mW^^^M^^^:S^-:-"/- } ^»» UM' i ^."/ 9^ CEUVRES DE FLORIAN, NUMA POMPJLIUS, SECOND ROI DE ROME. PAR M. DeIfLORIAN, De I'Academie fran^aise, de celles de Madrid, Florence , etc. TOME PREMIER. PARIS, ; Chez H. N I C L L E , a la Librairie Me'reotype , < rue de Seine, n° 12. 1809. V. \-\2^^ A LA REINE. JA u M A fill le meilleur des rois ; Epoux, toujours amant de la beile Egerie, Pres de cette nymphe cherie II meditait ses justes lois. 2122681 Dc lenr tenclres?e mwUiellc i Naissart le bonheur des Romains ; ' Et dans leurs coeurs unis ils trouvaieut le modele ! Desvertiisqu'ils voulaienlenseignerauxliumains. De ces teiidres epoux je celebre la gloire : Reine, voire nom seul assure mon succes; I De Louis, de vous, de Fran^ais, ] On croira que j'ecris rhisloive. NUMA POMPILIUS. LIVRE PREMIER. SOMMAIKE DU LIVRE PREMIER. TULLUS, graiid-pietre de C6rts , 61^ve Niiuu , qui passe pour son fils. Felede Ccr^s. Tulliisapprcn les victimes: c'etaient elles qui en devaient servir. A un signal de Icur roi , les Remains tirent leurs cpees et ferment toutes les issues. Les Sabines alarmees se jettent dans les bras de leurs peres , de leurs fre- res , de leurs epouxj mais les farouches soldats de Romulus s'elancent au milieu de I'arene 5 et , le glaive a la main , les yeux ardens , menacant les hommes , flat- tant les femmes , ils enlevent les Sabines , comme des loups affame's emportent des Lrebis tremblantes. Vainement ces infor- tunees jettent des cris percans et deman- dent la mort ^ vainement nos citoyens fu- rieux , oixbliant qu'ils sont sans defense , se precipitent sur les ravisseurs , les sai- sissent , luttent avec eux , leur arrachent leurs epees , et rougissent la terre du sang lomain : les Remains , pkis nombreux , immolent ceux qui resistent , mettent eu fuite tout le reste , vont cacher dans Rom^e leur proie j tandis que nos Sabins , desole's , sanglans . converts de blessures , accables 2 i4 NUMA POMPILIUS. de douleur et de lionte, reviennent a Cures annoncer cette affreuse nouvelle et prt^pa- j'er la venteance. Des le premier instant du tumulte , ton pei-e Pompilius , poitant sa femme dans ses bras . avait tente de s'ouvrir un pas- sage a travers les ravisseurs. II touchait a la porte du cirque, quand une cohorie ro- maine le poursuit , I'arrete , lui arrache son cpouse. Porapilius jctte un cri de rage et de dese?poir. II s'est bientot saisi d'uae epee, et les Kcmains qui Fentourent sont deja tombes sous ses coups : il court , il -frappe, il est frappe. Mais il rejoint Pom- pilia ,• il imraole son ravisseur j il reprend sa bien-aimee , la presse dans ses bras san- glans , la rassure , la console, et , malgr6 !os Romains furieux , nialgre les traits .iont on Faccable, il fiiit au-dcla du cir- que , en euibrassant ta malheureuse mere , en la rappelant a la vie , en se felicitant de Tavoir sauvc'e. Ainsi la lionne de Nu- ntidie , lorsqu'elle apercoit de loin lim- prudent chasseur qui Jui emporle ses pe- LIVRE I. ID tits , furleuse , lugissante , Toeil plein tie sang et de feu , s'tlance sur I'inforlunc qui abandonne en vain sa proie j eUe raiteint et le decliir?, fait voler autour d'eile ses membres palpitans : inais, son counovix faisaut aussitot place a sa tendresse , elle court a ses liouccaux , les caresse , pousse des ci'is de joie , passe et repasse sur cux. sa langue encore sanglante , et , se cou- chant pour en elre plus pres- , elle leur tend ses mamelles , landis que ses muscles trcmblf-nt encore de la fureur qu'ellevient d'assouvir. Tel ctait Pompilius. jNIalgre ses large* Hessures , maigre son sang qui coule a gros bouillons , il arrive enfin dans ce temple. II pose sou doux fardeau au pied de I'autel de la deesse; il supplie Cexes de sauver , de defendre celle qu'il met sous sa garde i sa priere achevee , epuise de sang , de fatigue, de douleur, il toraJje sur le marbre , et expire. Je fis aussiiot enlever ta mere. On la porta dans ma maison , ou elle reprit ses i6 NUMA POMPILIUS. sens. Sa premiere parole fut le nom de Pompilius : elle demande son epoux , elle veut le voir , elle veut aller le chercher. En vain j'espere la calmer et lui cacher la mort de ton pere en Tassurant qu'il est prisonnier des Romains j les pleurs que je versais , ses pressentimens, tout lui dit que je la trompe. Elle pousse des cris doidoureux ; elle rejette tout secours^ et, s'ecliappant de nos bra-- , elle veut aller cxpirer sur le corps de Pompilius. Tant de secousses , lant d'emotions , precipitent I'instant ov"i tu devais voir le jour. Lesdouleurs de I'enfantement lasur- prennent ; les cruelles Ilithyes I'accahlent de tons leurs maux^ elle y succombe : et le moment ovi lu recus la vie fut celui de la mort de ta mere. A ces mots, Numa se jette dans le sein de Tullus. Le bon vieillard , qui sent ses cheveux blancs tout mouilIt5s des larmes du jcune lioaime, s'intorrompt pour pleu- rer avec Kii. Bieniot il reprend son rccit : Je fis cher- LIVRE I. 17 clier une noiirrice qui put ranimer ta frele existence, car tu semblais , en naissant, ne vouloir pas survivre a tes malheurs : tu poussais des ciis lamenlables , et ton \isage livide semblait annoncer ton trepas. La fenime d'lmlabouieur, la bonne Amy- dee, viut s'offrir^ ses tendres soins , en- core plus que son lait , le conservereni la vie. Alors J€ m'occupai des funerailles de ta mere et de son epoux. Je preparai un bi;- cher j je rassemblai les habitans de Cures rt de nos campagnes : notre bon roi Ta- lius , vetu de deuil , les conduisait. Soldats , citojens, laboureurs, tous pleuraient ton digne pere , tous faisaient des voeux pour son fils. Le corps de Pompilius fut brule a cote de celui de son epouse. Je recueil- lis leurs cendres dans une ume d'argent ," cette urne fut depose'e sur un tombeau , dans I'endroit le plus secret du temple Je le verrai , mon pere I s'ecria Numa : Je le verrai , ce tombeau I il me sera per- mis d'y pleiiier , et de toucber cette urne l8 NUMA POMPILIUS. si chcrc. Qui , mon fils , lui dit le grand- pretre , nous y descendrons aujourd'hui. La mort de tes paiens fut vengde. INos braves Sabins, indignes de I'outrage , pren- nent les amies, et, guides par Tatius , ils marchent vers la ville parjure. Les laches I'avisseurs n'osent venir au-devant de notre armt'e j ils se renferment dans leurs murs. Tatius les assiege 5 bientot , par un heu- reux liasard , il se rend mattre de la cita- delle. Romulus , forct de combattre ou d'abandonner sa ville , vient presenter la bataille au pied de ce Capitole qui doit , dit-on , regner sur I'univers. Tatius I'ac- cepte ^ et nos Sabins , brulant de se bai- gner danslc sang deces perfldes, chargent les troupes romaines avec toutc la foi'ce que la fureur pent ajouter au courage. Les ennemis sent rompus : mais Romulus les rallic , Romulus resiste seul aux Sabins. II invoque a grands cris Jupiter Stator , et , t e nom sacre et son cxemple arretent scs guerricrs mis en fuite. Les Romains cliar- genta leurtourjla honte enflammeleurcow- LI VR E I. I(^ yage^ les lances se croisent , les boucliers se heurient, I'horreur et le cai-nage aug- mentent , les conibaitans presses ne peu- vent avancer un pas qu'en marchant sur tm ennemi. La victoire , long-temps incertaine, pen- che enfin du cote de la justice. Notre vail- lant roi Talius et son intrtipide general M^tius percent une seconde fois le centre de I'armee romaine. La terre est jonchee de morts , les Sabins vont etre vainqiieurs ^ e'en est fait , dans un moment , de Rome et de Romulus, quand 1 eienementle plus imprevu vient nous arracher la victoire. Les Sabines , ces memes femmes que les Romains avaieut enlevces pendant les jeux consuels ^ les SaLines , les cheveux epars , les yeux noyes de larmes , les bras tendus , pousf ant des cris lamentables , se piecipitent au milieu des combattans. Les epees , les javelots teints de sang , le tu- multe , le carnage, rien ne les effraie : Ar- retez , s'ecrient-elles : arretez I cessez une guerre plus impie que la guerre civile. so NUMA POMP 1 LI US. Vous coinbaltez pour nous, et chacun de vos coups nous rend veuves ou orplieline.=. Si vous nous aimez , vous qui nous don- nates la vie , n'immolez pas nos t?poux 5 et vous , qui nous avez jure une tendresse elernelle , t'pargnez ceux qui donnerent le jour a vos epouses. Songez que nous por- tons dans notre sein les gages de votre reu- nion. Remains, vos femmes sont Sabines,- Sabins , vos petits-fils seront Romains. Cessez done de vous ^gorger , vous qui n'etes plus deux peuples , vous qui ne fortnez plus qu'une seule famille; ou, si la soif du sang vous devore , commencez par rorapre, par detruire tous les liens qui doivent vous riiunir : immolez vos lilies et vos femmes , et sur leurs corps expirans achevez de vous egorger. Ce spectacle , ces paroles , les pleurs , les cris des Sabines , ch assent la colere de tous les coeurs. Les combattans s'arrelent , se regardent et sont surpris de ne plus se hair. L'epee demcure levc^e sur celul ([u'clle menacait j le javelot reste suS- LI V RE I. lil pendu ^ la fleclie lombe de I'arc , qui se delcnd'sans la lancer. Les Sabines se jet- tent sur ces armes , et les enlevent sans effort a leitrs peres , a levirs epoux , qu'elles couvrent de baisevs et de larmes 5 elles lavent avec ces jileurs le sang dont ces mains sont souillees , elles parviennent a les joindre ensemble ;alors chaqiie Saljine' cmbrassant a la fois un Remain et un Sa- bin , elles rapprochent ainsi les visages' des deux enneiriis , et les forcent enfin a s'embrasser eux-memes. Des ce moment , plus de guerre , plus de vengeance* Lesroisse parlent, ils cor- viennent que les deux peuples reunis n'en formeront desormais qu'un seul ^ que Ta- tius et Romulus , assis ensemble sur le jneme trone , partageront le souverain pouYoir. On jure la paix , on immole des Victimes a Jupiter , au Soleil , a la Terre : les deux armees confondues se laissent conduire par les Sabines , entrent dans Rome au milieu des acclamations , et pa- iaissent plus fieres , plus glorieuses d'a- 22 NUMA POMPILIUS. voir ete vaincues par la tendresse , que si elles avaieni triomphe par la fureur. Cependaui tu croissais sous mes yeux , eL tu passais povir inon fils : je confirmais moi-meme uue errour qui s'accordait avec mes semimcus comxne avec le voeu de ta mere. Des I'uge de quatre ans, tu me sui- vais dans le temple, rev&tude, la robe d'i- nitie j tu portais dans tes faibles mains le vase d'or oili Ton met I'encens.Ta douceur, tes graces enchautaient nos prctres , qui m'enviaient tous le bouheur tie l'a\oir 4onne le jour. Combien je I'ai desire' , ce bonhexjr Depuis quinze ans^ Numa , je ne tiens a la \ie que pour te cherir; ct quel que soit mon amour pour la veilu , si tu me vois la pratiquor avec zele , c'est daus I'espoir , mon clier fils , que les dieux t'ea recoiiipenseront. Je recueillis bientot le fruit des soins que j'avais pris de toi. Des ta plus tendre enfance , tes »iualilcs s'annoncerent. Jamais ]c n'avais besoiude t'inspirerma sentiment Jionnet^ ; tous elaient nes dans ton coeur. LIVRE I. 23 Les principes de la moi'ale se trouvaient graves dans ton ame avant que je t'en eusse insiriiit , et la raison t'err^eignait tout ce que m'avait appris rexpcrience. S'il m'arrivait , pour t'cprouver , de te faire une question que j'imaginais difii- cile , ta reponse etait toujours plus claire , plus precise que celle que j'avais prepare'e. Souvent , apres avoir cru te donner une longue lecon de morale , tes courtes re- flexions m'cclairaient ; en finisFant I'enlre- tien jc'etait ton matire qui s'etait instniit. Tu connus toutes les sciences de nos pi i- losophes e'axisques , et tu me disais : O men pere ! que tout cela est pen de cho:-e I et ce peu laisse encore des doutes ! La vertu seule est certaine j le livre en est avec nous , c'est notre cneur : consuJtons- le a chaque action de noire vie , snivons toujours ce qu'il nous dit ; nous ne pou- vons jamais nous egarer. Je t'embrassais avec transport , et je n'of^^ais te louer. Je craignais pour toi le Tice qtti depare toutes les qualites , qui a4 NUMA POMPILIUS. commence par les ternir, et linit presqtie torijours par les detruire : la vanitc. O mou fils , prends-y garde pendant tout le cours de ta \ie^ souvieus-toi Lien que c'est elle qui fait le plus de mal atjx v.ertus , puis- qu'elle les empeclie d'etre aimables. , Je te voyais avec complaisance echap- .per.a ce peril. Chaqtie jour tu devenais ineiHeur , et chaque jour plus modeste. Tromp(5 par la voix publique , sur-tout par mon propre coeur , je me croyais ton pere , et je comptais abdiquer en ta faveur la souveraine sacrificature : tous nos prctres , tous nos citoyens , le pr^voyaient avec joie. Depuis trois jours , mon fils , vm oracle ce- leste m'interdit cette esperance. Ceres , Ceres elle-meme , m'apparait toutes les nuits , et m'ordonne d^une voix st^vcre de t'envoyer a Rome et de declarer ta nais- sance. Vainement , a genoux devant la deesse , j'ai ose lui parler de mes crainies et rappeler le voeu de ta mere. Je n'ai print acceptc ce voevi, m'a repondu la fille de Jupiter j Kuma ne sera point xfion L I VRE I. 25 pretre^ ses destins Tappellent plus haiit. Numa me servira mieux sur un trone qu'a I'ombre de nies autels : qii'il marche a Rome," que ta tendresse pour lui ne s'op- pose plus aux decretsdu ciel. Voila, mon Ills , le sujet de ces larmes que vous m'avez vu verser pendant le sa- crifice. II faut se soumettre , il faul nous s;'parer , Numa : Ceres I'ordonne j nous devons obeir. Le tendre Numa , sans repondre a Tul- lus , le regarde ^ pleurant, leve les yeux au ciel , et parait hcsiter entre son pere et les dieux : mais le \ieillard I'encourage ; Numa se decide a partir. II prend la main de Tullus , qu'il serre doucement dans les siennes : O mon pere I lui dit-il , vous m'a- vez promis de me faire descendre au tom- beau de Pompilius , de me laisser baiser avec respect Tume qui contient les cendres de ma mere. Suis-moi , lui repond le grand-pretre j des ce moment je veux t^ conduire. 2D NUMA POMPILIUS. Alois ils marchent vers le temple. Der- riere Fautel de la deesse etait une porte d'airain dont Tullus seul avail la clefj il -I'ouvre , il descend quelques degres : INuma le sviit en sonpirant. lis arrivent dans un. souLerrain cclaiie par une seule lampe. La , sur un tombeau de marbre noir d'une sculpture simple et eans inscription , on voyait une urne d'argent couvcite d'un voile funebre. A cole de I'urne ctaient un billet , une epee et des cheveux blonds. Numa s'etait mis a genoux en entrant clans le soulerrain. Tiillus souleve doucement I'unie :, et la presontant au jeune liomrae : Mun ills , lui dit-il a voix basse , baisez CCS restes sacres,' touchez cette urne qui renferaie les cendres de la meilleure des meres et du plus tendre des epoux. Ils ont les yeux sur vous dans cet instant , ils vous contemplent des champs oljsees , et prell'rent n tons les plaisirs immortels qui les environnent le spectacle de la pi^te de Icur (lis. ]\uma tenait dans scs bras I'urne qu'il LT VRE I. 27 baignait de ses larraes. II Tapprochait de son c(X^ur , et il liii semLlait qvie ces cendres si chores se raniniaient. Oh I qu'il eut de peine a les rendre an poniife I et comrne ses mains suivaient I'urne , qiiand I'urne s'eloigna de lui I TuUus la remet sous le voile. Alorspre- nant I'epee , le billet et les cheveux : Voici , dit-il a Niima , le glaive qui defendit voire mere ct la patrie , qui jamais ne fiit tire par la colere , et n'inimola que les ennemis de TEtat. Je vous le remets , mon fUs : fai- tes-en le meme usage. Que la puissante Ceres , a qui je I'avais consacre , fasse tomber sous ce fer tous ceux qui menace- rout vos jours I Ce billet fut trace par voire mere a Tinstant de son trepas : il est adresse au roi Tatius , et vous sera nd- cessaire pour occuper a sa cour le rang du a votre naissance. Ces cheveux blonds , ai-je besoin de vous dire que ce sont ceux de votre mere? Elle vint les offrira Cei-es le jour ou elle obtint un (lis. Numa , por- tez-ies toujours avec vous ; les coeurs sen- aS NUMA POMPILIUS. sibles ont besoin de ces gages d'amour et de piete. Apres ces paroles , ils soitent du souter- rain. Numa retourne a la raaison du grand- pretre , oi!i il prepare tout pour son depart. II quitle la robe de lin , prend la toge , et paralt plus beau sous ce velemeut. Le pontife le regarde et soupire : ce nouvel habit scmble lui annoncer des dangers. II eloigne cette idee , pour s'occuper de pourvoir a ce que rien ne manque a son ills. Sa tendre prevoyance le fait penser A des besoins qu'il n'aura pas : il se depouille pour I'enrichir , et , dans la crainte d'un refus , il va cacher parmi les habits de J\unaa le peu d'or qu'il a dpargn^ : Loin de lui , ]e. n'ai besoin de rien , disait-il : quand il sera loin de moi,tout lui devien- dra necessaire. Cependant I'instant cruel approchej le char qui doit conduire JNuma est prepare. Tullus monte dans ce char avec son Ills j il Ycut I'accompagner jusques au-dela du LIVRE I. 29. bois sacre ,* c'est alors que sa tendresse lui donne ces derniers conseils : Pardonne-moi , mon cher Ills , par- donne-moi de trembler en le \oyant . si jeune encore , abandonner no'^ pai?ibles campagnes et I'asile oii ton innocence n'eut jamais couru de peril , pour aller habiter une ville redoutable racme a I'homme le plus sage. Te voiln ^ans expe- rience , sans guide , sans conv^eil , sans ami , car a ton age on n'a point d'ami , on croit en avoir , et c'est un danger de plus : te voila jete au milieu de deux peu- pies qui , reunis par politique , sont divi- ses par caractere , et se regardent toujours comme deux nations distinctes. La haine n'est point eteinte entre les Romains et le& Sabins j elle ne I'est point entre leurs mo- narques , encore plus oppose's que leurs peuples. Tatius , le meilleur des rois , ton parent, ton souverain ^ Tatius, qui fui. notre idole tant qu'il regna parmi nous , bon , sensible ^ ami de la paix , possede des vertus plus utiles que brillantes j il rend 3. 3o NUMA POM PIT, I US. jiislice , rt iJ fait du Lien : yoila sa vie. Bonnilus , au contraire , qui , pmu' ac- quci'ii- (!es sujets , ouvrii un asile aux bi'i- gantls, Romulus a conserve les moeiu'S fe- roces du premier peuple qu'il commanda : passionne pour la guerre, dcvore d'ambi- tion , lourmente de la Foif des conquetes , il attaque ct ?oumet tour a tour toutes les nation? voii.ines de Rome j il n'estime , il ne chdn't ffi.iese.< soldats, ne sait que vain- cre , *^t ne connait pas d'amre grandeur. Helas! par une falalite deplorable, tin conqnerant est plus admire qu'un bon roi; la veritable verlu eblouit moins que la fausse J loire. Tu ne les confondras point , Nam a ^ tu sentiras combien Tatius est au- dessus de son collegue , tu n'abandonne- ras pas le plus juste des rois , le parent , I'anii de ton pere , le vengeur de Pompi- lia , pour suivre un conquerant farouche encore icint du sang de ;on frcre, et dont Paifrouse 'rati'^on causa la ruine de ton pays cL lo ircpas dc ceux a qui tu dois le jour. 1,1 V R £ J. OI MaisIacourmcmeclrTalius estim scijoiir dangcreux povir toi. Tu seras dans Ptome, dont Ics belliqueux cilovens paidonnent tout a la jcuncsse , liors \c manque de courage : et le courage des combats n'est plus que ferocite, quand il n'est pas joint a d'autres vertTis. Tu seras valeureux sans doute ,' le fils de Pompilius pourraii-il ne lelre pas ? Mais tes moeurs , ces nioeurs si pures , qui t'ont merite la protection de la deesse , les conserveras-tu , Numa ? Crois- moi , je n'ai pas d'interet a te defendre le plaisir^ je ne veux pas te parler le Ian- gage austere de mon age , te peindre la volupte sous des couleurs fausses et ef- fray antes j non , mon fils ; la volupte a des charmes , la nature nous entraine vers elle j il faut comhattre fans cesse pour lui resisler j et plus notre coeur est sen- sible , helas I plus il est faible. INIais tu n'auras pas plus tot cede' , que le remords s'emparera de ton ame j tu perdras cetie douce paix , cette estime , ce respect pour toi-meme , qui font le charmc de la vie ^ :>2 NUMA POMPILIUS. ton coeur humilie , fletri , n'aura plus la mcme energie , le meme amour pour le bien j tu souffriras cnfin le plus grand des supplices , celui de connaitre la vertu ct d'avoir pu I'abandonner. Je n'ai jamais vu la cour , je ne puis te donner d'avis sur la maniere de s'y con- duire : niais je connais les devoirs d'uft homme , et il fatit etre horanie par-tout. Rends aux places dminentes le respect qu'on estconvenii de leur accorder : rends a la vertu , dans tous les etats , le culte que la vertu merite. Fnis les medians , sans paraitre les craindre : sois reserv^ , meme avec les bons. Ne profane pas I'a- mitie , en prodiguant le nom d'ami. Pese tes paroles , et reflechis avant d'agir. Sois toujotirs en garde contre ton premier mouvement , excepte lorpqu'il te porte ji secourirun malheureux. Respectelcs vieil- lards et les femm^s , plains les faibles , et sois le soutien de tous les infortunds. Si la deesse , comme je I'espere , te comblc de prosperities ,tum'en instruiras: IIVRE I. 00 Gcs nouvelles prolongeront ma vie. Si le del Youlait t'cprouver par des raalheurs , reviens me troiiver. En pailant ainsi , ils etaient arrives a la sortie du bois sacre : c'etait la que Tiillus dcvait se separer de Numa. Le char s'ar- rete : les yeux du jeune liomme se reni- plissent de larmes. Du courage I lui dit le vieillard , du courage ! Numa , nous nous reverrons , nous nous reverrons bientot: le trajet d'ici a Rome est court : tu xeviendras au temple : moi-menie.... Ab! mon pere I s'ecria Numa fondant en larmes , sans doute je vous reverrai ; mais je ne vivrai plus avec vous 5 mais je ne vous verrai plus a tous les instans de ma vie. Les longues matinees s'ecouleront sans qnp mon pere m'ait embrasse j le jour finira sans que IVuma vous ait enlendu. De quel bonbeur je jouissais aupres de vous I je ne I'ai pas assez senti , je n'en ai pas assez remercie les dioux ! C'est k present Allons , mon flls , interrompit Tullus d'une voix qu'il voulait rendre severe , 54 NUMA POMPILIUS. obeissons a Ceres , et ne murmurons pas centre elle. Eh quoi I je suis le plus vieux , je suis le plus faible , ot c'est moi qui vous encourage I Crois-tu que je ne souffrc pas aulant que toil Penses-tu que mon triste cceur ? A ces mots, sa •voix s'eteint , sa iorce I'ubandonne , il tombe dans les bras de !Numa et Tarrose de ses pleurs. Mais rc- pienant sa gravite ; Adieu, mon Ills , lui dit-il , vous rc^ ipndrez me voir dans peu de temps , ou j'irai moi-meme vous clier- cbera Rome. Adieu ,n'oub]ie7, pasTullus. En disant ces paroles , il s'eloigne , et rem re a pas precipites dans la foret. IVuma , desole , reste les bras tendus , lui crie troU foifi , adieu ! le suit dc l'o?il plus long-temps qu'il ne peut levoir ; et , lais- sant flctier les renes de ses coursiers, ii preud le clicmin de Rome. FIN nu tlVRE PR EM I En. S O iM M A I R E DU LIVRE SECOND. NXJMA , parli pour Home, s'arrete et s'endort dans un bois \ il a un songe myst^rifux. 11 con- limie sa route. Description de la campagne de Itome et de cette ville gucrriere. Accueil que fait Tatius k Numa. Caraclere de ce bon roi , de sa fille Talia , de Eomulus et d'Hersilie , fille de Bo- muliis. Nuraa rencontre Her.-^ilie ; il s'enflainme pour elle. Premiers efFttsde sa passion. Retour fcltriomplie de Romulns. 56 WUMA POMPILIUS. LIVRE SECOND. JNuMA s'eloignait a regret du lieu qui I'avait vu naitre ,• mille pensees doulou- reuses I'agilaient. J'abandonne mon pere , disait-il , dans Tage oi!i il avail besoin de ma tendresse : je renonce a des devoirs , a des loisirs doux a mon coeur j jequitte les compagnons , les amis de mon enfance, pour aller habiter un pays ou personne no m'aimera. Ah I je sens bien que je n'y pourrai vivre j je languirai comme un jeune ollvier transplanle dans un terrain qui ne lui convient pas : le soleil et la ro- see Ivii sont inutilcs , ses ftuilles flelries tombcnt le long de ses branches , ses ra- cincs ne prennent plus de nourriture ; il a commence de mourir en quittant la lerre qu'il aimait. Le jeune voyageur , accabk^ de ces idees , n'avait encore fait que deux raillcs , lorsqu'il enlra dans un hois dont la frai- X.un.. I.v pr-, n>1 ,.CM,r 1> LIVRE II. 57 cheur invltait au repos. Attire par le mur- mure d'un ruisseau qui serpentait ?oi\s I'ombrage , il arrete ses coursiers , les aban- donne a deux esclaves , et , reniontanl jus- qu'a la source du ruisseau , il arrive a une Fontaine consacr^e a Pan. II flcchit un ge- noudevantla statue de cedieu,lui demande la permission de se desalterer dans sa fon- taine ; apres avoir rafraichi ses levres brii- lanles , il s'assied sur le gazon, et s'endort au bord de I'eau. Pendant son sommeil il eut un songe. II lui sembia voir un char attele de deux dragons , qui volait vers lui du haut de la nue. Dans ce char etait la ddesse Ce'r^s , couronnee d't^pis , portant une gerbe et une faucille. Elle vient se placer sur la lete de INuma : et le regardant avec des veux pleins de bonte : Fils de Pompilia, lui dit-elle, j'aimai ta mere , et je veille sur toi. Quel que soit le van que tu vas former , j'ai resolu d« rarroniplir . parle, dis-moi ce que tu de- sires le plufej tu robtieadras a I'iaslapt 4 58 w t; m a p o :;I p 1 l 1 u s . meme. Ah 1 s'ocria Numa sans hesiter, qxie Tullus soit rajeuni , qu'il recommence uite iioiivelIe\ie,et que jamais. ....Tademande, interrompt la deesse , est au-dessiis de mon pouvoir. Jupiter , Jupiter lui-meme , ne peut prolonger d\m instant les jours d'un gimple mortel. Les cruel ies parques ne lui Sont point soumises : elles ont tranche Je lil de Per^ee , d'Heroule , des enfans Ies plus cheris du maitre des dieux , quand le Desiin , plus fori que mon p^re , a voulu qu'ils cessassent de vivrc. Forme des vneux pour toi-meme : en demandant ton bon- lieur, c'est demander celui de Tullus. Eh bien , favorable deesse , rendez-moi digrie de lui j faites gerraer dans mon coeur les lecons de ce vcnera! le vieillard i don- ncz-moi la sagerse : Tullus dii que c'est le bonheur. * J'avais prevu ta demande , respond Ce- ros, et j'ai prie ma soeur IMInerve de te combler de ses dons. Ne t'attends pas ce- pcndant a devcnir son favori , commc Xf' fut le lils d'Ulyssc. INcH; mon cher Numa, aw- L 1 V K E 1 i. 59 cun mortel ne doit se flatter ;ux au luaitic du lonncrre, proniet u» LIVRE II. 4^ Sacrifice a Minerve , a Ceres , sort du bois , et remonte sur son char. II marche , il traverse le pays des Fide'- nates , et arrive bientot sur le territoire de Rome. II le distingue ais^inent de celui de ses voisins ; les campagnes y sont de- sertes ^ les terres incuhes n'y produisent que de I'ivraie j les troupeaux , faibles , disperses, y trouvent a peine leur nour- rilure : point de nioissonneurs qui recueil- lent les pre'sens de Ceres j point de gla- neuses qui sviivent en chantant la famille du laboureur j point de berger qui , svir le penchant d\in coteau, tranquille sur ses brebis , que son chien fidele enipeche de s'ecarter, chante sur sa flule la beaute d^A- maryllis , ou les douceurs de la vie cham- pctre. Tout est ti'iste , morne, silencieux. Les villages de'peuples n'offrent que des femmes et des vicillards. Celle-ci pleure son epoux , celle-la son frere , tues dans les combats. Ici , c'est un pere accable par les annees, qui va mourir sans consolation €t sans sccoiu'S j il n'a plus d'enfans j ie 4. 42 NUMA POMPILIUS. dernier vient deiui etreenleve pourscrvir dans rarmce de Romulus. Ce vieillard , au desespoir , jetle des cris plaintit's , se meuvtrit le visage , arrache ses cheveux blaacs, ct maudit les armes de son roi. La , c^est line mere qui fuit avcc le seul fils qui lui resie ^ elle est sure qu'on vien- drait Tai raclier de ses bras : elle aime mieux quitter son pays , sa maison , le champ qui la nourrissait , pour aller mendier du pain chez un peuple qui lui laissera du moins son Ills. Par-lout la tristesse , la pauvrcte y la desolation ctalent leur affreuse image; et les sujets de Romulus, depuisque leur maitre connait la gloire , ne connaissent plus ni le repos ni le bonheur. O dieux immorlels ! sV'cria Nuraa , \oi\k done ce peuple si fier , si envie de ses voisins , et que ses vicioires rendent deja si celebrc , si redoutable! le \oi\h malheureux , pauvre , cent fois plus a plain* dre que ceux qu'il a vaincus I Tel est done io prix de la gloire I ou plutot telle est la justice c<^leste : les dieux ont voulu que les LlVHli II. 4-^ conqucrans souflriisent eux-memes des maux qu'ils font , et qu'ils aclietassent de leur infortune celie dont ils accal>lent leurs \oisins. Numa comparait alors en lui-niemc le honheur dont jouissaient les paisibles Sa- bins , I'abondance , la gaictc qui rt'gnaient dans leurs campagnes , avec le spectacle qui frappaft pes jeux. II se rappelait tout ce que Tullus lui avait dit de la guerre j il adressait des voeux aux immortels , pour qu'ils fissent naiire des rois paciiiques , quand tout a coup I'aspcct de Rome \ient iVapper et ctonner ses regards. Ce mont Pa- latin , Fancien asile des pa ties et des trou- peaux, maintenant horde de murailles , herisse de tours menacantcs , ces fosses larges et profonds qui en dofendcnl I'ap- proche , ces remparts inaccessihles , et ce fanieux Capitole qui domine toute la ville , sur le haut diiquel on distingue le temple de Jupiter , tout en impose a Kuma ; il regarde, admire, ets'avance. 44 NUMA POMPILIUS. Lcs pomes sont occupees par une foule de jeunes giierners couverls d'armes etin- celantcs , appuves sur leurs lances , la tete haute , et rejetant en arriere le panache qui onibrage leurs ca> trop vieux pour se souvenir LIVRE II. 59 encore des premiers effets de I'amour , sourit de tant de timidite : il s'efforce de I'excuser aupres d'Hersilie , en lui appre- nant I'age de Numa , Feducation qu'il a recue. II saisit cette occasion de parler des vertus de TuIIus , de celles de son ai- mable eleve; il se plait a faire un long ^loge du fils de Pompilius. La princesse I'ecoute avec plaisir 5 elle regarde Nnma , que sa rougeur embellit encore 5 elle penetre mieux que Tatius la cause du trouble qui I'agite : pour la pre- miere fois elle est flattee d'avoir inspire de I'amour. Cependant elle quitte Tatius 5 et , dans ce moment , ses yeux se rencon- trent avec ceux du tendre Numa. O com- bien ce I'egard penetra leurs ames I com- bien il fnt eloquent pour tons deux ! IMuma}' puiAl'esperance ^ Hersilie y puisa Tamonr. Des ce moment, le fils de Pompiliug a'est plus a lui. Uniquement occupe d'Her- silie , ou il la voit; ou il la ohercKe ; pen- S« VVUX POMPILITTS. dant le jour il suit ses pas j pendant la nuit il songe a elle. II ne pense plus au bon roi, il oubl.e TuUus et ses legonsj la vertu , la gloire , tout ce qui transportait son ame , n'a plus de charme pour lui. Hersilie, Hersilie, il ne voit qu'elle dans I'univers j Hersilie est le seul objet de sefi pense'es , I'unique but de ses actions : son coeur, son esprit , sa mdmoire , toutes ses facultes lui suffisent A peine pour Hersilie j son coeur ne pent plus produire d'autre sentiment que I'amour. O malheureux jeune homnie , il n'est done plus d'esperance ! Un seul jour, un seul moment a detruit le fruit de tant d'an- nees de lecons. Le voili , ce favori de Ce- res, ce fils de Poinpilia, cet cleve du v^- iat?rable TuUus, cet exemple de sagesse reserve? a de si hautes desii|^^esj le vbil^ dc\enn le jouet d'une passion effr^nee , I'csclnve de desirs insens^s ! II rejette tous les dons que lui prodiguait le ciel , pour ^urir apr^s une vaiae apparence de bon- LIVRE II. 6t heur qui fera le taurment de sa -vie. Son courage est abattii, son esprit alidn^^ son corps a perdu sa force : il n'a ni vertu ni -raison j il va perir , comnie un freneiique, »ans connaitre le mal qui le fait expirer. Gependant Romulus , vainqueur de* Antemnates , ranienait h Rome son ar- mee j il avait lue de sa main le roi Acron , son ennemi. Le peuple remain lui prepa- rait un triomphe qui devait servir de mo- dele a (5eux que Ton accorda depuis aux Yainqueurs de I'univers. Le roi Tatius , a la tete de tous les ci- toyens \^tus de blanc , vient au-devant de «on collegue, Le feu brule deja sur Fautel de Jupiter Fer^lrien ; les pontifes , les aruspices attendent le triomphateur avec despalmes dans les mains. Le clieniin qui mene au Capitole est par-tout jonche de fleurs : les portes des maisons sont omees de couronues : les femmes romaines , en habits de fetes , portant leurs enfans dans l€urs bras , les pressent contre leurs "visa- 6 6l NTJMA POMPILIUS. ges , excitent leur joie par de tendres ca- resses , et leur repetent cent fois qu'ils vont revoir leurs peres vainqueurs. Bientot on d^couvre de loin les bril- lantes aigles^ on entend deja les trom- pettes : mille acclamations leur repondent. L'armee s'avance ^ etl'on distingue le grand Koniulus t.ebout sur un char niagnifique. Quatre coursiers blancs com me la neige sont alleles de front a ce char : a leur air fier, a leur hennispement , on dirait qu'ils s'enoi'gueillent des exploits de leur maitre. Revelu de la robe Iriomphale , ceint d'uue couronne de laurier, Romulus porte dans ses bras un cliene qu'il a taille, et auquel sont appendues les armes du roi Acron : ce poids cnorme ne fatigue pas le triom- phateur. Devant lui marclie la famille du roi vaincu , vetue de deuil , portant des fcrs, baiscant des yenx noyes de larmes. 'line foule d'esclaves , courbt!\s sous le poids du bulin , cnloure le char du vainqueur j ses Lraves l«?gions le suivent , en poussant LIVRli II. 63 des cris cle joie , et les echos d'alentour rcpeteiit en longs accens la gloire e epaisse , peinte de diverses couleurs , cachait la moitie du visage. Tous ces guerriers sui- vent Numa. 8 4 N U M A P O M r I L I U S. Convert de ses armes eclatantei^ , ivre d^amour et de joie , Nnma s'avance a leur lete sur un coursier plus blanc que la neige, dontTaliuslui a fait present. L'im- paiient animal bondit sous son jeune maiire , frappe du pied I'air et la tenej et , blanchissant de son ecunie le frein qui relient sonardeur, il s'indigne dVntendre hennir les chevaux de ra\anl-garde. A ses cotes , sur un char magnidque , s'avance la fi^re Hersilie , armee comnie Pallas , belle comme Tepouse de Vulcain. Son casque etincelant porte pour cimier I'aigle romainej un carquois d'or brille sur son epaule ; dans ses mains est Tare de Pandare , qu'En^e apporta en Italic, et qui fut Iransmis a son petit-Ills Romulus. Le sage Brutus , ce chef d'une maison de h^ros , conduit le char de la princesse j et Tamoureux Numa lui envie cette place. Numa , ton jours les yeux sur Hersilie, marche h cote de son char. Sa beaute ne le cede point a celle de ramazoncj mais LI V n£ Mr. 85 riiabilude des amies donn•• as la 1,!m LIVRE QUATPtlEME. Carcs , il remcl prccipilanuncnt son casque, prcnd son bouclier, saisit deux javelois,et court se jeler au milieu du carnage. II vole,il frappe, il appelle. Sa voix tonnante retentit aux deux bouts du camp. Ses guerriers accourent en foule : Horace, Misenr , Brutus , Abas, arrivent en amies : ils trouvcnt leur vaillant roi re- sistant seul aux ennemis. Deja sa main foudroyante a fail mordrc la poussiere au coura£;cux Oplielte, an brave Aulastor , h Sopharis , a Corine'e. Penthee , le mal- beureux Penthce, vient d'acheler de sa vie I'bonneur d'avoir oUeint Romulus. Son javclot a perce la ruirasse du roi j ce- lui de Romulus a perce le cosur de Pen- thce. Les Marses etonnes sentent leur arr deur s'affaiblir : ils n'attaqvient plus , ils se dcfendent j pousses de loules parts, ils cherchent , ils dcraandent Leo. Leo, qui avait pc'ru'in! dans le foyer de Romulus, Loo reparait a I'iristanr. D'une main il tient sa massue , de Tautvc un fais- LIVUE IV. 127 c^an embrasc. A cette vue, les Remains s'arretent, les Marses jettent dcs cris <]e joie. Le fier Leo vole a levir tete ; il lance des brandons aliumes h travers les tente& romaines^ lefeu se coinmimique avec fu- reur; la toile s'embrase , le bois petille. Leo , pour qui Fincendie est trop lent , I'augmente a coups de niassue. II s'elance a travers les flammes i il immole Abas , Massicus, Tiburj Talassius tombe sous ses coups. Le Jjrave Misene Tarrete un mo- ment ^ mais Leo foule aux pieds le corps de >lisene. Leo porte la raort et le feu ^ Leo se fraie un cLemin de flamme. Ainsi la lave brulante descend du sommet de I'Etna ,roule a gros bouillons dans la cam- pagne , emporte , consume , detruit les pienes , les arbres , les rochers , couvre de Hots embrases tout ce qu'elle trouve sui son passage. A ce spectacle , Romulus agite ses dards , jette son immense bouclier sur ses epaiiles ^ marche a travers le carnage pour s'opposer SOMMAIRE DU LIVRE CINQUIEME. !I K n s I L 1 1; cl Numa repojissenl Jes Marse*. Helr.iile dc IJn. Romnlns fortific so)i ramp. Noii- vcnnx exploits dc hfo. Jooctioii dos Marses et des Saninitcs. Romulas assemble son conseil. Nnraa va sr ren'lre maitre des defiles des monls Trebaniens. II trouve dans ces monlagnes iin peuple dont il est aiin6. Difaite des Marses dajis ]os d^-lil^s. Combat singulier de Nnma et de lit-o. Alagnnnimitt- de Nnma. 11 nppre-nd que Tnlliis e.st moni;mt : il quille tout ponr viiltT pits de lui. 11' \i V C\ 1 c s \ I ill iK ( m 111 LITRE CINQUIEME. CoMME iin immense quartier dc roc , ue aitendre le heros , et lui lance de pros son disque. C'cu etait fait de Nuuia , s'il n'eut baisse la tete dans ce moment : le disqne iranchant coupe le sphinx que Ton voyait briller sur son casque , et fait voler au loin les deux panaches couleur de pourpre. Numa se prccipite sur Liger, et bi'ise sa lance dans sa poitrine : s'armant alors de la terrible epee de Pompilius , il fend la tele a Orimauihe , coupe la main droite a Tarchon , fait lomber a ses pieds Querccns ; et , poussant et prcssant les Marses mis en fuite , il parvient endn a les chasser du camp. Leo seul y etait reste. Abandonne de tous les sieus , Leo ne regarde pas s'il est seul : il a relrouve sa massuc , il n\a phis besoin d'armee. Mais les Sabins I'enviroiincnt , et le fcroce Ufens s'avanco, en lui criant d\iiie voix terril)le : Ce n'est pas ici rassemblee dcs Marses , L I V RE v^ icy] ou il sufflt do. plierun arLre pour elie l'Iu general : il fautmourir, tu ne peux ecliap- per. Lc'o I'ecoute, et souri't : il evile d'un saut leger le javelot qu'Ufens lui lance ^ aussitot il se precipite svir lui , le saisit au milieu du corps, le serrc, Tetouffe dans ses hi'as nerveux , le jette contre la terre , pose un pied sur ce cadavre palpitant j et , levant fierement la lete , il porte des yeux tranquilles sur ce cercle de glaives san- glans dont il est environne. Inaccessible a la crainle, il promene des regards assu- res avant de choisir la place par oili il veut s'elancer. Enfin , decide a la retraite, il fond sur ceux qui lui ferment le passage : il les ecarte, les ecrase a coups de massue j et, s'eloignant lentement, cornme un loup encore affame s eloigne d'une bert;erie , trois fois il s'arrete, se retourne, et trois fois il fait reculer les bataillons qui le poursuivent. Bientot il rejoint ses guer- riers j sa voix terrible les arrcte : il les rallie , les rcmet en ordre , reniplit seul Pintervalle qui les separe des Roniains ^ i2. I JO NUHIA PO^IPILIUS. et marcho entre Ics deux arrnees , couvrant June et repoussant Tautre. ' Numa, irrite de ces exploits qu'ii admire, Numaveut allerattaquerLeo: maisunbniit qn'il entend sur le bord du fleuve attire son attention. C't'tait le \ieux Soplianor, a la tete de son armee , qui \enait proteger la retraite de son collegue. Lcs Marses fei- gnent de vouloir passer le Fticin : Numa , pour defendre la rive, est oblige d'abau- donner Leo ^ et ce terrible gnerrier, avec ce qui lui reste des siens, s'dloigne sans peril de ce camp qu'il a rempli de carnage. Le prudent Sophanor, instruit des long- temps au metier dc la guerre, tint son arraee au bord du fleuve jusqu'aux pre- miers rayons de Taurore. Numa et les Sabins, malgre les fatigues de cette nuit terrible, ne quittent })as I'autre rive. Au point du jour, Sophanor, certain que Leo avait eu le temps d'executer ses projets , retire ses troupes. Numa ramcnelcs sicnnes gous leurs tentes. Des ce moment il nc s'occupe que des LI V RE V. 109 blesses : Marses on Roraains , tons ceux que des secours peuvent sauvcr ou soiila- ger sont egalement secourus par Kuma. II cherche dans les lieux oii I'on a comKraves Marses I'environnent^ etvingt mille Sam- nites, revetvis J'un acier biil ant , ferment sa marche triomphale. 1 n 4 K U JM A r O IVI P I L I U S. Bientot leurs tenies se dressent aupres .> £n parlant ain.'^i, ils se langent ciVux- niemes, en s'efforcant diraiter les Sabiris. lis se serrent les uns centre les autres dans des rangs mal alignt-s , et cette phalange bruyanle demande a marcher la premiere au poste le plus perilleux. IN'uma , le sensible Numa , veut en \.iiin re primer leur zele^ en vain il refuse d'ex- poser des hommes qui n^ont de motif pour combattie que Tamour quil leur a inspire ; cet amour est plus fort que I'autoritd de Numa j malgr^ ses prieres , le (lis de Pom- pilius est force de voir doubler son armcc. Alors il leur explique ses projets ^ il leur con fie qu'ii A'eut se rendre maitre des hau- teurs ct des postes d'oA il pourra ecraser I'ennemi. Les Ilheates aussitot guident eux-memes les Sabins dans les defiles, dans les passages les plus dangereux : ils leur marquent les places qu'ils doiventoccuper,s'y etablissent avec eux, coupent des arbres, roulent des rochers pour en accabler les Marses , et , meles avec les soldats de leur hienfaiteur- IjG NUMA POMPILIUS. deciJ.es a partager lous leurs perils, iU attendeiit iiupatieuiment Tarrivee des Ro' mains. Pioiuuliis arriva };ient >t. Par vine retraile savante, il etait sorli de son camp, attirant et repoussant toujouis les Marses et les Saniniles. Plus il approchait des monta- gnes , plus Thabile Romulus affeclait de desordredanssa marche. Son arriere-garde fuyait par son ordie 5 et Tentree des Ro- niains dans les montagnes ressemhlait a nne deroufe. Sophanor, Leo lui-meme , sur-tout lo chef des Samnites , s'y tiom- percnt ^ cotte armee d'alli^s , composee de guerriers plus braves qu'habiles , s'engagea dans les deliles, cioyant poursuivre des fugitifs. Romvilus , instruit par les envoyes de Numa , guida lui-meme les ennemis dans les gorges les plus dangereuses. Alors il cessa de luir , alors , a la lete d'une co- lonne lenible, il attend les Marses de pied ferme, et les appelle au combat. Lt5o, le brave Leo , &'elance sur les Remains j les LIVRE V. 1 >7 Samnites et les Marses se cii:>pulent a qui chargera les premiers , quand une grele de rochcrs el de ironcs d'arl>res torahe du haut dcs inoniagnes, et vient ecraser leurs ba- taillons. Les chefs, les soldats eifrayes s'arretent , levent les yeux , et voient toutes les hauteurs garnies de lances. Cetle vue les glace d'eftVoij ils n'osent faire un pas centre Romulus ^ ils ne peuvent retQurner en arriere , le prudent Numa leur a coupe le chemin. Enfernies de touies parts dans un champ de bataille etroit , embarrasses de leur nombre^ ecrases sous les rochers que les Rheates et les Sabins roulent sans cesse des montagnes, les allie's, vaincus sans pouvoirccmhattrej jettent Icurs armes et demandent a capiluler. Qui pourrait pcindre la furcur de Leo ? Telle une ligressc d'Hjrcanie lombce dans un piege qu'on a teudu pres de son repaire, et qui se voit enlever ses petits sans qu'eile puisse les delendi^e , rugit, s'agite, brise dans ses dents les nierres qu'elle pent sai- '4 1 58 KUMA POMPILIUS, sir, les broie avec fureur, et devore de ses yeux hrulans rennomi qu^elle ne peut atteindre : de menie Leo sent redoubler sa rage , en entendant les cris de son armee vaincue. Non , non , leur dit-il d'tme voix terrible, tant que Leo vous commandera, n'esptirez pas qu'il consente a une lachete. Marses et Samnites , avant de demander la vie a genoux , ayez Ic courage de me \oir mourir. II dit , et s^elancant a travers les amies, a travers les rocs, malgrc les pierres , malgre les troncs d'arbres qui roulent de la inontagne , il entreprend seul de gravir jusqu'au sommet. Les Rbeates et les Sabins se reunisscnt aussitot dans I'endroit oii il menace d'at- teindre j la ils rassemblent vm amas de rocbers pour les precipiter sur lui. Mais INuma court vers eux et s'j oppose j il fait cesser ce deluge qui allait accabler Ldo: Amis, s'ecrie-l-il , respectez son audace ; j'ai opposi^ I'avantage du poste h I'avanlage du uonibre ; mais k la valcvir d'un seul LIVRE V. 109 homme je n'oppose que ma valcur. Arrete- toi, Leo, je vais I'epargner la nioilic tiu chemin. II dit, et descend d\in pas Iranquille^ repousse loin delui les Sahins qui \eulent raccompagner, et rencontre son terrible adversaire sur une roche aplanie , euvi- ronnee de precipices , et qui ne leur laissait que la place de s'imraoler. La ils s'arrelent lous deux , se regardent sans se parlor : ce silence mutuol semLle et e cause par leur admiration redproque. Les deux armccs cessent tout combat : Toeil fixe sur Leo, sur Kuma , chaque soldat s'o'iblie lui- meme pour ne s'occuper que d'eux seuls j et le hasard, qui plate ces deux Keros sur ce theatre etroii et elevc, embleles donner en spectacle aux deux peuples dontils vont faire le destin. Leo fut le premier qui rompit le silence ; Brave jeime homme, dit-il a Numa, j'es- time le courage que tu fais paraitre , je me decide avec peine a m'e'prouver conlre l6o NUMA POMPILIUS. toi. Pictourne , crois-moi , dans tes batail- lons , et laisse-moi assouvir ma fureur sur des gueiriers moins braves que toi. II n'en est point dans notre armee, lui repond Nam a ^ le dernier des Remains ra'e- gale : et tu vas connaitre bientot si je dois faire naitre ta pitie. li dit , et , «e pouvant lancer son javelot a cause du peu d'espace, il le saisit a deux mains et le pousse de tome sa force dans la poitrine de Leo. Le coup fut terrible j mais la pointe d'acier rencontra la peau de lion a I'endroit oi'i les griffes croisees formaient une triple cui- rasse. Ce rempart impenetrable emousse le fer de Nunia , et la violence du coup brise le javelot dans ses mains. L^o chancelle ; sa colere augmente. 11 leve sa redoutable massue, la fait tourner sur sa tete , et en decharge un coup ter- rible sur le bouclier de Numa. Le bouclier vole en mille pieces : Numa tomhe un genou a terre , et se releve aussilot. 11 a tire son cpcc , I'cpt^e de Pompilius j il n'a plus LIVRE V. iGt qn'clle pour defense. Leo vent I'attcindre <\\in second coup j mais le leger INuma IVvito. Tous deux , les yeux fixe's sur leur arme^ altentifs a leurs mouvemens, tour- nant autour i'un de I'autre , forces de ne pas sorlir d'un terrain horde de precipices, ils s'allongent , ils se replient, se portent cent coups inutiles , evilent cent atteintes mortelles : semblables a deux serpens d'eau, jeles dans un etroit bassin , se liant et se deliant sans cesse sans pouvoir se piquer de leur dard. Enfin Leo , indignc d'une si longue re- sistance, prend sa massue a deux mains , et s'elancant sur son ennemi , il tient la mort sur sa tete. Numa ne peut plus I'evi- ter : il se couvre avec son epee, faible secours qui n'aurait pas sauve sa vie, si Ceres n'eut veille sur lui. Ceres, du haut del'OIynipe_, considerait cet affreux com- bat. Elle voit la massue leve'e , tremhle , vole , et arrive avant que Numa soit atteint. Son invisible bras detourne lecoupj et i/'i. 1 62 NUMA POMPlLirs. Leo , eutraine par Teffort et par Ic poids de la massue , le grand Leo toml)e comme un pin de cent ans deracine par le tonntrre. ]Vuma se prccipite sur lui, d'une nmin il le saisit a la goige, de Tautre il pose sur son coeur la pointe de son t-pee : Ta vie est a moi , lui dit-il , mais jc ne puis donner la mort a un si vaillant guerrier. Viens signer la paix : j'aime niieux etre ton ami que ton -vainqueur. En disant ces mots, I^uraa se leve, et remet son glaive dans le fourreau. Leo , a peine debout , embrasse son gonereux ennemi. Tous deux , se tenant par la main, descendent vers les bataillons marses , oc- cupes deja de nommer des vieillards pour aller trailer avec Romulus. jNfuma , suivi de Leo , les conduit lui- meme au roi de Rome : Nuraa sollicite en faveur des Marses. Romulus accorde la paix. Vous rcmettrez en libertc , dil-il , mon allie le roi de Campanie ,• vous lui rendrez ses tresors et ses capiit's. Quant L I V R L V. l' :» aux tfrres des Auronces , elles seraierit toujours , dans ses mains ou flans les votres , un sujet eierncl de discorde^ elles resteront en mon pouvoir. Pour vous de'- dommager de ce sacrifice, le roi de Capoue vous laissera la ville d'Auxence, et son fils Capis denieurera chez vous en oiage jusqu'a I'execution du traite. Les Marses , plus favorise's par cette paix que le roi de Campanie , I'acceptent fans balancer^ et Romulus, qui devient maitre d'un nouveau pays , compte pour rien les interets d'un allie qu'il meprise. Mais il veut recompenser INuma : Vaillant jeune homme , lui dit-il , tu triompheras a ma place J tu entreras dans Rome sur mon char, a la tete de mon armee : Leo mar- chera devant toi 5 et tu recevras la main de ma fille a I'autel de Jupiter. Grand roi , lui re'pond Numa , c'est a vous seul que le triomplie est du ^ l;i main d'Hersilie suffit a ma gloire. Quant au brave Leo , je nt suis point son vainqueur. 1 64 N U M A P O M 1' I L I U S . Roniains, ce n'est pas sous moi qu'il a succombe ^ Ceres a quitte I'Olympe pour me doniier la victoire. Retoumez vers voue peuple , Leo ^ vous etes libre et invincible, car vous n'avez cede qu^anx immortels. II dit: les Remains etlesMarpescroient entendre parler un dieu. Leo se precipite dans ses bras , le serre contre son sein , en plonrant d'admiration. II veut d(?savouer Niima , ^1 vent avoir etc vaincu. Mais Nnraa rend compte aux deux armees du secours qu'il a regu de Cdres : il remercie hautement la deesse de lui avoir same la vie , et se couvre d'vtne gloire immortelle en refusant celle qu'il ne meritait pas. Cependant la paix est signce. Le roi de Campanie est libre j Romulus a livre Ca- pisj deja des troupes sont parties pour s'emparer du pays des Auronces. Numa et L<^o ne se quittent point sans se jurer une cternelle amitie. Avant de se scparer, ces deux heros se font des prcsens. Numa L I V p. E V. 1 65 fait accepter a son ami le supeibe coursier (Ip Thrace que Tatius lui a donne. Leo pie-sente a Nunia un casque forge par Vulcain , qu'il lient du chef des Samnites : Garde-le toujours , lui dit-il , et garde-moi sur-tout ton amitie^ jete donne ma foi de le consacrer ma vie aussitol que jVn pourrai disposer. Tels furent les adieux de cesdeux ht'ros. Romulus , qui se dispose a reprendre le chemin de Rome, fait montcr HersiJie et iNuma sur le racme char , et vent qu'ils marchenl tous deux k la tele de son armee. IVnma, au comble de ses voeux , ne pent contenir ses transports : il est aupros de cclle qu'il aime; il est sur de la posscdcr. Cetle idee lui ote a la fois et la parole ct la raison. jVuma , convert de gloire, Kuma , le favori de Romulus, le sau veur de I'armee, tremble encore aupres d'Hersilie. II la regarde,et n'osc lui parler j c'est en vain qu'il I'a obte- nue, il ne pcut croire qu'il I'a meritee. L'arraceromainc avail deja repassc le Li- j6u ^'UMA POMP 1 LI us. ris , qnandun covinicr convert de poussicie d email de a grands cris IXuma , et se pre- senie a lui avec un visage haigne de larraes. Nuuia inquiet I'inlerroge , et craint quel- que funeste eveneuient pour Tatius. Je ne "vicns point de Tome, lui dit Tenvoye; je vicns de la foiet sacrce et du temple de Ceres. Lc venerable TuUus n'a pu soutenir voire absence 5 il n'a pu sur-t out soutenir votre oubli ; il touche aux portes du tre- pas , el vous demande la grace de vous voir encore avant de mourir. A celte parole, Numa jetteun cri, s'elance du char ; et , sans se donner le temps , ni de dire adieu a Hersilie, ni de parler a Romulus, il prend un coursier de sa suite, et vole vers la Sabinic. FIN DU CINQUIEMK I.IVRE. S O M ]M A I R E DU LIVRE SIXIEME. JoiEde Tullns en rcvoyant Nuiiia. Soins tendrcs et pieux que lui rend le bcros. Sages conseiii d» j[)onlife. Mort dc Tullns. Douleuret regrets de ISunia. II veul relonrner aupr^s d'Her^ilie. 11 passe dniis uii pays d6vasl6 par cette princessc, et reviei-l 'iBotn*' saisi d'horreur. Discours de Boinulus a son peuple. Reportse de Tatiiis. L'liymcn d'Heisilie elde Nuniy ^'approle. Tatius est assassino. Nnnia le setoiut^ et lui jure d'/']5ouser sa Tille. iGB NUMA POMPILIUS. LIVRE SIXIEME. IN UMA pressait les flancs de son coursier, et suivait en pleurant le corns de TAnio : il fuvait unemattresse adoree au moment de devenir son e'poux : il renoncait aux honneurs du triomphe. Mais ce n'etaient point ces sacrifices qui faisaient couler ses larmes 5 c'e'tait le danger de Tullus > o'etaitle repentir d'avoir presqne oublie ce vieillard , pour ne songer qu'a I'amour. II redoutait les reproches qu'il allait en re- «evoir j il craignait davantage de ne plus le trouver \ivant. Helas ! se disail-il a lui- roeme , si je ne I'avais pas quittc' , j'aurais peut-etre prolonge ses jours 5 j'aurais du moins soulage ses maux : c'etait a moi de reudre a sa vieillesse les soins qu'il avait donnes a mon enfance. Je suis un ingral : ce reproche empoisonnera ma vie j la gloire ne ponira pas uren consoler. Ah I qu'im- 1 LTV RE VI. lOi) porienl Jes louanijes du nionde entier quand noire coLur nous fait un rcproche I Ainsi pailait Numa. II a deja traverse les campagnes de Carseoles. Sans perdre un moment , il laisse derriere lui rainiai)ie Tibur, la cascade dc I'Auio, la foret d'Ere- luui , et il coniuience a decouvrir le bois sacre et le faite du temple. O comLien cette vue lui fait nahre desentimens tristes et doux! Combien son ame est emue en levoyant les lieux de sa naissance I Mais un intei et plus puissant I'entraine ^ il court, il arrive a la maison du pontife, lecherche, le demande, le decouvre enfm sur son lit de douleurs , entoure de pretres ct de pauvres. A cette vue , Numa jette un cri , se pre- cipite , tombe a genoux, saisit la main de Tullus, la couvre de baisers et de larraes. Le vieillard , dent les faibles paupiercs etaient baissees , les releve et apercoit IVuma.... Aussitot un rayon celeste semLle descend re sur son front j ses yeux s'ani- i5 ment , son visage se colore : O mon His ! s''(^crie-l-il ^ mon clier Ills, je te revois , les dievix ont exaucc ma priere I Vitns te Jeter dans mes bras: viens, hate-toi^ je crains de niourir de joie avant de t'avoir cmhras?c. Eu disant ces mots , il se souleve avec peine , et tend a Numa ses mains tremblanies. II le saisit , il le presse contre sa poitrine . il ne peut plus ni lui parler, ni le dc^tacher de son sein. Le jeune homme, qui baigne de pleurs la longuebarbe blan- che de son pere , ne lui repond que par des sanglots. La secoussc qu'eprouve Tullus epuise ses faibles organes. II retombe sans mou- vement , pvesque sans vie , mais tenant toujours la main de INuma. On s'empresse autour du vieillard j la voix de son fils le ranime j il ouvre les yeux. A peine a-t-il recouvr(i I'usage de la parole, qu'il or- donnc qu'on le laisse seul avec son (lis. Alors renibiassaiit de nouveau : Tu m'es done rendu ! lui dit-il. Ah I que les dieux ipreseut disposent de mes jours j que la L I VRE VI. 171 cruelle paique en coupe la tvame : je t'ai revu, je meurs content. Si j'avais plus de nioracns a jouir de la presence , je pourrais te (aire quelques repioches j mais ie peu d'heures qui me restent ne «uf{iront pas pour ma tendresse. Ne parlons que d'elle et de toi. Raconte-nioi , mon flis , raconte- nioi ce que tu as fait : le bonheur t'a suivi saiis doute^ car tu n'as pas eu le besoin de me confler tes peines. Apprends-moi tous tes succes : ce recit reUendra moa ame fugitive, ou du moins ma mort sera plus douce , si les derniers mots qui frappent mon oreille sont Tassurance que je te laisse heureux. All I mon pere , lui repond Numa, il n'est plus de bonheur pour moi, si les dieux ne prolongent pas voire ■vie, s'ils re I'ac- cordcnt pas a mes larmes, au repenlir, a la douleur oii je Fuis d'avoir pu vous aban- donncr , d'avoir pu oublier mon pere , et Tu rae paries loujours de moi , inter- l'J-2 NUMA POMPILIUS. rompt le vicillard , tandis que toi seul ni'interesses. Tu ne ni'as point oublic , puisque tu m^ainies, puisque tu m'aimas toujours. Je suis content de ton coeur^ ne sois pas plus difficile que ton ancieu niattre. Paile-moi de nion Ills : voila le plus pressant besoin de mon anie. Si tu as conimis qMebjues fautes , ne crains pas de me les reveler: tu connais ton pere, ce n'est pas au iiioment de le quitter que tu le trouveras plus rigide. En disant ces mots il tend la main h ]\uma j malgre les dn\ileurs aigurs qu^il eprouve , il le regarde avec im tendre sou- lire. La rongeur du jeune lieros se dissipe pen a pen j ses traits reprennent leur sere- iiile , ses yeux noyes de larmes se tournent vers le vieillard avec douceur et avec con- fiance : ainsi la rose vermeille dent uu orage a courbd la tige releve doucement sa tcte bumide nux premiers rayons du soJeil. Alors Numa raconte =on airivec dans LI VRE \ I. l-^^ Rome , I'accueil qii'il recut du bon roi , ramour brulant qiii le consume , et tout ce que cet amour lui (It enlreprendre. La simple verile preside a son recit : Wuma se reconnait coupable de n'avoir pas suivi les conseils du pontile , et d'avoir quitte Tatius^ il ne cherche pas a deguiser ses fautes , il oublie plutot ses exploits. Tullus I'ecoute, etne seut plus ses maux . sa tendresse suspend ses douleurs. Mais il leve les yeux vers le cicl , en apprcnant qu'Hersilie enflamme le coeur de J\uma : Cruel Amour , s'ecrie-t-il , je reconnais Lien la tes coups ! tu fais briMer ce \er- tueux jeune liomme pour la fille de ce roi impie qui nous forca , par la plus cnielle injure , de devenir ses allies , qui se servit du nom des dieux pour noiis atti- rer dans le piege , pour plongcr la Sabinie dans I'opprobre et dans le deui! I O mon clier fils ! de quels perils je te \ois envi- ronne I tu te ciois au comble du bonheur, parce que Pioraulus t'a promis sa fille,- et nioi , je pleure sur les maux affreux quf i5. POMTILIUS. va ranser cet bymcuee. A peine seras-tu Je genclrc de Pioinnlus , que lu perdras I'aniour des Sahius : tu seras suspect a Tatius rneme ,• Ui deviendras peut-etre son ennenii. Car ne te flattc pas de voii- durer toujours I'intrlligence qui subsistc entre les deux rois^ la haine \it au fond de leurs copurs : la moindre elincelle fera eclater I'incendie ^ alorii tu seras force de choisir entre le pere de ton epouse et le parent , Tarai de ton pere ^ entre ton roi legitime, le plus iu<;te, le plus vertueux des homnies, el un roi de brigands qui n'a jamais connu de droit que la force , de vertu que la va- leur, dont le premier exploit fut d'egorger son frere, et qui scella son alliance avec ]es Sabins par le sang de Ponipilius Tu fremis I Voila povirtant quel est celui que tu dois appeler ton pere. Dieux im- niortels I dctournea mes funestes presages, ou arrachez. de ce ca;ur innocent le trait empoisonn(? qui doit dctrnire en lui la vortu , la picto , Tamour sacre de la pa- trie 1 LIVRE VI. 171 AJnsi parlait le Tieillard. Nuraa, les yeux baisses , n'osait repondre : le seul nom de Pompilius I'avait interdit. Tullus a pilid de sa douleur : il craint de trop Fafdiger par ses reflexions severes 5 et , rompant ce penible entretien , il remet a un autre instant les verites qu'il veut encore lui dire. Ainsi le disciple d'Esculape divise le remede salutaire , niais violent , qui doit guerir son faible malade. Des ce moment , Numa se charge lui seul de tous les soins qu'on rend au pontife. Le joJir, la nuit, toujours a ses cotes, toujoius occupe de I'espoir de le sauver, ou de la crainte de le perdre, il veille sur tous ses instans , il souffre de tous ses maux : la tendre mere qui garde son fils au lit de la mort n'a pas plus de zele , plus d'attention, plus de patience que Numa. Si Tullus prend un breuvage, c^est de la main de son fl s ^ si Tullus dit une parole , c'est toujours son ills qui rcpond. II le plaint et Tencourage . devore ses pkurs 17^ NUMA POMPILIUS. pour lui sourire , affecte sans cesse une joie , une esperance qu'il n'a pas. II rem- plit a la fois pres de lui I'office d'anii , de fils , d'esclave ; il suffit seul pour tous ces devoirs j et le vainqueur de Leo n'a pas trouve dans sa victoire un plaisir si doux , si touchant pour son ame , qu'il en eprouve a servir son bienfaiteur. Mais en pen de jours le mal augmente j la dernihe heure de Tullus approche. Ce momement n'a rien qui Tcffraie : le vent?- rable pontifc a toujours vccu pour mourir. A chaqr.c moment de savie, il a toujours cte pret a paraitre devaut le redoutahle jugej tous ses jours se sont ressemble'sj I'instant qui va finir ses maux va com- . mencer sa recompense. II nVt oocupe que de Numa^ il fait eloigner tous Ics temoins, prcnd sa main qu'il serrc dans la sienne , et lui dit ces paroles : Mon flls, je vais mourir. Les soins que tu m'as rendus ont fait plus que t'acquilter envers moi : c'est Tidlus qui te L I VRE V I. J "-^ doit de la reconnaissanco j il est doux pour liii d'emporter au tombeaii ce sentiment. Mais dans line lieure je n'aurai plus herein de Numa, etNuma aura peut-eUe bientot Lesoin de Tullus. O men filsl que cette idee me rend la mort douloureuse ! Ton amour pour Hersilie remplit mes derniers momens d'amertiune et d'efiroi. Ton coeur s'est abuse , n'en doute point : presse du Lesoin d'aimer, il s'est enflamnie pour le premier objet quii'a seduit, et d'un court moment d'ivrcsse il a fait une longue er- reur. Numa , il est deux amours nes pour le bonheur et pour le malheur du monde. L'un , le plus commun , le plus brulant peut-ctre, est celui qui te consume. Son empire est fonde sur les sens ; il nait par eux et vit par eux : il n'habite pas noire ciieur, il coule dans nos veines; il n'eleve pas notre ame , il la subjugue ^ il n'a pas besoin d'estimer, il ne desire que de jouir. r,Ht amour meprisable n'a rien de com- mun avec nofre anie : juge si la fciicite peut venir tie lui. Non , mon ills, les dieux ne lui ont donne de pouvoir sur les hommes que pour humilier leur orgueil. L'autre amoiir, pi'esent celeste, nait de IVstinie, et vit par elle. II est moins passion que verlii j il n"a point de transports fou- gueux , il ne connait que les senlimens leudres. Ceiui-la reside dans Fame ,' il Tcchauffe sans la consumer, Tcclaire et Tie la bruje pas : il lui fournit la seule nourriture qui lui soil propre, le desir d'aiteindre a toutes les perfections. Ses plaisirs sont toujours pui'S ; ses peines memes ont des chaimes. Au milieu des plus grandes soutfraaces , il jouit d'une douce paix ; c'est cetle paix qui senle rend heureux. Tu I'eprouveras , mon His; tu sentiras que les hnnneurs, les rlciies;f,es , la volupu', la g'oire meme, ne remplacent point cetle paix que donne la seule inno- cence ^ la vieillcsse , qui deiruit tout , feemble en augnienier la douceur. L 1 V R E \ I . i - [if C'est h toi , moji fils , de me dire au- ijuel de ces deux amour«; ressemble celui que tu sens. O Nuraa , crcis uu pere qui t'aime^ qui ne regretle de la vie que le plairir de veiller sur ton bouheur. Tu ne le trouveras jamais, ce honheir, tant que tu ne pourras commander a tr ?- tueme , lant que tu n'auras pas sur tes pass-ions un empire souverain. Garde-toi sur-tout de penser que cet empire soit impossible a notre faiblesse. Descends dans toi-meme, men filsj tu trouveras toujours une vertu toute prete a combattre le "vice qui veut le seduire. Si la beaute enflamme tes sens , la sagesse est la pour te d^fendrej si de trop grands travaux le la-^sent, le courage vient te soutenirj si I'in justice te rcvolte , I'amour de Pordre te rend soumis ^ et si le malheur traceable, la patience vient a ton secours. Ainsi , dans toutes les situations de ton ame, le ciel t^a muni d'un consolateur ou d'un soutien. Proflte done des bienfaits du cr^ateur, et cesse de te croire faible, pour te reserver le droit de tomber. 1 OO N u r.i A P O M r I L [ u s. Mais je sens que la niort s'approche, et que ma voix va s'eteindre. O uion cher Ills I je t'en conjure, ctouffe un fatal amour qui doit te rcndre a jamais malheureux. Je n'ai plus qu'un mot a te dire : tu con- \iens toi-menie que cette passion, a peine naissante , te fit oublier TuIIus j qui peut te repondre qu'elle ne te fera pas oublier la vei'tu? J'ai \u que tu m'aimais autant qu'elle ! Telies fuient les dernieres paroles de Tullus. II expira bientot dans les bras de ]\uma, enluiparlant encore de sa tendresse, en lui adressant son dernier soupir. Quelque prevue que fiit cette mort , elle pensa couter la vie an ills de Pompilius. II fallut Tarracber de dessus le corps du pontife j il fallut veiller sur son desespoir. Epuise par les veilles , par la douleur, noye dans les larmes , se refusant loute nourri- ture , INuma voulut porter lui-nieme sur le bucher le corps de son bienfaiieur. On le ■vit s'avanccr a la tete des prctres et de tpus les habitans de la Sabinie, pule, have, LI V R !■ V K ;.'i baigne de pleurs , chargi'; de ce fardeau si clier. II le po=e sur le hucher, il le regarde loug-temps d'un oeil fixe , I'enibrasse mille fois, et ne peut se resoudre a s'eii eloi- gner. O nion phe, sYcriait-il avec des san^ glots , je ne vous reverrai done plus ! je ne vous reverrai done jamais I Cette bouclie ne na'assurera plus de voire amour I ces ycux ne sc rouvriront plus pour me re- garder avee tendrespel O dieuxl quini'avieT. deja priv6 des auteurs de roes jours, pour- quoi me faire eprouYer deux fois cet affreux malheur? Oui , c'est aujoura'hui que je perds encore et Pompilius , et raa mere , et mon maitre, et nion hicnfaiteur ; tous les biens que le ciel donne a fhomme pour le soutenir, pour le consoler, tous me sont ravis dans Tullus. La terre est vide pour moi : je n'y retfouverai plus Tullus ! Venez, venez vous joindre a moi, vous pauvres , vous infortiinds , qui restez aiissi orphelins j notre malheur nous rend fr^res : venez, venez baiter encore ces restes froids et 10.1 NUMA POMPILILS. inanimes du bon pere que nous avons perdu. A CCS mots , tous les pauvres s'avancent, tous les Sabins jettcnt des cris. On ne peut plus distingvier de paroles , on n^entend que des sons inarlicules , de profonds gc- niissemens. lis redoublerent des que I'on "vit la flamme s'elever en ondoyant, IXuma, par un mouvement involonlaire^ sV'lance pour reprendre le corps ^ mais on I'arreic , et le feu a bientut consume la depouille mortelle du plus juste des homnies. Alors un profond silence succede aux cris dou- loureux. Les Sabins, les pretrcs , Numa lui-iueme , regardent d'un onl morne cet amas de cendres , seul reste de celui qu'ils pleureni : tous cousiderent avec une dou- leur muette la poussiere de rhomme de bien. Cepcndant on cteint avec du vin les restes du bucber : on recueiile la cendre deTullus, on la depose dans une urne ^ Numa la porte dans le nienie caveau , sur la memc tombe ou repose I'urne de sa LIVRE VI. 1 8: mere. Soyez unies , dit-il , cendres que j'adore^ soyez-Ie apres le trcpas, comme les ames qui vous aniaiaient Telaicnt pen- dant votre vie. Puissent ces ames pures el heureuses se feliciter dans FEIysee , sinon des vertus de leur fils, du moins de sa tendresse et de sa piete I Alors il coupe sa longue chevelure blonde, et la consacre aux manes de Tullus. II immole dix brebis noires a TErebe. Ce sacrifice finit des fune- railles si touchantes. Apres avoir rerapli ces tristes devoirs, Numa se met en marche pour rejoindre I'armee , meditant les conseils de Tullus. Mais cVst en vain qu'il s'avovie a lui-meme la veritc de ses avis, les dangers dont il va s'entourer, la douleur qu^il va causer a Tatius et a son peuple ^ c'est en vain qu"il eprouve une secrete horreur, en songoant qu'il sera le gendre de celui qui causa la mort de ses parens ; I'iniage d'Hersilie , la crainte de la voir passer entre les bras d'un rival, tous les transports de I'aiaour, tons J 84 IV U T\I A P O M P 1 L { t S. les toiirmens de la jalousie , se leunissem pour Fempoiter sur sa piete , sur sa raison. !Nunia geiuil de desobeir aux deriiiers pre- ceptes du poiiiile: il conjure, en pleurarit, ses uiancs dc iui pardouner lant de fai- hlesse; car,depuis la raortdeTullus, Numa crut tou jours que son ombre etait le Icitioiu assidu de toutes ses actions , de scs pkis secretes penseesj et celte crainte salutaire ltd valul de nouvellcs vevtus. Numa esperait retrouver I'armee sur les frontiercs des Herniques : mais il apprit a Tr(^l)ie que Romulus, avec la moitie de ses troupes , etait alle snrprendre Pr^neste , tandis qu'Hersilie , avec Fautre moitie, marcliait com re le roi des Herniques. Le refus qu'avait fait < e prince de laisser passer les Ftomains quand ils allaicnl aitaquer les Marses avail spml)!o un outiage k rimplacaltle Romulus : il avait prescrit a sa {illed'en prendre une affreuse vengeance. La cruelle princesse ne Iui avait que trop ob«i. LIVRE V I. *i8j IVnma , qui'croit voir des dangers dans I'expedition d'Hersilie , brule d'etre aupres de son amante ; il inarche le jour et la nuit pour la rcjoindre plus tot. Quelle est sa surprise , quelle est sa douleur, en mettant le pied sur les terres des Herniques ! Her- silie a marque son passage par la ruine ct la desolation. Ses faibles ennemis ont fui devant elle ; Hersilie les a poursuivis le fer et la flamme a la main. Les epis couches sur la terre ont ete broy^s paries pieds des clievaux j les arbres sont coupes a hauteur d'homme, leurs branches dispersees at- testent par quelques fruits leur ancienne fcrtilite : les villages reduits en cendres fument encore de Tincendie. Le glaive a immole totis les habitans qu'on a pu at- teindre : le cadavre du lahoureur est aupres de sa charrue brisee : la mere depouillee et meurtrie tient son enfant mort sur son sein : I'epoux et I'epouse egorges sont etendus Tun aupres de I'autre ^ leurs bras sanglans et roidis sont testes entrelaces : 16. l8tJ ' NUI.IA POMPILIUS. de longs luisseaux de sang vont se pcrdre dans des monceaux de cendres^ et des vautours affames , seuls eires \ivans dans ces demeures desolees,se disputent a grands cris les affreux presens d'Hcrsilie. O dieux immorlcls 1 s'dcrie Numa j et voila celle donl je serais I'cpoux 1 et voila la pompe de mon hymenee 1 Hersilie ! est-il possible que vous ayez commis ces horreurs? Romulus les a-vait prcscritcs : mais elait-cc a sa lillc de s'en chargei ? Ah I quel que soit le respect que Ton doive u son pcre , a son monarque , on en doit davanlage a soi-nienie , a I'humanitc ^ et quaud un roi ordonne le crime, on meurt pluiot que d'ohcir. Et moi, qui venais la defendrc j moi , qui volais pour la secourir, jc ne marche que sur ses victimes 1 ]e foule une lerre humide du sang qu'elle a rcpaudul Execrable droit de la guerre , voila done ce que lu permetsl -voila cc qu'ont produit mcs exploits, ct les suites de cclte gloirc pour laqucUe j'ai tout quiltcl Oui , j^ni L 1 V R E V 1 . 1 <■' 7 oul)lieTiiilus , )\ii aLanaonnc Taliiis, pour lievenir le compagnon dcs tigres qui ont verse tant cle sang : j'ai cgnlc Irur furcur dans les combats j et je mc suis cm un heros I O Tullus ! pardonne-moi ccUe atTieuse erreiir : je la rejetle a jamais de mon ame. L^ vrai ln'ros est celui <|ui di'- fend sa patrie attaquee : mais le roi , mais le guerricr qui rcpand une seulc goutte de sang qu'il anrait pu epargner , n'est plus qu'une bete ferocej que les homnies louent, parcequ'ils nc peuvent Fenciiainer. Numa s'tloigne alors de cetfe scene de carnage; il renonce a suivre les tratcs d'Hersilie , de peur d^avoir e-more a rougir de son amante. II revicnt sursespas, sort du pays des Hemiques j et, le foeur flctri , humilie d'etre un guerrier^ il prend le cliemin de Rome, DeJH touie rarnicc y etait rentrce. An nioiiicnt de I'arrivee de Numa, Romului; remcrciail les dicux au Capilole de tout le mal qnil avail fait aux homines, et. iSS NUMA POMPTLirs. s'cfiorcait, pour ennoblir ses cruautes, d'v associcr les immorlels. Numa se rend au Capitole, oVi Tat ins , sa fille , et les Sabin^ , assistaient au sacri- fice. II inonle. Du plus loin que le bon roi Tajiercoit , il court aussi \ite que son age le lui perinet , et presse dans ses bras le fils de Pompilius. Le vieillard pleure de joie de le revoir : il pleure bientot dc tiistesse en apprenant la mort de Tullus. O aiallieur de la vieillesse! s'ecric-t-il j ■on survit done a lout ce qu'on aiine ! Numa, ]e a'wi plus que ma fille el toi j je vais reunir Sur yous deux lous les senti- mens de nlOn amc : j'ai du moins I'heu- reuse esp^jance de finir nies jours avant vous. En- disant r;eb mots , il prend la main de ga Kile, la joint ^ colle de Numa, et les ,srne contre son cotur. Talia rougitj elie gent trembler sa main en toucliant celle de Numa 5 elle baissc les yeux vers la lerre, f:t n'ose regai'dcr Ic hcros. LI VRE VI. 189 Mais le lieios cherchait Hcrsilie , il la decouvrcaupres fie Rom ulus.Cettevue rend a son amour loute sa force , loute ca vio- lence , et detruit en un moment I'elTel des conseils deTulliis. Numa se hale de rendre au bon roi scs tendres caresses , ct , se di- gageanl de ses bras , saluant froidement sa fllle , il se presse de joindre Romulus. Le roi de Rome I'embrasse ; il le presente a son peuple, etcommande le silence. Romains, s'e'orie-l-il , vous m'avez vu triompher j niais cV'tait a Numa de triom- pher a ma place : c'est a ]\uma que je dois ma victoire. Je lui donne pour recompense celle que tant de rois ont Yaincment de- mandee , celle qui dedaigna tant de heros , ma fille. A cette parole, les Romains poussent des oris de joie : les Sabins gardent un mome silence j Tatius demeure immobile, comme un homme qui vient de voir tom- ber la foudre a ses pieds j Talia palit , en se rapprochant de son pere, Hersilie la I go NUMA POMPILIUS. I emarque , et fixe sur elle des yeux nie- contens. IVuma, couvert de rougeur, pro- mene des regards iuquiets sur Tatia , sur Hersilie , sur les Sahins , sur Tatins. Romulus , sans etre emu , continue : Dcniain cet auguste hymence s'accomplira sur cet autel charge des depouilles de I'lla- lie , je le consacrerai par des jeux solen- nels qui dui'cront dix jours. Au mot de jeux , les Sahins se regardent en froncant le sourcil , Tatius leve les yeux au ciel , Numa baisse les siens vers ]a tcrre. Romains, poursuit Romulus, apres avoir acquitte les dettes de la reconnaissance , je m'occuperai de nouveau de vos inlerets. Je viens de conquerir le pays des Auron- ces , m^is cetle augmentation de votre ter- ritoire vous doit eire peu avantageuse, lant quevous en serez separcs par les Volsques. II est un moyen de la rendre utile , c'est de soumettre les Volsques ; dans dix jours je marche conlre eux. Romains, vous ctes BOS pour la guerre : vous ne pouvcz vous LIVRE VI. IQT agrandii- , vous soutenir merae , que par elle. La paix serait pour vous le plus grand des tleaux : elle amollirait vos courages, elle affaiblirait vos bras invincibles. Jugez de I'avautage que vous aurez toujours sur les aulres nations , lorsqne , ne quittant jamais les arme"?, vous perfectionnant sans cessedans Fart difficile desheros , vows atta- querez un enuemi enerve par une longue paix: quand meme, ce qui est impossible, son courage serait egal au votre, il ne pourra vous opposerni des forces ni uneexperience cgales. Avant que ces faibles adversaires se soient aguerris en combattant contre vous . nvant qu'ils aient appris de vous I'art ter- rible dans lequel vous serez maiires, ils seront defaits et soumis. Ainsi, atlaquanl tour-a-tour tous les peuples de I'ltalie, les divisant pour mieux les vaincre , vous alliantavecles faibles, et les accablant apres vous en etre servis, vous parviendrez en peu de temps a la conquele du monde ^ promise a Rome par Jupiter. Toutes les 19'^ yiTMA POMP I LI US. voies sont pemnlses pour acconiplir les ■volont.es des dieux; et la victoire jii'-tiile tous les moyens qvii I'ont procurce. I\o- niains, ne songez qu'a la guerre ^ quVile soil votre unique science , votre seule occupation. Laissez , laissez les autres peu- ples cultiver un sol ingrat qu'ils arrosent de leurs sueurs ^ laissez-les s'occuper du soin d'acquerir des tiesors parlecommerce, par I'industrie , par toules ces ■viles inven- tions de la faiblesse : vous moissonnerea le ble qu'ils sement , vous dissiperez les ricliesses qu'ils amassent. lis soni les enfans de la terre^ c'est a eux de la cultiver : vous eles les Ills du dieu Mars ^ votre seul me- tier c'est de vaincre. Romains , guerre ciernelle avec tout ce qui refusera le joug. L\inivers est votre heritage , tous ccux qui I'occupent sont des usurpaleurs de vos biens: n'interrompez jamais la noble tuche de reprendre cc qui est a vous. Ainsi parle Romulus : Tarmce applau- dit, le peuple mnrroure. On entcnd dans LI V RE V I. 19^ I'assemblce un bruit semblable au bour- donnement des abeilles quand elles sorlent du fond d'une roche que Ton veut de- pouiller de son iiiiel. Tatius se recueille un moment , regarde le peuple avec des yeux altendrisj et, de- bout sur le tribunal oi\ ii siegeait \is-a-vis de Romulus , il leve son sceptre d'or, en demandant qu'on I'ticoute. Son air ve'nc- rable , ses cheveux blancs, la bonle , la douceur, peintes dans ses yeux, impiiment un saint respect. Romulus, inquiel et sur- pris, jette sur lui des regards faroucbes 5 ses sourcils noirs se rapprochent , la col eve est dcja sur son front. Tel, dans Tasserablee des dieux , le terrible Jupiter regarderalt Saturne s'opposant a ses decrets. Roi , mon cgal et mon coUegue , lui dit le bon Tatius , il n'estpas un seul Romain qui admire plus que moi ta valeur , les talens guerriers et ton amour pour la gloire. Je jouis de tes triomphes autant que toi- nieme , et j'aime a me rappeler que , dans 17 194 NUMA POMPILIUS. le long cours de ma vie, je n'ai pas vu de heros que je puisse le comparer. Mais ce beau litre de heros ne sufflt pas quand on est roi : il en est un plus doux _, plus glorieux , c'est celui depere. Regarde cette portion de tes sujets revetus de cuirasses et armes de lances , ce sont tes enfans sans doute , et tu les traites comme tels : mais regarde cette porti®n , dix fois plus nora- breuse , couverte de miserables lambeaux , parcequ'au lieu de se \etir ils out paye ces cuirasses brillantesj ce sont aussi tes enfans , et tu les traites en ennemis : tu leur enleves leur pain , leurs flls , leurs epouxj tes lauriers sont baignes de leurs larmes , chacune de tes victoires est acbe- lee de leur substance et de leur sang. Romulus , il est temps de les laisser res- pirerj il est temps que tu permettes de vivre a ceux dont les peres sont morts pour toi. Cesse done de faire cgorger des hommes , cesse sur-lout de dire que c'est pour accomplir les decrets des dieux. Les LIVRE VI. IqS (lieux ne peuvent vouloir que le honheur dcs hvimains : leur premier don fut I'age d'or ^ et quand TOIympe assemble donna la victoire a Minerve, ce fiit pour avoir produit I'olivier. Un seul de ces dieux , Satume , a ri^gn^ dans Tltalie : Souviens- toi comme il regna ^ imite-le , et ne ca- lomnie plus les immortels, en disant qu'ils ordonnent le carnage. Tu pre'tends que les Remains ne peuvent subsister que par la guerre. Montre-moi done une seule nation qui subsiste par cet afireux mojen j et dis-moi par ou sent peris les peuples qui ont dispam de la face du monde. Est-ce par la guerre que la nialheureuse Thebes a conserve sa gran- deur? Elle vainquit cependant les sept rois de I'Argolide, et sa victoire causa sa mine. Est-ce par la guerre que tes ancetres les Tro^ens ont maintenu leur puissance en Asie? La guerre est la nialadie des e'tats : ceux qui en souffrent le plus souvent iinissent par succomber. Roi, mon col- 19^ ^ ty M A p o iM r I L I u s. legue, je len coiijm-e au nom de ce peuple qui a tant prodigtie son sang pour toi, laisse a ce sang le temps de revenir dans ses \eines epuisees. Personne ne nous attaque ; tes conquetes sont assez grandes : occupons-nous de rendre heureux les peu- ples que ton Lras a soumis. Helas! malgre ma vigilance, je ne puis suffire a punir toutes les injustices, a soulager tous les infortun^s : aide-moi dans ce noble emploi. Parcourons ensemble nos etats , deja si grands par ta vaillaHce : et quand nous aurons secht^ tous les pleurs , enrichi tous les indigens , quand enfin il n'y aura plus de malbeureux dans notre empire , alors je te laisserai partir pour en reculer les fron- tieres. II dit : Romulus fremissait 5 tout le peu- ple poussait des cris, Tarmce mcme ctait emue. Romulus se prepare a repondre^ jnais Ton pent juger ;\ son air que ce n'ost pas pour accorder la paix. Tout-a-coup le peuple se presse , arrive en foule pres dJuma n'avait pas os^ suivre Hersiiie. Appuyc contre une colonne, Ies ycux baisses, pen- sif, comparant en lui-meme Ies vcrtus du LIVRE VI. 199 Tatius avec les fureurs de celui qui allait tievenir son pere , il Jenieurait ei>seveli dans une profonde reverie. Tatius f/'ap- proche delui : Gendie de Romulus, dil-ii en lui tendant la main , \eux-tu ine faire aussi la guerre ? Ces paroles font couler les ple.urs de IVunia j il tonibe aux gcnoux du bon roi : O mon pere I sY-crie-t-il , je n'ose vous euvisager J pardonnez. . . Je te pardonne lout , interrompit le ■vieiilard , si tu me promets de m aimer to\ijOurs.. Tu as dispose de loi sans me le dire ^ tu as conlrai:le une alliance pen agreable a nos Sabins ^ je doufe que I.0 venerable Tidlus te I'ait conseillee ^ mais cnlin , si elie te rend heurevix , nous des- vons tons rapprouver. J>»umH , ,j^ \oulais etre ton pere j c'est Romulus qui jouira de ce bonheur : je ue puis te caclier que jc le lui envie. Ah ! s'^ n'en reraplit pas bien les tendres fonttions , si son ca ur ue icnt pas assez le prix d\m nvxu ([ui m'cut 200 NUMA POMI'ILIUS. ete si doux , Numa , mon sein patcrnel te sera toujours otiVert^ et Tatius te devra de la reconnaissance si tu le choisis pour ton consolateur. En disant ces mots , il s'eloigne , et laisse JNuma interdit , plein de trouble, de rc- mords et d'amour. Numa , dans cette agitation , espere trouver du calme aupres d'Hersilie : il court au palais de Romulus ^ il voit les apprets de son hymcnce. Cette vue le transporte de joie : mais cette joie n'est pas pure j un sentiment de crainte la corrompt. II parle a celle qu^il aime j il entend de sa bouche I'aveu qu'il en est aime j et le ra- vissement que cet aveu lui cause ne peut cliasser de son coeur un secret elfroi qui le glace. Il contemple Hersilie ^ il trouve dans ses yeux I'amour, mais il ne peut y trouver la paix. ]Vuma se tourmente , s'agite , il se rt^pete cent fois que le lendemain est le join- de son bonheur : vme voix s'oleve au fond de son ame, et lui crie que le bon- LI VRE V I. !20I hear est loin de lui. Cette voix lui fait des reproches. Numa s'assure en vain qu'ils ne sont pas merites j son coeur desavoue tou- jours les raisons que son esprit lui donne. En fin , accable de soucis, glace de crainte , consume d'amour , il porte ses pas vers le bois d'Egerie , ou il trouva , pour la pre- miere fois, celle donl il va devenir I'epoux. II veut revoir ces lieux chers a son ame j il se rappelle le songe niysterieux quil a fait : il espere qu'en portant ses voeux au temple de Miuerve , cette dtesse lui rendra ce calme dont il sent qu'il a tant bcsoin. II marche 5 le jour etait sur son declin. A peine a Tentree du bois, l\uma entend des cris plainlifs : il croit connaitre cetle voix mourante ; et le glaive a la main , il vole a ces douloureux accens Quel spectacle frappe sa vue I Tatius mourant sous les poignards de quatre assassins. ]Vuma jette un cri , et immole deux de ces sceierats \ les autres epovivantes prennent la fuite. Mais Tatius est frappe , son sang 202 NUMA POMPILIUS. coule en abondance : le malheureux vieil- lard n'a plus qu\in instant a vivre. IVuma I'embrasse en poussant des ciis ; il visite ses blessures , dechire ses habits , etanche le sang , soutient le bon roi, le souleve , et veut le porter jusqu'a Rome. Arrete I arrete I mon fils , lui dit Tatius : tes soins me sont inuiiles ,• je sens que je vais expirer. Je remercie les dieux de rendre mon dernier soupir dans tes bras. !Numa , je meurs des coups de Romulus. J'ai reconnu les meurtricrsj ils sont du nombre des C^leres ^ et , en me frappant , ils m'ont dit que c'etaient la les prcniices de la paix que j'aTais piocuree aux Ro- mains. Ton amour pour Hersilie, ton al- liance avcc mon assassin , te defendent de venger ma mort ; mais j'attends de toi unc grace plus ch^re. II me reste nne fille, IVunia, telle iniortundc n'a plus de parent, n\i plus d'appui que toi scul. La noblesse de sa race , ses droits au trone des Sabins , la rendront ciimiuelle aux yeux de Ro- LIVRE VI. 20a mulus : si tu ne la defends , elle pciit , Jure-moi done, omon cherfils! deveiller sur les jours de ma flUe, d'etre son pro- tecteur, son soutien, de lui lenir lieu de frere. Ht^lasI j'avais espere qu'elle t'ap- pellerait d'un autre nom : des le premier instant oi!i je te vis , j'avais form^ le proje t de te donner Taiia , de te placer sur mon trone , de vieillir entre vous deux sans autre dignite quecelle devotre pere. Douce illusion trop tot detmite , et qui rendrait mon sort tranquille si elle m'abusait en- core I Ah ! du moins , ne refuse pas ma priere j prends pitie d'un vieillard mou- rant, qui fut ton parent, ton ami, I'ami de Tullus et de ton pere. Numa , j'em- Lrasse tes genoux j sois le defenseur de ma fille j pi'omets-moi de sauver ses jours , de veiller Jevous jure,interrompt IVuma fondant en larmes , et je prends les manes de ma mere et celies de Tullus pour garans de monserment^ jevous jure d'ex^cutcrvolre 204 NUMA POMPILIUS. volonle premiere, de devenir I'^poux de Tatia , de vivre , de mourir pour elle , de partager tous ses perils, et de detester a jamais la famille de votre meurtrier. J'en ctais sur! lui repond Tatius avec un transport de joie. Enibrasse-moi, vertueux jeune liomme : je compte sur ta foij je meurs content. II dit, serre IVuma, et expire, ]\uma s'evanouit sur son corps. FIN DU TOME PREMIER. CEUVRES DE FLORIAN. Zi». m. ( ;■ l.u, l,or Ivra notiv aut.-' NUMA POMPILIUS. SECOND ROI DE ROME. PAR M. DE FLORIAN, De rAcaderaie fran^aise , de celles de Madrid , Florence , etc. TOME SECOND. ^ PARIS, Chez H. NICOLLE, a la Librahie stex^type , I lue de Seine, n** 13. 1809. NUMA POMPILIUS. LIVRE SEPTIEME. SOMMAIRE DU LIVRE SEPTIEME. NrMA rapporle a Rome le corps deTatius. D6s- espoir de Tatia. Numa veut accomplir le serment qu'il a fait k son roi. Romulus le lui defend. Her- silie vient trouver Numa : ses larmes , ses menaces ne I'tbianlent point. Fun6railles du bon roi. Mort de Tatia. Revoke des Sabins. Precaution barbare de Romulus. Numa se d6voue pour son peupU. II est lannj de Rome. II rencoulre Ldo. NUMA POMPILIUS LIYRE SEPTIEiAIE. La nuit avail deja r^pandu ses voiles sombres lorsque Numa reprit ses sens. L'aspect du cadavre sanglant de Taiius le glace d'une nouvelle horreiir, et hii rap- pelle le serinent qu'il a fait. Sans se re-* pentir, sans se plaindre , il ne songe qu'a ce qu''il doit au bon roi. Craiguant que son corps ne soit enlevd s'il Tabandonne un seulinstant , il le charge suraes ^panics, et regagne la ville ^ pa? leuts. Arrive aux premieres gardes, il appelle des soldats sabins , leur reuiet son fardeau , leur or- donne de le pointer avec respect jusqu'au palais deTa'ia.; et , d'un pas rapide , il les prdcede , pour preparer cette malheureiise princesse a Faffreuse nouvelle quelle doit ,apprendre. Heks I la tendre Tatia , inquiete de Fajs- '> KXJMA PDMPILIUS. sence de son pere, semblait prevoir son hialheur. Seule, a la lueur d'une lampe, filant un vetement de pcurpre pour le plus cheri des rois , cent fois elle inleirompait son ouvrage, pour compter, en soupirant, Jes heures ecoulces depuis qu'elle n'avait vu Tatius. Mille funesies presages venaient refiVayer y une terreur secrete glacait son amej sa main laissait ecliapper ses faseaux ; ses yeux tristes et mornes s'atlachaient a la terre. Tout-a-coup Nvxma parait devant elle. La donleurpeinle sur sou front, ses pleurs, ses vetemens souilles de sang , tout re- double I'efTroi de Tatia. Elle sc leve trem- blante ^ elle n'ose I'interroger. Fille de Tatius , lui dit le he'ros d'une voix entre- coupce , c'est aujourd'hui que vous avea besoin de cette force d'ame, de cette pa- tience inalterable dont votre ca-ur a pris rhabitude. Je vicns le frappcr du plus rude coup; mais songez que , pour soutenir les maux de cette triste vie, les immortcls «ous ont donnc la verlu et ramiiie. L 1 V R t V 1 1. J Comme il aclievait ces paroles , Ics Sa- bins arrivent , porlant le corps deleur roi. Tatia jette un cri, se precipiie sur son pere, et tombe privee de lout sentiment. On s'empressej on la rappelle a la vie. Elle ouvre des yeux cgares j elle les porte sur Talius, regarde ses largcs blessures , et ne rcpand pas unelarme : ?a langue , altach^e a son palais , ne prononce pas une plainte ; un poids terrible oppresse sa poitrine : fixe, immobile, ell.e ne peut ni pleurer ni respirer. IVuma , effraye de cette douleur muette, fait eloigner le corps de Tatius. Alors Tatia jette des cris percans, et verse un torrent de larmes : cVtait Tespoir de Numa. Sur que ces larmes la soulagent , il laisse la princesse entre les mains des femmes , et va domier des ordres pour (jue le corps du roi , apres avoir (5te lave dans des liqueur^ parfumees , soil depose sur un lit de pour- prej il place lui-mcrae des gardes autour du palais de Tatius. Apres s etre acquiltd 4 N U M A P O M P I L ] U S. de ce? tiistes devoirs, il ;e dispose au plus penible de tons, a celui d'aller annoncer a Romulus qu'il ne peut plus etre son gendre. Ocombien de scntimens Tagitent tandis qu'il rcarche \eis le palais du roil II va perdre pour jamais celle qu il adore, celle que personne ne peut lui ravir que lui- mcme ^ i! va renoncer volontairement a die , le lui dire , passer a ses 3'eux pour un perfide^ supporter touie la douleur du 5acrifice et toute la honte de paraitre in- constant. Cette id^c affreuse fait chanceler sa vertu : mais sa "vcrlu reprend Tempire. L'ombre de TuUus, I'onihre de Tatius, niarcheiit a ses c'te's : elles le soutiennent , elles lui orient que ce sacrifice douloureux est n^cessaire ," qu'il ne trouverait que I'op- probre dans une alliance avec le nieurlrier de son roi , avec Tennemi de sa famille , dans nn hymen fonde sur un parjure, et commence sous de si affreux auspices. Enfin il penetre dans le palais de Ro- tTVRE VII. b muluR : il troiive ce raonarque a table , environne de ses courtisans. Les noirs souris dtaient sur son front ^ Tinquie^tude, le chagrin , ciaient points sur sen visage : juste et premiere punition du crime. Ro- mulus c'tait doja instmit dc I'assassinat dc Tatins j il craignait d'eire POupconne.Tour- mente par cet!c craintc bien plus que par le remords, il gardait un sombre silence, que ses courtisans imiiaient. Hersilie , de- bout pres du roi, cherchait a dissiper son cbagrin par les accords de sa lyre , et charitait la victoire du pcre des dienx sur les Titans. Numa se presente devant Romulus , et ne pent s'empechcr de fremir : I'aspecl de I'assassin de Tatius lui cause une borreur dont il n'est pas maitre. Cependant il fait un effort , bai^-se les yeux , comme s'il eut ete lecoupalie^ et, sesouvenant du respect dont les crimes memes des rois ne pcuvent affrancbirun sujet , il adresse ces raols au monarque : I. WUMA POMPILIUS. Romulus 5 des scelcrats out fait perir ton collegue. Mes yeux ont vu Taiius tomber sous quatre assassins. J'ai immoie deux de ces barbares j mais les autres m'ont cchap- pe , eL resteront peut-eire impunis jusqu'a ce que les dieux en prennent vengeance. Tu connais les liens du sang qui m'atta- chaient avi roi des Sabins^ lu ne connaie pcui-etre pas assez le tendre respect que i^ivais pour ses vertus. Ces deux sentimens m'imposent des devoirs grands et peni- bles ^ i'espere les remplir tons. Roi de Rome , j'adore Hersilie ^ la vie ne m'est rien sans elle : mais j^ai promis, j'ai jure a Taiius expirant de devenir Tepoux de sa fille^ i'accoraplirai mon serment. Je viens te rendre ta parole , je viens renon- ^cer au seul bien qui m'cst cher, ct te de- raander ton consentement pour que je sois a jamais malheureux. Ain*i parle IVuma j et ses j eux restcn t attaches a la terre. Romulus^ etonnc , de- mcure uu moment sans repondre ^ Ucrsilic, n V n E V 1 1. . 7 interfile, laisse echapper sa Ijre Je ses mains j les courtisans , iminobiles , alteu- dent , pour se rejouir ou s'affliger , que Romulus ait manifesto ses senlimens. Enfin le terrible roi se leve , en jetant sur IVuma un regard plein de lureur : Jeiine homme, lui dit-il , j'etals inslniit tie la mort de nion collegue j mes ordres sont deja donnes pour arreter et puuir les cou- pahles. Quel que lut ton amour pour Ta- tius , tu peux t'en rapporter a un roi du soin de vcnger Tassassinat d'un roi. Mais si je sais punir le crime, je ne sais pas moins reprimer les ambitieux. Numa , je te defemls d'epouser la fille du roi d«s Sabins^ ses droits au trone de son pere pourraient m'etre un jour redoutaLles : je lui destine im autre epoux que toi. Quant a I'aifront de refuser raa liile, il pourrait offenser tout autre que le fils de Mars i mais je veux bien considtlrer ton uge , Fimmense distance qui nous s epai^ , b IN'UMA POMPILIUS. et me souvenir sur-tout que tu fus utile a mon arraee. Apres avoir prononce ces mots avec un accent qu'il s'efforcait de rendre tranquille, Romulus sort sans attend re la reponse dc Numa. Ce malhcureux amant veut parler a Hersilie ; mais la fiere amazone le re- garde d'un ceil de'daigneux, passe aupres de lui sans re'pondre, et \a rejoindre son pere , suivie de tous les guerriers. Cette flerte , ce mepris d'Hersilie , pcr- cerenl le coeur de Kunia , mais lui rendi- Vent pins facile un sacrifice si douloureux. Indigue' centre Romulus , en courroux contre ?a fiUe , re.'-olu d'exposer ses jours pour rester fidele a son roi , IVuma , plus lerrae et plus tranquille , relouxne preci- ■ piiamment au palais de Tatia. Fille du meilleur des monarques , lui dit-il en Ul^fcordant, pardonnez si , au mi- lieu de votre deuil et de vos larmes , je viens vous parler d'hymenee. Voire pere , LIVRE Vll. 9 cn movirant, vous a confiee a ma foi. Sa grande ame a ete consolt'e par le serment que je lui ai fait de devenir voire cpoux^ et Romulus me le defend I Romulus n'en a pas le droit. Kes Sabins, vous et moi , nous dependions du roi des Sabins : lui obtiir pendant sa vie etoit noire premier devoir ^ lui obeir apres sa raorl est un devoir hien plus sacre. Je ne veux point vouo cacher que j'adorais Hersilie ; mais , depuis la niort de Tatius^ 1 exil , le sup- pKce, avec vous , me paraissent proferables au irone avec la fille de son assassin. Si ce sentiment vous suffit, preparez-vous a braver avec moi les menaces de Romulus ,- preparez-vous a voir la flamme du hucher de voire pere vous servir de flambeau d'hjmen. II dit : Talia I'ecoute avec une tendre admiration. Tatia , qui depuis si lo.-g- tenips nourrissait pour le heros une passion secrete et malheu reuse, lui repond , en rougissant , qu'il est le maltre de son sort. lO JJUMA POMP! Lit S. Numa lui engage sa foij et, devenu pint; sur de lui par les menaces de Romulus que par tous les efforts qu^il avail fails sur lui- meme , il ne s'occupe plus que des funcf- raiiles du bon roi. L'aurore se montre a peine que Numa se dispose a partir avec un corps de Sa- bins pour aller couper sur les liautes moji- tagnes les arbres qui serviront au bucher : sa douleur est soulagee par ces soins pieux qu'il ne conHe a personne. Mais , au mo- ment de son depart , Herrilie se prcsente a lui , Hersilie lui demande un entretien secret. Ce n'est plus cette Here amazone iont les regards tranquillementdt-daij^ncux con- fondaient le temeraire qui osail {Ixcr sa beaut^ ^ ce n'est plus cette beroine de qui le bras in-vincible a fait mordre la poussiere a tant d'ennemis : c'est une amanle au desespoir, dont les joues sont sillonnccs par les larnics qu'elle a rt?pandues , dont les yeux , fatigues de pleurer, brilleut en- L I V R E V 5 I. 11 core a travers le niiage qui les couvre j ses clieveux , ses ■\eLcraens sout en dcsordre , et rempreiiile de duuleur qui a terni ses aitraits leur donne ccpendant encore une grace plus touchante. Numa , dit-elle au heros , tii \ois oCi me rJduit Tamour : Hersilie vient te cherclier dans ton palais j Hersilie suppliante -vient peut-etre essuyer un refu?. Ali 1 si lu con- nais ma fierte, tu dois juger comLien lu m'es cher, tu dois apprendre. . . . Mais lu ne le sais que trop , ingral : jc veux m'e- pargner I'humilialion de te le dire peul- etre en vain j je veux , sans m^occuper de moi-meme, ne te parier que te toi seul. Je te connais, Kuma, je suis sure que la defense de nion pere le fera presser Ion hymen avec la fille de Tatius : mais lu ne connais pas mon pere , si tu penscs qu il le le pardonne. Sois certain qu'a 1 instant nieme ou tu oseras braver ses ordres , la tete tombera sous la hache des licteurs. Ceite ciainiene I'arretera pas, sans doute: I'l NUMA POMPILIUS. mals lu ne periras pas seul j le sang de Tatia doit couler avec le tien. Et crois-tu que cc Tatius , dont la memoire t'est si chere , lie te demanderait pas a gpnonx de sauver les jours de sa fiUe? Loisqu'il le fit promettre de devenir son ^poux , il crut lui donner un protecleur, il crut I'arracher a tous les perils ; mais si cet hymenee est pour Tatia un arret de raort, si ta fidclile cause sa perte , tu manques le premier aux intentions de son pere , tu commets un crime envers Tatia meme. Je ne te parle pas de moi ; de moi , ingi'at, qui croyais etre aimde; de moi , pour qui tu prodiguas ton sang. Helas ! moins heureuse , je n^ai rieu fait pour Numa j mais il a tant de droits a ma re- connaissance , que je regarde ses propres bienfaits comnie des gages eternels qui doivent I'attaclier a moi. Oui ,Numa , c'cst pourHersilie que tu dcvins un ht'ros^ c'est a ello que tu donnas ce houclier celeste qui I'a rendue invincible j c'est clle dont LI VRE V I r. 1,1 tu sauvas Ics jours en te jeiant au-devani du trait ile Leo^ je te dois rna gloire , je le dois la \ie : et tu voudrais m'al)an- donner, apres ni 'avoir inipos<5 le devoir, robligaiion de t'adorer 1 Pourquoi done sauvais-tu mcs jours ? pourquoi devenai?- lu pour moi seule le plus grand , le plus aimable des heros ? Reponds-moi : dis ^ t'ai-je deplu? as-tu quelque reproche a me faire , ne I'ai-je pas marque assez d'a- mour ? Ah ! pardonne a la lille de Ro- mulus , a celle qui n'avait jamais baisse ies yeux vers les rois qui I'ont adore'e ; pardonne-lui d'avoir voulii cacherles pre- miers feux dent elle ait brule. Va , j'en ai Souffert plus que toi ; la violence que je faisais a nion cntur me punissait assez de mon orgueil. Get orgueil , tu vois ce qu'il est devenu ; regarde-moi, je siiis a tes pieds, je pleure a tes genoux. Numa , baisse les yeux , reconnais Hersilie ; et ose te plaindre de sa llerte'. JNumU; respiraut a peine, craignait de 1 4 NUMA POMPILIUS. i-egarJer Heisi'ic : il ne se sentait que Irop aifaibli par le seul son de sa voix. Numa voyait a ses pieds celle qu'il aimait plus que sa vie j il I'entendait lui repeter qu'elle n"'adorait que lui seul. Pendant qu'elle par] ait , les resolutions du lieros s'eva- nouissaient peu a peti, coninie les neiges qui couvrent une montague se fondent et disparaissect a u^c me que le soleil en ctlaire le pommel. Nunia, le sage Numa^ commengait a gouter le=; raisons d'Hersilie ; son caur , bad ant d'amour , atiendri , p^- neire de? d rnieres paroles dela princesse, allait peul-etre ccider , quand le vieux Mer- lins, le general des Sabins , vint interrom- pre ce dangereux entretien. Fils de Pompilius , dii-il d'une voix triste et scfvere, nos Sabins en deuil vous deinandent : ce peuplc , qui a perdu son pere, veut voir Theritier de ses vertus. Yenez , prince , venez soulager leur juste douleur, en leur ]>romettant de les aimer vomuie Tatms les aimait , en leur jurant LIVRE VII. l5 de soutenir et de defendre la digne fille du meilleui des rois. Aussitot on entend aux portes du pa- ]ais les cris , les gemisseinens de lout le peuple. A lra\€r> les acceus de douleur , le nom de JXuma se distingue : Qu'il \ieTine ce \ertueux Numa I s'ecriaient-ils j fjuil paraisse , notre heros , notre ami , le seul qui resie de iios princes, Tunique espoir d'un pevxple dtisole I Venez , jNuma , venez nous instruire des dernieies volonte's de notre bon roi : vous nous verrez mourir pour les suivre. Ces paroles , ces cris , la presence de Melius fondant en larmes , le sang de Ta- lius dont la tunique de jNuma est encore teinie, etqui semble demander veiigeance , tout rend a lui-meme le heros , au moment oi\ le heros allait s'oviblier. Hersilie! s'c- crie-t-il , Hersilie I je vous adore : vous m'eles cent fois plus chere que la vie j niais mon devoir m'est plus cher que vous. Les dieux qui ont les yeux sur moi , ce l6 NUMA POMPILIUS. peuple a qui je dois I'exemple , mon coeur que je ne puis trcmpcr, tout m'impose la loi terrible d'accomplii le serment que j'ai fait. J'eii ai pris a temoins les manes de ma mere^ quelque douloureux qu'il soil, le sacrifice se consommera. Je sens que j'en mourrai j mais. . . . Non , barhare I non , tu n'en mourras pas , inlerrompit Hersilie avee I'accent de la fureur ; je detournerai sur un autre la colere de mon pere ; je lui marquerai la victime qu'il doit frapper : toi , tu vivras j tu vivras pour souffrir vine plus longue punition de ton crime , pour me donner le temps et les moyens d'assouvir ma juste vengeance. Perflde , tu n'oses rompre un serment que t"'arracha Tatius I Coniptcs-tu pour rien ceux que tu m'as faits? Teles avaJs-je demandes, ingrat , qui , sous I'ap- parence de la vertu, caches I'ambitieux projet de te faire roi des Sabins , et d'ar- racher un trone h mon pere ? Tremble du sort qui tc menace ^ tremble des maux i LIVRE \ II. 1^ que tu te prepares. Ne te flatte pas de leur t'chapper : le seul nom de Romulus t'envi- ronnera par-tout d'enneniis. Errant, per- secute , hanni , tu traineras ton infortune et ta fausse vertu chez tous les peuples de ritalie, qui te rejetteront de leur sein. En proie aux remords devorans pour avoif cause la mort de ton epouse , pour avoir abandonne ton amante, lu pleureras a tous les instans le crime de ton inconstance.Tu rcgrelteras Hersilie, tu tendras vers elle des'mains suppliantes : Hersilie n'en sera que plus animee a te persecuter. Tant qu^il me restera un souffle de vie , je te pour- suivrai la flamme a la main ^ et si ton abandon me donne la mort, mon ombre ira se joindre aux cruelles furies, pour a j outer a Thorreur de ton supplice. En disaut ces mots , elle ouitte TNuma , qui , honteux de ses emportemens , n^ose lever les yeux sur Metius , et va consolex les Sabins. Mais cependant , alarme des menaces d'Hcrsiiie, et craignant encore 2. r8 N U M A P O M P 1 L I r s. •an Clime de la part do Romulus^ il or- donne au vieiix general de veiller avec des gardes sur le palais de Tatia. Eientot il part , suivi d'un corps de troupes , poui aller depouiller les montagnes de leurs pins consacre's a Cybele, des frenes qvii, fa- tonnes en javelots , s'abreuvent du sang des mortals, et des penpliers eievcs, etdes meleses odorifcrans.Tout retentit des coups redoubles de la hache. Les tristes cypres roulent dans les vallecs ^ les aunes cheris de Neptune, les hetres aimers des bergers, descendent avec fracas. On Ics depouille dc leurs verts branchages ^ leurs Ironcs noueux 5ont roules sur les bords duTibre, ou deja, non loin de la ville , s'eleve le biicher qui doit rcduire en cendre le corps de Tatius. Le lendemain on voit ai-river ce corps rcvctu de la poiirpre royale et porte par les principaux des Sabins. Mille jeunes guerrieis le precedent. lis s'avancent les armes renversces , la tete basse, marchant d'un pas lent au son lugubre d'une trom- LI VRE VII. 19 pctle aigiic. L'inconsolablc Tatia, envc- loppt^e de voiles funebres , couronnee de cypres , jette sur le cercueil dcs fleui'S trempees de ses larmes. Numa , \elu de deuil com me elle , soutient ses pas chan- celans , la console en'pleurant lui-meme , et veille sur son desespoir. Tout le peuple sabin , qui se presse autour d'eux , fait retentir la campagne de cris et de lamen- tations. Metius snr-tout, le vicux M-jtius , de- puis soixante ans I'ami , le compagnon de son roi , Melius se frappe la poitrine , ar • rache ses cheveux blancs , en se laissant tomber sur la terre : O raon maitre I s'e'- crie-l-il ^ o le meilleur dcs monarques I la cruelle parque ne m'a done epargne que pour te voir descendre au lombeau , pour perdre a la fois raon ami , mon pere , raon Toi I O Talius , Tatius ! toi que j'ai vu dans ma jeunesse affronter tant de fois la mort^ toi que j'ai vu, entoure d'enneras , trouver tovijours la gloire, et jamais 1g trepas^ 20 NUMA POMPILIUS. c'est au milieu de ton peuple , c'est au mi- lieu tie tes entans que des pai'ricidcs iVnt frappc I Ce coeur , sans cesse ou"vert aux malheureux , a cte perce par des ingrats : et les dieux ne t'ont pas secouru I les dieux ont laisse perir celui rpii etait sur la terre Fimage de leur bienfaisance I O Talius , Tatius , je suis encore le moins a plaindre de tous ceux qui te pleurent ici j j'ai Tes- poir de te survivre le moiws long-temps. Tels tifaient les regrets de Melius : tout le peuple, qui s^arretait pour les entendre;, lui r(fpondait par des sanj,Iols et par de Icngs gdmisseraens. Enfui on depose le corps sur le Imcher j on immole les viciimes. INuzna repand sur la terre deux vases rempiis de vin , deux de lait, deux de sang : libations agrcables aux manes. Ensuite il appelle a grands cris lame de Tatius j et, detournant son visage, il baisse les flanibcaux pour mettre le feu an bucher. La flamme peiille aussitot, en s'elevant a travers les meleses. Le peuple LI VRE VII. ^l redouble scs cris, les soldats elevent leurs boucliers : mais Auma commande le si- lence j et , regardant avec un respect reli- gieux le visage pale de Tatius , qui n'etait pas encore aiteint par les fiammes : O le plus juste des rois , s'ecrie-t-il , je t'ai proniis, a ton dernier moment , de devenir Tepoux de ta fille j je t'ai jure de vivre pour Taimer, pour la defend re : je viens accomplir men germent. Ce biicher sera notre autel : e'est sur cet autel saere , en presence de tes manes , devant ce pcuple qui te pleure, a la lueur de ces torches fune'raires , sous les yeux des dlvinites re- doiitables au parjure , que j'engage roa foi a Tatia. Oui , Sabins, que les dieux ven- geurs, que vous-mcmes , que tons les amis de Tatius me punissent, si, pendant tout le cours de ma vie , je ne suis pas occupe de rendre heureuse la digne epouse que Talius ni\i dounee I Puisse relcmber sur ma tete le sang du meilleur des rois , si je 2'2 NUMA rOMPILIUS. ne cherche pas a m^acquitter, envers fon augiiste flUe, de tout ce que je dois a son pere .' En prononcant ccs mots, il joint sa main a celle de Tatia , et veut les etendre toutes deux vers le hucher. Mais Tatia ne peut se soulenir j ellc chancelle , ses membres se roidissent^ une sueur froide decoule de son front 5 salangue epaissienepeutprononcer une !?reule parole j ses levres, devenues vio- lettes > eprouvent d''affreuses convulsions : Tatia tombc sur la poussiere , se dehat , se roule en faisant de vains efforts ; et, malgr^ les sccours de Numa et dcs Sabins , elle expire en poussant des cris affreux. Tout le peuple est emu de ce spectacle. Les marques du poison sont certaines , deja le bruit sVn rcpand , deja Ton entend un murmure confus , seniblable an vent des tempetes lorsqu'il commence d'agiler la mer. Les soldats , le.s citoyens , se re- gardcnt j I'indignation est sur leurs visages ; LI VRE y J I. 'i5 la colere ennainme Icurs coeurs j les noms de Romulus et d'Hersilie sont prononces avec imprccalion. lientol un cri general se fait entendre j tous les Sahins se pressent autour deNuma! Vengez-nousI s'ecrienl- ils^ vengezTatius et sa lille I ils sont moris des coups de Romulus : conduisez-nous contre ce roi harbarc^ la natur-e , la religion "vous Toidonncnt. Marchons tout-a-rheure vers Rome; dctruisons cetie ville impie . toujours si funeste aux Sabins. Numa , le verlueux Nunia, entoure .. presse par ce peuple au desespoir, excitt- par le spectacle de la mort affreuse dft Tatia, emporte par cette juste horreur que donne le crime a une ame pure, Numa oublie que c'est aux dieux seuls a punir les rois^ et, dans un premier transport donr il n'est pas maitre, il marche vers Rome a la tete des Sabins furieux. Mais le prudent Romulus avait prevu G^t orage. Inslruit que , malgre sa defense. ^4 NUM A POMP ILIUS. Numa remplirait ses sermens j excitt^ par la cruelle Hersilie 5 voulant venger a la fois sa fille et son autorite meprisees, le roi de Rome avail fait meler un poison Hop sur dans le peu de nourriture qu'avait pris la fille de Tatius. Ainsi les crimes naissent des crimes^ ainsi toujours un premier tor- fait conduit a un forfait plus grand . Piomulus , qui craignait une sedition , ne voulut pas se trouver aux funerailles, pour mettre Rome en surete. Dc'ja les portes sont fermees, les murs hordes de soldats. Le barbare Romulus imagine ua rempart plus sur encore pour aneler les revoltt^s : il fait saisir dans leurs raaisons les femmes , les enfans , les vieillards sa- bins , qui n'ont pu suivre le corps de leur roi j il les place sur les muraillcs , et couvre de leurs corps ses soldats. Les Siibins arrivent, guides par la fu-> rear, criant vengeance , brandissant leurs javclots. Mais ils s'arretent , saisis d'effroi , L 1 V RE V I 1. 23 en reconnaissant ces vioillards, ccs meres, ces enfans, qu'il faut perccr de leurs traits avant d'atlcindre aux soldats du roi de Rome. Un silence profond succede tout- a-coup a leurs cris ^ ils se regardent , ils denieurentimmobiles, la bouche ouverle, le Lras lenilu : les armes tombent de leurs mains. Ce seul moment rend a lui-meme le sage Numa. II voit IV'tendue des maux que son entreprise va causer, il freuiit du danger ov\ il a laisse courir ce bon peuple j et se precipitant dans tousles rangs: Amis, s\'crie-t-il , plus de vengeance ^ elle cou- terait trop cher a \os coeurs. Sauvez vos peres ct vos enfans : ce devoir est pkis sacre que celui de venger vos rois. Ouoil vousdeviendriez parricides par amour pour Tatius? Quoi I ces vieillards , ces tendres meres , seraient les victimes que vous lui enverriez dans les enfers? Ah! vous qui TaYcz connu , jugez si son ombre eu serait a. 3 26 NUMA POMPILIUS. consolt^e. Sabins , Sabins, par-tout ailleurs la gloire serait de vaincre,' ici elle est d'etre vaincus. Bletius, prends un rameau d'ollvier , et va trouver le roi de Rome : dis-lui que tu viens lui repondre de la soumission des Sabins ; dis-lui qu'ils sont prets a livrer des otages , a le reconnaitre pour seul souverain , pourvu qu'il jure de leur pardoTiner. S'il exigeait une victime, elle est prete, ce sera moi. Seul, je me charge du crime de tousj seul, je m'ex- cepie de I'amnistie. Va , cours, ne perds pas un moment, signe la paixj promets ma tete s'il le faut : il est doux de perir pour le salut de son peuple. Ainsi parle Numa. Metius veut lui re- pondre : mais le heros refuse de Fentendrej il le pousse vers les murs de Rome. Mt^tius marche, se fait ouvrir les porles. Bieniot il vient annoncer la paix et le pardon , pourvu que Numa sorte a Tinstant meme des etats de Romulus. LI VRE VII. 27 A CCS paroles, les Sabin?, jeiant des cris, Aculent leprendre Ics amies. Mais jXuma Irs apaise , les conjure , leur ordonne de 5e soumetlre, leur represente les maiix affreux dont lui seul serait la cause : il les menace de s'immoler a leurs yens, s'ils n'acceptent pas cette paix^ et s'eloignant aussitot avec Melius, qu'il embrasse : ]Mon digne ami, lui dit-il, seclie tes pleurs : cet exil , qui sauve ma nation , est neces- saire a men repos. Aurais-je pu revoir Romulus? aurais-je pu soulenir la pre- sence de cette cruelle Hersilie , dont la fureur est sans doute complice du dernier crime dont nous fremissons ? Ah ! Melius , mon coeur est gueri d^une fa tale passion qui empoisonnait ma vie : mais combien de temps ma blessure doit-elle saigner en- core I Ami , le plus grand des mallieurs , Ic plus sensible des maux , c^est d'etre force de rougir du sentiment qui nous fut le plus cher. Pardonne-moi les pleurs que je repands , ce sont les derniers que je 28 NUMA POT,IPTLIUS. donne a I'amour, tous les autres seroiit au repent ir. Je te charge, mon cher Melius, de recueillir les cendres de notre roi et de sa malheiireuse fille : elles doivent re- poser ensemble sur la tombe de ma mere , a cote de celle de Tullus. Promets-moi de les porter toi-meme, et de ne confier a personne ce soin rjue iNumat'envie. Adieu, inon respectable ami : que les immortels prolongent la vieillesse I Songe que lurestes seul a nos Sabins : leur bon roi n'est plus , Tatia vient d'expirer, Numa \"a vivre loin d'eux j Melius doit les consoler de lours pertcs. Jc te les lecommandc, mon res- pectable ami ^ i'espere te remerciet^un jour du bien que tu leur auras fait. II dit : c^est vainement que Melius veut suivrc ses pas et s'altacher a sa fortune. Songe a ce peuple, lui dit le h^ros, a ce peuple que ton jours Ton oublie. En disant ces paroles , il s'eloigne d'un pas rapide , et prend le chemin du pa^'s des Marses. LI VR E VII. >»J C'^tait ce mcme chemin 01*1, peu de raois auparavant , avait passe le brillant Nmna , revetu d'armes eclatantes , h la tete des Sabins, ivre d'araour, brulant d'etre un heros, et ne doutant pas que la gloire ne le oonduisit an bonheur. II avait trouve cette gloire j il repasse dans les memes lieux, sans suite , banni , accable de dou- leur, fuyant le roi qu^il a servi , rougissant do cellc qu'il a tant aimee , et force d'al- ler dcmander un asile au peuple qu'il a vaincu. II marche, il sort bientot des etats de Romulus 5 et il lui semble qu'il est soulage d'un poids terrible. Arrive aux environs de Vitellie, il entre dans un vallou oi'icoulait un ruisseau limpide , borde de saules et de peupliers : Numa suit le cours du ruisseau ; bientot , au pied d'une colline, il decouvre nne grotte profonde. Attire par le bruit de la source qui for- mait Ic tranquille ruisseau , Numa penetre 3. DO NtTMA rOMPlLlUS. dans la grotte. Quelle est sa surprise d y trouvet un jeune guerrier convert d'une peaii de lion , endormi sur pa massue ' JVuma I'envisage, et le reconnait : c'est le brave Leo; c'est celui qii'il allait chercher au pays des Marses , celui dont il a eprouve le courage , dout il doit e'prouver Tamitie. Leo, reveille', regarde Nuuia, et se pre'- cipite dans son sein. Les deux lieros se serrent avec tendresse : O luon ami I se disent-ils ensemble , j'allais te chercher Tu venais h Rome ? interrompt Numa- Oui , lui repond Lt'o avec Tair de la fran- chise et de la joie : je suis banni , jc n'ai plus d'asile, j'allais en demandcr un a mon vainqneur. Ah I ne parlons plus de vaincre I s't'ci'ie Nnma, parlons d'aimer. La fortune senible vouloir resserrer les na'uds de notre amilie, en nous faisant subir les memes epreuves. Je suis banni comme toi j j'allais aussi te demander un asilc. Tu te souviens de ce MVRE VII. a I que j^ai fait pourle barbare Romulus^ moi .'cul , je I'ai sauve lui et son armee : pour prix ur et ma vie. L 1 VRE V II. DJ) L^amour a trop long-temps rem pi i mes jours d'amertume j il est temps de vivre pour Tamitie. O ciel I s'ecrie Numa , tu paries de Ta- mour, en connais-tu done les tourmens? n''est-il aucun raorlel dont ce dieu terrible n'ait trouble les jours? Ecoute lerecitdes niaux qu'il m'a causes , et daigne me con- fier a ton tour les malheurs d'un ami sans lequel je sens bien que je ne pourrai plus vivre. Le brave Leo prete alors une oreille attentive ; et Numa lui raconte son histoire depuis sa naissance jusqu'a ce jour. Ce rccit, auquel president la candem* , la modesiie, cliarme le sensible Leo, et rattaclie encore davantage au digne ami que son coeur a choisi. II pleure la mort de Tullus , celle du bon roi des Sabins ; et, detestant le ft^roce Romulus, il felicite INuma d'avoir pu surmonter sa passion pour la coupable Hersilie. Ami , lui dit-il , le sacrifice a etc dou- 04 ^'U]MA rOEIPILIlTS. loiireux j il a fallu choisir entre ramouf et lavertu : tu as prefcie la vertu^ tevoila hanni de Rome, errant, fugitif, sansasile, trainant encore le trait qui a dechire ton coevn\ Mais j'o?e le demander a toi-meme : si , oubliant ton seiraent, si , foulant aux pieds la cendre de Tativis, tii e'tais devenu I'e'poux d'Hersilie,.peuses-tu que tu aurais joui du bonheur? non ^ le remords habi- terait ton ame , et le gendre de Romulus , I'heritier de sa puissance , le possesseur d'une maitresse adoree , serait plus a plain- dre, plus tourmeut^ que Numa vertueux et banni. Numa, IVuma , je Tai eprouve moi-meme ^ car le ciel , qui novis crea tous Jeux pour nous aimer, semble avoir mis entre nos malheurs le rapport qui est entre Mos ames : j'ai tout sacrifie pour mon de- voir. J'ai perdu de grands biens sans doute ^ mais tous ces biens reunis ne valent pas la paix , la tranquillite que je porte sans cesse avec nioi. Mon coeur est pur comme cette source d'eau \ive j voila le premier moyen L 1 V Rt VII. 55 d^&tre heureux : le second , c'est d'avoii uu. amij de ce jour je Tai trouve. Ecoute le recit de mes aventures : puisseiU - elles t'inspirer le tendie interet que j'ai ressenti en lY'coutant I A ces uiots , Numa emhrasse de nouveau son ami , et le heros marse commence ainsi son liisloire. EIR nU SEjeXIKME LIVA SOMMAIRE DU LIVRE HUITIEME. liio raconte a Niima I'liisloire de ses premieres ann6es , sa tendresse pour sa in^re Myilale , ses amours avcc Camille, le saciifice qu'il fil de sa passion , et ce qwe Ini appi it Myrtalc au lit de la mort. Numa veut suivre L^o dans son ancicnne cabane. Us s'6garent dans les Apennins. Numa rencontre uu vicillard el sa fiUe. 11 les voit adorer le feu. I I'll.- lu-' :\u .^.n■ rlale porte a son cou attire sans cesse mes regards : j'enibrasse plus souvent ma mere , pour pouvoir baiser cette chaine. Deja trois jours s'elaient ecoules : cbaque matin , au lever de Faurore , je revenais a la cascade j la, j'attendais le coucher du sob'il , les yeux fixes vers Tendroit de la montagne par oi'i I'aniazone avail parn la preniitie fois. Enfin , le quatrieme jour, je la rcvois. Elle e'tait annexe de nieme^ elle montait un coursier a la iresse doriie : la rougeur couvrit son front en m'apercevant sur le roclier. Je suis blenlot aupres d'ellc. Elle s'^- lance de son coursier, I'altachc a un arbre , s'assied sur un roc,' et m'invifant a m'as- seoir : Brave berger, mc dit-elle , j'etais pi'csque cerlaiue de vous trouvcr icij c'est LIVRE VIII. 47 pour vous que j'y viens. Vous avez sauve mes jour- ; jc veax rendre les voircs heu- reux; lei estle moiif qui m'aniene. Parle; - nioi t!or:c avcc franchise: Que vous faul-il pour jouir tlu bonheur? Que manque-t-il a voire mere? Soagez. que ma reconnais- sance est extreme , et que mon pouvoir egale presque ma reconnaissance. Je lui repondis , en haissant les yeux : O vous que je ne sais comment nommer, vous qui m'inspirez ce respect que je n^ai ressenti que pour les dieux , vous avcz dai- gne vous souvenir dun berfijer ! vous avei daigne revenir le voir I Ah I celte bontc est plus grande que le service c[ue je vous ai rendu j des ce moment , c'est mui qui vous dois de la reconnaissance. Vous me de-^ m^andez ce qui me manque pour efre lieu- reux : avant de vous avoir vue , il ue me manquait rien. Nous sommes rich.es , ma m.ere et moi : nous avons une chaumiere qui nous garantit des injures de Fair, im jardin qui nous nourrit , un Uoupeau qui |8 NUMA POMPTLIUS. nous habille : encore vais-je souvent clans les villages voisins vendre le superflu de notre laine ; ct je rapporte h ma mere des pieces d'argent , bien inutiles pour nous , mais que nous donnons avee joie aux vieillards pauvres qui de temps en temps \iennentuous demander Thospitalite. Vous n^avez done qu\in seul moyen de rendre mes jours plus heureux : c'est celui que vous prenez aujourd'hui j car voici le plus beau jour de ma vie. L'amazone souriait en m'ecoutant. Hi bien , me repondit-elle , puisque ma pre- sence seule vous manque , je viendrai vous voir quelquefoisj la reconnaissance m'y oblige. Mais je ne vous dirai pas qui je suis : contentez-vous de savoir que je m'appelle Camille 5 et, quel que soit le myslere de ma naissance , croyez qu'il est doux pour Camille de devoir la vie a Leo. Aprcs avoir dit ces derniers mots avec une voix aitendrie , elle se l^ve , d(5tache LI V RL V 1 n. 49 son coursier, s'eiauce sui son dos , me regarde , et disparalt. Je demeure ivre de joie, L'inioiet lou- cliant qu'elle m'avait marque , le coup dV.il qii'elle avail jete sur moi a son de- part , sa promesse de rcvenir, tout tians- portait et enflammait mon coeur. Je repe- tais le nom de Camille ^ je me prt-parais a Tapprendre a lous les ^clios des mou- tagnes ^ je voulais le graver sur I'ecorce de tons les arbres. Camille seule reniplissait mon ame, je ne vojais plus que Camille dans toute la nature. Des ce moment , plus de tristesse , plus d'ennui : ces deserts me parurent des lieux enchantes ^ ces arhres , ces rocliers , cette cascade , lout prit de nouveaux charmes a mes yeux , tout s'embellit de mon amour. II me semblait que la nature avait rassem- ble toutes ses beautes dans cette solitude charmante : je craignais qu'elle ne u)e fut disputeej j'aurais voulu pouvoir la fer- mer a tous les hiimaius. Ma chaumiere 5® NUMA POMPILIUS. me sembia plus riante ^ je rejoignis mt mere avcc plus de plaisir que je n'en avals jamais senti ^ nos embrassemens furent plus doux^ notre entretien plus aimable et pkis tendre. Camiile tint parole 5 elle revint deux jours apres. O combien furent rapides les instans qu'clle me donna I Cent fois I'aveu de men amour fut pret a m'echapper , toujours il expira sur mes levres. Quand je reg adais Camiile , j'ctais sur le point de parlcr ^ des que Camiile me regardait , le respect encliainail. ma langue. Bientot Camiile vint !ous les jours a la cascade. Sans lui avoir dit que je Taimais, sans avoir entendu de sa bouche Taveu que j'etais aime d'elle , nos enlretieus t'taient ceux de deux amans. Tonjours , avant de iiou'^ quitter, nous convenions de Tinstant de nou*; revoir, et cliarun de nous arrivait avant CPt instant. Ave quelle joie nous nous retrouvions ! avec quel plaisir nous nous rendious compte de tout ce que nous L I V R E V ! I I. 5 I avians pensc I Cainille ne me parlait que <\e moi ; jc ne lui parlais que de Camillc. Ccs douces conveisations etaient toujours Lsmemes, et nous semhlaient toujours diffcrentes. Camille n^ivait qu'un secret pour Le'o j c'etait celui de sa naissance. Que t'importe mon rang , disait-ellc , pourvu que ce ten- dre coeur n'ait pas un sentiment qui ne soit pour toi ? L'aimable Caniille s'occupait encore de polir, de cultiver mon esprit. Elle etait ins- truite , elle m'instruisait : elle me racontait le regne de Janus , I'expedition des Argo- naules, les sieges de Thebes et deTroiej elle ni'apprenait des vers d'Hesiode et d'Homere. Je retenais si bien ses leoons I Tout ce qui sorlait de sa bouche venait se graver dans mon ame ; je ne pouvais plus oiiblier ce que Camille avait dit une fois. Quel charme j'eprouvais en Tccoutant I conibien je me sentais enflauimer au rc'cit des exploits d'Achille I et quand Homerc 01 NUMA POMPIL! U S. peignait Venus, je iroiivais Camille plus belie. Ainsi sV'coulait ma vie. Tous les jours ^tait a I'amour, tous les soirs a la tendresse flliale ^ car ma passion pour Camille , loin d'affaiblir mes seadmens pour Myrtale , semblait en redoubler la force. Mon coeur ne se parlageait point entre ma mere et mon amante j cbacune d'elles I'avait tout cntier : et c'est sans doute un bienfait des immortels , que I'araour le plus violent , quand il est verlueux , donne encore plus d'activitc a toutes les vertus de notre ame. Ma felicite ne dura pas long-temps. Un jour se passa tout entier sans que Camille parut. Le lendemain , derai-mort d'inquie- tude , j'attendais en gemissant qu'elle se inontrat a mes yeux. EUevint, mais la paleur couvrait son front : Mon ami , dit- elle en m'abordant, notre bonheur est fini : nous allons payer par nos larmes les trop courts inslans qvi'il a dure. Jusqu\^ prt'sent je t'ai cache qui je suis : je ciaignais qu'en LI V RE VIII. DO appreiiant mon rang tu ne fusses effraye de m'aimcr j et je trouvais doux d'etre aimde sans que lu connusses ma naissance. 11 est temps de t'en instruire : j'ai le malheur d'etre fille d'vm roi. A cette parole , une sueur froide decoula de tout mon corps , raes genoux tremljlans flechirent , ma langue glaeee ne put pro- noncer nn seul mot. Camille me prit par la main, me lit asseoir aupres d'elle , et, apres avoir tente de dissiper I'effroi subit que j'a\ais ressenti , elle continua dans ces termes : Mon pere est le roi des Vestins. Le Irajel est court d'ici a Cingilie , sa capitale j 1 a- mour de la chasse me sert de pretexie pour le voir tous les jours. J'espe'rais jouir long-temps de ce bonheur : mais je suis I'unique enfant de mon pere ^ son roy aume doit etre ma dot, et tous les princes de ritalie ont deja demande ma main. Deux jrois sur-tout nous menacent de la guerre, si je ne fais pas bientot un choix. L'uu est 5. 54 ?»' l-" "•! A P O Vi 1> 1 L 1 U ? . le roi ties Manices 5 ses elats touch ent aux miens , sou pcuple fut totijours Tcnncmi du noire. Men hymen avec son fils , etei- gnant a jamais ces gueires , formerait un etat puissant. La politique , la laison , I'humanite, parlent en faveur du prince des Maruces , qui , absent depuis sa lendre enfance , parcourt les lies de la Grece , sans autre suite qu'un sage gouvemeur pour s'instruire et se former dansle grand art de regner. II est en chemin pour re- joindre son pere. Son rival le plus redoutahle est Tele- mante, roi des Salentins. Sa puissance , ses richesses , la noblesse de sa race ( il descend deTeleraaque et d'Antiope), tout lui donne Tavantage sur le prince des Ma- ruces. IMais nous craignons pen les Salen- tins , separes de nous par tant peuplcs ,• et les ambass; deurs de Telcmante I'em- porteront difflcilcmcnt sur le roi des Ma- ruces , qui est vcnu lui-memc a la cour de mon pere rae deraander pour son lils. LIVRE VIII. DJ Des deux cotes, le malheur est egal pour moi , puisqu'il faudra renoncer a une li- berte que je voulais conserver pour pou- voir t'aimer toujours. Mais tu sais micux qu'un autre , Leo, ce qu'un enfant doit a son pere : le mien est vieux, hors d'that dc se defendre^ il me presse de faite un choix ^ il me conjure par ses cheveux blancs de ne pas lui attirer une guerre qvii doit causer son malheur et celui de tout son peuple. Que dois-je faire? Je te demande conseil. Camille , lui repondis-je ( car votre rang et votre naissance ne peinent ni'inspirer plus de respect que le nom seul de Ca- mille ) , un coeur qui sait aimer doit tout immoler a Tamour ,• mais un coeur yer- tueux doit immoler Tamour a son devoir. Mon courage me dit bien que je defendrais vos etats , qu'arme de cetie massue , con- vert de la peau du lion de IN^eniee , je re- pousserais de vos murs lei Maruces, les Salentins , ft tous les ncuples de I'Jtalie. 30 N U M A P O M P I L I V ?. Mais qnand je serais le plus grand des heros , quand mes exploits egaleraientceux d'Alcide , pourrais-je pretendre a devenir votre epoux? Non , jamais je ne puis vous posseder I m'ecriai-je en fondant en lar- mes : vous etes la fllle des rois , je nc suis qu'un malheureux pasteur. Insense que je fus I . . O Camille ! Camille I combien je \ais payer mon erreur ! Suis-Je moins a plaindre que toi? in- terrompit Camille j penses-tu que mon trisle coeur ne souffre pas autant que le tien ? Mais j'ai encore un rayon d'espoir ; je connais le roi des Manacesj ce sent mes etats et non Camille qu'il desire pour son fils. Je vais tout lui declarer : je jurerai dans ses mains de lui abandonner mon royaume apres la mort de mon pere , s'il veut ne pas pressor mon choix , s'il veut nous defendre centre Telemante. L'espoir de regner sur deux pcuples flattera son coeur anibitieux, et je m'estimerai trop heureuse d'acheier par une couronne le droit si doux d'aimcr Ldo. LI VRE V III. 57 En vain jc rn'opposai a cette resolution, Cainillc me qiiitia, decideea toulhasarder. J'atlendi.s, dans une douloureuse impa- tience , le iciour de ma diere Camille. EUe revint apres trois jours j la joie brillait sur sou visage, le doux sourire etait sur sa bouche. Nous serons heureux ! s'ecria-t-elle , nous serons beureux I J'ai tout dit au roi des Maruces : je n'ai pas craint de lui declarer que nion coeur ctait a toi. II a eie sensible a ma confiancej Foffre de ma couronne Fa decide a nous servir. Ecoute ce que ce monarque propose. Son fils, qiti revenait des iles dela Grece, seul avec un gouvemeur, est mort dans la Crete ; comnie il vo^ageait inconnu , tout le monde ignore sa mort. Le gouverneur ans rencontrer de traces d'homme. lis arrivent a un endroit ou le ruisseau se di\ise en deux. Apres s'etre promis de se re- joindre dans ce meme lieu , ils se scparent pour suivre chacua une des branches du ruisseau. LIVP. E VI 11. 7$ Leo marche long - temps ; mals i\ ne troiiva que des arbres , ties (leurs et des fruits. Nunia , plus heureux , apercut un trou- peau qui paissait sans chicns et sans berger aupres d^un petit bois de lauriers. II pe- netre a pas lents dans ce bois , regarde , examine, et decouvre, sous un berceau de jasmin sauvage, une jeune fille vetue de blanc, assise sur un banc de gazon. Elle semblait profondement occupee d'un livre qu^elle tenait sur ses genoux. Ses cheveux blonds, qui retombaient sur son front et sur ses epaules, etaient souleves douce- ment par le zephyr, et laissaient voir eou visage j jamais il n'en fut de plus beau. Mais cette beaute que la nature lui avait donnee empruntait son principal ^clat de la candeur, de la franchise, qui se pei- gnaient dans ses traits. Ce visage doux et serein semblait respirer le calnie du boii- heur, la paix de la yeriu : il avait quf^lque- chose de celeste qui eloignait toute idee 9.. 7 74 NUMA POBiriLlUS. de volupte , et remplissait I'anie d'un sen- timent plus pur, plus tlelicieux : il n'ins- pirait point de desirs ; il faisait naitre un saint respect , un penchant plus tendre , plus vif que le desir meme. INuma la voit , et s'arrete. II n'est point surpris , il n'est point trouble j son cceur ne palpite pas avec plus de \itesse : il eprouve un plaisir doux qui n'egare pas sa raison : I'idee de I'amour est loin de sa pensee. II ne prend point cette bergere pour une deesse^ ses sens calmes et ra\is ne lui exagerent rien : en ne voyant que la veritc , il voit dans cette inconnue la plus belle dcs mortelles, et sans doute la plus vertueuse. II penetre douceinent a travers les ar- bustes : il s^approche d'elle , et vent regar- der le livre qu'elle tenait dans ses mains,- Hiais les caracteres lui eu sont inconnus. Nunia se retire avec precaution. Tou jours cache derriere les feuillag^s, il voit s'avan- cer un vieillard venerable, appuye sur un L 1 VRE V I I I. 7 ) baton noueux : des cheveux blancs cou- vraient son front , sa longiie harbe des- cendait sur sa poitrine , son \isage sillonne de rides conservait un air de grandeur que les chagrins et la vieillesse n'avaient pas encore efface. Ma fille, dit-il a la bergere , voila le coucher du soleil , allons remplir les preceptes de notre divine loi. A ces mots , la bergere se leve , et fait voir a Numa sa taille majesrtueuse. Ses yeux bleiis regardent son pere,* elle lui tend la main en souriant ; le vieillard , appuye snr son bras , retovirne a pas lents vers une cabane batie dans I'intorieui- du bois. Numa , qui n'ose les suivre , examine tous leurs moxivemens. II les voit laver leurs mains dans une source d'eau pure ; ensuite ils entrent dans la cabane , et le vieillard en sort bientot avec un aiurc babit que celui qu'il portait. Sa longue robe a fait place a une courle lunique ,* inie ccinture de plusieurs rouleurs est pas- iee autour de ses reins ^ sun visage est k 76 r^UMA POMPILIUS. demi voile. II lient im vase d'aiiain dans leqiiel brule rin feu ardent; i! le pose avec respect sur une piene poHe. Sa fille le suit , portant des parfunis , des racines , ct un legtr iaicceau de hranches seches. Tous deux, a genoux , jetleni ces offraades dans le feu , Tattiseut avec des instrumens d'or, et piononcent des prieres dans une langue inconnue. Bientot le vieillard se releve ; il emporte le vase avec le mcme respect. La jeune bergere va rassembler le troupeau disperse dans la prairie, Tenferme clans uu pare ferme pas des claies , et retourne pres de son pere, tandis que IVuma , plein de sur- prise et de joie, se presse de rejoindre Leo. TIN DU HUITIEME LIVRE. S O M M A I R E DU LIVRE NEUVIEME. N c M A et Leo sont rcgus ?liez le vicillard. lis admirent-sa lille Anais, el qiiiUent k regret cette cabane. Leo revoit son ancienne chaumiere. 11 le- Irouve Camille. Transports de ces deux amans. Ca- millc raconte scs avenlures. Ellc deviant I'^pouse de Leo. lis parlent avec Nwma pour retourner chez le vieillard. Numa sauve Anais et son pere des mains des brigands. II est [blesse. Hisloire de Zoroastre. Leo rccounoit son pf re. ^B NUMA POMPILIUS. LIYRE INEUVIEME. JM UM A retrouvc bientot son ami , et lui raconte ce qu'il a vu. II guide scs pas vers la cabane j ils arrivent , frappeut a la porte. La jeune bcrgere vicnt ouvrir , et les re- garde avec inquietude. Rassurrz-vous , lui dit Leo , nous sommes des hommes de paix ; daignez nous donner I'hospitalite j demain , au lever de I'aurore, nous re- prendrons noire route , apres avoir remer- cie les dieux de voire hienfait. A ces mots , la jeune fllle marclie devant eux pour les annonccr a son pere. II etait au fond de la cabane, assis sur un lit de natle, tenant dans ses mains la qucnouille el les t'useaiixque sa fillevenait de quitter. Quclqucs sieges grossiers , une taljJe nial assuree , des vases de hois pendus par lour ansc a coto d'uiie 13're d'ebenc , tcUes II cnu-n.l A.s dieux irrites , il jugea qu'il c'tait plus facile dc vcnger leur cause par des i jeurtres , que de les apaiser par des vertus. II commanda d'exterminer jusqu'au dernier de mes disciples, promit dix talens d'or a celui qui me livrerait vivant , et me con- dam na d'avance a des tourmens inconnus jusqu'alors. Aussitoi le fer et le feu d^solent les habi- tations des mages j leurs maisons sent la proie des flammesf leur sang inonde leurs asiles. Les barbares soldats de Sardanapale, qui avaient si lachement combattu ses en- 'uemis, se montrent remplis de zele pour perse'cuter leurs concitoyens. Le glaive a la main, ils poursuivent le pen de mages qui ccbappeut j ils cgorgenttous ceuxqu'ils atteiguent , massacrent la mere et la fille apresles avoir outragdes , et croient toutes les horreurs permises , parcequ'ils leS com- meltent au nom de leurs dieux. Je fuNais avec raon epouse. Cent foi? IIO NUMA POM PI LI US. je fus sur le point d'aller me presenter au tyran , pour faire cesser la persecution j niais le cruel Sardanapale avait condamne tous les mages ^ mon tr(?pas n'eut sauve personne : d'ailleurs Oxane portait dans son sein un gage de notre chaste amour j le nom de pere me faisait aimer la vie. Console par mon epouse, soutenu par son courage , errans de desert en desert , sans amis, sans secours , manquant souvent de nourriture, nous parcourumes la Perse , la Sogdiane, la Bactriane , toujours au moment de tomber dans les mains de nos persecuteurs , toujours rejetes ou trahis par ceux a qui nous deraandionsasile. Mais au milieu de nos perils, malgre les maux qui nous accaljlaient , I'idee de souffrir pour la verite adoucissait toules nos peines. A chaque douleur nouvelle , nous\oyions une recompense future j Tesperance nous donnait des forces, et Tamour des conso- lations. Nous penetrames enlin dans les deserts de I'Arabie. Nous euirum es dans une ca- L I VRE I X. Ill verne profonde , au milieu de laquelle ^tait un tombeau. La pierre en etait renverse'e; I'interieur du cercueil etait vide. IJne lame d'or frappa mes regards : je la saisis. A la faihie lueur qui pcnetrait dans la caverne , je lus sur cette lame ces paroles ecrites en caractcres sacres : Zoroastie , depose ici le livre de la sainie loi , le Zend-Avesta , que tu ecrivis sousTinspiration d'Oroniaze. Le jour nVst pas arrive, oiice livre, eman<^ de Dieu , doit etre connu des mortels : ta religion sera long-temps encore I'objet de la haiue des peuples. Mais un second le- gislateur , qui portera le mcme nom que toi , doit naitre dans la plenitude des temps ; il ?era conduit a cette caverne, il trouvera ton livre sacrc j et , le monirant a i'Asie , il le placera sur le trone , oii il sera la regie des nations. Pour toi , tes travaux sont finis ; prends ton chcmin vers la Phdnicie; affrontela mer orageuse, va chercher dans TOccident une tranquille patrie , ou ton nom plus inconnu ne I'en- 112 N U M A P O M P 1 L 1 r S . toure pas de p rsecuteurs. Ainsi le a cut Oroniaze : oLeis^ et ne murmure pas. Je lus deux fois ces paroles , je ne doutai point qu'un ange ne les eutlracees. Je lemis avec respect la lame d'or dans le ccrcueil ; j'y deiiosai le livre sacre qui renfermait la divine > u ^ je recouvris le tonitcau aver la pierre i iveisee , ct , prosternc centre la terre^ je iti'humiliai devant Oromaze. Apres av">ir adore son nom , je sortis de la cavernc 5 je dirigeai mes pas vers I'opu- lente Tyr. La , suivi de ma chere Oxanc , je montai sur un vaisscau pour aller cher- cher uu asile chez Ics peuples liospilaliers de la Grece ou de I'Ibcrie. Notre navire, pousse par les vents dans la mer Adria- tique, vint echouersur les coles des Fren- taniens, Oromaze, que j'invoquais , sauva mon cpouse : je la portai dans mes bras jusqu'a un village des Mar es , oCi Ton me donna riiospitalite.HolasI ma chere Oxane, faible, langulssanie, accabltie par les fati- gues de la mer, fut bientot surprise des LI VRE IX. 1 ID doulpurs de renfanteraent j elle me rendit pere d'un fils et dune fillc a la fois. Nous rdsolumes de nous ^tablir chez les Marses : quelques pieries precieuses , seals restes de nion ancienne fortime , me rendirent possesseur d'une chaumiere. Nous allions etre heureux , nous all ions jouir du repos , en adorant notre Dieu, en elevant nos enfans, quand les cruels Pcligniens , qui faisaient alors la guerre au peuple marse , surprennent noire village, le reduisent en cendres , et pcnetrent dans la cabane ou je dorniais aupres d'Oxane, entre mes deux enfans. Les barbares ! je les ai vus massacrer ma femme et mon fils ; mes pleurs , mes cris , mes efforts , ne purent les defendre. Je ne sauvai que ma fillej je la couvris de nion corps j je recus toutes les blessures que ces tigres lui destinaient : fuyant avec elle a travers I'incendie et les morts , marquant mon cliemin de mon sang, j'arrivai dans ce Tallon, oi!i mes mains ont buticette cabane^ 10. Il4 NUMA POMPILIUS. oi!i j'elevai mon Ana s, ma chere Anai's , unique et derniere consolation de quatre- vingts ans de malheurs. La voila celle pour qui senle je tiens a la vie , celle dent les traits , dont les vertus , me rappellent tous les jours Oxane. En disant ces paroles , le vieillard se jettc dans le .-eiu d' Anais. Mais Leo , Leo , qui ne respirait pas depuis la fin du recit de Zoroastre, Leo saisit sa main qu'il presse dans la sienne ; il le regaide avec des yeux animes et rem- plis de larines : Ah I par pilie , lui dit-il , dans quel lieu, dans quel village avez-vous perdu votre fils ? Dans Avia , r^poTid le vieillard , sur le bord du fleuve Aternus. Et cet enfant, continue Leo, ce fils que vous pleurez , ne portait-il pas a son cou une emeraude gravee? Oui , reprend le vieillard surpris : sa mere I'en avait pare ; ■le nom d'Oromazc en caracteres persans ^tait ecrit Embrassez votre filsl s'ecrie Leo tombant L I V R E 1 X . 1 IJ dans ses bras; je le suis, j'ai ce bonheur. Voici I'emeraude gravce : on ra'a trouve mourant dans Aviaj j'ai dans raon sein la marque dvi poignaid dont les Peligniens me frapperent. Des le premier jour oi'i je vous ai vu , j'ai senti mon coeur tressaillir : un transport, un sentiment involontaire m'ont avert! que je vous devais la vie. II dit : le vieillard ne pent r^pondre. II reconnait la pierre gravee j il y lit le nom de son Dieu : il presse Leo centre son coeur J il Taccable de ses baisers , et son ame epuisee par sa joie est prete a I'aban- donner. fIN DU NEUVIEME LIVRB. SOMMAIRE DU LIVRE DIXIE ME. Troubies k Rome. Bonlieur donl jonit Nuwia. ^^o deniande pour son ami la maiin d'Anais h son pere. Refus de Zoroastre. Discouis de Nnma. II oblient Anais. II est pret k I'^pouser. Arrivde des ambassadeurs Remains. Jls liii racontent les malheui s de Rome, la peste qui I'a d^solee ; la fin de Ro- mului , et I'election deNnma. Nnma refuse lacou- rtyine. Discovirs d'Anais pour la lui faire accepter, ^ifuma est inllexible. , iC'^'N ^-^^— ; . ''■:' \ 1 (;■ p#'t^ W--'^ / lljg^;^^/^ rpV'/*%li^?^ m?A ^IB^^^^ ^I^^M^ ^m ^gg ^— CTiiwiiiiiiii iimiiiiri IT Noiiy \ la porte. Ce n'e- taient point des eniicmi>i ( 'ctait un \ieil- lard venerahle, acvompagne de drux i^xier- riers : ils demandai'-nt rho>pitalii.e. Leo les accueille et les j;uide. JVLtis a peine la lonipe qui t'clairait la cahane a-t-elle fra|.pr jour visage, que Nunia jette un cri (ie suqirise , et court erabrasser ce vieillard ; E^:!-te done voiis , Metius . vous Tanii de Tatiiis et ce men pere ! vous , le seul appui , la deiniere es- perance de nos Sabins ! Metius elonne reccnnait a son torr !Nuuia ; il nVn pent croire sa dcbile vue : O raon niaitie , lui dit-il , 6 mon ami , je vous trouve enfin , vous que je cbeiche par toule I'ltalie I Ah I souffrcz qu'avant de vous rend'.e les hommages que je vous dois , nies bras treniblans vous serrent encore, et que mon cceur profite des der- niers inslans oCi il niVst prrinis de vous appeler mon an)i. En disaut ces mots , le 3. 12 i ^4 N U M A P O M P I L I U S. fidele INIctius embrasse mllle fois Numa. Ensuite , se retoiirnant vers les deux guer- riers qui le sviivent : Yole^'ais et Proculus, leur dit-il , notre recherche est fmie j nous avons trouve notre roi. Alors les deux Ro- mains , et M«^tius lui-meme , (lechissantie genou devant Numa , lui disent avec res- pect : Nous vous saluons , roi de Rome. Que dites-vous? interrorapit Numa eni s'efforcant de les relever .- je nc suis point votre roi , je ne merite, je ne d<^sire point cet honneur. Vous I'ctes , reprend IMctius j vous I'eies par le plus beau , par le plus legitime dos droits : le peuple vous a elu d'uue voix unanimc. Les Remains et les Sabins , prets a s'egorger pour donner nn successeur a Romulus , n'ont, trouve que IVuma qui convint aux deux peuples ; votre nom seul a calmc les haines, a retabli la Concorde. Vous eles roi , Numa , votre peuple vous attend. Numa, surpris et afHige , fait asseoir les ambassadeurs a la table de Zoroastre : L ! VRE X. Ji'J il demande h Metius de rinstruire de ces grancis c'vlneincns. Le vieux general le satisfait en te^ Irrnies : IN'os maux I'taieut ?i leur coniMe. Ro- mulus, en lioneur aux Sabins , liai meme de son peujile , Romulur iaisait gemir Rome Fous le poids d'un sceptre de fcr. Ce nV'tait plus ce conqueranLtoujours snivi de la vicloire , et qui tin moins n'immolait que les ennemis de I't^lat j c'etait un t} ran farouche, dont la politique barhare acca- blait le peuple pour le contenir, et , sur le nioindre prctf xte , faisaii couler le sang des patriciens. Tellcs scut les suites d'un premier crime : aussitot que fame en est souillee , toutes les vertuc 1 abaudonnent , tous les vices viennent I'habiter. Cependant les dieux irrittis ncus annon- cerent leur justice par les plus tcrrii>les fleaux : la peste dc'sola Rome. Jamais la contagion ne s'annonca par des sjmptomes plus eifrayans : un feu devorant Inule a la fois la poitrine et les entrailles^ les yeux «iflamnies et sanglans roulent a\ec pgiue oi'i je foulerai aux pieds le iiiallieui eux , ta ibudre me precipite tie ce trone ou je vais monter ! Je ne I'acceple qu'a cette condi- tion. Pere cles dieux et oes homraes , celte grace me sera plus chere qu'une \ictoire sur mes ennemis. II dit : les acclamations redoublent ,• le sacrifice s^acheve au milien des transports d'allegresse. Numa sort du temple, etdonze vaulours Volant a sa droite I'accompa- gnent jusqu'a son palais. Le nouveau roi fait ouvrir le tre'sor de Romulus ^ il en dislribue la moitie au peuple , et reserve I'autre pour les habi- tans des campagnes. II casse , il detruit a jamais le redoutable corps des Celeres : Je ne veux d'autres gardes, dit-il , que le respect et Pamour que me porteront mek sujets. Ma dignite m'assure I'un 5 c'est a mes vertus a m'attirer ['autre. Les C(^- ieres me sont inutiles ; qu'ils redeviennent citoyens. Deux d'entre eux ont assassin e 1 64 NUMA POMPILIUS. Tatiusj c'est a vous, Sabins, que je les abandonne. Puisse ce sang coupable elre le seul repandu sous mon regne par le glaive de ma justice ! puissent tous mes sujets vertueux ni'epargner la plus penibie de mes fonctions I Apres avoir ainsi rempli _, dans les pre- miers instans de son regne , les deux plus grands devoirs des rois , celui de soulager ie pauvre , celui de punir le coupable , il s'enferme dans son palais plusieurs jours de suite , pour se faire rendre un compte fidele de ses forceps , de scs ricliesses , sur- tout des impots qu'il pent supprimer : il medite pendant long-temps les change- men s qu'il croit necessaires. Mais, avant de rien entrepreudre , il veut aller dans le bois d'Egerie implorer les secours de Mi- nerve , et pleurer sa cliere Anais , sans te- moin et en liberie. II sort de Rome , laisse sa suite , pe- netre seul dans le bois sacre. Bientot il arrive au bciceau de verdure sous lequel LIVRE XI. l65 il \it pour la premiere fois la fille de Romulus endormie. A peine a-t-il i«- connu la place oCi etait I'amazone , qu'un tremblement le saisit , son cojur palpite avec violence , il sent ses forces defaillir. II se hate de fuir ce lieu , qu'il ne peut fuir sans soupiier encore : tant il est vrai qu'un premier amour laisse des traces ineffagahles I A peine s'est-il eloigne du berceau , qu'il s'assied aupres d'un arbre , pour se remet- tre de son emotion. La , recueilli en lui- meme , se livrant a cette douce melancolie qui fait pleurer sans faire souffrir , il se rappelle ses premieres aimees : souvenir quelquefois douloureux , mais toujours cher a un cceur sensible. ]\uma repasse dans sa memoire son premier voyage a Rome j le songe qu'il eut a la fontaine de Pan j cette nympbe Egerie qu'il ne pouvait voir, et qui lui enseignait la sagessej sa passion pour Hersilie , premiere cause de ses chagrins j son amour pour Anais dont; 1 66 NUMA POMPILIUS. le nom seul le rassure , pour Anais qu'il a perdue , niais dont I'iinage le suit par- tout , defend son coeur centre les dangers qui pourraient le menacer encore , et laisse au fond de son ame un souvenir doux , Mele d'esp(f ranee , qui , le consolanl de ses peines , I'encourage a la verlu. Numa , plus tranquille , se leve : il veut reprendre le cheniin qui conduit au tem- ple de Minerve; mais il s'cgare , s'enfonce dans le plus epais du Lois , et arrive bientot A une source d'eau vive qtd sottait d'un petit tertre ombragd pat de liaUts peu- pliei-s. Jamais Iroupeau ni berger n'avait trouble^ I'onde claire de cette (oniaine e'car- tee ^ jamais nul oi?eau, en -e desnlterant, nulle brancbe meme tombi'6, ll'en avail ride la Surface. Les arbf^?; ij[iti 'Tenviron- naient , serres les lins cofit're les aulres , formaient a Tentour du tei-ire un locage iniprnJtrable j mille arbi^isseaux , mille rosiers sauvages , n^s* sur 'e bord de la source , remplissaieht les intervalles des LIVRE XI. 167 troncs d'aibies. Ce lieu silencieux et tran- quille semblait consacre au myslere. Tel etait sans doute Tendroit de la foret de Gargaphie oi'i le tomeraire Acte'on surprit la fille de Latone , ou tcl etait plus sure- ment I'asile oi'i Phoebe descend ait du cie! pour prodiguer ses charmes a Taimable Endjmion. JNuma remrrque celte retraite , il se pro- pose d'y \enir souvent. Parvenu pres de la source, il se baisse pour puiser de I'eau dans sa main. Mais au moment ou il la porte a sa bouche , une voix lui crie d'un ton severe : Qui t'.i peruiis , auda- cieux mortei , de puiser de I'eau dans cette Fontaine ? Numa iuterdit laisse tomLer cette eau , et repond d'ua accent timic'e : O naiade , pardonnez a mon ignorance ^ je ne savais pas que cette source vous fut consacree , j'aurais dii le deviner a la beauie de son onde. Tu peux t'y desalterer , repliqua la voix devenue plus douce : IN'uma , je t'ai lou- jours cheri , et je t'alleuds ici dcpuis long- l68 NUMA POMPILIUS. temps. Souviens-toi de lanymphe Ege'rie , dont Ceres t'a promis les conseils : c'est ici son asile sacre. Tu m'entendras , Numa, mais tu ne me verras point. Tu ne fran- chiras jamais Fenceinte de cet apais bo- cage j tel est la volonte de Ceres. Viens a cette fontaine toutes les fois que tu auras besoin de converser avec moi j viens me communiquer tes lois avant de les eta- blir; viens m'expliquer tes projets, tes craintes, tes esperances. Je te donnerai mes avis , sans te prescrirc de les suivre : contente de ccnseiilei, je n'ordonnerai ja- mais. Tu me ( onsulteras comme dcesse : je te parlerai comme amie. Adieu , Numa , je t'attends dans trois jours. La voix se lait : INuma immobile ecoutc long-temps encore. Penetre de reconnais- sance et de joie , il tombe a genoux , adore Ceres , remercie cent t'ois Egerie, lui adresse les voeux les plus tendres , ose I'interroger encore : m?as la voix ne repond plus. C'est en vain que Numa prete une oieille atten- tive, il n'entend dans ce bocage que le LIVRE XI. 169 bruit doux et leger que font les feuilles agitees par le zephyr. II regarde, observe autour de lui , il ne voit que des arbres touffus. Trop religieux pour concevoir seulement le desir de penetrer dans I'en- ceinte sacree , il s'eloigne k regret de la Fontaine. Certain d'etre aide par les dieux dans le gouvemement de son empire , il retoume a Rome plein d'esperance. Des ce moment , il rassemble les points principaux de legislation qu'il veut sou- metire a la nymphe : ce travail long et penible le distrait des maux que lui cause ramour. ]\uma se flalte quelqiiefois que le retour d'Anais sera peut-etre la recom- pense que les dieux accorderont a ses tra- vaux : cette idee lui rend plus cher en- core le bonheur de ses sujets. Mais les trois jours marques par la nym- phe sont expire's ^ Numa se rend a la fon- taine. II invoque Egerie. La voix se fait entendre : Es-tu content de toi, Numa? as-tu deja fait des heureux ? Helas! re- pond le monarque, il semble facile d'en 2. i5 170 NUMAPOMPILIUS. iaire : des qu'ou est sur le trone , le mnl scul devient aise. J'ai trouve ie compte qu'on m'a rendu de radmiuislralion de moil empire different de ce que j'ai vu moi-meuie. Quand j'ai parle de corriger Jes abus , on ma. dit qu'ils etaient ueces- saires ; on ni'a fait craindre des maux plus grands : ceux qui pourraient m'aider a faire le hien sont interesscs a ce que le mal sub- siste. La verite fuit devant moi ^ je suis entoure de trompeurs : la juste defiance qu'ils m'ont in?pirce, en me forcant de tout faire moi-meme , va rendre longue et penible I'execution des meilleurs projets. Peut-etre encore le fardeau sera trop pe- sant pour ma faiblesse j et le seul avanlage que j'aurai sur un mauvais roi sera de gemir le premier du mal que je ne pourrai empecher. O Numa ! lui repond la nymphe , que d'erreurs dans ce peu de paroles ! Je re- connais bien dans toi ces hommes pas- sionnes, prets a tout entreprendre pour <;»btenir cc qvvils dcsircnt, et dccourag^s LIVREXI. 171 au premier obstacle. Sil etait facile de Lien rc'gner, oi\ serai I la gloire des grands rois ? Sans doute on voudra te tromper , sans doute on t'environnera de pieges. La flatterie, la fausse gloire, la rtise , la "vo- lupte, habitent aup.es du lr6n*e : cachees sous un masque Irompeur, I'oeil otivert sur le coeur du roi , elles attendent , pour s'en lemparer, le premier moment de faiblesse. L'intcret les tient sans <:esse eveillees : si le raonarque sorameille un instant , 11 est "vaincu. Mais ces ennemis daKgereux ne sent presque plus redoutables ' aussitot qu'ils sont reconnus j et ta premiere occu- pation , ton etude la pltis importante , c'est d'apprendre a les reconnaitre. Geux qui t'oLsederont de plus pres , ceux qiii trou- veront tout facile , qui flattcront tes gouts, qui seront tou jours de ton sentiment, voila les ennemis , Numa. Chasse-les , non de ta cour, elle deviendrait deserte , mais de ton Cioeur, de tes conseils : meprise-les , et ne CrainS pas de le Icur temoignei' ^ tu ef- fraieras pent - elre la generation toujours 172 NUMA POMPILIUS. renaissante de ceux qui voudraient leur ressembler. Mais garde-toi de r(fpandre ce mepris sur lous les hommes ! cette deliance , cetle mauvaise opinion de ITiumanile entiere , serait aussi injuste que falale ; elle produi- rait I'indifference svir le choix de ceux qu'on eleve : de la iiaissent tous les maux. Quoique loi , tu n'es qu'un homrae : I'a- mour des vertus qui t'anime peut animer d'autres etres semblables a toi. Estirae done les hommes , estime meme quelques courtisans : il en est qui aiment la vertu , qui cherissent I'elat et leui' mattre. Ccux- la ne le disent jamais^ mais le peuple le dit pour eux : ils ne briguent point les places 5 mais la nation les leur donne. Ne crains pas d'etre de J'avis de ton peuple j no rougis pas d'aller cbercher ceux qui ne sc pr^sentent pas. Ta majeste n'en sera point d^gradde j tu les eleves sans t'abais- ser^ et, par vine seule parole, par une marque d'amiti^ qui ne coute rien a un coeur sensible, lu doubles leurs talens, tu LIVRE XI. I7J doubles leurs vertus , sur-tout par I'amour qu'ils ont pour toi. Ah ! qu'il est beau de voir un monarque oublier I'orgueil de son rang avec ceux qui en soutiennent I'eclat! Qu'il soil terrible pour les mechans , se- vere pour les flatteurs j mais que les bons soient ses amis , et que son affabilite sera- ble dire : Je traite comnie mes egauxtous ceux dont le coeur ressemble a mon coeur. Mon plus doux plaisir, lui repondit Numa , sera d'honorer de tels hommes j mon premier soin doit etre de les trouver. ]VIais , aide meme par eux , puis - je de long-temps faire le bien ? Mon peuple est accoutume a chercher sa subsistance dans le brigandage de la guerre : il est malheu- reux de son oisivete^ elle le rend inquiet, turbulent et feroce. Ce peuple est com- pose de deux nations , souvent opposees , que je ne puis reunir qu'en leur donnant de sages lois. Ce grand ouvrage demande de longues meditations : la paix , le repos, mesont necessaires, et de toutes parts je suis menace'. La fiere Hersilie soulevs 1 5. 174 ^'UMA POMPILIUS. centre raoi I'ltalie entiere ; an premier moment elleTiendra m'assieger dans n|es murs. Les peuples vaincus parlent de s^- couer le joug. La population eSt prosque de'truite^ mes sujets , ace'ables d'imp^ts sous Romulus, ne peuvent plus Ics payief. La guerre achevera ina periej et, poui ^^iter cette guerre , jiottr desunir mes en- nemis , il faut un art qui mW etrangei-. Cet art', qu'on appelle politique , est au- dc-sus de mon esprit, Jepugne meme a mon coeur. Que ddis-j^ faii^e? Conimcni reniedier aux maitx pt-f^feetis, en empe- thant les riiaux a -venirl • IVuma , liii repondit Eg^ri^ , une v^5ryt<' ronsiante, certaine, que Ifcs rois 6ui'-"io*^ jie doivent jamais pei*dre' de titc, 'C^em que la vertu, le corui'age et- Pespritv^tM- Jhontent tous Its obstacles. Tu pos^edefe ties irois fpialitcfe, il he fiant que les ilT^l- tre ^n usage. Songeons An plus pressant danger. Avant lout, tu as besoin de la pa"iic%- prepare -toi done k la guerre : C'est lirt ^ LIVRE X I. I'jlj picceplc aiis^i ancicn que Ic raondc. Ro- mulus a du (e laisser une JiOnne arm^e , des capitaincs vaillans et expeiimentV;S : marqtie-leur de I'esiime , des ^gards 5 ho- nore comme le premier de tous les elats celui de dcfenseur de la patric. Moins on tiime la guerre , Numa , plus il taut cherir les soldals. Aflecte de t'appeler Icur com- pagnon j prodigue-leur les litres, les dis- tinctions ^ jamais I'argent : les lionneurs les rendront plus braves , les richesses les ♦jnerveraient! Souviehs-loi de cette armee de Campaniens que Leo delnaisit si faci- leraent ^ le luxe seul I'avait perdue. Pour le hamiir de tes troupes , commence par le bannir dfe ta cour : I'exemple du mattre fait tout. C'esten agissant qu'on enseigne : bois simple dans tes habits, sois fnigal dans tes repas,- teraoigne publiquement du mepris pour la mollesse, tu verras tous 4es jetines Remains affecter les vertus de leur roi. Mais ces vertus ne suffiraient pas sans ime exacte discipline. Quelque noble que 176 NUMA rOMPILIUS. soit le centurion , qu'il obeisse a son tri- Imn , comme le dernier des soldats j et que le tribun , a son tour , ne soit pas raoins soumis a son general. Apprends sur-tout a tes legions que tout homme qui porte une epe'e doit du respect a celui qui n'en a point,' qu'il faut que le meme guerrier soit un lion pour I'ennemi, un agneau pour le citoyen j que ce citoyeu et lui sont deux freres , dont I'un veille a la garde de la maison paternelle , tandis que I'autre vaque aux soins de la famille , et prepare sa nourriture avec celle de son d^fenseur. Telle doit etre ton armee : alors, si tu la confies a un general habile , si tes remparts sont en bon etat , tes arsenaux bien four- xiis , tu obtiendras facilement la paix j tu la conserveras sans avoir besoin d'employ er la politique , qui n'est jamais que la res- source du faible, ou le pretexte du me- chant. II est toujours incertain d'abuser les hommespardes paroles j il est toujours sur de leur en imposer par des actions. LIVRE XI. 477 Qu'un roisoit jusie, loyal, incapable d'at- taquer, loujours piet a se defendre ; il ne craindra point les embuches de ses voisins les plus perfides. La franchise deconcerte la ruse : c'est le combat du serpent et de Taigle ; le vil reptile a beau se replier , I'oiseau de Jupiter fond sur ltd du haul de la nue, le perce de son bee terrible, et , sans etrc fier de sa victoire , il remonte aupres du mattre des dieux. Sois done toujoui'S juste envers tes voi- sins, tou jours en elat de repousser leurs injustices : loin de troubler ton repos , ils brigueront ton alliance; Rome sera res- pectee , ct tu pouiras alors profiler des loisirs d'une paix glorieuse pour donner des lois a ton peuple. Avant de les ctablir, tu te feras a toi- meme un tableau de Tordre social , tu le presenteras a tes sujets : des ce moment les meilleures lois s'offriront a ton esprit , et seront adoptees par ton peuple avec la meoie facilite'. 178 NUMA POMPILIUS. Tu le sou\iendras que les hommes se sont rassemblcs lii;rement en socicte pour se procurer des secours ndcessaires a leur securite , aux besoins et aux consolations de la vie. Du developpement de cetle ve- r;te tu verras nailre tous les principes de •legislation. TJne subsistance facile et assuree doit ^tre le premier effet de tes lois : cVst a Tagri- culture a la doliner. Tu regaideras done la classe des aj^i'icuheurs comrac la plus utile ^ tu I'honoreras , tu assureras leurs propriet^s , tu encourageras leurs mavia- ges , tu rendras a I'art qui nourrit les hommes la (lignite qu'il doit avoir. L'agvicukuro ne peut fleurir sans les au- tres arts ^ elle les fail nattre , et les rdcom- peUse. Tu les prot^geras , tu les appellcras dans ton empire , et tu verras que ces arts faciliteront les travaux chanipetres , en oc- cupant, en nourrissant un grimd nombre (le citoyens. Lorsque les champs et les coleaux au- LIVRE XI. I-JQ ront donn«^ ce qu'ils peuvetit produire , il se trouvera des cultivatcurs liches d'un supcvilu de production^ qui nianqiTeront u une autre tcrro. De la naitra le com- inerce , que tu favoiiseras , que tu laisseras toujours libre : mais tu n'oublleras jamais que le commerce, qui fait fleurir les arts , ne peut augmenter qu'en proportion des progres de I'agricullure. Quand tu auras e'taLIi ces trois bases fondamentales de la prospcrite des etats , Tagriculture , les arts et le commerce , tu t'occuperas des autres lois , auxquelles seront egalement Foumis lous les ordres des citoyens. Elles seront en petit nombre, pour que chacun de tes sujets puisse les etudier : elles seront fcndees ^ur I'amour de rbumanite , qui est la premiere , la plus sacree de toutes les lois , la seule que la nature ait redige'e. Guide par cette regie sure, tu mettras le faible a Tabri des violences de Thomme puissant j tu lui donneras des soutiens pen- l8o NUMA P0MP1L1U9. dant sa vie , des vengeurs apres sa morr. Tu regleras les droits des epoiixj tu leur cominanderas Tvinion , la fid elite, le di- vorce. Tu donneras aux peres sur leurs enfans la puissance la plus absolue : ne crains pas qu'ils en abusenl j il n'est que trop de fils ingrats , il est bien peu de mauvais peres. Tu accorderas aux palri- ciens le droit si doux de protdger , de dc^- fendre, d'enrichir les plebeiens.Tu puniras le mensonge et I'in gratitude; tu effraieras tous les vices. En fin tu assureras a tout citoyen I'honneur et le rcpos ^ a tout riche, son bien 5 aux pauvres , des rcssources j a Forphelin , des defenseurs. O nymphe! interrompit Numa_, vous ne me parlez point de la religion : je lui dois mes premiers hommages. Ceres a daign^ proieger mon enfance , Ceres me promit les lecons d'Egcrie j jugez si je puis rhonorer assez. D'ailleurs , c'est avec la religion que je polirai mon peuple, que j'adoucirai scs mnrurs sauvages. La piete aitendrit I'ame, et , pour apprendre aux LIVRE XI. l8l homines a s'aimer, il faut d'abord leur fahe aimer les dleux. Je veux consacrer de nou- veaux pontifes ; je veux donner aux sacri- fices I'appareil le plus imposantj j'insli- tuerai des fetes dont la pompe auguste attirera les hommes a la religion, les unira davantage entre eux , etrendrafreres dans les temples ceux qui ne sont ailleurs que concitoyens. J'ai encore un projet, 6 nymphe ! que je tremble de vous avouer j mais , puisque vous lisez dansmon ame, vous pardonnerez. sans doute au motif si pur qui m'anime , au sentiment douloureux et tendre qui m'inspire ce dessein. Egerie, je suis penetre d'un saint respect pour les dieux j j'aimerais mieux mourir que d'abandonner leur culte , que de les offenser un seul instant. Mais il exisle uu etre , le plus parfait^, le plus aimable , le plus vertueux qui soit sur la terre , et il n'adore pas mes dieux. Cet etre que j^ai perdu J que je pleure sans cesse , loin de qui je ne peux gouter ni repos ni bonheur, a. i6 182 NUMA I'OMPILIUS. cetclre s'appelle AnaVs. AnaVs, nom cheil qui me fait \erser, eii le prononcant, deft larmes d'alfendrissement et de douleur, Ana s est de la religion des mages ^ elle adore un seul dieu , elle honore son em- bleme dans le soleil et dans le feu. Le soleil et le feu sont deux de nos divinites j Apollon et Vulcain ont droit a uion hom- mage: j'eleverai un temple a chacun d'eux. Je veux plus , c'est un tribut de respect et d''amour qu'il me sera bien doux de rendre a mon AnaVs; je veux instiiuer quatrepre- tresses, dont I'vinique emploi sera d'entre- lenir le feu sacre sur un autel consaiie a Vesta. Ce feu, toujours renaissaut , ce feu pur et immorlel , sera pour mon peuple Fembleme de la nature,* pour moi , I'cm- bleme de mon amour. Les quatre vestales seront ^ierges : il faudra qu'elles prouvent , pour etre admises , que leur vie est pure et intacte , comme I'clait celle d'AnaVs. A I'exemplc d'AuaVs . elles rendront un cville a ce feu dont clles seront les gardiennes : et en memoire de cettc AnaVs qu'eiles ro- LIVRE XI. l83 pii^sentcront a mcs }eux, je portcrai au plus haut degrd la veneration , le respect que I'on aura pour elles : je les ferai jouir des honneurs de la royaut^. J'espere , 6 njmphel que vous me permettrez de rendre ce tendre hommage a celle que j'adore, 4 celle a qui je dois le peu de verius que je possede , a celle que je ne verrai peut-etre plus, mais dont le souvenir si cher ne raourra jamais dans mon coeur. La nymphe fut quelque temps a re- pondre : ce silence inquietait JNuma. II fut hientot hors de peine. Roi de Rome, lui dit la voix, j'esiime ta constancej j'espere qu elle sera recompensee. Je ne m'oppose point a ce que lu honores ton Anais j mais je crains que tu n'en fasses trop pour elle, et que tu n^attaches trop d'importance aux ceremonies de la religion. Tu fus eleve dans un temple , Numa 5 prends garde de regner en pretre. Autanl la piete eleve rhomme qui sail lui donner de justes bor- nes , autant elle rend petit celui qui la pousse trop loin. Les coeurs tendres y sont l84 NUMA POMPILIUS. sujets j et les malheurs de I'amour rendeut ce danger plus grand. Ta raison doit Tevi- ter : elle doit te dire qu'un roi religieux pent etre un grand homme, niais qu'uu roi superstilieux ne Test jamais. Je suis loin de te precher Fingratitude et I'ouljli des dieux. Honore-les , Numa , tu le dois : mais honore-les en servant les hommes. Laisse a la piete mal ^clairdeles pueriles pratiques qu'elleseule a inventee^j observe de ta religion les grands preceptes qu^elle enseigne. CVst a Cores sur-tont que tu veux mar- quer la reconnaissance ? Va parcourir les Qampagnes, vetu comme tin laboureurj 3iieIe-toi parmi ceux qui te croiront leur iiere; parle-leur des lois de Nuniaj in- form e-toi des abus , des suites funestes qu'elles peuvent avoir ^ critique-les poury encourager les autres , et retiens mieux le peu de mal qu'on en pouria dire que les nombreux eloges qu'on en fera. Visite la chaumiere du pauvre^ juge par tes ) eux de ses Lcsoius j c«resse Teufan^ L 1 \ RE Xi. lO i demi-nu qui pleure auprts de sa mere malade j console son p^re afdige : fais-Ieur esperer des secours du ciel ou du roi j et , de retour dans ion paiais , cnvoie-leur du pain , des habits , du blc; pour ensemencei leur lerre. Yoila le nioyen d'honorer Ceres ^ voila ce qui la flattcra plus que le sang de mille genisses.Ta piele sera bientotrecompensee ; les nioissons couvriront la teiTe ,* les vil- lages scront repeuples j Tabondance re- gnera dans les canipagnes ^ les troupeaux nom'ueux et niugissans rempliront le> verles prairies j la plaine retentira de chant> de joiej et les bergers, les laboureurs . riches , tranquilles^ heureux par tes soins . ne se livreront jamais au sommeil sans avoir prie les dieux de couserver leur bon roi . Ainsi parle ia nymphe. Nuina trans- porte s^ecrie : O ma divinite lutelaire I 6 vous a qui je devrai mon bonheur et le bonheur de tout mon peuple I par quelle fiitaJite, par quel arret cruel ;Votre presence 16. 1 80 NUMA POMPILIUS. m'est-elle interdite? Vous qui me comblez de bienfaits , tous qui m'honorez d'un in- teret si tendre, me priverez-vous toujours du plaisir si doux de contempler ma bien- faitrice? vous convrirez-vous sans cesse a mes yeux de ce voile impenetrable ? INfuma , repond aussitot la voix , ne cherche pas a lever ce voile 5 tu me per- drais sans retour. Mais suis mes conseils 5 mets tout en usage pour assurer la felicite de ton peuple j et je te promets , oui , je te jure, par le souverain des cieux , que le jour ovi tu seras le plus grand des rois , lu connatlras , tu verras Egerie. Apres avoir dit ces mots , la voix ne repond plus aux questions, aux actions de graces de Nuraa. Le roi de Rome , impatient de profiler des lecons de la nymphe , retourne les m(5- diter dans son palais, et , des le lendemain, il s'occupe de se former un conseil. II le compose des patriciens les plus cclaires, los plus vertueux^ il y joint un LIVRE XI. 187 nombrc cgal de plcbe/ens : et quand I'ordre de la noblesse lui temoigne sa surprise de se voir ainsi mel^ avec le peuple : Sena- teurs , leur repond Numa , ce melange ne vous est pas importun dans les batailles , il m'est utile dans mon conseil. Ici je iiompte m'occuper hien plus du peuple que des nobles : j'ai done besoin que les principaux du peuple puissent y defendre scs droits. J'ai besoin que ces sages con- seillers , qui n'auront pas vecu a ma cour, me parlent aVec la irancliise, avec la ru- desse meme dontun sdnateur courtisan n'a pas I'usagej je veux , si mon orgueil ou mes flatteurs me trompent sur le bonheur de mes sujets, que ces plcbeiens me disent : Roi de Rome , ne les crois pas , nous con- naissons des mallieurenx. Aide par ce conseil, que preside Ic vieux Melius , Nunia prend d'abord des mesures pour eieindre cette haine des Romains et des Sabins , capable seule de detruire le honbeur public. Pour fondre ensemble l»s 88 KUMA POMPlLltJS. deux nations , il divise par tiibus tous les liabitans de Rome. Des ce moment, cha- cime de ces classes , egalement composee de Remains et de Sabins, quitte Tesprit de parti pour ne connaitre que I'amour de la patrie. Le sage Nunia , qui oppose ainsi I'interet commun a Torgueil national , voit bientot les factions s'eteindre , et les deux pcuples n'en faiie qu'un senl. Alors il eleve un temple a la Concorde , ua autre a la Boune-foi, a la Clenience, a la Justice : il fait honorer le dieu Terme , . de hennissemens de che^aux , de retfi:ii«se- 194 NUMA POMPILIUS. ment de houcliers , vient en croissant : semhlable aux aqnilons fougueux , quand , echappes de leurs antres profonds , pre- cedes d'un long mugissement, suivis des tempcles et du ravage , ils arrivent en de- racinanl les arbres et les rocliers. Bientot du haut des murs de Rome se distinguenl des milUers de combattans. Les premiers sont les Rutules , entierement couverts de fer, armes delonguesjavelines dont les pointes acerees se reunissent au premier rang. Serr^s les uns centre les autres , les boucliers pressent les boucliers, les casques touchent les casques j leuvs aigrettes flottantes ressemblent avix ^pis d'un champ. Le fierTurnus est a leurtete. Turnus , le digne petit-fils du heros dont il porte le nom , se rejouit d'aller com- batire les descendans des Troyens. Epris des charmes d'Hersilie, il s'eslengagd, par serment, a lui livrer Numa prisonnier. Apres eux viennent les Carapaniens , faible troupe , mais nombreuse, guidtJe par LIVRE XII. 195 le merae roi que Leo prit dans Auxence. Les Volsques paraissent ensuite , sans autres amies que leurs arcs 5 ils sont com- mandes par le brave Arisbeej Arisbee , de qui les jcux sont d'attacher ensemble deux colomLes , de les faire voler dans les airs , et de couper avec sa fleche , sans blesser les oiseaux , le cordon qui les re- tient. Les Hirpins, arme's de massues, couverts de peaux de betes , s'avancent , sans garder de rang. Jadis vaincus par Romulus , ils n'oblinrent de lui la paix qu'en laissant elever au milieu de leur pays une forte- resse imprenable , occupee par les Ro- mains. Rriilant de venger cet outrage, ils ont tente , mais en vain , de s'emparer de la forteresse : c'est sur Rome meme qu'ils veulent se venger. Ce peuple farouche est conduit parun Marseplus farouche encore, le terrible Aulon , le descendant de Cacus, est a leur tete. Aulon brule pour Hersilie : jaloux de la gloire de Le'o , qu'il croit ig6 NUMA POMPILIUS. dans Rome aupres de Numa , il a defendu a ses guerriers d'attaquer ces deux enne- niis qu'il se reserve pour lui seul. Les Vesiins ferment la marche. Ces peuples , converts de boucliers IJancs, ne combattent qu'avec la fronde. Leurs cui- rasses noires , leurs barhes herissees , ins- pirent la terreur. Le pere de Camille , le vieux Messape est toujours leur roi. De- puis qu'il a perdu sa fille, entierement livra aux Hirpins ses allies , il depend d'eux ,• et , sans s'interesser a Hersilie , il la serre dans une guerre qu'clle seule a suscitee. Au milieu de cette armee, la fille de Romulus se distingue, comme un palmier parmi de jeunes arbustes. La tete couverte d'un casque brillant ceint, d'un diademe d'or, elle tient dans sa main droitc deux javelots, et porle a son bras gaucbe re bouclier, present dc Ceres, gage assure de la victoire que Numa laissadans ses mains. Cette suporJir amnzone . snr uii cliar iraine LivRj: XII. 197 par des chevaux noirs, va, 5?ient, vole dans tous les rangs , sourit a Tun , reprend I'autie, encourage le moins hardi, en- . flamme encore plvis le lenicraire ; et mon- trant les remparts dc Rome : Amis, dit- elle , voila mon bicn , \oila mon heritage^ faites-le-moi rendre, jevous restitue toiites les conquetes de mon pere. Quant a mon coeur et a ma main , je jure qu'ils seront Je prix de la tete de Numa. Elle dit ; le farouche Aulon se plaint qu'une si grande conquete soit trop facile. Turnus sourit de Torgueil du barbare , lui jette un coup d'oeil dedaigneux , et lance sur la princesse un regard d'amour, tandis que le Yolsque Arisbee, qui voit avec in- difference les appas de la liere Hersilie , s'applaudit d'etre le seul qui ne combatte que pour la gloire. Celte nombreuse armee s'etend dans la plaine , approche de Rome, et campe non loin des murailles. La consternation se re- ■pand daas ia v ille : les habitans des cam- 17' I08 NUMA POMPILIUS. pagnr- , suivis de leurs families en pleurs, charges de ce qu'ils ont pii saitver, arri- vent de toutes parts 5 les vieillards , les fenimes remplissent les temples ; les en- fans poussent des cris douloureux , les citoyens cherchent des amies ^ les soldats craignent d"'en manquer^ lout le peuple , alarme a la vue de tant dVnnemis, n'es- pere plus que dans son roi. Numa, qui a tout prevu , devient plus tranquille a I'aspect du danger : il a des vivres , des armes , des troupes braves et nombreuses. Soigneux de ne pas les fati- gucr , il leur epargne les gardes inutiles , menage leurs forces, veille sur leurs be- soins , dissipe I'elTroi general. Sur des me- sures qu'il a prises , il ne se plaint que de Fabsence de Leo , et de ce que les ennerais lui ferment le bois d'Egerie. Reduit a ses seuls conseils , comme il meditait nu milieu de la nuit les movcns dc Jeter la division parmi ses nomlneux advcrj^aircs, on vient I'avcrtir que trois I, I V Rl XIT. 199 guerriers , arretes aux portes de Rome , demandent a etre introduits : Numa or- donne qu'on les amene. A peine les a-t-il eivisages , que , reconnaissantLeo , il s'e- lance dans ses bras en poussant un cri de joie : O mon frere I je te revois I oil est- elle? oil la trouverai-je? suis-je condamne a la pleurer toujours ? Mes recherches ont ete vaines , lui re'- pondit Leo apresun tendre embrassement : j'ai parcouru tout le midi de Tltalie, je n'ai pu decouvrir les traces de Zoroastre ni d'AnaVs. Mais j'ai appris le danger qui te menace^ j'ai vu les peuples se reunir pour venir t'assieger dans Rome , et j'ai vole a ton scours. L-espoir de te faire des allies m'a donne la hardiesse de me pre- senter chez le peuple marse : j'ai ose le rassembler. Citoyens , leur ai-je dit , vous ra'avez banni; mais le desir de vous etre utile I'eraporte sur le danger de parailre ici raalgrc vos lois. Vous etes amis ou ennemis 2O0 i\ I M A P O M P I L 1 U S. des Romains : voici Finstant de les acca- Ller, OLi de vous les attacher pom toa jours. La fille de Romulus , de ce barbare agres- seur qui vint nous attaquer dans nos foyers , souleve tous les peuples contre Rome , et centre ce justt- Numa qui fut le premier a soUiciier pour vous vme paix honorable. En A'ous joignant a la fille de Romulus , vous i-omprez un traiic solennel , vous manquerez a la reconnaissance , a I'hon- n"ur j mais vous ferez peut-etre une guerre utile. Peut-etre aussi vous sera-t-il plus utile encore de demeurer g(?nercux , de se- courir Numa. Ce monarque , sauvc par vous, vous rendra le pays des Auronces , vous donncra le droit de citoyens romains , vous rcgardera comme des freres. Celui que vous trouvates juste etbon quand vous etiez pes ennemis , que sera-t-il pour des libera teurs ? Marses , dans cette occasion , comme presque toujours , le parti de Thonneur se trouve le plus avantageux. Choisissez cependant : joignez-vous a une foiilf de bar))ares conduits par la fille de LIVRE XII. 201 votre plus cruel ennemi , deja noircie de plusieurs crimes , et qui plonge le poignard dans le sein de sa patrie : ou bien volez au secours du plus juste, du meilleur des rois , d\in heros qui fut mon vainqueur , ct qui defendit vos droits dans le trait^ de paix qui vous lie encore. A peine ai-je dit ces paroles , que toute rassemblt'e s'est ecriee : Marchons au se- cours de ]\uma , et que Leo nous com- maude. Non , non , leur ai-je dit , peuple sen- sible , mais inconstant , qui m'aimez et qui m'avez banni , }e ne puis etre votre chef. Get honneur doit regarder un Marse : depuisque Numa est roi de Rome, je suis devenu Romain. Mais quand la protection des dieux me fit rompre ce peuplier au- quel vous aviez attache le comnian- dement, I'arbre fut ebranle' par quatre concurrens qui valaient mieux que nioi , sans doute. Deux d'entre eux , Liger et Penthee , ont succombe dans les combats j 101 NUMA POMPILIUS. Anion commande les Hirpins^ le vieux Soplianor n'est plus : mais il vous reste le vaillant Astor, I'aimable disciple d'A- pollon. Astor s'est signale des son enfance. Sa jeunesse seule vous fait balancer : mais sa gloire a devance son age, sa jeunesse est un meiite de plus. Marses , que le brave Astor devienne votre general : Apollon , dont il est Tami , guidera lui-meme votre armee. Pour moi , mon impatience ne me permet pas d'attendre le depart de vos guciriers; je cours a Rome annoncer a Numa que les Marses sont toujours le plus genereux des peuples. Mille cris m'ont interrompu. Le jeune Astor s'est elance dans mes bras : je I'ai pii'sente aux Marses^ j'ai soutenu le bou- clier sur lequel on Ta proclanie. Certain que ce general allait voler a la defense , j'ai prccipite mes pas pour arriver avant lui , pour disputer aux Sabins memes le plaisir tie s'exposer pour toi. A ces mots, Numa se jette de nouveau tivRE XII. IOC) 4 NUMA POMPILIUS. ct, d^s ce jour, je te I'Cgarde comme le plus grand des rois. Tu as rempli mes esperances j c'est a moi de remplir mes sermens j connais eufin Egcrie. A ces mots , elle sort du bois j et Numa reconnait Anais. 11 reste immobile de sur- prise : son oeil est fixe , sa bouche ouverte , ses bras demeurent tendus. Tout a coup , poussant des sanglots_, il tombe aux ge- jioux d'Anais; il fait de vains efforts pour parler, il ne peut que verscr des larmes. Releve - toi , lui dit Anais : je ne suis point la nymphe Egcrie , je suis une sim- ple mortelle j et les honneurs de la divi> nitc me seraient moins chers