LIBRARY THE UNIVERSITY OF CALIFORNIA SANTA BARBARA PRESENTED BY MRS. R. c. DUGAN <*u HENRIADE, POEME, / PAR VOLTAIRE. EDITION STEREOTYPE. REVUE, CORRIGEE, ET ANNOT^E, PAR C. L. PARMENTIER, Profeaseur de Littcrature Fran^aise a !'Universit6 de New York. BOSTON. JAMES MUNROE & CO. 1852. Entered according to Act of Congress, in the year 183fa, By SIMON KODENBURGH, In the Clerk's Office of the District Court of Massachusetts. IDEE DE LA HENRIADE. LE sujet de la Henriade est le siege de Paris, commenc6 par Henri de Valois et Henri le grand, acheve par ce dernier seul. Le lieu de la scene ne s'etend pas plus loin que de Paris a Ivry, ou se donna cette fameuse bataille qui decida du sort de la France et de la maison royale. Le poeme est fonde sur tine histoire connue, dont on a conserve la verit6 dans les evenements princi- paux. Les autres, moins respectables, ont etc ou retrenches, ou arranges suivant la vraiserablance qu'exige un poeme. On a tache d'eviter en cela le defaut de Lucain, qui ne fit qu'une gazette ampoulee. On n'a fait mme que ce qui se pratique dans toutcs les tragedies, ou les evenements sont plies aux regies du theatre. Au reste ce poeme n'est pas plus historique qu'aucun autre. Le Camouens, qui est le Virgile des Portugais, a celebre un evenement dont il avait etc temoin lui-meme. Le Tasse a chante une 4 IDEE DE LA IIENRIADE. croisade connue de tout le monde, et n'en a omis m 1'hermite Pierre ni les processions. Virgile n'a construit la fable de son Eneide que des fables revues de son temps, et qui passaient pour 1'histoire veritable de la descente d'Enee en Italie. Homere, contemporain d'Hesiode, et qui par con- sequent vivait environ cent ans apres la prise de Troie, pouvait aisement avoir vu, dans sa jeunesse, des vieillards qui avaient connu les heros de cette guerre. Ce qui doit meme plaire davantage dans Homere, c'est que le fond de son ouvrage n'est point un roman, que les caracteres ne sont point de son imagination, qu'il a peint les hoinmes tels qu'ils etaient, avec leurs bonnes et mauvaises qualites, et que son livre est un monument des mceurs de ces temps recules. La Henriade est composee de deux parties ; d'evenements reels dont on vient de rendre compte, et de fictions. Ces fictions sont toutes puisees dans le systeme du merveilleux, telles que la prediction de la conversion de HENRY IV., la protection que lui donue S. Louis, son apparition, le feu du ciel detruisaat ces operations magiques qui etaient alors si communes, etc. Les autres sont puremcnt alle- goriques : de ce nombre sont le voyage de la Dis- corde a Rome, la Politique, le Fanatismc, pcnsouni- fies, le temple de 1'amour. enfin les passions et les vices Prenant un corps, une amc, un esprit, un visage. IDEE DE LA HENRIADE. 5 Que si 1'on a donne dans quelques endroits a ces passions personnifiees les marries attributs que leur donnaient les pa'iens, c'est que ces attributs allego- riques sonttrop connus pour etre changes. L'Amour a des fleches, la Justice a une balance dans HOS ouvrages les plus Chretiens, dans nos tableaux, dans " nos tapisseries, sans que ces representations aient la moindre teinture de paganisme. Le mot d'Am- phitritre dans notre poesie ne signifie que la mer, et non 1'epouse de Neptune : les champs de Mars ne veulent dire que la guerre, etc. S'il est quelqu'un d'un avis contraire, il faut le renvoyer encore a ce grand maitre M. Despreaux, qui dit: C'est d'un scrupule vain s'alarmer sottement Et vouloir au lecteur plaire sails agrement. Bientdt ils defendront de peindre la Prudence, De donner a Themis ni bandeau ni balance, De figurer aux yeux la Guerre au front d'airain, Ou le Temps qui s'enfuit une horloge &. la main ; Et par-tout, des discours, comme une idolatrie, Dans leur faux zele iront chasser 1'allegorie. Ayant rendu compte de ce que contient cet ou- vrage, on croit devoir dire un mot de 1'esprit dans lequel il a ete compose. On n'a voulu ni flatter ni medire. Ceux qui trouveront ici les mauvaises ac- tions de leurs ancetres n'ont qu'a les reparer par leur vertu. Ceux dont les afeux y sont nommes avec eloge ne doivent aucune reconnaissance a 1'auteur, qui n'a eu en vue que la verite ; et le seul usage 6 IDEE DE LA HENRIADE. qu'ils doivent faire de ces louanges, c'est d'en me- ritcr de pareilles. Si Ton a dans cette nouvcllc Edition retranche quclques vers qui contcuuicnt des verites dures cen- tre les papes qui ont autrefois deshonore le saint- siege par leurs crimes, ce n'est pas qu'on fasse a la cour de Rome 1'affront de penser qu'elle veuille ren- dre respectable la memoire de ces mauvais pontifes. Les Francais qui condamnent les mechancetes de Louis XI et de Catherine de Medicis, peuvent par- ler sans doute avec horreur d' Alexandra VI. Mais 1'auteur a elague ce morceau, uniquement parcequ'il etait trop long, et qu'il y avait des vers dont il u'e- tait pas content. C'est dans cette seule vue qu'il a mis beaucoup de noms a la place de ceux qui se trouvent dans les premieres editions, selon qu'il les a trouves plus convenables a son sujet, ou que les noms memes lui ont paru plus sonorcs. La seule politique dans un poe'me doit etre de faire de bons vers. On a retranche la rnort d'un jeune Boufflers, qu'on sup- posait tue par HE.NRI IV, parceque dans cette cir- constance la mort de ce jeune homme semblait rendre HEXRI IV tin pen odieux, sans le rendre plus grand. On a fait passer Duplessis-Mornai en Angleterre aupres de la reine Elisabeth, parceqti'- effectivement il y fut envoye, et qu'on s'y ressou- vient encore de sa negociation. On s'est servi de ce meme Duplessis-Mornai dans le reste du poe'me, IDJ&E DE LA HENRIADE. 7 parcequ'ayant joue le role de confident du roi dans le premier chant, il cut ete ridicule qu'un autre prit sa place dans les chants suivants ; de meme qu'il serait impertinent dans une tragedie (dans Berenice, par exemple) que Titus se confiat a Paulin au premier acte, et a un autre au cinquieme. Si quelques personnes veulent donner des interpreta- tions malignes a ces changements, 1'auteur ne doit point s'en in quieter: il sait que quiconque ecrit est fait pour essuyer les traits de la malice. Le point le plus important est la religion, qui fait en grande partie le sujet du poe'me, et qui en est le seul denouement. L'auteur se flatte de s'etre explique en beaucoup d'endroits avec une precision rigoureuse qui ne peut donner aucune prise a la censure. Tel est, par exemple, ce morceau sur la TRINITE : La puissance. I'amour, avec 1'intelligence, Unis et divises, composent son essence. Et celui-ci : II reconnait 1'eglise ici-bas combattue, L'eglise toujours une, et par-tout etendue; Libre, mais sous un chef, adorant en tout lieu Dans le bouheur des saints la grandeur de son Dieu. Le Christ, de nos peehei viclime renaissanle, De ses ('-lus clicris nourriture vivante, Descend sur les autels k ses yeux eperdus, Et lui docouvre un Dieu sous un pain qui n'est plu. 8 IDEE DE LA HENRIADE. Si 1'on n'a pu s'exprimer par-tout avec cette exactitude theologique, le lecteur raisonnable y doit suppleer. II y aurait une extreme injustice & exa- miner tout 1'ouvrage comme une these de theologie. Ce poeme ne respire que 1'amour de la religion et des lois. On y deteste egalement la rebellion et la persecution: il ne faut pas juger sur un mot un livre ecrit dans un tel esprit. HISTOIRE ABR&GEE DES EVENEMENTS SUE LESaUELS EST FONDEE LA FABLE DU POEME DE LA HENRIADE. LE feu des guerres civiles, dont Francois II vit les premieres etiucelles, avait embrase la France sous la minorit6 de Charles IX. La religion en etait le sujet parmi les peuples, et le pretexte parmi les grands. La reine mere Catherine de Medicis, avait plus d'une fois hasarde le salut du royaume pour conserver son autorite, armant le parti catho- lique centre le protestant, et les Guises centre les Bourbons, pour accabler les uns par les autres. La France avait alors, pour son malheur, beau- coup de seigneurs trop puissants, par consequent factieux ; des peuples devenus fanatiques et bar- bares par cette fureur de parti qu'inspire le faux zele ; des rois enfunts, aux noms desquels on rava- geait 1'etat. Les batailles de Dreux, de Saint-Denis, de Jarnac, de Moncontour, avaient signale le mal- 10 EVENEMENTS SUR LESQUELS heureux regne de Charles IX ; les plus grandes villes etaient prises, reprises, saccagees tour-a-tour par les partis opposes ; on faisait mourir les prison- niers de guerre par des supplices recherches; les eglises etaient mises en cendres par les reformes, les temples par les catholiques; les empoisonne- ments et les assassinate n'etaient regardes que conime des vengeances d'ennemis habiles. On mit le comble a tant d'horreurs par la journee de la Saint-Barthelerni. Henri le grand, alors roi de Navarre, et dans une extreme jeunesse chef du parti reforme, dans le sein duquel il etait ne, f'ut attire a la cour avec les plus puissants seignevirs du parti. On le maria a la princesse Marguerite, sceur de Charles IX. Ce fut au milieu des rejouissances de ces noces, au milieu de la paix la plus profonde, et apres les serments les plus solennels, que Cathe- rine de Medicis ordonna ces massacres dont il faut perpetuer la memoire (tout affreuse et toute fletris- sante qu'elle est pour le nom francais), afin que lea homines, toujours prets a entrer dans de malheu- reuses querelles de religion, voient a quel exces 1'esprit de parti pent eufin conduire. On vit done, dans une cour qui se piquait de politesse, une femme celebre par les agrements de 1'esprit, et un jeune roi de vingt-trois ans, ordonner de sang-froid la mort de plus d'un million de leurs sujets. Cette meme nation qui ne pense aujour- cl'hui a ce crime qu'en frissonnant le commit avec transport et avec zele. Plus de cent mille homines EST FONDEE LA HENRIADE. H furent assassines par leurs compatriotes; et, sans les sages precautions de quelques personnages ver- tueux, comine le president Jeannin, le marquis de Saint-Herem, etc., la nioitie des Francais egorgeait 1'autre. Charles IX ne vecut pas long-temps apres la Saint Barthelemi. Son frere Henri III quitta le trone de la Pologne pour venir replonger la France dans de nouveaux inalheurs, dont elle ne fut tiree que par Henri IV, si justement surnomme le Grand par la poslerite, qui seule peut douner ce titre. Henri III, en revenant en France, y trouva deux partis dominants. L'un etait celui des reformes, rf.-naissant de sa cendre, plus violent que jarnais, et ayant a sa tete le meme Henri le grand, alors roi de Navarre. L'autre etait celui de la Ligue, faction puissante, formee peu A peu par les princes de Guiso, encouragee par les papes, fomentee par 1'Espagne, s'accroissant tous les jours par 1'artifice tics moinos, consacree en apparence par le zele de la religion catholique, mais ne tendant qu'a la rebel- lion. Son chef etait le due de Guise, surnomme le Ualafre, prince d'une reputation eclatante, et qui, ayant plus de grandes qualites que de bonnes, sembhut ne pour changer la face de 1'etat dans ce temps de troubles. Henri III, au lieu d'accabler ces deux partis sous le poids de 1'autorite royale, les fortifia par sa faiblrs.se ; il crut faire un grand coup de politique en se declarant le chef de la ligue, mais il n'en fut 12 EVENEMENTS SUR LESQUELS que 1'esclave. II fut force de faire la guerre pour les interets du due de Guise, qui le voulait detroner, centre le roi de Navarre son beau-frere, son heritier presomptif, qui ne pensait qu' retablir Pautorite royale, d'autant plus qu'en agissant pour Henri III, a qui il devait succeder, il agissait pour lui-meme. L'armee que Henri III envoya contre le roi son beau-frere fut battue a Coutras ; son favori Joyeuse y fut tue. Le Navarrois ne voulut d'autre fruit de sa victoire que de se reconcilier avec le roi. Tout vainqucur qu'il etait, il demanda la paix, et le roi vaincu n'osa 1'accepter, tant il craignait le due de Guise et la Ligue. Guise dans ce temps-la meme venait de dissiper une armee d'Allemands. Ces succes du Balafre humilierent encore davantage le roi de France, qui se crut a la fois vaincu par les ligueurs et par les r^formes. Le due de Guise, enfle de sa gloire, et fort de la faiblesse de son souverain, vint & Paris malgre ses ordres. Alors arriva la fameuse joumee des barri- cades, ou le peuple chassa les gardes du roi, et ou ce monarque fut oblige de fuir de a capitale. Guise fit plus: il obligea le roi de tenir les etats- generaux du royaume a Blois ; et il prit si bien ses mesures, qu'il etait pret de partager 1'autorite royale du consentement de ceux qui representaient la nation, et sous 1'apparence des formalites les plus respectables. Henri III, reveille par ce pressant danger, fit assassiner au chateau de Blois cet ennemi si dangereux, aussi-bien que son frere le EST FONDEE LA HENRIADE. 13 cardinal, plus violent et plus ambitieux encore que le due de Guise. Ce qui etait arrive au parti protestant apres la Saiiit-Barthelemi arriva aloi-s a la Ligue : la niort des chefs ranima le paiti. Les ligueurs levereut le masque; Paris ferma ses portes: on ne songea qu'a la vengeance. On regarda Henri III comme 1'assassin des defenseurs de la religion, et non comme un roi qui avait puni ses sujets coupables. II fallut que Henri III, presse de tous cotes, se reconciliat enfin avec le Navarrois. Ces deux princes vinrent camper devant Paris ; et c'est la que commence la Henriade. Le due de Guise laissait encore un frere ; c'etait le due de Mayenne, homme intrepide, mais plus habile qu'agissant, qui se vit tout d'un coup a la tete d'une faction instruite de ses forces, et animee par la vengeance et par le fanatisme. Prcsque toute 1'Europe entra dans cette guerre. La celebre Elisabeth, reine d'Angleterre, qui etait pleine d'estime pour le roi de Navarre, et qui eut toujours une extreme passion de le voir, le secourut plusieurs fois d'hommes, d'argent, de vaisseaux ; et ce fut Duplessis-Mornai qui alia toujours en Angle- terre solliciter ces secours. D'un autre cote, la branche d'Autriche qui regnait en Espagne favori- sait la Ligue, dans 1'esperance d'arracher quelqurs depouilles d'un royauinc dechire par la guerre civile. Les papcs cornbattaient le roi de Navarre, non seulemeut par des excommunications, mais par 2 14 ^TENEMENTS STJR LESQUELS tous les artifices de la politique, et par les petite secours d'hommes et d'argent que la cour de Rome pent fournir. Cependant Henri III allait se rcndre maitre de Paris, lorsqu'il fut assassine a Saint-Cloud par un moine dominicain, qui commit ce parricide dans la seule idee qu'il obeissait a DIEU, et qu'il courait au martyre ; et ce meurtre ne fut pas seulement le crime de ce moine fanatique, ce fut le crime de tout le parti. L'opinion publique, la creauce de tous les ligueurs etait qu'il fallait tuer son roi, s'il etait mal avec la cour de Rome : les predicateurs le criaient dans leurs mauvais sermons ; on 1'impri- mait dans tous ces livres pitoyables qui inondaient la France, et qu'on trouve iSi peine aujourd'hui dans quelques bibliotheques, comme des monuments curieux d'un siecle egalement barbare et pour les lettres et pour les mo3urs. Apres la mort de Henri III, le roi de Navarre (Henri le grand), reconnu roi de France par 1'armee, cut & soutenir toutes les forces de la Ligue, celles de Rome, de 1'Espagne, et son royaume con- querir. II bloqua, il assiegea Paris a plusieurs reprises. Parmi les plus grands hommes qui lui furent utiles dans cette guerre, et dont on a fait quelque usage dans ce poe'me, on compte les marechaux d'Aumont et de Biron, le due de Bouillon, etc. Duplessis-Mornai fut dans sa nlus intime confidence jusqu'au changement de religion de ce prince ; il le servait de sa personne dans les EST FONDLE LA HENRIADE. 15 armies, de sa plume centre les excommunications des papes, et de son grand art de negocier, en lui cherchant des secours chez tous les princes protestants. Le principal chef de la Ligue etait le due de Mayenne: celai qui avail le plus de reputation apres lui etait le chevalier d'Aumale, jeune prince connu par cette fierte et ce courage brillant qui distinguaient particulierement la maison de Guise. Us obtinrent plupieurs secours de 1'Espagne ; mais il n'est question ici que du fameux comte d'Eg- mont, fils de 1'amiral, qui amena treize ou quatorze cents lances au due de Mayenne. On donna beaucoup de combats, dont le plus fameux, le plus decisif, et le plus glorieux pour Henri IV, fut la bataille d'lvry, ou le due de Mayenne fat vaincu, et le comte d'Egmont fut tue. Pendant le cours de cette guerre le roi etait devenu amoureux de la belle Gabrielle d'Estrees ; mais son courage ne s'amollit point aupres d'elle, temoin la lettre qu'on voit encore dans la biblio- tlieque du roi, dans laquelle il dit & sa maitresse : " Si je suis vaincu, vous me connaissez assez pour croire que je ne fuirai pas; mais ma derniere pensee sera & DIEC, et 1'avant-deniiere ;\ vous." Au reste on omet plusieurs faits considerables, qui, n'ayant point de place dans le poe'me, n'en doivent point avoir ici. On ne parle ni de 1'expe- dition du due de Parme en France, qui ne servit qu'i retarder la chute de la Ligue, ni de ce cardinal 16 VNEMENTS, &/c. de Bourbon, qui fut quelque temps un fantome de roi sous le nom de Charles X. II suffit de dire qu'apres tant de malheurs et de desolation, Henri IV se fit catholique, et que les Parisiens, qui haiissaient sa religion et reveraient sa persoime, le reconuurent alors pour leur roi. LA HENRIADE CHANT PREMIER. ARGUMENT. Henri III., rfuni avec Henri de Bourbon, roi de Navarre, centre la ligue, ayant deji commenc6 le blocus de Paris, envoie secrete- ment Henri de Bourbon demander du secours a Elisabeth, reine d'Angleterre. Le heros essuie une tempete. II relitho dans one isle, oil un vieillard catholique lui predit son changement da religion, et son avenement au tr&ne. Description de I'Angleterre et de son gouvcrnement. I E chante ce heros qui regna sur la France Et par droit de conquute, et par droit de naissance ; Qui par de longs malheurs apprit a gouverner, Calma les factions, sut vaincre, et pardonner, Confondit et Llayenne, et la ligue, et 1'Ibere, Et fut de ses sujets le vainqueur et le pere. Descends du haut des cteux, auguste verite ; Repands sur mes ccrits ta force et ta clart6 ; Que 1'oreille des rois s'accoutume i t'entendre. C'est a toi d'annoncer ce qu'ils doivent apprendre : C'est k toi de montrer, aux yeux des nations, Les coupablcs eiFets de leurs divisions. 2" B 18 LA HENRIADE. Dis comment la discorde a troub!6 nos provinces; Dis les malheurs du peuple, et les fautes des princes Viens, parlc ; et s'il est vrai que la fable autrefois Sut a tes fiers accents meler sa douce voix ; Si sa main delicate orna ta tete altiere ; Si son ombre embellit les traits de ta lumiere, Avec moi sur tes pas permets lui de marcher, Pour orner tes attraits, et non pour les cacher. Valois regnait encore ; et ses mains incertaines De 1'etat ebranle laissaient flotter les renes : Les lois etaient sans force, et les droits confondus ; Ou plutot en eiFet Valois ne regnait plus. Ce n'etait plus ce prince environn6 de gloire, Aux combats, des 1'enfance, instruit par la victoire, Dont 1'Europe, en tremblant, regardait les progr6s, Et qui de sa patrie emporta les regrets, Quand du nord etonne de ses vertus supremes Les peuples a ses pieds mettaient les diademes. Tel brille au second rang qui s'eclipse au premier; II devint Liche roi, d'intrepide guerrier : Endormi sur le trone au sein de la mollesse, Le poids de sa couronne accablait sa faiblesse. Quclus et Saint-Megrin, Joyeuse et d'Epernon, Jeunes voluptueux qui regnaient sous son nom, D'un maitre effemine corrupteurs politiques, Plongeaient dans les plaisirs ses langueurs lethargiques Des Guises cependant le rapide bonheur Sur son abaissement elevait leur grandeur; Us formaient dans Paris cette ligue fatale, De sa faible puissance orgueilleuse rivale. Les peuples dechaines, vils esclaves des grands, Persecutaient leur prince, et ser^aient des tyrans. CHANT I. 19 Ses amis corrompus bientot 1'abandonnerent ; Du louvre epouvante ses peuples le chasserent : Dans Paris revolte 1'etranger accourut; Tout perissait enfin, lorsque Bourbon parut. Le vertueux Bourbon, plein d'une ardeur guerriere, A son prince aveugle vint rendre la lumiere : II ranima sa force, il conduisit ses pas De la honte a la gloire, et des jeux aux combats. Aux remparts de Paris les deux rois s'avancerent : Rome s'en alanna ; les Espagnols tremblerent : L'Europe, interessee a ces fameux revers, Sur ces murs malheureux avait les yeux ouverts. On voyait dans Paris la discorde inhumaine Excitant aux combats et la ligue et Mayenne, Et le peuple et 1'eglise, et, du haut de ses tours, Des soldats de 1'Espagne appelant les secours. Ce monstre impatueux, sanguinaire, inflexible, De ses propres sujets est I'ennemi terrible : Aux malheurs des mortels il borne ses desseins : Le sang de son parti rougit souveut ses mains : II habite en tyran dans les creurs qu'il declare ; Et lui-meme il punit les forfaits qu'il inspire. Du cote du couchant, prcs de ces bords fleuris Oti la Seine serpente en fiiyant de Paris, Lieux aujourd'hui charmants. retraite aimable et pure, Ou triomphent les arts, ou se plait la nature, Th6.ttre alors sanglant des plus mortels combats, Le malheureux Valois rassemblait ses soldats. On y voit ces heros, fiers soutiens de la France, Divises par leur secte, unis par la vengeance ; C'est aux mains de Bourbon que leur sort est comnrjs, En gagnant tous les coeurs, il les a tr>us unis. 20 LA HENRIADE. On eul dit que 1'armee, a son pouvoir soumise, Ne connaissait qu'un chef, et n'avait qu'une eglise. Le pere des Bourbons, du sein des immortels, Louis, fi.xait sur Jui ses regards paternels : II presageait en lui la splendeur de sa race ; II plaignait ses erreurs ; il aimait son audace ; De sa couronne un jour il devait 1'honorer ; II voulait plus encore, il voulait Tcclairer. Mais Henri s'avanijait vers sa grandeur supreme Par des chemins secrets, inconnus a lui-meme : Louis, du haut des cieux, lui pretait son appui ; Mais il cachait le bras qu'il ctendait pour lui, De peur que ce hcros, trop sAr de sa victoire, Avec moins de danger, n'eut acquis moins de gloire. Dcja. les deux partis, au pied de ces remparts, Avaient plus d'une fois balance les hasards ; Dans nos champs desoles le demon du carnage Dejti jusqu'aux deux mers avait porte sa rage, Quand Valois a Bourbon tint ce triste discours, Dont souvent ses soupirs interrompaient le cours : Vous voyez a. quel point le destin m'humilie ; Mon injure est la votre ; et la ligue ennemie, Levant contre son prince un front seditieux, Nous confond dans sa rage,et nous poursuit tous deux Paris nous meconnait ; Paris ne veut pour maitre, Ni moi qui suis son roi, ni vous qui devez 1'etre. Us savent que les lois, le merite et le sang, Tout, aprcs mon trepas, vous appelle a ce rang ; Et, redoutant deja votre grandeur future, Du trone ou je chancelle ils penserit vous exclure. De la religion, terrible en son courroux, Le fatal anatheme est lance contre vous. 21 Rome, qui sans soldals porte en tous lieux la guerre, Aux mains des Espagnols a remis son tonnerre : Sujets, amis, parents, tout atrahi sa foi; Tout me fuit, m'abandonne, ou s'arme centre moi; Et 1'Espagnol avide, enrichi de mes pertes, Vient en foule inonder mes campagnes desertes. Contre tant d'ennemis ardents a m'outrager, Dans la France a mon tour appelons 1'etranger : Des Anglais en secret gagiiez 1'illustre reine. Je sais qu'entre eux et nous une immortelle haine Nous permet rarement de marcher reunis, Que Londre est de tout temps 1'emule de Paris : Mais, apres les affronts dont ma gloire est fletrie, Je n'ai plus de sujets, je n'ai plus de patrie. Je hais, je veux punir des peuples odieux : Et quiconque me venge est Fran^ais a mes yeux. Je n'occuperai point dans un tel ministere De mes secrets agents la lenteur ordinaire ; Je n'implore que vous : c'est vous de qui la voix Peut seule a mon malheur interesser les rois. Allez en Albion ; que votre renomm6e Y parle en ma defense, et m'y donne une arm6e. Je veux par votre bras vaincre mes ennemis ; Mais c'est de vos vertus que j'attends des amis. II dit ; et le heros, qui, jaloux de sa gloire, Craignait de partager 1'honneur de la victoire, Sentit, en 1'ecoutant, une juste douleur. II regrettait ces temps si chers ei son grand coeur, Ou, fort de sa vertu, sans seconrs, sans intrigue, Lui seul avec Conde faisait trembler la ligue. Mais il fallut d'un rnaitre accomplir les dcsseins : II suspendit les coups qui partaient de ses mains ; 22 LA HENRI ADE. Et, laissant ses lauriers cueillis sur ce rivage, A partir de ces lieux il for^a son courage. Les soldats etonnes ignorent son dessein ; Et tous de son retour attendant leur destin. II marche. Cependant la ville criminelle Le croit toujours present, pret a fondre sur elle ; Et son nom, qui du trone est le plus feme appui, Semait encore la crainte, et combattait po-ir lui. Deja des Neustriens il francliit la campaome : De tous ses favoris, Mornay seul 1'accompagne, Mornay, son confident, mais jamais son flatteur ; Trop vertueux soutien du parti de 1'erreur ; Qui, signalant toujours son zele et sa prudence, Servit egalement son eglise et Ja France ; Censeur des courtisans, raais a la cour aime ; Fier ennemi de Rome, et de Rome estime. A travers deux rochers oft la mer mugissante Vient briser en courroux son onde blanchissante, Dieppe aux yeux du heros offre son heureux port. Les matelots ardents s'empressent sur le bord : Les vaisseaux, sous leurs mains fiers souverains dea ondes, Etaient prets a voler sur les plaines profondeaj L'impetueux boree, enchaine dans les airs, Au souffle du zephyr abandonnait les mers : On leve 1'ancre, on part, on fuit loin de la terre. On decouvrait deja les bords de 1'Angleterre : L'astre brillant du jour a. 1'instant s'obscurcit ; L'air siffle, le ciel gronde, et 1'onde au loin mugit , Les vents sont dichaines sur les vagues emues : La foudre etincelante eclate dans les nues ; Et le feu des eclairs, et 1'abime des flots, Montraient par-tout la mort aux pales matelots. CHANT I. 23 Le hcros, qu'assi6geait une mer en furie, Ne songe en ces dangers qu'aux rnaux de sa patrie ; Tourne ses yeux vers elle, et, dans ses grands des- seins, Semble accuser les vents d'arreter ses destins. Tel, et moins g6nereux, aux rivages d'Epire, Lorsque de 1'univers il disputait 1'empire, Confiant sur les flots aux aquilons rautins Le destin de la terre et celui des Remains, Defiant a la fois et Pompee et Neptune, Cesar a la tempete opposait sa fortune. Dans ce raeme moment le Dieu de 1'univers, Qui vole sur les vents, qui souleve les mers, Ce Dieu dont la sagesse ineffable el profonde Forme, eleve, et detruit les empires du monde, De son trone enflamme qui luit au haut des cieux, Sur le hcros franijais daigna baisser les yeux. II le guidait lui-meme. II ordonne aux orages De porter le vaisseau vers ces prochains rivages Oh Jersey semble aux yeux sortir du sein des flots: La, conduit par le ciel, aborda le heros. Non loin de ce rivage, un bois sombre et tranquille Sous des ombrages frais presents un doux asyle Un rocher, qui le cache a la fureur des flots, Defend aux aquilons d'en troubler le repos : Une grotte est aupres, dont la simple structure Doit tous ses ornements aux mains de la nature. Un vieillard v6nerable avait, loin de la cour, Cherca6 la douce paix dans cet obscur scjour. Aux humains inconnu, libre d'inquietude, C'est li que de lui-meme il faisait son etude ; C'est la qu'il regrettait ses inutiles jours, Plongts dans les plaisirs perdus dans les amours 24 LA HENRIADE. Sur 1'email dc ces pres, au bord de ces Fontaines, II foulait a ses pieds les passions humaines : Tranquille, il attendait qu'au gre de ses souhaits La mort vint a son Dieu le rejoindre a jamais. Ce Dieu, qu'il adorait, prit soin de sa vieillesse : II fit dans son desert descendre la sagesse. Et, prodigue envers lui de ses tresors divins, II ouvrit a ses yeux le livre des destins. Ce vieillard au heros, que Dieu lui fit connaitre, Au bord d'une onde pure, offre un festin champetre. Le prince k ces repas etait accoutum6 : Souvent sous 1'humble toit du laboureur charm6, Fuyanl le bruit des cours, et se cherchant lui-meme, II avait depose 1'orgueil du diademe. Le trouble repandu dans 1'empire chretien Fut pour eux le sujet d'un utile entretien. Mornay, qui dans sa secte etoit inebranlable, Pretait au calvinisme un appui redoutable ; Henri doutait encore, et demandait aux cieux Qu'un rayon de clarte vint dessiller ses yeux. De tout temps, disait-il, la verite sacree Chez les faibles humains fut d'erreurs entouree . Faut-il que, de Dieu seul attendant mon appui, J'ignore les sentiers qui menent jusqu'a lui ! Helas ! un Dieu si bon, qui de 1'homme est le maitre, En eat ete servi, s'il avait voulu I'etre. De Dieu, dit le vieillard, adorons les desseins, Et ne 1'accusons pas des fautes des humains. J'ai vu naitre autrefois le calvinisme en France ; Faible, marchant dans 1'ombre, humble dans sa nais- sance, Je 1'ai vu, sans support, exile dans nos murs, S'avancer a pas lents par cent detours obscurs : CHANT I. 25 Enfin mes yeux ont vu, du sein de la poussiere, Ce fantoine effrayant lever sa tete altiere, Se placer sur le trone, insulter aux mortels, Et d'un pied dedaigneux renverser nos autels. Loin de la cour alors, en cette grotte obscure, De ma religion je vins pleurer 1'injure. Lii, quelque espoir au moins flatte mes derniers jours : Un culte si nouveau ne peut durer toujours. DCS caprices de 1'homrne il a tiro son etre ; On le verra perir, ainsi qu'on la vu naitre : Les OBUvres des humains sont fragiles comme eux. Dieu dissipe &. son grc leurs desseins factieux : Lui seul est toujours stable ; et, tandis que la terre Voit de sectes sans nombre une implacable guerre, La vcrite repose aux pieds de 1'eternel. Rarement elle eclaire un orgueilleux mortel. Qui la cherche du co3ur, un jour peut la connaitre. Vous serez eclaire, puisque vous voulez 1'etre. Ce Dieu vous a choisi : sa main, dans les combats, Au trone des Valois va conduire vos pas. DJ-ji sa voix terrible ordonne a la victoire De preparer pour vous les chemins de la gloire. Mais si la verite n'eclaire voa esprits, N'esperez point entrer dans les murs de Paris. Sur-tout des plus grands creurs evitez la faiblesse ; Fuyez d'un doux poison 1'amorce enchanteresse , Craignez vos passions ; et sachez quelque jour Resister aux plaisirs, et cotnbattre 1'amour. Enfin quand vous aurez, par un effort supreme, Triomphe des ligueurs, et sur-tout de vous-meme ; Lorsqu'en un siege horrible, et c61cbre a jamais, Tout un peuple 6tonn6 vivra de vos bienfaits, 3 26 LA IIENRIADE. Ces temps de vos ctats finiront les miseres ; Vous leverez les yeux vers le Dieu de vos peres ; Vous verrez qu'un coeur droit peut esperer en lui. Alloz : qui lui ressemble est sur de son appui. Chaque mot qu'il disait otait un trait de flamme Qui p6n;':trait Henri jusqu'au fond de son ame. II se crut transports dans ces temps bienheureux Ou le Dieu des humains conversait avec eux; Ou la simple vertu, prodiguant les miracles, Commandait a des rois, et rendait des oracles. II quitte avec regret ce vieillard vertueux : Des pleurs, en 1'embrassant, coulerent de ses yeux : Et, des ce moment meme, il entrevit 1'aurore De ce jour qui pour lui ne brillait pas encore. Mornay paiut surpris, et ne fut point touchfe : Dieu, maitre de ses dons, de lui s'etait cache. Vainement sur la terre il eut le nom de sage ; Au milieu des vertus 1'erreur fut son partage. Tandis que le vieillard, instruit par le Seigneur, Entretenait le prince, et parlait a son coeur, Les vents impetueux a sa voix s'appaiserent ; Le soleil reparut ; les ondes se calmerent. Bientot jusqu'au rivage il conduisit Bourbon: Le heros part, et vole aux plaines d'Albion. En voyant 1'Angleterre, en secret il admire Le changement heureux de ce puissant empire, Oh I'cternel abus de tant de sages lois Fit long-temps le malheur et du peuple et des rois. Sur ce sanglant theatre cm cent heros perirent, Sur ce trone glissant dont cent rois descendirent, Une femme, a sos pieds enchainant les destins, De 1'eclat de son r.''gne etonnait les humains. CHANT I. 27 C'etait Elisabeth ; elle dont la prudence De 1'Europe u son choix fit pencher la balance, Et fit aimer son joug a 1'Anglais indomte, Qui ne peut ni servir, ni vivre en liberte. Ses peuples sous son rcgne ont oublie leurs pertes ; De leurs troupeaux feconds leurs plaines sont couvertes, Les guerets de leurs bles, les mers de leurs vaisseaux : Us sont craints sur la terre, ils sont rois sur les eaux ; Leur flotte hnperieuse, asservissant Neptune Des bouts de 1'univers appelle la fortune : Londre, jadis barbare, est le centre des arts, Le magasin du monde, et le temple de Mars. Aux murs de Westminster on voit paraitre ensemble Trois pouvoirs 6tonnes du nosud qui les rassemble, Les deputes du peuple, et les grands, et le roi, Divisos d'intcrut, reunis par la loi ; Tous trois, membres sacres de ce corps invincible, Dangereux ;\ lui-meme, a ses voisins terrible. Heureux, lorsque le peuple, instruit dans son devoir, Respecte, autantqu'il doit, le souverain pouvoir ! Plus heureux, lorsqu'un roi, doux. juste et politique, Respecte, autant qu'il doit, la liberte publique ! Ah ! s'ecria Bourbon, quand pourront les Francjais Rt'-unir, comme vous, la gloire avec la paix ? Quel exemple pour vous, monarques de la terre ' Une femme a ferm6 les portes de la guerre ; Et, renvoyant chez vous la discorde et 1'horreur, D'un peuple qui 1'adore elle a fait le bonheur. Cependant il arrive ;\ cette ville immense, O.'i la liberte seule entretient 1'abondance. Uu vainqueur des Anglais il aper^oit la tour. Plus loin, d'Elisabeth est 1'auguste sejour. 28 LA HENRIADE. Suivi de Mornay seul, il va trouver la reine, Sans appareil, sans Hruit, sans cette pompe vaine Dont les grands, quels qu'ils soient, en secret sont epris Mais que le vrai heros regarde avec m6pris. II parle ; sa franchise est sa seule eloquence : II expose en secret les besoins de la France j Et. jusqu'a la pricre humiliant son coeur, Dans ses soumissions decouvre sa grandeur. Quoi ! vous servez Valois ! dit la reine surprise : C'est lui qui vous envoie au bord de la Tamise ! Quoi ! de ses ennemis devenu protecteur, Henri vient me prier pour son persecuteur ! Des rives du coucliant aux portes de 1'aurore, De vos longs difterents 1'univers parle encore ; Et je vous vois armer en faveur de Valois Ce bras, ce meme bras qu'il a craint tant de fois ! Ses malheurs, lui dit-il, ont etouffe nos haines ; Valois etait esclave ; il brise enfin ses chaines. Plus heureux, si, toujours assure de ma foi, II n'efit cherche d'appui que son courage et moi ' Mais il employa trop 1'artifice et la feinte; II fut mon ennemi par f'aiblesse et par crainte. J'oublie enfin sa faute, en voyant son danger; Je 1'ai vaincu, madame ; et je vais le venger. Vous pouvez, grande reine, en cette juste guerre, Signaler a jamais le nom de 1'Angleterre, Couronner vos vertus, en defendant nos droits, Et venger avec moi la querelle des rois. Elisabeth alors, avec impatience, Demande le recit des troubles de la France, Veut savoir quels ressorts et quel enchainement Ont produit dans Paris un si grand changement. CHANT I. 29 Deja, dit elle au roi, la prompte renommee De ces revers sanglants m'a souvent inform6e ; Mais sa bouche, indiscrete en sa Icgerete, Prodigue le mensonge avec la verite. J'ai rejete toujours ses recits peu fideles Vous done, temoin fameux de ces longues querelles, Vous, toujours de Vaiois le vainqueur ou 1'appui, Expliquez-nous le nceud qui vous joint avec lui. Daignez developper ce changement extreme : Vous seul pouvez parler dignement de vous-meme. Peignez-moi vos malheurs, et vos heureux exploits Songez que votre vie est la Ie9on des rois. Helas ! reprit Bourbon, faut-il que ma memoire Rappelle de ces temps la malheureuse histoire ! PlOt au ciel irrit6, temoin de mes douleurs, Qu'un eternel oubli nous cacMt tant d'horreurs ! Pourquoi demandez-vous que ma bouche raconte Des princes de mon sang les fureurs et la honte ? Mon coeur fr6mit encore a ce seul souvenir : Mais vous me 1'ordonnez, je vais vous obeir. Un autre, en vous parlant, pourrait avec adresse D6guiser leurs forfaits, excuser leur faiblesse : Mais ce vain artifice est peu fait pour mon co3ur ; Et je parle en soldat plus, qu'en ambassadeur. 3 FIN DU CHANT PREMIER. CHANT II. ARGUMENT. Henri li grand raconte a la reine Elisabeth 1'histoire dcs malheurs de la France: il remonte a leur origine, et entre dans le detail des massacres de la Saint-Barthelemi. JLVEINE, 1'exces des maux ou la France est livree Est d'autant plus afFreux, que leur source est sacrce : C'est la religion dont le zcle inhumain Met a tous les Fran^ais les armes a la main. Je ne decide point entre Geneve et Rome. De quelque nom divin que leur parti les nomme, J'ai vu des deux cotes la fourbe et la fureur ; Et si la perfidie est fille de 1'erreur, Si, dans les differents ou 1'Europe se plonge, La trahison, le meurtre est le sceau du mensonge, L'un et 1'autre parti, cruel egalement, Ainsi que dans le crime est dans 1'aveuglement. Pour moi qui, de 1'etat embrassant la defense, Laissai toujours aux cieux le soin de leur vengeance, On ne m'a jamais vu, surpassant mon pouvoir, D'une indiscrete main profaner 1'encensoir : Et perisse a jamais 1'afFreuse politique Qui pretend sur les cosurs un pouvoir despotique, CHANT II. yj Qui veut, le fer en main, convertir les mortels, Qui du sang heretique arrose les autels, Et, suivant un faux zele, ou 1'interet, pour guides, Ne sert un Dieu de paix que par des homicides ! Plat a ce Dieu puissant, dont je cherche la loi, Que la cour des Valois eut pense comme moi ! Mais 1'un et 1'autre Guise ont eu moins de scrupule. Ces chefs ambitieux d'un peuple trop credule, Couvrant leurs interots de 1'interet des cieux, Ont conduit dans le piege un peuple furieux, v Ont arme centre rnoi sa piete cruelle. J'ai vu nos citoyens s'egorger avec zele, Et, la flamme a la main, courir dans les combats, Pour de vains arguments qu'ils ne comprenaient pas. Vous connaissez le peuple, et savez ce qu'il ose, Quand, du ciel outrage pensant venger la cause, Les jeux ceints du bandeau de la religion, II a rompu le frein de la soumission. Vous le savez, madame ; et votre prevoyance Etouffa des long-temps ce mal en sa naissance. L'orage en vos etats k peine etait forme ; Vos soins 1'avaient prevu, vos vertus 1'ont calme : Vous regnez ; Londre est libre, et vos lois Sorissantes. Medicis a suivi des routes differentes. Peut-ctre que, sensible a ces tristes recits, Vous me demanderez quelle etait Medicis. Vous 1'apprendrez du moins d'une bouche ingtnue. Beaucoup en ont parl>; ; niais peu 1'ont bien connue ; Peu de son coeur profond ont sonde les replis. Pour moi, nourri vingt ans a la cour de ses fils, Qui vingt ans sous ses pas vis les orages naitre, J'ai trop, a mes p6rils, appris a la connaitre. 32 LA HENRIADE. Son epoux, expirant dans la fleur de ses jours, A son ambition laissait un libre cours. Chacun de ses enfants, nourri sous sa tutelle, Devint son ennemi, des qu'il rogna sans elle. Ses mains autour du trone, avec confusion, Semaient la jalousie et la division : Opposant sans rel.iche, avec trop de prudence, Les Guises aux Condes, et la France a la France, Toujours prete a s'unir avec ses ennemis, Et changeant d'interet, de rivaux, et d'amis; Esclave des plaisirs, mais moins qu'ambitieuse ; Infidele a sa secte, et superstitieuse ; Possedant en un mot, pour n'en pas dire plus, Les defauts de son sexe, et peu de ses vertus. Ce mot m'est echappc ; pardonnez rna franchise : Dans ce sexe, apres tout, vous n'utes point comprise ; L'auguste Elisabeth n'en a que les appas : Le ciel, qui vous forma pour regir des etats, Vous fait servir d'exemple a tous tant que nous sommes ; Et 1'Europe vous compte au rang des plus grandj hommes. Deja Francois second, par un sort imprevu, Avait rejoint son pore au tombeau descendu ; Faible enfant, qui de Guise adorait les caprices, Et dont on ignorait les vertus et les vices. Charles, plus jeune encore, avait le nom de roi : Modicis rcgnait seule ; on tremblait sous sa loi. D'abord sa politique, assurant sa puissance, Semblait d'un fils docile eterniser 1'enfance ; Sa main, de la discorde allumant le flambeau, Signala par le sang son empire nouveau ; CHANT II. 33 Elle arma le courroux de deux sectes rivales. Dreux, qui vit deployer leurs enseignes fafales, Fut le thiatre affreux de leurs premiers exploits. Le vieux Montmorenoi, pres du tombcau des rois D'un plomb mortel atteintpar une main guerriere, De cent ans de travaux termina la carriere. Guise, aupres d'Orleans, mourut assassine. Mon p>re malheureux, a la cour enchaine, Trop faible, et malgre lui servant toujours la reine, Traina dans les affronts sa fortune incertaine , Et, toujours de sa main preparant ses malheurs Combattit et mourut pour ses persecuteurs. Conde, qui vit en moi le seul fils de son frere, M'adopta, me servit et de maitre et de pere ; Son camp fut mon berceau ; la, parmi les guerriers, Nourri dans la fatigue a 1'ombre des lauriers, De la cour avec lui dedaignant 1'indolence, Ses combats ont ete les jeux de mon enfance. O plaines de Jarnac ! 6 coup trop inhumain ! Barbare Montesquieu, moins guerrier qu'assassin, Cond6, deja mourant, tomba sous ta furie. J'ai vu porter le coup ; j'ai vu trancher sa vie : Helas ! trop jeune encor, mon bras, mon faible bras Ne put ni prcvenir ni venger son trepas. Le ciel, qui de mes ans protegeait la faiblesse, Toujours a des hcros confia ma jeunesse. Coligny, de Conde le digne successeur, De moi, de mon parti, devint le di'jfenseur. Je lui dois tout, madame, il faut que je 1'avoue ; Et d'un peu de vertu si 1'Europe me louc, Si Rome a souvent meme cstimc mes exploits, C'est & vous, ombre illustre, a vous que je le doiB. 34 LA HENRIAOK. Je croissais sous ses yeux ; et mon jeune courage Fit long-temps de la guerre un dur apprentissage. II m'instruisait d'exemple au grand art desheros: Je voyais ce guerrier, blanchi dans les travaux, Soutenant tout le poids de la cause commune Et contre Medicis et contre la fortune ; Ch(>ri dans son parti, dans 1'autre respectc, Malheureux quelquefois, mais toujours redoute ; Savant dans les combats, savant dans les retraites ; Plus grand, plus glorieux. plus craint dans ses defaites, Que Dunois ni Gaston ne 1'ont jamais etc Dans le cours triomphant de leur prosperite. Apres dix ans entiers de succes et de pertes, Medicis, qui voyait nos campagnes couvertes D'un parti renaissant qu'elle avait cru detruit, Lasse enfin de combattre et de vaincre sans fruit, Voulut, sans plus tenter des efforts inutiles, Terminer d'un seul coup les discordes civiles. La cour de ses faveurs nous offrit les attraits; Et, n'ayant pu nous vaincre, on nous donna la paix. Quelle paix, juste Dieu, Dieu vengeur que j'atteste ! Que de sang arrosa son olive funeste ! Ciel ! faut-il voir ainsi les maitres des humains Du crime a leurs sujets aplanir les chemins ! Coligny, dans son coeur a son prince fidele, Aimait toujours la France en combattant contre elle II chirit, il prcvint 1'heureuse occasion Qui semblait de 1'etat assurer 1'union. Rarement un heros connait la defiance : Parmi ses ennemis il vint plein d'assurance : Jusqu'au milieu du louvre il conduisit mes pas. Medicis, en pleurant, me reijut dans ses bras, CHANT II. 35 Me prodigua long-temps des tendresses de mere, Assura Coligny d'une amitie sincere, Voulait par ses avis se regler desormais, L'ornait de dignites, le comblait de bienfaits, Montrait a tous les miens, scduits par 1'esperance, Des faveurs de son fils la flatteuse apparence. Helas ! nous esperions en jouir plus long-temps ! Quelques uns soup9onnaient ces perfides presents : Les dons d'un ennemi leur semblaient trop a craindre. Plus ils se defiaienl, plus le roi savait feindre. Dans 1'ombre du secret, depuis peu Medicis A la fourbe, au parjure, avail forme son fils, Fa^onnait aux forfaits ce coeur jeune et facile ; Et le malheureux prince, a. ses lemons docile, Par son penchant feroce a les suivre excite, Dans sa coupable 6cole avail trop profile. Enfin, pour mieux cacher eel horrible mystere, 11 me donna sa seeur, il m'appela son frere. O nom qui m'as trompi ! vains serments ! noeud fatal ! Hymen, qui de nos maux fus le premier signal ! Tes flambeaux, que du ciel alluma la colere, Eclairaient a mes yeux le trcpas de ma mere, Je ne suis poinl injusle, el je ne pretends pas A Medicis encore imputer son Irepas : J'c-carte des soup<,-ons peut-6tre Icgitimes, Et je n'ai pas besoin de lui chercher des crimes, Ma mere enfin mourut. Pardonnez a des pleura Qu'un souvenir si lendre arrache a mes douleurs. Cependant tout s'appn'te, et 1'heure esl arrivee Qu'au fatal denouemcnl la reine a rcservoe. Le signal est donnc sans tumulte et sans bruit: C'etait a la faveur des ombres de la nuit. 36 LA HENRIADE. De ce mois malheureux 1'inegale couriere Semblait cacher d'efFroi sa tremblante lumiere. Coligny languissait dans les bras du repos, Et le sommeil trompeur lui versait ses pavota. Soudain de mille cris le bruit epouvantable Vient arracher ses sens a ce calme agreable II se leve, il regarde, il voit de tous cotes Courir des assassins a pas precipites : II voit briller par-tout les flambeaux et les armes, Son palais embrasc, tout un peuple en alarmes, Ses serviteurs sanglants dans la flamme etouffes, Les meurtriers en foule au carnage echauffes, Criant a haute voix : " Qu'on n'6pargne personne ; " C'est Dieu, c'est Medicis, c'est le joi qui 1'ordonne ! II entend retentir le nom de Coligny. II apercjoit de loin le jeune Teligny, Tcligny, dont 1'amour a merite sa fille, L'espoir de son parti, 1'honneur de sa famille, Qui, sanglant, dechire, traine par des soldats, Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras. Le hcros malheureux, sans armes, sans defense, Voyant qu'il faut pcrir, et pcrir sans vengeance, Voulut mourir du moins, comme il avait vecu, Avec toute sa gloire et toute sa vertu. Deja des assassins la nombreuse cohorte Du salon qui 1'enferme allait briser la porte ; II leur ouvre lui-meme, et se montre a leurs yeux Avec cet ceil serein, ce front majestueux, Tel que, dans les combats, maitre de son courage, Tranquille, il arrctait ou pressait le carnage. A cet air venerable, a cet auguste aspect, Les meurtriers surpris sont saisis de respect ; CHANT II. 37 Une force inconnue a suspendu leur rage. Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage, El'de mon sang glace souillez ces cheveux blancs Que le sort des combats respecta quarante ans ; Frappez, ne craignez rien : Coligny vous pardonne j Ma vie est peu de chose, et je vous 1'abandonne... J'eusse aime mieux la perdre en combattant pour vous... Ces tigres, a ces mots, tombent a ses genoux : L'un, saisi d'epouvante, abandonne ses armes ; JL'autre embrasse ses pieds, qu'il trempe de ses larmes ; Et de ses assassins ce grand homme entoure Semblait un roi puissant par son peuple adore. Besme, qui dans la cour attendait sa victitne, Monte, accourt, indignu qu'on differe son crime, Des assassins trop lents il veut hater les coups; Aux pieds de ce heros il les voit trembler tous. A cet objet touchant lui seul est inflexible ; Lui seul, k la pitic toujours inaccessible, Aurait cru faire un crime et trahir Modicis, Si du moindre remords il se sentait surpris : A travers les soldats il court d'un pas rapide : Coligny 1'attendait d'un visage intrepide : Et bientot dans le flanc ce monstre furieux Lui plonge son epie, en detournant les yeux, De peur que d'un coup-d'oeil cet auguste visage Ne fit trembler son bras, et gla^ut son courage. Du plus grand des Fran^ais tel fut le triste sort On 1'insulte, on 1'outrage encore apres sa mort. Son corps, perc6 de coups, privc de sepulture, Des oiseaux djvorants fut 1'indigne pfiture ; Et Ton porta sa ti'te aux pieds dc Modicis, Conquete digne d'elle, et digne de son fils. 4 38 LA HENRIADE. M6dicis la re^ut avec indifference, Sans paraitre jouir du fruit de sa vengeance, Sans remords, sans plaisir, maitresse de ses sens, Et comme accoutumee A de pareils presents. Qui pourrait ccpendant exprimer les ravages Dont cdte nuit cruelle etala les images ? La niort de Coligny, premices des liorreurs, N'etait qu'un faible essai de toutes leurs fureurs. D'un peuple d'assassins les troupes effrenees, Par devoir et par zele au carnage acharnees, Marchaient, le fer en main, les yeux etincelants, Sur les corps etendus de nos frcres sanglants. Guise ctait a leur tote, et, bouillant de colere, Vengeait sur tous les miens les manes de son pere : Nevers, Gondi, Tavanne, un poignard a la main, Echauffaient les transports de leur zele inhumain ; Et, portant devant eux la liste de leurs crimes, Les conduisaip"t au meurtre, et marquaient les vic- times. Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris, Le sang de tous cotes ruisselant dans Paris, Le fils assassine sur le corps de son pere, Le frere avec la sceur, la fille avec la mere, Les epoux expirant sous leurs toits embrascs, Les enfants au berceau sur la pierre ecrases : Des fureurs des humains c'est ce qu'on doit attendre. Mais ce que 1'avenir aura peine u comprendre, Ce que vous-meme encore a peine vous croirez, Ces monstres furieux de carnage altcres, Excites par la voix des pretres sanguinaires, Invoquaient le Seigneur en egorgeant leurs freres, Et, le bras tout souillc du sang des innocents, Osaient offrir a Dieu cet execrable encens CHANT ii. ay O combien de heros indignement perirent ! Renel et Pardaillan chez les morts descendirent ; Et vous, brave Guerchy ; vous, sage Lavardin, Digne de plus de vie et d'un autre destin. Parmi les malheureux que cette nuit cruelle Plongea dans les horreurs d'une nuit eternelle, Marsillac et Soubise, au trepas condamnes, Defendent quelque temps leurs jours infortunes. Sanglants, perces de coups, et respirant a peine. Jusqu'aux portes du louvre on les pousse, on les traine ; Us teignent de leur sang ce palais odieux, En implorant leur roi, qui les trahit tous deux. Du haut de ce palais excitant la tempete, Medicis a loisir contemplait cette fete : Ses cruels favoris, d'un regard curieux, Voyaient les riots de sang regorger sous leurs yeux ; Et de Paris en feu les ruines fatales Etaient de ces heros les pompes triomphales. Que dis-je ! 6 crime ! 6 honte ! 6 comble de nos maux Le roi, le roi lui-meme, au milieu des bourreaux, Poursuivant des proscrits les troupes egarees, Du sang de ses sujets souillait ses mains sacrees : Et ce meme Valois que je sers aujourd'hui, Ce roi qui par ma bouche implore votre appui, Partageant les forfaits de son barbare frere, A ce honteux carnage excitait sa colere. Non qu'apres tout Valois ait un cocur inhumain ; Rarement dans le sang il a trempe sa main : Mais 1'exernple du crime assiogcait sa jeunesse ; Et sa cruaute meme etait une faibiesse. Quelques uns, il est vrai, dans la foule des morts, Du fer des assassins tromperent les efforts. 40 LA HENRIADE. De Caumont, jeune enfant, 1'etonnante aventure Ira de bouche en bouche u la race future. Son vieux pere, accable sous le fardeau des ans, Se livrait au sommeil entre ses deux enfants ; Un lit seul enfennait et les fils et le pere. Les ineurtriers ardents, qu'aveuglait la colcre, Sur eux a coups presses enfoncent le poignard Sur ce lit malheureux la mort vole au hasard. L'Eternel dans ses mains tient seul nos destinces II sait, quand il lui plait, veiller sur nos annees, Tandis qu'en ses fureurs 1 'homicide est tromp6. D'aucun coup, d'aucun trait, Caumont ne fut frappe ; Un invisible bras, arme pour sa defense, Aux mains des ineurtriers derobait son enfance ; Son pere, a ses cotes, sous mille coups mourant, Le couvrait tout entier de son corps expirant; Et, da peuple et du roi trompant la barbaric, Une seconde fois il lui donna la vie. Cependant, que faisais-je en ces affreux moments ? Helas ! trop assur.i sur la foi des serments, Tranquille au fond du louvre, et loin du bruit des arines, Mes sens d'un doux repos goutaient encor les charmes. O nuit ! nuit effroyable ! 6 funeste sommeil ! L'appareil de la mort eclaira mon roveil. On avail massacre mes plus chers domestiques ; Le sang de tous cotes inondait mes portiques ; Et je n'ouvris les yeux que pour-envisager Les miens que sur le marbre on venait d'egorger. Les assassins sanglants vers mon lit s'avanccrent, Leurs parricides mains devant moi se leverent j Je touchais au moment qui terminait mon sortj Je presentai ma tete, et j'attendis la mort. CHANT II. 41 Mais, soil qu'un vieux respect pour le sang de leura maitres Parlat encor pour moi dans le coeur de ces traitres ; Soit que de Medicis 1'ingenieux courroux Trouvat pour moi la mort un supplice trop doux; Soit qu'enfin, s'assurant d'un port durant 1'orage, Sa prudente furcur me gardAt pour otage ; On rcserva ma vie a de nouveaux revers ; Et bientot de sa part on m'apporta des fers. Coligny, plus heureux et plus digne d'envie, Dumoins, en succombant, ne perdit que la vie, Sa liberte, sa gloire au tombeau le suivlt Vous fr6missez, madame, a cet affreux rccit: Tant d'horreur vous surprend ; mais de leur barbarie Je ne vous ai conte que la moindre partie. On eat dit que, du haul de son louvre fatal, Medicis ii la France eiit donne le signal. r Tout imita Paris ; la mort sans resistance Couvrit en un moment la face de la France. Quand un roi veut le crime, il est trop obei ! Par cent mille assassins son courroux fut servi ; Et des fleuves fran<;ais les eaux ensanglantees Ne portaient que des morts aux mers epouvantcea. FIN DU CHANT SECOND. 4" CHANT III. ARGUMENT. Le heros continue 1'histoire des guerres civiles de France. Mort funeste _de Charles IX. Regne de Henri III. Son caractere. Celui du fameux due de Guise, connu sous le nom de Halufre. Bataille de Coutras. Meurtre du due de Guise. Extremites ou Henri III est reduit. Mnyenne fist le chef de la ligue. D'Aumale en est le heros. Reconciliation de Henri III et de Henri roi de Navarre. Secours que promet la reine Elisabeth. Sa reponse a Henri de Bourbon. C^UAND 1'anvt des destins cut, durant quelques jours, A tant de cruautes pennis un libre cours, Et que des assassins, fatigues de leurs crimes, Les glaives emouss6s manquerent de victimes, Le peuple, dont la reine avait arme le bras, Ouvrit enfin les yeux, et vit srs attentats. Ais6ment sa pitic succcde a sa furie : II entendit gcmir la voix de sa patrie. Bientot Charles lui-mcme en fut saisi d'horreur j Le remords devorant s'eleva dans son cceur. Des premiers ans du roi la funeste culture N'avait que trop en lui corrompu la nature , Mais elle n'avait point etouft'c celte voix JJui jusque sur Je trone epouvante les rois. CHANT III. 43 Par sa mere eleve, nourri dans ses maximes, II n'etait point, comme elle, endurci dans lea crimes. Le chagrin vint fletrir la fleur de ses beaux jours ; Une langueur mortelle en abregea le cours : Dieu, deployant sur lui sa vengeance severe, Marqua ce roi mourant du sceau de sa colere, Et par son chitiment voulut cpouvanter Quiconque a 1'avenir oserait 1'irniter. Je le vis expirant. Cette image effrayante A mes yeux attendris semble etre encor presente. Son sang, a. gros bouillons de son corps elancfe, Vengeait le sang franqais par ses ordres verse ; II se sentait frappe d'une main invisible ; Et le peuple, etonnc de cette fin terrible, Plaignit un roi si jeune et sitot moissonne, Un roi par les mcchants dans le crime entraine, Et dont le repentir promettait a la France D'un empire plus doux quelque faible esperance. Soudain du fond du nord, au bruit de son trepas, L'impatient Valois, accourant a. grands pas, Vint saisir dans ces lieux, tout fumants de carnage, D'un frere infortune le sanglant heritage. La Pologne en ce temps avait, d'un commun choix, Au rang des Jagellons place 1'heureux Valois ; Son nom, plus redoute que les plus puissants princes, Avait gagne pour lui les voix de cent provinces. C'est un poids bien pesant qu'un nom trop tot fameux ! Valois ne soutint pas ce fardeau dangereux. Qu'il ne s'attende point que je le justifie : Je lui peux immoler mon repos et ma vie, Tout, hors la verite, que je prefere a lui. Je le plains, je le blame, et je suis son appui. 44 LA HENRIADE. Sa gloire avait passe comme une ombre legere. Co changement est grand ; mais il est ordinaire : On a vu plus d'un roi, par un triste retour, Vainqueur dans los combats, esclave dans sa cour. Reine, c'est dans 1'esprit qu'on voit le vrai courage. Valois re^-ut des cieux des vertus en partage. II est vaillant, mais faible ; et, moins roi que soldat, II n'a de fermete qu'en un jour de combat. Ses honteux favoris, flattant son indolence, De son coeur, ;\ leur gre, gouvernaient 1'inconstance ; Au fond de son palais, avec lui renfermes, Sourds aux cris douloureux des peuples opprim6s, Us dictaient par sa voix leurs volontes funestes; Des trosors de la France ils dissipaient les restes ; Et le peuple accablj, poussant de vains soupirs, Gcmissait de leur luxe, et payait leurs plaisirs. Tandis que, sous le joug de ses maitres avides, Valois pressait 1'etat du fardeau des subsides, On vit paraitre Guise ; et le peuple inconstant Tourna bientot ses yeux vers cet astre eclatant. Sa valeur, ses exploits, la gloire de son pere, Sa grace, sa beaute, cet heureux don de plaire Qui, inieux que la vertu, sait regner sur les CODUFS, Attiraient tous les vocux par des churnies vainqueura. Nul ne sut micux que lui le grand art de seduire ; Nul sur ses passions n'eut jarnais plus d'empirc, Et ne sut mieux cacher, sous des dehors trompeurs, Des plus vastes desseins les sombres profondeurs : Altier, impcrieux,- mais souple et populaire, Des peuples en public il plaignait la misere, Detestait des impots le fardeau rigoureux ; Le pauvre allait le voir, et revenait heureux : CHANT III. 45 II savait prevenir la timide indigence : Ses bienfaits dans Paris annon<;aient sa pr6sence; II se faisait aimer des grands qu'il haKssait; Terrible et sans retour alors qu'il oftensait ; Temeraire en ses vocux, sage en ses artifices, Brillant par ses vertus, et mome par ses vices ; Connaissant le peril, et ne redoutant rien ; Heureux guerrier, grand prince, et mauvais citoyen. Quand il eut quelque temps essaye sa puissance, Et du peuple aveugle cru fixer 1'inconstance, II ne se cacha plus, et vint ouvertement Du trone de son roi briscr le fondement. II forma dans Paris cette ligue funeste Qui bientot de la France infecta tout le reste ; Monstre affreux. qu'ont nourri les peuples etles grands, Engraisse de carnage et fertile en tyraas. La France dans son sein vit alors deux monarques L'un n'en possedait plus que les frivoles marques ; L'autre, inspirant par-tout 1'esperance ou I'effroi, A peine avait besoin du vain litre de roi. Valois se reveilla du sein de son ivresse. i/Sty (fc^kC Ce bruit, cet appareil, ce danger qui le presse, Ouvrirent un moment ses yeux appesantis : Mais du jour importun ses regards cblouis Ne distinguerent point, au fort de la tempete, Les foudres mena<;ants qui grondaient sur sa tele : Et bientot fatigue d'un moment de reveil, Las, et se rejetant dans les bras du sommeil, Entre ses favoris, et parmi les delices, Tranquille, il s'endorrnit au bord des precipices. Je lui restais encore ; et, tout pros de perir, II n'avait plus que moi qui pat le secourir : 46 LA HENRIA.OE. Heritier, aprts lui, du trone de la France, Mon bras, sans balancer, s'armait pour sa defense : J'offrais a sa faiblesse un necessaire appui ; Je courais le sauver, ou me perdre avec lui. Mais Guise, trop habile, et trop savant h nuire, L'un par 1'autre, en secret, songeait il nous detruire. Que dis-je ! il obligea Valois a se priver De 1'unique soutien qui le pouvait sauver. De la religion le pretexte ordinaire Fut un voile honorable a cet affreux mystere. Par sa feinte vertu tout le peuple echauffe Ranima son courroux encor mal etouffe. II leur representait le culte de leurs peres, Les derniers attentats des sectes etrangeres, Me peignait ennemi de 1'eglise et de Dieu : " II porte, disait-il, ses erreurs en tout lieu; " II suit d'Elisabeth les dangereux exemples ; " Sur vos temples detruits il va fonder ses temples } " Vous verrez dans Paris ses pri-ches criminels." .. Tout le peuple, a ces mots, trembla pour ses autels. Jusqu'au palais du roi 1'alanne en est portee. La ligue, qui feignait d'en etre epouvantee, Vient de la part de Rome annoncer a son roi Que Rome lui defend de s'unir avec moi. H Jlas ! le roi, trop faible, ob6it sans murmure : Et, lorsque je volais jwur venger son injure, J 'uptrends que mon beau-frere. ;\ la ligue soumis, S'unissait, pour me perdre, avec ses ennemis, De soldats, malgre lui, couvrait deja, la terre, Et par timiditi me dl-clarait la guerre. Je plaignis sa faiblesse ; et, sans rien menager, Je courus le combattre au lieu de le venger. CHANT III. 47 De la ligue, en cent lieux, les villes alarmees, Centre moi, dans la France enfantaient des armees : 'v Joyeuse, avec ardeur, venait fondre sur moi, Ministre impetueux des faiblesses du roi. Guise, dont la prudence egalait le courage, Dispersait mes amis, leur termait le passage. D'armes et d'ennemis presse de toutes parts, Je les defiai tous, et tentai les hasards. Je cherchai dans Coutras ce superbe Joyeuse. Vous savez sa d6faite, et sa fin malheureuse : Je dois vous epargner des recits superflus. Non, je ne rei^ois point vos modestes refus : Non, ne me privez point, dit 1'auguste princesse, D'un recit qui m'cclaire autant qu'il m'intcresse ; N'oubliez point ce jour, ce grand jour de Coutras, Vos travaux, vos vertus, Joyeuse, et son trepas. L'auteur de tant d'exploits doit seul me les apprendre Et peut-etre je suis digne de les entendre. Elle dit. Le heros, a ce discours flatteur, Sentit couvrir son front d'une noble rougeur ', Et reduit, a regret, a parler de sa gloire, II poursuivit ainsi cette fatale histoire : De tous les favoris qu'idolatrait Valois Qui flattaient samollesse,etlui donnaient des lois, Joyeuse, ne d'un sang chez les Francjais insigne, D'une faveur si haute etait le moins indigne : II avait des vertus ; et si de ses beaux jours La Parque, en ce combat, n'eut abroge le cours, Sans doute aux grands exploits son ame accoutumee Aurait de Guise, un jour, atteint la renommce. Mais nourri jusqu'alors au milieu de la cour, Dans lo sfin des pbiisirs, d;ins los bras de 1'amour, "ft 48 LA HENRIADE. II n'eut a m'opposer qu'un execs de courage, Dans un jeune heros dangcreux avantage. Les courtisans en foule. attaches a son sort, Du sein des voluptes s'scvan^aient ii la mort. Des chiffres amoureux, gages de leurs tendresses, Traqaient sur leurs habits les noms de leurs maitresses; Leurs armes eclataient du feu des diamants, De leurs bras cnerves frivoles ornements. Ardents, tumultueux, prives d'expcrience, Us portaient au combat leur superbe imprudence : Orgueilleux de leur pompe, et fiers d'un camp nom- breux, Sans ordre ils s'avan<;aient d' - m pas impetueux. D'un eclat different mon camp frappait leur vue : Mon armce, en silence a leurs yeux ctendue, N'offrait de tous cotes que farouches soldats, Endurcis aux travaux, vieillis dans les combats, Accoutumes au sanor, et couverts de blessures ; Leur fer et leurs mousquets composaient leurs parures. Comme eux vetu sans pompe, arme de fer comme Je conduisais aux coups leurs escadrons poudreux ; Comme eux, de mille morts affrontant la tempete, Je n'etais distingue qu'en marchant ^ leur tote. Je vis nos ennemis vaincus et renverst;s, Sous nos coups expirants, devant nous dispers6s : A regret dans leur sein j'enfon^-ais cette ep6e Qui du sang espagnol eCit ete mieux trempee. II le faut avouer, parmi ces courtisans Que moissonna le fer en la fleur de leurs ans, Aucun ne fut perce que de coups honorables : Tous fermes dans leur poste, et tous inebranlablei W( CHANT 111. 49 Us voyaient devant eux avancer le trepas, Sans detourner les yeux, sans reculer d'un pas. Des courtisans fran<;ais tel est le caractere : La paix n'amollit point leur valeur ordinaire ; De 1'ombre du repos, ils volent aux hasards ; Vils flatteurs a la cour, heros aux champs de Mars. Pour moi, dans les horreurs d'une melee affreuse, J'ordonnais, mais en vain, qu'on epargn;\t Joyeuse; Je 1'apenjus bientot, porte par des soldats, Pale, et deja couvert des ombres du trepas. Telle une tendre fleur, qu'un matin voit eclore Des baisers du zephyr et des pleurs de 1'aurore, Brille un moment aux yeux, et tombe, avant le temps, Sous le tranchant du fer, ou sous 1'effort des vents. Mais pourquoi rappeler cette triste victoire ? Que ne puis-je plutot ravir a la memoire Les cruels monuments de ces affreux succes ! Mon bras n'est encor teint que du sang des Fran^ais : Ma grandeur, a ce prix, n'a point pour moi de charmes ; Et mes lauriers sanglants sont baignes de rnes larmes. Ce malheureux combat ne fit qu'approfondir L'abyme dont Valois voulait en vain sortir. II fut plus meprise, quand on vit sa disgrace ; Paris fut moins soumis, la ligue eut plus d'audace ; Et la gloire de Guise, aigrissant ses douleurs, Ainsi que ses affronts redoubla ses malheurs. Guise dans Vimori, d'une main plus heureuse, Vengea sur les Germains la perte de Joyeuse ; Accabla, dans Auneau, mes allies surpris ; Et, couvert de lauriers, se montra dans Paris. Ce vainqueur y parut comme un dieu tutelaire. Valois vit triompher son superbe adversaire, 50 LA M2NRIADE. Qui, toujours insultant i ce prince abattu, Semblait 1'avoir servi moins que 1'avoir vaincn. La honte irrite enfin le plus faible courage : L'inscnsible Valois ressentit cet outrage ; II voulut. d'un sujet rcprimant la ficrte, Essayer dans Paris sa faible autorite. II n'en etait plus temps; la tendresse, et la crainte, Pour lui dans tous les cceurs etait alors eteinte : Son peuple audacieux, prompt a se mutiner, Le prit pour un tyran, des qu'il voulut regner. On s'assemble, on conspire, on repand les alarmes; Tout bourgeois est soldat, tout Paris est en armes : Mille remparts naissants, qu'un instant a formes, Menacent de Valois les gardes enfermes. Guise, tranquille et fier au milieu de 1'orage, Precipitait du peuple ou retenait la rage, De la sedition gouvernait les ressorts, Et faisait, k son grc, mouvoir ce vaste corps. Tout le peuple au palais courait avec furie : 51 Guise cut dit un mot, Valois etait sans vie ; Mais, lorsque d'un coup-d'ceil il pouvait 1'accabler, II parut satisfait de 1'avoir fait trembler ; Et, des mutins lui-me'me arretant la poursuite, Lui laissa, par pitie, le pouvoir de la fuite. Enfin Guise attenta, quel que fut son projet, Trop peu pour un tyran, mais trop pour un sujet. Q'Mconque a pu forcer son monarque a le craindre A tout a redouter. s'il ne veut tout enfreindre* Guise, en ses grands desseins des ce jour affermi, Vit qu'il n'etait plus temps d'offenser Ji demi ; Et qu'eleve si liaut, mais sur un precipice, S'il ne montait au trone, il marchait au supplice. CHANT III. 51 Enfin, maitre absolu d'un peuple revolt^ Le cceur plein d'esperance et de temerite, Appuye des Remains, secouru des Iberes, Adore des Franrais, seconde de ses freres, Co sujet orgueilleux crut ramener ces temps Ou de nos premiers rois les laches descendants, Dechus presque en naissant de leur pouvoir supreme, Sous un froc odieux cachaient leur diadcme, Et, dans 1'ombre d'un cloitre en secret gcmissants, Abandonnaient 1'empire aux mains de leurs tyrans. Valois, qui cependant differait sa vengeance, Tenait alors dans Blois les etats de la France. Peut-etre on vous a dit quels furent ces etats : On proposa des lois qu'on n'exccuta pas ; De mille deputes 1'eloquence st6rile Y fit de nos abus un detail inutile ; Car de tant de conseils 1'efFet le plus commun Est de voir tous nos maux sans en sou lager un. Au milieu des etats, Guise, avec arrogance, De son prince offense vint braver la presence, S'assit aupres du trone, et, sfir de ses projets, Crut, dans ces deputes, voir autant de sujets. Deja leur troupe indigne, a son tyran vendue, Allait mettre en ses mains la puissance absolue, Jx>rsque, las de le craindre, et las de 1'epargner, Valois voulut enfin se venger et regner. Son rival, chaque jour, soigneux de lui deplaire, Dedaigneux ennemi, meprisait sa colere, Ne soup<;onnant pas meme, en ce prince irrite, Pour un assassinat assez de fermete. Son destin 1'aveuglait : son heure etait venue ; Le roi le fit lui-rneme immoler a sa vue 52 LA 1IENRIAUU. De cent coups de poignards inclignement percc Son orgueil, en mourant, ne fut point abaisse ; Et ce front, que Valois craignait encor peut-etre, Tout pale et tout sanglant, semblait braver son maitu C'est ainsi que mourut ce sujet tout puissant, De vices, de vertus, assemblage eclatant. Le roi, dont il ravit 1'autorite supreme, Le souffrit lachement, et s'en vengea de mcme.. ,.' Bientot ce bruit affreux se repand dans Paris. Le peuple epouvante rernpllt 1'air de ses cris. Les vieillards desoles, les femmes eperdues, Vont du malheureux Guise embrasser les statues. Tout Paris croit avoir, en ce pressant danger, L'eglise a soutenir, et son pere <*. venger. De Guise, au milieu d'eux, le redoutable frere, Mayenne, a la vengeance anime leur colere ; Et, plus par interet que par ressentiment, II allume en cent lieux ce grand embrasement. Mayenne, des long-temps nourri dans les alarmes, Sous le superbe Guise avail porte les armes : II succede a sa gloire, ainsi qu'a. ses desseins ; Le sceptre de la ligue a passe dans ses mains. Cette grandeur sans borne, a ses desirs si chere, Le console aisement de la perte d'un frere ; II servait a regret ; et Mayenne aujourd'hui Aime mieux le venger que de marcher sous lui. Mayenne a, je 1'avoue, un courage herolque ; II salt, par une he u re use et sage politique, Reunir sous ses lois mille esprits difFurenls, Ennemis de leur maitre, esclaves des tyrans : II connait leurs talents, il sait en faire usage j Souvent du malheur meme il tire un avantage. CHANT III. 53 Guise avec plus d'eclat eblouissait les yeux, Fut plus grand, plus heros, mais non plus dangereux. Voila quel est Mayenne, et quelle est sa puissance. Autant la ligue altiere espere en sa prudence, Autant le jeune Aumale, au cceur presomptueux, Repand dans les esprits son courage orgueilleux. D'Aumale est du parti le bouclier terrible ; II a jusqu'aujourd'hui le titre d'invincible :< Mayenne, qui le guide au milieu des combats, Est 1'ame de la ligue, et 1'autre en est le bras. Cependant des Flamands 1'oppresseur politique, Ce voisin dangereux, ce tyran catholique, Ce roi dont 1'artifice est le plus grand soutien, Ce roi votre ennemi, mais plus eiicor le mien, Philippe, de Mayenne embrassant la querelle, Soutient de nos rivaux la cause criminelle ; Et Rome, qui devait etouffer tant de maux, Rome de la discorde allume les flambeaux : Celui qui des Chretiens se dit encor le pere Met aux mains de ses fils un glaive sanguinaire. Des deux bouts de 1' Europe, a mes regards surpris, Tous les malheurs ensemble accourent dans Paris. Enfin, roi sans sujets, poursuivi sans defense, Valois s'est vu force d'implorer ma puissance. II m'a cru gcnereux, et ne s'est point trompe : Des malheurs de 1'etat mon co3ur s'est occupe ; Un danger si pressant a flechi ma colcre ; Je n'ai plus, dans Valois, regarde qu'un beau-frfere : Mon devoir 1'ordonnait, j en ai subi la loi ; Et, roi, j'ai dcfendu 1'autorite d'un roi. Je suis venu vers lui sans traite, sans otage : Votre sort, ai-je dit, est dans votre courage ; 54 LA HENRIADE. Venez mourir ou vaincre aux remparts de Paris. Alors un noble orgueil a rempli ses esprits. Je ne me flatte point d'avoir pu dans son ame Verser, par mon exemple, une si belle flamme ; Sa disgrace a sans doute eveille sa vertu : II gemit du repos qui 1'avait abattu. Valois avail besoin d'un destin si contraire ; Et souvent 1'infortune aux rois est necessaire. Tels 6taient de Henri les sinceres discours . Des Anglais cependant il presse le secours : Deja. du haut des murs de la ville rebelle, La voix de la victoire en son camp le rappelle ; Mille jeunes Anglais vont bientot, sur ses pas, 'endre le sein des mers, et chercher les combats. Essex est a leur tete, Essex dont la vaillance A des fiers Castillans confondu la prudence, Et qui lie croyait pas qu'un indigne destin Dut fletrir les lauriers qu'avait cueillis sa. main. Henri ne 1'attend point : ce chef que rien n'arre'te, Impatient de vaincre, a son depart s'apprete. Allez, lui dit la reine, allez, digne heros. Mes guerriers sur vos pas traverseront les flots. Non, ce n'est point Valois, c'est vous qu'ils veulent suivre ; A vos soins genereux mon amitie les livre : Au milieu des combats vous les verrez courir, Plus pour vous imiter que pour vous secourir. Formes par votre exemple au grand art de la guerre, Us apprendront sous vous a Sfervir 1'Angleterre. Puisse bientot la ligue expirer sous vos coups '. L'Espagne sert Mayenne, et Rome est contre vous : Allez vaincre 1'Espagne ; et songcz qu'un grand homme Ne doit point redouter les vains foudres de Rome. CHANT III. 55 Allez des nations venger la liberte ; De Sixte et de Philippe abaissez la fierte. Philippe, de son pcre heritier tyrannique, Moins grand, moins courageux, et non moins politique, Divisant ses voisins pour leur donner des fers, Du fond de son palais croit domter 1'univers. Sixte, au trone 61ev6 du sein de la poussiere, Avec moins de puissance, a 1'ame encor plusher Le p\tre de Montalte est le rival des rois ; Dans Paris, comme a Rome, il veut donner des lois Sous le pompeux eclat d'un triple diademe, II pense asservir tout, jusqu'a Philippe meme. Violent, mais adroit, dissimule, trompeur, Ennemi des puissants, des faibles oppresseur, Dans Londres, dans ma cour, il a forme des brigues ; Et 1'univers, qu'il trompe, est plein de ses intrigues. Voila les ennemis que vous devez braver, Contre moi 1'un et 1'autre oserent s'elever. L'un, combattant en vain 1'Anglais et les orages, Fit voir a 1'ocean sa fuite et ses naufrages ; - Du sang de ses guerriers ce bord est encor teint : L autre se tait dans Rome, et m'estime, et me craint. Suivez done, a leurs yeux, votre noble entreprise; Si Mayenne est domte, Rome sera soumise ; Vous seul pouvez regler sa haine ou ses faveurs. Inflexible aux vaincus, complaisante aux vainqueura, Prete a vous condamner, facile a vous absoudre ^ V V C'est a vous d'allumer ou d'eteindre sa foudre. FIN DU CHANT TROISIEME. CHANT IV. ARGUMENT. D'Aumale etait prea de se rendre maitre du camp de Henri III, lorsque le heros, revenant d'Angleterre, combat lea ligoeurs, et fait changer la fortune. La discorde console Mayenne, et vole t Rome pour y chercher da secours. Description de Rome, ou regnait alors Sixte-Quint. La discorde y trouve la politique. Elle revient avec elle a Paris, souleve la Sorl>onne, anirr.e les Seize contre le parlement, et armo les moines. On livre a la main du bourreau des magistrals qui tenoient pour le parti des rois. Troubles et confusion horribla dans Paris. JL ANDIS que, poursuivant leurs entretiens secrets, Et pesant h loisir de si grands interots, Us epuisaient tous deux la science profonde De combattre, de vaincre, et de regir le monde, La Seine, avec effroi, voit sur ses hords sanglants Les drapeaux de la ligue abandonnes aux vents. Valois, loin de Henri, rempli d'inquietude, Du destin des combats craignait 1'incertitude. A ses desseins flottants il fallait un appui ; II attendait Bourbon, sftr de vaincre avec lui. Par ces retardements les ligueurs s'enhardirent ; DCS portes de Paris leurs legions sortirent : CHANT IV. 57 Le superbe d'Aumale, et Nemours, et Brissac, Le farouche Saint-Paul, la CMtre, Canillac, D'un coupable parti defenseurs intrepides, Epouvantaient Valois de leurs succes rapides ; Et ce roi, trop souvent sujet au repentir, Regrettait le heros qu'il avait fait partir. Parmi ces combattants ennemis de leur maitre, Un frere de Joyeuse osa long-temps paraitre. Ce fut lui que Paris vit passer tour-k-tour, Du siecie au fond d'un cloitre, et du cloitre a la cour Vicieux. penitent, courtisan, solitaire, II prit, quitta, reprit, la cuirasse et la haire. Du pied des saints autels arroses de ses pleurs, II courut de la ligue animer les fureurs, Et plongea dans le sein de la France eploree La main qu'a 1'Eternel il avait consacree. Mais, de tant de guerriers, celui dont la valeur Inspira plus d'effroi, repandit plus d'horreur, Dont le coeur fut plus fier et la main plus fatale, Ce fut vous, jeune prince, impetueux d'Aumale, Vous, ne du sang lorrain si fecond en heros, Vous, ennemi des rois, des lois, et du repos. La fleur de la jeunesse en tout temps 1'accompagne Avec eux sans relnche il fond dans la campagne ; Tan tot dans le silence, et tantot ;i grand bruit, A la clarte des cieux, dans 1'ombre de la nuit, Chez 1'ennemi surpris portant par tout la guerre, Du sang des assiegeants son bras couvrait la terre. Tels du front du Caucase, ou du sommet d'Athos, D'ou 1'oeil decouvre au loin 1'air, la terre et les flots, Les aigles, les vautours, aux ailes 6tendues, D'un vol prccipite fendant les vastes nues, 58 LA HENRIADE. Vont dans les champs de 1'air enlever les oiseaui, Dans les bois, sur les pros, dechirent les troupeaux, Et dans les flancs affreux de leurs roches sanglantes Remportent, a grands cris, ces depouilles vivantes. Deja plein d'esperance, et de gloire enivr6, Aux tentes de Valois il avail penetrfe. La nuit et la surprise augmentaient les alarmea : Tout pliait, tout tremblait, tout cedait a ses armes. Get orageux torrent, prompt a se deborder, Dans son choc ttinebreux allait tout inonder. L'etoile du matin commen^ait a paraitre : Mornay, qui prec6dait le retour de son maitre, Voyait dej\ les tours du superbe Paris. D'un bruit mole d'horreur il est soudain surpris . II court, il aperijoit dans un desordre extreme Les soldats de Valois, et ceux de Bourbon meme : " Juste ciel ! est-ce ainsi que vous nous attendiez ? " Henri va vous defendre ; il vient ; et vous fuyez ' " Vous fuyez, compagnons " ! Au son de sa parole, Comme on vit autrefois, au pied du capitole, Le fondateur de Rome, opprime des Sabins, Au nom de Jupiter arrcter ses Romains ; Au seul nom de Henri, les Fran^ais se rallient : La honte les enflamme, ils marchent, ils s'ecrient, Qu'il vienne ce heros, nous vaincrons sous ses yeui. Henri dans le moment parait au milieu d'eux, Brillant comme 1'eclair au fort de la tempete : II vole aux premiers rangs, il s'avance a leur t6te ; II combat, on le suit ; il change les destins : La foudre est dans ses yeux, la mort est dans ses mains. Tous les chefs ranimes autour de lui s'empressent; La victoire revient, les ligueurs disparaissent. CHANT IV. 59 Comme aux rayons du jour qui s'avance et qui luit S'est dissipe 1'cclat des astres de la nuit. C'est en vain que d'Aumale arrete sur ces rives Des siens epouvantcs les troupes fugitives, Sa voix pour un moment les rappelle aux combats ; La voix du grand Henri precipite leurs pas, De son front menat;ant la terreur les renverse ; Leur chef les reunit, la crainte les disperse. D'Aumale est avec eux dans leur fuite entrainfe ; fl , 1 <&L/ Tel que du haut d'un mont de frimas couronn6, \ Au milieu des glaijons et des neiges fondues, Tombe et roule un rocher qui menaqait les nues. Mais que dis-je ? il s'arrete, il montre aux assiegeants, II montre encor ce front redoute si long-temps. Des siens qui 1'entrainaient, fougueux, il se degage ; Honteux de vivre encore, il revole au carnage ; / II arrete un moment son vainqueur etonn6 : Mais d'ennemis bientot il est environne. La mort allait punir son audace fatale. La discorde le vit, et trembla pour d'Aumale : La barbare qu'elle est a besoin de ses jours : Elle s'eleve en 1'air, et vole a son secours. Elle approche ; elle oppose au nombre qui 1'accable Son bouclier de fer, immense, impenetrable, Qui commande au tiepas, qu'accompagne 1'horreur, Et dont la vue inspire ou la rage ou la peur. O fille de 1'enfer, discorde inexorable ! Pour la premiere fois tu parus secourable : Tu sauvas un heros, tu prolongeas son sort, De cette meme main, ministre de la mort, De cctte main barbare, accoutumee aux crimes, Qui jamais j usque-la n'epargna ses victimes. 60 LA HENRIADE. Elle entraine d'Aumale auY portes de Paris, Sanglant, couvert de coups qu'il n'avait point sentis. Elle applique a ses maux une main salutaire ; Elle etanche ce sang repandu pour lui plaire : Mais, tandis qu'a son corps elle rend la vigueur, De ses mortels poisons elle infecte son coeur. Tel souvent un tyran, dans sa piti6 cruelle, Suspend d'un malheureux la sentence mortelle; A ses crimes secrets il fait servir son bras ; Et, quand ils sont commis, il le rend au trepas. Henri sait profiler de ce grand avantage, Dont le sort des combats honora son courage. Des moments dans la guerre il connait tout le prix II presse au mome instant ses ennemis surpris ; II veut que les assauts succedent aux batailles , II fait tracer leur perte autour de leurs murailles. Valois, plein d'esperance, et fort d'un tel appui, Donne aux soldats 1'exemple, et le reqoit de lui; II soutient les travaux, il brave les alarmes. La peine a ses plaisirs, le peril a ses charmes. Tous les chefs sont unis, tout succcde a leurs voeux : Et bientot la terreur, qui marche devant eux, Des assi6ges tremblants dissipant les cohortes, A leurs yeux 6perdus alla.it briser leurs portes. Que peut faire Mayenne en ce peril pressant ? Mayenne a pour soldats un peuple gemissant Ici, la fille en pleurs lui redemande un pcre ; La, le f'rere effraye pleure au tombeau d'un frere Chacun plaint le present, et craint pour 1'avenir; Ce grand corps alarme ne peut se r6unir. On s'assemble, on consulte, on veut fuir ou se rendrt. Tous sont irresolus, nul ne veut se defendre : CHANT IV. 61 Tant le faible vulgaire, avcc legerete, Fait succeder la peur u la t6merite ! Mayenne, en fremissant, voit leur troupe 6perdue. Cent desseins partageaient son ame irresolue ; Quand soudain la discorde aborde ce heros, Fait siffler ses serpents, et lui parle en ces mots Digne heritier d'un nora redoutable u la France, Toi qu'unit avec moi le soin de ta vengeance, Toi, nourri sous mes yeux, et form6 sous mes lois, Entends ta protectrice, et reconnais ma voix. Ne crains rien de ce peuplc imbecille et volage, Dont un faible malheur a glace le courage ; Leurs esprits sont a moi, leurs cceurs sont dans mes mains ; Tu les verras bientot, secondant nos desseins, De mon fiel abreuves, a mes fureurs en proie, Combattre avec audace, et mourir avec joie. La discorde aussitot, plus prompte qu'un eclair, Fend d'un vol assure les campagnes de 1'air. Par-tout chez les Fran^-ais le trouble et les alarmes Pr6sentent a ses yeux des objets pleins de charmes: Son haleine en cent lieux repand 1'aridite ; Le fruit meurt en naissant, dans son germe infectfe : , Les 6pis renvers6s sur la terre languissent ; I Le ciel * en obscurcit, les astres en pAlissent ; Et la foudre en eclats, qui gronde sous ses pieds, Semble annoncer la mort aux peuples effray6s. Un tourbillon la porte a ces rives fecondes ' " Que 1'Eridan rapide arrose de ses ondes. Rome enfin se decouvre a ses regards cruels, Rome, jadis son temple, et 1'effroi des mortels, G 62 LA HENRIADE. Rome, dont le destin, dans la paix, dans la guerre, Est d'etre en tous les temps maitresse de la terre. Par le sort des combats on la vit autrefois Sur leurs trones sanglants enchainer tous les rois; L'univers flcchissait sous son aigle terrible. Elle exerce, en nos jours, un pouvoir plus paisible ; On la voit sous son joug asservir ses vainqueurs, Gouverner les esprits, et commander aux cceurs ; Ses avis sont ses lois, ses dccrets sont ses armes. s Pres de ce capitole ou regnaient tant d'alarmes, Sur les pompeux debris de Bellone et de Mars, Un pontife est assis au trone des Cesars ; Des prctres fortun6s foulent d'un pied tranquille Les tombeaux des Catons et la cendre d'Emile. Le trone est sur 1'autel, et 1'absolu pouvoir Met dans les memes mains le sceptre et 1'encensoir. La, Dieu meme a fonde son eglise naissante, Tantot persecute, et tantot triomphante : Lei, son premier apotre avec la verite Conduisit la candeur et la simplicite. Ses successeurs heureux quelque temps I'imitcrent, D'autant plus respectes que plus ils s'abaisserent. Leur front d'un vain eclat n'etait point revctu; La pauvrete soutint leur austere vertu; Et, jaloux des seuls biens qu'un vrai chretien desire, Du fond de leur chaumiere ils volaient au martyre. Le temps, qui corrompt tout, changea bientot leura moeurs : Le ciel, pour nous punir, leur donna des grandeurs Rome, depuis ce temps, puissante et profanee, Aux conseils des mcchants se vit abandonnee , CHANT IV. 63 La trahison, le meurtre, et 1'empoisonnement, De son pouvoir nouveau fut 1'afFr^ux fondement. Les successeurs du Christ au fond du sanctuaire Placerent sans rougir 1'inceste et 1'adultcre ; Et Rome, qu'opprimait leur empire odieux, Sous ces tyrans sacres regretta ses faux dieux. On ecouta depuis de plus sages maximes ; On sut ou s'epargner ou mieux voiler les crimes : De 1'eglise et du peuple on regla mieux les droits ; Rome devint 1'arbitre et non 1'efFroi des rois ; Sous 1'orgueil imposant du triple diademe La modeste vertu reparut elle-meme. Mais 1'art de manager le reste des humains Est sur-tout aujoutd'hui la vertu des Remains. Sixte alors etait roi de 1'eglise et de Rome. Si, pour ctre bonore du titre de grand honune, II suflit d'etre faux, austere et redoutc, Au rang des plus grands rois Sixte sera compt6. II devait sa grandeur a quinze ans d'artifices : II sut cacher, quinze ans, ses vertus et ses vices. II sembla fuir le rang qu'il brtilait d'obtenir, Et s'en fit croire incjigne arm d'y parvenir. Sous le puissant abri de son bras despotique, Au fond du Vatican regnait la politique, Fille de 1'intcrct et de 1'ambition, Dont naquirent la fraude et la seduction. Ce rnonstre irigenieux, en detours si fertile, Accable de soucis, parait simple et tranquille ; Ses yeux'creux et per<;ants, ennemis du repos, Jamais du doux sommeil n'ont senti les pavota. Par ses di-guisements a toute heure elle abuse Les regards oblouis de 1'Europe confuse : 64 LA IIKXRIADE. Le mensonge subtil qui conduit scs discours, ^. De la verite mrmc empruntant le secours, ' Du sceau du Dieu vivant empreint scs impostures, Et fait servir le ciel a venger ses injures. A peine la discorde avail frappi; ses yeux, Elle court dans ses bras d'uri air mysterieux ; Avec un ris malin la flatte, la caresse ; Puis prenant tout-a-eoup un ton plein de tristesse Je ne suis plus, dit-elle, en ces temps bienheureux Ou les peuples seduits me presentaient leurs vo&ux, Ou la credule Europe, Ji mon pouvoir soumise, Confondait dans mes lois les lois de son 6glise. Je parlais ; et soudain les rois humilics Du trone, en frcmissant, descendaient & mes pieds , Sur la terre, a mon gre, rna voix soufflait les guerres ; Du haul du Vatican je lan<;ais les tonnerres ; Je tenais dans mes mains la vie et le trepas ; Je donnais, j'enlevais, je rendais les ctats. Get heureux temps n'est plus. Le senat de la France Eteint presque en mes mains les foudres que je hi nee ; Plein d'amour pour 1'eglise, et pour moi plein d'horreur, II ote aux nations le bandeau de 1'erreur : C'est lui qui, le premier, dcmasquant mon visage, Vengea la verite, dont j'empruntais 1'image. ' Que ne puis-je, 6 discorde, ardente a. te servir Le scduire lui-meme, ou du moins le punir ! Aliens, que tes flambeaux rallument mon tonnerre ; Commencjons par la France a ravager la terre ; Que le prince et 1'etat retombent dans nos ers. Elle dit, et soudain s'elance dans les airs. Loin du faste de Rome, et des pompes mondaines, Des temples consacres aux vanites humaines, CHANT IV. 65 Dont I'appareil superbe impose a. 1'univers, L'humble religion se cache en des deserts : Elle y vit avec Dieu dans une paix profoiide ; Cependant que son nom, profane dans le monde, Est le pretexte saint des fureurs des tyrans, Le bandeau du vulgaire, et le mepris-des grands. Souffrir est son destin, benir est son partage : Elle prie en secret pour 1'ingrat qui 1'outrage; Sans ornement, sans art, belle de ses attraits, Sa modeste beautc se derobe a jamais Aux hypocrites yeux de la f'oule importune Qui court, a ses autels, adorer la fortune. Son ame pour Henri brCilait d'un saint amour ; Cette fille des cieux salt qu'elle doit un jour, Vengeant de ses autels le culte legitime, Adopter pour son fils ce heros rnagnanime : Elle 1'en croyait digne, et ses ardents soupirs HAtaient cet heureux temps trop lent pour ses desirs Soudain la politique et la discorde impie Surprennent en secret leur auguste ennemie. Elle leve a son Dieu ses yeux mouilles de pleurs . Son Dieu, pour 1'eprouver, la livre a. leurs fureurs. Ces rnonstres, dont toujours elle a souffert 1'injure . De ses voiles sacres couvrent leur tote impure, Prennent ses vetements respectes des humains, Et courent dans Paris accomplir leurs desseins D'un air insinuant 1'adroite politique Se glisse au vaste sein de la Sorbonne antique ; C'est la que s'assemblaient ces sages reveres, Des vferites du ciel interpretes sacr6s, Qui, des peuples Chretiens arbitres et modeles, A leur culte attaches, a leur prince fideles, 6* E 66 LA HENRIADE. Conservaient jusqu'alors une male vigueur, Toujours impenetrable aux fleches de 1'erreur Qu'il est peu de vertus qui resistent sans cesse ! Du monstre deguise la voix enchanteresse Ebranle leurs esprits par ses discours flatteurs. Aux plus ambitaeux elle off're des grandeurs ; Par l'6clat d'une mitre elle eblouit leur vue : De 1'avare en secret la voix lui i'ut vendue : Par un eloge adroit le savant enchante, Pour pnx d'un vain encens, trahit la verit6 : Menace par sa voix, le faible s'intimide. On s'assemble en tumulte, en tumulte on decide. Parmi les cris confus, la dispute et le bruit, De ces Heux en pleurant la v6rite s'enfuit. Alors au norn de tous un des vieillards s'ecrie : " L'eglise fait les rois, les absout, les ch&tie ; En nous est cette eglise, en nous seuls est sa loi; Nous roprouvons Valois, il n'est plus notre roi. Serments jadis sacres, nous brisons votre chaine ' A peine a-t-il parle, la discorde inhumaine Trace en lettres de sang ce decret odieux. Chacun jure par elle, et signe sous ses yeux. Soudain elle s'envole, et d'eglise en eglise Annonce aux factieux cette grande entreprise ; Sous 1'habit d'Augustin, sous le froc de Francois, Dans les cloitres sacres fait entendre sa voix ; Elle appelle, 11 grands cris, tous ces spectres austeres De leur joug rigoureux esclaves volontaires. De la religion reconnaissez lee traits, Dit-elle, et du Tres-Haut vengez les intcrrts. C'est moi qui viens a vous, c'est moi qui vous appelle. Ce fer, qui dans mes mains k vos yeux 6tincelle, , CHANT IV. 67 Ce glaive redoutable k nos fiers ennemis Par la main de Dieu mcme en la mienne est remis. II est temps de sortir de 1'ombre de vos temples : Allez d'un zele saint repandre les exemples ; Apprenez aux Fran, des cris des matelots, On n'entend que le bruit de la proue ccumante, Qui fend, d'un cours heureux, la mer obiissante. CHANT VI. 89 Tel paraissait Potier dictant ses justes lois ; Et la confusion se taisait a sa voix. " Vous destinez, dit-il, Mayenne au rang supreme : Je conqois votre erreur, je 1'excuse moi-meme. Mayenne a des vertus qu'on ne peut trop cherir ; Et je le choisirais, si je pouvais choisir. Mais nous avons nos lois ; et ce heros insigne, S'il pretend a 1'empire, en est des-lors indigne." Comrne il disait ces mots, Mayenne entre soudain, Avec tout 1'appareil qui suit un souverain. Potier le voit entrer sans changer de visage : " Oui. prince, poursuit-il d'un ton plein de courage, Je vous estime assez pour oser centre vous Vous adresser ma voix pour la France et pour nous. En vain nous pretendons le droit d'elire un maitre : La France a des Bourbons ; et Dieu vous a fait naitre Pres de 1'auguste rang qu'ils doivent occuper, Pour soutenir leur trone, et non pour 1'usurper. Guise, du sein des morts, n'a plus rien a pretendre, Le sang d'un souverain doit suffire a sa cendre ; S'il mourut par un crime, un crime 1'a veng6. Changez avec 1'etat, que le ciel a change : Pcrisse avec Valois votre juste colcre ! Bourbon n'a point verse le sang de votre frere. Le ciel, ce juste ciel qui vous cherit tous deux, Pour vous rendre ennemis vous fit trop vertueux. Mais j'entends le murmure, et la clameur publique : J'entends cesnoms affreux de relaps, d'heretique: Je vois d'un zele faux nos pretres emportcs, Qu5, le fer u la main Malheureux, arretez ! Quelle loi, quel exemple, ou plutot quelle rage Peut a 1'oint du Seigneur arracher votre hommage ? 90 LA IIENRIADE. Le fils de saint Louis, parjure a ses serments, Vient-il de nos autels briser les fondements ? Au pied de ces autels il demande a s'instruire; II aime, il suit les lois dont vous bravez 1'empire. II sait dans toute secte honorer les vertus, Respecter votre culte, et meme vos abus. II laisse au Dieu vivant, qui voit ce que nous sommes, Le soin que vous prenez de condamner les hommes. Comme un roi, comine un pere, il vient vous gouverner ; Et, plus chretien que vous, il vient vous pardonner. Tout est libre avec lui ; lui seul ne peut-il 1'etre ? Quel droit vous a rendus juges de votre maitre ? rlnfidcles pasteurs, indignes citoyens, Que vous ressemblez mal a ces premiers chretiens Qui, bravant tous ces dieux de metal ou de pLUre, Marchaient sans murmurer sous un maitre idolatre, Expiraient sans se plaindre, et sur les echafauds, Sanglants, percede coups, bcnissaient leurs bourreaux ! Eux seuls ctaient Chretiens, je nVn connais point d'autres ; Us mouraient pour leurs rois, vous massacrez les votres Et Dieu, que vous peigriez implacable et jaloux, S'il aime a se venger, barbares, c'est de vous." A ce hardi discours aucun n'osait repondre ; Par des traits trop puissants Us se sentaient confondre Us repoussaient en vain de leur coeur irrite Get eftroi qu'aux mechants donne la verite ; Le depit et la crainte agitaient leurs pens^es : Quand soudain mille voix jusqu'au ciel elanc6es Font par-tout retentir, avec un bruit confus : Aux armes, citoyens, ou nous sommes perdus ! Les nuages epais que formait la poussicre Du soleil dans les champs derobaient la lumiere. CHANT VI. 91 Des tambours, des clairons, le son rempli d'horreur De la mort qui les suit etait 1'avant-coureur. Tels des antres du nord echappes sur la terre, Precedes par les vents, et suivis du tonnerre, D'un tourbillon de poudre obscurcissant les airs, ^A^ > Les orages fougueux parcourerit 1'univers. C'etait du grand Henri la redoutable arm6e, Qui, lasse du repos, et de sang affamee, Faisait entendre au loin ses formidables cris, Remplissait la carnpagne, et marchait vers Paris Bourbon n'employait point ces moments salutaires A rendre au dernier roi les honneurs ordinaires, A parer son tombeau de ces litres brillants Que resolvent les morts de 1'orgueil des vivants : Ses mains ne chargeaient point les rives desolees De 1'appareil pompeux de ces vains mausolees Par qui, malgre 1'injure et des temps et du sort, La vanite des grands triomphe de la mort : II voulait a Valois, dans la demeure sombre, Envoyer des tributs plus dignes de son ombre, Punir ses assassins, vaincre ses ennemis, Et rendre heureux son peuple, apres 1'avoir soumis. Au bruit inopin6 des assauts qu'il prepare, Des etats conslernes le coiiseil se separe. Mayenne au mt'me instant court au haut des remparts ; Le soldat rassemble vole a ses clendards : II insulte & grands cris le hcros qui s'avance. Tout est pn;t pour 1'atlaque, et tout pour la defense. Paris n'etait point tel, en ces temps orageux, Qu'il parait en nos jours aux Fram;ais trop heureux. Cent forts, qu'avaient Mtis-la fureur el la crainte, Dans un moins vaste espace enfermaient son enceinte. f 92 LA HENRIADE. Ces faubourgs, aujourd'hui si pompeux et si grands, Que la main de la paix tient ouverts en tout temps, D'une immense cite superbes avenues, Ou nos palais dores se perdent dans les nues, Etaient de longs hameaux de remparts entoures, Par un fosse profond de Paris separes. Du cote du levant bientot Bourbon s'avance. Le voila qui s'approche ; et la mort le devance. Le fer avec le feu vole de toutes parts Des mains des assicgeants et du haut des remparts. Ces remparts mena^ants, leurs tours et leurs ouvrages, S'ecroulent sous les traits de ces bralants orages : On voit les bataillons rompus et renverses, Et loin d'eux dans les champs leurs membres disperses. Ce que le fer atteint tombe rcduit en poudre ; Et chacun des partis combat avec la foudre. Jadis avec moins d'art, au milieu des combats Les malheureux mortels avanraient leur trepas Avec moins d'appareil ils volaient au carnage ; Et le fer dans leurs mains suffisait a leur rage. De leurs cruels enfants reffort industrieux A derobe le feu qui brule dans les cieux. On entendait gronder ces bombes effroyables, Des troubles de la Flandre enfants abominables Dans ces globes d'airain le salpetre enflamrne Dole avec la prison qui le tient renferme ; II la brise, et la mort en sort avec furie. Avec plus d'art encore, et plus de barbarie, Dans des antres profonds on a su renfermer Des foudres souterrains tout prcts u s'allumer. Sous uu chemin trompeur, oil, volant au carnage, Le soldat valeureux se fie a son courage, CHANT VI. 93 On voit en un instant des abymes ouverts, De noirs torrents de soufre epandus dans les airs, Des bataillons entiers, par ce nouveau tonnerre, Emportes, d^chires, engloutis sous la terre. Ce sont la. les dangers oil Bourbon va s'offrir : C'est par Id qu'a son trone il brule de courir. Ses guerriers avec lui dedaignent ces tempetes ; L'enfer estsous leurs pas, la foudre eat sur leurs tetes t Mais la gloire, it leurs yeux, vole a cote du roi; Us ne regaraent qu'elle, et marchent sans efFroi. Mornay, parrai les flots de ce torrent rapide, S'avance d'un pas grave, et non inoins intrepide ; Incapable a. la fois de crainte et de fureur, Sourd au bruit des canons, calme au sein de 1'horreur D un ceil ferine et stoique, il regarde la guerre Comrae un fleau du ciel, affreux, raais neoessaire. II marche en philosophe ou 1'honneur le conduit, Condamne les combats, plaint son raaitre, et le suit. Us descendent enfin dans ce chemin terrible Qu'un glacis teint de sang rendait inaccessible : C'est la. que le danger ranime leurs efforts : Us comblent les fosses de fascines, de morts, Sur ces morts entasscs ils marchent, ils s'avancent : D'un cours prccipite sur la breche ils s'elancent. Arme d'un fer sanglant, couvert d'un bouclier, Henri vole & leur tt-te, et monte le premier. II monte : il a deja, de ses mains triomphantes, Arbore de ses lis les enseignes flottantes. Les ligueurs, devant lui, demeurent pleins d'effroi : Ils semblaient respecter leur vainqueur et leur roi. Ils cddaient : mais Mayenne a 1 'instant les ranime; 11 leur montre 1'exemplc, il les rappelle au crime; 94 LA HENRIADE. Leurs bataillons serres pressent de toutes parts Ce roi dont ils n'osaient soutenir les regards. Sur le inur, avec eux, la discorde cruelle Se baigne dans le sang que Ton verse pour elle. Le soldat, a son gnS, sur ce f uneste inur, Combattant de plus pres, porte un trepas plus sur. Alors on n'entend plus ces foudres de la guerre Donl les bouches de bronze epouvantaient la terre , Un farouche silence, enfant de la fureur, A ces bruyants eclats succede avec horreur. D'un bras determine, d'un ceil brtHant de rage, Parmi ses ennemis chacun s'ouvre un passage. On saisit, on reprend, par un contraire effort, Ce rempart teint de sang, theatre de la niort. Dans ses fatales mains la victoire incertaine Tient encor, prcs des lis, 1'etendard de Lorraine. Les assiegeants surpris sont par-tout renvers6s, Cent fois victorieux, et cent fois terrasses ; Pareils a 1'ocean pousse par les orages, Qui couvre, a chaque instant, et qui fuit ses rivages. Jamais le roi, jainais son illustre rival, N'avaient etc si grands qu'en cet assaut fatal : Chacun d'eux, au milieu du sang et du carnage, Maitre de son esprit, maitre de son courage, Dispose, ordonne, agit, voit tout en meme temps, Et conduit d'un coup-d'csil ces affreux mouvements. Cependant des Anglais la formidable elite, Par le vaillant Essex ;\ cet assaut conduite, Marchait sous nos drapeaux pour la premiere fois, Et semblait s'ctonner de servir sous nos rois. Ils viennent soutenir 1'honneur de leur patrie, Orgueilleux de combattre, et de donner leur vie, CHANT VI. 95 Sur ces monies remparts et dans ces raemes lieux Ou la Seine autrefois vit regner leurs aTeux. Essex monte a. la breche ou combattait d'Aumale ; Tous deux jeunes, brillants, pleins d'une ardeur egale, Tels qu'aux remparts de Troie on peint les demi-dieux. Leurs amis, tout sanglants, sont en foule autour d'eux : Fran^ais, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble, Avan$aient, combattaient, frappaient, mouraient en- semble. Ange qui conduisiez leur fureur et leur bras, Ange exterminateur, ame de ces combats, De quel heros enfin prites vous la querelle ? Pour qui pencha des cieux la balance eternelle ? Long-temps Bourbon, Mayenne, Essex, et son rival, Assiegeants, assicges, font un carnage egal. Le parti le plus juste cut enfin 1'avantage : Enfin Bourbon 1'emporte, il se fait un passage; Les ligueurs fatigues ne lui rcsistent plus, Us quittent les remparts, ils tombent cperdus. Comme on voit un torrent, du haut des Pyrenees, Menacer des vallons les nymphes consternees : Les digues qu'on oppose u ses flots orageux Soutiennent quelque temps son choc impetueux ; Mais bientot, renversant sa barriere impuissante, II porte au loin le bruit, la mort et 1'cpouvante, Deracine, en passant, ces chenes orgueilleux Qui bravaient les hivers, et qui touchaient les cieux ; Dctache les rochers du penchant des montagnes, Et poursuit les troupeaax fuyant dans les campagnca Tel Bourbon descendait a pas precipiles Du haut des murs f umants qu'il avail emportes ; Tel, d'un bras foudroyant fondant sur les rebelles, II moissonne, en courant, leurs troupes criminellea. 96 LA HENRIADE. Les Seize, avec effroi, fuyaientce bras vengeur, Egares, otmfondus, disperses par la peur. Mayenne ordonne enfin que Ton ouvre les portes II rentre dans Paris, suivi de ses cohortes. Les vainqueurs furieux, les flambeaux a la main, Dans les faubourgs sanglants se repandent soudain Du soldat eflrenc la valeur tourne en rage ; II livre tout au fer, aux flammes, au pillage. Henri ne les voit point ; son vol impetueux Poursuivait 1'ennemi fuyant devant ses yeux. Sa victoire 1'endamnie, et sa valeur 1'emporte ; II franchit les faubourgs, il s'avance a la porte : Compagnoiis, apportez et le fer et les feux ; Venez, volez, montez sur ces murs orgueilleux. Comme il parlait ainsi, du profond d'une nue Un fantome eclatant se presente a sa vue : Son corps majestueux, maitre des elements, Descendait vers Bourbon sur les ailes des vents : De la divinite les vives etincelles Etalaient sur son front des beautes immortelles ; Ses yeux semblaient remplis de tendresse et d'horreur " Arrcte, cria-t-il, trop malheureux vainqueur ! Tu vas abandonner aux flammes, au pillage, De cent rois, tes ai'eux, 1'immortel heritage, Ravager ton pays, mes temples, tes tresors, Egorger tes sujets, et rcgner sur des morts : Arrete ! . ." A ces accents, plus forts que le tonnerre, Le soldat s'epouvante, il embrasse la terre, II quitte le pillage. Hercri, plein de Fardeur Que le combat encore enflammait dans son coeur, Semblable a 1'occan qui s'apaise et qui gronde : " O fatal habitant de 1'invisible monde ! CHANT VI. 97 Que viens-tu m'annoncer dans ce sejour d'horreur ' * Alo'rs il entendit ces mots pie ins de douceur^ " Je suis cet heureux roi que la France revere, Le pere des Bourbons, ton protecteur, ton pere ', Ce Louis qui jadis combattit comme toi, Ce Louis dont ton creur a neglige la foi, Ce Louis qui te plaint, qui t'admire, et qui t'aime. Dieu sur ton trone un jour te conduira lui-nieme ; Dans Paris, 6 mon fils, tu rentreras vainqueur, Pour prix de ta clemence, et non de ta valeur: C'est Dieu qui t'en instruit, et c'est Dieu qui m'envoie. Le heros, a ces mots, verse des pleurs de joie. La paix a dans son cosur etouffe son courroux : II s'ecrie, il soupire, il adore a genoux. D'une divine horreur son ame est pcnetree : Trois fois il tend les bras a. cette ombre sacree ; Trois fois son pere echappe a ses embrassements. Tel qu'un Ijger nuage ecarte par les vents. Du faite cependant de ce rnur formidable, Tous les ligueurs armes, tout un peuple innombrable Etrangers et Fran^ais, chefs, citoyens, soldats, Font pleuvoir sur le roi le for et le tropas. La vertu du Tres-Haut brille autour de sa tete, Et des traits qu'on lui lance ecarte la tempete. II vit alors, il vit de quel affreux danger Le pere des Bourbons venait le degager. II contemplait Paris d'un ceil triste et tranquille. Fran^ais, s'ecria-t-il, et toi, fatale ville, Citoyens malheureux, peuple faible et sans foi, Jusqu'a quand voulez-vous combattre votre roi ? AlorSj ainsi que 1'astre auteur de la lumiere, Apres avoir rempli sa brulante carriere, 9 G i)8 LA HENRIADE. Au bord de 1'horizon brille d'un feu plus doux, Et, plus g^rand a nos yeux, parait fuir loin de nous ; Loin des murs de Paris le heros se retire, Le coeur plein du saint roi, plein du Dieu qui 1'inspire II marche vers Vincenne, oil Louis, autrefois, Au pied d'un chene assis, dicta ses justes lois. Que vous etes change, sejour jadis aimable ! Vincenne, tu n'es plus qu'un donjon detestable, Qu'une prison d'etat, qu'un lieu de desespoir, Ou tombent si souvent du faite du pouvoir Ces ministres, ces grands, qui tonnent sur nos tetes Qui vivent a la cour au milieu des tempetes, Oppresseurs, opprimes, fiers, humbles, tour-a-tour, Tantot 1'horreur du peuple, et tantot leur amour. Bientot de 1'occident, oil se forment ]es ombres, La nuit vint sur Paris porter ses voiles sombres, Et caciier aux mortels, en ce sanglant sejour, Ces morts et ces combats qu'avait vus Tceil du jour. TIK DU CHANT SIXI^ME. CHANT VII. ARGUMENT. Saint Louis transporte Henri IV en esprit au ciel et aux enfers^ et lui fait voir, dans le palais cleg destins, sa posterity, et lea grands hommes que la France doit produire. Do Dieu qui nous cr6a la clcmence infinie, Pour adoucir les maux de cette courte vie, A plac6 parmi nous deux tres bienfaisants, De la terre & jamais aimables habitants, ' Soutiens dans les travaux, tr6sors dans 1'indigenc*, L'un est le doux sommeil, et 1'autre est 1'esperance : L'un, quand 1'homme accable sent de son faible corps Les organes vaincus sans force et sans ressorts, Vient par un calme heureux secourir la nature, Et lui porter 1'oubli des peines qu'elle endure ; L'autre anime nos coeurs, enflamme" nos desirs ; Et, meine en nous trompant, donne de vrais plaisirs ; Mais aux mortels ch6ris k qui le ciel 1'envoie Elle n'inspire point une infidcle joie ; Elle apporte de Dieu la promesse et 1'appui ; Elle est in6branlable, et pure comme lui. Louis, pros de Henri, tous les deux les appelle : Approchez vers mon fils, venez, couple fidele. 100 LA HENRI ADE. Le sommeil 1'entendit de ses antres secrets : II marche mollement vers ccs ombrages frais. Les vents, a son aspect, s'arretent en silence ; Les songes fortunes, enfants de 1'esperance, Voltigent vers le prince, et couvrent ce heros D'olive et de lauriers moles a leurs pavots. Louis, en ce moment, prenant son diademe, Sur le front du vainqueur il le posa lui-meme : Regne, dit-il, triomphe, et sois en tout mon filsj Tout 1'espoir de ma race en toi seul est remis. Mais le trone, 6 Bourbon, ne doit point te suffire ; DCS presents de Louis le moindre est son empire. C'est peu d'etre un heros, un conquerant, un roi ; Si le ciel ne t'cclaire, il n'a rien fait pour toi. Tons ces honneurs mondains ne sont qu'un bien sterile Des humaines vertus recompense fragile, Un dangereux 6clat qui passe et qui s'enfuit, Que le trouble accompagne, et.que la mort detruit. Je vais te decouvrir un plus durable empire, Pour te recompenser, bien moins que pour t'instruire. Viens, obeis, suis moi par de nouveaux cbemins : Vole au sein de Dieu meme, et remplis tes destins. L'un et 1'autre, a ces mots, dans un char de lumiere, Des cieux, en un moment, traversent la carriere. Tels on voit dans la nuit la foudre et les eclairs, Courir d'un pole a 1'autre, et diviser les airs : Et telle s'eleva cette nue embrasee Qui, derobant aux yeux le maitre d'Elisee, Dans un celeste char, de flamme environn6, L'emporta loin des bords de ce globe etonne. Dans le centre 6clatant de ces orbes immenses, Qui n'ont pu nous cacher leur marche et leurs dis- tances, CHANT VII. 101 Luit cet astre du jour par Dieu mcme allumi' 1 , Qui tourne autour de soi sur son axe enflamme.. De lui partent sans fin des torrents de lumiere ; II donne, en se montrant, la vie a la matiere, Et dispense les jours, les saisons, et les ans, A des mondes divers autour de lui flottants. Ces astres, asservis a la loi qui les presse, S'attirent dans leur course, et s'evitent sans cesse , Et, servant 1'uii a. 1'autre et de regie et d'appui, Se prutent les claries qu'ils re9oivent de lui. Au-dela de leurs cours, et loin dans cet espace Ou la matiere nage, et que Dieu seul embrasse, Sont des soleils sans nombre, et des mondes sans fin. Dans cet abyme immense il leur ouvre un chemin. Par-delk tous ces cieux le Dieu des cieux reside. C'est la. que le heros suit son celeste guide ; C'est la. que sont formes tous ces esprits divers Qui remplissent les corps et peuplent 1'univers. La sont, apres la mort, nos ames replongees, De leur prison grossiere a jamais dcgagees. Un juge incorruptible y rassemble a ses pieds Ces immortels esprits que son souffle a crees : C'est cet etre infini qu'on sert et qu'on ignore. Sous des noms differents le monde entier 1'adore. Du haut de 1'empyree il entend nos clameurs : II regarde en pitic ce long amas d'erreurs, Ces portraits inscnscs que 1'humaine ignorance Fait avec pi6te de sa sagesse immense. La mort aupres de lui, fille affreuse du temps, De ce triste univers conduit les habitants : Elle amene a la fois les bonzes, les brachmanes, Du grand Confucius les disciples profanes ; n 10(2 LA HENR1ADE. DCS antiques Persans les secrets successeurs, De Zoroastre encore aveugles sectateurs ; Les pi\les habitants de ces froides contrees Qu'assiegent de glaqons les mers hyperborees ; Ceux qui de 1'Amcrique habitent les forets, De 1'erreur invincible innombrables sujets. Le dervis etonne, d'une vue inquiete, A la droite de Dieu cherche en vain son prophete. Le bonze, avec des yeux sombres et penitents, Y vient vanter en vain ses vceux et ses tourments. Eclaires a 1'instant, ces morts dans le silence Attendent, en tremblant, I'oternelle sentence. Dieu, qui voit a la fois, entend et connait tout, D'un coup-d'ceil les punit, d'un coup-d'oeil les absout. Henri n'approcha point vers le trone invisible D'oii part a chaque instant ce jugement terrible, Ou Dieu prononce a tous ses arrfits eternels, Qu'osent prevoir en vain tant d'orgueilleux mortels. ' Quelle est, disait Henri, s'interrogeant lui-meme, Quelle est de Dieu sur eux la justice supreme ? Ce Dieu les punit-il d'avoir ferine leurs yeux Aux clartcs que lui-morne il pla(;a si loin d'eux ? Pourrait-il les juger, tel qu'un injuste maitre, Sur la loi des chretiens qu'ils n'avaient pu connaitre ? Non. Dieu nous a crees, Dieu nous veut sauver tous. Par-tout il nous instruit, par-tout il parle t\ nous ; II grave en tous les coaurs la loi de la nature, Seule a jamais la mcme, et seule toujours pure. Sur cette loi, sans doute, il juge les pafens ; Et, si leur coeur fut juste, ils ont etc chretiens." Tandis que du heros la raison confondue Portait sur ce mystere une indiscrete vue, CHANT VII. 103 Au pied dutrone meme une voix s'entendit; Le ciel s'en ebranla, 1'univers en fremit; Ses accents ressemblaient a ceux de ce tonnerre, Quand du mont Sinai Dieu parlait a. la terre. Le chceur des imraortels se tut pour 1'ecouter ; t chaque astre en son cours alia le rep6ter. " A ta faible raison garde-toi de te rendre : Dieu t'a fait pour 1'aimer, et non pour le comprendre. Invisible a tes yeux, qu'il regne dans ton cocur; JI confond 1'injustice, il pardonne a 1'erreur j Mais il punit aussi toute erreur volontaire, Mortel, ouvre les yeux quand son soleil t'6claire." Henri, dans ce moment, d'un vol precipite Est par un tourbillon dans 1'espace emporte Vers un sejour informe, aride, affreux, sauvage, De 1'antique chaos abominable image, Impenetrable aux traits de ces soleils brillants, Chefs-d'oeuvre du Tres-Haut, comme lui bienfaisants. Sur cette terre horrible, et des anges hale, Dieu n'a point repandu le germe de la vie. La mort, 1'affreuse mort, et la confusion, Y semblent etablir leur domination. Quelles clameurs, 6 Dieu '. quels cris 6pouvantables ! Quels torrents de fumee ! et quels feux effroyables ! Quels monstres, dit Bourbon, volent dans ces climats ! Quels gouffres enflammcs s'entr'ouvrent sous mes pas ! O mon fils, vous voyez les portes de 1'abyme Creusc par la justice, habitfe par le crime : Suivez-moi, les chemins en sont toujours ouverts. Us marchent aussitot aux portes des enfers. La, git la sombre en vie, a. I'osil timide et louche, Versant sur des lauriers les poisons de sa bouche 104 LA HENRIADE. Le jour blesse ses yeux dans 1'ombre etincelants : Triste amante des morts, elle halt les vivants. Elle aper^oit Henri, se d6tourne, et soupire. Aupres d'elle est 1'orgueil, qui se plaft et s'admire ; La faiblesse au teint pile, aux regards abattus, Tyran qui cede au crime, et detruit les vertus j L'ambition sanglante, inquiete, egaree, De trones, de tombeaux, d'esclaves entouree ; La tendre hypocrisie aux yeux pleins de douceur, (Le ciel est dans ses yeux, 1'enfer est dans son coeur;) Le faux zcle etalant ses barbares maximes j Et I'interet enfin, pere de tous les crimes. ^^^ Des mortels corrompus ces tyrans effrenes, A 1'aspect de Henri, paraissent consternes : lls ne 1'ont jamais vu ; jamais leur troupe impie N'approcha de son ame a la vertu nourrie : Quel mortel, disaient-ils, par ce juste conduit, Vient nous persccuter dans 1'eternelle nuit? Le hcros, au milieu de ces esprits immondes, ' S'avan<;ait a pas lents sous ces voiltes prolbndes : Louis guidait ses pas : Ciel ! qu'est-ce que je vois ! L'assassin de Valois ! ce monstre devant moi ! Mon pcre, il tient encor ce couteau parricide Dont le conseil des Seize arma sa main perfide. Tandis que, dans Paris, tous ces prCtres cruels Osent de son portrait souiller les saints autels, Que la ligue 1'invoque, et que Rome le loue, Ici, dans les tourments, 1'enfer les desavoue. Mon fils, reprit Louis, de plus severes lois Poursuivent en ces lieux les pn.ices et les rois. Regardez ces tyrans adores dans 'eur vie : Plus ils 6taient puissants, plus Dieu les humilie. CHANT VII. 105 II punit les forfaits que leurs mains ont commis, Ceux qu'ils n'ont point venges,et ceux qu'ils ont permis. La mort leur a ravi leurs grandeurs passageres, Ce faste, ces plaisirs, ces flatteurs mercenaires De qui la complaisance, avec dexterite, A leurs yeux eblouis cachait la verite. La verite terrible ici fait leurs supplices : Elle est devant leurs yeux, elle eclaire leurs vices. Voyez comme a sa voix tremblent ces conquerants, Heros aux yeux du peuple, aux yeux de Dieu tyransj Fleaux du inonde entier, que leur fureur embrase, La foudre qu'ils portaient a leur tour les ecrase. Aupres d'eux sont couches tous ces rois faineants, Sur un trone avili fantomes impuissants. Henri voit pres des rois leurs insolents ministres : Jl remarque sur-tout ces conseillers sinistres, Qui, des mceurs et des lois avares corrupteurs, De Themis et de Mars ont vendu les honneurs ; Qui mirent, les premiers, a d'indignes encheres L'inestimable prix des vertns de nos peres. Etes-vous en ces lieux, faibles et tendres coeurs, Qui, livrcs aux plaisirs, et couches sur des fleurs, Sans fiel et sans fierte couliez dans la paresse Vos inutiles jours files par la mollesse ? Avec les scelerats seriez-vous confondus, Vous, mortels bienfaisants, vous, amis des vertus, Qui, par un seul moment de doute ou de faiblesse, Avez s6ch6 le fruit de trente ans de sagesse ? Le gcnureux Henri ne put cacher ses pleurs. Ah ! s'il est vrai, dit-il, qu'en ce sejour d'horreura La race des humains soil en foule engloutie, Si les jours passagers d'une si triste vie 106 LA HENRIADE. D'un 6ternel tourment sont suivis sans retour, Ne vaudrait-il pas mieux ne voir jamais le jour ? Heureux, s'ils expiraient dans le sein de leur mere ! Ou si ce Dieu, du moins, ce grand Dieu si severe, A 1'horame, hclas ! trop libre, avail daigne ravir Le pouvoir malheureux de lui dcsobeir ! Ne crois point, dit Louis, que ces tristes victimes Souffrent des cMtiments qui surpassent leurs crimes, Ni que ce juste Dieu, crcateur des humains, Se plaise a dechirer 1'ouvrage de ses mains ; Non, s'il est infini, c'est dans ses recompenses: Prodigue de ses dons, il borne ses vengeances. Sur la terre on le peint Texemple des tyrans ; Mais ici c'est un pere, il punit ses enfants ; II adoucit les traits de sa main vengeresse ; II ne sail point punir des moments de faiblesse, Des plaisirs passagers, pleins de trouble et d'ennui, Par des tourments affreux, eternels comme lui. II dit, et dans 1'instant 1'un et 1'autre s'avance Vers les lieux fortunes qu'habite 1'innocence. Ce n'est plus des enfers I'affreuse obscurite ; C'est du jour le plus pur 1'immortelle clarte. Henri voit ces beaux lieux, et soudain, a leur vue, Sent couler daris son ame une joie inconnue. Les soins, les passions n'y troublent point les coeurs ; La volupte tranquille y repand ses douceurs. Amour, en ces climats tout ressent ton empire : Ce n'est point cet amour que la mollesse inspire; C'est ce flambeau divin, ce feu saint et sacre, Ce pur enfant des cieux sur la terre ignore. De lui seul a jamais tous les coDurs se remplisscnt; Us desirent sans cesse, et sans cesse ils jouissent, CHANT VII. 107 Et goiltent, dans les feux d'une eternelle ardeur, Des plaisirs sans regrets, du repos sans langueur. La, regnent les bons rois qu'ont produits tous les ⩾ La, sont les vrais heros ; la, vivent les vrais sages ; La, sur un trone d'or, Charlemagne et Clovis Veillent du haut des cieux sur 1'empire des lis. Les plus grands ennemis, les plus fiers adversaires, Reunis dans ces lieux, n'y sont plusque des freres. Le sage Louis douze, au milieu de ces rois, S'eleve comme un ce,dre, et leur donne des lois. Ce roi, qu'ti nos afeux donna le ciel propice, Sur son trone avec lui fit asseoir la justice ; II pardonna souvent ; il regna sur les cceurs ; Et des yeux de son peuple il essuya les pleurs. D'Amboise est k ses pieds, ce ministre fidele, Qui seul aima la France, et fut seul aim6 d'elle; Tendre ami de son maitre, et qui, dans ce haut rang, Ne souilla point ses mains de rapine et de sang. O jours ! 6 moeurs ! 6 temps d'eternelle m6moire Le peuple etait heureux, le roi couvert de gloire ; De ses aimables lois chacun gofttait les fruits. Revenez, heureux temps, sous un autre Louis ! Plus loin sont ces guerriers, prodigues de leur vie, Qu'enflamma leur devoir, et non pas leur furie ; La Tremouille, Clisson, Montmorenci, de Foix, Guesclin le destructeur et le vengeur des rois, Le vertueux Bayard, et vous, brave amazone, La honte des Anglais, et le soutien du trone. Ces heros, dit Louis, que tu vois dans les cieur, Comme toi, de la terre ont cbloui les yeux ; La vtMu, comme a toi, mon fils, leur etait chore : Mais, enfants de l'6glise, ils ont ch6ri leur mere ; 108 LA JIENRIADE. Leur coeur simple et docile aimait la verite ; Leur culte etait le mien, pourquoi l'as-tu quitt6 ? Comme il disait ces mots d'une voix gernissarite, Le palais des destins devant lui se presente : II fait marcher son fils vers ces sacres remparts, Et cent portes d'airain s'ouvrent a ses regards. Le temps, d'une aile prompte,et d'un vol insensible, Fuit, et revient aftis cesse a ce palais terrible ; Et de la. sur la terre il verse a pleines mains Et les biens et les maux destines aux humains. Sur un autel de fer un livre inexplicable Contient de 1'avenir 1'histoire irrevocable : La main de 1'eternel y marqua nos desirs, Et nos chagrins cruels, et nos faibles plaisirs. On voit la liberte, cette esclave si ficre, Par d'invisibles nceuds en ces lieux prisonniere : Sous un joug inconnu, que rien ne peut briser, Dieu sait 1'assujettir sans la tyranniser ; A ses supremes lois d'autant mieux attachee, Que sa chaine a ses yeux pour jamais est cachee ; Qu'en obeissant meme elle agit par son choix, Et souvent aux destins pense donner des lois. Mon cher fils, dit Louis, c'est de Ik que la grace Fait sentir aux humains sa faveur efficace ; C'est de ces lieux sacres qu'un jour son trait vainqueur Doit partir, doit brdler, doit embraser ton coeur. Tu ne peux differer, ni Mter, ni connaitre, Ces moments precieux dont Dieu seul est le maitre. Mais qu'ils sont encor loin ces temps, ces heureux temps, Ou Dieu doit te compter au rang de ses enfants ! Que tu dois cprouver de faiblesses honteuses ! Et que tu marcheras dans des routes trompeuses ! CHANT VII. 109 Retrenches, 6 mon Dicu, des jours de ce grand roi, Ces jours infortunes qui 1'eloignent de toi ! Mais dans ces vastes lieux quelle foule s'empresse ' Elle entre a tout moment, ct s'ecoule sans cesse. Vous voyez, dit Louis, dans ce sacre sejour, Les portraits des humains qui doivent naitre un jour: Des siecles a venir ces vivantes images Rassemblent tous les lieux, devancent tous les ages. Tous les jours des humains, comptes avant les temps, Aux yeux de 1'Eternel h jamais sont presents. Le destin marque ici 1'instant de leur naissance, L'abaissement des uns, des autres la puissance, Les divers changements attaches a leur sort, Leurs vices, leurs vertus, leur fortune, et leur mort. Approchons-nous : le ciel te permet de connaitre Les rois et les heros qui de toi doivent naitre. Le premier qui parait, c'est ton auguste fils : Jl soutiendra long-temps la gloire de nos lis, Triomphateur heureux du Beige et de 1'Ibere ; Mais il n'egalera ni son fils ni son pire. Henri, dans ce moment, voit sur des fleurs de lia Deux mortels orgueilleux aupres du tione assis: Us tiennent sous leurs pieds tout un peuple a la chaine ; Tous deux sont revf'tus de la pourpre romaine ; Tous deux sont entouros de gardes, de soldats : II les prend pour des rois. ..Vous ne vous trompez pas; Us le sont, dit Louis, sans en avoir le titre ; Du prince et de 1'etat 1'un et 1'autre est 1'arbitre. Richelieu, Mazarin, ministres immortels, Jusqu'au trone elev6s de 1'ombre des autels, Enfants de la fortune et de la politique, Marcheront a grands pas au pouvoir despotique. .0 110 LA HE.\mAI>E- Richelieu, grand, sublime, implacable ennemi ; Mazarin, souple, adroit, et dangereux ami ; L'un fuyant avec art, et cedant a Torage, L'autre aux flots irrites opposant son courage : Des princes de mon sang ennemis declares ; Tous deux hals du peuple. et tous deux admires; Enfin, par leurs efforts, ou par leur industrie, Utiles a leurs rois, cruels a. la patrie. O toi, moins puissant qu'eux,moins vaste en tes desseins, Toi, dans le second rang, le premier des humains, Colbert, c'est sur tes pas que 1'heureuse abondance, Fille de tes travaux, vient enrichir la France. Bienfaiteur de ce peuple ardent a t'outrager, En le rendant heureux, tu sauras t'en venger ; Semblable a. ce heros, confident de Dieu mcme, Qui nourrit les Hebreux pour prix de leur blaspheme. Ciel ! quel pompeux aiaas d'esclaves a genoux Est aux pieds de ce roi qui les fait trembler tous. Quelshonneurs ! quels respects ! jamais roi danslaFrance N'accoutuma son peuple a. tant d'obeissance. Je le vois, comme vous, par la gloire anim6, Mieux obei, plus craint, peut-i'-tre moins aime. Je le vois eprouvant des fortunes diverses, Trop fier dans ses succes, inais ferme en ses traverses ; De vingt peuples ligues bravant seul tout I'effort, Admirable en sa vie, et plus grand dans sa mort. Siccle heureux de Louis, siecle que la nature De ses plus beaux presents doit combler sans mesure, C'est toi qui dans la France amenes les beaux arts; Sur toi tout 1'avenir va porter ses regards ; Les muses a jamais y fixent leur empire ; La toile est animce, et le marbre respire. CHANT VII. Ill Quels sages, rassembles dans ces augustes lieux, Mesurent 1'univers, et lisent dans les cieux ; Et, dans la nuit obscure apportant la lumiere, Sondent les profondeurs de la nature entiere ? L'erreur presomptueuse, a leur aspect s'enfuit, Et vers la verite le doute les conduit. Et toi, fille du ciel, toi, puissante harmonie, Art charmant qui polls la Gr6ce et 1' Italic, J'entends de tous cotes ton langage enchanteur, Et tes sons souverains de 1'oreille et du cceur. Fran^ais, vous savez vaincre, et chanter vos conquetes; II n'est point de lauriers qui ne couvrent vos tetes ; Un peuple de heros va naitre en ces climats ; Je vois tous les Bourbons voler dans les combats. A travers mille feux je vois Conde paraitre, Tour-a-tour la terreur et 1'appui de son maitre ; Turenne, de Conde le gen6reux rival, Moins brillant, mais plus sage, et du moins son egal. Catinat rcunit, par un rare assemblage, Les talents du guerner et les vertus du sage. Vauban, sur un rempart, un compas a la main, Rit du bruit impuissant de cent foudres d'airain. Malheureux a la cour, invincible a la guerre, Luxembourg fait trembler 1'Empire et 1'Angleterre. Regardez, dans Denain, 1'audacieux Villars Disputant le tonnerre a 1'aigle des Cesars, Arbitre de la paix que la victoire amene, Digne appui de son roi, digne rival d'Eugcne. Quel est ce jeune prince en qui la majeste Sur son visage aimable eclate sans fiert6 ? D'un ceil d'indilFcrence il regarde le trone... Ciel ! quelle nuit soudaine a mes yeux 1'environne f 112 LA HENRIADE. La mort, autour de lui, vole sans s'arreter; II tombe au pied du trone, etant pres d'y monter. O mon fils ! des Fran^ais vous voyez le plus juste ; Les cieux le formeront de votre sang augusle. Grand Dieu, ne faites-vous que montrer aux humains Cette fleur passagere, ouvrage de vos mains? Helas ! que n'eut point fait cette ame vertueuse ! La France sous son regne eftt etc trop heureuse ! II eilt entretenu 1'abondance et la paix ; Mon fils, il eftt coinpte ses jours par ses bienfaits ; II eftt aime son peuple. O jour rempli d'alarmes ! O combien les Franqais vont repandre de larmes, Quand sous la meme tombe ils verront reunis Et 1'epoux et la fern me, et la mere et le fils ! Un faible rejeton sort entre les ruines De cet arbre fecond coupe dans ses racine*. Les enfants de Louis, descendus au tombeau, Ont laissc dans la France un monarque au berceau, De 1'etat cbranle douce et frele esperance. O toi, prudent Fleury, veille sur son enfance, Conduis ses premiers pas, cultive sous tes yeux Du plus pur de mon sang le depot precieux. Tout souverain qu'il est, instruis-le a se connaitre ; Qu'il sache qu'il est homme en voyant qu'il est maitre ; Qu'aim6 de ses sujets, ils soient chers a. ses yeux : Apprends-lui qu'il n'est roi, qu'il n'est ne que pour eux France, reprends sous lui ta majeste premiere, Perce la triste nuit qui couvrait ta lumiere ; Que les arts, qui dcja voulaient t'abandonner, De leurs utiles mains viennent te couronner. L'ocean se demande, en ses grottes profondes, Ou sont tes pavilions qui flottaient sur ses ondes. CHANT VII. 113 Du Nil et de 1'Euxin, de 1'Inde et de ses ports, Le commerce t'appelle, et t'ouvre ses tresors. Maintiens 1'ordre et la paix, sans chercher la victoire. Sois 1'arbitre des rois ; c'est assez pour ta gloire : II t'en a trop coiite d'en etre la terreur. Pros de ce jeune roi s'avance avec splendeur Un hcros que de loin poursuit la calomnie, Facile et non pas faible, ardent, plein de genie, Trop ami des plaisirs, et trop des nouveautes, Remuant 1'univers du sein des voluptcs. Par des ressorts nouveaux, sa politique habile Tient 1'Europe en suspens, divisce et tranquille. Les arts sont eclairi;s par ses yeux vigilants. Ne pour tous les emplois, il a tous les talents, Ceux d'un chef, d'un soldat, d'un citoyen, d'un maitre II n'est pas roi, nion fils ; mais il enseigne a 1'etre. l Alors dans un orage, au milieu des eclairs, L'etendard de la France apparut dans les airs ; Devant lui d'Espagnols une troupe guerriere De 1'aigle des Germains brisait la tete altiere. O mon pcre ! quel est ce spectacle nouveau ? Tout change, dit Louis, et tout a son tombeau. Adorons du Tres-Haut la sagesse cachee. Du puissant Charles-Quint la race est retranchee. L'Espagne, h nos genoux, vient demander des rois: C'est un de nos neveux qui leur donne des lois. yvi. 4tA^ Philippe. ..A cet objet, Henri demeure en proie ' A la douce surprise, aux transports de sa joie. Moderez, dit Louis, ce premier mouvement ; Craignez encor, craignez ce grand cvenement. Oui, du sein de Paris Madrid re<;oit un maitre : Cet honneur a tous deux est dangereux peut-etre. 10* H 114 LA HENRIADE. O rois nes de mon sang ! 6 Philippe ! 6 mes fila ! France, Espagne, a jamais puissiez-vous ctre unis ! Jusqu'a. quand voulez-vous, malheureux politiques, Allumer les flambeaux dcs discordes pnbliques ? II dit : en ce moment le heros ne vit plua Qu'un assemblage vain de mille objets confus. Du temple des destins les portes se fermerent, Et les voutes des cieux devant lui s'cclipscrent. L'aurore cependant, au visage vermeil, ' V^AA Ouvrait dans 1'orient le palais du soleil : La nuit en d'autres lieux portait ses voiles sombres : Les songes voltigeants fuyaient avec les ombres. Le prince, en s'eveillant, sent au fond de son coeur Une force nouvelle, une divine ardeur : Ses regards inspiraient le respect et la crainte ; Dieu remplissait son front de sa majeste sainte. Ainsi, quand le vengeur des peuples d'Israol Eut, sur le mont Sina, consulte 1'Eternel, Les Hebreux, k ses pieds, couches dans la poussiere, Ne purent de ses yeux soutenir la lumicre FIN DU CHANT SEPTIEME CHANT VIII. ARGUMENT. Le comte d'Egmont vient de la part du roi d'Espagne an seconrs da Mayenne et des ligueurs. Bataille d'lvry, dans laquelle May- enne est defait, et d'Egmont tue. Valcur et clemence de Henri le grand. UES etats dans Paris la confuse assemble j fl /4 Avail perdu 1'orgueil dont elle etait enflee. j;i brille en leurs mains le fatal cimeterre. La discorde accourut; le demon de la guerre, CHANT VIII. 15>:} La mort pale et sanglante etaient a sos coles. Malheureux, suspendez vos coups precipites ! Mais un destin funeste enflamme lour courage ; Dans le cceur 1'un de 1'autre ils cherchent un passage. Dans ce coaur ennemi qu'ils ne connaissent pas. Le fer qui les couvrait brille et vole en eclats, Sous les coups redoubles leur cuirasse 6tincelle ; Leur sang, qui rejaillit, rougit leur main cruelle ; Leur bouclier, leur casque, am-tant leur effort, Pare encor quelques coups, et repousse la mort. Chacun d'eux, etonne de tant de resistance, Respectait son rival, admirait sa vaillance. Enfin le vieux d'Ailly, par un coup malheureux, Fait tomber h ses pieds ce guerrier gcnereux. Ses yeux sont pour jainais fermes a. la lumiere ; Son casque auprcs de lui roule sur la poussiere ; D'Ailly voit son visage : 6 desespoir ! 6 cris ! II le voit, il 1'embrasse : hclas ! c'etait son fils. Le pere infortune, les yeux baignes de larmes, Tournait centre son sein ses parricides armes j On 1'arrete : on s'oppose a sa juste fureur : II s'arrache, en tremblant, de ce lieu plein d'horreur; II deteste k jamais sa coupable victoire ; II renonce a la cour, aux humains, a la gloire ; Et se fuyant lui-mc-me, au milieu des deserts, II va cacher sa peme au bout de I'univers. La. soit que le soleil rendit le jour au monde, Soit qu'il finit sa course au vaste sein de 1'onde, Sa voix faisait redire aux cchos attendris Le nom, le triste nom de son malheureux fils. Du heros expirant la jeune et tendre arnanle, Par la terreur conduite, incertaiue, tremblante, 124 LA HENRIADE. Vient d'un pied chancelant sur ces funestes bords : Elle cherche ; elle voit dans la foule des morts, Elle voit son epoux ; elle tombe eperdue ; Le voile de la mort se rcpand sur sa vue : Est-ce toi, cher amant ? Ces mots interrompus, Ces cris demi-formes ne sont point entendus ; Elle rouvre les yeux ; sa bouche presse encore Par ses derniers baisers la bouche qu'elle adore : Elle tient dans ses bras ce corps pale et sanglant, Le regarde, soupire, et meurt en 1'embrassant. Pere, epoux malheureux, famille deplorable, Des fureurs de ces temps exemple lamentable, Puisse de ce combat le souvenir affreux Exciter la pitie de nos derniers neveux, Arracher a leurs yeux des larmes salutaires, Et qu'ils n'imitent point les crimes de leurs peres ! Mais qui fait fuir ainsi ces ligueurs disperses ? Quel hcros, ou quel dieu les a tous ren verses ? C'est le jeune Biron ; c'est lui dont le courage Parmi leurs bataillons s'etait fait un passage. D'Aumale les voit fuir, et bouillant de courroux : Arretez, revenez... laches, ou courez-vous ? Vous, fuir ! vous, compagnons de Mayenne et de Guise ! Vous qui devez venger Paris, Rome et 1'eglise ! Suivez-moi, rappelez votre antique vertu ; Combattez sous d'Aumale, et vous avez vaincu. Aussitot secouru de Beauveau, de Fosseuse, Du farouche Saint-Paul, et meme de Joyeuse, II rassemble avec eux ces bataillons epars, Qu'il anime en marchant du feu de ses regards. La fortune avec lui revient d'un pas rapide. Biron soutient en vain, d'un courage intrepide, CHANT VIII. 125 Le cours precipite de ce fougueux torrent; II voit a ses cotes Parabere expirant ; Dans la foule des morts il voit tomber Feuquiere ; NesJe, Clermont, d'Angenne, ont mordu la poussiere . Perec de coups lui-meme, il est pres de perir.. C'etait ainsi, Biron, que tu devais mourir : Un trepas si fameux, une chute si belle, Rendait de ta vertu la mcmoire immortelle. Le genereux Bourbon sut bientot le danger Ou Biron, trop ardent, venait de s'engager. II 1'aimait, non en roi, non en maitre severe, Qui souffre qu'on aspire a 1'honneur de lui plalre, Et de qui le cceur dur et 1'inflexible orgueil Croit le sang d'un sujet trop payc d'un coup-d'ceil. Henri de 1'amitic sentit les nobles flammes : Amitie, don du ciel, plaisir des grandes ames; Amitie, que les rois, ces illus|.res ingrats, Sont assez malheureux pour ne connaitre pas ! II court le secourir ; ce beau feu qui le guide Rend son bras plus puissant, et son vol plus rapide. Biron, qu'environnaicnt les ombres de la mort A 1'aspect de son roi fait un dernier effort ; II rappelle, a sa voix, les restes de sa vie ; Sous les coups de Bourbon, tout s'ecarte, tout plie. Ton roi, jeune Biron, t'arrache u ces soldats Dont les coups redoubles achevaient ton trepas. Tu vis : songe du moins ;\ lui rester fidele. Un bruit affreux s'entend. La discorde cruelle Aux vertns du hcros opposant ses fureurs, D'une rage nouvelle embrase les ligueurs. Elle vole a leur tote, et sa bouche fatale Fait retentir au loin sa trompette infernale. 11" 126 LA HENRIADE. Par ces sons trop connus d'Aumale est excite Aussi prompt que le trait dans les airs emporte, II cherchait le heros ; sur lui seul il s'elance ; Des ligueurs en tumulte une foule s'avance : Tels, au fond des forets, prtcipitant leurs pas, Ces anirnaux hardis. nourris pour les combats, Fiers esclaves de 1'homme, et nes pour le carnage, Pressent un sanglier, en raniment la rage ; Ignorant le danger, aveugles, furieux, Le cor excite au loin leur instinct belliqueux ; Les antres, les rochers, les monts en retentissent. Ainsi centre Bourbon mille ennemis s'unissent; II est seul centre tous, abandonne du sort, Accable par le nombre, entoure de la mort Louis, du haut des cieux, dans ce danger terrible, Donne au heros qu'il aime une force invincible ; II est comme un rocher, qui, menaqant les airs, Rompt la course des Vents et repousse les mers. Qui pourrait exprimer le sang et le carnage Dont 1'Eure, en ce moment, vit couvrir son rivage ! O vous, munes sanglants du plus vaillant des rois Eclairez mon esprit, ct parlez par ma voix. II voit voler vers lui sa noblesse fidele ; Elle meurt pour son roi, son roi combat pour elle. L'effroi le devanqait, la mort suivait ses coups; Quand le fougueux Egmont s'offrit k son courroux. Long-temps cet Stranger, tromp6 par son courage, Avait clierche le roi dans 1'horreur du carnage : Diit sa temerite le conduire au cercueil, L'honneur de le combattre irritait son orgueil. Viens, Bourbon, criait-il, viens augmenter ta gloire Combattons ; c'est &. nous de fixer la victoire. CHANT VIII. 127 Comme il disait ces mots, un lumineux 6clair, Messager des destins, fend les plaincs de 1'air : L'arbitre des combats fait gronder son tonnerre ; Le soldat sous ses pieds sentit trembler la terre. D'Egmont croit que les cieuxlui doivent leur appui, Qu'ils defendent sa cause, et combattent pour lui; Que la nature entiere, attentive a sa gloire, Par la voix du tonnerre annon Les mages, a leur gr6, faisaient sortir les ombres, Quand leur v'oix, du Cocyte arrotant les torrents, Appelait les enfers, et les manes errants. Quel est de ces mourants I'otonnement extreme ! Leur cruel ennemi vient les nourrir Iui-m6me. > . V 156 LA HENRIADE. Tourment6s, declares par lours fiers defenseurs, Us trouvent la pitie dans leurs pers6cuteurs. Tous ces evenements leur semblaient incroyables. Ils voyaient devant eux ces piques formidables, Ces traits, ces instruments des cruautes du sort, Ces lances qui toujours avaient porte la mort, Secondant de Henri la genereuse envie, Au bout d'un i'er sanglant leur apporter la vie. Sont-ce la, disaient-ils, ces monstres si cruels? Est-ce la ce tyran si terrible aux mortels, Cet ennemi de Dieu, qu'on peint si plein de rage ? Hulas ! du Dieu vivant c'est la brillante image ; C'est un roi bienfaisant, le module aes rois ; Nous ne meritons pas de vivre sous ses lois. II triomphe, il pardonne, il cherit qui 1'oiFense. Puisse tout notre sang cirnenter sa puissance ! Trop dignes du trepas dont il nous a sauves, Consacrons-lui ces jours qu'il nous a consents. De leurs coeurs attendris tel etait le langage. Mais qui peut s'assurer sur un peuple volage, Dont la faible amitie s'exhale en vains discours, Qui quelquefois s'eleve, et retombe toujours ? Ces pretres, dont cent fois la fatale eloquence Ralluma tous ces feux qui consumaient la France, Vont se montrer en pompe a ce peuple abattu. " Combattants sans courage, et Chretiens sans vertu, A quel indigne appat vous laissez-vous seduire ? Ne connaissez-vous plus les palmes du martyre? Soldats du Dieu vivant, voulez-vous aujourd'hui Vivre pour 1'outrager, pp' l vant mourir pour lui ? Quand Dieu du haut des cieux nous montre la cou ronne, Chretiens, n'attendons pas qu'un tyran nous pardonne . CHANT X. Jo Dans sa coupable secte il veut nous r6unir : De ses propres bienfaits songeons a le punir. Sauvons nos temples saints de son culte herctique." C'est ainsi qu'ils parlaient; et leur voix fanatique, Maitresse du vil peuple, et redoutable aux rois, Des bienfaits de Henri faisait taire la voix; Et deja quelques uns, reprenant leur furie, S'accusaient en secret de lui devoir la vie. A travers ces clameurs et ces cris odieux, La vertu de Henri penetra dans les cieux. Louis, qui, du plus haut de la voute divine, Veille sur les Bourbons, dont il est 1'origine. Connut qu'enfin les temps allaient etre accomplis, Et que le roi des rois adopterait son fils. Aussitot de son cocur il chassa les alarmes: La foi vint essuyer ses yeux mouilles de larmes; Et la douce esp