p*w I ; I ms DUUK IS ui->n uii 111c laai ujh MLiuipiu uciuw '•Vv^>'ji**Jtty y ^^f^g ' €11 Southern Branch of the University of California Los Angeles Form L ' ^ »• \T5a «\< MOINES ET SI BY LIES D A XS T/ANTIQl'lTE JUDEO-GRECQUE A LA MEME LiBRAlRIE phiLon D'alexandrie. Ecrits hisloriques (Inlhience, luttes et perse- cutions ties Juifa dans lo monde roraain), par M. Fehdijiaxu DelaukaV. 2" edit., 1 vol. in-12 3 fr. BO I'Anis. —imp. simos mcoN et comi-., hue u'eufuhtii, 1. MOINES ET SIBYLLES D .V N S L'ANTJQUITE JUDEO- GRECQUE 1' A It FERDINAND DELAUNAY ( D E FO.NTESAY) DEUXIEME EDITION > > > 5J » O o - »Oft * » J » «-_»,•»%* , t * t PARIS 1. 1 It It A I n IE AC A i > i >i DIIMKR KT C'«, UBRA.IRES-13DITEURS 5S, Q U 1 I DBS AUGUST] KS 187 i Tous droits reserves O r. \ «) n I 7 X31 INTRODUCTION Le nom du philosophe juif alexandrin, Philon, est aujourd'hui presque inconnu en France. Co sont pourtant nos erudits de la Renaissance, Bu- dee, Morel, Turnebe, Pierre Bellier, qui l'ont mis au jour et ont revele au monde savant 1'impor- tance de ses ccrits. « La direction prise par les eludes francaises depuis le siecle de Louis Xl\ jusqu'a ces dcrniers temps, dit un critique an- glais *, semble indiquer que nos voisins en sont 1 Saturday Review, du 50 novembre 1867, dans un article in- titule: Delaunaij's Philo, et provoque par la publication de noire volume relatif aux Bcriti historiques de Pinion d'Alexandrie. Le critique anglais ajoule : « Quelle qu'en suit d'ailleurs la raison, les litteralures grecquc a vi INTRODUCTION. venus a penser que les litteraturcs grecque et biblique sont trop abstraites ou trop ardues pour d'autres que des pedants de profession; or il n'y a pas de Francais qui n'aspire a etre quelque chose de mieux qu'un pedant. » Derriere la personnalite de Philon, obscurcie chez nous par l'eloignement, par le caractere mystique et theologique de ses soixante traites, enfin par la decadence et l'abandon des hautes questions d'erudition, derriere cette personna- che un groupe d'ecrivains qui ont fonde jande ecole philosophique. Cette ecole, a «i rticipe a un mouvement dont les et biblique ont ete notablement negligees en France, excepte par Pillustre et savante Congregation de Saint-Maur. Cette negligence est d'autant plus frappante qu'elle constitue une deviation sensible du cours que semblait annoncer l'aurore de la renaissance litle- raire dans ce pays. En eff'et, au seizieine siecle, c'est en France que nous trouvons la plus solide et la plus profonde erudition grecque du temps ; c'est la que le mouvement qui entraine les esprits vers la lillerature de la Grece est le plus ardent. Au com- mencement, c'est Budee; a la fin, c'est Lambinus, Turnebe, Ca- saubon, Henri Eslienne, tous bommes dignes d'etre places a la tete d'une serie de savants aussi illustres que ceux qui, dans les siedes suivants, se transmirent sans inlerruplion le flambeau de la science en Allemagne et en Angleterre. « Les ecrivains de talent, les esprits eminents, qui ont incon- testablement cree cette brillante litterature moderne, se jele- INTRODUCTION. mi tendances, la puissance, l'eclat off rent au pen- seur et a l'historien le sujet des plus graves meditations, en leur decouvrant la raison se- crete des plus grands evenements qui aient agite l'humanite. Bien qu'elle soit incomplete, bien qu'elle ait seule echappe au naufrage qui a englouti les travaux de l'ecole juive d'Alexandrie,roeiivre de Philon suffit pourtant a nous renseigner sur l'ensemble des doctrines de cette ecole, a nous faire pressentir son influence, a nous reveler les efforts perseverants d'une serie de precur- seurs inconnus du christianisme. renl meme avec exces dans le grec et dans l'hebreu a Paris. Celte race de veritables erudits, qui commence sous Francois I" et tra- verse, en les bravant, les troubles et les jours sanglants de la Ligue, n'a pas eu d'heritiers. Et maintenant, lorsque les Fran- cois voient les etudes inaugurees par ces bommes briller d'un bien autre eclat que sous le Grand Hoi ou du temps de M. de Vol- taire, ils comprennent combien une tradition litteraire nationale est puissante pour faire que les ecrivains se sentent en quelque sorle cbez eux quand ils abordent un sujet. A part quelques hommes distingues, qui font exception, les Francais, quand ils s'altaquent aux Grecs, ne le font pas avec cette confiance, avec cette familiarite des savants allemandsou anglais. » Et plus loin : « II es>t a desirer qu'en France on releve la haute litterature et qu'on propagc la connaissance d'un important tcrivain. » viii INTRODUCTION. Alexandrie fut, en effet, la reine des colonies Israelites qui, depuis le troisieme siecle avant notre ere, se repandirent dans toutes les pro- vinces du littoral mediterranean. Sous le prin- cipat d'Auguste, il n'y avait pas de grande ville de laGrece, des iles, de l'ltalie, de l'Afrique ou de l'Asie Mineure qui ne possedat son quartier juif avec sa synagogue et son sanhedrin. Comme tous les peuples appeles a de hautes destinees, les Juil's etaient doues d'une grande force d'ex- pansion. Les Grecs avaient couvert d'innombra- bles cites les rivages de l'Asie, de la Sicile et de l'ltalie; les Latins avaient porte partout leurs lois et leur administration ; les Juifs furent les educateurs religieux du genre humain. Leur ci- vilisation coloniale se resume en deux caracteres opposes, le trafic et le proselytisme. C'est une chose etrange et curieuse a etudier que ces deux tendances si disparates, qui, sanssedetruire, se disputent les energies de la nation dispersee. Tandis que l'Hellene, sans rien demanderaux barbares qu'il visite, repand sur eux les lu- mieres de son genie, les enchantements de sa litterature et de ses arts ; tandis que le Itomain, INTRODUCTION. ix ne pour l'empire, en retour de l'obeissance qu'il exige et de la conquete qu'il opere, commu- nique aux nations vaincues les bienfaits de ses admirables institutions, l'Hebreu, avec les allu- res du parasite, vient s'asscoir au banquet dela civilisation et s'introduit, sans etre remarque, dans la salle du festin. La captivite, la persecu- tion, l'exil Font plie, mais n'ont pu le briser ; a force de souplesse, il est devenu puissant; sous son humilite couve l'orgueil d'une race gardant j usque dans la servitude la conscience de sa va- leur et le sentiment de sa force. Ce parasite sera demain ramphitryon; cet usurier va dispenser a tous les tresors inconnus dont le depot lui fut confie ; les vaisseaux de ce trafiquant seront les vehicules de la pcnsee destinee a regenerer le monde. Cette vulgarite d'occupations, cette mo- destie d'aspect, cette attitude huiniliee,tous ces obstacles apparents au role eminent que la Pro- vidence reserve aux fils d' Abraham, seront changes en moyens d'action et en instruments de triomphe, comme si Dieu voulait manifes- ter de la sorte avec plus d'eclat sou interven- tion et ses desseins. x INTRODUCTION. Ainsi, trois peuples se partagent la scene du monde durant la periode qui marque ce que nous appellerons l'incubation de la civilisation occidentale, par allusion a cette serie lointaine de grands empires asiatiques, perdus dans la nuit des temps ou ensevelis dans le mystere de leurs annalcs. Ces trois peuples concourent, chacun par ses energies naturelles, a l'oeuvre commune, qui se resout dans l'organisation chrelienne, laquelle embrasse et satisfait toutes les aspirations, tous les besoins de 1 'intelligence et de l'activite humaine. Par leurs fonctions, ces peuples symbolisent les phases successives du developpement qui nous occupe. Le Grec parait d'abord : il fait couler dans une masse inerte un sang genereux, et la change en un corps qui respire et palpite; il remplit le monde de ses chants, l'anime de sa gaiete, le pare de sa grace et de son sourire. Puis, vient le Romain, qui discipline la fougue de cetle jeunesse, con- tient, dirige, ramasse et utilise toutes ces for- ces, coordonne et harmonise les elements con- traires, supprime les luttes et pacifie la terre apres l'avoir conquise. Le Juif enfin s'empare INTRODUCTION. i\ do l'hegemonic : a ce vaste ensemble, sans autre lien que la domination caduque de Rome, il donne, par le christianisme, l'unite intellec- tuelle et morale, en revelant le vrai Dieu, en elevant les cceurs, en epurant les moeurs, en creant entre les hommes un sentiment nouveau, immense, veritable ciment des societes, source de toutc joie et de toute consolation terrestre, la charite. L'amour est le dernier mot de la morale evangelique. Les caracteres qui signalent la force d'expan- sion de cbaque people sont tres-importants a determiner, parce qu'ils nous font penetrer ses tendances les plus prolbndes, l'essence de son genie et le secret de ses destinees. C'est a Milet, a Syracuse, a Gumes, que nous saisissons le mieux les divers aspects du genie grec; c'est en Gaule, c'est en Asie, c'est en Egypte que nous apprenons surtout a admirer les politiqucs, les legislateurs et les guerriers de Rome; c'est dans l'histoire de la civilisation coloniale des Israe- lites que nous trOuvcrons les traits du Judaism e les plus propres a nous fa ire apprecier sa puis- sance et son role. Et comme Alexandrie fut la x„ INTRODUCTION. tetc do cette civilisation, c'est l'etude du niou- vement judeo-alexandrin qui nous conduira a ce results t. Ce mouvement a des aspects divers : il est a la ibis philosophique, iitteraire et religieux. Par la philosophic, il touche a la metaphysique, a la science, a la politique, a la morale ; par la litterature, il touche a la poesie, a l'art, a l'his- toire, a la philologie; par la religion, il inte- resse l'organisation sociale tout entiere. Pliilon est le dernier, le plus illustre membre de l'ecole philosophique des juifs alexandrins. Cette ecole dura trois siecles environ ; elle donna au commentaire des Livres Saints une forme plus rationnelle et plus ample que celle des ecoles rabbiniques de la Palestine. Mais les speculations philosophiques expriment seulement les doctri- nes de l'element superieur du groupe judeo- alexandrin ; elles laissent dans l'oinbre certains cotes importants des institutions religieuses et de la vie pratique, tels que le monachisme et le prophetisme. Le monachisme alexandrin developpe, en les exagerant, les germes d'ascetisme et de mysti- INTRODUCTION. sin cisme apportes de Judee et venus peut-etre de l'Orient. Par ses rites et par ses traditions, il rea- git sur le culte et les croyances religieuses ; par ses travaux, il reagit sur la philosophie, specia- lement sur l'exegese biblique. II participe du temple et de l'ecole. II represente des ten- dances extremes que le temple et l'ecole encouragent ou repoussent suivant les cir- constances. Le prophetisme est l'instrument de propa- gande par excellence. Son but est de manifester le vrai Dieu, de convertir les. idolatres par la menace des chatiments celestes. L'exaltation de sa foi rapproche le prophete du moine ; on est meme porte a croire qu'il va chercher l'inspira- tion dans la solitude et les austerites du cloitre. Par l'habilete litteraire qu'il deploie, le sibyl- liste se rattache a l'ecole : il doit etre a la fois poete, historien, philosophe. Le monachisme et le prophetisme, dans l'en- scmble du mouvement jiideo-alexandrin, sont com me les annexes de l'-ecole philosopliique. Le premier est un organe d'action intt'rieurc, le second un organe d'action ext^rieure. Vvec l'mi xiv INTRODUCTION. le judaisme colonial reagit sur lui-meme, avec 1 -autre il reagit sur les milieux environnants. Les deux organes se lient etroitement en tie eux et sont combines, pour l'effet general, avec toutes les energies existant au sein du groupe. Avant de penetrer au cceur meme du mou- vement et d'en rechercher la plus haute ex- pression dans l'ceuvre imposante de Philon, il nous a paru bon de degager l'edifice prin- cipal de ses annexes. La perspective y gagnera; les annexes seront mieux connues; elles me- ritaient d'ailleurs un examen a part. Telle est la raison de ce volume. II rapproche et com- plete des etudes publiees par une Revue l , liberalement ouverte a ceux qui luttent pour conserver a la France le sceptre de la littera- ture savante, et qui estiment, a l'egal d'une vic- toire, un avantage remporte et maintenu dans le domaine de la pensee. Ge volume a deux parties. La premiere, consacree a etudier l'origine, 1 Le Correspond ant. Voyezles n 05 du 25 mai 1875, du 10 fevrier et du 10 mars 1874. INTRODUCTION. xv les doctrines et les rites du monachisme juif, se termine par la traduction du livre etonnant dans lequel Philon presente le tableau de la vie contemplative des moines judeo-alexandrins, les Therapeutes. Ce livre, dont certains Allemands ont voulu a tort nier l'authenticite, a ete traduit deux fois deja, au seizieme siecle par Pierre Bellier, autcur aujourd'hui pen lisible, au dix- huitieme siecle par leP. Bernard de Montfaucon, qui a souvent altere la pensee de Philon a cause de quelques partis pris d'opinion. Pour nous, nous avons cherche a rendre le texte d'une ma- nure claire et exacte ; afin de donner au texte toute la certitude desirable, nous l'avons colla- tionne a nouveau sur lesmanuscrits de Florence et de Paris. La seconde partie contient une histoire des oracles sibyllins, non-seulcment de ceux qui sont de provenance alexandrine, mais de ceux qui ont constitue la plus ancienne forme de la poesie grecque. On y a joint la traduction, faite pour la premiere Ibis, des buit cents vers en- viron, noyes jusqu'ici dans la collection des oracles d'originc juive ou chrctienne, et qu'im xvi INTRODUCTION. examen attentif nous a conduit a isoler et a revendiquer pour le cycle judeo-alexandrin. Dans l'etude du monachisme, comme dans celle du prophetisme, nous avons eu soin de suivre parallelement le mouvement palestinien et le mouvement alexandrin contemporains, afin de nous rendre un compte plus precis et plus approfondi des caracteres du juda'isme colonial ou hellenise. Le principal resultat de ces recherches est de montrer que le christianisme a ete precede par une elaboration lente d'idees, de doctrines et d'institutions; qu'il a ete prepare immcdiate- ment par le proselytisme habile et perseverant des colonies juives au sein du monde greco-ro- main ; que ce qui a fait la puissance du groupe alexandrin, le premier en date et en influence dans le juda'isme colonial, c'est l'attente du Messie, la foi dans les pro messes divines, annon- cant au peuple saint que de lui sortirait le libe- rateur, le juge et le roi de l'humanite. Le chris- tianisme apparait des lors au philosophe comme une renovation d'une portee immense, qui a droit aux respects et a la reconnaissance de INTRO DICTION. xvn tons, qui a mis en oeuvre, pour s'accornplir, les nobles efforts d'une serie de grands esprits et le travail seculaire des peuples et des genera- tions. Qu'est-ce a dire, et faut-il en conclure que le christianisme est issu d'un concours necessaire des homines et des choses, des idees et des faits, danslequel le miraele, e'est-a-dire 1'intervention divine, n'a rien a voir? Pour peu qu'on y reflechisse, on s'apercevra au contraire ? que, meme dans le cote purement humain, le seul qui nous occupe, le miracle eclate de toutes parts. Le monotheisme d'lsracl au milieu des nations congeneres polvtheistes, sa faiblesse numerique, sa dispersion, son im- patience du joug qu'il portc et son penchant na- turel a l'idolatrie', son appetit du lucre, l'in- domptable espoir qu'il conserve au milieu des desastres les plus inoui's, tout tempi gne que ce peuple obeit a une volonte supcrieure qui le guide et le maitrise; tout atteste que le cours des evenements va au grr d'une sagessequi (l( ; - joue nos calculs et nos jtrcvisions; tout de- couvre la realisation d'un plan auquel peuples xvni INTRODUCTION. et individus pretent, a leur insu, le concours des forces qu'ils possedent. Restant sur le terrain de la philosophie et res- treignant nos recherches aux faits qui consti- tuent en quelque sorte la collaboration de l'hu- manite dans l'ceuvre divine du christianisme, nous n'avons point a affirmer la realite de l'in- tervention directe de Dieu dans cette oeuvre. C'est done an point de vue philosophique que nous nous plagons pour dire : Aveugles et in- grats sont ceux qui osent exclure Dieu de l'his- toire. II y a dans l'histoire deux acteurs, Dieu et l'Homme. L'Homme ne peut rien sans Dieu ; Dieu ne fait rien sans l'Homme. On ne rapetisse pas Dieu, en constatant que les etoiles, au lieu d'etre les clous bri Hants d'un vaste pavilion dresse sur nos tetes, sont des mondes jetes par la main du Tout-Puissant dans des espaces sans bornes. De meme, quand les origines mieux connues d'un grand evenement nous revelent tout a coup les innombrables moyens mis en ceuvre pour le preparer et l'accomplir, on n'a- moindrit point la part de Dieu en decouvrant ■INTRODUCTION. mx les secrets ressorts qu'il a mis en mouveinent dans l'Homme, pour la realisation de ses des- seins. Au contraire, a mesure que les perspec- tives de l'histoire s'etendent, il semble que nous nous sentions plus pres de Dieu, parce que nous acquerons la conscience chaque jour plus nette de sa sublime Providence. Paris, 51 Mai 1874. PIIEMIEHE PAllTIE PREMIERE SECTION LE MONACHISME JUIF CIIAPITRE PREMIER LES ESSENIENS ET LES THERAPEUTES Sur la rouic de Gaza a Jerusalem, a une journee de la ville sainte, le voyageur traverse un lieu venere, L'ancienne Carialharba ou Hebron, que les Arabes 1 BiiiLiociuniiE : Le Livre de Philon, de la Vic contemplative, par le P. Bernard de Monlfaucon. In-12. Paris, 1709.— Memorie dell'Acea- demia di Torino, t. Ill, 1841. — Tome XVIII, 2" partie des Mc moires de V Academic des inscriptions cl belles-lettres. — Chrestomalhia Philoniana, de Dahl. 2 vol. Hall, 1800 — Dissertatio de Philonis philosophia et schola Judatorum Alexandrinorum, de Denziger. — Animadversiones historical et philosophico-criticas ad Philonis Lega- tionem, par Gottleber. Misniae, 1 7 7 r> . — Qucestiones Philonece, par (Irossmann. In- '» •. Leipzig, 1829. —Qucestiones Philonece. Deingenio moribusque Judeeorum per Ptolemceorum scecula, par Sheffler. Mar- bourg, 1829. — Philon et la TMologU alexandrine, par Gfro&rer. '2 vol. in-S". Stuttgard, 1831. — Uistoire de la philosophic, par Hit- ter. — Exposition historique de I'ecole religieuse des Juifs alexan- drins, par Daehne. 'J vol. in-8°. Hall, 1834. — Voyage en Syrie et autour de la mer Morte. par F. do Saulcy. — La Science des rrli- 1 2 LE MONACHISME JDIl' 1 . nomment El-Khalil 1 . La tradition y place les tombeaux d' Abraham, d'Isaac et de Jacob. (Test la que Dieu parla a Abraham sous les grands chenes de la vallee de Mambre ; c'est la que David fut sacre roi et sejourna sept ans, apres la defaite de Saiil sur le Gelboe. Acet endroit on atteint les plus hauls sommets des mon- tagnes de Judee. La vue s'etend d'un cole vers la mer Morle, de l'autre vers la Mediterranee. A l'orient, une region rocailleuse, pleine d'apres solitudes; a l'occident, de riantes vallees ct des plaines ferliles, qui descendent par gradins jusqu'aux plages medi- terraneennes. II y a deux mille ans, un siecle et demi avant la naissance de Jesus-Christ, une colonie, ayant des mceurs, des idees,une organisation singulieres,etait etablie aux environs de la vieille cite des patriarches -. gions, par M. Emile Burnouf. 1 vol. in-8°. Paris, 1874. — Histoire des Israelites, par M. Graetz. — Histoire du p'euple d'lsracl, par H. Herzfeld. Cassel, 1803. — Tome XXVII des Seances et Travaux de V Academic des sciences morales et'politiques. — De la Divinite du christianisme, par M. Ch. Lenormant. 1 vol. in-8°. Paris, 1869. 1 Kirijath-Arbah signifie la villc des quatre; le mot couples est sous-entendu. l.a tradition ajoute, en effet, aux tombeaux des trois patriarches ensevelis a Hebron avec leurs epouses, le tombeau d'A- dam et d'Eve. El-lihalil signilie rami; il designe Abraham, l'ami de Dieu. 2 M. F. de Saulcy [Voyage en Syrie el ant our de la mer Morle, t. I cr , p. 140 et suiv.) croit avoir relrouve a Mar-Saba, a plus de vingt Uilonii ti'i > au nprd-est d'flebron, sur les bords du torrent de Ced'ron, les vestiges d'un etablissement essenien, consistant en grottes nom- breuses taillees dans le roc, qui rappellent les excavations funeraires utilisees en Egypte par les anachoretes de la Theba'ide, heritiers des moines juifs alexandi'ins. Pline [Hist, not.-, ch. v, 1. XVII) dit que les lilsseniens habitent a l'occident de la mer Jlorte, niais assez loin du rivage, ce qui convient bien a la situation de Mar-Saba. L'auteur latin ajoute qu'ils sont au nord dEngaddi, ce qui permel dc les rapprocher de la ^ ilie patriarcale. et d'obeir ainsi a l'indication de LE M0NACIHSME JlilF. 3 Tous scs membres etaient lils d'Israel-; cependant leurs traditions ct leurs rites semblaieiil porter la marque d'une origine ou d'une influence etrangere. lis s'appelaient Esseniens. Leur anliquite n'est pas douteuse, bien que leurs commencements se tlero- benl aux regards de l'histoire. Leur 110111 ' lui-meme est reste une enigme. Leurs croyancespresentent un amalgamc surprenant, qui evoque tour a tour dans l'esprit le souvenir du bouddhisme, du mosai'sme et dc i'liellenisme. Phenomene etrange quand on songe a quel degre 1'Israelite portait l'horreur de la superstition des gentils, avec quelle energie la Pales- tine defendit sa Ibi nationale contrc l'invasion du pantheon greco-romain, quels soins jaloux, depuis la pcrte de son autonomie politique, elle mit a pie- server sa religion, son temple et son culte du contact iiupur de L'etranger. A la surface, la doctrine esseniennc peul paraitre undeveloppement nalurel de la legislation du Sinai; en y regardant de pros, on voit qu'elle s'en ecarte en des points cssentiels. Elle admet sur la vie future, surla nature des ames, sur l'eternite des peines les donnees communes aux sages de l'lnde et de laGrecc Josephe, qui les plocc aux environs d 1 Hebron el non de Jeiuisalemi Or Mar-Saba est moins loin ile Jerusalem que d'Hebron. A notre avisj Mai>-Saba peut etre considGre cOmme la limite extre descou vents esseniens, lesquels etaient diss&nines entre ce pdinl et llebrori, a rodent de Bethleem. 1 Philon I'interprete par I idee de saintete. Le mol syriaque Ha- siiiju. qui pourrail bien avoir servi dans I idiome palestinii h a d< ; si- i Irs moincs d' Hebron, si gnlfie pieux, saint. La por-te orientate de Jerusalem, qui regardc le pay- des Esseniens, a conserve lc nom de Bab'Essahioun, qui semble rappeler celui des cenobites. 4 LE MOMCIHSME JUII'. et a renscigncment evangelique. Ce qui etonne da- vantage peut-elre, c'esl que, la ou elle abandonne le texte biblique ct son interpretation traditionnelle, elle est d'accord avcc la doctrine de Jesus-Christ. Elle preche, ainsi que l'Evangile, l'abstenlion du ser- ment, le mepris des richesses, le renoncement au monde, la charite; elle tend, de meme, a abolir la religion du Temple, pour y substituer le culte de la priere, ce qui est line heresie monstruer.se dans le judaisme ; elle aspire aussi a supprimer le sacri- fice sanglant et le .sacerdoce , qu'elle remplace par le repas mystique et par une hierarchie plus equitable, fondee sur l'egalite des homines devanl Dieu. A cotede ces analogies generates, il y en a de spe- ciales, rion moins merveilleuses. Comme le chrelien, l'Essenien prieles mains eten- dues vers Torient, rite declare abominable par les prophcles; et la formule de c.elte priere se retrouve a pcu pres idenlique dans Philon 1 et dans les Consti- tutions apostoliques. Contrairement a l'esprit de la societe juive, les Esseniens, donnant en cela l'exemple a la premiere Eglise dont nous parlent les Actes des apolres, vivent en communaute et ne possedent rien en propre; l'mdividu s'absorbe et disparait dansl'as- sociation. lis se transmettent une doctrine secrete, elaboree de longue main, qui substiluc a la lettre des Ecrilures l'interprelalion par l'allegorie. Le chre- 1 Philon est.anterieur au chrislianisme. On le prouvera plus loin. Ce philosoplie avail environ ({uatre-vingts ans lorsque la predication apostolique franchit delinitivement les limilesde la Palestine. LE MONACHISME JUiF. 5 tien proclame aussi que l'aneienne loi est une figure de la nouvelle. Amcsure qu'on poursuit la comparaison, les simi- litudes se prescntent plus nombreuses el plus deci- sives. Le neophyte, chez les Esseniens, est assujetti a des epreuves et recoit un enseignement preparaloirc, comme le calechumene ehretien. On cxige de lui des promesses qui l'engagent envers la secle, envers Di'eu, envers les homines. Les termes dans lesquels Pline le jeune 1 rapporlc les sermenls dti chrelicn sont ccux dont Josephc se sert pour mcnlionner les engagements de l'Essenien. L'excommunication,avec ses terribles effets, se pratique aussi bien dans la sectc de Judee que dans les Eglises. Enfin, ici et la, le lerme supreme de l'initiation, c'csl la participa- tion an repas mystique, qui constitue la parlie essen- tielle du culte. Les Esseniens avaient des adeptes dissemines dans diverses villes et bourgades de la Palestine. Leurs elablissements les plus importants etaient, suivant Josephc, aux environs d'Hebron. lis habitaient, an nombre de quatre mille, les hautes vallees qui s'in- clinent vers la mer Mortc, sur les limiles du desert de Judee, dans le triangle compris enlre le torrent de Cedron, Hebron el Bethlee.m. La contree a bien change; les pluies de plus de vingt siecles out acheve d'emportcr la couclie de terre vegetale qui y faisait prosperer le figuier, le murier, le grenadier, le palmier et ces vignes dont 1 EpUt., xevu. 6 LE MONACHISME JUIF. les enormcs grappes furent rapportecs par lcs emis- saircs de Josue. De grands bois d'oliviers, alimeniant des sources disparues, couvraient alors les croupes des montagnes. Chaque annee de nombreux essaims d'abeilles sauvages, venus du desert, se laissaientdo- mestiquer sans peine. Le pays elait abrupt, le sol plutot avare que fecond ; mais la sobnete, la vie simple et induslrieuse des Esseniens n'etaient-elles pas leurs principals ricbesses? Dans ces solitudes ils venaient cliercher non des jouissances materielles, mais le repos et le calme que procurcnt la vertu, l'eloignement du monde, le silence cles passions et 1'amour de Dieu l . Le costume cles cenobites est uni- lorme; le meme signal les appelle tous au travail, a 1' etude, a la priere, au repas. Ils arrivent ordinaire- ment au terme d'unelonguevieillesse; ils ont acquis au debors une grande reputation de science et de sainlete. Tel est l'Essenien : figure grandiose et a demi voi- lee, symbole du travail seculaire qui agite et melc les religions, lcs philosophies et les races du vieux monde oriental, presage du nouvel ordre de choses que ce travail va enfanter. Pareille aux vapeurs ln- 1 L'ancien pays des Esseniens presente aujourd'hui un aspect morne et sauvage; le sol y est d'une aridite sans egale. L'homme use la terre, partout ou il sejourne longtemps en population serree. L'Attique n'offre plus que des plaines denudees; la campagne de Rome est transformee en un desert marecageux; Engaddi, dont les Ecritures vantent les riches vignobles et la vegetation luxuriante, n'est plus qu'un amas de decombres, seme de maigres bouquets d'arbres; la belle Ithaque des temps homeriques n'est plus qu'un rocher aride. II ne faut pas imaginer, par ce que nous voyons au- jourd'hui, ce que lut la contree des Esseniens, il y a vingt siecles. LE MONACHISME JUIF. 7 mineuses qui precedent l'apparition du soleil et s'e- vanouissent anx rayons de cet astre, l'hislorienla voit surgir au seuil du cliristianisme et dispaiaitreaussitot apres le triomphe du Crucifie, laissant a peine une trace fugitive dans la memoire des homines. L'Essenien n'est pas un phenomene isole duns le judaisme des siecles qui ont precede notre ere. A la meme epoque, sur la terre d'Egypte, aux portes d'A- lexandrie, devenue sous les Lagides l'entrepot com- mercial du monde et le centre d'un immense mou- vement intellectuel, auquel le judaisme prit une part active, nous retrouvons l'Essenien sous une forme peu differente de celle qu'il a revelue en Palestine. Aux bords du lac Maria, les Therapeutes 1 nous offrent le spectacle du monachisme ascetique arrive a son parfait developpement, et on y voit plus nettement encore poindre l'aurore de l'insiitution chrelienne. Sur le fond commun de la secte de Ju- dee se detachent des tendances qui completent le parallelisme entre le couvent juif et l'Eglise des temps aposloliqiics. C'est a l'endroit meme ou, vers la fin du deuxieme siecle de notre ere, l'histoire nous montre florissant le couvent du mont de Niliic, que Philon place l'etablissement principal des Thera- peutes. Trente pages suffiraient a contenir les renseigne- ments laisses par les anciens sur le monachisme juif. 1 Le nint -i'oc Bepxnevttii signifie serviteur el midecin. Pliilon nc se pi ononce pour aucun des deux sens. L'un et l'autre lui pai aissent egalement acceptables. L'anachorete est un zele" serviteur de Uicu, en DQgme temps qu'il pratique el enseigne la meilleure des medecines, celle qui yuenl les ;'uncs. 8 LE MONACHISME JUIF. Josephe en parle dans trois passages de ses ecrits 1 . Pline l'ancien leur accorde une breve mention 2 . Phi- Ion d'Alexandrie a consacre aux Esseniensune partie de 1'un de ses trait.es, Tout homme de Men est libre, et peut-etre un traite special dont Eusebe nous a con- serve un fragment 3 ; il a atlribue aux Thera pontes un livre entier, que nous donnerons plus loin et qui a pour titre : de la Vie contemplative, ou des Vertus des suppliants *. Les sources sont vite epuisees pour un sujet qui souleve des problemes aussi ardus. La ra- rete des documents et la brievete des temoignages imposent an critique et a l'liislorien, en meme temps qu'une extreme circonspection, une etude approfon- die et une comparaison attentive des textes. Cetteetude qui nous conduira aresoudre enpartielaquestion si vi- vement debattue des origines du christianisme, a ete trop negligee ou ignoree par les uns, et abordee par les autres avec trop de passion. Elle a produit deux solutions extremes qui n'ont jusqu'ici satisfait per- sonne. Nous essayerons d'en indiquer une troisieme, plus conforme aux exigences de l'histoire, de la chro- nologic et de la critique. La premiere solution a etc proposee et soutcnue dans ces derniets temps, avec une moderation de langage dont nous avons perdu l'habitude, par M. Salvador, 1 Hist, des Juifs, 1. XIII, cli. ix ; 1. XXVIII, cli. u; Guerre desjuifs. 1. II, cli. XII. 2 Hist, nat., 1. V, cli. xvn. 3 Prceparat. Evang. 4 Nous ue parlous pas des quelques pages consacrees aux Esseniens par 1'auteur des Philosoplnimena (liv. X), et qui ne paraissent etre qu'une simple transcription des renseignements founds par Josephe et par I'liilon. LE MONACIIISME JUIF, 9 dans le livre intitule : Jesus-Christ et sa doctrine. M. Salvador pretend etablir que le christianisme a etc le produit necessaire d'un afflux d'idees grecques sur le vieux fonds du judaisme. II a insisle surtout sur le Livre de la Sagesse, de Jesus, fils de Sirach; les evangelistes y auraient trouve tout rediges les principes sur lesquels s'est fondee la loi nouvellc. 11 a insisle egalemenl sur les ecrits do Pliilon, philo- sophe dont la naissance est anterieure de plus de trente ans a celle de Jesus-Christ; ces ecrits con- tiendraieut, sous une forme elegante et propre a cap- liver lesGrecs, tous les elements de la dogmatique et de la morale chretienncs. M. Salvador trouve un der- nier argument dans les details donnes par Pliilon el par Josephe sur les sectes des Esseniens et des The- rapeules, lesquelles auraient realise toule la vie clne- tienne avant la predication de l'Evangile. On sait avec quelles exagerations fanlaisistes cette these a ete developpee par M. Pierre Leroux. Suivant l'aulre solution, l'originalile et, par suite, la divinite du christianisme sortent victorieuses de toutc objection. L'Evangile constitue une revelation absoluinent complete, sans aucunc racine dans les choscs humaines. La doctrine chrelienne n'a pas d'anlecedents sur lerre; elle rompl avec le passe pour mieux preparer 1' a venir. Philon pourrail bien 6lre un juif converti, calechise par saint. Pierre. Les Therapeutes ont forme une des premieres Eglises de rOrient. Le monachisme alexandriii, dont le philo- sophe nous a laisse un tableau saisissanl dans le livre de la Vie contemplative, eslle debut de l'institu- i. 10 IE SIOKACIIISJIE JUIl-\ tion monastique chrelienne, telle qn'ella se develop- pera bientot au fond des solitudes de la Thebaide. Cette opinion, sauf quelques variantes ct attenua- tions, M. Gli. Lenormant l'a professee avec eclat, en 1843, a la Sorbonne l . Depuis lors, la question a continue d'etre agitee en France et en Allemagne. Des arguments nouveaux ont ete produits. MM. A. Franck, Renan, Graelz, Herzfeld et Frankel se sont meles a la querelle ct 'font rajeunie. 11 s'agit, pour nous, de soumettre 'a J'epreuve d'un minutieux examen la principale piece du pro- cess, c'est-a-dire le livre de Philon sur le monachisme juif alexandrin ; d'en fixer la date, d'en elablir l'au- thenticite, puis de resoudre, textes en main,les ques- tions suivantes : Les moines alexandrins sont-ils juifs? sont-ils des chretiens judaiisants? Quelle est leur origine, ou plu- tot quclles influences cette origine suppose-t-elle? En quoi leurs mceurs, leurs doctrines, leurs rites, l'es- prit de leur secte, different-ils ou se rapprochent-ils de l'essenisme et du christianisrae? 1 Les legons de M. Cli. Lenormant ont ete rennies, en 1809, par son fi Is, M. FranQois Lenormant, dans nn volume intitule : De la Divinite du christianisme. CHAPITRE II CARACTERES ET ORIGINES DE L'ASCETISME DES THERAPEUTES On trouve dans le Iraite de la Vie contemplative la description d'un etablissement analogue a ceux dont le moyen age couvritl'Europe. Au sein de cetle pieuse retraite regnent l'humilite, la charite, Taraour de Dieu, toutes les vertus chretiennes. C'est une ecole de science et de perfectionnement moral ; c'csl l'asile de la contemplation el de la priere. Le service divin, I' etude des livres saints, la luttc contre la chair, tcllcs sont les seules preoccupations des solitaires du lac Maria. lis condamnent l'esclavage, commeelant conlraire au droit natural; ils ne reconnaissent cnlre eux d'autre distinction que celle de l'age, d'aulre supe- riorite que celle de la verlu. On trouve chez eux l'u- sage du repas commun, considere comme I'acte reli- gieux par excellence, et tel a pen pres qu'il elait pratique au sein des premieres reunions chretiennes. Les Therapeutes se sont done affranchis du sacrifice sanglant. Ce trail, qui leur est commun avec les Esseniens, leur cree un nouveau lien de parente avec 12 LE MONACIIISME JUIF. le clirislianisme. Enfin, lcurs chants, lcurs predica- tions, leurs fetes, leurs ablutions, leurs evolutions chorales, tous les rites qui accompagnent le repas mystique, rappellent de nombreux details du culte chretien et du ceremonial de la messe. Les analogies ne sont pas seulement generates. II existe dans le langage meme de l'historien des The- rapeutes des expressions, des lours de phrase, des tcrmes que Ton trouve plus tard identiques dans les ecrits chreliens. « Les solitaires, dit Philon, vien- nent dans le convent du lac Maria mourir au monde el commencer une vie bienheureuseet nouvelle... Pour arriver, par la meditation, a confempler l'Etre (car tel est le but supreme de leurs desirs), ils abandon- nent tout, patrie, amis, richesses, femmes et en- t'ants... Qu'importent les Mens perissabtes et les affec- tions lerrestres a celui qui veut conquerir la souve- raine jouissance el boire a la covpe enivrante de V amour divin?... Enfermes dans leurs oratoires ou monasteres, ils emploient tout le jour a prier, a com- poser des hymnes pieux, a commenler la Bible, a contempler les inlinies et inefi'ables perfections de Celui qui est. La nuit seulement ils aecordent au corps quelques soins el un peu de nourriture. Us invent de legumes et de pain; leur boisson est l'cau des sources. Les femmes sont admises a suivre leur regie. La plupart sont agees. Toutes sont vierges. Bien diffe- rentes des pretresses condainnees chez les Grecs a la chastete,celles-ci pratiquentla continence par amour de la sagesse. Elles ont renonce pour jamais aux vo- luptesdu corps; elles aspirent, non pas a la genera- LE MQiNACttl'SME JUIF. 13 tion charnelle, mais a cette generation celeste accor- dee aux dmes eprises de Dieu. La sememe qui les fe- conde, ce sont les rayons intellectuels du Pere d'en- haut.. .»» Les Therapeutes et les Therapeutrides se reunissent au jour du sabbat pour celebrer le repas mystique dont nous avons parle. Des chants d'un rhythme lent et d'une harmonie religieuse, qui melent les voix aigues des femmes aux accords graves des homines, des danses sacrees, des commentaires sur l'Ecriture, fails a haute voix par l'un des plus instruits et des plus venerables de l'assemblee, accompagnent ou suivent le banquet. Une decence rigoureuse, un res- pect profond y president. Le service des tables, fonc- tion tenue a honneur, est confie aux jeunes gens ju- ges les plus dignes. Nous prouverons plus loin qu'il n'y a aucun doute a conserver sur lejudaisine de ces asceles. Leurs moours pourtant ne paraissent pas proceder du mo- sai'sine ; elles s'allient d'ailleurs assez mal au tempe- rament du Juif, tel que l'histoire nous le revele a loutes les epoques, sous tous lesclimals. A des preoc- cupations doclrinales accusees, a un penchant pro- nonce pour les disputes theologiques, le Juif unit le sentiment tres-net des necessites materielles et la pratique positive de la vie. 11 pent s'enflammer pour des questions abstrailes de dogme ou des querelles de texte, sans perdre de \ue son trafic; au besoin, il saura mourir heroiquement pour sa f<>i, mais dans les circonstances ordinaires on le retrouvera toujours ardent au negoce el au lucre. D'ou vient done cet 14 LB UOHACHlbttlS JUII\ ascetisme qui parait elranger a la religion primitive et au caractere proprc du pen pie hebreu? Le contact prolongede l'Assyrie avait, sur beaucoup de points, moditie le mosaisme. L'influence de la grande civilisation semitico-arienne des bords du Tigre et de LEuphrate s'etait fait sentir en Palestine, meme avant la conquete et la captivite. La transpor- lalion et le sejour d'un Ires-grand nombre de families Israelites dans l'Asie anterieure mirent en presence et melangerent les elements divers des religions du peuple conquis el du peuple conquerant. La conception d'une serie de puissances inlerme- diairesentre Dieu el i'homme, enlre le Crealeur et l'Univers ; la croyance a un Eire tres-voisin de Dieu 1 qui gouverne ces puissances ou ces genies, media- teur supreme, Demiurge 2 qui a preside a l'ceuvre creatrice et tient en ses mains, comme par delega- tion, la toute-puissance et les principaux atlributs divins; la distinction de ces genies en deux groupcs, pour expliqucr, par leur opposition, I'origine et la lulle du bien et du mal ; enfin la doctrine qui met aux prises dans I'homme "les deux principes hostiles, proclame le duel des substances dont il est compose, le corps et Fame, doctrine qui est le fondement de l'ascetisme et conduit direclement aux macerations, lout cela s'etait inlroduit dans les ecoles rabbiniques et y avait provoque un mouvement dont on devine les tendances et dont l'energie n'est pas douleuse. 1 ['hilon le nomrae Dieu le second. - Le Mithra des Perses, dont le culte, sous le nora de Jupiter Sa- hazius, se repandit de bonne heure en Asie Mineure et en Thrace, et rivalisa plus tard de popularite avec le christianisme naissant. LE MOSACIIISjIE .1 III. 15 De la sorlirent, dans des directions diverses, la devotion pharisaiique, la science de la kabbaleetl'exe- gese des Juifs alexandrins. La lettre de la loi ayant paru trop elroite, on appliqua a son interpretation des metbodes qui descendirent aux subtilites les plus pueriles", aux procedes les plus bizarres, pour meltre dans les textes ce qu'xm en voulait tirer. L'es- senisme parait tenir, par ccrlains cotes, a ce mouve- ment ; il est sorli d'une tentative analogue, mais plus bardie et plus efficace, pour affranchir les sectateurs de Moi'se d'un joug que saint Pierre, dans le pre- mier concile, declarait insupportable. Lejudaisme palestinien s'agitait depuis longtemps sous rinfluencc assyrienne quand la colonic d'A- lexandrie s'en detacha. Sur les bords du Nil, le nio- saismc, isole de son berceau, se trouva entre deux courants : I'un venail du paganisine greco-romain, L'autre representait l'esprit et les traditions mo- sai'qucs, plus ou nioins devies deja de. leur essence primitive. Quand nous lisons dans Eusebe ce que Ton rap- porte de l'erudition du Juif Aristobule dans la lilte- ralure grecque; quand nous voyons se realiser a Alexandrie cette belle cntreprise philosophique ct philologique qui mil le lexte des Ecrilures aux mains des Grecs ; quand nous Irouvons chez Philon une con- naissance approfondie ties diverses ecoles el les beaules d'un langage qui fonf de lui un rival de l'la- ton; quand nous constatons que les plus liaules con- ceptions de la philosophie lielieuique obtiennent, en quelquc sorle, droit de cite dans le systeme de I'ecole 1G LE MON.YCIIISME JUIT. juive d'Alexandrie, nous pouvons declarer forte et i'econde l'influence du courant giec sur le judaisme alexandrin. Les pretives en abonderont tout a l'heure. Le caractere de ce judaisme, qui cotoyait l'hetero- doxie, le rendait propre a operer le rapprochement des doctrines et des races du monde entier. La situa- tion d'Alexandrie, sur les confins de l'Orient et de rOccident, la destinait a etre le theatre de ce rappro- chement. La condition des Juifs, disperses dans toules les provinces, depuis l'Euphrale jusqu'au Tibre, dc- puis Babylone jusqu'a Rome, celle des Juifs alexan- drins surtout, qui eurenl le monopole de la naviga- tion duNil, c'est-a-dire du traficavecl'extreme Orient, et dont les vaisseaux sillonnaient en tous sens la Me- diterranee, cette condition les constituait a Fetal de vehicule nalurel pour l'echange et la propagation des idees. Leur proselytisme avait des organes energiques, et prepares de tongue date, dans ces nombreux comp- toirs semes sur le littoral mediterranean, dans ces pelites colonies qui pullulaient au sein des villesmar- chandes de la Grece, de 1'Italie, des lies, de la Cyre- naique, de l'Asie. Enfin, le grand travail philoso- phique, accompli durant trois siecles par l'ecole d'Alexandrie, armait ce proselytisme, au cas oil il voudrait abandonner les voies elroites du vieux mo- sa'isme, dune esthetique elevee, d'une morale pure, d'une melaphysique profonde. C'est ce qui arriva. Le chrislianisme rencontra dans les ecrits de cette ecole une exegese bililique toute prete, une large ebauche de theodicee, un vocabulaire parfait et intelligible au monde hellenique. Origene et Clement, les premiers LE NONACIIISME JUIF. 17 etpeut-elre les plus illuslrcs Peres del'Eglisegrecque, sonl les disciples directs de Phi Ion . A cote des influences assyrienne et grecque nous nc devons pas oublier de menlionner celles de l'E- gyple et de l'lnde, plus obscures ou plus lointaines. L'inslitution des Therapeules n'est pas un fait anormal sur la terre d'Egyple. Sans aller jusqu'a pivlendie que les moines juifs ont copie les rites rc- ligieux de ce pays, on peut dire qu'ils y Irouverent des pratiques et des tendances conf'ormes aux leurs. De recentes decouverles ont revele 1'existence d'un cloilre dans le Serapeum de Memphis. Des papyrus grecs, du deuxiemesiecleavant noire ere, et qui sont, (lepuis quelquesannees seulcment, cntre nos mains 1 , allcslent qu'il y avail dans le temple de Serapis des liommes et des femmes, voues au service divin , astreintsala claustrationreligieuse.Le savant Bernar- dino Peyrone 2 a montre d'unc maniere evidente que le mot /.a-c/Tp d'abord mal interprets par Reuvens dans le sens A 7 inspiration, designait, dans les pa- pyrus, la reclusion volontaire et meriloire 5 . MM. Brunei de Presle et Egger ont adople eclte opinion. « Dans le courant de Pan IX de Ptolemee Philomelor, discnl-ils, enlre 173 et 1 7 12 , un Grec d'origine macedonienne, nouime Ptol6mee, tils de (ilaucias, domicilie dans le nome Hriacleopolite, vint 1 Grace an travail de M. Letronne, continue par MM. Brunei de Presle el Egger, insure au tome Will 2 parlie des Memoires de VAcademie des inscriptions et belles lettres. - Memorie dell' Academia
  • le sens du mot StaXr/O^s, qui ne designe pas neces- sairement, com me il le vent, un Iraite, et qui pent faire allusion au passage, relatif aux Esseniens, con- tcmi dans le Iraite, ayant pour litre : Tout homme de bien est libre. 11 est vrai qu'un savant allemand, M. Frankel, con- teste aussi ce dernier ecrit a Philon. Cetle contesta- tion nous semble, comme ccllede M. Graelz, inspiree surtout par des necessites de systeme. M. Herzfeld a dit un peudurement, maisjustement, que« MM. Fran- kel et Graetz ne considereraient pas leurs arguments comme dignes de gens serieux, si la contestation qui en resulte n'etail necessaire a leur systeme. II ne suf- tit pas, ajoule-t-il, de reunir quelques arguments en Pair pour convaincre des esprits solides : en matiere de critique, de tels procedes sont faits pour discre- diler la science Israelite 1 . » II y avait une explication prealable et necessaire que M. Graetz a oublie de donner; sans cette ex- plication nous ne comprendrons jamais pour quel motif mysterieux un gnostique aurail parle d'une Eglise chrelienne comme d'une confrerie juive, et aurait omis de nommer le Christ, les aputres ou les evangelistes dans lhistoire de cette Eglise. En face de l'aftirmation de M. Graelz nous croyons pouvoir en poser une autre toutc contraire. Nous allons essayer de montrer par des rapprochements de testes, que la doctrine ascelique cxposee dans la Vie contemplative, loin d'etre etrangere au systeme 1 Ilisloirc du peuple v GOijj.y.TL- XWV f r ZJMil=-JOl KYjpStV. - 'tnip'jit'Ji kpnadivres ovpavtov. LE MONACHISME JUIF. 47 choses d'en haul 1 , mcprisant lcs choscs d'ici-bas, degage dcs soins malericls. Dans le livre intitule : Dieu est immuable, Philon semble faire allusion au\ Therapeutes, quand ilparle de ceux qui out abandonne le siecle, font la guerre a la ehair, el sc livrentala contemplation de Dieu, qui est le but supreme et le parfait bonheur : « Le terme de la route, c'est la connaissance ct la science de Dieu ; or, tout ami de la cliair deleste ce sentier et s'cfforce de le delruire. Rien n'est oppose a la science de Dieu comme le phiisir charnel; et ceuxqui veulent enlrer dans cetle voie royale du peuple qui voit Dieu d'ls- rael, doivent combaltre le terreslre Edom*. » Pour notre auteur, le premier et le plus beau privilege du peuple elu, c'est la vue de Dieu ; aussi appelle-t-il la nation sainte la race des voyants, opaxixbv yivoq ; de menu!, le plus noble apanage du Therapeule c'est la vue de Dieu porlee a un degre superieur ; et il l'ap- pelle, d'une maniere analogue : la race dresse'e a tou- jour* regarder 3 . Le sujet traite dans le livre qui nous occupe n'est pas nouveau pour noire philosophe, qui dit expres- sement, dans son traite sur les Transfuges, que la vie contemplative est le fruit de la science par excellence, 1 'EvOovaii^ovo-i, f*-iXP l i }j -' '■'' KoOoupsvov iSuaiv, - To Sk zipy-oc. -f,z b$ov yvwtris -:"i /■■/■'■ MTtCTifyw] 0eou. T«\irv)V o; XTexnov fitaei /.'J.\ itpo§i%foitcu /.v.\ ydeipuv i-i/iipv. -£: i ja.px.6iv i-y.\r.oi- OliStvl yip oxnoji ovokv a.vrlna.Xov w; kitiez/ipwi 7a.px.0s ijSovr]' Bo\)).o/iivotf -/vp tKVTVjv nopevteOoti rov bSbv, fia.athy.riv Uvootv TO15 rot) bpa.Ttx.ov ylvovs p.i-.i/yjzw, orcep \-pj.r,j. xexAtjTai, 5tK/*«^sTflct 6 y/i'ivos bo w//.. 3 'Asi fiXineiv 1tp0381Sa.9y.6p.Ev0v. 48 LE aiONA'HISME JUIF. c'est-a-dire de la science de Dien*. « Aucun cle ceux, dit-il encore dans le fraile des Songes, qui servent purementet sincerement l'Etre, ne manque a s'affer- mir d'abord dans la resolution de mepriser les choses humaines, source de miseres et d'infirmites pour ceux que ces choses attirent-et retiennent. II n'y en a aucun qui ne s'eleve a l'immortalite en dedai- gnant loutes les ceuvres de tenebres des aveugles du siecle 2 . » Les Therapeules sont designes par des lermes identiques : les sainles lois leur onl appris a servir l'Etre 3 ; ils se degagent de tons les charmes qui peuvent les atlirer dans la societe des homines*; car ils savent que la frequentation des homines est contagicuse el funesle 5 ; ils abandonnent loutcequ'ils possedent, car il faut que ceux qui veulent acquerir les Iresors de la vue intellecluelle, laissent ces ri- chesses qui aveuglenta ceux dont la pensee est encore environnec de tenebres 6 . Dans le traite de la Confusion des langues nous li- sons encore : « Le propre de ceux qui servent l'Etre c'est de s'elever par la raison vers les hauteurs ethe- rees, de suivre, dans cette route que leur ouvre l'a- mour divin, le prophele Moise ; c'est alors qu'ils ver- 1 Kz'/uS V- £7T!7T/iy/iC, O Oi'j) pr,- l/.b- ^10$. 2 Toiv aoo'/w; xxi y.y.'iv.p£i$ Qspcaztvovzuv to *Ov ojozic, izziv 5; /j.yj tt^wtov ij.kv E(r^Uj5oyv&)/. o<7uv/) xi^pryrsu, XKrccfpovrjcoci z&v avfi^wTu'vcdv ■jtpy.yij.'j.zuv, a ou.eyXo-Jzv. xvipxivet xat a^&sv-tav Ipyi'^szcn' "s-sizx Cffiy.tsiui iyUrcti, ye).T0CV O^V 1/.7Z-171 TWV OUfflWV, U7T O'JOcVO^ £Tl OZ'/.ZCl'QitJ.iVOl fe\)'fOV(TlV ajj-EraaTpSTZTi. 5 E-t[M%iui c.hj7izz'/.il: xai fi/xSipa: scoots;. G "Eiu yicp robs tov fi).£izo-JTK -'iwzo-i l\ kzoijxo\> AkSo'vtocj, z'(IV tu-zcv ~y.pv.-/_'jipr^v.i TOt; izi zxi StavOlCCi TU'^/WTTiOJty. LE HOKACIIISKE JUIF 49 ront le lieu splendide dans lequel repose Dicu, immobile, immuable 1 . » De meme, le Therapeute, a la suite de Moise (01 Mwaewq vvt&pijAoi), est porte par l'etude de la loi (ex twv ^pwv vojjlmv) a fraiichir, sur les ailes de la contemplation, ce soleil sensible", celte luraiere materielle 2 , pour parvenu* a la vue de Dieu, de l'Etrc 5 . La felicite supreme pour Philon repose dans cetle vue de Dieu ; il le (lit a plusieurs reprises dans la Vie contemplative ; il ne cesse de le repetcr dans ses aulres ecrits. « La connaissance de Dieu est le lerme de la beatitude et du bonheur*. » (De la lutte du Men et du mal.) Ailleurs, dans le livre que nous citons, il nous monlre le sage mourant a cette vie perissable pour revivre a la vie eternelle et parvenir au bonheur 3 . « II y a trois routes de la perfection, dit-il au debut du livre de VHomme politique, l'etude, la connais- sance de la nature, la contemplation (ao$, Mavavjv to dzofUks y&vos TzpoarriadfAtvoMi fiyepLOva fijfs bSou. Tor-: yzp t'ov u.'vj roitov, S; $q\6i h~i, de&covrat, o> 6 cooUvijs '.■A xzpsKTOi (ii'ji i»eo-T*?xe. - Tov odaOviTov rj'J.iov imep6x(veiv. 5 Tr.i row 'Ov-rs; 0e«s IfUodu. ' Evoxt/xtyjiccs yxp /.-A [*.xx.xpiOTr)TOs Spot outoj. ■ I) i)ij nr, jotfbi Tefywixlvcu Sox&v -',' fBccpzbv filov, £vj zbv xtpdtxp- ~v>' os yxulos, 'Cw tov sv Kx/.icc, zidvyxs toy tiiSxip-Ova. EvOxi/j.'j'iv Ss.. , 5> iyivevo tov -/■:('•> to'j fiioj xp°' j0 ' J ^p'°i t^v ifuivo /.A Qsiorlpeiv /xolpxv. (Sur les changements dc num.) 50 LE aiONACfUSME JUIF. peules « le cheinin du parfail honheur 1 ; » il declare que la sainte vie du solilaire le comluil au comble de la i'elicite 2 ; il le represents mourant a la vie d'ici-bas pour comraencer une vie immortelle el bienheu reuse 5 . Philon nous entretient encore, dans le livre de la Creation dumonde,&Q celte iminortalite conquise par le sage qui applique son esprit a la contemplation des choscs du ciel : « Cost par la contemplation des cboses du ciel, e'est par l'amour el 1'ardeur qui le portent a leur connaissance, que l'bomme, bien que mortel, s'nnmorlalise\» Poursuivant la menie pensee dans le livre sur V Agriculture, Philon declare que l'ame du sage a pour patrie le ciel 5 . Dans le traile des Geants, il ajouleque les hommesdeDieu sont les pretres el les prophetes, « qui n'ambitionnent pas le droit de cite dans le monde, mais qui, s'elevant au- dessus des el res sensibles, parviennenl dans le monde intellect uel, s'y elablissent et deviennent citoyens de la republique des idees incorruplibles et incorpo- relles 6 .» On ne s'etonnera pas de 1' entendre appeler le Therapcute citoijen du ciel (oupavou ttoXittqc). « L'Egalite, est-il dit dans la Vie contemplative, est la source de la justice, e'est elle qui nous manif'esle 1 lV,v z-Xii-j Taur/jv re/io; relsCxv scyoUMW zvSxipovixv, - "EttVjt^v xx.pOT*)TU fQxvov ev5atjuovt«5- 5 \vj. tot) r*i'i xQxvxrov kx'i p.xxxpix<; 'Cw,i tfiipov, TcTgAeor/jxg'/ai yoft-ii^ovTSi /}Svi rbv ?J.O' dinjzd'J. 4 'H deapix -w xxr'oupxvbv, «?'*?« kXyixSsU 6 voy; Zpoizc.i *y.i tzo'Jo-j liyj rHi rourwv l-Kia-cnp.ru ' ofisv zb tpi\o.')-'jD KTrivjffToVaTOV. 4 <&ap/x LE M0NAC1IISME JU1F. n'incommodent, mais que rejouit un doux zephyr soufflant agreablement de la mer. Quant aux ames des impies, ils les releguent sous terre, dans un antre obscur, glace, theatre de supplices eternels. » Nous n'avons qu'une parole bien breve de Jesus a rnettre en regard de ce passage : « Les mediants, dit- il, irontau supplies eternel, et les bons a la vie eter- nelle... Le ver qui ronge le mediant ne meurt pas. » Mais si l'Evangile ne s'explique pas sur la nature de Tame, il indique du moins nettement son immorta- lile par l'eternite du supplice inflige aux mediants, et la perpetuite de la jouissance accordee aux elus. Ailleurs, Jesus envoie les reprouves au feu eternel. Au lieu du sejour tenebreux et glace qui figure dans la tradition essenienne, il s'agit done dans l'Evangile d'un sejour (orride. Le supplice est different, mais la doctrine s'accorde de part et d'aufre sur deux points d'une importance superieure : l'immortalile de Tame et l'eternile du chatiment ou de la recompense. La vie des bienheuieux est depeinte dans l'Apocalypse 1 en des termes qui se rapprochent beaucoup du texle de Josephe : « Les justes sontdevant letrone de Dieu, ou desormais ils n'auront plus ni faim ni soif et ne souffriront plus des ardeurs du soleil. » Le christianisme professa ledogme de la resurrec- tion des corps, admis par les pharisiens et repousse comme hderodoxe par les sadduceens. Nous savons que les Esseniens croyaient a la resurrection 2 . Nous 1 Ch. vi. 2 Dans la seconde partie du volume, l'etude du Livre d'Enock nous renseignera plus completcment sur les opinions eschatologiques ayant cours chez les Juifsdurant les deux siecles avant notre ere. LE MONACIIISME .UIF. G7 n'avons aucune preuve directe que les Therapeutes aient professe sur I'ame, sur la vie ultra-terrestre, snr le paradis el l'enfer, surl'eternile des peines, les opinions des Esscniens. En considerant sur unc foule d'autres points le parallelisme soutenu des doctrines des deux sectes, on peut seulement suppo- ser, sans invraisemblance , que ces opinions leur elaient communes. Quelle etait la-dessus la doctrine de Philon et de son ecole? It est difficile de le pre" sumer. Nous ne connaissons qu'un seul passage dans les ceuvres du philosophe qui se rapporte a ce sujel d'une maniere indirecte : « La mort du mediant est pour la justice de Dieu le commencement du cliali- ment '.» Iln'y a la rien qui autorise a admettre 1'eler- ii' le du supplice. Com me l'Essenien, Jesus meprise les richesses et glorifie la pauvrete. II recommande l'abandon des biens comme une perfection de pratique. « Ne yous inquielez, repete-t-il a ses disciples, ni de la nourri- ture ni du vehement. » — « Vendez ce que vous avez, dit-il aux foules, et repandez-le en aumones; ayez des sacs qui defient la vetuste, et faites-vous an ciel des tresors qui ne vous manqueront jamais. » II conseilie a un pieux Israelite, rigide observateur de la loi, qui aspire a la perfection, de vendre tons ses biens, de les donner aux pauvres, et de se metlre a sa suite. II plaint les riches, car leurs richesses font obstacle a leur entree dans la cite de Dieu. Voila un enseigne- ment bien net et une serie de preceptes bien catego- 1 Philon; Des sanctions de la loi. 68 LE MONACIIISME JU1F. riques. Jesus avait forme autour de lui une associa- tion dont les ressources elaient communes; Judas y represenlait le tresorier du couvent essenien : c'etait lui qui portait la bourse et la besace. Apres la mort du mailre, ces usages se maintiennent : les disciples s'organisent a Jerusalem sur le plan d'une confrerie essenienne ; « ils metlent tout en commun, vendenl leurs biens el les partagent entre tons, suivant le besoirt de chacun. » En constatant des moeurs sem- blables cbez les Therapeutes, Eusebe 1 y voit une preuveevidente de leur cbristianisme. II en faudrait dire aulant des Esseniens. « Ceux des Esseniens qui voyagent, quand ils arri- vent dans un monastere de la secte, ont tout a leur disposition ; on traite ces passants, que Ton n'a ja- mais vus, comme des amis intimes. Lorsqu'ils se metlent en cliemin, ils n'emportent aucune provi- sion ; dans chaque monastere, il y a une personne chargee du soin des botes, qui leur fournit la nourri- ture, l'abii, le vetemenl, tout ce qui leur est neces- saire 2 . » On dirait que Jesus veut faire passer ces usages dans la societe qu'il fonde, quand il recom- mande aux disciples de « n'emporter en voyage ni or, ni argent, ni inonnaie d'aucune sorte dans leur cein- ture, ni besace, ni tunique, ni cbaussure de re- cbange, ni baton ; de demander, la ou ils arrivent, la demeure d'un homme de bien, et d'y iester jus- qu'a leur depart 3 . » 1 Hist. Ecclesiastic, 1. II. - Josephe; Gucr. hid., 1. II. r ' Matlh., x. LE MGNAeHISME JU1F. 6 Cliez les Esseniens, le repas est l'acle religieux par excellence, la parlie la plus imporlante du culte; c'est un lemoignage do reconnaissance euvers le Pcrc celeste, de qui nous (enons tout, c'est le symbole de la fraternile humaine. Avant de se meltre a lahle, ils precedent a des ablutions mystiques, signe de la purele du eoeur qirils apportent au saint banquet. Ils sc revelenf d'liabits blancs dans le merae but. Avant de manger, ils prient. Apres la priere du president, qui appelle la benediction divine sur les aliments, le pain est rompu. Pendant le repas, la conversation roule sur des sujels propres a inslruire, a inspirer 1'amour de la piele et de la vertu. Chez les Thera- peutes, nous retrouvons ce meme festin mystique, cntourede pompes et de ceremonies speciales. Jesus, de son cole, etablil parmi les siens l'usage du repas common ; il leur rccommande inslamment, dans un moment solennel, de leconserveren memoire de iui. Jesus prie avant de manger; il henit le pain avant de le romprc. Celte habitude le revele aux disciples, a Emmai'is, apres sa resurrection. D'ou venait aux Esseniens et aux Therapeutes ce rite, adople par le chrislianisme ? Nous ne saurions le dire. Pliilon croit y reconnailre un souvenir et un symbole de la table des pains de proposition 1 . Les rigueurs ascetiques furent en honneur dans l'Eglise primitive de Jerusalem. On a dit 8 que cetle Eglise cut un caractere prononce de monacliisme; nous ajouterons : cld'Essenisme. La continence y ful 1 Vie conlt mplat. - 51. Renan; Lis Apdlrex, p. 75 el suiv. 70 I,E MONACH1SME Jl IF. consideree comme la premiere des vertus ; le celibat y parul le plus conforme a la saintete et le plus compatible avec la perfection. Les Esseniens profes- saient de meme qu'il se faut garderde l'impudence effrontee des femmes. « La femme, disaient-ils, ne peut s'aslreindre au seul commerce de son mari ; clle 1' enlace de ses filets, l'asservit par sa langue, le seduit par ses charmes 1 . » Les Chretiens, qui plus tard mouraient dans l'arene en coniessant leurfoi, purent s'inspirerde l'exemple des Esseniens, qui, dans les guerres de Judee, brave- rent leurs bourreaux et marchereni au supplice avec le sourirc aux levres. « On les vit tortures, depeces, brules, pour les obliger a renier leur regie ou a manger quelque chose de prohibe. Rien ne put les y contraindre. lis donnaient leur vie avec joie, comme s'ils avaient eu le ferine espoir de revivre aussitot 2 . » Dememe, le martyr chretien mourra invincible, en- veloppe dans sa foi, l'ceil leve vers les cieux, oil il enlrevoit les splendeurs d'une vie bienheureuse el sans fin. « Voila, s'ecrie Philon, les athletes de verlu que nous formons, sans avoir besoin de recourir au langageraffine et a l'emphase des Grecs 5 . » Cet eloge s'appliquerait exactement au christianisme. 1 Philon ; fragment cite par Eusebe [Prceparat. Evang.. 1. VIII). - Joseplie; Guer. Jud., 1. II. 5 Tout hommc de Men est libre. CHAP1TRE VII LES RITES DU MONACHISME JUIF ET DES EGLISES PRIMITIVES M. Emile Burnouf a eu raison cVappeler l'attention des critiques et des-archeologucssur l'elude des riles Chretiens. lis Irouveront la un iilon peu exploile, et d'une extreme richesse. Les remarques suivanles mel- tront ce point de vue en lumiere. L'excommunication, dont Ananias etSaphirefurenl, dans I'Eglise de Jerusalem, les premieres victimes, etait pratiquee ehez les Esseniens.llsexercaient enlrc eux la justice et se conslituaient en Iribunaux. 11 l'al- lait loutefois que le noinbre des juges fut an moins de cent, pour que la sentence deviut cxeeuloire 1 . Au debut, les Eglises eurent une juridiclion interieurc analogue. Saint Paul, dans ses Epilres, recommande de nc point porter les querelles cnlre fideles devant les paiens*. Plus lard, Passemblee generate des chre- tiens , ne pouvant eonnailie de toutes les causes^ delegua ses pouvoirs, soil a un tribunal (jui jtiit le nom de tribunal de lapdnitence on tribunal' du repenlir, 1 Jos6phe; Guer. Jml., 1. n. 2 Eptt. auz ('.' rint/i. 72 LE MGNACIUSME JU1I'. soit a un surveillant (ixiaxonoq) , soit a nn and en (TiptnSuztpo:) , qui prenait alors le litre de confesseur, parce qu'il etait d'usage qu'on denoncat publique- rnent les fautes. « Ceux des Esseniens, dit Josephc, 'qui comineltenl des fautes graves sont chasses de la secle. Le plus souvent, uue mort affreuse attend les malheureux. Leurs engagements et leurs rites les astreignent, en effet, a refuser la nourriture qu'une main etrangere et secourahle leur offre. lis sont re- duits a vivre de racines, et meurent ainsi de faim et de langueur. II arrive parfois que les Esseniens eux- memes les prennent en pit ie, et les recoivent en grace au moment ou ils vont rendre le dernier sou- pir 1 . » A mesure que l'Eglise grandit, le proselytisme eut des allures plus graves, le noviciat fut enloure de formalites et de difficultes plus nombreuses. Les de- lais s'allongerent ; l'initiation s'accompagna d'un ceremonial plus complique. Le but etait d'eprouver aussibien que d'instruire le neophyte; on voulait en meme temps rehausser par les pompes l'eclat du culte et de l'inslitution. Dans les commencements, le novi- ciat fut moins rigoureux et moins long cliez les Chre- tiens que chez les Esseniens, bien qu'il eut de part et d'aulre des airs de parenle. Celui qui desire entrer dans un couvent essenien doit passer dehors une annee entiere et suivre le meme genre de vie que les cenobites; on lui remet en attendant la petite hache et la ceinture qui constituent les insignes du mona- ! Josephe; Guer. Jud., 1. II. LE MONACIIISME JUIF. 73 chisme juif. Lorsque le postulant a donne, pendant cet intervalle, des preuves certaincs de continence, on Padmet graduellement a l'initiation; il participe a des ablutions de plus en plus saintes, niais pas encore a la table l . De meme, dans les premiers siecics de l'Egiisc, les catechumenes (separes du monde) assis- taicnt aux preliminaires de l'agape, aux pieuses lec- tures, aux commentaires de la loi, aux prieres qui precedaient la cene ; mais, le moment venu de s'as- seoir a la table sainle, ils sortaient du cenacle. Au debut de leur noviciat, its se tenaient humblement a l'entree du temple, vetus de robes blanches (candi- dati), comme chez les Esseniens 2 . Chez ceux-ci ce- pendant, apres l'annee ecoulee, l'epreuve se proion- geait pendant deux ans encore : « C'est seulement lorsque le # candidal avait montre a tous sa patience, quand on avait acquis la preuve certaine de sa force d'ame, qu'on lejugeait digne d'entrer definitivement dans la conf'rerie et de s'asseoir a la table 3 . » Avant de participer au repas mystique, 1'Essenien s'engage par des promesses terribles « a servir pieu- sementDieu, a praliquer la justice envers les bommes; a ne leser personnevolontairement ou parcontrainte; a detester les hommes injustes et a secourir les bommes justes ; a garder sa foi envers tous, princi- palemenl envers ceux qui commandent. Le neophyte promet encore, s'il vient a acquerir le pouvoir, d'en user sans orgucil et sans fasle, de ne point se distin- 1 Josfephe; Guer. Jud., I. II. a Ibid. '■ Ibid. 70 LE MONACIIISMIi JUII' 1 . texte des Constitutions apostoliqiies, un esprit vigi- lant, une science sans erreur, et que le Saint-Esprit descendit sur eux pour leur donner possession et connaissance de la verite. » — « Le matin venu, dit Philon en parlant des Therapeutes, leurs regards et tout leur corps se tournent vers l'orient, pour epier les premiers rayons du soleil levant. Quand ils les out apercus, ils etendent les mains au ciel, de- mandent un jour heureux, la connaissance de la verite et la lucidite de l'intelligence. » Les temples Chretiens sont construils de facon que le prelre, etanta l'autel, soit, ainsi que toute l'assis- tancc, tourne vers l'orient. Saint Basile met l'usage deprier vers l'orient au nombre des traditions qui ne se trouvent point dans l'Ecriture et n'en sont pas moins inviolables, parce qu'elles sont venues des apo- tres. Cette pratique speciale, souvent mentionnee par lesGrecs, clistinguaiLles Chretiens desjuifs, auxquels il etait defendu de se tourner vers l'orient pour prier, « sans doute, dit Montfaucon, a cause du penchant que cette nation avait au culte des faux dieux et parlicu- lierement du soleil et des astres l . » C'estunc chose, a notre avis, tres-digne d'etre notee et retenue qu'un rite contraire a la religion juive, et anathematise par les propheles, seretrouveala fois chez les moines juifs et chez les Chretiens. La coutume des Esseniens de se rcvetir d'habits blanes pour celebrer le banquet fut peut-etre suivie des premiers Chretiens; elle Test du moins encore 1 Traduct. de la Vie conlemplat. LE MONAGHISME JUIF. r /7 par le clerge d'Occident dans le ceremonial de la messe. Les ablutions qui precedaient le repas essenien de- vaient figurer aussi dans les preliminaires de l'agape : il en reste un souvenir dans l'aspersion, etunelrace plus evidente dans le lavement des mains auquel le pretreprocede apres l'offertoire. L'offerloirclui-meme represente la priere que le president du repas, ehcz les Therapeutes et les Esseniens, prononcait a haute voix avant qu'on touchat les aliments. Les actions de graces de la post-communion rappellent le remerci- ment a Dieu qui terminait le festin mystique des moi- nes juifs. Dans les preliminaires de l'agape, on lisait un pas- sage de l'Ecriture, que le plus age ou le plus inslruit commentait, etqui fut, au deuxieme siecle, remplace par le texte des quatre relations canoniqucs, connues sous le nom d'Evangiles. Le repas des Therapeutes est precede d'ablutions et de prieres; il est accompa- gne d'une lecture ou d'un commentaire des livres saints. « Le calme profond qui entourc d'une reli- gicuse horreur l'edifice ou les Esseniens celebrent leur repas 1 , le silence, si plein de respect, qu'on craindrait de le troubler en respirant trop fort, qui preside au banquet des Therapeutes 2 , » sc retrouvent dans la ce- lebration des mysleres chreliens. En ecoutant, dans le temple des Therapeutes, ces chants allernes qui rappellent nos psaumes, les ac- cords que torment les voix des homines et cellos des 1 Jiim''|iIic; liner. Jitrf., I. II. * l'hilon ; Vie < onlemplat. 18 LE MONACHISME JUIF. femmes; en assistant aux evolutions chorales qui s'accomplissent pendant ces chants, on se croirait sous les arceaux gothiques d'unc nef de nos cathe- drales. L'illusion ici n'est point tout a fait erreur. Eusebe proclame hien haut la realite de ces analogies : « Tout cela, dit-il 1 , a ete observe traditionnellement par nous, surtout dans le jour ou nous celebrons la passion hienheureuse de Nolre-Seigneur, non-seule- ment par des jeunes et des veillees, mais encore en ecoulant atlentivement la lecture des livres saints. Philon a expose, dans un langage expres, ces usages qui n'appartiennent qu'a nous. II rapporte principale- ment les veillees nocturnes et les exercices pieux de la grande fete ; il menlionne aussi les hymnes que les fideles Chretiens recitaient; il raconte comment, tan- dis qu'un membre de l'assislance 2 fait entendre un chant grave et religieux, tous l'ecoutent avec rccueil- lement pour unir ensuite leur voix a la sienne 5 et chanter tous ensemble le dernierverset 4 . 11 fait meme allusion aux divers degres de la hierarchic ecclesias- tique,au ministere du diaconat, le plus humble, et au plus eleve de tous, le degre souverain de l'episco- pat, etc. » La liturgie et le rituel primitifs nous sont bienpeu connus,et ces rapprochements, sur lesquels nous insisterons plus loin, n'auraient qu'une valeur contestaljle si le temoignage si clair d'un eveque du troisiemc sieclene leur donnait un poids particulier. 1 Hist, eccle&iastiq . , 1. II, eh. xvi. 2 Le prechantre. Voy. / re Epit. auxCorinlh., xtv, 16. Juslin., Apo- log., ch. iay, 07. 3 Le chant de VAmen. — Les Apdtres, de M. Renan, p. 100. 4 Le cliant du Gloria I'alri. LE MONACIIISME JUIF. 79 Les moinesjuifs de Palestine et d'Egypte. ont excrce, croyons-nous, une influence directe et considerable sur lechrislianisme des anciens ages. Leurs destinees n'en sont pas mo-ins restees obscures. lis ont vecu, ils ont disparu dans Pombre, sans laisser dans l'his- toire d'autres traces que quelques pages elonnanles de Philon et de Josephe. Ils ressemblent a ces nappes d'eau souterraines, dont l'exislence nous est a peine revelee par une fissure d'ou s'echappe une modeste source, mais dont un sondage, opere par la science, decouvrc tout a coup la puissance et la profondeur. Rien ne nous est parvenu des travaux noinbreux qu'ils ont composes et qu'ils se transmet- laient avec soin de generation en generation, sur In- terpretation des Ecritures par l'allegorie. On pent sup- poser que leur exegcse est passee en partie dans les ecrils de Philon, qui represente, a lui seul, dans cet immense et regrettable nauf'rage, les epaves du mou- vement inlellectuel et religieux qui preceda le chris- lianisme et s'arreta tout a coup, en pleine fievre, parce qu'il s'absorba dans la religion nouvelle. Ce qui est certain du moins, c'estque le systeme exegetique des philosophcs alexandrins et celui des moines juifs re- posent sur le me me principe : l'allegorie. Cc qui est certain encore, c'est que l'cxegese biblique do Phi- lon a passe presque entiere dans les premiers Peres grecs. M. Louis Menard, auteur d'un curieux travail sur les livres hermetiques 1 , a emis 1' opinion que le Poi- 1 Hermes Trismcyisle, p. oG. 80 LE MONACHISHE JUIF. rriandres etait une oeuvre sortie de l'ecole des Thera- peutes. Nous voyons a cela une double difficulle, II n'y a point de traces de judai'sme clans l'ecrit en ques- tion; en outre, l'initie, qui vient de recevoir du Poi- mandres toute une revelation cosmogonique, com- mence a precher aux hommes la beaute de la religion et de la gnose. Cede predication et ce proselytisme repugnent a la regie des Therapeutes, qui les enferme dans une solitude infranchissable. Le Pohnandres a sans doute des points de contact avec la doctrine de Philon, avec celle des Therapeutes, avec celle des gno- stiques ; rriais il a un caractere propre de paganisme qui empeche qu'on ne le confonde avec les ecrils juifs ou Chretiens du premier siecle. CIIAPITKE VIII DIFFERENCES ENTRE LE M0NACH1SME JUIF ET LE CHRISTIANISME De ces analogies coustatees avec certitude enlre le monachisme juif ct le chrislianisme primitif, s'ensuit- il qu'on pnisse conclure que la plus ancienne de ces institutions enleve a l'autre son originality? Nous ne lepensons pas. Les differences enlre ellcs sont nom- breuses ct profondes. II nous suffira d'en indiquer quelques-unes. L'Essenien appartient a une secte, imbue encore, malgre la beaute de sa morale, de certains prejuges qui la condamnent a rester secte : elle impose a ses adeptes l'obligation sacramcntclle detenir secrets son enseignement elsesdogmcs. Lechretien ouvre a tous les portes du temple ; il seme a pleines mains et par- tout les fresors de la Bonne nouvelle. L'horizon de l'Essenien et du Therapeute ne depasse point l'en- ceintedu convent. Leurverlu est elroite, lcur devone- mcnl n'est pas sans fanatisme et sans exclusion. La foi du cbretien embrasse l'lmnumite, plane a des hau- teurs inOniesetle fait citoyen du monde. En fondant le royaume de Dieu, Jesus y convie d'abord les hum- 5. 82 LE MOMGHISMK IMF. bles, ceux qui souffrent et plicnt. sous 1c fardeau de la vie; il ibnde une societe an sein de laquelle les dis- tinctions de caste et de race sont supprimees, ou l'amour est proclame un devoir, devient une recom- pense et constitue la sanction de la loi. Le christianisme, a son aurore, garde bien quel- ques traits du monachisme juif ; c'esl une sorle de convent essenien, l'Eglise de Jerusalem, qui lui sert de berceau. Mais bienlot, cedont a 1'expansion irre- sistible des forces vives qu'il porte en lui, il monle et deborde; il renverse lous les obstacles el remplit le monde. L'Essenien et le Therapeute se perdent dans les ar- guties d'un commentaire subtil, et cbercbent, comme les Kabbalistes, dans des expedients sou vent puerils, une issue pour echapper aux etreinles d'un texte in- flexible; le Chretien s'emancipe de la lettre qui tue et s'elance sur les ailes de l'esprit qui vivifie. II revere la doctrine, mais il la subordonne a une tendance plus haute : il lui taut avant lout des eeuvres. Sansbriser tout a fait avec la tradition, il en rejette les entraves, et proclame loutes les figures resumees et accomplies en Jesus-Christ. II s'affranchit done des pratiques de- venues vaines et des formalites bizarres du vieux mo- saisme, que l'Essenien subit engrandepartie; il n'in- Iroduit pas tcint de rigueur dans 1'observance du sabbat ; il n'eprouve pas cette horreur pour les viandes reputees iminondes; il n'a pas cette rnanie d'ablu- tions, cette fureur de disputes theologiques. Le Chre- tien sort entinde l'isolement qui, a>i sein dessocietes antiques, rendait le Juif odieux et suspect. I,E MONAClllSME JUIF. 83 L'Essenisme est une ceuvrc colleclive, line creation anonyme. An contraire, dans la personne de Jesus se concentrent toutes les grandes inspirations qui assu- rcnt au chrislianisine la conquete du genre humain. Dans le cloitre du lac Maria, dans les couvents de Pa- lestine, il regne une preoccupation d'egalite qui ab- sorbe l'individu et nivelle tout. La premiere parole du Christ : « Je suis le maitre et le seul maitre, » n'est pas d'un Essenien ; elle repugne a l'esprit de la secte. C'est dans l'amour enthousiaste qui unit les disci- ples de Jesus a leur maitre qu'il faut chercher la grandeur morale du Chretien et le secret de ses hautes destinees; cet amour identifieau maitre le plus humble de ses fideles ; il supprime l'espace et brave la duree. Rien de pareil chez l'Essenien et chczle Therapeule : nous y voyons une tradition lentement, niinulieusc- menl formee, transmise avec scrupule el roideur. L'aUachenienl a la loi est peut-etre plus opiniatre qu'eclaire; l'egalite est inferieure et dure; la vertu devient presque une question do temps; la science n'est pas sans vanite et riiumilitc sans orgueil. Le banquet sacre, qui conslitue enlre l'Essenisme et le christianisme l'analogie la plus saisissante,nous revele avec eclat l'espril original de la religion nou- velle. C'est le (eslin du maitre (ctrna dominicu), auquel president une effusion touchanteet unc intime union. Dans ce feslin s'accomplit le plus grand miracle de l'amour divin. Le .Maitre est la : sa chair se change en une nourriture mystique; son sang est contenu dans la coupe qui circule parmi les frercs et leur verse la vie el Tamour. 84 LE MONACHISME JUIF. Tout ce que Jesus touche, il le transforme, lc pu- rifie, l'idealise, en le penetrant des effluves de son ar- dente charite. La pauvrete, la piete, l'humilite de l'Essenien, jusque-la vertus de seclaires, deviennent, en passant par lui, des vertus humaines. Le banquet sacre ne se borne plus a etre le symbole de la frater- riite humaine, un acte de reconnaissance envers Dieu, c'est la fusion des cceurs operee par le rayonnement tout-puissant de l'amour du Mailre. II serait superflu d'etendre ce parallele aux derniers details. II est done incontestable qu'il existe entre le monachisme juif et le christianisme primitif un cou- rant commun d'idees, de doctrines, de pratiques et de riles. II est incontestable qu'il existe entre eux un lien de parente ou meme, au point de vue chronologique, une sorte de filiation. II est non moi*ns incontestable qu'il y a des differences essentielles dans les tendances et dans l'esprit des deux institutions. Le monachisme juif s'est reproduif, sous une forme a peine alteree, au sein de l'instilution chretienne; mais ce n'est la qu'un cote du christianisme. Le judaisme et le boud- dhisme ont cu leurs couvents comme nous. La\iemo- nastique n'est done pas caracteristiquede 1'institution chretienne. C'est une forme qui s'accommodede cir- constances diverses; c'est un velement, rien de plus. Le monachisme remonteaune tres-hauleantiquite, puisquc nous le trouvons organise en Egypte, autour des plus anciens sancluaires connus, dans l'lnde et dans la Palestine, longtemps avant noire ere. Les peu- plcs aryens, chamitiques et semitiques l'ayanf pra- tique dans des "conditions si diverses, de temps, de LE JIO'ACHISME JUIF. 85 races et de lieux, on peut voir en lni une des mani- festations principales et constantesdu sentiment reli- gienx dans l'hisloire. Celle manifestation, il est aise d( le prevoir, a ele subordonnee anx circonstances generates dans lesquelles elle s'est produite : l'ascete egyplien, l'ascete hindou, l'ascete israelile, l'ascete chretien, sons des traits commnns, ont garde chacun lenr physionomie propre et l'esprit de leur religion. De ce que le monachisme, avant d'etre une insti- tution chretienne, a existe sous toutes les latitudes et chez tous les peuples, il serait pueril de conclure que le christianisme est une copie. Cela prouve sim- plemeni que le christianisme a offert a l'idee reli- gieuse la plus lihre et la plus vasle expansion, qu'il n'a rien laissede ce qui etait noble el grand en dehors de son action. En voici une autre preuve. II existe des analogies nombreuses et profondes entre les dogmes Chretiens et la philosophie de l'ecole juive d'Alexandrie. Les premiers Peres ont trouve dans les livres de Philon, sur Dieu, le Verbe, le libre arbitre, la grace, la reversibilite des merites, des donnees conl'oriiies a leurs doctrines et qu'ils sc sont appropriees. lis y ont trouve une ceuvre immense, relative a Fex6gese biblique, et ils n'ont pas hesile a profiler pour la science chretienne de ce travail ma- gnilique, fruit d'efforts seculaires qui avaient allie les plus haut.es conceptions speculativcs des Grecs a la morale el a la th6odicee des Livres saints. Fideles en ceci, comme dans tout le reste, a l'esprit large el liberal de la renovation chretienne, les Peres ont re- 86 IE MONAGiHSME J Li 1 1'. cueilli avec soin les conquetes de l'esprit humain, et la moisson de la sogesse des temps ecoules. Loin de faire lable rase, ils ont employe avec un sage discer- nement, pour edifier la philosophic chretienne, lcs elements lentement et laborieusement amasses avant eux. C'est pourquoi, au point de vue de l'hisloire de la philosophic et a considerer les choses sous le rap- port exclusivement humain, on peul affirmer que le christiariisme a etc le resullat du soulevement le plus grandiose, le plus unanime et le plus perseverant dc l'humanite vers Dieu. Ceux qui enlassent pages sur pages pour demonlrer que le chrislianismc a des racines partout, que les livres helleniques, aussi bien que lcs Vedas et lc Zend-Avesta, ont ouvert sa voie et proclameplusieurs des verites qu'il enseigne, ceux-la ne s'apercoivent pas qu'ils grandissent Finslitution au lieu de la rape- tisser. Ils rendent cvidenle cette verite que le plan providentiel, depuis 1'origine du monde, fait con- verger les efforts de l'humanite vers la grande reve- lation dont la Palesline devait elre le theatre et la race d'Abraham l'instrument merveillcusement prepare. M. Havet 1 ne se trompe pas quand il de- couvrc dans rhellcnismc un element dont les ten- dances vont droit au christiariisme. Lc phenornene n'est point parliculier a la (ircce. M. llavet le rctrou- vcra enEgypte, a Alexandrie, en Perse, danslinde.il n'en saurait clre autrement, puisquele chrislianisme est la formule la plus elevee du sentiment religieux Lc Christianisme et ses origincs, e l vol. in-8°. Paris, 1872. IE HOMACUlStifi JUIF. 87 dans I'humanite, i'ormule qui, en embrassant toul, a lout fransforme, lout agra-ildi . Aux yeux de l'historien philosophe, 1'oTiginaliledu cbristianisme ne consiste pas en ceci qu'il rie res- semble a rien de ce qui l-a precede, qu'il n'a rien lire des milieux humains ; elle reside dans ee fait qu'il a epure, coordonne, synthelise le resultat de (ous lesprogres anterieurs. Pour le philosophe, sa di- Vinite, ce qu'on pent appcler son grand miracle, tient a ce qu'il a vivifie des elements epars, COndamnes a rester, sans lui, maliere inerte ou infeconde. Saris lui, le judaisme, en depit de son ardeur de prosely- tisme, demeurait la religion dun petit nombre d'hommes, haiset persecutes; les sublimes pages de Platon etaient vouees a i'admiration exclusive des de- licals et des lettres; les theories de Philon sur le Verbe ne descendaient pas des hauteurs de la cosmo- gonie etdela metaphysique; l'exegesebibliquerestait uii jeu d'esprit destine a ekrgir, par un artifice, un texte Irop etroit ; la doctrine et les rites des anacho- reles de Judec et des asceles alexandrms ne sortaient pas de l'enceintedu monastere et s'eteignaienl steri- lernenl dans le rigorisme d'une secle fermee. Zoroastrc et Bouddha, Pytliagorc, Socrate et Pla- ton, Moise el Philon, grands uoms qui symbolisent des siecles et des peuples, des philosophies el des religions, sont done, a divers litres, des precurseuis de Jesus. lis marchent lous vers lui; ils lannoiiceut. S'ils ne le pressentent point lous egalenienl, ils le supposent lous. Ils labourenl profondement le sol qui doil, pour produire, recevoir la rosee celeste dont 88 LE MONAGHISMB JUIF. parle l'Ecriture. lis font lc christianisme possible dans la mesure des forces et des moyens humains. Puis Dieu intervient, eomme toujours; il anime l'ceuvre terrestre et lui souffle une haleine de vie. Jesus nait ; son enseignement, sa vie et sa mort, en dirigeant des aspirations vagues, en remplissant toute attenle, en reculant les horizons et agrandis- sant les perspectives, en vulgarisant la charile et l'amour, changent le possible en reel. Le Verbe s'est fait chair et a habite parini nous. DEUXIEIYIE SECTION LE MONACHISME JUDEO-ALEXANDRIN DE LA VIE CONTEMPLATIVE OU DES VERTUS DES SUPPLIANTS 1 Apres avoir parle des Esseniens, qui aiment ct pratiquent la vie active mieux que tous les hommes, ou, afin de me servir d'une expression plus accep- lable, mieux que la plupart des hommes, pour suivre l'ordre du sujet, je dirai cequi concerne ceux qui ont embrasse la vie contemplative 2 . Je ne tirerai de mon fondsaucun ornement, comme il arrive d'ordinaire aux poetes et aux faiseurs de 1 Nous avons mis tons nos soins a 6tablir le texte grec ; pour cela, nous avons compare les editions aux meilleurs manuscrits do Paris el de Florence. Dece travail il estresultelin assez grand nom- brc de lecons nouvelles; ne pouvant les iudiquer toutes iei, il faudra nous contenter de noter les plus importantes. - C'esl danscette phrase, ou nous ne voyons, quant, a nous, qu'une simple opposition entre la vie contemplative et la vie pratique, que Scaliger a voulu trouver la preuve que Pinion confond les Esseniens et les Therapeutes. 90 LE MONACHIbME JUDEO-ALEXANDlilN. discours 1 , auxquels la beaute de la matiere manque; je procederai axec simplicity, et ne viserai qu'a l'exactitude. II n'y a pas d'eloquence qui puisse at- teindre ici la verite. J'y ferai cependant tous nfes efforts : il ne faut pas que la grandeur de la verlu chez ces homines reduise au silence ceux qui estiment que rien de ce qui est beau ne doit etre tcnu cache. La doctrine de ces philosophes apparait tout d'a- bord dans leur nom : on les appelle avec raison The- rapeutes et Therapeutrides *, soil pavce qu'ils font pro- fession d'une medecine superieurea celle qui a cours dans les villes, qui neguerit que le corps, tandis que la leur delivre les ames de ces maladies graves' et re- belles dont nous affligent les voluptes, les desirs, les soucis, la crainte, l'avarice, l'irreflexion, l'injustice et les aulres passions qui torment 1 innombrable mul- titude des vices; soit parce qu'ils ont appris par l'e- lude de la nature et des saintes lois a servir l'Etre, qui est meilleur que le bien, plus pur que l'unite, preexislant a la monade s . 1 Le Grec les appelle loyoyp&yoi. Les rheleurs avaient l'habitude de composer, pour etre reciles en public, des discours qui s'appli- quaient, soit aux evenements passes, soit a des tlieses philosophiques ou litteraires. En opposant ce traite aux exercices rhetoriques ou litteraires des Grecs, Pinion ne saurait alfirmer plus energiquement le caraclere historique de la Vie contemplative. - Du mot Qepcuteueiv, qui a les deux sens de gaerir et de servir. 3 Philon vent dire que les trois principaux aspects de Dieu sont la Bonte, l'TInite, la Monade (mot employe dans un sens different par Leibnitz). Dieu est le souverain Bien : de lui decoulent l'ordre et I'harmonie dans le monde; il est Un, parce qu'il n'est pas compose de parties ; il est Seul, retire dans les profondeurs infmies des a toute- puissance, ou nul etre ne pent Tatteindre, meme par la pensee. Mais son premier attribut, celui dans lequel reside l'essence ineme de la divine substance, e'est l'Etre, Jehovah, tel que l'a defini Mo'ise : Jc suis Cclui (jui suis LE MONACIIISME Jl DEO-ALEXAMH'.IN. 91 Qui pourrait-on leur comparer parmi ceux qui font monlre de leur piete? ■ Sera-ce ceux qui adorent les elements, la tene, l'eau, l'air, le feu, auquel chacun donne les noms qu'il lui plait? Ainsi le feu, ce me semble, a ele appele He- phaestos du mot Excipsis, qui signifie Faction d'allu- mer; l'air a ete appele Hera, du mot Rxrestha'i, qui signifie s'elever, parce qu'il tend a monler; l'eau a ete appelee Poseiddn, sans doute du mot Potos, qui signifie boisson ; la terre a ete appelee Dimeter 1 , parce qu'elleparait etre la mere (meter) des vcgetaux ct des animaux. Ces noms sont des inventions deso- phistes. Les elements ne sont rien qu'une matiere ina- nimee, inerle, soumise a l'ouvrier pour recevoir de lui les formes 2 d'ou resultent l'aspect et la qualite des choses. Sera-ce ceux qui adorent les influences celestes, le soleil, la lime, les autres astres, fixes ou erranls, le ciel cntier et le monde? Ces elres, pas plus que les autres, ne sesont fails d'eux-memcs ; ilssonH'ceuvie d'un demiurge 5 d'une science profonde. Sera-ce ceux qui adorent les demi-dieux? culle ridicule! Comment, en e'ffet, une memo personne pcul-elle etre a la fois mortelle el immortelle? Et 1 Excepts In derniere, toutes ces etymologies sont de purs j L'egalil6, oomme I'affirment tous ceux qui dtudient la nature, esl mere de la justice... ; e'est elle qui a toul regie au eiel et sur la terre, el pose" les liases eternellcs du droil 96 LE MONACHrSME JUDEO-ALEXANDIUN. or, c'est la justice qui nous manifesto la vraie ri- chesse, celle de la nature 1 , bien superieure a celle qui consiste clans de vaines opinions. Lorsqu'ils se sont debarrasses de leurs biens, et qu'aucun charme ne les retient plus, ils s'cnfuient sans retour 2 , abandonnant freres, enfants, femmes et parents, loin des lieux frequentes ou sont leurs fa- milies, leurs amis, leurs coinpagnons, loin de la pa- trie qui les a vus nailre et grandir : car le commerce des autres hommes peut beaucoup pour entraver et seduire. Ils emigrent, non pas dans une autre ville, comme ces esclaves qui obtiennent de leurs posses- seurs qu'on les vende ; infortunes et miserables qui n'ecbappent pas a la servitude parce qu'ils changent de maitres ! D'ailleurs il n'y a pas de ville, meme la mieux policee, qui ne soit remplie de troubles, de desordres, de tracas sans nombre, intolerables a celui qui s'est voue a la sagesse 3 . lis s'etablissent hors des divin ethuraain... Au sein de 1'univers, c'est l'ordre; dans les Etats, c'est la forme de gouvernement la meilleure et la plus legitime, la democratic; dans le corps, c'est la sante ; dans l'ame, c'est la vertu. » 1 Lorsque Philon parle de l'etude de la nature, il entend designer la science -vraie, la saine philosophic, par opposition a la sophistique qu'il reproche souvent aux Grecs. On sait que les philosophes d'une des plus anciennes et des plus illuslres ecoles de la Grece portaientle nom de physiciens. Par extension, lorsque notre auteur parle des richesses de la nature, il fait allusion aux richesscs qui sont serieuses et reelles. 2 Le mot que nous traduisons par : sans retour, oifi.sT»eTpsTvvi, a en grec l'ambiguite que nous conservons dans notre traduction. Ce terme signifie-t-il que le Therapeute se voue pour toujours a la vie ascetique, sans possibilite de revenir a la vie du siecle, ou Lien si- gnifie-t-il que l'ascete, possede de l'amour divin, s'enfuit dans la solitude sans regret, sans retour sur lui-meme, sans regarder en arriere? Malgre l'interet qui s'attache a la solution de cette difficulte, nous n'hesiterpns pas a declarer (Ki'elle nous semble insurmon table. 3 2o- r iv. a ici le sens de science. LE MONACHISME XUilEO-ALEXANDRIX 97 murs des cites, dans des jardins ou des lieux soli- taires, recherchant la solitude, non par une misan- tliropie farouche, mais pour eviter le contact avec des homines de inoeurs opposees, sachant que ce contact est dangereux et nuisible. Celte ospece de sages existe enbeaucoupd'endroits dc la terre habitee; car il convenait que la Grece el les pays barbares possedassent egalement ces mo- deles dc verlu ' ? On les trouve en plus grand nombre en Egypte, dans chacune des provinces qu'on ap- pelle Nomes, et surlout aux environs d' Alexandria De loules parts les Therapeutes les plus eminents sonl envoyes en colonic dans un lieu fort propice, qui parait consider^ coinine la pa trie 2 de la secte; ce lieu est situe au bord du lac Maria, sur une colline peu elevee, aussi bien choisie pour la surete du lieu que pour la purele de l'air. La surete est fournie par une ceinture de metairies et de villages, et la bonte de lair provient des brises continuelles qui s'elevent non-seulementdu lac a son embouchure dans la mer, mais encore de la mer elle-meme qui est voisine. Les brises du large sont subtiles, celles de l'embou- chure du lac sont epaisses, et de leur melange resulle un etal atmosplierique tres-salubre. Les habitations des solitaires reunis son! tres- simples et leur lburnissent un abri contre deux choses qu'il faut de toule neccssite eombattre, l'ardeur du 1 Le grec dit : de bien parfait. - On appelle maintenant encore, dans les ordres religieux Chre- tiens, maisons-meres lea (Hablisseineuts centraux qui fondent, you- vernent et administrent leurs pareils. 6 m L.E MONACHISME JUDEO-ALEXANDR1N. soleii et les rigueurs du froid ; elles ne sont pas con- tigues, coinme dans les villes (les embarras du voi- sinage seraient importunsa des gens qui desirent et recherchent la solitude) ; elles ne sont pas eloignees, a cause de la communaule qu'ils aiment, et afin de pouvoir se porter mutuellement secours, s'ils etaient altaques par les voleurs. Dans chaque habitation se trouve un lieu sacre, qn'on appelle Semnee i ou Monastere 2 . Cost la que dans l'isolemenl ils accomplissent les mysteres 3 de leur sainte vie. Ils n'y apportent ni boisson ni ali- ment, ni rien de ce qui est necessaire aux besoins du corps, mais la loi, les oracles sortis de la bouche des prop'ietes, des hymnes et ce qui est de nature a ac- croilre et perfectionner la science et la piete. La pensee de Dieu leur est loujours prcsente, au point que, meme dans leurs songes, ils n'aper- goivent rien autre chose que les beautes desYerlus* de Dieu et de ses Puissances. Beaucoup d'entre eux parlent durant lc sommeil 5 et recoivent en songe la 1 C'est-a-dire : lieu saint. Nous r^tablissons ce passage d'apres les manuscrils, Les editions portent : 'Ex&vru Se h-i-j ol/.r^a lepov... Chacun possede une habitation sacree... On comprendra mieux que chaque habitation possede un endroit retire et sacre pour la medita- tion et la priere, un oratoire. - C'est-a-dire : lieu destine a reccvoir ?/» homme seul. ~> Mysteres (//.sjcrif ptx) se di't de toute ceremonie secrete, de tout rite qui concerne la religion. ' l Nous restituons, d'apres les manuscrits, au texte de Pliilon, les mols k/jstwv zat... II taut, en effet, distinguer les Yertus des Puis- sances divines chez notre philosophe; Les Puissances sont des entites, des Logoi ou Verbes, qui gouvernent un certain ordre de clioses, et relient I'univers an Greateur. Les Vertus sont les manifestations tres- nombreuses de l'Etre, les divers aspects sous lesquels il s'ofl're a la vue de notre intelligence; 3 Evidemment nous soinmes ici en presence des phenomenes pro- LE MONACIIISME JlTDEO-ALEXANDRIN. 99 revelation des plus hauls enseignemenls do la science sacree. lis ont Thabitude de prior deux fois ehaque jour, le imtin et le soir. Au lever du soleil, ils implorent un jour heureux, veritablement heureux, et demandent que leur intelligence s'einplisse de la lumiete celeste ; an coucher du soleil, ils demandent que leur ame, entierement affranchie des enlraves des sens et du poids des choses sensibles, puisse retiree en elle- meme et comme dans son conseil 1 , se livrer a la re- cherche delaverile. L'espace compris entre le matin et le soir est tout entier employe a la meditation. Ilsetudient lessaintes Ecrilures et appliquent a la philosophic de nos ancetres la methode de l'allegorie. Ils croicnt, en eft'cl, que le sens litleral couvre un sens mysle- rieux que 1'interprelalion devoile. lis possedent aussi des ecrils composes a une epoque reculee par les fondateurs de la secle. Ces f'ondateurs ont laisse de pres a l'extaso, que Jamlilique decrira avec tant de complaisance dan? son livresurlesJlfi/steres. Philon adraet sans peine l'inspiration reelle des saints ascetes; il professe que les songes sent mules moyens dont Dieu se sert le plus ordinairement pour entrer en communication avec I'homme. 11 a compose un traite sous ce Litre : l.cs songes viennenl de Dieu. II ressort, en outre, de ce curieux passage, que le don tie prophetie devait etre frequent chez les Therapeutes. A ['opi- nion qui leur attribue la redaction des oracles pseudo-sibyllins, qui seront etudies plus loin, on pent objecter que les solitaires sont trop preoccupes de science sacree pour acquerir le talent lilteraire el profane 0.6c ssaire au sibyiliste; mais ['objection tombc el la vrai semblance de l'opinion subsisle, si I'on reflechit qu'il a du arriver ' souvent que les couvents de rherapeutes onl iccu et inspire des Juifs ante*rieurement hellenis^s par un contacl soutenu avec les Grecs, et qui embrassaient la vie ascetique sur la fin de leur carriere. 1 L'ame est ici personnifie'e el assimilee a un prince qui reunit autour de lui son conseil pour di-libcier. 100 LE MONACHISME JUDEO-ALEXANM'.IN. nombreux commentaires qui contiennent dcs mo- deles u" allegories et dont leurs successeursse servent pour en composer d'autres en les imitant l lis nc sc livrent pas sculement a la contemplation, ils composent aussi a la louange de Dieu des hymnes etdescantiques, dont le metre et la melodic 2 varient, mais tju'ils adaplent, com me il convient, a un rhytlime grave. Pendant six jours, chacun d'eux resle isole, occupe a la philosophic, dans le monastere dont j'ai parte, sans franchir leseuil de sa retraile, memo sans jeter dehors un regard. Le septieme jour, ils se reunissent comme pour un enlretien commun. Ils s'assoient suivantl'ordre de l'age, dans une altitude recueillie, ayant les mains ramenees vers le corps 3 , la droite entre la poilrine el la barbe, la gauche tombant sur le ilanc. Mors s'avance et prend la parole le plus age et le plus verse en science. Sa physionomie est grave, sa voixest grave; son discours est plein de raison cl de 1 Nous pensons, avec Thomas Mangey, qu'il y a probablement ici une Iacune. II semble nature] que I'hilon ne s'est pas born'-, sur un point aussi important que le systeme des allegories, a cello breve indication. Les passages supprimes contenaient peut-elre dcs ren- seignements sur l'origine des Therapeutes et la nature des ecrils attribues a leurs fondateurs, qui ont paru peu en accord avec I'opi- nion qui faisait d'eux des disciples de saint Marc. - Le metre determine 1'espece du vers par la combinaison et le nombre des pieds; la melodie, e'est l'air sur lequel se cliantentles paroles du vers; le rhytlime, e'est la maniere lente ou rapide, uni- forme ou saccadee qui regie le chant. n Le grec dit: aijanl les mains en dedans [zii #e?/:as iyvnzc, etav), pour indiquer que les moindres details de l'attitude sont regies et composes en vue de la decence et de la gravite religieuse; qu'enfin ces details font parlie du rite. LE MONACHISMG JUDEO-ALEXAM)RIN. 101 sagesse; il n'a pas l'eclat de ceux des rheleurs ct des sophisfes de notre iemps : il ne vise qu'a la clarte de l'expression et a la precision des pensees, et, de la sorte, n'effleure pas seulement les oreilles, mais,par l'ouie,penetre dans l'esprit et s'y etablit fermement. Tous les autres l'ecoutenten silence et nemanifestenl leur approbation que par un clin d'yeux on un signe de tete. Le Semnee commun dans lequel ils se reunissent le septieme jour est forme par une double enceinte, 1'une reserveeaux liommes, l'aulre aux feinmes : car il est d'usage d'admettre a ccouter ce discours les feinmes qui ont embrasse le genre de vie de lasecle. L'edifice est partage par un mur de trois ou quatre coudees 1 de haut, en forme de parapet. Du sommet de ce mur jusqu'au toit l'espace est vide. II y a de cette disposition deux motifs ; le premier, c'est de respecter la pudeur qui convient au sexe de la femme ; le second, de ne pas arreter la voix de l'orateur 8 . Apres avoir fait de la temperance le i'ondement de leur amc 5 , ils edifient sur cette base les autres vertus. Aucun d'eux ne goule d'aliment ou de boisson avant le coucher du solcil, car ils estiment que si l'etude de la philosophic est digne de la lumiere, les neces- 1 C'cst-a-dire 2 m ,25 ou ." metres. '- 1 Cette disposition seretrouve dans nos temples Chretiens : lccliocur est r|.'\v de ?si 'I 11 '' donnent les manuscrits I, es editions ofl'rent un sens unpen diffe- rent : « Apres avoir mis dans leur ame la temperance comme un f'on- demenl solide... » 6. 102 LE MONAGHISME JIDEO-ALEXANDIUN. sites du corps ne rtieritent que les lenebres ; c'est pourquoi, a la philosopliie ils consacrent le jour, au corps ils ne donnent qu'un court espace de la nuit 1 . Quelques-uns, chez lesquols la passion de la science est encore plus forte, restent trois jours sans songer a la nourrilure. II y en a meme qui trouvent tant de charmes et de jouissancea ce feslin ou la sagesse leur prodiguelcs tresors de ses enseignemenls, qu'ils sup- portent l'abstinence deux fois plus longtemps, et prennenl a peine, au bout desix jours, la nourrilure nccessaire 2 . Ainsi les cigales vivent, dit-on, de rosec, et tiompent, a mon avis, la faim par leurs chants. 11 y a une reunion du septieme jour qu'ils consi- dered comme la plus sainte et la plus solennelle, et qu'ils ont jugee digne d'une celebration particuliere. Ce jour-la, apres les soins donnes a lame, ils fetent le corps, qu'ils traitent comme une bete de somme, et dont ils suspendent pour un temps le labeur. lis ne mangent rien de recherche, mais simplement du pain, assaisonne de sel, et auquel les plus delicals joignent de l'hysope; ils ont pour boisson l'eau des sources. lis cherchent a salisfaire les deux maitresses que nous a donnees la nature, la faim et la soif, et ne leur off rent rien qui puisse les flatter, mais seulement les choses necessaires el sans lesquelles on ne peut 1 La vie du Therapeute est, on le voit, une protestation perpe- tuelle de l'esprit conlre le corps; c'est un duel de chaque instant entre Fame el la chair. Le fail de ne prendre de la nourrilure qu'apres le coucher du soleil constitue le jeiine chez les Israelites. - II ne faut pas, je crois, seMter d'accuser notre auteur d'exage- ration ; les fails, aujourd'hui mieux connus, relatifs aux phenomenes du sommeil magnetique el de l'extase, ont, surbien des points, mon- tre hi realile de choses tenues jadis pour mensongeres. LE MONACIIISME .lUDEO-ALEWNDRIX. 1(T> vivrc. Pour ce motif, ils mangent de facon a u'avoir plusfaim, ils boivent de facon a n'avoir plus soif, evitant la satiete comme un euneini dangereux de Tame et du corps. lis ont deux sortes d'abris, le vetcment et l'habita- tion. J'ai dejii dil de leur habitation qu'elle etait sans recherche, construite a la hale et en vue de la neces- sity seule; leur vetcment est ue meme tres-simple, destine a les proteger contre le froid et la chaleur : c'esl, lhiver, un epais manleau, en place de peau de" bete avec sa fourrure, et l'ete, unc exomide, ou une tunique de lin l . En toute chose, ils pratiqucnt I'humilite; sachanl bien que l'orgueil vient du mensongc, et I'humilite de la verile; que ces deux choses sont comme deux sources ; que du mensonge decoulcnt ioutes les es- peces de maux, et de la verite tous les tresors des biens humains et divins 2 . Je vcux aussi decrire leurs reunions, raconter les rejouissances de leurs festins et les opposer a ce qui sc passe ail leurs. D'un cole, voici des convives, qui, apres s'etrc gorges de boissons, comme s'ils eussent absorbe, nort 1 L'exomide esi une tunique, appropriee au travail manuel, qui laisse librc le bras droit', et qui servait de vfitement aux gens du peunle. F,e lexie grec appelle o0d»>i ce que nous traduisons par : tu- nique fi.i>-/i) designe proprement une etof'fe multico- lore et bigarree. II s'agit ici soit des nappes dont on couvrait les tables, soit des couvertures jetees sur les lits. 4 Vases en forme de cornet, troues a la petite extremite, et des- quels les vins les plus precieux tombaient goutle a goutte. 5 La palere [fiihi] est une espece de bol, sans pied et sans anse. 6 La coupe [/Jj1i\) est un vase de forme ronde et aplatie, elevesur un support elegant, lequel repose sur un pied evase. 7 Grandes coupes de terre noire, nventees par un potierdeCorin- the, nomrae Thericles. LE MONACIIISJIE JUDEO-ALEXANDRIN. 107 au burin des ciseleurs Ies plus habiles. Lcs servifeurs sont des esclaves d'une forme et d'une beaute irre- prochables, qui paraissent moins destines au service qua rejouir par leur aspect la vue de ceux qui les regard en t. Parmi ces esclaves, ceux qui sont encore enfanls versent le vin, ceux qui sont adolescents portent l'eau. lis sont pares el parfumes; ils ont le visage peint et farde, les cheveux entrelaces et irises avec art. Leur chevelure est longue; les uns la portent enticre, d'autres l'ont coupee, a l'extremite, sur le front, egalement de chaque cote, et en cerclc. lis sont rcvetus de tuniques d'une finesse extreme, d'une blancheur eclatante, tombant par devant un peu au- dessous du genou, en arriere un peu au-dessous du jarret. Sur chaque bord, les fenles de la tunique sont ratlachees par de grosses tresses doubles qui drapent obliquement l'etoffe et ibrment de larges plis sur les cotes. Ainsi pares, ils se liennent en observation. II y a encore d'autres esclaves : sur leurs joues fleu- rit a peine le premier duvet ; ils faisaient tout a l'heure lcs delices des pederastes ; car on les a dresses avec le dernier soin a cet important oftice. Pur etalage de l'opulence de l'ampliitryon, ou plulot, a vrai dire, de son mauvais gout, coinme le savent ceux qui out pris part a ces festins I Avec ccla, il y a une profusion de gateaux, de sauces, de friandises elabores par les patissiers et les cuisiniers, qui songcnt moins, comrne il le faudrait, a rejouir le gout que la vue par relegance de leurs preparations. Sept services, et meme davantage, se 108 LE MONACHTSHE JUDEO-ALEXANDRIN. succedenf, etalant tout ce que la terre, la mer, les fleuves et l'air produisent, charges des viandes les plus rares et les plus exquises des animaux terreslres, aquatiques ou ailes, tous differents d'appareil el d'assaisonnement. Pour n'omettre aucune espece des productions de la nature, le dernier service qu'on apporte est rempli de fruits, sans compter ce qu'on reserve pour le souper et ce qu'on nomine les colla- tions. Puis, on enleve les plats, les uns vides par la voracite des convives, qui, pareils a des foulques 1 , se sont gorges au point de ne pas meme laisser les os, les autres, ou Ton voit des debris pele-mele, et des lambeaux a demi ronges. Lorsqu'ils n'en peuvent plus et qu'ils ont l'estomac plein jusqu'a la gorge, affames par leurs desirs, ras- sasies par la chair, on les voit tendre le cou a la ronde, courir du regard apros la qualile et la quan- tity des viandes, et de l'odorat apresle fumetqu'elles exhalent. Enfin, quand ils ont pleinement repu leurs yeux et leurs narines, ils s'excitent encore a manger, en faisant l'eloge de la bonne chere et se recrianl sur la magnificence de leur hote. Mais pourquoi insister sur des choses que la plu- part des gens qui ont conserve quelque moderation, blament, comme surexcitant des desirs qu'il faudrait reprimer? La faim et la soil', malgre leurs horreurs, sont preferables a la prolusion excessive de mets et de boissons que Ton recherche dans ces rejouis- sances. 1 Oiseau demer, auquel les anciens avaient fait une grande repu tation de gloutonnerie. LE MONACHISME JUDEO-ALEXANDRIN. 109 II y a chezles Grecs deux feslins celebres et dignes de remarque, auxquels Socrate assista. L'un fut donne par Callias, pour feter la victoire d'Autolycus, qui avait remporte une couronne aux jeux olympiques; J'autre fut donne par Agathon. Deux homines, qui furent philosophes aussi bien dans leur conduite que dans leurs discours, Platon et Xenophon, ont juge ces festins dignes de memoire, et les ont consi- gnee dans leurs ecrits, les offrant a la posteritecomme des modeles de la bonne ordonnance d'un banquet. Et pourtant, si on les compare aux banquets des notres qui ont embrasse la vie contemplative, ils paraitront ridicules. Ils ont chacun leurs plaisirs. Celui de Xenophon en offre de plus conformes a la nature humaine : il y est question de joueuses de flute, de danseuses, de jongleurs, de bouffons qui sont fiers de leurs farces et de leurs quolibels ; il s'y agit de tout ce qui peut exciter la gaiete. Celui de Platon roule prcsque tout entier sur l'amour, non pas celui qui inspire aux hommcs pour les femmes et a celles-ci pour les homines des transports pas- sionnes, qui n'ont toutefois rien de contraire a la loi de nature, mais sur cet amour dont les homines bm- lent pour d'autres homines, qui ne different d'eux que par l'age. S'il s'y rencontre quelque passage d'un ton plus eleve, ou Ton parle de l'amour vrai et de la volupte celeste, c'est pure elegance; car la plus grande partie du livre est consacree a celebrer la passion, impure et si repanduc, qui detruit la virilite et cette vigueur aussi utile dans la paix que dans la guerre, qui engcndre dans les ames un mal enervant, 7 110 LE MONACHISME JUDEO-ALEXANuRLN. qui transforme en androgynes 1 des homines qu'il faiidrait, par toutes sortes de soins, affermir et forti- fier, qui deshonore le jeune age, en lui donnant le role et le temperament propres au sexe, objet de nos desirs, qui cause enfin aux pederasles eux-memes les plus grands dommages, en ruinant leur corps, leur ame, leurs biens. Qu'arrive-t-il, en effet?C'est que l'esprit du debau- che, tendu vers sa passion, n'a de clairvoyance que pour elle, et dans tout le reste, qu'il s'agissse d'af- faires publiques ou privees, apporte une vue hebe- tee, a cause de ses infames desirs, surlout s'ils sont inassouvis. Ses biens diminuent de deux manieres, soit par incurie, soit par les depenses que lui impose l'objet de sa passion. A tout cela s'ajoule un autre mal plus general et plus grand. Ce vice odieux cause la desolation desEtats, la destruction de la meilleure partie du genre humain, la sterilile et le deperisse- ment ; il rend le debauche pareil a ces laboureurs ignorants, qui, au lieu du sol profond de la plaine, ensemencent des endroits sablonneux, pierreux, es- carpes, condamnes a ne jamais rien produire ou a etouffer les germes qui pourraient s'y developper. Je passe sous silence les fictions de la fable, ces etres possedant deux corps, que dans l'origine la puissance de l'amour avait reunis, et qui se sont separes ensuite 2 , quand le lien harmonique qui 1 C'est-a-dire en etres depourvus de sexe, parce qu'ils operent un odieux melange des attributs de chaque sexe. Androgyne signilie homme-femme. 2 Voici le passag-e de Platon, auquel il est fait allusion : « ... 'Avopoyuvov yxp sv to-; /xkv v?v to stoo;, /at ovoy-z ■-% k/x^ozifM-i LE MONACIIISME JUDEO-ALEXANDR1N. Ill les enchainait s'est rompu. Ce sont la des contes, qui peuvenl bien, par leur nouveaute, charmer les oreilles, mais que meprisent, comme de vaines su- pei'fluites, les disciples de Moi'se, instruits des leur enf'ance a aimer la'verite et a n'en point quitter les senliers. Ces banquets renommes contiennent assezde niai- series pour porter en eux-memes leur condamnation, aux yeux de quiconque voudra ne pas s'en tenir a l'opinion regue, qui les presente comme de parl'aits modeles 1 . Je \ais meltre en regard les banquets des homines qui ont consacre d'une manierc speciale leur vie el leurs personnes a la connaissance et a la con- templation des choses de la nature, sous l'inspiration des saints preceptes du propheteMoise 2 . lis se reunissent d'abord apres un inlervalle de sept semaines; car ils n'honorent pas seulement le nombre sept en lui-memc, mais aussi son carre 3 , xotvov touts xppsvos y.cd BvjAeos " '/.tipy.i Si Heoxpas eT^e xvl ff *si»! ~v- Ina. rats x £ , c, 'i yyi - xpoawTzct o'jo... — « L'androgyne 6tait alors une forme unique; son nom etait emprunte au male et a la femelle. II avait quatre mains, des jambes en pareil nombre, et deux vi- sages... » 1 II est difficile, apres avoir lu eeltc critique aussi vive que juste des ecrits de Platon et de Xenoplion, de partager l'opinion de ceux qui ne veulent voir dans notre philosophe qu'un limide copiste des maitres grecs. Dans l'ceuvre de Pinion, il y a cent passages analo- gues qui attestent avec eclat l'independance de sou genie, la libei te de ses appreciations, et la valeur de son eelectisme. 2 Comment se fait-il que I'historien des Therapeutes, s'il parle de disciples du Christ, oublie ici de mentionner I'origine recente des moines alexandrins, et se contente de les rattacher a Moi'se? 3 Ce carre e^t 4'.». Nousnous abstiendrons de tout commentaire sur la doctrine relative aux nombres, a laquelle il est fait allusion ici. Cette doctrine, de source pythagoricienne, etait, comme on voit, en lionneur dans les 112 LE MONACHISME JUDEO-ALEXANDRIN. qu'ils savent etre pur et toujours vierge. Le jour de cetle reunion arrive la veille de leur plus grande fete, laquelle torabe au cinquantieme jour; il repre- sente le plus saint el le plus nalurel 1 des nombres, resultant du Carre du triangle rectangle, principe de la generation et de l'agencement de l'univers. lis se rassemblent done en habits blancs 2 , portant dans l'allegresse une gravite profonde. Au signal donne par l'un des ephimereutes 5 (e'est le nom qu'ils ont l'habitude de donner a ceux qui remplissent cet of- fice), avant de se mettre a table, ils se placent tousa la suite, en rang, avec ordre, et levent leurs yeux et leurs mains vers le ciel ; leurs yeux, car ils sont for- mes a regarder les choses dignes de contemplation; leurs mains, car elles sont pures de toute tache, et ricn de ce qui touche la recherche du gain ne les a ja- mais souillees. Ils prient Dieu de leur etre propice et de leur accorder un festin intellectuel. Apres la priere, les plus ages prennent place a la table, selon le rang que donne l'admission dans la secte. En effet, ils ne considerent pas comme des vieil- lards ceux qui sont avances en age et ont les cheveux lnonasteres alexandrins, et peut-etre n'etait-elle pas tout a fait in- connue dans ceux de la Palestine. II est certain qu'elle etait ac- ceptee par l'ecole philosophique des juifs d'Alexandrie; le traite de I'hilon sur la Creation du monde le prouve. Nous reservons pour l'etude de ce traite les reflexions que nous inspirent ces pretendues vertus des nombres. 1 Le grec porte sa^i' repele les indica- tions donnccs plus haul, relatives au pain, au sel et a l'liysope. 116 LE MON'ACHISME JUDEO-ALEXANDRIN. Niphales 1 , ils s'abstiennent tie vin, et la droite raison leur prescrit ce genre de vie, car le vin est un breu- vage de folie, et la variete des mets excite la plus in- satiable des betes, la concupiscence. Tels sont les preliminaires du banquet. Quand les convives ont pris place a table dans l'ordrc que j'ai dit, quand les servants se tiennent debout ranges, prets a remplir leur office, n'est-il pas question de boire, dira quelqu'un? Tout au contraire, un silence plus profond qu'auparavant s'ctablit, a ce point que nul n'oserait murmurer ou merae rcspirer trop fort. L'un d'entre eux propose une question tiree de l'Ecri- ture Sainte ou bien resout une question posee par un autre, sans s'inquieter de la solution qu'il apporte ; car il ne cherche pas la gloire qui s'attache a l'eclat du discours; il n'a d'autre desir que de voir exacte- ment ce dont il s'agit, et, Payanl vu, de ne pas s'en prevaloir sur ceux qui lui sont inferieurs en perspi- cacity, parce qu'ils ont un desir d'apprendre egal au sien 2 . II enseigne done a loisir, sans crainte des repeti- tions ou des longueurs, gravant les pensees dans les ames. Dans les explications, donnees d'une maniere rapide et sans pause, il arrive, en effet, que l'esprit deceux qui ecoulent, ne pouvant suivre, reste en ar- riere, et que l'intelligence des choses qu'on dit lui ecbappe. Tourne vers l'orateur, rauditoireattentif, dans une 1 Sacrifices ou les libations se font sans vin. 2 II est impossible de mieux exprimer les pins e\qnises delicatesses du sentiment de l'humilite chretienne. LE MONACHISME JCDEO-ALE1ANDRIN. 117 seule et meme altitude, l'ecoutc; il temoigne qiril suit et comprend par un signe de tete ou le jeu de la physionomie ; qu'il approuve, par un air d'allegressc et une expression epanouie; qu'il est d\in aulre avis, en branlant doucement la tete et en dressant un doigt de la main droite 1 . Les jeunes gens qui assistent n'e- coutent pas avec moins de soin que ceux qui sont a table. Les commentaires des saintes Ecritures consistent en interpretations au moyen des allegories. L'ensem- ble de la loi leur parait ressembler a un animal : les preceptes en sont le corps, et l'ame est representee par l'esprit invisible cache sous les expressions. C'est dans cet esprit que la Raison 8 , a laquelle les mots servent de miroir, commence a s'apercevoir claire- ment elle-meme el decouvre sous les phrases les beau- les exlraordinaires des pensees; elle ouvre ensuite l'enveloppe qui les recouvre, et met a nu et au jour l'objet de sa recherche, mais pour ceux-la seuls qui peuvent, sur le moindre indice, voir I'invisible a tra- versle visible. Quand il semble que le president 3 a assez parle, et 1 Ces details, commc on voit, repetcnt, en les compliant, ceux qui nous ont ete deja fournis, a l'occasion des reunions hebdoma- daii-cs. Quelques lignes plus loin, on lira un passage qui reproduit les indications deja fournies sur la m6lhode allegorique appliquee a ^interpretation des Ecritures. La Vu contemplative semble ainsi ?e composer de deux parties | aralleles : l'une, generale, qui nous a paru mutilee, l'autre, speciale; la premiere est consacree a formuler la regie de la secte; la seconde, a raconter la celebration de la Grande Fetr. * Le grec dit : Vdme ralionnelle, ioyixq ^ux y 5' c'est-a-dire la rai- son universelle re'pandue dans le monde, dont I'intelligence humaine est comme une jiarcelle. Cette ame ralionnelle est l'image, suivant Pbilon, du Yeibe divin. * On voit que la bierarchie est, sinon absente dans la secte, du 7. 118 LE MONACHISME JUDEO-ALEXAINDRIN. que tout s'est passe a souhait, l'orateur ayant dis- couru a propos, et l'auditoire ayant profite de son discours, un applaudissement unanime s'eleve qui marque le plaisir qu'ils eprouvenf. Alors, le president se leve et chante un hyrane a Dieu, qu'il a recemment compose lui-meme ou tire de quelque ancien poele. Les poetes 1 ont, en effet, laisse des metres et des chants, sous forme de vers trimetres, de cantiques, destines a etre chantes pen- dant les libations, autour del'autel, en repos, en pro- cession, en marche, Lien adaptes aux nombreuses evolutions du choeur 2 . A la suite du president chacun en fait aulant, avec ordre, avec la decence qui convient, les autres ecoutant dans le plus grand silence, excepte quand il faut chan- ter les dernieres paroles de l'hymne et du refrain, car alors lous, homines et femmes, unissent leurs voix 3 . moins assez vaguement indiquee. Les fonctions de president peuvent etre remplies par tous, et I'ephimereute est plutot un maitre des ceremonies qu'un homme investi du sacerdoce. II n'y a pas, d'ail- leurs, de sacrifice, et l'office du pretre n'a pas de raison d'etre. 1 11 s'agit, bien eatendu, des poetes de la secte. 2 Le Grec nomine ces chants : nxpxaizovdeix, nxpz&o>p.ix, Ou fj.iziy/ii toutwv • o\l yap ravr' et-; Si'6u//y. (Vers 109.).) a * Tviv StSuiian W)ii. 128 LA SIBYLLE GRECQUE. l)iens nous arrivent par un delire inspire des dieux. C'est dans le delire, que la prophetesse cle Delphes et les prelresses de Dodone ont rendu aux citoyens et aux Ela!s de la Grece mille importants services; de sang-froid, elles ont fait fort peu de bien, ou meme elles n'en ont point fait du tout. Parler ici de la Si- bylle et de tous les prophetes, qui, remplis d'une inspiration celeste, ont dans beaucoup de rencontres eclaire les homines sur l'avenir, ce serait passer beaucoup de temps a dire ce que personne n'i- gnore l . » Ce passage est d'une importance capitale pour l'his- toire des anliques proprieties qui nous occupent. Tl constate, en effet, preincrement, que les principaux sancluaires de la Grece primitive avaient pourorganes des oracles qui se rendaient, soit a Delphes, soit a Dodone, soit, selon toule vraisemblance, a Delos et ailleurs, des femmes dont le nom variait suivant le nom local du dieu au culte duquel elles apparte- naient; secondement, que les predictions de ces pro- phetesses avaient coutume d'intervenir dans les grands evenemenls politiques, et exercaient ainsi sur la des- tinee des Etatsune influence supreme; troisiemement, que, des le cinquieme siecle, il existait, sous le nom de la Sibijlle, des oracles renommes. Que cache ce nom? Un personnage unique ou bien unc collection de personnages enveloppes de mythes et de legendes? On remarquera que Platon parle ici de la Sibylle et non pas des sibijlles. Ailleurs, dans 1 Phhlrr. trad. Cousin, t. VI, p. 43. LA SIBYLLE GRECQUE. 129 le dialogue qui porte le nom de Theages, Platon fait dire a Socrale : « Sais-tu quel nom on donne a Bacis, a Sibyllc et a notre compalriole Amphilitus? — Theages. Quel autre nom que celui de pro- plietes l ? » On pourrait voir dans ce passage un commenlaire du precedent, et conclure que Platon parle, ici et la, d'une prophetesse ayant porle le nom de Sibylle, qu'il assimile a d'autres propheles tels que Bacis et Amphilitus. Ou et quand aurait vecu Sibylle? Platon ne le dil pas. Tres-peu de temps apres Platon, nous trouvons un temoignagc d'une haute valeur sur le meme sujet, celui d'Aristole, qui parle ainsi des sibijlles : « ...Parce que cette chaleur est pres du siege de l'esprit, plu- sieurs sont sujets a des maladies du foie, ou brulent d'un instinct lymphatique ; de la viennent les Si- byllcs, les Bacides et tous ceux que Ton croit inspi- res d'un soul'lle divin 2 . » Aristote, a son tour, commente son illuslre mailre. Et son commentaire nous parait sfgnifier ceci : Les Sibylles, les Bacides, etc., sont des categories de personnes pretendanl a 1'inspiration divine. Le nom que ces personnes prennent est done generique ; toutefois il peut venir du nom d'un personnage reel et Ires-ancien. De ces lemoignages il ressort qu'au temps d'Aris- lopliane, de Platon et d'Aristole, il y avait en Grece des proprieties celebres et diverses d'origine ; et que, parmi clles, les oracles sibyllins, allribues a une 1 Xf.y.jiMooi. T/nwii/rs, had. Cousin, t. V, p. '2i5. 2 Les Prvblemes, §30. 150 LA SIBYLLE GRECQUE. prophetesse de Delphes, nominee Sibylle, ou a des pro- phetesses ayant depuis porte ce nom, jouissaient alors d'une grande reputation. D'aulres temoignages on indices, qu'il serait su- perflu d'enumerer ici, nous permetlent de remonter beaucoup plus haut dans le cours des ages, sans per- dre la trace certaine des propheties sibyllines. Nous arrivons ainsi jusqu'au huitieme siecle avant notre ere, et nous constatons, avec M. Alexandre 1 , qu'a cette epoque « un certain oracle, appele depuis ery- threen, avait cours dans l'Asie Mineure, en Eolide et en Ionie, et etait atlribue a la Sibylle. Les Erythreens, alors celebres dans cette contree par leur commerce et par leurs richesses, profitant de la signification ambigue d'un vers 2 , s'approprierent lout l'oracle, et firent, bon gre mal gre, la Sibylle leur concitoyenne. C'est ainsi qu'elle fut appelee erytbieenne, et fut connue sous ce nom en Asie, en Grece el jusque dans l'ltalie. » En effct, Aristote rapporte « qu'il existe a Cumes une demeure souterraine de la Si- bylle, ou elle rend des oracles ; et Ton dit que celte sibylle a conserve sa virginite dans un age fort avance. C'est la sibylle erylhreenne, ajoute le philosophe; quelques habitants de l'ltalie lanommenl cumeenne; d'aulres, melacrene 3 . » 1 Orac. sibyl., t. II, p. 89 dclal ro edition. 2 Ce lamLeau de vers [Erylhra est ma patrie) nous a ete conserve par I'ausanias, 1. X, c. xu. 5 Des Glioses mervcilleuses. GIIAPITRE II ROLE DES ORACLES OANS LA CIVILISATION COLONIALE DES GRECS Les propheties erythreennes avaient acquis leur reputation dans le monde grec avant le huitieme siecle. Elles pouvaient, on lo devine aisement, surgir de loutes lcs villes d'Asie, d'ltalie, de la Hellade, ou il y avait des sanctuaires frequentes et en renom. Les imitations relativement modernes de ces vieux chants qui sont parvenues jusqu'a nous, laissent enlrevoir leur signification generale. lis parlaient sans doutedes grands evenements hisloriques passes et futurs; ils donnaient aux cites et aux peuples des conseils et des averlissements; ils cherchaient sur- toul a inspirer le respect et la crainie des dieux; ils touchaient a la politique aussi bien qu'a la religion. Les oracles durent prendre dans les colonics une importance particuliere. Nous voyons, par le lemoi- gnage unanime des historiens, qu'il y cut loujours au debut des Emigrations helleniques un oracle pour guider et encourager les colons. Les emigrants pre- naient au prytanec de la mctropole lei'eu sacre, qu 'ils devaienl transporter sur les rives etrangeres. Mais 152 FA SIBYLLE GMCQUE. cetle pieuse ceremonie n'etait que le complement des soins que l'on s'imposait pour rendre les dieux pro- pices a la cite naissanle. Le premier et le plus impor- tant etait de consulter l'oracle de Delphes ou de Dodone sur la destination qu'il convenait de dormer a la colonie, ou, si le lieu de son elablissement etait designe d'avance, sur la route qu'elle devait tenir et sur le chef aux mains duquel il fallait en confier la direction et la conduile 1 . C'elait une formalite qui ne souffrait ni exception ni remise. Si quelquefois, et cecas est infiniment rare, des chefs jugerent a propos de s'en affranchir, l'opinion generale etait qu'un pareil elablissement, fonde sous de funestes auspices, enlrainait int'ailliblement la ruine de tous ceux qui y avaient pris part. Herodole accuse du mauvais succes d'une emigration le refus qu'avait fait le chef de consulter Apollon et de s'acquitter de toutes les obligations prescrites 2 . On marchait avec confiance sur les pas d'un chef auquel les dieux avaient an- nonce des destins prosperes. De la sans doute naquit la persuasion que les dieux eux-memes avaient daigne quelquefois prendre la conduile des expeditions qu'ils avaient conseillees 3 . L'histoire atteste que le role des oracles fut im- mense dans la fondation des colonies 4 ; on en tire cette consequence tres-legitime que I'aulorite de ces 1 Callimach, Hymn, ad Apoll. Pausanias, vn, 2, 5. Ciceron, de Divinit.; Philipp., u, 40. 2 O-jTi tj) z-j Ai/fot; xpviaTipiu xpqotxfisvos, ojtc -mh'''Ji ovakv twv vojj.Coij.vjorj. (Liv. V, p. 42.) 5 Hisloire des colonies grecques, par Rocliette, t. I", p. 55 et suiv. * Histoire greequc do M. V. Duruy, p. 106 et suiv. LA S1BYLLE GRECQUE. 133 prophelies dut grandir en meme temps que la ri- chesse et la puissance des cites grecques d'Asie, de l'Archipel, de l'llalie et de la Sicile. Tandis que la Grece propre etait en proie a des convulsions intes- tii es ou ecrasee par les oligarchies qui avaient suc- cede a la royaute des temps heroi'ques, les colonies, placees dans des conditions meilleures d'activite et d'indepcndance, developperent rapidement les ger- mes de civilisation qu'elles avaient emportes de la mere-patrie ; les institutions religieuses, et en parti- culier la foi aux oracles et le culte des divinites qui les rendaient, s'y produisirent avec plus d'energie et d'eclat que dans la Hellade. Les poemes erythreens etaient evidemment rediges en cette langue archaique dont les chants d'Homere nous offrent de si part'aits modeles. Les plus anciens pourtant devaient etre-en dialecte eolien. lis se transmirent d'abord oralement. II semble probable que Vlliade et VOdyssee contiennent des passages enliers qui leur ont ele emprunles. Cette conjecture est confirmee par la forme et le style des imitations alexandrines des oracles erythreens. Nous verrons plus loin un sibyllisle d'AIexandrie, iinitant les prophelies erythreennes, accuser Homere de mensonge et de plagiat. C'elait la, parail-il, un vieux reproche, el presque traditionnel dans la litte- rature sibylline posterieure a l'age des rapsodes. En produisant ce reproche, le sibyllisle juif donnait a ses vers une sorle de cachet d'aulheulicite. Nous n'hesi- tons pas a suivre en cela l'opinion de M. Alexandre, fondee sur le double lemoignage de Diodore de Sicile 8 134 LA SIBYLLE GRECQUE. et de Cornelius Bocchus, cite par Pline et par Solin. Diodore dit expressement que Homere a pris beau- coup de vers a la sibylle erythreenne ou de Delphes, pour en orner ses propres poemes 1 . Solin dit : « La sibylle de Delphes propbetisa avant la guerre de Troie, et Homere fit passer dans ses poemes un grand nombre de vers sibyllins 2 . » Si Ion peut revorjuer en doute que les oracles erytlireens aient ete composes avant la guerre de Troie, on est autorise a admettre que les plus anciens ont ete composes moins d'un siecle apres ce grand evenemenl; qu'ils l'ont celebre a leur maniere, c'est- a-dire en feignant de le predire; qu'ils ont etc une des sources, la principale peut-etre, de la poesie homerique; qu'enfin ils ont constitue le premier de lous les monuments litteraires de la Grece 3 . L'liistoire des oracles est done intimement lice a celle de la Grece primitive et puissante, qui, du douzieme au huitieme siecle, deborde de toutes parts sur les rivages de la Mediterranee, couvre de cites florissantes les coles d'Asie Mineure, depuis l'Helles- pont jusqu'a la Cilicie, remplit les lies, inonde la Sicile et l'italie, et va porter sa gloire et ses lumieres au lond des golfes les plus recules des mers qui baignent la Gaule etl'Hesperie. L'oracle elait l'etoile qui conduisail les flotlilles des emigrants; il renfer- mait l'ordre des dieux; il avait le plus souvent xocr/jL-zjcixi t/jv ISIkv itoiriaivi 2 Cujus versus plurimos Homcrum opcri suo inseruisse. 5 Voy. Gh. Alexandre, edit, des Oracl. sibyll. de 18G9, p. 5jG. LA SIBYLLE GREGQUE. 135 suggere celle audacieuse aventure. Les colons, arri- ves au terme du voyage, balissaient une ville, ele- vaienl un temple, et l'oracle devenait, pour ainsi dire, la pierre angulaire du nouvel elablissement. Dans les souvenirs el les traditions de la colonie, il etait quelque chose comme l'etcndard et le drapeau chez les peuples modernes. Symbole national, qui parlait du passe et de l'avenir, l'oracle protegeait la colonie et assurail ses destinees ; il la guidait au pe- ril et s'associait a ses triomphes. L'epoque la plus glorieuse pour la Hellade com- mence avec la seconde moitie du sixieme siecle avant notre ere; c'est Theme du declin de la civi- lisation coloniale. Cette civilisation, tres-remarqua- quable, n'est pas suffisamment connue et meiitc d'attirer tons les efforts de la science moderne. Nous savons toutefois qu'elle eut son caractcre propre; que ses arts, sa philosophic, sa religion se dislinguent de ceux de la Grece par un gout d'archaisme, par une foi naive, par des speculations ou le mysticisme ct renthousiasme se melent aux conceptions d'un rationalisme reflechi. II y eut, dans cette premiere floraison d'une race belle et noble entre toutes, quelque chose de robustc, de chaud, de spontane qui ne se rctrouve pas au meme degre dans le mouvement de la Hellade. La popularite des ora- cles exprime bien 1'un des traits saillants de la civilisation coloniale. L'oracle n'est-il pas comme le trait d'union entre lesdieux de l'Olyiupeel lesfils des heros? N'est-il pas la poesie la mieux appropriee ace peuple jeune et sincere, plein de seve et d'energie? 156 LA SIBYLLG GRECQUE. Qu'on le remarque, les sanctuaires de la Hellade, qui avaient parle avec tant de retentissement du douzieme au huitieme siecle, et avaient jete a tra- cers le monde, com me une poussiere feconde, ces essaims de colons, etaient devenus presque muets au lemps de Pericles, de Platon et de Phidias. Mais au lemps de la plus grande prosperite de I'Eolide, de l'lonie, de la Grande Grece, les oracles furent en honneur et leur voix porta souvent aux barbares voisins la louange des dieux helleniques et la gloire de lews adorateurs. Apollon etait le dieu prophete par excellence. C'esl a Delos qu'il naquit, disent les poetes; c'est la que les Irymnes homeriques nous montrenl Tun des plus anciens sancluaircs de la Grece; c'est de la que par- tirent sans doule, a l'epoque des grandes colonisa- tions, vingt oracles fameux. On vient de relrouver dans Pile 1 , au sommet d'une montagne, le temple hypethre d'Apollon Cynthien et la grotte aux prophe- cies, le Manteion, sorle de couloir gigantesque, taille dans le roc par la nature. Les vents s'y engout'frent avec des bruits etranges et formitlables qui formaient a Poracle un accompagnement solennel. II existait en Beotie une autre grotte celebre, dont Plularque 2 et Pausanias nous ont retrace les curieux mysteres. La bouche de l'antre etait au fond d'une caverne. On y descendait la nuit, apres de longues 1 Celte decouverte est clue aux indications de M. E. Burnouf, direc- teur de l'Ecole frangaise d'Athenes, et aux fouilles d'un des membres de l'Ecole, M. Lebegue. (Voir, a ce sujet, les articles que nous avons publies dans le Journal of/iciel '.) - Dans le Genie de Socrate. LA SIBYLLE GRECQUE. 137 preparations et un examen rigoureux, a l'aide d'une echelle. A une certaine profondeur, il n'y avait plus qu'une etroite ouverture, par ou. Ton passait les pieds; alors on etait entraine avec une rapidile extreme jusqu'au fond du gouffre, au bord d'un abime. La, on cntendait des sons effrayants, des mugissements confus et des voix qui, du milieu de ces bruits, repondaient aux questions; ou bien Ton voyait des apparitions etranges, des lueurs traversant les tenebres, des images qui, elles aussi, etaient une reponse. On remontait, relance la tete en bas, avec la meme force et la meme vitessequ'en descen- dant. Les pretres recommandaient de tenir dans chaque main des gateaux de miel, qui avaient la verlu de garantir de la morsure des serpents dont l'antre etait rempli; on voulait, en realite, empe- cher le consultant de reconnaitre avec ses mains le ressort de toutes ces machines 1 . A Dodone, au fond de 1'Epire, au sein d'une foret sacree, trois pretressesde Jupiter, pareilles aux drui- desses celliques, lisaient l'avenir dans le murmure des feuilles et le gemissement des branches, dans le bouillonnement d'une source qui jaillissait au pied du ch6ne prophetique, dans les bruits rcndus par les vases d'airain suspendus aulour du temple. On y consultait aussi les sorts tires d'une urne au hasard. Nous somracs ici en presence deprocedes divinaloires etiangers au culle national de la Grece. Mais a Delplics, nous allons retrouver le Manteion d'Apollon. Les reponses de l'oracle y etaient l'endues 1 Histoire i/recque de M. Victor Duruy, p. 216 et suiv. 8. 158 LA SIBYLLE GRECQUE. par une femme, que Ton nommait Pythie, du sur- nom donne au dieu a cause de sa vicloire sur le serpent Python. La Pythie fut, dans l'origine, une jeune fille; plus- tard, ce fut une femme agee au moins de cinquante ans. Enfin, une seule pythie ne suffisant plus a l'immense affluence des pelerins, on en etablit Irois. Ces malheureuses etaient trainees, languissantes, eperdues, vers une ouverture de la terre d'ou s'echappaient cerfainesvapeurs. La, assises sur un trepied ou des prelres les relenaient de force, elles recevaient l'exhalaison prophelique. On voyait leur visage palir, leurs mernbres s'agiter de mou- vemenls convulsifs. D'abord, elles ne laissaient echapper que des plaintes et de longs gemissements; bientol, les yeux elincelanls, la bouche ecumante, les cheveux herisses, elles faisaient entendre, au milieu des hurlements de la douleur, des paroles entrecoupees, incoherentes, que Ton recueillait avec soin, et ou Ton s'ingeniait a trouver un sens et une revelation de l'avenir. Derriere cette mise en scene, il y avait quelque chose de grave. Les prelres, qui commentaient et interprelaient les paroles divines, etaient au cou- rant de toules les affaires des Elats, meme des parti- culiers, grace a 1'immense concours des pelerins ; ils pouvaient done, par leurs reponses, exercer une in- fluence decisive sur les destinees politiques des villes. On l'a deja constate souvent, dans les grands dangers de la Grece, les oracles, malgre leur am- biguite, furent toujours patrioliques et propres a relever les coeurs abattus. CHAPITRE III LA POESIE SIBYLLINE Chaque sanctuairc illustre devenait, pour ainsi dire, unc ccole ou se formait avecle temps une sorte de litterature a la fois religitusc et politique. Le dieu, suivant l'usage, prenait en chaque lieu un surnom special : a Delplies, on adorait Apollon Py- thien ; a Delos, Apollon-Phoebus, le dieu du jour, qualifie de Cynthien; en Eolide, a Cyme, selon toute vraisemblance, Apollon avait aussi son surnom ; et ses prophetesses, au lieu de se nommer pythies, s'appelaienl sibylles. Ce mot est,eneffet, eolien 1 . On conceit done que les divers oracles aient pu, a cause de leur provenance, s'appeler Pylhiques, Cynthiens et Sibyllins. Les oracles sibyllins onl du se confon- dre de bonne heure avec ceux de l'lonie, auxquels Erythree, comme nous l'avons vu, donna son nom. Nous dislinguons la poesie sibylline des oracles 1 Varron [Antiguit. rerum divin., iv), cite par Lactance [Divin. Inst., I. 6), cite que le mol sibylle est rerun' des deux mots Strfs (8erfs) et pui>i i;.oj/o) du dialecte eolien, el signifie volonte divine comme 0ioSoj//j. Varron a emj ninie cettc etymologic a un auteur ancien qu'il nc nonuiie pas. 140 LA SIBYLLE GRECQUE. proprement dits. Les oracles etaient rendus pour des cas determines, dans des circonstances definies et s'adressaient soit aux particuliers, soit aux Etals ; c'elaient des reponses, d'ordinaire courles et ambi- gues, qui tenaient dans un, deux, trois ou quatre vers. Peut-etre etaienl-ils plus developpes a l'origine, alors que la ferveur de la foi religieuse dispensait les pretres d'envelopper leurs predictions de nuages et de mysteres. La poesie sibylline est autre chose. Elle nait dans le secret du sanctuaire, d'une meditation soutenue, d'un enthousiasme en quelque sorte refle- chi, qui n'exclut ni la froide raison avec ses previ- sions et ses calculs, ni les renseignements venus du dehors sur l'hisloire et sur la politique des cites et des pays voisins ou lointains. Dans ces conditions, l'oracle s'allonge en petit poeme, celebre les grands evenements du passe et de l'avenir, vante la gloire de lei ou tel dieu, et perd le caractere individuel de l'oracle rendu en reponse. L'oracle-reponse fut le premier moule dans lequel le sacerdoce jela ses inspirations et ses conseils ; le progres des idees et des lumieres fit surgir autour des sanctuaires en re- nora des ecoles de poesie prophetique. C'est ainsi que l'liisloire, a Forigine des societes helleniques, rap- proche et confond dans un but commun, qui est l'enseignement des peuples, et sous une meme auto- rite, qui est Pinspiration divine, le pretre, le pro- phele et le poete. La poesie sibylline preceda la poesie epique; Homere, a ce titre, est veritablement fils d'Apollon ; et les Rapsodes tiennent autant du temple que de l'agora. CHAPITRE IV CUMES ET ROME C'est une sibylle et non une pythie que nous trou- vons a Cumes. Pourquoi? c'est que la ville de Cumes est fille de l'Eolide. Les villes grecques de Chypre ne voulaient pas remonter moins haut que la guerre de Troie : pre- tention excessive, quebeaucoupde colonies ilaliennes meltaient aussi en avant, sans plus de droit. Cumes, seule, pouvait se vanler de remonter au douzieme 1 ou au onzieme siecle. Suivant l'opinion la plus pro- bable, elle fut fondee, en 1050, par des habitants de Cbalcis en Eub6e et deCyme, la capitate de l'Eolide. Scymmus de Chio assure qu'elle fut fondee iVabord par des Chalcidiens, ensuite par des Eoliens 8 . Cet auteur ajoute que les chefs de la colonic elaient convenus qu'elle appartiendrait a l'un des deux pcuples, tandis que l'autrc lui donnerait son 1 Raoul Rocliolfe [Hist, des colon, grecq., t. II, p. 109 et suit.) place la fondation de Cumes au douzieme >iccle. * Ku;//;. npOTtpov /,v (A \v.'//.v>ili a.-or/.i3xv l.'T A(0/£',-... 142 LA SIBYLLE GRECQUE. nom. I/influence eolienne parait avoir domine a dimes, si Ton en juge par ce fait important que l'alphabet qui y prevalut fut l'un des types principaux de celui que nous connaissons aujourd'hui sous le nom d'alphabet eolo-dorien. dimes fut la reine des colonies chalcidiennes de Tltalie, etablies d'abord dans les lies Pylhecuses, plus tard a Abella et a Nola. La plupart des villes cbalcidiennes de cette contree lui durent sans doute leur origine, son accroissement rapide ayant exige bienlot quelle repandit liors de son sein la sura- bondance de ses babilants. Un de ses premiers eta- blissements fut la ville, si celebre depuis sous le nom de Neapolis, et qui portait alors celui de Palaeo- polis. La ville de Dicoearchia, appelee Puleoli (aujour- d'bui Pouzzoles) par les Romains, fut aussi une des colonies de Cumes et lui servit dans l'origine de port et d'entrepot de commerce l . L'apogee de la puissance de Cumes se place du bui- tieme au sixieme siecle. Sans pretendre que sa domi- nation se soit etendue au loin dans les terres, et quelle ait cherche a soumellre les dures peuplades italiotes qu'elle se contenta de refouler vers l'Apen- nin, nous admeltons qu'elle joua durant cette pe- riode, en Italie, un role preponderant, a cause de l'hegemonie qu'elle possedait sur les cites floris- sanles dont nous venous de parler, et qui la designait, en cas de danger, comme le chef supreme de toutes les autres colonies grecques de l'ltalie centrale. 1 Hist, des colon, grca/.. t. Ill, p. 117 et suiv. LA SIBYlXE GRECQUE. 147. Le danger ne vint pas des peuplades indigenes, canlonnees dans les montagncs et satisfaites de leur vie agricole et pastorale ; il vint des Etrusques, qui aspiraient, comme les Grecs, a la preponderance ma- ritime et commerciale. Les confederations grecques resisterent longtemps el avec avanlage. Cette lutte ne nous est connue que par de vagues indications qui nous monlrent des batailles acharnees se livrant entrc Grecs et Etrusques sous les murs de Cumes, et nous laisscnt entrcvoir avec certitude le rule important tie l'anlique cite eolienne. Les Etrusques eurent le des- sus. Leur conquete ne tendait pas d'ailleurs a absor- ber les vaincus, mais a les englober dans l'une des trois confederations qu'ils formerent depuis l'Arno jusqu'a l'extremile de la Campanie et qui comptaient environ quarante cites. « II n'est pas admissible que Rome, incapable alors de vaincrc les Eques ou les Herniques, Rome, qui n'avait pu resistor aux Sabins, ail pu lulter contre le courant superieur d'une civilisation armee el d'une conquete bienfaisante. Rome fut englobee dans le mouvement etrusque. On lui laissa sa langue, sa nationality, ses croyances; elle ful gouvernee plutol que dominee. Comme elle n'avait qu'une importance secondaire, les Etrusques s'en assurcrent au passage el allerent plus loin. Aussi, ne peut-on entendre sans sourire le recit des annalistes romains qui nous mon- lrent les rois etrusques devenus romains par l'adop- tion et conqnerant toute l'Etrurie. Dans l'histoirc romaine, l* expulsion des Etrusques de Rome coincide avec ia fin de la monarchic ; dans la rcalite, il n'en 144 LA SIBYLLE GRECQUE. est pas ainsi : l'influence et la supremalie politique de l'Etrurie ne cessent pas de sitot 1 ; » on les re- trouve encore persistantes a plus d'un siecle de distance. L'histoire romaine nous apprend du nioins par analogie que les nombreuses villes d'origine grec- que, Cumes en lete, vaincues par les Etrusques, con- servcrent leur langue, leurs institutions, une grande partie de leur aulonomie. II en resulta necessaire- ment une tendance perseveranle, plus ou moins ouverte selon les circonstances, a se grouper entre elles. II faut reconnaitre que les liens relaches du systeme federal des Etrusques, qui expliquent le peu de duree de leur supremalie, t'avorisaient cette tendance. Koine sut en profiler; elle y Irouva le pre- mier instrument de son esprit de conquele ; ce fut le premier degre de sa grandeur. Vers la fin de la monarchic, les princes etrusques, qui regnaient a Rome, etaient devenus les chefs d'une ligue de trente villes du Latium. Servius Tul- lius avait conclu un traite entre Rome et ces villes, en vertu duquel on eleva en commun un temple a Diane sur le mont Aventin. Dans ce temple on exposa et on conserva la table sur laquelle etaient inscrits le traite et les noms des peuples qu'il com- prenait 2 . Rome venait de se substiluer ainsi au role de sa metropole, a l'hegemonie d'Albe dans le La- tium; elle recueillait l'heritage de la cite-mere. Celte ligue elait evidemment, au point de vue des Etrusques, un Etal dans l'Etat ; elle meltait en ques- 1 Fuuillcs et decouvertes, par M. Ceule, I. I er , p. 551. 2 Juebuhj', Hist, row., t. II, p. 85. LA SIBYLI.E GRECQUE. 145 lion la confederation superieure. Mais, la politique toscanc n'etait ni inquiete ni jalouse, et ne prenait ombrage que des actes directement contraires aux statuls qu'elle avait imposes ; confiante dans ses ressources militaires immenses, dans la fortune passee de ses nrmes, clle attendait pour intervenir que la revoke fiit un fait accompli. LesTarquins, cntresdans cette voie, qui conduisait a relever la confederation latine au profit de Rome contre les Etrusques, etaient amenes naturellement a restaurer le \ieux culle de Jupiter Latiaris, chef su- preme de la ligue primitive, et dont la Diane adoree sur l'Aventin semble avoir ete la paredre. Denys d'llalicarnasse, qui rapporte que la premiere fete de la nouvelle confederation fut eelebree apres une vic- toire de Tarquin l'Ancien sur les Etrusques, nous indique surement la signification vraie de la ligue : son but etait d'affranchir le Latium de la suprematie etrusque 1 . 1 Les feerics latines (voy. Les Dieux de Vancicnnc Rome, par M. Preller, p. 148) etaient des fetes demi-politiques : on y rcnouve- Iait les traites, on y fortifiait I'alliance commune par un sacrifice solenncl. Le nceud de la fete etait, comme toujours, un sacrifice, une priere, accompagnes (fun festin. La victime etait un jeune taureau a peine arrache a sa mere, et qui n'avait jamais eourbe la tete sous le joug; il devait fetre blanc. On elevait des taureaux pour ces sacrifices dans les belles prairies des environs de Faleries. C'etait le roi de Rome, plus tard le dictateur, enfin fun des consuls, (jui immolail l'animal, dont la chair etait repartie entre toutes les villcs confe- derees. Lo niont Albain etait le centre du cultede Jupiter Latiaris. On voil encore aujourd'hui au sommet de la montagne, dans I'enceinte d'nn couvent des Freres de la Passion, les ruines d'un vieux temple, d'ou l'ocil domine au loin les monts, les plaines et la mer; et, sur la pente, il s'esl conserve des restes assez considerables de la voie sa- cree par laquelle jadis les citoyens et les processions dc Rome et du 9 146 LA SIBYLLE GRECQUE. Quelles etaient ces villes confederees sous 1' hege- monic cTAlbe, puis de Rome'.' C'etaieiit, parmi les plus importantes, Tibur, Gabies, Tusculum, Preneste, Ardee, Aricie, toules colonies grecques ; nous en donnerons plus loin la preuve. Ainsi, c'est en relevant et en organisant politiquement et militairement les resles de la puissance des villes grecques qui l'entou- rent, que Home se fait un nom et une situation dans le Lalium. Sans doute, aux cites d'origine helleni- que apparlenant a la confederation latine, il se joi- gnait des cites, telles que Rome, d'origine dil'ferente ; nous nesoutenons pas que l'element grec existat seul dans la confederation ; ii y etait largeinent repre- sents, voila ce que nous pouvons affirmer. Ce fut a force d'energie paliente et modeste, apres bien des defaifces, apres mille efforts en apparence slcriles, que Rome parvint a triompher des premiers obstacles. Toutefois, des le debut, on voil poindre dans sa politique un principe qui tranche neltement avec la conduite des Etrusques : le genie absorbant et dominateur de la future reine du monde se trabit par des signes qu'on n'a pas assez remarques. II y avait dans la confederation dix villes plus puissantes que Rome ; ellc nc dul peut-etre qu'a sa faiblesse et aux rivaliles de ces villes le choix qu'on fit d'elle pour elre capitale; clle ne pouvait done pretendre a Latiummontaient au sanctuaire. C'etaitla que l'on celebrait Ietriom- pbc des -.'■nrriiLv romains auxquels on n'aceordait pas le triomphe dans Rome nieme. Dans les solennites de ce genre, la couronne n'e- tait pas de laurier, inais de myi te, comme dans les ovations. Preller voitdans ce fait une allusion au culte de Venus, qui est, elle aussi, one vieille dmnite de lu ligue latine. LA SIBYLLE GKECQUE. 141 absorber les villes liguees; mais elle s'appliqua a resserrer les liens de la confederation, elle mit de l'emportemenl et line sorte de turbulence imperieuse a reclamcr la stride execution des staluls. De la na- quirent sans doute les lultes ou nous la voyons enga- ger sous Tarquin le Superbc conlrc Gabies et contre Ardee. Survienl enfin la revolution qui cliasse les Tarquins et met Rome en revolle ouverle contre 1'Elruric. 11 se passe alors deux faits considerables, qui permet- tent d'enlrevoir l'enseinble d'unc situation que les histoiiens romains ont, par orgueil national, laissee dans l'ombre. Le premier fait est celui-ci : scules, deux villes de la confederation clrusque, Veies el Tarquinies, sc levenl pour (aire rentrer Rome dans le devoir, el livrent la sanglante bataille d'Arsia, ou la victoire deraeure incertaine 1 . Nous avons la une preuve des divisions qui Iravaillaient alors l'Etrurie, affaiblis- saient son action et avaient sans doulc encourage Rome a secoucr le joug. Voici le second fait : la ligue Inline n'assisle pas indifferente a celle tentative d'emancipation couron- nee presque de succes. Suivant l'exemplc de la capi- tale, Aricie se souleve; un souffle d'indejpendance agile alors les villes grecques de la contree. Et si Ton pouvait douter qu'au loud il s'agit ici de l'antique rivalile des Elrusques et des Grecs, qui renail sous 1 Dans cettc bataille, plus de 22,000 bommes avaienl succomb^, d I'avantage serait, suivanl la tradition, restG aux Romains, puree qu'ils avaient perdu un soldat de nioins que lours ennemis. 148 LA S1BYLLE GP.ECQUE. une autre forme et avec de nouvcaux elements, void qui achevera de dissiper toute incertitude : Cumes intervient soudain ; poussee par sa haine seculaire contre les Etrusques, elle fait un supreme appel aux cites qu'elle avait jadis conduites a la lutte et parfois a la victoire; elle rassemble une armee puis- sante el l'envoie au secours d'Aricie. Cependant l'JEtrurie s'etait reveillee de sa torpeur ; la grandeur du danger avail fait taire, provisoire- ment du moins , les dissensions interieures, et le chef militaire de la confederation, Porsenna, roi de Clusium, a la lete de tous les contingents envoyes par les yilles restees fideles, elail venu meltre le siege devanl Rome. Apres une resistance heroique, Rome succombe. Le Conseil des Anciens envoie a Porsenna le trone d'ivoire, le sceptre, la couronne, la robe de pourpre, qui etaient les insignes de la royaule. Dans le traite, qui futalors conclu, il y avait celle clause exprcsse 1 que les Romains renonceraient a l'usage du fer, exceple pour cultiver la terre, et cette autre condition qu'ils abandonneraient leur ter- ritoire de la rive elrusque 2 . Un succes aussi complet permettait a Porsenna d'abandonner les Tarquins, 1 Pline, Hist, not.., xxxiv, 39. 2 Niebuhr (Hist, rom., t. II, p. 155) fait remarquer qu'il est pen vraisemblable que ce territoire ait etc rendu a Rome avec une grandeur d'ame roraanesque; il explique de la sorte la disparition dun tiers des tribus primitives, disparition que les annates dissimu- lcnt, de peur de montrer dans toute leur etendue 1'abaissement etla chute de Rome. 11 reste tres-probable, sinon demon l re, que les dicta- teurs, ilus a cinq ans d'intervalle, qui, apres ces evenements, heri- terent dans Home de la puissance royale avec le titre etrusque de larsou tardus, furent, pendant plus d'un siecle, des cbefs poliliques cboisis, ou tout au moins agrees, par l'Etrurie. LA SIBYLLK GRECQUE. 159 sans trahir la cause de l'Etrurie 1 . D'ailleurs, tout n'elait pas fini par la soumission de Rome. L'oragc devenait menacant du cote d'Aricie. Porsenna cnvoie contre les rebelles son fils Aruns. L'armee cumeenne survient et decide de la defaite des Etrusques; Aruns est lue dans la melee. Le succes arrivait trop tard. Ce grand effort fiit perdu pour longtemps ; Rome venait de capituler et les fuyards de l'armee d'Aruns y frouverenl un refuge assure et des soins pourleurs blessures. « Ce n'est qu'un siecle apres 1'expeditiori de Por- senna, dit M. Beule 2 , que les Romains pourront eom- mencer a relevcr la tele, a se mesurer avec une ville etrusque, une seule ville, Veies; mais avec quels ef- forts, au prix de quelle perseverance, ct cela, quand l'Etrurie est en pleine decadence, quand les confede- rations du Nord el du Sud sont dissoutes; quand la marine tyrrhenienne est singulierement affaiblie ; quand le luxe, la corruption, les dissensions ont ote a la confederation centrale son action et peut-etresa raison d'etre. Alors Rome s'etend, grandit, fait des conqueles; elle profile des divisions des petils peu- ples, s'avance par les alliances autant que par les armes et devient I'heriliere des Glrusques plutotque leur ennemie. Elle est, un jour donne, la capitale de l'Etrurie ; elle rcpresente glorieusement la civilisation etrusque, 'qui l'avait conquise el tenue en tulelle, 1 C'esl 5 Cumes que se refugient les Tarquins, abandonne"s par Leurs compatriotes ; I'accueil amical el La security qu'ils y trouTent soul une preuve nouvelle el decisive du role iiue nous attribuons a la cite grecque. - Fouilles et dicouvertes, I. I r . p. 356. 150 LA S1BYLLE GRECQUE. jusqu'a ce qu'ellc represente un pcu plus tard la ci- vilisation grecque. » Nous souscrivons a ces judicieuses remarques avec celte reserve que Rome, nous l'avons monlre, conte- nait deja de nombreux elements puises dans la ci- vilisation des colonies grecques. Les cites d'origine hellenique entraient pour une tres-grande part dans la ligue latine. Cumes, qui represente rinfluence grecque en Italie, avait conserve des relations d'e- iroilc amilie aves la confederation du Lalium; elle secourt Aricie, elle est l'amie des rois de Rome, et leur donne asile apres la victoire des Etrusques. Ces faits commentenl la legende qui nous montre Cumes transmellant a Rome le depot sacre de ses vieux oracles, et achevent de nous convaincre que, pen- dant les septieme et sixieme siecles, les rapports entre Rome et Cumes ont ete constants, qu'ils ont donne lieu a des emprunts considerables, au profit dela cite latine, qu'enfin, parrni les heritages qui ont com- mence et prepare la puissance de Rome, le premier en date, et peut-elrc en importance, est l'heritage de Cumes. Si ce sont la des inductions, on conviendra toute- fois qu'elles reposent sur des faits precis, incontes- tables. Ces inductions viennent d'etre confirmees de la maniere la plus eclatante par la decouverte recente de l'origine de l'alphabet latin. Cet alphabet, forme primitivement de vingt et une letlres, ne derive pas de l'elrusque, comme les alphabets de TOmbrie, du Picenum et des pays Osques. M. Otti'ried Muller 1 et 1 Die Etrusker, t. II ? p. 312. LA SIBYLLE GRECQUE. 151 M. Mommscn 1 ont constate qu'il sortait du grec. M. Kirchoff est alle plus loin en reconnaissanl le premier 2 la variete particuliere noscartes. les cartes out conserve 1 la marque de leurorigine; elles ne servenl pas seulement a la distraction, mais aussi ;'i tirer la bonne aventure. Niebuhr croit qu'il y avail en Italic, ailleurs qua Preneste, de- sorts de ce genre, et que les Elrusques goutaient tort cette sortedediviualion.il est certain qu'il y eut aussi des sorts celebres a Gcere. 158 I,\ SIBYLLE GRECQUB. pose-t-il pas un plan et un agencement quelconque, tout au moins une collection d'ecrits ayant un lien commun? El comment concilier la division des ora- cles en livres avec la supposition suivant laquelle ces livres n'etaient que des paquets de feuilles indepen- dahtes, qu'on pouvait meter sans detruire le sens? Cette difficulte disparait, quand on reflechit que les oracles etaienl courts, et qu'une seule feuille pouvait suffire a contenir les plus longs. Les livres de Cumes avaient done l'aspect de pa- quels de feuilles de palmier. Chaque feuille renfer- mait un oracle, partie en vers, partie en signes alle- goriques. Quant aux vers, nous avons lieu de pen- ser, par la nature de ceux ad mis dans la collection restauree, qu'ils elaient hexamelres. Relalivement aux signes allegoriques, etaient-cedescaracteres em- prunles aux hieroglyphes egyptiens, des dessins ana- logues a ceux dont plus tard les kabbalistes se ser- virenl, et qu'ils avaient empruntes aux Chaldeens, on bien des peinlures a la fois naives et myste- rieuscs dans lesquelles l'art grec, a son aurore, tra- duisait, sous le voile du symbolisme, ses croyances religieuses, les mytlies dramatises par ses heros et par ses dieux? Ces diverses suppositions peuvent sc faire, sans qu'on trouve des raisons solides de s'ar- reter a aucune d'elles. Quels sujets traitaient les oracles? Nous pensons, avec Niebuhr l , qu'ils ne conlenaient pas seulement des predictions d'evenements futurs, mais aussi et 1 Hist, row., t. II, p. 280 et suiv. LA S1BYLLE GRECQUE. 159 surtout des preceptes pour gagner ou pour apaiser les dieux. L'ordre de faire venir Esculape d'Epidaure ne peut avoir ete pris que dans un oracle qui parlait de pesle, el qui, par consequent, l'annoncail. Dans ce qui nous resle des Decades de Titc Live, nous voyons que le but de la consultalion n'est jamais de con- naitre les evenemenls futurs, comme cela se prati- quait pour les questions adressees a l'oracle de Del- phes ; on ne veut qu'apprendrc quel culle les dieux demandent quand leur courroux s'est manifesto par des calamities ou par des presages. Tons ceux de leurs commandemcnls dont on a conserve le souve- nir sont dans cet esprit : ils prescrivent les honneurs a rendre aux divinites deja reconnues, et designent les divinites etrangeres qu'il faut recevoir. Ce carac- tere rituel ct religieux, qui domine dans les oracles sibyllins, est precisement ce qui a decide les juifs alexandrins a les imiler. On comprend, sans qu'il soit necessaire d'insisler, quel iuteret il y avait pour le proselytisme alexandrin a faire circuler parmi les oracles erythreens authenliques des morceaux rccominandant le culle du Dieu Unique, du Grand Roi adore a Jerusalem. Les oracles de Cumes etaienl en langue grecque. II est fait mention de deux inlerpretes qu'on appclle afin de verifier la traduction des vers; il s'agit 6vi- demmcnt des deux csclaves publics attaches au col- lege des duumvirs, d'apres Denys d'Halicarnasse 1 . La langue grecque n'etail pouitant pas inconnueaux 1 Anliq. row., iv, 62. ► 100 LA SIBYLLE GRECQUE. Romains. Nous venons de voirqu'ils ont eu des rela- tions etroites el frequentes avec les colonies grecques du Lalium et de la Campanie, au septierae et au sixieme s.iecle, et que ces relations ont laisse des traces certaines et nombreuses dans les institutions, les mceurs, le systeme d'ecriture, le systeme des poids et mesures. Au cinquieme siecle, l'ambassa- deur de Rome, quoiqu'il fit des fautes, parla grec aux Tarentins. Les ordres donnes par les oracles prcscrivent constamment l'adoration des diviniles grecques, et on ne peut mettre en doute que leur influence a ete fort grande pour ecarter de la reli- gion romaine les elements sabins et pour y attenuer les elements elrusques. Sacrilier selon le rile grec etait une expression synonyme de faire un sacrifice d'apres l'ordre des oracles sibyllins, et tout gardien des livres etait, en cette qualite, pr6tre d'Apollon. On a soutenu 1 que les oracles conserves dans le temple de Jupiter Capilolin venaient d'lonie, quoique Cumes se vantal aussi, dans le voisinage, de ses ora- cles et de ses propheties. Ce qui prouve, ajoute-l-on, cette origine, c'est l'ordre donne par eux de revercr la deesse du mont Ida 2 ; puis cette circonstance, que ce fut principalement a Erythree qu'on entrepril de les restaurer. Cette opinion est conforme aux fails : nous voyons nailre en Ionie et en Eolide les oracles sibyllins ; il n'est pas etonnant que Cumes, la pre- miere colonie, en date et en puissance, de l'Eolide, ait posstkle la tradition vivanle des oracles qui s'appe- 1 Niebuhr, Hisl. rum., t. II, p. '280. 2 Tite Live, xxix, ] 0. LA SIBYLLE GRECQUE. 1G1 lerent depuis erythreens, et qu'elle ait meme con- serve et transmis a Rome quelques-uns des plus anciens qui aient eu eours en Asie Mineure. Mais il est aussi vraisemblable que Cumes, devenue a son tour mere de colonies nombreuses et florissantes, et placee en Kalie a la tete d'une amphyclionie puis- sante, cut, comme les villes d'Asie, ses oracles et sa sibylle, en un mot, sa litteialure ou plutol sa pocsie propbetique. II y a pour les literatures religieuses (rois epo- ques : l'une de production, l'autre de consolida- tion, l'autre d'immobilisation. La premiere est mar- quee par un enthousiasme fievreux et naif; apres elle, vient une periode plus calme, durant laquelle s'operc un travail, qui a pour effet d'epurer et de completer l'ceuvre primordiale. La Iroisieme epoquc est signalee par deux tendances inverses : Tune vent conserver intact le depot traditionnel ; l'autre, parfois viclorieuse, pretend le modilier, pour le mettre en harmonie avec des besoins nouveaux et des idees nouvelles. De cetle derniere tendance, laquelle avec le temps predomine, il resulte un accroissement, qui exprime l'aclion lente et invincible du temps et des hommes sur toutes choses. Nous admettons, en consequence, qu'a Cumes, comme a Erythree, les prelres furent arnenes, par une penle fatale, a am- plifier, a i miter les vieux oracles, et qu'ils en compo- serent plusieurs, dans lesquels l'impression des eve- nemenls conlemporains sc i'aisait sentir. II est done probable que dans la collection du Capilole il y avait non-seulemenl des oracles eoliens et ioniens, mais 162 LA SIBYLLE GRECQUE. encore des oracles cumeens, et parmi ceux-ci des predictions qui interossaient spc-cialement Rome, et conslituaicnt entre ses mains, comme l'a dit un poete \ « les gages donnes par le's destins a l'eternite de son empire : » reterni falalia pignora regni. 11 existait dans la chambre souterraine du Capitole une autre collection d'oracles sibyliins, venus de Tibur. A defaut d'autre indice, nous pourrions deja voir la une preuve de l'origine grecque de Tibur, si l'bistoire ne nous monlrait une emigration ar- gienne, conduite par Catillus, abordant aux rivages du Lalium, fondant pen apres les villes de Tibur et de Cora, puis entrant en lulte avec les Arcadiens d'Evandre 2 . 1 Rutilius Nuraantianus, Miner., u. 2 Deays d'Haliearnasse croit que Tibur existait des le seizieme siecle avant notre ere, et quelle fut fondee par les Sicules. Raoul Rochette [Hist, des colon, grecq.) rapporte sa fondation aux emigrations qui suivirent la guerre des Epigones. Sans remonter aussi haut, et sans vouloir fixer la date de cette fondation, nous dirons que Artemidore, cite par Etienne de liyzance et par Strabon, attribue a Tibur une ori- gine grecque; Caton [apud Solin. in Martian. Capella) dit qu'elle elait colonie arcaciienne; Varron [De ling, tat., iv, 5) et, apres lui, Yirgile [JEneid., vni, 345) racontent que le meurtre d'un Argien, qui s'etait introduit aupres d'Evandre, sous les dehors de l'amitie et dans le trait'reux dessein d'assassiner son bote, alluma entre les Arca- diens et les Tiburtins une guerre longue et fratricide, source d'une haine implacable. Celtehaine etait attestee par une pratique supersti- lieuse (jui s'observait tous les ans a Rome. Au mois de mai (Plu- tarq., Quest. Rom.), on jetait dans le Tibre des statues de bois gros- sierement fagonnees, auquellesondonnaitlenom d'Argiens. Plutarque veut que ce soit la un souvenir de l'inimitie qui divisait les Argiens etles Arcadiens du Peloponese; Raoul Rochette aime mieux chercher 1'explication de cette coutume dans l'ingratitude des Argiens du La- tium. Le nom du bois sacre [argilel), qui existait dans l'enceinte do LA SIBYI.LE GRECQUE. 103 On a fait remarquer que la slatue de la sibylle tiburtine ayant ele trouvec dans un gouffre de l'Anio, avec un livrc dans la main, ce livre etait sans doute compose de plancheltes de hois on de labletles de metal. Varron se sert, d'ailleurs, pour designer les oracles liburtins, du mot sortes, qui semble les rapprocher des sorts de Preneste, graves, comme nous l'avons vu, sur des plaques de chene et des batonnels. Quoi qu'il en soil, il parait certain que les propheties tiburtines furent reuniesa la collection des propheties de Cumes, sous le nom commun d'o- racles sihyllins. Ceux-ci, du reste, n'etaient pas les souls a former rensemble des Livres du Destin (libri falales), conserves au Capitole ; il y avail encore les predictions etrusques de la nymphe Bygoe, les predictions indigenes de Marcius, et sans doute beaucoup d'aulres que les hisloricns n'ont pas con- nues. Les oracles sihyllins en circulation dans le public etaient designes, soit par la nature des sujels traites, soit par les noms des peuples intercsses aux predic- tions, soit enfin par le lieu d'origine qu'onleur attri- buait. Cost ainsi qu'au deuxieme siecle avant noire ere, on etait venu a compter dix groupes d'oracles, dont chacun etait repule I'oeuvre d'un personnage Romo, et ou fut mis a mmi le traitre ^.rgien, o'esl pas la seule trace qu'ail laissee en ce lieu la presence des colons argiens : Varron cite plusieurs autres denominations locales analogues. L'6pithete de Sn- perbum, que Virgile donne a Tibur, prouve que plusieurs villes, parmi lesquelles on peut citei Cora, Aricie, Gabies, Pre"neste, llci-c- iiiin, la regardaient anciennement c te leur melropole. C'e^t, du moins, I'opinion de Raoul Rochette. [Hist, des col. grecg., II. p. 245.) 164 LA SIBYLLE GRECQUE. tres-ancien et reel, d'une sibylie. Cinquante ans avant la naissance de Jesus-Christ, Varron 1 enregis- Ire en ces termes l'etat de l'opinion sur les sibyl les : « La premiere est la sibylie persique, dont fait mention Nicanor, historien d'Alexandre 1c Grand. La seconde est la sibylie libyque, dont parle Euripide dans le prologue des Lamies. La iroisieme est la sibylie de Delphes, dont parle Chrysippe dans son livre de la Divination. La qualrieme est la sibylie cimmerienne, en Italie, nominee par Nsevius dans ses livres sur la- Guerre punique, et par Pison dans ses Annates. La cinquieme est la sibylie d'Erythree ; Apollodore affirme qu'elle fut sa compatriote, qu'elle predit aux Grecs, partant pour llion, que cette ville perirait, et que Homere ecrirait des mensonges. La sixieme est la sibylie de Samos ; Eratosthene a ecrit qu'il avail trouve d'clle un oracle dans les vieilles annales des Samiens. La septieme est la sibylie de Cumes, qui se nomme Amalthee, et qu'on appelle aussi tantol Demophile, lantot Herophile. C'est elle qui apporla les neul' livres a Tarquin l'Ancien... La liuitieme est la sibylie hellespontine, nee an pays troyen, dans le bourg de Marpesso, pres de la villc de Gergitbium. Heraclide du Pont clit qu'elle fut con- temporaine de Cyrus et de Solon. La neuvieme est la sibylie phrygienne, qui prophetisa a Ancyre. La dixieme est la sibylie de Tibur, nominee Albunea, qui est veneree comme une divinite sur les rives de l'Anio. » 1 Antic], rerum divin., iv. LA SIBYLLE GRECQUE. 165 Nous en avons dit asscz sur l'histoire, l'origine ct la nature des oracles sibyllins, en general, et de ceux du Capitole, en particulier. II nous reste a ajou- ter que, vers le milieu du qualrieme siccle, le college des duumvirs fut transform^ en decemvirat. Trois siecles plus tard, le college deviut quindecemviral. CHAPITHE VI LA SECONDE COLLECTION D'ORACLES CAPITOLINS L'an 671 de Rome,qualre-vingt-un ans avant noire ere, durant la Guerre sociale, le vieux (emple de Jupiter, bali par les Tarquins, fuf incendie. Aveclui perirent les Livres du Deslin. Six ans apres, le temple elait reconslruit plus magnilique, et le senat ordon- nait de rechereher partout les oracles sibyllins, afin de reconstituer, aulant que cela elait possible, le tresor prophetique perdu. Les oracles nemanquaient pas, el le nombre ties livres sibyllins s'accrut, dit Varron 1 , « parcc qu'on apporla a Rome les livres atlribues a n'imporle quelle sibylle, qui furent re- cueillis dans toutes les villes grecques et ilaliqiics, principalement a Erylhrec. » Les deputes envoyes a Erylbree, Gabinius, Octacilius et L. Valerius, rap- porterent de eetle ville environ mille vers, transcrils par des parliculiers, et qui furent deposes au Ca- pilole 2 . La collection nouvelle se composa d'oracles venus, 1 Luc. cit. a Fenestella, cite par Lactancc. (Divhi. Instit.. r, G.) LA S1DYLLE GRECQUE. 167 soil de la ville d'Eryihree, soit des villes grecques d'ftalie, soit d'autres villes; on accepta meme ccux de quelques homines prives 1 . Parmi ces derniers, ajoute Denys d'Halicarnasse, qui suit ici le temoi- gnage de Varron, il y en avait d'apocryphes, que Ton reconnaissait aux acrostiches 2 . line lellrc, adressee au senal par Tibere, allestc que les prophelies avaienl ele reeueillies a Samos, a Ilium, a Erythree, en Afrique, en Sicilc, dans les colonies grecques d'ilalie 3 . Les livrcs fatidiques, apres la recherche de Tan 75, continuorent d'affluer a Rome, en si grande quantite que, cinquantc ans apres, on en comptait plus de deux inille. II y en avait de grecs et de latins, les uns anonymes, les autres allribues a des auteurs invraisemblables. Auguste donna I'ordre de hruler tous ceux qui, apres un premier triage, no seralent pas reconnus pour etre sibyllins *. Un se- cond triage fut opere sur ceux-ci; on ne conserva deiinilivement que ceux qui parurent le plus authen tiques, ou qui interessaient le peuple romain. On les mil dans deux col'i'res d'or, places sous le piedestal de la stalue d'Apollon Palatin. Cette epuration elait jugeea peine suffisanlc : car l'un des quindecemvirs commis a la garde des nou- veaux oracles ayaul propose au senal, par l'entremise dun tribun du peuple, d'admettre un livre sibyllin dans la collection restituee, Tibere blama la proposi- 1 Aidii/. Horn., iv, 193. - 'Ev ','i sbplaxovTcct rtvs; e//.Tc-:-oi/;;/ivot rotj 2t6u).>Uiai; ' eiiy^ovra: §k z-A; /.'//.o\)ij.-.Jv.ii 'j./yjzzv^i-i. [Antiq. Horn., iv, 1U5.) 5 Tacite, Annul., vi, 12. * Suet., Yd. Any., 51. 168 LA SIBYLLE GRECQUE. tion, la declarant inconsideree et privee des garantics necessaires, c'est-a-dire de l'avis prealable du college et de l'examen des maitres. L'empereur rappela en memc temps la defense, faite aux particuliers par Augusle, de posseder el de lire les pretendus livres prophetiques, que la recherche de Tan 75 avait mis en circulation a Rome. Dans ce flot d'ecrits fatidiques, qui submergea Rome et l'llalie, il y avail un element nouveau, ap- pele a jouer bientot un grand role dans le monde. Depuis plus dun siecle, Alexandrie avait aussi sa sibylle, ignoree des Romains et des Grecs, car elle avait pris le masque et le nom de la sibylle d'Ery- three. Le prophetisme d'lsrael faisait ainsi irruplion au milieu des paiens, a leur insu, et leur annoncait, en meme temps que l'ecroulement prochain de l'hel- lenisme et de l'idolatrie, l'aurore d'une ere nouvelle de justice et de paix, le regne d'un liberateur qui ferait triompher sur la terre regeneree la concorde et la verite. Nous allons quitter Rome et nous transporter a Alexandrie, pour eludier les causes et la nature du mouvement qui produisit la onzieme sibylle, la seule anlerieure au christianisme, dont quelques chants sont parvenus jusqu'a nous. DEUXIEIY1E SECTION LA S1BYLLE HEB11AIQUE CHAL'ITRE PREMIER LES COLONIES JUIVES AVANT L'ERE CHRETIENNE Alexandre se monlra favorable aux Juifs' : la ville fondee par le conquerant entre l'ile de Pharos et le lac Mareolis, recut une colonic juive qui s'accrut Ires-rapidernent et constilua a cote de la population givco-rgyptienne un groupe energique et compacle. Les Juifs servircnl fidelement les Plolemees et oblin- rent d'eux le monopolc de la navigalion du Nil, lentrepriscdes bles et rapprovisionnemcnl d'Alexan- drie 2 . lis furent mules au gouvernement el a l'admr- 1 Josephe, Cim/. Apwn., a. ' Nous negli le citer les sources qui justifienl ces assertions '•i les suivantes. 1 e lectcur trouvera les Iclaircisseraents n^cessaires (Inns notre ouvrage intitule : Ecrits historiques de Philon pectifs a administrer a des justes ties-merilants oua de grands coupahles. Plus tard, on fit de la resurrec- tion des morts un evenement universel, qui devait s'etendre au peuple juif entier, puis a loutes les na- tions. L'espoir de revivre un jour dans sa chair pou- vait certainement inspirer les plus sublimes denoue- ments et soutenir le martyre dans son heroique obsli- nation ; pourtant, il n'etait pas facile, d'implanter tres-solidement cet espoir dans des ames simples, effrayees de la destruction du corps accomplie par certains genres de supplices. On sent, a l'insistancc desprophetes, que les objections les plus specieuses et les plus pressanles ne manquerent pas de se produire contre le dogmc de la resurrection, et qu'il fallut reiterer les affirmations les plus energiques et les plus solennelles pour raffermir la confiance aux pro- messesdivines. Devenu chrelien, ce dogme, comme l'a demontre un remarquable travail 1 de M. Edmond Le Blant suscita aussi dans les terribles persecutions des premiers siecles, et meine dans les annees qui sui- virent la mort de Jesus, bien des angoisses au cceur des fideles 2 , Comment et a quel moment precis aurait lieu la resurrection? Les prophetes varient la-dessus et nous laissenl libres de la placer, soit avant, soit apres lecataclysmc qui doit detruire la t'erre. Suivant 1 Lu devant l'Acndcmie des inscriptions au mois de fevrier 187 1, et destine an Recueil des Mrmoires de I'Acad^mie. 2 On verra qu'il n'existedans les oracles sibyllins juifs, ant^rieurs au christianis aucune trace de la croyance a la resurrection des innrts. C'est la un caractere dont on ne saurait mecoiinaitre I'im- portancc dans I'etude du Judaism e alexandrin. Les oeuvres de l'liilon ne contiennent, de meme, aucune allusiun a la resiiiTeciion. 204 LA S1BYLLE HEBRAIQUE. une autre opinion , des resurrections parlielles devaient elre le signe precurseur de l'avenemcnt du Messie et l'Evangile fait de ce signe le premier du caractere messianique de Jesus. La description des catastrophes supremes occupe une grande place dans'Ies propheties modernes. Les anciens Voyants avaient ete la-dessus d'une sobriete, qui ne pouvait convenir a une epoque troublee, oil la fievre de l'altente et l'exaltalion du martyre enflam- maient les imaginations ; on lira plus loin ces fan- taisies prodigieuses qui boulcversent la nature, arra- chent les astres du ciel, roulent le firmament comme un volume, renversent les montagnes, aneantissent la terre et dans lesquelles domine la consideration quecelte catastrophe, analogue d'une manieie gene- rale au deluge envoye jadis par Dieu pour punir les hommes coupables et purifier la terre, au lieu de s'operer cette fois par l'eau s'operera par le feu. Les propheties, que nous appelons modernes par opposition a celles qui sont anterieures au sixieme siecle, sont conlenues dans le livre d'Henoch, dans les Oracles sibyllins, dans le Nouveau Testament et dans l'ecrit portanl le titre de Quatrieme livre d'Esdras 1 . 1 Cet ecrit date environ de l'an 98 de notre ere; il est l'ceuvre d'un Juif pharisien. Bien qu'il sorte de notre cadre, au meme titre que les oracles sibyllins, juifs ou Chretiens, posterieurs a l'an 80 ; il ne sera pas inutile d'en donner ici un court apenju. Suivant l'auteur de cette prophetie, le Messie doit bientot appa- raltre; inais, confonnement a I'antique tradition, il viendra apres la grande crise; son regne durera quati-e-cents ans. Apres ce laps de temps, il mourra ainsi que tous les hommes. Et le monde retom- bera dans son silence du commencement pendant sept jours. Puis un monde nouveau surgira; la terre rendra les ames qui dorment dans son sein. Le Tres-Haut apparaitra sur son trone et jugera LA SIBYLLE HEBBAIQUE. 205 Suivant certains critiques 1 , le livre de Daniel, ou du moins les derniers chapitres de ce livre, au- raient etc composes entre les aunees 167 et 169 avant Jesus-Christ. Le prophelc y annoncerait la fin des temps pour le moment ou devait dispaiaitre le roi seleucide Antioelms Epiphane, ce qui concorde- rait avec la prediction de ia sibylle, qui assigne a l'ave- nement du Messie cettc nieme dale, sous le regne du roi lagide Plolernee Philometor. Voici le passage prin- cipal de Daniel dont il s'agit, ou on a vu, dans le choc des royaumes du Nord et du Midi, la lutte des Seleu- cides el des Lagides, et specialemcnt la seconde expe- dition d'Antiochus Epiphane contte l'Egypte, men- l'huinanite; il enverra les uns clans la joie ct la consolation, les autrcs dans les peines ct le feu. Les atnes des mediants, apres le trepas, errent jusqu'au jugement dernier, en proie aux remords, a la linnte, a Peffroi; les ames des bons contemplenl d'abord la yloirc de Dieu pendanl sept jours, puis enlrent dans leurs deraeures, ce qui signifie sans doute qu'elles s'endorment jusqu'a la grande journee de I'Eternel. Cette grande journee ne decidera done du sort de personne, mais, par la resurrection des corps, elle ajoutera aux tourments des uns ct a la felicite des autres. Le Pseudo-Esdras fait du Messie un homme, mais un homme celeste quoique inortel ; e'est, dit-il, la semenee de David que le Tres-llaut a reservee pour la fin; e'est cehii que 1'Eternel conserve a scs cotes pendant longtemps pour drlivicr sa creature. De memequ'on ne peut scruter ce qui est an fund de I'Oceaii, personne sur la terre ne pent, voir avant son temps ee Fits de Dieu et ceux qui 1'accompagneront quand il descen- dra sur la terre. Ces compagnons, ce sont les bommes que Dieu a recueillis dans le Paradis, tels que Elie et Henoch. On trouve dans cette conception du Messie plusieurs traits qui rappellenl les defini- tions du livre d'Heno li: mais le resultai de ^identification du Messie national an Verbe des philosopbes, c'esl a-dire ['influence de l'a- texandrinisme, s'y fail moins sentir que dans le livre d Henoch, et voila pourquoi le Messie, divinise, mi peu s'enfaut, par Henoch, est ici ten 1 1 m quelque sorte a egale distance de la ii rre et du ciel. 1 Voy. Hilgenfeld [Jiidische Apokalyptik ; Mi. Noldeke [Histoire liiteraire de VAncien Testament, Iraduitepar MM. II. Derenbourg et Soury) ; T. (Jolani [Je'stis-Christ ct les croyances tnessianiques . 12 • 206 LA NBYLLE HEBRAfQUE. tionnee aussi par les oracles sibyllins comme devanl preceder de peu la fin des lemps. Le prophete, parlant du roi du Nord, dit : « A une epoque fixee, il marchera contrc le Midi ; mais, cette derniere fois, les choses ne se passeront pas comme prccedemment. Des vaisseaux de Kitlim s'avanceront contre lui (l'intervention romaine?) ; decourage, il rebroussera. Puis, furieux contre 1' al- liance sainte, il ne reslera pas inactif ; a son retour, il portera ses regards sur ceux qui auront abandonne l'alliance sainte. Des troupes se presenteront sur son ordre ; elles profaneront le sanctuaire, la forteresse ; elles feront cesser le sacrifice perpetuel et dresseront l'abomination du devastaleur. II seduira par des flat- teries les traitres de l'alliance. Mais ceux du peuple qui connaitront leur Dieu agiront avec fermete et les plus sages parmi eux donneront instruction a la mul- titude. II en est qui succomberont pour un temps a l'epee, a la flamme, a la captivile, au pillage Quelques-uns des hommes sages succomberont, afin qu'ils soient epures, purifies et blanchis, jusqu'au lemps de la fin, car elle n'arrivera qu'au temps . marque. « Le roi fera ce qu'il youdra ; il s'elevera, il se glo- rifiera au-dessus de tous les dieux, et il dira des choses incroyables conlre le Dieu des dieux ; il pros- perera jusqu'a ce que la colere soit consommee, car ce qui est arrete s'accomplira. « II n'aura egard ni aux dieux de ses peres, ni a la divinite qui fait les delices des femmes ; il n'aura egard a aucun dieu, car il se glorifiera au-dessus de LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 207 tous. Toutefois, il honorera lo dieu des forteresses sur son piedestal ; a ce dieu, que ne connaissaient pas ses peres, il rendra des hommages avec del'or et de l'argent, avec des pierres et des objets de prix. C'estavec le dieu elranger qu'il agira conlre leslieux fortifies ; et il comblera d'honneur ceux qui le recon- naitront ; il les fera dominer sur plusieurs ; il leur distribuera des terres pour recompense. « Au temps de la fin, le roi du Midi se heurlera contre lui. El le roi du Nord I'ondra sur lui comme une tempete, avec des chars et des cavaliers et avec de nombreux vaisseaux ; il s'avancera dans les terres, se repandra comme un torrent et debordera. II entrera dans le plus beau des pays, et p'usieurs succombe- ront ; mais Edom el Moab et les principaux des enfants d'Ammon seront delivres de sa main. II etendra sa main sur divers pays et le pays d'Egypte n'echappera point. II se rendra mailre des tresors d'or et d'argent et de toutes les choses precieuses de l'Egyple. Les Li- byens etles Elhiopiens seront a sa suite. Des nouvelles de l'Orient et du Nord viendront l'effrayer, et il par- tira avec une grande fureur pour detruire et exter- miner des multitudes. II dressera les tenlesdesonpa- lais entre les murs et la glorieuse et sainle montagne. Puis, il arrivera a sa fin, sans que personne lui soit en aide. « En ce temps-la, se levera Michael, le grand chef, defenseur des enfants de ton peuple ; et ce sera une epoque de detrcsse telle qu'il n'y en a point eu depuis que les nations existent jusqu'a cette epoque. En ce temps-la, ceux de ton peuple qui seront trouves in- 208 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. scrils dans le livre seront sauves. Plusieurs de ceux qui dorment dans la poussiere de la lerrese reveille- ront, les uns pour la vie eternelle, el les autres pour l'opprobre, pour la honle eternelle. Ceux qui auront ete intelligents brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigne la justice a la mul- titude brilleront comme les etoiles, a toujours et a perpetuite... «... Toutes ces choses finiront quand Ja force du peuple saint sera entierement brise. » Le prophete inlerrogepour obtenir une indication plus claire ; il lui est repondu : « Va, Daniel, car ces paroles seront tenues secretes et scellees jusqu'au temps de la fin. Plusieurs seront purifies, blanchis et epures ; les mediants feront le mal et aucun des mechants necom- prendra, m&isceux qui auront de Vintelligence compren- dront. Depuis le temps ou cessera le sacrifice perpe- tuel et oil sera dressee rabomination du devastateur, il y aura mille deux cent quatre-vingt-dix jours. Heu- reux celui qui attendra, et qui arrivera jusqu'a mille trois cent trenle-cinq jours ! Et toi, marche vers ta fin ; tu te reposeras et tu seras debout pour ton heri- tage a la fin des jours 1 , w On remarquera ici quelques particularites dans la conception du regne messianique le role guerrier de vainqueur des nations est rempli par l'archange Mi- cbcl, defenseur et patron d'Israel ; c'est la force et la vaillance de Michel qui sauvent le peuple saint des- cendu au dernier deere de faiblesse et d'humiliation ; 1 Daniel, chap, xi et xn, trad, de M.|l. Segond. LA SIBYLLE IIEBRAIQUE. 209 cetetat est meme l'un des signes qui annonceront la fin des choses. II faut remarquer aussi que la resurrec- tion s'operera pour certains justes et pour certains mechanls, mais qu'elle n'est pas promise a tous in- distinctement : « Pltisieurs de ceux qui dorment, dit le prophete, se reveilleront... » Et il ajoute qu'ils re- vivront pour l'opprobre etemel ou pour la felicitesans tin. Nous trouvons la aussi une parole a laquellel'E- vangile fait plus d'une fois allusion ; Daniel affirme qu'aucun des mediants ne comprendra, mais que ceux-la seuls qui auront de 1'inlelligence compren- dront. Philon declare de meme que la vision surhu- maine qui guidera vers sa palrie Israel repentant et converli, n'apparaitraqu'a ceuxdont lespeclies n'au- ront pasdepasse certaine mesure. Jesus dit aux Pha- risiens hypocrites : « Vous ne pouvez pas me voir ! » Souvent il s'ecrie : « Que celui quia del'intelligence comprenne ! » Si les trails divers des visions de Da- niel ne devaient pas se completer entre eux, on serait tente de croire que, dans les chapitres XI el XII, le prophete supprime la personne du Messie et lui sub- stitue l'archange; mais le passage suivant nous r'en- seigne sur le role du Messie. «... Et l'Ancien des jours s'assit. Son vetement etait blanc comme la neige, et les cheveux de sa tete etaicnt comme de la laiue pure ; son trone etait comme des flammes de feu, el les roues comme mi feu ardent. In ileuve de feu coulait et sortait de de- vant lui. Mille milliers le servaient, et dix mille mil- 1 Daniel, cliap. vh, vers. :'i \>\. \2. 210 LA SIBYLLE IIEBRAIQUE. lions se tenaient en sa presence. Les juges s'assirent, et les livres furent ouverts... V animal fut iue et son corps fut aneanti et livre au feu pour elre brule. Les aulres animaux furent depouilles de leur puissance, mais une prolongation de vie leur fut accordee jusqu'a un certain temps, « Je regardais pendant mes visions nocturnes, et voici, sur les nuees des cieux arrive quelqu'un de semblable a un tils de l'homme. II s'avanca versl'An- cien des jours et on le fit approcher de lui. On lui donna la domination, la gloire et le regne ; et tousles peuples, les nations et les hommes de toutes langues le servirent. Sa domination est une domination eler- nelle y qui ne passera point, et son regne ne sera ja- mais dctruit. » Les critiques dont nous avons parle reconnaissent dans cet animal livre aux flammes le roi Antiochus Epiphane, persecuteur des Juifs et profanateur du temple ; malgre le sens clair des paroles qu'on vient de lire, ils contestent qu'il s'agisseieid'un Messie per- sonnel ; suivant eux, cet etre, semblable a un fils de Thbinme, c'est Israel, et ils croient en trouver la preuve dans le verset 27 du meme chapitre : « Le regne, la domination et la grandeur de tous les royaumes qui sont sous les cieux seront donnes au peuple des saints du Tres-Haut. Son regne cstun regne eternel. etlous les dominateurs le serviront et lui obeiront. » Sans examiner si les visions du livre de Daniel doivent elre considerees comme le point de depart des conceptions messianiques modernes, ou s'il faut, avec la tradition, les ranger parmiles anciennes pro- LA S1BYLLE IIEBRAIQUE. 211 pheties, nous pouvons, sans crainle de nous trom- per, dire que les evangiles marquent le point d'arrivee des conceptions messianiques, que le livre d'Henoch nous en montre le developpement, et que les oracles de la sibylle d'Alexandrie sont un episode important de ce developpement, qui nous conduit a etudier I'influence exercee par la colonie egyptienne sur le mouvement des idees dans la mere patrie. CHAPITRE VI CRITIQUE ET HISTOIRE DU LIVRE D'HENOCH Le livre d'Henoch est un echo prolonge des prophe- ties de Daniel ; il les commente et les developpe. Les Juifs ne l'ont jamais recu dans leur canon; les Chre- tiens l'ontexclu du leur, comme apocryphe. Cette ex- clusion fut cause qu'il se perdit, vers le cinquieme siecle, a l'cxceplion de courts fragments, conserves nolamment par Georges le Syncelle. Le livre d'Henoch a ete retrouve, il y a environ quatre-vingts ans, en Abyssinie; l'Eglise copte l'admet encore au nombre des livres inspires. Cette circonstance l'a sauve d'un irreparable oubli. II eut de l'autorite dans la primitive Eglise; les letlres de saint Jude et de saint Barnabe, rappelant aux fideles les predictions du patriarche Henoch, l'alteslent. Au second siecle, saint Irenee et Clement d'Alexandrie le citent aussi avec respect, et Ter- tullien, dans son Traite sur Vidol&trie, affirme que le livre est inspire de l'Esprit saint 1 . Mais, un pas- 1 Hfec igitur ab initio pnevidens etiam ostia in superstitionem ventura praBcecinit per antiquissimum prophetam Enoch. LA SIBYLLE IIEDRAlQUE. 213 sage d'un aulre traile 1 du meme Pere nous ap- prend que deja alors il n'etait pas universellement admis par les diverses Eglises dans le canon des Ecri- tures. Au commencement dutroisieme siecle,Origene constate cette incertitude; il ne trouve pas mauvais qu'on l'accepte comme un livre sacre 2 , et il avoue d'ail- leurs que les Eglises ne lui reconnaissent pas une ori- gine tout a fait divine*. C'est comme par degres que les propheties d'Henoch perdent leur faveuret se ran- gent dans la categorie des apocryphes. Les Constitutions apostoliques k avaient deja declare leur non-authenli- cite; saint Augustin repele cette declaration 5 ; et, par la voix de saint Jerome G , l'Eglise d'Occident lesrejette definilivement. L'Eglise grecque les conserva un peu plus longtemps; l'Eglise copte, isolec de bonne heure du continent curopeen, les garda seule dans son ca- non. « Les auteurs apocryphes, dit un ecrivain eccle- siaslique 7 , sonl d'une tres-grande utilile; carils nous apprennent quelles etaient les croyances et les opi- nions thcologiques a l'epoque on ils ont ete ecrits. Tel est, en particulier, le livre d'Henoch, compose avant la publication des doclrines evangeliques. II nous indique ce que pensaient les Juifs sur la nature 1 De CiiUu fceminarum. - Et T'o ; Sytov to '-nZ'/iov. (In Johan.) •' *\W -y.li ixxXr)9t«ti 0\>TzAv\i yip-zzi iii 0£l'a. [CoTltra Celsitm.) 4 L. M, III. 5 De Civit. Dei, u, 25. c Manif'esUssimus liber est et infer npocryphos compulatur. [Com- ment, in psalm., i xxxn, .">. | 7 L'auteur de la dissertation placee avant la traduction du livre d'Henoch dans le premier volume du Dictionnaire des apocryphes de M. I'abb6 Migne. 214 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. et le'caractere du Messie, longtemps avantla naissance de Jesus-Christ, ce qui est sans doute du plus haut interet. » Ce livre nous fait connailre beaucoup d'au- tres croyances repandues a cctle epoque en Palestine sur l'origine du mal dans le monde, sur les punitions terribles que Dieu doit infliger aux idolalres, sur la resurrection des morts, sur les conditions precises de la vie ultra-terreslre, le feu de l'enfer, l'elernite des recompenses et des peines, sur le monde invi- sible, sur le sejour celeste habite par des myriades de saints bienheureux, d'anges resles fideles, enfin sur la personne mysterieuse et divine assise dans le ciel a la droite du Tres-Haut, appelee tantot le Fils de l Homme, tantot le Fils de la Femme, tantot Yfilu , tantot le Mysterieux, tantot le Verbe, tantot le Fils de Dieu 1 . Dieu reserve cet etre pour la purification de la terre, le jugement universel et la renovation du monde. Par tous ces sujets le livre d'Henoch lient de tres- pres, comme on voit, aux oracles sibyllins, ou, pour mieux dire, ces oracles ne sont que la traduction, en une langue etrangere, sous une forme convenue, de 1 La encore se remarque un passage qui semble une allusion a la doctrine de la Trinite. Le propbete y mentionne, en effet, trois Sei- gneurs : d'abord, le Seigneur des Esprits; ensuite le Seigneur EIu (le meme que le Fils de l'llomme, le meme que le Verbe) ; en troi- sieme lieu, le Seigneur d'une autre puissance, qui etait sur I'eau, c : est-a-dire l'Esprit-Saint, que Moise nous montre, au debut de la creation, planant sur les eaux. Telle est, du moins, l'internretation que donne de ce passage I'auteur de la dissertation deja citee. Yoici ce passage : « Lui (l'Elu) fera appel a tout pouvoir du ciel, a toute saintete, a toule puissance de Dieu. Les cherabins, les serapbins et les ophanins, tous les anges du pouvoir et tous les anges de l'autre pouvoir, qui etait sur la terre et sur l'eau, feront entendre dans ce jour leurs voix unanimes. (Ch. lk, vers. 13 et 14.) L.\ SIBYLLE HEBRAlQUE. 215 beaucoup des aspirations que ce livre exprime. Cetlc double serie de documents contemporains nous fournit en derniere analyse le moyen de surprendre la pensee inlime du judai'sme a ses deux poles. En comparant la prophetie paleslinienne a la propbetie alexandrine, nous pouvons apprecier les sacrifices faits aux neces- sites du proselylisme, et penelrer les secretes visees et les esperances grandioses qui soulinrenl Israel dans ses malheurs el l'empecherent de se perdre, comme les autres peuples, dans les jouissances materielles que procurent le lucre el les richesses. Le livre d'Henoch est compose de trois groupes d'ecrits, comprenant cinq parties, qui apparticnnenl a des auleurs divers eta des epoques distinctes, quoi- que rapprochees. Le premier groupe renferme trois prophelics on paraboles (Mashal), en apparence assez homogenes ; le second, une prediction atlribuee a Noe, avec des allures apocalyptiques tres-prononcees ; le troisieme, un morceau assez court qui lermine l'ensemble. Tons ces ecrils out ete rediges en Pales- tine, soit en hebreu, soiten syriaque, par des auteurs inconnus, qui ont vecu dans l'intervalle correspondant au cycle judeo-alexandrin. Ces ecrits ont ete reunis, et peut-etre legerement rcmanies, dans la seconde moitie du siecle qui precede notrc ere, a repoque ou florissait le plus illuslre des philosophes alexandrins, Philon. II y a done lieu de distinguer les dales di- verses de chaquc ocrit et la dale unique du travail de coinbinaison qui les a rassembles sous un nieme litre. Suivant les indications qu'une critique erudite a '216 LA SIBYLLE 11E1MAIQUE. relevees avec soin dans ces propheties, le premier groupe serail contemporain d'Antiochus Epiphane ; il aurait ete compose 1 70 ou 180 ans avant la naissance de Jesus-Christ, precisement en meme lemps que les plus anciens oracles sibyllins qui nous soienl parve- nus. Le second groupe aurait ele ecrit dans la pre- miere anneede la longue domination de Jean Hyrcan; le troisieme, peu de temps apres, vers Tan 144 avant l'ere chretienne 1 . En rapprochant Henoch de la Sibylle nous avons done la certitude et l'avanlage d'eludier et de compter les battemenls profonds de la vie du juda'isme, a ses deux centres principaux, et, en quelque sorte, opposes, Jerusalem et Alexandrie. 11 serait temeraire d'aflirmer que le livre d'Henoch est sorti des monasteres esseniens. On n'a du fait aucune preuve directe ; on n'y trouve, au surplus, nulle trace de la melhode allegoriqueappliqueeal'in- terpretation des Ecrilures, methode qui consliluait le fond de la doctrine du monachisme juif, aussi bien aux environs d'Hebron, que sur les bords du lac Ma- ria. Nous savons toutefois que la connaissance des anges et du monde invisible jouait un grand r61e dans les traditions et les preoccupations des Esseniens, et sans doute aussi des Therapeutes, et que les poetes et les propheles n'etaient pas rares parmi eux; or, les propheties d'Henoch sont remplies de descriptions tres-detaillees relatives aux anges et aux puissances celestes ; il n'y a done aucune invraisemblance a sup- 1 H. Ewald, Mcmoire sur I'origine, le sens et I' arrangement des diverses parties du livre elhiopien d'Henoch. (Goettingue, 1855, in-4°l. LA SIDYLLE HEBRAIQUE. 217 poser qu'elles ont pu elre composees, et mises en circulation et en faveur par les E^seniens. Plusieurs auteurs 1 ont exprime i'opinion que les Chretiens avaient, durant les premiers siecles, inlro- duit dans le livre d'llenoch des interpolations nom- breuses relatives a la personne du Messie. On ne pourrait, d'apres cela, degager do ce livre les trails de la conception messianique chez les juifs palesti- niens avant le christianisme, qu'avec les plus grandes precautions et en distinguant soigneusement le texte primitif du texte altere. Effacer d'un trait de plume, en les declarant fal- sifies, les documents qui conlrarient nos systemes, voila qui est commode et seduisantl C'est ainsi que nous avons vu M. Graetz se debarrasser de la Vie con- templative, en I'attribuant a un lieretiquedu troisieme siecle, de peur d'avoira constater dans le judaisme unc evolution qui inene au christianisme; c'est ainsi que nous venous plus loin un critique redresser hanlimenl les temoignages expres et concordants des apotres suf un point de l'enseignement du divin inaitre, pretcndre demonlrer que les evangelistes ont mele lours opinions a la doctrine de Jesus, el deter- miner l'endroit precis ou finil la parole du inaitre et ou commence rinterpretation du disciple! Ces precedes lemeraires sont suggeres par une il- lusion, trop ordinaire a la vanite humaine, qui nous pousse a considerer comme des fails realises nos 1 MM. Hilgenfeld [Judisclie Apokalyptih ; Golan i [Jesus-Christ ct les croyances messianigues) ; Th. Noldeke [Hist, litter, de I'Aiw. Testa in. . 13 '218 LA SIDYLLE HEBRAIQUE. theories retrospectives et a prendre pour des verites les conjectures laborieusement edifiees par nous. Qu'y a-t-ilau fond de ces argumentations enchevetrees et de ces conclusions superbes, dont le moindre tort est de prodiguer les grands mots d'e'vidence et de demonstration? Avec celte illusion vaniteuse il y a la preoccupation, avouee ou secrete, de discrediter les opinions recues, de faire du nouveau a tout prix,dut- on pour cela porter la main meme sur la Sainte Ecriture. Quand M. Tli. Noldeke ecrit : « Les passages messianiques du livre d'Henoch seraient tres-interes- sants, s'ils n'etaient pas des interpolations e'videntes dues en grande parlie aux chreliens 1 », il altirme,en le declarant evident, un fait douteux; cequi, pour un savant, conslilue une double faute. En effet, si Ton pcut soutenir que ce qui est con- forme a la doctrine chretienne touchant le Messie a etc inlroduit dans le livre d'Henoch par des chreliens, on peut soutenir egalement que les passages frappes de suspicion ne sont pas le r6sultat de l'addilion sup- posee; que la doctrine qu'ils expriment, consistant principalement dans une tendance a idenliiier le Verbe des philosophes alexandrins et le Memra des rabbins de Palestine, avecle Mashiakh ou Fils de V Homme des prophetes, que cette doctrine a pu, par un developpe- ment logique, se produire aux epoques ou furent ecriles, rassemblees et remaniees les proprieties d'Henoch; que, par suite, la presence de cette doc- trine dans ces propheties ne trahit pas necessaire- 1 Hist, litter, de I'Anc. Test., p. 544. LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 219 merit l'intervention chretienne (de meme que pour expliquer la theorie du Verbe dans Philon il n'est point indispensable de recourir a la fable de la con- version du pliilosophe) ; qu'enfin il a exisle, aussi bien en Palestine qu'a Alexandria, une sorte de pre- chrislianisme, qui est comme la preface de l'Evan- gile et marque la derniere phase de l'attente messia- nique, prechristianisme dontM. Noldekeet plusieurs autres n'ont apprecie suffisamment ni la valeur ni le sens. 11 suffit d'enoncer ces propositions pour prouver, cesemble,que rauthenlicite des passages incrimines dans le livreen question est au moinstres-soutenable, et qu'en l'admeltant, nous n'enfreignons point les regies d'une saine critique. Iln'ya en toutceciqu'une seule chose evidente, c'est Fexcessive assurance de M. Noldeke. CHAPITRE VII LES PROPHETIES DU LIVRE D'HENOCH Voici, en resume, l'ensemble des enseignemenls et des predictions du livre d'Henoch 1 . Le mal s'est introduit sur terre par la desobeis- sance de nos premiers parents. Cain, le meurtrier de son frere, devient la souche d'une race perverse, tandis que la race de Selh conserve les saines tradi- tions, le culte du vrai Dieu et la pratique de la vertu. Mais les anges etant devenus amoureux des lilies des homines, quillerent les cieux et eurent commerce avecles femmes. lis descendirent au nornbre de deux- cents; leur chef cUiit Azaziel. lis apprirent aux homines la sorcellerie, les enchantements, les pro- prietes des racines et des arbres; ils leur apprirent a outrager Dieu et a tyranniser leurs semblables. Comme e'etaient des esprit s superieurs en meme temps que des anges rebelles, c'esl d'uux que vinrent 1 Nous avons voulu, pour plus d'exactifude, nous adresser au texte ethiopien publie par Dilmann (Leipzig:, 1851); nous avons eu recours aux lumieres d'un savant orientaliste, M. Joseph Halevy, auquel nous nous plaisons a temoigner ici noire gratitude. LA SIBYLLE HEBRAIQUE. '221 aux homines les sciences vaines ou dangereuses et les arts nuisihles : la fabrication des epees, des cou- teaux, des boucliers, des cuirasses, des miroirs, des colliers et des bracelets, l'usage de la peinture, la maniere de se colorer les sourcils, d'observer les etoiles et de determiner les mouvements de la lune. Du commerce des anges avec les femmes naquit une race de geants de trois-cents coudees de hauteur, qui devoraient tout ce que le travail des homines pou- vait produire. II devinl impossible de les nourrir. Sur le point de perir, les homines elevent vers leciel leurs mains suppliantes el implorent le secoursdivin. Dieu entend ces prieres. 11 appelle les chefs de la milice ce- leste, Gabriel, Michael, Raphael, Phanuel, Suryal et Uriel et lour ordonne de livrer bataille aux demons corruplenrs. Maisauparavant, il leur fait signifier ses arrets par un homme reste juste, Henoch, qui a ete ravi au ciel et a mis par ecrit toutes les grandes choses dont il a ete acteur ou temoin. « II n'y aura plus de paix pour toi, dit Henoch a Aza- ziel ; une grande sentence a ete prononcee conlre toi. 11 t'enchainera. II n'y aura jamais pour toi ni soulagement, ni misericorde, ni intercession, a cause de l'oppression que tu as enseignee et parce que tu as appiis aux homines a outrager Dieu. » Les anges supplient le Seigneur de leur pardonner, mais en vain : « Va, dit le Trcs-Haut a Raphael, piends Aza- ziel, lie-lui les piedset les mains, el jelle-le dans les tenehres. I'ais pleuvoir sue lui des pierres lourdes et poinlues; enveloppe-le de tenehres. Qu'il y reste a jamais! Que sa face soit couvertc d'un voile epais! 222 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. El, quand viendra le jour du jngement, plonge-le dans le feu. En attendant, purifie la terre que les anges ont souillee et annonce-lui que je la revivifierai. » Le de- luge purifie la terre, en detruisant la race maudite et monstrueuse creee par le commerce des anges dechus avcc les femmes. On reconnait dans cette histoire le developpe- mentet le commentaire de la tradition relative aux geants, consignee dans la Genese. Qui oserait affir- mer que dans ce commentaire il ne s'est pas glisse plus d'un detail emprunte aux antiques legendes des peuples avec lesquels les Juifs se trouvaient en contact plus intime depuis trois siecles? Ces geants et leurs peres, combattus et vaincus par une milice celeste, ensevelis sous des masses de rochers, en- chaines par le pouvoir divin jusqu'au jour d'une vengeance definitive, ne rappellent-ils pas la lutle des Titans contre Jupiter, aide des dieux de l'Olympe? Le rapport est si etroit que nous verrons plus loin un sibylliste identifier la legende hebraique avec la legentle grecque et adopter sans hesitation cette der- niere, en expliquant toutefois que ni Jupiter ni les Titans ne sont des dieux. Une autre remarque importante, c'est qu'aux yeux des auleurs et des lecteurs du livre d'Henoch, l'i- dolatiie a eu pour artisans les anges rebelles; en eux reside la source de celte plaie hideuse, la plus execrable de toules celles qui rongent et souillent riiumanite; c'est eux que les hommes egares ont di- vinises, apres les avoir pris d'abord pour princes et pour rois. Les dieux des nations, les faux dieux ne LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 225 sont done pas seulement de vains simulacres, des idoles inertes de pierre et de bois, sans pouvoir el sans vie; ce sont desetres supcrieurs, existant reel- lement, des elres oervers, qui font le mal et l'in- spirent. Ilsont efe vaincus, ces princes des Gentils,ces ro'isde la terre idolalre; Dieu a permis pourtant que cette victoire n'allat point jusqu'a aneanlir leur action. Apres le deluge, ils recommenceronl a cor- rompre le genre huinain. Une nouvelle lulte s'enga- gera alors, lulte supreme dont nous allons voir se derouler les peripelies grandioses et lerribles. Dans le second groupe, c'est-a-ilire dans la qua- trieme par tie du livre d'Hehoch, l'histoire des anges dechus est raconlee allegorifjuement. Les anges sont representes par des etoiles, les hommes par un trou- peau de taureaux et de vaches, les grants par une race etrange d'el6phanls, de cliameaux et d'onagres. « Je vis lomber du ciel une etoile sur la terre. Elle se leva, mangea et se mit a paitre au milieu des ge- nisses... Je vis encore plusieurs etoiles descendre du ciel aupres de la premiere, au milieu des genisses avec lesquelles elles se mirenf a paitre. Les genisses congurent toutes el mirent au monde des elepbants, des cliameaux, des onagres... Ceux-ci commencerent a d('!vorer les laureaux, et toules les creatures de la terre s/enfuiient, saisies d'epouvanle. L'un des anges resies fideles prit la premiere etoile lombee du ciel, lui lia les pieds et les mains et la jeta dans l'abime. Et eel abime est piofond, immense, epouvantable, tout tenebres. Un autre ange tira son epee et la donna aux elephants, aux cliameaux et aux onagres, qui 224 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. combattirenl entre eux, en sorte que toute la terre trembla. L'un des anges prit les etoiles, leur lia les pieds et les mains et les precipita dans une crevasse de la terre. » Le combat entre la terre el le ciel se termine par le cafaclysme qui detruit la race perverlie des humains el n'en laisse subsister qu'une seule fa- mille, celle du juste Noe. Ici finil le premier acle du drame ou se jouent les dcslinees de l'liumanile. Enlrons mainlenanl dans le second acte. II esl conc,u sur le meme plan que le premier; il en reproduil les principaux traits ; il se termine par une calaslrophe plus ell'rayanle encore. Cet acte pre- sente cependant une physionomie qui lui est propre. Le fond de Taction, c'est bien encore lidolatrie et la corruption du genre humain provoquant la colere et les chatimenls de Dieu; mais des acteurs nouveaux entrent en scene, et des peripetiesnouvelles se deve- loppent. Les demons ont reussi a corrompre une seconde fois le genre humain. Dieu a choisi un homme dont il fail sortir un peuple. Ce peuple est destine a reconquerir peu a peu au vrai Dieu la terre envahie par tous les vices et les mensonges de lidolatrie. Israel, la des- cendance d'Abraham, represente ici cet element ver- tueux, conserve avanl le deluge dans la famille de Seth, au milieu de la corruption generate; Israel sera done la seule portion de l'liumanile capable de flechir. le courroux divin, la seule digne d'occuper la sollici- tude du Tres-Haut, d'etre l'inslrument de ses desseins, desa misericorde et de sa justice. Israel, du reste, se LA SIBYLLE IIEBRAIQUE. 225 raltache a Selh par la chaine non interrompue des patriiirches. Le peuple elu va joucr un grand role dans les der- nieres scenes du drame. Ce role est secondaire pour- tant si on le compare a celui d'nn personnage celeste qui, dans la lntle supreme, represenle el remplace les chefs de la miliceangelique, quiontjadis enchaiue et terrasse Azaziel. Quel est ce personnage que le prophete nous mon- tre assis a la droite du Seigneur des Esprits et qu'il appelle, comme nous l'avons dit, le Fils de l'Homme, le Fils de la Femme, 1'Elu, le Mysterieux, le Fils de Dieu, leVerbe deDieu? «Le Fils de l'Homme, dit Henoch, est celui a qui toule justice se rappoi te, avec qui clle hahite, et qui ticnt la clef de tons les tresors caches. Le Seigneur des Esprits l'a choisi de preference, et il lui a donne une gloire au-dessus de toutes les creatures 1 . Japercus, ajoule le patriarche, la source de justice qui ne tarit point et de laquelle sorlent une mullilude de pelits ruisseaux,quisont lesruisseaux delasagesse. La, tous ceux qui avaient soil' venaientboire,etils se trouvaient soudain remplis de sagesse... Le Fils de l'Homme est invoque devant le Seigneur des Esprits. Avatit la crea- tion du soleil et des aslres, avant que les etoiles fussent i'ormees au firmament, on invoquait le nom du Fils de l'Homme devant le Seigneur des Esprits. II sera la lumiere des nalions. 11 sera l'esperance de ceux dont le ceeur est dans l'angoisse. L'Elu et le 1 Cll. XLVI. 13. 226 LA SIBYLLE HEBIU'fQUE. Mysterieux a ete engendre avant la creation du monde et son existence n'aura point de fin. II vit en presence de Dieu. II a revele aux saints et aux justes la sagesse du Seigneur des Esprits ; c'est lui qui leur conserve la portion de leur heritage. Aussi, c'est par ce nom qu'ils seront sauves 1 . » Traduits en notre langage moderne, ces passages, dans lesquels nous voyons pretes a se confondre la doctrine philosophique du Vcrbe et la legende mes- sianique nalionale expriment exactement, croyons- nous, ce qui suit : II y a unelre, dont laconnaissance est un myslere reserve aux justes d'Israel, a ceux qui orit soif et faim de lumiere, et auxquels il a ete pcrmis de s'a- breuver aux sources de la divine Sagesse. Cet etre existait avant la creation du monde ; car il est la ma- nifestation primordiale de la Sagesse et de la Justice de Dieu. C'est lui qui rend et execute les arrets, concjus dans le secret de la pensee eternelle, en vue d'instruire et de juger les homines. Ceux-la seuls ont part a la science des choses divines, a la vraie sagesse, qui connaissent le Mysterieux, la source de Sagesse et de Justice, le Verbe. On le nomme l'Elu, parce qu'il est l'instrument choisi des volontes du Tres- Haut. II est a la fois Fils de Dieu et Fils de l'homme pour marquer qu'il doit remplir une ceuvre d« me- diation entre la terre et le ciel. 11 est Fils de l'homme et Fils de la femme, parce qu'il a ete engendre dans la pensee divine pour accomplir les destinees de l'liu- 1 Ch. xi.viii. LA SIBYLLE HEBRAiQUE. 227 manite, et sauver de la perdition ce qui reste de bon sur la lerre, c'est-a-dire Israel. En ce sens, on peut dire aussi que l'Elu est surloul Fils d'Israel ; car Israel est Thumanite par excellence. L'Elu lni appailient en propre ; il est son Messie, son liberateur, son espe- rance et sa consolation dans les angoisses de la perse- cution et dans les transes de Tatlente ; il garantit aux justes opprimes la remuneration de leurs souffranccs et leur part d'heritage celeste. En meme temps qu'il eclairera les nations en leur manifestanl le vrai Dieu, il les chaliera de leurs crimes : car il est a la fois justice et lumiere ; il est la verite qui brille et le glaive qui frappe. Le double caractere du juge et du guerrier resume la ligure du Eils de l'llomme. Le souvenir de l'an- tique lulte cnlre Raphael et Azaziel va se traduire en traits d'unc grandeur plus qu'epique dans les combats qui precederont le jugement dernier et la catastrophe finale. Quand les hommes auront comble la mesure de leurs iniquiles envers Dieu et envers Israel, alors surviendra le grand cataclysme, dont le Deluge n'a ete que le prelude et comme l'averlissement. ('ellc fois, la justice divine ira jusqu'ciu bout; le mal sera vaincu a jamais; la terre sera purifiee par le ten, non plus par I'eau; sous des cicux nouveaux, sur une lerre nouvelle commencera le re^ne sans tin de l'Elu, rfigne de justice, de felicite el de paix, veritable regne de Dieu, dans lequel Israel sera le peuple- roi. Les diverses prophelies du livre d'Henoch ne s'ac- 228 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. cordent pas toujours dans la conception du regno de Dieu : ici, c'est la figure de l'Elu, la, celle d'Israel, ailleurs, celle de Dieu, qui se trouve ie plus en re- lief; paifois meme il n'est question que de la royaute de la nalion-ptophete, devenue ainsi ministre du Tres-Haut. Enfin, n'oublions pas que le Messie est idenlifie souvent a Israel, et que, dans bien des cas, on pent entendre du peuple ce qui est dit du Fils de rilomme. « Dieu, lasse des crimes de la terre, sollicite sons cesse par les saints qui le prient, a cause du sang des justes repandu pour lui, afin qu'il leur rende justice et que sa patience envers les mediants ne soit point eternelle, Dieu s'assied sur le trone de sa globe, ayant ouvert devant lui le livre de vie. Les coeurs des saints sont inondes de joie, parce que leurs pricres vont £lre exaucees et que l'heure de la justice a sonne 1 . » Autour de la ville sainte se livrent de gigantesques combats. Gog et Magog se sont rues contre Jerusalem; ils l'assiegenl et vont la prendre. Puis, de nou- velles multitudes accourent des quatre points cardi- naux, com me si elles etaienl poussees.par le vent. « Le bruit de leurs chars se fit entendre, el, a ce bruit, les sainls du ciel devinrent atlenlifs et les co- lonnes de la terre tremblerent. Et tous, se proster- nant ensemble devant le Seigneur des Esprils, l'a- dorerenl. » Quelles sont ces multitudes? C'est l'humanite con- 1 Cll. XLVII. LA SIBYLLE HEBHAIQUE. 229 vertie qui vient participer a la glorification d'Israel et apporter ses hommages an vrai Dieu. D'ailleurs, leTres-Haut est intervenu dans la Lutte qui precede la defaite des nations liguces contre Je- rusalem. II a dil aux rois et aux puissanls de la terre : « Ouvrez vos yeux et elevez vos cornes et reconnnissez mon Elu. Le Seigneur le fail asseoir sur le trone de Sa Majeste, et l'esprit de justice est verse sur lui. Le Verbe de sa bouche tue les pecbeurs et les mediants. Les rois el les superbes se leveront dans ce jour; ils verront l'Elu et ils apprendront qu'il est assis sur le trone de Sa Majesle. II surviendra sur eux une dou- leur terrible, semblable a celle de la femme qui en- fante et dont la delivrance est suspend ue. Ils se reganlercnt entre eux et courberont la lete sous le poids de leurs sou f trances lorsqu'ils verront le Fits de la Femme assis sur le trone de Sa Majesle. lis loueronl et cxalteront Celui qui possede tous les mysteres. Car auparavant il etait cacbe, ce Fils de riloinme, et le Tres-IIaut l'avait garde dans les cieux, aupres des anges. En ce jour, les rois et les puissanls se prosterneront devant lui et mettronl en lui leur espoir. Mors le Seigneur les chassera de devant sa lace; et ils seront couverls de bonte, et les tcnebrts s'enlasseront sur eux. El on les li- vrera aux anges des cbatiments pour venger sur eux les persecutions inlligees aux tils de Dieu el a ses elus. lis deviendront un spectacle pour les justes, qui se rejouiront, car la colore du Seigneur se poscra sur eux et son glaive s'enivrera de leur sang. » 230 LA SIBYLLE HEBIUIQUE. Ailleurs le prophete s'ecrie : « Le Fils de lllomme arrachera les rois et les puissants de leurs sieges ; il brisera les dents des pecheurs. II renversera les rois de leurs trones ; car ils n'ont pas lone, ni confesse, ni reconnu celui dont ils tenaient leur puissance. 11 abaissera la face des puissants et les couvrira de honle, et les lene- bres seront leur demeure; les vers formeront leur couche; et ils n'auront plus l'espoir de se relever de leur ancantissement. C'etait eux qui gouvernaient les etoiles du ciel et qui levaient leurs bras contre le Tres-IIaut; ils domiuaient la terre, et accomplis- saient, sans pudeur, leur ceuvre d'iniquite. Fiers de leurs richesses, ils mettaient leur confiance dans les dieux fabriques de leurs mains et reniaient le nom du Seigneur des Esprits 1 . « Je vis un abime profond et rempli de feu ardent, et on apporta les rois et les puissants et on les jeta dans l'abime. La sont les anges des chatiments armes de glaives pour frapper sans relache les me- diants. » Ces rois superbes, ligues contre Dieu, rappellent les anges dechus, les demons deja vaincus par Ra- phael et ses compagnons; ils en sont les fils; et, par- fois meme, on dirait que le prophete a voulu les assimiler tout a fait aux etoiles tombees du ciel. Apres la vicloire de TElu, et la manifestation du vrai Dieu a tous les hommes, s'ouvrent les grandes assises dans lesquelles le Fils de niomme, 1 Ch. xlvii. LA SIBYLLE HEBRAlQUE. 231 juslieier du Tres-Haut, va rendre ses arrets. Mais d'abord, il y a un acle de solennelle reparation a ac- complir; il n'est pas equitable que les homines qui ont souffert jusqu'a mourir pour la verite, qui out vecu saintemeut dans l'allente de la justice celeste, ne participent point aux joies de ce grand jour et a la gloire des elus. Aussi, Dieu vent qu'ils res- suscitent ; le Fils de Fllomme arrache au sclieol (demeure souterraine des morls) saproie. Le pro- phete affirme ici avec la pins grande energie et semble repondre a des objections contre le miracle : « Ceux qui ont peri dans le desert, dit-il, ceux qui ont ete devores par les poissons de la mer ou par les betes sauvages , reviendront pleins d'esperance dans le jour de l'Elu; car personne ne perira en la presence du Seigneur des Esprils; non, per- sonne ne pent perir l . » Ailleurs, la doctrine semble varier sur ce point. I'ne vision place Henoch en face du sejour ou les saints habitent avec Dieu. Les saints ne sont pas seu- lement les anges restes lideles, mais encore les hom- ines pieux el jnstes, lesquels, en mourant, ne se sout pas endormis devant le Seigneur. « Je vis la demeure des saints. Lcur nombre est infini dans lous les siecles. Tous chaiitaienl devant le Seigneur des Esprits; tous brillaient comme le feu. Mon ame soupira apres celte demeure : la elait la portion de mon heritage. Longlemps mes yeux conlemplerent ces demeures fortunees et je louai « Ch. ix. 232 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. Dieu en disant : Beni soit-il, beni soit-il a jamais, depuis le commencement, avant la creation du monde, jusqu'a la fin des siecles! La mes yenx virent tous ceux qui ne se sonl point endormis devant Lui, tous ceux qui se tiennent debout devant Lui et le glorifient '. » Suivant cette donnee, Tame juste, apres la mort du corps, s'eleve vers les regions celestes el trouve aupres de Dieu un bonbeur sans fin; la resurrec- tion (du moins pour expliquer et affirmer la vie fu- ture) n'esl done pas necessaire. 11 semble qu'il y eut alors, dans la Palestine, deux opinions : suivant l'une, les bons babitaient, apres leur mort, le sejour de la felicite celeste, attendant l'beure ou l'Elu les associerait a son triompbe; suivant l'autre, les bons etaient engloutis par le scheol et voues a la mort comme le reste des liommcs, mais l'Elu devait les ressusciter au jour de sa grande manifestation. La resurrection des morts, le retour sur terre d'He- nocb et d'Elie, que quelques-uns soutenaient etre le meme personnage, tels seraienl, suivant cette der- niere opinion, les grands signes precurseurs de la procliaine venue du Messie et de l'arrivee du regne deDieu. Ccs croyances un peu diverses jettent parf'ois quelque confusion dans les predictions eschatol.o- giques. Ainsi, on se demande, sans pouvoir trouver a cela de reponse bien precise, si, dans les idees juives de ce temps-la, la resurrection comprenait les meclianls aussi bien que les bons, si ses et'fels 1 Ch. xxxvii. LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 233 elaient restreints au peuple d'Israel ou elendus a rhumanite entiere. Enfin, le jugement commence. « L'Elu, siegeant sur un trone de gloire, stalue sur le sort des mediants et raffermit, par sa pre- sence, les esprits des saints; il assigne une de- meure a ceux qui ont mis leur con fiance et leur amour dans son nom saint et glorieux. En ce jour, dit le Seigneur, je placerai mon Elu au milieu d'eux; je changerai la face du ciel et je l'illumineiai pour I'elernite. Quant aux jusles, je les placerai devant moi, je les rassasierai de ma paix; aux pecheurs, la perdition eternelle 1 ! » La punition et la recom- pense seronl done sans tin; les justes habileront des jardins fortunes 2 et jouiront de la presence de Dieu, dont ils cbanteront les lonanges; les impies seronl relegues dans l'abime, dans la vaste fournaisc qui a deja englouti les demons. Puis, le feu devore la lerre et tout ce qu'elle ren- ferme ; la lerre s'efface comme une vision lointaine, el il ne resle, devant nos regards eblouis, que l'image de la demeure celeste, inondce de lumiere et reunissant devant le trone de Dieu des myriades de bienheureux chantant les lonanges du Tres-Haut. Ici encore se presentenl, sur le denoument ultime du drame, des varinnles imporlantes. Le cataclysme surviendra-t-il avant ou apres le jugement? La lerre, qu'il aura delruite, sera-t-clle remplacee par une autre terre? Les elus seront-ils » Cll. M.V. 2 CI), van. 234 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. pris uniquement dans les rangs d'Israel; ou bien si, comme certains passages semblent l'indiquer, les Gentils se convertissent, les meilleurs d'entre eux n'auront-ils aucune part au bonheur des elus? Le regne de Dieu se produira-t-il dans le ciel ou bien sur la terre renouvelee et purifiee? A ces questions, les texles, parfois ne repondenl pas, parfois fournis- sent des reponses discordanles. La quatriume parlie du livre d'Henoch, celle que nous avons appelee apocalyplique, piesente, comme on va voir, des tableaux complets et precis. Voici d'abord la destruction de la terre : « Je vis, dans mon reve, les cieux s'ebranler, s'abaisser et tomber sur la terre. Et quand ils tom- berent, je regardai la terre et je vis qu'elle s'englou- tissait dans un vaste abime. Les montagnes s'entre- choquerent, les collines s'entasserent sur les collines, et les grants arbres furenl deracines, enleves et en- gloutis dans l'abime. Aloi s un cri sorlit de ma bouche : La terre a peri! Et Malalecl, mon aieul, aupres du- quel je reposais, me lira de mon sommeil et me dit : Pourquoi crier et te lamenler ainsi, mon fils? Je lui racontai ce que je venais de voir, et il me re- pondit : Quelle chose terrible tu viens de voir, mon fils! Combien est redoutablc la vision de ton som- meil. A cause de ses peches, la terre doit etre en- gloulie et sombrer en un immense calaclysme. » Ce n'est point le feu qui joue ici le role de purifica- teur et devore la terre; notre planete disparait dans un vaste abime. Mais, s'il en faut croire l'indication qui suit, riiumanite entiere ne doit pas perir, les hom- LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 235 mes jusfes seront sauves dans Israel et serviront de noyau a la future humanite, comme autrefois la fa- mille de Noe. Malaleel invite, encffet, son petil-fils a prier le Seigneur, « afin qu'il y ait quelque survivant sur lerre el que tout ne perissc pas, lorsque ces choses viendront du ciel sur la terre, lorsqu'aura lieu cet immense aneantissement. » Voici la fin de la priere d'Henoch, laquelle peut, evidemment, etre entendue comme une prophetie qui se realisera : « Les anges de tes cieux out peche, et sur la chair de I'homme tombera ton courroux. Grand Roi 1 , je te supplie de m'exaurer, afin qu'il me reste un rejelon de ma race sur la terre, que l'humanite ne perisse pas tout entiere et que la terre ne soit point deserte. Et maintenanl, Seigneur, mon Dieu, delruis de sur la lerre la chair qui t'a irrite; mais laisse-moi une chair de justice el de droilure pour devenirle tronc de la race eternelle. Etne detourne pas ta face de la priere de ton servileur! » Cette quatrieme parlie se termine par une vision dans laquelle se deioulent toutes les phases de l'his- toire primitive et de la vie du pcuple juif, jusques et y compris la catastrophe supreme. La vision debute par les premiers hommfs; clle raconle la creation d'Adam etd'Eve,leurdesobeissance, le mcurtred'Abel par C;ii'n, la corruption du genre humain par les an- ges, le deluge et l'exode. Elle rappclle la periode des jugcs, la serie des rois depuis Saul, David et Salo- 1 Cc litre do Grand Roi, donne a Dieu, revient souvent dans les Oracles sibyllins; il se trouve aussi dans l'Evangile selon saint Malthieu. 250 LA SIBYIXE HEBRAIQUE. mon, la predication des propbetes, la captivife et enfin le relevement du temple, tile deplore les per- secutions exercees par les oiseaux du ciel et les betes sauvages (les Genlils idolatres) contre les Israelites, designes sous le nom de brebis. La fin des temps arrive. Le Seigneur, irrite, inler- vient; il descend sur la lerre et arme les brebis, qui poursuivent a leur tour leurs persecuteurs et les ex- lerminent. Soixante et dix pasteurs (princes ou rois juifs), qui avaient, par leur cruaule ou leur negli- gence, fait jadis perir plus de brebis que Dieu ne l'avait ordonne, sont enchaines. Les etoiles (anges de- chus) sont jetees dans un lieu profond rempli de flammes. Les brebis aveugles et coupables sont elles- memes jetees au feu du gouffre. « Et je me tenais debout, ajoute le prophete, con- siderant comment cette antique bergerie fut detruile. Mais, auparavant, on en avait enleve les colonnes, Tor, l'ivoire et toutes les richesses. » Ainsi se trouve exauceela priere d'Henoch, qui avait supplie Dieu de conserver une cbair de justice et de droiture pour devenir le tronc de la race eternelle. En effet, Dieu a fait une bumanite et une terre nou- velles : « Le Seigneur des brebis eleve une maison plus haute el plus grande que la premiere, dans le meme endroit; les murs, les culonncs, le toit, les orne- ments, l'ivoire et les metaux precieux, tout y est nouveau. » Alors commence le regno de Dieu: car il est dit que le Seigneur des brebis habite a l'inlerieur de cette maison. LA SIBYLLE HEBRAIQUE.' 237 Nous avons ici a constater un defaut de logique ou de memoire, qui se niontre souvent ailleurs duns le livrc d'Henoch. Le prophcte oublie que l'ancienne humanite est detruite, qu'il ne reste plus rien de la terre souillee par l'idolatrie; il ne se conlente pas de monlrer Israel heureux au sein de Dieu, et de- venant la semenccde la race eternelle, quelque chose manquerait a cette gloire si les genlils n'en avaient le spectacle et n'en ressenlaient l'humilialion; et le pro- phele remet on scene les nations : « Et toutes les beles sauvagcs et les oiseaux du ciel s'inclinerent devant les brebis qui restaient et les ado- rerent ; ils leur adresserent des prieres et leur obei- rent en toule chose. » C'est a ce moment que se place, suivant l'auteur de cette prophetic, la resurrection : « Toutes les brebis qui avaient peri se reunirenl dans cette maison; el le Seigneur des brebis tressail- lait d'allegresse de voir rentrer les brebis au ber- cail. » Ainsi, victoire des Juifs sur les nations, qui perisseni exterminees, jugement des rois, punition des me- diants, destruction de la terre, creation d'une terre nouvelle, sejour des jusles sauves en Israel, demeure de I'humanile imperissable et theatre du regne de Dieu, enfin, resurrection des homines pieux, qui vien- nent parlicipejr a cette felicite glorieuse, lelle est la succession des evenements que nous presente jns- qu'ici la prophetic A ce moment, apparait le His de I'Homme, iden title au Verbe et aussi peul-elre au peuple saint ; et, par une nouvelle incoherence, dont 258 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. nous ne nous plaindrons pas, car elle vient d'un ge- nereux sentiment, les nations idolalres se conver- tissent, reconnaissent l'Elu et l'adorent; elles aussi prennent part au regne de Dieu : « II naquit un veau blanc dont les cornes elaient grander, eltoutes les betes sauvages et les oiseaux du ciel l'adoraient et l'imploraient sans cesse. Et i!s de- venaient des veaux blancs. Et le premier d'entre eux (Israel?) fut fait Verbe. Et le Verbe devint un grand animal et il portait sur sa tele de grandes cornes noires. » Restons, en fermant le livre, sur cette promesse consolanle,qui nous montre l'humanite entiere recon- cile avec le Pere celeste et jouissant d'une beatitude sans fin apres tant de douloureuses epreuves. CHAPITRE VIII LA FIN DU MONDE D'APRES L'EVANGILE Avant d'aborder lcs oracles sibyllins, et afin de donner uneidee sotnmaire el complete du progresdes idees eschatologiques chez les Juifs, nous traduisons le passage de 1 Evangile de saint Malthieu ou Jesus- Christ lui-meme deciit les signes precurseurs, les peripelies et le denoument du drame supreme. « Jesus s'elait assis sur la montagne des Oliviers, ses disciples vinrent a lui en particulier et lui di- rent : « Dis-nous quaud ces choses arriveronl, quel « sera le signe de ta presence et de la fin du siecle? » Et Jesus leur repondit : « Prenez garde quequelqu'un « ne vous egare; bcaucoup viendront en mon nom, « disant : « Je suis le Christ, » et ils egareront un « grand nombre d'hommes. II vous arrivera d'en- « lendre des guerrcs et des bruits de guerre ; prenez « garde de ne point vous troubler, car il faut que « tout cela s'accomplisse ; mais ce n'est point encore « la fin. Le peunle se diessera conlre le peuple, et le « royaume contre le royaume ; il y aura des famines, « des pestes, des tremblements de lerre en divers 2*0 LA SIBYLLE IIEBRMQUE. « lieux. Tout cela sera le commencement des dou- ce leurs. Alors ils vous livreront pour la tribulation, « et vous tueront ; vous serez hais de tous les peu- « pies a cause de mon nom. Et alors beaucouptrebu- « cheront au piege ; ils se livreront et se hairont « entie eux. Etbeaucoup defnux prophetes surgiront « et egareront un grand uombre d'hommes ; et, parce « que l'iniquile abondera, la charile de beaucoup se « refroidira. Celui qui perseverera jusqu'a la fin, « celui-la sera sauve. Et cette bonne nouvelle duregne « sera proclamee dans toutelaterre habite'e, en te'moi- « gnage pour tous les peuples ; et alors arrivera la fin. « Lors done que vous verrez l'abornination de la de- « solation, dont le prophete Daniel a parle, etablie « dans le lieu saint (que celui qui lit medite cela !), « alors, que ceux qui sont en Judee fuient vers les « montagnes, que celui qui est sur la terrasse n'en « descende point pour prendre quelque chose de sa « maison, que celui qui est dans la campagne ne re- « vienne point en arriere pour prendre ses vetements ! « Malheur aux femmes qui seront enceintes ou qui « allaiteront dans ces jours. Priezafin que voire fuite « n'arrive point en hiver ni aujourdu sabbat. II y « aura alors une grande tribulation, telle qu'il n'y en « a point eu depuis le commencement du monde jus- « qu'a ce jour, telle qu'il n'y en aura plus. Et si ces « jours n'avaient point ele abreges, aucune chair ne « serait sauvee ; a cause des elus ces jours seront « abreges. Alors, si quelqu'un vous dit : « Yoici, le « Christ est ici ou la ; » ne le croyez pas. Car beau- « coup de faux prophetes el de faux Christs surgiront LA SIBYLLE IIEBRAIQUE. 241 « et donneront de grands signes et prodigcs, au point « d'egarer, s'il etait possible, meme les elus. Voici, « je vous l'ai dit a l'avance. Si done ils vous disent : « Voici, il est dans le desert ; » ne sortez point. « Voici, il est dans la chambre ; » ne le croyez pas. « Car, comme 1'ecluir sort de l'orient et parait jus- « qu'a l'occident, ainsi sera la presence du Fils de « l'Homme. Partout ou se tronvera le cadavre, les « aigles se rassembleront. » « Aussitot apres la tribulation de ccs jours, le so- « leils'obscurcira,la lunene donneraplus salumiere, « les astres toinberont du ciel, et les puissances des «eieux seront secouees. Et alors parailra le signe du « Fils de l'Homme dans le ciel ; et alors toutes les ra- ti ces de la terre seront brise'es ; et on vefra le Fils de « rilomme s'avanc^ant sur les nuees du ciel avec une « grande puissance et une giande gloire. Et il envoie « ses anges avec un grand son de trompettes ; et ils ras- « sembleront ses elus des quatre vents, d'une exlre- « mite du ciel a Fautre... En verite, je vous le dis : « Cette generation ne passera point que tout cela ne « s'accomplisse. Le ciel et la terre passeront, mais « mes paroles ne passeront point 1 ... « Quand le Fils de l'Homme sera venu dans sa «gloire, et tons les Anges avec !ui, alors il s'assiera « sur le trdnc de sa gloire. Tous les peoples seront ras- « sembles devant lui ; il les separera les uns des aulres, « comme le berger sepai'e les brebisd'avec les boucs. « Et il placera les brebis a sa droite el les boucs a sa 1 S. Matth., xxiv. li '242 LA SIBYLLE HEBHAIQUE. « gauche. Mors le Roi dira a ceux de sa droite : « Ve- « nez, les benis de monPere, entrez en possession du « royaume qui vous a ele prepare depuis lafondation « du monde. J'ai eu fairn et vous m'avez donne a « manger; j'ai eu soif et vous m'avez desaltere ; j'ai « ete etranger et vous m'avez donne l'hospitalite ; « j'ai ete nu et vous m'avez vetu ; j'ai ete malade et « vous m'avez visite ; j'ai ete en prison et vous etes « venus vers moi. » Alors les justes lui repondront : « Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu « avoir faim et que nous vous avons donne a manger, « ou avoir soif et que nous vous avons donne a « boire...? » Et le Roi leur repondra : « Je vous le dis « en verite, chaque fois que vous l'avez fait a l'un de « ces plus petits de mes freres, c'est a moi que vous « l'avez fait. » « Alors il dira a ceux de sa gauche : « Relirez-vous « de moi, maudits, allez au feu eternel, prepare pour « le tentateur (le diable) et pour ses anges. Car j'ai « eu faim et vous ne m'avez pas donne a manger; « j'ai eu soif et vous ne m'avez pas desaltere... »Etils « lui repondront : « Seigneur, quand est-ce que nous « vous avons vu avoir faim et que nous ne vous avons « pas donne a manger...? » Et il leur repondra : « Je « vous le dis en verite, chaque fois que vous avez « manque a le faire a l'un de ces plus petits, c'est a « moi que vous avez manque a le faire. » Et ils s'en iront au chatiment eternel ; et les justes iront a la vieeternelle 1 . » 1 Matth., xxv. LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 245 La resurrection des morts n'est pas mentiorinee expressement dans ces passages ; mais elle est clai- rement sous-enlendue, pour quiconque connait les Evangiles, dans le passage qui nous montre les anges rassemblant les elus des quatre points de l'horizon. II faut remarquer aussi que la tradition, suivant la- quelle la manifestation dn vrai dieu a tous les hommes doit preceder la catastrophe supreme, a passe dans l'Evangile, qui (lit que la bonne nouvelle clu regne sera proclamee dans toute la terre, en temoignage a tous les peuples. Conformement a la legende nationale, les peuplesrecoivent un chatiment terrible ; et cela nous reporte aux luttes sanglantes dont parlent Henoch el les sibyllistes. Le jugement, l'Evangile a cet egard ne laisse aucun doute et confirme Henoch et les sibylles, le jugement supreme sera accompli par le Messie, et, suivant la belle parole de Daniel, admirablement developpee par Jesus, ceux qui auront enseigne la justice a la mul- titude brilleront comme les etoiles a jamais, ceux qui auront pratique la charite envers les pauvres et les affliges auront la vie eternelle. Pour entrer dans le regne il nc suffit done pas d'etre de la race d'A- braham, mais il suffit d'avoir deteste l'iniquite et d'a- voir etc pitoyablc aux miseres bumaines. Ici s'etface l'antique orgueil de la race elue et apparait dans sa grandeur sereine et son ineffable beaute l'idee chre- timne, qui fait de l'amour et de la justice les seules conditions pour trouver grace devant Dieu. La seconde epitre de saint Pierre nous fournit quelques commentaires surce passage de l'Evangile. 244 LA SIBYLLE IIEBRAIQUE. «'Sachez ceci d'abord, ccrit l'ap&fre. A la fin des jours, viendront des imposteurs et des moqueurs qui s'inspircront de leurs propres passions et diront : « Qu'est devenue la prediction de sa presence? Car « depuis que nos ancetres se sont endormis, tout reslc « en l'etat ou il est depuis le commencement de la «creation. » Ceux-la \eulent ignorer qu'autrefois il y eut des cieux et une terre, faits par le Verbe de Dieu de l'eau et par l'eau ; et c'est pourquoi ce monde d'alors a peri submerge par l'eau. Les cieux et la terre d'a present sont gardes par le Verbe de Dieu et sont reserves an feu pour le jour du jugement et de la perte des homines impies. Sachez seulement ceci, mes bien-aimes, c'est qu'un seul jour devant le Sei- gneur est comme mille ans et mille ans sont comme un seul jour. Le Seigneur ne t etarde pas la predic- tion ; ce que quelques-uns considerent comme un re- tard est l'effet de sa longanimite envers nous ; il ne veut pas que quelques-uns soient perdus, il veutque tons viennent au repentir. Le jour du Seigneur vien- dra comme un voleur ; en ce jour, les cieux passeront avec fracas; les elements consumes se dissocieront ; la terre et tous les etres qu'elle renferme seront bru- les... Et, suivant l'annonce du Seigneur nous atten- dons des cieux nouveaux et une terre nouvelle ou hahitera la Justice 1 . » Ces termes si precis dans lesquels saint Pierre com- mente icil'Evangilc et rappelle la promesse du retour de Jesus, lors de la fin des temps, pour juger les vi- 1 II Epist. S. Petri, m, o-l">. LA SIBYLLE HEBRAlQDE. 245 vants et les moils, contredisent d'une maniere abso- lue l'opinion de ceux qui, comme M. Colani 1 pre- tendent que Jesus n'a jamais songe a revehir sur terre, que, conformement d'ailleurs a la tradition juive, il ne s'est point attribue le role'de juge su- preme, et qui expliquent par des interpolations les passages embarrassants des evangiles.Nous trouvons cette sorle d'exegese aussi commode que temeraire. Poser en principe que Jesus ne s'est jamais declare juge supreme, qu'il ne s'est jamais prononce sur l'e- -ventualite ou lanecessile de son retour glorieux, re- jeter, en consequence, comme non authentiques, et inspires aux evangelistes par leurs propres opinions messianiques, les passages qui contrarient cette affir- mation ; accuser de parti pris on d illusion les apotres saint Pierre et saint Paul, quand ils rapportent sur tons ces points les explications et les promesses du divin maitre, c'est, a notre avis, abuser de la conjec- ture et pretendie redresser avec des hypotheses des lemoignages certains, qui s'imposent a l'histo- rien aussi bien qu'au fidele. 1 Jesus-Christ et les croycmccs messianiques de son temps, p. 108 el suiv. 14. CHAPITRE IX CRITIQUE OES ANCIENS ORACLES SIBYLUNS Nous abordons mainlenant, dans la collection des douze livres d'oracles sibyllins parvenus jusqu'a nous, ceux de ces oracles qui ont ete composes par les Juifs d'Alexandrie jusque vers Fan 80 de notre ere. La critique (res-autorisee defeuM. Ch. Alexandre a designe les paragraphes 2 et 4 du troisieme livre comme ayanl ete composes, environ l'an 170, par un Juif alexandrin maniant bien la langue grecque et parfaitement au courant des moeurs et des traditions helleniques. Apres une etude approfondie de ces deux passages, etude commencee sous les yeux et avec les encouragements de M. Alexandre lui-meme, il nous a paru utile de presenter des observations surla date, l'homogeneite supposee, la doctrine etles tendances de ces oracles. Si nous nenous trompons, il resultera de cette etude une conception nouvelle de l'oracle sibyllin d'Alexandrie, quelques eclaircis- sements sur plusieurs points restes obscurs, une con- naissance plus complete et plus precise du mouve- ment d'idees, precurseur du cbristianisme, qui, par LA SIBYLLE HEBRAi'QUE. 247 le proselylisme alexandrin, a remue le monde greco- romain, enfin la preuve de ce fait que divers oracles, reputes jusqu'aTce jour d'origine chrelienne, appar- tiennent au judaisme. Tels sont le Prommhim, place en tete des livres sibyllins, et le qualrieme livre tout entier 1 . Quand on veut fixer la date et l'origine d'un ou- vrage, on interroge en lui trois indices principaux, qui sont : la langue, les doctrines, les evenemenls. Cet examen a ete fait, et bien fait, pour les para- graphes 2 et. 4 du troisieme livre sibyllin. II sufiira d'en rappeler les resullats, acceptes fpresque unani- mement du monde savant. La langue est arcliai'que; elle parail remonter aux temps d'Homere. Mais on sait que cet archaisme vient d'un parti pris devieillir le document. Cette fraude, constalee aisement par la critique moderne, a du tromper, il y a vingt siecles, plus d'un esprit cul- tive parmi les Grccs et les Latins. II est vraisem- blable que nos deux fragments onl fait partie de la collection d'oracles sibyllins restituee a Rome, vers Tan 75 avant l'ere cbretienne. Ce sont eux peut-elre qui avaient donne cours a l'opinion oil Ton etait a Rome, au temps d'Auguste et de Tibere, que les peu- ples de l'Orient se releveraient de leur oppression et que des gens partis de la Judee feraient la conquete du monde 2 . Plusieurs pensent enfin qu'ilsont inspire 1 Cette partie de nos recherches sur les oracles sibyllins a ete lue devant I'Academie des inscriptions et belles-lettres, dans les seances des 23 et 50 Janvier el du 6 fevrier 1874. * Persuasum erat in antiquis sacenlotum litteris conlineri eo ipso 248 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. le debut de la quatrieme eglogue de Virgile. Quoi qu'il en soit de ces vraiseinblances el deces conjectures, il n'est pas douteux que nos fragments ne soient une imitation des fameux oracles erylhreens qui circu- laient dans le monde grec depuis plus de huit cents ans. On s'explique enfin que cetle supercherie ait pu obtenir plein succes aupres de lecleurs saisis tout d'a- bord par la forme, plus preoccupes de divination que de critique, a une epoque oil la rarele relative des ecrils et des temoignages rendait extremement diffi- cile, sinon impossible, le conlrole d'origine etde dale que nous exercons si facilement aujourd'hui. Mais pourquoi les veritables oracles sibyllins onl- ils peri, tanriis que ceux-ci nous sont parvenus? Sans alleguer les destructions accidentelles ou volontaires, on se rend comple du fait en songeant que les cita- tions des Peres de 1'Eglise ont designe aux copistes des couvents du moyen age les oracles qu'il importait de conserver. Or les Peres ont pris exclusivement leurs citations dans des passages qui leur fournis- saient des arguments, c'est-a-dire dans les prophe- ties elaborees par des Juifs, La doctrine de nos fragments est remarquable a tons egards. Elle proclame le Dieu Unique, l'Eternel, le Grand Roi, donl l'Esprit remplit l'univers, qui a cree le ciel el la terre et tout ce qu'ils renf'erment. Elle invite les Grecs el les autres nations a abandonner le culte des faux dieux qu'ils adorent apres les avoir fa- briques. 11 existe un peuple saint, qui, lui, n'a pas tempore fore ut valesceret Oriens, profectique Judsea rerum poti- rentur. ^Tacit., Anna!., v, 8.) LA SIBYLLE HEBRAIQLE. 249 perdu la nolion du \rai Dieu ; il faut ecouler ses en- seigncments et suivre ses exemplcs, il faut porter en son temple les hecatombes destinies a honorerle Tres-Haut. A chaque page, presque a chaque vers, 1'idolalrie est fletrie en lermes eloquenls. Cette me- connaissance du Pere supreme est le plus grand des crimes et la plus noire des ingratitudes. C'est ce crime qui attire sur les homines egares ious les fleaux: la peste, la guerre, la famine, les eruptions volcaniques, les Iremblements de terre. Des chati- ments plus terribles encore attendent les idolatres; de sombres tableaux passent sous nos yeux et nous presentent la succession et la chute des empires, le fracas des peuplesqui se heurtent, lesluttes sanglantes qui signalent ces grands et tragiques evenemenls. La raison de tous ces maux, c'est l'idolatrie, c'est aussi le manque de respect et d'humanite envers le peuple saint. A la fin, la justice divine eclatera ; un roi venu du ciel on de l'Orient combattra et vaincra les rois ligues de la terre, et, apres un immense cata- clysme, etablira a jamais le regne de la paix, de l'e- quite, de la concorde, de la vraie religion. La race sainte sera glorifiee et mise a la tete du genre hu- main; les bons seront recompenses, les mediants punis. Ce jour fatal du jugement approche; il est temps d'ouvrir les yeux a la lumiere et son coetrrau repent ir. Tout cela est exprime dans le beau langage tradi- tionnel de la poesie prophetique des Grecs. La sibylle hebraique, cela est evident, a commence par faire un assez long apprentissage aux cotes de l'antique '250 LA SIMILE HEBRAIQUE. sibylle d'Erythree" elle connait l'idiome, la mylho- logie, l'hisloire, les institutions et les moeurs de la Hellade et de ses colonies; elle adapte la legende des Titanides a celle de la tour de Babel, et rapproche les Titans des anges rebelles; elle remplace le Scheol par lErebe ou l'Hades; chez elle enfin, 1'allure un pen desordonnee, la metaphore etrange et bardie des Voyants d'Israel, s'attenuenl et se concilient avec le genie de la literature et de la poesie hellenique. Si Ton veut degager de ces fails l'origine et la date des oracles qui nous occupent, le problcme se pose ainsi : A quelle epoque et dans quelles circon- stances rhellenisme et le judaisme se sont-ils ren- contres et combines ? La reponse nous est facile. On sait qu'Alexandrie a ete, durant les trois siecles qui ont precede notre ere, le theatre d'un mouve- ment philosophique et religieux, qui a rapproche clans une agitation feconde la Judee et la Grece. On sait aussiqu'avanl et durant celteperiode le judaisrae a subi des impressions profondes, nees de la domi- nation assyrienne et de la transportation d'unegrande partie du peuple juif dans la Mesopotamie, la Perse et la Medie, et aussi produites par les luttes deses- perees et les malbeurs publics qui ont desole la Pa- lestine sous les Seleucides, puis sous les Romains, La foi ardenle dans l'anlique promesse d'un liberateur, d'un roi puissant, donl les triomphes vengeraient Israel des dedains du genre humain et le console- raient de la honte d'une longue servitude ; l'attente d'un grand cataclysme au milieu duquel on verrait apparaitre ce Messic victorieux, venu pour juger les LA SIllVLLE HEBRAIQUE. 251 nations, lels sont les trails qui dominent dans le ju- daisme des trois siecles que nous venons d'indiquer. Si Ton cherche a preciser davantage cetle indication chronologique, on est conduit a accorder pour l'edu- cation grecque du groupe judeo-alexandrin un laps de temps de soixante a quatre-vingts ans ; ce qui fait descendre les premiers essais des sibyllistes sortis de ce groupe, jusque vers le dernier quart du troisieme siecle avant notre ere. Les evenements auxquels il est fait allusion dans nos fragments et qui torment, en quelque sorte, la li- mite de l'horizon visuel du prophete achevent d'en- fermerla date de composition dans un cercle de quel- ques annees. Toutefois, la designation des evenements peut etre vague ; elle peut auloriser des interpreta- tions diverses qui appllquent les memes vers a des fails separes par un intervalle de cent, de cent cin- quante ans. II en resulte, dans ce cas, des incerti- tudes dii'liciles a dissiper. L'allusion directe ou indirecte aux croyances chre- tiennes, si elle se rencontrait dans nos fragments, fournirait une raison peremptoire pour les rejeter du cycle alexandrin. Ici encore, il est plus aise de for- muler la regie que de I'appliquer. II est arrive, nous le verrons plus loin, que des erudits out vu en cer- tains passages des doctrines dont l'eclosion etait pos- terieure a la naissance de Jesus-Christ, et qu'ensuite un examen plus approfondi, eclaire par des documents ignores ou negliges, a raontre que ces memes doc- trines exislaient avant le christianisme. C'estuneexcellenleinspiralionquipoussaM.Alexan* •252 LS. S1BYLJLE HEBRAIQUE. dre a reche.rcher si les livres sibyllins, sous la forme oil nous les possedons, ne contiennenl pas des frag- ments ires-divers par leur age el leur oriyine. La science dut a cette recherche, accomplie avec une immense erudition et une sagacile rare, ce qu'on peut appeler la decouverte de nos deux fragments : leur antiquite est a cette heure incontestee, leur signi- fication et leur valeur historique n'ont plus besoin d'etre mises en lumiere. M. Alexandre a-t-il pousse assez loin la division des livres sibyllins on general, et plus specialement la division des paragraphes 2 et 4 du troisieme livre? Nous ne le pensons pas. Nous croyons au contraire qu'il y a manifestemmt, dans ces fragments, reputes homogenes, des lacunes, des repetitions, du des- ordre, des contradictions. Nous croyons aussi qu'on ne saurait atlribuer ce desordre aux conventions de la forme prophetique. Tout en s'inspirant de la parole des anciens Voyants d'Israel, les sibyllisles ne pou- vaient. en imiter completement les allures : ils ecri- vaient en grec; ils s'adressaient a des Grecs ; ils se scrvaient d'un genre liiteraire ayant des regies. C'etaient la autant de raisons pour enchainer rigou- reusement leurs pensees, etsoumettrel'eutliousiasme a la rellexion. Nous en avons la preuve dans les grands morceaux un pen homogenes (I'episode de la lour, le lV e livre tout enlier) qui nous sont p;irvenus, et dans lesquels le lyiisuie s'accordc toujours avec l'ordre et la suite des idees. CHAPJTRE X LE TROISIEME LIVRE DES ORACLES SIBYLLINS (§ II) 1 Dans le paragraphe 2 du Iroisieme livre des Oracles sibyllins nous distinguons tmis fragments : le premier commence au vers 07 et finit avec le Mis J 6*2 ; le second commence au vers 105 el iinit avec le vers 195 ; le Iroisieme commence au vers 196 et finit avec le vers 294. Pour justitier cetle division nous n'avons pas trouve de meilleur moyen que de presenter uuc com te analyse de chaque fragment ; eclte analyse donnera d'abord unc id< r, e exacte du contenu de ces curieux monuments; elle permeltra ensuiie d'etudier dans chaque fragment le develop- pement logique de la pensee, et de (aire mieux saisir I'absence de liens avec les fragments qui pre- cedent ou qui suivent. Les trois fragments du paragraphe 2 out comme un air de famille ; ils sont historiques. Leur but est ! I ■ i lations qn'oii va lire concemi i Mr de pari ra] aits prii ci| aux qui y sont touches. Nous renvoyons de a pi"< enl li lecleur aux notes qui accompagnenf la ii adu Lion que nous donnons plus loin - ibyllins; c fournissent li essaire: sur le teste, I'his- t< ire, la doctrine, la date de composition des divers oracli i . 15 25 i LA S1BYLLE JIEBRA1UUE. le memo : il consiste a faire accepter des Grecs une hisloire generate qui accommoile les traditions orien- lales et bibliques avec les traditions helleniques; qui presenile les dieux de l'Olympe comrae des rois puis- sants, el fait d'une certaine race, la race d'Abraham, designee avec quelque reserve, le centre et le pivot du genre humain. Le premier fragment raconte ce qui suit : «... Les mortels batirent une tour dans le pays assyricn, a l'aide de laquelle ils voulaient escalader le ciel. Mais, Dieu commanda aux vents, qui renver- serent la tour, La discorde se mit parmi les hommes qui, jusque-la avaientparle la meme langue, et qui se disperserent, emportant des dialecles differents. La lerre sepeuple de toutes parts. A la dixieme genera- tion ecoulee depuis le deluge, regnerent Kronos, Titan et Japet, que les hommes nominerent Fils de la Terre a cause de leur puissance. » Puis, vient un long episode de quarante vers, qui raconte les luttes des Titans contieSalurneet ses fils. « Entin, dit 1'oracle (v. 150), Dieu fit perir les Titans et la descendance de Saturne... Et dans la suile des ages, s'eleva le royaume d'Egypte, ensuite celui des Perses; ensuite vinrent les empires des Medes, des Ethiopiens, de ,Babylone TAssyrienne, des Macedo- niens, des Lagides, des Romains... » Toutcela s'enchaine assez bien ; nous tenons la un fragment d'oracle assez considerable, dont le debut et la fin manquent. La lacune du commencement, remplie sans doute par L'annonce de ^inspiration divine, le recit de la creation, de la corruption du LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 255 genre lmmain et du deluge, cette lacune est claire- ment indiquee par le vers 409 : « Quand vinL la dixieme generation ecoulee depuis le eataclysme qui alteignit les premiers homines. » C'est une allusion direcle a une mention precedente de ce eataclysme. La fin est mulilee. Ce qui nous-aulorise a le conjee- turer, c'est que nous n'apercevons pas ou tend cetle hisloire et que la these relative a Lidolatrie et aux chatiments qui lui sont reserves, these qui est le fonds commun et l'essence meme de tout oracle sybillin, y manque. Nous isolons ce passage, d'abord parce qu'il n'enlre pas dans l'ordre et le dessein que nous allons reconnaitre dans les passages qui sui- vent, et qu'il presente avec eux plus d'une contra- diction, enfin paree que immediatement apres la mention de l'empire romain on lit : « Et alors la voix du Grand Dieu vola dans ma poitrine...» Or, si cette double mention appartenailreellement an meme oracle, il en resulterail que le sibylliste trahit nai've- ment l'epoque a laquelle il ecrit : c'est au temps ou l'empire de Rome s'elend a tout le bassin mediterra- nean et apres le second empire d Egypte. Cette mala- dresse n'esl guere admissible. Voici le lesunie du second fragment : « La parole de Dieu m'inspire el m'ordonne de propheliser par toule la terre, d'apprendre aux rois l'avenir. LeDieu Unique m'a r6vel6 l'ordre dans lequel les royaules ^e succederont. La maison de Salomon regnera d'abord sur l'Asie, la Phenicie, les iles, la Pamphylie, la Terse, la Carie, la Lydie. Puis, surgira la puissance des Grecs; puis, celle des Macedoniens, o 256 LA S1BYLLE HEBRAIQUE. qui dechainera sur la lerre une guerre terrible et que le Dieu celeste renversera. Puis, surgira de la mer d'occident une autre puissance blanche et a plusieurs teles. Elle epouvantera et vaincra les rois, ravagera et subjuguera le monde, pillera les cites et s'enri- chira de leurs depouilles; elle s'adonnera aux vices les plus imrnondes et fera peser sur le genre humain une dure servitude. LaMacedoifie surtout sera eprou- vee. Ces maux dureront jusqu'au septieme regne d'un roi d'Egypte de race grecque. Alors s'elevcra la puissance du peuple du grand Dieu, qui monlrera au genre humain sa voie. » Les derniers mots prouvent clairement que l'o- racle a etc ecrit sous le regne de Ptolemee Philo- metor (181-146), alors que la republique. roraaine elait en guerre avec Persee, roi de Maccdoine. L'ordre des empires n'est pas le iiieme que dans le fragment precedent ; le sibylliste atlribue aux Israe- lites un role bien plus important; il se preoccupe moins de la verile hislorique et de la conciliation des diverges traditions que de la glorification des Juifs ; il va jusqu'a al'firmer qu'ils ont regne sur l'Asie en- tiere a une epoque tres-reculee. Dans l'oracle pre- cedent le sibylliste designc Rome par son nom ; il aft'ecle ici une autre allure et y met plus de mys- tere. La nation qui doit dominer en dernier lieu apparait environnee de tons les nuages propheti- ques ; elle surgit de la mer d'occident ; elle est blan- che et possede plusieurs leles. Allusion transparenle a la couleur de la toge romaine et au gouvernement dune assemblee, le Senat. LA SIBYLLE IIECHAIOUE. 257 Nous trouvons ensuilc un lambeau, manifesle- ment egare en cet endroil, et qui dif en subslance: «... Pourquoi Dieu rri'inspire-t-il dc prophetiserlcs malheurs qui i'ondront successivemcnt sur le genre humain ct la suite des empires? Dieu renversera les Titans ; il renversera aussi la descendance de Sa- turne. Puis regneront sur les Grecs des princes cruels, impies, vicieux. La guerre sevil sans relacho; les Plirygicns pcrissent; le mainour fond sur Troie, puis sur les Pcrscs, sur les Assyriens, sur l'Egypte, 1'Ethiopie, la Carie, la Pamphylie, sur tons les mor- (els.... Mais pourquoi raconter ces choses en detail? A peine un desastre aura-t-il pris fin qu'un aulre lui succedera... » Si I'dii cherche a ratlacher cc morceau a la fin du premier fragment, au versl56,qucnouslisonsdenou- veau ici avec une tres-legere varianle, on verra qu'il s'encliaine assez bien avec l'episode raconlant la lulle des Tilans contre Jupilcr. Le compilaleur, qui ras- semblait ces debris d'oraclcs, a pu se trouver en presence de plusieurs varianles pour la fin du mor- ceau conccrnant la (our dc Babel ct les Tilans ; ce lambeau serait l'liue de ces vai ianles ct ferait dou- ble emploi avec les quelques vers qui suivenl la men- tion de la pertc des Tilans ct contiennent, cux aussi, une enumeration d'empires. Le vers 212 est termine par ces mots •: « Je vais celebrer les premiers evcnemcnls, » qui me parais- sent une suture destinee a amciicr le morceau sui- vant, fragment tres-siynifieatif d'un important oracle. II comprend qualre-vingt-deux vers. 258 L.\ SIBYLLE HEBRAIQUE. «... Les hommes pieux qui habitent autour du grand lemple de Salomon seront soumis a de dures epreuves. Ce peuple est issu d'hommes justes. Je vais celebrer ses origines. II exisle un Elat..., habile par une race d'hommes jnsles, affranehis de toules les pratiques superstitieuses des idolatres egyptiens, grecs, chaldeens, qui adorent les creatures, interro- gent le vol des oiseaux on le cours des astres pour prevoir l'avenir ; erreurs coupables qui sont la source de mille maux. Cette nation sainte ne connait ni l'a- varice, mere de tous les fleaux, ni les rapines, ni les contestations, ni les lutles entrele riche etle pauvre; chacun y second volontiers le malheureux, et celui qui a abondance de biens en fait largesse a son frere dans le besoin. El 1c observe les preceples du Grand Dieu, qui a voulu que la terre fut commune a tous. « Ce peuple, compose de douze tribus, au sortir de l'Egypte, sera guide dans le desert par une colonne de feu et de fumee; il aura a sa tete un grand homme, Moise, qn'ime reine avoit Irouve, recueilli par pitie, etadopte pour son fils. Moise, arrive au montSina, recoil de Dieu et inscrit sur deux tables la loi pafiaite et juste destinee a son peuple. « Nation infoitunee, toi aussi, vaincue par l'Assy- rien, tu seras par lui trainee en captivite, loin du sol paternel et-loin du saint temple. Tu verras tes fils esclaves ; tes richesses et ta puissance s'evanouironl ; tes croyances et tes moeurs t'altireront la haine de tous; Ion pays sera deserl; l'aulel et le temple du Grand Dieu seront abandounes. Mais, aie confiance ; reste fermement attachee aux commandements du LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 2:<9 Grnnd Dieu. Une gloire immense sera ton parfage ; unjour viendra ou le Tres-Haut relevera (es genonx courbes vers la terre. Dieu enverra du del un rot qui jugera chaque homme par le sang et par le feu. « II existe line tribu royale (Juda), dont la race est immorlelle, qui, dans la suite des temps, relevera le temple do Dieu. Les rois perses, avertis par des songes divins, y enverront en presents de Tor, de l'airain et du fer. Le temple sera lei qu'il elail auparavant... » Ici se termine brusqucment, ce semble, ce mor- ceau consacre a l'liistoire juive, et dont la portee ne saurait echapper. U etait necessaire, pour procurer aux Juifs dans le monde grec la haute estime a la- quelle ils aspiraient, d'expliquer leurs epreuves, leur faiblcsse et la serie de lours servitudes. Tous ces malbcurs avaient pour cause la negligence des lois du Sinai; mais le Grand Dieu ne les chatiait pas commc le reste du genre humain, et les plus liautes destinies attendaient a la fin le peuple elu et cheri du Dieu Unique. Nous croyons que le d6but et la fin de l'oracle man- qnent. En effet, l'inspiration divine n'est pas d6cla- ree, et rien n'amene l'liistoire des malheurs des H6breux; rinvilalion aux idolatres de se convertir, sous peine d'encourir les plus gran Is ddsnstres, ne se trouvc pas a la fin. M. Alexandre vent voir Cyrus dnns le roi celeste, dont il esl question ici; e'est, dil-il, ce roi qui concourt an relevemenl du temple par Esdras. Le savanl critique nous parail confondre a tort deux evenrments que l'oracle separe. Le sibyl- 260 LA SIBYLLE HEBRAlQUE. lisle, s'adressant d'abord au peuple juif captif, lui recommande la confiance en Dicu et lui rappelle qu'un jour viendra on le Seigneur lui enverra du del (oupavoOev) un roi qui jugera tous les liommes; ces trails si precis ne peuvent convenir qu'au Fils de I'llomme, au Messie du livre d'Henocli, au Juge celeste, au Liberateur 1 . Apres cette promesse, a la realisation de laquelle il n'assigne pas de date pre- cise, le sibylliste, reprenant la suite des evenc- ments, nous montre Esdras relevant le temple et les rois des Perses y envoyant des presents. 1 Cetle mention si precise du roi celeste envoye par Dieu a la lin des temps, et qui jugera l'humanite, derange le sysleme deM. Colani [Jesiis-Chrisl tlib.) 284 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. II exislo, nous en convenons, une analogic d'expres- sion enlre le debut du quatrieme Evangile el le pas- sage do l'oracle qui monfre les idolalres plonges dans l'ombre de la nuit et qualifie de lumiere la con- naissanee du vraiDieu. Mais, le qualrieme evangile a-l-il invents l'cxpression dont il s'agit? Non ; les Livres Saints represented les Gentils com me assis dans l'ombre de la mort, ct une antithese Ires-natu- relle amene le mot lumiere quand on veut, dans eel ordre d'idees, designer le cliangemcnt qui re- sulle pour les idolalres de leur conversion au vrai Dieu. Cen'est done ni la sibylle, ni l'evangelisle qui ont les premiers employe celle phraseologie : elle eta it hebrai'que avant d'etre alexandrine et de dc- venir chrelienne. Elle nc prouvc done pas le clirislia- nisme de la sibylle. « Yoila quit s'esf manifesto a tous dans sa justice; voiei que la douce lumiere du soleil brille en haut. » II est lemeraire de voir dans cc passage une allusion eertaine a la predication evangelique. Durant les trois siecles qui onl precede cctle predicalion nous veuons de conslater que l'opinion s'elait elablie chez les Juifs palesliniens et alexandrins que le regne du Messie n'anivciait pas avant que so ful operee la conversion des Gentils, avant que les idolalres rcconnussent le vrai Dieu et envoyassent des offrandes au temple de Jerusalem. Comment devait s'operer eclte conversion? II y avail a eel egard un double courant de legendes, les unes sauglantes et terribles, les aulrcs d'une conception morale plus genereuse et plus noble. L "s sibyllistes, d'accord avec la tradi- LA SIBYILE HEBIiAlQUE. 285 lion propbetiquo, indiquent le plus souvcnt les cha- timents dc la periodc supreme corame le moycn dont Dieu se servi'ra pour ouvrir lcs yeux des Gen- lils. Au conlraire, Pbilon admet que c'est le peuple juif, qui, par l'exemple do ses vcrluset la predication de ses bonnes maurs, en sera l'inslrument provi- denliel. L'idee dela conversion des Genlils opercc par la predicalion de la verile se fait jour aussi dans le livre d'Henocb. Nous la retrouvons dans les Evan- giles, el surlout dans les Epttres , appropriee aux ei i Constances que Ton connait : e'est par la predi- cation des apolres que cetle conversion s'accomplira. Aussitdl que le vrai Dieu aura etc annonce par toute la lerrc, le regne messianiquc commencera. Mais il ne fan t pas oublier que cetle opinion cxislait bien avant la naissance de Jesus, avant la predication des apolres etla redaction des Evangiles. 11 est done parfaitement legitime d'admettre que l'auleur ou l'un des auleurs du Prooemium, ayant adople l'opinion qui faisait dependre la venue du Messie de la manifestation du vrai Dieu, (levant avoir pour consequence la conveision des Genlils, a cru que cetle manifestation etait accomplie el que I'erc messianique etait procbe. Convaincu de la proximite du regne messianique, le sibyllisle voyait toujours dans les evenemcnls conlemporains lcs signes pre- curscurs qui 1'annonQaicnt. Or l'un de ces signes, le principal, elait la manifestation du vrai Dieu a tous lcs hommes, el l'un des moyens de l'accomplir rlail la dispersion dans le monde enlicr dc la race sainte. Cent ans avant la naissance de Jesus-ClirM, 286 LA SIBYLLE HEBRAlQUE. un Juif alexandrin, emporte par le desir et l'attente, considerant les mille colonies israelites eparses en tons lieux, a pu croire a Puniversalite de la manifes- tation de Jehovah el dire de lui ce que Papotre disait de PEvangile : « II a ete preche par toute la terre. » On ne saurait le nier, leProoemium nous donne un tableau du jugement dernier, de la vie future, des peines et des recompenses cternelles de cette vie, tout a fait conforme aux croyances chretiennes. Nous fe- rons encore la memc reponse : ces croyances ont existe avant le christianisme. La rarele des docu- ments relalifs a la periode qui precede notre ere, oblige, il est vrai, a beaucoup de reserve; mais la reserve s'impose surtout a ceux qui seraient tentes d'affirmer la nouveauteabsolue des doctrines en ques- tion. Les prophelies du livre d'Henoch, dans lesquelles nous venons de voir eclater la majeste du Fils de THomme, s'avan^anl, au milieu de la multitude des saints et des anges, pour juger les homines et ouvrant le livre sacre on sont ecrits les noms de ceux que sa justice doit epargner ; ces propheties qui nous peignent les flammeseternelles et vengeresses du ScheoJ^et nous montrent les anges preposes aux chaliments; d'autre part, lesrecitsconcordantsdePhilon, de Josephe etde Pauteur des Philosophumena, suivant lesquels la doc- ' trine des Esseniens admetlait, longlemps avant le christianisme, la resurrection des morts, le jugement solennel, la conflagration de Punivers, lors de la venue du Messie, etmemePeternite des peines et des recom- penses; tout cela, croyons-nous, empeche d'affirmer, LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 287 coramc l'a fait M. Alexandre, que les vers dans lesquels le sibyllisle parle, conformemenl aux Evan- giles, du jugemenl dernier et de la vie future, n'ont pu elre ecrits qu'apres la venue dc Jesus-Christ. La raison, c'est que les Evangiles out parle de ces choses conformement a des croyances qui avaient cours de- puis deux siecles. L'auteur des Philosophumena dit, en effet, des Es- seniens : « lis croienl a la resurrection ; ils pensent que la chair ressucitera el deviendra immortelle, au merae litre que l'ame l'esl des a present. Quant a l'ame, une fois qu'elle est separee du corps, elle re- pose, en attendant lejugement, dans un lieu resplen- dissant, rafraichi doucement parle souffle des zephirs; c'est ce lieu que les Grecs ayant connu par oui-dire ont appele les lies Fortunees. II y a encore d'autres enseignements de la meme secle que les Grecs ont pilles, et qu'ils ont fait servir a Ja construction de leurs systemes... Parmi ceux qui ont fait les plus nombreux emprunts aux croyances juives, il faut ci- ter principalement Pythagore, les stoiciens et les ecoles egyptieuucs qui en derivent. Les Esseniens aflirment, en outre, qu'il y aura un jugemenl, qu'il y aura conflagration de I'univers, el que les mediants seront punis eterncllcinenl '. 11 est question dans le Prooemium des riants ver- gers d'un jardin, d'un paradis, ou sejourneront les bienheureux. Le livre d'Henocli nous montre au.^si les saints jouissanl de la felicile dans des bosquets kdixovi /.o/y.-(lY,7:-'iy.'. tlexsl. [QtXooOfOv/jLSVK, i\, 4.) -JS8 LA S1BYLLE HEBRAIQUE. el dcsjardins. Un Juif alexandrin a pu parler comme le livrc d'llenocb, un siecle avant noire ere. Le pain celeste, que menlionne le dernier vers 1 , n'csl-cc pas Jesus? Ouand on eludic le langage mystique, plein deme- laphorcs passionnces, que Philon emploic pour cele- brcr le pain des times, le pain da del, figure par la manne el par celle pierrc d'ou sorlirent l'huile et le miel, on arrive a se persuader que l'expression qui termine le Prommium pent tres-bien n elre pas une allusion a rcucharistie. Voici, en efi'ef, ce que Pinion ecrivait cent ans avant la redaction du qualriome evangile : « Nous soinnies un compose d'ainc et dc corps. Le corps, fait de terre, se nourrit d'alimenls terrestres; l'ame, que Dieua i'ormeeavec l'elber 2 , doit user d'ali- menls divins, etberes, celestes. L'Ecrilure fail allusion a cela dans ce passage : Voici que je vous fais pleuvoir (Ics pains du Ciel (Exod.-, xvi, 4). Ne vois-tu pas que les aliments de l'ame ne sont ni terrenes ni corrup- tibles, el que ce sont les paroles que Dieu fait tom- ber, comme une pluie, dc l'etre sublime et pur qu'il a nomme le Ciel 5 ? » La Bible, racontant les voyages et le sejour des Ile- breux dans le desert, dit qu'un matin, quand la rosee f'ul lombee, ils apei'Qurent a la surface du sol quelque 1 AaJvu//.svoj 7/ j/'jv ZpTO-j un oh pu-io\> x-j-ricozvroi. - Aidipoi eiTtv ur,6-j'j.- : j.-y. Oilo-j. (Livre II des Allegories dc la loi, page OS; edition de Geneve.) ° "II o\>-/_ bfiZi ort oh yr,t-joti /y.l yQapToZi rpiyzrxi : i) 'b^yy,, u')- oh kv Oibi ou.oyr^r, j.'s/oi:, -;/ zvii /JS-xpeiov /.'y.l y.xQxpXi pvsesis, vjv ou- py./vi /.i/.)r,/ij. Xivre II i, page 08; edition de Ge- neve.) - Dirt/; Ijtw o £.pvo$) h rpopii '<:> iSw/.ev b 0;o; r/j ^X^l> ~^°' 7i ~ •ji//.y.z')v.i -', secUTOU plj/ix /y.( rdv iawrov Ariyov. Ojto; -'/up b ipxos a-> oiou/.i-j rjfiiv pcryelv, -olrzo -b prjp.y.. (Livre II des Allegories de la loi, page 08; edition de Geneve.) 17 290 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. aux elus comme la plus precieusc recompense et la plus ineffable des voluples, le Yerbe de Dieu. Le vers sibyllin, qui fail allusion au pain celeste des sainls du paradis, a done pu etre ecrit par un Juif alexan- drin, sinon anterieur a Philon, du moins contempo- rain de ce pliilosopbe. Ge vers ne constitue pas la preuve du christianisme du sibyllisle. En resume, si Ton ne peut avec certitude fixer la date a laquelle se rapportent les fragments divers du Procemium, on peut du moins soutenir qu'ilsne con- tiennent aucunindice de nature a abaisser cette dale en deca de l'ere cbretienne. Le quatrieme livre des Oracles Sibyllins est dale de l'an 80, par les allusions qu'il conlient a la prise de Jerusalem, a la ruine du Temple et a l'eruption du Vesuve. C'est un oracle complet et bien conserve. 11 nous semble un peu long : il comple, en effet, pres de deux cents vers. En voici l'analyse. « Eeoutez, nations d'Europe et d'Asie, les predictions inspirees, non par le faux dieu Phebus, mais par le Grand Dieu, qui n'habite point dans les demeures que nous con- struisons, qui voit tout, a cree tout, etc... « 11 y aura une race d'hommes saints, detestant les tem- ples, piiant avant de boire et de manger, fuyant l'avarice, l'adultere, le vice conlre nature. Les hommes pourtant les hairont, les poursuivront de leurs railleries, les accable- ront d'outrages. Mais un jour viendra oii Dieu, jugeant la terre, punira leurs persecuteurs et les comblera de scs biens. Gela arrivera dans le dixieme age. Je vais devoiler la suite des evenements a partir du premier age. » Ici se place une enumeration d'empires. Les Assyriens LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 291 complent pour six ages; les Medes pour deux ; puis, vien- nent les Perses. La guerre de Troie, les guerres Mediques, les desastres des villes de Sicile et dltalie sont menlion- nes rapidement. Le dixieme age commence avec la domi- nation des Macedoniens. A eelle-ci succedera l'empire de Rome. « Jerusalem sera assiegee par les Latins; elle sera prise etle temple detruit. Une eruption volcanique epouvantera l'ltalie. Une grande guerre desolera les peuples de l'Occi- dent lorsqu'un prince mediant, echappe deRome, revien- dra en Italie Tepee a la main. Anlioche est detruite ; Tile de Chypre s'abime dans les flots ; les villes de la Carie son 1 ravagees par la famine; les richesses que Rome avait en- levees a l'Asie lui sont rendues. Enfin, quand la mesure des crimes de l'liumanite sera comblee, quand l'audace et le mensonge ne connaitront plus de frein, Dieu irrite livrera la terre aux flammes. « Ah ! malheureux humains, convertissez-vous ; laissez la les guerres homicides, purifiez-vous dans les tleuves, et levez vers le ciel des mains chastes et supplianles. Dieu se laissera toucher a vos prieres. Des glaives flamboyants autour du soleil levant, un bruit formidable de trompettes, de vastes mugissements souterrains, tels seront les signes precurscurs de la catastrophe supreme. La terre perira dans un immense embrasement. Puis, Dieu tirera l'huma- nite entiere de cetle eendre ; il rendra aux morts leur corps ; et tous seront soumis au jugement qui decidera de leur sort, precipitera les mechanls dans les profondeurs de la terre et les lenebres dn Tartare, etassurera aux bons une felicite parfaite. Heureux lhonnne qui jouira de cette beatitude ! » Tel est, en substance, le plus ancien des oracles Chretiens, selon M. Alexandre. Nous y voyons, quant 292 LA SIBYUE HEBRAifQUE. a nous, le dernier des oracles judco-alexandrins. Les pretendues traces de christianisme que M. Alexandre y releve sont au nombre de trois. 1° Le eibylliste (vers 24-50) fail l'eloge des snints qui adorcnl le grand Dieu, prient avant le repas et se detournenl avec horreur des temples. Ces saints ne sauraient elre aulres que les disciples de Jesus, dit M. Alexandre. Mais nous savons que les Esseniens et les Therapeutes praliquerent avant les Chretiens l'usage de prier avant de manger el de boire; nous savons qu'ils n'etaient pas partisans du sacrifice san- glant et qu'ils n'altribuaient point au temple l'im- porlance traditionnelle. 2° Aux vers 1 1 7 et suivanls, il est fail mention de la fuite de Neron en Asie et de son relour procliain en Italic Cetle legende est, dit-on, chretienne. Sans doute; mais elle n'est pas exclusivement propre aux chreliens. Ceux-ci l'adapterent a la personne de l'an- techrist. Si Neron nous etait presente par l'oracle sous les traits de l'antechrist, on ne pourrait refuter l'opinion de M. Alexandre ; mais la croyance du si- bylliste, a savoir que Neron, suppose mort, se tenait cache dans le royaume des Parthes, etait alors parta- gee par beaucoup de gens elrangers au judaisme et au christianisme. 5° Le vers 164 invite les Gentils a se convertir, a se purifier en se lavant le corps entier dans les fleaves. N'est-ce pas la, dit-on encore, une allusion au bapteme chretien? N'est-ce pas la, repondrons-nous, une allu- sion au bapteme pratique par des sectes juives an- terieures au christianisme 1 LA S1BYLLE HEBRAIQUE. 293 Pas plus dans ce livre que dans le Prooim'tum nous ne voyons des docl lines ou des croyances propres au cliristianisme. Au eontraire, nous constalons que le Messie est completement absent de l'oracle; il ne figure ni dans les combats qui sournellenl la ten e re- voltee, ni dans le jugement supreme qui separe les jusles desimpies. II serait vraiment etrange que le si- byl lisle, qui songe an baplemc et aux riles religieux du repas, oublie de mettre en scene, dans la cata- strophe supreme, Jesus ressuscite, venant sur les nuees du ciel juger les vivants et les morls. A notre avis, le livre IV apparlient a cetle epoque de transition enlre le judaisme et le cliristianisme, qui commence en Tan 65 avec la predication de saint Marc a Alexandrie, et se prolonge jusque vers l'an 90. L'auteur de ce livre n'est pas encore chretien. Qui sait s'il ne le devint pas? Les notes qui accompagnent notre traduction de ce livre, et auxquelles nous renvoyons le lecteur, mettront en lumiere toutes les questions soule- vees par cet interessant document ; on y verra no- lamment de quelle maniere les sibyllistes melaient a leurs propres predictions des lambeaux de vers erythreens 1 , devenus populaircs, et reussissaicnt de la sorte a donner de 1'autorile a leurs chants. On y signalera un indice curieux qui confirme la conjec- ture emisesur l'origine de plusieurs oracles sibyllins, et les presente comme 1'ceuvre des Tlicrapeutes. On trouvera aussi ailleurs dans nos commenlaires les 1 Ces vers consistent g6neralement en predictions courles sur diverses villes grecques d'Asie Mineure ou d'ltalie, ct sur les Ues. 294 LA SIBYLLE IlEHhAlQUE. raisons qui nous ont fail, admettre parmi les oracles judeo-alexandrins anterieurs au christianisme deux passages du paragraphe 1 du livre III 1 . 1 II nous parait que le paragraphe III du troisieme livre contient aussi mi grand nomhre de vers erythreens, jetes pide-mele avec des oracles juifs de diverses epoques, et dont plusieurs semblent avoir ete composes apres la destruction du temple de Jerusalem. L'allusion a l'empcreur Hadrien (vers 388-400), que 51. Alexandre croit y recon- naitre, est contestable, et nous aurions pu, a la rigueur, si le para- graphe avait plus d'interet, le romprendre dans notre traduction. CHAPITRE XIII CARACTERES PROPRES DU PROPHETISME EN PALESTINE ET A ALEXANDRIE II s'agit ici uniqucment (il est a peine besoin de le faire reraarquer) du propbetisme apocryphe, de ce- lui du livre d'Henoch et dessibyllistes alexandrins. Les oracles sibyllins, que Ton peut lvvendiquer pour le cycle judeo-alexandrin, sont contenus dans le Proanniiim, dans le livre IV et dans les quatre pa- ragraphes du Iroisieme livre. Evidemment, ce livre renferme ce qui nous a ele conserve de plus ancien dans la literature des sibyllistes. Le compilateur du cinquieme siecle, auquel nous devons la plus grande partie de la collection, a du suivre des indications cer- (ainesenrapprocbant, comme il l'a fait, dans le memo livre tous ces debris. Precieux debris pourlant, qui,malgr6 leur etat d'in- coberence et d'extrcmc mutilation, el grace aux efforts persev6rants de la critique, nous out laisse penetrcr la raison de leur origine, le secret de leur aulorite, les procedes de leur coniposilion, le sens et la portee des menaces ou des proinesses qu'ils proclament; pre- 290 LA S1BYLLE HEBRAlQUE. cieux debris, qui nous ont permis tie reconsliluer une page presque effacee de l'histoire du judaismo, elde montrer une fois de plus que la grande pensee qui a soutenu ct inspire le peuple saint dans son ceuvre providenlielle, qui l'a conduit, en depit de son abjection apparente, de sa misere et de sa faiblesse, a la conquete du monde, c'cst cette belle vision du Messie, vision surhumaine, disent les pliilosoplies 1 , vision divine, disent les propheles. Elle donna lieu a plus d'un mirage, a plus d'unc deception. On reste surpris et confondu, apres tant de defaillances etd'erreurs, de retrouver, toujours plus vivace, l'antique tradition au sein de ce petit peuple. Les regards attaches sur cette lueur celeste, dont Fe- cial augmente sans cess'e, Israel marche, a travers les obstacles et les perils, les pieds dans les tenebres, la tete dans la lumiere, le coeur rempli d'un invin- cible espoir, vers le but supreme assigne par Dieu a ses deslinees. Rien de plus grand et de plus merveilleux dans l'histoire que ce drame ou Israel est le principal acteur, autour duquel gravitent les religions, les phi- losophies, toutes les aspirations et les energies mo- rales des peuples, jusqu'au jour ou le Fils de I'llomme, suivant les antiques promesses, renouvelle le ciel et la terre, et fonde le royaume de Dieu, en etablissanl, parmi les hommes regeneres, la religion de la charite, de la justice et de la paix. Rien de plus palpitant et de plus admirable que 1 C'est 1'expression de Philon, comme on l'a vu dans le passage cite plus haut. L.\ SIBYLLE HEBRAIQUE. 297 cette heure solennelle qui precede la venue du Sau- veur. La conscience de riiumanile s'est concentree dans l'ame du peuple saint. L'attente d'Israel grandit d'instant en instant; sa marche s'aceelere; les bat- tements de son cceur se precipitent. Pourtant, la voix des verilables prophetes s'esl depuis longlemps eteinte; niais les Ills d'Abraham,' fideles aux sou- venirs et a l'espoir qu'evoque cette voix respectee, poursuivent la route tracee par Dieu, en l'arrosant de leurs sueurs, de leurs larmes et de leur sang. Un important pbenomene s'opere. La race elue se dedouble. Une partie reste fermement attacbee au sol de Chanaan, tandis qu'une autre partie, la plus nom- breuse et la plus active, se disperse dans le monde. A chacune est devolue sa part dans la mission d'Israel. Les tiibus palestiniennes sont comme le reservoir ou s'alinientent l'esperance et les forces des tribus disper- sees; celles-ci, a leur tour, par une elaboration lento et continue, transforment et rendent assimilable aux nations la pensee dont Israel a recu le depot sacre afin de le faire fructifier. Le judaisme s'offre alors a nous sous deux aspects differenls, qui se completenl et forment un systeme o'rganique. II rcssemble a un arbre vigoureux,que les lemp6tes n'oni pu detruire; son tronc, e'est-a-dire legroupe palestinien, bien que meuitri et courbe jusqu'a ramper, enfonce encore dans le sol palerncl de profondesracines; ses rameaux, e'est-a-dire le groupe colonial, s'elcndent par tonte la terre. Et de nu'me qu'au printemps la s6ve nourii- ciere monle, par les vaisseaux, du tronc aux rameaux les plus lointains et jusqu'aux dernieres feuilles, ainsi, 17. 298 LA SIBYLLE HEBIUllQUE. chaque annee, Israel vient a celte source inepuisable de la terre sainte demander la ffaicheur, I'ombre ct de nouvelles forces pour son labeur. Le travail de chaque groupe a ses caracleres, ses tendances, ses resultats propres, en rapport avec son milieu et les circonstances au milieu desquelles il se meut et agit. Une comparaison, meme sommairc, du livre d'Henoch et des chants sibyllins va nous reveler ces differences et nous en expliquer la raison. Sur la terre sainte, ou les echos retentissent en- core de la voix des anciens prophetes, dans les apres solitudes de la Judee, au fond des grottes taillees dans les escarpements qui bordent le torrent de Ce- dron, le nouveau prophetisme palestinien, place en- Ire la meditation solitaire et le spectacle emouvant de la patrie dechiree par la persecution ou par les luttes intestines, imprime a la foi nationale et a l'attente seculaire une physionomie speciale. En de- veloppant la legende messianique, il accentue cer- tains coles, il attenue les autres. Ce developpement et ces modifications portent sur trois points : 1° le Messie se substitue peu a peu dans les evenements eschatologiques a Jehovah, dont il est le mi nisi re et le Fils. 2" La legende messianique est rattachee a deux conceptions philosophiques, l'une, qui place a cote de Dieu un second lui-meme, Verbe ou Demiurge crea- teur, l'autre, qui harmonise les deslinees du peuple elu avec celles du genre humain tout entier, et de- couvre dans le drame supreme de la fin du monde laccoinplissement du plan divin et la realisation des vues de l'Eternel sur tous les peuples. II resulte de LA SIBYLLE HEBRAfQUE. 209 ce double raccord, opere sur l'antique tradition, un relief progressif pour le caractere du principal per- sonnage qui y figure. Le Messie, le Fits de David, n'est plus un simple restaurateur de la dynastie et de la puissance nationales, c'est le Verbe de 1'Elernel, c'est le Juge tout-puissant, c'est le Fils de Hlomme, assis a la droite de Jehovah et reserve par lui pour l'accomplissemenl de ses desseins sur la race d'A- dam. 5° Un detail nouveau, ties-important, la resur- rection des morts, apparait dans lcs tableaux de la fin du monde. II convient de separer, dans ce developpement, ce qui est d'origine palestinienne de ce qui est d'origine alexandrine ou coloniale. Une chose pa- rait appartenir en propre a la Judce, c'est le dogmc de la resurrection. II est ne, selon toute apparence, de la persecution des Seleucides et semble sorti des monasteres esseniens. Ces monasleres furent, durant les deux sieclcs qui precedent notre ere, le centre des resistances les plus fortes et les plus passionnecs centre l'etranger profanateur. lis furent le foyer d'ou rayonna sur le peuple Penthousiasme qui suscite et soutientles martyrs. lis furent enfin I'ecole, ouverte dans une cerlaine mesure aux influences du dehors au sein de laquelle s'acheva la derniere evolution du judai'sme s'acheminant vers le christianisme. Dans le resle du developpement de la legende mes- sianiquc en Palestine, nous cioyons apercevoir des traces non equivoques de I'influence du mouvement alexandrin. Alcxandrie, nous l'avons vu, avail recu de Palestine certaines tendances qui se developperent 300 LA SIBYLLE HEBRAIQUE. rapidement au contact de la Grece. L'idee de Dieu fut travaillee et retournee en tous sens par PEcole alexandrine avec une ardeur et une subtilite qui ris- quaient bien de blesser parfois le dogme fondamental de l'Unite de l'Etre, et qui prouvaient que l'extreme simplicity de l'ancienne conception inoysiaque sem- blait un peu seche et peut-etre insuffisante aux Juifs hellenises. De ce travail, que resume la vasle theodicce dePliilon 1 , surgil un syslemea la fois tbeo- logique et philosophique, qui maintient le dogme de l'Unite de Dieu, tout en peuplant de Verbes, de Puissances, de Vertus, d'Ames sans corps, les distan- ces inlinies qui separent la terre du Createur, dis- tances laissees vides et solitaires par le vieux mono- theisme hebreu. Dans ce systeme, les Verbes et les Puissances sont hierarcbises; le premier des Verbes, le plus ancicn des Anges, la manifestation primor- diale de la Toute-Puissance, qui contient toules les autres en germe, se nomine la Sagesse, la Parole, l'Esprit, selon qu'on le considere sous tel ou (el as- pect. 11 est, nous l'avons deja dit, Sagesse dans ses rapports avec l'enlendement humain; il est Parole ou Verbe dans Tacte qui cree l'univers ; il est Esprit et Vie dans l'acte qui conserve et anime a tout instant la creation. En meme temps que s'elaborait cette conception melaphysique, une grande idee morale dont le germe avait cte depose depuis longtemps dans Pesprit et dans le coeur d'Israel par les prophetes*, se develop- 1 Nous l'eludierons dans un prochain volume, deja en preparation. 2 Ecoutez Isaie : « Que l'etranger qui s'attache a l'Eternel ne dise LA SIBYLLE HEHRUQUE. 501 pait pell a peu au sein des groupes les plus avarices du judai'sme, surtout au sein des groupes coloniaux. Or Alexandrie etait le plus liberal et Je plus puissant de tous. Cette idee, qui, en se developpanl et se genc- ralisant, devint en quelque sorte l'aurore du chris- tianisme, consisle a concevoir Israel, non plus dans l'isolement du saccrdoce, mais clans l'expansion de 1'apostolat. Deslors, Dieu n'est plus apcrcu commele Pere d'un seul peuple, a la gloire el a la vengeance duquel il immole impitoyablcmenl les nations; il est le Pere du genre humain tout entier; il lui ouvre les bras en l'appelant a la lumiere, en l'invilant au re- pentir, en lui offrant de 1 associer a la felicite de la race elue. Israel, par suite, devient rinstrument pro- vidcntiel moiris des chatiments du ciel que de son pardon. 11 fallut sans doute beaucoup de temps et d'effbrts pour que cette idee se manifeslat dans sa plenitude. Elle apparait progressive el de plus en plus ferine dans la doctrine de Philon, du livre d'Henoch et des chants sibyllins ; elle ne se realise entiere- ment que par la predication de l'Evangile. D'une part l'identitication du Messie au Verbe, d'aulre part le role du Messie hebraique etendu a l'humanite et effectuant l'accomplisseraenl des eter- nels desseins de Dieu sur sa creature, lels sont les deux fails considerables qui acbevent de caracteriser pas : L'Eternel inn s^parera de son peuple... Les Strangers qui s'atta- cheront k I'Eternel pour le servir, pour aimer le nom de 1'Eternel, j)oiir Sire se erviteurs... jc les amenerai sur ma montagne sainte, et je les l-i'imiiiai (l:ms ma inaison de priere; leurs holecaustes el leurs sacrifices seront agrees sur mou autel; car ma maison sera appelee une maison de priere pour tous les pcuples (cli. LVI, v. 3-8). » 302 LA SIBYLLE IIEBRAIQUE. la conception messianique moderne des Palestiniens. Ces deux faits expriment clairement, a notre avis, la reaction de l'ecole philosophique des Juifs alexan- drins sur l'ecole prophrtique de Judee, dont le livre d'Henoch nous a conserve les enseignements. Les traites de Philon qui nous montrent la doc- trine du Verbe et des Puissances arrivee a un epa- nouissement complet, indice d'un long travail anle- rieur; les nobles aspirations que ces ecrits denolent vers la transformation d'Israel en iniliateur et me- dialeur du genre humain ; les efforts perseverants qu'ils altestent dans le but de faire de la loi du Sinai la regie et l'ideal de la philosophic ; tout cela prouve d'abord, et sans aller plus avant, que notre ex- plication s'appuie sur un ensemble de faits incontes- tables, certains. Ceux qui expliquent la presence des idees en question dans les propheties d'Henoch par des additions posterieures et chretiennes, sesontper- dus dans l'hypothese et l'arbitraire pour avoir me- connu ou ignore la valeur de l'ecole juive d'Alexan- drie et sa place chronologique. On congoit facilement d'ailleurs la maniere dont l'influencede cette ecole s'est exercee. Les Therapeutes du lac Maria se presentent comme les interme- diaires naturels entre les philosophes des bords du Nil et les cenobites du Cedron. Les theories d'Aristo- bule et de Philon, d'aspect trop profane et d'allures trop libres, ont subi une sorte de stage dans les mo- nasteres juifs de l'Egypte, avant d'acquerir droit de cite chez les Esseniens. Si les philosophes ont ainsi concouru a l'oeuvre prophetique du monachisme, ils LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 503 paraissent, on relour, avoir reiv. Les phi- lologues moderncs out rapproche l'accusatif At* de la racine sans crite dew, signiflant lumiere. En tout cas, l'etymologie du sibylliste (ota-7re//.7rw) est la moins acceptable de toutes. 3 Les anciens editeurs ont ecrit Eurotas; nous maintenons la lecon des manuscrits. II s'agit ici de Dodone de Thessalie. I)E LA SIBYLLE UERRAlQUE. 5>9 nos et Rbee son epouse, les caclia dans la Icrre ct les garda encbaines. Les fils du puissant Kronos, ayant appris cela, allumerenl une grande guerre ; il en re- sulta un trouble immense. Telle ml 1'oriffine de la guerre entre tons les mortels. Ce tut la premiere originede la guerre parmi les morlels 1 ... Et alors Dieu perdit les Titans; et toute la descen- dance des Titans et de Kronos perit... Apres cela, dans le cours des temps, surgit le royaume d'Egypte; puis surgirent ceux des Perses, des Medes, des Ethio- piens, de Babylone l'assyrienne 2 , ensuite celui des Macedoniens, de nouveau celui d'Egypte, puis celui de Rome"... * * • ... Et alors la parole du (irand Dieu vola dans ma poitrine; elle m'ordonna de prophetiser par toute la lerre, et d'enseigner aux rois les choses futures. Le Dieu Seul m'inspire de devoiler tout d'abord toules les royalties Immaines qui surgiront* La premiere, la maison de Salomon commandera a 1 Ici se trouve une lacune que le compilateur a remplie par une Enumeration des empires. - Le sibyRiste confond a tort Babylone et I'Assyrie. 3 Nous eroyons que ('enumeration des empires a 0\r placee la par le compilateur, sans motif autre que la necessite de relier ce mor- ceau an suivant. L'oracle devrail se terminer par la louange, plus on rnoins voileo, des Juifs, et 1' 1 n v i t : . t i « . 1 1 de se converlir a leur Dieu, sous peine d'encourir les plus terribles cbatiments. * Nous avons ici vraisemblablemenl le ddbut dun oracle. 11 nous semble difficile d'y voir la continuation de ce qui precede. Le sibyl- lisie non-seulemenl se r6pe"terait, mais encore se contredirait. N'ous sommes en presence d'une nouvelle perspective bistorique, qui n'a rien de com mini avec la precedente. 340 LES CHANTS la Phenicie, a I'Asie, aux lies, aux nations ties Pam- phyliens, des Perses, ties Phrygiens, des Cariens, des MysiensetdesLydiens, quiontdc l'or en abondance 1 . Ensuile regneront les Grecs superbes et cruels; le peuple de Macedoine regnera au loin sur divers pays et suscitera aux mortels la redoutable tempele de la guerre. Mais le Dieu celeste le deracinera jusque dans ses fondemenls. Alors sera le commencement d'une autre puis- sance, blanche et a plusieurs tetes, venue de la mer d'occident. Eile regnera sur beaucoup de contrees, elle ebranlera beaucoup de peuples ; elle epouvantera tous les rois ; elle arrachera une granclequantite d'or et d'argent d'un grand nombre de villes. II y aura de nouveau sur la lerre divine de l'or et puis encore de Targenl et du luxe. lis opprimeront les mortels. Ces hommes. tomberont lorsqu'ils auront regne avec un exces de faste et d'iniquile. En eux residera le genie de Pimpiete ; le male se rapprochera du male ; ils 4 Cette liistoire, nous le repetons, ne concorde point avec la pre- cedente. La race israelite y joue un role preponderant qui n'est con- forme ni a la realite des fa its historiques, ni a 1'exposition de l'oracle que nous venous de lire. Les Juils sont meme assez ouver- tement designespar les mots : Maison de Salomon. Cest la, nous en aurons plus d'une preuve dans la suite, un signe a peu pres certain que ce morceau est d'une date relativement recente. D'ailleurs, on ne retrouve point ici la pernee de cut ancien sibylliste, occupe a recneillir les traditions helleniques, et meme empresse a couvrir d'epitlietes flatteuses, empruntees, soit aux antiques vers erytlireens, soit aux poesies homeriques, les personnages divins de l'Olympe. Ce n'est plus la meme langue ; on y sent de plus pres le souffle de l'in- spiralion biblique. La plirase est courte et hacliee; l'expression rc- dondante est calquee exactement sur le parallelisme de la poesie liebraique ; l'image est hardie, violenle, et respire souvent le plus pur syriacisme. DE LA S1BYLLE HEBRAIQUE. 541 placeront des enfants dans de hontcux lieux de de- bauche. Et il y aura dans ces jours une grande tri- bulation" parmi les hommes. Ce peuple bouleversera tout, briseratout; devoreparla soif execrable del'or 1 el par l'amour d'un gain sordide, il mettra le comble anx calamites dans beaucoup de conlrees, surtout en Macedoine. II excitera a la haine, et praliquera toute sorte de fraudes, jusqu'au scplieme regne d'un roi d'Egypte qui sera de race grccque. Et alors le peuple 1 II faut faire attention a celte peinture des Romains; elle est caracteristique. On trouve dans les oracles sibyllins deux maniercs dillerentes d'appreeicr les Romains et d'en parler, et chacune d'elles porte en soi une indication chronologique. Tant que le temple n'a pas ele delruit, le Juif se borne a fletrir l'avarice immonde, la soif execrable de Tor qui pousse les hommes du Lalium a la conquele du monde. La haine qu'il ressent conlre Rome a un double aspect; elle est politique et relig-ieuse; c'est le sentiment du vaincu mau- dissant le maitre, ou la vertueuse indignation de l'austere disciple de Moisejetant l'anatlieiue an pa'ien aux mneurs dissolues. Deux mots, avarc et impie, resument l'idee que le iils d'Abrabam se fait alors de la race romaine. Apres la destruction du temple et le sac de la ville saintc, quelque chose de nouveau s'ajoute a ces sentiments et les domine, c'ost le souvenir de l'immense attentat conunis contre Dieu. Cet attentat n'inspire plus seulement au Juif de la cblere et de la haine, mais encore et surtout de l'horreur. Chez les sibyllistes de la fin du premier sieele et des deux siecles suivants, tout s'ef- face ou s'attenue en presence du crime monstrucux consomme en l'annee70. L'avarice, I'idolatrie, la rapine, l'oppression, la corrup- tion, ne sont plus que les causes secondares de la future destruc- tion du mouile; la cause principale des chatinents celestes, c'esl L'audace criminelle qui a porte les hommes a lever leurs mains contre la maison de Dieu. Cet oracle est done anterieur a la destruction du temple. Une in- dication precise, qu'on lira plus loin, place la date de sa composition sous le regne de PtoIem6e Philomfitor. Nous inclinons a penserque I'oracle pr6c6dent est plus ancien encore, a cause des concessions plus grandes qui sont faites i\ I'neUenisnie et du ton extr6mement discret que le sibylliste prend pour parler des dieux grecs. La doctrine qui nous montre dans l'avarice la source de l'iniquit.; et de tons les maux qui ontdesole la terre, se trouve tres-expresse- ment dans les ecrits de Philon. 542 LES CHANTS du Grand Dieu sera de nouveau puissant ; il sera pour tous les mortelsle conducteur de la vie 1 ... • • * Mais pourquoi Dieu m'a-t-il mis dans l'espritde dire quels desastres viendront fondre d'abord, ensuite, enfin sur tous les hommes, et quelle sera l'origine de ces desastres?... ...D'abord Dieu perdra les Titans 2 ... Les fils du puissant Kronos seront punis pour avoir enchaine Kronos et leur venerable mere. De nouveau, pour la seconde fois regneront sur les Grecs des (yrans, des rois superbes, insolents, impurs, adulteres et coupa- bles de toules sortes de mechancetes. II n'y aura plus pour les mortels de cessation de la guerre. Tous les Phrygiens, nation illustre, periront ; en ce jour, le desaslre s'abattra sur Troie ; puis il fondra sur les Perses, sur les Assyriens, sur toute l'Egyple, la Libye, les Ethiopiens, lesCariens, lesPamphyliens, sur tous 1 Bt'ou zc/.QoS-nyol, Chefs conducteurs de In vie. Les Actes des Ap6- tres (in, 15) donnent au Messie un titre analogue, 'kpyriybi r9j$ Cows, ce qui n'a rien de surprenant, puisque Israel est pris ici dans son role messianique. l/oracle nous paraltrait assez complet, s'il invitait les gentils a la conversion, et s'il parlait des chaiiments supremes. 2 Nous voyons dans le passage : « Mais pourquoi Dieu, etc., » une suture du compilateur. Ensuite revient le vers, que nous avons deja trouve vers la fin du recit relatif aux luttes des Titans contre Ju- piter. Puis nous lisons un vers isole, qui devait sans doute terminer le recit de la lutte entre Saturne et ses fils, punis a leur tour, comme les Titans. Le sibylliste entre alors dans l'histoire proprement dite avec la guerre de Troie. Mais par malheur nous nous retrouvons en face d'une enumeration de peuples chaties, enumeration extreme- ment vague, indice du desordre de la compilation et de l'embarras du compilateur. DE LA S1BYLLE HEIiRAIQUE. 545 les mortels^-.Mais pourquoi enumererchaque chose? Lorsqu'un premier fleau aura pris iin, il en survien- dra un autre sur les homines... Je vais celebrer les premiers evenements... • * * ...Le desastre s'abatlra sur leshommes pieux qui habitent aufour du grand temple de Salomon, et qui sont les fils d'hommes justes. Cependant jc celebrerai leur race, l'origine de leurs ancelres, leur penple tout enticr. Mortel a l'esprit plein d'arlifices et de ruses ingenieuses, medite mes paroles 2 . II est une cite. . . dans la contree. . . d'ou surgira une race d'hommes tres-justes 3 . Leurs pensees sont tou- 1 Ces vers sont formers de lambeaux sans suite. 2 Nous avons la le debut d'un oracle (res-important, qui cherche a relever les Juils aux yeux des Grecs, en celebrant leurs mceurs, leurs lois, leurs pratiques religieuses, et la protection dont le Grand Dieu les a toujours couverts. 5 Ce passage est altere. Le vers 218 n'a conserve que les mots sui- vants qui soient certains : "Evzi n6h$... xxtx zdovoz... Les manuscrits donnent a ce vers pour terminaison, soit : OZp X«l- Salw, soit : Eu/juoyota. La lacune du milieu ne pent el re comblec que par des conjectures. M. Alexandre propose de lire : K.K/t.dptvv), nom de la ville on serait ne Abraham, d'apres une tradition rapportee par Eupolemus, dans Eusebe. En sorte que nous aurions le vers ainsi restitue : "Ettj -d).i$ Kapapiva /y-y. y/Jcvbi Ovp XaX^afwv. « II est une ville, Camarina, dans la contree d'Ur des Clialdeens. » Mais nous ne saurions trop repiHer que cette restitution est en- tierement conjecturale, et appuyee sur des hypotheses tenant tres- indirectcment au sens des passages. Le vers suivant est ainsi coiiqu : E£ r,i ,"0i /evo; liri oi/aiorKTWv avO/5W7t&)v. Ce qui signific, a le traduire litteralement : « De ce pays il me surgit 344 LES CHANTS jours bonnes, leurs actes sont excellents. lis n'ont nul souci tie la course circulaire du soleil on de la lune, ni des phenomenes, reputes prodiges, quis'ac- complissent sur la terre, ni des profondeurs dela mer azuree que Ton nomme ocean, ni des presages tires des eternuemenls ou du vol des oiseaux, ni des pre- dictions, ni des filtres, ni des incantations, ni des impostures ou des fables insensees des ventriloqucs, ni des proprieties que les Chaldecns empruntent a l'astrologie. lis n'observent pas les astres. Car tout cela n'est qu'erreur; ct les recherches auxquelles se une race d'hommes tres-justes, » et non, comrae le pretend M. l'abbe Thomas Blanc [Chant de la sibylle hebraique. Paris, in-8°, 18G9), i xnAx^zoii /at K/a/coraTOt; /JQss-t ^p&j/jtsvouj aTrara xc/.t ccfxizrpsiitzui, /j.i%pis av ra; /leyiarus Tzpoe/.d&oi Gvy.yopzs, Si* ii a Cains, dans mis Ecrits historiques etc. , les ili<>ux sont des ]>ersonnes bu- maines que la reconnaissance ou l'admiration de peuples ignorants ont divinisees. " Remarquez que le sibylliste, conformgment aux traditions bi- bliques, presente 1'idolatrie comme ayant etc pnicedee par le culte et la connaissance du vrai Dieu. La Grece n'a pas toujours t'le ido- latre; rile a quitti la lace du Grand Dieu a une epoque d^tenminee et connue, et a l'instigation de princes orgueilleux qui ont voulu se f aire adorer de lcurs peuples meme apres leur mort. 356 LES CHANTS ve.re le nom du Pere de toute chose, qu'il ne le soit plus inconnu! II y a quinze cents ans l que des rois superbes ont regne sur les Grecs, qui inlro- duisirent parmi les mortels les premiers maux, les corrompirent par le culte de nombreuses idoles de clieux ayant subi la mor.t, et vous remplirent ainsi l'esprit de choses vaines. Mais, quand la colere du Grand Dieu sera sur vous, alors vous reconnaitrez la face du Grand Dieu. Toutes les ames humaines, avec de grands gemissements, levant leurs mains vers le vaste ciel, commenceront a invoquerle Grand Roi et sa protection, eta chercherquipourra les delivrerde sa grande colere. Eh bien ! apprends ceci et grave dans ton esprit tons les maux qui surviendront dans leconrs des ans. La Greco, qui a ot'fertvainement en sacrifice lesboeufs et les laureaux aux vasles mugissements, evitera les malbeurs de la guerre, la terreur et la peste, et s6- couera de nouveau le joug de la servitude, quand elle offrira en holocauste ses victimes au lemple du Grand Dieu. Mais ilexistera uneraccd'hommesimpies jusqu'a ce que prenne fin ce funesle deslin. Car vous ne sacrifierez pas a Dieu lant que ne seront pas ac- complies toutes les choses que le Dieu Seul veut voir accomplir. C'est une necessity invincible. La sainte race des homines pieux existera de nou- veau 2 . Ces homines, soumis aux volontes et aux des- seins du Tres-Haut, honorent le temple du Grand Dieu 1 Ces quinze cents ans nous ramenent a environ 1055 avant Jesus- Clirist, au temps des patriarclies, lorsque Joseph gouvernait I'Egypte, et quelque temps avant le regne de Cecrops a Athenes. 2 C'est-a-dire : brillera U'un nouvel eclat. DE LA SIBYLLE HEBRAIQUE 357 par des libations, des viandes briilees, de saintes he- catombes, des sacrifices de taureaux bien nourris. lis offrent en saint holocauste 1 sur le grand autel les gras troupeaux de beliers choisis, de premiers-nes des brebis et d'agneaux. Vivant dans la justice el dans l'obsei'vance de la loi du Tres-Haut, heureux, ils ha- biteront leurs villes et leurs grasses campagnes. Exal- tes par l'lmmoi'lel, devenus prophetes du genre hu- main, ils lui apporleront une grande joie 2 . A eux seuls le Grand Dieu a donne la sagesse, la foi et de bonnes pensees dans leur coeur. Preserves de vaines erreurs, ils no reverent point les simulacres des dieux, 1 Les Juifs faisaient aux pai'ens un reproche de ne pas bruler entierement sur leurs autels les victimes, et consideraient comme un manque de respect envers la Divinite Taction de reserver soit au peuple, soit aux prelres une portion des viandes du sacrifice. (Yoy. iios Ecrits historiques de Philon, p. 38. T ) et 384.) 2 On remarquera que cet oracle ne fait aucune mention du Messie; c'est la nation Israelite qui se trouve, dans le regne de Dieu, trans- formee en un people de prophetes et de rois du genre humain En cet endroit, le texte offre une lacune; mais cette alteration n'enleve rien a la precision des deux vers qui nous montrent les Hebreux exaltcs, prop/idles, rois et bienfaiteurs de tous les mortels : Avrot (>' xrpuOivrti 'j-k AOxvv.roio icpofYJTat y.c/.\ (Jklya yxpuy. fipozoli TiivrsTn ^EpovTcj. Nous trouverons plus loin un oracle avec la meme donnee; ce qui prouve que dans l'ensemble des croyances eschatologiques des Juifs, il y en avaitqui accenluaient le role du Messie, d'autres qui I'amoin- drissaient, d'autres enlin qui le supprimaient tout a fait. Cette sup- pression s'explique d'ailleurs aiseraent. f.es poStes orientaux et les prophetes d'IsraSI avaient I'habitude de re'sumer et de drama tiser des groupes d'iSvenements, en les repre*sentanl par des personnages qui etaient ainsi de veritables mythes. Quelques sibyllistes out pu croire que le Messie, ce Roi pacificateur el Liberateur, 6tait un my- the de ce genre, symbolisant les luttes d'lsraSI contre les nations idolatres, el son triomphe de"finitif sur elles. En substituantle peuple saint au Fils de I'Homme, ils n'ont fait, a leur point de vue, qu'in- tor]>reter les anciennes propheties. 358 LES CHANTS ouvrages fabriques par les hommes, avec Tor, l'airain, l'argent, l'ivoire, le bois, la pierre, l'argile, ouvrages peints de vermilion, representant des formes d'ani- maux et tout ce que les mortels, dans leur fol egare- ment, adorent. Mais ils levent versle ciel leurs mains pures, que le matin, au sortir de leurs couches, ils purifient toujours dans l'eau ; ils honorent Dieu, qui est toujours grand et immortel, et ensuite leurs pa- rents ; en outre, plus que tous les hommes, ils se souviennent de la saintetedu lit nuptial. Ils ne se li- vrent pas a d'impurs rapprochements avec de jeunes garcons, comme les Pheniciens, les Egyptiens, les Latins, les Grecs, et beaucoup d'autres peuples tels que les Perses, les Galates, tous les Asiatiques enfin, qui violent et transgressent les chastes lois du Dieu immortel. A cause de cela, l'Immortel enverra a tousles mor- tels des malheurs, la famine, les douleurs, les gemis- sements, la guerre, la pesle et les souffrances qui font verser des larmes. Car ils n'ont pas voulu hono- rer saintement lePere immortel de tousles hommes; ils ont honore des idoles et venere les ouvrages de leurs propres mains. Les mortels eux-memes les ren- verseront ces. idoles, et, par honte, les cacheront dans les fentes des rochers, lorsqu'un nouveau roi d'E- gyle regnera sur ce pays ; il sera compte le septieme de la dynastie grecque fondee par les Macedoniens, hommes vaillants. II viendra d'Asie un grand roi, aigle ardent, qui couvrira toute la terre, de fantassins etde cavaliers; il brisera tout; rempliratout de maux, et renversera DE LA SIBYLLE IIEBRAIQUE. 359 le royaume d'Egypte; puis, ayant pris toutes les ri- chesses, il s'eloigne sur les vastes plaines de la mer 1 . Et alors devant le Grand Dieu, le Roi Immortel, ils flechiront le genou blanc 2 sur un sol fertile; les ou- vrages fabriques de main d'homme toraberont tous dans la llamme du t'eu. Et alors Dieu dounera aux homines une grande felicite; car la terre, les arbres, les immenses troupeaux de brebis fourniront aux bommes des fruits veritables, du vin, du miel doux, du lait blanc et du fromenf, qui est le meilleur de tous les fruits pour les mortels... * * • ... Mais toi, sans difi'erer, homme versatile et per- vers 5 , reviens de ton erreur, apaise Dieu. Sacrifie a Dieu, dans le cours des heures, des hecatombes de taureaux, d'agneaux premiers - nes et de chevres. Apaise le Dieu immortel, pour qu'il ait pilie de toi. Car lui seul est Dieu et il n'y en a point d'autre*. 1 II n'est pas douleux, dit M. Alexandre, que par ce septieme roi il faut entendre Ptolemee Pliilomelor (180 av. J. C). Or, comme le sibylliste assigne faussemenl a cette epoque la fin de l'idolatrie, l'ora- clea du 6tre emt pendant que ce prince regnait encore. La conver- sion de I'Egypte au vrai Dieu avait et6 deja predite par Isaie (xix, 19). Le pofite fail allusion ici non a la premiere expedition d'Antio- chus-Epiphane en Egypte 179 av. J. C), mais a la seconde, .dam laquelle, avanl d'arriver a Alexandrie, il rencontra des legions ro maines qui le Brenl rebrousser chemin. 11 retourna chez lui pai terre et non pur mer. * Nous traduisons litteral< menl I expression grecque, * ».uroi>. 360 LES CHANTS Honore la justice, et n'opprime personne. Car i'lnv mortel ordoane ces choses aux mortels infortunes.. . • • • ...Maistoi, evitele courroux du Grand Dieu, quand la pcsle viendra fondre sur tous les morlels. lis seront frapnes d'epouvantables chatiments; le roi prendra le roi et s'emparera de son pays; les nations delrui- ront les nations, et les souverains detruiront les peu- ples. Tous les princes s'enfuiront dans une autre con- tree, et les pays changeront d'habitanls... ...IJise puissance barbare ravagera toute la Grece 1 , et exprimera de cette terre fertile sa richesse. II s'e- levera entre eux une querelle dans un pays etranger, a cause de l'or et de l'argent (car la mauvaise avarice re°nera sur les cites) 2 . Et tous resteront sans sepul- ture, et les vautours et les betes sauvages de la terre sj repaitront de leurs chairs. Lorsque ces choses se- 1 II s'agit ici sans doute des guerres des Romains contre la Mace- doine et la Grece. Nous avons la le debut d'un nouveau fragment, analogue a plusieurs de ceux qui precedent. 2 Nous n'essayerons pas de rattacher a des evenements historiques cette suite de predictions confuses et malheureusement mutilees; cependant, il semble que la puissance barbare, dont il a deja ete question, ne saurait etre autre que Rome. Le sibyllisle aurait ecrit ces vers alors que les guerres civiles entre Marius et Sylla etaient allumees ou sur le point d'eclater. On est, du moins, tente d'inter- preter de la sorte ce qu'il dit de la querelle qui s'eleve entre les vainqueurs pour le partage du butin conquis. Mais la mention d'une terre etrangere, qui parait etre le theatre de la lutte intestine, fait plutot songer aux rivalites de Cesar et de I'ompee. C'est pourquoi nous inclinons a placer la date de composition de cet oracle a 1 e- poque de ces rivalites, environ un denii-siecle avant la naissance de Jesus-Christ. DE LA SIlfYLLE HEBHAIQLL. 3G1 ront accomplies, la terre immense absorbera les de- bris des morts; ellc restera lout entieresans semence et sans culture, pro-clamant, Pinforlunee, les abomi- nations des homines criminels, jusqu'a ce que, apres une longue serie d'annees 1 , elle rende les boucliers, les ecus, les javelots et toutes sortes d'armes. On ne coupera plus le bois du chene pour alimenter le feu 2 . Et alors Dieu enverra du soleil 3 un roi qui i'era cesser sur toute la terre la guerre t'uneste; il tuera les uns et imposera aux autres des serments de fide- lite. II ne fera point tout cela de son propre dessein, inais pour obeir aux ordres sages du Grand Dieu 4 . El 1 La prophetic ne Concorde pus ici avec ce qui a ete declare plus haut, a savoir, que ce sera sous le regne de Ptolemee Philometor qu'aura lieu la conversion des gentils et que commencera le regne de Dieu; l'oracle affirme que ce sera dans un lointain avenir, apres una longue serie d'annees, que la venue du roi liberateur sera si- gnaled par ce fait qu'on brulera les engins de guerre. - b'apres une legende hebraique, relative aux temps messianiques, ces temps devaient etre precedes par une grande victoire des Juit's sur les nations, victoire telle qu'on pourrait bruler pendant sept annees le bois des lances et des javelots des ennemis extermines. C'est a cette legende que ce passage fait allusion. Le lecteur a pu se convaincre deja plus d'une l'ois que tout n'est pas concordant dans I'ensemble des traditions messianiques; ce n'est pas seulement 1'ordrc el la succession, mais encore la nature des tails, qu'on eprouve par- lois un embarras invincible a determiner. 11 n'en pouvait etre autre- menl : les legendes qui se forment peu a peu et, pour uinsi dire, membre a membre dans le cerveau des peuples, offrent toujours des incolierences et des contradictions de detail. 3 C'est-a-dire de I'Orient. 4 Gfroerer renvoic ici aux passages analogues du IV Evangile, dans lesquels il est dit de Jesus-Christ, Messic d'lsracl et Fils de Dieu, quil ne i>eut rien sans son Pere : Ou Sv-jutai 6 uib; notetv tey'iawrou obSiv. Cela montre que les sibyllistes et les evangelistes se soul rencontres dans le choix qu'ils out lait des traits .de la figure du Messie national. 21 362 LES CHANTS le peuple du Grand Dieu sera comble de magnificences et de richesses, d'or, d'argent et de luxueuse pour- pre; la terre fertile et la mer seront remplies de Mens. Et les rois commenceront a s'irriter les uns les autres, meditant le mal dans leur coeur. L'envie est funeste aux infortunes mortels. De nouveau 1 les rois des nations en troupes serrees se rueront sur cette contree 2 , preparant leur propre ruine. lis voudront, en effet, delruire les parvis et les hommes excellents du Grand Dieu. Quand ils se- ront venus dans la contree, ces rois pervers sacritle- ront en cercle autour de la ville, chacun ayant son trone et son peuple incredule 3 . Et Dieu de sa grande voix parlera a tout ce peuple ignorant, inscnse. Et le 'jugement du Grand Dieu sera sur eux; tous periront sous la main de llmmortel... 1 Le prophete fait allusion aux guerres precedentes qui out desole la Palestine; cette invasion sera le supreme effort des nations ido- latres conlre la nation saiute (Ispbv yivos) des hommes pieux («o?s§«*g mips;). * La terre sainte. 3 Le texte des oracles sibyllins est ainsi congu : ■ Qbvovijt xitxlu 7td/€w; p.tx.poi j3ac7t^vjss, Tov tipovov aurou ex^jrij i^oiv /.xi A«ok cazeiO/j. Le lexte de Jeremie des Septante, qui semble avoir inspire direcfe- inent ce passage, est a rapprocher de ces deux vers; la comparaison fournit une preuve de plus de l'origine hebraique de l'oracle : Aid™ iSo'v iyit j- tliriea. quce et nonien suum varum carmini inseruit, et Erythrceam se nominatam iri preelocula est, cum esset orta Babylone. » (lust. Div., i, G.) Quant au morceau qui terminc 1c livre III, e'est une supercherie des plus grossieres. Nous ne le jugeons pas digne de figurer parnii 372 IKS CHANTS DE LA SIBYLLE HEBRAIQUE. les oracles des sibyllistes alexandrins. M. Alexandre n'a pas hesite a reconnaitre dans ce niorceau les traces e\identes d'une interpolation. En void la traduction : « Celui qui m'a montre ce qui est d'abord arrive a mes peres, et tout ce qui s'est passe au commencement, c'est Dieu. Tous les eve- nements survenus ensuite, Dieu me les a mis devant les yeux, pour prophetiser l'avenir et le passe, et les reveler aux mortels. Lorsque le monde etait submerge par les eaux, et qu'un seul liomme juste fut choisi, et navigua sur les ondes avec des betes feroces et des oi- seaux, dans une maison coupee dans la foret, afin que le monde fut repeuple, j'etais sa bru, j'etais sortie de son sang. C'est a lui que les premiers evenements sont arrives, el que tous les evenements su- premes ont ete devoiles. Ainsi, regarde comme vrai tout ce qui est sorti de ma bouche. » Gette mention du pafriarche Noe n'est pas aussi elrange quelle le semble de prime abord. >'ous savons qu'une partie du livre d'Henoch est placee sous l'autorite de Noe. II est evident que I'auteur de ces derniers vers a voulu imiter ceprocede. Mais, je le repete, si le patriarche etait une autorite pour les Juifs, il n'en etait pas une pour lesGentils. La supercbcrie ne nousparait point avoir ete commise par les sibylli^fes judeo-alexandrins, d'ordinaire plus mesures; mais plulot par quelque chretien, preoccupe de recommanc'er les oracles autant a ses coreligionnaiies qu'aux paiens, et ne se renclant pas un compte exact des circonstances au milieu desquelles s'etaient pro- duits ces oracles. Le secret et le mystere dont le Juif aimait a s'en- velopper pesaient au Chretien, impatient de predication ouverle et de proselytisme au grand jour. VI LE QUATRIEME LIVRE DES ORACLES SIBYLLINS Kcoute, peuple de Porgueilleuse Asie et de l'Eu- rope, ce que ma bouche sonore, grande et veridique va predire. Ce n'est pas du menleur Phebus que je profere les oracles, Phebus, que des hommcs insenses ontappele dieu, etauquel ils ont faussemenl altribue la connaissancede l'avenir 2 . Ce sont ici les oracles dii 1 On trouvera iei un oracle un peu plus long (191 vers), mais conserve sans lacune, du moins sans lacune apparente; il a &e compose vers l'an 80 de notre ere, a une epoque oil l'Eglise d'A- lexandrie etait fondue, mais n'avait pas absorbe la colonie juive de cette ville. 55 On s'etonnera, non sans motif, qu'Apollon soit ainsi maltraite par un propbete qui aurait plutdt besoin de s'abriter sous son autorite, ou du moins, sans lui adresser des louanges expresses, de laisser croire qu'il est inspire par lui. Mais nous savons que le prophgtisme desjuifs alexandrins, d'abord timide et tres-circonspect a I'egard drs divinity paiennes, prit des allures de plus en plus deadens, et a la I'm des attitudes agressives. Cette agression, cos definitions extreme- menl transparentes de la Divinite* adoree par les llebreux a Jeru- salem (car ce fait qu'ils proscrivaienl absolnmenl toute image dans leur culte avait vivement frappe lesGrecs, el c'etail une des particularity les plus connues de la religion juive), sont des caracteres de la poesie sibylline des temps qui suivent ou precedent immediatement 1'ere cluiHienne. Or, I'oracle contenu dan- le livre IV a ete ecrit vers la 574 LES CHANTs Grand Dieu, de Celui que les mains des hommes n'onl pas fabrique, et qui ne ressemble pas aux muettes images taillees dans la pierre. II n'a pas pour de- meure la pierre faconnoe en temple, pierre sourde, sans voix, source de mille maux pour les morlels 1 . II est Celui qu'on ne peut voir de la terre, que l'oeil des mortelsne peut mesurer, que leur main ne peut revelir d'une forme; Celui qui d'un seul regard voit tout et que nul ne voit lui-meme; Celui auquel appar- tiennent la nuit obscure, le jour, le soleil, les astres, la lune, la mer poissonneuse, la terre, les fleuves, les sources intarissables, les etres crees pour la vie, et lespluies qui produisent la moisson dans les guerels et les fruits sur les arbres, le raisin et l'olive. C'est lui qui aiguillonne au dedans mes esprits et m'ordonne dannoncer exaclement aux hommes ce qui est arrive jusqu'a present, ce qui arrivera plus tard, depuis le premier age jusqu'au dixieme. C'est lui-meme qui annoncera tout ce qu'il doit ensuite accomplir. Et toi, peuple, ecoute la Sibylle, laissant echapper la verite de sa bouche sacree. tin du premier siecle. On ne s'eearterait pas beaucoup de la verite, en posant en regie que plus un chant sibyllin d'Aiexandrie est ancien, plus il est nuageux dans son indication du vrai Dieu, dbciet et me- sure dans l'eloge des Israelites, et que plus on se rapproche de l'e- poque ou nous sommes parvenus, pius ces precautions sont negligees, plus les allusions s eclaircis^ent, au point que le masque tombe tout a iait et laisse nelteinent apercevoir la figure du poee juit. La men- tion de la resurrection, qu'on lira plus loin, acheve de inoutier qu'a Tepoque ou nous sommes parvenus, c*est-a-diie a la fin du cycle ju- deo-alexandiin, les sibyllistes ne craignaieni plus de profe^ser haute- ment les dogmes les plus mysterieux de leur toi. 1 L'expression poetique transporte a la pierre du naos les funestes effets du culte rendu a l'idole. DE LA SlIiYLLE HEBRAlQUE. 375 Heureux seront sur la terre ceux des hommes qui aimeronl le Grand Dieu,qui prieront avant de manger et de boire, et praliqueront la piete, qui proles- teront a la vue de tous les temples, a la vue des au- tels, vains amas de sourdes pierres, a la vue des images de bois et des figures fubriquees par la main des hommes, objets souilles du sang des etres vi- vants et des quadrupedes immoles 1 ; qui ne regarde- ront qu'a la grande gloire du Dieu Unique; qui ne commettront point de meurtres odieux; qui ne s'at- tribueront point un gain illicite, tous actes qui son! execrablcs. lis ne porleront pas non plus de honteu- ses convoilises sur le lit d'autrui ; ils n'auronl point a\ec les males de commerce odieux el impur. Mais les aulres homines, aimant I'impudicite, loin d'imiter leur genie de vie et leur piele, les pour- suivront de leurs sarcasmes, de leurs railleries, de leurs munnures. Dans lcurstupide folie, ils les ac- cuseronli'aussementdes ceuvres de mal qu'ils acconi- 1 11. Alexandre voit dans ce passage un indiee certain du cbristia- nisme du sibylliste. Nous jugeons inutile de revenir sur les remarques exposees plus liaut. Rien ici w designe exclusivement et certainc- ment les Chretiens. Sans doutc, ils priaient avant de manner et de Loire; mais les Tberapeutes et les Esseniens en faisaieut aulant. Ils n'etaient pas convaincus de la necessite du temple; mais, cette doc- trine, les monies juii's de Palestine et d'Egyple l'avaient professee avant eux. lis a\ aunt horreur du sacrifice sanglant; mais n'avons- nous |iis vii que la table des Tberapeutes est pure de mels sanglants, el que les Esseniens proclament que le sai i ilice le plus agreable a Dieu etleplus meritoire est la victoire remporlee sur nos passions ' La purification bapUsmale, a laquelle il sera fail allusion plus loin, n'est pas non plus un trail particulier an cbristianisme; diveises sectes juives la pratiquaient avant Jesus-Gluist. En bonne logique, et en 1'absence d'indices nioins generaux el plus expres, nous soin- nies done obliges do voir dans ces moeurs ot dans ces doctrines des choses puremenl juda'iques. ■ >V) l.ES CHANTS plissent cux-mgmes l . Car c'est une race defiante que celle des mortels. Mais, quand sera venue I'heure du jugement du monde et des mortels 2 , jugement que Dieu lui- meme accomplira, et qui, atteignant les impies et les homines pieux, precipitera les impies dans les te- nebres el leur fera connailre (oute l'etendue de leur impiete, alors les homines pieux habiteront une campagne fertile, etl'Espritde Dieu leur donnera et la vie et le bonheur. Toutes ces choses s'accompliront au dixieme age. Maintenant je vais dire ce qui arrivera a partir du premier age. D'abord, les Assyriens commanderont a tons les mortels. Leur puissance sera maitresse du monde pendant six ages, a partir des temps ou, le courroux du Dieu Celeste brisant les reservoirs des eaux, la mer 3 recouvrit la terre et detruisit les cites et les homines. Les Medes, ayant supprime les Assyriens, seglori- 1 On connait les accusations dont les Grecs cliargeaient les Juifs, et qui servirent souvent de pretextes aux violences les plus crimi- nelles. 2 On remarqnera que la doctrine de l'oracle, en ce qui touche la resurrection et le regne rnessiaiiique, est conforme a la doctrine de l'Eglise chretienne; elle n'admet pas deux jugements, deux resur- rections, et la royante de mille ans qui devait, suivant 1'opinion des lieretiques millenaires, preceder retablissement deflnitifdu regne de Dieu. 5 Nous avons en cet endroit une explication physique du deluge, conforme a celle de la Genese : c'est la mer, gonflec par les eaux qui sont. au-dessus de la voiite du ciel, qui deborde et recouvre la terre. II est a peine necessaire de faire remarquer que nous som- mes en presence d'une succession d'empires, differente de celles que nous avons deja rencontrees. et qui n'est pas beaucoup plus exacte qu'elles. DE IV SIF.YLLE liKursAioni:. 577 fierontsur leur trdne. Deux ages settlement sonl nc- cordes a leur empire. Durant leur regne, il arrivera que les tenebres de la nuit surviendront en pleiri jour, a midi. Les aslres, et en particulier l'orbe de la lime, disparaitront du ciel, et la terre, ebranlee par la secousse d'un grand tremblement , renversera beaucoup de villes et les ouvrages des homines. Alors des profondeurs de la mer surgiront des iles 1 . Lorsque le grand Euphrate se rcmplira de sang, alors il y aura, entre les Medes et lesPerses, une ba- taille terrible 2 . Les Medes, succomhant sous la lance des Perses, s'enfuiront au dela des grandes eaux du Tigre. La puissance des Perses sera la plus grandedu monde enlier. Un seul age leur sera accorde pour leur domination feconde en felicites. On verra survenir les malheurs que les homines 1 Les traditions les plus anciennes dela Grece parlaicnt d'iles sor- ties du sein des mers dans les temps primitifs, et citaient Delos et Hliodes. M. Alexandre accuse ces traditions de mensonge, ct en voil 1'origine dans les fables et les convenances de la mythologie. Mien, ajoittc-l-il, n'cst venu conlirmer ces legendcs : le sol des deux iles n'est point volcanique. Mais on sait qu'un soulevement pent s'opercr sur un point de 1'ecorce du globe, sans que l'ecorce soit fendue par la matiere volcanique iiitriieure. En realite, nous n'avons aucun moyen de contrdler la v£racit£ des traditions relatives a la naissance de Delos et de Rhodes, et nous avons tout lieu de supposer que si les anciens Grecs n'avaient pas eu sous les yeux le plienomenedc l'emer- sion on de la submersion des iles, si du moins ils n'en avaient point trouve le souvenir conserve parmi les peuples qui les pr6cederent en Europe, ils ne I'auraient point invcnte. II est certain que I'ile de Tlu'i'a s'esl ionih'c a une e[ioque reculee et voisine des ages hero'i- ques. Les anciens auteurs, Pline, Seneque, etc., rapporteur que d'autres iles sont apparues dans la Me"diterran6e depuis les temps his- toriques. - La bataille tut livree non point sur l'Eupbrate, mais pres d'Ecba- tane; ses consequences ne furenl point imraediates, et 1'empire ne passa aux Perses qu'apres la mort de Cyaxare et d'Astyage, 378 LES CHANTS prient le ciel de leur epargner, les batailles, les mas- sacres, les dissensions, les deroutes, les forteresses qui s'ecroulent, les villes ruinees, lorsque la Grece orgueilleuse naviguera sur le large Hellespont et por- tera le ravage chez les Phrygiens et en Asie l . Une famine affreuse fondra sur l'Egypte aux nom- breux gucrels ; pendant une periode de vingt annees, ellerestera sans moissons, lorsque le Nil, qui nourrit les epis, cachera sous terre, en quelque autre lieu, ses ondes noires 2 . D'Asie un grand roi portera les amies contre la Grece sur d'innombrables vaisseaux ; il foulera de ses pieds les routes humides de la mer profonde, et, coupant une montagne a la cime elevee, naviguera dans ses flancs ; l'illustre Asie le recevra dans sa fuite loin du theatre de la guerre 3 . Un immense torrent defeu., sorti de 1'Elna mugis- sant, brulera toute l'infortunee Sicile 4 . La grande ville de Crolone s'abimera dans des eaux profondes\ 1 Allusion a la guerre de Troie. 2 Sagit-il de la famine dont Joseph conjura les effets par sa pre- voyance? Cest un lieu commun de la poesie sibylline que les famines resultant de la disparition des eaux de tel ou tel fleuve. 3 11 est facile de reconnaitre dans ces vers la mention des princi- paux eve'nements qui marquerent la fameuse expedition de Xerxes com re les Grecs. Le Roi des Rois traversa l'Hellespont a pied sur un pont de bateaux ; il fit couper le mont Athos pour eviter un detour a sa flotte; enfin il s'enfuit precipitamment en Asie apres la defaite de ses troupes. 4 II est difficile de preciser la date des anciennes eruptions de l'Etna. Nous savons que, vers l'annee 477 avant notre ere, a une epoque rapprochee des guerres mediques, ce volcan ravagea le pays environnant. Cela resulte du temoignage de Pindare, confirme par Thucydide (liv. III). Est-ce de cette eruption que l'oracle parle ou de celle qui eut lieu, pen apres, durant la guerre du Peloponese? 3 L'histoire n'a garde aucun souvenir de la catastrophe de Crotone. DE LA SIRYL1.E HEBRAftJOE. 379 Une querelle surgira dans la Grece. Les habitants, remplis de fureur les uns contre les autres, ruineront beaucoupde villes, et, encombattant, feront perir un grand nombre d'hommes. L'issue de la querelle res- tera douteuse 1 . Quand viendra le temps du dixiemeagede l'huma- nite, le joug de l'esclavage et la crainle seront sur les Perses. Alors les Alacedoniens s'enorgueilleront du sceptre, et Thebes sera prise d'une raaniere f'u- nesle. Les Cariens habiteront Tyr, et les Tyriens seronl extermines. Le sable des rivagescouvrira Samostoute entiere. Delos ne sera plus Delos 2 ; elle disparaitra 1 On peut voir ici une mention de la guerre du Pelopor.ese. - II y a dans le vers un jeu de mots qui resulte de ce que en grec le nom de Delos (3*5Aos) signifie, dans le langage ordinaire, apparent. Mot a mot on traduirait : « L'Apparente ne sera plus appa- rente. s On a des raisons certaines de entire que ce passage est tire textuellement d'un oracle erythrcen. Au commencement de la guerre du Peloponese, en 451, il y cut, raconle Tliucydide, un grand emoi, cause* par des prodiges, et il circula sur ces prodiges une foule d'ora- cles annongaut des luttesentre les cites helleniques. Les termes dont so sert l'historien indiquent que ces propheties, mises en circulation nou-seulement dans les Etals interesses mais encore dans les autres, etaient assez dans les habitudes des Grecs, puisqu'elles etaient I'oeu- vre de gens adonnes a ce genre de literature, 'lloi/* 3k xpwpoM'/ * r.Sov V* T£ TXli fJ.i).')0\J7l TXO'j-Z/xisil-J X'A VJ Tat? vX/Mi TTO/SSIV.) Sur ces entrefaites, un tremblement de terre survint a Delos, laquelle de souvenir d'liomme n'avait jamais eu a subir ce fleau. (n^drs/sov o'jttw ncc/Oefoa u>S oZ 'EiAjjagj pipvYi-jTcci. ) Ce tremble* ment de terre, ajoute Thucydide, parut le signe precurseur des evi'iiements annonces. II est done certain que I'oracle erythreen, qui parlait de la ruine de Delos p;ir une catastrophe souterraine, tut compose' vers la tin du cinquieme siecle. Callimaque [Hymn, in Del., 53) y fait allusion, et reproduit meme le jeu de mots que nous avons ici dans le texie sibyllin. « C'est pourquoi, dit-il. d&ormais disparue (non apparente] le vaisseau flottera aux lieuzou lu file vais (Ouvsxcv '>><-:? iSr/Xoi j^j (Rome) de ptywj (force et vitesse). L'oracle qui le contient doit etre beaucoup plus recent, d'origine alexandrine, et compose a 1'im.itation des predictions erythreennes. 1 Strabon cite ces deux vers; mais, au lieu de « lie, » il lit : « Chypre. » Cette prediction, comme celles qui suivent sur Sybaris, Cyzicme et Rhodes, provient, croyons-nous, des oracles erythreens. 2 Dans le paragraphs 3 du troisieme li\re, Cyzique est menacee d'une inondation. r> Dans le passage precite (§ 5 du livre III), ce n'est pas un trem- blement de terre, comme on pourrait le supposer d'apres cet endroit, qui ravage Rhodes, c'est une guerre. Dausanias [Corinth., 7) songeait a cet oracle quand il dit, a propos d'un grand tremblement de terre survenu a Ithodes: « Ainsi parut s'accomplir l'oracle de la sibylle re- latif a Rhodes ("Huts /v.l Xdytov r-n/i^Oxi StSu),)»; to et; riri 'Pooov Z5o%ev). » Mais de quelle sibylle parlait-il? Probablement de la vraie, de la sibylle d'lonie, et non de celle d'Alexandrie. Ce texte de Pau- sanias est un nouvel indice des emprunts de la sibylle hebraique a la sibylle grecque. l)E LA bllALLE HEBRAlQUE. 381 elle, le monde, porlant le joug deFesclavage, servira les Italides. Carthage, la tour d'un assiegeant pliera longenou vets le sol. Malheureuse Laodicee,untrem- blement dc lerre t'affligera et fera de toi une villc nouvelle et magnifique 1 . Et toi, Corinthe infortunee, tu contemplcras un jour la chule. belle Myra de Lycie, un sol bondissanl s'altachcra a loi ; entrainec par ses secousses, tu lomberas a terre, et tu souhai- teras de I'enf'uir sur un autre sol, pareille a Immi- grant. Cela arrivera lorsqu'une onde noire, au milieu des tonnerresetdes trcmblements de terre, aneantira la race impie de Patares 2 . Annenie, une dure servitude t'est reservee. La fu- neste tempetc de la guerre fondra aussi de l'ltalie sur Solymes, et devastera le grand temple de Dieu". Lorsque, puisant leur confiance dans leur folie et ou- trageant la piele, ils auront accompli des meurtres abominables aulour du temple, alors un grand roi, ychu d'ltalie, pareil a un esclave, s'enfuira ignore, inconnu, au dela du cours de l'Eupbrate, cbarge de I'horreur du meurtre de sa mere, et de mille autres 1 Sous Nei'on, Laodicee ful ravagee par un tremblement de tei re [Tacite, Annul., xiv, 27), en L'anne*e 01 de notre ere, peu avant 1'epotjue ou nous placons la composition de cet oracle. L'illustre his- torien afflrme, comme Le sibylliste, la merveilleuse rapidite avec laquelle la cite se releva de ses ruines. Voyez dans ['Antechrist de M. Renan (p. 3'28 et suiv.) {'enumeration des fldattx qui ravagei'ent a cette e*ppque l'ltalie. la Grece et I'Asie. '- I'atares elait uneville do Lycie, ou il y avail un oracle d A pollon celebre II est fait mention de cet oracle, comme existant encore, duns le paragralie 3 du livre III. (Voy. Les derniers temps des Oracles, par Gust. Wolff. Berlin, 1854.) 3 II s'agit de la guerre de I'ompee et de la prise du temple qui la termina. Cet eveneinent est presciile, en ei't'et, comme anterieui' a la chute de Neron. 38'2 LES CHANTS fbrfai Is consommes de ses mains criminelles 1 . Beau- coup, luttant pour lepouvoir, ensanglanteront le sol de Rome, apres que ce prince se sera enfui dans la contree des Parthes. Un chef romain viendra en Syrie, qui, ayant livre le temple aux ilammes, passera beaucoup d'habitants de Solymes au fil de I'epee, et ruinera la grande et magnifique contree des Juifs 9 . Et alorsun tremblement de terre ruinera en meme temps Salamine et Paphos, lorsque une onde noire bouillonnera au-dessus de l'ile de Chypre submergee. Et quand des entrailles dechirees de la terre d'ltalie une flamme s'elancera jusqu'au vaste ciel 3 , consu- 1 Neron etait mort en presence de peu de personnes ; on pouvait croire que ses amis l'avaient sauve, et qu'oii avait produit le cadavre d'un homme substitue a l'empereur. « Les uns altirmaient qu'on n'avait pas trouve le corps; d'autres disaient que la plaie qu'il s'etait faite au cou, avait ete bandee et guerie. Presque tous soutenaient que, a l'instigation de l'ambassadeur parllie a Rome, il s'etait l-efugie chez les Arsacides, ses allies, ennemis eternels des Romains, ou aupres de ce roi d'Armenie, Tiridate, dont le voyage a Home, en 60, avait ete aceompagne de fetes inagnifiques qui frapperent le peuple. La, il tramait la ruine de lEmpire. On allait bientot le voii' revenir a la tete des cavaliers de l'Onent pour torturer ceux qui l'avaient trahi. Ses partisans vivaient dons cette esperance; deja ils relevaient ses statues, et faisaient meme courir des edits avec sa signature. Les Chretiens, au contraire, atrocement persecutes par l'empereur, et qui le consideraient comine un monstre, en entendant de pareils bruits, auxquels ils croyaient en tant que gens du peuple, etaient frappes de terreur. » (L' Anlechrist de M. Renan, p. 518 et suiv.) Ils resterent convaincus du retour prochain du monstre, et l'identifierent au belial hebraique, a I'ennemi du Messie, au puissant adversaire du Christ. - Le sibylliste a ici en vue la guerre de Vespasien et de Titus. 3 L'impression causee par l'eruption du Vesuve de Pan 79, dont il est question ici, fut immense et universelle. Dion Cassius (lxvi, 23) raconte que la cendre fut rejeiee en telle quantite, qu'il en vint en Afrique, en Egypte et jusqu'en Syrie. Plutarque [De Pyth. Orac, et DE LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 385 manl beaucoup de villes, faisant perir les hommes el remplissant d'une cendre obscure l'immensite des airs ; quand des gouttes semblables a du verosillon tomberont du ciel, on reconnaitra le courroux du Dieu Celeste, courroux cause par la perte de la nation innocente des homines pieux. Alors 1 sur l'Occident eclatera une lutte guerriere, et le fugitif de Rome, a la tele d'une grande armee, passera l'Euphrate, suivi de foules innombrables. lui'ortunee Antioche, on ne te donnera plus le nom de \ille ; la folie le fait succomber sous les coups des guerriers d'llalie 2 . La famine et une bataille f'uneste ruineront aussi la Syrie. Malheur, malheur a toi, Chypre infortunee ! Les Hots de la vaste mer te recouvriront, apres qu'une tempete horrible t'aura arrachee de tes londcments. Une grande richesse viendra sur l'Asie ; c'est celle que Rome avait prise et placee dans ses opulents De Ser. Numin. Vindict.) dit quo les desastres survenus aux envi- rons de Clinics et de Dicoearcliia avaient ete predits par la sibyile tres-anciennement. M. Alexandre admet que I'lutarque parte de la sibyile grecque, maiscroit qu'il prendpour ancien un oracle modernc. A noire avis, M. Alexandre accuse un peu legerement d'erreur l'ecri- vain grec. Les oracles sibyllins antiques out pu predire que cette region de 1 Italic celebre deja par ses phenomenes volcaniques, serait unjour deiruite ou ravagee par le feu souterrain. « En 65, Pompci I'ut presque abimee par un tremblement de terre. Le centre volcaniqud de la baie de Naples, au temps dont il s'agit, elait vers I'ouzzok's et Cumes. Le Hsave, qui avait eu des eruptions aux epo- ques prehistoriques, e*lai( encore silencieux; mais eette seiie de petits crateres qui consiilue la region a 1'ouest de Naples, etqu'on appelait les Champs Phlegreens, offrait partoul la trace du feu. » (VAttteehrist de H. Renan, p. 530.) •A partir de la, I sibylliste predu au basard; et la preuvo. c'esl qu il annonce le retour de Neron. • Sous preferons cette lecon a celle qui fait tomber Antioche sous los coups de sespropre? guerriers. 384 LES CHANTS edifices. Rome la rendra a l'Asie au double ; ce sera .l'u sure de la guerre 1 . Les villes des Cariens, qui dressent leurs superbes citadelles au bord des eaux du Meandre, periront par la famine, quand le Meandre cachera sous terre son eau profonde. Quand la piete, la foi, la justice, seront bannies de parmi les homines, qu'ils vivront dans une impiete sans frein, el qu'ils se livreront a des actes odieux et a tous les crimes ; quand personne n'aura plus souci des homines pieux, lorsqu'au contraire, poussantl'a- veuglement a l'extreme, ils les extermineront tous, prenaut plaisir a les outrager et plongeant leurs mains dans le sang, alors on connaitra que Dieu n'est plus patient, qu'il f'remit decolere, et qu'il va aneantir toute la race des homines dans un vaste embra- semenl. Ah! malheureux morlels, changez de conduite ; no poussez pas a unecolere sans bornes le Grand Dieu; laissez la les epees, les querelles, les massacres, les violences; purifiez-vous tout le corps dans les eaux intarissables des fleuves 2 , puis, elevant vos mains ' Ce retour de la fortune qui venge l'Asie des victoires et des ra- pines de Home, est predit en plusieurs endroits des oracles sibyllins, et presente comme l'un des evenemenls qui annoncent la proximite de la tin du monde. 2 Nous pensons avec M. Ewald, et contrairement a M. Alexandre, quela purdicaiion baptismale dont ilsagit en ce passage est une chose purementjuive,et qu'ellen'implique pas le chrislianisme dusibylliste. Non-seulement les ablutions jouent un role important dans les rites des Esseniens et probablement des Therapeutes, mais nous savons qu'il exista en Palestine, avant la predication de Jesus, des sectes de baptistes. Les disciples de saint Jean formerent 1'une de ces sectes ; et saint Paul, dans, ses voyages, trouva une petite Eglise de juifs bap- tistes dans une ville d'Asie Mineure. M. Alexandre insiste : les chre- DK LA MBY1.LE ULBHAIQUE. 385 vers L'ether, implorez le pardon dc vos acles ante- rieurs, et guerissez par vos prieres voire impiete I'u- nesle. Dieu aura repentir et ne vous perdra point ; sa colere s'apaisera, si vous cultivez 1 dans vos cceurs l'inestimable piete. Mais, si vous ne m'obeissez pas, si, persistant dans vos mauvaises pensees, et, cherissant votrefolie, vous faites la sourde oreille a tous ces averlissements, le tiens seals, dit-il, praliquaient le bapteme, en immergeaul le corps entier (5/ov Sifter), comme 1'indique le vers sibyllin. Nous repondrons que saint Jean baptisait en plongeant ses disciples dans le fleuve du Jourdain, ce qui semble s'aecorder bien exactement avec l'indication du sibylliste, et n'exclure aucune parlie du corps de l'ablution. Enlin, rappelons que 1'Evangile ne parle pas seulenient du bapteme de I'eau, mais du bapteme de l'Esprit, du bapleme dusangetdu feu, ce qui porte a crone que l'idee de purification, souvetit exprimee par .lesus, ne se produisit pas toujours sous la meme forme, et laissa subsister auelque indecision, au point de vue de la pratiijue, parmi les premiers disciples. Enelfet.les deux principalis apdtres, saint Pierre et saint Paul.agissent a cet egard differemment : l'un baptise; I'autre se vantede ne point se preoccuper de details aussi secondaires. Nous en concluons que le bapteme n'eut peut-etre pas dans la derniere moilie du premier siecle toute i'iinporlance qu'il ac([uit bientdt apres, et que lui preterait un peu preniaturement le sibylliste pretendu Chretien. 11 y a une con- sideration plus decisive encore qui nous empecbe de reconnaiire ici le bapleme Chretien, lequel n'a de verlu et d'efficacite qu'autant qu'il est administre par un lidele du Christ. Ce caractere est aussi net que possible. In auteur chrelien aurait done du, ce semble, ecrire : « Laissez-vous purilier tout le corps dans les fleuves, » et non : « 1'uiiliez-vous... » 1 Ce passage est remarquable; il contieut deux expressions qui semblent avoir ete fournies au poeie par une secrele preoccupation de la vieascetique des Therapeutes. « Gue'rtiaez par vos prieres voire impiete, a dit-il, paraissant faire allusion a l'etyinologie ipie I'liilon nous donne du mot Ihe'rapeule fguerisseur). « Cultivez dans vos ccours la piete, ajoute-t-il, se servant du mot aarfwTS, qui rappelle les pieuses pratiques de la vie ascetique. Sans doute, ce sont la des indices un peu vagues, m;iis nun sans Valeur, car ils concordent avec beaucoup d'aulres, don Ion jieut inferer que plus d'un oracle sibyllin d'Alexandrie est sorti des cou- vents des Therapeutes. 386 LliS CHANI'S feu descendra sur la terre. Voici quels signes l'annon- ceront. Au lever du soleil, on verra des glaives, on entendra des trompettes ; le monde entier enlendra des grondements et des bruits formidables. Le feu eonsumera toute la terre; il detruira toute la race des homines, toutes les villes, les fleuves et la mer; il brulera tout et reduira le monde en une poussiere noiratre. Lorsque toutes choses seront devenues cendre et |ioussiere r et que Dieu aura eteint le vaste incendic qu'il avail allume, Dieu, avec des os et de la cendre, f'ormera de nouveau les homines, et il rctablira les morlels comme ils etaient auparavant. Et alors sera le JLigement, par lequel Dieu, jugeant le. monde, ren- dra la justice. Ceux qui sesont egares dans l'impiete, la terre serepandra de nouveau sur eux et les recou- vrira; ils seront precipites danslaprofondeur de l'ob- scur Tartare et de la Gehenne, qu'entoure le Styx. Ceux qui auront pratique la piete rcvivront dans le monde imperissable et bienheureux du Grand Dieu Immortel, qui, en recompense de leur piete, leur don- nera le souffle, la vie et la joie. Et tous alors se verront les regards attaches sur la douce et rejouissante lu- miere du soleil. Oh ! bienheureux I'homme qui vivra jusqu'a ce temps-la 1 . I La fin de l'oracle nous renseigne d'une maniere precise sur l'ordre et la succession des evenements de la periode supreme. C'est sur l'humanite ressuscitee que Dieu rendra ses arrets. II y a plusieufs points a noter dans ces derniers vers Le bonheur des elus est declare eternel, mais le prophete ne dit pas expresse- ment que le chatiment des mechants sera sans fin ; il ne parle pas non plus du genre des supplices qui leur seront infliges ; on peut fcupposer que leur punition consiste dans cette immersion au sein des DE LA SIBYLLE HEBRAIQUE. 3b7 lenebres, de meine que la recompense ties bons consist? dans la contemplation de Celui qui est la Lumiere. En second lieu, le bonheur des justes nous est presente comme operant de l'una I'autre une sorte de rayonnement, qui multiplie la felicite de chacun d'eux par les joies de tous les autres. Ui-JTSi 3k To'r'sesd^ovrca szutouj Nv;ou//5v Yiz'jiou rspnvbv ^ao; etaopdeovres. C'est une pensee tres-delicate et digne d'etre relevee. Mais ce qui nous frappe plus que tout le reste dans cet oracle pretendu Chre- tien, c'est l'absence complete de la figure messianique; l'attenua- tion du role dominateur et glorieux d'Israel; enfin, cette parole, qu'il faut noter dans la bouche d'un Juif s'adressant aux Gentils : ( Dieu pardonnera a vos larmes et a vos prieres! » Ce dernier trait ne trahit-il pas l'esprit large, j'allais dire presque Chretien, du mp- nachisme judeo-alexandrin? APPENDICE Notre travail achevait de s'imprimer lorsqu'a paru 1 His- toire des idees messianiques depuis Alexandre jusqu'a Hadrien, par M. Maurice Vernes 1 . On y trouvera sur le livre d'Henoch l'etude la plus etendue qui ait ete faile jusqu'a present chez nous. Bien que nous ne partagions pas plusieurs des opinions de l'auteur sur l'age et l'authen- ticife des diverses parties de ce livre, nous ne sau- rions rneconnaitre les qualites d'erudition solide qu'il a deployees dans ses recherches. Sans entrer dans la dis- cussion de tous les points de ce probleme delicat et com- ploxe,nous nousbornerons a dire, apres avoir pris connais- sance des arguments de M. Vernes, que nous maintenons les remarques presentees par nous aux pages !2 1 8 et 219. Avec MM. Colani, Noldeke et Hilgenfeld, M. Vernes sou- tient que le deuxieme livre d'Henoch est sorti d'uhe Eglise chretienne, a une epoque qui ne saurail guere remonter plus haut que le commencement du second siecle de notre ere. II en trouve la preuve dans les doctrines messiani- ques, parfaitement concordantes avec les idees des Eglises k Un vol. i»-8, chez Sandoz et Fischbacher. '22. 390 APPENDICE. d'alors sur la personne et le retour glorieux de Jesus, qui sont developpees dans cette partie ; l'expression Fils de I' Homme, si frequenle en ces passages, est pour M. Ver- nes une allusion tres-transparente a la personne de Jesus, que la legende chretienne faisait asseoir aux cieux a la droite de Dieu, attendant l'heure prochaine devenir juger les vivants et les morts. A cela nous repondons que Jesus ayant ete reconnu par ses fideles pour le Messie, il s'agit de savoir si les caracteres messianiques qu'ils aperce- vaient en lui etaient conformes a la tradition juive, ou bien s'il existait dans les croyances chretiennes des traits speciaux etrangers a cette tradition. Si ces traits existent, il faut les designer avec precision; il faut surtout prou- ver qu'ils sont d'invention chretienne. Cette preuve, a notre avis, n'a pas encore ete faite. Ni la doctrine qui identifie le Messie au Verbe, ni celle qui represente le Christ cornme le juge supreme, ni celle qui le nomme Fils de l'Homme, ni celle qui admetune seconde eremes- sianique apres la premiere, et par consequent le retour glorieux de Jesus, rien de tout cela ne nous parait man- quer dans les croyances israelites relatives au Messie et anterieures a Jesus. Ainsi, nous admettons que l'identification du Messie au Verbe est anlerieure au christianisme, parce qu'elle est dans la logique des idees, parce que le concours des cir- constances la favorise, parce qu'elle est un resultat ne- cessaire de l'influence d'Alexandrie sur la Palestine, parce qu'on peut prevoir l'epoque a laquelle cette iniluence a du se produire (ce fut le moment ou, avec Philon, la doc- trine du Logos allait atleindre son complel epanouisse- ment), parce qu'enfin loutes ces inductions, londees sur l'ensemble des faits qui constituent l'histoire des idees de cette periode du judaisme, nous les voyons se verifier dans les passages du livre d'Henoch, qui nous montrent APPENDICE. 391 la legende Rationale et la conception metaphysique ten- dant l'une vers l'autre et pretes a se rejoindre. Que disent nos adversaires? Que les passages invoques du livre d'Henoch, sont precisement interpoles parce qu'ils accusent cette tendance, et par cette raison que ladite tendance existait dans les premieres Eglises chre- tiennes. Mais n'exislait-elle pas aussi dans le juddsme depuis plus d'un siecle et demi ? Nous ne cesserons de le repeter, la est la veritable question a resoudre ; et de sa solution depend l'opinion qu'on devra se faire sur l'age et l'authenticite du deuxieme livre d'Henoch. Cette solu- tion nous a ete fournie par l'etude attentive et la eom- paraison de l'Essenisme et du mouvement judeo-alexan- drin. « Les passages incrimines d'Henoch, nous ecrit un he- braisant distingue 1 , sont concus dans le meme esprit que le reste du livre; ils ne contiennent pas une seule pensee qui ne soit empruntee a la Bible; its sont les consequences du systeme entier ; ils forment en meme temps le cadre du poeme ; ils sont avec le reste des propheties Tceuvre du meme auteur. » L'interpolation se demontre par des arguments de va- leur difi'erente, parmi lesquels celui qui invoque le vieil adage, Is fecit cuiprodest, nest pasle moins convaincant. Or cette ressource manque ici. Nous ne voyons pas bien clairement quel profit les Chretiens attendaient de cette fraude. Elle etait pour le moius inulile. Cela ressort avec evidenee du fait que les chreliens out exclu ces prophe- ties de Leur canon, en les declarant apocryphes. Nous nenions pts qu'il y aiteu des interpolations. Nous en avons signale deux dans les oracles sibyllins du cycle judeo-alexandrin ; ellcs sont naives et nulleinent calcu- 1 M. Joseph Halevy. 592 Al'PENDICE. lees aver, cet art et cette science que nos contemporains sont enclins a leur preter ; elles sont, si Ton peut ainsi dire, locales et restreintes ; elles ne supposent point l'intention de falsifier d'une maniere generate les docu- ments. La preuve, c'est que ces documents out garde fide- lenient, sur des points tres-graves de doctrine, tels que la personne messianique et le dogme de la resurrection, des croyances absolument contraires a la foi de ceux qui auraient pu y introduire des interpolations. On a abuse du systeme qui explique tout par des inter- polations ; les critiques allemands l'ont eleve parfois a la hauteur d'une methode. Seduits par l'enormite meme du resultat poursuivi, et qui allait jusqu'a representer la plus grande partie du legs intellectuel et historique de l'anti- quite comme une immense supercherie, ils n'ont recule devant aucune audace. Ces allegations, se produisant avec l'appareil pesant et formidable d'une science obscure, qui n'est trop souvent que la fausse monnaie de l'erudi- tion, ont suscite quelque emoi dans le public lettre. La France, qui s'engoue aisement des nouveautes, a eu le tort de mettre a la mode ces lourdes fantaisies. Mais il est ar- rive qu'en les degageant de leurs nuages et en les ren- dant intelligibles, elle a mis a nu leur faiblesse. La reac- tion a ete prompte. La France a autant de bon sens que de facilite pour l'enthousiasme. Le jour oil elles ne seront plus soutenues par le talent litteraire de nos compatriotes, bien des etrangetes de la critique tudesque tomberont a plat, comme elles le meritent. Le temps n'est deja plus ou, grace a l'acquiescement tacite ou exprime de nos ecrivains, la presomplion generale elait que la plupart des documents reputes antiques avaient une origine rela- tivement recente ou presentaient des alterations nom- breuses ; aujourd'hui, pour admettre l'inlerpolation, nous exigeons des preuves decisives, au lieu des indices vagues APPENDICE. T.93 dont on se contentait naguere. A tout prendre, cet effort du neo-pyrrhonisme allemand n'aura pas ete inutile, s'il en resulte, comme nous l'esperons, un examen reellement scientifique des documents contestes, une epuration defi- nitive de leurs doctrines, une foi solide et eclairee, qui, tout en reformant quelques details de la tradition, en con- flrmera l'ensemble d'une maniere eclatante. Revenons a M. Vernes et a son livre. M. Vernes n'appro- fondit pas suffisamment l'importante question, qui con- siste a determiner le sens parliculier et la valeur speciale de l'idee messianiquedans les divers milieux du judaisme. II dit bien que cette idee etait frappee d'une defaveur mar- quee chez les Sadduceens, qu'elle revetail cbez les Phari- siens un caractere politique et violent, aboutissant parfois a un appel aux armes (p. 157 et 158, notes). Le livre d'He- nocb, dans lequel l'interet que les Juifs attacbaient a la question messianique est reporte en grande partie sur les problemes de la pbilosopbie et les relations de l'bomme avec Dieu, ce livre provient evidemmenl d'un milieu qui n'est ni sadduceen ni pbarisien. II n'y a que le groupe es- senien, dont les tendances ascetiques et mystiques soient de nature a en rendre compte. Les Esseniens nous sont peu connus, dit M. Vernes. Ce que nous savons d'eux suffit-il a auloriser ropinion qui reconnait leur travail et leur influence dans les propbeties d'Henocb? Oui, sans doute; sur ce point la reserve de ML Vernes nous semble exageree. « Chez les juifs alexandrins, ajoule M. Vernes, Videe vague d'un triomphe d'Israel et de ses idees religieuses avail seule survecu an contact de la civilisation grecque, comme on peut s'en convaincre par I'examendes ecritsde Philon. La personne du Messie est absente. » L'idee mes- sianique n'est point vague a Alex and He ; elle se prorluil ineme sous des traits d'une realite nn pen grossiere, 394 API'ENDICE. Ou'est-ce que ce roi venu du del, ce roi venu de V Orient, ce prince chaste dont nous parlent les sibyllistes, sinon le Messie? II faut d'ailleurs distinguer a Alexandrie les croyauces populaires de l'enseignement des philosophes. M. Vernes n'a pas fait cette distinction. Au surplus, pour- rait-on affirmer que la personne du Messie est absente, meme chez les philosophes alexandrins, quand on a lu le passage ou Philon nous parle de cette vision plus divine que tie le comporte la nature humaine, qui ramenera Is- rael en Palestine? Mieux inspire que M. Colani, M. Vernes reconnait que les Juifs admettaient la venue du Messie avant le juge- ment (p. 169, note 1); il explique comment il s'opera dans la legende nationa-le un dedoublement a la fois du juge- ment et de l'ere messianique ; il convient que Jesus a an- nonce son retour glorieux. En ce qui concerne les oracles sibyllins, M. Vernes attribue, corarae nous, au cycle judeo-alexandrin, l'oracle qui nomine Belial, l'adversaire du Messie. II se debar- rasse des hesitations de M. Reuss pour reconnaitre en- core avec nous le caractere purement juif du livre IV. M. Reuss avait dit : « Le caractere chretien du poeme ne nous est pas demontre ; il parait appartenir a une sphere dans laquelle les esperances eschatologiques et la haine de la domination paienne constituaient l'essence de la re- ligion, et cette sphere, a n'en pas douter, etait situee tout juste sur un terrain neutre et mitoyen, entre la synagogue et l'eglise 1 . » M. Vernes demande avec raison (p. 274) oil se trouve cet etrange terrain mitoyen. « Aucune declara- tion du livre IV, ajoute-t-il, n'est decidement chretienne. On sait quelles etaient, vers l'an 80, les preoccupations messianiques des jeunes communautes chreliennes. Or il 1 Les Sibylles chritiennes [Nouvelle Revue de theologie, de Stras- bourg., tome VII, 1861). APPENDlCli. 395 n'y est nulleinent question du Messie.Ce trait, en 1'absence de tout autre argument, nous semble decisif en faveur de l'origine judaique du poeme. » Nous allons completer cet appendice par des notes des- tinees a expliquer on corriger certains passages.' Voici d'abord ce qui concerne le livre d'Henoch : Pages 251 et 232, nous disons du dogme de la resur- rection qu'il ne se degage pas sans confusion des prophe- ties d'Henoch; M. Joseph Halevy, consulte sur ce point, nous repond en exposant en ces termes ce qu'il considere comme la doctrine d'Henoch : « La resurrection des corps a pour but, d'une part, de reeompenser les hommes pieux qui ont souffert pendant leur vie et n'ont point joui des biens de la terre comme le reste des liumains; d'autre part, de punir dans leur corps les mediants qui ont vecu au milieu de jouissanees de- fendues et qui ont fait souffrir leur prochain. I J ar conse- quent, Israel entier, comme peuple-martyr, les rois et les princes pai'ens, afin d'etre chaties dans la vallee de Josa- pbat et de servir de spectacle aux elus, prendront part a la resurreclion. Les apostats israelites auront le sort des tyrans paiens au service dcsquels ils s'etaienl voues. Les genlils du loin, ceux qui n'ont ni connu ni persecute Is- rael, restent dans le Scheol a l'etat d'ombres sans souf- frances et aussi sans jouissanees. Apres leur mort, les hommes saints habitent le ciel, mnis sans le corps ; celui- ci reste dans le scheol, attendant Pheure de la resurrec- tion. Les homines mediocres, qui ne sont point parvenus a 1'rlat de saintete, altendent dans le school, corps et Sane. Les mediants y subissent des peines preliminaires en at- tendant que leur sort soit definitivemenl regie aux der- niers jours. » 396 APPENDICE. Page 235, ligne 27, au sujet de la succession des eve- nements de la fin, M. llalevy distingue dansle livred'He- noch, fordre suivant : 1° Guerre contre les oppresseurs paiens; 2° jugement et condamnation des anges rebelles, des rois paiens leurs imitateurs et des israe ites infideles ; 5° l'ancien temple souille est remplaee par un nouveau temple, qui reunira dans son enceinte tout Israel et les peuples vaincus ; 4° ave- nement et regne du Messie ; 5° tout le genre humain par- vient au comble de la vertu et devient semblable aux pa- Iriarches. Page 256, ligne 9, au lieu de : princes ou roisjuifs, lire : princes ou rois des Juifs. II s'agit, en effet, de soixante-dix princes etrangers, preposes au gouvernement d'Israel, de- puis la fin du royaume de Juda jusqu'a favenement du Messie. Page 238, ligne 8, l'expression Verbe, qui se trouve dans ce passage, est le resultat, non d'u/ie interpolation, inais, comme fa Ires-justement remarque M. Dilmann, d'un accident de lecture arrive au traducteur ethiopien, qui avait sous les yeux la version grecque faile sur l'be- breu. Le veau blanc, dont il est question ici, se change en un animal qui s'appelle en hebreu Rem; et le traducteur grec, soit qu'il neconnut point cet animal, soit qu'il vou- lut lui conserver le nom semitique, ecrivit a son tour Rem. Le traducteur ethiopien, interpretant ce passage comme une allusion au Messie, et croyant a une erreur du co- piste, au lieu de Rem, qui n'offrait en grec aucun sens, lut Rema (p^a, Parole ou Verbe). II en est resulle libe- ration conservee a tort dans notre traduction. Le passage doit etre ainsi retabli : « Et je vis qu'il arriva un moment ou toutes leurs es- peces furent transformees; et tous devinrent des veaux APPEISDICE. 397 blancs; et Ie premier d'entre eux devint une licorne (rem). La licorne est un animal tres-fort qui a de grandes cornes noires sur sa tete... » Page 8, ligne 2 de la note 4, au lieu de : Liv. X, lire : Liv. IX, 4. Page 21, ligne 16, au lieu de : les origlnes certaines ou probables du monachisme, lire : les origlnes certaines ou probables des doctrines et des rites du monachisme. Page 27, ligne 2 de la note 1 , au lieu de : il a ete ecrit, lire : il a ete ecrit, dit-on. Page 59, ligne 22, au lieu de : le de'dain des Juifs pales- tiniens, lire : le de'dain de beaucoup de Juifs palesliniens. Page. 75, a la fin de la ligne G, ajouter : et possedant de'jd, durant Vepoque prechre'tienne, certaines tendances a I'archaisme, qui seront signalees plus loin. Page 75, a la derniere ligne, apres les mots : vers I'Orient, ajouter :' Cette posture est celle que les plus an- ciennes fresques des catacombes de Rome donnent au Chre- tien en priere. Page 108, ligne 16, au lieu de : rassassie's par la chair, lire : rassassie's par la chere. Page 114, ligne 6, apres les mots : servir d'appui, ajouter en note : « La planche VII de la traduction francaise abivgiV de la Roma Sotlerranea de M. de Hossi (Librairie Acad6mique de Didier) nous montre dans une peinture des catacombes romaines du dcuxieme siecle sepl personnages prenanl le repas qucharistique. Devant eux on veil lepain sacre et le poisson, symbole du Christ. Sous leurs coudes on rc- 23 598 APPENDICE. marque une disposition de la natte cubiculaire, parfaite- ment semblable a celle que Philon decrit en cet endroit ; la natte se releve de maniere a former un bourrelet et un point d'appui par la partie superieure du corps. » Page 1 19, ligne 5, apres le mot hysope, ajouter en note : « Philon omet, sans doute, de nous dire que le rite des Therapeutes, comme celui des Esseniens, exige que le pain soit beni avant d'etre toucbe. Gette benediction est faite par le president du repas. Une fresque du deuxieme siecle des catacombes romaines (V. la planche VIII, n° 5 de la traduction precitee de la Roma Sotterranea de M. de Rossi) figure la benediction ou consecration du pain. Le pain est pose sur un trepied, peut-etre un autel, de chaque cote duquel se tient un personnage. Celui qui est a droite du spectateur est une femme, sans doute l'Eglise, repre- sentee dans l'attitude rituelle de la priere, les mains eten- dues, expansis manibus. Celui qui est a gauche du spec- tateur represente un homine ; il etend la main droite sur le pain pour le consacrer, et ce mouvement decouvre le bras, la poitrine, toute une moitie du corps, nus sous son pallium. Cette excessive simplicity de vetements, dit M. de Rossi, etait consideree par les anciens comme la marque des veritables philosophes, et a l'epoque a laquelle ap- partienl cette peinture, c'est-a-dire a un siecle environ de distance de Philon et des Therapeutes, un simple pallium etait devenu le costume habituel du clerge chrelien. N'y a-t-il pas iciune analogie nouvelle a signaler entre le ve- tement des moines philosophes d'Alexandrie et celui des premiers pretres Chretiens? » Page 12-2. Nos indications sur la bibliographie sibylline se bornent aux ouvrages recents, les seuls importants a connailre, parce qu'en enregistrant les resu'.lats acquis ils APPENDICE. o9J en ont oblenu de nouveaux. Voila pourquoi nous n'avons cite ni Boissard, ni Blondel, ni Opsopee, ni Isaac Yossius, qui ont les premiers porte le flambeau de la science en ces obscures questions. II existe un livre tres-peu connu et rare, precieux surtout pour sa belle ieonographie; il reunit sous une forme claire et sobre tous les temoignages des anciens relatifs aux dieux prophetes, a leur culte, a leurs pretres, aux thaumaturges et aux sibylles. C'est un petit in-4° de 250 pages, imprime a Geneve en 1675, accompagne de cinquante gravures representant les per- sonnages que la connaissance de l'avenir a rendu cele- bres. 11 est intitule : Historia deorum fatidicorum, valum, sibyllarum, etc. L'auleur est P. Mussaid. Page 155, ligne 25, au lieu de : Nous verrons plus loin, lire : On peut entendre dans le paragraphe III du troisieme livre des oracles sibyllins. Page 159, ligne 2 de la note, au lieu de : cite que, lire : dit que. Page 170, a 1'avant-derniere ligne, apres le mot: Alexan- drie, ajouter celle note, qui nous est coumiuniquee par M. Joseph Ilalevy : « Isa'ie (ch. mx, 19) s'expritne ainsi : « En ce meme « temps, il y aura un autel a l'Elernel au milieu du pays I d'Egypte, et sur la i'rontiere un monument a l'Elernel. « Ce sera pour I'Eternel des armeesun signe et un tt'-inoi- « gnage dans le pays d'Egypte. » Le temple d'Onias fut construit sur I'autorite du prophete et avec le but de pro- pagande indique par lui. II ne parait pas qu'on y ait ja- mais fait de sacrifices propitiatoires el obligaloires pour la nation entiere. On y apportait seulement des offrandes d'un caractere votif et i tu<|ii< avant le christianisiue. Chu'ithe I". Sur les douze livres de la collection des oracles sibyllins 320 — II. Le Procemium des oracles sibyllins 325 — III. Le troisieme livre des oracles sibyllins (§ I) . . . 331 — 1Y. Le troisieme livre des oracles sibyllins (§ II). . . 536 — V. Le troisieme livre des oracles sibyllins (§ IV). . . 351 — VI. Le quatrieme livre des oracles sibyllins 373 ACI'ENDICE 389 'AIIIS. — IMF. SIMON IIACOK II COUP., Ill l>' I. KIT I. III. I. UNIVERSITY OF CALIFORNIA LIBRARY Los Angeles This book is DUE on the last date stamped below. I NO PHONE RENEWALS' I '■'"30 IS iS«& ■ •>7 / A uc SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY AA 000 508 419 9 us