- •N.v»A*.V«^yW»rt*s^ ^ ..jtKJl»KX*lA«WCV.A«S»WOPff?1?PWftVpi?r^?:J' -^ . tygWVpW p t - . PATZER ^!ES This book is DUE on the last date stamped belo. ERN BRANCH, ._,, ,,Y OF CALIFORNIA, LIBRARY, LOS ANGELES, C^UF. LE ROI DES MONTAGNES PAR EDMOND ABOUT EDITED WITH INTRODUCTION, NOTES, COMPOSITION EXERCISES AND VOCABULARY BY OTTO PATZER, Ph.D. Instructor in French at the University oj Wisconsin THIRD EDITION, REVISED 46804 NEW YORK HENRY HOLT AND COMPANY Copyright, 1907, BY HENRY HOLT AND COMPANY f •a INTRODUCTION. Edmond Francois Valentin About was born at Dieuze in 1828. He was a brilliant student at the ff-^ Lycee Charlemagne, at Paris, where he studied at — the same time as Sarcey. In 1848 he obtained the prize of honor in philosophy, and the same year entered the Ecole Normale. Three years later he was admitted to the French School at Athens. He returned to Paris and published two books: La Grhe Contemporaine, a brilliant and cruel satire that aroused a storm of criticism in Greece and Paris, and Tolla, a novel. These were followed by dramatic works, novels, articles on art, politics and political economy. He engaged in news- paper work and was at times an editor of La Constitu- tionnelle, Le Gaulois, and Le Soir. The best of his novels are: Manages de Paris, le Rot des Montagues, Trente et Qiiarante, VHomme h VOreille cassee, Manages de Province, and le Roman d'un brave Homme. He was decorated with the cross of the Legion of Honor in 1858, and became an officer of that body in 1867. In 1884 he was elected to the French Academy. He died in Paris in 1885. Le Roi des Montagnes is one of the best of his stories; it is a result of his journey to Greece and of the obser- vations he made there. It is an amusing account of iii IV INTRODUCTION. the good feeling shown by the Greek people and soldiery toward the brigands, and in general satirizes mercilessly Greece and the Greeks. It relates the adventures of a young German and of two English women captured by Hadgi-Stavros, the bandit chieftain, the King of the Mountains. Some of the incidents of the book are said to be based entirely on fact. The interest of the story is remarkably well sustained, the events are thrilling without being melodramatic, and the style is breezy and amusing at all times. The work is well adapted to use by college students during the first year of their French course, or by High School students in their second or third year; it would be difficult to find a better or more interesting book for class purposes. This text is based on the edition of Hachette et C'^, Paris, 1904. Several omissions, mostly unimportant or descriptive digressions, have been made to have the story go forward with greater rapidity. Otto Patzer. LE ROI DES MONTAGNES. LE ROI DES MONTAGNES. I. M. Hermann Schultz. Le 3 juillet de cette annee, vers six heures du matin, j'arrosais mes petunias sans songer a mal, quand je vis entrer un grand jeune homme blond, imberbe, coiffe d'une casquette allemande et pare de lunettes d'or. Un 5 ample paletot de lasting flottait melancoliquement au- tour de sa personne, comme une voile le long d'un mat lorsque le vent vient a tomber. II ne portait pas de gants; ses souliers de cuir ecru reposaient sur de puis- santes semelles, si larges que le pied etait entoure d'un fo petit trottoir. Dans sa poche de cote, vers la region du cceur, une grande pipe de porcelaine se modelait en relief et dessinait vaguement son profil sous I'etoffe luisante. Je ne songeai pas meme a demander a cet inconnu s'il avait fait ses etudes dans les universites 15 d'Allemagne; je deposai mon arrosoir, et je le saluai d'un beau: Gtiten Morgen. « Monsieur, me dit-il en franjais, mais avec un accent deplorable, je m'appelle Hermann Schultz; je viens de passer quelques mois en Grece, et votre livre a voyage 20 par tout avec moi.» Cet exorde penetra mon coeur d'une douce joie; la voix de I'etranger me parut plus melodieuse que la musique de Mozart, et je dirigeai vers ses lunettes d'or un regard etincelant de reconnaissance. Vous ne sauriez 3 4 LE ROI DES MONTAGNES. croire, ami lectcur, combien nous ainions ceux qui ont pris la peine de dechiffrer notre grimoire. Quant a moi, si j'ai jamais souhaite d'etre riche, c'est pour assurer des rentes k tous ceux qui m'ont lu. Je le pris par la main, cet excellent jeune homme. Je s le fis asseoir sur le meilleur banc du jardin, car nous en avons deux. II m'apprit qu'il etait botaniste et qu'il avait une mission du Jardin des Plantes de Hambourg. Tout en completant son herbier, il avait observe de son mieux le pays, les betes et les gens. Ses descriptions lo nai'ves, ses vues courtes mais justes, me rappelaient un peu la maniere du bonhomme Herodote. II s'exprimait lourdement, mais avec une candeur qui imposait la confiance; il appuyait sur ses paroles du ton d'un homme profondement convaincu. II put me donner des nou- 15 velles, sinon de toute la ville d'Athcnes, au moins des principaux personnages que j'ai nommes dans men livre. Dans le cours de la conversation, il enonja quelques idees generales qui me parurent d'autant plus judi- cieuses que je les avais developpees avant lui. Au bout 20 d'une heure d'entretien, nous etions intimes. ' Je ne sais lequel de nous deux prononfa le premier le mot de brigandage. Les voyageurs qui ont couru I'ltalie parlent peinture; ceux qui ont visite I'Angleterre parlent industrie: chaque pays a sa specialite. , 25 «Mon cher monsieur, demandai-je au pr^cieux in- connu, avez-vous rencontre des brigands? Est-il vrai, comme on I'a pr^tendu, qu'il y ai* encore des brigands en Grbce? — II n'est que trop vrai, rdpondit-il gravement. J'ai 30 v^CU quinze jours dans les mains du terrible Hadgi- M. HERMANN SCHULTZ. 5 Stavros, surnomme le Roi des montagnes; j'en puis done parler par experience. Si vous etes de loisir, et qu'un long recit ne vous fasse pas peur, je suis pret a vous donner les details de mon aventure. Vous en ferez ce 5 qu'il vous plaira: un roman, une nouvelle, ou plutot (car c'est de I'histoire) un chapitre additionnel pour ce petit livre ou vous avez entasse de si curieuses verites. — Vous etes vraiment trop bon, lui dis-je, et mes deux oreilles sont a vos ordres. Entrons dans mon lo cabinet de travail. Nous y aurons moins chaud qu'au jardin, et cependant I'odeur des resedas et des pois musques arrivera jusqu'a nous. » II me suivit de fort bonne grace, et tout en marchant il fredonnait en grec un chant populaire: 15 Un Clephte aux ycux noirs descend dans les plaines; Son fusil do re sonne a chaque pas; II dit aux vautours: *Ne me quittcz pas, Je vous servirai le pacha d'Athbnes!" II s'etablit sur un divan, replia ses jambes sous lui, 20 comme les conteurs arabes, ota son paletot pour se mettre au frais, alluma sa pipe et commenfa le recit de son histoire. J'etais a mon bureau, et je stenographiais sous sa dictee. J'ai toujours ete sans defiance, surtout avec ceux qui 25 me font des compliments. Toutefois I'aimable etranger me contait des choses si surprenantes, que je me de- mandai a plusieurs reprises s'il ne se moquait pas de moi. Mais sa parole etait si assuree, ses yeux bleus m'envoyaient un regard si limpide, que mes eclairs de JO scepticisme s'eteignaient au rneme instant. 6 LE ROl DES MONTAGNES. II parla, sans desemparer, jusqu'a midi et deini. S'il s'interrompit deux ou trois fois, ce fut pour rallumer sa pipe. II fumait regulierement, par bouffees egales, comme la cheminee d'une machine a vapeur. Chaque fois qu'il m'arrivait de lever les yeux sur lui, je Ic voyais 5 tranquille et souriant au milieu d'un nuage, comme Jupiter au cinquieme acte d'Atnphitryon. On vint nous annoncer que le dejeuner etait servi. Hermann s'assit en face de moi, et les legers soupfons qui me trottaient par la tete ne tinrent pas devant son 10 appetit. Je me disais qu'un bon estomac accompagne rarement une mauvaise conscience. Le jeune AUemand etait trop bon convive pour etre narrateur infidele, et sa voracite me repondait de sa veracite. Frappe de cette idee, je confessai, en lui oflfrant des fraises, que j'avais 15 doute un instant de sa bonne foi. II me repondit par un sourire angelique. Je passai la journee en tete-a-tete avec mon nouvel ami, et je ne me plaignis pas de la lenteur du temps. A cinq heures du soir, il eteignit sa pipe, endossa son 20 paletot, et me serra la main en me disant adieu. Je lui repondis: *Au revoir! — Non pas, reprit-il en secouant la tete: je pars aujourd'hui par le train de sept heures, et je n'ose esperer de vous revoir jamais. 25 — Laissez-moi votre adresse. Je n'ai pas encore renonc^ aux plaisirs du voyage, et je passerai peut-etre par Hambourg. — Malheureusement, je ne sais pas moi-meme oil je planterai ma tente. L'AUemagne est vaste; il n'est pas 30 4it que je resterai citoyen de Hambourg. M. HERMANN SCHULTZ. 7 — Mais, si je public votre histoire, au moins faut-il que je puisse vous en envoyer un exemplaire! — Ne prenez pas cette peine. Sitot que le livre aura paru, il sera contrefait a Leipzig, chez Wolfgang Gerhard, 5 et je le lirai. Adieu." Lui parti, je relus attentivement le recit qu'il m'avait dicte; j'y trouvai quelques details invraisemblables, mais rien qui contredit formellement ce que j'avais vu et entendu pendant mon sejour en Grece. lo Cependant, au moment de donner le manuscrit a I'impression, un scrupule me retint: s'il s'etait glisse quelques erreurs dans la narration d'Hermann! En ma qualite d'editeur, n'etais-je pas un peu respcnsalle? Publier sans controle I'histoire du Roi des montagnes, 15 n'etait-ce pas m'exposer aux reprimandes paternelles du Journal des Debats, aux dementis des gazetiers d'Athenes, et aux grossieretes du Spectateur de VOrient? Cette feuille clairvoyante a deja invente que j'etais Lcssu: fallait-il lui fournir une occasion de m'appeler aveugle? 20 Dans ces perplexites, je pris le parti de faire deux copies du manuscrit. J'envoyai la premiere a un hcmme digne de foi, un Grec d'Athenes, M. Patriotis Pseftis. Je le priai de me signaler, sans menagement et avec une sincerite grecque, toutes les erreurs de mon jeune 25 ami, et je lui promis d'imprimer sa reponse a la fin du volume. En attendant, je livre ii la curiosite publique le texte meme du recit d'Hermann. Je n'y changerai pas un mot, je respecterai jusqu'aux plus enormes invraisem- 30 blances. Si je me faisais le correcteur du jeune Alle- mand, je deviendrais, par le fait, son coUaborateur. Je LE ROI DES MONTAGNES. me retire discretement; je lui cede la place et la parole; mon epingle est hors du jeu: c'est Hermann qui vous parle en fumant sa pipe de porcelaine et en souriant dcrriere ses lunettes d'or. n. Photini. Vous devinez, k Page de mes habits, que je n'ai pas dix mille francs de rente. Mon pere est un aubergiste ruine par les chemins de fer. II mange du pain dans les bonnes annees, et des pommes de terra dans les mauvaises. Ajoutez que nous sommes six enfants, tous bien endentes. Le jour oii j'obtins au concours une mission du Jardin des Plantes, il y eut fete dans la famille. Non seulement mon depart augmentait la pitance de chacun de mes freres, mais encore j'allais lo toucher deux cent cinquante francs par mois, plus cinq cents francs, une fois payes, pour frais de voyage. C'etait une fortune. Des ce moment, on perdit I'habitude de m'appeler le docteiir. On m'appela le marchand de boeufs, tant je paraissais riche! Mes freres comptaient 15 bien qu'on me nommerait professeur a I'universite des mon retour d'Athenes. Mon pere avait une autre idee: il esperait que je reviendrais marie. En sa qualite d'aubergiste, il avait assiste a quelques romans, et il etait convaincu que les belles aventures ne se ren- 20 contrent que sur les grands chemins. II citait, au moins trois fois par semaine, le mariage de la princesse Ypsoff et du lieutenant Reynauld. Mon pauvre pere, avec ses yeux de pere, me voyait plus beau et plus elegant que Je lieutenant Reynauld; il ne doutait point que je ne 9 10 LE ROI DES MONTAGNES. rencontrasse tot ou tard la princesse qui devait nous enrichir. Si je ne la trouvais pas a table d'hote, je la verrais en chemin de fer; si les chemins de fer ne m'etaient pas propices, nous avions encore les bateaux a vapeur. Le soir de mon depart, on but une vieille bouteille de 5 vin du Rhin, et le hasard voulut que la derniere goutte vint tomber dans mon verre. L'excellent homme en pleura de joie: c'etait un presage certain, et rien ne pouvait m'empecher de me marier dans I'annee. Je respectai ses illusions, et je me gardai de lui dire que 10 les princesses ne voyageaient pas en troisieme classe. Quant au gite, mon budget me condamnait a choisir des auberges modestes, ou les princesses ne logent pas. Le fait est que je debarquai au Piree, sans avoir ebauche le plus petit roman. 15 L'armee d'occupation avait fait rencherir toutes choses dans Athenes. L'hotel d'Angleterre, I'hotel d'Orient, I'hotel des Etrangers, etaient inabordables. Le chan- celier de la legation de Prusse, a qui j'avais porte une lettre de recommandation, fut assez aimable pour me 20 chercher un logement. II me conduisit chez un patissier appele Christodule, au coin de la rue d'Hermes et de la place du Palais. Je trouvai la le vivre et le couvert moyennant cent francs par mois. Christodule est un vieux pallicare, decore de la croix de Fer, en memoire 25 de la guerre de I'independance. II est lieutenant de la phalange, et il touche sa solde derriere son comptoir. Sa femme, Maroula, est enorme, comme toutes les Grecques de cinquante ans passes. Son mari I'a achetee quatre-vingts piastres, au plus fort de la guerre, dans un 30 temps ou ce sexe coutait assez cher. EUe est nee dans PHOTINI. II Tile d'Hydra, mais elle s'habille a la niuuc d'Athenes: veste de velours noir, jupe de couleur claire, un foulard natte daris les cheveux. Ni Christodule ni sa femme ne savent un mot d'allemand; mais leur fils Dimitri, qui est 5 domestique de place, et qui s'habille a la franfaise, comprend et parle un peu tous les patois de PEurope. Au demeurant, je n'avais pas besoin d'interprete. Sans avoir regu le don des langues, je suis un polyglotte assez distingue, et j'ecorche le grec aussi couramment que lo I'anglais, I'italien et le franfais. Mes botes etaient de braves gens; il s'en rencontre plus de trois dans la ville. lis me donnerent une petite chambre blanchie a la chaux, une table de bois blanc, deux chaises de paille, un bon matelas bien mince, une 15 couverture et des draps de coton. Un bois de lit est une superfluite dont les Grecs se privent aisement, et nous vivions a la grecque. Je dejeunais d'une tasse de salep, je dinais d'un plat de viande avec beaucoup d'olives et de poisson sec; je soupais de legumes, de miel 20 et de gateaux. Les confitures n'etaient pas rares dans la maison, et, de temps en temps, j'evoquais le souvenir de mon pays, en me regalant d'un gigot d'agneau aux confitures. Inutile de vous dire que j 'avals ma pipe, et que le tabac d'Athenes est meilleur que le votre. Ce 25 qui contribua surtout a m'acclimater dans la maison de Christodule, c'est un petit vin de Santorin, qu'il allait chercher je ne sais ou. Je ne suis pas gourmet, et I'^ducation de mon palais a ete malheureusement un peu negligee; cependant, je crois pouvoir affirmer que 30 ce vin-la serait apprecie a la table d'un roi: il est jaune comme I'or, transparent comme la topaze, eclatant 12 LE ROI DES MONTAGNES. comme le soleil, joyeux comme le sourire d'un enfant. Je crois le voir encore dans sa carafe au large ventre, au milieu de la toile ciree qui nous servait de nappe. II dclairait la table, mon cher monsieur, et nous aurions pu souper sans autre lumiere. Je n'en buvais jamais 5 beaucoup, parce qu'il etait capiteux; et pourtant, a la fin du repas, je citais des vers d'Anacreon, et je decou- vrais des restes de beaute sur la face lunaire de la grosse Maroula. Je mangeais en famille avec Christodule et les pen- 10 sionnaires de la maison. Nous etions quatre internes et un externe. Le premier etage se divisait en quatre chambres, dont la meilleure etait occupee par un archdo- logue frangais, M. Hippolyte Merinay. Si tous les Frangais ressemblaient a celui-la, vous feriez une assez 15 pietre nation. C'etait un petit monsieur de dix-huit a quarante-cinq ans, tres roux, tres doux, parlant beau- coup, et arme de deux jnains tiedes et moites qui ne lachaient pas son interlocuteur. Ses deux passions do- minantes etaient I'archeologie et la philanthropie: aussi 20 dtait-il membre de plusieurs societes savantes et de plusieurs confreries bienfaisantes. Quoiqu'il fut grand apotre de charite, et que ses parents lui eussent laisse un beau revenu, je ne me souviens pas de I'avoir vu donner un sou a un pauvre. Quant a ses connaissances 25 en archeologie, tout me porte a croire qu'elles etaient plus sdrieuses que son amour pour I'humanite. II avait dte couronne par je ne sais quelle academic de province, pour un memoire sur le prix du papier au temps d'Orphee. Encourage par ce premier succes, il avait fait le voyage 30 de Grcce pour recueillir les materiaux d'un travail plus PHOTINI. 13 important: il ne s'agissait de rien moins que de deter- miner la quantite d'huile consommee par la lampe de Demosthene pendant qu'il ecrivait la seconde Philip- pique. 5 Mes deux autres voisins n'etaient pas si savants, k beaucoup pres, et les choses d'autrefois ne les souciaient guere. Giacomo Fondi etait un pauvre Maltais em- ploye a je ne sais plus quel consulat; il gagnait cent cinquante francs par mois a cacheter des lettres. Je 10 m'imagine que tout autre emploi lui aurait mieux con- venu. La nature, qui a peuple Pile de Malte pour que rOrient ne manquat jamais de porte-faix, avait donne au pauvre Fondi les epaules, les bras et les mains de Milon de Crotone: il etait ne pour manier la massue, et 15 non pour bruler des batons de cire a cacheter. II en usait cependant deux ou trois par jour: I'homme n'est pas maitre de sa destinee. Get insulaire declasse ne rentrait dans son element qu'a I'heure du repas; il aidait Maroula a mettre la table, et vous devinez, sans que je 20 le disc, qu'il apportait toujours la table a bras tendu, II mangeait comme un capitaine de Vlliade, et je n'ou- blierai jamais le craquement de ses larges machoires, la dilatation de ses narines, I'eclat de ses yeux, la blancheur de ses trente-deux dents, meules formidables dont il 25 etait le moulin. Je dois avouer que sa conversation m'a laisse peu de souvenirs: on trouvait aisement la limite de son intelligence, mais on n'a jamais connu les bornes de son appetit. Ghristodule n'a rien gagne a I'h^berger pendant quatre ans, quoiqu'il lui fit payer dix francs 30 par mois pour supplement de nourriture. L'insatiable Maltais absorbait tous les jours, apres diner, un ^norme 14 LE ROI DES MONTAGNES. plat de noisettes, qu'il cassait entre ses doigts par le simple rapprochement du pouce et de I'index. Christo- dule, ancien heros, mais homme positif, suivait cet exercice avec un melange d'admiration et d'effroi; il tremblait pour son dessert, et cependant il dtait flatte de s voir a sa table un si prodigieux casse-noisette. La figure de Giacomo n'aurait pas ete d^placee dans une de ces boites a surprise, qui font tant de peur aux petits enfants. II dtait plus blanc qu'un negre; mais c'est une question de nuance. Ses cheveux epais descendaient lo jusque sur les sourcils, comme une casquette. Par un contraste assez bizarre, ce Caliban avait le pied le plus mignon, la cheville la plus fine, la jambe la mieux prise ■jt la plus elegante qu'on put offrir a I'etude d'un sta- .jaire; mais ce sont des details qui ne nous frappaient 15 guere. Pour quiconque I'avait vu manger, sa personne commenfait au niveau de la table; le reste ne comptait plus. Je ne parle que pour memoire du petit William Lobster. C'etait un ange de vingt ans, blond, rose et 20 joufflu, mais un ange des Etats-Unis d'Amerique. La maison Lobster et Sons, de New-York, I'avait envoy^ en Orient pour ^tudier le commerce d'exportation. II travaillait dans la journee chez les freres Philip; le soir, il lisait Emerson; le matin, a I'heure etincelante ou le 25 soleil se leve, il allait a la maison de Socrate tirer le pistolet. Le personnage le plus interessant de notre colonic ^tait sans contredit John Harris, I'oncle maternel du petit Lobster. La premiere fois que j'ai dine avec cet 30 dtrange garfon, j'ai compris I'Amerique. John est ne a PHOTINI. 15 Yandalia, dans I'lllinois. II a respird en naissant cet air du nouveau monde, si vivace, si petillant et si jeune, qu'il porte a la tete comme le vin de Champagne, et qu'on se grise a le respirer. Je ne sais pas si la famille 5 Harris est riche ou pauvre; si elle a mis son fils au college ou si elle I'a laisse faire son education lui-meme. Ce qui est certain, c'est qu'a yingt-sept ans il ne compte que sur soi, ne s'attend qu'a soi, ne s'etonne de rien, ne croit rien impossible, ne recule jamais, croit tout, espere 10 tout, essaye de tout, triomphe de tout, se releve s'il tombe, recommence s'il echoue, ne s'arrete jamais, ne perd jamais courage, et va droit devant lui en sifflant sa chanson. II a ete cultivateur, maitre d'ecole, homme de loi, journaliste, chercheur d'or, industriel, commergant; 15 il a tout lu, tout vu, tout pratique et parcouru plus de la moitie du globe. Quand je fis sa connaissance, il com- mandait au Piree un aviso a vapeur, soixante hommes et quatre canons; il traitait la question d'Orient dans la Revue de Boston; il faisait des affaires avec une maison 20 d'indigo a Calcutta, et il trouvait le temps de venir trois ou quatre fois par semaine diner avec son neveu Lobster et avec nous. Un seul trait, entre mille, vous peindra le caractere de Harris. En 1853, ^^ etait I'associe d'une maison de 25 Philadelphie. Son neveu, qui avait alors di.x-sept ans, va lui faire une visite. II le trouve sur la place Wash- ington, debout, les mains dans les poches, devant une maison qui brule. William lui frappe sur I'epaule; il se retourne. 30 "C'est toi? dit-il. Bonjour, Bill, tu arrives mal, mon enfant. Voici un incendie qui me ruine! j 'avals quarante l6 LE ROI DES MONTAGNES. mille dollars dans la maison; nous ne sauverons pas une allumette. — Que vas-tu faire? demanda I'enfant atterre. — Ce que je vais faire? II est onze heures, j'ai faim, il me reste un peu d'or dans mon gousset; je vais t'offrir s k dejeuner! >> Harris est un des hommes les plus sveltes et les plus eldgants que j'aie jamais rencontres. II a Pair male, le front haut, I'a'il limpide et fier. Ces Americains ne sont jamais ni chctifs ni difformes, et savez-vous pour- lo quoi ? C'est qu'ils n'ctouffent pas dans les langes d'une civilisation etroite. Leur esprit et leur corps se de- veloppent a I'aise; ils ont pour ecole le grand air, pour maitre I'exercice, pour nourrice la liberte. Je n'ai jamais pu faire grand cas de INI. Merinay; 15 j'examinais Giacomo Fondi avec la curiosite indifferente qu'on apporte dans une menagerie d'animaux exotiques; le petit Lobster m'inspirait un interet mediocre; mais j'avais de I'amitie pour Harris. Sa figure ouverte, ses manieres simples, sa rudesse qui n'excluait pas la dou- 20 ceur, son caractere emporte et cependant chevaleresque, les bizarreries de son humeur, la fougue de ses senti- ments, tout cela m'attirait d'autant plus vivement que je ne suis ni fougueux ni passionne. Nous aimons autour de nous ce que nous ne trouvons pas en nous. 25 Giacomo s'habillait de blanc parce qu'il etait noir, j'adore les Americains parce que je suis Allemand. Pour ce qui est des Grecs, je les connaissais fort peu apres quatre mois de s^jour en Grece. Rien n'est plus facile que de vivre dans Athenes sans se frotter aux 3c naturels du pay.s. Je n'allais pas au cafe, je ne lisais ni {•HOtlNt. 17 la Pandore, ni la Mincrve, ni aucun journal du cru; je ne frequentais pas le theatre, parce que j'ai I'oreille delicate et qu'une fausse note m'olTense plus cruellement qu'un coup de poing: je vivais a la maison avec mes 5 hotes, mon herbier et John Harris. J'aurais pu me faire presenter au palais, grace a mon passe-port diplo- matique et a mon titre officiel. J'avais remis ma carte chez le maitre des ceremonies et chez la grande maitresse, et je pouvais compter sur une invitation au premier bal 10 de la cour. Je tenais en reserve pour cette circonstance un bel habit rouge brode d'argent que ma tante Rosen- thaler m'avait apporte la veille de mon depart. C'etait I'uniforme de feu son mari, preparateur d'histoire na- turelle a I'Institut philomathique de Minden. Ma bonne 15 tante, femme de grand sens, savait qu'un uniforme est bien regu dans tout pays, surtout lorsqu'il est rouge. Mon frere aine fit observer que j'etais plus grand que mon oncle, et que les manches de son habit n'arrivaient pas tout a fait au bout de mes bras; mais papa repliqua 20 vivement que la broderie d'argent ^blouirait tout le monde, et que les princesses n'y regarderaient pas de si pres. Malheureusement la cour ne dansa pas de toute la saison. Les plaisirs de I'hiver furent la floraison des 25 amandiers, des pechers et des citronniers. On parlait vaguement d'un grand bal pour le 15 mai, c'etait un bruit de ville, accrddite par quelques journaux semi- officiels; mais il n'y fallait pas compter. ' Mes etudes marchaient comme mes plaisirs, au petit 30 pas. Je connaissais a fond le jardin botanique d'Athenes, qui n'est ni tres beau ni tres riche; c'est un sac qu'on a l8 LE ROI DES MONTAGNES. bientot vide. Le jardin royal offrait plus de ressources: un Franfais intelligent y a rassemble toutes les richesses vegetales du pays, depuis les palmiers des iles jusqu'aux saxifrages du cap Sunium. J'ai passe la de bonnes journees au milieu des plantations de M. Bareaud. Le 5 jardin n'est public qu'a certaines heures; mais je parlais grec aux sentinelles, et pour I'amour du grec on me laissait entrer. M. Bareaud ne s'ennuyait pas avec moi; il me promenait partout pour le plaisir de parler bota- nique et de parler franjais. En son absence, j'allais 10 chercher un grand jardinier maigre aux cheveux ecar- lates, et je le questionnais en allemand: il est bon d'etre polyglotte. -=^-*e==5sK^ ;;::;^:J^iT€fborisais tous les jours un peu dans la campagne, mais jamais aussi loin que je I'aurais voulu: les brigands 15 campaient autour d'Athenes. Je ne suis pas poltron, et la suite de ce recit vous le prouvera, mais je tiens a la vie. Au mois d'avril 1856, il etait dangereux de sortir de la ville; il y avait meme de I'imprudence a y demeurer. Je ne m'aventurais pas sur le versant du 23 Lycabete sans penser a cette pauvre M*"^ Daraud qui y fut devalisee en plein midi. Les collines de Daphn^ me rappelaient la captivite des deux officiers franfais. Sur la route du Piree, je songeais involontairement a cette bande de voleurs qui se promenait en six fiacres 25 comme une noce, et qui fusillait les passants a travers les portieres. Le chemin du Pentelique me rappelait I'arrestation de la duchesse de Plaisance ou I'histoire toute recente de Harris et de Lobster. lis revenaient de la promenade sur deux chevaux persans appartenant 30 h. Harris: ils tombent dans une embuscade. Deux bri- PHOTESri. 19 gauds, le pistolet au poing, les arretent au milieu d'un pont. lis regardent autour d'eux et voient a leurs pieds, dans le ravin, une douzaine de coquins armes jusqu'aux dents qui gardaient cinquante ou soixante prisonniers. 5 Tout ce qui avait passe par la depuis le lever du soleil avait ete depouille, puis garro tte, pour que personne ne courut donner I'alarme. Harris etait sans armes comme son neveu. II lui dit en anglais: *Jetons notre argent; on ne se fait pas tuer pour vingt dollars. » Les brigands 10 ramassent les ecus sans quitter la bride des chevaux: puis ils montrent le ravin et font signe qu'il y faut des- cendre. Pour le coup, Harris perd patience: il lui repugne d'etre lie; il n'est pas du bois dont on fait les fagots. II jette un regard au petit Lobster, et au meme 15 instant deux coups de poing paralleles s'abattent comme deux boulets rames sur la tete des deux brigands. L'ad- versaire de William roule a la renverse en dechargeant son pistolet; celui de Harris, lance plus rudement, passe par-dessus le parapet et va tomber au milieu de ses 20 camarades. Harris et Lobster etaient deja loin, everir trant leurs montures a coups d'eperons. La bande se leve comme un seul homme et fait feu de toutes ses armes. Les chevaux sont tues, les cavaliers se degagent, jouent des jambes et viennent avertir la gendarmerie, qui 25 se mit en route le surlendemain de bon matin. Notre excellent Christodule apprit avec un vrai chagrin la mort des deux chevaux; mais il ne trouva pas une parole de blame pour les meurtriers. « Que voulez-vous ? disait-il avec une charmante bonhomie: c'est leur etat. * 30 Tous les Grecs sont un peu de I'avis de notre hote. Ce n'est pas que les brigands epargnent leurs compatriotes 20 LE ROI DES MONTAGNES. et reservent leurs rigueurs pour les etrangers; mais un Grec depouille par ses freres se dit avec une certaine resignation que son argent ne sort pas de la famille. La population se voit piller par les brigands comme une femme du peuple se sent battre par son mari, en ad- 5 mirant comme il frappe bien. Les moralistes indigenes se plaignent de tous les exces commis dans la campagne, comme un pere deplore les fredaines de son fils. On le gronde tout haut, on I'aime tout bas; on serait bien fache qu'il ressemblat au fils du voisin, qui n'a jamais 10 fait parler de lui. C'est un fait tellement vrai, qu'a I'epoque de mon arrivee, le heros d'Athenes etait precisement le fleau de I'Attique. Dans les salons et dans les cafes, chez les barbiers oii se reunit le petit peuple, chez les pharma- 15 ciens ou s'assemble la bourgeoisie, dans les rues bour- beuses du bazar, au carrefour poudreux de la Belle-Grece, au theatre, a la musique du dimanche et sur la route de Patissia, on ne parlait que du grand Hadgi-Stavros, on ne jurait que par Hadgi-Stavros; Hadgi-Stavros I'invin- 20 cible, Hadgi-Stavros I'effroi des gendarmes, Hadgi-Sta- vros le Roi des montagnes! On aurait pu faire (Dieu me pardonne!) les litanies d'Hadgi-Stavros. Un dimanche que John Harris dinait avec nous, c'etait peu de temps apres son aventure, je mis le bon 25 Christodule sur le chapitre d'Hadgi-Stavros. Notre bote I'avait beaucoup frequente autrefois, pendant la guerre de I'independance, dans un temps ou le brigandage etait moins discute qu'aujourd'hui. II vida son verre de vin de Santorin, lustra sa mous- 3c tache grise et commenja un long recit entrecoupe de PHOTINI. 21 quelques soupirs. II nous apprit que Stavros ^tait le fils d'un papas ou pretre de Pile de Tino. II naquit, Dieu sait en quelle annee: les Grecs du bon temps ne connaissent pas leur age, car les registres de I'etat civil 5 sont une invention de la decadence. Son pere, qui le destinait a I'Eglise, lui fit apprendre a lire. Vers I'age de vingt ans, il fit le voyage de Jerusalem et ajouta a son nom le titre de Hadgi, qui veut dire pelerin. Hadgi- Stavros, en rentrant au pays, fut pris par un pirate. Le lo vainqueur lui trouva des dispositions, et de prisonnier le fit matelot. C'est ainsi qu'il commenga a guerroyer centre les navires turcs, et generalement contre tous ceux qui n'avaient pas de canons a bord. Au bout de quelques annees de service, il s'ennuya de travailler pour 15 les autres et resolut de s'etablir a son compte. II n'avait ni bateau, ni argent pour en acheter un; force lui fut d'exercer la piraterie a terre. Le soulevement des Grecs contre la Turquie lui permit de pecher en eau trouble. II ne sut jamais bien exactement s'il etait brigand ou 20 insurge, ni s'il commandait a des voleurs ou a des par- tisans. Sa haine pour les Turcs ne I'aveuglait pas a ce point qu'il passat pres d'un village grec sans le voir et le fouiller. Tout argent lui etait bon, qu'il vint des amis ou des ennemis, du vol simple ou du glorieux pillage. 25 Une si sage impartialite augmenta rapidement sa fortune. Les bergers accoururent sous son drapeau, lorsqu'on sut qu'il y avait gros a gagner avec lui: sa reputation lui fit une armee. Les puissances protectrices de I'insurrection eurent connaissance de ses exploits, mais non de ses 30 economies; en ce temps-la, on voyait tout en beau. Lord Byron lui dedia une ode, les poetes et les rheteurs 22 LE ROI DES MONTAGNES, de Paris le comparerent a £paminondas et meme a ce pauvre Aristide. On broda pour lui des drapeaux au faubourg Saint-Germain; on lui envoya des subsides. II rejut de I'argent de France, il en re^ut d'Angleterre et de Russie; je ne voudrais pas jurei qu'il n'en a jamais f refu de Turquie: c'etait un vrai pallicare! A la fin de la guerre, il se vit assiege, avec les autres chefs, dans I'Acropole d'Athenes. II logeait aux Prtjpylees, entre Margaritis et Lygandas, et chacun d'eux gardait ses tresors au chevet de son lit. Par une belle nuit d'ete, lo le toit tomba si adroitement qu'il ecrasa tout le monde, excepte Hadgi-Stavros, qui fumait son narghile-au grand air. II recueillit I'heritage de ses compagnons, et chacun pensa qu'il I'avait bien gagne. Mais un malheur qu'il ne prevoyait pas yint arrcter le cours de ses succes: la 15 paix se fit. Hadgi-Stavros, retire a la campagne avec son argent, assistait a un etrange spectacle. Les puis- sances qui avaient mjs la Grece en liberte essayaient de fonder un royaume. Des mots malsonnants venaient bourdonner autour des oreilles velues du vieux pallicare; 20 on parlait de gouvernement, d'armee, d'ordre public. On le fit bien rire en lui annon^ant que ses proprietes ^taient comprises dans une sous-prefecture. Mais lors- que I'employe du fisc se presenta chez lui pour toucher les impots de I'annee, il devint serieux. II jeta le per- 25 cepteur a la porte, non sans I'avoir soulage de tout I'argent qu'il avait sur lui. La justice lui chercha querelle; il reprit le chemin des montagnes. Aussi bien, il s'ennuyait dans sa maison. II comprenait jusqu'a un certain point qu'on eut un toit, mais a condition de ^c dormir dessus. PHOTINI. 23 Ses anciens compagnons d'armes etaient disperses par tout le royaume. L'Etat leur avait donne des terres; ils les cultivaient en rechjgnant, et mangeaient du bout des dents le pain amer du travail. Lorsqu'ils apprirenf que 5 le chef etait brouille avec la loi, ils vendirent leurs champs et coururent le rejoindre. Quant a lui, il se contenta d'affermex ses biens: il a des qualites d'ad- ministrateur. La paix et I'oisivete I'avaient rendu malade. L'air 10 des montagnes le ragaillardit si bien, qu'en 1840 il songea au manage. II avait assurement passe la cin- quantaine, mais les hommes de cette trempe n'ont rien a demejer avec la vieillesse; la mort meme y regarde a deux fois avant de les entreprendre. II epousa une 15 riche heritiere, d'une des meilleures families de Laconie, et devint ainsi I'allie des plus grands personnages du royaume. Sa femme le suivit partout, lui donna une fille, prit les fievres et mourut. II eleva son enfant lui-meme, avec des soins presque maternels. 20 L'amour paternel donna un nouveau ressort a son esprit. Pour amasser a sa fille une dot royale, il etudia la question d'argent, sur laquelle il avait eu des idees trop primitives. Au lieu d'entasser ses ecus dans des coffres, il les plaja. II apprit les tours et les detours de 25 la speculation; il suivit le cours des fonds publics en Grece et a I'etranger. On pretend meme que, frappe des avantages de la commandite, il eut I'idee de mettre le brigandage en actions. II a fait plusieurs voyages en Europe, sous la conduite d'un Grec de Marseille qui lui 30 servait d'interprete. Pendant son sejour en Angleterre, il assista a une election dans je ne sais quel bourg pourri 24 LE ROI DES MONTAGNES. du Yorkshire: ce beau spectacle lui inspira des reflexions profondes sur le gouvernement constitutionnel et ses profits. II revint decide a exploiter les institutions de sa patrie et a s'en faire un revenu. ■ II brula bon nombre de villages pour le service de I'opposition: il en detruisit 5 quelques autres dans I'interet du parti conservateur. Lorsqu'on voulait renverser un ministere, on n'avait qu'a s'adresser a lui: il prouvait par des arguments irrefutables que la police etait mal faite, et qu'on n'ob- tiendrait un peu de securite qu'en changeant le cabinet. 10 Mais en revanche il donna de rudes legons aux ennemis de I'ordre en les punissant par ou ils avaient peche. Ses talents politiques se firent si bien connaitre, que tous les partis le tenaient en haute estime. Ses conseils, en matiere d'election, etaient presque toujours suivis; si 15 bien que, contrairement au principe du gouvernement representatif, qui veut c[u'un seul depute exprime la volonte de plusieurs hommes, il etait represente, lui seul, par une trentaine de deputes. Un ministre intelligent, le celebre Rhalettis, s'avisa qu'un homme qui touchait 20 si souvent aux ressorts du gouvernement finirait peut- etre par deranger la machine. II entreprit de lui lier les mains par un fil d'or. II lui donna rendez-vous a Carvati, entre I'Hymette et le Pentelique, dans la maison de campagne d'un consul etranger. Hadgi-Stavros y 25 vint, sans escorte et sans armes. Le ministre et le brigand, qui se connaissaient de longue date, dejeunerent ensemble comme deux vieux amis. Au dessert, Rhalettis lui offrit amnistie pleine et entiere pour lui et les siens, un Ijrevet de general de division, le titre de senateur et 30 dix mille hgclaxeg de forets en toute propriete. Le PHOTINl. 25 palHco,re hesita quelque temps, ct finit par repondre non. «J'aurais peut-ctrc acceple il y a vingt ans, clit-il, mais aujourd'hui je suis trop vieux. Je ne peux pas, a mon age, changer ma maniere de vivre. La poussiere 5 d'Athenes ne me vaut rien; je dormirais au senat, et si tu me donnais des soldats a commander, je serais capable de decharger mes pistolets sur leurs uniformes, par la force de I'habitude. Retourne dene a tcs affaires et laisse-moi vaquer aux miennes. » 10 Rhalettis ne se tint pas pour battu. II essaya d'e- clairer le brigand sur I'infamie du metier qu'il exer^ait. Hadgi-Stavros se mit a rire et lui dit avec une aimable cordialite: « Compere! le jour ou nous ecrirons nos pechcs, lequel 15 de nous deux aura la liste la plus longue? — Songe enfin, ajouta le ministre, que tu ne saurais cchapper a ta destinee: tu mourras un jour ou I'autre de mort violente. — Allah Kerim! repondit-il en turc. Ni toi ni moi 2o n'avons lu dans les etoiles. Mais j'ai du moins un avantage: c'est que mes ennemis portent un uniforme et je les reconnais de loin. Tu ne peux pas en dire autant des tiens. Adieu, frere. * Six mois apres, le ministre mourut assassine par ses 25 ennemis politiques; le brigand vit encore. Notre hote ne nous raconta pas tous les exploits de son heros: la journee n'y aurait pas suffi. II se contenta d'enumerer les plus remarquables. Je ne crois pas qu'en aucun pays les emules d'Hadgi-Stavros aient jamais rien 30 fait de plus artistique que I'arrestation du Niehuhr. C'est un vapeur du Lloyd autrichien que le pallicare 26 LE ROI DES MONTAGNES. a devalise k terre, sur les onze heures du matin. Le Niebuhr venait de Constantinople: il deposa sa car- gaison et ses passagers a Calamaki, a I'orient de I'isthme de Corinthe. Quatre fourgons et deux omnibus prirent les passagers et les marchandises pour les transporter de 5 I'autre cote de I'isthme, au petit port de Loutraki, oh un autre bateau les attendait. II attendit longtemps. Hadgi-Stavros, en plein jour, sur une belle route, en pays plat et deboise, enleva les marchandises, les bagages, I'argent des voyageurs et les munitions des gendarmes 10 qui escortaient le convoi. «Ce fut une journee de deux cent cinquante mille francs!" nous dit Christodule avec une nuance d'envie. On a beaucoup parle des cruautes d'Hadgi-Stavros. Son ami Christodule nous prouva qu'il ne faisait pas le 15 mal par plaisir. C'est un homme sobre et qui ne s'ejiivre de rien, pas meme de sang. S'il lui arrive de chauffer un peu trop fort les pieds d'un riche paysan, c'est pour savoir o\x le ladre a cache ses ecus. En general il traite avec douceur les prisonniers dont il espere une rangon. 20 Dans I'ete de 1854, il descendit un soir avec sa bande chez un gros marchand de I'ile d'Eubee, M. Voidi. II trouva la famille assemblee, plus un vieux juge au tribunal de Chalcis, qui faisait sa partie de cartes avec le maitre de la maison. Hadgi-Stavros offrit au ma- 25 gistrat de lui jouer sa liberte: il perdit et s'executa de bonne grace. II emmena M. Voidi, sa fiUe et son fils; il laissa la femme pour qu'elle put s'occuper de la ranjon. Le jour de I'enlevement, le marchand avait la goutte, sa fille avait la fievre, le petit garjon ^tait pale et boursoufle. 30 lis revinrent deux mois apres tous gudris par I'exercice, PIIOTINI. 27 le grand air et les bons traitements. Toute une famille recouvra la sante pour cinquante mille francs: etait-ce naye trop cher? «Je confesse, ajouta Christodule, que notre ami est 5 sans pitie pour les mauvais payeurs. Lorsqu'une ranfon n'est pas soldee a I'echeance, il tue ses prisonniers avec une exactitude commerciale: c'est sa fagon de protester les billets. Quelle que soit mon admiration pour lui et I'amitie qui unit nos deux families, je ne lui ai pas 10 encore pardonne le meurtre des deux petites filles de Mistra. C'etaient deux jumelles de quatorze ans, jolies comme deux petites statues de marbre, fiancees toutes deux a des jeunes gens de Leondari. Elles se ressem- blaient si exactement, qu'en les voyant ensemble on 15 croyait y voir double et Ton se frottait les yeux. Un matin, elles allaient vendre des cocons a la filature; elles portaient ensemble un grand panier, et elles couraient l^gerement sur la route comme deux colombes attelees au meme char. Hadgi-Stavros les emmena dans la 20 montagne et ecrivit a leur mere qu'il les rendrait pour dix mille francs, payables a la fin du mois. La mere ^tait une veuve aisee, proprietaire de beaux muriers, mais pauvre d'argent comptant comme nous sommes tous. Elle emprunta sur ses biens, ce qui n'est jamais r5 facile meme a vingt pour cent d'interet. II lui fallut six semaines et plus pour reunir la somme. Lorsqu'elle eut enfin I'argent, elle le chargea sur un mulet et partit a pied pour le camp d'Hadgi-Stavros. Mais en entrant dans la grande langada du Taygete, a I'endroit ou Ton 30 trouve sept fontaines sous un platane, le mulet qui marchait devant s'arreta net et refusa de faire un pas. 28 LE ROl DES MONTAGNES. Alors la pauvre mere vit sur le bord du chemin ses petites fiUes. Elles avaient le cou coupe jusqu'a I'os, et ces jolies tetes ne tenaient presque plus au corps. Elle prit les deux pauvres creatures, les chargea elle-meme sur le mulet et les ramena a Mistra. Elle ne put jamais 5. pleurer: aussi elle devint folle et mourut. Je sais qu'Hadgi-Stavros a regrette ce qu'il avait fait: il croyait que la veuve etait plus riche et qu'elle ne voulait pas payer. II avait tue les deux enfants pour I'exemple. II est certain que depuis ce temps-la ses r|couvrements 10 se sont toujours bien faits, et que personne n'a plus ose le faire attendre. — Brutta carogna! cria Giacomo en frappant un coup qui ebranla la maison comme un tremblement de terre. Si jamais il me tombe sous la main, je lui servirai une 15 ranfon de dix mille coups de poing qui lui permettra de se retirer des affaires. — Moi, dit le petit Lobster avec son sourire tran- quille, je ne demande qu'a le rencontrer a cinquante pas de mon revolver. Et vous, oncle John?" 20 Harris sifflait entre ses dents un petit air americain, aigu comme une Itime de stylet. «En croirai-je mes oreilles? ajouta de sa voix flutee le bon M. Merinay, mortel harmonieux. Est-il possible que de telles horreurs se commettent dans un siecle 25 comme le notre! Je sais bien que la Societe pour la nwralisation des maljaileiirs n'a pas encore etabli de succursales dans ce royaume; mais en attendant n'avez- vous pas une gendarmerie? — Certainement, reprit Christodule: 50 officiers, 152 30 brigadiers et 1250 gendarmes, dont 150 a cheval. C'est PHOTENI. 29 la meilleure troupe du royaume, apres celle d'Hadgi- Stavros. — Ce qui m'etonne, dis-je a mon tour, c'est que la fiUe du vieux coquin I'ait laiss^ faire. 5 — Elle n'est pas avec lui. — A la bonne heure! Ou est-elle? — En pension. — A Ath^nes ? — Vous m'en demandez trop: je n'en sais pas si long. 10 Toujours est-il que celui qui I'^pousera fera un beau mariage. — Oui, dit Harris. On assure dgalement que la fiUe de Calcraft n'est pas un mauvais parti. — Qu'est-ce que Calcraft? 15 — Le bourreau de Londres. » A ces mots, Dimitri, le fils de Christodule, rougit jusqu'aux oreilles, "Pardon, monsieur, dit-il k John Harris, il y a une grande difference entre un bourreau et un brigand. Le metier de bourreau est infame; la 20 profession de brigand est honoree. Le gouvernement est oblig^ de garder le bourreau d'Athenes au fort Palamede, sans quoi il serait assassine; tandis que per- sonne ne veut de mal h. Hadgi-Stavros, et que les plus honnetes gens du royaume seraient tiers de lui donner la 25 main.» Harris ouvrait la bouche pour repliquer, lorsque la sonnette de la boutique retentit. C'etait la servante qui rentrait avec une jeune fille de quinze a seize ans, habillce comme la derniere gravure du Journal des modes. Di- 30 mitri se leva en disant: « C'est Photini! — Messieurs, dit le patissier, parlons d'autre chose, 30 LE ROI DES MONTAGNES, s'il vous plait. Les histoires de brigands ne sont pas faites pour les demoiselles.* Christodule nous presenta Photini comme la fille d'un de ses compagnons d'armes, le colonel Jean, comman- dant de place a Nauplie. Elle s'appelait done Photini 5 fille de Jean, suivant I'usage du pays, ou il n'y a pas, a proprement parler, de noms de famille. La jeune Athenienne etait laide, comme les neuf dixiemes des filles d'Athenes. Elle avait de jolies dents et de beaux cheveux, mais c'etait tout. Sa taille epaisse 10 semblait mal a I'aise dans un corset de Paris. Ses pieds arrondis en forme de fers a repasser devaient souffrir le supplice : ils etaient faits pour se trainer dans des ba^- bouches, et non pour se serrer dans des bottines de Meyer. Sa face rappelait si peu le type grec, qu'elle 15 manquait absolument de profil. La toilette ne va pas a toutes les femmes: elle donnait presque un ridicule a la pauvre Photini. Sa robe a volants, soulevde par una puissante crinoline, faisait ressortir la gaucherie de sa personne et la maladresse de ses mouvements. Les 20 bijoux du Palais-Royal dont elle etait djaaiLlee, sem- blaient autant de points d'exclamation destines a signaler les imperfections de son corps. Vous auriez dit una grosse et courte servante qui s'est endimanchee dans la garde-robe de sa maitresse. 25 Aucun de nous ne s'etonna que la fille d'un simple colonel fut si charement habillee . pour passer son di- manche dans la maison d'un patissier. Nous connais- sions assez le pays pour savoir que la toilette est la plaie la plus incurable de la societe grecque. Les filles 30 de ' la ' campagne font percer des pieces d'argent, les PHOTINI. 31 cousent ensemble en forme de casque et s'en coifTent aux jours de gala. Elles portent leur dot sur la tete. Les filles de la ville la dcpensent chez les marchands, et la portent sur tout le corps. 5 Photini etait en pension a I'Hetairie. C'est, ccmme vous savez, une maison d'education etablie sur le mcdele de la Legion d'honneur, mais regie par des lois plus larges et plus tolerantes. On y eleve non seulement les filles des soldats, mais quelquefois aussi les hdriticres 10 des brigands. La fille du colonel Jean savait un peu de franjais et d'anglais; mais sa timidite ne lui ] ermettait pas de briller dans la conversation. J'ai su plus tard que sa famille comptait sur nous pour la perfectionner dans les 15 langues etrangeres. Son pere, ayant appris que Chris- todule hebergeait des Europeens honnctes et instruits, avait prie le patissier de la faire sortir tous les dimanches et de lui servir de cor-reap_ojida.nt. Ce marche paraissait agreer a Christodule, et surtout a son fils Dimitri. Le 20 jeune domestic|ue de place devorait des yeux la pauvre pensionnaire, qui ne s'en apercevait pas. Nous avions fait le projet d'aller tous ensemble a la musique. C'est un beau spectacle, que les Atheniens se donnent a eux-memes tous les dimanches. Le peuple en- 25 tier se rend, en grands atours, dans un champ de pous- siere, pour entendre des raises et des quadrilles joues par une musique de regiment. Les pauvres y vont a pied, les riches en voiture, les elegants a cheval. La cour n'y manquerait pas pour un empire. Apres le dernier qua- 30 drille, chacun retourne chez soi, I'habit poudreux, le cocur content, et I'on dit: "Nous nous sommes bien amuses » 32 LE ROI DES MONTAGNES. II est certain que Photini comptait se montrer a la musique, et son admirateur Dimitri n'etait pas fachd d'y paraitre avec elle; car il portait une redingote neuve qu'il avait achetee toute faite au depot de la Belle- Jardiniere. Malheureusement la pluie se mit a tomber si dru^ qu'il 5 fallut rester a la maison. Pour tuer le temps, Maroula nous offrit de jouer des bonbons: c'est un divertissement k la mode dans la societe moyenne. Elle prit un bocal dans la boutique, et distribua a chacun de nous une poignee de bonbons indigenes, au ^irofle, a I'anis, au 10 poivre et a la chicpree.^ La-dessus, on donna des cartes, et le premier qui savait en rassembler neuf de la meme couleur recevait trois dragees de chacun de ses adver- saires. Le Maltais Giacomo temoigna, par son attention soutenue, que le gain ne lui etait pas indifferent. Le 15 hasard se declara pour lui: il fit une fortune, et nous le vimes engloutir sept ou huit poignees de bonbons qui s'etaient proraen^s dans les mains de tout le monde et de M. Merinay. Moi, qui prenais moins d'interet a la partie, je con- 20 centrai mon attention sur un phenomene curieux qui se produisait a ma gauche. Tandis que les regards du jeune Athenien venaient se briser un a un contre I'in- diffdrence de Photini, Harris, que ni la regardait pas, I'attirait a lui par une force invisible. II tenait ses 25 cartes d'un air passablement distrait, baillait de temps en temps avec une candeur americaine, ou sifflait Yankee Doodle, sans respect pour la compagnie. Je crois que le recit de Christodule I'avait frappe, et que son esprit trottait dans la montagne a la poursuite d'Hadgi-Stavros. 30 Dans tous les cas, s'il pensait a quelque chose, ce n'etait PHOfiNi. ^^ assurement pas a Tamour. Peut-etre la jeune fiUe n'y songeait-elle pas non plus, car les femmes grecques ont presque toutes au fond du cceur un bon pave d'indiffe- rence. Cependant elle regardait mon ami John comme 5 une alouette regarde un miroir. Elle ne le connaissait pas; elle ne savait rien de lui, ni son nom, ni son pays, ni sa fortune. Elle ne I'avait point entendu parler, et quand meme elle I'aurait entendu, elle n'etait certaine- ment pas apte a juger s'il avait de I'esprit. Elle le voyait lo tres beau, et c'etait assez. Les Grecs d'autrefois ado- raient la beaute; c'est le seul de leurs dieux qui n'ait jamais eu d'athees. Les Grecques d'aujourd'hui, malgre la decadence, savent encore distinguer un Apollon d'un rnagot. 15 La pluie ne se lassait pas de tomber, ni Dimitri de lorgner la jeune fille, ni la jeune fille de regarder Harris, ni Giacomo de croquer des bonbons, ni M. Merinay de raconter au petit Lobster un chapitre d'histoire ancienne, qu'il n'&outait pas. A huit heures, Maroula mit le 20 couvert pour le souper. Photini fut plac^e entre Dimitri et moi, qui ne tirais pas a consequence. Elle causa peu et ne mangea rien. Au dessert, quand la servante park de la reconduire, elle fit un effort visible et me dit a I'oreille: 25 «M. Harris est-il marie ?» Je pris plaisir a I'embarrasser un peu, et je repondis: «Oui, mademoiselle; il a epouse la veuve des doges de Venise. ' ''}■*- — Est-il possible! Quel age a-t-elle? 30 — Elle est vieille comme le monde, et dternelle comme lui. 34 LE ROI DES MOKTAGNES. — Ne vous moquez pas de mci; je suis une pauvre fille, et je ne comprends pas vos plaisanteries d'Europe. — En autres termes, mademoiselle, il a epouse la mer; c'est lui qui commande le stationnaire americain the Fancy. ^'> Elle me remercia avec un tel rayonnement de jcie, que sa laideur en fut eclipsee, et que je la trouvai jolie pendant une seconde au moins. III. Mary-Ann, Les etudes de ma jeunesse ont developpe en moi une passion qui a fini par empieter sur toutes les autres: c'est le desir de savoir, ou, si vous aimez mieux I'appeler autrement, la curiosite. Jusqu'au jour ou je partis pour 5 Athenes, mon seul plaisir avait ete d'apprendre; mon seul chagrin, d'ignorer. J'aimais la science comme une maitresse, et personne n'etait encore venu lui disputer mon coeur. En revanche, il faut convenir que je n'etais pas tendre, et que la poesie et Hermann Schultz en- lo traient rarement par la meme porte. Je me promenais dans le monde, comme dans un vaste museum, la loupe a la main. J'observais les plaisirs et les soufifrances d'autrui comme des faits dignes d'etude, mais indignes d'envie ou de pitie. Je ne jalousais pas plus un heureux 15 menage qu'un couple de palmiers maries par le vent; j'avais , juste autant de compassion pour un coeur dechire •par I'amour que pour un geranium grille par la gelee. Quand on a disseque des animaux vivants, on n'est plus guere sensible aux cris de la chair palpitante. J'aurais 20 ete bon public dans un combat de gladiateurs. Mon pere m'ecrivit sur ces entrefaites pour me dire que les affaires allaient bien mal, que les voyageurs etaient rares, que la vie etait chere, que, nos voisins d'en face venaient d'emigrer, et que si j'avais trouve une 35 - 36 LE ROI DES MONTAGNES. princesse russe, je n'avais rien de mieux a faire que de r^pouser sans delai. Je repondis que je n'avais trouve personne, si ce n'est la fille d'un pauvre colonel grec; qu'elle etait serieusement eprise, mais d'un autre que moi; que je pourrais, avec un peu d'adresse, devenir 5 son confident, mais que je ne serais jamais son mari. Au demeurant, ma sante etait bonne, mon herbier magnifique. Mes recherches, renfermees jusque-Ia dans la banli.eue d'Athenes, allaient pouvoir s'etendre plus loin. La securite renaissait, les brigands avaient ete 10 battus par la gendarmerie, et tous les journaux annon- jaient la dispersion de la bande d'Hadgi-Stavros. Dans un mois au plus tard je pourrais me remettre en route pour I'Allemagne, et solliciter une place qui donnat du pain a toute la famille. iS Nous avions lu, le dimanche 28 avril, dans le Sihle d'Athenes, la grande defaite du Roi des montagnes. Les rapports ofificiels disaient qu'il avait eu vingt hommes mis hors de combat, son camp brule, sa troupe disperse'e, - et que la gendarmerie I'avait poursuivi jusque dans les 20 marais de Marathon. Ces nouvelles, fort agreables a tous les etrangers, avaient paru causer moins de plaisir aux Grecs, et particulierement a nos botes. Christodule, pour un lieutenant de la phalange, manquait d'enthou- siasme, et la fille du colonel Jean avait failli pleurer en 25 ^coutant la defaite du brigand. Harris, qui avait ap- port^ le journal, ne dissimulait pas sa joie. Quant k moi, je rentrais en possession de la campagne, et j'dtais enchante. Des le 30 au matin, je me mis en route avec ma boite et mon baton. Dimitri m'^veilla sur les quatre 30 heures. II allait prendre les crdres d'une famille an- MARY-ANN. 57 glaise, debarquee depuis quelques jours a I'hotel des Strangers. Je descendis la rue d'Hermes jusqu'au carrefour de la Belle-Grece, et je pris la rue d'fiole. En passant 5 devant la place des Canons, je saluai la petite artillerie du royaume, qui sommeille sous un hangar, en revant la prise de Constantinople, et j'arrivai en quatre en- j ambe es a la promenade de Patissia. Devant moi, a I'horizon, les sommets du Parnes se dressaient comme lo une muraille ^brechee: c'etait le but de mon voyage. Apres deux heures de marche, j'entrai dans le desert. Les traces de culture disparaissaient; on ne voyait sur le sol aride que des touffes d'herbe maigre, des oignons d'ornithogale ou de longues tiges d'asphodeles desse- 15 chees. Le soleil se levait et je vov'ais distinctement les sapins qui herissent le flanc du Parnes. Le sentier que j'avais pris n'etait pas un guide bien sur, mais je me dirigeais sur un groupe de maisons eparpillees au revers de la montagne, et qui devaient etre le village de Castia. 20 Je franchis d'une enjambee le Cephise fileusinien, au grand scandale des petites tortues plates qui sautaient a I'eau comme de simples grenouilles. A cent pas plus loin, le chemin se perdit dans un ravin large et profond, creuse par les pluies de deux ou trois mille hivers. Je sup- 25 posai avec quelque raison que le ravin devait etre la route. J'avais remarque, dans mes excursions precedentes, que les Grecs se dispensent de tracer un chemin toutes les fois que I'eau a bien voulu se charger de la besogne. Je m'enfon^ai done dans le ravin, et je poursuivis ma 30 promenade entre deux rives escarpees qui me cachaient la plaine, la montagne et mon but. Mais le chemin 46804 ^8 LE ROI DES MONTAGNES. capricieux faisait tant de detours, que bientot il me fut difficile de savoir dans quelle direction je marchais, et si je ne tournais pas le dos au Parnes. Le parti le plus sage eut ete de grimper sur I'une ou I'autre rive et de m'or]enter en plaine; mais les talus etaient a pic, j'etais 5 las, j'avais faim, et je me trouvais bien a Tombre. Je m'assis sur un galet de marbre, je tirai de ma boite un morceau de pain, une epaule d'agneau froid, et une gourde du petit vin que vous savez. Je me disais: «Si je suis sur un chemin, il y passera peut-etre c^uelqu'un, 10 et je m'informerai.* En effet, comme je refermais mon couteau pour m'etendre a I'ombre avec cette douce quietude qui suit le dejeuner des voyageurs et des serpents, je crus en- tendre un pas de cheval. J'appliquai une oreille contre 15 terre et je reconnus que deux ou trois cavaliers s'avan- jaient derriere moi. Je bouclai ma boite sur tnon dos, et je m'appretai a les suivre, dans le cas oii ils se diri- geraient sur le Parnes. Cinq minutes apres, je vis apparaitre deux dames montees sur des clievaux de 20 rnanege et equipees comme des Anglaises en voyage. Derriere elles marchait un pieton que je n'eus pas de peine a reconnaitre: c'etait Dimitri. Vous qui avez un peu couru le monde, vous n'etes pas sans avoir remarque que le voyageur se met toujours 25 en marche sans aucun souci des vanites de la toilette; miis que s'il vient a rencontrer des dames, fussent-elles plus vieilles que la colombe de I'arche, il sort brusque- meit de cette indifference et jette un regard inquiet sur son enveloppe poudreuse. Avant meme de distinguer 30 la figure des deux amazones derriere leurs voiles de MARY-ANN. 39 crepe bleu, j'avais fait I'inspection de, toute ma per- sonne, et j'avais ete assez satisfait. Je portais les vete- ments que vous voyez, et qui sont encore presentables, quoiqu'ils me servent depuis ])ient6t deux ans. Je n'ai 5 change que ma coiffure: une casquette, fut-elle aussi belle et aussi bonne que celle-ci, ne protegerait pas un voyageur contre les coups de soleil. J'avais un chapeau de feutre gris a larges bords, oii la poussiere ne marquait point. lo Je I'otai poliment sur le passage des deux dames qui ne parurent pas s'inquieter grandement de mon salut. Je tendis la main a Dimitri, et il m'apprit en quelques mots tout ce que je voulais savoir. < Dimitri fit I'eloge du chemin; il assurait qu'il y en avait de cent fois pires dans le royaume. <> 20 Elle prit mon bras, offrit le sien a sa fiUe, et marcha d'un pas delibere dans la direction oii la foule nous conduisait. Les bureaux n'etaient pas loin du camp, et nous y fumes en moins de cinq minutes. Les bureaux du Roi ressemblaient a des bureaux 25 comme le camp des voleurs ressemblait a un camp. On n'y voyait ni tables, ni chaises, ni mobilier d'aucune sorte. Hadgi-Stavros etait assis en tailleur, sur un tapis carre, a I'ombre d'un sapin. Quatre secretaires et deux domestiques se groupaient autour de lui. Un jeune 30 garjon de seize a dix-huit ans s'occupait incessamment HADGI-STAVROS. 6l a remplir, a allumer et a nettoyer le chibouk du maitre. II portait a la ceinture un sac a tabac, brode d'or et de perles fines, et une pince d'argent destinee a prendre les charbons. Un autre serviteur passait la journee a 5 preparer les tasses de cafe, les verres d'eau et les su- creries destinees a rafraichir la bouche royale. Les secretaires, assis a cru sur le rocher, dcrivaient sur leurs genoux avec des roseaux tailles. Chacun d'eux avait a portee de la main une longue boite de cuivre contenant lo les roseaux, le canif et I'ecritoire. Quelques cylindres de fer-blanc, pareils a ceux oii nos soldats roulent leur conge, servaient de depot des archives. Le' papier n'etait pas indigene, et pour cause. Chaque feuille portait le mot Bath en majuscules. 15 Le Roi etait un beau vieillard, merveilleusement con- serve, droit, maigre, souple comme un ressort, propre et luisant comme un sabre neuf. Ses longues moustaches blanches pendaient sous le menton comme deux stalac- tites de marbre. Le reste du visage etait scrupuleuse- 20 ment rase, le crane nu jusqu'a I'occiput, ou une grande tresse de cheveux blancs s'enroulait sous le bonnet. L'expression de ses traits me parut calme et reflechie. Une paire de petits yeux bleu clair et un menton carre annonfaient une volonte inebranlable. Sa figure ^tait 25 longue, et la disposition des rides I'allongeait encore. Tous les plis du front se brisaient par le milieu et sem- blaient se dinger vers la rencontre des sourcils; deux sillons larges et profonds descendaient perpendiculaire- ment a la commissure des levres, comme si le poids des 30 moustaches eut entraine les muscles de la face. J'ai vu bon nombre de septuagenaires; j'en ai meme disseque un 62 LE ROI DES MONTAGNES. qui aurait attrape la centaine si la diligence d'Osnabruck ne lui cut passe sur le corps; mais je ne me souviens pas d'avoir observe une vieillesse plus verte et plus robuste cjue celle d'Hadgi-Stavros. ^ Immobile au milieu de ses employes, Hadgi-Stavros 5 ne remuait que le bout des doigts et le bout des levres: les levres pour dieter sa correspondance, les doigts pour compter les grains de son chapelet. C'etait un de ces beaux chapelets d'ambre laiteux qui ne servent point a chiffrer des prieres, mais a amuser I'oisivetd solennelle 10 des Turcs. II leva la tete a notre approche, devina d'un coup d'oeil I'accident qui nous amenait, et nous dit avec une gravity qui n'avait rien d'ironique: «Vous etes les bienvenus. Asseyez-vous. 15 — Monsieur, cria M™^ Simons, je suis Anglaise, et . . .» II interrompit le discours en faisant claquer sa langue centre les dents de sa machoire superieure, des dents superbes en veritd. «Tout a I'heure, dit-il, je suis 20 occupd. *> II n'entendait que le grec, et M"*^ Simons ne savait que I'anglais; mais la physionomie du Roi etait si parlante, que la bonne dame comprit aisement sans le secours d'un interprete. Nous primes place dans la poussiere. Quinze ou 25 vingt brigands s'accroupirent autour de nous, et le Roi, qui n'avait point de secrets a cacher, dicta paisiblement ses lettres de famille et ses lettres d'affaires. Le chef de la troupe qui nous avait arretes vint lui donner un avis a I'oreille. II repondit d'un ton hautain: "Qu'im- iq porta? quand le milord comprendrait ? Je ne fais rien ^'' HADGI-STAVROS. (5j de mal, et tout le monde peut m'entendre. Va t'asseoir. — Toi, Spiro, ecris: c'est a ma fille. » II dicta d'une voix grave et douce: ^^Mes chers yeux (ma chere enfant), la maitresse de 5 pension m'a ecrit que ta sante etait raffermie et que ce mechant rhume etait parti avec les jours d'hiver. Mais on n'est pas aussi content de ton application, et Ton se plaint que tu n'etudies plus guere depuis le commence- ment du mois d'avril. M'"'^ Mavros dit que tu deviens lo distraite et que I'on te voit accoudee sur ton livre, les yeux en Pair, comme si tu pensais a autre chose. Je ne saurais trop te dire qu'il faut travailler assidument. Suis les exemples de toute ma vie. Si je m'etais repose, comme tant d'autres, je ne serais pas arrive au rang que I? j'occupe dans la societe. Je veux que tu sois digne de moi, et c'est pourquoi je fais de si grands sacrifices pour ton education. Tu sais si je t'ai jamais refuse les maJtres ou les livres que tu m'a demandes; mais il faut que mon argent profite. Le Walter Scott est arrive au so Pirce, ainsi que le Robinson et tous les livres anglais que tu as temoigne le desir de lire: fais-les prendre a la douane par nos amis de la rue d'Hermes. Tu recevras par la meme occasion le bracelet que tu demandais et cette machine d'acier pour faire boufifer les jupes de tes 25 robes. Si ton piano de Vienne n'est pas bon comme tu me le dis, et qu'il te faille absolument un instrument de Pleyel, tu I'auras. Je ferai un ou deux villages apres la vtnte des recoltes, et le diable sera bien malin si je n'y trouve pas la monnaie d'un joli piano. Je pense, 30 CO,' me toi, que tu as besoin de savoir la musique; mais ce iue tu dois apprendre avajit tout, c'est les langues 64 LE ROI DES MONTAGNES. etrangeres. Emploie tes dimanches de la fajon que je t'ai dit, et profite de la complaisance de nos amis. II faut que tu sois en etat de parler le franjais, I'anglais et surtout I'allemand. Car enfin tu n'es pas faite pour vivre dans ce petit pays ridicule, et j'aimerais mieux te 5 voir morte que mariec a un Grec. Fille de roi, tu ne peux epouser qu'un prince. Je ne dis pas un prince de contrebande, comme tous nos Phanariotes qui se vantent de descendre des empereurs d'Orient, et que je ne voudrais pas pour mes domestiques; mais un prince 10 regnant et couronne. On en trouve de fort convenables en AUemagne, et ma fortune me permet de t'en choisir un. Si les Allemands ont pu venir regner chez nous, je ne vois pas pourquoi tu n'irais pas regner chez eux a ton tour. Hate-toi done d'apprendre leur langue, et 15 dis-moi dans ta prochaine lettre que tu as fait des pro- gres. Sur ce, mon enfant, je t'embrasse bien tendre- ment, et je t'envoie, avec le trimestre de ta pension, mes benedictions paternelles. '> M™^ Simons se pencha vers moi et me dit a I'oreille: 20 «Est-ce notre sentence qu'il dicte a ses brigands?" Je repondis: «Non, madame. .11 ecrit a sa fille. — A propos de notre capture ? — A propos de piano, de crinoline et de Walter Scott. 25 — Cela peut durer longtemps. Va-t-il nous inviter a dejeuner? — Voici deja son domestique qui nous apporte des rafraichissements. » Le cafedgi du Roi se tenait devant nous avec trois 30 tasses de cafe, une boite de rahat-loukoum et un pot de fiADGI-STAVROS. 6^ Confitures. M™^ Simons et sa fille rejeterent le cafe avec degout, parce qu'il etait prepard a la turque et trouble comme une bouillie. Je vidai ma tasse en vrai gourmet de I'Orient. Les confitures, qui etaient du 5 sorbet a la rose, n'obtinrent qu'un succes d'estime, parce que nous etions forces de les manger tous trois avec une seule cuiller. Les delicats sont malheureux dans ce pays de bonhomie. Mais le rahat-loukoum, decoupe en morceaux, flatta le palais de ces dames sans trop lo choquer leurs habitudes. EUes prirent a belles mains cette gelee d'amidon parfume, et viderent la boite jus- qu'au fond, tandis que le Roi dictait la lettre suivante: «MM. Barley et Compagnie, 31, Cavendish-Square, a Londres. 15 "J'ai vu par votre honoree du 5 avril et le compte courant qui I'accompagne, que j'ai presentement 22,750 liv. sterl. a mon credit. II vous plaira placer ces fonds, moitie en trois pour cent anglais, moitie en actions du credit mobilier, avant que le coupon soit detache. Ven- 20 dez mes actions de la Banque royale britannique: c'est une valeur qui ne m'inspire plus autant de confiance. Prenez-moi, en echange, des omnibus de Londres. Si vous trouvez 15,000 livres de ma maison du Strand (elle les valait en 1852), vous m'acheterez de la Vieille- 25 Montagne pour une somme egale. Envoyez chez les freres Rhalli loo guinees (2645 ^^■)'- c'est ma souscrip- tion pour I'ecole hell^nique de Liverpool. J'ai pes^ serieusement la proposition que vous m'avez fait I'hon- neur de me soumettre, et, apres mures reflexions, j'ai 30 r^solu de persister dans ma ligne de conduite et de faire be LE ROI DES MONTAGNES. les affaires exclusivement au comptant. Les marches k terme ont un caractere aleatoire qui doit mettre en defiance tout bon pere de famille. Je sais bien que vous n'exposeriez mes capitaux qu'avec la prudence qui a toujours distingue votre maison; mais quand meme 5 les benefices dont vous me parlez seraient certains, j'eprouverais, je I'avoue, une certaine repugnance a leguer a mes heritiers une fortune augmentee par le jeu. «Agreez, etc. 10 « Hadgi-Stavros, proprietaire. » «Est-il question de nous? me dit Mary-Ann. — Pas encore, mademoiselle. Sa Majeste aligne des chiffres. — Des chiffres ici? Je croyais qu'on n'en faisait que 15 chez nous. — Monsieur votre pere n'est-il pas I'associe d'une maison de banque? — Oui; de la maison Barley et C®. — Y a-t-il deux banquiers du meme nom a Londres ? 20 — Pas que je sache. — Avez-vous entendu dire que la maison Barley fit des affaires avec I'Orient? — Mais avec le monde entier! — Et vous habitcz Cavendish-square? 25 — Non, il n'y a que les bureaux. Notre maison est dans Piccadilly. — Merci, mademoiselle. Permettez-moi d'ecouter la suite. Ce vieillard a une correspondance des plus at- tachantes. * 3" HADGI-STAVROS. 67 Le Roi dicta, sans desemparer, un long rapport aux actionnaires de sa bande. Ce curieux document etait adresse a M. Georges Micrommati, officier d'ordonnance, au Palais, pour qu'il en donnat lecture dans I'assemblee 5 generale des interesses. Compte rendu des operations de la Compagnie Nationale du Roi des montagnes. Exercice 1855-56. "Camp du Roi, 30 avril 1856. o « Messieurs, «Le gerant que vous avez honore de votre confiance vient aujourd'hui, pour la quatorzieme fois, soumettre a votre approbation le resume de ses travaux de I'annee. Depuis le jour ou I'acte constitutif de notre societe fut I . signe en I'etude de maitre Tsappas, notaire royal a Athenes, jamais notre entreprise n'a rencontre plus d'obstacles, jamais la marche de nos travavix n'a ete entravee par de plus serieuses difficultes. C'est en presence d'une occupation etrangere, sous les yeux de 20 deux armees, sinon hostiles, au moins malveillantes, qu'il a fallu maintenir le jeu regulier d'une instituiicn eminemment nationale. Le Piree envahi militairement, la frontiere de Turquie surveillee avec une jalousie qui n'a pas de precedents dans I'histoire, ont restreint notre 25 activite dars un cercle etroit, et impose a notre zele des limites infranchissables. Dans cette zone retrecie, nos ressources etaient encore reduites par la penurie generale, la rarete de I'argent, I'insuffisance des recoltes. Les oliviers n'ont pas tenu ce qu'ils promettaient; le rende- 68 LE ROI DES MONTAGNES. ment des cer^ales a ete mediocre, et la vigne n'est pas encore delivree de roidium. Dans ces circonstances, il dtait bien difficile de profiter de la tolerance des autorites et de la douceur d'un gouvernement paternel. Notre entreprise est liee si etroitement aux interets du pays, 5 qu'elle ne peut fleurir que dans la prosperite generale, et qu'elle ressent le contre-coup de toutes les calamites publiques; car a ceux qui n'ont rien on ne prend rien, ou peu de chose. «Les voyageurs etrangers, dont la curiosite est si utile 10 au royaume et a nous, ont ete fort rares. Les touristes anglais, qui composaient autrefois une branche impor- tante de notre revenu, ont manque totalement. Deux jeunes Americains, arretes sur la route du Pentelique, nous ont fait tort de leur ranjon. Un esprit de defiance, 15 alimente par quelques gazettes de France et d'Angleterre, ecarte de nous les gens dont la capture nous serait le plus utile. «Et cependant, messieurs, telle est la vitalite de notre institution, qu'elle a mieux resiste a cette crise fatale que ?.o I'agriculture, I'industrie et le commerce. Vos capitaux confies en mes mains ont profite, non pas autant que je I'aurais voulu, mais beaucoup mieux que personne ne pouvait I'esp^rer. Je n'en dirai pas plus long; je laisse parler les chiffres. L'arithmetique est plus eloquente 25 que Ddmosthene. «Le capital social, limite d'abord au chiffre modeste de 50,000 fr., s'est eleve a 120,000 par trois emissions successives d'actions de 500 fr. «Nos recettes brutes, du !«■ mai 1855 ^^ 3° ^^^^^ ^'^ 1856, se montent h. la somme de 261,482 fr. HADGI-STAVROS. 69 «Nos depenses se divisent comme il suit: Dime payee aux eglises et monasteres 26,148 Interet du capital au taux legal de 10 p. 100 12,000 Solde et nourriture de 80 hommes, a 650 fr. 5 I'un 5 2jOoo Materiel, armes, etc 7,056 Reparation de la route de Thebes, qui ^tait devenue impraticable et oij Ton ne'trou- vait plus de voyageurs a arreter 2,540 10 Frais de surveillance sur les grands chemins. 5,835 Frais de bureau 3 Subvention de quelques journalistes 11, goo Encouragements a divers employes de I'ordre administratif et judiciaire 18,000 IS Total i35»482 Si I'on deduit cette somme du chiflfre brut de nos recettes, on trouve un benefice net de 1 26,000 Conformdment aux statuts, cet excedant 20 est reparti comme il suit: Fonds de reserve depose a la banque d'Athenes 6,000 Tiers attribue au gerant 40,000 A partager entre les actionnaires 80,000 Soit, ;^T,^ fr. ^^ c. par action. 25 "Ajoutez a ces ;^;^7, fr. 7,7, c, 50 fr. d'int^ret et 25 fr. du fonds de reserve, et vous aurez un total de 408 fr. ;^;^ c. par action. Votre argent est done place a pres de 82 p. 100. *Tels sont, messieurs, les r^sultats de la derniere 70 LE ROI DES MONTAGNES. campagne. Jugez maintenant de I'avenir qui nous est reserve le jour ou I'occupation etrangere cessera de peser sur notre pays et sur nos operations!* Le Roi dicta ce rapport sans consulter de notes, sans hesiter sur un chiffre et sans chercher un mot. Je 5 n'aurais jamais cru qu'un vieillard de son age put avoir la memoire aussi presente. II apposa son cachet au bas des trois lettres; c'est sa maniere de signer. II lit cou- ramrnent; mais il n'a jamais trouve le temps d'apprendre a ecrire. Charlemagne et Alfred le Grand etaient, dit-on, 10 dans le meme cas. Tandis que les sous-secretaires d'Etat s'occupaient a transcrire sa correspondance du jour pour la deposer aux archives, il donna audience aux officiers subalternes qui etaient revenus avec leurs detachements dans la 15 journee. Chacun de ces hommes s'asseyait devant lui, le saluait en appuyant la main droite sur le coeur et faisait son rapport en peu de mots, avec une concision respectueuse. Je vous jure que saint Louis, sous son chene, n'inspirait pas une veneration plus profonde aux 20 habitants de Vincennes. Le premier qui se presenta fut un petit homme de mauvaise mine; vraie figure de cour d'assises. C'etait un insulaire de Corfou poursuivi pour quelques incen- dies: il avait ete le bienvenu, et ses talents I'avaient fait 25 monter en grade. Mais son chef et ses soldats le te- naient en mediocre estime. On le soup^onnait de detourner a son profit une partie du butin. Or le Roi etait intraitable sur le chapitre de la probite. Lorsqu'il prenait un homme en faute, il I'expulsait ignominieuse- 30 HADGI-STAVROS. 7I ment et lui disait avec une ironie accablante: *Va te faire magistrat!" Hadgi-Stavros demanda au Corfiote: «Qu'as-tu fait? — Je me suis rendu, avec mes quinze hommes, au 5 ravin des Hirondelles, sur la route de Thebes. J'ai ren- contre un detachement de la ligne: vingt-cinq soldats. — Ou sont leurs fusils ? — Je les leur ai laisses. Tous fusils a piston qui ne nous auraient pas servi, faute de capsules. 10 — Bon. Ensuite? — C'etait jour de marche: j'ai arrete ceux qui reve- naient. — Combien? — Cent quarante-deux personnes. 15 — Et tu rapportes? — Mille six francs quarante-trois centimes. — Sept francs par tete! C'est peu. — C'est beaucoup. Des paysans! — lis n'avaient done pas vendu leurs denrees?. 20 — Les uns avaient vendu, les autres avaient achete. » Le Corfiote ouvrit un sac pesant qu'il portait sous le bras; il en repandit le contenu devant les secretaires, qui se mirent a compter la somme. La recette se composait de trente ou quarante piastres mexicaines, de quelques 25 poignees de zwanzigs autrichiens et d'une enorme quan- tite de b.illon. Quelques papiers chiffonnes se pour- suivaient au milieu de la monnaie. C'etaient des billets de banque de dix francs. «Tu n'as pas de bijoux? demanda le Rol. 30 — Non. — II n'y avait done pas de femmes? 72 LE Ror DES MONTAGNES. — Je n'ai rien trouv^ qui valut la peine d'etre rap- porte. — Qu'est-ce que je vois a ton doigt? — Une bague. — En or? S — Ou en cuivre; je n'en sais rien. — D'ou vient-elle? — Je I'ai achetee il y a deux mois. — Si tu I'avais achetee, tu saurais si elle est en cuivre ou en or. Donne-la!" lo Le Corfiote se ddpouilla de mauvaise grace. La bague fut immediatement encaissee dans un petit coflfre plein de bijoux. *Je te pardonne, dit le Roi, en faveur de ta mauvaise Education. Les gens de ton pays deshonorent le vol en 15 y melant la friponnerie. Si je n'avais que des loniens dans ma troupe, je serais oblige de faire mettre des tourniquets sur les chemins, comme aux portes de I'Exposition de Londres, pour compter les voyageurs et recevoir I'argent. A un autre!" 2c Celui qui vint ensuite ^tait un gros garfon bien por- tant, de la physionomie la plus avenante. Ses yeux ronds, ii fleur de tete, respiraient la droiture et la bon- homie. Ses levres entr'ouvertes laissaient voir, a travers leur sourire, deux rangees de dents magnifiques; il me 25 seduisit au premier coup d'oeil, et je me dis que s'il s'^tait fourvoye en mauvaise compagnie, il ne man- querait pas de rentrer un jour ou I'autre dans le bon chemin. Ma figure lui plut aussi, car il me salua tr^s poliment avant de s'asseoir devant le Roi. 3^ Hadgi-Stavros lui dit: «Qu'as-tu fait, mon Vasile? HADGI-STAVROS. 73 — Je suis arrive hier soir avec mes six hommes a Pigadia, le village du senateur Zimbelis. — Bien. — Zimbelis etait absent, comme toujours; mais ses 5 parents, ses fermiers et ses locataires etaient tous chez eux, et couches. — Bien. — Je suis entre au khan; j'ai reveille le khangi; je lui ai achete vingt-cinq bottes de paille, et, pour payement, 10 je I'ai tue. — Bien. — Nous avons porte la paille au pied des maisons, qui sont toutes en planches ou en osier, et nous avons mis le feu dans sept endroits a la fois. Les allumettes 15 etaient bonnes: le vent venait du nord, tout a pris. — Bien. — Nous nous sommes retires doucement vers les puits. Tout le village s'est eveille a la fois en criant. Les hommes sont venus avec leurs seaux de cuir pour cher- 20 cher de I'eau. Nous en avons noye quatre que nous ne connaissions pas; les autres se sont sauves. — Bien. — Nous, sommes retournes au village. II n'y avait plus personne qu'un enfant oubhe par ses parents et 25 qui criait comme un petit corbeau tombe du nid. Je I'ai jete dans une maison qui brulait, et il n'a plus rien dit. — Bien. — Alors nous avons pris des tisons et nous avons mis 30 le feu aux oliviers. La chose a bien r€ussi. Nous nous fjommes remis en route vers le camp; nous avons soup^ 74 LE ROI DES MONTAGNES. et couche a moitie chemin, et nous sommes rentres a neuf heures, tous bien portants, sans une brulure. — Bien. Le senateur Zimbelis ne fera plus de dis- cours centre nous. A un autre!" Vasile se retira en me saluant aussi poliment que la 5 premiere fois; mais je ne lui rendis pas son salut. II fut aussitot remplace par le grand diable qui nous avait pris. Par un singulier caprice du hasard, le pre- mier auteur du drame 011 j'etais appele k jouer un role se nommait Sophoclis. Au moment oil il commenga 10 son rapport, je sentis quelque chose de froid couler dans mes veines. Je suppliai M'"'' Simons de ne pas risquer une parole imprudente. EUe me repondit qu'elle etait Anglaise et qu'elle savait se conduire. Le Roi nous pria de nous taire et de laisser la parole a I'orateur. 15 II etala d'abord les biens dont il nous avait depouilles; puis il tira de sa ceinture quarante ducats d'Autriche qui faisaient une somme de quatre cent soixante-dix francs, au cours de 11 fr. 75. «Les ducats, dit-il, viennent du village de Castia; le 20 reste m'a ete donne par les milords. Tu m'avais dit de battre les environs; j'ai commence par le village. — Tu as mal fait, repondit le Roi. Les gens de Castia sont nos voisins, il fallait les laisser. Comment vivrons-nous en surete, si nous nous faisons des ennemis 25 a notre porte? D'ailleurs, ce sont de braves gens qui peuvent nous donner un coup de main a I'occasion. — Oh! je n'ai rien pris aux charbonniers! lis ont disparu dans les bois sans me laisser le temps de leur parler. Mais le paredre avait la goutte; je I'ai trouve 30 chez lui. HADGI-STAVROS. 75 — Qu'est-ce que tu lui as dit? — Je lui ai demande de I'argent; 51 a soutenu qu'il n'en avait pas. Je I'ai enferme dans un sac avec son chat; et je ne sais pas ce que le chat lui a fait, mais il 5 s'est mis a me crier que son tresor etait derriere la maison, sous une grosse pierre. C'est 1^ que j'ai trouve les ducats. — Tu as eu tort. Le parfedre ameutera tout le village contre nous. lo — Oh! non. En le quittant, j'ai oublie d'ouvrir le sac, et le chat doit lui avoir mange les yeux. — A la bonne heure! . . . Mais entendez-moi bien tous: je ne veux pas qu'on inquiete nos voisins. Retire- toi.» . . 15 Notre interrogatoire allait commencer. Hadgi-Sta- vros, au lieu de nous faire comparaitre devant lui, se leva gravement et vint s'asseoir a terre aupres de nous. Cette marque de deference nous parut d'un favorable augure. M""^ Simons se mit en devoir de I'interpeller 20 de la bonne sorte. Pour moi, prevoyant trop bien ce qu'elle pourrait dire, et connaissant I'intemperance de sa langue, j'offris au Roi mes services en qualite d'in- terprete. II me remercia froidement et appela le Cor- fiote, qui savait I'anglais. 25 « Madame, dit le Roi a mistress Simons, vous semblez courroucee. Auriez-vous a vous plaindre des hommes qui vous ont conduite ici? — C'est une horreur! dit-elle. Vos coquins m'ont arretee, jetee dans la poussiere, depouillee, extenuee et 30 affamee. — Veuillez agreer mes excuses. Je suis forc^ d'em- 76 LE ROI DES MONTAGNES. ployer des hommes sans Education. Croyez, madame, que ce n'est pas sur mes ordres qu'ils ont agi ainsi. Vous etes Anglaise? — Anglaise de Londres ! — Je suis all^ a Londres; je connais et j'estime les s Anglais. Je sais qu'ils ont bon appetit, et vous avez pu remarquer que je me suis empresse de vous offrir des rafraichissements. Je sais que les dames de votre pays n'aiment pas a courir dans les rochers, et je regrette qu'on ne vous ait pas laissee marcher a votre pas. Je lo sais que les personnes de votre nation n'emportent, en voyage, que les effets qui leur sont necessaires, et je ne pardonnerai pas a Sophoclis de vous avoir depouillee, surtout si vous etes une personne de condition. — J'appartiens a la meilleure societe de Londres. 15 — Daignez reprendre ici I'argent qui est h. vous. Vous etes riche? — Assurement. — Ce n^cessaire n'est-il pas de vos bagages? — II est a ma fille. 2c — Reprenez egalement ce qui est k mademoiselle votre fille. Vous etes tres riche? — Tr^s riche. — Ces objets n'appartiennent-ils point a monsieur votre fils! 25 — Monsieur n'est pas mon fils; c'est un Allemand. Puisque je suis Anglaise, comment pourrais-je avoir un fils Allemand? — C'est trop juste. Avez-vous bien vingt mille francs de revenu? 3^ — Davantage. HADGI-STAVROS. 77 — Un tapis a ces dames! Etes-vous done riche a trente mille francs de rente? — Nous avons mieux que cela. — Sophoclis est un manant que je corrigerai. Logo- 5 thete, dis qu'on prepare le diner de ces dames. Serait-il possible, madame, que vous fussiez millionnaire? — Je le suis. — Et moi, je suis confus de la maniere dont on vous a traitee. Vous avez assurement de belles connaissances lo a Athenes? — ■ Je connais le ministre d'Angleterre, et si vous vous etiez permis! . . . — Oh! madame! . . . Vous connaissez aussi des commerjants, des banquiers? 15 - — Mon frere, qui est a Athenes, connait plusieurs banquiers de la ville. — J'en suis ravi. Sophoclis, viens ici! Demande pardon a ces dames. » ' Sophoclis marmotta entre ses dents je ne sais quelles 20 excuses. Le Roi reprit: «Ces dames sont des Anglaises de distinction; elles ont plus d'un million de fortune; elles sont regues a I'ambassade d'Angleterre; leur frere, qui est a Athenes, connait tous les banquiers de la ville. 2f — A la bonne heure!» s'^cria M™^ Simons. Le Roi poursuivit: « Tu devais traiter ces dames avec tous les dgards dus a leur fortune. — Bien! dit M"^ Simons. \j — Les conduire ici doucement. — Pourquoi faire? murmura Mary-Ann. 78 LE ROI DES MONTAGNES. — Et t'abstenir de toucher a leur bagage. Lorsqu'on a I'honneur de rencontrer dans la montagne deux per- sonnes du rang de ces dames, on les salue avec respect, on les amene au camp avec deference, on les garde avec circonspection, et on leur offre poliment toutes les choses 5 necessaires a la vie, jusqu'a ce que leur frere ou leur ambassadeur nous envoie une rangon de cent mille francs. » Pauvre M"^^ Simons! chere Mary- Ann! EUes ne s'attendaient ni I'une ni I'autre a cette conclusion. 10 Pour moi, je n'en fus pas surpris. Je savais a quel ruse coquin nous avions affaire. Je pris hardiment la parole, et je lui dis a brule-pourpoint: «Tu peux garder ce que tes hommes m'ont vole, car c'est tout ce que tu auras de moi. Je suis pauvre, mon pere n'a rien, mes 15 freres mangent souvent leur pain sec, je ne connais ni banquiers ni ambassadeurs, et si tu me nourris dans I'espoir d'une rangon, tu en ieras pour tes frais, je te le jure!" Un murmure d'incredulite s'eleva dans I'auditoire, 20 mais le Roi parut me croire sur parole. « S'il en est ainsi, me dit-il, je ne ferai pas la faute de vous garder ici malgre vous. J'aime mieux vous ren- voyer a la ville. Madame vous confiera une lettre pour monsieur son frere, et vous partirez aujourd'hui mcme. 25 Si cependant vous aviez besoin de rester un jour ou deux dans la montagne, je vous offrirais I'hospitalite; car je suppose que vous n'etes pas venu jusqu'ici, avec cette grande boite, pour regarder le paysage. » Ce petit discours me procura un soulagement notable. 30 Je promenai autour de moi un regard de satisfaction. HADGI-STAVROS. 79 Le Roi, ses secretaires et ses soldats me parurent beau- coup moins terribles; les rochers voisins me semblerent plus pittoresques, depuis que je les envisageais avec les yeux d'un hote et non d'un prisonnier. Le desir que r j'avais de voir Athenes se calma subitement, et je me fis a I'idee de passer deux ou trois jours dans la mon- tagne. Je sentais que mes conseils ne seraient pas inutiles a la mere de Mary-Ann. La bonne dame etait dans un etat d'exaltation qui pouvait la perdre. Si par lo aventure elle s'obstinait a refuser la ranjon ! Avant que I'Angleterre vint a son secours, elle avait le temps d'at- tirer quelque malheur sur une tete charmante. Je ne pouvais m'eloigner d'elle sans lui raconter, pour sa gouverne, I'histoire des petites filles de Mistra. Que 15 vous dirai-je encore? Vous savez ma passion pour la botanique. La flore du Parnes est bien seduisante a la fin d'avril. On trouve dans la montagne cinq ou six plantes aussi rares que celebres. Une surtout: la ho- ryana variabilis, decouverte et baptisee par M. Bory de 20 Saint-Vincent. Devais-je laisser une telle lacune dans mon herbier et me presenter au museum de Hambourg sans la bory ana variabilis? Je repondis au Roi: «J'accepte ton hospitalite, mais a une condition. 25 — Laquelle ? — Tu me rendras ma boite. — Eh bien, soit; mais a une condition aussi. — Voyons ! — Vous me direz a quoi elle vous sert. 30 — Qu'a, cela ne tienne ! Elle me sert a loger les plantes que je recueille. 8o LE ROI DES MONTAGNES. — Et pourquoi cherchez-vous des plantes? Pour les vendre ? — Fi done! Je ne suis pas un marchand; je suis un savant. » II me tendit la main et me dit avec une joie visible: s «J'en suis charme. La science est une belle chose. Nos aieux etaient savants; nos petits-fils le seront peut- etre. Quant a nous, le temps nous a manque. Les savants sont tres estimes dans votre pays? — Infiniment. lo — On leur donne de belles places? — Quelquefois. — On les paye bien? — A^ssez. — On leur attache de petits rubans sur la poitrine? 15 — De temps en temps. • — Est-il vrai que les villes se disputent a qui les aura ? — Cela est vrai en Allemagne. — Et qu'on regarde leur mort comme une calamite 20 pubHque? — Assurement. — Ce que vous dites me fait plaisir. Ainsi vous n'avez pas a vous plaindre de vos concitoyens? — Bien au contraire! C'est leur liberalite qui m'a 25 permis de venir en Grece. — Vous voyagez a leurs frais ? — Depuis six mois. — Vous Stes done bien instruit? — Je suis docteur. 30 — Y a-t-il un grade superieur dans la science ? SADGI-STAVROS. 8l — Non. — Et combien compte-t-on de docteurs dans la ville que vous habitez? — Je ne sais pas au juste, mais 11 n'y a pas autant de 5 docteurs a Hambourg que de generaux a Athenes. — Oh! oh! je ne priverai pas votre pays d'un homme si rare. Vous retournerez a Hambourg, monsieur le docteur. Que dirait-on la-bas si I'on apprenait que vous etes prisonnier dans nos montagnes? lo — On dirait que c'est un malheur. — AUons! Plutot que de perdre un homme tel que vous, la ville de Hambourg fera bien un sacrifice de quinze mille francs. Reprenez votre boite, courez, cher- chez, herborisez et poursuivez le cours de vcs etudes. 15 Pourquoi ne remettez-vous pas cet argent dans votre poche? II est a vous, et je respecte trop les savants pour les depouiller. Mais votre pays est assez riche pour payer sa gloire. Heureux jeune homme! Vous reconnaissez aujourd'hui combien le titre de docteur 20 ajoute a votre valeur personnelle! Je n'aurais pas de- mande un centime de rangon si vous aviez ete un ignorant comme moi. " Le Roi n'ecouta ni mes objections ni les interjections de M™^ Simons.* II leva la stance, et nous montra du 25 doigt notre salle a manger. M™*^ Simons y descendit en protestant qu'elle devorerait le repas, mais qu'elle ne payerait jamais la carte. Mary-Ann semblait fort abat- tue; mais telle est la mobilite de la jeunesse, qu'elle poussa un cri de joie en voyant le lieu de plaisance oil 30 notre couvert etait mis. Un officier du Roi etait charg^ de nous servir et de 82 LE ROI DES MONTAGNES. nous ecouter. C'etait ce hideux Corfiote, rhomme a la bague d'or, qui savait I'anglais. II decoupa le pain avec son poignard, et nous distribua de tout a pleines mains, en nous priant de ne rien menager. M*"^ Si- mons, sans perdre un coup de dent, lui langa quelques 5 interrogations hautaines. « Monsieur, lui dit-elle, est-ce que votre maitre a cru serieusement que nous lui paye- rions une ran^on de cent mille francs? — II en est sur, madame. — C'est qu'il ne connait pas la nation anglaise. 10 ■ — II la connait bien, madame, et moi aussi. A Corfou, j'ai frecjuente plusieurs Anglais de distinction: des juges! — Je vous en fais mon compliment; mais dites a ce Stavros de s'armer de patience, car il attendra longtemps 15 les cent mille francs qu'il s'est promis. — II m'a charge de vous dire qu'il les attendrait jusqu'au 15 mai, a midi juste. — Et si nous n'avons pas paye le 15 mai a midi? — II aura le regret de vous couper le cou, ainsi qu'a 20 mademoiselle. » Mary-Ann laissa tomber le pain qu'elle portait a sa bouche. «Donnez-moi a boire un peu de vin,» dit-elle. Le brigand lui tendit la coupe pleine; "mais a peine y eut-elle trempe ses levres, qu'elle laissa echapper un cri 25 de repugnance et d'effroi. La pauvre enfant s'imagina que le vin etait empoisonne. Je la rassurai en vidant la coupe d'un seul trait. Ne craignez-rien, lui dis-je; c'est la resine. "Quelle resine? 30 — Le vin ne se conserverait pas dans les outres si HADGI-STAVROS. 83 Ton n'y ajoutait une certaine dose de resine qui I'empeche de se corrompre. Ce melange ne le rend pas agreable, mais vous voyez qu'on le boit sans danger. » Malgre mon exemple, Mary-Ann et sa mere se firent 5 apporter de I'eau. Le brigand courut a la source et revint en trois enjambees. «Vous comprenez, mes- dames, dit-il en souriant, que le Roi ne ferait pas la faute d'empoisonner des personnes aussi cheres que vous. » II ajouta en se tournant vers moi: «Vous, mon- 10 sieur le docteur, j'ai ordre de vous apprendre que vous avez trente jours pour terminer vos etudes ct payer la somme. Je vous fournirai, ainsi qu'a ces dames, tout ce qu'il faut pour ecrire. — Merci, dit M™^ Simons. Nous y penserons dans 15 huit jours si nous ne sommes pas delivrees. — Et par qui, madame? — Par I'Angleterre! — Elle est loin. — Ou par la gendarmerie. 20 — C'est la grace que je vous souhaite. En atten- dant, desirez-vous quelque chose que je puisse vous donner ? — Je veux d'abord une chambre a coucher. — Je ferai prendre deux tentes chez les bergers d'en 25 bas, et vous camperez ici . . . jusqu'a I'arrivee des gendarmes. — Je veux une femnie de chambre. — Rien n'est plus facile. Nos hommes descendront dans la- plaine et arreteront la premiere paysanne qui 30 passera . . ., si toutefois la gendarmerie le permet. — II me faut des vetements, du linge, des serviettes 84 LE ROI DES MONTAGNES. de toilette, du savon, un miroir, des peignes, des odeurs, un metier a tapisserie, un . . . — C'est beaucoup de choses, madame, et pour vous trouver tout cela, nous serions forces de prendre Athenes. Mais on fera pour le mieux. Comptez sur moi et ne 5 comptez pas trop sur les gendarmes. — Que Dieu ait pitie de nous!» dit Mary- Ann. Un echo vigoureux repondit: Kyrie Eleison! C'etait le bon vieillard qui venait nous faire une visite et qui chantait en marchant pour se tenir en haleine. II nous 10 salua cordialement, deposa sur I'herbe un vase plein de miel et s'assit aupres de nous. "Prenez et mangez, nous dit-il: mes abeilles vous offrent le dessert. » Je lui serrai la main; M""^ Simons et sa fille se de- tournerent avec degout. Elles s'obstinaient a voir en 15 lui un complice des brigands. Le pauvre bonhomme n'avait pas tant de malice. II ne savait que chanter ses prieres, soigner ses petites betes, vendre sa recolte, encaisser les revenus du convent et vivre en paix avec tout le monde. Son intelligence etait bornee, sa science 20 nulle, sa conduite innocente comme celle d'une machine bien reglee. Je ne crois pas qu'il sut distinguer claire- ment le bien du mal, et qu'il mit une grande difference entre un voleur et un honnete homme. Sa sagesse consistait a faire cjuatre repas tous les jours et a se tenir 25 prudemment entre deux vins, comme le poisson entre deux eaux. C'etait, d'ailleurs, un des meilleurs moines de son ordre. Je fis honneur au present qu'il nous avait apporte. Ce miel &. demi sauvage ressemblait a celui que vous 30 mangez en France comme la chair d'un chevreuil a la HADGI-STAVROS. 85 viande d'un agneau. On eut dit que les abeilles avaient distille dans un alambic invisible tous les parfums de la montagne. J'oubliai, en mangeant ma tartine, que je n'avais qu'un mois pour trouver quinze mille francs ou 5 mourir. Le moine, a son tour, nous demanda la permission de se rafraichir un peu, et, sans attendre une reponse, il prit la coupe et se versa rasade. II but successivement a chacun de nous. Cinq ou six brigands, attires par la 10 curiosite, se glisserent dans la salle. II les interpclla par leur nom et but a chacun d'eux par esprit de justice. Je ne tardai pas a maudire sa visite. Une heure aprcs son arrivee, la moitie de la bande etait assise en cercle autour de notre table. En I'absence du Roi, qui faisait 15 la sieste dans son cabinet, les brigands venaient, un a un, cultiver notre connaissance. L'un nous offrait ses services, I'autre nous apportait quelque chose, un autre s'introduisait sans pretexte et sans embarras, en homme qui se sent chez lui. Les plus familiers me priaient 20 amicalement de leur raconter notre histoire; les plus timides se tenaient derriere leurs camarades et les pous- saient insensiblement jusque sur nous. «Allez-vous-en tous! Le Roi nous a loges ici pour vivre tranquilles jusqu'a I'arrivee de notre ranfon. Le 25 loyer nous coute assez cher pour que nous ayons le droit de rester seuls. N'etes-vous pas honteux de vous amasser autour d'une table, comme des chiens parasites? Vous n'avez rien a faire ici. Nous n'avons pas besoin de vous; nous avons besoin que vous n'y soyez pas. Croyez- 30 vous que nous puissions nous enfuir ? Par oii ? Par la cascade? Ou par le cabinet du Roi ? Laissez-nous done 86 LE ROI DES MONTAGNES. en paix. Corfiote, chasse-les dehors, et je t'y aiderai, si tu veux!» Je joignis I'action a la parole. Je poussai les trai- nards, je secouai le moine, je forfai le Corfiote a me venir en aide, et bientot le troupeau des brigands, trou- 5 peau arme de poignards et de pistolets, nous ceda la place avec une docilite moutonniere, tout en regimbant, en faisant de petits pas, en resistant des epaules et en retournant la tete, a la iagon des ecoliers qu'on chasse en etude quand la fin de la recreation a sonne. 10 Nous etions seuls enfin, avec le Corfiote. Je dis a mistress Simons: "Madame, nous voici chez nous. Vous plait-il que nous separions I'appartement en deux? II ne me faut qu'un petit coin pour dresser ma tente. Derriere ces arbres, je ne serai pas trop mal, et tout le 15 reste vous appartiendra. Vous aurez la fontaine sous la main, et ce voisinage ne vous genera pas, puisque I'eau s'en va tomber en cascade au revers de la mon- tagne. ^' Mes oflfres furent acceptees d'assez mauvaise grace. 20 Ces dames auraient voulu tout garder pour elles et m'envoyer dormir au milieu des brigands. Le Corfiote appuya ma proposition, qui rendait sa surveillance plus facile. II avait ordre de nous garder nuit et jour. On convint qu'il dormirait aupres de ma tente. J'exigeai 25 entre nous une distance de six pieds anglais. Mais les curieux reparurent a I'horizon, sous pretexte de nous apporter les tentes. M'"^ Simons jeta les hauts cris en voyant que sa maison se composait d'une simple bande de feutre grossier, pliee par le milieu, fixee a terre 30 par les bouts, et ouverte au vent de deux cotes. Le HADGI-STAVROS. 87 Corfiote jurait que nous serions loges comme des princes, sauf le cas de pluie ou de grand vent. La troupe entiere se mlt en devoir de planter les piquets, de dresser nos lits et d'apporter les couvertures. Chaque lit se com- 5 posait d'un tapis couvert d'un gros manteau de poil de chevre. A six heures, le Roi vint s'assurer par ses yeux que nous ne manquions de rien. M™ Simons, plus courroucee que jamais, repondit qu'elle manquait de tout. Je demandai formellement I'exclusion de tous 10 les visiteurs inutiles. Le Roi etablit un reglement severe qui ne fut jamais suivi. Discipline est un mot frangais bien difficile a traduire en grec. Le Roi et ses sujets se retirerent a sept heures, et Ton nous servit le souper. Quatre flambeaux de bois resi- 15 neux eclairaient la table. Leur lumiere rouge et fumeuse colorait etrangement la figure un peu palie de M"e Simons. Ses yeux semblaient s'eteindre et se rallumer au fond de leurs orbites, comme les phares a feu tour- nant. Sa voix, brisee par la fatigue, reprenait par inter- 20 valle un eclat singulier. En I'ecoutant, mon esprit s'egarait dans le monde surnaturel, et il me venait je ne sais quelles reminiscences des contes fantastiques. Un rossignol chanta, et je crus voir sa chanson argentine voltiger sur les levres de Mary-Ann. La journee avait 25 ete rude pour tous, et moi-meme, qui vous ai donne des preuves eclatantes de mon appetit, je reconnus bientot que je n'avais faim que de sommeil. Je souhaitai le bonsoir a ces dames, et je me retirai sous ma tente. La, j'oubliai en un instant rossignol, danger, ranfon; je 30 fermai les yeux a double tour, et je dormis. Une fusillade epouvantable m'eveilla en sursaut. Je 88 LE ROI DES MONTAGNES. me levai si brusquement, que je donnai cle la tete contra un des piquets de ma ttnte. Au meme instant, j'en- tendis deux voix de femmes qui criaient: "Nous sommes sauvees! Les gendarmes !» Je vis deux ou trois fan- tomes courir confusement a travers la nuit. Dans ma 5 joie, dans mon trouble, j'embrassai la premiere ombre qui passa a ma portee: c'etait le Corfiote. «Halte-la! cria-t-il; ou courez-vous, s'il vous plait? — Chien de voleur, repondis-je en essuyant ma bouche, je vais voir si les gendarmes auront bientot fini de fusilier 10 tes camarades. » * M™^ Simons et sa fille, guidees par ma voix, arri- verent aupres de nous. Le Corfiote nous dit: «Les gendarmes ne voyagent pas aujourd'hui. C'est I'Ascension et le i'^'' mai: double fete. Le bruit que 15 vous avez entendu est le signal des rejouissarices. II est minuit passe, jusqu'a demain, a pareille heure, nos com- pagnons vont boire du vin, manger de la viande, danser la Romai'que et bruler de la poudre. Si vous vouliez voir ce beau spectacle, vous me feriez plaisir. Je vous 20 garderais plus agreablement autour du roti qu'au bord de la fontaine. — Vous mentez! dit M""" Simons. C'est les gen- darmes ! — AUons-y voir, » ajouta Mary- Ann. 25 Je les suivis. Le vacarme etait si grand, qu'a vouloir dormir on eut perdu sa peine. Notre guide nous fit traverser le cabinet du Roi et nous montra le camp des voleurs eclaire comme par un incendie. Des pins entiers flambaient d'espace en espace. Cinq ou six groupes 30 assis autour du feu rotissaient des agneaux embroches HADGI-STAVROS. 89 dans des batons. Au milieu de la foule, un ruban de danseurs serpentait lentement au son d'unc musique effroyable. Les coups de fusil partaient dans tous les sens. II en vint un dans notre direction, et j'entendis 5 sifTier une balle a c^uelques pouces de mon oreille. Je priai ces dames de doubler le pas, esperant qu'aupres du Roi nous serious plus loin du danger. Le Roi, assis sur son eternel tapis, presidait avec solennite aux diver- tissements de son peuple. Autour de lui, les outres se 10 vidaient comme de simples bouteilles; les agneaux se decoupaient comme des perdrix; chaque convive prenait un gigot ou une epaule et I'emportait a pleine main. Les danseurs avaient ote leurs souliers pour etre plus agiles. lis se demenaient sur place et faisaient craquer 15 leurs OS en mesure, ou a peu pres. De temps en temps, I'un d'eux quittait le bal, avalait une coupe de \in, mordait dans un morceau de viande, tirait un coup de fusil, et retournait a la danse. Tous ces hommes, excepte le Roi, buvaient, mangealent, hurlaient et sau- 20 taient: je n'en vis pas rire un seul. Hadgi-Stavros s'excusa galamment de nous avoir eveilles. «Ce n'est pas moi qui suis coupable, dit-il, c'est la coutume. Si le i" mai se passait sans coups de fusil, 25 ces braves gens ne croiraient pas au retour du prin- temps. Je n'ai ici que des etres simples, eleves a la campagne et attaches aux vieux usages du pays. Je fais leur education du mieux que je peux, mais je mourrai avant de les avoir polices. Les hommes ne se refondent 30 pas en un jour comme les couverts d'argent. Moi- meme, tel que vous me voyez, j'ai trouvd du plaisir a 90 LE ROI DES MONTAGNES. ces ebats grossiers; j'ai bu et danse tout comme un autre. Je ne connaissais pas la civilisation europeenne: pourquoi me suis-je mis si tard a voyager? Je don- nerais beaucoup pour etre jeune et n'avoir que cinquante ans. J'ai des idees de reforme qui ne seront jamais s executees, car je me vois, comme Alexandre, sans un heritier digne de moi. Je reve une organisation nouvelle du brigandage, sans desordre, sans turbulence et sans bruit. Mais je ne suis pas seconde. Je devrais avoir le recensement exact de tous les habitants du royaume, lo avec I'etat approximatif de leurs biens, meubles et im- meubles. Quant aux etrangers qui debarquent chez nous, un agent etabli dans chaque port me ferait con- naitre leurs noms, leur itineraire, et, autant que possible, leur fortune. De cette fafon, je saurais ce que chacun 15 pent me donner; je ne serais plus expose a demander trop ou trop peu. J'etablirais sur chaque route un poste d'employes propres, bien eleves et bien mis; car enfin a quoi bon effaroucher les clients par une tenue choquante et une mine rebarbative? J'ai vu, en France 20 et en Angleterre, des voleurs elegants jusqu'a I'exces: en faisaient-ils moins bien leurs affaires? "J'exigerais chez tous mes subordonnes des manieres exquises, surtout chez les employes au departement des arrestations. J'aurais pour les prisonniers de distinction 25 comme vous, des logements confortables en bon air, avec jardins. Et ne croyez pas qu'il leur en couterait plus cher: bien au contraire! Si tous ceux qui voyagent dans le royaume arrivaient necessairement dans mes mains, je pourrais taxer le passant a une somme insigni- 30 fiante. Que chaque indigene et chaque etranger me HADGI-STAVROS. 9I donne seulement un quart pour cent sur le chiffre de sa fortune; je gagnerai sur la quantite. Alors le bri- gandage ne sera plus qu'un impot sur la circulation: impot juste, car il sera proportionnel; impot normal, car 5 il a tou jours ete perfu depuis les temps heroTques. Nous le simplifierons, s'il le faut, par les abonnements a I'annee. Moyennant telle somme une fois payee, on obtiendra un sauf-conduit pour les indigenes, un visa sur le passe-port des etrangers. Vous me direz qu'aux 10 termes de la constitution, nul impot ne peut etre etabli sans le vote des deux chambres. Ah! monsieur, si j'avais le temps! J'acheterais tout le senat; je nom- merais une chambre des deputes bien a moi! La loi passerait d'emblee: on creerait, au besoin, un ministere 15 des grands chemins. Cela me couterait deux ou trois millions de premier etablissement: mais en quatre ans je rentrerais dans tous mes frais . . ., et j'entretiendrais les routes par-dessus le marche!" II soupira solennellement, puis il reprit: «Vous voyez 20 avec quel abandon je vous raconte mes affaires. C'est une vieille habitude dont je ne me deferai jamais. J'ai toujours vecu non seulement au grand air, mais au grand jour. Notre profession serait honteuse si on I'exer^ait clandestinement. Je ne me cache pas, car je 25 n'ai peur de personne. Quand vous lirez dans les jovrnaux qu'on est a ma recherche, dites sans hesiter que c'est une fiction parlementaire: on salt toujours oii je suis. Je ne crains ni les ministres, ni I'armee, ni les tribunaux. Les ministres savent tous que d'un geste je 30 puis changer le cabinet. L'armee est pour moi: c'est elle qui me fcurnit des recrues lorsque j'en ai besoin 92 LE ROI DES MONTAGNES. Je lui emprunte des soldats, je lui rends des officiers. Quant a messieurs les juges, ils connaissent mes senti- ments pour eux. Je ne les estime pas, mais je les plains. Pauvres et mal payes, on ne saurait leur demander d'etre honnetes. J'en nourris quelques-uns, j'en habille 5 quelques autres; j'en ai pendu fort peu dans ma vie: je suis done le bienfaiteur de la magistrature. » II me designa, par un geste magnifique, le ciel, la mer et le pays: "Tout cela, dit-il, est a moi. Tout ce qui respire dans le royaume m'est soumis par la peur, ic I'amitie ou I'admiration. J'ai fait pleurer bien des yeux, et pourtant il n'est pas une mere qui ne voulut avoir un fils comme Hadgi-Stavros. Un jour viendra que les docteurs comme vous ecriront mon histoire, et que les lies de I'Archipel se disputeront I'honneur de m'avoir 15 vu naitre. Mon portrait sera dans les cabanes avec les images sacrees qu'on achete au mont Athos. En ce temps-la, les petits enfants de ma fille, fussent-ils princes souverains, parleront avec orgueil de leur ancetre, le Roi des montagnes!* 2c Peut-etre allez-vous rire de ma simplicite germanique; mais un si etrange discours me remua profondement. J'admirais, malgre moi, cette grandeur dans le crime. Je n'avais pas encore eu I'occasion de rencontrer un coquin majestueux. Ce diable d'homme, qui devait me 25 couper le cou a la fin du mois, m'inspirait quasiment du respect. Sa grande figure de marbre, sereine au milieu de I'orgie, m'apparaissait comme le masque in- flexible du destin. Je ne pus m'empecher de lui re- pondre: «Oui, vous etes vraiment Roi.» 3^ II repondit en souriant: HADGI-STAVROS. 93 «En effet, puisque j'ai des flatteurs, meme parmi mes ennemis. Ne vous defenclez pas! Je sais lire sur les visages, et vous m'avez regarde ce matin en honime qu'on voudrait voir pendu. 5 — Puisque vous m'invitez a la franchise, j'avoue que j'ai eu un mouvemcnt d'humeur. Vous m'avez de- mande une rangon deraisonnable. Que vous preniez cent mille francs a ces dames qui les ont, c'est une chose naturelle et qui rentre dans votre metier; mais lo que vous en exigiez quinze mille de moi qui n'ai rien, voila ce que je n'admettrai jamais. — Pourtant, rien n'est plus simple. Tous les etran- gers qui viennent chez nous sont riches, car le voyage coute cher. Vous pretendez que vous ne voyagez pas a 15 vos frais; je veux vous croire. Mais ceux qui vous ont envoye ici vous donnent au moins trois ou quatre mille francs par an. S'ils font cette depense, ils ont leurs raisons, car on ne fait rien pour rien. Vous representez done a leurs yeux un capital de soixante a quatre-vingt 20 mille francs. Done, en vous rachetant pour quinze mille, ils y gagnent. — Mais I'etablissement qui me paye n'a point de capital; il n'a que des revenus. Le budget du Jardin des Plantes est vote tous les ans par le Senat; ses res- 25 sources sont limitees: on n'a jamais prevu un cas pareil; je ne sais comment vous expliquer . . . vous ne pouvez pas comprendre . . . — Et quand je comprendrais, reprit-il d'un ton hau- tain, croyez-vous que je reviendrais sur ce que j'ai dit? 30 Mes paroles sont des lois: si je veux qu'on les respecte, je ne dois pas les violer moi-meme. 94 LE ROI DES MONTAGNES. J'ai le droit d'etre injuste; je n'ai pas le droit d'etre faible. Mes injustices ne nuisent qu'uux autres; une faiblesse me perdrait. Si I'on me savait exorable, mes prisonniers chercheraient des prieres pour me vaincre au lieu de chercher de I'argent pour me payer. Je ne 5 suis pas un de vcs brigands d'Europe, qui font un melange de rigueur et de generosite, de speculation et d'imprudence, de cruaute sans cause et d'attendrisse- ment sans excuse, pour finir sottement sur I'echafaud. J'ai dit devant temoins que j'aurais quinze mille francs 10 ou votre tete. Arrangez-vous; mais, d'une fafon ou de I'autre, je serai paye. Ecoutez: en 1854, j'ai condamne deux petites filles qui avaient Page de ma chere Photini. Elles me tendaient les bras en pleurant, et leurs oris faisaient saigner mon coeur de pere. Vasile, qui les a 15 tuees, s'y est repris a plusieurs fois: sa main tremblait. Et cependant j'ai ete inflexible, parce que la ranfon n'etait pas payee. Croyez-vous qu'apres cela je vais vous faire grace? A quoi me servirait de les avoir tuees, les pauvres creatures, si I'on apprenait que je 20 vous ai renvoye pour rien?» Je baissai la tete sans trouver un mot a repondre. J'avais mille fois raison; mais je ne savais rien opposer a I'impitoyable logique du vieux bourreau. II me tira de mes reflexions par une tape amicale sur I'epaule: 25 «Du courage, me dit-il. J'ai vu la mort de plus pres que vous, et je me porte comme un chene. Pendant la guerre de I'lndependance, Ibrahim m'a fait fusilier par sept Egyptiens. Six balles se sont perdues; la septieme m'a frappe au front sans entrer. Quand les Turcs sont 30 venus ramasser mon cadavre, j'avais disparu dans la HADGI-STAVROS. 95 fumee. Vous avez peut-etre plus longtemps a vivre que vous ne pensez. Ecrivez a tous vos amis de Hambourg. Vous avez reju de I'education: un docteur doit avoir des amis pour plus de quinze mille francs. Je le voudrais, 5 quant a moi. Je ne vous hais pas: vous ne m'avez jamais rien fait; votre mort ne me causerait aucun plaisir, et je me plais a croire que vous trouverez les moyens de payer en argent. En attendant, allez vous reposer avec ces dames. * lo II partit avec nous, precede de son chiboudgi, qui ne le quittait ni jour ni nuit. Chemin faisant, je profitai des distractions du Corfiote, qui trebuchait a chaque pas, pour demander a M'"'^ Simons un entretien parti- culier. *J'ai, lui dis-je, un secret important a vous 15 apprendre. Permettez-moi de me glisser jusqu'a votre tente, pendant que notre espion dormira du sommeil de Noe. » Je ne sais si cette comparaison biblique lui parut irreverencieuse; mais elle me repondit sechement qu'elle 20 ne savait point avoir des secrets a partager avec moi. J'insistai; elle tint bon. Je lui dis que j'avais trouve le moyen de nous sauver tous, sans bourse delier. Elle me lanja un regard de defiance, consulta sa fille, et finit par accorder ce que je demandais. Hadgi-Stavros 25 favorisa notre rendez-vous en retenant le Corfiote aupres de lui. II fit porter son tapis au haut de I'escalier rustique qui conduisait a notre campement, deposa ses armes a portee de sa main, fit coucher le chiboudgi a sa droite et le Corfiote a sa gauche, et nous souhaita des 30 reves dores. Je me tins prudemment sous ma tente jusqu'au mo- 96 LE ROI DES MONTAGNES. ment ou trois ronflements distincts m'assurejent que nos gardiens etaient endormis. Le tapage de la fete s'etei- gnait sensiblement. Deux ou trois fusils retardataires troublaient seuls de temps en temps le silence de la nuit. Notre voisin le rossignol poursuivait tranquillement sa 5 chanson commencee. Je rampai le long des arbres jusqu'a la tente de M™^ Simons. La mere et la fille m'attendaient sur I'herbe humide. «Parlez, monsieur, me dit M""^ Simons; mais faites vite. Vous savez si nous avons besoin de repos. * ic Je repondis avec assurance: "Mesdames, ce que j'ai a vous dire vaut bien une heure de sommeil. Voulez- vous etre libres dans trois jours? — Mais, monsieur, nous le serons demain, ou I'Angle- terre ne serait plus I'Angleterre! Dimitri a du avertir 15 mon frere vers cinq heures; mon frere a vu notre ministre a I'heure du diner; on a donne les ordres avant la nuit; les gendarmes sont en route, quoi qu'en ait dit le Corfiote, et nous serons delivres au matin pour notre dejeuner. — Ne nous bergons pas d'illusions: le temps presse. 20 Je ne compte pas sur la gendarmerie: nos vainqueurs en parlent trop legerement pour la craindre. J'ai toujours entendu dire que, dans ce pays, chasseur et gibier, gen- darme et brigand, faisaient bon menage ensemble. Je suppose, h la rigueur, qu'on envoie quelques hommes a 25 notre secours: Hadgi-Stavros les verra venir et il nous entrainera, par des chemins ecartes, dans un autre re- paire. II sait le pays sur le bout du doigt; tous les rochers sont ses complices, tous les buissons ses allies, tous les ravins ses receleurs. Le Parnes est avec lui 30 contre nous; il est le Roi des montagnes! HADGI-STAVROS. 97 — Bravo, monsieur! Hadgi-Stavros est Dieu, et vous ^tes son prophete. II serait touche d'entendre avec quelle admiration vous parlez de lui. J'avais deja devine que vous etiez de ses amis, a voir comme il vous 5 frappait sur I'epaule et comme il vous parlait en con- fidence. N'est-ce pas lui qui vous a suggere le plan d'evasion que vous venez nous proposer? — Oui, ma dame, c'est lui; ou plutot c'est sa cor- respondance. J'ai trouve ce matin, pendant qu'il dictait lo son courrier, le moyen infaillible de nous delivrer gratis. Veuillez ecrire a monsieur votre frere de rassembler una somme de cent quinze mille francs, cent pour votre ranfon, quinze pour la mienne, et de les envoyer ici le plus tot possible par un homme sur,, par Dimitri. 15 — Par votre ami Dimitri, a votre ami le Roi des montagnes? Grand merci, mon cher monsieur! C'est a ce prix que nous serons delivres pour rien! — Oui, madame. Dimitri n'est pas mon ami, et Hadgi-Stavros ne se ferait pas scrupule de me couper 20 la tete. Mais je continue: en echange de I'argent, vous exigerez que le Roi vous signe un refu. — Le bon billet que nous aurons la! _ — Avec ce billet, vous reprendrez vos cent quinze mille francs, sans perdre un centime, et vous allez voir 25 comment. — Bonsoir, monsieur. Ne prenez pas la peine d'en dire davantage. Depuis que nous avons debarque dans ce bienheureux pays, nous avons ete voices par tout le monde. Les douaniers du Piree nous ont voices; le 30 cocher qui nous a conduites a Athenes nous a voices; nctre aubergiste nous a volees; notre domestique de qS LE ROi DES MONTAGNES; place, qui n'est pas votre ami, nous a jetees entre les mains des voleurs; nous avons rencontre un moine respectable qui partageait nos depouilles avec les vo- leurs; tous ces messieurs qui boivent la-haut sont des voleurs; ceux qui dorment a notre porte pour nous pro- 5 teger sont des voleurs; vous etes le seul honnete homme que nous ayons rencontre en Grece, et vos conseils sont les meilleurs du monde; mais bonsoir, monsieur! bon- soir! — Au nom du ciel, madame! . . . Je ne me justifie 10 pas; pensez de moi ce que vous voudrez. Laissez-moi seulement vous dire comment vous reprendrez votre argent. — Et comment voulez-vous que je le reprenne, si toute la gendarmerie du royaume ne peut pas nous 15 reprendre nous-memes? Hadgi-Stavros n'est done plus le Roi des montagnes? II ne sait plus de chemins dcartes? Les ravins, les buissons, les rochers ne sont plus ses receleurs et ses complices? Bonsoir, monsieur; je rendrai temoignage de votre zele; je dirai aux brigands 20 que vous avez fait leur commission; mais, une fois pour toutes, bonsoir!" La bonne dame me poussa par les epaules en criant bonsoir sur un ton si aigu, que je tremblai qu'elle n'eveil- lat nos gardiens, et je m'enfuis piteusement sous ma 25 tente. Quelle journee, monsieur! J'entrepris de reca- pituler tous les incidents qui avaient grele sur ma tete depuis I'heure ou j'etais parti d'Athenes a la poursuite de la horyana variabilis. La rencontre des Anglaises, les beaux yeux de Mary- Ann, les fusils des brigands, les 30 chiens, Hadgi-Stavros, quinze mille francs a payer, ma HADGI-STAVROS. 99 vie a ce prix, I'orgie de I'Ascension, les balles sifflant a mes oreilles, la face avinee de Vasile, et, pour couronner la fete, les injustices de M""*^ Simons! II ne me man- quait plus, apres tant d'epreuves, que d'etre pris moi- S meme pour un voleur! Le sommeil, qui console de tout, ne vint pas a mon secours. J 'avals ete surmene par les evenements, et la force me manquait pour dormir. Le jour se leva sur mes meditations douloureuses. Je suivis d'un a'il eteint le soleil qui montait sur I'horizon. lo Des bruits confus succederent peu a peu au silence de la nuit. Je ne me sentais pas le courage de regarder I'heure a ma montre ou de retourner la tete pour voir ce qui se passait autour de moi. Tous mes sens etaient hebetes par la fatigue et le decouragement. Je crois 15 que si Ton m'avait fait rouler au bas de la montagne, je n'aurais pas etendu les mains pour me retenir. Dans cet aneantissement de mes facultes, j'eus une vision qui tenait a la fois du reve et de I'hallucination, car je n'etais ni eveille ni endormi, et mes yeux etaient aussi mal 20 fermes que mal ou verts. II me sembla qu'on m'avait enterre vif; que ma tente de feutre noir etait un cata- falque orne de fleurs et qu'on chantait sur ma tete les prieres des morts. La peur me prit; je voulus crier; la parole s'arreta dans ma gorge ou fut couverte par la 25 voix des chantres. J'entendais assez distinctement les versets et les repons pour reconnaitre que mes funerailles se celebraient en grec. Je fis un effort violent pour remuer mon bras droit: il etait de plomb. J'etendis le bras gauche: il ceda facilement, heurta contre la tente 30 et fit tomber quelque chose qui ressemblait a un bou- quet. Je me frotte les yeux, je me leve sur mon seant^ lOO LE ROI DES MONTAGNES. j'examine ces fleurs tombees du ciel, et je reconnais dans la masse un superbe echantillon de la boryana variabilis. C'etait bien elle! je tenais dans ma main la reine des malvacees! Mais par quel hasard se trouvait-elle au fond de ma tombe? et comment I'envoyer de si loin au s Jardin des Plantes de Hambourg? En ce moment, une vive douleur attira mon attention vers mon bras droit. On cut dit qu'il etait en proie a une fourmilicre de petits animaux invisibles. Je le secouai de la main gauche, et peu a peu il revint a I'etat normal. II avait porte ma lo tcte pendant plusieurs heures, et la pression I'avait en- gourdi. Je vivais done, puisque la douleur est un des privileges de la vie! Mais, alors, que signifiait cette chanson funebre qui bourdonnait obstinement a mes oreilles? Je me levai. Notre appartement etait dans 13 le meme etat que la veille au soir. M"^*^ Simons et Mary-Ann dormaient profondement. Un gros bouquet pareil au mien pendait au sommet de leur tente. Je me rappelai enfin que les Grecs avaient coutume de fleurir toutes leurs haljitations dans la nuit du i'^'' mai. Ces 20 bouquets et la boryana variabilis provenaient done de la munificence du Roi. La chanson funebre me pour- suivait toujours. Je gravis I'escalier qui conduisait au cabinet d'Hadgi-Stavros, et j'aperfus un spectacle plus curieux que tout ce qui m'avait etonne la veille. Un 25 autel ^tait dresse sous le sapin royal. Le moine, revetu d'ornements magnifiques, celebrait avec une dignite im- posante I'office divin. Nos buveurs de la nuit, les uns debout, les autres agenouilles dans la poussiere, tons religieusement dccouverts, s'etaient metamorphoses en .^o petits saints: I'un baisait devotement une image peinte HADGI-STAVROS. lOI sur bois, I'autre se signait a tour de bras et comme a la tache; les plus fervents donnaient du front contre terre et balayaient le sol avec leurs cheveux. Le jeune chi- boudgi du Roi circulait dans les rangs avec un plateau 5 en disant: «Faites I'aumone! qui donne a I'figlise prete a Dieu. » Et les centimes pleuvaient devant lui, et le gresillement du cuivre tombant sur le cuivre accom- pagnait la voix du pretre et les prieres des assistants. Lorsque j'entrai dans I'assemblee des fideles, chacun lo d'eux me salua avec une cordialite discrete qui rappelait les premiers temps de I'Eglise. Hadgi-Stavros, debout aupres de I'autel, me fit une place a ses cotes. II tenait un grand livre a la main, et jugez de ma surprise lorsque je vis qu'il psalmodiait les lefons a haute voix. Le 15 brigand officiait! II avait reju dans sa jeunesse le deuxieme des ordres mineurs; il etait lecteur ou anagnoste. Un degre de plus, il aurait ete exorciste et investi du pouvoir de chasser les demons! Assurement, monsieur, je ne suis pas de ces voyageurs qui s'etonnent de tout, et 20 je pratique assez energiquement le nil admirari; mais je restai tout ebahi et tout pantois devant cette etrange ceremonie. En voyant les genuflexions, en ecoutant les prieres, on aurait pu supposer que les acteurs n'etaient coupables que d'un peu d'idolatrie. Leur foi paraissait 25 vive et leur conviction profonde, mais vaoi qui les avais vus a I'oeuvre et qui savais comme ils dtaient peu Chre- tiens en action, je ne pouvais m'empecher de dire en moi-meme: <'Qui trompe-t-on ici?» L'oflice dura jusqu'a midi et quelques minutes. Une 30 heure apres, I'autel avait disparu, les brigands s'dtaient remis a boire, et le hon vieillard leur tenait tete. I02 LE ROI DES MONTAGNES. Hadgi-Stavros me prit a part et me demanda si j'avais dcrit. Je lui promis de m'y mettre a I'instant meme, et il me fit donner des roseaux, de I'encre et du papier. J'ecrivis a John Harris, a Christodule et a mon pere. Je suppliai Christodule d'interceder pour moi aupres 5 de son vieux camarade, et de lui dire combien j'etais incapable de trouver quinze mille francs. Je me re- commandai au courage et a I'imagination de Harris, qui n'etait pas homme a laisser un ami dans I'embarras. "Si quelqu'un peut me sauver, lui dis-je, c'est vous. Je 10 ne sais comment vous vous y prendrez, mais j'espere en vous de toute mon ame: vous etes un si grand fou! Je ne compte pas que vous trouverez quinze mille francs pour me racheter: il faudrait les emprunter a M. Meri- nay, qui ne prete pas. D'ailleurs, vous etes trop Ame- 15 ricain pour consentir a un pareil marche. Agissez comme il vous plaira; mettez le feu au royaume; j'ap- prouve tout a I'avance: mais ne perdez pas de temps. Je sens que ma tete est faible, et que la raison pourrait demenager avant la fin du mois. * 20 Quant a mon malheureux pere, je n'eus garde de lui dire a quelle enseigne j'etais loge. A quoi bon lui mettre la mort dans I'ame en lui montrant des dangers auxquels il ne pouvait me soustraire? Je lui ecrivis, comme le premier de chaque mois, que je me portais 25 bien et que je souhaitais que ma lettre trouvat la famille en bonne sante. J'ajoutai que je voyageais dans la montagne, que j'avais decouvert la boryana variabilis et une jeune Anglaise plus belle et plus riche que la prin- cesse Ypsoff, de romanesque memoire. Je n'^tais pas 30 jjncore parvenu 5, lui inspirer de I'amour, faute de cir- HADGi-StAVROS. I03 Constances favofables; mais je trouverais peut-etre sous peu I'occasion de lui rendre quelque grand service ou de me montrer devant elle dans I'habit irresistible de mon oncle Rosenthaler. «Cependant, ajoutai-je avec 5 un sentiment de tristesse invincible, qui sait si je ne mourrai pas garfon? Alors, ce serait a Frantz ou a Jean-Nicolas de faire la fortune de la famille. Ma sante est plus florissante que jamais, et mes forces ne sont pas encore entamees; mais la Grece est un traitre 10 de pays qui a bon marche de I'homme le plus vigoureux. Si j'etais condamne a ne jamais revoir I'Allemagne et a finir ici, par quelque coup imprevu, au terme de mon voyage et de mes travaux, croyez bien, cher et excellent pere, que mon dernier regret serait de m'eteindre loin t5 de ma famille, et que ma derni^re pens^e s'envolerait vers vous. * Hadgi-Stavros survint au moment oii j'essuyais une larme, et je crois que cette marque de faiblesse me fit tort dans son estime. 20 «Allons, jeune homme, me dit-il, du courage! II n'est pas encore temps de pleurer sur vous-meme. Que diable! on dirait que vous suivez votre enterrement! La dame anglaise vient d'ecrire une lettre de huit pages, et elle n'a pas laisse choir une larme dans I'encrier. 25 AUez un peu lui tenir compagnie: elle a besoin de dis- traction. Ah! si vous etiez un homme de ma trempe! Je vous jure qu'a votre age et a votre place, je ne serais pas reste longtemps prisonnier. Ma ranfon eut ete payee avant deux jours, et je sais bien qui en aurait 30 fait les fonds. Vous n'etes point marie ? — Non. 104 I-E ROI DES MONTAGNES. — He bien ? vous ne comprenez pas ? Retournez S, votre appartement, et soyez aimable! Je vous ai fourni une belle occasion de faire fortune. Si vous n'en profitez pas, vous serez un maladroit, et si vous ne me niettez point au rang de vos bienfaiteurs, vous serez un ingrat!» 5 Je trouvai Mary-Ann et sa mere assises aupres de la source. En attendant la femme de chambre qu'on leur avait promise, elles travaillaient elles-memes a raccourcir leurs amazones. Les brigands leur avaient fourni du fil, ou plutot de la ficelle, et des aiguilles propres a 10 coudre la toile a voiles. De temps en temps elles inter- rompaient leur besogne pour jeter un regard melancolique , sur les maisons d'Athenes. II etait dur de voir la ville si pres de soi et de ne pouvoir s'y transporter cju'au prix de cent mille francs! Je leur demandai comment 15 elles avaient dormi. La secheresse de leur reponse me prouva qu'elles se seraient bien passees de ma conver- sation. C'est a ce moment que je remarquai pour la premiere fois les cheveux de Mary- Ann: elle etait nu- tete, et apres avoir fait une ample toilette dans le ruisseau, 20 elle laissait secher sa chevelure au soleil. Je n'aurais jamais cru qu'une seule femme put avoir une telle pro- fusion de boucles soyeuses. Ses longs cheveux chatains tombaient le long des joues et derriere les epaules. La lumiere, en glissant a travers cette foret vivante, la 25 colorait d'un eclat doux et veloute; sa figure ainsi en- cadree ressemblait trait pour trait a une rose mousseuse. Je vous ai dit, monsieur, que je n'avais jamais aime personne, et, certes, je n'aurais pas commence par une fille qui me prenait pour un voleur. Mais je puis 3c avouer, sans me contredire, que j'eusse voulu, au prix HADGI-STAVROS. I05 de ma vie, sauver ces beaux cheveux des griffes d'Hadgi- Stavros. Je conjus, seance tenante, un plan d'evasion hardie, mais non pas impossible. Notre appartement avait deux issues: il donnait sur le cabinet du roi et sur 5 un precipice. Fuir par le cabinet d'Hadgi-Stavros etait absurde: il eut fallu ensuite traverser le camp des voleurs et la deuxieme ligne de defense, gardee par les chiens. Restait le precipice. En me penchant sur I'abime, je reconnus que le rocher, presque perpendiculaire, offrait 10 assez d'anfractuosites, de toufifes d'herbe, de petits ar- bustes et d'accidents de toute espece pour qu'on put descendre sans se briser. Ce qui rendait la fuite dan- gereuse de ce cote, c'etait la cascade. Le ruisseau qui sortait de notre chambre formait sur le flanc de la (5 montagne une nappe horriblement glissante. D'ailleurs il etait malaise de garder son sang-froid et de descendre en equilibre avec une pareille douche sur la tete. Mais n'y avait-il aucun moyen de detourner le torrent ? Peut-etre. En examinant de plus pres I'appartement »o ou Ton nous avait loges, je reconnus a n'en pas douter que les eaux y avaient sejourne avant nous. Notre chambre n'etait qu'un etang desseche. Je soulevai un coin du tapis qui croissait sous nos pieds, et je decouvris un sediment epais, depose par I'eau de la fontaine. Un r5 jour, soit que les tremblements de terre, si frequents dans ces montagnes, eussent rompu la digue en un endroit, soit qu'une veine de rocher plus moUe que les autres eut donne passage au courant, toute la masse liquide s'etait jetee hors de son lit. Un canal de dix i<- pieds de long sur trois de large la conduisait jusqu'au revers de la montagne. Pour fcrmer cette ecluse, ouverte Io6 LE ROI DES MONTAGNES. depuis des annees, et emprisonner les eaux dans leur premier reservoir, il ne fallait pas deux heures de travail. Une heure au plus suffisait pour donner aux rochers humides le temps de s'egoutter: la brise de la nuit aurait bientot seche la route. Notre fuite, ainsi pre- 5 paree, n'eut pas demande plus de vingt-cinq minutes. Une fois parvenus au pied de la montagne, nous avions Athenes devant nous, les etoiles nous servaient de guides; les chemins etaient detestables, mais nous ne courions pas risque d'y rencontrer un brigand. Lorsque le Roi 10 viendrait au matin nous faire sa visite pour savoir comment nous avions passe la nuit, il verrait que nous I'avions passee a courir; et, comme on s'instruit a tout age, il apprendrait a ses depens qu'il ne faut compter que sur soi-meme, et qu'une cascade s'entend mal a 15 garder les prisonniers. Ce projet me parut si merveilleux, que j'en fis part sur I'heure a celle qui me I'avait inspire. Mary-Ann et M""*^ Simons m'ecouterent d'abord comme les conspi- rateurs prudents ecoutent un agent provocateur. Cc- 20 pendant la jeune Anglaise mesura sans trembler la profondcur du ravin: «0n pourrait descendre, dit-elle. Non pas seule, mais avec I'aide d'un bras solide. Etes- vous fort, monsieur?" Je repondis, sans savoir pourquoi: «Je le serais si 25 vous aviez confiance en moi. " Ces paroles, au.xquelles je n'attachais aucun sens particulier, renfermaient sans doute quelque sottise, car elle rougit en detournant la tete. "Monsieur, reprit-elle, il se peut que nous vous ayons mal juge: le malheur aigrit. Je croirais volontiers 30 que vous etes un brave jeune horn me. * HADGI-STAVROS. I07 EUe aurait pu trouver quelque chose de plus aimable a dire; mais elle me glissa ce demi-compliment avec une voix si douce et un regard si penetrant, que j'en fus emu jusqu'au fond de I'ame. Tant 11 est vrai, monsieur, que 5 I'air fait passer la chanson! Elle me tendit sa main charmante, et j'allongeais deja mes cinq doigts pour la prendre; mais elle se ravisa tout a coup et dit en se frappant le front « Ou trouverez-vous des materiaux pour une digue ? 10 — Sous nos pieds : le gazon ! — L'eau finira par I'emporter. — Pas avant deux heures. Apres nous, le deluge. — Bien! dit-elle. » Cette fois, elle me livra sa main, et je I'approchai de mes ievres. Mais cette main capri- 15 cieuse se retira brusquement. «Nous sommes gardes nuit et jour: y avez-vous pense?" Je n'y avais pas songe un instant, mais j'dtais trop avance pour reculer devant les obstacles. Je repondis, avec une resolution qui m'etonna moi-meme: «Le Cor- 20 fiote? je m'en charge. Je I'attacherai au pied d'un arbre. — II criera. — Je le tuerai. — Et des armes. ?5 — J'en volerai. » Voler, tuer, tout cela me semblait naturel, depuis que j'avais failli lui baiser la main. Jugez, monsieur, de quoi je serais capable si jamais je tombais amoureux! M"^ Simons me pretait ses oreilles avec une certaine 30 bienveillance, et je crus remarquer qu'elle m'approuvait du regard et d>' geste. «Cher monsieur, me dit-elle, Io8 LE ROI DES MONTAGNES. votre deuxieme id^e vaut mieux que la premiere; oui, infiniment mieux. Je n'aurais jamais pu condescendre a payer una ranfon, meme avec la certitude de la re- couvrer ensuite. Redites-moi done, s'il vous plait, ce que vous comptez faire pour nous sauver. 5 — Je reponds de tout, madame. Je me procure un poignard aujourd'hui meme. Cette nuit, nos brigands se coucheront de bonne heure, et ils auront le somrneil dur. Je me leve a dix heures, je garrotte notre gardien, je le baillonne, et, au besoin, je le tue. Ce n'est pas un iq assassinat, c'est une execution: il a merite vingt morts pour une. A dix heures et demie, j'arrache cinquante pieds Carres de gazon, vous le portez au bord du ruis- seau, je construis la digue: total, une heure et demie. II sera minuit. Nous travaillerons a consolider I'ouvrage, 15 tandis que le vent essuiera notre chemin. Une heure Sonne; je prends mademoiselle sur mon bras gauche; nous glissons ensemble jusqu'a cette crevasse, nous nous retenons a ces deux touffes d'herbes, nous gagnons ce figuier sauvage, nous nous reposons contre ce chene 20 vert, nous rampons le long de cette saillie jusqu'au groupe de rochers rouges, nous sautons dans le ravin, et nous sommes libres! — Bien! Et moi?" Ce moi tomba sur mon enthousiasme comme un seau 25 d'eau glac^e. On ne s'avise pas de tout, et j'avais oublie le sauvetage de M'"'^ Simons. De retourner la prendre, il n'y fallait pas songer. L'ascension (^tait impossible sans echelles. La bonne dame s'apergut de ma confusion. Elle me dit, avec plus de pitie que de 30 depit: ' Vasile me salua avec sa politesse ordinaire. s° "Ahl miserable! pensai-je en moi-meme, c'est toi qui L'^VAStON. 155 jettes les petits enfants dans le feu! Eh bien! j'aime mieux avoir affaire a toi qu'a un autre." Je ne vous raconterai pas les trois jours que je passai dans ma chambre en compagnie de Vasile. Le drole 5 m'a procure la une dose d'ennui que je ne veux partager avec personne. II ne me voulait aucun mal; il avait meme une certaine sympathie pour moi. Je crois que s'il m'eut fait prisonnier pour son propre compte, il m'aurait relache sans ranfon. Ma figure lui avait plu 10 des le premier coup d'oeil. Je lui rappelais un frere cadet qu'il avait perdu en cour d'assises. Mais ses demonstrations d'amitie m'importunaient cent fois plus que les plus mauvais traitements. II n'attendait pas le lever du soleil pour me donner le bonjour; a la tombee 15 de la nuit il ne manquait jamais de me souhaiter des prosperites dont la liste etait longue. II me secouait, au plus profond de mon repos, pour s'informer si j'etais bien convert. A table, il me servait comme un bon domestique; au dessert, il me contait des histoires ou 20 me priait de lui en apprendre. Et toujours la griffe en avant pour me serrer la main! J'opposais a son bon vouloir une resistance acharnee. Outre qu'il me sem- blait inutile de coucher un rotisseur d'enfants sur la liste de mes amis, je n'etais nuUement curieux de presser 2^; la main d'un homme dont j'avais decide la mort. Ma conscience me permettait bien de le tuer: n'etais-je pas dans le cas de legitime defense? mais je me serais fait scrupule de le tuer par trahison, et je devais au moins le mettre sur ses gardes par m n attitude hostile et mena- 30 fante. Tout en repoussant ses avances, en dedaignant ses politesses, en rebutan' ses attentions, je guettais 156 LE ROI DES MONTAGNES. soigneusement I'occasion de m'echapper; mals son amitie, plus vigilante que la haine, ne me perdait pas de vue un seul instant. Lorsque je me penchais sur la cascade pour graver dans ma mdmoire les accidents du terrain, Vasile m'arrachait a ma contemplation avec une sollici- 5 tude maternelle: "Prends garde! disait-il en me tirant par les pieds: si tu tombais, par malheur, je me le re- procherais toute ma vie. » Lorsque, la nuit, j'essayais de me lever a la derobee, il sautait hors de son lit en demandant si j'avais besoin de quelque chose. Jamais la on n'avait vu un coquin plus dveille. II tournait autour de moi comme un dcureuil en cage. Ce qui me ddsesperait par-dessus tout, c'^tait sa con- fiance en moi. Je temoignai un jour le desir d'examiner ses armes. II me mit son poignard dans la main. 15 C'^tait un poignard russe, en acier damasquine, de la fabrique de Toula. Je tirai la lame du fourreau, j'es- sayai la pointe sur mon doigt, je la dirigeai sur sa poi- trine en choisissant la place, entre la quatri^me et la cinquieme cote. II me dit en souriant: «N'appuie pas, 2c tu me tuerais. » Certes, monsieur, en appuyant un peu, je lui aurais fait justice, mais quelque chose me retint le bras. II est regrettable que les honnetes gens aient tant de peine a tuer les assassins, qui en ont si peu a tuer les honnetes gens. Je remis le poignard au four- 25 reau. Vasile me tendit son pistolet, mais je refusai de le prendre, et je lui dis que ma curiosite etait satisfaite. II arma le chien, me fit voir I'amorce, appuya le canon sur sa tete, et me dit: «VoiIa! tu n'aurais plus de gar- dien.» 3° Plus de gardien! Eh! parbleu! c'est ce que je voulais. L'^VASION, 157 Mais I'occaslon dtait trop belle, et le traitre me paralysait. Si je I'avais tue dans un pareil moment, je n'aurais pas pu soutenir son dernier regard. Mieux valait faire men coup pendant la nuit. Par malheur, au lieu de cacher 5 ses armes, il les deposait ostensiblement entre son lit et le mien. Je finis par trouver un moyen de fuir sans I'dveiller et sans I'egorger. Cette idee me vint le dimanche 11 mai, a six heures. J'avais remarque, le jour de I'Ascension, io que Vasile aimait a boire et qu'il portait mal le vin. Je I'invitai a diner avec moi. Ce temoignage d'amitie lui monta la tete: le vin d'Egine fit le reste. Hadgi-Stavros, qui ne m'avait pas honore d'une visite depuis que je n'avais plus son estime, se conduisait encore en hote 15 genereux. Ma table etait mieux servie que la sienne. J'aurais pu boire une outre de vin et un tonneau de rhaki. Vasile, admis a prendre sa part de ces magnifi- cences, commenya le repas avec une humilite touchante. II se tenait a trois pieds de la table, comme un paysan 20 invite chez son seigneur. Peu a peu, le vin rapprocha les distances. A huit heures du soir, mon gardien m'ex- pliquait son caractere. A neuf heures, il me racontait, en balbutiant, les aventures de sa jeunesse, et une serie d'exploits qui auraient fait dresser les cheveux d'un juge ^5 d'instruction. A dix heures, il tomba dans la philan- thropie: ce coeur d'acier trempe fondait dans le rhaki, comme la perle de Cleop3.tre dans le vinaigre. II me jura qu'il s'etait fait brigand par amour de I'humanite; qu'il voulait faire sa fortune en dix ans, fonder un 30 hopital avec ses economies, et se retirer ensuite dans un couvent du mont Athos. II promit de ne pas m'oublier 158 LE ROI DES MONTAGNES. dans ses prieres. Je profitai de ces bonnes dispositions pour lui ingerer une enorme tasse de rhaki. J'aurais pu lui offrir de la poix enflammee: il etait trop mon ami pour rien refuser de moi. Bientot il perdit la voix; sa tete pencha de droite a gauche et de gauche a droite 5 avec la regularite d'un balancier; il me tendit la main, rencontra un restant de roti, le serra cordialement, se laissa tomber a la renverse, et s'endormit du sommeil des sphinx d'Egypte, que le canon fran^ais n'a pas eveilles. 10 Je n'avais pas un instant a perdre: les minutes etaient d'or. Je pris son pistolet, que je lanfai dans le ravin, Je saisis son poignard, et j'allais I'expedier dans la meme direction, lorsque je reflechis qu'il pouvait me servir a tailler des mottes de gazon. Ma grosse montre mar- 15 quait onze heures. J'eteignis les deux foyers de bois resineux qui eclairaient notre table: la lumiere pouvait attirer I'attention du Roi. II faisait beau. Pas plus de lune que sur la main, mais des etoiles en profusion: c'etait bien la nuit qu'il me fallait. Le gazon, decoupe 20 par longues bandes, s'enlevait comme une piece de drap. Mes materiaux furent prets au bout d'une heure. Comme je les portais a la source, je donnai du pied contre Vasile. II se souleva pesamment et me demanda, par habitude, si j'avais besoin de quelque chose. Je 25 laissai choir mon fardeau, je m'assis aupres de I'ivrogne, et je le priai de boire encore un coup a ma sante. « Oui, dit-il; j'ai soif. » Je lui remplis pour la derniere fois la coupe de cuivre. II en but la moitie, repandit le reste sur son menton et sur son cou, essaya de se lever, retomba 30 sur la face, etendit les bras en avanl et ne l)ougea plus. l'evasion. 159 Je courus a ma digue, et, tout novice que j'etais, le ruisseau fut solidement barre en quarante-cinq minutes: il etait una heure moins un quart. Au bruit de la cascade succeda un silence profond. La peur me prit. 5 Je reflechis que le Roi devait avoir le sommeil leger, comme tous les vieillards, et que ce silence inusite I'eveillerait probablement. Dans le tumulte d'idees qui me remplissait I'esprit, je me souvins d'une scene du Barbier de Seville, ou Bartholo s'eveille des qu'il cesse 10 d'entendre le piano. Je me glissai le long des arbres jusqu'a I'escalier, et je parcourus des yeux le cabinet d'Hadgi-Stavros. Le Roi reposait paisiblement aux cotes de son chiboudgi. Je me glissai jusqu'a vingt pas de son sapin, je tendis I'oreille: tout dormait. Je 15 ravins a ma digue a travers une flaque d'eau glacee qui montait deja jusqu'a mes chevilles. Je me penchai sur I'abime. Le flanc da la montagne miroitait imparceptiblement. On apercavait d'espace en aspaca quelquas cavites on 20 I'eau avait sejourne. J 'en pris bonne note: c'etait autant de places on je pouvais mettre le pied. Je retournai a ma tente, je pris ma boite qui etait suspendue au-dassus de mon lit, et je I'attachai sur mas epaules. En passant par I'endroit ou nous avions dine, je ramassai le quart 25 d'un pain et un morceau da vianda qua I'eau n 'avait pas encore mouilles. Je serrai ces provisions dans ma boite pour mon dejeuner du landemain. La digue tenait bon, la brise devait avoir seche ma route; il etait tout pres da deux heuras. J'aurais voulu, an cas de 30 mauvaise rencontre, emportar le poignard de Vasile. Mais il etait sous I'eau, at je na pardis pas mon temps l6o LE ROI DES MONTAGNES. a le chercher. J'otai mes souliers, je les Hai ensemble par les cordons et je les pendis aux courroies de ma boite. Enfin, apres avoir songe a tout, jete un dernier coup d'oeil a mes travaux de terrassement, evocjue les souvenirs de la maison paternelle et envoye un baiser 5 dans la direction d'Athenes et de Mary-Ann, j'allongeai une jambe par-dessus le parapet, je pris k deux mains un arbuste qui pendait sur I'abime, et je me mis en voyage a la garde de Dieu. C'etait une rude besogne, plus rude que je ne I'avais 10 suppose de la-haut. La roche mal essuyee me procurait une sensation de froid humide, comme le contact d'un serpent. J'avais mal juge des distances, et les points d'appui etaient beaucoup plus rares que je n'esperais. Deux fois je fis fausse route en inclinant sur la gauche. 15 II fallut revenir, a travers des difl&cultes incroyables. L'esperance m'abandonna souvent, mais non la volonte. Le pied me manqua: je pris une ombre pour une saillie, et je tombai de quinze ou vingt pieds de haut, collant mes mains et tout mon corps au flanc de la montagne, 20 sans trouver oil me retenir. Une racine de figuier me rattrapa par la manche de mon paletot: vous en voyez ici les marques. Un peu plus loin, un oiseau, blotti dans un trou, s'echappa si brusquement entre mes jambes, que la peur me fit presque tomber a la renverse. 25 Je marchais des pieds et des mains, surtout des mains. J'avais les bras rompus, et j'entendais trembler tous les tendons comme les cordes d'une harpe. Mes ongles Etaient si cruellement endoloris que je ne les sentais plus. Peut-etre aurais-je eu plus de force si j'avais pu 30 mesurer le chemin qui me restait a faire; mais quand l'evasion. i6i j'essayais de retourner la tete en arriere, le vertige me prenait et je me sentais aller a I'abandon. Pour soutenir mon courage, je m'exhortais moi-meme; je me parlais tout haut entre mes dents serrees.. Je me disais: «En- 5 core un pas pour mon pere! encore un pas pour Mary- Ann! encore un pas pour la confusion des brigands et la rage d'Hadgi-StavrosP' Enfin mes pieds poserent sur une plate-forme plus large. II me sembla que le sol avait change de couleur. lo Je pliai les jarrets, je m'assis, je retournai timidement la tete. Je n'etais plus qu'a dix pieds du ruisseau: j'avais gagne les rochers rouges. Une surface plane, percee de petits trous oii I'eau sejournait encore, me permit de prendre haleine et de me reposer un peu. Je 15 tirai ma montre: il n'etait que deux heures et demie. J'aurais cru, quant a moi, que mon voyage avait dure trois nuits. Je me tatai bras et jambes, pour voir si j'^tais au complet; dans ces sortes d'exp^ditions, on sait ce qui part, on ne sait pas ce qui arrive. J'avais eu du 20 bonheur, j'en etais quitte pour quelques contusions et deux ou trois ecorchures. Le plus malade etait mon paletot. Je levai les yeux en Pair, non pas encore pour remercier le ciel, mais pour m'assurer que rien ne bou- geait dans mon ancien domicile. Je n'entendis que 25 quelques gouttes d'eau qui fiitraient a travers ma digue. Tout allait bien; mes derrieres etaient assures; je savais ou trouver Athenes: adieu done au Roi des montagnes! J'allais sauter au fond du ravin, quand une forme blanchatre se dressa devant moi, et j'entendis le plus 30 furieux aboiement qui ait jamais eveille les echos a pareille heure. Helas! monsieur, j'avais compte sans l62 LE ROI DES MONTAGNES. les chiens de mon hote. Ces ennemis de I'homme rodaient a toute heure autour du camp, et Pun d'eux m'avait flaire. Ce que j'eprouvai de fureur et de haine a sa rencontre est impossible a dire; on ne deteste pas a ce point un etre deraisonnable. J'aurais mieux aimd 5 me trouver face a face avec un loup, avec un tigre ou un ours blanc, nobles betes, qui m'auraient mange sans rien dire, mais qui ne m'auraient pas denonce. Les animaux feroces vont a la chasse pour eux-memes; mais que penser de cet horrible chien qui m'allait devorer 10 bruyamment pour faire sa cour au vieil Hadgi-Stavros ? Je le criblai d'injures; je fis pleuvoir sur lui les noms les plus odieux; mais j'avais beau faire, il parlait plus haut que moi. Je changeai de note, j'essayai I'effet des bonnes paroles, je I'interpellai doucement en grec, dans 15 la langue de ses peres; il ne savait qu'une reponse a tous mes propos, et sa reponse ebranlait la montagne. Je fis silence, c'etait une idee; il se tut. Je me couchai parmi les fiaques d'eau; il s'etendit au pied du rocher en grognant entre ses dents. Je feignis de dormir; il 20 dormit. Je me laissai glisser insensiblement vers le ruisseau; il se leva d'un bond, et je n'eus que le temps de remonter sur mon piedestal. Mon chapeau resta entre les mains ou plutot entre les dents de I'ennemi. L'instant d'apres, ce n'etait plus rien qu'une pate, une 25 marmelade, une bouillie de chapeau! Pauvre chapeau! je le plaignais; je me mettais a sa place. Si j'avais pu sortir d'affaire moyennant quelques morsures, je n'y aurais pas regarde de trop pres, j'aurais fait la part du chien. Mais ces monstres-la ne se contentent pas de 30 mordre les gens, ils les mangent! l'^vasion. 163 Je m'avisai que sans doute il avait faim; que, si je trouvais de quoi le rassasier, il me mordrait probable- ment encore, mais il ne me mangerait plus. J'avais des provisions, j'en fis le sacrifice; mon seul regret etait de 5 n'en avoir pas cent fois plus. Je lui lanfai la moitie de mon pain; il I'engloutit comme un gouffre: figurez- vous un caillou qui tombe dans un puits. Je regardais piteusement le peu qui me restait a lui offrir, quand je reconnus au fond de la boite un paquet blanc qui me 10 donna des idees. C'etait une petite provision d'arsenic, destinee a mes preparations zoologiques. Je m'en ser- vais pour empailler des oiseaux, mais aucune loi ne me defendait d'en glisser quelques grammes dans I'enveloppe d'un chien. Mon interlocuteur, mis en appetit, ne de- 15 mandait qu'a poursuivre son repas: « Attends, lui dis-je, je vais te servir un plat de ma fafon! . . .* Le paquet contenait environ trente-cinq grammes d'une jolie poudre blanche et brillante. J'en versai cinq ou six dans un petit reservoir d'eau claire, et je remis le reste dans ma 20 poche. Je delayai soigneusement la part de I'animal: j'attendis que I'acide arsenieux fut bien dissous; je plon- geai dans la solution un morceau de pain qui but tout, comme une eponge. Le chien s'elanja de bon appetit et avala sa mort en une bouchee. 25 Mais pourquoi ne m'etais-je pas muni d'un peu de strychnine, ou de quelque autre bon poison plus fou- droyant que I'arsenic? II etait plus de trois heures, et Jes essais de mon invention se firent cruellement attendre. Vers la demie, le chien se mit a hurler de toutes ses 30 forces. Je n'y gagnais pas beaucoup: aboiements ou hurlements, cris de fureur, ou cris d'angoisse allaient l64 LE ROI DES MONTAGNES. toujours au meme but, c'est-a-dire aux oreilles d'Hadgi- Stavros. Bientot ranimal se tordit dans des convulsions horribles; il ecuma; il fut pris de nausees, il fit des efforts violents pour chasser le poison qui le devorait. C'etait un spectacle bien doux pour moi, et je goutais savou- 5 reusement le plaisir des dieux; mais la mort de I'ennemi pouvait seule me sauver, et la mort se faisait tirer I'oreille. J'esp^rais que, vaincu par la douleur, il finirait par me livrer passage; mais il s'acharnait contre moi, il me montrait sa gueule baveuse et sanguinolente, comme 10 pour me reprocher mes presents et me dire qu'il ne mourrait pas sans vengeance. Je lui lanfai mon mou- choir de poche: il le dechira aussi vigoureusement que mon chapeau. Le ciel commenyait a s'eclaircir, et je pressentais bien que j'avais commis un meurtre inutile. 15 Une heure encore, et les brigands seraient sur mes bras. Je levais la tete vers cette chambre maudite que j'avais quittee sans esprit de retour, et ou la puissance d'lm chien allait me faire rentrer. Une cataracte formidable me renversa la face contre terre. 20 Des mottes de gazon, des cailloux, des fragments de rocher roulerent autour de moi avec un torrent d'eau glaciale. La digue etait rompue, et le lac tout entier se vidait sur ma tete. Un tremblement me saisit: chaque flot en passant emportait quelques degres de ma chaleur 25 animale, et mon sang devenait aussi froid que le sang d'un poisson. Je jette les yeux sur le chien: il dtait toujours au pied de mon rocher, luttant contre la mort, contre le courant, contre tout, la gueule ouverte et les yeux braques sur moi. II fallait en finir. Je detachai 30 ma boite, je la pris par les deux sangles, et je frappai L'^VASION. 165 cette hideuse tete avec tant de fureur que Pennemi me laissa le champ de bataille. Le torrent le prit en flanc, le roula deux ou trois fois sur lui-meme, et le porta je ne sais ou. 5 Je saute dans I'eau: j'en avals jusqu'a mi-corps; je me cramponne aux rochers de la rive; je sors du courant, j'aborde sur la rive, je me secoue et je crie: Hourrah pour Mary- Ann! Quatre brigands sortent de terre et me prennent au 10 collet en disant: «Te voila done, assassin! Venez tous! nous le tenons! le Roi sera content! Vasile sera venge!" II parait que, sans le savoir, j 'avals noye mon ami Vasile. En ce temps-la, monsieur, je n'avais pas encore tue 15 d'hommes: Vasile etait mon premier. J'en ai abattu bien d'autrcs depuis, a mon corps defendant, et unique- ment pour sauver ma vie; mais Vasile est le seul qui m'ait laisse des remords, quoique sa fin soit le resultat d'une imprudence fort innocente. Vous savez ce que 20 c'est qu'un premier pas! Aucun assassin decouvert par la police et reconduit de brigade en brigade jusqu'au theatre de son cdme, ne baissa la tete plus humblement que moi. Je n'osais lever les yeux sur les braves gens qui m'avaient arrete; je ne me sentais pas la force de 25 soutenir leurs regards reprobateurs; je pressentais, en tremblant, une epreuve redoutable: j'etais sur de com- paraitre devant mon juge et d'etre mis en presence de ma victime. Comment affronter les sourcils du Roi des montagnes, aprbs ce que j'avais fait? Comment revoir, 30 sans mourir de honte, le corps inanime du malheureux Vasile ? l66 LE ROI DES MONTAGNES. Je traversal le camp desert, le cabinet du Roi, occupe par quelques blesses, et je descendis, ou plutot je tombai jusqu'au bas de I'escalier de ma chambre. Les eaux s'etaient retirees en laissant des taches de fajige a tous les murs et a tous les arbres. Une derniere flaqiie restait 5 encore a la place ou j'avais enleve le gazon. Les bri- gands, le Roi et le moine se tenaient debout, en cercle, autour d'un objet gris et limoneux, dont la vue fit dresser les cheveux sur ma tete: c'etait Vasile. Le ciel vous preserve, monsieur, de voir jamais un cadavre de votre 10 fajon! L'eau et la boue, en s'ecoulant, avaient depose un enduit hideux autour de lui. Avez-vous jamais vu une grosse mouche prise depuis trois ou quatre jours dans une toile d'araignee? L'artisan des filets, ne pou- vant se defaire d'un pareil bote, I'enveloppe d'un peloton 15 de fils grisatres, et le change en une masse informe et meconnaissable; tel etait Vasile quelques heures apres avoir soupe avec moi. Je le retrouvai a dix pas de I'endroit oii je lui avais dit adieu. Je ne sais si les brigands I'avaient change de place, ou s'il s'etait trans- 20 porte la lui-meme dans les convulsions de I'agonie; cependant j 'incline a croire que la mort lui avait ete douce. Plein de vin comme je I'ai laisse, il a du suc- comber sans debat a quelque bonne congestion cerebrale. Un grondement de mauvais augure salua mon arrivee. 25 Hadgi-Stavros, pale et le front crispe, marcha droit a moi, me saisit par le poignet gauche, et me tira si vio- lemment, qu'il faiUit me desarticuler le bras. II me jeta au milieu du cercle avec une telle vivacite, que je pensai mettre le pied sur le corps de ma victime: je me rejetai 30 vivem^nt en arriere, l'evasion. 167 «Regardez! me cria-t-il d'une voix tonnante; regardez ce que vous avez fait! jouissez de votre ouvrage! rassasiez vos yeux de votre crime. Malheureux! mais oil done vous arreterez-vous ? Qui m'aurait dit, le jour oii je 5 vous ai refu ici, que j'ouvrais ma porte a un assas- sin ?» Je balbutiai quelques excuses; j'essayai de demontrer au juge que je n'etais coupable que par imprudence. Je m'accusai sincerement d'avoir enivre mon gardien TO pour echapper a sa surveillance, et fuir sans obstacle de ma prison; mais je me defendis du crime d'assassinat. Etait-ce ma faute, a moi, si la crue des eaux I'avait noye une heure apres mon depart? La preuve que je ne lui voulais aucun mal, c'est que je ne I'avais pas frappe 15 d'un seul coup de poignard lorsqu'il etait ivre mort, et que j'avais ses armes entre les mains. On pouvait laver son corps et s'assurer qu'il etait sans blessure. «Au moins, reprit le Roi, avouez que votre impru- dence est bien egoiste et bien coupable! Quand votre 20 vie n'etait pas menacee, quand on ne vous retenait ici que pour une somme d'argent, vous vous etes enfui par avarice; vous n'avez songe qu'a faire I'economie de quelques ecus, et vous ne vous etes pas occupe de ce pauvre miserable que vous laissiez mourir derriere vous! 25 Vous ne vous etes pas soucie de moi, que vous alliez priver d'un auxiliaire indispensable! Et quel moment avez-vous choisi pour nous trahir? le jour ou tous les malheurs nous assaillent a la fois; ou je viens d'essuyer une defaite; oii j'ai perdu mes meilleurs soldats; oij 30 Sophoclis est blesse, ou le Corfiote est mourant, ou le jeune Spiro, sur qui je comptais, a perdu la vie, ou tous 1 68 LE ROI DES MONTAGNES. mes hommes sont las et decourages! C'est alors que vous avez eu le coeur de m'enlever mon Vasile! Vous n'avez done pas de sentiments humains? Ne valait-il pas cent fois mieux payer honnetement votre ranfon, comme il convient a un bon prisonnier, que de laisser 5 dire que vous avez sacrifie la vie d'un homme pour quinze mille francs! — Eh, morbleu! m'ecriai-je a mon tour, vous en avez tue bien d'autres, et pour moins. " II repliqua avec dignite: « C'est mon etat, monsieur: 10 ce n'est pas le votre. Je suis brigand, et vous etes docteur. Je suis Grec, et vous etes Allemand. " A cela, je n'avais rien a repondre. Je sentais bien, au tremblement de toutes les fibres de mon co-ur, que je n'etais ni ne ni eleve pour la profession de tueur 15 d'hommes. Le Roi, fort de mon silence, haussa la voix d'un ton, et poursuivit ainsi: «Savez-vous, malheureux jeune homme, quel etait I'etre excellent dont vous avez cause la mort? II des- cendait de ces hero'iques brigands de Souli, qui ont 20 soutenu de si rudes guerres pour la religion et la patrie contre Ali de Tebelen, pacha de Janina. Depuis quatre generations, tous ses ancetres ont ete pendus ou de- capites; pas un n'est mort dans son lit. II n'y a pas encore six ans que son propre frere a peri en Epire des 25 suites d'une condamnation a mort: il avait assassine un musulman. La devotion et le courage sont hereditaires dans cette famille. Jamais Vasile n'a manque a ses devoirs religieux. II donnait aux eglises, il donnait aux pauvres. Le jour de Paques, il allumait un cierge plus 3c gros que tous les autres. II se serait fait tuer plutot l'^vasion, 169 que de violer la loi du jeune, ou de manger gras un jour d'abstinence. II economisait pour se retirer dans un couvent du mont Athos. Le saviez-vous ? * Je confessai humblement que je le savais. 5 «Saviez-vous qu'il etait le plus resolu de tous mes compagnons ? Je ne veux rien oter au merite personnel de ceux qui m'ecoutent, mais Vasile etait d'un devoue- ment aveugle, d'une obeissance intrepide, d'un zele a I'epreuve de toutes les circonstances. Aucune besogne 10 n'etait trop rude au gre de son courage; aucune execu- tion ne repugnait a sa fidelite. II aurait egorge tout le royaume si je lui avais commande de le faire. II aurait arrache un ceil a son meilleur ami sur un signe de mon petit doigt. Et vous me I'avez tue! Pauvre Vasile! 15 quand j'aurai un village a bruler, un avare a mettre sur le gril, une femme a couper en morceaux, un enfant a ecorcher vif, c{ui est-ce qui te remplacera?" Tous les brigands, electrises par cette oraison funebre, s'ecrierent unanimement: «Nous! nous!» Les uns ten- 20 daient les bras vers le Roi, les autres degainaient leurs poignards; les plus zeles me coucherent en joue avec leurs pistolets. Hadgi-Stavros mit un frein a leur en- thousiasme: il me fit un rempart de son corps, et pour- suivit son discours en ces termes: 25 « Console-toi, Vasile, tu ne resteras pas sans ven- geance. Si je n'ecoutais que ma douleur, j'offrirais a tes manes la tete du meurtrier; mais elle vaut quinze mille francs, et cette pensee me retient. Toi-meme, si tu pouvais prendre la parole, comme autrefois dans nos 30 conseils, tu me prierais d'epargner ses jours; tu refuserais une vengeance si couteuse. Ce n'est pas dans les cir- lyo LE ROI DES MONTAGNES. Constances ou ta mort nous a kisses qu'il convient de faire des folies et de jeter I'argent par les fenetres. » II s'arreta un moment; je respirai. "Mais, reprit le Roi, je saurai concilier I'interet et la justice. Je chatierai le coupable sans risquer le capital. 5 Sa punition sera le plus bel ornement de tes funerailles; et, du haut de la demeure des Pallicares, ou ton ame s'est envolee, tu contempleras avec joie un supplice expiatoire qui ne nous coutera pas un sou. » Cette peroraison enleva I'auditoire. Tout le monde 10 en fut charme, excepte moi. Je me creusais la cervelle pour deviner ce que le Roi me reservait, et j'etais si peu rassure, que mes dents claquaient a se rompre. Certes, il fallait m'estimer heureux d'avoir la vie sauve, et la conservation de ma tete ne me semblait pas un mediocre 15 avantage; mais je connaissais I'imagination inventive des Hellenes de grand chemin. Hadgi-Stavros, sans me donner la mort, pouvait m'infliger tel chatiment cjui me ferait detester la vie. Le vieux scelerat refusa de m'ap- prendre a quel supplice il me destinait. II eut si peu 20 de pitie de mes angoisses, qu'il me forja d'assister aux funerailles de son lieutenant. Le corps fut depouille de ses habits, transporte aupres de la source et lave a grande eau. Les traits de Vasile etaient a peine alt^res; sa bouche entr'ouverte avait 25 encore le sourire penible de I'ivrogne; ses yeux ouverts conservaient un regard stupide. Les membres n'avaient rien perdu de leur souplesse; la rigidite cadaverique se fait longtemps attendre chez les individus qui meurent par accident. 30 Le cafedgi du Roi et son porte-chibouk procdderent a, L'^VASION. 171 la toilette du mort. Hadgi-Stavros en fit les frais, en sa qualite d'heritier. Durant toute I'operation, I'ur- chestre des brigands executait un air lugubre que vous avez du entendre plus d'une fois dans les rues d'Athenes. 5 Je me felicite de n'etre pas mort en Grece, car c'est une musique abominable, et je ne me consolerais jamais d'avoir ete enterre sur cet air-la. Quatre brigands se mirent a creuser une fosse au milieu de la chambre, sur I'emplacement de la tente de 10 M""^ Simons, a I'endroit oii Mary-Ann avait dormi. Deux autres coururent au magasin chercher des cierges, qu'ils distribuerent a I'assistance. J'en refus un comma tout le monde. Le moine entonna I'office des morts. Hadgi-Stavros psalmodiait les repons d'une voix ferme, 15 qui me remuait jusqu'au fond de I'ame. II faisait un peu de vent, et la cire de mon cierge tombait sur ma main en pluie brulante; mais c'etait, helas! bien peu de chose au prix de ce qui m'attendait. Je me serais abonne volontiers a cette douleur-la, si la ceremonie avait 20 pu ne jamais finir. Elle finit cependant. Quand la derniere oraison fut dite, le Roi s'approcha solennellement de la civiere ou le corps etait depose, et il le baisa sur la bouche. Les brigands, un a un, suivirent son exemple. Je fremissais 25 a I'idee que mon tour allait venir. Je me cachai derriere ceux qui avaient deja joue leur role, mais le Roi m'aper- fut et me dit: « C'est a vous. Marchez done! vous lui devez bien cela. » Etait-ce enfin I'expiation dont il m'avait menacd? 30 Un homme juste se serait contente a moins. Je vous jure, monsieur, que ce n'est pas un jeu d'enfant de 172 LE ROI DES MONTAGNES. baiser les levies d'un cadavre, surtout lorsqu'on se reproche de I'avoir tue. Je m'avanfai vers la civiere, je contemplai face a face cette figure dont les yeux ou verts semblaient rire de mon embarras; je penchai la tete, j'efSeurai les levres. Un brigand facetieux m'ap- 5 puya la main sur la nuque. Ma bouche s'aplatit sur la bouche froide; je sentis le contact de ses dents de glace, et je me relevai saisi d'horreur, emportant je ne sais quelle saveur de mort qui me serre encore la gorge au moment ou je vous parle. Les femmes sont bien lieu- 10 reuses; elles ont la ressource de s'evanouir. Alors on descendit le cadavre dans la terre. On lui jeta une poignee de fleurs, un pain, une pomme et quelques gouttes de vin d'Egine. C'etait la chose dont il avait le moins besoin. La fosse se ferma bien vite, 15 plus vite que je n'aurais voulu. Un brigand fit observer qu'il faudrait deux batons pour faire une croix. Hadgi- Stavros lui repondit: «Sois tranquille; on mettra les ba- tons du milord. » Je vous laisse a penser si mon coeur faisait un vacarme dans ma poitrine. Quels batons? 20 Qu'y avait-il de commun entre les batons et moi? Le Roi fit un signe a son chiboudgi, qui courut aux bureaux et revint avec deux longues gaules de laurier d'ApoUon. Hadgi-Stavros prit la civiere funebre et la porta sur la tombe. II I'appuya sur la terre fraichement 25 remuee, la fit relever par un bout, tandis que I'autre touchait au sol, et me dit en souriant: «C'est pour vous que je travaille. Dechaussez-vous, s'il vous plait. * II dut lire dans mes yeux une interrogation pleine d'angoisse et d'epouvante, car il repondit a la demande 30 que je n'osais lui adresser: l'evasion, 173 *Je ne suis pas mechant, et j'ai toujours deteste les rigueurs inutiles. C'est pourquoi je veux vous infliger un chatiment qui nous profite en nous dispensant de vous surveiller a I'avenir. Vous avez depuis quelques 5 jours une rage de vous evader. J'espere que lorsque vous aurez refu vingt coups de baton sur la plante des pieds, vous n'aurez plus besoin de gardien, et votre amour des voyages se calmera pour quelque temps. C'est un supplice que je connais; les Turcs me I'ont fait 10 subir dans ma jeunesse, et je sais par experience qu'on n'en meurt pas. On en souffre beaucoup; vous crierez, je vous en avertis. Vasile vous entendra du fond de sa tombe, et il sera content de nous. » A cette annonce, ma premiere idee fut d'user de mes 15 jambes tandis que j'en avals encore la libre disposition. Mais il faut croire que ma volonte etait bien malade, car il me fut impossible de mettre un pied devant I'autre. Hadgi-Stavros m'enleva de terre aussi legerement que nous cueillons un insecte sur un chemin. Je me sentis 20 lier et dechausser avant qu'une pensee sortie de mon cerveau eut le temps d'arriver au bout des membres. Je ne sais ni sur quoi on appuya mes pieds ni comment on les empecha de reculer jusqu'a ma tete au premier coup de baton. Je vis les deux gaules tournoyer devant 25 moi, I'une a droite, I'autre a gauche; je fermai les yeux, et j'attendis. Je n'attendis pas assurement la dixieme partie d'une seconde, et pourtant, dans un si court espace, j'eus le temps d'envoyer une benediction a mon pere, un baiser a Mary-Ann, et plus de cent mille im^ 30 precations a partager entre M™^ Simons et John Harris. Je ne m'evanouis pas un seul instant; c'est un sens 174 LE ROI DES MONTAGNES. qui me manque, je vous I'ai dit. Aussi n'y eut-il rien de perdu. Je sentis tous les coups de baton, I'un apres I'autre. Le premier fut si furieux, que je crus qu'il ne resterait rien a faire pour les suivants. II me prit par le milieu de la plante des pieds, sous cette petite voute 5 elastique qui precede le talon et qui supporte le corps de I'homme. Ce n'est pas le pied qui me fit mal a cette fois; mais je crus que les os de mes pauvres jambes allaient sauter en eclats. Le second m'atteignit plus has, juste sous les talons; il me donna une secousse 10 profonde, violente, qui ebranla toute la colonne verte- brale, et remplit d'un tumulte effroyable mon cerveau palpitant et mon crane pres d'eclater. Le troisieme donna droit sur les orteils et produisit une sensation aigue et lancinante, qui frisait toute la partie anterieure 15 du corps et me fit croire un instant que I'extremite du baton etait venue me retrousser le bout du nez. C'est a ce moment, je pense, que le sang jaillit pour la pre- miere fois. Les coups se succederent dans le meme ordre et aux memes places, a des intervalles egaux. 20 J'eus assez de courage pour me taire aux deux premiers; je criai au troisieme, je hurlai au quatrieme, je gemis au cinquieme et aux suivants. Au dixieme, la chair elle-meme n'avait plus la force qu'il faut pour se plaindre: je me tus. Mais I'aneantissement de ma vigueur phy- 25 sique ne diminuait en rien la nettete de mes perceptions. J'aurais ete incapable de soulever mes paupieres, et cependant le plus leger bruit arrivait trop a mes oreilles. Je ne perdis pas un mot de ce qui se disait autour de moi. C'est une observation dont je me souviendrai 30 plus tard, si je pratique la medecine. Les docteurs ne l'£vasion. 175 se font pas faute de condamner un malade a quatre pas de son lit, sans songer que le pauvre diable a peut-etre encore assez d'oreille pour les entendre. J'entendis un jeune brigand qui disait au Roi: «I1 est niort. A quoi 5 bon fatiguer deux hommes sans profit pour personne?" Hadgi-Stavros repondit: «Ne crains rien. J'en ai reju soixante a la file, et deux jours apres je dansais la Romaique. — Comment as-tu fait ? 10 — J'ai employe la pommade d'un renegat italien appele Luidgi-Bey. . . . Oil en sommes-nous^ Com- bien de coups de baton? — Dix-sept. — Encore trois, enfants; et soignez-moi les der- 15 niers!» Le baton eut beau faire. Les derniers coups tom- baient sur une matiere saignante, mais insensible. La douleur m'avait presque paralyse. On m'enleva du brancard; on delia les cordes; on 20 emmaillotta mes pieds dans des compresses d'eau fraiche, et, comme j 'avals une soif de blesse, on me fit boire un grand verre de vin. La colere me revint avant la force. Je ne sais si vous etes bati comme moi, mais je ne con- nais rien d'humiliant comme un chatiment physique. 25 Je ne supporte pas que le souverain du monde puisse devenir pour une minute I'esclave d'un vil baton. Etre ne au xix^ siecle, manier la vapeur et I'electricite, pos- seder une bonne moitie des secrets de la nature, con- naitre a fond tout ce que la science a invente pour le 30 bien-etre et la securite de I'homme, savoir comme on guerit la fievre, comme on previent la petite verolej et 176 LE ROI DES MONTAGNES. ne pouvoir se defendre d'un coup de canne, c'est un peu trop fort, en verite! Si j'avais ete soldat et soumis aux peines corporelles, j'aurais tud mes chefs inevitable- ment. Quand je me vis assis sur la terre gluante, les pieds 5 enchaines par la douleur, les mains mortes; quand j'aperfus autour de moi les hommes qui m'avaient battu, celui qui m'avait fait battre et ceux qui m'avaient re- garde battre, la colere, la honte, le sentiment de la dignite outragee, de la justice violee, de I'intelligence 10 brutalisee, soufiSerent dans mon corps debile un gonfle- ment de haine, de revolte et de vengeance. J'oubliai tout, calcul, interet, prudence, avenir; je lachai la bonde a toutes les verites qui m'etouffaient; un torrent d'injures bouillonnantes monta droit a mes levres. Certes, je ne 15 suis pas orateur, et mes etudes solitaires ne m'ont pas exerce au maniement de la parole; mais I'indignation, qui a fait des poetes, me preta pour un quart d'heure I'eloquence sauvage de ces prisonniers cantabres qui rendaient I'ame avec des injures et qui crachaient leur 20 dernier soupir a la face des Remains vainqueurs. Tout ce qui peut outrager un homme dans son orgueil, dans sa tendresse et dans ses sentiments les plus chers, je le dis au Roi des montagnes. Je le mis au rang des ani- maux immondes et je lui denial jusqu'au nom d'homme. 25 Je I'insultai dans sa mere, et dans sa femme, et dans sa fille, et dans toute sa posterite. Je voudrais vous re- peter textuellement tout ce que je le contraignis d'en- tendre, mais les mots me manquent aujourd'hui que je suis de sang-froid. J 'en forgeais alors de toute sorte, 3c qui n'dtaient pas dans le dictionnaire et que Ton com- L'^VASIO>J. 177 prenait pourtant, car Pauditoire de formats hurlait sous mes paroles comme une meute de chiens sous le fouet des piqueurs. Mais j'avais beau surveiller le visage du vieux Pallicare, epier tous les muscles de sa face et 5 fouiller avidement dans les moindres rides de son front, je n'y surpris pas la trace d'une emotion. Hadgi-Sta- vros ne sourcillait pas plus qu'un buste de marbre. II repondait a tous mes outrages par I'insolence immobile du mepris. Son attitude m'exaspera jusqu'a la folic. 10 J'eus un instant de delire. Un nuage rouge comme le sang passa devant mes yeux. Je me leve brusquement sur mes pieds meurtris, j'avise un pistolet a la ceinture d'un brigand, je I'arrache, je I'arme, je vise le Roi a bout portant, le coup part, et je tombe a la renverse en 15 murmurant: «Je suis venge!» C'est lui-meme qui me releva. Je le contemplai avec une stupefaction aussi profonde que si je I'avais vu sortir des enfers. II ne semblait pas emu, et souriait tranquillement comme un immortel. Et pourtant, mon- 20 sieur, je ne I'avais pas manque. Ma balle I'avait touchd au front, a un centimetre au-dessus du sourcil gauche: une trace sanglante en faisait foi. Mais, soit que I'arme fut mal chargee, soit que la poudre f* II sourit, haussa les epaules et repondit: «Ta! ta! ta! ta! Voila bien mes jeunes gens! extremes en tout! lis 10 jettent le manche apres la cognee. Si je vous ecoutais, j'en serais aux regrets avant huit jours, et vous aussi. Les Anglaises payeront, j'en suis sur. Je connais encore les femmes, quoiqu'il y ait longtemps que je vive dans la retraite. Qu'est-ce qu'on dirait si je vous tuais 15 aujourd'hui et si la ranjon arrivait demain? On re- pandrait le bruit que j'ai manque a ma parole, et mes prisonniers a venir se laisseraient egorger comme des agneaux sans demander un centime a leurs parents. Ne gatons pas le metier! 20 — Ah! tu crois que les Anglaises font paye, habile homme! Oui, elles font paye comme tu le meritais! — Vous etes bien bon. — Leur ranjon te coutera quatre-vingt mille francs, en- tends-tu? Quatre-vingt mille francs hors de ta poche! 25 — Nedites done pas deces choses-la! On croirait que les coups de baton vous ont frappe sur la tete. — Je dis ce qui est. Te rappelles-tu le nom de tes prisonnieres? — Non, mais je I'ai par ecrit. 30 — Je veux aider ta memoire. La dame s'appelait M'"^ Simons.. l8o LE ROI DES MONTAGNES. — Eh bien ? — Associee de la maison Barley de Londres. — Mon banquier ? — Precisement. • — Comment sais-tu le nom de mon banquier? s • — Pourquoi as-tu dicte ta correspondance devant moi? — Qu'importe, apres tout? lis ne peuvent pas me voler; ils ne sont pas Grecs, ils sont Anglais; les tri- bunaux ... Je plaiderai! lo ■ — Et tu perdras. lis ont un reyu. — C'est juste. Mais par quelle fatalite leur ai-je donne un reju? — Farce que je te I'ai conseille, pauvre homme! — Miserable! chien mal baptise! schismatique d'enfer! 15 tu m'as ruine! tu m'as trahi! tu m'as vole! Quatre- vingt mille francs! Je suis responsable! Si du moins les Barley etaient banquiers de la Compagnie! je ne perdrais que ma part. Mais ils n'ont que mes capitaux, je perdrai tout. Es-tu bien sur au moins qu'elle soit 20 associee de la maison Barley? — Comme je suis sur de mourir aujourd'hui. — Non; tu ne mourras que demain. Tu n'as pas assez souffert. On te fera du mal pour quatre-vingt mille francs. Quel supplice inventer? Quatre-vingt 25 mille francs! Quatre-vingt mille morts seraient peu. Qu'est-ce que j'ai done fait a ce traitre qui m'en avait vole quarante mille! Peuh! Un jeu d'enfant, une plaisanterie! II n'a pas hurle deux heures! Je trouverai mieux. Mais s'il y avait deux maisons du meme nom? 30 — Cavendish-square, 31 ! l'^vasion. i8i — Oui, c'est bien la. Imbecile! que ne m'avertissais- tu au lieu de me trahir? Je leur aurais demande le double. Elles auraient paye; elles en ont le moyen. Je n'aurais pas donne de regu: je n'en donnerai plus. . . . 5 Non, non! c'est la derniere fois! . . . Refu cent mille francs de M"^^ Simons! quelle sotte phrase! Est-ce bien moi qui ai dicte cela? . . . Mais j'y songe! je n'ai pas signe! . . . Oui, mais mon cachet vaut une signature: ils ont vingt lettres de moi. Pourquoi m'as-tu demande lo ce refu ? Qu'attendais-tu de ces deux femmes ? Quinze mille francs pour ta ranfon. . . . L'egoTsme partout! ... II fallait t'ouvrir a moi: je t'aurais renvoye pour rien; je t'aurais meme paye. Si tu es pauvre, comme tu le dis, tu dois savoir comment I'argent est bon. Te 15 representes-tu seulement une somme de quatre-vingt mille francs? C'est une fortune, malheureux! Tu m'as vole une fortune! Tu as devalise ma fiUe, le seul etre que j'aime au monde. C'est pour elle que je travaille. Mais, si tu connais mes affaires, tu dois savoir que je 20 cours la montagne pendant toute une annee pour gagner quarante mille francs. Tu m'as extorque deux annees de ma vie: c'est comme si j'avais dormi pendant deux ans ! * J'avais done enfin trouve la corde sensible! Le vieux 25 Pallicare etait touche au cocur. Je savais que mon compte etait bon, je n'esperais point de grace, et pour- tant j'^prouvais une amere joie a bouleverser ce masque impassible et cette figure de pierre. J'aimais a suivre dans les sillons de son visage le mouvement convulsif de 30 la passion comme le naufrage perdu sur une mer furieuse admire au loin la vague qui doit I'engloutir. J'etais l82 LE ROI DES MONTAGNES. comme le roseau pensant, que I'univers brutal dcrase de sa masse, et qui se console en mourant par la conscience hautaine de sa superiorite. Je me disais avec orgueil: «Je perirai dans les tortures, mais je suis le maitre de mon maitre et le bourreau de mon bourreau.'* VII. John Harris. Le Roi contemplait sa vengeance, comme un homme a jeun depuis trois jours contemple un bon repas. II en examinait un a un tous les plats, je veux dire tous les supplices; il passait la langue sur ses levres dessechees, S mais il ne savait par ou commencer ni que choisir. On aiirait dit que I'exces de la faim lui coupait I'appetit. II donnait du poing contre sa tete, comme pour en faire jaillir quelque chose; mais les idees sortaient si rapides et si pressees qu'il etait mal aise d'en saisir une au lo passage. «Parlez done! cria-t-il a ses sujets. Con- seillez-moi. A quoi serez-vous bons, si vous n'etes pas en etat de me donner un avis? Attendrai-je que le Corfiote soit revenu ou que Vasile eleve la voix du fond de sa tombe? Trouvez-moi, brutes que vous etes, un 15 supplice de quatre-vingt mille francs!'' Le jeune chiboudgi dit a son maitre: <'I1 me vient une idee. Tu as un officier mort, un autre absent, et un troisieme blesse. Mets leurs places au concours. Promets-nous que ceux qui sauront le mieux te venger 20 succederont a Sophoclis, au Corfiote et a Vasile. » Hadgi-Stavros sourit complaisamment a cette inven- tion. II caressa le menton de I'enfant et lui dit: «Tu es ambitieux, petit homme! A la bonne heure! L'ambition est le ressort du courage. Va pour un con- 183 t84 le roi des montagnes. cours! C'est une idee moclerne, une idee d'Europe; cela me plait. Pour te recompenser, tu donneras ton avis le premier, et si tu trouves quelque chose de beau, Vasile n'aura pas d'autre heritier que toi. — Je voudrais, dit I'enfant, arracher quelques dents 5 au milord, lui mettre un mors dans la bouche et le faire courir tout bride jusqu'a ce qu'il tombat de fatigue. — II a les pieds trop malades: il tomberait au deuxieme pas. A vous autres! Tambouris, Moustakas, Coltzida, Milotis, parlez, je vous ecoute. 10 — Moi, dit Coltzida, je lui casserais des oeufs bouil- lants sous les aisselles. J'ai deja essaj^e cela sur une femme de Megare, et j'ai eu bien du plaisir. — Moi, dit Tambouris, je le coucherais par terre avec un rocher de cinq cents livres sur la poitrine. On tire 15 la langue et on crache le sang; c'est assez joli. — Moi, dit Milotis, je lui mettrais du vinaigre dans les narines et je lui enfoncerais des epines sous tous les ongles. On eternue a ravir, et I'on ne sait oii fourrer ses main.* 20 Moustakas etait un des cuisiniers de la bande. II proposa de me faire cuire a petit feu. La figure du Roi s'epanouit. Le moine assistait a la conference et laissait dire sans donner son avis. Cependant il prit pitie de moi dans la 25 mesure de sa sensibilite, et il me secourut dans la mesure de son intelligence. « Moustakas, dit-il, est trop me- diant. On peut bien torturer le milord sans le bruler tout vif. Si vous le nourrissiez de viande salee sans lui permettre de boire, il durerait longtemps, il souffrirait 30 beaucoup, et le Roi satisferait sa vengeance sans encourir JOHN HARRIS. 1 85 celle de Dieu. C'est un conseil bien desinteresse que je vous donne; il ne m'en reviendra rien; mais je voudrais que tout le monde fut content, puisque le monastere a touche la dime. 5 — Halte-la! interrompit le cafedgi. Bon vieillard, j'ai une idee qui vaut mieux que la tienne. Je condamne le milord a mourir de faim. Les autres lui feront tout le mal qu'il leur plaira; je ne pretends rien empecher. Mais je serai en sentinelle devant sa bouche, et j'aurai 10 soin qu'il n'y entre ni une goutte d'eau ni une miette de pain. Les fatigues redoubleront sa faim, les blessures allumeront sa soif, et tout le travail des autres tournera finalement a mon profit. Qu'en dis-tu, sire? Est-ce bien raisonne, et me donneras-tu la succession de Vasile? 15 — Allez tous au diable! dit le Roi. Vous raisonneriez moins a votre aise si I'infame vous avait vole quatrc- vingt mille francs! Emportez-le dans le camp et prenez sur lui votre recreation. Mais malheur au maladroit qui le tuerait par imprudence! Cet homme ne doit mourir 20 que de ma main. Je pretends qu'il me rembourse en plaisir tout ce qu'il m'a pris en argent. II versera le sang de ses veines goutte a goutte, comme un mauvais debiteur qui s'acquitte sou par sou. >' Quatre brigands me prirent par la tete et par les 25 jambes, et me porterent, comme un paquet hurlant, a travers le cabinet du Roi. Ma voix reveilla Sophoclis sur son grabat. II appela ses compagnons, se fit conter les nouvelles, et demanda a me voir de pres. C'etait un caprice de malade. On me jeta par terre a ses cotes: 30 « Milord, me dit-il, nous sommes bien bas I'un et I'autre; mais il y a gros a parier que je me releverai plus 1 86 LE ROI DES MONTAGNES. tot que vous. II parait qu'on songe deja a me donner un successeur. Que les hommes sont injustes! Ma place est au concours! Eh bien, je veux concourir aussi et me mettre sur les rangs. Vous deposerez en ma faveur, et vous attesterez par vos gemissements que 5 Sophoclis n'est pas mort. On va vous attacher les quatre membres, et je me charge de vous tourmenter d'une seule main aussi gaillardement que le plus valide de ces messieurs. " Pour complaire au miserable, on me lia les bras. II 10 se fit tourner vers moi et commenja a m'arracher les cheveux, un a un, avec la patience et la regularite d'une epileuse de profession. Quand je vis a quoi se reduisait ce nouveau supplice, je crus que le blesse, touche de ma misere et attendri par ses propres souffrances, avait 15 voulu me derober a ses camarades et m'accorder une heure de repit. L'extraction d'un cheveu n'est pas aussi douloureuse, a beaucoup prcs, qu'unc piqure d'epingle. Les vingt premiers partirent I'un apres I'autre sans me laisser de regret, et je leur souhaitai cordialement un 20 bon voyage. Mais bientot il fallut changer de note. Le cuir chevelu, irrite par une multitude de lesions imperceptibles, s'enflamma. Une demangeaison sourde, puis un peu plus vive, puis intolerable, courut autour de ma tete. Je voulus y porter les mains; je compris 25 dans quelle intention I'infame m'avait fait garrotter. L'impatience accrut le mal; tout mon sang se porta vers la tete. Chaque fois que la main de Sophoclis s'appro- chait de ma chevelure, un fr^missement douloureux se repandait dans tout le corps. Mille demangeaisons in- 30 explicables tourmentaient mes bras et mes jambes. Le JOHN HARRIS. 187 systeme nerveux, exaspere sur tons les points, m'envelop- pait d'un reseau plus douloureux que la tunique de Dejanire. Je me roulais par terre, je criais, je deman- dais grace, je regreltais les coups de baton sur la plante 5 des pieds. Le bourreau n'eut pitie de moi que lorsqu'il fut au bout de ses forces. Lorsqu'il sentit ses yeux troubles, sa tete pesante et son bras fatigue, il fit un dernier effort, plongea la main dans mes cheveux, les saisit a poignee, et se laissa retomber sur son chevet en 10 m'arrachant un cri de desespoir. "Viens avec moi, dit Moustakas. Tu decideras, au coin du feu, si je vaux Sophoclis, et si je merite une heutenance. » II m'enleva comme une plume et me porta dans le 15 camp, devant un monceau de bois resineux et de brous- sailles entassees. II detacha les cordes, me depouilla de mes habits et de ma chemise, et me laissa sans autre vetement qu'un pantalcn. *Tu seras, dit-il, mon aide de cuisine. Nous allons faire du feu et preparer ensemble 20 le diner du Roi. » II alluma le bucher et m'etendit sur le dos, a deux pieds d'une montagne de flammes. Le bois petillait; les charbons rouges tombaient en grele autour de moi. La chaleur etait insupportable. Je me trainai sur les 25 mains a quelque distance, mais il revint avec une poele a frire, et il me repoussa du pied jusqu'a I'endroit oia il m'avait place. "Regarde bien, dit-il, et profite de mes lefons. Voici la fressure de trois agneaux: c'est de quoi nourrir vingt 30 hommes. Le Rci choisira les morceaux les plus delicats; il distribuera le reste a ses amis. Tu n'en es pas pour 1 88 LE ROI DES MONTAGNES. I'heure, et si tu goutes de ma cuisine, ce sera des yeux seulement. » J'entendis bientot bouillir la friture, et ce bruit me rappela que j'etais a jeun depuis la veille. Mon estomac se rangea parmi mes bourreaux, et je comptai un ennemi 5 de plus. Moustakas me mettait la poele sous les yeux, et faisait luire a mes regards la couleur appetissante de la viande. II secouait sous mes narines les parfums engageants de I'agneau grille. Tout a coup il s'aperfut qu'il avait oubli^ quelque assaisonnement, et il courut 10 chercher du sel et du poivre en confiant la poele a mes bons soins. La premiere idee qui me vint fut de derober quelque morceau de viande; mais les brigands n'etaient qu'a dix pas; ils m'auraient arrete a temps. «Si, du moins, pensai-je en moi-meme, j'avais encore mon 15 paquet d'arsenic!" Que pouvais-je en avoir fait? Je ne I'avais pas remis dans la boite. Je plongeai les mains dans mes deux poches. J'en tirai un papier malpropre et une poignee de cette poudre bienfaitrice qui devait me sauver peut-etre et tout au moins me 20 venger. Moustakas revint au moment oii j'avais la main droite ouverte au-dessus de la poele. II me saisit le bras, plongea son regard jusqu'au fond de mes yeux, et dit d'une voix menajante: «Je sais ce que tu as fait." 25 Mon bras tomba decourage. Le cuisinier pour- suivit: «Oui, tu as jete quelque chose sur le diner du Roi. — Quoi done ? — Un sort. Mais peu importe. Va, mon pauvre 30 milord, Hadgi-Stavros est plus grand sorcier que toi. JOHN HARRIS. '189 Je vais lui servir son repas. J 'en aurai ma part, et tu n'en gouteras point. — Grand bien te fasse!>' II me laissa devant le feu en me recommandant a 5 une douzaine de brigands qui croquaient du pain bis et des olives ameres. Ces Spartiates me firent compagnie pendant une heure ou deux. lis attisaient mon feu avec une attention de garde-malade. Si parfois j'es- sayais de me trainer un peu plus loin de mon supplice, 10 ils s'ecriaient: «Prends garde, tu vas te refroidir!» Et ils me poussaient jusque dans la flamme a grands coups de batons allumes. Mon dos dtait marbre de taches rouges, ma peau se soulevait en ampoules cuisantes, mes cils frisaient a la chaleur du feu, mes cheveux 15 exhalaient une odeur de corne brulee; et cependant je me frottais les mains a I'idee que le Roi mangerait de ma cuisine, et qu'il y aurait du nouveau sur le Parnes avant la fin du jour. Bientot les convives d'Hadgi-Stavros reparurent dans 20 le camp, I'estomac garni, I'oeil allume, la face dpanouie. «Allez, pensai-je en moi-meme, votre joie et votre sante tomberont comme un masque, et vous maudirez sincere- ment chaque bouchee du festin que je vous ai assaisonne! » Mes reflexions haineuses furent interrompues par un 25 tumulte singulier. Les chiens aboyerent en choeur, et un messager hors d'haleine parut sur le plateau avec toute la meute a ses trousses. C'etait Dimitri, le fils de Christodule. Quelques pierres lancees par les brigands Ic delivrerent de son escorte. II cria du plus loin qu'il 30 put: «Le Roi! il faut que je parle au Roi!» Lorsqu'il fut a vingt pas de nous, je I'appelai d'une voix dolente. 1 90 " LE ROI DES MONTAGNES. II fut epouvante de I'etat ou il me trouvait, et il s'dcria: «Les imprudents! Pauvre fille! — Mon bon Dimitri! lui dis-je, d'ou viens-tu? ma ranfon serait-elle payee? — II s'agit bien de ranfon! mais nc craignez rien, j j'apporte de bonnes nouvelles. Bonnes pour vous, mal- heureuses pour moi, pour lui, pour elle, pour tout le monde! II faut que je voie Hadgi-Stavros. Pas una minute a perdre. Jusqu'a mon retour, ne souffrez pas qu'on vous fasse aucun mal: elle en mourrait! Vous lo entendez, vous autres! ne touchez pas au milord. II y va de votre vie. Le Roi vous ferait couper a morceaux. Conduisez-moi jusqu'au Roi!» Le monde est ainsi fait, que tout homme qui parle en maitre est presque sur d'etre obei. II y avait tant 15 d'autorite dans la voix de ce domestique, et sa passion s'exprimait sur un ton si imperieux, que mes gardiens etonnes et stupides oublierent de me retenir aupres du feu. Je rampai a quelque distance, et je reposai deli- cieusement mon corps sur la roche froide jusqu'a I'ar- 20 rivee d'Hadgi-Stavros. II ne paraissait ni moins emu ni moins agite que Dimitri. II me prit dans ses bras comme un enfant malade, et m'emporta tout d'une traite jusqu'au fond de cette chambre fatale oii Vasile etait enseveli. II me 25 deposa sur son propre tapis avec des precautions mater- nelles; il fit deux pas en arriere, et me regarda avec un curieux melange de haine et de pitie. II dit a Dimitri: «Mon enfant, c'est la premiere fois que j'aurai laisse un pareil crime impuni. II a tue Vasile, cela n'est rien. 30 II m'a voulu assassiner moi-meme, je le lui pardonne. JOHN HARRIS. I9I Mais il m'a vole, le scelerat! Quatre vingt mille francs de moins dans la dot de Photini ! Je cherchais un sup- plice egal a son crime. Oh! sois tranquille! J'aurais trouve! . . . Malheureux que je suis! Pourquoi n'ai-je 5 pas dompte ma colere? Je I'ai traite bien durement. C'est elle qui en portera la peine. Si elle recevait vingt coups de baton sur ses petits pieds, je ne la reverrais plus. Les hommes n'en meurent pas, mais une fenime! Un enfant de quinze ans!» 10 II fit evacuer la salle par tous les brigands qui se pressaient autour de nous. II delia doucement les linges ensanglantes qui enveloppaient mes blessures. II envoya son chiboudgi chercher le baume de Luidgi-Bey. II s'assit devant moi sur I'herbe humide, prit mes pieds 15 dans ses mains et contempla mes blessures. Chose in- croyable a dire: il avait des larmes dans les yeux! «Pauvre enfant! dit-il, vous devez soufTrir cruellerrent. Pardonnez-moi. Je suis un vieux brutal, un loup de montagne, un Pallicare! J'ai ete instruit a la ferocite 20 depuis Page de vingt ans. Mais vous voyez que mon coeur est bon, puisque je regrette ce que j'ai fait. Je suis plus malheureux que vous, car vous avez les yeux sees, et moi je pleure. Je vais vous mettre en liberie sans perdre une minute; ou plutot, non; vous ne pouvez 25 pas vous en aller ainsi. Je veux d'abord vous guerir. Le baume est souverain, je vous soignerai comme un fils, la sante reviendra vite. II faut que vous marchiez demain. Elle ne peut pas rester un jour de plus entre les mains de votre ami. 30 "Au nom du ciel, re contez a personne notre querelle d'aujourd'hui' vous savez que je ne vous haissais pas; 192 LE ROI DES MONTAGNES. je vous I'ai dit souvent; j'avais de la sympathie pour vous, je vous donnais ma confiance. Je vous disais mes secrets les plus intimes. Souvenez-vous que nous avons ete deux amis jusqu'a la mort de Vasile. II ne faut pas qu'un instant de colere vous fasse oublier douze jours de 5 bons traitements. Vous ne voulez pas que mon coeur de pere soit dechire. Vous etes un brave jeune homme; votre ami doit etre bon comme vous. — Mais qui done ? m'ecriai-je. — Qui? Ce maudit Harris! cet Americain d'enfer! 10 ce pirate execrable! ce voleur d'enfants! cet assassin de jeunes filles! cet infame que je voudrais tenir avec toi pour vous broyer dans mes mains, vous choquer I'un contre I'autre et vous jeter en poussiere au vent de mes montagnes! Vous etes tous les memes, Europeens, race 15 de traitres qui n'osez vous attaquer aux hommes, et qui n'avez de courage que contre les enfants. Lis ce qu'il vient de m'ecrire, et reponds-moi s'il est des tortures assez cruelles pour chatier un crime comme le sien!» II me jeta brutalement une lettre froissee. Je reconnus 20 I'ecriture au premier coup d'oeil, et je lus: «Dimanche, 11 mai, a bord de la Fancy, rade de Salamine. "Hadgi-Stavros, Photini est a mon bord, sous la garde de quatre canons americains. Je la retiendrai en otage 25 aussi longtemps ciu'Hermann Schultz sera prisonnier. Comme tu traiteras mon ami, je traiterai ta fille. Elle payera cheveu pour cheveu, dent pour dent, tete pour tete. Reponds-moi sans delai, sinon j'irai te voir. "John Harris. » 30 JOHN HARRIS. . I93 A cette lecture, il me fut impossible rle renfermer ma joie. ' Dimitri arreta ce flot de paroles. « II est bien facheux, 5 dit-il, que M. Hermann soit blesse. Photini n'est pas en surete au milieu de ces heretiques et je connais M. Harris: il est capable de tout!" Le Roi fronja le sourcil. «Allez-vous-en, me dit-il; je vous porterai, s'il le faut, jusqu'au bas de la mon- lo tagne; vous attendrez dans quelque village un cheval, une voiture, une litiere; je fournirai ce qu'il faudra. Mais faites lui savoir des aujourd'hui que vous etes libre, et jurez-moi sur la tete de votre mere que vous ne parlerez a personne du mal qu'on vous a fait!" 15 Je ne savais pas trop comment je supporterais les fatigues du transport; mais tout me semblait preferable a la compagnie de mes bourreaux. Je craignais qu'un nouvel obstacle ne s'elevat entre moi 6t la liberte. Je dis au Roi: «Partons. Je jure sur tout ce qu'il y a de 20 plus sacre qu'on ne touchera pas un cheveu de ta fille. » II m'enleva dans ses bras, me jeta sur son epaule et monta I'escalier de son cabinet. La troupe entiere ac- courut au-devant de lui et nous barra le chemin. Mous- takas, livide comme un cholerique, lui dit: «0u vas-tu? 25 L'Allemand a jete un sort sur la friture. Nous souffrons tous comme des damnes d'enfer. Nous allons crever par sa faute, et nous voulons qu'il meure avant nous. » Je retombai tout a plat du haut de mes esperances. L'arrivee de Dimitri, intervention providentielle de 30 John Harris, le revirement d'Hadgi-Stavros, I'humilia- tjon de cette tete superb? aux pieds de son prison- 196 LE ROI DES MONTAGNES. nier, tant d'evenements entasses dans un quart d'heure m'avaient trouble la cervelle: j'oubliais deja le passe et je me lanjais a corps perdu dans I'avenir. A la vue de Moustakas, le poison me revint en me- moire. Je sentis que chaque minute allait precipiter 5 un evenement terrible. Je m'attachai au Roi des mon- tagnes, je nouai mes bras autour de son cou, je I'adjurai de m'emporter sans retard. «I1 y va de ta gloire, lui disje. Prouve a ces enrages que tu es le Roi! Ne re- ponds pas: les paroles sont inutiles. Passons-leur sur le 10 corps. Tu ne sais pas toi-meme quel interet tu as a me sauver. Ta fiUe aime John Harris; j'en suis sur, elle me I'a avoue! — Attends! repondit-il. Nous passerons d'abord, nous causerons ensuite. » 15 II me deposa doucement sur la terre et courut les poings serres, au milieu des bandits. «Vous etes fous! cria-t-il. Le premier qui touchera le milord aura affaire a moi. Quel sort voulez-vous qu'il ait jete? j'ai mange avec vous; est-ce que je suis malade? Laissez-le sortir 20 d'ici: c'est un honnete homme; c'est mon ami!* Tout a coup il changea de visage; ses jambes fiechirent sous le poids de son corps. II s'assit aupres de moi, se pencha vers mon oreille et me dit avec plus de douleur que de colere: 25 « Imprudent! Pourquoi ne m'avertissiez-vous pas C|ue vous nous avez empoisonnes?" Je saisis la main du Roi: elle etait froide. Ses traits ^taient decomposes; sa figure de marbre avait revetu une couleur terreuse. A cette vue, la force m'abandonna 30 tout a fait et je me sentis mourir. Je n'avais plus rien JOHN HARRIS. 197 a esperer au monde: ne m'etais-je pas condamne moi- meme en tuant le seul homme qui eut interet a me sauver ? Je laissai tomber la tete sur ma poitrine, et je demeurai inerte aupres du vieillard livide et glace. 5 Deja Moustakas et quelques autres etendaient les mains pour me prendre et me faire partager les douleurs de leur agonie. Hadgi-Stavros n'avait plus la force de me defendre. De temps en temps, un hoquet formidable secouait ce grand corps comme la hache du bucheron lo ebranle un chene de cent ans. Les bandits etaient persuades qu'il rendait Tame, et que le vieil invincible allait enfin tomber vaincu par la mort. Tous les liens qui les attachaient a leur chef, liens d'interet, de crainte, d'esperance et de reconnaissance, se rompirent comme IS des fils d'araignee. Hadgi-Stavros apprit a ses depens qu'on ne com- mande pas impunement a soixante Grecs. Son autorite ne survecut pas une minute a sa vigueur morale et a sa force physique. Sans parlor des malades q.ui nous mon- 20 traient le poing en nous reprochant leurs souffrances, les hommes valides se groupaient en face de leur Roi le- gitime, autour d'un gros paysan brutal, appele Coltzida. C'etait le plus bavard et le plus effronte de la bande, un impudent lourdaud sans talent et sans courage, de ceux 25 qui se cachent pendant Taction et qui portent le drapeau apres la victoire; mais, en pareils accidents, la fortune est pour les effrontes et les bavards. Coltzida, tier de ses poumons, lanjait les injures a pelletees sur le corps d'Hadgi-Stavros, comme un fossoyeur jette la terre sur 30 le cercueil d'un mort. L'^loquence de Coltzida fut bien pres de nous couter 198 LE ROI DES MONTAGNES. la vie, car rauditoire applaudit. Les vieux compagnons d'Hadgi-Stavros, dix ou douze Pallicares devoues qui auraient pu lui venir en aide, avaient mange la desserte de sa table: ils se tordaient dans les colique?. Mais un orateur populaire ne s'eleve pas au pouvoir sans faire 5 des jaloux. Lorsqu'il parut demontre que Coltzida de- viendrait le chef de la bande, Tambouris et quelques autres ambitieux firent volte-face et se rangirent de no- tre parti. Capitaine pour capitaine, ils kimaient mieux celui qui savait les conduire que ce bavard outrecuidant 10 dont la nullite leur repugnait. lis pressentaient d'ail- leurs que le Roi n'avait plus longtemps a vivre et qu'il prendrait son successeur parmi les fideles qui resteraient autour de lui. Ce n'etait pas chose indifferente. II y avait gros a parier que les bailleurs de fonds ratifieraient 15 plutot le choix d'Hadgi-Stavros qu'une election revolu- tionnaire. Huit ou dix voix s'elevaient en notre faveur. Notre, car nous ne faisions plus qu'un. Je me crampon- nais au Roi des montagnes, et lui-meme avait un bras passe autour de nion cou. Tambouris et les siens se 20 concerterent en quatre mots ; un plan de defense fut improvise ; trois hommes profiterent du tapage pour courir avec Dimitri a Tarsenal de la bande, faire provi- sion d'armes et de cartouches et tracer, a travers le chemin, une longue trainee de poudre. lis revinrent 25 discretement se meler a la foule. Les deux partis se ' dessinaient de minute en minute; les injures volaient d'un groupe a I'autre. Nos champions, adosses a la chambre de Mary-Ann, gardaient I'escalier, nous fai- saient un rempart de leur corps, et rejetaient I'ennemi 30 dans le cabinet du Roi. Au plus fort de la poussee, un John Harris. 199 coup de pistolet retentit. Un ruban de feu courut sur la poussiere et I'on entendit sauter les rochers avec un fracas epouvan table. Coltzida et ses partisans, surpris par la detonation, 5 coururent en bloc a I'arsenal. Tambouris ne perd pas une minute: il enleve Hadgi-Stavros, descend I'escalier en deux enjambees, le depose en lieu sur, revient a moi, m'emporte et me jette aux pieds du Roi. Nos amis se retranchent dans la chambre, coupent les arbres, barri- 10 cadent I'escalier et organisent la defense avant que Coltzida ne soit revenu de sa promenade et de sa sur- prise. Nous nous comptons alors. Notre armee se compo- sait du Roi, de ses deux domestiques, de Tambouris 15 avec huit brigands, de Dimitri et de moi: en tout quatorze hommes, dont trois hors de combat. Le cafedgi s'etait empoisonne avec son maitre, et il commenyait a ressentir les premieres atteintes du mal. Mais nous avions deux fusils par personne et des cartouches a discretion, tandis 20 que les ennemis ne possedaient d'armes et de munitions que ce qu'ils portaient sur eux. lis avaient I'avantage du nombre et du terrain. Nous ne savions pas precise- ment combien ils comptaient d'hommes valides, mais il fallait s'attendre a vingt-cinq ou trente assaillants. Je 25 n'ai plus besoin de vous de'crire la place assiegee: vous la connaissez depuis longtemps. Croyez cependant que I'aspect des lieux avait bien change depuis le jour ou j'y dejeunai pour la premiere fois, sous I'oeil du Corfiote, entre M""^ Simons et Mary-Ann. Nos beaux arbres 30 avaient les racines en I'air, et le rossignol etait loin. Ce qu'il vous importe de savoir, c'est que nous etions de- 200 LE ROI DES MONTAGNES. fendus a droite et a gauche par des rochers inaccessibles, meme a I'ennemi. II nous attaquait d'en haut par le cabinet du Roi, et il nous surveillait au has du ravin, D'un cote ses feux plongeaient sur nous; de I'autre, nous plongions sur ses sentinelles, mais a si longue portee, 5 que c'etait Jeter la poudre aux moineaux. Si Coltzida et ses compagnons avaient eu la moindre notion de la guerre, c'etait fait de nous. II fallait enlever la barricade, entrer de vive force, nous acculer contre un mur ou nous culbuter dans le ravin. Mais 10 I'imbecile, qui avait plus de deux hommes contre un, s'avisa de menager ses munitions et de placer en tirail- leurs vingt maladroits qui ne savaient pas tirer. Les notres n'etaient pas beaucoup plus habiles. Cependant, mieux commandes et plus sages, ils casserent bel et bien 15 cinq tetes avant la tombee de la nuit. Pour moi, etendu dans un coin a I'abri des balles, j'essayais de defaire mon fatal ouvrage et de rappeler a la vie le pauvre Roi des montagnes. II souffrait cruelle- ment; il se plaignait d'une soif ardente et d'une vive 20 douleur dans I'epigastre. Ses mains et ses pieds glaces se contractaient avec violence. Le pouls etait rare, la respiration haletante. Son estomac semblait lutter contre un bourreau interieur sans parvenir a I'expulser. Ce- pendant son esprit n'avait ricn perdu de sa vivacite et 25 de sa presence; son regard vif et penetrant cHerchait a I'horizon la rade de Salamine ct la prison flottante de Photini. II me dit, en crispant sa main autour de la mienne: «Giieris?p.z,-xr\oi, mon cher enfant! Vous etes docteur, 30 vous devez me guerir. Je ne vous reproche pas ce que JOHN HARRIS. 20I vous m'avez fait; vous etiez dans votre droit; vous aviez raison de me tuer, car je jure que, sans votre ami Harris, je ne vous aurais pas manque! N'y a-t-il rien pour eteindre le feu qui me brule? Je ne tiens pas a la vie, 5 allez; j'ai bien assez vecu; mais, si je meurs, ils vous tueront, et ma pauvre Photini sera egorgee. Je souffre. Tatez mes mains; il me semble qu'elles ne sont deja plus a moi. Mais croyez-vous que cet Americain ait le coeur d'executer ses menaces? Qu'est-ce que vous me lo disiez tout a I'heure? Photini I'aime! La malheureuse! Je I'avais elevee pour devenir la femme d'un roi. J'ai- merais mieux la voir morte que . . . Non, j'en suis bien aise, apres tout, qu'elle ait de I'amour pour ce jeune homme; il aura pitie d'elle, peut-etre. Qu'etes- 1$ vous pour lui? un ami, rien de plus: vous n'etes meme pas son compatriote. On a des amis tant qu'on veut; on ne trouve pas deux femmes comme Photini. Moi, j'etranglerais bien tous mes amis si j'y trouvais mon compte; mais jamais je ne tuerais une femme qui aurait 20 de I'amour pour moi. Si du moins il savait combien elle est riche! Les Americains sont des hommes positifs, au moins on le dit. Mais la pauvre innocente ne con- nait pas sa fortune. J'aurais du I'avertir. Maintenant, comment lui faire savoir qu'elle aura quatre millions de 25 dot? Nous sommes prisonniers d'un Coltzida! Gue- rissez-moi done, par tous les saints du paradis, que j'ecrase cette vermine!» Je ne suis pas medecin, et je sais de toxicologie le peu qu'on en apprend dans les traites elementaires; 30 cependant je me rappelai que I'empoisonnement par I'arsenic se guerit par une methode qui ressemble un 202 LE ROI DES MONTAGNES. peu a celle du docteur Sangrado. Je chatouillai I'oeso- phage du malade pour delivrer son estomac du fardeau qui le torturait. Mes doigts lui servirent d'emetique, et bientot j'eus lieu d'esperer que le poison etait en grande partie expulse. Les phenomenes de reaction se 5 produisirent ensuite; la peau devint brulante, le pouls accelera sa marche, la face se colora, les yeux s'injec- terent de filets rouges. Je lui demandai si un de ses hommes serait assez adroit pour le saigner. II se banda le bras lui-meme et il s'ouvrit tranquillement une veine, 10 au bruit de la fusillade et au milieu des balles perdues qui vcnaient I'eclabousser. II jeta par terre une bonne livre de sang et me demanda d'une voix douce et tran- quille ce qui lui restait a faire. Je lui ordonnai de boire, et de boire encore, et de boire toujours, jusqu'a 15 ce que les dernieres parcelles de I'arsenic fussent em- portees par le torrent de la boisson. Tout justement, I'outre de vin blanc qui avait cause la mort de Vasile ^tait encore dans la chambre. Ce vin etendu d'eau servit a rendre la vie au Roi. II m'obeit comme un 20 enfant. Je crois meme que, la premiere fois que je lui tendis la coupe, sa pauvre vieille majeste souffrante s'empara de ma main pour la baiser. Vers dix heures du soir il allait mieux, mais son cafedgi etait mort. Le pauvre diable ne put ni se 25 defaire du poison ni se rechauffer. On le langa dans le ravin, du haut de la cascade. Tous nos defenseurs paraissaient en bon etat, sans une blessure, mais aflfames comme des loups en d&embre. Quant a moi, j'etais a jeun depuis vingt-quatre heures, et mon estomac criait 30 famine. L'ennemi, pour nous braver, passa la nuit a JOHN HARRIS. 20^ boire et a manger sur nos tetes. II nous lanfait des os de mouton et des outres vides. Les notres ripostaient par quelques coups de fusil, au juge. Nous entendions distinctement les cris de joie et les cris de mort. Coltzida 5 etait ivre; les blesses et les malades hurlaient ensemble; Moustakas ne cria pas longtemps. Le tumulte me tint ^veill^ toute la nuit aupres du vieux Roi. Ah! monsieur, que les nuits semblent longues a celui qui n'est pas sur du lendemain! lo La matinee du mardi fut sombre et pluvieuse. Le del se brouilla au lever du soleil, et une pluie grisatre s'abattit avec impartialite sur nos amis et nos ennemis. Mais si nous etions assez eveilles pour preserver nos armes et nos cartouches, I'armee du general Coltzida IS n'avait pas pris les memes precautions. Le premier engagement fut tout a notre honneur. L'ennemi se cachaii mal, et tirait d'une main avinee. La partie me parut si belle que je pris un fusil comme les autres. Ce qui en advint, je vous I'ecrirai dans quelques annees, si 20 je me fais recevoir medecin. Je vous ai deja avoue assez de meurtres pour un homme qui n'en fait pas son dtat. Hadgi-Stavros voulut suivre mon exemple; mais ses mains lui refusaient le service; il avait les extremites enflees et douloureuses, et je lui annonfai avec ma 25 franchise ordinaire que cette incapacite de travail dure- rait peut-etre aussi longtemps que lui. Sur les neuf heures, l'ennemi, qui semblait fort at- tentif a nous repondre, nous tourna brusquement le dos. J'entendis une fusillade effrende qui ne s'adressait pas 30 a nous, et j'en conclus que maitre Coltzida s'^tait laisse surprendre par derriere. Quel etait I'allie inconnu qui 204 LE ROI DES MONTAGNES. nous servait si bien? £tait-il prudent d'opdrer une jonction et de demolir nos barricades ? Je ne demandais pas autre chose, mais le Roi revait a la troupe de ligne, et Tambouris mordait sa moustache. Tous nos doutes furent bientot aplanis. Une voix qui ne m'etait pas 5 inconnue cria: All right! Trois jeunes gens armes jusqu'aux dents s'elancerent comme des tigres, fran- chirent la barricade et tomberent au milieu de nous. Harris et Lobster tenaicnt dans chaque main un revolver a six coups. Giacomo brandissait un fusil de munition, 10 la crosse en I'air, comme une massue: c'est ainsi qu'il entend I'emploi des armes a feu. Le tonnerre, en tombant dans la chambre, eut produit un effet moins magique que I'entree de ces hommes qui distribuaient des ballcs a poignees et qui semblaient 15 avoir de la mort plein les mains. Mes trois commen- saux, ivres de bruit, de mouvement et de victoire, n'aper- jurent ni Hadgi-Stavros ni moi; ils ne virent que des hommes a tuer, et Dieu sait s'ils allerent vite en besogne. Nos pauvres champions, etonnes, eperdus, furent hors de 20 combat sans avoir eu le temps de se defendre ou de se reconnaitre. Moi-meme, c{ui aurais voulu leur sauver la vie, j'eus beau crier dans mon coin; ma voix etait couverte par le bruit de la poudre et par les exclamations des vainqueurs. Dimitri, tapi entre Hadgi-Stavros et 25 moi, joignait vainement sa voix a la mienne. Harris, Lobster et Giacomo tiraient, couraient, frappaient, en comptant les coups, chacun dans sa langue. One! disait Lobster. Two! repondait Harris. 30 Trel qiiattrc! cinque! hurlait Giacomo. Le cinquieme JOHN HARRIS. 205 fut Tambouris. Sa tete eclata sous le fusil comme une noix fraiche sous une pierre. La cervelle jaillit aux alentours, et le corps s'affaissa dans la fontaine comme un paquet de haillons qu'une blanchisseuse jette au 5 bord de I'eau. Mes amis etaient beaux a voir dans leur travail epouvantable. lis tuaient avec ivresse, ils se complaisaient dans leur justice. Le vent et la course avaient emporte leurs coiffures; leurs cheveux flottaient en arriere; leurs regards etincelaient d'un eclat si meur- 10 trier, qu'il etait difficile de discerner si la mort partait de leurs yeux ou de leurs mains. On eut dit que la Destruction s'etait incarnee dans cette trinite haletante. Lorsque tout fut aplani autour d'eux et qu'ils ne virent plus d'autres ennemis que trois ou quatre blesses ram- 15 pant sur le sol, ils respirerent. Harris fut le premier qui se souvint de moi. Giacomo n'avait qu'un souci: il ne savait pas si, dans le nombre, il avait casse la tete d'Hadgi-Stavros. Harris cria de toutes ses forces: « Hermann, oii etes-vous?» 20 — Ici!» repondis-je; et les trois destructeurs accou- rurent a ma voix. Le Roi des montagnes, tout faible qu'il etait, appuya une main sur mon epaule, s'adossa au rocher, regarda fixement ces hommes qui n'avaient tue tant de monde 25 que pour arriver jusqu'a lui, et leur dit d'une voix ferme: <'Je suis Hadgi-Stavros. » Vous savez si mes amis attendaient depuis longtemps I'occasion de chatier le vieux Pallicare. Ils s'etaient promis sa mort comme une fete. Ils avaient k venger 30 les filles de Mistra, mille autres victimes, et moi, et eux-memes. Et cependant je n'eus pas besoin de leur 2o6 LE ROI DES MONTAGNES. retenir le bras. II y avait un tel reste de grandeur dans ce h^ros en ruines que leur colore tomba d'elle-meme et fit place a I'etonnement. lis etaient jeunes tous les trois, et dans cet age ou Ton ne trouve plus ses armes devant un ennemi desarme. Je leur appris en quelques j mots comment le Roi m'avait defendu contre toute sa bande, tout mourant qu'il etait, et le jour meme ou je I'avais empoisonn^. Je leur expliquai la bataille qu'ils avaient interrompue, les barricades qu'ils venaient de franchir, et cette guerre etrange oia ils etaient intervenus lo pour tuer nos defenseurs. «Tant pis pour eux! dit John Harris. Nous portions, comme la justice, un bandeau sur les yeux. Si les droles ont eu un bon mouvement avant de mourir, on leur en tiendra compte la-haut; je ne m'y oppose pas. 15 — Quant au secours dont nous vous avons prive, dit Lobster, ne vous en mettez pas en peine. Avec deux revolvers dans les mains et deux autres dans les poches, nous valons chacun vingt-quatre hommes. Nous avons tue ceux-ci; les autres n'ont qu'a revenir! N'est-il pas 20 vrai, Giacomo? — Moi, dit le Maltais, j'assommerais une armee de taureaux: je suis en veine! Et dire qu'on est r^duit a cacheter des lettres avec ces deux poignets-la!» Cependant I'ennemi, revenu de sa stupeur, avait re- 25 commence le siege. Trois ou quatre brigands avaient allonge le nez par-dessus nos remparts et aperju le carnage. Coltzida ne savait que penser de ces trois fl^aux qu'il avait vus frapper aveugldment sur ses amis et ses ennemis; mais il conjectura que le fer ou le poison 30 I'avait delivre du Roi des montagnes. II ordonna de JOHN HARRIS. 207 demolir prudemment nos ouvrages de defense. Nous etions hors de vue, abrites centre un mur, a dix pas de I'escalier. Le bruit des materiaux qui croulaient avertit mes amis de recharger leurs armes. Hadgi-Stavros les 5 laissa faire. II dit ensuite a John Harris: « OiJ est Photini ? — A mon bord. — Vous ne lui avez pas fait de mal ? — Est-ce que j'ai pris de vos lemons pour torturer les lo jeunes filles? — Vous avez raison, je suis un miserable vieillard; pardonnez-moi. Promettez-moi de lui faire grace! — Que diable voulez-vous que je lui fasse ? Main- tenant que j'ai retrouve Hermann, je vous la rendrai 15 quand vous voudrez. — Sans ranfon ? — Vieille bete! — ■ Vous allez voir, dit le Roi, si je suis une vieille bete. » 20 II passa le bras gauche autour du cou de Dimitri, il etendit sa main crispee et tremblante vers la poignee de son sabre, tira peniblement la lame hors du fourreau, et marcha vers I'escalier ou les insurges de Coltzida s'aven- turaient en hesitant. lis reculerent a sa vue, comme si 25 la terre se fut ouverte pour laisser passer le grand juge des enfers. lis etaient quinze ou vingt, tous armes: aucun d'eux n'osa ni se defendre, ni s'excuser, ni fuir. lis tremblaient sur leurs jambes devant la face ter- rible du Roi ressuscite. Hadgi-Stavros marcha droit a 30 Coltzida qui se cachait, plus pale et plus glace que tous le§ autres. II jeta le bras en arriere par un effort impos' 2o8 LE ROI DES MONTAGNES. sible a mesurer, et d'un coup trancha cette tete ignoble d'epouvante. Le tremblement le reprit ensuite. II laissa tomber son sabre le long du cadavre et ne daigna point le ramasser. «Marchons, dit-il, j'emporte mon fourreau vide. La 5 lame n'est plus bonne a rien, ni moi non plus; j'ai fini.» Ses anciens compagnons s'approcherent de lui pour lui demander grace. Quelques-uns le supplierent de ne point les abandonner; ils ne savaient que devenir sans lui. II ne les honora pas d'un seul mot de reponse. II 10 nous pria de le conduire a Castia pour prendre des chevaux, et a Salamine pour chercher Photini. Les brigands nous laisserent partir sans resistance. Au bout de quelques pas, mes amis s'apergurent que je me trainais avec peine; Giacomo me soutint; Harris 15 s'informa si j'etais blesse. Le Roi me lanfa un regard suppliant, pauvre homme! Je contai a mes amis que j'avais tente une evasion perilleuse, et que mes pieds s'en etaient mal trouves. Nous descendimes lentement les sentiers de la montagne. Les cris des blesses et la 20 voix des bandits qui deliberaient sur place nous pour- suivirent a un demi-quart de lieue. A mesure que nous approchions du village, le temps se remettait, les chemins sechaient sous nos pas. Le premier rayon du soleil me parut bien beau. Hadgi-Stavros pretait peu d'attention 25 au monde exterieur: il regardait en lui-meme. C'est quelque chose que de rompre avec une habitude de cinquante ans. Aux premieres maisons de Castia, nous fimes la ren- contre du moine qui portait un essaim dans un sac. II 30 nous presenta ses civilites et s'excusa de n'etre point JOHN HARRIS. 209 venu nous voir depuis la veille. Les coups de fusil lui avaient fait peur. Le Roi le salua de la main et passa outre. Les chevaux de mes amis les attendaient avec leur 5 guide aupres de la fontaine. Je demandai comment ils avaient quatre chevaux. Ils m'apprirent que M. Meri- nay faisait partie de I'expedition, mais qu'il etait descendu de cheval pour considerer une pierre curieuse, et qu'il n'avait point reparu. 10 Giacomo Fondi me porta sur ma selle, toujours a bras tendu: c'etait plus fort que lui. Le Roi, aide de Dimitri, se hissa peniblement sur la sienne. Harris et son neveu sauterent a cheval; le Maltais, Dimitri et le guide nous precederent a pied. 15 Chemin faisant, je m'approchai de Harris, et il me raconta comment la fille du Roi etait tombee en son pouvoir. « Figurez-vous, me dit-il, que j'arrivais de ma croisiere, assez content de moi, et tout fier d'avoir coule une 20 demi-douzaine de pirates. Je mouille au Piree le di- manche a six heures, je descends a terre, et comme il y avait huit jours que je vivais en tete-a-tete avec mon ^tat-major, je me promettais une petite debauche de conversation. J'arrete un fiacre sur le port, et je le 25 prends pour la soiree. Je tombe chez Christodule au milieu d'une consternation generale: je n'aurais jamais cru que tant d'ennui put tenir dans la maison d'un patissier. Tout le monde etait reuni pour le souper, Christodule, Maroula, Dimitri, Giacomo, William, M. 30 Merinay et la petite fille des dimanches, plus endi- manchee que jamais. William me conta votre affaire. sio lp: roi des montagneSj Si j'ai pousse de beaux cris, inutile de vous le dire. J'etais furieux centre moi de n'avoir pas 6i6 la. Le petit m'assure qu'il a fait tout ce qu'il a pu. II a battu toute la ville pour quinze mille francs, mais ses parents lui ont ouvert un credit fort limite; href, il n'a pas trouve 5 la somme. II s'est adresse, en desespoir de cause, a M. Merinay; mais le doux Merinay pretend que tout son argent est prete a des amis intimes, loin d'ici, bien loin; plus loin que le bout du monde. «He! morbleu! dis-je a Lobster, c'est en monnaie de 10 plomb qu'il faut payer le vieux scelerat. A quoi te sert-il d'etre plus adroit que Nemrod, si ton talent n'est lx)n qu'a ecorner la prison de Socrate ? II faut organiser une chasse aux Pallicares! J'ai refuse dans le temps un voyage dans I'Afrique centrale; et j'en suis encore li aux regrets. C'est double plaisir de tirer un gibier qui se defend. Fais provision de poudre et de balles, et demain matin nous entrons en campagne. » William mord a I'hamegon, Giacomo donne un grand coup de poing sur la table; vous connaissez les coups de poing 20 de Giacomo. II jure de nous accompagner, pourvu qu'on lui procure un fusil a un coup. Mais le plus enrage de tous etait M. Merinay. II voulait teindre ses mains dans le sang des coupables. On accepta ses services, mais j'offris de lui acheter le gibier qu'il rap- 25 porterait. II enflait sa petite voix de la fa^on la plus comique, et disait, en montrant ses poings de demoiselle, qu'Hadgi-Stavros aurait affaire a lui. «Moi, je rials de bon coeur, d'autant plus qu'on est toujours gai la veille d'une bataille. Lobster devint 30 tout guilleret a I'idee de montrer aux brigands les progres JOHN HARRIS. 211 qu'il avait fails. Giacomo ne se tenait pas de joie; les coins de sa bouche lui entraient dans les oreilles; il cassait ses noisettes avec la figure d'un casse-noisette de Nuremberg. M. Merinay avait des rayons autour de 5 la tete. Ce n'etait plus un homme, mais un feu d'ar- tifice. «Excepte nous, tous les convives avaient des mines d'une aune. La grosse patissiere se confondait en signes de croix; Dimitri levait les yeux au ciel, le lieu- lo tenant de la phalange nous conseillait d'y regarder a deux fois avant de nous frotter au Roi des montagnes. Mais la fille au nez aplati, celle que vous avez baptisee du nom de Crinolina invariabilis, etait plongee dans une douleur tout a fait plaisante. Elle poussait des 15 soupirs de fendeur de bois, elle ne mangeait que par contenance, et j'aurais pu faire entrer dans mon oeil gauche tout le souper qu'elle mit dans sa bouche. — C'est une brave fille, Harris. — Brave fille tant que vous voudrez. Elle partit a 20 neuf heures pour sa pension; je lui souhaitai un bon voyage. Dix minutes apres, je serre la main de nos amis, nous prenons rendez-vous pour le lendemain, je sors, je reveille mon cocher, et devinez un peu qui je trouve dans la voiture? Crinolina invariabilis avec la 85 servante du patissier. «Elle appuie un doigt sur sa bouche, je monte sans rien dire, et nous partons. "Monsieur Harris,* me dit-elle en assez bon anglais, ma foi! « monsieur Harris, «jurez-moi de renoncer a vos projets contre le Roi des 3e * montagnes.* «Je me mets a rire, elle se met a pleurer. Elle jure 212 LE ROI DES MONTAGNES. que je me ferai tuer; je reponds que c'est moi qui tue les autres; elle s'oppose a ce qu'on tue Hadgi-Stavros; je veux savoir pourquoi, et enfin, a bout d'eloquence, elle s'ecrie, comme au cinquieme acte d'un drame: « C'est mon pere!» La-dessus, je commence a reflechir 5 serieusement: une fois n'est pas coutume. Je songe qu'il me serait possible de recuperer un ami perdu sans en risquer deux ou trois autres, et je dis a la jeune Palli- care: «Votre pere vous aime-t-il? 10 « — Plus que sa vie. « — Vous a-t-il jamais refuse quelque chose ? « — Rien de ce qu'il me faut. « — Et si vous lui ecriviez que vous avez besoin de M. Hermann Schultz, vous I'enverrait-il par retour du 15 courrier ? «— Non. « — Vous en etes slare ? "■ — Absolument. « — Alors, mademoiselle, je n'ai plus qu'une chose a 20 faire. A brigand, brigand et demi. Je vous emporte a bord de la Fancy, et je vous garde en otage jusqu'au retour d'Hermann. « — J'allais vous le proposer, dit-elle. A ce prix, papa vous rendra votre ami." 25 J'interrompis a ce mot le recit de John Harris. «He bien, lui dis-je, vous n'admirez pas la pauvre fille qui vous aime assez pour se livrer entre vos mains? — La belle affaire! repondit-il; elle voulait sauver son honnete homme de pere, et elle savait bien qu'une fois 30 la guerre declaree, nous ne le manquerions pas. Je lui JOHN HARRIS. 213 promis de la traiter avec tous les egards qu'un galant homme doit a une femme. Elle pleura jusqu'au Piree, je la consolai comme je pus. Je la fis descendre de voiture, je I'embarquai avec la sefvante dans mon grand 5 canot, le meme qui nous attend la-bas. J'ecrivis au vieux brigand une lettre categorique et je renvoyai la bonne femme a la ville avec un petit message pour Dimitri. J'ai attendu jusqu'a lundi soir la reponse de son pere; 10 puis la patience m'a manque; je suis revenu a ma pre- miere idee; j'ai pris mes pistolets, j'ai fait signe a nos amis, et vous savez le reste. Maintenant, a votre tour! vous devez avoir tout un volume a raconter. — Je suis a vous, lui dis-je, et je racontai a John mes 15 aventures avec Mary- Ann. « Bravo! fit-il. Je trouvais que le roman n'etait pas complet, faute d'un peu d'amour. En voila beaucoup, ce qui ne gate rien. — Excusez-moi, lui dis-je. II n'y a pas d'amour dans tout ceci: une bonne amitie d'un cote, un peu 20 de reconnaissance de I'autre. Mais il ne faut rien de plus, je pense, pour faire un mariage raisonnablement assorti. — Epousez, mon ami, et prenez-moi pour temoin de votre bonheur. «5 — Vous I'avez bien gagne, John Harris. — Quand la reverrez-vous ? Je donnerais beaucoup pour assister a I'entrevue. — Je voudrais lui faire une surprise et la rencontrer comme par hasard. 5*. — C'est une idee! Apres demain, au bal de la cour! Vous etes invite, moi aussi. La lettre vous attend sur 214 LE ROI DES MONTAGNES. votre table, chez Christodule. D'ici la, mon garjon, il faut rester k mon bord pour vous refaire un peu. Vos cheveux sent roussis et vos pieds endommages : nous avons le temps de remedier a tout. >' II etait six heures du soir lorsque le grand canot de 5 la Fancy nous mit tous a bord. On porta le Roi des montagnes jusque sur le pont; il ne se soutenait plus. Photini se jeta dans ses bras en pleurant. C'etait beau- coup de voir que tous ceux qu'elle aimait avaient sur- vecu a la bataille, mais elle trouva son pere vieilli de 10 vingt ans. Peut-etre aussi eut-elle a souffrir de I'in- difference de Harris. II la remit au Roi avec un sans- fafon tout americain en lui disant: "Nous sommes quittes. Vous m'avez rendu mon ami, je vous restitue mademoiselle. Donnant, donnant. Les bons comptes 15 font les bons amis. Et maintenant, auguste vieillard, sous quel climat beni du ciel irez-vous chercher qui vous pende? Vous n'etes pas homme a vous retirer des affaires ! — Excusez-moi, repondit-il avec une certaine hauteur: 20 j'ai dit adieu au brigandage, et pour toujours. Que ferais-je dans la montagne? Tous mes hommes sont morts, ble.sses ou disperses. J'en pourrais lever d'autres; mais ces mains qui ont fait plover tant de tetes me refusent le service. C'est aux jeunes a prendre ma 25 place; mais je les defie d'egaler ma fortune et ma re- nommee. Que vais-je faire de ce restant de vieillesse que vous m'avez laisse? Je n'en sais rien encore; mais soyez stirs que mes derniers jours seront bien remplis. J'ai ma fille a dtablir, mes memoires a dieter. Peut-etre 30 encore, si les secousses de cette semaine n'ont pas trop JOHN HARRIS. 215 fatigu^ mon cerveau, consacrerai-je au service de I'Etat mes talents et mon experience. Que Dieu me donne la sante de I'esprit: avant six mois je serai president du conseil des ministres. VIII. Le Bal de la Cour. Le jeudi 15 mai, a six heures du soir, John Harris, en grand uniforme, me ramena chez Christodule. Le patissier et sa femme me firent fete, non sans pousser quelques soupirs a I'adresse du Roi des montagnes. Pour moi, je les embrassai de bon coeur. J'etais heureux 5 de vivre, et je ne voyais partout que des amis. Mes pieds etaient gueris, mes cheveux coupes, mon estomac satisfait. Dimitri m'assura que M'"'' Simons, sa fille et son frcre etaient invites au bal de la cour, et que la blanchisseuse venait de porter une robe a I'hotel des 10 Etrangers. Je jouissais par avance de la surprise et de la joie de Mary-Ann. Christodule m'offrit un verre de vin de Santorin. Dans ce breuvage adoraljle, je crus boire la liberte, la richesse et le bonheur. Je montai I'escalier de ma chambre, mais, avant d'entrer 15 chez moi, je crus devoir frapper a la porte de M. Meri- nay. II me refut au milieu d'une bagarre de livrcs et de papiers. «Cher monsieur, me dit-il, vous voyez un homme perdu de travail. J'ai trouve au-dessus du vil- lage de Castia une inscription antique qui m'a prive du 20 plaisir de combattre pour vous et qui, depuis deux j'^urs, me met k la torture. EUe est absolument ineditc, jc viens de m'en assurer. Personne ne I'a vue avant moi; j'aurai I'honneur de la decouverte; je compte y attacher 216 LE BAL DE LA COUR. 217 mon nom. La pierre est un petit monument de calcaire coquillier, haut de 35 centimetres sur 22 et plante par hasard au bord du chemin. Les caracteres sont de la bonne ^poque et sculptes dans la perfection. Voici I'in- j scription, telle que je I'ai copiee sur mon carnet. S. T. X. X. I. I. M. D. C. C. C. L. I. «Si je parviens a I'expliquer, ma fortune est faite. Je serai membre de I'Academie des inscriptions et belles- 10 lettres de Pont-Audemer! Mais la tache est longue et difficile. L'antiquite garde ses secrets avec un soin jaloux. Je crains bien d'etre tombe sur un monument relatif aux mysteres d'Eleusis. En ce cas, il y aurait peut-etre deux interpretations a trouver, I'une vulgaire 15 ou demotique, I'autre sacree ou hieratique. II faudra que vous me donniez votre avis. — Mon avis, lui repondis-je, est celui d'un ignorant. Je pense que vous avez decouvert une borne comme on en voit beaucoup le long des chemins, et que inscription 20 qui vous a donne tant de peine pourrait sans nul incon- venient se traduire ainsi: «Stade, 22, i85i.» Bonsoir, cher monsieur Merinay; je vais ecrire a mon pere, et endosser mon bel habit rouge. " Ma lettre a mes parents fut une ode, un hymne, un 25 chant de bonheur. L'ivresse de mon coeur coulait sur le papier entre les deux bees de ma plume. J'invitai la famille a mon manage, sans oublier la bonne tante Rosenthaler. Je priai mon pere de vendre au plus tot son auberge, dut-il la donner a vil prix. J'exigeai que 30 Frantz et Jean-Nicolas quittassent le service; j'adjurai 2l8 LE ROI DES MONTAGNES. mes autres freres de changer d'etat. Je prenais tout sur moi; je me chargeais de I'avenir de tous les notres. Sans perdre un seal moment, je cachetai la depeche et je la fis porter par un expres au Piree, a bord d'un vapeur du Lloyd autrichien qui partait le vendredi s matin, a six heures. «De cette fafon, me disais-je, ils jouiront de mon bonheur presque aussitot que moi.» A neuf heures moins un quart, heure militaire, j'en- trais au palais avec John Harris. Ni Lobster, ni M. Merinay, ni Giacomo n'etaient invites. Mon tricorne lo avait un ret^et imperceptiblement roussatre, mais, a la clarte des bougies, ce petit defaut ne s'apercevait pas. Mon epee etait trop courte de sept ou huit centimetres; mais qu'importe? le courage ne se mesure pas a la longueur de I'epee, et j'avais, sans vanite, le droit de 15 passer pour un heros. L'habit rouge etait juste; il me genait sous les bras, et le parement des manches arrivait assez loin de mes poignets; mais la broderie faisait bien, comme papa I'avait prophetise. La salle de bal, decoree avec un certain gout et splen- 20 didement eclairee, se divisait en deux camps. D'un cote etaient les fauteuils reserves aux dames, derriere le trone du roi et de la reine; de I'autre etaient les chaises destinees au sexe laid. J'embrassai d'un coup d'oeil avide I'espace occupe par les dames. Mary-Ann n'y 25 etait pas encore. A neuf heures, je vis entrer le roi et la reine precedes de la grande maitresse, du marechal du palais, des aides de camp, des dames d'honneur et des officiers d'ordon- nance, parmi lesquels on me montra M. George Microm- 30 m^tis. Le roi ^tait magnifiquen^ent vetu en Pallicare, LE BAL DE LA COUR. 219 et la reine portait une toilette admirable, dont les ele- gances exquises ne pouvaient venir que de Paris. La luxe des toilettes et I'eclat des costumes nationaux ne m'eblouirent pas au point de me faire oublier Mary-Ann. 5 J'avais les yeux fixes sur la porte, et j'attendais. Les membres du corps diplomatique et les principaux invites se rangerent en cercle autour du roi et de la reine, qui leur distribuerent des paroles aimables durant une demi-heure environ. J'etais au dernier rang, avec John 10 Harris. Un officier place devant nous se recula si mala- droitement qu'il me marcha sur le pied et m'arracha un cri. II retourna la tete, et je reconnus le capitaine Pericles, tout fraichement decore de I'ordre du Sauveur. II me fit ses excuses et me demanda de mes nouvelles. 15 Je ne pus m'empecher de lui repondre que ma sante ne le regardait pas. Harris, qui savait mon histoire de bout en bout, dit polimcnt au capitaine: «N'est-ce pas a M. Pericles que j'ai I'honneur de parler ? 20 — A lui-meme. — Je suis charme de la rencontre. Seriez-vous assez aimable pour m'accompagner un instant dans le salon de jeu? II est encore desert, et nous y serons seuls. — A vos ordres, monsieur. » 25 M. Pericles, plus pale qu'un soldat qui sort de I'hopital, nous suivit en souriant. Arrivd, il fit face a John Harris, et lui dit: « Monsieur, j'attends votre bon plaisir. » Pour toute re'ponse, Harris lui arracha sa croix avec 30 le ruban neuf, et la mit dans sa poche en disant: «Voila, monsieur, tout ce que j'avais a vous dire. 220 LE ROI DES MONTAGNES. — Monsieur! cria le capitaine en faisant un pas en arriere. — Point de bruit, monsieur, je vous en prie. Si vous tenez a ce joujou, veuillez I'envoyer prendre chez M. John Harris, commandant de la Fancy, par deux de 5 vos amis. — Monsieur, reprit Pericles, je ne sais de quel droit vous mt prenez une croix dont la valeur est de quinze francs, et que je serai force de remplacer a mes frais. — Qu'a cela ne tienne, monsieur; voici un souverain 10 a I'eflfigie de la reine d'Angleterre: quinze francs pour la croix, dix pour le ruban. S'il restait quelque chose, je vous prierais de le boire a ma sante. — Monsieur, dit I'officier en empochant la piece, je n'ai plus qu'a vous remercier. » II nous salua sans 15 ajouter un mot, mais ses yeux ne promettaient rien de bon. «Mon cher Hermann, me dit Harris, vous ferez pru- demment de quitter ce pays le plus tot possible avec votre future. Ce gendarme m'a Pair d'un brigand fini. 20 Quant a moi, je resterai huit jours, pour lui laisser le temps de me rendre la monnaie de ma piece; apres quoi, je suivrai I'ordre qui m'envoie dans les mers du Japon. — Je suis bien fache, lui repondis-je, que votre viva- 25 cite vous ait emporte si loin. Je ne voulais pas sortir de Grece sans un exemplaire ou deux de la Boryana variabilis. J'en avals un incomplet, sans les racines, et je I'ai oublie la-haut avec ma boite de fer-blanc. — Laissez un dessin de votre plante a Lobster ou a 30 Giacomo. lis feront un pelerinage a votre intention LE BAL DE LA COUR. 221 dans la montagne. Mais, pour Dieu! hatez-vous de mettre votre bonheur en surete!>' En attendant, mon bonheur n'arrivait pas au bal, et je me tuais les yeux a devisager toutes les danseuses. 5 Vers minuit, je perdis I'esperance. Je sortis du grand salon, et je me plantai melancoliquement devant une table de whist ou quatre joueurs habiles faisaient courir les cartes avec une dexterite admirable. Je commenfais a m'intdresser a ce jeu d'adres^e, lorsqu'un eclat de rire lo argentin me fit bondir le coeur. Mary-Ann ^tait la derriere moi. Je ne la voyais pas, et je n'osais me retourner vers elle, mais je la sentais presente, et la joie me serrait la gorge a m'etouffer. Ce qui causait son hilarite, je ne I'ai jamais su. Peut-etre quelque costume 15 ridicule: on en rencontre en tout pays dans les bals officiels. L'idee me vint que j'avais une glace devant moi. Je levai les yeux, et je la vis, sans etre vu, entre sa mere et son oncle, plus belle et plus radieuse que le jour ou elle m'etait apparue pour la premiere fois. Ses 20 beaux yeux scintillaient au feu des bougies, ses dents riaient avec une grace inexprimable, la lumiere jouait comme une folle dans la foret de ses cheveux. Sa toilette etait celle de toutes les jeunes filles; elle ne portait pas, comme M'"^ Simons, un oiseau de paradis 25 sur la tete, mais elle n'en etait que plus belle; sa jupe etait relevee par quelques bouquets de fleurs naturelles; elle avait des fleurs au corsage et dans les cheveux, et quelles fleurs, monsieur? Je vous le donne en mille. Moi, je pensai mourir de joie en reconnaissant sur elle 30 la Boryana variabilis. Tout me tombait du ciel en meme temps. Y a-t-il rien de plus doux que d'herbo- 2^2 LE ROl DES MONTAGNES. riser dans les cheveux de celle qu'on aime? J'dtais le plus heureux des hommes et des naturalistes! L'exces du bonheur m'entraina par-dessus toutes les bornes des convenances. Je me relournai brusquement vers elle, je lui tendis les mains, je criai: « Mary-Ann! c'est moi!» 5 Le croiriez-vous, monsieur? elle recula comme epou- vantee, au lieu de tomber dans mes bras. M""^ Simons leva si haut la tete, qu'il me sembla que son oiseau de paradis s'envolait au plafond. Le vieux monsieur me prit par la main, me conduisit a I'ecart, m'examina 10 comme une bete curieuse et me dit: "Monsieur, etes-vous presente a ces dames? — II s'agit bien de tout cela, mon digne monsieur Sharper! mon cher oncle! Je suis Hermann! Hermann Schultz! leur compagnon de captivite! leur sauveur! 15 Ah! j'en ai vu de belles, allez! depuis leur depart. Je vous conterai tout cela chez nous. — Yes, yes, repondit-il. Mais la coutume anglaise, monsieur, exige absolument qu'on soit presente aux dames avant de leur raconter des histoires. 20 — Mais puisqu'elles me connaissent, mon bon et excellent monsieur Sharper! nous avons dine plus de dix fois ensemble! Je leur ai rendu un service de cent mille francs! vous le savez bien? chez le Roi des mon- tagnes ? ^5 — Yes, yes; mais vous n'etes pas presente. — Mais vous ne savez done pas que je me suis expos6 a mille morts pour ma chere Mary-Ann ? — Fort bien; mais vous n'etes pas pr^sent^. — Enfin, monsieur, je dois I'epouser. Ne vous a-t-on 30 pas dit que je devais me marier avec elle? LE BAL DE LA COUR. 223 — Pas avant d'etre presente. — Presentez-moi done vous-meme! — Yes, yes; mais il faut d'abord vous faire presenter a moi. 5 — Attendez ! » Je courus comme un fou a travers le bal, je heurtai plus de six groupes de valseurs; mon epee s'embarrassa dans mes jambes, je glissai sur le parquet et je tombai scandaleusement de toute ma longueur. Ce fut John 10 Harris qui me releva. "Que cherchez-vous ? dit-il. — Elles sont ici, je les ai vues: je vais epouser Mary- Ann; mais il faut d'abord que je leur sois present^. C'est la mode anglaise. Aidez-moi! Ou sont-elles? 15 N'avez-vous pas vu une grande femme coiffee d'un oiseau de paradis? — Oui, elle vient de quitter le bal avec une bien jolie fille. — Quitter le bal! mais, mon ami, c'est la mere de ao Mary- Ann! — Calmez-vous, nous la retrouverons. Je vous ferai presenter par le ministre d'Amerique. — C'est cela. Je vais vous montrer mon oncle Ed- ward Sharper. Je I'ai laisse ici. Oil diable s'est-il 25 sauvd? II ne saurait ^tre loin!* L'oncle Edward avait disparu. J'entrainai le pauvre Harris jusque sur la place du palais, devant l'h6tel des fitrangers. L'appartement de M™^ Simons etait eclaire. Au bout de quelques minutes, les lumiferes s'eteignirent. 30 Tout le monde etait au lit. *Faisons comme eux, dit Harris. Le somraeil vous 224 LEI 31 DES MONTAGNES. calmera. Demain, entre une heure et deux, j'arrangerai vos affaires." Je passai une nuit pire que les nuits de ma captivite. Harris dormit avec moi, c'est-a-dire ne dormit pas. Nous entendions les voitures du bal qui descendaient la 5 rue d'Hermes avec leurs cargaisons d'uniformes et de toilettes. Sur les cinq heures, la fatigue me ferma les yeux. Trois heures apres, Dimitri entra dans ma chambre en disant: «Grandes nouvelles! — Quoi ? to — Vos Anglaises viennent de partir. — Pour ou ? — Pour Trieste. — Malheureux! en es-tu bien sur? — C'est moi qui les ai conduites au bateau. is — Mon pauvre ami, dit Harris en me serrant les mains, la reconnaissance s'impose, mais I'amour ne se commande pas. — Helas!* fit Dimitri. II y avait de I'echo dans le coeur de ce gargon. 20 Depuis ce jour, monsieur, j'ai vecu comme les betes, buvant, mangeant et humant Fair. J'ai expedie mes collections a Hambourg sans une seule fleur de Boryana variabilis. Mes amis m'ont conduit au bateau franjais le lendemain du bal. lis ont trouv^ prudent de faire le 25 voyage pendant la nuit, de peur de rencontrer les soldats de M. Pericles. Nous sommes arrives sans encombre au Piree; mais a vingt-cinq brasses du rivage une demi- douzaine de fusils invisibles ont chante tout pres de nos oreilles. C'etait I'adieu du joli capitaine et de son beau 30 pays. LE BAL DE LA COUR. 225 J'ai parcouru les montagnes de Malte, de la Sicile et de I'ltalie, et mon herbier s'est enrichi plus que moi. Mon pere, qui avait eu le bon esprit de garder son auberge, m'a fait savoir, a Messine, que mes envois 5 etaient apprecies la-bas. Peut-etre trouverai-je une place en arrivant; niais je me suis fait une loi de ne plus compter sur rien. Harris est en route pour le Japon. Dans un an ou deux, j'espere avoir de ses nouvelles. Le petit Lobster 10 m'a ecrit a Rome, il s'exerce toujours a tirer le pistolet. Giacomo continue a cacheter des lettres le jour et a casser des noisettes le soir. M. Merinay a trouve pour sa pierre une nouvelle interpretation, bien plus inge- nieuse que la mienne. Son grand travail sur Demosthene 15 doit s'imprimer un jour ou I'autre. Le Roi des mon- tagnes a fait sa paix avec I'autorite. II construit une grande maison sur la route du Pentelique, avec un corps de garde pour loger vingt-cinq Pallicares devoues. En attendant, il a loue un petit hotel dans la ville moderne, 20 au bord du grand ruisseau. II refoit beaucoup de monde et se demene activement pour arriver au ministere de la justice; mais il faudra du temps. C'est Photini qui tient sa maison. Dimitri y va quelquefois souper et soupirer a la cuisine. 25 Je n'ai plus entendu parler de M*"^ Simons, ni de M. Sharper, ni de Mary-Ann. Si ce silence continue, je n'y penserai bientot plus. Quelquefois encore, au milieu de la nuit, je reve que je suis devant elle et que ma longue figure maigre se reflete dans ses yeux. Ce 30 que je regrette, croyez-le bien, ce n'est pas la femme, c'est la fortune et la position qui m'ont echappe. Bien 225 LE ROl DES MONTAGNES. m'en a pris de ne pas livrer mon coeur, et je rends tous les jours des actions de graces a ma froideur naturelle. Que je serais a plaindre, mon cher monsieur, si par malheur j'dtais tombe amoureux! IX. Lettre d'Ath^nes. Le jour meme ou j'allais livrer k I'impression le recit de M. Hermann Schultz, mon honorable cor- respondant d'Athenes me renvoya le manuscrit avec la lettre suivante: 5 < Monsieur, "L'histoire du Roi des montagnes est l*invention d'un ennemi de la vdrite et de la gendarmerie. Aucun des personnages qui y sont cites n'a mis le pied sur le sol de la Grece. La police n'a point vise de passeport au lo nom de M™^ Simons. Le commandant du Piree n'a jamais entendu parler de la Fancy ni de M. John Harris. Les freres Philip ne se souviennent pas d'avoir employe M. William Lobster. Aucun agent diplomatique n'a connu dans ses bureaux un Maltais du nom de Giacomo 15 Fondi. La banque nationale de Grece a bien des choses a se reprocher, mais elle n'a jamais eu en d^pot les fonds provenant du brigandage. Si elle les avait refus, elle se serait fait un devoir de les confisquer a son profit. Je tiens a votre disposition la liste de nos officiers de 20 gendarmerie. Vous n'y trouverez aucune trace de M. Pericles. Je ne connais que deux hommes de ce nom: I'un est cabaretier dans la ville d'Athenes, I'autre vend des epices a Tripolitza. Quant au fameux Hadgi-Stavros, 227 2 28 LE ROI DES MONTAGNES. dont j'entends aujourd'hui le nom pour la premiere fois, c'est un etre fabuleux qu'il faut releguer dans la mytho- logie. Je confesse en toute sincerite qu'il y eut autrefois quelques brigands dans le royaume. Les principaux ont ete detruits par Hercule et par Thesee, qui peuvent 5 etre consideres comme les fondateurs de la gendarmerie grecque. Ceux qui ont echappe au bras de ces deux heros, sont tonibes sous les coups de notre invincible armee. L'auteur du roman que vous m'avez fait I'hon- neur de m'envoyer a prouve autant d'ignorance que de 10 mauvaise foi, en affectant de considerer le brigandage comme un fait contemporain. Je donnerais beaucoup pour que son recit fut imprime, soit en France, soit en Angleterre, avec le nom et ie portrait de M. Schultz. Le monde saurait enfin par c[uels grossiers artifices on 15 essaye de nous rendre suspects a toutes les nations civilisees. '< Quant a vous, monsieur, qui nous avez toujours rendu justice, agreez I'assurance de tous les bons senti- ments avec lesquels j'ai I'honneur d'etre 20 *Votre tres reconnaissant serviteur, «Patriotis Pseftis.» X. Ot l'Auteur Reprend la Parole. Athenien, mon bel ami, les histoires les plus vraies ne sont pas celles qui sont arrivdes. FIN 229 NOTES. The numbers in heavy type refer to pages; those in light type to lines. 3. — 7. vient k. Note the difference between venir, venir de, and venir a. See Vocabulary. 16. Guten Morgen, German, 'Good morning.' 23. Mozart, illustrious German composer, 1 756-1 791. 24. sauriez. The conditional of savoir is frequently used in place of the present of pouvoir; translate 'you cannot believe' or 'you would not believe.' 4. — ^9. tout en compl^tant, 'while completing.' tout is not translated. 12. du bonhomme H^rodote, trans, 'of simple old Hero- dotus'; the latter has an artless way of describing extraordinary things. 17. dans mon livre, book called La Grice Contemporaine. See Introduction. 5. — 2. qu'. que is used in place of repeating si, and ia followed by the subjunctive. 24. d^ance, not defiance. See Vocabulary. 6. — 7. Amphitryon, comedy by Plautus, imitated by Molifere in a three-act play of the same name. 30. 11 n'est pas dit, 'it is not decided.' 7. ^ — 16. Journal des D^bats, famous newspaper of Paris. 22. M. Patriotis Pseftis, Mr. Patriotic Liar. 8. — 2. mon 6pingle est hors du jeu, expression taken 231 232 NOTES. from the game of Spingles, that consists of knocking pins out of a circle with a ball; trans. 'I have withdrawn' or 'I am out of it.' 9. — 5. tous bien endent^s, lit. all well provided with teeth; trans, 'all with good appetites.' 31. ne, redundant, regularly used after douter in the negative. 10. — 14. Piree, the Piraeus, the port of Athens. 16. L'armfie d'occupation. In 1853, at the outbreak of the Crimean war, the Greeks sided with the Russians; English and French troops were landed at the Piraeus and put an end to the Russian alliance. 26. La guerre de I'indfipendance. The war for independ- ence broke out in 182 1; in 1822 Greek independence was declared. After stirring and bloody events, the combined fleets of England, France, and Russia were fired upon in 1827 by the Turkish fleet, which latter was destroyed. In 1832, the independent Greek monarchy was established. 11. — 13. blanchie ^ la chaux, 'white-washed.* 26. petit vin, 'light wine.' 12. — 7. Anacreon, celebrated lyric poet of Greece (560- 478 B.C.). 10. en famille, 'without ceremony,' 'at the family table.' 12. le premier €tage, the second story, the first being the rez-de-chaussee. 23. que, used in place of repeating quoique; very frequent usage. See note p. 5, 1. 2. 29. Orph6e, Orpheus, greatest musician of antiquity, ac- cording to mythology. 13. — 3. D6mosthfene (388-322 B.C.), Demosthenes, who wrote and delivered his great Philippics against Philip of Macedon. NOTES. 235 14, Milon de Crotone, celebrated Greek athlete, of wonder- ful strength, victor in the Olympic games. In English, Milo of Crotona. 21. capitaine de I'lliade, hero of the Iliad, Homer's great poem. 14. — 12. Caliban, savage and deformed slave in Shake- speare's Tempest. 13. prise, 'formed.' 19. je ne parle que pour mgmoire, 'I speak of him. only by way of mention,' i.e. so that my list may be complete. 15. — 3. porte, 'goes.' 8. ne s'attend qu'l. soi, 'relies only upon himself.' 16. — 15. faire grand cas de, 'attach great importance to,' 'think much of.' 28. Pour ce qui est, 'As regards,' 'As for.' 17. — 8. la grande maitrwse, 'lady high stewardess.' 28. il n'y fallait pas compter, 'it was not to be counted upon.' 18. — 7. pour I'amour du grec. Cf. Molifere, Femmes savantes, Act III, Scene V, * . . . Ah permettez, de grSce, Que pour I'amour du grec, monsieur, on vous embrasse.* 21. Lycab^te, Mount Lycabatus, near Athens. 27. Pentelique, Mount Pentelicus, near Athens. 19. — 28. Que voulez-vous ?, 'What can you expect?' 21. — 4. les registres de I'ltat civil, registers of births, deaths, marriages, etc.; municipal records. 16. force lui fut, 'he was forced to,' 'he had to.' 23. qu'il vint, 'whether it came.' ai34 NOTES. 22. — I. fipaminondas (411-363 B.C.), celebrated general of Thebes, who overthrew the Spartans. 2. Aristide (540-468 B.C.), Aristides, general and states- man of Athens, won glory at Marathon, was ostracised, but recalled to aid against Persia. 3. Faubourg Saint-Germain, aristocratic quarter of Paris, long the residence quarter of the nobility. 8. Acropole, the Acropolis, the citadel of ancient Athens. — Propylees, portico of the Acropolis. 30. k condition de, 'only for the purpose.' 23. — 12. n'ont rien & demeler avec, 'have nothing to do with,' i.e. old age docs not concern them. 31. bourg pourri, 'rotten borough'; boroughs with few inhabitants that had representatives in Parliament. Abolished in 1832. 24. — 12. en les punissant . . . p^che. This comes practi- cally to 'by making the punishment fit tlie crime.' 24. Hymette, Ilymcttus Mountain, near Athens. 31. en toute propri^te, 'in full title.' 25. — 5. ne me vaut rien, 'is not good for me.' 16. saurais, 'can not.' See note p. 3, 1. 24. 19. Allah Kerim, 'God is good.' 26. — I. sur les, 'at about.' 27. — 29^ langada du TaygSte, valley of the Taygetus. 28. — 13. Brutta carognal , Italian, lit. dirty carrion, trans, vile dog!' 29. — 6. a la bonne heure, 'very well,' 'well and good.' 9. si long, 'that much.' 10. toujours est-il que, 'at any rate.' 30. — 4. commandant de place, commandant of a fortified city. NOTES. 235 15. Meyer, Paris shoe-dealer. 21. Palais-Royal, once a royal palace, now occupied by small shops, mostly jewelers'. 31. — 7. L6gion d'honneur, order instituted by Napoleon in 1802, to reward military and civil services. 18. de lui servir de correspondant, 'to serve as her guar- dian' or 'escort.' 32. — 4. au d6p6t de la Belle,- Jardiniere, branch of large store of that name in Paris. 31. dans tous les cas, 'in any case.' 33. — 21. qui ne tirais pas k consequence, ' who was of no importance.' 37. — 3. Herm&s, Mercury. 4. Bole, ^olus, god of winds. 20. C6phise Eleusinien, small river near Athens^ 28. bien voulu, 'consented,' 'been willing.' 39. — 30. quelle guepe les pique?, lit. what wasp is stinging them ?, 'what is the matter with them ?' mouche is often used in place of guepe in this expression. 40. — 3. piqu# au jeu, 'not to be outdone.' 42. — II. fit une querelle trfes aigre, 'reproached bitterly.' 43. — 5. il ne faut pas que, 'I must not.' 19. ont le pied sdr, 'are sure-footed.' 44. — 18. fes, 'of; old form, no longer found except in such expressions as master of arts, master of letters, etc. 46. — 3. n', ne, used after comparisons, not translated. See Grammar. 236 NOTES. 24. la Fronde (1648-54), civil war during the minority of Louis XIV. The adversaries of Mazarin were called jron- deurs, from jronde, 'a sling.' 48. — 9. pos6es k terre sans fajon et align^es au cordeau, 'placed unceremoniously on the ground and lined up into rows'; au cordeau means, by the aid of rule and line. 14. n'y fait rien, 'has nothing to do with it.' 19. singulier original, 'strange eccentric fellow.' 31. visage de bois, 'the d,oor closed,' 'nobody there.* 60. — 4. sur nos pieds, 'suddenly,' 'sharply.' 52, — 19. il n'y a que, 'nobody but.' 54. — 5. mauvais oeil, 'the evil eye.' 14. la stance n'etait pas lev€e, 'the session was not ad- journed.' 24. fermier des jeux, the banker or owner of a gambling- house. 29. sachez-lui gre, 'be grateful to him.' 55. — 21. au plus juste prix, ' at the lowest price.' 57. — 8. n', ne, redundant; after verbs of fear. 60. — 4. avaient eu bon marche, 'had easily overcome.' 61. — 23. bleu clair is elliptical for J'mm hleu clair, thus does not agree with yeux. 62. — 25. primes place, 'seated ourselves.' 31. quand, 'even if.' si meaning 'if is never followed by the future or conditional. 63. — 27. Pleyel, Austrian composer, who established a piano-factory at Paris, and manufactured famous pianos of that name. NOTES. 237 27. ferai, 'I shall make'; language of commercial travelers who make a town. 64. — 8. Phanariotes, descendants of the Greeks who remained in Constantinople after the capture by the Turks in 1453- 31. rahat-loukoum, explained below as cette gelee d'amidon parjume. 65. — 5. succfes d'estime, ' indifferent success.* 10. k belles mains, 'liberally,' 'in handfuls.' 15. votre honor6e, 'your favor'; honoree agrees with lelire understood. 17. il vous plajra, 'have the kindness to.' 19. credit mobilier, commercial society of Paris, which does a banking business. — avant que le coupon soit d6tach6, i.e. before the dividends are paid. 23. trouvez . . . de, 'can get . . . for.' 24. Vieille-Montagne, a mining company. 66. — 10. Agreez. This is the beginning of a polite and meaningless formula with which French letters close: Agreez r assurance de ma consideration distinguee; Agreez I'expression de ma haute estime, etc., which may be translated by 'Yours truly.' See note p. 228, 1. 19. 67. — 3. officier d'ordonnance, 'orderly officer.' 8. Exercice, ' Financial year.' 14. I'acte constitutif, 'charter.' 15. maitre, title given to notaries, lawyers, etc.; trans. 'Mr.* 31. tenu, 'come up to.' 68. — 7. ressent le contre-coup, lit. feels the rebound or effect, 'suffers indirectly from.' 15. nous ont fait tort de, 'cheated us out of.' 27. capital social, 'capital stock.' 69. — 24. soit, ' viz.,' 'that is.' 238 NOTES. 70. — 7. presente, 'sound.' 19. saint Louis, Louis IX (1215-70), king of France, whc is said to have held court beneath an oak at Vincennes. 23. figure de cour d'assises, lit. assize-court face, 'with the face of a criminal.' 71. — I. Va te faire, 'Go and become.' 72. — 20. A un autre!, 'Next!' 23. k fleur de tfite, 'projecting,' 'goggle-eyes.* 74. — 7. le grand diable, 'the tall fellow.' 75. — 12. See note p. 29, 1. 6. - • 26. Auriez-vous. The conditional is frequently used in French when probability is implied, 'Is it possible that you can complain.' 31. Veuillez agrler, 'Kindly accept.' 77. — 31. pourquoi faire?, 'what for?' 78. — 18. tu en seras pour tes frais, 'you will lose your outlay.' 79. — 5. je me fis &, 'I became accustomed to.' 30. qu'i cela ne tienne!, 'so be it!' or 'let that be no obstacle!' 80. — 3. Fi done, done is frequently used to emphasize a statement, and is not translated 'then'; 'fie! fie!' 81. — II. Allons!, 'Indeed!', 'Well now!' 24. See note p. 54, 1. 14. 27. la carte, lit. restaurant bill, 'bill.' 82. — 3. a pleines mains, 'liberally,' 'in handfuls,* same as i belles mains. See note p. 65, 1. 10. NOTES. 239 83. — 12. tout ce qu'il faut pour ^crire, lit. all that is needed to write, trans, 'writing materials.' 84. — 8. Kyrie Eleison!, Greek, 'Lord have mercy!' 26. entre deux vins, slightly tipsy; entre deux eaux, sub- merged; trans, 'he kept himself submerged in wine like a fish submerged in water.' 86. — 16. sous la main, 'at hand.' 87. — 27. je n'avais faim que de sommeil, 'I was hunger- ing only for sleep.' 30. fermer . . . i double tour, lit. to lock; trans, 'tightly.' 88. — I. je donnai de la tete. donner frequently means *to strike,' so here 'I struck my head against.' 19. la Romaique, Greek national dance. 89. — 14. sur place, 'where they were,' i.e. they sprang up and down without progressive motion. 90. — 31. que, 'let.' 91. — 22. non seulement au grand air, mais au grand jour, 'not only in the open air, but in ful/ light,' i.e. without secrecy. 92. — 15. Several Greek cities claim to be the birthplace of Homer: "Seven wealthy cities fight for Homer dead Through which the living Homer begged his bread." 17. mont Athos, mountain in Turkey on which there are many monasteries. 94. — II. Arrangez-vous, 'Make shift as you can.' 16. s'y est repris k plusietirs fois, 'set about it several times.* 96. — 7. je me plais k croire, I like to believe, 'I hope.' 240 NOTES. 96. — 1 8. quoi qu'en ait dit le Corfiote, 'in spite of what the Corfiote said.' 25. k la rigueur, if absolutely necessary, 'if the worse come to the worst.' 99. — 18. tenait . . . du, 'resembled.' 31. je me Ifeve sur men scant, 'I sit up.' 101. — I . se signait k tour de bras et comine k la tiche, 'was making the sign of the cross with all his might and as if by the job.' 20. nil admirari, Horace, Epistle VI, Book I, 'to be aston- ished at nothing '; this, he says, is about the only way to acquire and preserve happiness. 28. Qui trompe-t-on ici?, possible allusion to the Barbier de Seville, Act III, Scene XI, where Bazile says, "Qui diable est-ce douc qiVon trompe ici?" 31. leur tenait tfite, 'was holding up his own against them.' 102. — 12. grand fou, 'extravagant, reckless fellow.' 21. je n'eus garde de lui dire k quelle enseigne j'etais logl, 'I was careful not to tell him at what sign I was lodged'; i.e. my predicament. 103. — I. sous peu, 'shortly.' 10. a bon march6 de, 'easily overcomes.* 21. Que diable!, 'What the deuce!' 105. — 2. stance tenante, while the session was in progress, 'on the spot.' 4. donnait siu", 'looked out upon.' 17. en €quilibre, 'keeping one's balance.' 23. croissait, from croitre. 25. soit que . . . soit qu', 'either . . . or.' 106. — 17. j'en fis part sur I'heure, 'I imparted it at jnce.' NOTES. 241 107. — 5. I'air fait passer la chanson, 'the tune causes the success of a song.' 12. Saying of Louis XV, when his attention was called to the impending ruin of the French monarchy, 108. — 28. il n'y fallait pas songer, 'was not to be thought of.' 109. — 9. ne vous en deplaise, with all due deference to you, 'in spite of what you say.' 17. prit son parti en brave, 'she resigned herself like a brave girl.' 110. — 4. un certain je ne sals quoi, often translated 'a certain indefinable something,' but may perfectly well be translated literally 'a certain I know not what.' 112. — 31. il te dit bien des choses, 'he sends you his compliments.' 113. — II. Franc, name given by Orientals to Europeans. 29. en consequence, 'accordingly.' 114. — 4. Si!, 'Yes!' In affirmative answers to a negative statement si, not oiii, is used. 13. Tu m'en diras tant!, 'If that is the case, of coursel' 19. Du tout, colloquial for pas du tout. 22. Evelpides, military school. 30. Va pour, ' I accept.' 115. — I. faisait mon affaire, 'if he should be the man I want.' 3. k qui de droit, 'to the proper person.' 116. — 2. n'en aurait senti que le vent, lit. would have felt only the wind of it, 'would not have seen what was done.' 19. du haut de leur tete, 'at the top of their voices.' 242 NOTfiS* 117. — 14. fermaient la marche, 'brought up the rear.* 119. — 19. pi&ces de conviction, 'evidence.' 120. — 12. Poor pun on necessaire, meaning 'dressing- case' and 'necessary.' — se passer, 'get along without.' 27. dire son fait, 'tell him my opinion of him,' 'give him a piece of my mind.' 121. — I. k nous deux, i.e. let us settle this matter be- tween us. 11. passe encore pour les siennes, 'as for his, it is well enough.' 12. relfeve, 'depends.' 28. feu, 'the late'; remains invariable when the article follows: feu la duchesse, but la jeue diichesse. 122. — 5. m'emporter k des menaces, 'to be carried away to the point of making threats.' 123. — I. je me le tiens pour dit, 'I shall not forget it.' 12Bk. — 23. places fortes, 'fortified cities.' 25. changement a vue, 'scene-shifting.' 127. — 29. k I'arme blanche, 'with the sabre.' 128. — I. pay6 de sa persoime, 'acquitted himself well,' 'fought bravely.' 9. qui . . . qui, 'one . . . one' or 'some . . . some.' 129. — 22. c'est fait de moi, 'I am done for.' 130. — 6. Danseur! va, *Oh you dancer!' 23. soxu"ire aux, to smile upon, 'to be agreeable to.' 131. — 9. je prendrai I'air du bureau, 'I shall see how things stand at the offices' (of the ministry). NOTES. 243 12. je dois payer de ma personne, 'I must meet the matter squarely,' 'I must face the music' 26. nous n'en sommes pas \k, 'we are not yet that far.' 132. —4. gk, monsieur!, 'Well, «ir!', 'Why, sirl' 8. k point, 'in time.' 26. de plus belle, 'worse than ever.' 135. — 25. Megaspileon, convent in Arcadia. 136. — 25. II y va de votre tete, 'Your head is at stake.* 137. — I. Qu'est-ce a dire?, 'What do you mean?' 8. On vous ferait votre procfes, 'You would be tried.' 13. se porteraient-ils parties civiles, 'would bring suit.' 138. — 9. I'avait echapp6 belle, 'had had a narrow escape.' 139. — 6. On lui portera la somme en compte, ' The sum will be charged to his account.' 140. — 3. Horace, ode to the boat of Virgil when the latter starts on his voyage to Greece. Ode III, Book I. 13. que, redundant, not translated. 142. — 2. de vive force, 'forcibly.' 8. se tirer d'affaire, 'to get out of a difficulty.' 143. — 24. se fit un peu tirer I'oreille, 'was somewhat reluctant.' 144. — 6. de confiance, 'confidently.' 145. — 6. h6tel des Invalides, asylum for disabled soldiers. II. j'y mettrais du mien, I should have to put some of my pwn money into it, 'I should lose money.' 244 NOTES. 146. — I. Ces dames vont vous manquer, 'You will miss these ladies.' 23. Th6see, Theseus, Greek hero who killed the Minotaur, the monster- half-man and half-bull. 147. — 6. Charles-Quint, Charles V, emperor of Germany and king of Spain, etc., abdicated in 1555, and entered a monastery. g. 3 courant, 'the third instant.' 148. — 5. force est restee k la loi, 'the law had the upper hand.' 15. Polichinelle, 'Punch,' who tells everybody the secret. 149. — 25. Passe encore pour. See note p. 121, 1. 11. 150. — 20. ce has monde, 'this world below.' 151. — 3. seance tenante. See note p. 105, 1. 2. 152. — I. qui n'en pouvait mais, that could not help it, trans, 'inoffensive.' 9. qu'il n'en etait rien, 'it was nothing of the kind.' II. Pellisson, author, during reign of Louis XIV, passed five years in the Bastille, and there trained a spider to eat out of his hand. 22. que . . . que, 'whether . . . whether.' 153. — 4. faire la courte Ichelle, 'to let me climb on his shoulders.' 5. mon compte, 'what I wanted.' 27. Seraient-ils, 'Could they be.' See note p. 75, 1. 26. 156. — 17. Toula, city in Russia, has a celebrated factory of firearms. 157. — II. lui monta la tite, 'turned his head.' NOTES. 245 24. juge d'instruction, 'examining judge,* 27. Cl^opatre, Cleopatra, queen of Egypt, who dissolved the priceless pearl in vinegar and drank it. 158. — 18. II faisait beau, 'The weather was fine.' — Pas plus de lune que sur la main, No more moon than on the hand, 'No trace of a moon.' 159. — 9. One of the best of French comedies, written by Beaumarchais, the greatest French dramatist of the eighteenth century. His two great works are Lc Barbier de Seville and Le Mariage de Figaro. 160. — 18. Le pied me manqua, ' I missed my fooling.' 162. — 29. j'aurais fait la part du chien, 'I should have given the dog his share,' i.e. I should have let him give me some bites. 163. — 14. mis en appetit, 'his appetite aroused.' 164. — 7. se faisait tirer I'oreille, had to be coaxed, 'was long in coming.' 165. — 16. k men corps defendant, 'unwillingly,' 'in spite of myself.' 166. — 29. je pensai mettre, 'I came near putting.' 168. — 16. fort de, 'encouraged by.' 22. Ali de Tebelen, pacha de Janina, was the first to break from the Turkish Empire, and this showed how loosely that empire held together. 169. — I. manger gras, 'to eat meat.' 10. au gre de, 'for.' 21. me couchferent en joue, 'aimed at me.' 246 NOTES. 170. — 2. Jeter I'argent par les fenfetres, 'to waste money recklessly.' 24. k grande eau, with plenty of water, 'thoroughly.' 174. — 31. ne se font pas f aute de condamner, do not refrain from condemning, 'freely condemn.' 176. — 19. cantabres, people of Cantabria, in Spain, over- come by the Romans 25 B.C. 178. — 8. je ne vous en veux pas, 'I bear you no ill-will.' 179. — 2. si bon te semble, 'if you think proper.' 9. Voilll bien mes jeimes gens!, 'That is the way young men are!' — lis jettent le manche aprfes la cognee, lit. They throw the handle after the ax, 'They renounce everything in their despair.' 29. par ficrit, 'in writing.' 181. — 25. que mon compte 6tait bon, 'that I was done for.' 182. — I. le roseau pensant, etc. Pascal, Pensees, chapter on * La Grandeur de rhomniei> ■_ « L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. II ne faut pas que I'univers entier s'arme pour I'^craser. Une vapeur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais grand I'univers I'^craserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu'il salt qu'il meurt; et I'avantage que I'univers a sur lui, I'univers n'en salt rien.» 185. — 2. 11 ne m'en reviendra rlen, 'I shall make nothing out of it.' 31. 11 y a gros k parler, 'the odds are much in favor,' 187. — 2. tunlque de Dfijanire. Dejanira caused the death of her husband Hercules, by giving him the poisoned robe. NOfBg. 247 188. — 30. Va, 'Come.' 189. — 3. Grand bien te fasse, 'May it do you good.* 190. — II. il y va de. See note p. 136, I. 25. 194. — 19. comme de cela!, 'as for that!' (snapping his fingers). 200. — 6. Jeter la poudre aux moineaux, to throw powder to the sparrows, 'wasting powder.' 15. lis cassfirent bel et bien, 'they broke no less than.' 201. — 18. si j'y trouvais mon compte, 'if I profited by it.' 202. — I. docteur Sangrado, a character in Le Sage's Gil Bias. His only remedy is to bleed his patients, and give them warm water in large quantities. 7, s'injectferent de filets rouges, 'became bloodshot.' 204. — 16. de la mort plein les mains, 'their hands filled with death.' plein does not agree with the noun when separated from iWby the article. 21. de se reconnaitre, 'to know what was happening.' 31. Tre! quattro! cinque!, Italian, 'Three! four! five!' 206. — 15. 14-haut, 'in heaven.' 23. en veine, 'in the vein,' 'in the mood.* 208. — 19. s'en 6taient mal trouv^s, 'had come off ill.* 27. que, leave out in translating. 209. — II. c'etait plus fort que lui, ' he could not break himself of the habit.' 27. tenir dans, 'be contained in.* 210. — 6. en dfeespoir de cause, 'as a last resort.* 248 NOTES. 211. — 4, Nuremberg, city of Bavaria, where many chil- dren's toys are made. ID. d'y regarder k deux fois, 'to consider carefully.' 212. — 6. une fois n'est pas coutume, 'that is permitted once, by chance.' 21. a brigand, brigand et demi, set a thief to catch a thief. 213. — I. galant homme, 'gentleman.' 14. Je suis k vous, 'I am at your service.' 214. — I. d'ici la, 'until that time.' 216. — 2. en grand uniforme, 'in full uniform.' 217. — ID. Pont-Audemer, small town in France, near Rouen. 13. mystferes d'Eleusis, Greek religious mysteries celebrated at the temple of Ceres, at Eleusis. 218. — S. heure militaire, 'punctually.' 16. juste, 'tight-fitting.' 18. faisait bien, 'produced a good effect.' 220. — 10. Qu'& cela ne tienne, 'Never mind that.' 22. de me rendre la monnaie de ma pifece, lit. to give me my change, 'to pay me back in my own coin.' 221. — 28. je vous le doime en mille, 'I give you a thou- sand guesses.' 222. — 16. j'en ai vu de belles, allez! , 'I have indeed had a fine time of itl' belles agrees with choses understood. 225. — 31. Bien m'en a pris, 'It was a good thing for me.' 228. — 19- Agreez, etc., trans. 'Believe me, sir, your most obedient servant.' See note p. 66, 1. 10. EXERCISES. Conversation. Beginning to Je ne songeai. 3. i-i3' 1. Quel jour du mois avions-nous? quelle heure? 2. Que faisiez-vous ? 3. Qui avez-vous vu entrer? 4. De quoi etait-il coiffe? 5. De quoi etait-il pare? 6. Qu'est-ce qui flottait autour dc lui ? 7. Portait-il des gants? 8. Quels souliers portait-il? 9. Sur quoi reposaient-ils? 10. Comment ses semelles dtaient-elles? 11. Avait-il une pipe? 12. Dans quelle poche avait-il sa pipe? II. From Jene songeai to Les descriptions naives. 3. 13 — 4. 11. 1. Oil avait-il fait ses etudes? 2. Quelle langue a-t-il parle? 3. Avait-il un bon accent? 4. Comment s'appelait-il ? 249 250 EXERCISES. 5. Quel pays venait-il de visiter? 6. Y est-il reste longtemps? 7. Qu'est-ce qui a voyage avec lui? 8. L'etranger, avait-il une voix douce? g. Ou s'est-il assis? 10. Combien de bancs avons-nous? 11. Quelle mission avait-il? 12. Qu'avait-t-il observe? Ill, From Vous devinez to Mon pauvre pbre. 9. 1-22. 1. Qu'est-ce que je devine? 2. Que fait votre pfere? 3. Votre pere, est-il riche? 4. Que mange-t-il? 5. Combien d'enfants etes-vous? 6. Qu'avez-vous obtenu? 7. Combien alliez-vous toucher? 8. Comment vous appelait-on ? 9. Sur quoi vos freres comptaient-ils ? 10. Quand vous nommerait-on professeur? 11. Votre pere, qu'esperait-il ? 12. A quoi avait-il assist^? 13. Que citait-il? 14. Combien de fois le citait-il? IV. From Le soir de mon depart to Sa jemme Maroula. 10. 5-27C 1. Qu'avez-vous fait le soir de votre depart? 2. Que voulait le hazard? EXERCISES. 251 Qu'est-ce que votre pere a fait? Pourquoi a-t-il pleure? Ou avez-vous debarque? Quelle armee etait a Athenes ? X qui avez-vous porte une lettre? Le chancelier, ou vous conduisit-il ? La maison de Christodule, ou se trouvait-elle ? Combien avez-vous pay^ par mois? De quoi Christodule est-il decor^ ? Oil touche-t-il sa solde? V. From Sa femme Maroula to Mes hdtes. 10. 28 — 11. 10. 1. Sa femme, comment est-elle? 2. Comment s'appelle-t-elle ? 3. Combien son mari I'a-t-il achet^e? 4. Quand I'a-t-il achetee? 5. Oil est-elle nee? 6. Comment s'habille-t-elle ? 7. Est-ce que Christodule sait I'allemand? 8. Que fait leur fils? 9. Comment s'appelle leur fils? 10. Quelles langues parle-t-il? 11. Avez-vous besoin d'interprete? 12. Pourquoi n'avez-vous pas besoin d'interprete? VI. From Mes hdtes to Je mangeais en famille. 11. 11 — 12. 10. I. Mes botes, m'ont-ils donne une chambre? a. Est-ce que la chambre etait grande? 252 EXERCISES. 3. Comment etait-elle blanchie? 4. Quelle table m'ont-ils donnee? 5. Combien de chaises y avait-il? 6. Qu'est-ce qu'il y avait encore? 7. De quoi avez-vous dejeune? 8. Que mangiez-vous k diner? 9; Le soir, que mangeait-on ? 10. Aviez-vous votre pipe? 11. Est-ce que le tabac est bon? 12. Quel vin buviez-vous? 13. De quelle couleur est le vin? 14. Ou le voyez-vous encore? 15. Qu'est-ce qui nous servait de nappe? VII. From Je mangeais en jamille to Mes deux voisins, 12. 10-13. 5- 1. Avec qui mangiez-vous? 2. Comment se divisait le premier etage? 3. Qui occupait la meilleure chambre? 4. M. Merinay, etait-il grand? 5. Quel age avait-il? 6. Parlait-il beaucoup? 7. De quoi etait-il arme? 8. Quelles sont ses deux passions? 9. De quoi etait-il membre? 10. De quoi etait-il grand apotre? 11. Donnait-il beaucoup aux pauvres? 12. Par quelle academic avait-il ^te couronne? 13. Pourquoi avait-il ete couronne? EXERCISES. 253 14. Quel voyage a-t-il fait? 15. Pourquoi a-t-il fait ce voyage? VIII. From Giacomo Fondi to Je dots avouer. 13. 7-25. 1. Qui etait Giacomo? 2. Oil etait-il employe? 3. Combien gagnait-il? 4. Comment gagnait-il cette somme? 5. Quel autre emploi lui aurait convenu? 6. Pourquoi etait-il ne? 7. Que brulait-il? 8. Combien de batons en usait-il? 9. Quand rentrait-il dans son element ? 10. A quoi aidait-il Maroula ? 11. Comment apportait-il la table? 12. Comment mangeait-il? 13. Que n'oublierez-vous jamais? 14. Combien de dents avait-il? IX. From Christodule to Je ne park. 13. 28 — 14. 19. 1. Combien Christodule gagnait-il a I'heberger? 2. Luia-t-il fait payer un supplement? 3. Qu'absorbait I'insatiable Maltais? 4. 0\x les cassait-il? 5. Comment les cassait-il? 6. Comment Christodule suivait-il cet exercice? 7. Pour quoi tremblait-il ? 254 EXERCISES. 8. De quoi ^tait-il flatte? 9. De quelle couleur ^tait Giacomo? 10. Jusqu'ou descendaient ses cheveux? 11. Ses pieds, ^taient-ils grands? 12. Est-ce que ces details vous frappaient? 13. Ou commenjait sa personne? X. From Oitait un ange to Ce qui est certain. 14. 20 — 16. 7. 1. Qui dtait Lobster? 2. De quel pays venait-il? 3. Qui I'avait envoye en Orient? 4. Pourquoi Pavait-t-on envoyd en Orient? 5. Que faisait-il dans la journee? le soir? 6. Ou allait-il le matin ? 7. A quelle heure y allait-il? 8. Qu'y faisait-il? 9. Qui etait le personnage le plus int^ressant? 10. £tait-il le parent de Lobster? 11. Ou est-il ne? 12. Qu'a-t-il respire en naissant? 13. Sa famille, est-elle riche? 14. A-t-elle mis son fils au college? XI. From Quand je fis to Je n'ai jamais pu. 15. 16 — 16. 15. 1. Que faisait-il? 2. Que traitait-il? 3. Avec qui faisait-il des affaires? 4. De quoi a-t-il trouv^ le temps? EXERCISES. 255 5. De quelle maison etait-il I'associe? 6. Qui va lui faire une visite? 7. Ou le trouve-t-il? 8. Qu'est-ce que Harris regarde? 9. Que fait William? 10. Combien aviez-vous dans la maison? 11. Que sauverez-vous ? 12. Qu'allez-vous faire? 13. Les Americains, sont-ils chetifs? XII. From Pour ce qui est to Malheureiisement. 16. 28 — 17. 23 I. Connaissiez-vous les Grecs? 2. 3- Alliez-vous au cafe? Frequentiez-vous le theatre? 4, Pdurquoi ne frequentiez-vous pas le theatre? 0\x viviez-vous? Ou auriez-vous pu vous faire presenter? Oil aviez-vous remis votre carte? Sur quoi pouvicz-vous compter? 9. Qu'est ce que vous teniez en reserve? 10. Qui vous avait apporte cet habit ? 11. Quand vous I'avait-elle apporte? 12. Quel uniforme etait-cer 13. Qui etait son mari? 14. Que savait votre tante? 256 exercises. Translation. • XIII. Beginning to Je le pris par la main. 3 — 4. 5. You are watering your petunias toward six o'clock in the morning. You see a tall young man enter; this young man has a German cap on his head. He does not wear gloves, but he wears shoes of brown leather. He has a pipe in his pocket. Has he studied in the German universities ? You put down your watering-pot and you salute him. You say to him in French, "My name is Hermann." You have just passed some months in Greece, and his book has traveled with you. The voice of the stranger seems melodious to you. As for you, you have never desired to be rich. XIV. from Je le pris to J' en pris parler. 4. 5 — 5. i. You take this excellent young man by the hand, and you have him sit down on the best bench of the garden. You inform him that you are a botanist, and that you have a mission from the Botanical Garden. You observe the country and the people. You can give me news of the principal characters of his book. You enounce some general ideas which seem judicious to him. You are intimate in an hour's time. One of you pronounces the word brigandage. The unknown man asks you if it is true that there are still brigands in Greece. You answer that it is only too true. You have lived two weeks in the hands of a terrible brigand. EXERCISES. 257 XV. From J'en puis parler to Non pas. 5. i — 6. 23. We can speak of brigands by experience, and if he is at leisure, we are ready to give him the details of our adventure. He will make of it what he wishes. We enter my study, and he follows us, humming a popular song. We related surprising things; we spoke without stopping until noon; we smoked regularly like a steam- engine. Every time that we raised our eyes to him, we saw him calm and smiling. They came to announce to him that lunch was served. We seated ourselves oppo- site him. He was a good guest. We confessed that we had doubted of his good faith. We passed the day in conversation with our new friend. XVI. From Non pas to end of chapter. 6. 23 — 8. 4. They will depart to-morrow by the seven o'clock train, and we dare not hope to see them again. They will leave us their address, for they have not yet given up the pleasures of travel. It is not decided that they will remain at Hamburg. They will publish our story and as soon as it appears, they will pirate it, and will send us a copy of it. When we have departed, they will re-read the story carefully and they will find implausible details. A scruple will retain them; some errors will slip into the narration, and they will be somewhat re- sponsible. They will expose themselves to reprimand, and some journalist will invent the story that they are blind. They will take the course of making two copies 258 EXERCISES. of the manuscript and will send the first to a man worthy of faith. They will pray him to point out all the mis- takes and will promise him to publish his answer. They will not change a word and will respect everything. XVII. From Vojis devinez to L'armee d' occupation. 9. i — 10. 16. He has not an income of ten thousand francs, for he is a ruined inn-keeper who has six children. He ob- tained a mission from the Botanical Garden, and was to receive two hundred francs a month. His departure increased the pittance of his brothers who called him the cattle-dealer, and supposed that he would be appointed professor; his father did not doubt that he would meet a princess. He had witnessed several romances, and cited the marriage of a lieutenant with a princess. He would find her in the railway if he did not see her on a steamboat. He drank a bottle of wine, and the last drop fell into his glass; he wept with joy, for it was a certain sign that he would marry. He did not tell his father that princesses do not choose modest inns. He traveled third-class and did not have a trace of a romance. XVIII. From L'armee d'occupatlon to Je mangeais. 10. 16 — 12. 10. The chancellor had brought me a letter, and I sought lodgings for him. I took him to the house of Christodule where he found board and lodgings. I was a lieutenant, and was decorated with the Iron Cross during the war of independence. Christodule's wife is enormous; she EXERCISES. 259 cost him rather dear, for he bought her at the height of the war and paid eighty piasters for her. He knew German, but his son did not know the European dialects; he needed an interpreter, for he had not received the gift of tongues and is not a polyglot. I gave him a small room, but he lived after the Greek fashion and easily got along without a bedstead. He dined on vegetables and meat, and supped on olives and honey. The tobacco of Athens is good, and he had his pipe with him. He treated himself to a light wine that was as brilliant as the sun, and that would be appreciated at the table of a king. XIX. From Je mangeais to Je ne parle. 12. 10 — 14. 19. Mr. Merinay is a French archaeologist who occupies the best room of the second story. He is a small man, and his two passions are archaeology and philanthropy. He is a great apostle of charity, and is a member of several benevolent societies. His parents left him a good income, although I do not remember that he gave a cent to the poor. His knowledge of archaeology was more serious, for some academy had crowned him. Giacomo is a Maltese who earns two hundred francs a month at some consulate. He seals letters, and burns sticks of sealing-wax; at meal times he helps Maroula set the table, and when he eats, his great jaws creak. He absorbs many hazelnuts after dinner. He is whiter than a negro, and his hair comes down to his eyebrows. He has a pretty foot and a fine ankle, but these do not 26o EXERCISES. count and do not strike us, for we see him eat, and for us his person begins at the level of the table. XX; From Le Chemin du Penteliquc to Un dimanche. 18. 27—20. 24. We were returning from a ride on two horses, when we fell into an ambuscade; two brigands, armed to the teeth, stopped us on the bridge. We looked about us and saw fifty prisoners in the ravine. We were without weapons, the brigands indicated the ravine and made a sign. We lost patience, and blows beat down upon the brigands; they fell backward, passed over the parapet, and fell among their comrades. The band arose and fired, our horses were killed, we freed ourselves and we came to warn the soldiers. We learned of the death of the horses, but we did not find a word of blame for the murderers, for that is their profession. Everybody was of our opinion, for a Greek robbed by his compatriots says to himself that the money does not leave the family. The brigand who stopped us was Hadgi-Stavros, who was the hero of Athens; the common people and the middle class spoke only of him, at the theatre and at the concert. Moralists complain of his excesses. XXI. From II vida to II reciieillit. 20. 30 — 22, 13. You empty your glass and you begin a long story. You inform me that you are the son of a priest; you were born in the good epoch and do not know your EXERCISES. 261 age. Your father, who intended you for the church, had you learn to read. You take the journey to Jerusa- lem and add to your name the title of pilgrim. While returning to the country, you are taken by a pirate, and the victor makes a sailor of you. Thus you make war upon Turkish boats, but at the end of some years you are tired of working for others. You have neither boat nor money, and you exercise piracy on land. The Greeks arise against the Turks, but you never know whether you are brigand or insurgent. Your hatred for the Turks does not blind you, and you do not pass a Greek village without pillaging it. All money is good, and such wise impartiality increases your fortune; your reputation forms an army for you. An ode is dedicated to you, you are compared to Epaminondas, and flags and subsidies are sent you. You receive money from France. You see yourself besieged, and you keep your money at the head of your bed. The roof falls and crushes everybody except you, for you are smoking your pipe in the open air. XXII. From On a bcaucoup to La mere ctait. 26. 14 — 27. 21. I should prove to you that he would be a temperate man if he did no harm for pleasure. If he warmed the feet of a peasant, he would know where the miser had hidden his crowns. He would treat prisoners with gentleness if he hoped to have a ransom from them. He will come down some evening with his band and will find the family assembled. The master of the 262 EXERCISES. house will be playing his game of cards, and he will carry off the son and daughter. He will not carry off the wife, so that she may look after the ransom. They would return in two months if they were cured by the exercise. It would not be paying too dear if the whole family recovered its health. But he would be pitiless if the ransom were not paid when due, and he would kill his prisoners. I shall not pardon him the murder of the two little girls, who were twins and who resembled each other very much. They were fourteen years old, pretty, and both betrothed. They sold cocoons, and one morning they were carrying a large basket when Hadgi- Stavros carried them off to the mountains; he wrote to the mother, who was a widow, that ten thousand francs were payable at the end of the month. XXIII. From La mhe etait to Certainement. 27. 21 — 28. 30. The mother is a widow, but poor, she borrows cash money, which is not easy, and after six weeks, having gathered the sum, she puts it on a mule and sets out for the camp. She enters a place where there are seven fountains, she stops and sees her two little girls whose throats are cut to the bone. She takes them and places them on the mule. She is going mad, for she cannot weep. Does Hadgi-Stavros regret what he did? I do not know, but as he had killed the little girls as an ex- ample, it is certain that nobody makes him wait for his payments. Giacomo strikes the table a blow that shakes the house; he says he will serve him a ransom of ten EXERCISES. 263 thousand blows, but Lobster asks only to meet him with his revolver. His uncle whistled an American air and said nothing. Mr. Merinay asked if it were possible that such horrors were committed in our age. XXIV. From II etait certaitt to La pluie ne se lassait. 32. i — 33. 15. Photini was intending to show herself at the concert, for her admirer was wearing a new frock coat, but the rain was falling so fast that they had to stay at home. To kill time, cards were dealt and they played for candies; this is an amusement much in vogue. The Maltese showed that winning was not indifferent to him, and he swallowed seven handfuls of native candies. We took less interest in the game, and we concentrated our attention upon a curious phenomenon at our left. The young Athenian was looking at Photini, who was attracted to Harris, but Harris did not look at her; he whistled and yawned, for he was thinking of Christo- dule's story and not of love. She had not heard him speak and knew nothing about him; it was enough for her that he was handsome, and, like the Greeks of former times, she adored beauty. His fortune, his country, even his name were unknown to her. XXV. From Nous avians hi to Je franchis. 36. 16 — 37. 20. I had read in the Athens Century of the defeat of the king; twenty men had been killed, his camp had been burned, his troops had been dispersed. This news had 264 EXERCISES. been very agreeable to all foreigners, but had caused less pleasure to the Greeks. The lieutenant had been lacking in enthusiasm, and the daughter of the colonel had almost wept. Harris had not concealed his joy, and I returned into possession of the country. I had set out in the morning with my box; Dimitri had gone to take the orders of an English family. I had gone down Hermes Street, and had saluted the artillery, which slept under a shed. I was dreaming of the capture of Constantinople, and I had arrived in four strides at the promenade. I had entered a desert, and all traces of culture had disappeared; I had seen only tufts of grass. The sun had arisen, and I had distinctly seen the fir- trees. I had taken a path that was not a very safe guide. XXVI. From En efjet to Irez-voiis. 38. 12 — 39. 26. You were closing your knife to stretch out in the shade after your dinner when you heard the step of a horse. • You placed your ear to the ground and recog- nized that two horsemen were advancing. You were preparing to follow them. Five minutes afterward, you saw two ladies appear; behind them you easily recog- nized Dimitri. As soon as you happen to meet ladies, you put aside your indifference and throw an anxious glance upon your person. You distinguished the faces of two women. You were wearing the clothes that had served you for two years. You had a gray felt hat upon which the dust did not show. You politely took it off as the two ladies passed, and you held out your hand to Dimitri who told you everything you wished to EXERCISES. 265 know. You were on the same road and could travel together. The Englishwomen did not remain at the hotel; they were London bankers, and the daughter was pretty, but that is according to taste, for you like Photini better. XXVII. From Irez-vous to Sa mere. 39. 26 — 41. 8. We shall go to the fortress, for they have taken us for a week at ten francs a day. It is we who shall organize the promenades, and we began by this one, because we knew that we should meet you. We were vexed to see that you borrowed our domestic, and we had trotted in a passage where no one had ever trotted. We ran to join the ladies, and we heard Mrs. Simons say to us in English, " Do I not wish to be well served ? Do I pay you to converse with your friends ? Do not talk with that Greek. Is he a German ? Does he seek herbs? Is he an apothecary? Does he know English very well?" She did not speak to us, and we followed the cavalcade. We did not dare to talk to Dimitri, who was going on ahead like a prisoner. All that we could do was to throw him two or three glances. The ladies did not turn their heads, but we could see that the young Englishwoman was tall. Her neck would have made us think of the swans, even if we were not naturalists. XXVIII. From Sa mere se to Depuis le khan. 41. 8 — 42. 24. She turned to speak to her mother, and they hastened in the hope of hearing her voice. Has he not warned 266 EXERCISES. you that they were curious? They arrived just in time to hear her say that she was hungry and warm. This conversation made them smile, but they were under the charm. They had never heard anything more silvery than that voice. They were afraid to see her face, for the most melodious birds are the most homely. Never- theless they were dying with the desire of looking at her. They intended to lunch at the inn, which is con- structed of boards; a skin of wine and a regiment of pullets are always found there. But the inn is deserted and the door closed. The ladies reprove them bitterly, but they are told that they will lunch in a half-hour in the village, but they say that they are English and that they eat when they are hungry. We who had already eaten gave ourselves up to mournful reflections upon the ugliness of Mrs. Simons. XXIX. From Quand je pense to Je conduisis. 43. 29 — 44. 31. Dimitri found her less beautiful than Photini, but he had lost the use of his reason, and did not judge every- thing with the indifference of a naturahst. He wished to show us her portrait such as it was, engraved in his memory. We should see how long her eyelashes are; her eyebrows trace a graceful curve above her eyes, her mouth is small, the enamel of her teeth laughs in the sun, and her ears are pink and transparent. We studied her beauty and were struck by the fineness of her skin, which is more delicate than a film. We feared lest the touch of her veil would carry away her fragile beauty. EXERCISES. 267 They do not like pale women, and we have no taste for deathlike elegance, which has been in fashion for some time; we admire nothing more than health. The sight of a pretty face causes us more pleasure than a vigorous shrub. The world had never seen a woman comparable to Mary- Ann. XXX. From Je conduisis to Pour le coup. 44. 31 — 46. 12. He was taking Mary-Ann to the village, but what she was saying to him and what he was answering have left no trace in his mind; her voice was pleasant to hear, and he did not listen to what she said. You have been at the opera, where the music does not allow the words to be understood. Nevertheless all the circumstances of this interview have become ineffaceable in his mind. He only needs to close his eyes to believe himself still there. Above the path were the pine-trees. The riding- habit of Mary was black, that of her mother was green. The latter wore a black hat of an absurd form; her daughter wore a felt hat. Both wore gloves; we never wear gloves. The village is deserted, and we cannot understand it. He dismounts near the fountain and goes to knock from door to door; not a soul was at the priest's, everybody had moved away. We took the trouble to break in doors and shutters to assure our- selves the people had not gone to sleep, but we only freed a cat, which started like an arrow for the woods. 268 EXERCISES. XXXI. From Pour le coup to La ferme. 46. 12 — 48. 3. This time she lost patience. She said, "Are you making fun of me?" She said that she was EngHsh and would complain at the legation. She hired you for a ride and you made her ride over precipices; she ordered you to bring provisions and you exposed her to die of hunger; she was to lunch at the inn and the inn was abandoned. She followed you to this frightful village and all the peasants had departed. She had traveled in a country of mountains, she had been wanting in nothing and had eaten trout. He tries to calm her by explaining that the inhabitants are dispersed in the mountains, but that they were sure to find an inhabited house. She asked, "What house?" He answered that the monks raise bees, and that they would give her wine, bread, and honey; she thought that they would be gone also, but they could not be far from their hives, for swarming-time was approaching. She had traveled enough since morn- ing, and she made a vow not to remount before having eaten. They did not need to remount; they tied their animals to a trough and arrived quicker on foot. Dimitri tied the horses near the fountain, and we entered a steep path; after a quarter of an hour, we saw a human face. XXXII. From Le petit homme to Lc chef. 48. 17 — 51. 11. The little man on seeing us raises his arms to heaven and gives signs of stupefaction. Mrs. Simons kissed his hand and the monk blessed her. We had seen that the EXERCISES. 269 inn was abandoned and the village deserted, for if we had met people, we should not have climbed up to his house. Are you in accord with the brigands? There are brigands everywhere in the mountain. We had not a minute to lose. We ran to our horses. Mrs. Simons cried that it was a conspiracy and that we had sworn to have her die of hunger, for all the newspapers had announced that there were no brigands. Her daughter asked me if they were in danger of death. We seized her and dragged her to a path. On raising our eyes, we saw some gun-barrels, and a voice cried out, "Sit down on the ground." This operation was easy for me, for my legs were bending beneath me; I did not decline the seat that was offered me. When the guns lowered toward us, they lengthened out immoderately. Fear did not disturb my sight, but Greek guns are of despairing length. Eight scoundrels formed a circle about us. They were so dirty that I gave them my money with tongs. VOCABULARY Note. — Words substantially alike in the two languages in both form and meaning are in general omitted. This includes adverbs ending in ment when the stem is easily recognizable; also adverbs that differ from the adjective forms given only by the addition of menl. k, to, at, in, of, by, for. abaisser, to lower. abandon, m. unconstraint, confidence; k V — , at ran- dom, unresistingly. abattre, to beat down, to crush down. abeille, /. bee. abime, nt. abyss. aboiement, m. barking. abondamment, abundantly. abonne, ni. subscriber. abonnement, m. subscription. abonner, to subscribe. abord, d' — , at first, first. abordage, k V — , by boarding. aborder, to come up to or with. aboyer, to bark. abreuvoir, m. trough, water- ing-place. abri, m. shelter. abriter, to shelter. abstenir, to abstain. accabler, to crush; to ply. accident, m. irregularity; ac- cident. acclimater, to acclimatize. accompagner, to accompany. accomplir, to accomplish. accord, d' — , in agreement. accorder, to grant. accouder, to rest elbows upon. accourir, to run up, to flock together. accoutumer, to accustom. accrediter, to sanction, to confirm. accrocher, to catch hold of, to cling to. accroitre, to increase. accroupir, to crouch. accueil, m. welcome. acculer, to drive back. accuser, to accuse. achame, -e, furious, desper- ate. 27X 272 VOCABULARY acharner, s' — , to become ravenous against; to attack furiously. acheter, to buy. achever, to finish, to achieve. acide, m. acid. acier, m. steel. acolyte, m. and/, companion. acquerir, to acquire. acquitter, s' — , to pay. action,/, deed; share of stock; — de grice, thanksgiving; mettre en — s, form a stock-company. actionnaire, stockholder. adjuger, to adjudge. administra-teur, -trice, ad- ministrator. administration,/, administra- tion. admira-teur, -trice, admirer. adosse, -e, with the back against. adosser, s' — , to place the back against, to lean back against. adresse, /. skill, address. adresser, to address. adroit, -e, adroit, clever. adroitement, cleverly, adroit- ly- advenir, to result. affaire, /. affair; — s, busi- ness; avoir — h, to have to deal with. affaisser, to sink. affame, -e, famished. affenner, to farm out, to rent. a£freu-x, -se, frightful, affronter, to face, agajant, -e, irritating, an- noying. agenouiller, to kneel. agir, to act; s' — de, to be a question of, to be a matter of. agneau, vt. lamb, agonie, /. death-throes, agreer, to be agreeable to, to assent to, to accept. aieul, pi. aieux, grandfather, ancestor. aigle, m. eagle, aigre, bitter, sharp, sour, aigrir, to embitter. aigu, -e, sharp, acute. aiguille, /. needle. ail, m. garlic, aile, /. wing. aile, -e, winged. ailleurs, elsewhere; d' — , moreover. aimable, pleasant, aimer, to like, to love; — mieux, to prefer. aine, -e, elder, first-born. ainsi, thus. air, m. air; avoir 1' — , to seem; le grand — , the open air. aise, /. ease; glad; k V — , at ease, in freedom. aise, -e, easy, in comfortable financial circumstances; jnal — , hard. VOCABULARY 273 aisement, easily. aisselle, /. armpit. ajouter, to add. alambic, m. still. album, m. sketch-book. aleatoire, risky. alentours, aux ■ — , round about. alerte, /. alarm. aligner, to draw up. alimenter, to feed. Allemagne, /. Germany. allemand, -e, German, aller, to go; to be becoming; s'en — , to go away. allez! aliens! va! inter j. come, go to, well, etc. alliace, -e, of garlic. allie, -e, ally. allonger, to stretch out, to lengthen. allumer, to light. allumette, /. match, lighter. allure, /. gait, alcrs, then. alouette, /. lark. amandier, vi. almond-tree. amasser, to amass, to gather. amazone, /. horse-woman; riding-habit. ambassade, /. embassy. toie, /. soul, amener, to bring. am-er, -Ire, bitter. ameuter, to rouse or stir up. ami, -e, friend. amidon, m. starch. amiral, ni. admiral. amitie, /. friendship. amnistie, /. amnesty, pardon. amorce, /. priming, cap. amoiiT, m. love; propre, vanity. amoureu-x, -se, in love, lover. ampoule, /. blister. amulette, /. amulet. an, 7)1. year. anagnoste, m. reader. ancetre, w:. or f. ancestor. ancien, -ne, former, ancient. aneantissement, m. annihila- tion, prostration, collapse. anfractuosit^, /. roughness, break. ange, m. angel. anglais, -e, English. Angleterre, /. England. angoisse, /. anguish. anguleu-x, -se, angular. anis, m. aniseed. anneau, m. ring. annee, /. year. annonce, /. announcement. annoncer, to announce. anterieur, -e, anterior. apercevoir, to perceive. aphorisme, m. truism. apitoyer, to move to pity. aplanir, to clear away. aplatir, to flatten. apotre, m. apostle. apparaitre, to appear. appareil, m. dressing (wound). appartenir, to belong. 274 VOCABULARV appeler, to call; s' — , to be named. appliquer, to apply. apporter, to bring. apposer, to place. apprecier, to appreciate. apprendre, to inform, to teach, to learn. appreter, to prepare. appui, m. support. appuyer, to support, to prop, to press, to lean; — sur, to emphasize. &pre, eager, sharp. aprfes, after, afterward. apte, apt, fit. arabe, Arabian. araignee, /. spider. arbousier, tn. arbutus, arbre, m. tree, arbuste, m. shrub, arche, /. ark; arch, archeologue, m. or /. arche- ologist. argent, m. money, silver. argentin, -e, silvery. aride, barren. arme courtoise, dull, blunt weapon. anner, to arm, to cock (gun). aromate, m. perfume. arracher, to tear, to tear out, away or from, arrestation, /. stopping, ar- rest. arrlter, to stop, to arrest. arrifere, back, behind, rear. arrivle, /. arrival. arriver, to arrive, to happen. arrondir, to round out. arroser, to water. arrosoir, m. watering-pot. asphodfele, m. asphodel. aspirer, to breathe in. assaillir, to assail. assaisonnement, m. seasoning. assaisonner, to season. asseoir, to be seated, to seat. assez, enough, rather. assidAment, assiduously. assieger, to besiege. assises, /. assizes. assistance, /. audience. assistant, one present. assister, to aid; — k, to be present at, to witness. associ^, -e, partner. assommer, to strike down. assorti, -e, suited, matched. assouvir, to sate, to satiate. assurfi, -e, confident, assured. athee, atheist. atours, m. attire, finery. attachant, -e, attaching, at- tractive. attacher, to tie,, to attach. attarde, -e, belated. atteindre, to hit. atteinte, /. attack, effect. atteler, to hitch. attendre, to wait, to await; s' — k, to e.xpect; en at- tendant, in the meantime. attendrir, to move. VOCABULARY 275 attendrissement, m. tender- ness. atterrer, to crush, to dumb- found. attester, to attest. Attique, /. Attica. attirer, to attract. attiser, to stir up. attrait, m. attraction, attraper, to catch, to reach, auberge, / inn. aubergiste, inn-keeper. aucun, -e, no, none, any. au-dessous, below, beneath, au-dessus, above. auditoire, m. audience, augmenter, to increase. augure, w. augury, omen. aujourd'hui, to-day. aumone, /. alms. aune, /. yard; d'une — , a yard long. auprfes de, beside, with, near, aussi, also, so, as, thus; — bien, besides, moreover, aussitot, immediately; — que, as soon as. autant, as or so much or many. autel, m. altar. auteur, m. author. autour, about. autre, other, different; tout — , anyone else; vous — s, you (emphatic). autrefois, formerly, in former ti,mes. autrement, otherwise. Autriche, /. Austria. autrichien, -ne, Austrian. autrui, another, others. avaler, to swallow. avant, before; en — , ahead, out, before. avant-hier, day before yes- terday. avare, m. or J. miser. avarie, /. damage. avec, with. avenant, -e, charming. avenir, m. future. aventurer, to risk. avertir, to warn, to admonish. aveugle, blind. aveugler, to blind. avide, greedy, anxious, eag^. avin6, -e, drunken, unsteady. avis, m. opinion, counsel, warning. aviser, to think, to reflect; to notice; s' — , to take into one's head. aviso, m. despatch-boat; — ^ vapeur, despatch-steamer. avoir, to have. avouer, to confess. avril, m. April. B babouche, /. Turkish slipper. badaud, m. idler. bagarre,/. conf usioDp disordeir- 276 VOCABULARY bague, /. ring. bailler, to yawn. bailleur de fonds, silent part- ner. biillormer, to gag. baiser, to kiss; m. a kiss. baisse, /. fall, decline. baisser, to lower, to bow; se — , to bend, to stoop. bal, m. ball. balancier, m. pendulum. balayer, to sweep. balbutier, to stammer. balle, /. bullet; — perdue, random or spent ball. banc, m. bench. bande,/. band, strip, bandage. bandeau, m. bandage. bander, to tie up. bandouliire, en — , slung over the shoulder. banlieue, /. outskirts. banqueroute, /. bankrupt. banqueroutier, vt. bankrupt. banquier, m. banker. barbier, m. barber. barreau, m. bar. barrer, to bar, to dam. bas, -se, low, base; tout — , secretly; en — , below; s.m. base, bottom. bataille, /. battle. bateau, m. boat; — k vapeur, steamer. batir, to build. baton, m. stick, pole, staff. batonner, to beat. battre, to beat; to search, to scour; se — , to fight. baume, m. balm, salve. bavard, -e, talkative, chatter- ing. bavarder, to chatter. baveu-x, -se, foaming. beau,bel, belle, beautiful, fine; avoir beau, to do in vain; en beau, the bright side. beaucoup, much, many; a — prfes, by a great deal. beaute, /. beauty. bee, m. point, nib; bill. belle-mfere, /. mother-in-law. belles-lettres, /. literature. benefice, m. profit. benir, to bless. bercer, to soothe, to quiet. berg-er, -fere, shepherd, shep- herdess. besogne, /. work. besoin, m. need. bete, /. animal, beast, fool; adj. stupid. bien, well, very, good, quite, indeed, comfortable, en- tirely, much; h6 — , eh — , well; si — que, so that; — de, — des, many; s.m. wealth, goods. bien-Stre, m. comfort. bienfaisant, -e, benevolent, beneficent. bienfai-teur, -trice, benefac- tor; adj. beneficent. bienbeureu-x, -se, blessed. VOCABULARY 277 bientot, soon. bienveillance, /. good-will. bienvenu, -e, welcome. bijou, w. gem, jewel. billet, m. note. billon, m. copper money. bis, brown. bizarre, odd, strange. bizarrerie, /. oddity. blan-c, -che, white. blanchatre, whitish. blancheur, /. whiteness. blanchir, to whiten. blanchisseu-r, -se, washer- man, washerwoman. blesser, to wound. blessure, /. wound. bleu, -e, blue. bloc, en — , in a body. blottir, to crouch. bocal, m. glass jar. bceuf, m. ox; — s, cattle. boire, to drink. bois, m. wood; — de lit, bed- stead. boisson, /. drink. boite, /. box; — a surprise, surprise-box. boiteu-x, -se, lame. bon, -ne, good, kind; a quoi — , what is the use. bond, m. bound. bonde, /. bung; lecher la — , to give vent to. bondir, to bound. bonheur, m. happiness, good- fortune, luck. bonhomie, /. cheerfulness, simplicity. bonhomme, m. simple old fellow. bonjour, m. good-day. bonnet, cap, hat, bonnet. bonsoir, m. good-evening. bonte, /. kindness. bord, m. edge; shore; brim; h. — , on board; k men — , on my ship. borne, /. limit, confine; mile- stone. borner, to limit. bossu, -e, hunchbacked. botte, /. bundle; boot. bottine,/. boot, shoe. bouche, /. mouth. bouchee, /. mouthful. boucle, m. curl; buckle. boucler, to buckle. bonder, to sulk. boue, /. mud, mire. bouffee, /. puff. bouffer, to puff out. bouger, to move. bougie, /. candle. bouillant, -e, fiery, impetu- ous, boiling. bouillie, /. pulp. bouillir, to boil. bouillonnant, -e, gushing, bubbling. boulet, m. cannon-ball; — rame, chained shot. bouleverser, to convulse, to confuse, to distort. 278 VOCABULARY bourbeu-x, -se, muddy. bourdonner, to buzz. bourg pourri, rotten borough. bourgeoisie, /. middle class. bourreau, m. executioner, vil- lain, torturer. bourse, /. purse; la Bourse, Board of Trade. boiu"souffle, -e, bloated. bout, m. end; du — des dents, gingerly, reluctantly; S. — portant, pointblank. bouteille, /. bottle. boutique, /. shop. brancard, m. litter. brandir, to brandish. braquer, to train, to direct. bras, in. arm; k — tendu, at arm's length. brasse, /. fathom. bravache, in. blusterer. brave, brave, good, worthy. br-ef, -feve, brief, short; — , in short. bretelles, /. suspenders. breuvage, m. beverage. brevet, m. commission. bride, /. bridle. bride, -e, bridled. brigade, /. station. brigadier, m. corporal (cav- alry), sergeant (police). briller, to shine. brin, m. sprig. brique, /. brick. brise, /. breeze. briser^ to break. broder, to embroider, broderie, /. embroidery. brouiller, se — , to fall out with, to be at outs with; to become overcast, broussailles, /. brushwood, broyer, to grind up. bruit, m. noise, rumor. br filer, to burn; i brfile-pour- point, pointblank. brfilure, /. burn. bnm, -e, brown, brunette. brusquement, suddenly. brut, -e, gross. bruyamment, noisily. bficher, m. pile of wood, bficheron, m. wood-cutter, budget, m. budget, buisson, m. bush. bureau, m. office; desk, buste, /. bust. but, m. end, object, aim. butin, m. booty. buveur, m. drinker. cabana, /. cottage, hut. cabaretier, m. inn-keeper, cabinet, m. office, cabinet; de travail, study. cacher, to conceal, cachet, m. seal, cacheter, to seal. cachot, m. dungeon. cadav^riquCj corpse-like. VOCABtJtARV 279 cadavre, m. corpse. cadet, -te, younger. cadre, m. list. cafe, m. cafe; cofifee. cafedgi, m. coffee-bearer. caillou, m. pebble, stone. caisse, /. chest, money-box. calcaire, m. limestone. calcul, tn. calculation. calibre, m. calibre. camard, -e, flat. campagne /. country; cam- paign. campement, m. encampment. camper, to camp, to plant. canal, m. canal, channel. cangiar, m. sword. canif, m. penknife. canne, /. cane. canon, m. cannon, barrel. canot, m. boat. cap, nt. cape. capiteu-x, -se, strong, heady. capsule,/, cap (gun). car, for, because. carafe, /. decanter. cargaison, /. cargo. camet, m. note-book. carre, -e, square. carrefour, m. cross-roads, public square. carte, /. card. cartouche, /. cartridge. cas, m. case, position. caserne, /. barracks. casque,/, helmet, head-piece, casquette, /. cap. casse-noisette, /. nutcracker, casser, to break. categorique, positive, etcpress. causer, to cause; to talk, to chat. cavalier, horseman; partner, ce, cet, cette, ces, this, these, that, those. ceder, to yield, ceinture, / belt. cela, that. celui, celle, ceux, celles, the one, those. cent, hundred; pour — , per cent. centaine, /. about a hundred. centime, m. one-fifth of a cent. cependant, meanwhile; never- theless. cercle, m. circle. cercueil, m. coffin. cerebrale, cerebral, of the brain. certes, assuredly. certifier, to certify. cerveau, m. brain, cervelle, / brains. cesser, to cease. chacun, -e, each, every, chagrin, m. grief, sorrow; shagreen. chair, / flesh; — de poule, goose-flesh, chaise, / chair; — de paille, cane or straw-bottomed. chaleur, / heat. 28o VOCABULARY chambre, /. room; — a cou- cher, bed-room. champ, m. field; sur-le , immediately. chanceler, to totter. chancelier, m. chancellor. chanson, /. song. chant, 7n. song. chanter, to sing. chantonner, to hum. chantre, w. chorister, singer. chapeau, m. hat. chapelet, m. chaplet. chapitre, m. chapter, subject. chaqtie, each, every. char, m. car, chariot. charbonnier, m. charcoal-bur- ner. charbons, m. coals. charge, /. load, burden, ex- pense. charger, to load, to burden; — de, to order, to intrust; se — de, to take upon one- self. charmant, -e, charming. chasse, /. hunt. chasser, to hunt; to drive out. chasseur, m. hunter. chat, -te, cat. chitain, -e, chestnut. chitier, to chastise, to punish. ch&timent, m. punishment. chatouiller, to tickle. chaud, -e, warm. chauffer, to warm. chausser, to put on the feet. chaussure, /. shoes, foot-wear. chauve, bald. chaux, /. lime. chef, m. chief; lieu, chief town, county-seat. chemin, tn. road, way; — de fer, railroad; grand — , high-way; rester en — , not to reach the destination; — faisant, going along. cheminee, /. chimney, smoke- stack. chemise, /. shirt. chene, m. oak; — vert, live oak. chenille, /. caterpillar. ch-er, -fere, dear, dearly. chercher, to seek. chercheur, m. seeker. cheti-f, -ve, weak, sickly. cheval, m. horse; — de ma- nage, livery-horse. chevaleresque, chivalrous. chevelure, /. hair. chevet, m. head of bed, bed, pillow. cheveu, m. hair. cheville, /. ankle. chfevre, /. goat. chevreuil, w. deer. chez, at the house of, by, at, among. chiboudgi, m. pipe-bearer. chibouk, m. Turkish pipe. chien, m. dog; hammer (gun). chiffonner, to crumple, to wrinkle. chiffre, vi. figure. VOCABULARY 281 chiffrer, to calculate, to count. chirurgical, -e, surgical. choeur, w. chorus. choir, to fall. choisir, to choose. choix, m. choice. cholerique, sick with cholera. chequer, to shock, to clash with. chose, /. thing. chou, m. cabbage. Chretien, m. Christian. chut! hush! silence! ciel, m. sky, heavens, heaven. cierge, ?». wax-taper. cil, m. eyelash. cime, /. summit. cinq, five. cinquantaine, /. some fifty. cinquante, fifty. circonstance, /. circumstance. cire, /. wax. cirer, to wax, to oil. citer, to cite, to mention. citoyen, -ne, citizen. citronnier, m. lemon or citron- tree. civilre, /. stretcher. civilite, /. compliment. clair, -e, light, clear. clairvoyant, -e, clear-sighted. clandestinement, secretly. claquer, to snap, to chatter. clarte, /. light. clef, /. key. Clephte, m. mountaineer, thief. clou, m. nail. cocher, m. coachman, cab- man. cocon, m. cocoon. coeur, m. heart; de bon — , heartily. coffre, m. box, chest. coiffer, to put on the head, in the hair; to dress the hair; to top. coiffure, /. head-dress. coin, m. corner; — du feu, fireside. colfere, /. wrath, anger. college, m. school. coller, to glue. collet, m. collar. colline, /. hill. colombe, /. dove. colonne, /. column. combien, how much, how many. combler, to fill up. commandite, /. stock-com- pany of limited liability. comme, like, as. commensal, messmate, fel- low-boarder. comment, how. commer9ant, m. merchant. commerce d'exportation, ex- port trade. commettre, to commit. commission, /. errand. commissure,/, point of union. commode, commodious, easy, comfortable. 282 VOCABULARY commun, -e, common. commune, /. commune. comparaitre, to appear. compere, m. comrade, fellow. complaire, to please. complaisamment, obligingly, complacently. complaisance, /. kindness. complice, m. or f. accomplice. comprendre, to understand, to comprise. compresse, /. compress. comptant, cash. compte, m. account. compte courant, m. statement. compter, to count; to tell; to intend. comptoir, m. counter. concerter, se — , to arrange a plan. concevoir, to conceive. concilier, to conciliate. concision, /. brevity. concitoyen, -ne, fellow-coun- tryman or woman. conclure, to conclude. concourir, to compete. concours, m. competitive ex- amination, competition. condamner, to condemn. condition, de — , of rank. conduire, to lead, to take, to drive; se — , to behave. conduite, /. conduct, guid- ance. confiance, /. confidence. confident, -e, confidant. confier, to confide. confisquer, to confiscate. confiture, /. preserves. confondre, se — en, to blend into, to form one with, to confuse with. conformement, in conformity with. confrgrie,/. brotherhood, fra- ternity. confus, -e, ashamed, embar- rassed. conge, m. leave, discharge. connaissance, /. knowledge, acquaintance. connaitre, to know, to be familiar with. conquerir, to conquer. consacrer, to consecrate. conscience,/, conscience, con- sciousness. conseil, m. council, counsel. conseiller, to counsel, to ad- vise. conserva-teur, -trice, con- servative. consigne, /. orders. consommer, to consume, to consummate. conspiration, /. conspiracy. Constance,/, constancy, firm- ness. construire, to construct. consulat, m. consulate. conte, m. tale. contemporain, -«, contem- porary. VOCABULARY 283 COntenance, par — , for ap- pearance sake. contenir, to contain. contenu, m. contents. center, to relate. conteur, m. story-teller. contraindre, to force. contre, against. contrebande, /. contreband. contrebandier, m. smuggler. contredire, to contradict. contredit, w. contradiction. contrefaire, to imitate, to pirate. contribuer, to contribute. controle, m. verification, su- pervision. contusionner, to bruise. convaincre, to convince; con- vaincu, -e, serious, earnest. convenable, suitable. convenance, /. civility, pro- priety. convenir, to be fitting; to suit, to be suitable; to agree, to confess. convive, guest. convoi, m. convoy, proces- sion. convoitise, /. greed. copier, to copy. coquet, -te, pretty, elegant. coquillier, m. shale. coquin, -e, villain, rogue, hussy. corbeau, m. crovir. corde, /. cord, rope. cordon, m. cord. come, /. horn. corporel, -le, corporal corps, m. body; k — perdu, headlong; — de garde, guard-house or room. correspondant, m. guardian, representative. corriger, to correct, to punish. corrompre, to spoil, to bribe. corruption, /. bribery. corsage, m. waist. cote, /. rib. c6t6, w. side. coter, to quote. cotiser, to join together. cou, m. neck; de-pied, instep. coucher, to lay down, to write down; se — , to go to bed, to lie down. coude, m. elbow. coudre, to sew. couler, to flow; to sink. couleur, /. color. coup, blow, thrust, stroke; job; shot; pour le — , this time; — de soleil, sun- stroke; — d'oeil, glance; — de main, aid; — de dent, bite; — de fusil, — de feu, shot; tout k — , suddenly; d'un — , at one stroke; k petits — s, gently; a un — , single-barreled (gun); en- core un — , one more drink, once more. 284 VOCABULARY coupable, guilty. coupe, /. cup. couper, to cut, to cut off, to spoil. coupole, /. cupola. cour, /. court. couramment, fluently. courant, m. current, courbe, /. curve. courir, to run, to traverse. couronner, to crown. courrier, m. mail; par retour du — , by return mail. courroie, /. strap, band, courroucer, to anger. cours, m. course; au — de, at the rate of. course, /. journey, trip; race; running. court, -e, short; short-sighted. courtoisie, /. courtesy. couteau, m. knife, coiiter, to cost. cotateu-x, -se, costly. coutume, /. custom. couvent, m. convent. couvert, w. plate; lodgings; mettre le — , to set the table. couverture, /. blanket. couveuse, /. sitter, hen. couvreur, ni. roofer. couvrir, to cover, to drown (sounds). cracher, to spit. craindre, to fear. crainte, /. fear. cramponner, to cling. crane, ni. skull. craquement, m. creaking, cracking. craquer, to crack, to creak, creer, to create, crepe, m. crape, creuser, to dig, to hollow; to rack. crever, to die. cri, m. cry. cribler, to riddle. crier, to cry. crinolina in variabilis, Lat. in- variable crinoline. crise, /. crisis. crispe, -e, contracted. crisper, to clasp, to clench, to contract. croire, to believe. croisifere, /. cruise, croitre, to grow. croix, /. cross. croquer, to crunch, to munch, to devour. crosse, /. stock, crotte, -e, dirty. crouler, to crumble. cru, -e, raw, uncooked; h. — ^ bare, without covering, cru, du — , of home growth, local. cruaute, /. cruelty. crue, /. rise. cruellement, cruelly. crueillir, to gather. cuiller, /. spoon. VOCABULARY 285 Cuir, m. leather; — chevelu, scalp. cuire, to cook. cuisant, -e, burning, smart- ing. cuisine, /. cooking; kitchen. cuisin-ier, -6re, cook. cuisse, /. thigh. cuivre, v.. copper, bronze. culbuter, to topple, to tumble. culte, m. worship. cultiva-teur, -trice, farmer. culture, /. cultivation. curieu-x, -se, curious. cygne, m. swan. daigner, to deign. damasquiner, to emboss. dans, in, at, into. Daphne, Daphne. davantage, more. de, of, from, by, at, etc. debarquer, to disembark. d^bat, m. struggle. debattre, to discuss, to fight out. debauche, /. feast, debauch. debile, feeble. debiteur, m. debtor. deboise, open, without woods. debonnaire, meek, good-na- tured. deboucher, to empty, to come out. d^bourser, to pay. debout, upright, standing. decharger, to discharge. dechausser, to bare the feet. dechiffrer, to decipher. dechire, -e, torn. dechirer, to tear, to rend. decider, to decide, to con- vince. diclasse, out of his sphere. decompose, -e, distorted. decorer, to decorate. decors, m. scenery. decouper, to carve, to cut. decouverte, /. discovery. decouvrir, to discover, to dis- close, to uncover. decrire, to describe. dedaigner, to disdain, to scorn. dedans, within. dedier, to dedicate. dgduire, to deduct. d^faire, to undo, to defeat; se — de, to rid oneself of. defaite, /. defeat. defaut, m. fault, defect. defendre, to defend, to forbid. defenseur, m. defender. defiance, /. mistrust, suspi- cion. defier, to defy; se — de, to mistrust, to suspect. defile, m. defiling, march. defriser, to uncurl. degager, to free. degainer, to unsheathe. 286 VOCABULARY degoiit, m. disgust, distaste. deguenille, -e, tattered. deguster, to drink, to sip. dehors, without. deja, already. dejeuner, to lunch; s.ni. luncheon. delai, m. delay. delayer, to dilute. delicatesse, /. delicacy. delicieusement, delightfully, deliciously. delier, to untie, to untangle, to loosen. d^lire, m. delirium. delivrer, to deliver. demain, to-morrow. demande, /. demand, ques- tion. demander, to ask; se — , to ask oneself, to wonder. demangeaison, /. itching. demeler, to settle, to un- tangle. dem6nager, to move out or away. dfimener, se — , to spring about; to bestir oneself. dementi, m. denial, contra- diction. dementir, to contradict, to deny. d6mesurement, immoderate- ly- demeurant, au — , after all, however. demeure,/. dwelling. demeurer, to live, to remain. demi, -e, half. demoiselle, /. young lady. d^molir, to demolish. demontrer, to prove. demotique, popular. denicher, to lind, to dislodge. denier, to deny. denigrer, to revile. d^noncer, to betray. denree, /. product, commod- ity. dent, /. tooth. depart, m. departure. depeche, /. letter, despatch. depeindre, to depict, to de- scribe. depens, m. expense. depense, /. expenditure. depenser, to spend. depit, m. vexation, scorn, spite. deplacer, to displace, to put out of place. deplaire, to displease. deposer, to set down, to put off; to testify, to deposit. depot, m. store; deposit. depouiller, to rob, to plunder, to strip. depouilles, /. spoils. d^pourvu, -e, unprovided. depuis, since, from. d^raciner, to uproot. deraisonnable, unreasonable. deranger, to disturb. derider, to cheer up, to en- liven, to unwrinkle. VOCABULARY 287 derni er, -fere, last; worst. derobee, k la — , secretly. derober, to steal, to shield. deroute, /. rout. derriere, behind, rear. dfes, from, upon, as early as, no later than. desabuser, to undeceive. desarticuler, to throw out of joint. descendre, to descend, to come down; — a terre, to land. desemparer, to quit, to leave off. desert, -e, deserted. desesperant, despairing. desesperer, to despair. d^sespoir, m. despair. designer, to designate. desinteressement, m. unself- ishness. desormais, henceforth. dessecher, to dry. desserte, /. leavings. dessin, jk. sketch. dessiner, to sketch, to outline, to show; se — , to stand out, to assume form. dessous, beneath. dessus, above. destructeui;, m. destroyer. d^teindre, to leave a stain upon. d^tester, to detest. dStour, m. turn, detour. d6toumer, to turn aside. d^trousser, to rob. detruire, to destroy. deux, two. devaliser, to rob, to plunder. devant, before, in the pres- ence of; au — de, to meet. devenir, to become. deviner, to guess, to divine. devisager, to stare out of countenance. devise, /. motto. devoir, to owe, to be com- pelled to, should, ought, must; s.m. duty; mettre en — , to begin. devorer, to devour. devotement, devoutly. devoue, -e, devoted. devouement, m. devotion. diable, tn. devil. diamant, m. diamond. dieter, to dictate. dictee, /. dictation. Dieu, ni. God. difficile, diflicult. difforme, deformed. digerer, to digest. digne, worthy, good, kind. digue, /. dike, dam. diligence, /. stage-coach. dimanche, m. Sunday. dime,/, tenth, tithe. diminuer, to diminish. diner, to dine; s.m. dinner. dire, to say, to tell, to call. diriger, to direct, to send. discours, m. speech. discrfetement, discreetly. 288 VOCABULARY discretion, a — , without re- striction. discuter, to discuss, to dis- pute. disgracieu-x, -se, ungraceful. disparaitre, to disappear. disposition, des — s, aptitude, inclination, ability. dissequer, to dissect. dissimuler, to conceal. dissoudre, to dissolve. distancer, to distance. distraction, /. abstraction, di- version. distrait, -e, absent-minded. dit, -e, called. dithyrambe, w. lyric poem in honor of Bacchus. divertissement, m. amuse- ment. diviser, to divide. dix, ten. dix-huit, eighteen. dix-neuf, nineteen. dix-sept, seventeen. doge, m. doge. doigt, .m. finger. dolent, -e, doleful. domestique, m. or f. servant; — de place, guide. domicile, m. domicile. dominer, to dominate, to be taller than. dompter, to master, to re- strain. don, m. gift. done, therefore. dormer, to give; to deal (cards); to strike. dormant donnant, give and take, tit for tat, a fair ex- change is no robbery. dont, whose, of whom, of which. dore, -e, gilded, golden. dormir, to sleep. dos, m. back. dot, /. dowry. douane, /. customs-house. douanier, customs-house offi- cer. doubler, to double, to in- crease. douceur, /. gentleness, sweet- ness. douche, /. shower-bath. douer, to endow. douleur,/. pain, grief, sorrow. douloureu-x, -se, painful, sor- rowful. doute, m. doubt. douter, to doubt; se — de, to suspect. dou-x, -ce, sweet, gentle, soft. douzaine, /. dozen. douze, twelve. drachme, /. drachma. dragee, /. sugar-plum. drap, m. cloth, sheet. drapeau, w. flag. dresser, to raise; to set up; se — , to rise. droit, -e, right, straight; a droite, on the right. VOCABULARY 289 droitixre, /. uprightness. drole, m. rogue. dm, -e, thick, fast. dryade, /. wood-nymph. dur, -e, hard. durant, during. durement, harshly, hardly. durer, to last, to endure. £ eau, /. water. 6bahi, -e, astounded. 6bat, m. sport, frolic. ebaucher, to sketch. eblouir, to dazzle. ^branler, to shake, to put in motion. ebrecher, to jag, to indent. ecarlate, scarlet. ^carter, to remove, to conceal, to divide; a I'ecart, aside. eehafaud, ni. scaffold. echange, m. exchange. echanger, to exchange. echantillon, in. sample. echapper, to escape. echeance,/., al' — , when due. echelle, /. ladder. echelon, m. round. echouer, to strand. €clabousser, to spatter. eclair, m. flash. eclaircir, s' — , to clear, to brighten. ficlairer, to light up, to en- lighten. eclat, m. splinter, brilliancy; luster. gclatant, -e, brilliant, spark- ling. eclater, to burst. eclipser, to eclipse; s' — , to vanish. ecluse, /. sluice. ecole, /. school. ecolier, school-boy, pupil. economies, /. savings. ecorce, /. bark. ecorcher, to bark, to peel, to flay; to murder or mangle (language). 6corchure, /. abrasion. ecorner, to break off bits or corners. ecouler, to flow off. ecouter, to listen. ^eraser, to crush. eerier, s' — -, to exclaim, to cry out. Icrire, to write. ecritoire, /. ink-stand. ecriture, /. writing. ecru, -e, brown. ecu, >w. crown. ecumer, to foam. ecureuil, m. squirrel. effaroucher, to frighten, to in- timidate. effet, m. effect, thing, posses- sion; en — , indeed, in fact. effleiu"er, to graze, to skim. effraction, /. house-breaking. effrayer, to frighten. 290 VOCABULARY effrene, -e, frantic. effroi, m. terror, dismay. effronte, -e, shameless, im- pudent. effroyable, terrible. 6gal, -e, even, level, equal. egalement, likewise. egaler, to equal. egard, m. deference, respect. egare, -e, wandering, lost. egarer, s' — , to wander, to lose one's way. Egine, /Egina. eglise, /. church. egorger, to kill, to murder. egoutter, to drip off, to dry. ^lancer, s' — , to spring for- ward. electriser, to electrify. elegants, people of fashion, dandies. 616ve, m. and f. pupil, cadet. elev6, bred. elever, to raise, to bring up. elite, /. chosen, choice. eloge, m. eulogy. eloigner, to go away. ^mail, m. enamel. emailler, to enamel, to adorn, to cover. embarras, m. embarrassment. emblee, d' — , at once. embrasser, to kiss. embrocher, to run on a spit. embuscade, /. ambuscade, ambush. emigrer, to emigrate. eminemment, eminently. Amission, /. issue. emmailloter, to swathe. emmener, to carry, to carry off. empailler, to stuff. emparer, s' — , to seize upon. empecher, to prevent. empieter, to encroach, to in- fringe. empire, m. empire; authority, control. emplacement, m. site. emploi, m. employment, posi- tion. empocher, to put into the pocket. empoisonnement, m. poison- ing. empoisonner, to poison. emporte, hery, violent. emportement, m. passion, violence. emporter, to carry away. empressement, m. eagerness. empresser, s' — , to hasten. emprisonner, to imprison. emprunter, to borrow. emu, -e, moved, touched. emule, m. emulator, rival. en, of it or them, for it or them, while, etc.; prep, in, by, while, to, as, like, etc. encadrer, to frame. encaisser, to put into, to in- case, to receive. encens, m. incense. VOCABULARY 291 enchainer, to chain. encombre, m. obstacle. encore, furthermore, still, yet, again, moreover. encourir, to incur. encre, /. ink. encrier, m. ink-well, ink- stand. endimanche, -e, dressed in Sunday clothes. endolori, -e, sore, bruised. endommage, -e, bruised. endormir, s' — , to go to sleep. endosser, to put on. endroit, m. place. enduit, tn. layer, coat. enfant, vi. and f. child. enfer, m. inferno, hell. enfenner, to enclose. enfin, finally; in a word. enflamme, -e, flaming. enflammer, s' — , to become inflamed. enfie, -e, swollen. enfler, to swell, to swell out, to inflate. enfoncer, to break in, to thrust; s' — , to plunge into. enfuir, s' — , to flee. engageant, -e, engaging, at- tractive. engager, s' — , to enter. engloutir, to swallow up. engourdir, to benumb. enivrer, to intoxicate. enjambee, /. stride. enlevement, m. abduction. enlever, to carry away, to carry, to take away, to pick up, to take, to cap- ture. enlviminer, to color. ennemi, -e, enemy. ennui, m. weariness, vexation. ennuyer, to weary, to annoy, to vex. enoncer, to state, to utter. enorme, enormous. enrage, -e, m. and f. mad; madman or mad woman. enrhumer, s' — , to catch cold. enrichir, to enrich. enroler, to enroll, to enlist. enrouler, to roll. ensanglante, -e, bloody. enseigne, /. sign. enseigner, to teach, to show. ensemble, together. enseveli, -e, buried. ensuite, afterward. entamer, to impair, to affect, to bite. entasser, to heap up, to col- lect. entendre, to hear; to under- stand; to intend; s' — , to agree, to understand. enterrement, m. funeral. enterrer, to bury. enti-er, -fere, entire. entonner, to begin to sing. entourer, to surround. entrainer, to drag along or down. 292 VOCABULARY entraver, to shackle, to hin- der. entraves, /. shackles. entre, between, among. entrecouper, to interrupt, to intersperse. entree, /. entrance, entry. entrefaites, sur ces — , during this time. entreprendre, to undertake. entreprise, /. undertaking. entrer, to enter. entretenir, to maintain, to keep. entr'ouvert, -e, partially open. entretien, ni. interview, con- versation. entrevue, /. interview. envahir, to invade. enveloppe, /. envelope; ex- terior, skin. envers, toward; al' — , turned. envie, /. desire, envy. environ, about; — s, the sur- roundings. envisager, to view, to con- sider. envois, w. sendings. envoler, to fly away, to fly back. envoyer, to send. 6pais, -se, thick. epanouir, to open, to bloom. epargner, to spare, to save. eparpiller, to scatter. €paule, /. shoulder. epee, /. sword. eperdu, -e, distracted. eperdument, m. madly, de< spairingly, desperately. eperon, m. spur. epices, /. spices. epiderme, m. skin. 6pier, to spy. epigastre, m. abdomen. epileu-r, -se, hair-remover. epine, /. spine, thorn. 6pineu-x, -se, spiny. epingle, /. pin. eponge, /. sponge. epoque, /. epoch, time. epouser, to marry. epouvantable, frightful. epouvante, /. terror. epouvanter, to terrify. eprendre, to fall in love with. epreuve, /. trial; k V — de, proof against. epris, -e, smitten, in love. ^prouver, to experience. escalader, to scale. escalier, w. stairway. escamotage, trick of conjur- ing. escarpe, -e, steep. esclave, m. and /. slave. espace, m. space. Espagne, /. Spain. espfece, /. kind. esperance, /. hope, expecta- tion, promise. esperer, to hope. espi&glerie, /. roguishness. VOCABULARY 293 espion, m. spy. espoir, m. hope. esprit, m. mind, wit, intelli- gence; intention, spirit. essai, m. trial. essaim, m. swarm. essayer, to try. essuyer, to wipe; to undergo, to suffer; to dry. estafette, /. messenger. estomac, tn. stomach. et, and. etablir, to establish; s' — , to establish oneself, to set up in business. ^tablissement, m. establish- ment. etage, m. story. etalage, m. show-window, dis- play. Staler; to expose, to display, to spread out. €tang, 7n. pond. etat, m. state, condition, busi- ness. etat-major, m. staff. Etats-Unis, m. United States. €t€, m. summer. eteindre, to extinguish, to die out. 6teint, -e, dull. Itendre, to extend, to stretch out, to dilute. etemuer, to sneeze. 6tincelant, -e, flashing, spark- ling, bright. etinceler, to flash, to sparkle. etoffe, /. cloth. etoile, /. star. ^tonnement, m. astonishment. etonner, to astonish. etouffer, to stifle. etrange, strange. etrang-er, -Ire, strange, for- eign; s.m. or /. stranger, foreigner; 3. 1' — , in foreign lands. etrangler, to strangle. etre, to be; s.vt. a being. etroit, -e, narrow, confined. etroitement, closely. etude, /. study; schoolroom; faire des — s, to study. Itudier, to study. evader, to escape. evanouir, s' — , to swoon. evaquer, to evacuate. evasion, /. escape. 6veille, -e, wide-awake. eveiller, to awaken. evenement, m. event. gventrer, to tear open, to disembowel. €veque, m. bishop. evidence, /. evidence. evidemment, evidently. evoquer, to evoke, to call forth. exactitude, /. promptness, exactness. exaucer, to grant. excedant, m. surplus. excfes, m. excess. excluer, to exclude. 294 VOCABULARY ex6cuter, s' — , to fulfill an agreement, to submit. exemplaire, m. copy. exercer, to carry on, to exer- cise, to train. exhaler, to exhale. exiger, to demand, to insist upon. exorable, capable of being moved by entreaty. exorciste, m. one who drives out demons. exorde, r:. beginning. exotique, strange, foreign. expedier, to send, to despatch. expediti-f, -ve, expeditious. experiments, -e, experienced. expiatoire, expiatory. expier, to expiate. expliquer, to explain. exploiter, to exploit. exprfes, m. express, messen- ger; adv. purposely. exprimer, to express. expulser, to expel. exquis, -e, exquisite. extenuer, to extenuate, to exhaust. exteme, non-resident boarder. extorquer, to extort. extraire, to extract. fabrique, /. factory, manu- facture. face, /. face; en — , opposite; faire — &, to meet, to face. facetieu-x, -se, facetious. f&cher, to anger or grieve; se — , to become angry. fjlcheu-x, -se, unfortunate, grievous. facile, easy. fagon, /. making; way, form; sans — , familiarity, un- ceremoniousness. fagot, m. fagot, bundle. faible, weak, feeble. faiblesse, /. weakness, feeble- ness. faillir, to be on the point of, to be near, to come near. faim, /. hunger. faire, to make, to do; to have, to cause, to say, to form, to pay, to keep, to give, to be; mal faite, poorly done, poorly exe- cuted; toute faite, ready- made. fait, m. deed, fact; au — , in- deed, in fact. faite, vt. summit. falloir, to be necessary, to be lacking. famille, /. family. fange, /. mud, mire. fantaisie, /. fancy. faquin, m. puppy. fardeau, m. burden. farine, /. flour. farouche, wild, fierce. VOCABULARY 29s fatiguer, to fatigue. faubourg, m. quarter, suburb. faute,/. fault, mistake; — de, for lack of. fauteuil, m. armchair. faux, fausse, false. favoriser, to favor. feindre, to feign. feliciter, to congratulate. femme, /. woman, wife; — de chambre, maid. fendeur de bois, wood-splitter. fendre, to split. fenetre, /. window. far, w. iron; steel; horseshoe; — k repasser, flat-iron. fer-blanc, m. tin. ferme, /. farm, farm-house. ferme, firm. farmer, to close. fermete, /. firmness. fermier, m. farmer. feroce, ferocious. farre, iron-tipped, iron-shod. fastin, m. banquet. fete, /. festival, celebration, holiday. feu, m. fire, light; adj. the late, the deceased; faire — , to fire; k petit — , by slow fire; — d'artifice, fire- works. feuille, /. \eaf, sheet. feuillater, to leaf through. feutra, m. felt, felt hat. fiacra, m. cab. fiance, -e, betrothed. ficalla, /. cord. fidfele, faithful. fi-ar, -era, proud. fi^vra, /. fever; ■ — s, fevers, ague. figuier, m. fig-tree. figure, /. face. figurer, se — , to imagine. fil, m. thread, web. filature, /. spinning-mill. file,/, file. filet, m. net, web. fille, /. daughter, girl; jeune — , young lady. fiUeul, -e, godson, goddaugh- ter. fils, m. son. fin, /. end. fin, -a, fine, delicate, clever. fini, -e, downright. finir, to end. fisc, m. treasury, revenue. fixer, to attach, to fix. fixemant, fi.xedly. flacon, m. smelling-bottle, flask. flairer, to scent, to snuff at. flambeau, m. torch. flamber, to flame. flanc, »!. side. flaque, /. puddle, pool. flatter, to flatter. flatteu-r, -sa, flatterer; adj. flattering. fleau, m. scourge, plague flfeche, /. arrow. flechir, to bend. :96 VOCABULARY flegmatiquement, phlegmatic- ally. fleur, /. flower, blossom. fleurir, to bloom; to flourish; to bedeck with flowers. floraison, /. blooming. Acre, /. flora. florissant, -e, flourishing. flot, 7)1. wave, flood. flottant, -e, floating. Mte, -e, fluted, soft. foi, /. faith; faire — , to show, to prove; ma — , upon my word. fois, /. time; k la — , at the same time. folic, /. madness. folle, /. sprite. fonctionnaire, m. civil officer. fond, back, depths, bottom; k — , thoroughly, to the bottom. fonda-teur, -trice, founder. fonder, to found. fondre, to melt; — sur, to sweep down upon. fonds, in. funds. fontaine, /. fountain, spring. for5at, m. convict. force, /. strength, force; a — de, by dint of. forcene, madman. foret, /. forest. forger, to forge, to coin. formellement, formally, ex- pressly. fort, -e, strong; adv. very; au plus — , at the height; trop — , too much; le plus — , the worst. fort, m. fort. fosse, /. pit, grave. fosse, m. ditch. fossoyeur, m. grave-digger. fou, folle, mad; s.ni. or f. madman or mad woman. foudre, /. thunderbolt. foudroyant, -e, fulminating, deadly. fouet, m. whip. fougue, /. fire. fougueu-x, -se, fiery. fouiller, to search, to pillage. foulard, m. scarf, handker- chief. foule, /. crowd. fourgon, ni. baggage-wagon. fourmilifere, /. swarm. fournir, to furnish. fourreau, m. scabbard. fourrer, to thrust. fourvoyer, se — , to go astray. foyer, m. hearth, fire. fracas, m. uproar. fraichement, freshly, newly. fr-ais, -aiche, fresh; semettre au — , to become or keep cool. frais, m. expense. fraise, /. strawberry. fran5ais, -e, French. franchir, to cross. franchise, /. frankness. f ranger, to fringe. VOCABULARY 297 frapper, to strike, to tap, to knock. fredaine,/. prank, act of folly. fredonner, to hum. frein, m. check. fremir, to shudder. fremissement, m. shudder. frequenter, to frequent, to at- tend, associate with. frfere, m. brother. fressixre, /. large viscera, heart, liver, etc. friandise, /. dainty, delicacy; daintiness. friponneau, m. little scoun- drel. friponnerie,/. knavery, cheat- ing. friser, to curl; J;o shiver. friture, /. frying; frying sub- stance. froid, -e, cold. froideur,/. coldness, coolness. froisse, -e, crumpled. frolement, m. rustling, rub- bing, touch. fromage, vi. cheese. froncer le sourcil, to frown. front, nt. brow, forehead. frotter, to rub, to come in contact with, to interfere with. fuir, to flee. fuite, /. flight. fumee, /. smoke. fumer, to smoke. fmneu-x, -se, smoky. funebre, funereal; of the dead. funerailles, /. funeral cere- monies. fureur, /. fury. fusil, w. gun; — d. piston, percussion musket. fusilier, to shoot, to shoot down. futur, -e, intended husband or wife. gagner, to win, to earn, to reach, to gain upon, to overcome. gai, -e, gay, cheerful. gaillard, -e, cheerful; s.m. fellow. gaillardement, briskly, heart- ily. gala, gala, holiday. galamment, galantly. galet, m. stone, pebble. gant, jn. glove. gante, -e, gloved. garfon, m. boy; fellow, bach- elor. garde/, guard; prendre — , to take care. garde -malade, nurse. garde-robe, m. wardrobe. garder, to keep, to guard; se — , to be careful not to, to refrain from. gardien, m. guard, garni, -e, furnished, filled. 298 VOCABULARY garnison, /. garrison. garroter, to bind. gaspiller, to waste. gateau, m. cake. gSter, to spoil. gauche, left. gaucherie, /. awkwardness. gaule, /. pole. gazetier, m. journalist. gazon, m. turf. gelee, /. frost; jelly. gemir, to groan. gemissement, m. wailing. gendarme, wi. soldier, police- man. gendarmerie, /. soldiery. gendre, m. son-in-law. gener, to embarrass. general de division, major- general. genet, m. broom-plant. genou, m. knee. genre, tn. kind. gens, m. men, people. geolier, m. jailer. gerant, m. manager. geste, m. gesture. gibier, m. game. gigot, m. leg of lamb or mutton. girofie, m. clove. giroflee, /. gilly-flower. gite, m. shelter, lodgings. glace,/, ice; ice-cream; glass. glace, -e, icy; paralyzed. glacial, -e, icy. gland, m. tassel, acorn- glissade, /. slide. glissant, -e, slippery. glisser, to slip, to slide, to glide. gloire, /. glory. gloutonnement, gluttonously. gluant, -e, sticky, slimy. goguenard, -e, chaffine^ Jeer- ing. gonflement, m. swelling. gorge, /. throat. gorgee, /. swallow. gouffre, 711. gulf, abyss. gourde, /. flask, gourd. gourmandise, /. gluttony. gourmet, m. epicure. gousse, /. pod; clove. gousset, m. pocket. gotit, nt. taste. gotiter, to taste, to enjoy. goutte, /. drop; gout. gouverne, /. guidance. grabat, m. a rude bed. gr&ce, /. grace, deliverance, pardon; — a, thanks to; faire — , to pardon. gracieu-x, -se, gracious, graceful. grade, «;. rank. grains, m. beads. grand, -e, tall, large, long, great, grand. grandement, greatly. gras, -se, fat. gratter, to scratch, graver, to engrave. gravir, to mount. VOCABULARY 299 gravure, /. engraving. grec, grecque, Greek. Grfece, /. Greece, grele, /. hail. greler, to hail, grenouille, /. frog, gresillement, w. patter, grever, to burden. grifevement, gravely, seriously. griffe, /. claw, paw; clutch. griffonner, to scribble. grignoter, to nibble. gril, tn. gridiron. grille, -e, nipped, bitten. griller, to broil, to fry. grimcire, m. scrawl, jargon, grimper, to climb. gris, -e, gray; tipsy. gris&tre, grayish. griser, to intoxicate, grogner, to growl. grondement, m. grumbling. gronder, to scold, to grumble, gros, -se, large, fat; — k gagner, much to be earned. grossi-er, -hre, coarse, grossiferete, /. insult, rudeness, grossir, to increase. grotte, /. grotto. guenille, /. rag, tatter. gufere, ne — , scarcely. guerir, to cure. guerre, /. war. guerri-er, -fere, warrior; adj. warlike. guerroyer, to make war upon. gufitre, /. legging, gaiter. guetter, to watch. gueule, /. mouth (of animals and things). guilleret, chipper, sprightly. gixise, /. manner, guise. habile, clever. habiller, to dress. habit, m. coat; — s, clothes. habitant, -e, inhabitant. habiter, to inhabit, to live. habitude, /. habit, custom. hache, /. ax. hacher, to cut to pieces. haillon, m. rag. haine, /. hatred. haineu-x, -se, hateful. hair, to hate. hale, -e, swarthy, tanned. haleine, /. breath. haletant, -e, panting. hame^on, vt. hook, bait. hangar, m. shed. hanneton, tn. June-bug. hardi, -e, bold. hardiesse, /. boldness. hasard, m. chance. hiter, to hasten. hausser, to raise, to shrug. haut, -e, high, loud, aloud; s.m. top, height, above; du — de, from the top, from the height of; Ik , above, up there. 300 VOCABULARY hautain, -e, haughty. hauteur, /. haughtiness. heberger, to shelter, to board. hebeter, to stupify. hectare, m. about 2^ acres. h^las, alas. Helllnes, Greeks. herbages, m. herbs. herbe, /. grass, herb. herbier, m. herbarium. herboriser, to botanize. herisser, to stud, to bristle. heriti-er, -fere, heir, heiress. heros, m. hero. H^tairie, school of Athens. heure, /. hour; o'clock; sur r — , at once; pour 1' — , at present; tout a 1' — , just now; soon; de bonne — , early; k la bonne — , very good. heureusement, happily. heureu-x, -se, happy. heurter, to clash with, to strike. hideu-x, -se, hideous. hier, yesterday. hieratique, religious. hirondelle, /. swallow. hisser, to hoist. histoire, /. story, history. hiver, m. winter. hocher, to shake, to toss. homme, 771. man; — de bien, good man. honnete, honest. honorifique, honorary. honte, /. shame. honteu-x, -se, ashamed. hopital, m. hospital. hoquet, m. hiccough. hors, out; — de combat, wounded or killed; — d'etat, unable. hote, m. host, guest. hdtel, m. hotel, mansion, house. huile, /. oil. huit, eight. humer, to breathe in. humeur, /. temperament, dis- position; ill-humor. humide, damp. humiliant, -e, humiliating. hurlement, m. howling. hurler, to howl. hypothSque, /. mortgage. ici, here. idee, /. idea, opinion. idiome, m. language. ignorer, to be ignorant of, not to know. il, he, it. lie,/, isle, island. imberbe, beardless, immeubles, m. real estate. immobile, motionless. immonde, unclean. impassible, impassive. impitoyable, pitiless. importer, to be of importance VOCABULARY 301 importuU, -e, troublesome. importuner, to importune, to annoy. imposer, s' — , to be forced upon one. impot, m. tax. impracticable, impassable. imprecation, /. curse. impression, /. publication. imprevu, -e, unforeseen. imprimer, to publish. imptmement, with impunity. impimi, -e, unpunished. imputer, to impute. inabordable, unapproachable. incamer, to become incarnate. incendie, m. fire, conflagra- tion. incessemment, incessantly. incliner, to incline; s' — , to bow. incommode, troublesome. inconnu, -e, unknown. incroyable, incredible. index, m. index finger. indigene, native. indigne, unworthy. indignement, unworthily, in- famously. individu, m. individual, per- son. industriel, -le, manufacturer. inebranlable, unshakable. inedit, -e, unpublished, un- known. ineffajable, indelible. inerte, motionless. inexpliquable, unexplainable. inexprimable, unexpressable. infdme, infamous. infidfele, faithless. infiniment, infinitely. infliger, to inflict. informe, formless, shapeless. informer, to inform; s' — , to ask, to inform oneself. infranchissable, insurmount- able. inglrer, to insert, to intro- duce. inhospitalier, inhospitable. inintelligent, unintelligent, in- animate. injure, /. insult, invective. inqui-et, -hte, anxious. inqui€ter, to disturb; s' — , to worry. instruire, to instruct. instruit, -e, educated. insulaire, m. islander. insurgg, insurgent. intemperie, /. inclemency. intention, a votre — , for you, on your account. interdire, to forbid. int^ressant, -e, interesting. int^resser, to interest. interet, ni. interest. interlocu-teur, -trice, speak- er, one spoken with. interne, resident boarder. interner, to confine. intermediaire, m. or f. inter- mediary. 302 VOCABULARY interrogatoire, vt. examina- tion. interpelkr, to address, to be- rate. interrompre, to interrupt. intervenir, to intervene. intime, intimate. intraitable, intractable. introduire, to introduce. inusite, -e, unusual. inutile, useless. invalide, disabled man. inventaire, m. inventory. inverse, inverse, contrary. invite, -e, guest. invraisemblable, improbable, implausible. invraisemblance, improbabil- ity, implausibility. isthme, m. isthmus. itineraire, m. itinerary, route. ivre, intoxicated, drunken. ivresse,/. intoxication; frenzy. ivrogne, m. drunkard. jaillir, to spurt. jalouser, to be jealous of, to envy. jamais, ever, never; ne — , never. jambe, /. leg; k toutes — s, full speed. janissaire, soldier. jardin, m. garden; — des Plantes, Botanical Garden. jardinier, m. gardener. jarret, tn. leg. jaun^tre, yellowish. jaune, m. yellow. Jeter, to throw. jeu, m. game, gambling, play jeudi, tn. Thursday. jeun, a — , fasting. jeiine, m. fast, fasting. jeune, young. jeunesse, /. youth. joie, /. joy. joindre, to join. joli, -e, pretty. jonc, m. rush. jonction, /. junction. joue, /. cheek. jouer, to play; — des jambes, to take to one's legs. joueur, -se, player, gambler. joufflu, -e, chubby, fat- cheeked. jouir de, to enjoy. joujou, vt. toy. jour, m. day; light; au petit — , at dawn. journal, w. newspaper. journee, /. day. joyau, vt. jewel. joyeu-x, -se, joyous. juge, m. judge. juge, au — , at random. juger, to judge. juillet, m. July. jumeaux, jumelles, twins. jupe, /. skirt, kilt. jurer, to swear. VOCABULARY ?P3 jusque, as far as, until, to. juste, exact, just; tight-fitting; au — , exactly. justement, precisely, exactly. K khan, m. inn. khangi, inn-keeper. la, there. la-bas, yonder, there. labourage, m. plowing. lac, m. lake. l&che, coward; adj. cowardly. lecher, to drop, to let go, to lose hold of. lacune, /. gap. la-dessus, thereupon. ladre, ?h. miser. laid, -e, ugly, homely. laideur, /. ugliness, homeli- ness. laisser, to permit, to leave. laiteu-x, -se, milky. lame, /. blade. lancer, to throw, to hurl, to launch. lancinant, -e, lancinating, acute. langes, m. swaddling-clothes. langue, /. tongue, language. large, wide, broad; de — , in width. largesse, /. bounty, liberality. larme, /. tear. las, -se, tired. lasser, to tire. lasting, m. sort of woolen cloth. laurier d'Apollon, m. laurel. laver, to wash. legon, /. lesson. lecteur, m. reader. lecture, /. reading. leg-er, -ere, light, slight. legferete, /. lightness. leguer, to bequeath. legume, vt. vegetable. lendemain, m. day after, next day; du jour au — , without delay. lent, -e, slow. lenteur, /. slowness. lentisque, w. mastic. lequel, laquelle, lesquels, les- quelles, who, which, that, lesion, /. lesion, lessive, /. washing, lye. lestement, quickly. leur, their. lever, to raise; s.m. rising; se — , to rise, to arise. Ifevre, /. lip. lezard, m. lizard. libre, free. lien, m. tie, bond. lier, to tie, to bind. lieu, place; reason; au — de, in place of; — de plaisance, delightful place. 304 VOCABULARY lieue, /. league. lifevre, m. hare. ligne, /. line; de la — , sol- diers of the line. limoneu-x, -se, slimy. linge, m. linen; cloth. lire, to read. lit, m. bed. litanie, /. litany, prayer. litilre, /. litter. livide, livid. livre, m. book; /. pound. livrer, to deliver, to give over, to betray. locataire, m. or f. tenant. logement, ?«. lodging-place. loger, to lodge. logis, m. habitation. loi, /. law. loin, far, distant; de — , from afar. lointain, m. distance. loisir, m. leisure. Londres, London. long, -ue, long, much; le — de, along; de — , in length; tout de son — , full length. longtemps, long. longueur, /. length. lorgner, to look or stare at. lorsque, when. louange, m. praise. louer, to praise; to hire or rent. loup, m. wolf. loupe,/, magnifying-glass. lourd, -e, heavy. lourdaud, m. lout. lourdement, heavily, awk- wardly. loyer, m. rent. Luc, Luke, lueur, /. glow, lujubre, dismal, lugubrious, luire, to shine, to flash. luisant, -e, shiny, shining. lumifere, /. light. lunaire, round, lunar. lundi, m. Monday. lunettes, /. spectacles, lustrer, to gloss, to smooth, lutter, to struggle. luxe, ni. luxury. M machine, /. engine; — Si va- peur, steam-engine. m&choire, /. jaw. mademoiselle, /. Miss, young lady. magasin, vi. store, warehouse. magnifique, magnificent. magot, VI. ape. mai, m. May. maigre, slender, slim, spare, scanty. main, /. hand. maintenant, now. maintenir, to maintain, mais, but. maison, /. house, firm. maitre, maitresse, master, mistress, sweetheart; — d'^cole, schoolteacher. VOCABULARY 305 majuscule, en — s, in capital letters. mal, m. evil, trouble, harm; difficulty; adv. ill; faire — , to hurt, to harm. malade, m. or J. patient, sick person; ad], ill. maladresse, /. blunder; clum- siness. maladroit, -e, awkward, awk- ward person. malaise, difficult. male, male, manly. malediction, /. curse. malfaiteur, m. malefactor. malgre, in spite of. malheur, m. misfortune. malheureusement, unhappily. malheureu-x, -se, unhappy, unfortunate; s.m. or f. un- happy person, wretch. malice,/, cleverness, cunning, malice. malin, clever, cunning. mabnener, to ill-treat. malpropre, dirty. malproprete, /. dirtiness. malsonnant, ill-sounding. Maltais, -e, inhabitant of the island of Malta. maltraiter, to ill-treat. jnalvacee, belonging to class of mallows. malveillant, -e, ill-disposed, malevolent. manant, m. churl. manche, /. sleeve; m. handle. manchot, one-armed. manage, m. livery, riding- school. m^es, m. shades. manger, to eat. mangeur, m. eater. maniement, m. handling. manier, to handle. manifere, /. manner. manquer, to lack, to miss, to fail. manteau, vi. mantel. marais, m. marsh. marbre, m. marble. marbre, -e, spotted. marchand, m. merchant. marchander, to bargain. marche, /. march, progress. march^, m. bargain, market; — k. terme, time bargain; par-dessus le — , in the bargain. marcher, to march, to walk, to progress, to go forward. mardi, m. Tuesday. mari, m. husband. marier, to marry, to join. marmotter, to mutter. marque, /. mark. marquer, to show, to mark. marteau, vi. hammer. masque, m. mask. massue, /. club, crowbar. mit, m. mast. matelas, m. mattress. matelot, m. sailor. materiel, tn. stock, equipment 3o6 VOCABULARY matiire, /. matter. matin, early; s.m. morning; de bon — , early. matinal, -e, of the morning; early. matinee, /. morning. maudire, to curse. mauvais, -e, bad, evil. mauve, /. mallow. mechant, -e, bad, wicked, naughty. meconnaissable, unrecogniz- able. mecontentement, m. discon- tent. medecin, m. doctor. mediocre, slight, common- place. meilleur, -e, better; le — , the better or best. melancholiquement, sadly. melange, m. mixture. meler, to mingle; to mix. membre, m. limb, member. meme, even; self, same, very. memoire, /. memory; m. treatise, memorandum, me- moir. menagant, -e, threatening. menacer, to threaten. menage, w. household. menagement, m. reserve. menager, to spare, to be sav- ing of, to be considerate or careful of. menottes, /. handcuffs. mensonge, m. falsehood. menteu-r, -se, liar. menthe, /. mint. mentii, to lie. menton, w?. chin. mepris, m. scorn. mer, /. sea. merci, thank you, thanks. mercredi, jjt. Wednesday. mfere, /. mother. merveille, /. marvel. merveilleusement, marvelous- 'ly- messager, m. messenger. mesure, /. measure; k — que, in proportion as, while. mesurer, to measure. metacarpe, /. metacarpus, (fig.) hand. metempsycose, transmigra- tion of souls. metier, business; trade, pro- fession; — a tapisserie, em- broidery frame; frame for fancy work. mettre, to put, set, place; to dress; se — a, to begin; se — en.marche, to set out. meuble, w. piece of furniture, article; — s, personal prop- erty. meule, /. millstone. meurtre, m. murder. meurtri-er, -&re, murderer, murderess; adj. murderovB. meurtrir, to bruise. meute, /. pack. mi-corps, m. waist. VOCABULARY 307 tnidi, m. noon. miel, m. honey. miette, /. crumb. mieux, better; de son — , as best he could; au ■ — , on good terms. mignon, -ne, pretty, small, charming. milieu, m. middle, midst. mille, thousand. milord, m. nobleman (my lord). mince, thin, slender. mine, /. mien; face; faire — ■ de, to pretend; to offer to. mineur, -e, minor. ministfere, m. ministry. minuit, vi. midnight. minutieu-x, -se, minute. miroir, m. mirror. miroiter, to present irregular reflections, to shimmer. miserable, m. or/, wretch. misfire, /. misery. mobilier, jn. furniture. mobilite, /. mobility. mode, /. style, fashion. modeler, to shape, to mould, moelleu-x, -se, soft. moindre, least. moine, m. monk. moins, less; au — , du — , at least; a — , with less; pour le — , at the least. mois, m. month. moite, moist, soft. moitie, /. half. moUement, faintly, weakly. moUesse, /. weakness, cow- ardice. mon, ma, mes, my. monceau, vi. heap. monde, m. world, people; tout le — , everybody. monnaie, /. change, money. monsieur, m. Sir, Mr., gentle- man. mont, m. mount. montagne, /. mountain. monter, to ride, to mount. monticule, m. knoll. montre, /. watch. montrer, to show. monture, /. mount, horse. moquer, se — de, to make fun of. morbleu! curse it! hang it! morceau, vt. piece. mordre, to bite. moribond, -e, dying. mome, mournful. mors, m. bit. morsure, /. bite. mort, /. death. mort, -e, dead. mortel, -le, mortal. mosquee, /. mosque. mot, m. word; — d'ordre, password. motte, /. clod. mou, mol, molle, soft. mouche, /. fly. moucher, to wipe the nose. mouchoir, m. handkerchief. 3o8 VOCABULARY mouiller, to anchor, to moor, to wet. mouill6, -e, wet. moulin, m. mill. mourir, to die. mousseuse, rose — , moss-rose. moustache, /. mustache. moutarde, /. mustard. mouton, ni. sheep. moutoiini-er, -fere, sheep-like. mouvement, ni. motion; im- pulse. moyen, -ne, middle, medium; way, means; middle-class; — ^ge, Middle Ages. moyennant, in consideration of, in return for. mulet, m. mule. munir, to provide, to be pro- vided. munition, fusil de — , sol- dier's or munition gun. mur, OT. wall. miir, -e, mature, ripe. muraille, /. wall. mfirier, m. mulberry-tree. musique, /. music, concert, band, orchestra. mutin, -e, rebellious. mystfere, tn. mystery. N naif, naive, artless, innocent, simple. naitre, to be born; en nais- sant, at birth. nappe, /. table-cloth; sheet (of water). narghile, m. Turkish pipe, narine, /. nostril. nasillard, -e, nasal, natter, to twist, to plait. naturel, -le, natural; s.m. or/. native. naufrage, -e, shipwrecked person. naus6e, /. nausea. navire, m. ship, boat. ne, not; ne . . . pas, not, no; ne . . . point, not at all; ne . . . plus, no longer; ne . . . jamais, never; ne . . . personne, no one; ne . . . que, only. necessaire, m. dressing-case. n^gliger, to neglect. nfegre,negresse, negro, negress. neige, /. snow. net, -te, sharp, short. nettete, /. clearness. nettoyer, to clean. neuf, nine. neu-f, -ve, new. neveu, nifece, nephew, niece, nez, m. nose. ni . . . ni, neither . . . nor. nid, in. nest. niveau, m. level. noce, /. marriage, wedding celebration. Noe, Noah. noir, -e, black. noisette, /. hazel, hazel-nut. VOCABULARY 309 noix, /. nut, walnut. nom, m. name. nombre, m. number. nombreu-x, -se, numerous. nomnier, to name, to mention. non, no, not; — pas, not at all. nord, m. North. notaire, m. notary. noter, to note. nouer, to tie. nourri, m. board. nourrice, /. nurse. nourrir, to sustain, to feed. nourriture, /. food. nouveau, nouvel, nou veils, new, du — , news, some- thing new; de ses nou- velles, news of him. nouvelle, /. short story. noyer, to drown. nu, -e, bare, naked. nuage, m. cloud. nuance, /. shade. nuire, to harm. nuit, /. night. nul, -le, no, none, null. nuUement, not at ail. nullite, /. nullity, insignifi- cance. num^ro, m. number. nuque, /. nape of neck. obeir, to obey. obeissance, /. obedience. objet, m. object. observer, faire — , to say, to remark. obstiner, to persist. obtenir, to obtain. occasion, /. chance. occiput m. back of head. occuper, to occupy; s' — de, to occupy oneself about, to care about, odeurs, /. perfumes. odorant, -e, fragrant. ceil, yeux, nt. eye. cesophage, m. gullet. ceuf, w. egg. oeuvre, /. work, offenser, to offend, office, m. service. officier, to officiate. offrir, to offer. oidium, m. mildew. oignon, m. bulb, onion, oiseau, m. bird. oisivete, /. idleness. olivier, m. olive-tree. ombre, /. shade, shadow. on, one, they, people. once, /. ounce. oncle, m. uncle, ongle, in. nail. onze, eleven. operer, to operate. opprimer, to oppress. or, well, now. or, m. gold. oraison, /. prayer, oration, ordonnance, m. orderly, ordonner, to order, prescribe 3-^ VOCABULARY ordre, m. order. oreille, /. ear. orgueil, m. pride. orient, East; a 1' — de, on the east side of. orienter, s' — , to get one's bearings. omer, to ornament. ornithogale, m. bird-milk, Star of Bethlehem. Orphee, Orpheus. orphelin, -e, orphan. orteil, m. toe. OS, m. bone. oser, to dare. osier, m. wicker. ostensiblement, openly. otage, w. hostage. oter, to take off, to re- move. ou, or; ou . . . ou, either . . . or. oil, where, in which. oubli, m. forgetfulness. oublier, to forget. oui, yes. ours, m. bear. outrage, m. insult. outrager, to insult. outre, /. leather bottle. outre, besides; passer — , to pass on. outrecuidant, -e, extravagant. ouvert, -e, open. ouverture, /. opening. ouvrage, m. work. ouvrir, to open. pacha, m. pasha. paille, /. straw. pain, m. bread; loaf. paisible, peaceful. paix, /. peace. palais, m. palace; palate. paletot, m. coat, overcoat. p3.1ir, to grow pale. pallicare, m. militia-man, sol- dier of the war of inde- pendence. palmier, in. palm-tree. palpitant, -e, palpitating. panier, m. basket. panser, to dress (wound). pantalon, m. trousers, draw- ers. pantois, -e, amazed. papas, m. priest. papier, m. paper. papillon, m. butterfly. Piques, m. or f. Easter. paquet, vi. package. par, by, through, by means of, per, a. paraitre, to appear, to seem; il n'y paraitra pas, nothing will show. parasite, parasite. parbleu! well! indeed! of course! parce que, because. parcelle, /. particle. parcourir, to traverse. VOCABULARY 3" par-dessus, above, beyond, besides, upon. parfedre, vi. magistrate. pareil, -le, such, like. parement, m. ornament, parent, -e, parent, kinsman. parer, to adorn; to parry. parfois, sometimes. parfum, m. perfume. parier, to wager. parlant, -e, expressive. parier, to talk, to speak. parleu-r, -se, speaker, talker. parmi, among. Parn&s, mountain near Athens. parole, /. word, speech, floor. parquet, m. floor. parrain, m. godfather. part, /. share; k — , aside. partager, to share. parti, m. party; match; course, particulier, private; peculiar. partie, /. part; game; faire — • de, to be a member of; faire une — de, to play a game of. partir, to depart, to go off, to come, partisan, m. insurgent. partout, everywhere. parure, /. ornament. parvenir, to succeed, to ar- rive. pas, step, pace; au petit — , slowly. passablement, passably. passage, m., au — , in passing, in its flight. passager, m. passenger. passant, -e, passer-by. passer, to pass; se — -, to take place; se — de, to dispense with. passionne, -e, passionate. pastille, /. pastille. pate, /. paste. patissi-er, -&re, m. pastry- cook. patois, m. dialect. patrie, /. fatherland. patte,/. paw, foot. paupifere, /. eyelid. pauvre, poor. pave, m. paving; substratum. payer, to pay. payeur, tti. payer. payeur-general, paymaster- general. pays, ni. country. paysage, vi. landscape. paysan, -ne, peasant. peau, /. skin. peccadille, /. slight offense, peccadillo. peche, m. sin. pecher, to sin. pecher, to fish. pecher, m. peach-tree. peigne, m. comb. peindre, to paint. peine, /. trouble, pains; 4 — , scarcely. {12 VOCABULARY peinture, /. painting, pelerin, -e, pilgrim. p&lerinage, m. pilgrimage, pellete, a — s, in shovelfuls, in heaps. pellicule, /. film. peloton, m. platoon; spool. penaud, -e, abashed. pencher, to bend forward or over; to dangle. pendant, during. pendant d'oreille, m. earring. pendre, to hang. penetrant, -e, penetrating, keen. penetre, -e, filled, penetrated. penible, painful. peniblement, painfully. pensee, /. thought. penser, to think. pension, /. bcarding-house or school; allowance. pensionnaire, boarding-school girl; boarder, pente, /. slope, percale, /. cambric. percepteur, ni. collector, percer, to pierce, percevoir, to collect. perdre, to lose, ruin, destroy. perdu de, burdened with, overwhelmed with. perdrix, /. partridge. p&re, m. father. perfectionner, to improve. perir, to perish. perle, /. pearl. permettre, to permit. peroraison, /. peroration. persan, -e, Persian. Perse, /. Persia. personne, /. person; anyone, no one; ne — , nobody. personnel, m. people em- ployed. perte, /. loss. pesamment, heavily. pesant, -e, heavy. peser, to weigh. petiller, to crackle, to sparkle. petit, -e, small, little, short. petit-fils, m. grandson. peu, little, few. peuple, m. people, common people, lower class; le pe- tit — , the common people. peupl6, -e, inhabited. peur, /. fear. peut-§tre, perhaps. phalange,/, phalanx, infantry. phare, /. lighthouse. pharmacien, m. pharmacist. philomathique, learning-lov- ing. pic, a — , perpendicular. pied, m. foot, footing; stalk. pierre, /. stone. pietiner, to trample, to tread. pieton, m. pedestrian. pifetre, sorry, wretched. pillar, to pillage. pimbeche, causing embar- rassment, nuisance. piment, m. Cayenne pepper. VOCABULARY 3^3 pin, w. pine. pince, /. tongs. pincettes, /. tongs. piquer, to pick in. piquet, m. tent-pin. piqueur, m. huntsman, whip- per-in. piqAre, /. pick, sting. piraterie, /. piracy, pire, worse. pis, worse. pistolet, m. pistol. pitance, /. portion. pitie, /. pity. pittoresque, picturesque. place, /. place; square. placer, to place, to invest. placement, m. investment. plafond, m. ceiling. plaider, to sue. plaie, /. plague; sore. plaindre, to pity; se ■ — , to complain. plaire, to please. plaisance, de — , pleasurable, agreeable. plaisant, -e, funny, ridiculous. plaisanter, to joke. plaisanterie, /. joke. plaisir, m. pleasure. planche, /. board. plante, /. plant; sole. plantations, /. plantings. planter, to plant, to set up, to drive, to plunge. plat, -e, flat. plat, m. plate, dish. platane, m. plane-tree. plateau, m. plate; plateau. plain, -e, full, entire. pleurer, to weep. pleuvoir, to rain. pli, m. fold. plier, to bend, to fold. plomb, tn. lead. plonger, to plunge. ployer, to bend, to bow. pluie, /. rain. plume, /. feather, pen. plupart, /. greater part. plus, more, plus, besides; de — , besides, moreover; non — , neither; le — , the most; au • — , at the most; — de, more, no more. plusieurs, several. plutot, rather; somewhat. pluvieu-x, -se, rainy. poche, /. pocket. poele, / pan; — k frire, frying-pan. poesie, /. poetry. poids, m. weight. poignard, m. dagger. poignarder, to stab. poignee, /. handful; hilt; — de main, handshake. poignet, m. wrist. poil, m. hair. poindre, to peep over the horizon, to appear. poing, TO. fist, hand. point, TO. point, degree. point, ne — , not at all. 3^4 VOCABULARY pois, m. pea; — musquees, sweet peas. poisson, m. fish. poitrine, /. breast. poivre, w. pepper. poix, /. pitch. police, /. police; government. policer, to civilize. poliment, politely. politesse, /. politeness. politique, /. politics, state- craft, diplomacy. poltron, m. coward. polyglotte, m. or f. polyglot. pommade, /. balm, salve. pomme, /. apple; ■ — de terre, potato. pompon, m. tuft on soldier's cap. pont, m. bridge; deck. porte, /. door, gate; Jeter a la — , to throw out. portee, /. range; reach; a — de, within reach. portefaix, vi. porter. porter, to carry, to wear, to bring, to lead; se — , to be in health; — armes, pre- sent arms; — mal, to stand ill. portifere, /. door or window of carriage. poser, to place. positi-f, -ve, practical. posseder, to possess. potence, /. gibbet, gallows. pouce, m. thumb; inch. poudre, /. powder; dust. poudreu-x, -se, dusty. poule, /. hen. poulet, m. pullet, chicken. pouls, m. pulse. poumon, m. lung. pour, for, in order to; — que, in order that. pourquoi, why, wherefore; — faire, what for. poursuite, /. pursuit. poursuivre, to seek, to pursue; se — , to be scattered, to pursue one another. pourtant, nevertheless. pourvu, provided. poussee, /. pressure, attack. pousser, to push; to utter, to nudge, to push on. poussifere, /. dust. pouvoir, to be able; s.m. power; il se peut, it may be. praticien, m. practitioner. pratiquer, to practice. precedent, -e, preceding. precher, to preach. precieu-x, -se, precious. precipiter, to precipitate; se — , to rush, to hurry. precisement, precisely. prefet, prefect; — de police, chief of police. prejuge, m. prejudice, prelever, to levy. premi-er, -fere, first, prendre, to take; se — &, s'y • — , to set about; pris. VOCABULARY 3^5 gained; S. tout — every- thing considered. preparateur, m. preparer, tutor. prfes, near; k beaucoup — , by a great deal; a peu -*, almost, about. presage, m. omen. presentement, at present. presque, almost. pressentir, to feel, to antici- pate. presser, to press, to hurry, to urge. pression, /. pressure. pret, -e, ready. pretendre, to pretend. pretention, /. pretension, ex- pectation. preter, to lend. pretre, m. priest. preuve, /. proof; faire — de, to show. prevaloir, se — de, to take advantage of. prevenir, to prevent, to warn. prevoir, to foresee. prier, to pray, to entreat, to beg. priere, /. prayer. principe, w. principle. printemps, m. spring. prise, /. capture. priver, to deprive. prix, m. price; au — de, in comparison with. procfes, m. lawsuit. Iprochain, -e, next, near. procurer, to procure. produire, to produce. produit, m. product. profil, 7)1. profile, outline. profiter, to profit. profond, -e, profond, deep. profondement, deeply, pro- foundly. profondeur, /. depth. proie, /. prey. projet, ni. plan. promenade, /. walk, drive, promenade. promener, to walk or drive about, to cast about; se — , to take a walk; to pass through. promettre, to promise. prononcer, to pronounce. prophetiser, to prophesy. propice, propitious. propos, words, talk; k — de, about, in regard to; k — , opportunely, by the way. propre, neat; own, fit. proprement, properly. propriete, /. property, estate. protec-teur, -trice, protector; adj. protecting. proteger, to protect. prouver, to prove. provenir, to come, to be de- rived from. province, /. province; de ■ — , provincial. provocateur, agent — , insti- gator, abettor. 3i6 VOCABULARY prudemment, prudently. Prusse, /. Prussia. psalmodier, to chant. publier, to publish. puis, then. puisque, since. puissance, /. power, puissant, -e, powerful, strong, puits, ni. well. punir, to punish. punition, /. punishment. quality, /. capacity, quality. quand, when; — meme, even if, in any case, quant 5., as far as, concerning. quarante, forty. quart, m. quarter, quasiment, almost. quatre, four. quatre-vingt, eighty. quatre-vingt-dix, ninety. quatorze, fourteen. que, that, whom, which; how, but, than, etc. quel, -le, what, quelque, some, quelquefois, sometimes. querelle, /. quarrel. qui, who, which, that. quiconque, whoever. quinze, fifteen. quitte a, — pour, evening up by; coming off with. quitter, to leave, to take off, to put aside. quittes, quits, even. quoi, what, which; de — , the means. qCoique, although. raccourcir, to shorten. racheter, to redeem, to ran- som. racine, /. root. raconter, to relate. rade, /. road (nav.). radieu-x, -se, radiant. radoucir, to become milder. raffermir, to become firm, to improve. rafraichir, to refresh. rafraichissement, m. refresh- ment. ragaillardir, to revive, to en- liven. rage, /. mania, madness. raison, /. reason. raisonnable, reasonable. raisonner, to reason. rajeunir, to rejuvenate. rallumer, to relight. ramasser, to pick up. ramener, to bring back. rampant, -e, creeping. rampe, /. declivity. ramper, to creep. ranfon, /. ransom. VOCABULARY 317 rang, m. rank, rangee, /. row. ranger, to range; se — , to take sides. rappeler, to recall, rapport, «z. report. rapporter, to bring back or in. rapprochement, m. bringing together, joining. rapprocher, to draw nearer together, to lessen. rarement, rarely. rasade, /. bumper. raser, to shave. rassasier, to satiate, to feast. rassembler, to gather, to bring together. rassurer, to reassure. ratifier, to ratify. rattraper, to overtake, to re- capture, to catch. ravi, -8, delighted. ravin, m. ravine, ravir, a — , delightfully. raviser, to reconsider, to change one's mind. rayon, m. ray. rayonnement, m. beaming, radiance. rebarbati-f, -ve, repulsive. rebuter, to reject, to repel. receleur, receiver, concealer. recensement, wz. census. recette, /. receipt, recevoir, to receive. recharger, to reload. rechauffer, to warm, to be- come warm. recherche, /. investigation; k la — ; seeking. rechercher, to seek. rechignant, en — , grumbling, protesting. recidive, second offense. recit, ni. story; recounting. recolte, /. harvest. recommendation, /. recom- mendation. reconduire, to take back. reconnaissance, /. gratitude, thankfulness; reconnoiter- ing expedition. reconnaissant, -e, grateful. recoimaitre, to recognize; to know what is happening. recouvrement, m. payment. recouvrer, to recover. recreation, /. recess. recrier, to protest. recru, -e, spent, worn out. recrue, /. recruit. regu, m. receipt. recueillement, m. tranquillity, reflection. recueillir, to gather, to pick up, to assemble. reculer, to draw or fall back, to recoil. recuperer, to recover. redaction, /. drawing-up. redescendre, to descend again. rediger, to draw up, to edit. redingote, /. frock-coat. 3i8 VOCABULARY redire, to repeat, reduire, to reduce. refaire, se — , to recover, refermer, to close again. rMechi, -e, thoughtful, medi- tative. reflechir, to reflect. reflet, w. reflection. refleter, to reflect. refondre, to recast. refrogne, -e, frowning. refroidir, to chill, to be chilled, regaler, to treat, to regale, regard, m. look, glance. regarder, to look; to concern. regimber, to protest, to resist. regir, to rule, to manage. rfeglement, m. regulation. regler, to regulate. regner, to reign. regretter, to regret. reine, /. queen. rejaillir, to be reflected, to spout. rejeter, to reject, to decline, to tlirow back. rejoindre, to rejoin. rejouir, to rejoice. rejouissance, rejoicing. rel3.cher, to release. relati-f, -ve, — k, relating to. releguer, to relegate. relever, to pick up, to raise up; to set off; to relieve. relire, to read again. remarquer, to notice. rembourser, to repay. remercier, to thank. remettre, to put back; to hand or give; se — , to set out again, to become fair (weather). remonter, to reascend, to go back up. remords, m. remorse. rampart, m. rampart. remplacer, to replace. remplir, to fill, fulfill. remporter, to win, to carry off. remuer, to move, to stir. renaitre, to revive, to be re- born. renard, m. fox. rencherir, to cause rise in price. rencontre, /. meeting. rencontrer, to meet. rendement, m. yield. rendez-vous, m. appointment, meeting. rendre, to return, to repay, to make, to give up; se — , to go, to repair; to surrender. renegat, -e, renegade. renfermer, to enclose, to con- tain, to limit. renforce, -e, downright. renommee, /. renown. renoncer, to renounce. renouveler, to renew. rente, /. income. rentrer, to return, to re-enter; — dans, to get back; ,to belong. VOCABULARY 319 renverse, i la — , backward, renverser, to overthrow. renvoyer, to send away or back. repaire, m. retreat. r6pandre, to pour out, to strew, to spread. reparaitre, to reappear, reparation, /. repair. repartir, to start off again.' repartir, to distribute, to divide. repas, m. meal, repast. ripeter, to repeat. r€pit, m. respite. replier, to refold, to fold, repliquer, to reply, to retort. repondre, to answer; — de, to answer for, to warrant. repons, m. response (in church). rlponse, /. answer. reposer, to rest, repousser, to repel, to push back. reprendre, to retake, resume, take up again. reprises, /. times. reproba-tevir, -trice, reprov- ing, repugner, to be repugnant. reseau, m. net. reseda, m. mignonette, reserver, to reserve. resine, /. resin. resiner, to treat with resin. rfisolu, -e, resolved, resolute. resoudre, to resolve, respecter, to respect, respirer, to breathe, ressembler, to resemble, ressentir, to feel, ressort, m. spring; activity, ressortir, to stand out. ressources, /. resources. ressuscite, -e, resuscitated. restant, m. remnant, reste, m. rest; — s, remnant, rester, to remain. restituer, to restore. restraindre, to restrain, resultat, m. result. resume, m. summary. retard, m. delay. retardataire, belated. retenir, to retain, to hold back. retentir, to ring, to resound. retirer, to withdraw, to retire. retomber, to fall again, to fall back. retour, m. return. retourner, to return, to turn, to turn around. retraite, /. retreat. retrancher, to entrench. retreci, -e, narrow, retrecir, to reduce, retrousser, to turn up. retrouver, to find again. reuniori, /. gathering. reunir, to gather, to collect, reussir, to succeed, revanche,/, revenge; en — , in return, on the other hand. J20 VOCABULARY reve, m. dream, reveiller, to awaken, revendiquer, to claim. revendre, k — , to spare, revenir, to return, to go back upon. revenu, m. income. rever, to dream, revers, m. opposite side, re- verse. revetir, to put on, to take on. revirement, m. change of sides. revoir, to see again; au — , farewell till soon. revue, /. review. rhaki, m. anisette. rheteur, m. rhetorician. Rhin, m. Rhine. rhume, m. cold. riche, rich; — k, worth. richesse, /. wealth, riches. ride, /. wrinkle. ridicule, ridiculous; donneren or un ■ — , to make ridicu- lous. rien, nothing, anything. rigueur, /. harshness. riposter, to answer. rire, to laugh; m. laughter. risque, /. risk. risquer, to risk. rivage, m. shore. rive, /. shore, bank. rivifere, /. river. robe, /. gown. roche, /. rock. rocher, m. rock, roder, to prowl. roi, w. king. role, m. part. roman, m. novel; romance. romanesque, romantic. rompre, to break; (fig.) to break with fatigue, to ex- haust; a se — , enough to break. rend, -e, round. ronflement, m. snore. ronger, to gnaw; se — , to fret, to be despondent. rose, /. rose; adj. pink. roseau, m. reed. rosser, to thrash. rossignol, m. nightingale. r6ti, m. roast- meat. rotir, to roast. rotisseur, m. roaster. rouge, red. rougeatre, reddish. rougir, to blush. roulement, m. rolling. rouler, to roll. roulette, /. roulette. roussatre, reddish, sandy. roussi, -e, singed. route, /. road; se mettre en — , to set out; faire — , to go along. routier, highwayman, soldier of fortune. rou-x, -sse, red, sandy; red- haired. royaume, vi. kingdom. VOCABULARY 321 ruban, m. ribbon, string. ruche, /. hive. rucher, m. apiary, bee-garden, rudement, roughly. rudesse, /. roughness. rue, /. street. ruer, to hurl. rugissement, m. roar, ruiner, to ruin. ruisseau, m. brook, ruse, -e, artful, crafty. russe, Russian. sable, m. sand. sabre, ot. sword. sac, m. sack, bag. sacripant, m. scoundrel. sage, wise. sagesse, /. wisdom. saigner, to bleed. saillie, /. projection. sain, -e, sound, healthy. saint, -e, holy, saint. saisir, to seize. saison, /. season. sale, dirty. sale, -e, salted. salep, m. food made from the orchid. salle, /. hall; — a manger, dining-room. salon, m. drawing-room. saluer, to greet, to salute. salut, m. salutation. samedi, vi. Saturday. sang, m. blood. sang-froid, m. coolness. sanglant, -e, bleeding, bloody, sangle, /. strap. sangler, to strap. sanguinolent, -e, bloody, sans, without. sans-fajon, m. bluntness. sante, /. health. Santorin, island of the Cy- clades. sapin, m. fir. sardonique, sardonic, satisfaire, to satisfy. sau-f , -ve, safe, saved, spared; prep, excepting. sauf-conduit, m. safe-con- duct. saugrenu, -e, absurd. sauter, to leap; to blow up. sauvage, m. or/, savage; adj. wild. sauver, to save; se — , to save oneself, to run away. sauvetage, m. rescue, sauveur, m. savior. savant, -e, learned; s.m. or f. scholar. saveur, /. savor, taste. savoir, to know, to be able; to learn; — gre, to be grateful. savon, m. soap. savonnette, /. double-cased watch. savoureusement, with relish. 322 VOCABULARY saxifrage, m. rock-plant. sceau, m. seal. sc^Ierat, m. scoundrel. sceller, to seal. scepticisme, w. skepticism. schismatique, schismatic. science,/, knowledge, science. scier, to saw. scintiller, to sparkle. scrupule, m. scruple, sculpter, to carve, seance, /. session, seau, m. pail. sec, s&che, dry. s&chement, dryly. secher, to dry. secheresse, /. dryness. secouer, to shake; to shake off. secourir, to aid. secours, m. aid. secousse, /. shock. secret, m. secret, secrecy. seduire, to attract. seduisant, -e, attractive. seigneur, m. lord. seize, sixteen. s6jour, sojourn, stay. sejourner, to sojourn. sel, m. salt. selle, /. saddle. semaine, /. week. semblable, like. sembler, to seem. semelle, /. sole. semer, to strew. senat, w. senate. sens, m. sense; direction. sensible, perceptible; sensa- tive. sentier, tn. path. sentiment, m. feeling. sentir, to feel. sept, seven. septuagenaire, person of sev- enty years. serie, /. series. serieu-x, -se, serious. serpenter, to wind. serrer, to press, to squeeze, to place, to keep, to clench; — la main, to shake hands. serviette, /. napkin; — de toilette, towel. servir, to serve; — de, to serve as, to answer the purpose of; se — de, to use. seul, -e, single, sole; alone. seulement, only. si, if, so; yes. si&cle, tn. age, century. sifege, m. seat. sien, -ne, his, her. sieste, /. siesta, nap. sifflement, m. hiss, whistle. sifHer, to whistle, to hiss. signaler, to point out, to note. silencieusement, silently. sillon, )!!. furrow. simuler, to simulate. sinon, if not. sitot, as soon as. sobre, temperate. soexir, /. sister. VOCABULARY 323 soi, oneself, himself. sole, /. silk. soil, /. thirst. soigner, to care for, to look after, to apply, to take pains with. soigneusement, carefully. soin, m. care, attention. soir, m. evening. soiree, /. evening. soit, so be it, namely. soit (que) . . . soit (que), whether ... or, either . . . or. soixantaine, /. some sixty. soixante, sixty. soixante-dix, seventy. soixante - dix - huit, seventy- eight. sol, m. ground, soil. soldat, m. soldier. solde, /. pay; balance. solder, to pay, to balance. soleil, m. sun. solennel, -le, solemn. somme, /. sum. sommeil, m. sleep. sommeiller, to doze, to sleep. sommet, m. summit. son, sa, ses, his, her. son, ni. sound. songer, to dream, to think. sonner, to sound, to ring, to strike. sonnette, /. bell. sorbet a la rose, rose sher- bet- sorci-er, -ere, sorcerer, sor- ceress. sort, m. fate; spell. sortir, to go or come out; faire — , to take out. sot, -te, stupid. sottement, stupidly. sottise, /. folly, nonsense. sou, m. cent. souci, m. care. soucier, to care, to trouble about, to disturb; se — , to mind, to be anxious. soudain, -e, sudden; adv. sud- denly. souffler, to blow, to breathe; to prompt. souffrance, /. suffering. souffrir, to suffer, to tolerate. souhaiter, to wish, to desire. soulagement, m. relief. soulager, to relieve. soulfevement, m. uprising. soulever, to raise; to hold up or out. Soulier, m. shoe. soumettre, to submit. soupQon, vj. suspicion. soupgonner, to suspect. souper, to sup; s.m. supper. soupir, m. sigh. soupirer, to sigh. souple, supple. souplesse, /. suppleness. source, /. spring. sourcil, m. eyebrow. §Qurciller, to wince. 324 VOCABULARY sourd, -e, dull. sourire, to smile; s.m. smile. sonris, /. mouse. sous, under, beneath. souscription, /. subscription. sous-lieutenant, m. second lieutenant. sous-prefecture, sub-prefec- ture. sous-secretaire, m. under-sec- retary. soustraire, to subtract, to withdraw. soutenir, to maintain, to sus- tain, to aid. soutenu, -e, sustained. souvenir, se — de, to remem- ber; s.m. remembrance. souvent, often. souverain, -e, sovereign. soyeu-x, -se, silky. Spartiate, Spartan. specialite, /. specialty. spirituellement, wittily. stade, m. kilometer. stationnaire, w. guard-ship. statuaire, ni. sculptor. stylet, m. stiletto. subalteme, subaltern. subir, to undergo. subitement, suddenly. subside, m. subsidy. subvention, /. subsidy. succession, /. inheritance, suc- cession. succulent, -e, succulent, rich. succursale, /. branch. Sucre, m. sugar. sucreries, /. sweets. suflfire, to suffice. suffrage, m. vote. suggerer, to suggest. Suisse, /. Switzerland. suite, /. continuation, end, following, consequence; a la — , after; in the follow- ing; tout de — , immedi- ately. suivant, according to, follow- ing. suivre, to follow. sujet, -te, subject. superbe, superb, proud. superficie, /. area. superietu", -e, upper, superior, higher. suppleant, -e, substitute. supplement, m. additional price. supplice, m. torment, torture. supplier, to beg, to supplicate. supporter, to support, to ad- mit. sur, on, upon, with, about, toward, in, along, by, near; — ce, thereupon. sfir, -e, sure, certain. surcharge, /. overweight. surcharger, to overburden. sArete, /. security. stu-lendemain, day after to- morrow, two days later. sunnener, to overtax. surnatiu"el, -le, supernatural VOCABULARY 325 surnommer, to surname, to name. surprenant, -e, surprising. surprendre, to surprise. sursaut, en — , with a start, surtout, above all. surveiller, to watch over, survenir, to come up. survivre, to survive. suspect, -e, suspicious, svelte, slender. sybarite, sybarite, effeminate. tabac, m. tobacco. table d'hote, boarding-house or hotel table. tache, /. spot. iAche, f. task. ticher, to try. taille, /. waist, stature, form. tailler, to cut. tailleur, m. tailor; en — , tailor-fashion. taire, se — , to keep silent. talon, vt. heel, talus, m. slope, tambour, m. drum, drummer. tandis que, while. tant, so much, so many; — que, as long as. tante, /. aunt. tapage, w. noise, uproar. tape, /. tap. tapi, -e, crouched, cowering. tapis, m. carpet. tard, late. tarder, to delay. tartine, /. piece of bread with butter, honey, etc. tasse, /. cup. tater, to feel. taureau, m. bull. taux, w. rate. teindre, to steep, to dye. teint, m. complexion. tel, -le, such. tellement, so, to such a degree. temoignage, m. testimony, testimonial, evidence. temoigner, to testify, to ex- press. t^moin, m. witness. temps, ni. time, weather; bon — , the good old days; dans le — , formerly. tendre, to hold out, to stretch out; — Toreille, to listen intently; adj. tender. tendresse, /. affection. tenir, to hold; to keep; — bon, to hold firm; — ^ to insist upon, to cling to; — ■ dans, to be contained in; se — pour, to consider. tente, /. tent. tenter, to try. tenue, /. dress, bearing. terebinthe, m. turpentine-tree. terme, m. end. terrain, m. land, field. terrassement, m. earthworks. 326 VOCABULARY terre, /. land, ground, earth; k — , on land. terreu-x, -se, earthy. tete, /. head. tete-^-tfete, conversation, pri- vate interview, alone, textuellement, textually. the, w. tea. theitre, m. scene, theater. thuya, m. arbor vitae. thym, m. thyme. tiSde, warm, tiers, m. third. tige, /. stem. tirailleur, m. sharpshooter. tirer, to draw, to shoot; to thrust out. tison, m. firebrand. titre, m. title. toile, /. cloth, canvas; — k voiles, sail-cloth; — ciree, oil-cloth; — d'araignee, spider-web. toit, m. roof. toiture, /. roof, roofing. tombee, /. fall. tomber, to fall. ton, m. tone. tonnant, -e, thundering. tonneau, m. cask. tonnerre, m. thunder. tordre, to twist, to wring. tort, m. wrong, harm. tortue, /. turtle. t6t, soon. toucher, to touch, to receive, tQ be paid, touffe, /. tuft. toujours, always, still, any- how. tour, m. turn, trick; /. tower; — s et detours, ins and outs, toumer, to turn. tourniquet, m. turnstile. toiU"noyer, to whirl. tourterelle, /. turtle-dove. tout, toute, tons, toutes, all, any, every, everything; du — , at all; — k fait, en- tirely; tout is frequently redundant. toutefois, however, neverthe- less. toxicologie, /. science of poi- sons. tracer, to trace, to lay out. traduire, to translate. trahir, to betray. trahison,/. treason, treachery. trainard, -e, laggard. trainee, /. train. trainer, to drag; se — , to trudge about. trait, m. draught, feature, deed, traite, d'une — , at a stretch, traite, m. treatise, treaty. traitement, m. treatment. traiter, to treat. traitre, m. traitor, trancher, to cut off. transcrire, to transcribe. transition, /. transition. transport, m. removal, jour- ney. VOCABULARY 327 travail, m. work. travailler, to work, travers, a — , through. trebucher, to stumble. tremblement de terre, m. earthquake. trempe, /. stamp. trempe, -e, tempered. tremper, to steep, to temper, to wet. trentaine, /. about thirty. trente, thirty. trfes, very. tresor, m. treasure, tribunal, m. court, tricorne, m. three-cornered hat. trimestre m. quarter, tristement, sadly. tristesse, /. sadness. trois, three. tromper, to deceive. tronc, m. trunk. trone, tu. throne. trop, too, too much or many; de — , in the way. trotter, to trot, to run. trottoir, m. sidewalk. trou, m. hole. trouble, m. agitation; adj. dim; thick, troubled. trcubler, to disturb, to agi- t.ite, to trouble. troupeau, m. flock. trou.iseau, m. bunch, trousses, /. heels. trouver, to find. truite, /. trout. tuer, to kill; to strain (eyes). tue-tete, k — , at the top of one's voice. tueur, killer. tur-c, -que, Turk, Turkish, tu-teur, -trice, guardian. tympan, m. ear-drum, ear. U un, une, one, a, an. unanimement, unanimously. uni, -e, smooth. imiquement, only. unir, to unite. usage, m. use, usage. user, to use, to use up, to wear out. utile, useful. vacarme, m. tumult. vague, /. wave. vaincre, to conquer. vainqueiu', m. victor, con- queror. vaisseau, m. vessel. valeur, /. security, worth, value. valide, able-bodied, healthy. valoir, to be worth; — mieuz, to be better; autant vau drait, you might ^s weU- 328 VOCABULARY valse, /. waltz. valseur, m. waltzer. vanter, to boast, to vaunt. vapeur, /. steam; m. steamer. vaquer, to attend. vase, m. vessel, vase. vautour, m. vulture. veau, m. calf. veille, /. waking, watch; day or evening before; avant- — , two days before. velours, m. velvet. velout6, -e, velvety. velu, -e, hairy, shaggy. vendre, to sell. vendredi, w. Friday. venger, to avenge. venir, to come; — de, to have just; — k, to happen to; nouveaii vfiiu, newcomer. vent, m. wind. vente, /. sale. ventre, in. belly. veridique, truthful. verification, /. verification. verifier, to verify. v€nt6, f. truth. verole, la petite — , smallpox. verre, m. glass. vers, toward. vers, vt. verse. versant, tn. slope. verser, to pour out, to pay. verset, m. verse of Scripture. vert, -e, green; robust. vert-bouteille, bottle-green. vertige, vt. dizziness. vertu, /. virtue. veste, /. jacket, coat. vetement, m. garment. vetir, to clothe. veste, /. jacket, coat. veuf, veuve, widower, widow. viande, /. meat. victoire, /. victory. vide, w. void; adj. empty. vider, to empty. vie, /. life. vieillard, m. old man. vieillesse, /. old age. vieillir, to grow old. vierge, /. virgin. vieux, vieil, vieille, old. vif, vive, short, acute; alive, lively, main. vigne, /. vine, vineyard. vil, -e, vile. ville, /. city. vin, m. wine, vinaigre, m. vinegar, vingt, twenty. vingtaine, /. some twenty. violemment, violently. violer, to violate. visa, m. signature, visage, m. face. viser, to aim; to countersign, vite, quickly; adj. quick, fast. Vitesse, /. velocity. vivace, crisp, deep-rooted, vivant, -e, living. vivement, quickly, sharply, keenly. vivre, to live; s.m. boa'd; 1? VOCABULARY 329 — et ie couvert, board and lodgings. vocalise, /. singing; outcry. vceu, m. vow. voici, here is, here are. voila, there is or are, behold, voile, /. sail; m. veil. voir, to see. voisin, -e, neighbor; adj. neighboring. voisinage, m. neighborhood, vicinity, voiture, /. carriage, voix, /. voice; k haute — , aloud. vol, m. theft; flight. volant, /. flounce, voler, to fly; to steal, to rob. volet, m. shutter. voleur, m. thief. volonte, /. will. volontiers, willingly. volte -face, /. about-face; change of front. voltiger, to flutter. votre, your. vouloir, to wish, to be willing; — bien, bien — , to like, to consent; — dire, to mean; s.m. will; veuillez, kindly. voiite, /. arch. voyage, m. travel, journey. voyager, to travel. voyageu-r, -se, traveler. vrai, -e, true. vraiment, really, truly. vraisemblable, plausible. vue, /. view, sight. vulgaire, common. y, there, therein; to him, her, it, etc.; il — a, there is, there are, (with time) ago. zfele, m. zeal, zele, -e, zealous. zwanzig, twenty (coin). 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