HHHMBMMNBiHMHI DIX ANNEES D'EXIL CAMBRIDGE WAREHOUSE, 17, PATERNOSTER ROW. DEICHTON, BELL. AND co. '|itt |)rcss Smts. DIX ANNEES D'EXIL. LIVRE II. CHAPITRES I 8. PAR MADAME LA BARONNE DE STAEL-HOLSTEIX. WITH A BIOGRAPHICAL SKETCH OF THE AUTHOR, A SELECTION OF POETICAL FRAGMENTS BY MADAME DE STAEL'S CONTEMPORARIES, AND NOTES HISTORICAL AND PHILOLOGICAL GUSTAVE MASSON, B.A. UNIV. GALLIC. ASSISTANT MASTER AND LIBRARIAN OF HARROW SCHOOL. EDITED FOR THE SYNDICS OF THE UNIVERSITY PRESS. GDambrftge : AT THE UNIVERSITY PRESS. ILonton: CAMBRIDGE WAREHOUSE, 17, PATERNOSTER Row. t: DEIGHTON, BELL, AND CO. IS/6. [All Rights resen>eJ.~\ Cambrftrjr : I'RINTED BY C. J. CI.AV, M.A. AT THE UNIVERSITY 1'RESS. THE LIBRARY UNIVERSITY OF CALIFORNIA SANTA BARBARA INTRODUCTION. THE present volume may be considered as forming two distinct parts ; it places before the reader (i) a long extract from Madame de StaeTs autobiography; (2) selections from the poetical works of that lady's contemporaries. The interesting memoirs, published under the titles of Considerations sur la Revolution Franfaise and Dix annees cTexil, hold a distinguished rank amongst the productions of the gifted authoress, and amply justify Lord Jeffrey's opinion when he says : " We think Madame de Stael the most powerful writer that her country has produced since the time of Voltaire and Rousseau, and the greatest writer, for a woman, that any time or any country has produced." We shall best give an idea of the nature and scope of the Dix annees ffexil by quoting an extract from Baron de StaeTs preface. " Le titre de dix annees beaucoup d'exemples de cette maniere de penser, mais il y en a peu de 1'impudence qui porte a la dire. J'eprouvai une douleur rhortelle en yoyant pour la premiere fois ma situation peser sur mes fils, a peine entres dans la vie. On se sent tres-ferme dans 5 sa propre conduite, quand elle est fondee sur une conviction sincere ; mais, des que les autres souffrent a cause de nous, il est presque impossible de ne pas se faire des reproches. Mes deux fils cependant ecarterent tres-genereusement de moi ce sentiment, et nous nous soutinmes mutuellement par 10 le souvenir de mon pere. Quelques jours plus tard, le preTet de Geneve m'ecrivit une seconde lettre pour me demander, au nom du ministre de la police, les epreuves de mon livre qui devaient me rester encore; le ministre savait tres-exactement le compte 15 de ce que j'avais remis et conserve, et ses espions 1'avaient fort bien servi. Je lui donnai, dans ma re'ponse, la satisfac- tion de convenir qu'on 1'avait parfaitement instruit ; mais je lui dis en meme temps que cet exemplaire n'etait plus en Suisse, et que je ne pouvais ni ne voulais le donner. 20 J'ajoutai cependant que je m'engageais a ne pas le faire imprimer sur le continent, et je n'avais pas grand merite a le promettre; car quel gouvernement continental cut alors pti laisser publier un livre interdit par 1'Empereur? Peu de temps apres, le prefet de Geneve 1 fut destitue, 25 et Ton crut assez generalement que c'etait a cause de moi. II etait de mes amis ; neanmoins il ne s'etait pas ecarte des ordres qu'il avait re^us : bien que ce fut un des hommes les plus honnetes et les plus e*claires de France, il entrait dans ses principes d'obeir avec scrupule au gouvernement qu'il 30 servait ; mais aucune vue d'ambition, aucun calcul % personnel, 1 M. de Barante, pere de M. Prosper de Barante, membre de la Chambre des pairs. 14 DIX ANNEES DEXIL. ne lui donnaient le zele reqiiis. Ce fut encore un grand chagrin pour moi que d'etre ou de passer pour la cause de la destitution d'un tel homme. II fut gdndralement regrette' dans son departement, et, des qu'on crut que j'e'tais pour 5 quelque chose dans sa disgrace, tout ce qui pre'tendait aux places s'e'loigna de ma maison, comme on fuit une contagion funeste. II me restait toutefois a Geneve plus d'amis qu'au- cune autre ville de province en France ne m'en aurait offert ; car I'heVitage de la liberte' a laissd dans cette ville 10 beaucoup de sentiments genereux ; mais on ne peut se faire une ide"e de I'anxie'te' qu'on dprouve, quand on craint de compromettre ceux qui viennent nous voir. Je m'informais avec exactitude de toutes les relations d'une personne avant de 1'inviter ; car, si elle avait seulement un cousin qui 15 voulut une place, ou qui la posse'dat, c'etait demander un acte d'he"roisme Romain que de lui proposer seulement \ diner. Enfin, au mois de mars 1811, un nouveau preTet arriva de Paris. C'e'tait un de ces hommes supe'rieurement adapted 20 au regime actuel, c'est-a-dire ayant une assez grande con- naissance des faits, et une parfaite absence de principes en matiere de gouvernement ; appelant abstraction toute regie fixe, et plaant sa conscience dans le de'vouement au pou- voir. La premiere fois que je le vis, il me dit tout de suite 25 qu'un talent comme le mien e'tait fait pour ce'le'brer 1'Em- pereur, que C'e'tait un sujet digne du genre d'enthousiasme que j'avais montrd dans Corinne. Je lui rdpondis que, per- s^cute'e comme je I'e'tais par 1'Empereur, toute louange de ma part, adresse'e a lui, aurait 1'air d'une requete, et que j'e'tais 30 persuade'e que 1'Empereur lui-meme trouverait mes e'loges ridicules dans une semblable circonstance. II combattit avec force cette opinion ; il revint plusieurs fois chez moi pour me prier, au nom de mon inte'ret, disait-il, d'e'crire pour DIX ANNEES &EXIL. 15 1'Empereur, ne fut-ce qu'une feuille de quatre pages : cela suffirait, assurait-il, pour terminer toutes les peines que j'e- prouvais. Ce qu'il me disait, il le rdpetait a toutes les per- sonnes que je connaissais. Enfin, un jour il vint me proposer de chanter la naissance du roi de Rome ; je lui repondis en 5 riant que je n'avais aucune ide'e sur ce sujet, et que je m'en- tiendrais a faire des vceux pour que sa nourrice fut bonne. Cette plaisanterie finit les negotiations du prefet avec moi, sur la necessite que j'ecrivisse en faveur du gouvernement actuel. * Peu de temps apres, les me'decins ordonnerent a mon fils cadet les bains d'Aix en Savoie, a vingt lieues de Coppet. Je choisis pour y aller les premiers jours de mai, dpoque ou les eaux sont encore de'sertes. Je preVins le preTet de ce petit voyage, et j'allai m'enfermer dans une espece de village 15 ou il n'y avait pas alors une seule personne de ma con- naissance. A peine y avais-je passe" dix jours, qu'il m'arriva un courrier du prefet de Geneve pour m'ordonner de revenir. Le preTet du Mont- Blanc, ou j'etais, cut peur aussi que je ne partisse d'Aix pour aller en Angleterre, disait-il, dcrire contre 20 1'Empereur ; et, bien que Londres ne fut pas tres-voisin d'Aix en Savoie, il fit courir ses gendarmes pour defendre qu'on me donnat des chevaux de poste sur la route. Je suis tentee de rire aujourd'hui de toute cette activite prefectoriak contre une aussi pauvre chose que moi ; mais, alors, je mourais de 25 peur a la vue d'un gendarme. Je craignais toujours que d'un exil si rigoureux on ne passat bientot a la prison, ce qui etait pour moi plus terrible que la moTt. Je savais qu'une fois arretee, une fois cet esclandre brave", 1'Empereur ne se laisserait plus parler de moi, si toutefois quelqu'un en 30 avait le courage ; ce qui n'dtait guere probable dans cette cour, ou la terreur regne a chaque instant de la journe'e et pour chaque detail de la vie. 1 6 DIX ANNIES D'EXIL. Je revins a Geneve, et le prefet me signifia que non- seulement il m'interdisait d'aller, sous aucun pretexte, dans les pays reunis a la France, mais qu'il me conseillait de ne point voyager en Suisse et de ne jamais m'eloigner dans 5 aucune direction a plus de deux lieues de Coppet. Je lui objectai qu'e'tant domiciliee en Suisse, je ne concevais pas bien de quel droit une autorite Fra^aise pouvait me defen- dre de voyager dans un pays Stranger. II me trouva sans doute un peu niaise de discuter dans ce temps-ci une ques- 10 tion de droit, et me repeta son conseil, singulierement voisin d'un ordre. Je m'en tins a ma protestation ; mais le lende- main j'appris qu'un des litterateurs les plus distingues de I'Allemagne, M. Schlegel, qui depuis huit ans avait bien voulu se charger de 1'education de mes fils, venait de rece- 15 voir 1'ordre, non-seulement de quitter Geneve, mais meme Coppet. Je voulus encore representer qu'en Suisse le preTet de Geneve n'avait pas d'ordre a donner ; mais on me dit que, si j'aimais mieux que cet ordre passat par 1'ambassadeur de France, j'en e'tais bien la maitresse ; que cet ambassadeur 20 s'adresserait au landamman, et le landamman au canton de Vaud, qui renverrait M. Schlegel de chez moi. En faisant faire ce detour au despotisme, j'aurais gagne dix jours, mais rien de plus. Je voulus savoir pourquoi Ton m'otait la socie'te' de M. Schlegel, mon ami et celui de mes enfants. 25 Le preTet, qui avait 1'habitude, comme la plupart des agents de 1'Empereur, de joindre des phrases doucereuses a des actes tres-durs, me dit que c'e'tait par inte'ret pour moi que le gouvernement e'loignait de ma maison M. Schlegel, qui me rendait anti-Franc.aise. Vraiment touchee de ce soin 30 paternel du gouvernement, je demandai ce qu'avait fait M. Schlegel centre la France ; le prefet m'objecta ses opi- nions litt<5raires, et entre autres une brochure de lui, dans laquelle, en comparant la P/tidre d'Euripide a celle de DIX ANNEES DEXIL. 17 Racine, il avait donnd la preference a la premiere. C'e'tait bien delicat pour un monarque Corse, de prendre ainsi fait et cause pour les moindres nuances de la litterature Franchise. Mais, dans le vrai, on exilait M. Schlegel parce qu'il dtait mon ami, parce que sa conversation animait ma solitude, et 5 que Ton commenc.ait a mettre en ceuvre le systeme qui devait se manifester, de me faire une prison de mon ame, en m'arrachant toutes les jouissances de 1'esprit et de 1'amitie. Je repris la resolution de partir, a laquelle la douleur de 10 quitter mes amis et les cendres de mes parents m' avait si souvent fait renoncer. Mais une grande difficulte restait a re'soudre : c'e'tait le choix des moyens du de'part Le gouvernement Frangais mettait de telles entraves au passe- port pour 1'Amerique, que je n'osai plus recourir a ce moyen. \ ~ D'ailleurs, j'avais des raisons de craindre qu'au moment ou je m'embarquerais on ne pre'tendit qu'on avait decouvert que je voulais aller en Angleterre, et qu'on ne m'appliquat le decret qui condamnait & la prison ceux qui tentaient de s'y rendre sans 1'autorisation du gouvernement. .11 me 20 paraissait done infmiment preferable d'aller en Suede, dans cet honorable pays dont le nouveau chef annongait deja la glorieuse conduite qu'il a su soutenir depuis. Mais par quelle route se rendre en Suede? Le pre'fet m'avait fait savoir de toutes les manieres que partout ou la France com- 25 manderait je serais arretee ; et comment arriver la ou elle ne commandait pas ? II fallait necessairement passer par la Russie, puisque toute 1'Allemagne etait soumise a la domina- tion Franchise. Mais, pour arriver en Russie, il fallait tra- verser la Baviere et 1'Autriche. Je me fiais au Tyrol, bien 30 qu'il fut reuni a un Etat confedere, a cause du courage que ses malheureux habitants avaient montre. Quant a 1'Au- triche, malgre le funeste abaissement dans lequel elle e'tait s. 2 iS DIX ANNIES UEXIL. tombee, j'estimais assez son monarque pour croire qu'il ne me livrerait pas ; mais je savais aussi qu'il ne pourrait me defendre. Apres avoir sacrine 1'antique honneur de sa maison, quelle force lui restait-il en aucun genre? Je passais 5 done ma vie a dtudier la carte de 1'Europe pour m'enfuir, comme Napoldon 1'etudiait pour s'en rendre maitre, et ma campagne, ainsi que la sienne, avait totijours la Russie pour objet. Cette puissance e'tait le dernier asile des opprimes ; ce devait etre celle que le dominateur de 1'Europe voulait 10 abattre. CHAPITRE III. VOYAGE EN SUISSE AVEC M. DE MONTMORENCY. RESOLUE a m'en aller par la Russie, j'avais besoin d'un passe port pour y entrer. Mais une difficulte nouvelle se 15 pre'sentait ; il fallait ecrire a Pe'tersbourg meme pour avoir ce passe-port : telle dtait la formalite' que les circonstances politiques avaient rendue ne'cessaire; et, quoiciue je fusse certaine de ne pas e'prouver de refus d'un caractere aussi geneVeux que celui de 1'empereur Alexandra, je pouvais 20 craindre que dans les bureaux de ses ministres on ne dit que j'avais demande un passe-port, et que, rambassadeur de France en e'tant instruit, Ton ne me fit arreter, pour m'em- ]>echer d'accomplir mon projet. 11 fallait done aller d'abord a Vienne, pour demander de la mon passe-port, et 1'y 25 attendre. Les six semaines qu'exigeaient 1'envoi de ma lettre et le retour de la re'ponse devaient se passer sous la protection d'un ministere qui avait donne 1'archiduchesse d'Autriche a Bonaparte ; ctait-il possible de s'y Conner ? Neanmoins, en restant, moi, comme otage, sous la main de 32 Napoleon, non-seulement je renon^ais a tout exercice de DIX ANNEES UEXIL. 19 mes talents personnels, mais j'empechais mes fils d'avoir une carriere : ils ne pouvaient servir ni pour Bonaparte ni contre lui ; aucun e'tablissement n'dtait possible pour ma fille, puisqu'il fallait ou m'en separer, ou la confiner a Cop- pet; et si cependant j'etais arrete'e dans ma fuite, e'en etait 5 fait du sort de mes enfants, qui n'auraient point voulu se detacher de ma destinee. C'est au milieu de ces anxietes qu'un ami de vingt an- nees, M. Matthieu de Montmorency, voulut venir me voir, comme il 1'avait deja fait plusieurs fois depuis mon exil. 10 On m'ecrivit, il est vrai, de Paris, que 1'Empereur avait exprime sa disapprobation contre toute personne qui irait a Coppet, et notamment contre M. de Montmorency, s'il y venait encore. Mais, je 1'avoue, je m'etourdis sur ces propos de 1'Empereur, qu'il prodigue quelquefois pour effrayer, et je 15 ne luttai pas fortement contre M. de Montmorency, qui, dans sa generosit^, cherchait a me rassurer par ses Jettres. J'avais tort sans doute; mais qui pouvait.se persuader qu'on ferait un crimejl 1'ancien ami d'une femme exile'e de venir passer quelques jours aupres d'elle? La vie de M. de Montmorency, 20 entierement consacre'e a des oeuvres de piete ou a cles affections de famille, 1'eloignait tellement de toute politique, qu'a moins de vouloir exiler les saints, il me semblait im- possible de s'attaquer a un tel homme. Je me demandais aussi a quoi bon; question que je me suis toujours faite 25 quand il s'agissait de la conduite de Napoleon. Je sais qu'il fera, sans hesiter, tout le mal qui pourra lui etre utile a la moindre chose ; mais je ne devine pas toujours jusqu'ou s'etend dans tous les sens, vers les infiniment petits comme vers les infiniment grands, son immense egoi'sme. ^o Quoique le prefet m'eut fait dire qu'il me conseillait de ne pas voyager en Suisse, je ne tins pas compte d'un conseil qui ne pouvait etre un ordre formel. J'allai r.u- 2 2 20 DIX ANNEES DEXIL. devant de M. de Montmorency a Orbe, et de la je lui proposal, comme but de promenade en Suisse, de revenir par Fribourg, pour voir I'etablissement des femmes Trap- pistes, qui est peu eloigne de celui des hommes, dans la 5 Val-Sainte. Nous arrivames au couvent par une grande pluie, apres avoir etc obliges de faire un quart de lieue a pied. Comme nous nous flattions d'entrer, le procureur de la Trappe, qui a la direction du couvent des femmes, nous dit que per- 10 sonne ne pouvait y etre regu. J'essayai pourtant de sonner a la porte du cloitre; une religieuse arriva derriere 1'ouver- ture grillee a travers laquelle la touriere peut parler aux etrangers. "Que voulez-vous? me dit-elle avec une voix sans modulation, comme serait celle des ombres. Je de'si- i5rerais, lui dis-je, voir 1'interieur de votre couvent. Cela ne se peut pas, me repondit-elle. Mais je suis bien mouil- Itfe, lui dis-je, et j'ai besoin de me se'cher." Elle fit partir alors je ne sais quel ressort qui ouvrit la porte d'une chambre exteVieure, dans laquelle il m'etait permis de me aoreposer; mais aucun etre vivant ne parut. A peine me fus-je assise quelques instants, que je m'impatientai de ne pouvoir pe'netrer dans 1'inte'rieur de la maison, et je sonnai de nouveau. La meme touriere revint: je lui demandai encore si aucune femme n'avait etc regue dans le couvent ; 25 elle me repondit qu'on pouvait y entrer quand on avait Tintention de se faire religieuse. "Mais, lui dis-je, com- ment puis-je savoir si je veux rester dans votre maison, puisqu'il ne m'est pas permis de la connaitre? Oh! me r^pondit-elle alors, c'est inutile; je suis bien sure que vous 30 n'avez pas de vocation pour notre e'tat." Et, en achevant ces mots, elle referma sa lucarne. Je ne sais pas a quels signes cette religieuse s'e'tait apergue de mes dispositions mondaines; il se peut qu'une maniere vive de parler, si DIX ANNIES DEXIL. 21 differente de la leur, suffise pour leur faire rcc^nnaitre les voyageurs qui ne sont que des curieux. L'heure des vepres etant arrivee, je pus aller dans 1'eglise entendre chanter les religieuses; elles etaient derriere une grille noire et serre'e, a travers laquelle on ne pouvait rien apercevoir. Seulement 5 on entendait le bruit des sabots qu'elles portaient, et celui des banquettes de bois qu'elles levaient pour s'asseoir. Leurs chants n'avaient rien de sensible, et je crus remar- quer, soit dans leur maniere de prier, soit dans 1'entretien que j'eus apres avec le pere Trappiste qui les dirigeait, que 10 ce n'etait pas 1'enthousiasme religieux tel que nous le concevons, mais des habitudes severes et graves qui pou- vaient faire supporter un tel genre de vie. L'attendrisse- ment de la piete meme dpuiserait les forces: une sorte d'aprete d'ame est necessaire a une existence aussi rude. 1 5 Le nouveau pere abbe des Trappistes e'tablis dans les vallees du canton de Fribourg a encore ajoute aux austerite's de 1'ordre. On ne peut se faire une ide'e des souffrances de detail que Ton impose aux religieux; on va jusqu'a leur defendre, quand ils sont debout depuis plusieurs heures de 20 suite, de s'appuyer contre la muraille, d'essuyer la sueur de leur front; enfin, on remplit chaque instant de leurs jours par la douleur, comme les gens du monde le font par la jouissance. Rarement ils deviennent vieux. et les religieux a qui ce lot echoit en partage le considerent 25 comme une punition du ciel. Un pareil etablissement serait une barbaric, si 1'on forgait d'y entrer, ou si Ton dissimulait en rien tout ce qu'on y souffre. Mais on distribue a qui veut le lire un ecrit imprime dans lequel on exagere plutot qu'on n'adoucit les rigueurs de 1'ordre; 3 et cependant il se trouve des novices qui veulent s'y vouer, et ceux qui sont regus ne s'e'chappent point, bien qu'ils le puissent sans la moindre difficulte. Tout repose, a ce 22 DIX ANNEES UEXIL. qu'il m'a paru, sur la puissante idee de la mort: les institu- tions et les amusements de la societe sont destines dans le monde a tourner notre pensee uniquement vers la vie; mais, quand la contemplation de la mort s'empare a un 5 certain degrd du ojeur de 1'homme, et qu'il s'y joint une ferme croyance a 1'immortalite de 1'ame, il n'y a pas de bornes au dugout qu'il peut prendre pour tout ce qui com- pose les intdrets de la terre; et, les souffrances paraissant le chemin de la vie future, on est avide d'en avoir, comme loun voyageur qui se fatigue volontiers pour parcourir plus vite la route qui conduit au but de ses desirs. Mais ce qui m'e'tonnait et m'attristait en meme temps, c'etait de voir des enfants eleve's avec cette rigueur ; leurs pauvres cheveux rases, leurs jeunes visages deja sillonnes, cet habit 15 mortuaire dont ils etaient revetus avant de connaitre la vie, avant de 1'avoir abdiquee volontairement, tout me reVoltait contre les parents qui les avaient places la. Des qu'un pareil etat n'est pas adopte par le choix libre et constant de celui qui le professe, il inspire autant d'horreur 20 qu'il faisait naitre de respect. Le religieux avec qui je m'entretenais ne parlait que de la mort; toutes ses ide'es venaient d'elle, ou s'y rapportaient: la mort est le monarque souverain de ce sejour. Comme nous nous entretenions des tentations du monde, je dis au pere Trappiste combien 25 je' Vadmirais d'avoir ainsi tout sacritie' pour s'y derober. " Nous sommes des poltrons, me dit-il, qui nous sommes retires dans une forteresse, parce que nous ne nous sentions pas le courage de nous battre en plaine." Cette reponse &ait aussi spirituelle que modeste 1 . 1 J'accompagnnis ma mere dans 1'excursion qu'elle raconte ici. Frappe ilo la beaute sauvage du lieu, et interess<^ par la conversation spirituelle du Frappistc qui nous avail re5us, je lui tletnandai Thospita- lite jusqu'au lendemain, me proposant de passer la montagne a pied, DIX ANNEES UEXTL. 23 Pen de jours apres que nous eumes visite ces lieux, le gouvernement frangais ordonna que Ton saisit le pere abbe, M. de 1' Estrange; que les biens de 1'ordre fussent confisque's, et que les peres fussent renvoyes de Suisse. Je ne sais ce qu'on reprochait a M. de 1'Estrange, mais il 5 n'est guere vraisemblable qu'un tel homme se melat des affaires de ce monde ; encore moins les religieux, qui ne sortaient jamais de leur solitude. Le gouvernement Suisse fit chercher partout M. de 1'Estrange, et j'espere, pour 1'honneur de ce gouvernement, qu'il eut soin de ne pas 10 pour aller voir le grand couvent de la Val-Sainte, et de rejoindre, a Fribourg, ma mere et M. de Montmorency. Ce religieux, avec lequel je continual de m'entretenir, n'eut pas de peine a s'apercevoir que je haissais le gouvernement imperial, et je eras deviner qu'il partageait mon sentiment. Du reste, apres 1'avoir remercie de sa bonte, je le perdis entierement de vue, et je ne croyais pas qu'il eut conserve le moindre souvenir de moi. Cinq ans apres, dans les premiers mois de la Restauration, ce ne Cut pas sans surprise que jere9us une lettre de ce meme Trappiste. II ne doutait pas, me disait-il, que, le roi legitime etant remonte sur son Irene, je n'eusse beaucoup d'amis a la cour, et il me priait d'employer leur credit a faire rendre a son ordre les biens qu'il possedait en France. La lettre etait signee le pere A..., pretre et procureur de la Trappe ; et il ajoutait en post-scriptum: "Si vingt-trois ans d'emigration ct quatre campagnes dans un regiment de chasseurs a cheval de 1'armee de Conde me donnent quelques droits a la faveur royale, je vous prie de les faire valoir." Je ne pus m'empecher de rire et du credit que me supposait ce bon religieux, et de 1'usage qu'il en demandait a un pro- testant. Je renvoyai sa lettre a M. de Montmorency, dont le credit valait mieux que le mien, et j'ai lieu de croire que la petition a reussi. Du reste, ces Trappistes, retires dans les hautes vallees du canton de Fribourg, n'etaient pas aussi etrangers a la politique que leur sejonr et leur habit devaient le faire croire. J'ai appris depuis qu'ils servaiei.t d'intermediaire a la correspondance du clerge de France avec le pape, alors prisonnier a Savone. Certes, ce fait n'excuse pas la rigueur avec laquelle ces religieux ont etc traites par Bonaparte, mais. il en donne 1 1 xplication. (Note de M. de Stael fits.} 24 DIX ANNEES DEXIL. le trouver. Neanmoins les malheureux magistrals des pays qu'on appelle les allies de la France sont tres-souvent charges d'arreter ceux qu'on leur d^signe, ignorant s'ils livrent des victimes innocentes ou coupables au grand 5 Le'viathan qui juge a propos de les engloutir. On saisit les biens des Trappistes, c'est-a-dire leur tombe, car ils ne possedaient guere autre chose, et 1'ordre fut disperse. On pre'tend qu'un Trappiste, a Genes, etait montd en chaire pour re'tracter le serment de fide'lite qu'il avait prete' a 10 1'Empereur, declarant que depuis la captivite du pape il croyait tout eccle'siastique delie de ce serment. Au sortir de cet acte de repentir, il avait dte, dit-on aussi, juge par une commission militaire, et fusille'. On pouvait, ce me semble, le croire assez puni pour que 1'ordre entier ne fut 15 pas responsable de sa conduite. Nous rejoignimes Vevey par les montagnes, et je pro- posal a M. de Montmorency de faire une course jusqu'a I'entre'e du Valais, que je n'avais jamais vu. Nous nous arretames a Bex, dernier village Suisse, car le Valais etait 20 ddja reuni a la France. Une brigade Portugaise e'tait partie de Geneve pour aller occuper le Valais: singuliere destinee de 1'Europe, que des Portugais en garnison a Geneve, allant prendre possession d'une partie de la Suisse au norn de la France! J'etais curieuse de voir dans le 25 Valais les cre'tins, dont on m'avait si souvent parle'. Cette triste degradation de 1'homme est un grand sujet de re'- llexion ; mais il en coute excessivement de voir la figure humaine ainsi devenue un objet de repugnance et d'horreur. J'observai cependant, dans quelques-uns de ces imbeciles, 30 une sorte de vivacite' qui tient a l'etonnement que leur font dprouver les objets exte'rieurs. Comme ils ne reconnaissent jamais ce qu'ils ont de'ja vu, ils sont surpris chaque foi.5, ct le spectacle du monde, dans tous ses details, est tous .DIX ANNIES jyEXIL. 25 les jours nouveau pour eux; c'est peut-etre la compensation de leur triste etat, car surement il y en a une. II y a quelques anndes qu'un cretin, ayant commis un assassinat, fut condamne' a mort: comme on le conduisait au supplice, il crut, se voyant entoure' de beaucoup de peuple, qu'on 5 1'accompagnait ainsi pour lui faire honneur, et il se tenait droit, nettoyait son habit en riant pour se rendre plus digne de la fete. F^tait-il permis de punir un tel etre du forfait que son bras avait conmis? On voit, a trois lieues de Bex, une cascade fameuse, 10 ou 1'eau tombe d'une montagne tres-e'leve'e. Je proposai a mes amis de Taller voir. et nous fumes de retour avant 1'heure du diner. II est vrai que cette cascade etait sur le territoire du Valais, par consequent alors sur le territoire de la France, et j'oubliai que Ton ne me permettait de 15 cette France que 1'espace de terrain qui sdpare Coppet de Geneve. Revenue chez moi, le prefet non-seulement me blama d'avoir ose voyager en Suisse, mais il me donna comme une grande preuve de son indulgence le silence qu'il garderait sur le delit que j'avais commis, en mettant 20 le pied sur le territoire de 1'empire Frangais. J'aurais pu dire, comme dans la fable de la Fontaine: Je tondis de ce pre la largeur de ma langue ; mais j'avouai tout simplement le tort que j'avais eu d'aller voir cette cascade Suisse, sans songer qu'elle etait en 25 France. CHAPITRE IV. EXIL DE M. DE MONTMORENCY ET DE MADAME RECAMIER. NOUVELLES PERSECUTIONS. CES chicanes continueiles sur les moindres accidents de 30 ma vie me la rendaient odieuse, et je ne pouvais me 2 5 DIX ANNEES D'EXIL. distraire par 1'occupation; car le souvenir du sort qu'on avait fait eprouver a mon livre, et la certitude de ne pouvoir plus rien publier a 1'avenir, decourageaient mon esprit, qui a besoin d'emulation pour etre capable de travail. N&in- 5 moins je ne pouvais encore me rdsoudre a quitter pour jamais et les rives de la France, et la demeure de mon pere, et les amis qui m'e'taient restes fideles. Toujours je croyais partir r et toujours je me donnais a moi-meme des pretextes pour rester, lorsque le dernier coup fut porte a 10 nion ame : Dieu sait si j'en ai souffert ! -/ M. de Montmorency vint passer quelques jours avec moi a Coppet, et la me'chancete' de detail du maitre d'un si grand empire est si bien calculee, qu'au retour du courrier qui annonc^ait son arrive'e chez moi il rec.ut sa 15 lettre d'exil. L'Empereur n'eut pas ete content, si cet ordre ne lui avait pas e'te' signifie chez moi et s'il n'y avait pas eu dans la lettre meme du ministre un mot qui indiquat que j'etais la cause de cet exil. M. de Montmorency chercha, de toutes les manieres, a m'adoucir cette nouvelle ; 20 mais, je le dis a Bonaparte pour qu'il s'applaudisse d'avoir atteint son but, je poussai des cris de douleur en apprenant 1'infortune que j'avais attiree sur la tete de mon gdnereux ami; et jamais mon cceur, si eprouve' depuis tant d'ann^es, ne fut plus pres du de'sespoir. Je ne savais comment 25 dtourdir les pense'es dechirantes qui se succedaient en moi, et je recourus a 1'opium pour suspendre quelques heures 1'angoisse que je ressentais. M. de Montmorency, calme et religieux, m'invitait a suivre son exemple ; mais la conscience du de'vouement qu'il avait daigne me montrer le soutenait; 30 et moi, je m'accusais des cruelles suites de ce de'vouement, qui le separaient de sa famille et de ses amis. Je pria:s Dieu sans cesse; mais ma douleur ne me laissait point de relache, et ma vie me faisait mal a chaque instant DIX ANNEES HEXIL. 27 Dans cet e'tat, il m'arrive une lettre de madame R<- camier, de cette belle personne qui a TCQU les hommages de P Europe entiere, et qui n'a jamais delaisse un ami mal- heureux. Elle m'annonc.ait qu'en se rendant aux eaux d'Aix en Savoie elle avait 1'intention de s'arreter chez moi, 5 et qu'elle y serait dans deux jours. Je fremis que le sort de M. de Montmorency ne 1'atteignit. / Quelque invrai- semblable que cela fur., il m'etait ordonne de tout craindre d'une haine si barbare et si minutieuse tout ensemble, et j'envoyai un courrier au-devant de madame Re'camier, pour 10 la supplier de ne pas venir a Coppet. II fallait la savoir a quelques lieues, elle qui m'avait constamment console'e par les soins les plus aimables ; il fallait la savoir la, si pres de ma demeure, et qu'il ne me fut pas permis de la voir encore, peut-etre pour la derniere fois! Je la conjurai 15 de ne pas s'arreter a Coppet; elle ne voulut pas ceder a ma priere: elle ne put passer sous mes fenetres sans rester quelques heures avec moi, et c'est avec des con- vulsions de larmes que je la vis entrer dans ce chateau oil son arrivee etait toujours une fete. Elle partit le lende- 20 main, et se rendit a 1'instant chez une de ses parentes, a cinquante lieues de la Suisse. Ce fut en vain; le cruel exil la frappa : elle avait eu 1'intention de me voir, c'etait assez; une gene'reuse pitie 1'avait inspiree, il fallait qu'elle en fut punie. Les revers de fortune qu'elle avait eprou- 25 ve's lui rendaient tres-pe'nible la destruction de son e'ta- blissement naturel. Separee de tous ses amis, elle a passe des mois entiers dans une petite ville de province, livree a tout ce que la solitude peut avoir de plus monotone et de plus triste. Voila le sort que j'ai valu a la personne 30 la plus brillante de son temps; et le chef des Fran^ais, bi fameux par leur galanterie, s'est montre sans e'gard pour la plus jolie femme..de Paris. Le meme jour il a frappj 28 DTK ANNEES DEXIL. la naissance et la vertu dans M. de Montmorency, la beaute* dans madame Recamier, et, si j'ose le dire, en moi quelque reputation de talent. Peut-etre s'est-il aussi flattd d'attaquer le souvenir de mon pere dans sa fille, afin qu'il fut bien 5 dit que sur cette terre, ni les morts ni les vivants, ni la pie'te' ni les charmes, ni 1'esprit ni la ce'lebrite', n'e'taient de rien sous son regne. On s'e'tait rendu coupable quand on avait manque" aux nuances delicates de la flatterie, en n'abandonnant pas quiconque etait frappe de sa disgrace. 10 II ne reconnait que deux classes d'hommes, ceux qui le servent, et ceux qui s'avisent, non de lui nuire, mais d'exister par eux-memes. II ne veut pas que, dans Funi- vers, depuis les de'tails de menage jusqu'a la direction des empires, une seule volonte s'exerce sans relever de la 15 sienne. " Madame de Stael, disait le prefet de Geneve, s'est fait une existence agreable chez elle ; ses amis et les e'trangers viennent la voir a Coppet; 1'Empereur ne veut pas souffrir cela." Et pourquoi me tourmentait-il ainsi ? 20 pour que j imprimasse un e'loge de lui; et que lui faisait cet e'loge a travers les milliers de phrases que la crainte et 1'espe'rance se sont empresse'es a lui offrir? Bonaparte a dit une fois: "Si Ton me donnait a choisir entre faire moi- meme une belle action ou induire mon adversaire a com- 25 mettre une bassesse, je n'hdsiterais pas a preTerer I'aviliss'e- ment de mon ennemi." Voila toute 1'explication du soiri particulier qu'il a mis a d^chirer ma vie. II me savait attache'e a mes amis, 'a la France, a mes ouvrages, a mes gouts, a la socidtd; il a voulu, en m'otant tout ce qui 30 composait mon bonheur, me troubler assez pour que j'e'cri- visse une platitude, dans 1'espoir qu'elle me vaudrait mon rappel. En m'y refusant, je clois" le dire, je n'ai pas eu Je me'rite de faire un sacrifice : 1'Empereur voulait de moi DIX ANNEES^UEXIL. 29 une bassesse, mais une bassesse inutile ; car, dans un temps ou le succes est divinise', le ridicule n'eut pas ete complet, si j'avais reussi h. venir a Paris, par quelque moyen que ce put etre. II fallait, pour plaire \ notre maitre, vraiment habile dans 1'art de degrader ce qu'il reste encore d'ames 5 fieres, il fallait que je me deshonorasse pour obtenir moa retour en France, qu'il se moquat de mon zele a le louer, lui qui n'avait cesse de me persecuter, et que ce zele ne me servit a rien. Je lui ai refuse ce plaisir vraiment raffine; c'est le seul merite que j'aie eu dans la longue lutte qu'il I0 a etablie entre sa toute-puissance et ma faiblesse. La famille de M. de Montmorency, desesperee de son exil, souhaita, comme elle le devait, qu'il s'eloignat de la triste cause de cet exil, et je vis partir cet ami sans savoir si jamais sa presence honorerait encore ma demeure sur 15 cette terre. C'est le 31 aout 1811 que je brisai le premier et le dernier de mes liens avec ma patrie; je le brisai, du moins, par les rapports humains qui ne peuvent plus exister entre nous; mais je ne leve jamais les yeux au ciel sans penser a mon respectable ami, et j'ose croire aussi que 20 dans ses prieres il me re'pond. La destine'e ne m'accorde plus une autre correspondance avec lui. Quand 1'exil de mes deux amis fut connu, une foule de chagrins de tout genre m'assaillirent ; mais un grand malheur rend comme insensible h, toutes les peines nou- 25 velles. Le bruit se repandit que le ministre de la police avait declare qu'il ferait mettre un corps de garde au bas de 1'avenue de Coppet, pour arreter quiconque viendrait me voir. Le prefet de Geneve, qui etait charge, par ordre de 1'Empereur, disait-il, de \rtannuler (c'est son expression), 30 ne manquait, pas une occasion d^insinuer, ou meme d'an- noncer que toute personne qui avait quelque chose k craindre ou \ de'sirer du gouvernement ne devait pas venir chez moi. 30 DIX ANNIES UEXIL. M. de Saint-Priest, ci-devant ministre du roi, et col- legue de mon pere, daignait m'honorer de son affection; ses filles, qui redoutaient avec raison qu'on ne le renvoyat de Geneve, se joignirent a moi pour le prier de ne pas 5 me voir. Neanmoins, au milieu de 1'hiver, a 1'age de soixante-dix-huit ans, il fut exild, non-seulement de Geneve, mais de la Suisse ; car il est tout a fait regu, comme on 1'a vu par mon exemple, que 1'Empereur exile de Suisse aussi bien que de France; et, quand on objecte aux agents 10 Francais qu'il s'agit pourtant d'un pays Stranger, dont 1'in- de'pendance est reconnue, ils levent les dpaules, comme si on les ennuyait par des subtilite's me'taphysiques. En effet, c'est une vraie subtilite' que de vouloir distinguer en Europe autre chose que des preTets-rois, et des pre'fets recevant 15 directement des ordres de Pempereur de France./ Si les soi-disant pays allies different des provinces Franchises, c'est parce qu'on les menage un peu moins qu'elles. II reste en France un certain souvenir d'avoir ete appele'e la grande nation, qui oblige quelquefois 1'Empereur a des me'nage- 20 ments ; il en e'tait ainsi du moins, mais cela devient chaque jour moins ne'cessaire. Le motif qu'on donna pour 1'exil de M. de Saint-Priest, c'est qu'il n'avait pas obtenu de ses iils de donner leur demission du service de Russia. Ses fils avaient trouve' pendant Immigration un accueil geneVeux 25 en Russie: ils y avaient ete' e'leves, leur intrepide bravoure y- e'tait justement recompensee; ils dtaient couverts de bles- sures, ils dtaient design^s entre les premiers pour leurs talents militaires; I'aine' a ddja plus de trente ans. Com- ment un pere aurait-il pu exiger que 1'existence de ses fils 30 ainsi fonde'e fut sacrifice a 1'honneur de venir se faire mettre en surveillance sur le territoire Francais? Car c'est la le sort digne d'envie qui leur e'tait re'servd Je fus tristement heureuse de n'avoir pas vu M. de Saint- Priest depuis quatre DIX ANNEES UEXIL. 31 mois, quand il fut exile; sans cela personne n'aurait doute que ce ne fut moi qui avais fait porter sur lui la contagion de ma disgrace. Non-seulement les Frangais, mais les etrangers, etaient avertis qu'ils ne devaient pas venir chez moi. Le prefet 5 se tenait en sentinelle pour empecher meme des anciens amis de me revoir. Un jour entre autres, il me priva, par ses soins officiels, de la societe d'un Allemand dont la conversation m'e'tait extremement agreable; et je lui dis, cette fois, qu'il aurait bien du s'epargner cette recherche 10 de persecutions. ''Comment! me repondit-il, c'est pour vous rendre service que je me suis conduit ainsi : j'ai fait sentir a votre ami qu'il vous compromettrait en venant chez vous." Je ne pus m'empecher de rire a cet ingdnieux argument. "Oui, continua-t-il avec un serieux imperturba- 15 ble, 1'Empereur, voyant qu'on vous prefere a lui, vous en saurait mauvais gre. Ainsi, lui dis-je, 1'Empereur exige que mes amis particuliers, et peut-etre bientot mes enfants, m'abandonnent pour lui complaire; cela me parait un peu fort. D'ailleurs, ajoutai-je, je ne vois pas bien comment 20 on compromettrait une personne dans ma situation, et ce que vous me dites me rappelle un revolutionnaire a qui, dans le temps de la Terreur, on s'adressait pour qu'il tachat de sauver un de ses amis de 1'echafaud. Je crain- drais de lui nuire, repondit il, en parlant pour lui." Le 25 pre'fet sourit de ma citation, mais continua les raisonne- ments qui, appuyes de quatre cent mille bai'onnettes, parais- sent toujours pleins de justesse. Un homme, a Geneve, me disait: " Ne trouvez-vous pas que le prefet declare ses opinions avec beaucoup de franchise? Oui, repondis- 30 je, il dit avec sincerite qu'il est devoue a 1'homme puissant; il dit avec courage qu'il est du parti le plus fort, je ne sens pas bien le me'rite d'un tel aveu." 3 2 DIX ANNIES DEXIL. Plusieurs personnes independantes continuaient a me te'moigner a Geneve une bienveillance dont je garderai a jamais un profond souvenir. Mais jusqu'a des employe's des douanes se croyaient en etat de diplomatic vis-a-vis 5 de moi; et, de pre'fets en sous-pre'fets, et en cousins des uns et des autres, une terreur profonde se serait empare'e d'eux tous, si je ne leur avais pas e'pargne, autant qu'il etait en moi, 1'anxiete de faire ou de ne pas faire une visite. A chaque courrier, le bruit se repandait que d'autres 10 de mes amis avaient ete exiles de Paris pour avoir conserve des relations avec moi; il etait de mon devoir strict de ne plus voir un seul Francais marquant, et trbs-souvent je craignais meme de nuire aux personnes du pays ou je vivais, dont la courageuse amitie ne se ddmentait ' point 15 envers moi. J'e'prouvais deux mouvements contraires, et, je le crois, tous les deux e'galement naturels : j'etais triste quand on m'abandonnait, et cruellement inquiete pour ceux qui me montraient de 1'attachement. II est difficile qu'une situation plus douloureuse a tous les instants puisse se 20 repre'senter dans la vie. Pendant pres de deux ans qu'elle a dure, je n'ai pas vu revenir une fois le jour sans me de*so- ler d'avoir a supporter 1'existence que ce jour recommengait Mais pourquoi ne partiez-vous pas? dira-t-on, et ne cessait-on de me dire de tous les cote's. Un homme que 25 je ne dois pas nommer 1 , mais qui sait, je 1'espere, a quel point je considere 1'elevation de son caractere et de sa conduite, me dit: "Si vous restez, il vous traitera comm^ Marie Stuart : dix-neuf ans de malheur, et la catastrophe a la fin." Un autre, spirituel, mais peu mesure dans ses 30 paroles, m'ocrivit qu'il y avait du de'shonneur a rester apres tant de mauvais traitements. Je n'avais pas besoin de ces conseils pour de'sirer avec passion de partir; du moment 1 Le comte Elzear de Sabran. DIX ANNIES DEXIL. 33 que je ne pouvais plus revoir mes amis, que je n'etais plus qu'une entrave a 1'existence de mes enfants, ne devais-je pas me decider? Mais le pre'fet repetait, de toutes les manieres, que je serais arretee si je partais; qu'a Vienne comme a Berlin on me ferait re'clamer, et que je ne pour- 5 rais meme faire aucun pre'paratif de voyage sans qu'il en fut informe; car il savait, disait-il, tout ce qui se passait chez moi. A cet egard, il se vantait; et, 1'eve'nement Fa prouve, c'etait un fat en fajfr d'espionnage. Mais qui n'aurait pas etd effraye du ton d'assurance avec lequel il 10 disait a tous mes amis que je ne pourrais faire un pas sans etre saisie par les gendarmes? CHAPITRE V. DEPART DE COPPET. JE passai huit mois dans un etat que Ton ne saurait 15 peindre, essayant mon courage chaque jour, et chaque jour faiblissant a 1'idee de la prison. Tout le monde, assure- ment, la redoute; mais mon imagination a tellement peur de la solitude, mes amis me sont tellement ndcessaires pour me soutenir, pour m'animer, pour me presenter une perspective 20 nouvelle, quand je succombe sous la fixite d'une impression douloureuse, que jamais la mort ne s'est oflerte a moi sous des traits aussi cruels que la prison, que le secret ou Ton peut rester des annees sans qu'aucune voix amie se fasse entendre de vous. On m'a dit qu'un de ces Espagnols qui 25 ont defendu Saragosse avec la plus etonnante intrepidite pousse des cris dans le donjon de Vincennes, ou on le retient enferme; tant cette affreuse solitude fait mal aux hommes les plus energiques ! D'ailleurs, je ne pouvais me dissimuler que je n'etais pas une personne courageuse ; j'ai 30 34 DIX ANNEES DEXIL. de la hardiesse dans 1'imagination, .mais de la timidite dans le caractere, et tous les genres de perils se presentent a moi comme des fantomes. L'espece de talent que j'ai me rend les images tellement vivantes, que si les beautes de la nature 5 y gagnent, les dangers aussi en deviennent plus redou- tables. Tantot je craignais la prison, tantot les brigands si j'etais oblige'e de traverser la Turquie, la Russie m'etant ferme'e par quelques combinaisons politiques ; tantot aussi la vaste mer qu'il me fallait traverser, de Constantinople 10 jusqu'a Londres, me remplissait de terreur pour ma fille et pour moi. Neanmoins j'avais toujours le besoin de partir ; un mouvement interieur de fierte' m'y excitait ; mais je pou- vais dire comme un Frangais tres-connu : " Je tremble des dangers auxquels mon courage va m'exposer." En effet, ce 15 qui ajoute a la grossiere barbaric de persecuter les femmes, c'est que leur nature est tout a la fois irritable et faible; elles souffrent plus vivement des peines, et sont moins capables de la force qu'il faut pour y e'chapper. Un autre genre de terreur aussi agissait sur moi : je 20 craignais qu'a 1'instant ou mon depart serait connu de 1'Em- pereur, il ne fit mettre dans les gazettes un de ces articles tels qu'il sait les dieter, quand il veut assassiner moralement. Un se'nateur me disait un jour que Napole'on dtait le meilleur journaliste qu'il connut. En effet, si Ton appelle 25 ainsi 1'art de diffamer les individus et les nations, il le possede au supreme degre'. Les natior.s s'en tirent ; mais il a acquis, dans les temps revolutionnaires pendant lesquels il a ve'cu, un certain tact des calomnies a la porte'e du vulgaire, qui lui fait trouver les mots les plus propres a circuler parmi 30 ceux dont tout 1'esprit consiste a repe'ter les phrases que le gouvernement a fait publier pour leur usage. Si le Moniteur accusait quelqu'un d'avoir vole sur le grand chemin, aucune gazette, ni Francaise, ni Allemande, ni Italienne, ne pourrait DIX ANNEES LfEXIL. 35 admettre sa justification. On ne peut se representer ce que c'est qu'un homme a la tete d'un million de soldats et d'un milliard de revenu, disposant de toutes les prisons de 1'Eu- rope, ayant les rois pour geoliers, et usant de Fimprinierie pour parler, quand les opprimes ont a peine 1'intimitd de 5 Famitie pour re'pondre ; enfin, pouvant rendre le malheur ridicule; execrable pouvoir dont 1'ironique joui-ssance est la derniere insulte que les gdnies infernaux puissent faire sup- porter a la race humaine ! Quelque independance de caractere que Ton eut, je crois 10 qu'on ne pouvait se defendre de frissonner en attirant de tels moyens centre soi ; du moins j'eprouvais, je 1'avoue, ce mouvement ; et, malgre la tristesse de ma situation, souvent je me disais qu'un toit pour s'abriter, une table pour se nourrir, un jardin pour se promener, etaient un lot dont il 15 fallait savoir se contenter ; mais, tel qu'il etait, ce lot, on ne pouvait se repondre de le conserver en paix ; un mot pouvait e'chapper, un mot pouvait etre redit, et cet homme, dont la puissance va toujours croissant, jusqu'a quel point d'irrita- tion ne peut-il pas arriver ? Quand il faisait un beau soleil, 20 je reprenais courage ; mais, quand le ciel etait convert de brouillards, les voyages m'effrayaient, et jede'couvrais en moi des gouts casaniers, etrangers a ma nature, mais que la peur y faisait naitre ; le bien-etre physique me paraissait plus que je ne 1'avais cru jusqu'alors, et toute fatigue m'epouvantait. 25 Ma sante, cruellement alteree par tant de peines, affaiblissait aussi 1'energie de mon caractere, et j'ai vraiment abuse", pendant ce temps, de la patience de mes amis, en remettant sans cesse mes projets en deliberation, et en les accablant! de mes incertitudes. 30 J'essayai une seconde fois d'obtenir un passe-port pour 1'Ame'rique ; on me fit attendre jusqu'au milieu de 1'hiver la reponse que je demandais, et Ton finit par me refuser. 32 36 DIX ANNEES D'EXIL. J'offris de m'engager a ne rien faire imprimer sur aucun sujet, fut-ce un bouquet a Iris, pourvu qu'il me fut permis d'aller vivre a Rome : j'eus 1'amour-propre de rappeler Corinne, en demandant la permission d'aller vivre en Italic. 5 Sans doute le ministfe de la police trouva que jamais pareil motif n'avait ete' inscrit sur ses registres, et ce Midi, dont Fair e'tait si ne'cessaire a ma sante, me fut impitoyablement refuse'. On ne cessait de me declarer que ma vie entiere se passerait dans 1'enceinte des deux lieues dont Coppet est 10 e'loigne de Geneve. Si je restais, il fallait me se'parer de mes fils, qui e"taient dans 1'age de chercher une carriere ; j'imposais a ma fille la plus triste perspective, en lui faisant partager mon sort. La ville de Geneve, qui a conserve de si nobles traces de la liberte', se laissait cependant graduelle- 15 ment gagner par les interets qui la liaient aux distributeurs de places en France. Chaque jour le nombre de ceux avec qui je pouvais m'entendre diminuait, et tous mes sentiments devenaient un poids sur mon ame, au lieu d'etre une source de vie. C'en etait fait de mon talent, de mon bonheur, de 20 mon existence, car il est affreux de ne servir en rien ses enfants, et de nuire a ses amis. Enfin, les nouvelles que je recevais m'annonc_aient de toutes parts les formidables pre'- paratifs de 1'Empereur ; il e'tait clair qu'il voulait d'abord se rendre maitre des ports de la Baltique en de'truisant la 25 Russie, et qu'apres il comptait se servir des debris de cette puissance pour les trainer centre Constantinople : son inten- tion e'tait de partir ensuite de la pour conque'rir 1'Afrique et 1'Asie. II avait dit, peu de temps avant de quitter . Paris : " Cette vieille Europe m'ennuie." Et en effet elle ne suffit 30 plus a 1'activite de son maitre. Les dernieres issues du con- tinent pouvaient se fermer d'un instant a 1'autre, et j'allais me trouver en Europe comme dans une ville de guerre dont toutes les portes sont garde'es par des soldats. DIK ANNEES D'EXIL. 37 Je me ddcidai done a m'en aller pendant qu'il restait encore un moyen de se rendre en Angleterre ; et ce moyen, c'etait le tour de 1'Europe entiere. Je fixai le 15 de mai pour mon depart, dont les preparatifs dtaient combines depuis longtemps, dans le secret le plus absolu. La veille de ce 5 jour, mes forces m'abandonnerent entierement, et je me per- suadai, pour un moment, qu'une telle terreur ne pouvait etre ressentie que quand il s'agissait d'une mauvaise action. Tantot je consultais tous les genres de presages de la maniere la plus insense'e ; tantot, ce qui etait plus sage, 10 j'interrogeais mes amis et moi-meme sur la moralite de ma resolution. \ II semble que le parti de la resignation en toutes choses" soit le plus religieux, et je ne suis pas etonne'e que des hommes pieux soient arrives a se faire une sorte de scrupule des resolutions qui partent de la volonte spontane'e. 15 La necessitd semble porter un caractere divin, tandis que la resolution de l'homme peut tenir a son orgueil. Cependant aucune de nos facultes ne nous a etc donne'e en vain, et celle de se decider pour soi-meme a aussi son usage. D'autre part, tous les gens mediocres ne cessent de s'e'tonner 20 que le talent ait des besoins differents des leurs. Quand il a du succes, le succes est a la porte'e de tout le monde ; mais, lorsqu'il cause des peines, lorsqu'il excite a sortir des voies communes, ces memes gens ne le considerent plus que comme une maladie, et presque comme un tort. J'entendais 25 bourdonner autour de moi les lieux communs auxquels tout le monde se laisse prendre : N'a-t-elle pas de 1'argent ? ne peut-elle pas bien vivre et bien dormir dans un bon chateau ? Quelques personnes d'un ordre plus eleve sentaient que je n'avais pas meme la securite de ma triste situation, et qu'elle 30 pouvait empirer sans jamais s'ame'liorer. Mais Fatmosphere qui m'entourait conseillait le repos, parce que depuis six mois il n'e'tait pas arrive de perse'cutions nouvelles, et que 38 DIX ANNIES &EXIL. les hommes croient toujours que ce qui est est ce qui sera. C'est du milieu de toutes ces circonstances appesantissantes qu'il fallait prendre une des resolutions les plus fortes qui put se rencontrer dans la vie privde d'une femme. Mes 5 gens, a 1'exception de deux personnes tres-sures, ignoraient mon secret ; la plupart de ceux qui venaient chez moi ne s'en doutaient pas, et j'allais, par une seule action, changer en entier ma vie et celle de ma famille. Dechire'e par 1'incertitude, je parcourus le pare de Coppet ; je m'assis dans 10 tous les lieux ou mon pere avait coutume de se reposer pour contempler la nature ; je revis ces memes beautds des ondes et de la verdure que nous avions souvent admire'es ensemble ; je leur dis adieu en me recommandant a leur douce influence. Le monument qui renferme les cendres de mon pere et de 15 ma mere, et dans lequel, si le bon Dieu le permet, les mien- nes doivent etre deposees, ^tait une des principales causes de mes regrets, en m'e'loignant des lieux que j'habitais : mais je trouvais presque toujours, en m'en approchant, une sorte de force qui me semblait venir d'en haut. Je passai 20 une heure en priere devant cette porte de fer qui s'est re- ferme'e sur les restes du plus noble des humains, et la mon ame fut convaincue de la ne'cessite de partir. Je me rap- pelai ces vers fameux de Claudien ', dans lesquels il exprime 1'espece de doute qui s'e'leve dans les ames les plus reli- 25 gieuses, lorsqu'elles voient la terre abandonnee aux md- chants et le sort des mortels comme flottant au grd du 1 Saepe mihi dubiam traxit sententia mentem, Curarent superi terras, an nullus inesset Rector, et incerto fluercnt mortalia casu. Abstulit hunc tandem Rufini pcena tumultum Absolvitque deos. Jam non ad culmina rerum Injustos crevisse queror ; tolluntur in altum Ut lapsu graviore ruant. DIX ANNEES D'EXIL. 39 hasard. Je sentais que je n'avais plus la force d'alimenter 1'enthousiasme qui developpait en moi tout ce que je puis avoir de bon, et qu'il me fallait entendre parler ceux qui pensaient comme moi, pour me fier a ma propre croyance et conserver le culte que mon pere m'avait inspire. J'invoquai 5 plusieurs fois, dans cette anxiete, la memoire de mon pere, de cet homme, le Fenelon de la politique, dont le genie etait en tout 1'oppose de celui de Bonaparte;, et il en avait, du genie, car il en faut au moins,autant pour se mettre en harmonic avec le ciel que pour e'voquer a'soi tous les 10 moyens dechaines par 1'absence des lois divines et humaines. J'allai revoir le cabinet de mon pere ou son fauteuil, sa table et ses papiers sont encore a la meme place ; j'em- brassai chaque trace cherie, je pris son manteau, que jus- qu'alors j'avais ordonne de laisser sur sa chaise, et je Fern- 15 portai avec moi pour m'en envelopper, si le messager de la mort s'approchait de moi. Ces adieux termines, j'evitai le plus que je pus les autres adieux, qui me faisaient trop de mal, et j'e'crivis aux amis que je quittais, en ayant pris soin que ma lettre ne leur fut remise que plusieurs jours apres 20 mon depart. Le lendemain samedi, 23 mai 1812, a deux heures apres midi, je montai dans ma voiture, en disant que je reviendrais pour diner; je ne pris avec moi aucun paquet quelconque; j'avais mon eventail a la main, ma fille le sien, 25 et seulement mon fils et M. Rocca portaient dans leurs poches ce qu'il nous fallait pour quelques jours de voyage. En descendant 1'avenue de Coppet, en quittant ainsi ce chateau qui etait devenu pour moi comme un ancien et bon ami, je fus pres de m'evanouir: mon fils me prit la 30 main, etme dit: "Ma mere, songe que tu pars pour 1'Angle- terre 1 ." Ce mot ranima mes esprits. J'etais cependant a 1 L'Angleterre etait alors 1'espoir de quiconque souffrait pour la 40 DIX ANNIES HEXIL. pres de deux mille lieues de ce but, ou la route naturelle m'aurait si promptement conduite; mais du moins chaque pas m'en rapprochait. Je renvoyai, a quelques lieues de la, un de mes gens pour annoncer chez moi que je ne 5 reviendrais que le lendemain, et je continual ma route jour et nuit, jusqu'a une ferme au dela de Berne, oh j'avais donnd rendez-vous a M. Schlegel, qui voulait bien m'ac- compagner; c'etait aussi la que je devais quitter mon fils aine, qui a etd eleve par 1'exemple de raon pere jusqu'a 10 1'age de quatorze ans, et dont les traits le rappellent. Une seconde fois tout mon courage m'abandonna; cette Suisse encore si calme et toujours si belle, ces habitants qui savent etre libres par leurs vertus, lors meme qu'ils ont perdu 1'inddpendance politique, tout ce pays me retenait; 15 il me semblait qu'il me disait de ne pas le quitter. II 6ta.it encore temps de revenir; je n'avais point fait de pas irreparables. Quoique le prefet se fut avise de m'interdire la Suisse, je voyais bien que c'e'tait par la crainte que je n'allasse plus loin. Enfin, je n'avais pas encore passe la 20 barriere qui ne me laissait plus la possibility de retourner; 1'imagination a de la peine a soutenir cette pense'e. D'un autre cote', il y avait aussi de Pirreparable dans la resolution de rester; car, ce moment passe, je sentais, et 1'evenement 1'a bien prouvej que je ne pourrais plus m'echapper. D'ail- 25 leurs, il y a je ne sais quelle honte a recommencer des adieux si solennels, et Ton ne peut guere ressusciter pour ses amis plus d'une fois. Je ne sais ce que je serais de- venue, si cette incertitude, a 1'instant meme de 1'action, avait dure' plus longtemps, car ma tete en etait troublee. 30 Mes enfants me deciderent, et en particulier ma fille, a cause de la liberte; pourquoi faut-il qu'apres la victoire ses ministres aient si cruellement trompe 1'attente de 1'Europe ! (Note de M. de Staelfils.) DIX ANNEES LtEXIL. 41 peine agee de quatorze ans. Je m'en remis, pour ainsi dire, a elle, comme si la voix de Dieu devait se faire en- tendre par la bouche d'un enfant 1 . Mon fils s'en alia, et, quand je ne le vis plus, je pus dire comme lord Russell : La douleur de la mort est passee. Je montai dans ma voiture 5 avec ma fille; une fois 1'incertitude finie, je rassemblai mes forces dans mon ame, et j'en trouvai pour agir qui m'avaient manque en deliberant. 1 C'etait peu d'etre parvenu a quitter Coppet, en trompant la sur- veillance du prefet de Geneve ; il fallait encore obtenir des passe- ports pour traverser 1'Autriche, et que ces passe-ports fussent sous un nom qui n'attirat pas 1'attention des diverses polices qui se parta- geaient rAllemagne. Ma mere me chargea de celte demarche, et 1'emotion que j'en eprouvai ne cessera jamais d'etre presente a ma pensee. C'etait, en effet, un pas decisif; les passe-ports une fois refuses, ma mere retombait dans une situation beaucoup plus cruelle : ses projets etaient connus ; toute fuite devenait desormais impossible, et les rigueurs de son exil eussent etc chaque jour plus intolerables. Je ne cms pouvoir mieux faire que de m'adresser au ministre d'Au- triche, avec cette confiance dans les sentiments de ses semblables qui est le premier mouvement de tout honnete homme. M. de Schraut n'hesita pas a m'accorder ces passe-ports tant desires, et j'espere qu'il me permettra d'exprimer ici la reconnaissance que j'en conserve. A une epoque oil 1'Europe etait encore courbee sous le joug de Napoleon, oil la persecution exercee centre ma mere eloignait d'elle des personnes qui devaient peut-etre au zele courageux de son amitie la conservation de leur fortune ou de leur vie, je ne fus pas surpris, mais je fus vivement louche du genereux precede de M. le ministre d'Autriche. Je quittai ma mere pour retourner a Coppet, oil me rappelaient ses interets de fortune ; et, quelques jours apres, un frere, qu'une mort cruelle nous a enleve a 1'entree de sa carriere, alia rejoindre ma mere a Vienne avec ses gens et sa voiture de voyage. Ce ne fut que ce second depart qui donna 1'eveil a la police du prefet du Leman : tant il est vrai qu'aux autres qualites d'espionnage il faut encore joindre la betise. Heureusement ma mere etait deja hors de 1'atteinte des gendarmes, et elle put continuer le voyage dont on va lire le recit. (Note de M. de Stael fils.) 42 DIX ANNEES DEXIL. CHAPITRE VI. PASSAGE EN AUTRICHE, 1812. C'EST ainsi qu'apres dix ans de persecutions toujours croissantes, d'abord renvoye'e de Paris, puis reMgue'e en e Suisse, puis confinee dans mon chateau, puis enfin con- damne'e a 1'horrible douleur de ne plus revoir mes amis et d'avoir etc cause de leur exil, c'est ainsi que je fus obligee de quitter en fugitive deux patries, la Suisse et la France, par 1'ordre d'un homme moins Frangais que moi; car je suis 10 ne'e sur les bords de cette Seine oil sa tyrannic seule le naturalise. L'air de ce beau pays n'est pas pour lui Fair natal ; peut-il comprendre la douleur d'en etre exile', lui qui ne considere cette fertile contree que comme 1'instru- ment de ses victoires ? Oil est sa patrie ? c'est la terre qui 15 lui est soumise. Ses concitoyens? ce sont les esclaves qui obe'issent a ses ordres. II se plaignait un jour de n'avoir pas eu a commander, comme Tamerlan, a des nations auxquelles le raisonnement fut etranger. J'imagine que main tenant il est content des Europe'ens; leurs moeurs, 20 comme leurs armees, sont assez rapproche'es des Tartares. Je ne devais rien craindre en Suisse, puisque je pou- vais toujours prouver que j'avais le droit d'y etre; mais, pour en sortir, je n'avais qu'un passe-port etranger; il fallait traverser un Etat confedere', et si quelque agent Frangais 25 eut demande au gouvernement de Baviere de ne pas me laisser passer, qui ne sait avec quel regret, mais neanmoins avec quelle obeissance, il eut ex^cutd les ordres qu'il aurait regus? J'entrai dans le Tyrol avec une grande conside'- ration pour ce pays, qui s'dtait battu par attachement pour 30 ses anciens maltres, mais avec un grand me'pris pour ceux DIX ANNIES D'EXIL. 43 des ministres Autrichiens qui avaient pu conseiller d'aban- donner des hommes compromis par leur attachement pour leur souverain. On dit qu'un diplomate subalterne, chef du de'partement de 1'espionnage en Autriche, s'avisa un jour, pendant la guerre, de soutenir a la table de 1'empereur 5 qu'on devait abandonner les Tyroliens; M. de H., gentil- homme Tyrolien, conseiller d'Etat au service d' Autriche, qui, par ses actions et ses ecrits, a fait voir le courage d'un guerrier et le talent d'un historien, repoussa ces indignes discours avec le me'pris qu'ils me'ritaient. L'empereur te- 10 moigna toute son approbation a M. de H., et par la il montra du moins que ses sentiments e'taient etrangers a la conduite politique qu'on lui faisait tenir. C'est ainsi que la plupart des souverains de 1'Europe, au moment ou Bonaparte s'est rendu maitre de la France, etaient de fort 15 honnetes gens comme hommes prive's, mais n'existaient deja plus comme rois, puisqu'ils se remettaient en entier du gouvernement des affaires publiques aux circonstances et a leurs ministres. L'aspect du Tyrol rappelle la Suisse ; cependant il n'y 20 a pas dans le paysage autant de vigueur ni d'originalite; les villages n'annoncent pas autant d'abondance; c'est enfin un pays qui a ete sagement gouverne, mais qui n'a jamais e'te libre, et c'est comme peuple montagnard qu'il s'est montre capable de resistance. On cite peu d'hommes re- 25 marquables dans le Tyrol ; d'abord le gouvernement Autri- chien n'est guere propre a developper le genie; et, de plus, le Tyrol, par ses mceurs comme par sa situation geographi- que, devrait etre reuni a la confede'ration Suisse ; son incor- poration a la monarchic Autrichienne n'etant pas conforme 30 a sa nature, il n'a pu developper dans cette union que les nobles qualites des habitants des montagnes, le courage et la fide'lite. 44 DIX ANNEES D'EXIL. Le postilion qui nous menait nous fit voir un rocher sur lequel 1'empereur Maximilian, grand-pere de Charles- Quint, avait failli pe'rir: 1'ardeur de la chasse 1'avait telle- ment emporte, qu'il avait suivi le chamois jusqu'a des 5 hauteurs dont il ne pouvait plus redescendre. Cette tra- dition est encore populaire dans le pays, tantje culte du passd est ne'cessaire aux nations. Le souvenir de la derniere guerre etait vivant dans Tame des peuples: les paysans nous montraient les sommite's des montagnes sur lesquelles 'io ils s'e'taient retranches; leur imagination se retragait 1'effet qu'avait produit leur belle musique guerriere, lorsqu'elle avait retenti du haut des collines dans les valldes. En nous montrant le palais du prince royal de Baviere, k Inspruck, ils nous disaient que Hofer, ce courageux pay- 15 san, chef de 1'insurrection, avait demeure la; ils nous racontaient 1'intre'pidite qu'une femme avait montre'e, quand les Frangais etaient entrds dans son chateau; enfin, tout annongait en eux le besoin d'etre une nation, plus encore que 1'attachement personnel a la maison d'Autriche. 20 C'est dans une e'glise d'Inspruck qu'est le fameux tom- beau de Maximilien ; j'y allai, me flattant bien de n'etre reconnue de personne, dans un lieu e'loigne' des capitales oil resident les agents Frangais. La figure de Maximilien, en bronze, est a genoux sur un sarcophage, au milieu de 25 1'e'glise, et trente statues du meme metal, range'es de chaque cote' du sanctuaire, repre'sentent les parents et les ancetres de 1'empereur. Tant de grandeurs passe'es, tant d'ambitions jadis formidables rassemble'es en famille autour d'un tom- beau, etaient un spectacle qui portait profonde'ment a la 30 reflexion : on rencontrait la Philippe le Bon, Charles le Te'me'raire, Marie de Bourgogne; et, au milieu de ces personnages historiques, un he'ros fabuleux, Dietrich de Berne. La visiere baisstfe de'robait la figure des chevaliers ; DIX ANNEES D'EXIL. 45 mais quand on soulevait cette visiere, un visage d'airain pa- raissait sous un casque d'airain et 1'es traits du chevalier e'taient de bronze comme son armure. La visiere de Dietrich de Berne est la seule qui ne puisse etre souleve'e ; 1'artiste a voulu indiquer par Ik le voile mysterieux qui couvre 1'histoire 5 de ce guerrier. D'Inspruck, je devais passer par Salzbourg, pour arriver de Ik aux frontieres Autrichiennes. II me semblait que toutes mes inquietudes seraient finies,^ quand je serais entree sur le territoire de cette monarchic que j'avais connue 10 si sure et si bonne. Mais le moment que je redoutais le plus, c'e'tait le passage de la Baviere k 1'Autriche; car c'e'tait Ik qu'un courrier pouvait m'avoir pre'cede'e, pour de'fendre de me laisser passer. Je n'avais pas e'te' tres-vite, malgre cette crainte ; car ma sante, abimee par tout ce que 15 j'avais souffert, ne me permettait pas de voyager la nuit. J'ai souvent eprouve, dans cette route, que les plus vives terreurs ne sauraient 1'emporter sur un certain abattement physique, qui fait redouter les fatigues plus que la mort. Je me flattais cependant d' arriver sans obstacle, et dejk ma 20 peur se dissipait en approchant du but que je croyais assure, lorsque, en entrant dans 1'auberge de Salzbourg, un homme s'approcha de M. Schlegel, qui m'accompagnait, et lui dit en Allemand qu'un courrier Frangais dtait ,venu demander une voiture arrivant d'Inspruck, avec une femme 25 et une jeune fille, et qu'il avait annonce qu'il repasserait pour en savoir des nouvelles. Je ne perdis pas un mot de ce que disait le maltre de 1'auberge, et je palis de terreur. M. Schlegel aussi fut 6mu pour moi; il fit de nouvelles questions qui confirmerent toutes que ce courrier e'tait 30 Frangais, qu'il venait de Munich, qu'il avait e'te jusqu'k la frontiere d'Autriche pour m'attendre, et que, ne me trouvant pas, il etait revenu au-devant de moi. Rien ne paraissait 46 DIX ANNIES D'EXIL. alors plus clair : c'&ait tout ce que j'avais redoutd avant de partir et pendant le voyage. Je ne pouvais plus m'e- chapper, puisque ce courrier, qu'on disait deja a la poste, devait ndcessairement rn'atteindre. Je pris a 1'instant la 5 resolution de laisser ma voiture, M. Schlegel et ma fille a 1'auberge, et de m'en aller seule a pied, dans les rues de la ville, pour entrer au hasard dans la premiere maison dont 1'hote ou 1'hotesse aurait une bonne physionomie. Je voulais en obtenir un asile pour quelques jours. Pendant 10 ce temps, ma fille et M. Schlegel auraient dit qu'ils allaient me rejoindre en Autriche, et je serais partie apres, dd- guisde en paysanne. Toute chanceuse qu'etait cette res- source, il ne m'en restait pas d'autre, et je me prdparais en tremblant a 1'entreprise, lorsque je vis entrer dans ma 15 chambre ce courrier tant redoute, qui n'etait autre que M. Rocca. Apres m'avojr accompagne'e le premier jour de mon voyage, il dtait retourne a Geneve pour terminer quel- ques affaires, et maintenant il venait me rejoindre, et se faisait pa.sser pour un courrier Frangais, arm de profiter de 20 la terreur que ce nom inspire, surtout aux allids de la France, et de se faire donner des chevaux plus vite. II avait pris la route de Munich, s'dtait hatd d'aller jusqu'a la frontiere d'Autriche, voulant s'assurer que personne ne m'y avait pre'ce'de'e ni annonce'e. II revenait au-devant de 25 moi pour me dire que je n'avais rien a craindre, et pour monter sur le siege de ma voiture en passant cette fron- tiere, qui me semblait le plus redoutable, mais aussi le dernier de mes perils. Ainsi ma cruelle peur se changea en un sentiment tres-doux de securite' et de reconnais- 30 sance. Nous parcourumes cette ville de Salzbourg, qui ren- ferme tant de beaux Edifices, mais qui, comme la plupart des principaute's eccldsiastiques de 1'Allemagne, pre'sente DIX ANNEES DEXIL. 47 aujourd'hui un aspect tres-de'sert. Les ressources tranquilleg de ce genre de gouvernement ont fini avec lui. Les con- vents aussi e'taient conservateurs ; on est frappe des nom- breux dtablissements et des Edifices que des maitres celiba- taires ont Sieve's dans leur residence : tous ces souverains 5 paisibles ont fait du bien a leur nation. Un archeveque de Salzbourg, dans le dernier siecle, a percd une route qui se prolonge de plusieurs centaines de pas sous une montagne, comme la grotte de Pausilippe a Naples : sur le frontispice de la porte d'entree on voit le buste de 1' archeveque, et en 10 bas pour inscription : Te saxa loquuntur (les pierres parlent de toi). Cette inscription a de la grandeur. J'entrai enfin dans cette Autriche que j'avais vue si heureuse il y avait quatre annees ; deja un changement sen- sible me frappa, c'est celui qu'avaient produit la de'pre'cia- 15 tion du papier-monnaie et les variations de tout genre que 1'incertitude des operations de finance a introduites dans sa valeur. Rien ne demoralise le peuple comme ces oscilla- tions continuelles qui font de chaque individu un agioteur, et presentent a toute la classe laborieuse une maniere de 20 gagner de 1'argent par la ruse et sans le travail. Je ne trou- vais plus dans le peuple la meme probite qui m' avait frappee quatre ans plus tot : ce papier-monnaie met 1'imagination en mouvement sur 1'espoir d'un gain rapide et facile, et les chances hasardeuses bouleversent 1'existence graduelle et 25 sure qui fait la base de 1'honnetete' des classes moyennes. Pendant mon sejour en Autriche, un homme fut pendu pour avoir fait de faux billets au moment oil 1'on avait de'mone'- tisd les anciens ; il s'e'criait, en marchant au supplice, que ce n'etait pas lui qui avait void, mais 1'Etat. Et en effet il 30 est impossible de faire comprendre a des gens du peuple qu'il est juste de les punir pour avoir spe'cule dans leurs propres affaires comme le gouvernement dans les siennes. 48 DIX ANNIES &EXIL. Mais ce gouvernement dtait 1'allie du gouvernement Fran- 9ais, et doublement son allid, puisque son chef dtait le tres- patient beau-pere d'un terrible gendre. Quelles ressources done pouvait-il lui rester? Le mariage de sa fille lui avait 5 valu d'etre libe're de deux millions de contributions tout au plus ; le reste avait ete exige' avec ce genre de justice dont on est si facilement capable, et qui consiste a traiter ses amis comme ses ennemis : de Ik venait la penurie des finances. Un autre malheur aussi est result^ de la derniere- 10 guerre, et surtout de la derniere paix; 1'inutilite du mou- vement ge'nereux qui avait illustre' les armes Autrichiennes dans les batailles d'Essling et de Wagram, a refroidi la nation pour son souverain, qu'elle aimait vivement jadis. -II en est de meme de tous les princes qui ont traite avec 15 f'empereur Napole'on; il s'en est servi comme de receveurs charges de lever des impots nour son compte : il les a forces de pressurer-leurs sujets pour lui payer les taxes qu'il exigeait ; et, quand il lui a convenu de destituer ces souve- rains, les peuples, detaches d'eux par le mal meme qu'ils 20 avaient fait pour obeir a 1'Empereur, ne les ont pas de'fen- dus centre lui. L'empereur Napoleon a Tart de rendre la situation des pays, soi-disant en paix, tellement malheureuse, que tout changement leur est agreable, et qu'une fois forces de donner des hommes et de 1'argent a la France, ils ne 25 sentent guere 1'inconve'nient d'y etre re'unis. Ils ont tort cependant, car tout vaut mieux que de perdre le nom de nation ; et comme les malheurs de 1'Europe sont causes par un seul homme, il faut conserver avec soin ce qui peut renaitre quand il ne sera plus. 30 Avant d'arriver a Vienne, comme j'attendais mon second fils, qui devait me rejoindre avec mes gens et mon bagage, je m'arretai pendant un jour a cette abbaye de Melk, placee sur une hauteur d'ou 1'empereur Napole'on avait contemple DIX ANNEES D'EXIL. 4? les divers detours du Danube, et loue le paysage sur lequel il allait fondre avec ses arme'es. II s'amuse souvent a faire des morceaux poetiques sur les beautes de la nature qu'il va ravager, et sur les effets de la guerre dont il va accabler le genre humain. Apres tout, il a raison de s'amuser de 5 toutes les manieres aux depens de la race humaine qui le souffre. L'homme n'est arrete dans la route du mal que par 1'obstacle ou par le remords : personne ne lui a presente 1'un, et il s'est tres-facilement affranchi de 1'autre. Moi, qui suivais solitairement ses traces sur la terrasse d'oii Ton 10 voyait au loin la contre'e, j'en admirais la fecondite, et je m'etonnais de voir que les dons du ciel reparent si vite les de'sastres causes par les hommes. Ce sont les richesses morales qui ne reviennent plus, ou qui sont, du moins, per- dues pour des siecles. 15 CHAPITRE VII. SEJOUR A VIENNE. J'ARRIVAI heureusement a Vienne le 6 de juin, deux heures avant le depart d'un courrier que M. le comte de Stackelberg, ambassadeur de Russie, envoyait a Wilna, ou 20 etait alors 1'empereur Alexandre. M. de Stackelberg, qui se conduisit envers moi avec cette noble delicatesse, Tun des traits les plus eminents de son caractere, ecrivit, par ce courrier, pour demander mon passe-port, et m'assura que sous trois semaines je pouvais avoir la reponse. II s'agissait 25 de passer ces trois semaines quelque part ; mes amis Autri- chiens, qui m'avaient accueillie de la maniere la plus aimable, m'assurerent que je pouvais rester a Vienne sans crainte. La cour alors e'tait a Dresde, a la grande reunion de tous les princes Allemands rassembles pour offrir leurs hommages 30 s. 4 50 DIX ANNIES &EXIL. a 1'empereur de France. Napoleon s'e'tait arretd a Dresde sous le pre'texte de ne'gocier encore de la, pour eViter la guerre avec la Russie, c'est-a-dire pour obtenir, par sa politique, le meme re'sultat que par ses armes. II ne vou- 5 lait pas d'abord admettre le roi de Prusse a son banquet de 'Dresde ; il savait trop combien le coeur de ce malheureux monarque r^pugne a ce qu'il se croit oblige* de faire. M. de Metternich obtint, dit-on, pour lui cette humiliante faveur. M. de_ Hardemberg, qui 1'accompagnait, fit observer a 1'em- i o pereur Napoleon, que la Prusse avait paye un tiers de plus que les contributions promises. L'Empereur lui re'pondit, en lui tournant le dos : " Compte d'apothicaire ;" car il a un plaisir secret a se servir d'expressions vulgaires pour mieux humilier ceux qui en sont 1'objet. II mit assez de 15 coquetterie dans sa maniere d'etre avec 1'empereur etj'im- pe'ratrice d'Autriche, parce qu'il lui importait que le gouver- nement Autrichien prit une part active a sa guerre avec la Russie. " Vous voyez bien," dit-il, a ce qu'on assure, a M. de Metternich, " que je ne puis jamais avoir le moindre inte- 20 ret a diminuer la puissance de 1'Autriche, telle qu'elle existe maintenant; car v d'abord il'tne convient que mon beau-pere soit un prince tres-considere'; d'ailleurs je me fie plus aux anciennes dynasties qu'aux nouvelles. Le ge'ne'ral Berna- dotte n'a-t-il pas pris le parti de faire la paix avec 1'Angle- 25 terre?" Et en effet le prince royal de Suede, comme on le verra par la suite, s'etait courageusement de'clare' pour les interests du pays qu'il gouvernait. L'empereur de France ayant quitte Dresde pour passer en revue ses arme'es, 1'impe'ratrice alia s'etablir pendant 30 quelque temps a j'rague avec sa famille. Napole'on, en partant, rdgla lui-meme 1'dtiquette qui devait exister entre le pere et la fille, et Ton doit penser qu'elle n'e'tait pas facile, puisqu'il aime presque autant 1'e'tiquette par de'fiance que DIX ANNEES &EXIL. 51 par vanitd, c'est-a-dire comme un moyen d'isoler tous les individus entre eux, sous pretexte de marquer leurs rangs. Les dix premiers jours que je passai a Vienna ne furent troubles par aucun nuage, et j'etais ravie de me trouver ainsi au milieu d'une societe qui me plaisait, et dont la 5 maniere de penser repondait a la mienne ; car 1'opinion n'etait point favorable a 1'alliance avec Napoleon, et le gouvernement 1'avait conclue sans etre appuye par 1'assen- timent national. En effet, une guerre dont 1'objet ostensible etait le re'tablissement de la Pologne pouvait-elle etre faite 10 par la puissance qui avait contribue au partage deJa^Eo; logne, et retenait encore en ses mains, avec plus de per- sistance que jamais, le tiers de cette Pologne ? Trente mille homines etaient envoye's par le gouverne- ment Autrichien pour retablir la confederation de Pologne 15 a Varsovie, et presque autant d'espions s'attachaient aux pas des Polonais de Gallicie, qui voulaient avoir des de- pute's a cette confederation. II fallait done que le gouver- nement Autrichien parlat centre les Polonais, en soutenant leur cause, et qu'il dit a ses sujets de Gallicie : " Je vous 20 defends d'etre de 1'avis que je soutiens." Quelle meta- physique ! on la trouverait bien embrouillee si la peur n'expliquait pas tout. Parmi les nations que Bonaparte traine apres lui, la seule qui merite de 1'interet, ce sont les Polonais. Je crois 25 qu'ils savent aussi bien que nous qu'ils ne sont que le pre'- texte de la guerre, et que 1'Empereur ne se soucie pas de leur independance. II n'a pu s'abstenir d'exprimer plu- sieurs fois a 1'Empereur Alexandre son de'dain pour la Po- logne, par cela seulement qu'elle veut etre libre ; mais il 30 lui convient de la mettre en avant centre la Russie, et les Polonais profitent de cette circonstance pour se retablir comme nation. Je ne sais s'ils y reussiront, car le despo- 42 52 DIX ANNIES &EXIL. tisme donne difficilement la liberte*, et ce qu'ils regagneront dans leur cause particuliere, ils le perdront dans la cause de 1'Europe. Ils seront Polonais, mais Polonais aussi esclaves que les trois nations dont ils ne dependront plus. 5 Quoi qu'il en soit, les Polonais sont les seuls Europe'ens qui puissent servir sans honte sous les drapeaux de Bona- parte. Les princes de ia confederation du Rhin croient y trouver leur interet en perdant leur honneur; mais 1'Autriche pa? une combinaison vraiment remarquable, y 10 sacrifie tout a la fois son honneur et son interet. L'ern- pereur Napole'on voulait obtenir de 1'archiduc Charles de commander ces trente mille hommes ; mais 1'archiduc s'est heureusement refuse a cet affront; et quand je le vis se promener seul, en habit gris, dans les allies du Prater, je 15 retrouvai pour lui tout mon ancien respect. Ce meme employe' qui avait si indignement conseille' de livrer les Tyroliens e'tait a Vienne, en 1'absence de M. de Metternich, chargd de la police des etrangers, et il s'en acquittait comme on va voir? Pendant les premiers jours il 20 me laissa tranquille ; j'avais deja passe un hiver a Vienne, tres-bien accueillie par 1'empereur, 1'imperatrice et toute la cour : il e'tait done difficile de me dire que cette fois 'on ne voulait pas me recevoir, parce que j'etais en disgrace aupres de 1'empereur Napole'on, surtout lorsque cette disgrace 25 e'tait en partie cause'e par les eloges que j'avais donne's dans mon livre a la morale et au ge'nie litte'raire des Allemands. Mais ce qui e'tait encore plus difficile, c'etait de se risquer a ddplaire en rien a une puissance a laquelle il faut convenir qu'ils pouvaient bien me sacrifier, apres tout ce qu'ils 30 avaient deja fait pour elle. Je crois done qu'apres que j'eus passd quelques jours a Vienne, il arriva au chef de la police quelques renseignements plus precis sur ma situation 4 1'egard de Bonaparte, et qu'il se crut oblige de me surveiller. DIX ANNEES &EXIL. 53 Or voici sa maniere de surveiller : il etablit a ma porte, dans la rue, des espions qui me suivaient a pied quand ma voiture allait doucement, et qui prenaient des cabriolets pour ne pas me perdre de vue dans mes courses a la campagne. Cette maniere de faire la police me paraissait reunir tout a 5 la fois le machiavelisme Frangais a la lourdeur Allemande. Les Autrichiens se sont persuades qu'ils ont e'te battus faute d'avoir autant d'esprit que les Frangais, et que 1'esprit des Frangais consiste dans leurs moyens de police ; en conse- quence, ils se sont mis a faire de 1'espionnage avec me'thode, 10 a organiser ostensiblement ce qui tout au moins doit etre cache' ; et, destines par la nature a etre honnetes gens, ils se sont fait une espece de devoir d'imiter un Etat jacobin et despotique tout ensemble. Je devais m'inquieter cependant de cet espionnage, 15 quand il suffisait du inoindre sens commun pour voir que je n'avais d'autre but que de fuir. On m'alarma sur 1'arrivde de mon passe-port Russe ; on pretendit que Fon me le ferait attendre plusieurs mois, et qu'alors la guerre m'empecherait de passer. II m'etait aisd de juger que je ne pourrais pas 20 rester a Vienne, du moment que 1'ambassadeur de France serait de retour : que deviendrais-je alors ? Je suppliai M. de Stackelberg de me donner une maniere de passer par Odessa pour me rendre a Constantinople. Mais, Odessa e'tant Russe, il fallait e'galement un passe-port de Petersbourgpour.25 y arriver ; il ne restait done d'ouvert que la route directe de Turquie par la Hongrie, et cette route, passant sur les con- fins de la Servie, etait sujette a mille dangers. On pouvait encore gagner le port de Salonique a travers 1'inte'rieur de la Grece ; 1'archiduc Frangois avait suivi ce chemin pour se 30 rendre en Sardaigne ; mais 1'archiduc Frangois monte tres- bien a cheval, et c'est ce dont je n'etais guere capable : encore moins pouvais-je me re'soudre a exposer une aussi 54 DIX ANNEES &EXIL. jeune fille que la mienne a un tel voyage. II fallait done, quoi qu'il m'en coutat, me re'soudre a me separer d'elle, pour 1'envoyer par le Danemark et la Suede, accompagnee de personnes sures. Je conclus. a tout hasard, un accord avec 5 un Arme'nien, pour qu'il me conduisit a Constantinople. Je me proposais de passer de la par la Grece, la Sicile, Cadix et Lisbonne ; et quelque chanceux que fut ce voyage, il offrait a Fimagination une grande perspective. Je fis de- mander au bureau des affaires dtrangeres, dirige par un 10 subalterne en 1'absence de M. de Metternich, un passe-port qui me permit de sortir d'Autriche par la Hongrie, ou par la Gallicie, suivant que j'irais a Pe'tersbourg ou a Constanti- nople. On me fit repondre qu'il fallait me decider; qu'on ne pouvait pas donner un passe-port pour sortir par deux 15 frontieres differentes, et que meme, pour aller a Presbourg, qui est la premiere ville de Hongrie, a six lieues de Vienne, il fallait une autorisation du comite des Etats. Certes, on ne pouvait s'empecher, de le penser, 1'Europe, jadis si facile- ment ouverte a tous les voyageurs, est devenue, sous 1'in- 20 fluence de 1'empereur NapoMon, comme un grand filet qui vous enlace a chaque pas. Que de genes, que d'entraves pour les moindres mouvements ! Et conc.oit-on que les mal- heureux gouvernements que la France opprime, s'en con- solent en faisant peser de mille manieres sur leurs sujets le 25 miserable reste de pouvoir qu'on leur a laisse ! CHAPITRE VIII. DEPART DE VIENNE. OBLIGEE de choisir, je me ddcidai pour la Gallicie, qui me conduisait au pays que je preTe'rais, la Russie. Je me 30 persuadai qu'une fois e'loigne'e de Vienne, toutes ces tracas- DIX ANNEES &EXIL. 55 Series, suscitees sans doute par le gouvernement Franais, cesseraient, et qu'en tout cas je pourrais, s'il 6ta.it n^cessaire, partir de Gallicie pour regagner Bucharest par la Transyl- vania. La geographic de 1'Europe, telle que Napoleon Fa faite, ne s'apprend que trop bien par le malheur : les detours 5 qu'il fallait prendre pour eviter sa puissance etaient deja de pres de deux mille lieues; et maintenant, en partant de Vienne meme, j'etais reduite a emprunter le territoire Asiati- que pour y echapper. Je partis done sans avoir regu mon passe-port de Russie, espe'rant calmer ainsi les inquietudes 10 que la police subalterne de Vienne concevait de la presence d'une personne qui 6ta.it en disgrace aupres de 1'empereur Napoleon. Je priai un de mes amis de me rejoindre en marchant jour et nuit, des que la reponse de Russie serait arrived, et je m'acheminai sur la route. Je fis mal de 15 prendre un tel parti, car a Vienne j'etais defendue par mes amis et par 1'opinion publique ; je pouvais de la facilement m'adresser a 1'empereur ou a son premier ministre ; mais, une fois confinee dans une ville de province, je n'avais plus affaire qu'aux /pesantes mechancete's d'un sous-ordre, qui 20 voulait se faire un merite de ses precedes envers moi aupres du gouvernement frangais ; voici comment il s'y prit Je m'arretai quelques jours a Brunn, capitale de la Moravie, ou 1'on retenait en exil un colonel Anglais, M. Mills, homme d'une bonte et d'une obligeance parfaites, et, suivant 25 1'expression Anglaise, tout a fait inoffensif. On le rendait horriblement malheureux, sans pre'texte et sans utilite. Mais le ministere Autrichien se persuade apparemment qu'il se donnera 1'air de la force en se faisant persecuteur : les avise's ne s'y trompent pas, et, comme le disait un homme d'esprit, 30 sa maniere de gouverner, en fait de police, ressemble a ces sentinelles placees sur la citadelle de Brunn, a demi detruite ; il fait exactement la garde autour des ruines. A peine e'tais- 56 DIX ANNIES LfEXIL, je k Brunn, qu'on me suscita tous les genres de tracasseries sur mes passe-ports et sur ceux de mes compagnons de voyage. Je demandai la permission d'envoyer mon fils k Vienne, pour donner a cet egard les e'claircissements ne'ces- 5 saires ; on me declara qu'il n'etait pas permis k mon fils plus qu'k moi de faire une lieue en arriere. J 'ignore si 1'em- pereur d'Autriche ou M. de Metternich e'taient instruits de toutes ces absurdes platitudes ; mais je rencontrai k Brunn, dans les employes du gouvernement, k quelques exceptions 10 pres, une crainte de se compromettre qui me parut tout k fait digne du regime actuel de la France ; et meme, il faut en convenir, quand les Francois ont peur, ils sont plus excusables, car, sous Tempereur Napoleon, il s'agit au moins de 1'exil, de la prison ou de la mort. 15 Le gouverneur de Moravie, homme d'ailleurs fort esti- mable, m'annon^a qu'on m'ordonnait de traverser la Gallicie le plus vite possible, et qu'il m'etait interdit de m'arreter plus de vingt-quatre heures k Lanzut, ou j'avais 1'intention d'aller. Lanzut est la terre de la princesse Lubomirska, 20 soeur du prince Adam Czartorinski, mare'chal de la confe'de'- ration Polonaise, que les troupes autrichiennes allaient soutenir. La princesse Lubomirska dtait elle-meme gdnd- ralement considdree par son caractere personnel, et surtout par la ge'ne'reuse bienfaisance avec laquelle elle se servait de 25 sa fortune; de plus, son attachement k la maison d'Autriche dtait connu, et, quoique Polonaise, elle n'avait point pris part k 1'esprit d'opposition qui s'est toujours manifest^ en Pologne centre le gouvernement Autrichien. Son neveu et sa niece, le prince Henri et la princesse The'rese, avec qui 30 j'avais le bonheur d'etre lide, sont doue*s, 1'un et 1'autre, des qualite's les plus brillantes et les plus aimables ; on pouvait sans doute les croire tres-attache's k leur patrie Polonaise ; mais il dtait alors assez difficile de faire un crime de cette DIX ANNIES D'EXIL. 57 opinion, quand on envoyait le prince de Schwarzenberg, a la tete de trente mille hommes, se battre pour le retablisse- ment de la Pologne. A quoi n'en sont pas reduits ces mal- heureux princes a qui Ton dit sans cesse qu'il faut obeir aux circonstances ? c'est leur proposer de gouverner a tout vent. 5 Les succes de Bonaparte font envie a la plupart des gouver- nants d'Allemagne; ils se persuadent que c'est pour avoir ete trop honnetes gens qu'ils ont e'te' battus, tandis que c'est pour ne 1'avoir point ete assez. Si les Allemands avaient imite' les Espagnols, s'ils s'etaient dit : Quoi qu'il arrive, nous 10 ne supporterons pas le joug Stranger, ils seraient encore une nation, et leurs princes ne traineraient pas dans les salons, je ne dis pas de I'empereur Napole'on, mais de tous ceux sur lesquels un rayon de sa faveur est tombe. L'empereur d'Autriche et sa spirituelle compagne conservent surement 15 autant de dignite qu'ils le peuvent dans leur situation ; mais cette situation est si fausse en elle-meme, qu'on ne peut la relever. Aucune des actions du gouvernement Autrichien en faveur de la domination franchise ne saurait etre at- tribuee qu'a la peur, et cette muse nouvelle inspire de tristes 20 chants. J'essayai de reprdsenter au gouverneur de Moravie que, si 1'on me poussait ainsi avec tant de politesse vers la frontiere, je ne saurais que devenir n'ayant pas mon passe- port Russe, et que je me verrats contrainte, ne pouvant ni 25 revenir ni avancer, a passer ma vie a Brody, ville frontiere entre la Russie et 1'Autriche, oil les Juifs se sont etablis pour faire le commerce de transport d'un empire a 1'autre. "Ce que vous me dites est vrai," me repondit k gouverneur; "mais void mon ordre." Depuis quelque temps, les gouverne- 30 ments ont trouve 1'art de persuader qu'un agent civil est soumis a la meme discipline qu'un officier: la reflexion, dans ce second cas, est interdite, ou du moins elle trouve 58 DIX ANNEES D'EXIL. rarement sa place ; mais on aurait de la peine a faire com- prendre a des hommes responsables devant la loi, comme le sont tous les magistrals en Angleterre, qu'il ne leur est pas permis de juger 1'ordre qu'on leur donne. Et qu'arrive-t-il 5 de cette servile obdissance ? si elle n'avait que le chef su- preme pour objet, elle pourrait encore se concevoir dans une monarchic absolue ; mais, en 1'absence de ce chef ou de celui qui le represente, un subalterne peut abuser a son gre de ces mesures de police infernale, decouverte des gouverne- 10 ments arbitraires, et dont la vraie grandeur ne fera jamais usage. Je partis pour la Gallicie, et cette fois, je 1'avoue, j'etais completernent abattue ; le fantome de la tyrannic me pour- suivait partout; je voyais ces Allemands, que j'avais connus 15 si honnetes, deprave's par la funeste mesalliance qui semblait avoir altere le sang meme des sujets, comme celui de leur souverain. Je crus qu'il n'y avait plus d'Europe que par dela les mers ou les Pyrenees, et je de'sesperais d'atteindre un asile selon mon ame. Le spectacle de la Gallicie n'e'tait 20 pas propre a ranimer les espe'rances sur le sort de la race humaine. Les Autrichiens ne savent pas se faire aimer des, peuples Strangers qui leur sont soumis. Pendant qu'ils ont posse'de' Venise, la premiere chose qu'ils ont faite a e'te de deTendre le carnaval, qui e'tait devenu, pour ainsi dire, une 2 r institution, tant il y avait de temps qu'on parlait du carnaval de Venise. Les hommes les plus roides de la monarchic furent choisis pour gouverner cette ville joyeuse ; aussi les peuples du Midi aiment-ils presque mieux etre pillds par des Frangais que re'gente's par des Autrichiens. 30 Les Polonais aiment leur patrie comme un ami mal- heureux : la contre'e est triste et monotone, le peuple ignorant et paresseux : on y a toujours voulu la liberte, on n'a jamais su 1'y dtablir. Mais les Polonais croient devoir et pouvoir DIX ANNEES jyEXIL. 59 gouverner la Pologne, et ce sentiment est naturel. Cepen- dant 1' education du peuple y est si neglige'e, et toute espece d'industrie lui est si e'trangere, que les Juifs se sont empare's de tout le commerce, et font vendre aux paysans, pour une provision d'eau-de-vie, toute la recolte de 1'annee prochaine. 5 La distance des seigneurs aux paysans est si grande, le luxe des uns et 1'affreuse misere des autres offrent un contraste si choquant, que probablement les Autrichiens y ont apporte des lois meilleures que celles qui y existaient. Mais un peuple fier, et celui-ci resj^-dans sa detresse, ne veut pas 10 qu'on 1'humilie, meme en lui faisant du bien, et c'est a quoi les Autrichiens n'ont jamais manque. Us ont divise la Gallicie en cercles, et chacun de ces cercles est commande par un fonctionnaire Allemand ; quelquefois un homme dis- tingue se charge de cet emploi, mais le plus souvent c'est 15 une espece de brutal pris dans les rangs subalternes, et qui commande despotiquement aux plus grands seigneurs de la Pologne. La police qui, dans les temps actuels, a remplace le tribunal secret, autorise les mesures les plus oppressives. Or, qu'on se represente ce que c'est que la police, c'est-a- 20 dire ce qu'il y a de plus subtil et de plus arbitraire dans le gouvernement, confide aux mains grossieres d'un capitaine de cercle. On voit a chaque poste de la Gallicie trois espe- ces de personnes accourir autour des voitures des voyageurs, les marchands Juifs, les mendiants Polonais et les espions 25 Allemands. Le pays ne semble habite que par ces trois especes d'hommes. Les mendiants, avec leur longue barbe et leur ancien costume Sarmate, inspirent une profonde pitie ; il est bien vrai que s'ils voulaient travailler, ils ne seraient plus dans cet etat : mais on ne sait si c'est orgueil ou 30 paresse qui leur fait de'daigner le soin de la terre asservie. On rencontre sur les grands chemins des processions de femmes et d'hommes portant 1'etendard de la croix, et 60 DIX ANNIES D'EXIL. chantant des psaumes ; une profonde expression de tristesse regne sur leur visage : je les ai vus quand on leur donnait, non pas de 1'argent, mais des aliments meilleurs que ceux auxquels ils dtaient accoutumes, regarder le ciel avec etonne- 5 ment, comme s'ils ne se croyaient pas faits pour jouir de ces dons. L'usage des gens du peuple, en Pologne, est d'embrasser les genoux des seigneurs, quand ils les rencon- trent; on ne peut faire un pas dans un village sans que les femmes, les enfants, les vieillards vous saluent de cette 10 maniere. On voit au milieu de ce spectacle de misere quelques hommes vetus en mauvais fracs qui espionnaient le malheur ; car c'dtait la le seul objet qui put s'offrir a leur vue. Les capitaines de cercles refusaient des passe-port* aux seigneurs Polonais, dans la crainte qu'ils ne se vissent 15 les uns les autres, ou qu'ils n'allassent a Varsovie. Ils obligeaient ces seigneurs a comparaitre tpus les huit jours, pour constater leur presence. Les Autrichiens procla- maient ainsi de toutes les manieres qu'ils se savaient deteste's en Pologne, et ils partageaient leurs troupes en deux moitie's : so 1'une charge'e de soutenir au dehors les inte'rets de la Pologne, et 1'autre qui devait au dedans empecher les Polonais de servir cette meme cause. Je ne crois pas que jamais un pays ait dtd plus mise'rablement gouverne, du moins sous les rapports politiques, que ne 1'e'tait alors la Gallicie ; et c'est 25 apparemment pour derober ce spectacle aux regards qu'on etait si difficile pour le sejour, ou meme pour le passage des Strangers dans ce pays. Voici la maniere dont la police Autrichienne se conduisit envers moi pour hater mon voyage : il faut, dans cette route, 30 faire viser son passe-port par chaque capitaine de cercle ; et de trois postes 1'une on trouvait Tun de ces chefs-lieux de cercle. C'est dans les bureaux de la police de ces villes que Ton avail fait placarder qu'il fallait me surveiller quand DIX ANNEES &EXIL. 61 je passerais. Si ce n'e'tait pas une rare impertinence que de traiter ainsi une femme, et une femme perse'cutee pour avoir rendu justice a FAllemagne, on ne pourrait s'empecher de rire de cet exces de betise, qui fait afficher en lettres majus- cules des mesures de police dont le secret fait toute la force. 5 Cela me rappelait M, - de Sartine, qui avait propose de donner une livree aux espions. Ce n'est pas que le di- recteur de toutes ces platitudes n'ait, dit-on, une sorte d'es- prit ; mais il a tellement envie de complaire au gouverne- ment Frangais, qu'il cherche surtout a se faire honneur de ses 10 bassesses le plus ostensiblement qu'il peut. Cette surveil- lance proclamee s'executait avec autant de finesse qu'elle etait congue : un caporal ou un commis, ou tous les deux ensemble, venaient regarder rna voiture en fumant leur pipe, et quand ils en avaient fait le tour, ils s'en allaient sans 15 meme daigner me dire si elle etait en bon etat : ils auraient du moins alors servi a quelque chose. J'avangais lente- ment pour attendre le passe-port Russe, mon seul moyen de salut dans cette circonstance. Un matin je me detournai de ma route pour aller voir un chateau ruine qui appartenait 20 a la princesse marechale. Je passai, pour y arriver, par des chemins dont on n'a pas 1'idee sans avoir voyagd en Pologne. Au milieu d'une espece de de'sert que je traver- sais seule avec mon fils, un homme a cheval me salua en Frangais ; je voulus lui repondre: il etait dcja loin. Je ne 25 puis exprimer Feffet que produisit sur moi cette langue amie, dans un moment si cruel. Ah ! si les Frangais deve- naient libres, comme on les aimerait ! ils seraient les premiers eux-memes a mepriser leurs allies de ce moment-ci. Je descendis dans la cour de ce chateau tout en decombres ; 30 le concierge, sa femme et ses enfants vinrent au-devant de moi, et embrasserent mes genoux. Je leur avais fait savoir par un mauvais interprete que je connaissais la princesse 62 DIX ANNEES D'EXIL. Lubomirska ; ce nom suffit pour leur inspirer de la con- fiance : ils ne douterent point de ce que je disais, bien que je fusse arrive'e dans un tres-mauvais Equipage. Ils m'ou- vrirent une salle qui ressemblait a une prison, et, au moment 5 ou j'y entrai, 1'une des femmes vint y bruler des parfums. II n'y avait ni pain blanc ni viande, mais un vin exquis de Hongrie, et partout des debris de magnificence se trouvaient a cote de la plus grande misere. Ce contraste se retrouve souvent en Pologne ; il n'y a pas de lits dans les maisons 10 memes ou regne 1'ele'gance la plus recherchee. Tout sem- ble esquisse dans ce pays, et rien n'y est termine ; mais ce qu'on ne saurait trop louer, c'est la bonte du peuple et la ge'ne'rosite des grands : les uns et les autres sont aise'ment remues par tout ce qui est bon et beau, et les agents que 15 1'Autriche y envoie semblent des hommes de bois au milieu de cette nation mobile. Ertfin mon passe-port de Russie arriva, et j'en serai re- connaissante toute ma vie, tant il me fit plaisir. Mes amis de Vienne etaient parvenus, dans le meme moment, a 20 ecarter de moi la maligne influence de ceux qui croyaient plaire a la France en me tourmentant. Je me flattai, cette fois, d'etre tout a fait a 1'abri de nouvelles peines ; mais j'ou- bliais que la circulaire qui ordonnait a tous les capitaines de cercles de me surveiller n'etait pas encore revoque'e, et que 25 c'etait directement du ministere que je tenais la promesse de faire cesser ces ridicules tourments. Je crus pouvoir suivre mon premier projet, et m'arreter ^ Lanzut, ce chateau de la princesse Lubomirska, si fameux en Pologne, parce qu'il re\mit tout ce que le gout et la magnificence peuvent offrir 30 de plus parfait. Je me faisais un grand plaisir d'y revoir le prince Henri Lubomirski, dont la socie'te', ainsi que celle de sa charmante femme, m'avait fait passer, a Geneve, les moments les plus doux. Je me proposais d'y rester deux DIX ANNEES D'EXIL. 63 jours, et de continue! ma route bien vite, puisque de toutes parts on annongait la guerre de'claree entre la France et la Russie. Je ne vois pas trop ce qu'il y avait de redoutable pour le repos de 1'Autriche dans mon projet : c'etait une bizarre idee que de craindre mes relations avec les Polonais, 5 puisque les Polonais servaient alors Bonaparte. Sans doute, et je le repete, on ne peut les confondre avec les autres peuples tributaires de la France : il est affreux de ne pouvoir espe'rer la liberte que d'un despote, et de n'attendre 1'inde'pendance de sa propre nation que de 1'asservissement 10 du reste de 1'Europe ; mais enfin, dans cette cause Polonaise, le rainistere Autrichien etait plus suspect que moi, car il donnait ses troupes pour la soutenir, et moi je consacrais mes pauvres forces a proclamer la justice de la cause Eu- ropeenne, defendue alors par la Russie. Au reste, le minis- T 5 tere autrichien et les gouvernements allies de Bonaparte ne savent plus ce que c'est qu'une opinion, une conscience, une affection ; il ne leur reste, de 1'incon sequence de leur pro- pre conduite et de 1'art avec lequel la diplomatic de Napo- le'on les a enlaces, qu'une seule idee nette, celle de la force, 20 et ils font tout pour lui complaire. MADAME DE STAEL. EPITRE SUR NAPLES. COMPOSES EN 1805. Connais-tu cette terre oil les myrtes fleurissent, Oh les rayons des cieux tombent avec amour, Oil des sons enchanteurs dans les airs retentissent, Ou la plus douce nuit succede au plus beau jour? 5 As-tu senti, dis-moi, cette vie enivrante Que le soleil du sud inspire a tous les sens? As-tu goute jamais cette langueur touchante Que les parfums, les fleurs et les flots caressants, Les vents reveurs du soir, et les chants de 1'aurore, 10 Font e'prouver a 1'homme en ces lieux fortune's? L'amour aussi, 1'amour vient ajouter encore Ses plaisirs aux plaisirs que le ciel a donne's; Et le chagrin cruel qui consume la -vie, S'efface, comme 1'ombre, a la clarte des cieux. 15 La blessure regue est aussitot gue'rie; On peut mourir ici, mais qui vit est heureux : C'est la terre d'oubli, c'est le ciel sans nuage, Qui rend le cceur plus libre et 1'esprit plus leger. Dans ce cceur quelquefois il peut naitre un orage, 20 Mais ne redoutez point un mal si passager. Vous verrez le plaisir rentrer dans son domaine. Le ze'phyr s'est baign^ dans la vague des mers, EPITRE SUR NAPLES. 65 Les fleurs ont, en passant, embaume' son haleine; La terre a prodigue ses parfums dans les airs; La nuit meme, la nuit, de ses timides ombres Ne couvre qu'a demi les merveilles du jour; Le volcan fait encor briller ses flammes sombres. 5 A 1'homme, a cet objet de son brulant amour, La nature jamais ne cache tous ses charmes : II n'est point solitaire, il n'est point isole; Aux chagrins d'ici-bas, s'il donne quelques larmes, II regarde le ciel et se sent console. 10 Mais ce n'est point 1'ardeur des plus nobles pense'es Qui, jusque vers ce ciel, entraine ses de'sira; Ni le regret touchant des delices passees, Qui, vers ce confident, e'leve ses soupirs : C'est plutot jcjne sais quelle intime alliance 15 De 1'homme avec les cieux, et les airs &i les fleurs. Ici, les habitants revent dans 1'indolence, Et le plaisir de vivre y suffit a leurs cceurs. Les siecles et la mort, et les volcans et 1'onde, Ont devaste ces lieux qui sont encor si beaux; 20 Par la cendre et le sang cette terre est feconde, Et la rose n'y croit qu'au milieu des tombeaux. Ah ! bienheureux 1'oubli dans la contree antique Ou, par les souvenirs, naitrait tant de douleur; Ou tout fut genereux, noble, fier, heroi'que. 25 Quels he'ritiers, grand Dieu, pour le peuple vainqueur! Ne pleurent-ils jamais sur des urnes funebres? Le passe n'est-il rien pour les vieux fils du temps? Conduiront-ils toujours sur des tombes cdlebres, De leurs danseurs legers les pas insouciants? 30 Arretez ! Ciceron ici perdit la vie ; Sa tombe est au milieu de ce riant sejour: Avant que de mourir, sur la rive fleurie s- 5 66 EPITRE SUR NAPLES. II a laisse tomber quelques regards d'amour. Banni de son pays, dans cette meme enceinte, Scipion, indigne, vint souffrir et mourir : II grava sur sa tombe une immortelle plainte, 5 Qui plaide contre Rome aupres de 1'avenir. Plus loin, sont les marais et les roseaux modestes Qui purent cependant preserver Marius. Ah ! de la libertd trop mise'rables restes, Vous nous la rappelez, mais elle n'etait plus. 10 La gloire au moins, la gloire en avait 1'apparence. La liberte mourante, au regard menagant, Fit trembler quelque temps la supreme puissance, La combattit encor de son bras tout sanglant. Octave abaissant tout, assura sa victoire, 15 Ne fut grand qu'au milieu des hommes avilis : Dans la honte de Rome il crut trouver sa gloire ; _I1 commanda des vers aux flatteurs asservis. II a voulu tromper jusqu'au juge supreme, Jusqu'au temps, seul rebelle a la loi du plus fort; 20 Mais le temps a tout dit, et Virgile lui-meme Vainement 1'a choisi pour maitre de son sort. II ne fut qu'un tyran, doux par hypocrisie, Cruel par sa nature ; et d'un monstre odieux II fit don, en mourant, a la triste Italic, 25 Pour etre regrette dans des jours plus affreux. Oubliez, j'y consens, ces splendeurs meurtrieres Dont les tyrans de Rome out decore ces lieux : L'esclavage et la mort, de ces amas de pierres, Ont e'leve partout 1'edifice pompeux. 30 Mais donnez quelques pleurs a 1'lle renomme'e Qui, non loin de ces bords, apparait a mes yeux. La, partant pour la Grece, ou 1'attendait 1'arme'e, Brutus a ses amis fit ses derniers adieux. . ,' EPITRE SUR NAPLES. 67 II combattait alors pour le destin du monde, Et tous nos longs malheurs datent de ses revers. Qu'il a souffert ici ! quelle douleur profonde ! Quelle vaste piti^ I'e'mut pour 1'univers ! II croyait dans Cdsar frapper la tyrannic; Helas ! 1'infortune' n'immola qu'un ami, Criminal, mais plus grand encor que sa patrie, Despote regrette' par un peuple avili. De tous les vrais Remains, 6 le plus miserable ! Avec un coeur aimant tu passas pour cruel ; Et sublime en vertu tu fus juge coupable, Tant le succes peut tout sur le sort d'un mortel ! C'etait la meme mer, c'etait la meme flamme, Qui du haut du volcan s' elan gait dans les airs; Mais ces bords recelaient encore une grande ame, Et je la cherche en vain, ces lieux en sont deserts. Du moins restez en paix, ville voluptueuse, Ou tout peut s'oublier, meme la liberte. Allez passer vos jours dans la barque reveuse ; De la terre et du ciel contemplez la beaute'. De vos beaux Grangers cultivez la parure, Ces e'ternelles fleurs, qui de'corent 1'hiver, Semblent fixer pour vous 1'inconstante nature. Ailleurs, tout passe; ici, de son front toujours vert, Le printemps, chaque mois, vient embellir ces rives. Pour vous tout recommence, et le champetre espoir, Dont 1'orage detruit les roses fugitives, Sous un nouvel dclat revient se faire voir. Vous etes me'connu, vous, peuple de poetes; Mobile, impe'tueux, irascible, indolent; Vos pretres et vos rois vous font ce que vous etes. C'est sous ce meme ciel que vous futes si grand. Vous le seriez encor si votre destine'e 52 68 EPITRE SUR NAPLES. Soulevait tous les jougs qui sillonnent vos fronts, Si vous pouviez penser, si votre ame enchaine'e N'achetait le sommeil au prix de mille affronts. Ce sommeil est si doux, dans vos belles prairies, 5 Que moi-meme, oubliant de plus nobles de'sirs, Je savourais votre air; et de vos douces vies Le soleil et la mer m'expliquaient les plaisirs. Mais en vain ce beau ciel, cette vive nature, Ces chants delicieux ressemblaient au bonheur; 10 Toujours j'ai ressenti la cruelle blessure Du poignard que la mort a plonge' dans mon coeur. Ou fuir cette douleur? Sous ces debris antiques, D'un antique moderne on croit trouver les pas; Aussi grand qu'un Romain par ses vertus publiques, 15 Persecute' comme eux, trahi par des ingrats; Mais plus sensible qu'eux, et pleurd sur la terre, Comme un obscur ami dont les paisibles jours Aux devoirs d'un e"poux, aux tendresses d'un pere. Auraient dtd voue's dans leur tranquille cours. 20 Zdphyr que j'ai senti, caressiez-vous sa cendre? Harmonieuses voix, cantique des e'lus, Dans le sein de la tombe a-t-il pu vous entendre? - Et nos coeurs scare's se sont-ils rdpondus? Ciel parsemd de feux, aujourd'hui sa demeure, 25 I^ternite' des temps, e'temite' des mers; Ne me direz-vous pas, et devant que je meure, Si ses bras paternels me sont encore ouVerts? ANDRIEUX, FRANCOIS GUILLAUME (17591833). Celebrated especially as a lecturer on belles-lettres. His writings comprise a number of plays, the best known of which, Les Etourdis, was brought out as far back as 1788; and some delightful tales, from which the following is selected. Andrieux took a part in the politics of the day, but the noble independence of his character brought upon him the displeasure of Napoleon, and he was expelled from the Tribunate in 1802. SOCRATE ET GLAUCON. Toi qui fus autrefois le plus sage des hommes, Tu le serais encor dans le temps oh nous sommes, Bon Socrate, ou plutot tu serais parmi nous Le seul sage au milieu d'une bande de fous. Hela^ ! que dirais-tu du bon peuple de France ? 5 Que de celui d' Athene il a bien 1'inconstance ; Qu'avec fureur toujours embrassant chaque exces, L'exage'ration est le vrai mal Frangais. Mais n'allons pas du siecle entamer la satire : Elle serait trop longue, et j'aurais trop a dire; 10 Voyons comment Socrate instruisit certain fat, Qui voulait s'emparer du timon de 1'etat. Glaucon avait trente ans, bon air, belle figure; Mais parmi les presents que lui fit la nature, Elle avait oublie celui du jugement. 15 Glaucon se croyait fait pour le gouvernement. yo SO CRATE ET GLAUCON. Pour avoir eu jadis un prix de rhetorique, II s'estimait au monde un personnage unique ; Sitot qu'a la tribune il s'dtait accroche, Aucun pouvoir humain ne Ten eut detacher 5 Parler a tout propos e'tait sa maladie. Socrate Pabordant: Plus je vous etudie, Plus je vois, lui dit-il, le but oh vous visez. Votre projet est beau, s'il n'est des plus aises. Vous voulez gouverner; vous desirez qu'Athenes 10 De 1'Etat en vos mains remette un jour les renes? Je 1'avoue. Et sans doute a vos concitoyens Vous pairez cet honneur en les comblant de biens? C'est Ik tout mon desir. II est louable, et j'airne Que Ton serve a la fois sa patrie et soi-meme. 1 5 A ce plan des longtemps vous avez dft penser : Par ou done, dites-moi, comptez-vous commencer? Glaucon resta muet contre son ordinaire. II cherchait sa r king of England in 1189. P. 4, 1. 4. a mon ante. "M. de Montmorency avait la passion du perfectionnement moral et du salut eternel de ceux qu'il aimait." 1. 10. que pourrait r&Y..XK7tfl the redundant le: que pourrait tire monotone. L H. se doutant, suspecting. Seep. 5, 1. 5. 1. 19. & merucille, wonderfully well. The dictionnaire de facademie (1694) spells & merveilles. "Je lui trouve un bon medecin . . . dont il se trouvera a mc)~ueilles." (Mme de Sevigne.) P. 5, 1. 3. ni'en tenant a la lettre, trusting to the letter, m'en tenant means literally holding on, adhering. 1. 4. Auguste. Baron Auguste de Stael (1/90 1827) devoted his time to agriculture and to philanthropic works. L 9. qu'on mefaisailqi^onfaisait a moi. 1. 20. me prit l'dme=prit mon dme. The definite article is often used with the personal pronoun, instead of the possessive pronoun. 94 NOTES. 1. 26. mis au pilon, destroyed, pilon, a pestle ; verb, filer, to pound small (L. pllare}. 1. 32. ecritoire, here, a small desk. P. 6, 1. 16. que~L.. quod here, and is redundant. 1. 20. la Manche, the British Channel : manche, s. f. means literally a sleeve, which the channel resembles in shape. P. 7, 1. 17. nous n'ett sommes pas . . . rcduits, i.e. nous ne sonnnes pas encore reduits de cela, de noire position. En here has the force of the Latin hlnc. I. 24. Coppel, a village in Switzerland (Canton de Vaud). The ch&teau belonged to the Necker family. 1. 30. il ne faut -uous en prendre qifh vons-memc, you must blame yourself only. Lit. you must fasten yourself (vous prendre) on that score only upon yourself. ' P. 8, 1. n. Rene Savary, Duke de Rovigo (1774 1833), general, and minister of police under Napoleon. Has left some important mtmoires pour servir (1828, 8 vols. 8vo). "Le livre de FAllemagne, qui n'a para qu'en 1813 a Londres, etait a la veille d'etre public a Paris en 1810; 1'impression soumise Jiux censeurs imperiaux, Esmenard et autres, s'achevait, lorsqu'un. brusque revirement de police mit les feuilles au pilon, et aneantit le tout. On sait la lettre du due de Rovigo et cette honteuse histoire." (Sainte-Beuve.) 1. 13. Lorient, one of the five military sea-ports of France, in the department of Morbihan ; was built in i 709 by the French East India Company (compagnie de Portent); hence its name. la Rochelle (L. Santonum portus, Rupella}, chief place of the department of Charente-inferieure was for a long time the bulwark of Calvinism. Bordeaux (L. Burdigala), chief place of the department of Gironde; formerly capital of the Duchy of Guienne. Rochefort (L. Ritpifortiuni), a military port in the department of Charente-inferieure. Fortified by Vauban. 1.17. Le Ion mielleux; mielleux is also applied to persons : "Ma belle-mere, bonne femme, un peu mielleuse, fit semblant de vouloir me retenir a souper." (Jean Jacques Rousseau, Confessions.) 1. 30. Vincennes, the state prison at Vincennes (L. ad Vicenas), a small town, east of Paris, in the arrondissement of Sceaux ; was formerly a royal palace, and a favourite residence of the kings of France from the twelfth to the fourteenth century. NOTES. 95 P. 9, 1. 19. Fontalneblcau' 1 (L. Fans Bliandi, Bleaudi, Fans bella- queus\ is situated in the department of Seine-et-Mame. The forest and chdteau are well known. 1. 21. & plus forte raison, much more. P. 10, 1. 4. Orleans (L. Genabum, Aureliant), chief town of the de- partment of Loiret. 1. 7. Jeanne d'Arc (1409 1431). Her family name should be spelt Dare. 1. ii. que d'errer. See note to p. 6, 1. 16. 1. 1 2. qui que ce soit=persotme que ce soit. 1. 23. est heris;te, bristles; from herisson (O. F. frifon, L. ericio) a hedgehog. 1. 24. servant de prison = tenant lieu de prison. 1. 27. Dijon (L. Divio), chief place of the department of Cote d'or. Aurelian, the emperor, had built there a temple dedicated to the gods (Divis) ; hence the name. P. n, 1. 7. Auxonne, a small town in the same department. The fortified castle was built by Louis XII. 1. 9. Besan$on (L. Vesontio), chief town of the department of Doubs, forms part of France since 1674; before that time it belonged to the German empire. Was fortified by Vauban. 1. 14. Mademoiselle de Saint-Simon; her father was governor of Madrid at the time when the French took possession of that town. 1. 17. Joux (L. Jovinm, Juca), a state prison at the entrance to Switzerland, between Pontarlier and Neufchatel. Foucquet and Mira- beau were confined there. I. 20. Toussaint Louverture (1743 1803) failed in his attempt to free the island of Haiti from the rule of the French republic, and was compelled to surrender to General Leclerc. II. 24, 25. Je passai, I passed (once for all); je pensais, I was then thinking (i. e. at the time when I passed). P. 12, 1. 3. dans F Europe France, in Europe (which is now nothing but) France. The expression is rather forced, France being in appo- sition with V Europe. 1. 7. a la race kumaine enticre. At the time referred to by Madame de Stael, the war in Spain and on other parts of the Continent was raging with the utmost fury. Taking of Ciudad-Rodrigo (July to) and Almeida (August 28) Battles of Busaco and Torres- Vedras won by the English. 1 Supposed by some to be taken from foniaine belle eau. 96 NOTES. CHAPITRE II. 1. ro. le pigeon de la Fontaine. Cf. Fables, ix. 2, 'Les deux Pigeons'. "Tralnant 1'aile, et tirant le pied, Demi-morte et demi-boiteuse". P. 13, 1. 14. les Ipreuves (the proof -sheets) de man Hvre. Criticisms on Madame de StaeTs de fAllemagne will be found in all good histories of contemporary French literature. We select, as a specimen, the following passage from M. Vinet's tudes sur la litterature Fran$aise au XIX' siecle: "Cette oeuvre, oil il y avait plusdepatriotismequed'amour propre national, recut de la police de Bonaparte un caractere qu'elle ne devait pas avoir ; le pilon du general Savary la frappa, en quelque sorte, d'anachronisme ; 1'hommage aux vaincus de 1810 devint un hom- mage aux vainqueurs, et madame de Stae'l se trouva jetee, centre toutes ses habitudes, dans le parti du plus fort. Si 1'orgueil triomphant n'avait pas consenti, selon 1'expression du due de Rovigo, a chercher des modeles chez 1'etranger, 1'orgueil blesse etait moins dispose encore a demander des exemples au vainqueur. Quelque chose, neanmoins, de plus fort que 1'orgueil, la force des choses, le mouvement general de la pensee, menageait des succes certains, non seulement au livre, mais a 1'entreprise de madame de Stael. En compensation de 1'a-propos que le pilon avait efface, il y en avait un autre, et, en depit de tout, les doctrines de cet ouvrage devaient etre populaires." 1. 25. le prtfet de Geneve. The father of M. de Barante (Amabk- Guillaume-Prosper-Bruguiere, 1782 1.867), the celebrated historian. Geneva had been annexed to France in 1 798, and was the chief town of the department of Leman. P. 14, 1. i. que d'&re... see note on p. 6, 1. 16. 1. 5. tout ce qui=t 4- Mais jusqifb des employes des douanes, etc., but even custom-house officers thought that they were to preserve a diplomatic attitude towards me. douanes, customs (etym. It. doana t old form of dcgand). Footnote. Ehlar de Sabran, born in 1774; was sent to Vincennes in 1813, on account of his friendship for Madame de Stael. His mother, NOTES, 101 widow of Count de Sabran, married the Chevalier de Boufflers. See the Correspondance inedite de la comtcsse de Sabran et du chevalier dt Boufflers; Paris 1875, 8vo. P. 33, 1.9. ttnfat (L.fatuus), a conceited fellow. CHAPITRE V. 1. 26. qui out defendu Saragosse. The inhabitants of Saragossa (L. Salduba, Casarea Augusta}, commanded by Don Jose Palafox, sus- tained two sieges in 1808 and 1809 against the French. P. 34, 1. 28. a la portee du vulgaire, within reach of the common sort of people. 1. 31. le Moniteur, the official newspaper of France, was founded in 1789 by Pancoucke (1736 1798). P- 35i ! 2 3- des gouts casaniers, home tastes (L. casa). P. 36, 1. 2. bouquet a Iris, or bouquet a Chloris, "petite piece ga- lante". (Littre.) 1. 19. e'en etaitfait, see note to p. 19, 1. 5. P. 37, 1. 26. bourdonner, lit. to drone; to repeat in an undertone of voice. The subst. bourdon means a drone (insect, and organ stop). P. 38, 1. 23. Claudien. Claudius Claudianus, a Latin author of the fourth century. The fragment here quoted is taken from his poem against Rufinus. P- 39 ! 7- ( son f * ne foregoing; Marie de Bourgogne (1457 1482), only daughter of Charles the Bold, married (r477) the Archduke Maximilian, son of the emperor Frederic III. Dietrich de Berne, one of the heroes in the old mediaeval romances. P. 45, 1. 3. visiere, the visor of a helmet. Rompre en visure a quelqu'un, to come to an open quarrel with some one. "Je n'y puis plus tenir; j'enrage, et mon dessein Est de rompre en vistire a tout le genre humain." (Moliere, Le Misanthrope, i. i.) L 7. Salzbourg (L. Juvavum, Salzburgium), a town in Upper Austria. NOTES. 103 1. 18. ne sauraient t importer, cannot prevail. Comp. the English to lord it over. P. 46, 1. 8. une bonne physionomie, a kind look. 1. 12. Toute chanceuse, quite hazardous. 1. 22. Munich (L. Monachum, Monachium\ capital of Bavaria ; built (962) by Henry of Saxony on a spot belonging to the monks of Scha^flelaren ; hence its name. 1. 33. principautes ecdhiastiques. The spiritual princes of the Ger- man empire, before 1806, were the archbishop of Salzburg, and formerly the archbishop of Besan9on; the bishops of Bamberg, Wiirzburg, Worms, Eichstadt, Spiers, Strasburg, Constance, Augs- burg, Hildesheim, Paderborn, Freysingen, Passau, Ratisbon, Trent, Brixen, Basil, Miinster, Osnabriick, Liege, Chur, Fulda, Lubeck ; the abbots of Kempten, Prurn, Stablo and Corbey; the prebendaries of Bertholdsgaden and Weissenburg. P. 47, 1. 9. Pausilippe & Naples. The old road from Naples to Pozzuoli passes through a tunnel three-quarters of a mile in length, which perforates the hill in the direction of its breadth, and is called Grotta di Posilipo, and also Grotta di Pozzuoli. 1. 19. agioteur, a money-speculator; the word agio means ease, therefore it expresses the facility with which a person may, by paying a commission to a broker, obtain money on notes, bills of exchange, etc. Agioteur is always used now in an unfavourable sense. 1. 28. demonetise, made of no value. P. 48, 1. 12. Essling. The battle of Essling was fought May 24th, 1 809 ; that of Wagram on the 6th of July following. 1. 14. // en est de tn$me=il est de meme sous ce rapport. 1.32. Melk. " La belle abbaye de Molk dominait avantageusement le Danube." (Thiers.) CHAPITRE VII. P. 49, 1. 20. Wilna, a city in Russian Lithuania, formerly the capi- tal of a Palatinate. 1. 26. qudque part, somewhere, governed by dans understood. 1. 29. Dresde, capital of Saxony, and one of the finest cities in Germany. For a description of the incident here alluded to, see Thiers' Hist, du consulat et de r empire, vol. xili. T0 4 NOTES. P. 50, 1. 5. le roi de Prusse. Frederic William III. (1770 1840). On him see M. Michaud's article in the Biographic Universelle. 1.8. Metternich (Clement Wenceslaus, count, then prince, 1773 1859), "avail fini par personnifier le gouvernement Autrichien." (Cape- figue.) 1.9. Hardemberg (Charles Auguste, prince; 17501822), " servit toujours son souverain avec le meme zele, avec la meme abnegation, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune." (Michaud.) 1. 12. Compte d' ' apothicaire. "Compte sur lequel il y a beaucoup a rabattre." (Littre.) 1. 1 6. Timperatrice d'Autriche, Maria Theresa of Naples, grand- daughter of King Ferdinand IV. 1. 30. Prague, capital of Bohemia, an ancient city; has often been exposed to the calamities of war, especially at the time of the Hussite insurrection. 1.31. V etiquette. "La serie des sens est marque, tcriteau, et, par suite ordre, arrangement, d'ou ceremonial. " (Littre.) P. 5 r, 1. 1 1. au partage de la Pologne. The first partition of Poland took place in 1772; the second occurred in 1793. This was followed in 1795 by a final division of the remaining provinces among the three powers, Russia obtaining on each occasion by far the largest share. 1. 1 6. Varsovie. Warsaw, formerly the capital of Poland, still re- tains in a certain measure this position, being the residence of a viceroy who governs in the name of the emperor of Russia. 1. 32. pour se rctablir comme nation. " Depuis plus de soixante anr, la Pologne ne figure plus parmi les nations, et toutes les fois que les nations Europeennes s'agitent, la Pologne aussi se remue. Est-ce un fantome? est-ce un peuple? Je ne sais: il se peut que la Pologne soit morte, mais elle n'est pas oubliee Tout le monde s'est servi de la Pologne ; personne ne 1'a jamais servie." (Guizot, Memoires.) P. 52, 1. 7. la confederation du Rhin. On the abdication of Francis II as emperor of Germany, most of the small states which formed the Empire joined together under the protectorate of Napoleon, and assumed the title of confederation of the Rhine. 1. if. Charles, archduke of Austna (1771 1847), lost the battle of Wagram, where he was wounded. 1. 12. s'est heureusement refuse a, fortunately declined to submit to. L 14. le Prater, the fashionable walk at Vienna. NOTES. 105 P. 53, 1. 3. cabriolet (etym. cabrioler, to jump about). "A cause que ces ventures, etant legeres, sautent beaucoup." (Littre.) 1. 12. Us se sontfait. Note that_//V is in the singular because se is the dative, Us ontfait a eux-m$mes = they have made or done to them- selves. Us se sont fails would mean they have made or rendered them- selves...^^ would be equal to Us ont fait eux-memes. Etre has the same government as avoir when used instead of that verb. 1. 13. un Etat jacobin, a state governed according to the ultra-re- publican principles of the French revolutionists. The Jacobins were called thus because the place where their club met was the convent of the Jacobin friars situated in Paris, rue Saint Honore. 1. 1 6. il sujfisait du...le moindre sens commun stiffisait. 1. 23. Odessa, a town in Russia, on the Black Sea, enlarged in 1795 by the empress Catharine II., who gave to it its present name, as a memorial of the Greek colony of Odessus. 1. 29. Salonique (L. Thessia, Thessalonica), a seaport in Turkey. 1.31. Francois- Charles- Joseph, archduke of Austria (1802 1848), abandoned his rights as emperor of Austria to his eldest son, the present emperor. 1. 32. c'est ; we should use the imperfect here, and say it was. P. 54, 1. 2. quoi que are here relative and antecedent, and stand for quelle que f fit la chose. 1. 15. Presbourg (L. Posonium, Pisonium, Bredslaburgum, Istro- polis), one of the finest towns in Hungary, and capital of the king- dom till the year 1784. 1.2i. Que de ghiescombien de gfaes. CHAPITRE VIII. P- 55 ! 3- Bucharest, 'the city of enjoyment', a city in the eastern part of Wallachia, the seat of government ; its position is beautiful, but the buildings are wretched. 1. 20. mechancetes, heie, annoyances; pesantes, clumsy, stupid; sous-ordre, a subaltern, sous-ordre is very unusual in this sense. 1. 22. See p. 7, 1. 20. 1. 23. Brunn is situated in the centre of the circle of Moravia, and is the capital since 1641, when it succeeded Olmiitz in that capacity. 1. 28. le ministere, the cabinet. 1. 29. Its avish, the well informed. io6 P. 56, 1. 20. Adam Casimir Czartorinski (1734 1823). The Polish confederation destined by Napoleon to form a kind of barrier between Germany and Russia, was formed in 1812, and lasted only a very short time. P. 57 1- ! Charles Philip, prince Schwarzenberg (1771 1820); his conduct during the short time of his command under Napoleon appears to have been above all praise, and it justified the high position to which he was promoted as general of the Austrian contingent in the allied army. 1. 5. & tout vent, from whichever quarter the wind may blow. 1. 1 6. qdils le peuvent=qu'ils peuvent en conserver. P. 58, 1. 15. mesalliance, the marriage of the French emperor with the archduchess Maria Louisa. 1. 25. tant il y avait de temps, so long was it. 1. 29. rentes, governed (as a set of school-boys by a regent, or tutor). P. '59. 1. 4. font vendre aux paysans=font vendre par les paysans. 1. 10. Vest, is so. 1. ii. c'est & quoi=c*est une chose a laquelle. 1. 1 6. une esptce d'homme brutal. 1. 20. ce que c'est que la police, what the police is. P. 60, 1. n. mauvais fracs, wretched coats. Afrac (Germ./ra^) is a tail-coat buttoned on the chest. 1. 1 6. tous les huit jours, every eight days; liter, all the eight {/. e- eighth] days. 1.24 26. et c'est le passage, and it was probably from their anxiety to conceal this state of things, that the permission to reside in the country or even to journey through it was granted with such difficulty... 1. 31. de trois pastes rune, in one stage out of three. 1. 33. placarder, to post up a notice. P. 61, 1. 6. Anloine Raintond Jean Gualbert Gabriel de Sartine (1729 1801), lieutenant-general of the police under Louis XV. and Louis XVI.; then placed at the head of the French admiralty, where he succeeded to Turgot, and remained in office till 1780. 1. 7. livrte, " anciennement, vetement qu'un seigneur, un prince, un roi faisait dttivrera.\ix membres de sa famille et aux gens de sa maison". (Littre.) L 13. caporal. The etymology of this word is doubtful; Henri Estienne maintained that it should be spelt corporal, as in English, deriving it from corps (de garde). NOTES. 107 MADAME DE STAEL. Epitre stir Naples. P. 64, 1. i. Connais-tu...? Compare Mignon's song in Goethe's Wiihelm Afeister: "Kennst du das Land wo die Citronen bliihn... ?" and Lord Byron's imitation of it in The Bride of Abydos, I. i. P. 65, 1. e. Le volcan, Mount Vesuvius, encor instead of encore on account of the metre. Encore would be pronounced as three syllables in poetry. 1.23. Ah! bienheureiix roubli... Compare M. de Lamartine's ex- quisite stanza : "Colline de Bai'a, poetique sejour, Voluptueux vallon, qu'habita tour a tour Tout ce qui fut grand dans le monde, Tu ne retentis plus de gloire ni d'amour. Pas une voix qui me reponde, Que le bruit plaintif de cette onde, Ou 1'echo reveille des debris d'alentour." 1. 26. Quels heritiers, grand Dieu! ... In his Dernier chant du peleri- nage a 'Harold, M. de Lamartine having concluded a severe apostrophe to modern Italy by the following couplet : "Je vais chercher ailleurs (pardonne, ombre Romainel) Des hommes, et non pas de la poussiere humaine ", Colonel Pepe sent him a challenge and wounded him severely. 1. 31. Ciceron (B.C. 107 43), killed at Formiae (Mola di Gaeta) by order of Mark Anthony. P. 66, 1. 3. vint souffrir et mourir. Publius Cornelius Scipio ^Emi- lianus (B.C. 185 129). 1. 7. Marius (Caius) [B.C. 153 86]. Minturnce (now Trajetta) is situated on the gulf of Gaeta north-west of Naples. 1. 14. Octave. Caius Julius Caesar Octavianus Augustus (B.C. 63 A.D. 14). 1. 20. Virgile. Publius Virgilius Maro (B.C. 69 19). 1. 23. d'un monstre odieux. Tiberius Claudius Nero (B. c. 42 A.D. 37), adopted by Augustus. io8 NOTES. 1. 30. Vile renommle. Sicily. 1. 33. Brutus (Marcus Junius Brutus, B.C. 86 42). P. 67, 1. 12. Tant le sucds..., " Rien ne reussit comme le succes", says a French proverb; the English one: "nothing succeeds like success " is more pointed. 1. 17. rcstez en paix, [habitants de la~\ ville 1. 29. meconnu in the singular to agree with the collective noun peuple. P. 68, 1. 13. Z)'u antique moderne, allusion to M. Necker. ANDRIEUX. Socrate et Glaucon. P. 69. Socrate (B. C. 470 400). 1. 6. Athene, instead of Athhtes, on account of the metre. Athene* would be pronounced as a trisyllable in poetry. 1. 9. entamer, begin. 1. 13. ban air, a prepossessing appearance. P. 70, 1. r. prix de rhetorique, a prize in the class of rh/toritjue, corresponding to the Sixth form in English public schools. See on this point M. Alphonse Karr's amusing novel Port en theme. 1. 3. la tribune, the rostrum where orators speak in the French political assemblies. s 'accrocher, to cling to. 1. 1 2. patrez, contracted from paierez, on account of the metre. 1. 25. a coup sur, no doubt. 1. 29. du militaire, of military topics. 1. 30. Pericles (B. c. 494 429). P. 7 1, 1. 3. mtmoire, some memorandum, or report. 1. 9. disette, famine (etym.?). 1. 1 8. Qui veut= celui quiveut. 1.24. Xenophon (B.C. 445 355?)- 1. 25. son vengeur, allusion to Xenophon's Memorabilia, an apology of Socrates. 1. 26. tradui for traduis, on account of the rhyme ; see Le vieux ftlibataire, p. 96, 1. 371. Note, however, that tradui is really the better NOTES. 109 spelling of the two, being derived from the L. traduco. The first person singular never had a final s in Latin, consequently amo, credo, video, vtnio became respectively in old r&idn.faime,je croi, jevoi, jevien in like manner traduco formed je tradui. DELILLE. Les catacombes de Rome. P- 73 ! 5- reduit, a small nook or corner. 1. 14. erreur is here used in its original sense of wandering. P. 74, 1. 24. souris, subs. masc. (L.subridere); not to be confounded with souris, subs. fern. (L. sorex), a mouse. P. 75, 1. 26. du monde. "Jusqu'a preuve contraire, il est vraisem- blable que Delille a atteint les limites du genre descriptif. D'autres ont fait autrement, personne n'a fait aussi bien." (Geruzez.) Les soirees cFhiver. P. 76, 1. i. marteau, the knocker of the door. See Cowper's Task, The winter evening. 1.4. givre (etym.?), hoar frost. poudrt defrimas. "Onse poudrait encore a cette epoque. De la ce trait auquel Delille dut se complaire." (Merlet.) -frimas, rime (etym. O. Scand. Tirim). 1. 5. " News from all nations lumbering at his back " (Cowper). 1. 7. de cour. "De cours etrangeres, car nous etions alors en re- publique." (Merlet.) 1.8. "Births, deaths and marriages, epistles wet With tears" (Cowper). L 12. quels travers, what foibles. 1. 13. des trois pouvoirs, the king, the nobility and the tiers Itat. 1. 14. Quel peuple.... This line and the following contain an ex- cellent stroke of satire, menace d'etre libre threatened with liberty, i.e. for whom the prospect of liberty a lafrancaise was a curse, not a boon. 1. 22. Eh! mais, why! La Sambre (L. Satis), a river of France and Belgium; la Meuse (L. Mosa). In 1795 a department formed from the county of Namur and part of the Duchy of Luxemburg was annexed to France under ihe name of Snmbre-et- Meuse. no NOTES. 1. 28. son bouchon, its cork ; from boucher, to block up. bouchon means also a wisp of straw, and a branch, or bundle of green leaves hung up over the door of a public-house (etym. Germ, busch). " Font un bouchon a vin du laurier du Parnasse." (Regnier, Satires.) Hence the public-house itself. "Les rouliers s'arretent a tous les bouchons." 1. 30. On relit tout Racine, etc., a sound piece of criticism tersely expressed. P. 77, 1. 4. fassommant, the tedious (lit. the knocking down). 1. 6. en sursaut, with a start. 1. 7. on se remet, one recovers one's self. FONTANES. La Bible. P. 78, 1. 5. Semblait, enfoudroyant.... Allusion to Bossuet's His- toire des Variations, published in 1686. 1.8. Portait Jerusalem.... Allusion to Racine's tragedies Athalie (1691) and Esther (1689). 1. ii. S'ttleva quelquefois.... The imitations of the Psalms rank amongst the best works of Rousseau (Jean Baptiste, 1670 1741). FLORIAN. Fables. P. 81. the Duke de Penthih>re (Louis Marie Joseph de Bourbon, 1725 1793). The unfortunate Princess de Lamballe, murdered by the Paris sans culottes in 1792, was his daughter-in-law. Lavoisier (Antoine Laurent, 1743 1794) was sent to the guillotine because he had occupied an official position, as one of the farmers of the taxes. La jeune poule. We have selected these two fables, not only on account of their literary merit, but also for the political allusions they contain. 1. 3. cloquetant. Littre" gives neither clocheter nor cloqueter; cloque- tattt means here hobbling about. 1. 1 3. (Test la faute de mes confreres, excellent description of the French revolutionists. NOTES. in P. 82, 1. i. Gens de sac et de tees d*exU. CAMBRIDGE: PRINTED BY c. j. CLAY, M.A. AT THE UNIVERSITY PRESS. UNIVERSITY PRESS, CAMBRIDGE, January, 1876. CATALOGUE OF WORKS PUBLISHED FOR THE SYNDICS OF THE Camirtt3e Uontfon : CAMBRIDGE WAREHOUSE, 17 PATERNOSTER ROW, Jt DEIGHTON, BELL AND CO Wl* UNIVERSITY OF CAMBRIDGE LOCAL EXAMINATIONS. EXAMINATION PAPERS, for various years, with the Regulations for the Examination. Demy Octavo. is. each, or by Post is. id. (The Reflations for the Examination in 1875 are contained in the Volume for 1874 now ready.) CLASS LISTS FOR VARIOUS YEARS. 6d. each, by Post >jd. ANNUAL REPORTS OF THE SYNDICATE, With Supplementary Tables showing the success and failure of the Candidates. is. each, by Post is. id. HIGHER LOCAL EXAMINATIONS. EXAMINATION PAPERS FOR 1875, to which are added the Regulations for 1876. Demy Octavo, is. each, by Post is. id. REPORTS OF THE SYNDICATE. Demy Octavo. is., by Post is. id. CAMBRIDGE UNIVERSITY REPORTER. Published by Authority. Containing all the Official Notices of the University, Reports of Dis- cussions in the Schools, and Proceedings of the Cambridge Philosophical, Antiquarian, and Philological Societies. %d. weekly. CAMBRIDGE UNIVERSITY EXAMINATION PAPERS. These Papers are published in occasional numbers every Term, and in volumes for the Academical year. London Warehouse, 17 Paternoster Row. PUBLICATIONS OF Camfcri&ge THE PITT PRESS SERIES. ADAPTED TO THE USE OF STUDENTS PREPARING FOR THE UNIVERSITY LOCAL EXAMINATIONS. I. GREEK. The Anabasis of Xenophon, Book III. With English Notes by ALFRED PRETOR, M.A., Fellow of St Catharine's College, Cambridge ; Editor of Persius and Cicero ad Atticum Book I. with Notes, for the use of Schools. Cloth, extra fcap. 8vo. Price is. Book IV. By the same Editor. Price 2s. Euripides. Hercules Furens. With Introduction, Notes and Analysis. By J. T. HUTCHINSON, B.A., Christ's College, Cambridge, and A. GRAY, B.A., Fellow of Jesus College, Cam- bridge, Assistant Masters at Dulwich College. Cloth, extra fcap. 8vo. Price is. London Warehouse, 17 Paternoster Row. PUBLICATIONS OF PITT PRESS SERIES (continued). II. LATIN. P. Vergili Maronis Aeneidos Liber XI. Edited with Notes by A. SIDGWICK, M.A. (late Fellow of Trinity College, Cam- bridge, Assistant Master in Rugby School). Cloth, extra fcap. 8vo. Price is. bd. Book XII. By the same Editor. Price is. 6d. M. T. Ciceronis Oratio pro L. Murena, with English Intro- duction and Notes. By W. E. HEITLAND, M.A., Fellow and Classical Lecturer of St John's College, Cambridge. Small 8vo. Price 3-r. M. Annaei Lucani Pharsaliae Liber Primus, edited with English Introduction and Notes by \V. E. HEITLAND, M.A., and C. E. HASKINS, M.A., Fellows and Lecturers of St John's College, Cambridge. Cloth, extra fcap. 8vo. Price is. 6J. M. T. Ciceronis Oratio pro Tito Annio Milone, with a Translation of Asconius' Introduction, Marginal Analysis and English Notes. Edited by the Rev. JOHN SMYTH PURTON, B.D., late President and Tutor of St Catharine's College. Cloth, extra fcap. 8vo. Price is. 6d. III. FRENCH. Dix Annees d'Exil. Livre II. Chapitres 18- Par MADAME LA BARONNE DE STAEL-HOLSTEIN. With a Biographical Sketch of the Author, a Selection of Poetical Fragments by Madame de Stael's Contemporaries, and Notes Historical and Philological. By GUSTAVE MASSON, B.A. Univ. Gallic., Assistant Master and Librarian, Harrow School. Price is. Le Vieux Celibataire. A Comedy, by COLLIN D'HARLEVILLE. With a Biographical Memoir, and Grammatical, Literary and His- torical Notes. By the same Editor. Price is. London Warehouse, 1 7 Paternoster Row. THE CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS. PITT PRESS SERIES (continued}. La Metromanie, A Comedy, by Pi RON, with a Biographical Memoir, and Grammatical, Literary and Historical Notes. By the same Editor. Cloth, extra fcap. 8vo. Price is. Lascaris, ou Les Grecs du XV E Siecle, Nouvelle Historique, par A. F. VILLEMAIN, Secretaire Perpetuel de 1' Academic Fran- 5aise, with a Biographical Sketch of the Author, a Selection of Poems on Greece, and Notes Historical and Philological. By the same Editor. Cloth, extra fcap. 8vo. Price is. IV. GERMAN. cetfye's Jhta&ettjafjre. (1749 1759-) Goethe's Boyhood: being the First Three Books of his Autobiography. Arranged and Annotated by WILHELM WAGNER, Ph. D., Professor at the Johanneum, Hamburg. Price is. Goethe's Hermann and Dorothea. With an Introduction and Notes. By the same Editor. Price $s. $0$ Safjr 1813 (THE YEAR 1813), by F. KOHLRAUSCH. With English Notes by the same Editor. Cloth, extra fcap. 8ro. Price is. V. ENGLISH. The Two Noble Kinsmen, edited with Introduction and Notes by the Rev. W. W. SKEAT, M.A., formerly Fellow of Christ's College, Cambridge. Cloth, extra fcap. 8vo. Price y. 6d. London Warehouse, 17 Paternoster Row. PUBLICATIONS OF THE HOLY SCRIPTURES, &c. The Cambridge Paragraph Bible of the Authorized English Version, with the Text revised by a Collation of its Early and other Principal Editions, the Use of the Italic Type made uniform, the Marginal References remodelled, and a Critical Introduction prefixed, by the Rev. F. H. SCRIVENER, M.A., LL.D., Editor of the Greek Testament, Codex Augiensis, &c., and one of the Re- visers of the Authorized Version. Crown Quarto, cloth, gilt, 2U. THE STUDENT'S EDITION of the above, on good writing paper, with one column of print and wide margin to each page for MS. notes. This edition will be found of great use to those who are engaged in the task of Biblical criticism. Two Vols. Crown Quarto, cloth, gilt, 31*. 6d. The Lectipnary Bible, with Apocrypha, divided into Sec- tions adapted to the Calendar and Tables of Lessons of 1871. Crown Octavo, cloth, 6s. The Pointed Prayer Book, being the Book of Common Prayer with the Psalter or Psalms of David, pointed as they are to be sung or said jn Churches. Embossed cloth, Royal 24100, is. The same in square 321110, cloth, 6d. London Warehouse^ 17 Paternoster Row. THE CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS. The Gospel according to St Matthew in Anglo-Saxon and Northumbrian Versions, synoptically arranged : with Collations of the best Manuscripts. By J. M. KEMBLE, M.A. and Archdeacon HARDWICK. Demy Quarto, icxr. The Gospel according to St Mark in Anglo-Saxon and Northumbrian Versions, synoptically arranged, with Collations exhibiting all the Readings of all the MSS. Edited by the Rev. W. W. SKEAT, M.A. Assistant Tutor and late Fellow of Christ's College, and author of a Mceso-Gothic Dictionary. Demy Quarto. IOS. The Gospel according to St Luke, uniform with the pre- ceding, edited by the Rev. W. W. SKEAT. Demy Quarto. ios. The Missing Fragment of the Latin Translation of the Fourth Book of Ezra, discovered, and edited with an Introduction and Notes, and a facsimile of the MS., by ROBERT L. BENSLT, M.A., Sub-Librarian of the University Library, and Reader in Hebrew, Gonville and Caius College, Cambridge. Demy quarto. Cloth, IOJ. THEOLOGY (ANCIENT). Sancti Irensei Episcopi Lugdunensis libros quinque adversus Hasreses, versione Latina cum Codicibus Claromontano ac Arun- deliano denuo collato, prgemissa de placitis Gnosticorum pro- lusione, fragmenta necnon Grsece, Syriace, Armeniace, commen- tatione perpetua et indicibus variis edidit W. WIGAN HARVEY, S.T.B. Collegii Regalis olim Socius. i Vols. Demy Octavo. i8j. M. Minucii Felicis Octavius. The text newly revised from the original MS. with an English Commentary, Analysis, Intro- duction, and Copious Indices. Edited by H. A. HOLDEN, LL.D. Head Master of Ipswich School, late Fellow of Trinity College, Cambridge, Classical Examiner to the University of London. Crown Octavo. 7.?. 6d. Caesar Morgan's Investigation of the Trinity of Plato, and of Philo Judaeus, and of the effects which an attachment to their writings had upon the principles and reasonings of the Fathers of the Christian Church. Revised by H. A. HOLDEN, LL.D. Head Master of Ipswich School, late Fellow of Trinity College, Cambridge. Crown Octavo. 4-r. London Warehouse, 17 Paternoster Row. PUBLICATIONS OF Theophili Episcopi Antiochensis Libri Tres ad Autolycum. Edidit, Prolegomenis Versione Notulis Indicibus instruxit Gu- LiELMtrs GILSON HUMPHRY, S.T.B. Collegii Sanctiss. Trin. apud Cantabrigienses quondam Socius. Post Octavo. 5s. Theophylacti in Evangelium S. Matthsei Commentarius. Edited by W. G. HUMPHRY, B.D. Prebendary of St Paul's, late Fellow of Trinity College. Demy Octavo. 1$. 6d. Tertullianus de Corona Militis, de Spectaculis, de Idololatria, with Analysis and English Notes, by GEORGE CURREY, D.D. Preacher at the Charter House, late Fellow and Tutor of St John's College. Crown Octavo. 5-r. THEOLOGY (ENGLISH). Works of Isaac Barrow, compared with the original MSS., enlarged with Materials hitherto unpublished. A new Edition, by A. NAPIER, M.A. of Trinity College, Vicar of Holkham, Norfolk. Nine Vols. Demy Octavo. ^3. $s. Treatise of the Pope's Supremacy, and a Discourse con- cerning the Unity of the Church, by ISAAC BARROW. Demy Octavo. 7J. 6d, Pearson's Exposition of the Creed, edited by TEMPLE CHEVALLIER, B.D., Professor of Mathematics in the University of Durham, and late Fellow and Tutor of St Catharine's College, Cambridge. Second Edition. Demy Octavo, "js. 6d. An Analysis of the Exposition of the Creed, written by the Right Rev. Father in God, JOHN PEARSON, D.D., late Lord Bishop of Chester. Compiled, with some additional matter oc- casionally interspersed, for the use of the Students of Bishop's College, Calcutta, by W. H. MILL, D.D. late Principal of Bishop's College, and Vice- President of the Asiatic Society of Calcutta ; since Chaplain to the most Reverend Archbishop Howley; and Regius Professor of Hebrew in the University of Cambridge. Fourth English Edition. Demy Octavo, cloth. 5*. London Warehouse, 17 Paternoster Row. THE CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS. Wheatly on the Common Prayer, edited by G. E. CORRIE, D.D. Master of Jesus College, Examining Chaplain to the late Lord Bishop of Ely. Demy Octavo. 7^. 6d. The Homilies, with Various Readings, and the Quotations from the Fathers given at length in the Original Languages. Edited by G. E. CORRIE, D.D. Master of Jesus College. Demy Octavo. 7-r. 6d. Select Discourses, by JOHN SMITH, late Fellow of Queens' College, Cambridge. Edited by H. G. WILLIAMS, B.D. late Pro- fessor of Arabic. Royal Octavo. 71. 6d. De Obligatione Gonscientige Prselectiones decem Oxonii in Schola Theologica habitse a ROBERTO SANDERSON, SS. Theo- logise ibidem Professore Regio. With English Notes, including an abridged Translation, by W. WHEWELL, D.D. late Master of Trinity College. Demy Octavo. 7.?. 6d. Archbishop Usher's Answer to a Jesuit, with other Tracts on Popery. Edited by J. SCHOLEFIELD, M.A. late Regius Pro- fessor of Greek in the University. Demy Octavo, fs. 6J. Wilson's Illustration of the Method of explaining the New Testament, by the early opinions of Jews and Christians concern- ing Christ. Edited by T. TURTON, D.D. late Lord Bishop of Ely. Demy Octavo. j. Lectures on Divinity delivered in the University of Cam- bridge. By JOHN HEY, D.D. Third Edition, by T. TURTON, D.D. late Lord Bishop of Ely. 2 vols. Demy Octavo. 15*. London Warehouse, 17 Paternoster Row. io PUBLICATIONS OF GREEK AND LATIN CLASSICS, &c. Select Private Orations of Demosthenes with Introductions and English Notes, by F. A. PALEY, M.A., Editor of Aeschylus, etc. and J. E. SANDYS, M.A., Fellow and Tutor of St John's College, Cambridge. PART I. containing Contra Phormionem, Lacritum, Pantaenetum, Boeotum de Nomine, Boeotum de Dote, Dionysodorum. Crown Octavo, cloth. 6s. PART II. containing Pro Phormione, Contra Stephanum I. II. ; Nicostratum, Cononem, Calliclem. Crown Octavo, cloth. "js. (>d, M. T. Ciceronis Oratio pro L. Murena, with English Intro- duction and Notes. By W. E. HEITLAND, M.A., Fellow and Classical Lecturer of St John's College, Cambridge. Crown Octavo, y. 6d. M. T. Ciceronis de Offieiis Libri Tres (Nav Edition, much enlarged and improved], with Marginal Analysis, an English Com- mentary, and copious Indices, by H. A. HOLDEN, LL.D., Head Master of Ipswich School, late Fellow of Trinity College, Cam- bridge, Classical Examiner to the University of London. Crown Octavo, 7-r. 6d. Plato's Phsedo, literally translated, by the late E. M. COPE, Fellow of Trinity College, Cambridge. Demy Octavo. 5.?. Aristotle. The Rhetoric. With a Commentary by the late E. M. COPE, Fellow of Trinity College, Cambridge, revised and edited for the Syndics of the University Press by J. E. SANDYS, M. A., Fellow and Tutor of St John's College, Cambridge. [In the Press. SANSKRIT. Nalopakhyanam, or, The Tale of Nala ; containing the San- skrit Text in Roman Characters, followed by a Vocabulary in which each word is placed under its root, with references to de- rived words in Cognate Languages, and a sketch of Sanskrit Grammar. By the Rev. THOMAS JARRETT, M.A., Trinity College, Regius Professor of Hebrew, late Professor of Arabic, and formerly Fellow of St Catharine's College, Cambridge. Demy Octavo, joj. London Warehouse, 17 Pater nosier Row. THE CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS. 11 MATHEMATICS, PHYSICAL SCIENCE, &c. A Treatise on Natural Philosophy. Volume I. By Sir W. THOMSON, LL.D., D.C.L., F.R.S., Professor of Natural Philo- sophy in the University of Glasgow, and P. G. TAIT, M.A., Pro- fessor of Natural Philosophy in the University of Edinburgh ; formerly Fellows of St Peter's College, Cambridge. New Edition in the Press. Elements of Natural Philosophy. .By Professors Sir W. THOMSON and P. G. TAIT. Part I. 8vo. cloth, 9J-. An Elementary Treatise on Quaternions. By P. G. TAIT, M.A., Professor of Natural Philosophy in the University of Edin- burgh ; formerly Fellow of St Peter's College, Cambridge. Second Edition. Demy 8vo. 14^. The Mathematical Works of Isaac Barrow, D.D. Edited by W. WHEWELL, D.D. Demy Octavo. ?s. 6d. Illustrations of Comparative Anatomy, Vertebrate and In- vertebrate, for the Use of Students in the Museum of Zoology and Comparative Anatomy. Second Edition. Demy Octavo, cloth, is. bd. A Synopsis of the Classification of the British Palaeozoic Rocks, by the Rev. ADAM SEDGWICK, M.A., F.R.S., Wood- wardian Professor, and Fellow of Trinity College, Cambridge ; with a systematic description of the British Palaeozoic Fossils in the Geological Museum of the University of Cambridge, by FREDERICK M Edition, revised and enlarged.) Translated and Annotated, by J. T. ABDY, LL.D., Judge of County Courts, late Regius Pro- fessor of Laws in the University of Cambridge, and BRYAN WALKER, M.A., LL.D., Law Lecturer of St John's College, Cambridge, formerly Law Student of Trinity Hall and Chancellor's Medallist for Legal Studies. Crown Octavo, i6j. London Warehouse, 17 Paternoster Row. THE CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS. 13 The Institutes of Justinian, by the same Editors. [Nearly ready. Grotius de Jure Belli et Pacis, with the Notes of Barbeyrac and others; accompanied by an abridged Translation of the Text, by W. WHEWELL, D.D. late Master of Trinity College. 3 Vols. Demy Octavo, 30.?. The translation separate, los. CATALOGUES. A Catalogue of the Manuscripts preserved in the Library of the University of Cambridge. Demy Octavo. 5 Vols. IQS. each. Index to the Catalogue, Demy Octavo. ios. A Catalogue of Adversaria and printed books containing MS. notes, preserved in the Library of the University of Cam- bridge. 3^. 6d. A Chronological List of the Graces, Documents, and other Papers in the University Registry which concern the University Library. Demy Octavo, is. 6d. Catalogus Bibliothecae Burckhardtianae. Demy Quarto. $s. MISCELLANEOUS. Statuta Academiae Cantabrigiensis. Demy Octavo. 2,5-. sewed. Ordinationes Academiae Cantabrigiensis. Demy Octavo. is. 6d. sewed. A Compendium of University Regulations, for the use of persons in Statu Pupillari. Demy Octavo. 6d. London Warehouse, 17 Paternoster Row. i 4 PUBLICATIONS OF CAMBRIDGE UNIVERSITY EXAMINATION PAPERS. VOL. III. Parts 19 to 29. PAPERS for the Year 1873 4, ics. 6d. cloth. VOL. IV. 30 to 40. PAPERS for the Year 1874 5, IGJ. dd. cloth. The following Parts may be had separately: XIX. Theological Examination, Cams Greek Testament Prizes (Un- dergraduates) and Crosse Scholarship. Price is. XXI. Moral Sciences, Natural Sciences, and Law and History Triposes. Price is. 6d. XXII. Special Examinations for the Ordinary B.A. Degree, M.B. Examinations, LL.M. Examination, and Jeremie Prizes. Price XXIII. The Theological Tripos. 1874. Price is. 6d. XXIV. Mathematical Tripos and Smith's Prizes, 1874. Price is. 6d. XXV. University Scholarships. Chancellor's Medal for Legal Studies. The Classical Tripos. The Bell and Abbott Scholar- ships. The Chancellor's Classical Medals. Price is. 6d, London Warehouse, 17 Paternoster Row. THE CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS. 15 EXAMINATION PAPERS (continued}. XXVI. Second Previous Examination. (With Answers to the Arith- metic and Algebra Papers.) Price is. 6d. XXVII. Examination for LL.M. Degree, Dr Lightfoot's Scholar- ships, and Tyrwhitt's Hebrew Scholarships. Price is. 6d. XXIX. The Special Examinations for the Ordinary B.A. Degree, M.B. Examinations, and Whewell's International Law Scholar- ships. Price is. XXX. Cams Greek Testament Prizes (Bachelors and Undergra- duates). Crosse Scholarship and Jeremie Prizes, and Examina- tion for Degree of Bachelor of Music. Price is. 6d. XXXII. Moral Sciences, Natural Sciences, and Law and History Triposes, and LL.M. Examination. Price is. dd. XXXIII. Special Examination for the Ordinary B.A. Degree, and M.B. Examinations. Price ~is. XXXIV. The Theological Tripos, 1875. Price is. 6d. XXXV. Mathematical Tripos and Smith's Prizes, 1875. Price is. 6d. XXXVI. University Scholarships and Chancellor's Medal for Legal Studies. Price is. XXXVII. The Classical Tripos. Bell, Abbott and Barnes Scholar- ships, The Chancellor's Classical Medals. Price vs. London Warehouse, 17 Paternoster Row. 1 6 CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS BOOKS. XXXVIII. Dr Lightfoot's Scholarships and Tyrwhitt's Hebrew Scholarships. Price is. 6d. XL. The Special Examinations for the Ordinary B.A. Degree, M.B. Examinations, and Whewell's International Law Scholarships. Price vs. XLI. The Examination in State Medicine, and Regulations for the Examination in June 1876. Price is. XLII. Cams Greek Testament Prizes (Bachelors and Undergraduates). Crosse Scholarship and Jeremie Prizes, and Examination for Degree of Bachelor of Music. Price is. 6ci. XLIII. The Second General Examination for the Ordinary B.A. Degree and Previous Examination. (With Answers to Arith- metic and Algebra Papers.) Price is. CAMBRIDGE WAREHOUSE, 17 PATERNOSTER ROW e: DEIGHTON, BELL AND CO. CAMBRIDGE ; MINTED BY C. J. CLAY, M.A. AT THE UNIVERSITY I'RBSS. A' THE LIBRARY UNIVERSITY OF CALIFORNIA Santa Barbara THIS BOOK IS DUE ON THE LAST DATE STAMPED BELOW. UC SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY A 000 796 309 3