. Mr- v H' 1 >- -7 //? < (E U V R E S DE PI RON. n (&Jj>#t*~> ,"; / f(jL %s- ^** . h ur&P, -3 11: :-m, : cl ('/\/iv'/\ir..f(i., ./ J' 1 lhn .Lifvvs /, /huL- m ,V,ir/v '"' /\'i . '' Lwh-ru /Any J, in.- /< /viav ,/,- la CcmcJic //iwr.'.vv , (EUVRES COMPLETTES I D'ALEXIS PIRON, PUBLICS Par m. Rigoley de Juvigny, Conseiiler honoraire au Parlement de Metz , de 1'Academie des Sciences 8c Belles-Lettres de Dijon. TOME PREMIER. A PARIS, De l Imprimerie de M. Lambert, rue de la Harpe , pres Saint Come, wwwwwwwr-' M. PCC. -LXXVl pa nit v'-l tfS2^:mmi8Stf3&mBSBBaam I S CO UR S PRELIM1NAIRE- ! V oici les GEuvres complettes de feu M. I. 1 Piron. Jedoisason amitie leprecicux depot qu'il m'en a fait , en mourant. II auroit pu le remettre en des mains plus habiles j mais je doute qu'il eut trouve un depositaire plus fidele. z La reputation de ce Poete celebre est faite ^ depuis long-temps. Le rang distingue qu'il occupe sur ic Parnasse , mc dispense de fairs ^Teloge de ses Ecrits. Je mt bornerai done a rendre compte de cette 1 iition. ^ On y retrouvera toutcs les Pieces que M. I Piron a donnees au Theatre Francois , & " x dans le meme ordre qu'il les publia , avec de *nouvelles Prefaces, en 1758. J'y ai ajoute June Pastorale Lyrique , en un acte, intitulee s La fausse Alarme; & la Comedie de I'Amant Mysterieux. On verra, par le court Avcrtis* sement qui est a la tete de cette Comedie, que l'intention de 1'Auteur n'etoit pas dc lasoustraire , pour toujours , a l'impression. On remarqucra furtout , dans quelques notes jj DISCOURS qu'il a mises sur plnsieurs cndroits des pre- mieres scenes, la franchise, avec laquelle , il avoue les defauts dc fa piece , & conime il sc plaisante lui-meme, en fe foumettant au jugement precipite du Parterre. Exemple d'une modeftie rare , &c qui contrastc mer- veiileusement avec 1'ufage que Ton fuit au- jourd'hui , de faire foi-merne I'elcgc de ses propres Ouvragcs, ou ri'avoir des Proncurs am des , dont on le devicnt a fon tour. Ce ten n'eft pas eclui des Prefaces dc M. Piron. S'il y regne un certain egoisme, on conviendra du moins que ce lVest pas l'egois- rae de la vanite. Ces Prefaces ont pouttant trouve des Censeurs. Elles ont paru trop longucs, & Ton n'en a pas goute le style. Lesuns m'ontconfeille de les fupprimcr ; les autres m'ont engage a les laiffer fans y tou- cher. Pour concilier ces avis contraires, j'ai peut-ctre temerairement porte la main snr ces Prefaces, auxquelles j'ai fait, a regret & en tremblant , des retranchemens considera- bles; car il s'en faut que j'aye la prefomp- tion de me croire arTez habile pom* trancher en maitre. J'ai respecte la fcule Preface dc la Mstromanie. Comme elle eft un recit naif 6c abrege de la vie de PAuteur, je me serois P R E L I M I N A I R E. iij fait un scrupule d'en alterer le moindre de- tail. M. Piron travailla d'abord pout les Thea- tres de la Poire, &c fur-tout pour celui de POpera-Comique , fpectacle qui avoit alors la plus grande vogue , par la gaite & la malignite du vaudeville qui en etoit Fame. Les Opera- Comiqucs de ce Poete n'ont point encore ete imprimes, & e'est pour la premiere fois qu'ils voient le jour. Quoi- quils ne foient pas tous egalement bons & de la meme force , je n'en ai rejete aucun. La raifon qui m'a determine, est fondee-> premierement , fur ce que ces productions ne font pasassez serieuses, pour influer fur la reputation de l'Auteur , qui ne les a pas regardees lui-meme , comme des titres propres a l'etablir. Secondement , sur la persuasion oil je suis que le plus mediocre de ces Opera- Comiques est plein de ces saillies originales , qui n'appartiennent qu'a. Piron , &c sur - tout de cette gaite qu'on ne connoit plus depuis que nos insipides Dramaturges , fecondes de leurs Brodeurs Ita- liens,ont chasse Momus &: Thalie du do- maine qui leur etoit consacre de tout temps. L'Ancien Opera-Coaiiqueeft ne parmi nous; *ij iv T> I S C O U R S nous en avons cree le genre : il tient ail caractere de la Nation par sa gaite , comme le genre qu'on lui a substitue 3 tient au gout anti national qu'on s'efforce d'etablir , par la destruction modiree de tout ce qui porte le caractere Francois \ car notre siecle peut etre appele le siecle destructeur par excel- lence. Il est certain que nous avions, en France, une Musique &: une Poesie Lyrique , avant que des Etrangers vinssent nous dire que nous n'en avions point : il est certain que Lulli j de Lalande _, Destouches j Campra _, Mouret &c Rameau j etoient regardes , a juftes titrcs , comme d'excellens Maitres dans l'Art de la Mufique , avant que ces menies Etran- gers eusscnt osedire que ces grands homines n'avoient qu'une legerc teinture de leur art. Comment s'y est - on pris pour nous le prou- ver ? En livrant la scene Lyrique Francoife a de pitoyables Bouffons uniquement faits pour les trcteaux dltalie , &c en oppofant aux inimitables &C majestueux chef d'eeu- Vres &Armide _, de Roland , de Castor & Pollux , des scenes &: une musique du plus bas comique. Telle eft Torigine de la re- volution que nous eprouvons. On est enfin PR&LIMINAIRE. v parvenu a degouter le Francois de la seule mufique qui convienne au genie de la Lan- gue Franchise & a sa vraie prosodie , qu'on mutile , qu'on estropie , qu'on dechire 8c qu'on ne petit prononcer qu'en begayant, lorsqu'on l'adapte a la musique nouvelle. Mais que nous importcnt les paroles , dit- on , froidement , on ne les entend pas ? A ia bonne heure , pour celles que Ton fait au- jourd'hui. Mais on entendoit, on retenoit celles de Quinault &: de plusieurs autres Poetes Lyriques qui l'ont fuivi j on chantoit pres- que tons les airs de LulU , de Campra , de Destouches , de Mount, & meme dcliameau, en sortant de la representation de leurs Opera. Voila ce qui n'arrive point aux pro- ductions de nos Poetes & de nos Musiciens moderncs. La raifon en eft fimple ; e'est que la Mufique Franc^oife eft faite pour le cceur , &: la Mufique Italienne pour les oreilles. Orilya a parier que lesoreilles ont plus de part a renthousiasme de la nou- veaute , que le sentiment. Aussi sommes- nous bientot reduits a n'avoir plus de Spec- tacle Lyrique j &: , suppose que nous reve- nions de i'erreur ou nous nous fommes laisscs cntrainer , &: qu'on remette les an- ciens Opera, poutront-ils ctre executes, * iij Vj D 1 S C O U R S chant.es par dcs A&curs qui auront perdu le gout du chant Francois &c plie lenrs or- ganes a des inflexions purement Italiennes? Il faut pourtant etre jufte. La Musique Italienne, malgre ses charmes , qu'elle pros- titue ibuvent aux plus fottes &: plus ridi- cules paroles , n'a pas empeche qu'on ne foit accouru en foule aux representations d' Acajou &C des Nymphes dc Diane , excelkns Opera- Comiques en vaudevilles, du ceie- bre M. Favart. Nos Prudes phiiofophes , tout en criant a Tindccence , n'ont pas laiiTe <}ue de remplir lcs loges 3 raunies a la verite de fort grands eventails , presque a jour , avecune petite lorgnette artistemcnt adaptee aux batons de l'eventail , pour ne ricn per- dre du jeu des A&eurs. Le genre de l'ancien Opera- Comique eft, fans doute , un peu libre \ mais il faut considerer que c'eit un spectacle ambulant & forain , qui ne res- pire que la gaite , &: qui , par confe- quent , doit etre neccssaircment moins chatie qu'un fpectacle regulicr & pcrma- nant. Ccpcndant , quclque liberte qui regne dans les vrais Opera- Comiques , ils me pa- roiffent bicn moins dangcrcux pour les moeurs, que certains Drames dont l'intri- PRELIMINAIRE. \\\ gue Sc le denouement ne sont pas dun trop bon exemple. On s'y porte pourtanten foulc, & ces memes Prudes , qui fe fervent ii fre- quemment de leurs eventails aux reprefen- tations d 1 Acajou 6C des Nymphes de Diane , n'ont ni assez d'yeux , ni affez d'oreilles pour Isabelle &c Gertrude ; sur-tout dans la scene noc- turne , bien capable de donner a rever aux jeunesfilles qu'on y menc sans fcrupule, 6c de leur faire naitre l'envie d'avoir aussi , a Pexcmple de leurs meres, une de ces Intel- ligences qui rendent les gens heurcux (i). Quoi qiTil en soit , on doit regretter la perre de Pancien Opera Comique , qui com- mencoit a fe perfectionner lous les pinceaux riants &: facilcs de M. Favart ; car ce Spec- tacle etoit encore au berceau , lorsque M. Piron y travailla. J'espere done qu'on nc jugera pas a la rigueur ces legeres produc- tions d'une imagination riantc &; badine, dont, malgre tous leurs defauts , le Lecteur pent s'a ni user. _ , -, ,. m (i) Voyez dans la Comedie d'lsabeUe ^Gertrude, la scene, oil la jeune fille , venant respirer le frais de la nuit, & ap- percevant de la lumiere dans le Pavi'lon de sa mere, qu'elle croyok cou:We , s'approche, ecoute , & entend distin&ement sa mere souplrer & parlant a M. Dupre da bonheur qu'elle cprouve avec lui. Toye* scenes VllL IX. X. * iv viij DISCOURS Les Contcs nc sont pas la partie la moins interessante de cc Receuil. M. Piron a ex- celle dans ce genre , ou il est le seul qui approche de Lafontaine , sans etre son imitateur. Sa maniere de raconter est a lui : il n'a pas les hcureuscs negligences de fon inimitable Predecesseur j mais il en a toutes les graces , &: toute la naivete. Les Fables de Lafontaine rcndent insipidcs prcsque toutes celles dcs Fabulistes qui out ose mar- cher apres lui 5 ses Contes n'otent rien aux charmes qu'on trouve a la lecture des Contes de Piron. II n'en a compofe qu'un ties- petit nombre. Prcsque tous ceux qu'on lui a attribues dans differcntes editions furti- ves , soit qu'ils blessent , ou non, la de- cence $c les mceurs, ne font point de lui. J'cn fais ici la declaration formelle, pour que le Public n'y (bit point trompe ; & e'est d'apres i'Auteur lui-meme, que je la fais. Sa bonne foi , fa sincerite ne peuvent etre suspectes. 11 a eu foin de mcttre a cote dcs Contes imprimes furtivement sous son nom & qui lui sont etrans;ers , cette lpostillc de sa main : Ce Conte nest pas d\: v..'. Ce qn'il y a de singulicr , e'est que des deux seuls Contes qui! ait avoues etre de lui , ou il regne tin pen trop de liberte, PR&LIMINAIRE. ix on nc lui en a derobe qu'un , qui fe trouve imprime ; mais avec des alterations sensibles &c grossieres. Telle eft la deftinee d'un Auteur,qui, comme le dit Piron, dans sa Preface ( i ) de la Metromanie , a donne prife sur lui , par une heure ou deux defeu mal employe , dans fa premiere jeunefle. Quarante annees d'une conduite irreprocha- blc, passees a ne composer que des ecrits sages & decens ,ne le mettent point a cou* vert des reproches durables , ni fouvent meme de la punition que meritent 8c qu en- trainent une foule d'ecrits impies ou fcan- daleux qu'on lui attribue temerairement , &c qu'on imprime effrontement sous son nom. II suffit qu'il ait ete coupable une scule fois en sa vie , pour qu'on le croyc toujours coupable. Voila , en deux mots, Thistoire de M. Piron. Ce n'est point son apologie que je fais : mais je me dois a la verite ; & je la presente ici pour faire taire la calomnie. Ce que je viens de dire des Contes de M. Piron, doit s'appliquer aussi a ses Epi- (i ) Voyez Treface de la Metromanie, pag. 141 c suivantes. x D I S C U R S grammes. Je les ai toutes rassemblees avec soin : j'aurois voulu pouvoir supprimer entierement celles qui sont dirigees contre quelques Autcurs cstimes ; mais outre qu'elles font trop connucs &:, que lonra'au- roit reprcche mon infidelite , une ration plus forte m'a determine a les inserer tou- tes dans cette edition. Je n'ai pas voulu enhardir la haine , la vengeance ou l'au- dace de quelques Ecrivains obscurs , lesqucls se seroient joues de la credulite du Public, en lan<^ant, leurs traits , a l'abri du nom dc Firon. 11 ne faut , pour s'en convaincre , cu'ouvnr le pretendu Recueil des Potf.es _, ou (zLuvrcs diverges de M. Pi ron, imprime a Lausane, en i7" 7 3. Onletrouveraremplid'une quantire de mauvaifes cv, inichantes Epi- gramtnes, contre les Autcurs distinguesdont Pi kon pretendoit avoir a sc plaindre , &c ce- pendant eilcs ne sont point de lui : mais il iuffit qu'il en ait fait , pour qu'on lui at- tribue ceiles qu'il n'apas faites Je voudrois, pour fa propre gioirc , qu'il n'ciit jamais fait usage decette arme legere qu'il manioit si bien \ aussi tie chcrchcrai je pas a \e justi- fiersur ce point : je diraisimplementqu'iln'a point vomi d'injuresgrossieres , ni en vers ni en profe 5 que la calomnie n a point empoi- PRELIM I N A I R E. xj sonne ses traits ; que le ficl n'a point coule de fa plume a la plus legcre often fe ; qu'il n'a interesse dans sa querelle ni les Grands , ni les Petits j mais qu'il s'eft egaye fur ses rivaux , & que fa malice etoit dans son esprit &: non dans son coeur. Ce que je ne peux ni ne dois passer ici sous silence , est l'atroce calomnie consignee dans la Lettre d'un pretendu Theologien ( i ) a FAuteur du Dictlonnaire des trois Sleeks , oil Ton attribue a M. Piron , l'Epigramme la plus horrible &: la plus impie. Non-seulement cette Epi- gramme n est pas de lui j mais je soutiens , que dans le peu de pieces qui lui font echap- pees , aucune ne refpire l'impiete. Je fuis en etat de le prouver, par Pexamen scrupuleux que j'ai fait de tous les ouvrages qu'il m'a lais- ( i ) Voyez pag. iz. Cctte Brochure , sans style & fans es- prit , est une ceuvre detenebres 3 une rapsodie ami- morale , line diatribe qui n'a d'autre merite que d'etre anti-Chre'tiennc. Tout y respire le sectaire impie. Elle est remplie de blas- phemes contre Dieu & contre la Religion & d'mjures con- tre le Parlement , qui y est traite de fanatique. On y vomit des horreurs contre deux Magistrate recommandables & refpc&ables a plus d'un titre j & contre M. l'Eveque d' Amiens , mort l'anneederniere [1774] en odeur de saintete. On peut dire a 1'Auteur de ce mauyais ecrit, quel qu'il foit; Novimus & qui te 3 &c. xij DISCOURS ses , &: qui comprennent generalement tout ce qu'il a compose pendant le cours de sa vie. Jamais l'Anonyme qui le calomnie si gratuitcment & si indignement, n'auroit hasarde de le faire du vivant de Piron. Le Poete n'auroit pas repousse cette injure avec fes armes ordinaires , il auroit invoque la severite des Loix contre le Calomnia- teur. Quoi ! c'cst dans un siecle aum* eclaire , dit-on , que le notre , que des Auteurs im- pies usurpent les noms les plus respectables , leur imputent leurs lbttises &: leurs blas- phemes , Sc jouissent de Timpunite , a la fa- veur du voile dont ils fe couvrent : Eft-ce done la le fruit de nos lumiercs ? Quoi qu'il en foit , je le repete , j'ai publie tou- tes les Epigrammes de M. Firon , pour op- pofcr un frein a ceux qui oferoicnt en pu- blier d'autres sous son nom, & flctrir ainsi sa memoire. Je declare , en merne- temps, que je mis loin d'adopter ce genre de Satire, innocent on non , serieux on badin ; & que je refpectc autant lesperfonncs, que les talens qui y sont attaques. Hcurcufement leur rcnommec n'en eft ni moins etendue , mI moins cclcbrc. Quant aux Poefies fugitives de M. Piron , PRiLIMINAIRE. xiij quoiqu'elles soicnt en grand nombre, il y en a tres-peu de connucs. La legeretc , Fai- sance , Fharmonie , les graces , les caracteri- sent presque toutes. II semble merae qn'il ait emprunte , tantot le pinceau de XAibane, tan tot celui du Correge , &l toutes refpirent cette gaite qui ne Fabandonnoit jamais. II est agrcable dans ses Epitres , fublime dans fes Odes , plein de force & de choses dans ses Poemes divers. II a parcouru , tous les genres \ &C jusques dans ses Chansons , tout est marque au coin du genie. La traduction des sept Pseaumes de la Penitence , par laquelle je termine les Poesies , ne se ressent point de 1 age avance dans lequel il Fa compofce. Elle est encore animee par ce feu poetique quil a conserve , pour ainsi dire , jusqu'au dernier moment de sa vie. Mais ce qui lui fera le plus d'hon- ncur, aupres des honnetcs gens, est Fex- pression du repentir sincere quil y temoi- gne du scandale quil a donne dans sa jeu- nesse. J'ai ajoute a cette collection quelques productions , en prose , de M. Piron , dont plusieurs sont deja connues, &: ont etebien revues du Public. En un mot, je nai lien xv D1SCOURS neglige pour rendrc , comme je Tanncnce, cette edition complette. Si quclqu'un , par cupiditi, ou par un motif plus bas encore , par mcchancete , respectoit assez peu le Public 8c la verite , pour ajouter d'autres pieces a celles que renferrae cette Edition ; j'affirme qu'ellcs ne sont point de Piron. Je supplie le Lecteur de m'en croire fur ma parole. Je nai aucun interet , quel qtfil foit , a dcguiser la verite. L'Auteur a ete aiTez maiheureux & aiTez puni dc fon vivant fans encore chercher a rendre sa memoirc odieuse , en pcrpetuant le scandale apres sa mort. J'ai ecrit la vie dc cet homme celebre. J'aurois pu m'y borner a remuneration dc ses ouvrages, comme on le doit en trai- tant la vie d'unhomme de lettres ordinaire, &c de la plupart des gens a talens j mais la vie d'un homme de genie , d'un homme rare en tout genre , exigc dc plus longs details, Rien n'est plus satisfaisant que de voir rex- position des caufes &c des circonstanccs , qui ont produit les premieres etincclles du ge- nie, dans les modeles que nous nous pro- posons d'i miter. Rien nc provoque aurant notre ardcur 3 que le portrait au vrai de ces PRELIMINAIRE. xr homines que le Public a couverts de lau- riers : nous ne pouvons admirer leurs chef d'oeuvres, sans nous interesser a leurs per- sonnes. On defire des vertus a tons ceux dont on estime les talens. On voudroit que 1'homme moral rut grand dans lc grand homme j &: il faut convenir , malgre le n ombre des exceptions , que si la noble simplicite fait la grandeur de riiomme mo- ral / elle fe trouve ordinairement reunie a l'elevation du genie. Je me suis done per- miSjdans la vie de feu M. Piron , tous les details qui pouvoient donner une idee juste de sa candeur, de sa frailchife, de fon desintereffement tedd'excellcnce de fon ca- ractere , que fes rivaux arFectoient de me- connoitre , lors memc qu'ils avouoient ses talens. Voila mon excuie ou mes raifons snr l'etendue que j'ai donnee au recit de la vij du puis celcbre Poete dc nos jours. VIE V I E D' ALEXIS PI3RON, V I E D' A LEXIS PI RON. x\lexis Piron , ne le 9 Juillct 1689, a Dijon, etoit fils d'Aime Piron , Apothicaire, &: d'Anne Dubois , sa seconde femme. Unc probite inalterable , &: reconnue dans toute la Province , leur tenoit lieu de fortune. Des raoeurs antiques & pures entretenoient la paix & l'union qui regnoient au sein de cettc honnetc famiile, ou les Muses n'etoient point etran- geres. Le pere d'Alexis les cultivoit; ellcs ai- moient a parler quelquefois avec lui le lahgagc de l'ancienne Rome , &" fe pretoient mcmc fbu~ vent au patois du pays , qu'elles embellissoier t de leurs charmes. Estime , cheri , considere de fes concitoyens , il parvint a l'Echevinage de Dijon. Quelques affaires qu il cut a trailer pour les interets de la ville , le fircnt connoitre , & lui donncrent acccs aupres de M. le Prince de Conde , dont il gagna la bienveiflance &: la protection par sa naivete , la franchise & i'en- aij 4 VIE D'ALEXIS PIRON. joucment singulier de foil caractere. II cut ega- lement le bonhenr de p aire aux deux augustes successeurs de M. le Prince, qui Padmettoient familierement a leur cour ; car c'etoit encore le temps oil les Grands prenoient plaisir a rccher- cher la fociete des Cens de lettres , parce qu'a- lors le scavoir etant joint aux moeurs , l'estime accompagnoit toujours l'accueil honorable & les suffrages flatteurs qu'ils obtenoient, sans les briguer. Dans ce temps- la meme, un Pocte celebre, Fornement du Parnasse Latin , Santeul 3 avoit accompagne M. le Prince aux Etats de Bour- gogne. Aime Piron ne fut pas plutot informe de l'arrivee de Santeul , qui! cournt fur le champ lui rendre hommage. Mais ce Pocte , qui portoit a l'exces Tivresse orgueilleuse de son art , le recut avec tant de hauteur , qu'il revolta le Pocte Bourguignon. Bientot les humbles cgards se changcrent en railleries pleines de fel ; aux complimens succeda 1'ironie , les propos de- vinrcnt enfin si vifs &c si plaisans de part Sc d'autre , qu'il fe passa, en presence du Prince, VIE D' ALEXIS PIRON. j une scene des plus comiques , dont le Poere Latin fut plus pique qu'humilie. lis fe brouil- lerent done a leur premiere entrevua j mais cette brouillerie ne dura quun moment. Un ami commun , le bon vin du pays , les recon- cilia le jour meme. Devoit-on s'attendre au fort funeste que cet ami preparoit a Santeul ? Tout le monde sait qu'une colique de miserere J Ten- leva , pour ainsi dire , au milieu d'un repas. L'Apothicaire Poete fut en vainappele ausecours ? les ressources de fonart devinrent inutiles jle mal- heureux Santeul etoit frappe du coup mortel. Cet evenement repandit un deuil general fur le Parnasse. Aime Pi RON y fit entendre fes regrets a fa maniere, e'eft-a-dire, en vers Bourguignons. Nous avons de lui , dans ce dia- lette , une infinite de petits Poemes 3 dc Chan- sons , de Harangues Sc de Pieces fugitives char- mantes , dont la plupart ont ete imprimees. II celebroit tantot les evenemens interessans pour < x On remplit son verre d'une force dofc de Tabac d'Es- pagne 3 & on le lui fit avalcr, a iij 6 VIE D'JLEXIS PIRON. la Nation , tels que la Naissance du Due de Bour- gogne l _, les Victoires du Grand Condi 2 , Ic Re- tour de la fame du Roi 3 3 &r tantot les evene- mens particuliers a fa Province. Plusieurs autres pieces , en vers Francois , pourroient encore lui faire honnenr. Mais les Noels qu'il composoit, en patois Bonrguignon , etoient l'objet de son occupation favorite. II en publia , tons les Avents , pendant trente ans de suite. Ces Cantiques res- pirent l'onction la plus tendre. II y faisoit quel- qucFois allusion aux evenemens du jour; commc dans celui ou il parie de la guerre de la suc- cession d'Espagne , & dans celui ou il forme les vceux les plus touchans pour la prosperite de Louis XV , qui ne faisoit que de naitre. Bernard de la Monnoye , avec lequel Aime Pi RON fut lie de l'amitic !a plus etroite , pendant l'es- pacc de 80 ans 4 , ie piaisantoit sou vent, &c 1 L'Ebaudisseman Dijonnoi su lai naissance du Due dc Brcgogne. x Guillaume Encharbotai. 3 Joycusetai su lc rcror dc lai sanrai du Roi. 4 Aime Piron, etoit ne le premier Oclobrc 1 640 , Sc FIE D y ALEXIS PIRON. 7 lui reprochoit de ne pas tirer tout le parti qu'on pouvoit de la naivete , de la finesse &: de l'energie du patois Bourguignon ; ce savant lit- terateur le possedoit eminemment. Aussi Piron , dont l'amour - propre etoit de la meilleure com- position du monde , passoit - il condamnation : il s'excusoit neanmoins sur l'importunite du Li- braire, & fur Pimpatience des bonnes gens, qui ne croyoient jamais avoir assez-tot fes Noels, pour les vendre ou les chanter j mais Ton ami ne goutant point cettc excuse , Aime Piron le pressa si vivemcnt po Valmor de. Dieu & de fran BarS^ai , d'en composer d'autres , que la Monnoye fe rendit a ses instances. De-la na- quirent les famenx Noels Bourguignons de cet illustre Academicien , lesquels accompagnes de fon ingenieux 6v doCle commentaire passeront a la posterite. D'apres ce que je viens de rapporter de mouiut lc 5 Decembre 17x7, age de 87 ans, z mois, 8 jours : EtM.de la Monnoye etoit ne le 15 Juin 1641 y 5c inourut le 15 Octohre 1718, age de 87 ans 4 mois, a iv S VIE D 3 ALEXIS PIRON. Tesprit & du cara&ere d'AimePiRON, on peut dire que les Muses assisterent a la naissance &' Alexis , son fils , fk que la Gaite le recut en venant au monde, pour ne le quitter jamais. Son education fi.it , comme on la donnoit dans ce temps-la , savante , utile &: severe. Malgre la vivacite de fon age , Alexis en profita &: fit d'excellentes etudes. On voit , par ce qu'il dit lui - meme dans sa preface de la Metromanie , avec quelle avidite il ecoutoit ses Maitres , &: de quel enthoufiasme il etoit saisi a la lecture des bons ouvrages & a la vue des beautes que presentent les grands modeles de l'antiquite Greeque & Latine. Mais comme il falloit son- ger a prendre un etat utile &" conforme a la mediocrite de sa fortune, scs parens s'efForce- rent par toutes fortes de voies , meme par des chatimens , d'etoufFer en lui cet amour poeti- que qui oeceloit deja le feu de fan genie. Si le jeunc Piron parut sc rendre aux ins- tances de sa famille , ce ne fut pas sans se faire une extreme violence. 11 trouvoit des incon- veniens a tons les partis qu'on lui proposoit. L'ctat Ecclcsiastique etoit eelui que scs Parents VIE D s ALEXIS PIRON. 9 auroient desire qu'il choisit , comme le plus avantageux. II ne voulut point l'embrasser, parce que, disoit-il , l'homme le plus pur ne Test jamais aflez pour remplir dignement cet etat. Qu'on ne s'imagine pas que nous lui pretions ce langage 5 nous avons trouve , plus d'une fois , cette facon de penser consignee dans ses ecrits. Au defaut de l'etat Ecclesiastique , Part de la Medecine lui ofFroit encore , en perspective , 11 n chemin , a la verite , difficile & laboricux , mais un but utile. II n'y vit que des obstacles insurmonta- bles. Reflechissant sur le prix de la vie des hom- ines, il s'etonnoit qu'on Tabandonnat si facile- ment aux incertitudes 6V aux conjectures hasar- deufes d'un Art , auquel les maux , comme des Protees , echappent malgre l'attention la plus scrupuleuse ALEXIS PIRON. iy r> rarder aux ordres de M. le Procureur -Gene- ral ; qu il desavoue son ouvrage ; &: pour peu que M. le Procureur - General insiste a ce que Piron lui declare qui en est l'auteur , qu'U me nomme hardiment ; la chose en demeurera- la , &: je saurai rendre a Piron , en temps &c lieu , scs droits de propriete . Arme de cette bonne reponse , Piron fe presenta devant M. le Procureur -General, non sans rougir, lorsqu'interroge quel etoit l'auteur des vers , il nomma le President Bouhier. A ce nom respectable, M. le Procureur - General fe mit a sonrire , & apres avoir fait une severe reprimande a Piron , le congedia , en lui disant, qu'il n'eviteroit pas la punition que meritoit une pareille produ&ion , si jamais il se rendoit cou- pable de sa publicite. 11 finit par l'exhorter a mieux employer desormais ses talens. Telle fut , dans la plus exa&e verite , l'o- rigine de ce fameux chef-d'oeuvre de genie & de licence , devenu malheureusement trop ceie- 16 VIE D' ALEXIS PIRON. bre &: trop repandu. L'auteur , par soixante ans &: plus dc repentir &: de regrets , s'etoit flattc d'en avoir efface jusqu'au moindre souvenir : mais ses ennemis n J en ont que trop abuse pour rendre ses mceurs suspe&es; quoique cette Ode ne fut ni le fruit d'une honteuse orgie , ni la suite d'un libertinage reflechi ., & encore moins le sujet d'un prix propose par un grand Prince, comme on a ose le debiter. L'Auteur en avoit conserve la datte ; je Pai trouvee ecrite de sa main ; elle est de Tannee 1710& detruit tous ces faux bruits 5 Piron n'avoit alors que vingt ans. Neanmoins nous ne cherchons point ici a le justifier d'une faute que l'envie lui a trop souvent reprochee. Nous voulons seulement arrcter lc progres de la calomnie 3 afin que , si elle ne fa pas epargne pendant sa vie , elle respe&e du moins sa memoire. La reprimande severe de M. le Procureur- General eut son effet; Piron s'efforca de se concilier l'estime des honnctes gens , en faisant oublier , par sa conduite , la coupable erreur d'un VIE D> ALEXIS Pi RON. if dun moment, a laquelleson cceur n'avoit point 1 ' eu de part. On l'aimoit, 8c c'etoit avec peine* qu'on le voyoit dans l'ina&ion 8>c sous le poids* de 1'infortunc. La nature l'avoit affiige d'ime vu# tres-foible & tres-basse : sans ce defaut , i! ain roit pu tirer un grand avantage dun petit ta- lent qu'il possedoit superieurement. Son ccriture etoit presque aufli belle que le burin j mais il se fatiguoit bcaucoup le corps &: les yeux en ecrivant : il fallut neanmoins faire usage de cette miserable ressource. Le hasard avoit conduit a Dijon un Financier fort riche : tout le monde s'empressa de lui parler en faveur de Pirom. Le Financier le prit en qualite de second Se- cretaire , & Piron lui fit le sacrifice de ses 4 talents & de sa liberie , pour 200 livres par an. II subit , sans murmurcr , sa triste destinee ; 6t sui- vlt le Financier dans une tournce , espcrant que, lorsque il seroit mieux connu , il en obtiendroit un meilleur traitement. Cette efpe ranee lui pa- roissoit d'autant mieux fondee > que ce Financier , du cote de la naissance &: de l'education , n'avoit rien de commun avec les Financiers dc ce temps -la. Au desir d'amasser des richesses, b 18 FIE D' ALEXIS PIRON. il joignoit le gout des Lettres , &: avoit de plus des pretentions an bel esprit : on l'a vu meme qnelquefois suspendre ses calculs lucratifs , pour descendre un moment sur l'arene, entrcr en lice & dispurer le prix : en un mot , il etoit Metromane. PiRON quil occupoit le plus sou- vent a copier ses vers , n'etoit ni assez bas flat- teur^ pour les trouver bons, ni meme allez po- litique, pour se taire. Quelques procedes peu con- venables lui firent voir qu'on etoit blesse de sa franchise , &: quil etoit temps de se retirer. Il le fit sans regret , &c rentra dans le sein de sa famille , avec un commencement d'experiente bicn propre a lui (aire comprendre , pourquoi les demi-talens, & meme l'ignorance , trouvent des prote&eurs en foulc , tandis que le vrai merire , le savoir modeste , &: les talens reels en manquent presque toujours. 11 en vit clai- rement la raison ; e'est qu'on ne protege pas cc qu'on n'a point, ce qu'on ne peut avoir, e\r ce qu'on ne connoit pas : ajoutons encore que l'ignorance 6V la mediocrite , plus accoutu- mees aux bassesscs , par consequent plus sou- ples cV moins dedicates sur les moyens de par- VIE D* ALEXIS PIRON. 19 venir , aflrontent aisement les obstacles &" ne font humiliees de rien ; au lieu qu'une noble fierte , naturelle a toute ame elevce , empeche l'hommc honnete d'avilir son talent , en I'offranc a 1 idole devant iaquelle il seroit contraint dc se courber , &: par consequent ecarte loin de lui les prote&eurs dont il auroit a rougir. Piron revint doac a Dijon, ou , malgre Textreme rigueur de son sort , il rapporta sa gaite toute entiere , &: continua , comme aupa- ravant j d'y mener tantot une vie studieuse & solitaire , 6V tantot agreable &c dissipee. Quel- que - temps apres son retour , en 1 7 1 5 , les Che- valiers de PArquebuse de Dijon , rendirent le prix d'usage, lui dit gravement le jeunc Beaunois : Ah ! Monsieur y v6^ondit 3 Piron, enlc rcmerciant , je croyois que cetoient les four her les < Ores te ; &C tout de suite cntra sc placer dans le parterre, A peine fut-il dans la falle., que tous les regards fe tournerent vers lui. Lafiemblec etoit nombreufe : on lui lanca millc brocards , qu'il 26 VIE D' ALEXIS PIRON. repoussa toujours avec sa supcriorite ordinaire. Enfin la toile se leve , &: le bruit ceflfe jusqu'au troisiemea&e : mais au moment ouScapin enfermc Geronte dans le sac , un petit makre , qui , fans doute , trouvoit cette scene attendrissante, apos- tropha tout-a-coup le parterre , qui etoit fort tranquilie , d'un paix-la _, palx Messieurs j on nentend pas ! ( Ce n'eft pas faute d'oreilles ) cria Pi ron ! mot cruel qui pensa faire ensanglanter la scene &: terminer la Comedie par la catas- trophe la plus tragique. A ce mot, il s'eleve un murmure confus : {'indignation eclate dans tons les yeux fixes fur Pi ron , on est pret a fondre sur lui : deja le petit Maitre transportc de fureur , alioit , suivi de beaucoup d'autres , s'elancer du theatre au milieu du parterre , l'epee a la main , lorfqu'un Genie bienfaisant retablit heureufement le calmc. Le Petit-Maitre remit son epce dans le fourreau , rcprit sa place , Scapin san role, &: Geronte, qui, par prudence &: a tout evenement , etoit sorci de son sac , y rentra ai grand coiiLcntement des Speclateurs. I A Piece finie, Pi a on jugea bien , qn'il FIE V ALEXIS PIRON. 2,7 n'y avoit de salut pour lui que dans la fuite. II n'attendit pas que la toile fut baissee : il s'emprefla de sortir , esperant se fauver a la faveur de la nnit. II sechappa done avec la vitesse d\\n homme qui fe fent poursuivi, 11 1'etoit en efiet , car dans 1'instant il fut atteint par une troupe de jeuncs gens lepee a la main : a'ors il redouble sa course &: fait bientot perdre la trace de ses pas. Com me il n'entend plus de bruit , il croit ses ennemis bien loin : il s'arrete nn moment pour respirer , &: sc felicite deja d'avoir echappe au pins grand danger, lorsque le voila de nouveau assailli } par cette jeunesse furieuse , prete a le percer de mille coups. Piron voit le peril qui le menace : fort & vigoureux il sou- tient le choc avec courage , rompt deux ou trois epces , mais accable par le nombre , il alloit infailliblcment succom'oer , si lc Maire de la ville, devant la maison duquel cctte fcene fe passoit , ne fut accouru a son secours, &c ne l'eut arrache des mains de ses ennemis. II lc retira chez lui , ou il passa le reste de la nuit ^ & sortit de Beaune aussi t6c qu'on e:i cut ouvert les portes. *8 VIE B 3 ALEXIS PIROfr. Ainsi se termina cette fameuse aventure , dont le heros se plaisoit , encore long - temps apres , a raconter, en riant, les details : aventure qui auroit pu neanmoins devenir funefte , si (a conduite &: ses mceurs eussent prete des armes a la vengeance. On fit encore des couplets contre lui ; mais comme il n'y a que des coups a gagner dans ce genre d'escrime, & que Piron devenoit de plus en plus a, charge a ses parents ; apres avoir , en vain , employe tous les moyens de sc passer d'enx, il refolutenfin de venir a Paris pour y tenter fortune. Il abandonna done , en 1719, avec le plus grand regret, les foyers paternels , &: se rendit a Paris ,sous les feuls auspices de la Providence , e'eft - a - dire , sans argent , ni credit. Avant que de quitter Dijon, M. de Berbisey, alors Premier President du Parlement , &: M. le Marquis de Montmain lui donnerent des lettres de recom- mandation pour difFerentcs personnes. Mais on scait , par experience , combien il eft rare que ccs sortes de recommandations produiscnt leur effet. Les lettres de M. de Montmain etoient FIE D' ALEXIS PIRON, 2^ adressees a ses deux beaux-freres , le Comte l &c le Chevalier de Belle-Isle. Piron se prescnta d'abord chez le Comte; la reception qu'il lui fit fut courte. A peine eut-il lu la lettre de son beau-frere , qu'il dit a Piron d'aller trouver le Chevalier , que , pour lui , ii n'avoit besoin de personne. Le Comte & lc Chevalier de Belle-Isle etoient alors occupes des projets de fortune &: d'elevation, que leurs talens, leur merite personnel & les circonstances reali- serent depuis, Le Comte & le Chevalier de Belle - Isle , mettoient a profit Fintervalle du repos que la paix laissoit a la France, tk chacun de son cote Fern- ployoit a s'instruire , soit dans l'art de la guerre , soit dans Tart de la politique. lis concertoient ensemble l'objet de leurs etudes, &: dans le silence i II est mort Due de Belle-Isle , Marechal de France 8c Ministre de la Guerre. II avoir eu un fils digne, par ses vertus, de la plus longue & de la plus brillanre carriere ; mais il fut moissonnd a la fleur de son age, ayant trop peu vecu pour lc bonheur das siens, mais sans doute asset pour sa gloirc. 3 o riE D' ALEXIS PIRON.' du cabinet, ils approfondissoient la science si difficile de connoitre les hommes ; science qui fait seule les habiles Ncgociateurs &: les excellent Ministres. En unmot, tons leurs travauxtendoient a se rendre utiles a leur Patrie , & a meriter par- la les honneurs 8c les dignites auxquels ils aspi- roieat. Le Chevalier de Belle-Isle, avoit rassemble une multitude de memoires Manuscrits, de projets, de negotiations , de traites , &rc. Piron se pre- sents chez lui, comrae ll commencoit a faire transcrire cette immense collection ; mais il ne put penetrer jusqu'a. lui. Le Chevalier , sans avoir egard a la lertre de Ion beau-rrere, qu'on lui remit , sans s'informer autrement de Piron 6c sans le voir , lui fit dire que son ecriture lui convenoit , ik qu'il lui payeroit Ton travail sur le pied de quarante io!s la journee. Qu'on juge de l'etonnement on plurot de l'abattcmcnc de Tame de Piron . a cette pro- position ! Neanmoins il l'accepta , piesse par la ncccsshc. Un valet dechambie le menu prendie VIE D' ALEXIS PIRON. 31 possession de son nouvel etat , le conduisic dans une espece de galletas, a peine lambrisse, &: l'installa vis-a-vis d'un de nos Cesars a quarre sols par jours. Cetoit un trcs - honncte Soldat aux Gardes - Francoises , qui ecrivoit assez passa- blementbien ,& auquel vingt sols que luidonnoic le Chevalier de Belle -Isle, ajoutes a sa paye ordinaire, faisoient un bien etre qui le rendoit heureux. Piron pour se consoler de son sort , se ressouvint sans doute en ce moment , qu'Apollon ctant exile de l'OIympe , fut force , tout Dieu qu'il etoit , de faire le metier de macon cbez Laomedon. II s'arma done de courage , &c se mit a. copier. On s'appercut aisement de la beaute de lecriture , & Ton remarqua , sur-tout , 1'in- tclligcnce &: la corre&ion du nouveau Copiste ; ce qui mettoit une grande difference entre lui & son Compagnon de Cabinet. Cela supposoit encore une education soignee & quelques etudes. Cependant on n'en fut pas plus curieux dc s'informer quel pouvoit etre cet ecrivain. On se contenta seulement de renvoyer le Soldat 3* FIE D> ALEXIS PI RON. aux Gardes, & de charger Piron de toute la besogne : on lui en donna meme pour l'oecuper au moins pendant dix ans. De i A six mois s'etoient ecoules , sans que Piron eut entendu parler encore du salaire d'un travail si rebutant & 11 triste pour nn homme de genie , qui s'y voit condamne. Cependant , ses besoins augmentoient &c son credit diminuoit. II refolut enfin de solliciter son payement, & fit demander a cet efret, au Chevalier, qu'il n'avoit pu voir encore , une audience qui lui fut refusee. Dcsespere de ce refus 3 il eut recours au Chien favori du Chevalier. 11 s'etoit attache a. Piron , de facon qu'il ne le quittoit presque pas de la journee. Piron imagina d'entourer le collier du Chien d'une piece de vers., dans l'esperance que le Chevalier jetteroit au moins les yeux dessus , & seroit , peut - etre , curieux d en connoitre l'Auteur. II fut encore trompe dans son attente : huit jours se passerentj sans que le fldele animal lui apportat la moindre nouvelle consolante. Alors reduit aux abois., presse de toutes parts, son hote lui rerusant & VIE D> ALEXIS PIRON. 33 & l'asyle &" la subsistance , Piron chargea de nouveau le Chien , son seul ami , d'une autre piece de vers, ou il peignoit si vivement sa detresse, que pour cette fois le moyen reussitj il fut paye. Croira-t-on que ni le Chevalier, ni son Secretaire nc soupconnerent Piron d'avoir fait ces vers ? II paroit du moins qu'ils n'y firenc aucune attention, puisquele Secretaire du Che- valier , en apportant a Piron son salaire , garda sur ces vers le plus profond silence. Piron ne chercha pas davantage a se faire connoitre; & vraisemblablement il cut ete toujonrs ignore, sans une occasion ou son secret lui cchappa tout naturellement. Le Secretaire du Chevalier de Belle- Isle, se croyoit Poete; & son coup d'essai n'etok pas moins qu'une Tragedie. Comme il etoit tres- empresse de la lire a quelques-uns de ses amis, il pria Piron de lui preter , pour une matinee , la chambre ou il travailloit , &: Tinvira meme a la le&ure de ce chef-d'eeuvre. L'Auteur n'y avoit appele que des gens qui ne se connois- soient gueres mieux en Pieces de Theatre, que c 34 VIE D> ALEX IS PIRON. tant d'autres qui s'arrogent tous les jours le droit de juger ,en dernier ressort, desouvrages d'esprit, &" dont les suffrages font eclore tant de reputa- tions ephemeres. Le seul auditeur qu'il eut a craindte , etoit Piron , & il ne s'en doutoit pas. Aussi se mit-il a lire avec la plus grande confiance. Des la premiere scene, Piron l'interrompit , pour lui en faire remarquer les defauts. L'Auteur , d'un air dedaigneux, fit iigne au critique de se taire , &: au moment meme ou cet Arret lui fut signific , il arrivoit de Lyon , presque mine , par un incendie considerable , dans lequel il avoit perdu tons scs diets. I/csperance de retablir ses affaires , fondce sur la recette que c iv 4o VIE D* ALEXIS PIRON. devoit lui prcduire la Foire de cette anneCj s'evanouit a la vue du fatal Arret. Cependant a force de sollicitations & de protection , on lui accorda , pour toute grace, tin seul Acteur parlant snr la scene. Cette grace n'en etoit point une , par la difficulte , l'impossibilite meme de trouver d'unepart un Auteur capable de composer une Piece raisonnable , en un seul monologue ; &" de l'autre, un Acteur qui put la jouer a lui seul. Les Anteurs attaches a ce Spe&acle , etoient principalement Le Sage, qu'on appelloit le Molicre de la Foire, Lafond , Autrcau , d'Orneval & Fu^e/ier.Deuxdcces Anteurs, Le Sage cV Fu-^elier, avoient prepare des Pieces pour l'ouverture de l'Opera Comique , mais instruits de la defense port.ee par TArret , ils avoient donne leurs Pieces aux Marionnettes. Francisque eut en vain reconrs a eux , dans ces circonftances : ils refuserent impitoyablement de travail ler pour son Theatre. Plus embarrasse que jamais j& ne sachant plus a qui s'adresser , il se rappelle qu'on lui a parle de Piron : il vole chez lui , se presente cV lui VIE D> ALEXIS PI RON. 41 dit : Je suis Francisque , Entrepreneur de l'Opera Comique : la Police me defend de faire paroitre plus d'un Ac"teur parlant sur la scenes M M. Le Sage 6V Fuzelier m'abandonnent; je suis mine , si vous ne venez a mon secours ; vous etes le seul homme qui puissiez me tirer d'affaires ; tcncz _, voila cent ecus , travaillez 6V comptez que ces cent ecus ne seront pas lcs seuls que vous recevrez . 11 dit 6V sans attendrede reponse , sort de la chambre, tire la porte 6V s'enfuit, laissant Piron dans une surprise aisee a concevoir. Com me l'Opera Comique etoit la seule ressource sur laquelle Piron avoit d'abord jete les yeux , il ne balanea pas a saisir l'occasion que le hasard lui prcsentoit. 11 commenca par mettre a part les cent ecus que Francisque lui avoit laisscs , ne voulant point en disposer , qu'il ne fiit certain de les avoir gagnes : ensuite revant un moment au sujet qu'il vouloit choifir , celui A'Arlequin Deucalion lui parnt propre a remplir exa&ement les conditions imposees par 1* Arret, 6V les vues de l'Entrcpreneur. La Piece 4 i VIE D* ALEXIS PIRON-. fut achevee en deux jours : les moments etoient precieux , & Francisque n'en avoit point a perdre. Le troisieme jour il vient savoir si Ton songe a lui : Tenez , lui dit Piron , voila la Piece &: votre argent. Si Touvrage eft bon, vous serez toujours a temps de me payer ; s'il est mauvais , jetez-le au feu . Francisque loin de le prendre au mot , le forca non-feulement de garder les cent ecus , mais en ajouta cent autres, &: le pria de venir sur le champ ,avec lui, distri- buer les roles. A ce trait de generosite , de justice meme 3 de la part d'un histrion , Piron renechit , en soupirant, sur le sort qu'il avoit ci-devant eprouve, &: vk bien que ce n'est pas toujours dcs gens riches , ou de cenx qui jouent les premiers roles dans le monde , que le merite doit attendre sa recompense &: sa consideration. II se livra done a Francisque , qui n'eut point a se repentir de son genereux procede. Arlequin Deucalion eut le plus grand succes, & fut cause que Piron consacra , pour un temps , ses travaux , a l'Opera Comique. Quelques-unes des Pieces qu'il donna VIE D> ALEXIS PIRON. 43 par la suite , eurent l'avantage d'etre embellies par plusieurs morceaux de musique de son illustre compatriote , Rameau , ce grand &: profond Musicien , auquel tons les efforts de ses detraclenrs injustes , le fol enthousiasme des Novateurs , &: leurs ridicules echos , ne pourront jamais arracher le sceptre de Tharmonie , ni ravir la gloire d'etre l'Orphee de notre siecle. Arlequin Deucalion contenoit nne critique ingenieuse & comique de toutes les nouveautes dramatiques & lyriques du jour. II falloit l'imagination riante &: feconde , & peut- etre meme tout le genie de Piron , pour jetcr tant de traits brillants & une variete si piquante , dans un sujet qui paroit en etre si peu susceptible , surtout traite en un seul monologue divise en trois acles. Comme Piron traversoit le theatre , a la fin de la premiere representation , la Marquise de Mimeure &la Marquise de Colandrel'appelerent, pour lui faire compliment sur le succes de sa piece j cVlui demander } en meme temps } comme certain 44 VIE D' ALEXIS PIRON. Cardinal al'Arioste , ou il avoit pris tant de folics* II alloit lcur repondre., lorsqu'il appercut par dessus la tete de cts deux Dames , un Auteur ele- vant subitement la sienne, &C qui 1'apostropha ainsi : Je me felicitc , Monsieur ., d'etre pour quelque chose dans votre chef-d'ceuvre . Vous, Monsieur? lui repondit Piron. Eh! quelle part s'il vous plait pouvez-vous y avoir ? Quelle part? =5 Qu'est-ce que ces deux vers T que vous faites dire a votre Arlequin , lorsque vous le faites >> tomber de dessus Pegaze ? Je l'ignore _, dk Piron ; je les possedois de reminiscence _, & crai- gnant d'en richer T Auteur ,avant de les employer, j'ai demande a tout venant d'ou ils etoient, a qui ils appartenoient, &* personneje vous jure, n'a pu me le dire , ni voulu se les approprier : je !cs ai hasardes commc deux inconnus. Scroient-ils mal- heureusement de vous? * c Quittons le sarcasme, Monsieur , interrompit l'Auteur en colcre , & dites-moi ce que je vous ai fait pour me tcur- ^__ , > I Oui , tous ces conquerans rassembles sur ce bord Soldats sous Alexandre, & Rois apressa rnort. Eryphile Tragedie de M. A. de V. Voyc^ tome 111. page 54 aull. Acted' Arlequin Deucalion. VIE D y ALEXIS PI RON. 4^ J? ner ainsi en ridicule ? Pas plus, reponditPiRON, que la Motte a l'Auteur du Bourbier \ A cette re- plique , l'Auteur baissa la tete 6V disparut en di- sant : Ah! je suis embourbi ! Cette leg ere vengeance de la partdePiRON, etoit une suite de ce qui lui etoit arrive chez la Marquise de Mimeure , 011 il etoit recu &: traite avec amitie j car son honnetete , ses mceurs sim- ples 6V douces , 6V son excellent caractere l'avoient fait admettre depuis long-temps dans la bonne compagnie , 6V d'ailieurs il avoit ete honore de l'amitie de feu M. le Marquis de Mimeure. Piron avoit coutume d'aller presque tous les matins au Bois de Boulogne ., pour y rever a son aise. Ses distractions l'entrainoient souvent dans les endroits les plus ecartes du bois ., 6V sa mau- vaise vue I'cmpechoit de reconnoitre son chemin, ensorte qu'il etoit quelquefois quatre on cinq heures du soir quand il le retrouvoit. C'est ce qui l'avoit engage, a prendre la precaution dc porter toujours avec lui un morceau de pain 6V un fiacon i i Piece satyrique , de M. A** ., conrre Lauioru-. 4 6 VIE D' ALEXIS PIRON. de vin , qui lui servoient de ressource , lorsqu'il lui arrivoit de s egarer. 'D l Un jour qu'il passoit devant 1'hotel de la Marquise de Mimeure , pour se rendre a sa pro- menade ordinaire j il voit qu'il est heure de pou- voir faire sa cour a la Marquise. 11 cntre : on Tan- nonce. Soyezlebien venu , lui dit la Marquise; vous desiriez depuis long-temps dc faire con- j5 noissance avec A * * : le hasard vous scrt a mer- veille ; il est ici ; entrez dans ma chambre , vous le trouverez aupres du feu qui m'attend . Piron y court tout joyeux, appercoit M. A** plonge jusqu'aux epaules dans un large fauteuil , les jambes ecartees , &: les talons poses sur 1'un &z l'autre chenet. Une legere inclination de tete fit les frais du salut qu'il rendit a Piron _, pour cinq ou six reverences de la part de celui - ci , qui ne laissa pas , quoiquun pcu humilie de cet accueil sauvage , de tirer un fauteuil &c de s'asseoir le plus pres qu'il put de la cheminee. Aprs un assez long silence, Piron qui avoit la plus grande envie d'entendre &: de faire cau- VIE D' ALEXIS P IRON. 47 ser M. A *"* pour l'admirer , rompit le silence le premier. Ilentama la conversation. A deux outrois reponses nonchalament & comme a regret pro- nonceeSjSuccede un nouveau silence rquelques pa- roles jetees aii hasard &: de loin en loin seule- ment : la conversation tombe enfin tout-a-fait. Piron veut en vain la ranimer par quelque trait interressant. Soin inutile : on ne lui repond rien : il ne peut tirer M. A* * de sa distraction ou de sa profonde taciturnite. Leur entretien commence a prendre alors toute la tournure de celui de Pa- nurge J avec l'Anglois. L'un tire sa montre j Tautre sa tabatiere : celui-ci prend les pincettes ; celui-la du tabac : Tun eternue , 1'autre se mouche : enfin Tun se met a bailler d'une si grande force , que Piron en alloit faire autant, lorsque M. A** tire de sa poche une croute de pain , &c la broie sous ses dents , avec un bruit si extraordinaire , qu'il etonne Piron , lequel sans perdre de temps, tire son flacon de vin & l'avale d'un trait. Loin d'ap- plaudir a cct heureux impromptu , &: de s'ecrier 1 Voyez (Euvres de Rabelais, tome II. Liv. II. Chap.XiX. Comment Panurge fait quinault l'Anglois qui arguoit par signes. 48 VIE D' ALEXIS PI RON. comme 1'Anglois ; Ecce plusquam Salomon hie ; M. A** s'en trouve offense., & ditd'un air sec a Piron : J'entendsj Monsieur, raillerie tout s> comme un autre ; & votre plaisanterie , si e'en est une, est tres-deplacee . Ce n'en est point line , Monsieur , repondit Piron 3 le pur hasard a part a tout ceci. M. A* * l'interrompit alors pour lui dire j qu'il sortoit d'une maladie , qui lui avoit laisse un besoin continue), de manger. Man- ge^j Monsieur j mange^ } repliqua Piron 3 vous fakes bien j & mol je sors de Bourgogne > avec un besoin continuel de boire , & je bois. M. A* * sourit_, se leva &: sortit. Piron demeure seul refiechit tout a son aise sur les caprices des grands hommes , qui mclent toujours a leur grandeur quelques petits grains de singularite. La Marquise de Mimeure vint inter- rompre ses reflexions. A** en sortant d'avec vous m'a demande j dit-elle , quel etoit ce grand fou d'ivrogne , que j'avois aupres de mon feu? Auriez- vous bu si matin ? Oui, Madame , repondit- il, tc- moin cette bouteille vuide , en lui montrant son flacon renverse. 11 lui raconta tout de suite la scene VIE D> ALEXIS PIRON. 4* sce'ne qui venoit de se passer. La Marquise s'en amusa, & fit remplirle flacon de Piron qui s'eti alia gaiement retrouver sa muse au Bois de Sou*- lognc Ce jour-la mcme , il s'egara dans le Bois , & n'en sortit qu'a quatre heures du soir, si las de sa. promenade , qu'il rut oblige" de se reposer sur ua banc tenant a un des piliers de la Porte de la Conference x . A peine est-il assis, que , de droite &c de gauche, il est salue par tous les passansqui en- troient & sortoient , a pied , a cheval ou en voi- ture. Piron d'oter son chapeau plus ou moins ba$> suivant la qualite apparente des personnes. Oh 1 oh ! disoit-il en lui-meme j je suis beaucoup plus connu que je ne le pensois ! Que M. A** n'est-il ici, pour etre temoin de la consideration dont je jouis dans ce moment , lui , devant Iequel je me suis presque prosterne ce matin , sans qu'il ait daigne autrement y repondre que par un leger mouvement de tete ! Pendant qu'il faisoit ccs re- 1 Cetce pone ecoit an bout du Quai de La tcrrasse de* Tuilei ies , & a eie donate depuis- d 50 FIE D' ALEXIS PIRON. flexions j le monde alloit & venoit a la fois, tant qua la fin l'exercice du chapeau devint tres-fati- guant pour Pi ron : il l'dta tout-a-fait , se con- tentant de s'incliner devant ceux qui le saluoient* Une vieille femme survient j qui se jette a ses genoux les mains jointes. Piron surpris & ne sachanr pas ce qu'elle veut , relevez-vous , lui dit- il y bonne femme > relevez-vous : vous me traitez en faiseur de poeme epique ou de tragedie ; vous vous trompez ; je n'ai pas encore cet honneur-la ; je n'ai fait parler jusqu'a present que des ma- rionnettes. Mais la vieille restant toujours a ge- noux , sans lecouter , Piron croit appercevoir qu'elle remue les levres &: qu'elle lui parle. 11 se baisse , s'approche & prete l'oreille. II enrend en effet qu'elle marmotte quelque chose entre ses dents: c'etoit xm.Ave qu'elle adressoit a une Image de laVierge,placeedirectement au-dessus du banc ou Piron ctoit assis. Alors il leve les yeux &c voit que c'est a cette Image que s'adressoient aussi tous les saluts qu'il avoit pris pour lui. Voila bien les Poe'tes , dit Piron en s'en allant : ils croyent que toute la terre les contemple , ou qu'elle est a leurs pieds, qnand on ne songe seulement pas s'ils existent ! VIE D* ALEXIS PIRON. yi Depuis la premiere entrevue de Piron avec M. A* * , celui-ci avoit rendu plusieurs visites a la Marquise de Mimeure > laquelle chaque fois qu'elle en trouvoit l'occasion , disoit du bien de Piron. M. A**,par un petit ressentiment du passe,l'ecou- toit impatiemment, feignoit de douter., &" s'echap- poit en propos peu flatteurs pour Pabsent , auquel ils etoient rendus dans toute leur candeur. Piron les prenoit toujours en riant. A la fin , il ne lui fut plus possible de s'en amuser. Un jour M. A** arrive chez la Marquise, d'un air triomphant , tenant a la main le scan- daleux chef-d'oeuvre dont Piron s'etoit rendu coupable, 8c qu'il croyoit enseveli depuis quinze ans dans l'oubli le plus profond. Dcs la porte de l'appartement de la Marquise, M. A** s'ecrie: Madame , voici du neuf : il y a bien un peu de gravelure , mais un bon esprit comme le votre < n'est pas a. cela pres . Et de suite , il se met a declamer la premiere strophe, continue hardiment la lecture de la seconde , malgre 1'etonncment de la Marquise qui lui ordonne en vain de se taire. 11 n'en fait rien : elle se bouche lcs oreilles , il dij ji VIE D 3 ALEXIS PIRON. eleve sa voix davantage ; elle appelle ses gens , il en rit , poursuit jusqu'a la fin,, gagne la porte , en disant a la Marquise : C'est pourtant Toii- vrage de cet innocent que vous appelez votrt grand benet . M. A** n'avoit pas fait encore trois pas dans la rue, qu'il rencontra Piron face a face. Ce- lui-ci charme de cette rencontre ,, lui dit qu'il vc- noit de chez lui , pour lui porter une Epitre en vers marotiques sur sa convalescence. Je la crois bonne, repondit M. A**" j car je n'ignore pas 55 ce que vous savez faire. Je viens dans le mo- ment meme d'enentretenir laMarquise: entrez- >5 y, vous serez bien recu . Piron entre en effet, & a peine 1'a-t-on annonce : Je songeois a vous faire fermer ma 55 porte , lui - dit la Marquise en le voyant .5. A moi , Madame ! Qu'ai - je done fait qui ait pu m'attirer vorre disgrace ? Une Ode abomi- 5 nable , que ce fou d'A * * , a qui je ne le 55 pardonnerai jamais, vient d'oser me reciter 55 toute entiere >. Ah le trakre 1 s'ecria Piron, riE D> ALEXIS PIRON yj frappant des mains &" courant cornme un furieux par la chambre .,. Ecoutez , reprit la Marquise d'un ton plus radouci , vous voila pour vous justifier : vous etes franc & naif: peut-etre cette > Ode n'est-elle pas de vous; A** est malin : je croirai ce que vous m'en direz ; car je me sens disposee , sur la connoissance que j'ai de vos deux caracleres , a croire que ce n'est j qu'une imposture . Dkes une mechancefe , Madame. Plut a Dieu que ce ne fut qu'une imposture : oui , je le voudrois pour toutes choses au monde : mais pour rien je ne voudrois vous avoir menu ! Ne me disgraciez - pas pour une premiere folie de ma jeunesse , helas ! bien cri- minelle. Je ne l'ai que trop expiee , &: par le desaveu que la peur & la honte m'arracherent devant notre Procureur-Gcneral, & par le repentir sincere que j'en conserve depuis quinze ans. En prononcant ces mots, il etoit si penetre , si emu, si tremblant que la Marquise en fut touchee. Asseyez-vous la, grand nigaud, lui dit-elle; dans le fonds,j'eii dois plus vouloir au de- 3? lateur , qu'au penitent. 11 est vrai , je l'avoue , qu'a votre air de simplicite , je ne vous aurois d ii; 54 VIE D' ALEXIS PIRON. jamais cru capable d'un pareil ecart , & il ne 3J me falloit pas moins que votre aveu pour me "desabuser . Piron acheva de se justifier pleinement , en racontant a la Marquise , ce qui avoit donne lieu a cette piece scandaleuse, qui faisoit & feroit toujours le tourment de sa vie. Piron ne disoit que trop vrai , comme on le verra par la suite : 6V si Monsieur A** s'en etoit servi, uniquement en plaisantant , & pour desabuser la Marquise sur la bonho- mie & la simplicite de Piron, des ennemis plus cruels en ont abuse pour le perdre de reputation. Mais n'anticipons point sur ce qui nous reste a dire de la vie de cet homrac celebre. Content du pardon qu'il venoit d'obtenir de la Marquise de Mimeure , 6V des temoignages de bonte dont elle l'honora dans cette circonstance, il reprit sa belle humeur , 6V parvint a eflacer 3 tans peine, les impressions facheuses qu'elle auroit pu conserver sur son compte. Il continua de travailler pour l'Opera Comi- VIE D } ALEXIS PIRON. yy que , &" si les lauriers que lui offroit cette car- riere etoient moins dignes d'etre cu eillis , il y trouvoit du moins de quoi satisfaire les besoins de la vie. 11 n'avoit point d'ailleurs cette bonne opinion de soi - meme , qui donne de l'audace aux sots. Sa modestie au contraire etoit si grande, quit fallnt toutes les sollicirations & les encou- ragemens de ses amis, & surtout du grand Crebillon , pour lui faire prendre un essor digne de son genie. Il abandonna done les jeux de Momus , pour parcourir une plus noble carriere ; mais ce ne fut pas sans crainte fk sans inquietude. La Come- die des Fils Ingrats, qu'il donna en i 7 1 $ , c\r dont il changea depuis le titre en celni de fEcole des Peres _, fut son premier essai sur la scene Francoise. Cette Piece qui est restee au Theatre , respire une excellente morale , & est remplie d'heureuses saillies & de vers dignes d'etre retenus. Le Public l'accueiltit favorable- ment 6c concut les plus grandes esperances des talens de l'Auteur. Le principal defaut qu'on ait a reprocher a d iv 5 6 FIE D 'ALEXIS PI RON. cette Comedie , est celui du Comiquc tarmoyant j defaut dans lequel Ie sujet a peut - etre entraine Piron malgre lui : & il esc eton nant qu'avec I'heureux naturel dont le cicl I'a- voit doue 3 il se soit si fort ecarte du veritable caraCtere de Thalie. 11 est vrai qu'il abjtira bientot cette erreur, car il ne cessa depuis de verser a pleines mains le ridicule sur un genre , tran- chons le mot, non-feulement insipide , mais degoutant , devenu la ressource de Fimpuis- sante mediocrite, &: l'aliment de l'admira- tion des sots : genre inconnu jusqu'a nos jours, entitlement oppose au ton de la bonne Comedie , &:qui ne doit etre regarde que comme une super- fetation du froid bcl- esprit qui domine en ce siccle. Piron, en 1750 _, fit paroitrc Callisthcnc , Tragedie. 11 y avoir long temps que le genie de Sophocle & d'Euripide avoir suivi Corneille 6z Racine au tombeau : le seul esprit de Senequc sembloit revivre parmi nous ; &: sous le nom d'esprit philosophique , il commencok a s'em- parer de la scene Francoise : plus occupe de VIE D'ALEXIS PIROTT. ft soi que des personnages qu'il avoit a peindre & a faire parler, il ne se laissoit prcsquc jamais perdre de vue \ c'etoit coujours son langage , &c non celui qu'ils devoient tenir, qu'il leur pretoit : a l'aide de quelquesfauxbrillans^lcherchoit a plaire a la multitude ; il I'accoutumoit insensiblement a ces tirades pompeuses , inuskees jusqu'alors- , ou l'Acteur , s'arretant a point nommc , semble dire ^ applaudissez : il y jetoit , au hasard , des maximes isolees , capables de surprendre par leur hardiesse , & en meme-temps de revolter par leur temcrite ; enfin la tragedie, qui n etoit plus qu'un melange bizarre de lieux communs de morale , de centons de poesie , &: de coups de theatre j avoit perdu le cara&ere de sa majes- tueuse simplicity Pi ron , nourri de la lecture des modeles de Tantiquite, 6V forme par l'etude qu'il en avoit faite^ne se laissa point entrainer par le torrent de la nouveaute. Envisageant la tragedie sous son vrai point de vue, il choisit un sujet simple ; mais le caradtere stoique de Callisthene , quoique ma- jestueux, a etoit pas fait pour inspirer la pitie ni Ja 58 FIE D'ALEXIS P I R O N. terreur : il ne pouvoit done emouvoir profon- dement Tame du spedtateur ; ainsi l'Auteur avoit manque son but. La piece n'eut qu'un mediocre succes. File rut retiree a la dixieme representa- tion. Neanmoins il faut convenir qu'il y a de grandes beautes dans cette Tragedie , & qu'elle est marquee au coin du genie. Pir on n'a jamais pu se departir de la preference qu'il lui donnoit sursesantrcs Pieces de theatre. Peut-etre trouve- rions-nous la raison de cette predilection , dans l'honnetete de son cceur reconnoissant & sen- sible. Pouvoit - il oublier qu'il devoit a cette- Tragedie le bonheur d'avoir connu M. le Comte de Llvry ? Elle fut en e.ffet l'heureuse epoque de Futile &: constante amitie dont l'honora,jusqu'a sa mort , ce digne & genercux bienfaiteur. Pique du jugement qu'on avoit porte de Callisthene , Piron s'm vengea gaiement , comme a son ordinaire, par une Piece char- mante , intitulee la Calotte du Public. Quoiqu'il cut garde l'anonyme, on lereconnutaisement,a ce tour d'esprit original qui lui etoit propre , a une foule d'epigrammes &: de traits plus vifs 6V plus VIE D'ALEXIS P IRON. 59 plaisans les uns que les autres , dont cette inno- cente satire etoit assaisonnee. Comme il s'en defendoit , dans un soupe avec ses amis , ils lu- rent cette Piece devant lui , en y melant mali- cieusement , des fautes grossieres , que Pirqn corrigeoit a mesure j avec un mouvement d'hu- meur qui deceloit trop bien l'amour propre afflige d'un Auteur, mouvement que saisit sur le champ Fun des convives, M. Colli , auquel Piron avoua qu'il etoit en eflfet l'Auteur de cette Calote. . . M. Colle l j plein de feu , d'csprit &: de gaite, fort jeune alors, content d'etre le favori d'Erato &: le Chantre des plaisirs , ne songeoit point encore aux lauriers qu'il a cueillis depuis, ni a la reputation qu'il s'est acquise dans la Re- publique des Lettres. Le hasard lui avoit fait Her la connoissance la plus intime avec Piron. 1 M. Colic , Lecteur de S. A. S. Mgr. Ic Due d'Orleans , Premier Priace du Sang. Dupuis & des Ronais, la Par tie de Chajfe de Henri IV, le Theatre de Societe , & plufleurs autres Pieces charmantes , lui ont afligne une place diflinguee parmi nos meilleurs Ecrivains, 6o VIE D'ALEX IS PIRON. Leurs cara&eres sympathisoient si bien, qu'ils nc se separoient gueres , lorsqu'il s'agissoit de quelque partie de plaisir. lis alloient souvenc cftner ensemble chez Gallet> Marchand spicier , le meilleur chansonnier que la France ait cu de- puis 1'origine du Vaudeville , jusqu'a sa destruc- tion, arrivee vers le milieu du siecle, sous 1c despotisme des Boufons d'ltalie. Gallet, qui savoit balancer son interet &" son plaisir , egalement ardent &: pour Tun &: pour Pautre , invitoit frequemment Piron & M. Colle, & ne manquoit jamais de leur associer quelques uns desCommercans avec ksquels il etoit en relation d'affaires. II y trouvoit son compte ; sqs confreres sortant de table , ani- mes par la bonne chere &" par la joie, riant encore des contes , des bons mots & des saillies de Piron , etoient moins difficiles, mieux dis- poses , & les negotiations s'entamoient ou se terminotent toujours a l'avantage de l'Amphi- trion. Piron s'appercutun jour de ce manege, &r avant que de se mettre a table, tirant M Colli a l'ecart, il lui die a l'oreilie : Mon clier ami , VIE D'ALEXIS P IRON. 61 >s je crois que cct homme-cl me prete sur gages >. Dapres cette idee , il monta si bien son imagi- nation , que le credit de GatUt haussa , en raison du plaisir qu'il avoit procure a ses convives. L'esprit & le genie sont de tomes les condi- tions : il suffit de les cultiver pour se distingner , & pour se mettre memeau-dessus de la profession, a laqueile souvent la neceffite , plutot que Ic gout & l'inclination , nous attache &: nous lie. Gallet , Marchand Epicier, etoit en meme-temps le nourrisson des Muses. A ce titre on l'avoit admis dans uneSociete de gens deLettres, dont etoientaussi Piron & M.Cb///.llsse rassembloient, deux fbis la semaine, a souper chez une Dame, belle autrefois , mais qui n'ayant plus d'autre role a jouer dans le monde, que celui de devote ou de bel esprit, avoit prefere ce dernier, com me plus amusant. Un jour que Pi RON , Gullet & M. Colli s'etoient fait attendre pour souper , on se mit a table , plus tard qu'a Tordinaire , &: avec ua plus grand appetit. Tout annoncoit la presence du plaisir j &: tout invitoit a s'y livrer sans con trainee. La gaiie s'empara des Convives , 6i r IE D'ALEXIS PIRON. des le premier service : la chere etoit delicate & fine j les vins excellens , de toute espece. L'Hotesse , qui avoit reellement de Tesprit 3 faisoit les honneurs du repas , avec des graces , qui ajontoient encore a ses attentions - y & ses yeux sembloient reprendre lenr empire par mille propos aimables qu ils inspiroient. Jamais Piron ne flit plus brillanc , plus varie , plus fertile en bons mots : c'etoient des eclairs continus , en- tremeles des joyeux couplets , & des impromptus de Gallet & de M. Colli , qui s'attaquoient & se repondoient alternativement. Pour intermede, un Champagne mousseux &: frais petilloit dans les verres , remplis aussitot que sables , faisoit oublier l'heure , &c ranimoit a chaque instant le plaisir &c la joie. La nuit etoit deja fort avancee , 6c Ton ne songeoit pas encore a sortir de table. Enfin , on se lcve &: Ton se separe , en se faisant les plus tendres adieux , avec promesse de renouvcller souvent cettc joyeuse orgic. Les trois amis sortirent ensemble. Quand ils furent au coin de la rue de Harlay , sur le quai des Orfevres , Piron voulant FIE D'ALEXIS P I R N. 6$ congedier ses deux Compagnons , s'arrete tout-a- coup , &: leur montre le chemin qu'ils doivent prendre, pourgagner le quartier Saint-Eustache, ou ils logeoient , &: se dispose a s'en aller seul dans le Fauxbourg Saint-Germain , ou il de- meuroit. Loin d'y consentir , Gallet & M. Colli s'obstinent a ne le point quitter, & veulent le reconduire malgre lui : grand debat des plus comiques , de part & d'autre ; ils lui repre- sentent tous les dangers auxquels il s'expose , lui racontent mille histoires de voleurs , cher- chent a l'intimider , lui rappellent l'heure qu'il est , lui font remarquer la profonde obscurite de la nuit : vaines representations, il persiste sous divers pretextes , a s'en aller seul. Il leur donne , sur-tout pour raison , qu'il a dans la tete , une piece de vers qu'il veut composer en chemin. Nouvelles instances de la part des deux amis. Songe done , mon cher Piron , lui dirent - ils, avec une effusion de cceur , que le vin rendoit encore plus tendre : Songe done, > que tu as un habit de velours tout neufj qu'au premier coin de rue , le premier voleur h qui te rencontrera , trompe par l'apparence , 4 VIE D % ALEX IS PIRON. m en te voyant si bien vetu , te prendra pour w un Financier , t'attaquera , & te tuera pour avoir ton argent &: ton habit. Quelle douleur d'apprendre demain matin que .... i Ah ! Messieurs , interrompit brusquement Piron , c'etoit mon habit que vous vouliez reconduire ! Que ne te disiez-vous plutot ? Tenez le voila : quand les voleurs me verront en chemise, ils ne m'attaqueront plus. En un clin d'oeil l'habit est a bas , tombe aux pieds de Gallet & de M. Colle , & Piron part comme un eclair. Apres un instant de surprise , ils ramassent l'ha- bit , se mettent a courir apres Piron , lui criant qu'il va s'enrhumer : mais le temps qu'ils avoient perdu a s'etonner , Piron l'avoit employe a gagner le bout du Quai. II revenoit meme sur ses pas , escorte d'nne escouade de Guet , qui voyant un homme en chemise , courant a toutes jambes , l'avoit interroge , 6V sur ses respon- ses , le crut effe&ivement depouille par dcs voleurs. L'escouade en fut con^aincne dans l'instant meme , a la rencontre de deux hommes courans avcc VIE D> ALEXIS PIRON. rfy avec tin habit qirils cmportoient. On les en- toure : on demande a Piron, si ce ne sont pas la les voleurs qui Tone depouille. Oui , repondit-il. Aussitot on reprend l'habit, qu'on ltd rend , &: Ton arrcte Galht &: M. Colli. Gallet , auquel , une nuit passee an Chatelet , pouvoit faire grand tort dans son commerce , ne se soucioit point de suivre i'aventnre jusqu'au bout -, il veut ex- pliquer le fait : mais la Garde est sourde , & lui dit de marcher. 11 resiste j on lui presente les menotres : cctte offre lui fit prendre son parti 5 il marcha. Quant a M, Colic, le Guet lui ayant demande son epee j il la remit entre les mains de l'Officier , avec la meme fierre , &: en prononcant les memes paroles que le Com re d' Essex } dans la Tragedie , lorsqu'il remet la sienne. Aussitot on les conduit chez le Com- missaire. Piron , en pleine liberie , marchoit a la tete dc l'cscouade -, a cote du Sergent , qu'il question- noit comiquement , en chemin , sur le sort des deux voleurs i &: le Sergent lui repondoit tres-sericu- sement : Us seront pendus 3 s'il ne leur arrive pas e 66 VIE D'ALEXIS PIRON'. pis. Cependant voyant qu'il etoit temps de nc pas pousser plus loin l'aventure , Piron vouluc changer de ton , 6V persuader , tant au Sergent qu'a l'escouade , que ces deux Messieurs etoient jes amis , qu'ils venoient de souper ensemble , 6V que c'etoient de tres-honnetes gens. Le Guet n'en veut rien croire : Piron se fache, 6V se met en devoir de faire relacher les deux prison- niers. Maintenant que vous avez votre habit, lui dit-on , ce sont d'honnetes gens . & vos amis : vous voulez sauver des voleurs : patience ; vous allez voir que M. le Commissaire va envoyer vos amis en prison. Comme ce colloque finis- soit , on arrive a la porte du Commissaire , qui etoit couchc , mais son Clerc nc Tetoit pas encore. Qu'on se figure, en presence de ce Clerc, nos trois personnagcs , dispos , gail lards , aimant a rire , sortant de faire bonne chcre , & ayant la tete un peu echaufFee \ on aura l'idce de la scene qui se passa. D'abord le Sergent com- mence son rapport \ mais il est si plaisamment intcrrompu , 6V a tant de fois , par Piron , VIE D' ALEXIS PIRON. 67 tquMl ne pcut l'achever. Alors Piron prenant la parole , fak un reeic fidele & succint du pre- tendu delit. Malheureitsement le Clerc , diffi- cile a persuader , traite l'histoire de mensonge, cV THistorien d'imposteur , prend sa plume , or- donne qu'on reponde , &: qu'il va dresser Proces- Verbal. Tout comme il vous plaira , dit Piron > depechez - vous , je vous aiderai a w le mettre en vers , si vous voulez. Parler de vers a ce Clerc , c'etoit lui parler Hebreu ; aussi repliqua-t- il : Pas tant de verbiage; procedonsj & commencons par vous : Voire nom ? Et le votre ? Ahvous plaisantei la Justice ! Je ne plaisante point ia Justice, poursuit Piron ; mais je vous trouve plaisant de vouloir savoir mon nom , avant que je sache le votre ! Le Clerc , dont Tesprit n ecoic pas des plus delies , traite le propos de rebellion a Justice, &: menace Piron de i'envoyer en prison: a la fin, Piron se nomme. Le Clerc continue de l'interroger , & lui demande : Quel est votre etat? Que faites-vous ? Des vers. Quest" ce que des vers ? Vous mocque^-vous encore de moi? Je ne me mocque point } je fais des vers , 8c eij 68 FIE D'JLEXIS PIRON. pour vous le prouver, j'cn vais faire, tout-a- l'heurc , sur vous , pour ou contre , a vorre choix. Je vous ai deja dit que je nentendois rien a tout ce verbiage , & Jivous me pousse^ a bout , vous pourre^ bien vous en repentir. Le Clerc ayant cessc d'interroger Piron., cntreprit Ga.Uet , auquel ii fit egalement declincr son nom. Puis elevant la voix : Quelle est votre profession ? Que fa'aes - vous ? Des chansons , Monsieur , lui repond modestement Gullet Oh ! pour le coup je vols quilfaut necessairement eveiller M.le Commissaire. Nc troublez point, Monsieur, le repos de M. le Commissaire , fepartit res- pectueusement Gullet ; laissez-le dormir : vous tes si fort eveille, que vous valez, a vous seul , sans compliment , un Commissaire , deux Com- missaires , trois Commissaires ensemble. Au restc, rien n'est plus vrai , je fais des chansons _, 6\r vous devez meme,si vous avcz du gout, savoir, par cceur , la derniere, qu'on chante depuis un mois dans les rues , dont void le refrain ;, 3c tout de suite Gal let chante : VIE D> ALEXIS PI ROW. 6? Daphnis m'aimoit, Le difolt , Si joliment, Qu'il me plaifoit Infiniracnt Volts* voyez, ajouta-t-il , que jc nc vous en impose point : je suis reellcment Chansonnier , & de plus ( en faisant au Clerc une profonde reve- rence; Marchand Epicier, en gros, pour vous servir , rue de la Truanderie. ApcmcGallet eut-il cesse de parler, que M. Colli , saisissant la parole , pour nc pas donne* le temps au Clerc de I'interroger. Je vais , lui dit-il, vous eviter la peine de me raire des questions : je m'appelle Charles Colli; je de- >> meure rue du Jour , Paroisse Saint-Eustache j ma profession est de nc rien faire, dont ma famille enrage : mais lorsque Ics couplets de Monsieur sont bons , je les chante . Aussitct M. Colli se met a chanter : e nj jo VIU D* J LEX IS PIROfc Avoir dans fa cave profonde , Vins excellens, en cjuantite j Faire I'amour , boirc a la ronde , Eft la leule felicice. II n'eft point de vrais biens au monde r Sans vin s fans amour , fans gaite. Puis, en montrant Piron : & quand Morv sicur fait de bons vers , je les declame. Et soudaio il declame avee emphase ; J'aitout die 5 tout, Seigneur j cefa doitvous fuffirc. Qu'on me mene a la mort , je n'ai plus lien a dire. En achevant ces mots, M. Colli s'avance, en heros , vers la Garde , qui rioit , a gorge deployee, de ce burlesque interrogatoire. Le Clerc seul , loin de rire , palissant de colere , devient furieux, se leve, & court eveiller le Commissaire. Piron lui cne,d\in ton railleur : Eh! Monsieur _> ne nous perde% pas _, nous sommes des enfans de fam'dle ! Le Commissaire etoit si profondement endormi, qu'on eut toutes les peines du noonde a le tirer de son lit Pendant qu'on l'attendoit ., la scene FIE D' ALEXIS PIRON. 71 avoit change de lieu, &rsepassoit dans la conr. Piron , le principal heros de la piece , soutenoit merveilleusement son caradtere, &c ne laissoic point refroidir l'a&ion.Il y jetoit s a toute minute , finteretleplus vif &: le plus piquant. Les voisins,. depuis le haut de la maison jusqu'en bas , etoient a leurs fenetres > une lumiere a la main, & fai- soient, avec les gens du Guet, retentir fair de si grands eclats de rire, que ce bruit, mieux que les efforts du Clerc , reveilla le Commissaire. li descend, tout cbancelant, baillant encore & se frottant les yeux. Sa maison illuminee du haut en bas 5 sa cour remplie de monde, les rires immoderes des voisins, hommes , femmes , enfans & domestiques, tous en chemise x ; la Garde pres- que pamee , &" se tenant les cotes a force de rire *, nos trois Adeurs au milieu, debout, dont Tun parlant, avec une admirable volubilite, &: les deux autres Tecoutant , dans des attitudes grotes- ques &: comiquement serieusesj tout cela lui paroit un songe; il ne sait ou il est, se frotte de nouveau les yeux , les ouvre de toute leur iCctte scene se passoit vats la. fin du mois de Mars en 1 73 ij c iv 72, FIE & ALEXIS PIRON. grandeur , promcne ses regards incertains a droite , a gauche, de tons les cotes, bailie pour la derniere fois } & se reveille enfin tout-a-fait. Ouf; voi'a bien du bruit! Qu'est-ce que tout 11 ceci ? Voyons . Alors s'adressant a PiroN: 11 Qui etes-vous? votre nom ? Piron : "" Quel est votre ecat? Poete. Poete ! Oui, Monsieur., Poete.Eh! ou vivez-vousdonc pour ne pas connoitre le Poete Piron ? Je le passois a votre Clerc. Quelle idee aurai-je de vous, d'ignorer mon ctat quand je me nomme? Oui, Monsieur, rnon etat est d'etre Poete , ctat le plus grand, le plus noble , le plus sublime que les hommes puissent embrasser , quand e'est du genie qu lis le tiennent ! Quelle honte pour un Officier public, de ne pas connoitre le Poete Piron, Auteur des Fils Ingrats , applaud is , si justement , de tout Paris ; de Callisthene , qu'il a si injustement siiHc , comme je viens de le prouver au public , par des vers qui valent une demonstration ? . . . Piron auroit pousse plus loin cette vehemente tirade , si le Commissaire i avec une sortc de vivacite , assez plaisantc , ne 1'eiit interrompu , en lui disant : Que park?- vous dc Pieces dc VIE D' ALEXIS PIRON. 73 Theatre f Save^-vous que Lafosse est mon frere , quil en a fait d'excellemes 3 & quil est V Auteur de la belle Tragedie de Manliusf Comment la trouve^-vous? Hem? Oh ! mon frere est un homme de beaucoup a" esprit ! Je lecrois, Monsieur, car lemienn'estqu'une... bete , quoiquo Pretre de l'Oratoire , &: que je fosse des Tragedies, repond Piron, avec une sorte d'enthousiasme risible, &: se dormant en meme - temps des louanges outrces. Ce trait , assez vif, ik tres- cavalierement exprime , ne facha point le Commissure Lafosse, qui le prit en galant homme. A la contenance des Acleurs, a la gaite de leurs propos, il ne fut pas long- temps a percer le mystere de toute cette aven- ture. 11 se la fit raconter par Piron, & s'en amusa beaucoup. Aprcs quoi il renvoya ces Mes- sieurs,* en leur faisant la poJitesse de les prier de venir chez lui le samedi suivant , diner & manger, des huitres. Ah! mes amis, dit Piron, en sortant dc la maison du Commissaire : Rienne manque plus a ma g loir e , fai fait rire le Cuet. La nouvelle de cettc joyer.se nuit se rcpandit bicntotpar toute la villc. Le Commbsaire Lafosse 74 VIE D' A LEXIS P IRON. en fit , Ie lendemain , son rapport a M. Eerault y alors Lieutenant de Police. Ce Magistrat connois- soit beaucoup PiRON,avec lequel il avoit dine qnelques jours auparavant, Il le manda , pour savoir jusqu'aux plus petites particularites de l'histoire, & voulut en divertir sa famille. Piron se rendit aux ordres de M. Herault , lequel , afFec- tant un air grave & severe, en le voyant paroi- tre , le traitad'abord de Tapageur, &: lui ordonna de rendre compte de sa conduite , & du bruit qu il avoir fait la nuit precedente. Piron ne se demonta pas. Sa mauvaise vue Fempeeha dc reconnoitre lespersonnes qui etoient dans le cabi- net , & s'irnaginant etre devant un Juge affis dans son tribunal , il commenca 6V poursuivit si comi- quement son recit jusqu'a la fin, que la gra~ vite de ses Auditeurs se dementit, de maniere qu'un eclat de rire general se fit entendre; & M. Herault, apres avoir ri tout a son aise,dit: C 'est fort bun, mon cher PiRON ; mais convene^ que vous meriterie^ une Bonne calotte pour cette folie ? Eh , qui seroit assez hardi , Monsieur y v rcpliqua Piron , de m'en donner une ; quand votre chapeau m'en tient lieu? EfFe&ivement VIE D y ALEXIS PIRON. 75- il presenta , dans le moment meme , le chapean de M. Herauli , qu'il avoit pris , par megarde , pour le sien , le jour qu'il avoit eu l'honneur de diner avec ce Magistrate C'est ainsi que toutofFroit egalement a Piron l'occasion de deployer son extreme gaite : gaite franche & naturelle , doux bienfait de la Provi- dence , avec lequel il supportoit les rigueurs du sort, & vivoit content de son travail, & du produit de ses Pieces de Theatre. 11 eiic reussi , peut-etre , a rendre par la suite, ce produit plus utile pour lui , & meme pour ses confreres, s'il eut voulu suivre , a l'occasion dc Callisthene , les conseils de la Motte 6V de M. de Voltaire.Tout le nionde sait la modicite du prix qu'on met aux veilles d'un Pocte Dramatique , meme le plus accredite : Brutus &: Ines devoient suivre im- meJiatement Callisthene. Les celebres Auteurs de ces deux Tragedies, mcirmuroient depuis long- temps , commc bien d'autres , de Tinegalite d'un partagCj ou le profit demeuroit entierement aux Comediens. M. de. Voltaire , que son admira- ble &: prodigieuse recondite rendoit plus interesse 7 6 VIE D> ALEXIS PIROX. qu'aucun autre , a faire cesser l'injustice , ne voulut pas , neanmoins , hasarder la premiere ten- tative. 11 invita, par ecrit, Piron a se trouvcr chez M. de la Motte. Pi RON s'y rendit. M. de Voltaire lui fit part dc son projet } qu'il lui de- tailla , & apres l'avoir instruit de la conduite qu'il devoit tenir avec les Comcdiens > le sollicita dc nc point leur livrer sa Tragedie de Callisthene , qu'il nc les eut forces a prendre des arrangemens plus convenables aux intcrets des Gens de Lettres. 11 mit beaucoup de chaleur , ainsi que la Motte 3 dans les raisons qu'ils allcguerent, pour lui per- suader que e'etoit a lui a entamer cette affaire. Piron les ecouta froidement tousdeux , (k parnt etonne qu'on l'eut choisi pour faire cette demar- che, lui qui n'avoit encore qu'une repuration naissante j tandis que la Motte , & M. de Voltaire sur-tout , comme seul possesseur de la Scene Tragi- que, pouvoit parler en maitre & donner la loi. II declaradonc formellement, qu'il ne se chargeroit point dc cette proposition. M. de Voltaire insista vainement,en Iuidisant qu'il ne devoit pas negliger ainsi son propre a vantage; car , ajouta-t-il, vous notes pas ricks, man pauvrc PlRON, Cela est vrai FIE & ALEXIS PIRON. 77 repliqua Piron , mais je m'en c'est comme si je l'etois.Sur quoi il prit conge de ces Mes- sieurs, en vrai Poete, plus avide de gloire que d'argent. Il etoit lie alors avec une Societe de gens de Lettres , qui se reunissoient regulierement , toutes les semaines , pour souper , a frais communs , chez Landel, Traiteur, rue de Bussy : le Caveau etoit le nom qu'ils avoient donne au lieu de leur assemblee. On peut se former une juste idee de ce lieu , d'apres Fagreable description qu'en a faite, comme temoin, M.Saurin, aujourd'hui de I'Academie Francoise j dans sa charmante pitre a M. CollL La , s'etoit forme une espece d'Areopage , que le haut rang quoccupoient, dans la Republiquc dcs Lettres , la plupart de ceux qui le compo- nent, rendit bientot celebre. Quelques Ama- teurs y etoient admisj mais Fentree n'en etoit pas accordee , indistindement, a tout le monde. Elle etoit principalement interdite aux talens vains/anx, orgueilleux & jaloux. Comme on ny elevoit point 78 FIE D* ALEXIS PIROK. d'idole, le peu d'encens qu'on y bruloit etoit toujours pur. La louange y etoit aussi severe que la critique : on y lisoit ses Ouvrages , non avec l'emphatique impudence de l'orgeuil , mais avec le ton de la modestie & de la mefiance de soi- mane: on vous ecoutoit sans prevention, ck Ton vous jugeoit sans partialite : malheur au mauvais Ouvrage soumis a la censure de ce tribunal! L'appui dcs femmes , quelque puissant qu'il soit , devenoit inutile , & le zele enthou- siaste des Proneurs gages , interesses ou pre- venus , n'en imposoit point : on ne laissoit aucun repos a l'Auteur , qu'il n'eut ., ou tout-a fait condamne lui meme son Ouvrage a l'oubli , ou qu'il ne I'eut rendu digne de voir le jour , par les corre&ions indiquees nccessaires. 11 failoit que l'amour-propre le plus fier, se tut, & pour peu qu'il osat se revolter , il etoit aussi tot assailli , confondu par une grele d'Epigrammes , plus vives les unes que les autres. Au reste, I'amitie si severe dans l'interietir de cetAreopage, deployoit, au dehors , toute sa sensibilite, a la nouvelle d'un succcs merite. Avec quelle joie il etoit partage ! VIE D' ALEXIS PIRON. 7? De quels eloges on accompagnoit ceux du public I Avec quel interet , quelle chaleur on repoussoit les critiques injustes ? Quels soins on apportoit a excuser,& non a soutenir les defauts qu'il eft quelquefois impossible j a un Auteur ^ d'eviter i En un mot,il ne s'agissok plus dejuger, d'cclairer son ami , son rival , son concurrent \ il s'agissoit dele soutenir, de l'encourager 3 de le defendre, &: de Tapplaudir avec le public. Tel etoit l'esprit de cette Societe , ou regnoient une gaite , une fran- chise, une bon-hommie meme, dont on ne trou- vera point d'exemple ailleurs. C'est-la que Tillustre Auteur de Rhadamistt &" Zenobie *, que son fils , le Petrone du siecle 2 j que le Peintre de l'Amour &: des Graces ? , que rmuie de Quinault 4 , le Chantre ingenieux &c charmant de Ververt * , l'Anacreon de nos jours 6 , &: une infinite d'autres gens de Lettres distingues , entouroient Piron, l'animoient , faisoient 1 De Crebillon , le Trngique. x M Crebillon , le filj. 3 M. Bernard. 4 La Br.uere. 5 M. Gres;et. i M. Colic. go VIE D' ALEXIS PI RON. cclore de son imagination , cette foule de bons mots, ces sailljes pleines de feu, qu'on ne se lassoit point d'entendre. Cest la , que docile a la critique de ses egaux , il ne rougissoit point d'avouer qu'il en profitoit. 11 dut en eflfet plusieurs de ses succes, aux avis qu'on lui donna. Combien d'autres que lui y trouvoient le meme avan- tage? Lanoue &: la Bruere y lurent, l'un sa Tra~ gedie de Mahomet II , l'autre son Opera de Dardanus; & les changemens qu'on leur indiqua, assurerent le succes des deux Pieces. N'imaginons pas , neanmoins , qu'on mit un appareil pedantesque on de l'importance, dans tout ce qui se passoit ou se disoit au Caveau. Le ton dominant de cette Societe, ctoit une gaiete vive & piquante. Tout ce qui inter- rompoit, mal-a-propos, cette gaiete, etoit puni du ridicule. Parloit-on trop long-temps de soi , s'avisoit-on de disscrter du ton d'un bel- esprit, ou d'entamer un conte languissant & sans scl : on appcloit aussi - tot le garcon Traiteur, auquel on versoit razade, pour boirc a la sante du fat, du bel esprit, ou du content" ennuyeux$ & cctic VIE D> ALEXIS PIRON. %\ sante portee , terminoit la louange , la disserta- tion &: le conte. Comme il n'y avoit point & d'Amphitrion auquel il fallut plaire , on ne s'ef- rorcoit point d'avoir de l'esprit ou de faire parade de science ; un trait , une saillie , une verite naive , etoient mille fois mieux accueillies, que toutes les pensees philosophiquement alam- biquees , on exprimees en jargon emphatique. La critique etoit, a la verite, severe, mais enjouee. Le plaisir & la liberte etoient les Divinites Tute- laires du Caveau. On y celebroit , sans exces , &r Comus &: le Dieu du vin. S'e!evoit-il , par hasard , quelque dispute, ce qui arrivoit tres-rarement : elles etoient appaisees aussi-tot , par les accens les plus harmonieux , Jelyote l chantoit ; & le calmc renaissoit a sa voix. Les talens , l'esprit , les autres agremens natu- relsou acquis , qui pouvoient faire illusion ailleurs, ne suffisoient pas pour etre admis ou conserve i M. Jelyote, qui joint a son art enchantcur, un savoir agrcable, des connoissances utiles & beaUcoup (l'esprit ? faiidic *m ds piincipaux agremens de cette Societe. f Si VIE D> ALEXIS PIROK dans cette Societe ; il falloit y joindre encore une reputation sans tache , Sc se comporter d'une maniere a ne pas s'exposer a la perdre. La moindre action mal honnete, en excluoit pour toujours. Un des Associes en fit la triste epreuve. Convaincu d'avoir prete a usure \ il recut un billet concu en ces termes : Monsieur *** est prie de diner , tous les Dimanches , par-tout j) ailleurs quau Caveau . M. de Crebillon , le fils, fut 1'jnventeur de cette singuliere invitation. On continua de s'assembler comrae a 1'ordi- naire : mais le Caveau , devenu trop fameux 4 ayant excite la curiositc de la ville & de la Cour , ne subsista gueres que jusqu'a la fin de 1739. Quelques Seigneurs de la Cour vou- lant s'amuser , formerent un jour la partie d'y venir. lis arriverent comrae on etoit a table. La Societe les invita d'y prendre place. Mais par hauteur, ils refuscrent de s'asseoir; &r a leur attitude & leur contenance, ils sembloient dire: aHonSj commence^ _, diver tisse^-nous. Leur dedain fut puni par le silence le plus absolu j &: ils se virent forces de s'en aller, sans avoir joui de la FIE D'ALEXIS PIRON. 8$ satisfa&ion qu'ils s'etoient promise. lis devoient pourtant bien penser que chaque membre du Caveau etoit plutot fait pour rire des sots, que pour les faire rire. Le desagrement qu'on venoit d'essuyer , deplut si fort , que la Societe cessa de se reunir , &: des ce moment le Caveau rut detruit pour toujours. Tant que subsista ce joyeux Comite, ou Ton faisoit , a table , & en riant ., la guerre aux sots ecrits , il fut utile a Piron , qui loin de se decou- rager du peu de succes de Callisthene, fit de nou- veaux efforts pour la Scene Tragique. L'heureuse simplicite du snjet , comme nous Tavons remar- que plus haut, ne suflit pas pour reussir; il faut encore que l'objet en soit int6ressant. Mais Piron , toujours persuade que cette simplicite seule avoit nui a sa Piece , en imagina nne plus compliquee , & ou il cut l'art de reunir , a la fois , sans trop blesser les vraisemblances , les coups de Theatre les plus imprevus , &: les situations les plus interessantes. Il deploya done, dans Custave , routes les fij 84 FIE D' ALEX IS PI RON. ressonrces de son genie ; 6V prit, des-lors, si place parmi les meilleurs Poetes Tragiques. En vain la critique voudroit-t-elle la lui disputer , 6V lui enlever le merite de la poesie de style : si les noms durs de Stockolm , de Dannemarck , de Christian , de Rodolphe, necessairement rappro- ches les uns des autres , dans les cinq ou six pre- miers vers de la premiere scene , frappent desa- greablement une oreille delicate > par combien de beaux vers , 6V de scenes ecrites avec la plus grande purete, jointe a la plus grande force, ces taches legeres nc sont-elles pas effacees, sans parler encore de l'interet vif 6V touchant des situa- tions ? merite seul capable de faire disparoitre des defauts beaucoup plus essentiels que ceux de la prosodie. Potir etre autorise a raire un pareil reproche a Pi R on, il falloit avoir autant de genie que lui , ecrire mieux en verSj ou ne pas se hasarder a lutter , avec des armes inegales , contre un Rival redontable , 6V dont le triomphe etoit assure. Au reste,PjRON a etc bien venge de son vivant, 6V Test encore apres sa mort, par les applaudissemens que sa Tragcdie de Gustave recoit , routes les fois quelle reparoit sur la VIE B y ALEX IS PIRON. 8y Scene, & qu'elle y recevra toujours, tant que le vrai ton de la Tragedie regnera sur le Theatre Francois. Quoi qu'il en soit, notre Poete berna ses Critiques , & a sa man ere , les terrassa , avec les armes legeres de rEpigramme.Glorieux des suffra- ges constans du public impartial , il saisit cettc occasion de rendre ce meme public , le confident &: Je depositaire, de la reconnoissance eternellc qu'il consacroit a son illiistre bienfaiteur , en dediant, sa Tragedie de Gustave , a M. le Comtc de Livry. 11 ne se contenta pas meme de cette premiere dedicace : son ccenr s'epancha de nou- veau, long- temps, aprcs la mort de cet homme bienfaisant , dans une Epure a sa Memoire , qu'il mit a la tete de cette Tragedie, lorsqu'il publia une partie de ses Ouvrages, en 1758. Cette pitre, pleine de feu &; de sentiment, montre quels ctoient l'esprit & l'amc de Piron, & combien il ctoit dignc d'etre aime. M. LEComte de livry, qui se I'etoit p-artictt- f iij $6 VIE D'ALEXIS PIRON, Herement attache , par des bienfaits , avoit voulu que Piron choisit tin appartement dans son chateau de Livry , &: avoit ordonne qu'on lui obeit , &: qu'on le regardat comme le maitre du chateau. La premiere fois qu'il prit possession de cet appartement, ne voulanr. pas manger seul, fte cherchant a egayer son repas, Piron engagea la Concierge, Janseniste outree, a lui tenir com- pagnie a table. On imagine ailment quel devoit etre le sujet de leur conversation.Notre Poete affec- toit d'etre le plus decide Moliniste , &c la dispute s'echauffbit au point , que souvent les domestiques accouroient au bruit. La Concierge , assez instruite, s'etoit mis en tete de le convcrtir. Plus elle le pressoit , plus il la contrarioit, & lui faisoit , coup- sur-coup , les raisonnemens les plus comiques &c &c les objections les plus plaisantcs, dont le refrain ctoit toujours : chacun a son gout , Madame La- marre ; pour mol je veux etre damne. A peine hint jours s'etoient ecoules , que le Comte de Livry, ennuie de ne pas voir Piron , &: voulant savoir s'il se plaiscit a Livry, vint le surprendre al'heure du diner, & arriva dans. l'instant mcrae FIE D'ALEXIS PI RON. 87 que la dispute ordinaire finissoit. He bien I Binbin 1 , (c etoitunnom d'amitie qu'il lui donnoit ordinairement ) , He bien ! Binbin , lui dit - il j apres Tavoir embrasse ., comment te trouves-tu ici ? Es-tu content? Te sert-on bien ? Oui , Monsieur le Comte, repondit Pi ron, mais Madame Lamarre ne vent pas. ... Comment morbleu elle ne veut pas ! Je pretends que tu sois ici le maitre , comme moi-meme ; entende^ - vous , Madame ? Et si Monsieur me porte la moindre plainte. . . En un mot , je veux. .. . Calmez-vous, Monsieur le Comte, lui dit Piron, &: daignez, je vous prie , m'entendre jusqu'au bout : Madame Lamarre ne veut pas que je sois damne. ... Eh ! pourquoi , s'dvous plait, Madame , reprit le Comte ? nest - il pas le maitre ? De quoi vous mele^-vous ? Encore unefois, je vous le rephe , je veux qu'il fasse ici sa volontc : ce nest pas a vous a y trouver a. redire. Madame Lamarre n'osa pas repliquer , &: se contenta de prier pour la con- version du Poete Molinistc. 1 Nom milliard en Bourguignon , qui signific Benigne a Benin. f iv 88 FIE D' ALEXIS PIRON. L'Astree de d'Urfe, avoit fait autrefois les delices de Piron. Le sejour champetre de Livry luien rappela le souvenir, tk reveilla son gout pour la Poesie pastorale. Ce genre, le plus ancien de tons, est uniquement consacre aux images douces, simples &: naturelles , &: ne pent etre anime, que par une chaleur toute de senti- ment. C'est-la , sans doute , ce qui rend si diffi- cile, au Theatre, le succes d'un sujet purement champetre. Les nuances trop dedicates , &: trop legerement variees de Tinnocence, les contrastes unsensibles des mceurs de ceux qui vivent sous ses loix, echappent au spe&ateur le plus attentif. Alors ces mceurs lui paroissent fades ou mono- tones , grossieres ou ridicules : de-la , le degoilt &c l'ennui, dont il ne pent se defendre, & qu'il a l'injustice de rejeter sur le genre pastoral, plutot que sur le pen de talent du Poete , ou sur le pcu d'innocence de nos mceurs. Piron voyoit, avec peine, ce degout s'ac- croitre de plus en plus; &: par une inspiration sccrette , il cherchoit les moyens de 1c faire cesser. 11 aimoit a se representer le bonheur des FIE D> ALEXIS PIRON. 89 Bcrgers, la puretede leurs feux, la Constance de leurs amours^ & le calme de leur ame.ll regrettoit sinccrement cet age d'or ., dans lequel il auroit ete digne de vivrc : car malgre la licence &" la liberte qui regnent dans un petit nombre de sqs ecrits , nous ponvons affirmer , sans craindre d'etre dementis j que ses mceurs ont toujours ete pures , ses sentimens pleins de candeur ,, fk sa conduite constamment irreprochable. Ainsi en- traine par son gout naturel , & son genie se pretant au penchant de son cceur, il hasarda., sur le Theatre Francois ., la Pastorale des Courses de Tempi. Il accompagna cette Piece Champetre de la Comcdie de XAmant mysterieux ; Comedie com- poses j d'abord pour ramuscment de la Societe de M. le Comte de Livry. Jamais inquietude n'egala la sienne, a la premiere representation de cesdeux Pieces, qui vircnt le jour en mcme- temps , avec un succes bicn different. Sa crainte redoubla davantage a la chute de XAmant myste- ricux j qui preccdoit les Courses de. Temve\ Mais le public courcnna la Pastorale > avec la meme $o VIE D 1 ALEXIS PI RON. equite qu'il venoit de condamner la Comedie , dont l'original etoit peint d'apres un hommc de qualite > vivant dans la societe de M. le Comte de Llvry , homme tres-estimable , mais qui avoit la manie de mettre du mystere par-tout. Alioit-il quelque part, a la ville ou a la campagne?Ce n etoit jamais le chemin direct qu'il prenoit : il faisoit un detour plus ou moins long, pour qu'on ne devinat pas ou il alloit & ou il pouvoit avoir ete. Arrivoit-il dans un appartement ? Des Tanti- chambre, ses yeux inquiets se portoient de tous cotes; il cherchoit a lire sur le visage des do- mestiques , s'ils ne penetroient pas le motif de sa visiter puis marchant sur la pointe du pied., il paroissoit se glisser, plutot qu'entrer dans l'ap- partemcnt. S'il s'entretenoit avec quelqu'un , c'etoic toujours a l'ecart 3 ou dans Tembrasure d'une croiseejapress'etre assure den'etre entendu de personne. Enfin,s'il donnoit une commission a ses domestiques , il s'expliquoit si mysterieuse- mcnt j qu'il falloit qu'ils le devinassent , ou qu'ils fissent la commission de travers. En un mot, il etoit de ces gens : Qui, jusqucs au bon jour, disenc tout al'oreillc. FIE D* ALEXIS PIRON. 91 On proposa a Piron de traiter Ce caractere. II s'y refusa d'abord : mais force, par des instances reiterees j qu'il regarda comme des ordres de la part de ceux qui le pressoient, il s'en occupa serieusement. D'ailleurs^ cette Comedie n'etoit point destinee pour le Public : elle ne devoit etre jouee qu'en societe j &: en presence mane dc Toriginal , qui en avoit fourni le caractere prin- cipal. Le sujet ne plaisoit point a 1'Auteur ; & peut-etreest-celaraisonqui Tempecha de soigner, avec plus de scveiite,son Ouvrage. Des que cette Comedie fut achevee, on la representa plusieurs fois dans la Societe, &: tou- jours avec un succes marque , succes qui paroissoit d'autant moins suspect, que les Spectateurs joi- gnoient a l'usage du grand monde, beaucoup d'esprit , &: par consequent , etoient en etat de prononcer. Aucun d'eux n'hesita ; tous la trouve- rent digne de paroitre au grand jour , tk Ton engagea Piron a la donner au Theatre Francois j enfin elle fut recue , par les Comediens , d'une voix unanimc. La personne de qui je tiens cette anecdote^ 5)i FIE D' ALEXIS PIRON. amie intimc dc M. le Comte de Livry 3 jouoit, dans la Piece, le role de XAmant mysterieux. PiROM lui avoit les pins grandes obligations, &" s'en est ressouvenu , toujours avec attendrissement , jus- qu'an dernier moment de sa vie. Independamment des droits que cette pcrsonne avoit sur son coeur , par ses bons offices 3 elle en avoit encore de tres- puissans sur son esprit , par les excellens conseils quelle lui donnoit , au sujet de ses Ouvrages , conseils diriges &: dictes par un jugement sain , un discernement sur , & le gout le plus delicat. Malgre tantde motifs > capables d'entretenir &: de fortifier la securite., trop ordinaire dc l'amour-propre , un pressentiment intimc affli- geoit Pi ron, sur le sort de sa Piece. II ne l'eut pas plutot livrce aux Comediens, qu'il en vit tons les defauts. II la retoucha soigneusement \ mais pasassezheureusemcnt, pour la garantir d'un mau- vais succcs decide. II se rcpentit , mais trop tard , de sa complaisance j & se hata dc prcvenir le jugement severe dn Public , en sc plaisant a predire, commc il le dit lui-meme dans son aver VIE D 3 ALEXIS PIRON. 95 tissement, la chute de sa Piece, plusieurs jours avant la premiere representation. Cependant il auroit pu , a l'exemple de tant d'autres Auteurs , s'autoriser des eloges qu'on avoir prodigues a saComedie, dans les ledures &: les representations particulieres qui en avoient ete faites , &: soutenir , au Public , qu'il avoit eii tort de la condamner. Mais son amour-propre etoit trop raisonnable & trop eclaire j pour ne pas sentir que nos partisans & nos amis, sont toujours moins eclaires , plus prevenus que ce Public incorruptible & redoutable , qui nous juge de sang froid, & dont l'arret triomphe., tot ou tard , malgre les cabales &C l'intrigue. Aussi , combien avons nous vu de ces pretendus chef- d'ceuvres tant lus cV relus, tant prdnes, tant vanres d'avance, comme des prodiges de genie, tomber presque aussi-tot la toiie levee , sans que ces chutes humiiiantes &: soudaines, aient rien rabattu de la suffisance des protecteurs, 4 WE D> ALEXIS PIRON. Pi ron. II se soumic a la rigoureuse decision du Public , en retirant sa Piece a la premiere repre- sentation. 11 alia , le soir meme , trouver ses amis au Caveau 3 &: leur apprit la nouvelle du different succes de ses deux Pieces, en leur disant : Mes amis 3 le Public ma haise sur une joue _, & ma donne un bon soufflet sur V autre. On le plaignit, on le felicita , tour-a-tour , a la mode duCaveau, c'eft-a-dire, avec bcaucoup de plai- santeriessur sa bonne &mauvaise fortune. Pi ron s'y livra de bonne grace , & la soiree se passa delicieusement. Le baiser sur la joue, avoit gueri la douleur du soufflet applique sur l'autre. S i la Comedie de rAmant mystericux fit essuyer , a Piron ,les desagremens d'unc chute, il s'en releva , en 1 7 3 8 , avec le triomphe le plus complet ck: la gloirc la plus durable. Malgre \es Comedies de Regnant ' 3 le seul Autcur digne > depuis Moliere , d'occnpcr ce qu'on appelle pro- premcnt la Scene Comique, Thalie regrettoit encore tous les jours la perte de ce grand homme_, que personne ne remplacera jamais , Iorsque Piron concut le dessein de sa Metromanie , ce FIE D* ALEXIS PIRON". 95 chef-d'oeuvre, qu'on peut placer a cote des meilleures Pieces deMoliere, & celui, de tous les Ouvrages de notre Poete, qui porre da van- tage l'empreinte du genie. 11 est peu de Come- dies ou Ton trouve autant de finesse & dc naturel dans le dialogue , d'aisance & de per- fection dans les vers , & de vrai-comique dans toutes les situations ; ou les cara&eres soient mieux soutenus , ou l'interet ,, toujours vif & toujonrs nouveau , augmente de scene en scene , jusqu'a la fin; en un mot, ou tous les ressorts dc la Comedie soient plus heureusement employes. 11 falloit done , je ne dis pas de Tesprit , mais les plus grandes ressources du genie, pour entre- prendre un pareil sujet &: y renflir. Quoi qu en dise la critique, le succes de la Metromanle sera constamment le meme , jusques dans la postcrite la plus rcculee , parce qu'il est, & sera toujours independant de la petite anecdote de la Demoi- selle Malcrals de Lavigne l , cette dixieme Muse 1 Nom suppose, sous le^uel M. Dcsforges Maillard , du Croissic, petite villc de Bretagne , sc deguisa long-temps, Si envoya , re'gulierement tous les myis , ses productions 9 6 VIE D> ALEXIS PlROX. pretendue, dont le sexe, quand elle eut laisse tomber son masque j deconcerta les Poe'tes hs plus renommes du temps , qui setoient passionnes pour elle, &: Tavoient parfumec de toutl'encens du Pinde &"deCythere. 11 est certain encore que si le sujet de la Metromanie se fut presente , avec les memes circonstanccs , a la feconde imagination de^/o/za^jill'auroit saisi, 6V: peut-etre rendu dela meme manicre que Piron. Au reste, croira-t-on que cette admirable Piece fut d'abord rejetee par les Comediens j qu'elle eprouva les plus ridicules difficultes pour etre recue , &: qu'il fallut enfin un ordre du Mi- nistre pour la faire jouer? Croira-t-on encore qu'apres le brillant succes dont elle fut suivie, on ne daigna pas Tinscrire sur le repertoire; & poctiques auMercure, n'ayant pujouir, sous son propre nom, de cct avantage ineffable , que la Roquelui avoit refuse dure- rnent. A la faveur de son sexe suppose, il recur, les hommages les plus galans , & les declarations les plus tendres. Made- moiselle Malcrais de Lavigne devint line dixieme Muse. Mais 1'enchanr.ement ccssa , quand M. Desforges Maillard vint a Paiis , se montrer a ses soupiians. qu'oublice FIE D' ALEXIS PIRON. 97 qu'oubliee pendant dix ans , die n'auroit, peut- etre, jamais reparue sur le Theatre , sans le sienr Granval , qui j lots de sa rentree , en proposa la reprise a ses camarades ? Cet affront , fait plus au bon gout qua Pi RON ., etoit la suite des cabales excitees , par des Auteurs jaloux de l'odat de son triomphe , qui blessoit leur orgueil. La Metromanie triompha done malgre l'envie. ^'excellent A&eur qui devoit y jouer le role de M. de I'Empiree , &: qui etoit de la plus belle figure du monde , embarrasse de la maniere dont il s'habilleroitj ne voulant pas representor un Poere, dans toutelarigueurdu costume _,consulta Pi RON, qui lui dit : Tranquillisez-vous : a la pre- .-> miere repetition , vous prendrez modcle sur moi . En effet il y parut avec un tres - bel habit , richement galonne. A peine le reconnut- on, tant cet habit relevoit sa bonne mine. On 1'admira , on l'applaudit, 6c l'A&eur en fit faire un, a peu pres pareil. Au sortirde la repetition ^ Piron^ suivant son usage , entra au Cafe de Procope. On n'etoit ?8 ; FIE D'ALEXIS PIRON. point accoutume a le voir si snperbement vetu. Tout le monde l'entoura, & lui fit compliment L'Abbe Desfontaines etoit present. II voulut plai- santer Piron, &: soulcvant , avec une curiosite affcclee, &: une feinte admiration , la basque de l'habit , pour en faire mieux remarquer la richesse : Quel habit > s'ecria-t-il , pour un eel hommel PiRON soulevant, a son tour, le rabat de I'Abbc, repartit sur le champ : Eh ! quel homme pour un tel habit . Cette vive &: prompte repartie ferma la bouchc a I'Abbe , &c termina l'examen & l'elosre de l'habit du Poete. Ta n d i s que la Metromanie manquoit au repertoire des Comediens Francois , celui des Troupes de province en etoit utilement decore. La bonne t ecette que cette Comedie rapportoit anx Directcurs, les engagcoit a la representer souvent ; 6V sans faire tort anx talens forains, on peut assurer que les roles n'en etoicnt pas rendus, avec la supcriorite de talent des Acleurs, qui faisoient alors rornement du Theatre de la Ca- pitale. La Metromanie reunissoit tous les suffrages par-tout ou clle etoit jouee : mais la ville , ou VIE D' ALEXIS PIROU. w Cettc Piece excita la plus singuliere sensation > fut Toulouse , au mois de Fevrier 1751. Les Comediens ayant annonce le jour qu J il* devoient la donner, a peine lasalle put-elle con- tenir l'affluence du monde qui s'y rendit. tJn Capitoul, nouvellement en place j etoit au nombre des Spcclateurs. Des qu'on eut leve la toile , i'attention avec laquelle on eccuta la Piece y ne fut interrompue que par des appiau- dissemens : mais a l'endroit de la Scene ou Francaleu dir. a Baliveau , Monsieur le Capitoul vous avez Jes vertiges I . , Mais apprcnez dc moi qu'uri ouvrage d'eclat; Anobiic bicn autant que 1c Capitoular. Apprenez .... Le nouvcau Capitoul, qui n'avoit connu , sans doute, de sa vie, d'autres vers que ceux de ce Vieux di&on Toulouzain , Cil , de noblesse a grand ritoul , Qui de Tholoze est: Capitoul. prenant pour un guet-a-pens les vers adrcs= ses a Baliveau , &: se croyant insulte , se leva &: voulut faire cesser la representation. Ori gi.i loo VIE D' ALEXIS PIRON. eut la plus grande peine du monde a lui fairc entendre raison ; &: Ton n'obtintla grace d'achever la Piece , qu'apres lui avoir donne la satisfaction de lui en nommer l'Auteur, pour le faire arreter &r mettre en prison. En effet il envoya , sur le champ, cinq ou six fusilliers pour le prendre : mais Piron etoit tranquille a Paris j &: ne songeoit gueres,en ce moment, qu'a pres de deux cens lieues de lui, on voulut attenter a sa liberte. Cependant le Capitoul, informe par ses gens , que le de I'm quant navolt pu etre apprehende au corps , attendu quil etoit inconnu dans le pays , desespere d'avoir manque sa vengeance , nc voulut pas en perdre cntierement le fruit. 11 rendic une ordcnnance , par laquelle il proscrivit , a jamais, la Metromanie du Theatre Toulousain. Anecdote remarquable de sonCapitouIat , bonne a citer ck a. joindre a pareille aventure, qui lui arriva quelques jours apres , a l'occasion de YAvare de Moliere. II crnt se reconnoitre dans Earpagon , vole par son fiis. La resscmblance etoit, dit-on, frappante. 11 s'imagina que dc$ VIE D 3 ALEXIS PI RON. 101 Auteurs , jaloux de sa nouvelle dignitc , s'etoient donne le mot, pour le jouer sur le Theatre, ll interrompit encore le spectacle , 6V dcmanda le nom de l'Auteur de la Piece. On lui dit que c'etoit Moliere. Pour cette fois il se contenta de decreter de prise de corps le nomme Moliere. Mais quand il fallut mettre a execution le decret j on lui dit que Moliere etoit mort depuis 8 o ans. tonne de ce contre - temps , il s'ecria : De quels diables dAuteurs se sert-on la ? Que ne nous donne- i-on des Comedies de gens connusl M. le Marquis de Montgailhard ecrivit a Pi RON , le danger qu'il avoit couru , sans qu'il s'en doutat , & lui demanda^ en memc-temps 3 une Epigramme contre ceCapi- toul. II rcpondit que , Martial j Owen 3 Marot 3 le grand Rousseau, ni lui, ne feroient jamais rien de micux, contre ceCapitoul, que cc qu'il avoit fait lui-meme. La reconnoissance avoit determine Piron , vers l'annee 1735 , a faire un voyage a Bruxellcs , pour y voir un etranger, dont il avoit recu une lettre de change assez considerable , en remerci- ment d'un exemplaire de la Tragedie de Gustave , 101 riE D'ALSXIS PlROK. que Pi ron lni avoit envoye. II crut ne pouvoir pas sc dispenser d'aller lui en faire ses remerci- mens sinceres, avec d'autant plus de raison , que cet etrange; l'avoit toujours traite avec beaucoup de bonte , chez M. le Comte de Livry j ou ik etoient vus ancicnncment. Dans le peu de sejour qu'il fit alors a Bruxelles , il se lia d'une amitie intime avec l'il- lustrc & trop mdWiQuvsm. Rousseau. Celui-ci, lui fit donner sa parole de revenir le voir & le con- soler. 11 entretint depuis , avec lui, un commerce de lettres regie , & dans toutes , il le pressoit d executer sa promesse. Piron se rendit aux instances de Rousseau en 1740. 11 l'avoit deja bicn observe dans son premier voyage. 11 sonda , pour ainsi dire , son coeur , dans le second voyage qu'il fit a Bruxelles , &: y reussit d'autant plus aisement , que Rousseau ne pouvoit sc separcr dePiKON, qn'ils passoient ensemble des pur- pees enticres, & qu'il le regardok comme un Ance consolateur, que la Providence lui avok envoye, dans une terre etrangere, pour adoucic I'aiTiertLime &r \es ennuis de son exit FIE D'ALEXIS PIRON. 103 Le chagrin avoit aigri ce grand homme, mais ne l'avoit point abattu. Piron ., dans une lettrc qu'il ecrivit a la Marquise de Mimeure > dont les anciennes bontes pour Rousseau _, ne setoient point refroidics , park avec eloge de sa piete , avoue qu'elle lui a paru solide &: sincere 3 6c soutient qu'il n'etoit pas coupable des infames couplets qui causerent ses malheurs. Ce juge- ment de Piron n'est point susped ; car il ajoute , avec sa franchisse ordinaire, qu'il l'avoit etudie soigneusement ; & malgre sa devotion 3 continue-t-il , j'ai vu quit tenoit encore un peu aux premieres idees } dont il fcrma ses Epigrammes car il me donna la matiere d'un Conte asse% gai/lardj que je mis en vers j par complaisance pour lui , & dont il me parut content. Piron, dont le cceur n'a jamais etc soniHe par le venin de l'envie, ni reserre par la bassesse de ia jalousie, regarda eonstamaient Rousseau comme le genie le plus rare & le plus grand Poete Iyrique dela France , cV qui lui fera le plus d'honneur dans la posterita II le quitta, avec g iv 104 vlE D' ALEXIS PIRON. regret,& revint a Paris. Rousseau>de son cote, avoit concu pour lui la plus haute estime. On le voit par les lettres quit lui ecrivoit, &: quePiRON avoit conservees. On le vbit encore par celles qu'il adressoit a ses amis , > quelques jours , un de mes compatriotes au 'iParnasse, M. Piron, que le Ciel scmble m'avoir envoy e, pour passer le temps agrea- blement, dans un sejour , ou je ne fais qu'as- 53 sister , tristement , aux plus grands repas du 1 Tome III, page 41^, VIE VJ LEXIS P IRON. ioj monde. M. Pi RON est un excellent preservatif s > contre l'ennui. Mais, &c. l . Ce fatal mais y auquel, malicieusement ou non, le Critique s'arrete, au lieu d'achever la phrase : Mais il rctourne a Paris , & je vais retomber dans mes lan- gueurs : ce fatal mais , dis je, irrka PiRON , & fut l'origine des Epigrammes sanglantes,dont il accabla Desfontaines j &r que tout le monde sait par cceur. Ce qu il y eiit de plus plaisant , c'est qu'a- pres avoir repandu , dans le Public , la premiere de ces Epigrammes, Piron alia voir Y Abbe Des- fontaines. 11 le trouva avec deux Jesuites. Le Jour- nalists, palissant de colere en le voyant: Comment > s'ecria-t-il , etes-vous asse% hardi de vous presenter a ma vue _, apres V 'horrible Epigramme que vous ave% faite contre moi ? Horrible, ditPiRON ! Comment >a vous les fant-il done ? Elle est pourtant fort jolie. Ce sang froid redoubla la colere de TAbbe _, tk fit partir, d'un grand eclat de rire, les deux Jesuites, qui etoient presens. Point d'emportement I ajouta i Voyez Jugemens sur quelques crits nouveaux. Tome I > Icttre C y pnga 65. lo$ Fie D' ALEXIS PIRON. Pi r on. Crier & jurer ne remedie a rien ; I'Epi- gramme n'en esc pas moins faite. Mais puisqu'ellc vous fache , je vous propose un arrangement. Eh ! quel est-il? Le voici : vous ecrivez au Public toutcs les semaines : mandez-lui, la premiere fois,-que l'Epigramme en question, a etc faite, on ne sait par qui, ni contre qui, il y a cin- quante ans; & tout sera dit. A la bonne heure. Donncz-la moi. Cest oii Pi RON I'attendoit. Je vais vous la di&er, lui rcpondit-il : &: TAbbd de lecrire aussi-tot, commentant deson cote, & le Poete du sien, chaque vers de TEpigramme. je- ne crois pasqu'il y ait, au Theatre, unemeilleure scene , une situation plus piquante &: plus eomi- que , que celle qu'offrirent alors nosdeux Auteurs. Les commentaires ne finissoient point. Mais ce qui choquoit sur - tout TAbbe dans cette pi- gramme, etoit ce vers: Que fait lc Roue en si joli bercail? T pense^ - vous ^ disoit - il aPlRON, est-ce que je suis un Bouc? cte^^oui ccBouc? _Ccla ne se psutj repliqua Piron t sans romprc lamesure .* FIE D' ALEXIS PIRON. 107 mais vons ctes le maitre de ne pas ecrire 1c mot tout entier. Mettez seulement ; Que fait cc B. le vers y sera toujours , &: le le&eur y suppleera >>. Ilfallut enfinque I'Abbe Desfontaines laissat l'Epigrammc telle qu'elle eioit. Piron le quitta , en lui promettant que tant qu'ils vivroicnt Tun &: l'autre , il lui en apporteroit une tous les matins, 6V il lui tint parole. La reticence dont s'cioit servi I'Abbe Des- fentaines j en rapportant , par exrrait, la lettre de Rousseau a Racine , le fils, avoir, sans doute, quelque malignite : mais devoit-elle lui attirer tine correction aussi sanglante de la part de Piron, lui qui n'avoit jamais ete cheque des critiques, assez vives de quelques-uns de ses Ouvrages, faites par ce meme Journalise? 11 paroit quil nc fut done offense que du double sens que presenroit cette reticence ; &: il est certain, que dans cette occasion , il se montra plus jaloux de la reputation d'honntte homme, que dc celle d'Auteur. Au reste } malgre le sel qu'il mettoit dans ses Epi- grammes contre I'Abbe Desfontaines _, ii ne Ten rcgardoit pas moins comme un bon fccrivain , un lo8 FIE D'ALE XI S P I R O N. excellent Critique , plein de gout dc de raisorc, auquel la Rcpublique des Lett res devoit la plus grande reconnoissance, pour avoir combattu , avec autant de courage que de succesje Neolo- gisme &: les ecarts du Bel -esprit moderne. La mort de cet A ristarque celebre , arrivee en 1745, peu de temps apres sa querelle avec Piron, n'eteignit point la vengeance des autres Auteurs : ce Poete est le seul qui n'ait point trouble sa cendre, & qui l'ait meme regret te. Une forte constitution , une sante robuste , line gaiete inalterable, promettoient a Piron les plus longs jours : mais aussi peu fortune qu'il letoit., comment envisager la vieillesse , sans la redouter ? La Providence lui menageoit une ressource , dans un mariage avantagcux j a considerer la position ou il se trouvoit , qu'il contrada a son retour de Bruxelles, avec Demoi- moiselle Marie - Therese Quenaudon _> agce dc 5 5 ans j qu'il avoit connue chez la Marquise de Mimeure. Cette Demoiselle jouissoit de deux mille livres de rentes viagcres ou environ , aux- quelles le genereux Comte dc Livry ajouta., pa? FIE D'ALE XIS P I R O N. 10$ le contrat de mariage , six cens livres dc ren- tes , aussi viageres , au profit de Piron. Le lien qui serra leur union j rut celui de la simple & pure amitie. Piron sentit alors, pour la premiere fois , la douceur d'etre a l'abri de I'inquietude , dans un age ou l'on a le plus besoin de secours , ou tout le monde vous abandonne , sur-tout quand on n'a rien a laisser a la cupidite, qui ne meurt point. Jamais deux personnes ne furent mieux assorties. Madame Piron avoit beaucoup d'esprit & de gaite. Elle eroit tres- versee dans la connoissance de nos anciens Romanciers,dont elle possedoit superieurement, le vieux langage : elle imitoit leur style a s'y tromper. Les Beaux esprits qu'elle voyoit chez la Marquise de Mimeure 3 consultoient souvent son gout sur leurs Ouvrages. Avcc une compagne de ce caradlcre , Piron ne pouvoit manquer d'etre heureux. Rien ne troubla son bonheur pendant les quatre premieres annees de son mariage. Cest dans ce temps qu'il composa sa Tragedie dc no VIE D' ALEXIS PIRON. Fernand Corte^ , le dernier cle ses Ouvrages Dra- matiques, &qui fut jouce, pour la premiere fois, le 8 Janvier 1744. Ce sujet est un des plus beaux qui soientau Theatre. On voit , parplnsieurs morceaux de cette Tragedie , l'eievation a laquelle le genie de Piron pouvoit attein- dre. Cependant le Public ne la gouta point* 11 eut ete possible , &: meme facile , a Piron, d'en faire disparoitre les defauts. Les Comedicns le presserent vivement d'y faire des corrections, &: lui citerent Texemple d'un de ses plus ccicbres confreres, qui corrigeoit , & refondoit meme quelquefois, jusqu'a des a&es entiers. Parbleu , Messieurs , je le crols bien j dit-il, il travaille en marqueterie 3 & moi je jcttc en bron~e. Cette reponse n'est point vaine. II est certain que rhomme de genie jeue en bronze , fk brise oil abandonne , comme le statuaire , tout ouvrage manque a la fonte. Piron aimoit la gloire,sans neanmoins en ctre jaloux au point d'en perdre le rcpos. Mais tandis qu'il se consoloit du pcu de succcs dc Fernand CVrqr, la fortune lui preparok des pcir.es VIE D' ALEXIS PIRON. in autrcment sensibles que celles qu'il avoic eprou- vees jusqu'alors. Il falloit user dune grande economic , pour pouvoir vivre honorablement, avec le modiquc revenu dont Piron &: sa femme jouissoient. La moindre depense extraordinaire etoit capable , non - seulement de les gener beaucoup, mais encore de les deranger. Forces de dcmenager trois fois , en treVpeu de temps , Madame Piron regrettoit les frais que ces deplacemens successifs & imprevus occasionnoient. Le dernier depla- cement sur-tout, lui causa le plus cruel chagrin, parce qu'il s'agissoit encore moins d'interct pecu- niaire que de procede. U N E espece d'ami , homme de qualite , au bonheur & a la fortune duquel Madame Put on avoit contribue , voyant sa repugnance a changer si souvent de maison , lui offrit un appartcment dans son hotel : ii mit , au loyer , un prix asscz honnete. L'appartement demandoit quclques de- penses indispensables , &: meme asscz fortes , avant que de pouvoir ctre occupe. M. 6V Madame iii VIE D' ALEXIS PIRON. Piron firent ces reparations a leurs frais. A peine en avoient-ils joui six mois , que le proprietaire leur donna conge, sous pretexte que sa belle- mere trouvoit a redire qu'ii logeat tin Poete chez lui. II disoit vraicmais n'auroic-il pas du com- battre la ridicule aversion de cette femme pour les Poeres ? II agit au contraire, avec ses hotes, comme s'ils eussent ete dcs etrangers , &: les pressa vivement de sortir de leur appartement. Ce procede fit une impression si profonde sur Madame Piron , que de ce moment la meme , son esprit se troubla. Son mari tenta vainement de la tranquilliser : elle etoit frappee, & son triste etat , auquel se joignit , quelques jours apres , une paralysie , parut bientot sans remede. C ' E s t alors que Piron connut , pour la premiere fois, la tristesse. AfHige de ce cruel accident, qui n'avoit pas altere la douceur du caracl:ere de sa femme , il ne voulut jamais Taban- donncr a des soins etrangers. Continuellement occupe d'elle, &" seconde de sa niece (aujourd'hui Madame Capron ) } il lui administroit les secours dont VIE D> ALEXIS PIRON. n$ dont die avoit besoin , & n'epargnoit rien pour lui rendre sa situation moins malheureuse. Cependant son revenu, trop modique, ne pouvoit suffire a la depense qu'exig eoient les remedes & les soins necessaires a la' malade. 11 se voyoit a la veille de la perdre , 8c avec elle le revenu quelle avoit apporte, lorsque le Marechal de Saxej informe du sort qui menacoit Piron, lui envoya cinquante louis. II accompagna ce present dune lettre si honnete &: si obligeante, que Piron ne put refuser ; car il etoit fort eloigne de mendier des bienfaits; il conservoit merne une certaine fierte > qui, dans une ame naturelle- ment elevee, loin de s'affoiblir , se forti^e par l'adversite. On peut dire aussi qu'il etoit accou- tume aux soins que la Providence avoit toujours pn.. de lui j Notaire; il s'y rend. Le Notaire lui prcsente a signer la r iute d'un contratde 600 livres de rentes viag es,consti- h H4 v IE &ALEXIS P IRON. tuees a son profit , comme en ay am fourni lesfonds, A ces mots Pi ron s'imagine que leNotaire se trompe, &: lui dit qu'il n'a fourni aucun fonds, & qu'il n'a meme jamais possede une somme aussi considerable. M. Doyen l'assure qu'il ne se trompe point, &: il le prie de signer la minute du contrat , sans craindre aucune meprise. Notre Pot'te aonne , le questionna en vain : il lui nomma tontes les personnes qui l J honoroient de leurs bontes. A tomes ces questions M. Doyen ne repond qu'en lui disant de ne pas chercher a peuetrer le mystere \ qu'il l'ignore lui-meme : 5c remet , entre scs mains , la grosse du contrat, &: la premiere annce d avance de sa rente. Pi ron voulant connoitre son bienfaiteur ., court chez tons ses amis , ses protecleurs , ses connoissances , publier son agreable aventure, la raconte aux uns & aux autres, dans l'esperance que quelqu'un se trahiroit. Quinzc jours se passent sans qu'il puisse rien decouvrir. Enfinjdesesperede voir ses rccherchesinutiles, il prit le parti d'ecrire, le i 5 Septcmbre i 7 5 o , a l'Anteur du Mercure l , Yoycz le Mercure d'Oclobre 1750, page 101. riE D' J LEXIS PIRON. ny cetoit- la que se rassembloient les Beaux esprits du temps , & les savans a pretentions. Madame de Tencin , digne de Ics presider , n'j etoit point un personnage muet j elle payoit , comme les autres, son tribute par des Ouvrages plcins d'esprit &: d'agrement. Souvent meme elle inspiroit ses Betes , 6V Pi ron a compose , pour elle, plusieurs Pieces charmantes. Ce fut chez elle, que feu M. Languet 9 Cure FIE D' ALEXIS PIRON'. u* de Saint Sulpice , rcncontra Piron , sans le connoitre. Elle le lui prcsenta comme un con*- patriote, qui faisoit honneur a laBourgogne^ & le nomma. Quoi ! cest vous , M. Piron , die 1c Pasteur : je suis ravi de vous voir I N'etes-vous pas le fils d'un Piron , Apothicaire a Dijon , que j'ai beaucoup connu. II avoit Us bras si longs. . . . Ah! Monsieur le Cure, que vos mains n'etoient- elles an bout , repartit Piron-, monsort stroit bien different! M. Languet cominua, en riant de Texclamation : Mais il y a longtemps que vous demeure^ sur ma Paroisse x & il est .etonnant qu& tare de compatriote & de P aroissien y vous ne $oye% pas venu me voir , & que je ne vous connoisse point, u Cela n'est pas si etonnant que vous fe pensez : e'est que vous connoissez mieux vo$ vaches 1 que vos brebis , lui repondk Piron . M. Languet trouva, comme les autres, la plai- santerie tres bonne ; 6c invita Piron a le venir i Allusion au revenu que la Comm'inaute de 1' 'Enfant Jesus , fbndee pat cet iilastrc Pasteur , tire d'unc certaine quantili Ie Va.ches, dont Ic kit serta faire Ic plus excellent bcure. h-iv -no FIE D 1 A LEX IS PIRON. voir souvent. 11 n'en manqua pas Toccasion ; & depuis il eut immortalise cet illustre & pieux Pasteur, par l'Ode qu'il a intitulee le Temple de Saint Sulpice t si les charites & les grands etablis- semens que ce Pasteur a faits pour la Religion , n'avoient pas irrevocablement assure son immor- talite. Malgre les droits incontestables dePiRON, aux honneurs Litteraires, sa modestie, autant que son indifference, Ten avoit toujours eloignej mais ses amis & ses prote&eurs s'en occupoient pour lui. La mort de l'Abbe Terrasson laissa , en 1750, une place vacante a FAcademie Francoise. .Plusieurs Academiciens, &: sur-tout Messieurs de Fonteneile , de Bo^e , TAbbe Sal Her _, Crebillon^ engagerent Piron a se presenter, quoiqu'ils n'ignorassent pas toutes les plaisanteries qu'il se pcrmettoit, 6V sur-tout le propos qu'il tint un jour a un de ses amis , en passant dans le Louvre : Tene^y voyc^-vous, lui dit-il, en lui montrant l'Academie Francoise , Us sont la quarante , qui ont de V esprit comme quatre. lis etoient trop senses VIE D'ALEXIS PIROK. in pour lui en faire un crime , &: ils rioienc les premiers de ce bon mot. Ils le determi- nerent a faire les visites d'usage , en l'assurant , que si , centre leur attente , il n'avoit pas les voix a cette election , il les auroit routes a la sui^ante , sans exiger de lui de nouvelies de- marches. Il remplit done le ceremonial accoutume, non avec cette gravke religiense , qu'observcnt ordinairement les Candidats , mais tres-gaiement, & peut-etre un peu trop cavalierement, au gre de quelques Academiciens } austeres sur rctiquette. Entre autres plaisanteries, il laissa, chez un des trente-neuf Ele&eurs , ( Nivelle de la Chaussee ) , son billet , sur leqnel etoient ccrits ces denx vers amphigouriques , tires de je ne sais quelle piece de ce triste pere du Comique larmoyant : En passant par ici j 'ai cru de mon devoir , De joindrc 1c plaisir a l'honneur de vous voir. Des visites si peu serieuses, n'indisposerent ouvertement personne contre lui \ du moins il le crut, on l'assura meme que ics suffrages se I zi FIE D'AL EXIS PIR ON, reunissoient en sa faveur. Le Dire&eur de 1'Aca- demie, Itii-meme, acheva de le persuader, en lui disant de prendre tout le temps necessaire pour composer son discours de reception. PiroN Ten remercia , & lui repondit , en riant : Ne vous n inquietez point de cette corvee. Nos deux m discours sont deja fairs : ils seront prets du jour >: au lendemain de mon election . Comment cela? lui demand* le Dire&eur j d'un air surpris. Comment cela ? repartit P I r o n. Le voici : je >3 me leverai , j'oterai mon chapeau y puis , a sj haute & intelligible voix , je dirai : Messieurs ^ > grand merci. Et vous, sans m'otervotre chapeau, vous me repondrez : Monsieur s il ny a pas de quoi 5. A ces mots le Dire&eur partft d'un faux eclat de rire , lui tourna le dos , & le laissa dans Fincertitude de savoir, s'il avoit bien ou mal pris la plaisanterie , & s'il ne s'en serviroit pas , pour lui nuire aupres de ses Confreres. Quoi qu'il en soit, le jour de rejection arrive, on y proceda; & contre routes les apparences, qui ctoient pour P i r ON, 1'Abbe de la Blettrie fut clu. Piron de ce moment , se crut degage pour VIE D* ALEXIS PIRON. 125 toujours : mais quelqnes heures apres on vint lui dire que la nomination de l'Abbe de la BUterie avoit deplu au Roi , &: que 1* Academic avoit ordrede procedcr a une nouvelle election. Comme l'exclusion n'avoit ete donnee a l'Abbe de la BUterie ^ que pour cause de Jansenisme, Racine , 1c fils , digne , atoutes sortes de titres, du fauteuil Acadcmique , Sc qui faisoit aussi des demarches pour Pobtenir, se retira, dans la crainte qu'etant egalement soupconne d'etre Janseniste,il n'essuyat le meme desagrement. Ces deux concurrens ecartes, le champ de bataille demeuroit a Piron. On lui persuada de ne pas desemparer : il ceda , mais a regret. L'ex- elusion de l'Abbe de la Ble'teric &C la retraite de Racine , firent du bruit. Les Agreables de la Cour cV de la ville en plaisantoient , &z rioient sur-tout, de voir I'Ecrivain licentieux l'emporter sur deux Rigoristes averes.Cespropos etant parvenus jusqu'a Piron, il se hata de fermer la bouchc a ces mauvais plaisans. 11 ecrivit a l'Abbe Sallier , & lui envoya son desistcment , en le priant de le faire agreer a l'Academie. A peine sa lcttre etoit- 124 VIE D> ALEXIS PIRON. elle partie, que M. Melot, son compatriotc, Garde des Manuscrits de la Bibliotheque du Roi , Tun des plus savans hommes de l'Europe, le plus modeste en meme- temps & le plus estimable, arrive chez Piron , presque leslarmes aux yeux, &: lui apporte nne lettre de M. Boyer, Eveque de Mirepoix , ecrite a l'Abbe Sallier 3 par laquelle il chargeoit cet Academicien engager Piron a renoncer a son droit', & d'attendre la premiere place vacante> & pour cause : quil pouvoit I' y assurer ', en meme-temps , quil seroit alors le premier a. lui donner sa voix.M.Melot , porteur d'une nouvelle qu'il croyoit devoir affliger Pi RON, fut bien soulage, quand il lui dit : Pai tout prevu : vous 3) trouverez,a votre retour chez l'Abbe Saltier, la lettre que je viens de lui ecrire j en lui envoyant mon desistement , &: par la , vous verrez que la prudence du Poete egale ici, la delicatesse du Prelat . Les choses en demeu- rerent la , & M. de Mairan fut elu. Il est aise de voir qu'on avoit desservi Piron aupres de M. l'liveque de Mirepoix. Nivelle de la Chaussee , ennemi declare de P i R o N , tint , sur VIE B'ALEXIS PIRON. iif sou compte au Prelat , des propos plus que desa* vantageux ; il appuya sur le scandale & l'inde- cence de ses ecrits licentieux, &: eut la mauvaise foi de taire le repentir sincere qui devoit les lui faire pardonner. La delation reussit, &: Piron s'en embarrassa peu. 11 n'imaginoit pas qu'il auroit encore a la redouter par la suite. Trois ans apres , au mois de Mai 1755, M. Languet , Archeveque de Sens, mourut. Nou- velle place vacante a F Academic Francoise. Piron etoit bien eloigne de songer a seremettre sur les rangsi lui qui, dans tous les temps, avoit montre la plus grande indifference pour les hon- neurs Academiques. Cependant ses amis , ses protecteurs , les Academiciens eux-memes,le sollicker ent, si vivement , de reprendre ses droits, qu'il eut la foiblesse d'y consentir. On lui dit au surplus, qu'il n'auroit aucune demarche a faire, & que route l'Academie etoit si parfaitement d'accord a son sujet , qu'elle Texemptoit de faire les visites accoutumees. Vaincu par tant d'instan- ces , il attendit tranquiliement son sort , sans lc ii VIE D'ALEXIS PIROK desirer ni lc craindre, &: il fut elu dune voix unanime. Il y avoit neanmoins un faux frere, qui porta TOde licentieuse dePi r on, a l'Eveque de Mirepoix, lequel, dejaprevenu y&xNivdlede la Chaiusee> alia sur le champ chez lc Roi , pour le supplier de fairc casser l'ele&ion. Le Roi lui en ayant demande la raison : La voila. _, Sire^ dans cet ecrlt scandaleux 3 que j'apportc a VotreMajeste. Le Prince ne sachant pas ce que cet ecrit contenoit , ordonna , au Pielat, de lui en faire la leclure, afin de con- damner & d'exclure TAuteur , en connoissance de cause. L'Eveque deploy e l'ecrit, en suppliant le Roi de le dispenser de faire la lecture d'une piece, qui blessoit cruellement la pudeur. Sa Majeste prit alors lc papier , & dit a l'Eveque d'ecrire a r Academic , quelle cut a lui rendre compie de cette election. Le President de Montesquieu 3 Dirccteur dc 1'Academie , fut depute vers le Roi. Sa Majeste lui dit qu'il falloit nommer nn autre sujet , que VIE VAX EX IS PI RON. nj TAutcur de l'ouvrage licentieux qu'on lui avoit rcmis. M. de Montesquieu > qui aimoit PiRON, & si on les eilt traites avec la meme rigueur, apres s'etre cite lui mane pour exemple , il ajouta : Quoi y Madame ! en nommant^ tout d'une voix 9 le pauvre Pi RON , sans quil y eut songe i nous avons cru lui faire un honneur extraordinaire , & nous ne lui aurions attire quune disgrace ajfreuse , capable de le conduire au tombeau ! Ah ! daigne^ reparer le tort que I'envie lui a fait , & prene^le sous votre protection , en diminuant , aux yeux du Boi , une faute que la haine a trop enve- nimee. La Marquise n'eut pas besoin d'etre solli- citee davantage; elle en parla le meme jour, avec 1'interet le plus vif; cV: Sa Majeste ayant demands ce que pouvoit valoir une place de 1' Academic Ii8 VIE D* ALEXIS PIRON. Francoise, accorda , sur sa cassette, aPiROtf, line pension annuelle de mille livres. Celui-ci ignoroit encore tout ce qui s'etoit passe , lorsqu'il recut une lcttre d'un de ses prote&eurs , qu avoit montre le plus de zele pour son election. Cette lettre portoit : Je vous felicite j mon cher Pi RON j de ce que vous riaure\ point a vaincre yotre repugnance ; & je vous demande pardon de V avoir combattue quelques momens. Vous avie^ hien raison 3 & vous voila ce que vous voulie^ etre- cest- a-dire 5 litre. Que la joic que vous en aure^vous rcnde aussi gai , que la crainte d'etre elu vous avoit rendu triste & morne. C'ctoit lui annoncer, assez clairement, que sa nomination n'auroit pas lieu. Sur ces entrefaites arrive, chez Piron , l'Abbe Trublet, qui lui confirme, en soupirant, qu'il n'a plus d'esperance. Grand merci, l'Abbe, lui dit 3 Piron , je vous ai enfin corrige de la fureur de porter de mauvaises nouvelles. Embrassez-moi , fc'icitez - moi , & me contez comment les choscs se sont passees . L'Abbe commencoit a peine son recit , qu'on apporte de la p-.irt du President de Montesquieu 9 un billet a Piron. II s'empresse VIA D' ALEXIS PIRON. 12$ s'empresse de l'ouvrir; le lit, & transports: de joie : Ah I dit-il a l'Abbe Trublet^ vous me cachiez la moitie de mon bonheurl Tenez, lisez j Monsieur place de l'Academie . L'Abbe Trublet 1'em- brassa , & le felicita sur cette agreable nouvelle. Quelle douce satisfaction en effet pour Piron! Ce bienfait, accorde par le meilleur des Rois, consola le Poete persecute, & penetra son cceur d'une eternelle & respeclueuse reconnoissance. A cette faveur Royale se joignit un honneur extraordinaire, que l'Academie n'avoit encore accorde a. personne. Sensible a tout ce qui etoit arrive aPiRON,au sujet de son election, elle lui deputa qnatre Academiciens , Messieurs de Mairan , Mirabeau , l'Abbe duResnel &: Duclcs 3 pour lui temoigner I'interet quelle prenoit a la grace que le Roi venoit de lui acccrder , &c en meme-temps le regret sincere qu'elle avoir de ne pouvoir pas , suivant le vceu general de la Compagnie, le compter an nombre de ses i 130 VIE D' ALEXIS PIRON. Membres. Les Deputes enrent lieu d'etre satisfaits de la maniere reconnoissante & respeclueusc avec laquelle il les recut; mais ils ne purent s'em- pecher de lui marqner lenr surprise de sa serenite. Elle n'est point hcroique , Messieurs , leur die - il, puisque que tout se termine a une faveur Roy ale, qne je n'ai pas plus sollicitee ni esperee que ma nomination , &: que j'ai >j encore moins meritee que ma disgrace . Peu de jours apres cette deputation , comme il ctoit a diner, on frappe a sa porte : le domestique cuvre, 6c trouvc un homme rangeant des bou- teilles. Piron se live de table, voit les bouteilles, interroge le porteur. Une voix de Stentor, lui crie , du bas de i'escalier : Prene^ toujour s & tuveu ce sont quaraute bouteilles de vin d'tspagne le plus exquis Porteur acheve & descend vite j je t attends. Mais encore faut-il savoir de quelle part, demande Piron a la voix ? Point de reponse , le porteur finissant de poser les bou- teilles, reprend sa hone cV court encore. Cette aventure jeta Piron dans Ic plus VIE D' ALEXIS PIROV. 131 grand etonncment: ce n est pas qu'il ne rut accou- tume ,conime on I'adeja vu , a dcs bienfaits anony- mes. Cependant il se baisse, compte les bouteilles : quarante bouteilles, scene- t-il! On en donnc douze , vingr-quatre, cinquante; mais quarante, ce nombre n'est point ordinaire ! il cache absolu- ment un mysterequ'il rant que je devine. Quarante bouteilles! Ce ne peut etre qu'un present dcs Qua- rante de l' Academic, 011 unegalanterie Espagnole, faite a une Muse Rourguignone. Parmi les quarante bouteilles il s'en trouva unc dont le goulot etoic casse net, &: cependant die etoit bouchee comrae les autrcs. Oh ! pour le coup , dit Piron, ccttc bouteilie confirme ma conjec- ture : elle est le contingent du President dc l J Aca- demic naissante de Berlin , l'illustre Geometre Maw pertuls y lequeletanten froid avec moi , depuis quel- que temps , aura voulucalculer la somme du plaisir qu'il est force de me procurer , a l'exemplc de ses Confreres , en me fournissant son quarantieme, nioins un goulot. Ce probleme est aise a resoudrc. Plein dc son idee, il ecrit a l'Academic, 3c 132, VIE D'JLEXIS P1RON. commence sa lettre par ces beaux versj que la Fontaine met dans la bouche du paysan dti Danube : Romains , & vous Senat , assis pour m'ecouter ; Je supplie , avant tout , les Dieux de m'assister ; Veuillent les Immortels , conducteurs de ma langue, Que je ne dise rien qui doive etre repris! Sans leur aide il ne peut cntrer dans les esprits , Rien qui ne gate une harangue. "Messieurs, depuis que , de votre mou- vement, vousdaignatesm'honorerdevossufFra- gesj &: que j par vos officieuses representations, il a plu au Roi , qu'on avoit indispose contre moi , de substituer, a l'honneur peu merite que vous m'avez fait , des bontes encore moins meritees , je vous dois des remercimens , &: je les medite. Mais souffrez que jeles differe encore 3> quelque temps , &: que je m'occupe anjourdliui , tout entier , de l'objet qui me Fait prendre la liberte de vous ecrire. Je recois, dans le moment , quarante bouteilles de vin d'Espagne ,sans avoir pu me procurer la satisfaction de savoir a qui je FIE D' ALEXIS PIRON. 133 suis redevable d'un cadeau si galant , & si fort de raon gout. Je suis , a la verite , dans la singuliere habitude de cette espece de torture : en bon Philosophe je tache de m'y faire &: je m'y fais. Mais ici , un peu fonde snr Ies circons- >3 tances, je m'avise , &" je me plais dans l'idce que ji c'est vous, Messieurs _, qui vous etes divertis a faire cette galanterie Espagnole, a une Muse Bonrguignone. Ma modestie neanmoins me jette dans l'incertitudc, &: c'est la premiere fois >i que je ne veux point l'ecouter. Je suis trop 55 glorieux de& bontcs que vous me tcmoignez. II ne me reste qu'une grace a vous demander : c'est 5 > de me continuer ces memes bontcs apres ma mort.. Daignez etre les depositaires de mes der- nieres volontcs. Je les joins ici tellcs que la 35 franchise , dont j'ai fait profession toute ma vie, J? me les a diclees.J'emporterai, dans lc tombeau , 33 la reconnoissance eternclle que vous m'avez 33 inspiree. Heureux de mourir, aprcs vous avoir w donne des preuves du profond respect avec lequel je suis, Messieurs > voire admirateur > 33 P 1 KG N v. i iij U4 FIE D* ALEXIS P1RON. Son Testament ecoit a la suite dc cette Iettre*? le void : Je me recommande a la posrerite. J'espere plus dans son indulgence, que danscelle de mes t> contemporains. Comme j r ai toujour s fui lavaine }> gloire , & que je crains qu'une main arnie ou *> ennemic, ne barbouille mon tombeau d'une platte ou mechante cpiraphe, je veuxqu'ou n'y grave que celle-ci : Ci gir PiRon , qui ne fat ikn , Pas meme Acadeir.icien. ^ J E laisse mes Ouv rages en proie a tous fes ' Journalistes , de quelque pays , profession , qa- s> lite &r secte qu'ils soient, saurThypotbeque des 35 Satiriques, des Critiques , des Compilatcurs , des Plagiaires &: des Commentateurs, Le grand Comeiilene leur ctant point echappe, il y auroie 3 > de I'indcccnce a moi , du ridicule meme , de ne pas me laisser tourmenter , fuuiiler 6V saisir par 33 ccs Earaecrs. VIE D'ALEXIS PIRON. i ? y Je legue aux jeunes insenses , qui auront la malheureuse demangeaison de sc signaler par des ecrits liccntieux & corrupteurs ; je lcur laisse , dis-je, mon exemple, ma punition, fk mon repentir sincere &z public. Je laisse enfin mon cceur a Timmortelle Academie Francoise , & la supplie de vou- loir bien recevoir ce petit diamant , assez precienx par sa rarete , n'y ayant chez Ie Mogol mcme, aucuns joyaux qui vaillcnt un cceur vraiment reconnoissant. Sa lettre & son testament ecrits , il prend son verre , rempli de vin d'Espagne, &: s'adres- sant a sa niece : voila, dit-il, mes grandes affaires fakes. Dut ce verre de vin terminer ma vie, j'aurai c!u moins eu Ie plaisir de la finir aussi dclicieusement que ce drole d'An* glois , qui , ayant le choix du genre de sa mort , aima mieux se noyer dans une tonne " de Malvoisie, que de se faire ouvrir les veines, j? comme Seneque . Puis apres avoir bu la i iv 1)6 VIE W ALEXIS PIRON. moitie de son verre: quel parfum! secria-t-ils Ah qu'il est bon '. c'cst la liqueur choisie , Le pur nedlar , la celeste ambroisie , Qu'on sert aux Dieux dans leur felicite 1 Boire a longs traits de cette Malvoisie s C'est partager leur immortalite. La niece rioit de tout son cceur , ds la gravitc comiquc, avec laquelle il rendoit ses a&ions de graces. Mais mon oncle , lui dit-elle, si ce n'est pas l'Academie qui vous a fait ce cadeau , voila toutes vos belles aclions de graces perdues. Non mafille, non ; que ce soit l'Academie _, ou tout autre qu'elle , j'aimerois mieux ne boire que de l'eau toute ma vie , que de passer pour un ingrat. Il persista done a vouloir que les quarante bouteilles de vin d'Espagne, fussent un present de l'Academie Francoise, & il envoya sa lettrc de remerciment 6V son testamenr, a l'Abbe Saltier ., son compatriote &z son ami. L'Abbe vint sur le champ le desabuser , 6V rire avec lui de sa plaisante erreur. Des que Piron rut VIE D' ALEXIS PIRON. i$ 7 certain qu'il s'etoit trompe dans ses conjectures , il jeta ses soupcons de reconnoissance sur M. le Comte de M***". lis etoient d'autant mieux fondes , que ce Ministre , [ prote&eur ne des Sciences &: des Lettres , avoit toujours honore Piron de ses bontes. T a N T d'interets reunis en sa faveur , le dedommageoient bien d'etre privc d'une place a l'Academie Francoise , dont il suffit d'etre reconnu digue., quand meme on ne l'obtiendroit pas. 11 est difficile d'ailleurs d'avoir de meilleurs titres , pour arriver au Temple de Memoire , que son Gustave &: sa Metromanie. Au reste , si la Pos- terite , pour sauver un nom de 1'oubli , n'avoit jamais consulte que les registres de l'Academie 3 que seroient devenus tant de noms, vraiment immortels, qui ne s'y trouvent point inscrits? H en est souvent des honnenrs Academiques , comme de certaines charges ou dignites ., dont les droits cV les prerogatives ne s'etendent pasau- dela de la vie du Titulaire. Ainsi , quoiqu'ii soit glorieux d'obtenir les premiers honneurs de la Republique des Lettres ; si 1'on veut survivre a 138 VIE D y ALEXIS PIRON. cette gloire , il faut qu'clle soit acquise par cti merite reel , &: dcs talens distingues. tile cut ere la recompense de P i R o n , si la haine &: la jalousie ne la lui eussenc pas arrachee La conduite que l'Academie tint a son cgard y dans cette facheuse circonstance, fut bien iiatteuse pour lui, & di^ne de ccttc Compagnie cgalement illustre ck respe&able. La dispense qu'elle lui accordade faire les visites d'usage , est line grace qn'eile n'avoit encore accordee > qu'a de la Monnoie, comme je l'ai remarque dans les Memoires que j'ai donnes sur la vie & les e'crlts de ce celcbre & savant Litterateur. La pension de mille livres que le Roi venoit d'accorder a Piron, le mettoit en etat d'attendre d'autres graces, il y avoit quaranteans , & plus , que ce Poete etoit celcbre, lorsque le privilege du Mercure fut donne a Boissy y au mois d'Q&obre i 7 < 4. Le fen Roi cut la bonte de se ressouvenir du Poete fiourguignon, &: de lui assigner ., sur le produit du Mercure j une pension annuelle de 1200 livres j pour en jouir du premier Janvier 175;. Cectc peiiiioa fut portee iiHoo iivres , en FIE D' ALEXIS PlRON. I39 1758 ; &f fixee enfin a 2000 livrcs en 1761. Ces graces lui furcnt annoncees successivement par M. le Comte de Saint- Flore ntin 3 depuis Due de la Vrilliere 3 a la prote&ion duquel , new- sett- lement PiRON,mais un grand nombre de Gens de lettres , ont du, cV doivent encore, les recom- penses qu'ils ont obtenues. Qui n'eut pen.se, avec tine pension de 1000 livres, n'ctre pas, pour jamais, a 1'abri des coups de la fortune ? Cependant ie Mercure tomba dans uri tel discredit, que les pensions cesserent detre payees. Les Interesses tinrent entr'eux plusieurs assemblies, pour trouver les moyens de soutenir cet Ouvrage periodique. Mais Piron leur repetoit toujours : F.h ! Messieurs , comment vou- lez- vous que ce qui est au-dessous de rien , prodliise quclque chose , & vous fosse vivrc ? Cependant , si pour le bien commun 3 il faut faire queique reduction sur les pensions , je consens qu'on commence par la mienne , qu'on la supprimc I C'tst aiiisique Labruyerc cjualiele Mercure. 140 VIE D ALEXIS PIROK meme toute entiere ; quelque besoin que j'en aie, je la sacrifierai de tout mon coeur. Je ne l'ai point demandec , parce qu'il ne m'est jamais venu dans la pensce que je la meritasse ; &: j'aime encore mieux rien avoir , que de meriter ricn , ici sur- tout, ou tire en ligne pour 2000 livres, je ne saurois servir qu'a nuirc! Quelle difference de ce Iangage 3 si modeste & simple ., dans la bouche d'un homme qui avoit fait ses preuves de genie, &: alors age de 73 ans, au Iangage presomp- tueux de certains talens tres-douteux , &: du merite, souvent equivoque ., qui briguent &: obtiennent de pareilles recompenses! On n'ac- cepta point la proposition de Piron, &c Ton attendit des jours plus heureux. Les obstacles qui avoient eloigne Piron de TAcademie Francoise, n'empecherent point i'A- cademie de Dijon de l'adopter. La Capitale de la Bourgogne, voyoit , avec complaisance 3 la gloire de son nouveauLycee., devenir de jour en jour plus briilantc , par le nombre de Savans illustres qui en faisoient rorncment , lorsqu'en 1751 en proposa., a Piron , d'y venir prendre place, il VIE D' ALEXIS PIRON. 141 pleuroit encore la mort desafcmmc*, &: 1111 an presque ecoule, n'avoit point suffi a sa douleur. Peu sensible a tout ce qui pouvoit natter son amour-propre j il repondit modestement aux propositions qu'on lui fit , & refusa constamment un honncur , auquel , selon lui , il ne pouvoit ni ne devoit prctendre. Cependant, plus 1' Academic de Dijon acque* roit de celebrite , plus elle etoit jalouse du choix des Membres destines a soutenir &: a augmenter sa gloire. Elle regrettoit de ne pas voir inscrit sur scs registresj lc nom d'un compatriote tel que Piron. Elle redoubla done ses instances en 17^1; ellcs furent si pressantes , &c en memc- temps si honorablcs pour luij qu'elles rcbran- lerent. M. de Brasses j alors President a Mortier, & aujourd'hui Premier President du Parlement de Dijon _, se trouvant a Paris , l'alla voir. La visite de ce savant Magisirat, egalcment recomman- dable par son etude profonde des loix , &: par son integrite , par ses connoissances , par la va- riete, le nombre &: l'utilite de ses curieux 8c savans ecrits , aeheva de le determiner. II i4z VIE D* ALEXIS PIRON. acccpta l'honneur que rAcademie vouloit bicn Jgi fairej& il y fuc recti le 11 Juin \-jGi. Ce qui le fiatca le plus , fut de voir son pom mele a ceux dcs BouhUr y des Cre'bil/on, de$ Buffon , qui feront , a jamais , la gloire , non - seulement de la province de Bour- gognej mais de la France entiere r . Eh ! quelle province , quelle ville autre que la Bourgogne &: Dijon , petit se vanter d'avoir donne nais- sance a un si grand nombre d'Hommes illustres i QuandPiRON eut ete admis a PAcadrmie de Dijon, il ^crivic au President Richard de Ruffey : Eh quelle place *> voulez-vous que j'occupe dans none Academic, parmitant de Genies originaux & sublimes, qui y repandcnt le plus a grand eclat 1 N'otre bon - honirne Rarneau , avec la plus petite dose de gios sens comnmn , tout brut & sai:s >j manege , n'a-t-ii pr.s de son senl ge"nie ecrase tous ics Troubadours de Provence & d'ltaliej Notre rier Crebiilon 3 as ( devant Apollon soicnt fes Manes; avec une tres-Iegere cri,.- ceiie dc ce que le vulgaire appeiie esprit, & n'ayantque son >s geiiie tout nud, ne laisse-t-il pas un a-pic dcvora-.it & 1c vautour de Piome:bee au C'Oeur tnvieux. . . . Je ne vous pa:lo''ai point dc M. dc Burton. Cc: horame de geuie appar- v tienc a i'Uraven.. J'cntends les Norma.ids se vaurer d'avoir 33 uroduit Mfil.'K.bc j iain:-Ev;cr-ior.d, (-hauiieu, PonteueHe ,; 33 pas un ot at C jiii.Ui* . FIE D* ALEXIS PIRON. 14$ & veritablement grands? Cette province est la seule , si Ion veut parcourir tons les Arts , toutes les Sciences , toutes les branches diverses de la Litterature., qui ait a se glorirkr , a l'exempic de laGrece &c de l'ancienne Rome d'avoir prodnit, dans tons les genres, des Genies du premier ord re. Le Bel esprit ne parok pas avoir encore ravage cette heureuse contree. C'est aux ombres immor- telles des Bossuet > des Bouhier _, des la Monnoie _, des Crebillorij des Piron , a veiller sur elle , & a la defendre des attsques de cet ambitieux ennemi du Genie. Quelle influence en effet ces excellent Modeles ne doivent-ils pas avoir sur les esprits? Qui ne brulera pas , comme eux , du desir d'il- lustrer sa patrie? Quelle elevation leur renommee nedoit-elle pas porter dans rime de celui qui a eu le bonheur de respirer, en naissant, le meme air qu'ils ont respire? En un mot, quel pouvoir leur exemple n'aura-t-il pas sur 1'amour- propre honnete , qui fera scs efforts pour les imiter , les suivre, les egaler, les surpasser meme, s'll est possible ? C'est ainsi que le coeur dePip^ON 144 vlE D' ALEXIS PIRON. s'cnflamma. Cette foule de Savans , de tout rang & de tout etat , frappa ses premiers regards j des lors il jura de suivre leurs traces , &: remplit son serment, malgre les obstacles que la fortune ne cessa de lui opposer. Jamais 1'amour de la patrie n'eut plus d'empire sur un cceur, que sur le sien. Glorieux d'etre neBourguignon, il concut, malheurensement trop tard, le dessein de faire Teloge des Hommes illustres de sa province : mais il n'a fait qu'ebau- chcr cet Ouvrage, qu'il commenca dans un temps ou il etoit presque avenglc. On doit regretter qu'il n'ait pu l'achever. Il s'etoit fait une si haute idee de letat d'Homme de Lettres , qu on ne doit point etre etonne de la fierte avec laquelle il en soutenoit la noblesse. line souffrit jamais qu'on osat la rabaisser en sa presence , & e'est ce qu'il fit sentir a un grand Seigneur, dans Pappartement duquel il etoit pret d'entrer, comme celui-ci reconduisoit nne personne qualifiee. Passe% j Monsieur, dit le maitre du logis, a la personne qui s'arretoit par politesse ; VIE D* ALEXIS PI RON. 14 j politcsse ; passe% ; ce nest quun Poete. Puisque les qualites sont connues , repartit Piron , je *> prends mon rang , &: il passa le premier. 11 ne devoit point, a la reflexion, de pareilles reparties , clles lui etoient inspirces sur le champ , par cette elevation qui regnoit naturellement dans son ame. Si l'education qu'on recoit sous des Maitres habiles , consiste dans les lecons de sagesse &: de vertu qui forment le coeur , &: dans les bons preceptes qui developpent l'esprit &" ie rendent propre a embrasser les Sciences humaines : si a ces lecons & a ces preceptes 1'E'eve joint des dispositions heureuses, 6V que pour surcroit d'en- couragement, il trouve encore, au sein de sa famille , des modcles &: des exemples , personne ne recut une meilleure education , &: n'en profita mieux que Piron. Malgre les peines qui traver- scrent les trois quarts de sa vie , il perfectionna ses talcns naturels , par l'etude des grands Mo- dels de TAntiquite Grecque & Ptomaine. La laigue d'llomere lui etok aussi familiere que celle de Firgile. U paroit done que ceux qui lui k 14* FIE D* ALEXIS P1R0K reprochent une certaine durete de style, &: un defaut de gout &" d'harmonie, se trcmpent, en l'attribuant a son peu d'education. lis abusent de l'aveu qu'il a fait souvent , non de son peu d'edu- cation, mais dune privation de fortune, qui ralentit ses progres. S'il eut cte depourvu de gout j s'il eut meconnu l'harmonie , auroit-il senti si vivement cclle qui fait Ic charme de la poesie d'Homere, de Kirgile 3 cV & Horace? Auroit-il admire CorneilU ? Auroit - il eprouve ce doux ravissement que produisent les vers de Racine qu'il savoit par coeur ; il admiroit son style inimi- table, qu'on ne trouve depuis dans aucun de nos Poaes , sans exception , Sc qu'aucun de nos Poetes a venir ne ressuscitera peut - ctre jamais. Cette durete pretendue qu'une critique injuste & jalouse exagere , &" qu'elle a aussi reprochee a 1'illustre Crebillon, tient a la maniere forte dont ils concevoient leurs pensees. C'est meme ce qui distingue particulierement le genie, de l'esprit. Le genie ne produit que des beautes males, dont les graces nerveuses rejettent tout ornement qu'clles ne tiennent pas de la Nature : l'esprit au contraire ne produit que des beautes dedicates j soumises PIE D> ALEXIS PlROK 147 an caprice des gouts divers ,&: dont les graces taolles & fugitives ont besoin de toutes les res- sources de Tart pour seduire &" pour plaire. Les unes sont de tous les temps &: de routes les nations , & arrachent , comme malgre nous , nocre admiration ; les autres dependent des lieux, des temps & des circonstances , &: le gout qui les admet est inconstant comme elles. Un reproche que Ton fait encore a Piron , tombe sur les premieres societes qu'il frequenta; & dans lesquelles il contra&a, dit-on , cette aprete , cette radesse qui choque si fort ses Criti- ques trop delicats. Le ton de la societe peut influer , sans doute, sur ce que le vulgaire appelle communement Tesprit , mais ce ton ne change fien au genie. L'espric imite 6V le genie cree : Tun est un miroir qui recoit &: reflcchit la lumiere , le genie est une flamme divine qui la produit & la rcpand. Piron , a soixante ans, avoir le memo genie qu'a vingt ans , avec cette difference essen- 1 tielle , qu'il l'avoit fortifie par la reflexion 6V par letude. Ge n'est en e#bt que dans la solitude & le k ij 14S FIE D' ALEXIS PIRON. silence du cabinet , qu'on peut nourrir son genie par une reflexion profonde sur soi - meme , &: epurer son gout par la meditation continuelle des bons Auteurs anciens & modernes. Quiconque , avec des dispositions hcureuses , s'en tiendroit a ne voir & a ne consultcr que ce qu'en nomme souvent , mal-a-propos , la bonne Compagnie , courroit risque de s'egarcr. Je dis plus , la fre- quentation prematuree du grand mende, outre qu'elle detourne de letude , ne fait que des homines vains, parce qu'on se bate d'enivrer de louanges , les talens precoces , sous pretexte de les encourager. Piron fut assez henreux pour netre point gate par la faus.se louange , il n'eut d'autre aiguillon que sa verve, tk d'autre encouragement que sa propre volonte. Aussi fnt-il toujours modeste. Si les Societes que la province lui offrit d'abord n'avoient ni le brillant ni la legerete de celles de Paris , il y rcncontroit du moins les Bouhier , les Demay , les laMonnoie, & beaucoup d'autres Savans, avcclesquels il s'instnmoitj & sans doute ces Societes vaioient bien la bonne Compagnie VIE D* ALEXIS PIRON. 149 dcla Capitale, ou Ton fait si souvent la guerre au bon gout &: au bon sens. A11 reste , si ses Rivanx eussent eu a vaincre, comme lui, les obstacles qu'il a vaincusj si , comme lui , ils eussent ete forces de lutter sans cesse contre la fortune, je douce qu'iis les eussenc surmontes avec autant de courage , de gloire &" de vraie philosophic La cclcbritc qu'il s'etoit acquise , depuis qu'il avoit quitte Dijon , engagea l'Eciiteur de la Bl- bliotheque des Auteurs de Bourgogne, a lui deman- der qu'il composat Particle concernant Piron le pere, & en meme-temps qu'il voulut bien aussi faire celui qui le regardoit Itii-meme. II s'en defendit longtemps. On lui ecrivoit lettres stir lettres auxquelles il ne repondoit point. Enfin 1'Editeur le pressa tant , qu'il lui envoya seule ment Particle de son pere , tres-bien fait &: tres- ample: a l'egard dusien, il etoit en deux lignes. La vraie modestie rend ordinairement l'amour-pro- pre muet. Mais par tine mal-adresse qu'on ne sau- roit comprendre , 6V qu'on ne pent excuser , 1'Editeur de cette Bibliotheque , au lieu d'y inserer k iij iyo VIE D' ALEX IS Pi RON. ces deux articles tels qu lis etoient , s'avisa d'ea substituer deux autres , si sees &: si dechar- nes, que Piron en fut pique. II ne s'en vengea pas autrement } qu'en communiquant les siens tels qu'ils les avoit composes , a TAbbe Desfontaines y au moment que ce Journaliste alloit rendre compte de la Eibliotksque des Autcurs dc Bour- gogne. Le Critique en profita , & les insera dans sa feuille , en reproehant , a 1'Editeur , son peu de disccrnement. Malgre la foiblessede sa vue, Piron entrctc- noit une correspondance trcs-etendue &: trcs-exa^te^ avee scs protefceurs , ses amis , & beaucoup de Gens de Lcttrcs tres - celcbres. C'est dans ce commerce epistolaire qu'eclatte singulierement sa gaiete , sa franchise, 6c toutes les excellentes qua- litcs dc son cceur & de son esprit. Quoique ne pour rEpigrammCj il avoit la satire en horreur. II n'empoisonnoit jamais le trait qu'il lancoit : toujours plus de gaiete que dc malice, &: jamais de noirceur. Si ce que j'avance ici n'etoit pas avoue par tous ceux qui Font connu, j'en rappor- teurs mil'c preuves pour une. Je me conteatcrai FIE D* ALEXIS PIRON. iyi de citer ici la reponse qu'il fit a la lettre d'un Chanoine de la Sainre-Chapellc de Dijon, qui lui demandoit unc satire contre une personnc qu'il lui nommoit. Vous avez jete les yeux sur moi , lui repondit-il , eomme sur quelqu'un qui y> pourroit-etre moins honnete homme que vous, & moins Chretien : vous vous trompez. Si je faisois une action si infame,je me rendrois >> eterneliement indiprne de la societe &: de Pes- time des honnctcs gens . Ce caractere plein de bon-hommie., de fran- chise &: d'honnetete, le faisoit rechercher autant que les charmes de son esprit & de sa conversa- tion. Toujours brillant, toujours nouveau , il ne i'epuisoit jamais. Ses saillies, ses bons mots, cou- loient de source avec un naturel &: une simplicite charmante. La plus lcgere circonstance , la moin- drc question, lui foumissoient d'excellentes repar- ties-, temoin celle qu'il fit a un Eveque, qui lui demandoit, d'un ton a qneter un eloge : Ave%- vous lu mon Mandcment , Monsieur P I R O N ? *' Non, Monseigneurj 6V vous? . k iv iyi VIE D'ALEXIS PIRON. I l avoit entierement perdu la vue , dans les dernieres annees de sa vie* & comme il ne sor- toit presquc plus de chez lui , il etoit enchante qu'on le vint voir. U mettoit tant de gaiete dans sa conversation , fk Ton se plaisoit si fort a l'cn- tendre , qu'on ne l'interrompoit que pour lui fournir le moyen de reprendre la parole avec une nouvclle chaleur & de nouveaux agremens. Une Dame infiniment aimable 5 tres-spirituelle , &: trcs-jolie , temoigna l'envie de le voir 6V de causer avec lui. Elle y fut conduite par M. R** , qui connoissoit Par on, &: l'avoit prevent! stir cette agreable visite. La Dame etoit instruite de la haute estime de Pirgn pour son ami le Pre- sident de Montesquieu. Jalouse de lui donner une idee avanrageuse de son esprit .,&" de ne pas paroi- tre aussi superficiellc que la plnpart des personnes de son sexe, elle entama la conversation par l'eloge 6V l'analyse de {'Esprit dcs Zoi^jOuvrage au dessus de la portce , je ne dis pas des femmes , mais des trois quarts des hommcs mcme les plus savans. Elle soutint assez bicn son texte , pendant cinq ou six minutes , ck: elle commencoit a s'ern* FIE D' ALEXIS PIRON. 15-3 brouiller, lorsque Piron s'en appercut, & lui die : Madame , croye\-moi ., sauve^-vous par le Temple de Guide \ Cette heureuse saillie ramena la gaiete dans la conversation > & cette Dame y fit bnller alors, tous les agremens de son esprit. Tous ceux qui ont vecu familierement avec Piron, rendent justice a la beaute de son ame & a l'excellence de son cceur. Je voudrois voir, ecrivoit-il , en 1 7 6 6 , a M. le Gou% de Gerlandj tous ceux que j'aimc , Sc que j'estime ne h faisant qu'un meme cercle ; &: moi dans le jj centre, les faire rire a la ronde, dut-ce etre a j mes depens. Le singe n'auroit point de regret a sa monnoie > en si belle &: pleine jouissance . Avec quelle effusion de cceur ne m'a-t-il pas parle cent fois de ses illustres &: principaux Bienfaiteurs ., M. le Comte de Livry _, M. le Prince 1 Le Temple de Guide 3 Ouvragc galant & voluptueux dc la jeunesse du President de Montesquieu. I j4 VIE D' ALEXIS VIROK. Charles , M. le Due de Nevers , M. ie Comtc de Maurepas , & M. le Due de la Vrillierel Que seroit-il en effet devenu sans leur protection &: leurs secours genereux! Mais s'il estdoux, pour un caeur reconnoissant , de se rappeler sans cesse , avec transport j le nom cheri de ses Bienfaiteurs ; n'est-il jpas plus doux encore d'avoir a se dire a soi meme: j'ai rempli les devoirs sacres de l'hu- manite; 6V pour comble de satisfaction, mes bienfaits sont tombes sur un etre malheureux, &: qui les meritoit ! Sensible au merite de ses Rivaux , Piron nc les attaqua jamais -, Sc TEpigramme, qu'il avoit toujours prete , n'etoit que pour sa defense. Lors- qu'un de ses amis vint lui annoncer la fausse nouvelle de la mort du plus celebre Poete de nos jours , il fut temoin dn saisissement qu'elle lui causa. 11 vit Piron se lever avec vivacite de son fanteuilj s'agiter, cV s'ecrier a plnsieurs fois: Ah ! le pauvre homme! Quelle perte ! C Utoit le plus hel-esprit de la France] Puis rcprenant ses sens, dire a son ami : au mains , Monsieur , vous me reponde\ de voire nouvelle. Qu'il est aisc de voir. VIE D'ALEXIS PIRON. ijy comme l'a judicieusement remarque M. Bret l , que cette anecdote peint,dans sa tolalite , le cceur & V esprit de Pi RON. Par son exclamation , il rend un juste hommage a son Rival. Mais son iniaris- sable gaiete renait tout-a-coup. 11 se rappelle toutes les plaisanteries quil setoit permises sur cet Ecri- yain celebre ; & il veut encore soutenir ce role qui I'avoit amuse : voila la source du dernier trait. M. Bret ajoute , que le Panegyriste 2 de Piron a y entablement frappe au but , lorsquil a dit que cette espece de guerre d' esprit netoit y au plus, que le resultat du projet quil avoit forme > de moderer I'enthousiasme exagere des partisans de son Emule , a. cote duquel on semble ne vouloir admettre aucun autre Po'ete. Cette observation est d'autant plus juste, que Piron, naturellement modeste, ne pouvoit soufFrir la louange, meme la plus mode- rec; & qu'il disoit que rien n'etoit plus capable i Voyez Journal Encyclopedique d'Avril 1775 , Tome III , parr. II. pag. 309 & 510. 2. Voyez Eloge de Piron , Id a la seance publique de l'Acadcmie de Dijon, du 23 Decembrc 1773 , par M. Ferret, Avocat, Secretaire perpetuel , pour la paitie des Bdles-Lettres, Paris , chez Pissot , Libraire , 1 774. 156 VIE D 1 ALEXIS PIROM a inspirer la modcstie , que de voir un Auteur ivred*encens,a peu pres comme ces miserables Hoces que les Spartiates enivroient , pour inspirer a leurs enfans Pamour dc ia sobriece. Si dans sa jeunesse Piron ent le malheur dc blesser la decence & les mceurs , par un petit nombre d'ecrits Ikentieux , il respe&a toujonrs la Religion 3 contre tequelle il ne s'est jamais eleve dans aucun de scs Ouvrages. 11 a meme donne des marques publiques de son repentir sincere, au sujet dn scandale qn*il avoir cause. 11 traduisit les Pseaumcs de la Penitence j & e'est a cette occasion qu'il ecrivoit a. M. Tannevot 3 Poete & Philosophe Chretien * : Ma sincere & chre'tienne palinodie y Monsieur y apn's la satisfaction de ma conscience , ne pouvoit men causer une plus sensible , que de ni" avoir rappele dans votre souvenir. Nos demi- beaux Fsvrits, nos quarts de Philosopkes, peuvent me ridiculiser tout a leur aise. Un suffrage i Voyez Tome VII, pag. 415. Voyc7 aufli l'e'loge de M. Tanncvo: , dan? lc Necrologe des Homines eclcbres. dc Jrauce 1775 , page 66. VIE D'ALEXIS PIRON. lyy mussl desirable que le voire , a tous egards , & sur- lout pour VOuvrage en question A acheve de aiai consoler -pleinemenu Une chute facheuse qu*il fit au mois de De- cembre 1771, hata son dernier moment. Malgre cet accident , il conserva sa gaiete jusqu'a sa mort. Sa niece , qui etoit mariee depnis trois ans , avoit cache, parune delicatesse tres louable , son mariage a son oncle , dans la crainte qu'il ne crut qu'elie alloit Tabandonncr. Mais elle fnt bien etonnee de s'entendre appeler par son nom de femme , lors de la lecture du testament de son Oncle , qu'unc egale delicatesse avoit empeche de lui faire connoitre qu'il savoit son mariage. C'est aux soins assidus &c constans qu'elle lui a rendus pendant jo ans, qu'il a du la tranquillite dont il jouissoit. Elle le pleure encore tous les jours , & croit le voir en jetant les yeux sur son buste, fait par M. Caffieri 2 , ouvrage de l'amitie , que l'art 1 Elle est femme ee M. Capron, excellent Musicien , & celebre Hans son arr , par la legeretd , la finesse & 1'agr^- snent de son jeu sur le violon. 2, M. CarBeri, Sculpteur du Roi, & Profcsscur de 1'Aca- Ij8 VIE D'ALEXIS PlRON. a consacrc a l'lmmortalite. Pi RON mourut 1c Jeudi 11 Janvier 1775, a 11 heures du soir, ago de 8 3 ans, 6 mois 1 2 jours. demic Royale de Peinture & de Sculpture , ayant fait , en terrc cuite , le buste de Piron , son ancien ami, l'a execute" en marbre,pour ctre place dans la salle qu'on doit construire pour la Comedie Francoise. II a etc expose cctteannee 177 J , au Sallon, & areunitous les suffrages, tantparlaressemblance fiappante de ce Po:*re celebre, qu'il fait revivre , que par la beaute* , la finesse , Telegancc & la perfection jdu iseau dc rArtisce. L C O L E DES PERES, COMEDIE- A SON ALTESSE S^R^NISSIME MA DAME LA DUCHESS E DOUAlRlfiRE M A D A M E> Xl y a quelque temerite sans doute h placer ici Vauguste nomde V. A. S. Mais puisje entendre Id. yoix publique y & mettre aujourunPoeme oh triomphe la tendre generosite , sans le dedier a. une Princesse qui j dans toutes ses actions } en est le plus constant & le plus par fait modele f Cette mime voix m' aver tit quejeferois tres-malma cour, si, me laissant allerau plaisir d'etre son 6cho , j'osois travestir cette Epitre Tome I. A 4 PREFACE, quelque chose d'aussi detestable que Pingratitucfe filiale , je craignois que le coloris ne fin trop vif , ou l'expression trop forte. II a resulte de cette crainte assez raisonnable , que ces Fils en tout , representent moins , dit-on, des Enfans ingrats, que des Enfans 8c ces Hommes , faits a-peu-pres comme tous les autres , c'est-a-dire , des Enfans &c des Hommes uniquement occupes d'eux-memes & de leurs in- teretsparticuliers.Du moins s a mon grand etonne- ment , de ces Personnes intelligences qui voyent &C quicomposent ce qu'onappelle la bonne Compagnie, & a qui on alloue ce qui s'appeile encore le bon ton , m'ont assure qua la sortie de la representation , ils n'en emportoient que cette impression contre eux. De pareils sentimens font toutefois que ces me- dians Enfans manquent vilainement a leur Pere , dans une occasion tres-essentielle. II setrouve mine par un evenement impreVu , sans que pas un des trois parle ni s'ingere de le secourir de la moindre partie des grands biens dontil s'etoitdepouille pour eux. La morale du siecle seroit-elle done si relachee , que ce ne fut pas la une faute encore assez capitale a ses yeux , pour justifier mon premiertitre? Quoi que m'ayent pu dire la bonne Compagnie & ces Messieurs du bon ton , j'ai bien de la peine a me le persuader. Ce qu'il y a de vrai , je l'avoue , e'est que ce trait de noire ingratitude n'est qu'episodi- :\ie 3 &: qu'encore une fois, je l'ai frappe avec le PREFACE. $ plus de management que j'ai pu , de peur de revolter, en ne voulant qu'interesser. Ainsi tout l'accommodement que j'y trouve , c'est de conti- nuer a croire , en mon particulier , ces Fils , des Fils ingrars & tres-ingrats , mais sans permerrre a cette qualification d'intituler desorxnais , on de caradte riser ma Piece. L'action principale roulant done sur le refus sett- lement que font les trois Frcres , d'epouser au gre de leur Pere , une OrpheLine , fille d'un Ami mine , a qui ce Pere devoit tous les biens qu'il leur avoit prodigues , il s'agit moins de leur ingratitude , que de l'aveugle prevention d'un Pere, qui, en leur orFrant cette Fille , les croyoit aussi tendres , aussi genereux , aussi desinteresses, aussi reconnoissans , qu'il se le sentoitlui-meme J qui les croyoit , si j'ose ainsi m'exprimer , son coeur com me son sang. Leur refus aggrave de l'indigne procede dont je viens de parler, lui dessille enfin les yeux : il se des abuse.} il les reconnoit pour tels qu'ils sont ; revient ainsi de ses preventions paternelles , se reproche sa fa.- cilite passee j & ressaisi de sss biens , redevient le maitre dzs Ingrats qui venoient de l'abandonner C'est-Ia le denouement de la Piece j & , par conse- quent 3 XEcole des Peres en est le vrai titre. J'avois tellement peur de remplir mon sujet . relativement a son premier titre , qu'a ce propos je Eae rappelle un fait dont je ne puis m'empeche! de Aiij C PREFACE. faire part a mes Leteurs , si j'ai Ie bonheur d'en avoir. Peut-etre ce fait servira-t-il merne a fonder deux verites qui ne seront pas indifFcrentes , l'une aux Amateurs du Theatre , l'autre aux jeunes Can- didats de mon metier. Rien, comme on concoit bien , ne se presentoit plus naturellement a l'imagination dans un portrait deFilsingrats, qu'une scene oil, par une sotte va- nite , <3c du hautde leur opulence , ils mcconnus- sem que le Comte lui-meme \ qu'un Homme enfin de toute autre condition que mes Fils ingrats\ Homme Aiv *$ PREFACE. de qualite , Homme a grands sentimens , Sc qui , comme on l'apprend de sa propre bouche , respecte infiniment l'Auteur de sa naissance. Toutefois ce lespe&able Auteur de sa naissance paroissant tout- a-coup devant luij en assez mauvais equipage, voila ce Fils respe6fcueux dans le meme embarras que celui dans lequel tombe ici mon drole de Pas- quin a. l'aspecl: imprevu de son pere Gregoire. La mauvaise honte du Glorieux ne lui laisse pas seule- ment le courage d'avouer devant son Valet , cet honnete-homme de Pere. L'Auteur , a tous egards _, plus verse que moi dans la pratique du Theatre, n'a garde aussi de rien perdre des avantages d'une situation si piquante } il l'etend, Ten j olive &c s'egaie le plus long-tems qu'il peut , sur la scandaleuse inquietude de ce coquin de Fils, dont la lachete va jusqu'a faire passer effrontement son Pere pour un de ses Domestiques. Machine si frcle 6c si casuelle, que peut-etre aussi se fut-elle detraquee trop aise- ment , si ., par une rare condescendance , ce Pere tres-indulgent ne vouloit bien lui- meme en etre un ressort , en se pretant a I'etrange foiblesse de son Fils. Autre coup de Maitre , autre hardiesse heureuse qui m^eiit encore ete bien autrement suspecte , si je Feusse imaginee , comme j'avois d'abord imagine la premiere &c la principale. L'evcnement favorable me detrompe done , 8c me detrompe d'autant plus , qu'il fut favorable a PREFACE. 9 rEcrivain de nos jours le plus attentlf aux mocurs, le plus delicat sur les bienseances , & le plus doue de cette simplicite nue &c sensee , qui tire toutes ses graces de la seule &c belle nature * sans le moindre secours des subtilites du bel-esprir. Venons maintenant aux deux verites qui resul- tent de ce detail , peut-etre un peu trop long. La premiere est que, si dans nos commencemens, nous sommes sujets a. faire des fautes d'inadver- tance , quelquefois aussi , comme on vient de le voir, nous pechons par trop de circonspection; la seconde , qu'heureusement rien ne se perd j & que l'habilete clairvoyante des Maitres qui nous regar- dent entrer dans la carriere , sait relever toujouts 6c recueillir ^ au profit du Theatre & du Public , ce qu'une timide 8c scrupuleuse inexperience peut nous avoir fait rejeter mal-a-propos, Cependant, l'avouerai-je ? Je ne serois pas plus hardi si c'etoit a refaire. Non que je veuille inferer de-la. que per- sonne ait tort : a Dieu ne plaise ! Mais c'est que telle chose, je ne sais comment , va tres-bien aux uns , qui ne reussit nullement aux autres. Que sais-je enfin , si dans cette parrie triomphante du Glorleux _, ll ne rcgne pas une finesse cachee , un correclif adroit , quelqtie fil imperceptible a mes foibles lumieres , qui conduit a un succcs immaii- quable , & , par consequent _, trcs-merite. Jl paroit bien que je ne suis pas revenu de ma jo PREFACE, premiere facon de penser , puisque parmi les chan- ge mens considerables que je me suis donne la. peine &: le piaisir de faire a cecce Piece, je me suis, pour la seconde fois , interdit un avantage si aise a faire vatoir , & rendu si legitime j & j'espere qu'on ne traitera pas ma seconde retenue , de moderation rorcee , en l'attribuant a la peur d'etre mis au rang des Ecrivains sur qui Von crie : O imhatores , servum pecus ! O pauvre petit troupeau de Singes ! Car je n'aurois pas eu ce reproche a me faire , puis- que j'aurois toil jours ere le premier en date aux yeux du Lecteur j & que je n'aurois fait que chasser de plein droit sur mes rerres , en transportane seulement cette partie du role de mes Acteurs subalternes, dans celui de mes Acteurs principaux Si peu qu'on m'eiit chicane la - dessus , j'en eusse aopele a l'equitable Auteur du Glontux lui-meme * qui , dans un cas pared , dit fort bien a la fin de la Preface de son Dissipateur : // m'esi permis de revendiquer un bun quon a usurpe sur moi y & de rentrer hardiment dans un droit qui ne soujfre point de prescription. Aprcs cela j'ai retouche , avec route Inattention dont je suis capable, la diction , les vers , le style , Ies moeurs & les caradieres. J'ai enleve &c change des scenes entieres. J'ai resserre Faction le plus qu'il m'a cte possible j 3c je lui ai sacrihe les morceaux us iravailles , pour peu que j'ave cru voir qu'ils PREFACE. ii en interrompoient la chaleur ou I'unite. J'ai trans- pose, retranche , rectifie 3 refondu ; enfin, ne pou- vant transmuer les metaux, j'ai fait du moins tou$ mes efforts pour les purifier. Que n'a pas dii souf- frir l'amour - propre d'une Muse un peu jalouse de bonne reputation , tout le temps que ces Pieces ( les deux premieres sur-tout) ont paru sous leurs anciennes formes ? Quel etat violent ! C'est le supplice d'une Coquette exposee long-temps aux regards, dans le desordre d'un neglige desavanta- geux. Juste punition de la prcsomptueuse impa- tience d'un jeune Auteur ! Puisse, pourl'honneur des Lettres , puisse mon exemple toucher mes nouveaux Confreres & leurs successems ! Puissent- ils , au lieu de se precipiter a la poursuite des hon- neurs litteraires, mettre un peu plus leur attention a les meriter ! lis donneroient decemment aux Muses le temps Sc les veilles qu'ils consacrent a la vanite du manege & des protections : Et avec ce qu'ils auroient de talens superieurs aux miens , quel accroisscment n'en resulteroit-il pas a. la gloire du siecle & a la leur ? Le travail leur acquerroit pouc long-temps deslauriers que Tintrigue & la souplesse n'usurpent que pour un bien petit nombre d'annees. La terrible balance en effet pour nous autres Auteurs , que le trebuchet d'un Lectern* impartial &: penetrant, assis a l'aise, Sc nous pesant tout a loisir dans le silence du cabinet ! Rien n'echappe u PREFACE. alors a l'homme aux cent yeux. Plans defectueux , Scenes ouvertes, finies & dialoguees sans cet en- ehainement naturel & si necessaire a la continuite de Paction \ plagiats manifestes ou deguisesj mau- vaise logique ; constructions vicieuses ; ambitieux ornemens ; termes foibles ou impropres ; rimes irregulieres j contradictions j negligences, dec. tout perce , tout se demele &c se decouvre : la faveurdes preventions , I'illusion theatrale , Ies petites res- sources de brigue & de cabale , le torrent de l'accla- mation , rien de tout cela n'agit plus : les talismans sont brises j tous les voiles dechires } rien ne se met plus entre Pceil & la verite. Qu'il rcste souvent pen de chose au fonds de la coupelle , apres que tont cela s*est evapore ! Une pareiile image ne doit-elle pas faire trembler l'Auteur le pins accredite ? Et quelle impression , a plus forte raison , n'a-t-elle pas du faire sur moi ! C'est pourtant cet Homme sage & recueilli dans la paix du cabinet, que nous devons sans cesse avoir present dans les tourbillons du notre. Oh ! que cet Homme si paisible & si froid m'a faitsuerj sans que je sois encore , ni que je doive etre jamais aussi tranquille que lui ni que ses pareils ! Plut au Ciel que ces sortes de Le&eurs , pen nombreux & bien assis , fussent d'aussi bonne com- position que des milliers d'Auditeurs debout , que j'ai vu souvent s'extasier a nos Spectacles , quand PREFACE. t $ raisonnablement ils auroient du s'endormir , tout debout qu'ils etoient ! Ce seroit alors le cas de se produire au grand jour dans une pleine securite 8c sans le secours des Prefaces. Alors , libre des efforts de l'invention , 8c souvexainement affranchi de l'empire du bon sens 8c de la tyrannie des regies , on se pourroit perdre impunement , 8c meme avec succes > dans le vague de son imagination ou de; celle d'autrui. Les exclamations alors , les meta- phores outrees, les maximes triviales , les epithetes accumulees, recits, portraits , antitheses , centau- tres superfluites harmonieuses 8c deplacees , tien- droient lieu d'aCtion , de vrai , de sublime 8c de pathetique. Alors , l'aile brillante 8c legere du pa* pillon dispenseroit du vol de l'aigle ; 8c l'eclat du verre 8c de l'oripeau suppleeroit a celui de For 8c des pierreries. Que de ratures , de recherches, de veilles 8c de peines epargnees ! Le beau chemin pour aller commodement a lagloire! Mais , par malheur, ce beau chemin n'est qu'une chimere. Cette hu- meur accommodante d'un Lecleur eclaire n'existera jamais. Malheureusement encore, le suffrage d'un seul de ces Lecterns si difficiles , pese plus que celui d'une centaine de ces Auditeurs si benevoles ) 8c , qui pis esc enfin , ce suffrage est celui qui reste 8c qui nous apprecie j le seul qui nous immortalise pu nOus aneantit. Mais revenons a ma Piece. Entre bien des defauts i 4 PREFACE. qui ont resiste a la reforme , }Qi\ laisse deux consi- derables. Le premier est repandu dans les quatre derniers Actes. C'est le langage grossier du Paysan. Le second , bien moins excusable , c'est cette partie sombre du Poeme , qui vise au Larmoyant. DirFormite presque inevitable dans un sujet de la nature de celui-ci. Le jargon du Paysan n'est pas insupportable a toute sorte d'oreilles. Gaire, precision, justesse, energie , vcrite , tout cela lui est passe en compte par plus d'un bon esprit, mais ne le sera jamais, il est vrai , par ces Athletes qui , debout sur I'arene des Colleges , Non indecoro pulvere conditl. Se croyant la converts d'unc noble poussiere , sont les Champions-nes &C declares des regies de la Syntaxe. Ainsi ma cause seroit bien aventuree au tribunal de l'Academie Franchise. Mais je prends l'honnete hardiesse d'en appeler au Souverain , au Public , devant qui j'ai d'assez beaux modeles 3c d'assez bons garants a produire. Bonrsaut , Du- fresni , Regnard , Moliere , & d'aiitres Comiques de cette voice , pour n'avoir pas grossi de ieurs noms la liste des hnmonds , nen sont pas moins vivans ni moins en bonne posture sur notre Paruasse. Leur P R E FA C E. i $ txemple petit mcriter a mon Gregolre la merae grace qu'onc trouvee les A 'lalns j les Georgettes 3 les Marlines ., les Gulllots , tant d'autres pareils Personnages inrroduits dans leurs Chef-cTcEiivres, Eh ! pourquoi le Theatre , comme la Peinrare , n'auroit-il pas ses Tenures ainsi que ses Raphaels ? Le Paysage n'est pas la moindre partie de ce bel Arc j & lorsqu'on jette des figures dans le Paysage , y drappe-r-on celle du Villageois qui passe , comme celle du Gentilhomme qui court le lievre ? Que n'aurois-je pas encore de mieux a dire a mes graves Aristarques pour ma justification sur cet article , si 1'autre vraiment capital, ne me pressoicinfiniment da vantage ? Le second 5c le plus grand acfaut que je me reproche done , est, comme je 1'ai deja dit, cette parrie sombre du Pocme , qui excite a la commi- seration pour un Pere abandonne par des Enrans sans naturel Sc sans pudeur. Si les Maitres de 1'art out bien permis la cole re & i'inve&ive a Crimes : Internum iratus tumido diiitigat ore , jls ne lui permettent pas le desespoir & les larrnes; parce que i'inve<5bive & la colcre melees a propos dans une Comedie , peuvent ne rien avoir de tra- gique j ainsi que le beau familier, manic habile- nun: dans la Tragedie , peut ne rien avoir de co- ifi/ s de Gcronu. R A S T E , Auditeur J G R E G O I R E , Metayer de Gerontc P ASQUIN , Fits de Gregoire & Valet de Gerontc. N E R I N E , Suivante d'Angelique. L A Q U A I S des trois Fils. La Scene est dans V Antichambre de Gerontc. L'lCOLE DES PERES, C O M E D I E. ACTE PREMIER. SCENE PREMIERE. GERONTE, CHRISALDE. Chrisalde. -T2lH ! que me dites-vous ? Quoi ! la belle Angelique Geronte. Oui, monFrcre-, d'Argante elle est laFille unique. Chrisalde. De ce Negotiant si riche, disoit-on? G E R O N T E. Oui, de ce chcr ami que j'avois a Toulon*. Chrisalde. II meurt pauvre ? G E R O N T E. Obere. B iij iz VECOLE DES P^RES^ Chrisalde. Sa chute , je l'avoue. . . * G H O N T E. Dc k fortune ainsi tonrne , ici bas , la roue. Depuis un an entier , la perte d'un Vaisseau A cause sa ruine , &: l'a mis au tombeau. Voila, de ses malheurs, la premiere nouvelle, II auroit dii compter sur un ami fidele \ Et fans s'abandonner a son mortel ennui , M'ecrire , & s'assurer que j etois tout a lui. Sa disgrace, apres tout, n'etoitpas sans remede. Ce que j'ai lui restoit. Sa fillc lui succede ; Sa fille heritera de ce que je lui doi % Et vous n'ignorez pas ce qu'il a fait pour moi, Chrisalde, Vous m'avez dit cent fois qu'Argante , en Italie a Au peril de ses jours, defendit votre vie; Puis , vous associant a sa prosperite , Vous mit dans l'opulencc ou vous avez etc. Angelique est au point ou vous trouva son Pere. Mais pour elle, entre nous,que voulez-vous qu'opere Ce tcndre cmpressemcnt que vous lui faites voir 1 Geronte. Je songc a son bonhcur ; & je la vcux pourvoir. Chrisalde. De scmblables projets nc sont pas des vctillesv 1 a pourvoir I Et comment? C O M E D I E. i? Ger on t e. Comme on pourvoit les Fillers En la mariant. Chrisalde. Oui , je vous entends fort bicn , Mais a qui , s'il vous plait? Angelique n'a rien. Vos Fils vous ont rendu presque aussi pauvre quelle, Aurois-je penetre le but d'un si beau zele? Vous la voulez pourvoir , peut-etre , en lepousant ? Mon Frere ,une main vuide est un mauvais present. G E R O N T E. Touche de sa beaute , d'abord , malgre mon age, Je formois , je Tavoue , un projet si peu sage - y Et laissois naitre en moi , sons ombre de pitie , Des sentimens plus vifs que ceux de 1'amitie. De-la vient qu'a mes Fils , qui lui rendent visiter J'ai cache , quelque temps , mes pas &: ma conduite , Et que , de ce qu'elle est , loin d'a voir nuls sonpeons, Us ignorent encor que nous nous connoissons. Mais je me suis bientot reprochc ma foiblesse. La Jeunesse est pour ctre unie a la Jeunesse : Et l'offire de ma main tiendroit plus , en efFct , De Tabus du malheur , que du prix d'un bienfait. Chrisalde. Votre age ici nuiroit moins que cette indigence , Ou vous a , pour vos Fils , reduit votre indulgence. Avec un bon esprit , tout homme bien rente, L'emporte en agrcmens sur un jeune evente. Biv * 4 L' EC OLE DES PJSRESj Mais nc la pouvant rendre heureusc par vous-meme, A qui done la donner dans sa misere extreme ? GERONTE. A celui de mes Fils qu'elle aimera le plus. Chrisalde. Fort bien. Avez-vous pris leurs avis la-dessus ? Geronte. I/honncur interesse n'a point d'av is a prendre ; Et suppose qu'aux leurs il me fallut descendre , Je les sais trop bien nes & trop reconnoissans 3 Pour ne pas ressentir tout ce que je rcssens. Chrisalde. Quelle prevention ! Geronte. Eh ! oui , oui ; je radote. Chrisalde. Vous jugez trop bien d'eux ; voila votrc marote. Geronte. Votre marote , a vous , est d'en juger trcs-mal. Leur respeel:, leur amour est pour moi sans egal. Pourquoi vouloir contr'eux que mon courroux s'emcuvc Chrisalde. Eh ! vous n'avcz pas mis cet amour a 1'epreuve. Geronte. Chaque jour je. leprouvc , 6V jusqu a cet instant, Je n'ai point a m'en -plainclre , & j'en suis tres-contcnt. C O M E D I E. 15 Chrisalde. Parce que , chaque jour , de vos folles largesses, Jusqu'ici vous avez achetc leurs caresses ; Mais le mal est G e r o N T E. Mon Dieu ! Voici de vos discours ! Epargnez-vous le soin de parler a des sourds. Le mal , si e'en est nn , est un mal necessaire. Aura-t-on done toujours ce reproche a me faire? De tout ce que j'avois, j'ai fait part a mes Fils : Oui , mon Frere ; cxrjcfis fort bien , quand je le fis. Le poids de la richesse , a notre age , importune. A peu de passions, suffit pen de fortune. De Tor & de l'argent , sources de tous plaisirs, La jouissance est due a 1 age des desirs. Devois-je, a votre avis , thesaurisant sans ccsse, Imitcr ces vieillards , tyrans de la Jeunesse , Qui , la faisantlanguir , sans etre plus heureux, La privent des plaisirs qui sont pcrdus pour cux ? Et que devient souvent le bien d'un Pere avareJ L'Heritier est frustre, l'Usurier s'en emparc , Cctte pestepubliqueayant, a notre inscu, Devore l'heritage , avant qu'il fut echu 5 Ou , si le fils echappe a ce desordre extreme , Le Pere est deteste, Je veux , moi , qu'un fils m'aimej Et ne soit pas reduit, pour voir changer son sort, Au deplorable point de desircr ma mort. iG L'ECOLE DES PERES,, Chrisalde. Jc m'en remcts sur eux du soin de vous confondre. Geronte. Si j'en suisobei, qu'aurez-vous a repondre ? Chrisalde. Rien. Mais j'en doute fort. Geronte. Moi , j'en doute si peu T Et suis , avec raison , si sur de leur aveu , Que , sans leur en parler , je suis pret a conclure. Je viens d'envoyer meme expres chez la Future > Lui demander une heure ou je puisse la voir ; Mon offre &: son choix faits , ils feront leur devoir. Chrisalde. Avant que de rien dire a la belle Angclique , Je deploirois d'abord, pres d'euXj ma rethoriqnCj, Et ne hasardant rien Geronte. Peste soit de Pasquin ! Dcpuis une heure anssi que j'attends ce coqtiin...*. C O M E D I F. 17 SCENE II. gronte, chrisalde, pasquin. G er o n t l itH! Viens done. Qu'il te faut de temps pour pen de chose! Pasquin. De Tun de vos trois fils la cuisine en est cause. En passant, commeun basque ,auprcsdesamaison, De cent ragouts exquis la douce exhalaison M'est , parun soupirail , venu rompre en visiere ; Mon ame en a passe dans mon ncz , touteenticre> Et piquant l'appetit dont le Ciel m'a doue , Stir la place , un instant , Vodorat m'a cloue. Excusez , s'il vous plait , ma friandise emue Dcs charmes d'une odeur , chez vous, si peu connuc. Si vous vous ofFensez d'un plaisir si leger, Notre pain sec ici va bien vous en venger. G E R O N T E. Pour un mechant Valet , ma cuisine est trop bonne. Dis seulement quelle heure Angeliqne me donne. Pasquin. V r ous n'avez qua l'attendre, & qua rester ici : Kile me suit , Monsieur \ $c deja la void. z8 L'ECOLE DES PERES, $mmmmmmmmmmm mmmmmmmmmmKmmtmmmmmmmm mmmmma m mKmk SCENE III. G&RONTE, CHRISALDE, ANG&LIQUE, P A S Q U I N. G i R O N T E. jlV.il ad ame , a vos malhenrs , qu'enfin je remcdie ; Et que j'assure ainsi le repos de ma vie. Votre Pere , qui fit pour moi plus que pour vous , Pour sa Fille aujourd'hui me demande un Epoux. Tout ici , grace a lui , prospere a ma Famille. Partagez ma fortune , en devenant ma Fille. Mes Fils sont a leur aise ; en offrant l'un des trois , D'un assez riche Epoux , je vous offre le choix. Chrisalde, b&s. Je vous offre un sanglant affront. Geronte. lis vous ont vue j Vous leur avez parle , sans en etre connue. Vous pouvez dire ici votre gout librement. Lequcl vous plait le micux?Parlez-moi franchement. De celui pour lcquel votre cceur s'interesse , Je vous promets la foi , l'cstime & la tcndresse. PaSQIUN, a Voreillc de Geronte. Etmoi Je vous promets , Monsieur, unpieddenez. C O M E D I E. i$ GeroNTE, has. Maraud I (.kaut). Sachons pour qui vous vous determinez. Je vous ai vu rougir. Angelique. Ma home vous abuse. De vos bontes , Monsieur , vous me voyez confuse : Cest la seule raison qui mauxoit fait rougir : Mais .du reste , a son gre , votre choix peut agir. Nommez qui vous plaira : cet Epoux respectable , A mon coeur penetre , nc peut qu etre agreable , Des qu'en lui je verrai , joignant mon sort aii sicn,'. Le choix d'un pere en qui je retxouve le mien. G E k o N T e. ,'i Mais peut-ctre undes trois l^emportesurscsficresj Est-ce lc Capitaine? Est-ce l'Hom me d'affaires ? Seroit-ce lAuditeur? Angelique. lis sont tons trois vos Fils > Ccla fait tout pour eux. Prononcez; j'obcis. Geronte, Ainsi ni vous ni moi ne realerons la chose : o Et je vois bien qu'il faut que le Ciel en dispose. J'etudierai leurs cceurs , 6V vous promets stir-tout, Celui qui , pour l'hy men, aura le plus de gout. Jevaislcurenparler. CHRISALDE, Farrhant. Mon frere ! 3 o ricoLE des pres> GERONTE, brufquemcnt. Quoi! monfrerc? C H R I S A L D E. : De grace, donnez-vous le plaisir du mystere. De la fille d'Argante en exposant le droit , Laissez.-leur ignore r que c'est Madame. Geronte. Soit. Chrisalde. Qu'ils ne sachent, qu'apres 1'arFaire bien conclue, Que la fille d'Argante est celle qu'ils out vuc. Geronte. Trcs-volontiers. Chrisalde. L'cpoux d'nn objet si charmarit N'en sera que surpris plus agrcablcmcnr. Geronte. C'est bien dit. ( II sort). PASQUIN ( has a Chrisalde qui sort aussi ). Lcs Vilains ne voudront jamais d'elle. Chrisalde (has a P'asquln ). Comme tu vois , l'injufe en sera moins cruelle \ Et du moins ce qu'ici je conseille a dessein , Diminuera FaiFront dun refus trow certain. 2C C O M E D I E, 31 SCENE IV. ANGfeLIQUE, PASQUIN. Angeliqul 3 E vois une pitie dans ses yeux, qui m'alarmc Dun vain espoir , Ami ,tu pcux rompre le charmc. Je n'ai vu ces Messieurs que tres-legerement , Et l'on ne connoit pas son mondc en un moment. Je serois, dans le fond , quoi que je disc au pere , Eien-aise de savoir un peu lcur caractere. Dissipe les soupcons qui me viennent saisir: L'un vaut-il micux que l'autre , cV falloit-il choisir 1 P A S Q U I N. Non, Madame ; le choix entr'eux est inutile. Tous les trois sont egaux : le Financier habile Est un vrai Financier , un Arabe,en un mot : Ee Capitaine unfatj &: FAuditeur un sot. Tons trois enfin , soit dit sans offcnser monMaitre, Lcstroisplus francs vauriensque vouspuissiezconnokre Angelique. Ah ! Ciel ! Et j'ai promis . . . P A S Q U I N. Ne vous alarmez pas, Madame ; le pauvre homme en sera pour ses pasj J'en reponds. Si pas un sc rend a ses pricrcs , }*. VtCOLE des pres> Je veux mourir ici sous les coups detrivieres. Lesbourreaux, pour unsou , se les feroient donner. 11 aura beau jurer , pester, crier, proner , Dire que tout leur bien lui vient de votre Pere ; Qu'il entendjComme a lui,que vous leur soyez chere; Supplier celui-ci j menacer celui-la : Elk estpauvre ? Oui , mes fils. Eh bien, epouse^-la. Vous n'avcz pas, Madame, autre reponse a craindre. Angelique. Je le plains. P A S Q U I N. Et moi , non. C'est bien fait. Faut-il plaindre Ces Peres , vrais Beaux de la societe , Tout petris des fadeurs de la paternite ; Qui, de leurs yeux benins, couvrentlcursotte race i Pretendent,qu'ainsi qu'eux,chacun s'en embarrasse: Regardent de travers , &: traitent de facheux , Quiconque ose ne pas s'y complaire autant qu'eux? Tels sont de celui-ci les malheureux vertiges. II s'imagine avoir engendre trois Prodiges. Mon Financier ! La pestc ! Un habile garcon ! Pour mon pauvre Auditeur , helas ! 11 est si bon ! Et Valcre I Tudieu ! Mon tils le Capitaine ! Je vous le garantis, a trcnte ans un Turenne! 11 les revere enfin, tant il en est charme. Et Dieu sait cependant comme ils vous l'ont plume ! Mcs d roles doucement , de carcsse en carcsse , L'ont, de ce qu'il avoit, dcpouille piece a piece ; Si C O M E D I E. yy Si bien que , tout en gros , ce qui reste est forme D'un petit bien champetre a mon pere afferme: Et je vois le moment ou quelqu'un d'eux le prie De se dcfaire encor de' cette metairie. Angelique. Dont il se defcroit ? P A S Q U I N. Sur le champ. Des ingratj L'indigne avidite ne le rebate pas. Et malheur a qui veut lui dessiller la vue I Le moindre mot contre eux l'assassine , le tue. Doux, traitable d'ailleurs, & d'un esprit fort bori* Sur cet article seul il n'entcnd point raison. Angelique. C'est un pere. Pasquin. Ma foi c'est . . . c'est un imbccille: L'un est plus sur que l'autre. En un mot commc en milk , Nous souffrons : sans ccla je m'en soucierois pen : Que m'importc a moi ? Mais, a peine un pot au feu. Boire de belle eau claire, &: manger du pain d'orge, Tandis que chez les fils le supefflu regorge \ Jeiine eternel ici , vingt repas la pour un ; Quand on est saoul chez eux , chez nous tout est X jetin* N'cst-ce pas une chose indignc, horrible, infame, Qui mcrite ?... Eh 1 morblcu ! raisonncz done 3 Madame. Tome I. C 34 VECOLE DES P^RES, Angelique. Je conviens qu'en ceci tes cris sont de saison ; Que rien ne fut jamais pins contre la raison : Mais je tiens,quelque tort que Ton donne a Geronte, Que cen est pas sur lui qu'en doit tomber la honte ; Et que tous gens de bien doivent etre saisis De pitie pour le pere, &: dliorreur pour les fils. Faut-il, si des bienfaits l'ingratitude abuse , Qua de tels Bicnfaiteurs l'estime se refuse ? Un amour si sacre Test meme en ses exces ; Et n'est que plus touchant pour etre sans succes. Plus ce Pere est train , plus son sort m'intcresse. Jc sens meme, oui, je sens qu'envers lui ma tendresse Me charge des devoirs que Ton ne lui rend pas. P A S Q U I N. Voila , voila les cceurs qu il lui falloit , helas ! Bon comme il est ; & vous, si douce &: si gentille, Vous avez bien mal fait de n'ctre pas sa fille ; Comme eux, de n'aller pas chercher un pere ailicurs. Angelique. Ton ccenr , je le vois bien , est aussi des meilleurs. Le ciel dut a Geronte un sujet si fidele. P a s Q u I N. Oh ! je veux des Valets are le vrai modclc. Non , ccs fripons qu'on voit , snr la Scene , a Paris , Toujours prcts a tromper les Peres pour les Fils Laissez-moi frequenter un pcu votrc Nerine ; Que jc vous la faconne, &c que je l'endoclrine. C O M D I M> |j Qu'a-t-elle a demeler avec notre Auditeur ? Tout- a- l'hcure^ls parloient ensemble avec chaleuft Je crois .... Mais la void* 5 ' ' , ' ..i n SCENE V. ANGtLIQUE, NERINE> pasqu in. ANGELIQUE a qui Nerine baise & rebaise les mains* 23 'Oil vient cette caresse? Es-tu folle j Nerine ? Nerine. Ah I ma chere Mairresse ! Mille remerciemens ! Que ne vous dois-je pas l Angelique. Mille remerciemens ! De quoi ? Nerine. De vos appas. Angelique. De mes appas ? Nerine. Eh I oui. Angelique. Si j'enai, jc I'ignore j Mais que t'en revient-il ? Nerine. Qu'on maimc , qu'on m'adore t Cij $6 ViCOLE DBS PtiRESj Et que trois Cavaliers, run de l'autre jaloux , Me vienncnt ,tour-a-tour, d'embrasser les genoux. Le tout pour vos beaux yeux. P A S Q U I N. Fort bien , bonne nouvelle ! Nos trois originaux en out nour vous dans l'aile. O J. De les bien balotter vous tenez un moyen j J ? en ferois mon profit. Nerine. J'en ai bien fait le mien - y Et c'est de qe profit que je vous remercie. Angelique. Mais quel est-il enfin ? Voici quelque folie. Nerine. Nenni, ncnni. Tenez, Madame; examinez Ces trois beaux diamans dont j'ai les doigts ornes. Ma foi , vive Paris 1 En Province une fille Long- temps sc fiattc en vain, quoiqu'elle soit gentillc Pour s'enrichir ici , belle ou non, commc on voit , II suffit d'en servir quelqu'une qui le soit. Angeliqu e. Ccci me deplait fort ; &: vous deviez , Nerine Nerine. Oh ! J'ai bien recule , repousse , fait la mine ; Rougi , baisse lesycux, fait ce que nous faisons, Lorsque nous voulons bien cc que nous refusons, C O M E D IE. $j Angelique. Oh ! Mais , des diamans ! Nerine. Ces Messieurs mc les tendent} Je me fache : on m'appaise ; &: je crois qu'ils se r endent - 9 Point du tout : cent propos encor plus engageans. II se faut bien enfin debarrasser des gens. Pasquin. Je tombe de mon haut, tant lc cas est bizarre ! - Je sais bien qu'en amour on cesse d'etre avare ; D'accord: mais je les eusse exceptes toutefois: Et mon ceil j a ces dons, les meconnoit tous trois, Nerine. Nc vous ctonnez pas d'un si grand sacrifice ; Leur generosite vicnt de leur avarice. Peut-etre, sans cela, j'aurois tout rebute. Mais comment croyez-vous qu'ils avoient debute? Par exalter Madame , ou leurs feux? Bagatelle. Au solide. Son nom :- Qu'aura-t-ellc ? Qu'a-t-elle ! Que repondre , Madame, a ce debut galant ? Saisie aussi pour vous d'un depit violent, J'ai paye d'impudence - y &:, vous faisant Comtessc, Jai , d'un front Provencal, vante votre noblesse ; Nocnme tous vos ayeux , barons on chevaliers ; I x I ait monter la souchc a quinze ou vingt quartiers , Item , je vous ai faitc une grande heritiere. A cctte qualite x qui passe la premiere , C iii 5* L'ECOLE DES PERES, J'ai vu , pleins d'une ardeur qu'ils ne pouvoient cou vrir , De l'avide trio les six grands yeux s'ouvrir , Commc on verroit des loups, quand la faim les fourvoie, Les gosiers aflfames s'ouvrir sur une prcie. lis se sont separes. De la , sans s'etre vus , Tous trois , Tun apres 1'autre , a moi sont revenus j Ont tres-eloquemment brigue mon assistance; Mont cffert (a regret) ccs bijoux d'importance : D'unprocede si noble enfin le ccenr epris , J'ai, d'un air ingcrra , promis tout } 6V tout pris. P A S Q U I N. Et tout pris I Que ce mot finit bien la tirade ! Angelique. Oui > mais il faut tout rendrc. N E R I N F. Est-il vrai , Camaradc2 P A S Q, U I N. Non : partageons plut&t. N E R I N E. Ecoutez tons les deux y Dc quel style &r comment jc vais parler pour eux. C'cst en vous exhortant, commc sagc&rprtidente, A les traitcr , Madame , en Comtcsse opulentc , A qui de plats Bourgeois oscroient en compter : Si vous en aimez un, a vous bien surmonter. Point de quartier pour gens d'un pareil caractere J Qui, dussiez-vous comber cent fois dans la misere 3 C O M E D 1 E. w Plus affreuse cent fois, se montrat-elle a vous, Embrassez-la plut6t cent fois qu'un tel epoux. Vengez , a la faveur du faux nom qui les tente , Le mepris qu'ils feroicnt de la fillc d'Argante > Et payez en un mot leurs tendres sentimens, Comme vous me voyez payer leurs diamans. P A S Q U I N. C'est parler comme un Ii vre 3 on le Diable m'emporte ! Angelique. Je n'avois pas besoin d'un avis de la sorte. Leur Pere vainement s'en feroit ecouter j Mon amitie pour lui me les rait dctester. mamaam^^aam s^^aa m^amimm^mm i mt SCENE VI. PASQUIN, NERINE. N E R I N E. ST our nous venger, un jour, toutes tant que nous sommej Puisse la soif de Tor etrangler tons les homines ! On sc moque par-tout des Miles sans vertus ; N'avons-nousqueccla,ron s'en moque encor plus. Adieu. P A S Q U I N , la rappdant. Nerine ? N E R I N E. Eh bicn 2 C iv 40 VtCOLE DES PliRES 3 P A S Q U I N. J'ai deux mots a te dire N i K i N E. Parle. P A S Q U I N. Qu'elle a de grace ! N E R I N E. Apres ? P A S Q U I N. Oui , je 1'admirc. Si tu concevois !. . . . N e R i n E. Quoi ? P A s q u i n. Ce qu'en si peu d'instans. .. . Tout le progres . N E R I N E, Poursuis. P A S Q U I N. Je te jure N E R I N E. J'attends, P a s q u I N. Eh blent Quel? Park. A prist Pourfuis. J* attends. Dc vine. C O M E D I E. 4* N E R I N E. Tum'aimes? P A S Q U I N. T'y voila. N E R I N E. Je n'en fais point la fine : Je t'aime aussi. P A S Q U I N, Quoi ! Tu. . . . N E R I N E , fe rengorgeant. Point d'incredulite, Cct aveu coute trop , pour etre repcte. P A S Q U I N. Ma foi ! j'ai bien aimc des fillcs en ma vie-, Mais pas une , a mes yeux , n'a paru si jolie. NERINEj reprenant Vair aife. J'aibien eu des Amans; milled'entr'euxm'ontplu^ Mais je ne m'en remets pas un qui t'ait valu. P A S Q U I N j /e redrejfant a fon tour. Je le crois. Entre ceux qui cherchoient a. te plaire, Tu ne pouvois choisir qu'un valet ordinaire , Un valet ne pour l'etre : &" , sans fairc le fat, Je suis bien au-dessus de ceux de mon ctat. J'ai , par libertinage , endosse la mandille : Mais je n'en suis pas mojns un enfant de famille , 4*~ ViCOLE DES P^RES J D'un riche Procurcur l'heritier & 1'aine ; Et Ton se sent toujours , tiens , de ce qu on est ne. N E R I N E. Fils d'un pere opulent, honnere-homme peut-etre , S'abbaisser a servir! Vivre aux gages d'unMaitre! Quelle honte ! P A S Q U I N. Oh que non! J'ai consulte lc cas: Pour etre un peu laquais , on ne deroge pas. Bien-loin meme qu'en rien, notre ordre qui te blesse, Tout roturier qu'U est , deroge a la Noblesse , II a servi de grade a mille honnetes gens , Pour y pouvoir atteindre a beaux deniers comptans. D'ailleurs , mes chaines sont honnetes & legeres > Mon Maitre a des egards , &r nous vivons en freres. S'il est meme entre nous un peu d'autorite, Je puis dire , a bon droit, qu'elle est de mon cote. Ah ! Que ne suis-je entre plutot a son service ! 11 n'eut pas de ses fils entretenu le vice ; Ni, s'abysmant pour eux , dupe de sa douceur , De leur ingratitude essuye la noirceur. Contre leur flatterie il auroit tenu roide ; Et la Cuisine ici ne seroit pas si froide. Mais baste ! Le passe , comme on dit , est passe. L'avenir nous menace , 6V c'est le plus presse. Aussi mon Pere 6V moi nous allons.. . . Patience ! Je ne dis mot: Suifit! J'y mcttrai ma science. CO Mi DIE. .4? Mesgaillards sont en pied ; mais quils se tiennent biea ; Car on va les sangler , qu'il n J y manque ra rien. N E R I N E. Signalons done contr'enx chacun notre malice. Je jouerai leur amour. P a s Q u i N. Et moi , leur avarice. N E R I N E. Je les rends amoureux toustrois, comme troisfous. P a s q u I N. Et je raccroche, moi, tout ce qu'ils ont a nous. N E R i N E. Vivent les gens d'esprit ! P A S Q U I N. Bien armes d'impudencc. N E R I N E. Eh! comment vas-tu faire? PASQUIN , gravement. Oh ! point de confidence. Lc Sage , en scs projets , scait mieux se comporter : Un dessein qu on cvente est tout pres d'avorter. N E R I N E. Pour opposer sentence ici contre sentence .* Quand nous questionnons , qui se tait nous offense. Je me moque du Sage , >&: je veux tout savoir. 44 VECOLE DES PERES* P A S Q U I N. Toutsavoir? Et la chose est-elle en ton pouvoir> N E R I N E. Pourquoi non? P A s Q u I N. Par exemple , il faut savoir se taire; Le sauras-tu ? N E r i N E. Tres-bien. P A S Q U I N. Ton sexe , d'ordinaire , Sur une lettre close est un mauvais cachet. N E R I N E. Eh! mon ami ! Le tien est cent fois moins discrete Car je sais tel secret que, pas pour un Empire , De force ni de gre , Ton ne nous feroit dire ; Et que par des sermens, vainement retenu , Un homme court souvent dire au premier venu. P A S Q U I N. Voici done mon dessein. Je vcuxsansqu'onsoupconne.,., Tu ne le diras done siirement a pcrsonne I N E R I N E. A personnc. P a s q u I N. Pas meme a ta Maitresse ? CO ME D IE, \^\ N E R I N E. Non. P A S Q U I N. Jc vais Mais jure-moi. N E R I N E. Voila trop de facon. Ou parle, ou plus d'amie. Opte. Le temps me presses Tu ne veux pas? Adieu. Je rejoins ma Maitresse. P a s Q u i N. Suivons-la ; Jeme rends. Viens.Tu vas savoir tout. Qu'un bee un peu mignon met de sagesse a bout \ &-y w* V5f ViCOLEDESPiRES, A C T E II. S.CENE PREMIERE. P A S Q U I N , fad. S E n'ai rien avance , que bientot je nc fasse, Ou j'ose 3 a la Soubrette , nn peu mentir en face , Cestquand , de panvre enfant d'un simple laboureuf t La vanite m'erige en fils de Procureur. Mais cela n'est pourtant pas trop bien , qnand j *y pense , De mcconnoitre ainsi l'auteur de sa naissance. Lc meconnoitre ! Non : pourquoi done , s'il vons plait > Je le fais seulement plusgros Seigneur qu'iln'est. La peccadille est mince ; & |e me la pardonne. Furcur d'en imposer, ridicule ou Ton donne Dans l'etat de Marquis, ainsi que dans le mien. Et puis j'aime a mentir j cela me fait du bien. Mon Pere, parmalheur, vaparoitre; &: je tremble Que lui , Nerine cV moi , nous nous trou vions ensemble. Mais j'appercois mon Maitre. A la mine qu'il fait , De ses pas , a coup sur , il est peu satisfiit, C O M D I E. 47 ^ * m*m SCENE II. gronte, chrisalde, pasquin, Chrisalde. \^u'est-ce done? Vous avezl'air tout melancolique. Pas un , je le vois bien } n'a voulu d'Angelique. Vous avez rcpondu trop tot de leurs aveux. P A S Q U I N. Qui repond paye \ il n'a qu a l'epouser pour eux, GERONTE, un peu fdche. Pasquin , cherche mes fils. Vas , Damis &r Valcre , Sont , je crois, pres d'ici , chez Eraste leur frere. Cours, frappe, entre, & leur dis que, sans perdre de temps . II viennent tout-a-1'heure ; &: que je les attends. Pasquin. J'attends , moi , que bientot ce feu se ralentisse. De vos fils , en tout cas , je vous ferai justice ; Oui , moi-meme ! Voyons si vous vous soutiendrez: Mais je serai le Maitre ; ou vous le deviendrcz. G E R O N T E. Fais ce que Ton te dit ; Sors. 4 S VECOLE DES PliRESj SCENE III. GERONTE, CHRISALDE, Chrisalde. V ous avez beaufaire* On devine aisement ce que vous voulez taire. Mais je ne vous plains point. Vous etiez averti. GERONTE. Je n'ai trouve personne , &: tout etoit sorti. Comme on voit toutefois, je disce qu'il m'en semblc* Chez Eraste , a diner , je crois qu'ils sont ensemble* Du moins , de leurs valets son logis etoit plein ; Et j'ai vu repasser les debris d'un festin, Chrisalde. Entrer contre leur ordre , cut ete malhonnete ; Et votre compagnie auroit trouble la fete J G E R O N T E. Oui , mon frere j a notre age , on ne fait chez autrui, Que trainer apres soi la tristesse cV l'ennui ; Et , puisque vous voulez qu'on parle avec courage , Votre presence ici m'en est un temoignage. Chrisalde. Jc vous amuserois , si j'approuvois vos fils : Ah ! qua cela ne tienne , 6c soyons bons amis. Js C O M E D I E. 49 Jc croistoutce que d'eux vous voulez que jc croye. Ordonner,ousoufFrirdu moins qu'on vous renvoye> Cela s'appelle ( oui-da ) des fils tres-obligeans. G E r o N x . Ce pourroit etre aussi la faute de lcurs gens, ChriSaLde. L'etrange entetement en faveur de ces traitres ! I/impudence des gens vient de celle des Maitres; Du Maitre , quel qu'il soit , peu , beaueoup , ou zero, Le valet fut tonjours &: le singe &: Techo; Vosfils, par vous combles des biens de la fortune, En trouvent aujourd'hui Torigine importune; Et, n'espcrant plus rien de vous quand vous vefief , Vous font effrontemcnt fermer la porte au nez. C'est bien fait. Je m'attcnds que demain , Tun ou ['autre Vous dira de sortir , & de passer la votre. J'enrage , quand je vois que Ton s'aveugle ainsi; Et je perds patience ! G E R O N T E. Oh ! Je la perds aussi Chris alde. Brisons-la. Finissons un debat inutile, Qui ne feroit qu'en vain nous echaurrer la bile. Et songez seulement a quoi votre bon co^ur Vient de vous engager de parole &: d'honneur. Avec vos fils enfin soyez ferme & severe : Joignez la voix du Maitre a la bonte du Pcre \ Toms I, D 56 ViCOtE DE$ PgRES, Non que , dc quelquc ton que vous vous y prcnicz , On vous soit plus soumis , ni que vous y gagniez : Mais qu'au moins unc fois on apprennc a vous craindrc S'ils manquent an respect , sachez les y contraindre; Et faites voir qu'un droit par la Nature ecrit , Pour are neglige , jamais ne se prescrit. Geronte. Eh! pourquoi? Tout ceci finira sans dispute. Je connois bien mes fils , vous dis- je. On leur impute De plus bas scntimens , plus de tort qu'ils n'en ont j Et Ton se les est faits plus mauvais qu'ils ne sont. i iui. i ui i ,i Jiui.'mi.jj l jmjui >.i.ma^ i i m S C N E IV. GERONTE , CHR1SALDE , PASQUIN. Geronte. V lENDRONT-ils ? Pasquin. Oui , Monsieur ;&: la nappe levee, Ces Messieurs voudront bien faire cette corvee. Chez Monsieur l'Auditeur , entrant tout essoufie , J'ai paru devant eux , &: je leur ai parle : Voire Pere _, Messieurs ., vous mande en diligence. Un d'eux m'a repondu, d'un air de nonchalance , Aussi froid que le mien paroissoit echaufre : llfuffit ; nous irons. Eh ! Quclquun. Le cafe. C O M D I E> 5 1 Le Pasquin, Monsieur , cela suffit. G i R O N T E. Tout ira bien. Pasquin. Prenez qu'on ne vous ait rien dir. Geronte. Et l'hymen acheve , pour vous laisser tranquille , Mon frere, sans retour , j'abandonne la Ville ; Car je vois bien qu ici nous nous incommodons. Pasquin. Allons planter nos choux , &: garder les Dindons. Partons. Geronte. Pasquin repugne a suivre la son Maitre ? Pasquin. Mes talcns sont pen faits pour un scjour champetre, Mais , n'importc : on le veut , nVy voila resigne. GERONTE, a Chris aide qui sort. Vous sortez ? Chrisalde. Oui , je sors ; &: je sors indigne. Vous ne meritez pas que Ton vous contrarie ; Encor moins qu'on vous serve. Adieu dene. De ma vie, Chez vous , si je fais bien, je ne remcts le pied. Cc n'est pas ctre un homme 3 6V cela fait pitic ! C O M E D I E. 5 5 SCENE V. G-fe R O N T E, PASQUIN. G E R o n r E. jl itie , soit ! Eh ! mon Dieu ! Quand j'ecoute mon frere , 11 est beau raisonneur : mais a-t-il ete pere ? Peut-etre ai-jc trop fait j &: , pour faire encor pis , Tel qui m'ose blamer , n'a bcsoin que d'un fils. P A S Q U I N. Pour les votres aussi , c'cst folic , a votre age > D'aller vous confiner au fond d'un hermitage. Quel parti prencz-vous, pour unhommed'esprit? Le Diable ctoit plus vieux que vous quand il le prit. Pons trois enfans gates , votre tendre manic , Tout jcunc , vous sevra des douceurs de la vie s Et vcuf a vingt-cinqans , rare & fidcle epoux , Votre femme , en mourant , vous entcrra chez vous. Ressuscitez ! Vivez ! Jc veux , tel que vous etes , Vous voir , a vos mugnets , enlevcr dcs conquctes. Qu'cst- ce , dc notre temps , qu'un jeune hommc en cffet? Unc frele poupee , un fat, un freluquet Un debile Adonis , un valetudinaire , Avant trente ans , dcja prcsque scxagenaire. Vous en debusquercz ! Geronte, Ah ! Tu nc concois pas Diij 54 VECOLE DES P^RESj Ce que pour moi , Pasquin , la campagne a d'appas. Ce rut de mes travaux, long-temps, Tobjet unique: Elle est de la Vertu le sejour pacifique ; Les beautes que la terre y decouvre a nos yeux , En eloignent l'esprit , &c Fapprochent des Cieux. JV pense avec transport. P A S Q U I N. Et moi , non j ma pensec Ne vole pas plus haut que le rez-de-chaussce. Nouscheminonstoujoursterre-a-terre, elle cV moi. Oh ! le sot vis-a-vis que le vis-a-vis soi , Monsieur ! S'il faut pourtanu... Mais que nous veut monpere? SCENE VI. GERONTE, GREGOIRE, PASQUIN. GhoNTE. % ui t'amene , Gregoire ? Et qu'est-ce qui t'altere I Gregoire. Hai la ! vous m'en voyez encor tout ahuri ! Ce n'est pas note faute ; fte j'en son bian marri, Geronte. Tu m'alarmes ! Quoi done ? Gregoire. J'onz-eu tretous biau fairc; C O M D I E. 55 Temps pardu! Je n'ons rait tretous que de l'iau clakc. Gerontl Quest il arrive? Gregoire. (Ja va vous mettre en chaleur j Escuse , si je sis message de malbeur. GUONTE. II me fait craindre pis qu'il n'a peut-etre a dire. Gregoire. Ah I craigne hardiman ; & boute tout au pire. Geronte. Parle done , si tu vcux ; je me fache : Entends-ftU Gregoire. Cc qu'ous alle savoir , vons fachera bian pu. Geronte. Finiras-tu ? Bourreau ! Ma patience est lassc. GrIgoirl J'avions eune maison : gnien'a pu que la place. Le feu viant d'y passe. Pasquin. Le feu I Geronte. Quoi I ma maison ?.; Gregoire. N'cst pu qu'cun gros monciau de centre Sc de charbon I Diy ]d VECOLE DES PJ$RE$, Meubles , chevaux, bestiaux, lecurie Sz letable,' Et la grange, &: la paiile tte le blq , tout au diable ! Pasquin. Ah ! Monsieur ! G E R O N T E. Le revers est des plus violens. Pasquin. Nous voila, pour le coup, dans de jolisdraps blancs. Gregoire. Ne nous accuse pas , vous dis-je de l'esclandre. Ce n'est qu'au feu du ciel,Monsieu , qu'i faut s'en prendre Ste nuit , que je dormion , par le mitan du toit , Patatras ! su la grange , al est chu tout fin droit. Je m'evaille en sursaut;&: vois, de ma couchette... Tatigue ! (^a flambloit tout comme nncallumctte I ( a Pasquin. ) Tantia que moi , ma femme , &: ta sceur Isabiau , ( S'attendrissant. ) J'onz-eu bian de la peine a. sauve note piau \ Que je irons , pourabri , pu qu'eun pande muraille, Et que nous via tretous , Dieumarci , su la paiile \ Geronte. Vous pleurez , mes enfans l Gregoire. On plcureroit a moinSi C O M E D I E, 57 GkoNTE. Allez , le Ciel saura pourvoir a nos besoins. Greg oire. Mafi , pour a present , a ce qu'il viant de faire , J'en demande pardon , mais il n'y pourvoitguere* Geronte. C'est se trop alarmer. Gregoire. N'avons-je pas grand tort ? P A S Q U I N. Nous n'avons pas , Monsieur , commc vous lesprit fort- Geronte. Le dirai-je ? Loin d'etre a la doulenr en proie > En faveur de mes fils , j'en ressens qnelquejoie. Leur honneurattaque m'est plus cher que mon bien} Et le Ciel a permis que je n'eusse plus rien , Pour qu'ils puisscnt confondre enfin la medisance. On n'eut etc temoin que de leur complaisance ; Et Ton va 1 cere encor de leur amour pour moi. Ceci rendra le monde cV bien sot & bien coi. jS L'ECOLE DES P&RFS, gi m m a i nw SCENE VII. GERONTE, ANGELIQUE, PASQUIN, GRkGOlRE. Geronte. v OUS arrivcz , Madame , a temps pour etre instruite D'un malheurqui m'annonceun bonheur cVsa suite. Entrons. Rien ne pouvoitdeja m'etre plus doux , Qti'un moment d'entreticn , en secret , avec vous. SCENE VIII. PASQUIN, GREGOIRL Gregoire. JO.EIM ! Jeannot , qucn dis-tu ? Sais-je bailie de collel Comme je m'y sis pris tout d'abord par bricole , Afln qu'i gobit mieux par apres le marlan 1 P a S Q u 1 N. Fort bien ! Contre les fils suivons done notre plan, Ceci ne fait encor que preparer la trame Qui va developper leur cara&ere infame ; Songeons bien desormais tous deux a nous unir 5 Pour appreter le coup qui doit les en punir. C O M D I E. 59 Gregoire. Morgue ! j'aimc a tc voir dans le parti de pere! Bon signe ! Ecrason done ce race de vipere ! Note Maitre a deja bailie dans mon panniau. Pasquin. Moi, je les dois leurrer du retour d'un vaisseau, Dire qu'il vous a mis seul dans la confidence > Et pourquoi la-dessus il garde le silence. Vous , souvenez-vons en ; des que j'aurai jete Une si belle amorce a leur avidite , lis vous amadoueront de leur patelinage: Tirez-vous bien alors de votre personnage ! Sachez me seconder Gregoire. T'as pu d'esprit que moi ; Mais je sis eun compere aussi madre que toi : Vas ! vas ! tu ne scais pas encore a qui tu parle. J'onz ete, comme d'aute , eun denicheux de Marie. Et pis , de fils ingrats ! Tians ; ca seul me rendroit Pu malin qu'eun vieux singe, & me degourdiroit. Croirois-tu bian jusqu'ou va leuz impartinance 2 C'est peu , depis qu'i sont des Monsieux d'importancc , D'avoir change de train, de mceurs, de noms , de tout j Je vois qu'i voudriont change de pere itout. Leux Pere leuxfaiz honte. Oui , Jeannot,quandj'y revc. P A S Q U I N , a part. Avis au sieur Pasquin. o VECOLE DES PERES, Gregoire. Jarnicoton ! J'endevc. PASQUIN, a part. Et justement j voici Nerine! Gregoire. I le pairont ! Et jc varrons biau jeu , si la corde ne rompr. ''mm ! mnmm w m mm .mmummmm t wm w nw u SCENE IX. GREGOIRE, PASQUIN, NERINE. NERINE , dcrriere Pasquin qui ne fait pas scmblant de la voir. ^U'EST-moi, mon cher Pasquin. PASQUIN , has & la faisant reculer avec lui. Je te vois bien , ma fille. Bon pur. (a pan.) Cecivamalpourl'enfantdefamille, Nerine, has. Chassc-moi ce manant, que je te parle. Pasquin, has. Attends. Nerine. Tout a 1'hcure. C O M D I B. 1 PASQUlK, apart. J'enrage ! GREGOIRE, sans se retourner. Heim ! Quoi ? PASQUIN, a part. Quel contretemps ! Gregoire. Tu crains le contretan ? Gnien aura pas , te dis-je. Pasquin. Si vous. . . . Gregoire. Tant de redite , a la parfin m'afflige. Tais-toi ! tu n'es qu'eun sot. NERINE, has. II est bien familier ! Pasquin, bus. Avec gens de ma robe on est peu regulier. Gregoire. Tout ira bian, mon fils. NERINE, has. Mon fils 1 Cest-la ton perc? Pasquin, has. Je te dis bien , ma fille : ai-je epouse ta mere ? {a Greg.) Si vousvouliez un peu vous eloigner d'ici? 6i ViCOLE DES P&RES, Gregoire. Moi I Nenni. Pourqnoi , done ? Je reste ou me voicL Pasquin. De grace i Gregoire. La raison ? Pasquin. Je vous en prie. Gregoire. A cause ? ( Se retournant en/in & appercevant Nerine. ) Ah ,ah , Monsieu-Fgaillard '.Via done le pot- au- rose! Est-ce pour etre seul aveuc ste dondon-la ? NERINE, haut & s'avancant. Sa presence, apres tout, ne fait rien a ecla. Madame est ceans ? Pasquin, brusquement. Oui. Nerine. J'apporte , pour nouvellc , Denostrois amoureux trois billets dcxix pourelle. PASQUIN , la poussant par les e'paulcs. Vas ! Tiens ! Entre ! A revoir ! N E R I N E , rcvenant. Ton projet va-t-il bien ? O M t D I E. Et je lui saurai bien tirer les vers du nez. V A L E R E. En gens reconnoissans , nous acceptons tes ofFres. SCENE XII. DAMIS, &RASTE, VALERE. t R A S T E. JVj.es Freres , c'est de l'or qui tombc dans nos coffrcs Mon Pcre, pour cela, nous mandc assurcment. II est pourtant bon Pcre, a parler franchement. D a M i s. Lui ! Le plus digne Pcre &: le mcillcur du mondc ! Ma veneration pour cc Pere est profondc 1 ( a Erajle. ) Je savois que j'avois a me plaindre de vous. Pourquoi ne pas 1'avoir a diner avcc nous? V A L E R E. Bon ! Cela pcnse-t-i ! ? Voila de plaisans contes. II est bon Auditeur de la Chambre des Comptes: II ne sait qu'une chose ; il nc sait que diner. E R A S T E. Jc irai pas plus que vous le don de deviner, C O M E D IE. ft V A L E R E a Damis. A combien le profit peut-il monter encore ? Damis. Ccla peut aller loin. R A S T E. Deja je le devore. Lapeste ! Quelplaisir, s'il doubloit mes ducats! Damis. Je ferois un beau coup ! V A L E R E. Et moi , bien du fracas ! & r a s t e. Eh! mon Dieu! L'embarras n'est pas d'en faire usage, En fussions-nous deja seulement au partage ! Damis. II sera bientot fait. V a l e r e. Prenons que le magot Soit de cent mille ecus. R A S T E. Oui-da ! chacun son lot. Voyons. Cent mille a trois ? Damis. Le calcul est facile. D'abord, comme 1'aine, j'en p rends cinquante mille, E iv 7i L'ECOLE DES P^RES, V A L E R E. Et moi je prends le resre. r a s T E. Et moi done? Et ma part! Rafle de tout ! Mais ! mais ! le partage est gaillard 1 Le bien de mon Pcre est le mien commc le yotre. Je veux avoir mon tiers. D A M I S. Moi , la moitie. V A L E R E. Moi, 1'au tre, R A S T E. Nous allons voir. Entrons , entrons. wmnaeattBE* SCENE XIII. DAMIS , VALERE , ERASTE , NERINE D A M I S. JN'erine ici! Par quel hasard ? N E R I N E. Madame y vient j j'y viensaussL D a M i s. Madame la Comtesse l Eh ! que vient- elle y faire : . C O M E D I E. ?} N E R I N E. Recommander, je crois, a Monsieur votre Pere, La fille dun ami quil avoit a Toulon. D A M I S. D'Argante ? N E R I N E. Oui. D A M I S. N'a-t-il pas laisse de gros biens? N E R I N E. Non. 11 est mort pauvre, 8c laisse unc fille bien nee, Qui n'a d'autres dcfuuts, que d'etre infortunee. Value. Belle? N E R I N E. A ravir. Value. Tant mieux ! D A M I S. Coquette? N E R I N E. Non. t R A S T E. Tant pis! 74 ricoiE des pres* D a m i s. Allons, dans le jardin, amnser le tapis, Attendant que la Dame ait fini sa visite. ( Voyant que les deux autres ne le suivent pas. ) D'ou vient done qua me sui vre &: Tun &: l'autre hesite ? {aNe'rine.) {bas). Adieu, ma chere enfant. Mon billet? N E R I N E. On la 111 V A L E R E , de meme. Ma declaration ? N E R I N E. Plait. ERASTE, de meme. Ma lcttre ? Nerine. Elle a plu. R A S T E. Guette bien le moment ou ; plantant-la mes freres 3 Je m'esquive, & reviens pourteparler d'affaires, C O M E D I ZT. 75 SCENE XIV. N t R I N E, seule. %^H ACUN d'eux, comme lni , brule de s'abouchcr , Et ne s'eloignc exprcs, que pour me rapprocher. Qu'ils y viennent ! Tenez, les plaisantes especes ! II vous en faut , Messieurs , des aimables Comtesses. II me fallen t , a, moi , des dupes comme vous : Et vous la danserez, avec vos billets doux ! Fin du fecond Acts. 7 6 V EC OLE DES PiRES, 'SH A C T E III. w aKiiidystcaaa wwai M inBggafiTaaarcaaajBfflyaat'iCBKgqag SCENE PREMIERE. PASQUIN, N E R I N E. PASQUIN, a Nerine qui boude. 'is-moi done tes raisons. Nerine. Tu nen vaux pas la peine. P a s q u I N. Quoi I Le matin sensible 5 & le soir inhumaine? Nerine. Oui ; quand ce que je vois declair &: de certain > Me detrompe le soir des erreurs du matin. P a s Q u i N. Quelle est done cette erreur dont tu t'es detrompee? Nerine. L'amour , dont je t'ai cm , pour moi , Tame occupee, Pasquin. Mais je t'aime , te dis-je. Nerine. Eh ! oui; fiez-vous-y! C O M E D I . 77 P A S Q U I N. Jenc t'aime pas? Nerine. Non! Pasquin, Vous en avcz. . . . Eh ! fi ! Tu fais {'enfant. J'ai dit tout sur cette matierej Jc t'ai , de mes secrets , fait confidence entiere : Pour prouver que je t'aime, 6V me raire cherir , Que devois-je done faire encor ? Nerine. Me hair. Pasquin. Pour prouver que je t'aime ? Nerine. Oui. Voit-on, sans colere 5 La personne qu'on aime, inconstantc & legere } J'afFcCle , devant toi , de trouver a mon gout , Ce rustre qui m'en conte , &: qui me suit par- tout, Sans que , par aucun trait , ta jalousie eclatel Et tu m'aimes ? Pasquin. Eh ! bien , veux-tu que je te batte ? Nerine. Jc veux qu'on sc murine , & qu' ivec son rival , Un amant sc querelle, ou vive un pen plus mal. 78 L'ECOLE DES P&RES , Pasquin. Mais j'ai l'esprit bien fait; 6c cet esprit.... N E R I N E. Radotte. Pasquin. Ma pleine confiance en toi Nerine. N'est qu'une sotte. Pasquin. Mais ;e ne te crois pas coquette. Nerine. Et pourquoi non ? Pasquin. Tu medircis de toi vainement sur ce ton ; Et ce bon Paysan d'ailleurs , outre son age , N'est pas d'une tournure a donner de l'ombrage. Compte enfin sur mon cceur,comme moi sur le tien; Et, sur nos trois rivaux, ramenons l'entretien. Se louent-ils de tes soins & de leurs tentatives ? Nerine. Ah ! tres-fort. Pasquin. Qu'as-tu fait de leurs tendrcs missives ? Nerine. Un usage qui va les rendre bien camus. C O M E D I E. 79 Pasquin. Nc pourrions-nous parler en style plus diflfus J N E R I N E. Madame , avec mepris 5 Ies ayant rejetees, A ses adorateurs jc les ai rapportees ; Non la sienne a chacun j chaque amantengeole Tient celle du rival qu'il se croit immole. Chaque frere, en secret, triomphe de son frere. Damis a dans ses mains le billet de Valere j Valere tient celui d'Eraste ; &: j'ai remis A cet Eraste enfin , le billet de Damis. Le meilleur de ceci , c'est que chacun me prie De laisser croire an fat que je lui sacrifie , Qu'Angeliqne a la lettre , fk qu'il en est aime. De mon manege ainsi , chacun d'eux est charme. Le Financier , sous cape , insulte au Capitaine j Le Capitaine aussi , sc contenant a peine , Du credule Auditcur sc moque en tapinois : Le dernier , du premier j & moi , de tous les trois. Pasquin. Et bien remerciee encor de tes prouesses ? N E R I N E. Comblec , avec raison , de dons & de caresses. Pasquin. Je nc croyois pcrsonne aussi fourbe que moi j Mais je baisse humblement pavilion devant toi. So L'ECOLE DES P&RES* N E R I N E. Je leur envie encor l'etat ou je les laisse : C'est une douce erreur que je pretends qui cesse i Et dont je ne dois pas long temps les amuser. Je vais done me hater de les desabuser ; Amorcer mes Galants d'un billet circulaire -, Donner a tous les trois , d'une main de faussairc, Rendez-vous, a meme heurc, & dans un mcmelieu; Et la, leur faiie voir leurs bcjar.nes. Adieu. uvMMKmMUMHmuwaimma wm SCENE II. PASQUIN, feu/. jlls ont la, par ma foi, deux agens tres-fideles. Du Vaisscau rcvenu les flatteuscs nouvclles Ne leur preparent pas un moindre pied de nez. Au partage , d'avance , a coup sur , acharnes , De chateaux en Espagne, ensemble ils s'entrctiennent. SCENE O M D t & tii 9 UBKtosa * BBmm ^r!f^iri im-mi\tm\\i m n wi unjti i M mv "" " m za SCENE III. GJERONTE, ANGELIQUE, PASQUIR G E R O N T E. It J.ES fils sont au jardin : Pasquin, dis-leur qu'ils viennent, t vous , dont l'interet m occupe de cc soin > De ma felicitc daigncz etre temoin , Angelique. A mon sort , plusqu'au votre, attentive* Vous venez de montrer la pitie la plus vive ; Je vais d'un pcre aime sentir tout le bonheur - y Partagez-en , de grace , avec moi , la douceur. Angelique. Ainsi je vous oppose en vain la repugnance Que j'ai d'embarrasser ici de ma presence. Geronte. Oui ; j'exige ce prix de mes soins emprcsses> Mes fils &: votre ccenr y sont interesses. Et pour vous cV: pour eux, soyez-y done presents Vous craignez, je le vois, qu'on ne les violcnte - t Qu'en se donnant a vous , leur propre voionte N'agisse moins sur eux , que mon autorite. Vous voulez un epoux qui soit charme de 1 ctrc. Leurs cceurs, a decouvert,devant vous, vontparokre* Vous allez , avec moi , les voir & les ou'ir Se disputer , entre eux , le plaisir d'obeir. Tome L F 8i VECOLE DES P^RES, Votre presence au reste, en ce que je projette , N'aura rien d'etonnant , ni rien qui vous commette. Pour la fille d'Argante ils ne vous prennent pas. Grace a Nerine enfin , vous etes dans le cas D'une Dame sensible aux malhcursde sa vie, Qui sollicite ici , pour elle , en bonne amie j En un mot Angelique. En un mot , vous le voulez ainsi ? J'y conscns i mais je crains. . . . Geronte. Taisons-nous. Les void. m *itmj'.iwvm.\nimmM!m!mii!i i mm ii*mfmmmr-r-mrwBn SCENE IV. GERONTE, ANGELIQUE, DAMIS , VALERE, &RASTE. VALE RE , courant les bras ouverts a Geronte. ue je sois le premier qui saute aucoud'unpcre ! Comment vous portez-vous? Geronte. Fort bien. Eon jour, Valere {aEraJle.) Bonjour,Damis.Bonjour. Des sieges* Placons-nous, Jc veux m'cntretenir un moment avec vous. C O M D I E> % j Damis. Madame nous fait done aussi l'honneur d'en etre? GUONTE. Je viens de Ten presser. Angelique. J'incommode peut-etre ? Damis. Au contraire, tin aspect si fort selon mes vceux, De ce qu'on veut nous dire est tin presage heureux, Angelique, La rcponse est polie. Damis. Encore plus sincere. r a s T E. Jc pense, mot-a-mot, tout ce que dit mon Frerc, De si beaux yeux par-tout sont les tres-bien venus, Valere. Silence, G i r o N T E. D'oU vicnt done chez vous qu'on nentre plus ? Chez lui, ce jour encore ou vous etiez ensemble, J'allois pour vous parlcr de ce qui nous rassemble, ValEre, se levant d'un air furieux. Grizon ! Picard ! 8 4 riCOLE DES PgRES> mm emamm i faigiinmil* li w mn n-arjacasaESg SCENE V. G&RONTE, ANGEL1QUE, DAMIS, VALfcRE, RASTE, LAQUAIS. VaLERE, aux Laquais. J.7J.0N Pere est venu pour nous voir? D A M I S. Sans qu'on l'ait fait entrcr ? R A S T E. J'en suis au dcsespoir ! Valere. Coquins ! a peu ne tient .... Premier Laquais. Mais, c'est vons qui.... Va LERE, lui dormant un souffiet. Tn souffles ! Je veux morigener quelqu'un de ces Maroufies. DaMIS, gravcment. Devant un Pere , Ah ! ah ! ValEre, a Geronte. Qnand vous voyez cela , De coups de canne aussi rouez~moi ces gueux-la. Cest que ce ne sont pas ici des bagatelles, C O M E D I E. $5 D A M I S. L'injure qu'on nous fait seroit des plus cruelles : Nous! monPere! nous rendre invisibles pour vous!" Eraste 1 Nous! donncr a la porte un pareil ordre ! Tous TROIS. Nous! Geronte. Non; je ne vous fais point d'injustice si haute; Et sur vos gens toujours j'en ai jete la faute. VALERE , courant I'embrasser de nouveau. Ah! vous me soulagez! Et vous m'otez un poids.... Que je vous baise encore &: mille & mille fois 1 Angelique. Monsieur est caressant. Geronte, * Autant que Ton pent l'etre. \hiis, ccmmc vousvoyez, tout poudre &: tout salpetrc; Voilacommc , a son age, autrefois j'ctois fait ; Gai, vif, impetueux, & c'cst tout mon portrait. Damis est plus pose : c'est la mere en personne ; Pour lui . . . ERASTEj has a son pere, Dices que j'ai Tame tendre 6V moutonne. F iij $6 rjscoLE des pres> D a m i s. Cest trop de vos discours interrompre le fil > Que voulez-vous de nous? Valere. Oui \ de quoi s'agk-il ? G E R o N T E. De voi}s faire un present que vous n'attendez guere..... Era STE,^ kvant av$c vivacite. Vous ferez done les parts; car autrement, mon Fere, je vous en avertis ; mes freres, sans pitie, De ce present chacun prendront une moitie ; Et moi, zestc 1 Entre nous que requite prononce. G E R O N T E. L'un de vous aura seul le present que j'annonce* Au plus sense des trois il appartiendra tout. Valere. II m'appartiendra done ? Geronte. Ecoutez jusqu'au bout. Mcs enfans , l'honnete hommc a la rcconnoissance 3 Sur toute autre vcrtu , donne la preference : Un bienfait le captive ; &: des vices du cceur , 11 voit 1'ingratitude avec le plus d'horreur. Valere. i'lioniKte-homme a raison; 6z e'est commcil faut arc. C O M E D I . S 7 D A M I S. Jc n'aime un bienfait, moi, que pour le reconnoitre. Eraste. Des ingrats 1 Ah ! fi done ! Personne ne les hait.. M V A L E R E. Plus que moi, Eraste. Doucement. Apres moi , s ll vous plait- D A M I S. Se peut-il seulement qu ll en soit dans te monde? Angelique. Helas ! Messieurs , que trop ! D A M I S. Que le Ciel les confonde ! G E R O N T E. Et vons protege tous! Je vous crois si peu tels, Et suis si fort en paix sur vos bons naturels , Que ce qu'a I'instant memeon est venu m'apprendf e De ma maison des champs, qui d'hier estencendre, N'a pas du moindre trouble agite mes esprits. D A M I S. Vous n'avez done plus rien, mon Pere? G R O N T E. J'ai mes Fils, 3? iv 'ti VECOLE DES PRES> R A S T E. Vous n'en avez que trop , n'en deplaise a mes Freres, Valere. Un de moins en effet , vous n'y perdriez gucres. E r a s t E. Non vraimenr, mais pourvu que ce ne fut pas moi. Geronte, 9 VECOLE DES PliRES > Volupte que je goute au sein de ma famille, Je Iui survis : je sais qu'il en reste tine Fillc , Digne des sentimens que j'eus toujours pour Iui, Charmante , vercueuse , & pourtant sans appui. Dans mon coeur attendri, son pere vit encore. Pour elle, par ma voix, cet ami vous implore: Je Iui devois mes biens, &: vous me les devez j Vous Iui devez le pere enfin que vous avez. Que Tun de vous m'acquitte , en s'acquittant lui-meme : Rendons saFille heureuse; elle est digne qu'on l'aime; Je vous 1'ofFre : voila de quoi vous signaler - y Et cest-la le present dont je voulois parler, ERASTE, saluant ses Frkres* Honneur a mes aines. Repondez. D A M I S. Mon silence Temoigne que j'approuve ; &r non que je balance Oui , la Fille d'Argante a droit sur Tun de nous j Et , pour une inconnue opposer des degouts, Ce seroit s'excuser sur un frivole obstacle ; (a ses Freres ) 11 la faut epouser. Value. C'est parler a miracle i Si l'Auditeur ditnon 3 l'Auditeur est un sot. Cadet , crois-moi , prends-la ; c'est-la ton vrai ballot, Un garconcommetoi ne sent rien, n'a point d'ame; Et ne sait sculcmcnt ce que c'est qu'unc femme. C O M E D I E. <)i Laide , ou belle , connue ou non \ tout n'y fait rien j Et si pcu quelle vaille , elle te vaudra bien. spouse. Ouais ! Le voila muet comme ime souchc ! Ah ! par plaisir un pcu, fais la petite bouche ! Allons , allons , epouse ! E R A S T E. Autre sot demele! ( Montrant Damis. ) Qu'il epouse lui-meme \ il a si bien parle ! Mais voyez avec moi leurs procedes infames! lis prenoient les ecus, &c me laissent les fcmmes. Oh bien 1 Tel que je suis , tant sot qu'il vous plaira 5 J'aime. V A L ERE, eclatant de rite. Le fat S II aime ! il a reve cela. Allons , epouse , epouse ! E R A S T E. Oui , deux yeux adorablcs SontdevenusmesDieux,c\: mesDieux favorables; RailleZjdesapprouvez ce penchant amoureux: Jcveux languir, briller, vivre , mourir pour eux, Et n'etre plus nomme que le Berger fidele. V a l E R E. Joli Pastor fido ! La bonte paternelle Voudra bien excuser ce dentil Celadon : Son imbccillitc lui mgrite un pardon, 9 x L'ECOLE DES PgRES; GUONTE. C'est bien dit : laissons la sa fiamme extravagance: Suffit qu'un de vous reste a la fille d'Argante ; Aussi-bien, entre nous , cette main n'etoit pas Une main dont peut-etre cllc auroit fait grand cas. Vous, si vous m'en croyez, vous ofFrirez la votre, Dar - -s: j'avois sur vous Peril plus que sur tout autre. La fille ctantsansbiens, pour un hymen heureux, Voire ctat eit l'ctat le plus avantageux. Valerea Damis. Ne vous avisez pas de faire ici la buse; Ni d'oscr emprunter sa ridicule excuse. On le croit, iui qui lit jour cV nuit les Romans: Mais Bareme n'est pas un livre a sentimens. Damis. La Raison seule ici doit etre la maitresse. Je m'excuserois mal, avec cette foiblesse. Sur cc pretcxte Erastc a grand tort d'hesiter : Et je le blame trop pour vouloir J'imiter > Aussi.... G E R O N T E. Voici votreOncle; &" je fuis sa presence. Je ne veux pas qu'il soit dc notre conference ; Dites-lui que, s'il vent, il viennenne autre fois; Puis, dans mon cabinet, suivez-moi tous les trois. C O M E D I E. 5>3 H HUM III11IIIM m.ii S C N E VIII. CHRISALDE, DAMIS, VALERE, &RASTE. Chrisalde. 1l m'evite! Avouezquevous n'attendiezguere La proposition qu'il avoit a vous faire. Tous TROIS. Ma foi non, mon Oncle. Chrisalde. Or, dites-moi libremcntj Tout vain respect a part , &: sans deguisement : Comment la trouvez-vous ? D A m i s. Folic Valere. Absurde. E R A S T E. Erronce, Chrisalde. Et la seance , en paix , s 3 est-elle tcrminee ? D A M I S. Oui, grace a vous. 94 L'iC OLE DES PRE$- Chrisalde. Comment ? D A M I S. Selon son bon plaisir^ Entre Valcre &r moimon Pere alloit choisir j Lorsque , fort a propos , vous l'avez mis en fuite. Value. Vous devriez deja, monfrere , etre a. sa suite* Damis. Ah ! vous m'en envieriez l'honneur. V A L E R E. Nennijparbleu! 6 R A S T E. Moi, j'ai tire gaiement mon cpingle du jcu, Et laisse demcler aux autres la fusee. Damis. Notre ame , devant vous , a nu s'est exposce , Mon Oncle ; a. notre tour , sachons votre secret , Et ce que vous pensez du present qu'on nous fait. Chrisalde. Jc 1'ai dit a mon Frere ; &r e'est ce qui I'irrite , Et, comme un importnn , ce qui fait qu'il m'evitc. Damis. Avez-vous vu jamais rien d'cgal a ccla? Et son pouvoir sur nous s'ctend-il jusques la? C O M D I E. 9$ Valere. Eh quoi ! parce qu'un homme aima jadis mon pere, II faudra se charger de sa lignee entiere ! Lui , ses hoirs, ayans-cause, avoir tout sur les brasl En epouser la race , ou passer pour ingrats ! R A S T E. Et s'il etoit reste trente filles d'Argante , II les eut fallu done epouser toutes trente! II en reste une : a peine on vient la proposer , Quonveutquetouslestrois nous courionsrepouser! Valere. Dispose-t-on des cceurs qui peuvent etre a d'autres 2 Chrisalde. Non, certes ! Et sur-tout, de cceurs tels que les votresj De ceeurs a sentimens nobles &" delicats , Qui du parfait amour font uniquement cas. r a s T E. C etoit-la maraison ; j'aime. Etquand j'aime, oh ! j'aime... Dame ! Au possible ! Au mieux 1 Au parfait ! Au supreme 1 Valere. Qui ne se rendroit pas a ces tendres raisons 3 Si dignes d'une Ioge aux petites-Maisons ? 11 pretend rafiner sur Tart d'aimer d'Ovide. Chrisalde. Damis opposera quelque raison solide. 7 Chrisalde. C'est son moindre souci. Damis. Peut-etre a-t-il raison. Pourquoi la rebatir? Eneflfet, quel usage Vent on , las comme il est des tracas d'un menage, Qu'il fasse de cc fonds qui n'est plus qu'onereux? Qu'il nous en accommode ; &r,Philosopheheureux, Moyennant peu de chose , il aura pour asyle , Une Communaute respectable & tranquille , Ou des soins d'ici bas son esprit exempte , S occupera du Ciel , en toute liberte. Chrisalde. Mais, oui. Value. Trcs-bien. R A S T E, Sans doute. Chrisalde. Et pour son Angeliquc, Qui fait votre embarras & son affaire unique, Jem'en charge. Apres tout, riche, vieuxck garcon- Value, bas. Que diable va-t-il dire ? E R A S T E. Ouf ! J'en ai le frisson. Toms I. G >>8 L'ECOLE DES PiRESj Damis. L'epouseriez-vous ? Chrisalde. Moi , Pepouser ! Quelle idee ! Jc n'ai pas du Malin Tame assez possedee , Pour faire un si grand tort a mes chers heritiers. Je ne la veux qu'aider. Damis. Passe I Valere. Ah 1 tres-volontiers. t R A S T E. A vous permis. Chrisalde. Allez , Messieurs, laissez-moi faire ! De nos arrangemens j'instruirai votre Pere. Damis. Et tourncrez la chose au moins du bon cote. Chrisalde. Je pretends bien vraiment qu'il en soit enchante. t R A S T E. Ma foi je precherois d'exemple a votre place ; Et , chargeant mes neveux d'un bien qui m'embarrassc, En Sage, qui du monde auroit su triompher , Avec mon Frere, en paix, j'irois philosopher. t O M & D 1 E> $*> Valere. C*est la premiere fois , secouant son genie } Qu'il a passablement raisonne dans sa vie. & R A S T E. Le tout pour votre bien , mon Oncie. Chrisalde. Grand merri. S C E N E IX. CHRISALDE seuL jl ERES infatues d'enfans tels que ceux-ci I Voila done ces objets de votre complaisance , Dont, avec tant dc soins, vous elcvez l'enfancCj Et que de vos vieux ans vous croyez les souticnsl Leur facon de penscr se mesure a vos biens. Respediueux , rampans , tant qu'un espoir les flatte > Mais du Pere epuisc la plainte a peine eclate , A peine implore-t-il , que tout le meconnoit ; Et ie monstre succede au fils qui disparoit. Je prepare a. mon Frere une horrible surprise ; Mais aussi de scs gens secondant rcntreprise } Je pretends tout-a-rheure... G ii ioo VECOLE DES PliRES, i n. ii SCENE X. CHRISALDE, PASQUIN. Chrisalde. -TSLh! Pasquin, te voila? Viens-t'en prendre chezmoi.dcs que j'aurai fait-la, Le sac de louis-d'or , dont tu sais le mystere j Et que , pour aujourd'hui, je coniie a ton Pere. Entends-tu ? P A s q u i N. Tout va done commc on Favoit prevu ? Chrisalde. lis ont fait mille fois pis que je n'aurois cru. ( // sort. ) PasqUIN, seul. Cest pour mon pauvre Maitre un furieux deboire. Mais e'est un entete qui ne vouloit rien croire. Au point que nous voulions nous l'avons fait venir : 11 voit quels sont scs fils : songeons a les punir. C O M E D I E. iai SCENE XI. DAMIS, VALfcRE, &RASTE, PASQUIN. D A M I S , de loin, JJ/AsquiN, st! st! P A S Q U I N. Entrez , cntrez , sans vous contraindre. Value. Mon Pere . . . P A S Q U I N. Est occupe. Vous n'avez ricn a craindre. V A L E R E. Sais-tu les beaux propos que l'on nous a tenus? P A S Q U I N. Oui. Cc ne sont pas la nos vaisseaux revenus. V A L E R E. Des l'instant oii mon Pere a parle d'incendie, La contenance etoit deja bien etourdie , Et chacun d'etre ici se mordoit bien les doigts, E R A S T E. Nous avons , sans mentir , ete bien sots tous trois, \ P A S Q U I N. Qui , sans mentir. G ii) foi L'ECOLE DES P&RES, D A M I S. Sous cape , a rire tu t'ocaipes \ D'ou vie nt done? P A S Q U I N. Par ma foi, vaus etes pris pour dupes? Votre Pere enferme depuis cet entretien, A gorge deployee , en rit avec h mien, D A M I S. II rit ? Value. Bon ! son oreille encor s'est abusee. P a s q u I n. H rit, D A M I S. Quoi ! Ruine , perdu ! P a s q u I N. Billevesee ! L'incendie est un conte r envoyez sur Ies Iieux; Oli plutot, allez-y ; vous en croirez vos yeux, Value. Avant unc heure ou deux nous en aurons nouveUe. Eraste. Notre Pere , en ce cas , nous Tauroit bailie belle! P a s q u I N, Ah ! je vous en rcponds. COME DIE. ie 5 :' D a m i s. Gregoire aura jase. P a s Q u I N. Quoi done? Qu'avois-je dit ? II est si peu ruse I Er la simplicite livree a la colere, Sair si mal d'un secret renfermer le mystere S Du malheur dont encore il ne m'avoit rien dit. En mentcur mal-adroit , il ma fait le recit ; Du besoin qui le presse , accusant cette perte ; Dedaignant toutefois quelque pistole ofFerte ; Entamant cent discours qu'il ne finissoit pas ; Se desolant tout haut, se consolant tout bas ; Son cceur qui ne sent point ce qu'il veut que Ton croie, Petilloit dans ses yeux dune visible joie ; De mon Maitre 6V deluila belle humeur enfin, Tout prouve notre erreur & leur esprit malin : Bien plus, d'un tas d'ecus qua huis-clos on manic, Mon oreille a surpris l'indiscrette harmonic. Mon jugement est sur, le votre Test aussi ; L'incendie est un conte , & l'argent roule ici. V A L E R E. Que pretend done mon Pere, cV qu'a-t-il voulu dire 5 D A m i s. Ah ! je vois ou tendoit le jeu qui le fait rirc P A s q u i N. Quant a moi j'en penetre aisement le moti C'cst que, sur votre compte, onl'a rendu crainti G iv i4 VECOLE DES PlzRES, Dans son credule esprit sans cesse on vous decric, On traite votre amour pour lui de momerie. Helas ! le monde est plein de si mechantes gens ! Votre Pere a concu des soupcons outrageansj La Fortune lui fait de nouveaux avantages ; II vous les destinoit j mais avant les partages , II a , sur vos bons cceurs, voulu vous eprouvers Et c etoit un panneau qu'il falloit esquiver. Value. Morbleu ! Qu'avons-nous fait ? Pasquin. Un pas de Clcrc terrible, Value. Moi , j'y vais simplement. Pasquin. L'imposture est horrible R A S T E. C'est vous , Messieurs , avec vos esprits d'interet ; Que n'epouser aussi d'abord ? V A L E R E. Tais-toijbcnct? D a M i s. Mon Pere a, dans le fond,quelquc lieu de se plaindre, E r a s T E. Et notre Oncle a present nous achevc de peindre. COMEDIE, J05 Damis. Avec un peu d'esprit on fait ce que Ton veut. Je saurai in en tirer , Messieurs. Sauvc qui peut I Valere. II n'est rien , pour ma part, que je n'y sacrifie. (a Pasquin.) Toi, redouble tes soins : rode , examine , epie. Assure- nous du fait; &" tu t'en sentiras. E R A S T E. Pasquin sait qu'il n'a point affaire a des ingrats, Pasquin. Ni vous a quelque sot. J'ai la de la cervelle ; Et , devant qu'il soit peu , vous en aurez nouvclle. ERASTE , en s'en allant. Le joli petit piege ou nous tombions sans lui I Pasquin, seul Us en auront nouvclle : &: quand ? Dcs aujourd'hui. SCENE XII. gronte,chrisalde, gregoire, PASQUIN. G E r o N T E. jLes monstres! Sepeut-il... Chrisalde. Tous trois vous abandonnent. Et vous ctes le seul en ccla qu'ils etonnent 1 io< VECOLE DES PiRES^ Geronte. Eh ! je ne m'cn doutois que trop des le moment Ou j'ai paru vous fuir si precipitamment. Sur mon etat present Ieur silence funeste Ne m'avoit que trop fait pressentir tout le reste. Triomphez de la honte , insultez au malheur D'un insense que rien n'avoit tire d'erreur. Chrisalde. II faudroit de vos fils avoir la barbarie. Je viens, dans ce malheur qui nous reconcile, En reproches contre eux avec vous m'exhaler j Vous plaindre \ 6V, s'il se pent encor, vous consoler, Geronte. Reste d'un cher ami, deplorable Angelique , Si des ingrats du moins j'etois viciime unique ! Mais le comble des maux ou je me vois plonger 3 Cest que votre jeunessc ait a les partager i Chrisalde. Rcposez-vous sur moi : je me dois, en bon frcre* Ressentirdes bontes qu'avoit pour vous son pere. Geronte. Pour Pamour demoi done, daignez la secourir! Ne prenez soin que d'elle, &c me laissez perin G R E G O I R E. Vivatl Arde,Monsieu, point de mirancolic S Al est temps dc vous dire... C O M E D I E. 107 ( a Pasquin , qui lui fait signe de se taire. ) Oh ! non ; tians , c'est folic ! Qa me fend trop le coeur 1 Et je veux me hater . . . Pasquin. De qnoi faire ? En parlant trop tot , de tout gater? Je connois mieux que vous Monsieur &: ses foi blesses ; Et ne connois pas moins ses fils 6V leurs souplesses > II ne pourra pres d'eux nous garder le secret j Us se rapatrieront ; 6c nous n'aurons rien fait. G E R O N T E. Que meditez-vous done ? Gregoire. Tout ira comme eun charme i Mais ne lanterne pa; ha'isse-le don farme ! Ne fezon pa le gniais ! Dame itou , comme on di 3 Je nous serion bailie bian du mal a credi. Ne ririais vous pas bian si ce varmine ingrate, Euz & tout leux frusquin retombion sous vo patte? Pasquin. Bon ! Ce sont ses chers fils ! Geronte. II ne leur est plus du, Ce nom , que pour jamais les ingrats ont perdu. Sans pitie ! sans pudeur.... Gregoire. Kon ! la maudite graine ! roS VECOLE DES PRES y Geronte. Si je les hairai ! C'est peu que de ma haine j Mon indignation les condamne a l'oubli ! Helas ! Je n'en puis plus ! &: mon coeur affoibli.... Chrisalde. Allons prendre un peu l'air, mon frere, & hon courage i C'est desormais snr eux que se tourne l'orage : Par leur endroit sensible ils seront chaties ; Et les laches bientot tomberont a vos pieds. Fin du trolsieme Aclc. C O M E D I E. 109 A C T E IV. SCENE PREMIERE. grgoire, nerine. Gregoire. 01 bian qu'anfin tantia , tous trois par ta menee , lei vont arrive , la gueule enfarinee ; Faire , en s'y rencontran , bian du brouillamini j Et prande un rat , pensan trouvc la pie au ni. Fezan frime de rian , & comme a la passade, Je pretan bian itou leux bailie la cassade. Tout men etonneman , e'est quemant il ozon , Apres ce qu'iz ont fait, rantre dans la maison. Nerine. N'ai-jc pas , tout expres , ecrit avec adresse , Dans les billets remis au nom de ma Maitresse: jj Pour etre en paix & loin du bruit , Sur--toi.it pour ne pas etre aborde par un frerc, jj Retrouvez-vous chcz votie pert - , v> Qui ne cioit rentier qu'a minuit m. J'amenerai Madame, en toute bienseance : t je les garantis chapitres d'importance. no L'ECOLE DES PERESj Gregoire. Que de ruse dessou ce petiz-escofion , La malice du diable ! Et pis je nous y fion! Et meme je voudrais,du meilleu de mon ame, Un peu de s-t-esprit la dans le corps de ma femmc* C^a ne laisscrait pas de m'amuse.... Mais , non ! De si fine femelle en save un peu trop Ion: C^a vous goaille en derri ere ; en devant ca flagornc j La femme a la culotte ; &c le mari de corne. Je n'en veux point 1 N E R I N E. Gregoire est homme de bon sens: Extravagant par fois , mais non pas pour long-temps. SCENE II. GREGOIRE, N&RINE, PASQUIN. Pasquin, courant a Vetourdlc vers Nerine* iS Erine , ecoute , ecoutc. Nerike. Et quoi? Pasquin. Que je te conte Un trait... Mais un beau trait du frere de Geronte. C O M & D I B. in N E R I N E. Eh bicn ? PASqUlN, voyant tout~a-ccup Gregoire & Ventrainant. Ah! vous voila ? Quatre mots en secret. Suivez-moi. Gregoire. Mais avant , dis li don ce biau trait \ P A S Q U I N. Ceci presse un peu plus. Gregoire. Mais! Cest commc un vartige! P a s q u I N. Cest ce qu'il vous plaira: sortons vite, vous dis-je. GreG0IREj laissant emmener. Allons done ! v mm. t ju-if B um n ne 'jg iU MimanTMffHiw B^ SCENE III. NERINE, seuk. C^/E Man an est , selon mon avis , Le riche Procureur dont Pasquin se dit fils. Sa presence a mes yeux l'embarrasse & I'etonne: A plus d'un autre signe encor je le soupconne. Qu'il se soit avise d'etre fat a ce point ; Tout mon ami qu'il est, je nc l'epargne point; Et.... Mais voici qu on vient au rendez-vous.... ni LECOLE DES PERESj SCENE IV. ERASTE, NERINE. t R A S T E. ARRIVE* Et tu me vois brulant de l'ardeur la plus vive. Avertis la Comtesse , &" pressons l'entretien. N E R I N E. Je vais vous l'amener , Monsieur; tenez-vous bien. SCENE V. R A s r E. ira.TTENDANT le moment. I e plus douxde ma vie 3 Tendre Amour ! En ces lieux soupire une Elegie. ( Se passionnant. ) Charmante Amaryllis dont l'eclat sans pareil 3> Me paroit comparable a l'eclat du Soleil ! 55 L'hcurcuxMyrthilt'attendsurrherbette V A L E R E. Et que faitcs-vous la ? D A M 1 S. Nous vouloiis voir Gregoire. Valere. Eh ! tenez, le voila. i ' inmnitjii i *^' 'T'ii u ifl*iiTnr mmaam *~*-^m . ' ' ." SCENE YIII. DAMIS, VALERE, ERASTE, GREGOIRE. D A M I S a Greg dire j qui feint de les eviter. Cxreg o ire , un mot ! viens ca ! viens done ! viens ! Qu'on te voie ! (Lui mettant la main sous le menton. ) Admirez-moi sa face ! Elle inspire la joie. Tu ne nous aimes point ? Gregoire. Ni je ne m'en sens pret. Valere. C'est cet air de franchise en lui sur-tout qui plait. E R A S T E. louche la ! Gregoire. Palsangue I Via dc jan bian honnete ! Qui diantre 1 On ne me fit de me jour rant de rcte ! C 6 M E D I E. i i 5 Pourquoi done ? Su quelle harbe ont-i tretou marched D A M I S. Tantot , en nous quittant , tu paroissois fache , Et nous voulons bien vivre avec l'ami Gregoireo Pour cimenter la paix il aura de quoi boire. Tiensi Valere* J'ai sur moi , je crois , une pistole ou deux i C'est toujours autant; prends, prendsj ne sois pas honteuX ErasiE, ouyrant sa tabadere. Veux-tu du tabac ? G R E G O I R E. Ouais ! Tout ca n'est pas sans cause ! Morgue ! Dite-moi vrai : vous save queuque chose ? D a M i s. Que saurions-nous? C'est toi qui nous fais concevoir Qu'il est done quelque chose a nous faire savoir. GrEGOIRE, falsant V embarrass/. Nannin ! Ce que j'en dis c'est a la boullevue. V A L E R E. Ta franchise t*a fait commettre une bevue< Avoue* On nous trompoit ? Gregoire. Qui ? Hi; u6 L'ZCOLE DES P^RESj V A L E R E. Dis-nous, dis-nous? G R E G O I R I. Quoi? D A M I S. Ce que tu sals. Gregoire, Quesais-je? ALE RE, impatiente> Oh ! rien. Gregoire. Non,parmafoi! D A M I S. Tu sais... Gregoire. Je sais... Jc sais... V A L E R E. Parie 8c sois veritable* Gregoire. Je sai que les enfans ne valon pas le diable. D A m i s. Nous blamons la facon dont le tien t'a traite. Gregoire. Oui da ! Vou trouve ca CO ME DIE, 1x7 Toys trois, Tres-mal ! G R E G O 1 R E. En verite ? Damis, Ton doute nous fait tort ; d'un refus malhonnete, C'etoit a qui de nous lui lavcroit la (etc, R A S T E. Oui , certe ; il a recti de nous sur son devoir Des lecons de morale,.. Ah ! peste! il falloit voir! Value. II faut avoir le cceur bien dur & bien de pierre ! Un pere ! Et qu'avons-nous de plus cher sur la terre ? R A S T E. Je regarde Pasquin comme un enfant maudir, V A L E R E, II perira S Gregoire. Sans faute : & vous avez bian dit. Mais stanpandant, Messieurs, ( je vous propose excuse) De ne pasmieu valoir tout chacun vous accuse. Damis. Oh! franchement mon Pere est aussi trop cruel , E: pousse un peu trop loin le pouvoir paternel. II veut que Ton epouse une fille inconnue , De Province, sans biens , sans nom. J'ai quelquevuc Hiij ji8 riCOLE DES pre$, gt quelque ambition. R A S T E. Moi , je suis amoureux ! Valere. Toute ma pcur a moi , c'est de devenir gueux< D A M I S. Je veux de la noblesse appuyer ma roturc. t R A S T E. Je veux m'Amie. Valere, Et moi, de quoi faire figure, D A M I S. Comme tu vois, chacun de nous a sa raison : Mon pere a quelque tort. N'en convicns-tu pas ? Gregoire. Non. Valere. Quoi ! Tu nous souticndras , tant fils puissions-nous etre . Qu'un pere de nos mains peut disposer en maitre j Et pour quelques bienfaits dont lui seul a joui , ]1 faut qu'aveuglemcnt Tun de nous s'immole ? Gregoire. Oui Exempe. J etais sec &r n 'avais pa la maille. Je trouve par hasard eun ami qui m an bailie. C O M B I M. xr^ Aveuc ca je m'engraisse , &: j'ai cheu moi du grain , Eun gros beu , eun cheval 5 eun ane , &: tout le train. Au bout d'eun tarns st'ami meurt \ & , pour tout potagc^ Ne laisse a son enfan qu'un petit heritage \. Et st'enfan-la n'a pa, ou sez affaire easont ,. De quoi faire valoir ni laboure son fond \. Et je n'aure pas droit moi , sans qu'on me chicanne, De li bailie mon beu , mon cheval ou mon ane ? Si fait., mordienne I R, A S T E, Ou tendxe que vous nous contez? Vos animaux, Gregoire , ont-ils des volontes ? Gregojre. De volonte ! Pardi , pardi , belle defaite ! Pour nous , &: non pour vous le volonte sont faitc. J'ons la note ; i suffi ; conformc-vous dessu : Si mebeux raispnnion , i n'en aurion pa pu. Et vo pauve soeurs done, pisqu'i fan qu'on vou bourrc , Quand , poul'amonrde vous , au Conven on le fotirrc-* Et qu'alle vourion bian tire d'autre cote; Lenz alle-vous prechan d'avoir de volonte ? Mais, baste ! Laisson-ca : venoaa votePere ; Pandan que vous piafe, le via dans la miserc , Sans que pas eun de vous li tande eun varre d'aw. Mon fils vous scandalise ; < vous trouve ca biau ? Et vous 6c li , tene , e'est la meme tnrlure. D A M I S. Nous nemeritons pas encor que Ton murmure, H iv ixo LiCOLE DES PiRES y Aujourd'hui Ton a tort ; demain Ton auroit droit ; Mais les choses peut-etre iront mieux qu'on ne croit, G R i G O I R E. Faite bian le vilain ! Mais bailie vous dc garde Que le Pere n'y gagne au fond pu qui n'i parde* Le pu fute de fois sont ceux-la qui son pris. R A S T E. Nous ne concevons rien a ce que tu nous dis* Gregoire. Moi, je m'entan; suffi.Queun dc vous Iantipone 3 Je nous en passeron , la Providance est bonne. D A M I S. Tous mes biens sont a lui. t R A S T E. Qu'il prenne tout mon fair. Valere. Dis-luL.. Gregoire. Cest votre affaire. Adieu. Vote valet- CO M D I E. .. izt LLL.J MM. ' I I M i l ' > SCENE IX. DAMIS, VALfeRE, feRASTE. D A M I S. t/EST devoiler assez les secrets de mon Perc, Et nous en faire a fond penetrer le mystere. Allez chacun chez vous maintenant aviser Et courir aux moyens qui pourront l'appaiser. TOUS LES TROIS, feignant de s'en alkr. Allons. DaMIS, cedant le pas a Valere. Sortez. VALERE , de meme a. Eraste & a. Damis. Passez. &RASTE , a Damis & a Valere. Apres vous. Damis. Le troisieme. Valere. Quoi ! personne ne branle ? Eh bien ! DAMIS, reculant toujour s. Eh bien! vous-meme. Que nctes-vous dehors \ in VtCOLE DES PtiRES, Value. Je demcurc. D A M I S. Pourquoi* V A L E R E. Jc veux pres de Pasquin m'instruire encore. D A M I S. Et moi; R A S T E.. Et moi. V A L E R E. Je vous rendrai mot-a-mot les nouvellcs. D A M I S. Je saurai pour le moins les rend re anssi fidelles. V A L E R E. Aih ! Hors d'ici tous deux ! Votre presence y nuit. D a M i s. J'y reste encore une heure. r a s T E. Et moi jusqiva minuit, V a L E R E. Mon tres-cher frcre , & vous , 6 Pccore importune ! Je l'avoue : il y va d'une bonne fortune. J'ai rendcz-vous ici. co mi d ie. ri5 t R A S T E. Je vous en livrc autant. La Comtesse en ce lieu va se rcndre a Tinstant ; Et, puisqu'il faut parler, &r que Ies momens pressent, file est l'astre adorable a qui mes vceuxs'adressent. VALERE, ricanant. Mais tu l'aimes done bien ? t R A S T E. Et me crois memc aime\ Valerl Serieusement ? r A s T E. Oui. Valere. Parbleu ! J'en suis charme. Oh ! bien , cesse pourtant d'aller sur mes brisees ; Et prends une autre fois un peu mieux tes visees. Tout ce qui t'a flatte n etoit qu'un jeu malin. Tiens , lis : reconnois-tu ce billet de ta main ? Nerine m'en a fait tantot le sacrifice. Vois ta honte &ma gloire: &: tot,qu'on deguerpisse! R A S T E. La scelerate ! Valere. Adieu. Fais place a ton vainqueur DAMIS, a Valere. J'ignorois son amour. Vous etes ne moqueur; U4 VtCOLE DES PiRES> Et vous avez beau jeu. Mais, pour venger sa flamme, En vous plaignantpourtant du meilleur de moname. ( Car il ne faut jamais railler les malheureux) Voila. votre billet ; retirez-vous tous deux. Value. Mon billet ! D A M I S. Oui; qu'il serve a vous faire connoitre Qui du champ de bataille est ici le vrai maitre. Au favori , Nerine immoloit deux Rivaux. tRASTE, souriant. Si je suis malheureux , j'ai du moins des egaux, Value. Berne moi ! Je n'ai pas le petit mot a dire. DAMlSj gravement. Un aveu si penible a de quoi vous suffire, Allons, raste ! un peu de generosite! E R A S T E j gaiement, Et vous, Damis, allons; un peu de fermete I Le revers sur lequel votre fierte se fonde , N'en est qu'a ses deux tiers , &" n'a pas fait sa ronde j Votre billet y manque ; heurenx que cette main Mette, en vous le rendant, notre aventure a fin, VALERE, eclatant de tire. File est ma foi complctte , &" ceci me console. CO ME DIE, tij ( a Dafnis. ) Cest done vous,rhomme heureux,a qui Ton nous immofe* je vous dois les egards que vous aviez pour nous, Et je me garde bien de me moquer de vous* D A M I S Et sur quoi venez-vous ? Value. Sur cette fausse lettre, Chaste. Et moi sur celle-la qu'on vient de me remettrc. D A M I S. Nerinc est une fille a pendre* R A S T E. Plaidons-la Crime de faussete ; le vol , outre cela : Autre grief encor, qui plus encor mc choque* J'en suis pour un bijou que la chienne m'escroquc V A l E r E. Motus. Quelqu'un peut-etre est dans le meme cas; Et fait en homme sage , en ne s'en vantant pas, D A M I S. Ma penetration va plus loin que la votre. Souvent un artifice en enveloppe un autre* Elle nous repaissoit de chimeres ici : Si le bien de la Dame en etoit une aussi? ti6 VECOLE DES P^RES* Value. Non : ses biens sont reels , &: c'est un fait notoire ; J'ai pour garant notre oncle, & nous Ten devons croirej Lui-meme il me l'a dit, sans savoir nos desseins j 11 a cent mille ecus pour elle entre les mains. D A M I S On vient j c'est elle-meme* V a l E r E. Affrontons les alarmes* 11 fautde la bravoure en amour comme aux armes* Pourquoi nous separer &: fuir a son abord ? Parlons , declarons-nous , & sachons notre sort. SCENE X. DAM1S, VALfeRE, &USTE, ANGELIQUE, D A M I S. JL/E nous trouver ici vous etes etonnee, Madame; &: ce qui s'est passe Taprcs-dinee. ..- Angeliqu e. Votre pcrc , Messieurs , n'est done pas au logis ? D A M I S. Non, Madame. Angeliqu e. Je n'ai rien a dire a scs fib. C O M E D I E> 1x7 R A S T E. Mais ses fils voudroient bien vous direquelquc chose, Madame 5 demeurez , s'il vous plait , & pour cause. Mes freres vous diront.... ce que vous ignorez.... Et vous allez savoir.... ce que vous apprendrez. Contez, contez-lui ca. D A M I S. Nous trompons votre attente, Madame, en repugnant a la main d'une absente, En qui le seul appui qui l'honore en ces lieux, Devoit etre un merite asscz rare a nos yeux. A ce merite un pere ay ant joint sa puissance, On auroit dii s'attendre a plus d'obeissance. Mais des engagemens qu'en secret nous formons,' Des obstacles trop grands y nuisoient. V A L E R E. Nous aimons. Damis. Nous n'osions l'avouer. R A S T E. JHai seul eu cette audace. Damis. Sur de telles raisons un pere est tout de glace. L J age ou Ton n'aime plus lni fait, surleretour, De vaine illusion traiter en nous 1'amour. Mais vous , en qui , Madame, un beau feu peuteclore , Vous , sur qui cet amour a tous ses droits encore, ii* VECOLE DES PliRES, Aimez, ressentez-en le charme sedu&eur : Nous aurons notre excuse au fond de votre cceur Angelique. Ne vous alarmez plus des volontes d'un perc Qui vous trace un devoir en efFet trop austere. Non qu'il n'eut ete beau , peut-etre meme heureux, De se plier an gre d'un coeur si genereux. Une ame , je dis meme une ame assez commune, De rOrpheline ofFerte eut cheri l'infortune ; On la peignoit aimable , &c pensant assez bien Pour faire le bonheur de qui feroit le sicn. Que n'auroit pas en elle opere la puissance D'un chaste amour fonde sur la reconnoissance ? Pleine de sentimens si tendres & si doux , Que n'eut-elle pas fait pour plaire a son epoux? Plaisir, honneur, devoir, pitie de sa jeunesse, Gloire de relever ce que le Sort abaisse , Les prieres d'un pere , L'une vient d'eclater , i'autre eckte a son tour : Et'je juge par-la du prix de votrc amour. V A L I R E. Tres-mal juge , Madame ! kASTE, Ah ! sentence cruelle! J'y suis le plus lese , Madame \ & fen appelle. Qui? moi! de Tinteret! Parce que? Quoi! Voyons* Value. Mais , oui : quel procede veut-on que nous ayons? Je ne dirai qu'un mot, Madame. Je vous aime j Cela sans interet , purement pour vous-meme. Vous aimez Angelique : Eh bien ! ajustons-nous> Vous vous efforcerez pour elle , &: nous pour vous t Voyez de nous d'abord celui qui pent vous plaire ,, Et qu'il soit votre epoux R A S T E. C'est une affaire a fairc i Apres quoi , pour sa dot , boursillant en commun, Elle aura par de-la de quoi s'en trouver un. D A M I S , a Angelique qui vcut soriir. Ah ! Madame , arrctcz. Des ofFres de mes freres , Retranchons ce qui peut les rendre temeraires: Votre chere Angelique aura part a nos biens; Pour elle a votre gre choisissez dans les miens ; Je ne demande pas le moindre sacrifice ; Traitez-moi seulement avec plus de justice; I ii iji VECOLE DES PRES 3 Et sachez disringuer ce coenr ou vous regnez , De ces indignes coeurs qu'ici vous nous peignez! Eh quoi ! pour ne pouvoir aimer une inconnue , Que de vos yeux vainqueurs le charme a prevenue , Comme un lache, anime du plus vil interet, Dois-je etre fondroye d'un si cruel arret ? Accusez mon amour , condamnez son audace j C'est aux soumissions a. meriter sa grace ; Mais que de vos soupcons vous ne nVexccptiez pas^ Me supposer a moi des sencimens si bas j Voirlesvceuxlesplus purstraites de mercenairesj Madame, mille morts me seroient moins ameres. &R AST E, bas a Valerc. 11 pourroit bien sur nous l'emporter aujourd'hui : Nous n'avons pas le bee affile comme lux. Value. Madame Angelique. Vos discours, quoi que vous puissiez dire ; Apres ce que j'ai vu, ne me sauroicnt seduire. Si pourtant mon esrime a de quoi vous toucher, II vons reste un moyen de vous en rapprocher. Laissons-la cette fille a qui je m'intcresse j Un soin plus important vous regarde & vous prcssc. Angelique n'a plus de rcssources qu'en moi. De vos biens la pitie reclame un autre emploi. la derniere infortune accable votrc Pere ; J'ai vu sa gratitude , cV sa vertu m'est cherc i C O M E D I E. i}} Imitez-la ; courez l'aider en des besoins Quil n'eprouveroit pas s'il vous eut aimes moins. 1 remblez,laissant l'honneur de ce devoir a d'autres, Qn'un secours etranger ne previennelesvotres; c n'esperez jamais de commerce entre nous > Qu'autant que ce jour meme on se louera de vous. SCENE XI. ANGfeLIQUE, DAMIS,VALRE, raste, nerine, N E r i N E. ESSiEURSjCxcusez-moi, si j'entresans mystcre. Madame attend sans doute ici Monsieur leur Pere j II est a la maison, ou je l'ai fait asscoir , Fatigue, foible, triste, & commc au desespoir. Damis, a Angeltque _, qui sort precipitamment. Vous serez obcic ; & mon cccnr sc rcsigne Angelique. Je nc vous parle plus que vous n'en soycz dignc. I iij ,34 VECOLE DESP&RES, SCENE X I I. pamis,valere,raste 3 nerine. ValERE, arritani Nirinc par U bras* jS' ERiNE 1 Un petit mot. N E R I N E. Oh ! Madame a raison. Soyez honnetes gens, ou point de liaison. D A M IS. Tu veux moraliser ? La singerie est bonne. N E R I N E. Oui , j'aime la morale. Valere. Est-ce elle qui t'ordonnc De te faire payer des gens pour les trahir j N E R I N E. J'aime a la debiter , &" non pas a l'ouir. Valere. Oh ! je te tiens. Voyons , que pourrois-tu nous dire 3 N i r i N E. Mille choses pour une. Valere. Entre autres? N E R I N E. Quel martyrci C O M D I E. Vj5 Mais vousm'estropiez I Value. Tu n'echapperas pas. Nous imaginons pen ce que tu nous diras. N E R I N E. Quoi que je pusse dire, on ne me croiroit gucre* Dami s. C'esr que tu mentirois. N E R I N E. Non, je serois sincere. E r A s t E. Voyons, parle : on t'ecoute. N E R I N E. Eh bien done , je vous dis Que , si je l'avois pu , j'aurois fait cent fois pis. Tous TROIS. fort bicn. Nerine. Que je suis fourbe, &: tant soit peu friponne. D A M I S. Sur ce point, contre toi , tu n'as deja pcrsonne. Nerine, rapidemenu Mais que vous etes , vous , des tigres, des per vers, Des Arabes , des Juifs , des Turcs , des Ladres verd&, Des Cancres.... en un mot , s'il faut que je le dise 3 Des gens..., Fuyons 1 J'allois lacher une sottise.. I iv ri$t VECOLE DES PRES> SCENE XIII. DAMIS, VALERE, ERASTE D A M I S. jLA belle retenue! Elle a trop de bonte. Yalere. L'impudente ! r a s T E. La masque I D A M I S. Elle m'a demonte, V A L E R E , a Damis. Mais vous, que scntez-vous encor pour la Comtesse? Damis. Plus d' amour que jamais. t R A S T E. J'ai la meme foiblessc. Elle est de qualite; cela Matte mon gout. Unc belle Bourgeoise est belle , & puis e'est tout. Mais, dans la qualite, que d'appas j'imaginc ! Qu'une femme bien noble a je crois la peau fine > Je m'y figure un tout si doux , si delicat, Si... Tencz, le vrai beau n est pas du tiers- tW C O M D I E, i 37 Valere. t)h'!bien, renoncez-y tous deux; car jeTadorc? Sa colere a mes yeux l'embellissoit encore. Je vois bien a quel prix on sera son epoux: Mon pere apparemment la trompe ainsi que nous ; Elle a Tesprit frappe de sa ruine entiere; Quand on sera plus riche, elle sera moins fiere. Elle a raison , l'utile , en ce siccle fatal , Marche avant l'agreable .... SCENE XIV. PAMIS, VALfeRE, &RASTE, PASQUIN, Valere. Juh bien ! notre real* P a s q u 1 n. Nous triomphons ! Jc suis au fait de nos affaires ; Et vous en fais dans peu lcs temoins oculaires. Mon Pere , de caissicr s'est fait donner 1'emploi. Par vingt commissions il sc defait dc moi. Pour compter son argent cherchant un sur asyle, Et, voulant au logis rester seul &: tranquille , II m'en fait deposer lcs clefs en m'en allant. Mais ce passage echappe a son ceil vigilant. Sortez par ce degre; vous en savez Tissue: Par one fausse-porte il descend dans la rue; i*8 L'tiCOLE DES PrES, J'irai I'ouvrir: sortezj &", rentrant par mes soins..- GrEGOIRE, derriere k theatre. J^annot ! P A S Q U I N. Mon Pere ! Gregoire. Acoute ! P A S Q U I N. On y va ! {Aux trois Freres t en les poussant dehors. ) Je vous joins, wmmBKmmamammmmmmmBmmBammmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmm SCENE XV. GREGOIRE, PASQUIN. Pa S QU I N , arrangeant une table _, une chaise & une marine pleine de sacs quapporte Gregoire. V oici Tinstant critique, &: le coup de partie, Mon Pere; il faut jouer ici la comedie. Gregoire. M'an si-je don dcja si mal acquitte? PASQUIN, fa'isant asseoir Gregoire. Non. Jc suis content de vous. Asseyez-vous la : Bon. Dcs que j'aurai tousse , ne tournez plus la tete. C O M E D I E. ijj Gregoire. Mais tu me pranra don toujou pour eune bete> P A S Q U I N. Rangeons autonr de vous tous ces sacs a present. GREGOIRE , faisant sauter ks sacs p kin de paillc. Je troqueron st'or-la conte dn pu pesan. P A S Q, U I N , lid dormant un sac de louis. Voici le sac de l'Oncle ou git notre fortune. Faites-le bien sonner. Gregoire. Va-t'en ! Tu m'importunc Seuleman ver la nasse ameune 1c poisson ; Et laisse-moi le soin d'ajance l'hamecon. mauiy i nn m ni Mmeagsya SCENE XVI. GREGOIRE, seal. *y A, baillon nou les ar d'un Quaissier d'importancc. Via don tou lc mctie dc cc jan de finance? En remuan le pouce , i devenon pu gras Que le puzhonnete horamc en se rompan 16 bras. Et ca vous est pu fiar que si e'etait grand chose. Voye Monsieu Damis , comme i vous en impose. Stanpandan qu'est-ce au fond ? Rian ! De quoi sarvont-i? Je yandon note peine ; eun Marchan , des habi. 14 VECOLE DES P&RE3, L'artisan sa bcsogne ; un Valet son sarvice : Eun Gendarme sa vie ; eun Robin la justice. Euz en ne vendan rian , sans rian faire , avon ton, Maugrebieu de la race , 6V de la race itou ! Chut ! Oni ; c'est lc signal : j'entan tousse mon drole. <^a! Bridon la becasse ! &: quemancon mon role , Par faire, en mon chapiau, sonnaille cc lonis. SCENE XVII. GRfeGOIRE, PASQUIN , DAMIS , VALERE , t R A S T E. GrEGOIRE compte , pendant que les trois Freres s'avancent doucement par derriere , pour voir les sacs done la manne est pleine. L/N, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huh, neux & dix. Jarnigoil qued'arjan! Et on^e, & dou^e , cV trei\e. Qu'i fait bon magnie ca 1 quator^e j quince _, sei\e, Dix-sept , dix-huitj dix-neuf & vingt. Pezon stila, I me paroit lege. Mon trebuchet ? Le via. ( Pendant qu il pese. ) S'i savion que j'on cian l'arjan a pleine- hotte ; Comma diantre i vienrion nous accole la botte I Lc canaille! Et leux pcre encore en a piquie 1 Et dit, s'i s'avision de li faire amiquie, Qu'i ne seroit pas homme a teni son courage ! C O M E D I E. 141 Tout ca serait pour zeux ! Par la morgue, j'enrage! Horn ! Qu'aveuc mon arjan je serais fier &c sec! Et que je saurais bian leuz en torche le bee ! I zon le cceur de far ; moi , je l'aurais de bronze. ( Pasqu'm & les trois Freres s'en vont. ) Urij deux _, trois j quatre> clnq 3 sixj septj huitj ncufj dix 3 orrze. ( Tournant la tete. ) Gnia pu personne. Via mon parsonnage fait. C^a n'a pas ete mal , &: j'en varron TefFet. Fin du quatrieme Aclc, i 4 * VECOLE DES P&RES, A C T E V. SCENE PREMIERE. ANGELIQUE, NERINE. N R I N E. JLviLAispourquoi done cette ame a. la douleurenproic, Quand je ne vois pour vous que des sujets de joie? Au comble du bonheur vous vons desesperez ? En un mot, tout vous rit, Madame; & vous plcurez ! Qui m'interrogeroit sur ce qui vous afflige , Ne sauroit que penser de ce nouvcau prodige. Un Courier nous apprend le retour d'un vaisseau, Qui lui rend des tresors que Ton croyoit sous l'eau. On vient de lui compter cent mille ecus sur table i Et, depuis ce moment, elle est inconsolable . Madame, a. ce discours, vous tomberez d'accord, Qu'on me droit au nez; &" qu'on n'auroit pas tort. Angelique. Jc suis riche , il est vrai ; e'est un grand avantagc. De Tun a l'autrc etat je sens 1'heureux passage : J'ai connu I'indigence; &" qui s'en vit presser, D'un ceil indifferent ne la voit pas cesser. Mais quels que soicnt cniin ces biens qui te seduisent, Je n en soufFre pas moins du faux bruit qn'ils deiruiscnt. C O M D I E. i 4 $ Ce coup irreparable a fait mcs vrais malheursi Et l'espace d'un an n'a pas tari mes pleurs. Ce faux bruit enleva mon Pere a sa famille. II mourut, en pleurant sur ie sort de sa fille. Rien n'egala pour moi son amour paternel \ Et mon scul intetet porta le coup mortel. Aujourd'hui cependant je me trouve enrichic Du retour de ces biens qui m'ont coute sa vie : Jen vais jouir sans lui , Ncrine ! Est-ce un bonheur Si pur que je le puisse apprendre sans douleur i N E R I N E. L'excellent naturel! Ousont,pour vons entendre, Tant d'honnetes enfans, si peu faitspourattendre, Qui hatcnt dans leurs coeurs d'un vieux pere opulent, L J heritage tardif, &: le trepas trop lent? Bel exemple , sur-tout pour les fils de Geronte ! Mais de la fsrmete sied bien , au bout du compte. La raison fixe un termc a des regrets si vains. L'esprit, le temps, l'argent sont trois grands medecins. L'argent seul ! Est-il mal, execpte l'avarice , Qu'un si doux elixir n'endorme on ne guerissc ? Est-il ennui qui perce a travers un gros bien ? Ce n'est pas tout encor ; ne comptez-vous pour rien Le depit des Messieurs qui vous ont meprisec? lis vous trouvent charmante , & vous ont refusec. Avec une fortune egale a vos appas , De leur confusion ne jouirez-vous pas? Qu'Angelique a present , demasquant la Comtesse , 144 VECOLE t)ES PliRES, Sc vengc ouvertement du refus qui la blessc , Lcs plaisante, sen moque.... Angelique. Us sont assez punis* Non , je ne joindrai point la bravade au mepris. Maitresse de ccs biens echappes dii naufrage, D'un plaisir plus sense je me forme l'image; Allons-en faire part au Pcre infortune, A cet homme d'honneur quils ont abandonne. Avec quelle bonte , digne ami de mon Pere , Nerine , il a d'abord aecueilli ma misere ! Avec quelle tendresse & quelle bonne foi, A ses indignes Fils il a parle pour moi ! Et que n'a pas tente sa pitie genereuse ? Mon infortune cesse, k la sienne est afFreuse. Quel plaisir de lui faire , en l'etat ou je suis, Rencontrer une amie ou lui manquoient des fils ! Voila , dans ma douleur , tout ce qui me console. Je brulois de laider j je le puis, &" j'j vole. Nerine. Allez, Madame, allez confondre des ingrats. Helas 1 ils rougiront , mais ne changeront pas. SCENE O M $D I E. t 4 j SCENE II. N&RIN E, seute. A. Pasquin cependant j'apprete une autre crise. Le faquin tout-a-l'heure expiera sa sottise. II n'est done pas content d'un pere villageois ; Et Monsieur en veut un dans le petit bourgeois ! Nous lui confronterons le bon horn me Gregoire. Qu'il vienne! Le voici. J 'attends l'autre. S C N E III. nrine, pasquin. P a s q u i n. V ICTOIRE ! N R I N E. A ton honneur enfin t'en voila done sorti? Pasquin. De trois cents mille francs &: plus , je suis nantl Nerine. Savent-ils le retour du vaisseau d'Angelique ? P a s q u i N. Oui. J'ai fait venir meme, en menteur methodise,, Tome L K ? 4 S VtCOLE DES P&RES, Tout Tor, qu'ici lcursyeuxont cm voir en monceau , Dune part que leur pere avoit dans ce vaisseau. A peine leur en ai-je annonce Ics nouvelles, Qu'ils out vole chez eux , pleins du plus beau dcs zeles $ Cest a qui fera mieux. Mais , chez nous revenus , Comme ils nous recevoient nous les avons recus. On n'entroit point. Chacun , pour prevenir son frere, De l'oncle a mendie, sous main, Ieministere; Le cher onde est charge par scs dignes neveux, En faisant leurs presens , de bien plaidcr pour eux. II ne manquera pas d'etre , dans cette affaire , Aussi bon avocat que bon dcpositaire. Et la cause cV 1'argent sont en tres-bonne main. On tient mes garncmens ; &T je te vengc enfin , Pauvrcpcre aveugle si long-temps surleurcompte! Puissent-ils en crever de depit 6c de honte ! N E R I n E. J'aime a te voir dcs mceurs. P A S Q U I N. Dcs mceurs ? Oui, oui , j'en ai ! N E R i N E. Cest qu'on se sent toujours de ce que Ton est ne: Tu me le disois bien. P a s q u i N. Eh! laissons la naissance. Comme tuvois, sur eux cl!e a pen de puissance. Cest que j'ai de Fhonneur ; 6c voila le grand point. C O M t D I E. i 47 N i R I N E. Ce grand point est plus sur quand a i' autre il est joint. P A S Q U I N. Tel est ton sentiment ; mais ce n'est plus le notre. N E R I N E. Quoi qu'il en soit , en toi j'aime a voir Tun &: I'autre. P A S Q U I N. Quoi qu'il en soit, venx-tu de moi tel que je suis J N E R I N E. Oui \ mais je ne fais point de faux pas , si je puis. P A S Q U I N. Qu'appelles-tu , faux pas ? Qui te parle d'en faire ? Tout-a-1'heure veux-tu venir chez le Notaire > Nerine, Tu m'entends mal aussi : ma crainte est que Pasquin, Aujourd'hui mon epoux , ne le soit plus demain. P A S Q U I N. Sur quoi peux-tu fonder ce que tu t'imagines \ Nerine. Sur l'inegalite de nos deux origines. ( Grsgoire parou. ) Consultons-en Gregoirc. P A S Q U I N , voulant s'en alter. Oh! non, non; laissez-moi. N E R I N E , le retenant. Demeure ici. Je veux lui parler dcvant toi. Kij i 4 $ ViCOLE DES PfiRES, SCENE IV. grgoire, pasquin, nrine. Gregoire. JM. ais dres que tu me vois.tu fui comrac la foudre. Pasquin, a part. Demeurons, puisqu'il faut tot outards'y resoudre. Gregoire. Par ce que t'es feru de ste grosse gagui? Gnia pa gran mal a ca j sis-je eun je ne sai qui ? Est-ce que tu me pran pour eun fagot d'epeine? Loin de t'en vouloir mal , je veux que tu la prenne N E R I N E. Votre avis seroit-il, s'il etoit assez fou.... Gregoire. Mon avi, s'i te pran, e'est de le prande itou. N E R I N E. J'accepte le marche \ mais e'est pourvu qu'il tienne. Gregoire. Ca tiant pu qu'on ne veut \ va, n'en sois pas en peine. N E R I n e. Si je redevenois fillc dans quelque temps? Gregoire. Fillc : C O M E D I E. 149 Nerine. Oui; je ne suis rien , je n'ai rien, & jc prends L'heritier &: l'aine d'un Procureur tres-riche ! Si la chicane un jour de son lit me deniche ? Gregoire. Qui ? li! Note Jeannot mourra comme il est ne a D'eunbon gros Paysan l'heritier & l'aine. II est a moi. Nerine,, Quel conte ! Gregoire. Oui, si vous plait, Madame. II est filsd'un brave homme &: d'eune honnete-femme. Li, fils d'eun Procureux ! Fi don ! en a-t-il I'air ? Trouve-vous qu'i ressemble a i'ouvrage d'eun Clair? Toi , defan don ta cause. Nerine. II auroit trop dc peine A plaider contre vous. P A S Q U I N , a part. Our'! La hichcuse scene 1 Gregoire. Conte moi 1 Queman don, li-meme auroit dit ca ). Nerine. Vas, Jeannot! Cc n'est pas ce qui nous brouillera. J'en veux d'autant plus meme etre de tes amies, Que jc n'ai plus de peur que tu te mesallies. Adieu. K ii) i 5 o L'ECOLE DES PiRES, SCENE V. gregoire, pasquin. Gregoire. J* I , le vilain, qui me renie! Encor Si c'etoitpour unComte,ou queuque autre Milor ! Mais pour se dire issu d J ou? de qui ? d'eune race Don tout le reluisan ne vau pa note crasse, Pasquin. Ma foi non! Maintenant je pense , en verite. Que ce que j'en ai dit e'est par humilite. Gregoire. Va tc cache, aveuc ta sotte suffisance ! Via don pourquoi mon drole evitoit ma presence ', Tu rougis du saro don ton prre est couvar ! Eh ! va , va , mon saro vau bian ton habit var. Et pis , devan le jans, je fon le bon Apote ! lene, le brave enfan, qui veu parle dez-aute! Pasquin. Eh ! je vous ai bien dit que je ne valois rien. Oni,je suisun maraud, un miserable, un chien, Digne je ne sais pas dc quoi ! De cent nazardes. Je serai contre moi desormais sur mes gardes. J'etois garcon d'honneur , si jamais il en rut 5 Mais pres de nous le Diable est toujours a lafrut. C O M E D I E. i 5 x Si vous saviez combien , maudissant ma sottise , J'ai fait de mauvais sang depuis qu'elle est commiscl Le mal que jc m'en veux.... Gregoire. Parles-tu tou de bon? Pasquin, Oui -y c'cst du fond du coeur. Gregoire. Note Maite a raison. Je ne son que de sot ! Le pandar ont biau faire, Et n'ete pa no fils ; je son toujou leux pere. Oh bian! j'oublire tou: mais c'est aveuc le tarns, Etca, quand tu m'aura devalize no jans. Fai nous, su ce qu'izon, faire an plutot main-bassc. Ta paix est faite alors ; sinon Pasquin. Je tiens ma grace I Le Frcre de Gcrontc est , depuis un instant, Gardien d'un depot dont vous serez content. L'avide Financier , d'une main de Forrante, Lache, en de bons contrats, trois mille ecus de rente. Gregoire. Tiron toujou. Aprcs. Pasquin. On a de PAuditeur a Quarante mille ecus en billets au porteur. Kiv j 5 i VECOLE DES P&RES, Gregoire. N'a-t'on du Capitaine ancor que de paroles ? P a s q u I N. Vn cofFret plein de neuf ou dix mille pistoles, En est-ce assez ? Gregoire. Apres cet acle de vartu, Vian ! Je t'ambrasserois , quand tu m'aurois battu. Et de sa fante , au fond, qui veut-on qui soit cause? C'est !e mauvais exempe, & ce n'est autre chose. Eh ! Messieux de la ville., aveuc vos moeurs du tams , Que vous nous gate bian tons nos pauves enfans ! Je vous les envoyon bons, simpes, sans malice , Vous nous le deniaise ; mais c'est aveuc de vice. Oh ! bian , bian , guieumarci , j'avon quasiman tou> Et , de note cote , je tenon le bon bou. De conte-bleu , Geronte a traite l'entreprise 3 Allon li montre.... Non > retardons la surprise. ( Voyant venir Geronte. ) Vian ! De la reussite i ne faut nous targue Qua la barbe de ceux que je voulons nargue. * c^? C O M E D I E. MJ SCENE VI. GERONTE, ANG&LIQUE. Angelique. JL/E mesoffresen vain vous voulez vous defendrc. Je nc vous quitte point. Geronte. Jc ne veux ricn entendre. Angelique. Songezde quels malheurs vos jours sont menaces. Geronte. Ma maison de campagnc existe , Sc e'est assez. Ce bien mc suffisoit ; il me suffit encore. Et j'y cours enfermer 1'ennui qui mc devore. Angelique. Ce bien peut vous manquer par des coups imprc vus. Vous comptiez sur vos fils, cV vous n'y comptcz plus. Geronte. Non , Madame ; 3c c'est-la ma perte irreparable. Angelique. Garantissez-vous done d'un sort plus deplorable; Prevenez un etat dont j'ai long-temps gum 3 Ou je vous ai trouve si veritable ami. 154 L'iCOLE DES PRES 3 Vous seul aurez-vons cu de la reconnoissance? Le Ciel a-t-il remis ces biens en ma puissance, Pour me voir emporter le reprochc au tombeau 3 D'avoir eu, sans le suivre , un exemple si beau? L'amitie de mon Pere etoit plus engageante. Qu'il revive en sa Fille \ Geronte. O trop heureux Argante ! Oni ! tu revis en elle , &c tu m'en vois jaloux. Genereuse Angelique ! Adieu , separons-nous. Quel horrible surcroit seroit-ce a ma misere , Que je vous dusse encore autant qu'a votre pere; Moi, qui rougis deja de vous voir aujourd'hui Ne tenir rien de moi , quand je tiens tout de lui I Le Ciel a fait pour vous ce que je voulois faire. Votre prosperite me tient lieu de salaire. N'honorez plus ccs lieux d'un aspecl si charmant: Fuyez-nous pour jamais ! Quelquefois seulement Souvenez-vous de moi , dans le cours dune vie Dont la felicite fit ma plus chere envie ; J'aurois fait aujourd'hui moi-meme ce bonheur; Mais j'etois sans fortune , & mes fils sans honneur, Angelique. Je ne vous parle plus que dcvant ces barbares. Par une offre si juste, &" des refus si rares , Inspirons , ou du moins faisons-leur concevoir ? Vous 3 le mepris des biens ^ moi, Tamour du devoir. C O M E D I E. 155 Reduisons aux remords ravarice inhumainc! J'attends qu'ici bientot l'interet les ramene. De votre faux malheur ils sont desabuses: Et, daas I'espoir des biens qu'on vous a supposes, 11 nest procede noble a present qui leur coute. Geronte, Oseroient-ils paroitre ? Angelique. Oui : se flattant sans doutc Que vous ne les croyez encore instruits de rien. Geronte. Et moi , je ne veux plusavcc eux d'entreticn. Angelique. Les voila. Geronte. Je les fuis. SCENE VII. Tous LES Personnages. CHRISALDE, arraant Geronte. -fctCOUTEZ-NOUS, mon Frcrc, Gcs Messieurs se plaignant d'une injustc eolerc, M'engagent a venir interceder pour eux. Que reprocbez-vous done a ces fils genaeux? i$6 L'ECOLE DES P$RES 3 lis n'ont rien , disent ils , qu'ils ne vous sacrifient : Pour moi, je I'avouerai ,leurs bons cceurs medifient 5. Et c'est pour qui vous aime un spectacle bien doux, De les voir a 1'envi se depouiller pour vous. DaMIS, ajfeciueusement a son Pere. Ai-je done merite cctte rigueur outrce Qui m'a de la maison fait refuser l'entree' VALERE, d'un ton furieux. II est des medisans qui vous font soupconner Que i'etois un infame a vous abandonner ? Nommez-les moi , nommez ! E R A S T E. VoilaGregoire; approche! Tantot, pour me purger d'un injuste reproche , N'ai-je pas sur le chimp fait offre de mes biensi Va LERE, le sccouant rudement par le bras. Qui de nous , le premier , a presente les siens l Gregoire. Ouf ! Ma piau n'en peu mais. Valere. Dcdis-moi , si tu l'oscs !' Parle ! Gregoire, a Geronte. Oh ! pour ca, Monsieu , i-zon bin fai le choses. D A M I S. Jc n'attcstc pcrsonnc en ce juste conflit: Mon Pcrc mc connoit ^ 6c cela me suffif. O M E D I E. 157 Je devois , il est vrai , d'abord & sans repliquc, M'ofFrir a votre gre pour epoux d 5 Angelique. Mais, mon Pere, excusez -, j'aimois : &r dans un cceur, De la raison l'amour est aisement vainqueur. Cette raison bientot est rentree en mon ame; ( a Angelique. ) Et j'en dois le retour a vos bontes , Madame. Oni; j'ai sur vos lecons murement reflechi. Et de mes premiers fers par vous-mcme affranchi , Je viens.... Valere. Tout beau ! C'est moi qui le premier m'explique, Et qui veux , s'il vous plait , epouser Angelique. Era S T E , a ses Freres. Oui ! tantot, malgre moi, vous m'en faisiezTepoux ! Et c'est moi qui veux l'etre a present malgre vous. D A M I S , a Geronte. Vous me la destiniez \ c'est a moi qu'clle est due. Valere. Mandez-lui qu'elle vienne , & je 1'cpouse a vue. E r a s T E. J'aimois ailleurs aussi ; mais cela n'y fait rien. N E r 1 N E. Vous savez donc,Messieurs,qu' Angelique a du bien? Geronte. Enfans denatures , que tout le monde abhorre , i5* ViCOLE DES PERES, Qu'ainsi que le refus, ce retour deshonorel Laches ! qu'attendez-vous d'Angelique &" de moi? Vous voulez, a Fenvi, lui donner votre foi ! Armcz done votre front d'une audace nouvelle. Savez-vous devant qui vous parlez? Devant die. Voila cette Angelique ofFerte a votre choix, Et que vous offensez pour la seconde fois. Flattez-vous maintenant d'un espoir legitime; Chcrchez mon entremise, &: briguez son estime. Lorsque, dans ses malheurs, un Pcre vous I'ofFroit , II falloit disputcr alors a qui l'auroit ! D'appas 6V de vertus un si rare assemblage , Seroit de Tun de vous a present le partage i Mais votre ame n'a pu jusques-la selever , Quand pour vous, contre moi fai pu me soulever; Car enfin, je Taimoisc elle y pouvoit repondre : ( u Ana clique. ) { Pardonnez un aveu qui sert a les confondrc.; Oui, cruels ! en secret pour elle je brulois D'un veritable amour que je vous immolois. Vos refus m'ont fait perdre un si grand sacrifice: Qu'a jamais vos rerus fassent votre supplicc ! La Nature sur elle a rcpandu ses dons ; Et la Fortune y joint les siens. Nous la perdons. Triomphez du depit qui s'eleve en lcur ame ; Vous etes bien vengce. Adieu , partcz, Madame? Allcz, loin des Ingrats , vous choisir un epoux , Moins meprisable qu'eux , &: plus digne de vous. C O M E D I E. 159 Anglique. Non, non : je dois, Monsieur, vous prendre pour modele. A l'exemple d'une ame &: si grande &: si belle , Je leur pardonne , & veux fixer ici mon choix. G E R O N T E. Ah ! Que pretendez-vous ? Detestez-les tous trois 1 Point d'egard pour mon sang ! Je ne suis plus leur Pere. Angelique. Vous le redeviendrez quand je serai leur Mere. Je voulois partager mes biens entre nous deux : Je vous les livre tous , &: moi-meme avec eux. G E R O N T E. Et vous-meme ! Ah ! Madame I O bonte magnanime i Angelique. De mon Pere, en ceci, le pur esprit m'anime. Pleine de sa memoire , il me semble aujourd'hui , Qu 3 en m'unissant a vous , je me rejoins a lui. Chrisalde. Voila pour mes neveux un trait bicn cxemplaire. Vous plairoit-il, Madame , attenJant le Notairc, Aller vous reposer duns cet appartement ? Nous vous suivons, mon Frere 6c moi, dans le moment. S% % i r a s T E. En effet, nous voila de fort jolis garcons! Fin du cinquleme & dernier Acle. 4th callisthne, T RAG E D I E. Representee y pour la premiere fois > par les Comediens FranfoiSj le 18 Feyrier 1730. Lij A SON ALTESSE SrNISSIME MA DAME LA DUCHESSE DOUAIRIERE. M A D A M E, Vol CI un fruit de ? accueil obligcant que V. A. S. daigna faire a mon premier Ouvrage. Ainsi quc } dans les champs de Mars 3 le Soldat sent sa valeur se ranimer a I' aspect du Prince : ainsi ma Muse ., dans sa carrier e epineuse _, a send redoubler son courage & son aclivite sous les yeux de I'auguste Princesse qui Vhonore de ses regards. Mon projet ^ sous tout autre auspice j neiit ete quune pure temerite. Avoir a peindre un Heros tel qu Alexandre _, un homme que l' imagination 3 depu'is tant de siecles 3 se complait & s 3 habitue a placer au-dessus d'elle-meme ; prctendre d'un souffle de la raison renverser ce colosse accreditee L iij 166 P I T R E. & qua la voix du simple Philosophy 3 se taise un Conquerant devant qui la Verite nous apprend que se tut le monde entier : c'e'toit } pour un talent aussi pea. decide que le mien 3 une entreprise qui ne demandoitpas un moindre mobile que V ardeur de meriter le suffrage de V. A. S. Cette ardeur ne ma pas seulement en- hardi ; elle ma guide 3 in me fa is ant soigneusement eviter les peintures molles & flatteuses a" une passion plus convtnakle aux graces effe'minees de la Pastorale y qua la majcste de la Vragedie ; & des peintures de plus 3 qui 3 ninteressant gueres quen seduisant 3 de'shonorent j pour ainsi dire 3 & degradent la sensi- bility un des plus beaux sentimens du cceur humain. Enfin 3 Madame 3 anime a" une si louable ardeur j je ne me suis laisse saisir a V enthousiasme 3 que sur Us seules ide'es du vrai 3 du vertueux & du grand. Aussi les ressorts employes dans ce Poe'me ne remueront-ils que les ames elevees ; raison qui vous le consacroit j independamment de Vender devouement & du tres- profond respect avec lesquels j'ai deja publiquemcnt ose me dire 3 MADAME Votrc tres-humble & trcs- obeissant Servitcur PI RON, ,s 7 PR E F A C E. %se monde, a penser philosophiquement , n'est, comme on le saic assez , qu'un vrai theatre sur lequel se jouent toutes sortes de scenes qui disparoissent 8c se renouvellent a chaque inftant j scenes presque toutes egalement frivoles & ridicules. Limitation de quelques - unes de ces scenes passageres, ou , si Ton veut, l'art de les representer devant les ac"teurs originaux j en un mot , ce que nous appelons les Spectacles ou le Theatre , n'etant qu'une tres- foible copie du grand spectacle 6c du theatre universel 3 les plus belles productions de cet art si vante ne sauroient etre par consequent aux yeux du vrai Philosophe , qu'une ombre , qu'un fantome. De ce fantome toutefois, de cette ombre si vaine, de cette legere image d'un rien , grace a notre gouc pour les riens , ii resulte &c se forme en nous plus d'unesorred'illusion; cVdeces illusions (singularite non moins remarquable) la plus douce 6c la plus amusante a nos yeux , p3toit etre celle qui nous aftede sous le masque lugubre 3c les sombres cou- leurs de la Tragcdie. Je n'oserois hasarder ici comme une decouverte L iv i6t PREFACE. bien sure , les raisons que je concois d'une predi- lection si bizarre. L'homme le seroir-il assez lui- meme pour trouver plus de passe-temps a pleurer sur ses infirmites qua fire de ses ridicules ? Ou notre sot entetement des grandeurs d'ici-bas, agissant jusques dans ces reves poetiques , nous feroit-il preferer entre la Tragedie &: la Comedie , le reflet du faux eclat qui brille dans l'une , a l'etincelle de lumicre plus pure & plus naturelle qui luit dans l'autre ? Ou bien ne seroit ce que l'eftet d'une va- mte puerile qui s'applaudiroit tacitement de ce qu'on lui livre en spectacle des Rois Ik des Princes, plutor que des personnes ordinaires? Ou bien enfin nous en prendrons - nous a la malignite du cceur humain , qui se feroit un plaisir cruel & extrava- gant de comidcrer dans le malheur , ceux que le pre jug ': met au rang des plus heureux mortels ? Seroit-ce une seule de ces raisons ? Les seroient-ce toutes ensemb'e ? Ssroit-ce encore autre chose de plus ou de moins sense qui fait le gout predomi- nant qu'on a pour la Tragedie ? Decide qui pourra. Je m'en rapporte a ces hauts speculatifs , a ces esprits subtils , crees pour sonder les cavitcs de 1'interieur de l'homme } pour descendre dans ce noir & profond labyrinthe , pour en demeler les detours & pour s'y promener a pas ferme , le fil d'Ariane dc la lanterne de Diogcne a la main, Laissant done les causes , 6: m'en tenant aux PREFACE. i6t) efFets , il me suffisoit de ne pouvoir douter de la preeminence du Tragique , pour avoir envie de tenter ce genre apres l'autre, non-seulement com- me le mieux accueilli , mais encore , selon moi , comme le moins difficile , & le plus a la portce de la mediocrite des talens dramatiques ; la grandeur apparente des sujets suppleant en quelque maniere a la petitesse du genie qui les traite ; & la fiction brillante, soutenue de quelque vain apparat, emit toujours plusavantageuse a produire aux yeux de la. multitude, que la verite simple 8c sansornemens. Mais, d'un autre cote, je voyois avec quelque degout que cette sorte d'avantage n'ayant deja. que trop encourage mes Devanciers, avoitetrangement multiplie nos Tragedies , dont les grands ressorts sont en assez petit nombre. Je considerai que ces ressorts meme avoient , par le long usage , perdu beaucoup de leur elasticite ; &c que les differentes combinaisons epuisees , introduisoient necessaire- ment & de plus en plus dans les chants de Melpo- mene, une uniformite fort insipide, &c devenue tres-fatigante : uniformite, je le sais , qui ne laisse pas de plaire encore quelquefois ; mais , helas , pour combien de temps ! Et qu'est - ce qu'une si courte duree , en comparaison de celle a laquelle aspire &c doit aspirer un orgueil vraiment poed- que ? En effet, notre machine tragique ne tourne guere 17 PREFACE. que sur ces trois grands pivots : l' Amour } la Vcn- geance & V Ambition. L' Amour 8c la Vengeance ne sont pourtant que deux passions fort communes, egalement naturelles aux plus petites & aux plus grandes ames. Les ega- rsmens de l'amour en particulier tiennent meme en tout du ridicule ou du plaisant , plus que du no- ble & que du pathetique. Est-il sur le theatre du monde de plus grands jouets de la societe , que les malheureux agites de cette foiblesse orageuse ? Qui ne rit de leurs alterations , de leurs inquietudes, de leurs jalousies , & de tous leurs autres emportemens ? Ou si , dans cet etatj ils excitent par hasard quelque pitie , e'en est une qui ne leur est qu'injurieuse. De-la. vient que la Comedie 8c la Farce meme , se sont mises en possession de ces personnages , com- me d'une proie devolue de plein droit a la raillerie & a la risee. Cela seul ne devroit-il pas , comme autrefois en Grece j les bannir en France aujour- d'hui d'une scene , ouverte settlement a ce que nous appelons a&es heroi'ques & grands sentimens ? D'ailleurs , que dire de cet amour , ptis de son plus beau cote , qui ne soit rebatru, & que n'ayent dit 8c redit ( un peu mieux peut-etre qu'il n'eut convenu) Felegant Racine, le doucereux & galant Quinaut , nos jolis Roinanciers , 8c la foule innombrable de Copistes qu'ont eu ces Originaux illustres. II y autoit un amour tendre 8c sense , dont les PREFACE. i 7 x malheurs vraiment dignes d'excirer la noble pitie des ames raisonnables , ne rabaisseroient point la dignite pretendue du cochurne ; ce seroit l'amour conjugal. Mais, a ce nom seul , je vois deja rire ou sourciller, non-seulement norre folatre Jeunesse , mais encore nos Francois de rous age? , maris 2c femmes. La delicatesse & l'aisance des maeurs ont renvoye bienloin , &c des long- temps ont livre aux sarcasmes de Thalie cette espcce d'amour suranne j amour tres-decent, a la verite ; amour peut-erre plus doux & plus naturel que l'autre j amour auto- rise des loix divines &humaineSj comme essentiel a la societe ; amour des-li qui, je ne sais pourquoi, ne peut plus etre interessant parmi nous , pas meme vraisemblable. De nos jours cependant ll a rcussi quelquefois sur les theatres , je l'avoue j dans Ines s par exemple , dans le Philosophe marie , & dans h Prejuge d la mode. Mais observons dans les deux premieres Pieces , que les mariages y sont clandes- tins. Sans cette petite irregularite , qui corrige un pen la fadeur de l'amour conjugal , probablement il echouoit ; & si la troisieme de ces Pieces s'est tiree d'affaire sans un pareil correctif , e'est qu'il est bien compense, par le prodige de la rare timidite dc de la tendre galanterie du mari qui redevient amant. Un autre prodige encore de l'art, e'est le denouement de cette Piece , qui , finissant par ce bon mari a genoux devant sa femme 3 finit precise- i 7 * PREFACE. roenr comme George Dandin' y avec la belle diffe- rence, que ce qui fait rire dans celle-ci, fait pleurer dans 1'autre : nouveau genre de parodie bien esti- mable 8c bien ingenieux I Voili pour l' ' Amour x passons a la Vengeance. Le grand Corneille , & quelques-uns de ses Imitateurs , n'ont pas moins epuise le jeu des fureurs de cette odJeuse passion , sans comparaison moins excusable encore qua Pautre. Oui, j'ose le penser 8c le dire, n'en di'plaise meme au prejuge barbare introduit malheureusement parmi nous , sous le nom spe- cieux de point d'konneur 3 le Sage trouvera toujours la vengeance, si eloignee non-seulement de la veri- table grandeur d'ame , mais meme dss premiers principesde la saine raison 8c de l'humanite, qu'il ne concevra jamais que la peinture un peu forte en pmsseetre am usance, ni meme supportable a. 1'esprit d'un Auditoire sense. Une imagination rcglee re- pugnera done toujours a rafiner ( quand cela se pouiroit encore) sur les motifs 8c sur les ressources d'une passion si detestable. Comment se plaire a multiplier, a. charger les portraits d'un monstre qui devroit n 'avoir jamais existe ? Ne seroit-ce pas ai- mer a perpetuer, en quelque sorte^ ce qu'on vou- droit qui fiit aneanti de toute facon ? Je ne dis rien de la P erf die ni de la Cruautc\ ce ne seroit que du tronc monter aux branches 3 8c PREFACE* i 7 j descendre de la cause a 1'erTetj puisqueces oppro- bres de l'humanite sont, dans la Tragedie, les suites ordinaires des deux passions dont j'ai parle ; & qu'ils excitenc si naturellement notre horreur , que, malgre le privilege etendu <\es Peintres & des Po'c- tes , cette matiere , ce me semble 3 devroit hon- netement etre inrerdite , du moins a ces derniers : & je crois qu'il leur sieroit tres-bien de se refuser au triste talent qu'ils auroient de reussir a des sujets si rebutans. Pour pouvoir done etre un peu neuf encore , & l'etre avec quelque decence &c quelque dignite , je ne vis rien de mieux ni de plus utile a produire an Theatre , que 1' Ambition. On sait trop ce que e'ese que ce vice j & qu'il a , selon les etats , sa me sure & son espece dans tous les cceurs \ mais de quelle consequence n'est-il pas dans Tame d'un Prince ? Et jusqu'ou ne l'egare pas ce desir immodere & mal-entendu de remplir du bruit de son nom , a quelque prix que ce soit, tout 1'univers & tous les temps? Foiblesse ou frenesie, qui j n'etant ni si meprisable que V Amour , ni , dans un sens , si odieuse que la Vengeance , me paroit avoir quel- que chose de moins contraire 6c de plus analogue a la pretendue elevation du Tragique. De plus, s'il est vrai , comme on le veut , que le Theatre serve a purger les mceurs , entre les trois vices dont j'ai parle , en est-il un dont il fut plus utile de les pur- 174 P R F A C E. ger que celui-ci , vu que les deux autres nim4 ressent d'ordinaire que le repos de quelques Parti- culiers , ou , tout au plus , que celui de quelques families; au lieu que l'ambition ne tend jamais a rooms qu'a troubler la paix de l'univers entier, 8c qu'a fletrir la ^loire de ceux qui le gouvernent, en les faisant devenir les fleaux du genre humain? Or , de I'aveu general , ambition ne fut jamais plus a<5tive,ni plus demesuree que celle d'Alexandre, Presque au sortir du berceau , il pleure de ce que eelle de son Pere, en se satisfaisant , devient nui- sible a la sienne. S'il continue , disoit il a ceux qui lui annoncpient les vidloires de Philippe , il ne me laissera rien a conquerir. Aussi rompt-il le frein des le premier point de son adolescence. Des-lors il attaque , envahit , ravage tout ce qui se trouve de pays libre sous ses pas ; il ne s'arrete qu'ou finit la terre habitee. Furieux de lui trouver des bornes, il a la folie de s'en plaindre aux Dieux ; &, pour se venger du mauvais tour qu'ils lui jouent de ne lui laisser qu'un monde a detruire, il s'avised'oser les attaquer eux-memes , en entreprenant de se faire adorer comme eux. Je le prends au moment de cette extravagance la plus signalee,& la derniere de sa vie \ car la mort l'enleva peu de temps apres, a la fleur de son age , & dans les plus violens acces de cette fievre, que le dernier soupir, a ce que Ton clir, peat seuieteindre. PREFACE. 175 Quel objet plus brillant & plus interessant pou- vois-je prefenter sur la scene heroi'que & sous les yeux des Nations ? Quel plus grand exemple , & quoi de plus instru&if pour tant de Rois, qui n'au- ront pas le bonheur de ressembler a celui , donr il plait au Ciel de nous gratifier dans sa bienveillance! A ce farouche orgueil , enfle du poison de la flat- terie &c du torrent des prosperity j'aicrune pou- voir aussi rien opposer de plus frappanr, que la pleine franchise d'un homme sage & d'une femme forte , du philosophe Callisthene & de sa soeur Leo- nide ; les deux seuls Personnages qui se trouvoienc libres & independans au milieu d'une Cour de flat- teurs & d'esclaves : tous deux citoyens de la seule ville de Grece qui avoit refuse de concourir au projet du destructeuf de l'Asie ; tous deux 1'hon- neur de leur Patrie , de Sparte , de la ville unique 5 d'un Lion aflfame. Quand ce brave homme vie venir a lui le monstre pret a le devorer 3 il sq\\- veloppa le bras de son manteau > lui plongea la 55 main dans la gueule \ & , lui ayant arrache la lan- gue , l'etendit mort sur la place. Unactesi cou- >5 rageux frappa le Roi d'une admiration qui le 5 desarma , Sz qui lui rendit , depuis , Lysimaque plus cher que jamais . Je me suis bien garde , comme on se l'imasine assez, de pousser la catastrophe aussi loin qu'elle est rapportce la. Voici done, en deux mots, sur quel plan j'ai accommode le sujet au theatre. Alexandre _, flatte par Anaxarque , dansle projet insense qu'il forme de se faire adorer , dc furieax de ne pouvoir engager Callisthene a lc seconder la- dessus du grand credit qu'il a parmi les Grecs , le condamne 3 sur d'autres pretextes , a des supplices longs & ignominieux qui ne sont point designes , ik dont le delivre un poignard que lui apporte son ami Lysimaque. Telle est l'a&ion principale. PREFACE. i 8 i L'interct de Leon'ide , Soeur do Calllsthene 3 Amante de Lysimaque, &: recherchee par Anaxar- que, occasionne la more, de ce lache Favori : e'ese l'episode. La juste punirion d'Anaxarque , ainsi que les regrets & les remords d' Alexandre vivement pe- netre des dernieres paroles de Calisthene expiranr, indiquent le pome moral qui resulte de la Piece. En faisant perir le Personnage verrueux auquel je pretends interesser , j'aurois commis Line fauce plus inexcusable que toutes les autres , si premiere- ment il etoit tout-a-fait innocent. Mais il avoit a se reprocher d'etre le seulSpaniare , qui, contre le grc de ses Concitoyens , avoit voulu suivre Alexan- dre ; finite assez grave a Lacedemone , pour y me riter un grand blame , &c blame assez sensible a un Lacedemonien repentant, pour qu'il se devouat lui-meme a la mort. Aussi Callistliene prononce- t-il son Arret , en s'avouant coupable devant sa Socur Leonide , lorsqu'elle l'exhorte a fair avec elie j taadis qu'il le pent encore. (Scene II y Acle V.) Laissez-moi 3 Seul assouvir ici les cruautes du Pvoi; Et ne m'en croyez pas innocenta victime. Spavte , helas ! n'a que irop a m'accuser d'un crime : Contre sa volonrc , la mienne m'a banni. J'osai desobeir : 'fen dois etre puni. Jv! iij i$t PREFACE. Oui,j'oavreenfinlesyeux;j'aicruneserv!rqu*efte$ J'ai servi sonTyran : je ne suis qu'un rebelle. D'un saint devoir mes pas se sont crop ecartes ; Erreur ou crime j adieu. J'expierai tout. Partez. Uue seconde raison qui fait que cette catastrophe jae doit pas erre comptee parmi les denouemens jnalheureux qui renvoient le Speclateur mecon- tent, c'est qn'elle est moins un evenement funeste* qu'une espece de salut pour celui qui la subit j puisqu'elle le soustrait a des tourmens atroces > &: , qui plus est (ou plutot ce qui est tout pour im Laccdemonien) a la honte & a l'esclavage. Callis- thene lui-meme & son fidele Ami regardant cette iin comme une derniere faveur de la Fortune , ce rfest plus a mes Spectateurs a l'envisager d'un autre osil. Quelques-uns meme d'entre - eux pousscrent, H-dessus les choses beaucoup plus avant qu'assure- ment je n'aurois voulu. Us trouverent que mon Philosoohe etaloi: tant & de si bonnes raisons pour setuer*, & qu'effec"tivement ilse tuoitsia propos,. que loin d'y compatir & de s'en aller mecontens , ils crurent devoir prendre part a sa satisfaction , &: quits Ten feliciterent tout haut. Compliment qui fit une facheuse diversion , comme on concoir bien , au serieux de ces momens critiques. Mais voici bien * J'avoue qu'il y avoit en cet endroit bien de la prolixite\ puiscuie , sans rien gatcr, j'ai enleve la pres de cent vers. PREFACE. !3 5 licore un autre evenement plus facheux pour moi , & qui, pour n'etre point du toutde mon fait , n'en acheva pas moins de me submerger a la premiere representation j oil , jusques-la , tout s'etoit assez bien passe. Celui-ci meme , anterieur a l'autre , lui servit, pour ainsi dire ^ de preparatif &: de ve- hicule. Disons d'abord un mot de la prevention un pen trop forte ou Ton est contre ramour-propre des Auteurs , &j en particulier, contre celui des Au- teurs maltraites ; carje vois dc'ja cette prevention s'armer ici contre moi. On sait qu'elle a mis des long- temps nos appels au rang des pures folies ; &: ce ne seront ni nos Rivaux , ni les Feuilles periodi- ques , qui s'aviseront jamais de nous protcger &c de ramener les esprits du bon cote. Conclusion : le Public ne demord guere de son premier jugement* sur-tout , comme je crois l'avoir dit , si ce jugemenc est desavaiitageux ; car , sil est favorable , oh cect devient different; le Public alors est ton jours tout pret de se rctra&er. II n'y en a que trop d'exemples : l'opinion generale etant que la condamnation esc toujours juste , quoique precipitee ' y mais non pas 1'approbation. Ce Public a pourtant plusd'une fois ete pris en defaut dans un cas comme dans l'autre. 11 a plus d'une fois ete force de rchabiliter le boa droit opprime ; signe evident que le hasard preside souvent a la seance ; & que peu de chose par coiirr Miv iS 4 PREFACE. sequent , y pent faire opiner du bonnet , &c tout de travers. Pourquoi non ? Le Hasard & le Rien domi- nent par-tout. Une boufFee de vent reduisit bien la flotte de Xerxes a un esquif j &: les plus petits inci- dens du monde ont renverse les plus grands Em- pires. Pourquoi vouloir que ce Hasard n'ait pas aussi ses droits sur les Pieces de Theatre j &c que des Riens quelquefois ne fassentpas tomber ces Riens ? Par exemple j la. fameuseTvagedie inconnue, , qui commenc.oit par ce malheureux vers si connu : Vous souvient-il, ma Sceur, du feu Roi notre Pere? eut-elle ete , de ce premier vers jusqu'au dernier _, aussi bien ecrite que la Henriade 3 croit-on quelle n'eiit pas toujours succombe, comme elle fit , sous le fou-rire inextinguible. qu'excita subitement ce se- cond vers riposte par un Gascon du Parterre : Saudis ! S'il m'en souvient , il ne men souvienc guere. Une bagatelle du meme poids^ &, encore un coup j imputable a tout autre qu'a moi 3 egaya de meme ici le denouement jusqu'a l'annonce. Le recit succinct de cette anecdote egayera la fin de ma Pre- face un peu moins mal-a-propos. Le poignard qu'on presentoit alors a mon He- ros * , & dont il se devoit percer, se trouva , soit par vetuste ou autrement, en si mauvais etat , qu'en *On ne le lui presentc plus; Iui-meme I'enleve aLysima- que, au moment qu'il veut s'en frapper. PREFACE. 185 passant de la main de Lysimaque a. la sienne , le manche , la poignee 3 la garde & la lame 3 tout se separa de facon que l'Acteur recut l'arme piece a piece , 8c fut oblige de tenir le tout du mieux qu'il put a pleine main, tandis que gesticulant de cette main _, il declamoit pompeusement nombre de vers qui precedoient la catastrophe. Quand l'illusion theatrale chez des Francois , aidee du serieux de quelques gens senses, pourroit tenir co ntre une pareille minutie, la malveillance en eut bien emp~che par la manoeuvre de ces esorits cha- ritables , dont nos Parterres n'etoient alors que trop infestes. Qu'on se les rappelle , ces agrcables Tu- multueux , qu'a , depuis trop peu de temps, mori- genes le bon ordre , ces levrlers de la satire _, si prompts a saisir les moindrescirconstances risibles, a la faveur desquelles ils deconcertoient le ;eu > mettoient les attentions en deroute, ik faisoient avorter un succcs naissant. On peut juger si la Meutc eveillee tira bon parti du contretemps de ce maudit poiguard en bloc enferme dans la main du Declamateur \ & si les ricannemcns surcnt bien soulever le lire, & faire eclore, par degrcs , la ri- see generate , au fatal instant oil le Comcdien se poignarda d'un grand coup de poing , & jeta au loin l'arme meurtriere en quaire 011 cinq morceaux. II n'y eutque le faux Moribond &moi qui ne rimes point. Quoi qu'il en soit, cette belle huee produisit, i$6 PREFACE. je crois , un efFet retroactif sur toute la Piece , 6c fat peut-etre le vrai coup de poignard qui tuamon pauvre Callisrhene. Peut-etre ausst cela seul n'eut-il pas tout i'honneur de madefaite, La secheresse 5c la gravite du sujet purent bien y etre pour quelque ehose. Certe Piece, dtnuee des incidens favoris , qui tournenr i'espL'ic de nos Auditeurs a indul- gence , 8c pins destitute encore du grand sublime qui devoit y supplier , n'etoit gueres de nature a pouvoir par elle-mcme sous ma plume, s'attendre a plus de succes. D'ailleurs l'Amour, quoiqu'ici puririe de la mollesse de celui qui s'est empare de nos Drames Elegiaques, ne detonne t-il pas encore un peu trop avec la haute idie qu'on nous veut dormer de l'austerite des mrcurs de l'ancienne La- cedemone ? On , rout au contraire , ( on se perd a. ces sortes de conjectures ) trop conform e a cette austerite , un amour si serieux &c si laconique te- nant deja de la severite de i'amour conjugal , ne devoit - ll pas naturellement revolter la galanterie Francoise & lui deplaire ? C'est a mes sages Lec- teuts a decider : car il me les faut de ce rare carac- tere-la. Ainsi l'a prononce du moms POracle du Temple du Gout. Interrogc sur les raisons du pen de cours que venoit d'avoir cette Piece , dont it daignoit parler assez avantageusement : II cutfallu y dit-il , pour la {aire reussir 3 que tous les Spectateurs tusscnt etc des Catons on Ami de Callisthknt CHEFS de Varmee d? Alexandre. GARDES. La Seine est dans le Camp d" Alexandre _, sur les bords du Jaxartc , en Sogdiane. 189 CALLISTHENE, T RA G E D I E. ACTE PREMIER. SCENE PREMIERE. ALEXANDRE, LYSIMAQUE, CRATJfeRUS, Gardes. Alexandre^ Lysimaque. ico CALLlSTHiNEj Qu'Anaxarque paroisse &: marche a mes cotes. Qu'on l'avcrtisse. Et vous , Lysimaque , sortez. Lysimaque. Votre gloire m ordonne, &: mon devoir exige.... Alexandre. Que vous obeissiez. Lysimaque. Seigneur.... Alexandre. Sortez, vous dis-jej Callisthene estcoupable: en douter aujourd'hui , C'est oser me le croire , 6c l'etre plus que lui. Lysimaque. Punissezdonc, Seigneur, macriminelle audace! Que j'obtienne son sort , n'obtenant pas sa grace. Si le croire innocent , c'est orFenser mon Roi , Pcrsonne n'est ici plus coupable que moi. Alexandre. Lysimaque I Lysimaque. Oui, Seigneur; privez-moi d'unc vie Que pcut aussi bientot rletrir la calomnie ! Je n'oserois survivre a l'lnnocent proscrit : Et le jour m'cst a charge ou la Vertu perir. T RA G E D I E. i 9 % Alexandre. Ainsi done la Verm gemit sous ma puissance ? Et je suis un Tyran qui proscrir Tlnnocence ? Lysimaque. Se jetant aux pieds (['Alexandre. Eh , Seigneur ! l'lmposteur, de sa perfide voix, N'a-t-il jamais surpris la justice des Rois ? Alexandre. Examinons done mieux si la mienne a pu 1'etre. Le vez-vous. Je vous parle en ami plus qu'en maitre , Et suis de votre eftime encore assez jaloux, Pour craindre de paroitre injuste devant vous. Ai-je legerement condamne Callisthcne? Du Trone mille fois sa liberte hantaine N'a-t-elle pas en moi blesse la majeste ? A ma gloire, a mes jours n'a-t-il pas attentc? Lysimaque. Callisthcne , Seigneur ? Lui de qui la sagesse Fut de tout temps Texemple & l'honneur de la Grcce! Callisthene , qui seul de ses Concitoyens , A vos jours glorieux consacra tous les siens ! Rappelez-vous le temps ou ce grand Personnage Vint a votre valcur rendre un premier hommage, Nc reconnoissant point de maitre ni d'egaux , Sparte avoit refuse de suivre vos drapeaux. Lui seul desavoua hautement sa Patrie ; Par ce refus honteux la reputa fletrie j x 9 i CALLISTHiNEj Et, du jeune Alexandre annoncant la grandeur, Devanca le retour de votre Ambassadeur. On n'oubliera jamais cette heureuse entrevue, Oii votre ame parut si noblement emue. En digne Spartiate il s'ofFrit devant vous , Aussi respe&ueux, mais pins libre que nous. . Sur rOrient, dit-il, ton Sceptre vas'etendre; j 3 Moi , je viens conquerir le grand cceur d'Alexandre, sj Je vons lc livre, Ami j ne m'abandonnez pas , ( Lui repondites-vous, le serrant dans vos bras ) ! 53 Que ne peut le courage aide de la sagesse ? 53 Vencz de vos conscils secourir ma jeunesse; 53 De Spane,dans ma Cour,introduisez les mceursj >5 Etloin de moi sur-tout reponssez les Flattcurs. Vous parliez sans detour ; il rut sans defiance. Vous en savez 1'efFet : tandis que la vaillance , Du triompheen tons lieux vous acqucroit 1'honneur, Du Hcros, de voiis-meme, il vous rendoit vainqucur. Souvcnt d'une si belle tk si rare vicloire , Votre aveu devant nous lui rapporta la gloire. Et e'est iuiqu'on accuse tk que vous soupconnez! Lui qu'on charge de fcrs, cV que vous condamnez !. Ah ! precinitez moins la pcrte irreparable D'un homme qui vous fnt si chcr , si venerable \ Vous touchez au moment d'un regret eternel. Puisque je lc defends, il n'est pas criminel. D'un homme que nos Grecs, que tant de Peoples vantent ? Ne crovcz pas qu'ainsi les vcrtus sc dementent ; Et ne dementez pas vous-meme un si grand cccur, Qui T RA G E D 1 E. i 93 Qui de tant de vertus etoit l'admirateur ! Peut-etre Hermolalis, ou quelqu'un des Complices Vous l'a rendu suspect au milieu des supplices ; Mais , Seigneur , un Coupable immole en ces momens La vertu la plus pure a l'horreur des tourmens. Alexandre. Non, j'en ai vainement tente la violence. Les Conjures pour lui sont morts dans le silence. Lysimaque. Quel indice evident l'aura done condamne? Alexandre. Me le demandez-vous ? Leur silence obstine , Leur sacrilege audace a m'accabler d'injures \ Leur courage a braver la mort cV les tortures, Plutot que de livrer a mon juste courroux Le Zelateur outre qui les seduisit tons. Oui , quand Lacedemone cut merite ma haine 3 Je sais qu'avec bonte je recus Callisthene ; Que , voulant approcher la verite de moi , II me plut d'egaler le Philosophe au Roi Maisqu'il s'aveugle moins de l'orgueil qui le flatte. Ce fut le rang du Sage , & non du Spartiate. Comme le moindre Grcc , s'il nuit a mes projets, Le Spartiate tombe au rang de mes Sujets: Un Spartiate enfin n'est qu'un homme ordinaire, Que je n'epargne point, des qu*il est temeraire. Tome I. N 1 9 4 CALLI S THt N E, Et tel est celui-ci. Que n'a-t-il point ose ? Jusqu'ou de sa faveur n'a-t-il pas abuse ? Sa franchise avec moi degenere en outrage ; Elle n'est plus en lui qu'une fierte sauvage , Qu'une ferocite qu'il aime a signaler , Et dont l'exces en tout cherche a me ravaler. Son eloquence , au gre de son fougueux genie , Se dechaine en public contre la tyrannic ; Trace de faux portraits , dont Tart seditieux Sur moi plus d'une fois a fait tourner les yeux. Vous l'avouerai-je enfin ? Mon orgueil en soupire: Grecs, Macedoniens, tout me blame & 1'admire; C^est lui qui rcgne ; &: moi, je n'ai plus que 1'afFront De me voir enlever tous les cceurs qu'il corrompt. Vingt Conjures imbus de ses fausses maximes, En meurent aujourd'hui les coupables vidimes. J'ai vu ces Furieux ( je vous l'ai deja dit ) Dans leurs derniers soupirs exhaler son esprit. Leur animosite , leurs discours , leur silence, Tout deceloit la source ou puisoit leur licence. Et sur un faux rapport je me serois trompe ? Non, non ! Dans le complot Callisthcne a trempc. Et cet esprit d'aillcurs qu'a tous il communique, Cecte seduclion n'est pas son crime unique. De plus d'un attentat l'insolent s'eft noirci - y Et l'avis qui m'engage a le penser ainsi, Se trouve soutenu d'une forte apparence. Sparte rcmue > Agis prepare , en mon absence , Contre la Macedoine, cV la flamme dc le ferj T RA G E D I E. 15,5 Deja. meme sa marche alarme Antipater. Le per fide ici n'est , a ce que Ton soupconne, Que l'espion d'Agis &: de Lacedemone. C'en est trop a la fois ; ne m'en parlez done plus j Vous tentcriez pour lui des efforts superfius: Ou , si vous le voulez derober au supplice , Implorez ma clemence & non pas ma justice. Lysimaque. Un homme tel que lui , blesse du seul soupcon , N'accepte pas la vie a titre de pardon ; Et vouloir l'y forcer, e'est vouloir qu'on le pleure. Alexandre. Je ne dis que ce mot : qu'il flechisse , ou qu'il meure. Lysimaque. II ne flechira point : il mourra. Mais, Seigneur, (Sort ant d'un air furieux.) Ce fcr auparavant me perccra le cceur. Alex ANDRE, le retenant. Lysimaque, arrctez 1 Lysimaque. Ma douleur est trop vivc ! Alexandre. Vous m'osez resister ? Lysimaque. Que je meure, ou qui! vivc I Nij I5>6 C A LLIS TH N E, Alexandre. Gardes ! Qu'on le dcsarme *. il suffiti laissez-nous. Lysimaque. Vous n'avez done pour moi ni pitie ni courroux? Alexandre. Alexandre vous aime, &: n'est point un Barbare. Mon coeur se sent touche d'une amitie si rare. Par egard pour des nceuds si tendres Sc si forts, L'Ami d'Ephestion pardonne a vos transports. L'intcret dont m'occupe une tete si chere, Se reveillant en moi , talentit ma colere ; Je suspendrai le cours de mes inimities. Mais, Lysimaque, avant que vous en profitiez , Trop dc prevention vous aveuglc peut-ctre: *Nc rougiriez-vous pas de parlcr pour un traitre? Pensez-y mieux : puis-je etre en repos sur sa foi ? Lysimaque. Mais vous-meme,Seigneur 3 que pensez-vous de moi? Alexandre. Que vous avcz le cceur vertueux & sensible; Que vous brulcz pour moi dun zele incorruptible ; Et qu'a ce devouement sans reserve ck sans fare! , Le Prince & la Personne cgalement ont part. * On lui ote son epee. TRAGED1E. i 97 L Y S I M A Q U E. Ehbien! ces sentimensdontvotre Cour est plcine , Comme d'elle & sje moi,sont ceux de Callisthene; II a, par-dessus nous, l'art de les inspirer , D'y savoir affermir, de vous faire adorer; II consacre a ce soin ses vcilles cV sa vie. Voila de qui Ton vent que mon Roi se defie ! Alex andre. Mais cnfin quelle excuse a sa temerite ? Faut-il que ce qu'en lui Ton nomme austerite , Jusqu'a l'irreverencc impunement s'ecarte ? Qu'il m'ose contredire en tout J Lysimaque. II est de Sparte. Qui sort de cette ecole a feindre est mal instruit ; Mais le vrai zele eclate ou la verife luit. Eh! daignez supporter, Seigneur, une rudesse Qui n'est telle souvent que par trop de sagcsse i Asscz de Courtissans , rampans adulateurs , Laissant vos interets , pour ne veiller qu'anx leurs , Sous un air de vertus vous dcguiscnt les vices , Et de rleurs sous vos pas couvrcnt les precipices : N'etcignczpas, Seigneur, sans vousbicnconsultcr, Le scul flambeau qui petit vous les faire eviter. Alexandre. Qu'il s'obscrve done mieux : fanes qu'il s'accoutume A meler ses conseils d'un peu moins d'amcrtumcj N iij 198 CALLIS TH NM , Qu'un respect attentif a les assaisonner , Lui merite, en nn mot, l'honneur de nVen donncr. Enfin, qu'il vous unite; &", soit iyftice ou grace, A ce prix je lui rends mon estime &: sa place ; Me fie a vos discours , & , m'en laissant toucher , De ma Personne encor veux bien le rapprocher. Qu'il reparoisse. Mais, des ce jour,qu'il commence A signaler son zele, ou du moins sa prudence ! Ce jour ( pour votre Ami jour d'horreur ou de paix ) U m'est plusodieux, ou plus cher que jamais. Je ne m'explique pas maintenant davantage ; Aujourd'hui je Teprouve enfin. Voyons l'usage Qu'il fera du retour de scs premiers honneurs, Et de ce grand pouvoir qu'il a sur tous les coeurs. SCENE II. ALEXANDRE, LYS1MAQUE, ANAXARQUE, GARDES. Alexandre. Anaxarque , partez. Qu'ainsi que par moi-meme, Sparte apprenne par vous ma volonte supreme. Un rcste de bonte retient mon bras vengcur. Du Nil &: de f Euphrate Alexandre vainqueur Pent , la foudre a la main , repasscr le Bosphore. De Thcbe , aux yeux des Grecs , la ccndrc Fume encore, TRAGEDIE. i 9 <> Que Spartc , en vous voyant , par un prompt repentir ^ D'un traitement pareil songe a se garantir. Amenez,pour garants dune foi peu certaine, Avec un des deux Rois, la Sceur de Callisthenc . . Lysimaqul Leonide I Alexandre. Elle-memc. Ellc me repondra De ce que desormais cc Peuple entreprendra. Je sais que son Pays 1'ecoute &" la revere. J'ai des raisons encor qui regardent son Frere. Allez; &" , des demain, abandonnant ces lieux, Ne representez plus qu'un Roi vidtoricux. SCENE III. ANAXARQUE, LYSIMAQUE. Lysimaque. jAnaxarque triomphe; on le voir a la joie Qu'il temoigne a volcr ou son Maitre I'envoie* 11 benit la rigueur de cet ordre fatal Qui semble consommer le malhcur d'un rival. II auroit du songer qu'encor que tout lui rie , La faveur a la Cour a chaque instant varie ; Et qu'au fragile honneur d'un poste si glissant, Tel s'eleve aujourd'hui , qui demain en descend.. Niv too CALLI ST H &NE, Anaxarque. Pour etre moins en bntte a ce revers funeste, Je remplirai mon poste en Courtisan modeste ; Et, des les premiers pas , je plains, dans cet esprit, Votre Ami malheureux dont l'exemple m'instruit. Lysimaque. Arbitre de son sort , &: du votre peut-etre , Mon Ami redevient celui de votre Maitre; Et dans le meme rang qui fit tant de jaloux, II va revoir tomber la Cour a ses gcnoux. Ne vous alarmez pas; je promcts delui taire La joie ou vous nagiez , dans l'espoir du contrairc. De semblables rapports seroicnt mal adresses; Et son bonheur me venge, Sc vous punit asscz. Anaxarque. Tel estle cceur humain : qu'il aime ou qu'il haisse, De la prevention il passe a l'in justice. Je plaignois Callisthene ; &" , d'un ceil satisfait , De vos louables soins je vois L'heureux cflet. Quant a cette ambassade ou mon Maitre m'envoie, Si je vous ai parn l'acccpter avee joie, t/emotion naissoit d'un sentiment bien doux \ Et, pour vous en convaincre, il faut m'ouvrir a vous. L'Amour , plus que le Prince, ordonne que je parte ; Moins Ministrc qn'Amant, jebrule d'etre aSparte; J'y vole en benissant l'ordre & le choix heureux Qui me font un devoir du comblc de mes vecux. T RAG ED IE. zoi Lysimaque. Et quelle est la Beaute que votre coeur adore? J'ai mes raisons. Son nom , de grace ? Anaxarque, Je l'ignore. Apprenez settlement comme au fond de mon coeur L'amour le plus ardent lanca le trait vainqueur. Quand de Persepolis meditant la conquete , Tons les Grecs eurent mis Alexandre a leur tete; C'est moi qui , de sa part , aux bords de l'Eurotas , Demandai les secours que nous n'obtinmes pas. Le jour que je qnittai cette Ville orgueilleuse , Que les loix de Lycurgue out rendu si fameuse, La Jeunesse intrepide y celebroit des jeux , Dont le prix dispute reste au plus courageux. Je m'approchai du Cirque j & j'y vis la vaillancc, Par la temerite s'annoncer des I'enfance. J'admirai quelque temps ces Eleves de Mars -, Mais un autre spedacle attacha mes regards. La plus tendre moitic de l'espoir des families , Tout ce que Sparte avoit de rare entrc ses Filles, La couronnc a la main , assistant au combat, Y brilloit a Tenvi du plus naif eclat. On veutetre invincible aux yeux de cc qu'on aime ; Et de Lycurgue ainsi la sagesse supreme Voulut que la Beaute triomphante en ce jour 3 Allumat le courage en inspirant l'amour. D'inutiles atours nc brilloicnt point sur elles ; not CALLISTH&NE, II auroient avili leurs graces natureiles : La simple Modestie etoit leur vetement 9 Hz I'austere Pudeur leur unique ornement. Quelle ame a cet aspect ne se fut pas emue t Parmi ces beaux objets ou s'egaroit ma vue, Ten vis tin qui bientot fixa par ses attraits, Mes yeux , ponr un moment , & mon coeur pour jamais* Cellcq a'au meme lieu ramenerent nos amies, La Fil'.e de Tindare, Helene,eut moins de charmes. Plein d'un feu jusqu'alors a man coeur inconnu, Passionne, ravi , rien ne m'eut retenu ; I'aliois, fendant la presse , en amant temeraire , Par un aveu public , 1'ofFenser ou lui plaire; Quand dti Peuple attentif la soudaine clameur Marqua la fin des jeux , par le nom du Vainqueur. La foule se disperse &c m'entraine avec eile; Anx soins d'un prompt retour mon devoir me rappelle ? J'y pourvois, &" je pars, sans pouvoir etre instruit Du nom de la Beaute dont Fimage me suit. J'esperois Tenacer , mais, Dieux! qui l'eut pu croire* Le temps de plus en plus la grave en ma memoire; Plus je veux l'oublier , plus je crois la revoir. L'absence , la raison , jusqu'a mon pen d'espoir , Tout n'est qu'un aliment au feu qui me consume. Ce feu plus que jamais aujourd'hui se rallume j Et je retourne enfin , loin qu'il soit amorti, Plus amonrcux cent fois que je ne suis parti. Vousvoyez, Lysimaquc , en cet aveu sincere, Ce qua d'heureux ponr moi mon nouvcau ministerer. T R A G E D I E. ioj De cellc que j'adore il rapproche mes soins ; Peut-etre ils lui plairont ; jc la verrai du moinsj Mes regards enchantes justifieront l'idee Que , depuis si long temps, mon ame en a gardec; Et de ce plaisir seul suffisamment charme.... Mais, je vous parle en vain , si vous n'avcz aimel Lysimaque. Personne mieux que moi ne concoit votre joie. Devant votre pareil votre cceur se deploie. Egalement epris du plus constant amour , Je me dois &: me vais declarer a mon tour. Sachez.... Anaxarque. Une autre fois. Craterus nous aborde. Des long-temps entre nous on jeta la discorde; Et des ressentimens a la Cour trop communs , Nous rendroient en ces lieux Tun a l'autre importuns. SCENE IV. CRATERUS, LYSIMAQUE. Craterus. jLe perfide Anaxarque a-t-il 1'ame asscz vaine , Pour oser approcher l'ami de Callisthcnc ? Et fier d'une faveur prcte a nous perdre tons , Est-ce pour nous braver qu il se prescnte a vous 2 i4 CA LLISTH i NE , L Y S I M A Q U E. Non^ mon cher Craterus ; Anaxarque s'excuse .* II m'assure , &: je crois.... Craterus. Croyez qu'il vous abuse. Du moindre voile ainsi le crime revetu, Trompe l'oeil indulgent de la simple vertu. Comme vous autrefois, jeune 6V sans defiance,. Je payai ce tribut a l'inexpcrience; Mais le vieux Courtisan sait lire au fond des coeurs. Anaxarque , il est vrai , n'est pas de ces Flaneurs Dont la louange outree, a celui qu'on encense Parent moins , s'il est sage , un tribut qu'une offense j Celui-ci se glissant par de plus surs detours , Plait par des actions plus que par des discours. Inftigatcur adroit du pouvoir arbitraire, D'autant plus dangcrcux qu'il est moins temeraire, II sabstient prudemment de lui ricn proposer ; Mais I'approuvant en tout , Tengagc a tout oser. Cc pouvoir sevit-il au gre de l'imposture ; Est-ii pret d'opprimer la vertu la plus pure; II fait tairc pour ellc un credit circonspcd:, Sans rougir d'appclcr ce silence un respect, Quand ce n'est qu'un grossicr, qu'un indigne artifice Pour laisser le champ libre &: plairc a ('injustice; Pour travailler sous-main a son propre bonheur, Au risque de livrcr sen Prince au deshonneur. Du Traitrc ccpendant la commode basscssc T R A G D I E. 105 lait dans Tintegrite sentir de la rudesse; Gagne la confiance , & , l'ayant tout a soi , Rend l'approche du Sage insupportable au Roi. Du grand Homme accuse d'une odieuse trame, 11 n'est pas , dira-t-il , le deiateur infame; Je le veux : mais du Juge il gouverne l'esprit ; Sa voix seule ecoutee , ou l'appaise , ou l'aigrit: Que pour l'innoccnt done elle se fasse entendre ; Qu'il eclaire , combatte , ou ficchisse Alexandre : Autrement, quoi qu'il puisseallegueraujourd'hui, Si Callisthene meurt , je ne men prends qu'a iui. Lysimaque. Qu'importe qu'un respeel: faux ou vrai le retienne , Si ma franchise agit au defaut de la sienne ? Par mes soumissions Alexandre amolli, A revoque TArret dont nous avons pali. Craterus. Eh! je le sais. Au bruit de la Phalange armce, De Chefs &: de Soldats une troupe alarmce, Esperant l'adoucir, se venoit joindre a vous. Vous scul vous avicz fait plus qu'ils n'auroicnt fait tons : C'est ce que nettcment il leur a fait entendre. Mais qui ne voit du reste a quoi Ton doit s'attendrc , Et que cette bonte prcte a sc dementir , N'a suspendu le coup que pour l'appesantir ; Elle agit dans Pcspoir de quclque complaisance Qu'exigera Tabus de la pleine puissance , Et que n'aura jamais votrc Ami vertueux. 2o CALLISTH NE, Ainsi , pour un orage , en eclateront deux. De Callisthene ici la Soeur infbrtunee , Par Anaxarque alors en esclave amenee , Ne s'en presentera qu'avec plus de fierte. Et que ne craindre pas d'un Monarque irrite , Qui veut que devant lui tout s'abaisse & tout tremble J Lysimaque. Mes soucis se calmoient ; tous renaissent ensemble : Inhumain ! de quels traits dechirez-vous mon coeur ? Pourquoi d'un peu de paix lui ravir la douceur ? Je me fermois les yeux; je voulois a moi-meme Me deguiser l'horreur d'une infortune extreme j Me cacher le peril qui menace en un jour, L'amitic la plus vive cV le plus tendre amour j Je ne le puis; il faut que votre soin barbare Detrompc un malheurcux qu'un foible espoir egarej Et , pour micux l'accabler , votre cruaute joint Aux coups deja tout prets, ceux qui ne le sont point. Craterus. lis ne le sont que trop ; il n est plus temps de feindre. Songeons a les parer plutot qu'a nous en plaindre : Je verrai Callisthcne , & Toserai prier T)e reduire une fois son courage a plier. A Sparte, ainsi que vous, j'ai quelquc intelligence. D'Anaxarque d'abord , trompons la diligence ; Qu'avant son arrivee on sache scs desseins ; Et qu'on ne livre pas Leonide en scs mains. Quale iguore sur-tout les malhcurs de son Frerc TRAG&DIE. x7 Lysimaque. Un bruit si repandu peut-il etre un mystere i Tout le Peloponese , iustruit depuis deux mois, A notre gre , pres d'elle , a-t-il ete sans voix? Combien de fois, helas ! lisant dans sa pensec, D'un juste eflfroi mon amea-t-elleeteglacee? Combien de fois mes yeux ont-ils craint de la voir? Anaxarque sans vous devenoit mon espoirj J'allois 1'interesser.... pour moi..~ pour Leonide.... Craterus. Vous versiez vos secrets dans le sein d'un perfidc Lysimaque. Par un aveu sincere il m'avoit rassure. Craterus. Venez, venez; le Ciel m'aura mieux inspired Lysimaque. Hatons-nous -, faisons done embarquer Agamee. Que par lui ie premier Sparte soit informee Des fureurs d' Alexandre, & de l'arfreux danger Qu'en venant j Leonide auroit a partager. Fin du premier Acle. %K. io8 CALLISTH N E, ^m. A C T E II. SCENE PREMIERE. LYSIMAQUE, CRATERUS. CllATERUS. 'issipez des frayeurs &: vaines &: nuisibles , Ou deguisez les mieux sous des dehors paisibles. Callisthene, Seigneur, va paroitre en ces lieux; Voulcz-vous l'embrasser, le trouble dans les yeux? S'il soupconnoit qu'cncore a la merci d'un Maitre , II n'est libre qu'autant qu'il osera pen letre ; Sa patience a bout, son courage indigne, Rapprocheroient bientot le danger eloigne. Songez, pour vous montrcr sous un front plus tranquilly Qu'Anaxarque entreprend un voyage inutile; Que la foudre en scs mains ne fera qu'un vain bruit ; Et que notre emissaire est parti bien instruit. Et depuis quand d'ailleurs } craintive , obeissante , Sparte ecoutcroit-cllc une voix menacante? La meme voix en vain mendia son secours ; Sparte y fut sourde alors , &: lc sera tou jours. Outre l'appui d'Agis, &: de plus d'un Ephore, Leonide a pour elle un Pcuplc quil'adore, A T R A G E D I E. 109 A soil secours enfin Sparte est pretc a volcr ; Et l'asyle n'est pas facile a violer. Lysimaque. Sparte pent la defendre, &" , honteux de sa hainc^ Le Roi redevenir l'ami dc Callisthene ; Quel que soit leur peril , ne pas esperer mieux , Ce seroit faire injure a I'equite des Dieux. Craterus. Pourquoi done cet ennui qu'on voit qui vous devore Esperant tout , de quoi vous plaignez-vous encore ? Ly simaque. Dli depart d'Agamee. Craterus. Est-ce vous que j'entends ? Lysimaque. Et que vous entendrcz le repctcr long-temps. Avec tranquillite j'attendois Tarrivec D'une Amantc a mes feux promise &: reservee, Quand vous etcs venu m'mspirer 1111 efFroi, Qui, pour jamais, helas ! nous scpare ellc & moi. L'esquif ou s'est jete l'ami de Callisthene, Sur l'onde , au gre des vents , disparoissuit a peine , Que, rcntre dans le camp, j'y trouve repandu Un bruit qui me fait voir que je me suis perdu. Alexandre emporte par une ardeur etrango-, Entre rEuripe 6c nous pretend mettre le Ganges Toms I. O no CALLIS TH }< N E 3 Et bientot, voulant voir le monde a ses genoux, Mettra le memc espace entre le Gauge & nous, Roxane cependant, au sein de la Pcrside , Doit pres d'elle , clit-on, rctenir Leonide ; Ec nous ne partions pas qu'elle ne fut ici : L'ayant done pu revoir, &: m'eloignant ainsi 3 Concevez mes regrets &" ma douleur mortelle; J'etois a Leonide , en me separant d'elle ; Je partirois I'epoux d'un objet si cheri. Car enfin, quoi qu'on dise , elle n'eut point peri* Sa presence eut du Roi desarme la colere. Elle cut etc l'appui 3 le saint de son Frere. Que ne pent la sagesse unie a. la beaute ? Lcs plus cruels n'ont-ils que dc la cruautc? Et quand de 1'astre ici contraire a l'innocence, Son aspecl n'auroit pu corriger l'infiuence , Tout mon sang, pour eux deux, devant elle cut conic, Et du moins a scs ycux jc me fusse immole. A laperdre , en un mot, rien n'a du me contraindre. Exempt de ma foiblesse ctoit-ce a vous a craindre? Nous voila condamnes a ne plus nous revoir; Eh ! e'est le seul malhcur qui! eut faliu prevoir. Cratekus. Cc qu'eut prcvu bien moins nn Ami qui vous guide , (Test qu'il cut pu vous nuire , en servant Leonide. Mais tel est des Amans l'esprit irrcsolu. Jc n'ai fait, apres tout, que cc qu'il vous a plu; Pcurquoi s'en prendre a moi uc nos terreurs soudaines ; T R A G i D I E. zii Les vAcres , ce me semble , ont precede les miennes. Votre cceur , disiez-vous, en fut cent fois glace. Lysimaque. Oui; mais, je le repete, e!Ies avoient cesse, Quand vous etes venu tout-a-coup me les rendre, Exafferant si fort les fureurs d' Alexandre, Et me pcignant... SCENE I.I. LYSIMAQUE, CRATERUS, AGAMEE. Craterus. 'ue vois-je J Agamee ! Est- ce vcus ? Vous que la voile avoit emporte loin de nous ! Quelle disgrace done auriez-vous eprouvee l Agamee. Leonide, Seigneur... Lysimaque, Eh bien ? Agamee, Est art ivee. Lysimaque. Arrivec ! Ah ! courons au-devant de ses pas ! Sauvons-la ! Qu'elle fine , & ne ;e montre pas I Of! in CALLlSTHllNE, A G A M E E. Seigneur ,il n'est plus temps: tout vole au-devant d'ellc- Et lc Roi maintenant en apprend la nouvelle. Je l'ai vue au moment qu'avec rapiditc, Dli Jaxarte a la mer j'allois etre porte. Pour courir des premiers m'offrir a son passage , En vain j'ai promptement regagne le rivage , De nos Soldats campes au pied de ccs remparts , Ses habits a la Grecqnc ont frappe les regards. Des Chefs l'ont reconnue , & 1 iin d'enx l'a nommec. Le bruit en un instant sen repand dans rarmeej On l'approche, on Fentoure, on l'admire, on la plaint j Pas un n'ose l'instruire , & chacun se contraint. Mais cc myftcrieux & lugubre silence Ne sett qu'a redoubler sa vive impatience : Et, prcsageant des maux qui ne sont que trop vrais_, Lui fait prccipiter ses pas vers ce Palais. LYSIMAQUE voulant sort'ir. C'cst pour y signaler Famine fratcrnelle, Par quelque trait iunestc & pour nous 6V pour ellel CRATERUS/e racnant. Calmez anparavant le trouble ou je vous voi. Elle n'est pas sans doute encore auprcs du Roi, Courez asa rencontre : allez , chcr Agamec ; Quel que soit le courroux dont elle est animce , Obtenez d'elle, avant tout eclaircisscment. Que Lysimaque ici Fentreticnnc un moment. TRAGEDIE. 213 uKfltwuiM iifflfl mum t Traaas SCENE III. LYSIMAQUE, CRATERUS. Lysimaque. *5 a fierte va tout perdre : helas ! qua son approche, Vous ctes bien venge d'un injustc rcprochcl L'extremite m'eclaire ; & le danger present Leve d'un fol espoir le bandeau scduisant. Jouisscz , Craterus , dc toutc ma foiblesse. Craterus. Ne songez qu'a la vaincre; &r pour moi je vous laisse, Pour aller disposer son Frere a la douceur , t faire que lui-meme y dispose sa Sceur. Retenez cependant sa colere enchainee ; Et ne 1'entretenant que de votre hymenee. . .. Lysimaque. L'entrctien sera court. Pres d'clle un motsnfHt. Eh! des Femmcs de Spartc oublicz-vousrespriL? Leurs bouches & leurs cceurs voues a la sagesse 3 De l'amoureux langagc ignorent la mollcsse; Et leur feu vertueux s'exprimant sans detours, Permct peu qu'on s'etende en h'ivoles discours. Bicnrot ses questions sauront done me confendre, Sur l'etat de son Frere ayant a lui rependrc. . . Que dire ? Oiij U4 CALLISTHENE; C R ATERUS. Qu'elJe ignore an moins, ainsi que Iui , Qu Alexandre menace & leprouve aujourd'hui. Cette epreuve , apres tout , pent n'etre pas funeste: Le danger estdouteux; il seroit manifeste. Flattez-la . rlattcz-vous. Adieu. Je 1'appercois. i^sntaaur raw Mrarasacss ztt -. SCENE IV. LEONIDE, LYSIMAQU E, Leonide. A.H! Scisncur ! Lysimaqul Ah! Madame! Est-ce vons que je vols? Dc cct heureux prodige instruit par Agamee, Je ne Ten osois croire*, & mon ame charmec... Leonide. Rendez d'abord le calmc a mon cceur indigne : Callisthene vit-il ? Lysimaque. II vit > ii a regno , Et pent regner encor, s'il vent, sur Alexandre,, Leonide. Ke m'en ditespas plus que je veux en entendre. 11 vit ; mais cst*illibre; TRAGtDIE, iij Lysima que. Aussi librc que vous \ En etat de jouir du destin lc plus doux. L e o N I D E. Pourquoi done ces regards d'une foule eperduc Qui m'evite, se rait, ou sonpire a ma vue* Lysimaque. L'Armee ignore encorun si prompt changement: Votrc arrivee en marque 6V l'heure & le moment. Les Destins las en fin d'opprimer l'innoccncc , On plutot cc que d'eux cxige une presence Qui du bonheur par-tcut doit ctre lc signal 3 Rclevc Callisthenc, cz confond son Rival. De cc moment ei/n la calomnie expire, Et la vertu triemphe. L E O N I D E. II suffit : jc respire. Maintenant de nos fcux qu'il s'agisse un instant; Je crois, comme lc mien , que le votre est constant, Lysimaqu e. Vos attraits sur les cceurs ont-ils une puissance Qu'affoiblissent jamais ni le temps ni l'abscncc ': N'en doutez point; le mien de safidclite A rait toute sa gloirc & sa fclicitc. J'attcite . ., Oiv n CJLLIS T H NEj L E O N I D E. Jc n'en veux de garant que moi-meme; Je crois que vous rnaimez, parce que je vous aime, Revenons done, Seigneur, a l'interet commun. Peignez-moi nos malheurs, sans en omettre aucun, A-t>on pu menacer la liberte, la vie D'un Sage dont on sait que Sparte est la patrie Et se dissimuler dans un tel attentat, Qu'un Citoyen pareil egaleun Potentat? Ne me deguisez rien : d'ou nous vient cette injure? Parlez*, de quel forfait, la hardie imposture Osa-t-elle a mon frere imputcr la noircenr l Quels sont ses ennemis ? Quel eft son defenseur i Etrange recompense , helas ! de ses services , Et du plus signale de tous les sacrifices 1 Lysymaque. Ce mortel , le plus grand que votre ville ait eu N'a d'autres ennemis que ceux de la vcrtu ; Nous rendons a la sienne un hommage unanime ; On 1'aime , on le respecle : & voila tout son crime. Aux pieges d'un rival envieux de son sort , Cet amour , ces respects ont servi de ressort. DuRoi, que le courroux trop aisement enflamme, Anaxarquc a d'abord ebranle la grande amc , En lui faisant penser qu'on usurpoit ses droits , Que regner sur les occurs , e'est depouiller les Rois , Partager avec cux leur plus noble avantage , Ft meme aller tou jours plus loin que le partage. T R A G & D 1 E. 11 7 A cqs traits venimeux s'est joint plus d'un malhcur, D'un complot criminel , Hermolaiis auteur , Osant de la vcrtu prendre le ton severe , A , pour modele au Roi , propose votre frere. Des raux bruits , la-dessus repandus a dessein , Lacedemone armee , un Conquerant enfin A qui d'un fol encens le flatteur est prodigue , t que d'un sage ami Fausterite fatigue , Dc concert, contre nous , tout cela s'unissant , A cote du conpable avoit mis l'innocent. C'cn ctoit fait. Le Sage &: de Grece 6V de Spartc Signaloit par sa mort lcs rives du Jaxartc ; Le Roi , dans sa colerc en prononcoit l'Arret ; On lioit la viclime &: le fcr etoit pret Vous fremissez. Jc fais un reck trop fidclc L E o N I d E. Cetoit a ma prierc, 6V je la rcnouvclle. Lysimac>ue. Lesmicnncs 6Vmes plenrs etant done sans pouvoir, Je n'ai plus pris d'avis que de mon descspoir. J'allois me delivrer dune importune vie : Le Roi s'est oppose lui - meme a ma furie , Et de la sienne alors un peu moins possede , 11 a daigne m'ehtendre & m'a tout accorde. Tout a repris, des-la, sa place legitime , L'Envie est retombee aux pieds de sa victime ; Et l'estimable objet de sa lache fureur , n8 CALLISTHENEy Du pied de 1 echafaud, rcmonte a la faveur. C'est a l'amitie seule ici qu'on actribue Un desespoir auquel cette vi&oire est due: MaisTamour, je l'avoue , cut part a mes transports. Ce frere, autantqua moi, vous est cherj cV, des-lors, Vivement penetre des atteintes mortelles Dont vous ailoient frappcr de si tristes nouvelles, Je voulois m'epargner de plus funestes coups , Et mourir avec lui , pour mourir avant vous. L E O N I D E. Mon sang , en arrosant &: 1'une &" l'autre cendrc, D'un opprobre de plus cut couvcrt Alexandre. De vos soins , notre vie est done l'heureux efFet: Egalons, s'il sc pent, le salaire au bienfait. Ma main nc suffit pas : l'amour qui la presente, Pour acquirer la sceur , satisrait trop I'amantc : Un autre prix plus beau, c'est que, malgre scs loix, Je vous apprendsque Sparte applaudit a mon choix. Sparte qui , dans la pair que sa vertu ne change , D'aucun sang etrangcr ne souffre lc melange , Se relachc pour vous , vent bien vous excepter, Vous juge digne d'clle , &: va vous adopter. Peut-etre on denieroit , racme au fils dc Philippe, L'honneur ou Lysimaque anjourd'hui participe. Que dc cet honneur done , & du don de ma main, Le Heros & PAmant benisscnt lc Dcstin , Kt ouisse votre amour trouver dans sa vicfoire, T R A G E D I E. u 9 Le degre de bonheur qu y doit trouvcr h glcire ! Restc a i'avcu d'un frere ( aveu qui vous est siir ) Dc conronncr un feu si ficlelc 6z .si pur. Qui 1'arretc? Ou plutot qui mc reticnt mci-meme? Contcntez d'une sceur I'impaticnce extreme : Du lieu qui me le cache, ouvrez-moi Ies cheminsj Je veux toucher ies fcrs qui rombent dc scs mains, En baiser h premiere & la place & la marque, Insultcr , par ma joie , an depit d'Anaxarque.... Ailons , chcr Lysimaquc , &: , sans l'attendre ici , Courons.... L Y 5 I M A Q U E. II vous previcnt , Madame; &: le voici L'elitc de nos Chefs 1c suit &r l'cnvironnc; tt vous voycz le rang que sa vcrtu lui donne. SCENE V, CALL1STH&NE, LEONIDE , LYS1MAQUE, CRATERUS, Chefs dc 1'Armee d'Alcxandrc. L E O N I D E. ijj nous retrouvons-nous , 6 mon frcre I Callisthene. Ma sceur , Dc nos embrasscmens suspendons la douceur ; no callisthSne; Et souffrez que j'acheve ici de rend re grace A ccs braves Guerriers qu'a touches ma disgrace, Allez, nobles amis de l'innocence aux fers , Ne vous souvenez plus des maux que j'ai soufferts. C'est a. mcs delateurs a rougir d'une injure , Que votre desaveu repare avec usure. Retirez-vous; allcz , vous dis-je-, &r privez-moi Des traits d'une amitie suspede a votre Roi. SCENE VI. CALLISTHENE, LEONIDE, LYSIMAQUE. Callisthene. V ous qui sauvcz des jours que l'imposture attaquc Embrassez votre ami , gcnereux Lysimaque. Si ma soL j ur est un bien digne de vous Matter , Je suis libre ; elle arrive ; ellc peut m'acquiter. Lysimaque. Mon coeur,de cc moment, n'a plus de vceux a fairc. Vous les comblez vous deux ; une faveur sichcrc , Tous trois nous unissant des liens les plus forts , Pouvoit scule egaler le malheur d'ou je sors. L E o N I d E. Que vous m'avcz jetee en de vives alarmes ! T R A G i I) I E. in Callissthene. Lapaixquipeutlessuivre, en aura plus decharmes. L E O N I D E. Vous voulutes partir , malgre tous nos avis. Callisthene. Je me repentirois de les avoir suivis.... L E O N I D E. Pour un ingrat par qui votre mort fut jurce ? Callisthene. De ses persecuteurs la Grece est dclivrec. L E O N I D E. C'est la gloire d'un Roi dont vous ornez la Cour ; Et ce n'est point la notre. Callisthene. Elle doit letre un jour. De l'ennemi commun la puissance est detruite. La Grece a nous ceder sera bientot reduite. Avions-nous avee elle , ou la guerre ou la paix ; Cet ennemi toujours retardoit nos succes. Si nous etions unis; inondant nos frontieres, Ses Escadrons nombrcux tarissoient les rivieres. La dispute du rang naissoit-elle entre nous ; II appuyoit les uns, pour nous mieux nuirc a tons; in CALLISTK&NE, Contre Sparte, l'objet de sa plus juste craintc, Scs Tresors soulevoient 1 hebe, Athene &Corinthej Et ce hontenx secouis balancant nos destins , Nous arracha cent fois la victoire des mains. Que Sparte a present monte au rang qu'on lui dispute. Darius a. ce rang l'cieve par sa chute. De qui la preparoit, j'ai du suivre les pas , Et cm devoir blamer qui ne me suivoit pas. Alais la mane equite veut qu'aujourd'hui je laisse Un Prince cnorgueilli que la verite blesse ; De qui I'ambition ne connoit plus de frein ; Qui veut rout voir plover sous son sceptre d'airain. En projets insenses , son esprit sc fatigue ; Cc n'est plus qu'un torrent prct a romprc sa digue, Mcnacant a la fois la Grcce 6V l'Etranffcr , Et conccvant trop pen d'un Monde a ra vager. Partoris, sans envicr an reste de la Grccc Des landers qu'ont fietris le luxe Cv la mollesse ; Fuyons avee horreur des vainqucurs corrompus; Et courons dans nos murs nous rcjoindrc aux vertus. De la verite libre i Is sont 1'unique asyle: La jamais on ne vit le mensongc servile S'oser placer cntrc elic Sz i'orciile des Rois ; Leur regnc est moins le leur que celui de nos loix, Voila, voilii des Dieux les augur.tcs images , Et les rares Mortcls dijnics de nos homma.^es. Je respire a regret 1'air impur de ces lietix. Partons. Et vous, Seigneur, rcccvcz nos adicux, Soneez, en demeurantou le devoir vous lie , TRAGEDIE. 115 Que vous ctes nn homme a qui Sparte s'allic \ Et, de ma Sceur un jour devant etre l'epoux, Cultivez la vertu qui vous egale a nous. Lysimaque. Non ! vous ne fuirez point un Roi qui vous honore , Qui veut a vos conseils s'abandomier encore , Qui vous rappelle au rang de scs plus chers amis, Qui veut.... Callisthene. II veut ma honte; il veut me voirsoumis! 11 veut que je le flatte & que je lc trahisse ; Qu'a ses egaremens je serve & j'applaudkse. Sparte m'instruisit-elle a de pareils egards ? Non , Lysimaque ; adieu, je suis libre , je pars ; Jele fuis &" vous plains. Quel transport vous agitc? Je vous entends : on va s'opposer a ma fuite > Je n'ai de liberte qu'autant que votrc Roi Croit en rcgler I'usage &" disposer de moi ; A ce prix, je la rends; son csperancc est vainc j Et je vais de ce pas.... Lysimaque. Arretez, Callisthene! Qv.c dites-vous? A peine, helas ! je vous revoi, A peine votrc Sceur se donne-t-elle a moi , Qu'a perdre Tun cV l'autre un adieu me prepare, Le memc instant tons trois nous joint 6V nous separe : Et voire esprit, ailleurs qu'en un juste regret , 114 CJLLlSTHgNEj Va chercher des raisons a mon trouble secret \ L'ame a des coups pareils est-elle indifferente? Et suis-je done ici le seul qui les ressente? Ah ! Madame , auriez-vous un coeur comme le sien ? Ce coeur, quand vous partez, ne gemit-il de rien? Leonide. Ne m'en accusez pas. Aux lieux qui m'ont vu naitre. On nest pas insensible ; on tache a le paroitre ; Et, dut-on , parmi nous , souffrir plus que la mort , Age ni sexe n'est exempt dun tel effort. L'arbitre de mon sort vent ce que je desire ; A run &: l'autre aveu Spartc est pretc a souscrire; Dcsormais mon Amant ensemble & mon Epoux, Ricn au monde ne doit m'etre plus cher que vous. Laisscr voir , en partant, mon cspoir & mafiamme, C'est vous instruirc assez de l'ctatde mon ame. Allez, Seigneur, allez achever des combats, Dont la fin seule doit vous remettre en mes bras. Mon amour vous attend au sommet de la gloire. Au char du General enchainez la Vicloire , Et , pour effaccr mieux tous les autres Guerriers, Songez que Leonide a part a vos lauriers. C A L L I S THE N E. Sortez : je vous rejoins ; Anaxarque s'avance. {feul ) Puisqu'il osc ne pas eviter ma presence , 11 vasavoir de moi quelle idee aujourd'hui J'emporte, en m'en allant,de son Maitre 6V dc lui. SCENE T R A G D I E. 115 gJMMK^w ll'Biii jum..nr*-w**mm! r iTT Ml I III !!! SCENE VII. callisthne, anaxarque Anaxarque. JCt N rival au-dessus des bruits &: du vulgaire , De grace , honorez moi d'un regard moins severe. De tant d'inimities quel est done le sujet ? Seroit-ce la faveur qui m'en rendroit l'objet ? D'un mauvaischoix, en moi, blamez-vous Alexandre ? De ma place, pour vous, jesuis pret de descendrej Si m'approcher du Roi , e'est vous en eloigner , Je dois faire & je fais , prompt a. me resigner , Ceder mon interet a celui du Monarque \ Vous avez sur son cceur plus de droit qu' Anaxarque j Au plus sage des Grecs le depot en est du ; Et le salut public veut qu'il vous soit rendu. Callisthene. On a vu plus d'un Roi , sans que jc m'en ctonne, Et plus d'un tyran meme , abdiquer la Couronne > Un prodige plus grand ( plus rare par malheur ) C'est de voir , a la Cour , abdiquer la faveur. Certes, je conclurois de cet effort insigne , Que , las d'en abuser , vous en devencz digne. D'un si noble retour vous me verriez touche. Mais TAspic sous les fleurs est peut-etre cache- Tome I. P aiff CALLlSTHiNE, Vous feignez dc vonloir, ou voulez vous demetrre, Sur que le Roi jamais ne le voudra permettre -, Ou que , s'il le permec , l'austcre integrite Achevera de perdre un rival redoute. Anaxarque. Daignez recevoir mieux le plus sincere hommagc. Loin de vous pour jamais tout soupcon qui m'outrage I Je veux vous plaire autant que je vous ai deplu > Qu'nn si louable effort ne soit pas superflu ! Qu ai-je fait toutefois de si digne de blame ? Du Roi , par mes conseils, ai-je empoisonne Tame ! Est-ce moi qui le porte au mepris de nos loix ? ll etend , a son gre , son pouvoir 6V ses droits. Son genie est le seul qui le guide &: 1'inspire. Callisthene. Cest conseiller souvent , que ne pas contredire. ANAXARQUE. Combat-on des projcts , s'ils nesont confies ? Callisthene. Quand ils s'executoicnt , vous les applaudissiez. Anaxarque. Je n'applaudissois point ; je gardois le silence, Callisthene. Pernicieux respecf ! Criminelle indolence 1 Anaxarque. Ditcs soumlssion. T R A G & D I E. 117 Callisthene. Je ne sais point flatter. Anaxarque. Mais que pouvois-je faire , apres tout ? Callisthene. M'imiter Et vous ressouvenir que Ies Dieux, Anaxarque , N'ayant mis que les loix entre eux &: le Monarqu* , One place nos pareils entre son peuple & lui , Pour etre de ce peuple & l'organe & 1'appui. Anaxarque. Des Rois, vousle savez, l'oreille est delicate} Et je ne jouis pas des droits d'un Spartiate. Callisthene. Je tiens de l'honneur seul les droits dont je jouis; Et de semblables droits sont de tons les pays. Anaxarque. Que me rcprochez-vous enfin que je n 'efface Et que je ne repare en vous cedant ma place? J'cn depose l'eclat , l'avantage &: le poids. Je vous rends Alexandre. Callisthene. Oui , mais sourd a ma voix ; Ne reconnoissant plus de loix que ses caprices ; Respirant, a la fois , le sang & les delices ; Meme contre les siens , se croyant tout permis ; Et plus redoute d'eux , que de ses ennemis. pi; ia8 CALLISTEiNE, Les Grecs m'en sont temoins, j'ai quitte pour leur Maitre Mon repos, monpays, mes vrais devoirs peut-etre. Pour en fairc tin Heros , j'ai tout sacrifie j Et sa haine est leprix dont mon zele estpaye. De mes lecons, du moins , si gardant la mcmoire, Ce Roi qui me fut cher , prenoit soin de sa gloire ! Mais elle est mon ouvrage; il semble que l'ingrat, Pour ne me rien devoir , veuille en ternir l'eclat. De votre faux respect voyez les tristes suites. La puissance effrenee a franchi ses limites. Votre Prince a perdu le cceur de ses sujets. Eh ! Quel autre que vous , accuser des projets Qu'un orgueil applaudi, chaque jour lui suggcre ? A qui s'en prendre ici de la pompe etrangere D'un luxe , en tous les temps , parmi nous ignore, Et du Barbarc a nous maintenant transfcre ? Autre licence affreuse oc non moins inouic ! Le fils d'Olimpias moins sense , pluj impie Qu'un Xerxes qui voulut faire enchaincr la Mcr , S'ose dire a nos yeux , le fils de Jupiter ! II n'eut eu qu'a pousser l'egarement extreme , Jusqu'a vouloir passer ponr etre un Dieu lui-meme, Votre silence encore exemplaire 6c pieux T R A G E D I E. ii<> S C N E VIII. LEONIDE , CALLISTHfeNE , ANAXARQUE. Leonide. JMlon Frere, vous perdez desinstans precieux. Nous courons un peril dont on vient de m'instruire ; Cc Ministre en sait plus , &" vous l'auroit pu dire ; Mais c'eut ete , servant & Sparte &: vous &: moi 3 Se tres-mal acquitter de son nouvel emploi. ANAXARQUE frappe d'ctonnanaiu Madame L E O N I D E. Allez a Sparte; allcz y faire entendre Les ordres menacans dont vous charge Alexandre* CALLISTHENE a Anaxarque, Quoi done ? Anaxarque. Seigneur .... Le o N I D E. Vencz: son trouble nous suffir. La fraude inspire en vain , quand la honte intcrdit. 9 Piij a 5 o CALLISTHANEj h i ii i m i ii Trrruiiiiiii iiii i 'i r WW > SCENE IX. ANAXARQUE. \j u suis-je? Qu'ai-je vu? Quelle surprise extreme* C'est elle , juste Ciel ! Cesc cette Beaute meme Dont l'image par-tout m'a si long-temps suivi ! O coup inespere dont je me sens ravi ! O jour le plus heureux , le plus doux de ma vie !. .. Que dis-je ? Qu'a ce jour de si digne d'envie ? Je les revois , helas ! ces charmes eclatans > Mais dans qui les revois- je? En quels lieux? En quel temps J Dans la superbe scenr d'un homme qui m'abhorre! Au milieu d'une Cour ou Ton me deshonore ! Quand il faut que je voleauxlieuxqu'cllc a quittes ! Que de revers ensemble &c de fatalites ! Elle arrive , &: je pars. Ah ! c'est-Ja , je 1'avoue , Le plus cruel des coups du Destin qui mc joue ! Deux fois il me la montre; 6V deux fois, au moment Ou mon devoir exige un prompt cloignement; El comment , chaque fois, quitte-je l'inhumaine ? Je parris inconnu : je pars avec sa haine, T R A G E D IE. SCENE X. ALEXANDRE, ANAXARQUE. Alexandre. J E vous faisois chcrcher: c'est pour vous avcrtir s Ami , qu'iln'est plus temps de songera partir. De Leonidc ici l'arrivee imprevue Change mon premier ordre, ouplutot Peffe&ue 5 D'autant plus que du reste on est mieux informe. Ce n'est point contre nous , que Sparte avoit arme, Ainsi , d'Ambassadeur laissez le caractere , Et vous chargcz, pour moi , d'un autre ministers Au sortir du Conseil , sans attendre plus tard , Remplissez le projet dont je vous ai fait part. Dc l'Oracle d'Hammon rappelant la reponse Qui me declara ne du sang dont je m'annonce, Faites-moi deccrncr 1'hommage glorieux Qui fait marcher de pair &" les Rois &: les Dicux, Et dont , pour relever Peclat du rang supreme , L'usage a fait , en Perse , un droit du Diadcmc. Vous-mcme , en ce desscin , vous m'avez affcrmi j Mais parlez-moi toujours cependant en ami. Je vous ecoute encor. Quelque raison nouvcllc , Contre ce coup d'eclat , vous revokeroit-cllc ? Anaxarque. Non, Seigneur; commandezj vos ordrcssontmalci; C'est obeir aux Dieux qu'obeir a son Roi. P IV 3i ALL1STHNE> Par votrc volonre la leur se manifcste , Et vos droits ne sont pas de ceux que Ton conteste ; A vous y maintenir tout se doit empresser : Tropheureux que ma voix serve a les annoncer ! Alexandre. Un succes toutefois de cette consequence Depend de votre zele & de votre eloquence. On dispute souvent les droits les mieux acquis. Frappez done, ebranlez, subjuguez les esprits. Je ne connois que trop celui de Callisthcne : J'avoucrai que ma crainte un pen trop inhumaine, Sur da bruits , il est vrai, qu'appuyoit votre voix, L'abandonnoit tantot a la rignenr des loix. Mais plutot ,s'il se petit ,gagnons cette ame alticre. J'inJisposois des cceurs qu'il faut que je m'acquiere j Je me les concilie en l'attirant a nous. Son suffrage est d'un poids a les reunir tous. Et meme a coeur ouvert s'il faut que je m explique, Le remords est ici joint a la politique : Pcut-etre injustement j'ai soupconne sa foi ; Et je lui sens touiours de Tascendant sur moi. Voyez-le done. Allcz. Rapprochons-nous. Qu'il viennc II n'est rien que sa Sceur, ainsi que lui, n'obtienne. Pour me les attacher je repandrai sur eux Tons les bienfaits dun Roi puissant &r genereux. Aprcs quoi, devant tous, parlant sans me commettre , Sachez ce que de lui nous pouvons nous promcttrc. S 3 il vons combat, s'il est tel que vous Tavcz craint, Pour la derniere fois vous vous en scrcz pla.int. Fin du second Acle. TRAGtDIE. 13 j A C T E III. SCENE PREMIERE. LEONIDE, ANAXARQUE. L E O N I D E. ^ntrons done; je vous suis, 6V me sonmets sans peine. Je me derobe exprcs des yeux de Callisthene ; Et , tandis que de vains &: longs raisonnemens Tachent de le resoudre a des menagemens , Jaurai fait mon devoir & paru la premiere. De Callisthene anssi l'ame est un peu trop fiere > Sa Sceur moins intraitable cV le Roi se verront ; Et je veux bien moi seule en essuycr l'affront. A N A X A R Q U E, Adoucissez , Madame , un esprit qui s'obstine A douter des honncurs qu un grand Roi vous destine ; Si pour vous en combler il ne vous cherchoitpas, Anaxarque jamais n'cut retenu vos pas! L E o N 1 d E. J'admire, en veritc, la rare bicnveillancc Qui va, pour honorer, jusqu'a la violence. i 3 4 CALL IS TH E N E * Anaxarque. Falloit-il se la faire encor plus , permettant Qu'en arrivant ici vous partiez a 1'instant? Etsans le moindre accueil vous laisser disparoitre? Leonide. Oui , nous en dispensions le Ministre & le Maitre. Quel accueil , dites-moi , pourroic nous eblouir > De quels honneurs ict daignerions-nous jouir ? Notre gloire les fuit ; elle en seroit fietrie : Nous n'en reconnoissons qu'au sein de la Patrie j. Les dons de la Fortune &" la faveur des Rois Sont des fers dont a Sparte on deteste le poids.. Anaxarque. Instruit des sentimens d'une ame Spartiate- , Jc sais quel traitement la revoke ou la flatte \ Et, n'offrant en efFct que des honneurs communs, Tons nos empressemens ne seroient qu'importuns. Mais jugez mieux tons deux du Roi qui vous rappellci. La Rcine ici pent tout : vous pourrez autant quelle > Et , quant a Callisthenc , il aura dans scs mains Les volontes d'un Prince arbitre des Hnmains. Vous fcrai-je valoir un plus doux charme encore ? 11 est un tendre cceur ici qui vous adore ; Qui, du soin dc vous plaire uniquement jaloux, Pcut meriter un jour le bonheur d'etre a vous ; Et d'un bonheur si rand &: si digne d'envie, I aire ici comme ailleurs 3 eclui dc votre vie.. TRAGEDIE. 155 Insensible aux honnenrs oflferts en cette Cour , Vous pourriez ne pas Tetre aux douceurs de 1'amour. L E O N I D E. Ce soupir echappe laisse voir ma foiblesse. Je suis femme , &: n'ai pas une ame sans tendressc. Eh ! par quelle raison desavouerois-je un feu Qui de Lacedemone a merite l'aveu ? L'objet en est bicn digne; &: je vous dirai meme Que , de ma propre bouche, il sait combien je l'aimc j Mais ce n'est que dans Sparte , au pied de nos autels , Qu'il peut s'unir a moi par des noeuds solenncls ; Et non pas.... Ou tend done cette furcur etrange ? Anaxarque. Que la votre , Madame , a son grc vous en venge ! Je n'ai plus rien a craindre apres ce coup fatal ; De cet Amant heureux vous voyez le rival. L E O N I D E. Qu'ai-je ou'i ? L'ennemi , le bourreau de mon Frcrc! Le rebut de la Thrace & de la Grcce cntiere ! En un mot Anaxarque.... Anaxarque. Oui, de vous est cpris : Oui , Madame ; & l'etoit bicn avant ces mepris. lis sont le tristc fruit d'une avcugle tendressc. Helas ! j'etudiai cette meme sagessc Qui rend un Citoyen l'honneur de son Pays ; Tous mes vocux y tendoient : V Amour les a trahis. 2.1 6 C A L LI STHli N E 3 Rejetez, dedaignez, desesperez ma flamme, Couronnez qui vous plait; mais est-ce a vous, Madame* A me faire rougir de tout ce que j'ai fait ? Vous, qui seule en etiez &: la cause 6V lobjet. L E O N I D E. Moil... Anaxarque. Calmez ce transport ; 6V permettez que j'bsc...,. Leon i d e. Moi, de tes lachet.es 6V l'objet 6V la cause '. Anaxarque. Deux mots! Daignez m entendre ; 6V tant d'inimitie Se changera peut-etre en un peu de pitie. Dans le Cirque, a la fin de ces jeux ou la Grece Voittriompherchez vous, Tune 6V i'autrcjeunesse, Un seul 6V meme instant rapide 6V precieux Offrit 6V deroba vos appas a mes yeux. Des bords de TEurotas , jnsques sur ce rivage , Sans savoir votre nom , j'emportai votre image ; J'ignorois qui j'aimois , 6V n'en aimois pas moins. Osant tout cspercr du temps 6V de mes soins, Embrase , devore de ce feu tyrannique , Votre possession fut done mon but unique ; Et comme un pcuple fier a droit sur votre main , Sans des sceptres offerts, j'y cms pretendre en vain- C'est lc Roi qui les ote 6V qui les distribtic ; Ma liberie des-lors t ma voix lui fut vendue:' T RA G E D I E. 137 A Callisthene ainsi j'enlevai la faveur.... Eh ! Qui s'imaginoit que vous etiez sa sceur? Suis-je assez confondu par ma propre foiblesse ? Ce que j'ai fait pour vous, me degrade &" vous blesse; Je ne me dementois que pour vous irriter ; Et je vous perds , par ou j'ai cm vous meriter. Mais^Madame^in grand cceur n'est jamais implacable , Ni notre premier choix , toujours irrevocable. A 1'amour le plus vif , si le votre se rend , Tout doit , aupres du mien , vous ctre indifferent j Ou si la vertu seule obtient la preference , La mienne renaitroit de la moindre esperance. Enfin si quelque Trone a dequoi vous tenter ; Farlez, je le demande , &: vous y fais monter. L E O N I D E. Tu n'en es pas encor , lache , ou tu crois en etre. Ton Maitre ici pent toutjtu peux tout sur tonMaitre; Et , contre sa Captive, osant t'en prevaloir Anaxarque. Quel odieux soupcon ! Moi , Madame , vouloir !... Le o n i d e. Mon juste etonnement t'en a trop laisse dire. Je ne reponds qu'un mot ; 6v cc mot doit suffire. Mon frere seul ici peut disposer de moi ; Vas le voir , & l'engage a s'allier a toi. 138 callisthene^ SCENE II. ANAXARQUE. &arbare! Je t'entends.Ah! la douleur m'accable! Je suis done, a leurs yeux, un monstre detestable 1 Eh bien ! a juste titre , il faut le meriter ; Je ne puis adoucir ; il faut epouvanter. J'obeirai. Voyons ton inflexible frere 5 Mais tremble ; ou qu'avec moi sa fierte se modere. De lui , tu fais dependre & ton sort &: le mien j Et e'est de moi bientot que dependra le sien. 11 ^ SCENE III. CALLISTHENE , ANAXARQUE Callisthene. On m'avoit dit qu'ici ma sceur etoit entree. Anaxarque. Par cct autre chemin , vous l'eussiez rencontree. Callisthene. A ces sombres regards , que sur moi vous lancez..., Je vois.... Anaxarque. Le Roi vous mandc : il entre. Paroissez, T R A G E D I E. 159 SCENE IV. ALEXANDRE, CALLISTH&NE. Callisthen e. o eigneur, mecroyantlibre autant que jcdoisletrc, Et d'ici , pour jamais , pretendant disparoitre, De la loi du plus fort , j'ai subi la rigueur : Daigneznepas l'etendre au moinsjusqu'amasceur. Du reste,ofTensez-vous des plaintes qui m'echappent. Vos bourreaux etoient prets : rappelcz-les; qu'ils frappent, Ce sera m'affranchir d'un esclavage affreux , Qui lasse ma Constance , &: nous rletrit tous deux. Alexandre. Callisthene , quittez un si triste langage ; Vivez. Que parlez-vous de mort & d'esclavage , Quand Lysimaque, instruit de mes vrais sentimens, N'a du vous annoncer que d'heureux changemens ! Rendons-nous desormais justice Tun a l'autte. Mon estime renait; je veux ravoir la votre , Vous redonnersurmoi, les droits qui vous sont dus, Et rcprendre , sur vous , tous ceux que j'ai perdus. Oui , de ce quei'ai fait, vous avez a vous plaindre : Mais, sur plus d'un avis, jem'y suis vu contraindre; Aujourd'hui mane encor , j'ai recu ce billet. On vouschargeoit:lisezjj'ai craint.Qu'eussiez-vous fait ? 2 4 o C ALLISTH ENE _, ( Pendant que Callisthene lit. ) O Trone ! 6 triste siege environne d'abysmes ! Quiconqne te remplit,craint } ou commet des crimes} Un Roi les fuit en vain : l'indulgence ou l'Erreur Font qu'il en est toujours la viclime ou l'auteur. ( Reprenant le billet. ) Eh bien ? Callisthene. Qu'eusse-je fait ? Ce qn'au mepris desfuites , Dans les bras de la mort , vous-meme un jour vous fites En faveur d un fidele & sage Medecin , Faussement accuse d'un semblable dessein. Votre grand ccenr livra vos jours a sa science ; Vous les devez , Seigneur , a cette confiance j Elle vous fit revivre 3 & rcvivre admire : La meritois-je moins , moi qui vous 1'inspirai ? Dites que ma disgrace etoit deja certaine , Que la crcdulite ne fit pas votre haine , Mais que j'avois deplu par ma sincerite , Et que la haine fit votre credulite. Vos soupcons ne vcnoient.. . Alexandre. Brisons la. Qu'il suffisc. Que je me les reproche, &: que jc vous le disc. Je reconnois ma faute, &: pretends l'expier ; En homme vcrtueux , vous devez Toublier. Dcmeurez TRAGtDIE. ' * 4 x Dcmcurcz *, aimez-moi i que tout vous y condamnc. Non content d'egaler Leonide a Roxane , Jaime Lacedcmone en faveur de vous deux , Et je la favorise au-dela de vos vceux. Dans 1'Attique j'ai fait, des depouilles d'Arbelle, iever un trophee injurieux pour elle, L'inscription apprend a la Pofterite, Que Sparte est seule oisive 6V n'a rien merits -, Je Teftace , & j'admets Sparte meme au pattage De tout ce que le Sort reserve a mon courage , Quand meme vos Guerriers n'y contribueroient pas ; Vous seul vous me vaudrez des milliers de soldats. Callisthene. La satisfaction , je l'avone, est royale ; Jy vois une ame & belle &: grande &" liberate *, Mais laissez-la, Seigneur , &: Sparte & desbienfaits Qu'aussi-bien sa fierte n'accepteroit jamais. Vous m'arretcrez mieux ne songeant qua me rendre Tout ce que je regrette. Alexandre. Eh quoi ? Callisthene. Tout Alexandre J Tout ce coeur ou l'ami se montroit seul a moi, Et qui ne nVoffre plus que ics bontes d'un Roi. Alexandre. Qu'exigeroit encor votrc amitie blessee ? Tome I. Q z 4 * CALLISTHt N Ej CallisthEne. Le droit de vous ouvrir librcmcnt ma pensee. Alexandre. Ne le reprendrc pas ce seroit me trahir. CallisthEne. Des ce moment, Seigneur, je puis done en jouir? Alexandre. Parlez. CALLISTHENE. Que faites-vous dans le fond de 1'Asie ? Pourquoi.... Alexandre. Je vous cntends: laissez-moi , je vous prie, Devancer le rcproche ou je vous vois venir. Oui , ma gloire en ces lieux risque de se ternir. L'ctonnement est juste : on n'a pas du s'attendre A cette inaction qui degrade Alexandre ; Je rougis d'un repos ou je me suis trop plu , Vous voulez que j'en sorte , &: j'y suis resolu. Ocstdequoi, ce jourmeme,informeront l'armce Craterus , Lysimaqne , Eumenc & Ptolomee. Un o-dre de ma part doitles conduire ici. Us cntrent. Vous allez etre micux eclairci. T R A G E D I E. i 43 SCENE V. ALEXANDRE, CALLISTHENE,ANAXARQUE, LYS1MAQUE, CRAT&RUS, Chefs de l'Armcc dAlexandre. Alexandre. A oble sang des Guerriers,qui,des rives du Xante, Sont revenus couverts d'une gloire eclatante , 11 est temps qu'au loisir succedcnt les exploits , Et que votre valeur se reveille a ma voix. Du Dieuqui fitdel'Inde , avant moi , la conquete, Et le pampre &:. le mirthc ont couronnc la tetc : Mars n'a pas interdit le plaisir aux Heros j Mais le dclasscmcnt se mesure aux travaux. Et, qu'avons-nous done fait si digne dc memoirc? Tout pour notre salut , rien encor pour la gloire. Nous avons tcrmine d'anciens differents : Le Bosphore afrranchi nc craint plus ses Tyrans ; Perscpolis enfin n'est plus qu'un pen de cendre ; C'est beaucouppour laGrecc,&: pen pour Alexandre. Des triomphes aises nc sont que des appats Qui flattent la valeur, & nc la fixent pas. Ranimons done la notre , &: la rendons cclebrs, Du Nil au Boristhene , &: de l ! Hydaspe a l'Hebre ; Qu'elle rassemble , amis, sons un mime destin , L'lndien , le Gaulois , le Scythe, Cv lAfriquain. Qi) 144 CA LLI STHt NE 3 Mon nom vous est garant de la faveur celeste : Suivez-moi , nousvaincrons. N'imputez point durestc A l'Ambition seule un si vaste projet. La Politique ici , comme elle , a son objet. An metier de la Guerre , il est tel avantage Qui, s'il nc croit toujours, sert moins qu'il n'endommagc ; Tous les voisins d'un Peuple a peine encor dompte, Sont autant d'enncmis du Vainqueur redoute, Qui l'osent defier d'abord en temcraires , Et, corrompant la ioi des nouveaux Tributaires , Le contraignent apres de venir au combat , Entre la force ouverte &: le noir attentat. D'un pole a l'autre enfin , du Couchant a l'Aurorc , Si tout ne m'est soumis, rien ne me Test encore : Travcrsant les climats habites &: deserts , Je ne desarme done qu'au bout de l'univers. J'en attcste le Dieu que POrient revere , Qui lui seul eclairant l'un & l'autre hemisphere , Et seul y suffisant , semble nous enseigner Qu'unc seule Puissance ici-bas doit regner. Craterus. Notre gloire , Seigneur , ctant jointe a. la votre, Sur de votre courage, assurez-vous du notrc > Que le passe temoigne &: repondc pour nous. Rentrez dans la carriere; cV nous vous suivons tous. Vos drapeaux rcleves nous comblcront de joie-, L'Armee impatiente attend qu'on les deploie; Et puisse la Victoire etre dans les combats, Aussi prompte que nous a voler sur vos pas! T RA G i D I E. 245 Alexandre. Je ne pouvok partir sons de meilleurs auspices. De pres , de loin , par-tout j'ai les Destins propices* Lc brave Ephestion , suivi de nos vieux Corps 3 De la mer Caspienne a nettoye les bords : Le sage Antiochus commando en Sogdiane y Ccenus dans la Perside ; Attale en Bactriane > Et de vingt Lieutenans le zele me repond De ce que j'ai conquis du Nil a l'Hejlesponf. Partonsdonc; & faisons qu'onne se rcssouviennc Du ills de Semele , ni de celui d' Alcmene : Que ce que j'entreprends decide entre nous trois. La terre , en plus d'un lieu , limita leurs exploits j Je ne vois plus aux miens , des que tout me seconde^ D'autres bornes , Amis , que les bornes du monde s Et , dans la noble ardeur dont je me sens bruler a Je voudrois que les Dieux pussent les reculer, SCENE VI. ALLISTH^NE , ANAX ARQUE , LYSIMAQUE > CRATERUS, Chefs de l'Armce d' Alexandre. Craterus, u'Alex andre a ces traits se faitbien reconnoitre I ( a Callisthene. ) Ce qui nous rend plus cher encor un si grand Maitre, 246 CALLISTI1 NEj C'est qu'il rcdevient juste, & qu'il vous a remis , Malgre la calomnie , au rang de ses Amis. C ALL ISTH E N E. II vous paroit change; mais moi, faute del'etre, Jc vais,dans un moment, lui dcplaire peut-etre. Anaxarque. Qui peut vous imposer cette necessite ? Callisthene. Ce qu'un Hatteur lui fait hair : la verite. Anaxarque. Le Roi ne la hait point > il se plait a I'entendre, Mais soumise au respect qu'il a droit de pretendre. Callisthene. J'observe, en la disant, les egards que je doij Et tel qui la deguise en manque plus que moL Anaxarque. Je lecrois-, mais enfin cette rare franchise N'exige ricn de vous dc?ormais qui vous nuise* Le Roi n'est-il pas tel que vous lc desiriez ? II s'arrache aux plaisirs que vous lui reprochiez^ Par un noble aiguillon sa valeur animee, Va par dcla les mers porter sa renommee; Au rangdcs Immortcls lui tracer un sender, Et fairc 3 dcvant lui 3 taire le monde entier* T RA G E D I E. 247 Callisthene. Le Roi peut devant lui forcer par sa vaillance , La Terre cpouvantee a garder lc silence , Sans qu'un homme ne libre , &: que Sparte a nourri Ou se taise, 011 lui parle en lache Favori. Eh quoi done ! la valeur seule est-elle estimable ? Ec faire tout trembler , est-ce etre irreprochables Anaxarque. Je ne vous cache point ce qui se passe en moi. Je crois voir plus qu'un homme ou je vois plus qu'un Roi Heros superieur a ceux des premiers ages , II est bien au-dessus de nos foibles suffrages;, En lui je reconnois , j'admire un demi-Dieu; J'admire plus : &: meme admirer e'ese trop peu, Si d'en penser ainsi vous pouvez vous defendre, Mon transport en appelle a qui vient de l'entcndrc, Tous ces illustres Chefs en sont encore emus. Quel projet ! Quel discours ! Non , non , n'en doutons plus 3 Ce n'est point un Mortel ne du sang d'un Philippe 3 De qui 1' Empire etroit se bornoit a 1'Euripe > Le Fils de Jupiter, un Dicu nous a parle. Quand Dclphes, quandHammon ne l'eut pas revele 3 Le prodige eclatant qui marqna sa naissance, Lcs mcmorables traits de son adolescence, Thebe attaquee &: prise , &: punie en deux jours, Tyr , appelant en vain Neptune a son secours, La Fortune, avec nous, traversant !c Graniquc, Ec les champs sablonncuxdc la briilantc Afriquc , Q iv 248 CALLIST HNE ; Tant d'escadrons, -de murs, de trones renverscs* Tout nous prouvoit sa race, & l'annoncoit assez. Mais , puisqu'enfin les Dieux ont a tant de miracles Cm devoir ajouter la foi de lcurs Oracles, Que tardons-nous encore a llionorer comme eux2 A lui tons adresser notre encens &: nos vceux i Sur les pas eclaires du Satrape & du Mage, LOrient a ses Rois defera cet hommage; La Grece cut du deja le rendre a son Vengeur , Et du droit des vaincus faire un droit du vainqueur* Des Tyrans valoient-ils votre Dieu tutelaireJ II a pour lui le droit du sang & du salaire; 11 a pour lui la voix du Pretre &: du Soldat. De son rang , de son nom rehaussez done l'eclat > N'abordez plus le FilsduMaitredu tonnerre, Que ce titre a la bouche &: le front contre terre^ Que pour vous desormais de ce Prince immortel, Le Palais soit un temple , &: le Trone un autel. Et cependant du haut de la place ou vous etes, Callisthene , ordonnez & le cuke & les fetes y Prostcrne le premier , attirez le concours; Et, d'un si bel exemple , appuyez mon discours,. Callisthene. Ciel exterminateur! tu 1'entcnds : & tafoudre N'a pas deja reduit 1c sacrilege en poudre? Opprobre de la Grece ! ii taut done, malgre soi, Jusqu'a I'emportcmcnt se commettte avec toi 2 Je mc suis toujours tu x tant que ton insoisn.ee a TRAGEDIE. 149 Ne s'adressant qu'a moi , merita mon silence > La Victime maetce alloit aux yeux de tous, Sans daigner se defendre , expirer sous tcs coups. A force de mepris je me sentois paisible. L'Artisan de mes matix m'y rendoit insensible. Je plaignois seulement un Prince infortune Qu'a tes avis l'erreur avoit abandonnc. Mais voir encore en buttc a ton audace extreme, L'honneur de ton Pays , de ce Roi , du Ciel meme; Te voir prophaner tout , & ne pas eclater , Ce feroit tout trahir ; cc seroit t'imiter. Impie ! ose outrager ceux qui t'ont donnc l'ctrc ; Meconnois les; maiscrains, esclave , crainstonMaitrc. Aimeroit-t-il letir gloire & la sienne assez pen, Pour ne pas de ton sang sceller son desaveu ? Grains un Roi qu'en ses droits aux Tyrans tu compares? Crains les Grecs que tumetsdans le rang dcsBarbares! Et quand ici tantot , a ton premier abord , J'ai laisse de ma haine eclater un transport , Tu disois qu'a I'objet je m'etois pu meprendre? J'cn appelle , a mon tour , a qui vient de t'entendrc. Tous ces illustres Chefs te l'attestcront micux : Regardc-les ; cV lis ton arret dans leurs yeux. L y s 1 M a q u E. Anaxarque , pour tous j'ose ici vous repondrc, Qi\c le trone ex: l'autel ne sont pas a confondre. Le Monarque a ses droits , eV les Dieux out les leurs. Vous avez propose le comble des horreurs. *5* CALLISTHE N E y S'abstiennc de ces Dieux la foudre vemieresse s Pour le crime d tin seul , de chitier laGrecej Et rindignation dont nous fremissons tous , Puisse-t-elle suffire a leur juste courroux ! SCENE VII. CALLISTHENE, ANAXARQUE, ANAXARQUE retenant C alii s the ne. C^/ALLiSTHENE,c'est vous qui dictez celangagcj, Et votre seul exemple au refus les engage: Peut-erre que ie Roi , s'en tenant offense , Me desavoueroit moins que vous n'avez pense. Je me pourrois venger de vos torrens d injures. Mais non ; de part &: d'autre etouffant nos murmur es., Oublions Ie passe : reconcilions-nous \ Redevenons unis par les nceuds les plus doux , Et , pour rendre a jamais cette union durable > Que Leonide en soit 1c gage inestimable. J'ose a cettc Heroine clever tons mes voeux ; Instruisons a l'envi vous &c moi nos neveux: Montrez , en m'obligeant par-dcla nion attente > Que d'animosite la Sagesse est exemprc : Et je montrerai , moi, par de nobles eitets, Comme on doit reconnoitre Le remords cntrc-t-il dans le cceur d'un Impie? Mon Frcrecn jugeoitmieux : on n'cpargnoit sa vie 3 Que dans le fol espoir de se le voir soumis , Et d avoir aisement son suffrage a ce prix. Lysimaque. Et cet espoir trompc se tourneroit en rage. Caiiisthene est perdu, s'il ne cede a Forage. T R A G E D I E. 1 5 5 Nos soins pourroicnt encor n'etre pas superfius; Courons a lui ; qu'il fuye ! L E O N I D E. II ne Ie voudra plus. Tantot, quand il tournoit ses pas vers la Patrie, II fuyoit la faveur , &: non la barbarie , Le mepris des honneurs en ordonnoitainsi; Le mepris de la morr doit l'arreter ici. Lysimaque. Oui, si I'arret de l'lin n'etoit I'arrct de I'aiitres Mais , comme de sa vie , il y va de la votre. Un si chcr interet flechira sa rigueur. II ne peut ignorer qu'en proie au Delateur , En Criminel d'Etat on voudra qu'il perisse-, Des-lors etre sa Sceur , c'est etre son complice. Tout le sang du coupable est proscrit par la Loi. L E O N I D E. Des-lors adressez-vous a tout autre qu 3 a moi, Pour tacher d'en^a^cr Callisthenc a la fiiitc. Dcs Loix de Macedoinc on m'avoit mal instrukc ; Mais de celles de Spartc on est mal informe , Si Ton croit que mon cceur en doit etre alarme. C'est du sang innocent qu'Alexandre demande. Qu'a son gre , plus que moins , le cruel en rcpande 5 Est ce a moi de servir un Tyran que je hais? Et lui dois-je , en fuyant , cpargner des forfeits ? i S 6 CALLISTUi NE , Lysimaque. Mais n'avons-nous , Madame , a craindreqn' Alexandre? Lbonidl Contrc qui done aurois-je encore a me defendre? Lysimaque. Contre celui qui vient , au plus foible des Rois, De vendre son honneur & de preter sa voix. Des medians le plus lache 6V Ie plus tcmeraire , Aura snr le forfait mesure le salaire , Et, pour sa recompense , au Monarque inhumain, Peut-etre ose a present demander votre main. Leonide. Quel en scroit le fruit ? Lysimaque. Eh! doutcz-vous, Madame, Que rinhumanite ne vous livre a sa flamme? En vous assassinant d'un coup plus que mortel, Ne vous force bientot de le suivre a Tautel ? Vous ne fremissez pas I Leonide. Non. Que peut leur furie? Je dispose de tout, disposant de ma vie; Et loin de relacher dc mon juste refus , J'ai , pour y pcrsister , unc raison dc plus. D'un Tyran sanguinaire impuissante viclime, Toute ma joie etoit d'ajouter a son crime. Je T R A G D I E. 157 Je me fais un plaisir plus solide &: plus doux De cohrbndre Anaxarque, en nVimmolant pour vous. En ingrate aussi bien j'abandonnois la vie. De la perdrepdur moi n'eutes-vous pas i'envie? Vous seul me l'eussiez fait un moment regretter : En la perdant pour vous, je me vais acquitter. Lysimaque. Eh ! qu'esperer d'une ame & si haute Sz si fiere l Callisthcne sera moins sourd a ma priere; Et je vole ou d'abord j'aurois du m'adresser...* ( Voyant venir Anaxarque. ) Que vois-je ? Viendroit-on dqa vonsannoncer ?.... SCENE II. L^ONIDE, LYSIMAQUE ANAXARQUE. Anaxarque. V ous etes obeic, &: j'ai vu Callisthcne, Madame \ j'ai servi de jouet a sa haine ; Et &ans doute il se vante a vous de ses dedains ; Mais je deposerai nion sort end'autres mains ; Peut-etre mon amour se fera mieux entendre , Quand il vous parlera par la voix d' Alexandre. Que mon Rival heureux lapprenne avec efifroL i onu I. R 158 CJLLISTIliNE, Lysimaque. Et savez-vous quel est ce Rival ? Ana xarque. Non. Lysimaque. Cest moi. L* Amour rie reconnoit que sa seule puissance ; Hade mon cote fait pencher la balance; Vantez moins un pouvoir qui peut vous aveugler; Si vous ne le bornez , c'est a vous de trembler. SCENE III. L&ONIDE, ANAXARQUE. Leonide. jl erfide! apres avoir, dans ta folle poursuitej Essuye les mepris qu'un inscnse mcrite , Du Rival accompli qui sc voit preferer , La presence manquoit pour te desesperer. Voila le digne objet de mes feux legitimes. Compare, en le voyant , ses vertns a tcs crimes > Et juge a qui des deux se donneroit mon cceur , Quand tu ne serois pas notre persecnteur. M te sied bien d'oser menaccr ce que j'aime ! T RAG D 1 E. i 59 Ah! sails doute on peut bien te menace" toi meme, Quand ton mauvais destin soulevc eontre toi , Ce Rival, tous Its Grecs, nos Dieux, mon Frere &moi. ANAXARQUE. Tant de haine me met en droit de tout enfreindre. Entoure d'ennemis , je m'en sens plus a craindre. Leur nombre m'enhardit a les mieux terrasser ; Et e'est trop en avoir , pour s'en embarrasser. Nous nousmenacons tous: voyons, a nos disgraces, Qui s'entendrale mieux a remplir ses menaces > Lequel saura mieux faire eclater son pouvoir, De ce dechiinement , oti de mon desespoir. L E O N I D E. Foible ennemi, que peut ton desespoir frivole? Mcfera-t-il, dis-moi, revoquer ma parole _> En d'execrables fers changer d'heureux liens , Et, des bras d'un epoux, passer cntre lei dens J Anaxarque. D'un epoux! Quelle image ! 11 ne Test pas encore. De ce titre, a mes ycux, malhenr a qui s'honore! Tout doit epouvanter , tant qu' Anaxarque vit , Et qui le lui refuse 6V qui le lui ravit! 11 n'est rien , direz-vous , que votre ame n'affrontc ; Vous craignez peu la mort ; mais vous craindrez la honte ; Et vous vous en couvrez, expirant , en ce jour, Victime du devoir, moins que d'un fol amour, Callisthcne recombe en un peril extreme , Rij i60 CALLISTKti X E> Que vous pouvez , d'un mot, faire cesser vous-meme* Maitresse de mon cceur, vous l'etiez de son sort; Et vous n'aurez , pour lui, pu faire un noble effort. Mourez dans cet opprobre : oui , que la Grece entierc Vous reprochc a jamais le sang de votre Frere 1 Ayant pu le sauver , & ne l'ayant pas fait , Que sa mort vous fietrisse &: soit votre forfait I SCENE IV. L^ONIDE. jEh ! penses-tu savoir, penses-tu que j'ignore Et ce qui rend celebre , &: ce qui deshonore ? Pour garants de ma gloire , en cette occasion , Je ne veux que ta rage & ta confusion. S C N E V. ALEXANDRE, LEONID E. Alexandre. IfyJoN estime pour vous, &: cclle de laReinc, D'un premier mouvcment ont sauve Callisthene, Madame; & si j'en use encore avec douceur , II en est redevable a son illustre Sceur. Faites voir a l'ingrat jusqu'ou va ma clemencci T R A G D 1 E. 161 Et , de son procede reparant 1'imprudcnce > Portez-le au repentir d'une temerite Qui de son Bienfaiteur lasse enfin la bonte. L E O N I D E. Avant que de la sorte avec lui je m'exprime, De grace, apprenez-moi vos bienfaits& son crime. Ne vous devant qu'un rang dont il fait pen d etat, Jeconcois peu, Seigneur, qu'il pnisse etre un ingrat. Alexandre. Je ne vous parle point du rang que je lui laisse. Ce detour affecle sied mal a la sagesse. Sparte est votre pays , Madame, &: vous feignczi Je parle de ses jours trop long-temps epargnes; Je lui reproche , en Roi desormais inflexible , D'abuser du pardon d J un attentat visible, Leonide. Et c'cst lui qui jamais n'eut du vous pardonner D'avoir d'un attentat ose le soupconner ; Ose par cet affront blesser, en sa personne, L'honneur de Leonide fk de Lacedcrnone. C'est ce que , de ma part, je n'oublierai jamais. Voila sa iute: ou sont maintenant vos bienfaitsi Alexandre. Parmi ceux que repand ma bonte meconnue , Madame , on pourroit mettre encor la retenue Que ma rare indulgence oppose a vos discours* Riij i6i CALLISTH&NE, Votre Frere est coupable ; il le sera toujours; Et je ne sens que trop a 1'nne 6V l'autre audace, Quil est temps que l'effet succede a la menace. L E O N I D E. Et ne pent-on savoir , en blamant sa fierte , Par ou vous a deja deplu sa liberte ? Alexandre. J'ai dn Monde a mes Grecs propose la conquete; Tons bruloient de me suivrc ; 6V sa voix Ies arretc, Mon dessein 3 par lui seul , est blame hautcment. L E O N I D E. Peut-il penser en Sage , 6V parler autrement ? De meurtre 6V de butin la Soldatesque avide Ne vous snivra que trop ou son penchant la guide; Et , cherchant du desordre a prolonger le cours , A la fureur de vaincre applaudira toujours. Mais, autant la distance estgrande d ordinaire, Entre la voix du Sage 6V: le cri du Vulgaire, Autant l'on en doit mettre, autant l'espace est grand, Entre le vrai Heros 6V le vrai Conquerant. J usqu'ici de la Grece epousant la querelle , Vengcur interesse de vos Etats 6V d'elle, Quelque rayon de gloire a consacre vos coups j Vn pas plus loin, Seigneur, il n'en est plus pour vons ; Vous touche t cl!e encor? Soyez modeste 6V tendre* Wctirez sur taut de sang qu il a fallu repandre T R A G E D I E. i6j Pleurcz sur ces efforts d'aveugle cruautc Que la gloire d'un Roi coiite a l'humanite. Qu'apres I'heureux guerrier Fhommeea vous sedeclare. La valeur a detruit ; que la bonte repare. Ce fer qui vous rendit la terreur des bumains , Vous en rendroit l'amour , en vous tombant des mains, Supposons vos succes , &" que tout vous seconde >' Que deja vous touchez aux limites du monde ; Supposons tout vaincu , soumis & terrasse : Votre course a fini ; le torrent a passe > Le tourbillon de flamme a devore sa proie ; L'indomptable Ocean l'eteint 6V vous renvois. Malgre vous , sur vos pas force de retourner , Quel fruit de vos exploits va vous environner ? La desolation , Thorrenr 6V le ravage. Votre propre degat nuit a votre passage. Des chemins disparus sous tin fleuve elargt Par des ruisseaux de sang dont vous l'avez rougi , Quclques debris fumans , des campagnes steriles ,. Des deserts empestcs ou florissoient des villes } Et des restes plaintifs de Peupies vagabonds , Composes de viei Hards &: d'enfans moribonds : Issu du sang d'Hercule , est-ce ainsi qu'on l'imite ? II protegea la terre , & vous l'aurez detruite. Vos soldats au pillage , au massacre acharnes , Sont autant de brigands qu'il eut extermines. Licenciez-les done : retournez a Larissc , Y remettre en vigueur les loix ik h justice ; Au grand art de regner, y borner vos projets , Riv *6 4 CALLISTHgNEt Et recfonner , en vous , un pere a vos sujets. Vous jugerez alors, aime , couvcrt dc gloire , Qnand ils veulcntse faire un beau nom dans l'histoirc, Lequel est , pour les Rois , preferable des c'eux , De cent peuples aux ferSj ou d'nn seul peuple heureux. Ainsi pense , &r peut-etre ainsi parle mon frere. Mais n'est-ee qu'en cela qu'il seroit trop sincere ? Est-ce, de sa vertu , tout ce que vous craignez ? VbusnVaccusezde feindre; & c'cst vous qui feignez. Votre orgueil mecontent renrerme une autre plainte : Je la penetre j &" , loin de blamer votre feinte , Dans un Monarque heureux, si plein de sa grandeur 5 Je ne puis qu'admirer ce rcsre de pudeur, Alexandre, A vos avis , trompe par une avcugle estime , J'abandonnois un Homme attcintde plus d'un crime. Pour vous servir vous-memc, & ne pas 1'egarer, Ma prudence auroit du plutot vous separer. Gardes ! faites chercher , amenez Callisthene. Vous cependant , Madame 3 allez pie's de la Reinc Dont la bonte veut bien me repondre dc vous : Prenez-y , croyez-moi 3 des sentimens plus doux , Ou vous me reduiriez a faire un double excmple, L E O N I D E. Lc fils de Jupiter est ici dans son Temple \ La revoke y sied mal a de foibles mottels ; & les Dieux sont a craiudrc au pied dc leurs auteis* T R A G D I E. 265 r~^~~~~ - ri mi 111 ! 1 ^ ' . .. r- I mmmmmm SCENE VI. ALEXANDRE. o ur leurTrone dumoins les Rois sont redoutablcs. Vous l'allez eprouver, ennemis indomptables , Pour qui je force en vain mon ame a la douceur. Que le raeme coup frappe & le frere & la soeur! Ou sommes-nous? Quisuis-je? Etqu'ose-t-onprctendrc, Qui done commande ici, de Sparte ou d' Alexandre? Ambitieux Monarque , avoue en rougissant , Qu en effet tu n'es pas ici le plus puissant j Que tu condamnes moins , qu'en secret tu n'admires L'austerite contraire a ce que tu desires , Et qu'a de si grands cceurs n'inspirant nul effroi , Tu peux bien moins sur eux,qu'ils nc peuven: sur toL ' SCENE VII. ALEXANDRE, CALLISTHENE. Callisthene. Ju EONIDE , Seigneur , confiee a la Reinc , Mes amis alarmes , la garde qui m'amene , Ce silence agite de mouvemens divers , Tout semble m'annoncer quelques nouveaux revcrs. Quels malheurs ai-je done attires sur ma tcte ? I ,e, calme. est , de bien pres , suivi de la tempete. *66 callisthne s La parole d'un Roi m'auroit-elle abuse ? Ou de quelque attentat suis-je encore accuse l Callisthene en est-il a son dernier outrage l Alexandre. C*est Iui que j'interroge , ingrat ! A quel usage % i/audacieux inet-il un bienfait tout recent ? Libre, ne peut-iletre, ou paroitre innocent? Pense-t-il > ou jesuis , que e'est lui qui domine ? Callisthene. Qui ? moij Seigneur I Alexandre. Vous-meme. Callisthene. Et plus je ni examine ,. Et moins .... Alexandre. Dans vos execs , retombe sur le champ , De quel esprit rebclle infe&ez-vous mon camp ? Qu'avez-vous deja dk ? Callisthene, Rien qui dut vous deplaire, Quelqu'un, pour vous Iouer, deprimoit votre pere ; Je ne crois pas Philippe un objet de mepris ; J'ai su le relever , sans abaisser son fils. J'ai dit que sa prudence egala son courage ; Que vous avez , sous lui, fait votre apprentissage , Que , si la mort ne 1'eut surpris dans son projet 3 T R A C IE D I E. 2*7 II eut pu faire un jour ce que vous avez fait ; Mais la Grece vengee , &: la Perse conquise , Qu'il n'eut jamais pousse plus loin son cntreprise : Et que.... Alexandre. Ce qu'il eut fait, ou non, n'importeenrien : Philippe eut son genie : Alexandre a le sien : Laissons-la mes desseins ; parlous de votre zcle. Pourquoi, lorsqu'Anaxarque, en Ministre fidcle Veut signaler le sien , &: l'inspirer a tous , Pourquoi rencontre-t-il un Adversaire en vous 2 Callisthene. Lui fidele cV zele ? Lui , Seigneur! Un perfide , Un monstre,trop long-temps fatal au sang d' Alcide 1 II est de mon devoir de vous desabuser ; Etoit-ce vous servir , que de nous proposer .... Alexandre. Arrcte. Callisthene. Eh quoi ! Seigneur ? Alexandre. Oui ! Respecle ou redoutc La majeste du rang de celui qui t'ecoute. Anaxarque n'a dit que ce que j'ai voulu , Que ce que je pretends , en Monarquc absolu. C est a moi que s'adresse a present ton audace. D'un met, depend ici ton supplice ou ta grace ; 2** CJLLIS THN, Ou pour on contre toi , fais un dernier effort 5 Parle: quel est ton choix ? Callis thene. Le silence & la mort. Alexandre. Voulant appeler ses Gardes j & se retenant. Malheureux Spartiate \ est-ce la ta sagesse J Ma clemence aura-t-elle a t'eparguer sans ccssef Qu'enfin ton coenr se dompte a l'exemple dn mien La colere est mon foible, & lorgueil est le tien j Je me sais moderer : ne peux-tu me complaire 1 C A L L I S T H E N E. Non 5 des qu'il faut qu'a. vons , qu a moi-menae contraire, Cette soumission serve a vous egarer y Ec que je contribue a vous deshonorer. Alexandre. Oppose-moi du moins de plausib'es obstacles. Quel deshonncur pent suivre un decret des Oracles? De fils de Jupiter ils m'ont domie le nom ; Vousm'environniez tons dans le Temple d'Hammon ; Ce Temple est demes droits legarant &: l'Arbitrc. Callisthene. Un Prctre qu on suborne , etablit mal un titrc* Je vous le dis alors ; & ce trait d'amitie Fue le premier instant de votre inimme, TRAGEDIE. z6 9 Alexandre. Cest que de l'Univers tu m'arrachois l'einpuc Car enfin (puisqu'il fautou te perdre , ou toutdire ) OuiJ'achetai des Dieux I'organc interesse* Mais le prestige impose au Vulgaire insense. De celni-ci d'abord tu vis naitre ma gloire; C'cst lui qui , sur mes pas , a fixe la victoire * Le Soldat , de la foudre , a cru son Chef arme; Et le plus grand peril ne la plus alarme. J'aime a vaincre. Que vent ton humcur inflexible? Detruirai-je une erreur qui me rend invincible ? Puis-je, par des dehors &: par de vains honneurs, A trop de confiance accoutumer les coeurs? Cet hommage , apres tout , quetu crois sacrilege, Du trone de Cyrus ctoit un privilege > Darius en jouit jusqu'au dernier moment. Callisthene. Sa deplorable chute en est le chatiment. Craignez des memes Dieux la colere equitable ; Vous en avez etc i'instrument rcdoutablc i Ne vous en rendez pas le malheurcux objet. . Si rien ne peut changer votre vaste projet , En vrai Heros, du moins, n'cmployez dans la L:cc, Qu'un courage epure de tout lachc artifice, Et ne vousaidez pas d'un criminel abus Qui mettroit le Vainqueur au-dessous des Vaincus. Qu'a la simple valeur , la palme s'attribuc. Vous ignorez les bruits dont la Grccc est imbue : J'ose vous en instruire : Alexandre ., uit-on , *7<> CJLL1STHENE, Et cfRercule & d'Achille indigne rejeton > Compte surses Devins j plus que sur son courage * A VAugure imposteur suggere le presage ; De sorte quau succes qui I'aveuale aujourd'hul^ Le Pontife Aristandre a plus de part que lu'u Honteux d'etre lefils d'un Roi que I'on revere y En voulant ctre plus , Vorgueilleux digenere j Et perdj en se donnant un Pere entre les Dieux 3 Leur appui _, son renom & ses propres Ayeux ; Veritts qu'un Monarque aussi fier qu' Alexandre , Au milieu de sa Cour , est etonne d'entendre ; Mais le voyant au bord d'un precipice affreux , Mc taire , ce seroit nous manquer a tous deux. Tremblez done, comme moi, du sort qui vous menace. 'Qu'allez-vous faire ? Armer , justifier l'audace Des premiers qui voudront attenter a vos jours , En tcrnir a jamais le memorable cours , De bruits injurienx vous rendrc la viciime , Et le jouet des Grecs dont vous etiez l'estimej Enfin , de Roi cheri , glorieux , respecle , Devcnir ( le dirai-ic? ) un Tyran detcste. Eh ! qui voudroitdes Dieux, a qui tout rend hommage , Dans un Promateur , reconnoitre l'iniage ? Pour qui, vous elevant contre ces Dieux jalotix , Vous croircz-voussacre, si rien nc Test pour Vous? Je ne puis dire moins , sans vol's ctre infidele. Vous aimates long-temps , en moi , ce noble zele ; Vous l'exigcates meme , &" l'ordre en fuc pressantj J'y defere ; & je meurs , en vous obeissant. T R A G E D I E. * 7 Alexandre. Non, vous nc mourrcz point. Sortez-, allcz attendrc L'effet qu'aura produit ce que je viens d'entcndrc SCENE VIII. ALEXANDRE. JL U vivras , temeraire ! oui , mes ressentimens Te reservent aux fers , a la honte , aux tourmens* L'exemple fera plus que n'eilt fait ton suffrage. Ton orgueil a paru ; nous verrons ton courage , Quand tu seras , au gre de ma juste rureur , Un objet de mepris , d'epouvante 6V d'horrcur. SCENE IX. ALEXANDRE, LYSIMAQUE. Lysimaque. .A.H ! Seigneur ! Qu'ai-jeappris ? Leonide & son Frere. Alexandre. Je l'avois epargnc , Prince, a votre priere ; Pour assurer sa grace , il n'etoit qu'un moyen ; L'ingratl'a neglige: je n'ecoute plus rien. ( il son. ) LYSlMAQUE/ sulvant. Quoi ! vous pourriez , Seigneur ? . ... %7l CJLL1ST H &JSTE, Alexanbre. Je le laisserai vivre. Lysimaque. Vows me fakes trembler Alexandre s'atrhanu Gardez-vous de me suivre ! Un pas, un mot vousperd, sans rien faire a son sort* S C N E X. LYSIMAQUE. \s 'en est faitril est temps que je courre a lamort Le Tyran se declare \ &: la Grece est captive. Je n'ai trouve par tout qu'une pitie craintive. Mourons \ mais n'arr ivons a ce terme fatal , Qu'en vengeant ceux que j'aime, cV qu'apres mon Rival Fin du quatrlemc Acte* ACTE V, TKAGtDIE. 271 A C T E V. SCENE PREMIERE. CALLISTHENE. ui m 3 a done ose tendre nne main secourable ? D'oOt nait ce changement subit & favorable ? Quelle etrange aventure , en ce lieu deserte , Quand tout me menacoit , me Iaisse en libeite ? On me lit un Arret dicti par les Furies ; Ellesy deployoient toutes leurs barbaries ; Des bras de Leonide aussi-tot arrache , Et , par d'indignes mains , deja meme attache , J'allois n'etre bientot, sous vingt bourreaux infancies, Qu'un corps defigure par le fer & les flammes \ Sur un ordre , au moment de ce funeste appret , Tout cesse : on me delie ; & chactin disparoit. Je suis senl ; &: par-tout rcgne un profond silence N'auroit-on pretendu qu eprouver ma Constance \ A mes regards, quelqu'un ne s'orrrira-t-il point ? Ne pourrai-je, . , 4 Tomt L S t74 CA LL1S TRiNE, SCENE II. CALL1STHENE, LEONIDE. Callisthene. jl\\1 ! masoeur ! quelhasard nous rejoint, Et suspend le supplicc anqucl on me condamne ? Qui done agit pour nous ? L E o N I d E. Vos vertus &: Roxane. D'un Arret si cruel la Reine ayant horrcur , De son barbare Epoux a trompe la fureur. Sabonte, pour donner l'ordre qu'elle hasarde , A saisi le moment que , suivi de sa garde, Un tumulte efrroyablc a fait sortir le Roi. Mon frere ! aux temps , aux lieux cedons 6V vons & moi ; Fuyons ! je n'ai pali ni pour Tun ni pour l'autre, Tant que je n'ai prevu que ma mort & la votre ; Entre elle &: cc depart , ayant meme a choisir , J'ai decide tantot pour elle avee plaisir , J'avois, dans cet cspoir , quitte Lacedcmone. Maistoute ma Constance, a ce coup, m'abandonne. Je n'ai pas assez craint, & j'ai trop espcre. Un Tigre , de nos pleurs 2c de sang altera , Veut epuiscr sur vous unc rage tranquiile ; Vons priver d'une mort, pour vous en donner milie > Et, courbe sous le poids de l'opprobre & desrers, Vous trainer, en spectacle , au bout de I'Univers. T R A G E D I B. 175 Plus le courage est grand, plus Vimage est afireusc* Secondez d'un ami la pitie genereuse. A notre evasion Crater us attentif , Dansle trouble ou tout est, nous prepare unesquifj Ce trouble peut cesser : il a ccsse peut-etre ; De l'un a l'autre instant, le Roi peut reparoitre. Fuyons. Callisthene. Fuyez , ma sceur , fuyez seule ; &r laissez Une vi&imc pure aux Dieux trop offenses. Que dis-je ? Eh! suis-je done cette pure viclime ? Sparte ,he!as 1 n'a que trop a m'accuser d'un crime. Contre sa volonte , la mienne m'a banni. Je n'ecoutai que moi : j'en dois etre puni. Ouijj'ouvreenfinlesyeux j j'ai crune servir qu'elle:, J'ai servi son Tyran: je ne suis qu'un rebelle ; D'un saint devoir , mes pas se sont trop ecartes ; Erreur, ou crime , adieu ; j'expierai tout. Partez ; Faissez-moi d'un cruel lasscr ici la rage : Votre seul interet ebranloit mon courage. Vos jours en surete , j'aimerai mes tourmens : Recevez le dernier de mes embrassemens - y Partez ; tk de mon sort instruisez la Patrie. Pour meriter l'bonneur de l'avoir attendee , Son criminel enfant , inebranlable aux coups t Va mille fois mourir digne d'elle & de vous. Leonide. Ah ! si le sang jamais cut des droits sur votre ame..,. % ij \y9 CALLlSTHiNE, S C N E III. CALLISTHENE, LJ&ONIDE, AGAMEE disarm^ A C A M E E. *UE delibercz-vous, Seigneur, Sz vous, Madame? Craterus alarme se plaint de vos delais. C'en est fait , si le Roi vous retrouve au Palais ; Et c'est dcja, pour nous , nne assez rude attaque D'avoir , en ces momens , a pleurer Lysimaque. . . . L E O N I D E. Lysimaque. . . . A G A M E E. Subit 1c plus horrible sort. II vcnoit , prcs du Roi , de faire un vain effort , Anaxarque suivi d'une foulc assidue , Aux portes du Palais , s'est offert a sa vue : Du geste 6V de la voix, il l'appelle au combat , Le joint malgre les siens ,nous en venge, eW'abat. Contre une multitude a sa pcrte animee , Je soutiens , quelque temps , sa valeur opprimce ; Mais le sort enviant cet honneur a mon bras , Rompt, dans mcs mains, lc fer qui s'cnvolc en eclats. Tous, a la fois, bientot le prcssent & l'entourentj Alexandre , a ce bruit , 6V scs gardes accoi.rcnt ; Le nombre enfin l'accable ; il succombe,. 6V soudain, D'un Lion dechaine, dans le Cirque prochain , T R A G D I E. 277 Le Roi , sourd a nos cris, veut qu'il soit la pature. Quelle mort , juste Ciel ! & quelle sepulture J J'ai couru , sur le champ , I'apprendre a Craterus Qui m'apprend a son tour qu'on ne vous garde plus. L'esquif appareille vous est un sur asyle ; Un seul instant perdu peut le rendre inutile. Hatez-vous; eV , daignant profiter de nos soins Callisthene. Je nc le voulois pas : je le veux encor moins. L E O N I D E. Nousdevons tout a ceux qui vers nous vous envoient 5 Mais vainement pour nous leurs amities s'emploienL Qu'on nous oublie. Agamee. O Ciel L E O N I D E. Sortez , de grace. Agamee. Eh quoi! ... L E O N I D E. Sortez j nous le voulons. Agamee. J'obeis malgre moi > Et vais, dans tout le camp qui pour vous s'intcresse y Ptibliant vos refns , redoubler la tristesse* S iij i 7 8 CALLISTHiNE, SCENE IV. CALLISTHENE, L^ONIDE. L E O N I D E. A L expire ! il n'est plus ! & Callisthene , hclas I Se vone a. des tourmens qui ne finiront pas. O Destin 1 je te cede , &: je te rends les armes ! Triomphe ! &: reconnois ton pouvoir a mes larmes ! Callisthene. Cachez-Ies, en fuyant-, & laissez ignorer Qu'on ait jamais reduit Leonide a pleurer. Fuyez 1 il en est temps encore. Leonide. Queje fuie! Ah ! je n'ai desormais rien a fnir que la vie i N'en parlons plus. Callisthene. Les Dieux ne sont done pas content i)c ce coup imprevu , ni de ccux que j'attends ? II raut encore 3 il faut que ma sceur me refuse. . . . Leonide. N'ai-je pas votre cxcmple , &: mcrac votrc excuse Vous vous ditcs coupablc; &" qui l'cst plus que moi? Jai fait renaitre ici la discorde fk VefFroi. T R A G E D I E. 27? Tout, sans mon arrivee, alloit changer de face. Anaxarque partoit > vous repreniez sa place; Alexandre auroitcraintlcs Dieuxqu'ilmeconnoit, Le Flatteur eloigne , le Tyran disparoit. Lysimaque sur lui n'eut point grossi d'orage v , Et sa perte &: la votre enfin sont mon ouvragc Ma fatale presence a seule ici porte Le Maitre &: le Ministre a la temerite. Saisi de votre sceur , sur un gage si tendre , Le premier a , de vous, cm pouvoir tout pretendre > t Tautre , dans ma vue , a repris le poison 9 Source de nos malheurs , & de sa trahison. Oui , mon frere , la peine a moi seule en est due ! Oui , cher Amant, c est moi, moi senle qui te tue I Je suis le monstre affreux qui t'a fait expirer , Et par qui je te vois, je te sens dechirer ( Elk veut sortlr. ) CALLlSTHENE/fl retenant. Quels sont done ces transports ou votre esprit s'egarc : Ma sceur ! ou courcz-vous ? L E O N I D E. Au-devant du barbare, Pour obtenir de lui , Tirritant de nouveau , Et le meme supplice , &; le meme tombeau. .. Dieux ! que vois-je ? *$* S iv i8o CALLISTHiNE; SCENE V. CALLISTHfeNE, llONIDE, LYSIMAQUE. L E O N I D E. JCi st-ce vous que le Ciel nons renvoie, Lysimaque? D'un monstre on vous disoit la proie j Monfrere en gemissoit j & je vous ai pleure. Lysimaque. Jylon trepas ne pouvoit ctre plus honore. ( Bas a Callisthene j en Vembrassant ) Mais , helas ! quelle fin j'apporte a nos miseres \ Et quel prix je reserve a dcs larmes si chcres ! (haut.)Qm , venge du plus grand de tons nos ennemis, Et tout couvert du sang de ses laches amis 3 Pour prix d'une action que le Ciel justifie , Dans un Amphitheatre , on exposoit ma vie. L'indignite du lieu m'en a cache l'horrcur. J'ai , quoique desarme, combattu sans terrcur. Le paisible depit qu'inspire un vif outrage , Joignant en moi l'adresse &: la force au courage 3 D'un Lion dans mes bras , stir Tarene , etouffe, J'ai , par un rare crTurt , pleinement triomphc. Ma vi&oire a du Roi reveille la tendresse j A cherirla valeurson projet i'interessc : Et Testime qu'il fait de I'intrepidite , TRAGED1E. iSi A pour moi , dans son coeur , tenn lieu d'equite. II oublie Anaxarque , il me flatte , il m'embrasse ; De vous voir sans temoins, il m'accorde la grace , Espcrant que ma vive & pressante amide Vous fera de vous-meme avoir quelque pitie. Cependant averti de ce qu a fait la Reine , Et qu'un moment plus tard , sa colcre etoit vaine , Pour remplir sa vengeance, & se Tassurer mieux, 11 fait , par sa Phalange , environner ces lieux. Tout nous devient ainsi de plus en plus contraire. 11 attend ma reponse ; & je viens done. . . . Callisthene. Le voyant s'interrompre d'un air cmbarrasse. Quoi faire ? Dementant votre cceur par de laches propos , Me dire d'immoler ma gloire a mon repos , Et tous les Dieux de Sparte 3 a l'idcle d' Athene 1 Vous en flatteriez-vous ? Lysimaque. Non , mon cher Callisthene ? Non ; ie n'ai ni voulu vous parler d'obeir, Ni cru que , jusqucs-la, vous pourriez vous trahir. Rendez plus de justice a qui sait vous la rendre. J'ai toujours, comme vous, rougi pour Alexandre; Je sais que ce qu'il cse exiger aujourd'hui , Est indigne & de vous &: de nous &: de lui ; Mais jene sais pas moins le sort qu'il vous apprete \ t2i C ALUS Til ENE 3 Et je veux, a ce sort, derober votre tete ; Dun peril efFrayant je viens vous delivrer ; Et c'est par un chemin que je vais vous montrcr. ( a Leonids. ) Ce chemin pent avoir ses dangers &: sa peine ; Scparons-nous, Madame, &" rentrezchez laReine; D'autres lieux, d'autres temps sauront nous reunir. L E O N I D E. Quels etranges discours ose-t-on me tenir l CALLISTH ENE has a Lysimaquc, Pour moi je vous entends: vous m'apportez sans doute Dequoitrancher, d'un coup, des jours que je redoute? Lysima que has. D'une rare amitie triste &" dernier effort ! Callisthene. Et present que la mienne attend avec transport, Lysimaqu e. Madame , au nom dss Dieux.... Callisthene, Ma Soeur daignez vous rcndrc Aux alarmes d'un cceur & si noble cV si tendrej Et, puisqu'on le desire, cloignez-vous j rentrcz. Leonide, Ou vous vivrez , je vis ; je incurs on vous mcurrez. T R A G E D I E. iSj CALLISTHENE a Lysimaque. Que sa vue, apres tout, n'air rien qui vous retiennc; Sa fermete doit etre, est egale a la mienne ; Faisons que seulement sur ces bords etrangers , Puisque j'y cours encor de visibles dangers, Faisons , si j'y succombe , au moins qu'elle rctronve Un appui que son cocur &r que sa gloire approuve; Et qu'en perdant un Frere , il lui reste un Epoux. Vous avez desire long-temps un nom si doux; Recevez-le de moi , Seigneur ; je vous le donne. Je puis representor ici Lacedemone , Et cesser de remettre a des temps, a des lieux , Ce qri peut s'accomplir a la face des Dicux. Lenr vrai Temple est par-tout ou le soleil eclaire: Toute ame vertueuse en est le sanexuaire -, Et ces Tcmoins sacres d'nn chaste ensjaeement, Voudront bien que je sois leur Ministre un moment. Ma main done, devant eux, 1'un a. l'antre vous lie. Lysimaque , aujourd'hui vous changez de Patrie, Qu'aujourd'hui Sparte en vous acquicre un Citoyen Digne de son aveu, comme il le fut du mien. Lysimaqu e. Oui , j'aurai merite cette faveur insiene : Oui , Seigneur ; &: voila comme je m'en rends dignc ! CALLISTH ENEj/ai enlevant Uvolgnard dont il veut se frapper. ConXre vous-meme, oCiel ! Pourquoi cet attentat? 284 C ALUS TH NE y Lysimaque. Si vous ne Pachevez vous etes un ingrat ! Cruel! a millc morts en venant vous soustraire, Je ne me rescrvois que ce coup pour salaire ! Au nom des nouveaux nceuds qui m'attachent a vous Au nom de Pamitie qui ne meurt qu'avec nous, Frappez ! Callisthene. Jcune insense I Lysimaque. Vous etes inflexible ! Leonide. Voila done ce chemin si facheux, si penible? Lysimaque. Et 1'unique ! Oui , Madame. Helas , mon desespoir Croyoit donner Pexemple , &: non le rccevoir 1 Callisthene. Vivez; le vrai courage a tons deux vows Pordonne ; Vivez. Je n'ai d'exemple a prendre de personne ; Et vous n'en avez point a recevoir de moi. Sparte vous redemande & vous a sous sa loi ; Sachez la respecter. De quel droit, je vous prie, L'un ou l'autre osc-t-il attenter a sa vie ? Quel infame appareil le vicnt cpouvanter > Quels affronts , quelle home a- t-il a redouter ? TRAAG&DIE. 185 Soutenez tout le reste , &" laissez aux barbares , Aux Scythes, auxRomains, ces exemples peu raresj Vrais a&es de foiblesse ou de fcrocitc , Plutot que de grandeur &: que de fcrmete. Et qu'a de glorieux une mort volontaire , Si Thonneur en peril ne la rend necessaire ? L'Homme de coeur alors est en droit d'ycourir ; Jusques- la , son triomphe est de savoir souffrir \ D'opposer la Constance a la force inhumaine ; En un mot de porter , non de rompre sa chaine. Voyez-moi done en paix terminer mes ennuis; Et craignezpeu, pour vous,les horreurs que je fuis. La colere du Roi ne veut qn'un sacrifice ; Le repentir en lui suit de pres l'injustice. Qnand du sang de Clytus il eut rougi sa main, Sans moi , du meme fer , il se percoit le sein. De raon sang repandu , ses vertus vont rena'itre. J'oseenrepondrc. Onvient. C'estluiquivaparokre. Leonide , il est temps qu'une noble fierce Rappelle tous vos sens a leur tranquillite. Souvenez-vous qu'aux lieux ou nous primes naissance , Un soupir est honteux a la plus tendre enrancc ; Et que Ton n'y permet de douloureux transports , Qu auxames que le crime abandonne aux remords. 1 V- i8 CA LLIS T H& NE, SCENE VI. ALEXANDRE, CALLISTH&NE, LYSIMAQUE, LEONIDE, GARDES. Alexandre. o>rend-il,Lysimaque, anx avis qu'on lui donne? L'appareil qu'il a vu n'a-t-il ricn qui 1'etonnej A mesordres, Madame , est-il enfin soumis ? Consent-il a sa pertc , ou sommes-nous amis ? Jeme flattoisen vain ; ce trouble me l'annonce. L E O N I D E. Mori frere est devant vons ; recevcz sa rcponse. (Elbe tombe tvanouie dans bes bras de Lysimaque qui I emmene. ) SCENE V I L ALEXANDRE, CALLISTH&NE. ALEXANDRE voyant CaVistbiene emu. o>oupiRE.Iltesiedbien deles plaindre, inhnmain, Q land e'esttoi qui leur merslc poignard danslesein! hiais sur ton front , deja renait la folic audace. Vas ! pnisquc ni raison , ni douceur , ni menace , Que le sang , l'amitie , que rien ne te ficchitj Peris dans les tourmens I TRAGDIE. 187 CaUISTHENE frappant Ce coup m'en affranchit. Alexandre. Que vois-je? 6 trahison ! Gardes, qu'on le soutiennc. Quelle main temeraire a done arme la sienne l Callisthene. Alexandre , ecoutez les Dieux qui , par ma voix , Se font entendre a vous pour la derniere fois. De votre ambition , belle en son origine , L/edifke ebranle , penchant vers sa mine , Peut n'etaler bientot que de vastes debris Disperses par le Sort & livres au mepris. De TKydaspe tk du Gange asservissez les rives ; Qu'Amphytrite gemisse au rang de vos captives ; SMI sc peut meme encor , franchissez rOccan , Et d'un Monde inconnu devenez le Tyran j Vous aurcz su courir par-tout, hors a la gloire. Pour qui ne sc peut vaincre, il n est point de victoire > Et, son bonheur frit-il mille fois plus constant, Tous ses exploits ne sont qu'un forfait eclatant. Ces plans pernicieux de conquete ck de guerre , Quel 110m de vous, Seigneur, laisseront-ils sur Terre? Vous vous y serez cm le rival glorieux , Et vous n'aurez ete que le rlcau des Dieux. Ah ! de ces Dieux plutot redevencz l'iraage ! C'en est faic : votre nora doit passer d'age en age*, i88 C ALUS T Hi NE , Tout ce que vous ferez ne va plus desormais Qu'en assurer le gloire ou la honte a jamais. Redevenez ce Prince admire dans Athene , Qui , de Lacedemone , attira Callisthene ; Dont le moindre merite , alors , fut la valeur j Qui , des Thebains detruits repara le malheur ; Qui , d'un Roi fugitif respe&a la miscre , Dans ses filles } son fils , son epouse &: sa mere ; Qui de cet ennemi pleura la triste fin , Poursuivit la vengeance tk punit l'assassin. Remontez seulement aux vertus que vous eutes; Ne soyez que vous-meme &c que ce que vous futes ; De fideles sujets & d'amis entoure , Sans 1'exiger alors vous serez adore. A ce prix , je benis le coup qui nous separe. Alexandre. Et moi , je le dcteste! Ah ! Qu'as-tu fait, barbare ? Callisthene. De mon dernier pouvoir, un precicux emploi : J ai satisfait ics Dieux, Sparte, Alexandre &: moi. Alexandre. II se meurt! Entcndsmoi! Suspends tadernierchcurc Callisthene , triomphe ! Alexandre te plcure : Ouvre les ycux ! Callisthene. Amis , otez-moi de cc lieu , J'ai touche votre Prince \ &C jc meurs libre. Adieu. SCtSE T R A G E D 1 E. 489 SCENE VIII & derniere. ALEXANDRE. ortes-en chez les Morts lanouvellea mon pcrc; Apprends-lui de quel prix , son fils qui degencre, Recompensa ton zcle &" paya son amour. Eh bien ! es-tu content , monstre indigne du jour ? Rcgne en paix !Tu n'as plus de Censeur qui te blcsse. Ton Trone est affranchi du joug de la Sagesse. Devant elle , en secret , n'ayant plus a rougir , Ton orgucil , a son gre , desormais pent agir. Rcgne, abuse enTyran des droits du Diadcme ! Maitredetout, demeure esclave de toi-meme ; Et, ne meritant plus d'etre au rang des humains, Aspire encore, aspire a des honncurs divins ! Malheureux! cV je veuxqu'on m'aime! & je I'espcre! Ah ! Majeste des Dieux ! 6 Manes de mon pere ! Par un mortel ingrat vous futes outrages : Callisthene n'est plus i vous etes bien venges. La voix par qui des Rois la vertu se reveille, Pour la derniere fois , a frappe mon orcille , Tout salutaire avis de ma Cour est exclus ; L'utile Verite n'y reparoitra plus. L'erreur , les passions , des Courtisans perfides ; Voila donc,justes Dieux, laressource& les guides Tome I. T % 9 CALLISfHIiNE > TRAGtDIE. Qui me devoient conduire a I'immortalite ! Sous quel nom passerai-je a la posterite ? La fin de Callisthene est mortelle a ma gloire. De nos regrets du moins consacrons la memoire ; Et prive pour jamais de mon plus ferme appui, Allons combler d'honneurs ce qui reste de lui. Fin du cinquieme & dernier Acle. L'AMANT MYSTERIEUX C O M D I E. Representee par les Comediens Francois , eft Juillet i 7 3 4, AVERTISSEMENT. CJette Piece fut d'abord faite en un A&e , pour une Fete qui se donna chez des Person- nes de consideration. L'indulgence due a la precipitation d'un Auteur officieux, &: quel- ques applications faisables du cara&ere prin- cipal dc cette Piece , a quelqu'un de cctte Societe , reunirent les suffrages en ma faveur, au point de faire souhaiter qu'elle fut mise au Theatre public. Je sentis assez la difference des lieux pour retoucher l'ouvrage \ mais noa pas, comme j'aurois du, pour lebruler. Mcs yeux ne s'ouvrirent que deux ou trois jours avant la premiere representation : mais ii etoit trop tard. Ma vanite se satisfit a predirc ma honte ', & le Public remplit parfaitemeiit la prophetic. La Piece fut bicnsimee,coinmc eile le meritoit; 6c disparut du jour au len- demain. La Pastorale des Courses de Tempi , donnee a la suite , fut assez bicn recuc ; ce qui m'engagea de dire a ceux qui m'embras- soicnt en sortant : Messieurs , balse^-moi sur cette joue j & soufflete^ l' autre. PERSONNAGES. G RONT E , Pere d'lsabdle. ISABELLE, Fillc dc Geronte. V A L & R E, Amant d'lsabdle. PASQU1N, Valtt dc VaVerc. LI S E T T E , Suivante d'lsabdle. La Scene est deyant la Malson de Gerontt I/AMANT MYSTERIEUX , C O M E D I E. 6 'V AM ANT MYSTiRIEVX* V A L E R E. Tu les crains done ? Pas q u i n. Beaucoup ! V A L E R E. Ehbien! evite-les. Pas q u i n. Vous ne m'avez pas vu , je crois , courir apres. V A L E R E. Oh ! sans courir apres , souvent on les attrape. Tout ce que Ton te dit de ta memoire echappe- Ne t'ai-je pas cent fois defendu , mairre sot , Quand Isabelle, ou moi, te chargerions d'un mot, D'oser jamais , a moi , la nommer Isabelle , Non plus que moi jamais, Valere , devant elle ? Et tu laches sans cesse &: Tun &: l'autre nom, P A S Q U I N. Reste a savoir comment vous nommer tous deux. V A L E R E. On. P A S Q U I N. Valere. P a s q u i n. Monsieur on 3 Madame on 5 On? Oui ; on. C O M E D I E. 197 V A L E R E. Ni Madame , Ni Monsieur. On , tout court , &: pour homme &: pour femme. Par exemple , pour elle. On vous fait avertir; On venoit de rentrer j on veno'u de scrtir ; On est triste ., on est gale j on vous halt ; on vous aime ; Ongronde; ainsidureste; &" pour moi, tout dememe. P A S Q U I N. On n'y manquera pas ; on a trop peur des coups j Car je ne m ose pas nommer non plus que vous. V A L E R E. Tu te crois nn plaisant ; tu n'es qu'un ridicule As-tu vu de ma part le rimeur Crotambule I P A S Q U I N. Oui 3 vos couplets se font. V A L ERE. Tu ne m'as pas nommc i P a s Q u I N. Non. V A L E R E. Ni designe ? P A S Q U IN. Non. V A L E R E. Et t'es bicn exprime 2 i$i VAMANT MYST&RIEUX* P A S Q U I N. Tres-nct. V A L E R E. Voyons. Dis-moi , mot a mot & repete Ainsi que tes propos , tes propos du Poetc. P A s Q u I N. Oui-da , Monsieur. Je veux des couplets de Chanson. JEt combicn ? Plus que moins. Volonticrs 3 mon Gar con* Etsur quoi ? Sur P Amour. Sur quel air f II n'importe. Pour qui ? Si je le sais , que le Diable m'emporte. Ht tohjet , quel est-il ? Tendre ou non j fier ou doux ? Tout commeil vous plaira. Blond i brun,chatain,gris.,roux a C'est tout un. Diable aussi la matiere est trop vague* Accommodez-vous-en. Veut-on quej'extravague ? En un mot, faites-nous la de ces vers touchans .... ( Ici V alere chante en homme distrait & qui pense a. autre chose ). Bon! ne voila-t-il pas deja mon homme aux champs 1 . {a part.) II ne m'ecoute plus. Qu'on est sot , quand on aime ! V A l R E. Je t'cntends, &: t'approuve : agis toujours de mcmc Tu seras quelqucfois porteur d'un demi-mot , D'un geste , d'un coup d'ceil ; rends tout en Idiot. Pais machinalement tout ce qu'on te fait faire , Dis commeon t'aura dit: tais cequ'on te fait taire; Tu nous cntendras mal. Mais crois qu'on s'cntend bien, C O M E D I E. %of P A S Q U I N. Le Ciel, a votre esprit , subordonna le mien : Ne me chargeassiez-vous que d un monosyllabe ; Ce mot fut-il hebreu, grec , iroquois , arabe ; Me voila Perroquet , &: Pantomime : mais Que pretendez-vous faire encor de ces couplets^ V A L E R E. Je veux, par eux, ce soir , finir ma serenade. P A S Q U I N. Je la finirois mieux. V A L E R E. Comment ? P A S Q U I N. Par l'escaladc. Ma foi,Monsieur, la nuit, dans les mains d'un amant, Une echelle de corde est un bel instrument. V A L E R E. Oui , si c'etoit au bas du balcon d'Isabelle. Songe done P A S Q U I N. A propos ! ou diable est ma cervelle 2 Et ce portrait , Monsieur , accompagne de vers ?. V A L E R E. Elle ne l'aura pas. P A S Q U I No Tant pis ! V A L E R E. D'oii vient i $oo VAMANT MYST&R1EUX, P A S Q U I N. V A L E R E. J'y perds. Et quoi P A S Q U I N. Quelques lonis que lc port du sien coutc , Et qu'au porteur du votre, elle eilt rendus sansdoute: J'ai remis la-dessus quelque dette a payer. Et pourquoi done, Monsieur , ne le pas envoyer? V A L E R E. On n'a qu'a le surprendre un jour, stir Isabelle ; Et tout notre mystere aussitot se revele. Pas q u i n. Si ce n'est que cela j'imagine un moyen Pour fairc qu'on le trouve, &: qu'on ne trouve Hem V A L E r E. Quel moyen ? P A S Q U I N. Faites-vous peindre avec tant d'adresse Que personne, en milleans, ne vous y reconnoisse *. * On me reprocha cctte plaisanterie , cornme unc chose usee, & indigne d'un Po'c'te qui se pique d'un peu d 'imagination. J'avouequej'avois espere de faire passer ce trait-la sur le compte de la mienne , me flattant qu'il ne seroit pas connu. L'evcnement chatia mon plagia- risme & ma sotte presomption. Toutle monde savoit cette ingenuite de M. de R*** an suiet de Madame de ***. C'etoit etre mal tombe pour un premier pil- lage , & cela corrige. Aussi ai-je bicn jure que lc Paon eut-il cent fois de plus belles plumes , jc m'en tiendrctis a mes vilaines plumes de Geai. C O M D I E. 301 V A L E R E. Retourne aCrotambulc,&: prends lui ses couplets. Je t'attends au logis , &: me retire expres. Isabelle , je crois , m'a vu de sa fenetre , Et je serois fache qu elle vint a paroitre ; Sa rue &: le grand jour ne me conviennent pas. Suismoi.... Non: teste.... Ecoute,ecoute....Tudiras.... Valere qui se croit suivi de Pasquin _, disparoit en chantant : ce jeu de theatre fut extremement mal rendu par V A clear. SCENE II. PASQUIN/^/. jL L croit que je le suis ; je demeurc, & pour cause j II a chante: voila le texte : point de glose. Chan tons. Quesavons-nous? e'estpeut-etreun signal. Croyonsqu'ils'entendbien, lorsqueje Tentendsmal. Ce pourroit netre aussi que la sotte habitude Qui! x de fredonner toujours quelque prelude. Parbleu soit 1 En ce cas , profitons du moment Ou je puis une fois mal faire impunement. |oa VAMANT MTSTE RlEUJt > SCENE III. ISABELLE, LISETTE, PASQUIN. ISABELLE a Pasquin. %^ omment ! quand je descends, ton maitre se retire 2 Pasquin. Oui , Madame ; & me charge, en partant , de vous dire : {Ilchantel'airque son Maitre a chante en le quittant.) L I S E T T E. De nous dire. Eh bien ! quoi * ? (Ja , ne badinons point. Pasquin. Par ma foi , je n'y mets , ni n'en ote un seul point , Et voila , mot a mot _, ma commission faite. * Pasquin recommence la meme Chanson. Ce qui est reellement plaisant n'a pas toujours lebonheur de plaire sur le Theatre. Ce trait de Pasquin etoit arrive a un Laquais du malheureux Comte de H * * , qui avoit coutume de siffler, a tout moment, par distraction. Ce tic l'ayant pris au milieu d'une commission qu'il don- noit a son Valet , garcon d'ailleurs malin & mecontent , le drole sortit d}s que son Maitre s'etoit mis a siffler, & fit positivement ce que fait ici Pasquin. Je n'ai jamais raconte ce trait que jen'aye vurire les plus sericux. Cela ne fit point du tout d'effetau i heatre. A la verite , com- me je Tai deja remarque , l'Adleur principal en fut la cause. C O M E D I E. $0$ L I S T T E. Valet digne du Maitre ! I S A B L L E. Ah ! ma chere Lisette ! LlSETTEa demi bas. Madame , doucement ; cachez votre chagrin , Et gardez qui! n eclate aux yeux de ce coqnin , Qui se riroit de vous , comme il fait de son Maitre. a Pasquin. ' Puisque ta charge est faite, adieu : qu'attends-tu, traitre } Pasquin. Mais , j'attends ma reponse. Lisette. Ah ! ta reponse ? 6ui-da ? ( Elle lid donne un soufflct ) II fkut t'expedier , mon ami : la voila. Pasquin. Est-ce mafaute, a moi ? Tu me frappes sans causes I Suis-je done un sorcier , pour deviner les choses 2 On m'a dit : tu diras &: puis on a chante. Moi, j'ai cru que e'etoit un signal concerte. Un mystere entre vous. Lisette. Tache encore a comprendre Que la reponse en est un autre , &c vas la rendre. 504 VAMANT MYSTERIEUX* Pas q u i n. En message aujourd'hui je suis trop malheureux ; Vicns toi-meme avec moi, la rendre, si tu veux. Tu me ferois plaisir. SCENE IV. ISABELLE, LISETTE. Li s e t t e. JLiE plaisant caractere ,' Et le joli mignon que ce Monsieur Valcre , Madame , pour vouloir que Ton courre apres lui , Et vous faire descendre anx faconsd'aujourd'hui ! Oh \ vous vous deferez d'une bonte si grande ! Votre gloire le veut; & je vous le commande j Obeissez. ISABELLE. J'y tache : & c'est tout mon espoir. Li s e t t e. Et vons le cherchiez ? Isabelle. Oui : pour ne plus le revoir a L i s E T T E. Vous ? Isabelle. C O M D I E. 505 ISABELLE. Aprcs ce que vicnt de dire Celimene i L 1 s E T T E. II n'a qu a vous ecrire : &r sa grace est certaine. ISABELLE. Non. L I S E T T E. ( Elle lui met la main sur U cceur.) Quoi! nom Mettez la votremain , sentez-y La vcritc du fait que vous niez ici. Que vous dit ce coeur ? ISABELLE, Rien. L I S E T T E. Rien > ISABELLE, Finis , ou me laiss& L I S E T T E. Preuve de son bonheur & dc votre foiblesse* Pour n'importuner pas , il faudroit l'excuser, ISABELLE. Aprcs tout , nous savons sa facon d'en user* L 1 s E T T e. Nous y voila. Tome L V" yo6 VAMANT MYSTER1EUX, ISABELLE. Son gout est d'etre impenetrable j Trop aimer le mystere est-ce etre si coupable ? L 1 S E T T E. Fort bien I ISABELLE. Qu'ai-je a me plaindre ? il m'ecrit chaque jour Des billets L i s E T T E. 11 est vrai. ISABELLE. Que lui dicle 1* Amour. Tu le sais. L I S E T T E. Des billets 1 pcste 1 la belle avancc ! Croyez-moi : c'est ici comme dans la finance ; Vive l'espece '. aii diablc & papiers &: billets ! Cela souftrc au paiement toujours quclques dechets- Tous ces feux par ecrit, sont des feux d'artifice : Qui diantre a jamais vu de semblable caprice ? Vous aimer & vous fuir I sur l'ombre d'un eclat Quand vous Ten dispcnsez faire le delicat ! Moi-meme , de l'intrigue avoir osc m'exclure ! Eviter votre pcrc > &" craindre de conclure \ Ah ! j'y mettrai bon ordre. 11 ofFrira sa main Tout a l'heure ; sinon , congedie demain. C O M E D I E. 30^ L'art de feindre si bien , touche a la perfidie. Philinte vainement des long-temps letudie ; Philinte , son intime , homme franc & loyal , Dont , finite de parler , il s'est fait un rival. ISABELLE. Philinte , son rival ! Philinte \ ou vas-tu prendre Que de moi son bonheur, jamais ait pu dependre 2 Lui , qui de Celimene adore les attraits , Et dont vers moi les yeux ne se tournent jamais. L 1 s E T T E. C'est que vous n'en avez que pour votre Valere ; Qui m'a tout Pair, a moi, de ne vous aimer guere. Pendant que votre erreur qui vous suit en tous lieux, Vous y cache un amour qui vous creve les yeux. Philinte , si je laide , iroit droit au solide. Que Valere , s'il veut , y songe & se decide 5 Sinon, &" c'est a vous comme a. lui d'y penser , Foi de fille d'honneur, on le fera danser. SCENE V. V A LfcRE, ISABELLE, LISETTE. Valere. A.H I Madame I a vos pieds, que fant-il que je disc ? Pour pouvoir d'un valet reparer la sottise ? L'impertinent me joue un tour de sa facon* V ij 5 o8 L'AMANT MYSTERIEUX, L I S E T T E. Et pourquoi vous en prendre a ce pauvre garcon? Sachez-vous recueillir en songeanc a Madame. ISABELLE. Taisez-vous. L I S E T T E. Horn! j'enrage I Est-ce done etre femme ? 1 S A B E L L E. Ce n'est pas la , Valere , un sujet de courroux , J'ai sur quelque autre chose a meplaindre de vous, Valere. Mais si nous attendions que la nuit flit venue ? Car nous sommes ici terriblement en vue. Isabelle. N'importe. Valere. Est-il besoin que cette fille en soit ? Isabelle. Rctirez-vous , Lisette. L i s e t t e. Eh ! quoi ? Isabelle. Je le veux. Lisette. Soit I C O M E D I E. 309 Qnand Madame vent bien fairela complaisante, Le role ne doit pas revolter la suivante. Je me retire done , pnisqn'on le vent ainsi j Mais on anroit mienx fait de me laisser ici. SCENE VI. ISABELLE, VALE RE. ISABELLE. JfctNFiN , de vive voix pour qn'on vons entretienne, II fantqne Ton vons cherche &r qne Ton vons previenne Je semble etre ponr vons nn objet odieux : Et des que jc parois vons detonrnez les yenx. Par nn henrenx hasard , dont mon ame est ravie , Nous tronvons-nons ensemble en qnelqne compagnie , Vons prodignez par-tont vos regards &: vos soins, Et e'est a moitonjonrsqnils s'adressent le moms. Vos lertres , il est vrai , rcparoient l'cntrevne : Je goutois vos raisons , 6V je m'etois rendne ; J'ai crn qne votre ccenr,moins leger qne discrete Se faisoit nn plaisir de m'aimer en secret > Mais je vois V A L E R F, Qnoi ! Madame ! inqniete & craintive > Vous donterez toujonrs de Fardenr la pins vive ? V iij 5 io V AM A NT MYSTERIEUXj Et les soins que je prends de m'observer pour vous , N'aboutiront jamais qu 3 a vous mettre encourroux? Ne soyez pas sensible a la douceur secrette D'un Amour dont la plume est la seule interprete. ( Commerce toutefois d'autant plus doux pour moi, Qu'il fixe entre vos mains , les gages de ma foi ; Qu'une lettre sans cesse aux yeux se renouvclle j Qu'il me semble rcster pres de vous , avec elle ; Et qu'au papier enfin , confier scs discours , C'est ne se point quitter &: se parler toujours. ) A dcs plaisirs si purs, soyez, dis-je, insensible; Aimez qua vos cotes , un Amant soit visible : Qui nous garantira du peril evident , Ou nous exposeroit ce plaisir imprudent ? Les pieges , les caquets &" les tracasseries Des jaloux , de nos gens , de vos propres amies , Sur nous,de mille Argus les yeux toujours diverts, Les persecutions, &: tant d'autres revers Dont je vous ai sauvee , a 1'abri du mysterc ! Et qu'importe, avec vous, quand ma bouche est sincere, Que d'autres soient instruits de mes tendrcs desirs ? Mettez-vous done leclat au rang de vos plaisirs ? Vcus qui si vivement frondez ces Beautes vaincs, Qui veulent qu'un Amant se pare de leurschaines , Et qui comptent pour rien les plus tendres Amours , S ils n'ont pour confidens, la Ville & les Fauxbourgs, I S A B E L L E. Mais ce parfait Amour auroit-il la Constance De tout voir , tout entendre avec indifference ', C O M E D I E. 311 Celimene lice avcc moi d'amitie , Qui, malgre tous nos soins, nous penetre amoitie, Pour s'assurcr du reste, hier , chez sa parente, Voulut vous eprouver &: fit la medisante : Elle afFe&a , sur moi , de tenir des propos Qui mettoient a bas prix tout le pen que je vaux. L'on vous examinoit : vous futes si paisible , Quelle vous croit pour moi tout a fait insensible ,' Et que de ses soupcons ( tant elle en doute peu ) Ainsi que d'nne erreur , elle m'a fait l'aveu. V A L E R E. Ah ! Madame ! je suis au comble de ma joie ! Elle croit ce qu'il faut, ce qu'on veut qu'elle croiei Par des yeux si suspects m'etant vu regarde, Je tremblois de ne pas m'etre assez posscdci Ma feinte a rcussi : vous cependant , Madame , N'avez-vous pas trahi le secret de ma flamme ? Quelque depit trop prompt ISABELLE. Non, je n'en ai point eu, Et cela justement , parce que j'ai tout cm. Mon ame de ces coups cesse d'etre etonnee : Je ne lc vois que trop : plus d'une infortunce A qui vous engagcz faussement votre foi , Voir, reduit a la gene ou vous vivez pour moi. Un Amant , de soi-meme est-il si fort le maitre J Pent- on si bien jouer rindifferent sans 1'etre ? V iv $ri L'AMANT MYSTERIEUX, Non , non : j'etois trop simple &: je m'abusois bien D'admirer des efforts qui ne vous coiltoient rien, V A L E R E. Qui ne me coutoient rien ! quel discours ! ah ! Madame I Que vous lisezbien mieux dans le fond de mon ame i Daignez ISABELLE. Adieu , Valere , adieu j separons-notis. Valere. Le temps vous prouvera .... ISABELLE. Le temps fait contre vous. Dennis qui 'a mon penchant je me suis trop livree, Qo'avec tant dc bontc jc me suis declaree , Qu'autant que jc ic puis , je flatte votrc espoir ; Get Amour tant vante , s'cst-il mis en devoir De me justifier dans unc erreur si chere, En vous autorisant de Taveu dc mon pere ? Etoit-cc done a moi , Valere , a vous presser Sur ce qui de si prcs doit vous interesser ? Valere. D'aussi prcs en effct aucun soin ne me touche ; Mais si j'ai desraisons qui me ferment labouche 3 I s a b e l L e. Quelles raisons , Valere J C O M E D I E. } 1 5 V A L E R E. On ne vous Ies dit pas j Vons les sanrez un jour & vous en ferez cas. ISABELLE. Quoi done ! avec moi-meme employer le mystere ? SCENE VII. VALfeRE, ISABELLE, LI SET T E. L I S E T T E. v enez parler, Madame, a Monsieur votre pere; Ne vous amusez pas ; &: tot il vous attend. ISABELLEtz Valere. Que je sache aujourd'hui ce secret important. SCENE VIII. VALERE seul. A. moi-meme souvent je me le dissimule , Car au fond je me crois tant soit pen ridicule. Ridicule ! ah ! le terme est fort ! singulier ? non ; Disons mieux : delicat \ un peu trop , dira-t-on 3 3 i4 L'AMANT MYSTERIEUX, Un peu trop delicat ! comme si la tendresse Connoissoit de l'exces dans la delicatesse : Je ne me presse pas de me voir son epoux? Non, parce qu elle m'aime, &: que rien n'est plus doux Que de jouir d'un feu que l'Hymen peut eteindre ; Que d'aller a pas lents , ou Ton est sur d'atteindre; Sur-tout lors qu'a leur gre, sur deux Amans en paix, Le plus profond mystere etend son voile epais. Puis-je trop menager les charmes que je goute J De 1'Amour a l'Hymen trop prolongcr la route ? Trop reculer Theurcux &C le funeste jour , Oti triomphe a la fois 6V disparoit 1'Amour ? D'un coeur vraiment touche tels sont les deux caprices \ II met dans les desirs ses plus cheres delices ; Et meme il seroit bon , s'en tenant aux souhaits , Pour s'aimer toujours , de SCENE IX. VALfeRE, LISETTE LlSETTEfl part. 33 E ne se voir jamais. VALE re continue & se cTolt seul. Isabelle , pardon ! j outre un peu la matiere. L i s E T T E has. Donnons-nous les plaisirs & les airs du mystere , C O M E D I E. 315 Snr 1'objet de ses feux feignons qu'on s'est mepris , Et que de Celimene , on croit qu'il est epris. ( haut ) Dans les yeux de Monsieur , l'alegresse etincelle y 11 vient de recevoir quelque heureuse nouvelle. V A L E R E. Je n'ai pas de 1' Amour a me plaindre en efFet. L 1 s E T T E. Isabelle a l'honneur d'etre dans le secret ? V A L E R E. Mais comme ce n'est qu'une,elle &: celle que j'aime , Qu adorer celle-ci , c'est l'aimer elle-meme ; Sa mediation s'est offerte entre nous , Et par elle on m'annonce nn desrin assez doux. LiSETTEj avec un faux air dc penetration. On sait que Celimene est sa meilleure amie. V A L E R E. Mon Dieu ! ne devinons personne, je vous prie. L I S E T T E. Vous ne pecherez pas , pour avoir trop parle. Le secret , malgre vous , pourtant est rcvele. La belle est par malheur dans notre voisinage ; Et Pasquin chaque jour, y fait quelque message. Pourquoi ce noble emploi m'a-t-il etc ravi ? Mieuxqu'un autre, pcut-etre, on vous auroit servi. 3 iS r AM ANT MYSTERIEUXj V A L E R E. Peut-etre encore un coup n'est- ce pas Celimene ? L i s E T T E. A feindre encore un coup vous perdez votre peine ; J'en saurai plus que vous , skot qu'il me plaira > Et , sans aller bien loin , j'ai qui m'en instruira. V A L E R E. Et qui peut, s'il vous plait, vous rendre si savante? L i s E T T E. C'est un pacle etabli de suivante a suivante , Qu'au premier enrretien , de Fun a 1' autre bout , A charge de revanche, on se declare tout, V a L ERE. J'aime ta confiance. L i s E T T E. Et moi, j'aime la votre. V A L E R E. Oh bien ! que ce soit done Celimene on quelque autre 3 Je veux bien t'avertir d'une chose L I S E T T E, Et de quoi ? V A L E R E. Tu me remercieras de Favis. L I S E T T E. Je le croi C O M E D I E. 317 Vale re. C'est la pure franchise ici qui te conseille. L 1 s E T T E. La votre , assurement , a la mienne est pareille. V A L E R E. Je te conseille done avec sincerite , De guerir la-dessus ta curiosite , Si par ce moyen seul tu peux la satisfaire. La suivante de celle a qui je songe a plaire , De notre liaison n'a pas le moindre vent. L 1 s E T T E. Bon! V A L E R E. C'est la verite. L I S E T T E. Vous raillez. V A L E R E. Non vraimcntb L I S E T T E. Vous vous trompez done ? V A L E R E. Non , fais en I'experience; Mais j'ai cm te devoir lav is en conscience. Adieu. 5 i 8 V AM ANT MYS TERIEUX , L I S E T T E. Je reconnois cette sincerite , Monsieur, &: je vous dois la merae charite : Avis done pour avis , apres quoi , quitte a quittc, V A L E R E. Voyons. L I S E T T E. Cette suivante est done bien mal instruite ? V A L E R E. Et ne doit pas s'attendre a l'etre mieux : L i s E T T E. Eh bien ! Je vous annonce , moi , que vous ne tenez ricn ; Quelle etoit de votre arc la corde la meilleure j Que si vous ne courez l'appaiser tout a 1'heurc , Et remettre en ses mains le soin de votre sort , XJn orage imprevu vous attend dans le Port. SCENE X. VALERE, PASQUIN, LISETTE. P A S Q U I N. .M.ONSIEUR, voici vos coupl V A L ERE. Ah ! tete de linottc I C O M E D I E. 31$ P A S Q V I N. Pour la seren V a l E R E. Encore i P A S Q U I N. Et la Muse de Crotte. ....* ( V alert lid arr ache imp atiemment le papier des mains j lui en donne par le ne^ & s'en va. ) ' ^ n 1111 a > _ . . . !. ! SCENE XL PASQUIN,LISETTE. L I S E T T E. Ouel diantre de jargon! Explique-nous un peu Tes couple , ta Syrene , & la Crotte. P A S Q U I N. Morbleu I Mon Maitre avec raison me coupoit la parole : L 1 s E t x E, Veux-tu bien parler ? P A S Q U I N. Non : la requete est frivole j Pour langue , je n'ai plus que le geste 6V les yeux. 5 2o VAMANT MYSTERIEUX, L I S E T T E. Je ne t'empeche pas d'etre mysterieux , Adieu. P A S Q U I N. Cruelle , arrete, ecoute un pauvre Diable , Qui brule L i s E T T e. Brule , soit ; je suis impitoyable. P A S Q U I N. Je ne pourrai du moins te tenir un instant ? L i s E T T E. Kon. P A S Q U I N. De grace, un seul mot. L i s E T T E. Ne me tire pas tant, P A S Q U I N. Lisette ! L i s E T T E. Eh bien , Lisette ! Ah ! voici de nos droles Qui, d'Amans , a Ieur tour , veulent joucr les roles. Et, parce que leur Ma'itrc a Madame aura plu , Croyent surla Suivante avoir un devolu. Que Madame soitdupep.u point d'aimcr ton M afore, Du Faquin de Valet je ne pretends pas I'etre ; Et C O M E D I E. 3 1 t ( // yeut la baiser ) Et si tu mioses.... Point dc cqs manieres-la! Finissons ! Veux-tu bien ? P a s Q u I N> Sans consequence. La 1 Viens baiser cette joue ; &; reconnois la place Ou fut jadis l'affront que ce baiser efface. Maintenant je ferai rout ce que tu voudras ; Je suis homme a t'aimer, comme a ne t'aimer pas j A chacun la-dessus liberte toute entiere. Et quand je me suis plaint de te trouver trop fiere 4 Quand je te retenois, crois que de mes besoins, L'amour etoit celui qui me pressoit le moins. L i s E T T E. Ce petit ton brutal a pour moi plus de charmes 5 Qu'une fadeur bien tendre & que le don deslarmes; Quel besoin done ici t'engage a m'amuser ? P A S Q U I N. Nous en grillons tous deux : le besoin de jaser, L i s E T T E. Jasons. Chezun grondeur qui veutque tu te taisei Je pense qu'en effet tu n'a pas trop tes aises. P A S Q U I N. Comme tu les aurois toi-meme en pareil cas, Comme un enrage vif entre deux matelas J'etoufte. Tome I, X $n LAM ANT MtSTtlUEUX > L I S E T T E. Et moi deja je serois etouffee. De qui diantre Madame est-elle-la coef&e. P a s q u I N. Mon Maitre , si tu veux, la plante-la tout net \ Je n'ai qua l'avcrtir quelle t'a mise au fait. L i s E T t E. Nous te planterons-la le premier, je te jure. Mais bon ! 11 n'aime point : c'est de quoi je suis sure, Pasquin. Sois sure du contraire; il l'aime comme un fou. L i s E T T E. Par ma foi , son amour est done bien Ioup-garou. Pasquin. Parlezmieux,s'il vous plait, de l'amour de mon Maitre. Vous ne connoissez, vous , qu'un gros amour champctre, Trop content quand il a les cinq sens pour appui j Amour hurlubrelu qui va tout devant lui. H, le vilain amour ! 11 est vieux comme Herode, Celui-la ! Mais le notre est un amour de mode ; Un beau petit amour delicat cV blondin 5 Mignard , gentil , leger, fin , subtil & badin : Frcdonnant la flcurette en termes diaphanes , Et plein de sentimens taillcs en filigranes. Cct amour , ou pour rire, on ne voit pas le mot , C'est Tamour dc mon Maitre, L I S E T T E. Et c'est l'amour d'un sot* Du portrait settlement je me sens afKidie. Voila plus quil n en faut pour qu'on le congedie. Et qui ne seroit pas de colere enflamme , Depuis le temps quil aime , & qu'il est trop aime , En etre pour l'Hymen au premier pas encore I Vouloir que , jusqu'a moi , tout le monde l'ignore ! Comment donc,s'il vous plait, ce Monsieur l'entend-ih Croit-il , ce beau Galand , tendre , leger , subtil , Avec son feu follet.... P a s Q u I N. Autre delicatesse 5 On estime sa femme : on aime sa Maltresse j Et , sachant quil aura tout le temps d'estimer , II veut, tout a son aise , auparavant aimer. LlSETTE. Fort bien ; &* cependant pointilleux &" severe, Monsieur veut se donner le plaisir du mystere. P a s q u 1 N. Oui j mais sous le pretexte honnete 6V specieux , De ce que votre Sexe a de plus precieux : Du resped attentif qu'on se doit a soi-memc j Et du soin de l'honneur deiicat a l'extreme. L I S E T T E. L'homme est un grand maraud , I'animal impudent, Pour son profit ; s 5 eru*e avec nous en Pedant; Xij 3 M Z'^ Msl N T M Tb l it re trje, Et, vonlant nous soumettre en tout a ses caprices , Couvre du nom d'honneur, l'interet de ses vices. Mais celui-ci se flatte , &c je venx lui montrer.... Pasquin , me veux-tu plaire ? Avant que de rentrer Dans l'etat violent du masque &: du silence , A ta langue une fois donne pleine licence. Quels secrets renfermoit l'ecrit qu'en ce moment II vient de t'arracher si precipitamment ? Pasquin. Cetoit....Mais de ceci ma vertu s'effarouche. LlSETTE. Ah j ah ! Monsieur Pasquin fait la petite bouche j Je pretends avec lui faire assaut de vertus. Nous verrons qui des deux en patira le plus. Deja le tete-a-tete est matiere a scrupule. ( Ellc feint de s'en aller. ) Pasquin. Attends ! Tu fais la sotte , &: moi le ridicule. Nos Maitres ne sont pas des gens a copier. Sache done quel tresor enfermoit ce papier. Des couplets composes pour une serenade. L i s E T T E. Cette galanterie est bien vieille cV bien fade. Pour nous , sans doute ? Pasquin. Oui. C O M E D I E. 325 Li s e t t e. Quand ? P A s q u 1 N. Sitot qu'il sera nuit. L I S E T T E. Notre Mysterieux n'a done plus peur du bruit ! P A S Q U I N. Celimene chez qui sera pour !ors mon Maitre, Vis-a-vis de chez vous l'aura sous sa fenetre. Et, s'en attribuant le regal en entier , Va prendre ainsi le change avec tout le Quartier, Par ce cadcau bruyant , dont l'espece I'etonne , II vent depayser quelqu'un qui le soupconne i Et le mystere , habile a se jouer d'autrui , Du manteau de leclat s'enveloppe aujourd'hui. Mais un billet demain doit instruire Isabelle Que la fete in petto n'avoit d'autre objet quelle. L 1 s E T T E. Et nous enragerons attendant ce billet ? 11 seroit trop heureux : non , mon petit Poulct j Non: nous profiterons de cette decouvcrte. P A s q U 1 N. Tu ne saurois en faire usage qu'a ma pcrte. Mon Maitre est soupconneux , cV je crains le baton. LlSETTE. Je voudrois qu'il le prlt avee toi sur ce ton. Xiij jitf VAMANT MYSTERIEUX, P A S Q U I N. Tu lc voudrois > Oui-da ! Peste ! quelle tendresse 3 L i s E T t E. Ne me jures-tu pas qu'il aime ma Maitresse ? Moi, je t'aime: ainsi done, quil tremble devant moi* Et que dorenavant il me respe&e en toi. Tu blesses mon honneur lorsquc tu l'epouvantes ; Quand on aime la Dame, on depend des Suivantes. Sois tranquille. Ton Maitre est , grace a scs liens, A mes ordres , cent fois plus que tu n'es aux siens. Fin du premier Ac!e, C O M E D I E. 327 A C T E II. SCENE PREMIERE. IS A BELLE, LISETTE. ISABELLE. v alere a, pour le coup, lasse ma patience ; Je ne l'excuse plus dans son extravagance , Et j'en ai trop etc la vi&ime &: l'appui : Mais quel nouveau sujet t'anime contre lui 2 L 1 s E T T E, C'est etrc bien hardi ! ISAB ELLE. Que t'a-t-il fait encore ! L 1 s E T T E. Si ma bile une fbis s'echauffc eV s'evapore 1 ISABELLE. T'a-t-il injuriee ? L I S E T T E. 11 n'a qu'a s'en melcr I 11 trouveroit du moins alors a qui parler. Xiv 1 i 8 V AM J NT MYST&R IE UX, ISABELLE. Pour mieux en faire accroire, auroit-il le courage D'oser parler lui-meme a mon desavantage ? L i s E T T E. Le grand malheur ! cV quand il mediroit de vous , Que nous font les propos qu'un homme tient de nous ISABELLE. Sachons quelle vapeur te passe par la tete ? Tu pleures ; dis-moi done pourquoi ? L I S E T T E. La pauvre bete ! ISABELLE. La pauvre bete ! a qui s'adresseroit cela ? Est-ce moi que tu plains , sous ce beau titre la ? L i s E T T E. Pas encor j mais un jour il faut bien que j'y vienne, ISABELLE. Pour qui done ces sanglots ? L I S E T T E. Pour Quinquin. ISABELLE. Pour ma chienne ? L i s E T T E. Nous avons elle &z moi belie affaire vraiment , An ridicule outre de votre sot Amanr ! C O M E D I E. 31? Nous l'avons par malheur rencontre dans la rue; II a bien affecle de ne m'avoir pas vue : Je le lui rendois bien. Quand la chienne a couru Battre queue , &: sauter aux jambes du Bourru , Maudissant dans son cceur cette queue indiscrette, Et craignant quelle n'cut quelque habile intcrprete, Votre vilain Monsieur, moins homme que cheval, Vous sangle une ruade a ce pauvre animal , L'estropie , &: , pour prix de sa flatteuse joie, Percant l'air de ses cris , sur rrois pieds le renvoie ; II fauc avoir le cccur bien faux , biendur, bienbas , Et j'en aurois bien peu , s'il ne le payoit pas. I S A B E L L E. Laisse-la. ta vengeance, &: songeons a le plaindre; Son plus grand embarras ne sera plus de fcindre : Philintc son rival a su le prevenir j Mon pcre , en sa faveur , vientde m'entretenir. Peu s'en etoit fallu qu'il ne m'eut accordee , Et cctoit pour ccla tantot qu'il m 5 a mandce. L 1 s E T T E. Que je le plaigne lui ! non, Madame, c'cst vous Qui seriez bien a plaindre avec un tel Epoux. Un homme qui du masque aime 6V prescrit l'usage ; Dont le cceur est toujours a cent pas du visage i De vos secrets avide , ik menager dcs siens ! Chuchotant , querellant , finassant sur dcs ricns. Un vrai Sphinx herissc d enigmes & de griffes , Qui ne nous parlcroit que par des Logogryphes ; 35 o L'AMANT MYSTiRIEUX, Nous fermeroit la boucbe, & qui , n'en doutcz pas ? S'aviseroit un jour d'y mettre un cadenas u ISABELLE. Tu cbargcs les portraits ! L I S E T T E. Je peins d'apres nature. A quoi bon , dc plein gre , vous mettre a la torture ? Choisisscz mieux , Madame ; & pour votrc rcpos , N'cpousez pas l'ennui , l'algcbre, & le chaos 2 . ISABELLE. Tu paries pour Valerc, & fais voir sa prudence A n'admettre en amour jamais de confidence * j En effet pour titer des Amans d'cmbarras , Les incapables gens que ceux qui n'aiment pas ! Clairvoyans sur lc mal,sans y eux pour tout le rcste 4 ', lis nc portent l'idee a ricn que de funeste ; Tandis que dc 1'espoir nous cherchons la douceur Et voyons tout d'un ceil bicn different du leuy. L i s E T t E. L'heurcux petit mortel ! poursuivez ! a merveille ! Les gens , apres ccla, vculentqu'on les coTiseille! i Oh ! que ccla fut bien siffie ! 2 Cela nc fit point rire , & j'y comptois. 3 Mais est-cc que ccs vers-la nc sont pas bor.s ? lis ne fircnt point d'effet. 4 Reflexion faite , je crois que l'idee pouvoit etre un pea plus clairement renduc. C O M E D I E. 53! lSABELLE. Valere a merite de moi quclques efforts ; Je nc disconvienspasqu'il n'ait eu de grands torts: Mais helas ! que 1'Amour en pardonne bien d'autres Et que scs volontes nous laissent peu les notres A SCENE II. VALERE, lSABELLE, LISETTE. lSABELLE. iTJLONSiEUR ! Monsieur ! im mot l ! L I S E T T E. Madame , il est grand jour $ Monsieur veut me cacher l'objet de son amour 2 5 Et telle n'est pas loin , qui venant a paroitre , Par quelque emotion m'en feroit trop connoitre. Valere. Mais Lisette a raison ; Madame , permettez. . . . Malgre tout le plaisir que je ressens 11 vcut sortir. ) i Bis in idem. Faute insupportable 8c hontcusc a 1'imagination ! i Quoiqu'il y ait aprcs ccia quelque merite a la finesse du langage equivoque de Lisette ; car Isabelle croit qu'elle pane d'elle ; & Valcre , qu'elle parle de Celimene, 5 *i VAMANT MYSTERI&UX, ISABELLE Varr&tant. Restez. V A L E R E. Je crains ISABELLE. Restez , vous dis-je , & reprenons , Valere, L'entretien que tantot rn'a fait rompre mon Pere : Pourquoi sur la recherche avez-vous hesite ? Contentez la-dessus ma curiosite. Je nc veux de vos feux que cette preuve unique. Valere. Eh ! n'est-ce pas , Madame , etre un peu tyrannique ? N'est-il pas des secrets que pour un certain temps On pent se rcserver, sans offenser les gens? I S A B E L L E. Mais le votre , Monsieur, n'est pas de cette espece - y II importe un peu trop au feu qui m'interesse : Pour la. derniere fois, le saurons-nous ? ou non ? Valere. De grace, encore un coup, Madame, tronvez-bon... I s a b e l l e. C'cstassez ; ma foiblesse a la votre s'ajuste ; Mais ne trouvcz done nas la represaille injuste. le vous tais un projet qui vient dc se former , t qui , si vous m'aimcz , vous doit bicn alarmer. C O M D I E. 333 Souffrez a votre tour des autres sans murmure , Ce que vous pretendez que de vous on endure. Ec si le mal s'accroit , ne vous en plaignez pas. V A L E R E. Oh ! mais ceci , Madame , est tout un autre cas. Songez ISABELLE. Que direz-vous, qu en daignant vous entendre, Mot-a-mot, pour reponse, on ne puisse vous rendre? V A L E R E, Madame ! ISABELLE. Finissons ce fachenx cntretien : Gardez votre secret; je garderai le mien. SCENE III. VA LERE, LISETTE. L I S E T T E. iVJ. A foi, prenez y garde an moins ; c'est votre affaire, Encore une heure ou deux , elle n'a qu a se taire : Vouspourriezfairc apresenvainlechien couchant 3 Et de ceci, Monsieur, are mauvais marchand. V A l E R E. Tu serois done au fait de quelque circonstance? ^4 L'AMAKT MTSTZRIEUX; Li s e t t e. Non: ne m'avez-vous pas sevre de confidence? V A L E R E. Cela ne paroit pas a ton air insukant. L I S E T T E. C'est quej'airairmalin quand j'ai le cceur content* V A L E R E. Si ton cocur est content comme il'le fait paroitre , Ta curiosite, sans doute 3 aussi doit l'etre. LlSETT E a pan. Par ma foi, n'en oser railler effrontement , Nc seroit pas pour moi parfait contentement. ( haut. ) Eh bien! oui je sais tout. V A L E R E. Ah 1 perfide Isabclle I L I S E T T E. Ne Ten aimez pas moins , je n'ai rien appris d'ellc V A L E R E. De qui done ? L I S E T T E. Ah ! voyez ! comme on le lui dira, V A L E R E. EUe ne t'a rien dit ? L i s e x x E Pas le mot, C O M D I E. 335 V A L E R E. On verra. Mais, puisque mon ardcur pour elle t'est connue, Je te demande en grace un peu de retenue j Garde-moi le secret qu'on ne m'a pas garde. L i s E T T E. Tout franc , entre mes mains , il est bien hasarde. V A L ERE. Eli ! prends un peu cela sur toi , je t'en conjure, L i s E T T E. Oh ! jene promets rien, de penr d'etre parjure. V A L E R E. Veux-tu me desoler > L i s E T t E. Vous le meritez bien. V A L E R E. Que t'en reviendra-t-il ? L I S E T T E. Ne m'en revint-t-U rienj Ni perte, ni profit, ni louange , ni blame , Je ne cesserai pas pour vous d'etre une femme. Sur ses defauts , Tun l'autre on se doit excuser ; Le votre est de vous taire ; &: le mien , de jaser. V A L E R E. Et de tourner aussi comme une girouette. Vas , je sais le moyen de te rendre muette. L i s E T T E Muette S moi ! $3* VAMANT MYSTER1EUX, V A L E R E. Toi-meme. L I S E T T E. Ah ! je gage que non. V A L E R E. {II tire une bourse & lui donne quince Louis. ) Tu perdrois la gageure , heim ! L I S E T T E les prenant. Vous avez raison. V A L E R E. Cest contre le babil un charmant specifique : Qu'en dis - tu maintenant ? L i s E T T E. Je reste sans repliqne, Et conviens que Monsieur entcnd le numero. Vale re. Tu te tairas i L i s E T T E. Oui. V A L ERE. Vrai> L I S E T T E. Vrai. V A L E R E. Jures-en , L i s E T X . Juro. Vale re. C O M D I E. 337 V A L E R E. Maintcnant j'en reviens au projetque Ton forme, Etquimc perd,dis-tu, pour pen que je m'endorme. Ce secret j comme l'autre., est commis a ta foi ? L i s E T T iz Oui : Monsieur. V A L E r E 6 Tu sais tout ? L I S E T T E. Sans doute. V A L E R E. Dis-le moL L i s E T T E. Que je vous le disc ? V A L E R E. Oui. L I S E T T E. Fi done. V A L E R E. Fi ! qu'est-ceadire ? L I S E T T E, Voulez-vous m'eprouver , ou si vous voulez rirc ? V A L E R E. Ni Tun ni l'autre ; parle , &: parle ingenument. L I S E T T . Eh ! de quoi tout-a-1'heure ai-je done fait sentient > Tome I. Y 5j8 VAMANT MYSTERIEUX y V A L E R E. Que me vas-tu conter ? L i s E T T E. N'est-ce pas de me raire ? Est-ce pour le fausser que je l'ai voulu faire? Oh ! telle que je suis 6V que vous me voyez , Jai plus d'honneur encor que vous ne men croyez. V A L E R E. Ce silence jure que ta malice oppose , Tu le sais mieux que moi, s'etend sur une chose A laquellc on sent bien qu'il se doit limiter. L i s E T T E. Soit : mais si mon plaisir est de vous imiter ? Si je veux comme vous me rendre indcchiffrable ? Et pourquoi non, Monsieur ? je vous trouve admirable ; Si e'est une vcrtu, mon cceur en est jaloux ; Les bonnes qualites ne vont-elles qu a vous ? Des votres , avec moi , soufFrcz quelque partage \ Vous venez d'en tirer un si grand avantage ! Chacun son tour gallons', courage ! a qui mieux mieux! Do l'incompiehensible , c\: du mysterieux ! Plus d'entrctien , de voix , de mots, ni de paroles ! Un clin d'ceil , une mine , un geste , des symboles ; Ou , la plume a la main , des chiftres , du Phebus 1 Et comme des ecrans , quantite de rebus. V A L E R E. Tu commences Fort bien 3 6V je crois te comprendre : C O M E D I . 339 Tu veuxta bourse entiere ? Eh bicn ! tu n'as qu'a prendre , Tiens , fk parle a cette heure. L I S E T T E. Encore des louis ! Comme de ce metal les yeux sont eblouis ! Comme a la plus reveche il fait baisser la crete , Et leve tout scrupule au coeur le plus honnete. V A L E R E. Laisse-la ta morale , & me declare tout, L i s E T T E. Vis-a-vis de 1'argent la morale est a bout. Que je resserre done ces deux moities ensemble. V a l E R E. Cette bourse est d'un poids seduisant ! Que t'en semble LlSET T E. D'accord : mais un vrai monstre est logo clans son flanc. Une moitie vent noir , l'autre moitie veut blanc i Entre ces deux moities , jc suis comme en extase ; L'une me dit: Tais-toi , & l'autre medit : Jase. Savez-vous ce qu'en moi je conclus en ce point ? L'argent nest qu'un trigaud, Monsieur; je n'en veux poirt. ( Elk iui rejette sa bourse & s'en va. } ^p, Yij 34 o V AM ANT MYSTERIEUX, " zTSTKTXftmBni. .Hqjim SCENE IV. V A L E R E seal. JL ou non > Yiv 344 V AM ANT MYSTERIEUX^ P A S Q U I N C'est non \ je le repete en formes II etoit sans couleur sous le gris uniforme , Qui d'auteur du mystere ecarte les dangers, Et dont {'amour souvent masque ses messagers. V A L E R E. A la bonne heure:ou diable en veut venir lepcre? Isabelle menace : ouais ! ce nouveau mystere Seroit-il relatif a celui qu'on me fait ? P A S Q U I N. Quoi j Monsieur ! on vous cache ici quelque secret? V A L E r E. Qui meme etrangement m'alarme & m'inquicte. Pasquin. Si la Dame se tait , corrompons la Soubrette, Value. J'ai fait tous mes efforts; mais elle a term boil, Pasquin. Et 1'argent s'en meloit ? V A L E R E, OuL Pasquin. L'a-t-ellc pris ' V A L RE. Non. C O M E D I E. 545 Pasquin. Vu la profession , cela semble impossible, Et je me serois cru le seul incorruptible. Value. La Sotte a rejete la bourse avec mepris. Pasquin. Vous vons y serez done assurement mal pris. Donnez-moi cet argent, que j'en fasse lcffiar.de; Si vous le revoyez, je veux bien qu'on me pende. Value. Je ne refuse pas ton entremise . . . Mais . . . Pasquin. Jc vous negocierai la chose avec succes. Donnez-le moi, vousdis-je, ck faites votre compte... Value. Voyons auparavant ce que nous veut Geronte. II vient avec Lisette , 6V ne m'appercoit pas. Sitot qiul sera seul , tu m'en avertiras. Je ne veux point de tiers dans notre conference, Et je me trouve bien d'agir avec prudence. sgjfca^aaBLijPTia SCENE VI. GERONTE, PASQUIN, LISETTE. Pasquin^ I'orellle de Lisette en sen allanu JuLefuser de l'argent pour garder un secret ! Lache ! (k tu ne meurs pas de honte cV de regret! 1+6 rJMANT MYSTERIEUX* G E R O N T E. Que te dit cc garcon ? L I S E T T E. II me park d'affaire. G E R O N T E. Je I'ai vu quelque parr. L I S E T T E. C'est un homme a Valere. G e r o N T E. Ah! cherchezvotreMaitre^qu'ilsachc auplutot, L'ami , ce que chez lui j'ai fait dire tantot. SCENE VII. GERONTE, LISETTE. L I S E T T E. V oila, je vousl'avoue, unordrequim'etonnc, G E R O N T E. Avant que de promettre Isabelle a personne , Je veux entretenir Valere a son sujet. L I S E T T E. Mais ce n'etoit pas la tantot notre projet. Quand je vousai parle de Philinte pour Gendrc, V ous me preniez au mot , fk sans presque m'entendre> C O M D 1 E. 347 Mais votrc choix n'a pas long- temps a varier. Je le repete au moins ; on vcut le marier. C etoit fait, sans l'amour qu'il a pour Isahelle ; Et son Pere est charme de tout rompre pour elle; De vous la demander : pourvu que , des ce jour, II vous fasse lui-meme approuver son amour. Ce jour done, ou jamais, soyez-lui favorable. G ER O N T E. Sa recherche me plait , & nous est honorable 5 Tout ce qu'on dit de lui me le fait estimer j Et j'ai cru que sans peine il se feroit aimer. Je connois ce qu'il vaut , scs biens & sa famille ; Et je le proposois de bon cceur a ma fille. Mais elle m'est bien chere, & je voudrois qu'elle eut, Quand nous la marierons, un mari qui lui plut. Je ne veux lui donner aucun sujet de plainte. , LlSETTE. Comment done ? trouve-t-elle a redire a Philinte? GUONTE. Oui. L I S E T T E. Le dit- elle ? Gerontl Non. L I S E T T E. EhbieadoncS 5 4 S L 3 AM A NT MYSTERIEUX, Geronte. Eh bien ! LlSETTE. Quoi * Gehonte. Eile n'en paroit pas si contente que toi. L i s E T T E. Bon,bon, cela viendra! 1'hymen, sansqu'onypense.. Dc ramour trcs-souvcnt mene a l'indiftcrcnce : L'hymen aussi par fois prend tout un autre tour ; Et de l'indifierence il nous mene a l'amour. El!e aimcra Philinte &r hairoit Valcre. Enfin e'est votre Fille , tc vons etes son Perc ; Voyez. Mais supposez que Philinte deplait; Qui vous dit qua Valcre cllc prenne interet ? Geronte. Jc crois m'ctrc appercu que son aspect hi frappe; Et jc la vois rougir Iorsque son noni m'echappe. L I S F. T T E. Cela pent ne rien dire : & puis ce n'est pas tout ;. Valcre pent ne pas la trouver dc son gout, Geront e. Oh! je lui vois sans cessc arpenter ccttc rue ; Du plus loin qu'il me voir d'abord il me salue, Ft meme, tons les jours , dc plus has en plus has.. Jc suis un vieuxRcnard : on ne m'y trompe pas. C O M t D I E. 349 L I S E T T E. II se declareroit ? Geronte. 11 en est bien le maitre. L i s E T T E. Que ne le fait-il done? Geronte. Timidite pcut-etre. L I S E T T E. Et vous le previendrez ! Le cas sera nouveau. Geronte. Non pas ; mais je pretends le lni donner si beau , Que s'il aime Isabellc, il ne pourra s en taire. LlSETTE, Vous ne savez, Monsieur , ce que vous allez faire: G'est un homme . . . Geronte. Je sais ce qu'il en faut savoir. Li s e t t e. Ennn crovcz . . . Geronte. Enfin.... Enfin je veux le voir, L i s E T T E. Mes soins lui preparoient ralarme la plus vivc; J'aurois eu du plaisir ; cet incident men prive. j 5 o r AM ANT MYSTERIEUX, S C N E VIII. GtRONTE seal. JL/ans le cceur de ma Fille , outre qu'il n'est pas mal^ Je pencherois pour lui plus que pour son rival. Philinte nva tout Fair d'un jeune homme a sailliej Et Valeie a la mine un pen plus recucillie. Quand on choisit un Gendre, il faut le choisir bienj Et ce choix-la n'est pas unc affaire de rien. S'il est bon , vous gagnez un Fils a la Famille ; Et quand il est mcchant , vous perdez unc Fille. SCENE IX. G^RONTE, VALERE. G E R O N T E. Je sais que je commets une incivilite : Excusez-moi , Monsieur, sur raon pen de sante -. J'aurois etc chez vous : mais l'agc & la roiblesse.... Valere. Ivloi-meme, accusez-moi, Monsieur, d'impolitesse, De rQchcrchersi tard l'honneur que je rceoi. C O M E D I E. j 5 r G E R O N T E. Nous etions bons amis feu votre pere &: moi. V A L E R E. H me parloit sou vent de vous avec estime. G E R O N T E. Si je l'aimois ; pour vous 1c raeme esprit m'anime. V A L E R E. Avissi je vous avois, sans attendre aujourd'hui , Voue les sentimens que je n'eus que pour lui, G E R O N T E. Votre age florissant me rappelle le notrc ; Nous etions dela Cour les beaux flls, Tun 6z 1'autre. Nos pourpoints taillades cachoient de verds galants , Et sur nous Benserade exerca ses talens. Du reste , votre pere eut une bonne tete \ Et vous laisse, je crois, un bien assez honn&te! Combien ? V A L E R E. Ma soeur &r moi, nos comptcs bien rendus , Nous pourrions posseder chacun cent mille ecus. G E R . O N T E. Nous nous sommes en tout ressembles a merveille> Ma fortune a la sienne a merae etc pareiile. Quel age a votre soeur ? V A L E R E. Environ dix-sept ans. 5 5 i L'AMANT MYSTERIEUX> G E R O N T E. Nous nous ressemblions encore en beaux enfans j Car ma fille est jolie : au moins je la crois telle j Comment la trouvez-vous ? V A L E R E ( cmbarrassc. ) Qui , Monsieur ? G E R O N T E. Isabelle, ( a part. ) H rougit 1 bon ! V A L E R E froidcmcnu Charmante. G E R O N T E. Et mon fils ? V A L E R E. Dcs mieux faits : G E R O N T E. Et ma fille, avosyeux, n'est done pas sans attraits? V A L E R E. Non vraiment : il faudroit etre bien difficile ! Geronte( j 5 ^ V A L E R E. Vous ne pouvez comprendre Tout lc plaisir quaussi je sens a vous entendre. Je yeux en profiter. G E R O N T E. Et quand ? V A L E R E. Tout au plutot. G E R O N T E. (has.) (haut.) Quel homme \ Mais encor > V A L E RE. Des demain , s'il le faut, Mon cceur ne pretend plus qu'a finir cette affaire. G E R o N T E. Aucune belle encor n'a-t-elle su vous plaire l V A L R E. Je ne dis pas cela. G E R O N T E. Vous faites le discrct. Mais moi-meme e'est trop vous garder le secret ; J'ai penetre le votrej fk si je ne me trompe ...... V A L E r E. SoufFrez , Monsieur, ici que je vous interrompe, Je me plais avec vous, j'aime a vous ecouter > Mais le jour qui finit me force a vous quitter. Zij 55 Si c'est-la le secret que vous me voulez dire , Vous etes dans l'erreur. G E r o N T E. C'est parler de bon sens , Cette discretion sied bien aux jeunes gens. Adieu. V A L ERE. Je suis vos pas. G E R O N T E. Continuez les votrcs. V A L E R E. Je veux vous detromper , cV je vous jure .... G E R O N T E. A d 'ant res S Vale re. Vous apprendrcz dans peu qui j'aime. G E r o N T E. Serviteur. C O M t D I E. 357 Ne dites rien pourtant encore a votre socur. Avant que pour mon fils votre bonte s'emploie, II faut que jc lui parle &: que je vous revoie. V A L E R E. Monsieur ! G E R O N T E. Necraignez rien , Monsieur j je suis discret. V A L E R E. Mais G E R O N T E. Mon Dieu ! je suis d'age a garde r un secret. SCENE X. VALfcRE, seul. XL faut, bon gre,mal gre, que bientot je la nomme. Du reste , je suis bien dans l'esprit du bon-homme ; Loin de rien voir encor qui serve a m'informer D'un secret qui , dit on, me devroit alarmer , Tout ce que je decouvre est d'un heureux presage. Quels sont done les malhcurs qu'on veut que {'envisage ? Mais moins je le concois , plus je suis agite ; Ne neidiercons done rien en cette extremite. t , joignant son adresse a l'offre que j'ai faite, Voyons ce que Pasquin gagnera sur Lisctte. Fin du second Acle, Ziit 'j 5 S V AM ANT MYST&RIEUX, A C T E III. SCENE PREMIERE. PASQUIN seulj & achevant de compter del 3 argent dans une bourse. V iNGT-huit, vingt-neuf &: trente: cchapper un morceau Si rare , si friand , si commode , &: si beau ! Miserables valets , ridicules especes , Cestbien pour nous qu'est fait le mepris des richesses 1 II serre la bourse. J'ai raccroche l'aubaine en adroit Conseiller ; Reste as'en rendre digne en faisant babillcr. Ce seroit quelque chose a moi de bien infame. Si je ne savois pas y reduire une femme ! C O M E D I E. 359 SCENE II. PASQUIN,LISETTE. P A S Q U I N. jLTJLADAME,d'etrea vousquand j'aurai lebonhcur, Commc vous, je n'auraiqu'ame piquerd'honneur ; Et nous ajusterons jolimcnt nos affaires 1 II est, en verite, d'etranges caracleres i Preferer le silence a trente louis d'or ! Vas , il faut bien t'aimer pour t epouser encor. L I S E T T E. Desormais, la-dessus , vis sans inquietude: Cc ne sera jamais mon peche dliabitude; Crois que jen'en suis pas a m'en mordre les doigts j Et que e'est grand hasard , a la seconde fois , Si ma fidelite s'en tire saine &r sauve. P A S Q U I N. Eh oui! mais ventreblen , l'occasion est chauvc. Trente beaux Louis d'or 1 suppute en enrageant , Ce que dans un Menage opcrc un tel argent. Deux cents quarantc ecus manquespar tes caprices! Dc quoi payer le mois a quatre-vingt Nourriccs 1 L I S E T T E. Eh ', Liisse-moi jouir du prix de mes efforts ; Ft d'un peu dc vertu nvapplaudir sans remords. Ziv 3 6o r AM ANT MYSTERIEUX* P A S Q U I N. Non pourtant que je veuille autoriser les traitres , Ni vanter les valets prets a vend re leurs maitres. Je distingue. Y va-t-il d'interets precieux? Marchons droit , soyons surs &: conscientieux. Mais de quoi s'agit-il ici ? d'un sot mystere , Dont ta Dame se peut repentir la premiere. Aujourd'hui le depit l'emporte sur l'amour ; l'amour peut, des demain _, l'emporter a son tour, Et la belle vertu qui nous coupe les vivres , Nous aura cependant coutc sept-cent-vingt livres. L I S E T T E. Sept cent-vingt livres ! oui , le sacrifice est grand; Heureux qui les attrape ! &: dupe qui les rend! Aussi , cessc dc rien imputcr an scrupule. J'aurois toutaccepte; j'cn brulois ; & j'cn bri'ilc 5 Mais tu sais a quel point ton maitre me dcplait j Et la malignite subjuguant l'interet , M'afait trouver plaisira son depit extreme; Au risque d'en secher &: d'en crever moi-meme. P A s q u 1 N. Ainsi la main , scion qu'on 1'aimc 011 qu'on la hait Ote 011 donnc le prix aux prcsens qu'on nous fait. Recois done volontiers celui ci dc la mienne: Ne foule plus aux pieds ma fortune 6V la tienne ; Et de cet or , au nom de ma tendre amitie , Pour un secret de rien partagc la moitic. C O M & D I E. } . . . ISABELLE. Ah ! ne l'appelle plus d'un nom qu'il n'eut jamais; Jamais il n 3 a senti qu'une fausse tendresse, Qui , malgrc tes conseils , a joue ma foiblesse. Je viens de m'en convaincre*, &" ma credulite M'a fait chercher l'affront qu'elle avoit merite. On veut absolument que j'epousc Philinte ; Saisie , a. ce revers , de douleur & de crainte , Je cours chez Cclimene , ou je nignorois pas Que Valere , ce soir , devoit porter ses pas. Apres les complimcns qu'exige une visite , II arrive en effet j je l'aborde : il m'evite. 5 S V AM ANT MYSTER1EUX t Je fais signe sur signe , & tousse coups sur coups \ Cent biais que j'ai pris ayant echoue tons , Jc lui glisse un billet dont je m'etois muniej II le laisse tomber-devant la Compagnie; J'empeche plusicurs gens de me le ramasscr; Lui seul pour cet office a peur de se baisser. Un coup plus imprevu vient dessiller ma vucj D'un grand bruit d'instrumens qu'on entend dans la rue , Tout le monde a son air le declare l'autcur. II ne se defend point d'un soupcon si flatteur. Celimene triomphe Votre possession lui devenoit aisee. Voire Pere pour lui s'etant pris d'amitie, Des premiers pas lui-meme avoit fait la moitie : lis se sont vus. Geronrc a fait tout son possible Pour voir a vos appas s'il n'etoit pas sensible : Du choc , a son honneur, votre Amant est sorti j Et cct Original ne s'est pas dementi. Le C O M D I E. %G<) Lc voici. Comment done? Mais je crois qu ils'ingere Et prend aussi les airs de se mettre en colere ! Vraiment, j'en suis da vis, qu'il vienne quereller I SCENE VI. VALfcRE,ISABELLE, LISETTE. V A L E R E. JLTJlADAME ! ( Hen reste lasans pouvoir poursuiyre.) ISABELLE, froidement. Ehbien, Monsieur? V A L E R E, etoujfant de colere. Je ne saurois parler. L I S E T T E , ironiquement. C'est qiie je suis ici. ( Elle feint de vouloir SQftir, ) ISABELLE. Restez, Lisette. V A L E R E. A peine Avez-vous mis le pied hors de chez Celimene, Que Pasquin m'est venu m'est venu dire...,, ISABELLE. Quoit Toms L A a 570 VAMANT MYSTERIEUX, Que mon Pere a la fin a dispose de moi. J'etois chez Celimeneexpres pour vousl'apprendre, Jusques la mes bontes avoient daigne s'etendre. A ma confusion mes soins ayant tourne , J'ignore ce qui peut vous avoir amene. V A L E R E. Vous me le demandez avec cet air tranquille 2 lSABELLE. Eh ! debar rassez-vous de ce role inutile. Jc sais combicn ma main vous interesse pen. V A L E R E. Ah ! vous ne croyez pas que ceci soit un jeu ! Pour mieux m'assassiner, vous feignez de le croirei Ainsi done le passe sort de votre memoir-e ? Madame: & les sermens dont la foi nous unit.... lSABELLE. II faut bien oublier tout ce dont on rougit. V a L E R E. Adieu ! ce dernier trait va me couter la vie. I s a b E L L E. Voila , quand on a tort , comme on se justiiie- Li SETTEa Isabella Ce qu'il vous repondra doit etre curieux. ( A Valere. ) Ne vous en allcz pas, Monsieur, sans mes adieux. C O M E D I E> 57 t Jc vous dois compliment sur l'heureuse prudence Qui m'a ravi l'honneur de votre confidence. V A L E R E. Isabelle m'oublie & rougit du passe. I S A B E L L E. De mon coeur a jamais put-il etre efface I . V A L E R E. Vous me faisiez tantot des menaces severes j Je n'en suis plus surpris. Isabelle. Ni moi , de vos myster es, V A L E R E. Que vous jouissiez bien de ma simplicite 1 Isabelle. J'ai fort a m'applaudir de ma subtilite, V A L E R E. Pour rompre , ainsi de loin , vous preniez des mesurcs ? Isabelle. Et vous-meme venez d'en prendre de plus sures. En recevant si mal tin Pere prevenu , Qui , vous parlant de moi , s'est cru Ie bicn venu. Continuez, Monsieur, sans craindre qu'on vous gronur, Lc ton mysterieux vous va le mieux du moncie. A a ij 3/i V AM ANT MYSTZRIEUXt V A L E R E. Cessez de vous armer d'un pretexte si vain ; Sans cela, raon malheur n'etoit que trop certain. La circonspe&ion ne fut jamais un crime; Le respect &c l'amour en dictent la maxime. Celimene attentive a votre empressement , Nous observoit tons deux impitoyablement. J'ai plus de tort sans doute auprcs de votre Pere, D avoir vu ses desscins , &: d'avoir pu me taire. Mais je ne I'ai pas cm si pres d'un autre choixj Et sur de son aveu , pour la derniere fois , Avant d'en profiler 3 plus delicat qu'un autre , J'ai vculu m'assurer & m'honorer du votre.... 1 S A B E L L E. Pour alter sur lc champ immoler cct aveu A I'estimable objet dc votre nouveau feu ! Cost bien asscz, Monsieur, de la pieine victoirc Dont ma presence vient dc relcver sa gloire ; Et Celimene , apres cc qui vient ci'arriver, Auroit tort de vouloir encor vons eprouvcr. V A L E R E. Vous croyez.... ISABELLE. Qui , jc crois, oui, je suis convaincue Qu'elle a voulu tantot triompher a ma vue; Et, lorsqu'elle m'a peint lc peu d'emoiion Que vous causoithicr sa conversation , C O M E D I E. 57} De son recit piquant la candeur affe&ee Bravoit impunement sa Rivale insultee. Du restc , avis tres-sage ( anssi Ta-t-on suivi ) D'oublier un Amant que ses ysux m'ont ravi. Et cetoient les raisons ou je devois souscrire , Qui vons fermoicnt la bouche, & que vous n'osiez dire. V a l E R E. Ah! ne m'accablez pas, Madame: je le voi 3 Toute apparence ici depose contre moi. Mais quand je vous aurai prouve mon innocence ", Que mon sang, que ma vie est en votre puissance ; Qu'il n'estricn des horreurs dont vous me soupconnez; Que tout m'est odieux, si vous m'abandonnez...* Tout se ressentira dune si juste hainc ! Pour la dernicre fois j'aurai vu Celimene I Et cet Ami qui croit vous posseder demain , M'arrachcra la vie, ou mourra de ma main. ISABELLE. Lisette ! quel transport ! Si je m'etois trompee 1 S'il m aimoit i Lisette. Vous serez , ma foi, bien attrapee, ISABELLE. Valere ! est-il bien vrai que vous soyez constant : j V A L E R E. Madame, suivez-moij je le prouve a Tinstant, Aa iii 574 VAMANT MYSTtRlEUX, Venez chez Celimene > &r, dcvant elle-mcme , Je jure que c'est vous , oui , vous seule que j'aime. Plus de management ; fk , s'il en est besoin , Je prends de mon amour tout le monde a temoin. ( a Isabelle. ) Lisette ! fais ma paix ! Je cours chez votre Pere* L I S E T T E. Et c'est ce que plutot il auroit fallu faire. Mais, Monsieur , c'est trop tard ; leNotaire est id. V A L E R E. O Ciel ! Lisette. Et le Futur vient d'arriver aussi. Isabelle pleurant. C'est le fruit de vos soins & de tant de mysteres. Je vous croyois coupable ; &: , rencontrant mon Pere ,' Au plus afFreux malheur mon cceur s'est resolu > Et j'ai paru vouloir tout ce qu'on a voulu. SCENE VII. VALfcRE, ISABELLE, PASQUIN, LISETTE. Lisette. ASQUIN , veux-tu de moi ? P A S Q U I N. Du meilieur dc mon amc. C O M E D I E. 37 y L I S E T T I. Tends la main I Touche la. P A S Q U I N. Tope ! L I S E T T E. Je suis ta femw& P A S Q U I N. A de pareils marches, il raut se prendre an mot, L I S E T T E. En effet, a quoi bon tonrner autour dit pot ? Six mois , un an , deux ans un Couple se chicane ; Ons'approuveaujourd'hui , demainonsecondamne, On fuit, on se rapproche; on rompt, on se rejoint; Elle est sotte, il est fou, j'en veux , je n'en veux point. A la fin on s'epouse , &: puis Ton se meprise: Combien de temps perdu pour faire une sottise! P A S Q U I N. Ecoutez done , ma foi , e'est parler en Docleur. Valere. Eh quoi ! Lisette enccre insnlte a mon malhcur, Quand meme sa Maitresse avec moi le partage ? ISABELLE, Ah ! ma chere Lisette , aurois-tu le courage De nous abandoiiner dans ce peril pressant ? A a iv 5 7 VAMANT MYSTERIEUX, L I S E T T E. Monsieur , un jour de noce on fait quelque present. P A S Q U I N. Madame, e'est a vous a decider la notre. L I S E T T E. J'aime ces bonnes-Gens; donnons-les 1'una l'autre, La , la ! vous en serez settlement pour la peur. Que Tespoir le plusdoux rentre dans votre cceur. Pardonnez cependant ma petite vengeance : ( a lsabelle. ) Tons deux la meririez ; vous, pour votre indulgence j ( a V alere. ) Vous, ponr avoir cm scul fairc votre bonheur; Et pour avoir voulu m'en derober l'honneur. II vous sied bien sans moi de rien oscr pretendre \ Quand vous auriez etc tout-a-Phcurc vous pendre, Vous n'auricz fait, Monsieur , dans votre desespoir, Qu'una&e de justice &: que votre devoir. Me voler mon intrigue &: inon droit authentique ! Sait-on bien que ce vol est un vol domestiquc? Pour aller jusqu'au cceur ou vous voulez pcrccr , Voila par quel chemin vos feux devoicnt passer *. * Faisant Ic gests de quelqu'un qui compre de l'argent dans sa main. C O M D I E. $77; i urn m i 1 1^ 1 SCENE VIII & dernierc. GERONTE > & les Acteurs dela Scene precedents Geronte, venant tout furieux & s'adressant a Lisette. CoQUlNE ! L I S E T T E. Or admirez les effets du mystere, Personnc ici ne vient qui nc soit en colere. Geronte. Tu dis.... Lisette. Quoi ? Geronte. Que Philinte aime Isabelle ? Lisette. Eh bien ? Geronte. Qu'il songe a l'epouser ? Lisette. Apres :- >7* V AM ANT MYST&R1EUX, G E R O N T E. II n'en est rien LlSETTE. Qu'cn savez-vous ? Geronte. J'apprends comme chose certainc, Qu'il recherche } &: dans peu qu'il aura Celimene. Je l'ai trouve lui-meme ou Ton semoit ces bruits, Sans qu'il semblat savoir seulement qui je suis. Tu rjs? L I S E T T E. Comment veut-on qu'autrement je reponde* Je ne sais seulement si Philinte est au monde. Ce n'etoit qu'un fantome aposte de ma main Pour engager Monsieur a faire son chemin. Geronte. Monsieur J V A L E R E. Oui. L'on a mal interprete mes vues - y Mes projets n'ont par-tout cause que des be vues t Oui, j'adore Isabelle ; approuvez done mes feux > Et vos Enfans, maSceur &: moi sommes heureux* Geronte. J'ai desire toujours cette double alliance; Que ne m'nonoriez-vous de plus de confiance. C O M D I E. S79 Vous anriez eu deja ce doux consentement , Que je vous reitere en cet embrassement. VALERE a Isabelk en lid dormant la main. Puisse notre tendresse a tous enfin connue , N'eprouver pour cela rien qui la diminue ! L i s E T T E. Ne se plaindra-t-il pas encore ? P A S Q U I N. Son chagrin, Cest de n'avoir pu faire un hymen clandestin. Fin du Tome premier. PRIVILEGE DU R O I. 3L0UIS , PAR LA GRACE DE DlEU, Roi DE FRANCE ET DE Navarre : A nos ames & feaux Confeillers , les Gens tenant nos Cours de Parlement 8c Confeils Supeiieurs, Maitres des Re- queues ordinaires de notre Hotel, Prevot de Paris , Baillifs , Sene- chaux , leurs Lieutenans Civils , & autres nos Jufticiers qu*il appar- tiendra: SALUT. Notre am<5 !e fieur Rigoley DE Juvigny Nous a fait expofer qu'i! defireroit f'aire imprimer & donner au Public les (Euvres defeu Alexis PiRON , recueillies & donnees avec la vie de. I'Auteur , far le Sieur Rigoley de Juvigny , notre Conseiller Ho- noraire en notre Cour de Parlement de Met\ , s'il Nous plaifoit lui accor- ,der nos Lettres de Privilege pour ce ne'ceflaires. A ces Causes, voulant favorablement traiter l'Expofant , Nous lui avons permis Sc permettons , par ces Prefentes , de faire imprimer ledit Ouvrageautant de fois que bon lui femblera., & de le vendre , faire vendre & debiter par tout notre Royaume , pendant le temps de fix annees confecutives, compter du jour de la date des Prefentes. Faifons dcfenfes a tons Imprimeurs , Libraires , & autres perfonnes , de quelque qualite & condition qu'elles foient, d'en introduire d'imprelFion etrangere dans aucun lieu de notre obeiffance. Comme auffi d'imprimer ou faire imprimer , vendre, faire vendre, debiter ni conlrefaire ledit Ouvrage, xii d'en faire aucuns Extraits, fous quelque pretexte que ce puifle etre, fans la permiflion expreffe & par crit dudit Expofant , ou de ceux qui auront droit de lui , a peine de confutation des Exemulaires contre- faits , de trois mi'ile livres d'amende contre chacun des contrevenans , dont un tiers a Nous , un tiers a l'H6teH>ieu de Paris , & l'autre tiers audit Expofant , ou a celui qui aura droit de lui , & de tous depens , dommages & interets. A la charge que ces Prefentes feront enrc- giitrees tout au long fur le Regiftre de la Communaute des Impri- meurs & Libraires de Paris, dans trois mois de la date d'icelles j que i'imprellion dudit Ouvrage fera fait;: dans notre Royaume , & non ailleurs, en ban papier & beaux cara&eres ; conformement aux Regleinens de la Librairie , & notamment a celui du to Avril 1715 , a peine de decheance du prefent Privilege ; qu'avant de l'expofer en vente , le Manufcric qui aura fervi de copie a l'impreflion dudit Ouvrage , fera remis dans le meme etat ou l'approbation y aura ece connce , es mains de notre tres-cber 8t feal Chevalier , Chmcelier Ciidt-d:s-Sc;auA de Frr.rrce . le Suur dvl M.^uptou ; au'il en fesa enfuite remis deux Exemptaires dans notre Bibliotheque pubiique , titt dans celle de notre Chateau du Louvre , & un dans celle dudit Sieur CE Maupeou ; le tout a peine de nullite des Prefentes ; du contenu dcfquelles vous mandons & enjoignons de faire jouir ledit Expofant &fes ayans - caufe , pleinement & paifiblement , fans fouffrir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empechement. Voulons qu'a la topic des PreTentes , qui fera imprimee tout au long , au com- mencement on a la fin dudit Ouvrage , foi foit ajoutee comme a l'original. Commandons au premier notre Huiffier ou Sergent fur ce requis , de faire , pour Pexecution d'icelles , tous aftes requis & necefTaires , fans demander autre permiffion , & nonobf- tant clameur de Haro , Charte Normande , & Lcttres a ce contrai- res : Car te! elt notre plaifir. Donne a Paris le neuvieme jour du mois de Mr.tS , l'an mil fept cent foixante-quatorze , & de notre Regne le cinquante-ncuvieme. Par le Roi en fon Confeil. Signi L E B E G U E. Jc foufligne , feconnois avoir cede le prefent Privilege au fteui MlCHEL LAM3ERT, Imprimeur-Libraire a Paris. RlGOLEY DE JUVIGNY. Regifire fur le Regifire XIX de la Chambre Roy ale & Syr.dicalc ties Libraires & Jmpnmeurs de Paris , N" 2.896 , fol. ~)j, confor- tniment au Re element de 17^3 , qui fait defenfes , article 4 , a toittes perfonnes , de antique qualite & condition qiielles foient , .nitres que les Libraires & Imprimeurs , de venire , debiter, faire afficher aucuns Livres pour les venire en leurs noms , foit qitds s'en difent les Auteurs ou autremenr, & a Li charge de fournlr a la jufdite Chambre huit exemplaires prefcrits par l' article 10S du mime Rkglement. A Paris , ce 20 Mai 1774. Signe, C. A, JOMBERT pere, Syndic, f t n APP ROBATIO N. TT J'ai lu par ordre de Monseigneur \c Chancelier, un Manuscrit qui a pour titre : (Euvres de feu Alexis Piron 3 rccueillies & donnees avec la Vie. del'Auteur 3 par M. KlGOLEY DE JuviGNY 3 Conseiller honoraire au Parlement de Met^^ & je n'y ai rien trouve qui puisse en empecher l'lmpression. A Paris ce 2 Juin 1774. Crebillon. UNIVERSITY OF CALIFORNIA AT LOS ANGELES THE UNIVERSITY LIBRARY This book is DUE on the last date stamped below Form L-0 30m-l, '41(1122) ^2^^UC^ERNREGI0^ fte