlendail pendanl la unit a son oreille le riile inlermiltenl et faiblc d'tm malade a I'agonie. La neige lourbillonne, les corneilles el les chouelles bntlenl les vitres de I'aile en poussanl des piaulemenls plainlifs; le veni ge"mil comme un mort gene* dans son lombeau ; toute la nature esl en convulsion. Le vieux Kunlz Kurlh et sa femme tremblotenl pres d'uii foyer (Heinl; ils n'ont plus de bois, ils n'onl plus de pain... A un clou cst pendu le faUil couleau que le vieux Kunlz lanra autre- fois a son pere : c'est avec ce meme couleau que, vingt ans plus lard, le petit Kurth, son Ills, coupa le cou a sa soeur-en voulant joucr au jeu de la poule. Un voyageur egare" frappe a la porle : c'esl Kurth ; il revient, apres bien des anne'es d'absence, pour lirer ses vieux parents de la misere. Mais la faialite" n'est pas encore assouvie; le vieux Kunlz e'gorge pendanl son sommeil le voyageur, qu'il n'a pas reconnu et qui a eu I'imprudence de laisser voir qu'il possedail de Tor, el c'esl avec le couleau deja souille d'un double nicurln 1 , qu'il execule ce nouveau crime; la faialite est accomplie ! Le rcslc rrgarde le bourreati. M. Camille Bernay, qui versifie avec gnice el facilile, n'a peul-elre 246 LAHT DttAMATIQUE EN FRANCE pas aborde" assez francliemenl son sujot. II a pris des developpo- menls pour des longueurs, el il a diminue I'impression poelique en supprimant des details. II eut micux fait, selon nous, de conservcr I'aprele farouche, la poesie desordonnee et la couleur nocturne de la composition allemande. Guyon a eHe" sauvagement beau dans le role de Kuntz. Mademoiselle Mathilde Payre a fait preuve de talent et de courage dans Berthe : jeune, e'le'gante et jolie, elle a bien voulu se rider, se casser, se couvrir de liaillons, faire clievroter sa voix pure et paraitre vieille et laide, heroi'sme bien rare : lorsque des actrices plus que sexage'naires font les enfants et les boutons de rose, il faut bien que les jeunes femmes se resignent a 1'emploi de grand'meres. 22avril. PORTE-SAIIVT-MARTIN. Leo Burkart. Gerard de Nerval. C'est une rare et bonne fortune, en ce temps de marchandise, qu'une piece consciencieuse et IRte raire comme Leo Burkart ; une piece bien e'crile, faite avec soin, pleine d'elevalion et de noblesse, qui ne flatle aucune mnuvaise passion, qui n'est d'aucun parti, et substilue aux impreca- tions desordonne"es du drame moderne un tendre et melancolique scepticisme, une serenite de raison inalterable. Tout y semble vu de I'autre cote de la vie par un speclateur desinte'resse, qui ne prend aucune part aux passions liumaines. L'imparlialiie de M. Gerard do Nerval n'est jamais en de"faut; justice est rendue a lous : au prince commc a 1'etudiant, a I'espion comme au ministre ; I'amour y est pur, et une tendance soutenue vers la beaute morale regne d'un bout a I'autre de I'ouvrage. Vous voyez que Leo Burkart ne resscmble en rien aux me'lodrames ordinaires. Joignez a cela un style fin, deli- cat, nuance", nourri des mcilleurcs eludes, ferme et severe dans sa chaste douceur, et vous aurez une oeuvre lout a fait remarquable, originale sans affectation, neuve sans etrangele, dont la veritable place etait au Theatre-Francais. La piece s'ouvre par un prologue intitule le Bourgeois de Franc- fort. CVst un tableau d'iiilerieur d'une intimile lout allemande. Un jeune homme el une jtiune femme demandent a voir Marguerite, la femme de Leo Burkart, qui ne rrfoit pas, car elle s'habille pour DKPUIS VINGT-ONQ ANS SIT rOprra, el son iiiiiri esl alii: faire une promenade avec son pere le docleur Muller. Les Strangers, usanl du privilege des voyagrurs, insistent et sont adinis : Marguerite rentmiail lout d'abord ia belle Diana de Waldeck, son ainie d'enfancc, qui revienl d'Anglelerre. Quant au jeune konime, elle lie.-ile; en eflVt. ic-Auguslc, cl repond u une deputation de la Jeune AUettutgne qui vicni, Lewald en tele, lui offrir, au nom de la palrie, de payer Ics vingt mille florins, qu'il n'a plus d'amende ni de prison, et que Ie prince Frtde'ric- Auguste lui a Tail 1'honneur de Ie uommer son cousoiller inliino. Hclas! s'ecrie Marguerite, ce n'est pas Ie sort que j'avais reve*. > Du petit salon de Leo, nous passons a I'auberge du Soleil d'Or : les ('liiiliiiuis. qui ont fail une nucule dans la ville a propos d'un cliien batlu , I'envahissenl d'autoril^ sans prendre garde Ie moins du nionde aux reclamations pileuses de I'aubergiste, qui mini de voir sa maison deshonore'e el perdue de re'pulalion. Si tu dis un mot de plus, nous decrochons Ion soleil, et nous appellerons ton e"ta- blissement Cabaret du Sauvage. Kstime tes tneubles, et, si la maison brule, mcts-la sur la carle; les Mires sont par-dessus Ie niarche; quand nous serons las de taper sur les tables, nous lape- rons sur les carreaux, c'est entendu. Maintenanl, fais monler tout Ie vin el toute la biere que tu as dans ta cave el debarrasse-rious de Ion agre"able presence. Que vais-je devenir, s'tfcrie I'aubcrgisle dcsole*, moi qui ai precisemenl des voyageurs du la plus haute volir ? C'est ^ perdre la lete! Les holes illuslres tie sonl aulres que Leo Burkart, Marguerite, Diane de Waldeck et Ie chevalier Paulus, devenu secretaire de L. Paulus descend el demande la carte des vins pour boire quelque chose de cordial, el il esl reconnu par Diego, Pun des eludianls. Ce Diego esl une crealion forldrolalique el forl originale. II esl voyageur de la liherie el porle la lumiere d'un monde a I'autre. Les rois s'en vonl, il les pousse. Ancien repriisenlanl de Tampico, envoy^ de Bolivar aux r<5publiqucs du Chili, il s'est fail ftudianl dans ses vieux jours parce qu'il n'esl jamais Irop lard pour s'inslruire : il apprend les sciences abslraites et monlre Ie manienient de la c^inne a deu.x bouls, el aussi quelqnes pelils jeuxde hasard de sa composition; il se Irouve forl bien i I'Universile : on lui pn-ie d Pargenl, on lui fail credit, on lui domic des banquets palrioliques. Kl toi, Paulus. iiic fais-lu? demande-l-il ii son ancien camarade. Tu vois. j im- i. Jt- 250 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE de'barrasse de Tor du pouvoir, lui repond le chevalier en lui payant largemeut a Loire. On entend dans le lointain la Chasse de Ludzow, de "Weber. Les e'ludianls arrivent en masse et s'abattent sur la malheureuse auberge par noires voices, ayant en tele Max 1" du nom, roi des renards, tyran des pinsons, terreur des Philistins. Si nous jetions cette cloison par terre, dit Flaming, nous serious plus a I'aise. Bali ! repond Roller, tout a I'lieure nous serons fort au large, quand la inoitie des buveurs aura chavire sous les banes. Toute bonne orgie a ne'eessairement deux e'tages : le dessuset le dessous des tables. Seu- leinent, meltons des sentinelles a la porte, afin que le desordre ne soil pas trouble. Cette pensee delicate obtient rassenliment general. Puis le sabbat commence a grand orchestre; on dedaigne de boire a la bouleilie, on puise au tonneau sans intermediaire. Mais voici que Frantz Levvald entre tout furieux ; il veut se battre avec le comte Richard de Waldeck, qui a parle" le'gercment de la femme de Burkart. Comme le comte n'a pas'de temoin, on lui en prete deux. On degaine les rapieres : Lewald esl blesse au bras. Leo Burkart se montre. Messieurs, dil-il, tant que vous n'avez fait que du tapage, j'ai respecie" vos privileges; je n'ai pas altribue" a ces enfantillages plusd'importancequ'ils n'en merilent; mais vous savez que le duel est defendu par la loi ; or, en ma qualile de ministre du prince Frede'ric-Augusle, je condamne les deux champions a-quinze jours de prison. Soldats, emmenez-les. Les e"ludianls font mine de se re"volter etde vouloir repreiulre les prisonniers ; mais 1'ascendant de Leo, son oeil etincelanl, son geste plein d'uutorile, les subju- guent. Max I er s'ecrie: Rengainez les rapieres, eteignez les torches ; nous sommes des vaincus! La popularite" de Burkart, le coura- geux journaliste de la Gazette germanique, a re^u sa premiere atteinle. De I'auberge du Soleil d'Or, nous sautons a la residence royale. II y a fete el reception; des groupes circulenl dans les allees dii jardin. L'espoir de renconlrer Marguerite amene Franlz a celle fele; les abstractions donl il parlait si bien au commencement dela piece ne suftisent plus a son coeur, et la palrie esl une idole un peu bien \ugue lorsqu'on n'a que vingt ans... II renconlre Marguerite sous UEI'UIS V1NGT-CIHQ ANS j'.i I'oinbre discrete des charmilles, et, sans doule ciitiardi par la lueur veloulee de la tune, le fre"missemcnt luintain de I'orcheslre, IVnivre- nient de la fete, il laisse cchapper un tendre a veu. Marguerite, di'latssee pur sou niari, que les affaires publiques empechenl de veiller aux sietmes, eprouve uu vague ennui, un secret besuin de s'cpancher; uu cueur plus simple, une raison muins uaule conviendraienl mieux a sa faiblesse. Anssi, altcndrie par la circonstance du duel, recoil-elle la declaration dc Franlz, declaration d'ailleurs prevue depuis long- leinps, avec nioins de se'verile qu'il ne s'y alleudail. Franlz, sous pre 1 - lexte de reflations qu'il veut lui faire, oblienl d'elle un rendez-vous pour le lendemain, dans son oraloire, donl elle lui doone la clef. Leo Burkart revienl fort a propos d'une mission diplomatique; il a mi-si et ili'niiiccrir les plus habiles par un moyen Tori simple, en disant la verite" ;mais, comme il a resolude n 'employer aucune machi- nation soulerraine el qu'il veulgouverneraveclionnclele' el franchise, il ignore que les socie'Us secretes travaillenl la ville et que pcul-elre une revolution va e'clater; ses jours sonl menaces, ainsi que ceux du prince. Dans un exces de loyaule honorable, il refuse de voir des papiers que le chevalier Paulus a surpris sur un eludianl ivre. Ccs papiers contiennent le plan de la conspiralion el la lisle des con- jures. Le"o traite assez duremenl Paulus, el lui reproclie dc s'abaisser a 1'espioiinage et a des moyens de police. Le chevalier, qui est un grand esprit dans sa sphere, el qul sail bien qifon aura bienlot besoin de lui, ploie humblemenl la tele el se retire. Mais voici que le prince arrive exaspere; sa police parltculiere I'a iiistruil de la conspiralion : Vous ne savez done rien, monsieur? dil-il a Durkarl. On doit nous assassjner dcmain... Quelles mesures avcz- vous prises? Peut-elre, en sorlanl de chez vous, rerevrai-je une ballo ou un coup de poignard! Qui vous dil que je ne sais rien? repuiid I'.urKart en tendantau prince les papiers surpris par Puulus. C'esl bien ; vous etes un brave el lidt'-le minislre. Cette question vide"e, Buckarl en entame une aulre, celle du ma- riage du prince, qui serallachc a de liaules consideralions politiqm-s. Frederic-Augusle ne veut pas se marier, car il est amoureux d: Diana; en insistanl, Burkarl nieconlentc le prince, el se fail une en- iiemie mortelle de madcnioiselle de Waldeck, donl rinducnre occullr 252 LAUT DRAMAT1QUE EN FRANCE lui avail etc" si favorable. Apres cette scene, Burkart appelle le che- valier Paulus, porte ses appointementsa cinq mille florins et le dis- pense de manger a sa table ; puis il lui dcmande s'il peut le faireentrer dans ces socie'te's secretes qu'il parait si bien connaitre. Paulus re- pond affirmativemeut, etils sortent tous les deux pour aller vaquer a leur sombre besogne. A peine sont-ils dehors, que Franlz deboucbe par la porte de 1'oratoire, dont Marguerite lui a remis. la clef dans un moment d'imprudence. 11 erre craintivement dans ce logis inconnu, el ses yeuxse portent par liasard sur les papiers qui couvrent la table; que voit-il! les noms de Flaming el de Roller; pourquoi ces noms dans le cabinet du ministre? Un soupcon terrible lui traverse Pespril; le salul de ses freres fail laire loule delicatesse, il prend la lisle, volt que tout est de"couverl, jelle a peine a Marguerile, qui survienl, quelques mots incoherents, et court pre"venir les etudiants qu'ils sonl Irahis. C'esl Leo que j'aime, se dil la jeune femme, c'esl pour lui que j'ai eu peur ! L'acte suivant represente 1'inle'rieur de la vente; 1'appareil fantas- magorique de la Sainle-Vehme, si puissant sur les imaginations alle- mandes, y est de"ploye dans toute sa sombre splendeur; les lampes funebres suspendues aux voules avec leur tremblanle flamme d'espril- de-vin, les masques noirs, le poignard, la corde, les mots d'ordre myste'rieux, les signes maconniques, rien n'y manque; c'esl un ta- bleau complel el forl exact. Les representants des provinces pro- posenl la queslion de savoir si Ton doil luer le prince ou le ministre ; quelques-uns sont d'avis qu'on les tue lous les deux; Burkarl, qui a e"le introduil par Pinduslrieux Paulus, fail pre'valoir 1'avis qui con- damne le minislre seulement. Pendanl celle discussion arrive Frantz Lewald, haletanl, c"perdu, qui apprend aux freres qu'ils sonl livres. Comme il n'y a pas de lemps a perdre, on lire au sorl celui qui doil frapper le minislre infidele el servile. Franlz Lewald lire la boule noire de 1'urne, el on lui remel le poignard cl la corde en lui donnanl vingt-quatre lieures pour executor la sentence; puis on pro- cede a la reception d'un nouveau frere, Ic comic Henri de Waldeck, qui, pour se vcnger de Leo Burkarl, se jelte dans 1'opposilion cl vcut faire parlie de la Jeune Allcmayne. A peine a-l-il prononcc k- sermon!. 'iuc dcs solduts debouclienl de DEI'L'IS VINGT-CINQ ANS loules parts, ferment les porlcs et s'emparent do I'assemblee. Henri In Waldeck chcrche a s'excuser, el dit au chef du di-Uicbenicni qu'il n'est la que pour les inierets du prince; qu'il veut surveiller et non agir. II re'pete la plirase de trois manieres, el, a la Iroisieme, il jelle un grand cri, car la lame d'un poignard vient de lui enlrer dans la poiirine; les soldats sont de faux soldats; o'etaii une feinte alerte pour eprouver la fide'lile' du ne"ophyte. Alors Le"o Burkarl arracbe son masque et eric d'une voix tonnante : < Je vous fais arreter, non comme conspiraleurs, mais comme assassins. Des Soldats veriia- bles, cette fois, s'emparent des eHudianls et les emmenenl. Loo Burkart se promeoe a grands pas dans soqpabinet : la dispa- rilion de ses papiers 1'inquiele ; il y a done des gens qui \ out el vien- nent comme ils veulent dans sa maison. Marguerite lui avoue loul ; lui, comme un grand esprit et un grand cceur qu'il est, croil aux protestations d'innocenee desa femme el allend son assassin de pied ferme. Frantz ne tarde pas a reparaitre, la figure livide du crime qu'il va commeltre, les chcveux en de"sordre, les yeux hagards. II lient deux pistolets; ce n'esl pas un assassinat, c'cst un duel. I.i'u refuse dc se ballre avant le lendemain midi ; alors if ne sera plus mi- uislre; jusque-la, il ne s'apparlient pas. Frantz, exaspere, le provoque de la fac.on la plus outrageante; il lui dit que, s'il ne veul pas sc ballre comme liomme politique, il doit le faire comme niari outrage", qu'il aime sa fcmnic el qu'il eh esl aimr. Vous savez-bien que non el que vous mciiicz comme un infame! s'ecrie Marguenle sorlanl du cabinet, d'ou elle a loul enlendu. Vous n'oseriez pas le redire devant moi. Franlz, fou dedouleur, s'elauce vcrs la porle. C'elaii pourlanl un bon el bonnetc jcune bomiue,dil Marguerite en s'appuyanl sur le bras de son mari, sauve* d^sormais de loul danger; nous 1'avons Irop ahaisse*. I'ne detonation se fail entendre. Le voila qui se relevc! repond Leo Burkarl. La loile lomhe sur ce mol. Depuis lougtemps, on n'avail represent une piece d'urie si baute porlc'e el d'une si grande complicalion; on y senl I'elude attentive des maitres allemands el surloul de Scbitler. M. (ie'rard de Nerval, qui a fail la meillcure Iraduclion existanle du Faust de Ga-lhe, cun- nait a fond les poeles d'oulre-Rhin, el sa maniere esl impr^gnee d'un 25-1 L'ART DRAMATIQUE EN FKAXCK fort parfum germanique qui ne null en rien a son individualile. Malgre lout son merile, 1'impression que laisse la piece esl irisle. Est-il done vrai, he'las! que les plus belles theories soient si laides a la r&ilitt 1 ? Tous les enlhousiasmes se trompcnl-ils done, et n'y a-t-il de mi- nistres possibles que des chevaliers Paulus? Nous avons bien peur que M. Gerard n'ait raison. XXIII MAI 1839. Opera-Comiquc : les Treize, paroles de MM. Scribe el Dn- porl, niusique de M. Halevy. Ne pas confondre avee lex Treize de M. de Balzac. Oplimisnie des ope'ras-comiques. Gaiete : le Sylphe d'or, feerie. Le genie du bien et le genie du mal. Un ballet de lapins. Ambigu : le Naufrage de la Miiduse, drame de MM. Charles Desnoyers t-t Denuery, decorations de MM. Pbilastre et Cambon. Le passage du tropique d'apres M. Biard. Le radeau des naufrages d'apres Gericaull. Theatre-Francais : le Susceptible, comedie de M. Amedee de Beauplaii. Question de synlaxe. Gymnase : la Muitresse et la Fiancee, par M. Emilc Souveslre. Madame Dorval. G niiii, OPERA-COMIQUE. Les Treize. Les Treize.' ce litre mysterieux et fatal a fait beaucoup travailler {'imagination des spectateurs avanl le lever du rideau. Les Treize quoi? Quant a nous, nous trou- vions M. Scribe bien courageux d'avoir mis pour etiquette a sa piece ce nombre que la traliison de Judas Iscariote a rendu a tout jamais detestable, et qui estdevenu,avec le sel renverse,une des plus vivaces superstitions modernes. On pensait generalement que les Treize etaient tires de la nouvelle du nieine nom de M. de Balzac; on s'al- tendail a retrouver la l'(5tonnante figure de Ferragus, chef des devo- rants, et 1'inte're'l halelanl du conte qui ne laisse pas fespirer un inslanl; car, vous le savez aussi bien que nous, Ferragus est tout bonnemcul un chef-d'oeuvre ; c'est le merveilleux des Mille et une OF.I'flS Vl.NGT-UXU A.VS Suits (iMiispurU: an milieu de la vie parisienne; ce soul les plus iu- croyables avenlures nicontccs avec une patience flamande el un* observation imperturbable; des portraits chiroe>iques trails nussi niiniitieusemenl que les teles les plus flnies dc Denner avec un sin- cere accent de verite" qui rend tout probable. La surprise a e"U; grande, l'ope>a-comique n'avait pas le moindre rapport avec la nou- velle; il a fallu se passer de Ferragus. Nous sommes surpris que M. Scribe, qui esl un liomme adroit, ail 6veill6 inulilemenl le souve- nir d'une chose surprenanle el donne" lieu a de facheux rapproche- ments entre ses Treize el ceux de M. de Balzac. Les Treize de M. Scribe sont de jeunes seigneurs napolilains qui, ne pouvant sans doute r&issir loul seuls aupres des femmes, oni forme une compagnie ge"ne>ale de seduction. 7 Triste ressourco! imaginalion pauvre! car, en maliere amoureuse, les associations ne valenl rien; on n'esl guere a\m& par categories. Nos !on Juan au pelil pied onl la louable intention de remplir lour regislre des noms de leurs victimes. Le Mille e ire du vrai don Juan les empeche dedormir. Tout cela n'esl guere re'crdntif. Nous aurions souhaM ;i M. Ha- le"vy, homme d'uri talent e'prouve' el rdel, un livret plus ing^nieux elsurtoutplus abondant en situations musicales. II en a tire cepen- dantlemeilleur parti possible el a deguise de son mieux I'insufllsancc du poe'me. L ; instrumentation de I'ouverlure monlre un compositeur haMlne" a faire mouvoir des masses harmoniques el qui connail les ressourccs de I'orchestre ; seulemenl, le dessin des pensees n'esl pas assez nol el les phrases manquenl de ddveloppemenl. II y a un choeur de bu- veurs d'un bon caractere, el la ballade qui vienl apres esl un des meilleurs, sinon le meilleur morceau de I'ouvrage; la mclodieade I'eclat el de I'^legance. La tarentelle de mademoiselle Jenny Colon est pleine de couleur et de vivacit ; elle la chante.du reste, avec beaucoup de gout el de charme. Quanl ;'i I'air du voiittrin, quoiqu'il ne manque pas de nit-rite, nous le goutons moins, car nous avons cntendu lanl de gens de meliers differenls cele'brer ^ rOpera-Comique les charmes de leur elat, que ces hymnes en guise de Manuel-Rorel nous sonl insupporlables : L ART DRAMATIQUE EN FRANCE Ah ! quel plaisir d'etre solilat ! Oh ! Ic cliarmant metier, Que d'etre perruquier ! Quel sort plein de douceur, Que d'fitre confiseur ! Oh ! oh ! oh ! qu'il elait beau, Le postilion de Longjumeau! Le bel etal que celui de brasseur ! etc., etc. L'Ope'ra-Comique ne ressemble guere au moride reel, ou personne, au conlraire, n'est content de son sort; il est settlement facheux que cetle satisfaction philosophique se produise invariablement sous la meme forme. En somme, bien que les Treize aient oblenu du succes, nous pensons que la vraie place de M. Hale'vy est au grand Opera, et que ses inspirations sont plus tragiques que bouffonnes. Les situations violentes, les scenes a grands de"veloppements, voila son veritable terrain. GAIET. Le Sylphe d'or. Le Sylphe cTor, la Fille du Danube, la Sylphide, la Fille de I' air, le Lac des Fees, Peau-d'Ane, les Pi- lules du Diable, c'est toujours la meme chose : un mauvais ge"nie qui dispose dcs petards, de 1'esprit-de-vin et des trappes; une fee bienfaisante a qui revienncnt de droit les nuages de carton, les so- leils de fer-blanc, les guirlandes de fleurs en papier et les feux dc Bengale de 1'apotlieose. Rien n'est plus simple. Cela nous rappelle une charge de Deburcau, le glorieux paillasse. Dans une piece dont nous avons oublie le litre, Debureau, avec sa spirituelle figure de pla- tre tachee de deux petits yeux, noirs de malice et de reflexion, se promene, les mains dans les poches, sur ce cliemin a double branche qui menea la verlti ou au vice. II s'agit de voler ou de ne pas voler un pate". Tout a coup, une trappe s'ouvre, et, d'un lourbillon d'es- sence de tere'benthine, jaillit une figure noire et monstrucuse. Debu- reau, un pcu surpris, regarde le diablotin, qui lui dit d'un ton mena- cant : Je suis ton mauvais ge"nie! Sans se de'concerter, il va prcndre une hache dans un coin, telroussc ses manches, craclie DEPU1S VINGT-C1NQ Afls 287 dans ses mains, el, avcc cet air reflechi el sournois qui lui est f.nni - licr, coupe tres-propremenl en deux son maiivais genie el jelie les morceaux dans la Irappe encore ouverle. Le mauvais genie depe'che', voici qu'une fee etincelante de paillctles, un morceau de clinquanl rouge dans les clieveux en guise d'e"loile, sorl d'un nuagc el se pre- senle au paillasse en lui disanl : Je suis Ion bon genie! Debureau reprend sa haclie, recrache dans ses mains el coupe le bou ge"nie en Irois; inais il mange son pale* el 1'action continue comme s'il n'elait rien arrive". Celle scene devrail bien elre place'e au commen- menl de loules les pieces a speclacle. La seule chose amusanie du Sylphe d'or, c'esl un ballel de lapins. Le he'ros, a la cuasse, veul man- ger un pale" (ce mels esl gminemmenl feerique) : il en sorl un lapin vivanl; d'aulres lapins de"busquenl de lous les coins du bois el exe- culenl, a la barbe du chasseur, la danse la plus insultanle du monde. Dans un ouvrage de nous, non desline" au Ihe'atre el intitule* Unc Larme du Diable, nous avons place un cliaur de lapins chanlanl des paroles de M. Scribe, el nous sommes tres-fier d'avoir le premier compris ('importance dramatique du lapin, animal injustement reduil a la gibelotle. AMBIGU. Le Naufrage de la Me'duse. S'il y a au monde une imagination saugrenue, c'est, assure'ment, celle de faire un me"- lodrame du naufrage de la Me'duse : en effel, ou esl Pinlrigue, ou est le drame dans ce sujel d'liorreur monotone? comment traduire a la scene ces mille incidenls du voyage, ces inquietudes, ces espe- rances aussitol Oleinies qu'allums, ces horribles souffrances qui fontioull'inte'ret? Le tillac d'un vaisseau esl unc unite' de lieu bien e'lroite el Taclion a bien de la peine a s'y relourner, quand meme ce serait un vaisseau a trois mats et a Irois ponls. Si habile que soil le decoralcur, il ren- contre toujours dcs obstacles invincibles; il est force de faire son navire immobile, et, s'il veul en monlrer 1'inte'rieur, il faut qu'il le coupe en deux comme un plan d'architecture, convenlion genanle el qui inquiete 1'oeil du speclateur. L'intrigue pour une pareille piece esl done impraticable et le Nau- frage de la Me'duse n'esl en quelque sorte qu'un supplt'ment du Navalorama, une espece de speclacle me'canique de M. Pierre en I. S 258 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE grand ; les acteurs n'y sont que subalternes ; le seul, le veritable ac- teur, c'est le vaisseau. Nous le voyons sur le c'hanlier enloure d'une complication d'echafaudages, et pret a etre lance; nous le voyons voguant a pleines voiles et recevant le bapleme d'cau et de feu du tropique; nous le suivons jusqu'a ce que la vague englou- tissesa derniere voile et sa derniere planche; la est la piece; quel- ques figures de marins emprunle'es a la Salamandre, de M. Eugene Sue. remplissenl les vides du cadre; mais il n'y a re'ellementque deux acles, deux tableaux voulons-nous dire, 1'un esl iniHe" du Pus- sage du tropique, de M. Biard, 1'autre du Radeau de la Medusc, de Ge'ricault. Entre ces tableaux, il y a la difference dc M. Biard aGcricaull; toute la difference d'une charge de Vade avec sa gaiete de carnava! a un sombre poe'me byronien. Dans le passage du Iropique, on voil des marins affuble's de deguisements grotesques, habille's en Nep- tune, en tritons et tritonnes, qui noient duns un deluge baptismal un pauvre diable de novice ; le pere Tropique et madame la Ligne, son e'pouse, sont tres-bouffons et tres-drolaliques. Le tableau final qui represenle les naurrage's sur leur radeau esl re"ellement unetres-belle chose et que tout Paris courravoir. Figurez- vous line mer a perte de vue, dont les flots viennenl se briser jusque sur les quinquets de la rampe; rien que 1'eau el le ciel, pas d'aulre bruit que la voile qui palpite, que le vent qui souffle, que le mouranl qui rale, ct la lame accourant du fond de I'horizon comme une ca- vale e"chevelee et furieuse, les naseaux blancs d'e'cume et le souffle presse : c'est beau et grand. Chaque fois que rOce*an respire, il sou- leve sur sa forte poitrine le radeau chancelant, qui monle et descend avec son haleine ; ce mouvemcnt esl tres-bien rendu. Les groupes, disposes comme ceux de Gericault et modeles par une lumiere livide, sont du plus grand effet et font une illusion complete. Saint-Ernest, Albert, grimes avec beaucoup d'adresse, semblent e"chappes du cadre. Madame Ferville, pale d'une bianclieur exsangue, avec se:; cheveux trempe"s et scs lambeaux de vetements, esl une admirable statue du Desespoir. Le cadavre un pen avance qui occupc le coin du radeau paraitparfailement mort, et nous doutons que 1'imitation puisse etre poussee plus loin. Vous pressentez le de'noiiment : la DEPUIS V1NGT-C1NQ ANS 259 petite voile qui blanchlt 1'horizon commc I'aile dc la colombe ap- portant Ic rameau d'olivier , puis qui disparait el flnit enfin par de- venir un bon gros vaisseau, double", cloul6 et chevilld en cuivre, qui recueille Ics spectres consumes de soif el de faim; de'noument sou- liaite" de ce long cauchemar, ou rapothe"ose est remp!ace"e par du ' bouillon dc poulet el du vin de Bordeaux. Gloire a MM. Philaslre et Cambon ! 26 mai. THEATRE -FRANCAIS. Le Susceptible. Le Susceptible esl d'a- bord un bon gros barbarisme : des gens qui se piqueraienl d'e'crire leur langue metlraient I'homme susceptible; mais c'estla du style de nocturne et de romance qui ne choquera personne, car ces sortes de tournures sent fort usitees dans le patois acluel. Un certain M. Vincent est secretaire du comte de Murville, voila sa position. Belle position ! Quant a son caraclere, il est susceptible : si on le regarde, il se fache ; si on ne le regarde pas, il se fikhe; il setrouve humilie", broye", tyrannise" ; un mot Pexaspere, une phrase demi-ironique le ferait se jeter par la fenetre. Ce mon- sieur veul marier sa niece Cl<5mence au fils dc I'intendanl du chateau. Pour celebrer celte union, il compose, non pas un tfpithalame, mais un vaudeville, ide"e triomphante ! Le vaudeville nuptial doit elrejoue par les Paliverl mari et femnie, parents du comle, gens de gout, qui trouvenl le vaudeville detestable et le discnt avec une louable since- rite". Vincent, qui avail garde Panonyme, trahit son incognito et e"c!ate en grossieres invectives. On a beaucoup de peine i 1'apaiser en lui disant que les PaHvert ont agi de la sorlc pour connailre le veri- table auteur. Vincent, qui dans sa fureur voulail rompre le manage, unit, tout en grommelant, Cle'mence a son fiance". La toile tombe et la piece aussi. Samson, Provost et mademoiselle Noblet jouenl ce ndant aussi bien qu'ils le peuvent. M. Ame"di5e deBeauplan, vile un album de romances! GYMNASE. La Maltrcsse et la Fiancte. M. Emile Souvestre est posstfde" de Fhonnete maniede faire de Vart utile : cli^cun estlibre; ses vaufltevilles ne sont que des capsules a sermons. II y a toujours 260 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE une intention philosophique sous tout ce qu'il fail. M. Souvestre a voulu prouver ici qu'il est ennuyoux d'etre aime d'une femme qu'on n'aime plus, et qu'il n'esl pas aise de se debarrasser d'une maitresse. Leon Gozlan, qui, certes, est un hoinme spirituol, a fait une nouvelle tres-jolie, intitulee : Comment on se debarrasse d'une maitresse! Le moyen, c'est de 1'epouser! L'epouser, c'est im- moral ; la renvoyer, c'est cruel. Quo diable faire? Se marier avec une aulre, c'est chanceux. Une mailresse abandonne'e pleure comme un crocodile, rit comme une hyene, de'passe en ruse le singe et le renard, et deploie des fe'rociles de panthere ; elle penelre par- lout, et particulierement chez les beaux-peres qu'on a; ellc fait des scenes horribles ; elle se roule, se jette a terre, grince des dents et s'arraehe les cheveux. Le diable n'est rien a cote de cela. II ne se trouvc pas toujours, comme dans la piece du Gymnase, un lionnele et debonnaire Savoyard, nomine* Andre, pour 1'epouser a votre place. Ces fortunes sont rares. Madame Dorval a jete, dans le role de Caroline, de frequents et lumineux eclairs dont elle a seule le secret; elle a die" tumultueuse, naturelle, pathetique, touchanle, moclleuse comme une chatte, rau- queet fauve comme une lionne, la plus adorable femme du mondc pour tout autre qu'un amant. On craint a cbaque minute que la frele cage du Gymnase ne se brise sous les bonds desordonnes de ce vio- lent amour. DEPUIS VINGT-CINQ ANS XXIV JUIN 1839. Renaissance : le Naufrage de la Meduse (2 e edilion), pa- roles de .MM. Cogniard freres, musique de MM. Flottow et Pilati, dlcora- tions de MM. Devoir et Pourchet. Les rales d'ngonie pris cotnmc motifs me"lodiques. Le radeau de la Renaissance el celui de I'Ambigu. Pcr- fectionncmenldes trues maritimes. Quo* ego.'... Opera-Comique : Polichinelle, paroles de MM. Scribe et Charles Duveyrier, musiquc de SI. Montfort. Lc polichinellc franca is ct le polichinellc napolilain. Porte-Sainl-Martin .- le Pacte de Famine, drame de MM. Paul Toucher et Elic Berthet. Melinguc. 3 juin. RENAISSANCE. Le Naufrage de la Me'duse. Quand Mascarille des Pre'cieuses ridicules disait : Jc veux mettre toute 1'histoire romaine en madrigaux, c'esl mon talent particulicr, il ne se doutail pas que Ton arriverait a faire des choses encore plus extraordi- naircs : 1'idee d'arranger en opera le naufrage de la Meduse vatit bien celle de mettre I'histoire romaine en madrigaux. Quel rapport a la musique avec celle effroyable histoire qui sur- passe en horrcur tout ce quc I'imaginalion des Iragiques a pu in- venler de plus noir el de plus sauvage! Les caucuemars roman- liques sonl des reves couleur de rose 5 cole de celle r^alite"; les danses macabrcs, les charniers, les morgues, les bourreaux et lout I'atlirail cadave'rique des romans de 1829 n'atteignenl pas a cetle puissance d'angoisse; des liurlemenls, des rales d'agonie. des cris de rage el de de'sespoir, sonl d'assez Irisles motifs me"lodiqucs ; loute mnsique esl puerile en parcille circonslance, el, si large que soil la convention en matiere ihdalrale, il esl impossible d'admellre les naiifrage"s de la Meduse, morls de faim, enrages de soif, degrades par la souffrance jusqu'a PanimalilC" el ranlhropophagie, afTreuse- nienl balloltcs sur un radeau sans gouvernail, chanlant des duos, des I. . 262 LART DRAMATIQUE EN FRANCE trios et deschceurs. L'e'puisement des sujets etdes combinaisons dramatiques peut seul expliquer le clioix d'une pareille donnee; il faut avoir un besoin demotions violenlcs bien forcene pour repaitre ses yeux d'un tableau si terrible. Pour nous, nous aimerions mieux tout simplemcntdes combats de taureaux ou de gladiateurs. Au moins, il n'y aurait ni paroles, ni musique; ce derail tou jours autant de gagne. Ces reflexions ne nuiront nullcment au succes du Naufrage de la Me'duse ; il sera aussi grand a la Renaissance qu'a PAmbigu- Comique; car, en depit de loutes les declamations eslhtHiques, philosophiques et morales, 1'horrible a son magne'tisme cominc I'abime. La piece n'existe pas plus a la Renaissance qu'a PAmbigu- Comique. II n'y a, en effel, qu'un tableau, celui du naufrage; les autres actes pourraicnt etre retranches sans Ic moindre inconve- nient. Du resle, quand arrive ce tableau qui rcprc'sente. le radeau dc sinistre memoire, on nelrouveplus qu'a louer; c'est beau, terrible, saisissant ; Ge'ricault lui-meme, s'il pouvait rouvrir sa paupiere a lout jamais fermee, serait content de cette reproduction de son chef-d'oeuvre; Part du decorateur et du melteur en scene n'a jamais etc plus loin; les lames se levent, s'abaissent, moutonnenl et deferlcnt avec une verite surprenante; ce n'est plus de la toile peinte, c'est de Peau, de Pe'cume qui va mouiller le speclatcur et (Heiridre les quinqucts de la rampe ; cette decoration sans coulisses, sans bandes d'air, sans rcpoussoir, qui n'est composee que de deux immcnsites monotones, le ciel et la mer, fait le plus grand lionneur a MM. Devoir et Pourchet. Lesgroupes du radeau sont arranges avec beaucoup d'art et de soin ; seulemcnt, nous trouvons les cadavres de PAmbigu d'uncpourritureet d'un faisandc superieurs; ceux de la Renaissance sont uu peu trop blancs ettrop propres. Le tangage du radeau est bien rendu et donne le mal de mer rien qu'a le voir. En outre, il traverse le theatre d'un coin a I'aulre; le radeau de PAmbigu ne fail que se ballotler a la meme place, ce qui miit a 1'illu- sion; ici, elle est parfaite. Le moyen employe au boulevard pour donncr du roulis a Pembarcalion esl celui qui fail dandiner les DEPU1S VIXGT-C1XQ AXS 263 poussahs et Ics prussiens : sous le plancher du radeau cst adapted unc masse de fonle de forme rondc qui serl de centre et de contre- poids a ('oscillation imprimee par dcs cordesa la machine en e"qui- libre. A la Renaissance, le me'canisme s'opere au moycn de spirales elastiques comme on en met aujourd'hui dans les divans et les fauleuils, mais d'une force superieure. Aulrefois, on n'y met- tait pas tant dc facons : quand on voulait faire la mer, on plarait une douzaine de polissons a quatre pattes sous un tapis vert, et, quand le moment de la tempete e"tail venti, le dirccteur activait la furcur des flots avec quelques coups de pied convenablement adres- sc*s. Rien n'e'lail plus rejouissant que d'entendre la vague crier die ! quand elle (Hail atteinte quelque part par la botle du Neptune thealral. II y avail encore une aulre facon non moins naive : on en- filait, comme des mauvieltes 3 six douzaines de flots vcrt-boutcille glace d'argcnt dans six longues broches de bois posanl par leurs extre'mite's sur des especcs de chencts, et un nombre e"gal de petits Savoyards tournaient cela avec dcs manivelles comme des joueurs d'orgue ou dcs apprentis rotisseurs. On est bien loin maintenant de cette simplicite patriarcale, et la nature n'a plus de miracles que ne puisse reproduire 1'art du decoraleur. ISjuin. OPERA-COMIQVE. Polichinelle. Polichinelle est un tout petit, tout petit opc'ra-comique fort gentil ct fort spirituel, qui dure ii peine une denii-hcure, attention delicate en ce temps de clialcur se'ne'gam- bienne, ou les claqueurs et les critiques fondenl en faisant Icur ouvragc, comme dcs mannequins decire dans unc fournaise. On entre, on leve la toile, on la baisse, el Ton sort. Ce n'est pas plus complique" que cela. II n'y a pas meme de mariagc au de"noument : les amants sonl ma- rics au lever du rideau, ce qui n'est pas un mince bonhcur; on esl sur, du moins, qu'ils ne sVpouseront pas a la lin, car le mariagc a cela de bon, qu'il empechc a loul jamais de se maricr; c'esl son plus grand, el meme son scul avantagc. En constalant le succes de Polichinelle, nous ferons observer ;'i MM. Scribe et Duveyrier, que le pulcinclla nnpolilain n'est pas 264 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE bossu, et que son habit n'esl pas mi-parti de jaunc et de vert comme celui du polichinelle francais. Le pulcinella est entieremenl nabiHe" de blanc, a peu pres comme le paillasse parisien; seulement, sa ca- saque fait plus de plis et se fixe autour de la laille par unc ceinture ou est passed une balte; il porle un grand nez noir avec un demi- masque de meme couleur, et un chapeau de feutre de forme poinlue, comme on peut le voir dans les grotesques de Callot, dont la tra- dition s'est maintenue Ires-exaclement. Cette chicane n'empeche pas la piece de MM. Scribe etDuveyrier d'etre pleine de gaiele" etd'esprit. 23 juin. PORTE-SAIIVT-MARTIIV. Le Pacte de Famine. Nous sommes en 1765; 1'administration des bles du royaume est confide a une compagnie de traitants qui font a leur gre la hausse el la baisse du prix du pain ; le roi Louis XVI a lui-meme un interet dans cette entreprise, que la population entiere fle'trit du nom dnergique et significatif Aepacte de famine. Grace a cette belle association, les malheureux en seront bientot reduits a manger de la croule de pate et de la brioche, selon le mot si tristement n grains de labac sur son jabot de dentelle, ouvrant sa tabaliere enrichie dc brillanls, don de quelque souverain du INord, faisant briller le solitaire de son petit doigl, etc. La vue de loule cette jcuncsse le ragaillarclit. Bientot, Laurctle elle-meme parait avec son costume de fete. Un corset vert releve" d'agrernents d'argent serre sa laille sonple: unc jupe de gaze blanclie fort courte laisse voir ses delicieuses jambes dignes d'un sculpteur grec ; une couronne de fleurs est posee sur sa brune chevelure; des caslagneltes babillent an bout de ses doigls. Laurette va danser la tarentelle ! Aliens, Luigi, que faites-vous assis sur votre bane? Mon cher Luigi, ne savez-vous pas la taren- lelle? Quoi! vous laissez danser volre maitresse avec un autre! et vous vous dites amoureux ! et vous metlcz la main sur votre coeur pendant tout un acle! Vous avez tres-grand tort, Luigi; d'autant plus que ce jeune drole qui vous remplace est assez bien lourne et se sert fort adroitement de ses jambes. Vous nous repondrez que c'elait mademoiselle Therese Elssler qui devait danser avec Lauretle, et que mademoiselle Therese a mal au pied. C'est e"gal, vous n'etes guere jaloux. Ce que Lauretle a mis de grace, de legerele et de precision dans celte tarenlclle est inimaginable; c'est quelque chose d'aerien et de vigoureux a la fois, de chaste et d'enivrant qu'on ne peut decrire; l'espie s glerie et la passion s'y fondent avec un bonheur rare; la rete- nue de la jeune fille vient toujours temperera propos la fougue toute meridionale de cette danse. La tarenlellea pris placedesormaisa cote de la cachucha et de la cracovienne. Les danses terminees, I'essaim joyeux se dissipe et s'envole. Mais void que Laurette, pale, haletante, I'oeil effare, renlre sur le thea- tre avec tons les signes de la plus violcnte terreur: on s'empresse aulour d'ellc, on lui dcmande la cause de son desespoir : Luigi vicnt d'etre mordu par une tarenlule. Vous savez que la tarenlule est une espece d'araignec noire, tres-venimeuse, dont la morsnre cause des convulsions el des soubresauls que Ton ne peut apaiser qu'au moycn de la musiquc, et en faisant danser le malade jusqu'a DEPU1S V1NGT-CINQ ANS J7! rextinclion de ses forces. La me'decine nie celefTct, mais la tradition en est assez populaire pour elre accepted de tout le monde. La pantomime de mademoiselle Elssler s'est e"lcve"e en cet endroit au plus limit degre" de sublimite" tragique. Elle a rcndu avec une efrayante ve'rite les progres du ma I, el le caraclere de plus en plus convulsir de la danse du malade ; Ic recit le plus circonstancic*, fail de vive voix, n'aurait pas e"te si clair que son discours par gestes. Luigi, retenu a grand peine par ses compagnons. traverse la scene en faisanl des cabrioles spasmodiqucs, el lombe bienlot e'puise' entre les bras de Laurelte et de sa mere*. Le doctcur Ome'opalico, qui n'esl pas si bon (liable qu'il en a I'air, avec sa bouppelande raisin de Co- rinllie, son petit venire content) dans un gilct de pique blunc, el sa monlre a breloques, regarde de Ires-grand sang-froid le malheureux se (ItMwttre et se rouler par terrc. Dans quelques minutes, lout sera flni. La pauvre Lurelte, e"perdue de douleur, tache vainement de fle'cliir I'impiloyable docteur, qui regarde Luigi com me son rival et ne veul pas laisser e"chapper une si belle occasion d'en etre debar- rasse". Au dernier paroxysme du de'sespoir, voyant celte clii-re vie pres de s'exhaler, Lauretle se redout au supreme sacriflce; elle donnera sa main au docteur Ome'opalico, a condition qu'il sauvera Luigi. Orneopatico tire alors d'un petit nt s cessaire a coins d'or, une petite fiole d'elixir, la met sous le nez de Luigi, qui reprend ses sens, jelte autour de lui un ceil moins cffare el se dresse sur ses pieds. Ome'opalico epouse Laurette, et Luigi regrelte de D'etre pas mort. ' Nous sommes dans la chambre nuptiale, la cliambre de Laurelte; voila le petit lit guirlandd de fleurs, la table a pieds tourne's, la cliaise, le miroir, le pot bleu pour niellre tremper des roses, tout le modeste menage de la jeune lille. On amene la blanche viclime; ses liabils de fete lombent un a un ; elle reste debout en simple corset de basin, en jupe de gaze, avec ses robes aflaissees et routes a ses pieds; elle croise douloureusemenl les bras sur sa poilrine comme la statue antique de la Pudeur. Celle toilette se fait derriere une bande de mousseline, paravent ae'rien. interpose par les compagnes de Laurelle, entre la cliaste nudite de la jeune lille et !a pe"lulance du vieux faunc. qui peut a peine se 272 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE contenir. Reste" seul avec Laurelte, 1'amoureux Omeopatico veut s'asseoir aupres d'elle ct lui prendre la main; pretention excessive- mentmodesle pourun mari: lapauvrefllle recule effarouclie'ecomme unc biche qu'un chasseur aurail fr61e"e en passant. Elle demande a faire sa priere et s'agenouille. En priant, il lui vienl sans doute une bonne ide'e, car elle sourit, releve gaiement la tele et s'approche de la cbeminee; tout a coup, elle pousse un cri et porle la main a son pied. Elle a ete mordue par la tarentule, et commence par faire les plus jolies cabrioles du monde ; le docleur, qui a son elixir, s'inquiete assez peu de cet accident dont il peut pre'venir les suites, et regarde complaisamment la jeune fille voltiger et sauliller par la chambre; Laurelle presse le mouvement de sa danse. Le signer Omeopatico, jugeant le moment venu d'arreter les effels du venin, clierche a met- tre le.flacon sous le nez de Laurelte, qui le fait tres-adroitement voler en 1'air et casser en mille pieces. Omeopatico, tres-inquiet, taclie vainement de saisir sa femme., qui bondil, touruoie, s'e'lance avec une prestesse toujours croissanle, en lui administrant ra et la quelques petits coups de piedque Debureau nedesavouerait pas. Ome'opatico, hors d'haleine, gemit comme un soufflet asthma- tique, s'evente de son mouchoir et se jetle sur une cliaise, plus hale- tant qu'une baleine sur le sec. Laurelte, de son cote, tombe sur une autre chaise en poussant un grand cri. Ce cri fait accourir toul 1'essaim enjuponne. Les petiles filles se pressent aulour de leur camarade, qui leur recommande lout has de ne la contredire en rien. Lauretle continue a feindre 1'evanouisse- ment; elle se meurl, elle est morte : voila qui est dit. Morte, c'esl bienlot fail, et les tarenlules, surloul lorsqu'elles n'ont mordu per- sonne, sonl de lerribles araignees. Les garcons du village, furieux conlre Omeopalico, lui donnent une glorieuse roulee de coups de baton. II 1'a bien merile, le vieux gredin, le liberlin e"honle, qui a fait mourir la plus belle fille de la Calabre ! Omeopalico se sauve; onemporle Laurette. Kous void dans un magnifique paysage : des monlagnes admira- bles, beurrees, dorees, cuites et confiles dans le soleil; celle fabri- que, a gauche du spectaleur, ou Ton monte par line rampe d'une couleur si vraie et si re'elle, c'est le monastere de Sainte-3Iarie, une DEPU1S VINGT-CINQ ANS 273 belle retraileenve'rile' : larges terrassesde rnarbre,plantes grasses d'un caraclere magnifiquement africain , vue inflnie sur la plaine bossue'e de collines et sernee de hameaux, un charmant paradis monaslique. La tele d'un long cortege debouche sur le UuVitn- : ies hommes d'abord, la li-U; nue, Ics bras pendants, puis Ies femines optionees; Laurelle est morle; la voila t'temlue dans ses voiles blancs sur un brancard malelasse 1 de salin et soulenu par quatre porteurs. Une couronne de roses blanches, symbole de virginiie", entoure scs tempos diaphanes; Ies franges de ses beaux cils s'abaissent sur ses joues, 011 Ies violetles de la niorl ne sonl pas trop emprcsse'es de remplacer Ics roses de la vie; elle n'a point trop mauvaise mine pour une deTunte. Luigi rencontre le convoi et s'e"lance vers le brancard, e"perdu, Ies yeux pleins de larmes; il a reconnu sa bien-aime'e. Le voyant si chagrin, la morte souleve genliment la tele et lui lance le sourire le plus vivant et le plus gracieux du monde, en lui faisanl signe de garder le silence ct de se tenir au repos. Le cortege continue a defller. Les jeunes lilies jeltent des roses cfleuille'es sur le corps de leur cherc compagne, qui n'a ve"cu que ce quc vivenl Ies roses, I'espace d'un matin; on gravil la rampe qui mene au couvenl, et Ton depose la belle lre"passe"e sur le seuil de la cha- pelle, dont la porte ouverle laisse voir une splendide illumination de petils cierges a !a mode ilalienne. Tout le monde se retire, et Luigi s'approche de la jolie morle, qui lui saute au cou avec toule la pas- sion de la vie et lui donne un beau el franc baiser de scs levres plus vermcilles que jamais. Ome'opaiico, qui a remis son habit noir et n'a pas voulu reparlir sans verser une larme sur le tombeau de sa fennne, helas! ravie si mal a propos par nn deslin jaloux, arrive a son lour dans la chapelle, 1'ocil douloureusemenl (ixe vers la lerre. line petite main lui frappe sur Pe'paule, il se retourne, el voil Lau- rette, sa seconde femme, debarrasstfe de ses linceuls et le rcgardanl avcc un sourire malicicux. Toul s'explique el s'arrange : Laurelle epouse Luigi, son premier maringe elanl casse de fait, el le docleur Ome'oiiulico remonle dans la chaise de posle que Ies poslillons onl jieglig^ de faire laver. Bon voyage! Lesucces a ele complcl : Barrcz a donne" un cachel tres-comique 274 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE au porsonnage du docteur Ome"opalico, et il a sauve tres-habilemenl ce qu'il pouvait avoir d'odieux : il a sti, merile bien rare, s'arreter a temps dans les charges, et ne pas depasser la limile ou la petulance devient du cynisme. Quant a mademoiselle Elssler, elle a ete gracieuse, legere, tou- chanle, spiriluelle, terrible comme la pylhonissc antique lorsqu'elle exprime les convulsions deson amanl pique par la tarentule, mali- cieuse comme la Colombirie de la comedie italienne lorsqu'elle pro- mene son vieux Cassandre tout autour de sa chambre; elle a transforme la parade en comedie et dissimule avec un tact admi- rable tout ce que la donne'e de ce ballet avail d'impossible et de liasardeux. La musique est de M. Gide, voila noire avis consciencieux. 7 juillet. THEATRE -FRAJfCAis. 11 faitt que jeunesse se passe. II faut que jeunesse se passe est un litre guilleret et folalre qui promet une suite d'escapades et de tours pendables les plus droles du monde. On s'attend a voir un jeune flls de famille menant une vie enragee, passant les nuits au brelan, rossanl le guet, soupant avec les impures de rOpera, et faisant chez les usuriers de ces cmprunls fabuleux payes moilie en crocodiles, moitie en pistoles rognees, si communs dans les complies du temps. L'imaginalion travaille la- dessus, et Ton croil deja apercevoir, au dc*noument, 1'oncle d'Ame- rique ou le pere financier, avec son bel habit mordore, sa vesle a boulonsd'acier tallies en pointe de diamant,qui tient,d'une main, une grosse liasse dememoires acquilles,ef,de l'autre,une jeunc personne charmanle, I'o3il baisse, le coeur tremblanl, la joue en feu, qui aim en secret le pendard de fils ou le coquin de neveu, lequel promet d'etre ddsormais plus sage et dc ne vivre que pour filiane ou Lin^ damire. Trompe par ce litre, nous elions tout aise de penser que nous al- lions revoir ces vieux types que nous aimons el qui sonl cliaque jour plus nouveaux : le pere rabachcur ct moralistc qui gourmunde sans cesse son flls el finit par payer ses deltes et lui donner dc 1'argent,-- cspece de pere cnliercment abolie ; les peres d'aujourd'liui ne foul DEPUIS V1NGT-CINQ ANS 875 point de sermons, mais Us ne donncnt point d'argcnt; Ic flls tou- jours amoureux, loujours riant, loujours buvant, toujours jouant, toujours quelque folic en tele; le valet adroit, impudent, pipeur, ri- bleur, voleur, mais spiritual, plcin dc ressourccs, sans cesse en quete de quelque stralagemc pour faire rc"ussir les amours de son jeune mailre; la grandc coquette avec son manage, son jeu d'e'ven- t.iil, ses dins d'oeil ct ses tours de tele; 1'Agnes que Ic pore veut faire e'pouser; la petite sceur qui intercede, et tousces adorables person- nages de convention si facilemcnt admis qui laissent tanl deliberle" a la fantaisiedu dialogue et a I'esprit du poete. Si nous avions su le nom de Pauleur, M. Balissan dc Hougemonl, nous nous fussions bien garde" de cette illusion; mais, ce soir-la, nous nations pas mieux informe" qu'un simple mortel. Au lieu dc la comeMie reve'e, nous avons eu un piteux vaudeville sans couplets oil la jeunesse ne se passe en aucune maniere el dans lequcl it se corn- met un nombre exorbitant de bonnes actions. M. Balissan de Rougemonl a fait, a la Porte-Saint-Martin, la Du- chesse de Lavanbalitre, si celebre par ses qualre queues. II est le clief d'ccole du drame verlueux : c'est un melange de Bouilly et de Fenouillot de Falbaire qui produit, en somme, tin asscz fade breu- vage dramatique, et il a fallu reellcmenl le besoin dc boissons rafrai- cbissanles qu'avaient cause" le poivre, le pimenl et le gingcmbre de la nouvelle ecole pour le faire avaler au public. Lc drame Rougemont e"tait en quelque sorle la lisanc tbealrale administre'e aux spectateurs ecbauflcs par Antony el la Tour dc Resle. Les journalistes firent a la Ditchesse de Lavuubalicrc un succes de reaction, car le feuilletoniste aime beaucoup Ic drame ver- tueux,qui lui fournit de dtMicieux pre"lextes d'articlee centre Icsau- teurs de ces productions monslrueuses, ou Ton ne pcul mcner ni sa lillc ni sa soeur. Si la nouvelle piece de M. de Rougemont avail e"te donne'e au Gym- nase, au Vaudeville ou a la Porle-Saint-Murtin, nous aurions pu lui f'lre indulgent ; mais le lliealrc sur lequcl elle esl jotitie lui domic une importance qu'clle n'a pas et nous somnics force de la prendre au serieux. Nous avions cru jusqu'a present quc la Comcdic-Francaise tMait unc 276 LART URAMATIQUE EN FRANCE espece de temple, d'arche de salut, ou se conservait la saine tradi- tion des maitres, et ou les ouvrages d'une lilte'ralure eleve'e et se- rieuse etaient seuls accueillis; nous pensions que c'e'lait un refuge ouvert aux Muses, exclues des autres boutiques Ihealrales, ou les pieces sont des fournitures et les dirccteurs des marchands en tout semblables aux marcliands d'autres drogues. Nous savons tres- bien qu'en noire qualite" de pcuple le plus spiriluel de 1'univers, comme nous nous appelons nous-memes, nous sommes incapables de prendre aucun inte'ret au style, a la poesie, a la science du cceur hu- main, a Panalyse des passions, et qu'un theatre qui donnerait des pieces se'veres, consciencieuses, e'tudie'es, pense'es, e"criles avcc soin, ne ferait pas d'argent et ne pourrait subsister. C'est une verite in- contestable et qui nous fait beaucoup d'honneur; mais ce cas a e"le prevu, et la Comedie-Francaise recoil, pour repre'senter les anciens chefs-d'oeuvre etjouer les ouvrages litle'raires, une subvenlion de deux cent quaranle mille francs; les pieces en prose ne devraient etre admises qu'avec beaucoup de reserve ; il y a bien assez de Ihea- tres pour la prose, car il ne se donne pas, chose honteuse a dire, une piece en vers par an sur les quinze Ihealres de Paris ! La Come- die-Francaise devrail avanl loul etre une comedie franchise el laisser aux debitants dramaliques le patois vulgaire et les pieces de paco- tille. II faut vraiment une grande conflance dans la bonhomie du public pour lui presenter, sur la plus noble scene de 1'univers, une berquinade tiree de la Morale en action ou de lout autre recueil de ce genre desline a 1'ediflcalion de la premiere enfance. Dans une ceuvre pareille, ou est Part, ou est la poesie, ou est le slyle, ou esl 1'cnjouemenl? Nous savons bien que les chefs-d'oeuvre sonl rares; mais on est en droit d'exiger qu'une piece soil propre- ment e'crite et ralsonnable, qu'a de'fautdu ge'nie, elle ait du moins la grammaire et le sens commun. La piece de M. de Rougemont esl loul simplemenl niaise, el beaucoup dc phrases innoccntes out sou- leve les ricanements et les silTlets du public. On y voit des amphi- gouris be"raldiques dc cc genre : Redorer des blasons de'sargentc's, el mille aulres incongruiie's de style que ne se pcrmettrail pas un e'colier de Iroisieme. Nous plaignons reellemenl les e'trangcrs et les provinciaux qui DEPUIS V1NCT-CINQ ANS 517 vont tons les soirs au theatre de la rue Richelieu pour se former le gout el se fortifier dans la langue; le franrais de M. de Rouge- mont, de"biie" par M. Lockroy, qui prononce bonhure, malhure,jee feeeme, ;i la gascone, bien qu'il soil Piemontais, par M. Rev, qui parle charabia, et par Samson, qui semble soufller ses phrases avec un bee de canard, leur donncront une haute idee du plus bel idiome du monde ! iijuillct. RENAISSANCE. Le Fils de la Folle. Le llie'atre de la Renais- sance s'e'tait mis en toilette pour jouer le drame de M. Soulie". Le foyer e'tait devenu une veritable orangerie : un jet d'eau a fleur de parquet, entoure" d'un cordon de re'se'das, d'hortensias, de pieds- d'alouette, de renoncules, en occupail le milieu comme dans Ics salles arabes de I'Alhambra. La llquide fusee s'elaneait jusque dans les grappes de cristaux du lustre et rctombait en perles avec un gre- sillemenl le plus frais et le plus joli du monde; une flotle de pelits poissons rouges, beaucoup plus heureux sous le rapport de la tem- pi-rat HIT que les habitants des loges, se de'menail et fn ; ii!l;iii dc la queue dans 1'eau transparente ; ces chers poissons n'avaienl pas 1'air de se douter le moins du monde qu'ils fussent dans un theatre; rien ne les empechait de se croire dans un bassin des Tuileries. Ces poissons ont beaucoup occupe" loute la critique parisienne, el, avec un drame moins inte'ressant que celui de M. Fre'de'ric Soulie, ils auraient eu tous les honneurs de la soire"c. Par une lourde cha- leur, dans cetle atmosphere e"paisse oil dominent le fumet du cla- queur el Pacre odeur du gaz, on est si heureux dc respirer le parfum d'une fleur, de boire la fraiche vapeur de I'eau et de baigner son ima- gination dans toules les ide'es humides et fluviales que suscite la vue de ces bienheureux goujons rouges. Le Fils de la Folle est emprunte* a une nouvelle de M. Fre'de'ric Soulie", insert dans un journal et, par consequent, de"ji connue du public; & une e"poque plus lilttfraire, nous aurions peul-elre cherche querelle a M. Fre'de'ric Soulie" de tirer ainsi double mouture de son sujet; mais, en ce temps de brigandage intellectuel, ou chacun prend ride"e des autres oil il la trouve, M. Soulie" a eu raison de prendre 278 LART DRAMATIQUE EN FRANCE 1'initialive et d'etre lui-meme son plagiaire. La piece reproduit assez exaclement la nouvelle, qui s'appelait le MaUre d'ecolc ; Ic litre seulement a etc" change 1 pour rajeunir et raviver la curiosile. Guyon, qui jouait le maitre d'ecole Fabius, a e(& noble, pathetique, simple; en un mot, le bel et bon acteur que vous savez. Madame Moreau-Sainti a eu quelques inspirations heureuses dans le role de la folle; et madame Jourdain, qui rappelle souvent madame Dorval pour le jeu et I'organe, a mis dans une figure de jeune fille, que 1'au- teur avail pcut-etre un peu trop accentue'e, be?>ur les jcux du cirque. Que serait-ee si ces lions el ces tigrcs hondissalenl en plelne lilirrir-. s'ils voyaient la lumi^re do la rampe pour la premiere fois, si la houssine de Van Amburg elait remplace'e par la courle I ; |M'T du gladiateur? La sensiblcric a part, ce devail etre une lelle chose que ces lutles acharncesou les monstres dc I'lndc etde I'Afrique se eol- lelaienl corps a corps, oil les griltes de la pantliere rayaicnl les flanrs lustres de i'liuile du bcsliaire gele ou sarmate donl les oiains ner- veuses lui de'cuiraienl la gueule; ou la corne du rhinoceros, imhrique et cuirasse", ouvrait le venire IjoufTI du monslrueux liippopolame; ou Teldphant, foil de douleur, aveuglc de sang, flagrllail de sa trompo le ligre cramponm- a la peau de sa lele, avcc ses vingl ongles el ses qualre formidables crocs; oil quaranle niille spectaleurs, haleianls, enrages, I'ceil sorli de I'orbilc, le cou lendu, les mains crispees, al- lendaient I'issue de cede terrible tragMie, Men aulremenl inieres- sanle que les declamations iambiques de Se*neque. Cela paraitra cruel a bien dcs gens ; mais, au moins, ccs spectacles inspiraicnl un noble mlpris de la vie, el ne manquaienl pas d'une sorte de grandeur sauvage. Selon nous, les vaudevilles qui lourncnl loul en derision el fonl ressorlir le cole" ignoble des clioses, soul bcaucoup plus barbares, plus malsains el plus immornux que les combats du cirque. Le sang esl moins iumionde que la boue, cl la mieux que la corruption. 27 .'iii. FRANCAis. Laurent Mais il ne recueille dans sa promenade que des lazzi, des quolibets. C'est Lorenzaccio qui esl Ivre, c'est Lorenzaccio qui cst fou! Va-l'en, ivrogne ! va-t'en, Irailre! lu veux nous perdre el nous denoncer. Tels sonl les invectives qui parlcnl comme une arlillerie de toules les porles et de toules les fenelres. Lc vieux Slrozzi seu! ajoule foi a la parole de Lorenzaccio, qu'il cmbrasse avec effusion, et qu'il proclame le Brutus des temps mo- dernes. II oublic presquc la morl de sa lille, el croil qu'il va voir I'aurore de la liberie" se lever sur le ciel norenlin. Mais le mouve- I. 43. 298 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE menl cst manque", la garnison allemande esl sur ses gardes, et Lorenzaccio n'a que le temps de s'enfuir a Venise. Sa vie mainlenant n'a plus de but; 11 a rempli sa mission. Le restc de son ame s'est e"vapore dans eel effort; rien ne remue plus en lui, il se sent plus creux et plus vide qu'une statue de fer-blanc; cette pcnse'e e'taitcomme le sol qui empcchait la pourriture de 1'envaliir; maintenant, il lombe en lambcaux, de decomposition morale; il n'espere plus, il ne croit a rien, et n'a meme pas la force de presser le pas pour rcntrer chez lui, quand il entend derriere ses talons los gens qui viennent pour le luer ct gagner la recompense promise, car la lete du liberaleur de Florence esl mise a prix. Cctte analyse rapide ne peul donner une idee, meme lointaine, de la maniere supe'rieure dont ce caraclere est rendu ; c'esl une magni- fique icn en place, des masses larges et Men accentuees, cuninie duns les decorations. Sans doule, il n'y a que les mailres les plus run units qui puisscnl alteindrc a tin pareil style; mais il nous scmble que M. Ltk>n Dcrtrand aurail pu serrer davanlagc la trauie du sieo. XXVII SEPTEMBRE 1839. Opera-Comique : le Shcrif, paroles do M. Scribe, musiquc dc M. Ldun llalev y. Multrc Cornelius, argenlicr de Louis XI. M. Halevy el I'opeYa-comiquc. La partition du She'rif. Le pocmc. Opera : la Vendetta, paroles de MM. Leon *** el Adolplie ***, musiquc de M. Henri de Ruolz. Duprcz. Massol. 9 septembre. OpERA-CoMiQi'E. LeSMrif. Tous ceux qui lisenl onl remarque*, pnrmi les contes drolatiques de M. de Balzac, unc de'licicuse nouvdle intilule'e : Maltre Cornelius, argentier de Louis XI, dans laqucllc il est curieusement raconlc" commc quoi Icdil argentier, somnambule, volail trcs-adroilement a lui-metne, toutes les nuils, ce qu'il avail de plus precieux.el lecacliait si bien, que oncques ni lui ni aulres ne purent le retrouver; cc qui faisait que, lous les jours, il e"laitcn grand emoi pour de'couvrir Ic malin volcur qui dejouail invariable- ment toutes ses precautions les plusassurees,sa surveillance la plus active. Le pauvre CorntMius en rlail venu ;i cc point d'inquielude, qu'il ne dormait plus que juste le temps nc"cessaire pour se voler cliaque nuil ce qu'il avail le plus soigneuscment serrS verrouillc, barricade pendant Ic jour. 11 dept'rissail a vue d'tnl, el, le bon rot Louis XI aidant, faisnil qiieslionner et pendre lous ceux qu'il soup- connail de det;aussi les lorgnelles se lournaient-elles plus souvenl du cote des logos el du plafond que du cole de la scene; c'est qu'en effel le plafond t-sl charmanl; vous n'en trouveriez de plus gracicusement rococo qu'a Versailles, cette galerie naturelle de la mythologie. Figurez-vous une balustrade a I'italienne avec des pots de flours et des draperies nonchalamment jetees comme sur des architectures de Paul Vero- nese, et, par la-dessus, un beau ciel ouvert d'un azur tendre el le"ger, rappelant la cendre bleue et la cendre verle des peintres Louis XV, ou nagcnt, monlenl el descendenl, comme des poissons dans une eau limpide, Apollon, les Muses, les His et les Plaisirs, toule la societe alle'gorique qui a pour cHal dans le monde d'habiler les frises et les plafonds. On voil bien que la quadrinite de MM. Feu- cheres, Secban, Dieterle el Desplechin a passe par la. Nous voici bien loin de M. Rosier el de sa piece ; mais que voulez- vous! on voil des pieces lous les jours, mais il esl rare de voir une salle propre, neuve, bien peinte el bien eclairce ; car, a vrai dire, le peuple le plus e'leganl et le plus spiriluel de la terre prend son plaisir dans d'horribles bouges enfumes, noirs, puants, ou des barbarcsel des sauvages regarderaienl comme une affreusc punition d'etre en- fcrmes. Pour nous qui sommes condamne a perpeluite auxgaleres Ihe'alrales, cetle rcslauralion d'un de nos bagnes esl un bienfaitad- ministralif donl nous sento'ns vivement le prix; aussi felic.ilerons- nous la nouvclle direction de celte depense; c'esl de rargentbien place". V Amour, lei est le litre de la come"clie de M. Rosier; c'csl un litre un peu bien general. Vous savez que M. Rosier est possede d'une manie parliculiere : il (5crit avec les mots, les phrases, les coupes de style de Beaumarchais. II ne pcul Jeter sa propre pensce dans un autre moule ; cette espece d'obsession se rcproduit souvenl dans les arls ; clle vienl de P<5tude trop habituelle, trop fre"quenle. OEPUIS VINCT-CINQ ANS trop exclusive d'un mailre original, d'un lypc Men iranehe 1 ; vous ne pouvez plus vous detacher dc I'oeuvre du mailre; c'csl unc vraic robe dc Ncssus qui vous ticnl a la pcau, cl vous arrarhericz plulol votre chair qu'un scul lamlieau de la (unique. Voila cc qui esl ar- rive" a M. Rosier, qui est ccpendanl un liommede bcaucoup dVsprit ; niais pnicise'ment parcc qu'il tHail un homme de bcaucoup d'csprit, il a si him compris Beaumarchais, si profondcmenl t ; uiiln ; le ineYa- nisme de son slyle, que cet cspril, que cetle phrase soul devvnus son espril et sa phrase; il ne peul plus parler aulrement : les hras de Figaro s'agitent malgre lui dans ses ruanchcs. II a le Uoaumar- chais au corps; nous ne savons qui le delivrera de celle obsession. Apres lout, M. Rosier pourrail elre possede" par un diable inoins rocommandable el moins ingenieux. Le but dc la piece csl de savoir par qucl moycn Ton reussit le mieux aupres des femmes, par le coeur, par I'esprilou par I'argenl ; paries Irois moyens a la fois ! Qu'esl-ce que I'argenl sans esprit, el I'espril sans coeur? mais aussi il faul avouer que le cueur sans argent est un meuble inutile : si vous voulcz elre ainiii, soyez passionm 1 , spirituel et riclie, c'est le plus siir, et encore il ne serail pas impos- silile que vous fussiez supplanie par un sot, un laclie el un mi.-r - rable ; cela se voit lous Ics jours. Perflde comme I'onde ! dil Shakspeare; Amere comme la morl! dit Salomon; Impe'ne'- trable comme le sphinx, scellt 5 e avec neuf sccaux comme Ic pulls dt-s enfers! disent une multitude de sages, de mages chaldeens, syria- ques el autres ! Avec la femme, il n'y a ni moycn, ni maniere; il n'y p;is de logique possible, il y a le hasanl, le caprice, le formidable je ne sais quoi. La ou Lovelace echoue, Cherubin r^ussit; le faquin itfne"- breux donl vous ne voudricz pas pour valet de chambre, fera mou- rir de chagrin d'angtJIiqucs creatures, qui I'adoreronl cl qu'il baltn ; un cuislre sera bien accueilli, un grand poe'te repouss6; heur el malheur : en fail de femmc, la science esl toujours a recommencer, I'experience ne scrt a rien; on va de I'inconnu a I'inconnu; don Juan n'avail pas de recelles, el nous ne croyons pas que la piece de M. Rosier dclaircisse beaucoup la queslion. Lafonl, qui dclnitait aux VariiUes par le role du perruquicr Louisille, a joue avec talent; il ne paraissail pas tres-lr uble ar 304 L'ART DRAMATJQUK EN FRANCE I'cmotion de son debut; nous ne vous ferons pas tin plus long detail de ses deTauts et de ses qualiles, car il y a longtemps que vous con- naissez les uns et les autres. La piece, bien que d'une gaiele" un peu triste et trop quintesseneiee pour 1'endroit, a re"ussi : des mots heureux, des details piquants, onl de'cide' le succes; les decorations neuves, les beaux costumes el la restauration de la salle, ont fait le resle. 14 octobre. ITALIENS. Debuts de mademoiselle Garcia. La quinzaine a e'le' des plus splendides en fait de debuts lyriques ; il y a eu une conjonc- tion d'astres me'lodieux qui ne se reproduira pas de longtemps dans le del musical. Une our depre'cier ie genie; car Tun vient de la patience et Taulre vienl de Dieu. DEPUIS VINGT-CINQ AXS 3M Aussi Kossini, quoi qu'eii puisscnl dire les virtuosos difliciles el mysterieux, de"i>asse-t-il de loule la tele la cohue des composilcurs inodcrnes. II n'est pas musicien, II est la musique elle-me'me. De la bonne musique a mademoiselle Pauline Garcia, la transition cst des plus naturclles; n'en cbercbons pas d'autre, et disons lout de suite qu'elle a ele cliarmante dans le role de la Ccnerenlola ; il est impossible d'etre plus espiegle, plus mievre, plus moelleusemcni soumise, plus petite lille et jeune chalte quo mademoiselle (larch, dans ce personnage si diffe'renl de la creation tragique ou elle s'esl d'abord pre'senie'e. Kile a de petitos conlcnances bumbles ct sour- noises les plus ravissanies du monde devant ses deux grandes m ' - chanles soeurselson gros brutal de pere; elle souffle Ic feu,assiscsur Ic coin de sa jupe dans les cendres, avec des facons tout a fail inlimes qui salisferaicnl Perrault lui-meme, s'il pouvail sortir de la tombe avec sa grande perruque a la Louis XIV et venir s'asseoir dans une stalle d'orcbestre ou de balcon ; et, a la tin, quand elle devienl rein*:, quelle joie enfanliue, quel bon sourire Ipanoui, quel enivremenl de bonbeur, quel lendre empressement aulour des pauvres de'laisse'es, quel regard de doux reprocbe a son pere e"balii! mais aussi quel oubli profond de la misere passed, de la pauvre robe grise et du coin du feu, du refrain de la bouilloire et de la grele complainte du grillon ! Comme loute la femme est 15 ! comme elle s'esl vile faite a son role nouveau, et comme elle nage aise'menl dans Tor, la soie et le velours, ces elements naturels de la femme! Mademoiselle Pauline a rendu avec une grace el une delicatesse inflnies toutes ces nuances difliciles, elle s'esl montree comedienne et cantatrice con- somme'e; desinceres el de nombreux applaudissemenls lui onl mar- que" la satisfaction du public. Nous lui donnons settlement le conseil de se livrer a une pantomime moins complique'e pendant Ic grand morceau : QitesLr't un nodo avvilnppato, qui esl plus musical que dramatique. Elle attire Irop exclusivemenl ratlention sur elle et pre'occupe les yeux par des gestes Irop frequents, plus en rapport avec le sens des paroles qu'avec ce lui du chant, qui est vague el, pour ainsi dire, plus instrumental que modele" sur la situation. Celle obs<-r- valiou minuticusc monlre le soin avec Icquel nous tHudions made- 312 l/ART DRAMAT1QUE EN FRANCE moiselle Garcia, dans laqueile, outre une cantatrice de premier ordre, nous pre"voyons une admirable actrice. Ses attitudes sont justes, fixes, nai'ves; ses gestes sont vrais, nalurels et n'ont rien de con- venu, rien d'appris; Us lui viennent avec le hasard el la spontane'ito des talents de bon aloi. Quant a Lablache, c'est a la fois le plus gros el le plus grand chanleur du monde; une seule fleur de son prodigieux habit de lampas vert el blanc couvrirail facilemenl deux liommes ordinaires : chaque anne"e, il dcvient plus e"norme el plus vif, son poids augmente sa prestesse; il va, vient, gambade et frelille avec une monstrueuse legerele"; c'est un vrai papillon ele'phanl; sa voix s'e'largil el s'ar- rondit avec son venire; les mugissements de la basse sont a cote" comme des bourdonnements de moucheron, et cependant celle voix immense jouit d'une agilite" sans pareille, elle depasse en volubilite" le caquel de la femme la plus bavarde, el le joyeux oiseau du prin- temps n'a pas un gazouillcment plus allegre; c'est un inimitable don Magnifico. Qu'il y a loin de cette colossale bouffonnerie et de cette formidable hilarite" , aux maigres grimaces et a la gaiete" con- vulsive des comiques francais ! C'esl ainsi que les Titans devaienl se rejouir et jouer 1'opera buffa. Tamburini et Rubini sonl tous les deux des chanleurs stupe'fianls ; mais il esl bien douloureux qu'ils s'obslinenl a arreler les caniches inslruils qui passent dans la rue pour leur prendre leurs babils de Iroubadours a laillades de satin : qu'ils demandent a Lablache el a mademoiselle Pauline, qui s'habillent avec tanl de gout, des dessins de costumes; ils ne leur en refuseront pas, nous en sommes sur. Apres la Cenerentola est venue la Sonnambula. Que pourrions- nous ajouler? Rien n'esl plus cmbarrassant que d'avoir a parler de virtuoses comme Rubini. La critique n'a rien a voir a la perfection; el ne peul que poser une longue suite de points d'cxclamation ! ! ! Tous les superlalifs sonl epuise's : admirable est faible ; sublime, bien pale : pyramidal, e"nouriffanl, superbissime, sufTisenl u pcine. La langue francaise n'est pas riche en formules d'admiration, cl il faudrait recourir a 1'exuberance italicnne si sauvagemciH demonstrative. C'est, pour nous aulres I'arisiens flegmaliques, un spectacle bien DEPUIS VINGT-CINQ ANS 813 curieux quc ces bravos fre'ne'liques, ces convulsions d'enlltousiasnie, ces cris, ces Implements, ces bis perpftuels ; celle passion musicale, poussde jusqu'a la rage el I'e'pilepsie; les claqupurs les plus aflumcs soul de neige el cle glace a cole" de pareils amateurs. Sans doule, Rubini, ou Roubine conime on I'appelle dans I'endroil, n'a pas de rival au mondc; toules les capilales I'oiit salue" empereur du chanl, roi des ItJnors pre"senls, passes el fulurs; mais esl-ce blen du veritable dileltaiilisme quc d'applaudir un grand chanletir, de f;n;>n qu'on ne puisse I'enlendre? Un religicux silence ne vaudrail-il pas mieux? Nous soumellons limidemcnl celle observation aux fu- ricux musicaux; car nous aurions peur de nous faire appeler &me entUremenl depourvue de sensibility esprit prosalque, oretlle franfdise, par ceux qu'un si de poilrine fail lomber en pamoison de deux jours I'un. Contentons-nous de dire, avec simplicile, qne Rubini a 616* inimi- table duns Ic role d'Elvino. Madame Persian! a cbantc' avec sa per- fection ordinaire el, de plus, Tort bien jouti le role d'Amine; dans la scene de ('imprecation, qui lermine I'acle, elle a pris une pose dc suppliante antique ires-louchaute el Ires-bien dcssinee, la nuance e'tail rendue avec beaucoup de flnesse : ce n'est pas ainsi qu'une coupable demande grace, el son innocence Iclatail jusque dans sa priere. Morclli a cliante convenablement le colonel; mais il faudrail qu'il s'aniinai un peu, qu'il Til exprimcr un sentimenl quelconque a sa figure froide el rlgulicre. Son immobility lui donne I'air d'un automate a musiquc, el c'esl dommage, car il a une belle voix, bien egale el bien posee. Mario a debule celle semaine dans le role de Nemorino de fElisii- d'Amore. Deaucoup plus a I'aisc qu'a I'Opora, cbanlanl dans sa laugue nalurelle, nVlanl pas oblige dc remplir el d'animer une scene giganlesque, il s'esl monlre' sous son jour le plus favorable avec loutes scs qualite's el lous scs defauls. Il a dil avec uue grande ex- pression le passage Yinti scudi, el cbanle" de la manierc la plus suave l mi fin-lira Itigrima; il a i-ir- forl applaudi, el on a redemandc le morceau. Madame Persiani s'esl surpassee elle-meme; nous ne lui ferons pas ('injure de lui dire qu'elle a clianle rommc un rossignol, ccla serail Irop flalleur pour les rossignols, qui chanlenl horrible- 314 LART DKAMATIQUK KN FRANCE nicnl faux. Lablache est loujours le Dulcamara le plus bouffon qu'on puisse voir. OPERA. La Xacarilla. La Xacarilla, voila un charmant litre, l)ien espagnol, bien andalous, qui resonne comme un cliquetis de castagnettcs, qui re"pand une bonne odour de jasmin on d'orangcr; nom Irompeur, afliche menieuse! rien n'csl plus ennuyeux el plus soporifique que la Xacarilla : cela depasse les innocences de Ber- y mdtent loules deux Irop de flnesse. Moliere u'esl pas si On qu- cela; Marivaux, a la bonne lieu re. Moliere, c'est le bourgeois de la Fronde, plein de jovialite turbulenle, quelquefois merae un pvu grossiere; franc de parler, hardi jusqu'i la licence, qui ue recule de- vanl aucune situation, ni devanl aucun mol. II a le formidable bon sens de madame Jourdain, el il n'esl guere facile de lui en faire ac- croire; sa versification cbaude, brusque, se rapprocbe, pour la fran- chise du ton, des crudites de Re'gnier ; II appariienl bien plus a I.ouis XIII qu'a Louis XIV; el, malgre" quelques efforts d'imitations lalines, il n'en est pas moins Gauloisde vieille roche. Aussi Boileau ne I'aime-t-il guere el se conlente-l-il de lui faire ce maigre e"loge, qu'il cut peul-etre de son art remporle" le prix, Si, moin.s ami du people, en ses doctes pt-intures, II iiYiit point fait souvent grimncer ses figures, Quille pour le bouflbn I'ngrt'aMe ct le fin, El sans hontc a Terence ullie Tubarin. Molicre a la brutalite* du ge*nie, sa plume coupe le papier; il procede loujours par grandes masses, el ne dit pas deux mols la ou il n'esl besoin que d'un. Pour bien dire de pareils vers el de parville prose, il ne faut pas faire la petite bouche; il f.mt parler comme la muse anlique, ore rotundo. II esl inutile de multiplier les nuances et les intentions, quelques grandes teinles ge"n<5rales sufllsenl ; les de- tails sonl accuses si netlemcnl dans le texte, que I'autour n'a, en quelque sorle, aulre chose a faire que de readier avec clarie", et sur line nidiipei: convenable, la parole du mailre. C'esl un tori de dormer une reahte trop acluelle a tons ccs personnages a la fuis si raison- iiahles el si fantasques, si vrais et si fous qui ganibadetil dans ('im- possible comedie de Moliere. 3:20 L ART DRAHAT1QUE EN FRANCE En dcpit de 1'inimitablc perfection de son jeu, conside"re en lui- meme, nous croyons que mademoiselle Mars n'a pas pris Moliere dans son vrai sens. Sa maniere est trop nelle, trop propre, trop cerlaine, trop crislalisee; Moliere esl plus raboleux, plus anguleux que cela ; il n'esl pas, malgre ses familiarile's avec Louis XIV, d'aussi bonne compagnie que mademoiselle Mars veul Men le faire; elle lui ole I'arrogance caslillane et la fiert empanachee de sa marche; en un mot, elle le joue en robe a laille courle avec des jockeys et des torsades, ni plus ni moins qu'une vignette de Chasselal. Ne quittons pas la Comedie-Francaise sans constater le succes qu'y obtienl en ce moment la reprise de Marion Delorme. Faire I'eloge de Marion Delorme est maintenant une cliose superflue : quatre-vingls representations et trois editions successives valent le meilleur panegyrique du monde; ce beau drame reunit la gravile passionnee de Corneille el la folle allure des comedies romanesques de Sbakspeare; quelle varie"te de ton, quelle vivacile charmante el castillane! comme lous ces beaux seigneurs, qui ne font que tra- verser la piece pour y jeter 1'eclair de leur epee et de lenr esprit, parlent bien la langue cavaliere et superbe du xvn e siecle! quel sincere accent de comddie! Voyez! voyez ce Taillebras, ce Sca- ramouche et ce Gracioso! Scarron lui-meme, I'auleur de Don Japhet d'Arme'nie et de Jodelct, ne les cut pas dessine"s d'un trait plus vif et plus libre; et comme les larmes de Marion, perles divines du repenlir,ruissellcnl limpidcmcnt sur tous ces masques grimacants on lerribles! Quel charmant marquis que ce mauvais sujet de Gas- pard de Saverny! quelle male, severe et fatale figure que ce Didier de rien! Marion Delorme esl une des pieces de M. Hugo oil 1'on aime leplus a revenir; c'estun roman, une comedie, un drame, un poeme, ou toules les cordes de la lyre vibrenl tour a lour. 11 novcmbrc. RENAISSANCE. Le ProscriL Madame Dorval. Madame I>or- val est sortie radieuse de son tombeau du Gymnase; elle-meme scmblait douter qu'elle fut vivante encore et n'osait plus espc"- rer de soulever 1'avalancbe de vaudevilles qui pesait sur elle en maniere de pierrc funebre; elle s'est rclrouvee lout entiere, ct, sans DEPP IS V1NGT-CIXQ AXS Ml coup ferir, elle esl rentrtfe en possession d'elle-meme; c'esl la Dorval de Pel/lo, de Sept heures, du Joueur, de Vlncendiaire, d' A atony, de Marion Delorme et d'Angelo; la vraie horval, enfln, la plus graride passion tragiquc de re"poque, la digne e"mule de Frc"de>ick, avecqui ellc forme un couple dramaliqueadmirablfmenl assort! que Ton ne devrailjaniais dtfsunir ! Voili ce que nous avons revu I'autre soir au iliraiiv dc la Renaissance. Nous qui pleurions noire sublime actrice a jamais perdue, quclle n'a pas <5l<5 notrc joie en assistant a cette resurreelion inespe're'e! On jouait probablemenl une piece de Frederic Sou!k ; ; mais nous convenons en loute liuinilili 1 quc nous n'y avons guere pris garde; nous avons vu seulement que c'elail unc cage dramatique assez spa- cicusepour que uiadame Dorval put y remucr 5 I'aise avec ses allures rapides el ses bonds de lionne. Quelques situations Tories, quelques soupirs d'angoisse, quelques exclamations insignifiantes qui deviennenl de magniflques reflations de I'ame! il ne lui en Taut pas davanlage pour sc composer un role admirable. Quoi! disail a eol<$ de nous une personnc qui ne I'avaii jamais vue, c'esl la cetle grandc actrice donl vous parlez lant; mais elle e>t petite, ch(5live ; elle se tient mal, elle a Pair d'elre hris#e et ployp"e en deux ; ses yeux, d'uri bleu presqne c(Tac6 et surmonl( ( s de sourcils pales, n'onl ni expression ni regard ; ccs peiiles mains veint s es el fluettes n'auTonl jamais la force de soulever le poignard du d 5 nou- inent, et puis quelle voix inccrtaine el lroubk s e! comment peut-on supporter un pareil orgune apres avoir entendu le timbre d'argent d mademoiselle Mars, celte Damoreau qui ne clianle pas? Nous laissions notre voisin s'exclamer, lellement persuade de sa conversion prochaine, que nous ne prenions pas le soin de le centre - dire. Nous e"tions siir de ce qui allait arriver. Madame Horval avail de"ja eapliv<5 el dompl(5 la salle ; des journalistes excid^s, des dandy s haul monk's sur cravate, des aclrices envieuses, de grandes dames qui ne regardenl qu'elles-memes, le public le plus dcklaigneux et le plus difficile que Ton puissc imaginer. Un regard inquiel, unc main portee au front, un on deux soupirs comprimtfs avaicnt sufll pour cela. L ART UUAMATIQUE EN FRANCE Noire ami, qul ne dort jamais mieux qu'au theatre, 6tait singu- lierenaent atlenUr. Eli Lien, qu'en dites-vousY Le boul de votrefll sympalhique esl deja accroche; la bobine sera de'vide'e comple"tement, vous verrez. Laissez-moi done ecouter, nous re"pondil d'un ton fort peu ai- inable notre ami furieux. Vos interruptions sont insupportables, je vouslivre au garde municipal si vous ne vous tenez en repos. Urie ou deux scenes plus loin, nous regardames noire ami; une larme en train de germer lustrait el moirail ses yeux. Vous pleurez, tres-cher ; il n'ya pourlanl la rien de bien allen- drissant ; la scene esl meme assez ridicule. Mon Dieu, queje suis a plaindrel Est-ce que je sais ce qu'il faut faire, moi? sont les phrases les plus simples el les plus Iriviales du monde; vous avez entendu avec une secheresse de pierre ponce les tirades les plus la- menlables, car vous manquezprincipalementd'humiditesentimenlale; etes-vous malade aujourd'liui, el qu'avez-vous bu a votre diner? Je ne comprends pas, en ve"rite, comment cela se fait; car vous savez combien j'aime peu eel inle^ret vulgaire et brutal, ces scenes violentes et forcees ecrites a coups de haclie, celte habilete" me'ca- iiique que Ton appclle la science des planches, el a laquelle on sacri- lie la pensee, la poe"sie, 1'observation, le slyle, toul ce qui donne de la valeur a une oeuvre intellectuelle. Si jamais homnie fut rebelle a l'(Jmotion dramatique, assurement c'est moi ; jen'ai jamais pris grand plaisir a voir entrer el sorlir avec plus ou moins de rtgularite des poupees vivantes par les ouvertures symelriques d'une charpente bit-n ajustde : en fail de marionneltes, j'aime mieux Policliinelle el son chat; les wolutions des comediens celebres ni'ont presque loujours laisse froid ; mais, ici, c'esl de la passion vraie, c'est le cri de 1'ame qui d<5sespere et de la chair qui souffre; celte voix Ireinblanle el coupable vibre dans les pleurs comme une harpe mouill^e, et va, du rale'gultural de la lerreur, aux moelleux roucoulements de colombe de 1'amour s^raphique. Quels gestes naturels et tragiques a la fois ! avec quel mouvemenl sublime elle vienl d'arracher de son front les diamants qu'elle cherchait dans son e"crin, ne se souvenanl plus, dans le deliredeson effroi, qu'elle les avail surla lele; el ces regards pleins d'tipouvante, et celle houche douloureusc, el eel affaissemenl DP.PUIS VINCT-CUJQ AN8 3*3 de viclime de"courage"c qut nc lulle plus el se laisse aller au connnl clc son malheur, comme Ophe'lie enlraimfe par Ic (leave; que cV*i beau t que c'est toucbatil! Voili la premiere Emotion qnej'aletyrou- ve"e dcpuis longtcmps; car, sachez le bien, tout ce qul cst grand, vrai, simple et beau, m'arrivc aise"ment au coeur; la prtiie passion factice, la fausse sensllilerie de vaodeville, Ics grimaces larmoyantos glissenl sur mof commc sur un marbre. Mais elle a des yeux d'un bleu presqne efface", elle se llont mal, sa voix esl rauquet Vous I'avcz dit vous-memc loul a I'heure. Allons done, ses yeux sont tout noirs el plus brlllanls qm- ceux de Medee; rile esl souple, onduleuse, agile comme une eou- leuvre qul marche en spirale sur sa queue; elle remplil la seen* mieux que les plus e"normes colosses tragi-Tues, el n'a besoin que d'un mol pour soulever la salle; elle esl belle comme la pyihonissc antique. C'esl I'insplralion qul opcrecetle metamorphose. Regardez celle pauvre fllle morne, pale, souffreleuse, accroupie dans un pan de manleau, au fond du lemple; ses bras d(fso?uvre's pendent a coli' d'elle, les mains ouvertes; sa tele penche et nolle dans un demi- sommeil; cependunl elle se levc et, d'un pas rlnnccianl, se dirfge vers le tripled ; la vapeur divine I'enveloppe el la p^netre; ses nerfs tressaillenl, son corps se dresse el fremil ; Apollon approcbe. I'm- clarle* magique illuiiiine ses youx, ses narines se dilaicni el aspircni avec force, ses levres se desserrenl el laisscnl e"chapper dcs chants el des cris sublimes! Tout a I'lieurece n'elail quun enfanl malade, mainlenanl c'esl une d^esse. - Vous avez raison, I'inspiralion it'ansdgure el I'amc fail \a beaute". Cetie conversation enlhousiaste et d'un lyrismc transcendental nous dispense de dire que madanie Dorvat a tti tilourdie d applau- dissemenls, cnble"e de bravos, e"crasee de bouquets : rU-n n'a manque a son triomphe ; on aurail dil une de ces belles soirees des premiers lemps du romanlisme, e"poque beurcuse, oil la lilie'rature 6lait la grande affaire, ou I'on se piissioniiail pour un VTS ou un acteur! ou il y avail dans I'air une abundance de vie furieusc qui suflisait a lous les cnluousiasmesl 324 L'AHT DHAMATIQUE EN FRANCE une sallc e'veille'e, altentive, suspendue aux levres d'une aclrice, de la passion e'coute'e avec passion ! En ye'rile", nous n'aurions pas cru le public, blase* comme il esl, capable d'une si e'nergique ad- miration. AMBIGU. Christophe le Sue'dois. Vous connaissez M. J. Bou- cliardy? Qui ne le connait pas aujourd'hui? Apres avoir etc un des meilleurs Sieves de Reynolds, 1'admirable graveur anglais, il lui a pris fanlaisie d'essayer du llie'atre; cetie fanlaisie lui a re"ussi comme vous savez. Gaspardo le Pccheur a depasse deux cents representa- tions ; le Sonneur de Saint-Paul en a eu plus de trois cents ; on n'a pas me'moire de pareils succes au theatre. Les pieces de M. Boucliardy sont tres-surcharge'es, tres-bourre"es d'e've'nemenls; a cliaque scene, il y a une surprise nouvelle. Clia- cun de ses actes fournirait 1'etoffe d'un melodrame en cinqactes pour le rnoins; pcu de dramaturges pourraient venir a boutde retrouver los fils de leur intrigue dans une pareille complication, car c'est sur- tout par la curiositc qu'il inleresse : les de'veloppements de la passion trouveraient difficilement a s'epanouir a travers les maillcs d'un tissu si serre*; ct il faut vraiment I'exlreme adresse dramalique de M. Boucliardy pour se lirer d'un pareil dedale. Christophe le Suedois esl-il, lui aussi, destine a devenir centc- naire?Qui vivra, verra. Bocage a joue" le role de Christophe avec celte verve nerveuse et febrile, celle poesie a la fois exalte'e et concentre'e qui distingue son talent. Chilly a rappele les beaux jours du juif de Marie Tudor, ou il etait d'un comique si vif el si mordant. Quant aux autres ac- teurs, il n'y a rion a en dire; ils onl, selon leur usage, crie le plus consciencieusemcnt du monde. i8 novembrc. VARIETIES. Le Chenapan. Frac/oletta. Et d'abortl, qu'cst-ce qu'un chenapan? est-ce plus ou moins quo canaille ct crapule? Che- napan est plus que canaille et quo bambocheur ; c'est le gamin, celle hideuse grenouille des ruisseaux de Paris, passee a Tc'lal d'liommo fail, le le'tard devenu crapaud; c'csl le soiffeur, le goepeur, le gobi- chonneur. le chicard, le badouillard, ;\ sa plus haule puissance, mais VI.NGT-CI.NU ANS :tis augment (Tune dose assez forte d'escroc el de coupe-jarrel; lt chc- riapan coloie de Ires-pros les rfpifs dangereux de la police forrec- lionnelle; il nc fail pas encore Ic vol a la (ire, an pot ou 5 !'.im ; n- cnine. II ne rince pax Ics cambrioUt el tie pelure pas Us oignons , inais il cst mi des for's de billard et ne se Tail aucun scrupule de plu- nier les gomes, de boire a I'oeil el de Irouer frcfquemmt nt la lune. II esl la lerrcur des regrattiers, des rogomisles, el surloul des proprie- laires, qu'il parvienl loujoiirs a mdlre dedans en se metiant deliors. Voila, mesdames, tin crayon adouci du chenapun. Si vous vous elonnez de I'e'lrange langue que nous employons pour (racer ce por- trait, el nous demandcz : Ou avez-vous done appris toules ces belles clioses? Nous ne vous repondrons pas comme Berlrand au gendarme : I)ans les socieirs; niais bien : Au theatre des Va- rieles. Au bout do deux ou trois jours d'exercice, uu malueureux feuillelonisle coinprend I'argot loutaussi bicnqu'un forral,el le parle plus couramiiu'iit que sa langue niaternello, qu'il a eu loul le temps d'oublier en enlendanl, tous les soirs, eel abominable paiois drama- lique. On avail probablenu-nt voulu faire le pendant de In Canaille; des balayeurs, des nkmreurs d'e'gout, ce n'est pas sale : avec quelques seaux d'eau cliaude el quelques pinches de chlore, on en esl quilte : a la bonne heure; que la deesse Cloacina, leur palronne, les pre^- scrve de I'asphyxie; ils rt s curenl el balayenl leur patrie ; // n'y a pas d' affront. Mais le clieuapan, pouah! Nous felicitous le public de la maniere dont il a sidle*. Bravo, public! dveille-loi un peu, sors de la torpeur, monlre que tu es vivanl et que tu comprends ce qui se passe devant loi; mels uue (in ;'i toules ces sollises el crie de la grosse voix, comme M. JosepU Prudhomme : En aurez-vous bienl it lini de toules ces turpitudes? Le parterre d'une ville de quinzicme ordre ne soufTrirait pas cc que lu souffres, toi qul te proclames toi-meme le public le plus intelli- gent et le plus spiriluel de la lerre. Nous donnerons aussi dcse'loges a l'adminislralion,qui ne s'esl pas fail prier trop longtcmps pour baisser le rideau, demand^ a grands cris. Les auleurs n'onl pas e"lt^ nomme's. Ils se sonl fail justice. II y avail cependanl deux cboses droles dans ce vaudeville : le i. L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE chapeau d'Odry et la reflexion suivanle, qu'il adresse a un jeune ouvrier, dont il est le Mephistopheles : Tu payes tes delles, toi? Alors ce n'est pas la peine d'en faire. Get apophtliegme nous parait souveraincment judicieux. Fragolettaesl un litre pimpant, e"grillard, crousl.illeux, qui promet bcaucoup de ehoses tr6s-di(Ticiles a dire, et surtout a representer; Fragoletta, e'est... Allez demander ce que c'est a M. Delalouche, qui le sail bien, ou failes un tour au Muse'e, el regardez, pendant que lesuisse aura le dos tourne, celte delicieuse figure de'licalement cou- chee sur un malclas de marbre. Nous qui avons, dans un roman que vous ne connaissez probablcrncnt pas, caresse" avec un amour de slatuaire celle gracieuse chimere, reve de I'antiquite', nous (Hions venu aux Varieles, eprouvanl une cerlaine emotion de curiosite", car nous savions par avance les difficultes de ce sujet, qui a fourni des scenes d'une si folle el d'une si charniante poesie au vieux William Shakspeare, dans sa comedie de Comme il vous plaira, que lous les direcleurs refuseraienl aujourd'hui avec un enthousiasme una- nime. Nous avons s des populations d'avoue's slupides commc des pols ;li deux anses. Ah c,a ! monsieur Bayard, esl-ce que les avouds sont aussi betes que cela? En con- science, votis qui etes vaudevilliste el peinlre de mo:urs, ou avpz- vous vu un ramassis pareil de niais, de crtMins, de jobards? Mais les Beoliens de Louis Desnoyers sont des aigles a cote" de ccla ; les avoues ne sont pas des lord Byron, mais ils ont die" baptises, el lous enrrgistrc's a IV-lal civil commc des creatures humaincs; les volres sonl loul au plus bons a marcher a quatre pallcs. Tons ces avoids veulcnt embrasser Kelly. Quels enrages! II y en a un surloul qui rsl plus insupportable a lui seul que tous les ai:!res. Vous n'avez pas oublie un* 1 nouvelle de M. Frcderif Soulie. qui s'appelail 328 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE Ginguernet, histoire de rire. L'avoue" du vaudeville repele a toule minute, comme Ginguernet : Hisloirede riret Cos histoircs de rire consistent a faire tomber les gens sur le nez en leur tendanl desficelles,a semer du crin dans les Ills, a laclier les robinels des fon- taines, et mille autres genlillt'sses de ce genre. Toutes ces platitudes sont debitees avec une volubilite de saltimbanque vendant de I'cau admirable de Jean-Marie Farina a six sous le litre. Ajoutez a ce pauvre ragout un Anglais silencieux et vindicalif qui note sur sou carnet les sottises du mystiflcateur, un juge ridicule qui veut tou- jours juger, comme le Perrin Dandin des Plaideurs , une scene de rendez-vous nocturne imite'e de rope'ra-coinique des Treize, el vous obtiendrez |>our resultal une parade fort melancolique el fort lugubrea voir. Alcide Touzez a fail de vains efforts pour egayerun role de garcon de ferine jaloux et sournois. II n'a pu y re'ussir. Vile, monsieur Bayard, une revanche ! Vous avez assez d'espril pour faire une mauvaise piece et meme deux sans que cela prouve rien contre vous. 25 uovcinbrc. OPERA. Debuts de mademoiselle Augusta Maywood. La danse, que Ton avail longlemps negligee a I'Opera, et que mademoiselle Fanny Elssler soulenait seule sur la poinle de ses pelils pieils, semble etre remise en honneur; les debuts heureux se succedent; apres mademoiselle Lucile Grabn, qui nous vienl du Danemark, void mademoiselle Maywood, qui nous vienl d'Amerique. Cliaque par- lie du monde envoie sa danseuse; le corps de ballel sera bienlot, si cela continue, le corps le plus cosmopolite que Ton puisse voir : Danoises, Allcmandes, Americaines, Anglaisos, lout s'y trouve; c'esl une vraie Dabel avec ses soixante et douze idiomes. Heureu- sement, la langue de la danse se comprend partout, el les pieds n'ont pas d'accent. Mademoiselle Augusta Maywood a un caraclere de lalent lout a fait tranche; ce n'csl pas la grace melancolique, ['abandon revcur el la legerete noncbalanle de mademoiselle Grabn, qui reflete dans ses yeux I'azur clair et froid du del de Norvege, et semble une walkyrie dansant sur la neige; c'est encore moins la perfection inimitable, la DEPUIS VlNGT-CINQ ANS 320 fermele llincelanle, I'allure de Diane antique el la purett 1 sculplurale de mademoiselle Fanny Elssler; c'est quelque chose de brusque, d'inattendu, dc bizarre qui la met lout a Tail a part. Fille du direc- teur d'un tlidatre de New-York on de Pbiladelphie, nous nesavons trop lequel, elle faisait fureur en Ame'rique, elle dansait les ballets les plus compliques, cbantail, jouail la lrage"die, en un mol elait un pelil prodige; elle est venue chercher la sanction de Paris, car I'opinion dc Paris inquiele jusque dans leur monde de cbemins de fcr et de bateaux a vapeur les barbares des Elals-Unis. Pour un prodige, mademoiselle Augusta Maywood est vraimenl Ires-bien. Elle est de laille moyennc, bien de"couplee, tres-jeune, dix-liuit iins pour les calomnialeurs, les ycux noirs, avec unc polite mine e'veilie'e el sauvagc qui risque fort d'etre jolie ; ajoutez 5 cela des nerfs d'acier, des jarrels de jaguar et une agilile" qui approche dc celle des clowns; du resle, il est impossible d'etre moins inlimide'e d'unesi formidable c^preuve; elle est venue la, sous le feu de la rampe et des lorgnettes, qui mettenl la pcur au venire des plus inlrepides, aussi tranquille qu'une danseuse dmerile; vous auriez cru qu'elle avail affaire lout simplemenl a son parterre d'Yankees; en deux ou trois bonds, clle a franchi ce grand theTtlre depuis la loilc de fond jusqu'au trou du souffleur, en faisant de ces rols penchts presquc liorizontaux qui faisaienl la gloire de Perrol I'adrien; el puis elle s'esl mise ;'i gambader, ;i piroueller en 1'air sur elle-mcine, a faire des lours de reins avcc unc souplesse el un ressorl digues de Law- rence et de Redisha; on aurail dit une balle elaslique rebondissanl sur une raquelle; elle a beaucoup d'e'le'vation et de jet; ses pelites jambes de biche sauvage font des pas aussi longs que ccux de ma- demoiselle Taglioni. Le costume qu'elle porlail le jour de son premier de"bul dans le Viable boileitx eHail d'un gout assez ame"ricain. Figurez-vous un corsage rose, avec unejupe rose sans jupons blancs par-dessous, un maillot rose, le lout reliausse" de passequilles et de clinquants de diverses couleurs. Une toilelle a ravir une danseuse de corde (ccci n'esl pas un lerme de me'pris; nous adorons les danseuses de corde)! La seconde fois, c'e'lait dans la Tarentule; elle e"lail liabillee en paysanne, avec eel dlernel corset noir el c<; jupon non I. i. 330 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE moins kernel, si prodigues dans Ics ballets qui out des preventions champelres ; si Pautre costume etait trop sauvage, celui-ci elail trop civilise. Mademoiselle Augusta Maywood sera une bonne acquisition pour rOpe"ra; elle a un genre a elle, un cachet d'originalil^ tres-remar- quable; des connaisseurs qui ont e"le aux fetes du couronnement a Milan, pretendent que mademoiselle Maywood se rapprocue beau- coup du genre de mademoiselle Cerilo. Un petit accident a trouble quelques minutes la representation ; mademoiselle Paquila, qui esl une fort belle fille, ceil noir et sourcils de jais, s'est laissec tomber lout de son long dans le mouvemenl d'une larentclle dont elle etait coryphee : mademoiselle Paquila cst faite de maniere a ce qu'une chute n'ait rien de compromeltant pour elle, et, d'ailleurs, tout le monde n'a pas de maillots roses comme mademoiselle Maywood ; mademoiselle Sophie, soeur d'Albertine, qui venait apres Paquita, a aussi donne du nez en terre, el nous avons vu le moment oil toute la file allait choir comme une range'e de capucins de cartes. On a ri d'abord; mais, comme, -en somme, le public a bon coeur et n'est pas si mediant qu'il en a Pair, on a con- sole les deux pauvres filles loules honteuses el toules meurtries peut-elre (ce qui est humiliant pour des sylphides), par une salve d'applaudissements a demi ironiques. DEPUIS VINCT-CINQ ANS 331 XXX DECEMBRE 1839. Italiens : mademoiselle Garcia dans It Barbier de Seville. Le vrai caractere de Rosine. Gaicte" : le Massacre dt inno- cents, par MM. Fontan et Maillan. f.irque-Olympique : le Lion du Desert. M. Carter et ses animaux. Romeo et Juliette, symphonic de M. Hector Berlioz. Palais-Royal : let Premieres Armei de Richelieu, par MM. Bayard et Dumanoir. Renaissance : la ('haste Suzanne, paroles de MM. Ciirmouclie el de Courcy, musique dc MM. Hippolyle Monpou. Faut de la chastete, pas trop n'en faut. Vari6t6s : les Maquignons. Arabian Godolphin. Charles Marlels, symphonic de M. Rebcr. Revues de I'anne'e. 2 de'cembrc. ITALIENS. Le Barbier de Seville. Nous n'cntrcrons pas, ii pro- pos du Barbier de Seville, dans de longues considerations; j| est hien convenu que c'cst un chef-d'auvre; on a dit la-dessus lout ce qu'il y avail a dire; on vous a conte mille et mille fois comment Rossini s'tftait servi du memo livrel que Pacsiello, espieglerie dc grand homme sur de lui-meme, et, dans son audace juvenile, ne reculant en rien devanl la comparaison avec I'oeuvre d'un vieux maitre. Vous savez tres-bien comment I'opera fut siftle pendant trois rcpre"sentalions conse"cutives par le public du Ui&itre dclla Valle, pour chalier I'outrecuidance du jeune maestro, qui fut ensuite porte en triomphe et reconduit chez lui avec des fanfares et des serenades, etc., etc. Le seul moyen peut-etre de faire du neuf serail de vous de"montrcr que le Barbier de Seville de Paesiello, est hien supdrieur a celul de Rossini ; mais il fail trop mauvais temps aujourd'hui el nous sommes de trop mauvaisc humeur contre la pluie pour soutcnir gaiemenl celte paradoxale bouffonnerie; nous nous bornerons ;i parler de I'execution. Mademoiselle Pauline Garcia, qui a si heureusement abord6 les roles de Ninette de la Cenercntola et de Desdemone d'0/c//o, a con- 832 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE linue" ses debuts par !e role de Rosine. Les journaux, qui I'avaicnt accablee d'eloges pour ses deux precedents creations, I'ont assez peu favorablement traile'e celle fois : ils I'ont accusee de n'avoir pas bien compris !e earaciere du personnage et d'avoir deligure par trop d'ornements le lexte du mailre. C'est a lort, selon nous, sur- tout pour ce qui regarde la premiere de ces observations. Ce qui a desappointe le public, ou plulot les journalistes, c'est 1'liabilude de voir represenler Rosine connne une soubrette e'gril- larde, effronle'e, qui ne respire que malice et tromperies, ce qui n'est pas le vrai caractere indique pur Beaumarchais. Rosine est urie jeune personne de bonne famillc, doucement tourmenlec par ses quinze ans, qui s'epanouit comme une roseau premier sourire de 1'amour, et qui ne troinpe Bartliolo que parce qu'il est reellement trop vieux, trop laid, trop ridicule el Irop luleur; sa rouerie est lout a fait in- nocente et tient a 1'espieglerie; elle fait plutot une niclie qu'une perfidie; etcroyez bien que, si clle se laisse enlever par Almaviva, c'est qu'elle ne sail Irop au fond de quoi il s'agil, et ne voit guere que le plaisir d'altraper un barbon morose et grondeur. Rosine, deve- nue comlesse Almaviva, n'esl-elle pas, apres lout, une honncte fenime assez plainlivement vertueuse, et devait-elle elre eflective- menl si lesle et si pelulante elanl jeune lille? C'esl de celle maniere que mademoiselle Pauline Garcia a pris le role, et nous trottvons qu'elle a eu raison : I'ingenuile, la candeur confianlo, rentrainemenl licureux et facile, on, si vous voulez, la legerelc du premier age, \oila le fond du caraciere de Rosine. Apres tout, Uarlholo a bien raison de ne pas vouloir que le premier venu lui enleve sa pupille; il 1'aime reellement, et c'esl au fond un lionnele liomme qui vaut bien ce grand dadais d'Almaviva, pauvre pantin de satin blanc et d'ori- peaux, dont les ficelles sont mises en mouvement par le malheurenx barbier, cheville ouvriere de la trilogie. A la place du Tanti palpiti, mademoiselle Pauline a chantc des romances tres-originalcs, de la composition de sa soeur, el un air espagnol Ires-piquant, en s'accompagnanl elle-meme au piano. Le public a fort applaudi cette innovation, a laquelle il ne s'atlen- dail pas. Quant a la question de fuleliteau lexlc musical, on laisse ordinal- DEPUIS VINGT-CINQ ANS 333 rcmcnl aux ciianleurs le clioix des (ioriturcs, dcs points d'orguc, des trilles el de loutes ces arabesques capricieuses qui voltigenl el s'enroulent auiour de la note, sans PefTaccr el la faire perdre de vue; loutefois, mademoiselle Pauline s'esl peul-elre montre'eun peu Irop prodigue d'ornements, el, quand on chante du Rossini, dt'ji si fleuri et si abondant pnr lui-meme, il faul en lre sobre; mais c'est la un petit pe'ehe' fort ve"niel ; mademoiselle Pauline sent el eomprend les grands mailrcs, el sail les rendre dans toute leur pureie" originelle; il fant bien lui pardonner celte coquetlerie de vocalise, a condition qu'elle recommencera. GAIBTK. Le Massacre des Innocents. Voila un terrible drame en cinq actes, avcc choeurs, el bihlique par-dessus le marche"; sans compler qu'il se joue a la Gaiele, vers les regions antarctiques et polaires du boulevard du Temple; eloile des mages, conduis- nous! Mais comment vous narrer celle chose? II faudrail, rien que pour rendre la scene du massacre, dix pages d'onomatope'es a la maniere de Rabelais. Ce sonl des cris, des piaulenients, des sanglols, des grincemenls de dents, toules sorles de bruits enfantins el malernels, dont on n'a pas d'idee. II y a bien au moins soixanle enfanls. Qui diable a pu fournir toute celte marmaille?0n en jelte contre les murs, par-dessus les rainpes, on en e"crase, on en e'ventre, on en met a la broche, on en poignarde, on en coupe en deux, en qualre meme; c'esl Ires-vane". Les soldats lirent d'un cote", les meres de 1'autre, de sorte que les pauvres petits s'allongenl comme ces fausses jambes que Ton voil dans les arlequinadcs des Funambules. Jel'aurai! Tu ne i'auras pas. Ouf! ai'e! ho!a! Cela clapole, cela barbote, cela four- mille, cela frelille, on dirail une grenouillere que Ton remue avec un baton ; nous nous atlendioiis a voir reproduce le tableau de Coignet etcelui du Poussin, noire attente a etc irompee. Celle tuerie est un peu longue, mais tile esl bien mise en scene el groupie heureu- senienl. Par un oubli bien singulier, s'il esl involonlaire, el d'une bien liaute portee yhilosopbique, s'il esl fail a dessein, les auleurs onl compielemenl ne"glige les peres dans celle piece oil il y a lant de 334 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE meres et tant d'enfants. Les percs ne paraissent pas el laissent accomplir le massacre avec une admirable insouciance; ils ne sonl pas [ache's au fond d'etre debarrasses de ces affreux marmots et be"- \\lssenlinpetto la ferocile d'He'rode. La decoration ou s'exdcute la tuerie repre"sente une vue de Je"ru- salem, par un clair de lune veloute et bleualre d'une grande ve'rile; une constellation d'e"loiles, Ires-heureusement imitees, pique de ses lueurs Iremblantes le bleu manteau de la nuit. Cette decoration seule vaut le voyage. La piece se lermine par une apothdose des saints Innocents, qui montent au ciel ported par des zones de nuages au fond desquels rayonne une croix de lumiere, et s'e"levent doucement a travers les fre'missements d'ailes, les vapenrs d'encens et les (lots de melodic. Ce sont des anges tout fails, il n'y a plus que les ailes a mettre. CiRQUE-OLYMPiQT'E. Lc Lion du Desert. M. Carter et ses animaux. Est-ce que M. de Buffon, qui ecrivait 1'histoire natu- relle avec des manchelles et Tepee au cote", se serait compleHemenl trompe sur le compte des animaux dits fe'roces, sans doute par anti- phrase? II parait que, de son temps, on noircissail beaucoup le ligre et le lion, s'il faut en croire les belles pages si harmonieusemenl ca- dencies de son volumineux ouvrage. Ce pauvretigre surtout, que n'en a-t-on pas dit? on I'a calomnie comme un homme; il luait sans ne'cessile, pour Ic plaisir; il etait loujoursalte're" de sang, et ne pouvait calmer Tardcur qui le consu- maitqu'au moyen de limonade rouge, bue a pleins seaux; il finissait par dccbirer la main qu'il avail commence" par le'cber; les bons troitemenls 1'irrilaient, il ne se monlrait pas reconnaissanl d'etre enrermc" dans une cage de for, il avail Pair faux, cruel, Ifiche, ram- pant, sournois; cnfin, c'etaitun monstre. Quant au lion, grace au souvenir classique d'Androcles el de la m6re de Florence, on lui accordait la generosite, la clemcnce et autres vertus plus ou moins royales. Cependant le ligre le plus scclerat ne commet pas aulant de cruautes que 1'Iiomme re"put^ le plus doux; il n'est pas me'cbanl, il est carnassier, voila tout; et, comme en Tigrerie les bouchers soul inconnus, il va cherchcr ses cotcletles el son bifleck lui-meme, el DEPUI8 V1NGT-CINQ ANS 835 Ics avale crus, faule de gril ct de cuisinier pour les faire cuire. II sicd bien a des gens bourres de boeuf, dc moulon, de maree, de volaille, donl le venire esl le lombeau de la creation, d'accabler d'injurcs un pauvre ligre qui dlvore de temps a aulre un quarlier d'lionime ou de cheval ! 11 faudrait savoir le nom que nous don- nent les jeunes veaux pli-ins d'avenir, les boeufs palriarcaux el Ics innocenles brebisque nous ggorgeons si lacuementdans les abattoirs. II n'y a pas il auimaux feroces, il y a des animaux qui out faun : seulenienl, les uns mangenlde I'uerbe el les aulres de la viandc; taut pis pour vous si vous passcz par la a 1'heure du repas el que Ton ail b(.'soin d'un plal supple'menlaire, parce qu'un lion du voisi- nage esl venu diner sans facon, vous eles ajoul6 au diner trop succinct comme unc omelette ou un pale de foies gras, ou une lourte de 1'Y'lix. Donncz a votre place le moindre agneau, le moindre quar- tier de chevreuil, il sera acceple" avec reconnaissance; vous n'e'les dejapassibon. Les brahmines, qui ne mangent que des lugumes, el encore les moins a Dime's d'entre les legumes, car ils s'absliennenl de feves a I'inslar de Pylhagorc, onl seuls le droil de Irailer les lions el les ligres comme I'a Tail M. de IlulTon. qui, a coup sur, ne vivail pas d'epinards au sucre exclusivenicnt. Ces reflexions sur la mansuelude des beles feroces nous sonl inspirees par la representation de M. Carter, ou un tigre e~norme t-t un lion colossal soulTrcnl dcs traitements que ne souffriraienl pas le dial le plus familier el le caniche le mieux dresse". De"sormais Ton ne dira plus doux comme un agneau, mais doux comme un tigre ! Quel progres depuis Van Amburg, qui csl pourtanl bien pres de nous, quoique dej ouliliii el de*passe*. La police voriliait les barreaux de la cage de ses beles, ne les trouvail pas asscz rapproclie's ni assez solides; pour plus de surete", les animaux etaient parques dans deux comparlimenls qui permettaienl au dompleur d'en venir plus aise- menl a bout, lei, plus rien de tout cela : un lion et une panthere execulenl sur le theatre, plein de flgurants el de figurantes (chair Irop fllandreuse pour les tenter), des exercices aussi forts que ceux des caniches et des singes les plus instruils, el cela, sans que rien les L ART IMAMAilQUK EN KKANCK separe des spcctaleurs, rien, pas meme un simple fil d'arclial, pas meme uno corde habilement dissimule"e : ils sont en pleine libeiie. Voici le role de la pantliere : L'Arube Abdullah, epuise de fatigue et de chaleur, s'est endormi sur le bord du cbemin. Le lieu esl des plus sauvages; des arbres sinislres pressent avec les doigls noueux de leurs ratines des ro- chers livides elcrayeux; des broussailles semblables a des coulelas s'erilorlillent hideusemenl, des plantes verdatres rampent parlout comine des serpents; I'Arabe dort dans cetle sombre gorge qui ne peut etre ha n tee que par des assassins et des betes fauves. Tout a coup, un effroyable rugissemejit se fait entendre; on voit brillerau fond d'une caverne deux yeux glauques el pbosplioriques, une tele plate et ligree comme celle d'une vipere s'avance, flairant le vent d'un air inquiel el cauleleux ; 1'affreuse bete sort une palte el puis I'autre, rampant et s'aplatissant conlre terre; puis, ramassanl ses jarrets sous elle, comme la fleche qui jaillit d'un arc, d'un sen! bond, d'un seul elan, elle saule sur In poilrine du dormeur, donlelle saisit le cou dans I'elau dentele de sa machoire. Abdallah s'eveille et alors commence une lulte horrible, quoiquesiinulee; il etreint le monstre dans ses bras vigoureux, et tous deux roulent en se debattant jusque vers la rampe du theatre, dont lous les bees dardent simullanemenl un long jel de gnz d'un pied de haul, dans le but sans doute d'effrayer Tanimal, que celte pantomime pourrail bien ramener a ses penchants nalurels, et de 1'empecher de sauler d'un second bond au milieu du parterre; mais I'Arabe a bienlol ledessus.et In panlhere, dompte'e, le suit Toreille basse ct la queue cnlre les jambes, au grand elon- nemcntdes Bedouins, qui ne savaient pas les pantheres d'aussi bonne composition. La est le grand effroi et le grand succes de la piece. Celle scene, si pres d'etre vruie, et qui le sera peut-elre un jour, fait figer la nioelle dans les os; le resle, quoique tres-etonnant, n'inspire pas autant de terreur. Abdallah-Carter, dans 1'acte suivanl, rencontre un lion dans le desert : il va droit a lui, le fascine, lui met une bride, urie sel|e, le liarnache completemenl avec des cordons de laine rouge et le pro- inene, soumis et lionleux, comme il a fait pour la pantliere. DEPUIS V1NGT-CINU ANS 337 II est impossible, du reste, de mellre plus de complaisance k se laisser fleeter que ce brave lion. II a Fair si doux, si paterne, et roule ses yeux si onclueusement pendant cette operation, qu'il n'in- spire pas la moindre crainte; la femme la plus timide pourrailsans palir plonger sa main frelc cl blanche duns les boucles de sa fauve perruque. An dernier acle, c'est-a-dire au troistfme, Abdallah rentre dans la ville sainte, sur un cbar antique traine* par son lion et traverse deux fois le the'atre sur une espece de rail intitule' voie romaine par le livrel, et qui nous a semble*, & nous, une voie aussi Igyptienne que possible. Carter, qui est d'une tres-haute laille, rappelle dans cette majeslueuse apparition les triomphaleurs de la pe"riode hero'ique ou des Ce'sars romains de la decadence, lorsque 1'imaginalion biased ne savail plus a quels moyens recourir pour sortir de sa torpeur. Coiniue le lion n'allait pas assez vite, Carter lui a donne" un coup de baton sur la croupe comme vous n'oscriez pas en donnerau cbeval de volre tilbury de peur de le faire cabrer. Le lion a ploy<5 les reins tres-humblement et man-lie plus vile! Un lion, atide, balonne, sans grille, sans cage, ne voila-t-il pas qui esl merveilleux? El, pour pousser les cboses a bout, Carter a repasse sur le chemin avec I'ani- mal libre de ses barnais, de son cbar, dont le poids cut pu le rclenir; le lion marcbail sur ses talons comme le chien de cbasse le mieux dresse; a un certain instant, ayant marYlii- trop pres du bord, la palle lui a manque et il a failli lomber sur 1'avant-scene. Carter 1'a saisi par la peau du cou el I'a remis sur la roule absolumenl comme les garcons de la barriere du Combat empoignent un dogue qui s'6carle. En voyanl une soumission si parfaite, on s'e"lonne d'avoir eu peur si longtemps de betes aussi paciflques, el Ton se propose de remplacer son dial par un tigre el son chien par un lion. Ala fin de la piece, Carter se livre, avec ses animaux reunis dans une cage, a des exercices semblables ii ceux de Van Amburg; seule- inenl, il ne les regarde pas de eel ceil blanchalre et verdatre, illuming de lueurs blafardes, qui donne a son rival un airsielrangement ma- gniflque; il n'v fail pas la moindre fa^on el relourne ses bles comme des oreillers ou des iraversins. Il est impossible d'etre moins charlatan. I. 19 L ART DRAMATIQUE EN FRANCE Carter est plus grand que Van Amburg el d'unc carrure plus athlelique; il a une asscz belle figure, plus douce que terrible, et toules ses maniercs onl quclque chose d'effemine" etde gracieux qui ne s'accorde guere avec Pidee d'un Hercule nemeen el dompleur de monslres. Apres la chule du ritleau, il a e'le rappele avcc des rugissemcnls d'enlhousiasme : au boutde quelques minutes, il est revenu accom- pagned'une de ses betes; ce qui est fort spirituel. Mainlenant, que pourra-t-on imaginer de nouveau dans ce genre? Avant peu, sans doule, les mcmbres du Jockey-Club et les lions de la mode iront au Bois dans un landau atlele" de lions verilables. Cela s'appellera le cheval demi-sang ou pur sang. Les remonles se feront dans 1'Allas; le tigre sera devenu un animal do- meslique et fera la chasse aux souris dans les maisons, de concert avec le chat, son diminutif ; les fauves habitants de 1'Afrique et de FInde quitleront le desert, et, tout a fait re'concilies avec la civili- sation, viendronl habiler nos villes. Peut-elre, dans vingt ans, verrons-nous sur les murs de Paris une afliche repre"senlanl 1'intre- pide M. un tel entrant dans la cage d'un serin canari, el luttant centre un jeune agneau d'une inlraitable ferocile. Nous avons de"ja le hanneton duelliste et le lievre qui tire des coups de fusil comme un chasseur. Nos petils-enfants s'amuseront mieux, pour peu que cela conlinue. 11 dccembre. CONCERT DE M. HECTOR BERLIOZ. Rom do et Juliette. Cerles, s'il y a jamais eu une volonte ine"branlable el persislante, c'est bien cellc de 31. Hector Berlioz; car il ne suffil pas, en ce temps de pole- mique el de publicite, d'etre un grand talent, il faut encore etre un grand courage : faire n'est rien, il faul parvenir, el le chemin est long, de Poeuvre ecrile a Po3uvre publiee. Victor Hugo, ce sublime enlete, avail mis pour epigraphe, a son premier volume de vers : Vox clamantis in deserto, et les excmplaires A'llcrnani porlaient pour griffe Uierro. mot espagnol qui veut dire fer; car, il faul bien Pavouer, ce public fran^ais, repute si folalre, si le'ger, si vagabond dans sa fantaisic, si amoureux du changemcnl. n'a recllement peur DEPUIS VINGT-C1XQ ANS 889 quc (Tune seule chose au niontle, c'est de la nouveaute; la nou- ve.iule fait sur lui ie meme effel que ricarlale sur Ic laureau ! II lui en coule beaucoup d'augmeiiter la lisle de scs admirations, el il n'ainie pas a se donner la pcine de formuli r un jugemcul; il esl trop grand seigneur pour cela, et charge de celle corre"e ennuyeuse les journalistes et les critiques, qui sonl ses dlguslaleurs juris : artistes, musiciens, poeles, n'ayez peur que d'etre neufs. Le public vous par- donnera de n'avoir ni talent, ni style, il y est fait; mais. pour Dieu, ne hasardez ni un enjambement, ni une cadence, ni un rhythme inusite's, ni une idee, ni une scene que Ton n'ail pas vue au moins vingi fois. Ce qu'un parterre francais redoute Ie plus au monde, c'esl d'etre pris en defaul, el de ne savoir quc dire dans Ie ceuloir ou dans Ie foyer de ce qu'il vienl d'entendre. M. Hector Berlioz a trouve beaucoup d'obstacles aux dc'buls desa carriere; avec moilid moins de talent, il cut re"ussi dix fois plus vile; mais il a essayc" des formes musicales nouvclles, il a employe des rhylhmes inegaux, chose douloureuse pour un peuple amateur de la periode synielrique, el qui enlend la nuisique plulol avec les talons qu'avec les oreilles. Sa phrase ne s'arrele pas toujours a I'endroit pre'vu, ce qui deconcerle I'amaleur prel a laisser lomber sa canne. ^1 produil reflet quc produirail a des gens habitue's a la versification de Voltaire, les vers a coupe varied el 5 ensure mobile des premiers poemes d'Alfrcd de Mussel. Voila Ie grand crime d'Heclor Berlioz, ii n'est pas carre", ou du moins il ne 1'esl pas loujours. A ce reproche, on ajoute celui d'etre incomprehensible : incompris a la bonne heure. Cependanl la musique de M. Berlioz nous parail sufll- samment intelligible; mais, pour la comprendre, il faul 1'ecouler, et Ton ecouie peu.en France, car toul Ie monde veut parler. Apres tout, cede question de chirle nous purait U'unc maigre importance, 1'eau esl plus claire que Ie Yin, Dante esl plus obscur que Doral, Rembrandt que Boucher, Beethoven que Musard, ct pourlant la pourpre ridie el foncc'e d'un vin gene'reux l'en)|;orle sur la fade transparence d'tine eau bien lilirec; Dante, Hcmbraiull, Beethoven, les muilres auslercs el serieux valent inieux que Doral, Boucher et Musard. Four noire compte, nous aimons assez I'arl hie"rogly- phique. escurpt 1 , ou Ton n'enlre pas couime chez soi; il faul rclcver 340 L ART DRAMAT1QUE EN FRANCE la foule jusqu'a Pceuvre, et non rabaisser 1'oeuvre jusqu'a la foule. Si la pente ne peut etre gravie par les intelligences vulgaires, tant pis pour les jambes faibles el les jarrels sans nerfs. C'est une mauvaise raison a donner pour aplanir les monlagnes, que les aslhmatiques ne les sauraient gravir ; ne vous donnez pas la peine de lailler'des mar- ches et des rampes autour du mont Blanc, les aigles voleront tou- jours bien jusqu'a la cime et poseronl leur serre comme un cachet sublime sur la neige eternelle qu'une empreinte vulgaire n'a jamais profaned, afin que Dicu voie en passant que les hauls sommels ont loujours des visileurs. Ce que nous aimons dans M. Heclor Berlioz, c'esl qu'il a pris son art au s&'ieux, il n'en a pas fail un melier; il a ecril pour salisfaire son esprit et son coeur, en dehors de toule idee de succes ephe'mere; soucieuxde se plaire d'abord a lui-meme, ne faisanlaucune conces- sion, et poussanl courageuscment sa maniere jusqu'au bout comme tous les grands artistes, qui ne craignent pas de passer par un deTaut pour arriver a une beaule"; il n'a pas cherche" le joli, le le'che, le perl ; il esl reste inculte, sauvage, violent, amoureux de la difficulte" comrne toul homme qui sail a fond le mecanisme de son art, et qui a toujours peur que la main n'aille plus vile que 1'ide'e. Comme Mutius Scoevola, il brulerail son poing plulot que d'en laisser lomber un grain d'encens sur les aulels du lieu commiin el de la banalite. Quoi qu'en puissenl dire ses ennemis, M. Berlioz a le bonheur d'en avoir, 1'auleur A'HaroId el de la Symphonic fantastique a rendu de grands services a I'arl musical : il a donne une ame a chaque instrumenl de i'orcheslre, une expression a chaque nole; il a voulu que chaque phrase eul un sens precis ; celte idee, pressentie par quel- ques maitres, essayee par Beethoven, a eHe" fort bien developpe'e par M. Berlioz; quelques anciens compositeurs avaient lache d'animer 1'orchestre, de le faire vivre el parler; mais, soil limidite, soil fai- blesse des executants, ils n'avaienl qu'effleure cette partie de I'arl. M. Berlioz a approfondi la question, et il a su trouver des effets dont, avanl lui, on n'aurait pu soupcomier I'cxislence ou la possibilite; dans sa symphonic de Juliette et Romeo, et dans les autres, 1'or- chestre exprime des pensees el des sentiments. Au lieu de ne faire parler les trombones, les timbales el la grosse caisse, que comme DEPLIS VISGT-CINQ ANS :;i mi baton qui serl a marquer les lemps forts de la mesare, il les a rendus signiflcalifs. Chaque instrument dil son mot. L'idee musicale, me'lodique ou harmonique est de'veloppe'e aver un talent supe"rieur. Quelquefois seulement, emporte par unc savante combinaison, par unc tournure originate, le musicien arrive a trop compllquer ses effets, el fait disparaiire son dessin sous un travail excessif, defaut que nous preferons a la triviality, et qui est. d'ail - leurs, moins frequent dans cetle symphonic que dans les prece- dentes. La nouvelle partition renferme dcs combinaisons liarmoniques d'une grande beaute, des ide'es me'lodiques tres- originates cl des cfTetsde rbythnie el d'inslrumenlation lout a fail neufs. L'auteur a essaye" d'y reproduire la me'lope'e antique et les cuoeurs de I'ancienne trage'die, qui interrompenl le cours de faction pour moraliser sur les e've'nemenls donl ils sont temoins; M. Emile Des- champs, Lommede beaucoup d'esprilet poete distingue*, adislribue avec beaucoup d'originalite le livrct du composileur; il a releve de jolies (leurs poe"liques la trame du canevas musical, et satisfail heu- reusemenl les doubles exigences de la poe"sie et de la musique. PALAIS-ROYAL. Les Premieres Armes de Richelieu. Richelieu a quinze ans, juste 1'dge de Cberubin ; il n'esl pas moins vif, moins curieux d'apprendre, moins amoureux de toutes les females que I'ef- fronte page de la comlesse Almaviva ; juslement, on vieul de le ma- rier, lui tout petit el lout enfant, avec une belle grande fllle qui ;i Irois pouces et trois ans de plus que lui : a mademoiselle de Noailles, fllle d'lionneur, rien que cela; c'est beaucoup pour un si impercep- tible mari. Ce qui fache beaucoup le jeune due, c'esl que, le soir meme, il va monter dans un carrosse avec I'abbe, son pre'cepleur, pour aller au fond d'une terre altendre sa vlngtieme anne"e : se trouver en lele-a-l^te avec un vieux piklanl lorsque Ton complait sur nne Julie femme, c'est dur, surtout pour un gurnement de I'espece do Richelieu; il s'insurge el ne veut pas pariir, pretendanl forl judi- cieusement que ce n'etait pas la peine du Ic marier pour lui faire continuer ses classes. 11 lui de'plait d'autant plus de s'en aller qu'il a decouvert qn'un certain chevalier de Malignon. amanl de made- moiselle de Noce, fllle d'honneur pardon pour ce rapprochement i. fj. L'AKT DRAMATIQUK EN FRANCE de mots qui liurlent de se voir accouples faisait simullancment les yeux doux a sa femme et lui e"erivail des billets d'un style fort d petit grief, madame Thillon a M charmante de lout point; son costume oriental lui allait a ravir ct ellc-a chairte avec beaucoup de gout el d'expression. VARIKTKS. Lts Naquignons. Le theatre des Varietfs n'a ri|- lement pas de chance, il semblerail que la toilette somptueuse qu'il a faite lui ait porte" malheur : les pieces tombent comme la grele de- puis la re'ouverlurc de la salle; les chutes se succedenlcl se resseni- blent, a I'enconlre des jours qui, dil-on, se suivenl et ne se ressem- blent pas; !e bouflbn, le grivois, le sentimental sonl sidles avec uoe impartiality touchante; on dirait que loules les clefs el lous les aspics de la terre se sont donne rendez-vous au boulevard des Pa- noramas. D'ou vient cela ? Est-ce que la direction acluellc vide les carlon.s de I'adminislrulion prece'denle? Ces pieces sont-elles impose'es et joue'es par autorile" de justice? ou bien serail-on las d'Odry, celte vieille grimace? II y aurail de 1'ingratitude, car il vicnl de donner dans Bilboquet un sublime pendant a Robert Macaire. II a crfe* un des types du siecle, Bilboquel vient imme'diatemenl apres Mayeux, Robert Macaire et Bertrand, el vous savez comme il est difficile de river un type. II fuut pour eela un grand talent et un grand bon- beur, ccs bonnes fortunes-la n'arrivenl qu'une fois dans la carriere d'un homme de ge'nie. Cervantes en a fail deux, Odry en a fail un, Frederick un autre ; Hugo u invenle Quasimodo, ce Muyeux sublime ; Byron n'a pu que rafraichir don Juan, invenle par Moliere. II faut done respecler Odry, car c'esl un grand homme, el ne pas exposer inconsiderlmenl ce roi du bullion, cette majeste de la gucnille. C'est, d'ailleurs, une chose triste pour un theatre que cetic conli- niiili 1 du silllct; on sidle par habitude, coninif on rit par habitude. Apres avoir sifll^ les mauvaises pieces, on silTle les bonnes. Le public esllres-roulinier; certains comiques, ennuyeux aujourd'hui, le fonl rire aux Eclats, parce qu'il se souvienl qiraulrefois ils ^tuienl fort amusanls. Aussi, nous conseillons forl aux direcleurs des Varie'tes de porter la pioche dans un autre sillon, et de ne pas s'obslincr a poursuivre fi travers le luf cette maigre veine de cuivre lerreux. Nous ne croyons pas avoir besoin de faire fanalyse des Maqui- (jnons; loul le nionde a lu , il y a quelques mois, la charmante nou- 346 L'ART DRAMATIQUE EN FRANCE velle de M. Eugene Sue, intitulee Arabian Godolphin; c'etail tout simplemenl 1'histoire d'un cheval meconnu, d'un arabc pur sang indignement alleit$ a unc charrette, comme le genie a la misere ; mais ce cheval, marque de la balzane cl de rro|>os de maillots. Mademoiselle Nathalie Filzjames. Cirque-Olympique : Transylvain , chrval sauleur. Lc hop de mademoiselle Lueic cl le la d'Auriol. La revanche du cheval blanc. Une peripetie non prcvue par 1'afllclie. - Palais-Royal danseusrs espagnoles. Decadence regrellable de la paillelte el du clinquant. Quelques mots sur 1'clal actucl du theatre. Engagfincnl dc Duprez u 1'Operu. Les pieces d'acleur. BoufTc 5 II AOUT 1837. Opera : reprise de la Juive. Dnprez dans le r6lc d'Eleazar. Ses preeedenls debuts dans le repertoire. Kevelulions dues an talent de ce chanteur. Palais-Royal : I'Jloltl da Haricots, vaudeville de MM. Dumauoir et Dennery. -- Le Mtmoire de ta Uan- chit seine, par MM. Brazier rt de Villeneuve. - Amliigu : le Corsairr noir, melodramc de MM. Albert el Labrousse. Lulle brillaiilc eiilr<- 382 TABLE DES MATIERES les * et les r. Cirque-Olympiquc : Auriol. Opera-Comique : la Double Echelle, paroles de M. Planard, musique de M. Ambroise Thomas. Le sysleme d'ope'ra italien, et le genre national. Porle-Saint- Martin : la Guerre des servantcs , gros me'lodrame de MM. Theaulon, Alboize et Harel. Mademoiselle Georges. Opera : Debut de madame Rosine Sloltz 20 HI SEPTEMBRE 1837. Vaudeville : Mon Coquin de neveu, utracte de M. Rocheforl. Lepeintre jeune re'duit a lui-meme. Madame Guillemin. M. Emile Taigny. Varietes : le Malelot a Icrrc, par MM. Fenimore Cooper, Eugene Sue, Edouard Corbiere et "*". Debut de M. Felicien. Le flambard. Palais-Royal : Bruno le fileur, vaudeville de MM. Co- gniard freres. Le vaudeville moral. Opera : mademoiselle Fanny Elssler. Sa danse et celle de Taglioni 34 IV OCTOBRE 1837. Ope"ra : Reprise de la Muelte de Portici. Duprez dans le role de Masaniello. Mesdames Noblel el la cachucliu. Dolores. Mademoiselle Fanny Elssler dans le role de Fenella. Le Vesuve de M. Duponchel Cirque-Olympique : Djenguiz-Khan , drame a spec- tacle, de M. Anieet Bourgeois. Opera : Nathalie, ou la Lailibre suisse. Les come'diens d'autrefois ct les comediens d'aujourd'hui. Trop grande personnalile des acteurs et des aclrices. La Chaltc me'tamor- phosce en famine, ballet de M. Duveyrier. Fanny Elssler. Varie'te's: LePere de la'Debulantc, vaudeville de MM. Theaulon et Bayard. Vernet.. Le vaudeville bien fait 40 NOVEMBRE 1837. Opera-Comique : Piquillo, parolesde MM. Alex. Du- mas et Gerard de Ncrval, musique de M. Hipp. Monpou. Mademoiselle Jenny Colon. Chollet. Gymnase : le Reve d'un Savant , probleme de MM. Bayard et de Bieville. Lc Balthazar Claes de M. de Balzac. Palais-Royal : Ma Maison du Pccq. Les chemins de fer pris comme moycn dramalique. Porte-Saint-Martin : le Baron de Montrevcl. M. Victor Hugo centre la Comedie-Francaise. Opera : le Dieu el la Bayadere. Mademoiselle Louise Filzjames. Porte-Saint-Martin : Mademoiselle Georges dans la Semiramis de Voltaire CO VI DECEMBRE 1837. Dorte-Saint-Martin : reprise de Lucrecc Borgia. Mademoiselle Georges. La queue du diable. Opera-Comique : le TABLE DES MATlftBBS Domino noi'r, paroles de M. Scribe, musiqur de M. Aubcr. Madame Danioreaii. llalirns : Lucia di Lammermoor, libretto du signor Comma- rano, musique de Donizetti Debut demndame Persiuni dans ret opera. - L'exe"culion el la mise en scene. Les decorations du cclcbre Ferri. 75 VII JANVIER 1838. - Oil en est Tart thralral. - Les collaborations. - Lemoulc dramalique. Les directeurs el les autrurs. SI. Alexandra Dumas el son Caligula. M. Victor Hugo el son proces avec la Comldir- Francaise. Opera : la piece qn'on atlend. Singulier choix du njet. Mademoiselle Falcon. Gymnase : Vinyl Ans apres, ou It Prerepteur de grandemaison, vaudeville de MM. Paul Duport el Deed. Tbe'alre- Francais: reprise A'Htrnani. Ln piercetle public. Madumc Dorval dans le role de dona Sol. Varieles : la Dame de (a Halle. Portc- Sainl-Marlin : Charles-Quint tt Franfois I' T , drame de M. de Rougemonl. Varie'les : les Saltimbanques, vaudeville dc MM. Variii et Dumanoir. Le grand Odry 82 VIII FEA'RIER 1838. Odeon : le Camp des Croise's, drame en vers dc M. Adolphc Dumas. Ce quedoilctre la poe^sie dramatique. -- Cirque- Olympiquc : Bijou, feerie. Un macliimste pris au depourvu. Les jongleurs anglais. Les bals masques en Tan de grace 1838. Ambigu : fEleve dc Saini-Cyr, melodrame de M. Francis Cornu. Vaudeville : Its Industries forcees, pur M. Cordier. Pudeur Iroj) rare du public. 99 IX MARS 1838. Iialiens : Parisina, librello de M. Felice Roman!, musi- que de M. Donizetti. Mademoiselle Julia Grisi. Sa beanie. Tarn burini. Rubini. Opera : Guido et Ginevra, ou la Pette de Florence, paroles de M. Scribe, musique de M. llalt'vy. La piece et la partition. Duprez. Les decorations. Gymnase : I'lnlerdiclion, par M. Emile SouveMre. Bocage. Varieles : Midi a quaturse heures. L'auleur dramatique malgre lui. Encore le vaudeville predicaleur .... Ill AVRIL 1838. - Thealre-Francais .- I'.-itlente, par tnndame de Senanl. Un nouvel emploi dramatique. - Varieles : Madame I'inchon, vaude- ville de M. Dumanoir. Vernet. Madame Jenny Verlprc. Bobino : Ilestons dans nos foyers. Discours d'un monsieur en habit noir. Giict-iipens Icndii au critique. Lamentations -\\r Pindigence drama- tique. Le theatre el le pot-au-feu Les actrices inane>s. Plus dc poesie. Complicity des auleurs liO 354 TABLE DBS MAT1ERES XI MAI 1838. Representation an benefice de mesdemoisellcs Elssler. Le Manage de Figaro. Madame Cinli-Dainoreau en Cherubin. Grand air, que me veux-Ui ? Trois ex-bontons de rose. Duprez. La Vo- liere, ballet de mademoiselle Thcrcse Elssler. Les danscurs. Ta- bleaux vivants. Theatre-Francais : representation pour le monument de Moliere. L'Ecole dcs Maris. Palais-Royal : le Tireur de carles. Achard. Gaiety : Lord Surrey, drame en cinq acles de M. Fillion. L'auteur improvise acleur 129 XII JOIN 1838. Porte-Saint-Martin : Capsali, ou la Dclivrancc de la Grece, ballet de M. Ragaine. Ou sont les neiges d'anlan. Conseils a M. Harel. Un pas de deux, un pas de trois el un pas de cinq. L'Opera de la petite propriete. Ambigu : Gaspard Ifatiser, canard de M. Mery , pris au scrieux par Albert et Saint-Ernest. Yarielcs : Mathias f /na- lide, vaudeville de MM. Bayard et Leon Picard. Vernet. Vaudeville : les Impressions de voyage, annoncecn un acte. Arnal 136 XIII JUILLET 1858. Gymnase : le Medccin de Campagne, par MM. Lau- rencin et '*". Madame Dorval. Une face ignoree de son talent. Palais-Royal : M. de Coislin, ou VHomme poll, par MM. Mare Michel et Lefranc. Debut de Grassot. Ambigu : Rafael, drame en cinq acles. Belle maxime a 1'usage dcs criminels. Varietes : Moustache, vaude- ville de M. Paul de Kock. Le fumier d'Ennius retournc. Cirque- Olympique : Lawrence et Redisha , clowns anglais 149 XIV AOUT 1838. Opera : debut de mademoiselle Lucile Grahn. Gym- nase : la Caehucha. Ambigu : Un Amour de Moliere, vaudeville de M. Colomb. Les personnificalions impossibles a la scene. Porte- Saint-Martin : Pcau-d'Anc, feeric. Judicicux raisonncment de M. Ha- rel. Un elephant tued'un coup d'epingle. Le theatre envabi paries betes. Palais-Royal : acteurs cspagnols. Dona Marianna. Varietes : les Bayaderes. Anxicle publiquc li>5 XV SEPTEMBRE 1838. Opera-Comique : la Figurante, paroles de M. Scribe, musiqne de M. Clapisson. Ambigu : les Chiens dumonl Sat nt- Bernard. Reputation surfaile dc Tcspecc canine. Enumeration TABLE DES MATlfeRES Acs chicns celebres. Opera : Rtnvenulo Cellini, potmcde MM. Augutle Barbicrcl Jules dc Wailly, musique dc .V. Hector Berlioz. La lleformr lilteraire. Caracterc du talent dc M. Berlioz. Gaiete : /* Yiromle dc Cliamilly, un pen par M. Ancelol, beancoup par M. Saintinc. Opera reprise de la Sylphide. Les vicux ballets. La nouvelle Sylphide. Les dangers du vol I6G XVI OCTOBRE 1838. Cirque-Olympiquc : David el Goliatk, exhibition en trois actes. L'hiver et Tele". Les ailes d'un angc el la queue d'un nuage. M. Bihin, ge"ant beige. Petitcs mi.-eres de la grandeur. Italicns : Otellv, Lucia. La musique dramalique. Mas griefs contrr MM. des BoufTes. Justice distributive 178 XVII NOVEMBRE 1838. Opera : reprise de la Fille du Danube. - Les elsslerisles el les luglionistet. Elogc des claqueurs. Opcra-Comique : / Bratseurde Preston, paroles de MM. de Leuven ct Brunswick, musique ill- M. Adam. Dialogue d'amateurs. Renaissance : Hity lllat, dramr en vers de Victor Hugo. Frederick Lemaitre. La nouvelle snlle. Porle-Saint-Martin : Dom Sebatlien de Portugal, ilrame en vers de M. Paul Fouclie. Renaissance : Olivier Daitelin, pur MM. Brazier <-l de Courcy. Lady Melvil, on It Joaillier de Saint-Jamet, paroles de M. de Saiut- Gcorges, musiqtie de M. Albert Grisar. Debut de madanic Anna Tbillon. Commequoi il y a Anglaiscs et Angluises 188 XVIII Itrci.MIUU: 1838. Y:iri. ; lt ; s : Tronquette la Somnambule, vaudeville de MM. Cogniard fr^res. La piice ct les acteurs. Mademoiselle Pi- geairc et rAcade"mie des sciences. Un mot sur le magnelisine. Ope>a : ili'-bu I ilc M. Mario (comte de Caiulia) dans Robert le Diable. M . Duponchel invcnteur de Idnors. Italiens : Roberto Devereitx ou d'Evreux, libretto du signer Commarano, musique de M. Donizetti. Le God tare the king. Ovation faite au maestro Donizetti. Les poeles et les comc\liens Cirque-Olympique : la troupe des singes et des cliiens savants. M. le professeur Schneider 199 XIX JANVIER 1839. Le theatre tel quc nous le rivons. Haliens : f Elitir d'Amore, op^ra bouffe de M. Donizetti. II es-l temps de rire. Lablache en vendeur d'orvietan. Dulcamara et Fontanarose. Madame Persian!. Tamburini. Un talent crnintif. A'on bin in idem. Ope>a : le bals masques. Le critique intrigue 211 TABLE UES MAT1ERES XX FEVRIER 1839. Opera : la Gipsy, ballet de M. Mazillier, musiquc de MM. Bcnoit, Tliomns et Marliani. Mademoiselle Fanny Elssler. La Cracoviennc. LYnthousiasme economique. Renaissance : Diunc de Cliivry, par M. Frederic Soulie. VEau merveilleuse, paroles de M. Sauvage, musiquc de M. Grisar. Gymnase : la Gitana, par MM. Laurencin el Desvergers. Vogue des bohcmicnncs. Mademoi- selle Nathalie ct ses costumes. Cirquc-Olympique : les Pilules da Diablo, feerie de MM. Anicet Bourgeois et Laurent. Prodiges sur pro- diges. Porte-Saint-Martin : le Manoir de Monllouvier, drarne de M. Rosier. Mademoiselle Georges 220 XXI MARS 1859. A bas les charpentiers ! Prejuges des direcleurs conlre les hommes dc style. Voies nouvelles ouverles aux auteurs dramatiques. Ope'ra-Comique : le Planleur, paroles dc M. de Saint- Georges, inusiqiie de M. Uippolyte Monpou. La piece et la partition. Ambigu : Tiegaull le Loup, drame en cinq aclcs, de M. Felicien Malleu'lle. Les erreurs d'un hoinnie d'esprit. Nobles el proletaires. . . . 229 XXII AVRIL 1839. Opera : le Lac des Fees, paroles de MM. Scribe et Meles- ville, musique de M. Auber, ballet de M. Corally. Caractere du talent dc M. Auber. Sa nouvelle partition. Mademoiselle Nau, Duprez, Levasseur. Le ballet el les decorations. Renaissance : I'Alchimisle, drame en vers de M. Alexandre Dumas. Mademoiselle Ida. Le Vingl- qualre fevrierdeZ. Werner, traduit en vers par M. Camillc Bernay. Porte-Saint-Martin : Leo Burkart, ouune Conspiralion d'eludianls, drame deM. Gerard de Nerval 256 XXIII MAI 1839. Opera-Comiquc : les Treize, paroles de MM. Scribe et Du- port, musique de M. Halevy. Ne pas confondre avec les Treize dc M. de Balzac. Oplimisme des ope'ras-comiques. Gaicle : le Sylphv d'or, feerie. Lc genie du bien et le gt ; nie du mal. Un ballet de lapins. Ambigu : le Naufrage de la Meduse, drame de MM. Charles Desnoycrs el Dennery, decorations de MM. Pbilaslre el Cambon. Lc passage du Tropique d'aprcs M. Biard. Le radcau des naul'rages d'apres Gericault. Thcatre-Francnis : le Susceptible, comedie de M. Amedee de Beauplan. Question de syntaxe. Gymnase : la Mailressc el la Fiancee, par M. Liiiile Souvestre. Madame Dorval 2iii T.MH.F, i)i:s MA1IKRF.S XXIV JUIN 1839. Renaissance : It Nanfragt dt lu Uednte (2' edilioin. pa- roles do MM. Cojfniard freres, tnusiquc tie MM. Flotlow rl Pilnli, iVrora- lions tie MM Devoir et I'onrcliel. Lcs riles d'lipunic pris rnioinr nioiif* ni<''lodii|ucs. l.c radcau tie la Renaissance el eeltii do r\iiibipn. lYr- reclionnementdei trues maritime*. Qnut rgo!... Oprra-Comiqnr Polichinelte, paroles de MM. Scribe et (iharles Dmoyrier, imisiqne dr M. Monlfort. l.c polichinellc francais et Ic polieliincHi- iia|x>litam. I'orte-Saiiil-Marlin ; It I'arle dt famine, drame do MM. I'aul Foucbr el Elie Berthet. Meringue 2tH XXV JUILI.ET I8r>9. Opera : la Tarentule, ballet dc MM. *" et Orally. miKsique dc M. Gidc. Renlrie de MM. SeVImn, Keurheres, Die'terle et Dcspli-ehiu. Mademoiselle Fanny Elssler el la tarculellc. Thcilre- Francais : II faut qtic jcunetse te putse, coraedie tic M. de RoupcnioMl. Ce que prornrttail le litre et ee que la piOee a donnr. Miion du Thealre-Kraneais. Renaissance : /c Fits de la Fulle, drame dc M. Fre- deric Soulid. Les critiques el les poissons rouges. Guyon. La Jeunrtiedf Goethe, eome'die en vers dc madamc Louise Collet. Varielc's el Vaudeville : let lirltex Femmei de Paris. I'ne rahale. Ajt|>cl au mecanieipiis. Terrible dilcmme. Scene de bain aux Variele's, scrne dc loileltcan Vaudeville. Opera : danses espagnoles. Abomination de la desolation 267 XXVI AOl'T 1859. Gymnase : Ic Mexirain, par MM. l.nurcnein 9 - Opern-eomi<|ue IrSlictif. pndesd* M. Srril--. Timsiqtic lie M. Leon Hallvy. Uaitrr Corn.-liu*, tirymtirr dc Latiit \l M. Halevy et Topera-eomique. La partition du Sht-rif. - Le )>f me Opera . la Vfiutrlta, (nirolfs de MM. Leon "' el Adolplie '", inusiqne d.- M. Henri de Ruol/.. -- Dnprer. - Massol. . TABLE 1>ES MATIEKES XXV1I1 OCTOBRE 185i). Varietes : la sallc rcstaurec. L' Amour, comcdie- vaudeville de M. Rosier. La robede Nessus. Unc question difficile a resoudre. Lafont. Ilaliens: debut de mademoiselle Pauline Garcia. La femme et la caulalrice. Opera-Comique : la Symphonic, paroles de M. de Sainl- Georges, musiqucde M. Clapisson. Debut de .Marie. Renaissance : la Jacquerie, paroles de MM. Alboizc el Ferdinand de Yille- tieuvc, musiquede t\l. Mainzer. Retour au moyen Age de confiseur. Poetic analogue. La partition de M. Mainzer ........... 501 XXIX NOVEMBRE 1839. Italiens : la Cencrcnlola, la Sonnambulu. Cen- drillon sans pantouflc. Rossini. Mademoiselle Pauline Garcia. Lablachc. Taniburini. Rubiiii. Pativrele de la langue admiralive. Debut de Mario aux Rouft'es. Opera : la Xacarilla, paroles de M. Scribe, niusiquc de M. Marliani. Madame Slollz. Tbeatre-Kran- cais : debut de mademoiselle Doze , ou rajeunissemenl de mademoi- selle Mars. Aux inlerpretcs de Molierc. Renaissance : le Proscril, par MM. Fre'deric Soulie et Tbimolhee Dehay. Madame Dorval. Am- bigu ; Christoplie IcSuciiois, par M. Rouehardy. Varietes : le Chcna pan, par M*". Fragolctta, par MM. Bayard et Vanderburch. Gym- nase : M. Breteuil. Palais-Royal : lesAvoucscn vacances, par M. Bayard. Opera : debuts de mademoiselle Augusta May wood ........ 50!> XXX DECEMBRE 1839. Ilaliens : mademoiselle Garcia dans le Barbierdi- Seville. Le vrai caractere de Rosinc. Gaiel5 : le Massacre des Inno- cents, par MM. Fontau cl Maillan. Cirque-Olympique : le Lion du De- sert. M. Carter et scs animaux. Romeo et Juliette, symph'onic de M. Hector Berlioz. Palais-Royal : Ics Premieres Armes de Richelieu, par MM. Bayard et Dumanoir. Renaissance : la Chaste Suzanne, paroles de MM. Carmouclic ct de Courcy, musique dc MM. Ilippolyte Moupou. Kaut de lacliaslete, pas Iroj) n'en faul. Varieles . les Maquignons. Arabian Godolphin. Charles Muriel, symphonic de M. Reber. Re- vues de Tannee . . .351 1 IIX BE LA TABLE DliS MAT1ERES TABLE DES AUTELKS, ACTEUIIS, ETC., ET UES PIECES 1TES DANS CE VOLUME Achunl, 121), 135. Ail;im (Adolphe), 188, 193. . Adryane Hitter, 160. Alarcun, 65. Albert. 20, ins, 106, 108, 109, 136, 142, 145, 258. Alberlazzi (M), 204, 2fl(i. Alberline(jn), 283,331. Alboizc, 20, 29, 301,508. Alrhimistc (0,256, 244. Amany, 163, 164, 165. Amour (/'),50I. Amour (UM) dc Moliere, 153, 159. Amphitryon, 65. Amy Robsart, 193. Ancolot, 160, 174. Androclis, 294. Annclo, lyran de Padoue, 8C, 157, S2i. Anna Bolcna,79, [\1. Antony, 116, 275,521. Arislopliane, 50. Aristoic, 103, 133, 159, 168. Arnal, 34, 51,132, 148. 149 Anmud, 90. Arnunld (Sophie), 49. Aubrr, 40, 44, 75, 78, 198, 236, 212. Aiibrrl (Anals), 152. AMI.-II-I.-. 190. Auriol, 5, 11, 12, 20, 25, 26, 15;), 210. Avouet (les) en vacancct, 309, 327. Balzac (II. dc), 60. 67, 69, 15!. 185, 197,254,255,299. liambochex (Us) de I'annce, 349. Kandoni, 96. Harha, 153. Barbier (Aog.), 166,173. Barbier (le) de Seville, 53 1 . Raron (le) de Montrcvel, 60, 71 . BariT, 165. TABLE DBS AUTEUBS, ACTEURS, ETC. Biirrez, 273,350. Batla (Alexandra), 349. Bayaderes (les), 155, 102. Bayard, 40, 56, 57, 58, 60, 67, 71, 156, 509, 326, 527, 528, 531 , 543. Bcaumarchuis, 196, 229, 502, 505, 552. lieatiplan (Ainedee dc), 254, 259. Beauvallel, 101, 105. Beethoven, 559, 540, 548. Bellerose, 49. Belles (les) Femmes de Paris, 267, 278. Bellini, 79. Bendemann, 45. Benoit, 220, 222. Beiiserade, 29. lienvenulo Cellini, 166, 17K Deranger, 25, 158. Berlioz (Heelor), 166, 172, 175, 174, 531, 558, 559, 540, 547, 548. Bernard-Leon, 156, 157. Bernay (Camilie), 236, 245. Berquia, 514. Berlhel(Elie),261, 266. Berlin (HP') 138. Berti-and (Leon), 285, 298, 299. Belourne, 120. Biard, 16, 234, 258. Bieville (de),60, 67, 71. Bihin, 178, 180. Bijou, 99, 101,228. Billet (/?) de millc francs, 225. Blangy (M>), 283. Bocage, 32,48, HI, lib, H6, 145, 150, 285, 286, 524. Roccace, 87. Bee-uf(le) enrage, 225. Boileau,96, 196,510, 519. Borghdse f M"e], 506. Bossange (Adolplic), 244. Bouchardy (Joseph), 509, 324. Boucher, 359. Boufle, 5, 19, 71, 123, 146, 150, 207. Boulanper (Louis), 171. Bourgeois (Anicet), 40, 44, 74, 220. Bourse (la), 119. Boutin, 24. Ilrussenr (le) de Preston. 188,192. Brazier, 20, 101, 188, 196. Brebeuf, 191. lirvxilia, 7- Bressau (51 1 ""), 350. Bi'L'Viiniic, 14. Brohan (Su/annr), 123. IlfHiw le Filvur, 54, 56. Brunswick, 188. IHid'ou, 554, 535. Burger, 11. Byron, 24, 111,527,345. Cachurdy, 89. Cachttcha (la), 155, 156. Calderon, 65. Caligula, 82, 86, 197. Callbt, 16,216,223,264. Cainbon, 2.14, 2;i9. Camp (/c) des Croise's, 99. Campisiron, 86. Campnibi, 43, 98, 162. Ca?irti7/f(/),501. Ciiuuletli, 47. Cuuaris, 157. Ca/jsuti , ou la Delivrancc de ler, 5, 7, 24, 34, 35. Coi/uin de neveu (man), 34. Corally,236,243,267. Coi Itiere (Edouard), 34, 35. fordier, 110. Corneille, 85, 1 18, 231, 232, 320, Cornu (Francis), 74, 99, 106, 109. Corregidor (le) de Seville, 53. Corsaire (le) noir, iO, 24. Couderc, 306. Courey (de), 188, 196, 331, 344. Cousins, 197. Crevel dc Charlemagne, 120. D Dalayrac, 27. Haute (la) blanche, 77. Dame (la) de la Halle. 82, 93. Damoreau (M.), 75, 78, 80, 129, 130, 131,243,506,321. Daniel, 294. Danle, 504, 359. Durid el Guliath, 178. Deljureau, 43, 256,237. Dece, 82, 89. Dehay (Tl.imolee), 309. I )rj;i/. i (Virginie), 36, 50, 343. Delacroix (Kugene), 171, 173. Delaislre, 24. De laroche (Paul), 132. Delatuuche (Henri), 326. l)davigne(Casimir), 152, 170. Delia Bella, 215. Dclricu,90. DenniT, 2">3. Dennery , 20, SB*. Desrhamps (Euiili-), 18, 203, 3H. Deslandes, 56. Desnoyers (CliarU-s), 2.'>4. Desnoyers (Louis), 527. Despllchio, 87, H. r i,267, 268, 302. Dcsvergers, 220, 224. Heur Jdloux (Irx), 27. Drus. Mahometans (Its), 72. liitu Vieux (iarront, 53. Dcvrneyafforu, 163, I6i. Devcria, 171. D-\oir, 5, 7,9,261.262. Diable (le) boittux. 9H, |K8, 329. Diane de C/iirry, 220, 222. Didier, 36. Dielerle, 88, 11">, 267, 268. 302 Dieu (le) el la Hayadrre, GO, 72. D'jt*fftn*-fka*.tQ,H, lii Dolores Serral, 14. 41,42, 98, 282. Domino (le) noir, 75, 77. Dom Scbastien de I'urlurjal, 188, 194, 197. Donizetti. 75, 79, 111, 112, 1!)'J. 206,211,288. Dun Juan, 18,283. Dorat, 339. Dorus (M""), 202, 314. Dorval (M-), 48, H2, 92, 93, 101. 149, 150, 131, 157, 254, 260, 278, 285,286,309,320,321.323. Double Kchflle (la), 20, 26. Doze (Mil--), 509, 515, 516, 317, 318, 519. DuLiuon (Manuela),283. Dubufte, 135. Due (le) de Clarence, 160. Ducliesse (la) de Lavaubatiere, 91, 160, 275. Diimanoir, 20, 82, 98, 120, 102, 531,543. Dumas (Adolphe), 99, 100. Dumas (Alexandra), 30, 60, 82, 8i, 86. 136, 147, 148, 236, 214. Duponcliel, 40, 43, 44, 87> 88, 162, 199, 204, 269. Dupont (Ambroise), 147. Dupont ;.M"> Alexis), 40, 44, 244, 283, 284. Duporl (Paul), 82, 89. Duprrz, 5, 18,20, 21,22, 33, 40, 41, 43. 4i, 111, 114, 115, 129, 130, 189, 204, 207, 256, 2i5,28'J. 299,301. Dii|)iiis(Rose). 129. DtUlie(M'"),49. Duveyi-ier (Charles), 40, 54, 234. 261,265,264. Eau (/') mrrtvilleuse, 220, 222, Ecole (/') de s niaris, 129, 155. Edelin(M''),266. Eliivc (I'l dc Saint-Cyr, 99, 103 362 TABLE DBS AUTKUKS, ACTKUKS, ETC. Elie, 10,52, 148,222. Elimbella, 305. Elixir (/') d'amore, 211, 216, 313. Elssler (Fanny), 14, 34, 58, 59, 40, 42, 43, 44, 54, 55, 56, 98, 129, 131, 132, 157, 165, 175, 176, 177, 188, 189, 190, 198, 207, 220, 221, 267, 268, 271,274, 282, 283, 289, 528, 329. Elssler (Therese)., 14, 129, 131, 132, 222. 270. Enfanls (Ics) d'Edouard, 17. Escudcro, 161, 162. Esmeralda, 18, 29. Esther (M), 350. Euryanlhe, 173. Fabiani (Ml ll ), 49. Gau tier (Theopliile), 124. Gazza (la) ladra, 186. GefiVoy, 99, 101. Gcncvieve de lirabant. 161- Georges (.>!), 20, 28, 29, 52, 48, 50, 51, GO, 74, 75, 76, 87, 220, 229. Gerard, peinlre, 132. Gerard de Nerval, 60, 66, 142,256, 246, 253, 254. Gerard Dow, 67. Gericault, 254, 257, 262. Ghirlandajo, 304. Gibbon, 111. Gide, 267, 274- Gipsy (la), 220. Gilana (la), 220, 223. Glcnarvon, 234. Goellic, 151, 195,224,236,253. Gogo, 119. Gonlier, 35, 59. Gothi (Prosper), 200. Coy (Virginic), 157. Go/Ian (Leon), 260. Gozzi, 295. Grahn(Lucile), 155, 328. Grassot, 149, 152. Grassot (M'^), 157. Gra/zini , 244. Grignon, 234. Grisar (Aberl), 188, 198, 220, 22-2, 225. Grisi (Giulia), 80, 111, 112, 113, 184, 186, 187, 188, 198, 204,206, 305. Guerra, 5, G. Guerre (la) des scrvaulvs, 20, 28. Guilbert de Pixerecourl, 74. TABLE IES AUTEURS, ACTEL'RS, ETC. SKI Guide el (Unevra, on la Petit de Flu- mire, 87, III, 113, 189. (iiiilliiuinc Coliiiniin, 195 C.iiillawne Tell. 21, 40. 115, 189. GuiUrmin (), Si, SB. Ciiiniiiril MII>''. 73. i ,ulli;i (Malhias), 97. Guyuu,l05,246, 167,278. Hal<$ry,8l,Hi,iiS, H4, 254, 253, 256. 20!), 300. Hamlet, 74. Hard, 20. 29,33, 77, 94, 105, 13(5, 137, 158. 141,155, 159, 1(52, 195. ll.iylM. 548. Heine (Henri), 23G. Henri III etta Cour, 84, 109. Hcnwni, 82, 84, 87, 90, 128, 338. Hoffmann, 88, 307. llomere, 26, 103, 159,207. Horace, 23, 244. Hold (f ) det Haricots, 20, 23. Hud I'.nih. 102. lluiio (\ ictor), 18, 60, 72. 82, 84, 86, 87,91,92,136, 137, 151,153, 165, 171, 172, 188, 194, 224, 232,289, 320, 338, 345, 348. Huguenot* (Irs), 21 , 40, 88, 189. Ilyuciutlic, 200. lle(f)des Pirates, 141. II faul f/ue teunesse se passe, 267 274. Imprettumt (let) de voyage, 156 147. Innii/jiiifitu (f) de Versailles, 132 159. Incendiaire (C), 321 , Industries (Ics) forcers, 99, 1 10. Infants (les) de Lara, 139, 254. Inp-es, 175. Interdiction (f). Ill, 115, 143. Iniquoi* (les), 549. Ivunhotr, 184, 186, 217. Jane Vawernier, 151. Jnrrnlr (.If), 73. Jeanne de .\>i/,lrt. (95. J, m'rn moifit,- cumme de Inn 4", 54!) lliii:i.2l'.r.. Jninritr (la) de Galkr. ifi7, i7K Jriu- (let) de famour et dn hatard . 1%. Joniiny, 92. Johannol(Alfrrd), 171. Johannot (Tony), 171 Joly (AnU-nor), 196, i87. Jouy, 90. Jorndens, 69. Joseph, 14,35. Jounlain (M0, 278. yuip(/a),20,40, 115, 185 K Karr (Alphon*-), 116, 147, 1 ..3, I/O. 281. Klein, 157. Kock (Paul es), 331, 545. Marc Michel, 149, 152. Murcliande (la) dc goitjons, 118. Alargol, 53. 51 ana (M""), 244, 283. Al (triage (le) de Figaro, 129. Markmua (dona), 155,161, 1G2. Marie, 501, 506, 508. Marie-Antoinette, 29. Marie Tudor, 86,87. Mario, 198,202, 205,204,207, 300. 513. Marion Delorme, 87, 93,116, 128, 520, 321. Marivaux,34, 151, 196,202. Marliani, 220, 222, 50',), 314, 515. Marryal, 24. Mars (Mii<-) , 150, 151, 209, 50!), 516,317. 519,320,521. Martin, 293. Marlyim, ISO, 544. Mnxsiicrv (le) dcs IimiM-enls , 531, 333. Masse I, 506. Massol, 299, 501,349. Malclot a tcrre (le), 54, 55. Muthias rinvalide, 136, 145. Mails, 55. Maurin, 25, Mayer (Mac), 526. Maywood (Augusta), 509,328, 529, 550. Mazillier,220, 222. Ma/.arier, 159. Medfcin (le) de campagne, 149. Melunclilhun, 171. Melesville. 256. Melingue, 52, 261,266. Mvmoire (lc)dela Blanchisscuse^O, 55. Menophlah, 157. Mencstrel(le),1&5. Meriinee, 500,508. Mi-rle, 281. Mery, 156.142, 179, 180,194. Metzu,67. Metsys (Qucnlm), CO. Mexicain (/e),285. Meyerbeer, 17, 88, 205, 207, 300. Michel-Ange, 105, 172,548. Michel el Christine, 56. Midi a qualarze heurcs, 111, 1 1G- Mieris, 67. Mil lutit rent quarantc, 349. Miliiiiin, 244. Misanthrope (le), 119. Mocker, 50(>. Moessanl, 140, 141. Mohicans (les), 5, 74. Moliere, 17, 19,65, 118, 127, 129. 152, 135, 15i, 159, 189, 197,223, 231 , 289, 509, 319, 520, 545. Moniloiiville, 49. Monnier, (Henry), 12,269. Monpon (Hippoiyle) , 60, 65, 229, 252, 235, 244. Monrose, 207. Monsieur Drcteuil, 509, 526. Monsieur de Coisliii, on t'llonune poli, 149, 151. Monlfort, 261. Afore (le) de Venise, 188. Morean-Sainli (M'"),278. Morelli, 187,315. Motisluclu: H9, 155, 161. Mo/art, 150, 283. Mitel d'lngouville (If), 19. M nolle dc Porlici (la), 40,23 M usa rd, 339. TADLE UES AUTKt'RS, ACTEURS, ETC. 305 Mussel (Alfred dc), 153, 171, 1%, 285, 295, 296, 298, 339. Mauet(Pialde), 314. N JVapoldon, 26, 103. IXalhalie, 157,220, 224, 223. Nathalie, on la Lailiere suiste. 40, 47. Nau (M"e), 236, 243. flfaufrage(U) de la JUeduse, ilrame, 254, 237. fiuufrage (le)de la Medttse,o\>cra, 2C.1. Nobli't (Alexandrine), 74, 239. Noblet(N u> ), de POpera, 40,41, 42, 43,44,244,283,28!. Kouvcau Seigneur (Ic), 27. !Sourril,21,40, 189, 508. o Odry, 34, 48, 82, 93, %, 97, 98, 132, 148, 207, 501 , 526, 345, 547. OKdipe, 32. OgMer(T)bleu, 195. Olivier Bcutelin, 188, 195. Olivier (!"), 122. ()reslc,17. Olello, 178,308,331. Olio Venius, 69. Unrs(r> etle Pacha, 136. Ozauueaux, 137. racte (le) de Famine, 201, 264. 1'ugunini, 209. I'alissy, 57. I'aquila (M'<), 330. 1'aracclsc, 69. i'arrnt (un) millionnaire, 34. /'omi'na. 111. I'arny, 23. l'ayre(Malhilde),246. I'rau-d'Ane, 133, 193,228,256. Peblo,Stl. I'dlegrin de Modenc, 317. Prnxiunnat (le)de Hontcrcau,til, I'cnni (Krancois), 317. l>ere(le) de la Debutante, 40, 56. IVrrault, 309, 311. Persiani (M") , 75, 80, 186, 187, 211,217,310,313. Phidias, 190. Philustrc, 254, 259. I'litlintt; 119. Philtre (le), 217. Picanl (Leon), 136. Pied (le) de Uuntvn, 102. Pierre, 257. Pigal, 132. Piueaire (M), 198, 201. Piiali, 196, 2ti2. Pilules (ten) du Dialtlc, 220, 22.J, 236. Pinluriccio, 304. Piquillo, 60. Pirancse, 1 l.'i. Plaidcurs (let), 328. Planurd,20. Plunleur (le), 229, 232, Plege, 209. I'lessy (M), 121,132. I 'oil-son. (50. / ) o/ir/i/H<-//!""), I2<) Prccieuses (lex) ridicules, 67, 132, 261. Premieres (les) Armcs de Itichclittt, 331,341. Proscrit(lc),3W, 520. Provosl,259. Psyche, 65. Pugel(Loysa),157. Qu(5riot(.M"'e), 281. Quinaull,63. Rabelais, 117, 182,333. Rachel Felix, 189, 518, 319. Racine, 74, 86. Radcliffe(Anne),7i, 143. Rafael, 149, 152. Ragainc, l.~6, 158. Ragaine (M ), 140. Rainalingani, 165, It'.',. Ranigoun, 163, 164, KM. Raphael, 2('., 517. Raucuurl, 160. 366 TAKLE IES AUTEURS, ACTEURS, ETC. Rebard, 164, 200. Reber, 551, 547, 548,549. Redisha, 159, 149, 154, 228. Regnier (Mathurin), 519. Rembrandt, 559. Rcmj}lafant(lc), 27. Rcslons dans nos foyers, 120, 124. Reve (le) d'un savant, 60, 67. Revolte (la) au serail, 141. Rey, 277. Reynolds, 524. Ricciardi,285,287. Richard Savage, 195. Ricquier, 234. Rita I'Esnaflnole, 53. Roberto Devereux, 199, 204 Robinson, 197. Robert le Diable, 171, 199,202. Rochefort, 54, 35. Roger, 506, 548. Roi s'amust (le), 17. Romain de llooge, 213. Rinnan i (Felice), 111. Romeo et Juliette, drame, 114, 222. Romeo ct Juliette, symphonic, 531, 558. Rosier, 220, 2i9, 501, 302, 303. Rossini, 79, 165, 289, 500, 505,,508, 509,510, 511, 555. Rouiremont (Balissan de), 52, 71, 82, 86, 94, 116, 160, 267, 273, 276, 277. Rousseau (Jean-Jacques), 23, 89, 175. Royaumont, 180. Rover (Alphonse), 283, 287. Rubini, 22, 81, HI, 113, 184, 183, 187, 203, 206, 217, 287, 509, 510, 512,515. Ruines (lex) dc Babylone, 159. Ruolz (Henri de), 21)9, 500, 301. Ruy Bias, 188, 193, 197, 232, 286. Sacre, 102- Sacy (de), 180. Sainte-Beuve, 171. Saint-Ernest, 24, 103, 106, 136, 142. 143,152, 171,258. Saint-Firmin, 207. Saint-Georges (de), 188, 198, 229, 30 ',506. Sainline, 103, 166, 174. Saint-Just, 27. Saint-Simon, 152. Saltimbanqiies (Ics), 82, 94, 147, 156, 159,301. Samson, 122, 259, 277. Sand (George), 153. Sanlcuil, 117. Saoundiroun, 163, 164, 165. Saqui (Mmc). 209. Sauvuge, 220. Sauvage (Eugenie), 89. Savaranim, 165, 164. Searron, 520. Schiller, 255. Schlegcl, 278. Schneider, 199,208,210. Schneitzhoeffer, 283. Schubert, 28. Schubri, 142. Scribe (Kugi-nc), 15, 26. 41, 53, 60, 75, 78, 87, 111, 113, 114, 133, 151, 166, 168, 175, 205, 2~6, 25i, 255, 237, 26< , 263, 264, 299, 506, 209, 514. Scclian, 87, 115, 267, 268, 302. Seghers, 349. Seinirainis, 60, 74. Senant(Mn>de), 120. Seneque, 159, 295. Septneures, 521. Scrres, 54, 289, 547. Shakspeare, 19,85, 114, 151, 174, 183, 197, 204, 252, 281, 295, 505, 509, 513,520,526. SAcri/XJe), 299. Sicilian (le), 132. Simon, 126, 132, 222. Smilhson (miss), 222. Somnambule (la), 174, 221. Songe (le) d^une nuit d'cte , 58 , 211. Sonnambula (la), 509, 312, Sonncur (le) de Saint-Paul, 324. Sophie (M"), 530. Sou lie (Frederic), 220, 222, 244, 267, 277, 509, 527. Sous clef, 118. Souvcstre (Emilc), 111, 116, 254. 259, 260. Stolfz (Rosinc), 20, 53, 131, 243, 509,514, 515. Stradrlla, 113. Sue (Eugene), 5i, 55, 238, 546. Susceptible (le), 254, 259. Sylphe(le)d'or, 254, 256. Sylphideda}. 166, 174,256, 285. Symphonic (la), 501, 506. TABLE UES ALTKl'RS, ACTEIKS, ETC. 3tf7 Tabarin,23l. Ta|{lioni (Mnrie), 14. 17, 54, 85, 127, 162, 175, 176, 178, 188, 189, 190, 329. T.iigny (Kmilr), 34, 55. Tallemantdes Ite'aux, 224. Tullcvrand (de), 259. Tii I inn, 2:i, IS!), 293. Tambiirini, 80, 111, 113, 184, 186. 1 87, 206, 2H, 317, 309, 310, 312. Tnrtnlulf (/a), 267,329. Tartufe. 119. 7YAV/I, 139. Tempile (la), 38,221. Teulo-Bueclius, 184. Tcrburj:. 208. Terence, 118. tlieaulon, 20. 29, 40, ">6, a", a8. Thcotlorine, 9t, 229, 266. Thoophrasle, 230. Thii-rry (Aupuslin), 44. Thillon (Anna), 188, 197, 198, 223, 285,287, 344. Tliimothcc d'Urhin, 317. Thomas (Ambroise) , 20, 28, 220, 2"22. Tit : gault le Loup, 229, 234. Tille, 163. Tireur(le}de carles, 129, 134. Tonadilla* (Ian), 161. Tour (la) de Nesle, 71, 116, 275. Ton*-/. (Alei'lc), 328. rreize (/M), 234, 328. Trenle an*, on la Vie d'lin jotteur, 321. Tron({\ielte la Somnambiilc, 199. Tniands (leu), 29. Turcaret, 119. Va.lc, 258. Vacz (Guslave), 285, 287. Yiilbrun, 194. Valentin, 194. Van Aniburg, 28T>, 2*7. 289, Vi, 293. 294, 295, 335. 538. Van.li-rburcli.309, 326. Van llu\ sum, 68. Van Usladr, 208. Varin, 82,98. Vedel. 86, 92. Vcndella (la). 299. 500. Vernet, 34, 40, 56, 57, 120. 125, 136, 145, 146, 147.207. Vernet (Horace), 170. Vtfron, 283. Veronese (Paul), 502. Vertprtf (Jenny), 53, 120, 125. Vcslris, 282. \Vytloun, 165. Vicomtt (lei de Chamilly. KHi. 17i. Vielorine, on la i\uil fiurle t-, rue S'-.I:ic(|iirs, ;><), n Paris. Pour In I{eli'i'|iie, die/ J. doze/, rue di> In Mndclehic, 87, M Hriixelles. Pour 1'Allc iii.-i^nt', chez Al|>honsc burr. a Leipzig. OUVRAGES PARUS OU A PARAITRE I 1C SERIE LE DOCTEl'R ANTONIO, par J. RUFPIHI, auleur de LORF.SZO HKXOM (M, moires d'un Ci>ns)iirutenr). liaduit sous les yeux de I'auteiir par Oclavc Sucliol. \ vol. ESPRIT MORAL Dli XIX' SIKCLE, par Louis MARTIN. \ vol. H1STOIREDK I/ART DRAMATIOliE EN FRANCE, C series, par TIIEOPHIIK GADTIFR. I, A VIE A PARIS, 2 series, par AIGUSTE VILLKMOT ; prticock'e d'une Ktudc sur I't-sprii en France a notrc epnque, par I'.-J. STAIU, 2 vol. COVI'ES ET !\Ot VEM;ES, par P.-J. STAHL. RKCITS DE LA VIE REELLE, par CLACDP, VIG.VOX. I vol. CARACTKRES ET PORTRAITS DBS FEMMES ET DAMES CFLEBRES dcpuis Kiln jusqu'a nos jours, par PIIILARETE CIIASLES. 1 vol. 1 e SERIE - (ANTHOLOGIES HUMORISTIQUES) LES PETITES TRIBUI.ATIONS'DE LA VIE HUWAIXE, par P.-J. MARTIS. LES MILI.E JOIES DE LA VIE HCMAIXE, par Jins VIMII, LES ROX\ES RET1SES, par P.-J. JI-LLIES. L ESPRIT DE TOUT LE MONDE, par P.-J. JILLIFN. 3 C SERIE - (ANTHOLOGIES FEMININES) LES FEMMES JL'GEES PAR LES MECHANTES LANGIES, par LAHCIIIK el P.-.l. MAKTI.N. LES FEMMES PEINTES PAR ELLES-MEMES, par LARCIIF.R et P.-J. MAIITI>. LES HOMMES JUGES PAR LES FEMMES, par LARCHER et P.-J. JLI.MEN. ASTHOLOGIESATIR1QHE. Lc mal quc !es poetesont dil des femmcs, par I.AIICIIKII el I'.-.l. MARTIN. CE <}i;'o\ A DIT nr MARIIGE ET DIJ CELIBAT, par LARCOER <( P.-J .IUIM> LEsVEMMES .11 GEES PAR LES BONNES LAAGtES, par LARCHER et P.-J. JLLLIE.V. 4 C SERfE (ANTHOLOGIES MORALES) B.A MOKAI.i; Choii de pcnsecs et de mniimes lirees des moralisles de Ions Ics pays, el ronsliiiuiil, pour fiuique iiaiion, 1'espril de scs meillciirs e'cnvains. I, os ii'oralislcs ilnlicus . . . 1 v. Lcs niornlisles espagnols . . 1 v Les niornlisles anglais. . . l-cs niornlisles alk niniuls . Les moralisles grecs .... Les moralisles orientaux . . Les moralistes I'rancnis . . . Les moralisles de In jeHiie.-.e Les moralisles Inlins .... 1 v. | Les poetes moralistes .... LES ENFANTS, par VICTOR HUGO. \ vol., 5 fr. KO c. IIISTOIRE DE l..\\V,par A. TIMERS 1 vol., 3 francs. HISTOIRE DE LA CAMPAGNE DE 181;> (Waterloo) , par IB lieulenant-colone C.imiRAS (Iroisienie eililion). 1 \ol., I frnncs; avec 1'ailas, G francs. LA REI'f KLIOI ; E FRANCAISE ET I/ITALIE EX 148, par Jn.rs I'.ASTU.F, ancin: minisln francs. LES CONTEMPLATIONS, par VICTOR lln.o (M.xieme (trillion). 2 Mil. EN PREPARATION LES PETITES EPOPEES, par VIC.TOR HUGO. TYF University of California SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY 405 Hilgard Avenue, Los Angeles, CA 90024-1388 Return this material to the library from which it was borrowed. UCSOUTKWiHIGWMl I't'. I II III I I 001 259363 UC IRVINE LIBRARY 3 1970 01664 1646 University ol Southern Library