, -J w * . , . r* < -^V ". \ ^j im X.- 1 f*^ - - Jfffc : >. ^ ^. AT LOS ANGELES ROBERT ERNEST COWAN L'OUEST CANADIEN L'Abbe G./ DUGAS L'OUEST CANADIEN SA DECOUVERTE PAR LE SIEUK DK LA VEKEXDRYE SON EXPLOITATION PAE LES COMPAGNLES DE TRAITEURS JTTSQU'A L'ANNEE 1822 MONTREAL CADIEUX & DEROME LIBRAIRES-EDITEURS 1896 Depos par les ^diteurs conformement a la loi du parlement Canadian sur la propridt6 Iitt6raire, au ministere de 1'agriculture et de la statistique, a Ottawa. .'584942 f BAT IE BE AU LECTEUR L'OUEST CANADIEN : tel est le titre que nous adoptons pour ce livre. Voici pourquoi. D'abord pour distinguer 1'Ouest- Canadian de rOuest-Americain dont il est limitrophe; ensuite pour ne pas confondre 1'Ouest-Canadien avec le Nord- Quest dans lequel n'est pas comprise, ordinairement, la Province de Manitoba ; enfin parce que ces immenses contrees ont ete decou- vertes par des Canadiens, explorees par des Canadiens et evangelisees par des missionnaires Canadiens. Pour ces diverses raisons et surtout pour la derniere, nous appelons ce pays : I'Ouest- Canadien. Si, aujourd'hui, les Anglais sont en majorite dans les Provinces de 1'Ouest, ce n'est pas pourtant a eux que revient la gloire d'avoir decouvert ce pays, ni d'y avoir porte les premiers germes de la civilisation. II est bon de rappeler ce fait au peuple qui domine actuellement dans Manitoba et au Nord- Ouest, afin qu'il sache bien, que les Canadiens- franais ne sont pas la des etrangers venus a la derniere heure. II y a cent cinquante-cinq ans L QUEST CANADIEN que le sieur de la Verendrye et ses fils ont tra- verse les immenses prairies de 1'Ouest jusqu'au pied des Montagnes-Rocheuses et en ont pris possession au nom du Roi de France ; il y a un siecle et demi que nos voyageurs canadiens les parcourent en tous sens, comme les pionniers de la civilisation ; il y a soixante-dix-sept ans que les missionnaires catholiques ont commence a pre- cher la parole de 1'Evangile aux pauvres infideles de ces pays sauvages. Non, les Canadiens- fran^ais ne sont pas des etrangers au Nord-Ouest ! En ecrivant cette histoire de I'Ouest-Canadien, nous avons cherche a porter, sur les faits que nous racontons, un jugement exempt de toute partialite. II est tres difficile d'ecrire 1'histoire d'une maniere impartiale ; on est porte, genera- lement, a excuser les fautes de ses compatriotes. Si nous eussions voulu nous laisser guider par de tels sentiments, nous aurions porte sur certains evenements un jugement tout autre que celui que nous portons. Pretre, missionnaire, canadien-franc.ais, nous prenons la defense des ecossais protestants traites odieusement par la celebre Compagnie du Nord- Ouest. L'opinion que nous adoptons en parlant des luttes entre Lord Selkirk et cette Compa- gnie surprendra probablement le lecteur ; mais apres avoir, durant de longues annees, pese la valeur des documents que nous avions entre les PREFACE 7 mains, nous avons cru qu'en conscience nous ne pouvions pas juger les choses autrement que nous Tavons fait. Si la Compagnie du Nord-Ouest ne joue pas ici le role glorieux qu'on a deja voulu lui attribuer, nous repondrons que le succes, quelqu'eclatant qu'il soit, ne justifie pas les moyens. Pendant les vingt-deux annees que nous avons passees a la Riviere Rouge, nous avons connu la tradition ; nous avons interroge les anciens du pays ; nous savons par cceur tous les recits qu'on a faits de la bataille de la Grenouillere ; nous avons converse avec des gens qui avaient ete temoins de cette bataille ; d'un autre cote, nous avons lu tout ce que la Compagnie du Nord- Ouest et Lord Selkirk ont ecrit sur ce sujet, ainsi que plusieurs lettres inedites, echangees entre Lord Selkirk et Mgr Plessis ; enfin, nous avons compulse 1'enorme dossier du proces entre Lord Selkirk et la Compagnie, et, apres avoir compare ces documents avec la tradition, nous en sommes venus a formuler 1'opinion que nous adoptons dans cette histoire. Nous avons pris a cceur de ressusciter la memoire de 1'illustre decouvreur de la Riviere Rouge, maltraite, calomnie pendant sa vie par des jaloux et des ambitieux et meconnu de ses contemporains ; il est juste que son nom soit 8 L'OUEST CANADIEN connu aujourd'hui de ses compatriotes, et loue" comme une de nos gloires Rationales. La Verendrye et Selkirk sont deux figures tres interessantes de notre histoire. Si le premier a decouvert 1'Ouest-Canadien, le second a servi d'instrument a la divine providence pour y con- duire des missionnaires et y fonder des missions catholiques. A ce titre, les catholiques, surtout ceux de Manitoba, lui doivent un large tribut de reconnaissance. G. DUGAS, Ptre, Anc. Miss. NOTIONS PRELIMINAIRES La bale cf Hudson depuis sa decouverte par Hudson en 1610 jusqu'a la decouverte du Nord-Ouest par le Sieur de la Vrendrye en 1731. Avant de conduire le lecteur dans les deserts de 1'Ouest canadien, a la suite du Sieur de la Verendrye et des frar^ais qui vinrent apres lui, il est necessaire, croyons-nous, de dormer quel- ques notions de 1'histoire de la baie d'Hudson, qui fait maintenant partie de la Puissance du Canada. Les evenements qui ont eu lieu dans ce pays sauvage, depuis sa decouverte, ne sont pas sans interet pour nous, puisque plusieurs de nos compatriotes ont joue la un role distingue, dans les luttes pour la possession de ce territoire. Sur ces plages desolees, emprisonnees dans les glaces et fermees au reste du monde durant les trois quarts de 1'annee ; sous ce ciel has et presque toujours voile par des brouillards impe- netrables aux rayons du soleil, les hommes, chose etrange, sont alles se batir des demeures pres- qu'aussitot que^ sur les rivages enchanteurs du Mexique. 10 L'OUEST CANADIEN Pendant que le vaste territoire des Etats-Unis, encore inhabite, offrait les richesses de son sol et les charmes de son climat, la baie d' Hudson, ce coin perdu dans le voisinage du pole, devenait 1'objet de la convoitise des compagnies mar- chandes, et pendant plus d'un siecle, elles se sont dispute la possession de ces neiges eternelles. Plus d'un combat y fut livre et plus d'un militaire et d'un marin s'y distinguerent par des faits d'armes, dignes des heros les plus celebres de 1'antiquite'. Aujourd'hui, le projet, serieusement etudie, de construire une voie ferree de ce cote, pour etablir des communications plus rapides entre 1'Ouest Canadien et 1'Europe, va donner un double interet a 1'histoire de ce pays et de ses premiers etablis- sements. Cette histoire doit d'ailleurs servir d'in- troduction a celle de la decouverte du Nord- Ouest par le Sieur de la Verendrye, puisque nous avons, a chaque instant, a parler de la Baie d'Hudson, en racontant les voyages du decou- vreur. A peine 1'existence du Nouveau- Monde eut- elle ete signalee a 1'Europe par Christophe Colomb que 1'ambition poussa immediatement les navigateurs jusqu'a de tres hautes latitudes le long des cotes de TAmerique Septentrionale. Us esperaient trouver, au nord de ces nouvelles NOTIONS PRELIMINAIRES 11 terres, un passage pour aborder aux riches con- trees de 1'Inde ou les Portugais se rendaient par la route de 1'Orient. Le premier navigateur qui s'avanga dans les mers du Nord sur 1'Atlantique, apres la decou- verte de 1'Amerique, fut Jean Cabot qui decouvrit 1'ile de Terreneuve en 1497. Son fils Sebastien Cabot entreprit un voyage sous les auspices de Henri VII roi d'Angleterre en 1498. II partit au commencement de 1'ete et fit voile vers le Nord-Ouest avec 1'idee d'aborder directement aux rivages de la Chine, mais, a son grand deplaisir, il rencontra, apres quelques semaines de navigation, les cotes de I'Amerique en poussant vers le Nord jusqu'au 56 &me degre. La, commele rivage s'inclinaitvers 1'Est, ilperdit 1'espoir de trouver le passage cherche et revint sur ses pas. Deux ans apres le voyage de Cabot vers 1'an 1 500, un portugais, du nom de Cortereal, suivit les cotes du Labrador, jusqu'au point ou elles se courbent vers 1'ouest pour former les contours meridionaux, par ou Ton penetre dans la baie d'Hudson. Sans s'avancer plus loin pour verifier sa decouverte, il crut qu'il avait devant lui le passage pour aller en Chine, et se hata de re- tourner au Portugal annoncer 1'heureux resultat de son voyage. L'annee suivante, il repartit pour penetrer 12 L'OUEST CANADIEN cette fois dans le detroit dont il n'avait vu que 1'entree ; mais il se perdit dans les glaces avec son equipage et Ton n'entendit plus parlerde lui. Quelques annees apres, son frere eprouva le meme sort en voulant aller a sa recherche. Nous lisons dans les relations des Jesuites (vol. i er> page 2) qu'en 1'annee 1524, un florentin, du nom de Verazzano, visita par ordre de Franois ler, roi de France, les cotes de I'Amerique depuis la Floride jusqu'au cap Breton, et prit possession de ces terres au nom du roi de France ; cependant il s'avanga moins que ses devanciers vers le nord. Martin Forbisher, celebre navigateur anglais, apres avoir cherche en vain, dans trois voyages consecutifs, (1577-78-79) le passage a travers le continent, termina ses explorations sur les mers du Nord par la decouverte de quelques iles voisines du Greenland. Huitans apres,en 1 587, John Davis, navigateur anglais, s'avana au dela de la baie d' Hudson et si quelque navigateur a constate 1'existence de cette mer interieure avant 1610, aucun n'en a fait la description. Ce fut au commencement du 1 7^ me siecle, en 1'annee 1610, que Henri Hudson fut envoye par 1'Angleterre a la recherche du fameux passage toujours soupgonne et jamais trouve\ C'etait un marin d'une experience consommee et d'une bra- voure a toute epreuve. NOTIONS PRELIMINAIRES 18 Durant les annees precedentes, Hudson avait navigue au nord de 1'Asie, sur les cotes de la Nouvelle-Zemble et longe le Spitz berg. Get intrepide marin avait lance son navire dans les interstices des terribles banquises, mais il n'avait pu penetrer au dela du 82* me parallele. Repousse de ce cote, il se rabattit vers le sud- ouest, contourna le Greenland et retrouva, en cinglant vers 1'occident, le detroit immense ou Cortereal avait cru voir une route vers 1'Ocean Pacifique. Le vaisseau sur lequel il etait monte se nommait le Discoveries et etait de soixante-dix tonneaux. II poussa jusqu'au fond de la baie, en visita avec un grand soin la cote occidentale et au mois de novembre il penetra dans un enfoncement au sud-ouest ou il fit haler son vaisseau pour rhivernement. En partant d'Angleterre, Hudson ne s'etait ravitaille que pour six mois. La saison fut rude, mais Hudson etait le premier a prendre sa part 'de miseres. Les vivres a bord se firent rares, cependant tant que durerent les neiges, les perdrix et autres oiseaux qu'on tua mirent 1'equi- page a 1'abri des horreurs de la faim. Au degel la chasse manqua. Hudson courut la cote dans une chaloupe pendant neuf jours pour voir s'il ne rencontrerait pas quelques sauvages dont il pourrait tirer des provisions. N'en ayant point 14 L'OUEST CANADIEN trouve, il revint au vaisseau qu'il fit mettre a la mer pour s'en retourner en Angleterre. II dis- tribua a ses matelots le peu de biscuits qui lui restait, regla la solde de chacun d'eux et accom- pagna chaque decompte d'un certificat de service afin qu'ils pussent tous etre installes dans leurs appointements au cas ou il viendrait a mourir. Profondement touche de leur misere et comme s'il eut un pressentiment qu'il n'aborderait pas en Angleterre, il pleurait a chaudes larmes en faisant ces dernieres dispositions. Mais ces temoignages de sollicitude ne firent aucune im- pression sur des gens qui avaient jure sa perte. Au mois de septembre precedent, a cause des mutineries continuelles qu'il excitait dans 1'equi- page, Robert Ivett avait ete demis de la charge de contremaitre. Ses complices resolurent de le venger. A leur tete se faisait remarquer un sce- lerat nomme Henry Green, irlandais d'origine, a qui Hudson avait sauve la vie, a Londres, en le retirant d'abord dans sa maison, puis sur son navire a 1'insu meme des proprietaires. Le 1 1 juin 1611, quand le navire fut pret de mettre a la voile, ils se saisirent du capitaine, de son fils, encore enfant, du sieur Woodhouse, mathemati- cien, qui faisait ce voyage en qualite de volon- taire, du charpentier et de cinq autres, et ils les mirent dans une chaloupe, les abandonnant a leur triste sort, sans provisions et sans armes. NOTIONS PRELIMINAIRES 15 La chaloupe aborda dans une ile ou tous mou- rurent de faim ; leurs cadavres furent retrouves par Thomas Button, 1'annee suivante. Le ciel ne laissa pas impuni un semblable for- fait. Green et deux de ses complices furent tues dans une rencontre que les gens du vaisseau eurent avec les sauvages ; Robert Ivett mourut miserablement pendant la traversee ; et ce ne fut qu'apres avoir essuye toutes sortes de cala- mites que les debris de cet equipage aborderent en Angleterre. Celui qui fit le recit de cette triste aventure, Nabacus Prickett, avait proba- blement trempe autant que les autres dans cette noire action, mais ayant su se rendre necessaire aupres des armateurs, il echappa a la punition qu'il avait meritee. Au commencement de mai 1612, Thomas Button, habile marin, partit pour la baie d'Hud- son avec deux vaisseaux, le Discoveries et le Resolution. En traversant la baie, il aborda dans une ile ou il retrouva le cadavre du malheureux Hudson et de ses compagnons. Le 1 5 aout, il entrait dans une crique, au nord d'une riviere qu'il appela Nelson; plus tard, les fran5ais lui donnerent le nom de Bourbon, (i) (I) Nelson etait le maitre de 1'un des na vires de Button. II mourut a la baie et fut enterre' sur les bords de la riviere qui a garde 1 son nom. 16 L'OUEST CANADIEN Ayant resolu d'y passer 1'hiver, il plaa ses deux vaisseaux 1'un a cote de 1'autre, et les for- tifia par une barricade de pilotis en sapin ren- forcis de terre pour se garantir contre les neiges, les glaces et les flots. Button avait avec lui toute une societe d'hommes d'experience et de capacite ; Nelson, son lieutenant a bord du Resolution; Ingram, commandant du Disco- veries; Gibbon, marin habile; Hawbridge, qui a ecrit une relation de ce voyage ; Hubart, esprit observateur et perspicace ; Prickett, uri des com- pagnons de 1'infortune Hudson. Trois grands feux mettaient 1'equipage a 1'abri du froid ; 1'abondance regnait a la table, on tua, dans le courant de 1'hiver, vingt mille perdrix. Erifin, le contentement aurait regne dans cette espece de petite ville bien reglee, si 1'hiver n'eut ete aussi rude et si la maladie n'eut enleve plusieurs hommes de 1'equipage. Pour prevenir 1'ennui et les murmures, Button eut la sagesse d'occuper ses gens ; employant les uns a tracer des chemins dans les bois et a mesurer les distances, les autres a etudier cer- taines questions d'utilite pratique pour poursuivre les decouvertes, Button reprit la mer au mois de juin 1613, poussa au nord jusqu'au 65^ me degre et revinten Angleterre, persuade de 1'existence du passage qu'il cherchait. II donna son nom au'x iles que NOTIONS PRELIMINAIRES 17 Ton rencontre groupees a 1'entree du detroit par lequel on penetre dans la baie. Par corruption de Button, les frangais appe- lerent ces iles : les lies Boutons. En 1614, le capitaine Gibbons, parent de Button, a qui celui- ci avait communique ses ins- tructions, fut envoye en decouverte a la baie d'Hudson ; mais son voyage fut malheureux. II manqua 1'entree du detroit par lequel on penetre dans la baie, et fut entratne par les glaces au 5 7 6rne degre de latitude au nord-est du continent. II penetra dans une baie ou il demeura trois semaines en grand danger de perir. Son vais- seau fut tellement endommage qu'il eut de la peine a revenir en Angleterre. L'annee suivante, 1615, le meme vaisseau repare fut renvoye de nouveau sous la conduite du capitaine Robert Bylot, tres habile marin qui avait pris part aux trois expeditions precedentes. II emmena avec lui le fameux Guillaume Baffin, deja tres experimente sur les mers du nord. On esperait un grand succes de ce voyage. Bylot mit a la voile le 18 avril, il poussa au nord jusquau 65 6me degre, mais il nefut pas plus heureux que ses devanciers dans la decouverte du passage de la mer de 1'ouest. II revint en Angleterre persuade que ce passage n'existait pas. Apres Bylot, les voyages du cote de la baie d'Hudson furent abandonnes pendant une quin- 18 L'OUEST CANADIEN zaine d'annees. Ce fut le capitaine Lucas Fox, qui tenta de nouveau une expedition de ce cote, en 1'annee 1631. Celui-ci etait un homme ne pour la mer. Vingt ans avant d'entreprendre le voyage dont il s'agit ici, il avait commence* a faire des recherches sur le projet de decouvrir le passage de la mer de 1'Oiiest. Des negociants de Bristol et de Londres s'associerent ensemble, pour iburnir les frais de cette expedition. Le vaisseau qu'on donna a Fox, se nornmait Charles. II disposa tout pour son depart au commence- ment de mai 1631. Le vaisseau etait de vingt tonneaux, ravitaille pour dix-huit mois et parfaitement equipe a tous egards. Fox etait si certain de penetrer dans 1'Ocean Pacifique qu'il emportait avec lui une lettre du roi d'Angleterre pour 1'empereur du Japon. Son voyage fut heureux ; il penetra assez avant dans un des nombreux bras de mer qui descendent de 1'Ocean Glacial et bien mieux que ses devanciers, il expliqua les courants ainsi que les lois qui regissent les marees ; il donna son nom a un detroit : le detroit de Fox. En 1'annee 1631 un autre marin, le capitaine James, partit d'Angleterre, en meme temps que Fox et s'aventura jusqu'au fond de la baie d'Hudson : ce fut lui qui penetra le premier dans la baie James a laquelle il a donne son nom. NOTIONS PRELIMINAIRES 19 Fox revint en Angleterre, gueri de toute illusion sur le passage cherche ; et le capitaine James fit un rapport si effrayant des miseres qu'il avait endurees, qu'il repandit 1'epouvante dans le public anglais. Pendant trente ans, les explorateurs intimides n'oserent plus diriger leurs courses de ce cote. Des historiens racontent que vers 1634 un vaisseau danois entra dans la baie d'Hudson et s'avanca le long des cotes de la baie jusqu'a en- viron soixante lieues au nord de la riviere Nelson. La, il penetra dans 1'embouchure d'une riviere qu'il appela riviere Danoise et que les indiens designerent sous le nom de Manitew-sipi (riviere des etrangers.) Le vaisseau s'etant trouve pris dans les glaces, 1'equipage passa 1'hiver sur les cotes de la baie Les souffrances que ces hommes eurent a sup- porter les firent presque tous perir a 1'exception de cinq ou six qui purent reprendre la mer, au printemps, et atteindre, apres mille dangers, le port de Copenhague. En 1646, Latour dont le nom fut celebre en Acadie, entreprit d'aller faire la traite des pellete- ries a la baie d'Hudson, mais il ne repeta pas son voyage. En 1656, Jean Bourdon, de Quebec s'avanca jusqu'au detroit par lequel on penetre dans la baie d'Hudson, et revint sur ses pas. Jusqu'ici, comme on le voit, ces nombreux 20 L'OUEST CANADIEN voyages dans les mers du nord sont entrepris au nom de la science et personne ne songe a fonder des etablissements sur ces plages inhospitalieres, pour y exploiter les richesses qu'elles renfer- ment. La gloire de decouvrir ces terres etait 1'unique passion de ces marins et des puissantes societes qui les aidaient de leurs deniers. Vers 1662, 1'Angleterre avait presque perdu de vue le fruit de ses decouvertes quand un canadien vint reveler les immenses avantages que pouvait offrir au commerce un paysjuge " inhabitable." (i ) (i) Les terres qui s'e"tendent le long des cotes de la baie d' Hudson sont-elles habitables ? Si Ton entend par le mot habitable la possibility pour des etres humains de vivre dans ces contre'es, a la rigueur, on rdpond oui Car la, depuis plus de deux siecles, il y a des etablissements sur les bords de la baie ou des europeens demeurent pour faire le commerce des four- rures ; mais si Ton entend par habitable la culture de la terre, on repond non, ce pays n'est pas habitable. C'est un pays ou 1'indien, seul, peut pourvoir a sa subsistance par la chasse (qui heureusement est passablement abondante). La terre n'y degele jamais a plus d'un pied de profondeur, et il y fait de fortes geldes dans tous les mois de 1'ete'. La debacle au printemps n'arrive ordinairement qu'au milieu de jinn et les rivieres se couvrent de glace a la fin de septembre. La mer n'est completement libre que durant les mois de juillet, aout et septembre, et encore, durant ces mois, les vaisseaux sont toujours exposes \ rencontrer d'e'normes banquises lorsque le vent vient du nord. II n'est pas rare de voir des vaisseaux arrete's par la glace a 1'entree de la baie, au mois d'aout. Aujourd'hui, avec les vaisseaux a vapeur dont la marche ne depend plus des caprices du vent, on peut arriver plus facilement au fond de la baie qu'avec des voiliers comme autrefois. et pendant trois mois on pourrait 6tablir entre le port Nelson et 1'Angleterre une ligne re'guliere de vaisseaux pour transporter les produits de 1'Ouest Canadien. CHOUART DES GROSEILLERS 21 II Chouart des Groseillers. Ses voyages a la bale d' Hudson, Le nom de Chouart des Groseillers va desor- mais devenir celebre dans 1'histoire des etablisse- ments sur les cotes de la baied'Hudson, carc'est lui qui eut 1'honneur de batir le premier fort dans ce coin recule de I'Amerique du Nord. Des Groseillers, frangais d'origine, etait arrive tout jeune enfant au Canada. Pendant plusieurs annees, il demeura chez les Ursulines a Quebec. La Mere Marie de 1'Incarnation parle de lui comme d'un jeune homme fort intelligent, done d'un caractere energique et entreprenant. II se familiarisa bientot avec les langues sauvages et les parla avec une grande facilite. De bonne heure, il s'aventura dans de longues courses chez les indiens pour faire des decouvertes et essayer avec eux la traite des fourrures. . II s'associa, dans ses voyages, Pierre Esprit Si ce projet iiississait, ce serait un avantage immense pour tous les etablissements sur la grande Saskatchewan. Une voie ferrde, construite depuis le bas de cette riviere jusqu'a la mer, serait relativement tres courte pour I'exportation des grains qui pourraient etre envoyes en Europe a des prix moiti moins Sieve's que par la ligne du Pacifique Mais, si ce vaste plan se realise, le pays des bords de la baie d'Hudson n f en restera pas moins un pays ou les blancs ne pourront jamais introduire la culture d'aucune cereale et on pourra dire que ces contre'es ne sont habitables que pour les indiens n6s sous ces latitudes. 22 L'OUEST CANADIEN Radisson, ne a Paris et venu au Canada pour dormer libre cours a ses gouts aventuriers. Le 24 aout 1653, des Groseillers epousa Marguerite Hayet soeur maternelle de Radisson. On a souvent repete que des Groseillers etait huguenot. Ceci ne souffre pas de doute pour Radisson. Peut-etre meme, 1'epouse de des Groseillers appartenait-elle a la meme religion que son frere ; mais quant a des Groseillers lui- meme, il est tres certain qu'il etait catholique ; son nom figure dans les registres aux Trois- Rivieres comme ayant ete parrain de plusieurs enfants. Avant de s'associer a des Groseillers pour ses voyages, Radisson avait deja fait des courses chez les indiens de 1'Ouest. Tous deux hardis jusqu'a la temerite, possedes de 1'ambition de faire fortune et surtout de faire parler d'eux, ils etaient tallies pour marcher de paire. En 1'annee 1658, ils se rendirent jusqu'au lac Superieur et firent connaissance avec les di verses tribus qui habitaient de ce cote. Ils passerent les annees 1658 et 1659 a parcourir les alentours de ce grand lac pour y faire le commerce des fourrures. Pendant ce temps, ils eurent maintes occasions de se renseigner sur les pays plus au nord et a 1'ouest. Une bande de Cris des bords de la bale James vint passer 1'hiver de 1659 dans leur camp et les invita a aller faire des echanges CHOUART DES GROSEILLERS 23 avec eux sur les bords de la mer. Des Gro- seillers leur promit de s'y rendre dans un autre voyage et il se renseigna aupres d'eux sur les distances a parcourir pour arriver j usque dans leurs terres. De bonne heure, au printemps de 1660, Ra- disson et des Groseillers descendirent a Quebec. Leur cargaison de pelleteries etait prodigieuse. Cinq cents indiens les accompagnaient dans leurs canots. Quant cette petite flotte arriva a Que- bec, les autorites, pour emerveiller tous ces sau- vages, firent tonner le canon de la citadelle, et hisserent les drapeaux. Un pareil retour de riches fourrures ne pouvait manquer d'exciter la convoitise d'une foule de personnages,tant a Quebec qu'aux Trois- Rivieres. Le gouverneur de ce dernier poste aurait bien desire avoir une part dans 1'exploitation de cette branche de commerce. On sait que certains gouverneurs du Canada ne furent pas etrangers a .cette ambition. Celui des Trois- Rivieres offrit a des Groseillers et a Radisson de leur associer deux de ses serviteurs a la condition qu'il serait de moitie dans les profits. Ces deux trappeurs, sachant qu'ils pouvaient avoir les profits nets pour eux-memes, refuserent l'offre du gouver- neur qui s'en vengea, en leur defendant d'aller a 1'avenir chez les tribus sauvages pour y faire la 24 L'OUEST CANADIEN traite, et meme de sortir de la colonie sous peine d'emprisonnement. Pour le moment, ils renoncerent a un second voyage vers 1'Ouest, et les choses en etaient la an mois d'aout 1 66 1 , quand sept canots conduits par des sauvages arriverent aux Trois-Rivieres. Le plan de des Groseillers fut bien vite arrete. II donna avis aux sauvages del'attendre, lui et son beau-frere Radisson, a 1'entree du lac St- Pierre, et ils epierent le moment favorable pour sortir du fort. La chose etait tres facile, puisque des Groseillers lui-meme etait capitaine aux Trois- Rivieres et a ce titre charge des clefs du fort. Sur le minuit, il en ouvrit la porte et, accompagne de Radisson, il alia rejoindre ses sauvages. Une fois parti, il etait sans inquietude, sachant bien qu'on ne tenterait pas de le poursuivre. Ils se rendirent au lac Superieur, probablement au meme endroit ou leur commerce avait si bien reussi les annees precedentes. II est presque certain qu'ils pousserent cette fois leurs decou- vertes vers le nord jusqu'a la baie James. Ra- disson dit positivement dans ses notes qu'en 1663, ils arriverent aux rives de la mer ou ils trouverent une vieille maison toute demolie. Mais ses notes sont si peu precises, qu'on hesite tou- jours a fixer les lieux qu'il veut designer. Apres trois ans de voyages dans differentes directions, esperant que le gouverneur avait CHOUART DES GROSEILLERS 25 oublie leur escapade, ils songerent a revenir a Quebec. Ils se firent accompagner par sept cents sauvages et arriverent a Trois-Rivieres dans le cours de 1'ete de 1664. La reception que leur fit le gouverneur, fut toute autre que celle qu'ils attendaient. Leur grand succes contribua meme a 1'aigrir et a lui faire exercer une vengeance personnelle. La vue des riches fourrures que contenaient les canots de des Groseillers ranima sa rancune ; il fit payer a celui-ci une amende de deux mille piastres. Des Groseillers comptait sur tout le profit de sa traite pour se procurer le moyen d'aller a la baie d'Hudson par mer. La somme exigee de lui par le gouverneur faisait une enorme breche a sa petite fortune ; neanmoins, il ne se decou- ragea pas et n'abandonna pas son projet. II s'adressa a des marchands de Quebec pour leur proposer de former, avec lui, une societe dont il serait un des principaux actionnaires ; mais, les negociations n'allant pas au gre de ses desirs, il prit le parti de s'adresser a la cour de France pour faire adopter ses plans et, en meme temps, pour obtenir la restitution des $2,000 que lui avait extorque le gouverneur des Trois-Rivieres. Son sejour a Paris fut tres court. Quoique regu avec politesse, il comprit bientot, qu'il n'ob- tiendrait que de belles paroles. II revint a Quebec, 26 L'OUEST CANADIEN ou, a force de demarches, il se procura un petit vaisseau sur lequel il s'embarqua, pour la baie d'Hudson, avec son beau-frere et sept matelots seulement. En passant a Saint-Pierre du Cap Breton, il s'arreta quelques jours pour y faire la traite. De la, il se dirigea vers Port Royal, (i) Le temps pressait, car la saison etait avancee et la mer devenait dangereuse pour naviguer vers le nord. II proposa a son equipage de se rendre a la Nouvelle-Angleterre pour voir s'il n'y trou- verait pas un meilleur vaisseau pour son expedi- tion. II y avait, par hasard, en ce moment a Port Royal des armateurs de Boston ; des Groseillers leur fit des propositions que ceux-ci accepterent et il fut resolu qu'on lui donnerait un vaisseau pour aller immediatement reconnaitre les cotes de la baie d'Hudson. Vu la saison avancee, ce voyage ne devait etre qu'un voyage d'essai. A la baie, le vaisseau ne fit qu'aborder a la cote ; des Groseillers n'eut que le temps d'echan- ger quelques paroles avec les indigenes, puis il revint a Boston pour 1'hiver. |Au printempsde 1665, les freteurs anglais qui avaient promis a des Groseillers de lui fournir deux vaisseaux, 1'envoyerent a 1'ile de Sable avec Radisson pour y faire la peche, en attendant que (i)'Port Royal, fort de Tancienne Acadie, aujourd'hui dans la Nouvelle-Ecos-se CHOUART DES GROSEILLERS 27 les glaces du nord permissent de penetrer dans la baie. A partir de ce moment une suite d'aven- tures et de contretemps va retarder de trois ans 1'execution de son dessein. II mit a la voile vers la fin de juillet. A peine fut-il en mer qu'une furieuse tempete rejeta son navire sur la cote ou il fut brise. II retourna a Boston ; la, il rencontra le colonel George Cart- right qui faisait partie de la commission royale chargee de regler les questions les plus importan- tes de la colonie. II offrit a des Groseillers de l'emmener avec lui a Londres et de le presenter au roi d' Angleterre qui ne manquerait pas de favo- riser son entreprise. Des Groseillers, n'esperant plus aucun secours d'ailleurs et n'ayant rencontre jusqu'iciqu'indifference en Canada, acceptal'offre du colonel et s'embarqua avec son beau-frere pour aller exposer ses plans a la cour de Lon- dres. Us partirent de Boston le i er aout 1665 ; mal- heureusement le vaisseau sur lequel ils etaient fut attaque par un vaisseau hollandais ; ils furent faits prisonniers et conduits en Espagne. De la ils se rendirent en Angleterre ou ils arriverent le 25 octobre de la meme annee. (1665) Des son arrivee, des Groseillers obtint une au- dience du roi. Le recit qu'il lui fit de ses decouvertes et des esperances qu'il concevait pour 1'avenir, interessa tellement Charles II 28 L'OUEST CANADIEN qu'il promit de lui fournir un vaisseau pour le printemps suivant (1666). En attendant le roi fit servir aux deux voyageurs une pension de 40 schellings par semaine. La guerre entre la Hollande et 1'Angleterre fit remettre le voyage a 1'annee 1668. Ennuye d'un tel retard, des Groseillers demanda a etre pre- sente au prince Rupert, cousin du roi pour cher- cher a 1'interesser a son entreprise. Celui-ci le recut avec empressement et lui equipa deux navires pour le printemps de 1668. Les noms de ces navires etaient I'Aigle et r Incomparable. Ces deux vaisseaux partirent de Gravesend le 3 juin 1668. Des Groseillers etait sur \ Incom- parable conduit par le capitaine Zachari Gillam. Une forte tempete les surprit sur les cotes d'Irlande. Le vaisseau sur lequel etait Radisson fut tellement avarie qu'il dut retourner en Angle- terre ; des Groseillers continua seul le voyage. Le capitaine Gillam aborda dans la baie d'Hudson a rembouchure d'une riviere a laquelle il donna le nom de Rupert ; il y batit un fort pour y passer 1'hiver et pour se mettre a 1'abri des incursions des sauvages. La traite des pelle- teries fut abondante, le navire en fut charge et de bonne heure au printemps 1'expedition revint a Londres. Le succes obtenu dans ce voyage fut toute une revelation pour les marchands d'Angleterre. CHOUART DES GROSEILLERS 29 II n'y avait plus de doute, la baie d'Hudson etait une riche mine a exploiter ; seulement il fallait, pour cela, former une societe bien organisee. Plusieurs personnages importants de la cour firent au roi Charles II la demande d'une charte leur concedant le privilege exclusif de la traite des pelleteries sur toutes les terres dont les eaux coulent vers la baie d'Hudson. Cette charte fut octroyee au prince de Rupert le 2 mai 1670. Voici les noms des premiers actionnaires de la Compagnie de la baie d'Hudson : 1. Le Prince de Rupert, 2. Christopher, due d'Albermale, 3. William, comte de Craven, 4. Henri, Lord Arlington, 5. Anthony, Lord Ashly, 6. Sir John Robinson, Chevalier, 7. Sir Robert Voyer, Baronet, 8. Sir Peter Culleton, Baronet, 9. Sir Edward Hungerford, Chevalier, 10. Sir John Griffith, Chevalier, 11. Sir Paul Neele, Chevalier, 12. Sir Philippe Carteret, Chevalier, 13. James Hynes, Ecr. 14. John Kirk, Ecr, 15. Francis Millington, Ecr. 1 6. William Prettyman, Ecr. 17. John Fenn, Ecr. 1 8. John Portman, Ecr. 30 L QUEST CANADIEN Telle fut 1'origine de la fameuse Compagnie de la baie d'Hudson. Aussitot apres 1'octroi de sa charte, la Com- pagnie envoya pour gouverneur a la baie M. Charles Bayly ; il partit avec des Groseillers qui le conduisit au fort Rupert ou il avait hiverne 1'hiver precedent. Cependant, avant la fin de Pautomne, le Gouverneur fit transporter ce fort sur la riviere Moose au fond de la baie James comme etant un lieu beaucoup plus favorable a la traite. Des Groseillers demeura dans ce poste jusqu'a 1'annee 1674, c'est-a-dire un peu plus de trois ans. Pendant ce temps Radisson fit plusieurs voyages en Europe. Du fond dela baie James, le gouverneur Bayly ne negligea rien pour etendre le commerce de la Compagnie et pour attirer vers lui les indigenes. II visita la riviere Albany et pour- suivit ses decouvertes le long des cotes de la baie jusqu'au cap Henriette, situe au 55 6me degre de latitude. Lesfrancaisqui exploraient les pays de 1'Ouest du cote du lac Superieur et les canadiens, coureurs des bois, du cote du lac Abittibi, firent des lors a la Compagnie de la baie d'Hudson une tres forte' CHOUART DES GROSEILLERS 31 opposition. Les frangais avaient un fort bati a huit jours de marche de celui de Moose, et la ils arretaient les sauvages qui voulaient aller a la baie. Les chasseurs canadiens qui savaient s'insinuer aupres des indiens et gagner leurs sympathies, les attiraient aux postes des fran- c.ais. Ainsi non-seulement les sauvages qui habitaient les alentours du lac Superieur, mais ceux-memes qui etaient tres rapproches de la baie James preferaient, commercer avec les cana- diens qui se rendaient a quelques heures du fort Moose. Le gouverneur s'apercevant que le commerce de sa Compagnie diminuait tous les jours et menagait de lui echapper de ce cote, resolut d'envoyer des traiteurs habiles dans le haut de la riviere Moose pour y rencontrer les chasseurs indiens et acheter leurs pelleteries. II choisit des Groseillers pour conduire cette petite expedition. Au printemps celui-ci revint au Fort avec cent cinquante peaux de castor. Pendant que le gouverneur Bayly, aide de des Groseillers, travaillait a assurer le com- merce de la Compagnie sur les bords de la baie, des evenements importants avaient lieu en Europe. 32 L'OUEST CANADIEN LA FRANCE REVENDIQUE SES DROITS A LA BAIE D'HUDSON. ^organisation a Londres, d'une grande com- pagnie pour allerfaire le commerce des pelleteries a la baie d'Hudson ne pouvait passer inapercue. Les privileges etendus que le roi d'Angleterre, accordait a cette Societe de marchands, 1'envoi d'un gouverneur pour fonder des etablissements dans ces contrees, eurent pour effet d'eveiller 1'attention de la France, et delui faire comprendre qu'on avait eu tort, a la cour, de ne pas apporter plus d'attention aux recits de des Groseillers. Cette faute causait une perte enorme a toute la nation. Durant Fete de 1671, le pere Albanel jesuite, missionnaire au Canada, partit de Quebec porteur d'une lettre pour le Gouverneur Bayly ; et d'une autre pour des Groseillers. II etait envoy e secretement par le gouvernement fra^ais, pour aller remettre a des Groseillers une note qui 1'invitait a retourner en France. Ce missionnaire etait accompagne de M. de Saint-Simon et du sieur Couture. II partit le 8 aout de Tadoussac, remonta le Saguenay jusqu'au lac St-Jean, en suivit le contours jusqu'a la riviere Mistassini, qu'il parcourut jusqu'a la chute ou se trouve maintenant 1'etablissement des Peres Trap- pistes. Comme la saison etait deja avancee, CHOUART DES GROSEILLERS 33 1'es trois voyageurs et leurs guides indiens passerent 1'hiver en cet endroit. Us repartirent aii printemps et arriverent sur les bords de la baie James le 28 juin 1672. Us enterrerent, au pied d'un gros arbre, une plaque de cuivre, sur laquelle etaient gravees les armes du grand roi et proclamerent, au milieu des landes, que tout ce pays appartenait a la France. L'Angleterre, malgre cette solennelle procla- mation, resta convaincue qu'elle avait des droits sur ces rivages. Le Pere Albanel, serenditjusqu'au fort Moose, remit au Gouverneur et a des Groseillers les lettres dont il etait charge pour eux et repartit immediatement pour Quebec. Les lettres remises a des Groseillers parle Pere missionnaire, ainsi que ses conversations avec lui, eveillerent des soupcons dans 1'esprit des anglais du fort Moose. Des Groseillers avait trahi sa nation, il pouvait aussi bien trahir des etrangers. Les officiers de la Compagnie commencerent a lui faire sentir qu'ils se mefiaient de lui. Humilie de ce traitement de leur part, des Groseillers songea a retourner en France, malgre la faute qu'il avait commise. II partit de la baie sur les vaisseaux qui retournaient a Londres au mois dejuillet 1 674, et au mois d'octobre de la meme annee, il etait rendu a Paris et se presentait au ministre Colbert. A diverses reprises, le ministre Colbert avait 34 L'OUEST CANADIEN invite des Groseillers et Radisson a rentrer au service de la France. On savait bien a la cour que ces deux hommes etaient necessaires pour reprendre pied a la baie d'Hudson. Dans toute autre circonstance ces deux traitres eussent ete chaties; mais,ici, Colbert se borna a leur reprocher leur conduite deloyale et leur promit des lettres de pardon. II leur offritmeme un emploi lucratif qu'ils accepterent ; pourle moment, cependant, il ne leur parla d'aucune expedition a la baie, vou- lant auparavant s'assurer de la sincerite de leur retour a la cause de la France. Des Groseil- lers revint au Canada et se fixa aux Trois- Rivieres ; Radisson prit du service dans la marine. Nous les retrouverons a la baie d'Hudson en 1682. Durant les annees qui s'ecoulerent de 1676 a 1682, nous ne voyons nulle part que 1'Angleterre ait ete troublee dans ses etablissements a la baie. La Compagnie en profita pout etendre le champ de son commerce et batir d'autres forts. Les seuls rivaux que nous leur connaissons sont les coureurs des bois, du cote des grands lacs. La Compagnie durant ces six annees de paix realisa de gros profits, car les fourrures les plus riches lui venaient du nord et de 1'ouest. En Canada, les marchands de Quebec, qui savaient quels profits donnait la traite des pelleteries, ne voyaient pas sans depit des eta- CHOUART DES GROSEILLERS 35 blissements anglais plantes pour ainsi dire a leurs portes. L'intendant de la colonie, M. de la Chesnaie, offrit a des Groseilers de le mettre a la tete d'une expedition a la baie d' Hudson en lui disant que ce serait une occasion favorable de racheter sa trahison. II se chargeait de lui fournir deux vaisseaux pour le printemps de 1682. Des Groseillers accepta. II partit avec son beau-frere Radisson au mois de juillet, sur le Saint Pierre et la Charente. Le vaisseau que montait des Groseillers etait excellent ; 1'autre etait vieux et peu sur pour un tel voyage. Us firent escale a 1'ile Perce et re- partirent le 1 1 juillet. Us furent de nouveau obliges de relacher dans une rade sur les cotes du Labrador ; ils en profiterent pour faire la traite avec les Esquimaux. Le 28 aout, les deux vaisseaux entrerent dans la riviere Hayes sur le cote ouest de la baie. Ils remonterent cette riviere jusqu'a une distance de quinze milles de son embouchure pour etablir leurs quartiers d'hiver. La traite qu'ils firent durant cet hivernement fut tres abondante. Des son arrivee a la baie, des Groseillers qui etait deja connu des indiens et qui parlait facilement leur langue, fit alliance avec toutes les tribus et il obtint d'elles la promesse de ne pas aller a la baie James porter des pelle- teries aux anglais. Ils tinrent parole. 36 L'OUEST CANADIEN Deux vaisseaux anglais arriverent peu de temps apres lui et se mirent en hivernement pres de 1'embouchure de la riviere Hayes. Radisson, avec une quinzaine d'hommes, alia les prevenir que lesfranc.ais etaientla les premiers occupants ; que leur fort, a quelques milles plus haut, etait bien pourvu d'hommes et de munitions et qu'ils sauraient faire respecter leurs droits. Les anglais le crurent sur parole et se tinrent renfermes dans leur campement, sans chercher a se mettre en rapport avec les indiens. Au printemps, des Gro- seillers et Radisson repartirent pour la France, avec une riche cargaison de pelleteries, laissant le fort frangais sous la garde du fils de des Groseil- lers. Us emmenerent avec eux les equipages des vaisseaux anglais dont le nombre avait ete fort diminue par la misere et la maladie. En France, des Groseillers et Radisson furent tres bien regus. Le ministre de la marine donna ordre de leur preparer deux autres vaisseaux pour le printemps suivant, et il les recompensa gene- reusement pour le service qu'ils venaient de rendre. Les choses paraissaient aller favorablement pour la France, quand Radisson fut de nouveau gagne a la cause de 1'Angleterreet entraina avec lui des Groseillers. (i) (l) Nous avons trouve tous ces details dans le journal de Radisson lui- me me. CHOUART DES GROSEILLERS 3t Le 17 mai 1684, Radisson partit pour la bale d' Hudson a bord du Happy Return, tandis que des Groseillers, fatigue de ses courses, resta en Angleterre. En Canada et en France, on le croyait retourne a la baie d' Hudson, et Ton fit des demarches pour le ramener au service de son pays qu'il trahissait une seconde fois. Au mois d'aoiit 1684, M. de la Barre envoy a porter a M. Duluth qui faisait la traite pres du lac Nepigon, une lettre pour des Groseillers. Duluth chargea un nomme Pere, metis tres intelligent, d'aller remettre cette lettre a des Groseillers a la riviere Nelson. " Comme je sortais du lac Nepigon, ecrit " Duluth a M. de la Barre, j'ai rencontre le sieur " de la Croix avec ses deux camarades, qui me " rendirent vos depeches ou vous m'ordonniez " de ne rien omettre pour faire tenir vos lettres " au sieur Chouart des Groseillers a la riviere " Nelson. II a fallu pour executer vos ordres " que M. Pere y alia lui-meme." (i) On voit par ces depeches qu'envoyait M. de la Barre, combien on tenait a ramener des Groseillers en Canada. Mais pendant qu'il se reposait en Angleterre, son beau-frere Radisson arrivait a la baie et livrait le fort franc,ais aux anglais, qui trouverent la pour quatre cent mille francs de fourrures. (i) M. Pe"r6 fut fait prisonnier au fort Albany etenvoye en Angleterre. 3 .384942 38 I/OUEST CANADIEN A 1'automne de 1684, la Compagnie du Nord a Quebec ( i) equipa a ses frais un vaisseau pour aller reprendre, par surprise, le fortfrangais ; mais cette tentative echoua completement et la Com- pagnie subit une perte de cent mille francs. L'annee suivante (1685), la cour de France se plaignit au cabinet de Londres et demanda la restitution des forts frangais de la baie d'Hudson. Les negotiations trainerent en longueur et en 1686 1'Angleterre n'avait pas encore repondu aux plaintes de la France. La Compagnie du Nord, pour se dedommager des pertes qu'elle avait subies deux ans auparavant, entreprit de se faire justice elle-meme. Elle obtint du marquis de Denonville un detachement de quatre-vingts homines, presque tous canadiens, commandes par le chevalier de Troyes, pour aller, par terre, reprendre tous les forts anglais dans la baie d'Hudson. MM. de Sainte Helene, d'Iberville et de Mericourt firent partie de cette expedition. II fallait, pour un pareil voyage, des hommes brises aux marches a travers les bois, habitues a conduire des canots, capables de supporter les froids piquants et habiles a faire la petite guerre. Cette poignee de braves se mit en marche dans le cours du mois de mars. En partant de Montreal, ils remonterent la riviere d'Ottawa jus- qu'a Matawan. Us allaient a la raquette et (i) Compagnie de marchands organisee a Quebec. D'IBERVILLE 39 trainaient leur bagage sur des toboganes. (i) A Matawan ils se firent des canots d'ecorce en atten- dant la debacle des lacs et des rivieres. Aussitot que la navigation fut ouverte, ils s'enfoncerent dans des terres jusque la inexplorees. " II fallait etre canadien, dit a ce sujet M. de la Potherie, pour supporter de si longues traverses." Voici en quels termes un officier francais, M. de Catalogue, qui faisait partie de 1'expedition, nous fait le recit de cette course aventureuse de- puis le lac Temiscaminguejusqu'ala baie James. " En partant de ce lac, nous primes a droite, " montant la riviere ou les portages sont fre- " quents. De ces petits lacs, nous gagnames la " hauteur des terres ou se trouve un lac qui se " decharge dans le lac Abbitibi, a 1'entree du- " quel nous fimes un fort de pierre, et y laissames " trois canadiens et ensuite traversames ce lac " qui se decharge, par une riviere extremement " rapide, dans la baie d'Hudson ou nous arri- (< vamesle 18 juin!" Le fort Moose etait construit sur une petite eminence dans une ile separee de la terre ferme par un espace d'environ un arpent. II etait de forme carree, avec bastions aux quatre angles et muni de quatorze pieces d'artillerie. Au milieu de ce carre, il y avait une tour de vingt pieds de (l) Toboganes, traines sauvages, Strokes et longues. 40 L'OUEST CANADIEN hauteur, au sommet de laquelle se trouvaient quatre petits canons de deux livres. En arrivant a la bale, M. d'Iberville, qui avail avec luiquelques sauvages familiers avec le pays, s'informa de 1'endroit ou etait situe le fort ; il vou- lait 1'attaquer immediatement dans la crainte que 1'arrivee de sa petite troupe fut annoncee aux anglais, par d'autres indiens, et qu'on prepara la defense, ce qui eut ete facile, (i) Le 1 8 au soir, ils essayerent de s'approcher de Tile, mais comme les nuits sont tres claires a cette epoque de 1'annee, sous ces latitudes et que le crepuscule y touche presque a 1'aurore, ils eurent peur d'etre decouverts et remirent 1'attaque au lendemain, afin d'avoir le temps defaire des obser- vations et de mieux prendre leurs mesures. Pen- dant tout le jour suivant, ils demeurerent caches dans une coulee sur la terre ferme. Le 19 juin au soir, ils allerent a la decouverte ; ils s'approcherent si pres du fort qu'ils sonderent les canons et constaterent qu'ils n'etaient pas charges. Voyant qu'ils n'avaient rien a redouter de cette artillerie, ils resolurent de donner imme- diatement 1'attaque de trois cotes a la fois. Monsieur de Catalogne fut charge avec quel- ques soldats d'ouvrir a coups de hache une breche dans la palissade de pieux, pendant que le che- valier de Troyes et M. de Mericourt avec quel- (i) Nous empruntons tous les details qui vont suivre a M. J. B. Proulx dans son ouvrage A la Baie d* Hudson. D'IBERVILLE 41 ques Canadians battraient du belier dans la porte principale. MM. d'Iberville et de Sainte- Helene devaient monter a 1'assaut et escalader la p'alissade avec le reste de la troupe sur un autre point. De cette fa^onja garnison, reveillee en sursaut, ne saurait plus de quel cote donner de la tete. En deux coups de belier la porte fut enfoncee ; le chevalier de Troyes s'elanca dans la place et fit ouvrir le feu dans toutes les embrasures de la tour situee au milieu du fort. Un canonnier place a 1'entree de cette tour se preparait a charger son canon ; M. de Sainte- Helene lui cassa la tete d'un coup de fusil. Quelques coups de belier firent cederla porte de la tour qui s'ouvrit a demi. " Soudain, dit Leon Guerin dans son Histoire maritime de la, France, d'Iberville, Tepee d'une main et son fusil de 1'autre, se jette dans la redoute, mais comme la porte tenait encore a une penture, un anglais qui se trouvait derriere la referma et d'Iberville separe ainsi des siens, ne voyant plus ni ciel ni terre, put se croire un moment perdu. Cependant son courage et sa presence d'esprit ne 1'abandonnerent point, il soutint une lutte corps a corps, dans 1'obscurite, avec les anglais qui etaient la. II en entendit qui des- cendaient d'un escalier ; il tira a tout hasard. Enfin la porte finit par tomber sous les coups redoubles 42 L'OUEST CANADIEN du belier et les canadiens se precipiterent au secours d'Iberville. " Les anglais, a demi-vetus, implorerent quar- tier, et on leur fit grace. Le fort fut remis aux franc.ais. L'action t avait dure environ deux heures." Apres ce premier exploit, qui leur avait si bien reussi, les Canadiens prirent un peu de repos dans le fort, ou une meilleure nourriture les remit des fatigues de leur longue et penible marche. Le fort le plus rapproche de celui de Moose etait celui de Rupert, sur la riviere du meme nom, a Tangle sud-est de la baie James. La distance de Moose a Rupert etait d'environ quarante lieues. Qtielques soldats monterent sur un petit vaisseau trouve dans la rade et firent voile vers le fort Rupert ; le reste de la troupe traversa la baie en canot a travers des glagons flottants. qui venaient du nord pousses par une bise glaciale. Pendant la traversee, ils apergurent un vaisseau anglais qui se dirigeait vers Test. Quand d'Iberville arriva devant le fort Rupert, a la nuit torn ban te, le vaisseau anglais venait de mouiller dans la rade a une portee de fusil. Sur les onze heures du soir, quand on supposa que 1'equipage dormait profondement, des eclai- reurs furent envoyes a la decouverte ; sur leur D'IBERVILLE 43 rapport favorable, d'Iberville resolut d'aller s'em- parer de ce navire et de faire prisonniers tous ceux qui s'y trouvaient. II partit avec deux canots montes seulement par sept braves chasseurs et put arriver aupres du vaisseau sans eveiller 1'attention des sentinelles. M. d'Iberville se hissa sur le tillac sans oppo- sition. Les canadiens, comme des enrages, se precipiterent dans les cabines. Le capitaine, reveille en sursaut, voulut saisir d'Iberville au collet ; mais celui-ci qui etait d'une force peu commune, lui assena un coup de sabre sur la tete et 1'etendit raide mort a ses pieds. Un matelot fut aussi tue dans le premier moment de resis- tance ; tous les autres se rendirent a discretion. Le gouverneur general de la baie d' Hudson se trouva parmi les prisonnniers. " Aussitot apres, dit M. de Catalogne, le signal " de 1'attaque fut donne centre le fort. La porte " principale fut vite enfoncee a coups de belier. " Mais a 1'interieur des palissades, il y avait un " batiment oil 1'ennemi eut pu faire une belle " resistance, s'il n'eut pas perdu la tete." S'il y avait eu la dix hommes solides, ils auraient battu les canadiens. Le batiment a 1'interieur du fort etait en pierre et tres solidement bati ; il avait quatre guerites et un degre en rampe pour monter de plein pied, par consequent le belier etait inutile. 44 L'OUEST CANADIEN La mousqueterie canadienne ne cessait de tirer aux embrasures et aux fenetres ; les deux canons etaient braques centre la porte. Les assieges atteres et affoles ne firent aucun mouvement. Une echelle conduisait sur le haut de la maison ; deux soldats y monterent et par une ouverture pratiquee dans le toit ils se mirent a lancer des grenades dans une salle qui donnait sur toutes les chambres. Le vacarme etait epouvantable : les assieges crurent un moment que 1'enfer, avec tons ses diables, venait de tomber sur le fort. U ne femme, plus brave que les hommes, ouvrit la porte de sa chambre pour se rendre compte de la cause de cette tempete inattendue et imprevue. A la lueur d'une grenade qui eclatait, le com- mandant 1'apergut et lui cria : Madame, retirez- vous dans votre chambre. II courut a la porte principale et 1'ouvrit. D'Iberville se precipita dans la redoute avec M. de Catalogne et plusieurs soldats. D'un bond ils furent rendus dans la grande salle. A travers le bruit que font de tous cotes les assaillants, ils entendent des plaintes qui viennent d'une chambre voisine. Les canadiens, dans leur costume de voyage, penetrent dans cette piece ; a la lueur d'une simple chandelle, ils avaient 1'air de vrais bandits. Un cri dechirant les salue : la dame qui avait ouvert sa porte quelques instants auparavant, D'IBERVILLE 45 avait ete blessee par les eclats de la grenade et gisait ensanglantee sur le plancher. Elle appelle le docteur a son secours. M. de Catalogne repete par toute la maison : le docteur, le docteur ; celui-ci se presente et demande quartier. M. de Catalogne le rassure, le conduit a la chambre de la blessee et met deux sentinelles a la porte pour empecher qui que se soit d'y penetrer. Le fort et toute sa garnison se rendirent au chevalier de Troyes. A 1'aube du jour, la scene etait finie, et les soldats prenaient tranquillement leur dejeuner. La petite troupe se reposa quatre jours au fort Rupert, qu'on eut soin de demanteler com- pletement. II restait encore deux forts aux anglais : le fort Bourbon et le fort Sainte-Anne, (aujourd'hui fort Albany). Ce fut contre ce dernier que le com- mandant dirigea ses soldats. II ne savait ou prendre ce fort, situe sur le cote occidental de la baie. M. d'Iberville, apres avoir appareille le vaisseau qu'il avait capture, mit a la voile pour traverser la baie, ayant avec lui quelques soldats pour equipage. Le reste de la troupe le suivit avec les canots, car le vaisseau ne pouvait guere approcher des cotes a cause des battures qui s'e- tendent tres loin au large. Apres quatre jours de navigation, ils decou- 46 L'OUEST CANADIEN vrirent enfin le fort Sainte- Anne, en amontd'une petite riviere sur laquelle on ne pouvait naviguer qu'avec des vaisseaux plats. Ce fort etait le mieux fortifie de tous sur la baie. II etait flanque de quatre bastions et muni de quarante-trois canons montes en batteries. La garnison etait au complet et il y avait des munitions pour resister longtemps. En face du fort se trouvait une ile ; les canadiens s'en emparerent et y etablirent leur camp, en attendant que le vaisseau, sur lequel etaient les canons, fut arrive. Les anglais qui voyaient executer tous. ces preparatifs de siege, ne faisaient aucun mouve- ment pour s'y opposer. Les vents retenaient toujours le vaisseau au large, et pendant ce temps, les vivres commen- caient a diminuer ; on ne pouvait guere attendre longtemps en cet endroit sans s'exposer a y souffrir de la faim . On tint conseil et il fut resolu de prendre le fort d'assaut. On commencait a construire des echelles quand par bonheur le vaisseau, pousse par une bonne brise, entra dans la rade. On s'empressa de decharger les canons et d'etablir des batteries et des le lendemain le bombardement commen^a. Les assieges repondirent comme des gens bien decides a se defendre. Le 26 juillet, jour de la D'IBERVILLE 47 fete de Sainte-Anne, les canadiens reussirent a. demonter plusieurs pieces du fort ; mais pour continuer la canonnade, ils furent obliges de se faire des boulets avec du plomb. Vers le midi, les assieges envoyerent un canot, portant a son bord un ministre protestant, pour demander au chevalier de Troyes quelles etaient ses intentions : " Je veux absolument," repondit-il " que la place me soit rendue." " Dans ce cas," repondit le ministre " veuillez en conferer avec notre gouverneur." Le commandant alia dans un canot rencontrer le gouverneur au milieu de la riviere et le sort du fort fut decide le jour meme de la fete de Sainte-Anne le 26 juillet. Les articles de la capitulation signes, M. d'Iberville alia prendre possession du fort et les anglais sortirent avec les honneurs de la guerre. Le gouverneur, avec sa suite, fut transporte a Charleston, et les prisonniers faits dans les autres forts furent transported en Angleterre. Dans la prise du fort Sainte-Anne, les cana- diens furent dedommages de leurs travaux par un butin considerable. Les anglais y avaient entas- se pour cinquante mille ecus de pelleteries. II ne restait plus a 1' Angleterre dans la baiequele fort Bourbon, devenu plus tard le fort Nelson. Le 10 aout, le chevalier de Troyes repartait pour Montreal apres avoir laisse les forts sous le commandement de M. d'Iberville, avecde bonnes 48 L'OUEST CANADIEN garnisons. Les soldats furent de retour dans le cours du mois de novembre ; la campagne avail dure huit mois. La conduite du chevalier de Troyes, dans cette expedition, lui merita de grands eloges de la cour, en France. En 1870, on fit grand bruit en Angleterre, au sujet de 1'expedition du colonel Wolsely a Mani- toba. Lesjournaux en parlerent comme d'un fait militaire sans pareil ; c'etait decerner de la gloire a un homme a peu de frais. Wolsely et ses soldats n'eurent a supporter que les fatigues d'une longue marche, sans courir le moindre danger. Le chemin qu'ils suivaient etait bien trace depuis longtemps ; on le nommait : la route Dawson. Les gens y passaient en voiture. Pour traverser les lacs, les soldats de Wolsely avaient de bonnes chaloupes conduites par des indiens ; ils s'avangaient en pays parfaitement connu. Arrives a Manitoba, les mille soldats n'eurent qu'a prendre un fort ouvert, dans lequel ils trouverent deux hommes tres-inoffensifs. La campagne de Wolsely, a Manitoba, devient ridicule si on veut la comparer a 1'expedition du chevalier de Troyes avec ses quatre-vingts cana- diens. " Q uand la nouvelle du desastre cause a labaie " arriva en Angleterre, dit Garneau (Histoire du " Canada), on poussa les hauts cris ; on alia " jusqu'a en accuser le roi d'en etre la cause. Le D'IBERVILLE 49 " monarque qui a perdu la confiance deses sujets " est bien a plaindre." Jacques II, deja si impopulaire, le devint encore bien davantage par cet evenement, que personne assurement n'aurait pu prevoir. Ainsi 1'expedition d'une poignee de canadiens, centre quelques postes de traite a I'extremite du monde, ebranla, sur son trone, un monarque de la Grande- Bretagne. Jusqu'a 1692, les francais garderent les forts dont ils s'etaient empares. En 1693 1'Angleterre reussit a reprendre le fort Sainte-Anne qui n'etait garde que par cinq canadiens. Un historien anglais, le Reverend Bryce de Winnipeg, pretend qu'en 1'annee 1688, deux ans apres 1'expedition du chevalier de Troyes, un jeune anglais (i) partit de la baie d' Hudson pour faire une excursion dans 1'interieur du pays, et qu'il eut la gloire de decouvrir la Riviere Rouge, cinquante ans avant le sieur de la Verendrye. Si le Revd. Bryce eut connu son histoire de la baie d' Hudson, et s'il eut pris la peine de se renseigner sur la geographic de cette partie du pays, il eut evite de revendiquer, pour un des siens, un honneur qui ne lui appartient pas. Pendant onze ans, les anglais n'ont eu qu'un seul fort sur le littoral de la baie d' Hudson ; tout le (I) Henry Kelsey. 50 L'OUEST CANADIEN reste du pays etait au pouvoir des frangais, dont les anglais avaient une peur folle, a tel point, que jamais ils n'avaient ose s'aventurer dans une ex- ploration vers 1'ouest par crainte des sauvages et des frangais. Est-il probable, que la Cornpagnie va entreprendre de faire des decouvertes dans un moment ou les frangais sont a sa porte et ou elle a besoin de toute sa prudence pour conserver un pied a terre dans ce pays. Mais en admettant que Henry Kelsey eut fait, comme il le dit, un voyage de cinquante-cinq jours, aller et retour, jusqu'ou se serait-il rendu dans le sud-ouest en suivant les sauvages a travers des deserts comme ceux du Nord ? II se serait rendu a deux cent cinquante milles tout au plus, meme en supposant qu'il eut fait, en moyenne, dix milles tous les jours sans perdre une seule journee. Tous ceux qui ont voyage avec les sauvages a travers les bois, savent qu'ils ne font ordinairement que dix a douze milles par jour, car ils sont obliges de vivre de chasse et de courir apres le gibier. Or la distance entre la baie d'Hudson et le Dakota, ou le Revd. Bryce pretend que Kelsey a assiste a une chasse au buffalo, est de huit cents milles. II serait done reste cinq cent cinquante milles a faire a M. Kelsey pour arriver dans les prairies de 1'Ouest, soit a la Riviere Rouge, ou dans le Dakota. D'IBERVILLE 51 Cette simple donnee geographique prouve que Henry Kelsey a fait un rapport fantaisiste, s'il a pretendu avoir decouvert les plaines de la Riviere Rouge. En 1694, M. d'Iberville voulut tenter de re- prendre le fort Bourbon qui etait le plus important. II partit de Quebec au mois d'aout, avec deux vaisseaux, Le Poll qu'il commandait lui-meme et La Salamandre confie a M. de Sevigny son frere. II arriva a la baie le 24 septembre. Aussitot que les vaisseaux furent entres dans la rade, il fit descendre tout son monde avec ses canons et commenca a etablir ses batteries. Dans le fort Bourbon, il y avait trente-deux canons, quatorze pierriers et cinquante homines pour le defendre. ,** Depuis le 25 septembre jusqu'au 14 octobre, " dit Jeremie (i) dans son journal, nous ne ces- " sames pas un instant de harceler la garnison qui " demanda enfin a capituler et se rendit a condition " d'avoir la vie sauve, ce que nous lui accordames " facilement. M. d'Iberville fit son entree le 15 " octobre ; et la riviere sur laquelle est situe le " fort prit le nom de riviere Sainte-Therese, parce " que le fort passa aux mains des fra^ais lejour (I) Fransais qui fatsait partie de 1'exp^dition de M. d'Iberville. 52 L'OUEST CANADIEN ' de la fete Sainte-Therese, le i 5 octobre (i 694.) " Nous perdimes en cette occasion le frere de M. " d'Iberville. Le fort etait assez bien fourni de " toutes sortes de marchandises et de munitions, " tant de guerre que de bouche. Nos navires " hivernerent la parce que la saison etait trop " avancee pour retourner en Europe." Durant 1'hiver, la garnison eut beaucoup a souffrir du scorbut et une vingtaine d'hommes moururent. M. d'Iberville ne put repartir avec ses vaisseaux qu'a la fin de juillet (1695) pour retourner en France. II laissa au fort Bourbon 67 hommes sous le commandement de M. de Laforest. M. de Martigny etait lieutenant et Jeremie enseigne. Un missionnaire, le pere Marest, jesuite, qui avait accompagne cette ex- pedition, demeura a la baie d'Hudson pour donner ses soins a la garnison, et essay er d'instruire les naturels du pays. Les frangais ne resterent pas longtemps, les paisibles possesseurs du fort Bourbon. Le 2 septembre 1 696, les anglais arriverent a la baie avec quatre vaisseaux de guerre et une galiote a bombe. M. de Sevigny qui etait parti de La Rochelle avec deux petits navires, Le Martyr et Le Dragon arriva deux heures apres les anglais, mais comme ceux-ci occupaient deja la rade, il ne put donner aucun secours aux frangais D'IBERVILLE 53 et fut oblige de retourner en France pour ne pas s'exposer a perir dans les glaces. Les anglais commencerent 1'attaque le 5 sep- tembre, et des le lendemain, quatre cents hommes firent une descente vers le fort. Le commandant francais, M. de Laforest, ordonna a quatorze de ses hommes de sortir des retranchements, d'aller s'embusquer dans les buissons pours'opposer aux anglais et les empecher d'approcher trop pres du fort. M. Jeremie les commandait. Ces quatorze hommes savaient si bien cacher leur nombre et tiraient si a propos que les anglais n'osaient pas s'avancer de peur de tomber dans quelqu'em- buscade ; ils se bornerent a lancer des bombes sans cependant causer de grands dommages. A la fin, les fran9ais, voyant leurs vivres et leurs munitions s'epuiser et n'attendant aucun secours d'Europe, songerent a capituler. Croyant avoir affaire a une nombreuse garni- son, qui pouvait les tenir longtemps en echec et les exposer a souffrir beaucoup des rigueurs de la saison, les anglais se montrerent extremement faciles et genereux sur les conditions de la capi- tulation. Ils promirent aux frangais de les faire transporter sur des terres fran9aises et leur don- nerent la permission d'emporter avec eux tous leurs effets. Mais quand les anglais virent la poignee d'hommes a qui ils avaient affaire, ils eurent honte d'avoir capitule a si bon marche et 4 54 L'OUEST CANADIEN a cette honte ils ajouterent celle de violer leur promesse. Au lieu de faire conduire les soldats honorablement jusqu'en France avec leurs effets, comme ils s'y e"taient engages, ils pillerent tout, marchandises et pelleteries et transporterent leurs prisonniers en Angleterre, ou ils languirent en prison pendant quatre mois. Enfin, apres ce laps de temps, ils furent remis en liberte et purent repasser en France ou Ton faisait deja les arme- ments de quatre vaisseaux de guerre pour aller reprendre a la bale d' Hudson le poste perdu 1'annee precedente. Le commandement de cette petite flotte fut confie a M. d'Iberville ; ces vaisseaux etaient le Pelican de cinquante canons, le Palmier de quarante canons, le Profond et la Violente. M. d'Iberville avait avec lui son frere, M. de Sevigny. Lorsque les vaisseaux penetrerent dans la baie, ils la trouverent encore toute remplie de glaces flottantes ; ils furent obliges de se separer pour eviter de se briser les uns centre les autres, M. d'Iberville prit les devants. M. Duguay qui commandait le Profond fut pousse vers le nord par les courants. Dans sa route, il rencontra trois vaisseaux anglais centre lesquels il se battit pour eviter d'etre capture. Les trois vaisseaux anglais etaient le Hampshire, le Deering et le Hudson, tous trois se rendant a 1'interieur de la baie pour fortifier le poste Bourbon. D'IBERVILLE 55 Dans ces regions polaires, la navigation pre- sente a chaque instant des dangers qui deman- dent, de la part des marins, une habilete et une hardiesse peu communes. Les flots de la mer sont lourds comme le ciel qui les couvre. La plus grande partie de 1'annee, des montagnes de glaces flottantes y obstruent la navigation. Pour peu que la mer soit agitee, ces enormes banquises menacent constamment de broyer les vaisseaux qui s'aventurent dans ces dangereux passages. M. d'Iberville eut bientot perdu de vue les trois autres navires, et Ie4sep- tembre, il entra seul dans la rade du port Bour- bon. Le 5, il envoy a la chaloupe a terre avec 25 hommes de 1'elite de son equipage ; il n'avait pas eu connaissance des vaisseaux anglais a 1'entree de la baie et, par consequent, il ne se tenait nullement sur ses gardes. Le 6, pendant que ses vingt-cinq hommes etaient encore a terre, M. d'Iberville aperut, a quelques lieues au large, trois voiliers qui sem- blaient louvoyer pour se diriger vers lui ; il crut que c'etaient ses vaisseaux qui arrivaient. II donna les signaux de reconnaissance, mais ne recevant pas de reponse, il comprit qu'il allait avoir affaire a trois vaisseaux ennemis qui venaient le bloquer dans la rade. La position etait des plus critiques pour M. d'Iberville ; une partie de son equipage etait absente ; ses vaisseaux n'ap- 56 L'OUEST CANADIEN paraissaient pas pour lui apporter secours ; il ne lui restait done qu'a choisir entre le combat ou la reddition. " Le Hampshire etait un gros vaisseau de guerre portant cinquante-six canons, le Deering en portait trente-six et \Hudson trente-deux. Le vaisseau de M. d'Iberville portait cinquante pieces de canons, mais son equipage n'etait pas au com- plet ; vingt-cinq de ses meilleurs hommes etaient a terre, la partie etait done inegale. M. d'Iber- ville prefera payer d'audace et courir les chances du combat plutot que de se livrer aux anglais ; il leva 1'ancre et sortit hardiment de la rade. " Quand les anglais le virent ainsi s'approcher seul, ils crurentqu'ils allaient en avoir bon marche ; trois contre un, le combat ne pouvait pas etre long, ni le resultat douteux pour eux. Les trois vaisseaux s'avangaient ranges en ligne, le Hamp- shire en tete. Ils s'attendaient si peu a une re- sistance que 1'intrepidite de M. d'Iberville leur en imposa un moment. " A neuf heures et demie le combat s'engagea. Le Pelican voulut aborder tout de suite le Hampshire. M. de la Potherie, a la tete d'un detachement canadien, se tenait pret a sauter sur son pont, mais celui-ci 1'evita. Alors M. d'Iber- ville rangea le Deering et \Hudson en leur lachant ses bordees. Le Hampshire, revirant de bord, s'attacha au Pelican, le couvrit de mous- D'IBERVILLE 57 queterie et de mitraille et hacha ses manoeuvres. Le feu etait extremement vif sur les quatre vais- seaux. Pendant plus de deux heures, M. d'lber- ville manceuvra pour eviter la mitraille des enne- mis qui cherchaient a le couler a fond. Jamais marin depuis Jean Bart ne deploya tantd'adresse. Enfin, apres trois heures de combat, le Hamp- shire, courant pourgagner le vent, recueille toutes ses forces et pointe ses pieces pour couler has son adversaire. M. d'Iberville qui a prevu son dessein le prolonge vergue a vergue. Ses boulets et la mitraille font un terrible ravage. Le Peli- can redouble son feu, pointe ses canons si juste et lache une bordee si a propos que son fier ennemi fit tout au plus sa longueur de chemin et sombra sous voile. Pas un seul homme de 1'e- quipage ne fut sauve. " Aussitot apres, M. d'Iberville court droit a \ Hudson, qui etait au moment d'entrer dans la riviere Sainte-Therese ; mais celui-ci se voyant sur le point d'etre aborde, amena son pavilion. Le Deering; auquel on donna la chasse, reussit a s'echapper." (i) Cette victoire donna toute la baie d'Hudson aux francais. Le fort Bourbon, attaque quelques jours apres, se rendit a la condition que les assieges seraient transported en Angleterre. Cette con- (l) Garneau, Histoire a'u Canada. 58 L'OUEST CANADIEN dition fut remplie a la lettre, les frangais se mon- trant ici plus fideles a leur parole que ne 1'avaient ete les anglais deux ans auparavant lors de la prise du meme fort. Le dernier poste que les anglais avaient a la baie d'Hudson leur echappait ; ils n'avaient plus la un seul pouce de terrain. La France demeura maitresse de tout ce pays jusqu'a 1'annee 1713, ou, par le honteux traite d' Utrecht, la baie d'Hud- son retourna a 1'Angleterre, qui 1'a possedee jusqu'a cejour. SON EXPLOITATION 59 CHAPITRE I. SOMMAIRE. Jusqu'ou p^netrerent les Trappeurs dans 1'Ouest avant M. de la Vrendrye. Voyage du canadien De Noyon au lac des Bois. Divers projets d'expl oration. II est certain que, des les premiers temps de la colonie canadienne sur les bords du St-Laurent, les chasseurs, coureurs des bois, emportes par 1'esprit d'aventure et epris des charmes de la vie sauvage, s'avancerent tres loin chez les indiens de 1'Ouest. II est meme probable que plusieurs de ces trappeurs se fixerent au milieu d'eux et ne revinrent plus a la vie civilisee. Ces blancs qui adopterent la vie sauvage, etaient braves, hardis, entreprenants et ne craignaient aucun danger. La vie civilisee qu'ils avaient menee d'abord leur donnait une grande superiorite sur les plus habiles d'entre les indiens. Ceux-ci les admettaientdans leurs conseils et souvent ils les choisissaient pour chefs de leur tribu, a cause des ressources qu'ils inventaient pour se tirer d'embarras dans les cir- constances difficiles. La vie aventureuse des trappeurs canadiens, 60 L'OUEST CANADIEN dont beaucoup de romanciers ont fait leurs heros, a ete peut-etre plus reelle qu'on ne le croit. Les premiers missionnaires qui penetrerent chez les indiens de 1'Ouest ont retrouve des types frappants de descendants de race blanche, melee a la race sauvage. La couleur des cheveux et des yeux, la forme arrondie de la figure empe- chaient toute meprise, sur le melange de leur sang. On ne se trompe jamais sur les individus de pure race indienne. Les pommettes de leurs joues sont saillantes et leur chevelure est toujours noire et crepue. Le fameux Pond Maker, ce chef cris qui a joue un role si important dans la guerre du Nord- Ouest, en 1885, quoique ne dans une tribu sau- vage, avait certainement du sang francais dans les veines. Sa belle et ondoyante chevelure chatain clair, ses yeux bleus et doux ne deno- taient pas le sauvage pur sang. 35- * En 1'annee 1688, un canadien du nom de De Noyon, ne aux Trois-Rivieres, hiverna chez les sauvages dans les iles du grand lac des Bois. Au retour de son voyage, il donna un rapport tres detaille de la route qu'il avait suivie pour se rendre au lac 011 il avait passe 1'hiver. Dans un memoire joint a une lettre de MM. SON EXPLOITATION 61 de Vaudreuil et Begon, adressee a Mgr le due d'Orleans le 1 3 fevrier 1717, nous lisons ce rapport in extenso : " En sortant, on entre dans la riviere Kami- " nistigoya. On remonte cette riviere pendant " dix lieues, apres quoi il y a un portage d'environ " dix arpents ou Ton hisse les canots. Apres ce " portage, il y a un rapide d'environ deux lieues " et du dit rapide il y a un portage d'un arpent. " A trois lieues du dit portage, il s'entrouve un " autre d'une lieue, nomme le portage du Chien, " apres lequel on tombe dans un lac d'environ " trois lieues de long, pour rejoindre la meme " riviere Kaministigoya que 1'on suit pendant " quinze lieues. Ensuite de quoi Ton trouve un " portage d'une lieue et la se trouve un lac qui n'a " point de decharge etant au milieu d'une " savane. (i) , " Ce lac a environ dix arpents de traverse et " est a hauteur des terres. " Au bout de ce lac, on fait un portage dans " une savane d'environ une lieue ; ensuite Ton " tombe dans une riviere qui a environ dix lieues " et qui descend dans un lac qu'on nomme le lac " au Canot. On marche dans ce lac environ six " lieues sur la droite et on entre dans une anse, ou " Ton fait un portage dans une pointe de trembles (i) La Compagnie du Pacifique a la aujourd'hui une station assez im- portante appele Savane. 62 * L'OUEST CANADIEN " que Ton traverse, d'environ trois arpents. De " la, on tombedans une petite riviere remplie de " folles avoines ; et dans laquelle on marche " pendant deux jours en canot, faisant dix lieues " par jour. Apres cela, on arrive a une chute ou " Ton fait un portage d'environ un arpent. " Au bout de ce portage se trouve un detroit " de roches d'environ un arpent et qui torn be a " 1'embouchure du lac des Cristinaux. Ce lac a " environ cinq cents lieues de tour. On en longe " le cote a gauche 1'espace de huit lieues au bout " desquelles le lac se decharge et forme la riviere " Takimamiwen, autrement appelee Ouichichick " par les Cris. On descend cette riviere pendant " huit jours sans rencontrer aucun rapide sur un " parcours de quatre-vingts lieues. (i ) " A deux lieues, dans 1'entree de cette riviere, " il faut cependant faire un petit portage I'un " arpent environ. En sortant de cette riviere on " tombe dans le lac des lies, autrement appele lac " des Assiniboines par les gens de la Pierre Noire. " Ce lac, sur la cote sud, est borde de pays " peles tandis que la cote nord est couverte de " toutes sortes de bois et bordee d'une multitude " d'iles. Au bout de ce lac, il se trouve une " riviere qui tombe dans la mer de 1'Ouest, d'apres " le rapport des sauvages." (i) Ceite riviere est la riviere de la Pluie. SON EXPLOITATION 63 Les sauvages avaient offert a de Noyon de I'emmener avec eux a la mer de 1'Ouest. Le memoire ci-dessus nous prouve d'abord, que la route depuis le lac Superieur jusqu'au lac des Bois et meme jusqu'a la riviere Winnipeg, avait ete exploree longtemps avant le voyage de M. de la Verendrye. C'est d'ailleurs la route qu'il suivit lui-meme pour se rendre a 1'endroit ou il batit le fort Saint-Charles ; et c'est exactement la route que suivirent plus tard tous les voyageurs, au service des Compagnies de traite. Les noms que ces premiers explorateurs donnerent aux rivieres et aux portages ont ete presque tous conserves jusqu'a ce jour. On reconnait le lac Winnipeg dans cette mer de 1'Ouest dont par- laient les sauvages et a laquelle ils arrivaient par la riviere Winnipeg qui est une decharge du lac des Bois. Les sauvages qui donnaient ces renseigne- ments, etaient de ceux qui avaient fait le voyage a la baie d' Hudson. Ils y avaient vu des vaisseaux sur la mer, entendu les detonations du canon, admire les solides constructions des forts ; ils y avaient ete temoins du flux et reflux de la mer qui se fait sentir tres loin dans 1'embouchure des rivieres autour de la baie. Tous ces details qu'ils donnaient aux frangais, faisaient soupconner a ceux-ci que la mer de 1'Ouest n'etait pas tres loin du lac Superieur. II a fallu bien des annees pour 64 L'OUEST CANADIEN se desillusionner sur ce point. La route que suivaient les indiens etait celle de la riviere Winnipeg, du lac Winnipeg et de la riviere Nelson. En 1'annee 1717, Monsieur de la Noue fut envoye a Kaministigoya pour y batir un fort qu'il occupa jusqu'a 1'annee 1721. Pendant son sejour dans ce fort, il invita toutes les tribus de 1'Ouest a venir lui donner des renseignements sur leur pays. Comme d'ordinaire, ces renseignements donnes par les sauvages furent loin d'etre exacts. A son retour a Quebec, M. de la Noue ecrivit au Gouverneur que tout ce qu'il avait appris de plus certain sur le Nord- Quest : " c'etait qu'il y faisait un froid excessif et qu'il etait impossible d'y cultiver aucun grain." L'experience a prouve aujourd'hui que cette derniere affirmation est completement fausse, puisque le Nord-Ouest est repute le grenier de 1'Amerique. Quant au froid, il n'est pas plus intense que dans le nord de 1'Europe, habite et cultive depuis des siecles. " Cependant, ajoutait M. dela Noue dans son rapport ; c'est 1'endroit qui fournit la meilleure pelleterie et c'est ce qui fait tout le commerce des anglais a la baie d'Hudson. Pour empecher les sauvages d'y aller, il faudraitfaire un etablissement a Takimamiwen qui est a cent lieues de Kami- SON EXPLOITATION 65 nistigoya et dans les terres situees sur le bord d'un lac qui porte ce nom. (i) Puisque le pays, a 1'ouest du lac Superieur jusqu'au lac des Bois, etait connu depuisquarante ans, lorsque M. de la Verendrye entrepritd'aller a la decouverte de la mer de 1'Ouest, cette mer tant cherchee par les voyageurs, comment se fait-il que personne en Canada n'avait encore ose en- treprendre une expedition de ce cote ? On se contentait de faire des rapports au roi de France, pour lui parler des immenses avantages que le pays retirerait du commerce des fourrures, dont ces contrees abondaient ; mais la se bornait tout le zele des officiers au service du roi en Canada. Si 1'ambition d'attacher son nom a une oeuvre aussi importante eut suffi pour mener cette entreprise a bonne fin, les hommes avides de re- nommee et anxieux de tenter la fortune n'eussent pas manque dans la colonie franchise, mais il fallait en outre des qualites qui ne sont pas toujours 1'apanage des ambitieux : un peu de fortune, beaucoup d'energie, des forces physiques et morales capables de surmonter les obstacles de la nature et de supporter les persecutions des jaloux ; mais, surtout, le noble motif d'agir pour Dieu et son roi, voila ce qui manquait en tout ou (t) Ce nom sauvage Taki-mamiwen est une corruption des deux mots cris : Taki kimiwen, il pleut toujours, de 1& lac de la Pluie, toujours il pleut. 66 L'OUEST CANADIEN en partie a ceux qui eussent desire immortaliser leur nom dans la decouvertedelamerdel'Ouest. Le roi de France ne voulait rien fournir de son tresor pour aider en quoi que ce soit 1'expedition ail Nord-Ouest. Les officiers frangais qui'avaient du service danslacolonie,voulaientd'abordfaireleurs affaires, '.out en faisant un peu celles du roi. En France, on ne soupgonnait guere les depenses exorbitantes qu'entrainaient ces decouvertes et ajoutons qu'on s'y interessait peu a cetteepoque ou la Cour etait plus occupee de ses plaisirs que de 1'agrandisse- ment de ses colonies. Cependant les temps etaient arrives, dans les desseins de la divine Providence, de faire briller les lumieres de la foi, aux yeux des nombreuses peuplades infideles de ces deserts inconnus. Cest alors que Dieu inspira au cceur d'un noble canadien, au sieur Pierre Gaulthier de Varennes dela Verendrye, ne aux Trois-Rivieres, Theroique resolution de faire, a ses propres frais, la decou- verte de 1'ouest et de risquer dans cette entreprise toute sa fortune et 1'avenir de sa famille. CHAPITRE II. SOMMAIRE. M. de la Verendrye ; sa determination a tenter la d^couverte du Nord- Ouest. Son depart de Montreal. Son arrivde au grand lac Superieur. Le Grand Portage. Retard dprouve en cet endroit. Etablissement du fort Saint-Pierre par M. de la Jemmeraie au lac la Pluie. Domtnages causes a M. de la Verendrye durant 1'hiver. Retour des voyageurs du lac la Pluie au printemps de 1732. M. de la Verendrye continue son voyage ; il se rend au lac des Bois et construit le fort St-Charles. Pierre Gaulthier de Varennes de la Verendrye, fils de Rene Gaulthier de Varennes etait ne aux Trois-Rivieres, en 1686 ; il etait age de quarante ans, lorsqu'il prit la determination d'aller a la decouverte des pays a 1'ouest du grand lac Superieur. A 1'age de dix-huit ans, en 1704, il avait fait une campagne dans la Nouvelle-Angle- terre et une autre 1'annee suivante, dans 1'Ile de Terre-Neuve. Revenu aux Trois-Rivieres, comme il avait du gout pour 1'art militaire, il s'engagea au service de la France et passa en Europe. En 1 709, il assistait a la bataille de Malplaquet, ou il regut neuf blessures. Apres quelques annees passees dans 1'armee franchise, il revint au Canada et en 1 728 commandait au 68 L'OUEST CANADIEN poste de Nipigon sur les bords du lac Superieur. Ce fut dans ce poste qu'il prit ses premiers renseignements sur les grands pays de 1'ouest. II descendit a Montreal en 1730, pour com- muniquer son projet a M. de Beauharnois gou- verneur du pays qui 1'approuva. Pendant 1'hiver de 1730 a 1731, il fit des arrangements avec des marchands qui devaient lui fournir des effets pour la traite des pelleteries chez les indiens ; il engagea son monde et, au printemps, il partit de Montreal ayant, avec lui, trois de ses fils, son neveu M. de la Jemmeraie et cinquante hommes pour conduire les canots et porter les bagages. (i ) Quoique le chiffre des hommes engages ne soit pas mentionne dans le journal de M. de la Veren- drye, cependant il est certain qu'il s'eleva a cin- quante, car nous lisons dans plusieurs lettres adressees a la cour de France, relativement au projet de la decouverte du Nord-Ouest, que pour une premiere tentative il fallait partir avec au moins cinquante hommes. (2) (1) M. de la Jemmeraie qui partit avec M. de la Ve"rendrye elait le frere de la Venerable Mere d'Youville, fondatrice de la communaute' des Speurs Crises de Montreal. (2) Dans un memoire du roi de France, adresse au Marquis de Vau- dreuil, en 1717, Sa Majeste approuve le projet d'aller 6tablir des postes, a Kaministigoya, au lac de la Pluie et au lac des Bois. " Pour realiser ce projet, dit-il, il est necessaire d'avoir cinquante bons ' voyageurs, dont vingt-quatre occuperonf les trois postes et les vingt- ' six autres seront employes a faire la decouverte depuis le lac des " Bois jusqu'a la mer de 1'Ouest." M. DE LA VERENDRYE 69 M. de la Verendrye s'associade plusquelques marchands pour 1'aider a supporter les frais de son entreprise. "J'associai, dit-il, plusieurs personnes avec moi, afin de pouvoir plus facilement fournir aux depenses que cette entreprise pourrait occa- sionner et je pris en passant a Missilimakinaw le Pere Messaigerjesuite, pour notre missionnaire." Comme tous les decouvreurs des pays nou- veauxde I'Amerique, M. de la Verendrye voulut avoir un pretre avec lui. Ces hommes de foi ne partaient jamais pour des expeditions lointaines sans se mettre sous 1'egide de la religion et sans avoir avec eux un missionnaire. Pour se faire une idee des difficultes qu'on rencontrait alors en voyageant dans ces pays sauvages, il suffit de dire que, malgre toute la diligence apportee par les voyageurs, il leur fallut soixante et dix-huit jours pour franchir la dis- tance entre Montreal et la baie du Tonnerre sur le cote nord du lac Superieur. Aujourd'hui, on parcourt cette meme distance en deux jours par les chars du Pacinque Canadien. " Nous arrivames, dit M. de la Verendrye, le 26 aout, au Grand Portage du lac Superieur, qui est a quinze lieues de Kaministigoya." Cette riviere Kaministigoya se jette dans le lac Superieur tout pres de Port Arthur. C'est de ce point (le Grand Portage) que les 5 70 L'OUEST CANADIEN voyageurs devaient quitter les bords du lac pour s'aventurer dans 1'interieur des terres. De la, pour atteindre une riviere navigable, il y avait un portage de dix milles a traverser. Les portages, sont des endroits ou la naviga- tion se trouvant interrompue, soit par une chute ou un rapide, les voyageurs sont obliges de transporter par terre, sur leur dos, les marchan- dises et les canots jusqu'a une autre partie navi- gable de la riviere. Un long portage est toujours pour les canotiers une corvee redoutable. Les hommes de M. de la Verendrye, deja harasses par les fatigues d'un long voyage, furent epouvantes, quand on leur proposa d'entreprendre la traverse du Grand Portage. Voici comment M. de la Verendrye rend compte du malheureux contre-temps qu'il eprouva a cet endroit. " Le 27 aout, tout notre monde epouvante de la longueur du portage qui est de trois lieues, se mutina et tous me demanderent de relacher. Mais, a 1'aide de notre Pere missionnaire, je trouvai moyen de gagner quelqu'un parmi le nombre de mes engages pour aller, avec mon neveu qui etait mon second etmon fils, etablir un poste au lac de la Pluie. J'en eus assez pour equiper quatre canots. Je fis faire sur le champ le portage et leur donnai un bon guide. " Je fus oblige d'hiverner a Kaministigoya, ce qui m'a fait un tort notable, tant pour le paiement M. DE LA VERENDRYE 71 de mes engages et les marchandises dont j'etais charge, sans aucune esperance de pouvoir rien retirer de tous ces frais qui etaient considerables." (Memoire du Sieur de la Verendrye.) Comme nous 1'avons dit plus haut, toute la route depuis le lac Superieur jusqu'au lac des Bois etait deja exploree depuis plusieurs annees, aussi M. de la Verendrye ne parle pas de decou- verte pour cette partie du pays. II envoie son neveu et son fils au lac de la Pluie, comme a un endroit connu, pour y batir un fort qui lui ser- virait de premiere etape. Monsieur de lajemmeraie atteignit heureuse- ment le lac de la Pluie avec tout son monde, assez tot pour y construire, avant 1'hiver, un fort auquel il donna le nom de Fort Saint- Pierre. Pendant 1'hiver il se mit en rapport avec les sauvages, et les invita a venir echanger leurs pelleteries avec les frangais ; mais 1'arrivee de ces etrangers n'ayant pas ete connue assez tot, les sauvages ne vinrent au fort qu'en tres petit nombre. Au printemps, le fils de M. de la Verendrye revint au Grand Portage rendre compte a son pere des travaux executes au lac de la Pluie. II arriva le 29 mai au lac Superieur, rapportant avec lui quelques pelleteries, faible dedommage- ment des pertes occasionnees a son pere depuis Tautomne precedent. *72 L'OUEST CANADIEN " A 1'arrivee des canots que j'avais envoyes dans les terres, dit M. de la Verendrye, j'envoyai mon fils a Missilimakinaw pour porter le peu de pelleteries qui m'etaient venues et pour rapporter les effets qui devaient me venir de Montreal." Le 8 juin, M. de la Verendrye se mit en route avec tout son monde, bien determine a pousser 1'exploration aussi loin que ses moyens et ses forces le lui permettraient. II eut grand soin tout le long de la route de faire accommoder les portages par ou il aurait a passer dans la suite. Le 14 juillet, il arriva au fort Saint- Pierre. Ce fort etait construit a la decharge du lac de la Pluie. La, plus de cinquante canots, montes par les indiens, attendaient pour accompagner plus loin les decouvreurs. Monsieur de la Verendrye ne s'arreta au fort, que pour en examiner les travaux et pour prendre de nouvelles provisions, puis il continua sa route, escorte par les canots des sauvages. Au mois d'aout les explorateurs entraient dans le grand lac des Bois que les sauvages designaient sous le nom de lac des lies a cause de la multitude d'iles qu'il renferme. Us cotoyerent la rive sud du lac, puis pousserent al'ouest jusqu'a 1'embouchure d'une petite riviere qui se decharge dans le lac a 1'endroit connu aujoud'hui sous le nom de \Angle Nord- Quest. Get endroit parut M. DE LA VERENDRYE t3 propre a M. de la Verendrye pour y construire un fort. D'apres une lettre du Pere Auneau qui passa 1'hiver dans ce fort, en 1735, le fort fut construit sur la petite riviere a trois milles de son embou- chure (Lettre du Pere Auneau 1735.) Ce second fort fut appele Fort Saint-Charles. Le plan de M. de la Verendrye etait de faire de cette place le centre de ses operations entre Test et 1'ouest. Son fils qu'il avait envoye a Missilimakinaw ne fut de retour au fort Saint-Charles que le 12 novembre. Les glaces etaient deja formees sur le lac ; le convoi fut oblige de laisser les canots a dix lieues du fort et de transporter a dos les provisions et les marchandises pour la traite. Ce premier contretemps eprouve au fort Saint- Charles devait etre suivi de beaucoup d'autres. , M . de la Verendrye avait choisi ce fort pour etre le centre de ses operations entre Test et Fouest, et dans les desseins de la Providence, c'etait le lieu 011 il aurait a supporter les plus cruels chagrins et les plus dures ^preuves. 74 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE III SOMMAIRE. Projets de M. de la Verendrye au printemps de 1733. M. de la Jemmeraie descend a Montreal. Le Pere Messaiger s'en retourne. Me"comptes de M. de la Ve'rendrye trompe" par ses fournisseurs. Impossibility pour le moment de continuer la ddcouverte Le fils aine" de M. de ia Ve'rendrye est envoy6 au bas de la riviere Maurepas pour y batir un fort. Mort de M. de la Jemmeraie. Au printemps de 1733, M. de la Verendrye avait forme le dessein d'aller batir un fort aux environs du lac Winnipeg. Les tribus du nord insistaient pour cela aupres de lui ; c'etait d'ail- leurs 1'unique moyen d'attirer tout le commerce des pelleteries chez les franc.ais, et d'empecher les sauvages d'aller a la baie d'Hudson. II eut bien voulu executer immediatement son plan, mais son conseil lui fit remarquer qu'il valait mieux, avant de pousser 1'exploration plus a 1'ouest, attendre que les canors, envoyes a Missilima- kinaw, fussent de retour. Pendant ce temps, M. de la Verendrye envoya a Montreal son neveu M. de la Jemmeraie pour rendre compte au gouverneur des travaux deja faits, de la maniere favorable dont il avait ete regu par les nations M. DE LA VERENDRYE 75 sauvages, et des nouvelles connaissances que ces sauvages avaient donnees sur 1'ouest. Le Pere Messaiger, incommode par la rigueur du climat, profita du voyage de M. de la Jern- meraie pour retourner a Montreal. Les canots envoyes a Missilimakinaw devaient rapporter des marchandises pour la traite ; c'etait la-dessus que M. de la Verendrye comp- tait pour se rembourser de ses depenses et se mettre en etat de continuer 1'exploration. Malheureusement les affaires n'avaient pas marche aussi bien qu'il 1'esperait. Au printemps de 1733, il n'arriva qu'un seul canot allege, au fort Saint- Charles. Les nouvelles qu'il apportait etaient mauvaises. Les gardiens, laisses par les interesses pour prendre soin des marchandises et faire la traite, avaient tout depense et mainte- nant il fallait attendre 1'automne pour equiper les autres canots. Ceux-ci n'arriverent qu'au mois de septembre au fort Saint- Charles et encore etaient- ils tres mal assortis. Ce facheux contretemps mit M. de la Verendrye dans 1'impossibilite de rien faire pour la decouverte. II passa 1'hiver de i 733 a 1 734 au fort Saint-Charles avec tout son monde. Les sauvages assiniboines ayant renouvele leurs instances pour avoir un fort dans leur voisi- nage, M. de la Verendrye envoya son fils aine, au commencement de mars, au bas de la riviere 76 L'OUEST CANADIEN Maurepas pour explorer ce lieu et y choisir un endroit convenable pour un fort., Celui-ci fut de retour de cette exploration le 2/mai (I734-) Vu le mauvais etat de ses affaires, M. de la Verendrye se decida a descendre a Montreal. II mit tout en ordre au fort Saint-Charles, donna commission a son fils de partir avec trois canots bien equipes pour aller construire le fort Maure- pas aussitot que M. de la Jemmeraie serait de retour au fort Saint-Charles, dont il devait avoir la garde pendant 1'absence de M. dela Verendrye. M. de la Verendrye arriva a Montreal le 25 aout 1 734. II rendit compte des etablissements qu'il avait faits et de ses esperances pour 1'ave- nir; il fit part au gouverneur de tout ce que ces decouvertes promettaient de bien pour la colonie et de 1'honneur qui en resulterait pour la France. Cet expose le fit accueillir tres favorablement et lui valut 1'honneur de recevoir de nouveaux ordres pour continuer la decouverte. Le 6 juin, il repartit de Montreal pour le fort Saint- Charles, 011 il arriva le 6 septembre (1735.) II le trouva completement denue. Les vivres manquaient. La recolte du riz sauvage avait ete detruite a cause de 1'abondance des eaux. C'etait une ressource importante de moins. Les indiens en souffraient comme les franc.ais ; cette disette les fo^aient a s'eloigner dans les bois M. DE LA VERENDRVE < < atin de pourvoir a leur subsistance par la chasse. Sitot apres son arrivee, M. de la Verendrye envoya son neveu rejoindre son fils aine au fort Maurepas. "Je 1'equipai, dit-il, de ce que j'avais apporte pour ma decouverte, dans 1'esperance que les interesses me rendraient les avances que je faisais pour eux." Avant son depart de Montreal, M. de la Verendrye avait donne a ses fournisseurs la traite et le commerce des postes qu'il etablissait. Le Pere Messaiger qui etait retourne a Mont- real pour cause de sante, fut remplace par le Revd Pere Auneau, S. J., en 1735 ; il etait parti de Montreal avec M. de la Verendrye. Pendant longtemps, a la Riviere Rouge, ceux qui ont parle des voyages de M. de la Veren- drye, ont ete sous 1'impression que le premier missionnaire qui s'etait rendu a Winnipeg etait le Pere Messaiger. Nous venons de voir qu'il n'alla pas plus loin que le lac des Bois. Son successeur, le Pere Auneau, ne vit pas, lui non plus, la riviere Rouge. D En remontant de Montreal au fort Saint- Charles, M. de la Verendrye avait devance les canots qui apportaient ses marchandises et ses provisions. II les attendait de bonne heure a I'automne pour la traite et pour nourrir son monde. Mais, par la mauvaise manoeuvre du 78 L'OUEST CANADIEN conducteur, ces canots ne se rendirent qu'au Grand -Portage, ce qui reduisit le fort Saint- Charles a une grande disette de vivres pendant Thiver. Au printemps de 1736, M. de la Verendrye se trouvait encore denue de tout. II avait envoye ses deux fils avec deux hommes rejoindre M. de la Jemmeraie au fort Maurepas. Pendant 1'hiver, la disette, dans ce fort, avait ete extreme. Le 4 juin, les deux fils de M. de la Verendrye revinrent au fort Saint- Charles apportant la triste nouvelle de la mort de M. de la Jemmeraie. Ce fut un coup penible pour M. de la Verendrye. Son neveu etait celui sur qui il se reposait le plus pour 1'aider ; il 1'avait nomme son second et lui confiait le soin des forts. Au fort Saint- Charles, les provisions etaient presque epuisees, et la famine allait se faire sentir. Pour ne pas exposer ses gens a mourir de faim, M. de la Verendrye envoya en grande diligence trois canots a Missilimakinaw pour y chercher des vivres. Le Pere Auneau qui avait passe 1'hiver au fort Saint-Charles partit avec les voyageurs. A la demande du missionnaire, M. de la Verendrye permit a son fils aine de faire le voyage avec eux. Us s'embarquerent le 8 juin (1736) et allerent le soir du premier jour camper dans une ile situee a sept lieues du fort. M. DE LA VERENDRYE 79 Vu que les sauvages, jusqu'alors, n'avaient jamais manifeste aucun sentiment hostile aux frangais, la petite troupe ne prit aucune precau- tion pour se garder durant la nuit. Cependant une bande d'indiens composee de cinq Sioux des prairies et d'une douzaine de Sioux des bois, ayant eu connaissance du depart des canots, les avaient epies tout le jour. Quand la nuit fut venue, ils aborderent dans 1'ile, et a la faveur des tenebres massacrerent tout le petit camp. Le 23 aout, deux canots de sauvages qui portaient des lettres a M. Legardeur de Saint- Pierre, au fort des Sioux sur le Mississipi racon- terent comment avait eu lieu ce massacre, (i) Monsieur de la Verendrye passa 1'ete au fort Saint-Charles. A 1'automne, il ne regutque de tres faibles secours, pour 1'hiver, de sorte qu'au prin- temps de 1 737, il se trouva a manquer des choses les plus necessaires a la vie. II se determina done a descendre a Montreal de nouveau. " Je partis le 6 juin, dit-il, etj'arrivai a Mont- " real le 24 aout. J'allai saluer M. le General et " lui rendre compte des raisons qui m'avaient " oblige a descendre. II eut la bonte de m'ap- " prouver, et me fit 1'honneur de me continuer " ses ordres pour la poursuite de la decouverte " dont j'etais charge." (l) C'est par cette lettre de M. de Saint-Pierre que nous savons par qui les fransais de M. de la Verendrye furent massacre's. 80 L'OUEST CANADIEN M. de la Verendrye ne repartit pour 1'ouest que le printemps suivant (1738). II se mit en route le 18 juin, apres avoir pris toutes les mesures pour continuer son entreprise. II n'arriva au fort Saint-Charles que le 2 septembre. Pen- dant ce temps, ses deux fils etaient restes pour garder le fort. Ceux-ci par leurs bons precedes avec les indiens avaient gagne toutes leurs sym- pathies. Cest un fait digne de remarque, et qui n'a pas echappe a 1'attention des historiens que cette sympathie des sauvages de rAmerique pour les franc.ais et les canadiens, des qu'ils eurent des rapports avec eux. Les indiens avouaient que leur confiance dans les francais venait de ce qu'ils leur reconnaissaient une grande sincerite et qu'ils trouvaient en eux des amis fideles et genereux. Nos trappeurs canadiens ont tous ete bien vus des sauvages. Pour ceux-ci- le nom de Frangais signifiait : ami. Les tribus, ennemies entre elles, tenaient beau- coup a rester les allies des frangais : ces pauvres enfants des bois n'attendaient en retour ni argent, ni presents ; ils se trouvaient assez honores de cette amitie. Au contraire, partout ou les Anglais ont penetre dans le Nord-Ouest, ils ont ete imme- diatement 1'objet d'une profonde antipathic dela part des indiens. Je ne dis pas ceci pour insulter M. DE LA VERENDRYE 81 une nationalite, mais pour constater un fait dont j'ai acquis la certitude par un quart de siecle d'observations au Nord-Ouest. Souvent j'ai questionne les vieux voyageurs a ce sujet; j'ai lu en outre un grand nombre d'histoires sur les rapports des anglais avec les sauvages et toujours les recits et les histoires ont servi a me con- vaincre que 1'indien n'aime pas les anglais. Ce meme sentiment existe encore aujourd'hui chez les sauvages du Manitoba. En 1870, quand le bataillon des volontaires anglais arriva au fort Garry, les soldats cam- perent sur les bords de 1'Assiniboine. Le soir, quand les tenebres etaient venus, des sauvages de la tribu des Sauteux, campes en face des soldats sur la rive opposee criaient a tue-tete aux volontaires anglais : Saganache! Saganache! mot qui dans leur langue etait une grosse insulte. Nous, canadiens-frangais, qui avons ete si sou- vent victimes du fanatisme anglais, nous n'avons pas de peine a comprendre 1'antipathie des sauvages pour cette nation. 82 L QUEST CANADIEN CHAPITRE IV. SOMMAIRE. Depart de M. de la Ve>endrye pour le fort Maurepas. D6couverte de la riviere Rouge et de 1'Assiniboine.. Construction du fort la Reine. Voyage chez les mandanes. Retour au fort la Reine. Apres son retour de Montreal, M. de la Veren- drye songea a profiler des beaux jours de 1'au- tomne pour s'avancer plus loin dans 1'interieur du pays. A la demande des sauvages, il laissa ses deux fils au fort Saint-Charles, et apres y avoir mis tout en bon ordre, il partit avec six canots bien equipes pour le fort Maurepas ou il arriva le 23 septembre. Toute cette partie du pays avait deja ete exploree, en i 734, par le fils de M. de la Verendrye. En 1735, M. de la Jemmeraie y avait ete envoye pour y passer 1'hiver ; ce fut la qu'il mourut et qu'il fut enterre. Aujourd'hui, 1'endroit ou fut bati le fort Maure- pas est connu ; c'est sur le cote nord de la riviere Winnipeg, pres de son embouchure. Ne serait-il pas convenable d'elever, au moins, une modeste croix a la memoire de cet illustre canadien, qui M. DE LA VERENDRYE 83 partagea les travaux du decouvreur de la riviere Rouge et qui mourut a la peine ? Son nom, trop oublie jusqu'a present, merite bien d'etre conserve dans 1'histoire et d'etre grave sur un monument. M. de la Verendrye ne s'arreta qu'un jour au fort Maurepas ; des le lendemain de son arrivee, il continua sa route vers 1'embouchure de la riviere Rouge. Cette riviere portait alors le nom de riviere des Assiniboines. La riviere Assiniboine actuelle etait regardee comme la riviere principale dont la riviere Rouge n'etait qu'un affluent. M. de la Verendrye etait guide par des sauvages. Ses canots remonterent les nombreux detours de cette riviere qui semble revenir a chaque instant sur ses pas. Ce fut vers les derniers jours de septembre que le decouvreur de la riviere Rouge passa en face du lieu ou s'eleve aujourd'hui la jolie ville de Winnipeg, et la petite ville de St- Boniface, la meme ou un siecle plus tard un parent de ce noble canadien, Mgr Alexandre Tache, devait illustrer son nom par une vie toute de sacrifices, pour rdpandre le bienfait de la civilisation chre- tienne chez les peuplades sauvages de ces im- menses contrees. M. de la Verendrye remonta le cours de 1' Assi- niboine jusqu'a 1'endroit ou est batie aujourd'hui 84 L'OUEST CANADIEN la ville du Portage de la Prairie. Le 3 octobre, il descendit a terre avec son monde et com- menca immediatement a construire un fort pour y passer 1'hiver. II donna a ce fort le nom de fort de la Reine. Pendant longtemps les historiens de la riviere Rouge ont discute pour savoir ou avait ete construit ce fort, (i) mais aujourd'hui il n'y a plus de doute que ce fort etait au Portage de la Prairie, puisque M. de la Verendrye le dit lui- meme dans son journal. " Mon quatrieme fort,dit-il, est le fort de la Reine " sur le cote nord de la riviere des Assiniboels. " Du fort de la Reine il y a un portage de trois " lieues au nord-est pour tomber dans le lac des " Prairies." Le lac des Prairies dont parle M. de la Veren- drye, est le lac Manitoba. Ce nom de Manitoba lui fut donne par les sauvages assiniboines qui en habitaient les bords au temps de la decouverte du pays. Les decou- vreurs se faisaient donner par les sauvages les noms des lacs et rivieres qu'ils rencontraient sur leur route ; ils les ecrivaient dans leur journal tels qu'ils les avaient entendu nommer ou bien en donnaient la traduction frangaise. De nos jours, on a pretendu et soutenu que Manitoba derivait de deux mots sauteux, Manito, (I) Plusieurs ont cru qu'il etait a 1'embouchure de la riviere Souris. M. DE LA VERENDRYE 85 Wapan. Ceci n'est pas probable du tout, et personne ne le prouvera d'une maniere satisfai- sante. Je demande par quelles transitions il a fallu faire passer Manito Wapan pour en arriver a Manitoba. Ce ne sont pas les Sauteux eux- memes qui auraient change ce nom qui est dans leur propre langue ; assurement ils eussent con- tinue a prononcer Manito Wapan. Seraient-ce les fransais qui auraient fait le changement ? Ce n'est pas probable non plus, puisqu'ils ont con- serve une foule de noms sauvages beaucoup plus difficiles a prononcer que Manito Wapan. Dans le journal deM.de la Verendrye on trouve les noms de Missilimdkinaw, de Kaministigoya, Winipi- gon, Takamamiwen parfaitement conserves. Pourquoi Manito Wapan aurait-il ete torture pour devenir Manitoba. Les sauvages qui habitaient les bords du lac Manitoba et les bords de 1'Assiniboine au temps de la decouverte etaient des assiniboines dont la langue ressemble a celle des sioux. II y avait les tribus des : Mata todays Hie toba, des Titoba. Cette terminaison toba dans leur langue signifie prairie et mine veut dire eau. Mi ne sota veut dire : eaujaune: Mine apolis, ville des eaux. Mine toba veut dire eau des prairies ou lac des prairies. Les anglais venus dans le pays apres les francais ont prononce mine comme my ni, et de la Manitoba. Monsieur de la Verendrye 86 L'OUEST CANADIEN en appelant dans son journal Manitoba le lac d^s Prairies donne tout simplement la traduction du nom sauvage. D'ailleurs ce lac devait naturellement s'appeler lac des Prairies et non pas le detroit de r esprit qui parle. Longtemps on a donne au mot Canada une origine qui n'etait pas du tout la sienne. On a dit qu'il venait des mots cris : piko anata, ce qui veut dire (sans dessein). Or, il est prouve aujour- d'hui que le mot Canada est un mot iroquois qui signifie amas, ou groupe de cabanes. La chose est toute naturelle puisque le pays etait habite par les iroquois. Pareillement, Manitoba est d'origine assiniboine, puisque le pays ou il est situe, e"tait habite par les assiniboines a 1'epoque de sa decouverte. Inutile done de le faire deriver de Manito Wapan. Le 8 octobre, deux canots restes en arriere et montes par douze hommes, arriverent au fort de la Reine ; le Sieur de la Marque et son frere etaient sur Fun de ces canots. Us venaient dans 1'intention de suivre M. de la Verendrye chez les tribus sauvages de 1'Ouest. Quoique la saison fut deja tres avancee (car, dans ces pays du nord, 1'hiver commence assez souvent au mois de novembre), M. de la Veren- drye resolut de se rendre chez les Mandanes, tribu nombreuse et importante qui habitait non M. DE LA VERENDRYE 87 loin des bords du Missouri, au sud-ouest du fort de la Reine. II partit accompagne de vingt franais au nombre desquels se trouvaient le Sieur de la Marque et son frere. II prit en outre quatre sauvages pour les guider. M. de la Verendrye declare que lui et sa troupe eurent beaucoup de miseres a essuyer pour se rendre chez les Mandanes. Ceux qui connaissent le Nord-Ouest savent combien il est imprudent d'y entreprendre de longs voyages a cette saison. Les habitants de la Riviere Rouge redoutaient les longues routes a travers les prairies vers la fin de novembre. Les chasseurs, accou- tumes au rude climat de ces contrees, ont plus d'une fois failli perir dans des tempetes de neige qui se dechainent a 1'entree de 1'hiver. La troupe de M. de la Verendrye s'etait grossie le long de la route. Un gros village d'assiniboines s'etait joint a eux. La curiosite de ces sauvages, etait vivement excitee par la presence de ces blancs qu'ils voyaient pour la premiere fois ; mais surtout 1'espoir de les piller, ou de recevoir d'eux des presents etait le princi- pal motif qui les attirait a leur suite. M. de la Verendrye avait apporteavec luiune cassette et un sac qui renfermaient des objets pour faire des presents aux Mandanes afin de se les rendre favorables. Or le jour de son arrivee 88 L'OUEST CANADIEN au camp des Mandanes, un assiniboine, qui avait decouvert ce tresor s'en empara et prit la fuite dans la prairie. Dans les circonstances ou se trouvait M. dela Verendrye, ce vol lui causa un dommage .considerable. Les assiniboines qui 1'avaient suivi, se sauverent pourallerrejoindre le voleur etpartager le magot enleve.(i) Avec eux s'enfuit aussi 1'interprete qui avait ete d'avance grassement paye. Toutes cesepreuves jeterent le decouragement parmi les voyageurs, et les determinerent a retourner au fort de la Reine, malgre la rigueur de la saison. Monsieur dela Verendrye laissa chez les Man- danes deux francais pour y apprendre la langue et obtenir des renseignements sur le pays et les nations qui 1'habitaient. Quoique tres souffrant, M. de la Verendrye se mit en marche avec son monde pour retourner a son fort. II esperait eprouver du mieux en route, ce fut tout le contraire qui arriva. II voyageait au mois de Janvier, durant la saison la plus rude. II ne fut de retour au fort de la Reine que le 1 1 fevrier (1739) apres avoir endure toutes les miseres qu'un homme peut endurer sans mourir. (i) On voit ici que les sauvages ont leur politique com me les blancs et qu'ils savent faire du boodlage. M. DE LA VERENDRYE 89 CHAPITRE V. SOMMAIRE. Nouvelles instances des sauvages pour avoir des forls plus a 1'Ouest. La civilisation rend les sauvages plus exigeants. Hesitation de M. de la Verendrye s'orienter en quittant le fort de la Reine. M. de la Verendrye envoie ses fils explorer les alentours du lac des Prairies. Les fournisseurs ^e M de la Verendrye n'envoient aucune marchandise pour la traite. M. de la Verendrye descend & Montreal. A mesure que M. de la Verendrye s'avar^ait dans 1'interieur du pays, les sauvages les plus eloignes venaient en deputation au-devant de lui et lui demandaient la construction de nou- veaux forts dans leur voisinage. Apres le fort Saint- Pierre et le fort Saint-Charles, on etablit le fort Maurepas, puis le fort de la Reine. Mainte- nant les tribus des bords du lac des Prairies en voulaient un pJus rapproche de leurs terres, c'est-a-dire sur les bords me'mes du lac. Depuis pres d'un siecle, tous les sauvages du nord et de 1'ouest avaient ete habitues a faire chaque annee le voyage a la baie d'Hudson pour y vendre leurs fourrures aux commercants anglais. Quoique ce trajet fut long et penible, ils le faisaient volontiers pour se procurer les 90 L'OUEST CANADIEN objets dont ils sentaient le besoin depuis leurs rapports avec les blancs. Ils ne songeaient pas a un sort meilleur avant 1'arrivee des frangais au lac Superieur. Les premiers forts construits a 1'ouest du lac Superieur epargnaient aux sau- vages une marche de neuf cents milles. Leur condition s'arneliorait. Tout sauvages qu'ils etaient, ils sentaient les avantages de ce progres et etaient loin d'y etre indifferents. Quoique le fort de la Reine ne fut qu'a une douzaine de milles du lac des Prairies, les Assiniboines trou- vaient leur sort a plaindre s'ils n'avaient pas un fort sur les bords memes du lac. Tout est relatif en ce bas monde. Un jour (en 1850) un mis- sionnaire dans un fort vit venir a lui un sauvage. qui paraissait tres attriste. II le crut malade ou dans les souffrances d'un jeune force, ce qui arrive frequemment aux sauvages. Comment te portes-tu ? lui dit le mission- naire ; tu m'as 1'air malade. -Ah! repondit-il, en poussant un soupir, je fais bien pitie de ce temps-ci. - Comment ! est-ce que tu n'as rien a manger ? Oui, j'ai de quoi manger; mais je manque de moutarde. II avait vu un bourgeois du fort en faire usage et il considerait ce condiment comme une chose indispensable pour un chef de tribu. La Compagnie de la baie d'Hudson a pretendu M. DE LA VERENDRYE 91 que la multiplication des forts a fait du mal aux sauvages et aii commerce. Elle parlait de la sorte a son point de vue. Quoiqu'il en soit, M. de la Verendrye pour se rendre a la demande des sauvages et aussi pour prendre connaissance du pays, envoya son fils aine explorer les bords du lac des Prairies. Celui-ci se mit en route le loavril ; ilavaitordre de se rendre jusqu'a 1'embouchure de la riviere Paskoyac dont les sauvages lui avaient parle, et d'y choisir des endroits avantageux pour 1'etablis- sement de deux forts, 1'un sur le bord du lac, 1'autre vers 1'embouchure de la riviere. ( i) De 1'endroit ou M. de la Verendrye pere, etait rendu pour son exploration, il hesitait a prendre une direction. Devait-il continuer a marcher vers le nord-ouest ou vers le sud-ouest, ou bien encore, devait-il remonter le cours de 1'Assini- boine, comme il 1'avait fait jusque la ? Depuis le lac Superieur, il n'avait eu qu'une seule route a suivre : descendre ou remonter le cours des rivieres qui conduisaient a. 1'interieur du pays ; les forets et les montagnes interdisaient tout autre chemin. Mais une fois rendu a 1'ouest de la riviere Rouge, 1'aspect du pays n'etant plus le meme, il etait plus difficile de s'orienter. Les vastes prairies, unies comme 1'ocean, offraient (t) La riviere Paskoyac. Son embouchure est a cinquante milles environ au sud-est du fort Cumberland. 92 L'OUEST CANADIEN autant de routes que 1'ocean lui-meme. Plus de cours d'eau, plus de vallees pour indiquer un chemin. Le but principal de M. de la Verendrye, en envoyant son fils vers la riviere Paskoyac, etait de faire examiner le pays et de s'assurer s'il ne serait pas plus avantageux de pousser 1'explo- ration dans cette direction. En attendant le retour de son fils, M. de la Verendrye resta au fort de la Reine. Ses fournisseurs associes lui avaient promis d'envoyer au Grand Portage sur le lac Superieur tous les effets necessaires pour la traite et 1'equi- pement des forts. Le 27 mai, il fit partir du fort de la Reine les canots qui devaient lui rapporter ces marchandises. Malheureusement, par une negligence impardonnable, les fournis- seurs n'envoyerent rien. Les hommes de M. de la Verendrye atten- dirent dix-huit jours au Grand-Portage au risque d'y mourir de faim, souffrant, dans tous les cas, d'un longjeune force. Enfin, les conducteurs des canots, ne voyant rien arriver au Grand- Portage, prirent le parti de descendre jusqu'a Missilimakinaw. A leurarrivee dans ce poste, au lieu de trouver un equipement tout pret, ils virent leurs pelleteries saisies par r equipeur pour une somme de quatre mille livres, quoiqu'il eut lui-meme manque a sa parole et cause un grand dommage a M. de la Veren- M. DE LA VERENDRYE 93 drye, en ne faisant pas rendre au Grand- Portage les effets pour la traite, comme il avait ete convenu. Une telle conduite de la part des commergants avait pour M. de la Verendrye les consequences les plus graves. Prive de secours, il lui etait impossible de continuer 1'exploration. Ses forts ne contenaient plus aucune marchandise pour les echanges avec les sauvages. Ses objets destines a faire des pre- sents pour gagner les sympathies des indigenes lui avaient ete voles chez les Mandanes et main- tenant ses fournisseurs, apres avoir saisi ses pelleteries, refusaient de lui donner de nouvelles marchandises. Si ses canots etaient obliges de remonter a vide, que deviendrait le personnel de ses forts ? Les gens de M. dela Verendrye s'adresserent au commandant du fort de Missilimakinaw et lui representerent les risques que couraient dans 1'interieur du pays ceux qui ne comptaient pour vivre que sur les provisions rapportees par les canots. Mais comme c'etait avec la permission du commandant que les fournisseurs s'etaient empares des pelleteries, il ne se montra guere favorable a leur demande et ce ne fut qu'apres de vives instances qu'ils purent obtenir quelques marchandises pour la traite. Les canots reprirent .la route du nord-ouest 94 L'OUEST CANADIEN et le 20 octobre ils etaient de retour au fort de la Reine. Les fils de M. de la Verendrye, partis au mois d'avril pour aller explorer le lac des Prairies et le has de la riviere Paskoyac, avaient execute les ordres de leur pere et etaient revenus lui rendre compte de leur voyage. Ils avaient trouve deux endroits tres avanta- geux pour 1'etablissement des forts et ils eussent ete prets a les construire, si les secours attendus de Montreal avaient ete envoyes. Mais pour le moment, M. de la Verendrye dut renoncer a toute nouvelle entreprise. Batir des forts, sans avoir des marchandises pour les approvisionner, eut ete un travail inutile. Se voyant sans ressources, avec beaucoup de monde a payer et a nourrir, il se decida a des- cendre a Montreal pour aller representer au gouverneur la triste situation dans laquelle il se trouvait. Cependant il passa 1'hiver de i 739 au fort de la Reine et ce ne fut qu'au printemps de i 740 qu'il se mit en route pour Montreal. II arriva a Missilimakinaw le 16 juillet. La il se procura des marchandises et les envoya a ses enfants qui etaie,nt restes dans les forts. II avait confie la garde du fort de la Reine a 1'un de ses fils. 11 lui ecrivit de se rendre des I'automne chez les Mandanes avec les deux fran- cais qui avaient appris la langue de cette nation, M. DE LA VERENDRYE 95 lui enjoignant de se procurer de bons guides pour se faire conduire a la mer de 1'Ouest. Les affaires qu'il eut a traiter a Missilimakinaw, retarderent son voyage de plusieurs jours et ce ne fut que vers la fin d'aout qu'il arriva a Montreal. 96 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE VI. SOMMAIRE. Arrive'e de M. de la Vdrendrye a Montreal (1740). Proems qu'on lui intente. Le gouverneur du Canada le traite avec bonte" et lui rend sa confiance. M. de la Ve"rendrye passe 1'hiver a Quebec, Quel- ques considerations sur son oeuvre. Depart pour 1'Ouest au printemps. A Montreal, M. de la Verendrye trouva qu'on lui avait intente un proces au sujet des postes qu'il avait etablis. " Moi, dit-il, qui les ai en " horreur, n'en ayant jamais eu de ma vie, je " m'accommodai a ma grande perte n'ayant, " cependant, a beaucbup pres, aucun tort." (i) II ne dit pas ce qu'on lui reprochait au sujet de ses postes, mais il est bien probable qu'on 1'accu- sait de les multiplier inutilement et de retarder ainsi 1'entreprise de la decouverte. Cependant, en i 740, neuf ans apres le commen-. cement de 1'exploration, M. de la Verendrye n'avait encore bad que quatre postes et ils etaient tous les quatre indispensables au succes de 1'entreprise. Ceux qui, plus tard, ont succede a M. de la (i) Me"moire de M. de laVerendrve M. DE LA VERENDRYE 97 Verendrye se sont promptement apercus qu'il etait plus facile de critiquer cet homme de genie que de continuer son ceuvre. Le gouverneur auquel M. de la Verendrye rendit compte de ses travaux et des difficultes sans nombre qu'il avait eues a surmonter, comprit que i'envie seule faisait parler ses accusateurs. Aussi, il le traita avec egard, le re9Ut chez lui et lui temoigna une grande confiance. M. de la Verendrye passa 1'hiver a Quebec, et, au printemps, le gouverneur lui donna de nouveau 1'ordre de continuer ses decouvertes. Encore une fois les plans de ses ennemis etaient dejoues. Ceux-ci avaient ecrit a la cour de France des lettres pleines de calomnies, accusant M. de la Verendrye de passer tout son temps a faire la traite, a son profit, avec les indiens, et d'amasser une immense fortune aux depens de la France et de la colonie. II est digne de remarque que toutes le ceuvres qui doivent contribuer a la gloire de Dieu et au salut des ames, sont marquees du sceau de la persecution. La decouverte des pays de 1'ouest devait apporter le salut aux indiens, en ouvrant le chemin aux apotres de 1'Evangile. Ces peu- ples nombreux qui jusqu'alors avaient vecu dans les tenebres de^l'ignorance, allaient entrer dans le sein de 1'Eglise et participer aux bienfaits de la redemption: e'en etait assez pour designer a 98 L'OUEST CANADIEN la rage de 1'enfer les instruments dont Dieu vou- lait se servir pour operer cette oeuvre. Christophe Colomb, en decouvrant le Nouveau- Monde, avait ouvert les voies aux missionnaires porteurs de la bonne nouvelle ; pour cela, Dieu permit que la haine des mechants se dechainat centre lui. Les envieux, apres 1'avoir poursuivi pendant sa vie avec un acharnement feroce, con- tinuerent a le calomnier apres sa mort, et voue- rent son nom a 1'oubli pendant des siecles. Le nom de M. de la Verendrye sera, lui aussi, oublie pendant un siecle et demi, et les grandes compagnies marchandes qui, plus tard, exploite- ront les richesses de ces immenses contrees de 1'ouest, ne donneront pas a sa memoire le plus leger souvenir. Bien plus, il se trouvera des historiens qui lui disputeront la gloire d'avoir decouvert la Riviere Rouge. " Je suis mal connu," ecrivait-il lui-meme. " Je " me suis sacrifie avec mes enfants pour le ser- " vice de Sa Majeste et le bien de la colonie. " On pourra connaitre par la suite les avantages " qui en pourraient resulter. Au surplus, ne " compte-t-on pour rien le grand nombre de " gens a qui cette entreprise fait gagner la vie ?" >5 " Dans tous mes malheurs, j'ai la consolation " de voir que M. le gouverneur- general penetre " mes vues, reconnait ma droiture et continue de M. DE LA VERENDRYE 99 " me rendre justice, malgre les oppositions qu'on " voudrait y mettre." Non-seulement M. de la Verendrye ne faisait pas fortune, mais, en 1740, neuf ans apres son premier voyage, il avait depense tout ce qu'il possedait et, de plus, contracte une dette de qua- rante mille livres (40,000) sans parler des cha- grins qu'il avait eprouves dans la perte de son neveu, M. de la Jemmeraie, mort de misere au fort Maurepas et de son fils, massacre par les Sioux au lac des Bois avec le Pere Auneau et une douzaine de francais. Au printemps de 1741, M. de la Verendrye partit de Montreal accompagne d'un mission- naire, le Revd Pere Coquart, Jesuite. Depuis la mort du Pere Auneau, assassine au lac des Bois, il n'est plus fait mention d'aucun pretre dans 1'expedition de M. de la Verendrye au Nord-Ouest. On a vu que les deux premiers missionnaires, le Pere Messaiger et le Pere Auneau, n'etaient pas alles au-dela du fort Saint- Charles. Le Pere Claude Coquart est le pre- mier pretre qui se soit rendu jusque dans les grandes prairies de 1'ouest et qui ait offert le saint sacrifice de la messe sur les bords de la riviere Assiniboine, au fort de la Reine, la ou est aujourd'hui la ville du Portage de la Prairie. Cependant le Pere Coquart n'arriva au fort de la Reine qu'en 1742. A Missilimakinaw les 100 L'OUEST CANADIEN autorites ne lui permirent pas d'aller plus loin. " Des intrigues, ourdies par la jalousie, dit M. de la Verendrye, empecherent le missionnaire de continuer sa route avec moi." (Memoir e de M. de la Verendrye^} On se demandera, peut-etre, quelle crainte pouvait inspirer aux autorites un pauvre religieux, missionnaire dans ces pays sauvages ? II est bien probable qu'une telle tracasserie venait de la part de ceux qui convoitaient la place de M. de la Verendrye. Tout ce qui pou- vait contribuer a le decourager etait mis enoeuvre par eux. M. de la Verendrye fut de retour au fort de la Reine le 13 octobre (1741.) II s'etait arrete quelques jours au fort Saint-Charles pour pacifier les sauvages qui etaient en guerre. Comme tou- jours, ceux-ci firent mille promesses de garder la paix, arm d'avoir des presents ; mais ils ne tarde- rent pas a manquer a leur parole. Pendant le voyage de M. de la Verendrye a Quebec, ses fils, comme ils en avaient regu 1'ordre, etaient alles chez les Mandanes dans 1'intention de se rendre a la mer de 1'ouest ; mais n'ayant pas reussi a se procurer des guides, ils etaient revenus au fort de la Reine. Ce contretemps obligea M. de la Verendrye a diriger ses operations d'un autre cote. II envoya, des 1'automne de 1741, son fils aine construire le M. DE LA VERENDRVE 101 fort Dauphin au lac des Prairies et le fort Bour- bon, a la riviere aux Biches. Voici comment le decouvreur lui-meme desi- gne la place de ces deux forts. " Du fort de la Reine, il y a un portage de trois " lieues au nord-est pour tomber dans le lac des " Prairies. On suit le sud du lac jusqu'a la " decharge d'une riviere qui vient des grandes " prairies, au bas de laquelle est le fort Dauphin, " cinquieme etablissement fait a la demande des " Cris des prairies et des Assiniboines de canot. " II y a une route de la au fort Bourbon qui est " mon sixieme etablissement. Mais le chemin " n'est pas avantageux. L'usage est, partant " du fort Maurepas, de passer par le nord du lac " Winnipigon jusqu'a son premier detroit, ou Ton " traverse au sud, d'ile en ile, puis on cotoie les " terres jusqu'a la riviere aux Biches, ou est le " fort Bourbon, pres du lac du meme nom. Du '' fort Bourbon a la riviere Paskoyac, il y a trente " lieues." Deux autres petits forts furent constants sur la Riviere Rouge par le fils aine de M. de la Veren- drye, 1'un a cinq lieues du lac Winnipeg et 1'autre a 1'embouchure de 1'Assiniboine, mais ils furent tous deux abandonnes a cause de leur proximite du fort Maurepas et du fort de la Reine. Les forts Dauphin et Bourbon furent termines pendant 1'automne et 1'hiver de 1 741 a i 742. 7 102 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE VII SOMMAIRE. Voyage des fils de M. de la Verendrye aux Montagnes Rocheuses. Decouverte des Montagnes le ler Janvier 1743. Retour au fort La Heine. Etablissement d'un fort a la riviere Paskoyac. Rap- pel du Chevalier de la Verendrye a Montreal. M. de la Ve>en- drye, pere, est remplace au Nord-Ouest par M. de Noyelles. Le Chevalier retourne dans 1'Ouest en 1747. Le Gouverneur confie de nouveau a M. de la Verendrye 1'exploration. Au printemps de i 742, les deux fils de M. de la Verendrye et deux francais, (quatre voyageurs en tout) partirent du fort la Reine pour se rendre chez les Mandanes dans le but de poursuivre 1'exploration jusqu'a la mer de 1'Ouest. Us se mirent en route le 29 avril 1742 et le 19 mai ; vingt-deux jours apres leur depart, ils arrivaient sur les bords du Mississipi ou habitait cette tribu. II est assez difficile de preciser la route qu'ils suivirent de la pour atteindre les Montagnes Rocheuses et a quel point de cette chaine ils toucherent, apres huit longs mois de marche. D'apres leur journal, ils s'orienterent presque toujours vers le sud-ouest et 1'ouest-sud ouest. L'historien Parkman dit que tres-probablement ils apercurent le sommet des montagnes a Ten- M. DE LA VERENDRYE 103 droit appele : Big Horse Range, cent vingt milles a 1'Ouest de Yellow Stone Park. Us ne rencontrerent surleur route aucunetribu hostile. La lenteur de leur marche ne vient que de la difficulte qu'ils eurent a se procurer des guides. Ce fut le premier Janvier i 743 qu'ils apergu- rent les montagnes. Us auraient desire les gravir jusqu'a leur sommet dans 1'espoir d'avoir de la une vue de la mer, rnais les guides qui les avaient conduits jusqu'alors, refuserent d'aller plus loin " parce que, disaient-ils, les tribus feroces sur les terres desquelles ils etaient arrives ne manque- raient pas de les massacrer." Ce ne fut pas sans une profonde douleur qu'ils se virent obliges de retourner sur leurs pas. Apres douze jours de marche, ils atteignirent a un endroit que M. Edmond Mallet, de Washington, suppose etre la ville d'Helena, dans le Montana. Puis se dirigeant vers le sud, les voyageurs passerent Musselshell ou ils rencontrerent les Tetes Plates. Ils croiserent le Yellow Stone jusqu'a la riviere cm Vent, pres du pic de Fre- mont (Wyoming) ou les indiens Serpents leur parlerent de la riviere Verte de 1'autre cote des Montagnes Rocheuses et de la riviere du Vent qui est un tributaire du Colorado de 1'Ouest tombant dans le golfe de Californie. Le 19 mars, ayant regagne le haut du Mis- souri, ils prirent possession du pays chez une tribu 104 L'OUEST CANADIEN appelee les gens de la petite Cerise. Le 2 juillet 1743, ils etaient enfin de retour au fort de la Reine. Leur voyage avait dure quatorze mois. La longue absence des fils deM.de la Veren- drye avait inspire a leur pere de tres serieuses inquietudes sur leur sort ; aussi ce fut pour lui une grande joie lorsqu'il les vit de retour. Le Chevalier de la Verendrye ecrivit imme- diatement a M. le Marquis de Beauharnois pour lui faire le rapport de ce voyage et lui prouver par la que les envieux qui accusaient le decou- vreur de passer son temps a faire la traite etaient des calomniateurs. Malheureusement ces calom- nies etaient crues a la cour, car malgre rimmen- site des services que M. de la Verendrye rendait a la France, cependant ni lui, ni ses fils ne rece- vaient de 1'avancement. Monsieur le Marquis de Beauharnois qui etait favorable a M. de la Verendrye et qui savait apprecier son devouement comme celui de ses fils, s'empressa d'adresser au ministre des colonies le memoiredu Chevalier de la Verendrye, auquel il joignit la lettre suivante : 27 octobre 1744. " J'ai 1'honneur de vous envoyer ci-joint le journal que le fils du Sieur de la Verendrye m'a adresse a 1'occasion du voyage qu'il a fait chez les Mandanes pour suivrela decouverte de la mer M. DE LA VERENDRVE 105 de 1'Ouest, suivant les ordres et instructions que le sieur de la Verendrye lui avait donnes et dont j'ai eu 1'honneur de vous rendre compte 1'annee derniere. Quoiqu'il ne soit pas encore parvenu au but qu'il s'etait propose, il ne parait pas, Monseigneur, qu'il ait rien neglige sur la dili- gence qu'il devait y apporter et il ose se flatter que vous voudrez bien en j tiger ainsi, si vous avez la bonte d'attacher quelque consideration aux oppositions qu'il a eu a surmonter, soit pour se concilier 1'amitie des nations chez lesquelles on n'avait point encore penetre, soit pour parvenir meme a s'en servir, comme il etait indispensable de le faire, afin d'avoir d'eux les secours et les connaissances qui sont necessaires pour cette entreprise. " Get officier, Monseigneur, m'a paru dans la derniere mortification, de ce que Ton ait essaye de donner a la purete de ses sentiments pour parvenir a cette decouverte un caractere oppose aux vues qu'il avait. Je ne prendrai point la liberte d'entrer dans les details des raisons qui peuvent justifier sa conduite ; mais je ne puis lui refuser les temoignages qui paraissent lui etre dus, qu'il n'a, dans cette decouverte, fait que 1'avantage de la colonie par le nombre d'etablis- sements qu'il a faits dans des endroits ou per- sonne n'avait encore penetre, qui produisent aujourd'hui quantite de castors et pelleteries, 106 L'OUEST CANADIEN dont les anglais profitaient, sans qu'il ait occa- sionne aucune depense a Sa Majeste pour ces etablissements ; que 1'idee qu'on s'est faite des biens qu'il avait ramasses dans ces endroits tombe d'elle-memeparl'indigenceou il est, pouvantvous assurer, Monseigneur, sans aucune complaisance, ni predilection pour lui, que les douze annees qu'il a passees dans ces postes, ne lui produisent pas environ 4,000 livres, qui sont tout ce qu'il a et qui pourront peut etre lui rester apres qu'il aura paye les dettes qu'il a contractees pour cette entreprise, et qu'enfin, Monseigneur, les choses, dans 1'etat ou il les a mises, me paraissent toujours entierement dignes de vos bontes sur lui. C'est aussi dans 1'esperance ou je suis que vous voudrez bien les lui accorder, que je vous supplie, Monseigneur, de lui donner des marques sen- sibles, en lui procurant son avancement a la premiere occasion. " Je ne connais aucun endroit par lequel il ait pu meriter la mortification, qu'il a eue, de n'etre point avance, et j'oserais meme ne 1'attribuer qu'a 1'oubli que vous avez fait, Monseigneur, de la proposition que j'ai eu 1'honneur de vous faire du sieur de la Verendrye, comme le plus ancien des lieutenants et le sujet qui me paraissait etre le plus digne des graces du Roy. En effet, Mon- seigneur, six annees de service en France, trente- deux en cette colonie, sans reproche, du moins M. DE LA VERENDRYE 107 je n'en sache aucun a lui faire, et neuf blessures sur le corps, etaient des motifs qui ne m'ont pu faire balancer a vous le proposer pour remplir une des compagnies vacantes et si j'ai eu lieu de me flatter, Monseigneur, que vous etiez persuade queje n'admettais sur mes listes que des officiers capables de servir et qui meritaient vos bontes, c'etait particulierement dans 1'attention que vous auriez bien voulu faire en faveur du sieur de la Verendrye. " Je suis avec un profond respect, Monsei- gneur, votre tres humble et tres obeissant ser- viteur, a. BEAUHARNOIS." Malgre cette haute recommandation, la calom- nie avait si bien fait son chemin, qu'on va voir bientot M. de la Verendrye et ses fils complete- ment depouilles du fruit de leurs travaux. Quelques tribus sauvages des bords de la Saskatchewan continuaient encore a porter leurs pelleteries aux anglais de la baie d'Hudson, meme apres la construction des forts Dauphin et Bour- bon. Les anglais avaient use de tous les moyens pour indisposer les sauvages contre les francais. Un memoire presente par M. le chevalier de la Verendrye a Mgr Rouille, ministre des colonies, nous apprend que les officiers, employes dans les postes de la baie d'Hudson, allaient jusqu'a offrir 108 L'OUEST CANADIEN de 1'argent aux sauvages pour faire la guerre aux traiteurs de M. de la Verendrye. Si les frangais firent concurrence aux anglais, dans le commerce des pelleteries, ce fut tou- jours de leur part une lutte loyale dans laquelle ils respectaient les droits de chacun et les lois de Fhumanite. Pour beneficier du com- merce des indiens de la Saskatchewan, M. de la Verendrye envoya son fils aine batir un fort a 1'embouchure de la riviere Paskoyac. Celui-ci travailla en meme temps, par de bons precedes, a effacer de 1'esprit des indiens les mauvaises impressions qu'y avaient jetees les anglais ; il les invita a venir, sans crainte, echanger avec les frangais les produits de leur chasse et il reussit a ramener chez eux la confiance. C'est au fort de la Reine qu'il revint passer le reste de 1'hiver. Au printemps de 1745, le fils aine de M. de la Verendrye fut rappele a Montreal par M. le Marquis de Beauharnois qui lui donna du service dans 1'armee, sous les ordres de M. de Saint- Pierre. La meme annee, le Revd Pere Claude Coquart qui etait dans les forts de 1'ouest depuis trois ans, retourna a Montreal et jusqu'a 1'annee i 750, il n'est plus fait mention de missionnaire avec les gens de M. de la Verendrye. En 1746, M. de la Verendrye, accuse de nou- veau par ses calomniateurs, fut oblige de revenir M. DE LA VERENDRYE 109 a Montreal. On lui reprochait toujours de negli- ger les travaux de 1'exploration et de passer son temps a faire la traite dans les forts. On le remplaga par M. de Noyelles qui ne parait pas avoir ete plus loin que le lac Superieur. Apres le depart de M. de la Verendrye et de son fils aine, les sauvages ne frequenterent plus les forts des franais et reprirent le chemin de la baie d'Hudson. Le chevalier de la Verendrye, jusqu'en 1747, fut continuellement tenu en service sous les ordres de M. de Saint- Pierre, afin qu'il n'eut pas le loisir de retourner dans les postes de 1'ouest pendant que son pere restait a Quebec pour repondre aux accusations de ses ennemis. En 1 747, il fit la campagne contre les Agniers qui venaient faire des prisonniers pres de Mont- real. A la suite de cette campagne, ou il se distingua, il eut la permission de retourner dans les forts pour essayer d'y retablir 1'ordre, car les tribus etaient en guerre depuis le depart de M. de la Verendrye. Avant de repartir pour 1'ouest, il recut 1'aiguil- lette en recompense des services qu'il venait de rendre a la colonie. En arrivant a Missilimakinaw, il rencontra M. de Noyelles qui chercha a le detourner de ce voyage, sous pretexte qu'il n'etait pas prudent d'aller chez les indiens pendant que 110 L'OUEST CANADIEN ceux-ci etaient en guerre. Cependant, au bout de quelque temps, il prit sur lui de se rendre, non sans peines, dans les postes ; mais il n'y trouva pas de sauvages. II dut, pour les rejoinclre, aller dans leurs camps, ou il vint a bout de les persuader de reve- nir chez les francais. Deja les anglais de la baie d' Hudson leur avaient donne des colliers et d'autres presents pour les decider a faire la guerre aux gens de M. de la Verendrye et a se defaire de tous les frangais dans le Nord-Ouest. (Memoir* dii che- valier de la Verendrye. ) Le chevalier de la Verendrye leur parla des bontes de son pere pour les tribus sauvages et de tous les presents qu'il leur avait faits. Tou- ches de ces bonnes paroles, ils redevinrent trai- tables et mieux disposes. Le cadet de ses freres fut laisse parmi les sau- vages au fort Saint-Charles, tandis que lui revenait a Missilimakinaw, ou il recut avec les ordres de M. de la Galissonniere une expectative d'ensei- gne en second. De la il repartit pour le fort de la Reine, qu'il trouva presque tombe en ruines. 11 le fit retablir et mettre en bon ordre ainsi que lefort Maurepas qui avait ete brule par les sauvages. Le chevalier de la Verendrye, apres avoir termine ces travaux, entreprit, comme son pere M. DE LA VERENDRYE 111 le lui avait ordonne, de remonter la grande Saskatchewan. A I'automne de 1 749, il se rendit avec de bons guides jusqu'a la jonction des branches nord et sud de cette riviere. Les sauvages designaient cet endroit sous le nom de la Fourche. La, toutes les tribus des prai- ries, des montagnes et des bois, se reunissaient au printemps chaque annee pour deliberer sur les questions de chasse et de traite. Le chevalier de la Verendrye en profita au printemps de 1 750 pour s'informer tres exacte- ment des pays plus a 1'ouest. II leur demanda d'ou venait cette grande riviere : tous lui repon- dirent qu'elle venait de tres loin, d'une hauteur de terres, ou il y avait des montagnes tres elevees ; que de 1'autre cote de ces montagnes " il y avait un grand lac dont on ne pouvait boire 1'eau." M. le Chevalier fit alliance avec toutes ces differentes tribus ; il les invita a venir 1'annee sui- vante porter leurs pelleteries aux francais, et recevoir les presents qu'il leur destinait. Les reparations des forts et les depenses des voyages avaient epuise les provisions et les mar- chandises destinees a la traite. Le fils deM.de la Verendrye descendit a Missilimakinaw pour s'en procurer de nouvelles, avec 1'espoir de remon- ter immediatement dans les postes avec son pere, mais la Providence en decida autrement. 112 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE VIII SOMMAIRE. Mort du Sieur de la Ve"rendrye. Triste situation faite a ses fils ; on leur refuse de continuer les travaux de la decouverte. Legardeur de Saint-Pierre succede a M. de la Ve"rendrye. Son se"jour dans les postes de 1'Ouest. Sa honteuse conduite a l'e"gard des fils du Sieur de la Verendrye. Rien n'est fait pour la decouverte de la mer de 1'Ouest Monsieur de la Verendrye, des son arrivee a Quebec, en 1746, eut bientot expose et prouve au Gouverneur, qu'avec les faibles ressources mises a sa disposition et les tracasseries que les envieux ne cessaient de lui susciter, il lui avait ete impossible de pousser plus activement les travaux de la decouverte. Loin d'etre pour lui une source de revenus fabuleux, 1'entreprise de 1'exploration compro- mettait 1'avenir de sa famille qui sacrifiait la sa jeunesse et sa sante. M. de Noyelles, envoye aux postes de 1'Ouest en i 746, n'y demeura pas longtemps sans s'aper- cevoir qu'il etait plus aise de critiquer les travaux du decouvreur et de ses fils que de les continuer. En effet, des 1'annee suivante, il se hata de demander son rappel a Montreal. M. DE LA VERENDRYE 113 M. de la Verendrye ecrivit de Quebec au ministre de la marine en France pour lui appren- dre que M. de Beauharnois Ijui donnait a esperer que 1'ordre de poursuivre 1'exploration lui serait continue. Quebec, i er novembre 1741- " Monseigneur, " C'est avec la plus vive reconnaissance que je prends la liberte de vous remercier de la grace que vous avez bien voulu m'accorder en me procurant mon avancement. Je sens tout le prix de cette faveur qui ne peut qu'augmenter en moi I'emulation et le zele que j'ai toujours eus pour mon service. " M. le marquis de Beauharnois, notre gene- ral, m'a fait 1'honneur de m'apprendre les vues qu'il a de me faire continuer la decouverte de la mer de 1' Quest a defaut de M. de Noyelles qui lui demande d'etre releve. " Je ferai, je vous assure, Monseigneur, les derniers efforts pour repondre a la confiance qu'il veut bien avoir en moi. Les connaissances que j'ai de cet endroit, jointes a celles qu'ont acquises mes enfants, dont deux sont dans ce poste aujourd'hui, me mettront en etat de faire de nouvelles decouvertes encore plus satisfai- santes ; du moins il ne tiendra pas a moi. " Je vous supplie, Monseigneur, d'etre tres 114 L'OUEST CAN^DIEN persuade de 1'attention que j'y apporterai, ayant encore plus en vue la reussite de cette entreprise que mon interet particulierque je saurai toujours sacrifier quand il s'agira du service du Roi. " Je suis avec un tres profond respect, Monseigneur, " De votre Grandeur, le tres humble et tres obeissant serviteur, " LA VERENDRYE." Monsieur le marquis de Beauharnois, comme on le voit par cette lettre, ne s'etait pas laisse tromper par les accusations, toujours renouvelees, des jaloux et des ambitieux et il continuait a honorer M. de la Verendrye de sa confiance. En 1747, M. le marquis de Beauharnois fut rappele en France et remplace par M. le marquis de la Galissonniere. A son arrivee, les memes accusations centre M. de la Verendrye furent portees au nouveau Gouverneur. Mais celui-ci, comme son predecesseur, eut le bon esprit de n'y pas croire, ainsi qu'il est prouve par la lettre suivante adressee au ministre de la marine : Quebec, 23 octobre 1747- " Monseigneur, " J'ai pense ne point repondre au sujet de la decouverte de la mer de 1'Ouest, etant encore trop peu instruit. II me parait seulement que M. DE LA VERENDRYE 115 ce qu'on vous a mande au sujet du Sieur de la Verendrye, comme ayant plus travaille a ses interets qu'a la decouverte est tres faux, et qu'au surplus tous les officiers qu'on y emploiera seront toujours dans la necessite de donner une partie de leurs soins au commerce tant que le Roi ne leur fournira pas d'autres moyens de subsister ; ce qui peut etre ne serait pas convenable. Mais ce n'est pas une bonne facon de les encourager que de leur reprocher quelques mediocres profits ou de leur retarder leur avancement sous ce pretexte, comme le Sieur de la Verendrye pre- tend qu'il lui est arrive. " Ces decouvertes causent de grandes depenses et exposent a de plus grandes fatigues, et de plus grands dangers que les guerres ouvertes. " Le Sieur de la Salle et le fils du Sieur de la Verendrye et tant d'autres qui y ont peri en fournissent la preuve. " Au surplus, je m'en rapporte entierement a ce que vous a mande M. de Beauharnois le 15 octobre 1 746. " Je suis avec un profond respect, Monseigneur, etc., etc. " LA GALISSONNIERE." Cette lettre produisit un bon effet aupres du ministre de la marine, car bientot apres, M. de la Verendrye fut decore de la croix de Saint- 116 L'OUEST CANADIEN Louis et ses fils, restes dans les postes de 1'Ouest, reurent de 1'avancement. Voici comment il en remercie lui-meme le Ministre, dans une lettre datee de Quebec le i 7 septembre 1 749. " Monseigneur, " Je prends la liberte de vous faire mes tres humbles remerciements de ce que vous avez bien voulu me procurer de Sa Majeste une croix de Saint-Louis et a deux de mes enfants de 1'avan- cement. " Mon zele, accompagne de reconnaissance, m'engage a partir le printemps prochain, honore des ordres de M. le Marquis de la Jonquiere, notre general, pour poursuivre les etablissements et les decouvertes de FOuest qui ont ete inter- rompues depuis plusieurs annees. (i) " J'ai remis a M. le Marquis de la Jonquiere la carte et le memoire de la route qu'il me faut tenir pour le present. M. le comte de la Galis- sonniere en a une pareille. " Je tiendrai un journal tres exact de la route depuis 1'entree des terres jusqu'aux extremites ou je pourrai parvenir avec mes enfants. " Je ne puis partir de Montreal que dans le mois de mai prochain qui est le temps ou la na- vigation est libre pour les pays d'En-Haut. (i) M. de la Jonquiere venait de succdder a M. de la Galissonniere. M. DE LA VERENDRYE 117 " Je compte faire toute la diligence possible pour aller hiverner au fort Bourbon, qui est le dernier, au bas de la riviere des Biches, de tous les forts que j'ai etablis. ' Trop heureux si a Tissue de toutes les peines, fatigues et risques que je vais essuyer dans cette longue decouverte, je pouvais parvenir a vous prouver mon desinteressement, mon zele, aussi bien que mes enfants, pour la gloire du Roy et le bien de la colonie. " Je suis avec un profond respect, Monseigneur, " Votre tres humble et tres obeissant serviteur, " LA VERENPRYE." L'ordre de continuer les decouvertes avait ete donne a M. de la Verendrye par M. de la Galis- sonniere dont les vues, comme il a ete dit, etaient les memes que celles de M. de Beauharnois. Mais M. de la Galissonniere n'avait ete envoye dans la colonie qu'en attendant 1'arrivee deM.de la Jonquiere, retenu, en Angleterre, comme pri- sonnier de guerre. Ce dernier n'arriva en Canada qu'en 1 749, quand deja M. de la Verendrye faisait les prepa- ratifs de son depart pour TOuest. Si M. de la Jonquiere eut ete dans la colonie deux ans plus tot, il est tres probable, pourne pas 118 L'OUEST CANADIEN dire certain, que la commission de poursuivre la decouverte eut ete confiee a unautrequ'a M. de la Verendrye, mais il paraissait difficile de retirer cet ordre a un homme d'un merite aussi reconnu. Les jaloux qui 1'accusaient depuis plus de quinze ans sans jamais avoir pu rien prouver contre lui, durent se resigner pour le moment et attendre une occasion favorable a leurs des- seins. Malheureusement elle ne tarda pas a se presenter. On sait que M. le marquis de la Jonquiere se distinguait par une avarice sordide ; qu'il n'eut pas honte de s'immiscer dans le commerce, tout gouverneur qu'il etait et qu'il fit fermer les maisons qui lui faisaient concurrence. La traite des pelleteries ne pouvait manquer d'attirer son attention et de tenter sa cupidite. D'ailleurs il avait sous la main les homines qu'il lui fallait pour servir sa passion de 1'argent. Un bon nombre des officiers francais qui occupaient alors les premiers postes dans le gouvernement de la colonie, etaient de vrais fleaux pour le pays. L'intendant Bigot, cet infame concussionnaire qui volait partout et qui encourageait ses amis au pillage, ne demandait pas mieux que de trouver des associes selon ses gouts pour ex- ploiter en grand le commerce des fourrures. Le gouverneur et lui s'entendirent a merveille. Pour remplir leurs coffres, tous les moyens M. DE LA VERENDRYE 119 leur etaient bons et ils savaient eloigner d'eux ceux qui pouvaient etre un obstacle a 1'accom- plissement de leurs desseins. Le 6 decembre i 749, au beau milieu de ses preparatifs de voyage, M. de la Verendrye mourut presque subitement a Montreal ; il n'etait age que de soixante-trois ans, et etait encore plein de force et de vigueur. . Immediatement, M. de la Jonquiere donna avis de cet evenement au ministre des colonies en France et lui annon$a en meme temps qu'il avait deja confie a Legardeur de Saint-Pierre 1'ordre de poursuivre les travaux de la decouverte. " J'ai 1'honneur," dit-il, " de vous rendre compte " de la mort de M. de la Verendrye, capitaine a " Montreal, arrivee le 6 decembre. " Comme ce dernier etait charge de continuer " en personne la decouverte de la mer de I 1 Quest " et qu'il me parait que 1'intention du Roy est "qu'on poursuive ce projet, j'ai charge M. de " Saint- Pierre de cette execution et je compte " qu'il partira des le petit printemps. C'est le '' seul officier de toute la colonie qui a le plus de " connaissance de ce pays-la." Cette affirmation de la connaissance que M. de Saint- Pierre possedait des pays deja parcourus par M. de la Verendrye, est un mensonge invente 120 L'OUEST CANADIEN par le gouverneur pour tromper le ministre et pallier 1'odieux de la conduite qu'il allait tenir a 1'egard des fils de M. de la Verendrye. La nieilleure preuve que M. de Saint- Pierre n'etait pas rhomme qui connaissait le mieux le pays de la Riviere Rouge, c'est qu'il n'y etait jamais alle. Non-seulement il ne connaissait pas le pays ou 1'envoyait le gouverneur, mais il n'etait nullement prepare a continuer 1'oeuvre si difficile commencee par M. de la Verendrye, ignorant la langue, les mceurs et les habitudes des tribus avec lesquelles il aurait a traiter. Si M. de la Jonquiere eut eu le moindre souci de la decouverte, il n'avait tout simplement qu'a accomplir a 1'egard des fils de M. de la Veren- drye un acte de stricte justice, en les nommant pour continuer 1'oeuvre de leur pere. Le chevalier de la Verendrye qui, depuis pres de vingt ans, vivait au milieu des tribus de 1'ouest avec son pere et ses freres, qui avait traverse les immenses prairies pour se rendre au pied des Montagnes-Rocheuses, etait, sans contredit, bien mieux qualifie que M. de Saint- Pierre pour mener a bonne fin les travaux de la decouverte. Avec un peu de sentiment d'honneur, le gou- verneur, Bigot et M. de Saint- Pierre auraient rougi de honte de deposseder ainsi de leur bien des hommes qui, depuis tant d'annees, se sacri- fiaient pour la France et la colonie. M. DE LA VERENDRYE 121 Mais, dans le coeur de ces vampires, attaches aux flancs de la Nouvelle-France pour lui sucer le sang, il n'y avait place que pour 1'egoisme. Us etaient trop heureux d'etre debarrasses du pere, pour garder les fils. On ne voulut pas meme leur confier le plus petit poste dans 1'ouest ; tous les trois recurent 1'ordre de revenir a Mont- real. Us auraient ete des temoins trop genants pour le commerce auquel ces traiteurs de haut parage voulaient se livrer. Leur conduite a 1'egard des fils de M. de la Verendrye restera attachee a leur memoire comme une infamie. 122 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE IX. SOMMAIRE. Retour du chevalier de la Ve"rendrye a Montreal ; il fait valoir ses litres a la succession de son pere. Le gouverneur reste sourd a ses instances. Lettre du chevalier de la Verendrye au ministre de la marine. Indigne conduite du gouverneur, de Bigot et de M. de Saint-Pierre a 1'egard des fils de M. de la Verendrye. Pour satisfaire la rapacite de Bigot et rem- plir les coffres du marquis de la Jonquiere, "iln'y avait pas, dit une chronique du temps, assez d'or dans toute la colonie." Les riches fourrures de 1'ouest etaient la Californie de cette epoque et les officiers frangais qui venaient dans la colonie, deployaient plus de zele a s'enrichir dans ces mines qu'a coloniser la Nouvelle- France. Ce furent 1'egoisme et 1'ambition de ces hommes qui preparerent la perte du Canada. Les sympa- thies que le peuple canadien a gardees pour la mere-patrie ne seraient pas si vivaces, s'il eut continue a subir plus longtemps le regime des dernieres annees du gouvernement frangais en Canada. La separation est venue justement a temps pour empecher notre affection de se M. DE LA VERENDRYE 123 changer en mepris, a la vue des injustices qui se commettaient centre nous. Le chevalier de la Verendrye apprit la mort de son pere en arrivant a Missilimakinaw, ou il etait descendu pour acheter de quoi approvi- sionner ses forts. Prevoyant que les ambitieux allaient travailler a le supplanter dans les postes de 1'ouest, il se rendit, en toute hate, a Montreal pour faire valoir ses titres a la succession de son pere. Mais, deja, tout etait regie d'avance ; on ne daigna meme pas entendre ses reclamations. Voyant que toute demarche en Canada lui etait inutile et que son sort, ainsi que celui de ses freres, etait decide dans le conseil du gouverneur, il pritle parti de s'adresser au ministredes colonies en France pour lui exposer tout 1'odieux des procedes de M. de Saint- Pierre a son egard. Voici cette lettre qui est un beau document meritant d'etre cite en entier. 30 septembre 1750. " Monseigneur, " II ne me reste plus qu'a me jeter aux pieds de Votre Grandeur et de 1'importuner du recit de mes malheurs. " Je m'appelle La Verendrye. Feu mon pere est connu ici et en France par la decouverte de la mer de 1'Ouest, a laquelle il a sacrifie plus de quinze des dernieres annees de sa vie. II a mar- 124 L'OUEST CANADIEN che et nous a fait marcher, mes freres et moi, d'une facon a pouvoir toucher le but, quel qu'il soit, s'il eut ete plus aide et s'il n'eut pas ete, surtout, tant traverse par 1'envie. L'envie est encore ici plus qu'ailleurs une passion a la mode dont il n'est pas possible de se garantir. " Tandis que mon pere et moi s'excedaient de fatigue et de depenses, ses pas n'etaient representes que comme des pas vers la decou- verte du castor, ses depenses forcees n'etaient que dissipations et ses relations n'etaient que mensonges. L'envie de ce pays nest pas une envie a demy ; elle a pour principe de s'acharner a dire du mal dans 1'esperance que, pour peu que la moitie des mauvais discours prenne faveur, cela suffira pour nuire. EfTectivement, mon pere ainsi desservi a eu la douleur de retourner, et de nous faire retourner plus d'une fois en arriere, faute de secours et de protec- tion II a meme quelquefois recu des reproches de la Cour, plus occupe de marches que de raconter jusqu'a ce qu'il put raconter plus juste. II n'avait point de part aux promotions et il n'en etait pas moins zele pour son projet, per- suade que tot ou tard ses travaux ne seraient pas sans succes et ne resteraient pas sans recom- pense. " Dans le temps qu'il se livrait le plus a ces bonnes dispositions, 1'envie eut le dessus. II vit M. DE LA VERKNDRYE 125 passer entre les mains d'un autre des postestout etablis et son propre ouvrage. (i) " Pendant qu'il etait ainsi arrete dans sa course, le castor arrivait assez abondamment pour un autre que lui, mais les postes bien loin de se multiplier disparaissaient et la decouverte ne faisait aucun progres, c'est ce qui le desolait le plus. " Monsieur le marquis de la Galissonniere arriva dans le pays, sur ces entrefaites, et, a travers tout ce qui se disait en bien et en mal, il jugea qu'un homme quiavait pousse de pareilles decouvertes a ses frais et a ses depens sans qu'il en eut rien coute au Roi, et qui s'etait endette pour de bons etablissements, meritait un autre sort. Beaucoup de castor de plus dans la colonie et au profit de la Compagnie des Indes ; quatre et cinq postes etablis au loin par des forts aussi bons qu'ils puissent etre dans ces contrees eloi- gnees ; nombre de sauvages devenus les sujets du Roi et dont quelques uns, dans un parti que je commandais, donnerent 1'exemple a nos sau- vages domicilies de frapper sur les autres sau- vages devoues a 1'Angleterre, parurent de veri- tables services ; independamment du projet commence de la decouverte, dont le succes ne (l) Ce fut M. de Noyelles qui fut envoye pour le remplacer, mais il ne fut qu'un an dans les postes, et n'alla qu'a Missilimaktnaw. 126 L'OUEST CANADIEN pouvait etre ni plus prompt, ni plus efficace qu'en restant entre les memes mains. " C'est ainsi que M. le marquis de la Galis- sonniere a bien voulu s'en expliquer et sans doute il s'en est explique de meme a la Cour puisque mon pere, 1'annee derniere, se trouva honore de la croix de Saint-Louis et invite a continuer 1'ouvrage commence par ses enfants. " II se disposait a partir de tout son cceur et il n'epargnait rien pour reussir ; il avait dejaachete et prepare toutes ses marchandises de traite ; il m'inspirait a moi et a mes freres son ardeur, lorsque la mort nous 1'a enleve le 6 du mois de decembre dernier. " Quelque grande que fut albrs ma douleur, je n'aurais jamais pu imaginer, ni prev.oir ce que je perdais en perdant mon pere. Succedant a ses engagements et a ses charges, j'osais esperer la succession des memes avantages. J'eus 1'honneur d'en ecrire sur le champ a M. le marquis de la Jonquiere, en 1'informant que j'etais retabli d'une indisposition qui m'etait survenue et qui pouvait servir de pretexte a quelqu'un pour me sup- planter. II me fut repondu qu'il avait fait choix de M. de Saint- Pierre pour aller a la mer de 1'Ouest. Je partis aussitot de Montreal, ou j'etais, pour Quebec. Je representai la situation ou me laissait mon pere ; qu'il y avait plus d'un poste a la mer de 1'Ouest ; que mon frere et moi M. DE LA VERENDRYE 127 nous serions charmes d'etre sous les ordres de M. de Saint- Pierre ; que nous nous contenterions, s'il le fallait, d'un seul poste et du poste le plus recule ; que meme nous ne demandions qu'a aller en avant ; qu'en poussant la decouverte nous pouvions tirer parti des derniers achats de mon pere et de ce qui restait encore dans les forts ; que du moins nous aurions ainsi la conso- lation de faire nos plus grands efforts pour re- pondre aux vues de la Cour. M. le Marquis de la Jonquiere presse par mes representations me dit enfin que M. de Saint-Pierre ne voulait ni de moi, ni de mes freres. Je demandai ce que deviendraient nos credits. M. de Saint- Pierre avait parle ; il ne me restait rien a obtenir. " Je retournai a Montreal avec ce consolant eclaircissement. Je mis en vente une petite terre, seul effet de la succession de mon pere dont les deniers ont servi a satisfaire les creanciers les plus presses. Cependant la saison s'avangait. II s'agissait d'aller a 1'ordinaire au rendez-vous mar- que de mes engages pour leur sauver la vie et recevoirleur retour, sujets sans cette precaution a etre pilles et abandonnes. J'ai obtenu cette permission avec bien de la peine, malgre M. de Saint- Pierre et seulement a des conditions faites pour le dernier des voyageurs. Encore a peine M. de Saint- Pierre me vit-il partir qu'il se plai- gnit que mon depart lui faisait un tort de plus de 128 L'OUEST CANADIEN dix mille francs et qu'il m'accusa sans autre cere- monie d'avoir charge mon canot au-dela de la permission qui m'avait ete accordee. L'accusa- tion fut examinee ; on envoya a la poursuite de mon canot, et si on m'eut rejoint des lors M. de Saint- Pierre se serait rassure plus tot. " II m'a rejoint a Missilimakinaw'et, si je dois Ten croire, il a tort d'en avoir agi ainsi. II est bien fache de ne pas m'avoir, ni mes freres avec lui. II m'a temoigne beaucoup de regrets et m'a fait bien des compliments, (i) " Quoiqu'il en soit, tel est son precede ; il est difficile d'y trouverde la bonne foi et de 1'huma- nite. M. de Saint- Pierre pouvait obtenir tout ce qu'il a obtenu, assurer ses interets particuliers par des avantages qui surprennent et amener un parent avec lui, sans nous donner une entiere exclusion. " M. de Saint- Pierre est un officier de merite, mais je n'en suis que plus a plaindre de 1'avoir ainsi trouve centre moi et avec toutes les bonnes idees qu'il a pu donner de lui dans differentes occasions, il aura de la peine a prouver qu'en cela il a eu en vue le bien de la chose, qu'il s'est conforme aux vues de la Cour et qu'il a respecte les bontes dont M. de la Galissonniere nous honorait. II faut, pour qu'il nous soit fait un (i) M. de Saint-Pierre jouait la le role d'hypocdte, car il lui cut te facile de reparer ses torts a l'egard du chevalier de la Verendrye. M. DE LA VERENDKYE 129 pareil tort, qu'il nous ait bien nui aupres de M. de la Jonquiere. (i) " Je n'en suis pas moins mine. Mes retours de cette annee, recueillis a moitie et a la suite de mille inconve'nients, achevent ma ruine. Comptes arretes tant du fait de mon pere que du mien, je me trouve endette de plus de vingt mille livres ; je reste sans fond, ni patrimoine, je suis simple enseigne en second. Mon frere aine n'a que le meme grade que moi et mon frere cadet n'est que cadet a 1'aiguillette : voila le fruit actuel de tout ce que mon pere, mes freres et moi avons fait. " Celui de mes freres qui fut assassine il y a quelques annees par les Sioux, n'est pas le plus malheureux. Son sang n'est pour nous d'aucun merite, les sueurs de mon pere et les notres nous deviennent inutiles. II nous faut abandonner ce qui nous a tant coute, a moins que M. de Saint- Pierre ne reprenne d'autres sentiments et ne les communique a M. le marquis de la Jonquiere. " Certainement nous n'aurions point te inutiles a M. de Saint- Pierre. Je ne lui ai rien cache de ce que j'ai cru pouvoir lui servir, mais quel- qu'habile qu'il soit et en lui supposant la meil- leure volonte, j'ose croire qu'il s'est expose a faire bien des faux pas et a s'egarer plus d'un jour en (I) M. de la Jonquiere, Bigot et de Saint-Pierre s'entendaient ici. C'e"tait les bood j ers de I'dpoque tout simplement. 130 L'OUEST CANADIEN nous excluant d'avec lui. C'est une avance que de s'etre deja egare et il nous semble que nous serions surs actuellement de la droite route pour parvenir au terme, quel qu'il puisse etre. Notre plus grand supplice est de nous voir arraches d'une sphere que nous nous proposions de termi- ner de tous nos efforts. " Daignez, Monseigneur, juger la cause de trois orphelins. Le mal tout grand qu'il est, serait-il sans remedes ? II est entre les mains de Votre Grandeur. Des ressources de dedomma- gements et de consolations, j'ose les esperer. " Nous trouver ainsi exclus de 1'Ouest, ce serait nous trouver depouilles avec la derniere cruaute d'une espece d'heritage dont nous aurions eu toute 1'ouverture et dont les autres auraient toutes les douceurs." Cette noble lettre du chevalier en revele long sur les mauvais precedes de M. de Saint- Pierre envers lui et ses freres ; elle confirme bien une relation de cette epoque qui dit: "que rintendant Bigot et M. de Saint-Pierre s entendirent pour exploiter a leur profit le commerce des fourriires dans I'ouest apres la mort de M. de la Verendrye, et qitau bout de trois ans Us realiserent des sommes immenses aux depens de I ' Etat" Le marquis de la Jonquiere n'eut pas la satis- faction de voir tomber ces profits dans ses mains, M. DE LA VERENDKYE 131 car il mourut en 1752, un an avant le retour de M. de Saint- Pierre. II n'y a pas le moindre doute qu'il favorisait 1'ambition de ces deux hommes. L'indifference, on pourrait meme dire la cruaute qu'il fit paraitre a l'egard des fils du decouvreur, en est la preuve. II connaissait les intentions de la Cdur et les vues des deux gouverneurs qui 1'avaient precede dans la colonie ; il connaissait aussi le merite de cette famille qui se devouait depuis pres de vingt ans pour le service de la France ; s'il n'eut pas ete aveugle par la cupklite, il n'eut jamais permis qu'on la depouilla aussi odieusement de son patri- moine. L'histoire ne pourra jamais trop fle'trir la conduite de ces trois hommes dans cette cir- constance. 132 L QUEST CANADIEN CHAPITRE X. SOMMAIRE. Depart de M. de Saint-Pierre pour 1'Ouest. Missilimakinaw. Fort Saint-Pierre. Discours aux Indiens Fort Maurepas. M. de Niverville envoyd a Paskoyac. Arrivee de M. de Saint-Pierre au fort de la Reine. Lefort de'pourvu de provisions. Ctablissement du fort la Jonquiere. Maladie de M. de Niverville. M. de Saint- Pierre passe tranquillement 1'hiver au fort de la Reine. Nous aliens mainteriant voir a 1'oeuvre, M. de Saint- Pierre dans les postes de 1'ouest. Desor- mais les noms de la Verendrye disparaissent de 1'histoire de la Riviere Rouge et, etrange destinee des choses humaines, les tresors que renferme ce vaste pays, pour la decouverte duquel ils ont depense leur vie et leur fortune, serviront a enrichir d'obscurs traiteurs, dont le principal merite aura etc d'etre d'audacieux voyageurs et de vigoureux marcheurs. Depouilles odieusement du fruit de leurs travaux, les fils du decouvreur des grandes prairies de 1'ouest furent laisses sans protection et sans espoir de recouvrer le moindre dedomma- gement pour les pertes que leur faisaient subir le Marquis de la Jonquiere, Bigot et Legardeur M. DE SAINT-PIERRE de Saint- Pierre ; car c'etait bien ce trio qui avait decide de leur sort. Le 5 juin 1750, Legardeur de Saint-Pierre se mit en route pour les postes de 1'ouest, emme- nant avec lui M. de Niverville comme second. Le 12 juillet, il arrivait a Missilimakinaw. II s'y arreta pendant trois semaines, tant pour donner un peu de repos a ses hommes que pour se remettre lui-meme de ses fatigues ; car il nous apprend dans son memoire qu'il avait trouve cette partie du voyage assez rude ; cependant il n'etait qu'au commencement de ses miseres. " Je repartis, dit-il, de Missilimakinaw le 6 " aout et je me rendis le 29 septembre au lac de " la Pluye. C'est lale premier etablissement de " 1'ouest. Je dois remarquer que cette route est " des plus difficiles et qu'il faut une pratique bien " formee pour connaitre les chemins ; quelques "'inauvais quej'eusse lieu de me les figurer, je " ne puis qu'en etre surpris. II y a trente-huit " portages. Le premier de ces portages a quatre " lieues, et le moindre des autres est d'un quart " de lieue." Des les premieres lignes, le rapport de M. de Saint- Pierre denote un homme qui veut faire valoir ses services outre mesure ; ce n'est qu'un tissu d'exagerations et de mensonges. Les mis- sion naires qui connaissent aujourd'hui le pays de la Riviere Rouge savent a quoi s'en tenir sur 9 134 L'OUEST CANADIEN ces rapports des voyageurs d'autrefois dans ces contrees sauvages. A celui qui possede tant soit peu la science des hommes, le recit de M. de Saint- Pierre n'en impose pas. On sait que du lac Superieur au lac de la Pluie il n'y a que dix portages, et non trente-huit ; que le plus long de ces portages est de neuf milles seulement et qu'on en compte trois qui n'ont qu'un arpent. Je releve ces exagerations pour rappeler ce que j'ai dit dans un chapitre prece- dent, a savoir que Legardeur de Saint- Pierre ne connaissait pas du tout le pays de la Riviere Rouge et qu'il n'etait pas, comme le dit M. de la Jonquiere au ministre des colonies, r/wmme qui connaissait le mieux ces pays sauvages. Tout le reste du rapport ressemble au commencement. Le langage de M. de Saint- Pierre denote partout un caractere vaniteux, sans loyaute et cherchant a se faire valoir aux depens de son predecesseur. Avant son depart de Montreal, M. de Saint- Pierre avait meprise une foule de renseignements importants que le chevalier de la Verendrye avait eu la bonte de lui donner. II ne s'etait pas fait, comme il 1'avoue, une idee des difficultes qu'on rencontrait pour voyager dans ces contrees lointaines. C'est pourquoi il fit bevues sur bevues et finit par ruiner, en trois ans, des postes qui avaient coute a M. de la Verendrye dix-huit M. DE SAINT- PIERRE 135 annees de travaux, tout son avoir et celui de sa famille. Au lac de la Pluie, M. de Saint- Pierre rencon- tra les sauvages. " Je leur fis grandement valoir " la bonte que le roy, mon maitre, a de les visi- " ter et pourvoir a tous leurs besoins. Je me " renfermai a cet egard a ce qui m'est present " dans mon instruction. Je fus tres bien regu et " a en juger par 1'exterieur, ces sauvages etaient " mieux disposes pour les Frangais. Je netardai " pas cependant a m'apercevoir que toutes ces " nations en general etaient tres derangees et tres " impertinentes, ce qu'on peut attribuer a la trop " grande mollesse qu'on a eue pour elles." La plus grande impertinence, selon nous, c'est celle que commet ici M. de Saint-Pierre en se melant de critiquer la conduite de M. de la Verendrye qui aurait derange les sauvages en leur faisant trop de presents et en ne les traitant pas assez severement. Nous 1'avons dit : M. de Saint- Pierre ne connaissait rien, ni le pays, ni les mceurs des sauvages, et il etait bien rhomme le moins qualifie pour continuer 1'oeuvre de M. de la Verendrye. Aussi, il ne fera que la ruiner. En passant au fort Saint-Charles, M. de Saint- Pierre promit aux sauvages qu'il ferait batir un fort au pied des Montagnes-Rocheuses. " Je " promis, dit-il, a toutes les nations que M. de " Niverville irait faire un etablissement a trois 136 I/OUEST CANADIEN " cents lieues plus haut que celui de Paskoyac. " Je convins avec toutes ces nations qu'elles se " joindraient a moi dans ce nouveau poste." Ce projet propose aux sauvages du lac des Bois de les trainer a quatre cents lieues pour aller vendre leurs pelleteries, tandis qu'ils ne sont qu'a quatre cents milles de la baie James, dut leur sourire mediocrement. Mais M. de Saint- Pierre ne fait un memoire que pour la forme, persuade que le gouverneur ne fera pas d'enquete pour s'assurer de la verite. Arrive au fort Maurepas, M. de Niverville prit le chemin du fort Paskoyac. La saison etait trop avancee pour voyager en canot ; depuis 1'embouchure de la Riviere Rouge, il se dirigea a travers les bois du cote du fort Bourbon. Ce fut pour lui un voyage de miseres. Oblige de porter a dos ou sur de legers traineaux le bagage et les provisions, la fatigue et 1'epuise- ment le forcerent a laisser une partie des vivres le long de la route. N'ayant rien trouve dans les forts, il fut expose a mourir de faim avec tous ses gens. Rendu a Paskoyac a 1'entree de 1'hiver, M. de Niverville n'eut pour se nourrir qu'un peu de poisson bouilli, peche au jour le jour ; cette famine dura jusqu'au printemps. M. de Saint-Pierre n'eut pas un meilleur sort, mais on pent dire qu'il Favait bien merite. L'au- M. DE SAINT-PIERRE 137 tomne tirait a sa fin quand il arriva au fort de Reine. Ce fort, delaisse depuis le depart de M. de la Verendrye, etait vide de toutes provi- sions. A cette saison, les sauvages etaient alles prendre leurs campements d'hiver dans les bois le long des rivieres. M. de Saint- Pierre envoya immediatement ses hommes a la recherche de quelque camp, mais le peu de nourriture qu'ils rapporterent ne les sauva pas d'un jeune rigide qui altera la sante de M. de Saint-Pierre. Au printernps, M. de Niverville qui avait re9U 1'ordre de remonter la Saskatchewan et de faire un etablissement au pied des montagnes, se trouva tellement malade qu'il ne put entreprendre ce long voyage. Cependant le 29 mai (1751), il fit partir dix hommes en avant, leur donnant 1'espoir qu'il irait les rejoindre un mois apres. II n'avait pas oublie les miseres de 1'automne precedent pour se rendre au fort Paskoyac ; avec sa sante minee par le jeune de 1'hiver et la maladie, il n'osa pas se mettre en route. Ces dix voyageurs atteignirent heureusement le pied des montagnes et batirent un fort auquel il donnerent le nom de la Jonquiere, enThonneur du gouverneur de la colonie. Comme a chasse abondait en cet endroit, Us se pourvurent de vivres abondamment. Quelques historiens ont dit que ce fort avait 138 L'OUEST CANADIEN ete bati a peu pres a 1'endroit ou se trouve aujourd'hui Calgarry ; mais des voyageurs anciens qui connaissaient le pays et les tradi- tions recueillies par les sauvages, affirment qu'il etait beaucoup plus pres des montagnes, dans un endroit ou Ton croit retrouver des traces de cet etablissement. On dit que les sauvages en passant pres de cette place ont coutume d'y jeter une pierre. (i) Ceux qui ont visite ces lieux disent que remplacement convient a un poste de traite, beaucoup mieux encore que Calgarry. Quand la nouvelle de la maladie de M. de Niverville parvint au fort de la Reine ou se trouvait M. de Saint-Pierre, celui-ci se preparait a descendre au Grand- Portage du lac Superieur pour y recevoir des provisions et des marchan- dises. Pour le moment, M. de Niverville fut abandonne a lui seul dans son fort Paskoyac, ou il passa Fete, la maladie 1'empechant d'aller rejoindre ses dix hommes au fort la Jonquiere. M. de Saint- Pierre ne fut de retour au fort de la Reine que le 7 octobre (1751). Pendant ce temps, la decouverte n'avanait pas vite. Le 14 novembre, il entreprit d'aller rejoindre M. de Niverville au fort Paskoyac. " Je me " suis mis en chemin. dit-il, pour me rendre au (i) Le fait est qu'il y a. la un monceau de pierres. M. DE SAINT- PIERRE 139 " fort la Jonquiere sur les glaces et poursuivre " ma decouverte. (i) " Je faisais ma route de la meilleure grace du " monde et tout semblait s'accorder pour favoriser " mes desirs, lorsque je rencontrai deux frar^ais " avec quatre sauvages qui venaient m'informerde " la continuation de la maladie de M. de Niver- " ville et par surcroit de malheur, de la trahison " que les Assiniboines avaient faite aux Jhate- " heolini qui devaient etre mes conducteurs chez " les Kinon-geolini." Apres cela, M. de Saint- Pierre entre dans de longs et insignifiants details sur cette trahison d'aucune consequence pour lui, surtout dans le moment, puisque le fait s'etait passe a trois cents lieues du fort de la Reine, et que les dix hommes residants au fort la Jonquiere n'en souffrirent aucun dommage. D'ailleurs il n'y avait aucun danger a se rendre au fort Paskoyac pour voir M. de Niverville serieusement malade. M. de Saint- Pierre trouve plus commode de rebrousser chemin pour retourner au fort de la Reine ou il n'aura qu'a echanger tranquillement ses mar- chandises pour des pelleteries sans courir aucun risque de s'egarer. " Dans 1'impossibilite (2), dit-il, de continuer (1) Vous allez voir qu'il ne va pas loin et qu'il a bientot une raison pour revenir sur ses pas, au fort de la Reine. (2) Iinpossib ilite ; le mot est lieureux. 140 L'OUEST CANADIEN " ma decouverte, je m'attachai a prendre autant " de connaissances qu'on le peut des sauvages, " pour savoir s'il n'y avail pas quelque riviere " qui menat ailleurs qu'a la baie d'Hudson. " Un vieux sauvage m'assura que, depuis peu " de temps, la nation des Serpents avait penetre " dans un etablissement tres eloigne de chez eux, " et que la route qu'elle avait suivie pour y aller " va droite au soleil couchant. " Je mis tout en usage pour determiner ce " sauvage a aller a cet etablissement. Je lui " promis une bonne recompense s'il me rap- " portait une reponse a une lettre que je lui " donnerais. " Ceux que je depechai pour porter cette " lettre ne sont pas revenus, je n'ai pas meme " eu de leurs nouvelles." C'est ainsi que M. de Saint- Pierre travaillait a la decouverte de la mer de 1'Ouest. Les fils de M. de la Verendrye suivaient, on le sait, une autre methode. M. DE SAINT-PIERRE 141 CHAPITRE XI SOMMAIRE. M. de Saint-Pierre aux postes de 1'Ouest (Suite). Une aventure au fort de la Reine. M. de Saint-Pierre revient au Grand-Portage avec des chefs indiens. - Son rappel a Montreal par le Gouverneur Duquesne. Le chevalier de la Come remplace M. de Saint-Pierre dans 1'Ouest. Apres 1756, les forts de 1'Ouest sont abandonnes. Fin de la domination francaise dans 1'Ouest. Pendant 1'hiver de 1752, M. de Saint- Pierre eut au fort de la Reine une aventure qui merite d'etre rapportee. Voici comment il la raconte lui-meme : " J'avais eu le plaisir de reparer le fort de la " Reine sans m'attendre a 1'aventure dont je vais " parler. " Le 22 fevrier, sur les neuf heures du matin, " je me trouvais dans ce fort avec cinq fran- " cais (i). J'avais envoye le surplus de mes " hommes chercher des vivres dont je manquais " depuis plusieurs jours. J'etais tranquille dans " ma chambre, lorsqu'il entra dans mon fort deux " cents assiniboines tout armes. Ces sauvages se (l) Le nombre de ses hommes au fort etait de dix-neuf. Quatorze etaient absents dans le moment. 142 L'OUEST CANADIEN " disperserent en un instant dans toutes les mai- " sons ; plusieurs entrerent chez moi sans armes, " les autres resterent dans le fort. Mes gens " vinrent m'avertir de la contenance de ces sau- " vages. Je courus a eux. Je leur dis vertement " qu'ils etaient bien hardis de venir en foule dans " mon fort, armes. L'un d'eux me repondit en " cristinau qu'ils venaient pour fumer. Je leur " dis que ce n'etait pas de la fa$on dont ils " devaient s'y prendre et qu'ils eussent a se retirer " sur le champ. Je crus que la fermete avec " laquelle je leur avais parle les avait un peu " intimides, surtout ayant mis a la porte quatre " de ces sauvages, les plus insolents, sans qu'ils " eussent dit un mot. Je feus tout de suite ches " moy ; mais dans le meme instant, un soldat vint " m'avertir que le corps de garde etait plein de ces " sauvages et qu'ils s'etaient rendus maistres des " armes. Je me hastay de me rendre au corps " de garde. Je fis demander a ces sauvages par " un cristinau, qui meservait d'interprete, quelles " estoient leurs vues, et, pendant ce temps la, je " me disposai au combat avec ma faible troupe. " Mon interprete qui me trahissait me dit que ces " sauvages n'avaient aucun mauvais dessein, et, " dans la minute, un orateur assiniboine qui " n'avait cesse de me faire de belles harangues, " dit a mon interprete que, malgre lui, sa nation " voulait me tuer et piller. A peine eus-je penetre M. DE SAINT-PIERRE 143 " leur resolution que j'oubliay qu'il fallait prendre " les armes. Je me saisis d'un tison de feu " ardent. J'enfonai la porte de la poudriere ; je " defon^ai deux barils de poudre sur lesquels je " promenay mon tison en faisant dire a ces sau- " vages d'un ton assure, que je ne perirois pas " par leurs mains et qu'en mourant j'aurais la " gloire de leur faire subir a tous mon meme " sort. Ces sauvages virent plutost mon tison " qu'ils n'entendirent mes paroles. Us volerent " tous a la porte du fort, qu'ils ebranlerent con- " siderablement tant ils sortaient avec precipi- " tation, J'abandonnay bien vite mon tison et " je n'eus rien de plus presse que d'aller fermer " la porte de mon fort. " Le peril dont je m'etais heureusement delivre, " en me mettant en danger de perir moy-meme, " me laissoit une grande inquietude pour les ',' quatorze hommes que j'avais envoyes chercher " des vivres. Je fis bon quart sur mes bastions ; " je ne vis plus d'ennemis, et, le soir, mes qua- " torze hommes arriverent sans avoir eu aucune " mauvaise rencontre." Monsieur de Samt- Pierre passa tranquillement le reste de 1'hiver dans son fort. Au printemps, les Assiniboines revinrent au fort de la Reine pour donner des explications sur leur malheu- reuse tentative de pillage au mois de fevrier. M. de Saint- Pierre, ne voulant ni les rebutter, ni 144 L'OUEST CANADIEN leur accorder un pardon complet, leur repondit qu'il exposerait le fait au Gouverneur, son maitre, et qu'il intercederait pour eux. On connait cette eau benite de cour ; les sauvages tout barbares qu'ils sont ne s'y laissent pas prendre. M. de Saint- Pierre, lui non plus, n'ajouta pas foi aux temoignages de regrets des sauvages. Etant sur le point de descendre au Grand- Portage pour y chercher des marchandises, il n'osa laisser personne pour garder le fort de la Reine. L'aven- ture du mois de fevrier avait effraye tout son monde. II demanda aux sauvages de vouloir bien en prendre soin ; ce que ceux-ci lui promi- rent sans hesiter. On verra bientot comment ils remplirent leur promesse. Le 24 juillet 1752, M.de Saint- Pierre arrivait heureusement au Grand- Portage. II est pro- bable qu'il avait laisse une partie de son monde dans les differents forts le long de sa route. II repartit aussi pour 1'ouest avec des vivres, des munitions et des marchandises pour la traite. Malgre la guerre entre les sauvages, M. de Saint- Pierre ne negligeait pas la traite. Chaque annee, il monte une quantite de provisions et jamais il ne se plaint qu'on les lui ait voices. Les dangers n'existaient que lorsqu'il s'agissait de la decouverte. Le 29 septembre, il apprit au bas de la riviere Winnipeg, que les sauvages assiniboines avaient M. DE SAINT- PIERRE 145 brule le fort de la Reine quatre jours apres son depart pour le Grand- Portage. C'etait le plus court moyen pour eux de ne pas avoir de preoccupation pour sa garde. " Arrive au has de la riviere Nipik, dit M. de " Saint-Pierre, j'eus la douleur d'apprendre par 41 les cristinaux que quatre jours apres mon 41 depart du fort de la Reine, les sauvages y " avaient mis le feu. Ceci, joint a la disette de " vivres ou je metrouvay, me contraignit d'aller 41 hiverner a la Riviere Rouge ou la chasse est " plus abondante." Nous avons deja vu que le fils de M. de la Verendrye avait bad un petit fort vers 1'embou- chure de 1'Assiniboine a 1'endroit encore appele aujourd'hui Fort-Rouge. Ce fut probablement dans ce fort que M. de Saint- Pierre hiverna en 1753- Pendant 1'hiver, il recut une lettre de Fofricier Marin qui avait ete envoye chez les Sioux par le marquis de la Jonquiere. Marin, tout comme M. de Saint- Pierre, travaillait de son mieux a pacifier les sauvages, mais sans trop de succes. Get ofHcier, lui aussi, etait une des creatures de Bigot, pour faire la traite dans 1'ouest. " II avait ete " charge conjointement avec M. de Saint-Pierre, " par 1'intendant Bigot, dit un document de " 1'epoque, d'aller faire la traite dans I'extreme 146 L'OUEST CANADIEN " ouest tout en explorant les contrees jusqu'a " la mer, si cetait possible" Marin disait, dans sa lettre, que les chefs sioux desiraient avoir une entrevue avec les chefs cristinaux et les invitaient a venir les rencontrer a Missilimakinaw, pour y tenir conseil. M. de Saint- Pierre communiqua cette lettre aux cristi- naux qui consentirent a envoyer trois des leurs avec M. de Saint-Pierre. II partit le 18 juin, du has de la riviere Win- nipeg avec trois chefs cristinaux pour se rendre au Grand -Portage et de la a Missilimakinaw. Le 10 juillet, il passait au fort Saint- Charles sur le lac des Bois. A ce poste, il eut le plaisir de trouver deux frangais qui etaient depuis long- temps, prisonniers chez les Sioux. Ceux-ci les avaient envoy es rencontrer M. de Saint- Pierre pour montrer la bonne volonte qu'ils avaient de conclure un traite de paix au Grand -Portage, supposant que les delegues des differentes tribus ne pourraient pas se rendre a Missilimakinaw. Le 28 juillet, le chevalier de Niverville rejoi- gnit M. de Saint- Pierre au lac Superieur. Lui aussi, avait abandonne son fort Paskoyac d'ou il n'etait pas sorti depuis trois ans. Tous les deux continuerent leur route avec les chefs cristinaux. Quelques jours avant d'arriver a Missilimakinaw, ils firent rencontre du chevalier de la Corne qui s'en allait prendre la charge des M. DE SAINT-PIERRE 14*7 postes de 1'Ouest. M. de Saint- Pierre etait rappele a Montreal par le gmiverneur Duquesne. Les chefs sioux qui s'etaient rendus a Missilima- kinaw etaient deja retournes vers leurs tribus avec 1'officier Marin ; ils n'avaient pas attendu 1'arrivee de M. de Saint-Pierre pour affirmer leurs bonnes dispositions et promettre de garder la paix. Les chefs cristinaux rebrousserent chemin sous la conduite du chevalier de la Corne, et M. de Saint- Pierre, ainsi que le chevalier de Niverville, descendirent a Montreal ou ils arrive- rent le 20 septembre. Ainsi finit cette expedition de M. de Saint- Pierre. L'ceyvre de M. de la Verendrye s'en allait en ruine. Le chevalier de Niverville n'etait pas alle plus loin que le fort Paskoyac. Les hommes qu'il avait envoyes au pied des Montagnes Rocheuses y avaient bati le fort la Jonquiere, mais lui-meme ne se rendit pas jusque la. M. de Saint- Pierre n'alla que tout juste au fort de la Reine. Ainsi la decouverte, sous sa direction, n'avait pas pro- gresse d'un pas. En revanche, il fit une ample moisson de pelleteries, et realisa avec Bigot des profits enormes aux depens de 1'Etat, qui ne beneficia en rien de cette expedition. Le 2 novembre, M. de Saint- Pierre fut charge par le gouverneur, le marquis Duquesne, du commandement de la Belle-Riviere a la place de 148 L'OUEST CANADIEN Marin qui etait mourant. En 1755, il comman- dait un parti de six cents sauvages, au lac du Saint-Sacrement ; il y fut tue par un anglais. Bigot fut rappele en France et jet a la Bastille. Le marquis de la Jonquiere etait mort en 1752. Ainsi ces trois comperes qui s'etaient entendus pour depouiller a leur profit les fils de M. de la Verendrye n'eurent pas le plaisir de jouir du fruit de leurs rapines. Apres 1'expedition de M. de Saint- Pierre, le chevalier de la Corne fut le dernier officier franc. ais charge de garder les forts de 1' Quest. Sous ses ordres, aucune nouvelle decouverte ne fut entreprise. II fit batir un fort un peu au- dessous du confluent des deux branches de la Saskatchewan ; il lui donna le nom de fort la Corne qu'il porte encore aujourd'hui. Cest le seul fort de tous ceux eleves par les fran9ais qui existe encore. Des forts de la Reine, Maurepas, Saint- Charles, Bourbon, Dauphin et la Jonquiere, il ne reste pas la moindre trace, et les Compagnies marchandes qui s'etablirent plus tard dans le pays, ne chercherent pas a les rebatir. Apres 1756, les forts furent abandonnes et les sauvages reprirent le chemin de la baie d' Hudson a la grande satisfaction des anglais. II est pro- bable, cependant, que plusieurs franc.ais ou cana- diens qui avaient suivi les decouvreurs et les traiteurs dans 1'ouest et qui avaient pris le gout M. DE SAINT-PIERRE 149 des aventures, continuerent a vivre chez les tribus indiennes. Les sauvages conserverent longtemps le sou- venir des franc.ais qui avaient habite parmi eux et fait penetrer la civilisation au milieu de leurs tribus. Aussi, pendant bien des annees, ils en conserverent les vestiges. En 181 1, un voyageur anglais, Cox, dans son livre Adventures of the Columbia River, dit que durant son voyage on lui montrait tres souvent, dans ces deserts sauvages, de petites huttes en bois encore ornees de crucifix et autres symboles du christianisme. " Ces demeures sont main- " tenant desertes,ajoute-t-il,mais elles sont encore " regardees avec un pieux respect par les " voyageurs. Les pauvres sauvages eux-memes, " qui,depuis le depart des Jesuites, sont retombes " dans leurs vieilles habitudes, portent le plus "grand respect a ces maisons qui etaient habi- " tees, disaient-ils, par les bons peres blancs qui " ne les volaient jamais, ne les trichaient jamais " commeles autres hommes blancs'' Ici se termine le regne des Frangais dans 1'Ouest. 10 II E PERIODE-1760 A 1822 LES COMPAGNIES DES TRA1TEURS CHAPITRE I. SOMMAIRE. Les coureurs des bois et les traiteurs Isolds. La seconde periode de 1'histoire de 1'Ouest canadien commence a 1'annee 1760, c'est-a dire a la conquete du Canada par 1'Angleterre et se termine a 1'annee 1822, au moment de 1'etablisse- ment d'une hierarchic catholique au Nord-Ouest. Pour comprendre 1'histoire de ces soixante deux annees, il faut interroger les desseins de la divine providence et les etudier a la lumiere de la foi, sinon le lecteur n'y verra qu'un chaos informe ou rarement apparaissent quelques germes de civili- sation. Les aventures etonnantesde quelques coureurs des bois qui vont tenter de faire fortune c.hez les tribus sauvages, et qui, apres avoir risque cent fois leur vie, reviennent terminer leurs jours au pays, tiennent plus du roman que de 1'histoire LES COMPAGNIES DES TRAITEURS 151 proprement dite. Tout ce merveilleux perd bientot son interet, quand on ne peut pas le ramener a un dessein general. Ces sortes de legendes sont bonnes pour amuser un auditoire dans une veillee de famille. L'historien a des lignes plus larges a tracer que le conteur au coin du feu ; nous le verrons en parlant des person- nages qui ont passe sur la scene au Nord-Ouest pendant les soixante-deux annees que nous appelons la seconde periode de 1'histoire de 1'Ouest Canadien. Pour Dieu, le plan qui domine tout, c'est 1'eta- blissement de la Sainte Eglise pour le salut des ames et la glorification de son Christ. La, appa- rait la raison unique de tous les evenements que 1'histoire deroule sous nos yeux. Que les faits se passent sur un grand ou sur un petit theatre ; qu'ils fassent plus ou moins de bruit dans le mbnde ; qu'ils attirent plus ou moins longtemps 1'attention, au fond ils ont tous la meme impor- tance devant Dieu, puisqu'il les menage pour avoir des elus au ciel. C'est a ce point eleve que nous devons nous placer pour etudier 1'histoire et surtout pour 1'ecrire, sous peine de ne ren- contrer que des evenements sans but et des bouleversements causes par le hasard. Tout ce qui arrive ici-bas n'acquiert de 1'interet qu'en vue de ce but supreme. Alors nous voyons dans les grands succes que Dieu accorde aux 152 L'OUEST CANADIEN entreprises humaines des echafauds pour 1'edifice qu'il veut construire, et nous ne sommes plus etonnes de les voir jetes par terre des que 1'edifice est termine. * * * Le Sieur de la Verendrye avait decouvert le pays de 1'ouest jusqu'au pied des Montagnes Rocheuses, mais la s'etait borne sa mission. Cependant, par le concours des missionnaires qu'il avait conduits avec lui dans ses longs voyages, il avait fait entrevoir aux nations infi- deles qui habitaient ces contrees, les premieres lueurs de la vraie civilisation. Elles desiraient maintenant connaitre la verite et les temps appro - chaient ou des apotres viendraient se fixer au milieu de leurs tribus pour les instruire. Mais auparavant, il fallait ouvrir, dans ces deserts sauvages, des routes sures et y etablir des moyens de communications. Les decouvreurs, tout occupes a pousser de 1'avant leur exploration, n'avaient pas eu le temps de tracer ces voies, ni aussi de multiplier les etablissements arm d'y mettre en reserve des provisions pour les besoins de la vie. D'ailleurs les depenses exigees pour 1'execution de tels travaux eussent excede les moyens des particu- liers : seules des associations parfaitement orga- nisees y pouvaient suffire. LES COMPAGNIES DES TRAITEURS 153 Pour rendre le Nord-Ouest accessible aux missionnaires et leur faciliter les moyens de porter la foi aux tribus sauvages qui habitaient ce pays, Dieu va, pendant quelques annees, le livrer a la cupidite d'une grande Compagnie, qui, pour en exploiter les richesses, ouvrira des chemins et y creera des voies sures de communication. De plus, pour stimuler le zele de cette Compagnie et hater les travaux, il favorisera ses gigantesques entreprises ; enfin, lorsque tout sera prepare pour les recevoir, il appelera ses apotres et la Com- pagnie disparaitra. II est evident que les fortunes colossales acquises par les Bourgeois du Nord- Ouest ne furent pas le terme final des desseins de la Providence sur ce pays pendant la seconde periode de son histoire. * # Pendant la domination franchise en Canada, le commerce des pelleteries se fit sous le systeme des privileges exclusifs. Le Gouverneur de la colonie accordait a des orficiers une licence pour aller faire la traite dans les limites d'un territoire designe. Les sauvages chez qui ils allaient, n'avaient pas la permission de s'adresser a d'autres qu'a ce traiteur pour se procurer les objets dont ils avaient besoin. Avec ce systeme, le gouvernement atteignait 154 L'OUEST CANADIEN plus facilement son but qui etait de civiliser les sauvages, en les groupant par families et par villages. II pouvait ainsi les former a des habi- tudes de travail et les faire instruire par les missionnaires. Les traiteurs favorises du gou- vernement etaient ordinairement des personnes de bonne education qui s'etudiaient a corres- pondre aux vues qu'on avait sur eux. Leur conduite d'ailleurs etait surveillee de pres par les missionnaires qui mettaient tous leurs soins a empecher la vente des liqueurs enivrantes aux sauvages. -Au moment de la conquete, il restait encore quelques villages formes par les families indiennes sous le regime francais. Apres la cession du Canada a 1'Angleterre, le systeme du privilege de la traite fut abandonne et chacun fut libre d'aller commercer chez les sauvages. La rivalite qui resulta de cette liberte illimitee ouvrit la porte a toutes sortes de desor- dres et de crimes, et, en moins de vingt ans, toute trace de civilisation avait disparu. Ce fut un grand malheur pour la colonie, pour le com- merce, et pour les sauvages. Les marchands y trouverent la ruine du commerce des pelleteries et les sauvages la ruine de leurs mceurs et, comme consequence, la misere. Tout le mondeconnaitrinsurmontable passion du sauvage pour les liqueurs enivrantes. Pour s'en procurer, il cede tout ce qu'il a ; il se vendrait LES COMPAGNIES DES TRAITEURS 155 lui-meme pour en avoir. Les traiteurs ne man- querent pas d'exploiter a leur profit ce malheu- reux penchant. Ce fut le grand moyen dont ils se servirent pour 1'emporter sur un concurrent. Tous ces traiteurs rivaux, dissemines sur une immense etendue de territoire, et a des distances enormes des pays civilises, savaient que les lois ne pourraient pas les atteindre et ils pouvaient se flatter de 1'impunite en commettant tous les crimes. Un M. Henry, qui fit la traite des pelleteries, dit dans le journal de ses voyages, que lorsqu'il arriva, en 1775, au Grand Portage du Lac Supe- rieur, (i) " il trouva les traiteurs dans un etat " d'inimitie reciproque ; chacun d'eux faisant " ses affaires de la maniere qu'il pensait la " plus propre a nuire a son voisin, conduite, " ajoute-t-il, qui avait un effet dangereux aupres " des sauvages." (page 239.) Les memes faits sont rapportes par Sir Alex. Mackenzie, dans ses " Observations sur le com- merce des pelleteries'.' " Ce commerce, dit-il, se " faisait dans un pays tres eloigne de toute res- " treinte legale ; ou rien n'empeche d'employer " tous les moyens qui peuvent procurer le succes. " La mauvaise conduite des traiteurs leur faisait (i) Le Grand- Portage se trouve sur le c6t6 nord dn Lac Superieur, a 1'endroit ou les traiteurs pendtraient dans les terres pour se rendre a la Riviere Rouge. Ce fut longtemps un poste important. 156 L'OUEST CANADIEN " perdre non seulement 1'occasion de faire des " profits, mais encore 1'estime des sauvages et le " respect de leurs engages que trop disposes a " suivre leur exemple." " L'hiver pour eux n'etait qu'une scene non " interrompue de querelles et de batailles. Les " sauvages n'avaient plus que du mepris pour " des gens qui se conduisaient avec tant de " dereglement et de mauvaise foi." Les vingt premieres annees de 1'histoire du Nord-Ouest apres la conquete pourraient se resumer en quelques pages, si quatre ou cinq parmi ces traiteurs ne s'etaient pas distingues des autres, sinon par une conduite plus honnete. du moins par les succes qu'ils obtinrent et les fortunes qu'ils amasserent. Alexandre Henry fut un des premiers anglais qui s'aventura dans les pays d'En-Haut, apres 1'abandon des forts par les frangais. II s'associa ou plutot il prit pour guide un ancien traiteur fran^ais du nom d'Etienne Campion, chasseur d'une grande habilete et surtout d'une admirable fidelite. Tous deux s'embarquerent a Lachine au mois d'aout 1760. Alexandre Henry n'etait age que de vingt-trois ans. II n'avait jamais fait la traite et ne connaissait pas du tout les pays ou il allait s'aventurer avec son guide. II fut un des premiers qui songea a exploiter, pour la traite, la malheureuse passion des indiens pour le rhum. LES COMPAGNIES DES TRAITEURS 15*7 II en avait fait une bonne provision pour les echanges, mais son premier coup d'essai ne lui reussit pas. Les premiers sauvages que rencontra Henry, lui volerent une partie de son rhum, disant pour le consoler, qu'apres tout c'etaitle sort qui devait lui arriver plus loin. En effet, a Missilimakinaw, il perdit tout ce qu'il possedait de marchandises pour la traite, se cacha pendant longtemps pour eviter la mort et parvint apres avoir endure beaucoup de miseres a descendre jusqu'a Niagara. Apres un pareil debut, un autre se fut decourage et n'eut plus songe a retourner au Nord-Ouest. Henry voulut tenter le sort encore une fois. II partit en 1765 avec un autre associe du nom de J. Bte Cadotte, tres connu dans les pays d'En-Haut (i) II etait determine a ne revenir au Canada qu'apres avoir fait fortune. En effet, il ne retourna a Montreal qu'en 1776, apres une absence de seize ans. Les succes qu'il avait obtenus dans la traite des pelleteries devinrent le sujet de toutes les con- versations. A cette epoque, les recits des voyageurs qui avait vecu longtemps chez les sauvages, avaient un interet qu'ils n'ont plus aujourd'hui. (i) II y a encore dans Manitoba plusieurs families Cadotte descen- dantes de ce premier traiteur qui epousa une indienne. Une de ces families reside a St-Norbert, pres de Winnipeg. 158 L'OUEST CANADIEN Apres avoir fait un voyage en Europe, Henry s'etablit a Montreal, et en i 784 il prit part a la formation de la Compagnie du Nord-Ouest. Pendant que Alex. Henry s'etait enrichi dans le Nord-Ouest, les autres traiteurs, jusqu'a 1770, n'avaient guere penetre plus loin que le Grand Portage et le lac Nepigon. Cette annee-la, un nomme Curry alia jusqu'au lac Bourbon ou il passa 1'hiver comme on sait pres du fort Bourbon bati par un des his de la Verendrye en 1741. Son succes depassa toutes ses esperances ; il revint 1'annee suivante avec une cargaison assez riche pour n'avoir plus besoin de s'occuper de la traite. D'autres voulurent suivre son exemple et aller jusqu'aux forts les plus eloignes qu'avaient batis les frangais. Un M. Finlay se rendit au fort La Corne en 1771. Ce fort etait bien le dernier bati par les francais ; mais il n'etait pas le plus eloigne, car en 1751, M. de Niverville avait fait construire le fort la Jonqurere aux sources de la Saskatchewan, six cents milles plus loin. Lefort La Corne n'avait ete construit que cinq ans apres. Comme depuis la conquete, tous les sauvages du nord avaient cesse de frequenter les forts frangais et avaient repris le chemin de la baie d'Hudson, il est tres probable que la traite sur la Saskatchewan n'etait pas aussi abondante qu'autrefois. En 1772, Joseph Frobisher de LES COMPAGNIES DES TRAITEURS 159 Montreal soupconna qu'il aurait plus d'avantage a s'avancer tout droit vers le Nord pour y ren- contrer les sauvages sur la route de la baie d'Hudson. II se rendit d'abord au fort Paskoyac, non loin de 1'embouchure de la grande Saskat- chewan, et de la se dirigea sur la riviere Churchill, ou personne encore n'etait alle faire la traite. Les sauvages y arriverent en grand nombre, charges des plus precieuses pelleteries. Ces pelleteries etaient toutes destinees a payer les dettes que les sauvages avaient contractees 1'annee precedente chez les anglais de la baie d'Hudson. Quand Frobisher leur.offrit de tout acheter le produit de leur chasse, ils refuserent de le lui ceder, se faisant un scrupule de manquer a leur parole et de commettre une injustice a 1'egard des marchands qui leur avaient avance des mar- chandises et des provisions. Mais Frobisher fit tant d'instances aupres d'eux qu'ils se laisserent gagner, surtout par 1'appat du prix eleve qu'il leur ofFrit. La quantite de fourrures qu'ils lui cederent etait si grande qu'il fut oblige d'en laisser une partie dans un fort qu'il batit expres, et qui depuis ce temps a porte le nom de fort de traite. L'annee suivante, quand il vint pour reprendre ses fourrures, il les trouva intactes. Les pauvres sauvages s'etaient done montres plus honnetes que les blancs, qui venaient leur 160 L'OUEST CANADIEN enseigner a tromper et a manquer de justice dans leurs marches. Frobisher de retour a Montreal vendit sa car- gaison et realisa un profit net de $50,000 piastres. Une telle fortune, faite en si peu de temps, donnait la fievre a tous les commercants de pelleteries ; tous auraient voulu partir pour les pays d'En-Haut. Pendant plusieurs annees, une foule d'autres traiteurs isoles s'aventurerent dans 1'Ouest avec des marchandises, mais surtout avec des liqueurs enivrantes, qu'ils debiterent sans scrupule aux sauvages. Ces traiteurs, dissemines partoutau milieu des tribus,y donnaientl'exemple de tous les vices et volaient odieusement les pauvres indiens. Pour eux, tous les moyens etaient bons. Faire fortune le plus tot possible sans s'occuper des suites de leur conduite, tel etait leur unique but. A force d'etre temoins de leur avarice et de leur cupidite, les sauvages prirent en haine tous ces traiteurs qui venaient les piller et ils resolurent secretement de tous les mettre a mort a un mo- ment donne. A 1'automne de 1 780, les sauvages de la riviere Assiniboine, pour venger la mort de 1'un des leurs tue par une trop forte dose de liqueur que lui avait versee un commis, atta- querent deux forts et tuerent trois canadiens. De nombreux postes furent attaques dans le meme temps et le complot forme pour exter- LES COMPAGNIES DES TRAITEURS 161 miner tous les blancs etait a la veille d'eclater, quand un evenement inattendu vint jeter 1'epou- vante dans le pays et sauver tous les traiteurs d'une mort certaine. Une bande d'Assiniboines, s'etant mis en cam- pagne pour aller lever des chevelures chez les Mandanes, rapporta une maladie inconnue j usque la chez les tribus du Nord ; c'etait la petite verole. Cette affreuse maladie qui porte partout 1'epouvante et la terreur, produisit chez les sauvages des scenes de desolation indescriptibles. Ceux-la seuls qui en ont ete les temoins, peuvent en avoir une idee. Les soinshygieniquesque prennent les peuples civilises pour controler les ravages de cette epi- demic, ne sont pas meme soupgonnes chez les sauvages. Loges sous de miserables tentes ou la temperature varie comme en plein air ; exposes nuit et jour aux courants froids des vents qui soufflent continuellement sur ces immenses prai- ries, on comprend avec quelle rapidite tous deviennent les victimes du fleau chaque foisqu'il fait irruption dans une tribu. Presque pas un de ceux qui en sont atteints n'en rechappe. En 1780, les traiteurs rapportent que les trois quarts de la nation assiniboine furent emportes. Les blancs echapperent ainsi au massacre com- plote centre eux ; mais d'un autre cote, la traite fut ruinee par la mort des chasseurs. Pendant 162 L'OUEST CANADIEN deux ans, les marchands de Montreal ne reyurent aucune pelleterie du Nord-Ouest. Prevoyant les dommages qui pouvaient resulter de ce fait et voulant retablir un systeme de traite plus regulier, ils s'assemblerent durant 1'hiver de 1 783 a 1784 et jeterent les bases de la Compagnie du Nord-Ouest. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 163 CHAPITRE II. FORMATION DE LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST. 1784- SOMMAIRE. Pourquoi la Compagnie prit le nom de Compagnie frangaise. Sa premiere organisation, noms des premiers Bourgeois. Premiere scission. Lutte centre quelques traiteurs mecontents. Etablisse- ments des forts dans I'extrfime nord a 1'ile a La Crosse et au lac Athabaska. Reunion des traiteurs en 1787. Disons tout de suite, en commengant ce cha- pitre, que le nom de Compagnie franyaise adopte par la Compagnie du Nord-Ouest ne luiapparte- nait pas plus qu'a sa rivale, la Compagnie de la baie d'Hudson, puisque tous ses bourgeois et les trois quarts de ses commis etaient anglais ou ecossais. Des le commencement, elle ne fut composee que d'anglais et en 1 804, sur quarante bourgeois, il y avait trente-huit anglais et seule- ment deux francais, MM. Chaboillez etde Roche- blave. II en fut presque de meme de ses commis. II est vrai que tous ses serviteurs etaient cana- diens, mais ces portefaix et ces manoeuvres qui agissaient comme des esclaves sous les ordres 164 L'OUEST CANADIEN des chefs anglais, ne faisaient pas plus partie de la Compagnie que les chasseurs sauvages qui venaient commercer dans les postes de traite. Si on a fait sonner si haut ce titre de franais pour une compagnie marchande composee d'an- glais, c'etait pour avoir les sympathies des sau- vages qui avaient toujours estime beaucoup les fran9ais et deteste les anglais. Les indiens avaient conserve le souvenir des premiers franais qui avaient penetre dans 1'ouest ; ils se rappelaient les bons precedes dont ils avaient use envers eux, et les paroles de paix qu'ils leur avaient apportees avec les mission- naires qui les suivaient. Le nom de fransais resonnait bien a leur oreille et reveillait en eux les sympathies qu'ils avaient donnees a M. de la Verendrye et a ses fils. La Compagnie du Nord- Ouest connaissait la repulsion des sauvages pour les anglais ; elle voulut beneficier du prestige attache au nom fran^ais pour capter la confiance, non seulement des indigenes, mais de tous les canadiens qu'elle prenait a son service et en ineme temps pour rendre odieuse sa rivale en 1'appelant Compagnie anglaise. On a abuse de ce titre en faveur des bourgeois du Nord- Quest pour leur faire pardonner des fautes que 1'histoire doit juger avec impartialite. II faut done considerer la Compagnie du Nord- Ouest, comme une Compagnie anglaise, dans LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 165 laquelle la nationalite canadienne n'a rien de plus a defendre que dans la Compagnie de la baie d'Hudson. Toutes deux n'ont eu qu'un but, faire fortune per fas et nefas, ou, comme on dit en anglais, any zvay and any how. La civilisation des tribus indiennes et le progres materiel du pays qu'elles exploitaient, ont ete le moindre de leurs soucis. Si deux ou trois associes de la Compagnie du Nord- Quest ont travaille, dans un but scientifique, a etendre le champ des decou- vertes, ce fut contrairement aux idees de la Compagnie qui ne comprenait rien en dehors de son trafic des fourrures. Quoique cette Compagnie ait joue, en Canada, un role tres marquant durant plusieurs annees, cependant son histoire n'etait guere connue qu'au point de vue mercantile. On savait qu'elle faisait un immense trafic de pelleteries, chez les sauvages de 1'ouest ; que la plupart de ses bour- geois realisaient de belles fortunes et qu'elle gardait a son service toute une armee de servi- teurs canadiens, qu'on appelait : les voyageurs des pays d' En-Haut. . Mais comment les choses se passaient la-bas chez les sauvages ; quelle vie menaient tous ces bourgeois, tous ces commis et tous ces coureurs des bois ; quelle morale on y gardait, quelle justice on y observait, voila ce qu'on a ignore, sinon completement, du moins en grande partie. 166 L'OUEST CANADIEN Comme toutes les grandes compagnies, la Com- pagnie du Nord-Ouest avait des influences en haut lieu, et, par son or, elle avait su se creer des sympathies j usque dans les plus hauts rangs de la societe. Assurement, il n'est pas desirable que tons les mysteres du Nord-Ouest soient jamais reveles au grand jour ; une histoire detaillee de tous les faits et gestes de ces traiteurs serait loin d'etre edifiante. Mais le devoir de 1'historien est de reveler tout ce qui peut 1'etre convenablement. Les actionnaires de cette Compagnie etaient generalement des hommes qui avaient re9U une education distinguee ; ils etaient ce qu'on appelle dans le monde des gentlemen. A Montreal et a Quebec, ils etaient admis et fetes dans la haute societe a cause du rang qu'ils tenaient et des manieres gracieuses qu'ils savaient prendre a leur retour des pays d'En-Haut. On les appelait les Nord-Ouest. Ils menaient un train princier comme des millionnaires. Leurs causeries etaient interessantes, et partout on aimait a entendre le recit de leurs courses lointaines. Ils tenaient aux formes exterieures et a tout ce qui pouvait contribuer a augmenter leur prestige. Mais chez eux, il y avait deux hommes ; le civilise et le traiteur. Si en Canada, ils se montraient aimables et faisaient paraitre de belles qualites, dans les pays sauvages, ils etaient, comme trafiquants, LA COMPAGNIE DU NOKD-OUEST 167 sans entrailles, et, pour defendre ce qu'ils appe- laient leurs droits de commerce, ils ne recuiaient devant aucun moyen. Du haut en has, depuis le premier bourgeois jusqu'au dernier des servi- teurs, tous etaient animes du meme esprit. En succedant aux traiteurs isoles, lesmembres de cette Compagnie se mirent en etat de realiser plus surement de grosses fortunes, mais le Nord- Ouest n'y gagna rien au point de vue de la morale et de la civilisation. Les sauvages furent exploites et demoralises plus systematiquement, et les coureurs des bois continuerent, comme par le passe, a s'abrutir par toutes sortes de vices. La suite de cette histoire le prouvera. Les graves inconvenients, resultant d'une con- currence portee trop loin avaient prepare la for- mation de la Compagnie du Nord-Ouest. Celle- ci, des le principe, eut soin de fermer le Nord- Ouest a tout traiteur isole, voulant faire le com- merce des pelleteries sur le meme terrain qu'elle. Ces marchands qui se formaient ainsi en societe n'avaient aucun droit particulier. Tout sujet anglais pouvait y pretendre. Ils n'ignoraient pas que le fait de s'adresser au Parlement, pour obtenir un privilege exclusif de commerce, eut ete de leur part une demarche inutile. A defaut d'un titre legal, ils espererent garder ce mono- pole par la force et en payant d'audace. La traite, qui avait ete completement ruinee 168 L'OUEST CANADIEN par la honteuse conduite des blancs chez les sauvages et par la mort de la plupart des chas- seurs tombes victimes de la picote en 1 780, com- mengait a se relever en i 784. Les animaux a belles fourrures, laisses en paix durant ces trois dernieres annees, s'etaient beaucoup multiplies et les chasseurs devenus insouciants apres 1'epi- demie qui avait decime les tribus commencaient a reprendre leur genre de vie d'autrefois. Les traiteurs anglais, cependant, ne voulurent plus user du meme systeme que par le passe. Les dommages qu'ils avaient eprouves durant les dernieres annees les avaient convaincus qu'il fallait adopter un autre mode de faire la traite pour y trouver des profits. Durant 1'hiver de 1783 a 1784, les plus importants d'entre eux se reunirent pour faire le commerce en societe. Les chefs de cette association furent messieurs Ben- jamin et Joseph Frobisher, les plus anciens trai- teurs du Nord-Ouest et M. Simon McTavish a qui on donna une commission comme agent. Une partie de ceux qui devaient etre associes se trouvaient alors dans les territoires de 1'ouest et n'avaient pu descendre a Montreal pour s'en- tendre avec les chefs, maisceux-ci avaient promis aux nouveaux associes de donner satisfaction aux actionnaires absents. Le principe fondamental de cet arrangement etait que les capitaux separes de chaque mar- LA COMPAGNIE DU NORD- QUEST 169 chand seraient mis en commun et que chaque particulier aurait dans les profits une part pro- portion nee a sa mise. Des le commencement du printemps, les asso- cies se rendirent au Grand Portage avec leurs lettres de creance etla ils rencontrerent ceuxqui n etaient pas venus a Montreal pour assister a la convention. MM. Peter Pond, Peter Pang-man et quelques autres se montrerent tres mecontents de la part qu'on leur avait faite et refuserent de se joindre aux autres. Cette difficulte inattendue derangea les calculs de la Compagnie naissante. Pour 1 utter avec avantage contre sa rivale qui allait se reveiller de son apathie sur les bords de la baie d' Hudson et sortir de sa taniere pour s'avancer vers 1'ouest, la nouvelle Compagnie avait besoin de toutes ses forces et de tous ses hommes, afin de s'emparer immediatement des postes du nord et de 1'ouest. Pangman, et Pond etaient des hommes habiles, energiques et habi- tues avec les sauvages : ils pouvaient nuire beaucoup a la Compagnie du Nord-Ouest en attirant a eux les serviteurs de celle-ci et en indis- posant contre elle les vendeurs de fourrures. Mais, d'un autre cote, ceder immediatement aux reclamations de quelques mecontents, c'etait aux yeux des chefs ouvrir la porte a une foule d'in- convenients pour 1'avenir ; ils prefererent accepter 170 L'OUEST CANADIEN la lutte dans 1'espoir que 1'opposition ne durerait pas longtemps. II fallait chez les dissidents une audace peu commune pour se poser en face d'une Compagnie bien organisee comme 1'etait celle du Nord-Ouest, ayant a son service toute une armee d'employes. Pangman et Pond descendirent a Montreal pour s'entendre avec une maison de commerce qui leur fournirait des marchandises pour la traite. La maison Gregory et McLeod accepta leurs propositions et meme prit des parts dans la nou- velle Compagnie. Au printemps de i 785, Pangman et Ross se rendirent de bonne heure au Grand Portage pour y choisir un site avantageux, y batir un magasin et des hangars. Leurs associes allerent les rejoindre au mois de juin. Le dessein de la Compagnie du Nord-Ouest etait de penetrer im- mediatement jusqu'au fond du nord pour y elever des forts et couper d'avance le chemin a la Com- pagnie de la baie d'Hudson. Depuis un siecle, tous lessauvages d'Athabaska et Tile a laCrosse avaient toujours porte leurs pelleteries a cette Compagnie sur les bords de la mer. On a vu qu'en 1775, M. Frobisher les avait rencontres a la riviere Churchill au portage de traite, et les avait decides a lui vendre le produit de leur chasse : mais, depuis lors, ils avaient continue a faire le long voyage a la baie. Les plus belles LA COMPAGNIE DU NORD- QUEST 171 et les plus precieuses pelleteries venaient de ce cote qui etait le pays des loutres et des castors. La Compagnie du Nord-Ouest avait a sa dis- position un personnel assez nombreux pour etablir des postes sur tout le parcours depuis le lac Superieur jusqu'au lac Athabaska et pour avoir un pied a terre partout ou ses antagonistes viendraient se placer. On peut dire que, des la premiere annee, fut elle maitresse du terrain. Neanmoins la Compagnie des dissidents prit vis- a-vis de sa rivale une attitude tellement energique que celle-ci n'osa pas d'abord user de violence. Mais cette paix n'etait qu'apparente ; 1'ambition y mit bientot un terme. Durant 1'hiver 1787, des batailles serieuses eurent lieu entreles servi- teurs des deux Compagnies dans les forts du nord ; il y eut des morts et des blesses. Les scenes de desordre dont le Nord-Ouest avait etc temoin durant les vingt annees qui avaient precede la formation des Compagnies, etaient reparues et meme elles etaient depassees. Elles avaient autrefois ruine le commerce ; elles menacerent de le miner encore. Les bourgeois en furent effrayes et songerent a reunir les deux Compagnies. II faut entendre Sir Alex. McKen- zie parler de ces jours de crimes. " Apres la " plus rude opposition qu'on vit jamais, dit-il, " dans cette partie du monde ; apres avoir souffert " tout ce que la jalousie et la rivalite peut causer 172 L'OUEST CANADIEN " d'oppression ; apres qu'un de nos associes cut " e"te tue, un autre estropie, et qu'un de nos " commis se fut avec peine e'chappe a la mort, " ayant regu une balle a travers sa corne a " poudre pendant qu'il faisait son devoir, nos " adversaires furent enfin forces de nous accorder " une part dans le commerce. Comme nous " avions fait des pertes enormes, la jonction des " Compagnies etait sous tous les rapports fort a " desirer pour nous ; elle eut lieu au mois de " juillet 1787." La lutte avait dure a peine deux ans, mais elle avait ete rude et le meme Sir Alex. Mackenzie avoua quelques annees plus tard qu'il lui avait fallu quatre ans pour reparer les pertes qu'il avait subies. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 173 CHAPITRE III. La Compagnie du Nord-Ouest apres 1787. Son plan de rester seule maitresse du commerce de la traite. Elle construit des forts jusque dans 1'extreme Nord pour arreter les sauvages qui allaient a la bale d'Hudson. Travaux des decouvreurs Alex. Mackenzie, Fraser, Quesnel. Voyage chez les Mandanes. Reflexions d'un chef sauvage. Delivree apres 1787 de toute competition serieuse, la Compagnie ne songea plus qu'a etendre le champ deses operations commerciales et a s'assurer le monopole exclusif de la traite dans tout le Nord-Ouest. Pendant qu'au sud de la riviere Saskatchewan, les tribus, apres la decou- verte, s'etaient. empressees d'avoir des rapports avec les traiteurs frangais, celles du nord avaient toujours continue depuis un siecle a porter leurs fourrures aux anglais de la baie d'Hudson. Pour attirer les sauvages de ces regions vers le sud et les detourner de la baie d'Hudson, 1'unique moyen etait de se mettre sur leur chemin et de faire alliance avec eux. Les associes de la Compagnie etaient des hommes habiles et qui avaient le genie du com- merce. Us comprenaient que, pour devenir les maitres de ces immenses pays, il ne fallait pas reculer devant les entreprises dispendieuses, 174 L'OUEST CANADIEN parce que la mine a exploiter dedommagerait abondamment des depenses encourues pour 1'ouvrir. Us echelonnerent done leurs forts sur la route depuis le lac Superieur jusqu'au grand lac des Esclaves, et munirent tous ces postes d'un personnel assez nombreux pour qu'aucun camp sauvage n'echappa a leur surveillance. De cette fagon, la Compagnie de la baie d' Hud- son, confinee sur les bords de la mer, allait perir par la famine, ou bien elleserait obligee de sortir de sa taniere pour venir engager la lutte ; alors les membres de la Compagnie du Nord-Ouest la ruineraient en peu de temps et ils seraient debar- rasses d'elle pour toujours. Tel etait leur calcul. Nous verrons plus tard qu'ils se trompaient et qu'apres une lutte opiniatre, entremelee de succes et de revers, la Compagnie de la baie d'Hudson devait absorber la Compagnie du Nord-Ouest, quand la mission de celle-ci serait finie. II en est des associations d'hommes comme des individus, quelque mediants qu'ils soient, ils ne laissent pas cependant de faire de temps a autre des actions louables, au milieu d'une serie de crimes. La Compagnie du Nord-Ouest, que I'histoire doit juger avec impartialite, a fait beaucoup de mal durant sa courte existence ; nous saurons dire sur elle la verite toute entiere. Ses grands succes et le role brillant qu'elle a joue dans son temps ne lui donnent aucun droit a 1'im- LA COMPAGNIE DU NOKD-OUEST lt5 punite. Elle s'est rendue coupable de grands crimes ; il est bon que la posterite le sache ; 1'his- toire est ecrite pour servir de lecon. Mais, comme malgre sesfautes nombreuses, quelquesmembres de cette Compagnie ont accompli des travaux dignes d'etre loues, nous nous haterons de les mettre a son credit avant d'entrer dans le chapitre de ses mefaits. A la difference des autres compagnies mar- chandes incorporees, et qui tiennent leurs privi- leges du gouvernement sous certaines condi- tions, comme par exemple 1'obligation de tra- vailler a la colonisation ou au soutien d'uneoeuvre d'utilite publique, celle du Nord-Ouest, qui s'etait formee seule, ne dependait que d'elle-meme et etait libre de toute redevance envers qui que ce fut. Le but unique de son existence etait de faire la fortune de quelques particuliers. Aucun but de civilisation n'entrait dans ses entreprises ; exploiter a son profit 1'immense territoire du Nord-Ouest, en tirer par tous les moyens imagi- nables le plus de richesses possible, le ruiner meme moralement et materiellement, si la chose lui paraissait necessaire, pour satisfaire son ambi- tion : telle etait 1'unique ambition de cette Com- pagnie. Avec de pareils principes, on peut soup- conner cequ'elle se permit dans ces pays lointains. Parmi les membres de cette celebre association, 176 L'OUEST CANADIEN il y eut des hommes remarquables sous le rapport de 1'intelligence, des hommes devant qui les horizons s'etendaient plus loin que les profits tires de la traite des fourrures. Seuls, les travaux accomplis par ces hommes ont jete un certain lustre sur la Compagnie. Pendant qu'aujburd'hui les noms des grands Seigneurs du Nord, qui regnerent sur les lacs et les plaines, sont tombes dans un profond oubli, ceux des Mackenzie, des Eraser, des Quesnel continueront a vivre dans la memoire des hommes, aussi longtemps que le resultat de leurs decou- vertes. Ici, nous avons la preuve qu'il ne suffit pas d'avoir ete riche ou d'avoir brasse des affaires pour laisser un nom dans le monde, mais qu'il faut 1'avoir attache a une oeuvre durable, utile au bien general de la societe. La renommee des egoistes perit avec eux. La chose se congoit facilement ; n'ayant travaille que pour eux-memes, leur memoire doit s'eteindre avec leur personne : Memoria eorum periit cum sonitu. Par ses decouvertes, entreprises en vue de la science, Sir Alexandre Mackenzie restera une figure interessante dans Fhistoire du Nord-Ouest. Ne en Ecosse, il vint en Canada a un age peu avance. Des son arrivee a Montreal, il entra dans la maison de commerce de Gregory et LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST McLeod. II etait la en 1784, lors de la formation de la Compagnie du Nord-Ouest. Voici comment en parle 1'Hon. Masson dans son interessant livre " Les Bourgeois de la Compagnie du Nord- Quest" " Nature energique, temperament vigoureux, " volonte de fer, il etait un de ces hommes tallies " pour la lutte et les grandes entreprises. Depuis " quelques annees, il avait rendu de grands " services a ses patrons qui avaient congu la plus " grande estime pour ce jeune Ecossais. Jus- " qu'alors son nom avait ete ignore, mais il allait " bientot etre ecrit en caracteres ineffagables " dans 1'histoire du Nord-Ouest, comme il 1'a ete " plus tard sur les falaises desertes de 1'Ocean " Pacifique, qu'il devait le premier atteindre en " traversant les immenses solitudes de 1'Ouest." En 1789, Alexandre Mackenzie etait charge du district d'Athabaska a la place du bourgeois Ross, qui avait ete tue deux ans auparavant dans une rixe entre les hommes des deux Compagnies. Depuis longtemps, il avait forme le dessein d'aller vers le nord a la recherche d'une grande riviere, qui, d'apres les rapports des sauvages, se rendait a 1'Ocean Glacial. La Compagnie n'etait pas favorable au projet d'un tel voyage, n'y voyant aucun profit net et immediat pour son commerce. Mais la determination du jeune Mackenzie etait bien arre'tee ; il voulait a tout prix faire ce voyage perilleux, lui eut-il fallu pour cela sortir 178 L'OUEST CANADIEN de la Compagnie. Cependant il finit par obtenir 1'assentiment de ses collegues, a la condition expresse quela Compagnie n'en souffrirait aucune perte et que les districts du Nord continueraient a etre bien administres. Alex. Mackenzie eut la bonne fortune de trouver dans le devouement d'un cousin, M. Rodrigue Mackenzie, un intelligent et fidele remplaant, sur qui il pouvait compter sans crainte pendant son absence. II fit done les preparatifs de son voyage, et le 3 juin i 789, il se mettait en route, ayant pour 1'accompagner quatre canadieris et un allemand. Dans la narration de son voyage a 1'Ocean Glacial, Sir Alexandre Mackenzie nous donne les noms de ces braves et fideles serviteurs al'energie desquels il doit d'avoir accompli cette dangereuse exploration. Ce sont Francois Barrieau, (i) Charles Doucette, Joseph Landry, Pierre Delorme et John Sieinbuck. Le lac Athabaska, d'ou partaient nos voyageurs, communique avec le Grand lac des Esclaves par une riviere dont le cours tres rapide est de plus de deux cents milles. Us la descendirent monies sur un leger canot d'ecorce, portant avec eux des provisions, des armes et des outils. (I) L'orthographe de ce nom doit etre Beriau. Ce voyageur s'est marie' au Nord-Ouest et y a laisse des descendants. II y a plusieurs families de Be'riau a Manitoba. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 179 Dans ces regions boreales, a cette epoque de 1'annee, le soleil demeure constamment sur 1'ho- rizon ; on peut dire, que durant les mois de juin et juillet, il n'y a pas de nuit. On congoit combien ces longs jours sont avantageux pour des voyageurs qui ont de longues marches a faire. Sous ces latitudes, pendant cette saison d'ete, les variations atmos- pheriques sont moins frequentes que sous cfes zones plus temperees, sans doute pour dedom- mager les habitants de ces tristes contrees de leurs hivers interminables. Silescompagnonsd'Alex. Mackenzie n'eussent pas ete doues d'un courage a toute epreuve, les renseignements que leur donnaient les sauvages sur la route, etaient bien de nature a les faire retourner sur leurs pas. Partout on leur tragait un tableau effrayant de la cruaute des indigenes qui habitaient sur les bords de la mer. On leur disait que jamais ils ne reviendraient de ce voyage et que, si par hasard ils echappaient a la mort, ils seraient vieux quand ils reviendraient tant la distance etait grande pour se rendre a 1'Ocean. Mais rien ne put ebranler leur courage. Quoique ni eux, ni leurs interpretes sauvages ne connussent le pays ou ils s'avangaient, ils y mar- chaient cependant avec autant d'assurance que sur un territoire deja explore. Aussi, trois mois a peine apres leur depart, ils avaient descendu la grande 180 L'OUEST CANADIEN riviere jusqu'a 1'Ocean Glacial, pris possession de ces contrees au nom de 1'Angleterre et etaient tous, sains et saufs, de retour au lac Athabaska. Le grand fleuve Mackenzie, 1'un des quatre plus grands de 1'Amerique, etait decouvert. Vous croyez que maintenant la Compagnie va combler d'eloges le hardi voyageur dont la gloire ne manquera pas de rejaillir sur elle ? Eh bien, non ! la Compagnie non seulement ne le felicitera pas, mais elle aura des paroles de blame contre cette expedition. Nous 1'avons dit : elle n'existait que pour le commerce des pelleteries. Hors de la, elle ne comprenait rien. Ce fait nous la montre sous son vrai jour. " Pendant 1'ete de 1790 (dit 1'Hon. Masson), " M. Mackenzie descendit au Grand Portage " pour assister a 1'assemblee generale des Bour- " geois qui devaient decider de la reorganisation " de la Compagnie. Le sejour qu'il y fit, ne fut " pas de nature a 1'encourager a rester dans " cette association, dont plusieurs membres ne " semblaient pas apprecier le relief qu'il lui avait " donne par son expedition a la Mer Polaire. " My expedition was hardly spoken," ecrivait-il " a son ami le 16 juillet i 790, " but it is what I " expected." II laissa le Grand Portage le coeur " triste et reprit son poste Tame remplie d'amer- " tume contre ses collegues." (" Les Bourgeois du Nord-Ouest," page 42). LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 181 Une intelligence d'elite comme celle de Sir Alex. Mackenzie ne pouvait s'accommoder long- temps de la vie des traiteurs ; le sejour dans les forts est trop monotone, trop abrutissant, disons le mot, pour convenir a un homme qui pense. Aussitot apres la decouverte de I'Amerique, la grande preoccupation des navigateurs avait ete de trouver un passage a travers le continent pour arriver a la mer de 1'ouest. Christophe Colomb 1'avait cherche dans le contour du golfe du Mexique, disant que s'il n'existait pas, la nature s'etait trorapee. D'autres apres lui le chercherent dans les mers du nord, pendant de longues annees, jusqu'a ce qu'enfin on eut acquis la certitude qu'il n'existait pas. Plus tard, les voyageurs qui remonterent les grands fleuves n'eurent pas plus de succes pour arriver a la mer de 1'Ouest. Enfin, les fils de la Verendrye s'etaient arretes au pied des Mon- tagnes Rocheuses, et La Verendrye etait mort au moment ou il s'appretait a franchir cette redoutable barriere. Depuis lors, aucun voyageur n'avait ose se risquer dans cette entreprise. Cependant vers la fin du dix-huitieme siecle, les americains poussaientactivementles explorations du cote de 1'Ouest, et, en vertu du droit du premier occupant, menacaient de s'emparer de 12 182 L'OUEST CANADIEN tous ces beaux territoires. II cut ete de 1'interet de la Compagnie de les prevenir dans ces empiete- ments, mais elle ne 1'eut certainement pas fait sans le genie d'Alexandre Mackenzie. Celui-ci, anime d'une nouvelle ardeur pour les decouvertes par le brillantsucces deson premier voyage, resolut de traverser la haute chaine des "Montagnes Rocheuses et de se rendre jusqu'a 1'Ocean Pacifique. Le projet etait hardi; il s'y prepara d'avance. En 1791, il passaen Europe pour se familiariser avec certaines connaissances qui lui manquaient ; puis, muni de tous les ins- truments dont on a besoin dans ces sortes de voyage, il revint au Nord-Ouest, et, au printemps de 1 793, il partait sans guide, accompagne par six voyageurs canadiens et deux interpretes sauvages. Parmi les canadiens qui suivirent Alexandre Mackenzie dans sa seconde expedition, deux avaient deja fait avec lui le voyage a la mer du Nord en 1789, c'etaient Charles Doucette et Joseph Landry ; les autres etaient Frangois Beaulieu, Frangois Comtois. Baptiste Bisson et Jacques Beauchamp. (i) (i) II est regrettable de ne pas savoir de quelles paroisses du Canada venaient ces voyageurs, surtout les deux qui prirent part aux deux expeditions. Ces noms mdritent de passer a la posterity. Frangois Beaulieu s'etablit plus fard a 1'Ile a la Crosse, s'y maria a une mon- tagnaise et y laissa une nombreuse famille, tres estim^e des mission- naires. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 183 II faut lire, dans la narration qu'en a faite Mackenzie lui-meme, les interessants details de ce perilleux voyage. Pour aller a 1'Ocean Glacial, il avait surmonte les craintes serieuses qu'on eprouve en s'aventu- rant dans un pays inconnu et qu'on nous dit plein de dangers. Mais en realite, pour descendre le cours rapide du fleuve Mackenzie, il n'avait rencontre aucun passage dangereux compare a ceux qui 1'attendaient dans les defiles des mon- tagnes. Pour aller au Nord, il avait traverse des steppes arides, des landes desertes, des pays a 1'aspect desole. Mais la au moins, le pied du voyageur etait sur. Ici, a F entree des montagnes, c'est tout autre chose. Pendant quatre mois, a travers ces gorges et ces defiles ou se precipitent des torrents, il n'echappe a un danger que pour se trouver en face d'un autre. Deux fois, ses homines extenues de fatigues sont sur le point de revenir en arriere et d'abandonner le dessein de se rendre a 1'ocean. Un jour Mackenzie leur dit : si vous mabandonnez, je ccfntinuerai seul mon voyage. Cette parole leur rendit courage ; ils lui promirent de le suivre jusqu'au bout. Le 2 juillet, un peu moins de deux mois apres leur depart, ils arrivaient sur les cotes de 1'Ocean Pacifique, et saluaient cette mer de 1'Ouest qui depuis deux siecles, etait le reve des navigateurs et des explorateurs. 184 L'OUEST CANADIEN Alexandra Mackenzie, prenant possession de ce pays an nom du Canada, ecrivit sur les falaises de 1'ocean : " Alexander Mackenzie from Canada, by land, " the 22 of July, one thousand seven hundred and " ninety three." Sans prendre un jour de repos, Alexandre Mackenzie et ses compagnons reprirent la route des montagnes et ils etaient de retour a Athabaska vers la fin du mois d'aout. Epuise par les fatigues d'un tel voyage, Alexandre Mackenzie fut indispose pendant tout 1'hiver. Au printemps, il partit pour le Grand Portage quittant pour toujour les pays d'En- Haut. 11 continua cependant a faire partie de la Compagnie jusqu'en i8oi,epoque a laquelle il se mit a la tete d'une nouvelle societe formee dans le but de lutter centre la Compagnie du Nord- Ouest, pour laquelle il n'avait jamais eu de fortes sympathies. Les autres membres de la Compagnie, qui, apres Alex. Mackenzie, entreprirent des explo- rations d'un inter^t general, sont Simon Eraser, Jules Maurice Quesnel et David Thompson. Ils furent les premiers qui descendirent la riviere Eraser et la branche septentrionale de la riviere Colombie jusqu'a la mer. Par ces decouvertes, ils ont assure a notre pays la possession de beaux et vastes territoires qui menagaient de devenir la propriete des americains. Ces hardis voyageurs LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 185 jfirent preuve d'une indomptable energie et d'une perseverance etonnante. Aussi leurs noms restent-ils acquis a 1'histoire. Quant a ceux qui firent dans 1'ouest des voyages longs et penibles, simplement dans le but d'etablir des relations avec de nouvelles tribus, aux yeux de la posterite, ils n'ont rien merite de plus que tous les autres Bourgeois de la Compagnie, car tous incontestablement furent braves et hardis comme des corsaires. Chaboillez et Larocque, vers 1800, allerent trouver les Mandanes sur le territoire ameri- cain (i). Ce fut un voyage de grandes miseres. Sur les bords du Missouri, ils rencontrerent les capitaines Clarke et Lewis, envoyes par le gou- vernement americain pour explorer le haut du Missouri et traverser les Montagnes Rocheuses. Larocque avait emporte avec lui des liqueurs enivrantes ; Lewis 1'avertit qu'il ne lui serait pas permis de les verser aux indiens. Ces pauvres sauvages tout ignorants qu'ils etaient, disaient aux blancs qui venaient dans leur pays : " Si vous veniez a nous avec des intentions charitables, vous apporteriez des articles utiles aux sauvages." Le chef des Mandanes disait a Lewis : " II n'y a "' que deux hommes senses parmi vous : celuiqui ' travailleleferet celui qui raccommode les fusils." (i) La Ve'rendrye avait fait le meme voyage soixahte-deux ans auparavant, mais dans un but beaucoup plus noble. 186 L'OUEST CANADIEN " Les blancs ne savent pas vivre, disait-il a '' Larocque ; ils laissent leur pays par petites " bandes ; ils risquent leur vie sur le grand lac " et chez les nations sauvages qui les prendront " pour ennemis. A quoi leur sert le castor ? " est-ce qu'il les preserve de maladie ? les suit-il " apres leur mort ? " Que de philosophic dans la bouche d'un sauvage. Cette tentative de Larocque pour etablir des rapports avec les tribus indiennes du sud n'eut aucun succes. La Compagnie aban- donna bientot ce projet. En i 790, apres le voyage d'Alexandre Mac- kenzie a la mer du Nord, la Compagnie, a 1'assemblee generale du Grand Portage, avait adopte une nouvelle organisation pour neuf ans. Par la retraite de quelques-uns des actionnaires, les interets de la societe se trouverent reunis dans les mains de dix Bourgeois. Plusieurs commis, au lieu d'un salaire fixe, eurent une part dans les profits ; cette part s'elevait jusqu'a la moitie de la traite. Ce moyen etait puissant pour stimuler le zele des employes et developper leur activite. On preparait la grande lutte contre la Compagnie de la baied'Hudson. Celle-ci cepen- dant persista encore longtemps a se confiner sur les bords de la mer, et ce n'est qu'a la fin du siecle qu'elle secoua son inertie pour engager le combat qui la mit a deux doigts de sa perte. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 187 CHAPITRE IV. La Compagnie du Nord-Ouest instrument de corruption chez les sauvages et chez ses serviteurs. Le systeme de la Compagnie fut nuisible a nos campagnes canadiennes et au bien-etre des sauvages dans le Nord-Ouest. Un jour, un vieux trafiquant de fourrures qui avait fait partie des Compagnies de traite, disait a Mgr Provencher : " Comment se fait-il que tous nos anciens bourgeois, apres avoir ete tres riches, meurent dans 1'indigence et ne laissent rien a leurs enfants ? Ah ! lui repondit le bon eveque, c'est que la farine du diable retourne en son." . La reponse n'etait pas flatteuse, mais c'etait la stricte verite. Le principe de ces fortunes portait avec lui la malediction. II n'y a done rien d'etonnant, si elles se sont fondues comme la neige sous les rayons du soleil. La Compagnie du Nord-Ouest, au mepris de tout sentiment d'humanite et d'honneur, aveuglee par 1'ambition de faire fortune, a specule sur 1'ame et le corps des sauvages tout comme les traiteurs d'esclaves speculent sur les malheureux negres d'Afrique. Par son systeme de commerce, 188 L'OUEST CANADIEN elle a travaille sciemment et volontairement a 1'abrutissement des peuples sauvages de 1'Ouest, en leur procurant a flots les boissons enivrantes et en leur inoculant le germe de tous les vices. Quand Mgr Provencher monta dans les mis- sions de la Riviere Rouge en 1818, la premiere chose que les sauvages lui demanderent, ce fut du rhum : " Us etaient bien etonnes, dit-il a Mgr " Plessis, quand on leur repondait que nous n'en " avions pas." Avant cette Compagnie, les sauvages guides par le sentiment de 1'honnetete naturelle, se faisaient un scrupule de payer exactement leurs dettes. Les faits suivants en sont la preuve. Cinq ans apres la conquete, un traiteur anglais avait avance a credit aux sauvages des marchandises pour une valeur de trois mille peaux de castor. L'annee suivante, il fut paye scrupuleusement par tous les chasseurs ; mais, com me 1'un de ceux a qui il avait fait credit, etait mort pendant 1'hiver, les parents de celui-ci se cotiserent pour acquitter sa dette, afin de delivrer son ame de toute inquie- tude dans 1'autre vie. Us etaient convaincus que si son nom restait sur le livre du marchand, ce sauvage ne reposerait pas en paix dans le pays des ames. Vers le meme temps, ou peu apres, un autre traiteur, ne pouvant transporter a Montreal, toutes les pelleteries qu'il avait achetees, les LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 189 entassa dans une petite loge, etl'annee suivante, il les retrouva au meme endroit ; il n'en manquait pas une. On a vu, deja, dans un autre chapitre, comment, en 1775, les sauvages avaient resiste longtemps aux sollicitations de Frobisher, qui voulait les empecher de se rendre a la bale d' Hudson porter des pelleteries pour acquitter des dettes contrac- tees 1'annee precedente. Nous allons voir, dans ce cbapitre, comment les Bourgeois du Nord- Quest et leurs commis se firent un jeu de rendre les sauvages malhonnetes et voleurs, usant meme de violence pour les empecher de payer leurs dettes. Dans le journal de M. McGillivray, cite par 1'Hon. Masson en son livre " Les Bourgeois du Nord-ouest" page 26, il dit : "J'ai donne a Hequi- " niash (un chef de tribu) une brasse de tabac et ' ( huit mesures de poudre, et je lui ai promis un " habit, lorsqu'il viendrait au printemps, a la con- " dition qu'il n'irait pas a la baie d'Hudson cet ete " et n'y enverrait pas ses pelleteries ; il doit aux " anglais 45 plus" (i) II dit encore dans le meme journal : Le " Pavilion (autre chef sauvage) est venu nous " faire visite, et pendant les douze premiers jours (I) On appelait pins ou mieux pelu une peau de castor ou son Equi- valent en autres fourrures. On disait d'une marchandise : elle vaut un plus deux plus trois plus. 190 L'OUEST CANADIEN " il nous arriva des s;iuvages tous les jours, de " sorte que nous les avons tous vus. A peu pres " la moitie avaient ete a la bale d'Hudson pendant " 1'ete et y avaient pris a credit ; je crains bien " qu'ils n'aient envie d'aller payer leurs dettes au " printemps. Cependant, s'ils le font, e sera parce " que je n'aurai pas pu les empecher, soit par des " promesses, soit p: " Vous me voyez avec notre ami " commun Cameron sur le point de commencer " une guerre ouverte avec 1'ennemi de la Riviere '' Rouge. Si Ton en croit quelques-uns, on attend " beaucoup de nous, peut-etre trop. Ce qu'il y " a de certain, c'est que nous ferons de notre " mieux pour defendre ce que nous considerons " comme nos droits dans Finterieur. II y aura " sans doute quelque chose de serieux ; il en est " qui ne seront satisfaits que par la ruine com- " plete de la colonie, n'importe par quel moyen, " ce qui serait fort a desirer si on peut 1'effectuer. " Ainsi je m'y emploie de tout mon cceur." ALEX. MACDONELL. Cameron et son associe arriverent au fort Gibraltar vers la fin du mois d'aout. On ne sait pourquoi la Compagnie avait decore ce poste du nom de Gibraltar, car il ne rappelait en rien la fameuse forteresse qui domine le detroit du meme nom. Macdonell continua sa route pour Qu'Appelle, ou il devait passer 1'hiver asoulever les sauvages qui devaient descendre avec lui a la Riviere Rouge dans le cours du mois de mai. Nous verrons bientot qu'il s'acquitta de sa tache 282 L'OUEST CANADIEN avec un zele dont ses associes eurent lieu d'etre satisfaits. Duncan Cameron passa 1'automne, 1'hiver et une bonne partie du printemps au fort Gibraltar. C'etait principalement sur lui que les associes comptaient pour paralyser tous les progres de la colonie avant d'en venir a des moyens extremes, si la ruse ne suffisait pas. Nous aliens voir, dans le chapitre suivant, que Cameron etait bien choisi pour remplir un tel role, puisqu'au mois de juin 1815, toute trace de colonie avait disparu et ce, grace aux criminelles menees de ce bourgeois. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 283 CHAPITRE XI SOMMAIRE. Maladroite politique de la Compagnie du Nord-Ouest. Duncan Cameron, uu fort Gibraltar, sur les bords de la Riviere Rouge. Ses intrigues aupresdes colons pour les decourager. II conseille aux colons d'abandonner la Riviere Rouge, et de voler tous les objets dont ils pourront s'emparer au fort Douglas. II s'empare des armes que les colons avaient pour se defendre centre les indiens. II fait prisonnier le gouverneur Miles Macdonell. II chasse les colons qui ne veulent pas descendre en Canada avec lui. Les serviteurs de la Compagnie brulent les maisons des colons. Si la Compagnie du Nord-Ouest, au lieu de s'acharner a faire perir dans son berceau 1'ceuvre civilisatrice de Lord Selkirk, (i ) eut continue son commerce en laissant la colonie se developper tranquillement sur les bords de la Riviere Rouge, ses traiteurs, pendant plusieurs annees encore, auraient realise d'immenses benefices. Maitresse, comme elle 1'etait, des voies de communication entre la Riviere Rouge et le Canada, elle commandait a toute la partie du pays baignee par les grands lacs et les rivieres qui les reunissent. Au nord, son influence s'exerc.ait sur les tribus (l) Les compagnies marchandes n'ont jamais contribue" a la civilisa- tion d'aucun pays ; au contraire, elles ont &t un obstacle. 284 L'OUEST CANADIEN indiennes jusqu'au bord de 1'Ocean Glacial ; a 1'ouest, elleavait franchilabarrieredes Montagnes Rocheuses et ses comptoirs etablis sur les cotes de 1'Ocean Pacifique lui assuraient tout le com- merce de ces contrees. Mais, avec 1'esprit qui 1'animait, son existence eut ete un malheur pour les peuples de ce pays, et voila pourquoi la Divine Providence, qui avait sur eux des vues de misericorde, ne permit point qu'elle devinat la politique qu'il lui eut ete avantageux de suivre. C'est bien ici le cas de dire que Dieu se sert meme des sottises des hommes pour arriver a ses fins. La Compagnie du Nord-Ouest avait interet a tenir le pays de la Riviere Rouge dans la sauvagerie, et ce fut justement le moyen qu'elle mit en jeu dans ce but, qui ouvrit la porte a la vraie civilisation. Avant d'en venir a des moyens de rigueur, Duncan Cameron essaya de 1'intrigue. Decou- rager les colons et les amener a quitter d'eux- memes la Riviere Rouge pour passer en Canada, etait un precede moins odieux que de les chasser par la force brutale. Ecossais de naissance, parlant par consequent le meme langage que les colons, le gaelique, il fut facile a Cameron de s'insinuer aupres d'eux. II alia leur rendre visite, s'informa de leur situa- tion, fit connaissance avec ceux qui paraissaient avoir le plus d'influence aupres de leurs compa- LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 285 triotes, et les invita a venir le voir au fort Gibraltar. Touches de 1'interet qu'il semblait leur porter et ne lui soupgorfnant aucune arriere-pensee, les montagnards ecossais lui donnerent peu a peu leur confiance et quelques-uns le regarderent comme un ami sincerement devoue a leur cause. Lorsqu'il eut ainsi gagne leur confiance, il se mit a jeter dans leur esprit des germes de mecon- tentement contre leurs superieurs et, pour les degouter de leurs travaux, il leur fit envisager 1'avenir sous F aspect le plus sinistre. II leur dit, entre autres choses, qu'il savait, de source certaine, que des bandes de sauvages se preparaient a fondre au printemps sur la colonie pour la detruire et que 1'unique moyen pour les colons d'echapper au peril qui les menacait, etait de se placer sous la protection de la Compagnie du Nord-Ouest. II n'en fallait pas plus pour jeter 1'epouvante parmi ces pauvres gens. Aussi plusieurs d'entre eux crurent ne pas devoir repousser la genereuse protection offerte par Cameron. Mais cette protection ne devait pas s'exercer a la Riviere Rouge. La Compagnie ne se mon- trait compatissante au sort des ecossais qu'a la condition de les transporter immediatement en Canada, ou elle leur promettait des terres et des provisions pour les nourrir pendant un an. Nous trouvons les preuves de ces basses menees dans 286 L'OUEST CANADIEN les temoignages donnes sous serment, devant un juge de paix, par les colons eux-memes, en 1815. (i) II etait facile a Cameron de feire le prophete et d'annoncer 1'arrivee des sauvages pour le printemps suivant. C'etait pour les reunir que McDonell, son second dans cette odieuse cam- pagne, etait alle an fort Qu'Appelle, et il laissait prevoir ses plans quand ecrivant a un ami de Montreal, il lui disait : // y aura sans doute quelque chose de serieux, peut-etre la ridne complete de la colonie. Cameron promettait aux colons, non seulement de les faire transporter en Canada aux frais de la Compagnie, mais il offrait encore a plusieurs, des sommes considerables pour les determiner a le seconder dans son complot. Parini les emigrants, il y avait des charpentiers et des menuisiers venus pour construire les maisons et autres bati- ments necessaires dans le fort et dans la colonie ; ces ouvriers se servaient des outils envoyes par Lord Selkirk. Cameron les engagea a deserter de la Riviere Rouge avec tout ce qu'ils pour- raient emporter du magasin de la colonie, outils, armes et autres objets d'utilite, leur promettant d'acheter d'eux tous ces articles. Une telle conduite paraitrait incroyable s'il n'y (I) Ces documents se trouvent dans la brochure intitule'e. " Precis touchant la Colonie de Lord Selkirk." (Appendice, p. XXIII, etc ) LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 287 avait des preuves authentiques pour confirmer la trop parfaite exactitude de ces recits. Le 10 de fevrier 1815, Cameron ecrivait du fort Gibraltar ou il passait 1'hiver, les deux lettres dont nous aliens citer des extraits ; elles sont adressees a deux colons qui avaient longtemps resiste a ses sollicitations et qui semblaient con- sentir a passer en Canada. Les lettres leurfurent remises par le bostonais Pangrnan de la Com- pagnie du Nord-Ouest. A MESSIEURS DONALD LIVINGSTON et HECTOR MCEACHERN. " Messieurs, " Votre lettre du 28 Janvier, que vous m'avez envoyee par Jordan, in'a ete remise entre les mains. Je suis charme de voir que quelques-uns d'entre vous commencent a ouvrir les yeux sur la situation ou vous vous trouvez dans ce pays barbare et que vous reconnaissez enfin la folie que vous avez faite, en obeissant aux ordres d'un brigand et, je puis le dire, d'un voleur de grand chemin. " Par pitie pour la situation deplorable ou vous vous trouvez, car je vous considere cornme etant ici dans la plus triste des prisons, j'accepte vos offres et je me trouverai heureux de pouvoir tirer de 1'esclavage un aussi grand nombre de mes compatriotes qu'il me sera possible. Je sais que 288 L'OUEST CANADIEN Lord Selkirk ne renverra jamais personne de vous dans son pays. " Vous avez deja ete trompes et il n'aura pas honte de vous tromper encore, car faire des dupes est pour lui et Macdonell le commerce le plus profitable. Je me ferai un honneur d'etre votre liberateur ; je ne vous demande pas un sou pour votre passage, non plus que pour les provisions dont vous aurez besoin sur la route. Vous allez dans un bon pays ou vous pourrez procurer a vos families une subsistance honnete. " Nous nous obligeons a procurer des terres a ceux qui en voudront avoir, et nous ne mettrons aucun de vous sur le grand chemin comme des mendiants avant que vous ne soyez mis en etat de gagner votre vie. Je n'ai en vous faisant ces promesses aucun autre interet que celui que me suggere I'humanite " Ne craignez pas que le capitaine Macdonell sache jamais aucun de mes secrets, mais prenez garde que madame McLean ne connaisse aucun des votres, car elle vendraitjusqu'a son frere." (i) Votre ami sincere, (Signe) D. CAMERON. (i) Alex. McLean etait un colon de'voue' a la cause de Lord Selkirk et content de son sort a la Riviere Rouge. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 289 Quelques semaines plus tard, au commence- ment de mars, Cameron ecrit de nouveau aux memes personnes. " Votre lettre du 6 mars m'a ete remise par 1'honnete John Sommerville. Je me rejouis pour vous en voyant que vous etes toujours dans les memes sentiments, d'autant plus que j'en aurai occasion de delivrer de 1'esclavage un plus grand nombre de personnes et non seulement cela, mais de vous sauver la vie, car tous les jours votre vie est en danger du cote des Sauteux et des Sioux. " Vous ne devez attendre aucune justice dans ce pays-ci. Quoiqu'il en soit, avant de partir, enlevez du magasin de la colonie tout ce que vous pourrez enlever ; j'acheterai les articles qui pourront etre d'usage ici et je vous lespaieraien Canada. Ma porte sera ouverte, en tous temps, a tous ceux qui voudront venir au fort et nous tacherons de nous arranger de maniere a vivre du mieux que nous pourrons d'ici a ce printemps. ' Je suis votre ami sincere, D. CAMERON. Parmi les emigrants arrives 1'automne prece dent (1814), se trouvait un nomme George Campbell, qui, a cause de la condition plus aisee qu'il avait occupee en Ecosse avant son depart, paraissait jouir d'une certaine influence aupres de 290 L'OUEST CANADIEN ses compatriotes a la Riviere Rouge. Cameron 1'ayant remarque n'epargna ni promesses ni argent pour se 1'attacher. II le fit venir au fort Gibraltar avec sa famille ou il fut nourri jusqu'au printemps, aux frais de la Compagnie. De plus, on lui promit, en outre des frais de son passage jusqu'en Canada, la somme de cent louis sterling payable au fort William, a la condition qu'il ferait son possible pour faire abandonner la colonie a ses compatriotes. Comme preuve qu'il ne reussit que trop bien dans son dessein pervers, nous aliens donner ici le temoignage rendu, au mois de novembre 1815, par un colon ecossais en presence du juge de paix J. N. Mondelet, a Montreal. Ce temoignage est assermente. DEPOSITION DE MICHAEL MCDONELL. 28 novembre 1810. "I MONTREAL, J " Michael McDonell, ci-devant de la Riviere Rouge, dans les territoires de la Compagnie de la baie d'Hudson, maintenant dans la ville de Montreal, dans la province du Bas-Canada, depose qu'il connait le nomme George Campbell, un des colons qui ont emigre d'Ecosse pour s'etablir dans la colonie de la Riviere Rouge ; que le dit George Campbell est arrive dans la dite colonie dans 1'annee de Notre Seigneur 1814 ; etant arrive a 1'un des postes de la Compagnie LA COMPAGNIE DU NORD- QUEST 291 de la baie d'Hudson, sur les cotes de la mer, durant 1'ete de 1813 ety ayant demeure jusqu'au printemps suivant ; Que durant 1'hiver de 1815, le dit George Campbell abandonna la dite colonie, et se rendit a un poste de commerce de la Compagnie du Nord-Ouest dans le voisinage de la colonie. Que le dit George Campbell, lorsqu'il abandonna la colonie, conduisit avec luiun parti d'habitants de. la dite colonie, qui partirent avec lui et que lui et le dit parti d'habitants volerent et emporterent de la dite colonie, en felons, neuf pieces de canon qui avaient ete fournies pour la defense de la colonie et qui etaient gardees dans un batiment appartenant a Lord Selkirk ; qu'ils les con- duisirent au poste de la Compagnie du Nord- Ouest appele " Fort Gibraltar " ou elles furent regues par Duncan Cameron, un des associes de la Compagnie du Nord-Ouest, qui les retint ; Que le dit Campbell, en parlant au deposant, lui declaraqu'ilavait pris ces canons pour repondre au desir de Duncan Cameron et qu'il n'en craignait pas les consequences, ayant pour se justifier un ordrepar ecrit du dit Duncan Cameron. Signe : MICHAEL McDoNELL. Asserment a Montreal, ") le 28 nov. 1815, devant moi. J Signe : J. N. MONDELET, J. P. 292 L'OUEST CANADIEN Au commencement d'avril 1815, Campbell avait deja reussi a conduire au fort Gibraltar une soixantaine de colons dont le nombre total dans la Riviere Rouge se montait a deux cents. Les autres persistaient a demeurer sur leurs terres et refusaient net les offres de Cameron et de Campbell. Us avaient pour les raffermir dans leur determination un nomme Alexandre McLean, homme tout devoue aux veritables interets de la colonie, bien que Cameron lui eut promis ,400 sterling, s'il voulait suivre 1'exemple de Campbell. Le 3 avril 1815, pendant que le gouverneur Miles Macdonell etait absent du fort de la colonie, Cameron y envoya un parti d'hommes armes pour se faire remettre les canons et les armes qui s'y trouvaient. II les avait munis de 1'ordre suivant : Lundi, 3 avril 1815 A M. Archiblald McDonell, Gardien dufort. "J'ai autorise les colons a s'emparer de VQS pieces de campagne, mais non pas en vue de m'en servir d'une maniere hostile, mais unique- ment pour empecher d'en faire un mauvais LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 293 usage. J'espere que vous ne serez pas assez aveugle sur vos propres interets pour tenter une resistance inutile, d'autant plus que personne ne veut de mal ni a vous, ni a vos gens." D. CAMERON, Capitaine au corps des voyageurs. Get ordre fut remis a George Campbell, le plus actif d'entre ceux qui avaient deserte la colonie. Tous les dimanches, les colons se reunissaient au fort Douglas (fort de la colonie) pour assister a la lecture de la bible qui tenait lieu de sermon et, chaque lundi, ils revenaient pour recevoir une ration de provisions pour la semaine. A Tissue de 1'assemblee du dimanche, Campbell lut aux colons 1'ordre que lui avait confie Cameron et les avertit qu'il serait execute le lendemain. Malgre un tel avertissement, le gardien du fort, Archibald McDonell, croyait si peu que la Compagnie en viendrait a cet exces qu'il ne prit aucune precau- tion pour se garder et ne demanda aucun secours aux colons. Apres les sinistres predictions de Cameron, qui annongait 1'arrivee de bandes de sauvages pour ruiner la colonie, c'etait un acte de la derniere infamie que de depouiller les colons des armes qu'on leur avait donnees pour se defendre contre la ferocite des indiens. Mais nous allons 19 294 L'OUEST CANADIEN voir que les sauvages etaient moins redoutables que les associes de la Compagnie. Le lundi, 9 avril, pendant que les colons etaient au magasin du fort pour recevoir des vivre^, George Campbell, suivi de plusieurs metis engages au service de la Compagnie et parmi lesquels etaient Cuthbert Grant, William Shaw, et Peter Pangman, se presenta a la maison du gouverneur de la colonie et signifia regulierement a M. Archibald McDonell de lui remettre les armes, canons et fusils qui se trouvaient dans le fort, et, pour montrer qu'on ne venait pas seulement pour parlementer, les portes du magasin furent immediatement brisees et on enleva neuf pieces de campagne. Cameron, qui s'etait tenu cache a quelque distance du fort avec une autre bande d'hommes armes, vint se joindre a Campbell pour emporter le butin au fort Gibraltar. Une fois le fort Douglas desarme, il ne restait plus a Cameron quede s'emparer du gouverneur Macdonell pour etre completement maitre de la situation et executer son plan. Les fermiers ecossais, sans chefs et sans protection, n'avaient plus alors qu'a quitter leurs terres, soit pour retourner en Ecosse par la baie d' Hudson, soit pour descendre en Canada par les canots de la Compagnie du Nord- Quest qui leur offrait un passage gratis. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 295 Quelques semaines avant la saisie des canons du fort Douglas par Cameron, .un autre associe de la Compagnie, Norman McLeod, magistral pour les territoires sauvages, avait lance centre le gouverneur Macdonell un mandat d'arret sur Taccusation de s'etre empare des vivres qui appartenaient a la Compagnie. Cameron et ses gens se chargerent de. faire executer ce mandat. Le gouverneur refusa d'abord de s'y sou- mettre, ne reconnaissant a McLeod aucune juridiction sur sa personne, mais voyant que des menaces on en venait aux actes de violence et arm d'eviter 1'effusion du sang, il se livra pri- sonnier pour etre conduit a Montreal. Au fond, on ne tenait pas a lui faire un proces, mais on voulait priver les colons de sa protection. Cameron avait promis aux colons que les hosti- lites cesseraient contre eux du moment que le gouverneur serait prisonnier. Ce fut une repetition de la fable du loup conseillant aux moutons de se defaire du berger. A peine Miles Macdonell etait-il embarque sur les canots que Cameron et ses gens leverent le masque ; les affaires marchaient trop bien a leur gre pour s'arreter en chemin. Vers le milieu de mai, Alexandre McDonell, 1'associe de Cameron, qui avait passe 1'hiver 296 L'OUEST CANADIEN a Qu'Appelle pour enregimenter des sauvages et des metis, etait arrive avec ses bandes annoncees depuis longtemps. La Compagnie eut bien desire faire commettre par les indiens tous les actes odieux qu'elle meditait centre la colonie. Mais ceux-ci ne voulurent pas s'y preter et se montrerent, en verite, plus civilises que ceux qui les employaient. Apres quelques semaines, ils retournerent chez eux, peu satisfaits de leur voyage, mais, avant de partir, ils envoyerent le " calumet de paix " aux colons comme gage de leur amitie. A peu pres vers la meme epoque, au printemps de 1813, deux associes de la Compagnie avaient ofifert a un chef sauvage, au lac du Sable, toutes les marchandises et le rhum qu'il y avait dans les magasins du Fort William, s'il voulait declarer la guerre aux colons de la Riviere Rouge. Voici la declaration donnee par ce chef sauvage devant le juge de paix J. Askin, a 1'ile Drummond, au departement des indiens : " Katawabetay (c'est le nom du chef) declare qu'au printemps de 1815 comme il etait au lac du Sable, McKenzie et Morrisson lui dirent a lui qu'ils lui donneraient a lui et a ses gens tous les effets ou marchandises ainsi que le rhum qu'ils avaient au fort William et au lac du Sable, si, lui. ' LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 297 Katawabetay et ses.guerriers, voulaient declarer la guerre aux colons de la Riviere Rouge ; sur quoi, il demanda a McKenzie et a Morrisson si la demande de faire la guerre aux colons etait faite par les ordres des grands chefs a Quebec et a Montreal, ou par les officiers commandant a Tile Drummond ou enfin par le juge de paix J. Askin. La reponse de McKenzie et Morrisson fut que la demande venait des agents de la Compagnie du Nord-Ouest qui desiraient que 1'etablissement fut detruit parce qu'illeur nuisait ; sur quoi Katawabetay dit que ni lui ni ses gens n'acquiesceraient a leur demande avant d'avoir vu et consulte le juge de paix J. Askin ; qu'apres cela, lui, chef des indiens, se gotivernerait suivant 1'avis qu'il aurait recu." (Extrait des minutes tenues au de'partement des sauvages de 1'ile Drummond.) JOHN ASKIN J. P. Telle etait la malice infernale de ces associes de la Compagnie du Nord-Ouest qui ne recu- laient pas devant le crime epouvantable de faire massacrer toute la colonie de Lord Selkirk afin de rester les seuls maitres dans le pays. Mais nous ne sommes pas au bout de leurs infamies. Le moment du depart des canots pour le fort William approchait, et plus des deux tiers des colons n'avaient pas encore consenti a abandon ner 298 L'OUEST CANADIEN leurs terres pour accepter les promesses de Cameron. Les indiens amenes par McDonell n'ayant Hen voulu entreprendre contre la colonie, force fut done aux associes de la Compagnie d'agir eux-memes, avec les serviteurs et les metis qui demeuraient autour du fort Gibraltar. Apres plusieurs manifestations mena^antes, Cameron voyant que rien n'avan^ait et que les colons continuaient a travailler sur leur fermes, se determina a recourir a la violence pour les chasser du pays. Le ii juin au matin, (c'etait un dimanche), Seraphin Lamarre, commis, Cuthbert Grant, William Shaw, Peter Pangman, dont les noms ont deja figure, sortirent du fort Gibraltar avec une quantite de fusils pour armer les metis et les serviteurs de la Compagnie qui demeuraient dans les environs. Au nombre d'une vingtaine, ils se rendirent dans un taillis non loin de la residence du gouverneur et commencerent leurs operations en tirant sur le chirurgien, M. White, qui passait pres de la. Ceux qui etaient a 1'interieur de la maison ayant voulu riposter, le feu des assaillants devint plus vif et plus nourri ; quatre des assieges furent grievement blesses ; Fun d'eux mourut le lendemain. Cameron etait reste dans son fort pour surveiller de loin 1'attaque. Apres quelques heures, il vint LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST "299 au-devant de ses gens pour les feliciter sur la maniere dont ils s'etaient acquittes de leur mission. Les colons s'etaient done gravement trompes en s'imaginant que les hostilites cesseraient du moment que le gouverneur se serait livre pri- sonnier. Quelques jours apres cette lache attaque, les hostilites commencerent de nouveau. On tira sur les habitants de la colonie ; plusieurs fermiers qui travaillaient sur leurs fermes, furent faits pri- sonniers. Les chevaux furent amenes au fort Gibraltar et le betail chasse au loin. Un magni- fique taureau appartenant a 1'etablissement fut tue et coupe en rnorceaux en presence des habitants du fort de la colonie ; et, pour montrer qu'il etait determine a completer son plan de destruction, Cameron etablit vis-a-vis de 1'eta- blissement ecossais un camp compose d'une soixantaine d'engages, commis et 'metis, pour repousser tout secours qu'on tenterait de porter a la colonie. Des lors, il etait visible que les colons n'avaient qu'a tout abandonner pour retourner dans leur pays ou bien a se laisser conduire en Canada. Le vingt-deux juin, ils firent avertir Cameron qu'ils seraient tons prets a partir dans deux jours. Le 24 juin, une soixantaine de colons, sous la conduite de deux sauvages, gagnerent 300 L'OUEST CANADIEN le lac Winnipeg, en route pour la baie d'Hud- son. Le 25 juin, Seraphin Lamare, commis de la Compagnie du Nord-Ouest, accompagne de cinq ou six serviteurs, se rendit a 1'etablisse- ment ecossais pour y bruler les maisons et autres batiments construits par les colons. Le soir, tout etait reduit en cendres ; la colonie de Lord Selkirk etait detruite et Tceuvre de Cameron consommee. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 301 CHAPITRE Xil SOMMAIRE. Les Bourgeois de la Compagnie se rejouissent de la ruine de la colonie ; ils recompensent ceux qui ont aid Cameron. La colonie est rtablie de nouveau par un officier de la Compagnie de la baie d'Hudson. Lord Selkirk arrive d'Ecosse au mois de novembre ; il passe 1'hiver a Montreal Un courrier de la Riviere Rouge lui porte la nouvelle des 6venements passes depuis le printemps. La Compagnie du Nord-Ouest se prepare a ddtruire de nouveau la colonie. Lord Selkirk demande des secours au gouverneur du Canada. Le gouverneur, trompe par les agents de la Compagnie du Nord-Ouest, refuse tout secours. Quelques jours apres la ruine complete de la colonie, Duncan Cameron et son ami A. McDonell, partirent pour le fort William, condui- sant avec eux les colons qui avaient consent! a descendre en Canada. Ils confierent la garde du fort Douglas a Grant, commis de la Compagnie du Nord-Ouest. A leur arrivee au fort William, Cameron et McDonell furent chaudement felicites de leurs succes par les Bourgeois reunis pour la grande assemblee annuelle. Tous ceux qui les avaient aides dans cette oeuvre de destruction regurent de genereuses recompenses. 302 L'OUEST CANADIEN Sur la recommandation de Cameron, on alloua a Campbell la somme de cent louis sterling et la haute protection de la Compagnie lui fut promise, a cause du zele qu'il avait montre. Tous les autres rec.urent une somme propor- tionnee aux services qu'ils avaient rendus. La preuve de ce fait fut trouvee dans les livres de la Compagnie, lorsque Lord Selkirk s'empara du fort William, ou etaient deposees ces archives. Voici quelques-unes des lettres signees par Cameron et McDonell. " George Campbell est un homme tres connu ; " il fut un zele partisan, qui a plus d'une fois " expose sa vie pour la Compagnie. II a rendu " des services importants dans les transactions " de la Riviere Rouge ; il merite cent louis et la " protection de la Compagnie." Signe : DUNCAN CAMERON. D'un autre il dit : " Cet homme s'est joint a nous en fevrier " et s'est montre tres actif et, depuis ce temps, " nous a ete tres utile ; il merite une recompense " de la Compagnie." D. CAMERON. D'un autre : " Celui-ci, en se joignant a nous, a perdu trois " annees de ses gages de la Compagnie de la " baie d' Hudson. II merite vingt louis." DUNCAN CAMERON. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 303 Alexandra McDonell donna aux siens de sem- blables certificats, en sorte que la Compagnie eut une forte somme a debourser pour payer les auteurs de son criminel attentat. Cependant, la joie d'avoir reussi fit qu'elle s'executa volontiers. Apres quelques jours passes au fort William, les families ecossaises continuerent leur voyage jusqu'en Canada, ou la Compagnie avait promis de les placer sur de bonnes terres et de les nourrir pendant un an ; elle n'en fit rien, comme on peut se 1'imaginer. Ce qu'elle voulait, etait accompli, peu lui importait le sort de ses victimes. Maintenant, revenons aux families qui, apres avoir refuse de descendre en Canada, avaierit pris la route de la baie d'Hudson par le lac Winnipeg, sous la conduite de deux sauvages. A 1'embouchure de la riviere, ces guides prirent conge des colons en leur exprimant 1'espoir de les voir revenir un jour sur ces memes terres, d'ou Ton venait de les bannir si cruellement. De cet endroit, ils se rendirent comme ils purent a 1'autre extremite du lac et s'arreterent pour quelque temps au poste de la Compagnie de la baie d'Hudson, appele J ack River House. Dans le cours de juillet, un nomme Collin Robertson alia les y rejoindre et leur offrit de prendre soin d'eux et de les defendre contre de nouvelles attaques, s'ils consentaient a revenir avec lui sur leurs terres de la Riviere Rouge. 304 L'OUEST CANADIEN Les colons ne demandaient pas mieux, car il leur repugnait de retourner en Ecosse oil ils ne possedaient plus rien. L'offre fut done acceptee avec joie, tous reprirent le chemin de la colonie et, au mois d'aout, ils etaient de nouveau reinstalles sur leurs fermes. Ce Collin Robertson etait un ancien commis de la Compagnie du Nord-Ouest passe au service de la baie d'Hudson, et tout devoue a 1'ceuvre de Lord Selkirk. Sur la fin de 1'ete, il arriva d' Ecosse un renfort de colons qui porta a deux cents le nombre des habitants de la colonie. Les champs que les fermiers avaient ensemences au printemps, avant leur dispersion, n'avaient pas ete considerable- ment endommages. Un nomme McLeod, aide de quelques serviteurs de la Compagnie de la baie d'Hudson, en avait pris soin et a 1'automne les colons purent recolter quinze cents minots de ble, beaucoup d'autres grains et une quantite considerable de patates. Au mois d'octobre, Collin Robertson, aide des ecossais, reussit a reprendre le fort Douglas, reste aux mains de la Compagnie du Nord-Ouest. Les choses en etaient la au moisde novembre 1815, quand Lord Selkirk, venant d'Ecosse, apprit en debarquant a New- York la destruction de sa colonie. Les Bourgeois de la Compagnie du Nord-Ouest lui ecrivaient pour lui annoncer LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 305 que tout ce qu'ils avaient predit depuis long-temps etait enfin arrive ; que les sauvages avaient chasse tons les colons et brule tout 1'etablissement. En meme temps, cependant, un courrier, envoye par Collin Robertson, partait le premier novembre de la Riviere Rouge pour aller annoncer a Lord Selkirk le retablisseme-nt de la colonie et pour demander le plus prompt secours centre les nouveaux dangers qui la menagaient. Le porteur de ces lettres etait un trappeur canadien du nom de J.-Bte. Lajimoniere (de Maskinonge, Province de Quebec). II se mit en route le jour de la Toussaint ne portant avec lui que son fusil, une petite hache et une cou- verte de laine pour s'envelopper durant la nuit. Les chemins etaient partout gardes par la Com- pagnie du Nord-Ouest, qui avait interet a empecher toute depeche d'arriver en Canada. Ce voyage de dix-huit cents milles, a pied, an coeur de 1'hiver, etait extremement difficile a accomplir. Au fort William, les sentinelles veillaient jour et nuit et les sauvages etaient avertis de ne laisser passer personne. Malgre tout, Lajimoniere fut assez habile pour passer sans etre apercu et, le 6 Janvier, il etait a Montreal, remettant lui -meme ses lettres a Lord Selkirk, (i) (i) Nous avons public dans une brochure le rcit d^taille' de ce voyage si extraordinaire qu'il tient de la lgende. Les incidents de ce voyage nous ont 6t6 racontes par Mgr Tache". 306 L'OUEST CANADIEN Ces lettres apprirent a Lord Selkirk que les indiens n'e*taient pour rien dans la ruine de son etablissement et que tout le mal venait de la Compagnie du Nord-Ouest. Lord Selkirk confia d'autres lettres a Lajimo- niere et le renvoya a la Riviere Rouge annoncer a Robertson que lui-meme, se mettrait en route des le commencement du printemps pour aller porter secours a sa colonie. Malheureusement, cette fois, Lajimoniere fut arrete en chemin, non loin du fort William, par des sauvages au service de la Compagnie. Norman McLeod, 1'un des associes, leur avait donne 1'ordre de 1'arreter et de le tuer s'il faisait la moindre resistance. Us se saisirent de lui durant la nuit, le maltraiterent brutalement et le conduisirent prisonnier au fort William, (i) Dans le cours de 1'hiver, il commenc.a a circuler en Canada des bruits que la colonie de la Riviere Rouge serait de nouveau attaquee au printemps. Ces nouvelles etaient repandues par les agents de la Compagnie du Nord-Ouest, pour preparer d'avance les esprits a croire que le complot etait forme par les sauvages indignes d'une nouvelle tentative de colonisation. (i) Recit de Lajimoniere lui-meme a Mgr Tache. L'ordre pour arreter Lajimoniere etait emane' du fort William et signd par Norman McLeod. Les sauvages qui arreterent Lajimoniere re^urent cent piastres de recompense, cette somme fut ported a leur avoir sur les livres de la Compagnie du Nord-Ouest. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 307 Lord Selkirk, etait bien convaincu par les Documents qu'il avait en main, que c'etait la Compagnie du Nord-Ouest qui se preparait a repeter la scene du printemps precedent. Des son arrivee d'Europe, avant meme d'avoir ete informe du retablissement de la colonie par Robertson, il s'etait adresse au Secretaire d'etat, Lord Bathurst, en Angleterre, pour lui demander protection. Celui-ci avait remis 1'affaire entre les mains du Gouverneur du Canada, Lord Gordon Drummond, lui laissant toute liberte d'accorder la protection demandee. Mais les agents de la Compagnie du Nord-Ouest, qui complotaient a la Riviere Rouge, intriguaient en Canada pour indisposer les esprits centre Lord Selkirk, et malheureusement ils n'y reussissaient que trop. Parmi les agents de la Compagnie, un des plus influents etait William McGillivray, membre du conseil legislatif. En bons termes avec le Gouverneur Drummond, qui lui accordait toute sa confiance, il le renseignait sur les evenements de la Riviere Rouge. Le lecteur comprend facile- ment quelle espece de renseignements lui four- nissait McGillivray. Celui-ci profita de toute son influence pour empecher le gouverneur d'accorder a Lord Selkirk le secours d'une force militaire pour defendre sa colonie. II fit d'abord entrevoir 1'impossibilite d'envoyer 308 L'OUEST CANADIEN un corps militaire a une telle distance a travers un pays ou les voyageursles plus habitues avaient peine a passer ; puis il insistait sur 1'inutilite d'une telle depense pour le Canada, vu qu'il etait facile de regler les difficultes existantes sans recourir a des moyens aussi dispendieux : mais la principale objection qu'il apportait a 1'envoi de soldats armes a la Riviere Rouge, etait que leur seule appari- tion suffirait pour soulever toutes les tribus sau- vages et amener la destruction de tous les blancs. William McGillivray, en affirmant ceci, savait bien qu'il trompait le gouverneur, mais en ruse politicien, il n'hesitait pas a mentir pour 1'interet de sa Societe. Lord Selkirk eut beau insister aupres du gou- verneur pour obtenir protection, celui-ci lui repon- dit qu'apres les informations prises par lui aupres de William McGillivray, sa resolution etait arretee de ne pas envoyer de soldats a la Riviere Rouge. Cette question, cependant, fut ramenee de nouveau sous les yeux de Son Excellence, comme on le voit par la lettre suivante, que lui adresse Lord Selkirk le 23 avril 1816. Montreal, 23 avril 1816. " Excellence, " En examinant les lettres que j'ai eu occasion de vous adresser depuis peu, il parait que je ne vous ai pas informe suffisamment du retablisse- LA COMPAGNIE DU NOKD-OUEST 309 ment de la Colonie de la Riviere Rouge effectue 1'automne dernier, un peu plus de deux mois apres 1'epoque a laquelle elle parait avoir ete detruite. Votre Excellence a ete informee qu'une partie des colons avaient refuse d'entrer dans les vues de la Compagnie du Nord-Ouest, mais que contraints de ceder a des forces superieures, ils s'etaient retires du cote de la baie d'Hudson. Aussitot apres la dispersion des brigands que Ton avait rassembles de differents quartiers pour les attaquer, ils revinrent a la Riviere Rouge avec un renfort considerable de monde recemment arrive d'Europe. Suivant les derniers avis regus, ils vivaient dans les meilleurs termes avec les sau- vages et les metis de leur voisinage et ne craignaient aucun ennemi, si ce n'est ceux que pouvait leur susciter la haine de la Compagnie du Nord-Ouest. " Votre Excellence n'a pas eu la condescen- dance de me faire connaitre les raisons pour lesquelles Elle n'a pas voulu executer les instruc- tions de Lord Bathurst (i) quant " a accorder l ' aux colons de la Riviere Rouge tel secours qui " ne serait prejudiciable au service de Sa Majeste " dans d'autres parties de ses domaines." II n'est pas improbable que vous n'ayez ete induit a cela par la supposition que cet etablissement etait entierement et irrevocablement detruit. Je crois (I) Lord Bathurst, Secretaire d'Etat, en Angleterre. 310 L'OUEST CANADIEN done de mon devoir de vous informer de I'e'tat reel des choses et en meme temps de vous faire entrevoir combien il est probable que les memes personnes qui ont complote la destruction de la colonie, 1'an dernier, renouvelleront leurs attaques ce printemps, encouragees en cela par la connais- sance qu'elles ont de la resolution exprimee par Votre Excellence de n'envoyer aucun secours militaire pour la defense des colons. "Quoique je ne sache pas au juste les motifs de votre resolution, cependant on m'a insinue quelques avis importants au sujet des raisons qui paraissent avoir influe sur Votre Excellence. " En autant que je les connais,je puis assurer avec confiance qu'elles sont fondees sur de faux exposes et je puis m'engager a le prouver d'une maniere satisfaisante. " Lorsque j'ai eu 1'honneur de voir Votre Excellence, en novembre dernier, j'ai compris que vous craigniez que 1'emploi d'une force mili- taire a la Riviere Rouge ne fut vue de mauvais ceil par les sauvages. J'ai compris egalement que vous redoutiez les depenses necessaires pour y envoyer des troupes. En outre, je suis informe par les dernieres lettres que j'ai reues de Londres que, dans une de vos lettres a Lord Bathurst, vous alleguez 1'impossibilite de conduire des troupes dans ce pays. Si ces objections ont quelque poids aupres de Votre Excellence, LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 311 je n'ai aucun doute qu'elles ne puissent etre levees. " Quant aux sauvages, je suis inform e si positi- vement de leurs bonnes dispositions que je n'ai pas le moindre doute que les troupes de Sa Majeste ne fussent regues comme des amis et des protecteurs, par les sauvages aussi bien que par les colons ; de sorte qu'il n'y aurait besoin, de la part des officiers, que d'une prudence ordi- naire pour y entretenir la paix et la Concorde. " Quant aux difficultes et aux depenses pour le transport des troupes, je suis pret a decharger VotreExcellencede touteresponsabilite acesujet. " Tout ce que je demande, c'est que vous donniez ordreau Commissaire-General de fournir de ses magasins les articles necessaires pour 1'equipement de 1'expedition, laissant au Gou- vernement en Angleterre a decider si ces objets doivent etre considered comme delivres pour le service public ou non et, dans ce dernier cas, je serai responsable que ces objets soient remis ou que la valeur en soit payee, comme on 1'exigera. " La seule autre difficulte maintenant que j'ai entendu mentionner est que 1'officier comman- dant se trouverait dans des circonstances fort embarrassantes quant a la conduite qu'il aurait a tenir, s'il etait appele a soutenir le magistral civil dans le cas ou il s'eleverait des difficultes entre les differentes personnes qui pretendent a 1'au- 312 L'OUEST CANADIEN torite. Je me flatte que ces difficultes seront bientot levees, en s'en rapportant a 1'opinion de T A vocat- General et du Solliciteur-General, en Angleterre, touchant les preventions en dispute. Dans Finterieur, je pense que Votre Excellence doit referer la question a 1'Avocat- General de cette province, et si Ton prend son opinion pour regie, Fofficier commandant sera assurement decharge de toute responsabilite. " Votre Excellence, dans sa lettre du 15 du mois dernier, m'informe qu'ayant communique a Lord Bathurst les raisons que vous avez pour refuser d'envoyer un detachement a la Riviere Rouge, vous ne pouviez prendre aucune mesure ulterieure avant d'avoir re$u de nouvelles ins- tructions. Je prends cependant la liberte de vous faire observer que cette resolution ayant ete communiquee a Lord Bathurst avant la reception de ma lettre du onze novembre, doit avoir ete fondee entierement sur des informations regues de la Compagnie du Nord-Ouest, car, a cette epoque, Votre Excellence n'en avait regu d'au- cune espece, ni de ma part, ni de celle de la Com- pagnie de la baie d' Hudson. " A cette epoque, nous ne pouvions parler que des.sujets de crainte que nous avions touchant les intentions de nos ennemis. Depuis que je suis arrive dans cette province, j'ai ras- semble des preuves decisives sur la conduite LA COMPAGNIE DU NORD- QUEST 313 qu'ils ont tenue, des preuves dont Votre Excel- lence ne pouvait avoir aucune connaissance, lorsque vous avez ecrit a Lord Bathurst. Vous ne connaissez meme pas la dixieme partie des faits dont je vais m'engager a vous fournir des preuves. " Dans ma lettre du i r du mois dernier, j'ai offert de mettre les temoignages sous les yeux de Votre Excellence. Par votre reponse, j'ai compris qu'il etait trop tard pour les prendre en consideration. " Je suppose, cependant, que les instructions donnees par Lord Bathurst, en mars 1815, n'ont pas ete revoquees et je crois que tant qu'elles ne le seront pas d'une maniere formelle et positive, Votre Excellence peut agir a ce sujet comme elle jugera convenable ; je crois egalement que Votre Excellence ne saurait etre privee de ce droit par la resolution que vous auriez exprimee, tandis que vous etiez dans 1'erreur sur le veritable etat des choses, ou tandis que les circonstances etaient differentes de ce qu'elles sont maintenant. Le retablissement de la colonie et la probabilite qui existe qu'elle sera attaquee de nouveau demandent hautement que vous consideriez de nouveau la determination que vous avez mani- festee. Les faits qui ont eu lieu 1'ete dernier prouvent evidemment que la presence de la force publique peut seule proteger les habitants de la colonie contre la violence de leurs ennemis ; 314 L'OUEST CANADIEN et les instructions que Votre Excellence a re9ues Tan dernier de Lord Bathurst mettait hors de doute que le gouvernement de Sa Majeste a 1'intention de leur accorder cette protection et de ne les pas abandonner a leur sort, comme s'ils etaient des etrangers a 1'Empire Britannique. " Si, cependant, Votre Excellence persevere a ne vouloir rien faire jusqu'a ce que vous ayiez regu de nouvelles instructions, il est plus que probable qu'il s'ecoulera une autre annee avant qu'on ne puisse envoyer les secours necessaires ; pendant une autre annee, les colons demeure- ront exposes aux attaques de leurs ennemis et il y a tout lieu de craindre que plusieurs personnes payeront ce delai de leur vie. " Qu'il n'y ait d'autre moyen d'eviter ce mal- heur qu'en mettant a execution les instructions de Lord Bathurst et qu'il n'y ait aucune objec- tion raisonnable centre cette mesure, sont des points dont Votre Excellence ne saurait manquer de se convaincre, en examinant de nouveau le sujet avec 1'attention qu'il merite, lorsque vous serez en possession de tous les temoignages et que vous donnerez aux deux cotes de la question une egale attention. J'ai 1'honneur d'etre, etc., etc., SELKIRK. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 315 Sa Seigneurie regut a cette lettre la reponse suivante du gouverneur Drummond : Chateau St-Louis, Quebec, 27 aout 1816. Milord, " J'ai recu votre lettre du 23 du courant et suis tres fache que Votre Seigneurie croit necessaire de me presser davantage sur un point auquel j'ai deja repondu amplement et avec franchise. " Je me flatteque ce que j'ai ecritle 25 courant, tant a Votre Seigneurie qu'aux associes de la Compagnie du Nord-Ouest, aura I'effet desire d'empecher qu'on ne re*itere les crimes et pro- cedes re"ciproques dont on s'est plaint aupres du gouvernement de Sa Majeste et qui sont men- tionnes en des termes si forts dans la depeche de Lord Bathurst que j'ai citee dans ma lettre. J'ai 1'honneur d'etre, GORDON DRUMMOND. Apres cette lettre, Lord Selkirk fit de nou- velles instances aupres du gouvernement pour obtenir une enquete et faire valoir toutes les preuves qu'il avait recueillies dans le cours de 1'hiver contre la Compagnie du Nord-Ouest ; on lui repondit qu'il n'y avait rien a redouter pour 1'avenir et que les mesures etaient prises pour ramener le calme. 316 L'OUEST CANADIEN Pourtant, il etait bien certain quela Compagnie preparait tout pour empecher la colonie de se retablir. Malheureusement, William McGillivray, principal agent de la Compagnie, avait reussi a capter toute la confiance du gouverneur et a le mettre sous 1'impression que la plus grande partie du blame retombait sur Lord Selkirk et ses agents qui avaient irrite les sauvages par leurs impru- dences. Les evenements lui prouverent bientot qu'il avait ete odieusement trompe. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 317 CHAPITRE XIII. SOMMAIRE. Lord Selkirk piend a sa solde cent soldats licences et les conduit a la Riviere Rouge comroe colons. Apres son depart de Montreal, il apprend en route que la colonie a etc ddtruite de nouveau. II niarche sur le Fort William et s'en empare. Les associes de la Compagnie du Nord-Ouest sont fails prisonniers et envoyes en Canada. Explication de ce qui s'est passd a la Riviere Rouge a 1'automne de 1815 et durant 1'hiver de 1816. - Cameron fait pri- sonnier. Fort Gibraltar detruit. Complot forme 1 dans le nord pour d6truire la colonie entierement. Lord Selkirk avait perdu tout espoir d'obtenir des secours pour sa colonie, quand une circons- tance vint lui fournir 1'occasion de pourvoir a la surete de son etablissement, tout en augmentant le nombre de ses colons. A la suite d'un traite de paix conclu avec les Etats-Unis d'Amerique, 1'Angleterre venait de licencier en Canada trois regiments de soldats : les regiments de Meuron, de Watteville et de Glengary. Ceux de ces militaires qui ne vou- laient pas retourner en Europe avaient droit a des terres en Canada pour s'y etablir. Quelques uns d'entre eux, desirant aller a la Riviere Rouge, s'engagerent a Lord Selkirk aux memes condi- 318 L'OUEST CANADIEN tions que les colons d'Ecosse. Us exigerent en outre que celui-ci les feraient reconduire en Europe a ses frais, s'ils n'etaient pas satisfaits du pays. Sa Seigneurie les engagea regulierement par ecrit et leur fournit des armes, comme il 1'avait fait pour tous les autres colons ; precaution fort utile, qui avait deja ete approuvee par le gou- vernement en 1813. Lord Selkirk, suivi de cette petite troupe, se mit en route pour la Riviere Rouge vers le com- mencement de juin ; les preparatifs qu'il avait ete oblige de faire avaient retarde son depart jusqu'a ce moment. Des les premiers jours de mai, cependant, il avait envoye en avant un detachementd'hommes montes sur des canots legers pour aller annoncer aux colons sa prochaine arrivee. II esperait etre rendu a la Riviere Rouge avant que de nouvelles hostilites centre la colonie eussent ete entreprises. Le gouverneur du Canada avait accorde a Lord Selkirk une garde composee d'un sergent et de sept soldats pour sa surete personnelle. C'etait de Tile Drummond dans le lac Huron que cette garde devait 1'accompagner, cette ile etant la derniere oil il y avait une garnison anglaise dans ces quartiers. A la tete de la petite brigade que Lord Selkirk avait depechee en avant, se trouvait M. Miles Macdonell, le premier gouverneur de la colonie, LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 319 que la Compagnie du Nord-Ouest avait envoye prisonnier a Montreal 1'annee precedente. Mais comme on n'avait fourni aucune preuve des accusations portees contrelui, il n'avait pas subi de proces et Lord Selkirk le renvoyait a son poste, au Fort Douglas. Lorsque Lord Selkirk et ses hommes arriverent au Sault Ste-Marie, a la decharge du lac Supe- rieur, ils apergurent deux canots, sur 1'un desquels etait M. Miles Macdonell. Ce dernier venait annoncer que la colonie avait ete detruite une seconde fois par la Compagnie du Nord-Ouest et qu'il n'en restait plus que des ruines. Les details qu'il avait recueillis en route etaient navrants. Le gouverneur Semple, de la Compagnie de la baie d' Hudson, a qui etait confie le soin du Fort Douglas, avait ete tue ainsi que vingt-et-un de ses hommes ; le fort Douglas etait tombe aux mains de la Com- pagnie du Nord-Ouest. Quelques-uns des colons avaient ete conduits prisonniers au fort William ; les autres avaient ete places sur des bateaux et envoyes a la baie d'Hudson. Cette affligeante nouvelle obligea Lord Selkirk a changer son itineraire. II s'etait d'abord pro- pose de passer par 1'endroit appele Fond du Lac, a 1'extremite ouest du lac Superieur, puis par la riviere St- Louis et le lac Rouge, ou il devait rencontrer les canots et les provisions qu'il avait 320 L'OUEST CANADIEN commande de lui envoyer de la Riviere Rouge. II avait choisi cette route pour eviter toute colli- sion avec les etablissements de la Compagnie du Nord-Ouest, surtout avec 1'etablissement du fort William, qui etait son chateau-fort. En apprenant que sa colonie etait ruinee et ses habitants disperses, il changea son plan et resolut d'aller droit au fort William demander la mise en liberte de ses gens emprisonnes. Avant de quitter le Sault Ste- Marie, il ecrivit lui-meme la depeche suivante a sir John Coape Sherbrooke, tout recemment nomme gouverneur du Canada. Sault Ste-Marie, 29 juillet 1816. Excellence, " C'est avec un sentiment de la plus vive dou- leur que j'ai a vous annoncer la nouvelle qui m'est parvenue. il y a peu de temps, du succes qui a couronne cette annee les trames affreuses de la Compagn'e du Nofd- Quest. De nouveau, elle a reussi a detruire Tetablissement de la Riviere Rouge et, cette fois, elle y a joint le massacre du gouverneur et d'une vingtaine de ses habitants. " Les circonstances qui ont accompagne cette catastrophe et celles qui 1'ont amenee ne me sont encore parvenues que d'une maniere imparfaite. Je suis persuade que la Compagnie du Nord- LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 321 Quest en est beaucoup mieux informee, mais 1'interet qu'elle a a presenter les faits sous un faux point de vue, est trop evident pour qu'il soit necessaire de faire aucune remarque a ce sujet. Tout ce dont je suis certain, c'est que M. Semple n'etait pas un homme a agir d'une maniere assez violente ou illegale pour autoriser une attaque semblable a celle qui a eu lieu. Je me flatte d'obtenir sous peu de jours des rensei- gnements plus exacts sur ce sujet au fort William ou se trouvent actuellement un grand nombre de personnes qui doivent avoir une connaissance personnelle de ces faits et auxquelles je me propose, comme magistrat, de demander des informations. " Dans la situation delicate ou je me trouve, etant moi-meme partie interessee, j'aurais desire que quelqu'autre magistrat se chargeat de cette affaire. " Dans cette vue, je me suis adresse a deux magistrats pour le district de 1'ouest dans le Haut- Canada, les deux seules personnes ainsi commissionnees (MM. Askin et Ermatinger) que Ton pouvait esperer vouloir se rendre a une telle distance. Mais ces deux messieurs ont des affaires qui les empechent de se rendre a ma priere ; je suis en consequence reduit a 1'alter- native, ou d'agir seul, ou de laisser impuni un crime affreux. Dans de semblables circonstances, 322 L'OUEST CANADIEN je crois qu'il est de mon devoir d'agir, quoique je ne sois pas sans redouter que cette classe d'hommes accoutumes a considerer la force comme le seul droit reconnu, ne s'oppose ouver- tement a 1'execution de la loi. J'ai 1'honneur d'etre, etc., etc., SELKIRK. Du Sault Ste- Marie, Lord Selkirk suivit le cote nord du lac Superieur et se dirigea en toute hate vers le fort William, ou il arriva dans 1'apres-midi du 12 aout. II fit entrer ses bateaux dans la riviere Kaministigoya, debarqua tout son monde et fit dresser les tentes a un mille au- dessus du fort, sur le cote sud de la riviere. Le total de sa brigade se montait a cent dix hommes : deux capitaines, deux lieutenants, quatre-vingts soldats du regiment de Meuron, vingt de celui de Watteville, six hommes et unofficierdu 37 6me comme garde de corps de Lord Selkirk, le capitaine De Lorimier, interprete, et un sauvage de Caughnawaga, pres de Montreal. II y avait alors dans le fort William un grand nombre d'associes de la Compagnie du Nord-Ouest. M. William McGillivray, leur principal agent, s'y trouvait pour assister a 1'assemblee annuelle. Autour du fort, plus de deux cents hommes, tant canadiens que sauvages, etaient campes. Lord Selkirk envoya sur le champ demander LA COMPAGNIE DU NORD- QUEST 323 a M. McGillivray la mise en liberte des per- sonnes eminences de la Riviere Rouge et gardees prisonnieres parce qu'elles avaient pris part a la defense de la colonie. MM. Pern brim, Pritchard, Nolin et quelques autres eurent la permission de sortir pour aller au camp de Lord Selkirk ; les renseignements qu'ils donnerent sur les affaires de la colonie se trouverent d'une nature tellement grave que Sa Seigneurie se decida a lancer im- mediatement des mandats d'arret centre plusieurs associes de la Compagnie du Nord-Ouest. Le lendemain, 13 aout, il confiaces mandats a John McNabb et M. McPharson, pour les faire executer. Accompagnes de neuf homines armes, montes sur un bateau, ils traverserent la riviere Kaministigoya et vinrent aborder pres du Fort. Voici comment John McNabb rend compte de sa mission. " Lorsque nous fumes arrives vis-a-vis la '" porte, nous mimes pied a terre et nous nous " rendimes au fort en passant a travers un " nombred'hommes qu'il y avait a 1'entree. Nous " demandames M. McGillivray qui nous dit " d'entrer dans son appartement et la le mandat " lui fut donne. II se conduisit comme un gen- " tilhomme et se prepara a nous accompagner, " demandant un peu de temps pour s'entretenir " avec deux de ses associes, MM. Kenneth " McKenzie et John McLaughlin. Le but de 324 L'OUEST CANADIEN " cet entretien etait de les porter a 1'accompa- " gner et a se proposer pour caution. Cela lui fut " accorde et les trois messieurs nous accompa- " gnerent dans un de leurs canots comme ils " 1'avaient demande. Peu apres leur arrivee, " Lord Selkirk ordonna que nous arretassions " MM. McKenzie et McLaughlin, parce qu'il y " avait de fortes accusations portees contre eux. " Cela fait, on nous dit deretourner au fort avec " le capitaine d'Orsonnens, le lieutenant Fauche " et vingt-cinq hommes du regiment de Meuron " pour arreter tous les autres associes de la Com- " pagnie du Nord-Ouest. Nous nous rendimes " devant la porte du fort ou etaient assembles " beaucoup de sauvages. Le mandat fut donne " a deux des associes, mais quandnous voulumes " arreter le troisieme, on opposa de la resistance " et on declara qu'on ne se soumettrait plus aux " ordres, a moins que M. McGillivray ne fut " relache. En consequence, on me poussa en " dehors du fort, et on essaya de fermer les " deux battants de la porte. En ce moment, "j'exprimai au capitaine d'Orsonnens le desir " d'etre soutenu ; il accourut aussitot a la porte " avec plusieurs hommes et empecha qu'elle ne " fut fermee. Le capitaine ordonna que celui " qui avait oppose de la resistance fut saisi et " mene a 1'un des bateaux. McPherson et moi " nous avan^ames alors dans le fort, soutenus LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 325 " par le lieutenant Fauche. Le capitaine d'Or- " sonnens arriva promptement avec le reste des " hommes qui etaient tous armes. Us coururent " en avant et en un moment prirent possession " de deux petits canons qui etaient places dans " la cour en dedans de la porte. Les canadiens " se disperserent et toute apparence de resis- " tance cessa. Nous executames ensuite regu- " lierement notre devoir en arretant les autres " messieurs nommes dans le mandat." Les prisonniers furent envoyes a Lord Selkirk, qui, apres les avoir examines, leur permit de retourner pour la nuit a leurs appartements respectifs dans le fort, sous la condition expresse qu'ils ne commettraient aucun aete d'hostilite ; ce qu'ils promirent sur leur parole d'honneur. Vingt hommes armes, sous les ordres du lieutenant Graffenreid, passerent la nuit au fort et tous les papiers de la Compagnie furent mis sous scelles. Bien que les associes de la Compagnie du Nord-Ouest eussent donne leur parole d'honneur que tout resterait comme Sa Seigneurie 1'avait ordonne, cependant ils firent partir durant la nuit un canot charge d'armes et de munitions et bru- lerent un grand nombre de lettres de nature a les compromettre. Le lendemain, les hommes de Lord Selkirk trouverent dans un champ, pres du fort, huit barils de poudre qui avaient ete 326 L'OUEST CANADIEN transported la durant la nuit. Ils trouverent aussi dans une grange, sous un tas de foin, une cinquantaine de fusils charges tout recemment. Ces decouvertes firent soup9onner qu'on avait dessein de faire attaquer, au depourvu, les hommes de Lord Selkirk par les engages de la Compagnie. Pour plus de surete, ceux-ci furent envoyes de Fautre cote de la riviere Kaministigoya ; on s'assura de leurs canots en les mettant dans le fort et les prisonnrers furent surveilles de plus pres. Comme Lord Selkirk ne pouvait plus compter sur la parole d'honneur des associes de la Compagnie du Nord-Ouest, ils furent tous empri- sonnes separement et gardes a vue. Apres avoir pris toutes les mesures necessaires pour la surete de son camp, Lord Selkirk procedaal'examen des prisonniers et ceux-ci lui parurent tous assez crimi- nels pour etre envoyes sous escorte a York, dans le Haut-Canada. Ils partirentle 18 aout montes sur trois canots bien pourvus de ce qui etait necessaire pour le voyage. Reportons-nous maintenant a la Riviere Rouge et reprenons les evenements au mois de decem- bre 1815, au moment ou J.-B. Lajimoniere se mettait en route pour Montreal, porteur d'un message pour Lord Selkirk. Ce message, nous 1'avons dit, etait envoye par Colin Robertson qui avait ramene de J ack River LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 327 House les colons ecossais chasses de la Riviere Rouge par Cameron, apres la mine de la colonie et les avait retablis sur leurs fermes au mois d'aout 1815. Robertson qui envoyait porter cette bonne nouvelle a Lord Selkirk, lui deman- dait en meme temps du secours pour prevenir un autre desastre. Le petit groupe de colons ramenes sur les fermes, se fortifia durant 1'automne, par 1'arrivee d'un convoi d'emigrants venant des montagnes d'Ecosse. Duncan Cameron, le principal auteur du mal commis contre les emigrants, etait revenu a la Riviere Rouge, et s'etait installe dans le fort de la colonie reste aux mains des serviteurs de la Compagnie du Nord- Quest, apres la destruction de 1'etablissement. De la il s'etait mis de nouveau a harceler les colons. Colin Robertson voulut mettre un terme a ces intrigues. Au mois cl'octobre, aide par les colons, il reprit le fort Douglas, en chassa Cameron, recouvra deux pieces de canon et trente fusils, que les associes de la Compagnie avaient voles le printemps precedent. Quelques semaines plus tard, ayant surpris Cameron chez les colons, il le fit prison- nier pour le punir de ce qu'il cherchait encore a semer un mauvais esprit parmi eux ; cependant il le relacha, sur la promesse qu'a Tavenir il resterait tranquille dans son fort Gibraltar. 328 L'OUEST CANADIEN Alex. McDonell, 1'ami de Cameron, avait, lui aussi, ete renvoye a son poste de Qu'Appelle pour soulever les sauvages et les metis. Des lettres interceptees par Colin Robertson lui reve- lerent la trame d'un nouveau complot centre la colonie. Le 13 mars 1816, Alexandre McDonell ecrivait de la riviere Qu'Appelle a son ami Cameron au fort Gibraltar. " J'ai regu votre lettre de la Riviere la Souris. " Je vois avec plaisir les demarches hostiles de " nos voisins. II se forme un orage dans le " Nord ; il est pret a crever sur la tete des mise- " rabies qui le meritent. Us ne connaissent pas " le precipice ouvert sous leurs pas. Ce qu'on a " fait Tan passe n'etait qu'un badinage. La nation " nouvelle s'avance sous les ordres de ses chefs " pour nettoyer leur pays de ces assassins, qui " n'y ont aucun droit : Glorieuse nouvelle " d'Athabaska. (i) ALEX. MCDONELL. Le meme jour A. McDonell ecrivait au Sault Sainte- Marie a un de ses amis. " Je suis au poste de la Riviere Qu'Appelle, " me donnant des airs avec mon epee et mes " epaulettes d'or, dirigeant et faisant vos affaires. " Sir William Shaw rassemble tous les Bois-Brules (i) Cette glorieuse nouvelle d'Athabaska 6tait la mort de 18 servi- teurs de la Compagnie de la baie d'Hudson, qui avaient tous peri de faim durant 1'hiver. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 329 " (metis) des departements voisins. II a envoye " ordre a ses amis de ces quartiers de se tenir " prets a entrer en campagne. II a deja rassemble ' tons les Metis jusqu'au fort des Prairies. Dieu " seul connait ce qui en va resulter." Cutbert Grant, (metis), commis de la Com- pagnie du Nord-Ouest et chef principal des metis, ecrit du meme lieu a Alexandre Fraser metis, commis de la Compagnie. (13 mai 1816). " Je prends la liberte de vous adresser quelques " lignes pour vous donner des nouvelles de nos " compatriotes, les metis du fort des Prairies et " de la Riviere aux Anglais. Je suis bien aise de " vous dire que les metis sont tous d'accord et " prets a executer nos ordres. Us ont envoye " ici un des leurs, pour connaitre 1'etat des choses " et pour savoir s'il etait necessaire qu'ils vinssent " tous. Je leur ai fait dire de se trouver tous ici " vers le milieu de mai. " Je vous recommande de dire a Bostonais de " tenir les metis bien unis ensemble ; quant a " ceux qui sont ici j'en repond, excepte Antoine " Houle que j'ai battu ce matin et que j'ai " renvoye de service." CUTBERT GRANT. Le meme jour, il ecrit a Dougald Cameron au Sault Sainte -Marie. 330 L'OUEST CANADIEN " Les Bois-Brules du fort des Prairies et de " la Riviere aux Anglais seront tous ici au prin- " temps ; j'espere que nous 1'emporterons haut " la main et qu'on ne verra plus dans la Riviere " Rouge de gens a colonie. Les traiteurs aussi " decamperont pour avoir desobei a nos ordres " le printemps dernier. Nous passerons 1'ete " aux Fourches (i) de peur qu'ils ne nous jouent " le meme tour que 1'ete dernier de revenir " encore ; mais s'ils le font, ils seront rec.us de la " bonne maniere." Ces lettres, interceptees par Colin Robertson, n'etaient pas les seules preuves de ce qui se tramait centre la colonie. Au mois d'octobre, Duncan Cameron avait reuni dans le fort Gibral- tar ses commis et ses serviteurs, pour deliberer sur les moyens les plus surs a prendre afin de chasser les colons du pays. Peter Pangman, dit Bostonais, rapporta quelques jours apres a un canadien du nom de Nolin le sujet de ces deliberations. Pangman etait d'avis d'agir imme- diatement, seulement il ne trouvait aucun pretexte plausible pour commencer les hostilites. Pendant tout le reste de 1'automne, Duncan Cameron, malgre sa parole juree, ne cessa de travailler a jeter le decouragement chez les fer- miers ecossais, et a les attirer a son fort. II (i) Us appelaient la Riviere Rouge a 1'endroit de la colonie : Les Fourches. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 331 possedait dans le fort Gibraltar une assez grande quantite d'armes voices aux colons lors de la prise du fort Douglas. Dans le cours du mois de mars, Colin Robertson resolut de tenter un coup de main et de s'emparer du fort Gibraltar. Un dimanche soir, vers les six heures, il descendit sur la glace et en suivant les detours de la Riviere Rouge, il arriva sans etre apergu a 1'embouchure de 1'Assiniboine. II etait accompagne de plu- sieurs colons. La porte du fort Gibraltar etait ouverte ; Robertson s'y precipita les armes a la main avec tout son monde et en quelques mi- nutes il avait fait prisonniers Cameron et ses commis. Pour n'avoir plus a redouter de tels voisins, il rasa les pieux du fort, et fit transporter au Fort Douglas, les armes, canons et fusils qui se trouvaient la. Quant a Cameron, il 1'envoya a la baie d'Hudson pour le faire passer en Europe a 1'ouverture de la navigation ; les commis furent tous remis en liberte sur parole qu'ils resteraient tranquilles. C'etait un coup hardi que venait de faire Robertson, mais il savait, par les nbuvdJes qu'il recevait du nord, que la colonie etait vouee a la destruction et qu'il n'avait rien a perdre en prenant des mesures energiques immediatement. 332 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE XIV. SOMMAIRE. Souffrances des colons cossais an printemps de 1816. Manque com- plet de vivres dans la colonie. Le gouvernement en envoie cher- cher & Qu'Appelle. Les hommes de la Compagnie de la baie d' Hudson qui rapportent des vivres sont attaque"s et fails prison- niers par la Compagnie du Nord-Ouest. Prparatifs des associes de la Compagnie du Nord-Ouest pour demure la colonie. Bataille du 19 juin. Documents. Le Fort Douglas pris par la Com- pagnie du Nord-Ouest. La colonie est detruite une seconde fois. Les colons ecossais eurent a souffrir de grande 5 privations durant tout le printemps de 1816. Us n'avaient pour subsister que le produit de la chasse des metis campes a Pembina. De la, il fallait trans- porter les provisions au fort Douglas, a soixante- dix milles de distance. C'etait un travail penible. La viande, par petite quantite, etait placee sur des traineaux etroits, et les hommes, faute de chevaux, faisaient 1'office de betes de somme pour trainer ces voitures. Le voyage durait plusieurs jours. La situation devint cependant plus penible encore dans le cours du mois de mars. Les metis, menaces par les commis de la Compagnie, refu- serent de vendre des vivres aux colons. Quel- ques-uns, cependant, touches de compassion leur LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 333 en firent parvenir en cachette en leur disant : " Prenez bien garde a ce qui se prepare centre vous ! Pour 1'amour de Dieu, prenez garde ! " A mesure que la saison avancait, les bruits devenaient de jour en jour plus menacants ; on annonait que des bandes d'indiens et de metis armes etaient en marche de tous les coins de 1'ouest et du nord pour venir exterminer les colons de la Riviere Rouge. L'inquietude etait grande chez tous ces pauvres gens et, vraiment, il y avait de quoi s'effrayer. Sur la fin de mars, M. Semple, qui avait ete nomme, a Londres, gouverneur de la Compagnie de la baie d'Hudson, arriva au fort Douglas, apres avoir, durant 1'hiver, visite differents postes du nord. A la riviere Qu'Appelle, la Compagnie de la baie d'Hudson avait un fort bati tout aupres de celui de la Compagnie du Nord-Ouest. La elle avait, en reserve, une grande quantite de viande et de fourrures. Au mois d'avril, le gouverneur Semple, voyant que les colons ne pouvaient plus obtenir de vivres des metis et qu'ils souffraient horriblement de la famine, envoya un nomme Pambrun, officier de la Compagnie de la baie d'Hudson, a la riviere Qu'Appelle pour en rap- porter des sacs de viande et des pelleteries. Pambrun, apres avoir charge cinq bateaux, se mit en route accompagne de M. Sutherland, com- 334 L'OUEST CANADIEN mis du poste, et de vingt-deux serviteurs. II y avait sur ces bateaux six cents sacs de viande pilee et vingt paquets de fourrures. Le 1 2 mai, pendant qu'il descendait le cours de la riviere Assiniboine, Pambrun et ses hommes furent attaques par un parti de quarante-cinq serviteurs de la Compagnie du Nord-Ouest, a la tete desquels etaient Cutbert Grant, Rodrigue McKenzie, Peter Pangman, dit Bostonais, et un canadien du nom de Brisebois. Us furent faits prison niers et conduits au fort du Nord-Ouest, peu distant de celui de la Compa- gnie de la baie d'Hudson. Les serviteurs de Pambrun furent relaches et renvoyes a leur fort. Mais lui meme fut garde au fort de la Compa- gnie du Nord-Ouest. M. Alexandre McDonell lui declara que sou intention etait d'affamer les colons de la Riviere. Rouge jusqu'a ce qu'il les eut contraint d'ac- cepter les conditions qu'on leur imposerait et qu'il voulait en faire autant a tous les serviteurs de la Compagnie de la baie d'Hudson. D'apres la declaration assermentee de Pambrun, les con- ditions que la Compagnie voulait poser etaient de faire sortir les colons de la Riviere Rouge et de les renvoyer en Europe. Alexandre McDonell partit du fort Qu'Ap- pelle a la fin de mai, avec tout son monde, canadiens, metis et sauvages. II s'embarqua sur LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 335 les bateaux dont il s'etait empare et se fit escor- ter par une bande de metis a cheval qui suivirent les bords de la riviere. Le long de la route, il ne se genait pas de dire, devant Pambrun, que 1'affaire de 1'annee prece- dente n'etait Hen comparee a celle qui allait avoir lieu dans la colonie. En passant a Brandon House, poste de la Compagnie de la baie d'Hudson, il envoya une bande de vingt-cinq hommes s'emparer de ce fort et de tout ce qu'il contenait, armes, viandes et pel- leteries. Les proprietes des serviteurs qui etaient dans les environs furent ravagees et pillees. Un nomme Lavigne, canadien qui se trouvait present, fut pris et force de se joindre aux gens de McDonell, qui le mit sous les ordres de Cutbert Grant, ce a quoi ilse soumitpoursauver sa vie. Les bateaux arriverent au Portage de la Prairie le 15 juin. Les forces de McDonell se montaient a cent vingt-cinq hommes. II fit debarquer tons les sacs de viandes qu'il entassa en forme de barricade et qu'il flanqua de deux pieces de canon. Ces canons avaient ete voles a la colonie 1'annee precedente. Quand le travail de dechargement fut termine, il divisason monde en cinq petites brigades qu'il mit sous les ordres de Grant, Lacerte, Houle, Fraser et Lamarre. Toute cette troupe etait montee et bien armee. 33.6 L'OUEST CANADIEN Le 1 8 juin, soixante-dix de ces cavaliers partirent du Portage de la Prairie pour se rendre a la Riviere Rouge ; le reste de la bande fut laisse pour garder la viande et les pelleteries. Ce jour-la, deux indiens de la tribu des Sauteux, qui connaissaient tout le complot trame centre la colonie, vinrent en toute hate avertir le gou- verneur que les colons seraient attaques le len- demain et que le fort serait pris par les metis et les serviteurs de la Compagnie ; que les gens seraient tous massacres, s'ilsopposaient la moindre resistance (i). La Compagnie du Nord-Ouest, dans les ecrits qu'elle a publics pour sa propre defense, affirme que les soixante-dix cavaliers envoyes du Por- tage de la Prairie a la Riviere Rouge s'en allaient porter des vivres aux brigades d'hommes, serviteurs de leur Compagnie, qui venaient du fort William jusqu'au lac Winnipeg. Jusqu'a present, un grand nombre de lecteurs se sont laisses prendre a cette hypocrite explication. II est extremement important que les faits soient retablis sous leur vrai jour et que les mensonges, inventes pour cacher un crime abominable, soient enfin connus de la posterite. Les soixante-dix cavaliers envoyes du Portage (ij Madame Lajimoniere et ses enfants e'taient au fort Douglas en ce moment, et c'est d'elle que nous tenons la relation de 1'avertisse- ment des deux indiens. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 337 de la Prairie par Alex. McDonell, sous la con- duite de Cutbert Grant, etaient tous des servi- teurs de la Compagnie du Nord- Quest ; il n'y avait parmi eux que cinq sauvages. Etant tous a cheval, il n'emportaient que tout juste assez de provisions pour eux-memes. Aucun convoi ne les suivait. Partis le 18 juin du Portage de la Prairie, qui est a soixante milles de la Riviere Rouge, les cavaliers etaient le lendetnain, 19 juin, en vue du fort Douglas. Toute la viande des- cendue du nord avait ete laissee sous bonne garde au Portage. Ces guerriers en passant vis-a-vis le fort Douglas faisaient mine de des- cendre vers le bas de la Riviere Rouge, mais voici quel etait leur plan. Des canots partis du fort William avec environ cent hommes, devaient se trouver au bas de la Riviere Rouge vers le 16 juin. Ces hommes, sous les ordres de Norman McLeod associe de la Compagnie du Nord-Ouest, etaient armes de pied en cap et trainaient avec eux deux petites pieces de campagne. Us etaient envoyes par les ordres de M. William McGillivray, qui, des le moisd'avril, etait parti de Montreal pour devancer Lord Selkirk a la Riviere Rouge. II avait pris a sa solde deux officiers licencies du regiment de Meuron : MM. Brumby et Messani ; il avait aussi engage un soldat suisse du nom de Reinhard. Sur les canots qu'il envoyait a la Riviere Rouge, 338 L'OUEST CANADIEN il avait mis des caisses d'armes pour les metis et les sauvages. Tous ces soldats etaient envoyes pour rencontrer les bandes du nord soulevees par McDonell et pour ecraser tous les colons, s'ils faisaient mine de se defendre. Les canots de McLeod furent retardes en route et n'arriverent au has de la Riviere Rouge que le 20 au lieu du ] 6 juin. Ces homines etaient abondamment pourvus de provisions et n'attendaient pas les secours du Portage de la Prairie pour assurer leur alimen- tation. La Compagnie du Nord-Ouest, dans sa bro- chure publiee pour expliquer ce qu'elle appelle la malheureuse rencontre du 19 juin, a 1'endroit nomme La Grenouillere, affirme qu'elle n'avait nullement 1'intention d'attaquer le fort Douglas et que ses hommes en partant du Portage de la Prairie avaient re$u 1'ordre formel de passer au loin dans la prairie, arm d'eviter toute rencontre avec les officiers de la baie d'Hudson. Ceci est tres vrai, mais c'est a peu pres 1'unique verite que nous avons pu decouvrir dans cette brochure ; tout le reste n'est, d'un bout a 1'autre, qu'un tissu de mensonges et de protestations hypocrites, pour surprendre la bonne foi des lec- teurs etrangers a tous ces evenements. La verite entiere, nous venons de la dire. Lessoixante-dix cavaliers, serviteurs de la Com- LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 339 pagnie du Nord-Ouest,avaient en effetrecu 1'crdre de passer a plusieurs milles du fort Douglas, non- seulement pour eviter toute rencontre avec les homines de la Compagnie de la baie d'Hudson, mais pour ne pas etre vus par eux, si c'etait pos- sible. Des lacs et des marecages les empecherent de passer aussi loin du fort qu'ils 1'eussent voulu. Alex. McDonell, qui avait trame tout le complot - durant 1'hiver, envoyait, comme nous 1'avons dit, ses cavaliers se joindre aux homines de Norman McLeod, qui montait du fort William avec toute une organisation militaire. Les mesures etaient prises depuis longtemps pour que toutes les bri- gades d'hommes de la Compagnie du Nord- Ouest, venant du nord, de 1'ouest et de Test, se trouvassent en meme temps a I'embouchure de la Riviere Rouge vers le 20 juin. De la, une troupe composee de quelques centaines d'hommes parfaitement equipes devait tomber sur 1'eta- blissement et faire prisonniers tous les colons, on bien les massacrer, s'ils faisaient mine de resister. Une fois les colons prisonniers, le fort Douglas, qui n'etait defendu que par une tren- taine d'hommes n'ayant plus -de provisions que pour trois ou quatre jours, devenait facile a prendre. Comme tactique de guerre, c'etait un plan bien imagine ; mais, dans la circonstance actuelle, ce n'etait qu'une mesure de brigandage et un crime horrible. 340 L'OUEST CANADIEN Quatre rapports de cette lugubre scene du 19 juin, 1816, ont ete donnes sous serment par de braves et honnetes citoyens presents a la bataille, et tous les quatre racontent les faits de la meme maniere. Voici d'abord celui de Michel Heden, qui etait dans le fort Douglas et qui accom- pagna le gouverneur Semple, quand celui-ci s'avanga a la rencontre des soixante-dix cavaliers dela Compagnie du Nord-Ouest, passant en vue du fort. ( DEPOSITION DE MICHEL HEDEN, Fa tie d Montreal, le 16 septembre 1816, devant le juge de paix Thomas McCord. " Le 1 9 juin 1816, vers cinq heures de 1'apres- " midi, un homme qui etait a la maison du " guet, avertit le gouverneur Semple qu'un " parti d'hommes a cheval approchait de 1'eta- " blissement. Le gouverneur alia a la maison " du guet afin d'observer avec une lunette " d'approche. Deux personnes, M. Rogers, " arrive depuis peu d'Angleterre, et M. Bourke, " garde-magasin au service de la colonie, 1'ac- " compagnerent et observerent aussi le parti " qui passait. Tout le monde vit alors " qu'une bande de cavaliers armes se dirigeait " vers 1'etablissement, d'une maniere hostile. " En consequence, le gouverneur Semple LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 341 " demanda qu'une vingtaine d'hommes allas- " sent avec lui vers ces cavaliers pour leur " demander quel etait leur but. La troupe " entra dans 1'etablissement un peu au-dessous " du fort, (i) " Lorsqu'ils virent que le gouverneur Semple " approchait d'eux, ils galoperentimmediatement " de son cote et 1'entourerent ainsi que ses gens ; " puis ils firent avancer un des leurs pour parler " an gouverneur. Ce fut un nomme Boucher, " fils d'un cantinier de Montreal, qui fut choisi " comme parlementaire. " Lorsqu'il fut arrive pres du gouverneur, il " lui demanda d'uri ton insolent ce qu'il voulait, " lui et ses gens. Le gouverneur lui demanda a " son tour ce qu'il voulait, lui et son parti. Nous " voulons notre fort, repondit Boucher ; pour- " quoi 1'avez vous detruit, S coquin que " vous etes ? Le gouverneur saisit alors la bride " du cheval de Boucher en lui disant : " Mise- " rable, est-ce ainsi que vous me parlez ? Aussitot " que ces paroles eurent ete prononcees, Boucher (< sauta a bas de son cheval et tout de suite un " des cavaliers tira un coup de fusil et tua " M. Nolt, commis au service de la Compagnie " de la baie d'Hudson qui avait accompagne le (i) C'est-a-dire environ un mille plus bas que la grande station du Pacifique & Winnipeg. 342 L'OUEST CANADIEN " gouverneur. Boucher courut alors vers les " siens et aussitot, du meme endroit, il fut tire " un second coup de fusil qui blessa le gouver- " neur Semple. En recevant sa blessure le " gouverneur cria a ses gens : faites ce que vous " pourrez pour vous sauver ; mais les personnes " qui 1'accompagnaient au lieu de chercher leur " propre surete se presserent autour du gouver- " neur pour savoir quel mal il avait reu, et, " tandis qu'ils etaient ainsi rassembles en un " petit corps au centre, le parti de cavaliers " qui avaient forme un cercle autour d'eux " firent sur eux une decharge generate, qui en " tua sur le champ la plus grande partie. Les " personnes qui resterent debout oterent leurs " chapeaux et demanderent quartier, mais ce " fut en vain ; les cavaliers coururent a eux " au galop et les tuerent presque tous avec " des casse-tetes ou a coup de fusils. Le depo- " sant (Heden) se sauva au milieu de la confu- " sion jusqu'au bord de la riviere qu'il traversa " dans un canot, avec un nomme Daniel McKay, " et tous deux purent se rendre au fort a 1'en- " tree de la nuit." M. Pitchard, dans son rapport dit : " En peu de minutes, tout notre monde fut " tue ou blesse. Le capitaine Rogers qui etait " tombe, se releva et vint a moi ; voyant tout L.\ COMPAGNIE DU NORD-OUEST 343 " notre monde ainsi tue ou blesse, je lui criai : " Pour 1'amour de Dieu, rendez-vous. II courut " vers 1'ennemi dans cette intention et jelesuivis. " II eleva les mains et demanda grace. Alors " un metis, fils du colonel William McKay, lui " perca la tete d'un coup de fusil ; un autre lui " ouvrit le ventre avec son couteau en pronon- " cant d'horribles imprecations. Par bonheur " pour moi, un nomme Lavignejoignitses efforts " aux miens et parvint quoique difficilement a " me sauver du sort de mon ami. " Les blesses furent achieves a coup de fusil, " de couteau ou de casse-tete et les barbares " exercerent sur leurs corps les cruautes les " plus horribles. M. Semple, cet homme si " aimable et si doux, couche sur le cote (il " avait la cuisse cassee) et la tete appuyee sur " une de ses mains, s'adressa au commandant " en chef des ennemis, et lui demanda s'il n'etait '"' pas M. Grant. Celui-ci ayant repondu : oui, " le gouverneur ajouta : Je ne suis pas blesse " mortellement ; si vous pouvez me faire trans- " porter au fort, je crois que j'en rechappe- " rais. Grant promit de le faire et.le confia " immediatement aux soins d'un canadien qui " rapporta ensuite qu'un sauvage de leur parti " lui avait tire un coup de fusil en pleine poi- " trine. Je suppliai Grant de me procurer la " montre du gouverneur, ou du moins ses 344 L'OUEST CANADIEN " cachets, pour les faire parvenir a ses amis, mais " inutilement. " Nous etions vingt-huit, et sur ce nombre " vingt-un furent tues et un blesse." " Les chefs du parti ennemi etaient Grant, " Fraser, Ant. Houle et Bourassa (tous metis)." Sur les soixante-dix cavaliers il n'y avait que six sauvages. Voici leurs noms : Kattigons, Shani- castan.Okematan, Nidigonsojibwan, Pimicantous, Wegitane. Tous les autres etaient des serviteurs de la Compagnie du Nord-Ouest et des metis anglais et canadiens engages pour la circons- tance. Pendant que ce massacre avait lieu, il y avait aupres du fort Douglas un camp de sauvages de la tribu des Cris qui ne prit aucune part a cette affaire ; au contraire, ils se montrerent profondement affliges de ce malheur. Ce furent ces sauvages qui, le lendemain, recueillirent les corps sur la prairie et leur donnerent la sepulture. Le chef de ce camp se nommait Pigouis. (i) Sur le soir, les prisonniers faits dans la colonie furent conduits au camp de Grant a 1'endroit appele La Grenouillere. (i) Tous ces corps furent enterres dans le fond d'une coulee desse 1 - chee, a 1'endroit ou se trouve aujourd'hui 1'hotel-de-ville, a Winnipeg. La personne qui nous a donnd ce renseignement assistait, jeune enfant, a l'enterrement de ces corps. C'est la que reposent les restes du gou- verneur Semple. \Recit de Reine Lajimoniire, tenioin oculaire.} LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 345 " Lorsque je fus arrive a la Grenouillere, " continue M. Pritchard dans sa relation, M. " Grant me dit que le fort serait attaque durant " la nuit et que, si nos gens tiraient un seul coup, " ils seraient tons massacres. Vous voyez, me " dit-il, que nous n'avons pas fait de quartier ; " eh bien, maintenant si Ton fait la moindre resis- " tance, on n'epargnera personne, ni homme, ni " femme, ni enfant. Fraser ajouta : Robertson a " dit que nous etions des noirs, il verra que la " couleur de nos coeurs ne dement paslacouleur " de nos corps. Persuade que la perte de ces " malheureux etait inevitable, je demandai a " Grant s'il n'y avait aucun moyen de sauver ces " pauvres femmes et enfants ; je le suppliai d'en " avoir pitie, au nom de son pere qui etait leur " compatriote. II me repondit alors que si nous " voulions lui livrer tons les effets des magasins " du fort, il nous laisserait aller en paix et nous " donnerait une escorte pour nous conduire au- " dela des lignes de la Compagnie du Nord- " Quest, dans le lac Winnipeg, ajoutant que " cette escorte serait pour nous proteger contre " deux autres corps de metis que Ton atten- " dait d'un moment a 1'autre et qui etaient com- " mandes, 1'un par M. William Shaw, et 1'autre " par M. Simon McGillivray, fils de 1'hono- " rable William McGillivray. Je voulais porter " cette proposition a M. Macdonell qui com- 346 L'OUEST CANADIEN " mandait a la colonie, mais les homines de Grant " ne voulaient pas me laisser partir. Je leur " parlai quelque temps et m'adressant enfin a " Grant je lui dis : M. Grant, vous me connaissez " et je suis certain que vous repondrez de mon "' retour corps pour corps. II consentit a me " laisser partir. " Arrive au fort, j'y fus temoin d'une scene de " desolation impossible a decrire. Les femmes, " les enfants et tons les parents de ceux qui " avaient ete tues, plonges dans le desespoir le " plus profond, pleuraient ceux qui etaient morts, " tandis que le sort des survivants les remplissait " d'epouvante. " Je dois dire que lorsque je laissai La Gre- " nouillere, la nuit etait deja avancee et que " M. Grant m'accompagna jusqu'au lieu ou j'avais " vu tomber mes meilleurs amis sous les coups " de ces barbares. Le lendemain, le journe me " decouvrit que trop ce que m'avaient cache les " ombres de la nuit : je veux dire le spectacle " de ces cadavres defigures et morceles. D'apres " ce que je vis, je crois qu'il n'y eut guere plus " du quart de nos gens qui furent blesses a mort " et que les autres furent inhumainement mas- " sacres. " Apres trois allees et venues du camp des " metis au fort, nous en vinmes a une convention. " Tons les effets furent inventories et livres a la LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 347 " Compagnie du Nord-Ouest. Deux jours apres, " les colons etaient jetes pele-mele sur des ba- " teaux et envoyes sans escorte vers le lac Win- " nipeg." (i) Les commis de la Compagnie du Nord-Ouest prirent possession du fort Douglas et 1'etablis- sement ecossais fut rase une seconde fois. (I) Lorsqu'Alex. McDonell revtntau Portage de la Prairie annoncer aux siens le triste evenement de la Grenouillere, il le fit en ces termes : " Bonne nouvelle ! ! S... nom de Dieu, vingt-deux anglais detues." De telles paroles sont loin de vouloir dire qu'il deplorait cette rencontre. { Teinoignage de Chrysologue Pambrun,} 348 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE XV. SOMMAIRE. Nouvelles persecutions subies par les colons avant leur depart pour la bale d' Hudson. Assassinat de M. Keveny, officier de la Com- pagnie de la baie d Hudson. Les prisonniers a Montreal sont admis a caution. William McGillivray envoie M. de Rocheblave au fort William pour arreter Lord Selkirk. II echoue dans cette tentative. Lord Selkirk envoie ses soldats a la Riviere Rouge. Reprise du fort Douglas. La barbare expulsion des colons ecossais, chasses de leurs demeures, jetes sans vetements et presque sans provisions sur de miserables embarcations, ou ils sont exposes a perir, res- semble a 1'expulsion des Acadiens au siecle dernier. Dans un sens, on peut dire que cet acte brutal offre quelque chose de plus odieux encore et de plus inexplicable. Les Acadiens etaient des frangais catholiques et leurs perse- cuteurs des anglais protestants ; il y avait done antipathic de race et de religion entre ces deux peuples, et cela suffit pour expliquer la conduite de 1'un centre 1'autre. A la Riviere Rouge, il n'y a rien de cela : ce sont des ecossais qui perse- cutent des ecossais appartenant tons ou presque LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 349 tous a la meme religion. Le seul crime reproche aux victimes est d'avoir voulu introduire la civilisation a la Riviere Rouge. La Compagnie du Nord- Quest n'eut-elle eu que ce crime a son dossier, serait couverte de honte aux yeux de toute la posterite ; mais elle en a bien d'autres. Les colons ainsi chasses etaient au nombre de deux cents. De 1'extremite nord au lac Winnipeg, ou les embarcations les conduisaient, ils devaient se rendre a pied a la baie d' Hudson et de la en Angleterre, sur les vaisseaux de la Compagnie. Ces pauvres gens, deja si dignes de compas- sion, apres tout ce qu'ils avaient souffert, espe- raient qu'au moins, apres avoir franchi les limites de la colonie, ils seraient a 1'abri de nouvelles vexations et que leurs ennemis les laisseraient s'en aller tranquilles ; mais la haine des associes de la Compagnie n'etait pas encore satisfaite. Ces hommes sans entrailles etaient inaccessibles a , tout sentiment de pitie. Au bas de la Riviere Rouge, avant d'entrer dans le lac Winnipeg, les malheureux exiles rencontrerent la brigade d'hommes de Norman McLeod, qui arrivait du fort William. Des que celui-ci aper9Ut les bateaux portant les emigrants, il poussa un cri de guerre a la facon des sauvages et demanda immediatement si le gouverneur Semple etait avec eux ? II ne savait pas encore 350 L'OUEST CANADIEN qu'il avait ete tue, mais comme il s'attendait a ce que tous les colons seraient chasses du pays, il pensait tout naturellement que le gouverneur s'en allait avec eux. II ordonna a ceux qui conduisaient les bateaux de les arreter a la c6te et d'en faire descendre tout le monde, hommes, femmes et enfants. II se fit ensuite donner les clefs de toutes les malles pour les ouvrir et eri visiter le contenu. II ota aux colons tous leurs papiers, livres, comptes, lettres, etc. ; il s'empara meme de quelques effets qui avaient appartenu au gouverneur Semple. II fit arreter, comme prisonniers, MM. Pritchard, Heden et Burke pour les envoyer a Montreal. Les colons furent retenus en cet endroit pendant trois jours, et durant tout ce temps, les femmes et les enfants etaient sur la greve consumant le peu de nourriture qu'on leur avait donnee pour les empecher de mourir de faim le long du voyage. Enfin, apres mille vexations, on leur permit de se rembarquer et de continuer leur route. Apres 1'expose des odieux precedes de McLeod, agissant de concert avec ses associes du Nord-Ouest, qui 1'avaient tenu au courant du complot trame durant 1'hiver, on se demande comment la Compagnie ose affirmer qu'elle n'a- vait aucune mauvaise intention en envoyant des cavaliers au bas de la Riviere Rouge le 19 juin. Les details que nous avons donnes jusqu'ici LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 351 ne laissent aucun doute sur les mauvaises inten- tions de ceux qui furent les auteurs du massacre de la Grenouillere. Ce que nous avons encore a rapporter le prouvera davantage. Norman McLeod distribua des recompenses a tous ceux qui avaient aide a detruire la colonie. Augustin Lavigne, dans son temoignage, donne le 17 aout 1816, au fort William, devant Lord Selkirk, rapporte les paroles de McLeod aux metis avant de leur donner des recompenses. " Mes parents, mes pareils, qui nous ont sou- " lages dans nos besoins, j'ai apporte de quoi " vous habiller. Je croyais trouver seulement une " quarantaine d'entre vous avec M. McDonell ; " mais vous etes plus nombreux. J'ai quarante " habillements ; ceux qui en ont un plus grand " besoin prendront ceux-la ; les autres seront " habilles pareillement cet automne a 1'arrivee " des canots." McLeod se rendit au fort Douglas et revint immediatement vers ses gensau bas de la Riviere Rouge, pour retourner au fort William avec ses prison niers. Arm d'empecher que la verite' fut connue a Montreal sur ces scenes desastreuses, la Com- pagnie du Nord-Ouest avait coupe toutes les communications et aucun message ne pouvait etre envoye de la Riviere Rouge en Canada. Les associes, se croyant maitres absolus du ter- 352 L'OUEST CANADIEN rain, etaient determines a tout pour garder leur position. La nouvelle que Lord Selkirk avait quitte Montreal avec des soldats les inquietait bien un peu, mais ils esperaient se delivrer de lui comme des colons, ou par la force ou par 1'assas- sinat. Un soir, dans un campement aupres du lac la Pluie, voici ce que Burke, prisonnier, put saisir d'une conversation entre McGillis et Alexandre McDonell, qui avait trame tout le complot aulac Qu'Appelle. On avait appris par des eclaireurs que Lord Selkirk viendrait par le lac Rouge : " Les Metis, dit McDonell, prendront le Milord pendant qu'il sera endormi, le matin de bonne heure. Ils pour- ront se servir de Bostonais pour lui tirer un coup de fusil." Burke put saisir encore ces paroles : " Nous avons pousse les choses itn peu loin; mais nous dirons que les gens du gouverneur sont venus pour attaquer les metis et qiiils out subi leur sort'' " Quel etait votre plan, dit McDonell a McGillis, pour la destruction de I'etablissement ? C'etait, repondit celui-ci, d'attaquer d'abord le fort. Si vous 1'eussiez fait, dit McDonell, vous eussiez perdu la moitie de vos gens ; le plus sur etait d'affamer le fort, qui n'avait de provisions que pour un jour ou deux." LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 353 Burke communiqua a deux autres prisonniers ce qu'il avait entendu. McLeod, avec ses prisonniers, arriva au fort William dans le cours de juillet ; il n'y resta que peu de jours et revint au-devant des associes d'Athabaska leur annoncer que Lord Selkirk s'avangait vers le fort William avec un grand nombre d'hommes et qu'il fallait redoubler de vigilance, pour empecher qui que ce fut de penetrer a 1'interieur du pays ou de porter des nouvelles au Milord. Vers le 10 du mois d'aout, McLeod rencontra les canots d'Athabaska, sur 1'un desquels etait M. Arche McLellen, associe delaCompagniedu Nord-Ouest. On lui raconta qu'un officier supe- rieur de la Compagnie de la baie d' Hudson, nomme Keveny, venait d'arriver sur un bateau au lac du Bonnet, sur la riviere Winnipeg, et que ses serviteurs se plaignaient d'avoir recu de lui de mauvais traitements. Aussitot McLeod langa contre Keveny un mandat d'arret et McLellen chargea six metis d'aller executer cet ordre. Keveny fut arrete dans sa tente, mis aux fers et conduit au camp de McLeod. La, on le depouilla deses papiers, qu'on trouva compromettants pour la Compagnie du Nord-Ouest, et McLellen dit a Reinhard, commis de la Compagnie, d'aller le mettre a mort dans un endroit ecarte. Voici 354 L'OUEST CANADIEN comment Reinhard rend compte lui-meme devant les tribunaux de 1'ordre qui lui fut'donne. " Faites croire au prisonnier, dit McLellen, " qu'il doit descendre au lac la Pluie. Nous ne " pouvons pas le tuer parmi les sauvages. Nous " irons plus loin, et quand vous trouverez un " endroit favorable, vous saurez ce que vous avez " a faire. " Nous descendimes la riviere, continue Rein- " hard, pendant un quart de lieu, jusqu'a un " endroit ou elle faisait un coude. Keveny " ayant dernande de mettre pied a terre, je dis " a Mainville, qui etait avec moi : Nous sommes " assez loin. Tu peux tirer quand il viendra " pour rembarquer. " Quand il revint, Mainville lui dechargea un " coup de fusil, dont le contenu lui traversa le " cou, et comme je remarquai que le coup n'etait " pas mortel et que Keveny voulait encore " parler, je lui passai mon sabre par derriere le " dos, centre le coeur, a deux reprises, afin de " terminer ses souffrances. Ensuite, m'etant " rendu au camp de McLellen, celui-ci envoya " au'devant de moi Cadot pour me demander si " Keveny etait tue. Lui ayant repondu qu'il " 1'etait, il me dit : " M. McLellen vous avertit " de ne pas dire qu'il a ete tue." Alors j'ai " repondu : " Je ne cacherai pas la chose, puis- LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 355 ' que c'est M. McLellen lui-meme qui m'a " ordonne de le tuer." Cette declaration, faite devant un tribunal, a ete corroboree par le temoignage de deux cana- diens voyageurs au Nord-Ouest, M. J.-Bte Lapointe et Hubert Faye, ayant tous deux eu connaissance de ce meurtre et ayant cherche a 1'empecher. Le corps de Keveny fut laisse dans une ile et ne re$ut pas meme de sepulture. Ce nouveau crime ne doit pas etonner le lec- teur. Quand une societe en arrive a former le dessein de faire massacrer des centaines de per- sonnes pour garder un pays a 1'etat sauvage, parce qu'elle y trouve un avantage pour son com- merce, le meurtre d'un simple individu n'estplus qu'une affaire de detail. Quand les auteurs de ce crime re9urent en route la nouvelle de la prise du fort William et 1'arrestation des principaux agents de la Com- 'pagnie, ils retournerent sur leurs pas pour aller fortifier les postes du nord et attendre des ordres du Canada. Le soldat Reinhard, qui avait tue Keveny, se rendit au fort St- Pierre, sur le lac de la Pluie. Revenons aux Bourgeois du Nord-Ouest, faits prisonniers par Lord Selkirk. Aussitot que ceux- ci furent arrives a Montreal, ils demanderent a etre admis a caution en attendant leur proces. Ce privilege leur fut accorde, mais les crimes 856 L'OUEST CANADIEN dont ils etaient accuses parurent a Lord Drum- mond d'une nature si grave qu'il ne voulut pas prendre la responsabilite de les juger sans con- suiter M. Gore, officier civil pourle Haut-Canada. Les communications, a cette epoque, n'etaient pas aussi rapides qu'aujourd'hui ; la correspon- dance entre le gouverneur et M. Gore traina un peu trop en longueur au gre des associes de la Compagnie du Nord-Ouest. M. McGillivray, voyant que la saison avangait et que tous les rapports entre les associes du Nord et ceux de Montreal etaient interrompus, prit sur lui d'en- voyer des constables au fort William pour arreter Lord Selkirk et 1'amener prisonnier a Montreal. Un tel precede a lieu d'etonner, car il est rare de voir un prisonnier, sur lequel pesent de graves accusations, tenter des demarches pour faire arreter son accusateur. II chargea d'abord M. de Rocheblave de se rendre au Sault Ste-Marie, pour y attendre un sherif qui ne tarderait pas a 1'y rejoindre, muni de mandats d'arret contre le milord et ses officiers. Le magistral a qui McGillivray confia les man- dats fut un M. Smith, sherif pour le Haut-Canada. M. de Rocheblave arriva au Sault Ste-Marie le 19 octobre; il attendit la pendant quelques jours 1'arrivee du sherif porteur des mandats ; mais voyant que celui-ci tardait trop et que la saison etait deja tres avancee, il s'adressa a un LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 357 magistral de St- Joseph pour lui faire signer d'autres mandats etpartitimmediatement accom- pagne de douze constables pour le fort William, ou il parvint le sept novembre. M. de Roche- blave avait compte sansles moyens dont disposait Lord Selkirk, et surtout sans la determination energique qu'il avait prise de poursuivre jusqu'au bout ses revendications centre la Compagnie du Nord-Ouest. En entendant les sommations de M. de Roche- blave, Lord Selkirk reflechit un moment ; puis, considerant la route qu'il avait deja parcourue pour obtenir justice, il refusa net de se soumettre aux mandats des constables. De suite, il rassem- bla ses soldats et ordonna a M. de Rocheblave d'avoir a sortir du fort, s'il ne voulait pas etre fait prisonnier lui-meme. Voyant qu'il lui etait inutile d'insister et que le but de son voyage etait completement manque, M. de Rocheblave retourna au Sault Ste- Marie, ou il rencontra M. Smith qui arrivait avec ses mandats. Us se rembarquerent sur un grand bateau, avec un renfort d'hommes et reprirent le chemin du fort William. Mais les elements se tournerent centre eux. Le vent s'eleva avec force et leur embarcation ballottee par les vagues fut brisee centre la c6te. Us se sauverent avec peine et retournerent a Montreal, ou ils n'arriverent 2 3 358 L'OUEST CANADIEN qu'a la fin de decembre, ayant parcouru cette distance la plupart du temps a pied. De son cote, Lord Selkirk n'etait pas reste inactif au fort William. Apres le depart de M. de Rocheblave, il avait envoye le capitaine d'Orsennens au fort Saint- Pierre pour s'en emparer. Comme il y avait, dans ce fort, des munitions et des provisions, les associes du Nord- Ouest refuserent d'ouvrir les portes et firent mine de vouloir soutenir un siege ; mais les communi- cations etant interrompues pour eux et ignorant comment allaient tourner les evenements, ils se deciderent enfin, apres quelques jours, a livrer le fort a la condition que les assieges eussent la liberte de s'en aller. Cependant le soldat Rein- hard, qui avait tue M. Keveny et qui s'etait refugie dans ce fort, fut fait prisonnier et envoye au fort William. Par represailles pour les dommages que la Compagnie avait causes a la colonie, Lord Selkirk s'empara d'un autre fort bati a I'extremite du lac Superieur, a 1'endroit appele Fond du Lac. De cet endroit, les soldats du milord se rendirent a la Riviere Rouge pour reprendre le fort Douglas, reste aux mains des associes du Nord-Ouest. Guides par des indiens, ils passerent par le lac Rouge et arriverent au mois de fevrier sur la Riviere Rouge, un peu au-dessus de Pembina. De la, ils longerent la Riviere Rouge jusqu'a LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 359 une dizaine de miUes en haut du fort DouMas, et, o prenant ensuite une direction a 1'ouest, allerent camper sur les bords de 1'Assiniboine a quatre milles de son embouchure. Comme cette riviere etait bordee de bois epais, les soldats purent facilement derober leur approche aux gens qui etaient dans le fort. Us profiterent d'une violente tempete de neige pour donner 1'assaut pendant la nuit. Munis de bonnes echejles de cordes, ils escaladerent facilement les hautes palissades qui protegeaient le fort, et, sans tirer un seul coup de fusil, ils furent, en moins d'une demi- heure, maitres de la position. Personne, dans le fort, ne chercha a opposer la moindre resis- tance. La vue de militaires bien armes fit comprendre aux employes de la Compagnie du Nord-Ouest que les roles allaient changer et que desormais les colons de la Riviere Rouge pour- raient compter sur une protection efficace. Le lendemain, les soldats prirent leurs quar- tiers dans le fort Douglas pour y attendre 1'arrivee de Lord Selkirk. 360 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE XVI SOMMAIRE. Les colons rappele"s sur leurs fermes. Lord Selkirk passe I'e'te au Fort Douglas. Distribution gratuite de terres. Reque'te for- mulee, au nom des catholiques, par Lord Selkirk pour demander des missionnaires. Lettre de Lord Selkirk a 1'e vequede Quebec. Intrigues de la Compagnie du Nord-Ouest pour empecher les mis- sionnaires d'aller a la Riviere Rouge. Dons gene'reux de Lord Selkirk a la mission catholique. Instructions donnees par l'evque de Quebec a ses missionnaires sur la conduite qu'ils doivent tenir dans les missions. Les colons chasses vers la bale d'Hudson s'etaient arretes, comme la premiere fois, al'extre- mite nord du lac Winnipeg, conservant toujours 1'espoir de revenir sur leurs fermes, d'ou ils ne s'etaient eloignes qu'a regret. Apres la reprise du fort Douglas, un courrier leur avait ete envoye pour les avertir de revenir dans la colonie, ou Lord Selkirk les dedomma- gerait en partie de leurs pertes ; ils reprirent done tous la route de la Riviere Rouge et, dans le cours du mois de juin 1817, la colonie renaissait de ses cendres et reprenait un air de vie. Lord Selkirk etablit son camp aupres du fort LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 361 et commenga une enquete sur les malheureux evenements de 1'annee precedente. Les metis, soustraits desormais a la maligne influence des Bourgeois du Nord- Quest, devinrent les meilleurs amis des colons et 1'entente la plus cordiale continua toujours, dans la suite, a regner entre eux. Lord Selkirk conceda a ses colons, des terres libres de toute redevance. Aux soldats qu'il avait amenes avec lui, il distribua des fermes sur les bords d'une riviere qu'il nomma riviere des Allemands ( i) parce que la plus grande partie de ces soldats etaient allemands. Uans les rapports qu'il eut avec les gens du pays, canadiens, metis et sauvages reunis autour du fort Douglas, Lord Selkirk comprit que, pour assurer 1'avenir de sa colonie, il fallait le souffle vivifiant de la religion et que la prudence humaine seule ne suffisait pas pour afferrnir une telle ceuvre. D'ailleurs un grand nombre de voyageurs canadiens, sortis du service de la Compagnie, desiraient avoir des pretres a la Riviere Rouge, et n'attendaient que le moment de leur arrivee pour se fixer definitivement dans ce pays. Lord Selkirk profita des bonnes dispositions de tous ces gens pour leur faire adresser a 1'eveque de Quebec une requete en due forme, exprimant 1'ardent desir de tous les catholiques ( I ) Cette riviere porte maintenant le nom de riviere la Seine. 362 L'OUEST CANADIEN de la Riviere Rouge d'avoir des pretres residents parmi eux. De son cote, Lord Selkirk leur promit d'user de toute son influence pour faire agreer leur demande. Voici cette requete avec les noms des signataires : A SA GRANDEUR, MGR PLESSIS, Eveque de Quebec. " Les soussignes, habitants de la Riviere Rouge, exposent tres humblement qu'il y a une popula- tion, chretienne etablie dans ce pays et qui, se propose d'y faire leur demeure ; que cette population, composee en partie de canadiens qui, ayant ete autrefois engages au service des traitenrs et ayant acheve le terme de leur enga- gement, sont connus sous le nom de canadiens libres et en partie de nouveaux colons qui sont natifs des differents pays d'Europe. " Que les canadiens. depuis leur residence ici, ont toujours ete sans aucune instruction religieuse, sans aucun pasteur pour les diriger vers le bien par ses conseils ou leur administrer les secours salutaires de 1'Eglise. " Que les enfants des chretiens qui sont natifs de ce pays et qui sont vulgairement connus sous le nom de Metis ou Bois-Brule, ne montent qu'a trois ou quatre cents hommes, dans une etendue de plusieurs cents lieues. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 363 " Que ces metis sont presque tous bien disposes et d'un caractere doux et paisible, et n'auraient pas eu part dans les malheureux venements qui ont eu lieu, s'ils n'y avaient ete pousses par leurs superieurs, mais qu'ayant ete informes, par des personnes mal disposees, qu'ils etaient les maitres du sol, que c'etait leur devoir de chasser les gens qu'on nomme ordinairement les anglais, etayant rec.u des promesses d'etre soutenus et recom- penses, ils ont cru qu'en les chassant du pays, ils feraient un acte glorieux et meritoire. " Que pour prouver qu'il n'existe parmi les Metis aucune inimitie contre les blancs, il suffirait de considerer qu'ils ont ete presque tous engages au service des blancs et que ceux qui sont ordi- nairement designes sous le nom & anglais > sont les seuls qui ont essuye des mauvais traitements de leurs mains. " Que presque toute la population chretienne, tant canadiens libres que nouveaux colons, sont de la religion catholique romaine. " Que tout est a present tranquille ici et que les soussignes croient fermement qu'avec le ministere d'un pretre catholique, rien ne leur manquerait pour rendre cette tranquillite durable et conserver a 1'avenir le bonheur du pays. " A ces causes, les soussignes vous supplient, au nom de leurs esperances d'une vie a venir, de vouloir leur accorder le secours d'un pretre de 364 L'OUEST CANADIEN leur sainte religion, secours que leur conduite aura merite, si elle est irreprochable, et qui ne leur sera que plus necessaire, si elle est regardee comme fautive." (Signe) : J.-BTE MARSOLAIS. MICHEL MONNET dit BELLE- LOUIS NOLIN. LHUMEUR. AUGUSTIN CADOTTE. Louis L'EPICIER dit SAVOIE. FRANCOIS ENO dit DELORME. CHARLES BOUCHER. JACQUES HAMELIN. JUSTIN LATIMER. ANGUS MCDONELL. PIERRE BRUSSEL. CHARLES BOUSQUET. JEAN ROCHER. JACQUES HAMELIN, fils. JACQUES BAIN. J.-BxE HAMELIN. PIERRE Souci. Louis NOLIN. Louis BLONDEAU. AUGUSTIN POIRIER dit DES- JOSEPH DUCHARMES. [LOGES. JOSEPH BELLKGARDE. JOSEPH ERASER. Avant son depart de Montreal, Lord Selkirk avait, lui-meme, au mois d'avril 1816, adresse la lettre suivante a 1'eveque de Quebec. A SA GRANDEUR MGR PLESSIS, Eveqne de Quebec, Monseigneur, " J'ai ete informe par M. Miles Macdonell, ancien gouverneur de la Riviere Rouge, que dans une conversation qu'il a eue avec Votre Grandeur, 1'automne dernier, il vous a suggere d'envoyer LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 365 tin missionnaire dans cette contree, pour y donner, les secours de la religion au grand nombre de canadiens qui y sont etablis et q,ui vivent, a la maniere des sauvages, avec les femmes indiennes qu'ils ont epousees. Je suis convaincu qu'un ecclesiastique zele et intelligent ferait un bien incalculable parmi ces gens chez qui le sentiment religieux n'est pas perdu. Ce serait avec la plus grande satisfaction que je coopererais de tout mon pouvoir au succes d'une telle ceuvre, et si Votre Grandeur veut choisirun sujetconvenable pour 1'entreprendre, je n'hesite pas a lui assurer ma consideration et a lui offrir tous les secours que Votre Grandeur jugera necessaires. " J'ai entendu dire que Votre Grandeur avait forme le projet d'envoyer cet ete meme deux ecclesiastiques au lac Superieur et au lac la Pluie, pour y rencontrer les voyageurs qui sont au service de la Compagnie du Nord-Ouest lors- qu'ils reviennent de 1'interieur. Comme tous ces gens sont dans un grand besoin de secours spirituels, je suis heureux d'apprendre cette nou- velle ; neanmoins, si vous me permettez d'emettre une opinion, je pense qu'un missionnaire, residant a la Riviere Rouge, realiserait beaucoup mieux votre pieux dessein ; car de cet endroit, il pour- rait visiter, durant 1'hiver, les postes de traite sur le lac la Pluie et sur le lac Superieur, a 1'epoque ou les gens sont assembles en plus grand nombre. 366 L'OUEST CANADIEN " Cependant si Votre Grandeur ne trouve pas pour le moment cet arrangement praticable, je crois qu'un ecclesiastique, qui serait pret a partir de Montreal a 1'ouverture de la navigation pour se rendre au lac la Pluie, pourrait encore faire beaucoup de bien. M. Macdonell doit se mettre en route avec un leger canot aussitot apres le depart des glaces, en sorte qu'il arrivera a la Riviere Rouge, vers la fin de mai ou le com- mencement de juin. II serait tres heureux d'avoir avec lui la compagnie d'un missionnaire qui pourrait sejourner quelques semaines avec les canadiens de la Riviere Rouge, avant le retour des voyageurs du Nord-Ouest au lac la Pluie et au lac Superieur. J'ai 1'honneur d'etre etc., (Signe) SELKIRK. Lord Selkirk repartit de la Riviere Rouge au commencement de novembre 1819 et arriva a Montreal vers la fin de decembre. Le 29 Janvier 1818, M. Samuel Gale qui avait passe Fete au fort Douglas avec Lord Selkirk, adressait a Mgr Plessis une lettre dans laquelle il exposait a Sa 1 Grandeur les besoins pressants de secours spirituels ou se trouvaient tous les pauvres catholiques dissemines dans le vaste territoire du Nord-Ouest, et les desirs ardents qu'ils avaient tous de voir arriver par mi eux des LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 367 pretres pour les instruire, eux et leurs families. Dans cette lettre il lui annoncait que 1'honorable Chartier de Lotbiniere etait porteur d'une requete signee par les colons de la Riviere Rouge, et qu'il devait sous peu se rendre a Quebec pour la presenter a Sa Grandeur. Le 1 1 fevrier 1818, Mgr Plessis recevait cette requete et repondait a M. Gale qu'il allait seconder de tous ses efforts le louable projet de Lord Selkirk. " II se trouvera dans mon clerge, " disait-il, des pretres qui se devoueront a cette " bonne ceuvre, sans autre motif que celui de " procurer la gloire de Dieu et le salut des ames." La Compagnie du Nord-Ouest qui avait voulu faire disparaitre la colonie de Lord Selkirk afin de garder le pays de la Riviere Rouge dans la sauvagerie, voyait d'un tres mauvais ceil les negociations entamees entre celui-ci et 1'eveque de Quebec. Avec les missionnaires a la Riviere Rouge, c'etait la civilisation chretienne qui entrait, et tous les moyens criminels que les Bourgeois du Nord avaient employes jusqu'ici pour acca- parer le commerce des fourrures, allaient devenir impossibles. 11s le sentaient fort bien, aussi ils ne manquerent pas d'intriguer pour faire tomber le projet de Lord Selkirk. Ils disaient partout que c'etait une temerite que de songer a envoyer des pretres dans ces contrees sauvages ; que les depenses pour les entretenir la-bas seraient 368 L'OUEST CANADJEN enormes et que leurs succes seraient a peu pres mils. Us reussirent a gagner meme des pretres a cette opinion. Un jour, un superieur de commu- naute a Montreal disait deyant M. Provencher partant pour cette mission : " A quoi bon envoy er si loin des missionnaires ? est-ce que tout le monde ne pent pas baptiser?" "Sans doute, reponclit M. Provencher, mais il y a dans 1'eglise d'autres sacrements que tout le monde n'administre pas." (lettre de Mgr Provencher). Cependant les plus influents personnages en Canada etaient en faveur de cette mission. Outre Lord Selkirk et Lady Selkirk, les membres les plus influents de la Compagnie de la baie d'Hudson, (presque tons, protestants)demandaient des missionnaires catho- liques, le Gouverneur- General du Canada, lui- meme, etait a la tete d'une souscription pour aider a Fetablissement de cette mission perma- nente a la Riviere Rouge. II semblait difficile de ne pas voir la le doigt de Dieu, montrant ses desseins de misericorde sur le pauvre peuple, abandonne dans ces pays sauvages. Quand on presenta aux messieurs de la Com- pagnie du Nord-Ouest la liste des souscriptions, en tete de laquelle etait le nom du Gouverneur- General,ilsrefuserentpolimentd'ymettreles leurs. Dans le cours du mois de mars 1818, Mgr Plessis annonca a M. Provencher, cure de LA COMPAGNIE DU NORD- QUEST 369 Kamouraska, qu'il avait jete les yeux sur lui pour aller fonder une mission a la Riviere Rouge. Malgre la grandeur du sacrifice que lui deman- dait son eveque, il accepta sans manifester la moindre hesitation. Le 16 avril, il faisait ses adieux a sa paroisse et se mettait en route pour Montreal ou ildevait s'embarquer pour la Riviere Rouge avec un confrere, M. Severe Dumoulin. Lord Selkirk, craignant que^la Compagnie du Nord- Quest ne voulut creer des embarras aux missionnaires, suggera a Mgr Plessis de les faire accompagner par un officier du departement des sauvages. " J'oserais, ecrit-il a Mgr Plessis, re- " commander a Votre Grandeur de demander a " Son Excellence le Gouverneur-General que " M. le capitaine J.-Baptiste chevalier De Lori- " mier soit nomme pour accompagner les mis- " sionnaires jusqu'a la Riviere Rouge ; ce mon- " sieur est d'une grande experience dans les " voyages et entend parfaitement la maniere de 4t s'y prendre avec les voyageurs. II est respecte " des sauvages aussi bien que les Canadiens du " Nord, de maniere qu'il pourrait dejouer les " intrigues par lesquelles on pourrait tenter d'in- " commoder le voyage des missionnaires." Pour assurer le sort de la mission de la Riviere Rouge, Lord Selkirk donna par acte notarie, signe par sept syndics, un terrain de vingt- cinq acres en superficie pour la place de 1'eglise 370 L'OUEST CANADIEN et des maisons d'education et par un second contrat une etendue de terre de cinq milles de profondeur sur sept milles de largeur, en arriere du terrain de 1'eglise. Voici les noms des syndics qui signerent ces contrats. LORD SELKIRK. J. O. PLESSIS, J. N. PROVENCHER, Pretre. Eveque de Quebec. Roux, Pretre. SEVERE DUMOULIN, Pretre. S. DE BEAUJEU. W. HENRY. Ce fut un mardi 18 mai 1818, vers midi, que les deux missionnaires firent leurs adieux au Canada. Quelques jours auparavant, Mgr Plessis leur avait envoye les instructions suivantes : 1 . Les missionnaires doivent considerer comme le premier objet de leur mission de retirer de la barbaric et des desordres qui en sont la suite, les nations sauvages repandues dans cette vaste contree. 2. Le second objet est de porter leurs soins vers les mauvais chretiens qui y ont adopte les moeurs des sauvages et qui vivent dans la licence et dans 1'oubli de leurs devoirs. 3. Persuades que la predication de 1'Evangile est le moyen le plus assure d'obtenir ces heureux effets, ils ne perdront aucune occasion d'en incul- quer les principes et les maximes, soit dans leurs conversations particulieres, soit dans leurs instruc- tions publiques. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 371 4. Afin de se rendre plus promptement utiles aux naturels du pays ou ils sont envoyes, ils s'appliqueront, des le moment de leur arrivee, a 1'etude des langues sauvages et tacheront de les reduire a des principes reguliers, de maniere a pouvoir en publier une grammaire, apres quelques annees de residence. 5. Ils prepareront au bapteme, avec toute 1'expedition possible, les femmes infideles qui vivent en concubinage avec les chretiens, ami de substituer des manages legitimes a ces unions irregulieres. 6. Ils s'attacheront avec un soin particulier a 1'education chretienne des enfants, etabliront a cet effet des ecoles et des catechismes dans toutes les bourgades qu'ils auront occasion de visiter. 7. Dans tous les endroits remarquables par leur position, soit par le passage des voyageurs, soit par le rassemblement des sauvages, ils auront soin de faire planter de hautes croix, comme pour prendre possession de ces lieux, au nom de la religion catholique. 8. Ils repeteront sou vent aux peuples vers lesquels ils sont envoyes, combien cette religion present severement la paix, la douceur, 1'obeis- sance aux lois tant de 1'Etat que de TEglise. 9. Ils leur feront connaitre les avantages qu'ils ont de vivre sous le gouvernement de Sa Majeste 372 L'OUEST CANADIEN Britannique, leurenseignant de parole et d'exem- ple le respect et la fidelite qu'ils doivent au Souverain, les accoutumant a adresser a Dieu de ferventes prieres pour la prosperite de Sa Tres Gracieuse Majeste, de son auguste famille et de son empire. 10. Ilsmaintiendront im parfait equilibre entre les preventions reciproques des deux Compagnies du Nord-Ouest et de la bale d'Hudson, se souvenant qu'ils sont exclusivement envoyes pour le bien spirituel des peuples, de la civilisation desquels doit resulter 1'avantage de 1'une et de 1'autre Compagnie. 11. Us fixeront leur demeure pres du fort Douglas sur la Riviere Rouge, y construiront une eglise, une maison, une ecole, tireront pour leur subsistance le meilleur parti possible des terres qui leur sont donnees. Quoique cette riviere, ainsi que le lac Winnipeg ou elle se jette, se trouve dans le territoire reclame par la Compagnie de la baie d'Hudson, ils n'en seront pas moins zeles pour le salut des commis, engages et voyageurs qui sont au service de la Compagnie du Nord-Ouest, ayant soin de se porter partout ou le salut des ames les appellera. 12. Ils nous donneront des informations fre- quentes et regulieres de tout ce qui peut interes- ser, retarder ou favoriser les progres de la mission. LA COMPAGNIE DU NORD- QUEST 373 Si, nonobstant la conduite la plus impartiale, ils se trouvaient troubles dans 1'exercice de leurs fonctions, ils n'abandonneront point leur mission avant d'avoir regu mes ordres. Signe : f J. O., Eveque de Quebec. Le voyage des missionnaires dura deux mois ; ils arriverent a la Riviere Rouge le 16 juillet 18 18. 374 L'OUEST CANADIEN CHAPITRE XVII. SOMMAIRE. Proems intent^ a la Compagnie du Nord-Ouest par Lord Selkirk. Arrive'e des missionnaires. Fle"au des sauterelles a la Riviere Rouge. Mission de 1'embina. Inte^et porte" aux missionnaires par Lord et Lady Selkirk. Union des deux compagnies. Travaux des missionnaires loue"s par Sir George Simpson. Paix definitive 6tablie dans tout le Nord-Ouest. Apres le depart des missionnaires, Lord Selkirk, rassure sur le sort de sa colonie, s'occupa tout particulierement de la Compagniedu Nord-Ouest pour lui demander compte des dommages qu'elle lui avait causes. II intenta a celle-ci un proces qui fit retentir les tribunaux du Haut et du Bas- Canada et qui entraina d'enormes depenses. Une Compagnie puissante, comme 1'etait celle du Nord-Ouest, n'est jamais a bout de moyens pour se defendre. La cause fut portee en Angle- terre ou elle fit beaucoup de bruit jusqu'a la mort de Lord Selkirk qui arriva au mois d'avril 1820. Mais la Compagnie du Nord-Ouest eut beau se debattre, 1'etablissement des missions lui avait donne un coup mortel. Sur un ordre du Ministre des colonies, les forts LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 375 avaient ete restitues a leurs proprietaires des le printemps de 1818. Partout a la Riviere Rouge et dans le district d'Assiniboia, la paix fut definitivement retablie. En 1819, il y eut bien, dans les forts de. 1'ex- treme nord, quelques escarmouches entre les serviteurs des deux Compagnies, mais, en 1821, lassees de ces guerres fratrieides qui causaient leur mine, elles se reunirent en une seule societe, designee sous le nom de Compagnie de la baie d'Hudson. A partir de ce moment, il ne fut plus question de la Compagnie du Nord-Ouest ; son nom dis- parut ; la gloire des Seigneurs du nord etait passee ; et un autre regne, celui de la civilisation, commengait. Cependant les colons eurent encore a lutter contre une foule d'epreuves d'un autre genre. " Quand nous arrivames a la Riviere Rouge, dit Mgr Provencher, cette colonie, devastee pen- dant les troubles des annees precedentes, etait I'embleme de la pauvrete, et en realite elle reunis- sait toutes les privations de la vie. " Traites avec beaucoup d'egards et de poli- tesse, mangeant a la table du gouverneur de la colonie, les missionnaires ne furent pas exempts de prendre part aux privations da pays. " On ne voyait sur cette table ni pain, ni legumes, mais uniquement de la viande de bison 376 L'OUEST CANADIEN sechee au soleil ou au feu et un peu de poisson ; il n'y avait point de lait, point de beurre, souvent meme ni the, ni sucre." En ce temps-la, la plupart des fermiers ne cultivaient encore qu'a la pioche et semaient plutot pour avoir de la semence, 1'annee suivante, que dans 1'espoir de manger les produits de leur travail. Le peu de grain que les colons semerent, en 1818, avait une tres belle apparence et promettait une abondante recolte, quand, le 3 du mois d'aout, il tomba, dans toute la colonie, une nuee de saute- relles qui devorerent tous les grains et detruisirent, en quelques semaines, tout ce qui pouvait servir a la nourriture. Au bout de quelques semaines, ces insectes s'envolerent pour aller mourir ailleurs, mais, avant leur depart, elles deposerent leurs ceufs dans la terre et, 1'annee suivante, ces ceufs produisirent des myriades de sauterelles qui rongerent la vegetation jusqu'a la fin de juillet. Quand elles furent munies de leurs ailes, elles prirent leur vol dans les airs en telle quantite que les rayons du soleil le plus ardent en etaient obscurcis et ne faisaient pas cligner 1'ceil de celui qui regardait le depart de ces notes malfaisants. (Notes de Mgr ProvencJur^} II n'y eut aucune espece de recolte cette annee la. Au printemps de 1820, chacun s'empressa de LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 377 semer une partie du grain qu'il avait en reserve, car on avait toujours soin d'en mettre un peu de cote. La saison fut favorable, tout poussait a merveille, 1'esperance dans 1'avenir faisait oublier les malheurs passes, lorsque le 26 juillet, il tomba de nouveau une pluie de sauterelles. Cette fois le decouragement s'empara des pauvres colons ; tout fut detruit aussi complete- ment que si le feu eut ravage les campagnes. Mais ce qui contribua encore a les decourager davantage, ce furent les ceufs de ces insectes deposes en terre en quantite prodigieuse. En 1821, toute la verdure fut rongee et la terre dans les champs et les prairies resta noire comme la poussiere des chemins. Les sauterelles s'introduisaient partout et man- geaient tout, linge, cuir, etc., etc., il ne fallait rien laisser a leur portee. (Notes de Mgr Provencher). Elles ne quitterent la colonie qu'au mois d'aout, quand leurs ailes leur permirent de s'elever dans les airs. Cette fois, il ne restait plus de semence dans le pays. Le Gouverneur de la colonie fut oblige d'en- voyer chercher des grains de semence a la Prairie du Chien sur le Mississipi, a trois cents lieues de la Riviere Rouge. Ces grains furent apportes trop tard au printemps pour etre semes, en sorte qu'il n'y eut aucune recolte en 1821. En 1822, les champs furent ensemences de 378 L'OUEST CANADIEN bonne heure au printemps. La saison fut tres favorable a la vegetation et les grains pousserent avec une vigueur extraordinaire. Cette fois, les sauterelles ne parurent pas, mais comme s'il cut ete regie, qu'un rleau tomberait, chaque annee, sur la colonie, il arriva tout a coup une multitude de souris que commirent de grands degats dans les champs ; elles coupaient la tige du grain par le pied et hachaient la paille par petits bouts. Neanmoins les colons purent recueillir assez de ble pour ne pas etre obliges d'en aller chercher hors du pays. Depuis 1817 jusqu'a 1821 les colons ecossais allerent chaque annee passer 1'hiver a Pembina avec les metis et les voyageurs canadiens. Us se Brent chasseurs comme eux et devinrent bientot habiles a poursuivre le buffalo dans les prairies. Au printemps, pendant que les fermiers allaient ensemencer leurs champs, les families, pour eviter les fatigues d'un voyage de soixante-dix milles, restaient campees a Pembina. La meilleure entente regnait entre metis et ecossais ; vivant dans le meme camp, se rendant de mutuels services, preuve tres evidente que les querelles du passe etaient 1'ceuvre de la Compagnie du Nord-Ouest. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 379 En 1818, au mois de septembre, M. Severe Dumoulin, missionnaire, compagnon de Mgr Pro- vencher, alia demeurer a Pembina pour dormer les secours religieux aux catholiques qui demeu- raient en cet endroit. La population de ce camp s'elevait a trois cents ames environ. Des la meme annee Ton y batit une chapelle et une ecole, ainsi qu'une residence pour le missionnaire. Tous ces pauvres chasseurs abandon nes a eux-memes, depuis longtemps, etaient si heureux de voir un pretre residant parmi eux qu'ils etaient prets a faire tous les sacrifices pour le garder. A la Riviere Rouge la mission prit le nom de : St-Boniface. Jusqu'a 1'arrivee de Mgr Proven- cher les gens du pays designaient cet endroit sous le nom de : la Fourche, a cause du confluent de 1'Assiniboine et de la Riviere Rouge. La mission de St-Boniface etait loin de pos- seder les ressources de Pembina pour les besoins de la vie. Neanmoins, trois mois apres son arrivee, le missionnaire aide de quelques colons canadiens avait deja construit une chapelle en bois, dans laquelle il se menagea un logement pour lui- meme. Pour presser les travaux de sa maison et la rendre logeable pour 1'hiver, le missionnaire se fit bucheron, charpentier et magon. La charpente de cette maison fut dressee au commencement de septembre. Pour la couvrir, 380 L'OUEST CANADIEN il alia couper des joncs et du foin plat dans un marais voisin et s'en servit en guise de bar- deau. Surde mauvaises planches de tremble qu'il employa comme premiere couverture, il etendit une couche de glaise sur laquelle il fixa le mieux qu'il put les roseaux qu'il avait coupes. On com- prend qu'une telle construction ne payait pas de mine pour la residence d'un pretre. L'historien Ross, parlant de 1'arrivee des mis- sionnaires catholiques a la Riviere Rouge, dit que cette arrivee fit doublement sentir aux pauvres ecossais 1'abandon dans lequel ils etaient sous le rapport spirituel. " Pendant, dit-il, que lescolonistesportaientle lourd fardeau des epreuves sans aucune consola- tion, quelques families canadiennes francaises, a la tete desquelles etaient deux pretres arriverent du Canada et se fixerent dans la colonie. La vue de ces pretres apportant les joies de la religion aux catholiques pendant que les ecossais etaient prives de tous secours spirituels, leur fut tres sensible." Mais ce qui dut etre plus sensible pour eux, ce fut le fait de voir Lord Selkirk, un de leurs co-reli- gionnaires, se montrer si empresse et deployer tant de zele pour 1'etablissement d'une mission catholique aSt-Boniface, dans le voisinage imme- diat de la colonie ecossaise. Ils n'ignoraient pas les dons genereux que venait de faire a la mis- LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 381 sion catholique Lord Selkirk, et ses demarches aupres de 1'eveque de Quebec pour assurer 1'avenir de cette mission. Tout cela etait cer- tainement de nature a froisser le sentiment reli- gieux des colons ecossais. Cependant ils ne murmurerent pas hautement. Lorsque Lord Selkirk apprit en Canada le bon accueil qu'on avait fait aux deux mission- naires, il en temoigna sa joie comme 1'eut fait le catholique le plus zele. II entrevoyait la, 1'assu- rance d'une paix durable dans ce pays et par consequent un appui solide pour sa colonie, qui en beneficierait autant que les catholiques sous ce rapport. A cette occasion, il ecrivit a Mgr Plessis, eveque de Quebec, la lettre suivante : " Monseigneur, " Pendant le voyage que je viens de faire dans e Haut Canada, j'ai eu le plaisir de recevoir de la Riviere Rouge, des nouvelles qui m'ont annonce 1'heureuse arrivee de MM. Provencher et Du- moulin. Ces lettres, ainsi que le rapport verbal que j'ai reu deM.de Lorimier, en arrivant ici, me marquaient que les habitants, et surtout les canadiens, anciens voyageurs avec leurs families metisses, avaient temoigne la meilleure disposi- tion a prohter des instructions des missio nnaire s et que les sauvages aussi leur avaient temoigne 382 L'OUEST CANADIEN ce respect qui donne lieu de croire qu'ils montre- ront la meme docilite. J'espere que cet heureux presage sera confirme par le rapport que ces messieurs n'auront pas manque de faire a Votre Seigneurie. " En reflechissant sur les circonstances qui m'ont etc communiquees, il me parait que si elles etaient connues en Angleterre, on pourrait y obtenir des secours qui donneraient un appui solide a 1'etablissement de cette mission. " II y a parmi les catholiques, des families distinguees d' Angleterre (et je ne doute pas qu'on trouverait aussi des protestants) qui se feraient une gloire de contribuer au maintien d'une mission de cette nature, des qu'ils seraient instruits du bien qui pent en resulter. " Si j'etais autorise de la part de Votre Seigneurie a communiquer cette assurance, j'ai pleine confiance qu'en Angleterre on trouverait le moyen d'en retirer un resultat favorable. " J'ai oui dire dernierement qu'il y a proba- bilite que le Haut-Canada soit erige en diocese separe : Si ce clemembrement a lieu, j'espere que la Riviere Rouge restera dans le diocese de Quebec. J'auraisbeaucoup de peine si cet etablis- sement naissant ne restait pas sous la juridiction de Votre Seigneurie, sous laquelle elle a ete si heureusement commencee. " Je me souviens qu'a Quebec, le printemps LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 383 dernier, Votre Seigneurie a suggere, qu'a la longue, ces pays eloignes devraient avoir un etablissement independant ; mais en attendant que la population ait pris cet accroissement qui serait necessaire pour supporter, sans secours, un etablissement separe, il me parait que tous ces pays sauvages devraient relever de Quebec plutot que d'aucun autre diocese ; vu que fes catholiques qui y sont repandus, ne parlent que la langue frangaise, et que pour cette raison le Haut- Canada ne pourrait pas former des sujets propres a y remplir le ministere. J'ai 1'honneur d'etre, etc., etc. (Signe) SELKIRK. Lady Selkirk ne se montra pas moins zelee que son noble epoux pour aider la mission catho- lique. Elle ecrit aux missionnaires pour leur dire qu'elle prepare une caisse dans laquelle elle met des linges et des objets pour le culte sacre, et, comme Lord Selkirk, elle se rejouit d'apprendre les bonnes dispositions des gens de la Riviere Rouge envers les pretres. Qui ne voit ici que Lord Selkirk a ete 1'instru- ment dont a voulu se servir la divine Providence pour conduire les apotres de 1'evangile au Nord- Ouest. A 1'automne de 1819, Lord Selkirk, fatigue de ses voyages et mine par les ennuis que lui cau- 384 L'OUEST CANADIEN saient ses luttes avec la Compagnie du Nord- Ouest, passa dans le sud de la France avec son epouse dans 1'espoir d'y retablir sa sante. Mais ni le climat plus doux de la France ni les secours de 1'art ne purent lui rendre ses forces ; il mourut dans la ville de Pau pres des Pyrenees le 8 avril 1820. ' Sa mort devait amener une organisation nou- velle dans la Compagnie de la baie d'Hudson et donner une autre marche aux affaires du Nord- Ouest. A cette date les deux Compagnies n'etaient pas encore reunies. On parlait seule- ment d'un traite de paix entre elles. Ce fut tin moment d'inquietude pour la colonie aussi bien que pour la mission qui perdait un puissant pro- tecteur. Mgr Plessis ecrivant a Mgr Provencher, a ce sujet, lui disait : " On parle d'un traite de paix entre les deux societes d'Hudson etdu Nord-Ouest. Je ne sais si la religion y trouvera son compte, ni si la colonie subsistera, suppose qne le lot tombe dans le partage du Nord-Ouest. La suite fera voir ce qu'il faut en penser. Si comme je n'en doute pas, Dieu a des desseins de misericorde sur cette partie du nouveau monde, il trouvera bien moyen d'y soutenir et d'y propager son royaume." La Providence, en effet, qui se rit des machi- nations des hommes pour s'opposer a 1'accom- LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 385 plissement de ses plans, fit disparaitre complete- ment la Compagnie du Nord-Ouest, un an apres la mort de Lord Selkirk, quand elle paraissait encore a 1'apogee de sa gloire et de sa puissance. Les catholiques de la Riviere Rouge peuvent regarder Lord Selkirk comme le premier et le plus grand bienfaiteur de cette mission. II est juste que 1'histoire paye un tribut de reconnais- sance et rende hommage a la memoire de cet illustre personnage qui, malgre les calomnies dont Font couvert ses ennemis, restera toujours dans les annales de notre pays une belle et grande fio-ure. Apres 1'union des deux Compagnies ce fut M. Walkett beau-frere de Lord Selkirk et son executeur testamentaire qui fut charge de veiller aux besoins de la colonie ecossaise. Avant son arrivee, il y avait, an fort Douglas, un gouverneur dont la tache etait fort embarras- sante. Malgre la meilleure volonte du monde et 1'administration la plus fidele, il est facile de comprendre qu'il ne pouvait pas faire regner 1'abondance dans un pays ruine par tant de fleaux consecutifs et ou les travaux des cultivateurs n'avaient pas encore rapporte de quoi a nourrir un dixieme de la population. 386 L'OUEST CANADIEN Le gouverneur de la colonie, en 1818, a 1'arrivee des missionnaires, etait M. A. McDonell. L'historien Ross fait de lui un portrait peu flat- teur. II nous le montre comme un fleau aussi devastateur que celui des sauterelles, et il ajoute que les colons le nommaient le Gouverneur Sau- terelle, parce qu'il detruisait au-dedans du fort, autant que les sauterelles detruisaient au dehors. (Pendant, dit-il, que les colons souffraient de toutes sortes de privations, lui, dans son fort, faisait bombance avec ses amis.) Cette accusa- tion nous parait une exageration qui frise la calomnie. Quand les missionnaires debarquerent a la Riviere Rouge ils furent reus au fort Douglas et y demeurerent pendant deux mois, mangeant, durant tout ce temps, nous 1'avons deja dit, a la table du gouverneur; ils y furent temoins du genre de vie qu'on menait dans ce fort ; cepen- dant Mgr Provencher affirme " qu'a la table du gouverneur il n'y avait que de la viande de buffalo et qu'il n'y avait ni pain, ni legumes, ni beurre, ni the, ni sucre." Si on appelle cela faire bom- bance, il faut avouer que le menu a la table du gouverneur, n'etait pas varie, Est-ce parce que M. A. McDonnell etait un catholique, que 1'historien Ross a fait peser sur lui de si graves accusations ? on pourrait le soup- conner, car dans plus d'un endroit de son histoire, LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 387 il laisse percer son fanatisme en jetant a la face des catholiques 1'epithete de Papistes. En pre- nant la defense des Ecossais dans le cours de cette histoire, nous avons montre plus de gene- rosfte et de justice que M. Ross, qui evite de pron oncer, meme une seule fois, le nom de 1'eveque Provencher dans tous le cours de son ouvrage. Pourtant Mgr Provencher est une des figures les plus marquantes dans 1'histoire de la Riviere Rouge ; il faut fermer les yeux bien justes pour ne pas 1'apercevoir. Aneantie deux fois par la Compagnie du Nord- Ouest, la colonie de Lord Selkirk etait destinee a clisparaitre sans 1'action vivifiante de la religion apportee par les missionnaires, et si Mgr Pro- vencher ne fut pas le fondateur de cette colonie, il en fut le restaurateur et un des principaux soutiens, par la paix, que plus que tout autre, il contribua a maintenir dans la Riviere Rouge. Ce fut la presence de 1'eveque catholique, qui apres chaque nouvelle epreuve, ramena le courage et la confiance au coeur de la population. Apres le fleau des sauterelles et surtout apres le desastre de 1'inondation en 1826, tous les colons voulaient s'en aller du pays, le regardant comme inhabi- table. En realite il y avait de quoi decourager et plusieurs habitants quitterent la Riviere Rouge pour toujours. 388 L'OUEST CANADIEN L'eveque catholique, en fondant, au milieu des plus rudes epreuves, des institutions stables a St- Boniface, donnait foi dans 1'avenir de ce pays et affermissait ainsi les volontes chancelantes. Jusqu'a ce jour, les historiens anglais qui ont ecrit sur les premiers temps de la colonie de Lord Selkirk n'ont jamais dit un mot de Mgr Provencher et ont exalte les efforts des anglais et des ecossais pour repandre la civilisation dans le pays. Nous ne voulons pas diminuer le moins du monde le merite de ceux qui ont contribue en quelque maniere au bien du pays et de ses habitants, mais, dans 1'histoire, il faut etre juste et donner a chacun ce qui lui appartient. Or, garder le silence sur les ceuvres d'un homme, comme Mgr Provencher, quand on se mele, d'ecrire 1'histoire d'un pays qu'il a evangelise ; c'est manquerde justice et se montrer fanatique. Ce reproche nous pouvons 1'adresser sans crainte a MM. Gunn et Ross, les deux historiens de la Riviere Rouge. Sir George Simpson, gouverneur de la Com- pagnie de la baie d'Hudson, quoique protestant avait des idees beaucoup plus larges sur le merite de 1'eveque de St- Boniface et il ne crai- gnait pas de les exprimer. En toutes circons- tances il faisait les plus grands eloges de Mgr Provencher et il voulut se montrer reconnaissant LA COMPAGNIE DU NORD -QUEST 389 pour le bien, meme temporel auquel son action avait contribue dans tout le Nord-Ouest. Voici 1'extrait d'une resolution passee au con- seil de York Factory a la suggestion de Sir George Simpson lui-meme. Nous la prenons dans le texte original. EXTRACT FROM THE MINUTE OF COUNCIL Held at York Factory. 2 July, 1825. " Great benefit being experienced from the benevolent and indefatigable exertion of the catholic mission at Red River in welfare and moral religious instruction of its numerous followers ; and it being observed, with much satisfaction, that the influence of the mission under the direc- tion of the Right Reverend Bishop of Juliopolis, has been informly directed to the best interest of the settlement and of the country at large, it is Resolved : That, in order to mark our appro- bation of such laudable and disinterested conduct on the part of said mission, it be recommended to the Honorable Committee that a sum of ^50 per annum be given towards its support &c &c." Voila comment des hommes a larges vues savaient apprecier le bien opere par Mgr Pro- vencher dans la colonie de la Riviere Rouge, non seulement dans 1'ordre eleve du salut des ames, mais aussi dans 1'ordre des choses temporelles. 2 5 390 L'OUEST CANADIEN Le pays qui jusqu'a 1'arrivee des missionnaires n'avait jamais vu que divisions, haines, jalousies et vengeances vit tout a coup regner entre les habitants sans distinction de race, 1'union la plus parfaite. Cette bonne entente, entre les premiers habi- tants de la Riviere Rouge est un fait qui merite d'etre signale, quand on sait, qu'en Amerique, presque toutes les colonies, formees du melange de differentes races, ont commence par la mani- festation du plus deplorable fanatisme ; temoins les premiers etablissements dans Test des Etats- Unis 011, pendant longtemps,les catholiques furent persecutes a outrance. A la Riviere Rouge, au contraire, apres 1818, Anglais, Ecossais, Irian- dais, Canadlens, Metis, tous vecurent en parfaite harmonic et semblaient heureux de se rendre de mutuels services. En 1'annee 1820 M. Provencher qui n'etait encore que simple pretre s'absenta du pays pour descendre a Quebec. Mgr Plessis avait demande et obtenu des bulles pour un eveque a la Riviere Rouge et c'etait a M. Provencher qu'elles etaient adressees. Son sejour en Canada fut de deux ans. Avant de retourner dans ses missions, il fut sacre a Trois Rivieres le 12 mai 1822, avec LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 391 le titre d'eveque de Juliopolis. II partitde Mont- real le 19 mai et fut de retour dans son diocese le 7 aout. A partir de ce moment la hierarchic catholique etait etablie dans le Nord-Ouest. Apres 1822 1'histoire politique et sociale de ce pays marchera de pair avec 1'histoire des missions. Ce sera la matiere d'un autre volume. 392 L'OUEST CANADIEN NOTES JUSTIFICATIVES. !ere NOTE. La Compagnie du Nord-Ouest a invoque' pour se justifier le temoi- gnage d'un nomme Louis Nolin qui demeurait a la Riviere Rouge et qui se trouvait dans le fort Douglas lors de la bataille de la Gre- nouillere ; or voici ce temoignage tel qu'il a e"te donne sous serment le 21 aout 1816 au fort William, en presence d'un juge de paix. DEPOSITION DE Louis NOLIN. Le deposant ayant ete assermente fait la decla- ration suivante : " Qu'a la fin de 1'ete 1815, ilarriva a la Riviere Rouge avec M. Robertson ; que deux j ours apres leur arrivee, il se tint une consultation dans le fort du Nord-Ouest (fort Gibraltar) occupe par Duncan Cameron, ses commis et interpretes pour trouver le moyen de chasser d'un coup de main les colons qui revenaient s'etablir a la Riviere Rouge, (apres en avoir ete deja chasses.) " Que Peter Pangman (dit Bostonais) qui etait un des deliberants, lui a raconte la chose quel- que temps apres, et qu'il avait, lui Pangman, insiste pour chasser les colons immediatement, mais qu'il ne savait pas quelle excuse donner LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 393 pour autoriser un tel acte, et qu'a cause de cela on avait decide d'attendre jusqu'a ce qu'on eut trouve un pretexte pour agir, esperant to uj ours que les colons seraient obliges de quitter le pays, faute de provisions. " Que dans le mois d'octobre de 1'annee 1815, deux sauvages re venantdu fort Gibraltar, occupe par Duncan Cameron, lui dirent que Charles Hesse de la Compagnie du Nord-Ouest les avait menaces de les faire perir s'ils continuaient a avoir des rapports avec les colons ecossais. " Que dans le courant de 1'hiver de 1815 a 1816, Seraphin Lamarre, commis de la Com- pagnie du Nord-Ouest lui apprit qu'il avait recu une lettre d'Alexandre Fraser (stationne au lac Qu'Appelle), dans laquelle il lui recommandait de prendre courage ; parce que lui Fraser etait le cinquieme qui pourrait lever les Bois-Brulespour aller exterminer, le printemps prochain, les colons ecossais qui se trouvaient encore a la Riviere Rouge. " Que le matin du 17 juin 1816, legouverneur Semple du fort Douglas le fit appeler pour lui servir d'interprete a deux sauvages appeles, 1'un Moustouche et 1'autre Courte Oreille, qui tous deux avaient quitte le camp des Metis, com- mande par Alexandre McDonell (au Portage de la Prairie.) Ces deux deserteurs apprirent au Gouverneur qu'il devait etre attaque dans deux 394 L'OUEST CANADIEN jours par les Bois-Brules qui etaient commandes par Cuthbert Grant, Houle, Primeau, Eraser, Bou- rassa, Lacerpe et Thomas McKay, tous employes au service de la Compagnie du Nord-Ouest ; qu'ils etaient tous determines a prendre le fort Douglas et que s'ils eprouvaient la moindre resistance ils tueraient hommes, femmes et enfants, et que s'ils mettaient la main sur Robertson, ils le tailleraient en mille morceaux. " Que le 19 juin, dans 1'apres-midi, il vit venir une cinquantaine de Bois-Brules qui s'avan- caient pres des habitations des colons ecossais, dans le haut de la Grenouillere, a trois milles environ du fort Douglas. " Le deposant etant devant le fort en vit sortir le gouverneur Semple avec vingt-huit hommes ; le deposant monta sur un bastion et de la il vit le gouverneur arranger ses hommes en ligne ; quelques minutes plus tard il envoya un homme a cheval vers les gens du gouverneur pour savoir ce qui se passait. Celui-ci revint bientot annoncer que les metis etaient en grand nombre et qu'ils avaient enleve le gouverneur ; sur quoi le deposant envoya un nouveau courrier pour s'enquerir exactement des faits. Six minutes apres, le second courrier etait de retour et annon- $ait que cinq des Messieurs Anglais et le gou- verneur Semple avaient ete tues ainsi que plu- sieurs de leurs hommes. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 395 " Le vingt juin, le deposant se renditau camp des metis qui se trouvaient a la Grenouillere ; il y reconnut dans le camp ennemi deux hommes et une femme qui appartenaient a la colonie et qui avaient ete faits prisonniers avant que le gou- verneur Semple eut joint les metis. " Le deposant entra en conversation avec Cuthbert Grant, McKay, Houle, Primeau,Fraser, Bourassa, Lacerpe qui se vantaient chacun en particulier de leurs exploits cle la veille contre les anglais. Cuthbert Grant disait que si on ne lui remettait pas le fort Douglas le jour suivant, il tuerait hommes, femmes et enfants. " Le 2 1, les anglais cederent le fort Douglas, aux metis. Le deposant qui etait dans le fort apprit d'eux que le gouverneur Semple avait ete blesse d'abord par Cuthbert Grant et qu'il avait ete tue par Frangois Deschamps engage au ser- vice de la Compagnie du Nord-Ouest. " Le 22 juin, Cuthbert Grant chassa les colons et les envoya a la riviere au Brochet, s'empara du fort et de tous les effets. " II y eut ce jour-la, une assemblee des gens de la Compagnie du Nord-Ouest et les metis demanderent a M. McKenzie si Lord Selkirk avait droit d'etablir des colons a la Riviere Rouge. M. McKenzie repondit qu'il n'avait nullement ce droit et que tout ce qu'il avait droit de faire etait d'y envoyer des traiteurs. 396 L'OUEST CANADIEN " Malgre cette derniere declaration, le depo- sant ajoute qu'immediatement les traiteurs de la Compagnie de la baie d'Hudson furent chassis de la Riviere Rouge. (Signe) Louis NOLIN." 2feme NOTE. Comme la Compagnie du Nord-Ouest a souvent rpt dans les Merits pour sa defense que les soldats engage's par Lord Selkirk elaient un ramassis de ddserteurs adonn^s a la debauche et bons pour le pillage, nous donnerons ici le temoignage elogieux que fait d'eux M. Fauche, lieutenant au regiment de Meuron. Ce temoignage servira en me me temps a refuter 1'historien Ross qui, sans avoir jamais connu ces militaires, s'est fait 1'echo de la Compagnie sans doute parce que la plupart d'entre eux etaient catholiques et que Ross avail, en sainte horreur, tout ce qui sentait le Papiste. " En 1809 pendant que le regiment de Meu- ron etait stationne a Gibraltar, le gouvernement Anglais permit que tous les Allemands et Pie- montais que la conscription avait force d'entrer dans les armees de Bonaparte et d'ou ils s'etaient enfuis a la premiere occasion, prissent du service dans 1'armee anglaise. Le regiment de Meuron fut envoye a Make la meme annee 1809 et il y demeura jusqu'en 1813 ou il passa en Amerique. A son depart de Tile Son Excellence le Lieute- nant General Oakes le gouverneur de Malte emana 1'Ordre de Garnison suivant. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 397 Malte 4 mai 1813. " ORDRE DE GARNISON " Le Lieutenant General Oakes ne peut laisser partir le regiment de Meuron de cette garnison ou il a ete pendant si longtemps sous ses ordres, sans temoigner combien il a ete satisfait de sa bonne conduite et de sa discipline, conduite qui s'est egalement manifestee dans tous les rangs. Le regiment partira d'ici dans un aussi bel ordre qu'aucun regiment de Sa Majeste. " Le Lieutenant General n'a aucun doute que ce regiment par sa bonne conduite, sa bravoure dans le service auquel il va bientot etre employe, ne confirm e la haute opinion qu'il en a forme et qu'il ne merite les eloges et les approbations du general sous les ordres duquel il va se trouver place et auquel il ne manquera pas de faire de lui les justes eloges qu'il merite. " II demande qu'il soit permis d'assurer le regiment des vceux ardents qu'il forme pour sa gloire et ses succes et du vif interet qu'il prendra toujours a son bonheur." (Signd) P. ANDERSON, D. A. G. Lorsque le regiment fut finalement licencie en Canada son Excellence sir John Sherbrooke emana un Ordre de Garnison qui ferait honneur a tout regiment quelconque. 398 L'OUEST CANADIEN BUREAU DU D. A. G., QUEBEC 26 juillet 1816. " En se separant du regiment de Meuron et de Watteville que Son Excellence a eu 1'avan- tage de commander tous deux dans d'autres par- ties du monde. Sir John Sherbrooke offre au lieutenant colonel de Meuron et au lieutenant colonel May, aussi qu'aux officiers et soldats de ces deux corps, ses felicitations de ce qu'ils ont, par leur excellente conduite en Canada, soutenu la reputation que leurs services passes leur avait si justement acquise. " Son Excellence ne saurait hesiter a declarer que le service de Sa Majeste a tire beaucoup d'avantage pendant la derniere guerre de leur bravoure et de leur bonne discipline." (Signe) J. HARVEY, Lieut.-Col. Dep. Adj. Gtn. " Comme il n'est pas a supposer qu'un general anglais soit homme a louer des gens qui ne le meritent pas, peut-on croire que ceux qu'on ugeait dignes d'un tel eloge, se seraient souilles e seraient devenus des brigands en accompa- gnant le noble seigneur ecossais Lord Selkirk et en desirant s'etablir sous la protection d'un gou- vernement qu'ils avaient appris a apprecier durant le temps qu'ils 1'avaient servi. LA COMPAGNIE DU NORD-OUEST 399 " La Compagnie du Nord-Ouest avance qu'ils etaient ivres le jour qu'ils entrerent dans le fort William." Je declare que cet avance est absolu- ment faux ; pas un des hommes n'ayant ete le moins du monde ivre, et n'ayant pas eu le moyen de 1'etre." (Signe) G. A. FAUCHE, Lieutenant au regiment de Meuron. 3 eme NOTE. La Compagnie du Nord-Ouest a cherche', dans ce qu'elle a dcrit pour sa defense, a salir la reputation de tous ceux qui ont embrassg la cause de Lord Selkirk et de ses colons. II n'y a pas de mensonge qu'elle n'ait invente pour la noircir. D'apres elle, Lord Selkirk. Miles Macdonell les officiers et les soldats du regiment de Menron n'etaient tous que des voleurs et des bandits, indignes de paraitre dans une socie'te civilised. Vingt fois, la meme accusation est re'pe'te'e dans la brochure publie'e par la Compagnie. Mais quand il s'agit de leurs associ^s, oh ! alors ce sont tous des gentilshommes pleins de douceur et n'usant de la force que pour repousser les agressions d : un ennemi- acharne. La brochure de la Compagnie, en parlant de M. Alexandre McDonell qui avait runi les me"tis au fort Qu'Appelle durant 1'hiver de 1815 a 1816 et pr6par 1'attaque centre la colonie, le montre comme un homme plein d'humanit et d'egards pour les colons. La brochure le peint. recommandant a Grant, au moment de quitter le Portage de la Prairie pour aller tomber sur 1'^tablissement ; de passer loin du fort Douglas, et de ne molester personne. " Cependant le meme McDonell enapprenant le massacre de la Grenouillere s'ecrie dans un moment de philantropie. " S . . . nom de Dieu ! Bonnes nouvelles ! Vingt-deux anglais de tues ! ! !" 400 L QUEST CANADIEN Le meme homme avait declare peu de temps auparavant au chef sauvage en conseil " que si les colons faisaient quelque resistance la terre serait abreuvee de leur sang." Quelques semaines auparavant M. Alexandre McDonell apprenant la nouvelle que dix-huit serviteurs de la Compagnie de la baie d'Hudson etaient morts de faim dans 1'extreme nord annonce immediatement cette nouvelle a son ami Cameron, en s'ecriant : glorieuses nouvelles d'Athabaska ! ! L'horrible assassinat de M. Keveny par ordre de Arche McLellan, associe de la Compagnie du Nord- Quest ; la conduite barbare de Norman McLeod envers les colons ecossais, chasses de la Riviere Rouge, prouvent amplement que les ennemis de Lord Selkirk sont loin d'etre des modeles d'humanite. La Compagnie du Nord-Ouest s'est efforcee de faire retomber immediatement sur le gouver- neur Semple toute la responsabilite du sinistre drame de la Grenouillere, affirmant que la mort des siens n'est due qu'a 1'imprudence commise par lui, de sortir du fort avec des hommes armes pour aller couper le chemin aux serviteurs de la Compagnie du Nord-Ouest. C'est une question importante de savoir si le gouverneur Semple a commis une imprudence, ou bien s'il est mort victime de son devoir. LA COMPAGNIE DU NOR D- QUEST 401 Au fort Douglas le gouverneur etait charge du soin des colons et par devoir de conscience oblige de voler a leur secours si quelque danger les menagait soit de la part des sauvages, soit d'ailleurs. Les hommes et les armes qu'il avait dans le fort lui avaient ete donnes dans ce but. C'est ainsi qu'autrefois, dans les commencements de la colonie en Canada, on batissait des forts et on y mettait une petite garnison pour defendre les colons canadiens centre les incursions des sauvages. Quand les Iroquois, en grand nombre faisaient irruption dans la colonie et menagaient de la detruire, les gardiens des forts allaient a leur rencontre sans compter leurs hommes : Dollard Desormeau n'avait que 16 compagnons a apposer a la grande armee des Iroquois au pied du Long-Sault. Le gouverneur Semple savait de source cer- taine (des sauvages Ten avaient averti deux jours auparavant) que la colonie serait attaquee le 19 juin par les serviteurs de la Compagnie du Nord- Ouest et que les colons seraient tous chasses ou massacres, s'ils opposaient la moindre resistance. Eh bien ! nous demandons a tout militaire qui connait son devoir et qui a du coeur pour 1'accom- plir, meme au depens de sa vie, si, dans la circonstance du 19 juin 1816 , le gouverneur Semple pouvait rester tranquille, dans son fort, pendant que les colons qu'il etait charge* de 402 L'OUEST CANADIEN proteger, allaient se voir exposes aux mille avanies des serviteurs de la Compagnie du Nord-Ouest ? Qu'on ne vienne pas nous dire que les soix- ante-dix cavaliers qui passaient au loin dans la prairie s'en allaient au basde la riviere Winnipeg porter des vivres a leurs gens. Cette histoire est usee et ne peut plus etre acceptee que par ceux qui n'ont pas fait une etude approfondie de 1'histoire de la Riviere Rouge de 1810 a 1816. Pour nous, nous n'hesitons pas a dire que le gou- verneur Semple est mort victime de son devoir. II peut se faire qu'il ait manque de tactique et qu'un militaire habitue a 1'art de la guerre eut tire meilleur parti de la position ; mais ceci ne change pas la question. PAGES 5 I. NOTIONS PRELIMINAIRES. La baie d'Hudson de- puis sa decouverte par Hudson en 1610 jusqu'a la decouverte du Nord-Ouest par le Sieur de la Verendrye en 1731 9 II. CHOUART DES GROSEILLERS. Ses voyages a la baie d'Hudson 21 GHAPITRE I. Jusqu'ou penetrerent les Trappeurs dans 1'Ouest avant M. de la V6ren- drye. Voyage du canadien De Noyon au lac des Bois. Divers projets d'ex- ploration 59 CHAPITRE II. M. de la Verendrye ; sa determination a tenter la decouverte du Nord-Ouest. Son depart de Montreal. Son arri- vee au grand lac Superieur. Le Grand Portage. Retard eprouve en cet endroit. Etablissement du fort Saint-Pierre par M. de la Jemmeraie au lac la Pluie. Dommages causes a M. de la Verendrye durant 1'hiver. Retour des voyageurs du lac la Pluie 404 TABLE DES M ATI E RES PAGES au printemps de 1732. M. de la Ve- rendrye continue son voyage ; il se rend au lac des Bois et construit le fort St-Charles 67 CHAPITRE III. Projets de M. de la Verendrye au printemps de 1733. M. de la Jem- meraie descend a Montreal. Le Pere Messaiger s'en retourne. Me- comptes de M. de la Verendrye trompe par ses fournisseurs. Impos- sibilite pour le moment de continuer la decouverte. Le fils aine de M. de la Verendrye est envoyd au bas de la riviere Maurepas pour y batir un fort. Mort de M. de la Jemmeraie 74 CHAPITRE IV. Depart de M. de la Verendrye pour le fort Maurepas. Decouverte de la Riviere Rouge et de 1'Assiniboine. Construction du fort de la Reine. Voyage chez les Mandanes. Retour au fort de la Reine 82 CHAPITRE V. Nouvelles instances des sauvages pour avoir des forts plus a 1'Ouest. La civilisation rend les sauvages plus exigeants Hesitation de M. de la Verendrye a s'orienter en quittant le fort de la Reine. M. de la Verendrye envoie ses fils explorer les alentours du lac des Prairies. Les fournisseurs de M. de la Verendrye n'envoient au- cune marchandise pour la traite. M. de la Verendrye descend a Montreal.. 89 TABLE DES MATIERES 405 PAGES CHAPITRE VI. Arrivee de M. de la Verendrye a Montreal (1740). Proces qu'on lui intente. Le gouverneur du Canada le traite avec bonte et lui rend sa con- fiance. M. de la Verendrye passe 1'hiver a Quebec. Quelques consi- derations sur son ceuvre. Depart pour 1'Ouest au printemps 96 CHAPITRE VII. Voyage des fils de M. de la Vdren- drye aux Montagnes Rocheuses. Decouverte den Montagnes le icr Janvier 1743. Retourau fort de la Reine. Etabljssement d'un fort a la riviere Paskpyac. Rappel du Chevalier de la Verendrye a Mont- real. M.de la Verendrye, pere, est ; remplace au Nord-Ouestpar M.de Noyelles. Le Chevalier retourne dans 1'Ouest en 1747. Le Gouver- neur confie de nouveau a M. de la Verendrye 1'exploration 102 CHAPITRE VIII. Mort du Sieur de la Verendrye. Triste situation faite a ses fils ; on leur refuse de continuer les travaux de la decouverte. Legardeur de Saint-Pierre succede a M. delaV6- rendrye. Son sejour dans les postes de 1'Ouest. Sa honteuse conduite a 1'egard des fils du Sieur de la Ve- rendrye. Rien n'est fait pour la decouverte de la mer de 1'Ouest 112 26 406 TABLE DES MATIERES PAGES CHAPITRE IX. Retour du chevalier de la Veren- drye a Montreal ; il fait valoir ses litres a la succession de son pere. Le gouverneur reste sourd a ses instances. Lettre du chevalier de la Verendrye au ministre de la ma- rine. Indigne conduite du Gouver- neur, de Bigot et de M. de Saint- Pierre a 1'egard des fils de M. de la Verendrye 122 CHAPITRE X. Depart de M. de Saint- Pierre pour 1'Ouest. Missilimakinaw. Fort Saint-Pierre. Discours aux Indiens. Fort Maurepas. M. de Niverville envoye a Paskoyac. Arrivee de M. de Saint-Pierre au fort de la Reine. Le fort depourvu de provisions. Ktablissement du fort de la Jonquiere. Maladie de M. de Niverville. :M. de Saint-Pierre passe tranquillement 1'hiver au fort de la Reine 132 CHAPITRE XI. M. de Saint-Pierre aux postes de 1'Ouest (Suite). Une aventure au fort de la Reine. M. de Saint-Pierre re- vient au Grand-Portage avec des chefs indiens. Son rappel a Montreal par le Gouverneur Duquesne. Le cheva- lier de la Corne remplace M. de Saint- Pierre dans 1'Ouest. Apres 1756, les forts de 1'Ouest sont abandonnes. . Fin de la domination francaise dans 1'Ouest 141 IP PERIODE 1760 A 1822 LES COMPAGNIES DES TRAITEURS PAGES CHAPITRE I. Les coureurs des bois et les traiteurs isoles 150 CHAPITRE II. FORMATION DE LA COMPAGNIE DU NORD- OUEST 1784. Pourquoi la Compagnie prit le nom de Compagnie francaise. Sa premiere organisation, noms des premiers Bourgeois. Premiere scis- sion. Lutte centre quelques traiteurs mecon tents. Etablissements des forts dans 1'extrSme nord a 1'ile a La Crosse et au lac Athabaska. Reunion des traiteurs en 1787 163 CHAPITRE III. La Compagnie du Nord-Ouest apres 1787. Son plan de rester seule mai- tresse du commerce de la traite. Elle construit des forts jusque dans 1'extrSme Nord pour arrSter les sau- vages qui allaient a la baie d'Hudson. Travaux des ddcouvreurs Alex. Mackenzie, Fraser, Quesnel. Voyage chez les Mandanes. Reflexions d'un chef sauvage 173 CHAPITRE IV. La Compagnie du Nord-Ouest instru- ment de corruption chez les sauvages et chez ses serviteurs. Le systeme de la Compagnie fut nuisible a nos campagnes canadiennes et au bien- 6tre des sauvages dans le Nord-Ouest.. 187 408 TABLE DES M ATI RES CHAPITRE V. Nos voyageurs canadiens des pays d'En-Haut. Leurs engagements au service de la Compagnie du Nord-Ouest. Les embaucheurs. Depart de Montreal sur les canots. Le voyage. Rude travail auquel les serviteurs sontsoumis. Regrets d'avoir quitte le Canada et le foyer domestique. Arrivee a la Riviere Rouge 199 CHAPITRE VI. Nouvelle scission de la Compagnie du Nord-Ouest. Organisation de la Compagnie X. Y. Lutte a mort entre les deux Compagnies. Scenes epouvantables dont le Nerd-Ouest devient le theatre 211 CHAPITRE VII. Nouvelle organisation de la Com- pagnie du Nord-Ouest. Moyens employes pour stimuler le zele des subalternes. Timidite des servi- teurs de la Compagnie de la baie d'Hudson. Inegalite de la lutte entre les deux Compagnies 223 CHAPITRE VIII. Jugement a porter sur les evene- ments qui font la matiere des cha- pitres suivants. Difficultes a de- meler la verite des recits contradic- toires. Voyage de lord Selkirk en Amerique, son s6jour a Montreal. Son retour a Londres. Ses ne- gociations avec la Compagnie de la baie d'Hudson. Attitude prise par la Compagnie du Nord-Ouest 239 TABLE DES M ATI RES PAGES CHAPITRE IX. Lord Selkirk annonce en Ecosse qu'il veut fonder une colonie a la Riviere Rouge. Premieres demarches. Miles Macdonell est charge du soin des emigrants et nomme gouverneur de la colonie. Honorabilite de ce gentilhomme. Difficultes et miseres communes a toutes les colonies des leur berceau. Depart des premiers emigrants ecossais pour la Riviere Rouge. Lenteur du voyage. Hiver- nement a la baie d'Hudson. Arrivee des colons a la Riviere Rouge an mois d'aoftt 1812. Manifestation hostile des metis. Les colons vont hiverner a Pembina. Un mot sur les metis... 254 CHAPITRE X. Genre de vie des hivernants. Pour- quoi ils choisissent Pembina comme sejour. Les blancs s'accoutument fa- cilement a ce genre de vie. Descrip- tion de la chasse. Bonne entente entre les ecossais et les metis. Re- tour des colons a la Riviere Rouge Second detachement d'emigrants. Dure epreuve de la maladie, en voyage. Leur arrived a la Riviere Rouge. Second hivernement a Pembina. Souffrances. Moyen adopts par le gouverneur pour procurer des vivres au x colons. Proclamation . Saisie de provisions. La Compagnie du Nord-Ouest de"crete la ruine de la colonie 266 410 TABLE DES M ATI E RES PAGES CHAPITRE XL Maladroite politique de la Compa- gnie du Nord-Ouest. Duncan Ca- meron, au fort Gibraltar, sur les bords de la Riviere Rouge. Ses intrigues aupres des colons pour les decourager. 11 conseille aux colons d'abandonner la Riviere Rouge, et de voler tous les objets du fort Dou- glas dont ils pourront s'emparer. II s'empare des armes que les colons avaient pour se defendre centre les indiens. II fait prison- nier le gouverneur Miles Macdo- nell. II chasse les colons qui ne veulent pas descendre en Canada avec lui. Les serviteurs de la Com- pagnie brulent les maisons des co- lons 283 CHAPITRE XII. Les Bourgeois de la Compagnie se rejouissent de la mine de la colonie ; ils recompensent ceux qui ont aide Cameron. La colonie est retablie de nouveau par un officier de la Compagnie de la baie d'Hudson. Lord Selkirk arrive d'Ecosse au mois de novembre ; il passe 1'hiver a Montreal. Un courrierdela Ri- viere Rouge lui porte la nouvelle des venements passes depuis le printemps. La Compagnie du Nord-Ouest se prepare a detruire de nouveau la colonie. Lord Sel- kirk demande des secours au gou- verneur du Canada. Le gouver- TABLE DES MATIERES 411 PAGES neur, trompe par les agents de la Compagnie du Nord-Ouest, refuse tout secours 301 CHAPITRE XIII. Lord Selkirk prend a sa solde cent soldats licencies et les conduit a la Riviere Rouge comme colons. Apres son depart de Montreal, il apprend en route que la colonie a etc detruite de nouveau. II marche sur le fort William et s'en empare. Les associes de la Compagnie du Nord-Ouest sont faits prisonniers et envoyes en Canada. Explica- tion de ce qui s'est passe a la Ri- viere Rouge a 1'automne de 1815 et durant Phiver de 1816. Came- ron fait prisonnier. Fort Gibraltar detruit. Complot forme dans le nord pour detruire la colonie en ; tierement 317 CHAPITRE XIV. Souffrances des colons ecossais au printemps de 1816. Manque com- plet de vivres dans la colonie Le gouvernement en envoie chercher a Qu'Appelle. Les hommes de la Compagnie de la baie d' Hudson qui rapportent des vivres sontatta- ques et faits prisonniers par la Com- pagnie du Nord-Ouest. Prepara- tifs des associes de la Compagnie du Nord-Ouest pour detruire la colonie. Bataille du igjuin. Do- cuments. Le fort Douglas pris 412 TABLE DES MATIERES PAGES par la Compagnie du Nord-Ouest. La colonie est detruite une se- conde fois 33 2 CHAPITRE XV. Nouvelles persecutions subies par les colons avant leur depart pour la baie d'Hudson. Assassinat de M. Keveny, officier de la Compagnie de la baie d'Hudson. Les prison- niers a Montreal sont admis a cau- tion. William McGillivray envoie M. de Rocheblave au fort William pour arreter Lord Selkirk. 11 echoue dans cette tentative. Lord Selkirk envoie ses soldats a la Ri- viere Rouge. Reprise du fort Douglas 348 CHAPITRE XVI. Les colons rappeles sur leurs fer- mes. Lord Selkirk passe 1'ete au fort Douglas. Distribution gra- tuite de terres. RequSte formulee, au nom des catholiques, par Lord Selkirk pour demander des mission- naires. Lettre de Lord Selkirk a . ;? 1'evSque de Quebec. Intrigues de la Compagnie du Nord-Ouest pour empecher les missionnaires d'aller a la Riviere Rouge. Dons gene- reux de Lord Selkirk a la mission catholique. Instructions donnees par 1'evdque de Quebec a ses mis- sionnaires sur la conduite qu'ils doivent tenir dans les missions 360 TABLE DES MATIERES 413 PAGES CHAPITREXVU. Proces intente a la Compagnie du Nord-Ouest par Lord Selkirk. Arrived des missionnaires. Fleau des sauterelles a la Riviere Rouge. Mission de Pembina. InterSt porte aux missionnaires par Lord et Lady Selkirk. Union des deux Compagnies. Travaux des mis- sionnaires loues par Sir George Simpson. Paix definitive e'tablie dans tout le Nord-Ouest 374 NOTES JUSTIFICATIVES. icre Note 392 2eme Note 396 3eme Note 399 UNIVERSITY OF CALIFORNIA AT LOS ANGELES THE UNIVERSITY LIBRARY This book is DUE on the last date stamped below Form L-0 20WI-1, '41(1122) UNIVERSITY OF CALIFOR AT LOS ANGELES p 1060.7 D87o < * "X * ^ -% ^ ttr ' ' tffK - 3*% *