, ii (.bfl UCSR-.LIBRARX LE LIVRE DE L'INTERNELLE CONSOLAC10N PAltlS. IMPIUMKRIE OR J. CI.AYE LE LIVRE DE L'lNTERNELLE CONSOLA.C10N PREMIERE VERSION FHANgOISE DE L'IMITATION DE JESUS-CHRIST NOUVELLE EDITION avec une Introduction el des Notes PAR MM. 1. MOLAND ET CII. D'HERICAl'LT PARIS Chez P. JANNET, Libraire MDCCCLVl A MONSIEUR L'ABBE EUGENE DUMETZ SUPERIEDR GENERAL DE LA CONGREGATION DE SAINT BERTIN CE LIVHE EST DEDIE SES ANCIENS EI.EVES L. MOLAND, CH. D'HERICAULT VII INTRODUCTION e xv e siecle occupe une large place dans ce travail de restauration artis- tique et litteraire du moyen age qui s'accomplit aujourd'hui. Le nouveau livre que nous publions apporte a cette restauration im 616ment considerable et essentiel. Sans doute, ce qui distingue surtout ce siecle, c'est 1'esprit positif et bourgeois, I'observationp6n6trante et railleuse, la malice et la joyeusete, et aussi 1'ab- sence d'el^vation et d'ideal. Les idees chevaleres- ques sont degenerees, affoiblies, presque ruin^es; la noble , fiere et g6n6reuse po^sie du xn e siecle n'a plus d'echo ; la gracieuse et aristocratique fi- nesse du xni e siecle a ete ecrasee par le lourd pe- dantisme du xiv c . Ainsi, le Petit Jehan de Sain- tre , les Quinze Joyes de mariage , la farce de VIH INTRODUCTION. Pathe tin, soul, non-seulement des oeuvres remar- quables par elles-m^mes, mais d'importants docu- ments de 1'etat moral de la fin du moyen age. Tout n'est point la cependant. La foi religieuse conserve sa puissance sur les cffiurs et sauvegarde les droils du spiritualisme. Nous ne rappellerons pas le role de 1'esprit chretien en ce siecle, ses e"clatantes manifestations dans 1'histoire , et com- ment il pe"netre et vivifie encore toutes les formes de 1'art et de la po6sie. A la litterature sceptique et grivoise des conteurs, on peut opposer une lit- terature mystique et pieuse qui n'est pas moins feconde. Celle-ci, il est vrai, cree peu d'oeu- vres nouvelles; elle propage plut6t les anciennes; mais elle les reproduit a sa maniere et les adapte aux besoins du moment, quelquefois, comme nous le verrons, avec un veritable genie. De toutes les grandes traditions c'est la seule qui soit intacte et vivante. L'ame y trouve son refuge et 1'intelligence y sauve ce qu'elle a de serieux , de pur et de de- licat.Sil'idealchevaleresque est bien efface", 1'ideal religieux subsiste , un peu plus intime et familier, toutefois, comme pour s'harmoniser avec le carac- tere ge"ne>al du temps. II faut tenir compte de cette portion de la litterature du xv e siecle, sous peine de juger imparfaitement cette epoque, de restaurer cette litterature incompletement en ne donnant pas aux monuments de la pense"e chr^tienne la place qui leur appartient. Nous editons aujourd'hui le plus remarquable de ces monuments, le livre de INTRODUCTION. ix Vlnternelle consolation, qui est aussi une ceuvre excellente par elle-m^me, et un document impor- tant de l'6tat moral de la fin du moyen age. Vlnternelle consolation est sortie, an xv e siecle, du livre De Imitatione Christi. A\ant d'examiner la copie, nous aurons quelques mots a dire du mo- dele et des graves questions qu'il souleve. On sail quelle controverse opiniatre, renou- velee sans cesse avec une ardeur qui semble loin d'etre epuise'e, s'est etablie depuis trois siecles sur 1'auteur, sur la nationality , sur la date du livre de I 1 Imitation. Fabricius, au siecle dernier, ali- gnoit en triple colonne les noms des savants qui etoient entres en lice. Barbier, au commencement du n6tre , dressoit le catalogue formidable des ouvrages imprimes ou manuscrits auxquels avoit donne lieu la grande contestation. Depuis lors, il faudroit hardiment doubler et la liste des savants et le nombre des ecrits qui sont venus appuyer soit 1'une, soit 1'autre des trois theses principales. Aujourd'hui encore il n'y a point de lassitude, le zele n'est pas refroidi , personne ne s'avoue vaincu. L'Allemagne, 1'Italie, la France, soutiennent leur antique querelle. Mgr Maloii, 6veque de Malines, prend la cause de Thomas de Kempen ; Alessandro Paravia , le professeur de Turin , defend Gersen , abbe de Verceil. En France, le parti de Jean de Gerson est loin d'etre abandonne" : MM. Thomassy, Ones. Leroy ont revendique les droits du chan- celier de Notre-Dame ; et M. Mangeart , de Valen- x INTRODUCTION. ciennes, nous annonce une demonstration nouvclle et cette fois irrefutable. Malgre" ce travail incessant et cet immense bruit, ['incertitude qui plane sur ces importantes ques- tions d'histoire litteraire n'est pas dissipe"e. Tant s'en faut! il semble, au contraire, que plus l'e"ru- dition s'efforce de pene"trer dans ces obscurs pro- blemes, plus les tenebres s'e"paississent , plus les affirmations hesitent , plus le re"sultat est conjec- tural. Nous n'avons pas a entrer dans la discussion; cependant il est indispensable, pour faire connoitre le point de depart de notre examen historique et critique de Ylnternelle consolation, que nous exposions notre maniere de voir sur les points en litige. Dans la question de 1'auteur du livre De Imita- tlone Christi, le nombre des pretendants est re"- duit a trois : Jean de Gerson, Thomas a Kempis ou de Kempen, Jean Gersen, abbe de Verccil. C'est sur ces trois noms que se concentre la dis- cussion, car saint Bernard et dixautresqu'on avoit mis en avant dans le principe ont ete elimines. II n'y a de remarquable dans toute cette polemique que I'offensive ; chacun demontre peremptoirement, invinciblement que ses adversaires sont dans 1'er- reur ; chacun renverse et detruit a merveille les systemes qui lui sont opposes. Mais cela est ega- lement vrai pour tous les partis. Des trois cotes, la defense est au contraire extremement foible ; et 1'unique argument, c'est, a vrai dire, celui-ci: INTHODUCTION. xi mes contradicteurs ont tort, done j'ai raison. Et pour tous les trois la valeur de 1'argument est la meme. Notre avis, c'est que la v6rite n'est point la ; nous ne croyons pas que le fameux traite latin soit 1'oeuvre du chancelier de Paris , nous croyons encore moins qu'il ait 6te compose par le chanoine du diocese de Cologne ; et quant au problematique abb6 de Verceil , nous pensons que le seul aVan- tage qu'il ait sur les autres, c'est d'etre moins saisissable : comme on ne salt absolument de lui que les syllabes de son nom , on est en quelque sorte plus pres de la ve"rite" , parce qu'on est dans 1'inconnu. On cherche en vain 1'auteur de limitation : il n'existe pas ; ce livre n'a pas eu d'auteur , ou , si Ton veut parler comme le garde des sceaux Ma- rillac, ce livre n'a eu d'autre auteur que le Saint- Esprit . C'est sur ce point, nous le montrerons tout a 1'heure, la seule solution a laquelle on doive se tenir et qu'on puisse attendre. Lorsqu'on prend parti pour un des trois prten- dants que nous venons de nommer, la question de nationalite se trouve en meme temps resolue, mais il n'en est pas de meme quand on les a ^cartes : elle subsiste alors tout entiere. Dans quel pays le livre de 1'Imitation est-il n6? A qui appartient cette gloire, a 1'Italie, a rAllemagne, a la France? Rap- portons les opinions les plus r^centes et les plus autoris^es. M. Ern. Renan estime que 1'Imitation est originaire d'ltalie. Elle en a, dit-il,le geniepeu XH INTRODUCTION. profond, mais limpide, e'loigne" des speculations abstraites , mais merveilleusement propre aux re- cherchesde philosophic pratique.. . M. Kenan n'au- roit pas aubesoin, nous semble-t-il, a el ever de bien vives objections centre 1'Allemagne. D'un autre c6te\ dit-il encore, les Pays-Bas et les provinces du Rhin etoient comme predestines par la tranquille mysticite qu'ils inspirent, a devenir pour 1'Imita- tion comme une seconde patrie. Mais il se pro- nonce formellement centre la France et declare que le traite De contemptu omnium vanUatinn mundi n'est pas francois, sous ce pretexte qui n'est que spirituel : que la France n'a jamais e"te bien convaincue de la vanite" du monde. M. Michelet est d'une opinion toute differente : s'il pouvoit etre national, dit-il, ce livre seroit plutot francois. II n'a ni I'e'lan petrarchesque des mystiques Italiens, en- core moins les fleurs bizarres des Allemands, leur profondeur sous formes pue"riles, leur dangereuse mollesse de coeur. Dans 1'Imitation , il y a plus de sentiments que d'images; cela est francois. M. Victor Le Clerc, dans la preface qu'il a mise a la somptueuse edition de I'lmprimerie imperiale, est de ce dernier avis. II fait remarquer que les editeurs italiens du xv e siecle ont eux-memes at- tribue le traite asce"tique a des Francois, a saint Bernard , a Gerson. II releve certaines locutions si exclusivement fran^oises , que ces observations grammaticales pourroient, chez beaucoup de bons esprits , 1'emporter sur de plus hautes considera- INTRODUCTION. XHI tions, par exemple : pro nullA re mundi, pour rien au monde ; sentimenta devotionis, sentiments de- devotion, etc. Ce latin-la est en effet assez con- cluant. Nous inclinons, nous aussi, pour 1'origine francoise; nous trouvons qu'on n'a point apporte de raisons suffisamment graves de renoncer a cette gloire nationale. Ce ge"nie italien tel que le definit M. Renan, plus propre aux recherches de philoso- phic pratique qu'aux speculations abstraites, ne res- semble-t-il pas un peu au genie de la France ? Est-ce done par defaut de profondeur que se distingue 1'Imi- tation ? Comment admettre d'ailleurs que ce li vre soit tellement etranger au genie de la France , lorsque nous voyons que c'est non pas en Italie, non pas en Allemagne, mais en France qu'il a le plus d'action et de retentissement, qu'il s'est le plus extraordi- nairement multiplie, le plus completement natura- list? On jugera si la maniere remarquable dont 1'esprit franc.ois a su s'approprier cette ceuvre, la faire passer sans efforts, sans contrainte, avec une puissance d'originalite presque egale a la concep- tion primitive , dans la langue vulgaire , n'est pas une preemption que cette oeuvre 6" toil foncierement sienne , et si on n'est pas en droit d'affirmer , au moins jusqu'a preuve contraire, que c'est le mme pays qui a produit pour le clerge" le livre De imi- tatione Christi et pour le peuple I'lnternelle con- solation. II en est de la date comme de 1'auteur , c'est-a- dire qu'il n'y en a pas. Expliquons notre theorie. xiv INTRODUCTION. II n'est pas exact, selon nous, de dire que le livre de 1'Imitation, ni meme telle partie du livre ait ete composee, soit au xn e , soit au xm e , soit au xiv e sie- cle. On doit dire que le moyen age fut tout ce temps a composer ce livre, a en rassembler et pr6- parer les elements. Le travail commenca proba- blement au xn e siecle, la grande epoque du mys- ticisme, dans quelque monastere inconnu. II y cut la dans le principe un recueil de pr^ceptes monas- tiques, un de ces programmes dont, suivant la regie de certains ordres, le moine le plus saint et le plus eloquent, ordinairement le prieur , commen- toit une page chaque matin afin qu'elle put servir de meditation aux religieux pendant le reste du jour. Le premier et le second livre de 1'Imitation gar- dent particulierement 1'empreinte de la premiere epoque, conservent en plus grand nombre les ele- ments du programme monastique. On y remarque, par exemple, que la scolastique centre laquelle proteste ce livre est celle des realistes et des no- minaux tout occupee de definitions de genres et d'especes ; quid curx nobis de generibus et spe- ciebus? Que lorsqu'il veut citer des modeles d'Or- dres jeunes et fervents, il cite les fondations des xi e et xn e siecles, les Chartreux, les Cisterciens : Attende Carthusienses, Cisterciences... qualiter omni nocte ad psallendum Domino assurgunt. Cependant le theme primitif se developpoit par une agregation continuelle , par une sorte de cris- INTRODUCTION. xv tallisation insensible. Chaque generation monasti- que y apportoit sa pensee : conseil de sagesse, lecon d'experience ou effusion du coeur resumee dans des antitheses energiques destinees a frapper 1'esprit, dans des phrases concises imitant les ver- sets de l'criture, affectant les cadences et les assonances afin d'aider la m^moire , et rappelant ces sentences leonines qui etoient et sont encore gravies sur les murs des cloitres. Jamais 03uvre morte , mais ceuvre toujours vivante , il se de" ve- loppoit selon 1'esprit et les tendances des temps, de sorte qu'il porte plus spe"cialement , dans cer- taines parties, le cachet de certaines ^poques. Ainsi le troisieme livre semble appartenir plus particu- culierement au xm e siecle. Le mouvement plus vif de la pens6e et du style, 1'inspiration plus hardie, le drame qui se deploie dans le sublime entretien de 1'ame et du Christ, quelque chose enfin de moins roide , de moins austere, de plus doux et de plus passionne, je ne sais quoi de plus humain transporte dans ces hautes regions du mysticisme, tout cela nous revele surtout cette periode qui est comme la fleur du moyen age. Le quatrieme livre, plein d'une theologie subtile et savante, appartien- droit plus sp^cialement au xiv e siecle et au temps des grandes controverses sur 1'Eucharistie. Cependant la vie permanente qui animoit ce ma- nuel monastique empechoit les disparates trop sail- lantes, tendoit a fondre les couleurs et a harmo- niserl'ensemble. De la, dans 1'Imitation, d'une part, xvi INTRODUCTION. la difference bien marqu6e qui frappe le lecteur, lorsqu'il passe du second livre au troisieme ou du troisieme livre au quatrieme; d'autre part, I'unite, 1'homoge'neite reelle de 1'ouvrage. II est impossible en effet de supposer que les parties dont 1'Imitation se compose soient des osuvres entierement diver- ses, chacune d'une main particuliere et d'une date positive. II faut bien se garder d'aller aussi loin. Que Ton essaie d'obtenir un tel ensemble avec des fragments d'origine distincte, de substituer au troisieme livre un autre de ces dialogues entre 1'epoux et 1'epouse , entre le mattre et le disciple, dont on trouvera un assez grand nombre au xm c siecle! Que Ton choisisse, pour remplacer le qua- trieme livre , un de ces mille trailed qui ont etc Merits, et pqr les plus ce"lebres theologiens, sur le saint Sacrement de 1'autel , et Ton verra le con- traste et la discordance ! D'ailleurs toutes les par- ties du livre ne se tiennent-elles pas par une idee generate, par un ordre logique? n'y a-t-il pas entre elles un lien intime et necessaire ? Supprimez le second livre , par exemple, comment rattacherez- vous le premier au troisieme? II y aura entre ceux-ci une solution de continuite manifeste , un vide qui n'e"chappera a personne. Pouvez-vous con- side>er comme des productions inde"pendantes ces (Euvres si rigoureusement enchaine'es? Et puis, s'il y a quelque dissemblance, combien 1'analogie est plus profonde ! N'est-ce pas d'un bout a 1'autre la m6me elevation , la meme maturite d'experience, INTRODUCTION. XVH la mfirne science du coaur, le m6me ge*nie et comme la m6me ame? Nous en disons autant du style, uniforme malgre certaines nuances incontestables. Enfin quelle complication de difficult^ ! Au lieu de ce grand esprit inconnu qui auroit ecrit le poe'me de la vie interieure, il faudroit en imaginer trois , il faudroit tripler ce prodige d'impersonna- lite" qui a si bien efface" dans le livre toutes les traces de 1'auteur, il faudroit faire trois fois plus e"tonnante encore cette grace par laquelle, dit M. de Sacy, Dieu a voulu glorifier I'humilite du pieux e"crivain , de le derober a toutes les re- cherches de 1'^rudition , de le soustraire si com- p!e"tement aux investigations les plus sagaces et les plus obstinees. L'examen du livre suffit d'autre part a prouver jusqu'a 1'evidence que ce n'est pas la une oeuvre individuelle , produite tout entiere a une date fixe, dans I'espace d'une vie humaine. II est facile d'y reconnoitre une oeuvre qui s'est lentement et progressivement d6veloppee. L'ouvrage fait corps, il est vrai , il est coordonne dans son ensemble ; mais 1'ordre est peu respecte dans les details; le mme sujet , plusieurs fois repris , se re"pete d'un livre a 1'autre ; on y sent la redondance un peu confuse des interpolations successives. D'ail- leurs , si le cadre subsiste , il est au fond des choses, nullement dans la forme ; toutes les lignes, pour ainsi dire, se sont efface"es; point de transi- tions ; et il n'est aucune partie , si minime qu'elle b xvni INTRODUCTION. soit, qui ne puisse au besoin se detacher et s'iso- ler : chaque livre forme un trait6 special , chaque chapitre presente une courte instruction complete ; les paragraphes , les versets se dessinent en relief et offrent un sens par eux-memes. Enfin ce carac- tere de centon, que M. Gence a fait ressortir dans son edition de -1826, tous ces passages de 1'ficri- ture et des Peres glanes dans une longue moisson, et dont le temps a compose une trame , cette mo- sai'que de preceptes ajoutes les uns a la suite des autres, cette forme particuliere dont nous par- lions tout a 1'heure, tout cela demontre clairement qu'un homme ne sauroit ecrire ainsi , qu'il y a la un travail collectif et seculaire, I'reuvre d'une con- gregation. Le livre qui se recueilloit ainsi resumoit 1'exis- tence morale du monastere : c'etoit comme un tre- sor de raison et de piete que les religieux se trans- mettoient en I'enrichissant d'age en age; c'etoit comme la regie spirituelle, la regie de 1'esprit, au- dessus de la regie mate>ielle. Elle se copioit, elle s'ecrivoit sans doute. Toutefois I'ecriture etoit une condition accessoire dans ce travail ; le principe actif , createur, c'etoit 1'enchainement de la tradi- tion. Ce mode de production litteraire, dont nous pou- vons si difficilement nous rendre compte aujour- d : hui, n'a cependant rien d'extraordinaire. C'est presque toujours ainsi que se sont formers les grandes O3uvres dans les litteratures primitives, INTRODUCTION. xix les poemes de 1'Inde antique comme les poemes d'Homere; c'est d'une maniere analogue que se sont accomplies bien des creations du moyen age, non-seulement a 1'orabre des cloitres, mais dans la litterature la'ique et mondaine. Qui expliquera, par exemple , comment la chronique du roi Arthur est devenue le cycle romanesque de la Table-Ronde , comment la legende bretonne de Joseph d'Arima- thie est devenue la symbolique histoire du saint Graal? Ces elements, si divers cependant , se sont enchevetres et confondus pour former 1'immense composition qui est restee comme 1'expression de la haute societe f^odale; et nous y distinguons, malgre le synchronisme de la redaction derniere, les traces de la compilation successive , les trans- formations graduelles de 1'esprit chevaleresque , depuis la chevalerie sacerdotale du xi e siecle jus- qu'a la chevalerie amoureuse et raffinee dont Froissart est 1'historieu. Ce qui avoit lieu en litterature , 1'art nous le montre encore avec plus d'eclat. Croit-on que ces grandes cathedrales, qu'un siecle ne suffisoit pas a batir, s'elevoient sur un plan dessine" a priori par un architecte? Non, sans doute : un de ces mai- tres des pierres vives jetoit les fondements de 1'edifice; puis, suivant certaines donn^es ge"ne"- rales, un autre construisoit le choeur, un autre le transsept , un autre le poi tail , un autre la tour ; celui-ci de"rouloit la balustrade , celui-la d^coupoit la rosace; des mains et des temps divers prenoient xx INTRODUCTION. part au travail. Mais le monument achev6 , quoi- qu'il presentat bien des variations de style , n'en offroit pas moins un ensemble magnifique d'unite" et d'harmonie. C'est qu'une meme inspiration tou- jours vivante rattachoit 1'oeuvre du present a 1'oeuvre deja faite, et que le vrai artiste n'eHoit pas 1'homme qui passe, mais la tradition quinemeurt pas. Le ge"nie individuel n'en etoit que 1'echo plus ou moins sonore, et de la vient justement qu'il gravoit si rarement son nom sur la pierre ou sur le livre. Done le livre de V Imitation s'ebaucha ainsi pendant tout le cours du moyen age, dont il devoit re"sumer I'id^e dominante : la pense"e religieuse et le sentiment chre"tien. II s'etoit forme souterraine- ment pour ainsi dire, comme ccs sources qui mar- chent longtemps sousle sol, grossissent peu a peu, empruntant leurs elements et leurs proprie'te's aux milieux qu'elles traversent , et , quand les condi- tions sont devenues favorables, s'elancent a la sur- face. II s'acheva et exista d6finitivement dans son en- semble, suivant 1'age approximatif des plus anciens manuscrits , a la fin du xiv* siecle ou dans les pre- mieres anne"es du xv' Le manuscrit qui porte la plus ancienne date est celui de Mcelck , dat6 de 1421, renfermant le premier livre seul, sous le litre De Reformatione hominis. Le manuscrit de Grand-mont, qui contient les quatre livres avec 1'explicit Volumen internarum consolationum. INTRODUCTION. xxi est estim6 anterieur par d'habiles pale"ographes. Le manuscrit de Thevenot , qui n'a que le premier livre, sous le litre De Imitations Christi, paroit remonter a la fin du xiv e siecle, mais non au dela, s'il nous est permis d'exprimer notre opinion. Viennent ensuite le manuscrit de ffiblingen , a la date de 1433, renfermant les deux premiers livres; le manuscrit de Weingarten , a la meme date, renfermant les trois premiers livres avec 1'explicit Liber internes consolationis ; le second manuscrit de Mceclh, de 1435, contenant les quatre livres; le manuscrit de Saint-Tron, de 1437, etc. Signa- lons encore le manuscrit d'Anvers , portant la fa- meuse souscription : Finitus et completus per manus fratris Thomas a Kempis, anno 1441. Et pour mentionner tous les textes importants, le manuscrit SArona , portant le nom de Jean Ger- sen, abbe suppose de Verceil, dont la date a etc 1'objet de tant de controverses , qu'on a recu!6 jus- qu'au xin e siecle , et qui est aujourd'hui fixe gene- ralement a la premiere moitie du xv*. Telle est la premiere assise , pour ainsi dire , des textes latins connus. Comme on le voit, dans cette divulgation dont nous pouvons saisir les traces, il n'y a rien encore de personnel, aucune initiative particuliere. Ce n'est pas une premiere copie se multipliant ensuite par transcription ; non , c'est tantot un livre, tantdt deux, souvent trois, quelquefois quatre, tant6t presente's comme traite"s distincts, quatuor libelli, xxn INTRODUCTION. tant6t reunis sous un litre ge"ne"ral et groupes dans un ordre consacr6. Nous ne le voyons pas se pro- duire d'abord en tel endroit, en telle region , d'ou il se seroit ensuite repandu dans les autres; il ap- paroit en mme temps dans les divers pays de 1'Europe , en France , en Allemagne , en Italie. Pen a peu sans doute , il avoit ete , ici partiellement, la en totalite, transporte d'un monastere dans un autre monastere du m6me ordre de ces differentes contrees. C'est ainsi que ce travail de la derniere heure paroJt s'accomplir encore spontane"ment et comme de Iui-m6me. Au moment ou il se trouva fixe par des copies definitives, le Livre de vie, c'est ainsi qu'on appe- loitcesmanuelsmonastiques, etoit comme toujours une oeuvre actuelle toute pen&ree de 1'ame du temps; la calme mysticile des anciens solitaires s'etoit comme impregnee des profondes tristesses de 1'heure pr^sente ; et ce testament de tant de ge"- nerations ^coulees dans la meditation et la priere r6pondoit mieux que jamais aux aspirations et aux besoins des intelligences. Bien plus, ce tre"sor de sagesse et de resignation amasse dans la solitude devint alors necessaire au monde ; c'est pourquoi il prit corps, il devint monument e"crit, transmis- sible, et se revela au monde qui jusqu'alors 1'avoit ignore. On sait quelles e"toient ces dernieres anne"es du xiv e siecle et ces premieres annees du xv e , 1'epoque du grand schisme d'Occident. Quelle confusion INTRODUCTION. XXIH dans la chr^tiente ! Quel trouble et quelle perplexity dans les consciences! Ace moment ou Fun des predicateurs les plus veneres laissoit tomber au milieu de son auditoire tout rempli de la foi nai've du moyen age ce doute terrible , que , peut-^tre , depuis le commencement du schisme, pas une ame n'avoit 6t6 sauvee, le livre de limitation apparut pour montrer oil etoit le salut. Au milieu de la de- solation et des ruines il vint retirer 1'ame en soi, la rassurer, la ranimer et la conduire , comme si tout le reste n'existoit plus, aux pieds de Dieu seul. Dans cette disorganisation exterieure de 1'figlise participant aux desastres des choses humaines, il fit briller la lumiere eternelle, le plus pur et le plus vivant esprit du christianisme. II nous semble que si Ton devoit lui conserver une date, il faudroit lui maintenir celle-la ou il a un sens si sublime, une raison d'etre si admirable. Le xv e siecle fit subir au livre De Imitatione Christi une transformation nouvelle quiporte plus sp^cialement le caractere de cette epoque, comme s'il falloit que chaque pe>iode du moyen age eut son reflet dans 1'ceuvre qui devoit etre son principal legs aux temps modernes. Le xv e siecle fit du livre monastique un livre populaire : Ylnternelle con- so I acton. L'Internelle consolation est une version fran- Qoise de I'Imitatio Christi, la premiere sans doute et qui suit de pres rapparition du trait6 latin. C'est bien une traduction , mais c'est en m^me temps xxiv INTRODUCTION. presque une ceuvre originate. Elle a vecu pendant plus d'un siecle et demi d'une existence inde"pen- dante, a c6t6 du livre de 1' Imitation, sans se con- fondre avec lui ni avec les autres traductions fran- chises de ce livre, ayant sa renommee distincte, son influence a part; et elle a et6 pendant cet es- pace de temps un des ouvrages les plus multiplies, les plus r^pandus par 1'imprimerie. Aussi a-t-elle son importance par elle-meme et reste-t-elle un monument considerable de notre litte>ature. L'Internelle consolation, c'esiYlmitatio Ch risti 6crite en franois et arrangee pour le vulgaire, pour les simples gens, comme disoient les lettr^s du xv e siecle, pour cet immense public de la bourgeoisie et du peuple qui prend une si large part de puis- sance et d'action a ce moment de notre histoire. De cette destination expresse, de cette intention formelle qui est le veritable sens et le grand inte- ret de ce livre, resultent entre V Imitation et Vln- ternelle consolation des differences caracte>isti- ques que nous allons constater. La difference principale que pre"sentent les deux ouvrages est dans le nombre et le classement des parties. Le traite latin contient quatre parties : la premiere, quand elleporte un litre general, est iu- titulee : Admonitiones ad vitam spiritunlem uti- les. La seconde : Admonitiones ad interna tra- hentes. La troisieme : De internd consolatione. La quatrieme : De sacramento. Le livre frangais a trois parties : \ " Le traicte des ammonicions INTRODUCTION. xxv attrayans I'homme a ses interiores, c 1 est-a-dire a espiritualite (c'est la deuxieme partie de 1' Imita- tion}. 2 Le traicte de I'interiore collocucion de Nostre Saulveur Jesuchrist a fame devote (c'est la troisieme partie de {'Imitation}. 3 Le traicte de I'interiore et par/aide imitation de Nostre Seigneur Jesuchrist (c'est la premiere partie de 1' Imitation). On n'y trouve pas la quatrieme par- tie : Du saint Sacrement de I'autel. L'ordre consacre pour 1'oeuvre latine et pour 1'oeuvre francoise se justifie de part et d'autre. Le trait6 latin suit line marche progressive, ascen- dante. II commence par detacher I'homme du monde exterieur, par lui enseigner les vertus pra- tiques, 1'abstinence, la soumission, 1'amour du si- lence et de la solitude. La renonciation aux vanites et 1'amendement de la vie ne sont ici considers que comme preparation a la vie spirituelle : ce sont les preliminaires del'Imitaiio Christ/. Quand I'homme est ainsi d^tache des choses d'ici-bas et que toutes les portes de la chair sont fermees, il est introduit en lui-m^me, dans son coeur; car il faut que nous entrions en nous-memes , que nous pas- sions par notre coeur pour monter a Dieu : Ascen- dere enim ad Deum, hoc est intrare ad semetip- sum, et non solum ad se intrare, sed inejfabili quodam modo in intimis se ipsum transire '. Apres la preparation , c'est en quelque sorte 1'ini- i . Isaac de VEtoile. xxvi INTRODUCTION. tiation, c'est le second livre de Vfmitatio Christi. L'ame ainsi preparee et initiee, le troisieme livre la met en communication avec Dieu qui 1'instruit et la console; le quatrieme 1'unit a Dieu dans cette mysterieuse union eucharistique qui est le plus haut et le dernier terme de l'asce"tisme chretien. L'Internelle consolation precede differemment; elle conduit l'homme directement dans son for in- terieur, elle lui apprend a se recueillir, a purifier son ame , a tendre vers Dieu toute son affection et son desir. Alors elle lui fait entendre les donees et salutaires lecons dti Sauveur ; elle lui fait puiser la consolation et la force dans les communications divines; puis elle le ramene aux vertus pratiques, a la perfection de la vie chre- tienne, a 1'imitation du Christ. L'amendement de la vie, c'est le but principal du livre populaire et c'est par la qu'il termine et conclut. Moins profond peut- etre, moins complet dans sa theorie, il se tient, pour ainsi dire, a un degre plus bas dans le mys- ticisme. C'est pourquoi le premier livre de 1'ouvrage latin est devenu le dernier de 1'ouvrage franc.ois . d'un cdte, il est 1'acheminement a la vie spirituelle; de 1'autre , il en est la fin et 1'apogee. Cette diffe- rence est bien exprimee dans le titre general qu'on lui donne de part et d'autre ; la simplement : ad- jnonitiones ad vitam spiritualem utiles, exhorta- tions utiles... Ici avec bien plus d'emphase : Le traite de I'interieure et parfaite Imitation de notre Seigneur Jesus- Christ. INTRODUCTION. XXVH Telle est la logique generate propre a chacune des deux oeuvres. Je sais bien toutefois que cer- tains manuscrits de 1' Imitation reproduisent pr6ci- sement ces trois premieres parties rangees de meme que dans Vlnternelle consolation, le manuscrit de Clermont, par exemple. Y aurait-il eu, en effet, quelque incertitude, quelque dissidence dans 1'or- dre assign^ aux livres latins? Vlnternelle conso- lation auroit-elle e"te faite sur un texte exception- nellement dispose? Cela n'est pas impossible. Mais nous admettrions plus volontiers le contraire : comme les deux ou trois legons latines de ce genre qu'on a decouvertes sont tardives, posterieures en date au traite" Francois, et d'ailleurs d'origine fran- c,oise, nous croyons plus probable que le texte la- tin aura et6 , dans ces rares exceptions , modifie apres coup sur le modele de la version populaire. Quoi qu'il en soil, telle est bien la double methode, consacre"e des le principe, persistant jusqu'ala fin, que conservent en regard 1'une de 1'autre V Imita- tion et Ylnternelle consolation. Une difficulte toute pareille a celle que nous ve- nons de signaler doit se r^soudre de la m6me ma- niere. Le troisi6me traite de Vlnternelle consola- tion contient un vingt-sixieme chapitre intitule : Contre la vanite de ce monde, qui lui appartient en propre et qui n'existe pas dans 1' Imitation, Cependant on trouve ce chapitre : Contra vanita- tem hujus mundi, a la fin du premier livre de quelques manuscrits latins, notamment dans le xxvin INTRODUCTION. manuscrit de I'abb6 Lebeuf consent a la bibliothe- que de 1' Arsenal. II n'est pas douteux, pour qui- conque est familiarise" avec la litterature du temps, que ce chapitre, qui est comme le dernier mot de Vlnternelle consolation et qui paroit avoir 4t6 fait pour tenir la place du quatrieme livre, ne soil ori- ginal en fran^ois. On 1'aura traduit ensuite en latin et intercale dans quelques copies du livre. En relevant les differences que presentent les deux ouvrages, il ne faut pas oublier le titre dis- tinct adopte pour 1'un et pour 1'autre. A 1'origine, le trait6 latin n'a pas de titre general , ou s'il en a, c'est ce simple mot qui marque son caractere pri- mitif et la condition dans laquelle il s'est developpe : Libri vitx. On appeloit ainsi la regie dans le Ian- gage monastique. Les scribes lui donnent ensuite des litres divers, tant ,6t De Reformat 'ionehominis, tantot Liber Intern arum consolat ionum , voire meme De Musicd ecclesiasticd , comme porte un manuscrit flamand. Mais 1'usage qui preValut, ce fut de designer 1'ouvrage par 1'intitule du premier chapitre du premier livre : De Imitatlone Christi, et contemptu omnium vanitatum mundi. C'est du reste une remarque digne d'attention que cet intitul6 commando tres-bien et le premier cbapitre et le premier livre et 1'ouvrage entier. Dans le se- cond et le troisieme livre, 1'intitule du premier cha- pitre : De internet conversation, De internA Christ-i locutione ad animarn ftdelem, presente bien egalement 1'idee g6nerale, tellement qu'il est . INTRODUCTION. xxix fWquemment reproduit dans 1'explicit. On pourroit decouvrir la , il nous semble , un nouvel indice du mode de composition que nous avons essaye de definir. L'Internelle consolation conservant a son deuxieme traite 1'intitule du premier chapitre : Dialogue inte>ieur du Christ et de 1'ame fidele, choisit pour litre general le titre particulier que porte ordinairement ce troisieme livre de 1'ouvrage latin : Liber internss consolationis, Cette idee offroit, en effet, aux esprits a qui elle s'adressoit, quelque chose de plus saisissable , de plus positif et de plus actuel. La pens^e d'imiterle Christ, de s'&ever moralement jusqu'a ce divin modele, cette pensee qui resume tout le christianisme , inscrite en t6te du programme monastique, devenoit legiti- mement le titre du traite latin. Mais c'etoit la une abstraction trop haute, une formule trop id^ale pour le livre populaire. Ce qu'il faut au grand nom- bre et ce dont on avoit surtout besoin au milieu des catamite's du xv e siecle , c'est d'etre console. Aussi , la version francoise adopta ce titre qui exprimoit mieux sa mission plus douce et plus humble, d'/n- ternelle consolation. On trouvera dans quelques textes, anciens il est vrai , le mot eternelle au lieu du mot internelle , interieure. Mais c'est la une variante fautive que tout condamne , la forme latine, le sens g6ne"ral et la s6rie des Editions. Mais la veritable originality de la version fran xxx INTRODUCTION. coise est dans le texte meme et dans la trame du style. Le francois suit assez fidelement le latin, on diroit mieux qu'il 1'accompagne, tant le mouvement est libre , le tour vif et degage T tant 1'inspiration semble marcher d'elle-meme et comme spontane- ment tout pres de son guide. Dans la forme, la dif- fe>ence est radicale : le latin est concis , coup6 , sentencieux ; le francois est lie" , souple, abondant ; il passe sans s'arreter par-dessus les versets, parfois m6me par-dessus les paragraphes , enchainant les idees, poursuivant le cours de la pensee ; au lieu de s'asservir il s'est rendu maitre. Le genie de notre langue penetre et anime cette vieille traduc- tion ; et les prosateurs les plus celebres du xv e siecle, depuis Froissart jusqu'a Anthoine de la Salle, ne sont pas de plus grands ecrivains quo Tauteur, quel qu'il soil , de Vlnternelle consolation. Moins nerveux , moins precis que le latin , le francois est superieur par la grace et la naTvete". Le sentiment s'y empreint avec une douceur plus penetrante , les dans du cceur vers Dieu s'y expri- ment avec une vivacite et une suavite de paroles dont notre vieux langage bien mieux que le latin avoit le secret. Le livre monastique a passe par une ame plus tendre et plus delicate, plus triste aussi , ayant mieux goute la solitude , une ame mystique du xv e siecle, touchee , au fond de sa retraite ^ de la grande pitie qu'il y avoit alors au monde et surtout au royaume de France. Mais ce qui caract6rise plus particulierement INTRODUCTION. xxxi 1' 'Internelle consolation , c'est une sorte de petit commentaire qui intervient a chaque instant dans la version frangoise. Afin d'abaisser le trait6 ascetique a la portee des esprits les plus humbles et des intelligences les moins cultivees, le traducteur a soin d'eclaircir le sens, quand il lui paroit obscur, de le preciser, lorsqu'il lui semble vague ; il inter- prete dans la langue pratique et usuelle les expres- sions et les formules qui appartiennent au langage theologique ; il corrige les hardiesses de style qui pourroient etre cause de meprise ou d'erreur ; il explique les metaphores qu'il rencontre ou croit rencontrer dans le latin. Cette glose indiqu6e ordi- nairement par les mots : c'est a dire, c'eat assavoir, est d'une simplicite extreme ; on diroit d'un cate- chisle parlant a de petits enfants. Ainsi, le latin nous dit : Gloria boni hominis, testimonium bonx conscientise. Le franc,ois qui ne juge pas cette maxime suffi- sammentclaire, la developpe comme il suit : La gloire et la joye d'une bonne personne est le tes- moignage de sa conscience, c'est-a-dire que il s'esjouyst tant seullement en ce que en son cueur ou en sa conscience n'a point remors de peche mortel qu'il saiche, et, s'il lesc.avoit, le confes- seroit et osteroit le plustost qu'il pourroit. Le latin dit encore : Oportebat Christum pati et resurgere a mortuis et ita intrare in gloriam suam. Le francois, craignant que ce mot oportebat ne xxxii INTRODUCTION. soit pris dans une acception trop rigoureuse , ajoute une courte reflexion : L'Apostre dit qu'il convint a Jesus souffrir en ce monde et ainsi entrer en sa gloire. II fault toutesfoys entendre que ce qu'il convenoit n'estoit point de necessity a Nostre Saul- veur Jesuchrist , mais de sa grant bonte, pitie" et misericorde, voulut ainsi souffrir pour nous. Le latin, citant un verset de psaume, ne nom- mera pas le psalmiste que tous ses lecteurs con- noissent; le francois ne croira pas superflu d'in- diquer : C'est le roi David. II ira jusqu'a dire : Les enfans d'Israel , c'est assavoir les Juifz. Enfin , comme exemple de commentaire allego- rique, rapportons 1'explication assez etendue, mais curieuse, qu'il nous donne sur ces mots du texte latin : Erubesce , Sidon , ait mare. Ayes ou pren honte et vergoigne en toy, Sydon, ditlaMer. Par Sydon , qui est cits' , et vault autant a dire comme venacion , on entent gens de religion qui doibvent estre clos en leurs cloistres et unyz comme en une cite, et doibvent ensuyvir Dieu par bonne odeur et memoire de ses euvres comme les chiens venaticques la beste saulvage. Et par la Mer est entendu le monde et les mondains , auquel monde sont flotz et tempestes de cures et sollicitudes mondaines qui ne laissent ceulx qui y sont arrester ou avoir paix ne repos ne dehors ne dedans , c'est a dire a soy ne en soy ne a autruy. Dit doncques la Mer, c'est-a-dire le monde et les mondains, a Sidon , c'est aux religieux et gens d'eglises : Ayez INTRODUCTION. xxxm honte et prenez vergoigne que j'ay et prens plus grant cure, soing et peine et travail d'acquerir les biens, honneurs et estatz de ce monde que vous ne faictes a avoir et acquerir 1'amour de Dieu et les vertus , biens spirituelz , ausquelz toutesfois vous estes tenus et obligez de mettre peine d'avoir et acquerir, et qui vous sont plus necessaires et profli- tablcs, et lesquelz vous povez mieulx acquerir et a moindre peyne et travail, se vous voulez. Ces quelques traits, qu'il seroit facile de multi- plier, suffisent a donner une idee de ce systeme d'interpretation prudente, m^ticuleuse , souvent mme puerile , qui caracterise la version francoise de 1' Imitation de Jesus-Christ ecrite au xv e siecle pour les simples gens. Cette glose , tres-peu deve- loppee, car le dernier exemple que nous avons cite est exceptionnel comme dimension et comme re- cherche, n'embarrasse pas du reste la marche du livre, n'entrave pas le mouvement du style ; et elle produit souvent au contraire un sentiment de naivet6, certaine ingenuite" de pense"e et de Ian- gage qui est pleine de grace et de charme. En dehors de ce soin d'eclaircissement, le francois n'ajoute rien ou tres-peu de chose au texte latin ; et s'il le fait, c'est pour y introduire une locution proverbiale, une comparaison familiere; par exem- ple: Montaigne nest point sans vallee. Ou bien : Celui nage seurement a qui Dieu xona- tien' le menton. Mais encore cela n'arrive-t-il que tres-rarement ; et on est en droit d'affirmer c xxxiv INTRODUCTION. que cette version populaire de Vlmitatio Christi est bien une traduction et non une paraphrase. Qui a fait du livre latin un livre si complement franfois? qui a transforme ainsi, avec une telle puissance d'originalit^ et avec une telle mesure, le trait^ ascetique ? Cette question non plus n'a point de r^ponse assured ; c'est un nouveau probleme ajout6 a tous les probleraes qui environnent cette grande oeuvre du moyen age, comme si elle devoit 6tre anonyme jusques dans ce dernier travail , comme si les voiles qui cachent toute cette creation devoient s'e"tendre a la forme vulgaire qui en est le complement et la fin. II nous semble toutefois qu'il est un point que nous pouvons, apres les caracteres si distincts con- states dans les deux ouvrages , considerer comme etabli , c'est qu'on ne sauroit plus supposer que la version latine et la version franchise soient d'un m6me auteur et d'une seule main. Nous montre- rions au besoin, dans une comparaison plus appro- fondie des deux textes, de nouvelles preemptions contre une hypothese que nous ne croyons pas sou- tenable ; nous rencontrerions par exemple dans le franc.ois un certain nombre de contre-sens ou de differences de sens qu'il seroit difficile d'expliquer si on admet un auteur unique qui auroit du com- prendre et comprendre de meme ce qu'il avoit ecrit en latin. Le pr6tendant le plus se"rieux a la paternit6 de la redaction franchise , c'est 1'illustre chancelier de INTRODUCTION. xxxv Paris, Jean de Gerson. II n'a plus ici pour competi- teurs Thomas de Kempen ni Jean Gersen ; nous avons trouve seulement un temoignage favorable a un religieux inconnu du comte de la Marche. Avant d'examiner les litres de 1'un et de 1'autre , nous voulons remonter un peu plus haul dans les origines de l'oeuvre. Le trait6 De Imitatione Christi ni Vlnternelle consolation ne sont des livres isol^s et sans pr6- c6dents ; ils appartiennent a une philosophic et a une litte"rature fecondes dont ils sont le chef- d'oeuvre , mais qui bien avant eux avoient produit de nombreuses compositions du meme genre. Une longue suite d'ecrivains ecclesiastiques, dans les- quels nous retrouvons la mme doctrine , le meme sentiment, la m6me methode, forment comme une ligne"e d'ancetres an traite latin. Ceux de leurs ou- vrages qui du domaine de la the"ologie descendirent aux mains de la pie"t6 populaire sont les le"gitimes precurseurs de Vlnternelle consolacion. Au moyen age , en effet , la litte"rature a tout entiere ce qu'on appelle le caractere cyclique. Dans chaque genre , la s^rie des oeuvres se tient par un enchainement presque ne"cessaire ; elles sont unies entre elles par des liens de famille tres-^troits , de telle sorte que si Ton examine un monument sans jeter un coup d'oeil sur 1'ensemble auquel il se rattache, sans se rendre compte des monuments du mme genre qui 1'ont precede ou accompagn6 , on ne sauroit s'en former une opinion exacte ni bien xxxvi INTRODUCTION. appre"cier 1'influence qu'il a exerce"e. C'est le temps oil, dans la litterature comme dans 1'histoire, la gene"alogie a la plus haute importance. Un autre, avant nous, bien avant nous, a recueilli les elements qui nous aideront a fixer cette genea- logie de Y Imitation et de Ylnternelle consolation, a tracer un apercu sommaire des ouvrages mys- tiques dans la litterature chretienne ante"rieure au xv e siecle. Get autre, c'est justement 1'ecrivain a qui on a attribue" Vlmitatio Chris fi , a qui on peut attribuer avec plus de vraisemblance V Inter nelle consolacion , c'est Jean de Gerson. II etoit , spe- cialement dans cette branche de la theologie , ce que nous appelons un erudit ; il en avoit recherche avec predilection, e'tudie avec amour les productions anciennes ou recentes ; il les mentionne presque toutes, hormis V Imitation, dans ses nombreux ecrits. On diroit qu'il a voulu dresser la liste de tous les ouvrages, jusqu'alors autorise"s, qu'alloit surpasser et remplacer le chef-d'oeuvre encore in- connu. Le passage le plus curieux pour nous, nous le trouvons dans quelques pages du livre de la Mon- tagne de contemplation , 1'un des meilleurs ou- vrages du chancelier de Notre-Dame , compose par lui en Francois, 1'an 1400, dans sa retraite au doyenne de Bruges. La , du chapitre XXXV au cha- pitre XLII, il passe en revue les conseils desau- eurslesplus renommes : Sur la maniere d'entrer en contemplation et sur les pensees qui peuvent le INTRODUCTION. XXXVH mieux y pre"parer 1'tme. Et comme ce traite" de la Montague de contemplation est adresse par Gerson a ses soeurs germaines et aux simples gens qui ne scevent latin, il se place precisement a notre point de vue en s'attachant a signaler par- ticulierement les livres qui sont en franc,ois. Nous mettrons a profit , en le completant , en le generalisant , le travail de ce devancier illustre , dont la parole a, dans ces matieres, un int6relopperaent particulier de la doctrine chre"- tienne. II a done existe de tout temps dans 1'Eglise ; XXXVIH INTRODUCTION. il y est repr6sent6 de siecle en siecle par es plus grands esprits, de saint Jer6me a saint Augustin, de saint Augustin a saint Gregoire le Grand. En philosophie , il continue dans le monde renouve!6 la throne platonicienne qui luttera tant que le monde durera contre la theorie d'Aristote. Au moyen age , il se d^veloppe comme systeme theo- logique et forme ecole en presence de la scolasti- que dont il combat la methode artificielle et ty- rannique. L'idee fondamentale de cette theologie , c'est la distinction d'une double manifestation de Dieu et de son Verbe , 1'une par la creation , 1'autre par 1'incarnation ; deux ordres de choses, le naturel et le surnaturel , deux mondes qui coexistent eter- nellement. Cette double manifestation du Verbe divin existe dans I'homme ; il y a dans Tame humaine une rai- son superieure qui conceit par la grace, sous 1'in- spiration et 1'illumination d'en haul, une raison inf^rieure qui s'exerce par sa propre puissance dans le domaine des choses de la creation. De la une double science, la science de Dieu et la science humaine; celle-ci qui ne developpe que 1'intelligence, science incomplete, imparfaite, aride; celle-la qui developpe a la fois 1'intelligence et 1'a- mour, les deux grandes facultes de 1'ame, 1'amour surtout par lequel la creature se rapproche davan- tage du Createur ; elle est la science feconde et sa- voureuse qui associe et unit 1'homme a Dieu. La INTRODUCTION. xxxix condition premiere pour atteindre a cette science, c'est un cceur pur, et c'est ce qui explique ce mot de V Imitation : un cceur pur penetre le ciel et 1'enfer. La voie qui mene a cette science , c'est la meditation , qui est la recherche de la ve"rit6 en soi-meme et sur soi-meme; et son plus haul terme est la contemplation , dans laquelle la veVite" , re"- velee a 1'esprit , le captive , 1'enflamme et le fait participer a la vie divine. Ainsi la vraie science, qui est le plein d6veloppement de I'homme moral, 6clairant 1'intelligence dans la meditation , donne a 1'amour son objet propre dans la contemplation ; elle le met, par 1'intelligence et 1'amour, en posses- sion de la ve>ite, autant qu'il est possible d'y at- teindre en ce monde , jusqu'a ce qu'il trouve dans sa fin derniere cette possession entiere et paisible. Les oeuvres de cette e"cole , par la nature m6me des doctrines , n'avoient pas , en general, le carac- tere scientifique et subtil de 1'ecole opposed ; mais, s'adressant aux affections de Tame plus qu'a la cu- riosit6 de 1'esprit , ayant moins pour but d'argu- menter que d'echauffer les coeurs, ces oeuvres sont presque toujours des lecons de piete" , des traite"s d'oraison , des guides de la vie spirituelle et con- templative. Cette the'ologie n'avoit pas , du reste, ses apologistes les plus eloquents dans les biblio- theques ; elle se pratiquoit avec plus d' eclat qu'elle ne se discutoit : c'etoit la doctrine des saints , la science des coeurs frappes de 1'amour de Dieu ; et I'ange de cette 6cole n'a point fait de livres; c'est xxxx INTRODUCTION. 1'humble saint Francois , le patriarche des Men- diants. L'epoque la plus florissante et la plus feconde de la tradition mystique, c'est le xn e siecle, qui nous offre les noms de saint Bernard , de Hugues de Saint-Victor, de Richard de Saint-Victor, d'Isaac de 1'Etoile. C'est dans ce siecle ou I'elevation de la pensee est egale a 1'energie de 1'action , ou le ce- nobitisme surtout, austere encore, est au plus haul degr6 de puissance et de splendeur, que com- menca peut-etre obscurement au fond d'un mo- nastere le livrequi sera 1' Imitation. Pendant que se recueilloit ainsi cette pure et fine fleur de 1'as- cetisme, pendant que sepreparoit dans la solitude le resume le plus parfait et le plus attrayant de la doctrine mystique , cette doctrine suivoit au dehors une marche parallele et se manifesto! t dans de grands 6crivains. Saint Bernard, dit Gerson, recite delui meismes que au commenchement de sa conversion il vist que besoing avoit de bonnes osuvres et de merites plus qu'il n'en povoit avoir de soy; si s'advisa qu'il fe- roit tant que il auroit des merites de Jhesucrist. Et des lors pensa il dilligamment a toute la vie de Jhesucrist depuis sa concepcion jusques a son as- cension ; et de toutes les paynes de Jhesucrist en fist comme ung fardel de mirre et le mist conti- nuelement sur sa poittrine par sainte recordacion et compassion. Et par ce concluz-je que saint Ber- nard commenga la vie contemplative et a y mon- INTRODUCTION. xxxxi ter, a penser la viede Jhesucrist Nostre Seigneur; come aussi nous lisons cle sainte Cecile qui tous- jours portoit 1'euvangile Nostre Seigneur, c'est a dire la memoire de sa vie ; et ne cessoit d'en parler et le prier '. Ainsi cette pensee : suivre le Christ, s'appliquer sa vie et sa passion , cette pense"e inscrite en t6te de 1' Imitation est precis&nent celle que nous rencontrons la premiere personnifiee dans saint Bernard, fiternel sujet de meditation et d'e"mula- tion, toujours propose sans doute , toujours prati- que' dans le cbristianisme , mais qui devient des lors une ide"e plus systematique , la definition de la vie religieuse et la methode de la saintete. Du xn e au xiv* siecle , un grand nombre d'ouvrages mystiques, et les plus populaires, deVelopperont ce theme par excellence, les uns cherchant dans le tableau des souffrances divines un aigmllon d'a- mour, les autres montrant un exemple et une in- struction dans tous les actes et dans toutes les circonstances de la vie du Christ. Saint Bernard, devance toutefois par 1'enseignement des legendes, comme I'indique Gerson, mil cette methode en autorite et en fit comme le programme de la pie"te et de la pi6te pratique. De la vient peut-etre que 1' Imitation fut anciennement attribute a saint Ber- nard , comme dans 1'edition de Strasbourg : qpus beati Bernardl saluberrimum, ou dans la traduc- i. Cf. S. Bernard! in cantica canticorum serm. XLIII. xxxxii INTRODUCTION. tion imprimee a Toulouse en 1488 : Le livre tres salutaire de la Imitation de Jhesucrist et du mes- prisement de ce monde compost en latin par saint Bernard ou aultre devote personne. Toujours est- il que 1'abbe Thierry de Saint-Magloire , qui recu- loit la composition de ce livre jusqu'au temps des e"vang61istes , avoit droit , dans sa paradoxale hy- pothese, d'appeler 1'abbe de Clairvaux le plus hardi plagiaire de \' Imitation '. Malgre leur celebrite' et leur influence , les 03u- vres de saint Bernard n'occupent pas une large place parmi nos monuments en langue vulgaire ; nous laissons de cote les quarante-quatre sermons du pr^cieux manuscrit des Feuillants qui date du xn e siecle; ils appartiennent a un genre de litte- rature qui est en dehors de cette 6tude. Comme expression de cette methode ascelique dont il est le representant, nous ne trouvons qu'une petite piece qui porte son nom dans quelques manuscrits; ce sont les paroles, dit le manuscrit 785x (anc. f. fr. B. I.), ce sont les paroles que sains Ber- nars disoit en oroison a la douce dame de paradis en recort de la douce souffrance du doux fix Jhe- sucrist. Ce morceau paroit avoir etc des plus goutes au moyen age et des plus repandus des le commencement du xm e siecle *. II est du reste tres-vif, tres-e"mouvant et res- drama tique. C'est un r6cit de la passion du Sauveur par Notre-Dame i . V. Gence d'aprfea le mst. du Mont-Olivet. a. Conf. mst. 7028. INTRODUCTION. xxxxm elle-raeme : dame , s' eerie 1'auteur, qui estes 1'onour du paradis, la joie dou ciel , je vous pri que vos me dites la verite de ceste chose , et que cele doulor qui fu a celui jour en vostre cuer soil el mien tous les jours que je vivrai Douce dame, encore vous pri-je que ces lermes que vous euste en cele douce mort, que je les aie tous les jours et qu'eles decourent si largement de la passion Jhesucrist vostre douz fil et mon seignour, que vos paroles et les moies ' se concordent si que nous parlons ensamble. Et Notre Dame le dist Ce sermon, car ce morceau paroit etre un sermon ou une instruction adressde a des religieuses, n'est certainement pas indigne de 1'homme qui avoit en son ame , comme parle Isaac de 1'fitoile son con- temporain, toutes les saintes delices de la charite et sur ses levres toutes les irre"sistibles effusions de la grace. A part cette piece, les oeuvres de saint Ber- nard, les Meditations, les Lamentations, les fipitres attendent lagrande epoque des traductions, c'est-a- dire la fin du xiv e siecle. Son ouvrage mystique le plus important, Sermones in canticacanticorum, n'a pas meme 6te traduit ; seulement on en a extrait vers la fin du xv e siecle un petit traite assez Strange intitu!6 dans le manuscrit 7880 : Le traicte de la vie contemplative et des secret parlez entre Dieu et 1'ame , entre 1'espous et 1'espouze ; et de moult i . Les miennes. XJOOCIV iNTHODUCTlOTf. notables matieres ; et, en la fin, des joyes et de la felicile de celle noble cite" de Jerusalem. II s'a- git de conclure le mariage symbolique de I'^poux Jesus-Christ et 1'epouse, 1'ame fidele ; le bon ange intervient comme me"diateur et messager ; le pere, apres quelques difficult^, accorde son consente- ment. Rien ne manque a I'allegorie , pas mme le cadeau de noces : En attendant que tu aies la vision de 1'espoux, dit 1'ange a 1'espouse, je te donne muremiles que tu porteras en tes oreilles, qui seront d'or entortille"es d'argent. Muremilos, c'est un ournement fait en maniere d'une chose entourtille"e comme une chainette; et ceste chose souloient porter les femmes pendues a leurs oreilles, car elles avoient anciennement les oreilles percees ; et ces muremiles estoient faictes en telle maniere qu'elles pendoient a ce trou de 1'oreille. Or voyon que signifient ces muremiles que cest ange donne a 1'espouze pour sa consolacion et pourquoi elles sont d'or entortillees d'argent... C'est ce que Hugues de Saint-Victor, qui, nous le verrons tout a 1'heure, exprime plus simplement les me'mes pen- sees, nommera les arrhes del'ame. Enfin, 1'imita- teur de saint Bernard finit par la description des joies du ciel qui seront comme les fetes de ces di- vines 6pousailles. Vray est, observe Gerson a propos de cette allegoric, commune, du reste, a pres- que tous les mystiques, vray est que ceste maniere est moult haute, forte et dangereuse pour tenir au commenchement de sa conversion, car quant on INTRODUCTION. xxxxv cuideroit penser a manage espirituel, on regliche- roit legierement en la souveriance de mariage car- nel. Saint Bernard a pour contemporain Hugues de Saint-Victor, qui est, comme son eleve Richard, le theoricien et le philosophe du mysticisme ; nous ne nous occuperons pas des grands traites de ce doc- teur, qui ne se trouvent pas, a vrai dire, dans la li- gne particuliere que nous parcourons ; nous negli- gerons meme ses opuscules : De vanitate mundi, De meditatione,. De oratione, ce dernier qui surpasse tout eloge,, d'apres 1'avis de Gerson, parce qu'ils sontrestes sous la forme latine; et nous donnerons place ici au petit traite Soliloquhnn de arrha animx, qui dans sa traduction francoise : Des.erres, ou. des arrhes , de I'espouse, est verita- blement un des precurseurs de Ylnternelle conso* lacion. C'est un dialogue entre Hugues et son ame, commencant ainsi ' : Je parleray secretement a m'ame et sarai de lui et 1L demanderai par amiable parole que nous, arons ensemble ce que je desire et convoite a sa^- voir. II n'y aura nulle personne estrange, rnais par- lerons li uns a 1'autre tous seuls par apperte et clere conscience. Et pour ce, ne je n'arai double de li demander et enquerre choses muciees et oc~ cultes dedens son cuer, ne elle n'ara honte de moi respondre pure verit^. i. M*t. 7271 2. 2. f. fr. de la Bibl. Impdr. xxxxvi INTRODUCTION. Maistre Hue commence : M'ame , je te pri que tu me dies quele chose est-ce que tu aimes dessus toutes autres choses. Je scei bien que toute ta vie est dileccion et amour et que sans amour tu ne pues estre. Mais je veuil savoir et si te prie que tu me dies et recongnoisses sans nulle cremeur et sans vergoigne quelle chose tu as esleue a amer entce toutes les choses. Cette traduction du Soliloquium est 1'oeuvre de tres-honnerable chevalier et de bonne memoire maistre Pierre de Hangest, prevost en 1'eglise d'A- miens et conseiller du roy nostre sire... qui trans- lata ledit livre de latin en franc.ois pour 1'amour des cuers devos qui ne pevent mie entendre le latin si plainement. Elle est du xiv e siecle. Beproduite dans un certain nombre de copies, imprime'e a la fin du xv e siecle, a Paris, par Simon Vostre, in-8 gothique , elle paroit avoir joui d'une assez grande popularity, que du reste 1'ouvrage justifie. II y a dans ces pages une piet6 douce et se'rieuse , une Eloquence souvent chaleureuse , presque toujours simple et 61eve"e ; on nous permettra de detacher en- core quelques lignes de la derniere reponse qui nous donneront 1'explication du titre et la conclusion du livre. L'ame, apres avoir demerit la joie dont la rem- plit parfois la pens6e de Dieu , continue comme il suit : N'est-ce mie mon ami que je ainsi sens dou- cement? Je vous prie que vous le me dites et que je sache si ce est il ; par quoi se il revient plus a INTRODUCTION. xxxxvn moi nouvelement, je li prierai de tout mon cuer que plus ne se departe de moi et qu'il veuille tousjours avecques moi demourer et manoir. Maistre Hue conclut avec Tame : Vraiment pour certain , c'est ton ami qui tant t'aime qui ainsi t'a visitee. II vient invisibles; il vient occultement ; il vient si qu'il ne peut estre tenuz. II vient pour toi touchier, non mie pour ce que tu le voies ; il vient pour toi admonester, non mie que tu le puisses comprehendre. II ne vient mie pour li tout mettre ne espandre en toi, mais pour ce que tu le puisses un pou gouster et assa- vourer ; non mie pour toi toute saouler ne ton de- sir tout emplir, maiz pour toi atraire a li par affec- tion. II te offre IPS commencailles de ta dileccion, mais pas ne te demonstre la grant plante" de la sieue f dileccion et de s'amour. Et certes c'est pro- prement Yerre de tes espousailles que il te donne maintenant... Ce sont la de ces pages de notre ancienne langue francoise qui me"ritent, il nous semble, a tous les points de vue , qu'on ne les laisse pas comple"te- ment dans 1'oubli. Le successeur imme'diat de Hugues, Richard de Saint- Victor, n'a dans aucun de ses Merits la meme saveur ni la m6me simplicity. Esprit classificateur, analyseur, il porte dans la philosophic mystique les distinctions et les subfile's de la scolastique : i. Sienne. xxxxviu INTRODUCTION. Maistre Richard de Saint- Victour, dit Gerson, fit un livre qui a cinq parties , ^uquel il traita moult soutivement et selon parfonde clergie ceste ma- tiere de contemplacion, et la devise en six ma- nieres ou especes : les deux sont en ymaginacion, deux en raison et deux en intelligence... Gerson ajoute lui-meme que toute cette th6orie lui semble plus appartenant et propre aux clercs bien fondes que aux simples gens . Le moyen age paroit avoir entierement partage cette opinion que nous ne con- tredirons pas; du moins il n'cssaya jamais de tra- duire, malgre la grande reputation de ces ouvrages, ni le Benjamin minor, ni le Benjamin major, ni m6me \ Area, mystica. A ce groupe du xn" siecle, nous joindrons Isaac abbe du monastere de 1'Etoile en Poitou, auteur d'un beau traite" De spiritu et anima '. II y a dans ce livre remarquabte , tout pe"netre de 1'esprit de saint Augustin, des passages qu'on peut mettre utilement en regard de V Imitation; nous recom- mandons le chapitre XI. Quel est le vrai bien de Tame; le chapitre XXXIV. Comment 1'ame s'e"- gale a Dieu par 1'amour ; le chapitre XLIV sur la connoissance de soi-meme et la science de sa pro- pre foiblesse. Ce rapprochement entre le traite du xn c siecle et le traite" qui paroitra au xv e servira plus que bien des controverses a eclairer les sources de ce dernier ouvrage qu'on diroit parfois esquisse et prevu par 1'abbe de 1'ordre de Cftaux. i. Tissier. Bibliotheca patrum cistercensium , t. VI. INTRODUCTION. xxxxix La tradition se continue au xin* siecle par le pape Innocent III et par Guillaume d'Auvergne e"v6que de Paris. Le premier est auteur d'un traite De contemptu mundi sive de miserid hominis , plusieurs fois traduit en franc,ois (mss. 198 f.N. D.-7272,anc. f.fr.). Le second a pour titre principal a notre attention un traite de la priere intitule Rhetor ica divina. J'ai leu de ce tres excellent docteur , dit Gerson , qu'il affermoit que les povres et les truans et les prisonniers lui avoient apris a prier Dieu... En ung de ses livres qui est appete la Rhetorique divine, il comparage oroison a ung messagier qui va en paradis demander ayde. .. et parle de ceulx qui sont devant les juges comme ils sont saiges en leurs prieres pour doubtance et le peril ou ils se voient , et que ainsi deverions- nous faire devant Dieu et plus ancoires... Mais je ne sais pas que ce livre soit en franc.oiz. La Rhe~ torica divina fut traduite seulement au xv e siecle par Nicolle Sellier (V. mst. 7277) qui commence ainsi : Quelle et comme grande soit la dignite 1 d'oroison, clerement peult apparoir a plusieurs qui le veulent et peuvent voir... Mais le grand nom de cette tradition au xui* sie- cle, c'est saint Bonaventure, le docteur seraphique, celui de tous les ecrivains mystiques qui est le plus pres de 1' Imitation. Nul en efiet n'a poss&te plus que lui la science salutaire , celle qui feconde le coeur en m6me temps que 1'esprit et qui fait naitre la pi6t6 dans les ames : Idoneus et securissimus d L INTRODUCTION. ad illuminandum intellectum, ad inflamman- dum affectum , comme parle Gerson. Afin de ne pas toucher trop legerement a une telle renomm6e, nous nous en tiendrons a notre point de vue spe- cial, celui de la vulgarisation des oeuvres par la langue franchise. Les plus beaux livres de ce doc- teur, la Collatio de contemptu mundi, le Solilo- quium, \' Itinerarium mentis in Deum resterent au moyen age sous leur forme latine; nous n'en connoissons pas du moins de traduction ancienne. La litterature lai'que donna la preference au Sti- mulus amoris et aux Medilationes vitas Chrisli. Ces deux ouvrages, qu'une critique peu judicieuse, selon nous, a contestes a saint Bonaventure, en- troient mieux dans les idees communes, dans le sentiment et le gout de l'e"poque ; ils d&veloppent 1'un et 1'autre la grande these de 1'ascetisme prati- que : on doit chercher dans la vie et la passion du Christ, pour employer le langage du temps : le sou- verain exemplaire de toutes les vertus, 1'accomplis- sement de tous les commandemens de la loi et la clef de toutes les perfections ; il faut en un mot que 1'ame chretienne soil tran&formee en crucifix, suivant 1'energique expression du traducteur du Stimulus amoris. Saint Bonaventure, dit Gerson en parlant de ce dernier traite\ recommande pour aller a Dieu la voie traced par saint Bernard et par Jesus-Christ lui-meme : si a pour soy Jhesucrist qui ainsi le dit et qui se nomme voye, verit6 et vye : voye par INTRODUCTION. LI laquelle on doit cheminer, verite qui le cheminant doit enluminer, vye qui le doit soustenir, nourrir et remunerer. Je vouldroye bien , ajoute Gerson , que ce livre vous fust translate en franchois, car je le juge tres-prouffi table. Ce voeu ne tarda pas a etre exauce : une traduc- tion de VAiguillon d 'amour divin est datee, en efifet, dans le manuscrit original , de 1'annee 1406. Sur le premier feuillet de ce manuscrit (7275 anc. fonds, B. Imp.), on lit ces mots : Apartient ce dit livre a treshaulte et poissant dame Marie fille de tresredoubte prince Jehan due de Berry fils de roy de France. Et le fist escripre par grant diligence frere Symon de Courcy cordelier, confesseur de ladite dame. Ce Simon de Courcy se de"signe clai- rement dans le prologue comme le traducteur du trait6 de saint Bonaventure : Le attribuant apres Dieu au devot Bonne Adventure , dit-il , non pas moins priant pour moy tres indigne translateur et administrateur de ceste presente doctrine Mais tu , 6 ma treschiere fille , de moy comme in- digne confesseur tres affectueusement desirant et sans double esperant ta perfection espirituelle , recoips devotement ce petit don Eguillon d 'amour divine appelte. Cette traduction , reproduite par de nombreuses copies, fut imprimee a Paris, par Pierre le Caron , en 1474 et 1488, avec cette mention nouvelle : Translate de latin en francoys par de bonne me- moire maistre Jehan Gerson , a 1'instruction de sa LII INTRODUCTION. soeur ou de sa fille de confession. Mention qui fit des lors autorite et que les e>udits modernes acceptent encore. C'est la cependant u"ne attribu- tion evidemment fausse ; cette traduction du Sti- mulus amoris fut faite probablement sur la recom- maudation du chancelier de Paris, mais non par lui-mme, comme 1'indique bien le manuscrit de 1406. II n'y a vraiment pas, du reste, entre le style de Gerson et celui de Simon de Courcy, de m6prise possible. Les editeurs de la fin du xv e siecle ont un peu abus6, ilfautle reconnoitre, du nom populaire de Gerson. LesMeditationes vitx Christi, compilation plus le"gendaire, moins philosophique que le Stimulus amoris, eurent pour traducteur principal Jehan Galopes, surnomm6 le Galois , doyen de 1'eglise coltegiale de Saint-Loys de la Saulcaye, au diocese d'Evreux , dont le travail est dedie a Henri V d'An- gleterre, h^ritier et regent de France. Extrayons quelques lignes du Prologue de saint Bonaventure, traduit par Jean Galopes : Icelle meditacion (de la viede J.-C.) enseigne ce que on doit faire et ce que on doit fuir, en tele maniere que les Ennemis ne les vices ne se pevent embatre en 1'ame ne aussi la decevoir ; car la perfection des vertus est la de- dens trouvee. Ou trouveras tu charit6, si haulte et excelente povret6 , et si noble humility , et si par- fonde oroison , si grande sapience , debonnairete" , obedience , patience , exemplaire et droicture de toutes autres vertus, comme tu feras es vertus de INTRODUCTION. LIU la vie Nostre Seigneur Jhesucrist? De ce parle saint Bernard au XXIP sermon qu'il fait sur les Cantiques , et dit ainsi : Pour certain , celui laboure laschement et vainement en 1'acquisicion des vertus , s'il les cuide d'autrui avoir que du Seigneur d'icelles, c'est Jhesus ; duquel Seigneur le sainctuaire est de prudence, laquele misericorde est oeuvre de justice, la vie est le miroir d'actrem- pance, et sa mort est le noble signe de force. Qui doncques 1'ensuit en ses ditz etfaiz, il ne peult errer ne estre deceu ; et par la frequente meditacion et pensee a iceulx le cueur est enflamme et anime a enquerir et ensuir vertus ; et de la en aprez il est enlumine de la vertu divine en tele maniere que il est vestu de vertu et discerne le vray du faulz, en tant que par tele illuminacion plusieurs simples personnes non clercs et non lec- trez ont congneu les grans et parfons misteres de Dieu. Et dont cuides tu que sains Francois soit parvenu a si grande habondance de vertus et a si grant et cler entendement des Escriptures et a congnoissance bien appercevant des vices et falaces de 1'Ennemi? Certainement ce a este par la fami- liarite , conversacion et frequente meditacion de Nostre Seigneur Jhesucrist. Et pour ce ainsi ardam- ment il avoit son cueur et affeccion a lui que en toutes vertus le plus parfaictement que il povoit 1'ensuivoit. Et a la par fin il fut si parfait que par 1'impression des enseignemens des sainctes playes de Jhesus, il fut du tout transform^ en lui. Or voiz LIV INTRODUCTION. tu doncques a quel degre et haulte perfeccion maine la meditacion de la vie Jhesucrist , laquele est le fondement fort sur lequel prent son assiete et exaucement le degr6 de contemplacion '. On voit combien cette idee s'est generalised et agrandie depuis le xii e siecle : elle est devenue la base de la doctrine mystique d'ou s'61event, comme dit saint Bonaventure, tous les echelons de la vie contemplative. Le point de depart et la marche du trait6 De Imitatione Christi sont Ik parfaitement traces; on devine que les premiers livres doivent 6tre a peu pres acheves des cette eppque. II n'y a plus qu'un progres a accomplir, qu'un degr6 a monter. Du programme monastique qui suit le cours de ces doctrines, il ne reste plus, sansdoute, qu'a developper la quatrieme partie : Du Saint Sacrement de 1'autel. A la suite du docleur se>aphique, g6ne>al de I'OrdredesFreres-Mineurs, eveque d'Albe, cardinal, nous citerons un nom b*ien modeste, celui de Mar- guerite de Duyn, prieure de la Chartreuse de Poletin. Cette religieuse du xin e siecle a ecrit tan tot en latin, tantdt en francois dans un dialecte inter- mediaire particulier a la region de la Haute-Bour- gogne, de la Bresse et du Bugey, des meditations, des 616vations a Dieu , des lettres, remarquables par la vive et simple effusion d'une tendre piete. M. Victor Le Clerc, qui a eu entre les mains 1'unique i. V. INTRODUCTION. LV manuscrit conserve" a Grenoble, nous a fait con- noitre cet e"crivain mystique dans un excellent ar- ticle du tome XX de VHutoire litteraire de la France. Nous renvoyons la pour plus amples details. Nous voudrions seulement reproduire ici , malgre les asperites de 1'ididme, quelques lignes de la prieure de Poletin. Voici , par exemple, comment elle traduit a sa maniere l'ide"e fondamentale que nous venons de voir developpee par les maitres de la theologie asce" tique , par saint Bernard et saint Bona venture. Dans une lettre qui porte cette suscription : A son tres chier frere et tres ame" pere en Dieu , sa povre suers salut et pardurabla amour en celui de la cui bonte" ' vivont les saintes armes a qui sont ou ciel , Marguerite s'exprime ainsi : Totesfois je vos manderay come 5 la persona qui soyt el mundo qui plus vos aymet en Diu , si come jecroy, 1'a fayt per 4 vos. Quant je soy que vos n'entendie"s mie bien ceste chose, je me mis a faire ains come il memes m'ensigna. Quant vint k> jor de la Nativite" Jhesucrist, je pris eel glorious enfant entres mes bras espiritualment. Aynsi je le portoie et 1'enbracoe tendrement entre les bras de mon cuer des 1'eure de matines tanques apres tyerci s . Apres je m'aloe un po ebatre et pensoye i. De la bontd de qui. a. Ames. 3. Comment. 4. Pour. 5. Jusqu' apres Tierce LVI INTRODUCTION. a ordener les besoinnes de quoy mes chaitis cuers est enconbre"s. A 1'oure de medis, je pensoie coment mes dous Sires fut tormented pour nos pechies et pendus tos nus en la croys entre dos * larons. Quant jo me pensoye que la tres mauvaysi compagnya s'estoyt depertia * de lui , jo me traiot ver lui a grand reverend et le declaveloye * et puis le cha- rioye sus mes espaules et puis le descendoye de la croys et le metoye entre les bras de mon cuer, et m'estoiet semblans que jo le portoye a tant legiere- ment come se fut de un ant 4 . Se je vos disoye 1'autre grant consolacion que je sentoye de lui , a peine le porres vos entendre. Le soyr, quant je m'alavo gisir, je lo metoye en mon liet 5 espiritual- ment et baysoie ses teindres mans et ces benois pie's qui ensi durament furont percia per nos pechies, et poys m'abeyssoye sus ce glorious flan qui si cruelment fut navr^s per moy, et ilicques ' je me recomandoye et 7 mon frere, et li queroe perdon de nos pechies ; et ensi me reposoe tanque a ma- tines; en continuant des la Nativite tanque a la Purification Nostre Dame. Se Nostri Sires vos donoyt graci de co fay re , je croy bien quiel i. Deux, a. D^partie. 3. D^clouols. 4. Comme s'il fat age d'un an. 5. Lit. 6. La. 7. Alnsi que. S. Qu'il. INTBODUCTION. LVH les prendit en gra 1 plus de vos que de moy. Dans cet aperc.u, ou figurent les plus grands noms de 1'figlise, nous devions une place a 1'hum- ble recluse, a cause de cette devotion douce , affec- tueuse , en quelque sorte maternelle, et parce que cette ame naive et tendre est bien sosur du tendre et naif esprit qui a ecrit I'Internelle consolation. Au xiv c siecle , la tradition se continue par le franciscain Ubertino de Casal , qui a fait \Arbor crucifixi Jesu; par J. Rusbroeck,l'auteur du traite" De ornatu spiritualium nuptiarum; parle doc- teur illuming J. Tauler, 1'auteur des Institutions divines et d'autres Merits qui ne sont pas oubli^s. Ces ouvrages , malgre leur importance , n'ont pas eu d'echo, imm^diatement du moins , dans la lan- gue francoise. Le livre d'origine etrangere qui p6- netra le plus tot chez nous, c'est un traite intitule" YHorloge de Sapience, compose premierement en allemand par frere Jean de Souhabe , mis en latin par Henri Suso , et traduit en franc.ois par un fran- ciscain de la nation de Lorraine, en i38g *. Notre litterature vulgaire produit a cette 6poque un grand nombre d'opuscules ascetiques, presque tous, il faut 1'avouer, pauvres, puerils et fastidieux. Quel- ques-uns sans doute sortent un peu de la m6dio- crite" gen^rale; on peut distinguer, par exemple, le petit traite" des Douze profits de tribulation *, . . *. Mst. 7176. Imprim^ Ji Paris, 1493 , in-fol. 3. Mst. 7861. LVIII INTRODUCTION. un peu plus grave , un peu moins entache" de pe dantisme et de mauvais gout que la plupart de ses contemporains ; mais tout cela , en somme , n'est pas du lignage qui a produit Vlmitatio Christi et Ylnternelle consolation. Nous avons hate d'ar- river a Gerson lui-meme , representant de la doc- trine mystique a la fin du xiv e siecle , qui a as- sist6 a 1'apparition du fameux trait^ latin, qui a peut-^tre fait 1'oeuvre francoise. Nous devons nous arrdter longuement & ce personnage qu'on a appe!6 le plus grand homme de son temps, qui en est certainement le type le plus caracteristique et le plus elev6, et qui aujourd'hui est rest6 eelebre surtout par le r61e qu'il joue dans la question de Y Imitation. Gerson ve"cut de i363 a 14^9, c'est-a-dire pen- dant tout le regne de Charles VI, pendant toute la dur6e du grand schisme d'Occident, la periode la plus sombre et la plus tourmenlee des annales de la France. Elu chancelier de Notre-Dame et de 1'u- niversit^ en 1398, representant officiel de cette grande corporation , qui etoit alors une puissance dans 1'fitat et dans 1'Eglise , il eut a prendre une part active et principale dans tons les eV^nements religieux et politiques. En politique, Gerson fut un des chefs d'un parti intermediaire compost des hommes les plus dis- tingues du clerge et de la bourgeoisie, prelats, membres du parlement, dignitaires de I'universit6, et dirige par le college de Navarre, qui formoit INTRODUCTION. LIX comme la tete et 1'aristocratie des dcoles. C'6toit ce parti moder6 qui, dans toutes les 6poques de trouble, accompagne le mouvement jusqu'a cer- taines limites, et se tourne ensuite contre le mou- vement qui le depasse et 1'emporte ; parti difficile a juger, dont les triomphes momentanes aboutissent toujours aux persecutions. La lutte e"toit alors entre la cour, la noblesse, repr6sentees par le due d'Or- l&ms , et la bourgeoisie, que le due de Bourgogne faisoit servir a son ambition. Entre elles ne pou- voit pas s'interposer la royaute, qui existoit a peine dans la personne de Charles VI tomb6 en demence. Gerson ceda d'abord a 1'impulsion generate qui entrainoit la bourgeoisie et le peuple dans la poli- tique du due de Bourgogne. Tant que vecut Phi- lippe le Hardi et pendant les premieres annees de Jean Sans Peur, ses harangues et ses sermons sont pleins des plus violentes censures contre le gou- vernement du regent. II suit 1'opposition bourgui- gnonnejusqu'a appuyerdoctrinalement le due Jean, qui se declare pour I'usurpateur du trone d'Angle- terre , Henri de Lancastre , contre la veuve de Ri- chard II soutenue par Louis d'Orleans; il fait entendre , au nom de I'universit6 , en presence de la cour, cette fameuse maxime : Nulla Deo gra- cior victima quam tirannus, qui tomboit comme une menace , non sur le roi , mais sur les princes qui 1'ecoutoient. L'application inattendue de cette dangereuse doctrine, 1'assassinat du due d'Orleans, frappe de consternation Gerson et tout son parti LX INTRODUCTION. et les e"claire sur la politique bourguignonne, dont les consequences ne tardent pas en effet a 6clater. L'anarchie fait descendre le pouvoir jusqu'aux mains des bouchers et de la plebe des ecoles. La haute bourgeoisie , la haute universite , le college de Navarre se tournent centre le due de Bour- gogne et deviennent armagnacs. Nul n'accom- plit cette conversion avec plus d'eclat que Gerson. Malgre les liens nombreux qui 1'attachoient a la maison de Bourgogne , il n'hesite pas, il prononce 1'eloge funebre du prince assassine" , il fait pour- suivre et condamner-par la facult6 de theologie 1'a- pologiste du meurtrier, et plus tard , au concile de Constance , il sollicitera de nouveau avec une 6nergie, une opiniatret^, une passion qui sem- blent vouloir racheter 1'appui qu'il a prele" a une cause funeste , la condemnation de Jean Petit et de sa doctrine. Pendant 1'anarchie populaire, il re- fuse, lui quarantieme, de payer les taxes qu'il juge ille"galement levees ; sa maison est pille"e , il n'e- chappe a la fureur de la populace qu'en se reTu- giant dans les hautes voutes de 1'eglise Notre- Dame. II ne pr6chera plus que les sujets perse- cuted par leur seigneur ont droit de repousser la force par la force , mais il de" veloppera avec peu de mesure encore cet autre theme : N'eleve pas ceux que la nature a fails pour obeir. Un seul principe donne quelque unite" a cette vie politique qui est celle de la fraction la plus eclaire"e et la plus sincere de la nation , c'est un INTRODUCTION. LXI ferme respect et un profond amour de la royaute chancelante, ou pour mieux dire evanouie. Dans la premiere phase de ses opinions comme dans la seconde , il reste attache" a ce fant6me de roi qui personnifie cependant la nationalite francoise ; il le proclame d'autant plus haul qu'il est plus neglige et meconnu ; il cherche a le consacrer par toutes les jconsecrations : Roy tres chrestien , roy par miracle, roy espirituel et sacerdotal... Dieux vous doint vie pardurable! Plus tard, Gerson em- brassa la fortune du dauphin Charles VII et salua, de sa retraite de Lyon , la radieuse apparition de Jeanne d'Arc. Dans les affaires religieuses , le mfime caractere se r^vele dans une conduite pareille. II s'agit de mettre fin au schisme qui dechire la chre"tiente. C'est la sa grande sollicitude, le but qu'il poursuit de toutes ses forces et de toute son cime. II se pro- nonce d'abord pour les mesures d^cisives, pour la soustraction $ obedience et 1'appel au concile ge- neral, ensuite il foiblit. EfFraye et arre'te' par la fougue et la violence des the"ologiens de I'univer- site" , cre"dule aux esp6rances d'une conciliation illu- soire , il devient partisan de la cession des deux pontifes; il se declare pour la restitution dlobe- dience au pape d' Avignon; et le due d'Orleans Iui-m6me est oblige" de lui reprocher une con- descendance trop grande dans son ambassade a Benoit XIII, en 1403. Enfin il s'apercoit que sa bonne foi s'est Iaiss6 prendre a un vain leurre, que LXH INTRODUCTION. cette route ne mene a aucune issue. Aussi , quand il tient, au concile de Constance, le moyen de mettre un terme a la desolation de 1'Eglise, il marche droit a ce denouement avec une vigueur extreme , avec une audace de parole et de doctrine qui inquiete un peu 1'orthodoxie catholique , et qu'expliquent les circonstances exceptionnelles dans lesquelles on se trouvoit. Ce qui ressort des actes du chancelier de Paris, ce n'est done pas la figure roide, austere et imper- turbable qu'on attribueroit volontiers au docteur tres-chretien, mais au contraire une physionomie mobile et fie"vreuse comme I'^poque ou il vecut. Modere" par sagesse d'esprit, ardent par vivacite" d'imagination , il apporte dans les luttes de ce temps un amour sincere, mais inquiet, de la verite" et de la justice. Trouble" dans sa conscience par le perpetuel mensonge des affaires , luttant en vain centre la fatalite des 6vnements, rduit souvent a douter de lui-me'me, du bien qu'il a cru faire, de la verite qu'il a cru defendre, il s'efforce de re"parer ses erreurs en se montrant plus inflexible et plus rigoureux, et, sous le coup des deceptions , de la desolation presente, de 1'effroi de 1'avenir, s'exalte juqu'a la passion. II n'6toit pas no" pour agir, dit-il lui-meme ; il etoit destin6 , par sa nature , a remplir dans le corps social non les fonctions du bras, mais celles de roeil qui observe et (Hudie. Nul cependant n'agit plus que lui. II intervient dans toutes les affaires et dans toutes les contro- INTRODUCTION. LXIII verses; il est toujours et partout en avant; esprit timide, emport6 aux plus grandes hardiesses; es- prit mode>e" , se jetant d'un exces dans 1'autre. II est du moins constamment et 6galement coura- geux, t6moin son refus de I'imp6t en 141 3, te"moin sa terrible lutte centre Martin Por6e et les Bour- guignons au concile de Constance^ et ce courage lui inspire parfois des paroles ou 1'heroi'sme s'as- socie curieusement a la naivete du xv e siecle. Un jour qu'il parloit dans une assemblee des seigneurs de la cour, grossierement interrompu , il re"pond doucement : Si je ne marche pas dans le droit chemin de la v6rite" 6vang61ique , il vous est facile d'avoir justice de moi par une simple voie de fait et sans causer aucun trouble ni a l'tat ni a per- sonne. Or, les seigneurs a qui il s'adressoit, hommes de guerre pour la plupart, e"toient gens a le prendre au mot. Tel est Thomme public dans Gerson ; mais, sous ce personnage, on en decouvre un autre bien diff&- rent : 1'homme de la meditation et du recueille- ment, 1'homme interieur, comme on dit dans le langage mystique , le contemplatif . Derriere 1'exis- tence militante du chef de I'universit6 se cache une vie retiree , humble , sainte , 6vang61ique , qui se revele par des traits touchants. Le grand theo- logien aime a se faire petit par charit6, a cat- chiser les enfants : Venez avec confiance , leur dit-il, nous 6changerons nos biens spirituels; je vous donnerai I'instruction , vous me donnerez vos LXIV INTRODUCTION. prieres ou plut6t nous prierons tous ensemble les uns pour les autres , afin d'etre sauves. Dans sa retraite aux Celestins de Lyon , sur la fin de ses jours, il se faisoit payer ainsi en prieres les lemons qu'il donnoit a ces petits enfants ; il les rassera- bloit au pied de 1'autel et les habituoit a repeter avec lui : Mon.Dieu , mon Cre"ateur, ayez pitie de votre pauvre serviteur Jean Gerson. A ce c6t6 de sa vie correspond une grande partie de ses ceuvres ; 1'^crivain polemiste est double" de l'6crivain asc^tique. II continua les traditions de la theologie mystique avec une preoccupation par- ticuliere , celle de la vulgarisation des doctrines. Ce n'etoit pas une ide"e nouvelle ; on la voit poindre bien auparavant surtout chez les franciscains et les dominicains ; elle s'e"toit de"ja manifested comme tendance generate par la multiplicity des traduo tions de toute espece que produisit la seconde moi- tie" du xiv" siecle; mais de la part de Gerson, elle est plus precise , plus formelle, plus efficace. Les oeuvres importantes de Gerson e"crivain mystique ne sont pas ses ouvrages latins, mais bien ses traite"s francois, composes dans 1'intention expresse de mettre la science de la piete a la por- t6e de tout le monde et principalement des femmes, de rendre cette science accessible aux laYques qui n'entendent pas le latin , car ceulx de latin , comme il le dit, en ont ace's. C'est dans ces oeu- vres de devotion intime et familiere, adresse"es pour la plupart a des religieuses , & ses soeurs ger- INTRODUCTION. LXV maines, que Gerson est vraiment remarquable, parce qu'il s'abandonne a sa nature et s'inspire uniquement de son coeur : la il nous r6vele cette delicatesse et cette puret6 de sentiment que la pratique des affaires n'a point 6mousses , il ouvre cette source secrete de charite et de tendresse que les rudes combats de la vie active n'ont point ta- rie. Ce c6te de son genie, pour nous le plus vivant et le plus aimable , Gerson le tenoit de sa mere Elisabeth Charlier, dont une lettre admirable nous a et6 conservee (manuscrit 7808) et que Gerson comparoit a sainte Monique, la mere d'Augustin. Elisabeth Charlier avoit transmis a son fils quelque chose de doux et d'affectueux , d'un peu feminin, dirions-nous volontiers , qui se sent et se goute profondement dans les productions francoises du chancelier de Notre-Dame. Au point de vue doctrinal, le caractere qu'il im- porte de relever en lui et qui est bien d' accord avec la nature de son enseignement , c'est une grande sagesse et une prudente mesure. II est moins hardi dans 1'expression que saint Bonaventure , son maitre; on pourroitdire qu'il est moins mystique; on pourroit constater de 1'un a 1'autre presque exactement le meme rapport, la mme propor- tion que de 1'Imitatio Christi a I'Internelle con- solation. II se tient en garde centre les exagera- tions ; il evite et signale avec soin les egarements de 1'enthousiasme ; il proteste surtout contre cette tendance a perdre et a absorber 1'ame en Dieu , e LXVI INTRODUCTION. qui est l'6cueil du mysticisme. Tout ce qui pouvoit compromettre ses cheres doctrines le touchoit vivement ; nous en voyons la preuve dans le zele qu'il deploie pour la censure du livre de Rusbroeck De Ornatu spiritualium nuptiaruin. Au premier rang des oeuvres francoises de Gerson, nous placons le traite intitule la Montague de contemplation, dont nous avons deja parle. Le debut de ce traite" merite d'etre transcrit comme temoignage de la sollicitude speciale qui animoit 1'auteur. Aucuns, dit-il, se pourroient esmer- veiller pourquoi de tant haulte matiere comme est de parler de la vie contemplative je vueil escripre en franc.ois plus que en latin et plus aux femmes que aux hommes, et que ce n'est pas matiere qui appartiengne aux simples gens sans lectres. Ad ce je respons qu'en latin ceste matiere est donnee et traittie de saints docteurs comme de saint Gre- goire en ses Moralites , de saint Bernard sur les Cantiques , de Richart de saint Victeur et aussi de plusieurs autres. Si peuvent avoir recours les clercs qui scevent latin a telz livres. Mais autre- ment est de simples gens et par special de mes suers germaines ausqueles je voeul escripre de ceste vie contemplative et de cest estat. Ce traite est bien , en efifet , un expose" de la doctrine mystique a 1'usage du vulgaire. L'idee fondamentale que Gerson y developpe, c'est la distinction de cette sapience ou science savoureuse, pour nous servir de ses propres termes , qui git INTRODUCTION. LXVII principalement dans 1'affection et la dilection et non dans les longues etudes. Et a ce pevent simples gens venir en laissant les cures du monde et en gardant leur cueur pur etnet Simples crestiens qui out ferme foy de la bonte de Dieu et selon ce 1'ayment ardanment ont plus vraye sapience et mieulx doivent estre appelez saiges que quelzcon- ques clers qui sont sans amour et sans affection a Dieu et a ses saints ; et aussi plaisent plus telz a Dieu. Mais qui plus est, telz clercs lui desplaiaent et sont comme sel corrompu et saiges a folies. Exemple gros ce nous demonstre : Se ung pere a deux enfans, desquelz 1'un ne saiche riens des ~secretz de son pere, fors seullement qu'il est son pere et qu'il a tout son estre de luy et que du tout le doit amer, servir et honnourer, et ainsi le fait de toute son affection. L'autre filz saura grant foison des secretz de son pere, lesquelz il lui aura revelez, et en saura lire et parler moult grande- ment; mais n'aura nulle ou comme nulle affeccion doulce et amoureuse a son pere ne a son service. Je demande lequel filz sera dudit pere mieulx ame, mieulx prise, mieulx remunere. N'est point double que le premier ; et au surplus saura apres des secretz de son pere et de tout son heritaige. Le second sera condampne pour son ingratitude, mescon- gnoissance et mauvoistie". Ce court passage suffit a indiquer le sens et la maniere de ce livre. Son but est de conduire les ames ignorantes par les voies de I'humilite, du re- LXVIII INTRODUCTION. cueillement, de la charite" et de la priere, a ces trois degre"s , a ces trois zones successives de la Montague de contemplation, la premiere ou on languit d'amour, la seconde ou Ton meurt d'amour, la troisieme ou Ton vit d'amour. Ce traite est 6crit dans un style simple , clair , d'un tour facile et rapide, et dans le meilleur langage du xv* siecle. A sa suite, nous placerons le trait6 de la Men- dicite spirittielle,auiremeTi{, dit : Le secret par le- ment de Vhomme conlemplatif avec son dme; ou encore' plus populairement : le Truand. Ce traite, quoique distinct et independent, peut 6 tre toutefois conside're' comme le complement de la Montagne de contemplation : Tun est didactique , c'est la the"orie; 1'autre est une application particuliere 1 . Gerson avoit parle dans la Montagne de con- templation, d'une methode de preparation spiri- tuelle que lui avoit sugge're'e I'ev^que Guillaume d'Auvergne, et aussi la conduite, ajoute-t-il ailleurs, d'une devote femme demourant a Aussoire qui queroit ses aumosnes de graces.... et se mettoit devant Dieu comme condamnee devant son juge , comme povre mendiante devant ungriche seigneur, comme malade devant son medecin. J'ai pieca desire^ disoit-il dans la Montagne de contemplation , sur ceste matiere faire une oroison en guise d'un povre qui demande son pain t. Plusieurs mss, notamment le 68 5o, les pr^sentent, mais a tort, dans 1'ordre Inverse. Le mat, 7308 les place dans 1'ordrt que nous avona adopte\ INTRODUCTION. LXIX de hute en huiz.... Et estmon intencion au plaisir de Dieu en escripre plus au long dedens brief temps. II tint sa promesse en crivant ce trait^ de la Mendicite spirituelle. L'en-tete que porte cet ouvrage dans certains manuscrits, 1'analyse exacte- ment : Cy commence le secret parlement de 1'homme contemplatif a son ame et de 1'ame a 1'homme sur la povretd et mendicit6 espirituelle pour aprendre recourir a Dieu et a ses sains par oroison devote et pour recevoir aumosnes de grace et de vertus. Et pour venir aussi a la science des affections qui proprement se nomme sapience, c'est a dire savoureuse science. Et contient deux parties : la premiere fait questions et responses diverses de 1'homme a son ame et de 1'ame a 1'homme ; la se- conde partie contient oroisons diverses et medita- tions que fait 1'ame en guise d'un povre mendiant qui se pourchace et quiert son pain. Ce second trait6 est sup^rieur au premier par la chaleur du sentiment, par 1'elan et 1'inspiration. Cette forme dialoguee , qui donne un mouvement si vif a ces poemes de la solitude interieure , ces situations diverses de 1'ame qui parle tant6t comme si la grace divine lui faisoit defaut, tantot comme si elle venoit d'en recevoir les consolations, ces invo- cations a Dieu, ces plaintes et ces requetes a Notre-Dame, aux anges et aux saints; tout cela fait un livre plein de verve, d'entrainement et de ferveur sincere. Prends-moi par la main , dit LXX INTRODUCTION. 1'amo a son ango gardien; conduis-moi par les grandes rues du paradis , de porte en porte, oil je puisse pleurer et crier : A la povre Vaumosne pour Dieu I Mais d'autre part, comme 1'imagination a ici un bien plus grand rdle que dans la Montague de con- templation, 1'expression est moins simple et moins pure, le style moins sobre et moins soutenu, et a c6te de belles pages, on en trouve d'autres gatees par cette affectation qui est le defaut capital de Gerson . Dans le meme genre , nous mentionnerons en- core le Dialogue spirituel entre Gerson et ses sceurs, publie tres-incorrectement par ElliesDupin, et la belle Meditation sur la passion et la mort de N. 5. J.-C.) que M. Thomassy a imprim^e a la fin de son excellente biographic de Gerson. Ces ouvrages suffisent a placer le chancelier de Notre- Dame non-seulement parmi les maitres les plus sages et les plus doux de la vie interieure , mais encore parmi les plus remarquables 6crivains de notre litterature du xv e siecle. Comment le m6me homme, dans le meme ordre de pensees, a-t-il pu ecrire ce Canticordium du pelerin ou Le cueur seulet i> qui est un modele acheve de bizarrerie et de mauvais gout? Le talent de Gerson est plein d'inegalites , comme sa vie de contradictions. II nous reste a signaler une suite d'opuscules qui nous montrent encore mieux 1'esprit apostoli- que du chef puissant et renomme de I'universit4 INTRODUCTION. LXXI de Paris, nous voulons parler de ses opuscules d'instruction populaire : \ ABC des simples gens, le Miroir de I'dme parlant des dix commande- ments, la Science de bien mourir, VExamen de conscience, etc. Ici c'est la parole du catechiste de Lyon qui vient jusqu'a nous : Entendez-vous, dit-il en commenQant 1'ABC , entendez-vous, petits enflans, filz ou filles ou aultres simples gens, je vous escriprai en francois ABC qui contient la Pa- ternostre que Dieu fist de sa propre bouche et 1'Ave Maria que 1'ange Gabriel anuncia, le Credo qui fut fait par les douze Appostres, les X cora- mandemens, et plusieurs aultres poins de nostre religion... Et, en effet, le docteur tres-chretien se met a traduire le Pater et \Ave, a exposer et ex- pliquer les principes elementaires de la doctrine catholique , a tracer de na'ives oraisons, comme ceile-ci pour obtenir grace a 1'heure de la mort : Dieu mon pere , ayez mercy de moy ; Dieu mon pere , je commande mon esprit en vos mainz ; pere de Misericorde, aiez misericorde de ceste vostre povre creature. Aidez-moi, Sire, ad ce der- rain besoing; secourez. Sire, a ma povre ame des- confortee , qu'elle ne soit ravie ne devouree des chiens d'Enfer Sire, je demande paradis non mye pour mes biensfaiz, mais en la puissance, va- leur et bonte de vostre glorieuse passion par la- quelle vous me avez daigne racheter, et par elle vous me avez achet paradis ; veuillez le moy de- LXXII INTRODUCTION. livrer, vous n'en serez ja plus pouvre ne en para- dis plus estroit. En trac.ant avec quelque developpement ce por- trait de Gerson, nous avons voulu mettre le lecteur a meme de decider s'il peut etre 1'auteur de 17n- ternelle consolation, car nous avons a apporter dans cette question des presomptions , non des preuves positives. On admettra du moins, apres tout ce qu'on vient de lire, que Ylnternelle con- solation, cette traduction de VltKitatio Christik 1'usage des simples gens , seroit une oeuvre parfai- tement d'accord avec les preoccupations ordinaires de Gerson , parfaitement conforme a 1'ensemble de ses travaux. Pour nous , de plus , il resulte d'une lecture attentive des ecrits franc.ois du celebre chancelier que cette traduction pourroit bien etre sortie de sa plume. II y a , en effet , entre le style de Gerson dans ses bonnes pages et le style de Vlnternelle consolation une ressemblance frap- pante. Le rhythme est generalement le meme; c'est la meme phrase, facile quoique compliquee, abondante et libre. Vlnternelle consolation est exempte , il est vrai , des defauts coutumiers de Gerson; on n'y trouve pas ces personnifications morales dont celui-ci fait un grand abus ; on n'y rencontre point Paresse 1'endormie , Envie la hai- neuse, Luxure 1'aveuglee, ni Gloutonnie la vilaine ; les images sont moins forcees et poursuivies moins longtemps. Mais nous avons dit que certaine par- INTRODUCTION. LXXIII tie des ouvrages du chancelier echappe heureuse- ment a cette p^dantesque rhetorique reserved pour ses harangues officielles et ses oeuvres cu* riales, comme on disoit alors : dans la Montagne de contemplation, par exemple, dans la Meditation sur la passion de Notre-Seigneur, dans ses pro- ductions familieres, pour ainsi dire, on en d6- couvre a peine les traces. Ici d'ailleurs , comment son style n'auroit-il pas ete plus ferme , plus con- starament eleve, lorsqu'il 6toit soutenu par le mo- dele qu'il avoit sous les yeux ! D'autre part, aucun autre ecrivain de ce siecle qui nous soil connu ne possede au meme degre que Gerson cette onction p6netrante , cet accent de tristesse resignee et de pi6t6 profonde , ces na'ifs elans d'une ame bien e"mue, si remarquables dans Y/nternelle consola- tion. II ne faut pas negliger et oublier non plus cette notori6te imposante qui a attribue a Gerson V Imi- tation de J.-C., ces t^moignages si nombreux des manuscrits et des editions de la seconde moitie du XT* siecle. Si cette tradition , presque generate en France , accepted meme dans les autres pays , est insuffisante a etablir ses droits a la composition du trait6 latin (ceci est, dans notre opinion, abso- lument impossible) , du moins cette tradition an- cienne n'indique-t-elle pas qu'il a participe de quel- que maniere a cette oeuvre, que son nom s'est trouve , par quelque travail , uni a I'id6e du livre, et que, dans 1'ignorance de Tauteur original , on a LXXIV INTRODUCTION. d6cerne ce litre a celui qui 1'avoit vulgarise" et po- pularise ? Ces considerations sont loin la de valoir preuve sans doute ; elles ne nous ont point paru a nous- m^mes, qui avons e" tudie consciencieusement et sans parti pris ce probleme litteraire , tellement con- cluantes que nos incertitudes aient ete dissipees et que nous ayons voulu trancher la question. Nous nous sommes bornes a exposer tout ce qui pouvoit aider et p re" pare r une solution encore a venir. Nous avons mis en regard Gerson ell'Internelle conso- lation, 1'ecrivain francois et le traite Francois ; mais nous n'avons pu les rattacher 1'un a 1'autre par aucun temoignage authentique, par aucun docu- ment materiel. II en est un qu'on presente comme tel ; mais nous dirons tout a 1'heure pourquoi nous n'en avons point fait usage. De nouvelles decou- vertes viendront etablir ou aneantir definitivement les preventions du chancelier de Notre-Dame. En toute hypothese, Gerson restera toujours , comme doctrine, comme esprit, comme sentiment et comme forme m6me, l'e"crivain ascetique le plus pres, nous ne disons pas de V Imitation , mais de Vlnternelle consolation, La source de ces incertitudes et de ces difficultes, ce qui emp^che d'arriver sur tout ce qui concerne ce livre de Vlnternelle consolation a des resultats positifs,c'estl'absence de textes anciens. Le temps a presque completement fait disparoitre les ma- nuscrits de ce livre. La bibliotheque Imperiale en INTRODUCTION. LXXV possede un sous le litre limitation de J.-C., date de 1468; la bibliotheque de Valenciennes pretend en avoir un autre date de 1462. Vlnter- nelle consolation ne nous apparoit reellement que dans les editions de la fin du xv e siecle : une Edi- tion grand in-4 gothique, imprimee a Paris, sans date, qu'on doit placer approximativement vers i4g5 ; une edition de Rouen, de 1498, et 1'edition de Michel Lenoir, de i5oo. Le renseignement qui nous reporte le plus loin est une mention inseree dans la table des matieres de 1'edition rouennaise de 1498 ; cette mention est ainsi concue : Item ledit livre fut translate en francois par ung religieux demourant en le conte de la Marche , a la requeste et pour 1'amour de tres excellent et devot prince monseigneur Bernard d'Arminac * conte de la dicte conte de la Marche, en Tan mil CCCC XLVII. Doit-on prendre a la lettre les termes de cette indication? Faut-il voir dans ce religieux inconnu le premier re"dacteur de Ylnternelle consolation? On peut assur&nent en douter. On sait combien , au temps des manuscrits, la confusion est facile et frequente entre 1'auleur et le copiste, et avec quelle reserve il convient d 'ac- cepter ces sortes de temoignages. La question de V 'Imitation nous en fournit elle-meme de remar- quables exemples. Les preventions de Thomas a i. Second fils du famcux constable Bernard VII d'Armagnac, massacre" en 1418, et aieul de Jacques d'Armagnac, due de Nemours, de'capite' en 1477. LXXVI INTRODUCTION. Kempis ont eu pour origine une pareiUe me^prise; mais ce n'est peut-tre pas le cas le plus curieux que nous puissions citer sans sortir de notre ma- tiere. On lit sur un exemplaire d'une traduction franchise de ^Imitation , exemplaire conserve" a la bibliotheque Sainte-Genevieve , la note manuscrite suivante : C'est la copie de ce qui est au livre de ma mere Abelly : Ce livre m'a est6 donne* par mon cousin Guill. Michel, dit de Tours, qui a este depuis 1'an mil quatre cens quarante j usque a la mort avec Thomas de Gerson , chantre a Saint Martin de Tours. Et i\ m'a dit qu'il me le donnoit en ceste langue parce que je n'entend pas le latin. Et pose 1 qu'il y metle ' qu'il est de Campis, cela n'est pas; c'est feu son maistre 2 qui en est le veritable et seul autheur, jacoit qu'il 1'ait voullu donner a son oncle feu mes- sire Jean Gerson, chancelier de Paris, par humilite ; et qu'il a encore compose un autre livre intitu!6 : Des sept paroles de nostre benoist Sauveur en I'arbre de la Croix ; et autres. Et ainsi qu'il les avoit escripts plusieurs fois; et qu'il y eust un espagnol nomme monsieur Lupi qui luy presta un livre d'Isidore : De Homine et ratione , qu'il lui fist copier, ou il adjousta quelque chose apres le livre de son oncle De Meditatione cordis qu'il avoit aussy fait adjouster au Quatres Livres De Imita- tione Christi qu'il avoit escrit et mis au net in i. LYditeur, a. Le malt re de mon cousin. INTRODUCTION. LXXVII folio en Tan mil quatre cens septante deux , trois ans avant la mort de son maistre qui est mort et enterre" en 1'eglise Saint Martin de Tours ou il estoit chantre en dignite. Et moy qui ne suis guere moins ag6 que mon cousin , je me souviens d'avoir veu chez mon maistre , en 1'an mil quatre cens cin- quante huict, ledit sieur Thomas de Gerson qui estoit chanoine de la Sainte Chapelle , et avoit un proces avec le tresorier d'icelle qu'il 1'avoit excom- munie. Et monsieur Secretain, mon maistre, avoit este commis avec M' le president Thiboust et un autre conseiller pour voir a les appointer. Et j'ay souvent ouy dire a mon maistre que ledit sieur tresorier, qui s'apeloit Guidebel,*qui n'estant pas prestre ne pouvoit pas le communier, et ainsy ne 1'avoit peu excommunier.Et huict jours apres il les fist embrasser tous deux apres que ledit sieur thre- sorier eust dit au sieur Gerson qu'il 1'avoit fait par promptitude, qu'il le prioit de ne s'en pas sou- venir. L'autre luy dist que n'eust este" qu'il estoit docteur et qu'il craignoit qu'on lui reprochast en Sorboune qu'il vit excommunie , il 1'auroit passe" sans s'en plaindre , car c' estoit moyen de meriter aupres du bon Dieu a qui il 1'offroit. Ce que j'ay bien voulu mettre icy pour memoire, afin que ceux qui viendront apres moy sachent ce que mon cousin m'a dit et ce que mon maistre a fait et ce que j'ai veu faire a mon maistre.- Faict a Paris, ce vingt quatre juin mil quatre cens nonante trois. I. LANGLOIS. LXXVUI INTRODUCTION. Voila certainement une attestation bien formelle, corrobore"e des circonstances les plus precises et les plus minutieuses, qui nous en imposeroit si nous ne possedions des textes latins anterieurs a 147 2 et a Thomas deGerson.C'est ainsi quequelque travail de ce dernier, transcription sans doute , traduction peut-etre, a induit en erreur le parent du secretaire du cbantre de Saint Martin de Tours. On doit de me'me n'accepter qu'avec reserve 1'assertion de 1'editeur de 1498; les caracteres distincts de 1'edition rouennaise aggravent encore, du reste, les motifs de suspicion. Cette edition ne nous offre pas, en effet , le texte pur, ou plutdt ne nous offre pas seulement le texte pur de Vlnter- nelle consolation ; elle presente un travail d'ar- rangement et de combinaison qu'il est important de faire remarquer. Elle manque de litre general et commence par 1'intitule du premier traite : De I'.interiore conversation, Cette partie se termine par 1'explicit ordinaire : Cy finist le traicte des amonicions atlrayantes lomme a ses interiorex, c'est a dire a vie espirituelle. Puis le second traite avec 1'explicit : Cy finist la seconde partie : De Cinteriore collocation de Jesucrist a fame devote. Et ensitit la tierce partie : De parfaicte imitation de Jesucrist. Jusqu'au vingt-cinquieme chapitre inclusivement de cette troisieme partie, 1'edition reproduit exac- tement le texte de Ylnternelle consolation. La , INTRODUCTION. LXXIX. elle supprime le vingt-sixieme chapitre : Contre la vanite de ce monde, qui est propre, comme nous 1'avons fait observer, a Ylnternelle consolation, et continue d'apres Ylmitatio Christi. Ce change- ment est deja marque dans 1'explicit : Cy finist le tiers livre (non plus la tierce partie) de r Imi- tation Nostre Seigneur Jesucrist. II se prononce ensuite dans la reprise : Cy commence le quart livre. d'ensuivir Jesucrist et contemner le monde. Nous trouvons alors une traduction francoise du quatrieme livre de V Imitation : De Sacramento; traduction faite par une autre main que tout ce qui precede et qui n'offre aucun trait de ressem- blance avec la version originate des trois premiers livres qu'on nomme Ylnternelle consolation. L'ex- plicit de cette quatrieme partie reproduit meme le titre latin : Cy finis t le livre De Imitatione Christi et de contemptu mundl. La mention relative au religieux du comt6 de la Marche, inseree dans la table des matieres, porte sur les quatre parties ainsi disposees. Deux elements : Vlnternelle consolation et Ylmitatio Chris/i, ont servi , comme on le voit , a former 1'edition de 1498; nous trouverons tout a 1'heure de nouveaux exemples de cette combi- naison qui nous presente les livres de V Imitation dans cet ordre irrationnel : 2,3, i et 4. La version francoise etoit toujours en presence du traite latin qui se propageoit, qui grandissoit en autorit^, qui se traduisoit d'autre part. Les copistes faisoient LXXX INTRODUCTION. leur ceuvre propre de 1'ceuvre qu'ils transcrivoient et la modifioient sans scrupules. On conceit parfai- tement que ceux qui avoient sous les yeux a la fois le trait6 latin et la version francoise , voyant dans celui-la un livre de plus , durent avoir I'id6e d'en enrichir celle-ci , et produisirent de la sorte ces oeuvres hybrides qui ne sont ni 1' Imitation ni Ylnternelle consolation. L'e"diteur avoit, du reste, si bien conscience de ce caractere mixte, qu'il n'a voulu prendre ni 1'un ni 1'autre litre pour en orner son frontispice, quipr6sente uniqueraent la marque du libraire : Jehan le Bourgeois. Tout nous porte a croire que le religieux du comte de la Marche, auteur du manuscrit sur lequel a e"te" faite 1'edition rouennaise , n'a precise"ment en propre que ce travail d'arrangement et de rajustement. II est Evi- dent qu'une composition originale ne commence point par se produire dans ces conditions douteu- ses, fausses, inintelligentes , et qu'on doit en con- clure , au contraire , une existence anterieure et de"ja m6me un certain cours d'existence. Cette sorte de compromis entre Ylnternelle consolation et 1' Imitation se continua et se re- nouvela en regard des lemons pures et simples de 1'une et de 1'autre. Nous en avons un nouvel exem- ple dans le manuscrit de la Bibliotheque imperiale, cote Suppl. fr. 3883. Ce manuscrit est redig6 dans le dialecte wallon. En voici les sommaires : Chy commenche le livre intitule De I'lmi- tation de Nostre Seigneur Jhesucrist et du con- INTRODUCTION. LXXXI tempt de soy, du monde el des vanitts de celuy , De F Interiors conversation : Comment la personne doibt converser selonc Uame. A la fin de ce premier trait6 , 1'explicit : Ichy fenist le traitie des ^monitions attraiians I'ome a ses interiores, c'est a dire a espiritualite. Secont traitie : De Vlnteriore collocupon de Jhesucrist a I'ame devote. Ichy fenist le livre de Vlnteriore collocucion de Jhesucrist a I'ame devotte. Le Traitiet de V Imitation Jhesucrist qui est la tierche partie du livre present. A cette partie manque le chapitre vingt-sixieme , Contre la vanite de ce monde, qui termine I'Internelle consolation , lorsqu'on n'y adjoint pas le traite De Sacramento. Ichy fine le tierch livre : De parfaite Imi- tation de Nostre Signeur Jhesucrist et du par- fait mesprisement de I 'amour et vanite de che monde. Chy apries s'ensieult les capitles de ung petit traitie du tresprecieus corps de Nostre Signeur Jesucrist.... Deo gracias. Chest livre [ fut ] copiiet par la main d'un homme en I'eage de LXX ansetfii parfurnis I'an mille IIIF LXPIII , le nuit saint Mathieu en fevrier, Et enlumines d'un prestre en Peage de XXXII ans, le nuit de I'annuntia- tion de la ferge Marie , en mar che '. t. Mars. LXXXU INTRODUCTION. L'auteur de cette lecon s'est livrd a un travail moins naif que le religieux du comte de la Marche. D'abord il a adopte franchement pour litre general celui du traite latin. Le religieux avoit reproduit fi- delement le texte de \lnternelle consolation; 1'auteur du manuscrit , au contraire, cherche con- stamment a rapprocher le frangois du latin qu'il a sous les yeux; il nous donne un texte de Ylnter- nelle consolation gravement corrige , non pas ce- pendant a un tel point qu'elle soil meconnaissable et qu'on n'en retrouve les principaux caracteres. Enfm , au lieu de reprendre tout simplement apres les explicit de 1'ouvrage francois ceux de 1'ouvrage latin, en liant le tout, comme le religieux de 1447, le nouveau compilateur indique netteraent la sepa- ration; aux trois premieres parties qui forment ensemble, il ajoute la quatrieme qu'il presente toutefois comme distincte et independante : S'en- suit un petit traite du Saint-Sacrement. Cette idee d'annexer a Vlnternelle consolation le livre du Saint-Sacrement de Vautel, longtemps abandonnee, reparoitra dans les dernieres editions gothiques de i553 et i554. Un peu antrieurement a ce manuscrit de Paris, a la date de 1462, se place un autre manuscrit conserve a la bibliotheque de Valenciennes. Ce ma- nuscrit renferme en effet une version francoise des trois premiers livres de Ylmitatio Christi, dans 1'ordre propre a Vlnternelle consolation. Nous en transcrivons 1'explicit : Cy fine le volume INTRODUCTION. LXXXIII contenant trois traitties, c'est assavoir les Ad- monitions traians aux closes internelles, les Con solutions internelles, et la Parfaitte imitation de Jhesucrist et du contempt de toutes les vani- tez du monde. Grosse fan mil CCCCLXIII par le commandement et ordonnance de tres- Juuilt, tresexcellent et trespuissant prince Phe- uppe, par la grace de Dieu, due de Bour- goingne et de Brabant. Le quatrieme livre manque et aussi le chapitre supplementaire : Contre la vanite de ce monde. Mais cette remarque n'offre point d'interet, car des les premieres lignes du texte , on s'aperc.oit qu'on se trouve sur un tout autre terrain , et que la tra- duction qu'on a sous les ycux ne ressemble en rien a Yinternelle consolacion. C'est une oeuvre com- pletement diffe'rente. D'abord toute cette glose qui caracterise la version speciale a laquelle appartient ce titre Yinternelle consolacion, n'existe pas ici ; et , lors meme qu'cn supposeroit ces interpretations introduites posterieurement et apres coup, hy- pothese que nous n'admettons pas , il n'y auroit encore aucune filiation possible entre le texte de Valenciennes et Yinternelle consolacion. Le con- traste est absolu et dans la methode et dans le Ian- gage. Ainsi, dans le manuscrit de Valenciennes, c'est une traduction litterale, lourdement et servi- lement calqu^e sur le latin ; il n'y a rien ou bien peu de chose a louer dans ce travail ; les phrases sont seches , heurt6es , sans lien entre elles ; et la LXXXIV INTRODUCTION. lecture, comme M. On6s. Leroy 1'a constate 1 avant nous, est des plus pnibles. On n'y trouve aucune des qualites de Vlnternelle consolation , aucune de ces na'i'ves inspirations du coeur qui donnent tant d'attrait a la version populaire. Ecoutez Vln- ternelle consolation : Pareillement, se tu as un bon amy et proffi- table a toy, se te serable, tu le dois pour 1'amouf de Dieu voulentiers laisser et estre separ6 de luy. Et ne te trouble pas ne courrouce s'il te laisse comme par obeissance ou autre cause raisonnable ; car tu dois sc,avoir qu'il nous fault finablement en ce monde estre separe 1'ung de 1'autre , au moins par la mort, jusques a ce qu'en celle belle cite" de Paradis serons venus, dans laquelle ne partirons jamais 1'ung d'avecques 1'autre ; mais en ce monde n'avons point de cit6 ou demourance perpetuelle. II n'y a rien de cette sensibilit6 ni de cette d6- licatesse dans le texte de Valenciennes : Pour ce aprens ainsi a relenquir pour 1'amour de Dieu ung tien ami, et ne te soil j a grief quant tu seras de ton amy delaissi^, sachant qu'enfin il nous con- vient tous estre separez 1'un de 1'autre. Rien non plus de la grace et de la suavite" de paroles si remarquables dans Ylnternelle consola- tion. Celle-ci dira : Enclinez mon cueur es pa- rolles de vostre bouche ; descendez en moi la doulce parolle comme la doulce rose. Le manuscrit de Valenciennes dira : Encline mon cuer aux paroles de ta bouche ; ton parler fluece comme rousee. INTRODUCTION. LXXXV On n j y rencontre pas non plus lea differences de sens que presente frequemment Ylnternelle con- solation. Voici un exemple bien concluant ; c'est le troisieme verset , 4, chap. 45, du troisieme livre De Imitatione Christi : Cautus esto, ait quidam , cautus esto , serva apud te quod dico. Et dum ego sileo et absconditum credo, nee ille silere potest quod silendum petiit, sed statim prodit me et se , et abiit. Dans toutes les legons de Ylnternelle consola- tion , il y a ici interversion des r61es : c'est celui a qui est confi6 le secret, qui le trahit (F. notre edition). Le manuscrit de Valenciennes, au con- traire, traduit mot a mot, comme toujours : Soies cault oupouveu, dist aucun, soies cault; gardes dedens toy ce que je dy ; et quant je me taiz et que je eroy chose secrette , pour tant ne se taist point celuy de ce qu'il demanda estre teu , mais tantost il moustra et moy et toy (sic) et s'en alia. Enfin, ce n'est plus la langue purement fran- coise de Ylnternelle consolation, mais du latin francise. Nous epargnerons les citations au lecteur; il doit etre convaincu deja que cette traduction, malgr le nombre, 1'ordre et I'intitute des parties , n'est nullement Ylnternelle consolation. C'est un travail a part, qui a et fait sans doute sur un de ces textes latins dont nous avons precedemment signal^ les points de conformite avec la version vulgaire. Cette traduction se trouve , dans le manuscrit , LXXXVI INTRODUCTION. juxtaposed ades ceuvres Francoises deGerson; elle fait suite a une copie du sermon de la Passion , preche" par le chancelier de Notre-Dame. II nous est impossible cependant de conjecturer de la que Gerson soil 1'auteur de ce travail anonyme. On n'en sauroit imaginer, en effet, qui soil plus com- ptetement en disaccord avec son gnie , avec son style, ce style de longue haleine de 1'orateur ecri- vain. Comment auroit-il depouille sa vive person- nalite pour se trainer dans ces etroites et penibles lisieres? A-t-il pu faire ainsi abnegation de sa sen- sibilite" , de sa verve , et oublier jusqu'a sa langue si purement franeoise? Personne, sans doute, n'o- seroit le pretendre. Nous avons du , par consequent, ne voir dans cette juxtaposition d'autres oeuvres du chancelier de Notre-Dame que le fait du copiste David Aubert, et renoncer a en tirer aucune in- duction. A la suite de ces textes se presente une edition que Barbier indique comme il suit : Internalle consolation , en trois livres. Paris, de Timprimerie de Jehan du Pr6, sans date (vers 1486), in-8 go- thique. Barbier ajoute qu'un exemplaire de cette Edition se trouvoit de son temps dans la biblio- theque d'un amateur nomme M. de Lierre , et il transcrit le premier paragraphe du troisieme livre (premier livre de V Imitation}. M. Gence ajoute, d'apres Barbier, que le titre de cette edition porte 1'epigraphe latine : Consolationes tue letificave- runt aidmam meam. M. Brunei a reproduit , dans INTRODUCTION. LXXXVII le Manuel du libraire, cette indication, mais sans avoir vu 1'exemplaire qui paroit unique et qui a egalement echappe a nos recherches. Nous ferons observer que 1'edition de i52o, dont nous parlerons tout a 1'heure, est 6galement im- primee a Paris par Jehan du Pre , egalement in-8 gothique , qu'elle porte bien 1'epigraphe latine tiree du psaume g3, v. 19; qu'enfin, en comparant les lignes transcrites par Barbier et le texte de i5ao, ils sont identiques lettre pour lettre , sauf le mot si que donne Barbier au lieu du mot se , variante qui pourroit.fort bien resulter d'une faute de copie ou d'impression. II y a la une question embarras- sante. L'edition de i5ao auroit-elle reproduit le nom de 1'imprimeur de i486? C'est bien invraisem- blable en presence de 1'attestation formelle : 1m- prime par Jehan du Pre, demourant en la rue des Forces : a I'ymaige sainct Sebastien. Et fut aclieve le XVlll jour du moys de septembre, mil cinq cens et vingt ; en presence de cette attes- tation plus formelle encore de 1'edition de i5a2 : Nouvellement imprime a Paris par Jehan du Pre... pour Pierre Viart libraire jure de I'uni- versiie de Paris. Et fut acheve le HIT jour de mars, Van mil cinq cens vingt et deux, et surtout quand on constate que ces deux Editions introduisent dans le texte de Ylnternelle consola- tion des modifications diverses et d'un caractere e"videmment tardif. N'y auroit-il pas eu plutdt une meprise de la part de Barbier, qui ne paroit pas , Lxxxvm INTRODUCTION. en effet, avoir connu I'&iition de x5ao ni celle de 1 522 ? Reconnoissons toutefois que d'apres 1'ouvrage sur les Marques typographiques , du libraire Sylvestre (i853), Jehan du Pre n'auroit imprim6 quedepuis 1483 jusqu'en 149$. Cette difficulte sera insoluble tant que 1'exemplaire de M. de Lierre n'aura pas e"te retrouve et de nouveau examine ; et cette premiere Edition de Ylnternelle consolation peut , au moins j usque -la , 6tre conside're'e comme hypothetique. Nous arrivons a deux Editions parisiennes que nous avons sous les yeux , 1'une , grand in-4 go- thique, sans indications d'aucune sorte, avec ce litre : Le livre intitule Eternelle consolation ; 1'autre , petit in-4 gothique, portant le meme litre, imprime'e par Michel Lenoir, 1'an mil cinq cens. Ces deux Editions sont exactement semblables, a part quelques petites differences d'orthographe , et paroissent avoir 6t6 faites 1'une sur 1'autre. Elles reproduisent fidelement , mais peu correctement , 1'oeuvre primitive se terminant par le vingt-sixieme chapitre du troisieme trait6 : Contre la vanite de ce monde. II est facile d'y reconnoitre que 1'ou- vrage est depuis longtemps independent du livre latin, qu'il a ete" deja corrige et remanie avec plus ou moins d'intelligence , mais sans qu'on ait eu re- cours pour cela au texte de 1' Imitation, donl ces Editions tendent un peu plus a s'eloigner que les lemons examinees jusqu'ici. Remarquons, avant d'aller plus loin , sous quelle INTRODUCTION. LXXXIX Vari6t6 de fonnes se produitetser6pand chez nous, des 1'origine, le livre De Imitatione Christi : D'abord le texte latin dans ses nombreux ma- nuscrits et ses nombreuses editions; D'autre part , Ylnternelle consolation , dont la trace primitive est presque complement effacee , mais dont on suit toutefois les vestiges au dela de 1447; Puis un compromis entre {'Imitation et Ylnter- nelle consolation, represent^ par le manuscrit de 1468 etl'edition de 1498; Enfin, d'autres traductions deYlmitatio Chrisli, se bornant a transporter le traite mystique dans la langue francoise, avec plus ou moins de fidelity et de bonheur, mais sans cachet d'originalitd et sans caracteres particuliers. Ces simples traductions remontent du reste a des dates lointaines. C'est parmi elles qu'il faut ranger la version du manu- scrit de Valenciennes, de 1462. M. Gence a cite, d'apres un manuscrit d'Avignon, un fragment d'une autre traduction d'apparence antique. Le livre tres- salutaire de la Ymitacion de Jhesucrist et du mesprisement de ce monde a 6te imprim6 a Tho- louse par Henric Meyer alaman, en 1488; reim- prime a Paris, en 149^ '. Enfin, Barbier a extrait de 1'inventaire des livres de Jean comte d'Angou- leme et de Perigueux, inventaire dress6 en 1467, cette note curieuse qui sembleroit nous reporter i. Voy. aussi une copie mste., no 7276, anc. fonds fr. de la BIW. Imp. LXXXX INTRODUCTION. bien haut : Item la Imitation de saint Bernard, avec plusieurs oroisons el devotions, en papier et lettre commune bien caduque. Ce sont la les quatre formes diverses du traite" de \' Imitation qui sillonneut parallelement , pour ainsi dire, le xv e siecle. Nous allons reprendre maintenant la bibliographic particuliere de Vlnternelle consolation et passer en revue les nombreuses editions qui s'6chelounent de i5oo a 1600. La premiere est une Edition de i5i4, in-8 go- thique , mentionnee par Barbier, d'apres le cata- logue de 1'abbe" de Ternay. Elle ne nous est connue quepar cette mention. La seconde est 1'edition de i5ao dont nous avons dit quelques mots precedemment; c'est un petit in-8 gothique portant ce litre que nous verrons se reproduire indefmiment : LE LIVRE INTITULE INTER- NELLE CO.NSOLACIO.N . consolaciones tue letificave- runt animam meam. L'explicit donne la date mil cinq cens et vingt et le nom de l'imprimeur/e/;GW du Pre. Cette edition reproduit le grand in-4, sans date, un peu corrige. Toutefois les modifica- tions qu'elle presente ne sont pas toutes de simples corrections d'editeur ; il en est qui sont plus im- portantes et plus significatives. Jusqu'ici \ Inter- nelle consolacion a respecte le texte de Ylmitatio Christi, en se bornant a le mettre a la portee de tout le monde , sans distinction de ceux ou celles qui vivoient dans le cloitre ou hors du cloitre. L'6- INTRODUCTION. LXXXXI dition de i5ao nous montre cette preoccupation particuliere d'appliquer plus exclusivement le trait6 de \Internelle consolation a 1'usage dcs la'iques. A cet effet, elle change tout ce qui est relatif et special a la vie monastique pour 1'adapter a la vie du siecle. Ainsi , elle aura soin de dire le monde au lieu du monastere , la maison au lieu de la cellule, au lieu du religieux le Chretien. Pour qu'on se rende bien compte de cette transformation, nous transcrirons ici , d'apres 1'edition de i5ao, le chapitre XVIP du troisieme traite ; on pourra le mettre en regard du meme chapitre de notre edr tion conforme aux lecons du xv e siecle : De la perfection de la vie chrestienne. XVIP CHAPITRE. ui veult proffiter en perfection de vie chrestienne et vivre en icelle comme ung vray spirituel , il faut qu'il mette peine de se mortifier en ses propres desirs et plaisances , rompre sa propre voulente , s'il veult avoir paix et la garder en soy et a ses prochains. Ce n'est pas petite chose de demourer et vivre en ce monde sans quelque mauvaisnom et loyaulment perseverer en iceluy jusques a la mort. Bien eureux est celuy qui bien y vit et perseveramment. Et se tu veulx bien vivre et proffiter, repute-toy comme estrangier et pelerin en ce monde. Se tu veulx LXXXXH INTRODUCTION. mener vie splrituelle , il convient que lu soys fol pour 1'amour de Dieu. Le nom de chreslien ne fait pas le chrestien ; mais parfaicte mutacion de ses meurs et de sea condicions et passions font le vray chrestien et le vray spirituel. Qui en cest estaz veult parvenir, s'il fait bonnes euvres pour aultre chose que pour 1'amour de Dieu cuydant faire le saulvement de son ame , il n'y aura que peine et tribulacion ; et aussi n'aura pas longuement paix, s'il ne se efforce d'estre le moindre et subject de tous les aultres, au moins quant a sa reputacion. On doit aymer tel estaz pour servir, non pas pour dominer; pour labourer et souffrir peine, non pas pour estre oiseux et perdre temps en vaine oc- cupation. Car, en cest estaz on doit estre prouve comme 1'or et 1'argent en la fournaise. Et pour ce nul n'y peult proffiter s'il ne s'efforce de soy hu- milier de tout son cueur pour 1'amour de Nostre Seigneur seulement. D'autres passages offriroient des termes de com- paraison non moins caracte>istiques, par exemple les 6, 7 et 8 du chapitre XXV du meme trait6. Ces changements furent adoptes dans les editions posterieures. Une nouvelle Edition de Ylnternelle consolation fut imprim^e a Paris, par le meme Jehan du Pre, pour Pierre Viart, librairejure de Vuniversite, en i5aa, in-8 gothique. Le texte de cette Edition INTRODUCTION. LXXXXHI est de nouveau modi 66 et remanie 1 , et toujours dans le sens qu'indique si formellement l'e"dition de i5ao. Qu'on nous permette une seule citation, ayant pour objet le verset 5, 8 du XXHP cha- pitre du premier livre De Imitations Christi : Fac nunc tibi amicos, venerando Dei sanctos et o eorum actus imitando ; ut cum defeceris in hac vita, illi te recipient in aeterna tabernacula. L'edition de i5ao traduisoit encore, a peu pres comme l'in-4 sans date et les autres Editions du xv e siecle : Acquiers maintenant amys les sains de Paradis en les servant et honnourant et en ensuivant leur vie, affin que quant ceste vie sera faillie, ils te vueillent recevoir es mansions pardu- rables. Voici la nouvelle version de i5aa : Des biens temporelz que tu has maintenant, desquelz tu es seulement despensier et comptable , faiz des amys en les appliquant a subvenir et aider aux povres souffreteux et a autres bonnes euvres a 1'honneur de Dieu , affin que quant ceste vie-cy te sera fallie , les amys que tu en auras faictz te aident a te faire recevoir es mansions pardurables de Paradis. L'esprit des novateurs du xvr siecle a-t-il ete pour quelque chose dans ces modifica- tions? A-t-il cherche" a s'introduire dans le livre populaire? Peut-etre. Toutefois, dans aucune des leeons que nous avons examinees, il ne paroJt avoir reussi a le denaturer serieusement, a en faire, comme on 1'a dit , un livre he>etique? L'Internelle consolation se pr^toit mal a ce dessein , elle qui LXXXXIV INTRODUCTION. avoit etc" pre"cise"ment concue dans cette intention expresse , avec cette sollicitude particuliere d'e'vi- ter aux esprits peu 6claires toute occasion d'erreur et, corame on disoit alors, tout pe"ril de choir en heretic. Nous ne nous attarderons plus a signaler, d'e"di- tion en Edition , ces transformations successives de la version du xv e siecle , les unes cherchant a se rapprocher du texte latin , les autres s'en Poi- gnant toujours davantage, presque toutes ouvrant carriere a la paraphrase. Comme il arrive d'ordi- naire , VJnternelle consolation ne se perfectionne pas dans ce renouvellement continuel ; elle se gate au contraire et se d6teriore, et si elle se rajeunit un peu de style et de langage, c'est aux depens de la vivacite et de la grace. Deux Editions parisiennes, non datees, imprime"es toutes deux pour le libraire Ambroise Giraulf, 1'une par Nicolas Hygman, 1'autre par Pierre Leber, in-8 gothique , doivent se placer entre les annees i5s5 et i53o. En i53o, le livre intitule Internelle consolation, nouvellement corrige, imprime ci Paris, in-8 go- thique, par Nicolas Savetier. Reimprime a Paris en r53r. Le livre intitule Internelle consolation , nou- vellement corrig6 , imprime a Paris par Pierre Leber, in-8 gothique, en i533. Au commencement se trouve un appendice non pagine, non indique a la table des matieres. II est intitule : L'^mefidele. INTRODUCTION. LXXXXV Extraict du quart livre de V Imitation de Nostre Seigneur, compose par devot religieux Thomas de Campis, monstrant comme le corps de Nostre Sei- gneur Jesucrist et la saincte escripture sont fort necessaires a VAme fidele. On reconnnoit la le litre du XP chap, du IV e livre. L'Ame fidele est le premier mot de ce chapitre. Nous indiquerons id, vers i535, une edition in-ia gothique, mentionnee par Barbier, d'apres le catalogue des Jesuites de la maison professe. Le livre intitule Internelle consolation, nouvel- lement corrige , imprime a Paris pour Henri Pa- quot , libraire,en 1537. Le livre intitule Internelle consolation, imprime" a Lyon, par Jean Barbou, in-i6, en i538. Le livre intitule" Internelle consolation, imprime' a Paris, par Bonhomme, in-8, en i53g. Le livre intitule Internelle consolation, imprime a Paris, chez Janot, in-rfi, en 1540. A la fin so trouve le petit trait de \Armeure de patience. Le livre intitule" Internelle consolation, imprime" a Paris, chez Arnoul Langelier, in-8, en 1542. Ala meme date de 1542, 1' Internelle consola- tion fut imprimee a Lyon, in-i6, par Estienne Dolet. Nous transcrivons , d'apres Barbier , 1'ex- plicit : Ce present oeuvre fut acheve d'imprimer a Lyon , Fan de grace mil cinq cens quarante et deux , chez Estienne Dolet , detenu pour lors aux prisons de Rouenne, et ce par 1'envye et calum- nie d'aulcuns maistres imprimeurs ( ou pour LXXXXVI INTRODUCTION. mieulx dire barbouilleurs) et libraires dudict lieu Nous n'avons pas eu cette edition entre les mains ; c'est un de nos plus graves deside- rata. Le livre de I'Internelle consolation.... Ely sont adjouxtees les Tentations du diable avec la defense du bon ange , a Lyon, chez Jean de Tournes, en r543. Le livre de I'Internelle consolation, nouvelle- ment revu et diligemment corrige' Avec ung petit traicte appe!6 \ Armeure de patience.... , imprime" a Paris, pour Jean Ruelle, en i544. Le livre intitu!6 Inter nelle consolation, imprime" a Paris, in-8, en i553, avec une traduction du quatrieme livre de 1' Imitation. Le livre intitule" Jnternelle consolation, nou- vellement corrige", imprime' a Paris, par loland Bonhomme in-8, en i554, une des Editions les plus r^pandues , la derniere que nous connoissions imprime"e en caracteres gothiques. De m6me que 1'edition rouennaise de 1498, cette derniere edi- tion gothique ajoute aux trois traite"s de Vlnter- nelle consolacion une traduction du quatrieme livre de 1' Imitation, fol. CXLIIII verso : Cy commence la quarte partie du present livre qui est de ensuyvir Jesuchrist et contemner le monde. Et traicte principalement du Sacrement de 1'autel. Le livre de I'Internelle consolation...., avec les Tentations du diable et la defense du bon ange , a Lyon, chez Jean de Tournes, i556. INTRODUCTION. LXXXXVII Le livre de Vlnternelle consolation, compose premierement en latin par M. J. Gerson , C. P. Et traduit en franc,oys. Nouvellement reveu et corrige. Avecl'^rmewre de patience enadversite.A.?aris, chez la vefve /ean Ruelle, in-ia, en 1573. Le catalogue des Editions de Vlnternelle conso- lacion pendant le xvi e siecle se termine ici. Ce catalogue est encore bien imparfait sans doute ; la bibliographic de cet ouvrage, que I'erudition a ele longtemps a bien distinguer a cote de limitation, n'est pas tres-avancee encore, on s'en con- vaincra en consultant Barbier et Brunet , nos pre- decesseurs , et ne se completera que progres- sivement. Notre liste suffit du moins a donner une idee de la vogue et de la popularite du livre durant cette periode. II nous reste a mentionner, d'apres les renseignements que nous devons a 1'obligeance de M. A. Dinaux , des editions beiges ou , du moins, ce mot Internelle consolation est conserve. L 'Art et maniere de parfaitement ensuivre J. C. , autrement dite 1' Internelle consolation , imprimee a Anvers, par Jean JBellere, in-i6 , en i565. Ibidem, en 1572. A Douai, en i5g5. Enfin Vlnternelle consolation ou Thomas a Kempis de V Imitation de J. C., livres IIII; de K nouveau reveu , confere avec le latin , corrige" et adjoust^ de beaucoup de lieux de la saincte es- criture par gens scavans ; distingue" par paragra- phes. Et amplifi de la Practique tficeluy. A Douai , de 1'imprimerie de Balthazar Bellere . 9 LXXXXVIII INTRODUCTION. au Compas d'or, an i6i3. Petit in-is. Reim- prime" en i63a. On voit ce qu'est devenue Ylnter- nelle consolation. Son regne actif , pour ainsi dire, son existence comrae livre de pie"t6 usuel , est ter- mine reellement a la fin du xvi e siecle. L' 'Imitation demeure seule, dans ses traductions toujoursnou- velles. La version du xv e siecle qu'on avoit beau rajeunir etqui n'en restoit pas moins un monument des temps passes, est des lors enveloppe"e dans le subit et profond oubli qui couvre notre ancienne litterature et tout ce qu'on appellera pendant plus de deux cents ans la barbaric gothique. L'lnter- nelle consolation tombe, a partir du xvn e siecle, dans le domaine de 1'erudition, et il nous reste a continuer en quelque sorte son histoire pos- thume. Elle fut d^couverte et exhume"e pour la premiere fois par 1'abbe A. Andry, pretre attache" a la pa- roisse Saint -Andre -des -Arcs. II la traduisit en Jangage moderne, substituant, comme il dit, des mots d'usage a ceux qui ne le sont plus , et la publia sous ce titre : La consolation inte- rieure ou le livre de limitation de J. C. selon son original. Paris, Ch. Robustel, 1690, in-ia. En effet, 1'abbe Andry, quoique 1'exemplaire qu'il eut entre les mains fut du xvi e siecle, et de iSaa au plus t6t , pretend et s'efforce de d^montrer dans sa preface que cette version est le texte primitif de I 1 Imitation de /. C, La Consolation interieure cut six Editions de 1690 a 1719. INTRODUCTION. LXXXXIX Pendant le xviii 6 siecle, Vlnternelle consolation fut consulted par quelques traducteurs de Vlmi- tatio Christi. En 173 1, Lenglet-Dufresnoy ajoutoit a sa traduction revue sur celle de Sacy des extraits de Vlnternelle consolation, et notarament le cha- pitre XXVP : Contre la vanite du monde. Deve- loppant le systeme d'Andry, il suppose que ce texte francois est 1'oeuvre de Jean de Gerson et que , traduit en latin par Thomas a Kempis , il est devenu le livre De Imitatione Christi ; hypo- these qui fut combattue par Toussaints du Plessis, benedictin de Saint-Maur, dans le Mercure du mois de novembre 1742. Le xix e siecle devoit rendre a Vlnternelle con- solation sa place dans la Iitt6rature francoise. Le savant Barbier, dans sa Dissertation sur soixante traductions francoiaes de I' Imitation, publiee en 1812, consacra a la bibliographic de Vlnternelle consolation un chapitre special. M. Gence pr^cisa da vantage cette bibliographie par ses remarquables travaux qui sont et demeurent le point de depart de toutes les recherches sur cette matiere. M. Mi- chelet en fit ressortir la valeur litt^raire et 1'im- portance historique dans les belles pages qui com- mencent le cinquieme volume de son Histoire de France. L'opinion de 1'abbe Andry, qui avoit pre"- valu au XVHI C siecle, fut abandonnee au xix e . Seu- lement , la plupart des partisans de Gerson soutien- nent encore que Vlmitatio Christi et Vlnternelle consolation sont deux ouvrages jumeaux sortis de c INTRODUCTION. la mme main , et attribuent le livre sous sa double forme au chancelier de Notre-Dame. M. G. M. Vert publia, a Toulouse, en i854, au nom de Jehan Charlier de Jarson , VEternelle consolation , ou 1' Imitation de J. C. , sous sa forme authentique du xv e siecle. Premier texte et premiere edition. Nous ne releverons pasce qu'il y a d'inexact ou de teme"raire dans les diverses assertions que renferme ce titre. Le texte public par M. Vert , qtii ressemble beaucoup a celui de l'in-4 sans date et de 1'edition de i5oo, parolt remonter a peu pres a la meme e"poque ; et nous 1'aurions , sans doute , classe dans la premiere serie des lecons de notre livre , si nous en avions mieux connu les origines. Mais M. Vert a 1'erudition jalouse et peu communicative ; il s'est abstenu de tous renseigne- ments, et s'est borne a nous apprendre qu'il repro- duisoit une copie unique, sa propriete". Le mme travers 1'a pousse a inscrire ce mot : pro- priete, sur son volume, et a se reserver tous ses droits pour la reimpression et la traduction. Nous nous sommes demande" ce que pouvoit signi- fier ce mot plac6 la, sur une de ces grandes oeu- vres du passe", sur un des principaux monuments de notre ancienne litte"rature! Quoi qu'il en soil, M. Vert a fait une oauvre utile en publiant le texte qu'il paroit un peu trop heureux de posse" der, et son Edition merite qu'on en tienne compte; nous Ten felicitons, et nous nous plaignons seulement qu'il'n'ait pas voulu, en d6crivant dans sa preface INTRODUCTION. ci la copie dont il a fait usage, enrichir d'un docu- ment sans doute precieux la bibliographie de \'In- ternelle consolation. Enfin ce livre prend place dans la Bibliotheque elzevirienne. Notre texte a pour base les editions in-4 sans date et de i5oo, presque identiques, cor- rigees aux endroits defectueux par toutes les au- tres lecons que nous avons pu consulter, notam- ment au moyen de l'6dition de 1498 et du manus- crit. Nous n'avons pas besoin d'annoncer que nous nous sommes efforces de reproduire cette oeuvre du xv e siecle avec la fid61ite la plus scrupuleuse. Nous avons respecte" jusqu'aux variations et aux caprices de 1'orthographe , qui sont un des carac- teres philologiques de cette epoque de transition. En m6me temps, nous avons tache d'y introduire toute la clarte et la nettete" possibles , afin d'en rendre la lecture facile non-seulement aux erudits, mais au public le moins familiarise" avec notre vieux langage. A cet effet, nous avons ponctue complement,- accentue" les finales, et divise les chapitres en paragraphes, d'apres 1'usage etabli pour le texte latin ; division qui correspond le plus ordinairement dans le texte francois a la suspen- sion du sens. Nous voudrions avoir re"ussi a ranimer cette oeu- vre, non-seulement a titre de curiosit6 litteraire , mais aussi comme pages encore vivantes et encore actuelles. II n'est pas ne"cessaire, en effet, pour les comprendre et les gouter, de se transporter en es- en INTRODUCTION. prit, comme lorsqu'il s'agit d'un roman de cheva- lerie, par exemple, dans un monde disparu; ce livre appartient a un ordre d'idees et de senti- ments qui a surv6cu au moyen age, et on se re- trouve ici au cceur de 1'enseignement de 1'figlise qui nous offre aujourd'hui les memes doctrines dans un langage a peine different. Le livre de I'ln- ternelle consolation est, comme I'Imitatio Christi elle-meme, tout entier du present, hormis certain archaYsme de phrase et de mots qui le rajeunit plut6t qu'il ne le vieillit de quatre siecles. II nous reste a remercier, en terminant, M. l'abb$ Delaunay, cur de Clichy-la-Garenne, d'avoir bien voulu nous communiquer sa precieuse collection ou nous avons trouv6 plusieurs editions de I'lnter- nelle consolation que nous n'avions rencontrees nulle part, et, en particulier, d'avoir mis a notre disposition 1'edition de i5oo, de Michel Lenoir, que nous aurions cherchee vainement dans les bi- bliotheques publiques de Paris. LE LIVRE INTITULE 1NTERNELLE CONSOLACION cv TABLE DES MATIERES INTRODUCTION. vij Cy commence la Table de ce present Livre in- titule Internelle Consolation, lequel contient en soy troys Parties ou Traictez. PREMIER TRAICTE. Le Premier Traicte" contient XII chapitres. Et parle premierement de 1'Interiore Conver- sacion, c'est a dire comment la personne doit converser selon 1'ame, Premier chapitre. 3 En quoy appert vraye humilite, H e chap. 8 De avoir et garder paix en soy et aux aultres par dehors, IIP chap. 9 De pure pensee et simple intencion, IIII e chap. 12 De propre consideracion de soymesmes, V e chap. 1 3 De la joye et Hesse de bonne conscience, VP chap. ID cvi TABLE DES MATIERES. De la timeur et crainte de Dieu sur toutes autres choses, VII* chap. 18 De avoir familiarite a Jesuchrist, et du proffit qu'il en vient, VHP chap. 20 De n'avoir point de consolation , ou du def- fault de consolation, VIIIP chap. a3 D'estre bien recongnoissant de la grace de Dieu et Ten remercier soigneusement , X e chap. 29 De ce qu'il est pou de gens qui parfaictement veuillent porter la Croix Jesuchrist, c'est a dire souffrir paciemment pour ramour de luy tribulacion, ou adversite, ou affliction corporelle, comme par penitence, recep- voir en soy en ce monde, XI e chap. 34 De la royalle voie et chemin de la saincte Croix de Nostre Seigneur, XII e chap. 37 DEUXIESME TRAICTE. Le Deuxiesrae Traicte" contient LVIIII cha- pitres. Et parle premierement de 1'Inte- riore Collocucion de Jesuchrist a 1'ame devote, Premier chapitre. 5r Que verite, c'est assavoir Dieu, parle dedans a 1'ame sans noise ou tumulte de parolles, II* chap. 5z Que les parolles de Dieu doivent estre escou- te"es en grande reverence et humilite; et comme sont plusieurs qui n'en tiennent pas grant compte, IIP chap. 55 TABLE DBS MATIERES. CVH Oraison a desservir la grace de devotion. 5g Que on doibt converser en ce monde devant Dieu humblement et veritablement, HIP chap. 60 Du merveilleux effect de 1'amour de Dieu en nous, V e chap. 63 De la probation du vray amy, VP chap. 67 De occulter et mucer la grace que on a soubz la garde de humilite, VIP chap. 70 De la ville estimation et mesprisement de soymesmes devant Dieu, VHP chap. 7 5 Comment nous devons tous noz biens attri- buer et retourner a Dieu comme a nostre (in derniere. Et est en la personne de Dieu qui parle a la creature raysonnable, VIIIP chap. 77 Que c'est doulce chose de mespriser le monde et servir seullement a Dieu, X e chap. 79 Que on doit examiner tresbien ses desirs et voulentez et les attremper. Et est la per- sonne de Dieu qui parle et enseigne son amy, XP chap. 82 De soy acoustumer a patience et a combattre centre les concupiscences mauvaises. Et parle l'homme a Dieu, XIP chap. 84 De 1'humble obeissance du subject a 1'exemple de Jesuchrist, XIIP chap. 87 Des ocultz et secretz jugemens de Dieu, les- quelz on doibt considerer, a ce que on ne s'en orgueille pas de ses biens et dons. Et CVIH TABLE DBS MATIERES. est en la personne de 1'homme qui parle a Dieu, XIIIP chap. 89 Comment on se doit conformer et rapporter a la voulent6 et au plaisir de Dieu en tous ses desirs, XV e chap. gi Oraison pour impetrer grace a Dieu de faire et acomplir tousjours le sien plaisir et vou- lente. 93 Que on doibt querir seullement sa consola- cion en Dieu, XVP chap. 94 Que on doit mettre et constituer tout son soing et son cueur en Dieu. Et commence en la personne de Dieu qui enseigne son loyal et bon serviteur, XVIP chap. 96 Que on doit paciemment porter les tribula- cions de ce moiide a 1'exemple de Jesu- christ. Et est, comme devant, en la per- sonne de Nostre Seigneur, XVIIP chap. 98 De porter voulentiers injures, et comme on preuve le vray pacient, XVIIIP chap. 100 De congnoystre et confesser son enfermete et les miseres de ce monde, XX e chap. io3 Que sur toutes on doit mettre peine d'avoir repos et paix en Dieu seullement, XXI e chap. 1 06 Oraison par maniere de meditacion. 107 De remembrer souvent les benefices de Nostre Seigneur et les avoir en sa memoire, XXIP chap, no De quatre choses qui font garder et avoir paix TABLE DBS MATIERES. cix en la personne, XXIII 6 chap. u3 Oraison con^re les maulvaises cogitacions. 1 1 5 Orayson pour illumination de cueur obtenir. n6 De soy garder d'enquerir curieusement la vie d'aultruy. Et est en la personne de Dieu , XXIIIP chap. 117 En quoy est la vraye paix de cueur et le prouffit espirituel, XXV* chap. 119 De 1'eminence et haultesse de franchise de cueur, laquelle se acquiert plus par devote orayson que par lecon ou predicacion, c'est a dire par estudier ou ouyr prescher la Saincte Escripture, XXVP chap. 12 r Que privee amour a quelque chose terrienne retarde et empesche 1'amour du souverain bien, c'est Dieu, XXVII 6 chap. 124 Oraison pour impetrer purgacion ou mondi- cite" de cueur, et sapience divine. 126 Contre les langues des detrayeurs ou mesdi- sans, XX VHP chap. 127 Comment en grant tribulacion on doit prier, loer et remercyer Dieu, XXVIIII e chap. 128 De requerir tousjours 1'ayde de Dieu , et que on doit avoir conh'ance a recouvrer la grace de Dieu , se on 1'a perdue ou se on ne la sent pas. Et est en la personne de Dieu qui conforte ou enhorte, XXX e chap. 3o Du mesprisement de toute creature affin que le Createur puisse estre trouve", XXXP chap. 1 33 ox TABLE DBS MATIERES. De soy denyer a soymesmes, et renoncer a toute convoitise mondaine, et est en la personne de Dieu Nostre Seigneur qui en- seigne son amy ou serviteur, XXXII e chap. 1 3 7 De 1'instabilite de cueur, et d'avoir son en- tencion finable en Dieu, XXXIIP chap. i'6g Que Dieu plaist et assaveure ?ur toutes choses a celluy qui parfaictement 1'ayme. Et est en la personne de 1'homme qui parle a Dieu en sameditacion, XXXIIIP chap. 141 Que en ceste presente vie n'est point de seurte de temptacion. Et est en la per- sonne deDieu, commedessus, XXXV 6 chap. 1 44 Centre les divers jugemens des hommes, XXXVP chap. 146 De la pure et entiere resignacion, ou renon- ciation de soymesmes pour avoir et obte- nir parfaicte franchise et liberte de cueur, XXXVII* chap. 148 De avoir en soy bon gouvernement par de- hors, et recourir a Dieu en tous perilz, XXXVIII' chap. i5o Que on ne soil point importun ou hatif en sesbesoignes, etque on ne commence riens sans bon conseil. XXXVIIII' chap. i52 Que 1'homme n'a de soy rien de bien, et ne se doit ou peut de rien glorifier, XXXX e chap. 1 53 De mespriser tout honneur tempo rel , XXXXP chap. 1 56 TABLE DBS MATIERES. cxi Que on ne doit pas mettre 1'esperance de sa paix es homines, c'est a dire qu'il ne doit pas souffire de 1'avoir, XXXXIP chap. i5; Centre vaine gloire et seculiere science, XXXXIIP chap. i5 9 De ne s'attribuer point ou approprier les choses de ce monde, XXXXIIIP chap. 161 Que on ne doit pas estre legier a croyre pa- rolles, pource qu'on parle bien legiere- ment, XXXXV 8 chap. 162 D'avoir confiance en Dieu quant surviennent les assaulx et sajettes de dures parolles , XXXXVP chap. 1 66 Que on doit porter voulentiers en ce monde toutes griefvetez et tribulacions pour la vie pardurable, XXXXVII 6 chap. 170 Du jour de la pardurablete" , et de la brief- vete" de ceste vie , XXXXVIIP chap. 172 Du desir de la vie pardurable, et que grans biens sont promys a ceulx qui bien centre 1'Ennemy se combatent, XXXXVIIIP chap. 177 Que 1'homme, quant il est en desolacion, se doit offrir et presenter a Dieu. Et est par maniere d'orayson ou meditacion, L e chap. 182 Que on se doit tousjours en humbles euvres occuper quant en default de grans , c'est a dire que se une personne ne se sent pas CXH TABLE DBS MATIERES. la grace de Dieu pour faire grans oeuvres, pour cela ne doibt pas laisser a bien faire selon la grace que Dieu luy donne, Ll e chap. 187 Que 1'homme ne se doit pas reputer digne de quelque consolacion ou reconfort, mais plus de pugnicion et affliction, LII e chap. 189 Que la grace de Dieu n'est point donnee ou octroy6e a ceulx qui sont sages selon le monde tantseullement. LIIP chap. 191 Des divers mouvemens ou inclinacions de Grace et de Nature, LIIIP chap. 194 De la corruption de Nature et de 1'effect de Grace divine, LV e chap. 199 Que nous devons nous mesmes delaisser, et ensuyr Jesuchrist par la Croix, c'est a dire en souffrant pour 1'amour de luy, LVP chap. 203 Que Thomrne ne soyt point trop abatu quant il fait aulcuns petiz deffaulx, LVII C chap. 206 Que on ne doibt point encercher haultes choses et les secretz jugemens de Dieu, LVIIP chap. *o 9 Que toute fiance et esperance de la personne doit estre seullement raise en Dieu. Et est par maniere d'orayson, LVIIII 6 chap. 2 1 5 TROISIESME TRAICTE. Le Tiers Traict6 contientXXVI chapitres. Et parle premierement de 1'Interiore et Par- TABLE DBS MATIERES. CXIH faicte Immitacion de Nostre Seigneur Jesu- christ, Premier chapitre. 221 De sentir humblement de soymesmes, IP chap. 223 De la vraye doctrine de verit6, IIP chap. 225 D'avoir prudence en ses ceuvres, HIP chap. 219 De estudier voulentiers la Saincte Escripture, V e chap. a3o Des maulvaises et desordonn^es affections, VP chap. 23a De fouyr vaine esperance et elacion, VIP chap. 233 De n'avoir point trop grande familiarite a quelque personne , VIII e chap. 234 D'estre obeissant et subject, VIIII 6 chap. 235 D'eschever superfluite de parolles, X e chap. 237 De acquerir paix de cueur, et avoir jalousie de proffiter, XP chap. 2 38 Du bien et proffit que fait adversite et tribu- lacion, XIP chap. 241 De resistor aux temptacions, XI1P chap. 242 De fol jugement, c'est a dire que on ne doibt pas follement juger aultruy, XIIIP chap. 247 Des ceuvres faictes par charit6, XV e chap. 149 De souffrir et porter paciemment les def- faultes et meurs d'aultruy, XVP chap. 25o De la vie monastique ou de religion. XVIP chap. 253 Des exemples des anciens saintz Peres, XVHP chap. 254 h cxiv TABLE DBS MATJERES. Des excercitacions d'ung bon religieux, c'est a dire en quelles oeuvres se doibt occuper et excerciter ung bon religieux, a 5; XVIIIP chap. 262 De 1'amour qu'on doit avoir a solitude et garder silence, XX e chap. 267 De avoir ou acquerir compunction, XXP chap. 2<> 9 De la consideracion de humaine misere, XXIP chap. 274 De la meditacion de la mort, XXIII' chap. 276 Du Dernier Jugement et des peynes des pe- cheurs, XXIIII 6 chap. 278 De la ferveur que on doibt avoir a amender toute sa vie, XXV e chap. 283 Centre la vanite" du monde. XXVP chap. 290 Cy finist la Table de ce present Livre. ERRATA Pages. Lignes. ix a 4 Malines, lisez : Bruges. LXXXV 1 5 pouveu , lisez : pourveu. 6 10 du monde et, lisez : du monde, et. 9 1 5 et a maine, lisez: et amaine. 3o 6 charnelles, dista Dieu, lisez :char- nelles. Dist a Dieu. 66 5 ne declarer, Sire , lisez : ne decla- rer. Sire. 78 ii gracesa pres , lisez : graces apres. 89 1 8 espargnez que, lisez: espargnez que f . 90 Note i Transportez au has de la page pre- ce"dente. 96 28 i835, lisez : i533. 1 52 Note, fidit. de 498, lisez : Edit, de 1498. 1 55 12 c'est a dire faire, lisez : c'est a dire fait. 221 16 surmonte, lisez : surmontent. 249 6 on peult bien, aulcunesfoiz , lisez : on peult bien aulcunesfoiz. PREMIER TRAICTfi. Cy commence le Livre intitule 1NTERNELLE CONSOLACION, lequel est moult utile et profitable pour la consolation de toute humaine creature. Et premierement parle de V Interfere Conversa- tion, c'est a dire comment la personne doit converser selon I'ame. PREMIER CHAPITRE. EGNUM DEI INTRA VOS EST, DIGIT DOMI- NUS. Le royaulme de Dieu est dedans vous, dist Nostre Seigneur Jesuchrist. Converty-toy de tout ton cueur en toy mesmes et laisse ce meschant monde, c'est assavoir que n'ayes point d'amour en luy; lors ton ame trou- vera en soy paix. Apren amespriser ces choses du monde et te donne a tes interiores, c'est a dire a penser a Dieu et a toy, et tu verras le royaulme 4 L'lNTEBNELLE de Dieu venir en toy. Car le royaulme de Dieu est paix en Dieu et joye ou * Saint Esperit, laquelle n'est jamais es a maulvais , c'est assavoir en ceulx qui sont en pech6 mortel. Dieu viendraen toyet te demonstrera sa consolacion, se tu luy appareilles digne mansion s . Toute la gloire et la beaute" qu'il demande en toy doit estre par dedans, et la luy plaist-il souvent te visitor et parler a ton ame. La est la gracieuse sermocinacion, doulce consola- cion, grande paix et trop merveilleuse familiarity. Or doncques, amecrestienne, appareille ton cueur a cest espoux, affin qu'il luy plaise venir en toy et qu'il ypuisseseurementhabiter. Carildit en ceste maniere : S'aulcun m'ayme, il garderames comman- demens 4 , et nous viendrons a luy et ferons en luy demourance. Donne doncques a Jesuchrist lieu en toy, et denye 1'entree a toutes aultres choses. Se tu le peux avoir, tu seras riche et te debvra souffire. II sera ton pourvoieur, il sera ton procureur en tou- tes choses , et ne te sera point de besoing avoir aultre part esperance : car les hommes faillent tan- tost et se changent de legier B , mais Jesuchrist tousjours demeure et aide fermement jusques a la fin. On ne doit pas mettre grant fiance en homme 1. Au. 2. Aux, dans les. 3. Demeure. 4. Et pater meus diliget eum, ajoute ici 1'Evangile. Les pre- mieres lec.ons du texte latin, de meme que 1'Internelle Consola- tion , ne donnent pas ce membre de phrase. 5. Promptement, facilement. CONSOLACION. I. 5 fresle et mortel, suppose" mesme qu'il semble estre proffitable et amy, ne aussi avoir trop grant paour et tristesse s'il est ennemy ouadversaire.Ceulxqui au jourd'uy sont tes arays, demain seront tes adver- saires et ennemys ; et aussi, par le contraire, ceulx qui au jourd'uy sont tes adversaires, demain seront tes amys, pourceque tantostse muent et changent, et tournentcomme le vent. Et pource tu doys met- tre toute ton esperance et fiance en Dieu tantseulle- ment, et ne aymer ou doubter * aultre que luy. Tu n'as point ycy de demourance permanent; quelque part que tu soyes en ce monde tu es estrangier et pelerin, et ne auras repos en quelque lieu que ce soit, sinon en cueur quant tu seras vrayement joinct a Dieu. A quoy regarde-tu ne ca ne la pour trouver re- pos? Soit ton habitation et demourance es cieulx par amour et affection, et point ne regarde les choses de ce monde, fors que en passant; car elles passent et deviennent toutes a neant , et tu aussy comme elles. Et pource ne te tiens pas ou adjouste 2 si fort a elles que tu soyes prins et pe- risses avec elles. Ta pensee soit tousjours en Dieu, etj ta priere soit sans cesser adress^ea Jesuchrist. Se tu ne scays contempler haultes choses et celes- tiennes, quier* repos en la Passion de Nostre Sei- gneur Jesuchrist, et te tiens vouleutiers en la con- 1. Redouter. 2. Ne t'ajoute pas, ne te joins pas. 3. Cherche. 6 L'lNTERNELLE sideracion de ses precieuses playes. Car se tu te acoustumes a devotement recourir aux playes et aux aultres signes de la Passion Nostre Saulveur et Redempteur Jesuchrist , tu y trouveras grant reconfort et consolation en tes tribulations et ad- versitez, et ne te chauldra ' guere d'estre mespris6 du monde, et porteras 2 legierement se on detrait ou maldit 3 de toy. Pense comment Nostre Seigneur Jesuchrist fut mesprise du monde et, en la plus grant necessite" qu'il eust en ce monde fut delaisse de tous ses amys et prouchains. Celluy doncques voulut cecy souffrir pour toy ; pource tu ne te doys pas complaindre se on dit pareilde toy. Jesuchrist voulut en ce monde souffrir, avoir adversaires et detrayeurs, c'est a dire qui disoyent mal de luy, et sans cause et a tort , et tu veulx estre am6 de tous et loue". Pour quoy sera ta pacience couronnee et remuneree se tu ne seuffres quelque tribulation et adversit^? Se tu ne peuz ou veulz souffrir quelque contrariety, com- ment pense-tu estre aym6 de Jesuchrist? Seuffres doncques pour 1'amour de luy comme il a fait pour toy, se tu veulx regner avec luy. Se tu estoyes une fois parfaictement entre en luy, et que tu eusses ung peu savoure la doulceur de son amour, lors tu ne tiendroyes compte, ou peu ou rien, de ton prouffit ou dommaige, mais seroys i. II ne t'importera. >. Supporteras. 3. Ddtracte ou m^dit. CONSOLACION. I. 7 plus joyeuk se on te faisoit ou disoit villennye ou quelque reprouche ; car qui parfaictemcnt ayme Jesuchrist se esjoyst se on le mesprise. Qui par- faictement ayme Jesuchrist, et est vrayement au cueur delivre et franc de toutes affections et pas- sions desordonn^es , se peult francliement con- vertir a luy, et se eslever sur soymesmes par con- templation , et en sonesperit avoir vray repos. Celluy qui a vray jugement, et qui toutes choses prise et ayme selon qu'elles sont, non pas selon les parolles et estimations du monde , cestuy est vrayement saige et enseigne plus de Dieu que des hommes, et cestuy ne requiert point lieux ou temps a avoir ou faireses exercitacions en devotion. Ung homme a ce acoustume se recolige, c'est a dire ' ses evagacions * de cueur, car jamais ne se haban- donne tout aux choses exteriores. Le labeur exte- riore ou 1'occupation necessaire pour aucun temps ne luy nuysent point, mais quant besoing est, il se employe par maniere de prest, c'est assavoir que quant il vouldra qu'il s'en puisse retraire. Cel- luy qui est bien dispose et ordonne" par dedans, c'est assavoir en 1'ame , ne tient compte et ne prent pas garde aux merveilleux* ou aux mauvais gouver- nemens d'autruy ; tant seullement il s'y empesche et occupe en tant comme la chose luy appar tient. Se tu estoyes bien compose et nectoy en ton 1. Fuyt evagations. ld. de i5zo. 2. Divagations. 3. Etranges, bizarres. 8 L'lNTERNELLE ame, toutes choses te viendroyent en bien, et feroys de tout ton proffit; et pource, quant tu te troubles ou courrouces aucune?foys que les choses ne vien- nent pas a ta voulente, c'est par ton imperfection, et signe que tu n'as pas encore ton affection ostee de ces choses terriennes. II n'est rien qui ainsi ordoye * et detienne le cueur d'une personne comme affec- tion desordonnee a ces biens terriens. Se tu reffu- ses consolacion terrienne et corporelle, tu congnois- tras lors et sentiras consolacion espirituelle , et sentiras si grant joye de cueur que ne la scauras exprimer. En quoy appert vraye humilite. IP CHAPITRE. e te chaille 2 gueres qui soil pour toy ou contre toy, c'est a dire qui te sous- tienne ou qui te foule , mais seullement pren garde que Dieu soil avecques toy en toutes choses , et que ce que tu fais , tu faces tout pour 1'amour et honneur de Dieu, et que en ta conscience soil premierement 1'onneur de Dieu , et Dieu te deffendra se tribulacion te vient. Car a celuy que Dieu veult aider nulle mauvaistie hu- maine ne peult nuyre. Se tu te scays taire et avoir pacience, tu apperceveras tantost 5 1'aide de Dieu ; car il scet 1'heure et le temps et la maniere 1. Rende ord, sale. 2. Qu'il ne t'importe. 3. BientSt, facilement. CONSOLACION. I. 9 comment te fault aider, et pour ce tu t'en doys rapporter a luy. Dieu aide et delivre de toute con- fusion. II est souventesfois proffit que on sache et cognoisse noz deffaultes, etque on nous repreingne, pour avoir et garder humilite. Quant une personne se humilie par ses deffaul- tes, de legier appaise ceulx qui sont courroucez centre soy. Dieu deffend et delivre celluy qui est humble , il le ayme et le reconforte. Dieu par sa bonte et clemence s'encline a celluy qui est hum- ble, c'est a dire a luy faire sa voulente, et exaulce ses prieres et oraisons. Dieu donne sa grace aux humbles, et, apres les oppressions decemonde, les eslieve en sa gloire. Dieu revelle ses secrets aux humbles, et les attrait et a maine doulcement a soy. Se on fait a ung humble aulcune honte ou confu- sion ou desplaisir, il ne s'en trouble point ne n'en pert point la paix de son cueur ; car il est stable en Dieu, non pas au monde. Ne te repute pas en rien avoir proffit6 se tu ne te reputes le maindre ' et le plus imparfait de tous les aultres. De avoir et garder paix en soy et aux aultres par dehors. IH e CHAPITRE. ectz peine de avoir premierement paix en toy, et lors tu pourras appayser les aultres a toy. Ung homme paisible peut plus prouffiter en une congregacion que i. Le moindre. 10 L'lNTERNELLE ung bien saige, voire * qui ne 1'est pas. Ung homme passionne" , c'est a dire turbatif, mesme- ment de bien fait mal, et de legier croyt plus- tost le mal que le bien. Mais par le contraire une bonne personne et paisible convertist tout en bien, et de nul n'a mauvaise suspection. Mais celuy qui est mal ordonn6, et remply de diverses passions et mauvaises suspections, jamais n'a repos ou paix en soy ne aussi aux aultres, et trouble chascun et mesme toute la congregacion. II dit souvent ce qu'il ne debveroit pas dire, et ne fait pas ce qu'il debveroit faire ; il considere et regarde tresbien ce que les aultres deveroyent faire, pour les juger et reprendre se ilz ne le font, et ne pense point a ce qu'il est tenu de faire. Ayes doncques premiere- ment regard sur toy et sur tes oauvres , et mectz paine de toy amender; et lors tu pourras juste- ment corriger les aultres. Tu sc.ays tresbien aucunesfoiz excuser et palier tes deffaultes, mais tu ne veulx recevoir les excu- sacions des aultres ; ce seroit plus sainte chose et a loer que tu te accusasses et que tu excusasses les autres. Se tu veulx que on te porte, c'est assavoir que on ait pacience en tes deffaulx, porte les aul- tres et ayes pacience des leurs. Regarde et consi- dere comment tu es encore loing de vraye charite et humilite, laquelle jamais ne se courrouce ou porte indignacion , fors a soymesmes et a ses pe- i. Vrai, rraiment. II signifle souvent mais, mime, c'esl-a-dire. CONSOLACION. I. it chez. Ce n'est pas grant louenge de converser et estre paisible avec les paisibles, qui sont bons et debonnaires ; car c'est une chose naturelle, et qui naturellement plaist a tous, mesmes aux bestes irraisonnables ; car naturellement chascun ayme paix, et demeure voulentiers avec ceulx'qui sont de son accord. Mais demeurer paisiblement avec parvers et mauvais turbatifs et qui ne garden t paix a eulx ne a autruy, c'est grant louenge, grant grace et honneur, et signe de force espiri- tuelle. Ilz sont aulcuns qui sont paisibles en eulx, et aussi avec les aultres s'esforcent d'avoir paix; et sont aulcuns qui n'ont point de paix en eulx, ne aussi ne s'esforcent point de avoir paix avecques les aul- tres, mais tousjours ont tribulacion et noise , et ceulx ycy sont griefz a porter, mais encores se portent-ilz plus a grant paine. Et les aultres sont qui en soy et avec les aultres sont paisibles , et mesmement se esforcent de appaiser et accorder les aultres se noise ou tribulacion y est aulcune, et ceulx icy sont 'les plus parfaictz. Toutesfois Unite nostre paix en ceste miserable vie est plus en humblement souffrir et porter paciamment que en avoir point de tribulacion ou de adversit ou con- trariete. Celuy qui mieulx scet souffrir et paciam- ment, a plus grant paix et mieulx la garde ; et ung tel est victorien de soy mesmes, seigneur du monde, amy de Jesuchrist, et heritier du royaulme des cieulx. L'lNTERNELLE De pure pensee et simple intention. IIII e CHAPITRE. a personne a deux aelles par lesquelles elle se eslieve a Dieu et delaisse le monde , c'est assavoir simplesse et pu- rite". Simplesse est en 1'intencion et pu- rite" en 1'atTection. Simplesse tend a Dieu , c'est assavoir quant ce que on fait est pour 1'amour de Dieu seullement, au moins principalement. Purite" gouste et assavoure Dieu. Se tu es franc en ton cueur de toute affection desordonnee , riens ne te peult empescher de bien faire ; et se en toutes tes ceuvres tu ne demandes que le plaisir et 1'amour de Dieu, et le proffit de ton prochain, tu es franc et delivre de mauvaise entencion. Se ton cueur es- toit net et droit a Dieu, lors toute creature te se- roit ung mirouer et livre de saincte vie et doctrine; car il n'est si ville ou petite chose cree" de Dieu en laquelle ne reluyse et soil represent^ la bonte et sapience de Dieu. Et se tu estoyes dedans toy,- c'est assavoir en ton cueur, pur et net, lors sans empeschement tu verroys et congnoistroys toutes choses. Cueur pur et net perce par consideracion et le ciel et enfer. Tel comme une personne est par dedans, telz jugemens fait-il des choses par dehors : s'il peut estre joye en ce monde , ung homme qui a le cueur pur et net le peut appercevoir ; et s'il y peut estre tribula- cion ne adversite" , ce congnoist homme de mauvaise CONSOLACION. I. l3 conscience. Ainsi comme le fer qui est mis au feu pert 1'enrouilleure , et devient tout ardant comme le feu, pareillement la personne qui parfaictement se convertist a Dieu oste de soy toute paresse et negligence, et est transmuee en nouvelle personne. Mais quant ung homme se commence a delaisser de bien faire et devient remys 1 et negligent, lors il doubte et ressoigne 2 mesmement petit labour, et quiert voulentiers ses consolacions exteriores et corporelles. Mais s'il se veult ung peu faire de force, qu'il commence a vaincre et surmonter celle negligence et laschete' , et aller de grant cueur en la voye et au chemin de Dieu ; lors il appercevera que ce n'est riens ce qu'il doubtoit et ressoignoit, et luy semblera que ce qui luy sembloit estre fort a faire est treslegier. De propre consideration de soymesme. V c CHAPITRE. ous ne debvons pas trop croyre a nous mesmes ou a nostre sens, car aulcunes- foiz la grace de Dieu n'est pas avec nous , et nostre sens sans elle est pe- tit, et sommes peu enluminez ; et encores ce peu de lumiere que nous avons perdons-nous par nostre negligence. Souventesfoiz aussi nous ne congnois- i. Fatigud , lache. ?.. Ressoigner, avoir cure, dans son double sens d' avoir soin on soucl de quelque cliose. H L'lNTERNELLE sons pas nostre ignorance ou cecite". Nous faisons aulcunesfoiz mal, et, encores pys, nous excusons nostre faulcet6 faulce. Nous sommes aulcunesfoiz es- meuz centre aultruy par passion ou affection des- ordonee, et nous cuidons ' que ce soil zele ou ardant amour. Nous reprenons es aultres petites faultes , et ne voyons pas ou congnoissons les nostres qui sont plus grandes. Nous sentons et pensons tan tost ce que les aultres nous font centre nostre voulente" ou plaisir, mais nous ne regardons pas ce que aultresfoiz nous leur avons fait de mal. Qui bien et droit penseroit ses faultes , il ne verroyt quelque grant chose a reprendre sur aultruy. Qui a parfaictement cure et soing de son ame, il meet toutes aultres choses arriere pour y penser et vacquer ; et qui diligemment pense et entend a soy- mesmes, de legier se taist des aultres. Jamais tu ne prendras proprement garde a toy, et ne seras ja par- faictement devot, se tu paries voulentiers des aul- tres, car c'est signe que tu ne te cognois pas encores bien. Se tu ne penses que a Dieu et a toy, il ne te chauldra gueres que on face aultre part 2 . A qui et a quoy penses tu se tu ne penses a toy ; et que te proffkeroit se tu gouvernoys toutes les choses de ce monde et de toy n'auroys point de cure. Se tu veulx avoir vraie cure de toy, paix et union en ton cueur, il convient que tu oublies toutes les choses de ce monde, et que tu soyes tousjours devant les yeulx i. Nous pensons, nous pre"tendons. z. Quoi qu'on fasse hors de Dieu et de toi. CONSOLACION. I. i5 de Ion cueur, c'est a dire que tu penses seullement de toy. Et pource en ce proffiteras-tu grandement quant tu te retrairas de toute maulvaise occupacion mondaine , et te garderas de telle cure et sollici- tude. Tresbien profiteras quant tu reputeras toute chose terrienne estre riens, et ne tiengnes compte ', nen'y mettes ton plaisir et ton affection, ou que tu ne te y delictes 2 , tantsoit grande ou precieuse ou belle , sinon en tant que ce soil ou appartiengne a 1'honneurde Dieu. Repute vanite toute consolacion mondaine qui te peut venir de quelque creature; 1'ame qui ayme parfaictementDieu mesprise toutes aultres choses pour 1'honneur de luy. Dieu est par- durable et infiny, tout remplent 3 , c'est a dire souffisant est a assouvir le desir de Tame, son soulas et sa consolacion, sa vraye et parfaicte joye 4 . De la joye et Hesse de bonne conscience. VI e CHAPITRE. a gloire et la joye d'une bonne per- sonne est le tesraoignasge de sa con- science , c'est a dire que -il s'esjouyst tant seullement en ce que en son cueur 1. Et que tu n'eu tiendras pas compte. 2. Ou que tu n'y prendras pas ton plaisir. 3. Remplissant. 4. L'e"dit. de 1498 donne : Dieu pardurable et inflni remplit , c'cst-u-dire est sufflsant a assouvir le de"sir de 1'ame, etc. 16 L'lNTEBNELLE ou en sa conscience n'a point remors de peche" mortel qu'il saiche , et s'il le scavoit le confesseroit et osteroit le plustost qu'il pourroit. Ayes bonne conscience et tu seras tousjours joyeulx, voire de bonne lyesse. Bonne conscience peult souffrir et avoir pacience , et est joyeuse en adversite. Mau- vaise conscience est paoureuse, et n'a point de re- pos. Se tu n'as point de remors de conscience en ton cueur de nul peche", tu reposeras souefvement ' . Ise t'esjouis point fors que en bien pensant et bien faisant. Les mauvais jamais n'ont vraye joye et ne sentent paix de cueur, car ilz ne scevent que c'est; car Dieu dit qu'il n'est point paix aux mauvais et pecheurs. Et s'ilz le disent , c'est a dire qu'ilz cui- dent *, disant en leur cueur : Nous sommes en bonne paix, il ne nous viendra point de mal , nul ne nous peut nuyre ne les croy pas, c'est a dire n'y ayes point de fiance , car soubdainement viendra 1'ire , c'est assavoir la pugnicion, de Dieu sur eux , et toutes leurs osuvres seront myses a neant, et toutes leujs mauvaises cogitacions periront. Se glorifier et esjouyr en tribulacion n'est pas forte chose a celuy qui ayme Dieu ; car telle joye et glorificacion est en la Passion de Nostre Seigneur Jesuchrist. La joye et gloire que prennent ou don- nent les hommes, c'est a dire le monde, estrifve 5 et tousjours avec elle y a aulcune tristesse. La gloire 1. Suavement, doncement. 2. Qu'ils le prdtendent. 3. Tounnente. L'e"dit. de Mgo donne: est grefve. CONSOLACION. I. 17 des bons est en leurscueurs et consciences, et non pas en la bouche des hommes. La lyesse et exul- tacion des justes est de Dieu, et en Dieu : car elle est de verite. Qui vrayement desire la gloire vraye et pardurable ne tient compte de la temporelle ; qui ne la mesprise en son cueur, il se monstre vraye- ment qu'il n'ayme pas la celestielle. Celuy a grant paix et tranquilite de cueur qui ne tient compte de la louenge et blasme du monde, laquelle chose fera legierement et promptement ce- luy de qui la conscience est necte. Tu ne seras pas pour ce plus sainct ou meilleur se on te loue, ne aussi pyre et plus meschant se on te blasme ; tu es ce et tel comme tu es ; tu ne seras pas aultre, pour les parolles du monde, que tu es devant Dieu. Se tu congnoys et regardes quel tu es au cueur, tu ne tiendras compte de ce que les hommes diront de toy. Les hommes voyent par dehors, mais Dieu voyt par dedans ; les homines voyent les osuvres, mais Dieu voyt 1'entencion. Faire tousjours bien et ne sentir rien de soy, c'est signe de humble cueur. Ne vouloir point estre console ou reconforte de quelque creature est signe de grant purite interiore et de grant fiance en Dieu. Qui ne demande point ou desire quelque tesmoi- gnaige de dehors, c'est ass&voir du monde, il appert qu'il c'est * commis a Dieu et s'i fye tant seulle- i. S'est. La distinction du c et de l' dans les mots ce et se n'est pas fre"quemment faite a cette e"poque. Nous ne nous astrein- drons pas a noter chacune de ces confusions lorsque le sens ge"nral de la phrase y apportera une clart suffisante. i8 L'lNTERNELLE ment. Car non pas celuy qui se loue, mais celuy que Dieu approuve et recommande, est a louer. Avoir son cueur fich6 en Dieu, et ne avoir point d'aultre affection terrienne, est ce qui appartient a la personne espirituelle ou qui veult vivre selon Dieu. De la timeur et crainte de Dieu sur toutes autres choses. VII e CHAPITRE. eluy est bien benoist qui congnoist et apperc.oil en soy que c'est f que aymer Jesuchrist et contemner et mespriser soy mesmes pour 1'amour de luy. II fault et convient delaisser ung amy pour 1'aul- tre , c'est 2 le monde pour Dieu ; car Jesuchrist veult estre ayme tout seul et sur toutes choses. L'amour des creatures est faulce et instable, mais 1'amour de Jesuchrist est vraye et perseverant. Qui se adjouste ou appuye a la creature, il fault qu'il tombe quant elle luy fauldra ; mais qui embrasse Jesuchrist, il sera tousjours ferme et estable, pource que sa fiance jamais ne fauldra. Et pource ayme le, et le retien pour ton amy, car suppose" que tout le monde te laissast, si s ne te laissera-il pas perir. II fault que une foys tu soyes separe" de toutes choses de ce monde, vueilles ou non. 1. Ce que c'est que d'aimer. 2. C'est-'a-dire. 3. Ainsi, certes, mais. CONSOLACION. I. 19 Et pource tien toy fort a Jesus et vivant etmou- rant, et du tout te commectz et fies a sa pitie et misericorde ; car quant toutes les aultres choses te fauldront, luy tout seul te peut secourir et ayder. Mais advise que cestuy ton amy est de telle nature qu'il ne veult point avoir de compaignon en ton amour, mais tout seul veult avoir ton cueur, comme il est digne *. Et la, c'est assavoir en ton cueur, veult estre en paix comme ungroy en son trosne assis. Et pource, se tu te scavoys bien evacuer ou vuyder et o*ter de toutes aultres creatures, Jesuchrist seroit tresvoulentiers et demourroit avec toy. Quant tu mettras de ton amour en quelque creature hors Je- sus, tu te trouveras tout estre perdu. Ne te fyes ou appuyes en 1'amour de ce monde, non plus que en ung roseau vuyde et vain. Car tout homme est comme foing ou herbe seiche, et la gloire de ce monde comme la fleur du pray qui tantost est passee. Tu seras tantost deceu se tu prens tant seulle- ment garde a 1'apparence de ce monde par dehors. Et se tu quiers ou demandes ton soulas ou gaing au monde tant seullement, et es choses d'icelluy, le plus souvent tuy trouveras plus de dommaige que de proffit. Et se tu quiers et desires Dieu en toutes choses , tu luy 2 trouveras ; mais se tu te deman- des tu tc trouveras, mais a ton dommaige. Car une personne est plus nuysant a soy mesmes se elle 1. Comme il le me"rite en effet. 2. Tu 1'y trouveras, ou, le trouveras. 20 L'lNTERNELLE ne quiert Jesus ', que tout le monde ne tous ad- versaires. De avoir f ami! iarite a Jesuchrist et du pro/fit qiiilen vient. VHP CHAPITRE. uant Jesus est present, tout bien y est , ne il n'y a rien qui semble fort ou difficille ; mais par le contraire , quant il n'y est, tout est dur et aspre. Quant Jesus ne parle dedens au cueur, toute aultre con- solation est desplaisant ; mais se Jesus dit une toute seulle parolle, on sent grant consolacion. Exemple en avonsdelaMagdalaine, laquelle tantost se leva du lieu ouelle plouroit pour 1'amour de son frere, puis 2 que sa seur luy eut dist : Nostre maistre est venu et te demande. Ho ! que c'est bonne heure quant Jesus appelle, c'est a dire reconforte de lar- raes a la joye de 1'esperit. Comme es-tu dur et sec sans Jesus ! comme es-tu sot et vain se tu quiers ou demandes riens fors que Jesus! N'est-ce pas plus grant dommaige de perdre Jesus que se tu perdois tout le monde? Que te peut proffiter tout le monde sans Jesus? Estre sans Jesus est grant enfer, avoir avec soy Jesus est grant paradis. Se Jesus est avec toy, il n'est rien qui te puisse nuyre. Qui treuve Jesus i. S'il ne se quiert pour 1'amour de Je"sus. Edit, de 1498. a. Du moment que. CONSOLACION- I. 21 avec soy il treuveung tresor precieulx, et meilleur, et plus grant sur tous les aultres ; et qui pert Jesus il pert tout bien, et plus que s'il perdoit tout le monde. Celluy est trespovre qui yit sans Jesus, et celluy est tresriche avec qui est Jesus. C'est grant chose et saigesse sgavoir bien con- verser avec Jesus, et le scavoir garder avec soy est grant prudence. Soyes humble et paisible, et Dieu demourra avec toi. Tu le peuz tantost perdre et mettre d'avecques toy dehors, se tu te habandonnes a choses terriennes et mondaines ; et quant tu 1'au- ras boute hors et chasse , a qui peuz-tu aller, ou quel amy pourras-tu trouver? Sans amy ne peuz- tu bien vivre, et se Jesus n'est ton amy especial, c'est a dire que tu 1'aymes sur tous les aultres, tu seras trop triste et desole. Et pource tu labeures folement se tu t'esjoys ou reconforte en aultruy. On doit plus eslire de avoir tout le monde contraire ou adversaire a soy que seullement Jesus courrou- cer tant soil pou a soy, car qui n'a s'amour il n'a rien : et pource on doit sur toutes choses mettre diligence de aymer Jesus especialement. Car on doit aymer les aultres pour 1'amour de luy, mais luy sur tous et devant tous aultres et pour luy seullement. Jesus doit estre singuliere- ment et especialement ayme", car il est tout seul bon, et tousjours trouve loyal amy sur tous aultres. Pour 1'amour de luy et en luy doit ung chascun aymer et amys et ennemys et avoir chiers. Et doit-on prier pour eulx tous a ce que tous puissent 22 L'lNTERNELLE le congnoistre, servir et aymer. Jamais ne desire a estre singulierement ou especialement aym6 ou loue; car cecy appartient singulierement et tant seullement a Dieu, qui n'a point de pareil ou sem- blable. Et ne vueilles point ou desires que aulcun soit trop enflamme de ton amour en son cueur, ne aussi n'aies point trop ardamment 1'amour d'aul- truy en ton cueur ; mais seullement desire que Jesus soit singulierement ame de toy et de toute bonne personne. Soyes pur et franc en ton cueur, sans amour de- sordonnee a quelque personne ou a aultre chose du monde. II fault que tu aies le cueur pur et nect, adressie franchement a Dieu, se tu veulx aulcune doulceur sentir de luy. Et sans faulte a ce ne peuz tu parvenir sinon que sa grace te esveille et in- cite et attraye a soy, et que toutes choses soyent vuid^es et boutees dehors de toy, c'est a dire, 1'af- fection que tu avoyes desordonneement aux choses de ce monde purgee et nectoyee deuement, tu soyes uny a Jesuchrist comme seul a seul, c'est a dire que tu ne penses que a Dieu et a toy, ainsi comme s'il n'y eust en tout le monde que Dieu et toy, comme ung bon Pere en la vie des Peres di- soit et respondoit a ung aultre qui se complaignoit de 1'evagacion de son cueur. Quant la grace de Dieu vient en une personne , lors il est fort et puissant contre toutes choses contraires , et prest de tout faire; mais quant la grace de Dieu sedeppart de la personne et que elle la laisse , lors la personne est CONSOLACION. I. a3 pource enferme *, et foible a rien souffrir ou faire, ct tant seullement delaissee comme en tribulation. Mais toutesfois il ne se doit pas desesperer, mais en pacience souffrir jusques a tant qu'il plaira a Dieu, et souffrir et rapporter tout a la louenge de Dieu, et avoir esperance en luy . Car apres 1'yver vient 1'este, apres la nuyt le jour, apres la pluye et grand tem- peste vient le beau temps. De ri avoir point de consolation, ou du def fault de consolation. VIIIP CHAPITRE. e n'est pas forte ou griefve chose a une personne de mespriser reconfort ou con- solacion humaine quant il a celle de Dieu. Mais c'est tresforte chose den'a- voir confort ou consolacion ne de Dieu ne des hommes , et vouloir souffrir et porter pour 1'amour de Dieu comme exil en son cueur, et aucunement se perdre ou se oublier , et ne se reputer pas estre digne, ne tenir compte de soy, et n' avoir pas mesmement regard au merite ou a la retribu- cion. Quelle grant chose est-ce se tu es joyeulx et devot quant la grace de Dieu est avec toy, c'est a dire quant tu sens consolacion de Dieu en toy! chascun desire ceste heure et ce temps. Celluy chevauche bien a aise, que la grace de Dieu porte ; celluy nage bien et seurement , a qui Dieu i. Infirme. 24 L'lNTERNELLE soustient le menton. Ce n'est pas merveille se cel- lui ne sent point la charge ou le fays, qui est porte de Dieu tout puissant, et se celluy ne se forvoye pas, que Dieu conduyt et maine. Mais nous venons a peine a celle perfection, et a grant difficulte nous povons-nous laisser et des- poiller, et voulentiers recepvons consolacion. Saint Laurens avec son cvesque vainquit et surmonta ce monde, car il avoit ja de son cueur oste et mesprise tout ce qui peut ou semble estre delectable ou plai- sant en ce monde. Et pource son bon evesque saint Sixte Pape, jacoit qu'il 1'aymast moult tendrement, toutesfois pour 1'amour de Dieu il portoit paciem- ment estre separe de luy aucun temps ; et doncques pour 1'amour du Createur surmontoit 1'amour de la creature, et ayma mieulx que la voulente de Dieu fust faicte que sa consolacion. Pareillement, se tu as un bon amy, et proffitable a toy, se te semble, tu le dois pour 1'amour de Dieu voulentiers laisser, et estre separe de luy ; et ne te trouble pas ne cour- rouce s'il telaisse, comme par obeissance ou autre cause raisonnable. Car tu dois scavoir qu'il nous faut finablement en ce monde estre separ6 1'ung de 1'autre, au moins par la mort, jusques a ce qu'en celle belle cite de Paradis serons venus, de laquelle nous ne partirons jamais 1'ung d'avecques 1'autre ; mais en ce monde n'avons point de cite ou de- mourance perpetuelle. Mais on ne vient pas si tost a cest estat de ainsi surmonter et vaincre ses affections, mais se fault CONSOLACION. I. a5 fort combattre et batailler centre ses passions, et toute son affection et amour mettre en Dieu. Quant on est trop arreste sur soy, c'est sur son corps, on quiert et demande de legier ses consolacions et plaisirs en ce monde. Mais celluy qui vrayement, c'est a dire de tout son cueur, ayme Jesuchrist, et se efforce et estudie de acquerir les vertus , ne quiert point ou demande les consolations humaines, ne ses doulceurs sensibles , mais prent plus de plaisir en fortes exercitacions soustenir, et durs et aspres labeurs, pour Jesuchrist. Quant doncques tu auras ou sentiras aulcune consolation espirituelle de Dieu , regoys la humble- ment et doulcement en luy remerciant devotement ; et pense que tu ne 1'as pas desservy 1 , mais que c'est seullement la grace et bonte de Dieu. Et ne te orgueillis pas, ou esjouys trop fort, ou presume de toy, mais soyes plus humble du don de Notre Sei- gneur, et te tien plus cautement * et en plus grant double en toutes tes euvres, en pensant que ne face chose pour quoy la grace de Dieu te laisse ; car tantost viendroit temptation , et seroyes en peril. Et s'il advient que celle grace et consolation te soit ostee, ne t'en trouble point ou courrouce pas centre Dieu , ne prens en toy desesperation , mais humilie toy en doubtant que n'en soyes cause, et atten pa- ciamment de rechief cette grace et visitation de Dieu , saichant que Dieu est tout puissant et te 1. Merit^. 2, Prudeminent. 26 L'lNTERNELLE peut de rechief renvoyer et redonner cette grace , ou aussi pins grant si lui plaist. Et ceste chose et alternacion et mutation de telz consolations n'est pas nouvelle ou de nouvel commence'e a ceulx qui sont cxpers au chemin de Dieu et acquisitions des vertus ; car les anciens sainctz et prophetes, tant du viel comme du nouvel Testament, souvent ceste alternacion sentoyent et experimentoyent en eulx. Et pource Tung d'eulx, c'est assavoir David, en la presence de ceste grace disoit : J'ai dit a mon habondance, c'est a dire j'ai pense" ou cuide en mon cueur en la grant et habondant consolation que j'aye sentye : jamais jen'enpartiray, c'est a dire, je cui- doye tousjours ainsi estre. Mais apres que ceste grace c'estoit departie et quelle 1'avoit laisse, il dit et racompte ce qu'il sentoit et appercevoit : Tu as destourne ta face de moy, et tantost j'ay eu pertur- bation, c'est a dire j'ai apperceu cy que ce que je sentoye estoit pour ta presence, par ta grace, non pas pour ma force et vertu. Toutesfoys, apres ce departementou mutation, encores ne se desespere-il point, mais plus instamment et soigneusement se retourne a prier Dieu et dit : Avous, sire, jecrieray, c'est a dire de grand cueur et voulente je vous prieray et requerray, mon Dieu. Finablement, il met apres quel fruict il a recueilly et aporte de son orai- son, en disant : Mon Dieu m'a ouy et a eu pitie de moy, et c'est fait mon adjuteur; mais en quoy? il a converti mon gemissement, ma douleur a moy en joye, et m'a environn6 de lyesse, c'est a dire il m'a CONSOLACION. I. 27 remply tellement de joye que de Unites pars je la sens , comme une chose qui environne 1'autre de toutes pars. Et doncques se ainsi estoit fait aux sainctes personnes, et qui ainsi estoyent parfaictes et amyes de Dieu, nous ne nous devons pas deses- perer, povres et meschans et enfermes, si nous ne sommes pas continuellement en telle devocion ou ferveur que nous vouldrions , mais sommes froiz et secz de devocion. Car nous devons scavoir que ceste la grace du saint Esperit va et vient quant il lui plaist, selon son bon plaisir et voulente et non pas selon la nostre. Car ce povons-nous con- gnoistre en ce que, quant nous la voulons avoir, nous n'y povons parvenir ; et aulcunesfois, quant nous n'y pensons pas, ou au moins que nous ne nous y appareillons pas ou efforcons , icelle nous vient; et c'est a ce que ' quant nous 1'avons nous n'en prenons pas orgueil, et quant nous ne 1'avons, nous n'ayons pas desesperacion , mais ayons pacience. Et c'est ce que dit lob : Tu le visites au matin, et soubdainement le preuves 2 . Par le matin est en- tendu le temps de prosperite, c'est a dire comme 5 la grace de Dieu est en la personne, laquelle, ainsi comme quant le soleil luyt sur la terre il enlumine les tenebres qui ont 6te en la nuyt, aussi la grace do Dieu enlumine la personne et luy donne conso- i. A ce que, affin que. Tournuro fre"quente dans 1'Internelle Consolation. a. Tu 1'espreuves. Edit, de i533. 3. Pendant que. 28 L'lNTEBNELLE lacion et congnoissance, laquelle elle n'avoit pas en temps d 'adversite\ Et pource lob veult dire que Notre Seigneur nous visile par sa grace quant elle est en nous, mais soubdainement apres il la nous soustrait quant nous ne scavons, et par ceste sous- traction il appreuve nostre pacience. Sur quoy doncques puis-je avoir esperance , ou en quoy me confier, sinon en la seulle misericorde deDieu et sa seulle grace? Car il n'y a quelque per- sonne ou compaignie, ne de freres devotz, ne de bons et loyaulx amys ou parens, ne livres ou beaulx traictes , ne oraysons bien dictes ou rimees , ne beau chant, ou quelque instrument, qui me puisse guaires aider et reconforter par dedans, quant la grace de Dieu me laisse, et en ma propre povrete me relinquist. Eta ceste tribulacion porter et sous- tenir n'a meilleur remede que d'avoir pacience , etsesubmettredu tout a la voulentede Dieu, et luy prier qu'il face de nous ce qu'il lui plaira , tant seulement qu'il ne nous delaisse pas finablement. A grant peine ou jamais ne trouveras quelque sainct tant devot ou religieux qui n'ait en soy ex- perience de ceste substraction de grace , et qui ne sente diminucion de ferveur de devocion. Nul onc- ques n'y cut tant hault ravy ou esleve qui n'ayt eu temptacion, ou devant ou apres, car il n'est pas di- gne de haulte contemplacion de Dieu qui n'a en ceste vie exercitation d'aversite et tribulacion. Car la temptation precedent est signe de consolacion qui viendra. Pour ce la consolacion espirituelle et ce- COIXSOLACION. I. 59 lestielle est projnise et donnee a ceulx qui seront exercitez et esprouvez par temptacions. Car il est escript en 1'Appocalipse : Je donrai, dist Dieu, a mengier du fruict de vie a celluy qui aura surmonte et vaincu. Or ne peut-on surraonter ou vaincre sans batailler. Mais Nostre Seigneur donne ceste consolacion divine affin que une personne soit plusfort a sous- tenir et porter adversite, raais apres ceste conso- lacion et reconfort vient la temptation affin que la personne ne s'en orgueillisse de ceste consolacion. L'Ennemy * ne dort pas jamais , ne la chair n'est pas encores mortifiee; et pource tu dois tousjours estre certain de assaulx, car ilz te assauldront, et te appareille de y resister. Car tant comme tu es en ce monde tu as adversaires et ennemys de toutes pars, a dextre et a senestre, c'est assavoir en pros- perite et adversite, lesquelz jamais ne reposent ou cessent. D'estrebien recongnoissant de la grace de Dieu, et Ven remercier soigneusement. X e CHAPITRE. ourquoy demandes-tu repos en ce monde icy, quant tu y es ne et mys pour labou- rer? Appareille-toy plustost a pacience avoir que recevoir consolacion, et plus a porter et souffrir tribulacion qu'avoir joye et lyesse. i. Le Diable. 3o L'lNTERNELLE Qui est celluy, tant soil seculier ou mondain, qui ne receust voulentiers lyesse et consolacion espi- rituelle, s'il lapovoit tousjours avoir a son plaisir? Car consolacion espirituelle passe et surraonte toutes joyes mondaines et voluptez ou delices char- nelles, dist a Dieu le Psalmiste David : Les maul- vais, dist-il , nous racomptent ou rapportent fabu- lacions; maiselles ne sontpas, Sire, commevostre loy, c'est a dire elles ne me assaveurent pas au goust de mon ame comme vostre loi espirituelle. Car toutes les delices du monde sont ou vaynes ou ordes et deshonnestes ; mais les delices espirituelles sont joyeuses et honnestes, et viennent de vertus inspirees de Dieu aux cueurs nectz et purs. Et icelles n'a pas chascun a son plaisir et vouloir, pource que Ton n'est pas longuement sans tem- ptation. Et est assavoir que a la visitacion de Dieu et celestielle consolacion est moult contraire faulse liberte et grant confiance et asseurance de soy. Dieu, qui est bon, de sa bonte fait ce bien de donner ceste consolacion ; mais en ce 1'homme fait son dom- maige quant il ne 1'attribue pas tout a Dieu, et ne Ten remercye pas deuement. Et pource ne povent pas les dons de grace tousjours descendre en nous, car nous sommes ingratz, et ne les attribtions pas ne ramenons en leur fontale et premiere naissance dont ilz partent et viennent en nous, c'est a Dieu. Car tousjours la grace de Dieu est donnee a celluy qui en rend graces et mercis ; mais elle est ostee a CONSOLACION. I. 3r celluy qui s'en orgueillist, et est donnee a celluy qui se humilie plus. Je ne vueil point la consolacion laquelle oste de moy componction, ne je ne desire pas contem- plation de laquelle vient elacion '.Car toute haul- tesse n'est pas sainte, ne toute doulceur bonne, ne tout desir n'est pas pur et nect, ne toute chiere chose n'est pas agreable ou plaisante a Dieu. Tres- voulentiers recoys la grace par laquelle je dois es- tre plus humble et plus paoureux envers Dieu, et plus prest et appareille a me denyer, c'est a dire a laisser mon propre sens et ma propre voulente. Celluy qui est bien enseigne de la grace de Dieu, et a bien aprins en soy et par soy ceste substrac- tiondela visitation de Dieu, ne se oserajamais attri- buer a soy quelque bien que ce soit, mais se repu- tera et confessera estre povre et desnue 2 de tout bien. Donne a Dieu ce qui est a luy, et te attribue ce qui est tien, c'est a dire recongnoys que tous les biens qui sont en toy, se aulcuns en y a, vicn- nent de Dieu, mais les maulx et pechez qui sont en toy viennent de toy, et que tu es digne d'en estre pugny et non aultre. Mectz toy tousjours au plus bas, c'est assavoir en ton cueur et en ta reputacion, et Dieu te exaulcera et eslevera jusques au plus hault, car haultesse n'est point sans baisseur, comme on scet dire 5 , 1. Orgueil. 2. L'edit. de i5oo, l'in-4" sans date , donnent desyne, les Edi- tions postdrieures, comme celle de 1498, desnue. 3. Comme on dit vulgairement. 3a L'lNTEtlNELLE montaigne n'est point sans vatee ; et les sainctz de Paradis qui sont exaulcez et eslevez de Dieu sont en eulx treshumbles. Et de tant qui sont plus glorifiez de Dieu , de tant sont-ilz en soy plus humbles ' ; car ilz sont si plains de vertus et de la gloire ce- lestielle et divine, que vanite et gloire mondaine n'y peult avoir lieu. Ilz sont fondez et confermez en Dieu, pource nullement ne se povent eslever ou en orgueillir. Et pource qu'ilz attribuent a Dieu tout le bien qu'ilz ont, et scevent et congnoissent bien qu'il vient de Dieu , nullement n'en ont vaine gloire, et ne desirent ou ne veullent point que on les en loue ou glorifie , mais desirent que toute la gloire et louenge en soit a Dieu nostre Saulveur, et desirent qu'il soit tant seullement loue en eulx et en tous ses sainctz et aultres creatures , et tousjours tendent et ont leur voulente et entencion a ce et en ce. Se tu doncques rendz grace a Dieu Nostre Sei- gneur pour les petis dons, tu seras digne de recep- voir plus grans biens; combien que tu ne dois quelque don de Dieu reputer ou estimer petit, mais quelque chose qui te viengne de Nostre Seigneur, tant soit povre ou petite, tu la dois recepvoir tres- reveramment, et reputer tresgrant chose et espe- ciale. Et se tu regardes bien la dignite" et grandeur du donneur, tu verras qu'il n'y a riens qui viengne i. Cette phrase est omise dans 1'eVlit. de i5oo, intentionnel- lement peut-gtre, et sur la pense"e qu'il ne sauroit y avoir dans la perfection de la vie celeste des degres divers d'humilite". COXSOLACION. I. 33 de iu;, qui soit petit. Car le souverain Seigneur, c'est assavoir Dieu, ne peult riens donner qui ne soit bien grant, suppose mesmes qu'il flagellast ou pugnist ; car quelque chose qu'il nous face ou en- voye, il le fait pour nostre tresgrant proffit; et ja- mais centre nostre salut ne souffreroit quelque chose nous advenir, se a nous ne tient. Car quant nous ne usons pas bien de ses dons , c'est a nostre dommaigc, mais pourcs ne luy devons pas attri- buer la coulpe, mais a nous et a nostre deffault. Et pource, quelque chose qu'il nous envoye ou seuffre advenir. nous la debvons humblement recepvoir, et Ten remercier. Or doncques , qui vouldra re- tenir sa grace rende graces et mercys a Dieu. Et qui la vouldra recouvrer, s'il 1'a perdue, aye pa- cience et porte paciamment jusques a la voulente et plaisir de Dieu, et luy prie qu'il luy plaise la luy rendre ; et s'il la recouvre , se tiengne humblement et cautement affm qu'il ne la reperde. 34 L'Irs'TERNELLE De ce qu'il est pou de gens qui parfaictement veuillent porter la Croix Jesitchrist, c'est a dire souffrir paciamment pour I' amour de luy tribulation, ou adrersite, ou affliction corporelle, comme par penitence, recepvoir en soy en ce monde. XP CIIAPITRE ostre Seigneur Jesuchrist si a pour le present plusieurs qui desirent a venir en son royaulme des cieulx, mais peu y en a qui veullent porter avec luy sa Croix. Plusieurs desirent consolacion, mais peu veullent porter ou souffrir satribulacion. II treuve plusieurs compaignons a sa table, mais pou en son abstinence. Tous desirent eulx esjouyr avec luy en sa gloire, mais bien peu veullent souffrir pour 1'amour de luy quelque chose en ce monde. Plusieurs 1'ensuyvcnt jusques a la fraction de son pain, mais pou jus- ques a boire le calice de sa Passion ; c'est a dire que plusieurs veullent prendre la reffection de sa joye en Paradis , mais pou souffrir pour luy en ce monde. Plusieurs honnorent et racomptent ses miracles, mais pou ensuyvent la honte de sa croix. Plusieurs 1'ayment tant longuement comme ik n'ont point de tribulacion ou adversite ; plusieurs le louent et le mercyent tant longuement qu'il/. recoyvent grande consolacion et grace de luy ; mais s'il s'esloigne ung petit de eulx, et qu'il le? delaisse cheoyr en quelque petite tribulacion or. CONSOLACION. I. 35 adversit^, et qu'ilz n'appercoyveiit tantost recon- fort ou consolacion, ilz se layssent tomber en tris- tesse et melencolie merveilleuse , et murmurent centre Dieu. Mais ceulx qui vrayement quierent Jesuchrist, c'est a dire tant seullement pour 1'amour de luy et non pas pour quelque proffit singulier ou .consola- cion qui leur en viengne a leur personne singu- liere, ceulx le quierent en tribulacion et en angoisse de cueur aussi bien qu'ilz feroyent en souveraine doulceur et consolacion, et le beneyssent et remer- cient. Et si n'avoient esperance que jamais leur donnast reconfort ou consolacion , ou fist quelque bien , toutesfoys tousjours le vouldroyent louer et remercier. Et ceste amour est poure 1 et necte, forte et puissante , qui n'est point meslee avec quelque autre amour ou propre proffit. Car qui quiert en 1'amour de Dieu autre chose que Jesus comme con- solacion, ou autre proffit singulier, il no demande ou quiert pas purement Jesus, mais principale- ment sa consolacion ou singulier proffit : et bien le voit-on , car quant ceste consolacion fault, 1'amour fault en murmurant et estant en tristesse, comme dit est par devant. Et telz amateurs de Jesus peut on mieulx dire merccnaires ou locatifz que filz ou espouse; et semble que au service qu'ilz font a Nostre Seigneur ilz ayment plus leur gaing et proffit que i. Pure. 3G L'INTERXELLE le proftit de Jesuchrist ou son utilite. Ou sera cel- luy trouve qui ainsi le peult aymer, et sans telle entencion ou regard a soy serve a Nostre Seigneur Jesuchrist? Et comme on scet dire, telz serviteurs sont bien clair semez qui de telles affections soyent propre- ment despoillez et delivrez. Helas! ou trouvera Ton le vray povre d'esperit , qui de tout affection de quelconque creature soyt vrayement desnue" et delivr6?Son louyer etsa retribucion sera de loing- tains pays et des dernieres regions, c'est assavoir de Paradis. Et c'est ce a quoy nous devons tendre, especiallcment religieux et qui veullent tendre a parfaicte devocion. Car se une personne avoit laysse tout quant qu'il a en ce monde, ou faisoit grande penitence, et n'avoit celle vertu, las ! c'est pou ou riens au regard d'elle. Et s'il avoit apprins toutes les sciences , encores en est-il bien loing. Et s'il a grant vertu et devocion ardant, encores luy fault-il le plus nocessaire, c'est assavoir toutes choses lais- ser, et soy mesme, et hors de soy se departe, c'est a dire quo nulle propre affection de soy ne a soy ne retiengne. Et quant il aura tout fait ce quo on luy aura commando, et acomply, que il cuyde et repute qu'il n'aura encores riens fait qui soil meritoire pour luy ou de grant proffit, mais veritablement se re- pute inutile, et indigne de quelque desserte, ou retribucion, ou bien ; et qu'il le dye non pas seulle- mentde ouche, mais se repute en son cueur ainsi CONSOLACION. I. 37 estre comme Nostre Seigneur le dit en 1'Evangile : Quant vous aurez fait tout ce qui vous aura este" commande, dictes : nous sommes serviteurs inutiles, car nous n'avons fait sinon ce a quoy nous estlons tenuz et obligez. Lors pourra-il estre prouve" povre d'esperit et desnue de toutes affections maulvaises, et dire avec le prophete David : Que je suis povre et soulet ' ! Toutesfoys nul n'est plus riche d'un tel 2 , nul n'est plus puyssant , nul plus franc de celluy qui se peult ainsi relinquir et mettre ainsi bas , voyre quant a son estimacion. De la royalle voye et chemin dc la saincte Croix de Nostre Seigneur. XII e CHAPITRE lusieurs sont auxquelz ceste parolle est dure et aspre : Va et te denye toy mes- mes,et pren ta croix, et me ensuy. Mais encores plus dure chose sera ouyr celle terrible et derreniere parolle que Nostre Seigneur Jesuchrist dira aux dampnez au grant jour du Ju- gement : Departez vous de moy, maulditz, et des- cendez au feu pardurab'e, c'est assavoir en Enfer. Car ceulx qui de present oyent voulentiers et en- suyvent la parclle de Nostre Seigneur, dc sa croix ensuyr, c'est a dire souffrir paciemment et voluntai- 1. Seul. 2. Qu'un tel. 33 L'lNTERNELLE rement pour 1'amour de luy tribulation et adver- site", faire penitence de leurs pechez en ce monde, a celle heure la du Jugement ne doubteront l pas ouyr la parolle de la separacion de sa compaignie, que auront les damnez. Car le signe de la Croix de Nos- tre Seigneur sera au Ciel quand il viendra au juge- ment. Et lors tons les serviteurs de la croix , les- quelz se seront conformez en Nostre Seigneur, crucifiez en leur vie, viendront en grant fiance a luy comme soubz la baniere de ceulx qui Pauront tousjours servy et ayme. Pourquoy doncques doubtes-tu prendre la croix, par laquelle seullemcnt tu peulx parvenir et acque- rir le benoist royaulme de Paradis? En la croix est ton saulvement ; en la croix est ta vie ; en la croix est ta protection et deffence centre tes onnemys et adversaires; en la croix est Tinfusion de souve- raine doulceur ; en la croix est la force de ton es- perit ; en la croix est la joye de ton ame ; en la croix est perfection ou sainctete ; en la croix est la haultesse de vertu. II n'y a point salut a 1'anie, ne esperancc a la vie pardurable, fors en la croix. Pren doncques la croix et ensuys Jesuchrist, et tu parviendras a la vie pardurable. II est alle devant toy portant sa Croix , en te monstrant le che- min, et est mort pour toy, portant sa Croix et de- mourant en la Croix, affin que tu 1'ensuyves en portant pour lui la croix , et desires mourir en la croix pour 1'amour de luy. Car se en ycelle tu t. Redonteront. CONSOLACIO.N. I. 3g meurs, c'est a dire fmys tes jours en grande peni- tence , tu vivras pareillement avecques luy par- durablement , sans fin ; et se tu es compaignon de luy en peyne, tule seras aussi en gloire. Or doncques en la croix est tout bien constitue et en ycelle mourant mucye ' , c'est a dire que on ne le peult veoyr ne appercevoir jusques a la mort*. Et il n'y a point d'aultre chemin pour aller et che- miner a la vie pardurable de 1'autre monde, ne aussi a avoir en ce monde vraye paix de cueur, fors le chemin de la croix de Nostre Seigneur Je- suchrist, c'est a dire de penitence, et cothidienne mortificacion de soy. Va ou tu vouldras, quiers ce que tu vouldras, et tu ne trouveras pas aultre voye dessus plus saincte, ne cy embas en ce moude plus seure que le chemin de la croix , c'est a dire de penitence ou pacience en adversite\ Re- garde tous les estas et gouvernemens de ce monde, et les dispose et ordonne a ton plaisir et vouloir, et tu n'y trouveras nul ou il n'y ayt a souffrir, ou malgre soy par adversite et tribulacion, ou de son gre par penitence, et ainsi tu trouveras partout la croix. Car, ou en ton corps sentiras tu douleur et maladie, ou en ton ame soustiendras tribulacion de temptacion, ou en ton estat temporel desplaisir et adversite. Aucunesfoiz Dieu te laissera temptacion en Tame, i. Cache. Et ce bien reste en de"pot jusques a la mort de ceus qui ont porte* la croix pendant leur vie. i. L'eMit. de 1498 donne apres la mort. 40 L'lNTERNELLE une aultre fois ton prochain te excercitera par persecution ou dommage qu'il te vouldra faire. Au- trefoiz tu te sentiras en une telle tristesse et me- lencolie de cueur que a peine te pourras porter toymesmes, et ne trouveras quelque consolation on remede que tu y saches ou puysse mettre pour toy aleger ou delivrer. Mais il fault que tu seuffres et ayes patience jusques au bon plaisir de Dieu ; car Dieu veult que tu apprengnes a souffrir et porter tribulation sans consolation, et que tu te submectes et attendes de tous pointz a luy, en te tenant en humilite et pacience soubz sa main. Nul ne peult si cordiallement sentir la Passion de Nostre Seigneur et Redempteur Jesuchrist en son cueur comme cel- luy qui a pareillement souffert et seustenu. La croix doncques t'est appareillee par tout, et par tout te attend en tous estas. Tu ne la peuz doncques eschapper, quelque part que tu voises f ; car en quelque lieu que tu soyes, tu te portes tousjours et treuves toymesmes. Tourne-toy hault ou bas, de- hors ou dedens, a dextre ou a senestre, partout treuves-tu tribulacion et adversite, et est force et necessite que ayes pacience se tu veulx avoir et acquerir la vraye paix de ton cueur, et desservir la couronne perpetuelle. Mais se tu veulx ung peu aprendre a porter ceste croix, elle te portera, c'est a dire que par bonne acoustumance , et bonne voulente que Dieu t'y i. Que tu allies. COXSOLACION. I. 4l verra avoir, il la fera plus legiere et moins griefve; et te amenera le droyt chemin au lieu ou il ne te fauldra plus rien porter ou soustenir ; mais ce ne sera pas en ce monde ou en ceste vie. Se tu la portes envys ', tu te fays charge, et fayz que elle est plus griefve a porter. Et toutesfois il convient et est force que tu la portes, vueilles ou non. Et pource faiz de necessite vertu, c'est a dire que ce qu'il te fault porter de necessite te soit meritoire et proffi- table au saulvement de ton ame par pacience. Se tu en cuydes debouter 2 une tribulacion, par adven- ture tu en trouveras une aultre plus grande et plus griefve. Penses-tu eschapper ou eviter ce que nul homme mortel ne peut oncques faire ? Lequel de tous les sainctz de Paradis a passe" de ce monde sans adver- site ou tribulacion, et sans ceste croix? Nostre Sei- gneur mesme Jesuchrist , tant comme il fut en ce monde, ne fut pas sans peine et douleur une seule heure. L'Apostre dit qu'il convint a Jesus souffrir en ce monde, et ainsi entrer en sa gloire. II fault toutesfoys entendre que ce qu'il convenoit n'estoit point de necessite" a Nostre Saulveur Jesuchrist, mais de sa grant bonte, pitie et misericorde voulut ainsi souffrir pour nous. Se luy doncques en sapro- pre gloire n'a pas voulu entrer aultrement, com- ment veulx-tu querir et demander aultre voye et aultre chemin que celluy que ton roy et seigneur T. Malgre toi. 2. Repousser, 42 L'l.NTERNELLE t'a voulu demonstrer et appareiller, c'cst le chemin de la croix. Toute la vie de Nostre Seigneur Jesuchrist a este passion et martyre, et tu quiers et deraandes joyeusetes, plaisances et repos. Tu erres se tu pen- ses trouver aultre chose en ce monde que peine, adversite et tribulacion ; car toute ceste vie est pleine de miseres, adversites et tribulacions, et toute environnee de croix. Et de tant que une per- sonne a plus prouffite, et approuche plus de per- fection, de tant apparcoit-il mieulx et congnoist les croix, adversitez et tribulacions qui y sont. Car de tant croist plus en son cueur la doulleur de son exil , c'est assavoir la eslongacion ' du pays ou il tend et desire parvenir. Mais toutesfois ung tel ainsi afflict 2 et desole n'est pas sans relevement de consolacion, par la grant esperance qu'il a du loyer et fruict qu'il attend de la pacience qu'il a et qu'il porte. Car par ce qu'il se submect voulentiers et de bon couraige, la grant fiance qu'il appar^oyt en luy luy fait grant confort et grande consolacion. Et de tant que la chair est plus mortifiee par ceste adversite et tribulacion, de tant 1'esperlt est plus sainctifie par la grace de Dieu Nostre Seigneur; et de sa consolacion interiore aucuncsfois est tellement reconforte, et de si grant cueur et voulente porte et soustient ceste adver- site et tribulacion, qu'il ne vouldroit pas estre sans i. Eloignement. a. Afflige. CONSOLACIOX. I. 43 tribulacion et adversite; car il croyt fermement que tant sera-il plus agreable a Nostre Seigneur de tant qu'il pourra plus dures et aspres tribulacions pour luy soustenir. Et cecy n'est pas la force et vertu de 1'homme , mais la grace de Dieu, qui luy donne si grant force qu'il puisse en la chair et frcsle corps faire si grans merveilles que ce que naturellement il refuyt et a horreur, par force et ferveur d'esperit il ayme , et si ardamment entre- prent. Ce n'est pas naturelle chose a ung homme porter la croix, c'est a dire tribulacion aymcr, et chastier sa chair et son corps et le submectre a 1'esperit, fuyr les honneurs , souffrir voulentiers injures et villennyes eta tort, mespriser soymesmes , amer estre mesprise, souffrir dommaiges et adversitez, et ne desirer quelque prosperite en ce monde. Se tu regardos bien en toy, tu ne trouveras point telle force, ne que se ' viengne de toy. Mais se tu regardes et te confie en la grace de Nostre Seigneur, il te donnera telle grace que le monde et la chair seront subjectz a toy, et en tant' 2 que tu en seras seigneur et maistre, et que mesmes tu ne doubteras 1'En- nemy, se tu es arme de vraye foi et signe du signe de la Croix de Nostre Seigneur Jesuchrist. Dispose- toy doncques, comme bon et loyal servi- teur de Jesuchrist, a porter de grant cueur la croix de ton Seigneur Jesuchrist qui a este crucifie pour i. Cela. . Tenement. 44 L'l.NTERNELLE 1'amour de toy. Appareille-toy de soustenir en ce meschant monde et vie des adversitez et divers dommaiges et desplaisirs pour 1'amour de luy ; car par ainsi sera-il tousjours avecques toy, et te trou- veras avecques luy quelque part que tu soyes '. II te fault ainsi estre, et n'y a aulcun remede de eschever 2 ses grandes tribulacions et adversi- tes qu'il fault et convient que tu seuffres. Et pource faiz de necessite vertus ; et les soustiens de bon cueur et affectueusement, se tu desires estre amy de Nostre Seigneur Jesuchrist ; et avoir paix avecques luy ; et les consolacions laisse eri son or- donnance, et quo de ellcs il ordonne ainsi que inieulx luy plaira. Mais te prepares et appareilles a souf- frir et soustenir tribulacions, et reputes qu'elles sont grandes consolacions, et signe d'amour que Dieu te demonstre en les envoyant, car toutes les peines de ce monde ne sont pas dignes d'acquerir la gloire pardurable que nous attendons, suppose que tu les peusses toutes souffrir et soustenir tout seul. Quant tu seras a ce venu que tribulacion to sem- blera doulce, et que tu y prendras grant plaisir et grant savour pour 1'amour de Jesuchrist, lors pense que tu es benoist en ce monde, car tu as trouve Paradis en terre. Mais si longuement que i. Les traducteurs de limitation n'ont pas domic" le meme sens a ce passage ; ils ont attribue le sic lecum eril du latin aux adversity's, non a Jdsus-Christ, car voila partout ce qui < vous attend, etc. ( LAMESSAIS.) a. Eviter. CONSOLACION. I. 45 tribulation te sera griefve , et que tu la porteras envys, et que tu penseras a. la fouyr, si longuement seras-tu mal, et auras en tout et par tout peine sans consolation. Mais se tu te disposes a ce a quoy tu es en ce mondc mis, c'est assavoir a souffrir et te mortifier pour 1'amour do Nostre Seigneur Jesuchrist nostre Saulveur, tantost tu sentiras mieulx 1 , et trouveras tapaix. Et mesmement se tu estoyes ravy jusques au tiers ciel, comme sainct Pol 1'apostre fut, pour cela n'es-tu pas asseure de n'avoir point de tri- bulation en ce monde. Nostre Seigneur Jesuchrist dist de sainct Pol : Je luy monstreray comment grans tribulations il fauldra qu'il seuffre et sous- tienne pour mon nom. II te convient doncques souffrir et soustenir, se tu desires a luy servir, obeir, et aymer perpetuellement. Plaise luy que soyes difhe de souffrir aulcune chose pour son nom. Quant 8 grande gloire en au- roys-tu ! Comment 3 feroys-tu grant joye et grant liesse aux sainctz de Paradis ! Comment grant edi- fication prendroyent ceulx qui te verroyent ! Car chascun recommande et loue patience , suppose 1 que bien peu de gens soyent qui la veullent avoir, ne qui veullent gueres souffrir. Et se nous y pensons , a bon droit debvons-nous souffrir ung peu pour nostre Saulveur et Redempteur Jesu- i. Du micux en toi. a. Quelle. 3. Combien. 46 L'lNTERNELLE christ, quant par le monde tant de gens tant de peine et tant de grandes angoisses seuffrent pour le monde. Saches pour certain qu'il te fault en ce monde cy prendre et ensuyvir la vie de ceulx qui pcnsent tantost mourir. Car telz ne pensent et ne lour chault de chose qu'on face ou dye en ce mortel monde , ne de richesses , ne de honneurs , no de force, ne de beaulte, ne de chevance ' acquerir. Car ils sccvent bien que telles choses ne leur sont plus de besoing. Et de tant que 1'homme sera, en ceste maniere,plus mort et mortifi^ en soy ct an monde, de tant commence-il plus a vivre en Dieu. Nul n'est habille ou digne de recepvoir nulles consolacions divines, s'il ne se submect a porter ou soustenir adversite pour 1'amour de Nostre Saulveur et Rc- dempteur Jesuchrist. II n'est en ce monde riens plus agreable et plaisa^t a Dieu, ne a toy plus proffitable et a ton salut, que voulentiers souffrir pour 1'amour de Nostre Seigneur Jesuchrist. Et se on te donnoit la election , tu dcvroys plus de- sirer a souffrir tribulacions pour 1'amour de Nostre Saulveur Re"dempleur Jesuchrist que avoir grandes consolacions divines ou espirituelles , car tu es en ce plus semblable a Jesuchrist, et te conformeroys plus a tous ses sainctz, qui en ce monde cy ont souffert et soustenu pour 1'amour de luy. Car le merite et prouffit de nostre saulvement n'est pas i. Bicns qu'ou a acquis par le travail. CONSOLACION. I. 47 a sentir telles doulceurs , et consolacions espiri- tuelles recepvoir, mais plus est en souffrir et soustenir voulentiers tribulacions et adversitez pour Famour cle Nostre Saulveur et Redempteur Jesu- christ. Car certainement s'il y eust en ce monde quel- que chose meilleure, et plus proffi table et meritoire pour le saulvement de la personne que soustenir et porter voulentiers adversitez et tribulacions, Nostre Seigneur Jesuchrist 1'eust demonstre" de pa- rolle et de fait. Mais toutesfois le contraire est vray, car il en hortoit ses disciples et apostres qui 1'ensuyvoyent , et tous ceulx qui le vouldroyent ensuyvir, manifestement a porter sa croix , c'est assavoir porter et souffrir tribulacion en ce monde pour I'amour de luy, quant il dit : Se aucun veult venir apres moy et me ensuyvir, il doit desnyer soymesmes , c'est a dire renoncer a ses propres voulentez et desirs, et prengne sa croix et me en- suyve. Et quant nous aurons leu et serche plusieurs escriptures, la conclusion derniere et finable c'est que par plusieurs tribulacions il nous fault entrer au royaulme do Dieu. Laquelle chose Dieu nous veuille ottroyer par sa grace et misericorde. Amen. Cy finist le Traicte des Amonicions attrayans Ihomme a ses interiores , c'est a dire espiritualite. DEUXIESME TRAICTE. 5 1 Cy commence le Traicte de Vlnteriore Collo- cucion de Nostre Saulveur Jesuchrist a fame decote. Et est la seconde partle de ce lime. PREMIER CHAPITRE UDIAM QUID LOQUATUR IX ME DOMIXVS IU DEUS. J'escoutere ce que mon Seigneur Dieu parlera en moy. Benoiste est Fame qui appercoyt en soy la voix de son Dieu qui y parle, et recoyt la doulce consolacion de sa parolle , c'est a dire de son ins- piracion. Benoystes sont les oreilles de Fame les- quelles recoyvent en elles la doulce interiore col- locucion divine, et ne escoutent ou recoyvent point les tumultes ou noyses des collocucions du monde. Benoystes sont les oreilles, voyre de Fame, qui ne entendent pas la clamour qui sonne par dehors , mais escoutent bien la verite qu'il ' enseigne par dedens. Benoistz sont les yeulx qui sont clos et fermez a regarder les choses mondaines, mais sont ouvers et entenduz 2 aux choses interiores et di- vines. Benoistz sont ceulx qui clerement apper- goyvent les choses interiores, et se estudient a eulx appareillcr par exercitacion quotidienne a con- /. Qui. 2. Attentifs. 02 L'lNTERN'ELLE gnoistre de plus en plus les consolations et secretz divins et celestielz. Benoistz sont ceulx qui se ef- forcent de vacquer a Dieu, et se despeschent 1 et despouillent de tout empeschement du siecle. Pense a cecy, mon ame, et y regardes, et clos les huys et portes de ta sensualite , c'est a dire tes sens du corps separe des plaisances mondaines, affm que tu puisses ouyr et appercevoir ce que ton Seigneur ton Dieu parlera en toy. Et se tu veulx scavoir que c'est , cecy dit ton amy Jesuchrist : Je suys ton salut, ta paixet ta vie; garde toy a moy, et tu trouveras ta paix. Laisse et oublies toules choses transitoires et mondaines, et enquiers et desire les perdurables. Quelles sont toutes choses mondaines et tomporclles, fors decep- tions et tromperics! Et que te pevent ayder ou proffiter toutes les creatures de ce mondc, s'il ad- venoit que Dieu t'eust laisse et deguei py ! Toutes choses doncques delaissees ct arriere mises, rendz toy plaisant et loyal a ton Createur, affm que tu puisses parvenir a la vraye beatitude. Que verite, c'est assavoir Dieu, parle a I'ame sans noise ou tumulte de parolles. IP CHAPITRE arlez,Sire, car vostre serviteur vous es- coute. Sire, je suis vostre serf:donnez moy entendement affm que je sache voz tesmoignages et voz commandemens. i So (la'barrassent. COXSOLACIOiN. II. 53 Enclinez mon cueur 6s parolles de vostre bouche ; descendez en moy la doulce parolle comme la doulce rosee. Les enfants d'Israel , c'est assavoir les Juifz , disoyent jadis a Moyse : Paries tu ' a nous, et nous te escouterons ; et que Dieu n'y parle point affin que nous ne mourons. Mais non pas, Sire, je vous prie, ne me faictes pas ainsi. Je vous requiers humblement, comme Samuel le prophete, et desire de tout mon cueur, en disant : Paries a moy, Sire Dieu, car vostre serviteur escoute, c'est a dire est entendu a vous ouyr. Je ne vueil point ou desire que Moyses parle a moy, ou aulcun aultre desprophetes.Mais vous, Sire, parlez, mon Seigneur mon Dieu, inspirateur, c'est a dire enseigneur et enlumineur, des prophetes; vous qui tout seul sans eulx povez parfaictemcnt enseigner ce et ceulx qu'il vous plaist. Mais eulx sans vous ne pevent rien faire ou dire, ou prof filer en rien. Us pevent vrayement dire ct proferer par dehors parolles, mais ilz ne baillent pas Tentendement, ou le sens espirituel , c'est a dire ils ne pevent faire qu'on l'entendc par effect et par execucion. Ils pevent aulcunement dire belles parolles et ordon- nees 2 , mais se vous vous taisez, ilz ne enflamment point le cueur. Ilz baillent les lettres, mais vous ouvrez et demonstrez le sens. Ilz pronuncent les misteres clos, mais vous desclairez et reserez 3 1'en- i. Toi parle a nous. >.. Aourne'es, (Sd. de 1498. adornees, in-.4 gothique, S. D. 3. Ouvrez. L'e"dit. de i5oo et I'in-.jo sans date donnent refe~ re;, qui est sans doute une faute d'impression. 54 L'lNTEUXELLE tendement des choses encloses et figurees 1 . Ilz demonstrent les commandcmens, mais vous aidez a les acomplir. Ilz demonstrent la voye et le che- min, mais vous donnez force a aller et cheminer par ycclluy. Ilz parlent tant seullement par dehors, mais vous enseignez et enluminez 2 les cueurs. Ilz arrousent tant seullement par dehors , mais vous donnez la fructiferacion par dedens fort habon- dant. Ilz cryent fort dehors en grandes parolles, mais vous donnez entendement au cueur. Ne parle point doncques a moy, Moyse, mais vous, mon Seigneur, mon Redempteur et monDieu. perdurable verite, quo 5 je ne mente * et soye ste- rile et sans fruict, se je suys tant seullement ins- truit, enseigne ou admonneste par dehors, et non ayde et enflamme par dedens ; et que la parolle que j'auray ouye, ou quo le bien que je seauray, se je ne le faiz et acompliz et mectz en effect, soyt ma con- dempnacion, se je le congnoys ou puys appercevoir et ne 1'ayme, se je le croy et ne le garde. Et pource, Sire, plaise vous parler en moy, car vostre servitcur vous escoute , c'est a dire a voulente de voiiS obeyr , car vous avez parolles de vie perdu- rable. Parlez a moy en aulcune consolacion de mon ame, et a 1'amendacion de toute ma vie, et a la i. Des choscs encloses et signdes, ditl'e'dit. de 1498. z.Tlluminez, eclairez. 3. De crainte que. 4. Les edit, posterieures donnent meitre, qul cst conforme au latin. COASOLACIOX. II. 55 louenge, gloire et honneur de vostre magnificence. Amen. Que les parolles de Dieu doivenl estre escoutees en grande reverence et humilite; et comme sont plusieurs qni n'en tiennentpas grant comple. Ill 6 CIIAPITRE scoute, mon lilz, mes parolles, parolles tresdoulces et delectables, et qui pas- sent la science des philozoplies et saiges clercs de ce monde. Mes parolles sont esperance et vie , c'est a dire espirituelles , et qui ne se doibvent pas peser ou cstimer selon le sens ou engin ' humain. On ne les doibt pas prendre ou traire 2 a la vaine plaisance; mais on les doibt ouyr en silence de cueur, et recepvoir en grant humilite et affection. Dit David le prophete : Benoist est 1'homme, Sire, que vous avez apprins et endoctrine, et 1'avez onscigne en vostre loy affin que vous luy soyez doulx et debonnaire es maulvais jours, c'est an jour du Jugement, et qu'il n'ait pas desolacion en la tcrre, voyre de Paradis ou de 1'autre monde. Je, dy mon Seigneur, ay enseigae des le com- mencement les prophetes qui vous ont fait et es- cript les Escriptures en mon nom, et jusques a pre- i. Esprit >., Tirer. 56 L'lNTEKNELLE sent je ne cesse de parler a vous , c'est assavoir par les prescheurs et clercz qui vous denoncent ma voulente" et entencion, et ce que vous debvex. faire, et de quoy vous vous debvez garder. Mais peu ea y a qui y entendent, et plusieurs sont on font les sours et durs. Plusieurs escoutent plus- tost le monde que Dieu , et a luy obeissent plus- tost que a Dieu leur seigneur et leur createur. Plus legierement ou plustost ensuyvent et acomplis- sent 1'appetit et voulente de la chair que le plai- sir et commandement de Dieu. Le monde promecl les choses terriennes et temporelles de bien peu de valeur, eton le sert de tresgrant cueur et vou- lente. Je promectz tressouverains biens et per- durables , et les cueurs des hommes sont remys ' et paresseux a me servir et obeyr. Qui ( st celluy en ce monde qui d'aussi grant cueur et grant dili- gence me serve et obeisse a moy comme on sert an monde et aux seigneurs terriens? Ayes ou pren honte et vergoigne en toy, Sydon, dit la Mer. Par Sydon, qui est cite et vault autant a dire commc venacion , on entent gens do religion qui doibvent estre clos en leurs cloistres et unyz comme en mi' 1 cite, et doibvent ensuyvir Dieu par bonne odour et memoire de ses oeuvres comme les chiens vena- ticques la beste saulvage ; et par la Mer est er.- tendu le monde et les mondains, auquel mondo sont flotz et tempestes de cures et sollicitudes mou- ) . Fatigue's, Inches. CONSOLACION II. 57 dairies qui ne laissent ceulx qui y sont arrester ', ou avoir paix ne repos ne dehors ne dedens, c'est a dire a soy ne en soy ne a autruy. Dit donc- ques la Mer, c'est a dire le monde et les mondains, a Sidon, c'est aux religieux et aux gens d'eglises : Ayez honte et prenez vergoigne que j'ay et prens plus grant cure, soing, et peine, et travail d'acque- rir les biens, honneurs et estatz de ce monde que vous ne faictes a avoir et acquerir 1'amour de Dieu et les vertus, biens espirituelz, ausquelz toutesfois vous estes tenus et obligez de mettre peine d'avoir et acquerir, et qui vous sont plus necessaires et proffi tables, ct lesquelz vous povez mieulx acquerir, etamoyndre peyne et travail, se vous voulez. Et se vous demandez la cause, escoutez pourquoy est. Pour une petite prebende ou aultre benefice Ton fera ung tresgrant chemin de cy a Court de Romme ou aultre part par devers celluy qui a la donnacion ou puissance de la donner. Pour avoir ou acque- rir Paradis ou quelque bien espirituel, a grant peyne peult Ton traverser son pied de lieu en I'autre. On achete chierement quelque chose ter- rienne et qui gueres ne vault. On tence, on crye, et i'ait-on une grant noise dcshonnestement pour une maille ou pour ung denier, et pour quelque vanite ou petite promesse que aucun aura faicte on travaille de jour ct de nuyt. Mais, helas! pour le bien perpetuel, pour le lover i. S'arreter. 58 L'l.XTER-NELLE inestimable, pour honneur souvcrain, pour la gloire qui jamais ne fault, acquerir, on est paresseux, et a grant peine veult-on prendre et endurer ung peu de travail. Ayes et pren en toy grande honte et grande vergoigne, religieux ou homme d'eglise pa- resceux ou negligent. Car les mondains sont plus prestz et soigneux de faire aulcunesfois leur damp- nacion, c'est a dire chose qui est a leur dampna- cion, quo tu n'es a labourer pour acquerir le saul- vement de ton ame. Ilz se esjouyssent plus en vanite que tu ne faiz en verite. Et toulesfoyz aul- cunesfoyz ilz sont bien deceuz de leur esperance. Mais ma promesse nul ne deceit, ne jamais ne laisse sans fruict et retribucion celluy qui y met son esperance. Je te donrray ce que je t'ay pro- mis, j'acompliray mes parolles, mais que * tu de- meures ct perseveres jusques a la fin loyal en mon amour. Je suys remunereur de tous biens, et qui esprouve ceulx qui ont en moy devotion. Et pource escripz mes parolles en ton cueur, et les considere, et pense diligemment, car elles te sont tresnecessaires et proffitables en temps de tribula- tion. Tu congnoistras au jour de la visitation, c'est du Jugement, ce de quoy tu ne tiens compte main- tenant quant tu le lys 2 . J'ay acoustume de visitor mes serviteurs ct amys en deux manieres, c'est assavoir par temptation et consolacion. Je leur faiz tous les jours deux lecons : Tune en blasmant, i. Pourvu que. a. Quant tu vifz, E"d. de 1500. CONSOLATION'. II. 5g et en reprenant les vices et pechez, 1'autre en ex- ortant a vertus et a bonnes oeuvres. Qui oyt et entend mes parolles, et les mesprise et n'en tient compte. il aura qui le jugera le dernier jour, c'est au jour du Jugement. Oraisun a desscrvir la grace de devotion. onDieu, mon Seigneur, vous m'estes tons biens; et qui suys-je, Sire, qui presume parler a vous, etvousprier et faire oral- sons! Jesuys, Sire, vostretrespovre servi- teur, vil et abject vermine, grandementpluspovre et contemptible que je ne scaurois exprimer. Souvien- gne vous, mon tresdoulx Dieu et Seigneur, que je ne suys rien, je n'ay rien, et ne puis rien. Vous estes tout seul bon et juste et saint, vous povez Unites choses , vous souffisez a tout, et emplez tout, et ne mesprisez que les pechez. Remembrez vous, Sire, de vos misericordesanciennes, et rem- plissez mon cueur de vostre grace, qui ne voulez point ([ue vos oeuvrcs soyent vaines et vuydes. Comme, Sire, pourroys-je estre ne demourer en ceste miserable vie se vous ne me reconfortez et consolez de votre grace et misericorde? Ne vueillez pas, Sire, destourner vostre face de moy. Ne vueil- lez pas esloigner votre visitacion. Ne veuillez pas soustraire vostre consolacion ! Que mon ame ne soyt envers vous seiche et sans fruict comme terrc ou n'a point d'eaue pour Tarouser ! Ensei- 60 L' INTERNELLE gnez-moy, Sire, fairevostre voulente.Enseignez-moy converser devant vous dignemcnt et humblement. Car vous estes ma sapience, et me congnoissez en verite", et veritablement avez congneu devant quo je fusse ne en ce monde, devant que le monde fust' fait. Que on doibt converser en ce monde devant *- Dieu humblement tt veritablement. HIP ClIAPlTBE ostre Seigneur admonestc ung chascunen " disant : Mon filz, tien-toy devant raoy en ce monde en verite, et me quiers en la simplesse de ton cueur. Car qui chemine devant moy, c'est a- dire qui vit en verite, c'est assavoir qui maine telle vie comme son estat le re- quiert et qui n'est pas seullement religieux d'habit ou de nom, mais de faitou d'euvre, tel sera asseure' de toutes malles encontres, c'est assavoir de enne- mys, et verite le delivrera de ceulx qui le veullent decepvoir, et des detractions et mauvaises renom- mees des mauvais '. Et se verite te delivre ou afran- chist, tu serasvrayement franc, etnetiendrascompte des vaines parolles du monde. Helas ! Sire, il est vray ce que vous dictes : vos- tre verite m'enseigne, elle me garde, et jusques a la fin salutairement me conferme *. Elle me delivre i . Que chcrcheront a lui faire les mauvais. i. L'e'dit. de 1498 traduit le subjonctif du latin : Ycritas lita CONSOLACION. II. 61 de toutes maulvaises affections, et de toute amour desordonnee , si que je vous puisse ensuyr en vraye franchise et liberte de cueur. Je t'enseigne, dit Dieu, le droit cherain a ce qui m'est aggreable et plaisant. Pense a tes pechez en grant desplaisance et douleur de cueur, et ne te repute aulcune chose valoir pour tes bonnes ceu- vres. Car a la vraye verite tu es pecheur, et sub- ject et empesche a plusieurs passions ; de toy tu tendz tousjours a neant. Tu es de legier abattu et vaincu. Tantost tu te troubles et es hors de ton bori propos ; et n'as riens de quoy ou pourquoy tu te dois glorifier, car tu es encore plus foible et en- ferme ' que tu ne pourroys comprendre ou racomp- ter. Et pource chose que tu faces ne repute grande oudignede louenge. Rien grant, precieux, merveil- leux ou digne de reputation ne te doibt sembler, ou a loer et desirer, sinon ce qui est perdurable. La perdurable verite, c'est assavoir Dieu, te doit plaire sur toutes choses, et ta grant iniquite et maulvais- tie tousjours aussi desplaire.Tu ne doibs rien aussi tant doubter, blasmer et fuyr comme tes pechez et vices, lesquelz tu doibz plus craindrc, et tedoivent plus grandement desplaire que quelque dommage terrien qui te peult advenir. Aulcuns sont qui ne me doceat, etc. : ct pour ce je vous supplic soit en moy fait ce que vous dictes ; vostre veritti m'tnieignetse, elle me gardesse, et jusques a la fin salutairement me coniervftce. i. lufirmc. 6a L'l.NTERNELLE cheminent pas, c'est a dire ne vivent pas. nette- ment ou simplement devant moy, mais par line manierede curiosite etorgiieil ou arrogance, veul- lent scavoir mes secretz, et haulte.-ses de Dieu et de la divinite comprendre, et ne leur chault de leur saulvement. Et ceulx icy souventesfoyz cheent et tombent engrandes temptations et horriblespechez : car jo les laisse, et leur resisle pour leur grant or- gueil. Et pource tu doibs doubter les jugemens de Dieu et avoir paour de son ire 1 . car il est tout puis- sant. Et ne vueilles pas discuter ceuvres telles, mais dois diligemment enquerir tes iniquitez, comme en grans pechcz tu as delinqui 2 , et ce que tu as neglige ou delaisse a faire de ses commande- mens. Aucuns portent et ont leur devotion en livres tant seullement, les autres en ymages. les autres en signes et figures par dehors; les autres ont bien Dieu en la bouche, mais non pas au cueur. Mais les bons sont illuminez d'entendemcnt et purgez d'affection , et desirent les joyes pardu- rables, ausquelz est grief ouyr parler des choses terriennes. Leurs necessitez corporelles prennent bien escharseraent 3 et en tristesse ; et ceulx icy sentent et appercoyvent ce que le saint Esperit leur inspire dedens, et comment il les enseigne a mespriser le monde et les choses terriennes, et ay- 1. Colfere. 2. Failli. 3. Avec moderation, a peine, insufasamment. CO.XSOLACION II. 63 mer Ics colestielles, contemner le monde et desirer tendre a Dieu et jour et nuyt. Du merveilleux effect de f amour de Dieu en nous. V c CHAPITRE e vous loue et beneys, Sire, pere des cieulx, pere de Nostre Seigneur Jesu- j^jJ christ, que ' vous avezdaigne estre sou- venant et remcmbrant de moy povre. pere de misericorde , et Dieu de toute consola- cion. je vous remercye et loue quo moy meschant et iudigne de toute consolacion m'avez voulu con- soler et reconforter aulcunesfoyz en maintes ma- nieres. Je vous loue et glorifie tousjours avec votre benoist Filz et le sainctEsperit.Ordoncques, mon Seigneur mon Dieu, ma saincte amour, quant il vous plaist de descendre en mon cueur tout se res- jouyst en moy : vous estes ma gloire et 1'exaltacion de mon cueur ; vous estes mon esperance et mon refuge en toutes mes tribulacions. Oyez, car je suis encores foible, et enferme, et imparfait, en verite. Pource m'est-il besoing que me reconfortez et consolez souvent. Et pource, Sire, vous plaise moy visitor souvent , et enseigner en saincte doctrine et discipline. Delivrez-moy , Sire, de mes maulvaises passions, etguerissez mon i. De ce que. 64 L'lNTERNELLE cueur de toutes affections desordonnees , afin quo quant je seray bien guary et purge dedans, que je puisse estre habillc a vous aymer, fort en pacience, ferine, estable en perseverance. C'est grant chose que amour ; c'est ung grant bien qui seul fait toute charge legiere, ct choses dessemblables pareillcs. Elle fait porter grant charge sans aulcune grevance ' , et adoulcit choses ameres et les fait tressavoureuses. La parfaicte amour de Jesuchrist fait entreprendre grans ceu- vres, et excite a desirer tousjours plus grant per- fection. Amour tend tou jours en hault, et ne veult point estrc retenue en petites et basses choses. Amour veult estre franche et hors de toute affection mondaine, a ce que son regard interiore ne soil pas empesche , et qu'elle ne soustiengne quelque implicacion terrienne 2 , et que pour quelque proffit temporel ou pour dommaige ne soil vaincue. II n'y a en ciel ne en terre riens plus doulx que amour, riens plus fort, riens plus large, riens plus joyeulx, riens meilleur. Car amour estne de Dieu, ct nepeult reposer en quelque chose cree fors en Dieu. Ung vray amant vole, court, il est joyeulx, franc, de nulle chose n'est empesche; il donne tout et peult tout, il a toutes choses en toutes choses, car il n'a repos fors en ung seul bien souverain duquel tout bien vient et descend. II ne regarde point i. Feine, fatigue. x. Empechenient, lien. CONSOLACION. II. 65 aux dons, mais au donneur se convertist ' , car il luy est sur toutes choses doulx. Amour n'a point souventesfois maniere , mais oultre mesure est en- flammee. Amour ne sent point charge et ne refuse quelque labeur. Amour entreprent plus qu'elle ne peult , et ne se excuse point de impossibilite, car elle cuyde toutes choses luy estre licites et pos- sibles. Or doncques elle vault a toutes choses , et accomplist plusieurs choses, et meet a effect plus que ung qui n'ayme pas ne pourroit faire, mais y fauldroit *. Amour tousjours veille , et en dormant ne som- meille point, travaille n'est pas las , restraint n'est pas lie, espovente ne se trouble point ; mais comme une vive flamme et lumiere ardant, se eslieve en hault et passe partout seurement et franchement. Celluy qui ayme congnoist ceste parolle : grant cry 6s oreilles Nostre Seigneur est 1'affection de celluy qui peult vrayement dire : Mon Dieu, mon amour, vous estes tout a moy, je suys tout vostre. Dilatez-moy, Sire, en ceste amour, que j'aprengne a gouter au parfond du cueur quant doulce chose c'est aymer et fondre tout en amour, et y vacquer ou y entendre. Faictes-moy, Sire, attacher a vous par les cloux d'amour, et eslever dessus moy par grant ferveur et admiracion de vostre amour, et que puisse chanter, c'est a dire sentir et acomplir en moy, la changon d'amours : J'ensuyvray mon i. Se tourne vers. a. Et oh celui-ci ne rdussiroit pas. 66 L'lNTERNELLE amy quelque part qu'il aille, et que mon ame def- faille en vostre louenge , c'est a dire en Paradis, car je ne peulx acomplir en ceste vie ce que vostre louenge desire, ne la joye que j'ay au cueur par voix exprimer ne declarer, Sire , que je vous ayme plus que moy, et quo je ne me ayme que pour 1'amour de vous, et que j'ayme en vous tous ceulx qui vrayement vous ayment, ainsi comme veult et commando la loy d'amour qui de vous et en vous reluyt ! Vray amour est legier, c'est a dire prest et appareille" a faire les commandemens de son amy ; n'est paresseux , mais est joyeulx , plaisant, fort, pacient, loyal, prudent, longanime, c'est a dire de grant couraige et qui ne fault pas de legier, puissant et qui jamais ne quiert son proffit, mais de son amy, oudesaultres pour 1'amour de luy. Car la ou aulcun quiert et demande son proffit et son gaing, la fault-il ' de vray amour. Amour est circonspect, c'est a dire bien advis6 et qui ne fait pas ses euvres a la volee ; humble et droit, non pas mol ou lasche , non pas legier ou hatif, non pas ententif en vanitez; sobre, caste, stable et ferme , et qui ne se change pas legiere- ment; paisible, et en tous sens bien ordonne. Amour est subject et obeissant a ses prelatz et majeurs, vil a soy et desprise, devot en Dieu et gratif, c'est a dire regraciant Dieu, ayant tousjours fiance en luy, mesmement quant il n'y sent point de doul- CONSOLACION. II. 67 ceur ou saveur , car jamais on ne vit en amour sans doulceur. Celluy n'est pas digne d'estre appelle vray amant qui n'est appareille de tout souffrir pour son amy, et d'estre tout prest a sa voulente. Car il convient qu'il porte et soustiengne toutes choses dures et aspres pour son amy , ne pour quelque contrariety qui luy adviengne il ne se desparte de luy. De la probation du vray amy. VP CHAPITRE. u dois savoir que n'es pas encores fort ne prudent amy, c'est a dire que tu n'aymes pas encore fort ne sagement. Et se tu demandes pourquoy , c'est pource que pour une petite contrariety ou adversite 1 qui te vient tu faulx et laisses tes bons commencemens, c'est a dire le bon propos que tu avoys encom- mence , et quiers trop fort tes consolacions. Ung fort amy, c'est a dire qui ayme fort, resiste aux temptacions, et ne croit pas aux persuasions que luy fait 1'Ennemy d'enfer. Ainsi que tu plais aDieu es prosperitez et consolacions, ainsi ne lui desplais- tu pas en adversite" , c'est a dire que aussi comme tu cuydes estre en son amour quant il t'envoye consolacion ou prosperity, aussi ne dois-tu pas pen- ser qu'il soit courrouc& centre toy quant il te seuffre venir temptacion ou adversite. Ung prudent et sage amy ne considere pas tant 68 L'lNTERNELLE le don de son amy comme 1'amour et 1'affection d'icelluy ; il regarde plus 1'affection que la grandeur du don , et prise plus sou amy que loutes choses qu'il pourroit desirer sans luy. Ung noble cueur amant ne s'arreste pas au don, mais en Dieu sur tous ses dons. Tu ne dois pas cuider que ce soit toute chose perdue se aucunesfois tu sensmoinsde bien de Dieu ou de ses sainctz que tu ne vouldroyes. Car celle affection bonne et doulce que tu recoys aucunesfois est 1'effect de la grace qui presentement te visite. En ceste doulceur ou saveur on ne se doit pas trop appuyer ou fyer, car elle va et vient, et est une pregustacion de la gloire de Paradis, laquelle Dieu t'envoye pour toy attraire, et ton appetit et affection aguyser et enflammer a ycelle. Mais resister et combatre les maulvaises passions et mouvemens de ton cueur, et debouter les su- gestions de TEnnemy est signe de grant vertu, et occasion de grant merite et loyer de Dieu. Ne soyes doncques pas troub!6 par fantasies es- tranges de quelque maniere que ce soit, et per- severe fort a ton bon propos et entencion que tu auras eue de Dieu ; et ne cuide pas que ce soit illusion de 1'Ennemy ce que aulcunesfois tu as une grande devocion et elevacion de cueur et doulceur de cueur, et puis apres tantost retournent les fan- tasies et evagacion de cueur qui te desplaisent. Sa- ches, puis que c'est malgre toy et centre ta vou- lente que tu les seuffres et portes, et que n'en es cause, ettant longuement qu'elles te desplairont, il CONSOLACION. II. 69 n'y a point de peril ou de peche" a toy, mais merite et loyer en acquers envers Dieu. Tu dois scavoir que tousjours 1'Ennemy s'esforce d'empescher ton bon desir et propos, et te oster de toute devocion ou bonne exercitacion , c'est assa- voir de servir et honnourer les sainctz, de piteuse memoire ou remembrance de ma Passion, de pen- ser a tes pechez par douleur et repentance, de garder soigneusement ton cueur, et de tenir ferme propos deproffiter en vertus. II te suggere plusieurs maulvaises cogitacions de cueur affin que tu chees en ung ennuy, horreur et desplaisance de ainsi sou- vent changer ton estat interiore, que tu n'ayes de- vocion en oraison et ne prengnes plaisir en estu- dier ou ouyr la sainte Escripture ; que tu n'ayes voulent^ de toy confesser humblement; de te faire, s'il peult, cesser ou retarder la saincte communion. Mais ne le croy pas et ne te chaille ; jacoit ce que ' plusieurs fois te mette au devant telz empesche- mens, repute qu'il fait tout cecy par sa mauvaise voulente et par 1'envye qu'il a de ton proffit, et luy dy : Va t'en, meschant, ort et deshonneste; tu deus- ses avoir honte de mettre a 1'audement * tes gestes deshonnestes; mais en ce appert 1'ordure et deshon- nestete qui est en toy. Et pource va t'en, et te despars, car se Dieu plaist tu n'auras point en moy de lieu de ne part, mais Jesus, qui sera mon aide i. Quoique. ?.. A 1'audiment, k la porte'e de nos oreilles. L'eMit. de 1498 donne a I'endevant. 70 L'lNTEHNELLE et confort , et tu demourras confus. J'auroye plus chier et aymeroye mieulx mourir et souffrir toutes les peines du monde, que jamais me consentir a toy. Tays-toy , et me laisse en paix, je ne vueil plus te escouter , jacoit ce que tu t'esforces de me troubler et molester. Mon Dieu est ma lumiere : Qui puis-je doubter? Se encontre moy s'eslievent ba tallies, moncueur ne craint rien; Dieu est mon aide et mon redempteur. Combatz, toy, et resiste comme bon et franc chevalier. Et se aulcunesfois , pour la fragilite de la chair, tu es abatu, relieve toy, repren force plus que devant en ayant fiance de la grace et miseri- corde de Dieu. Et te garde fort de vaine plaisance en toy et d'orgueil ; car pource plusieurs sont cheuz en grans erreurs, et menez en aveuglemens presque incurables. Et la ruyne de ces orgueilleux, et de ceulx qui ont presume de eulx, te doit estre a cautelle * de perpetuelle humilite garder. De occulter et mucer la grace que on a soubz la garde de humilitv. VIP CHAPITRE. eau filz , il t'est plus profitable et plus seure chose de mucer et cacher la grace de devocion ou aultres, se tu les as, que de les vouloir monstrer par dehors. Et Prudence, soin. CONSOLACION. II. 71 ne veuilles pas souvent en parler ou en tenir grant compte en to y, et les peser et aprecier fort , mais tu te doibs despriser, et doubter qu'elle ne te soit donnee corame a indigne. On ne se doit pas trop fort et ardamment afficher, ou appuyer, et arrester a ceste affection qui tantost peult estre changee et mue'e au contraire. Quant tu es en celle grace ou estat que tu as, pense quel tu es quant tu ne 1'as pas, ou qu'elle t'est ostee. Car le proffit et merite de la vie espirituelle n'est pas tant seullement en la grace de devocion ou de consolacion espirituelle, mais quant on porte paciemment et humblement la sustraction d'icelle, et que lors on n'est pas plus lasche ou paresseux a oraison, et que tu ne te laisses pas cheoir ou tomber en negligence de faire les aultres bonnes euvres que on a acoustume de faire, et que tu faces tousjours voulentiers ce qui est en toy ainsi que mieulx tu pourras et congnois- tras estre plaisant a Dieu, et que pour quelque arridete ou durte que tu sens en ton cueur tu ne te negliges , mais mectz peine de toy relever. Ilz sont plusieurs lesquelz, quant ilz ne se sen- tent en devocion, ou qu'ilz se sentent en durte de cueur ou evagacion, et qu'ils ne la povent rebouter ' comme ilz vouldroient, et qu'ilz ont aulcune temptacion ou tribulacion ou espir-ituelle ou corporelle, tantost sont impaciens et devien- nent tous lasches et negligens de bien faire, et se *. Eejeter. 7* L'lNTERNELLE tonrnent a trouver aulcunes consolations exterio- res ; et ceulx-cy se decoyvent moult. Car il n'est pas en la puissance d'une personne d'avoir ceste grace quant il vouldra ; mais il est en Dieu de la donner quant il luy plaist, et tant et aussi longue- ment qu'il luy plaist, et non plus. Et de murmu- rer quant il ne la donne pas est mal fait, car on doit scavoir qu'il ne le fait pas sans bonne cause et juste raison. Aulcuns ont este qui, quant ilz ont eue ceste grace, n'ont pas este" bien saiges ne bien conseilles a en bien user et saigement; mais ilz ont voulu plus faire et entreprendre que la fragi- lite" de leur corps ou nature ne povoit soustenir ne porter, et ont plus voulu ensuyr leurs affections et leurs propres sens ou voulentes que le jugement de raison. Et car ceulx ycy ont trop presume* et voulu faire plus qu'ilz ne povoyent, et aulcunesfois que Dieu Nostre Seigneur ne vouloit, qui selon son bon plaisir et voulente donne ceste grace, Dieu les a tantost laisse cheoir, et ont perdu ceste grace, et se sont trouve"s povres et meschans delaissez de Dieu, qui * ja cuydoient estre colloquez au ciel. Et ce Dieu fait affin que eulx ainsi humilies et apovris appreignent a ne voler pas de leurs esles, c'est a dire ne se attribuent pas leurs dons et graces, mais se tiennent fort humblement soubz la grace de Nostre Seigneur Jesuchrist, et a ycelle at- tribuent tout leur bien. Ceulx qui sont encore nouveauh, et non pas encores bien enseignez en i. Eux qui. CONSOLACION. H. ?3 la voye et au chemin de Nostre Seigneur Jesu- christ, s'ilz ne se gouvernent par le conseil de leurs anciens, lesquelz ilz doyvent reputer plus sages et discretz que eulx, legierement sont deceuz et vain- cus de 1'Ennemy. Car s'ilz veullent plus croire leur propre voulent6 et sens que le conseil des aultres , a grant peine viendront-ilz a bonne fin s'ilz ne se retrayent de leurs propres voulentez, et croyent conseil. Car c'est signe d'orgueil et qu'ilz se reputent sages. Et a grant peine pevent telz souffrir humblement estre gouvernez d'aultruy. II vault mieulx moins scavoir et estre moins sages en humilite, que avoir grant sens et science en orgueil et vaine complaisance de soy. II te vault mieulx moins avoir et estre hum- ble que grans richesses et estre orgueilleux. Celluy n'est pas bien saige qui se habandonne tellement a joye et lyesse exteriore, et * ne luy souvient de sa povret6 passee ne de la crainte et paour de Dieu, et qui ne doubte perdre celle grace qui luy est donnee. Et aussy celluy n'est pas bien vertueux qui en temps d'aversite, ou qu'il a quelque tribula- cion, se desespere et n'a pas grant fiance en Dieu* et pense a sa pitie et misericorde moins qu'il ne debveroit. Celluy qui en temps de paix et de prosperite est trop asseure et trop hardy, au temps de guerre et d'aversite est trop paoureux et couard, et tost abatu. Se tu te sgavoys tousjours tenir humble et i. Qu'il ne luy souvient. Mss. de 1468. 74 L'lNTERNELLE pou sentir de toy, c'est a dire de ta force et puis- sance, et te gouverner discretement en ceste grace, tu ne cherroys ' pas sitost ne si souvent en peril et offence. Ce t'est bon conseil que quant tu auras recue ceste grace et ferveur de devotion, tu penses quel tu seras quant elle te sera oste"e ; de rechief quant elle te sera ostee et substraicte, 4 que Dieu, qui te 1'a substraicte pour ton proffit et 1'honneur de luy, te la peult redonner quant il luy plaira et con- gnoystra que ce sera ton proffit. Et telle probacion ou variacion est plus proffita- ble a la personne que s'il avoit tousjours prosperite a sa voulente". Car le proffit ou merite de la per- sonne n'est pas a estimer se il a souvent telles visita- tions et consolacions espirituelles, ou s'il est grant clerc ou sage selon le monde, ou s'il est grant en dignite" et estat selon le monde, mais s'il est bien fonde" en vraye humilite, et remply de vraye cha- rite" et amour de Dieu, se aussi en toutes choses il quiert vrayement 1'honneur de Dieu, et s'il sedes- prise et repute rien estre, et qu'il veuille mieulx estre mesprise et humilie des aultres que honnore" . 1. Tu ne tomberois. 2. Sous-entendu : Tu penses. CONSOLACION. II. 7 5 De la ville estimation et mesprisement de soymesmes devant Dieu. VHP CHAPITRE. e parleray a mon Dieu et mon Seigneur, jac.oit ce que je soye pouldre et cendre. Se je me repute et prise plus que je ne doy et que je ne vaulx, vous, Sire, vous eslevez centre moy, car vous resistez aux orgueil- leux, et mes iniquitez et pechez me condamnent, et baillent tesmoignage auquel je ne puis contre- dire. Mais se me desprise et rameyne a neant, et que toute propre reputacion faille en moy, et me anichile ainsi comme vrayement je ne suys ne vaulz riens ', vostre grace, Sire, me sera propice, et vostre lumiere sera pres de moy, et toute propre estimacion, tant soil petite, en la consideracion de ma povrete et nichilite sera destruicte et perdue perpetuellement. En celle consideracion, Sire, me demonstrez-vous clerement quel je suys, et quel j'ay este, et a quoy je suys devenu par mon pech6. Car je suys fait neant et ne 1'ay pas congneu : car, Sire, se vous me delaissez a moy, c'est a dire a ma force, c'est moins que neant, c'est toute povrete et enfermete. Mais quant il vous plaist a me regar- der piteusement, tantost je suys et devien fort, et i. Et si je m'annihile comme je dois, c'est & dire jusqu'a voir que vraiment je ne suis, etc. 76 L'llVTERNELLE suys remply de nouvelle joye. Et sont merveilles grans comme soubdainement je suys subleve" quant il vous plaist a benignement me soustenir et em- brasser, qui ' de ma propre nature et pesanteur tous- jours chey et tombe si embas. Mais 1'amour et grace de vous sans mes merites et dessertes me previennent, et en plusieurs necessi- tez me secourent, et me gardent de grans et griefz perilz , c'est a dire que Verit6 delivre de innume- rables maulx. Et car, Sire, en me aymant mauvaise- ment je me suys perdu premierement , derechief en retournant a vous, et vous desirant seullement et amant purement , et vous et moy ay retrouve ; et par vostre amour, de tant que en moy a est6 plus profond et greigneur 2 , de tant me suys plus anichille en reputacion et humilie. Car cecy, Sire, mon tresdoulx et piteux Seigneur, faictes-vous en moy et a moy seur et centre tout mon merite et desserte, et plus que je n'oseroye esperer ne vous requerir et prier. Benoist soyez-vous, Sire, mon Dieu et mon Sei- gneur, car jacoit ce que ne soye pas digne de quel- que bien avoir, toutesfoiz, Sire, votre noblesse et infinie bonte" jamais ne cesse de faire bien a ceulx mesmes qui sont ingratz envers vous , et mal con- gnoissans de vos dons et benefices , et qui s'esloi- gnent de vous ; et pource , Sire, retournez nous et convertissez a vous, ad ce que nous vous rendons i. Moi qui. a. Plus grand. CONSOLACION. II. 77 graces et mercys de voz dons en humilit6 et devo- tion , car vous estes nostre salut , nostre vertu et nostre force. Comment nous devons tons noz biens attribuer et retourner a Dieu comme a nostre Jin dernier e. Et est en la personne de Dieu * quiparlea la creature raysonnable. VHIP CHAPITRE. eau filz, je doy estre ta souveraine fin et ta derniere esperance, c'est a dire pour lequel seul doibs faire tes bonnes ceuvres, et attendre de moy seullement retribu- tion, se tu desires vrayement estre benoist. Par ceste entencion, c'est assavoir d'avoir tousjours 1'intencion a moy et pour moy, ton affection sera purifiee et redressee, qui par sa corrupcion s'est in- clinee et descendue en bas et aux creatures. Car se aulcunement en quelque chose te quiers, c'est a dire se en faisant quelque bonne ceuvre tu attens en avoir vaine gloire ou louenge humaine, tantost tu fauldras et sec seras, c'est a dire sans retribution de Dieu. Et pource attribue moy tous tes biens, car je suys celluy seul qui te les a don- nez, et tu doibz scavoir que tous biens viennent et descendent du bien souverain qui je suys. Et pource i. Et c'est Dieu qui remplit le personnage d'interlocuteur. Peut-etre faut-il yoir dans cette tournure de phrase un souve- nir des Mysteres. 78 L'lNTERNELLE a raoy , comme & la fontaine de naissance de tons biens, tout bien doibt estre rapport^. De moy petis et grans, povres et riches prennent et ont leurs biens, comme on puyse de la fontaine vive et courant. Et ceulx qui franchement me ser- vent, et congnoissent bien ceci, recevront grace pour grace, c'est a dire s'ilz usent bien de la pre- miere grace que je leur donne, c'est assavoir de la bonne voulente et propos ou aultres bonnes ceuvres, et qu'ilz m'en remercyent et ne s'en orgueillissent pas, ilz desserviront avoir les aultres gracesa pres ensuyvant. Mais ceulx qui sans moy se vouldront glorifier eteulx deliter f en leur priv6 et propre bien ne seront point aflermez 2 en vraye joye, ne leurs cueurs dilatez en bien , mais auront plusieurs em- peschemens et angoisses. Tu ne te doibs doncques rien attribuer de bien, ne quelque vertu & quelque aultre personne, mais seullement a Dieu, sans lequel nul n'a quelque bien. J'ay tout donne et veulx tout ravoir, c'est a dire que on le me redonne et que on m'en rende tresestroictement graces et mercys. C'est ycy la vraye verit6 par laquelle est chasse hors orgueil et vaine gloire. Et si ceste grace celes- tielle est en ton cueur et la vraye charite de Dieu, lors n'y entrera point envie ne contradicion , ou murmuracion , ne prive amour en soy. Car la cha- rite" et amour de Dieu vainct et surmonte tout , et dilate toutes les vertus de Tame. Se tu es saige i. Dflecter. i. Confirmez, affermis. CONSOLACION- II. 79 et congnois bien cecy, tu t'esjouyras seullement de moy et en moy, et en moy auras et mettras ton esperance : car nul n'est bon fors moy seul, que on doibt loer et beneyr sur toutes choses. Que c'est doulce chose de mespriser le monde et servir seullement a Dieu. X e CHAPITRE. aintenant je parleray et ne me tairay pas . Je parleray devant mon Dieu et mon Seigneur et mon Roy qui est es cieulx : Sire, comme grande est la multitude de la doulceur que vous avez muce pour ceulx qui vous craignent et doubtent ! mais que sera-ce a ceulx qui vous ayment, et a ceulx qui de tout leur cueur vous servent! Vrayement, on ne pourroit ra- compter ne penser la grande doulceur de vostre consolacion que vous donnez a ceulx qui vous ayment; et en ce, mesmement en moy, avez- vous de- montre vostre grande bonte et doulceur, qui m'avez fait, que n'estoye riens; et apres, quant j'ay erre et est esloign^ de vous, vous m'avez ramene et raprou- ch6, et voulu que je vous servisse, et m'avez com- mande que je vous ayme. fontaine de perpetuelle amour, que diray-je de vous ? Comme vous pourray-je oublier, qui avez daigne avoir remembrance de moy , mesmement apres ce que je vous ay laisse et me suys perdu 8o L'lNTEBNELLE par mon peche" ? Vous avez fait & vostre povre hors de toute esperance misericorde, et contre toute desserte et merite luy avez donne grace et demons- tre aim'tie". Et que vous puis-je, Sire, rendre pour ceste grace ! Vous n'avez pas fait a tous ceste grace qu'ilz renoncent a tout ce monde et qu'ilz pren- nent vie monasticque ou de religion. Quant 1 grande chose est-ce , Sire , se je vous sers , a qui tout creature sert ? II ne me semble pas grant chose se je vous sers, raais se me semble grant merveille que vous avez daigne" et vous a pleu une si povre et si meschante et indigne creature appeller et recepvoir a vostre service , et assembler avecques voz amez serviteurs. He"las! Sire, tout quant que j'ay 2 est vostre. car je n'ay rien que ne m'ayez donne ; et de quoy doncques vous puis servir? Et toutesfoiz encore, parlecontraire, vous me servez plus et mieux que je ne vous sers. Veez-cy, le ciel et la terre, que vous avez creez pour le service de 1'homme, sont prestz et tous appareillez, et font continuellement ce que vousleur avezordonne; et encores est poude chose, quant mesmes les benoistz angelz de Paradis avez- vous ordonnez pour le service de 1'homme. Mais encores y a qui passe tout , quant vous-mesmes Tavez daigne" servir, et a la fin vous vous promettez donner a luy. Et que vous puis-je doncques donner pour tous t Quelle grande. a. Tout ce que j'al. CONSOLACION. II. 81 ces grans et innumerables biens, fors vous servir tous les jours de ma vie? Mais je vouldroie bien que en toute ma vie ung jour vous puisse faire aucun service digne. Vrayement , Sire , vous estes man Dieu et mon Seigneur, et je suys vostre povre serf, qui suys tenu de vous servir sans cesser de toute ma force et de tant que j'ay, ne jamais ne doy estre ennuye de vostre louenge et service. Et ce vouldroye-je faire et le desire , et pour ce que de moy je n'y suis pas suffisant, plaise vous a sup- plier 1 mon imperfection. C'est grant honneur et grant gloire de vous ser- vir, Sire, et mespriser tout pour 1'amour de vous; et ceulx qui le pevent faire auront gloire et grace envers vous. Ceulx qui de leur bon gre" se soub- mettront a vostre saint service trouveront grande et doulce consolacion en leur esperit, se pour 1'a- mour de vous delaissent toute delectacion et plai- sance charnelle. Ceulx qui pour vostre nom et vostre amour prendront 1'estroit chemin, et despriseront toute cure et sollicitude mondaine, seront en grant franchise et liberte. honnorable et joyeuse servitude deDieu, par laquelle 1'homme est vrayement afranchi et sanc- tified saint et sacre estat, la servitude de reli- gion, en laquelle 1'homme est restitu6 esgal et pareil es angelz, appaise a_Dieu , terrible aux Ennemys et honore entre tous chrestiens ! Oque ondoibt aymer i. Suppleer. 8a L'lNTEHNELLE ce service par lequel le souverain bien on acquiert et la joie quijamais ne fine. Que on doit examiner tresbien ses desirs et vou- lentez et les attremper ' . Et est la personne de Dieu qui parle et enseigne son amy. XI" CHAPITRE. eau filz, il te fault et convient plusieurs choses apprendre que tu ne scez pas encores bien. Et se tu veulx scavoir quelles elles sont, c'est que tu submettes tes propres desirs et ton propre sens a mon plaisir en toutes choses , et que tu n'ayes point de propre amour en toy, mais ac- compliz ma voulente diligemment. Tu as plusieurs desirs et voulentez qui te en- flamment a quelque chose faire ; mais considere se en iceulx tu as principale entencion a 1'honneur de moy, on a ton propre et singulier proffit et hon- neur. Se je suys principale cause, c'est a dire que pour 1'amour de moy principallement tu fais ce que tu fais, tu seras content de ce que j'en ordon- neray. Mais se tu quiers en ce ta gloire et louenge, tu seras tantost courrouce et impatient se tu ne le peuz acomplyr , et c'est ce qui t'empesche et trouble bien souvent. Et pource garde-toy tresbien que tu ne soyes i. Mod^rer. CONSOLACION. II. 83 trop aheurt^ et afferme a ton oppinion de faire et acomplyr ta voulente, suppose 1 que le desir te semble bon, et pren le conseil de moy ou d'aultruy qui a ce se congnoistra, et par especial de tes sou- verains se tu es en religion : car par aventure tu t'en pourroys repentir apres , ou te pourroyt des- plaire ce que par avant te plaisoit et te sembloit bon, et laisseroys tout, et seroit une honte pour toy. Car aulcunesfois n'est pas besoing ne expe- dient d'acomplyr toutes bonnes voulentez , ne le contraire de tous pointz debouter. II est expedient d'aulcunesfoyz restraindre et refrener ses desirs, suppos6 mesmes qu'ilssoyent bons, car trop grant importunit6 d'acomplyr sa voulente est cause de distraction de cueur, et de donner esclandre a aultruy, et de troubler soymesmes et faire tomber en aulcun inconvenient. Et pource il se fault faire violence aulcunesfoiz et fort register a son appetit, et ne prendre pas garde a ce que la chair veult ou refuse, mais soy efforcer qu'elle soit tousjours subjecte a Dieu et a raison. Et pource on la doit tant longuement chastier et faire subjecte et obeissante a Fame jusques a tant qu'elle soit appareillee a toutes les choses que 1'es- perit luy commandera selon Dieu et raison , et qu'elle apprengne d'estre contente de pen, et non pas desirer superfluity , mais soy delicter en sim- plesse et chose de peu de valeur, et ne murmurer point en quelque contrariete qui luy adviengne. i. MGme lorsquc. 84 L'L\TERNELLE De soy acoustumer a patience et a combatre contre les concupiscences mauvaises. Etparle I'homme a Dieu. XIP CHAPITRE. on Dieu et raon Seigneur, je voy et ap- |j percoy que pacience m'est tresneces- saire, car plusieurs choses contraires me pevent advenir en ce monde, et en quelque maniere que je ordonne de ma paix, c'est a dire que je me dispose a avoir paix, ma vie ne peut estre sansbataille et peine et douleur. Dieu respond: Ainsi est-il, beau filz; mais je ne veuil pas que tu cuydes avoir telle paix qui soit sans temptacions et contradictions ; mais lors pense que tu auras et seras en plusgrant paix, et plus- tost la trouveras quant tu seras exercite en plusieurs tribulacions et prouve par plusieurs contradictions. Et se tu respons que lu ne pourroyes tant de choses souffrir et soustenir, penses doncques comment tu pourrois souffrir le feu d'Enfer ou de Purgatoire. De deux maulxondoit fouir le plus grant *, car il fault souffrir en ce monde ou en Fautre. Et pource, affin que tu puisses eviter les perdurables tourmens de 1'autre monde, mectz peyne de souffrir les maulx et peines de cestuy-cy. Penses -tu ou cuydes que les gens du monde ou seculiers soyent sans peyne i. */> k noins mat. Edit, de 1498. CONSOLACION. II. 85 et douleur en ce monde ? Tu ne trouveras nulz, 1'ac.oit ce qu'ilz soyent grans maistres ou riches. Mais pource qu'ilz ont plusieurs plaisirs en ce monde en ensuyvant leurs delectacions et concupis- cences, ilz ne pensent pas ou sentent les maulx et peines qu'ilz y seuffrent. Mais or prenons qu'il soit ainsi qu'ilz eussent tous leurs plaisirs, sans tribulacion et peine : com- bien leur durera cecy ? Tantost corame ung peu de fumee esvanoyront leurs richesses, et eulx aussi, et ne sera aulcune memoire ou recordacion de leurs joyes et plaisances; jagoit ce que eulx mesmes, tant corame vivent, ne sont pas ou ne reposent pas en paix , mais ont plusieurs grans amertumes de cueur, ennuys et angoisses, et de celles mesmes choses dont ilz ont leurs joyes et plaisirs retour- nent plusieurs fois douleurs et tristesses. Et ce se fait par le juste jugement de Dieu. Car pource qu'ilz quierent desordonnement leurs plaisirs et concupiscences, ilz ne les pevent acomplir sans grande confusion de peine et de douleur. Et jacoit ce que leurs plaisirs et delectacions soyent briefves, faulses et deshonnestes, toutesfois par ebriete" et aveuglement de leur cueur ne le congnoissent-ilz point , mais, comme une beste brute et sans raison et entendement, pour ung petit de cette vie cor- ruptible et transitoire font la dampnacion de leur ame. Et pource, beau filz, n'ensuyspas tes plaisirs t concupiscences charnelles, et te separe de ta ropre voulente. Dilate-toy en Dieu, c'est a dire 86 L'lNTERNELLE pren ton plaisir a servir Dieu, et garde ses com- mandemens, et il te donnera les peticions de ton cueur. Et certainement, se tu veulx avoir delectation en moy et reconfort, tu la trouveras en mesprisant toutes choses mondaines, et en ostant de toy tou- tes delectations terriennes, et tu en recepvras ma benediction et consolation habondant. Et de tant plus que tu te separeras et soustrairas de consola- tion de quelque creature, de tant trouveras-tu en moy plus grans doulceurs et plus grandes conso- lations. Combien que tu dois scavoir que au com- mencement tu y trouveras grant peyne et grande tristesse, et aussi grant labeur en cest assault et en ceste bataille, pour la maulvaise accoustumance qui estoit en toy ja tournee comme en nature. Pource il fault quelle soil surmonte"e et tournee en nouvelle et bonne coustume. La chair en charna- lite murmurera, c'est a dire resoingnera ' a changer sa vie, mais par ferveur et amour de Dieu sera le- gierement vaincue. L'Ennemy t'assauldra et temp- tera, mais par devote oraison sera enchasse", et par bonne exercitacion et occupation en labeur proffi- table luy sera empeschee 1'entree en toy et en ton cueur. i. ttessoigner, prendre peine on souci de quelqne chose; et par extension, s'effrayer de, register a. L'Edit. de 1498 donne craindra. C.ONSOLACION. II. 87 De I' humble obeissance du subject a I'exemple de Jesuchrist. XIIP CHAPITRE. elluy qui s'esforce de soy soustraire et oster de obeissance, se soustrait aussi de grace ; et qui quiert et demande choses privies et parcialles a soy doit perdre les communes. Celluy qui ne se submect pas vou- lentiers et de son bon gre a son souverain, c'est signe que la chair ne luy est pas encores parfaicte- ment subjecte et obeissant, mais qu'il y a plusieurs rebellions et plusieurs mouvements desordonnez. Et pource, se tu veulx ta chair, c'est a dire teschar- nelles concupiscences et desirs, parfaictement mor- tifierou surmonter, aprens a toy submectrelegiere- ment a ton souverain. Car qui sera celluy qui pourra bien vaincre ses adversaires estranges , se premie- rement il ne peult surmonter ceulx de dedans luy et privez? Tu n'as point de plus perilleux et maulvais ennemy que toy mesme, se tu n'es d'accord a tori esperit. II convient doncques que de tous pointz tu te mesprises et contemnes, se tu veulx avoir force et puissance centre les hommesde chair et desang. Mais pource que tu te aimes encore desordonne- ment, pour ce doubtes-tu et refuys a te soubmettre a la voulente" d'aultruy. Et quelle merveille est-ce se toy, qui est pouldre, cendre et neant, pour 1'amour de Dieu te soubmetz 88 L'lNTERNELLE a aultre homme, quant je, Dieu Tout-Puissant et souverain Seigneur, qui ay cree toutes choses de neant, me suis soubmis humblement a ung homme pour 1'amour de toy. Je me suis fait treshumble et le derrain * de tous, affin que tu aprennes a vaincre tout orgueil par mon humilite. Aprens doncques a obtemperer et obeyr, toy qui es cendre ; aprens a toy humilier, toy qui es terre et nans 2 , et toy getter soubz les piez de tous les aultres ; aprens a rompre tes propres voulentez, et te abandonne a toute subjection. Prens cueur et force centre toy 3 , et ne seuffre point que orgueil ait dominacion en toy. Mais sub- mectz toy et fay si petit que chascun puisse sur toy marcher et fouler comme sur la boe des chemius et voyes. homme vain et vuid de tout bien, de quoy te peuz-tu complaindre? Que peuz-tu con- tredire, ort et vilain pecheur, a ceulx qui te font ou te disent aulcun reproche , toy, dy-je, qui tant de fois as courrouce Dieu, et tant de fois desservy enfer? Mais je t'ay piteusement et pai- siblement espargne, car j'ay cue ton ame chiere et precieuse, affin que tu congneusses et appar- ceusses 1'amour que j'ay en toy, et que ne fusses pas ingrat de mes benefices et mescongnoissant, et i. Dernier. >.. Fumier. 3. Tout ce passage depuis < et puissance centre les homines tie chair manque a l'e"dit. de ' 5oo. II se trouve dans le ma- nuscrit de 1468, peu different du texte de 1498 que nous avons fidelement suivi CONSOLACION. II. 89 que tu te habandonnasses a vraye humilitd et sub- jection tousjours, et portasses paciemment se on te contempnoit ou mesprisoit. Des ocultz et secretz jugemens de Dleu, lesquelz on doibt considerer, a ce que on ne s'en orgueillisse pas de ses biens et dons. Et est en la personne de I'homme qui parle a Dieu. XIIIP CHAPITRE. on Dieu , mon Seigneur, le tonnerre de voz secretz jugemens m'espovente, et mes os et tout quant qui est en moy se fremist et esmeut, et mon ame est tres- esbahye. .Te suis tout espovente quant je considere que les cieulx ne sont pas nectz ou sans tache de- vant vostre face et regard. Se es angelz avez trouve iniquite et pech6, et vous ne les avez pas espar- gnez que ne les ayez tantost pugniz et sansmiseri- corde, quelle chose sera fait de moy? Les estoilles sont tombees du ciel , et je, qui suis cendre et poul- dre, comment me ose-je enorgueillir et presumer de moy. Aucuns qui estoient , ce sembloit , a loer, et faisoyent grans merveilles, sont cheuz et tombez en terre , c'est a dire sont retournez en peche ; et si mengeoyent le pain des angelz, depuis se sont de- lictez a la viande des pourceaulx. II n'y a doncques point de seurete en quelque sainctet de quelque creature estant en ceste pre- go L'INTERNELLE sente vie , se vous, Sire, soustraiez vostre main , c'est a dire vostre grace. Rien ne proufite sapience mondaine,se vous ne la gouvernez.Rienne vault force humaine, se vous ne la soustenez. En chastete" n'a point de seurte, se vous ne la deffendez. Rien ne proffite garde ou Industrie propre, se vostre saincte grace et conseil n'est present. Car se vous nous laissez a nous, tan tost sommes comme surmontez, et perissons. Mais par vostre benigne grace et visita- tion sommes relevez et vivifiez. Et n'est pas mer- veille : car de nous sommes inestables et foibles, mais par vous sommes confortez et fortifiez. Par nous, sommes tepides et remys * mais, par vous enflam- mez et embrasez en bien. comment je doy de moy sentir humblement, et comment je ne doy rien priser ce qu'il semble estre de bien en moy! comment je me doy par- fondement submettre a voz inestimables jugemens, Sire, quant je ne treuve en moy chose qui doye estre reput6 que rien et moins que rien ! grant charge , 6 mer intransnatable , c'est a dire ou nul ne se doit adventurer de y nager, de voz jugemens merveilleux, quant en moy je ne treuve rien qui ne soit moins que rien ! Ou sera doncques la pre- sumption de gloire? Ou sera la confiance de toute vertu que personne ait? Toute gloriacion vaine est ycy dechassee et anullee en ceste parfondite de voz jugemens sur moy. i. Au point que. 3. Tifedes et fatiguds ou laches. CONSOLACION. II. 91 Quelle chose est toute creature humaine devant vous?De quoy se pourra glorifier la terre devant le potier qui la tient en sa main ? Celluy de qui le cueur estvrayement subject a Dieu, comment se pourra- il eslever en vantance?Se tout le monde 1'exaulgoit, s'il est en verit6 humble, il n'en tiendra compte; et s'il a vraye confiance en Dieu , toutes les louen- ges du monde ne le feront pas esmouvoir de son estat : car ceulx mesmes qui par leurs parolles le louent, fauldront avecques toutes leurs parolles. Mais la verit6 de Dieu sera et demourra toujours. Comment on se doit conformer et rapporter a la voulente et au plaisir de Dieu en tons ses desirs. XV e CHAPITRE. ^ n toutes choses que tu desires^ tu doys ainsi dire a Dieu : Mon Seigneur mon Dieu , si vous plaist et est vostre vou- lente', soit telle chose faicte. Sire, se telle chose estoit a vostre honneur, je vouldroye qu'elle fut faicte en vostre nom. Sire, se vous voyez que telle chose me fust expediente et prouf- fitable, plaise vous la moy donner a vostre hon- neur. Mais se vous scavez qu'elle soit a mon dom- maige, especiallement contre le saulvement de mon ame, veuillez moy oster le desir que j'en ay. Car nous devons scavoir que tout desir n'est pas de i. Quand meme. 9 a L'INTERNELLE Dieu ne du Sainct Esperit, suppose" qu'il nous sem- ble qu'il soit bon et prouffitable a nous. C'est dif- ficile chose de vrayement juger se le desir vient de Dieu et du Sainct Esperit, ou de 1'Ennemy, ou de ta propre voulent6 ou ymaginacion qui a ce te induit et trait. Car plusieurs ont est6 finablement deceuz en ce qu'il leur serabloit qu'ilz avoyent bien com- mence et de bon desir. Et pource on doibt tousjours desirer en paour, en crainte et en humilite, et requerir ou demander a Dieu qu'il vueille le desir ordonner a son hon- neur, et donner grace de faire tousjours son plai- sir et voulent6, et s'en raporter et commettre de tous pointz a luy, et luy dire : Sire, vousscavez le- quel m'est meilleur et plus proffitable , et pource soit tout fait a vostre voulente. Donnez-moy ce qu'il vous plaira, et tant comme il vous plaira et quant il vous plaira; faictes a moy et de moy comme vous scavez qu'il m'est besoing et necessaire , et qu'ainsi il vous plaira, et que ce sera a vostre plus grand honneur ; mettez-moy la ou il vous plaira, et que en toutes choses je soye avec- ques vous et aussi que vous soyes avecques moy. Plaise vous, de vostre benigne grace, que je soye en vostre main et protection en tout et par tout. Plaise vous que je soye vostre humble et petit serviteur. appareille a toutes choses, et que je ne desire point que vivre a vous et de vous , et vostre hon- neur et bon plaisir faire et acomplir parfaictement et diligemment. CONSOLACION. II. y3 Oraison pour impetrer grace a Dieu de faire et acomplir (ousjours le sien plaisir et voulente. enoist et begnin Jesus, donnez-moy vos- tre grace qui soil tousjours avecques moy en mes labours et euvres, et per- severamment jusques a la fin. Donnez- moy, Sire, tousjours couraige de desirer et vouloir ce qui vous est plus agreable et plus chier a vostre plaisir. Vostre voulente" soil la mienne, et quo ma voulente ensuyve tousjours la vostre, et en tout s'accorde a la vostre. Plaise vous que je lie vueille ou refuse aultre chose que vous, et que je ne puisse aultre chose vouloir ou non vouloir fors ce que vouldrez ou non vouldrez. Donnez-moy mourir au monde et a toutes les choses qui y sont, et pour 1'amour de-vous vouloir estre mespris6 et mescongneu en ce siecle. Donnez- moy desir d'avoir en vous seullement repos, et que mon cueur aye paix, et soil pacific en vous, et vos- tre plaisir faire , car vous estes la vraye paix des cueurs, vous estes leur seul repos, et hors de vous toutes choses sont dures et aspres, et sans nul re- pos. En ceste paix qui est tousjours lout ung et sans mutacion, en vous seul, souverain bien et pardurable, puisse-je m'endormir et reposer. Amen. 94 L'ltJTERNELLE Que on doibt guerir seullement sa consolation en Dieu, XVI e CHAPITRE. n ne doit point querir sa consolacion en ce monde, ou penser que on luy ' puisse parfaictement avoir. Mais lout ce que on peult desirer ou penser pour avoir par- faicte joye et consolacion, on doit attendre a avoir et recepvoir en Fautre monde. Et suppose que je peusse avoir toutes les consolacions de ce monde tout seul , et user de tous les delices qui y sont , encores est-ce peu de chose au regard de 1'autrp monde, et moinsque neant; et d'aultre part encores ne pevent-elles pas longuement durer. Et pource, mon ame, tu ne peuz avoir pleine consolacion ne parfaicte joye fors en Dieu, consolateurdes povres et reconforteur des humbles. Si*dois paciemment ung peu attendre tant comme luy plaira que soyes en ce monde cy, et attendre la retribucion de la promesse divine, et apres tu auras au ciel habon- dance de tous biens. Se tu desires et convoites trop desordonneement les biens presens de ce monde, tu perdras les pardurables et celestielz. Si dois prendre des biens de ce monde sobrement, taut comme est besoing pour ton usaige tantseul- lement, et desirer les biens pardurables. Tu ne CONSOLACION. II. 95 peuz estre saou!6 des biens de ce monde jusques a ton desir, car tu n'es pas cre6 a y avoir ta felicite et beatitude. Se mesmement tu avoys tout seul tous les biens de ce monde, pource ne seroys-tu pas sainct ou benoist, ou ton desir acomply. Car seullement en la vision de Dieu est constitute nostre felicite et beatitude, non pas telle comme les folz mondains 1'ont et demandent en ce monde, mais telle comme les bons crestiens attendent et esperent avoir en 1'autre monde. Et la goustent ou assavourent aul- cunement et aulcunesfois en ce monde les espiri- tuelz, et qui sont nectz de cueur, desquelz la con- versacion est es cieulx. Vaine et briefve est la consolacion humaine en ce monde, mais celle est vraye qui est receue dedans le cueur de Dieu. La devote personne porte et a tousjours avecques soy son reconfort et consolacion en Jesuchrist, et luy dit au cueur par desir : Soyez-moy present en tout lieu et temps, mon doulx seigneur Jesus, et que ce me soit consolacion et reconfort vouloir pour 1'a- mour de vous non avoir quelque consolacion ou re- confort mondain ; etse mesmes je n'ay pas la vostre, que j'aye pacience, et que vostre voulente et pro- bacion soit ma consolacion et reconfort souverain. Car vostre ire et pugnicion ne dure pas tousjours, mais apres reconfortez et retribuez tresgrande-* ment. 9 6 L'INTERNELLE Que on doit mettre et constituer tout son soing et son cueur en Dieu. Et commence en la personne de Dieu qui enseigne son loyal et bon serciteur. XVIP CHAPITRE. eau filz, laisse-moy faire en toy et de toy ce qu'il me plaira, car je scay mieulx li t'est expedient et besoing que tu ne ?u es homme, et pource comme homme tu penses, et as affections et desirs humains, et te veulx selon ton affection gouverner. L'ame respond a Dieu : Mon tresdoulx Dieu et Seigneur, il est vray ce que vous dictes, vostre solicitude et cure est plus grande sur moy et plus proffitable que quelque diligence que je puisse faire ne avoir de moy. Trop pou stable et ferme est cel- luy qui ne meet sa cure, garde et confiance en vous; et se bien luy en vient, c'est adventure. Faictes de moy ce qu'il vous plaira, tantseulle- ment que ma voulent6 et intencion soit droicte , ferme et parmanant en vous. Je scay que quelque chose que vous facez ou ordonnez de moy ne peult estre que bien, se a moy ne tient. S'il vous plaist que je soye en tenebres de ignorance ou de vostre grace ', benoist soyez-vous. S'il vous plaist a me consoler et conforter, benoist soyes-vous. Et se de i. Ne faut-il pas lire: ou en lumifere de vostre gr&ce ? > i/e'dition de i835 donne en lumiere de vraye congnoissance. CONSOLACION. II. 97 rechief vous plaist que je soye en tribulacion, aussi benoist soye"s-vous. Dieu respond : Beau filz, ainsi convient que tu soyes, c'est a dire en ce propos, en ceste voulente", se tu veulx demourer avecques moy. Aussi appa- rent dois-tu estre a souffrir et porter tribulacion comme a avoir joye et exultacion ou prosperite ; aussi voulentiers dois-tu porter et soustenir souf- frete" et povrete" comme richesses et habondance de biens. L'homme respond : Mon treschier Seigneur et Dieu, je suis prest et appareille de porter et souffrir quelque chose qu'il vous plaira m'envoier. Sans nulle difference je vueil recepvoir de voslre main, c'est .. L'edit. de 1498 ajoute ici girouagues , qui ne font que, etc. Le texte latin donne en effet gyrovagi. Nous notons ce mot girouague, a cause de sa parente" avec le mot girouelte, et a cause de sa rarete"; nous ne 1'avons rencontre" nulle part ail- leurs. l38 L'lNTEBNELLE choses mondaines , car tout ce qui n'est point de Dieu perira, c'est a dire fauldra. Escoute et retien briefve et finable parolle : Delaisse tout et tu trou- veras tout, renonce a convoitise, et tu auras repos. Pense et traicte cecy en ton cueur, et quant tu 1'auras acomply et mys a effect , lors tu congnois- tras que c'est vray. L'homme respond : Sire, ce n'est pas 1'oeuvre d'un jour ne jeu d'enfans, car en ceste briefve pa- rolle est enclose toute perfection de religion. Responce de Dieu : Beau filz , ne te dois pource espoventer, ou avoir deffiance de toy pource se on te dit ou enseigne le chemin de perfection, mais plus toy efforcer et provocquer a ceste perfection , au- moins par desir, se tu n'y peuz parvenir par fait et ceuvre. Je vouldroye bien qu'il te fust ce advenu, et que tu fusses jusques en cest estat que tu ne te aimasses pas , mais que tu fusses prest et appa- reil!6 d'estre a ma voulent6 et du pere ou majeur qui t'est ordonn6 de par moy.Car lors me seroyes- tu aggreable et plaisant , et tu passeroyes et may- neroys ta vie en grant joye et paix de ton cueur. Tu as encores plusieurs choses a delaisser, aus- quelles se tu ne renonces et les resignes purement et simplement tu n'acquerras pas ce que tu de- mandes ou desires. Je te conseille et admoneste que tu t'efforces et me ties en peyne de acheter de moy 1'or fin et ambrase ', affin que tu soyes riche, i . Qui a 4t6 pass au creuset. CONSOLACION. II. i3g c'est assavoir sapience celestielle et divine par la- quelle tu mespriseras et contemneras toutes choses terriennes ; et meet arriere ou oublye toute pru- dence humaine et aussi propre plaisance , c'est a dire de te complaire en ton scavoir ou en tes ceuvres *. De I'instabilite de cueur, et d'avoir son entencion finable en Dieu. XXXII? CHAPITRE. eau filz, ne croy pas de legier a ton af- fection, laquelle se change et mue legie- rement en ung autre. Tant com me tu vifz en ce monde tu es subject a mutabi- , vueilles ou non. Car se tu es maintenant joyeux, tantost apres tu seras triste et trouble, et se tu es maintenant devot , tantost apres tu seras indevot; maintenant laborieux, puis apres paresseux; maintenant bien ordonne et de beau maintien, tantost apres tu te trouveras legier et dissolu. Mais ung sage homme et bien enseigne en esperit se ferme a et eslieve dessus toute ceste mutabilite\ et ne considere et regarde point ce qu'il sent ou ap- percoit en soy de ceste mutabilite, ne de quelle part vient ceste mutacion de ceste stability , mais met peyne de tout son cueur a former et ficher son en- i. Le texte latin contient encore un paragraphe qui a e'te' omis dans nos versions. . S'affennit. HO L'lNTERNELLE tencion a la fin qu'il doit et qu'il desire , c'est a dire a moy et a ma gloire tout ramener. Et par telle maniere pourra la personne ferme et stable estre et demourer, quant il aura adrece a moyl'oeil de son intention, simple * par temps divers et variante mutation. Et de tant que 1'oeil de son entencion sera plus simple, pur et nect a moy, de tant sera-il plus seur et constant et ferme entre ces variacions. Mais en plusieurs se varie ceste entencion , tantost qu'elle voyt aulcune chose qui luy plaist, ou en laquelle il * a son plaisir et delectacion ; et pource trouve Ton pou de gens qui ayent ceste entencion simple et pure, et qui ne quierent aulcunement leur plaisir ou en delectacion de la chair, ou en louenge humaine, ou quelque aultre curiosite". Et en figure de ce nous avons que les Juifz estoient venuz en 1'hostel de Marthe et de Marie Magdelene, non pas seullement pour voir Jesuchrist qui y estoit loge' , mais aussi i. Le meme. y.. II, sans derate Vteil de 1'intention, qui commence la phrase pre"ce"dente. Dans le manuscrit de 1468 nous trouvons : mais en maintes manieres se mue et pert sa clarte I'asil de pure intention, tantost qu'ilz,etc. Nous devons faire remarquer que les e'ditions poste"rieures , tout en changeant et modernisant le style , ont laisse" subsister des lambeaux de formes, de style , d'orthographes emprunte's a des versions plus anciennes, des tron9ons de phrases diffe"rentes, dont elles ont parfois change" le commencement et laisse" subsister la fin. Ici I'ceil de I'intencion aura e'te' change" en I' intention, mais Vil qui se rapportoit sans doute a la version primitive a e'te' conserve". Ces exemples du singulier travail qui se faisoit sur I'lnternelle Consolation sent frequents surtout dans les e"dit. de 1498, i5oo, i5ao. CONSOLACION. II. I4l ponr veoir le Ladre ' que Jesus avoit ressuscite". II fault done nettoyer cest oeil de ceste interiorite, et 1'adresser a moy oultre et hors toutes choses moyennes 2 et mondaines, c'est assavoirque ce que on fait on face simplement et purement pour 1'a- mour de moy sans avoir regart ou entencion a aul- tre fin. Que Dieu plaist et assaveure sur toutes choses a celluy qui parfaictement Vayme. Et est en la personne de Vhomme qui parle a Dieu en sa meditation. XXXIIIP CHAPITRE. eez-cy Dieu et toutes choses ; que veulx- je plus, ou que puis-je aultre chose plus precieuse aymer ou desirer? pa- rolle savoureuse et doulce, mais c'est a celluy qui ayme Dieu. non pas le monde, ne chose qui soyt au monde ! Dieu est toutes choses ! C'est assez dit a celluy qui 1'entend ; mais souvent le re- membrer 3 , est doulce chose a celluy qui 1'ayme. Quant vous, Sire, estes present, toute joye y est, i. Lazare. Edit, de 1498. a. Qui sont entre rhomme et Dieu, entre le ciel et la terre ? Moyennes a parfois dans le Moyen Age et encore aujourd'hui dans certains patois le sens de mauvaises, mdprisables, de peu de prix. Les e"dit. de i5ao, i533, etc., semblent indiquer ce der- nier sens, hors toutes choses indiffe'renles et mondaines, disent- elles. Bans le jnanuscrit de 1468 ce membre de phrase est orais. 3. Le rappeler, le redire. 142 L'lNTERNELLE mais quant vous n'y estes pas tout y est a ennuy. Vous faictes la paix au cueur, et la grant paix, et joye , et feste. Vous faictes toutes choses bien ou bon sentir, et qu'on vous loe en toutes choses, et sans vous ne peult rien longuement plaire; mais a ce qu'il ' soyt aggreable et plaisant, il convient que vostre grace soit presente, et de la saveur de vos- tre sapience soit assavouree. Quelle chose peult mal sentir a celluy qui vous sent, et quelle joye ou saveur peult avoir celluy a qui vous ne sentez ne odorifferez bon? Mais les sa- ges de ce monde , et ceulx a qui la chair, c'est a dire les plaisances charnelles sentent et odorife- rent bon et semblent bonnes, faillent en leur sa- pience et saveur, car en ce y a tresgrant vanite", et en ce est trouve"e la mort, voyre de Tame. Mais ceulx, Sire, qui vous ensuyvent par le mesprise- ment du monde et des choses d'icelluy, et ensuy- vent la mortificacion de leur chair, sont congneuz et reputez vrayment sages ; car ilz sont trespassez de vanite a verite, de la chair et charnalite a 1'es- perit. Et a ceulx-cy et semblables est Dieu piteux et aussi savoureux. Et pource ilz retournent et rap- i . II, se rapporte a ri en : afin que cette chose soit arable, etc. C'est a cet il que le manuscrit applique le mot savoure : Mais a che qu'il soit agreable, et qu'il assavoure bien il ly fault vostre grasce, el que de la savour de vostre sapience il toil (ait savou- rable. Les e"dit. de 1498, i5oo et de i5zo sont d'accord pour attribuer cet adjectif au mot grace : et de la saveur de voslre sapience soit assavouree. L'e"dit. de i533 enleve ioute obscurite": et que de la saveur de vostre sapience la chose soit assavoure'e. CONSOLACIOTJ. II. H3 portent a la louenge du Createur tout le bien qu'ilz trouvent es creatures. Toutesfoyz dessemblable et moult different est la saveur et doulceur du createur a celle de la creature , de la trinite a la temporality, c'est a dire de la mutabilite de la creature a la perpetuit6 du Createur, de la lu- miere non faicte ou cree" a celle qui a est6 faicte et enlumine'e '. lumiere perpetuelle, trespassant toutes lumieres, corruscacions et aultres resplendisseurs , purifiez , esjouyssez, clarifiez et vivifiez mon esperit avec toutes ses puissances, a ce qu'il puisse estre con- joinct a vous en jubilacions excessives, ou par joyeuses eslevacions de cueur ! quant viendra celle benoiste et desiree heure que vostre presence me rassazie et que me soyes tout en tous, c'est a dire que en vous possedant j'aye toutes aultres choses: carjusques ace que ceste chose me sera ottroye"e, il n'y aura en moy parfaicte joye. Las, moy dou- lent ! encore vit en moy la vieille chair, c'est a dire la vieille acoustumance, et n'est pas encores toute crucifiee ne toute amortie, mais encore se combat fort , et convoite contre 1'esperit , et esmeut as- sault et guerre par dedens, et ne seuffre le royaulme de mon ame estre en paix. Mais vous , Sire , qui estes seigneur de la mer, qui appaisez les commocions de ses fleuves et tem- i. Le manuscrit, les e"dit. de i5oo et de i5zo, ne donnent pas cette phrase aussi complete nl aussi clairement traduite. Dans I'&lit. de i533 le mot trinitf est remplac^ par le mot iternite. 144 L'lNTERNELLB pestes , secourez-moy et aydez ; dissipez les gens , c'est a dire les vices , qui me veullent mener guerre, et par vostre vertu et puissance les surmontez, c'est a dire donnez-moy grace de les surmonter. Demonstrez , Sire , vostre magnificence , et soil vostre vertu magnified en moy. Car en moy n'a aultre esperance ne aussi nul refuge que en vous, Sire, qui estes mon Dieu , mon maistre, et aussi mon seigneur. Que en ceste presente vie n'est point de seurete de temptation. Et est en la personne de Dieu comme dessus. XXXV 8 CHAPITRE. ^svj^a eau filz , tu ne doibs jamais estre seur f$M en ceste vie , mais tant comme tu y vi- j5^j( vras tu as besoing et necessite d'avoir armes espirituelles. Tu converses entre tes ennemys, tu es assailly et impugne" de tous costez, a dextre et a seriestre. Pource, se tu ne te s. Eux qui. 172 L'INTEKNBLLE tost estre subject a tout le monde que estre maistre et seigneur d'ung seul ; et ne desireroys point les joyes de ce monde on lesplaisances, mais t'esjouy- roys plus a avoir tribulacion pour 1'amour de Dieu, et cuyderoys a toy estre ung grant gaing et proffit se on te vilipendoit, et reputoit en ce monde comme chose de neant et qui rien ne vault! Et se" ces choses t'assavouroyentbien au parfond du cueur, jamais lu ne te oseroys complaindre une seulle fois de quelque chose qui soil. Ne devroit- on pas porter et souffrir toutes choses pour la vie pardurable acquerir. Ce n'est pas petite chose de gaigner ou perdre le royaulme de Dieu. Lieve donc- ques ton cueur au ciel auquel je suis, et avec moy tous mes saintz qui en ce siecle ont eu et soufiert pour 1'amour de moy grans assaulx, et maintenant ilz se esjouyssent et sont consolez ; maintenant ilz sont en seurt6 et repos, et sans fin avec moy au royaulme de mon Pere sont et demourront. Dujour de la pardurablete, et de la briefoete de ceste vie. XXXXVIIP CHAPITRE. tresbenoiste mansion de la Cite souve- raine, le trescler jour de la pardurablete" ou eternite, laquelle ne obscurcist point la nuyt, mais tousjours enlumine la ve- rite souveraine; jour tousjours joyeulx, tousjours CONSOLACION. II. 173 seur, et jamais ne change son estat au contraire ! ! que je desiroye que ce jour resplendist mainte- nant, et que toutes ces temporalitez et mutations eussent prins fin ! Elle ' luyt et resplendist voire- ment aux sainctz resplandissante par clarte perpe- tuelle ou pardurable, mais non pas en terre, si n'est par signes ou par similitude, et au mirouer des creatures, qui representent et font congnoistre leur createur. Les citoyens ou les habitans du ciel scevent et congnoissent comment est joyeulx ce jour qu'ilz ont ; les filz de Eve exillez et bannis despleurent comme amere et ennuyeuse est ceste nuyt cy. Les jours du temps de ce monde sont petis , briefz , maulvais, plains de douleurs et d'angoisses, esquelz rhomme est ordoye deplusieurs pechez, empesche" de diverses passions , estraint de divers paours et craintes, descendu de diverses cures, distrait par plusieurs curiositez, implicque en vanitez, envi- ronne' de diverses erreurs, charge" de diverses peines et labeurs, grev6 de temptation, affoibly par delices, tourment6 par povrete. i. La mansion ou Yeternite; a moins que le mot jour n'ait repris ici le genre tantot masculin, tantot feminin du latin, die*. L'e"diteur de i Soo, pre"occupe peut-etre de ce pronom fdminin , a coupe" la phrase parle milieu : La verile souveraine , jour tous- jourt joyeulx , etc. Dans cette version , elle se rapporteroit k verile souveraine. Notre texte de 1498, moins clair en ceci, nous a paru eependant plus logique, plus rapproche" du latin, etautant qu'on le peut pre"sumer, plus pres aussi du premier travail de VInlcrnelle Consolacion. Le manuscrit de 1468 emploio le mot journe'e, qui expliqueroit le genre du pronom. i7< L'INTERNELLE ! quarit sera la fin de ses labeurs? Quant je seray delivre" de ceste miserable servitude de vices et de pechez? quant auray-je seullement * ma pense"e fiche'e en vous, Sire? Quant me esjouyray-je plaine- ment en vous? Quant seray-je sans quelconque empeschement en vraye liberte', sans quelque grevance d'ame et de corps? Quant sera celle paix ferme,paixquijamais ne se pourra troubler, etsetin 1 paix dedans etdehors, paix fermede toute part? benoist Jesus, quant seray-je a vous veoir? Quant contempleray-je la gloire de vostre regne? Quant me seres-vous toutes choses en toutes choses? Quant seray-je avecques vous en vostre regne que vous avez appareil!6 a voz amys de toujours? Je suis delaisse povre et banny en la terre de mes ennemys ou sont assaulx tousjours, et tresmalles adventures et grandes. Reconfortez-moy, Sire, en mon bannissement, et appaisez ma douleur, car a vous souspire tout mon desir ; car tout m'est a charge et a desplaisir, tout ce que le monde me offre et presente pour consolacion. Je vous desire avoir dedens moy, mais je ne vous puis avoir. Je desire de me ad- jouster es choses celestielles et espirituelles, mais les temporelles et aussi les mondaines me depri- ment, et les passions qui ne sont pas encores mor- tifies. Je veuil de cueur estre sur toutes choses, et je suys malgre" moy subject a ma chair. Et i. Settrement. ld. 1498. CoNfSOLACION. II. 175 pource, moy meschant, combatz centre moy-mes- mes, et suys fait grief etdesplaisantamoy-mesmes, en tant que 1'esperit desire estre sus et la chair le trait a terre. comme je seuffre dedens, car du cueur je vueil penser aux choses divines, et tantost a mon oray- son se oppose et vient au devant la cure et soing des charnelles! monDieu, mon Seigneur, ne vous esloignez pas de moy, ne vous departez pas de vostre serf en ire. Mais dissipez les * en fulgures et corruscacions, c'est a dire espoventez par vostre puissance mes ennemys et les destournez de moy. Envoyez voz sajettes , affin que toutes les fantasies de 1'Ennemy soyent destourbees, c'est a dire faictes- moy entendre tellement les parolles sainctes de vostre Esc ripture et de voz commandemens , que je puysse ses * fantasies et evagacions de cueur surmon- ter; recoligez, c'est a dire donnez-moy grace de me recoliger et oster mes sens des affections terriennes, que je puisse oublier toutes choses mondaines. Donnez-moy grace que je puisse tantost regicter 3 et mespriser les fantasies des vices. Secourez-moy, pardurable Verite, tellement que en moy ne soit point demoure de vanite. Venez, o celeste Suavite, et se departe et fuye toute impurite ; et me par- donnez, Sire, certainement et piteusement toutes les foyz que je penseray en orayson aultre chose i. Ces pense'es charnelles. >.. Ces. 3. Rejeter. 176 L'lNTERNELLE que vous. Car je confesse vrayement que j'ay acoustum6 d'y estre trop fort distrait et vague ; car bien souvent la ou je suys corporellement je ne suys pas espirituellement , c'est assavoir de cueur et de pense"e, mais suys aultre part ou ma pensee me porte, et elle est souvent la ou est ce que j'ayme et desire, et ou est mon affection. Tantost me vient au devant ce qui me plaist naturellement, ou ce en quoy j'ay acoustum^ de prendre ma plaisance. Et pource, Sire, qui estes verite" et ne povez mentir, dictes veritablement que le cueur de 1'homme si est la ou est son tresor, c'est a dire son amour et son affection. Se j'ayme le ciel et choses divines, je pense voulentiers et parle des choses celestielles et espirituelles ; se j'ayme le monde, je parle du monde et m'esjouys de la felicite" du monde, et me contriste et courrouce de 1'adversite d'icelluy. Se j'ayme la chair, je ymagine etdemande choses plaisantes a la chair; se j'ayme 1'esperit, je me delicte et prens plaisir aux choses de 1'esperit ; car quelconque chose que j'ayme, je prens plaisir 4 en parler et ouyr parler, et porter voulentiers en mon cueur ymaginacions et pensees de telles choses. Mais bien heureux est celluy homme qui pour I'amour de vous, Sire, a toutes creatures a donn6 licence et congie' de son cueur, c'est a dire a boute" hors les affections , et qui fait force et violence a sa nature , et par ferveur d'esperit et amour a vous crucifie toutes les concupiscences charnelles, a ce qu'il vous puisse offrir et faire pures et nettes oraysons de CONSOLACION.II. 177 cueur et de conscience paisible et pacified. Tel est digne d'estre avec les angelz, toutes affections et plaisances mondaines et terriennes hors myses et boutees. Du desir de la vie pardurable, et que grans biens sont promys a ceulx qui bien contre VEnnemy se combatent. XXXXVIIII* CHAPITBB. eau filz, quant tu sens le saint desir de la vie pardurable estre respandu en toy, c'est assavoir en ton cueur, et tu vouldroys bien yssir hors, c'est a dire ton ame, du tabernacle de ton corps pour contem- pler et savourer mieulx ceste beault6 et clarte", sans 1'ombre de ceste vicissitude et variacion que tu seuffres maintenant, dilate fort ton cueur et ton desir, c'est a dire tien-toy le plus que tu pourras en cest estat , et te enflamme et embrase en ceste amour en boutant et chassant hors de toy toutes cures et plaisances exteriores. Et de tout ton desir et amour arrose ceste saincte inspiracion, et la re- c.oys humblement enrendant graces aDieu, et mercy asa bonte divine qui la t'a donnee, et par dignacion et misericorde tout ce a fait, et piteusement et par sa debonnairete te visile, ardamment te excite, puissamment te sublieve , a ce que par ta propre fragility et par ta pesanteur ne tombes et des- cendes en ces terriennetez , c'est a dire affec- I7 8 L'lNTERNELLE tions terriennes. Car ce ne vient pas par ta force ou de ton Industrie , mais par la seulle bonte" et dignacion de la grace de Dieu et du divin re- gard , affin que tu proffites plusfort en vertus et en humilite, et que tu te appareilles aux assaulx qui te viendront apres , et que tu te deffendes et resistes mieulx, quant tu auras ung peu goust6 et assavour6 le louyer et retribucion que tu en aliens, et affin aussi que plus fervamment tu te joingnes a moy de tout le desir de ton cueur, et plus ar- damment et diligemment tu te estudies a me servir. Beau filz , ainsi comrae le feu si ' art , et tou- tesfoyz la flambe ne monte pas en hault sans fum6e , pareillement les aulcuns ont bons desirs et fer- vens ou enflammez , et toutesfoyz ne sont-ilz pas seurs , et delivrez des temptacions des affections charnelles et terriennes. Et de tous pointz ce qu'ilz font ne font pas purement pour 1'amour de Dieu, laquelle chose toutesfoyz ilz desirent et requierent et demandent. Tel est ton desir, lequel souvent tu te plains estre si importun : car ce n'est pas pur ne parfait desir, qui est ordoy6 de propre utilite. Et pource prie et demande non pas ce qui t'est a plaisir et proffitable, mais ce qui m'esl aggreable et a mon honneur ; car se tu juges bien et a droit , tu doibs preferer mon ordonnance a ton desir, ou a ce que tu desires, et la doys ensuyr et y concorder ta voulente. Je scay bien et congnoys ton desir, et i. Ainsi, certainement. CONSOLACION. II. 179 ay ouy souvent tes gemissemens, que tu vouldroys ja estre en la liberte de la gloire des Filz de Dieu ; tu prens plaisir en celle delectacion de la Maison pardurable ou ' Pays celestien plain de delices et de gloire ou tout bien abunde ; mais encores n'est pas 1'heure venue, aincoys* encore 11 y a ung aultre temps , c'est assavoir le temps de bataille , de labeurs et de tribulacion , auquel te convient esprouver. Tu desires y estre remply de tout bien souverain , mais tu ne le peuz pas encores avoir. Se suys-je 3 , et me attens, dist Nostre Seigneur, jusques a ce que le royaulme de Dieu soit venu. II te fault encores esprouver en terre et en ce monde, et exerciter en plusieurs choses. Tu auras aulcunesfoyz quelque consolacion , mais elle ne te vauldra pas saciete planiere. Reconforte-toy donc- ques et te tien fort et ferme, tant en labourant comme en soustenant choses contraires a ta vou- lente. II te convient faire nouvel homme , estre change en aultre personne. II te fault souvent faire ce que tu ne veulx pas, et delaisser ce que tu veulx. Ce qui plaira aux aultres sera acomply , et ce qui te plaira demourra imparfait. Ce que les aultres diront , sera bien escout6 et Iou6 , ce que tu diras sera repute comme rien et chose de nulle valeur. Ce que les aultres demanderont leur sera bailie, et tu n'auras chose que tu demandes. i. Au. i. Auparavant. 3. C'est moi qui snis ce bien. i8o L'lNTERNELLE Les aultres seront reputez grans et loez devant les hommes , mais de toy on ne dira mot. Les aul- tres seront reputez proffitables et utiles a faire ceste chose ou quelque aultre , mais on te reputera ou jugera inutile a quelque chose que ce soit. Pource, et par telles choses, seras-tu souvent con- trist6, mais ce sera grant proffit a toy se tu te lays et le portes paciemment. En ces choses et sem- blables est acoustume d'estre prouve le loyal ser- viteur de Dieu , comme il se doyt denyer et vaincre en toutes choses. Et n'y a quelque chose en quoy tu ayes plusgrant besoing de te mortifier comme en veoyr et souffrir choses contrairesatavoulente", et mesmement quant on te demandera choses es- quelles te semblera qu'iln'yaU point de proffit, mais grant dommaige et sans rayson ; et pource que tu n'oseras resister ou contredire plusgrant de toy, car tu es subject a aultruy, pource te semblera diire chose ainsi de tous pointz faire la voulent6 d'aultruy, et mettre hors ton propre sens et vou- lente. Mais pense ung peu au fruit de tes labeurs, des- quelz la fin est briefve , mais le loyerest tresgrant, et tu n'y auras point de griefvet6 ou peyne , mais te sera tresgrande consolacion et reconfort a ta pa- tience. Et pour ung pou de ta voulent^ que tu ycy delaisses de ton bon gre, tu auras perpetuellement franche voulent6 es cieulx, car la tu trouveras ce que tu vouldras , et tout le bien que tu pourroys desirer, et plus encores sans comparaison. La te CONSOLACION. II. l8l sera presente la facult6 et puissance de tout bien , sans paour ou crainte de le jamais per- dre. La ta voulent6 sera tousjours conjoincte a la mienne sans convoiter ou desirer quelque chose estrange ou foraine et privee, c'est a dire qu'elle n'y ait tout present '. La nul ne te resistera ou contredira , nul ne s'i complaindra de toy ou te accusera , nul ne t'empeschera ou resistera a ce que tu vouldras faire ou a avoir ce que tu vouldras avoir. Mais tous tes desirs seront accom- plys et toutes affections et voulentez saoulees et remplyes jusques a dire: je n'en vueil plus. La je rendray gloire et honneur pour les injures et vilen- nies que on a souffert et portees pour moy, louenge et eiultacion pour pleurs etlarmes; pour le dernier lieu ou siege que on a eu en ce monde , c'est & dire pour I'humilit6 et dejection, le siege du regneper- petuel. La se demonstrera le fruit d'obeissance, le labeur de penitence, et tristesse se esjouyra ; I'hum- ble subjection sera glorieusement couronnee. Or doncques maintenant encline-toy humblement soubz la main de tous, et ne pren pas garde ou soyes curieux de regarder ou scavoir qui a fait ou dit cecy ou cela , mais souverainemeut ayes cure et soing, que ce 2 c'est ou ton prelat ou esgal, pareil ou moindre de toy qui te demande ou dye quelque chose, prens tout en bien tantseullement , et te estudie de 1'acomplir de bon cueur et franche vou- i. Qne tous les objets de ses de'sirs seront presents en moi. 3. Se, si. 183 L'lNTERNELLE lente\ Demande cestuy-cy * ce qu'il vouldra, et 1'autre ce que mieulx a luy plaira; se glorifie 1'ung en 1'ung, 1'autre en 1'autre, et soil ungaultre loe mille milliers de foyz ! mais toy, esjoys-toy en ce que on te mesprise et condamne, et en ce que mon plaisir soil fait et mon honneur garde. Ce dois-tu desirer que, soil par mort soil par vie, Dieu soil en toy glorifie et loue". Que Uhomme quant il est en desolation se doit offrir et presenter a Dieu. Et est par maniere d'orayson ou meditation. L c CHAPITRE. on Seigneur et mon Dieu et Pere sainct, yfy B vous soyez loue et benoist mainlenant et a perpetuite ! car ainsi qu'il vous a pleu a este" fait, et tout ce que vous faictes est bon et bel. Maintenant s'esjouyst vostre serviteur en vous, non pas en soy ou en quelque aultre chose; car vous tout seul estes ma joye et lyesse, mon esperance et ma couronne ; vous estes, Sire, ma joye et mon honneur. Quelle chose peut avoir vostre serviteur, fors ce quil a receu de vous mesmement sans son merite? Tout est vostre, Sire, ce que vous luy avez fait et donne. Je suys povre, en peines et labours des ma jeunesse, et mon ame est aulcunesfoyz contrist^e et courrouce"e jusques aux lermes, aulcunesfoyz troublee en soy i. Que celui-ci demande, etc. ; mais to! , an contraire, et. CONSOLACION. II. i83 pour les diverses passions qui luy surviennent ! Je desire la joye de paix, je requier et demande la paix de voz enfans qui sont peuz ' et nourriz en la lumiere de vostre consolation. Sire , vous plaise a moy donner paix, etamoy envoyer vostre saincte joye et exultation ; 1'ame de vostre serviteur sera remplyede modulation, et devote en vostre louenge. Mais se vous vous soustrayez et esloignez comme vous faictes souvent, elle ne pourra courir la voye de voz commandemens, c'est a dire elle ne pourra joyeusement acomplir vostre voulente et voz com- mandemens ains 2 sera plustost humiliee a batre son pys ou coulpe s , c'est a dire devra plustost plourer et gemyr. Car il ne luy sera pas si doulx comme hier et devant hier, c'est a dire comme par avant, quant la lumiere de vostre grace res- plendissoit sur elle, et qu'elle estoit deffendue 4 soubz les helles de vostre grace contre les tempta- tions qui 1'assailloyent. Pere saint, digne d'estre tousjours loue" , 1'eure est venue que vostre serviteur soit prouve*. Chier et ayme" Sire, c'est digne chose que vostre serf aul- cune chose seuffre pour vous. Pere perpetuelle- ment a reverer et honnorer, 1'heure est venue , que vous congnoyssiez et sgaviezdes le commencement, que a peu de temps vostre povre serviteur seroit i. Bepus. Qui prennenl leur pasture et nourrissement. l2d. 1498. i. Mais. 3. A battre sa poitrine et a dire sa coulpe (med culpd). 4. L' edition de i5oo, seule panni les autres textes, donne discendue. 184 L'lNTERNELLE surmonte* '; mais vous plaise qu'il vive tousjours en soy devant vous; soitun peu vilipende" et mesprisd, humilie et defaillant devant les homines, soil cen- ters' a et remply de passions et de langueurs, a ce que de rechief avec vous soit ressuscit^ et releve" a 1'aube du jour de la nouvelle lumiere, et glorifi6 es cieulx. Pere sainct, vous 1'avez ainsi ordonne", et ainsi vous a pleu ; et ce a est6 faict que vous avez commande. Et ceste est la grace a vostre amy, c'est a dire je repute que vous me faictes grace que je soye triboulle" et que jeseuffre en ce monde pourl'amour de vous, et par quantesfoyz et de quelque personne que vous permettez ce estre fait. Sans vostre conseil et providence et sans cause n'est riens fait en terre. Ce m'est grant bien, Sire, et grant proffit que vous m'avez humilie^ affin que j'appreigne voz justificacions, c'est a dire voz commandemens qui justifient la personne, a ce que je boute hors de moy toutes presumptions et elacions de cueur. II m'est i. L'eMit. de 1498 n' pas comple"tement salsi 1'oppositlon des mots forii et intvi du texte latin , opposition qui se continue dans le verset suivant et qui en explique le sens ; nous avons ce- pendant suivi cette Edition. Celle de i5oo, pour dissimuler sans doute le contresens primitif, a mel entr'eux les deux versets, de fajou a faire des deux phrases une seule phrase inintelligible. L'e"dit. d* i5ao 1'a imite'e en cela. L'^dit. de i533, selon son usage, a suivi cette tradition. Mais elle a, selon son usage encore, per- feetionne" ce travail dans un sens qui lui avoit e"te" deja indiqu du reste par l'e"dit. de i5z; elle a conserve" la phrase unique, peu conforrne au latin, mais elle en fait une phrase comprdhensible. Le feuillet qni contient c passago manque au manuscrit 1468. a. Brise*. CONSOLACION. II. i85 prouffitable que confusion et honte aient couvert ma face, a ce que je retourne plustost a vous pour avoir consolacion et confort que aux hommes. Cer- tainement, Sire, j'ay par ce apprins a doubter et craindre vostrejugement occult et inscrutable, qui affligez et pugnissez aussi bien le juste comme le pecheur, mais non pas sans grant equite et justice. A vous rendz graces et mercyz, Sire , que vous ne m'avez pas espargne en mes pechez et maulx, mais m'avez corrig6 et pugny par ameres bateures, en me donnant douleurs et m'envoyant angois- ses et dehors et dedens, c'est a dire en corps et en ame. II n'est qui me puisse consoler ou re- conforter de toutes les choses qui sont soubz le ciel fors vous, Sire, mon Dieu et mon Seigneur, ce- leste medicin des ames qui navrez et guarissez 1 , amenez pres d'Enfer, c'est a dire humiliez au plus bas,et relevez. Vostre discipline, c'est a dire vostre correction est sur moy, et vostre verge, c'est a dire vostre bateure, m'a enseigne\ Veez-cy mon ame, Pere et Createur; je suys en voz mains ; je m'encline soubz la verge de vostre correction ; battez et frappez sur dos et sur teste, et quelque part qu'il vous plaira, a ce que je puisse redresser ma tortuosite a vostre plaisir et voulente\ Faictes-moy vostre doulx et humble disciple ainsi que bien sc.avez et avez acoustum6 de faire , affm que je chemine, c'est a dire que je vive, selon vos- tre plaisir. A vous, Sire, je me recommande a cor- i. Guarisstz lt$ amis nes p~t d'Enfer, etc. Edit. i5oo. i86 L'INTERNELLB riger, et tout quant que j'ay ; car il vault mieulx estre corrige en ceste vie que estre pugny en 1'autre. Vous scavez, Sire, tout, et en commun et en parti- culier, et rien n'esten la conscience de rhomme qui peult estre mucie ou cache de vous. Vous scavez qui est a advenir devant qu'il soit fait , et il ne vous est point besoing ou mestier qu'on vous en- seigne rien, ou qu'on vous faice souvenir des choses qui sont faictes en terre. Vous scavez ce qui m'est expedient et prouffitable, et combien m'est besoing de tribulacion pour oster et purger 1'ordure de mes pechez. Faictes a moy et de moy selon vostre plai- sir et desir, et n'ayez pas en despit ma vie orde et paresseuse, qui n'est a quelque autre mieulx con- gneue ou sceue que a vous seul. Donnez-moi, Sire,sgavoir ceque me fault sc.avoir, aymer ce qui est a aymer, loer ce qu'il ' vous plaist souverainement , et aprecier ce qui vous est pre- cieux , et mespriser et blasmer ce qui devant voz yeux est ord et mesprise. Ne vueillez pas que je juge selon la vanite" des yeulx du corps tantseulle- ment, ou que je donne la sentence selon le rapport des folz hommes de ce monde , mais que je puisse vraiement discerner, et en vray jugement, des cho- ses visibles et invisibles, et sur toutes choses en- querir le bon plaisir de vostre voulent& Car souvent les sens des hommes sont deceuz en leurs jugemens; ceulx aussi qui mettent leur i. Qu'il pour qui ; se rencontre frfSquemment, et s'explique logiquement : ce que il v(mi plaist. CONSOLACION. II. 187 amour et affection es choses de ce monde sont de- ceuz en aymant tant seullement les choses visibles. Comment est aulcun meilleur ou plusgrant pource que ung aultre le repute ou juge tel ! Ung trompeur dec.oyt ung aultre trompeur se il 1'exaulce ou loue ; aussi ung orgueilleux ung autre orgueilleux , ung aveugle ung aultre aveugle, ung malade ung aultre malade , ung boyteux ung autre boyteux ; et veri- lablement de tant plus le degoyt et le confond , c'est a dire lui fait plus deshonneur, que il le loe folle- ment. Car comme dit 1'humble sainct Frangoys, aussi grant est la personne, et non plus, que il est devant Dieu. Que on se doibt tousjours en humbles ceuvres occuper quant en deffault de grans, c'est a dire que se une personne ne se sent pas la grace de Dieu defaire grans ceuvres, pour cela ne doibt pas laisser a bien faire selon la grace que Dieu luy donne. LI* CHAPITRE. eau filz , tu ne peuz pas tousjours estre en grant ferveur d'esperit ne en grant desir de vertu , ou en hault degre de contemplacion ; mais necessite t'est que aulcunesfoyz tu descendes en bas pour la nature de la corruption humaine, et que tu sentes et portes, vueilles ou non , 1'ennuy et charge de ceste vie l88 L'lNTERNELLE corruptible. Tant longuement que tu es en ce corps mortel, tu sentiras ennuy et grievete de cueur. II fault doncques que soiiventesfoyz tu recongnoisses en ceste chair empeschement, et ayes desplaisir et douleur de ce que tu ne peuz ainsi continuellement vaguer aux occupacions et meditacions espirituelles que tu vouldroys et que besoing te seroit. II fault doncques que lors tu te occupes et excer- cites en humbles et exteriores bonnes oeuvres , et en prennes pour lors aulcune recreacion en attendant humblement mon advenement et la visitacion de la grace divine en ferine confiance et esperance, en portant paciemment ton exil, c'est a dire ceste vie et 1'arridite ou durte de cueur, jusques a ce que de rechief je te visiteray et je te delivreray de toutes ces anxietez. Car lors je te feray oublier tous la- bours, et estre en vray repos de cueur, et te espan- dray les prez de la saincte Escripture, c'est a diro la * te feray clere et manifesto sans quelques doub- les ou scrupulositez, tellement que tu gousteras la doulceur espirituelle qui est dedens ; par iansi de cueur joyeux et dilat6 en parfaicte amour et vraye charit6 tu courras les voyes des commande- mens de Dieu , c'est a dire qu'ilz te sembleront si legiers et raisonnables que tu prendras grant plai- sir a les accomplir, et diras que les tribulacions, peines et labeurs de ceste vie presente ne sont pas dignes ci la gloire et retribucion que nous attendous en 1'autre monde. 1 Elle, cett saincti Etcripturt. CONSOLACION. II. 189 Que I'homme ne se doit pas reputer digne de quelque consolation ou reconfort, main plus de pugnicion el affliction, LI1' CHAPITRE. on Dieu et mon Seigneur, je ne suis pas de vostre consolation digne ou visitacion espirituelle, etpource, Sire, vousfaictes tresjustement quand vous me laissez povre et desole\ Car se je fondoye tout en larmes comme la mer est pleine d'eaue, encores ne seroys- je pas de vostre consolation digne. Car je ne suis digne que de flagellation et de pugnicion, car je vous ay tant de foiz et si griefvement offendu, et en tant de choses et de manieres de pechez ; et pource par vraye raison et consideracion je ne suis pas digne de la plus petite de voz consolacions. Mais vous, Sire, doubt, piteux et misericors, qui ne vou- lez point que nulles de voz creatures perissent, en demonstrant 1'abondance des richesses de vostre bont es vaisseaulx de misericorde, c'est a dire en ceulx qui de vous sent esleuz a avoir misericorde, oultre mon propre merite avez daigne" conforter et consoler vostre serviteur plus que on ne pourroit penser. Et certes voz consolacions ne sont pas comme les fabulacions ou flateries des hommes. Que ay-je, Sire, fait ou desservy pour quoy me deussez donner ceste consolation celeste et espiri- tuelle! Je ne me recorde point, Sire, que je feisse rgo L'lNTERNELLE oncques quelque bien ; mais ay este" tousjours en- clin en mal et paresseux a moy amender. II est vray, Sire, etne le puis denyer, et si aultreraent di- soye, vous seriez centre moy comme verite", et n'y auroitaulcun qui me deffendist. Que ay-je desservy avec ce, fors Enfer et le feu pardurable ! En verite, Sire , je confesse que je suis digne de toute honte et de toute deshonneur, et n'appartient pas que je soye nombre ou demourant avec voz amyz et devotz. Et jacoit ce que je oye ou racompte cecy par ennuy ' , c'est a dire qu'il me fait mal de le racompter ou re- membrer, toutesfois contre moy et pour verit6 je arguray, et reprendray mes pechez, affin que je puisse plus legierement impetrer vostre miseri- corde. Que diray-je moy, pecheur et plain de toute honte et confusion? Je n'ay bouche qui puisse dignement quelque chose dire fors tantseullement ceste pa- rolle : j'ay peche, Sire , j'ay pech6, ayez pitie de moy et me pardonnez ; attendez-moy ung peu et laissez, a ce que j'aye ploure mes pechez et fait penitence devaut que j'aille a la Terre tenebreuse et obscure, et couverte des tenebres de la Mort ! Que demandez-vous, Sire , a ce grant et meschant pe- cheur, fors qu'il se repente et aye contriction, et se humilie pour ses pechez. Car en vraye contriction, repentance et humiliacion de cueur est engendre"e esperance de pardon , et la conscience perturbed appaisee et reconciliee, la grace perdue reparee et I Envit, dit. de 1498. CONSOLACION. II. 191 recouvre"e, 1'homme est deffendu et garde" de 1'ire qui est ad venir, c'est a dire de dampnacion per- petuelle ; et s'entrerencontrent ensemble, en saincte amour, Dieu et 1'ame repentant. L'humble contriction et repentance du pecheur vous est trop plus plaisant et aggreable sacrifice, et plus souef flairant ' en vostre presence , que quel- conque thurificacion d'encens. C'est aussi le sainct oyngnement que vous avez voulu estre respandu sur voz sainctz piedz ; car oncques vous ne mespri- sastes cueur contrict et humilie par penitence. En ce est le lieu de reffuge , et seurte de la paour de 1'Ennemy ; icy est amende et nectoye ce qui par avant avoit este ordoy6 , et mesprins, et mal fait. Que la grace de Dieu n'est point donnee ou octroyee a ceux qui sont sages selon le monde tantseullement. LIIF CHAPITRE. eau filz, c'est precieuse chose que ma grace ; elle ne seuffre point estre meslee ou comparee aux choses estranges ou mondaines et consolacions terriennes. Se doncques tu desires recepvoir 1'infusion et con- solacion d'icelle grace, il convient que tu ostes et chaces hors de toy toutes choses qui la pevent em- pescher. Quierslieux secretz pour toy, desire habiter i. Exhalant plus suave odour. IQ2 L'lNTERNELLE seul avec toy, ne demands point gengleries ' d'aul- truy, mais faiz devotes prieres et oraisons a Dieu a ce que tu ayes compunction de cueur et conscience pure et necte. Ne prise tout le monde estre riens, mais sur toutes choses ayme a vacquer a Dieu; car tu ne pourroys vacquer a moy et avoir avec ce de- lectations es choses transitoires. II te fault esloigner et separer de tous tes parens et amys, et tenir ton cueur prive de toute consolacion temporelle. Ainsi prie saint Pierre en sa Canonique 9 : que les Cres- tiens se contiennent en ce monde comme estran- ges et pelerins des charnelz desirs qui combatent contre 1'ame. ! comme te sera grant fiance a 1'heure que voul- dras mourir, se nul desir ou affection ne te tient en ce monde! Mais avoir ainsi de tous pointz le cueur ne sent pas bien s a celluy qui est encore en- ferme, ne a 1'homme bestial, c'est a dire qui n'est pas encore espirituel ; car il ne congnoist point bien la liberte de 1'homme de dedans, c'est assavoir de 1'es- perit. Toutesfois, qui veult bien estre espirituel, et apparcevoir ce qui est dit, il convient qu'il renonce a toutes personnes, aussi bien prouchains comme estranges, et encore ne eschever plus aultre* que soymesmes. Se tu te povoys vaincre toymesmes, tu surmonteroys plus legierement les aultres. Parfaicte victoire est vaincre soymesmes et triumpher ; i. Caquetage. a. Beati Petri Apost. Eplst. Priraa. 3. N semble pas bon. 4. N'^viter personne plus que... CONSOLACION. II. ig3 car qui se peult tenir en subjection soubz soy- mesmes, et que la sensualite soit subjecte a rai- son, et que raison en toutes choses me obeisse, ung tel est vray maistre de soy, et seigneur du monde. Et se tu desires a venir et monter en ceste haul- tesse, il te fault commencer fort et de bon cueur et grant , et mettre la coygnie a la racine , et que tu arraches et destruises toute desordonnee incli- nation et affection a toymesmes et a tout aultre prive ou propre bien mondain. Car de ce meschant vice, que 1'homme se ayme soymesmes trop desor- donnement, vient et pent pres que tout ce que homme si a a vaincre en soy; lequel vice ou mal quant il est vaincu et surmonte, tantost vient apres la grant paix et continuelle transquilit6 en 1'ame. Mais pou de gens sont qui parfaictement se esfor- cent de mourir a soy et qui plainement tendent a eulx eslever hors soy ; et pource demeurent-ilz im- pliques et empeschez en soy, et ne se pevent esle- ver en esperit sur soy. Mais celluy qui veult venir franchement et estre avec moy , il convient et est necessite" qu'il mortifie en soy toute maulvaistie et desordonnees affections, et qu'il ne desire adherer ou estre affiche a quelque creature pour amour pri- vee ou especialle fors a moy. tg4 L'lNTERNELLE Des divers mouvemens ou inclinations de Grace et de Nature. LIIII e CHAPITRE. eau filz, entens et considere diligemment les esmouvemens ou inclinacions de Na- ture, et de Grace, car elles sont trescon- traires, et subtillement se esmouvent, et a grant peine les peut-on bien discerner ou cong- noistre et distinguer, sinon d'ung homme bien enlu- mine dedans et espirituel. II est vray que toules les deux appetent et desirent bien ou bonne chose, et demonstrent aulcune chose de bien en leurs pa- rolles et euvres ; et pource plusieurs y sont deceuz soubz espece de bien. Nature est caute et malicieuse, et attrait a soy plusieurs et les enlace et deceit , et tousjours est la fin de ses euvres, c'est a dire qu'elle faict pour soy ses euvres finablement. Mais Grace va simple- ment avant et se garde tousjours de toute maulvaise intencion ; elle n'a nulles fallaces ou deceptions , et tout ce qu'elle fait est pour 1'amour de Dieu purement, ou quel ' elle se repose finablement. Nature envis 2 se mortifie et ne veult point estre subjecte ousubjugueedesongre". Mais Grace, c'est i. Auquel. a. Malgrd soi. CONSOLACION. II. ig5 a dire I'inclinacion qui vient de Grace, se estudie a se mortifier et resister a sa propre sensualite ; elle quiert estre subjecte, desire estre vaincue, no estre ouuser de sa propre franchise et libert^ '; elle ayme estre tenue en discipline , elle ne convoite point dominer a aultruy, mais tousjours veult estre et vivre soubz aultruy, et est appareillee soy encliner humblement a toute creature humaine pour 1'amour de Dieu. Nature, ou la voulent6 et desir qui vient de Na- ture, laboure pour son propre proffit, et regarde soigneusement quel bien ou proffit luy peut venir d'aultruy. Grace neconsidere pas ce qui luy est prof- fitable et utile, mais plustost advise comment elle pourra proffiter aux aultres. Nature prent voulentiers honneur et reverence se on luy fait. Grace attribue loyaulment a Dieu toute la gloire et honneur. Nature craint et double et fuyt honte et mespri- sement ou confusion. Grace se esjouyst h souffrir et porter honte et deshonneur pour 1'amour de Je- suchrist. Nature ayme occiositez et repos corporel. Grace ne peut estre oyseuse, mais voulentiers laboure, et prent peine et travail. Nature veult avoir choses curieuses, belles et plaisantes, et refuse les grosses et viles. Grace se delicte et prent plaisir en choses simples et hum- i. N pas gtre en sa propre franchise on n'eu pas user. 196 L'lNTERNELLE bles, et ne refuse point les aspres, ne estre vestu de vieulx et gros draps. Nature regarde aux biens temporelz, et s'esjouyst de gaing terrien, et est contriste'e du dommaige, et pour une petite parolle injurieuse tantost est irritee ou esmeue. Mais Grace a son regard aux biens par- durables ; elle ne adhere ' point par affection aux biens temporelz et mondains, et ne se trouble pas de la perdicion d'iceulx; elle ne se courrouce point de dures parolles si on les luy dit, car elle consti- tue et colloque son tresor, c'est assavoir son amour, son esperance et sa joye, en Paradis, auquel lieu elle ne peult rien perdre. Nature est convoiteuse et prent plus voulentiers qu'elle ne donne, et ayme son propre et approprie a soy. Grace est piteuse et commune; elle escheve singularite et est contente et appaisee de peu , et juge que c'est plusgraut bien de donner que de prendre. Nature s'encline aux choses qui pevent cheoir et faillir, a sa propre charnalite, 1. Cette inclination au i>6chG coutraire a 1'inclination ct a la loi de 1'esprit. 2. Et cela parce que- 3. Et ainsi. CONSOLACION. II. 201 qu'elle soil encores impuissante a acomplir ce qu'elle loe, et pas ne soil encores en plaine lu- miere ou clarte^ de verit6 , ne en parfaicte sante de ses affections. Et de cela vient , mon Dieu , que je me dilate et me accorde a vostre loy selon 1'homme de dedans, c'est assavoir selon 1'esperit, et sc.ay que vostre mandement, c'est assavoir vostre loy est. bonne et juste , et arguant et reprenant tout mal , et enseignant fouyr et eviter tout peche : mais selon la chair, c'est a dire la sensualite , je sers a la loy de peche en tant que je obeys plus a la sensua- lite que a raison. De cela est que j'ay bonne vou- lente, mais je ne treuve point force de 1'acomplir; de cela est que je propose plusieursfois faire plu- sieurs biens, mais pource que vostre grace n'est presente a moy pour aider mon enfermete et fai- blesse, par une legiere resistance ou empeschement qui me survient je laisse tout, et deffaultz. De cela advient que je congnois bien la voye et chemin de perfection et apparQois assez cler ce que je doy faire, mais pour la charge et pesanteur de ma pro- pre corruption je ne me puis eslever aux euvres de perfection. comme a moy est necessaire vostre grace a commencer quelque bien, et a perseverer en icelluy, et achever et le parfaire ; car sans elle ne puis-je rien faire de bien ! Et toutesfois se elle m'est pre- sente elle me conforte et aide, je suis fort et puis- sant a tout. vraye grace celeste et divine, sans aoa L'lNTERNELLE laquelle quelconques propres euvres ou merites rien ne sont ! Rien ne sont a priser dons de nature, ars , science , richesses , beaulte , force , engin , eloquence. Sans vostre grace, Sire, noz euvres riens ne valient ou proffitent , car les dons de nature et biens de fortune sont communs et aux bons et aux mauhais; mais ceste grace ou dilection est le pro- pre don des bons, de laquelle quant ilz en sont en- noblis et signez, ilz sont dignes de la vie pardu- rable. Tant est prisee et estimee ceste grace, que donde prophecie, ou faire miracles, et autres signes ou haulte elevacion de cueur ou speculacion espi- rituelle ne sont riens comparez a elle; et mesme ne foy, ne esperance, ou quelconques aultresvertus ne sont plaisantes ou aggreables a Dieu sans ceste grace. tresbenoiste et dignedelouenge grace divine, qui faictes riche de vertus celluy qui est povre d'esperit, et rendez plain de tons biens celluy qui est humble de cueur, plaise-vous de descendre en mon cueur, et me remplyssez tost de vostre con- solacion, affin que mon ame ne deffaille en las- chete" et arridete de cueur! Je vous supplye Sire, et requiers que j'aye vostre grace devant vous et misericorde ; car pour tous biens vostre grace me souffist, suppos6 que je n'aye aultre chose de tous les biens que requiert ou desire nature humaine. Se je suys tribulte ou travail!6 de temptacion , je ne doubteray quelque peyne, mais que vostre grace soil avec moy. CONSOLACION. II. ao3 C'est ma force, c'est ce qui me donne ayde et confort; elle est plus forte de * tous mes adver- saires ; elle est plus sage de toutes cautelles ; elle est maistresse de verite ; elle enseigne discipline ; c'est la lumiere des cueurs et solacion en adver- site"; elle chace tristesse et timeur ou crainte maulvaise ; c'est la nourrice de devocion , et donne larmes et gemissemens. Quelle chose suys-je sans elle, fors une busche seiche et ung estoc 2 infruc- tueux et inutile , digne d'estre arrache et gecte hors pour ardre ou brusler. Vostre grace, Sire, doncques tousjours me previengne et ensuyve, c'est a dire soit au commencement et a la fin de mes ceuvres, et me doint 5 estre toujours a bonnes oeuvres en- tendu par vostre benoist Filz Jesuchrist. Amen. Que nous devons nous mesmes delaisser, et en- xuyr Jesuchrist par la Croix, c'est a dire en souffrant pour I' amour de luy. LVI e CHAPITRE. eau filz , de tant que tu te pourras de- partir de toy, de tant pourras-tu estre conjoinct a moy; car ainsi comme rien querir et desirer en ce monde fait_avoir paix en soy, pareillement soy delaisser en son i. Que. i. Tronc d'arbre. 3. Et qu'elle me donne. 204 L'lNTERNELLE cueur fait estre conjoinct ou prochain a Dieu. Je veulx que tu apreignes a parfaictement toy delais- ser et denyer, a ce que tu ensuyves ma voulente" sans contradiction et murmuracion. Je suysla Voye, etVerite,et Vie: sans la voye on ne peult cheminer; sans verite ne peult-on rien congnoystre ou s^avoir, sans vie ne peult-on vivre. Je suys la voye que tu dois ensuyr, la verite a qui tu dois croyre , la vie que tu dois desirer. Je suys la voye qui ne laisse desvoyer, verite" infallible, et vie sans fin. Je suys la voye tresdroicte , la souveraine verite" , la vraye vie, benoiste vie, vie incree et eternelle. Si tu de- meures en la voye, tu cognoystras la verite" , et ve- rite te affranchira et prendras la vie pardurable. Se tu veulx entrer en la vie, garde les miens commandemens. Se tu veulx congnoistre la verite^ croy-moy. Se tu veulx estre parfaict , vens tout ce que tu as. Se tu veulx estre mon disciple , denye toy, c'est a dire ta propre voulente^ Se tu veulx avoir la vie pardurable , mesprise et delaisse ceste vie presente, c'est a dire que tu n'y mettes pas ton amour et affection. Se tu veulx estre exaulce es cieulx, humilye-toy en ce monde. Se tu veulx regner avec moy en Paradis, porte ma Croix en ce monde, c'est a dire seuffre paciemment pour 1'amour de moy ; car seulement ceulx qui sont serviteurs de la Croix tiennent le vray chemin de la vraye beati- tude et vraye lumiere pardurable. mon vray Saulveur et doulx Jesus, que vostre vie estoiten ce monde aspre, estroicte, et mesprisee CONSOLACION. II. ao5 du monde, pource le monde vous hayoit et perse- cutoit sans cause, et sans vostre desserte : donnez- moy, Sire, avec vous mespriser ce meschant monde, et ensuyr vostre vie; car ce u'est pas raison que varlet soil plus grant que son seigneur, ou le disci- ple soil sur son maistre. Soit vostre serviteur excer- cite selon que vous avez este" en vostre vie , c'est a dire seuffre et ait temptacions comme vous avez eu , car en ce est ma vie et mon salut. Quelque chose que je lyse ou estudie, fors que ce ' , ne me faict point de plaisir et recreacion. Et pource, beau filz, que tu as leu et scays ces choses , tu seras bien eureux se tu les acomplis , c'est a dire se tu les ensuys. Celluy qui a mes com- mandemens en son cueur et les garde et acomplyst par oeuvres, c'est celluy qui me ayme, et je 1'ayme- ray, et me adjousteray moymesmes a luy, et le fe- ray seoyr avec moy au royaulme de mon Pere. mon doulx Saulveur et Seigneur Jesus, soit faict comme vous avez dit et promys ; soyt ainsi fait certainement , et ainsi le puisse-je desservir! J'ay receu de vostre main, c'est a dire par vostre inspiracion et en esperance de vostre aide, la Croix, et la porteray jusques a la mort ainsi comme vous la m'avez chargee et imposed. Vrayement la vie d'un bon moigne c'est la Croix , mais c'est de Paradis la sente * et conduyte. Puis que on la re- t. For* qu'elle. Edit, de 1498. 2. Sentier. ao6 L'lNTERNELLE ceue, il n'est point licile de reculer, et ne la peult- on point laisser. Or doncques , chiers freres, aliens et cheminons ensemble, c'est a dire de bon accord, et Jesus sera avec nous. Pour 1'amour de Jesuchrist nous avons receue ceste Croix, et pour 1'amour de Jesus per- severons en la Croix, c'est a dire en penitence, et il sera nostre ayde, car il est nostre meneur et con- duyseur. Voyez cy , nostre Roy est entre devant nous, qui combatra pour nous; ensuyvons-le de bon cueur, et ne doubtons point les espoventemens. Soyons appareillez a mourir fors en la bataille. Ne donnons point villennie ou reproches en nostre gloire, c'est a dire en nostre bon commencement, que ' nous ne nous enfuyons de la Croix. Que I'homme ne soyt point trop abatu quant il fait aulcuns petiz deffaulx. LVII* CHAPITRE eau filz , plus plaist a Dien pacience et humilit^ en adversit6 que grant conso- lation ou devocion en prosperity. Pour- quoy te courrouce-tu se on te fait ou dit aulcune chose centre toy ou centre ta voulen- te"? Se c'estoyt moult plusgrant chose, si ne t'en debveroys-tu pas troubler ; laisse la passer, car ce n'est pas la premiere chose ou nouvelle, ne aussi ne sera-ce pas la derniere, se tu vifz longuement. Tu es i. De sorte que. CONSOLACION. II. , 207 bien fort et pacient quant il ne te vient point d'ad- versite", tu conseiiles aussi tresbien les autres, etles admonnesles bien de parolles, mais tantost que quelque tribulacion ou adversite soubdainement te vient, et conseil et force et vertu te faillent. Con- sidere ta grant fragilite, laquelle tu as souventesfoyz experimented en petites objections ou contrarietez. Et toutesfoyz c'est pour ton grant prouffit et salut que telle chose te vient, se en toy ne tient. Et pource doresenavant met peyne de oster de ton cueur toute tristesse qui te vient pour ceste tribulacion, et se tu es aulcunement atteint ou frappe, garde qu'elle ne te abbate pas de tous pointz ou empesche tellement que ne la reboutes legiere- ment. Et se tu ne la peuz encore recepvoir joyeu- sement, au moins rec.oys-Ia paciemment. Et s'il advient que Ton te dye aulcune chose que tu ne veulx pas ou voulsisse ', et que tu t'en sentes indi- gne aulcunement au cueur, reprime en toy ceste indignacion, et ne souffre pas quelque parolle de- sordonnee saillir de ta bouche, de laquelle les aul- tres puissent estre scandalisez, et met peyne que ceste commocion exitee en toy se rapaise; et tantost par la grace de Dieu tu sentiras grant doul- ceur et paix contre la douleur que tu avoys. Con- sidere que encores suys-je vif, prest de toy aider et reconforter plus que par avant, se tu te confies en moy, et devotement me pries et requiers. Ayes bon cueur et t'appareille a plus encores i. Voulusses, voudrois. ao8 L'lNTERNELLE soubstenir : tu n'es pas encores tout perdu se tu te sens trouble ou temple griefvement; tu eshomme, non pas Dieu ; tu es chair et non pas ange. Com- ment penses-tu que tu puisses tousjours demourer en ung mesme estat et vertu quant 1'ange ne le peut pas au ciel, ne le premier homme en Paradis Terrestre. Je suis celluy qui relieve les desolez et ramaine les enfermes en sante; et ceulx qui congnoissent humblement leur enfermete et foi- blesse eslieve ma diviuite*. mon Seigneur et mon Dieu, benoiste soyt vostre parolle doulce, et plaisante a ma bouche plus que miel ! Que feray-je, Sire, en si grans tribu- lacions et angoisses, se vous ne me aydez et con- fortez par vos doulces parolles ! Que me doibt-il chaloir quelles grandes tribulacions je porte et soustiengne, mais que ' je puisse parvenir au port de salut ! Donnez-moy, Sire, bonne fin, octroyez- moy que je puisse de ce monde yssir en bon estat. Souviengne-vous de moy, mon Seigneur et mon Dieu , et me conduisez le droit chemin a vostre regne. Amen. i. Pourvu inc. CONSOLACION. II. 209 Que on ne doibt point encercher haultes choses et les secret-- jugemens de Dieu. LVIII 6 CHAPITRE. eau filz, garde-toy de disputer de haul- tes matieres et des secretz et occultz jugemens de Dieu, comme de vouloir soavoir pourquoy 1'ung est delaisse en peche", et 1'autre est esleve en si grans graces et vertus; pourquoy 1'ung est si trouble en ce monde, et en affliction, et 1'autre ainsi exaulce en estat et puissance. Scavoir te'les choses excede toute faculte do humain engin et science, ne il n'est quelque personne en ce monde qui par raison ou dispu- tacion humaine puisse parvenir ad ce sQavoir ne acquerir '. Quant 1'Ennemy te sugere telles choses, et aussi aulcuns curieux, respons leurce que ditle Psalmiste : Sire, vous estes juste, et voz jugemens sont justes et droitz. Et encores dit icelluy mesme Psalmiste aultre part : Los jugemens de Nostre Seigneur sont vrays, justes et justifiez en soymes- mes, c'est a dire qu'il ne fault point d'aultre jus- tificacion ou excusacion ou glose, comme il fault aux jugemens et ordonnances des hommes. Les jugemens de Dieu doybvent estre crains et doub- tez, non pas discutez, c'est a dire vouloir discerner i. L'Edit. de 1498 donne cnquerir.l^c, mst dit: el a cercher leu jvgcmens da Dieu quelconque raison ou disputation humaine n'y fait rien. H 210 L'lNTERNELLK pour quelle cause ilz sont ainsi faitz, car ilz sont incomprehensibles a entendement humain. Aussi ne te occuppe pas a vouloir enquerir ou disputer des merites des saints de Paradis, lequel est le plussaint, ou de plusgrant merite en Paradis, de 1'autre ; car toutes telles choses ou oppinions et curiositez engendrent souvent noises et dissen- cions inutiles, et nourrissentorgueiletvainegloire, dont viennent envies et discors, en ce que 1'ung veult exaulcer 1'ung, 1'aultre orgueilleusement ung aultre, par force de clergie et sciences. Et telles curiositez vouloir scavoir et enquerir ne ]>orte point de proffit ou devocion, mais plus desplaisent aux sainctz, et non sans cause; car je ne suis pas Dieu de dissencion ou desaccord, mais de paix et Concorde, laquelle se acquiert plus en humilite que en sa propre exaltation ou elacion. Et suppose que aulcuns soyent plus attrailz a devocion a aulcuns saintz , et les aultres aux aul- tres, toutesfois ce n'est pas affection divine mais humaine. Je suis celluy qui ay fait et cre6 tous les sainctz et leur ay donne les graces qu'ilz ont; je leur ay donne leur gloire : je scay et congnoys les merites et dessertes d'ung chascun. Je les ay pre- venus es benedictions de ma doulceur, c'est a dire devant qu'ilz eussent riens desservy envers moy; je les ay esleuz du moncle et non pas eulx moy; je les ay eslevez de ma grace; je les ay attraitz par ma misericorde; jelesay conduitz pardiverses tempta- tions, et en icelles leur ay donn6 merveilleuses con- CONSOLACION. II. 211 solacions ; parquoy ilz sont venus a la victoire par la saincte perseverance, et ay couronne leur pa- tience. Je congnoys le grant et le petit, et les ayrae par inestimable dilection. Je suis celluy qui dois estre loue en eulx, et sur toutes choses estre be- noist et honnore en ung chascun de eulx que j'ay magnifie ainsi glorieusement, et a celle gloire pre- destine et appelle" sans quelconques leurs merites et dessertes. Quiconques doncques en mesprise 1'ung des plus moindres ne honnore pas le plus- grant, car le petit et le grant j'ay fait; et qui de- shonore 1'ung deshonore aussi 1'aultre, et en espe- cial moy; et qui derogue ' ou detrait 1'ung, aussi fait- il tous les aultres qui sontau royaulme des cieulx. Car tous sont ung par le lyan et conjonction de charite ; tous desirentet veullent une mesme chose, et tous ce ayment en ung, c'est a dire en Dieu. Et encore qui est plusgrant chose , tous me ayment plus que soy, ou que leur proffit et merite, ou gloire, car tous sont traitz et eslevez tellement en moy, et en ma charite si ravis, en laquelle ilz se reposent par fruiction, qu'il n'est rien qui les en puisse destourner ou oster; car, merveilleuse- ment plains de la charite pardurable, sont emprins du feu de pardurable amour. Laissent doncques parler de la gloire et estat des saintz de Paradis les bestiaux et charnelles personnes qui ne scevent aymer fors privies et parcialles amours , ne yma- i. Diminue, retranche. aia L'lNTERNELLE giner ou congnoistre, et adjoustent ou ostent a la- dicte gloire pour leur plaisir et affection ou incli- nacion , non pas selon le plaisir et ordonnance de Dieu. Plusieurs sont qui par ce sont encores peu enlu- minez pour leur ignorance, et ne scevent pas aymer aulcun paramour espirituelle parfaictement , mais sont encores attrais a leur amour par affection et inclinacion naturelle et amytie humaine, et pensent ou ymaginent que les affections soyent es cieulx et en Paradis ainsi comme en ce monde. Mais il y a tresgrande difference entre ce que imparfaitz pen- sent ou ymaginent des choses espirituelles et di- vines, et ce que les parfaictz enluminez de Dieu par revellacion supernelle en sen tent et congnoissent. Et pource, beau filz , garde-toy de trop curieu- sement et presumptueusement vouloir enquerir et traicter les choses qui excedent et passent ta science et ton engin, mais meet peine et te efforce de par- venir au royaulme de Paradis, et pense que ce te sera grant felicite se tu y peuz estre aumoins le dernier. Et se aulcun estoit qui peust scavoir lequel est plussainct ou meilleur en ce monde de 1'autre, lequel est plusgrant ou exaulce en Paradis, que luy proffiteroit ceste science se il ne s'en humilioit de- vant moy, et se efforcast de ramener ce a ma louenge et exaltacion de mon nom? Celluy qui pense de la grandeur et multitude de ses pechez, et de la paucite' de ses vertus, et commeqt il est encore loing de la perfection des saincU, est plus CONSOLACION. II. ai3 agreable et plaisant a Dieu, et fait meilleur euvre que celluy qui curieusement et presumptueusement veult disputer 'ou parler de la grandeur ou moin- dreur des saintz de Paradis. II vault mieux devo- tement prier les saintz , et les requerir par devotes oraisons, et leurs souffraiges et intercessions, que par vaine inquisicion vouloir enquerir leurs se- cretz. Hz sont tresbien contens de leur gloire en Pa- radis, que les hommes en soient contens en terre, et cessent parler curieusement d'eulx , et refrain- gnent leurs vaines parolles. Ilz ne se glorifient pas, ou enorgueillissent de leur gloire ou de leurs me- rites, et ne se attribuent rien de leur bonte\ mais attribuent tout a moy ; car ilz scevent que je leur ay tout donne par ma seulle infinie bonte. Ilz sont tellement remplis del'amour divine et de la excel- lente gloire qu'ilz ont, qu'il n'est rien en eulx qui ne soil plain de gloire et de felicite. Tous les saintz, de tant qu'ilz sont plusgrans en la gloire de Paradis, de tant sont-ilz plus humbles en soymesmes, et de tant sont-ilz plus prochains de moy fichez en mon amour ; et pource est-il escript en 1'Appocalipse, que les saintz desmirent leur couronne devant Dieu, et se laisserent cheoir devant 1'Aignel en leur face, et adorerent celluy qui vit au siecle des sie- cles, c'est a dire que toute la gloire et merite qu'ilz avoyent ilz attribuerent a Dieu en 1'adorant et re- merciant humblement. Plusieurs quierent et demandent lequel est plus- *H L'INTERNELLE grant en Paradis, et ne scevent s'ilz sont dignes d'y estre les moindres, ou avec les moindres comptez. C'est grant chose d'y estre le dernier et moindre, car tous ceulx qui y seront seront filz de Dieu. Le moindre sera en mille, c'est a dire plus riche que raille ; et le pecheur de cent ans mourra, c'est a dire celluy qui persevere en ses pechez jusques a la viel- lesse-sera condempne" a la mort, voire d'Enfer. Quant les disciples de Nostre Seigneur Jesuchrist luy de- manderent lequel estoit plusgrant au royaulme des cieulx, il leur bailla telle response : Se vous ne vous convertissez et demourez humbles comme petis enfans, vous n'entrerez ja au royaulme des cieulx. Quiconques doncques se humiliera comme le petit enfant, celluy sera plusgrant au royaulme des cieulx. Maulditz seront ceulx qui ne se daignent humi- lier de leur bon gre avec les petis; car la petite et humble porte du royaulme des cieulx ne les souf- frera pas entrer dedens. Maulditz aussi seront les riches de ce monde, qui en ce monde ont leurs consolacions ; car quant les povres entreront au royaulme des cieulx, ilz seront laissez dehors crians et brayans ' . Esjouysses-vous, povres, et vous con- fortez, humbles, car le royaulme des cieulx est vostre, voire toutesfois se vous cheminez en verite, c'est a dire que ce que vous demonstrez par dehors vous tenez et gardez au cueur. i. Pleurant. CONSOLACION. IT. 2i5 Que toute fiance et esperance de la personne doit estre seullement mise en Dieu. Et esl par maniere d'oraison. LVIIII 6 CHAPITRE. mon Seigneur et mon Dieu, quelle est ma fiance que j'ay en toute ma vie de ce m onde , ou quel est mon plusgrant sou- las de toutes les choses que on voit et qui sont trouvees soubz le ciel? N'est-ce pas vous, mon Dieu et mon Seigneur, duquel on ne peut nombrer et racompter la grande bonte" et miseri- corde? En quel lieu ou en quelle chose me peut estre bien sans vous, ou quant me peult estre mal vous present? J'ay plus chier et ayme mieulx estre povre pour 1'amour de vous que riche sans vous ; j'aymeroye mieulx estre avec vous pelerin en terre que sans vous estre en Paradis ; la ou vous estes est le ciel, c'est a dire Paradis, et pource, la ou vous n' estes, est la mort et Enfer. Vous estes tout seul en mon desir , c'est a dire je ne desire que vous seullement ; et pource que je ne vous treuve pas encores parfaictement, il est necessite que je gemisse et crie en orayson apres vous. Finablement, je ne puis en aulcuns avoir plaine fiance qui me ayde et secoure en mes necessitez et tribulacions, fors que en vous tant seullement, mon Dieu et mon Seigneur. Vous estes mon espe- rance, vous estes ma fiance, vous estes celluy ai6 L'lNTEnNELLE qui me confortez et consolez loyaulment en toutes choses. Tous aultres quierent et demandent leur proffit, vous ne desirez et voulez que mon saulvement et mon proffit, et convertissez tout en mon bien. Et mesmement se vous m'envoyez diverses temptacions et adversitez, tout ce vous faictes et ordonnez a mon proffit et utilite. Car vous avez acoustume" d'esprouver voz amys en maintes manieres , en laquelle probacion et tribulacion je ne vous puisne dois pas moins aymer et louer que se vous me remplyssiez et reconforties de consolacions celes- tielles. En vous, Sire, doncques je meet toute mon es- perance et mon reffuge ; en vous je ordonne toute ma tribulacion et angoysse ; car tout tant que je regarde hors vous, je trouve tout enferme et ins- table. Car riens ne proffitent grans amytiez, grant force de aydans ou adjuteurs ne peut delivrer, sages conseilliers ne peventdonner bonne responce, ne les livres des grans clercz ou docteurs bon con- seil , ne grandes et precieuses richesses racheter, ne quelque lieu secret * ou plaisant deffendre, se vous mesmes n'estes present, qui aydez ou con- fortez, consolez , enseignez et gardez. Car toutes les choses qui semblent estre paisi- bles, et proffitablesaavoir felicite", ne valient rien se vous n'estes present, et ne portent en soy rien de i. L'tSdit. de i5oo donne sen/, clair, serein. Au xve siecle ce mot ne s'applique plus guere qu'ii la voix, et il signifie sonore. CONSOLACION. II. 217 vraye felicite. Vous doncq\ies tout seul esteslafinde tous biens,- haultesse de vie, profundite de sapience ; et avoir tousjours en vous esperance c'est le souve- rain et tresfort refuge de voz serviteurs. A, vous sont mes yeulx eslevez; en vous, mon Dieu, est ma fiance. Pere de misericorde, beneyssez et sanctifiez mon ame de benediction celeste, a ce qu'elle soit faicte vostre saincte habitacion, et siege de vie, pardurable gloire, et au temple de vostre dignit6 ne soit trouve qui puisse couroucer ou offenser les yeulx de vostre Majeste.Regardez-moy, Sire, en pi lie selon la grandeur de vostre bonte et la mul- titude de voz miseracions et misericordes, etexaul- cez 1'orayson de vostre povre serviteur exilI6 et banny loing hors de son pays en region tenebreuse, et plaine de mort. Deffendez, Sire, et gardez 1'ame de vostre povre serviteur entre tant de perilz de ceste vie corruptible, et par la compaignie de vostre grace conduisez-la par le chemin de paix au pays de pardurable clarte. Amen. Cy finist la Seconde Par tie : De V Inter lore Colocucion Jesuchrist a lame derate. TROISIESiME TRAICTE Cy commence la Tierce Partie : De I' Interfere etde Parjaicte Im mitacion de Nostre Seigneur Jesuchrist. PREMIER CHAPITRE. UI SEQUITUB ME NON AMBULAT IN TENE- BRIS. Nostre Seigneur Jesuchrist dit en 1'Evangile : Qui me ensuyt ne chemir.o point en tenebres. Ces parolles sont de Nostre Seigneur Jesuchrist, qui nous admonneste quo nous ensuyvons ses 03u- vres, c'est a dire sa vie et sa doctrine, se nous voulons vrayement estre enluminez, et de tout aveuglement de cueur delivrez. Et pource nostre souverain et especial estude doit estre de penser a sa vie et a sa doctrine. Car sa vie et sa doctrine surmonte et exellent sur toutes aultres doctrines et vies de tous aul- tres saintz, et qui 1'auroit bien fichee en son cueur, il y trouveroit moult grant doulceur espirituelle. Mais plusieursfoiz advient que plusieurs sont qwi oyent et escoutent 1'Evaogile souvent et les parolles qui y sontdictes, mais pource ne concoyvent-ilz 222 L'INTKRNELLE point de devocion ou fervent desir; et c'estpource qu'ilz ne s'efforcent point de 1'ensuyr, et mettre a effect ce qui y est dit. Mais qui veult plainement et savoureusement entendre les parolles de Je- suchrist, il convient qu'il s'efforce de confermer et ressembler toute sa vie a la vie de Jesuchrist, Que te proffitera scavoir haultes choses de la Trinite, se tu n'as humilite" ', pourquoy * tu des- plays a la Divinite. Sans faulte 5 , grant science ne fait pas 1'homme saint, mais bonne vie et vertueuse plaisant le fait etaggreable a Dieu. Tu doibs plus desirer scavoir par experience que c'est que com- punction que scavoir sa diffinicion. Se tu scavoys toute la Bible par cueur et avois tous les sens des Prophetes, c'est a dire que tu les sceusses bien entendre, que te pevent-ilz proffiter sans charite et la grace de Dieu? C'est toute vanite" en ce monde, et toutes les choses qui y sont sont vaines fors aymer Dieu et servir a luy tout seul. C'est donc- ques souveraine sapience et prudence mespriser le monde et tendre au royaulme de Paradis. C'est vanite querirlesrichesses qui perissent, et avoir ou ficher son amour en elles. C'est vanite" querir les honneurs de ce monde et par iceulx vouloir estre exaulce". C'est vanite ensuyr les de- sirs et plaisances de la chair, et vouloir acomplyr pourquoy il convient estre apres tresgriefvement 1. Se In es orgueilleux. Edit, de i5io. 2. A cause de quoi. 3. Sans erreur, vraiment. CONSOLACION. III. 223 pugny. C'est vanite" de desirer longue vie en ce monde, et ne mettre point peyne a bien vivre. C'est vanite penser seullement a la vie presente, et ne pourveoir point pour celle qui est advenir. C'est vanite aymer seullement ce qui legierement passe, et ne desirer point venir la oil est la grant joye perpetuelle et permanente. Souviengne-toy souvent de ce que dit Salomon es Proverbes : Saoul n'est point 1'oeil de veoir ne 1'oreille d'escouter; c'est a dire que le desir de la personne n'est jamais accomply par les plaisances et delectacions que on prent es choses qui sont en ce monde par les sens du corps. Etforce-toy donc- ques de retraire ton cueur, ton amour, ton affec- tion de ces plaisances mondaines , et les ficher ou asseoir es choses divines et aux joyes invisibles. Car ceulx qui en ce monde ensuyvent leur sensua- lite, ordoyent leurs consciences et perdent la grace de Dieu. De sentlr humblement de soymesmes. H e CHAPITRE. out homme desire naturellement avoir science, mais science sans 1'amour de ' Dieu ne vault rien. Mieulx vault ung povre simple laboureur qui ayme Dieu, que ung orgueilleux clerc qui mesprise Dieu et scet tout le cours des estoilles. Qui se congnoyst bien soymesmes se mesprise, et ne prent pas plaisir es "4 L'lNTERNELLE louenges humaines. Se j'avoye toutes IPS sciences du monde et jc n'ostoyo en charite, que me proffi- tcroit toute ma science envers Dieti, qui me jugera selon mes oeuvres, non pas selon ma science? Ne met pas doncques grant peyne a plusieurs choses ?cavoir; car en ce est-on aulcunesfoyz dis- trait et empesche" do plusgrant bien. Grans clercz veullent et desirent voulentiers estre congnenz ot repntez sages par vanite". Plusieurs choses sont desquelles la science pen ou neant proffite a 1'ame, et celluy n'est pas sage qui estudie ou met peyne de scavoir ce qui ne lny proffite au salut de son ame ou qui de ce 1'empesche. Grant habondanro de parolles ne saoulent pas 1'ame, mais bonne vie la reconforte, et purte de conscience luy donne fran- chise envers Dieu. Detant que tu as plus grant science, detant se- ras-tu plus asprement pugny et plustost con- demn6, se tu n'as eu bonne vie. Ne t'en orgueillys pas doncques de ta grant science ou art, mais de tant soyes en plusgrant double. S'il (e semble que tu saches plusieurs choses et que tu as grant science, saiches que encores est-il la moitie" plus de choses que tu ne scays, dequoy tu n'as point.de congnoyssance. Et pource ne te doibs-tu pas en or- gueillir, mais confesser et congnoistre humblemont ton ignorance. Ne te exaulce pas en oreueil stir les aultres , mais pense qu'il y a plusieurs qui scevent plus que toy. Et se tu veulx proffitablo- ment scavoir et estre repute saige, desire que on CoNSOLACION III. aa5 ne te congnoysse, et reppute estre de nulle repu- tacion. Car c'est la vraye, haulte et profitable science vrayement congnoystre soymesmes, et soy mespri- ser. Rien sentir de soy, mais des aultres bien et haultement, c'est grant prudence et perfection. Se tu voys maintenant aulcun pecher, ou faire aulcune chose ou offence laquelle tu ne fis oncques ne aussi ne vouldroys pour rien faire, tu ne le doibs pas mes- priser, ou te reputer pource meilleur que luy; car tu ne scays combien tu demourras en ce bon pro- pos, car se Dieu te ostoit sa grace, et soustrayoit sa main laquelle tu dois penser qui te tient , tantost tu tomberoys ; et aussi tu ne scays combien il de- mourera en ce peche, car s'il plaisoit a Dieu de le regarder en pitie, tantost il se releveroit. Nous sommes tous fresles et pecheurs, mais tu ne doibs reputer quelque personne plus fresle ne plus grant pecheur que toy mesmes. De la vraye doctrine de verite. IIP CHAPITRE. elluy est bien eureux lequel Dieu, qui est vraye verite, par soy enseigne, non pas par parolles transitoires qui passent comme vent, mais ainsi comme la verite est. Nostre oppinion et nostre sens nous de^oyvent souvent, car il y a peu de consideracion et de advis aulcunesfoiz. Que proffitent grans argumens i5 ou eavillacions f des ohoses obscures et occultes ou doubteuses, lesquelles se nous ne les s^avons nous n'en serons pas reprins devant Dieu au jour du Ju- gement? C'est grant folie de laisser et ne tenir compte de sc.avoir les choses proffitables et neces- saires a son salut, et se habandonner et occuper de telles curiositez de nul proffit , et aulcunesfoyz dommageables et nuysans. Nous avons yeulx mais nous ne veons goute. Et que avons-nous a iaire de scavoir plusieurs manieres de choses de ce monde? Celluy a qui Dieu parle pardedens est delivr6 de plusieurs et diverses oppinions. De Dieu sont toutes choses crees, et toutes choses manifestent ung seul Dieu ; c'est le commencement de toutes choses, qui nous inspire et donne entendement, car sans luy nul ne peult avoir bon entendement ou bon jugement. Celluy a qui toutes choses sont ung et qui ramaine toutes choses a une, c'est assavojr a la louenge de Dieu, peult estre stable et ferme de cueur en Dieu et de- mourer paisiblement en soy. verit6 Dieu, faictes- moy estre ung et uny en vousen charite perpetuelle. Je m'ennuye de ouyr et lire tant d'escriptures ; en vous seul est tout ce que je desire. Taysent soy tous clercz et toutes creatures devant vous, et soil seullement vostre parolle, c'est a dire vostre ins- piracion et consolacion, en moy. Detant que aulcun se sera plus uny en soy et reduyt par dedens, detant congnoistra-il et sgaura i. Chicane, argumentation impertinente. CONSOLACION. HI. 227 de Dieu plus haultement et parfondement ; car il recxiyt la lumjere souveraine qui enlumine son en- tendement. Celluy qui a pur, simple et ferine es- perit, ne devise point en diverses operacions ou ceuvres de Dieu, c'esta dire s'il voit que face plu- sieurs choses qu'il ne peult comprendre , car il ramaine tout a 1'amour de Dieu, et si se garde de folles inquisicions. Quelle chose est qui plus t'em- pesche et te moleste, fors ta folle affection non mortifiee? Une bonne personne premierement dis- pose en soy ses ceuvres qu'il veut faire par dehors, et ne le surmontent pas ou vaincquent ses vicieuses inclinacions ; mais il les rameine et soubzmet a la voulente de rayson. Et c'est forte bataille de ainsi vaincre et surmonter soy mesmes. Et pource a ce deverions-nous continuellement labourer, et mettre nostre peyne et nostre entente de proffiter de bien en mieulx, et acquerir tousjours force nouvelle. Toute perfection a aulcune imperfection ad- joincte a soy, et speculacion n'est point sanscecite" ou ignorance. Et detant que une personne est plus parfait, detant congnoyst-il plus ceste imperfec- tion ou ignorance, et voit pluscler ses deffaultes en sa reputacion '. Humble congnoissance de soytnesmes et de son imperfection eet plus certaine voye de perfection, etde allerledroitcheminde Dieu, que quelconque parfondc science humainement acquise. Science i . Ce dont elle manque pour valoir sa bonne reputation 228 L'lNTERNELLE n'est pas a blasmer, ou quelconque congnoissance des creatures qui est bonne en soy, car elle est de Dieu cree et ordonne"e; mais on doit plus aymer et eslyre et mieulx desirer bonne vie et bonne conscience. Et pource quo plusieurs desirent plus savoir que bien vivre, c'est a dire avoir science que bonne vie, pource sont-ilz plusieurs qui errent, et peu ou nyant ont les clercz fruict de leurs sciences. Helas ! se on mettoit aussi grant peyne et dili- gence a extirper les vices et pechez et acquerir les vertus que on fait a faire questions et argumens , ne se feroyent pas tant de maulx ne tant d'escandes 1 au monde. ne tant de dissolucions aux religions *. Pour certain, au jour du Jugement on ne nous de- mandera pas en quelle science nous avons estudie, mais ce que nous avons fait. On ne nous deman- dera pas ce que nous avons enseigne\ mais se nous avons bien garde nostre ordre ou religion. Respondz- moy, ou sont maintenant ces grans clercz et mais- tres que tu as veuz et as ouy parler en ton temps, qui tant comme ilz ont este" en ce monde ont eu si grant nom et ont este si renommez et honnourez es estudes? Et maintenant aultres tiennent leurs benefices, et ne scay s'il en souvient plus. En leur vie chascun parloit d'eulx, et maintenant on n'en dit mot. comment est tost passed la gloire du monde ! i. Scandales. 3. Ordres religieux, monastfere*. CONSOLACION III. 9 Se leur vie eust est6 concordante a leur science, ilz eussent bien estudi6 et proffitablement. Plusieurs perissent par vaine science du siecle, car il ne leur chault du service de Dieu ; et car ilz ont plus aym et esleu estre de grant nom et reputacion que hum- bles de cueur et de bonne vie, pource ont-ilz este vains en leurs parolles etpensees. Celluy est vraye- ment grant qui est petit en soy, c'est a dire hum- ble, qui repute toute haultesse de honneur mon- dain neant, et n'en tient compte. Celluy est vraye- ment sage qui repute toutes choses terriennes comme fiens, mais qu'il puisse gaigner Jesuchrist. Et celluy est bien eureux qui ensuyt la voulente de Dieu et laisse la sienne. De avoir prudence en ses ceuvres. llll" CHAPITRE. n ne doit pas croire toute parolle ou conseil d'aultruy, ne aussi se consentir a chascun instinct ou inspiracion, c'est a dire a toute voulente qui survient, suppose mesmes qu'il semble que ce soil bonne osuvre; maisdoit-on longuement penseraux choses et les poiser ' selon Dieu et selon rayson. Helas ! nous croyons plustost le mal que le bien d'aultruy, et le racomptons et le rapportons aux aultres se nous 1'avons ouy dire, taut sommes-nous fresles et enclins en mal. Mais ceulx qui sont parfaitz ne i. Peser. croyent pas si legierement qu'ilz ont ouy dire, car ilz scevent et congnoyssent que nature humaine est encline a mal et assez legiere a rapporter plus- tost le mal que le bien. C'est grant sapience de n'estre point trop hatif en ses besoignes* ne trop fich6 ou arreste" en son propre sens et a ses oppinions. A ceste prudence appartient aussi ne croyre pas de legier aux parolles d'ung chascun, ne aussi tantost racompter ou rap- porter ce que on a ouy dire, especiallement quant c'est mal. Ayes conseil a sages personnes et de bonne vie et conscience, et ne veuilles pas ensuyr a tes propres voulentez et affections. Bonne vie fait I'homme sage selon Dieuet expert en plusieurs choses. Detant que ung homme est plus humble en soy et plus subject, detant est-il plus sage et plus paysible, et en soy a plusgrant paix. De estudier voulentiers la sainte Escripture. V e CHAPITRE. n doibt desirer, en lisant ou estudiant la sainte Escripture, et demander verite, fj?//( et non pas belles manieres de parler, c'est a dire que on doibt plus prendre plaisir au sens qui y est que en la maniere du lan- gaige. Note : Toute saincte Escripture doibt estre entendue et prise au sens que le Sainct Esperit in- spira aux saintz qui 1'ont faicte, et nous y devons i. Occupations. CONSOLACION III. 3t plus querir nostre proffit espirituel que querir le beau parler. Et pource nous devons aussi voulen- tiers lyre et estudier livres qui sont de simples ma- tieres et de devotion, ou parquoy on peult profiler et corriger ses meurs et congnoistre ses pechez, que ceulx qui parlent de haultes choses et divines. Ne laisse pas a lyre ou estudier les livres qui sont failz de ceulx qui n'estoyent pas grans clercz ou repulez de grande renommee ou auclorite\ mais qu'il ' n'y ayt point d'erreur, et que pure verile" y soil contenue, et que tu y puisses proffiter en aul- cune vertu ; et ne demande pas qui a dit ces pa- rolles ou qui a fait ce livre, mais considere si ce qui y est escript est bon et profitable pour toy. Les hommes passent et meurent, mais la verite" demoure tousjours pardurablement. Dieu nous re- vele sa voulente et ses eommandemens en diver- ses manieres et par diverses personnes sans avoir acception. Mais nostre orgueil et curiosite souvent nous empesche a proffiter en la saincte Escripture pource que nous voulons aulcunesfoiz trop discu- ter, et trop subtillement interpreter ce qui simple- ment doibt estre entendu. Etpouroe, se tu y veulx proffiter, estudie simplement et humblement selon la Foy Catholicque , et ne desire pas avoir grant nom ou estre repute grant clerc et de grant renommee ou auctorite el science. Demande voulentiers ce que tu ne sc,auras, et escoute paisiblement les pa- rolles des saiatz saus vouloir discuter ou estriver i Ponrvu qu'H. a3a L'lNTERNELLB centre eulx ; et n'ayes pas desplaisir ou mesprise- ment es parabolles des anciens, car elles ne sont pas dictes sans cause. Des maulvaises et desordonnees affections. VI" CHAPITRE. uant une personne desire ou convoite une chose desordonnement, il est hors de paix de cueur et troubte ; et pource ung orgueilleux et ung avaricieux n'ont jamais paix. Ung humble de cueur et povre d'esperit est tousjours en grant paix et transquilite. La per- sonne qui n'est pas encores bien mortified est tan- tost tempte"e, et tantost surmonte'eet vaincue, mes- mement en petites choses et viles; car pource qu'elle est encore enferme, et comme charnelle, et comme enclinee par amour et affection aux choses visibles et mondaines, a grant peine et difficulte" se peult-elle ou son desir et affection retraire des choses terriennes. Et pource elle a souvent tristesse et desplaisir en soy quant il fault qu'elle s'en oste et retraye, ou de legier se courrouce a aultruy se on luy veult resistor. Et s'il advient que son desir soit acomply et qu'elle ait ce qu'elle demandoit, elle en fait apres conscience , et est courroucee de ce qu'elle a ainsi ensuyt son desir et sa passion en chose qui ne lui proffite point a la paix de son cueur, laquelle il cui- doit par ce avoir. On treuve et acquiert-on la vraye CONSOLACION III. z33 paii du cueur par resistor a ses vices et passions desordonne"es, non pas par les ensuyr et les servir ou acomplir. Et pource n'a point de vraye paix ung homme charnel et mondain , et qui se haban- donne aux choses terriennes, mais seullement cel- luy qui est espirituel. De fouyr vaine csperance et elation. VII" CHAPITBE. elluy est vain qui meet son esperance en aultre homme ou en aultre crea- ture. N'ayes point de honte de servir a autruy pour 1'amour de Dieu, ne d'es- tre povre en ce monde. Ne te eslieve point sur toymesmes, c'est a dire ne presume pas en toy des choses qui passent et excedent ta facult6 et ton estat , mais meet ton esperance en Jesuchrist. Fays ce que en toy est, c'est a dire ton pouvoir en bien, et Dieu qui verra ta bonne voulente" te aidera au surplus. Ne te confie pas en ta science ou en la prudence de quelconque homme vivant , mais plus en la grace de Dieu qui aide aux humbles et hu- milie ceulx qui presument de soymesmes. Ne te glorifie pas en richesses se tu en as , ou en tes parens pource qu'ilz sont grans et puis- sans, mais en Dieu qui donne toutes choses, et sur toutes choses se veult donner. Ne te orgueillis pas pour la beaulte' ou force de ton corps, car une petite maladie 1'aura tantost abatu et enlaidy. Ne 234 L'lNTERNELLE te glorifie pas en toy de ton liabilite" oy de ton en- gin , que ' tu ne desplaises a Dieu qui le t'adonne, et tout ce que tu as de bien naturelleraent en toy. Ne te repute pas raeilleur que les aultres, car par adventure es-tu pire devant Dieu, qui scet bien ce qui est de bien en toy mieulx que toymesmes ne faiz. Ne t'en orgueillis pas de tes bonnes euvres, car aultres sont les jugemens de ,Dieu, auquel par adventure desplait ce que les hommes loent en toy. Se tu as en toy aulcune chose de bien, pense que les aultres valent encores mieulx, affin que tu gar- des tousjours humilite en toy. II ne te peult nuyre se tu te reputes le plus meschant de tous les aul- tres, mais tresgrandement tenuystse tu te proposes ou reputes raeilleur d'ung tout seul. Paix est tous- jours au cueur de Tumble, mais au cueur de 1'or- gueilleux est tousjours ennuy, et indignacion et noise. De n 'avoir point trop grande familiarity a quelque personne. VIII 6 CHAPITRE. e revelle pas ton cueur a toutes per- sonnes, mais ayes conseil a celluy qui ayme Dieu. Soyes pou souvent avec jeunes gens et estranges. Ne flate pas les riches et ne te monstre pas, ou bien peu sou- r. De creinte que. COMSOLACION III. 235 vent, devant grans seigneurs; mais acompaigne- toy avecques humbles, simples et devotz et de bonnes meurs , et la parle de choses de edifica- cion. Ne soyes point familier aux femmes, mais tout en commun prie Dieu pour elles, et en especial pour les bonnes. Desire estre seullement familier a Dieu et & ses angelz , et evite le plus que tu pour- ras la congnoissance du monde. Car on doit avoir charit6 a tous, et non pas fami- liarite. Aulcunesfois advient que on ayme une personne que 1'on ne congnoist pas, et toutesfois elle ne plaist point apres ce que on en aura la con- gnoissance ou familiarit6 a elle. Car nous cuydons aulcunesfoiz plaire aux aultres personnes par nostre familiarity , et toutesfois nostre frequentacion leur desplait. D'estre obeissdnt et subject. VIIIP CHAPITRE. 'est tresgrant bien d'estre en obeissance soubz ung prelat a qui on obeisse, et que on ne soil pas en sa puissance ', car c'est plus seure chose de ainsi estre, que d'estre en prelature. Mais auculuesfois aulcuns ainsi demourent plus par paour ou neces- site et crainte que par amour de charit6; et telz sont en grant peine, et de legier murmurent; et par ce n'acquierent point vraye Iibert6 de cueur se i. Mattre de soi. a36 L'lNTERNELLE ilz ne se submettent de tout leur cueur a leur ma- jeur pour I'amour de Jesuchrist. Va ou tu vouldras, en quelque lieu ne en quelque estat tu ne trouve- ras parfaicte paix ou repos en ce monde fors en humble subjection a son prelat , car desirs de di- vers lieux et mutacions ont deceuz plusieurs reli- gieux. II est vray que ung chascun ensuyt voulentiers et s'encline a ceulx qui sont de son opinion ; mais se Dieu est avec nous, et que nous le querons vraye- ment, il fault que pour I'amour de luy nous laissons ce propre sens et sentement pour le bien de paix. Qui est celluy qui puisse estre si saige qu'il puisse tout scavoir? Et pource doncques ne te fye pas trop en tes sens, mais ensuy voulentiers le sens d'aul- truy; car jacoit ce que tu ayes bonne opinion et toutesfois pour I'amour de Dieu tu la laisses et fais la voulent^ d'aultruy, par ce tu proffites plus et dessers la grace de Dieu, voyre toutesfoizpuis que * la voulente d'aultruy ne soyt pas centre le com- mandement de Dieu, et ne trait pas a peche ou con- tre ce que tu es tenu de faire selon ta religion. J'ay souvent ouy dire que c'est plus seure chose ouyr et croire le conseil d'aultruy que le sien pro- pre 2 ; et jac.oyt ce que le sens et oppinion d'ung chascun soil bon , toutesfois vouloir ensuyr tous- jours son sens et ne croire point a aultruy, mesme- ment quant il y a cause et raison pourquoy on le i. Pourvu que. a. Que ft donner. Ed. 1498. CONSOLACION III. a3; doit faire , c'est signe de tresgrant orgueil et pre- sumption. De eschever superfluity de parolles. X e CHAPITRE. scheve tant que tu pourras la tourbe et tumulte du monde, car scavoir souvent les besoignes du monde et en ouyr parler empesche grandement a avoir paix et transquilit^ de cueur, suppose que telles parolles soyent dictes simplement et sans maulvaise inten- cion. Car la vanite du monde de legier ordoye 1'ame et aveugle 1'entendement. Et se on demande pour- quoy doncques en oyons-nous si voulentiers parler et avons voulentiers telz confabulacions ensemble, jacjoit ce que a peine ou peu souvent nous depar- tons-nous sans blecer nostre conscience , laquelle bleceure nous sentons et apparcevons quant nous nous voulons recueillir et retourner a nous et k nostre silence , je dy que c'est pource que par telles collocucions et confabulacions ensemble nous que- rons consolacions exteriores et aulcunes subleva- cions des temptacions que par adventure nous sous- tenons au cueur, et prenons plaisir a parler de ce que nous avons moins ou desirons , suppose qu'il nous soil contraire a nostre propos et contre 1'in- tencion de nostre estat. Mais ceste consolacion nous est trescontraire , car elle est tresnuysante a la consolacion divine, 238 L'lNTEBNELLE Et pource nous deussions adviser et prier que nous ne perdions pas nostre temps. Aumoins s'il nous est licite et expedient de parler, parlons des choses qui soyent de edificacion. Deux choses sont qui font et empeschent ' moult a garder mal sa lan- gue , c'est assavoir maulvaise acoustumance et ne- gligence de proffiter. Et par le contraire bonne acoustumance et desir de profliter font et valient moult a bien garder sa langue. Et aussi vault moult et proffite a acquisicion de vertus et paix de cueur parler de devocion et de proffit espirituel , mesme- ment quant on est avec gens de tel estat et propos. De acquerir paix de cueur et avoir jalousie de proffiter. XI e CHAPITRK. ous pourrions legierement avoir paix se nous ne nous occupions pas en faiz et en parolles qui n'appartiennent pas a nostre estat, car comme * pourra celluy paix avoir qui se mesle des besoignes d'aultruy, qui quiert occasion d'estre souvent dehors, qui peu souvent ou rien se recolige en soy. Bonnes simples gens qui ne pensent a nul mal sont bien eureux , car ilz ont tousjours paix du cueur. Pour laquelle cause aulcuns saintz ont est6 tant contemplatifz et eslevez en 1'amour de Dieu ? Pource i . Font, par leurs entraves, qu'on garde mal, etc. 3, Comment. CONSOLACION III. 289 qu'ilz se sont estudiez a eulx mortifier de tous desirs terriens , et de tout leur cueur out tendu a eulx joindre a Dieu par amour et vacquer de tous pointz a penser a luy. Et pource que peu souvent nous efforcons a vaincre parfaictement noz pechez, non pas seullement ung, ne aussi a proffiter, pource demourons-nous tousjours tepides , remys et ne- gligens. Mais se nous mettions peine de nous mortifier, et que ne nous appliquissions pas en ces besoignes terriennesetmondaines,lorspourrions-nousaulcune chose sentir de Dieu, et par contemplacion experi- menter de la doulceur celestielle. Et le plusgrant em- peschement que nous ayons a ce sont noz passions et concupiscences, desquelles nous ne nous efforcons pas de nous depescher, et ne prenons ardamment le chemin des saintz Peres passez. Et se nous com- mencons aulcun bon propos acomplir et mettre a effect, et il ' nous vient aulcune adversite, tantost nous laissons tout et retournons a avoir consolacions terriennes. Mais se nous nous efforcions de fort combatre et estre fermes et stables en cest assault, tantost nous appercevrions 1'aide de Dieu , car il est tout prest a aider a ceulx qui pour 1'amour de luy se combatent fort et ont en luy leur seulle esperance. Et pource nous donne-il et seuffre venir les assaulx des temptacions, affin que nous ayons occasion de i. Le mot se du membrc de phrase precedent est sous-en- tendu, et se il nous vient. >40 L'lNTEHNELLE combatre, et par son aide nous puissions vaincre et surmonter, et que nous soyons couronnez et remu- nerez de nostre victoire. Se nous mettons nostre fin de perfection de reli- gion en ses observances exteriores, nostre devocion tan tost finera. Mais venons a la racine, c'est assavoir a la cause pourquoy elles sont ordonnees, laquelle si est ' affin que nous nous purgeons et nectoyons des vices et passions, et puissions avoir et acquerir paix de cueur et purite de conscience. Se nous mettions peine et diligence de extirper denous, et arracher aumoins ung vice parfaicte- ment ou une passion mortifier tous les jours *, nous viendrions tantost a perfection. Mais souvent est, par le contraire, que nous valions mieulx et estions plus devotz et fervens au commencement quant nous venismes en religion, que nous ne fai- sons grant temps apres nostre profession, et que nous y avons longuement demoure. Et quant nostre ferveur devroit tousjours croistre et nostre devocion, nous reputons maintenant grant chose et loe Ton celluy qui peult perseverer en sa premiere ferveur et la garder en son estat. Se nous nous faisions violence au commencement, lors nous ferions apres toute chose legierement et a grant joye. C'est forte chose de laisser sa coustume ancienne, mais c'est plusforte chose de laisser sa propre vou- lente. Et se tu ne peuz vaincre et surmonter les le- i. Laquelle rertts ou ninii est. t. Le texte latin dit anno. CONSOLACION III. H* gieres et petites choses, comment vaincras-tu et surmonteras les fortes et difficiles? Et pource re- siste au commencement a ta maulvaise inclinacion, et laisse ta maulvaise acoustumance , affin que par attendre longuement tu n'y treuves plusgrant dif- ficulte. se tu pensoys comment tu feroys grant joye , et seroys occasion de grant paix a tes com- paignons et a ceulx qui sont avec toy, en toy gar- dant soingneusement et mettant peine de proffiter, je croy que tu y mettroys plusgrant diligence ! Du bien et proffit que fait adversite et tribulation. XII* CHAPITRE. 'est ung tresgrant bien que Dieu nous fait de nous souffrir venir tribule.cion et adversit^, car par ce souventesfois une personne retourne a soy pource qu'il congnoist qu'il est encores en exil et non pas eu son pa'i's; et pource il ne meet pas son esperance en ce monde. C'est nostre grant proffit que nous souffrons contradictions nostre propre voulente", et que nous pensons et cuidons que on scet mal de nous, et que on ne nous repute pas parfaitz, sup- pose mesmes que nous cuidons tousjours bien faire, et que nous n'ayons quelque malle intencion. Car ces choses nous gardent de nous enorgueillir, et nous deffendent d'avoir vaine gloire de noz bonnes eu- vres. Car lors nous nous attendons tant seullement 16 242 L'lNTERNELLE a Dieu d'estre tesmoing de noz operacions, quant nous sommes mesprisez du monde , et que on ne nous veult croire. Et pource se devroit la personrie de tous pointz affermer a Dieu et fier ; et par ce il ne seroit point besoing qu'il querist les consolaoions humaines. Quant une personne de bonne voulente" a tribula- cion ou affliction de cogitacions, lors congnoist-elle rriieulx 1'ayde de Dieu luy estre necessaire, sans le- quel il congnoist et scet qu'il nepeultnul bienfaire. Lors aussi il retourne a Dieu en larmes et en ge- missemens, et le prie pour les miseres qu'il seuffre. Lors est-il ennuye de longuement vivre en ce monde, et desire la mort pour estre delivre" de ses miseres et estre avec Jesuchrist. Car lors aussi il congnoyst qu'il ne sera en parfaicte transquilite" ne plaine paix en ce monde tant comme il y sera. 1 De resister aux temptations. XIII e CHAPITRE. ant comme nous sommes en ce monde nous ne sommes point sans temptacions. Et pource est-il escript au Livre de Job : La vie de 1'homme sur terre est tempta- cion. Et pour ceste cause doit estre ung chascun soin- gneux de soy garder et estre veillant en orayson, a ce que 1'Ennemy ne trouve lieu ou maniere comme il le puisse decepvoir, car il ne dort pas, mais en- CONSOLACION III. *43 Vironne de toutes pars , regardant et escoutant ' comme il puisse decepvoir. II n'est pas parfaict ou si sainct qui n'ayt des temptations lesquelles jamais ne defaillent de tous pointz ; mais elles nous sont souventesfoys proffi- tables, jacoyt ce qu'elles nous soyent ennuyeuses et griefves a porter ; car par elles 1'homme est humilye et purge et enseigne. Tous les sainctz de Paradis sont passez par temptations et y ont proffite", c'est a dire y ont acquis merite envers Dieu. Et ceulx qui ne les ont peu porter. ou soustenir, mais en icelles ont este surmontez, sont reprouvez de Dieu. II n'est si saint lieu ne secret ou il n'y ayt tempta- tions. II n'est personne si saincte qui soit asseure"e de temptations tant comme il vivra en ce monde ; car nous portons en nous mesmes la cause de la temp- tation, qui sommes conceuz et engendrez parconcu- piscence. Et tan tost que une temptation est passee 1'aultre revient. Tousjours trouvons-nous deffaulte n nous ou chose qui nous desplait. Car par pech6 nous avons perdu nostre felicite , c'est assavoir nostre paix. Plusieurs sont qui cuydent eviter et fouyr les temptacions, et ilz y che"ent et tombent plusfort. Nous ne les povons vaincre ne surmonter par fuyr, mais par vraye humilite et patience nous sommes plus fors que noz ennemys. Celluy quicuyde vaincre et surmonter seullement par dehors, eschap- per ou fuyr, et ne va pas a la ratine, pou proffite ; i. Esguettant. Kilit. 1498. 244 L'lNTERNELLE mais encores plustost les temptations luy retour- nent, et les sentira plus griefves et fortes. Mais par paciemment et longuement soustenir en faisant son devoir avec la grace de Dieu, il les surmonte et vainct mieulx que par violence et sa propre ira- portunite. Demande souvent conseil en temptation, et le croy. Et se on le te demande, si le bailie vou- lentiers et doulcement selon que Dieu te inspirera, et ne reprens pas rudement ou mal gracieusement, ains reconforte et console comme tu vouldroys que on te fist en cas pareil. Commencement de tout mal et de toute tempta- tion est inconstance de voulente" et petite con- fiance en Dieu. Car ainsi comme une nef en la mer sans gouverneur va ga et la pour les flotz et undes de 1'eaue qui la boutent et chassent en diverses parties, aiusi est ung homme remys ou lasche, et paresseux en son propos, et qui de legier change sa voulent^. Le feu espreuve Tor, et la temptation 1'homme juste. Nous ne scavons souventesfoyz quelz nous sommes , mais la temptacion nous preuve, et demonstre nostre force et foiblesse. Toutesfoyz on doit estre soingneux de resister au commencement de la temptacion, car lors est-elle plustost surmon- tee et vaincue se on ne la laisse pas entrer dedens 1'huys * de nostre cueur, c'est a dire que on n'y preigne point plaisir ou delectation , mais que au commencement, tantost que on la sentira, que on y resiste. Et pource dit ung poete : Met remede au t. La porte. CONSOLACION III. 245 commencement , c'est assavoir tantost que on sent la maladie ; car aulcunesfoyz on attent trop a ap- pareiller la medicine , car on laisse la maladie si fort enraciner que la medicine ne la peut guerir. Pareillement a ce propos, la cogitacion ou pense"e simple vient au commencement ; apres vient forte ymaginacion , c'est assavoir que on s'y arreste et prent-on plaisir a y penser ; apres, la delectation longue; apres vient le consentement ; et apres, 1'ceuvre, que on acomplist le peche. Et ainsi peu a peu. 1'Ennemy entre au cueur de la personne de tous pointz, pource que on ne luy a bien resiste au commencement. Et detant que la personne at- tendra plus longuement a resister aux temptacions qui luysurviennent, detant sera-elle plus foyble de jour en jour, et trouvera en soy moins de force, et 1'Ennemy plusfort et plus puissant centre soy. Aulcuns sont qui au commencement de leur con- version sont plusfort temptez; les autres a la fin de leurs jours. Les aultres par toute leur vie out temptacions ; les aultres par tout leur temps n'en ont gueres, selon 1'ordonnance de la divine sapience, qui congnoist et scet tout, etla force et vertu d'ung chascun , et tout dispose selon sa bonte\ comme il scet que a ung chascun est besoing et profitable pour le salut. Car il fait tout pour le salut de ses amys et esleuz, et mesmes d'un chascun, se a nous il ne tient. Et pource quant nous avons temptacions nous ne nous devons pas desesperer, mais le prier plus 246 L'lNTERNELLE instamraent qu'il luy plaise nous ayder en ceste tribulacion , et que , ainsi comme dit sainct Pol 1'Appostre , il ne nous laisse pas tempter plusfort que nous ne povons soustenir, luy qui scet nostre force, qui est trespetite, et nulle sans 1'ayde de luy. Et pource nous devons nous humilier soubz sa puissance en toute adversite" et temptacion ; car il saulve et delivre tousjours les humbles, et exaulce leurs oraysons. En tribulacions et temptacions 1'homme si est prouve comme il aproffite, et par icelles congnoyst mieulx son merite ; et sa force et vertu par ce y est manifested. Ce n'est pas grant chose se ung homme est devot et fervent, doulx, humble et be- gnin, quant il n'a point de temptacion ne d'adver- site, et quant on ne luy dit rien qui luy desplaise ou contre sa voulente". Mais se en adversite", temp- tacion ou tribulacion , et quant on le provocque ou irrite par fait ou par parolles, il est pacient , doulx, humble et debonnaire , la appert et est manifests son proffit, sa force et resistance, sa vertu et puis- sance, et generalement ce qui est de bien en luy. Aulcuns sont qui n'ont point fortes temptacions, mais foibles et legieres, et toutesfoyz ilz ne les pe- vent vaincre ne surmonter. Et ce permet et seuffre Dieu advenir affin qu'ilz se tiengnent en humilite, par ce qu'ilz se voient estre surmontez de si pe- tites temptacions, et qu'ilz pensent que encores seroyent-ilz plustost surmontez se elles estoyent grandes et fortes. CONSOLACION III. 247 Defol jugement, c est a dire que on ne doibtpas fallement juger aultruy, XIIII* CHAPITRE. yes tousjours les yeulx sur toy, c'est a dire a tes pechez, deffaultes et enfer- metez; et ne juge pas ou interprete en mal lesfaitz d'aultruy. En telz jugemens a aultruy on pert sa peyne, souvent on y erre, et y peche Ton legierement. Mais en considerant soy- mesraes , ses deffaultes , ses pechez , et ses enfer- metez jugeant et condempnant, on laboure proffi- tablement. Nousfaisons souvent telz jugemens selon 1'affection que nous avons au cueur de la personne ' ; et car 2 vraye charite" a elle n'est pas en nostre cueur, c'est a dire que nous n'avons pas amour et charite a elle, nous jugeons et interpretons ses faitz en mal 3 : car par affection desordonn^e nous est vray jugement tollu 4 . Se nostre entencion estoit tous- jours pure et necte en Dieu , nous ne serions pas si legierement troublez quant on nous dit ou fait quelque chose contre nostre voulente\ i. Pour la personne. ?.. Lorsque. 3. Cette phrase est incomplete et inintelligible dans les textes parisiens depuis l'in-4<> s. d. et 1'ddit. de i5oo. Les e"dit. poste"- rieures n'ont fait la encore, selon leur habitude, qu'essayer de rendre intelligible le texte de ces deux premieres versions, en 1'acceptant respectueusement comme un travail original , non comnie une traduction, et sans recourir au latin. II s'ensuit que dans 1'eMit. de i533, par exemple, cette phrase est devenue une phrase claire, mais plus e'loigne'e. encore de la version primitive. 4. Enleve". H8 L'lNTERNELLE Mais souvent a au cueur dedens aulcune affection par laquelle, par ce qui nous vient au devant , nous sommes tirez ou d'ung coste ou d'aultre, c'est assa- voir a juger et interpreter ou en bien ou en mal. Plusieurs cuydentbien congnoystreleur conscience, et n'y scevent advenir a 1'encercher bien au vif ou 1'examiner. II leur semble qu'ilz sont en bonne paix de conscience quant les choses viennent a leur bon plaisir, et que on ne les courrouce point ou trouble ; mais se d'aventure on leur fait ou dit aulcune chose centre leur voulent6 , plaisir ou affection , tantost se troublent et contristent. Et de ceste contristacion ou conturbacion ilz ne attribuent pas la cause a eulx mais aux aultres ; et pource souvent advient noyse et discencion entre amys et voisins, et mes- mes religieu* et devoz, pour la diversite des vou- lentez et oppinions. Car quant une, personne a acoustume longue- ment a tenir et ensuyr son oppinion et voulent6, a grant peyne la peult-il laisser, pource que 1'an- cienne et vieille acoustumance a grant peyne peult estre delaissee , et a grant difficult^ peult-on aulcun faire aller centre sa voulente. Se tu te confies plus en ton oppinion ou industrie que a rayson subjecte a Jesuchrist, a peine ou jamais seras-tu enlumin6 de Dieu ; car Dieu veult que nous soyons parfaicte- ment subjectz a luy a ce que nostre sens, entende- ment , oppinion et tous noz membres soyent en flambez de son amour. CONSOLACION III. 349 Des ceuvres faictes par charite. XV CHAPITRE. n ne doit faire peche pour quelque chose que ce soit au monde guaigner, ou pour quelque affection ou amour que on ayt a aultruy ; mais on peult bien, aulcunesfoiz laisser ou differer a faire aulcun bien pour le proffit d'aultruy, ou aussi pour faire aultre plusgrant bien apres : car par ce on ne destruit pas le bien , mais on le change en meilleur. Sans charite ne peut quelque bien proffiter a celluy qui le fait ; mais si petit bien n'est , que s'il est fait en charite" et par charite, qu'il ne proffite tres- grandement a celluy qui le fait. Car Dieu n'a mes- tier de nous ne de noz biens ; et pource il ne re- garde pas la grandeur du bien que on lui fait ou donne. Celluy luy donne grant chose qui de grant cueur 1'ayme ; celluy fait bien bonne osuvre qui fait bien ce qu'il fait, qui veult et desire plus le bien d'aul- truy et le proffit commun , que servir a sa propre voulente et plaisir, et 1'acomplyr. Souventesfoyz advient que aulcuns semblent faire ce qu'ilz font par charit6, c'est a dire pour 1'amour de Dieu sim- plement, et toutesfoyz c'est charnalite et aultre affection ou entencion corrompue , comme inclina- tion naturelle a ses parens, ou aulcuns autres que on ayme de long temps , et pour aulcuns services a5o L'lNTEHNELLE et plaisirs qu'ilz ont aultresfoyz faitz , ou pource que la voulente" s'encline plus a telle ceuvre faire, ou pour aulcune retribucion et proffit temporel et service que on a esperance qu'ilz feront, ou pevent faire au temps advenir. Mais celluy qui a vraye et parfaicte charite n'a quelque regard que ce soil, ne a soy, ne a son proffit ou louenge ; njais seullement en ses (Euvres quiert et desire la gloire de Dieu. II n'a point d'en- vie sur aultruy, car il ne desire point sa louenge privee ou propre. II ne veult point estre loe en ses oauvres; et pource, se on le loe, il retourne toute la louenge a Dieu, duquel il scet bien que tousles biens viennent, qui est fontaine de tous biens, au quel les saintz ont fmablement leur seul repos. qui auroit une petite estincelle de ceste amour et charite, certainement non pas seullement repu- teroit, mais sentiroit tous les biens de ce monde non estre que vanit6 et niant ! De souffrir et porter pactemment les de/faultes et meurs d'aultruy. XVI e CHAPITRE. a personne doit avoir bonne pacience es maux qu'il seuffre et porte en soy pour 1'amour d'aultruy, se par soy il ne y peult mettre aulcun remede, jusques a ce que Dieu aura aultrement ordonne. Car il doit penser et adviser que par ce Dieu veult scavoir CONSOLACION III. 25l et appro uver sa pacience, sans laquelle ses merites sont de peu de pris, et aussi peu valient. Toutes- foys tu luy dois prier qu'il luy plaise a y mettre remede selon ce qu'il scet que besoing te est, et qu'il te doint grace de ce porter paciemment. Se il te semble que aulcun fait mal, et est de maulvaise vie, tu le dois admonester une foiz ou deux; et s'il ne te veult croire, ne te courrouce pas a luy ou le temples ' , especialement se tu n'as la charge ou le gouvernement ne corporel ne espiri- tuel de luy. Mais attens-toy de ce a Dieu, en luy priant que sa voulente soit faicte , et son honneur garde en toutes ses creatures, car il scet bien faire et convertir le mal en bien. Estudie-toy d'avoir en toutes adversitez pacience , et porter paciem- ment les deffaultes et enfermetez d'aultruy, et pense que aussi tu as en toy plusieurs deffaultes qu'il convient que les aultres seuffrent , et portent pa- ciemment. Se tu n'es pas encores ou ne te peuz faire tel comme tu vouldroys , comment pense- tu que tu faces des aultres a ta voulent6 ? Nous voulons bien que tous noz compaignons soyent parfaitz, mais nous ne nous voulons amender nous mesmes, ou au moins nous n'y mettons pas peyne ou dili- gence d'en faire ce que en nous est. Nous voulons bien que les aultres soyent pugnys, ot corrigez tresfort et aigrement reprins; mais i. L'edit. de 1498 donne ou te tentes. La mst. traduit lit- t^ralemeut le latin : Ne roelles plus contendre tiu arguer avec luy. a5a L'lNTERNELLE uous ne nous amendons pas, et ne povons souffrir correction ou reprehencion. II nous desplaist se on fait aux aultres aulcunes graces et relaxacions, mais il nous est grief se on ne nous ottroye ce que nous voulons. Nous voulons tresbien que on face des ordonnances et status centre les aultres , mais nous ne povons souffrir que on nous restraingne tant soit peu, et par ce il appert que nous ne pesons pas noz freres comme nous, mais voulons avoir, comme on scet dire ', ung droit pour nous et ung aultre pour noz voisins. Se tous estoyent parfaitz, nous n'aurions qui nous excercitast, et par qui nous souffrissions pour 1'amour de Dieu. Mais ainsi a Dieu ordonn6 qu'il en y ait de di- vers estatz et condicions , affin que nous appre- nons a porter les meurs et deffaulx 1'ung de 1'autre; car il n'y a celluy oil il n'y ait a dire, et qui n'ait aulcune chose qu'il fault souffrir et porter en luy. II n'y a celluy qui soit souffisant pour soy gouverner en toutes choses , qui n'ait mestier ou besoing d'aultruy, ou en conseil , ou en aide , ou en biens. Et pource on doit porter 1'ung 1'autre, reconforter, aider, enseigner, conseiller, et admon- nester voulentiers et en charit6, jacoit ce que ung chascun se doye efforcer de estre tel qu'il y ait le moins a porter en lui qu'il pourra 2 , aumoins en meurs. Et quelle est une personne de force et vertu i. Comme on teull dire , comme on a 1'habitude de dire. Edit, de 1498. a. D'etre le moins difficile a vivre qu'il pourra. CONSOLACION III. a53 espirituelle , on le congnoist mieux en adversite" que en prosperity ; car 1'occasion de la tribulacion ou adversite" ne fait pas 1'homme foible a resister, mais elle demonstre quel il estoit par dedans, et que la pacience qu'il demonstroit par dehors de luy ne venoit pas , mais pource qu'il n'avoit point d'aversite. De la vie monastique ou de religion. XVII 6 CHAPITRE. ui veult profiler en religion , et vivre en icelle comme ung vray religieux , il fault qu'il mette peine de se mortifier, et ses propres desirs et plaisances, rorapre sa propre voulent, s'il veult avoir paix et la garder en soy et a ses compaignons. Ce n'est pas petite chose de demourer et vivre au monastere, et en religion , sans quelque mauvais nom * , et loyaulment perseverer en ycelluy jusques a la mort. Bien heureux est celluy qui bien y vit et perseveramraent. Et se tu y veulx demourer et proffiter, repute-toy comme estrangier et pelerin en ce monde. Se tu veulx mener vie religieuse, il convient que tu soyes fol pour 1'amour de Dieu. L'abit et la couronne 8 ne font pas le moyne,mais parfaicte mutacion de ses meurs et de ses condi- cions et passions font le vray moyne ou religieux. i. Renom. a. La tonsure. 254 L'lNTERNELLE Qui en religion est venu pour aultre chose que pour 1'amour de Dieu , et pour faire le saulvement de son ame, il n'y aura que peine et tribulacion. Et aussi n'aura pas longuement paix s'il ne se es- force d'estre le moindre, et subject de tous les aul- tres, aumoins quant a sa reputacion. On y doit venir pour servir, non pas pour gou- verner; pour labourer et souffrir peine , non pas pour estre oyseux et perdre son temps en fabula- cions. Car ycy doit-on estre prouve comme 1'or et 1'argent en la fornaise. Et pource nul n'y peult de- mourer s'il ne se efforce de soy humilier de tout son cueur pour 1'amour de Nostre Seigneur Jesu- christ. Des exemples des anciens saintz Peres. XVIII 6 CHAPITRE. our bien proffiter en religion on doit W regarder et penser aux saintz Peres an- ciens, et aleur saincte vie, en laquelle re- luyt toute perfection de saincte religion. Et lors on congnoistra comment c'est peu de chose ce que nous faisons , et pres que neant, au regard de eulxetdeleur vie. Helas! que serade nostrevie s'elle est comparee a la leur ! Les saintz amys de Dieu lay ont servi en fain, en soif, en froit, en chault, en nudite , en labeur, en travail , en veilles , en jeunes , en oraisons , en sainctes meditacions , en persecucions, et en reproches des maulvaiz. CONSOLACION III. a55 comment plusieurs grandes et griefves tribula- cions ont souffert et port6 pour 1'amour de Dieu les saintz Apostres,' Martirs, Confesseurs, Vierges et aultres saintz, en ensuyvant le chemindeJesuchrist, et en fuyant la voie du monde pour parvenir a la vie pardurable! comment les anciens Peres et Her- mites es desers avoyent prins estroicte voye et vie separe"e du monde ! Comment ilz ont soustenu gran- des et griefves temptacions ! quelle tribulacion leur faisoit 1'Ennemy! Comment longuement et fervam- ment ilz prioyent Dieu! Quelles grandes abstinen- ces ilz faisoyent ! Quelle jalousie et amour avoyent- ilz au proffit espirituel des aultres ! Quelles batailles et assaulx soustenoyent-ilz de la chair! Et quelles peines mectoyent-ilz a mortifier leurs vices et pas- sions desordonnees ! Comment pure et necte inten- cion avoyent-ilz envers Dieu ! Par jour ilz labou- royent, et de nuyt ilz vacqueoyent a longues orai- sons , jac.oit ce que en labourant ne cessoyent pas a oraison de cueur. Le temps par eulx estoit tresbien et proffitable- mentoccupp6; si 1 leur sembloit estre brief, pour la doulceur qu'ilz avoyent en leurs oraisons et con- templacions. Et par ce aulcunesfois oublioyent-ilz a prendre leurs refections de boire et menger , et aultres necessitez corporelles. Ilz renonc.oyent a toutes dignitez et honneurs du monde, et aux affec- tions de leurs parens et amys charnelz. Ilz ne de- i. Aussi. 256 L'lNTERNELLE siroyent quelque chose qui fust en ce monde. Bien escharcement prenoyent ce qui faisoit besoing a la vie du corps ; ilz ne vouloyent pas servir a leur corps mesmement en ce qu'il estoit de necessity. Mais entant qu'ilz estoyent plus povres des biens de ce monde par dehors , detant estoyent-ilz plus riches de graces et vertus en Tame. Ilz estoyent povres et souffreteux par dehors aux choses qui apparoissoient aux hommes, mais en 1'ame estoyent- ilz remplys de graces, de vertus, et consolacion divine. Ilz estoyent comme estranges pelerins et mes- congneuz en ce monde ; mais ilz estoyent tresfami- liers et amys deDieu etdes anges. Ilzse reputoyent comme neant et mesprises du monde; mais ilz estoyent honnorez devant Dieu et eslevez de luy. Ilz estoyent fondez en vraye humilit^ , en simplesse et obeissance, en charit et pacience ; et pource tous les jours proffitoyent et acqueroyent la grace de Dieu de plus en plus. Ilz sont exemple a tcus bons religieux , et nous doyvent plus provocquer et es. mouvoir a proffiter, que la negligence des lasches etparesseux a tepiditd et remission 1 . La ferveur de religion au commencement fut grande en devocion, en oraison, en saincte emula- cion et desir d'acquerir vertus, d'acquerir estroic- tement discipline , d'avoir reverence a ses souve- rains, de obeyr en toutes choses a ses prelatz. Encores maintenant en sont les tesmoignages de i. Ne nous dolt emouvoir k tiedeur et Iftchete". CONSOLACION III. 257 leur saincte vie, les enseignemens et doctrines qu'ilz nous ont laisses, lesquelles nous demonstrent clere- raent qu'ilz estoyent saintz et parfaitz, qui ainsi vail- "lamment ont vaincu et surmonte le monde. Mais de present on repute grant chose se aulcun ne fait pas grans faultes ou grans pechez , ou s'il peut paciemment porter et perseverer ainsi qu'il commence, et demourer en tel estat,.en tant que 1 c'est grant pitie" de la laschete et negligence de nostre estat de maintenant , qui ainsi deffaillons et decheons de la premiere ferveur et devocion , et nous ennuye vivre par laschesse et paresse. Mais aumoins relevons-nous de rechief, et nous excitons a proffiter eu vertus, puis que avons devant noz yeul si grans exemples de telles devotes personnes. Des excercitacions d'ung bon religieux , c'est a dire en quelles ceuvres se doit occuper et excerciter ung bon religieux. XVIIIP CHAPITRE. a vie d'ung bon religieux doit estre adorned de toutes vertus, affin qu'il soit tel par dedans comme par dehors se monstre . Encores plus se doit garder plus purement par dedans qu'on ne voyt par dehors ; car par dedans Dieu voit plus clerement que les hommes ne pevent veoir par dehors. Et pource i. Tenement que. 17 a58 L'lNTERNELLE nous le devons souverainement craindre et hon- norer en quelque lieu que nous soyons, et purs et nectzcomme lesangelz estre devons en sa presence. . Chascun jour nous devons renouveller noslre bon propos, et nous excerciter a saincte ferveur et desir, comme se chascun jour nous commencions nos- tre conversion, et en priant dire a Nostre Seigneur ainsi : Mon doulx Seigneur et Dieu tout puissant , plaise-vous moy ayder en ce bon propos que vous m'avez donn6 en vostre saint service, et me donnez aumoins au jourd'uy bien commencer, car ce que jusques a aujourd'uy j'ay faict est moins que neant. Et selon nostre bon propos soil le cours de nos- tre proffit, car besoing est d'avoir grant diligence a ceulx qui veullent proffiter. Se celluy qui pense souvent a son bon propos , et meet peine de le garder, plusieursfoiz fault, que sera-ce de celluy qui ne pense point, ou peu souvent, et qui ne pro- pose rien fichement ' ou fermement. En diverses manieres advient que nous laissons nostre bon propos ; et car mesmement une legiere et petite obmission de nostre bonne acoustumance n'est point, ou a grant peine, sans nostre grant dom- maige espirituel. Le proffit et propos des bons est plus fich6 en la grace de Dieu, en laquelle tousjours se fient, que en leur force et prudence. Car tousjours quelque chose que 1'homme propose, Dieu tous- jours le dispose ; et la vie ou proffit d'une personne n'est pas en soy, maisen Dieu. i . Avec fixitd. CONSOLACION. III. i5g Se pour cause de charite" oupour le proffit de son prouchain on laisse aulcunesfoiz quelque chose de sa bonne acoustumance, c'est a dire qu'on ne vac- que pas tant ou si longuement a orayson , ou raedi- tacion , ou quelque aultre excercice espirituel que on avoit acoustume, de legier apres le peut-on recouvrer. Mais se on le laisse par ennuy, ou las- chete" , ou paresse, c'est mal et reprehensible , et a peyne se peut-on remettre. Et detant qu'on 1'aura laisse plus longuement, detant aura Ton plus de peyne a s'i remettre, et y trouvera Ton plus de difficultez. Et pource efforcons - nous leplus que nous pourrons, car encores legierement trouverons- nous occasion de faillir. Si 1 proposons ou pensons tousjours aulcune chose de bien, et mesmement a ce que nous appercevons qu'il nous est plus expe- dient. Nous devons en tous temps considerer noz operacions exteriores et pensees du cueur, et les ordonner ou applicquer a ce qui nous est plus ne- cessaire et salutaire. Et se nous ne povons pas continuellement avoir ceste consideracion et recolection ou union de noz pensees , au moins ayons la aulcunesfoyz , et par especial deux foyz le jour, c'est assavoir au matin en proposant nous garder par la grace de Dieii , et disposant comme nous occuperons nostre temps a la louenge de Dieu et au salut de noz ames ; et au soir en advisant comment et a quoy nous avons fait i. Ainsi. a6o L'lNTERNELLE au long du jour. Et de ce que nous trouverons avoir est6 bicn fait remercions a Dieu , et du mal reque- rons grace et mercy. Or doncques maintenant arme- toy contre les temptacions de 1'Ennemy ; refraing ta gueulle , c'est assavoir 1'appetit de boire et de mengier ; et lors tu pourras plus legierement sur- monter les concupiscences et inclinacions char- uelles. Ne soyes jamais oyseux , mais occupe-toy, et employe bien ton temps aulcunesfois a lyre , a escripre, et a prier Dieu, a mediter ou a quelque aultre labeur proffitable faire. Toutesfois labeurs corporelz se doivent faire par discretion. Choses espirituelles, et qui ne sontpas de la com- mune observance ', ne se doivent pas faire en ap- pert 2 , car c'est le plusseur de les faire secretement, et c'est pour la vaine gloire 3 qui en pourroit venir. On se doit garder que on ne soit paresseux a faire communs labeurs, c'est a dire 4 que on doit faire par commune obeissance ou qui sont de la com- mune observance de ceulx avec qui on est , et en estre plus diligent que de faire singularitez de sa propre voulente". Mais quant on a accomply les com- munes obeissances ou observances, se tu as temps apres, faiz ce que ta devocion et la grace de Dieu te sugereront. Tous hommes ne pevent pas avoir une mesme excercitacion ; mais une chose est plus i. Obligatoires pour chaqne religieux de 1'ordre. 3. Devant tous. 3. Et cela a cause de la vaine gloire. 4. Ceux qu'on doit faire, etc. CONSOLACION. III. a6i convenable & 1'ung que a 1'autre, et a 1'autre que a 1'autre. Et pource chascun doit considerer ce qui luy est plus proffitable , et s'y doit occuper. Mes- mement en divers temps se doibvent faire diverses operacions, car es festes on doit avoir aultres occu- pations que es jours feriaulx , et en temps de temp- tation que en temps de paix et de transquilite", et en temps de tristesse que en temps de joie et de lyesse. Quant viennent les grans festes et solennitez , on doit renouveller et acroistre sa bonne coustume, et se efforcer de prier plus fervamment les saintz et de requerir leur aide, et se preparer et adviser comment on pourra parvenir a celle feste et solen- nite perpetuelle qui tousjours dure. Car les festes et solennitez que nous faisons en ce monde sont figures et exemples de la feste ' de Paradis. Et pource en ce doulx temps des solennitez nous nous devons occuper a servir Dieu, et a luy demander pardon de noz pechez , et nous preparer et soin- gneusement garder, ainsi comme se nous devions en brief recepvoir le loyer de nostre labeur. Et par ce que encores est differee nostre remu neracion, croyons que c'est par nostre deffaulte,et que nous ne sommes pas encores dignes de si grant gloire, laquelle nous sera demonstre'e au temps pre- fixe ou ordonne de par Dieu. Et pource estudions- nous de nous appareiller a nostre fin. Car, comme i. Que feront les bieneurez en Paradis. Edit. 1498. 202 L'lNTERNELLE dit 1'Evangile : Benoist sera celluy lequel le Seigneur trouvera veillant quant il heurtera a la porte, c'est a dire a 1'heure de la mort , car je vous dy en ve- rit6 qu'il le constituera sur tous ses biens, c'est assavoir en la gloire de Paradis , que nous vueille donner lePere et le Filz et leSainctEsperit. Amen. De I' amour gu'on doit avoir a solitude et garder silence. XX e CHAPITRE. u dois querir et prendre temps pour vacquer et entendre a toy, et laisser aulcunesfoyz aultres occupacions pour penser aux benefices et dons que tu as receuz de Dieu, et recoys continuellement. Tu ne dois pas estudier choses curieuses comme pour passer le temps, mais tu dois querir matieres ou escriptures qui te esmeuvent a compunction et a larmes. Se tu te soustrais et separes de parolles superflues et de nul proffit , de circuicions oyseuses, c'est a dire d'aller et venir c.a et la sans cause, et te gardes de ouyr voulentiers parolles de nul proffit , nouvelletez et rumeurs de detraction, tu trouveras et auras assez souffisant temps pour vacquer a toy, c'est assavoir a oraysons et saintes meditacions. Les plus renommez Saintz que nous ayons fuyoyent toutcs compaignies humaines , tant que bonnement se povoit faire , et dcsiroyent vivre en CONSOLACION. III. 263 solitude ; dont ' ung philozophe dit : Toutesfoyz que je suys ou habile avec les hommes , je m'en re- tourneraoinshomme, c'est a dire moins raisonnable, tout en bourdes * et falaces. Et ce povons-nous apper- cevoir et congnoistre, se y voulons prendre garde, quant nous avons longuement jangte et parle avec les aultres. C'est plus legiere chose de se taire de tous pointz , que soy garder de faillir en parlant. C'est plus legiere chose de soy garder seul en sachambre, que soy garder de exceder 3 parmy le monde. II fault doncques que celluy qui se veult garder par dedens et sa vie espirituelle, se separe de la tourbe ou compaignie des aultres , a 1'exemple de Nostre Saulveur. Nul ne peult seurement se monstrer ou apparoir, fors celluy qui voulentiers se separe. Nul ne parle si bien comme celluy qui se taist. Nul n'est si seurement president, ou prelat des aultres, comme celluy qui a este longuement bon subject. Nul ne commande si seurement comme celluy qui a appris a obeyr. Nul n'a seure joye fors par bons tesmoignaiges de sa conscience. Toutesfoyz la joye et seurte des sainctes personnes est tousjours en crainte et paour ; et pource ne sont-ilz pas moins soingueux d'eulx garder humblement pource qu'ilz sont remplys de vertus et de la grace de Dleu. Mais la joye et seurte des maulvais est pleine d'orgueil , et vient de pre- 1. Sur quoi. 2. Mensonges. 3. Se laisser aller a des exces. 264 L'llVTERNELLE sumption , etpource en la fin mourent villainement. Et pource on ne doit point jamais estre seur en ceste vie mortelle, quelconque sainctete ou longue demourance que on semble avoir eu en monastere ou en solitude. Souventesfoyz est advenu que ceulx qui sem- bloyent y estre les meilleurs, devant les hommes etselonl'estimacion dumonde, sont plus laidement et plus perilleusement cheuz et tombez par leur orgueil. Etpource est le plus proffitable a plusieurs qu'ilz ayent des temptacions souvent , affin que par trop grande seurte ilz ne s'en orgueillissent , et aussi qu'ilz ne se habandonnent trop a plaisances et consolacions exteriores. qui jamais ne desireroit avoir joye transitoire, et qui ne se occuperoit point en occupacions mondaines, tousjours garderoit sa conscience nette! Et qui osteroit de soy toute vaine solicitude , et tantseullement auroit pensees de Dieu et choses divines, et toute son esperance mettroit en Dieu , grant repos et paix auroit en sa conscience. Nul n'est digne de grant consolacion se il ne se excercite diligemment en saincte compunction. Et pource se tu veulx avoir compunction de cueur, tien-toy en ta chambre, c'est a dire soyes tout seul , et boute hors de toy toutes noyses , c'est a dire pensees du monde , selon ce qu'il est es- cript : Ayez compunction en voz couches et en voz lictz. En ta celle ' tu trouveras ce que tu as i. Cellule. CONSOLACION. III. 266 perdu hors d'icelle. La celle est doulce a celluy qui 1'a acoustumee , mais elle est ennuyeuse a celluy qui ne s'i tient pas souvent. Se au commencement de ta conversion tu te acoustumes a y estre , et la garde voulentiers, elle te sera apres tresamyable et a grant consolacion. En silence et repos proffite 1'ame devote et recoyt revelacions divines mesmement des choses oscures de la saincte Escripture. La trouve-elle 1'eau de lermes par lesquelles chescune nuyt se peult laver et nettoyer, affin que de tant soil plus familiere a son createur, de tant qu'elle se separe plus du monde et des secularitez. Qui doncques se soustrait de ses prochains et amys charnelz et mondains, Dieu et les angelz approcheront de luy. C'est plus proffitable chose de soy mucer et penser a soy, que faire miracles et soy oublier. C'est la louenge d'ung religieux d'aller peu souvent hors de son cloystre, et ne vouloir point estre veu , et aussi ne vouloir point veoyr aultruy. II n'est point de besoing de veoyr ce que on ne doit point avoir ne desirer. Le monde se passe et ses concupiscences. Les desirs et voulentez de la sensualite attrayent a prendre esbatemens et con- solacions exteriores; mais quant 1'heure ou temps est passe, on ne sent en sa conscience que tribu- lacion et dispersion de cueur. On y va joyeusement , mais on en retourne en grant tristesse. On veille au soir en joye et lyesse, mais on sent le matin en soy grant melencolie et tristesse. Et ainsi est-il de 366 L'lNTERNELLE toute joye et consolacion charnelle on corporelle et mondaine, car on la recoil voulontiers et legiere- ment, mais la fin est amere et mortelle. Quelle chose peuz-tu veoir dehors que tu ne puisses aussi bien veoir en ta celle? Tu ne peuz veoir que le del, la terre et les elemens, car Unites aultres choses sont faictes d'iceulx. Tu ne peuz veoir chose qui puisse estre et de- raourer longuement en ce monde. Et par adventure tu cuides par ces choses saouler et appaiser ton desir, mais tu es deceu , car tu ne le peuz faire. Se tu povoys veoir a une foiz en ta presence toutes les choses du monde , que aurois-tu gaigne fors vanite? Lieve tes yeulx en hault a Dieu, et le prie pour tes pechez et negligences. Laisse les vanitez au monde, et pense et entens aux commandemens de Dieu. Clos ton huys sur toy, et appelle et invite Dieu avec toy, ton bon amy Jesus; et quant tu le sen- tiras, tien le et demeure avec luy en ta chambre. Car tu ne trouveras pas aultre part si grant paix et consolacion '. Se tu ne t'en pars point ou esloignes, et ne vas dehors pour ouyr rumeurs et parolles mondaines, detant demourra-il plus longuement avec toy, et sentiras paix et transquilite. Mais se tu te delictes a ouir quelques nouvelletez , il est necessite que apres tu en sentes tribulacions et assaulx en ton cueur par desolacion. i. L'e'dit. de 1^98 ajoute ceci : Car tu as avec toy celny ou les Angles prennent leur joye et consolacion en le regardant, et coiitemplant sa divine bonte, a laquelle joye tu pens parvenir se tu veulx vaillamment resister. CONSOLACION. III. 267 De avoir ou enquerir compunction. XXP CHAPITRE. e tu veulx bien proffiter, garde-toy, et tc tien en la crainte et paour de Nostre Seigneur Jesuchrist, et ne desire pas a estre franc ou en ta liberte. Mais reffrain ton cueur et tous tes sens soubz discipline, et ne te habandonne pas desordonnement a lyesse , mais a compunction ; et lors tu trouveras devocion. Compunction fait plusieurs biens lesquelz dissolu- cion a acoustume de perdre legierement. C'est mer- veille comment une personne peut estre joyeuse en ce monde se elle considere bien 1'exil et les grans perilz ou elle est sans cesser. Pour la legierete de nostre cueur, et negligence de penser a noz pechez et deffaultes , nous ne sen- tons pas les douleurs de noz ames, mais souven- tesfois nous nous esjouissons la ou nous devrions gemir et plourer. II n'est point de vraye franchise ou liberte, nc bonne Hesse, fors en la paour de Dieu et purite de conscience. Benoist est celluy qui peut oster de soy toute distraction , et se reduyre a union de cueur et saincte compunction. Benoist est celluy qui chace hors de soy et evite tout ce qui peut ordoyer et grever sa conscience. Se tu scez bien laisser ce monde, il te laissera bien faire tes bonnes euvres. Ne te applicque pas ne occupe point en besoignes 268 L'lNTERNELLE d'aultruy, et ne te mesle pas es rioyses et conten- sions de plusgrans que toy. Ayes premierement 1'ceil sur toy, et pense de ton ame sur toutes aultres choses, tant soyent chieres. Ne te courrouce pas se tu n'as pas la faveur et louenge du monde, mais seullement ayes desplaisir de ce que tu ne converses pas si religieusement , saigement et devotement comme il appartient a ung bon religieux. II est aulcunesfoiz proffi table chose que une personne n'ait pas grant consolacion en ceste vie, especialle- ment quant au corps. Toutesfois il doit reputer que il est en cause el en coulpe que les consolacions espirituelles et divines luy sont soustraites et ost^es. Et sont deux causes pourquoy ce tres- souvent nous advient : 1'une pource que nous ne mettons pas peine d'avoir vraye et parfaicte com- punction de cueur ; 1'autre pource que nous querons trop noz consolacions exteriores. Se tu te congnoissoys bien , tu te reputeroys indigne de la consolacion divine, mais plus di- gne de tribulacion et adversit6. Quant une per- sonne a vraye compunction, tout le monde luy est desplaisant. Ung bon religieux trouve tousjours souffisante cause et matiere d'avoir douleur et tristesse. Car soit qu'il pense a son estat ou a celluy de son prochain , il congnoist que nul n'est en ce monde sans tribulacion. Et de tant qu'il se congnoist mieulx, de tant a-il plus de douleur. Les matieres et causes de juste douleur et tristesse interiore sont noz pechez, desquelz nous sommes CONSOLACION. III. 269 envelopez que ' a grant peine et peu souvent nous povons nous eslever a penser aux joyes de Paradis ou aux choses celestes et divines. Qui plus souvent penseroit a la briefvete" de ceste vie et a sa mort que a longuement vivre, il n'est point de doubte que plustost se amenderoit. Se aussi il pensoit du parfont du cueur les peines de Purgatoire ou d'Enfer, je croy et ay esperance que plus voulentiers feroit penitence en ce monde, et soubstiendroit peine et tribulacion pour 1'amour de Dieu, et ne doubteroit quelque durte". Mais pource que ces choses ne vont point jus- ques au parfond du cueur, mais encores querons- nous et desirons noz consolations et plaisances mondaines , pource demourons-nous tousjours te- pides et paresseux, et c'est souventesfois la deffaulte de Tesperit que le corps se plaint si souvent. Prie done humblement et devotement a Nostre Seigneur qu'il te doint 1'esperit de compunction , et luy dy avec le Prophete : Rassaziez-moy, Sire, du pain de larmes, et meabreuvez de compunction en mesure. De la consideration de humaine nmere. XXIP CHAPITRE. u es mechant quelque part que tu soyes et en quelque lieu que tu te tournes, se tu ne te convertis a Nostre Seigneur. Pourquoy te courrouces - tu quant les choses ne viennent a ton plaisir et ainsi que tu i. De telle sorte que. 27 L'liNTEHNELLE desireroys? Qui est celluy qui ait en ce monde tout selon la voulente? Ne moy, ne toy, ne aultre personne vivant sur terre. Nul n'est en ce raonde sans adversite" et tribulacion, jacoyt qu'il soil Empereur, Roy, ou Pape. Qui est celluy qui a mieulx en ce monde? Sans faulte celluy qui pour I'amour deDieu seuffre et porte tout paciemment. Plusieurs foibles et enfermes, voire specialement espirituellement , souventesfois dient ou pensent en leur cueur : Regardez comment celluy la est heu- reux , quelle vie il maine , comment il est grant seigneur, puissant et riche! Mais se tu veulx ung peu regarder aux joyes de Paradis, tu verras clere- ment que c'est peu de chose de telz biens tempo- relz ; car ilz sont incertains et empeschans, pource que jamais on ne les peut avoir ne garder sans grant soing et peine et crainte. Ce n'est pas la felicite" d'ung homme avoir les biens de ce monde a son plai- sir ou habondance, mais luy doit suffire le moyen, c'est a dire suffisamment pour soy. Vraye misere est vivre sur terre, et detant que ung homme est plus espirituel, de tant congnoist-il plus vrayement et apparcoyt plus clerement la misere de ceste vie, pource qu'il congnoist et voit mieulx les deffaultes de la corruption de nature humaine. Car boire, menger, veiller, dormir, reposer, labourer, et estre subject aux aultres necessitez de humaine nature , est tresgrant misere et affliction a la personne devote qui voulentiers seroit delivre et franc de tous pechez et empeschemens de vacquer a soy. CONSOLACION. III. 271 Car i'homme interiore, c'est a dire 1'esperit, est tresfort greve par ses necessitez corporelles en ce monde. Et pource le prophete David demandoit et prioit Nostre Seigneur qu'il peust estre delivre de ses necessitez corporelles, en disant : Delivrez- moy, Sire, de mes miseres '. Et pource sont ceulx raeschans qui ne congnoissent pas ceste misere, et encores les aultres plus meschans qui rayment et la desirent, et y veullent longuement demourer. Car aulcuns rayment si ardamment , jacoit ce que a grant peine ayent leur vivre comme en labou- rant ou en querantleur vivre pourDieu, lesquelz, s'ilz povoyent tousjours ainsi vivre, peu ou neant leur souviendroit de Dieu et de sa gloire. les folz et mescreans de cueur, qui si parfon- dement sont fichez ou tombez es biens terriens que ilz ne sentent que terre et choses terriennes! Mais a la fin les meschans apparcevront, jagoyt ce que par adventure tart, comme ville chose et pres que neant estoit ce qu'ilz aymoyent. Mais les saintz et devotz amys de Nostre Seigneur Jesuchrist n'ont point desire ou aym6 ce qui estoit plaisant au corps , ne les choses plaisantes et delectables au monde. Mais leur esperance estoit et tendoit a Dieu et aux biens pardurables. Leurs desirs et af- fection estoyent eslevez aux biens parmanens et invisibles, et non pas aux visibles et transitoires. Ne laisse pas perdre et vainement passer la t . De ces necessiiez corporellet, Ed. 1498. 27 2 L'lNTEHNELLE conscience et le temps de proffiter aux souve- rains biens espirituelz, tant comme tu as temps et espace. Pour quoy procrastines-tu ' d'ung jour au lendemain, et esloingnes ou attens d'acomplir ton bon propos? Lieve-toy, et commence et dy : Maintenant il est temps de faire bien. II est main- tenant temps de combatre , c'est assavoir contre 1'Ennemy, ou soy detfendre qu'il ne nous sur- monte, car tousjours il assault. Maintenant est temps de soy amender. Quant tu sens que tu as mal, c'est assavoir que tu es en temptacion ou quelque tribulacion , lors est-il temps de gaigner, c'est assavoir par avoir pacience et resister a la temptacion. II te fault passer par feu et par eaue devant que tu viengnes en refrigeracion , c'est a dire il fault que tu seuffres avant que tu soyes couronne". Tant longuement que nous portons ce fresle corps, nous ne povons estre sans peche", aumoins veniel , ne vivre sans douleur et tristesse. Nous serions voulentiers en repos; mais pource que par peche" nous avons perdue innocence , il nous fault avoir et tenir pacience , et attendre la misericorde de Dieu jusques a tant que ceste ini- quite soit pass6e, et ceste mortalite" soil convertie en vie. comme est grande la fragility humaine qui est ainsi encline"e a peche ! Tu confesses au jourd'uy ton peche, et demain tu y retourneras. Maintenant tu proposes que tu te garderas tresbien , et tan tost i. Remets-tu d'un jour a 1'autrc. CONSOLACION. III. 273 apres tu faiz centre ton bon propos ainsi comme se tu n'eusse rien propose. Et pource a bon droit nous devons nous humilier, et non presumer et cuyderrien de nous, qui sommes si fresles et insta- bles a bien faire de nous. D'aultre part aussi en peu de temps et legiereraent povons-nous perdre le bien ou la vertu que a grant peine ou par long temps avons acquise. Que sera-ce de nous a la fin de noz jours, c'est a dire en nostre vieillesse , qui sommes negligens et remys ainsi tost, c'est a dire en nostre jeunesse? Nous devons moult doubter que ne nous prenne mal , se nous voulons ainsi tost nous reposer, c'est a dire non estre point en crainte et double de noz ennemys, comme se nous fussions ja en paix et en transquilite ; et toutesfois nous n'avous encore en nostre conversacion quelque signe ou commen- cement de perfection ou sainctete. II nous seroit encore bien besoing que on nous enseignast comme novices les meurs et conversacions de religion, affin qu'il y eust aulcune esperance de nostre amendement et plusgrant proffit espirituel. 274 L'llSTERNELLE De la meditation de la mort. XXIIP CHAPITRE. restost et bien brief sera fait de toy; ycy dois-tu veoir et comuderer comment tu te gouvernes en ce monde ! : Au jour- d'uy tu es , demain on ne te scaura ou trouver. Et quant tu seras ost6 de devant les yeulx, tantost seras-tu hors de la memoire. la grant folie et durte du cueur humain, qui pense seulle- ment aux biens presens de ce monde , et ne luy chault de ce qui luy est a advenir ! Tu te dois maintenir en tous tes fais et pensees ainsi comme se tu devoys presentement mourir. Se tu avoyes ta conscience pure et necte, tu ne doubteroys point la mort. Se tu n'es au jourd'uy prest et appareille de mourir, comment le seras-tu demain? Le jour de demain t'est incertain, et ne scays se tu y viendras. Que nous proffite longuement vivre quant nous ne nous amendons ne pen ne rien ! Helas ! la longue vie ne nous amende pas tousjours, mais est aulcu- nesfois cause de faire . multiplier et acroistre les pechez. Pleust a Dieu que nous eussions bien vescu aumoins par ung jour, c'est a dire que nous eus- sions bien employe ung jour sans pecher! Plusieurs comptent bien leurs ans en religion , c'est assavoir qu'ilz y ont longuement este"; mais souventesfois i. Or escoute que bien brief sera fait de toy; tu dois ycy )>, etc. J2d. de i5oo,]et les e'ditions poste"rieures. CONSOLACION. III. 275 y a peu de fruit de bonne vie. Se on a paour de mourir, par adventure il y a plusgrant peril pour toy de longuement vivre. Bien heureux est celluy qui en tous temps a en sa memoire 1'heure de la mort, et se dispose et appareille a bien mourir. Se tu as veu aulcunesfois aulcun mourir, pense que par ce chemin te conviendra passer. Quant tu seras au matin, pense que par adventure ne viendras-tu pas au vespre ; quant tu seras au vespre, ne soyes pas seur de veoir le matin. Et pource soyes tousjours appareill^ , et meet peine de tellement vivre que la mort ne te suprenne pas non prest ou appareille. Plusieurs meurent soul- dainement et non pourveuz. Car le Filz de 1'Homme, c'est a dire le Juge, c'est Nostre Saulveur, vient a 1'eure que on ne le cuide pas, c'est a 1'eure de la mort. Quant cello heure la sera venue, tu congnois- tras lors et apparceveras ta vie passee avoir este moult autre que tu ne pensoys, et seras dolent et triste que tu auras est6 si negligent et remys ou paresseux de bien faire. comme bien eureux sera celluy et sage qui met peyne de tellement vivre comment il fault qu'il soil trouv6 a 1'heure de la mort ! Grant fiance a 1'heure de la mort donnent les choses qui s'ensuy- vent , c'est assavoir : parfaictement mespriser le monde, amour et desir de profiler en vertus, amour de garder discipline, labeur de penitence, prompte et appareillee obeissance, abnegation de soymesmes, c'est a dire ne tenir compte de soy, et patience en 276 L'lNTERNELLE toute adversite pour 1'amour de Dieu. Tu peuz faire plusieurs biens tant comme tu es en sante" , mais en la maladie je ne sc.ay que tu feras. Peu y a dc gens qui s'amendent ou qui vaillent mieulx en ma- ladie , ainsi comme pou en y a qui pour aller en pe- lerinage soy en t sainctifiez. Ne te fie a tes parens et amys, et pource ne te aliens pas qu'ilz te saulvent , c'est a dire que tu ne cuydes pas qu'ilz facent tant de prieres pour toy, ou facent faire, que tu soyes saulve ; car ilz te au- ront plustost oublie que tu ne penses. Et pource il vault mieulx que tu te pourvoyes de bonne heure, et envoyes devant toy tes biens faiz et bonnes 03U- vres que avoir esperance en 1'aide des aultres. Car se tu n'es soingneux de toy maintenant, a qui pense- tu qu'il en souviengne apres. Maintenant est le temps tresprecieux. Maintenant sont les jours de salut, c'est a dire esquelz tu peuz faire ton saulve- ment. Maintenant est le temps acceptable, c'est a dire auquel tu peuz faire chose agreable et plaisant a Dieu, et profitable a toy. Mais helas! au jour- d'huy on employe tresmal ce temps en quoy on peult faire chose pour guaigner la vie pardurable. Viendra 1 heure que on desirera avoir ung jour ou une heure pour soy amender, et je ne scay se on le pourra impetrer. Et pource, chier amy, advise de quel grant peril tu te peuz delivrer, de comme grant ' paour et dan- i. De combien grand, de quel grand. CONSOLACION. III. 277 ger tu te peuz oster et despecher, se tu te tiens maintenant en bon estat , et que tu soyes suspect de la mort , c'est a dire que tu penses que par ad- venture maintenant viendra. Estudie-toy de telle- ment vivre pour le present que de la mort tu te puisses plus esjouyr que avoir paour. Apprens a de present mourir * au monde , affin que lors tu puisses commencer a vivre en Dieu. Appren a toy mespriser et humilier pour le present, et recongnois ta fragilite et misere, d'ou tu es venu, et que tu deviendras, affin que tu puisses lors esvoler a Dieu. Chastie et macere maintenant ton corps par jeunes et abstinences, et fay penitence en demandant par- don et misericorde de tes pechez, affin que lors tu puisses avoir fiance en Dieu. grant folie se tu penses icy longuement vivre, car tu n'as icy quelque jour certain ! Plusieurs ont este en ce deceuz , qui sont partis du corps quant ilz n'y pensoyent pas. Plusieursfoyz as-tu ouy racompter que 1'ung a este" tue par glaive , et 1'autre a este noye; et 1'autre en cheant du hault en bas c'est rompu le col ; 1'autre en mengeant c'est estrangle" ; 1'autre en jouant est soubdainement mort. L'ung a este ars, 1'aultre par pestilence ou par aultre maladie a fine sa vie; les aultres par les larrons meurtriers sont occis. Et ainsi est la mort la fin de la personne ; et la vie de I'homme est comme ung pou de umbre qui tost se passe. i. Apprens k maintenant mourir. 278 L'lNTERNELLE A qui souviendra-il de toy apres ta mort, ou qui priera pour toy? Et pource, chier aray, faiz main- tenant ce qvie tu pourras de bien. Car tu ne scez quant tu mourras ne quelle chose te adviendra apres ta mort. En tant que tu as loisir, assemble les richesses immortelles ; ne pense que a ton salut. Ne pense que a Dieu , et a ce qu'il lui plaist acom- plir. Acquiers maintenant amys les saintz de Pa- radis en les servant et honnourant , et ensuyvant leur vie, affin que quant ceste vie te sera faillie ilz te veuillent recepvoir es mansions pardurables. Soyes en ce monde comme ung pelerin et estran- gier a qui il n'appartient, et ne chault, et ne s'en- tremesle point des besoignes du pays ou il est, ou par lequel il passe. Garde ton cueur franc et des- peche envers Dieu par bonnes meditacions ; car tu n'as pas icy certaine ou longue demourance. Adresse la tes oraysons et prieres quotidiennes en lermes et gemissemens, affin que apres la mort ton esperit puisse franchement aller, et eureusement entrer en la gloire de Paradis. Du Dernier Jugement , et des peyncs des pecheurs. XXIIIP CHAPITRE. n toutes tes ceuvres regarde la fin , et pense comment tu te oseras comparoyr devant le juste et vray Juge , a qui on ne peut rien celer, lequel on ne peut par CONSOLACION. III. 279 dons appaiser ne corrompre, qui a celle heure ne recoit point d'excusacions, mais jugera selon que sera droit et rayson. tresmeschant et sot pecheur, que repondras-tu lors a Dieu qui scet tous tes pe- chez, quant tu doubles aulcunesfoyz tresfort ung aultre homme en ce monde, qui est courrouce centre toy, voyre quant tu scez qu'il a puissance de soy venger de toy a son plaisir ! Pourquoy doncques ne te pourvoyes-tu au jour du Jugement, que 1'ung ne pourra excuser 1'autre ne deffendre, mais ung chas- cun portera son fays et sa charge ! Et pource le present labeur que feras en co monde est a toy meritoire, les lermes a Dieu agreables, le gemisse- ment exaudible * ; la douleur peut satisfaire et purger. Grant purgatoire et salutaire est a celluy qui, quant il seuffre aulcune tribulacion ou quelque mal, il a plusgrant douleur et compassion de la ma- lice de celluy qui luy fait que de son injure propre, qui prie de bon cueur pour ceulx qui luy sont contraires , qui leur pardonne de bon cueur leurs deffault.es, qui legierement et voulentiers demande pardon a aultruy, qui est plus enclin a pardonner que a se courroucer, qui souventesfoyz se fait vio<- lence centre ses maulvaises inclinacions , et se efforce de subjuguer la chair a 1'esperit. II vault trop mieulx maintenant purger et nettoyer ses pechez et arracher ses vices , que attendre qu'ilz i . Devant etre entendu, exaucd. 28o L'lNTERNKLLE soyent apres ce monde pugnis. IJn ce monde nous decevons nousmesmes par 1'affection desordonnee que nous avons a noz corps. Et quelle aultre chose ardra le feu de 1'autre monde fors tes pechez, lequel sera de tant plus- fort et enflambe et ardant que maintenant tu te es- pargnes en ensuyvant les desirs de ton corps ; car par ce tu luy bailies plus matiere de ardre. En ce en quoy 1'homme a plus peche, en ce sera-il plus pugny. La les paresseux seront aguillonnez et per- cez de aguillons ardans , les gloutons seront tour- mentez par rage de fain et de soif ; les luxurieux et qui ensuyvent leurs voluptez charnelles seront bai- gnez en poix ardant et souffre puant; les envieux, comme chiens enragez , huleront par force de dou- leur. Et ainsi il n'y aura quelconque vice ou pech6 qui n'ayt son propre tourment. La les orgueilleux seront en grant confusion, les avaricieux seront en grant misere et povrete. La une heure de tour- ment sera plus griefve et penible que en ce monde seroyent cent ans en quelconque penitence que Ton peut faire. La les damnez n'auront quelconque repps ou consolacion. Mais icy, c'est a dire en ce monde, se une personne fait penitence ou seuffre quelque aultre adversite, aulcunesfoyz il y a aulcuns repos, ou aussi consolacion et confort de ses parens et amys. Soyes doncques maintenant soingneux, et repentant de tes pechez, affin que au jour du Juge- ment tu soves seur avec les saintz en Paradis. Car CONSOLACION. III. 28f certainementlorslesjustes se adresseront ' en grant Constance centre ceulx qui en ce monde Ics auront tribulez et fait oppressions. Lors celluy qui main- tenant se soubzmet et humilie au jugement des hommes, ne sera point juge *. Lors le povre et hum- ble aura grant seurte et fiance ; et 1'orgueilleux aura grant paour et honte. Lors apparra qui sera celluy qui aura este sage et bien conseille, qui pour 1'amour de Dieu en ce monde se sera humilie" et mesprise. Lors plaira et sera aggreable toute tribulacion que on aura souffert pour 1'amour de Dieu en ce monde; et toute iniquite estoupera 3 sa bouche. Lors se es- jouyra toute bonne personne , et les maulvais et irreligieux pleureront. Lors se esjouyra plus le corps qui aura fait penitence que celluy qui aura est6 nourry en delices. Lors resplendira le veste- ment vil et povre, et 1'abit delicat et precieux sera lait , obscur et ort. Lors sera plus prisee la petite maisonnette que le grant palais paint et dore". Lors aidera plus feraie Constance et pacience que toute la puissance du monde. Lors sera plus exaulce"e humble obeissance que toute seculiere cautelle et prudence. Lors sera pleyne de joye pure et bonne con- science plus que quelconque clergie 4 ou philozophie. Lors sera plus aprecie" le mesprisement des richesses 1. Se Ifeveront, se dresseront. 2. Sera pour juger. Edit. 1498. 3. Fermera. 4. Science. a8a L'lNTERNELLE que tous les tresors du monde. Lors plus recon- fortera devote orayson que precieuses viandes et grans disners. Lors tu auras plus de joye d'avoir garde ta silence que d'avoir longuement jangle et parle. Lors proffiteront plus bonnes oauvres que belles parolles et aornees. Lors plus proffitera avoir mene estroicte vie, et fait grant penitence, qu'avoir prins les plaisirs et delectacions terriennes. Se tu apprens maintenant a ung peu souffrir, tu pourras lors estre delivre de plus grans et griefz tourmens. Esprouve-toy icy en ce qu'il te fauldra apres par dela soutfrir : se tu ne peuz icy ung peu souffrir, comme pourras-tu porter les tourmens pardura- bles! Se une petite angoisse ou douleur te fait maintenant si impacient , que te fera le tourment d'Enfer! Je te prometz que tu ne peuz avoir les deux joyes, c'est assavoir cy en ce monde avoir tes plaisirs et delectacions, et la en Paradis regner avec Jesuchrist. Si jusques au jourd'huy tu avoys este" et vescu, depuis le commencement du monde, en grans hon- neurs et plaisirs et delectacions corporelles et mondaines , que te proffiteroit tout se tu devoys maintenant mourir et estre dampne" perpetuelle- ment! Et pource en ce monde est toute vanite", fors que aymer Dieu et luy servir tantseullement. Car qui ayme Dieu de tout son cueur, il ne double ne mort , ne peyne, ne tourment, ne le Jugement, ne Enfer, ne quelconque aultre chose ; car parfait amour luy donne seur acces et fiance envers Dieu. CONSOLACION. III. 283 Mais celluy qui encores prent plaisir a pecher et s'y delicte, n'est pas merveilles s'il double la mort et le Jugement ; et c'est pource qu'il n'a pas fiance ne esperance a son saulvement, pour le remors de sa conscience. Mais toutesfoyz c'est aucun com- mencement de bien que, suppose que ne te abs- tiengnes pas de peche, ne de mal faire, pour 1'amour deDieupurement, queaumoins tu t'en abstiengnes pour la crainte et paour de la peyne. Jacoit ce que celluy qui se abstient plus pour la paour de la peyne que pour 1'amour de Dieu ne pourra pas longuement en bien perseverer, mais de legier cherra et tombera es las de 1'Ennemy; car il n'a pas la grace de Dieu, laquelle seullement fait per- severer en bien et acomplyr son bon propos. De la ferveur que on doibt avoir a amender to ute sa vie. XXV e CHAPITRK. oyes doncques esveille ou diligent au service de Dieu, et pense tousjours pour- quoy tu es venu en religion, et pourquoy tu as laisse" le monde et les biens d'icel- luy. N'y es-tu pas venu affin que ta vie fustordonnee au service de Dieu, et que tu fusses fait espirituel, qui par avant estoyes charnel. Et pource soyes fervent ct diligent a proffiter ; car en brief tu re- cepveras le loyer de ton labeur et n'auras plus en toy ne paour, ne craiute, ne quelconque douleur. 284 L'lNTERNELLE Maintenant tu auras ungpeu de peyne et de travail, mais apres tu trouveras repos, paix et perpetuelle lyesse. Se tu perseveres fervamment et loyaulmcnt en labourant, sans nulle double Dieu te sera veri- table et riche et habondant en te payant. Tu dois tousjours avoir ferme esperance de la retribucion ; mais pource ne dois-tu pas prendre telle asseurance que tu soyes negligent, ou que tu t'en orgueillisses, car Dieu t'en laisseroit. On racompte d'ung qui estoit en grande varia- cion de son estat, entre paour et esperance, et eust voulentiers sceu f s'il seroit saulv6 ou dampne'. Une foiz ainsi qu'il estoit pour ceste cause en grant tristesse et douleur de cueur, il s'en entra en une eglise et se prosterna ou agenoilla devant 1'autel en disant : Beau sire Dieu, se je peusse scavoir que je fusse saulve ! Comme s'il voulsist dire qu'il feroit plusieurs grans biens, et serviroit Dieu devote- ment. Et tantost il ouyt une voix qui luy dist : Se tu le scavoys que feroys-tu? Fay main tenant ce que tu vouldroys lors faire, et tu seras asseure de ton saulvement. Et tantost il fut moult reconforte, et se remist a la misericorde de Dieu, et fut deli- vre" de ceste angoisse et tristesse. Et oncques de- puis ne se efforca de scavoir ce qui luy estoit a advenir, mais seullement quelle estoit la voulent^ de Dieu, a laquelle parfaire et acomplyr se efforca de tout son povoir, en toutes bonnes operacions soy excercitant. i. D6$iT6 savoir. CONSOLACIOIS. III. 285 Le Prophete David dit : Ayes esperance en Dieu, et faiz bonnes oeuvres, et habite ou demoure en la terre, et tu seras repeu ou saoule de ses richesses. Ceste terre est la gloire de Paradis en laquelle nous devons habiteret demourerpar desir et affection. Et lors nous serons repeuz et saoulez de ses richesses, c'est assavoir des biens qui y sont. Une chose est qui empesche et retarde plusieurs de proffiter, et amender fervamment leur vie, c'est assavoir quant ilz pensent a la peyne et au travail qu'il fauldra qu'ilz prennent a leur vie acoustumee changer et muer ; etceste difficulte leur fait paour. Mais ceulx qui ont grant voulente de proffiter et d'acquerir vertus il n'est rien qu'ilz ne facent et surmontent, tant soil grief, par la grace de Dieu. Car ceulx qui mettent peyne d'eulx mortiffier, refraindre , et vaincre leur passion, recoyvent de Dieu plusgrans graces selon leur bonne voulente. Mais tous n'ont pas ung mesme desir a proffiter et surmonter leurs vices. Et pource adviejit-il aul- cunesfois que aulcun bien plain de vices et de maulvaises passions, sera plustost mortiffie, et aura plus de grace de Dieu , que celluy qui aura de meilleures conditions, et moins vicieux. Et c'est pour la grant voulente" et desir qu'il a de proffiter, et pour la peine qu'il y meet, pourquoy ' Dieu luy aide , et lui donne sa grace selon sa bonne vou- lente". Deux choses sont necessaires a proffiter, et amender sa vie , c'est assavoir se substraire et es- i. Que Dieu lui aide. 286 L'lNTERNELLE loigner de soy ce a quoy sa condicion et nature est mal enclinee; 1'autre est de mettre grant peine d'acquerir la vertu qu'on n'a pas et que on a be- soing d'avoir. Garde-toy aussi de faire aux aultres ce qui te desplaist aux aultres *, et meet peine et diligence de proffiter en toutes choses, c'est a dire faire ton proffit de tout ; c'est a dire se tu voys aulcuns bons exemples en une aultre personne, ou que tu oyes dire aulcun bien de luy, mectz peine de 1'ensuyr. Et se tu voys aulcun mal en ung aultre, ou se tu oyes dire aulcun mal de luy qui te desplaise, garde que tu ne le faces. Et se tu 1'as aultresfois fait, amende-toy, et pense que ainsi comme les aultres te desplaisent en ce, aussi desplairas-tu a aultruy. C'est doulce chose veoir fervens et devotz religieux et de bonnes meurs et discipline. C'est aussi griefve chose et desplaisant par le contraire veoir les aul- tres mal ordonnez et mal disciplinez qui ue excer- sent pas ou acomplissent les euvres de leur religion ou vocacion. Et ceulx icy font tresgrant dommaige a eulx et a aultruy; car ilz ne font pas ce a quoy Dieu les a appellez , et ne ensuyvent pas le bon propos que Dieu leur avoit inspire, et ne enclinent pas leur sens a ce qui leur est ordonne. Mais au contraire remenibre-toy ou te sou- viengne du bon propos que Dieu t'avoit donne, et propose devant toy 1'ymage du Crucifix. Tu doys avoir grant honte en toy se tu regardes bien la vie i. Dans les autres. CONSOLACION. III. 287 de Nostre Saulveur Jesuchrist, qui a si longuement esle" au chemin d'icelle! Et toutesfois tu ne t'y es point encores en rien conferme. Le religieux qui ententivement et de cueur regardelavie et passion de Nostre Seigneur Jesuchrist, en se excercitant en icelte et conformant, trouvera en elle tout ce qui luy est necessaire pour son saulvement habondam- ment, et ne luy est ja besoing querir aultre chose fors Jesuchrist; car mieulx aussi ne peut-il trouver. se Jesuchrist crucifie estoit souvent en nostre cueur par devocion , et que nous pensissons com- bien il a fait pour nous , et le bien qu'il nous fait tous les jours, et le bien que nous attendons avoir de luy, tantost serions-nous sages et clercz ! Ung religieux fervent porte et fait voulentiers ce qu'on luy dit et commande, et seuffre tout ce qui luy vient au contraire. Mais ung religieux tepide a tribulacion sur tribulacion, et de toutes pars a angoisses; car il n'a point de consolacion inte- riore , et par dehors luy est deffendu qu'il ne la quiere. Ung religieux qui vit hors de discipline de sa religion et regie, de legier est tombe en aulcun inconvenient; et qui demande relaxassions et re- missions de sa regie a tousjours angoisse et tribu- lacion ; car en une chose ou en aultre trouve tous- jours qui luy desplait. Considere comment plusieurs religieux sont qui sont restrains soubz la discipline de leur cloistre. Peu souvent ilz vont dehors; ilz vivent estroicte- ment ; peu mengent ; ilz sout vestus de gros draps ; 288 L'liS'TEKNELLE ilz labourent fort; ilz parlent peu; ilz veillent lon- guement ; ilz se lievent matin ; ilz prient souvent ; ilz estudient souventesfois, et se gardent en toute discipline. Regarde les Chartreux, Cistericiens ', raoynes et nonnains de diverses religions, comment ilz se lievent toutes les nuytz a servir Dieu. Et pource c'est grant honte a toy que tu soyes pares- seux, en si saint euvre ouquel tu as si grant exem- ple de ferveur es serviteurs de Dieu. ! se nous ne pensions a aultre que a servir Nostre Seigneur Jesuchrist, et le loer de cueur et corps entier ! 0! se nous n'eussions mestierde boire, de men- ger, ne de dormir, mais que nous puissions tous- jours le loer, et seullement vacquer a excercita- cions espirituelles, comme nous serions plus eu- reux que nous ne sommes maintenant quant il nous fault entendre et penser avoir le soing et la soli- citude des necessitez du corps et luy servir ! Pleust a Dieu que ces necessitez ne fussent point, mais tantseullement les espirituelles occupacions et ref- fections de Fame, lesquelles nous goustons et sen- tons, helas ! peu souvent ! Quant une personne peut venir a ce que de nulle aultre creature de ce mondequiert consolacion, fors de Dieu et en Dieu, lors Dieu luy commence a sentir et assavourer parfaictement. Lors est bien content de ce qui advient au monde. Lors 51 ne se esjouyst en vain de peu de chose, ne il ne se con- triste de grande, mais se meet et fiche entierement i . Moines suivant la regie de Citeaux. CONSOLACION. III. 289 en Dieu qui luy est tout en toutes choses, et a qui rien ne perist ou meurt , mais toutes choses luy vivent , et a son plaisir et voulent6 sans faillir servent. Remembre-toy tousjours de ta fin , car le temps perdu jamais ne retournera ' ou sera recouvert. Sans soing et diligence jamais tu n'acquerras les bonnes vertus. Se tu commences a estre tepide et remys et negligent, tu commenceras a avoir mal. Mais se tu commences fervamment et y perseveres, tu trouveras grant paix, et sentiras la peyne et le labeur legier pour la grace de Dieu et 1'amour des vertus. L'homme fervent et diligent est prest et appareille" a toutes bonnes choses. C'est plusgrant labeur et travail de resister aux vices et passions que a labourer corporellement en grant sueur et peine de son corps. Qui ne meet point de peine a soy garder de petis pechez et deifaulx, de legier chet et tombe en grans pechez. Tu seras en grant joye tousjours au soyr ou au vespre, se tu em- ployes bien la journee. Soyes esveille sur toymes- mes, et te excite et admoneste, et quelque chose que les aultres facent, pense de ton saulvement. Autant proffiteras-tu comme tu te feras force et violence. i. Ne recouvrera. ISd. 1498. L'INTERNELLE Contre la vanite de ce monde. XXVI 8 CHAPITRE. ertainement griefve et trop perilleuse est la conversacion du monde : car en delices est perdue chastete, humilite en richesses, piti6 en marchandise * , cha- rit6 en ce maulvais siecle. Car ainsi comme est difficile chose que ung arbre plant^ empres ung chemin commun puisse garder ses fruitz jusques ad ce qu'ilz soyent meurs, ainsi est chose difficile que ung homme qui converse selon la vie du monde puisse en soy garder parfaicte et necte justice, c'est assavoir qu'il ne offende en plusieurs manieres. O comme sont aveuglez ceulx qui quierent et demandent la gloire et louenge du monde ! Quelle chose est la joye et lyesse du monde fors maul- vaisti6 et maulvaise vie non pugnye et non corri- gee , c'est assavoir vacquer a luxure et yvroignie, a gourmendie, a entendre a toutes vanitez mon- daines, et de toutes ces choses ne souffrir point de pugnicion, de reprehencion ou correction en ce monde? Car les maulvais cuydent estre seurs en ce monde en leurs delices quant ilz ne sont point cor- rigez ou reprins pour leurs iniquitez. Et ilz ne sce- i. L'e"dit. de 1 533 ajoute id: Verile en trop parler, ce qni est conforme au passage des Sermons de saint Bernard auquel est emprunte'e cette phrase de I'lnternelle Consolation. CONSOLATION. III. 291 vent pas qu'il n'est rien plus maleureux en ce monde que la felicite des pecheurs par laquelle ilz tombent en maladie incurable, et leur maulvaise voulente est confer m^e en mal. Car se tu quiers et desire prelacion , et propose en ton cueur y vivre et converser justement et sainctement, je loe et approuve le bon propos ; mais j'en treuve, c'est a dire qu'il en est, bien peu ' qui y ayent ainsi justement et sainctement vescu. C'est saulvage chose de hault degre et petit cueur, c'est a dire d'une personne qui est en grant estat en Saincte Eglise, et son cueur n'est pas esleve en hault a Nostre Seigneur Jesuchrist, es choses divines *. C'est sauvage chose de avoir le premier siege et la vie derniere, c'est a dire plus basse que les aultres. Grant infelicite est de cueur instabi- lite s . Car les prelatz sont dignes de tant de mors comme ilz baillent de maulvais exemples a leurs povres subjectz et a ceulx qui leur sont commis. Se tu demandes et veulx acquerir sagesse mon- daine, ha! comme a grant peril t'abandonnes-tu ! Car la sagesse du monde est terrienne, bataille dyabolicque, enuemye du saulvement, murtriere de vie, et mere de cupidit6. Et se par adventure i. Mai j'en trouve peu d' effect, c'est a dire qu'il, etc. Edit, de i5o, de i5za et de i533. >., Ne es chosei divines. Edit, de iSaz. 3. Les ddit. 40 goth. S. D. et i5oo donnent : Grant austerite est de cueur instabilite. Aucune de DOS versions n'a traduit fidelement la phrase de saint Bernard, d'oii est tire" ce passage de YInternelle Consolation : Ingens aucloritas et infirma stabilitat. 292 L'lNTEBNELLE tu desires et veulx avoir les pompes et orgueil du siecle, et aymes les delices de la chair, advise-toy et considere bien comme toutes ces choses sont fresles et de pou de profit ; car toutes ces vanitez sont comme ung songe. Que a proffite" orgueil a tous ceulx qui 1'aymoyent en ce moride, ou aussi la vantance et confiance des richesses? Toutes ces choses sont passees comme ung umbre et comme une nef qui passe par une eaue courant et flottant, de laquelle nef on ne peut tantost monstrer 1'en- seigne du chemin par lequel elle est passee. Cer- tainemeat ilz sont consommez et failliz en leur maulvaisti^ , et la plusgrant partie d'eulx ont relin- que et delaiss6 le sentier ou enseignement de verite". Ousontmaintenant les princes et grans seigneurs qui ont este" au temps passe , qui avoyent domina- cion et seigneurie sur la terre et sur les bestes du monde , qui ont fait et assemble grans tresors d'or et d'argent, qui ont ediffiez et construitz citez, villes et grans chasteaulx, qui par force d'armes ont combatu, vaincu et surmonte roys et royaulmes? Ou sont les sages et clercz du temps passe qui ont descript et mesur le monde? Ou est le bel Absalon? Ou est Alixandre le trespuissant? Ou est Sanson le fort? Que sont les puissans empereurs? Ou sont les nobles roys et princes? Ou leur a prof fite\ leur vaillance, vanite et briefve lyesse mondaine, grant puissance, grant famille, voluptez et plaisances charnelles , habondance de leurs faulses richesses, CONSOLATION. III. 293 la delectacion de leurs concupiscences? Ou sont leurs joyes, esbatemens et richesses? Ou est leur vantance ou arrogance dont ilz estoyent plains? Ou est la noblesse de leur lignage et la beaulte de leurs corps ? Helas! tout est failly et passe", adnichilte et esva- noy : car on n'en peult rien trouver, ni les reliques d'iceulx parmi les aultres discerner, pource que les corps d'eulx sont en terre pourris et des vers de- vourez ! Et leurs ames rec,oyvent la joye ou la peine qu'elles ont merite. Cy finist le Livre de Internelle Consolation. DEO GRACIAS. PARIS. IMPRIHER1E DE J. CLAYE , RUE SA1XT-BES01T, 7. CATALOGUE BIBLIOTHEQUE ELZEVIRIKNNE ET DBS AUTRES OUVRAGES DU FONDS DE P. JANNET PARIS Che/ P. J*NNKT, Lihraire Rue de Richelieu, i5 i er mars 18 56 Pages. Preliminaires. Theologie, Morale^ 7 Beaux-Arts. 9 Poesie. 10 Theatre. 16 Romans et Contes. 22 Faceties. 24 Histoire. 26 Polygraphes et Melanges. 27 Ouvrages de differenls formats. Courrier de la librairie. 37 Le Blanc, Maurepas. Muse historique. 3g Library of old authors, 4 AVERTISSEMENT. [ orsque j'entrepris, il y a trois ans, la pu- blication de la Bibliolheque elzevirienne, je m'etais pose ce probleme : Publier une collection d'ouvrages d'e- ilite , dignes de tous par leur execution materielle, a la portee de tous par k modicite de leur prix. Jusque alors, les curiosites litteraires du genre de celles qui doivent composer en grande partie la Bibliolheque elzevirienne n'etaient lorsqu'on les publiait tirees qu'a un tres petit nombre d'exem- plaires , destines a des amateurs riches et fervents. La rarete native et le prix exorbitant de ces publi- cations les rendaient inabordables pour le plus grand nombre des lecteurs , et particulierement pour ceui qui lisent pour les autres : les litterateurs ne sont pas tous assez riches pour acheter des livres sans regarder au prix. En presence du mouvement qui porte la genera- tion actuelle vers 1'etude serieuse des moeurs, de la litterature et de 1'histoire du passe , je crus faire une chose utile en vulgarisant, autant qu'il serait en mon pouvoir, les documents propres a faciliter cette etude. Malgre ma foi dans la possibilite de creer un pu- blic nouveau pour ce genre de livies, je crus devoir faire de mon mieux pour satisfaire les gouts du pu- blic deja existant, gouts que je partage d'ailleurs : e trouve qu'un bon texte ne perd rien a etre im- prime avec un certain luxe. Le luxe dans les livres , je 1'entends a ma maniere. 4 Peu de texte dans un grand format, sur de beau papier tres blanc, brillant, glace, satine mais brule, cassant, d'une qualite deplorable ce n'est pas la mon fait. Le format, je le veux commode ; le papier, je le veux solide avant tout; du texte, j'en veux pour mon argent. Qu'H soil net, lisible sans fatigue, et cela me suffit. Au point de vue des resultats je ne parle pas des moyens 1'art d'imprimer les livres a fait peu de progres depuis deux siecles. Les petits volumes sortis des presses des Elzevier auront long-temps encore de nombreux admirateurs. En donnant a ma collection le nom de ces imprimeurs illustres, j'ai compris 1'etendue des obligations queje m'imposais. J'ai fait de mon mieux pour ne pas rester trop au dessous de mes modeles. J'ai fait fondre des carac- teres , graver des ornements , fabriquer du papier, modifier des presses. Les eloges que des amateurs d'une autorite considerable ont bien voulu donner a mes petits livres me prouvent que je suis dans la bonne voie. Je tacherai d'atteindre le but. Si le format et 1'execution materielle de mes volu- mes ont trouve des approbateurs , 1'entreprise en elle-me'me a ete bien accueillie. Le public sur lequel je comptais a repondu a mon appel; son concours m'a permis d'entreprendre la publication d'un assez grand nombre de volumes, qui sont sous presse ou en preparation. Je ne crois pas necessaire de donner un catalogue detaille des ouvrages que je me propose de faire entrer dans la Bibliothdque elzevirienne. II suffit de rappeler le plan general. Cette collection doit se com- poser : r'd'ouvrages anciens, inedits ou rares, utiles pour 1'ctude des moeurs, de la litterature ou de This- toire ; 2 des ouvrages anterieurs au XV1I1 6 siecle qui jouissent d'une reputation meritee. Les ouvrages posterieurs au XVII e siecle ne seront admis que par exception. 5 D'ailleurs , chaque volume qui parait jette un nou- veau jour sur le plan que je me suis trace. Aiust j'ai public : MORALISTES. La Rochefoucauld, La Bruyere, le Livre du chevalier de la Tour, qui serait mieux place parmi les contours. Plus tard je donnerai Montai- gne, Charron, Vauvenargues. BEAUX-ARTS. Memoirespour servir a I'histoire de I' Academic de peinture. Le livre des peintres et graveurs. J'ai d'autres ouvrages du me'me genre a faire paraitre. POESIE. Recueil de poesies des XV e et XVl e siecles, Lescurel, Villon, Roger de Collerye, Hegnier, Saint- Amant , Senece, Chapelle et Bachaumont, Les Memo- riaux de Saint- Aubin des Bois. J'ai sous presse ou en preparation : Recueil general des Fabliaux, Gerard de Rossi lion, poeme provenc.al; plusieurs Chansons de gestes , entre autres Regnault de Montauban, en 17,000 vers; Flore et Blanchefleur ; divers recueils importants; Matheolus, Coquillart, Gringore, Cle- ment Marot , Ronsard, Vauquelin de la Fresnaye, Desportes , Du Bellay, Theophile , le Roman de la Rose , et quelques autres. THEATRE. Six volumes de YAncien Theatre fran- fois , I'Histoire de la vie et des ouvrages de P. Cor- neille, par M. J. Taschereau, pour servir de Preli- minaires aux OEuvres de Corneille , en ce moment sous presse. Plus tard je donnerai les oeuvres de Moliere, Racine, etc. ROMANS ET CONTES. Melusine , Jean de Paris, le Roman bourgeois, Don Juan de Vargas, Six mois de la vie d'unjeune homme, Hilopadesa. J'ai en pre- paration plusieurs autres romans et une suite consi- derable de contours. FACETIES. Morlini , les Quinse joycs de manage, les Evangiles des Quenouilles , la Noavelle fabrique 6 des excellents traits de verite , les Coquets de I'Ac- couchee. J'ai sous presse ou en preparation : Rabe- lais, Tabourot, le Dictionnaire des Prdcieuses, el beaucoup d'autres. HISTOIRE. L'Histoire notable de la Floride, les Avenlures du baron de Fxnesle, les Me'moires de la Marquise de CourceUes, les Memoires de Madame de la Guetle. J'ai sous presse quelques autres relations de voyages, les Souvenirs de Madame de Caylus , et en preparation plusieurs ouvrages interessants. Paris, i er mars i856. P. J ANNEX. AVIS IMPORTANT (du i5 tevrier i855) Les volumes de la Bibliotheque elzevirienne sont imprimes sur papier colle et tres charges d'encre : il est difficile de les relier lout de suite sans les maculer. D'un outre cote , leur couver- ture en papier blanc perd promptcment sa frai- cheur, et on ne peut les garder long-temps tro- ches. J'ai pris le parti de faire couvrir ces vo- lumes d'un elegant carlonnage en toile, a la ma- niere anglaise , ce qui permettra aux amateurs soil de les garder loujours ainsi , soit de ne les faire relier que dans un an ou deux. A partir d'aujourd'hui , tous les volumes seront vendus cartonnes, non rogues et non coupes, SANS AUG- MENTATION DE PRIX. Les personncs qui posse- dent des volumes broches noti coupes pourronl les echanger, sansfrais, contre des volumes carton- nes ; quant aux volumes coupes , je me charge- rai de les faire cartonner moyennant 70 centi- mes. BIBLIOTHEQUE ELZEVIRIENNE THEOLOGIE. SODS PRESSE : I 'Internelle Consolation , premiere i version fran^oise de 1'Imitation de 'Jesus-Christ. Nouvelle edition, pu- tblieepar MM. L. MOLAND et Ch. B'HERICAULT. i vol. 5 fr. MORALISTES. EN VKNTE. ' e flexions, Sentences etMaxim.es mo- 1 rales de LA ROCHEFOUCAULD. Nou- | velle edition , conforme a celle de 1678, et a laquelle on a joint les An- notations d'un contemporain sur cnaque maxi- me , les variantes des premieres editions et des notes nouvelles, par G. DUPLESSIS. Preface par SAINTE-BEUVE. i vol. 5 fr. Les Annotations d'un contemporain sur les Maximes 8 de la Rochefoucauld ont etc attributes a M m e de Lu Fayette. Elles paraissent ici pour la premiere fois. Quelquesunes seuleinent avaient 6t6 publiees par Aime Martin. Les Caracteres de THEOPHRASTE, traduits du grec , avec les Caracteres ou les mceurs de ce siecle, par LA. BRUYERE. Nouvelle edition , collationnee sur les editions donnees par 1'au- teur, avec toutes les variantes , une lettre in- edite de La Bruyere et des notes Htteraires et historiques, par Adrien DESTAILLEUR. 2 vo- lumes. 10 f r Cette edition est le fruit de plusieurs annees de tra- vail. M. Destailleur s'est attach^ a reproduce toutes les variantes des editions donnees par Tauteur. 11 a indiqu6 avec soin les passages des moralistes anciens et modernes qui se sont rencontres avec La Bruyere. II a fait assez pour que M. S. de Sacy ait pu dire : Voila enfin un La Bruyere auquelil ne manquerien. Le livre du chevalier de la Tour Landry pour 1'enseignement de ses filles; public d'apres les manuscrits de Paris et de Londres, par M. Anatole de MONTAIGLON, membre residant de la Sociele des Antiquaires de France. 5fr. Ce livre , ceuvre d'un gentilhomme du XIV* siecle, contient de precieux renseignements sur les mceurs du moyen age. Les sentiments du chevalier sur l'6duca- tion des filles, d6duits avec une naivete, une liberte depressions qui paraissent etranges aux lecteurs de notre 6poque, sont appuyes du recit d'aventures em- pruntees a la Bible, aux chroniques et aux souvenirs personnels du chevalier de la Tonr, re"cits souvent pi- quants et toujours gracieux, qui assignent a son livre une place distinguee parmi les ceuvres des conteurs francais. BEAUX-ARTS. EH VENTE. emoires pour servir a VHlstoire de F Academic royale depeinture et de sculpture, depuis 1648 jusqu'en 1664, publics pour la premiere fois, d'apres le manuscrit de la Bibliotheque Impe- riale, par M. Anatole de MONTAIGLON. 2 vo- lumes. 8 fr. Ces Memoires, que M. de Montaiglon attribue a Henri Testelin, secretaire de 1'Academie de peinture pendant plus de trente ans, contiennent une foule de renseignements precieux sur les artistes qui brillerent en France au XVII e siecle. fipuise. II ne reste plus que quelques exemplaires en papier fort, a 16 fr. Le livre des peintres et graveurs , par Michel DE MAROLLES , abbe de Villeloin. Nouvelle edition, revue par M. Georges DuPivESSis. i vol. 3 fr. Ce petit livre, curieux specimen de Tincroyable ver- sification d'un ecrivain beaucoup trop f6cond, a cepen- dant un m6rite : il apprendra une infinite de choses aux hommes les plus verses dans 1'histoire de 1'art. POESIE. ' ccueil de poesies francoises des XV e >et XVI e siecles, morales, facetieuses, historiques , reunies et annotees par >M. A. DE MONTAIGLON. Tomes I et If. Chaque volume : 5 fr. Dans ce recueil figureront les pieces anonymes pi- quantes et devenues rares, les oeuvres de poetes qui n'ont Iaiss6 que peu de vers, les pieces les plus re- marquables d'6crivains feconds, mais qu'on ne peut reimprimer en entier. Le premier volume contient : i. Le Debat de 1'homme et de la femme (par frere Guil- laume Alexis). a. Le Monologue des Nouveaulx Sotz de la joyeuse Bende. 3. Les Tenebres de Mariage. 4. Les Ditz de maistre Aliborum, qui de tout se mesle. 5. S'ensuit le mistere de la saincte Lerme, comment elle fut apportee de Constantinople a Vendosme. 6. Les Regretz de messire Barthelemy d'Alvienne, et la Chanson de la defense des Venitiens. 7. La Patenostre des Verollez. 8. Varlet k louer a tout faire (par Christophe de Bor- deaux, Parisien). 9. Chambriere a louer a tout faire (par le rngme). 10. S'ensuyvent les Re.retz et Complainte de Nicolas Clereau, avec la mort d'iceluy (par Gilles Corrozet). 11. Dyalogue d'ung Tavemier et d'un Pyon , en francoys et en latin. 12. Le Pater noster des Angloys. 1 3. Le Doctrinal des nouveaux mantis. 11 i4- La piteuse desolation du monastere des Cordeliers de Maulx, mis a feu et brusle'. 16. Discours joyeux des Friponniers et Friponnieres, ensemble la Confrairie desdits Friponniers et les Pardons de laditeConlrairie. 16. La vraye medecine qui guarit de tous maux et de plusieurs autres. 17. La medecine de maistre Griroache, avec plusieurs receptes et remedes centre plusieurs et diverses maladies, tontes vrayes et approuvees. 18. La grande et triumphante monstre et bastillon de six mille Pirardz , faicte & Amiens , a 1'honneur et louenge de nostre sire le Roy, le XX juing mil cinq cens XXXV. 19. La Replicque des Normands contre la Chanson des Picardz. 20. Les Contenances de table. 21. Le Testament de Martin Leuther. 03. Sermon joyeulx de la vie Saint Ongnon, comment Nabuzardan, le maistre cuisinier, le fit martirer, avec les miracles qu'il faict chacun jour. 3. Les Commandements de Dieu et du Dyable. 24. La Complaincte du nouveau marie', avec le Dit de chascun, lequel m;iri6 se complainct des extenciles qui luy fault avoir k son mesnaige, et est en maniere de chan- son, avec la Loyaute" des hommes. 25. De la Nativite de Monseigneur le Due, filz premier de Monseigneur le Dauphin. a6. Sermon joyeulx d'un Ramonneur de chemine'es. 27. Eglogue sur le retour de Bacchus, en laquelle sont introduits deux vignerons, assavoir : Colinot de Beaulne et Jaquinot d'Orleans, compost par Calvi de la Fontaine. 38. Les Ditz des bestes et aussy des oiseaulx. 29. La legende et description du Bonnet carre", avec les proprietez, composition et vertus d'icelluy. 30. Le Discours du trespas de Vert Janet. 31 . Le Blason des Basquines et Vertugalles. 32. Les Souhaitz du monde. Le second volume contient : 33. Sermon nouveau et fort joyeulx auquel est contenu tous les maulx que Thomme a en mariage. Nouvellement compost a Paris. 34 Le Doctrinal des filles a marier. 35. Nuptiaux virelays du mariage du roy d'Escosse et de 12 madame Magdeleine , premiere fille dc France , ensemble une ballade de 1'apparition des trois deesses , avec le Bla- zon de la cosse en laquelle a tousjours germin6 la belle fleur de lys. Faict par Jean Leblond, sieur de Branville. 36. La Loyaulte des femmes, avecles Neuf preux de gour- mandise et aussi une bonne recepte pour guerir les y vrongnes. 3y. Les moyens d'eviter merencolie, soy conduire et enri- chir en tous estatz par Tordonnance de Raison , compost nouvellement par Dadouville. 38. Le Courroux de la Mort centre les Angloys, donnant proesse et couraige aux Francois. 3g. La Pronostication des anciens laboureurs. 40. Les sept marchans de Naples, c'est assavoir : Tad- venturier, le religieux, 1'escolier, 1'aveugle, le villageois, le marchant et le bragart. 41. S'ensuit le Sermon fort joyeux de saint Raisin. 42. La Complainte de Nostre-Dame, tenant son chier filz entre ses bras , descendu de la croix. 43. Les droits nouveaulx establis sur les femmes. 44- S'ensuyt le Doctrinal des bons serviteurs. 45. S'ensuyt ung Sermon fort joyeulx pour I'entrde de table. 46. La Complaincte de Monsieur le Cul contre les inven- teurs des vertugalles. 4?. La Prinse de Pavie par Monsieur d'Anguien , accom- paigne du due d'Urbin et plusieurs capitaines envoyez par le Pape. 48. La Boutique des usuriers, avec le recouvrement et abondance des vins, compose par M. Claude Mermet, no- taire de Sainct-Rambert en Savoye , 1674. 4g. Bigorne qui mange tous les hommes qui font lecom- mandement de leurs femmes. Note sur Bigorne et sur Chicheface. 50. La Remembrance et la Mort. 51. Le Blason des barbes de maintenant, chose tres joyeuse et recreative. 5a. La Reformation des tavernes et destruction de Gor- mandise , en forme de dialogue. 53. La Plaincte du Commun contre les boulengers et ces brouillons taverniers ou cabaretiers et autres , avec la Des- esperance des usuriers. 54. La Doctrine du pere au fils. 55. Monologue nouveau et fort joyeulx de la Chambriere desproveue du mal d'amours. i3 56. La Folye des Angloys, composee par M e L. D. 5y. Apologie des Chambrieres qui ont perdu leur mariage a la blancque. 58. L'Heur et guain d'une Chambriere qui a mis son ma- nage a la blanque pour soy marier, repliquant a cellesqui y ont le leur perdu. 5g. Le Banquet des chambrieres fait aux Estuves le jeudy gras, i54i. 60. Prosa cleri parisiensis ad ducem de Mena , post cae- dem regis Henrici III. Prose du clerge de Paris addres- see au due de Mayne apres le meurtre du roy Henry III , traduite en franc.ois par Pierre Pighenat , cure de Saint- Nicollas-des-Champs , i58g. 61. Le Debat de la Vigne etdu Laboureur. 62. La Vie de saint Harenc, glorieux martir, et comment il fut pesche en la mer et porte a Dieppe. Le tome IK parattra dans les premiers jours de mars. La Collection formei a quatre ou cinq volumes. Chansons, ballades et rondeaux de Jehannot de LESCUREL, poete franjois du XIV e siecle, publics d'apres lemanuscrit unique, parM. A. DE MONTAIGLON. 1 vol. 2 fr. Dans sa preface, 1'editeur s'est attache a faire res sortir rimportance de ces poesies, d'ailleurs tres re- marquablea, comme specimen de la langue du XIV e sie- cle, langue plus claire, plus intelligible, plus voisine de notre langue actuelle que celle de bien des osuvres posterieures. OEuvres completes de Francois VlLLON. Nou- velle edition , revue, corrigee et mise en ordre, avec des notes historiques et litteraires , par P. L. -JACOB, bibliophile, i vol. 5 fr. OEuvres completes de ROGER DE COLLERYE. Edition revue et annotee par M. Charles D'HERICAULT. i vol. 5 fr. Roger de Collerye, poete du commencement du XVI e siecle a cree un type national, un type cher a 1'esprit franQais, celui qui represente le mieux cet esprit daus son etat de calme et joyeux loisir. II a cree le type de Roger Bontemps, ou plutot il s'est in- came dans ce type. > Extrait abrege des vieux Memoriaux de Tab- baye de Saint-Aubin-des-Boys , en Bretagne. i vol. 2 fr. Piece en vers, publie'e parM. Francisque-Michel. Quoique datee du Xll e siecle, elle est reeilement du XVIl e . C'est le resultat d'une de ces supercheries qu'on s'est parfois perniises pour relever 1'illustfation de cer- taines families. OEuvres de Mathurin REGNIER, avec les com- mentaires rev us et corriges, precedees de YHis- toire de la Satire en France , pour servir de discours preliminaire , par M. VIOLLET LE Due. i vol. 5 fr. Le travail de M. Viollet Le Due, puhli6 pour la pre- miere fois en 1812, a e"te revu et modifte par lui pour la nouvelle edition. L'Histoire de la satire a rec.u des additions. OEwres completes de SAINT-AMAIST, revues et annotees par Ch. L. LIVET. 2 vol. 10 fr. Cette edition est le resultat d'un travail de plusieurs aniiees. M. Livet a reuni dans ces deux volumes tous les ouvrages de Saint-Amant , impriines et inedits. De nonibreuses notes expliquent les allusions , 6clair- cissent les passages difliciles , et font connaitre les nombreux personnages nommes dans ces oeuvres. OEuvres cholsies de SENECE , revues sur les di- verses editions et sur les inanuscrits origiuaux, par M. E. CHASLES et P. A. CAP. i vol. 5 fr. OEuvres posthumes de SENECE , publiees d'apres les manuscrits autographes , par M. Emile CHASLES et P. A. CAP. i vol. 5 fr. OEucres de CHAPELLE et de BACHAUMONT Nouvelle edition, revue et corrigee sur les meil- leurs textes, uolamment sur I'edition de 1782, precedee d'une notice par M. TENANT DE LATOUR. i vol. 4fr- sous PRESSE : Recueil general des Fabliaux et Conies des poetes franfois , revus sur les manuscrits et annotes par M. A. DE MONTAIGLON. Ce Recueil fonnera quatre volumes a 5 fr. Le pre- mier paraltra en mars. Gerard de Rossillon , poeme provenal , suivi d'une traduction en vers francais du XII e ou du XIII 6 siecle, public par M. FRANCISQUE- MICHEL. i vol. 5fr. Floire et Blancheflor, deux textes differents , pu- blics et annotes par M. Edelestand DU MERIL. i vol. 5fr. Le litre de Matheolus. Le Rebours de Ma- theolus. 2 vol. 10 fr. OEuvres completes de Pierre GRINGORE , avec des notes par MM. Anatole DE MONTAIGLON et Charles D'HERICAULT. 4 vol. 20 fr. QEui'res completes de RoNSARD, avec variantes et notes. 6 volumes. Les Tragic/iies et autres poesies de Theodore- Agrippa D'AUBIGNE. Edition annotee par M. Ludovic LALANNE. 2 vol. 10 fr. OEuvres completes de THEOPH1LE , revues et annotees par M. ALLEACME. a vol. lofr. 1 6 THEATRE. K?f VENTE I ncien theatre francois, ou Collection des ouvrages dramatiques les plus re- , inarquables depuis les mysteres jus- , qu'a Corneille, publie avec des noti- ces et eclaircissements. Tomes I a VI. Chaque vol. 5 fr. Les trois premiers volumes sont la reproduction d'un recueil unique conserve au Musee Britannique, a Lon- dres, contenant 64 pieces dont voici les litres : TOME I. 1. Le Conseil du Nouveau marie", a deux personnages, c'est assavoir : le Mary et le Docteur. 2. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, du Nouveau mari6 qui ne peult fournir a 1'appoinctement de sa femme, a quatre personnages, c'est assavoir : le Nouveau Mari6, la Femme, la Mere et le Pere. 3. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, del'Obsti- nation des femmes, a deux personnaiges, c'est assavoir : le Mari et la Femme. 4. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, du Cuvier, a troys personnages, c'est assavoir : Jaquinot, sa Femme et la Mere de sa femme. 5. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, a troys personnages, c'est assavoir : Jolyet, la Femme et le Pere. 6. Farce nouvelle, a cinq personnaiges, des Femmes qui font refondre leurs maris, c'est assavoir : Thibault, Collart, Jennette, Pernette et le Fondeur. 7. Farce nouvelle et fort joyeuse du Pect, a quatre per- sonnages, c'est assavoir : Hubert, la Femme, le Juge et le Procureur. 8. Farce nouvelle, tres bonne et fortjoyeuse, des Femmes qui demandent les arrerages de leurs maris, et les font obli- ger par nisi, a cinq personnages, c'est assavoir : le Mary, la Dame, la Chambriere et le Voysin. *7 9. Farce nouvelle d'ung Mary jaloux qui veult esprouver sa femme, a quatre personnages, c'est assavoir : Colinet, la Xante, le Mary et sa Femme. 10. Farce moralisee, a quatre personnaiges, c'est assa- voir : deux Hommes et leurs deux Femmes , dont Tune a malle teste et 1'autre est tendre du cul. 11. Farce nouvelle et fort joyeuse, a quatre personnages, c'est assavoir : le Mary, la Femme, le Badin qui se loue et i'Amoureux. 12. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, de Fernet qui va au vin, a troys personnaiges, c'est assavoir : Per- net, sa Femme et I'Amoureux. 13. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, d'un Amoureux, a quatre personuages, c'est assavoir : 1'Homme, la Femme, I'Amoureux et le Medecin. 14. Colin qui loue et despite Dieu en ung moment a cause de sa femme, a troys personnages, c'est assavoir : Colin, sa Femme et 1'Amant. 15. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, a quatre personnaiges, c'est assavoir : le Gentilhomme, Lison, Nau- det, la Damoyselle. 16. Farce nouvelle a troys personnages, c'est assavoir : le Badin, la Femme et la Chambriere. 17. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, de Jeni- not qui fist un roy de son chat, par faulte d'autre compa- gnon, en criant : Le roy boit ! et monta sur sa maistresse pour la mener a la messe, a troys personnaiges, c'est assa- voir ; le Mary, la Femme et Jeninot. 18. Farce nouvelle de frere Guillebert, tres bonne et fort joyeuse, a quatre personnages, c'est assavoir : Frere Guil- lebert, I'Houime vieil, sa Femme jeune, la Commere. 19. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, de Guil- lerme qui mangea les figues du cure 1 , a quatre personuai- ges, c'est assavoir : le Cur6, Guillerme, le Voysin et sa Femme. 20. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, de Jenin filz de rien, a quatre personnaiges, c'est assavoir : la Mere et Jenin, son fils, le Prestreet ung Devin. at. La Confession Margot, a deux personnaiges, c'est assavoir : le Cure et Margot. 22. Farce uouvelle, tres bonne et fort joyeuse, de George le Veau, a quatre personnaiges, c'est assavoir : George le Yeau, sa Femme, le Cure et son Clerc. i8 TOME II. 23. Sermon joyeux de bien boire, k deux personnaiges, c'est assavoir : le Prescheur et le Cuysinier. 24. Farce nouvelle, tres bonne et tres joyeuse, de la R6- surrection de Jenin Landore, a quatre personnaiges, c'est assavoir : Jenin, sa Femme, le Cure et le Clerc. 25. Farce nouvelle, fort joyeuse, du Pont aux Asgnes, k quatre personnages, c'est assavoir : Le Mary, la Femme, Messire Domine de et le Boscheron. 26. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse , k troys personnages, d'un Pardonneur, d'un Triacleur et d'une Ta- verniere, c'est assavoir : le Triacleur, le Pardonneur et la Taverniere. 27. Farce nouvelle du Past6 et de la Tarte, a quatre per- sonnaiges , c'est assavoir : deux Goquins, le Paticier et sa Femme. 28. Farce nouvelle de Mahuet, badin, natif de Baignolet, qui va a I'aris au marche pour vendre ses ceufz et sa crcs- me, et ne les veult donner sinon au pris du marche, et est a quatre personnages, c'est assavoir : Mahuet, sa Mere, Gaultier et la Femme. 29. Farce nouvelle et fort joyeuse des Femmes qui font escurer leurs chaulderons et deffendent que on ne inette la piece auprcs du trou, a troys personnages, c'est assavoir : la premiere Femme, la seconde et le Maignen. 30. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, a troys personnages, d'un Chauldronnicr, c'est assavoir: 1'Honime, la Femme et le Chauldronnier. 31. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, a trois per sonnaiges, c'est assavoir : le Chaulderonnier, le Savetier et le Tavernier. 3i. Farce joyeuse, tres bonne et recreative pour rire, du Savetier, a troys personnaiges, c'est assavoir : Audin, sa- vetier; Audette, sa Femme, etle Cur6. 33. Farce nouvelle d'ung Savetier nomme Calbain , fort joyeuse , lequel se maria a une savetiere , a troys person- naiges , c'est assavoir : Calbain , la Femme et le Galland. 34. Farce nouvelle , k quatre personnaiges, c'est assa- voir : le Cousturier, Esopet , le Gentilhomme et la Cham- briere. 35. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse, a trois personnaiges , c'est assavoir : Maistre Mimin le Gouteux , son varlet Richard le Pele, sourd, et le Chaussetier. 9 36. Farce nouvelle d'ung Ramoneur de chemine"es, fort joyeuse, a quatre personnaiges , c'est assavoir : le Ramo- neur, le Varlet, la Femrae et la Voysine. 37. Sermon joyeux et de grande value A tous les foulx qui sont dessoubz la nue , Pour leur monstrer a saiges devenir, Moyennant ce que , le temps advenir, Tous sotz tiendront mon conseil et doctrine , Puis congnoistront clerement , sans urine , Que le rnonde pour sages les tiendra Quand ils auront de quoy : notez cela. 38. Sottie nouvelle , a six personnaiges , c'est assavoir : le Roy des Sotz, Triboulet, Mitouflet, Sotlinet, Coquibus, Guippelin. 3g. Sottie nouvelle, a cinq personnages, des Trompeurs, c'est assavoir : Sottie, Teste Verte, Fine Mine , Chascun et le Temps. 4o. Farce nouvelle, tres bonne, de Folle Bobance, a quatre personnaiges , c'est assavoir : Folle Bobance , le premier Fol , gentilhomme; le second Fol , marchant, etle tiers Fol , laboureux. 4 1 Farce joycuse , tres bonne , a deux personnaiges , du Gaudisseur qui se vante de ses faictz , et ung Sot qui lui respond au contraire , c'est assavoir : le Gaudisseur et le Sot. 4a. Farce nouvelle, tres bonne et fort recreative pour rire, des cris de Paris, a troys personnaiges, c'est assavoir : le premier Gallant, le second Gallant et le Sot. 43. Farce nouvelle du Franc Archier de Baignolet. 44- Farce joyeuse de Maistre Mimin, a six personnaiges, c'est assavoir : le Maistre d'escolle ; Maistre Miniin , estu- diant ; Raulet, son pere ; Lubine , sa mere ; Raoul Machue, et la Bru Maistre Mimin. 45. Farce nouvelle, tres bonne et fort joyeuse , a troys personnaiges , de Pernet qui va a 1'escolle , c'est assavoir : Pernet, la Mere, le Maistre. 46. Farce nouvelle , tres bonne et fort joyeuse , h troys personnaiges, c'est assavoir : la Mere, le Filz et TExami- nateur. 47. Farce nouvelle de Colin, filz de Thevot le Maire , qui vient de Naples et amene ung Turc prisonnier, & quatre . personnaiges, c'est assavoir : Thevot le Mere, Colin son filz , la Femme , le Pelerin. 20 48. Farce nouvelle, a trois personnaiges, c'est assavoir: Tout Mesnaige, Besogne faicte, la Chamberiere qui est ma- lade de plusieurs maladies , comme vous verrez ci dedans, et le Fol qui faict du medecin pour la guarir. 4g. Le Debat de la Nourrice et de la Chamberiere , a troys personnaiges , c'est assavoir : la Nourrisse , la Cham- beriere, Johannes. 50. Farce nouvelle des Chamberieres qui vont a lamesse de cinq heures pour avoir de 1'eaue beniste , a quatre per- sonnaiges , c'est assavoir : Domine Johannes, Trousseta- queue, la Nourrice et Saupiquet. TOME III. 51. Moralit6 nouvelle des Enfans de Mainlenant, qui sont des escoliers de Jabien , qui leur monstre a jouer aux cartes et aux dez et entretenir Luxures, dont 1'ung vient a Honte , et de Honte a Desespoir , et de Desespoir au gibet de Perdition, et 1'aultre se converlist a bien faire. Et est a treize personnages , c'est assavoir : le Fol , Maintenant , Mignotte, Bon Advis, Instruction, Finet, premier enfant; Malduict, second enfant; Discipline, Jabien, Luxure, Honte, Desespoir, Perdition. 5a. Morality nouvelle , contenant Comment Envie , au temps de Maintenant , Fait que les Freres que Bon Amour assemble Sont ennemys et ont discord ensemble, Dont les parens souffrent maiut desplaisir, Au lieu d'avoir de leurs enfans plaisir. Mais a la fin Remort de conscience, Vueillant user de son art et science , Les fait renger en paix et union Et tout leur' temps vivre en communion. A neuf personnaiges, c'est assavoir: le Preco, le-Pere, la Mere, le premier Filz, le second Filz, le tiers Filz, Amour fraternel, Envie, et Remort de conscience. 53. Moralit6 nouvelle d'ung Empereur qui tua son nepveu qui avoit prins une fille a force ; et comment, ledict Empereur estant au lict de la mort , la sainte Hostie luy fut apportee miraculeusement. Et est a dix personnaiges, c'est assavoir : 1'Empereur, le Chappelain , le Due, le Conte, le Nepveu de 1'Enipereur, 1'Escuyer, Bertaut e! Guillot, servi- teurs du Nepveu ; la Fille violee, la Mere de la Fille, avec la sainte Hostie qui se presents a 1'Empcreur. 21 54- Moralit6 ou histoirerommaine d'une Femme qui avoit voulu trahir la cite de Romme, et comment sa Fille la nour- rit six sepmaines de son lait en prison, a cinq persounaiges, c'est assavoir : Oracius, Valerius, le Sergent, la Mere et la Fille. 55. Farce nouvelle, fort joyeuse et morale, a quatre per- sonnaiges , c'est assavoir : Bien Mondain , Honneur spiri- tuel, Pouvoir Temporal et la Femme. 56. Farce nouvelle, tres bonne, morale etfort joyeuse, a troys personnaiges, c'esl assavoir : Tout, Rien et Chascun. 67. Bergerie nouvelle, fort joyeuse et morale, de Mieulx que devant, a qualre personnaiges, c'est assavoir : Mieulx que devant, Plats Pays, Peuple pensif et la Bergiere. 58. Farce nouvelle moralisee des Gens Nouveaulx qui mangent le monde et le logent de mal en pire , a quatre personnaiges, c'est assavoir : le premier Nouveau , le se- cond Nouveau, le tiers Nouveau et le Monde. 5g. Farce nouvelle, a cinq personnaiges, c'est assavoir : Marchandise et Mestier, Pou d'Acquest, le Temps qui court et Grosse Despense. 60. La vie et 1'histoire du Maulvais Riche, a traize per- sonnaiges, c'est assavoir : le Maulvais Riche, la Femme du Maulvais Riche, le Ladre, le Prescheur, Trotemenu, Tripet, cuisinier; Dieu le Pere, Raphael , Abraham, Lucifer, Sa- than, Rahouart, Agrappart. 61. Farce nouvelle des Cinq Sens de 1'Homme, mora- lisee et fort joyeuse pour rire et recreative , et est a sept personnaiges , c'est assavoir : THomnie , la Bouche , les Mains, les Yeulx, les Piedz, 1'Ouye et le Cul. 6a. Debat du Corps et de 1'Ame. 63. Moralite nouvelle, tres bonne et tres excellente , de Charite, oil est demontre les maulx qui viennent aujourdliuy au Monde par faulte de Charite, a douze personnaiges : le Monde, Charite, Jeunesse, Vieillesse, Tricherie, le Pouvre, le Religieux, la Mort, le Riche Avaricieux et son Varlet, le Bon Riche vertueux et le Fol. 64. Le Chevalier qui donna sa Femme au Dyable, a dix personnaiges, c'est assavoir : Dieu le Pere , Nostre Dame , Gabriel, Raphael, le Chevalier, sa Femme, Amaury, escuyer; Anthenor, escuyer; le Pipeur et le Dyable Le tome IV contient les oeuvres dramatiques d'E tienne Jodelle ; les Eskahis , de Jacques Grevin ; la Reconnue^ de Remy Belleau. Les tomes V et VI con- 22 tiennent les huit premieres comedies de Pierre de La- riyey. La derniere piece fera partie du tome VII, qui parattra en mars. Ce recueil sera complet en dix volumes. Le dernier volume contiendra un Glossaire. Les Comedies de Pierre de LARIVEY , Champe- nois. 2 vol. 20 fr. Ces deux volumes contiennent les neuf comedies de Pierre de Larivey. C'est un tirage a part, a cent exemplaires, avec litre particulier, des tomes V et VI et de partie du tome VII de YAncien thedtre franpois. Histoire de la vie et des outrages de CORSEILLE, par M. J. TASCHEREAU. i vol. 5 fr. Introduction aux OEvvres completes de Pierre COR- NEILLE, qui sont sous presse et formeront 6 vol. a 5 fr. s ors PRES SB : Mystere de la Passion, par Arnoul GREBAN, public d'apres les man user! ts par MM. C. d'HERICAULT et L. MOLAND. 3 vol. 10 fr. ROMANS ET CONTES. elusine, par Jehan d'Arras ; nouvelle edition, publiee d'apres Tedition ori- ginale de Geneve, 1478, in-fol., par M. Ch. BRUNET. i vol. 5 fr. Le Roman de Jehan de Paris, public d'apres les premieres editions, et precede d'une notice par Emile M ABILLE. i vol. 3 fr. 23 Le Roman bourgeois, ouvrage comique, par An- toine FURETIERE. Noirvelle edition, avec des notes historiques et litteraires par M. Edouard FOURNIER, precedee d'une Notice par M. Ch. ASSELINEAU. i vol. 5 fr. Le Roman bourgeois , decrie au XVII 6 siecle par les ennemis de Fauteur, mal reimprime au XVIII, etait a peine connu au XIX e . L 'edition publi6e par MM. As- selineau et Fournier a revele a nos contemporains un des livres les plus senses, les plus amusants, les mieux ecrits du siecle de Louis XIV, le plus precieux peut- elre pour Tetude des moaurs bourgeoises et litteraires a cette epoque. Six mois de la vie (fun jeune homme (1797) , par VIOLLET LE Due. i vol. 4 fr- Les Aventures de Don Juan de VARGAS , ra- contees par lui-meme, traduites de Tespagnol, sur le manuscrit inedit, par Charles NAVARIN. i vol. 3 fr. A tort ou k raison, on regarde generalement cet ou- vrage comme un livre apocryphe, un pastiche, une imitation des romans de Le Sage et des contes de Vol- taire. Ajoutons qu'on declare Fimitation tres heureuse ; partant, le livre d'une lecture agreable et facile, ^crit avec beaucoup d'esprit et de talent. Hitopadesa, ou L'instruction utile, recueil d'apo- logues et de contes , traduit du Sanscrit , avec des notes historiques et litteraires et un Ap- pendice contenant 1'indication des sources et des imitations, par M. Ed. LANCEREAU, mem- bre de la Societe Asiatique. i vol. 5 fr. On trouve dans ce volume beaucoup de fables et de contes qui ont pass6 dans les litteratures modernes, particulieremeut dans la ndtre. 24 SODS PRESSE : Le Roman comique , par SCARRON, revu et an- note par M. Victor FOURNEL. i vol. 5 fr. Les nouvelles recreations et joyeux devis de Bonaventure DBS PERIERS, suivis du Cymba- lum Mundi et des Poesies , le tout revu sur les editions originates et aunote par M. Louis LACOUR. 2 vol. 10 fr. Les Cent nouvelles nouvelles , d'apres le scul manuscrit connu , receniment decouvert par 1'editeur. i vol. 5 fr. FACETIES. ORLINI novelise, fabulee etcomcedia. Editio tertia , emendata et aucta. i vol. 5 fr. Ouvrage peu connu , par suite de 1'extrSine rarete des editions precedentes , et precieux pour 1'histoire des contes et des fables. La Comidie a trait a 1'expedi- tion envoyee par Louis XII a la conqufite du royaume de Naples. Les quinze Joyes de manage. Nouvelle edition , conforme au manuscrit de la Bibliotheque pu- blique de Rouen , avec les variantes des an- ciennes editions et des notes, i vol. 3 fr. Get ouvrage si remarquable, qu'on attribue a Tauteur du Petit Jehan de Sainlrt, Antoine de la Sale, a tou- jours eu de nomhronx admirateurs , au nombre des- quels se trouvent Rabelais et Moliere. II a ete imprim6 plusieurs fois ; 1'editeur a reconnu 1'existence de quatre 2D textes differents, tous plus ou moins tronque"s. En s'aidant des anciennes editions et du manuscrit de la Bibliotheque publique de Rouen, il est parvenu a r6- tablir le texte tel qu'il a dft sortir de la plume de 1'au- teur. Les variantes recueillies a la fin du volume justi- fient pleinement ce travail, et les notes placees au has des pages rendent 1'intelligence du texte facile aux per- sonnes meme les moins vers6es dans la connaissance de notre litte"rature du moyen age. Les Evangilcs des Quenouilles. Nouvelle edition, revue sur les editions anciennes et les manu- scrits , avec Preface, Glossaire et Table analy- tique. i vol. 3 fr. Ceci n'est pas seulement un livre amusant : c'est encore un des livres les plus precieux pour 1'histoire des mosurs, des opinions et des prejuges... C'est le repertoire le plus curieux des croyances, des erreurs et des prejugfis repandus au moyen age panni le peu- pie. (Extrait de la Preface.) La Nouvelle Fabrique des excellens traits de verile, par Philippe D'ALCRIPE, sieur de Neri en Verbos. Nouvelle edition , augmentee des Nouvelles de la terre de Prestre Jehan. i vo- lume. 4 fr- Get ouvrage, de la fin du XVle siecle, est le 'type et la source de ces nombreuses histoires oil Texag6ration joue un si grand r&le. De ce volume viennent en droite ligne les Facetieux devis et plaisans contes du sieur du Moulinet , les histoires de M. de Crac et de sa famille, et les celebres Aventures du baron de Miinchhausen. En somme, c'est un livre fort amusant, et qui fait con- naitre un des c6t6s de 1'esprit railleur de nos peres. Recueil general des Caquets de VAccouchce. Nouvelle edition ; revue sur les pieces origi- nales et annotee par M. Edouard FOURIVIEU, avec une Introduction par M. LE Roux DE LINCY. i vol. 5 fr. Dans cet ouvrage , les moeurs, les usages, les abus 26 du premier quart du XVII e siecle, sont passes en revue avec autant de liberte" que de malice. Grace aux notes dont cette Edition esl accompagnee , ce livre face'tieux sera desormais un de ceux que Ton consultera avec le plus de fruit sur Thistoire du temps. SOUS PRESSE. OEuvres de RABELAIS , seule edition conforme aux derniers textes revus par 1'auteur, avec les variantes des anciennes editions , des notes et un Glossaire. 2 vol. 10 fr. Le Grand Dictionnaire des Pretieuses , revu et annote par M. C. L. LIVET. 2 vol. 10 fr. Parattra en mars. HISTOIRE. EN VENTK : istoire notable de la Floride , conte- nant les trois voyages fails en icelle I par certains capitaines et pilotes fran- S cois, descrits par le capitaine LAUDON- NIERE ; a laquelle a ete ajouste un Quatriesme voyage , fait par le capitaine GOURGL'ES. i volume. 5 fr. Epuise. II reste quelques exemplaires papier fort au prix de 10 fr. Les Aventures du baron de Feeneste, par Theo- dore-Agrippa D'AUBIGNE. Edition revue et annotee par M. Prosper MERIMEE, de TAca- demie francoise. i vol. 5 fr. 2 7 Memoires de la Marquise de Courcelles, ecrits par elle-meme , precedes d'une Notice et accompa- gnes de notes par M. Paul POUGIN. i vol. 4 fr. Memoires de Madame de la Guette. Edition re- vue et annotee par M. C. MOREAU. i vol. 5 fr. sous PRESSE: Souvenirs de madame de Caylus. i vol. Journal de Jean Georges Wille (1759-1798), public pour la premiere fois , avec des notes par MM. Edraond et Jules de GONCOURT et M. G. DUPLESSIS. 2 vol. 10 fr. POLYGRAPHES ET MELANGES. EN VENTE : arietes historiques et litteraires, re- cueil de pieces volantes rares et cu- rieuses, en prose et en vers, avec des notes par M. Edouard FOURNIER. Tomes I a IV. Le volume, 5 fr. Le i er volume contient : 1. Ensuit une remonstrance touchant la garde de la librairie du Roy, par Jean Gosselin, garde d'icelle li- brairie. 2. Le Diogene fran?ois, ou Les facetieux discours du vray anti-dotour comique blaisois. 3. Histoires espouvantables de deux magiciens qui ont este estranglez par le diable, dans Paris, la semaine saincte. 4- Discours faict au parlement de Dijon sur la presen- tation des Lettres d'abolition obtenues par Helene Gillet , 28 condamnde a mort pour avoir ce!6 sa grossesse et son fruict. 5. Histoire veritable de la conversion et repentance d'une courtisane venilienne. 6. Les singeries des femmes de ce temps descouvertes, et particulierement d'aucunes bourgeoises de Paris. 7. La Chasse et 1'Amour, a Lysidor. 8. Dialogue fort plaisant et" recreatif de deux mar- chands : 1'un est de Paris et 1'autre de Pontoise , sur ce que le Parisien 1'avoit appele Norinand. 9. Discours prodigieux et espouvantable de trois Es- paignols et une Espagnolle , magiciens et sorciers , qui se faisoient porter par les diables de ville en ville. 10. Histoire admirable et declin pitoyable advenu en la pcrsonne d'un favory de la cour d'Espagne. 11. Examen sur 1'inconnue et nouvelle caballe des frt yes de la Roz6e-Croix. 12. Role des presentations faictes au Grand Jour de 1'E- loquence francoise. 13. Recit veritable du grand combat arrive" sur mer, aux Indes Occidentales , entre la flotte espagnole et les na- vires hollandois, conduits par Tamiral Lhermite , devant la ville de Lyma , en I'ann6e 1624. 14. Discours veritable de l'armedu tres vertueux et il- lustre Charles , due de Savoye et prince de Piedmont, con- tre la ville de Geneve. i5. Histoire miraculeuse et admirable de la contesse de Hornoc, flamande, eslrang'.ee par le diable, dans !a ville d'Anvers , pour n'avoirtrouv6 son rabat bien godronne , le i5 avril 1616. 16. Discours au vray des troubles nagueres advenus au royaume d""Arragon. 17. Recit naif et veritable du cruel assasinat et horrible massacre commis le 26 aoust 1662, par la Compagnie des frippiers de la Tounellerie , en la personne de Jean Bourgeois. 18. Les Grands Jours tenus a Paris pa:- M. Muet, lieu- tenant du petit criminel. 19. La revolte des Passemens. 20. Ordonnance pour le faict de la police et reglement du camp. 91. Combat de Cyrano de Rergerac avec le singe de Brioche , au bout du Pont-Neuf. 29 ii. La prinse et deffaicle du capitaine Guillery. a3. Le bruit qui court de 1'Espousee. i!\. La conference des servantes de la ville de Paris. 25. Le triomphe admirable observe en Taliance de Be tbeleem Gabor, prince de Transilvanie , avec la princesse Catherine de Brandebourg. 26. La descouverture du style impudique des courtisan nes de Normandie a celles de Paris, envoyee pour estren nes , de 1'invention d'une courtisanne angloise. 27. La Rubrique et fallace du monde. 28. Plaidoyers plaisans dans une cause burlesque. 29. Les merveilles et les excellences du Salmigondis de 1'aloyau , avec les Confitures renversees. Le second volume contient : 1. Memoire sur 1'^tat de 1'Academie franchise, remis a Louis XIV vers Tan 1696. 2. Le Miroir de contentemcnt, bailie pour estrenne a tous les gens mariez. 3. Le Patissier de Madrigal en Espagne, estime estre l)om Carles, fils du roy Philippe. 4- Discours sur 1'apparition et faits pretendus de 1'ef- froyable Tasteur, dedie a mesdames les poissonnieres, ha- rengeres, fruitieres et autres qui se levent le matin d'au pres de leurs maris , par 1'Angoulevent. 5. La Destruction du nouveau moulin a barbe. 6. Dissertation sur la veritable origine des moulins a barbe. 7. Les cruels et horribles tormens de Balthazar Gerard, Bourgiiignon , vray martyr, souffertz en 1'execution de sa glorieuseet memorable mort, pour avoir tue Guillaume de Nassau , prince d'Orenge. 8. Histoire des insignes faussetez et suppositions de Francesco Fava , medecin italien. 9. Histoire veritable et divertissante de la naissance de mie Margot et de SPS aventures. 10. Le caquet des poissonnieres sur le departement du roy et de la cour. 11. La Moustache des filous arrachee, par le sieur du Laurens. 12. Accident merveilleux et espouvantable du desastre arrive le 7 mars 1618 d'un feu inremediable lequel a brusle et consomme tout le Palais de Paris. 13. Ordonnances generales d'amour. 3o i4- L' Adieu du plaideur a son argeut. 15. Rencontre et naufrage de Irois astrologues judiciai- res, Mauregard, J. Petit et P. Larivey, nouvellement ar- rivez en 1'autre nionde. 16. Discours de 1'inondation arrivee au fauxbourg S.- Marcel-lez-Paris . par la riviere de Bievre, i6a5. 17. La Permission aux servantes de coucher avec leurs maistr. s , ensemble 1'Arrest de la part de leurs mais- tresses. 18. La muse infortune'e contre les froids amis du tc-mps. 19. Remonstrance aux nouveaux mariez et mariees et ceux qui desirent de Testre , ensemble pour cognoistre les humeurs des femmes. 20. Le Tocsin des filles d'amour. 9i. Plaisant galimatias d'un Gascon et d'un Provencal, nomtnez Jacques Chagrin et Ruffin Allegret. 33. Particularitez de la conspiration et la mort du che- valier de Rohan , de la marquise de Villars , de Van den Ende , etc. a3. Cartels de deux Gascons et leurs rodomontades , avec la dissection de leurhumeur espagnole. 34. Le hazard de la blanque renverse et la consolation des marchands forains. a5. Sermon du cordelier aux soldats , ensemble la res- ponce des soldats au cordelier. 36. L'ouverture des jours gras , ou 1'entretieu du car- naval. 27. Histoire veritable du combat et duel assigne entre deux demoiselles sur la querelle de leurs amours. 38. L 'innocence d'amour, a Lysandre. Le tome III contient : i . Placet des amans au roy contre les voleurs de nuit et les filoux. 3. Reponse des filoux (par M lle de Scudery). 3. Recit veritable de Tattentat fait sur le precieux corps de N.-S. Jesus-Christ entre les mains du prestre disant la messe , le 34 mai 1649, en I'Sglise de Sannois. 4. Histoire prodigieuse du fantome cavalier solliciteur qui s'est battu en duel le 37 Janvier i6i5, pres Paris. 5. La chasse au vieil grognard de I'antiquit6. 1623. 6. L'Onophage, ou le mangeur d'asne, histoire veritable d'un procureur qui a mange un asne. 3i 7. Les Regrets des filles de joie de Paris sur le subject de leur bannissement. 8. Histoire joyeuse et plaisante de M. de Basseville et d'une jeune demoiselle , fille du ministre de St-Lo , la- quelle fut prise et emportee subtilement de la maison de son pere. 9. L'ordre du combat de deux gentilshommes faict en la ville de Moulins , accorde par le roy nostre sire. 10. La Response des servantes aux langues calomnieu- ses qui ont frolle sur 1'ance du panier ce caresme ; avec Fadvertissement des servantes bien mariees et mal pour- veues a celles qui sont a marier, et prendre bien garde a eux avant que de leur mettre en mesnage. 1 1 . Nouveau reglement general sur toutes sortes de mar- chandiseset manufactures qui sont utiles et necessaires dans ce royaume , par de la Gomberdiere. la. Le Trebuchement de 1'ivrongne, par G. Colletet. 13. Lettres nouvelles contenant le privilege et Tauctorite d'avoir deux femmes. 14. Regies , Statuts et Ordonnances de la caballe des fi lous reformez depuis huict jours dans Paris , ensemble leur police , estat, gouvernement , et le moyen de les cognoistre d'une lieue loing sans lunettes. 15. Privilege des Enfans Sans-Souci , qui donne lettre patentea madame lacomtesse de Cosier Salle.... pour aller et venir par tous les vignobles de France. 16. La Rencontre merveilleuse de Piedaigrette avec mais- tre Guillaume revenant des Champs-Eliz6e, avec la genea- logique des coquilberts. 17. Le Ballieux des ordures du monde. 18. Discours veritable des visions advenues au premier et second jour d'aoust 1689 a la persoune de Tempereur des Turcs , sultan Amurat , en la ville de Constantinople , avec les protestations qu'il a fait pour la manutention du christianisme. 19. Le Pasquil du rencontre des cocus a Fontainebleau. 20. Exemplaire puuition du violement et assassinat corn- mis par Francois de La Motte, lieutenant du sieur de Mon- testruc , en la garnison de Metz en Lorraine , a la fille d'un bourgeois de ladite ville , et execute a Paris le 5 decembre 1607. ai. Le Satyrique de la cour, i6a4- 22. Les Estranges tromperies de quelques charlatans nou- 32 vellement arrivez a Paris , descouvertes aux despens d'un plaideur, par C. F. Duppe". a3. La Piece de cabinet, de"die"e aux poetes du temps (par E. Carneau). 24. Privileges et reglemens de I'Archiconfr^rie vulgaire- ment dite des Cervelles emouque"es ou des Ratiers. 26. Advis de Guillaumede la Porte, hotteux es hallesde la villede Paris. 26. Les Miseres de la femme maride, oil se peuvent voir les peines et tourmens qu'elle rec,oit durant sa vie, mis en forme de stances par M me Liebault. 27. Les Privileges et fidelitez des Chastrez, ensemble la responce aux griefs proposez en 1'arrest donn6 centre eux au profit des femnies. 28. Le Pont-Neuf frpnde" . 29. La Tromperie faicte a un marchand par son apprenty, lequel coucha avec sa femme , qui avoit peur de nuict , et de cequi en advint , avec le testament du martyr amoureux. 30. Legal testamentaire du prince des Sots a M. C. d'A- creigne , Tullois, pour avoir descrit la defaite de deux mille homines de pied, avec la prise de vingt-cinq enseignes, par Monseigneur le due de Guyse. 31. Oraison funebre de Caresme prenant, composee par le serviteur du roy des Melons andardois. Le t. IV vient deparaftre. Le V e est sous presse. sous PRESSE. OEuvres completes de Pierre de BOURDEILLES, abbe de BRANTHOMME, et d'Andre de BOLR- DEILLES, son frere aine, publiees pour la pre- miere fois selon le plan de Fauteur, augmen- tees de nombreux fragments inedits, et anno- teespar MM. Prosper MERIMEE, de F. v .cademie franfaise, et Louis LACOUR, archiviste paleo- graphe. Nota. II a 616 tire de chaque volume de la Bibliotheque elzevirienne quelques exemplaires sur papier fort , qui se vendent le double du j rix des exemplaires ordinaircs. OUVRAGES DE DIFFtiRENTS FORMATS. Bibliographic lyonnaise du xv e siecle, par M. A. PERICAUD atn6. Nouv. edit. Lyon, imprimerie de Louis Perrin,1851, in-8. l re partie. 7 50 2 e partie. 4 3 e partie. 2 Bibliotheca scatologica, ou Catalogue raisonne des livres trai- tant des Tertus, fails et gestes de tres noble et tres ing6- nieux Messire Luc (a Rebours) , seigneur de la .Chaise et autres lieux , inSmeinent de ses descendants et autres personnages de lui issus. Ouvrage traduit du prussien et enrichi de.notes tres congruantes au sujet, par trois sa- vants en us. In-8. 15 Catalogue de la bibliolheque lyonnaise de M. Coste, r'digfi et mis en ordre par Aim6 VINGTRINIER , son bibliothecaire. Lyon, 1853, 2 vol. gr. in-8. (18,641 articles.) 12 Catalogue des livres imprimes , manuscrits , estampes, des- sinset cartes a jouer composant la bibliotheque de M. C. Leber, avec des notes par le collecteur. Tome IV, conte- nant le supplement et la tabL 1 des auteurs et des livres anonymes. Paris, 1852, in-8, avec 6 grav. 8 Grand papier, fig. col. 25 Grand papier velin, fig. col. 30 Choix de fables de La Fontaine, traduites en vers basques par J.-B. ARCHCJ. La Reole, 1848, in-8. 7 50 Chronique et hystoire faicte et composee par reverend pere en Dieu TURPIN , contenant les prouesses et faictz darmes advenuz en son temps du tres magnanime Roy Charle- maigne et de son nepveu Raouland. (Paris, 1835), in-4 goth. a 2 col., avec lettres initiales fleuries et tourneures. 20 > Pap. de Hollande. 25 34 Dialogue (Le) du foletdu sage. (Paris, 1833), pet. in-8goth. 9 Pap. 4e Holl. (a 10 exempl.). 12 Pap. de Chine (a 4 exempl.). 15 Dialogue facetieux d'un gentilhomme franc.ois se complai gnant de 1'amour, et d'un berger qui, le trouvant dans uti bocage, le reconforta, parlant a luy en son patois. Le tout fort plaisant. Mets, 1671 (1847), in-16 oblong. 9 Dictionnaire pour Intelligence des auteurs classiques gress et latins, ta:;t sacres que profanes, par Fr. SABBATHIER. Paris, 1815, in-8. (Tome 37 e et dernier.) 6 Pit (Le} de menage, piece en vers du XIY e siecle , publiee pour l-i premiere fois par M. G.-S. TREBUTIEN. (Paris, 1835), in-8 goth. 2 50 Pap. de Holl. 4 f)it (Un} d'aventures, piece burlesque et satirique du XIII 6 siecle, publiee pour la premiere fois par M. G.-S. TRE- BUTIEN. (Paris, 1835), iu-8 goth. 2 50 Essai synthetique sur 1'origine et la formation des langues (par Copineau). Paris, 1774, in-8. 4 Histoire des campagnes d'Annibal en Italie pendant la deuxie- me guerre publique,suivie d'un abrdgede la tactique des Romains et des Grecs, par Fred. GUILLAUME , general de brigade. Milan, de 1'impr royale, 1812, 3 vol. gr. in-4 et atlas de 49 planches gr. in-fol. 20 Histoire du Mezique , par don Alvaro TEZOZOMOC , trad, sur un manuscrit inedit par H. TERNAUX-COMPANS. Paris , 1853,2 vol. in-8. 15 Lai d'Ignaures , en vers , du XII e siecle , par RENAUT, suivi des lais de Melion et du Trot, en vers, du XIII 6 siecle, publics pour la premiere fois par MM . MONMERQCE et Fran- cisque MICHEL. Paris, 1832, gr. in 8, pap. vel., avec deux fac-simile color. 9 Pap. de Holl. 15 Pap. de Chine. 15 Lanternen (Le*),histoire de 1'ancien dclairage de Paris, par Edouard FOURNIER, suivic de la reimpression de quelques poemes rares. (Les nouvelles lanternes , 1745. Plain- tes des filoux et 6cumeui's de bourses centre nosseigneurs 35 les reverberes, 1769. Les ambulantes a la brune cen- tre la duret6 du temps, 1769. Les sultanes nocturnes, 1769.) Paris, 1854, in-8. 2 Lellre d'un gentilhomme portugais a un de ses amis de Lis- bonne surl'execution d'Anne Boleyn, publiee par M. Fran- cisque MICHEL. Paris, 1832, br. in-8, pap. velin. 3 Manuel du libraire et de I'amateur de litres, par M. Jaeq.- Ch. BRUNET, quatrieme edition originale. I'aris, 1842- 1844, 5 vol. in-8 a deux colonnes. 200 Moralitt de la vendition de Joseph , filz du patriarche Jacob ; comment ses freres , esmeuz par envye , s'assemblerent pourle faire mourir Paris, 1835, in-4 goth. format d'agenda, pap. de Holl. 36 - Moralite de Mundus, Caro, Demonia, a cinq personnages. Farce des deux savetiers , a trois personnages. Paris , Silvestre, 1838, in-4 goth. formal d'agenda. 12 Moralite nouvelle du mauvais riche et du ladre , a douze per sonnages. (Paris, 1833,) petit in-8 goth. 9 Pap. de Holl. (a 10 exempl.). 12 Pap. de Chine (a 4 exempl.). 15 Moralite tres singuliere et Ires bonne des Uasphemateurs du nom de Dieu. (Paris, 1831,) pet. in-4 goth. format d'a- genda, pap. de Holl. 36 Mystere de .taint Cre.ipin el de saint Crespinien , public pour la premiere fois par L. DESSALLES et P. CHABAILLE. Pa- ris, 1836, gr. in-8 orne d'un fac-simile. 14 Pap. de Holl. (fac-simile sur VELIN). 30 Pap. de Chine. 30 Nouveanx documents inedits on pen connus sur Montaigne, re cueillis et publics par le D r J.-F. PAYEN. In-8 de 68 pa- ges, avec plusieurs fac-simile, gr. pap. verge fort 3 Grand papier velin , fac-simile sur papier du XVI e sie- cle. 6 Documents inedits sur Montaigne , recueillis et publics par le D r J.-F. PAYEN. N 3. fiphemerides , lettres et autres pie- ces autographes et in6dites de Michel de Montaigne et de sa fille Eleonore. In-8. 3 Tirt A 100 exemplaires. Poesies francoises de J.-G. Alione (d'Asti) , composees de 36 1494 a 1520, avec une notice biographique etbibliogra- phique par M. J.-C. BRUNEI. Paris, 1836, pet. in-8 goth. orn6 (Tun fac-simile. 15 Proverbes basques, recueillis (et publics avec une traduction franc.aise)|par ARNAULD OIHENART. Bordeaux, 1847, in-8. 10 Recueil de r6impressions d'opuscules rares ou curieux rela- tifs a 1'histoire des beaux-arts en France , publi6 par les soins de MM. T. ARNAULDET, Paul CHERON, Anatole DE MONTAIGLON. In-8, papier de Hollande. (Tirage a 100 exemplaires.) I. Ludovicus Henricus Lomenius , Briennae comes, de pinacotheca sua. 1 SO II. Vie de Francois Chauveau , graveur, et de ses deux fils , Evrard , peintre , et Renfi , sculpteur, par J.-M. Papil- lon. 3 50 Relation des principaux e've'ments de la vie de Salvaing de Boissieu , premier president en la chambre des comptes de Dauphin* , suivie d'une critique de sa genealogie et preceded d'une Notice historique , par Alfred DE TERRE- BASSE. Lyon,lmpr. de Louis Perrin, 1850, in-8, fig. 7 Roman de Mahomet, en vers, du XIII 6 siecle, par Alex. nti PONT , et livre de la loi au Sarrazin , en prose , du XIV e siecle , par Raymond LULLE ; publics pour la premiere fois et accompagnes de notes par MM. REINAUD et Fran- cisque MICHEL. Pans, 1831, gr. in-8 pap. vel., avec deux fac-simile colories. 12 Roman de la Violette ou de G6rard de Nevers, en vers,du XIII 6 siecle, par GIBERT DE MONTREUIL , publie pour la premiere fois par M. Francisque MICHEL. Paris, 1834, gr. in-8 pap vel. avec trois fac-simile et six gravures en- tourees d'arabesques et tire'es sur papier de Chine. 36 Pap. de Chine. 60 Raman (Le] de Robert le Diable, en vers, du XIH e siecle, publie pour la premiere fois par G -S. TREBCTIEN. Pa- ris, 1837, pet. in-4 goth. a deux col., avec lettres tour- neures et grav. en bois. 30 Pap. de Holl. 36 Pap. de Chine. 36 3; Roman du Saint-Graal, publie" pour la premiere fois par Fran- cisque MICHEL. Bordeaux, 1841, in-12. 4 Table des auteurs et des prix d'adjudication des livres com- posant la bibliotheque de M. le comte de La B*** (La Be- doyere). Gr. in-8, pap. vel. 2 50 Table des prix d'adjudication des livres composant la biblio- theque de M. L*" (Libri). Paris, 1847, in-8. 1 50 Table des prix d'adjudication des livres de M. 1. m. d. R. (du Roure).Pam, 1848, in-8. 125 Tresor des origines , ou Dictionnaire grammatical raisonne de la langue franchise , par Ch. POUGENS. Paris , impri- merie roy ale, 1819, in-4. 6 Manuel-Annuaire de I'imprimerie , de la librairie et de la presse, par F. GRIMONT, avocat, s. Chef du bureau de la librairie au Ministere de 1'interieur. In-12. 4 Sous presse le Manuel pour 1856, complement de la l'' c Edition , avec tables analytiques de toutes les matieres con- tenues dans les deux volumes. COl lUUKli DE LA LIBRAIRIE JOURNAL OB LA PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE C.e Journal paralt tous les samedis. II contient les documents of6ciels concernant I'imprimerie, la librairie, et tout ce qui s'y rat- tache, une Cbronique judiciaire, le Catalogue , d'apres les documents officiels , des livres , cartes , estampes , oeuvres de mu- sique , etc.. imprimis en France. A litre de prime, les abounds recoivent le Catalogue general de la librairie franfaise au X/X e tiecle , par M. Paul Chgron; ouvrage exclusivement imprime pour eux, et qui ne sera pas mis dans le commerce. Us recoivent en ou- tre un Bulletin d'annonces, distrilun; gratuitement chaque semaine a 6,000 exemplaires. Prix de 1'abonnement pour un an : Paris, 20 fr. ; dSpartements , 22 fr. ; Etranger, 34 fr. Bureaux. & Pa- ris, rue Bonaparte, 8; a Leipzig, chez 'I. 0. \Veigel. Redac- teur en chef, G. Guiffrey. Gerants : P. Jannet , C. Rety. MANUEL L'AMATEUR D'ESTAMPES PAR M. Ml II. Ill IX OGVRAGE DESTINE A FAIRE SCITE AU Manuel du Libraire el de UAmateur de Livres PAH M. J.-CH. BRUNET Conditions de la Publication. Le Manuel de I' Amateur d'Estampei sera publig en 16 livraisons, composees chacune de dix feuilles , ou 160 pages gr. in-8", a deux colonnes , impriniees sur papier verge , avec monogrammes intercates dans le texte. Le prix de chaque livr. est fixe a 4 fr. 5o c.; il est tirfi quelques exempl. sur papier velin au prix de huit franc* la livraison. LES 7 PREMIERES LIVRAISONS (A-I^aan) SONT EN VENTE. La 8 e livraison paraltra le i5 mars i856,les suivantes dans un d- lai rapproche. REGUEIL DE CHANSONS, SATIRES, Etautres possies relatives^ FhistoiredesXVI 6 , XVI! et XVIII 6 stoles COSNU SOL'S LE NOM DE RECUEIL DE MAUREPAS PUBLIE PAR M. ANATOLE DE MONTAIGLON Ancien Eleve de 1'EcoIe des Charles Membre residaut de la Soci6t6 des Antiquaires de France. Le Rccuell de Maarepas sera public en six forts vo- lumes grand in-8 a 2 colonnes , imprimes sur beau papier verge, en caracteresneufs. II paraitra un volume tons lesdeux mois. Le prix est fix6 a 25 fr. par volume, ou 150 fr. pour 1'ouvrage complet. Chaque volume sera paye au moment de la livraison. II ne sera tire que 200 exemplaires. L'ouvrage sera mis sous presse aussitot que cent exemplaires auront et6 souscrits. Les souscriptions sont recues chez P. Jannet, 6diteur, rue de Richelieu, 15, a Paris LA MUSE HISTORIQUE RECIIEIL DES LETTRES EN VERS COSTENA^T LES NOUVELLES DU TEMPS, ECR1TES A SOS ALTESSE HADEMOISELLLE DE LONGUEVILLE , DEPUIS DCCHESSE DE NEMOURS (l65o l665.) Par J. I. OKI: I Nouvelle Edition , revue sur let manuicrits et sur les editions originates et augmente'e d'une table generale des matieres , porV. ED. DE LA PELOUZE et J. RAVENEL. Les Lettres en vers de Loret sont assurement un des ouvrages les plus curieux & consulter, une des sources les plus abondantes en pre- cieux renseignements auxquelles il soil possible de puiser, pour qui- conque veut etudier avec soin 1'liistoire politique ou litte>aire de la France pendant la periode de temps qu'embrasse cette gazette rimce. Pour seize aunties de la vie du grand siecle , on y trouve , en effet, outre la relation de tous les actes importants de la minorite et des pre- miers jours- du regne de Louis XIV, le ricit ditaille de ces mille petite fails divers qui preparent , qui expliquent les grands venemenls ; qui ont passe presque inaperc.us des contemporains eux-memes , et dont les plus penibles et les plus minulieuses recherches n'ameneraient pas toujours 1'historien a saisir la trace ailleurs. La , toutefois , ne se borne pas le merite de la Muse historique. Un certain attrait nous pousse tous, plus ou moins, a rechercher les particularity intimes de la vie des personnages que 1'histoire fait poser devant nous ; celte curio- site est , ici , tres amplement satisfaite. Bruits de la ville , nouvclles de la cour, entrees princieres , fetes publiques , festins royaux, repr6- sentations thuatrales , bals et ballets , my stores de la ruelle et parfois de 1' alcove, Lorel tient note de tout, rtvele tout, decrit tout en vers abondants etfaciles. spirituels etnaifs, burlesques mais pleins de bon sens , libres mais non effrontis , empreints toujours d'un profond res- pect pour la vuritr. Cesqualites, aujourd'hui bien reconnues , et le haul prix qu'altei- guenl dans les ventes publiques leg exemplaires meme imparfails de la Muse historique, nous ont decide a rSimprimer ce livre. Les cdileurs, independamment de ce qu'il leur a <5t6 possible de se procurer des let- tres originales imprimSes , ont fort utilement consulte deux manuscrits des bibliotheques Imperiale et de 1' Arsenal. L'n troisieme , inappre- ciable volume relie aux armes de Fouquetel de la comlesse de Verrue, auxquels il a successivement appartenu , a 616 mis a leur disposition avec la plus gracieuse obligeance par son possesseur actuel, M. Gran- gier de la Mariniere , le z&\6 bibliophile. Ces diverses communications, la derniere surtout , ont permis de faire disparaltre presque entiere- ment les voiles souvent bien epais que , lors de 1'impression de sa ga- zette , Loret a jetes , par prudence, sur un grand nombre de figures de son musee historique. Hien n'a 616 neglige^ , sous le rapport des soins litte>aires, pour que ette nouvelle edition soit iligne des amateurs auxquels elle est des- tine. L'exicution mat6rielle sera dirigie de maniere a satisfaire les plus difficiles. L'ouvrage , sous presse , se composera de 4 forts volumes grand in- 8* i a colounes. 1'nx de chaque volume : i5 fr. LIBRARY OF OLD AUTHORS. M. John Russel Smith , libraire 4 Londres , vient de commencer la publication d'une collection destinee & prendre en Angleterre la place occupie en France par la Bibliothtque elievirienne. Plusieurs ouvra- ges sent en ventc ou sous presse. Tons les volumes sont imprimes uniform^ment et avec soin , avec des fleurons et lettres ornees, relies en percaline, et se vendent a des prix moderns. Voici la lisle des pre- mieres publications. En vcnte i 2 s. . JOHN SELDEN'S Table Talk. A new and improved SINGER, i vol., port. cart. 7 50 Sous presse: INCREASE MATIIER'S Remarkable Providences of the Earlier Days of American Colonization. With Introductory Preface by GEORGE OFFOR. Portrait. 7 50 The Poetical Works of WILLIAM Dr.l'MMOKD of Hawthornden. Edi- ted by W. B. Turnbull. Portrait. 7 5o The Journal f a Barrister of the name of MANNINGHAM.for the year* 1600, 1601 , and 1602 ; containing Anecdotes of Shakspeare , Ben Jonson , Marston , Spenser. Sir W. Raleigh , Sir John Davys, etc. Edited from the MS. in the British Museum, by Thomas Wright. The Rev. JOSEPH SPESCE'S Anecdotes of Books and Men , about the time of Pope and Swift. A new Edition by S. \V. Singer. The Prose Works of GEOFFREY CHAUCER, including the Translation of Bouthius . the Testament of Love, and the Treatise on the Astro- labe. Edited by T. Wright. King JAMES'S Treatise on Demonology. W r ith Note*. GEORGE WlTHER's Hymns and Songs of the Church. The Poems , Letters and Plays of Sir JOHN SUCKLING. THOMAS CAREW'S Poems and Masque. The Miscellanies of JOHN AUBREY, F. R. S. Depdl a Paris , chez P. JANNET, edileur de la Bibliothcque Elzevirienne, rue Richelieu, 15. Paris, imprimerie Guiraudet et Jouaust, 358, r. S.-Honore. UCSB LIBRARY UC SOUTHERN REGIONAL LIBRARY FACILITY A 000 527 520 1 II lillL