'^fS^. -^ ^ rs .^. hh?.?'^ uT-J " ^A^.^ ,fs^ &r\rMk « M^^ LJ^^ ^m "^'^n'n '^^.^r, oy-v/TN/ '«n««« f^p.t^! vm \' ■' ■ -\r ' ■; - ' r/rT: b .6 .o2' '^y^ PRINCETON, N. J. ^ ^Aa )-a I I'o BV 2185 .L6 . ^ Louvet, Louis-Eug ene . Les missions catholiques ai XlXme si ecle '^AA:^ mflf^rW^m.^ jm^Si^nifMS^ kM "'- ■^■'-' f^ ,;?:> /*»! ^'^elilai i/f\AA; /^HMUI %(il^A ^A.H ^^^■s ^r\' '' 'WCUti i?^'W/^. A A W' 'J A V W A VF^ a'iO ,^^-^^^ C*(?lA: bc^^^nn^ ^"'"^A'/^io^'W/^nA AA/B, fe^^^/^M, _ _ p ^:f ^!' ^,j^\| )«r -rrifSfyTi' ^mm- ^rf\hkFf^N ®e€>«^A« \rv,/^/^/2\A/2>^ - LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX""" SIECLE. I^^^^^^^^l^^t^^ \ >g"^^¥T¥T¥"¥T¥T¥'¥¥T¥"f¥"¥T¥TT¥¥¥"?"?"?Si LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"' SIECLE PAR V M. LouisEuGENE LOUVET, des Missions ^trangeres de Paris, Missionnaire en Cochinchine occidentale. ITTTTTTrrTTITtiPCmXaTTTI RICHES ET NOMBREUSES ILLUSTRATIONS. ^! ^1 iiiiiiijA jxxj„ij.jajijrixrxiJLixixxriiiiiiJitiTiijii]c ixixiijy xiiiiiJC (X T^TTTTijiiiiiix^ xrjTriTi-ri-rixmi:nTmxr)cirrun" Hociete tie Hainf Hugu0ttiT, DESCLEE, DE BROUWER ET C", IMPRl.MEURS DES FACULT/:.S CATIKJLIQUES DE LILLE. — 1898. m ^^rrmni: iiixixuTTrTTTm rTTrrr:! T Tinii f TTTTi-m t t tt tt t a:3j:ixixxiixiTii5rTrrTTi:-cijririi;iiiixiiiLrxriiixxiiiiiiiJciriiiiX)(XTiriri5iii 1 BEAT/E ET IMMACULAT/E E i n a MARIy^ B REGIN.E APOSTOLORUM ^ EJUSQUE S. SPONSO % 1 JOSEPH I MISSIONUM PATRONO m mirr mmi iiiiiiiixniinixinuijy-iiiiiii^triiim:] iiiiiirxiiTroiJ'TTrrTiTTiiTiiijriTrxiirjriTTirTTTTTirxTTTrrrrriiTirii mrTTTi-:- ^^^MH^& Bicf tsc jsa Haintctc ^ a propos tie la publication tie I'outjrage «Jlts ffii0Sion0 catl)oliques au XIX'"^ Steele. » ^l^^ii^^^pg^^.; A Notre Cher Fils, le Directeur du Journal « LES MISSIONS CATHOLIQUES, » Prelat de la Maison Pontificale. LEO P. P. XIIL — ^Ilecte Fill, salutem et apostolicam bene- dictionem. — Certio- res facti edendam ty- pis esse Historiam Apostolatus catholici seculo XIX vertente, quam vir illus- tris e Parisiensi Missionum Exterarum Seminario diligenter ornateque conscripsit, haud exi- guum eo nunlio laetati sumus. Agitur enim de vulgando opere apprime utili, turn quod natum est expeditiones sacras fovere, propositis tot virorum insignium factis laboribusque fortiter ex- antlatis, quibus pronum est cieri animos ad imilandum ; turn prae- sertim quod Apostolicae Sedi laudi vertit, quae, pro deman- dato sibi a Christo Servatore munere, nunquam destitit gentes omnes docere atque oves, quae nondum essent ex ovili Christi, LEON XIII, PAPE. Her Fils, salut et be- nedictionapostolique. — La nouvelle de la publication d'une HiSTOiRE des Mis- sions CATHOLIQUES AU XIX"^^ siECLE, oeuvre consciencieuse et distingueed'un missionnaireemi- nent du Seminaire des Missions Etrangeres de Paris, nous a cause une grande joie. C'est en effet un ouvrage dont la diffusion sera extrememeiit utile. II a pour but de developper les missions apos- toliques en rappelant les grandes actions des apotres, leurs labeurs, leur vaillance ; et certes rien n'est plus capable d'inspirer le desir de les imiter. Mais surtout il ex- alte ce Siege Apostolique qui, se- lon le comraandemenl du Christ Redempteur, n'a jamais cesse d'enseigner toutes les nations, in- vitant a entrer et introduisant BREF DE SA SAINTETE. ad illud invitare atque adducere. Consociationi igitur quae in Gal- liis praeest catholicis expeditio- nibus iuvandis, cuius studio liber in lucem profertur, meritas im- pertimur laudes. Tibi vero, di- lecte Fili, atque omnibus qui te- cum strenue adiaborant, prseci- pue autem ipsius libri auctori, paternse Nostras benevolentiae testem apostolicam benedictio- nem amantissime elargimur. Datum Romae, apud S. Petrum, die III Decembris MDCCCXCIV, Pontificatus Nostri anno decimo septimo. dans le bercail du Christ les bre- bis qui n'en font pas encore par- tie. Aussi nous comblons d'eloges merites I'CEuvre qui, en France, prete aux missions catholiques un concours si precieux, et par les soins de laquelle ce livre est publie. A vous, cher Fils, et a tous vos zeles collaborateurs, particu- lierement a I'auteur de ce livre. Nous accordons tres affectueuse- ment, comme gage de Notre bien- veillance paternelle, la benedic- tion apostolique. Donne a Rome, pres Saint- Pierre, le 3 Decembre de I'annee 1894, de Notre Pontificat la dix- septieme. Leon XIII, Pape. V^^^ rnrn tlttj twTi f ltu k XT T^ ftXTi CXTT\ rltn iTj T\ fiXTil CXj T\ ClXTi CuT\ li XTi iTm fi \Ti ]C X TT\ tZuj' ^TTTj uXjJi'Zit ^^^^i^^^^^^^ii^ .'. •..- V.'. v.- V. Huui'iiliations. Lettre de Son Eminence le Cardinal-Archeveque de Lyon a Monsieur le Directeur des « Missions Catholiques. » ARCHEVECHfi DE LVON. MoN CHER Ami, En voyant approcher la fin de ce Steele, de ttom- breux hrivains ont essaye d(/d d'en resitmer Ics actes les plus importants ; Us rappcllent avec un ligitiine orgneil les nonts dcs Iwinines qui se sont illustres : guerriers, uiagisirats, savants, homines d'Etat, industriels, litterateurs, poetes, etc., forviant jine pleiade capable de fixer I' attention des contem- porains et de provoquer Padmiration de Pavenir. lis cnumcrent, avec complaisance, cette longue scrie de decojivertes et d'inventions qui, en facilitant les relations, en multipliant le hien-etre, ont transforme la vie sociale. Nous saluons avec respect toutes ces illustrations, gloires de leur Patrie, et lorsque la mt'moire de ces Hommes i-cveille des souvenirs de bicnfaisance, d'ceuvres utiles, nous reconnaissons en eux les ins- truments de la Providence divine. Graces soient rendues a Dieu, Roi immortel des siecles I c'est bien cette Providence disposant tout en ce monde avec douceur et atteignant son but avec puissance, qui a menc les hommes pendant ce XIX'' siecle si tourmente. Les sages le constatent et le comprennent ; en ^tudiant ce passe. Us reprennent confiance Pour Pavenir. Tua, Pater, Providentia gubernat. Mais sur ce theatre immense oil Phumanite vit et travaille, oil les generations se succedcnt, il est nne socicte dont les intcrets ne se rattachent a la terre que pour preparer unc vie future ; voyageuse en ce monde, PEglise catholique traverse les siecles, meMe a ce tourbillon des affaires, des commotions politiques, des luttes de tous genres ; elle aussi a son histoire, et, depuis le jour oil son divin Fonda- teiir lui a dit dans la personne des apotres ; Allez, enseignez... je suis avec vous jusqu'a la consom- mation des siecles, elle marche sans s'inquicter des obstacles multiplies sur sa route, et sa vie propre est un apostolat continuel. Quel a I'te cet apostolat pendant ce siecle qui s'acheve ? quelle a cte la vie de P iiglise catholique an point de vue special des Missions ? II ctait juste que ces questions fussent posces et resolues. L'apologctique a inspire' de grands travaux pendant ce XIX^ siecle ; ^crivains et orateurs ont conibattu le bon combat et remporte maintes vic- toires. Mais les fails ont une eloquence plus puis- sante que les ccrits et les discours. II fillait les presenter a toutes les intelligences droites et aux cceurs de bonne volonte. C'est le rccit admirable des amvres, des travaux de nos missionnaires pendant ce siecle que vous offrez, 710 n sculement aux catholiques, mais a tou- tes les dines de bonne foi. L'^glise, vivante de sa vie divine, pent presenter, elle aussi, au monde, les noms de ses he'ros, de ses martyrs. Aujourd'hui, comme a ses premiers jours, elle affirme sa jeunesse perpctuelle et sa mission in- faillible ; a Pheure oh Pimpiete du X VHP siecle, rappelant les audaces des anciens persc'cuteurs, pro- clamait la fin du cathoUcisme, Dieu suscitait des Idgions d Apotres, et PEglise les envoyait aux quatre coins du monde porter le bienfait de la civilisation avec les lumicres de la Foi. Quelle 7ioble histoire I quelle nponse victoricuse aux insultes des atlu'es ! et quelle consolation for- tifiante pour les enfants de Dieu ! 11 nous est tres doii.x, en lisant ces pages, de reconnaitre la part glorieuse de notre France dans cet apostolat. Oui, il est encore vrai, et daigne Dieu nous conserver cet honneur I il est vrai que, dans ces regions lointaines, nos missionnaires, en arbo- rant la Croix, ont tellement servi et honori la France, que, pour tous ces peuples, catholique et franqais, cest tout un. je remercie Monsieur Pabbif Louvet, mission- naire a Saigon, d' avoir congu la pcnsce du travail que vous 7ious offrez. Pretre du diocese d' Orleans, il honore ce cher diocese. Mais il appartenait a Lyon, berceau glorieux de la Propagation de la Foi, de recueillir les documents necessaifes pour composer cette ccuvre magistrale, et de les publier avec le soin et Pt'clat qu'ils vu'ritent. Par la direction donnce a ce travail, vous cou- ronnez ainsi, cher Monseigneur, la collection si import ante et si appn'ciee des Annates et des Missions Catholiques. fe suis certain que cet ouvrage, vrai monument 10 APPROBATIONS. religieux, sera accueilli avec bonlieur dans nos faviil/es cinrtiennes ; cette lecture, coinme itne pre- dication, I'veillera, dans les dines, les saintes ardeurs de Vapostolat. Le sang des martyrs, repandn dans ces dernieres annces, sera une sentence d'apotres on, du mains, tons les enfants de I'J^glise compren- dront, en parcourant ces pages, que tons, sans exception, doivent etre apotres par la priere et par Fannione. Cest hicn la Ic bnt de cctte publication ; c'est le voen de voire ca:ur et dn mien I JESU, Magister apostolorum, fortitudo marty- rum, mis. nobis. Maria, Regina apostolorum et martyrum, o. p. n. Je vons renonvelle, clicr Monseigneur, Vexpres- sion de vwn rcspectneiix et paternel divouement. f PIERRE, Card. COULLIE, Archeveque de Lyon et de Vienna, Primat des Gaules. ARCHEVECH^ Paris, le 26 novembre i8g^. DE PARIS. ClIER MON.SIEUR L'ABBIi, Je vons remercie des fascicules du grand onvrage que vons aver: bien voulu in'adresser. Je suis lieu- reux d'encourager un travail aussi important dans lequel vons avez exposd avec exactitude les n'sidtats de I'Apostolat an XIX^ siecle. Je ne puis done que bcnir voire auvre et en souliaiter la diffusion. Veuilles agr^er, clier Monsieur I Abbe, V assu- rance de nion affecttteux devouenient. f FR., Cardinal Richard, Archeveque de Paris. Lettre de Son Eminence le Cardinal PERRAUD, Eveque d'Autun, Membra de I'Acad^mie frangaise. Comment ne point applaudir a I'idee d'avoir groupe dans nn senl volume les pi-ogres accomplis depuis le commencement du siecle par les Missions catholiques ? Rien n' est plus propre H donner une juste idt'e de la feconde activite dc PAglise. On la voit a Vceuvre dans toutes les parties du monde, rcalisant a la lettre le mandat qu'etle a recu de son divin Fonda- teur : « Prechez l'£vangile a toutes les creatures » hnmaines ; baptisezles an nom du Pere, du Fits » et du Saint-Esprit ; enseignezleur a observer » tout ce queje vous ai revcU et commandd. » Oui, sous toutes les latitudes, et dans les dtats de socidte les plus diffcrents; depuis VOceanie sau- vage et la tres libre Amcrique, jasqu aux immenses contrces qui subissent encore le lourd et morne des- potisme des souveratns de la Chine et de la Core'e ; en depit des revolutions et des guerres qui, trop souvent, au sein de notre vieille Europe, out agitc, divisd, affaibli les peuples chrcliens, I'liglise a poursuivi sans reldche I' evangelisation des nations infideles. Elle y travaille sous les glaces dn pole arctique comme dans ces vastes regions de VAfrique cquatoriale, oil les ardeurs du soleil nempechcnt pas ses messagers d'aller porter la bonne nouvelle. Pour sufjire a ce labeur, qui va grandissant chaqiie jour, elle forme partout, mais particulicre- vient dans notre France bien-aiiiu'e, des apotres an ca'ur ardent, au devouenient infatigahle. Comme ces « anges rapides » dont park Isaie, elle les envoie a ces races infortum'es, qui ne connaissent pas en- core Jisus-Clirist, et n'ont trop souvent sur Dieu que les idi'es les plus grossieres et les plus erronees. Dire adieu a la famille, quitter la patrie, faire bon iiiarclie de sa sante et de son repos, se tenir toujours prct H couronner toutes ces immolations par r effusion de son sang, si I'lionneur de la Foi rManie ce temoignage : tel est le magnifique spec- tacle que ne cessent de nous donner ces jeiines homines qui s'enrolent chaque aiinee, avec un si genereux empressement, dans I'apostolat militant des Missions Etrangeres. Difjd, bon nombre d'entre eux out vu se realiser le vail sublime qu'ils avaient portc an pied des saints autels, le four oil ils avaient pris conge de leurs parents, de leurs maitres. de leurs condis- ciples, de leurs amis. lis ont cueilli la palinc du uiartyre. Les autres, dans des conditions iiioins cclatantes, mais pent- ct re aussi mcritoires, pratiquent cette « mort quotidienne » de la patience et du renonce- meiit que saint Paul s'estimait heureux de sonffnr, et qui rend leur predication si efficace en faisant des continuels sacrifices de I'apbtre le commentaire le plus persuasif de sa parole. Sur ceux qui meurent prcmaturi'ment dans la violence des tourments, on dans les consoniptions de la fatigue, comme sur ceux qui continuent a tra- vailler et A se devouer, Dieu a rdpandu les graces les plus abondantes. IJ ivangile aura fait en ce siecle d'immenscs conquetes. Ce beau livre les expose et les rend, pour ainsi dire, sensibles, a I'aide des statistiques som- maires qui mettent en regard, pour chaque Mission, les chiffres comparatifs de ses dvcqnes, de ses prc- tres et de ses f deles en iSoo et en iSgo. Si ces resultats sont de nature a encourager tons ceux qui, de leurs prieres on de leurs aumones, sefforceiit d'avoir part aux travanx et aux merites des missioiinaires, ils sont egalement bien propres a fortifier notre foi et a nous rassurer contre les menaces des ennemis du christianisme. lis von- draient faire croire que I'heurc de leur triomphe APPROBATIONS. 11 est prcchaiiic ct que Icur positivisiiic atlu'e sera bientot deveuH le iiiaitie dti uioiuie. Peiidaul ce temps, les plialanges apostoliqiies deviennenl plus nombreuses ; de noitveaux espaees souvrent del ant les pas de ces Itouinies pacifiques et intrepides qui, fide/es a la tactique des premiers apotres de l' Evangi'e, donnent ce quils out et se donneut eux-mivus potir la redemption des ames. lis semeiit dans la sueur et dans le sang ; les vioissoiis graudissent et niiirisscnt. Ces jours der- niers encore, les fits spirilueis da Cardinal Lavi- gerie, les hcro'iques J'eres Blancs, nous criaient de la-bas, des bards des Grands Lacs africains, qu'ils ne sufjisent pas d instruire et a baptiser ces catc- chumenes de la race negre, chcz lesquels nous voyons s'cpanouir el frnctijier des vertus coinpa- rables a celles de la primitive Eglise. Clioque annce le Vicaire de Jesus- Christ fonde de noiiveaux cen- tres de missions, et sa parole ardente porte a ces chretieutt's, n^es d'kier, ses encouragements et ses benedictions. Tout done, dans ce beau livre, nous 7-appclle que nous devons ctre « les fits de la bonne espi'rance, » et que si nous, les aincs de la famille, nous le vou- loHs /nefgiquement et perseveramment, et si nous avons le courage de pratiqiier les sacrifices nc'ces- saires, no2is avancerons I'heure taut desirce oil il n'y aura sur notre globe « quuu seul troupeau et » un seul pastcur. » Je remercie pour ma part V humble et zde servi- teur de I'Evaugile qui, de la Cochincliine oil Use depense depnis vingt et un ans, nous oivoie cet important travail, et je demande a Notre- Seigneur de hi en donner la recompense. t ADOLPHE-LOUIS, Card. PERRAUD, Eveque d'Autun, Chalon et Macon. LETTRE de Mgr COLOMBERT, Vicaire a[)ost(ilique de la Cochinchine occidentale, au R. P. LOU VET, a Tan-Din h (Cochinchine). Saigon, le ij novembre iSq3. MoN CHER Confrere, J'ai rein attentivevtent voire I'tude sur les Missions Catholiqiies au XIX^ SIECLE. Je la trouve tres instructive pour les ouvriers apostoliques, qui y verront comment leurs anciens ont toujours re- commence' courageuscmcnt I'a'uvre de la predication evangelique, si souvent dctruite par la persecution. Elk sera non moins cdifiante et cncourageante pour les as«/ jusqu'a la fin des temps. Ales plus vives felicitations a Vauteur de cette grande amvre, M. Louvet, auvre si utile, si bien ordonnce, et si remarquable par son execution typo- graphique avec ses nombreuses illustrations, qui- nous font ainsi connaitre et quelquefois reconnaitre les personnages, les monuments et les lieux. Tout voire in Christo. f XAVIER, Archeveque d'Aix. ^^^^^^5^^ PREFACE. <,( Ci? livre, icrivait Montaigne, a propos de ses Essais, est tin livre de bonne foy. » J'ai Men envie de prendre pour jkoi cette devise, et de Viinposer comine dpigraphe a ce travail. Bien qitc j'icrive stir un snjet qni me tient an cceur, et que je traite d'une ceiivre a laquelle j'ai consacrd le meilleur de ma vie,j'aila certitude de ne pas in'etre dcarte de la plus rigoiireuse iuipartialite. L' Iiglise et les ostivres de f Iiglise sent comine les Papes, an sitj'ct desquels rUlustre de Maistre a dit qti'A?, n'ont besoin que de la verite. Jllalheureusenient, entre I' Eglisc et la vdritd, vient sinterposer trop sonvent le image des passions humaines. On a a ce snjet, dans le monde, d'dtranges iddes et des prdtentions Idgerenient exorbitantes. Qiiun catholique expose, avec convenance et moddration, ce qui se fait de bien dans son Izglise, anssitot ilverra sdlever contre bii les ddfiances de rincrddulitd. C'est bien pis encore si ce catholique est nn prctre, et si, comme fai l' intention de le /aire ici, il chcrche ct faire cotinaitre anx indiffdrents VcBuvre a laquelle il sest ddvoud , on n'a pas assez d'anathcnies pour le renvoycr ati fond de sa sacristie. Un vieux misstonnatre qui prdtend nous parler des missions ! con-.pretiez-vous cette audace ? Sans dotite, il atira quelque chance de connaitre le sujet dont il traite ; mats rimpartialitd, Messieurs, I'inipartialitd / Est-cc qiiim missiotmaire, tin cldrical, petit avoir tm jugement ddsintdressd ? Est-ce qti tin prctre nest pas ndcessairement tm avocat qui plaidc dans sa propre catise ? Parlez-moi dun libre-pensetir qtii a fait, en qtielqties semaines, son tour de Chine, dti Japan ct d'Anidriqtie, qui a tout vti, tout jugd, totit conipris, dii pont de son navire ou de la vdranda de son hotel. Voild le guide silr, grave, dclaird, impartial stirtoiit, quand il s'agit de j'tiger les ceuvtes de I'Eglise. M. Renan a ddcotivert, il y a quelque vingt ans, que, pour dcrire avec conipdtence lliistoire d'tine religion, il est ndcessaire : primo, d'y avoir cm, secundo, de 71 y plus croire. A qui veut juger avec dquitd les oeuvres cathohques, il est done de la dernicre importance de porter ati front le signe de I'aposlasie ; et cest atix libres-penseurs seuls, rendgats de letir baptane et de letir premiere commtimon, qtiil convient de se fier, quand on veut itre impartialement renseignd sur tout ce qui concerne les cldricatix et leurs letivres ! Ainsi raisonne le monde; ainsi dti inoins il agit dans la pratiqtie. Ponr mot, je le ddclare bien haul, je proteste, avec totite rindignation de tna conscience d'honncte homme, contre de pareilles excltisions. Stir ces questions d'honneur et d'impartiaiitd, fat la prdtention de ne recevoir de lefon de personne, encore inoins de nos libres-penseurs que des autres. Quoiqtie prctre, je pense avoir le droit d'etre cru aussi bien qu'un voyageur lai'que, surtout qtiand f ai pris soin de n'apporter que des chiffres sdrieux. Je tiaccepte pas, pour »ia part, de me renfcrmer dans ma sacristie •,je stiis citoyen franfais, et j'en rdclame totts les droits, au meme litre qtie saint Paul se rdclamait de son privilege de citoyen romain. f'aime mon pays comtne les autres, plus qtie beaticotip d' autres petit-ctre ; f ai done le droit, comtne Frattfais et comme prctre, de parler d'une cetivre qtii sera, dans ce siccle, la gloire de l' Iiglise, et plus particulicrement rhontieur de la France catholique. Je ne prdtends pas d'ailletirs ctre cru sur parole : je navancerai rien qtie je n ate 14 PREFACE. trouvd dans Ics recueils officicls, les Annalcs dc la Propagation de la Foi et cclles dc la Sainte-Enfance, le Bulletin des Ecoles d'Orient, les Missions Catholiques, les lettres et rapports des missionnaires, tons ces vdndrables documents qui nous apprennent, jour par jour, les travaux, les souffrances et les victoires de Vapostolat. On atirait inauvaise grace vraiment d rejeter d^daigneusement de pareils t^inoignages, dont plusicurs nous sont parvenus scellds du sang des martyrs. Selon le mot de Pascal, « on doit croirc des tt'moins qui se font ^gorger. » Du reste, chaque fois que je I'ai pu, j'ai corrobord ce tdmoignage des vdndrablcs confesseurs du Christ par d'atitres tdmoignage s slrictcment laiques, empruntds le plus souvent a des dcrivains protestants. Quant a la partie statist ique de man travail, j'ai eu recours, chaque fois que cela m'a did possible, aux statistiques off c idles ; la oil les ch iff res officicls m'ont fail ddfaut, il a bien fallu m'en tenir a cettx qui sont fournis par les missio7inaires ; enfin, quand je nai pit trouver de chiffres prdcis, j'ai cu soin d'iridiquer par tin a peu pres, sttivi d'tm point d' interrogation, celui qui ntaparu approcher Ic plus de la vdritd. Dans 7in travail comme celui-ci, qtii embrasse la totalitd des missions du globe, il est bien difficile qiiil ne se soit glissd aucune erreur, surtout pour les chiffres. A tj-ois mille lieues de toute bibliothcque, il tiest pas toujours commode de se reuse igner exacternent. Je serais tres sinccrement reconnaissant aux personnes qui voudraient bien prendre la peine de me les signaler. fe me suis proposd, en dcrivant ce livre, tin triple but : 1° Rdpondre a certains prdjugds qui, grace aux jugements prdcipitds de voyageurs malveillants, se sont rdpandus dans le monde, me me dans le monde religienx, an sujet des missions catholiques ; prdjugds qiion a vus se manifcstcr de temps en temps dans les jotirnaux, et mane a la tribune des reprdsentants du pays ; 2° Montrer par des chiffres, aux nombreux catholiqties qui simposent tant de sacrifices pour soutenir Foeuvre des missions, que leiir ddvouement a did bdni de Dieu et a portd des fruits ati centuple ; j° Protiver par des fails authentiques, a ceux qui proplidtiscnt chaque jour la mort du catholicisme, que jamais peut-elre, depuis les temps apostoliques, l' Egiise du Christ n'a did plus fdconde qtie de nos jours. Puisse Notre- Seigneur bdnir ce travail, et me f aire la grace d'dclairer les esprit s droits et les coeurs dc bonne volontd I E. LOUVET, Missionnaire apostolique. Cfiajjitre ©rcmicr. ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX^^ SIECLE. ll^-TIrTT^:TlII^TT^^^TTTTTT7TTTTTTT^^TTT T^T^r^T^^T7T^c ^T^TTTTyrTTTtTTTTTT^^T j:xixj:tiiiixi oiiimrnmiiiiriJTnixi:: ^^^^^P^^ A terre, avec tons les peuples qui la couvrent, est I'heritage imprescriptible du FilsdeDlEU. C'est a lui qu'il a 6t6 dit : Je te donnerai les nations pour heri- tage, Tzii dado gentes liwredi- tatem tiiam (Ps. II, 8). Les ora- cles des prophetes a ce sujet sent innombrables, et la tradition des juifs s'unit a celle des chretiens pour attester que le Roi- Messie doit regner un jour sur tout I'univers. C'est pourquoi, quand le Fils de DiEU parut en ce monde, il fit une chose nouvelle, et que personne, avant lui, n'avait os6 tenter, J usque-la, chaque peuple, chaque ville avait ses dieux locaux, indigenes, particuliers ; la religion etait affaire de municipe, si Ton pent parler ainsi. Jl5sus, le premier, voulut fonder une religion qui sY-tendit a tous les lieux et a tous les temps ; le premier, il osa dire a ses apotres, en les envoyant a la conquete religieuse du monde : « AUez, en- seignez toutes les nations. » (Matth. XXVIII, 19). Et I'ceuvre des Missions Catholiques naquit dans le Cenacle, au lendemain du Calvaire, pour de la se repandre par tout le monde et le convertir a la foi du Christ. Aussi, des le premier siecle, nous voj'ons se dessiner les lineaments de I'ceuvre apostolique. Les apotres sont tous missionnaires, puisqu'ils sont charges d'aller porter jusqu'aux extr6mites du monde la bonne nouvelle du salut. Ndan- moins, la plupart d'entre eux representent surtout I'element hierarchique : Fierre, leur chef, a son siege a Antioche, puis a Rome ; Jacques est le premier eveque de Jerusalem ; Jean est comme le patriarche des sept Eglises de I'Asie-Mineure. Mais voici qu'apparait plus specialement I'oeuvre des missions. Parmi les premiers disciples du CllRT.ST, DiEU se choisit deux hommes a I'ardeur conqucrante ; il commande qu'on les lui reserve pour une ctuvre particuliere, qu'il leur fera con- naitre a son heure : Segregate niihi Sauiiim et Baniabavi, in opus ad quod assitvipsi eos (Act. 13, 2). Voiia les premiers mi.ssiomiaires aposto- liques proprement dits, — Paul et Barnabc. Ceux-Ia n'ont pas de siege fixe, ils ne s'adressent pas a un peuple particulier, ils vont ou I'Esprit les pousse, et, en moins de vingt ans, Paul, le plus grand des missionnaires et leur modele a tous, aura port6 le nom de J^SU.S-CllRIST dans I'Asie-Mineure, les iles de la M^diterranee, la Grece, I'Espagne peut-etre, jusqu'a ce qu'il vienne souffrir et mourir a Rome, a cot^ de saint Pierre, le chef de la hierarchic, comme pour temoigner de I'union indissoluble qui devra toujours regner entre ces deux grandes forces : le Ministere ordi- naire et I'Apostolat. _L'c£uvre des missions, ainsi inauguree dans I'Eglise des les premiers jours, ne s'arretera plus avant la fin des temps. Au bout de trois siecles, le monde remain est conquis a I'Evangile ; mais en meme temps, et comme par surcroit, les predi- cateurs out porte la divine semence bien au-del;'i des limites ou Rome a du arreter le vol fatigue de ses aigles : I'Ethiopie, la peninsule Arabique, la Perse, ont entendu leur voix ; ils ont penetre dans rinde, et peut-etre meme jusqu'a la Chine ; le Scythe barbare les a regus sous sa tente, et les forets de la Germanic ont retenti du chant sacrd des psaumes ; toutc languc connue a balbutie le nom beni du CllRlST. Desormais Ic mot de saint Paul est devenu une reality : Dans la foi univer- scllc au Sauveur Jesus, il n'y a plus de Juifs ni de Gentils, plus de Grecs ni dc Barbares, mais il y a un peuple nouveau, qui grandit chaque jour, et qui demain s'appellera la Clirctiente. Et tout peuple qui s'obstinera a rester en dehors de cette famille des nations chretiennes sera con- damne a une irremediable decadence ou a une sterile immobilite, jusqu'au jour ou, reveille a la voix de I'apostolat catholique, il se d^cidera enfin a venir se ranger sous la loi du CllRI.ST. Faut-il faire ici la preuve dc ce que j'avance ? Prenez le Planisphere des croyances religieiises et des missions chretiennes, et voyez ou commence et ou finit la civilisation. Aux peuples nes du CllRl.ST, quelles que soient d'ailleurs leurs defail- lances et leurs misercs morales, comparez les 16 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^^e SIECLE. nations restees en dehors du christianisme: les mu- sulmans, les brahmanistes de I'Inde, les bouddhis- tes de Ceylaii, les lettres de la peninsule hindoue, de la Chine et du Japon. Jc ne paile pas, et pour cause, des peuplades abruties sous le fetichisme ; ici, tout terme de comparaison fait defaut : c'est la barbarie absolue, la decadence intellectuelle, morale et sociale de Thomme redescendu au- dessous de la brute, jusqu'a faire douter nos libres-penseurs que ces malheureux aient avec nous une origine et des destinees communes. Ce serait done une belle et touchante histoire que celle des missions catholiques, depuis les temps apostoliques jusqu'a nos jours. Que d'efforts, que de devouements, que de sueurs, que de sang verse pour propager et affirmer la foi ! Que d'apotres, que de martyrs, que de saints connus de DiEU, et dont les noms giorieux resplendiront pour la premiere fois au grand jour des Retribu- tions ! Mais ce travail serait evademment trop au- dessus de mes forces Mon dessein est beaucoup plus modeste, je me limite au XIX^ siecle ; et, sans entreprendre de donner Fhistoire complete des missions catholiques pendant cette periode restreinte, ce qui exigerait plusieurs volumes, je me propose simplement den esquisser les princi- paux traits, afin de constater le travail fait et les resultats acquis. Pour cela, il faut commencer par dire quelle etait, au debut de ce siecle, la situa- tion vraie des missions dans les cinq parties du monde, afin de pouvoir comparer en connaissance de cause et voir les progres obtenus depuis 1800. # * # Si Ton veut apprecier ^quitablement 1 etat des missions au commencement du XIX^ siecle, il faut se rappeler que I'Eglise catholique sort, a cette epoque, d'une crise effroyable. Pie VI vient de mourir prisonnier du Directoire a Valence, et le commissaire de la Republique, charge de presider aux obseques, s'est eerie avec une joie satanique : « Nous avons scelle le cercueil du dernier Pape ; desormais il n'y en aura plus. » La France republicaine a rompu avec I'Eglise ; ses temples sont fermes, le sang des pontifes et des pretres a coule a flots sur les echafauds, et les miserables debris de cette illustre Eglise galli- cane sont errants sur tons les chemins de I'exil. L'Allemagne, les Etats hereditaires de I'empe- reur sont livres au josephisme, et I'esprit du schisme a gagne jusqu'au clerge. Les Bourbons d'Espagne et de Naples ont garde les traditions parlementaires, qui viennent de mener a I'echa- faud les Bourbons de France. lis pretendent etre Papes chez eux, et ne cessent de fatiguer de leurs exigences le Pere commun des fideles. Selon le mot si vrai et si m^chant de Voltaire, le Vicaire de J^SUS-Christ est pour eux « un personnage a qui on baise les pieds en lui liant les mains. » Je regarde au-dela, et je ne vols plus rien. Sur tous les autres trones de TEurope, I'heresie et le schisme sont assis. Jamais peut-etre, depuis les jours du Calvaire, I'Eglise catholique ne s'est vue si abandonnee. De son ancienne puissance, il ne lui reste plus rien, rien si ce n'est DiEU, et, au fond d'une obscure cellule du con- clave de Venise, un moine inconnu, qui s'appelle Barnabe Chiaramonte, ef quidemain sera Pie VII. On comprend ce que I'oeuvre des missions, qui ne vit que de la surabondance des nations catho- liques, a du souffrir d'un pareil etat de choses. D'autres causes encore etaient venues, au der- nier siecle, affaiblir Taction de I'apostolat. La ruine de la Compagnie de Jesus, qui marchait incontestablement la premiere a I'assaut de I'ido- latrie, avait ^te pour les missions une veritable catastrophe. Comment remplacer, du jour au lendemain, 16.000 religieux experimentes qui etendaient leur action des rives du Paraguay aux cotes du Japon ? D'autant que les vocations de- viennent rares a la fin du XVIII'^ siecle. L'esprit du temps, l'esprit de Voltaire et de I'Encyclopedie, s'est glisse, sous des dehors hypocrites, j usque parmi les plus saintes families religieuses. Avec la foi qui a diminue, la charite d'un grand nombre s'est refroidie. Les grands Ordres de saint Domi- nique et de saint Francois, qui, pendant la periode du Moyen Age, ont donne a I'Eglise tant d'illus- tres missionnaires, ne fournissent plus a I'apostolat que de rares recrues. Pour achever de paralyser I'apostolat, de mise- rables chicanes ont repandu je ne sais quel esprit de division entre les differentes Societes, qui travaillent en commun a I'oeuvre des missions. Au lieu de s'aimer comme des freres, on se jalouse ; au lieu de s'eclairer mutuellement, on s'accuse. La malheureuse question des Rites Malabares et Chinois, envenimee surtout par des competitions d'Ordres et de nationalites, vient, pendant pres d'un siecle, de fatiguer Rome et de Jeter la discorde parmi les neophytes. A la fin, le Pape, avec son autorite infaillible, a mis un terme a la controverse ; mais, si les esprits sont soumis, les cceurs restent divises, les froissements subsis- tent. Au milieu de ces douloureux conflits, que deviennent la charite fraternelle, I'union des cceurs, les f&onds labeurs de I'apostolat ? Enfin la Revolution francaise vient achever la ruine des missions, en mettant sa main sacri- lege sur les anciennes fondations, qui constituent le tr^sor de I'apostolat catholique et permettent d'entretenir au loin de nombreux missionnaires. Mais d'ailleurs, a quoi bon des fondations quand les hommes font defaut ? La Revolution a ferme tous les seminaires de I'apostolat ; en France, en Italie, en Espagne, elle a disperse successivement toutes les grandes families religieuses ; le clerge seculier luimeme a peri en grande partie sur les echafauds, et il lui faudra plus d'un demi-siecle pour reformer ses cadres. Perdus a d'immenses distances, au fond de I'Inde et de la Chine, les rares survivants de I'apostolat s'epuisent avant I'heure ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX""-' SIECLE. 17 dans un travail disproportionne, et leur voix inou- rante, qui ne trouve plus aucun echo en Europe, apjiclle en vain un successeur qui ne viendra point. Telle est la situation des missions au moment oil s'acheve le XVIII'^ siecle. A raisonner salon les previsions de la prudence humaine, on peut croire que I'ceuvre de saint Francois Xavier et de ses glorieux emules est irremediablement compro- mise et que les missions sent perdues. II faut maintenant entrer dans le detail, et montrcr par des chiffres positifs que ce tableau si sombre n'a rien d'exagerc. MISSIONS D'EUROPE EN 1800. «fc^^^^^ RACE au schisme grec et au protes- ^ ^- tantisme, qui sont venus, dans le cours des ages, briser I'unite de I'Eglise et dechirer la robe sans couture du CHRIST, une grande partie de I'Europe est a reconquerir par le catholicisme. La hierarchie ayant ete de- truite partout ou domine I'heresie, ces peuples infortunes sont reduits a I'etat de missions, et les catholiques y sont dirigcs par des vicaires apos- toliques, qui relevent de la Propagande. ANGLETERRE ET ECOSSE. >fife AU moment de la Reforme, I'Eglise d'Angle- terre comptait 2 archevcches et 24 evcches. La hierarchie catholique finit en ce pays avec Thomas Goldwell, eveque de Saint-Asaph, qui mourut en 1585, a Rome, 011 il s'etait refugie. Tout le monde a prcsente a I'esprit lepouvan- table t}'rannie d'llenri VIII, qm', pour se venger de la resistance des Souverains Pontifes a sa passion adultere, arracha violemment lAngle- terre a la communion catholique. Les lois de sang d'Elisabeth, la lache tyrannie des Stuarts, les fureurs de Cromwell et des Puritains, redui- sirent a moins de 40.000 le chiffre des catholiques anglais. L'Ecosse, a la meme epoque, se souleva, a la voix du fougueux Jean Knox, centre sa reine legitime, I'infortunee Marie Stuart, qu'elle livra sans pitie aux vengeances de sa bonne soeur, Elisabeth dAngleterre. L'Ecosse comptait alors 2 provinces ecclcsiastiques et 1 1 eveches suffra- gants. La tempcte emporta tout, et, pendant un demi-siecle, I'Angleterre et I'Ecosse demeurerent en dehors de la hierarchie catholique. De temps en temps, quelque religieux intrepide, quelque Jesuite, traversait Ic dctroit et venait, au peril dc sa vie, administrer les sacrements au petit trou- peau demeurc fidcle ; mais, entoure de traitres, denoncc et traquci de cachette en cachette, il nc tardait pas a tomber aux mains des implacabies ennemis dc la foi. Apres les longues tortures de la prison, il etait traine a Tyburn sur une claie, pendu, ecartele vivant ; et .ses membres, exposes tout sanglants aux portes des villes, apprenaient Missions Calbolique.s. a tons ce que la Reforme, devenue maitresse, avait fait de la liberte de conscience et de ce fameux droit d'examen, son principe fondamental. Neanmoins, au moment oil s'ouvre le xiX'^ siecle, il est juste de reconnaitre que le feu de la persecution est tombe. Depuis longtemps la hie- rarchie sacree est reconstitut-e. En Angleterre, Gregoire XV a cree, le 13 mars 1623, un premier Vicariat apostolique, qu'Innocent XI a partage en 1687 entre quatre titulaires : le district occi- dental, le district de Londres, le district central et le district septentrional. L'Angleterre compte done, en 1800, 4 eveques, vicaires apostoliques, avec 43 pretres et environ 90.000 fideles. En Ecosse, un decret de la Propagande a instituc, en 1653, une Prefecture remplacee en 1695 par un Vicariat apostolique, qui fut divise, en 1726, entre deux titulaires : le vicaire aposto- lique des hautes terres et le vicaire apostolique des basses terres (highland et lowland). Par con- sequent, en 1800, on trouve, en Ecosse, 2 Eveques vicaires apostoliques, 22 pretres et 30.000 fideles. Dans les deux royaumes, nous comptons, a la meme epoque, 60 chapelles qui se dissimulent au fond des ruelles les plus ecartees. Pas un seul edifice religieux digne de ce nom ; pas un college pour I'education catholique de la jeunesse. La Reforme a confisque les antiques cathedrales, elle a profane les images des saints, elle a renverse le confessionnal et brise I'autel avec le tabernacle. Les vieilles Universites, filles de I'Eglise romaine, O.xford, Cambridge, ont renie leur Mere, et sont devenues les foyers de I'heresie. Si les catholiques veulent donner a leurs fils une education conforme a leurs croyances, ils sont forces de les envoyer sur le continent. Aucune securite pour les tenants de I'ancienne foi ; le moindre incident peut reveiller les fureurs populaires et les faire expul- ser de leurs demeures, au cri repete de no popery, pas de papisme ! Les lois draconiennes d'llenri VIII et d'Eli- sabeth subsistent toujours ; par le partage force des successions, les grantles families catholiques sont condamnees a I'instabilite et a la ruine ; par le serment du test, les catholiques sont exclus des conseils de la nation et de toutes les charges publiques. Dans cette Angleterre si fiere de son liberalisme, les hommes qui sont demeures fideles 18 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'™ SIECLE. a la fci de leurs pcrcs sont rcduits, a la lettre, a la condition de parias. Je ne parle pas ici de I'lrlande, et voici pour- quoi : malgre les tenibles d<§vastations de Crom- well, I'ingratitude dcs Stuarts et les persecutions des Orangistes, I'lrlande a garde la hierarchie avec I'ancienne foi ; elle a conserve, malgre tout, ses 8 millions de catholiques avec ses 4 arche- veques et ses 29 eveques. Apres s'etre epuise pour entretenir le luxe scandaleux du clerge anglican, que rirlandais laisse seul dans ses cathedrales spoliees, ce peuple heroTque, qui meurt de faim, grace a I'egoisme de I'Angleterre, trouve encore, dans sa detresse, un morceau de pain pour nounir ses eveques et ses pretres. Cette indomptable fidelite lui a permis de ne pas tomber a I'etat de mission, ce qui fait que je n'ai pas a m'occuper ici de I'lrlande. DANEMARK, SUEDE ET NORVVEGE. DANS les Etats scandinaves, la position est encore plus triste qu'en Angleterre, car il n'y a plus rien. En 1536, un meme jour \it jeter dans les fers tons les eveques du Danemark, et, avant la fin du xvis siecle, le catholicisme etait aneanti dans le royaume de saint Canut. Seuls, les etrangers pouvaient assister a la messe, dans les chapelles privees de leurs ambassadeurs. Plus de clerge, plus de hierarchie. Au commencement du XIX>^ siecle, un des eveques de I'Allemagne du Nord etait charge de pourvoir aux besoins religieux d'une centaine de catholiques, epars dans tout le roy- aume, principalement dans le Sleswig-Holstein. Meme situation navrante en Suede et en Nor- wege. On sait avec quelle cruaute Gustave Wasa et son fils Eric procederent, au XVI^ siecle, a I'extinction du catholicisme dans le royaume de saint Olaf : interdiction absolue de I'ancien culte, bannissement de tout catholique hors du royaume, peine de mort contre tout religieux, tout pretre, trouve dans le pays. Quand la petite-fiUe de Gustave Wasa, la reine Christine, eclairee sur la verite du catholicisme, voudra revenir a la foi de ses peres, il faudra qu'elle commence par des- cendre du trone, et qu'elle prenne, comme le dernier de ses sujets, le chemin de I'exil. Ces lois impitoyables subsistent encore au commencement du .\IX'= siecle. Un seul adoucis- sement y a etc apporte. En 17S9, Gustave III a permis aux catholiques etrangers, domicilies dans le pa)-s, I'exercice public de leur culte ; mais Ton a maintenu rigoureusement I'interdiction pour les indigenes d'embrasser le catholicisme, sous peine de I'exil et de la confiscation des biens. En 1800, nous trouvons une centaine de fideles, cparpilles a travers les deux ro}-aumes de Suede et de Norwege. En presence d'une pareille into- lerance, le catholicisme, malgre son energique vitalite, n'a pu se maintenir sur ces rivages deso- les de !a 15altique. 4efe DAN.S I'Allemagne protestante du Nord, la situation est presque aussi triste. La plu- part des principautes protestantes appliquent implacablement le fameux a.xiome du traite de Westphalie : Cujiis regie, Iiiijus religio, ce qui veut dire que chaque contreedoit suivre aveugle- ment la religion de son prince. En sorte qu'en moins d'un siecle, on verra, sans que nos grands proneurs de liberte reclament, un pays, la I'russe, passer successivement, selon le caprice du mo- narque, du lutheranisme au calvinisme, pour s'en tenir, en fin de compte, au culte evangelique, c'est-adire a un accord impossible entre deux cultes et deux dogmes qui hurlent de se voir accouples. Mais que voulez vous ? C'est la volonte du prince ; il n'y a pas a discuter. Ce que Ton discute, c'est I'omnipotence doctrinale de Rome et la tyrannic sous laquelle elle courbe les esprits qui lui sont soumis ! Comme le catholicisme ne se prete pas faci- Icment a ces compromis de doctrine, il en resulte que, dans la plupart des Etats de I'Allemagne, il est absolument proscrit, et que, dans ceux ou Ton veut bien le tolerer, les princes Font fait entrer tout doucement dans les rouages admi- nistratifs, en le soumettant a une bureaucratic hostile et la plus tracassiere qu'il }' ait en Europe, ce qui n'est pas pen dire. Or, je ne crains pas d'affirmer que ce second mode de persecution est le plus dangereux pour I'Eglise, et je le prouve. La sainte Eglise infaillible du ClIRlST se com- pose neanmoins d'hommes faillibles, et plus ou moins accessibles au.x tentations qui viennent de I'autorite civile. Toutes les ames ne sont pas heroiquement trempees, et il est bien a craindre que, sous la pression continue du pouvoir, on n'arrive peu a pen a des compromis, disons le mot, a des lachetes, cent fois plus redoutables pour I'Eglise que I'exil ou la mort ; car la perse- cution sanglante honore le martyr en ranimant la foi des fideles, au lieu que la persecution bureaucratique, hypocrite et sourde, cleshonore souvent jusqu'a ses victimes. Sous Taction perseverante de I'administration il se forme bientot un episcopat servile, un clerge batard, qui ne regarde plus du cote de Rome, mais qui a les yeux fixes sur le moindre chef de bureau, pour savoir ce qu'il doit dire et ce qu'il doit fa ire. C'est la, il faut bien le reconnaitre, oii en est venu, au commencement du Xix^ siecle, le clerge catholique dans I'Allemagne du Nord, et meme dans la majeure partie de I'Allemagne demeuree catholique, grace a I'education josephiste du ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX™<= SIECLE. 19 clerge et a de mauvais choix episcopaux. Fcbro- nius vient de mourir, apres une retractation plus oil moins sincere ; mais ie mal qu'il a fait a I'Eglise d'AUemagne ne sera pas encore giieri ail bout d'un siecle. Sur les principaux sieges episcopaux, nous voj-ons assis des prelats de famille princiere, qui n'ont le plus souvent d'autre titre de vocation que leur naissance et I'influence politique de leurs parents. Qu'on se rappelle ici le congres schismatique tenu a Ems, en 1787, par les quatre premiers dignitaires de I'Eglise d'AUe- magne, dans I'intention hautement avoue'ede rom- pre avec Rome, et d'etablir, sous le nom d'Eglise nationale, une sorte de protestantisme batard. Quelle est au juste, en 1800, la situation nume- rique des catholiques dans I'Allemagne du Nord ? En mcttant a part 5.000.000 de catholiques dans les eveches des bords du Rhin, qui formcront bientot la Prusse rhenane, et i. 200.000 dans la Silesie et la partie de la Pologne cedee a la Prusse, je crois qu'on s'ecartera peu de la verite en portant a 60.000 le nombre des catholiques allemands repandus dans les principautes protestantes, la Prusse hereditaire, le Wurtemberg, la Saxe, le Hanovre, le duche de Bade et les petites princi- pautes, ce qui fait en tout 6.260.000 catholiques dans I'Allemagne du Nord, sur une population totale de 25.000.000. L'heure approche ou DiEU va rcveiller de sa lethargic cette vieille Eglise d'AUemagne. Pen- dant quinze ans, ce malheureux pays va devenir le champ de bataille de I'Europe. Sous les pas des soldats de Napoleon, toutes les barrieres tomberont, tous les cadres seront brises, une certaine justice se fera, bon gre mal gre. Certes, nos soldats ne sont pas devots, a cette heure de I'histoire. N'importe, ils serviront d'instruments, aux mains de la Providence, pour rctablir I'exer- cice public du culte catholique, en bien des en- droits oil il etait proscrit depuis la Rcforme. Tout I'etat politique de I'Allemagne etant bouleverse, I'ancienne constitution germanique est par terre. C'est l'heure des restaurations et des reparations. Peu a peu, nous verrons cette noble Eglise d'AUemagne se relever de se-; abaissements secu- laires ; et quand, apres la chute du colosse qui I'a demembree, I'Allemagne politique essaiera de se reconstituer, elle trouvera devant elle I'Eglise catholique debout et debarrassee, au mqins en partie, de ses fers. Avec ce minimum de liberte, le catholicisme fera dans I'Allemagne protestante des merveilles. Le jour n'est pas loin ou I'un des plus illustres poetes de ce pays, Novalis, termi- nera une de ses odes par ce cri d'espcrance : En avant vers Rome ! et ce noble appel ne restcra pas sans echo. ^_H OLLANDE. DE I'Allemagne du Nord, passons a la IIol- lande ; nous y trouverons I'intolerance pro- testante, s'clalant avec impudence sur les ruines du catholicisme. Un ministre anglican, impartial et modere, le R. docteur Neale, a fait paraitre, il y a quelques annees, un travail interessant sur la situation des catholiques hoUandais en face de I'heresie victorieuse ; avec une franchise qui I'ho- nore, il reconnait que les calvinistes abuserent impito}'ablement de leur victoire. On n'a qu'a se rappeler ici les horreurs de toutes sortes com- mises, au XVl^ siecle, par les Gueux : spoliation des riches eglises, pillage des convents, destruc- tion insensee des objets d'art, vols, massacres, incendies, les martyrs de Gorciun, et tant d'autres pages sanglantes de I'histoire des calvinistes hoUandais La persecution ne s'arreta que le jour ou les Reformes virent leurs concitoyens catho- liques si bien (^erases, qu'ils crurent pouvoir sans danger fermer les yeu.x sur ces miserables restes de I'ancienne Eglise. II en resulte qu'au commencement de ce siecle, la situation des pauvres catholiques hoUandais est encore lamentable. Forces de se cacher de tout le monde, prives de toute influence politique, sevres de toutes les manifestations exterieures du culte, leur vie religieuse, comme celle des repris de justice, cherche a se derober a tous les regards. Dans cet ouvrage, dont je viens de par- ler, le R. Neale fait une description saisissante de la messe catholique, telle qu'elle se celebrait encore en Hollande il y a moins d'un siecle. Le lieu de la reunion, dans une grande ville comme Amsterdam, par e.xemple, est la chambre haute d'un cabaret borgne, « A I'Ecu d'or » ou « Au Soleil levant )>. A I'imitation de ce qui se passe dans ces bouges infames, qui vivent de la clientele exclusive des forgats en rupture de ban, la maison a tout un systeme de couloirs, de portes de degagement, par oil, en cas d'invasion de la force publique, les fideles pourront s'echap- per. Avant I'aurore, on les voit arriver, par petits groupes de deux ou trois ; un pretre, souvent un vieux confesseur de la foi, qui a fait plus d'une fois connaissance avec les prisons, s'est deja glisse dans la maison, sous un deguisement quelconque: Des qu'il a revetu les ornements sacres, cinq a six beguines, religieuses vivant dans leur famille, viennent se ranger autour de I'autel. En cas d'alcrte, chacune d'elles est chargee d'enlever et de faire disparaitre quelqu'un des vases sacres et des ornements du pretre. Si la police, comme il arrive souvent, fait une irruption subite dans la maison, chacune se saisit a la hate de I'objet particulier dont elle a la garde ; pendant que le maitre de I'auberge, pour gagner du temps, par- lemente a la porle avec les agents, le celebrant s'est deja glisse dans une cachette mcnagce entre deux murs, les fideles se sont echappes dans toutes les directions. La police en sera cette fois pour ses frais de deplacement. Le R. docteur Neale, qui nous fait cc triste tableau de la situation des catholiques hoUandais en iSoo, tcrminc sa narration par la description de quelques-unes de ces catacombes du .Ki.v^ 20 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"": SIECLE. siecle, qu'il ;i visitces avec une respectueuse curio- site, et qui subsislent encore ga et la, a I'etat de souvenirs, temoignages vivants de I'inlolerance calviniste. Et voila les hommes qui n'ont pas assez d'anathemes contre la tyrannic de I'Eglise Ro- maine ! II va sans dire que la hicrarchie catholique en Hollande a ete brisee par la Reforme. Au con- traire, les calvinistes ont favorise de toutes leurs forces les jansenistes, dans lesquels ils voient, non sans raison, des freres qui n'ont plus qu'un pas a faire pour ctre a eux. Neanmoins, malgre la protection avouee du gouvernement, nous trou- vons, en 1800, cette Eglise en pleine decadence. Voici, d'apres les documents officiels, quelle etait, a cette epoquc, la situation du jansenisme en Hollande. A Utrecht : I archeveque, 24 cures, 2.520 fideles. A Harlem : i evequc, 24 cures, 2.038 fideles. A Deventer : i eveque, qui remplit en meme temps les fonctions de cure dans I'archidiocese d'Utrecht, car il n'a pas de troupeau. Total pour toute I'Eglise janseniste de Hol- lande : I archeveque, 2 eveques, 48 cures, 4.958 fideles. C'est peu. Quant aux vrais catholiques, a cause du mys- tere dont ils sont forces de s'entourer, on ne trouve leur nombre indique nulle part dans les documents officiels de cette epoque ; mais en consultant les statistiques posterieures, en tenant compte des accroissements qui ont du se pro- duire, on pent tres appro.ximativement fixer leur nombre, en iSoo, a 350.OCO catholiques, contre 1.200,000 protestants. Comme le gouvernement hollandais ne sup- porte sur son territoire aucun eveque catholique, cette chretiente desolee est sous la juridiction d'un simple prelat, le charge d'affaires du Saint- Siege a La Ha}-e ; ce prelat a, au-dessous de lui, 8 archipretres, qui ont a leur tour la surveillance de 50 a 60 cure.s chacun. Le nombre des paroisses catholiques s'eleve au total de 463. CANTONS SUISSES. '4- SI de la Hollande nous redescendons en Suisse, nous rencontrons encore la persecution, au moins dans une partie du pays. Plusieurs cantons sont catholiques : ce sont les cinq cantons de Lucerne, d'Uri, de Schwitz, d'Unterwald et de Zug, avec le Valais, qui, par leur resistance a la tyrannic, ont forme, au .W-' siecle, le premier noyau de la Confederation hel- vetique. On pent, au point de vue religieux, leur adjoindre les deux cantons de Soleure et de Fribourg, oil les protestants ne forment qu'une minorite imperceptible. La population catholique totale de ces huit cantons s'eleve a environ 350.000 ames, qui jouissent pleinement de la liberie religieuse. Six autres cantons : Appenzell, les Grisons, St-Gall, Claris, Argovie et Thurgovie sont mi.x- tes ; la population catholique y est de igo.ooo fideles, contre 220.000 protestants. — Depuis les luttes sanglantes du XVI"^ siecle, I'apaisement s'est fait entre les deux partis. Les catholiques ont garde leurs communautes religieuses, la libre administration de leurs eglises ; et pour les ques- tions confessionnelles, il a ete sagement etabli qu'elles seraient decidees exclusivement par les membres de chaque confession. Enfin, il y a quatre cantons qui sont entierement protestants : Berne, Bale, Zurich et Schaffouse, auxquels il faut ajouter la principaute de Neu- chatel et les villes libres de Ceneve et de Lau- sanne, qui ne font pas encore partie de la Confe- deration. La, les protestants sont chez eux ; ils ont le nombre, 800.000 protestants, contre une minorite imperceptible de 2.000 catholiques ; ils ont la richesse, I'influence politique, la preponde- rance a la diete federale. A I'exception de Lucerne, ils occupent toutes les grandes villes de la Suisse, et ils profitent de cette situation privilegiee pour proscrire impitoyablement chez eux I'exercice public du culte catholique. C'est seulement dans les premieres annees clu XIX'^ siecle que les premiers pretres romains pourront se glisscr furtivement a Berne, a Bale, a Neu- chatel, i Lausanne, a Geneve, pour y celebrer la messe et administrer les sacrements au.x rares catholiques qui habitent au milieu des protestants. Voici, en resume, la situation religieuse de la Suisse en 1800 : Cantons catholiques : 350.000 catholiques, 5.000 protestants. Cantons mixtes : 190.000 catholiques, 220.000 protestants. Cantons protestants : 2.000 catlioliques, Soo.ooo protestants. Total : 542.000 catholiques, et 1.025.000 pro- testants. Hierarchiquement, ce petit troupeau est sous la juridiction des eveques de Coire, de Cons- tance, de Lausanne, de Ston, qui relevent direc- tement du Saint-Siege. ^r_ RUSSIE ET POLOGNE. CE serait ici le cas de parler des Eglises de I'ologne et de Russie ; mais comme elles ne relevent pas cle la I'ropagande, je n'ai pas necessairement a m'en occuper dans un travail sur les missions, et Ton comprend les raisons qui me decident a les lalsser pour le moment de cote. Je constate simplement que, d'apres les recen- sements officiels, il y avait, au commencement du siecle ; ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX""= SIECLE. 21 En Polognc, environ 6.500.000 catholiques des deux rites. D-ins la Kussie »> 1.635.490 catholiques da liie latin. Total p. tout I'Empire 8.7S5.490 catholiques. Aijjourd'hui, apres la destruction systdmatique de I'Eglise ruthene-unie, il reste encore un pen plii.s de sept millions de catholiques dans I'empire russe. Que DiEU prenne enfin en pitie cc petit troupeau, si durement cprouve, et qu'il lui rcnde, avec la liberte religieuse, la paix et la sccuritc. Quant aux So.000.000 de schismatiques, que rien ne separe scrieusement de nous, ni pour le dogme, ni pour la discipline, puissions-nous voir se realiser bientot Ics magnanimes espcrances du Vicaire de Jesus-Ciirist ! La rentrce du peuple russe au bercail de I'unique Pasteur, ce serait, a bref delai, la fin du schisme oriental, qui ne se souticnt plus que par les intrigues de la politique, ct im cvcnement d'unc incalculible portee dans les destinees du monde. II faut prier et attendre avec patience I'heure de DiEU. TURQUIE D'EUROPE. >> POUU achever ce que j'ai a dire des missions d'Europe, il ne nous reste plus qu'a descen- drc en Turquie. La situation des catholiques, sans etre florissante, y est plus tolerable que dans la plupart des pays soumis au schisme et a I'iicrcsic. Le fanatisme musulman, arrcte une premiere fois par le Pape saint Pie V, a. Lepante, ecrase definitivement, dans le cours du xvr sie- clc, sous les murs de Vienne, par I'heroique Sobieski, ne se relevera pas des coups formida- bles qui lui ont ete port^s dans ces deux journees. Desormais I'heure des conquetes en Europe est passde pour lui, et le Croissant ne fera plus que reculer devant la Croix. Le Turc, tout en conti- nuant d'opprimer le pauvre raia chrctien, demeure sous sa dure et capricieuse domination, sent qu'il aura bientot a compter avec cette force morale de I'opinion, qui sommeille encore, mais qui ne va pas tarder a se reveiller pour lui faire expier chcrcmcnt les insolents triomphes du passe. Generalement, il respecte I'autonomie des diffe- rentes cornmunions chretiennes existant sur son territoire, et les laisse librement s'administrer elles-mcmes. Le grand ennemi des catholiques, en Turquie, ce n'est pas le disciple de Mahomet, c'est le Grec schisrnatique, qui s'appuic sur I'or ct sur I'influcnce politique de la Russie. Voici quelle etait, au commencement du siecle, la situation religieuse des catholiques dans la Turquie d'Europe : A Constantinople , nous trouvons environ 8000 Latins, administres par les Reverends Peres Dominicains, Franciscains et Lazaristcs. lis ont a Icur tcte un vica=re apostoliquc, qui prend le titre de vicaire patriarcal, parce qu'il represente le patriarche latin de Constantinople. Celui-ci reside a Rome, et ne jouit plus, depuis piusieurs siecles, que d'un titre honorifique. Le vicaire patriarcal a .sous sa juridiction Constan- tinople, Salonique, la Roumelie, la IVIacedoine et une portion de la cote asiatique. A cote des Latins, nous trouvons quelques Grecs unis et environ 10.000 Armeniens. Au spirituel, ils sont, avec leurs pretres, soumis au vicaire apostoliquc de Constantinople ; mais, au temporel, ils relevent du patriarche schismatique de leur nation, ce qui les expo.se a des avanies et des vexations sans fin, Dans I'Eipire, nous trou- vons un archeveche, Durazzo, avec environ 4.500 catholiques. En Albanie, I'antique metropole d'Antivari a 4 eveches suffragants : Scutari, Alesio, Pulati et Sappa, avec environ 48.000 catholiques. Au Montenegro, on compte a peine quelques fideles. Datis la Bosnie, un vicariat apostoliquc avec cn\'iron 85.000 catholiques. Dans la Serbie, un archeveche, un evechc ct environ 6.000 catholiques. Dans la Valachie et la Moldavie, deux vica- riats apostoliques et 46.000 caUKjJiqu s. Les Eulgares cathoh'ques, chasses, en 1760, de leur pays par les schismatiques, se sont refugies, avec leur ^veque, dans les environs de Philippo- polls ; ils sont en tres petit nombre. Les lies loniennes ont un archeveche a Corfou, un eveche a Zante, avec environ 10.000 catho- liques. Les lies de I'Archipel forment une province ecclesiastique : un archeveche, Naxos ; six eve- ches suffragants, Santorin, Chio, Syra, Andros, Tine et Micone, avec 40.000 catholiques. L'eveque de Syra est de plus le delegu6 du Saint-Siege pour la Grece continentale, oi^i Ton trouve environ 1.200 catholiques, a Athenes, a Nauplie et a Patras. En resumant tous ces chiffres, on trouve, en iSoo, environ 250.750 catholiques, de tous les rites, dans la Turquie d'Europe. * * J'ai dit la situation des catholiques d'Europe residant, en 1800, dans les pays de mission. II faut maintenant rapprocher tous ces chiffres, pour en former un tableau general. Angleierre et Ecosse (t) r 20.000 cathol. Dancmark, Suede et Norw&ge . . . 200 » Etats protestanis de rAllema.Ljne du Nord (2) 60.000 > Hollande 350.000 » Suisse. Cantons protestants et niix- tes (3) 193.000 )) Russie d'Europe. Rites latin et ru- Ihcne (4) 2.285.490 » Turquie d'Europe 250.750 )) Total pour les missions d'Europe . 325S440 » 1. Sans compter 8 000.000 de catholiques irlandais. 2. .Sins compter 5.000.000 de catholif|Ucs dans les (!vcches 22 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX">« SIECLE. cIls hotds (lu Khin, et 1.200.000 dans la Silesie et la Pologne prussienne. 3. Sans compter 350.000 catholitjues clans les cantons catho- liques. 4. Sans compter 6. 500.000 catholiques ties deux rites dons la Pologne russe. C'e.st done un pen plus de 3.000.OOO dc catho- liques qui, dans I'Europe apostate, ont resiste courageusement pour garder le depot de la foi. Honneuf immortel a ces heroiques debris de la vieille liglise ! MISSIONS D'ASIE EN 1800. ASIE MINEURE. RaversONS le Bosphore. Nous void dans I'antique Asie , berceau du genre humain. Nos pieds vont fou- ler la terra benie sur laquellc le Christ a laisse les vestiges de son sang? Cest de la qu'est partie la predication evangelique. Mais, hela.s ! que sont devenues tant d'illustres chretientes, fondces_ par les premiers disciples de Jl'suS-CllRlST ? Eglises venerables de Jerusalem, d'Antioche.de Smyrne et d'Ephese, qu'etes-vous devenues ? Le schisme, avec son orgueil implacable, vous a separees de I'Eglise universelle du CHRIST, et maintenant le pied insolent du janissaire foule en paix vos parvis ruines. Entrainees au IX« siecle, un peu malgre elles, dans le schisme de Photius, ecrasees sous I'op- pression musulmane, separees de Rome par la difficulte des communications, trahies d'ailleurs par un clerge simoniaque et marie, ces malheu- reuses Eglises, en gardant a peu pres intact le depot sacre de la foi, ont laisse se rompre depuis longtemps le lien qui les rattachait au centre de I'unite catholique. Neanmoins, meme aux premiers jours du schisme, la defection n'a pas ete universelle. DiEU s'est garde, dans la terre schismatique d'Israel, des adorateurs fideles, qui tournent chaque jour leurs regards attristcs vers le royaume de Juda et la sainte montagne de Sion, parce qu'ils savent que c'est de la seulement que peut venir Ic salut. Plus tard, au temps des Croisades, de nombreux rapports se retablissent entre les deux Eglises ; mais c'est surtout a partir du concile de Florence que s'accentue le mouvement de retour vers Rome. On voit, a cette epoque, arriver successivement au pied du trone aposto- lique les ambassadeurs des Armenians, des Maro- nites, des Grecs, des Syriens, des Coptes, des Chaldeens. Les Souverains Pontifes accueillent avec une charite paternelle ces enfants prodigues du schisme et de I'heresie, qui viennent entre leurs mains abjurer les erreurs de leurs ancetres. Pour les instruire et reformer ce qu'il y a de defectueux dans leurs Eglises, les Papes leur envoient des delegues apostoliques et des mis- sionnaires ; mais en meme temps, pour menager leur faiblesse et faciliter leur retour a I'unitc, ils veillent soigneusement a ce que personne ne touche a leurs usages nationaux, a leurs rites, a leurs anciennes liturgies. D'un autre cote, les ro's de France ont tou- jours tenu a honneur d'etre aupres des gouverne- ments musulmans les protecteurs et les defenseurs officiels des Saints Lieux. Par leur ordre et sous leursauvegarde, les humbles fils de saint Francois desservent les eglises du Saint-Sepulcre, de Pethleem, de Nazareth et tous les lieux benis oi'i le Christ et sa Mere ont laisse des vestiges de leurs pas. Mais il faut voir maintenant ou en sont les choses au commencement du XIX^ siecle. Le pro- tectorat de la France est reduit a peu pres a rien : la F"rance du Directoiie n'est plus digne de monter la garde au tombeau du Christ. Au contraire, la Russie schismatique, qui n'etait pas aux Croisades, et qui n'a pas verse une goutte de sang pour la defense des Saints Lieux, cherche a se glisser dans nos sanctuaires, et defend avec aprete les pretendus droits des Grecs, opprimtjs, dit-elle, par les Latins. Aucune puissance catho- lique ne s'oppose a ses pretentions exorbitantes, car les vieilles monarchies ont bien autre chose a faire, en ce moment, que de s'occuper de ces querelles de moines. Quand on a propose a Bonaparte, alors occupe au siege de Saint-Jean- d'Acre, de faire au moins en touriste une excur- sion a Jerusalem, il a repondu, avec le dedain d'un fils de Voltaire, que Jerusalem n'entrait pas dans son plan d'op^ration. On voit que nous sommes loin de Charlemagne et de saint Louis. II faut lire dans Chateaubriand (Itincraire de Pan's a Jc'rusa/ei/i) \a. description de la tristesse et de I'abandon des Lieux Saints en 1800. Ouelques religieux franciscains sont les seuls gardiens catholiques du tombeau de JESUS- Chrtst. a peine si, une fois en dix ans, ils voient le visage d'un compatriote ; car les temps de Pierre I'llermite sont passes et la France a oublie depuis longtemps le chemin des anciens pelerinages. Et ce qui rend phis cruelle la position des catholiques a Jerusalem, c'est la presence des Grecs schismatiques, ces adversaires irreconci- liables de Rome. Chaque annee, surtout a la fete de Paques, on les voit affluer dans la ville sainte ; I'or de la Russie et celui des banquiers ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX™ SIECLE. 23 de Constantinople roulent entre leurs mains ; ils insultent a la detresse des calholiques, et i!s prtidisent le jour pen eloigne, ils I'esperent, ou ils finiront de les chasser de ces sanctuaires, rachetes autrefois au prix du sang le plus pur de lOccident. On peut porter a 6.000 le chiffre des catholi- liques latins vivant, a cette epoque, dans les Echellcs du Levant, sous la juridiction du vicairc apostolique de I'Asie Mineure, qui reside a Alep, ousous celle du Rcverendissiine I'ere Custode des Saints Lieux. II y a encore, a Bagdad, un evcque latin de l^abylone, qui est le delegue apostolique du Saint-Siege aupres des eveques des diffcrents rites repandus dans la Chaldee, la Mesopotamie et la Perse ; mais depuis plusieurs annees le siege est vacant. Enfin, il y a un patriarche latin de Jerusalem et un patriarche latin d'Antioche qui resident a Rome, et, depuis plusieurs siecles, n'exercent plus aucune juridiction dans le Levant. Comme le patriarche latin de Constantinople, ils jouissent de litres purement honorifiques, qui rappellent I'ancienne organisation et les gloires du passe. Quant aux Eglises des divers rites unis, voici quelle etait, en i8oD, leur situation : Rite armcnien. — En dehors des 10.000 Arme- niens unis residant en Turquie, il y a, dans I'Asie Mineure, environ So.ooo fideles de ce rite, repandus principalement dans I'ile de Chypre, la Syrie, la Gcorgie et au pied du Caucase. Ces deux dcrniers groupes vont devenir bientot les sujets de la Russie, qui, en moins d'un demi- siecle, les enlevera a I'union, et les reduira presque tous a I'apostasie, ou les forcera a I'exil. Les Armcniens unis ont un patriarche de Cilicie, qui reside au mont Liban, dans le convent de Bzom- mar. lis possedent, a Venise, une ecole celebre, ou, sous la direction des moines Mcchitaristes, se forment les membres les plus distingues de leur clerge. lis ont aussi plusieurs maisons en Europe, principalement a Rome, ou ils celebrent le5 offices selon leur rite. Rite inaronite. — Les fideles de ce rite forment la plus grande agglomeration catholique qui cxiste dans le Levant, et aussi, sans contestation, la plus fervente. Ils sont repandus, au nombre d'environ 250.000, dans les montagnes du Liban et le long des cotes de la Mediterrance. Ils sont sous la juridiction dun patriarche et de 12 eve- ques. Outre le clerge seculier, compos6 d'environ 400 prctres, ils ont 48 couvents de religieux. Rite grec mehJiite. — lis comptent environ 10.000 fideles, desservis par une centaine de pretres seculiers et des religieux appartenant a I'ordre de saint Basile. On les trouve principale- ment dans les iles de I'Archipel et les Echelles. Comme ils n'ont pas encore de patriarche et d'eveque reconnus par la I'orte, ils sont, au tem- porel, sous la juridiction du patriarche schisina- tique de leur nation, ce qui rend leur situation fort precaire. Rite syi-iaque. — Ce rite compte environ 10.000 fideles, en Syrie, dans le Diarbekir et la Perse. lis ont un archeveque residant a Antioche, et trois eveques, a Damas, Mossoul et Alep. Rite chaldceii. — Le patriarche reside a Mos- soul ; il a sous sa juridiction deux archeveques et huit eveques, pour environ 25.000 fideles, qui habitent dans la Chaldee, la Mesopotamie, le j Kurdistan et la Perse. II y a de plus, dans I'lnde, luie Eglise Clialdeenne florissante ; mais comme, au moment de son retour a I'unite, les Chaldeens de Mossoul etaient encore schismatiques, les Souverains Pontifes I'ont confine d'abord aux Portugais de Goa,-et plus tard aux vicaires apos- toliques envoyes par la Propagande. Rite copte. — Les fideles de ce rite sont repan- dus principalement en Egypte. Je me contente de les signaler ici pour memoire ; nous les retrou- verons en parlant de I'Afrique. * » * En resumant ces differents chiffres, nous trou- vons pour la population catholique de I'Asie Mineure, en 1800 : Rite latin 6.000 catho'. Rile armenien .... So.ooo > Rite maronite .... 250.000 » Rite yicc-melchite . . . 10.000 » Rite syriaque lo.ooo » Rite chaldeen .... 25.000 » Kite copte. Pour niL-m. . To'.a', environ. . 381.000 catho!. qui representent tous les rites, toutes les anciennes Eglises de I'Asie Mineure. Le nombre des schis- matiques s'eleve a environ 8.000.000 pour les differents rites. ARABIE. AU sortir de I'Asie Mineui;e, nous tombons, selon I'expression de I'Ecriture, in terra diserta, et invia, et inaqttosa, une terre sterile, sans chemins et sans eau. La Peninsule arabique, gardienne du berceau de Mahomet et de sa tombe, le Turkestan, I'Afghanistan, d'oii sont sortis les dominateurs actuels de I'Orient, sont comme les sanctuaires fermes de I'islamisme. A I'exception de quelques couvents schismatiques dans les environs du Sinai, les fils de Mahomet ne tolerent pas dans ce pays la presence d'un seul Chretien ; a plus forte raison ils en excluent le pretre. Au moral comme au physique, c'est le desert, avec son aridite mornc et sa desolation silencieuse ; c'est la montagne inaudite de Gel- boe ; jamais la rosee du ciel n'y descend. Pa.ssons vite, en demandant k DiEU de repandre enfin la pluie fecondante de ses graces sur ces regions de.sol&s, oil plus de I2.ooo.ooo d'iimes .sont plon- gees dans les tenebres et I'ombre de la mort. 24 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"''' SIECLE. INDES. NOus arrivons dans I'lnde, le premier thea- tre des exploits apostoliques de saint Francois Xavier, de cet homme extraordinaire que la voix rcconnaissante de I'Eglise a salue depuis longtemps du titre glorieux d'Apotre des Indes. La encore, il nous faut constater le tort immense qii'a fait a I'apostolat la suppression de la Compagnie de Jesus. Au commencement du XIX<= siecle, quarante ans apres leur expulsion, on est encore loin d'avoir assez d'ouvriers pour les remplacer et continuer leurs oeuvres. Aussi ce peuple infortune reste abandonne, en beaucoup d'endroits, comme un troupeau sans pasteur. Grace a la complicite payee de Choiseul, et a I'incurable legerete de notre caractere national, I'influence francaise est desormais perdue dans les Indes, ou, malgre les efforts hcroiques des Duplei.x, des Bussy, des Lally-ToUcndal, nous ne possedons plus que deux ou trois miscrables comptoirs. Le protestantisme anglais espere bien qu'avec I'influence francaise, e'en est fait en meme temps de I'influence catholique. Profitant habilement des vidcs qui se sont faits dans les rangs de I'apostolat, il lance sur cette terre, qu'il veut faire sienne, une armee de predicants. L'An- gleterre en fait ses agents politiques ; elle les protege exclusivement et leur prodigue les mil- lions pour acheter les consciences catholiques. Ouelles sont, en iSoo, en face de I'heresie, les forces de I'Eglise romaine ? Un archevcque a Goa, avec des suffragants a Cochin, a Cranganore et a Mcliapour. Rlais, depuis trente ans, ces sieges ^piscopaux restent vacants et sont admi- nistres par des vicaires gdneraux. Quant au clerge goanais, compose presqiie exclusivement de metis et d'Indiens des dernieres castes, il est devenu peu a pen I'opprobre du catholicisme dans les Indes. En dehors des sieges episcopaux portugais, nous trouvons, dans I'inde, quatre missions apos- toliques : Au nord, la mission d'Agra, administree par des Capucins italiens ; elle compte environ 5.000 fideles, mais ils n'ont pas encore d'cveque, a cause de I'opposition du Portugal. Au centre, la mission de Pondich^ry, compre- nant les ancfennes misrions des Jesuites, le Madure, le Maissour, le Coimbatouret une partie du Canara. C'est la Societe des Missions Pltran- geres de France qui travaille dans cette mission. Un ^veque et cinq missionnaires pour subvenir aux besoins religieux d'environ 42.000 fideles, que c'est peu ! Au sud de la peninsule, nous trouvons le vicariat apostolique de Vc-rapoly, qui est admi- nistrc par les Carmes ; il compte environ Scooo fideles, appartenant par moities a peu pres cgales au rite latin et au rite chaldeen. Enfin, en remontant a I'ouest, le long des cotes. la mission de Bombay compte environ S.ooo catholiques, administres aussi par les Carmes. On comprend qu'en presence d'une pareille penurie d'ouvriers apostoliques, I'heresie, appuyee de toute I'influence politique de I'Angleterre, eut beau jeu pour seduire nos malheureux neophytes. On voit, a la fin du dernier siecle, des chretientes de vingt mille ames passer aux protestants ; et s'il faut s'etonner ici de quelque chose, c'est que la perversion n'ait pas ete universelle, et qu'il soit reste un nombre relativement considerable dc brebis fideles. A la mort de saint Francois Xavier, on comp- tait dans I'lnde 350.000 catholiques ; au cours du XVIF siecle, les catalogues des Jesuites por- tent leur nombre a 2 500.C00; mais, en 1800, ce chiffre est redescendu au-dessou.s. cl'un demi- million, et se decompose ainsi : Goa et missions porHigaises .... 300.000 catliol. Ceylan (confie aux Portugais). . '. . 40.000 » Mission d'Agra 5.000 > Mission de Pondichery 42.000 » Vicariat apost. de Verapoly .... So.ooo » Mission de Boml^ay 8.000 » Total pour rinde enticre 475.000 catlinl. INDO-CHINE. DE rindc nous passons dans I'lndo-Chine, et nous trouvons d'abord le royaume de Birmanie. Cette mission, fondee en 1722 par des Barnabites italiens, a eu d'assez beaux com- mencements ; mais, vers 1750, des guerres achar- nees entre les rois d'Ava, de Pegu et de Siam, I'ont a peu pres aneantie. Puis la Revolution francaise, portde par nos armees en Italic, a bouleverse toutes les institutions religieuses, et le dernier superieur de la mission, mort en 1794, n'a pu etre remplace. Je crois qu'en portant a 5.000 le nombre des catholiques residant en ce pays, au commencement de ce siecle, on appro- chera de tres pres de la verite. En redescendant le long de la cote occidentale, nous trouvons le ro}-aume de Siam. Cette mis- sion est une des i^remicre.s qui furent confiees a la Societe des Missions Etrangeres de Paris ; elle est une de celies qui ont le plus trompe jusqu'ici les efforts de son zele. Ce vicariat com- prend le royaume de Siam, le Laos, et les tribus sauvages qui habitent les forcts de la presqu'ile de Malacca. II se compose, en 1800, d'environ 3.600 Chretiens, sous la direction d'un vicaire apostolique et de trois missionnaires. La perse- cution des rois de Siam, des guerres prolongces, et, par-dessus tout, la froide obstination du bouddhisrne, ont fait avorter les riches esperances que cette mission offrit a son debut, alors que le roi de Siain en\-0}'ait des ambassadeurs a Louis XIV. Tout au sud de la presqu'ile, nous trouvons la \ille de Malacca, illustree par le scjour qu'y fit saint Francois Xavier. II y a, a Malacca, un ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX""= SIECLE. 25 siege episcopal qui releve de Goa ; mais le clerg6 portugais ne s'occupe nullement d'evangeliser les infideles, et il borne les efforts de son zele a I'adininistration d'environ 2.000 I'ortugais et metis, qui habitent dans la ville de Malacca ou aux environs. Remontons maintenant a Test, le long des cotes de Chine : nous entrons dans le royaume d'Annam, forme de la Cochinchine ct du Tong- Kiiig. Une persecution prolongec, qui dure a pen pres sans interruption depuis le commence- ment de I'evangelisation, desole ces belles chre- tientcs, qui comptent plus de 300.000 catholiques. Depuis vingt ans, la guerre civile est venue joindre ses devastations aux ruines de la perse- cution. Le vicaire apostolique de la Cochinchine, rillustre Pigneau de l^ehaine, eveque d'Adran, vientde mourir (octobre 1799), apres avoir nego- cie entre la France et I'Annam un traite d'alliance qui permettra au rni Gia-Long de remonter sur le trone de ses ancetres et de pacifier le pays. Grace a ses services, I'PLglise annamite va respirer en paix pendant un quart de siccle ; mais, pour le moment, elle sort a peine des catacombes. Voici quelle etait la situation en 1800 : Cochinchine : I vie. ap., 5 mi=., 15 pr. indig., 50.oonch. Tong-King occid. : i » 6 » 63 » 120.CCO » Ton-King orient. : I » 4*41 » 140.000 » Total p' I'Annam : 3 * 15 » lig )/ 310.000 » Resumant tons ccschiffres, nous trouvons pour I'lndo-Chine : ]iirnianie 5 000 chretiens. Siam 3.000 » Malacca (Portug. et metis), . . . 2.000 » Royaume d'Annam 3(0.000 > Tot. pour toiite I'lndo-Chinc : 320 000 chretiens. CHINE. NOu.S voici au.x portes de ce grand empire de la Chine, si longtemps fermc a la curio- site europeenne. Au commencement de ce siecle, la Chine est divisde en trois eveches et trois vica- riats apostoliques. Les trois Eveches sont les sieges de Macao, de Peking et de Nanking, tous trois suffragants de Goa. Depuis un siecle le siege de Nanking est reuni a celui de Peking, et c'est dans cette ville que reside le titulaire, quand il reside. Quant au clerge portugais, il brille en Chine par son absence. En dehors de Macao, on ne rencontre, dans les trois dioce.ses, que quel- ques pretres indigenes tres clair-semes. Ces prctrcs, egalement dcpnurvus de zele et de sur- \ eillance, font peu de chose, et ce pen, ils le font mal. En evaluant a 20.000, pour toute la Chine, le nombre des catholiques soumis a la juridiction portugaise, on sera sdr de ne pas s'ecarter nota- blcment de la V(5rite A Peking, apres la destruction des Jcsuites, qm', la comme partout, a etc une catastrophe, ce sont les Lazaristes que Rome a envoyes ]iour tenir leur place. Mais les fils de saint Vincent de Paul sont en bien petit nombre, et ne peuvent, malgre tous les efforts de leur zele, se recruter suffisam- ment pour soutenir les ceuvres dont ils sont charges ; car la Revolution frangaise, en fermant leur noviciat de Saint-Lazare, leur a ote jusqu'a I'esperance de voir grossir leurs rangs. Le chiffre de leurs chrt5tiens, a Peking et dans le nord de la Chine, s'eleve a 55.000. Au centre de la Chine, dans le Su-tchuen, c'est la Societe des Missions Etrangeres qui s'efforce d'etendre chaque jour le regne de DiEU parmi les infideles. Helas 1 la encore, la Revolution fran9aise menace de tout aneantir. Plus de semi- naire a Paris, partant plus de recrutement regulier possible ; plus de ressources pour envoycr de nouveaux aputres et les entretenir. C'est une penu- rie navrante d'hommes et cl'argent, penuric qui se fera sentir jusqu'au milieu du siecle. En 1800, il y avait au Su-tchuen i vicaire apostolique, 3 missionnaires, 19 pretres indigenes et 47.OCO chre- tiens. Au Fo-kien, nous trouvons un second vicariat apostolique, confie aux Dominicains espagnols. 11 compte 35.000 Chretiens. Enfin, il y a, au Chan-si, un troisiemc vicariat apostolique, qui appartient aux Franciscains. Le nombre des chretiens est de 30.000. En resumant tous ces chiffres, nous trouvons pour la population catholique de la Chine, en 1800 : Macao et missions portugalses. . . . 20.000 cath. Peking (Lazarisies) 55.000 > Vicariat apostolique du Su tchuen. . . 47.090 » Vicariat apostolique du Fo-kien. . . . 35.000 » Vicariat apostolique du Chan-si. ... 30 000 » Total pour toute la Cliine : 187.000 cath. D'apres les catalogues des Jesuites, sous le regne de Kang-hi, la Chine comptait, en 1700, 1.200 chretienteset pres de 800.000 chrdtiens. On voit combien ce malheureu.x xvili<-' siecle a ete fatal aux missions. JAPON. EN quittant les rivages de la Chine, saluons de loin I'heroique chretiente du Japon. Au commencement du Xix^^ siecle, elle semble entie- rement detruite. Cette terre des martyrs a compte, au .\VI« siecle, jusqu'a 2.000.000 de chre- tiens ; mais de facheuses rivalites entre les diffe- rentes families de missionnaires, I'abscnce cl'une hierarchie fortement constituee, une persecution implacable, et par dessus tout des defiances ])oli- tiqucs, soigneuscmcnt entretcnues par la compli- cite de I'Europe protestante, ont amene la ruine de cette magnifique Eglise. Plus heurcux que Diocletien, le Mikado semble en avoir fini dcfi- nitivement avec le christianisme et avoir aneanti jusqu'au nom chretien, Noiuine christiajwnnn licleto. Neanmoins, qu'il ne se hate pas trop vitc de triompher. L'Eglise catholiqne a la vie cliu-e, ct 26 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i<^ SIECLE. lorsqu'une fois le sang de JKSUS-CIIKIST a coiili^ sur une terre, il est bieii difficile d'en effacer jusqu'aux vestiges All Japon, Ic CllRlST a ete crucifie dans la personnc de ses membres ; voila deux siecles, deux jours au cadran de leternite, qu'il sommeille dans la mort, et git inanime sous la pierre du sepulcre ; nous sommes au matin du troisieme jour. Qui sait s'il ne va pas encore une fois soulever la pierre, renverser, impuissants et vaincus, les soldat.s charges de garder sa tombe ? Avant de desesperer de la vitalite cathoHquc, attendons les revelations de I'avenir. COREE. ACOTii du Japon, nous trouvons la pres- qu'ile de Coree, oil jamais encore ne s'est pose le pied du missionnaire turopden. La, pour- tant, subsiste une Eglise admirable, qui semble s'etre formic toute seule. C'est une des pages les plus touchantes de I'histoirc de I'apostolat. La Coree est tributaire de la Chine ; a ce titre, elle eiivoie chaque annee une ambassade a Peking. Or, il arriva qu'en 1786, un jeune noble coreen, qui faisait partie de I'ambassade, se mit en rapport avec les missionnaires europeens de Peking, et leur demanda des legons de mathe- matiques. Les missionnaires profiterent de I'oc- casion pour lui parler du christianis-ne, et lui preterent des livres de religion. Le jeune homme, frappe de la beaute du dogme chretien, demanda le bapteme, qu'il regut dans les meilleures dispo- sitions. De retour chez lui, il devint I'apotre de sa famille et de ses amis. Le christianisme fit de rapides progres chez ce peuple bien dispose, malgre les rigueurs de la persecution qui, com- mencee en 1788, ne s'an'etera plus jusqu'a nos jours. Cependant il^ fallait songer a donner des pas- teurs a cette Eglise naissante. Les neophytes s'adresserent naturellement a I'eveque de Peking. Helas ! les pretres, je I'ai dit, etaient rares en Chine, a cette epoque. On leur promit d'en faire venir d'Occident, et ces gens simples, animes d'une foi sublime, se prosternerent du cote du Couchant, pour saluer, a la maniere de leur pa\-s, le futur apotre qu'on leur promettait. Mais il fallait pourvoir aux besoins du present. Apres bien des instances d'une part, et bien des refus de I'autre, I'eveque de Peking se decida a leur donner un de ses pretres chinois, qui penetra en Coree vers 1793. En meme temps, pour assurer I'avenir de cette nouvelle Eglise, les chretiens de Coree, sur le conseil de I'eveque, ecrivirent une lettre touchante a Pie VII, pour demander des missionnaires. Les malheurs de I'Eglise ne per- mirent pas alors de satisfaire a leurs pieux desirs ; mais ils ne se decouragerent pas, et sous la direction de leur premier et unique pasteur, ils formaient, en 1800, un petit troupeau d'environ 6.000 neophytes. * » * j'ai acheve d'exposer la situation de I'apos- tolat en Asie, au commencement de ce sieclc. Au centre du continent, les hauts plateaux du Thibet sont encore demeures inaccessibles aux mission- naires. L'Hassa, la capitale, est comme le sane- tuaire et la citadelle fermee du bouddhisme. II faudra plus d'un siecle pour en forcer les portes. Au nord, dans les regions glacees de la Sibe- rie, vivent des peuplades encore toutes paiennes. Pllles ne connaitront le catholicisme qu'en voyant, au cours du XIX^ siecle, deporter dans leurs steppes les e\'eques et les pretres de la malheu- reuse Pologne. Voici done, en resume, quelle etait, en iSoo, la la situation du catholicisme en Asie. Asie Mineure 381.000 catholiqiies. Arable » )> Indes 475 000 » Indo-Chine 320.000 » Chine 187.000 » Japon pour in.'moiie. Coree 6.000 » Total pour toute I'Asie : 1.369.000 catholiques. MISSIONS D'AMERIQUE EN 1800. ETATS-UNIS. Raversons le Pacifique : nous arri- vons sur une terre nouvelle, hier encore sauvage, et qui, demain peut- etre, sera a la tete de la civilisation. Je veux parler de I'Amdrique du Nord, et plus particulierement de ces colonies anglaises, ^mancipees en 1800 depuis quinze ans a peine, et qui s'appellent deja les Etats-Unis. Avant I'emancipation, les lois oppressives de la mere-patrie contre les catholiques etaient appliquees avec rigueur par le fanatisme protes- tant. Aussi, en 1800, le nombre des enfants de I'Eglise romaine s'elevait a peine a 30.000, au milieu de plus de 2.000.000 de protestants. Ajou- tons a ce chiffre 6.000 Indiens convertis, faibles restes des magnifiques congregations que la Compagnie de Jesus avait formees parmi les tribus sauvages du nord de I'Amerique. Depuis la suppression de la Compagnie, ces infortunes ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX™e SIECLE. 27 soiit abandonnt's comme desbrebis sans pasteurs. A i^eine si, a de longs intervalles, ils voient arri- ver quelque robe noire dans les solitudes oil les refoule de plus en plus Fegoisme feroce de I'An- glo-Saxon._C'est que les pretres sont encore bien rares aux Etats-Unis. On en compte, sur tout cet immense territoire, une vingtaine, perdus a d'enormes distances les uns des autres. Ces pre- tres naguere encore n'avaient pas memed'eveque ; ils relevaient du vicaire apostolique de Londres. Pas d'eglises sur toute I'etendue du territoire, hormis quelques miserables chapelles en bois ; pas de seminaires, pas de colleges, pas d'ecoles. « On ne saurait, ecrivait quelques annees apres M»'« Seton ('), se faire une idee de I'ctat d'abais- sement oil etait alors rciduit le catholicisme dans ces contrees. » Ouand survint la guerre de I'lndependance, il se trouva que le chef de cette grande entreprise, Washington, etait un protestant a idees vraiment libcrales Grace a son influence, desses premic'res seances, le Congres decreta la liberte religieuse, et, pour rcpondre aux dcsirs des Etats, le I'ape Pie VI crea, le 6 novembre 1789, le siege epis- copal de Baltimore, donnant ainsi a cette jeune Eglise un gage de pcrpetuite. Vers le mcme temps, un celcbre ministre du paj's, M. Thayer, se convertissait a Rome, a I'occasion des miracles qui se multipliaient sur la tombe a peine fermde d'un pauvre mendiant francais, que I'Eglise devait, un siecle plus tard, clever sur les autels, saint Benoit Labre. Cette conversion, bientot suivie de la reception du sacerdoce, ouvrait la liste glorieuse des nombreux clergymen qui devaient, au cours du XIX"-' siecle, prcferer a leurs riches benefices clans I'Eglise protestante la pauvrete et les privations du mis- sionnaire catholique On vit aussi, vers la meme epoque, arriver quelques-uns de nos pretres chasses par la Revo- lution. Les venerables Suljjiciens fonderent, a Baltimore, un st-minaire, qui fut la premiere pepi- niere sacerdotale de la Republique Americaine. En 1793, Mgr Caroll, premier cveque de Balti- more, avait la joie d'imposer les mains au premier pretre originaire des Etats Unis. De leur cote, les confesscurs de la foi venus de France allaient, par leurs travaux apostoliques et I'exemple de leur vie, donner une vive impulsion a la predication (I'vangelique, dans ces contrees lointaines. Bien que le pays fut de langueanglaise, on a remarquc que, dans les premieres annees du XIX^ siecle, la plupart des evcques et des missionnaires vinrent de France. Citons seulement quelques noms, pour rappe- ler au moins le souvenir de ces premiers apotres des Etats-Unis. Parmi les evcques : Mgr Marechal, troisieme eveque de Baltimore ; Mgr de Cheverus, premier evcque de Boston, mort archevcquede Bordeaux ; I. I'lolestante convertie, lond.Tliice et premiere .Siiperieuie des Soeurs de Charite aux .itals-Unis. Mgr Flaget, premier eveque de Bardstown, et son coadjuteur Mgr David ; Mgr Dubourg,deuxieme cveque de la Nou.velle-Orleans, mort archeveque de Besangon ; Mgr Brute, premier eveque de Vincennes ; Mgr Loras, premier eveque de Du- buque ; Mgr Poirier, troisieme eveque de Ro- seau. Parmi les pretres : M. Nagot, Sulpicien, pre- mier superieur du s^minaire de Baltimore, qui arriva en 1791, en compagniede MM. Levadoux, Teissier et Gamier (ce dernier retourna en France, et mourut superieur general de la Societe de Saint-Sulpice) ; les deux freres Badin, d'Or- Icans: I'aine, Theodore Badin, vicaire general de Mgr Flaget ; le cadet, Vincent Badin, mission- naire chez lessauvages ; Antoine Blanc, de Lyon, fondateur de la mission des Natchitoches, et, en 1 833, troisieme eveque de la Nouvelle Orleans ; Antoine Kolman, de Strasbourg, fondateur du cclebre college de Georgetown ; Gabriel Richard, de Saintes, fondateur de la mission des Illinois ; il fut le premier et jusqu'ici le seul pretre catho- lique elu membre du Congres. Je pourrais citer bien d'autres noms de mis- sionnaires francais, car la liste sc continue jus- qu'a nos jours ; mais en voila b;en assez pour constater que la jeune Eglise des Etats-Unis doit a notre vieille Eglise de I'rance ses premiers apotres, de meme que la liberte americaine doit a la valeur de Lafayette et de ses compagnons d'avoir pu, a une heure bien critique de son his- toire, constituer solidement son independance, malgre la jalousie et les efforts de I'Angleterre. Puissent les deux Eglises et les deux nations se souvenir toujours des liens qui les unissent ! Ouelquefois les peuples sont oublieux et ingrats; mais I'Eglise n'oublie pas les services rendus, pnrce qu'elle a la mcmoire du cceur. CANA.DA. :> Au nord chs Etats-Unis, est une terre de- meuree catholique et francaise en depit de la conquete. Je veux parler du Canada, que I'incurie de Louis XV et la complicite de Choiseul, le pen- sionne de I'Angleterre, ont laisse tomber, en 1763, au.x mains de nos rivaux. Les Anglais essayerent d'abord d'appliquer aux 63.000 Fran- co-Canadiens demeures dans la colonie, leur legislation religieuse ; mais, en presence de cette population fremissante encore des derniers efforts de la lutte, on comprit vite, a Londres, qu'il serait plus facile de s'attacher les Canadiens en leur donnant la liberte religieuse, qu'en leurappliquant les lois oppressives de la mctropole. Dix aiis apres la conquete, les catholiques canadiens se virent done a peu pres emancipes. Malgre les efforts des nombreux ministres pro- testants qui vinrent s'abattrc sur cette terre catholique et francaise, les fideles formaient, au 28 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"ie SIECLE. commencement du XIX« sieclc, une agglomera- tion compactc et ferventc de 120.000 ames, sous la jiiridiction de Icveque de Quebec, assiste d'un nombre malhcureusement trap restreint de prctrcs. Ouelques belles egliscs a Montreal et a Que- bec' attestaient I'ancienr.e generosite de la France ; les Sulpiciens avaient un seminairc florissant a Montreal, mais le grand college de Quebec avait ete ferme apres la ruine de la Compagnie de Jesus. Quant aux cclebres mi.ssions des J6suites chez les Iroquois, les Hurons et les Sioux, elles demeuraient abandonnees pour le moment, a cause du manque de missioanaires. En dehors de ces deux grandes agglomera- tions, les Etats-Unis, qui fondent leur indepen- dance, et le Canada, restt^ sous la domination anglaise, il n'y a plus, dans I'Amdrique du nord, que quelques groupes isolcs, qui viendront s'ab- sorber dans la grande rcpublique de Washington, ou qui tomberont aux mains de I'Angleterre : telle la Louisiane, terre catholique et fran9aise, qu'un caprice de Bonaparte, alors premier consul, ven- dra comme une simple ferme aux Etats-Unis. Elle compte environ 25.000 catholiques. Du temps que le paysappartenait a I'Espagne, un (I-veche avait ete etabli a la Nouvelle-Orleans ; mais la Revolution francjaise a chasst^ I'eveque, qui n'a pas ete remplace. II y a encore le Texas, qui appartient au Mexique et compte environ 8.000 catholiques assez pen fervents. L'anarchie desolera ce pays, jusqu'au jour ou il entrera dansl'Union ameri- caine. A I'ouest, sur la cote du Facifique, on trouve la Californie, qui n'est pas encore le pays de I'or, mais oil de pauvres religieux franciscains ont reuni environ 30.000 Indiens convertis en Reduc- tions florissantes. Leur ceuvre sera completement aneantie, au cours du siecle, par I'invasion des Yankees, qui detruisent sans pitic toutes les tri- bus indiennes existant sur leur territoire. II faut encore tenir compte d'environ 17.000 catholiques qui sont rdpandus au nord du Canada, le long de la baie d'Hudson, dans lAcadie ou Nouvelle-Ecosse, et dans I'ile de Terre-Neuve. Toutes ces populations formeront plus tard le Dominion du Canada. ANTILLES ET GUYANE ANGLAISES. DAns TAmerique du Centre, nous trouvons peu de pays de mission proprement dits. L'Espagne catholique, quelles qu'aient ete d'ail- leurs les iniquites de la conquete, a depuis long- temps implante sa foi a Cuba, au Mexique, et dans tous les territoires sur lesquels elle a fait flotter son drapeau. II en est de meme dans nos colonies francaises des Antilles et de la Guyane ; de sorte que nous n'avons a nous occuper que des contrees tombees au.K mains de lAngleterre et de la Hollande. Dans les Antilles anglaises, la Trinite, la Gre- nade, la Dominique, la majorite de la population etant catholique, le gouvernement anglais a juge expedient, comme au Canada, de ne pas appli- quer aux colons les lois oppressives de la metro- pole. Les catholiques, au nombre de i 50.000, y jouissent done d'une certaine liberte, aussi bien que dans la Guyane anglaise, qui compte en\^iron 8.000 catholiques. Malhcureusement I'dlement negre, qui est Ic plus nombreux dans ces colonies, offre bien moins de resistance que les F"ranco-Canadiens au pro- selytisme protestant. Le petit nombre de mis- sionnaires, I'absence de ressources pour elever des eglises et entretenir des ecoles, laissent le champ libre aux^ efforts des Societ^s bibliques pour arracher a I'Eglise catholique des multitudes d'enfants. Dans la Guj'ane hollandaise et dans I'ile de Curacao, la situation est encore pire, car le fana- tisme calviniste opprime de toutes les facons une faible minorite catholique, qui compte environ 6.000 fideles, a peu pres abandonnes sans pasteur et sans instruction religieuse. On compte encore quelques catholiques dans les Antilles danoises. AMERIQUE DU SUB. MISSIONS DES INDIENS. DAn.S I'Amerique du Sud, la plus grande partie du pays est catholique, grace au zele des religieux espagnols, qui, des les premiers jours de la conquete, s'elancerent sur les traces des aventuriers chercheurs d'or, non pour leur disputer leurs richesses, mais pour arracher les malheureux Indiens, leurs victimes, aux horreurs de I'esclavage, en meme temps qu'aux tenebres de ridolatrie. Neanmoins, dans I'interieur du vaste continent, il y a encore bien des sauvages a atteindre et a convertir. Au sud, en dehors des pays deja colonises par I'Espagne et le I'ortugal, s'etendent, jusqu'a I'extremit^ de la Peiiinsule, les plaines sans fin de la Plata et de la Patagonie. Un demi-siecle auparavant, grace aux travaux de la Compagnie de J^sus, I'evangelisation de ces peuplades sauvages faisait d'immenses progres chaque annee. Les celebres Reductions du Para- guay ont fait I'admiration des protestants, et Vol- taire, apres les avoir violemment attaquees, leur a rendu justice dans une heure de bonne foi, oii il s'est oublie jusqu'a dire que cette ceuvre etait « le triomphe de I'humanite. » Mais, un jour, la jalousie de Leurs Majestes tres catholiques et tres fideles les rois d'Espagne et de Portugal, vint detruire, d'un trait de plume, cette ceuvre incomparable, disperser les pasteurs, renvoyer dans leurs forcts les sauvages deja con- vertis et civilises. De peur qu'on ne soit tente de ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX™ SIECLE. 29 m'accuser d'exageration, je n'apporterai ici que des temoignages d'auteurs protestants eteiinemis des Jcsuites. Southey, auteur d'un Voyage dans rAmerique du Slid, ecrivain tres hostile an catholicisme, et par consequent aux Jesuites, s'exprime ainsi : Apies avoir fait un tableau saisissant de ces hordes de sauvages, errant, avant leur conversion, dans un etat de nudite complete, et se repaissant meme de chair humaine, il ajoute(') : « A la fin » du XVII" siecle, les Indiens de ccs Reductions » formaient un peuple brave, industrieux, rela- » tivement police. Un progres considerable avait » ete realise dans les arts utiles et dans les arts » d'ornementation. Outre des charpentiers, des » magons et des forgerons, ils avaient des tour- » neurs, des sculpteurs, des peintres et des do- » reurs. lis etaient assez verses dans la meca- » nique pour etablir des moulins a manege, dans » rh)-draulique pour elever I'eau, afin d'arroser » les terres et d'alimenter les citernes publiques. » Dans chaque Reduction, la lecture, I'ecriture, » I'arithmetique, etaient des connaissances uni- » verselles ; en outre, il y avait des Indiens en » etat de lire I'espagnol et Ic latin, aussi bien » que leur propre langue. » En bon protestant, I'auteur s'en tient a cons- tater le progres materiel, mais on comprend que ce passage de I'anthropophagie a la vie civilisee n'a |)u se faire sans amener un grand perfection- nement moral. Dans un rapport officiel au roi d'Espagne, I'eveque de Buenos-Ayres, assez peu favorable d'ailleurs aux Jesuites, ecrivait en 172 1: « L'innocence des Indiens est ti grande, que je » ne crois pas qu'il se commette un seul peche » mortel, dans ccs Reductions, pendant le cours » d'une annee. » Ce tcmoignage du prelat catholiquc, qui parai- tra sans doute empreint d'exageration au lecteur, est confirme au fond par notre auteur protestant, lequel s'evertue a chercher de mauvaises raisons pour expliquer une pareille transformation mo- rale : « Peu de vices, ecrit-il serieusement, pou- » vaient exister dans de telles communautes ; » I'avarice et I'ambition en etaient exclues ; il y » avait peu de place pour I'envie, peu de motifs » capables d'exciter la haine et la mechancet6. » L'auteur oublie ici que la nature humaine se retrouve partout avec ses faiblesses et ses mi- seres. « L'ivrognerie, continue-t-il, etait prevenue » efficacement par la prohibition des liqueurs » fermentees ; la puretc des moeurs r<;sultait de » I'esprit de moiiachisme, car celui qui n'avait » en quoi que ce soit peche contre les lois de hi » modestie, etait seul juge dignc d'etre compte » au nombre des serviteurs de la Reine des >} Vierges. Au fond le systeme idolatre des Je- » suites, uni aux precautions les plus severes de » I'esprit monastique, faisait toutc la vertu des » I ndiens ('). » 1. Southey, tome III, page 372. 2. Southey, tome III, page 842. I aissons un moment de cute les explications ultra fantaisistes de l'auteur protestant. II resulte de ses aveux que les Indiens convertis, ces anthro- pophages de la veille, ces brutes qui n'avaient d'humain que la figure, et qui, en un siecle, avaient massacre plus de 100 missionnaires, etaient devenus, sous la direction de leurs peres spirituels, des peuplades civilisees, d'oii etaient bannies I'avarice, I'envie, I'ambition, la haine, la mechancete, l'ivrognerie et la luxure. Ce temoi- gnage nous suffit. Que ces vertus aient ete le resultat du inoiiachisine et du systcine idolatriqiie des Jesuites, ou, pour parler en catholiques, qu'elles soient dues au zele apostolique des Reve- rends Peres et a la tendre devotion qu'ils avaient su inspirer a leurs neophytes envers la tres sainte Vierge, une si complete transformation morale n'en paraitra pas moins merveilleuse a qui con- nait la nature humaine. Et ces magnifiques resultats ne se bornaient pas au Paraguay ; ils s'etendaient a toute I'Ame- rique du Sud. « Une chaine de missions, dit en- » core Southey, etait etablie dans ce grand » continent ; celles des Espagnols de Quito se » reliaient a celles des Portugais de Para ; les » missions de I'Orenoque communiquaient avec » celles du Rio-N^gro ; les missions des sauvages » Moxos communiquaient avec celles des Chi- » quitos, les Chiquitos avec les Reductions du » Paraguay ; de la les infatigables Jesuites en- » voyaient leurs pionniers dans le Grand Chaco, » et parmi les tribus qui occupent les vastes » plaines au sud et a I'ouest de Buenos-Ayres. » S'ils n'avaient ete interrompus dans leur car- » riere par des mesures aussi injustes qu'impo- » litiques (c'est toujours l'auteur protestant qui » parle), il est probable qu'ils eussent complete » la conversion et la civilisation de toutes les » tribus indiennes ('). » Helas I ils furent interrompus dans leur glo- rieuse carriere par la miJchancet6 et la sottise desgouvernements. « Plus d'un million d'Indiens, » ecrit Sir Woodbine Parisch, autre auteur pro- )) testant, se virent prives subitement des pasteurs » et des guides qui les avaient, pour ainsi dire, » cre6s a nouveau, et auxquels ils obeissaient » avec une si douce et si affectueuse confiance (").* A la place de leurs peres spirituels, ils virent arriver, dit encore Southey ('), « les bandits affa- » mes de la Plata, ou des aventuriers nouvelle- » ment venus d'Espagne, qui ne connaissaient » pas la langue du pays et n'avaient nullement » i'intention de I'apprendre. » Ces miserables, envoyes par le roi catholicpie « pour purifier les » Reductions de la tyrannic des Jesuites, » com- mencerent par detruire leur ceuvre. « Les arts » iiitroduits par les Jesuites furent negliges et ■• oublies ; les metiers tomberent en poussiere ; 1. Suuthcy, tome III. 2. Buenos-Ayres, ch. 22. 3. Southey, tome III, 30 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"^*: SIECLE. » la pliipart des Indiens, reduitsau dcsespoir par » leurs nouveaux maitres, s'enfuirent dans les » boiset retournerent a la viesauvage ; les autres )) devinreiit vicieux et miserables ('). » En quelques annees, on put constater une de- population effroyable. Les documents protestants les plus serieux portent a plus d'un million le chiffre des Indiens de I'Amirique du Sud vivant, en 1750, sous la paternelle direction des Jesuites. Un demi-siecle apres, en 1 800, on en trouve a peine 30.000 vege- tant, sans instruction religieuse, dans quelques miserables villages. Et les autres, oii sont-ils ? lis ont peri sous les coups des bandits que I'Europe a envoyes « pour les arracher a la tyrannie des Jesuites, » ou bien ils sont morts de faim et de misere dans les bois. En arrachant aux repu- gnances de Clement XIV la suppression de la Compagnie de Jesus, et, par une consequence inevitable, la ruinc spirituelle et temporelle de plusieurs millions d'ames, la maison ^de Bourbon a fait une ceuvre dont clle a droit d'etre fiere. La justice de DiEU ne tardera pas a kii en demander compte. * * * Resumons maintenant en quelques chiffres la situation des missions calholiques en Amerique, au commencement du siecle : EtatsUnis et missions des saiivnges du Far- West. 36.000 catliol. Canada 120.000 s> Louisiane 25.0CO 5> Te-Ka? 8000 » Californie 30.000 > Baled Hudson, Acadie, Teire-Neuve 17.000 » Antilles et (iuyane anglaises. . . 113.000 » Antilles et Guyane hollandaises . 5 000 i> Missions des sauvagcs (Amerique du sud) 30 ooo » Total pour toutes les miisions d'.V- merique 3S5.000 cathol. MISSIONS D'AFRIQUE EN 1800. ^^^^^ 'Afrique, la terre de Cham, est tou- IPSfSsfi 1^4: jours sous le poids de la maledic- tion biblique : « II sera I'esclave de ses freres, Sit semis fratrnin sito- riim. » Au moral comma au phy- sique, ses malheureux habitants sont esclaves : esclaves de leurs freres, qui les achetent comme un vil b^tail, esclaves du demon, qui les tient courbes sous le cimeterre de Mahomet, ou sous le joug encore plus degradant d'un hideux feti- chisme. EGYPTE. LE long des cotes de la Mediterranee, il ne reste plus que les ruines de tant d'Eglises florissantes aux premiers siecles. Sur le siege pa- triarcal d'Alexandrie, c'est I'heresie d'Eutyches et leschisme qui sontassis. Neanmoinson trouve ga et la, en Egjpte, un petit troupeau d'environ 5.000 cojjtes unis a I'Eglise romaine. En ajoutant 500 catholiques du rit latin et 500 Armcniens et Grecs unis, on arrive pour toute I'Egypte a un total d'environ 6.000 catholiques. ABYSSINIE. L'AliV.ssiNlE, I'ancienne Ethiopie, recoit son Aboitna, ou metropolitain, du patriarche schismatique d'Alexandrie. Au XVi^ siecle, il )- avait eu en ce pays un mouvement de retour vers 4. Southey, tome III. Rome. L'empereur d'Abyssinie avait demande des missionnaires au Pape, en promettant de re- venir, !ui et son peuple, a I'unite catholique. Jules III leur envoya un patriarche, nommc Nunez, avec plusieurs missionnaires jesuites. Un moment, on put esperer que ce vaste pays allait redevenir catholique, mais les intrigues des schis- matiques, la guerre civile, des persecutions qui firent un grand nombre de martyrs, vinrent arreter le reiour de ce peuple a la vraie foi. En 1800, voila plus d'un siecle que la mission d'A- byssinie est a peu pres abandonnee, et Ton ignore s'il existe encore des catholiques dans ce pays. ETATS ARABESQUES. EN suivant les rivages de la Mediterranee, nous trouvons les Etats barbaresques : 1 ripoli, Tunis, Alger, vrais nids de pirates, qui desolent depuis des siecles les cotes de I'ltalie, de la France et de I'Espagne. La, le catholicisme n'est tolere que dans les bagnes. Depuis un siecle et demi, les fils de saint Vincent de Paul, unis aux Franciscains, travaillent a soulager, au spi- rituel et au temporel, les malheureux esclaves Chretiens ; mais la Revolution francaise vient de porter un coup terrible a leurs teuvres, et pour le moment, il n'y a d'autres representants du catho- licisme dans ces contrees qu'environ 8 000 escla- ves Chretiens, dans les bagnes et chez les particu- liers. Courbes nuit et jour sous le baton du gardc- chiourme, ces infortunes, prives de tout secours religieux, sont livres sans defense a tous les perils ETAT DES MISSIONS CATHOLIQUES AU COMMENCEMENT DU XIX"'^ SIECLE. 31 de "apostasie, a toutes les seductions de la corrup- tion dcs mcEurs. CONGO. SUr la cote occidentale de I'Afrique, nous trouvons le royaume du Congo. La existait, au X\'l= siecle, une m^gnifique Eglise. A cette cpoque de ferveur, qui fut aussi celle de la pros- pcrite du Portugal, on vit au Congo, sous le pro- tectorat de Sa Majeste tres fidele, toute une d)-nastie de rois chrctiens. L'Eglise catholique comptait alors 1.500.000 fideles chez les noirs du Congo. Mais la encore, la destruction des Je- suites, I'absence d'autres religieu.x portugais pour les remplacer, I'inepte jalousie du gouvernement, qui aime mieux laisser les malheureux noirs re- tomber dans I'idolatrie que de permettre a des missionnaires d'une autre nation de penetrer sur £on territoire, toutes ccs causes reunies ont ruine en ce pays les esperances de I'apostolat. L'eve- che de Saint-Paul de Loanda compte une tren- taine de paroisses desservies par dix ou onze pretres. Aussi, bien que les catalogues officiels portent a 600.000 le nombre des catholiques du Congo, il est evident que ce chiffre est d'une exageration excessive et doit ctre ramene aux environs de 30.000. Encore la plupart ne sont, helas ! que des chretiens de nom, puisqu'ils n'ont guere rei^u que le bapteme, et qu'ils sont sans pretres, sans culte et sans sacrements. <; COLONIE DU CAP. MADAGASCAR. :> AUTRES COLONIES. DAns les Seychelles et lesilesde TAmirautc, on compte environ 3,000 catholiciucs. En dehors des pays de mission proprement TOUT au sud de la peninsule africaine, la colonie hollandaise du Cap reste impitoj-a- blement fermce aux missionnaires catholiques. Ce n'est qu'en 1806, apres que le Cap sera tombe, pour n'en plus sortir, aux mains des Anglais, que le pied de I'apotre pourra se poser sur cette terre, oil domine I'intolerance calviniste. EN remontant le long de la cote orientale, , nous trouvons la grandeile de Madagascar, oil la Erance avait essaye, au temps de Louis XIV, de fonder un etablissement ; mais, apres le grand roi, notre detestable politique nntionale a tout abandonnc, et la mission catholique fondee par les Lazaristc.- , du vivant de saint Vincent de Paul, a du se retirer de la grande ile africaine, a la suite du drapeau francais. dits, il y a, dans les colonies espagnoleset portu- gaises, plusieurs eveches dont je n'ai pas a m'oc- cuper ici. Ainsi, dans I'empire du Maroc, I'Espagne en- tretient un eveche a Ceuta et un autre a Tanger, pour environ 10.000 catholiques espagnols qui habitent res deux villes. Les lies Canaries, qui appartiennent aussi a I'Espagne, ont un archevcche a Palma, et deux eveches suffragants : Saint-Christophe et Tene- riffe. Cette province ecclesiastique compte environ 1 8o.ooC' catholiques. Pour les colonies portugaises, nous trouvons dans les Azores I'eveche d'Angra, avec environ iSo.ooo fideles. Les lies du cap Vert ont I'eveche de Santiago, avec 60.000 catholiques. Madere a I'eveche de P^nichal ; population catholique, 75,000 ames. Sur la cote de la Guinee. r(^veche de Saint- Thomas, dans I'ile du meme nom, avec 12,000 catholiques. Sur la cote orientale de I'Afrique, la prefecture apostolique de Mozambique compte i. 500 catho- liques. La France n'a garde qu'une colonie africaine, I'ile de Bourbon, qui compte 1 30.000 catho- liques. L'Antjleterre vient de nous enlever I'lle de France, qu'elle a baptisee du nom de Maurice. Cette colonie compte en ce moment 60.000 catho- liques. Resumons en que'.ques chiffres la situation des missions catholiques en Afrique, au commence- ment du XIX<^ siecle : Egypte 6.C00 calhol. Abytsinie i our iiitiitorc. Etats baib.jiesques (dans les bagne^) 8.000 » Congo 30.000 » Colonie du Cap, lu'a tit Madagascar, lu'ant. Seychelles ■j-ooo » Total pour loules les ii.iisions d'.Afriq. 47.000 calbol. Etc'est tout! cette immense peninsule, un quart du globe, reste tout entiere la proie du demon. A part les quelques postes que je viens d'enu- merer, et qui sont tons situes sur les cotes ou dans les iles du littoral, I'Eglise catholique n'a pas un coin de terre a elle dans I'interieur de ce vaste continent. Pendant ce temps, I'LsUmisme, qui occupe dejii en maitre tout le nord de I'Afri- que, avancechaque jour dans I'interieur a grands pas, et n'enleve ccs malheureuses populations a leurhideux fetichisme que pour les plongerdans les infamies du Coran. Hiilas! pourquoi, cette fois, le zele du missionnaire s'est-il laisse devan- cer par le trafiquant de chair humainc? Ce sol, que n'a pas encore foule le pied de I'apotre, I'in- fame negrier ne craiiit pas de s'aventurer dans ses solitudes, pour y cliercher son affreuse mar- chandise ! Chaque annee, pluieurs millions de creatures humaines sont arrachees a leur famille, a leur pays, a toutes leurs affections, pour ctre 32 LES MISSIONS CATHOHQUES AU XIX™" SIECLE. trainees au loin et vendues comme un vil betail. Des milliers sont tues en cherchant a se sous- traire aux horrcurs de I'esclavage ; d'autres mil- liers, (ipuises de fatigue et de mauvais traitements, meurent avant d'arriver aux termes du voyage, et jonchcnt de leurs cadavres les routes du desert. O DiEU, Pere de toutes les creatures, quand cesseront tantd'horreurs ! Seigneur Jesus, vous qui etes mort pour tons les hommes, envoyez des sauveurs et des apotres en Afrique ; faites lever enfin le soleil de la verite evangelique sur ces regions desolees ! MISSIONS D'OCEANIE EN 1800. L me resterait, pour etre complet, a parler de I'Oceanie; mais, en 1800, I'Oceanie vient a peine d'etre de- couverte, ou plutot on la decouvre tous les jours. L'heure de I'evange- lisation n'a pas encore sonne pour cette terre nouvelle. Les Philippines forment, il est vrai, un groupe considerable d'environ 4.000.000 de catholiques. mais, la province ecclesiastique de Manille etant constituee depuis longtemps, ce pays ne peut plus etre considere comme pays de mission. II y a cependant encore, surtout dans les eveches de Zebu et de Jaro, environ 400 000 paiens qui sont evangelises avec soin par les Dominicains, les Franciscains et les Augustins. Dans les iles de la Sonde, les Hollandais ont a pen pres detruit I'ceuvre des anciens mission - naires. C'est a peine si Ton peut compter a Java 300 catholiques. En ajoutant environ 2.500 fideles dans la partie portugaise de I'ile de Timor, cela fait un appoint total de 2.800 catholiques pour les missions d'Oceanie. Si nous additionnons maintenant les chiffrcs des cinq parties du monde, nous trouvons ce rcsultat : Europe 3.247.790 calhol. Asie 1 . 369.000 > Ameriqiie 385 000 » Afrique 47.000 > Oceanie 2.800 5> Tolal 5 051.590 catliol. pour les missions du monde entier. C'est done un peu plus de 5.000.000 de fideles que le catholicisme compte dans ses missions, au commencement du XIX'= siecle. Si Ton veut bien se rappeler ce que j'ai dit plus haut des diverses causes qui sont venues, dans le cours du dernier siecle, contrarier Taction de I'apostolat, on trou- vera peut-etre que ce resultat, a tout prendre, est encore assez beau. Neanmoins, ce n'est qu'un point de depart. Nous allons voir, dans les cha- pitres suivants, I'Eglise catholique prendre son essor, et s'elancer, rapide comme I'aigle, a lacon- quete des ames. Ce sera une des gloires du X1X<= siecle d'avoir ete, malgre bien des defail- lances et des catastrophes, un des plus grands siecles de I'Eglise, un des plus feconds pour le developpement de I'apostolat. rimxiT ixixnixmrrm Liiiiiiixtriir 5- n TTITTTTinr TTTTTTi rTTTTnnTIl TTTtTITXIIIIIIIJtTTrTTITI 1 m^m cljiiyitrc Dcujcicmc. ^^® PROGRES DU CATHOLICISME EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE, 1800-1890. iiiTiiTixiiiiiircTiiiiii;jiiiiiixiiiiiii];iijirzrciiiiiiEniiiiiixxiiiiirtiii:iiiiiiixiijiiii]iTriiiii:[riiiiiriLrLiiiii:aiiixiiTriiirTi Rois grands faits dominent et expliquent les inerveilleux pro- gres du catholicisme dans la Grande-Bretagne pendant les 90 premieres annees du XIX« siecle: I'emancipationdescatho- liques, le mouvement ritualiste et puseyste, et le retablisse- ment de la hierarchic, en Angleterre d'abord, puis en Ecosse. Au commencement du xix^ siecle, comme je I'ai dit dans le chapitre precedent, les lois oppres- sives du passe subsistaient toujours ; mais le bon sens anglais, revenu a une appreciation plus saine, repugnait a les appliquer avec rigueur. Depuis la chute definitive des Stuarts, le catholicisme, de- barrasse de ses accointances politiques, qui, lors meme qu'elles sont parfaitement legitimes, le compromettent toujours, trouvait dans les pou- voirs publics un peu moitisde haine, un peu plus de justice que par le passe. Neanmoins, la situation etait toujours tres precaire. On se ferait aujourd'hui difficilement I'idde des pr^juges veritablement insens6s qui existaient alors dans un grand nombre d'esprits, surtout centre les prctres catholiques, en parti- culier les Jcsuites, que les calomnies des ministres protestants avaient represent^s au peuple comme des hommes d'une astuce excessivement dange- reuse et d'une perversite inouTe. Un exemple a I'appui : il y a une trentaine d'annc'es, une dame de I'aristocratie, ayant ete admise a une audience particuliere de Pie IX, ne cessait de tenir les yeux fixes sur la pantoufle du Tape ; a la fin, son secret lui echappa. Mile avait tant de fois entendu dire a ses ministres que le Pape est la bete predite dans I'Apoca- lypse, qu'elle s'attendait a voir au Vicaire de Jlisu.S-ClIRlST des pieds de bouc. Le bon Pape eut la complaisance de se dechausser en souriant, pour lui montrer que son pied ^tait conforme comme celui de tout le monde. Voilaoii en etait, oil en est encore, surtout parmi le peuple, une partie de I'Angleterre, fanatisce par les declama- tions de ses ministres. Missions Catholiques. La presence du clerge fran^ais, refugie en grand nombre a Londres pendant la Revolution, la dignite de son attitude, la predication muette de ses indeniables vertus, dissiperent en partie ces prejugts vraiment incroyables. Plus tard, la noble conduite du Souverain Pontife, le Pape Pie VII, resistant au.x injonctions brutales de Napoleon, et subissant la spoliation de son pou- voir tempore! plutot que d'entrer a la suite de tons les monarques europeens dans le systeme du blocus continental et de fermer a I'Angleterre les ports de son petit Etat, montra au gouver- nement anglais qu'il y avait dans le Vicaire de JE.SU.S-ChrI.ST, impuissant et desarme, plus de dignite, de justice et de vraie grandeur morale que dans tous les grands potentats de i'Europe, I'empereur de Russie, I'empereur d'Autriche, le roi de Prusse, pour ne nommer que les princi- paux, qui tous, apres avoir recju I'argent de I'An- gleterre pour combattre Napoleon, lui fermerent leurs ports, et adhererent a la politique napo- l^onienne contre les Anglais. Deux ou trois ans avant I'evenement, un membre de la Chambre des Lords avait dit : « Je suis persuadd que le Pape Pie VII n'est qu'une miserable iiiarionnctie aux mains de I'usur- pateur, et que, s'il lui commandait d'excommu- nier les Anglais, ce serait fait demain. » Savone et Fontainebleau furent la reponse du Pape a ces declamations du fanatisme protestant. Aussi, quand le congres europeen se reunit a Vienne, apres la chute de I'homme qui, pendant quinze ans, avait fait trembler les rois sur leur trone, le Souverain Pontife, qui seul avait su tenir tete a I'oppresseur de I'Europe, se trouva tout naturellement entour(i d'une aureole universelle de respect. De son cotiJ, le cardinal Gonzalvi, son ministre, qui revenait, lui aussi, de la grande tribulation, et dont le tact politique, I'exquise distinction, I'esprit fin et delie, faisaient un des diplomates les plus seduisants du congres, conquit entierement le due de Wellington ; et, grace en partie au concours du plenipotentiairc anglais, il put faire rendre a Pie VII tous ses Etats, et jus- qu'au.K Legations que la Revolution franc^aise 3 34 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"«= SIECLE. avait arrachces, en 179S, au malheureux Pie VI. Ces bonnes relations entre le gou\'ernement anglais et le ministre de Sa Saintete devaient porter d'autres fruits encore. En 18 19, le minis- tere proposa pour la premiere fois, a la Chambre des Communes, un bill qui relevait les catho- liques des incapacites legales et abrogeait le serment du test. C'etait le debut d'une lutte ardente, qui devait durer dix ans, entre I'equite et le fanatisme protestant. Cette fois le bill fut rejet^ aux Communes, mais seulement a la majorite de deux voix. Presente de nouveau a la session de 1821, il fut adopte a si.x voix de majorite ; mais il fut re- pousse, comme on s'y attendait d'ailleurs, a la Chambre des Lords. Cependant le mouvement des conversions, pres- que insensible au debut, s'accen- tuait de jour en jour. Au commen- cement du regne de Georges III (1760), le nombre des catholiques anglais s'elevait a peine a 60,000. En I 800, nous avons vu qu'il etait deja de 1 20.000 pour I'An- gleterre et I'E- cosse reunies. En 1 82 1, un recense- ment officiel por- tait ce chiffre a Soo.ooo.Lescatho- liques cessaient des lors d'etre une minorite infime, perdue au milieu de millions de protestants ; et, dans un pays comme I'Angle- terre, ou tout ce qui est fort est sur de se voir respecte, I'opinion commencait a comprendre qu'il fallait leur faire place au soleil de la vie publique, et qu'on ne pouvait plus longtemps les trailer comme une quantite negligeable. L'Eglise d'Irlande, si fort opprimee, elle aussi, par I'oligarchie protestante, mais qui, plus fidele que le reste de la Grande-Bretagne, avait su gar- deravecsa foi la hierarchie catholiqu?, vint, a cette epoque, puissamment en aide a sa jeune scEur, I'Eglise renaissante d'Angleterre. DiEU ve- nait de lui susciter un illustre defenseur, qui, sans jamais sortir de la legalite, sans faire alliance, comme d'autres agitateurs, avec I'element tou- jours suspect des societes secretes, allait tenir haut et ferme, au milieu de I'lrlande persecutee, le drapeau de la liberte politique et religieuse. Daniel O'Connell, ne en 1775, entrait, en 1820, dans cette longue carriere de luttes et de souf- frances qui devait aboutir a I'emancipation des catholiques, grace a I'energie de ses convictions, servie par une habilete merveilleuse. C'est en 1823 que commeni^a Tagitation irlan- daise pour la revendication des droits trop long- temps meconnus des catholiques. Deux ans plus tard, a la session de 1825, le bill d'e mancipation fut presente de nouveau auxCom- munes et reunit 27 voix de majo- rity ;il fut repouss6 a la Chambre des Lords. En 1827, bien que la loi qui ex- cluait les catholi- ques des fonctions publiques ne fut pas encore abro- gee, O'Connell se portait comme candidal a la Chambre des Communes ; elu a une ecrasante majorite, il se pre- senta a la Cham- bre,refusa, comme tout le monde s'y attendait, de pre- ter le serment du test et fut dc'clare indigne de sieger. Mais cette vic- toire a la Pyrrhus allait achever de discrediter dans I'opinion publique le parti de Tintolerance. L'lr- lande tout enliere se pressait frcmissante derriere I'homme providentiel qui menait si hardiment tous les catholiques de la Grande-Bretagne a I'assaut des lois surannees de Henri VIII et d'Elisabeth. En presence de ce mouvement de- venu irresistible, les Communes decretent, en 1828, qu' « il est urgent de relever les catholi- ques des incapacites legales qui pesent encore sur eux. » Enfin, au commencement de 1829, sir Robert Peel et le due de Wellington, les deux premiers hommes d'Etat de I'Angleterre a cette epoque, se rallient franchement au bill d'emanci- PROGRES DU CATHOLICISME EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE, 1800-1890. 35 pation, et le font adopter dans les deux Cham- brcs. II )• eut 17S voix de majoiite aux Com- munes et 20S a la Chambre des Lords. C'est le 13 avril 1S29 qu'eut lieu ce grand acte de reparation nationale. Uesormais les catholi- ques pouvaient, sans abjurer leur foi, aspirer aux charges |:ubliques; I'ostracisme odieux qui, depuis la seconde annee du regne d'Elisabeth, pesait sur eux, etait enfin leve. Un mois plus tard, le 15 mai 1829, I'homme que la reconnaissance de tons les catholiques saluait du titre de Liberateur, Daniel O'Connell, entrait, le front haut, a la Chambre des Communes, qui, depuis 200 ans, n'avait pas vu un seal catholique sieger sur ses bancs. II avait ete le premier a la peine, il etait juste qu'il flit le premier a I'honneur. I.es resultats de cette grande victoire des catholiques furent plus considerables qu'on ne I'avait soupgonne tout d'abord. Jusque-la ils avaient vecu dans rombre, en mettant tous leurs soins a ne pas attirer sur eux I'attention presque toujours malveiUante de leurs concito}'ens pro- testants. lis s'entouraient de tant de precautions et de mystere que c'est encore aujourd'hui un probleme pour I'histoire de decider si tel ou tel des grands hommes de I'Angleterre etait catho- lique ou protestant. On sait que la question se pose pour Shakespeare, le poete national des Anglais. Meme dans liniimite de la famille, le doute existait parfois a ce sujet. « — Milord, disait un jour un Anglais protes- tant au vice-roi d'Irlande, est ce que Milady n'est pas catholique ? » « — Mon chcr Lord, repondit avec bonhomie le vice-roi, je vous avoue que je n'en sais rien. EUe ne me I'a pas dit, et jamais je n'ai eu I'ind^- licatesse de le lui demander. * On comprend ce que ceile vie strictement muree des catholiques anglais devait ajouter de difficultes a I'ceuvre de I'apostolat. Mais, apres I'acte demancipation, ils ne tarderent pas a s'affirnier ; ils sortirent tout joyeux des catacom- bes oil les retenait, depuis trois siecles, I'intole- rance protestante, et ropinion publique, qui les avait si longtemps ignores ou meconnus, fut bien forcee de les voir a I'oiuvre et de s'occuper d'eux. Precisement a. cette epoque, la divine Provi- dence leur menageait un secours tout a fait inattendu au sein des Universites protestantes d'Oxford et de Cambridge. Je veux parler du mouvemenl puseyste et ritualiste, qui devait donner a I'Eglise romaine tant d'illustres con- vert is. Le mouvement puseyste commenqa en 1833. II ne fut nullement du, comme son norn semblerait I'indiquer, aux efforts exclusifsdu docteur Pusey, pas plus qu'il ne represente, d'une maniere ade- quate, sa pensee personnelle. Le pus(!ysme fut avant tout une Reaction contre la decadence doctrinale de I'Eglise anglicane, et le defaut absolu d'autorite chez les pasteurs. En presence de I'anarchie qui divisait les esprits dans cette Eglise, en vojant, parmi ses pasteurs, les uns nier la necessite du bapteme, les autres mettre en doute I'inspiration des livres saints et la divi- nite de J^SUS-Chuist, tous, unanimement, reje- ter le magistere de ses eveques, quelques hommes de science et de foi, la plupart professeurs ou eleves de I'Universite d'Oxford, sentirent le besoin de reagir et de chercher, dans I'antiquit^ chretienne mieux etudiee, une base solide aux dogmes, a la morale et a la discipline. Le docteur Pusey et le docteur Newman se mirent a la tete de cette genereuse croisade, qui avait pris pour devise : II fan t en rcvenir a Fhglisc primitive ; la sen lenient est la vraie doctrine el la pure morale de Jcsns- Christ. Danikl O'Connell. Mais il arriva ce qu'on n'avait pas prdvu d'abord. En fouillant les profondeurs de I'anti- quite chretienne, on ne tarda pas a rencontrer le tuf catholique sous les decombres et les scories entassees par I'heresie. A partir de la fin de 1833, les hommes eminents qui s'^taient mis a la tete du mouvement publierent le resultat de leurs doctes recherches, sous la forme de tracts, ou traites pour le temps present. On y discutait toutes les questions controver- sies alors : le jeune, la confession auriculaire, la priere pour les morts, le culte des saints, le sacrifice de la messe, le celibat eccl(^siastique, I'autorite de I'Eglise ; et sur chacun de ces points, fideles a la methode qu'ils s'ctaient imposee, les redacteurs allaient chercher leurs preuves, non dans le raisonnemcnt particulicr,.selon Ic systeme LES MISSIONS CATHOLIQUE3 AU XIX'»e SIECLE. ordinaire des protestants, mais dans I'antiquite chretienne et dans la tradition conscienciense- ment interrogees. Or, a la stupefaction des lecteurs qui s'arra- chaient ces traites, a la surprise meme des savants professeurs qui avaient entrepris ces recherches, sur toutes les questions controversees entre catho- liques et protestants, il se trouva que la tradition et les saints Peres parlaient identiquement comme I'Eglise romaine. On comprend I'effet d'une pareille revelation sur les esprits intelligents et sur les coeurs droits. Eh quoi! cette vieille ]iglise de Rome, qu'on accusait d'idolatrie, elle avait pour elle le temoi- gnage de I'antiquite ! Sur tous les points en litige , les Peres apostoliques , les Iren^e, les Chry- sostome, les Ba- sile, les Grdgoire, les Augustin, etaient aussi pa- pistes que le der- nier vicaire de Londres! On avait remont6 jusqu'a la source pour ddcouvrir la vraie doctrine et la pure moraleduCllRlST, et Ton se trouvait inopiri^ment en presence du grand fleuve catholique. On aurait peine aujourd'hui a se representer I'int^- r^t passionn^ qui, pendant plusieurs annees, s'attacha aces controverses, surtout parmi les ministres et les membres les plus s^rieuxdel'Iiglise anglicane. Les rd- sultats ne se firent pas attendre. L'Eglise ctablie etait convaincue d'avoir altere profondement les dogmes du chris- tianisme. Parmi ses pasteurs, ceux que des preju g6s sectaires tenaient obstinement eloignes du catholicisme, se laisserent glisser peu a peu sur la pentedesol^edu rationalisme, et s'abandonnerent a un scepticisme decourage ; mais tout ce que I'Eglise anglicane renfermait alors de plus pieux et de plus distingue, les Spencer, les Newman, les Faber, les Palmer, les Manning, les Marshall, les Ward, les Capes, les Talbot, les Wilberfore, pour ne nommer que les plus connus, abandon- nerent leurs riches benefices, et, foulant genereu sement aux pieds toutes les considerations d'amitie, d'avenir, de famille, se convertirent au Son Em. le Cardinal Manning. catholicisme. Dans les cinq annees (1841-1S46) qui furent les plus fecondes du mouvement pu- sev'ste, on compta jusqu'a 60 ministres qui renon- cerent a I'Eglise etablie pour entrer dans la veritable Eglise de Jit.SU.S-CHRIST. Depuis, ce mouvement, bien qu'un peu ralenti, a continue, et si Ton voulait compter aujourd'hui tous les transfuges de I'Eg ise anglicane qui I'ont quittee pour se faire catholiques, on arriverait a plus de 1200. Un grand nombre de ces illustres transfuges de I'Eglise anglicane embrasserent le sacerdoce, et devinrent, en Angleterre, les colonnes de I'Eglise catholique. Les deux plus en vue etaient, il y a quelques annees, les cardinaux Manning et Newman. Le cardinal New- man, savant Ora- torien, s'occupait de vastes recher- ches, qui s'adres- saient surtout a I'elitede la societe anglaise ; le car- dinal Manning, archeveque de Westminster,etait a la tete du nouvel episcopat ; tous deux etaient en- vironnes du res- pect universel, et les protestants les premiers se mon- traient fiers de la haute situation qu'ils occupaient dans le pays. II y a quelques an- nees, les deux car- dinaux furent ad- mis aux grandes receptions de la cour, et I'aristo- cratie anglaise, si dedaigneuse d'ha- bitude, leur ouvrit ses rangs avec un empressement qui temoigne que nous sommes loin des temps de Henri VIII et d'Elisabeth. Le docteur Pusey n'eut pas le bonheur de suivre ses nobles amis jusqu'au bout. Apres avoir pris, en 1833, la tete du mouvement, il les aban- donna tous, les uns apres les autres, surle chemin de Rome, et, cherchantuncompromis impossible a trouver entre I'eneur et la verite, il essaya de former un parti mitoyen qui ne fut ni I'anglica- nisme, ni le catholicisme, qui repudiat a peu pres tout de I'Eglise officielle, excepte le nom, qui adoptat a peu pres tout de I'Eglise romaine, hormis I'autorite infaillible, sans laquelle elle ne serait rien. PROGRES DU CATHOHCISME EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE, 1800-1890. 37 C'est de ce compromis et de cet effort malheu- reii.x pour devenir catholiques, tout en restant protestants, qu'est ne le ritualisme. Un certain nombre de membres de I'Eglise ^tablie, ayant reconnu que les rites de I'Eglise romaine sont evidemment d'oricjine apostolique, crurent qu'il suffisait de reprendre les formes exterieures du catholicisme pour avoir le droit de se dire catho- liques, tout en evitant de rompre avec I'Eglise anglicane. On vit done, a la grande indignation des vieux protestants, reparaitre dans certaines eglises les vetements liturgiques, les cierges, I'enccns, I'autel, le tabernacle et jusqu'au confes- sionnal. Natureliement, les protestations ^clate- "^^ Son Em. le Cardinal Nlwman. rent : les cveques anglicans essayercnt, sans y parvenir, de ramener ieur clerge a I'observation pure et simple du rituel d'Elisabeth. Anathema- tises par leurs superieurs eccltisiastiques, aban- donnes d'une partie de Ieur troupeau, repousses par I'Eglise catholique, les ritualistes se trouverent bientot dans une situation fort difficile. Plusieurs se deciderent a faire le dernier pas vers Rome ; mais les autres, moins logiques, oubliant que, selon la parole du Maitre, toute branche qui n'est pas intimement unie au cep my.stiquc demeure sterile, continuerent sans m'ssion, sans ordination legitime, a jouer a la petite chapelle. A I'epoque du Concile du Vatican, un grand nombre de ces derniers ecrivirent au Souverain Pontife, demandant Ieur admission dans I'auguste 38 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"if SIECLE. Assemblee, comme membres et pa.steurs legi- times de I'Eglise catholique anglicane. Le cardi- nal Patrizzi leur repondit, au nom de Pie IX, en le.s exhortant a faire le dernier pas, et a entrer franchement dans I'Eglise catholique, en dehors de laquelle il ne pent y avoir que de miserables contrefacons de I'unique Societe etablie par Ji^sus-Christ. J'eus I'hoiineur, a cette epoque, de voir le docteur Pusey. II vint, en 1869, passer quelques jours a I'eveche d'Orleans, 011 il lut accueilli par la plus respectueuse sympathie. Quelques jours apres son depart, un membre du clerge orleanais demandait a Mgr Dupanloup ce qu'il pensait de ce personnage. Le prelat, mettant le doigt sur son front, se contenta de repondre d'un air de commiseration profonde : intricaius, imphcatus I II semble bien que ce sera le jugement definitif cle I'histoire sur cet horn me extraordinaire. Dou6 incontestablement d'une intelligence superieure au service d'un noble cceur, il manquait pourtant de nettete dans les idees ; une certaine etroitesse de vues, un certain einbroidllement d'esprit, pour parler comme I'eveque d'Orleans, I'empecherent toujours de voir les consequences logiques des premisses qu'il avait posees lui-meme et firent avorter de magnifiques esperances. Cet homme, qui avait fait entrer dans I'Eglise catholique des milliers de convertis, mourut protestant, comme il avait vecu. Aussi Pie IX le comparait finement a une cloche qui, placee sur le seuil du temple, appelle les fideles a I'eglise, mais n'y entre pas. Esperons qu'au dernier jour, tant d'ames qu'il a contribue a mettre dans la bonne voie auront plaide victorieusement sa cause au tribunal de i'eternelle mis^ricorde, et qu'apres s'etre dit et cru faussement catholiciue pendant toute sa vie, il aura reconnu, aux pieds du Souverain Juge, qu'il appartenait reellement par sa bonne foi, qui parait indeniable, a I'ame de cette Eglise unique qu'il a cherchee si longtemps, et dont d'invin- cib'.es prejug^s Font tenu jusqu'a la fin e.xte- rieurement separe. Ce grand ^branlement dans I'Eglise anglicane devait amener, a la suite des pasteurs, de nom- breuses conversions parmi les simples fideles. C'est ce qui eut lieu en effet, Depuis le debut du mouvement puseyste, chaque annee vit, surtout dans I'aristocratie, de nombreux retours rejouir le cceur de la vraie Eglise. II serait trop long de donner ici la liste de ces milliers de convertis. Pour faire connaitre le resultat general, il suffira de dire qu'il y a aujourd'hui bien peu de families de la Gentry qui n'aient quelques-uns au moins de leurs membres catholiques. En 1880, I'aristocratie anglaise comptait dans ses rangs : 38 pairs catholiques, 24 lords, 6 mem- bres du conseil prive, le vice-roi des Indes, les gouverneurs de Hong-Kong, de Singapour et de Maurice, 22 baronnets, 55 membres de la Cham- bre des Communes, sans parler d'un grand nom- bre d'officiers superieurs, de magistrats, de publicistes, d'hommes ^minents dans toutes les positions. L'aciion de I'apostolat catholique ne se res- treint pas a I'aristocratie ; mais il faut reconnai- tre que jusqu'ici elle a eu moins d'influence sur le reste de la nation. La grande majoritc, (•12.500.000), demeure par routine attachee a I'Eglise officielle ; une autre fraction importante, (pres de 16.000.000,) se partage entre les sectes dissidentes, qui, d'apres le Whitaker's almanak de 1882, s'elevent a 174 dans la Grande-Breta- gne. La plus importante de ces societes separees est celle des Presbyteriens, qui sont 80.000 en Angleterre et 1. 650.000 en r-cosse, ou ils forment I'Eglise etablie. Pour r^sumerles progres numeriques du catho- licisme en Angleterre, voici, de vingt ansen vingt ans, Its chiffres de la population catholique. lis sont empruntcs au.x documents officiels. En iSoo Angleterre. . Ecoise . . . 90 000 30.000 catholiques » Tota'. 120.000 » En 1820 Angleterre. . Ecosse . . . Total. 450,000 50 000 » 500.000 » En 1840 Angletene. . Ecosse. . . Total. 800 . 000 100.000 goo. 000 > En i860 Angleterre, , Ecosse. . . Total. I 1 00 . 000 220.000 » > I .320.000 > En 18S0 Angleterre, Ecosse . . Total. r . 300 000 320.000 I .620.000 » En 1890 Angleterre. . Ecosse . . . Total. 1.352.278 338.643 T ,690,921 > » En resume, le catholicismc vient en ce moment le second en iinportance numerique, immcdiate- ment apres I'Eglise officielle. Grace a sa forte hierarchie et au mouvement continu des conver- sions, qui, annde moyenne, s'elevent a plus de 10.000, on peut esp^rer qu'a la fin du XIX<= siecle, I'Eglise comptera environ 2.000.000 de fideles. Le progres des ceuvres a suivi tout naturelle- ment I'accroissement numerique. On se rappelle qu'au commencement du siecle, I'Angleterre et I'Ecosse rifunies comptaient a peine 60 chapelles, absolument indignes de la majeste divine. A mesure que les fideles se multipliaient, on a eleve de nouveaux temples. Avec le concours devoue de I'aristocratie catholique, qui s'est montree d'une geni^rosite sans limites, le sol de la Grande- Bretagne s'est couvert d'une splendide floraison d'edifices religieux, qui ne le cedent eti rien a ceu.x du Moyen-Age ; exemple, la pro cathedrale de Westminster, qui a coute a elle seule plusieurs millions. Y.w 18S0, il y avait, en Angleterre, 1259 eglises ou chapelles, et 305 en Ecosse. Ce PROGRES DU CATHOLICISM E EN ANGLETERRE ET EN ECOSSE. 1800-1890. 39 nombre s'accroit rapidement chaque annee. En 1890, il est de : Angleterre. Ecosse. 1.324 egli^es ou chapelles. Total. 1.628 Et ces eglises sont bicn aiix catholiques ; elles out etc elevees avec leurs sacrifices volontaires et leurs offrandes. L'Etat, qui n'a pas depense un centime pour leur construction, serait mal venu a en reclamer la propriete et a en garder la clef, comme on dit que cela se fait dans certains pays catholiques. A cote de I'eglise, est I'ecole, presque aussi necessaire pour la formation religieuse des nou- velles generations. En 1800, il n'y avait rien, on se le rappelle, hormis deux ou trois maisons d'education sur le continent, que la Revolution francaise supprirna. En 1840, I'Eglise comptait deja dans la Grande-Bretagne neuf colleges exclusivement catholiques, les uns, sous la direction des vicaires apostoliques, les autres, confies aux Benedictins, Dominicains, Jesuites. En iSSo, il y avait en Angleterre 23 colleges catholiques et 4 en Ecosse , total 27 etablisse- ments d'enseignement secondaire, sans parler de 600 ecoles de paroisses, donnant I'enseignement primaire a 118.000 enfants. Depuis, grace a I'expulsion des Jesuites et a la fermeture de leurs colleges en France, ce nom- bre a encore augmente, et c'est de 1' Angleterre protestante que la France catholique revolt au- jourd'hui des lemons de liberalisme. Au i<^' Jan- vier 1890, on trouve : Anglet. fecosse. seminaiies. ^Ihv. colleges, el^v. 1 1 3 80 ) 84 29 4 4C0 Total. 14 884 ?3 3-400 Anglet. Ecosse. Total pensionn. 6\h\. ec. pat'''^''= e\hv. 112 7.000 1.600 240000 10 650 4n 38.000 122 7.650 2.01 1 778.000 La liberte d'en.seignement est complete chez nos voisins. On ne connait pas chez eux d'uni- versite d'Etat. Les ecoles sont sous la surveil- lance des patrons qui les ont fondees, des con- gregations paroissiales qui paient le maitre, et des families qui leur confient leurs enfants. Le liberalisme anglais ne tolererait pas Tinge- rence de I'Etat venant se substituer au pere de famille, avec la pretention, au moins etrange, de connaitre mieux que celui-ci ce qui convient a son enfant. Le role du gouverncment se borne, en Angleterre, a inspecter les ecoles pour s'as- surer que tout s'y passe dans I'ordre, et a subven- tionner, sans distinction de maitres ou de cultes, les ecoles qui reussissent le micux ; c'est de la liberte et de I'cgalite vraies, et c'est precisement pour cela que ce .systeme, si liberal et si respec- tueux des droits superieurs de la famille, n'a aucune chance de s'acclimater chez nous. En 1830, Georges Spencer, second fils de Lord Spencer, se convertit au catholicisme. Ouelquesannees plus tard, il entrait dans I'Ordre austere des Passionnistcs, fonde au siecle dernier par le Bienheureux Paul de la Croix, dont I'attrait particulier fut, on le salt, de prier pour la conver- sion de I'Angleterre, conversion qu'il predit, avant de mourir, comme devant arriver un jour. Le P. Spencer consacra sa vie a etablir une vaste association de prieres pour obtenir le retour de I'Angleterre a la foi catholique. Cette association, qui se repandit bientot en France, en Italie et dans toutes les contrees catholiques, a plus fait peut-etre que tous les efforts exterieurs du zele pour la conversion de I'ancienne ile des Saints. GRjfcGOIRE XVI Bientot comme sous Taction d'un souffle venu d'en haut, on vit s'dpanouir, sur le sol de la Grande-Bretagne toutes les ceuvres de la charite catholique : des orphelinats se fonderent pour arracher les enfants abandonn^s a la propagande des IJ'or/c Iwuscs protestants ; des dispensaires, des hopitaux s'ouvrirent pour recevoir les mala- des ; des conferences de Saint-Vincent-de-Paul s'etablirent, dans les principales villes, pour visiter et secourir a domicile les pauvres que la charit(J officielle de Tanglicanisme laisse mourir de faim a cote des fortunes scandaleuses de Taristocratie; les Petites Sceurs des Pauvres, les Soeurs de Cha- rite reparurent sur cette terre ou le costume religieux avait ete si longtemps proscrit. L'into- lerance protestante fut forcee de s'incliner avec respect devant la coriiette de la fille de Saint- Vincent-de-Paul, et la reconnaissance publique protegea ces pieuses heroines du devouement catholique, dont Theresie avait perdu, depuLs trois siecles, la glorieuse tradition. 40 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlXf^^ SIECLE. En 1880, il y avait, en Angleterre, 330 cou- vents ou monasteres, et 39 en Ecosse. Toutes les grandes families religieuses, les Chartreux, les Trappistes, les Benedictins, les Premontres, les Dominicains, les Franciscains, les Jesuites, les Oratoriens, les Liguoriens, les Passionnistes, ont reparu sur ce sol, d'oii la main brutale de I'here- sie croyait les avoir arrachees pour jamais ; mais, selon la parole du P. Lacordaire, les moines sont comme les chenes, ils sont immortels. Et a cot^ des grands Ordres religieux du passe, on voit se multiplier de nouvelles Congre- gations : les Freres des ecoles chretiennes, les Ursulines, les Dames du SacreCceur, les Filles de Charitd, toutes les Congregations enseignantes et hospitalieres, qui etaient inconnues a I'ancienne Eglise d'Angleterre, sepanouissent librement sur ce sol laboure par la persecution, t^moignant de la prodigieuse fecondite du catholicisme en regard de la sterilite et de la secheresse de coeur de I'he- resie. Un grand acte du Vicaire de JlisUS-CHRlST est venu mettre le sceau a la resurrection de I'Eglise d'Angleterre ; je veux parler du retablis- sement de la hierarchie. Deja,par un bref en date du 30 juillet 1840, Gregoire XVI avait porte de quatre a huit le nombre des vicariats apostoliques. Ce n'etait pas assez : I'Eglise catholique avait donne en Angleterre assez de preuves de vitalite pour meriter de sortir de I'etat de mission. Le 29 septembre 1850, Pie IX, oar la bulle Univer- salis Ecclesia, reconstituait I'liglise d'Angleterre, en creant rarchevechc de Westminster, avec les douze eveches suffragants de Liverpool, de Sal- ford, de Shrewsbur}-, de Newport, de Nottin- gham, de Southvvark, de Birmingham, de Clifton, dePlymouth, d'Hexham, de Northampton et de Beverley. Depuis, I'^veche de Beverley a ete remplace par les deux eveches de Leeds et de Middles- brough, et I'eveche de Portsmouth a ete detache de celui de Southwark, ce qui porte a 14 lechiffre des eveches suffragants de Westminster. Le 26 fifvrier 1878, le Pape Leon XIII ache- vait I'ceuvre de son predecesseur, en retablissant la hierarchie en Ecosse. Aux trois vicariats apos- toliques alors existants, le Vicaire de JliSUS- Christ substituait deux archeveches : Edim- bourg et Glascow, avec quatre ^vech6s suffragants d'Edimbourg: Dunkeld, Aberdeen, Galloway et Argyll. Dans ces dernieres annees, Leon XIII vient d'adresser au peuple anglais une magnifique ency- clique pour I'engager a revenir en masse a la foi catholique de ses ancetres. On ne saurait encore juger completement de I'effet que produira sur le peuple anglais I'appel du Vicaire de Jesus Christ. Mais ce qui montre bien les progres que le catholicisme a fait dans I'opinion pendant la seconde moitie du siecle,c'est I'interet respectueux et passionne avec lequel a ete accueillie, dans toutes les classes de la societe, et meme parmi les plus hauts dignitaires de I'Eglise anglicane, la parole du Pontife supreme. Ouand Pie IX, en 1850, retablit la hierarchie, de violentes manifes- tations hostiles se produisirent dans toutes les grandes villes du Royaume-Uni. La bulle du Pape fut lacer^e et brulee sur les places publiques, avec deux mannequins, I'un representant Pie IX, I'autre, le cardinal Wiseman, premier arche- veque de Westminster. En meme temps, le Par- lement s't^mut, et par un bill, il defenditaux nou- veaux eveques de porter les titres que le Pape leur avait donnes. Rien de pareil aujourd'hui : la lettre pontificale est discutee partout avec conve- nance et moderation, et un grand nombre d'an- glicans n'ont pas craint de temoigner hautement de la respectueuse s}-mpathie que leur inspire la sollicitude du Souverain Pontife. C'est au temps qu'il appartient de faire lever ces germes et d'effa- cer des prejuges secu'aires ; a nous catholiques de hater par nos prieres I'heure de DiEU. * * * Voici le tableau du developpement de la hie rarchie depuis le commencement du siecle : En iSoo. — Angleterre 4 vii:aires apostol. Ecosse 2 vicaires apostol. Total 6 vicaires apostol. Angleterre 8 vicaires apostol. Ecosse ^ vicaires apostol. Total 1 1 vicaires apostol. Angleterre i arch. 14 eveq. Ecosse 2 arch. Total 3 arch. En 1S90. — Angleterre i arch. Ecosse 2 arch. Total 3 arch. En 1840. En iSSo. 14 4 eveq, ^vjq. dveq. eveq. ^veq. 43 pret. 12 > 55 pret. 608 pret. 60 > 66S pret. 2. 19S pret. .124 5> 2.522 pret. 2.447 pret 148 » 2.795 pret. A I'heure oili j'ecris ces lignes, I'Angleterre occupe une place d'honneur dans la hierarchie catholique. Sur son immense territoire, elle compte, dans les cinq parties du monde : 22 ar- cheveches, 99 eveches, 18 vicariats et six prefec- tures apostoliques ; elle range sous ses lois plus de 13.500.000 catholiques. Puissions-nous voir bien- tot I'antique ile des Saints revenir en masse a la foi de ses peres, dont I'ont separde, il y a trois siecles, la passion adultere d'Henri VIII et la politique haineuse d'Elisabeth ! Avec le develop- pement de son immense puissance coloniale, la conversion de I'Angleterre amenerait rapidement I'evangelisation du monde entier. ^^^^^X^^^y^^x^^^^^^^^^rf^^^^^^^ cjjaiJitrc Tioioicmt. Les missions SCANDINAVES, 1800-1890. E long des rivages de la Balti- que, le retour au catholicisme ne fait que commencci', et le developpeinent de I'apostolat est bien moinsavance que dans la Grande Bretagne, car c'est d'hier seulement que les catho- liques jouissent dans ces regions d'un peu de liberte ! Dans les premieres annees du XIX"-' siecle, un des eveques de I'Allemagne du Nord etait charge, avec le titre de vicaire apostolique des regions septentrionales, de pourvoir aux besoins religieux des quelques catholiques disperses dans ce pays. En 1830, Gregoire XVI nomma un vicaire apos- tolique special pour les missions du nord de I'Eu- rope ; mais le gouvernement danois ayant empe- che le titulaire de s'etablir dans sa mission, I'eve- que d'Osnabruck (Hanovre) continua de diriger, en qualite de provicaire, ces missions abandon- nees. En 1855, Pie IX crea la prefecture apostolique du Pole nord, qui fut confiee a un pretre zele, Mgr Bernard. Cette mission comprenait les deux Laponies suedoise et norwcgienne, I'Islande, les iles Feroe et le Groenland, possessions danoi- ses, les iles Sethland, les Orcades et la cote sep- tentrionale de I'Ecosse, avec les regions antarc- tiques de I'Amerique. Cette prefecture du Pole nord n'eut que quel- ques annees d'existence. En 1869, un decret de la Propagande la supprima et constitua ainsi les missions scandinaves : 1° La prefecture apostolique de la Norwege, qui fut confiee a Mgr Bernard ; 2° Le vicariat apostolique de Suede, titulaire, Mgr Studach ; 3° La prefecture apostolique du Danemark, avec les iles Feroe, le Groenland et I'Islande ; le premier prefet fut Mgr Gruder, cur^ de Copen- hague ; 4° La prefecture apostolique du Schleswig- Holstein, qui fut laissee provisoirement a I'eve- que d'Osnabruck ; 5° Les iles Orcades et Shetland, furent ratta- chees au vicariat septentrional de I'FIcosse ; elles forment aujourd'hui I'eveche d'Argyll ; 6" L'Amcrique arctique fut rattachee au Canada superieur. Elle fait partie du vicariat d'Athabaska-Mackenzie. Au mois de mars 1892, le Saint-Siege a eleve les prefectures de Norwege et de Danemark a la dignite de vicariats apostoliques, avec caractere Episcopal pour les deux premiers titulaires : Mgr Falize, vicaire apostolique de Norwege, et Mgr von Euch, vicaire apostolique du Danemark. Les missions scandinaves forment done desormais trois vicariats apostoliques. Ce fut seulement le 9 juin 1847 que furent abrogt^es les lois odieuses portees en Danemark contre les catholiques. Des lors commen9a pour cette Eglise renais- sante une nouvelle vie. Deux stations se fonderent aussitot.a Copenhague, lacapitale, et a Fredericia, dans le Jutland. En 1856, on vit arriver a Copenhague les Soeurs de Saint-Joseph de Chambdry ; c'etaient les premieres religieuses catholiques qui reparais- saient en Danemark depuis la Reforme. Aujour- d'hui, elles sont au nombre de no. Elles ont a Copenhague un noviciat, deux hopitaux, plusieurs pensionnats, ecoles et orphelinats ; deux ecoles superieures defilles, avec i76eleves, dont 121 pro- testantes ; onze ecoles paroissiales de garcjons, avec 316 eleves ; onze ecoles paroissiales de filles, avec 355 eleves. Au total, la mission de Dane- mark donne I'enseignement catholique a 95 i en- fants, dont pres de 200 appartiennent a des families protestantes. Un orphelinat de gargons est confie au.x Petits-Freres de Marie, et deux orphelinats de filles sont sous la direction des Sceurs de Saint- Joseph ; deux hopitaux comptent 130 lits. En 1869, I'erection de la prefecture aposto- lique du Danemark ouvrit pour le catholicisme I'ere d'un developpement plus rapide. Depuis I'emancipation, le gouvernement da- nois s'est toujours montre equitable envers les catholiques et leurs ceuvres. A I'exception de I'Islande, oii Ton n'a pas encore obtenu la liberte religieuse, I'Eglise jouit, dans ce petit royaume, d'une liberte qu'elle ne trouve pas tou- jours chez certains gouverncments qui se disent catholiques. En 1872, on ouvrit pres de Copenhague le college d'Ordrupoc ; cet etablissement, forme par une dame de I'aristocratie convertie, fut 42 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"!': SIECLE. confie aux RR. PP. Jesuites. II commenga avec 15 eleves, et il est devenu une des maisons les plus floiissantes du pays. Le nombre total des stations catholiques, au i^r Janvier 1890, s'eleve a 14. Copenhague, cinq stations ; puis Aarrhus, Odensee, Fredericia, Randers, Horsens, Svend- borg, Kolding et Reykiawick (Islande), Or- prupoe Voici la statistique comparce de la mission du Danemark, au moment de I'emancipation et en 1890. On verra ainsi facilement les progres acquis pendant ces quarante annees : Persoiitiel. En 1850 ; 3 missionnaires, 2 sta- tions, 300 catholiques. En 1895 : I vicaire apostolique, 38 mission- naires, dont 18 pretres seculiers et 20 religieu.x, 14 stations, 4.000 catholiques. Instituts reli- gieux : 1° Jesuites, 20 pretres, 5 scholastiques, 20 Freres coadjuteurs, au total : 45 religieux ; 2° Petits-Freres de Marie (Saint-Genis-Laval), 3 religieux , 3° Soeurs de Saint Joseph de Cham- bery, 1 10 religieuses ; 4° Soeurs allemandes de la Charite, 6 religieuses. CEuvres. En 1850, neant. En 1890, 10 eglises, 6 chapelles publiques, 6 oratoires, un college de Jesuites, 50 eleves, I ecole sup^rieure de gardens, 66 eleves. Plus les ecoles enumerees plus haut. -* * * Dans le royaume de Suede, la loi penale con- damnait jusqu'en i860, a I'exil et a la confis- cation, tout protestant qui eut tente de sortir de I'Eglise officielle. De plus, jusqu'en 1815, il y eut peine de mort contre tout pretre catholique surpris dans le royaume. Une pareille legislation, on le comprend, arretait net tout essai d'apos- tolat. Ouand Bernadotte fut appele, en 1806, au trone de Suede, il se montra pour son DiEU ce qu'i! s'appretait a etre pour sa patrie. L'liomme qui, en 18 14, marchait contre la France dans les rangs des allies, abjura par ambition le catholi- cisme, et fit elever son fils Oscar dans I'heresie ; mais les deux reines, Desiree, fern me de Ber- nadotte, et Josephine, femme d'Oscar I^'', ne suivirent pas ce honteux exemple. Avec leur protection, une chapelle catholique finit par s'ouvrir a Stockholm, et en 1833, Mgr Studach, aumonier de la reine, fut ^leve a la dignite de vicaire apostolique' et prit, en cette qualite, la direction des deux missions r^unies de Suede et de Norwege, qui comptaient alors environ ;300 catholiques, tous etrangers au royaume. En 1S58, la Cour supreme ayant condamne au bannissement et a la confiscation des biens six femmes coupables d'avoir abjure le luthe- ranisme pour se faire catholiques, I'Europe s'in- digna d'un tel attentat au droit de la conscience. Le scandale retentissant de cette affaire forca, en 1868, la diete de Stockholm a rapporter les lois portees contre les dissidents. On leur accorda le droit de sortir de I'Eglise officielle, mais avec bien des restrictions, et en leur im- posant des demarches difficiles. Enfin, en 1873, une loi plus liberale fut votde ; elle permit au.x dissidents de se separer, sans autre formalite que de declarer en personne leur intention au ministre lutherien ; mais nul n'est admis a faire cette declaration avant I'age de di.x-huit ans. Les mariages entre dissidents peuvent etre celebres, au choi.x, devant I'officier civil ou devant leur pro- pre pasteur. Les enfants issus des mariages mi.x- tes peuvent, mais sur la demande formelle des parents, etre eleves dans une autre foi que le lutheranisme. Nul enfant protestant ne peut etre recu dans les ecoles des dissidents avant quinze ans. Tous les Ordres religieux d'hommes et de femmes sont interdits dans le royaume. Les dis- sidents continuent, comme par le passe, a etre exclus des fonctions publiques. En 1878, cette derniere exclusion fut restreinte au roi, aux mi- nistres et au.x juges du royaume. Malgre quelques restrictions facheuses, cette loi permettait au catholicisme de vivre et de developper ses ceuvres. Mais la proclamation de la liberte religieuse devait porter un coup fatal a I'Eglise officielle. On vit bientot ce que valait cette unite factice dont elle etait fiere, et qu'elle maintenait, depuis trois cents ans, par la pros- cription. En quelques annees eclaterent dans son sein toutes les divisions du protestantisme : baptistes, anabaptistes, methodistes, swende- borgiens, pietistes, neo-lutheriens, en moins de di.x ans, se sont multiplies au nombre de quinze a vingt mille, en profitant de la permission qui leur etait donnee de secouer enfin le joug odieux de I'Eglise officielle. Les progres du catholicisme ont ete naturel- lement moins rapides, car il avait a se faire connaitre et a soulever la montagne de pre- juges entassJs contre lui par I'heresie. Depuis I'emancipation, la mo)-enne annuelle des conver- sions varie de quinze a vingt. En 1874, un ministre lutherien, M. Carle Carlen, se convertit au catholicisme, et fut ordonne pretre trois ans plus tard. En 1881, un second ministre protes- tant, M. Hellqvist, suivit cet e.xemple. En 1S84, douze etudiants de I'Universite d'Upsal entre- rent avec eclat dans I'Eglise romaine ; enfin le jour de la Pentecote 1S87, il y eut a i Stockholm 35 abjurations de protestants, dont plusieurs appartenaient au.K hautes classes de la societe. Le nombre des stations catholiques est de cinq : Stockholm, Malmo, Gothembourg, Hel- singbord et Gefflc. * * « Voici, du reste, la statistique religieuse de la Suede depuis I'emancipation : i860. — I vicaire apostolique, 2 missionnaires, I eglise, environ 200 catholiques. LES MISSIONS SCANDINAVES, 1800-1890. 43 iSjo. — I vicaire apostolique, 6 missionnaires, 6 eglises, environ 500 catholiques. /i?<5b. — 1 vicaire apostolique, 14 missionnaires, 8 eglises, 810 catholiques. 18^0. — I vicaire apostolique, 9 missionnaires, 9 eglises, 1145 catholiques. Meme progres pour les ceuvres. En 1S60. I hopital a St' ckholm. En iSgo. 6 stations : Stockholm, Gothembourg, Malmo, Geflie, Ammeberg et VVadstena. 3 ^coles primaires, gargons, 44 eleves. 3 ecoles primaires, filles, 240 eleves, dont 180 protes- tantes. 2 pensionnats, gar9ons, 5 pensionnats, filles, 3 hopitaux. Instituts religieux de femmes : 1° ScEurs de Saint-Joseph de Chamber)', 27 religieuses. 2° Filles de Marie, 9 religieuses. 3° Soeurs alle- mandes de Sainte-Elisabeth, 25 religieuses. Total : 3 communautcs de femmes, 6[ reli- gieuses. La situation religieuse est a peu pres la meme en Norwege qu'en Suede, bien que I'emancipation des catholiques y date de plus loin. En effet, c'est le 15 juillet 1845 que fut votee la loi qui accorde aux dissidents le droit de sortir de I'Eglise Stabile et la publicite de leur culte Les dispositions de celte loi sont les memes qu'en Suede. Norwege. — Eglise catholique de Christiania. En 1869, la Norwege fut detachce du vicariat apostolique de la Suede et erigee en prefecture. En 1879, a la demande du prefet apostolique, Mgr Bernard, la Sacr^e-Congregation de la Propagande confia une partie de la mission au.x missionnaires fran^ais de JS!otre-Uame de la Salette. Voici la stati-tique comparee de la mission : iS6g. — Personnel, i pref apost., 12 mission- naires, 7 religieuses de Saint-Joseph. CEuvres. — 2 stations en Norwege : la paroisse de Saint-Olaf, a Christiania, et la paroisse de Saint Paul, a Bergen ; 3 stations en Laponie : Tromsoe, Altengaard et Hammerfest. Nombre des catholiques : 220. i8()S. — Personnel, i vie. apost., 23 missionnaires, dont plusieurs pretres indigenes ; 4 commu- nautes de femmes ; 1° Soeurs de Sainte-Elisa- beth (Breslau), 1 1 Soeurs. 2° Soeurs de Saint- Joseph de Chambdry, t^t, Soeurs. 3° Adoration du Saint-Sacrement (Paris),3 Soeurs. 4° Soeurs de Charite de Bergen. Giuvres. — 5 stations en Norwege : Christiania, Frederick-Stad, P"red6rick-Shald, Bergen et Drontheim. 3 stations en Laponie : Tromsoe, Altengaard et Hammerfest. Nombre des catholiques: 875 ; 10 ecoles primaires, 275 eleves ; 1 catechumenat a Chriitiania, 5 hopitau.x. 44 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX""" SIECLE. Voici, pour conclure ce chapitfc, la situation resumee des missions scandinaves en 1892 : Danemaik Suede . . N orw^ge . vie. ap. I 1 » pref, ap. missionn. » 9 I 23 stations M 6 8 28 calhcil 4000 I 145 875 Total -» 1 70 6020 Dans les regions polaires, on voit quelquefois, apres les longues rigueurs de I'hiver, d'humbles fleurs pousser sur la neige et s'epanouir aux pales rayons d'un soleil d'avril ; c'est I'annonce du printemps et I'espoir d'une saison plus cle- mente. Tel est le spectacle que nous presentent en ce moment les missions scandinaves A [ires une longue nuit de trois siecles, le soleil de la verite catholique recommence a se lever sur ces regions desolees, Aussitot, au premier souffle de la liberte religieuse, on voit sortir de terre quel- ques eglises, deux ou trois monasteres, des ecoles, des hopitaux, des orphelinats, humbles et freles pousses de la vie catholique, si longtemps comprimee sous les glaces de I'heresie Espe- rons que c'est I'annonce d'un nouveau printemps spirituel, et que ces plages steriles vont se cou- vrir de fleurs et de fruits qui rejouiront le cccur de la sainte Eglise. ^^^ C^aiJitrc Qimtiicmc. ^^^ L'EGLISE CATHOLIQUE DANS L'ALLEMAGNE DU NORD, 1800-1890. rnxiii] iiiiiin-Trniir^'iiiiiir! luixiucixiiiinLiriiiix) IIn;iIlIIII]^IIIIIr!.IIIIITIJ iiiiitii^iiiiiiti iiiimriiiiiiD.riiiiii] iiiiiir] ^U commencement du siecle, I'E- glise catholique jouissait encore, en Allemagne, d'une grande situation politique. Voici ce ciu'ecrivait, dans ses Memoires, le cardinal Pacca, ancien nonce a Cologne : <■< Ouand j'arrivai en Allemagne, en I'an 1776, on poLivait dire que les eglises et le clerge de ce paj's t^taient au comble des grandeurs hu- maines. Deux sieges archiepiscopaux, Cologne et Treves, etaient occupes, I'un par un frere de I'empereur alors regnant, I'autre par le fils d'un roi de Pologne, electeur de Saxe. A la tete de toutes les autres eglises archiepiscopales, etaient places des prelats issus des plus illustres et des plus anciennes families. De vastes portions du sol de lAllemagne, les plus riches et les plus fertiles, appartenaient au clerge avec un droit de souverainetii temporelle. qui s'etendait sur plusieurs millions de sujets, Dans le college electoral, sur huit electeurs, trois etaient eccle- siastiques : les archeveques de Mayence, de Treves et de Cologne. Le college des princes allemands etait preside par I'archeveque de Salzbourg, et tons les eveques, ainsi qu'un grand nombre d'abbes, apportaient leur vote a la diete. » La Revolution frangaise et les longues guer- res de I'Empire mirent fin a cette situation. Devenuc pendant vingt ans le champ de bataille de I'Europe, I'Allemagnc vit remanier toutes ses circonscriptions, et, de pres de trois cents, le nombre des principautes independantes fut reduit a une trentaine. Naturellement, les elec- torats ecclesiastiques, les riches abbayes, les eveches furent sacrifies tout d'abord. Tous les biens d'Eglise qui, au \V1'= siecle, avaient echappe a la rapacite des protestants, furent secularises, et le congres de Vienne, en 181 5, s'empressa de ratifier ces spoliations. Au fond, cette spoliation, quelque injuste quelle fut en droit, etait-elle un malheur jjour I'Eglise d'AUemagne ? « Je n'ose le dire, » ^crit le cardinal Pacca ; et la raison qu'il en donne, c'est qu'on se vit debarrasse par la « de ces prelats de families princieres qui n'avaient, le plus souvent, d'autres titres de vocation que I'ambition de leurs proches et I'esprit d'avi- dite. » On se ferait difficilement I'idee de I'etat de degradation morale dans lequel ces mauvais choix episcopaux et I'esprit josephiste, alors universel en Allemagne, avaient fait tomber le catholicisme. Pour ne citer que quelques noms, I'archeveque de Cologne, archiduc Maximilien, frere de Joseph II, avait sur la discipline eccle- siastique tous les sentiments schismatiques de son frere, et les appliquait avec encore plus de raideur que lui ; I'archeveque de Treves, Cle- ment de Saxe, etait imbu des idees de Febro- nius, qui avait ete son auxiliaire, en qualite d'eveque de Myriophyte ; un des confidents de Napoleon, le baron Dalberg, archeveque de Ratisbonne, archichancelier de I'Empire et franc- macon notoire, etait un homme sans foi et sans moeurs ; un peu plus tard, le comte Speigel, archeveque de Cologne, etait lui aussi franc- macon et illumine. Que pouvaiton attendre de pareils pasteurs ? Le congres de Vienne aj'ant bouleverse toute I'organisation politique de I'P^glise d'AUemagne, en soumettant la plupart des eveches a des princes protestants, la premiere preoccupation du Souverain-Ppntife fut de reconstitucr les cadres de cette Eglise. Au mois d'aout 182 t, un concordat fut signe avec la Prusse : 11 etablissait pour la Prusse rhenane I'archeveche de Cologne, avec trois eveclies suffragants, Treves, Munster et Pader- born ; pour la Prusse orientale, le siege metro- politain de Gnesen et Posen, avec un seul suf- fragant. Culm ; deux sieges episcopaux, Breslau et Warmie, relevaient directement du Pape. Total pour tout le royaume de Prusse, huit sieges episcopaux. Sur la question materielle, le gouvernement prussien se montra large. II voulut qu'un traite- 46 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. ment convenable fut assigne aux eveqiies, a leur curie c[)iscopale et au clerge. C'etait justice d'ailleurs, car la rente payee sur I'Etat etait loin d'equivaloir au revenu des biens ecclesias- tiques secularises par la Prussc. L'election des ^veques fut reservee aux Chapitres, mais a la condition que I'elu fut agree du gouvernement. Malheureusement les premiers choix episcopaux furent deplorables : rillumine Speigel fut place a la tete de I'Eglise de Cologne, et pour les autres sieges, les Chapitres elurent des candi- dats plus courtisans qu'eveques. A la mcme epoque, aout 1821, le Pape recons- titua la province ecclesiastique du Haut-Rhin. Le roi de Wurtemberg, les grands-ducs de Bade, de Hesse, de Nassau, de Rlecklembourg, d'Oldenbourg, les villes libres de Francfort, de Breme et de Lubeck, avaient envoye en com- mun des deputes a, Rome, pour trailer de la reorganisation de I'Eglise catholique dans ces principautes protestantes. Le Pape institua un archevecht^ a Fribourg (Bade), avec quatre dveches suffragants, Mayence (Hesse), Fulda (Hesse), Rotembourg (Wurtemberg), Limbourg (Nassau). Le royaume de Hanovre g^irda ses deux eveches, Osnabruck et Hildesheim. Pour le royaume de Saxe, le Pape institua le vicariat apostolique de la Saxe royale, et la pre- fecture de Missinie et Lusace. Voici done quelle fut, apres la reorganisation, la hierarchie catho- lique dans la Prusse protestante : 3 archeveches, 12 eveches, i vicariat apostolique, i prefec- ture. Ces cadres sont restes a peu pres les memes, sauf la creation du vicariat apostolique d'Anhalt, le vicariat de I'Allemagne du Nord, confie a I'dveque d'Osnabruck, et la prefecture aposto- lique de Schleswig-Holstein. Je ne parle pas ici, et pour cause, des deux eveches de Metz et de Strasbourg, ravis en 187c a la P"" ranee par la Prusse. L'avenir a-t-il dit son dernier mot ? Attendons I'accomplis- sement des jugements de DlEU sur notre mal- heureuse patrie. L'Eglise dAllemagne avait done reorganise, en 1 82 1, sa hierarchie, brisee par les boule- versements politiques des premieres anndes du XIX= siecle. Malheureusement, il est plus facile de refaire des cadres que de ^changer, en quelques jours, I'esprit d'un clerge. Eleve depuis un demi-siecle dans les idees josephistes et cesa- riennes, le clerge allemand etait anime a cette Epoque d'un esprit tres facheux. Les deux uni- versites catholiques de Bonn et de Fribourg, 011 il etait forme, etaient detestables. Hermes, cha- noine de Cologne et professeur de I'universite de Bonn, nia, dans ses livres et dans son ensei- gnement, la distinction fondamentale entre la nature et la grace, et aboutit au rationalisme. Condamnf par Gregoire XVI, il se soumit, au moins exterieurement ; mais ses idfes firent longtemps de grands ravages dans le clerg^. Grace a la molle complicite de Mgr Speigel, le Chapitre de Cologne, les principaux postes du diocese, I'universite de Bonn, etaient remplis d'hermesiens. C'etait bien pis encore dans I'universite de Fribourg. Kn 1827, le doyen de la Faculte de theologie apostasia publiquement, se declara protestant et se maria. En 1830, les professeurs de la Faculte presenterent au grand-due pro- testant de Bade une petition pour demander le mariage des pretres. Plusieurs associations de pretres se form^rent pour reclamer I'abolition du cdlibat ecclesiastique. En Wurtemberg, on compta jusqu'a deux cents pretres enroles dans ces honteuses societes. Les gouvernements protestants favorisaient sous main ce triste mouvement ; les eveques se taisaient ; ce fut I'^nergie et la foi du peuple catholique qui sauva alors I'Eglise d'Allemagne. Partout le mepris public s'attacha aux apostats. A Fribourg, un jour de Fete-Dieu, la popu- lation indignee arracha I'ostensoir des mains d'un de ces pretres sacrileges. Dans le Wur- temberg, plus de quarante communes s'adres- serent au roi, declarant qu'elles aimaient mieux se passer de pretres que d'avoir des pretres maries. Dans le duche de Bade, pendant plu- sieurs mois, les populations s'abstinrent d'assis- ter a la messe de ces miserables ; le dimanche, on voyait de longues files de pelerins traverser le Rhin, pour venir, dans le diocese voisin de Strasbourg, entendre la messe d'un vrai pretre catholique. Une pareille attitude fit reflechir les apostats et les for^a de rentrer en eux-memes. Peu a peu ils revinrent au sentiment de I'honneur sacerdotal ; de meilleurs choix episcopaux pla- cerent sur les principaux sieges des homines apostoliques. En vingt _ ans, il se fit une reno- vation complete de I'PLglise d'Allemagne, et a I'heure actuelle, son clerge est un des plus meri- tants du monde catholique. Les gouvernements protestants firent tout ce qu'ils purent pour contrarier cette resurrection religieuse. Heritiers des traditions cesariennes de Napoleon, les princes allemands, en signant des concordats avec le .Souverain - Pontife, s'etaient reserve, i/i petto, d'y ajouter des arti- cles organiques, afin de maintenir sous le joug I'Eglise du CHRIST. La lutte s'engagea bientot en Prusse sur le terrain des viariages inixtes. On sait combien I'Eglise repugne a ces ma- riages entre catholiques et protestants, dans lesquels la foi des enfants est presque toujours sacrifiee, et dont le resultat le plus net est d'amener la famille a une deplorable indifference religieuse. La legislation ecclesiastique a ce sujet n'a jamais varie. Avant d'accorder la dispense, I'Eglise exige des deux parties la jDromesse for- melle d elever dans la foi catholique tous les enfants a naitre ; et pour temoigner I'horreur L'EGLISE CATHOLIQUE DANS L'ALLEMAGNE DU NORD, 1800-1890. 47 quelle a de ces tristes unions, elle enjoint a ses niinistres de n'y assister qu'en qualite de temoins, et sans les solennites ordinaires. Or ces mariages mixtes etaient aux mains du gouvernement prussien un instrument de prose- htisme et de perversion centre les catholiques. Inondant de ses fonctionnaires protestants les eveches des bords du Rhin, il les poussait sous main a s'introduire dans les families catholiques, afin de protestantiser peu a peu le pays. Dans ce peril imminent pour la foi, il est triste d'avoir a reconnaitre que les eveques catho- liques ne surcnt pas d'abord faire tout leur devoir. Kn 1828, I'archeveque de Cologne et ses suffragants avaient consulte le Pape sur la conduite a tenir dans ces conjonctures difficiles. Pie VIII leur repondit par le bref du 15 mars 1830, dans lequel il leur rappelle la discipline universelle de I'Eglise, et leur ordonne de I'ap- pliquer sans relachement. Le roi de Prusse trouva bon de supprimer la reponse du Pape, et I'archeveque Speigel trahit 1 i^glise, en signant, avec le ministre des cultes, une convention dans laquelle il promettait d'adoiicir la discipline. Or ces adoucissements n'allaient a rien moins qu'a ruiner toute la legislation ecclesiastique sur la matiere : plus de promesse d'elever les enfants dans la foi catholique, la chose est laissde a la conscience des parents ; quant a la solennite e.xtcrieure, on ne devra la refuser que dans des cas fort rares. (Convention entre I'archeveque de Cologne et le ministre des cultes, 19 juin 1834). Les trois suffragants de Cologne, Treves, Munster et Paderborn, donnerent leur adhesion. Gregoire XVI, ayant eu avis de cette con- vention clandestine, en parla au ministre de Prusse, qui nia d'abord. DiEU n'allait pas tarder a intervenir par des coups terribles. A la fin de cette annee 1834, I'archeveque Speigel, frappe par la mort, s'en allait rendre compte a DiKU de sa deplorable administration. II fut remplace sur le siege de Cologne par un veritable Pontife, Mgr Clement-Auguste de Droste-Vichering, frere de I'cvcque de Munster. Quelques mois apres, I'eveque de Treves fut frappe a son tour. Au moment de paraitre devant DiEU, il ecrivit au Pape pour retracter son adhesion et lui devoiler toute la fraude. Ces deux e.xemples ouvrirent les j-eux aux cou- pables. Les eveques de Munster et de Paderborn retirerent leur signature, et le nouvel archeveque de Cologne declara qu'il observerait la conven- tion conclue par son predecesseur, mais selon la teneur du bref pontifical et non autrement. Pour le punir de sa courageuse resistance, le gouver- nement prussien le fit jeter en prison (27 novem- brc i837y ; il y demeura jusqu'a la mort de frederic-Guillaume III (1840;. L'archeveque de Posen, Mgr Martin de Dunin, coupabledu meme crime, subit la meme peine. Cette persecution fut le salut de I'Eglise d'Allemagne. Le courage apostolique des deux confesseurs reveilla le clerge de sa coupable lethargie. On etait si bien habitue, depuis Jo- seph II, a voir I'Eglise plier devant I'Etat, que I'impression en Europe, aussi bien qu'en AUe- magne, fut profonde. Les catholiques apprirent a se compter et a se grouper autour de leurs pasteurs, pour la defense du droit sacre de la conscience. Les protestants, habitues a voir dans le prince le chef de leur Eglise, comprirent qu'il y avait dans le catholicisme un principe de resistance qui n'e.xistait pas chez eu.x. Ce fut comme un renouvellement du m}'stere de la Pentecote : les laches s'enhardirent, les tiedes se ranimerent dans la ferveur, de nombreuses con- versions de protestants vinrent rejouir et con- soler le cceur de I'Eglise. Le mouvement de retour datait de plus loin. Si les legeretes de la noblesse fran^aise, emigree a Coblentz, scandaliserent a bon droit la gra- vite des moeurs allemandes, par contre, I'atti- tude du clergi^ francais edifia, comme en Angle- terre, les populations protestantes, et ramena beaucoup d'esprits distingues a cette Eglise romaine, si calomniee et si meconnue de I'he- resie. Trois grands poetes demeures protestants, Gcethe, Schiller et Novalis, celebrerent en strophes emues les splendeurs du catholicisme. Au bout de trois cents ans de revoke, les esprits et les cceurs revenaient a la vieille Eglise. La decomposition du protestantisme aidait puissamment a ce mouvement de retour. Apres avoir commence par vouloir trouver tout dans la Bible, I'esprit d'examen, arrachant une a une toutes les pages du livre sacre, aboutissait au rationalisme pur. Revoltes des negations radicales de Strauss, de P'ichte et d'Hegel, voyant autour d'eux le protestantisme se dissoudre pour aboutir a I'in- credulite ou a un mysticisme sans doctrine, le pietisme, beaucoup de grands esprits et de nobles cceurs comprirent qu'il n'y avait de salut pour I'Allemagne que dans le retour au catholi- cisme. Ce mouvement de conversions continue tou- jours dans I'Allemagne protestante. Sans avoir I'importance de celui qui se manifeste en Angle- terre, il varie chaque annee de douze a quinze cents conversions. La Revolution de 1848 ebranla I'Allemagne, comme tout le reste de I'Europe. II y eut des emeutes sanglantes a Berlin et dans les princi- pales ville ; mais a Iheure oil les princes chan- celaient sur leur trone, I'Eglise catholique ou- vrait, en 1849 a Wurtzbourg (Baviere),Te pre- mier concile tenu en Allemagne depuis la Re- forme. A partir de ce moment, la renovation catholique s'accentua. Les Ordres religieux, Jesuites, Dominicains, Franciscains, les Congre- gations enseignantes et hospitalieres, reparurent sur cette terre d'oii I'heresie les avait si long- temps ecartes. — C'est a cette date (1849) que 48 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX""^ SIECLE. se fonda, sous les auspices de Pie IX, I'association du Pius Verein, pour la defense des interets catholiques. Chaque annee, au mois de sep- tembre, I'association se reunit dans quelqu'une des villes episcopales de rAllemagne. Partout, meme dans les centres reputes les plus hostiles, la vie catholique se manifeste avec eclat. On comprend que cette renaissance catho- lique est de nature a deplaire aux gouverne- ments protestants. Appuyes sur la franc-ma^on- nerie qui, en Allemagne comme dans le^ reste du monde, est I'adversaire implacable de I'Eglise, ils luttent de toutes leurs forces pour entraver la liberty des catholiques. Mais peuple et clerge ne sont plus ce troupeau timide, habitue a courber la tete devant toutes les pretentions de la bureau- cratic. En 1854, le grand-due de Bade ayant fait emprisonner I'archeveque de Fribourg, Mgr Hermann de Vicari, parce qu'il reclamait, selon son droit, la surveillance des ^coles catholiques, la libre administration des biens de I'Eglise et I'abolition du placet, il y eut une telle protes- tation de I'opinion publique, que le prince fut force de reculer et d'entrer en arrangements avec Rome. Mais c'est surtout dans ces derniers temps que s'est affirmee en Allemagne la force du parti catholique. En 1872, au lendemain du Concile, la lutte entre les pouvoirs civils et I'Eglise se generalisa et prit les proportions d'une veritable guerre religieuse. Apres avoir triomphe de I'Au- triche, a Sadowa, et de la France, a Sedan, le prince de Bismarck crut qu'il aurait aussi facile- ment raison de I'Eglise romaine, et il entama le culHirkaiiipf (la lutte de la civilisation). Les circonstances ne pouvaient etre plus favorables. A la suite des definitions du Concile du Vatican, une poignee de mauvais catholiques s'etaient bruyamment separes de I'Eglise. Ces sectaires, qui prenaient le nom de vieiix catho- liques, avaient pour chef le fameux Dcellinger et une vingtaine de professeurs, imbus des idees josephistes, qui dominent encore dans toutes les universites d'Allemagne. Naturel- lement les gouvernements s'empresserent d'en- courager de toutes leurs forces ce mouvement schismatique. Ils pousserent au.x defections et, partout oil la chose fut possible, livrerent aux vievx les eglises et les biens-fonds de la commu- naute, affectant de les reconnaitre comme les vrais representants du catholicisme. Malgre le tapage qu'on fit autour du schisme naissant, I'entreprise echoua piteusement. Le gouvernement prussien ne se decouragea pas de ce premier insucces. II prepara toute une serie de lois pour confisquer la liberte des catho- liques, et selon la tactique ordinaire aux enne- mis de I'Eglise, il commenca par s'attaquer aux Ordres religieu.x. Ceux-ci s'etaient merveilleusement multiplies en Prusse et dans le reste de I'Allemagne pro- testante, pendant le cours du XIX* siecle. Voici la statistique officielle de cet accroissement, empruntee a I'expose des motifs de la loi qui supprime, en Prusse, tous les Ordres religieu.x d'hommes et de femmes, a I'exception des Con- gregations hospitalieres (Loi du 10 mai 1875). D'apres cet exposd, il y avait dans le royaume de Prusse : En 1800, 15 cou\-ents d'hommes, 32 monas- teres de femmes. En 1855, 35 convents d'hommes, 157 monas- teres de femmes. En 1872, 115 couvents d'hommes, 836 monas- teres de femmes. A cette derniere epoque, a la veille de la dispersion, le nombre des religieux s'elevait en Prusse a 1.874 et celui des religieuses a 7763- Ne sont pas compris dans ces chiffres les reli- gieux et les religieuses de la province ecclesias- tique du Haut-Rhin : Wurtemberg, Hesse, duche de Bade et principautes independantes. II est probable qu'ils etaient a peu pres aussi nombreux. Comme toujours, les premiers coups Etaient tombes sur les Jesuites. Ils avaient eu, des le mois de juin 1872, les honneurs d'une loi spe- ciale d'expulsion ; mais, par une escobarderie qui fait sourire, un decret du Conseil d Etat declare affili^s a la Compagnie de Jesus les Redemptoristes, les Lazaristes, les missionnaires du Sacr^-Coeur et ceu.x du Saint-Esprit. En vertu de cette decision burlesque, tous les mem- bres de ces quatre Congregations furent chasses de Prusse, et leurs etablissements furent fermes dans le courant de 1873. Le terrain ainsi deblaye et les troupes auxi- liaires de la sainte Eglise licenciees, on s'atta- qua au clerge s^culier. C'est la marche ordi- naire. Par les trop fameuses lois de mai 1873, le parlement prussien mit brutalement la main sur toutes les libertes de I'Eglise. On y trai- tait de quatre objets : I'education des jeunes clercs, les nominations ecclesiastiques, les cen- sures episcopales et le changement de confession religieuse. Dans I'education des clercs, le gouvernement se faisait la part du lion : obligation pour tous les ecclesiastiques de frequenter pendant trois ans une universite d'Etat et de passer un e.xa- men devant des commissaires civils ; defense de crder de nouveaux scminaires episcopaux ; les anciens seminaires pourront subsister sous le controle de I'Etat, mais il leur est interdit de recevoir de nouveaux eleves. Pour les nominations ecclesiastiques, les eve- ques proposent les candidats, mais c'est le gou- verneur de la province, protestant, juif ou franc- ma^on, qui les institue et les depose. Ne peuvent etre nommes a un poste que les sujetsallemands, agrees par I'Etat, apres examen passe devant les commissaires civils. L'EGLISE CATHOLIQUE DANS L'ALLEMAGNE DU NORD, 1800-1890. 49 Ouant aux censures episcopales, il est defendu aux eveques de publier les peines canoiiiques qu'ils infiigent ; appel pent toujoiirs tJtre fait do ces censures aupres de la Cour des affaires eccle- siastiques. L'Etat devient ainsi juge supreme en matiere de discipline et meme de dogme quelquefois. La loi relative au changement de confession religieuse avait pour but de faciliter le schisine des vieux-catholiques. Une amende derisoire (60 centimes) dtait imposce a quiconque voulait changer de denomination religieuse. Comme sanction penale, tout ecclesiastique, preire ou eveque, qui refuserait d'obeir a ces lois, est puni d'une grosse amende, et en cas de reci- dive, il est condamne a la prison et a I'exil. C'etait la mise a execution de la vieille formule de Pharaon: Sapieith'/- o/>/>nwe»!!is eos,oppvimons- les avec sagesse. Par ces lois detestables, le gouvernement prussien confisquait d'un seul Mgr Melchers. coup toutes les liberies de I'Eglise : leducation des clercs, les nominations, les revocations, les censures, toute I'administration ^piscopale iui etait devolue. Dans ce nouveau systeme cano- nique, I'eveque n'etait plus qu'un chef de bureau, une sorte de prefet en soutane, charge de faire executer, sans observations, tons les ordres ema- nes du ministere des cultes. Heureusement le temps des Speigel et des Dalberg etait pass^. Le clerge d'AIlemagne tout Missions Calholiques. entier se montra admirable dans sa resistance. Apres avoir proteste, comme c'etait leur droit, centre ces lois de persecution, les eveques et les pretres opposerent aux attentats du pouvoir civil cette resistance passive qui use toutes les tyran- nies et finit presque toujours par en triompher. Pour diviser I'opposition, Bismarck avait tres habilement rattache son culturkampfTi. la question de rinfaillibilit^ pontificale ; comme la majority des eveques d'AIlemagne s'etaient montr^e dans 50 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. le concile opposde a la definition, il esperait jeter la division parmi eux et decourager la resistance. Son attente fut completement degue. Les memes ^vcques qui, tant que la discussion etait restee ouverte, avaient librement fait opposition a one definition qu'ils jugeaient inopportune, devinrent les premiers martyrs du dogme une fois defini. La persecution commenca par des amendes pecuniaires. En quelques mois, le chiffre des condamnations prononcees contre les eveques et les pretres refractaires s'tileva a plus de 6.000.000. Le gouvernement fit vendre aux encheres publi- ques le mobilier des presbyteres et des palais episcopaux. A la fin (avril 1875), il fit passer une loi qui supprimait purement et simplement toutes les dotations ecclesiatiques accor- dees en vertu des concordats passes avec Rome. Le paie- ment de cette dette sacree, puisque ces dotations represen- tent a peine le quart des biens seculari- ses par la Prusse en 1815, fut subordon- ne desormais a I'ac- ceptation ecrite de ce qu'on appelait pompeusement les lois de I'Etat. Sin- guliere maniere de payer ses dettes ! Mais depuis 1789, on salt qu'il n'y a pas a se gener avec I'Eglise du Christ. • Malheureusement pour les persecu- teurs, ils oublient toujours que I'Eglise ne se vend pas, et qu'elle trouve dans le devouement de ses fideles le mor- ceau de pain neces- saire a soutenir la vie de ses pretres. Apres avoir enlev6 au clerge toutes ses ressour- ces materielles, il fallut, selon la loi ineluctable des persecutions, faire un pas de plus et s'en prendre a sa liberte. En dix ans, plus de 3.000 pretres furent jetes en prison, internes loin de leur domicile, exiles hors du royaume. La encore, les premiers pasteurs donnerent I'exem- ple. Huit eveques se virent successivement con- damnes a la prison : NN. SS. Ledochowski, archeveque de Posen ; Melchers, archeveque de Cologne ; Brinckmann, eveque de Munster ; Martin, de Paderborn ; Blum, de Limbourg ; Eberhard, de Treves ; Jarnisewich, auxiliaire de Posen, et Baudri, coadjuteur de Cologne. Son Em. le Cardinal Ledochowskl Et comme la persecution est condamnce a aller toujours de I'avant, apres avoir emprisonne les eveques, on se vit force de faire un pas de plus dans I'arbitraire, en les destituant ; comme si un gouvernement civil, protestant ou catho- lique, pouvait a son gre donner et retirer la juri- diction ecclesiastique. Les archeveques de Posen et de Cologne, les eveques de Munster, de Bres- lau, de Paderborn et de Limbourg furent done invites gracieusement a se demettre de leurs fonctions episcopates, et, sur leur refus, destitues par une pretendue cour ecclesiastique, composee de protestants et de francs-macons. Ordre fut donne aux Chapitres de ces Eglises de pourvoir a la vacance des sieges, et defense fut faite aux pretres et aux fideles de reconnaitre pour leurs pasteurs les eveques frappes par Sa Majeste tres pro- testante le roi de Prusse. Naturelle- ment, pretres et fide- les mepriserent de pareilles pretentions, ce dont le gouver- nement profita pour mettre sa main ra- pace sur les menses episcopates, fermer les seminaires, de- sorganiser I'admi- nistration diocesaine et confisquer toutes les fondations ap- partenant a I'Eglise. La persecution fut aussi vlolente dans les cinq dioceses de la province du Haut- Rhin. Les gouverne- ments de Bade, du Wurtemberg, de Hesse et de Nassau se montrerent les dignes imitateurs de Bismarck dans I'ct-u- vre du culturkaui[>f. La Baviere catholique elle- meme, sous la direction du ministre francmacon M. de Lutz, entra dans la voie des persecutions. Tous les gouvernements de I'Allemagne du Nord se firent les allies de la Prusse dans sa guerre a I'Eglise catholique. Et quel fut finalement le resultat de tant de violences ? Cornme toujours, ce fut de menager un nouveau triomphe a la sainte Eglise. Par sa fermet(5 dans les plus dures epreuves, le clerge d'Allemagne a donne un magnifique exemple ; il a prouve hautement qu'il avait repudi^ comple- L'EGLISE CATHOLIQUE DANS L'ALLEMAGNE DU NORD, 1800-1890. 51 tement les traditions josephistes du passe. On avait fait bruyamment appel a I'esprit du schisme: sur plus de lo.ooo pretres, on est parvenu diffici- lement a recruter 53 apostats, a la tete desquels on a place le pseudo-eveque Reinkeins ; sur 16.000.000 de catholiques, en depit des faveurs gouvernementales, on n'a jamais pu rcussir a grouper plus de 50.000 schismatiques. Pendant ce temps, le peuple fidele se serrait autour de ses pretres et de ses eveques perse- cutes. Des le debut de la lutte, les catholiques allemands, reunis en congres general a Mayence, au nombre de 6.000, jetaient aux tyrannies gou- vernementales cette magnifique protestation : « Tous les essais qu'on pourrait tenter pour detacher les catholiques de leurs chefs legitimes seront vains et inutiles. » Les catholiques allemands ne reconnaissent WiNDTHORST. a aucun tribunal civil le droit de deposseder un eveque de son autorite spirituelle. lis ne recon- naissent comme cures et pasteurs de leurs ames que les pretres institues par le pape et leurs eveques legitimes. Les catholiques allemands defendront constamment, avec courage, leurs droits naturels de citoyens libres, les droits de la sainte Eglise et les droits du peuple allemand, centre la force brutale, bureaucratique et revolu- tionnaire.)) (Resolutions prises a I'assemblee gend- rale des catholiques allemands, tenue a Mayence les 15, 16 et 17 juin 1874.) Et comme ils I'avaient dit, ils le firent. lis s'imposerent de gt^nereux sacrifices pour secourir la noble pauvrete de leurs pasteurs ; ils s'exposerent a toutes sortes d'avanies, I'amende, la prison, pour faire respecter leurs droits de catholiques et de citoyens ; plus heureux et 52 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i= SIECLE. mieux iinis que les catholiques de France, n'etant pas divist's comine eux par des questions dynas- tiques, les catholiques allemands, groupes dans le parlement, au nombre d'une centaine, autour du grand orateur du centre, Windthorst, tinrent tete, pendant quinze ans, a la persecution ma9on- nique et protestante, et firent plus d'une fois ^chec a la politique de Bismarck. A la fin, il fallut bien se decider a entendre leurs reclamations et a en tenir compte. Apres avoir declare fierement qu'il n'irait pas a Canossa, le grand chancelier, vaincu pour la premiere fois, M. DE BlSWAKCK. se vit force de 'demander la paix au chef de I'Eglise. II pensait qu'il lui serait plus facile et plus avantageux de traiter directement avec le Pape, plutot qu'avec le parti catholique, exasp6re par quinze ans de lutte ; son espoir ne fut pas trompe. Le Vicaire de J^SUS CHRIST voulut user avec moderation de sa victoire ; il reserva les droits essentiels de I'Eglise, la libre adminis- tration des dioceses, I'organisation des seminaires sous la direction des eveques, la reintegration des pasteurs injustement eloignes de leurs postes, le r^tablissement des traitements ecclesiastiques ; il accorda au pouvoir civil un certain droit d'ins- pection dans les seminaires et autres etablisse- ments d'enseignement, avec le droit d'agreer les nominations faites aux differents postes par I'eveque. lin echange de ces concessions, M. de Bismarck promit une revision complete des lois de mai et la rentreedes Ordres religieux proscrits au debut de la lutte. Ce dernier point a deja ete execute en partie. Finalement, I'Eglise catholique sort singuliere- ment grandie et fortifiee de ces quinze annees de luttes. On peut dire qu'elle a fait ses preuves en Allemagne, et qu'on n'a plus a redouter les faiblesses et les scandales du passe. Repondant au centre catholique, pour le decider a voter I'arrangement conclu avec le Saint-Siege, L.eon XIII a fait du clerge allemand I'eioge le plus delicat et le mieux merite, en disant que, s'il n'a pas hesite a reconnaitre au pouvoir civil un cer- tain droit d'approbation dans le choix des titu- laires ecclesiastiques, c'est qu'apres le noble exemple d'intrt^pidite apostolique qu'a donne le clerge de I'Eglise d'AUemagne tout entier, le Vicaire de J liSUS-CllRlST n'avait pas a craindre qu'il yreut de mauvais choix possibles a faire dans ses rangs. Sans doute les traces de la lutte subsistent encore, et ne seront pas effacees de sitot : les Jesuites ne sont pas rentres, les archeveques de Cologne et de Posen ont dii donner leur demis- sion ; pour faciliter I'accord, ils restent a Rome dans un exil honorable ; un grand nombre d'oeu- vres, d'etablissements, d'associations utiles ont succombe ; mais I'Eglise catholique, la recouimen- ceuse eternelle, comme I'appelait Paul Bert, un de ses ennemis, ne se decourage pas facilement ; elle reprend chaque jour son ceuvre cent fois inter- rompue et cent fois reprise a nouveau. Resultat indeniable : dans I'Allemagne protes- tante, le catholicisme a fait de grands progres au cours du Xixe siecle. En 1800, il comptait, dans ces regions, un peu plus de six millions de fideles, dirig^s par un clerg(^ mediocre et un episcopat detestable. Aujourd'hui, apres les bouleverse- ments politiques et la perte de sa haute situation territoriale, il a reorganise sa hierarchie, reforme entierement I'esprit de son clerge, et, aux derniers recensements officiels, il comptait 16.231.724 fideles. En retirant 3.464.564 ames qui appartien- nent a la Baviere catholique, il reste pour la Prusse et les principautes protestantes de I'Alle- magne, 12.767.360 catholiques. Leur nombre a done plus que double en 90 ans. ziix::jiiiiiixiJXiJJDJixxiij_[iiJiriJj,iiixi_iJxiiiJixi]-ii-iJixiJ(iii!iiiiiTi^ i TTTTTTirTTTTTiT^ ^ rrrrmr j ®^« CljnjJitic cinriuitnic. ®>s® LaHOLLANDECATHOLIQUE,1800-1890 ~7-^>^ Ilollande, le catholicisme a *^^ brise, dans le cours de ce siecle, ^l? les chaiiies sous lesquelles I'in- \}A tolerance calviniste I'avait long- temps retenu captif. On a vu quelle etait, en 1800, la position '^^^i>^i^ En 1890 1.488.S52 » sur 4.138.332 » Et ces catholiques sont vraiment dignes de leur nom. L'immense majorite accomplit avec ferveur ses devoirs de Chretiens, tres peu se dis- pensent de la communion pascale, beaucoup s'approchent des sacrements plusieurs fois I'an- nee ; tons pourvoient genereusement a I'entretien de leurs eveques et de leurs pretres ; chaque ann^e ils offrent une somme considerable au denier de Saint-Pierre, et, quand il s'est agi de defendre le pouvoir temporel du Pape, 3.000 zouaves sont alles representer aupres du Vicaire de Jfeus-CHRIST I'Eglise re.ssuscitee de Hol- lande, chiffre enorme et, proportionnellement, le plus eleve de toutes les nations catholiques. Depuis cinquante ans, le gouvernement pro- testant de Hollande pourrait, par son liberalisme vrai, servir de modele a plus d'un gouvernement catholique. Dans ce pays, c'est la liberte com- plete, sans aucune de ces dispositions organiques, de ces entraves miserables, a I'aide desquelles le pouvoir civil s'efforce de reprendre d'unemain" les concessions qu'il s'est vu force d'accorder de I'autre. Les eveques administrent librement leurs dioceses, sans que I'Etat s'en mele ; partout ils elevent des eglises, des ecoles, des colleges, dans lesquels ils sont chez eux. Tons les Ordres reli- gieux ont droit de cite dans ce royaume. Pen- dant les luttes du culturkampf allemand, et plus recemment, lors des expulsions fran^aises, les religieux proscrits ont trouve un asile honorable sur cette terre qui leur fut longtemps inhospita- liere. Voici, d'apres les Missioues catholicce, la situa- tion religieuse de la Hollande au i*^"" Janvier 1890 : I archeveque, 4 eveques, 2.794 pretres, 1.42 1 eglises ou chapelles. 5 grands et 5 petits seminaires, 1.074 eleves ecclesiastiques. 76 colleges et pensionnats, 4.686 eleves. 668 ecoles de paroisse, 122.640 eleves. Quant a la petite Eglise janseniste.elle s'dteint lentement dans son obstination et le mepris public. En 1880, elle comptait 5.986 fideles. Au moment du conciledu Vatican, les schismatiques firent quelques demarches et montrerent certaines velleites de se reunir a I'Eglise romaine. II est probible que, laiss6s a eux-meines, les jansenistes auraient obei a ce bon mouvement ; mais les pre- tentions schismatiques de leur clerge ne leur ont pas permis, cette fois encore, de rentrer dans le sein de la grande Eglise, dont ils continuent a se dire les enfants, tout en refusant d'obeir a ses lois. J iTiriii"> Voila enfin une disposition liberale ; mais voyons la suite. Deux jours apres, les memes Etats diocesains concluaient entre eux une con- vention clandestine, par laquelle ils se garantis saient mutuellement le droit exclusifde surveil- lance, \e placet pour la nomination des professeurs et directeurs du seminaire, et la facultede prendre part aux examens par une Commission nommee par eux. Pour savoir comment ce droit fut exerce, il suffit de se rappeler qu'en 1835, le canton de Soleure voulut imposer a I'eveque, comme pro- fesseur de theologie morale, un pretre suspect dans sa foi et dans ses mceurs. On fut done force de renoncer au seminaire et, pendant },6 ans, les jeunes clercs furent obliges d'aller faire leurs etudes de theologie a I'etranger, sans surveillance de I'eveque. Pour attenuer un peu les inconv^nients d'un pared systeme, I'eveque de Bale organ isa dans sa maison un cours preparatoire a la reception des Saints Ordres ; ce cours, qui durait six semaines, etait manifestement insuffisant a la formation des nouvelles gen(^rations sacerdotales. C'est pourquoi, de guerre lasse, Mgr Arnold, deuxieme eveque de Bale, se dt^cida, en 1858, a subir les conditions des Etats diocesains ; il accepta tout : le droit d'inspection des commis- saires civils, le placet pour la nomination des professeurs, la commission pour les examens de cloture. Le Saint-Siege desapprouva hautement cette convention, qui sacrifiait les droits impres- criptibles de I'Eglise. L'eveque ne s'y 6tait resigne que contraint et force : « Pour le moment, disait I'infortune prelat en versant des larmes, cela vaut mieux que d'etre absolument sans seminaire. » On va voir comment les Etats diocesains userent des concessions qu'ils avaient arrachees a I'Eglise. En 1869, la conference diocesaine notifiait a Mgr Lachat, troisieme eveque de Bale, que la Tlu'ologie morale de Gury etait interdite pour I'enseignement du seminaire. Ce livre, qui est accepte comme un excellent manuel elementaire, a Rome et clans un grand nombre de dioceses, ^tait juge immoral par les protestants. L'eveque obtempera a I'injonction des Etats, et remplaga Gury par un livre tres estim6 en Am^rique, le Manuel de Mgr Kenrick, archeveque de Balti- more. Cette concession de Mgr Lachat fut consi- deree par la conference comme une iiiconvenante ironie, et sans meme avoir pris I'avis du prelat, elle supprima purement et simplement le semi- naire. Au fond, c'etait la qu'on voulait aboutir par ces miserables chicanes. Une fois ordonnds, les nouveaux pretres sont- ils enfin places sous la juridiction de leur eveque? Pas du tout. Dans certains cantons, I'Etat s'est reserve la collation des benefices ; c'est lui qui nomme et qui revoque les cures ; l'eveque n'est la que pour leur donner I'institution canonique. II est meme arrive plus d'une fois que, sur le refus de l'eveque d'accepter des pretres indignes pre- sentes par le gouvernement, celui-ci les a mis en possession du temporel des paroisses. Meme arbitraire pour la revocation des titu- laires ecclesiastiques. Dans le canton d'Argovie, la loi declare que les pretres qui ont charge d'ames seront nommes par les communes pour une periode de six ans, apres laquelle ils seront L'EGLISE DANS LES CANTONS SUISSES, 1800-1890. 65 soumis a la reelection ; s'ils ne sont pas reelus, le poste est declare vacant, et la commune procede a I'election d'un nouveau titulaire. Dans le canton de Thurgovic, les pretres peuvent etre revoques par les communes qui les ont elus, en tout temps et sans dedommagements. Dans le cours de ce siecle, I'Eglise catholique a ^te spoliee, en Suisse, d'une fortune de plusieurs millions de biens fonds. On ne lui a pas meme laisse la libre administration des quelques biens qui lui restent. Dans les cantons d'Argovie, de B'Xle, de Berne et de Soleure, I'administration de tous les bisns ecclesiastiques est confiee a des d(^l(fgues civlls. L'Eglise n'a pas meme voix consultative, et on ne rend aucun compte a leveque de I'emploi de ces fonds. Dans les cantons de Lucerne et de Thurgovie, on veut bien accorder au commissaire episcopal le droit de prendre connaissance de I'emploi des fonds d'Eglise ; c'est une simple politesse, qui n'engage d'ailleurs a rien. Voj'ons maintenant I'emploi que I'Etat fait de ces biens. Les revenus d'un grand nombre de prebendes et de chapellenies sont appliques aux ecoles du gouvernement. Dans le canton d'Argovie, on a supprime beaucoup de benefices a charge d'ames ; d'autres sont laisses indefiniment sans titulaires, afin de jouir des revenus. Presque dans tous les cantons, les fonds des ecoles catholiques ont etd confisques pour ouvrir des (Jicoles ncutres, dans lesquelles les protestants dominent, et que les enfants catholiques ne peu- vent frequenter, sans s'exposer a. perdre leur foi. Dans toutes les ecoles, c'est le gouvernement qui nomme le maitre, c'est lui qui surveille I'en- seignement religieux et choisit les livres. Deja Argovie et Thurgovie ont supprimd dans les ecoles I'enseignement du catechisme. Une disposition constitutionnelle, votee recem- ment, interdit aux pretres et aux membres des corporations religieuses les fonctions d'institu- teurs ou d'institutrices dans les ecoles de I'Etat. Comme on le voit, c'est la perfection du syst^me ma(jonnique : enseignement lal'que, obligatoire et pas du tout gratuit, puisqu'il est subventionne en grande partie a I'aide des fonds enleves aux catholiques. Apres avoir expose la persecution que I'Eglise subit dans le diocese de Bale, les 6veques de Suisse passent a la situation vraiment deplorable du Tessin. Ce pays, qui, comme on I'a vu, fut rcuni a la Suisse en 1803, forme un canton tout catholique, dont la population, en 1870, s'^levait a 1 30.000 ames. Malheureusement, depuis 1840, les radi- caux .se sont empares du pouvoir et ils oppriment indignement la majorite catholique. Du jour oil le Tessin entra dans la Confede- ration, les autorites fedcrales manifesterent le dcsir, tres legitime d'ailleurs, que ce pays fiit Missions Catholiques. detache des dioceses italiens de Come et de Milan, pour etre erige en diocese. Le Souverain Pontife ne demandait pas mieux que de satis- faire a ce desir ; mais I'avenement des radicaux rendit bientot toute negociation impossible. lis commencerent, malgre les protestations du Pape et des eveques, par fermer le seminalre de Pol- Idgio et tous les colleges catholiques ; ils revo- querent ensuite les chanoines et interdirent a plusieurs pretres toutes fonctions ecclesiastiques, et jusqu'a la messe. En compensation, le gouver- nement cantonal rehabilita un certain nombre de pretres interdits, et les installa dans les paroisses avec I'assistance de la force militaire. Pris d'une veritable monomanie de sacristain, le meme gouvernement defendit, sous des peines tres severes, les pclerinages, les missions parois- siales, les retraites ecclesiastiques, le jubile ordon- ne en 1850 par Pie IX pour I'Eglise universelle, et jusqu'au mois de Marie, meme dans les mai- sons particulieres. Une amende de 100 francs etait prononcee contre le proprietaire de la maison 011 se serait tenue la reunion, et chacun des assistants etait puni de 4 francs d'amende. Une pauvre veuve, ayant chante chez elle un cantique de la Vierge, fut condamnee de ce chef a 4 francs d'amende. Au mois de mai 1854, le gouvernement car- tonal elabora une loi ecclesiastique pour leTessii . Dans cette loi organique, I'Etat s'arrogeait le droit de patronage et de nomination a tous les benefices, avec la faculte de disposer de toutes les fondations et biens d'Eglise, d'eriger et de supprimer des paroisses ; il accordait aux com- munes la permission de revoquer en tout temps leur cure et de proceder a de nouvelles elections ; le placet de I'Etat ^tait exige pour tout acte emane du Saint-Siege ou de I'eveque ; par contre, les cures etaient tenus de lire en chaire, et sans commentaires, tous les actes de I'autorite civile ; enfin, pour mettre le comble a tant d'innovations schismatiques, le gouvernement cantonal defen- dait aux eveques de Come et de Milan de faire d&ormais aucun acte de juridictiondans le pays. Le clerge du Tessin protesta contre une pareille loi ; il demanda au Conseil federal qu'on voulut bien au moins s'adresser au Pape pour faire sanctionner tant d'innovations. Voici la reponse qu'il recjut des patriciens de Berne : « Le Conseil fc^deral ne voit pas de motifs d'intervenir dans ces matieres, attendu que le libre exercice du culte catholique dans le Tessin n'a recu aucune atteinte. » Cependant Rome se preoccupait d'ctablir un siege episcopal dans ce paj's ; mais le nouveau gouvernement cantonal declara qu'il refusait I'erection du siege episcopal reclame par ses predecesseurs, et demanda I'adjonction du Tessin au diocese de Coire ou a celui de Bale. C'etait se moquer du Saint-Siege ; I'union demandee etait impossible a cause de I'eloigne- ment, de la difficulte des communications a B6 LES MISSIONS CATHOLIQUES AO XIX"ie SIECLE. travel's des montagnes inaccessibles, et de la difference des idiomes, le Tessin etant de langue italienne, pendant que Coire et Bale sont de langue allemande. Cependant le gouvernement tessinois n'en poursuivit pas moins sa pointe, avec I'obstination implacable de I'esprit sectaire. N'ayant pu ame- ner Rome a ses vues, il s'adressa a la diete federale, et demanda la rupture de I'union dioce- saine. Le 12 juillet 1859, I'assemblee federale, sans tenir compte des droits acquis, sans^ se preoccuper de pourvoir au gouvernement spiri- tuel de 130.000 catholiques, decretait que les eveques de Come et de Milan n'avaient plus aucune juridiction dans le Tessin. Depuis lors, le canton du Tessin se trouva officiellement en dehors de la hierarchie catho- lique. Le gouvernement n'y reconnut pendant longtemps I'autorite d'aucun eveque, et les pre- tres fideles a leur devoir furent obliges de s'en- tourer de mille precautions pour communiquer avec leur superieur legitime ; autrement ils s'exposaient a se voir ecrases d'amendes, jetes en prison, revoques ou exiles. Four faire cesser cette situation navrante, Pie IX proposa de charger provisoirement un vicaire apostolique de I'administration du canton. Cette offre paternelle fut repoussee, parce que le Conseil d'Etat emit la pretention de nommer lui-meme le vicaire du Souverain Pontife. En vain le Pape, pour calmer toutes les defiances, promit de fi.xer son choix sur un pretre agreable au gouvernement tessinois. Celui ci s'obstinadans ses pretentions insoutenables, et les negociations furent rompues. Tel est, en resume, le Memoire adresse en 1 87 1, par tous les eveques de Suisse, a la diete federale. J'ai laisse de cote bien des plaintes accessoires au sujet de la suppression des fetes, du mariage civil, du divorce, des attaques conti- nuelles de la presse contre I'Eglise ; mais il y en a assez pour faire connaitre I'oppression des catholiques par une majorite sectaire, composee de protestants et de francs-masons. * * * A I'epoque oil parut ce remarquab!e Memoire, I'Eglise catholique allait entrer, en Suisse, dan-, une periode de crise aigue. C'etait en 1871, au lendemain des definitions du concile du Vatican et de I'ecrasement de la France par la Prusse Un souffle d'impiete, de persecution et de haine passait sur I'Europe. Bismarck venait de com- mencer son fameux kitltnikautpf, la P'rance etait impuissante, la Revolution triomphait a Rome. Evidemment il n'y avait plus a se gener avec I'Eglise. La persecution s'etendit a toute la Suisse, mais elle s'exer^a surtout dans les cantons de Geneve et de Berne, ces deux foyers du radica- lisme et du protestantisme. Je vais resumer aussi succinctement que pos- sible cette lamentable histoire. 11 est certain que lorsque Mgr Eugene Lachat, eveque de Bale, revint du concile, il etait con- damne d'avance par la majorite des Etats dioce- sains. Sur les neuf cantons qui composent le diocese de Bale, cinq cantons, Berne, Soleure, Argovie, Thurgovie et Bale-campagne, etaient decides a se debarrasser a tout prix du prelat ; deux cantons, Bale-ville et Schaffhouse, restaient neutres ; seuls, les deux cantons de Lucerne et de Zug demeuraient fidelement attaches au pre- mier pasteur du diocese. Quel etait done son crime ? C'etait d'avoir fait partie, au concile, de la majorite infaillibiliste, et surtout, ce qu'on se gardait d'a\'ouer, de montrer, dans la revendication des droits de I'Eglise, plus de fermete et de zele que ses predecesseurs. Pour entamer la lutte, il fallait un pretexte, II fut vite trouve. Quelques mauvais pretres, une dizaine environ sur 675 que comptait alors le diocese de Bale, protestaient bruyamment contre rinfaillibilite du Pape. Mgr Lachat, apres avoir epuise toutes les longanimites du zele episcopal, se vit forcd d'interdire deux des plus compromis, les nommes Egli et Gchwind, du canton de Soleure. Le 19 novembre 1872, la conference dioce- saine se reunissait a Bale, et, a I'exception des representants de Lucerne et de Zug, elle prenait a I'unanimite les decisions suivantes : 1° Le decret du concile du Vatican reLitifii rinfaillibilite pontificale n'e^t pas leconnu par les Etats, et il ne peut lui eire attribue aucune valeur legale. 2° 11 est interdit k I'eveque de proiioncer des censures contre le5 pretres qui refusent de croite k rinfaillibilite du Fape. 3" II est interdit de rdvoquer, pour quelque raison que ce soil, les pretres du diocese, sans la participation des autorites cantonales. 4° Un delai de quatorze jours lui est accorde pour rendre raison de sa conduite k la conference des Etats dioce'sains. 5" Dans le nieme ddlai de quatorze jours, I'e'veque est somme de lever, sans conditions, les excommunications prononcees contre les cures Egli et Gchwind. 6° II est fortement invite k revoquer de ses fonctions M. Duret, chancelier episcopal. 7° A I'expiration du delai ci-dessus, la conference dio- cdsaine se reuniia de nouveau, pour prendre, s'll y a lieu, des decisions ulterieures. La lutte a mort t;tait engagee I Le 21 decembre, Mgr Lachat repondait point par point a ce decret, oil I'insolence le dispute a I'absurde. Je ne puis m'empecher de citer les passages les plus remarquables de cette noble reponse episcopale. « 1° Un eveque ne peut jamais se soumettre k une defense quelconque d'enseigner les vcrites et les dogmes de la foi. J'esp^re, Messieurs, que le simple bon sens vous suffira pour Ic comprendre. > 2" L'eveque peut, et doit, de sa seule autorit^, juger le prelre qui attaque la doctrine de I'Eglise et trahit les devoirs de son minist^te. Far consequent, il a le droit et L'EGLISE DANS LES CANTONS SUISSES, 1800-1890. 67 le devoir d'appliquer librement, et sans le concours de I'autorite civile, les censures ecclesiastiques. » 3° Vous ne voulez pas que I'eveque de Bale prononce, sans votre autorisation, aucune revocation, pour quelque motif que ce soit. Cependant le pouvoir teniporel a, dans mon diocese, destitute plusieurs excellents pretres, non seulement sans le consentement de Tautorite spirituelle, mais centre ses protestations reiterees. L'eloignement d'un cure de sa paroisse ressort evidemnient de la juridiction episcopale. L'^veque ne peut tolererque des loups ddvorent son troupeau . > 4" Permettez-moi de vous declarer, Messieurs, que je ne vous reconnais pas le droit de m'intimer, dans des questions dogmatiques et disciplinaires, I'ordre de venir me justifier K votre barre. D'ailleurs k quoi bon cette justification ? Vous m'avez condamne avant de m'en- tendre . > 5° Vous me sommez de r^habiliter deux pretres jus- tement interdits. La rehabilitation de ces pretres exrom- munies depend avant tout de leur bonne volonte. Qu'ils reviennent k la foi de I'Eglise, qu'ils fas?ent penitence et reparent le scandale ; alors je les recevrai k bras ouverts. » 6° En m'invitant k eloigner le chancelier (Episcopal, vous me mettez dans la necessite de vous dire qu'il ne relive, sous aucun rapport, de votre autorite. 11 est mon secretaire, mon aide, et il appartient k ma famille episco- pate. Qu'il me suffise de declarer que je suis seul juge ici, que j'apprecie infiniment son activitc, son devouement, ses merites et ses vertus. » 7° Vous me montrez en perspective des mesures sdveres, si ma reponse ne satisfait pas vos desirs. II est un silence plus Eloquent que tons les discours ; c'est pour- quoi je m'abstiens de toutes remarques. > Cependant encore deux mots pour finir. Dhs mon enfance, on m'a appris k craindre DiEU plus que les hommes. Dois-je maintenant, pour m'eviter quelques desagrements passagers, m'etablir en eveque iraitre et parjure ? Irai-je conttister ma Mere la sainte Eglise et mes fideles dioce'sainsPOh ! qu'on ne I'esp&re pas. Non, jamais ! J'aime cette male devise : Potius mori quam fwdari; Plutot mourir que de vivre deshonore ! > Apres cette courageuse reponse, I'eveque de Bale s'etait irrevocablement condamne. Le 17 Janvier 1873, cinq cantons, Berne, Soleure, Argovie, Thurgovie et Bale-campagne, destituent Mgr Lachat et declarent le siege vacant. Le' I" fevrier, le gouvernement de Berne envoie une circulaire au.x pretres du canton, leur enjoignant de cesser toutes relations avec I'e.x- eveque Lachat. Le 4 fevrier, Mgr Lachat pro- teste contre sa destitution par les cinq Etats dio- c^sains. 9 fevrier. Le chapitre de Soleure, a runanimite, refuse de reconnaitre la destitution de Mgr La- chat. 15 fevrier. Le gouvernement de Soleure fi.xe au 14 avril le delai accorde a Mgr Lachat pour evacuer la demeure episcopale. 18 fevrier. Tout le clerge du Jura bernois, au nombre de 72 pretres, declare qu'il continuera a regarder Mgr Lachat comme son seul et legitime Eveque. 20 fevrier. Le gouvernement de Berne somme les 72 pretres d'avoir a retirer leur signature. 18 mars. Le Conseil d'l^tat de Berne suspend de leurs fonctions les signataires de la protestation. Ceux-ci en appellent. 16 avril. L'eveque de Bale est expulse de sa demeure. II se retire dans le canton de Lucerne. 18 septembre. La Cour d'appel de Berne rejette le pourvoi des pretres du Jura. II leur est interdit de remplir aucune fonction ecclesiastique dans le canton. Malgre les protestations des conseils des paroisses, le gouvernement s'einpare des eglises et des presbyteres, et y installe des miserables venus de tous les dioceses, qu'un illustre eveque, Mgr Dupanloup, appelait « la boue des siecles. » 12 decembre. Le Conseil federal envoie ses passeports au nonce, et rompt tous ses rapports diploinatiques avec Rome. * » * Voila done quelle etait, a la fin de 1873, la situation religieuse du Jura bernois : le culte catholique public supprime dans 76 paroisses ; les pretres chasses des eglises, des presbyteres, des ecoles, des hopitaux ; le culte prive s'exer9ant dans les granges, dans des hangars improvises, avec mille restrictions genantes ; defense au.x pretres de paraitre dans les ecoles, de presider au.x enterrements, de faire aucune fonction en dehors des maisons particulieres. Sous tous les pretextes, et le plus souvent sans pr^textes, ils sont emprisonnes, jetes pele-mele avec les pires malfaiteurs, nourris au pain et a reau,quelquefois meme prives de nourriture. Cependant les pretres intrus se voyaient rejetes avec horreur par le peuple catholique. Pendant les rigueurs de I'hiver.les populations s'entassaient dans les granges autour de leur pasteur, les apostats restaient seuls dans leurs Eglises voices. A Porrentruy et a Delernont, les deux principaux centres du Jura, on comptait en moyenne de douze a quinze assistants a la messe de I'intrus. Dans la plupart des autres paroisses, il restait seul avec son sacristain et la miserable creature qui vivait avec lui. La fidelite des catholiques jurassiens fut vraiment admirable. Pour en triompher, le gouvernement de Berne essaya de I'intimidation. Un grand nombre de maires, d'adjoints, de conseils paroissiaux furent suspendus ou destitu6s, pour n'avoir pas voulu cooperer au schisme ; des femmes, des enfants furent jetes en prison, pour avoir leve les epaules ou souri au passage de I'intrus ; les Ursulines de Porrentruy furent chassees du pays, pour avoir refuse I'entree de leur chapelle et de leurs ecoles au fameux Pipy, dit Deramey, le cure schisma- tique de la ville. Toutes ces tracasseries ne suffisant pas, un decret du 31 Janvier 1874, pour assurer la paix confessionnelle, expulsa du canton de Berne tous les pretres fideles, au nombre de 87. La plupart se refugierent en France ou dans les cantons voisins. Le canton catholique de Soleure eut I'indignite de fermer ses portes aux pieu.x con- fesseurs de la foi. 68 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. Les catholiques jurassiens, prives de leurs pretres, ne s'abandonnerent pas. Ceux qui resi- daient dans les paroisses limitrophes de la France passaient la frontiere chaque dimanche, pour assister a la messe de leur pasteiir. La Prusse, complice et instigatrice de la persecution, interdit ces pieux pelerinages pour TAlsace-Lorraine. De son c6t6, le gouvernement de Berne prit des mesures arbitraires pour surveiller et rendre k peu pres impossibles ces voyages, qu'un arrete prefectoral qualifiait de conlraires aux bonnes moeurs. On se contenta alors de ce que les fideles appelaient /e culte de la grange. Chaque dimanche, ils se reunissaient autour de leur autel desert ; on chantait les prieres de la messe, le kyrie, le credo ; on lisait le prone que le cure exile envoyait rcgulierement chaque semaine ; on s'encourageait en commun a souffrir ; on priait pour les persecuteurs. Jamais les paroisses du Jura n'avaient temoigne plus de regularite, plus de ferveur, que pendant ces annees nefastes. Pour assister les malades en danger de mort, les pretres exiles se glissaient de nuit, a travers les montagnes, sous tous les deguisements. Jura uernois (Suisse). — Le culte c.\tholique a Porrentruy, en 1S74, d'apr^s une photographie. Reconnus ou trahis, ils se voyaient arretes, jetes en prison, reconduits a la frontiere, apres avoir subi toutes sortes de niauvais traitements. Plus d'un manqua d'y laisser sa vie. Mais, grace au zele des pasteurs, a la fermete des fideles, et sans doute a Taction providentielle, qui voulait recompenser la foi de ce bon peuple , on remarqua avec admiration que, pendant toute cette crise qui dura pres de deux ans, pas un malade ne mourut sans avoir recu les sacre- ments. A la fin, la patience du peuple catholique j triompha de la haine des persecuteurs. Deja plusieurs fois, les deputes catholiques avaient courageusement eleve la voix, a la diete federale, pour rcclamer contre I'oppression dont leurs coiicito}-ens etaient victimes. Au mois d'octobre 1875, le Conseil federal se decida enfin a inviter le gouvernement de Berne a rapporter ses arrets d'expulsion. Forces d'obeir, les radicaux bernois se haterent de forger une nouvelle loi pour res- treindre, autant que possible, I'exercice du culte prive, le seul qu'il fut permis aux cures revoques d'exercer. L'EGLISE DANS LES CANTONS SUISSES, 1800-1890. 69 Voici les principales dispositions de cette loi : Art. I". II est defendu de mettre en danger la paix confessionnelle en attaquant les adhe'rents d'un autre cuke. Les contrevenants sont punis d'une amende de l.ooo francs ou un an de prison. Art. II. 11 est defendu decritiquer en chaire, ou dans une reunion prive'e, les actes du gouvernement. i.ooo francs d'amende ou un an de prison. Art. III. L'exercice du culte prive est interdit aux religieux exclus de la Confede'ration, et h tous les pretres qui sont notoirement connus pour faire opposition aux autorites publiques. i,oo3 francs d'amende ou un an de prison Art. IV. II est defendu d'exercer dans le canton de Berne aucune fonction pontificale sans une autorisalion expresse du conseil ex^cutif. 2.000 francs d'amende ou deux ans de prison. Art. V. Sont absolument interdites, en dehors des maisons particulicres, toutes les processions et ceremonies religieuses quelconques. 200 francs d'amende ou soixante jours de prison. Art. VI. Les assemble'es prive'es dans lesquelles I'ordre serait trouble, ou qui seraient contraires aux bon- nes nioeurs, pourront toujours etre dissoutes par la police. 200 francs d'amende ou soixante jours de prison. Arme de cette loi draconienne, le gouver- JVV.A BKRNOIS (SuiSSLj. — Le CULTE C.\TH0L1QUE A Saint- Uksanne, EN i«74, d'apres une photographic. nement de Berne autorisa gracieusement le retour des exiles (7 novembre 1875). II y avait 21 mois qu'ils etaient retenus loin de chez etix. Mais les tracasseries et les mcchancetes n'en continuerent pas moins. On essaya d'abord d'in- terdire aux pretres rentres tout exercice meme prive du culte, en s'appuyant sur I'article 3, cen- tre ceux qui font notoirement opposition aux autorites. Les pretres en ajipelerent, et, apres plusieurs mois, la diete federale leur donna gain de cause. On se rabattit alors a mille tracasseries. Pendant plusieurs mois, la police epia toutei leurs paroles, toutes leurs d-marches, pour les trouver en faute. Une trentaine de pretres furent incarceres pour des delits imaginaires. Plusieurs eglises restaient fermees, faute d'assistants vieux- catholiques ; des pretres catholiques furent mis a I'amende ou en prison pour avoir, a la demande descommunes.officie dans ces eglises abandonndes par le schisme. Le ridicule le disputa a I'odieux : sur le rapport d'un brave gendarme, pen verse probablement dans les questions liturgiques un cure fut condamne a 60 francs d'amende, pour avoir cliante line strand' itiesse a voix basse ! 70 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. Peu a peu cependant la situation s'ameliora. Un certain nombre d'intrus, pris du degout de leur oeuvre, s'^taient convertis et avaient abaii- donne leurs postes; d'autres avaient ^te expulses par la police, pour delits de droit commun. Les catholiques profiterent de la loi de 1S74, qui remit aux communes I'election des cures, pour rdelire, partout ou cela fut possible, leurs pas- teurs legitimes. En 1880, 31 paroisses du Jura avaient ainsi recouvre leurs eglises et leurs presbyteres, avec la publicite du culte. A cette epoque, il restait encore, dans le dio- cese de Bale, 66 pretres non reconnus par I'Etat : 56 dans le canton de Berne, 2 dans le canton de Bale-campagne, 4 dans le canton d'Argovie et 4 dans le canton de Soleure. Pendant ce temps, que devenait le schisme des vieux-catholiques, soutenu si violemment par les gouvernements protestants ? II avortait dans le mepris et la sterilite. Sur 675 pretres que comp- tait le diocese de Bale, on trouva a peine 13 apostats ; les autres furent appeles de France, dAllemagne, d'ltalie, pour remplir les eglises et les presbyteres voles aux catholiques. Malgre les avances du gouvernement, ce triste clerge ne de- passa jamais le chiffre de 40 membres, a la tete desquels on mit un eveque intrus, le nomme Herzog, ancien cure d'Olten, dans le canton de Soleure. Quant au chiffre des schismatiques , les rap- ports officiels le font monter a 72.000, pour toute la Suisse ; mais il faut evidemment en rabattre beaucoup. En tenant compte du nombre des tlecteurs dans les conseils paroissiaux, on arrive a un total de 5 a 6.00c vieux-catholiques, dont 3.000 pour le canton de Geneve, 2.000 pour le diocese de Bale, et 5 ou 600 pour le reste de la Suisse. * * * Disons un mot, en terminant, de la persecution religieuse dans le canton de Geneve. On a vu les magnifiques accroissements du catholicisme a Geneve ; jamais la cite de Calvin, la Rome protestante, n'a pu pardonner a rEglise ses succes. Four se defaire des catholiques, les conservateurs genevois ont fait alliance avec les radicaux, et tout homme politique qui a voulu se montrer simplement equitable envers les catho- liques, n'a pas tarde a se voir renverse du pouvoir. Cela explique la haine implacable portee a Mgr ]\Iermillod, et la resolution prise par les protes- tants de se debarras.ser par tons les moyens d'un homme dont le zele, les talents, I'eloquence sedui- sante leur faisaient peur. Au moment 011 s'engagea la lutte (1870), voici, d'apres les documents officiels, quelle etait la situation respective des protestants et des catho- liques. Population totale du canton ; 93.197 habi- tants. Sur ce nombre il y avait : 47.859 catholiques, 43.606 protestants, 1.732 juifs et sans religion. Les catholiques etaient done arrives a avoir la majorite absolue dans le canton ; mais il faut observer qu'ils etaient encore loin d'y avoir la majorite legale, car il faut retrancher de leur nombre environ 28.000 etrangers, domicilies dans lepaj's. II reste done une minorite legale d'envi- ron 19.000 catholiques, jouissant de tous leurs droits politiques, contre 43,000 protestants. En fait, les catholiques genevois ne forment guere que le tiers du corps electoral. Cette situation anormale permettait de les opprimer legalement. On ne s'en fit pas faute, comme on va voir. C'est au retourdu concile du Vatican que I'hos- tilite contre Mgr Mermillod commence a se manifester au grand jour. En recompense de son zele et de ses succes apostoliques. Pie IX I'avait preconise, en 1864, eveque d'Hebron, avec la charge d'au.xiliaire de Geneve. II continua done, sous le titre de vicaire general de Mgr Marilley, eveque de Lausanne et de Geneve, a diriger toutes les oeuvres religieuses du canton. Au fond cela ne changeait rien a sa position officielle vit-a-vis des autorites cantonales. Le caractere episcopal etait un honneur personnel, un gage d'estime donne a I'eminent prelat par le Pape, et rien de plus. Au lieu d'en prendre ombrage, le gouvernement genevois aurait du se montrer fier de I'honneur accorde a I'un des plus illustres enfants du pays ; mais les radicaux ne I'enten- daient pas ainsi. Des le mois de septembre 1868, le Conseil d'Etat de Geneve notifia a Mgr Mer- millod qu'il ne le reconnaissait pas en qualite d'(^veque ; c etait une premiere escarmouche. Le 20 septembre 1872, un arret du Conseil d'Etat enleva a Mgr Mermillod le titre de cure de Geneve et de vicaire general de Mgr Marilley. Defense fut faite au clerge de le reconnaitre en cette double qualite. Pie IX repondit a cette insolente usurpation de pouvoirs, en instituant, le 16 Janvier 1873, Mgr Mermillod vicaire apostolique de Geneve. Le 7 fevrier, le Conseil d'Etat declara le bref nul et non avenu ; il frappa tout le clerge d'une suspension de traitement de trois mois, pour avoir, sans autorisation, lu en chaire une lettre pasto- rale du nouveau vicaire apostolique. Le 1 7 fevrier, le prelat fut expulse de son domi- cile ; il se retira a Ferney (France), d'oii il conti- nua, en depit des autorites cantonales, d'adminis- trer son diocese. Le meme jour, un decretdu Conseil federal lui interdit le territoire dela Confederation. Ainsi Geneve, I'asile des communards franijais et des nihilistes russes, etait purgee de ce qu'un journal radical appelait el6gamment Xftvirus epis- copal. L'EGLISE DANS LES CANTONS SUISSES, 1800-1890. 71 Apres s'etre debarrasse de I'eveque, il fallait detruire ses ceuvres. On commenca, selon I'usage, par I'expulsion des Congregations. Voici quelles etaient, a cette epoque, les oeuvres des Congregations religieuses dans le canton de Geneve : Un hopital a Plainpalais (faubourg de Ge- neve), fonde en 1846, et desservi par les ScEurs de Saint-Vincent-de- Paul. Un hospice a Carouge, desservi par les Petites- Soeurs des Pauvres. Quatre orphelinats de jeunes filles, tenus par les Soeurs de Saint-Vincent-de- Paul. Des ecoles libres de gar^ons, tenues par neuf Freres des Ecoles chretiennes, et donnant I'ins- truction a 701 enfants. Des ecoles libres de filles, tenues par les Sceurs de Saint-\'incent-de-Paul et donnant I'instruc- tion a 90S jeunes filles. Un pensionnat et une ecole normale de filles a Carouge, tenus par une congregation de dames, appelees les Fideles Servantes de Jl^sus. Une loi de 1S72 commenca par imposer aux Congregations religieuses de se faire autoriser. Elles se soumirent a cette exigence, et le 27 juin 1872, un arrete du Grand Conseil refu- sait I'autorisation aux Congregations enseignan- tes, et fermait les ecoles des Freres et des Sceurs. E.xceptionnellement, et a titre personnel, les religieuses hospitalicres etaient autorisees a demeurer dans le canton pour assister les pauvres. Trois ans plus tard (23 aout 1875), un nou veau decret revoquait cette autorisation , et chassait de leurs hopitaux les Soeurs de Saint- Vincent-de-Paul et les Petites-Sceurs des pau- vres. Une petition, signee de 40 medecins et de 655 dames protestantes, avait demande, au nom de I'humanite, le maintien des religieuses hospi- talieres ; mais la Loge avait parle, elle fut obeie. La -Sceur Vincent, Superieure de I'hopital de Plainpalais, etait rnourante au moment des expul- sions. II fallut I'arracher de son litet la jeter clans une voilure, pour la transporter a la frontiere. La fiere cite de Geneve, qui donnait asile en ce moment a plusieurs petroleuses, etait evidem- ment en danger si une vieille Sceur de Charite, qui a\ait passe 47 ans de sa vie au service des pauvres dans le canton, etait restce quelques jours de plus, pour mourir dans son lit ! L' expulsion des Congregations religieuses n'etait, comme d habitude, que le premier acte du drame. On ne tarda pas a s'attaquer au clerge paroissial, en s'appuyant sur une poignee de libres-penseurs, qui, se di.sant catholiques- liberaux , protestaient contre les decrets du concile. Mais il fallut forger de nouvelles lois, pour livrer a ces apostats les eglises et les presby- teres de la communaute catholique. Le 27 aout 1873, le Grand Conseil vota une loi organique du culte catholique, dont voici les principales dispositions : Art. IV. — Les cure's et vicaires sont nommds par les electeurs catholiques, inscrits au role des dlecteurs canto- naux et domicilies dans la paroisse. Art. V. — Sont eligibles tous les ecclesiastiques ordonn^s pretres dans I'Eglise catholique. lis ne peuvent, sans rautorisation du Conseil d'Etat, exercer de fonclions ou accepter des dignites ecclesiastiques autres que celles qui leur ont ete conferees par les electeurs. Art. VI. — Avant leur installation, les cures et vicaires preteront serment d'obeissance h. la constitution el k la loi organique du culte catholique. Art. VII. — Les cures et vicaires peuvent toujours gtre suspendus par le Conseil d'Etat pour violation de leur ser- MGR MER^nLL0D. merit, et par le Conseil superieur pour infraction discipli- naire. Art. VIII. — Les electeurs d'une paroisse peuvent tou- jours demander que le cure et levicaire soient soumis i une nouvelle election. Art. IX. — Chaque paroisse est adminislrt'e par un Conseil pris parmi les dlecteurs laiques ; ce Conseil se compose de neuf menibres pour les paroisses de Geneve et de cinq membres dans les paroisses de campagne. Le cure en fait partie, mais seulement avec voix deliberative. Art. XI. — Les Conseils de paroisse sont soumis k un Conseil supeiieur du culte catholique, qui sera nomme par tous les electeurs raiholiques du canton. Art. XII. — Le Conseil superieur te compose de vingt-cinq membies laiques pris parmi les electeurs et de cinq membres eccle'siastiques choisis parmi les cures et vicaires. Art. XIII. — • Les eglises et presbytferes sont la pro- priete des communes ; elles sont afifectees exclusivement au culte catholique reconnu par I'Etat, 72 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX">e SIECLE. Munis de cette loi schismatique, les protes- tants et les libres-penseuis de Geneve etaient forts. Le 4 septembre 1873, le clerge catholiqiie etait invite a se presenter a I'hotel du Gouverne- ment, pour prcter serment a la nouvelle cons- titution civile. Pas un pretre ne se presenta, pas una defection ne se produisit parmi les 47 pre- tres du canton. C'etait ce qu'on voulait : cures et vicaires furent declares dechus de leurs fonc- tions et on proceda aux elections. Comme on s'y attendait, les catholiques s'abs- tinrent en masse de prendre part a cette co- medie sacrilege ; mais quelques centaines de francs-ma9ons se rappelerent qu'ils etaient ca- tholiques, et s'en allerent chercher, au fond de leurs tiroirs, un vieil acte de bapteme, oublie depuis longtemps, afin de s'en faire une arme legale contre leur Mere la sainte Eglise. Done le 22 octobre 1873, furent elus comme cures de Geneve trois apostats : MM. Loyson (I'ex-Pere Hyacinthe), Hurtault et Chavard. II y eut seulement 1.267 votants, contre 2567 abs- tentions. Ainsi, meme a Geneve, sur le terrain qui leur etait le plus favorable, les schismatiques ne formaient pas meme le tiers des electeurs catholiques. Cela n'empecha pas le Conseil d'Etat delivrer aux intrus I'eglise Saint-Germain, que la ville avait c^dee en 1803 aux catholiques. Chasses de Saint-Germain, les catholiques acheterent, au prixde 155.000 francs, le temple ma9onnique, qui •se trouvait alors en vente, et y installerent r^glise du Sacr^-Cceur. Le 28 decembre 1873, des Elections eurent lieu dans les paroisses de Carouge, de Chene et de Lancy. A Carouge, sur 5.000 catholiques, M. Mar- chal, Mariste defroque.obtint 231 voix ; a Chene, paroisse de 2.500 ames,M. Ouilly obtint 79 voix ; a Lancy, paroisse de 1.200 ames, I'intrus en eut 53. En presence de ces minorites ridicules, on renon^a pour les autres paroisses a ce simulacre delection ; d'autant que, dans la plupart, il eut ^te difficile de trouver un seul electeur. En con- sequence, malgre les protestations des maires et de I'universalite des habitants, malgre la loi orga nique de 1874, qui d6clarait les ^glises et les presbyteres propri6t(5s communales, on crocheta la po'rte des eglises et des presbyteres, et on y installa des apostats, apres en avoir chasse les titulaires legitimes. Dans le cours des annees 1874 et 1875, vingt- si.x eglises furent ainsi voices aux catholiques, avec les maisons presbyterales ; quatorze seule- ment furent desservies par des intrus, les autres resterent fermces faute d'adherents au schisme. De toutes ces spoliations, la plus inique fut celle de I'eglise Notre-Dame, batie par Mgr Mermillod, a I'aide des souscriptions du monde catholique. L'eglise Saint-Germain fut fermde alors par les schismatiques, car ils n'avaient pas assez de monde pour occuper a la fois les deux eglises. En effet, I'assistance du dimanche ne depassa jamais 80 personnes, y compris les enfants. On s'empara aussi du presbytere de Notre- Dame, qui etait la propriete personnelle de Mgr Mermillod. Le prelat reclama devant les tribu- naux ; de riches families anglaises, qui avaient souscrit pour I'eglise Notre-Dame , recla- merent aussi. Le gouvernement suisse resta sourd a toutes les plaintes. Dans ce pays de libertc, il n'y a pas de droit pour les catho- liques. II y eut, a I'occasion du crochetage des eglises, des scenes infames de violence ; plusieurs pretres furent incarceres et punis comme voleurs, pour avoir conserve des objets qui, les factures en faisaient foi, etaient leur propriete personnelle ; un vieillard venerable, M Guillermin, cure de Versoi.x, fut condamne a trois mois de prison, pour detournement d'objets appartenant au culte ; il fut soumis a toutes les rigueurs du regime common, cheveux rases, costume des detenus, travail force ; a la sortie de prison, ses paroissiens le re9urent en triomphe. La plus hideuse de ces scenes de pillage eut lieu dans la paroisse de Chene, le 2 avril 1878. C'etait le jour de I'Adoration perpetuelle ; le Saint-Sacrement etait expose dans la pauvre grange 011 les catholiques avaient transporte leur culte. Tout a coup, vers les cinq heures du soir, un commisaire de police se presente, accom- pagne d'un serrurier, son indispensable acolyte. II s'agissait de rechercherdes objets appartenant au culte, que le cure etait accuse d'avoir detour- nes. Apres avoir enleve, a la sacristie, des burettes, une etole et quelques linges d'autel, I'homme de la police, avisant I'ostensoir (don personnel fait au cure de Chene par la princesse Jerome Bonaparte), fit signe a son aide de s'en emparer. Deja le miserable approchait du Saint des saints ses mains graisseuses et sacrileges ; un cri d'horreur eclata dans toute I'eglise ; le cure se prdcipite a I'autel, et jure qu'on le tuera avant de toucher au Saint-Sacrement. Helas ! il fallut ceder a la force. D'une main tremblante d'emo- tion, il detache de I'ostensoir le Corps de Notre- Seigneui ; les policiers jettent le vase sacre au fond de leur sacoche, et s'enfuient a Geneve comme des voleurs, pendant que la population catholique, consternee d'un tel attentat, repete en pleurant le Pane Doiiiine. Cette fois les argou- sins avaient etc un peu loin ; le Conseil d'Etat de Geneve leur donna raison, comme d'habitude; maisle Conseil federal demanda des explications, et les tyranneaux de Geneve furent invites a mettre un peu plus de delicatesse dans leurs pro- c6des. L'EGUSE DANS LES CANTONS SUISSES, 1800-1890. 73 A quoi aboLitirent finalement tant cle violen- ces ? A rien. Pretres et laiques, les catholiques genevois fiuent invincibles clans leur hcroique resistance. On a vu que pas un pretre clu canton ne fit defection ; sur pres de 48 000 catholiques, le schisme n'a jamais pu recruter plus de 3.000 adherents, et, depuis longtemps, les apostats n'avaient plus de catholique que le nom. Quant au clerge schismatique, malgre les lar- ges subventions qu'il revolt de I'Etat, il vegete dans I'indifference et le mepris public. D^s 1874, I'ex-Pere Hyacinthe, trouvant lourde la domina- tion da Conseil supcrieur, lui qui n'avait pu por- rer le joug doL:x et aimable de Tobeissance reli- gieuse, donnait bruyamment sa demission de cure de Geneve, « convaiiicu, par une experience suffisamment prolongee, que ['esprit qui prevaut dans le mouvement catholique liberal de Geneve, n'est ni liberal en politique, ni catholique en reli- gion. » Sa demission fut acceptee a I'unanimite. Les libres-penseurs de Geneve I'avaient fait venir pour I'opposer a Mgr Mermillod ; le tour joue, on se debarrassait de lui avec un touchant empres- sement. Comme le lui avait predit son ami Mon- talembert, le moine revoke etait devenu le jouet de la plebe incredule, ludibrium vulgi. Pendant ce temps les catholiques travaillaient courageusement a retablir toutes les oeuvres. Un comite de secours s'organisa pour subvenir aux besoins du culte. Chaque annee, une souscription, qui depassait 50.000 francs, pourvoyait a I'entre- tien des pretres et aux depenses du culte. Pour remplacer autant que possible les Congregations expulsees, on recruta des maitres lai'ques, don- nant I'enseignement catholique a 1200 enfants. II a fallu s'ingenier aussi pour remplacer les eglises volees. A Geneve, les catholiques ont le temple ma9onnique, transforme en egiise du Sacre-Coeur ; leglise Saint-Joseph, que les libe- raux avaient mise en vente, et que Mgr Mermil- lod, avec son inepuisable charite, s'est empresse de racheter ; une chapelle en ma(jonnerie, qui tient lieu de la belle egiise de Notre Dame, et I'eglise Saint-Frangois de Sales, la seule qui n'ait pas ete spoliee, parce quelle etait la propriete d'une societe anonyme. Dans la campagne, on a reconstruit deux eglises en macjonnerie ; on a arrange en chapelles neufs granges ou maisons particulieres, et on a eleve neuf hangars provisoi- res. En somme,malgre la pauvrete et le denuement de ces humbles chapelles, les catholiques y sont chez eux, et partout le culte s'y celebre avec decence. C'est la pauvrete et la ferveur de Beth- leem. Kt pourtant, pour subvenir a tant de genereux sacrifices, les catholiques genevois ne sont pas riches. La haute banque, le commerce, la grande Industrie, sont aux mains jalouses des juifs et des protestants. Un grand nombre de ces dcrniers font partie d'une association secrete, dont tous les membres s'engagent a ne se servir d'aucun ouvrier ou domestique catholiques, et a ne jamais acheter dans les magasins catholiques. La population catholique se compose done presque e.Kclusivement de pelits commer^ants, d'employes, de domestiques et de pa\-sans. C'est cette population relativement pauvre qui a du, depuis quin;e ans, nourrir ses pretres, improviser des eglises, rouvrir des ecoles, entretenir les ceu- vres les plus urgentes de la charite catholique : une conference de Saint-Vincent de-Paul, un cercle pour les ouvriers de langue francjase, un cercle pour les ouvriers de langue allemande, deux societes de perseverance pour les jeunes gens. Certes, les catholiques de Geneve ont fait leurs preuves et temoigne suffisamment de leur inviolable attachement a leur foi. Puissent-ils, en' recompense de leur heroique fidelite, obtenir la pai.K religieuse et rentrer bientot dans leurs egli- ses spoliees ! # # * II ne me reste plus qu'a donncr la statistique religieuse de chaque diocese et de chaque can- ton. Diocese de Bale. Le diocese de Bale se compose de neuf cantons. 71 paroisses, 100 picnes, 59790 cath, 89 ■> 210 •> 128.248 » 77 >> ICO » 58.572 » II » 45 » 19035 » I * 6 » 12.000 » '> 1.0 >> 9 824 > Soleure, Lucerne, Berne, Zu?, Bale-Ville, Bale-Camp.igne i Argovie, 75 !> I2[ Thurgovie, 52 » 71 Schaffouie 2 » 3 . _ „„„ , Total : 389 parois^e-, 666 prcties, 400.284 ca.h 88.583 >■> 22 152 > 2080 > II y a de plus, dans le diocese de Bale, 7 couvents de Capucins, comprenant 6~ religieux. La belle abbaye de Mariastein, qui apparte- nait aux Benedictins dans le canton de Soleure, a cte secularisee en 1872. Diocese de Coire. Si.x cantons : Les Giisons, 102 paroisses, 220 pieires, 46.000 caihol. Uii, 18 » 51 > 17000 •>> .Srhwilz, 30 » 77 » 48000 » Unleiwald, 14 » 71 % 26000 » Claris, 4 » 7 > 6.000 » Zurirh, 6 » 7 » 2 '.000 » Tola! : 174 paroisses, 433 pielres 165.000 caihol. II y a dans le diocese de Coire : Une abbaye de Benedictins a Dissentis (Gri- sons), 10 religieu.x. Une abba) e de Benedictins a Engelberg (Unterwald), 25 religieux. Une abbaye de Benedictins a Einsiedeln 74 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. (Schwitz), "JJ religieux ; plus 13 couvents de Capucins (55 religieux dans les couvents, et "JJ employes dans les paroisses). Dioceee de Saint-Gall. Deux cantons : Saint-Gall, 104 paroisses, 193 pretres, 113.287 cathol. Appenzel, 5 » 6 » i4-i39 > Total : 109 paroisses, 199 prelres, 127.426 cathol. II y a, dans Ic diocese de Saint-Gall, quatre couvents de Capucins qui coinptent 35 religieux. Diocese de Sion. Un canton : Valais, 131 paroisses, 180 pretres, 90.169 cathol. II y a dans le diocese de Sion : Les chanoines reguliers du Grand-Saint- Bernard, 35 religieux. Les chanoines reguliers de Saint-Maurice, 28 religieux. Plus deux couvents de Capucins, 16 religieux. Diocese de Lausanne et Geneve. Quatre cantons : Fribourg, 132 paroisses, 221 pretres, 90.362 catho!. Valid, 12 » 15 5. 12.931 > Neuchalel, 7 » 9 > ".329 » Geneve, 26 » 46 > 51.65S » Total : 177 paroisses, 291 pretres, 166.280 calhol. II y a dans le diocese : Un convent de Chartreux a la Val-Sainte (Fribourg), 16 religieux. Un convent de Cordeliers a Fribourg, 10 reli- gieux. Quatre couvents de Capucins, 25 religieux. Canton du Tessin. 240 paroisses, 332 pretres, 131.241 catholiques. L'administration religieuse du Tessin est con- fiee a un delegue apostolique. Depuis plusieurs annees, les catholiques du Tessin ont repris le pouvoir, et malgre les efforts de la franc-ma^on- nerie, ils le conservent. Esperons que I'Eglise reverra de beau.x jours dans cc pays. Rcsuvie : Diocese de Bale, 389 p. 666 p. » de Coire, 174 » 433 > > de Saint-Gall 109 » 199 » » de Sion, 131 > 180 > » de Lausanne, 177 » 291 » » du Tessin, 240 > 332 » 400.293 165.000 127.426 90.169 166.280 131. 241 cath cliques. > > > » Tolal pour toute la Suisse : 1.220 p. 2.101 p. 1.080.409 cathol. (') * » Leon XIII, le grand pontife pacificateur, aura eu, en Suisse comme en Allemagne, la gloire de mettre fin a la guerre religieuse. En 1884, il transfera Mgr Mermillod au siege episcopal de Geneve et Lausanne, avec residence a Fribourg. Les autorites federales leverent avec empresse- ment le decret porte, onze ans auparavant, con- tre I'illustre exile, qui fut accueilli avec enthou- siasme dans son nouveau diocese. Seul le canton de Geneve s'obstina a lui fermer sa porte ('). L'annee suivante (1885), un arrangement con- clu avec les autorites federales mettait fin a la fausse position du diocese de Bale, et faisait ren- trer le Tessin dans la hierarchie catholique. Leon XIII demanda a Mgr Lachat de donner sa demission d'eveque de Bale, et d'accepter en echange la charge d'administrateur apostolique du Tessin, avec le titre d'archeveque de Damiette. Ce fut un cruel dechirement de coeur pour Vh6- roique confesseur de la foi et pour son clerge mats il se soumit courageusement a la volonte du Vicaire de Jifsu.S-CHRlST, juge supreme des necessites que reclame le bien des ames. Le Tes- sin ayant desormais un superieur legitime, et les Etats diocesains de Bale ayant bien accueilli leur nouvel eveque, la guerre entre I'Eglise et I'Etat peut etre consideree comme finieen Suisse. Puisse-t-elle ne jamais recommencer ! 1. D'apres le recensement officiel, la population catholique de la Suisse est encore plus elevee. La population totale est de 2.855.226 habitants qui se decomposenl ainsi : catholiques, 1.169.906, protestants, 1.6S0. 120 ; juifs, sans religion, 5.200. Les catholiques forment done aujourd'hui les 2/5 de la popu- lation. En iSSo ils ne formaient a peine que le tiers. 2. Quelques annees plus tard, I'illustre eveque fut decore de la pourpre et appele a Rome, oil il mourut en 'anvier 1892. Cftauitie HejJtieme. L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. DciriiiTTYiiTinTxiiiniixmiLiixxux: ;L est certain, bien que la chose soit penible a constater, que le Sultan des Turcs, commandeur des croyants, et successeur offi- cial de Mahomet, s'est genera- lement montre plus juste et moins intolerant que la pUipart ties L^ruuvernements protestants ou schismatiques, dans ses rapports avec le Vicaire de J^;SUS- Christ au cours du X1X«= siecle. Plus d'un Etat pretendu catholique pourrait meme prendre au- pres du Grand Turc des legons de liberalisme ; et les fideles de France, en particulier, auraient a gagner bien souvent, si on leur donnait la liberte comme en Turquie. A I'heure ou, chez nous, les processions sont obligees, presque partout, de se renfermer dans I'interieurdes eglises, elles sortent dans les rues de Constantinople, avec le concours de Tautorite militaire, au milieu du respect uni- versel des populations musulmanes et schisma- tiques. Tons les Ordres religieux, meme ces terribles Jesuites que Ton chasse de partout, ont droit de cite en Turquie, et peuvent en paix y dcvelopper leurs ceuvres. Si le gouvernement Ottoman ne paye pas le clerge, il ne s'ingere pas, en revanche, a nommer les eveques et a dcplacer les cures. Sans doute, il est defendu de convertir aucun musulman ; mais a part cette restriction qui, en fait, se reduit a peu de chose, (car il est malheu- reusemenc prouve que, meme la ou ils sont libres, les disciples de Mahomet sont a peu pres incon- vertissables,j chaque communaute chretienne elit elle-meme son patriarche, et s'administre libre- ment au spirituel, et meme, dans unecertaineme- sure, au temporel, car dans le berat imperial qui est octroye aux Eveques, la Porte les reconnait en qualite de chefs civils de leur communaute, et leur prete, au besoin, main forte pour faire recon- naitre leur autorite. II e-.t vrai que plus d'une fois, dans le cours de ce siecle, les Chretiens ont eu a souffrir sous la domination des Turcs ; mais cela tient a des causes plus politiques que religieuscs. Ainsi, quand les Grecs se souleverent en 1820, pour recouvrer leur independance, il y eut d'epouvan- tables massacres de chretiens. Plus tard, lors des guerres de 1828 et de 1877 contre les Russes, les Turcs essayerent de se venger de leurs defaites sur leurs sujets chretiens. L'annee derniere enfin, les Armeniens schisma- tiques, c^dant aux instigations de I'Angleterre, qui ne serait pas fachee de voir se rouvrir la ques- tion d'Orient, pour pecher en eau trouble et s'at- tribuer, dans le futur partage, la part du lion, eurent le tort de manifester un peu trop vivement leur desir de secouer le joug detests des Turcs. A cette occasion, le vieux fanatisme musulman s'est reveille avec une incroyable violence, etavec la complicite de la Porte, d'affreux massacres, dont le chiffre s'eleve au moins a loo.ooo Arme- niens, se produisirent. Innocents et coupables se virent enveloppes dans la meme repression impi- toyable. L'incendie et le pillage acheverent la ruine dumalheureux peuplearmenien. Ilestvrai- ment deplorable que des considerations politi- ques, la crainte de faire le jeu des Anglais et d'ou- vrir prematurement la question d'Orient, I'aient emporte, dans les conseils de la France et de la Russie, sur une question d'humanite qui devait primer tout. Les deux grandes puissances protec- trices des chretiens se sont contentdes de protes- tations platoniques, qui n'ont rien empeche, et de vagueS promes^es pour I'avenir, qui ne reparent pas le mal. Au fond, cette derniere explosion du fanatisme musulman n'a rien qui puisse surprendre ceux qui connaissent la haine inveteree que tout bon mahometan porte aux chretiens. C'est en vain que le hatti-hayamoun de 1856 a proclame solennel- lement, devant I'Europe, I'cgalite des droits poli- tiques entre tous les sujets du Sultan ; il est plus facile de decreter des lois que de changer les moeurs. Si le vieux fanatisme des musulmans est tombe chez les hommes intelligents qui ont fre- quente I'Europe et qui la connaissent, il subsiste toujours dans les masses et fait partie integrante de la religion. Le Coran s'oppose invinciblement 76 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"»= SIECLE. a ce que Ton mette sur le meme pied le disciple de Mahomet et celui de Jl^SUS. Aussi, pour les vieux Turcs, lechretien est toujours un kafir, un infidele, qui a ete cree et mis au monde unique- ment pour servir les cro)^ants et leur ])ermettre de passer leur vie dans I'oisivete De la, malgre les traites qui reglent assez equitablement la situation des Chretiens, malgre la vigilance et les reclamations des consuls europeens, bien des injustices de detail qui se produisent, surtout parmi les fonctionnaires iiiferieurs de la Porte, race avide et venale, qui appartient a qui la paie le mieux. II y a la une situation facheuse, que Ton a deja beaucoup amelioree, mais qui subsis- tera plus ou moins tant que les Turcs seront les maitres des chretiens. La mauvaise administration de I'empire, dont les populations chretiennes sont naturellement les premieres victimes, constitue une autre cause de malaise. L'argent des impots est gaspille en depenses improductives ; la misere esteffroyable; dans les campagnes, il n'y a pas de sdcurite pour le paj-san ; dans les villes, il n'y a pas d'industrie pour I'ouvrier ; le commerce est nul, faute de debouches et aussi de confiance. Au fond, tout le monde le reconnait, depuis un siecle et demi, I'Empire Turc s'effondre sur lui- meme, et la grande question pour I'Europe, c'est desavoir en quelles mains viendra echoir la suc- cession de Yliomme vialade ( i ). Si la Russie, soutenue par les populations schismaliques, dont elle a su tres habilement se faire une clientele, arrive a s'installer a Constan- tinople, ce qui, depuis Pierre le Grand, a ete son reve, c'est un coup terrible porte a I'equilibre europeen par la resurrection de I'empire de Bysance, et, dans un temps plus ou moins eloigne, c'est la ruine de toutes les ceuvres catholiques en Orient. Ce que le schisme mosco- vite a fait en Pologne et en Russie nous dit assez quel avenir est reserve au catholicisme oriental, le jour ou le Czar serait le maitre du pays. A c6t6 des convoitises de la Russie, I'Angle- terre protestante tra\'aille de toutes ses forces, d'abord pour retarder autant que possible la catastrophe, et ensuite, pour avoir sa part de I'heritage. C'est dans ce but qu'elle s'est deja ins- tallee a Chypre et en Plgypte ; c'est pour la meme fin qu'elle inonde I'AsieRlineure de predicants, de medecins et de maitres d'ecole. II s'agit de faire concurrence a I'influence de la Russie, et aussi a celle de la France. Ah! I'influence fran9aise en Orient, ou en est-elle? II y a un siecle encore, on ne connaissait dans ces contrees que la France, si bien que le nom gene- rique de Francs est encore aujourd'hui synonyme d'Europeens, dans tout le Levant, D'ou vient que notre influence seculaire nous echappe, au profit de nos rivaux ? C'est quetrop souvent, depuis un siecle, la France catholique a ete infidele a sa I. Expression de Lord Palmerston pour designer I'Enipire Turc. mission providentielle. Plusd'un million de catho- liques, repandus dans la Turquie d'Europe et les Echelles du Levant, lui formaient une clientele devouee ; mais trop souvent, par indifference reli- gieuse, quelquefois meme par esprit sectaire, nos representants en Orient ont sacrifie, aux exigences de la Russie et de I'Angleterre, la clientele catho- lique de la France. Aussi il est bien a craindre que, lorsque la question d'Orient viendra a se resoudre, elle ne soit resolue sans nous, c'est-a- dire contre nous. La Russie schismatique, I'An- gleterre protestante, I'Allemagne peut-iitre, se ]iartageront les morceaux de ce vaste empire, au detriment de I'influence catholique et de la notre. Pourtant le plus simple bon sens politique aurait du apprendre a nos gouvernants que cette fameuse question d'Orient, qui tient, depuis cin- quante ans, tous les cabinets europeens en echec, est avant tout une question religieuse. L'Europe occidentale tout enticre est interessee a ce que le Czar ne devienne pas a Constantinople le succes- seur religieux et politique des empereurs de By- sance. Or, I'unique moj'en d'arreter I'influence envahissante du panslavisme en Orient, c'est de ramener au catholicisme les populations de la Turquie. Devenue catholique, chacune de ces petites nationalites, Serbe, Roumaine, Bulgare, Valaque, Echappe a Taction de la Russie, et se reclame necessairement de I'influence occiden- tale. La solution catholique de la question d'Orient est done la plus equitable, celle qui sau- vegarde le mieux le droit des petites nationalites et les intcrets politiques de I'Occident, en parti- culier de la France. C'est ce qu'ont parfaitement compris les Sou- verains-Pontifes. Depuis quarante ans,les Vicaires de Ji^SUS-Christ ont entretenu avec le com- mandeur des croyants les relations les plus cour- toises, j'allais presque dire les plus cordiales. II faut reconnaitre qu'en general le Pape n'a eu qu'a se louer de la maniere d'agir du Sultan avec ses sujets catholiques. Si, a plusieurs reprises, au cours de ce siecle, les catholiques ont ete perse- cutes en Turquie, ainsi que cela a eu lieu, il y a vingtans, dans la question armenienne, c'est a I'influence reunie de I'Angleterre et de la Russie, et aussi, il faut bien I'avouer, a I'indifference des representants de la France, qu'on doit attribuer ces malheurs. Plus d'une fois, les ministres de la Porte ont reconnu hautement la fidelitt^ des catho- liques a leur legitime souverain le Sultan, alors que les schismatiques sont tous vendus a la Rus- sie. Malheureusement les intrigues des Grecs et des influences puissantes ont paralyse souvent ces bonnes dispositions des fonctionnaires de I'Empire Ottoman. Non contents d'entretenir des relations cour- toises avec le Sultan, les Souverains Pontifes ont travaille, avec beaucoup de suite, a resoudre paci- fiquement, dans un sens catholique la question d'Orient, en developpant en Turquie, dans lame- sure malheureusement trop restreinte de leurs L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. 77 -1 P- O z H < ■z, o 78 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX">= SIECLE. ressources, toutes les oeuvres du catholicisme. Certes, la lutte est difficile, car il nous faut tenir tete aux millions de I'Angletei-re et a I'influence politique de la Russia ; mais grace au devoue- ment des missionnaires, a la liberte que le gou- vernement turc leur accorde, et surtout a la puissante vitalite du catholicisme, la lutte, si^ ine- gale qu'elle soit, est possible, et les progres de I'Eglise romaine sont positifs et tres consolants pour I'avenir. C'est Thistoire de ces progres recents du catholicisme dans la Turquie d'Europe que je vais exposer ici, reservant pour le chapitre sui- vant ce qui regarde les divers rites unis, dont les accroissements se sont produits surtout dans la Turquie d'Asie. Pour plus de clarte, je conside- rerai a part chacua des groupes catholiques de la Turquie. I. — VICARIAT PATRIARCAL DE CONSTANTINOPLE. QUand les Francs s'emparerent, en 1204, de Constantinople, les Souverains-Pon- tifes furent naturellement amenes a creer pour eux, a cote de la hierarchie grecque toujours subsistante, un patriarcat latin de Constanti- nople et des eveches latins dans les principaux centres. 'Avec la chute de I'Empire franc (1261), la plupart de ces sieges tomberent en desh^rence ; le patriarche latin de Constantinople se retira a Rome, et fut remplace par un vicaire patriarcal, charge sous ses ordres d'administrer les Latins residant parmi les Grecs. A partir de 1623, le patriarche n'eut plus qu'un titre honorifique a la cour pontificale, et le vicaire patriarcal, avec caractere episcopal, releva uniquement de la Pro- pagan de. Actuellement le vicariat de Constantinople comprend la ville de Constantinople, avec la Rou- melie, la Thrace, la Macedoine, la Thessalie, en Europe, et dans I'Asie-Mineure, les cotes de I'Hel- lespont et de la Mer-Noire, avec plusieurs des iles de I'Archipel. Dans la partie europeenne du vica- riat, ily a, en 1890: loparoisses, 5 stations de mis- sionnaires avec residence et 20 stations secon- daires. Dans la partie asiatique, il y a 3 paroisses seulement, 13 stations avec residence et 7 sta- tions secondaires. Les 7 chapel les des ambassades de France, d'Autriche-Hongrie, d'Espagne et d'ltalie, avec les 3 hopitaux fran^ais, italien et autrichien, jouissent aussi des droits de paroisse pour leurs residents : au total, 26 grandes eglises et 60 chapelles dans toute I'etendue du vicariat. Ces differents postes sont desservis par 25 pre- tres seculiers et 150 religieux du rit latin, plus 10 religieux georgiens, du rit grec. Au total, 185 pretres pour tout le vicariat. COMMUNAUTliS D'HOMMES. I. — Parmi les religieux, le premier rang appartient incontestablement aux Franciscains. En effet, les enfants de Saint-Francois d'Assise furent les premiers qui vinrent en Orient travail- ler a I'avenement du regne de DiEU. Arrives en 1220, ils sont toujours restes intrepides au poste d'honneur etdedevouement ou leur Bienheureux Pere les a envoyes. lis ont brave les intrigues schismatiques des Grecs, les violences et les avanies des Turcs, et, a I'heure actuelle, toutes les branches de I'arbre seraphique couvrent I'Orient de leur ombre bienfaisante et produisent dans I'Eglise des fruits de vie et de salut. Les Freres mineurs conventuels forment la prefecture apostolique de I'Orient et ont 22 reli- gieux italiens, pour desservir 6 stations : Saint- Antoine de Pera, Andrinople, Rodosto (Thrace), Buyuck Dere et Beikos (Bosphore). Au total, ils desservent 4 eglises paroissiales, 2 chapelles, et instruisent dans leurs ecoles 142 enfants. Les Freres mineurs observantins ne sont que 3 religieux : i commis^aire de Terre-Sainte, avec un frere a Pera, plus un chapelain de I'hopital autrichien. Les Franciscains reformes ont une prefec- ture apostolique, et sont au nombre de 18. lis sont charges de desservir 3 eglises paroissiales, a Pera, a I'ile des Princes (Asie) et a Rhodes (Ar- chipel). lis ont dans leurs ecoles une soixantaine d'enfants. Les Capucins, arrives en 1626, ont dans le vicariat patriarcal ,trois prefectures apostoliques ; 1° Prefecture de Constantinople, 17 religieux franqais. Pera, couvent et eglise de I'ambassade de France, et Chalcedoine (Asie). Ils ont a Pera un college ecclcsiastique, avec 32 eleves. 2° Prefecture de Smyrne, une maison a San- Stefano, 57 religieux ; eglise paroissiale, Scho- lasticat 11 eleves, ecole paroissiale 35 eleves. 3° Prefecture apostolique de la Mer-Noire, 19 religieux, 4 stations : Trebizonde, Erzeroum, Samsoun et Sinope, plus 5 petites stations qui sont visitees de temps en temps. Les PP. Capu- cins sont charges en outre de servir d'aumoniers aux Freres des Ecoles chretiennes et aux Sceurs de Saint-Joseph qui tiennent les ecoles de la prefecture. IL — Doininicains. Des les premieres annees du XI 11*= siecle, les fils de Saint-Dominique se lancerent en Orient sur les traces des fils de Saint- Francois, et leur apostolat s'etendit rapidement des rives du Bosphore, a la Mesopotamie, aux Indes, chez le grand Khan desTartares et jusqu'a la Chine. Actuellement, ils ont dans le vicariat de Constantinople une prefecture apostolique, com- posee de 1 1 religieux piemontais ; ils desservent 3 stations : Galata, couvent et eglise paroissiale ; Macri-Keui, eglise, chapelle et hopital ; les Sept- Tours, chapelle et ecole. III." — Jcsuites (1583 a 1773-1864). Du vivartt meme de saint Ignace, les Jesuites commencerent L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. 79 a travailler dans le Levant, et ils y obtinrent bientot de tels succes qu'un grand vizir disait un jour a iM. de Solignac, ambassadeur de France, qu'il aimerait mieux voir a Pera dix ecclesiasti- ques ordinaires quV/« seul Jesuite. Bientot on compta par milliers les schismatiques ramenes a I'unite, les ignorants instruits, les pestiferes soi- tjnes dans les bagnes. En moins de deux siecles, de 15S3 a 1773, plus decent religieuxde la Com- pagniede Jesus moururent de la peste, attestant ainsi le zele et le devouement de ces intrepides missionnaires. Aussi, lorsqu'en 1773 la Compagnie de Jesus fut supprimee, un cri de triomphe s eleva sur les rives du Bosphore, de la bouche de tons lesenne- mis de I'Eglise : turcs , grecs schismatiques, armeniens, protestants, etc. II semblait qu'avec les Jesuites, e'en etait fait du catholicisme oriental. II n'en fut rien heureu- sement, mais il se produisit un ralentissement notable dans toutes les teuvres catholiques. Les Lazaristcs, malheureusement trop peu nombreux au debut, les remplacerent a Constan- tinople et s'efforcerent de soutenir au moins les TKEUIZONDE. — Palais des Comnenes et murailles de la ville. tfiuvres existantes. Au bout de pres d'un siecle d'exil, les Jesuites revinrent, en 1864, travailler dans le vicariat patriarcal de Constantinople. Aujourd'hui, ils y sont au nombre de 45 religieux, appartenant a deux provinces : 1. Province de Sicile. Une maison a Pera, avec chapelle et college, I20eleves, 13 pretres, 4 .scho- lastiques, 5 freres coadjuteurs. Total: 22 religieux italiens. 2. Province de Lyon. Mission d'Armenie(i88i), 17 pretres, 6 freres coadjuteurs, i maison de pro- cure a Constantinople, faubourg de Pera, 5 sta- tions en Armenie, dont il sera parle ailleurs. Total : 23 religieux frangais. IV. — Lazaristes (1783). Apres la destruction de la Compagnie de Jesus, les Lazaristes furent appeles a Constantinople pour les remplacer. Malheureusement ils etaient trop peu nombreux au debut, et la Revolution fran9aise, qui survint bientot, en fermant leur noviciat de Saint- Lazare, allait, pour une trentaine d'annces. 80 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. paralyser les efforts de leur zele. Ce n'est guere qu'a partir de 1817 que nous les voyons repren- dre leurs oeuvres dans le Levant. Sur 9 stations qu'ils avaient occupees d'abord, ils ne purent se maintenir que dans 6 : Constantinople, Smyrne, Santorin, Naxos, Salonique et Alep. Plus tard, ils s'ouvrirent les postes abandonnes de Damas, de Tripoli et d'Antoura, dans le Liban. En 1830, les Lazaristes du Levant formaient deja une prefecture apostolique avec 9 missionnaires pretres et 6 frercs. L'annee suivante, ils ouvri- rcnt a Constantinople un college qui compta des le debut 80 eleves. Pour remedier aux deux grands fleaux de rOrient, qui sont I'ignorance et la misere, les Lazaristes multiplierent autour d'eux les colleges et les ecoles ; ils ouvrirent aussi une imprimerie a Constantinople, pour repandre les bons livres et lutter contre les calomnies des presses protes- tantes. Quant a la misere effroj'able des popu- lations, ils appelcrent pour la soulager les admi- rables Filles de la Charite, qui couvrirent I'Orient d'hospices, de dispensaires et decoles pour I'instruction des jeunes filles, encore jusque-la inconnue des Orientaux. Prodiguant leurs soins evangeliques a tous, sans distinction de cultes et de nationalites, elles virent bientot se presser, a la porte de leurs maisons, les Turcs, les Juifs, les Grecs schismatiques, les heretiques de toutes nuances, stupefaits et ravis d'un devouement ARMEME — \UE GENER\LE D ErZEROUM dont ils n'avaicnt pas meme 1 idee. Plus d'une fois, le commandeur des croyants etles principaux dignitaires de la Porte ont temoigne de la vene- ration qu'ils eprouvaient pources pieuses heroines de la charite catholique, et je crois qu'on pent affirmer, sans exageration, que le spectacle de leurs vertus a plus fait pour attirer au catholicis- me la sympathie et le respect de la societeorien- tale, que n'eussent pu faire les travaux et le zele apostolique de cent missionnaires. Voici quelle est la situation des Lazaristes dans le vicariat patriarcal de Constantinople. I. Prefecture apostolique, 31 pretres, 3 scho- lastiques, 12 freres. Au total 46 religieux. I. A Constantinople, 2 stations : Galata, petit seminaire, 23 eleves, et college annexe, 1 10 eleves, 16 pretres, 3 freres, une seconde maison a Galata, eglise et college pour les Allemands, 93 (Aleves, I pretre. Les Lazaristes de Constantinople desservent encore I'hopital francais de Pera et dirigent plusieurs pieuses associations. 2. En RLicedoine. Les Lazaristes sont charges specialement de cette province, dins laquelle ils ont 3 communautes :a Salonique, a Monastir et a Cavalla, 2 eglises, 5 chapelles, 20 stations secondaires. II y a dans la province 14 Lazaristes pretres, 9 freres et 3 clercs indigenes. V. — Anguslins de I Assoinption (1863). Lors L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800 1890. 81 du grand mouvement de retour des Bulgares vers Rome, mouvement dont je parlerai plus loin, le Souverain Pontife, justement preoccupe des im- menses besoins de I'Orient, demanda au R. P. d'Alzon, fondateur des Augustins de I'Assomp- tion, d'envoyer quelques-uns de ses religieux au secours de cette Eglise naissante, en danger de mourir au berceau par suite de la defection de son premier pasteur. Le R. P. d'Alzon obeit, avec son arde r accoutumee, aux desirs de Pie IX, mais craignant de ne pouvoir, avec une congre- gation encore jeune et deja surchargee dVtuvres, suffire a cette mission, il fit appel au de\ouement des RK. PP. polonais de la Resurrection, et les deux societes se partagerent, avec les Lazaristes de la Macedoine, la tache delicate de veiller aux premiers developpements de I'Eglise Bulgare. Le grand besoin de cette Eglise naissante, comme de toutes les Eglises orientales, c'etait de sortir de I'ignorance abjecte dans laquelle le peu pie et le clerge avaient vecu jusque-la. Ces peuples enfants ont soif de s'instruire, et ils se livrent sans examen a quiconque promet de les faire sortir de leurs tenebres. L'Angleterre protestante, la Russie schismatique ont couvert I'Orient de colleges et d'ecoles. II faut que le catholicisme, malgre rexigui'te de ses ressources, soutienne la lutte sur le teirain de I'enseignement. C'est pour lui une question de vie ou de mort. Or, dans I'etat actuel de I'Orient, meme catholique, des missionnaires latins seuls peuvent se devouer utilement a cette oeuvre C'est ce qu'ont fait les RR. PP. de I'Assomption, et actuellement ils ont dans le pays 6 maisons, 4 dans le vicariat patriar- cal de Constantinople et 2 dans le vicariat apos- tolique de Sofia et I'hilippopolis f Bulgares lat ns). Total : 13 pretres, dont 2 de rit buljare, 14 clercs, 10 freres, en tout 37 religieux Augustins. 1° Constantinople, en plein quartier musulman, I alumnat ecclesiastique, I2cleves, ecole parois- siale. 2° Phanaraki (Chalcedoine, , pensionnat et ecole. 3° Andrinople, i orphelinat gargons, 50 en- fants, ecole paroissiale. 4° Brousse (Asie-Mineure), chapelle latine et ecole. Les RR. PP. de I'Assomption sont charges en outre de la direction des Soeurs Oblates de I'Assomption. VI. — Rhurrectionistes (16S3'). lis vinrent, comme je I'ai dit, a I'appel du P. d'Alzon, tra- vailler a cote des Augustins au releveinent moral et intellectuel des Bulgares. P2n 1890, ils ont dans le pays 3 stations, desservies par 1 1 pretres, I diacre et 8 freres con vers. I. Andrinople, 9 pretres dont 3 de rit bulgare, I diacre, 6 freres convers : chapelle latine, cha- pelle bulgare; ecole elementaire, 15 elcves bul- gares, ecole industrielle 15 eleves, gymnase 70 Aleves. Missions Catholiques. 2. Andrinople, faubourg de Kaik, i pretre de rit bulgare, i frere convers, petit seminaire pour les Bulgares et paroisse du meme rit. 3. Malko-Tirnovo, I pretre bulgare, 1 frere convers. VII. — Religieux georgiens de Marie-hnuia- culce, 10 pretres, 2 clercs, 4 freres. A u total, 16 religieux, 3 stations. 1. Feri - Keul, faubourg de Constantinople. Chapelle de I'lmmaculce-Conception avec alum- nat, 10 eleves ; 7 pretres, i latin, 2 armeniens, 3 georgiens, i grec, 2 freres convers. 2. Scutari (Asie). Chapelle paroissiale et ecole ; I pretre latin, i frere convers. 3. Pera. Hospice avec eglise succursale : Lk R. V. d'Alzon. D'apres un buste en niarbre execute par la Mere Franck. 2 pretres, rit grec gcorgien i clei c i fre.-e, ecole 80 enfants. VIII. —Freres des lleoles chrelienr.es {I'i^.d). 56 religieux, 7 maisons. 1. Constantinople. College Saint-Joseph, 90 pensionnaires ; externat-annexe, 150 eleves, 24 freres 2. Galata. External, 180 eleves, 5 freres. 3. et 4. Pera. 2 maisons, 60 et 230 eleves, 1 1 freres. 5. Pancaldi (Cathedrale). 220 externes, 6 freres. 6. Trebizonde (Asie-Mineure). 140 externes, 5 freres. 7. P^rzeroum (Asie-Mineure). 100 externes, 5 freres. Au total, I college, 7 ecoles, 1170 eleves. 6 82 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™" SIECLE. COMMUNAUT^S DE FEMMES. I. — Sccurs de Saint- Vincent de Paul (1839). 175 ScEurs, 14 maisons, 17 ecoles de filles, 2 150 enfants ; 4 ecoles de garcons, 21 5 enfants ; 5 or- phelinats, 480 enfants ; 3 hospices, pour les vieil- lards, les fous, les aveugles, 200 peiisionnaires ; 6 hopitaux, oil sont regus en moyenne annuelle- ment 1.800 malades ; i dispensaire a Constanti- nople qui donne des consultations gratuites et distribue des remedes a une moyenne annuelle de 30.000 personnes ; i creche, plusieurs patro- CONSTANTINOPLE. — Mgr Bonetti. Vicaire patriarcal de Constantinople, Lazariste, Archeveque titulaire de Palniyre, nages, enfin la visite a domicile des pauvres et des malades. Tel e.st le magnifique developpement des ceuvres des Soeurs de Saint-Vincent de Paul, dans le vicariat patriarcal de Constantinople. Nous les retrouverons dans I'Asie-Mineure, oi\ partout elles font benir le nom frangais et la charity catholique. II. — Smtrs de Saint Joseph de V Apparition. Elles travaillent depuis 1851 dans la prefecture apostolique de la Mer Noire. 13 Soeurs, 2 mai- sons : Trebizonde et Eraeroum. 2 ecoles de filles, 280 enfants ; i orphelinat de garcons. III. — Religieuses de Not re- Dame de Sion (1856). 70 Soeurs, 2 maisons ; 2 pensionnats de jeunes filles, 160 Aleves ; 2 externats, 190 eleves. IV. — Soeurs Oblates de l' Assoviption (1S68). 46 scEurs, dont 10 indigenes ; 4 maisons, i hopi- tal, 2 orphelinats de filles, i orphelinat de gar- cons, 3 ecoles. V. — Soeurs de la Cliarite d'lvn'e, Piemont (1869). 28 Sceurs italiennes ; 3 maisons, i hopi- tal a Pera, pour les Italiens ; 2 ecoles de filles et I pensionnat, 300 enfants. VI. — Sceurs gcorgiennes de Marie-Imniacnlce, Rit grec (1871). 15 Soeurs, 2 maisons, 2 ecoles, 125 enfant*:. VII. — Sauirs Franciscaines dii Tiers- Ordre (1S72). 21 Soeurs, dont 7 indigenes ; 2 maisons, i pension- nat, 100 eleves ; i ecole, 65 eleves. VIII. — Sccurs de la Char it c d'Agrain, Hongrie ( 1 88 1 ). 17 Soeurs, dont 2 indigenes ; i maison a An- drinople ; orphelinat de filles, 31 enfants ; ecole annexe, 14 eleves. IX. — Tertiaires doininicaines dc Mondovi, Italie (1882). 10 Soeurs, dont 2 indigenes ; 2 ecoles, 170 eleves. On voit par ce tableau succinct que toutes les ceuvres de la charite catholique sont largement deve- loppees dans le vicariat patriarcal de Constantinople. Ce vicariat patriarcal comprend 45.000 catholiques, 40.000 latins et 5.000 grecs, georgiens, melchites, syriens, maronites et chdldeens, qui, n'etant pas assez nombreux pour avoir dans le vicariat une hierarchie de leurs rites, sont sous la juridiction de I'Ordinaire. Les Armeniens et les Bulgares ont leur hierarchie distincte, et ne sont pas compris dans ces chiffres. Le nom- bre des catholiques latins du vica- riat s'est done eleve, pendant le cours du XI-X."" siecle, de 8.000 a plus de 40000. Malheureusement la ferveur de la foi n'a pas progresse -dans la meme proportion que le chiffre des fideles. Depuis cinquante ans surtout, les idees modernes, le faux liberalisme, I'indiffe- rence religieuse et la franc-magonnerie ont fait de tristes ravages dans le troupeau du CllRlST. Neanmoins, si le mal existe, il n'est pas sans remedes. Grace au zele des Congregations reli- gieuses, I'enseignement catholique, on vient de le voir, est largement offert a tous dans les dcoles ; les predications sont bien suivies, les sacrements frequentes, les fetes de I'Eglise cel<^brees avec L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. 83 pompe ; les CEUvres de charity s'epanouissent avec une admirable fecondite. Dans la ville de Cons- tantinople, trois Associations de dames de cha- rite, comptant plus de 250 membres, s'occupent, sous la direction des Sceurs de Saint-Vincent de Paul, de soulager les membres souffrants de J^SUS-Christ. Si la foi, selon la belle pensee de I'Apotre, se prouve surtout par les oeuvres, on ne saurait sans injustice desesperer de I'avenir reli- gieux d'une chretiente qui s'affirme par de pareils devouements. A cote des fideles du rit latin, il y a, dans le vicariat patriarcal, d'autres communautes appar- tenant aux divers rites unis. Je vais dire un mot sur chacune. I. — Rite grec uni. — Le rite grec uni compte peu d'adherents dans la Turquie d'Europe. Le voisinage du Phanar, I'influence politique et For de la Russie, ont empeche jusqu'a ce jour de tra- vailler efficacement au retour de ce peuple. II y a neanmoins, a Constantinople, un eveque grec catholique ; de plus, les Peres grecs gdorgiens BULGARIE. — Types bulgares, d'aptes une photographie. ont une chapelle de leur rite a feri-Keui, et une autre annexee a I'hospice qu'ils desservent a Pera. En dehors des religieux georgiens, il y a, a Constantinople, six pretres de rite grec pur ; ils ont un seminaire, ou Ton enseigne le grec ancien et moderne, la philosophic et la theplogie, et un petit catechumenat pour les nouveaux convertis du schisme. Ces grecs purs se distinguent des grecs mel- chites, qui sont de nationalite arabe et resident presque tous en Asie. Ces derniers neanmoins ont une ^glise de leur rite a Constantinople, avec une ecole qui comptait, en 1S82, iijeleves. — • Depuis plusieurs annees, le petit sanctuaire de PY'ri-Keui, dedie a I'lmmaculee-Conception, est devenu le centre d'un mouvement considerable de guerisons miraculeuses, obtenues par I'inter- cession de Notre-Dame de Lourdes. Malgre les attaques des journaux librespenseurs et du clerge schismatique, la foule des pelerins ne fait que grossir. De nombreux schismatiques accourent au sanctuaire de Marie demander la sante du corps, et ils y trouvent souvent la guerison de I'time, a laquelle ils ne songeaient pas ; on a vu 84 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. jusqu'a des femmes turques se recommander a la Mere d'Issa (Jl':.sus). La chapelle est deveniie trop etroite, et il a fallu songer serieusement a I'agrandir. Ils'est produit, a la suite, uncertain ebranle- inent de retour vers le catholicisme, mouvement encore bien faible, puisqn'il ne fait que commen- cer, mais qui pourra prendre ultcrieurement des accroissements serieux. — A Malgara, viile de la Thrace, un pope est revenu a 1 unite avec sa paroisse ; dans un village voisin, 300 schisma- tiques se sont convertis ; a Cesaree (Asie-Mi- neure), ij s'est fait, dans les derniers temps, un Mgr Paul Brunoni, ancien palriarche lalin de Constantinople. mouvement de retour accentu^ vers Rome, et plus de loopersonnes ont abjure recemment le schisme. Le nombre des grecs unis du Vicariat de Cons- tantinople s'eleve aujourd'hui a pres de 5.000. Pour etre proteges contre les persecutions des patriarches schismatiques, les nouveaux convertis ont demande a etre reconnus en communaute distincte. A cause de leur petit nombre, la Porte a jug6 plus expedient de les mettre jusqu'a nouvel ordre sous la juridiction civile du patriarche arm^no-catholique. Au spirituel, ils relevent du delegue apostolique de Constantinople. n. — Rile annhiien itni. — Je fais ici mention des Armeniens catholiques seulement pour me- moire, me proposant de revenir en detail sur les fideles de ce rite au chapitre suivant. in. — Bidgares unis. — A cause de I'impor- tance qu'a prise le mouvement bulgare depuis trente ans, il ne sera pas sans interet d'exposer un peu en d(^tail I'histoire de cette communaute. C'est dans le cours du V*' siecle de I'ere chre- tienne que les Bulgares, venus des bords du Volga, s'etablirent aux embouchures du Danube, lis etaient encore paiens, et c'est seulement au XF siecle que leur roi Bogoris fut converti a la foi Chretien ne par les saints apotres des Slaves, Cyriile et Methode ; I'empereur Michel voulut etre son parrain, et lui donna son nom au bapteme. L'union existait encore entre Rome et Cons- tan linople. Les Bulgares convertis se trouverent done catholiques, et le nouveau roi chretien, aus- sitot apres son bapteme, se mit en rapports avec le Saint-Siege. II envoya au Pape des ambassa- deurs, pour lui demander des eveques latins et reclamer la solution de certains doutes. Le Pajje Nicolas L'' repondit a Bogoris, en lui adressant une celebre decretale, qui est inseree au Corpus juris ; et pour satisfaire aux pieux desirs du prince, il lui envoya un 6veque latin et des missionnaires. C'etait precisement a I'heure nefaste ou Photius rompait avec Rome et inau- gur-.it le schisme, Les 13ulgares, encore jeimes dans la foi, subirent naturellement I'iiifluence de I'Eglise de Constantinople, leur mere, et la sui virent dans sa malheureuse defection, Mais comme ils trouvaient lourd le joug du patriarcat schismatique, au bout de deux siecles d'oppression, un de leurs meilleurs princes, Joan- nice, s'adressa a Innocent III, et reconnut, avec tout son peuple, la suprdmatie spirituelle de I'Eglise de Rome. L'indiscipline et I'ambition des croises firent avorter ces esperances. Baudoin, empereur latin de Constantinople, ayant, sans motifs et contre la defense du Pape, declare la guerre a Joannice, fut vaincu, fait prisonnier et mis a mort par lui. Des lors, et jusqu'a la chute de I'Empire franc, les Bulgares se montrerent les ennemis impla- cables des Latins, et il ne fut plus question d'union avec Rome, Le patriarche schismatique de Constantinople abusa de la situation pour traiter les Bulgares en peuple conquis, et il mit tout en ceuvre pour detruire leur nationalite. On leur envoya des Eveques grecs, dont I'unique mission etait d'ex- torquer a leurs ouailles le plus d'argent pos- sible et de les greciser. Ils interdirent I'usage de la langue slave dans la liturgie et du bulgare dans les ecoles, Opprimes politiquement par les Turcs et religieusement par leurs pasteurs, les malheu- reux Bulgares demeurerent jusqu'au milieu du XIX'' siecle dans un etat d'abaissement a peine croj-able. L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800 1890. 85 Pendant la guerre de Crimee (1854), I'esprit de nationalite se reveilla fortement chez les Bul- gares, comme parmi toutes les populations chre- tiennes soumises au Sultan. lis reclamerent, au- pres du patriarche, des eveques de leur nation, le retablissement du slave dans la liturgie et du bulgare dans I'enseignement. Leurs demandes ayant ete rejetees, ils rc-sokirent de secouer enfin le joug du Phanar. Mais sentant leur faiblesse et leur isolement, les Bulgares se tournerent tout naturellement vers Rome. Ce fut, il faut bien le reconnaitre, nn entrainement plus politique que religieux. Les chefs du mou\ement ne s'occupaient nullement de la question de dogme. lis cherchaient unique- ment a sortir de I'oppression, dans laquelle les retenait depuis des siecles le patriarche de Cons- tantinople. Mais si les motifs qui poussaient les Bulgares vers Rome laissaient a desirer sous le rapport religieux, au point de vue politique, les resultats etaient immenses. Cinq a six niillions de Bulgares enleves au schisme, et par consequent a I'influence russe, comme le declarait, vingt ans plus tard, Said-Pacha, premier ministre de la Forte, c'etait la ruine du panslavisme et la question d'Orient bien pres d'etre resolue. Places entre le Danube et Constantinople, six millions de Bulgares catho- liques barraient au Czar la route de cette capi- tale.. C'eut et6 le triomphe de la civilisation occi- dentale. Pourquoi faut-il qu'a cette heure decisive la France n'ait pas eu conscience de son role ? Tout simplement parce que notre ambassadeur a Cons- tantinople, M. Thouvenel, etait un libre-penseur, qui ne vit dans le retour des Bulgares qu'une question de sacristie, indigne d'occuper son atten- tion. II refusa le concours de la France a ce peuple opprime, qui venait avec enthousiasme se declarer notre client et se jeter entre les bras de la seule puissance qui represente le catholicisme en Orient, le laissant ainsi expose sans defense aux intrigues de I'Angleterre et de la Russie. Rome comprenait mieu.x I'importance de la question et suivait attentivement le mouvcment bulgare. A Constantinople, Mgr Brunoni, vicaire patriarcai, M. Bore, supcrieur des Lazaristes, ac- cueillaient avec bienveillance les envoyes de la nation. Apres plusieurs pourparlers, un pretre rentre dans I'union, le Reverend Joseph Sokolski, fut choisi pour eveque. Pie IX, voulant donner a ses nouveaux enfants un gage d'affectiun pater- nelle, I'appela a Rome pour lui conferer de ses propres mains I'onction episcopa'e ; un diacre, M. Raphael Popoff, et plusieurs envoyes de la nation bulgare, accompagnaient le nouveau prelat. Le sacre de Mgr Sokolski eut lieu dans la chapelle Si.xtine, le dimanche I4avril 1861. Mal- gre I'opposition de lAngleterre et de la Russie, la Porte s'empressa de reconnaitre I'existence de la communaute bulgare unie et delivra a son chef, Mgr Sokolski, son berat imperial. II }• eut alors un ^branlement general dans la nation, et Ton put croire un moment que tout le peuple bulgare allait rentrer en masse dans I'union. La Russie comprit le danger qu'allait faire courir a sa politique le retour au catholicisme de la nation bulgare. D'accord avec I'Angleterre, toujours prete a contrecarrer en Orient Taction du catholicisme et I'influence de la France, le gouvernement russe mit tout en ceuvre pour arreter le mouvement et il n'}' reussit que trop M. Eugene Bore, Superieur general de la Congregation de la Mission et de la Compagnie des Filles de la Charite. bien. Que se passa-t-il entre les agents du Czar et le nouvel eveque ? On ne I'a jamais su positive- ment. Mais, deu.x mois apres son retour de Rome, Mgr Sokolski disparaissait, emportant ses biilles d'eveque et son berat iinperial de chef civil de la communaute. Ouelques jours apres, on apprenait avec stu- peur qu'on I'avait vu soriir de nuit de I'ambassade rtisse et s'embarquer pour Odessa. On sut depuis qu'on I'avait dirige sur Kievv, ou il demeura jusqu'a sa mort, interne dans un monastere, sans qu'il fut possible aux Bulgares de communiquer 86 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"^ SIECLE. avec lui. II est permis de croire que le vieillard fut victimede sa confiancedans les Russes, plutot qu'apostat. Ce qui tend a le demontrer, c'est son internement rigonreux dans I'interieur de la Russie. S'il eut forinellement abjure I'union, le gouvernement moscovite n'eut pas manque de le renvo}'er a ses ouailles et de publier sa victoire. La disparition de Mgr Sokolski, exploitee par la Russie et par les schismatiques, remettait tout en question. Un instant, on put croire que e'en etait fait de I'union bulgare. Ses adherents, qui s'elevaient deja a plus de 60.000, descendirent Mgr Raphael Popoff, Eveque-administrateur des Bulgares-Unis. a 4.500. D^couragee de la perte de son chef, etne voulant a aucun prix retomber sous le joug des Grecs, la masse de la nation finit par se faire reconnaitre par le Sultan comme communaute independante, sous le titre d'exarchat bulgare. Le patriarche schismatique de Constantinople essaya en vain des'y opposer.en excommuniant I'exarque dans un synode general de tous les patriarches, celui de Jerusalem excepte. L'exarque brava les foudres du Phanar, soutenu par I'or et I'influence politique de la Russie, qui, mieux avisee que la France, s'est bien gardee de laisser echapper I'occasion, convoitee depuis longtemps, de mettre la main sur la nationalite bulgare. Au moment ou tout semblait humainement perdu pour I'union bulgare. Taction providen- tielle commenga a se manifester. Jusqu'alors, comme je I'ai dit, le mouvement etait plus poli- tique que religieux. DiEU, qui voulait sans doute epurer ces vues humaines, permit qu'il echouat pour se reconstituer sur de meilleures bases. Au nombre des rares membres du clerge demeures fideles a I'union, se trou\-ait un jeune diacre, Raphael Popoff, qui avait accompagne a Rome Mgr Sokolski. La vue du centre de la catholicite avait fait sur son ame une impression pro- fonde. Ordonne pretre par Mgr Brunoni, il fut envoye a Andri- nople, oil il s'employa de toutes ses forces a raffermir les convic- tions, un instant ebranlees, de ses compatriotes. II reussit a conserver un petit noyau de fideles a Andri- nople et dans une dizaine de vil- lages aux environs. C'est pourquoi, malgre sa jeunesse. Pie IX sedecida a I'elever a I'episcopat, avec le titre d'eveque-administrateur des Bulga- res unis. Pour prevenir le retour de la catastrophe precedcnte, le jeune prelat fut place, avec son peuple, sous la juridiction du vicaire pa- triarcal de Constantinople (1865). J'ai dit plus haut comment, pour venir au secours de cette Eglise en detresse. Pie IX avait demande au R. P. d'Alzon quelques-uns de ses religieux en Bulgarie. Unis aux RR. PP. Resurrectionistes, les Au- gustins de I'Assomption se mirent avec zele a ouvrir des s6minaires, des colleges et des ecoles pour tirer la nation bulgare de I'ignorance avilissante dans laquelle elle crou- pissait, pendant que le R. P. Gala- bert, leur superieur, etait plac<£ au- pres du nouvel 6veque, Mgr Popoff, pour lui servir de theologien, preve- nir une nouvelle defection et etre, selon le mot aimable de Pie IX, YAiige gardien du jeune prelat. De leur cote, les Lazaristes de la Macedoine ouvraient, a Salonique et a Monastir, des ecoles pour les Uniates. Enfin le vicaire patriarcal de Constantinople envo}-ait a la Propagande quel- ques jeunes Bulgares choisis parmi ceu.x qui don- naient le plus d'esperancede pouvoir un jour etre eleves au sacerdoce. Pendant qu'on s'occupait ainsi de repandre I'instruction parmi les Bulgares, tenus jusqu'alors, meme le clerge, dans une ignorance effroyable, le nouvel eveque, Mgr Raphael Popoff, reconnu officiellement par la Porte, commencait la visite L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. 87 pastorale de son troupeau. Partout il fut recu avec enthousiasme par les rares x-illages demeures fideles a I'linion. lis avaient eu bien du merite a perseverer, en depit ces vexations etdes intrigues des schismatiques, qui s'en allaient repetant par- tout que Rome avait abandonne les Bulgares, et qu'il n'y avait de salut pour eux qu'en se jetant dans les bras de la Russie. A la fin de cette premicse visite (1867), le chiffre des Bulgares unis etait dcja rerfionte a 9.000. Le mouvement de retour vers Rome a continue depuis, lentement mais surement. Au- cune raison politique, aucun avantage materiel n'attire aujourd'hui les Bulgares a I'union, tout au contraire. Hen resulteque ecu x qui se convertis- sent sont amenes par la grace, et qu'ils sont decides a tout souffrirpour rester les enfants dociles de I'Eglise romaine. Mgr Raphael Popoff, etant mort en 1S74, eut pour suc- cesseur un eveque bulgare re- cemment converti, Mgr Nil Isvoioff. Imm^diatement plus de douze cents families de Koukouche, son ancien siege episcopal, se declarerent pour I'union, et le mouvement s'e- tendit de proche en proche au.x villages voisins. Rome comprit bientot qu'un seul avenement ne pouvait plus suffire a la tache. En 1883, la Propagande decida I'erection de deux nouveaux vicariats apostoliques pour les Bulgares, I'un a Andrinople pour la Thrace, I'autre a Salo- nique pour la Macedoine. Mgr Nil Is\-oroff dut fixer sa resi- dence a Constantinople, avec le titre d'archeveque-adminis- trateur des Bulgares. Mgr Petkoff, ancien eleve de la Propagande, fut le premier vi- caire apostoHque de la Thrace, et Mgr Mladenof fut choisi pour la Macedoine. Les deux nouveaux vicaires apostoliques furent reconnus en cette qualite par la Porte. Le vicariat apostolique de la Thrace comptait en 1889: Un vicaire apostolique, i', pretres indigenes, 7 Peres Resurrectionistes, dont 3 de rite latin et 4 de rite bulgare ; 7 religieux de I'Assomption, dont 5 de rite latin et 2 de rite bulgare ; au total, 27 missionnaires, 17 stations, 15 eglises ou chapelles, 2.900 catholiques. Un seminaire a Andrinople, sous la direction des Peres de la Resurrection ; i gymnase partage en sept classes et une ecole industrielle, 8i pen- sionnaires et lo externes ; 7 (icoles ^lementaires pour les enfants bulgares des deux sexes. Les Augustins ont, dans la meme ville dAndrinople, I alumnat qui compte 35 cleves, dont 18 bulgares. lis ont une autre ecole a Philippopolis. Les Soeurs de Charite et les Oblates de I'As- somption ont dans la Mission plusieurs ecoles et orphelinats. Enfin, il y a dans le vicariat apostolique de Thrace i monastere d'hommcs de rite bulgare, 10 religieux, et i monastere de femmes de meme rite, 35 religieuses. Le vicariat apostolique de la Macedoine comp- tait en 1889 : Un vicaire apostolique, 18 pretres indigenes assistes de quelques Lazaristes, 35 stations, 22 eglises, 31 chapelles, 25.000 catholiques. Le R. p. G.\labert, Fondateur des Missions des Augustins de I'Assomption en Orient. Un seminaire a Salonique sous la direction des Lazaristes, 50 Aleves ; 22 ecoles elementaires, 1.200 gar9ons, 100 filles. En dehors de ces deux vicariats, il y a une centaine de Bulgares unis a Constantinople et dans les environs ; ce qui porte a 28.000 le chiffre des Uniates. Puisse ce petit troupeau etre les premices de la nation bulgare tout entiere ! IV, - BULGARES LATINS, Vicariat apostoliquk dk SOFIA ET PHILIPPOPOLIS. IL est certain qu'au cours du XI 11'= et du XIV<= siecle, les Franciscains precherent avec beau- coup de succes au milieu des Bulgares repandus 88 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlXm*^ SIECLE. THRACE. Eglise cathedrale de Mgr Petkoff, a Andkixople. ■ D'apres le croqais d'un missionnaiie. dans la Macedoine et la Thrace, puisqu'on voit quil existait a cette epoque une custodie de Bulgarie. Malheureuse- ment, comme il s'agissait de de- nationaliser les Bulgares en les amenant au rite latin, cet apos- tolat des fils de saint Francois fut sterilise en grande partie par les defiances pelitiques , car , pour rOriental, le rit est le signe distinctif de la nationalite : pas- ser au rit latin, c'etait done pour euxabjurerla pa- trie et se faire na- turaliser francs. C'est pourquoi , malgre Tardeur de leur zele, les Franciscains n'obtinrent que des conversions isolees, et ils echouerent sur la masse de la nation bulgare. De la, entre les enfants du meme sol, des haines nationales, des persecutions atroces contre les Bulgares latins, regardes par leurs compatrio- tes comme des apostats et des traitres a la pa- trie. Dans la pre- miere moitie du dernier siecle, la mission francis- caine des Bulga- res fut presque aneantie. La pro- vince de Sofia, en particulier.eut tant a souffrir, qu'on ny trou- vait plus.en 1750, que 17 catholi- ques. Dans la mission de Phi- lippopolis, les ce malheureux THRACE. — Falais episcopal ue Mgr Peikoff, a Andkinofle. D'apres le croquis dun missionnaire. schismatiques firent expulser quatre fois les missionnaires latins. Pour relever L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENIiMSULE DES BALKANS, 1800-1890. 89 vicariat, la Propaganda le confia, en 1834, aux RR. PP. Redemptoristes. lis n'y trouverent que 2.400 catholiques, et, quand ils se retirerent au bout de cinq ans, ils en laissercnt 5.500. En 1 84 1, le vicariat reuni de Sofia et de Plii- lippopoli.s fut confie aux Capucins, et la mission continua de faire sous leur direction de consolants progres, puisqu'en cinquante ans le chiffre des catholiques est monte de 5.500 a 12.000. Personnel du vicariat : i vicaire apostolique, 29 pretres, dont 6 indigenes. Ouatre congregations d'homines: 1° Capucins : 30 religieux, dont 21 pretres. lis sont charges de desservir les 14 stations du vicariat apostolique, avec le clerge indigene, 13 6glises et 6 chapelles. 2° Tertiaires Capucins : 10 religieux. 3° Augustins de I'Assomption : 9 religieux. Ils tiennent le seminaire de Philippopolis, avec succursale a Sofia, 57 eleves dont i8 en theologie. Plus un grand college a Philippopolis, 175 eleves. 4° Freres des Ecoles chretiennes : 4 freres, i ecole a Sofia, 100 eleves. Deux congregations de femmes : Soeurs de Saint-Joseph de I'Appa- rltion, 14 Soeurs, 2 maisons, a Sofia et a Philippopolis, pensionnat et exter- nal, 415 eleves. Tertiaires regulieres de Saint-Fran- cois, 23 Scturs, I hopital a Philippo- polis et 2 Orphelinats, 28 enfants. Statistiqite coiiiparce dii vicariat patnarcal de Constantinople. E n 1800 1850 i8go Latins 8 .000 12.500 40.000 cat. Rits-unis (') ? 3.500 5. coo Biilgares-un:s 28. coo Bolgares-latins ' 6,000 1 2 . 000 Tola! : 10 .000 22 000 85. coo cat. III., AHCHIDIO CESE DE DURAZ ZO, EPIRE II est bon de noter que le district d'Arta, qui compte environ 3.000 catholiques, a ete detache, en 1882, de I'archidiocese de Durazzo, pour etre uni a celui d'Athenes La population catholique a done plus que triple en 90 ans. Le progres des ceuvres est encore plus sensible. En 1800, il n'y avait que quelques pauvres chapelles, desservies par une dizaine de pretres. En 1848, il y avait deja 12 eglises, 14 cha- pelles, 10 pretres indigenes, 4 missionnaires fran- ciscains. En 1890, il y a : i cathedrale. 22 eglises L 'Antique Dyrrachium.mdtropole de I'Epire, eut des les premiers siecles un siege archiepiscopal de rit grec avec plusieurs suffragants. Vers le ¥■= siecle, les Sou- verains Pontifes y etablirent au.ssi un archevech^ latin avec quatre suffragants ; mais I'invasion miisulmane emporta tout, et I'antique metropole latine de Durazzo resta seule, cpmme un sou- venir des gloires religieuses de I'Epire. En 1800, i'archeveche de Durazzo comptait 4.500 cath. En 1889, il en a 11.278 contre 140.000 Turcs, juifs et schismatiques. I. Non compris les Armeniensunis, dont il sera tiaite ^ p.-irt. Mgr Petkoff, Vicaire apostolique des Bulgares-Unis de la Thrace. paroissiales, 28 chapelles, 7 ecoles : 72 gar(jons, 42 fiUes. Pei-sonnel : i archeveque, 19 pretres, dont 14 indigenes. 5 communautes de Franciscains : 7 religieux, 5 pretres et 2 freres. Statistiqite coinf'an'e de I'airkidiocese de Dni-azzo. En 1800 1S50 i8go. 4.500 6.880 12.278 catholiques. 90 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"« SIECLE. <^< IV. - DIOCESE D'ALBANIE. >f^ L'Albanie, la patrie de Scanderberg, estune terre en grande partie catholique, ou la hierarchic latine existe depuis des siecles. II y a aujourd'hui en Albania un archeveche, Scutari, et trois eveches suffragants, Alesio, Pulati et Sappa, plus I'abbaye de Saint-Alexandre des Mirdites, qui \ient d'etre retablie par Leon XIII en 1888. Malheureusement, si la \ie catholique est floris- sante en Albanie, elle n'a pu jusqu'ici exercer aucune influence au dehors. Separes depuis des siecles par des haines irreconciliables, musul- mans, grecs, schismatiques et latins ne se melent pas les uns aux autres. II en resulte que les populations catholiques restent a peu pres sta- tionnaires et ne s'augmentent que par I'accroisse- ment des naissances sur les ddces. Or, jusqu'a ces dernieres annees, cet accroissement a ete contrarie par les massacres des Turcs et le rapt organise et legal des enfants chretiens, que les disciples de Mahomet enlevaient a leurs families pour en recruter le celebre corps des janissaires, C'est ce qui explique comment, depuis des siecles, les populations catholiques de I'Albanie out plutot diminue qu'augmente. Esperons qu'avec la cessation des horreurs du pass^, ce peuple int^ressant, dent I'energie a fait plus d'une fois reculer les Turcs, pourra grandir etse developper en paix. Un bel avenir semble s'ouvrir aujour- d'hui pour I'Albanie, au milieu des nombreuses nationalites de la peninsule des Balkans, car le peuple albanais est tres attache a la foi catho- lique, brave, chevaleresque et moral, II est aussi generalement mieux instruit que les populations voisines, grace a I'Eglise catholique qui ne laisse pas croupir ses enfants dans I'ignorance. /. Archidioccse de S«//a;7. L'antique mdtropole de Scutari, qui date du IV<= siecle, fut reduite, au ixe siecle, au rang d'eveche suffragant d'Antivari. En 1877, Pie IX retablit le siege archiepiscopal et I'unit a celui d'Antivari. Enfin, en 1886, les deux metropoles furent de nouveau separees, et I'archidiocese de Scutari garda comme suffra- gants les trois 6vech6s d'Albanie. En 1890, il y a dans I'archidiocese 27.335 catholiques. La population schismatique et musulmane est de 54.000 ames. Personnel : i archeveque, 42 pretres, dont 23 indigenes, 8 clercs indigenes. 3 communautes d'hommes : 1° Mineurs Refor- mes, 10 pretres, 7 freres ; 2" P'ranciscains de I'Observance, 2 pretres, i frere ; 3° Jesuites, 8 pretres, 3 scholastiques, 6 freres coadjuteurs. Une communaute de femmes : Sceurs Stig- matines du Tiers-Ordre de saint PVancois : 12 religieuses. QJuvres : 28 eglises, 12 chapelles, belle eglise cathedrale a Scutari. Un seminaire a Scutari pour toute I'Albanie ; 29 Aleves, dont 5 de I'archidiocese de Scutari. I college a Scutari, sous la direction des Je- suites, 103 Aleves. 7 ecoles paroissiales : 842 garcons, 409 filles. I orphelinat de filles, 8 enfants, i hopital tenu par les Stigmatines. 2° Diocese d' Alesio. — Ce diocese est presque entierement catholique. II ne compte pas plus d'un millier de dissidents, contre 21,487 catholiques. Personnel : i eveque, 15 pretres, dont 5 reli- gieux, 5 clercs, 1 2 paroisses,i6 eglises ou chapelles. 3° Diocese de Pidati. — Ce diocese, tout catho- lique, ne compte que 200 dissidents. II a 14.21 1 catholiques. Personnel : un eveque, 7 pretres, dont i indigene. CEuvres, 10 paroisses, 10 eglises, plusieurs chapelles. 4° Diocese de Sappa. — Ce diocese, presque tout catholique comme le precedent, ne compte pas plus de 3,000 dissidents, contre 20.121 catho- liques. Personnel : i eveque, 19 pretres dont 2 Fran- ciscains. CEuvres, 27 paroisses, 26 eglises et 25 cha- pelles. La cathedrale sert d'eglise paroissiale. 1 college, tenu par les Franciscains, 18 eleves. 5° Abbaye de Saint- Alexandre des Mirdites. — Par un decret du 25 octobre 1888, Leon XIII a retabli I'antique abbaye benedictine de Saint- Alexandre des Mirdites, qui etait depuis plu- sieurs siecles sous la juridiction de I'eveque d'Alesio. La juridiction de I'abbe s'etend sur 12.000 catholiques partages entre 5 paroisses. lis sont assistes par 6 pretres, et ont 1 5 eglises et 8 cha- pelles. La nationalite mirdite, qui a toujours refuse de fusionner avec les autres peuples chretiens de la Turquie d'Europe, est, d'apres les historiens orientaux, d'origine maronite. Dans les guerres assez nombreuses que les Maronites du Liban soutinrent contre les empereurs de Constanti- nople, au moyen age, pour la conservation de leur foi et de leur nationalite, un de leurs corps de troupes, trop faible pour regagner les cotes de I'Asie, se serait refugie dans les montagnes de I'Albanie, ou ils se sont conserves jusqu'a nos jours, sans se meler aux peuples voisins, mais inebranlables dans la profession de la foi catho- lique. Puisse ce petit peuple se souvenir toujours du pieux heroisme de ses ancetres ! Statistique coinpart'e des dioceses d Albanie. En 1800 1850 1890 Arch, de Scutari 21.000 23.000 27.335 calh. Evech. Alesio 10.000 j6.ooo 21.487 Pulati 6.000 10.000 14.21 1 Sappa 8000 12000 20.121 Abbaye-Mirdite o o 12.000 45.0C10 61.000 95.154 cath. L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. 91 V. — ARCHEVECHE D'AN- TIVARI (MONTENEGRO). LA Montagne Noire est tout entiere schisma- tique, et comptait, en 1878, a peine 300 catholiques, sur une population totale d'environ 120.000 ames. Mais, au traite de Berlin, le prince de Monte- negro, en recompense des services qu'il avait rendus a la Russie, obtint la cession des ports d'Antivari et de Uulcigno, avec une portion de territoire enlevee a TAlbanie et a la Serbie. Le prince Nicolas, homme eclaire et politique habile, s'em- pressa d'accorder a ses nouveaux sujets catholiques la liberte reli- gieuse. Par un concordat passe avec Leon XIII, en 1885, le siege d'Antivari , qui , depuis 1867, etait reuni a celui de Scu- tari, en fut separe, et, par con- cession speciale du Saint-Siege, accordee en 1888 a la demande du prince, I'usage de la langue slave fut autorisc pour les offices et les prieres liturgiques dans I'archidiocese dAntivari. Le diocese compte en 1890 : I archeveque, 10 pretres, dont i indigene, 9 eglises, 8 chapelles et 5.221 catholiques, sur une po- pulation totale de 289.500 ames. Stntistique comparee de r arcliidiocese d Antivari. milliers a peine, sur une population totale de pros de deux millions de Serbes. Neanmoins la liberte des cultes est reconnue en droit, sinon en fait, et Ton peut esperer de meilleurs jours pour cette Eglise si opprimde. 1° Arcliidiocese de Scopia. — II comprend le district de Novibazar, avec une portion restreinte de lAlbanie et de la Serbie. Le siege archiepiscopal de Scopia remonte au IV«= siecle et compta jusqu'a cinq suffragants. Par le malheur des temps, ces dioceses furent succes- sivement ruines, et c'est seulement en 1656 cjue En 1800 2000 1850 3 500 1890 5.221 cath. VI. DIOCESES DE SERB[E. LE peuple Serbe, repandu au nord de la Peninsule des Balkans, est un de ceux qui ont eu le plus a souffrir des ravages de I'invasion musulmane. C'est seulement vers 1830 que, sous la direction du cclebre Milosech Obrenovich, la nationalitc serbe a commence a s'affranchir un peu de la crucUe domination des Musulmans. Depuis cette epoque, ce petit peuple a fait de rapides progres dans la civilisation, et au traite de Berlin il a obtenu enfin son autonomic politique. Malheureusement il est en proie a de continuelles revolutions et livre prcsque entierement a I'influence de la Russie, dont les patriotes essaient en vain de secouer le joug, presqu'aussi ecrasant que celui des Turcs. C'est ce qui fait que, dans la Serbie proprement dite, les catholiques ne forment encore qu'une minorite imperceptible, quelques NlCOL.^S I", PRINCE DU MoNr^NEGRO ET DES BeRD.'V. D'aprfes une photographic de I'abbe P. Bauion. la metropole de Scopia fut retablie. En meme temps. Innocent X chargeait I'archeveque d'ad- ministrer les dveches suffragants encore prives de leurs pasteurs. En 1890, I'archidiocese de Scopia comptait environ 15.000 catholiques. La population musulmane et schismatique depasse un million. De i860 a 1873 d'horribles devastations for- cerent I'archeveque a abandonner son siege et a .se refugier avec son peuple dans les montagnes. C'est seulement en 1885 qu'il put rentrer a Sco- pia, a la demande meme du gouvernement otto- 92 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. man. Depuis ce temps, la paix religieuse n'a plus ete troublee. Il)y a dans I'ai-chidiocese : i archeveque, 15 pretres, dont 7 indigenes, 5 seminaristes etudiant au seminaire de Scutari. 7'paroisses, 4 eglises et 3 chapelles. 5 ecoles paroissiales frequentees par 370 enfants. 2° Diocese de Belgrade-Semendria. L'eveche de Belgrade, seul reste des cinq eglises episco- pales qui existaient autrefois dans le pays, a ete a peu pres ruine au cours de ce siccle, en sorte qu'on ne trouve aucun chiffre dans les statis- tiques officielles. Des voyageurs, qui paraissent bien informes, portent le chiffre des catholiques du diocese aux environs de 5.000. Statistique ccmpan^e des dioceses de la Seilnc- iSgo 8.0C0 ? 5.000 En I Foo Archid. de Scopia 6 000 Dioc&se de Be'grade ? Total : 6.000 8 000 20.000 Sur ce chiffre de 20.000, on compte a peine 5.000 Serbes. VII. -DIOCESES DE BOSNIE ET D'HERZEGOVINE. EN 1735, la Bosnie et I'Herzegovine furent erigees par la Propagande en vicariat apostolique, confie aux PP. Franciscains. En 1852, ce vicariat unique fut divise en deux; le vicariat de Bosnie et celui d'Herzegovine. Enfin en 1 88 1, la Bosnie et I'Herzegovine ayant ete cedees par le traite de Berlin a I'Autriche, Leon XIII, a la demande de I'empereur, retablit la hierarchie dans ce pays. II institua Tarcht-ve- che de Serajewo, avec trois eveches suffragants : Banjaluka, Trebigne et Mostar. Au commencement du siecle, la Bosnie et I'Herzegovine formaient un vicariat unique, qui comptait seulement 85.000 catholiques ; au recen.sement de 1890, les deux provinces forment une province ecclesiastique, qui compte 265.788 catholiques. On voit que le chiffre des catholiques a plus que triple en quatre-vingt-dix ans. Malgrd cela, ils ne forment encore que le cinquieme de la population totale de i. 336.091 habitants. Le reste se com- pose de 571.250 schismatiques, 492.710 musul- mans, 5.805 juifs et quelques centaines de pro- testants ou sans culte. Voici, pour 1890, la statistique des differents dioceses de la Bosnie et de I'Herzegovine. 1° ArchevecM de Serajezvo, engG en 1881. Personnel : i archeveque, 93 pretres dont 7 seulement appartiennent au clerge seculier. Communautes religieuses : Mineurs Obser- vantins, 79 pretre.s, 39 clercs, 3 freres ; Jesuites, 1 2 religieux. 36 Soeurs de Charite, 48 Filles du Divin Amour. Qiuvres : 73 paroisses, 37 eglises, 36 cha- pelles. Un seminaire provincial a Trawnik, sous la direction des PP. de la Compagnie de Jesus. Un college de jeunes gens (Mineurs Obser- vantins). 9 pensionnats de filles, 6 sous la direction des Sceurs de Charite et 3 sous celle des Filles du Divin Amour. 8 ecoles primaires diocesaines, sans parler des nombreuses ecoles du gouvernement, dans les- quelles le pretre catholique est admis a donner I'instruction religieuse. I orphelinat de filles a St^rajewo. Population catholique; 150.408 de rite latin et quelques grecs unis. 2° Diocese de Batijnhika, erige en 1S78. Personnel ; 1 admiiiistrateur apostolique, 48 pretres, tous indigenes a 1 exception de 3; 10 clercs. Communautes religieuses : Mineurs Obser- vantins, 3 maisons, 15 religieu.x ; Trappistes. 2 maisons, 106. 50 Soeurs du Precieux Sang, 13 Sceurs de la Misericorde. CEuvres : 26 paroisses, 24 Eglises, 12 cha- pelles. Outre le seminaire provincial, i petit semi- naire, 23 eleves ; plus 21 eleves eccldsiastiques chez les Franciscains. 9 ecoles primaires diocesaines : 246 garcons, 292 filles, sans parler des ecoles du gouverne ment. I orphelinat garcons (Trappistes), 85 enfants. 3 orpheliiiats filles, 75 enfants. Population catholique : 41.216 ames. 3° Diocese de ]\Iarcana Trebigne. — Ce double diocese, erige au moyen age et a peu pres detruit par la persecution, etait depuis un demi- siecle ."-ous I'admir istration de I'eveque de Kaguse. Leon XIII le rattacha en 1881 a la pro- vince ecclesiastique de Serajewo. Personnel; Mgr I'eveque de Raguse, adminis- trateur apostolique, 8 pretres et 4 clercs, tous indigenes. Qiuvres ; 7 paroisses, 9 eglises ou chapelles. Population catholique ; 13.412 ames. 4" Diocese de Mostar. — Ce diocese, erige en 1881, comprend tout I'ancien vicariat apostolique d'Herzegovine. Personnel: i eveque, 51 pretres, dont un seul seculier. Communautes religieuses ; Mineurs Ob.ser- vantins, 50. CEuvres ; 28 paroi-ses, 13 eglises, 16 cha- pelles. \jx\ seminaire sous la direction des Francis- cains. L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. 93 Plusieurs ecoles diocesaines sRns parler de celles du gouveriiement. Population catholique : 66.000. Statistiqite coinpaire des dioceses de Bosnie et d'Herzcgovine. En 1800 En 1S50 En 1890 I vie. uniq. 85 000 cath. 1300JO 4dioc., 265. 7S8 Vin. - DIOCESE DE NICOPOLIS. PRINCIPAUTE DE BULGARIE. AU siecle dernier, les Bulgares de rit latin, formant le diocese de Nicopolis, furent tel- lement persecutes par les schismatiques et par les Turcs, qu'ils emigrerent en masse. Pour relever les mines de cette mission desolee, Pie VI la confia, en ijSr, au.x religieux Passionnistes, avec la mission voisine de Vala- chie. Jusqu'en iS83,reveque de Nicopolis admi- nistra le vicariat de Valachie. A cette epoque, Leon XIII crea I'archeveche de Bucharest et les deux sieges furent separes. Ouand les RR. PP. Passionnistes arriverent a Nicopolis, ils trouverent dans le diocese deux a trois cents catholiques seulement, pas d'eglises, pas de presbyteres, pas une ecole. Quelques grottes creusees dans la terre et soigneusement dissimulees aux regards, etaient les seuls lieux de reunion des fide^es. De 1781 a 1883, sept eveques se succederent sur le siege de Nicopolis. C'est seulement en 1 820 qu'ils purent commencer a sortir des catacombes et a clever plusieurs chapelles. Quelques catholiques alsaciens vinrent en 1830 et en 1870 s'etablir dans la Dobrudja. En 1X83, la ville de Varna, qui appartenait a la prefecture apostolique des Capucins de Trebi- zonde, fut rattachee au diocese de Nicopolis. II y a, en ce moment, dans le diocese : i eveque, 13 pretres religieux Passionnistes, dont I seul indigene. Communautes religieuses d'hommes : Clercs Reguliers de la Passion, 13 religieux. Communautes de femmes : Sceurs de la meme congregation, 16 Sceurs. Sept stations avec residences, 3 stations visi- tees de temps en temps, 7 eglises, 5 chapelles, 12.000 catholiques, sur i. 500.000 habitants. I seminaire dans la maison de I'eveque, 6 eleves. 10 ecoles avec 480 eleves. I pensionnat de filles a Roustchouk, tenu par les Sceurs anglaises de Saint-Paul-de-la-Croix ; I institut de charite : 120 jeunes filles dont 20 pensionnaires. Statistique coinparee du diocese de Nicopolis. En iSoo 1850 1890 300.' 2 cxjo 12.000 catholiques Depuis le traite de Berlin, la principaute de Bulgarie est a peu pres independante, sous le protectorat de la Porte. Mais les intrigues des Russes ne cessent de troubler le pays, et deja deux princes se sont succede a la tete de la nation. Les Russes ont formellement refuse de reconnaitre le titulaire actuel, qui est catholique, crime irrcmissible au.K yeux du Tzar. Pour se faire pardonner sa foi et obtenir la reconnais- sance de la Russie, le prince a^ eu^] I'odieuse Saint Jean Capistran. D'aprfes le tableau de Bartolomm&s Vivarini, XV'-" si^clc. lachete de livrer dernicrement son jeune fils catholique au schisme. IX.- DIOCESES DE ROUMANIE. AU point de vue religieux comma au point de vue politique, la Roumame est divisee en deu.x provinces: la Valachie, capitale Bucha- rest, et la Moldavie, capitale Jas.sy. 94 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX""^ SIECLE. La Roumanie, I'ancienne Dacie, a requ son nom des nombreux colons romains que I'empe- reur Trajan etablit aux embouchures du Danube et sur le cours du fleuve, pour arreter les inva- sions des barbares. Ce pays fut evangelise des le premier siecle ; mais, au neuvieme, les habitants suivirent malheureusement le schisme de Photius. Neanrnoins des rapports se retablirent bientot avec I'Eglise romaine, et nous voyons, au treizieme sit'cle, le pape Innocent III envoyer un diademe au roi catholique des Roumains. Depuis cette epoque, les Franciscains n'ont cesse Mgr Ignace Paoli, Eveque de.Nicopolis (Bulgarie) et administraleur de la Valachie d'6vangeliser la Roumanie, dont saint Jean Capistran ramena la plupart des habitants a I'unite catholique, dans le courant du quinzieme siecle. Mais, les Turcs ayant fini par s'emparer du pays, le catholicisme en fut impitoyablement proscrit, et sa mission etait a pen pres aban- donnee, quand, a la fin du dernier siecle. Pie VI, en confiant I'eveche de Nicopolis aux religieux Passionnistes, les chargea d'administrer en meme temps le vicariat apostolique de Valachie. Les religieux franciscains demeurerent charges du vicariat de Moldavie, ou la foi catholique s'etait mieux conservee. Les choses demeurerent en cet etat jusqu'en 1883. A cette epoque, Leon XIII, voyant les progres du catholicisme dans le royaume de Roumanie, rempla^a le vicariat de Valachie par I'archeveche de Bucharest, et celui de Moldavie par I'eveche de Jass}-. 1° Arclievcclie de Bucharest, ancien vicariat apostolique de Valachie. — Cette mission a fait de grands progres au cours du XIX" siecle. En 1800, le vicariat de Valachie comptait a peine 4,500 catholiques. En 1 890, 1'archidiocese de Bucharest en compte 45,000. Ainsi, en moins d'un siecle, la popu- lation catholique a d^cupl^. Le progres des oeuvres est aussi re- marquable. En iSoo, il n'y a rien, ni eglise, ni presbytere, ni ecole. Voici la statistique religieuse de I'ar- chidiocese de Bucharest en 1890 : Personnel : i archeveque, 34 mis- sionnaires Passionnistes ; Sceurs de Sainte-Marie {vii/go Dames anglaises), 3 maisons, no religieuses. CEuvres : 18 paroisses, 19 eglises, 6 chapelles, i grand seminaire, 17 eleves ; 1 petit seminaire, 14 eleves ; i col- lcge-g)'mnase a Bucharest, etudes clas- siques et commerciales ; 3 pensionnats de filles, 286 eleves ; 24 ecoles primaires catholiques, 2,116 garcons et filles; 1 orphelinat de filles, 29 enfants. C'est surtout a I'administration de Mgr Paoli (1869- 1885) que Ton doit ces magnifiques resultats. 2° Eveche de Jassy, ancien vicariat apostolique de Moldavie. — Sans etre aussi rapides, les accroissements du catholicisme en Moldavie ne laissent pas d'etre consolants. En 1800 le vicariat apostolique de Moldavie comptait 42,000 catholiques; en 1890, il y en a dans I'eveche de Jassy 63,394. Personnel en 1890 : i eveque, 32 pre- tres dont 3 indigenes ; communautes religieuses d'hommes : i° Mineurs con- ventuels, 29 religieu.x ; 2° Jesuites, 4 pretres, 2 freres coadjuteurs. Communautes de femmes : Religieuses de Notre-Dame de Sion, 2 maisons, 106 Sceurs. CEuvi'es : 24 paroisses, 104 eglises, 17 chapelles, 1 seminaire a Jassy, 14 eleves ; 6 ecoles primaires, 510 enfants; 2 orphelinats avec 25 pupilles ; 2 pensionnats de jeunes filles (Sceurs de Sion), un a Jassy, 148 eleves, un a Galatz, 243 eleves. Statistique coiiiparee des dioceses de Roumanie. En 1800 1850 l8qo Vic. de Valachie. 4.500 c 10.000 Ar. de Bucharest. 45.000 Vic. de Moldavie. 42.000 » 58.000 Ev. de Jassy. . . . 63.594 Total: 46.500*68.000 108.594 L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800-1890. 95 La population schismatique de la Roumanie est de 4.580.000 ames. Les catholiques forment done seulement i 42 de la population totale. Le gouvernemeiit roumain s'est toujours montre sympathique aux catholiques ; le peuple n'a pas contre eux la haine sectaire des Grecs. N'etait I'influence preponderante et les intrii^ues schisma- tiques de la Russie, la nation roumainc rc\iendrait facilement a I'Eglise de Rome dont elle porte le nom. Le zele prelat fit venir a Corfou des Sceurs francaises, dites de la Com[:)assion, qui ouvrirent dans cette ville des ecoles frcquentees par beau- coup de jeunes filles schismatiques. Ce fut bientot le sujet d'une nouvelle persecution. Apres le mariage du roi de Grece avec la princesse Olga de Russie, celle-ci, orthodoxe fervente, vint ouvrir a Corfou un pensionnat schismatique, et ne dissi- mula pas la haine qu'elle portait aux Sujurs catholiques. Un mouvement general se produisit X.— Province eccle:siasti- que des iles lONIENNES L' E.s lies loniennes avaient suivi le schisme de Pho- tius. Charles VII d'Anjou s'en empara en I268,et y retablit le catholicisme. De 1386 a 1797, ces iles furent sous la domina- tion des Venitiens. Ce furent les beaux jours de I'Eglise ca- tholique dans les iles loniennes. Par le traitc de Campo-Formio (1797), elles furent cedees a la France, qui s'en etait emparee I'annee precedente. En 18 14, elles nous furent enlevees et formerent, sous le protectorat de I'Angleterre, la Republique Septinsulaire. Enfin en 1864, les iles loniennes furent an- nexees a la Grece. Ces divers changements po- litiques furent tres prejudicia- bles a I'Eglise catholique. La Republique Fran^aise com- men(ja par confisquer tous les biens ecclesiastiques, environ cinquante mille francs de reve- nus annuels ; elle exila I'arche- veque, expulsa les religieux, ferma leurs ecoles et demolit plusieurs eglises. La Republique Septinsulaire rendit d'abord a I'Eglise la moitie de ses revenus ; mais en 1834, elle r^duisit la subvention a huit mille sept cents francs. Lors de la cession des iles loniennes a la Grece, le gouvernement d'Athenea s'engagea devant I'Europe a servir cette rente, promcsse qu'il a fidelement acquittee jusqu'a ce jour. Sous le protectorat de I'Angleterre, les pro- testants, unis aux schismatiques, firent beaucoup de mal aux catholiques. De 1798 a 1830, I'arche- veque de Corfou fut force de s'exiler ; de 1S30 a i860, ses succes.seurs furent constamment perse- cutes ; enfin en i860, la nomination de Mgr Ma- dalena .sembla amener une ddtente. S.AINT UkNVS. D'apr^s une gravuie de la « Vie des Hommes illuslres de Thevet. pour forcer les Sceurs a quitter I'ile, ou au moins a fermer leurs ecoles. Pendant plusieurs mois, les journaux grecs menerent la campagne ; il y eut des emeutes aux cris de : Vive la reine, vive la Russie ! Malgre les reclamations de Mgr Mada- lena, le gouvernement laissait faire, et, sous main, il favorisait le mouvement. De son cote, I'arche- veque schismatique de Corfou, se sentant soutenu, exigea I'entree dans la maison d'un de ses pretres pour faire le catechisme aux orthodoxes. Ces conditions etaient inacceptables, et les Soeui's au grand regret des families, prirent le parti de ren- voyer toutes les eleves schismatiques. 96 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"" SIECLE. Cet episode des ^coles catholiques de Corfou montre I'esprit de la population et du gouverne- ment schismatique. La province ecclesiastique des iles loniennes se compose d'un archeveche, Corfou, et d'un eveche suffragant: Zante et Cephalonie. 1° ArcJiidioccse de Corfou, 4,''00 cath jliques, sur 80,000 habitants. Personnel : i archeveque, i chapitre de 10 chanoines, 9 pretres et i clerc. 17 Sceurs de Notre-Dame de la Compassion. CEuvres, i paroisse cathedrale, 4 eglises et 2 chapelles. L'institut des Sceurs de la Compassion se par- tage en 5 sections : 1 pensionnat, 25 eleves. I externat, no eleves, i ecole gratuite pour les pauvres, 130 eleves, 1 ecole elementaire, jeunes enfants, 84 eleves, i orphelinat, 36 jeunes filles. Total : 385 enfants dans I'etablissement, 3 autres ecoles catholiques dans I'ile, 145 eleves. 2° Diocese de Zante et Ccplialoim, i ,000 catho- liques sur 150.000 habitants. l^ersonnel : 1 eveque, 5 pretres dont i indigene. Communautes religieuses : i couvent de Capu- cins dans I'ile de Cephalonie, 4 religieu.x. i fere du meme Ordre remplit les fonctions de cure dans I'ile de Sainte-Maure. CEuvres : 4 paro sses, 6 eglises, 3 chapell s. 4 ecoles primaires catholiques, 36 gargons, 50 filles. GKECE. — VuE Dl', S\K.\, d aprcs une photogiaijhie. Statistiqite couipan'e des ties loniennes. En 1800 1850 1890 Archev. de Corfou Ev. Zante et Cephalonie. . . Total : au moins S.oon 1.200 4000 1.000 XI. — ARCHEVECHE D'ATHENES (GRECK). ON sait que le siege d'Athene~ remonte a saint Denys I'Areopagite, un des disciples de saint Paul. En 1205, a la fondation de I'Empire franc de Constantinople, Innocent III crea I'ar- cheveche latin d'Athene^ avec onze sulTragant.s. Tous ces sieges furent aneantis avec la chute de I'Empire latin, et au commencement du siecle, les quelques catholiques latins demeurant en Grece etaient sous la juridiction du vicaire patriarcal de Constantinople, et recevaient, a de rares intervalles, la visite d'un jjretre de leur rite. En 1820, les Grecs se souleverent pour secouer le joug des Turcs. Tout le monde a presente a 'a memoire cette lutte heroTque de dix annees, qui fit couler des torrents de sang et passionna I'Eu- rope civilisee. Enfin les Grecs obtinrent leur independance, et purent se constituer en ro\'aume. Dans Facte officiel qui reconnaissait le nouvel Etat (1830), les cabinets europeens firent inserer une clause pour garantir la liberte religieuse et les droits des catholiques. En 1834, Gregoire XVI nomma I'eveque de L'EGLISE ROMAINE DANS LA PENINSULE DES BALKANS, 1800 1890. 07 Syra (Arch'pel) delegiie apostolique pour la Grece. II fut reconnu en cette qualite par le gouvernement d'i\thene.s. En 1875, sur la demande formelle du roi, le papa Pie IX retablit I'archeveche latin d'Athenes. En 1882, le district d'Arta (Tliessalie) fut ratta- ch6 a I'archidiocese. En, iSoo, on comptait en Grece environ 1.200 catholiques. En 1890, il }• a dans I'archeveche 18.000 catho- liques. La population schismatique de la Grece est de 1,679,000 ames. II y a de plus 24,000 musulmans et 6,400 juifs. La population catholique se decompose ainsi : archeveche d'Athenes proprement dit, 8,000 ; Peloponese, 6,360 ; Grece continentale, 2,000 ; Thessalie, 2,500. Voici la statistique religieuse de I'archidiocese d'Athenes en 1890 : Personnel : i archeveque d'Athenes, delegue apostolique de la Grece continentale, 9 niission- naires, i cathedrale, 6 chanoines. ScEurs de Saint-Joseph de I'Apparition, 2 mai- sons, I 5 Soeurs. CEuvres : 4 paroisses et i mission dans I'archi diocese, 5 eglises, 2 pensionnats de fiUes, a Athenes et au Piree. Ecoles primaires dans chaque paroisse, 3 resi- dences et plusieurs missions dans le Peloponese ; 4 pretres. Plusieurs postes dans la Grece continentale. Statistique coiiiparce de I'archidiciccse d'A//ic)ies. En iSoo 1S50 1890 Grfece, 1,200 Deleg. ap., 2.300 Arcli. 18000 r. L'esprit national est tres oppose au calholi- cisme, et Ton n'entrevoit pour le moment aucun espoir de rapprochement entre les deux Eglises. XII. -- PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE L'ARCHIPEL LPIS iles de I'arihipel forment une province ecclesiastique, qui se compose actuellement d'un archeveche : Naxos, et de 4 eveches suffra gants : Santorin, Scio, Syra, Tine et Mj'cone. Au temps oil les Venitiens dominaient dans ces mers, les eveches de I'Archipel comptaient une nombreuse population catholique ; mais la chute de Venise amena la ruine des eveches d'Andros, de Milos et de Samos, et la decadence des autres. Pendant la guerre de I'lndependance, d'affreuses devastations acheverent leur destruc- tion. C'est ainsi qu'en 1822, 13,000 catholiques furent massacres par les Turcs dans I'ile de Scio, et il n'en resta que 300. Enserres et comme etouffes au milieu des schismatiques, la plupart des eveches de I'Archipel ne sont plus guere qu'un memorial, un souvenir a demi efface d'un passe qui fut il lustre. Missions Catholiques, La population schismatiqre et musulmane de I'Archipel est d'en\iron 160,000 ames. Les iles de I'Archipel sont evangelisees par les Capucins, les Dorninicains, les Jesuites, les Laza- ristes et des pretres seculiers. I. Naxos, la metropole, a : I archeveque, I chapitre de 5 chanoines, 6 pretres, trus indi genes, a I'exception de l ou 2 religieux Capucins ; 16 Ursulines, pensionnat et ecole ; 7 Eglises et plusieurs chapelles. L'ile de Paros, qui a encore quelques catho- liques, fait partie de I'archidiocese. II. II y a, dans I'evecht^ de Santorin : i eveque, 8 pretres, tous indigenes, t convent de Domini- cains, i pretre, i frere; i couvent de Dominicaines, 16 sceurs ; i maisOn de Lazaristes, 2 pretres, 1 frere ; i communaute de Soeurs de Charite, i 5 Soeurs ; hopital, ecoles, 3 eglises, 7 chapelles. Les que'ques catholiques du diocese supprime de Milo font partie desormais du diocese de Santorin. III. Le diocese de Scio, retabli en 1829, 'Va pu se relever de ses ruines. L't^veque, Mgr Justi- niani (1829-1875), avait beaucoup travaille pour reconstruire la cathedrale ; il avait appele les ScEurs de Saint-Joseph de I'Apparition et ouvert un college pour les jeunes gens. Le tremblement de terre de 1850 a renverse de nouveau tous les etablissements de ce malheureu.x diocese. II y a, dans le diocese : i eveque, i chapitre de 6 chsnoines, i couvent de Capucins, i maison de Sceurs de Saint-Joseph, ecole et dispensaire, 3 eglises seulement. L'ile de Samos fait partie desormais du diocese de Scio Les quelques catholiques qui y resident sont administres par les pretres duseminaire des Missions Africainesde Lyon, r chapelle, 2 pretres, 2 freres. IV. Le diocese de Syra est le plus florissant des dioceses de I'Archipel. II compte : i dve(jue et 25 pretres sdculiers indigenes. Communautes d'hommes : 1° i couvent de Capucins, i pretre, i frere ; 2° residence de Jesuites, 4 pretres, 3 freres. Communautes de femmes : 1° Sceurs ('e Saint- Joseph de I'Apparition, 7 religieuses ; 2° Soeurs de Charite, 4 religieuses. 5 eglises et 60 chapelles ; i seminaire, I4eleves ; 6 ecoles : 2 pour les garijons, 200 eleves ; 4 dcoles de filles, 300 eleves. V. Le diocese reuni de Tine et Mycone a : I eveque, 26 pretres, dont 22 indigenes. Communautes d'hommes : Mineurs Reformes, I pretre, 2 freres ; 2° Ji^suites, 3 pretres, 4 freres coadjuteurs. Communautes de femmes : 1° Ursulines, 64 Soeurs, dont 40 indigenes ; 2° Tertiaires de Saint- Francois, 25 Sceurs 25 chr^t ent^s, 26 eglises et 40 chapelles; 7 98 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX.""^ SIECLE. I seminaire, 5 eleves ; 6 ecoles de garcons, 200 dleves ; 2 Ecoles de filles, 120 eleves ; i pen- sionnat tenu par les Ursulines, 56 eleves ; I orphe- linat, so enfants. Depuis la ruine du diocese d'Andros (1824), leveque de Tine et Mycone est administrateur de ce siege. Statistique comparce des Hwclies de rArcliipel iSso Archev. de Naxos. Eveches : Santorin. Scio. Syia. Tine et Mycone. Total En 1800 ? ? 15,000 10,000 300 600 403 4,500 6,000 IS90 350 calh. 500 « 300 » 7,000 » 5,000 » 25,000 1,800 13,150 calh. XIII. — DIOCESE DE CANDIE. DEpuis I'annee 1669 jusqua 1874, le siege Episcopal de Candie demeura vacant, et I'ile fut administr^e par les RR. PP. Capucins de la prefecture apostolique de I'Archipel. A cette <5poque, Pie IX se decida a relever I'ancien siege de Sdint-Tite et Mgr Cannova, Capucin, en fut le premier titulaire. Le diocese de Candie est suffragant de I'archeveche de Smyrne (Asie- Mineure). II y a dans le diocese : i administrateur apos- tolique, 5 pretres et 4 freres, de I'Ordre des Capucins. Communaute de femmes : Sceurs de Saint- Joseph de lApparition, 5 Soeurs. 3 paroisses et i mission, 3 eglises et 2 chapelles, 600 catholiques sur 360,000 habitants ; 5 ecoles, 85 enfants, i orphelinat, i dispensaire. Stalistique comparce du diocese de Candie. En 1800 1850 1890 Deleg. apost. ssocath. 300 Eveche 600 cath. Apres avoir etudic en detail chacun des groupes catholiques de la Peninsule des Balkans, nous allons reprendre tous ces chiffres pour avoir I'ensemble. Statistique comparce des Missions de la Peninsule des Balkans. En 1800 1S50 1S90 I. Vic. pair, de Conslanlinopl. 10,000 21,500 85,000 c. II. V. ap. de Sophia et Phii'pp. jo,ooo 22,000 85,000 »' III. IV. V. VI. VII. VIII. IX. X. XI. XII XIII. Archidioc. de Durazzo-Ep. 4,500 6,800 11,278 » Dioceses d'Albanie. . . . 45,000 61,000 95,154 » Arch. d'Antivari-Monteneg. 2,000 3,500 5.221 » Diocfees de Serbie. . . . 6.000 8, 000 20,000 » Dice, de Bosn. et d'Herzeg. 85,000 130,000 265.788 » Dioc. de Nicopohs-Bulgar . 300 2,000 12,000 » Dioc. de Roumanie. . . . 46,500 68, 000 108,594 » Dioc. des lies loniennes . . 10,000 9,200 5,000 » Archidioc. d'Athenes-Gr^ce. 1,200 2,300 18,000 » Dioc. de I'Archipel. . . . 40,000 11,800 13,150 » Diocese de Candie. . . . 250 300 600 » Total : 250,750 324,400 639,785 c. En quatre-vingt-dix ans, la population catho- lique a plus que double ; le resultat, sans etre extraordinaire, ne laisse pas d'etre consolant. Mais le r<§sultat le plus serieux, c'est le deve- loppement des cadres de I'episcopat. En moins d'un siecle, I'Eglise romaine a rdtabli la hierar- chic dans la Bosnie, I'Herzegovine et la Rou- manie ; elle a cree les trois sieges archiepiscopaux de Serajewo, de Bucharest et de Scutari, retabli les sieges episcopaux de Banjaluka, de Trebigne, de Mostar, de Jassy et de Candie, erige pour les Bulgares unis les deux vicariats apostoliques de Thrace et de Macedoine. En meme temps, les Ordres religieux se sont multiplies dans tout le pays : les eglises, les ecoles se sont elevees de toutes parts. A I'heure actuelle, le catholicisme, malgre I'exiguite de ses ressources, est en etat de lutter contre I'or de I'Angleterre protestante et I'influence de la Russie. Le seul danger serieux, c'est de voir le colosse moscovite s'emparer de Constantinople, but supreme de ses convoitises en Europe. Ce serait I'aneantissement de toutes ces petites nationa- lit^s de la Peninsule des Balkans, un coup mortel porte a I'influence occidentale par la resurrection de I'empire de Byzance, et I'ecrase- ment du catholicisme au profit du schisme oriental. Beaucoup de bons esprits, Donoso Cortes en particulier, ont cru voir dans la Russie le chatiment de I'Europe apostate et revolution- naire. Napoleon I'^"' pensait de meme: « Avant un siecle, a-t-il dit, I'Europe sera republicaine ou cosaque. » La prophetie parait en train de se verifier. Puisse la divine Providence ecarter de sonEglise ces sombres eventualit^s ; puissent les intrigues et les iniquitds de la politique humaine ne pas venir arreter la regeneration catholique de I'Orient ; ou bien, si ces tristes previsions doivent se realiser un jour, bientot peut-etre, que UlEU donne aux pretres et aux fideles le courage et I'heroisme des martyrs du passe! lis en auront besoin. — 40f cgapitrc Kuiticme. L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. TT-H 11 I rm-TTTTTTTTTTTTTTT^rTTTTTTTTTIl I I T T^rTT-nri-rrTTTTTrr f fTTT ^ 1 I 11 II i: ITTTTTTirTTTTTmr TTT TTT TIrTT TTl I I H T T T TrTT^TT TTTTr 50us allons nous occuper main- tenant desdifferentes Eglises du Rit-Uni, particulierement de celles qui sont repandues dans I'Asie-Mineure. Une observation prealable, y yfi S'.V iTyn-'r rVrV ffFji sanslaqucllc on ne comprendrait rien a la hierarchie de ces Eglises, c'est que la juri- diction des patriarches et des eveques de I'Orient n'est pas territoriale, mais personnelle, et s'exerce uniquement sur les fideles de chaque rit. Cela explique comment on trouve, dans la memeville, plusieurs eveques catholiques ; ainsi dans la ville d'Alep, par exemple, on rencontre un Vicaire Apostolique pour les Latins, un Archeveque Grec-melchite, un Eveque Maronite, un Arche- veque Syriaque : total, quatre eveques catho- liques dans une seule ville, sans compter un nombre au moins egal d'eveques schismatiques. II en est de meme dans toutes les villes impor- tantes de I'Orient. II y a, en ce moment, dans I'Eglise catholique, sept rits unis : 1° le rit Grec, qui se subdivise lui-meme en cinq groupes : Grecs purs, Ruthenes, Roumenes et Bulgares, en Europe; Grecs mel- chites, en Asie ; :>.° le rit Armenien, dans I'Europe et I'Asie-Mineure ; 3° le rit Maronite, dans le Liban et la Syrie ; 4° le rit Syriaque, en Syrie et dans la Mesopotamie ; 5° le rit Chald^en, dans la Mesopotamie, le Kurdistan, la Perse et aux Indes ; 6° le rit Copte, en Egypte ; 7° le rit Abyssin, en Abyssinie. Avant d'entrer dans I'histoire des rits de la Turquie d'Asie, il faut dire un mot de I'organi- sation et de la hierarchic de I'Eglise latine en ce pays. I. — RIT LATIN. L 'Existence des Eglises de rit latin, en Asie- Mineure, remonte aux croisades. En pre- sence de I'obstination schismatique du c/erg/ oriental, les souverains pontifes instituerent les patriarcats latins de Jerusalem, d'Antioche, d'Alexandrie et de Constantinople. Dans chaque patriarcat, des sieges episcopaux latins furent eriges, selon les besoins de la population franque. Mais avec la chute du royaume de Jerusalem, la hierarchie latine disparut a peu pres de I'Orient. Les titres patriarcaux devinrent de simples titres honorifiques, conferes habituellement a des pre- lats de la Cour pontificale, avec la charge de representer aupres du Pape, dans les grandes ceremonies, les antiques sieges de I'Orient, mais sans aucune juridiction dans le pays. Au commencement du XIX^ siecle, la hierar- chie latine, en Orient, etait representee par trois prelats. 1° Le Vicaire apostolique d'Alep. Ce vicariat, erige en 1752, comprenait la Syrie, la Palestine, I'Asie-Mineure, Chypre, I'Arabie et I'Egypte. Le titulaire etait en meme temps deiegue apos- tolique aupres des divers rits unis existant dans ces regions. 2" L'eveque de Babylone, siege erige en 1638, avec delegation apostolique dans la Mesopo- tamie, I'Armenie, le Kurdistan et la Perse. 3° Le Reverendissime Pere Custode des Franciscains de Terre-Sainte, qui avait juridic- tion sur tous les Latins residant dans les Lieux saints. Au cours du XIX^ siecle, plusieurs demembre- ments successifs furent operes dans le vicariat d'Alep et I'eveche de Babylone. En 1818, le siege archiepiscopal de Smyrne fut retabli, et le titulaire fut charge, en outre, du vicariat apostolique de I'Asie-Mineure. En 1838, I'Arabie et I'Egypte furent enlevees au vicariat d'Alep. En 1848, Pie IX lui enleva encore la Palestine et I'ile de Chj'pre, pour en former le Patriarcat latin de Jerusalem. Quant au siege de Babylone, il fut erige en 1844 en archeveche et transfere a Bagdad. — Trois prefectures apostoliques, celles des Carmes de Bagdad, des Capucins de Mardin, et des Dominicains de Mossoul, furent erigees successi- vement dans I'archidiocesede Bagdad. En 1841,1a mission de Perse fut confiee aux 100 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIXn'« SIECLE. Lazaristes, et, en 1874, le Saint-Siege crea pour ce pays line delegation apostolique, distincte de celle de la Mesopotamie. En 1844, la prefecture apostolique des Capu- cins de la Mer Noire fut creee et rattachee au Vicariat patriarcal de Constantinople. En 1840, I'Arabie fut erigee en prefecture apostolique, puis elevee en 1888 a la dignite de Vicariat. Enfin en i88i,Leon XIII confia aux Jesuites la mission d'Armenie. En sorte qu'en 1S90 la hierarchie latine est representee dans le Levant par six prelats et plusieurs chefs de mission, a savoir : 1° Le patriarche latin de Jerusalem ; 2° L'archeveque de Smyrne, vicaire apostolique de I'Asie-Mineure ; 3" Le vicaire apostolique d'Alep, delegue apostolique pour la Syrie ; 4° L'archeveque de Bagdad, delegue aposto- lique de la Mesopotamie et du Kurdistan ; 5° Le R. P. Superieur des Dominicains de Mossoul ; 6° Mgr le delegue apostolique de la Perse ; ALEP (cOTi; guest) — D'apr^s une photographie communiquee par le R. P. Mazoyer, de la Compagnie de Jesus. 7° Le R. P. Prefet des Capucins de Mardin ; 8° Le R. P. Superieur de la mission d'Armenie, Jesuites ; go Mgv le vicaire apostolique d'Arabie. II faut dire un mot de chacun de ces groupes : I. — Patriarcat latin de Ji5rusale.m. C'est seulement en 1848 que fut retabli le Pa- triarcat latin de Jerusalem. Depuis la seconde moitie du Xive siecle, les religieux franciscains etaient charges exclusivement, sous la direction du Reverendissime P. Custode, de desservir les Lieux Saints. Quand le nouveau patriarche, Mgr Valerga, arriva a Jerusalem, fl ne trouva que 2 pretres seculiers : un a Bethleem et un a Chypre. En presence d'une pareille penurie d'ouvriers apostoliques, le prelat fit un appel pressant a I'Europe catholique. Bientot lui arriverent de tous cotes des missionnaires. La plupart des Ordres religieux d'hommes et de femmes tinrent a hon- neur d'envoyer des representants au Saint- Sepulcre. Sous I'active direction de Mgr Valerga et de son pieux successeur, Mgr Bracco, des L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800 1890- 101 eglises, des chapelles s'eleverent par tout le pa\s, et le nombre des catholiques augmenta rapide- ment. En 1800, il y avail dans la Palestine environ 3.000 Lat. En 1848, Mgr V'alerga en trouva .... 4.200 » En 1S90, ils sent 13.620 » II y a, de plus, dans le patriarcat, 5.500 Grecs melchites, qui relevent de I'eveque grec de Pto- lemais (Saint-Jean-d'Acre), et 5.500 Maronites, dont les uns relevent de I'eveque de Tyr, et les autres de I'eveque de Chypre, ce qui porte la population catholique totale de la Palestine a environ 25.000 ames. Helas ! qu'est-ce que ce petit trouoeau aupres de la population dissidente : 150.OOO grecs schis- matiques, quelques centaines de protestants, 400.000 musulmans et 300.000 juifs ? Total, plus de 850.000 dissidents dans la Terre sainte ! Le clerge du Patriarcat se compose de : i pa- triarche, 44 pretres seculiers, 18 europeens et 26 indigenes, 90 religieux franciscains et 10 car- mes, en tout 144 pretres. Communautes religieuses d'hommes : 1° Fran- ciscains de I'Observance ; c couvents, 81 pretres, 114 freres. Total, 195 religieux ; 2° Carmes : i convent au Mont-Carmel et 1 hospice a Caiffa, 10 pretres et 10 freres ; 3° Dominicains : i maison a Jerusalem, 4 pre- tres, 4 freres convers ; 4° Augustins de I'Assomption : I hospice a Jerusalem pour les pelerins, 3 religieux ; 5^^ iVIissionnaires de Betharam : i maison a Bethleem, 3 religieux ; 6° Les pretres de Sion : i orphelinat indus- triel pres de Jerusalem, maison fondee par le P. Ratisbonne : 7° Les missionnaires d'Alger : i residence a Ste-Anne de Jerusalem ; seminaire pour le rit grec ; 8° I monastere de trappistes, a Amoas, a egale distance entre Jaffa et Jerusalem : 18 reli- gieux; , 9° Les Freres des Ecoles chretiennes : 3 mai- sons, Jerusalem, Jaffa et Caiffa ; 10° Les Freres de la Sainte Famille : 2 mai- sons, a Bethleem et a Beit-gemal ; 11° Les Freres de Saint-Jean-de-Dieu : I mai- son a Nazareth. Communautes de femmes : 1° Les Carmelites : 2 monastcres au mont des Oliviers (chapelle du Pater) et a Bethleem, 30 Sceurs ; 2° Les Clarisses : 2 maisons, Jerusalem et Nazareth, 19 Sceurs ; 3° Les Sceurs de Saint-Joseph de I'Appari- tion : 9 maisons, 86 Sceurs ; 4° Les Dames de Nazareth : 4 maisons, Nazareth, Caiffa, Acre et Schefamar, 34 Sceurs ; 5° Les religieuses de Notre-Dame de Sion : 2 maisons, 39 Sceurs ; 6° Les Tertiaires de Saint-Francois : 1 maison a Jerusalem, 6 Sceurs ; 7° Les Sceurs de Charite de Saint-Vincent- de-Paul : 2 maisons, a Jerusalem et a Bethleem, 14 Soeurs ; 8" Les Sceurs allemandes de Saint-Charles : I maison a Jerusalem, 8 Soeurs ; 9° Les Sceurs franciscaines italiennes ; 10° Les Soeurs de Marie-Reparatrice, i mai- son, 9 Sceurs ; 11° Les Sceurs Arabes du Saint-Rosaire ont I noviciat a Jerusalem et font I'ecole dans les vil- lages : 9 maisons, 23 Sceurs. Le developpement des oeuvres suit naturel'.e- ment celui du personnel. CEuvres d'education: i sdminaire patriarcal, 25 eleves ; plusieurs pensionnats ; 34 ecoles de gardens avec 1.890 eleves, 30 ecoles de filles avec 2,304 eleves. Mgr Valerga, patiiaiche de Jerusalem. Orphelinat" de gardens a Bethleem, 100 en- fants. Ecole agricole a Bethgemal, 63 enfants. Orphelinat industriel du P. Ratisbonne, 57 enfants. Ecole professionnelle des PP. P^-ancis- cains a Jerusalem, 39 enfants. Au total, 259 gar9ons dans ces 4 maisons de charite. Six orphelinats de filles : Soeurs de Notre- Dame de Sion a Jerusalem, 80 enfants , a Ain- Harem, 55 enfants. Sceurs de Saint-Joseph a Jerusalem, 40 enfants. Soeurs de Notre-Dame de Nazareth, 28 ^enfants. Tertiaires de Saint- Frangois, 35 enfants a Jerusalem, et 20 a Jopp^. Au total, 258 filles. Les Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul tiennent un dispensaire dans la Ville sainte, et visitent les pauvres a domicile. 102 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE, 11 y a, dans le patriarcat de Jerusalem, 29 stations de missionnaires, et 3 dans Tile de Chypre. Outre I'eglise du Saint-Sepulcre, qui appar- tient, en fait sinon en droit, a toutes les commu- nions chretiennes, il y a, dans le patriarcat, I eglise patriarcale, elevee par les soins pieux de NN. SS. Valerga et Bracco, plus, en Pales- tine, 25 eglises et 32 chapelles, et dans I'ile de Chypre, 2 eglises et 3 chapelles. Statistiqiie comparce du Patriarcat de Jerusalem. En 1800 1850 1890 3.000 4.400 13.620 Latins. Mgr Bracco patriarche latin de Jerusalem. « Un mot maintenant sur la question des Lieux Saints, si malheureusement embrouillee par les convoitises de la Russie et les intrigues des Grccs. II est certain qu'cn droit, tons les Lieux Saints de la Palestine appartiennent aux Latins, qui ont arrache ces augustes sanctuaires aux profa- nations des musulmans, au prix du sang le plus pur de rOccident. Les Grecs n'ont joue d'autre role aux Croisades que de les faire avorter, en vendant aux infideles le sang de leurs freres d'Occident. Quant a la Russie, elle n'est pas intervenue aux Croisades pour une raison tres simple : elle n'existait pas encore. Aussi, a la chute du royaume latin de Jeru- salem, c'est avec le roi de France, et non avec I'empereur de Byzance, que les vainqueurs trai- terent de la reddition des Saints Lieux. La France catholique fut, jusqu'a ces derniers temps, la protectrice officielle du Saint-Sepulcre et de tous les sanctuaires de la Palestine. Elle y ins- talla les religieux franciscains, qui s'en firent les gardiens, au pri.x de bien des avanies et de nom- breux martyrs. Les Grecs, a ces heures troublees oil il fallait souvent exposer sa vie pour la defense des sanctuaires, se garderent bien de nous en disputer la possession. Leurs pretentions ne se revelerent que plus tard, quand le danger fut passe. C'est seulement au cours du XVir siecle qu'ils essayerent de nous disputer les sanctuaires de la Palestine. lis commencerent par le tombeau de la Vierge, et, pour ameuter les Turcs contre les Latins, ils ne reculerent pas devant la calomnie. Eu.x qui c^lebrent comme nous la fete de I'As- somption de Marie au Ciel, ne rougirent pas de dire que les religieux francs avaient derobe le corps de la Mere de DiEU, et I'avaient vendu au Pape pour une grosse somme d'argent. Apres une enquete severe, le gouvernement turc re- connut la fourberie des Grecs et I'innocence des Latins. Sur I'ordre de Louis XIV, notre ambissadeur a Constantinople en profita pour faire reconnai- tre le droit e.xclusif des Latins a la possession des sanctuaires. Le firman de 1673 etait ainsi congu : t Les religieux francs qui sont etablis au dedans et au dehors de Jerusalem, ne seront point molestes pour les lieux de pelerinage qui sont entre leurs mains, et qui y resteront, sans qu'ils puissent jamais etre inquietes dans leur possession. » En 1740, les Grecs aj-ant recommence leurs intrigues, il y eut un nouveau firman pour con- firmer le droit exc'usif des Latins, cette fois, avec la garantie du Sultan : « Nous nous engageons, nous Sultan, sous notre serment le plus sacre et le plus inviolable, soit pour nos augustes succes- seurs, nos supremes vizirs, nos honores pachas et generalement tous nos ministres, que jamais il ne sera permis rien de contraire aux presentes stipulations. » Le droit exclusif des Latins sur tous les sanc- tuaires de la Terre Sainte est done diplomati- quement incontestable. Malheureusement, avec la malice des Grecs et la versatilitedes Turcs, on n'cst jamais sur de rien. Le 2 avril 1757, veille du dimanche des Ra- meaux, les nombreux pelerins grecs, a I'instiga- tion des moines schismatiques, renversent le magnifique autel que les religieux latins avaient L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 103 eleve, selon la coutume, devant le Saint-Sepulcre, brisent les chandeliers, volant les iampes d'or et d'argent, dons de la piete des rois catholiques, et s'emparent violemment de I'tfglise pour y celebrer leur culte. Le pacha de Jerusalem, que les schismatiques avaient gorge d'or, leur donna raison, contre la foi des traites. A Constantinople, le grand vizir Raghib- Pacha, homme venal, avait touche, lui aussi, des sommes considerables. Non content d'etouffer I'affaire, il accorda aux Grecs un firman qui les mit en possession du Saint-Sepulcre, du tombeau de la Vierge, de la grotte de la Nativite et de la grande eglise de Bethleem. Aux reclamations de I'ambassadeur de France, il repondit insolemment : (< Ces lieux appartien- nent au Sultan, mon maitre, qui les donne a qui il lui plait. II se peut qu'ils aient toujours ete aux mains des Latins francs, mais aujourd'hui Sa Wajeste veut qu'ils soient aux Grecs. » La France de Louis XV accepta I'affront, elle n'etait plus digne de monter la garde au tombeau du Christ; M""^ de Pompadour avait d'autres preoccupations. En 1808, les Grecs incendierent I'eglise du Saint-Sepulcre, batie en 1120 par les Latins. Profitant de la detresse des religieux latins et de I'indifference de I'Europe, occupee alors des guerres de I'Empire, ils reconstruisirent I'eglise a leurs frais, jeterent au vent les cendres de Godefroy de 13ouillon et de Baudouin, detruisirent systematiquement tous les souvenirs des croises, et s'emparerent pour eux seuls de la grande nef et des principaux sanctuaires, ne laissant aux La- tins que I'usage precaire des Lieux Saints. Plus d'une fois, on a vu les moines grecs chasser a coups de baton les pretres catholiques de I'autel oil ils celebraient. Lors du relablissement du patriarcat latin de Jerusalem, Pie IX demanda, par I'entremise de la France, la restitution des sanctuaires voles. Le general Aupick, ministre plenipotentiaire de la Republique, homme energique et droit, pr6- senta en 1849, au grand vizir, un long rapport au sujet des Lieux Saints. La Porte reconnut immediatement que les anciens firmans etaient toujours en vigueur. Le droit des Latins etait confirm^. II ne restait plus qu'a constater quels etaient, en 1673, les sanctuaires possedes par eux. C'est alors que la Russie intervint. L'empereur Nicolas, se portant comme protecteur des Grecs orthodoxes, ecrivit de sa main au Sultan, pour demander le maintien du statu quo a Jerusalem. La guerre de Crimee ^tait a I'horizon. On sait le reste : les pretentions des Russes allerent en s'accentuant, la guerre finit par eclater, et Nicolas fut battu. Au lendemain de la paix de 1856, la France etait maitresse a Jerusalem. Rien de plus facile, a ce moment, que d'exiger I'execution du firman et la restitution des sanctuaires. Mais le liberal et chimerique Napoleon III avait d'autres visees. II rcvait deja d'affranchir I'ltalie, c'est-a-dire de detroner moralement le Pape. La question des Saints Lieux fut abandonnee. En 1866, il fallut refaire la coupole du Saint- Sepulcre. Le Pape, pour affirmer les droits des catholiques, offrit de la reconstruire a ses frais. Mais l'empereur refusa I'offre du pontife, et s'en- tendit avec le Czar pour refaire la coupole a frais communs. C'etait abandonner les droits seculaires de la France et reconnaitre au schisme un droit dgal au notre sur les sanctuaires de la Palestine. La Convention elle-meme s'etait montree mieux inspiree. En 1794, Robespierre avait ecrit a notre ambassadeur a Constantinople de faire CHAPELLE du S.\lNT-StPULCRE respecter les droits exclusifs de la France sur les Saints Lieux. 2. — Archevech^ de Smyrne et Vicariat Apostolique de l'Asie-Mineure. Le siege archiepiscopal de Smyrne fut retabli par Pie VII en 1818. Le titulaire fut charge, en outre, d'administrer le vicariat apostolique de l'Asie-Mineure. A cette dpoque, I'archidiocese et le vicariat reunis comptaient environ 4.400 catho- liques, sous la direction des RR. PP. Capucins, Franciscains, Dominicains et Lazaristes. En 1840, I'archidiocese et le vicariat comp- taient : I archeveque, 20 missionnaires apparte- nant aux divers Ordres religieux susnommes, 20 pretres scculiers, 5 eglises, 4chapelles, I college de Lazaristes. 104 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™ SIECLE. En 1890, I'archidiocese seul compte : Personnel : i archeveque, 56 pretres dont 17 seculiers et 39 reguliers. Communautes religieuses d'hommes: 1° Fran- ciscains, 1 1 pretres ; _o Capucins, 6 pretres, noviciat international, 20 novices ; 3° Domini- cains, 2 pretres ; 4° Lazaristes, 1 1 pretres ; 5° religieux armeniens mechitaristes, 8 pretres ; 6° religieux maronites, i pretre ; 7° Freres des Ecoles chretiennes. Communautes de femmes : 1° Sceurs de Saint- Vincent de Paul ; 2^ Dames de Sion. CEuvres : 2 colleges de jeunes gens : 1° Laza- ristes, 87 eleves ; 2° Freres des Ecoles chretiennes, 155 eleves. 2 pensionnats de fiUes : i° Dames de Sion ; 2° Sceurs de Saint-\'incent-de-Paul, 90 eleves, ecoles paroissiales. II y a dans le vicariat apostolique de I'Asie- Mineure une douzaine de stations avec 10 eglises ou chapelles, des ecoles et orphelinats tenus par les Sceurs de Saint-Vincent de-Paul. II y a, dans I'archidiocese et le vicariat reunis, 16.300 catholiques, dont 15,500 Latins. Les 800 autres appartiennent aux rites armenien et maronite. II y a dans la province environ 2.000.000 crhabitants. Stalistiqiic cciiifarce dii diocese de Siiiyrne. En i8co 3.000 arch Vic Tot. : 3.000 iSgo 14.000 Latins. 1.500 Latins. 15.500 Latins. L'antique metropole d'Ephese, dans la pro- UKivtKsiTE Saint-Joslph A liiiVKOUiH, d'aprfes une photographie. vince de Smyrne, n'est plus qu'un amas de decombres ; de temps en temps, les catholiques de Smyrne s'y rendent en pelerinage, pour venerer I'apotre bien-aim^. es souvenirs de la Vierge Marie et de 3. — Vicariat apostolique d'Alep. Le vicariat apostolique d'Alep, detache en 1762 du vicariat patriarcal de Constantinople, embrassait d'abord I'Asie-Mineure,^ la Syria, la Palestine, I'Arabie, Chypre et I'Egypte. Des demembrements successifs, operes au cours de ce siecle, Tont restreint a la Syrie. II s'etend actuellement du golfe d'Adulia a Saintjean- d'Acre. Au sud, il est borne par le patriarcat de Jerusalem ; a Test, par I'Euphrate ; au nord, par la chaine du Taurus, et a I'ouest, par la Mediterranee. Les villes principales du vicariat sont : Bey- routh (I'ancienne Berythe), Alep, Damas et Antioche. Le nombre actuel des catholiques latins y est de 4.400, rtjpandus dans une tren- taine de stations. II y a de plus, dans le vicariat, 344.500 Chretiens appartenant aux rites orien- taux unis : maronites, armeniens, grecs etsyriens. II y a dans le vicariat d'Alep, 182.000 schisma- tiques, 7.000 protestants, i. 572.000 musulmans, L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800 1890. 105 22O.0OO pai'ens (Druses) et 12.000 juifs. An total, 1.993.000 dissidents. II n'y a pas encore de clerge seculier latin dans le vicariat. Les paroisses latines sont des- servies par les differentes families religieiises dont les noms suivent : Communautes d'hommes : 1" Francisrains de I'Dbservance (depuis le temps de saint Francois d'Assise) : 13 couvents, 51 religieux. 2" Capucins (1627), 3 paroisses et 6 couvents, 112 religieu.\. 3° Carmes (165S), i paroisse et 4 couvents, tg reli- gieux dont le superietir a la dignite de prefet aposto- liqiie. CEuvres deducation : Un grand et un petit seminaire a Beyrouth, sous la direction des RR. PP. Je- suites : 60 eleves. L'Universit6 de Beyrouth, sous la driection des me- mes Peres avec une ecole de mede- cine, 521 eleves. Outre leur Univer- site, les Jesuites ont a Beyrouth une imprimerie.et font paraitre un journal hebdomadaire, pour repondre aux calomnies de la presse iTia9onnique et protestante. II y a, de plus, dans le vicariat d'Alep, 4 grands colleges pour les jeunes gens : a Alep, Franciscains, 200 eleves ; a Antoura, Lazaristes, 250 eleves ; a Damas, Lazaristes, 340 eleves ; a Salima, Capucins, 80 eleves. Total : 870 eleves dans les colleges catholiques. Neuf maisoiis d'education supe- rieure pour les jeunes filles : a Alep, ScEurs de Saint-Joseph, 38 eleves ; a Bej-routh, Sceurs de Saint-Joseph, 57 eleves ; Uames de Nazareth, Sceurs Trinitaires, Sceurs de Lharite, 1.202 eleves ; a Damas, Sceurs de Charite, 75 eleves ; a Tripoli, Sceurs de Charite, 95 eleves ; a S don, ScEurs de Saint-Joseph, 38 eleves. Au total, 1.495 eleves. II y a, en outre, 351 ecoles primaires, 267 pour les gardens, 8.270 eleves, 84 pour les filles. Total : 8.580. Cela fait, au total, tout pres de 20.000 enfants qui resolvent I'ensei- gneiTient primaire, secondaire ou superieur dans les ecoles catholiques. CEuvres de charite : I orphelinat et 3 creches, 125 garcons. 8 orphelinats et i creche, 535 filles. 4 hopitaux, plusieurs pharmacies et dispen- saires. Telles sont les principales ceuvres du vicariat apostolique d'Alep. Quelque riche qu'en soit le developpement, ces ceuvres suffisent a peine a lutter contre I'influ- ence ma9onnique et protestante. Depuis vingt ans surtout, ce malheureux pays est travail!e par 4" Jcsuiles (1831), 126 religieii.x. 5° Lazaiistes (1784), 6 maisons, 46 religieux. 6" Trappistes, i maison, 17 religieux. /" Fieres des Ecoles chretiennes. i maison, 5 Fr^res. S° Freres Xaverieus (indigenes), une vingtaine d'e'coles paroissiales. Communautes de femmes : 1° Stturs de .Saint-Vincent de raul(iS46), 8 ma'sons, 150 Sceurs. 2° Sceurs de S.iint-Joseph de I'Apparition (1846), 8 maisons, 54 stturs. 3° Dames de Nazareth, 1 maison, 50 religieuses. 4" Sceurs Trinitaires, I maison, 7 Sceurs. 5" Sceurs Mariametles indi^^nes, 14 ecoles de paioisse, 80 Sceurs. MGR ALTMAVER, AkCilhYKQUE DE BAGDAD. les sectes. L'Angleterre, qui s'est installee a Chy- pre comme dans un posteavance, inonde le Liban d'une multitude de ministres, de predicants et de maitres d'ecoles. Richement entretenus par I'or des Socletds bibliques, appuyes par I'influence politique du gouveinement anglais, les missionnaires angli- cans font chaque jour des progres redoutables. II s'agit beaucoup moins d'amener les popula- tions orientales au protestantisine, dont la seche- resse glaciale leur fait horreur, que de les detour- ner de Rome et de faire echec a 1 influence sdcu- laire de la France. 106 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"^« SIECLE. C'est, cependant, a cette heure decisive pour I'avenir de I'Orient que la France expulse les religieux, qui seuls la font connaitre et aimer dans ce pays, tarit par ses lois militaires la source de Tapostolat, diminue ou supprime les modestes subventions qu'elle accordait aux ecoles d'Orient. C'est le triomphe de la deraison et de I'esprit sectaire. Statistique comparee du vicarial apostolique d'Alep. En 1800 1850 1890 500 1.200 4.400 Latins. Le vicaire apostolique d'Alep est en meme temps delegue apostolique aupres des differents rits unis de la Syrie. 4. — Archevech^ de Bagdad (ancien eveche de Babylone). Le diocese de Babylone fut erige en 1638, a la demande d'une pieuse dame de Paris, madame Ricouart, qui offrit 60.000 livres, somme conside- rable a I'epoque, pour fonder un eveche d'Orient. Le premier titulaire fut le R. P. Bernard de Sainte-Therese, Carme dechausse. Depuis ce temps, la mission fut toujours administree par les Carmes, qui y ont une prefecture apostolique. La ville de Babylone n'etant plus, selon les propheties d'lsaie, qu'une ruine habitee seule- ment par les chacals et les betes du desert, le nouveau prelat voulut s'^tablir a Bagdad, la ville principale de son diocese. Mais les Turcs ne le lui a}'ant pas permis, il fixa sa residence a Ispa- han (Perse), ou ses successeurs demeurerent jus- qu'au milieu du dernier siecle. La Revolution frangaise interrompit la suc- cession des eveques de Babylone. Le siege demeura vacant jusqu'en 1820,011 Mgr Couperie y fut envoye, avec le titre de consul du roi tres Chretien. Ce prelat, plein de zele, mourut en 1 831, en soignant les pestiferes. A cette epoque, I'eveque de Babylone etait, en meme temps, administrateur de I'eveche latin d'Ispahan, et delegue du Saint-Siege aupres des rites orientaux dans la Mesopotamie, le Kurdistan et la Perse. Cette delegation apostolique subit successive- ment plusieurs demembrements, au cours du XIX*^ siecle. En i84i,le Saint-Siege r^tablit la mission de Mossoul, qui fut confiee, en 1856, aux Domini- cains fran^ais. La meme annee, la mission de Perse fut don- nee aux Lazaristes, eten 1874, Pie IX crea une delegation apostolique speciale pour la Perse. En 1844, I'eveche de Babylone fut erige defi- nitivement en archeveche et transfere a Bagdad. L'archidiocese se trouva ainsi reduit a des limites assez restreintes. Les villes principales sont Bagdad, Bassora et Amara. En 1890, la popula- tion catholique de l'archidiocese de Bagdad etait d'environ huit mille ames, sur lesquelles trois cents seulement sont de rit latin ; les autres appartiennent aux rits syriaque, chaldeen, grec et armenien. La population totale de l'archidiocese est de 90 000 ames. II y a, dans le diocese, 2 eglises pour les latins a Bagdad et a Bassora, plus i chapelle a Amara. Ces 3 paroisses sont desservies par les Carmes, qui sont au nombre de 6 religieux. Les Sceurs de la Presentation, au nombre de 9, prennent part aux travaux des missionnaires. Les Carmes ont a Bagdad un beau college, dont un voyageur laique, M. de Ryvoire, faisait dernierement I'eloge Apres avoir constate les progres materiels realises depuis trente ans, apres avoir visite les classes, les cours de recreation, cause en fran^ais avec ces jeunes gens, dont la bonne tenue et I'air intelligent le frapperent, le voj'ageur conclut en ces termes : «, Non, on ne saurait trop le redire chez nous, trop proclamer ces luttes obscures d un patriotisme qui ne se lasse jamais et auquel la France doit le meilleur de son prestige, de son influence, dans ces regions de I'Orient. » Outre ce college, il y a encore, dans l'archi- diocese, 4 ecoles de gar^ons et 2 de filles. Total, 800 enfants, sans parler des ecoles de rits unis. Statistique comparee de Varchidiocese de Bagdad. En 1 000 1850 1890 ? 200 300 Latins. 5. — Mission de Mossoul (Dominicains). La mission de Mossoul fut confine en 1748 aux Dominicains, par Benoit XIV. Auparavant des Capucins avaient travaille dans ce pays ; mais la mission etait abandonnee depuis longtemps, et quand les Dominicains arriverent a Mossoul, le nom de catholique etait a peine connu dans ces contrees. Les debuts de la mission furent penibles. A cause du fanatisme des Turcs, les missionnaires, pour se faire tolerer, durent se presenter comme medecins. lis commengaient a peine a s'etablir, lorsque la Revolution frangaise vlnt arreter net le developpement de leurs ceuvres. Au commen- cement du siecle, il n'y avait plus a Mossoul qu'un Dominicain italien ; il mourut en 1815, ne fut pas remplace, et la mission dominicaine de- meura abandonnee jusqu'en 1840. A cette epoque, la mission fut retablie par Gregoire XVI ; en 1856, Pie IX la remit aux Dominicains fran^ais. Le P. Besson, un des compagnons du P. Lacordaire, fut le premier missionnaire superieur de la mission frangaise. Un peu auparavant (1832), la Propagande avait retabli la delegation apostolique de la Mesopotamie, du Kurdistan et de la Petite Armenie. L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 18001890. 107 Le centre de la mission est a Mossoul ; les Dominicains ont encore des postes a Mar-Iacoub, Zaku, Amedeah, Van et Bitlis (Mesopotamia, Kurdistan et Armenia Mineure). Quand ils arriverent a Mossoul en 1 84 1, ils ne trouverent que quelques catholiques a la foi douteusa et chancelante ; dans le Kurdistan, il n'y avait plus rien. Aujourd'hui, apres cinquante ans d'apostolat, il n'y a plus de nestoriens (chal- deens heretiques) a Mossoul. A quelques excep- tions pres, tous sont ravenus a la foi du Concile d'Ephese. II y a 35.000 chaldeens catholiques dans la Mesopotamia at le Kurdistan, 15.000 Syrians at environ 6.000 armeniens. La popula- tion totala des deux provinces est de 1.475.000 habitants, sur lesquels 58.000 catholiques da divers rits, 170.000 heretiques at schismatiques, 8.000 protastants 130000 musulmans, 18.000 yasidis (adorateurs du diabla) at 5. 000 juifs. Le nombre des catholiques latins de la mission da Mossoul ne depasse pas 50. Le role du missionnaire, dans la Mesopotamie, comma dans presque tout le Levant, n'est pas d'administrar diractamant les fideles. Cas popu- lations orientales sont, en general, trop attacheas a leur rit pour accepter volontiers le ministere d'un pretre latin. Notre ceuvre plus obscure, mais non moins meritoire, c'est de travaillar au relevament de ces Eglises, an repandant a flots I'instruction parmi ces populations ignorantes et en faisant pen^trer I'esprit catholique dans ces intelligences inclineas par le schisme au particularisme. Ouvrir das seminaires pour la formation, dans chaqua rit, d'un clarge national, vraiment pieux el zele, fonder des colleges, des ecolas pour arracher la jeunesse aux maitres protestants, multiplier las ceuvras de la charite catholique : hopitaux, dis- pensaires, ouvroirs, patronages, orphelinats, afin de faire apprecier I'arbre catholique par sas fruits, voila I'oeuvra das missionnaires latins en ce pays, et c'est a cette ceuvre que sa devouent las Domi- nicains de Mossoul, au nombre de 16, assistes par 12 ScEurs de la Presentation de Tours. L'ceuvre principale des Dominicains a Mossoul, c'est le seminaira syro-chaldeen, pour les ecclesiastiquas appartenant aux deux rits qui dominent dans le pays. Cet etablissement compte 10 professeurs : 4 Dominicains, 3 pretres orientaux et 3 maitres lalques. Ils ont 40 eleves, 20 du rit chaldeen et 20 du rit syriaque. Les Dominicains tiannent encore a Mossoul, annexe au seminaire, un grand college qui compta, en ce moment, 137 Aleves. lis ont aussi un patronage de jeunas gens et une ecole du soir. Una grande imprimerie polyglotte, qui peut cditer des ouvragcs dans les cinq langues princi- pales du pays : I'arabe, le turc, la persan, le chal- deen et le syriaque, rend d'immen.ses services en permettant de multiplier les bons livres parmi le clerge at les lafquas instruits. En dehors de Mossoul, les missionnaires ont encore sous leur direction 38 ecoles primaires pour les gargons. A Mar-Iacoub, leur dispensaire distribue gratuitement des remedes a tous les malades de la contree. Les Soeurs de la Presentation, arrivees dans la mission en 1873, ont ouvert a Mossoul un pen- sionnat de jeunes filles, 180 eleves, un orphelinat, una ceuvre dominicale, un ouvroir, une salle d'asile. EUes dessarvent aussi le bel hopital fran^ais, fonde en 1874 par la mere du baron Lejeune, en souvenir de .son fils, mort a Mossoul sous I'empire. Le dispensaire annexe a I'hopital distribue cha- que annee des remedes gratuits a plus de trente mille malades et fait benir dans toute la contree le nom frangais et la charite catholique. Enfin, elles dirigent ou surveillent dans la mis- sion 9 ecolas de filles. La ville de Mossoul est la residence habituelle du delegue apostolique, du superieur de la mis- sion dominicaine, du p^triarche des Chaldeens et d'un archeveque syrien. Outre la belle eglise latine, ouvarte a Mossoul an 1872, les Dominicains ont dans la mission 7 chapelles, ou les offices sont celebres selon le rit latin. Statistique contparce de la mission de Mossoul. En 1800 iSqo 1890 50 Latins. 1850 6. — Mission de Perse (Lazaristas). Cast en 1840 que la mission da Perse, inter- rompue depuis pres d'un siecle, fut reprise et confiee aux Lazaristes. Depuis 1742, epoque oil I'ev^que de Babylone avait quitte Ispahan pour resider a Bagdad, il ne restait plus guere qu'un souvenir da cette antique Eglise. Las communautesde Jesuites, de Carmes, de Capucins, qui avaient fonde autrefois da beaux etablissements en Perse, s'etaient eteintessucces- sivement, pendant la seconde moitie du dernier siecle. En 1830, la population catholique d'Ispahan etait representee par une viaille femme ; et dans toute la Parse, las Lazaristes, quand ils arriverent en 1840, ne trouverent pas plus de trois a quatre cents catholiques de tous rites, sans ferveur et sans instruction. lis s'etablirent d'abord a Tauris et a Ispahan ; mais, devant las dispositions hostilas des Arme- nians schismatiques, ils furent forces d'abandon- ner ces deux postes pour se fixer a Khosrova et a Ourmiah. Depuis quelques annees, une mission protes- tante s'etait installce somptueusement dans cette derniera ville, et profitait de I'ignorance du peuple et de la corruption du clerge nestorien pour achetar des neophytes avec ses immenses ressources. 108 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"'' SIECLE. L'arrivee de trois pauvres missionnaires catho- liques jeta I'alarme au camp de ces messieurs. Desesperant d'en triompher sur le terrain du dogma, ils employerent leur influence et leur or a les faire chasser du pays, et ils y reussirent, avec I'appuidu ministre plenipotentiairede Rus- sie. La mission, encore au berceau, fut etoulTee ; le superieur repassa en Europe, un de ses colla- borateurs se refugia en Mesopotamia, et le troi- sieme Lazariste, M. Cluzel, mort archeveque et delegue apostolique, se cacha dans les villages de la plaine. Mgr Augustin Cluzel, Archeveque d'Heraclee et delegue apostolique de Fersc. Les choses demeurerent en cet ctat pendant plusieurs annees. L'arrivee de M. de Sartiges, ministre de France, permit aux missionnaires de rentrer dans leurs postes et de reprendre leurs ceuvres. Depuis 1852, la mission de Perse a tou- jours joui d'une liberte complete ; les mission- naires sont estimes de tous, meme des musulmans, et le gouvernement s'est toujours montre bien dispose pour ses sujets chrc^tiens. A plusieurs reprises'.le Shah a temoigne publiquement de sa veneration pour les Souverains Pontifes Pie IX efLeon XIII. Cela ne veut pas dire que les catholiques n'ont pas a souffrir en Perse. Les musulmans du pays sont generalement moins fanatiques que ceux de la Turquie ; mais ils detiennent toute la richesse du pays, et les catholiques, presque tous pauvres, sont obliges de travailler pour eux. La mauvaise administration des fonctionnaires, les incursions et les brigandages des Kurdes, des famines perio- diques, amenees par la secheresse de la contree et I'incurie du gouvernement, voila autant de causes de souffrances. Les catholiques ont, de plus, beaucoup de vexations a endurer de la part des nestoriens et des Jacobites. Malgre ces dif- ficultes, la mission de Perse a fait, dans ces cinquan ■ te ans, de tres consolants pro- gres. II y a actuel- lement en Perse environ 10.000 ca tholiques : 9.100 appartenant aux deux dioceses chaldeens de Sal- mas (Khosrova) et de Sena, 500 au diocese armenien d'Ispahan, et 150 latins qui ferment le diocese latin d'Ispahan. En 18/4, Pie IX crea la delegation apostolique de Perse , detachee de celle de la Me sopotamie et du Kurdistan. Le pre- mier titulaire fut Mgr Cluzel, La- zariste, eleve a la dignite d'archeve- que in partibus d'Heraclee, avec le litre d'adminis- trateur de I'eveche latin d'Ispahan. La delegation apostolique comprend les deux dioceses chaldeens de Salmas et de Sena, avec le diocese armenien d'Ispahan. A cause du petit nombre de catholiques de ce rite, le siege d'Is- pahan est administre par le patriarche armenien de Constantinople. II y a, dans la delegation apostolique, 100 eglises ou chapelles, elevees en grande partie par les Lazaristes, et, sous leur direction, 98 ecoles, qui donnent I'instruction a plus de 1.600 enfants. Les Lazaristes, au nombre de 12, les ScEurs de Charite, au nombre de 20, ont .-; stations enPerse : L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 109 I asilp, 1° Oiirmiah (1841), 4 missionnaires, I frere medecin, i college, I petit seininaire. Les Laza- ristes desservent la paroisse d'Ourmiah, qui compte environ 400 catholiques. Les ScEurs de Charite ont a Ourmiah des ecoles, I hopital, i dispensaire. 2° Khosrova (1841), residence de Mgr le delegue apostolique et d'un eveque chaldeen, 5 missionnaires, i seininaire pour les chaldcens, 20 a 25 eleves ; il y a dans la province de Khos- rova environ 8.000 catholiques, repanJus dans 200 villages. Les Sceurs de Charite ont a Khosrova 140 garcons, i ecole de filles, 150 eleves I orphelinat, 25 enfants, i pensionnat. 3° Teheran (1862), i missionnaire, 2 maisons de Soeurs, ecole de garqons, 8 eleves, ecole de filles, 32 eleves. Jusqu'ici, en Perse, 1 element armenien schismatique s'est montre tres rebelle a la grace. C'est surtout parmi les chal- deens que se font les conversions. Si les missionnaires etaient plus nombreux, les ressources plus abondantes, il est certain qu'en quelques annees, les 80.000 nesto- riens qui habitent le Kurdistan et le Perse seraient ramenes a la foi catholique. Quant a la mission protestante d'Our- miah, malgre les 50.000 dollars de revenu annuel (250.000 francs) dont elle dispose, elle a abouti, de I'aveu de ses chefs, a un insucces total. Les eveques, les pretres nestoriens, ont accepte avec reconnaissance I'argent des Americains, mais pas un seul n'a voulu embrasser leur foi. II en est de meme chez le peuple, qui regarde les protestants comme des athees. Statistique coiupnrce de la mission de Perse. Actuellement la prefecture apostolique s'etend dans les quatre dioceses armeniens de Mardin, de Diarhekir, de Karpouth et de Malatia. Elle est limitee, au nord et a Test, par la mission domini- caine de Mossoul, au nord, par la prefecture des Capucins de la Mer Noire, au nord ouest, par la nouvelle mission des Jesuites dans la Grande Armenie, a I'ouest, par le vicariat apostolique d'Alep. Les missionnaires occupent cinq residences principales : Mardin, Diarbekir, Karpouth, Ma- latia et Orfa. 1° Mardin, residence du prefet apostolique, En 1800, o ; eii 1S50, en 1890, 150 Latin". DE 7. — Prefecture apo.stolique Mardin. (Capucin.s). Les religieux capucins avaient, au XVII<= siecle, en Mesopotamie et dans I'Armenie, une mission qui s'e'tendait d'Alep a Bassora et a Ispahan. La Revo- lution francaise ruina toutes leurs fondations, et, jusqu'en 1841, les missions des Capucins dans le Levant clemeurerent abandonnees. L'ceuvre que la Revolution francaise avait de- truite, la Revolution espagnole de 1834 la reta- blit, en chassant sur tous les chemins de I'exil les religieux espagnols. En i84i,le Pere Nicolas Castells, mort en 1873, delegue apostolique de la Mesopotamie, arriva dans ce pays avec trois reli- gieux espagnols exiles comme lui. Les Peres s'etablirent d'abord a Orfa et a Mardin, puis ils se repandirent peu a peu dans le nord de la Mesopotamie et I'Armenie Seconde. McR Ti!\ioth6e attar, Aichevpqiie chaldeen de Diarbt'kir, adniinislrateur du diocese de Mardin, vicaiie patriarcal de I'Eglise calholique chaldeenne. d'un archeveque armenien et de deux eveques, chaldeen et syrien. 8.934 catholiques, a savoir : 5 500 armeniens, 2.700 syriens, 700 chaldeens, 34latins; contre 130.000 musulmans, SooyasiJis, 5 1.500 Jacobites, 2.600 protestants. Outre le prefet apostolique, il y a, a Mardin, 3 missionnaires capucins, 5 religieuses franciscaines, 2 ecoles, 225 garcons et 400 filles. 2° Diarbekir. Residence de trois archeveques, chaldeen, armenien et syrien. 5.504 catholiques, a savoir: 3.000 armeniens, 1.900 chaldeens, 460 syriens, 120 grecs melchites, 24 latins; contre 166.000 musulmans, 38.700 armeniens schisma- 110 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"^^ SIECLE. tiques, 2.000 Jacobites, 800 grecs schismatiques, 3.000 protestants et i50Juifs. II y a a Diarbekir : 4 missionnaires capucins, 4 Soeurs franciscaines, i ecoledefilles, 200 eleves. 3° Karpouth. L'^veque armenien catholique reside a Mesr^, pres de Karpouth. 2.485 catho- liques, a savoir : 1. 580 armeniens et 905 latins ; centre 150.000 musulmans, 61.970 armeniens schismatiques, 1. 000 grecs schismatiques, 400 Jacobites, 3.600 protestants. II y a 4 missionnaires en residence a Karpouth et a Mesre ; 2 6coles, 95 enfants. 40 Malatia (I'ancienne Melyt^ne, capitale de I'Armenie Seconde). Residence d'un eveque armenien catholique. 1.925 catholiques, a savoir : 1.640 armeniens, 100 syriens et 185 latins ; contre 125.000 musulmans, 13.000 armeniens schisma- tiques, 400 protestants. II y a, a Malatia, 2 mis- sionnaires, I ecole, 200 gargons. 50 Orfa (I'ancienne Edesse) dans le diocese armenien de Diarbekir, i.OOO catholiques de tous rites, contre iio.OOO musulmans, 15.000 arme- niens schismatiques, 4.000 Jacobites, 2.500 protes- tants et 500 juifs. II y a 2 missionnaires et 3 Sceurs franciscaines en residence a Orfa, 2 dcoles, 180 enfants. II y a dans la prefecture : 1 1 missionnaires ca- pucins, 5 freres et 8 tertiaires. Les Sceurs francis- caines de Lons-le-Saunier sont au nombre de 1 1. La mission compte 6 ^glises et 9 chapelles de rit latin. Statistique compar^e de la pn'fectitre de Alar din En 1800 o 1850 1890 1,348 Latins. 8. — Mission d'Armenie (Jesuites). La divine Providence est admirable a tirer le bien du mal. En executant les decrets de 1880, les francs-magons ne se doutaient guere qu'ils envoyaient des apotres a I'Orient. Leon XIII, justement preoccupe des besoins immenses des missions orientales, et des dangers que leur fait courir la propagande protestante, assigna aux Jesuites de la province de Lyon les missions de la Grande Armt^nie. En vrais fils de saint Ignace, ils r^pondirent avec empressement aux desirs du Souverain Pontife, et, dans le cours de 1882, s'etablirent successivement a Amasie et a Mar- sivan (diocese armenien de Tr^bizonde), et dans les dioceses armeniens de Sivas, de Tokat, de Ce.saree et d'Adana. Avec leur devouement habituel, les Jesuites se sont faits, dans ces cinq dioceses, les colla- borateurs des ^veques orientaux. A cot^ de I'ecole protestante, richement entretenue par I'or de I'Angleterre, dcole dans laquelle on n'arrache 1 'enfant armenien a I'ignorance que pour le livrer au d^isme et a I'incr^dulite, les J&uites fran9ais, avec I'aumone de la pauvrete, ont ouvert des ^coles catholiques et fran^aises, oii Ton apprend d'abord a connaitre et ^ aimer DiEU, mais ou Ton enseigne aussi notre langue, ou Ton fait benir le nom et I'influence de la France. C'est ainsi que les nobles exiles se vengent de I'ingrate patrie qui les a expulses. L'oeuvre, encore a ses debuts, compte deja 6 residences, 20 missionnaires pretres et 6 freres coadjuteurs. lis ont le soin des rares catholiques latins qui resident dans ces regions ; mais leur ceuvre principale, ce sont les ecoles, dans les- quelles, au bout de huit ans, ils comptent deja plus de 700 enfants. Malgre ses immenses res- sources, I'heresie a tremble, car elle salt que, entre I'influence catholique et francaise et I'in- fluence anglo-protestante, I'Orient, s'il a le choix, n'hdsitera jamais (i). 9. — ViCARIAT APOSTOLIQUE D'ARABIE. C'est en 1838 que I'Arabie et I'Egypte furent detachees du vicariat apostolique d'Alep. En 1840, la Propagande erigeait I'Arabie en prefec- ture apostolique, et la confiait aux RR. PP. Capucins. Les missionnaires avaient I'ordre de s'etablir a Djeddah, port de La Mecque, sur la mer Rouge ; mais vu le fanatisme des habitants et le petit nombre des catholiques, ils furent forces de s'installer a Aden, village de 600 ames, dont les Anglais venaient de s'emparer, et dont ils allaient faire une forteresse de premier ordre, la clef de la mer Rouge, et, depuis le percement de I'isthme de Suez, le point de ravitaillement obligd de tous les vaisseaux qui vont aux Indes ou en Chine. Aujourd'hui, la ville d'Aden compte 32.000 habitants, sur lesquels 30.000 infideles, 1.200 protestants et 800 catholiques , composes en grande partie de soldats irlandais et d'Indiens. C'est une population flottante, qui se renou- velle presque en entier chaque annee, ce qui rend a peu pres impossible tout essai d'apostolat aupres des protestants. Quant aux infideles, on sait qu'il est inutile, au moins pour le moment, de travaillera les convertlr. Les missionnaires capucins ont tire le meilleur parti possible de cette situation desavantageuse. Ne pouvant agir sur les parents, ils se sont occupes avec zele des enfants somalis, qui erraient abandonnes en grand nombre dans les rues d'Aden. A force de sacrifices, ils ont reussi a les amener a I'ecole et a ouvrir a Cheik-Othman, pres d'Aden, un orphelinat agricole, 60 enfants, et un autre orphelinat, 12 enfants. De leur cot^, les Soeurs du Bon-Pasteur, arri- vees en 1868, ont ouvert a Aden un pensionnat avec externat, qui compte une cinquantaine d'en- fants ; elles ont 6t^ remplacees dernierement par les Soeurs deSainte-Anne, 6religieuses. La pens^e des missionnaires est, apres avoir 61eve ces enfants, d'^tablir dans la presqu'ile un village de Somalis I. Depuis trots ans, les Jesuites ont ouvett des ecoles de fiUes confiees i la direction et au zele des religieuses de Saint-Joseph de Lyon. L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. Ill Chretiens, qui seront les premices de la mission d'Arabie parmi les indigenes. II y a dans la mission : un vicaire apostolique, II religieux capucins, 4 stations avec residences: Aden, Steamer-Point, Cheik-Othman et Assab ; 5 stations secondaires qu'on visite de temps en temps ; de plus, I'ile de Perim, qui appartient aussi aux Anglais, et les ports d'Hoddeida et de Djeddah, dans la Mer Rouge ; 3 eglises, 2 cha- pelles. La prefecture apostolique d'Aden a et6 erigee en 1888 en vicariat apostolique d'Arabie, confiee aux Capucins frangais. Le port dAssab, sur la cote occidentale de la Mer Rouge (Afrique), vient d'etre rattache a la mission. La population catholique du vicariat s'^leve a 1.500 ames. Statistique compan'e du vicarial apostolique d'Arabie En 1800 1850 1890 o 280 1.500 Latins. Pour bien faire saisir I'organisation de la hierarchie latine en Orient, il faut dire un mot des delegations apostoliques. II y a dans la Tur- quie d'Asie 3 delegations apostoliques. 1° La delegation apostolique de Syrie, etablie en 1762. Jusqu'ici le delegue apostolique a tou- jours ^te le vicaire apostolique d'Alep. Cette delegation a sous sa dependance 27 sieges orientdux : 13 grecs melchites, 8 maronites, 6 syriens. 2° La delegation apostolique de la Mesopota- mie, du Kurdistan et de I'Armenie Mineure. Cette delegation a sous sa dependance 17 sieges orien- taux : 10 chaldeens et 7 syriens. 3° La delegation apostolique de la Perse : 2 sieges chaldeens. Le delegue apostolique est administrateur de I'eveche latin d'Ispahan. On voit par cet expose que les missions latines enveloppent tout le Levant dans un vaste reseau d'ceuvres apostoliques. Par leur seule presence, elles apportent a ces antiques Eglises de I'Orient un secours indispensable. Trop faibles pour lutter seules contre le prose- lytisme de la Russie et les millions de I'Angle- terre, ces Eglises venerables, si elles etaient aban- donnfes a elies-memes, ne tarderaient pas a etre la proie du schisme et de I'heresie. Soutenues et vivifiees par I'element latin, non seulement elles se scutiennent, mais encore elles font chaque jour des progres dans les communions separees, comme je vais le dire, apres avoir resume, dans un tableau synoptique, la situation du rit latin dans la Turquie d'Asie. Statistique compan'e des fideles du rit latin. En 1880 1850 1890 I. Patriarcat lat. de Jerusalem 3 000 4.200 l3 62oLalins. II. Arrheveche de .Smyrne. 2.500 12.000 15500 » III. Vicariat apost. d'Alep. ? 1.200 4.400 » IV. Archevech^ de Bagdad. ? 200 300 » V. Mission de Mossoul. ? ? 50 » VI. Mission de Perse. . . o ? VII. Prefecture apost. de Mardin o ? VIII. Mission d'Armenie. . o o IX. Vicariat apost. d'Arabie. o 2oc Total. . . » 150 1.348 ? » 1.500 » 6000 17800 36.868 Latins. II. — RIT GREG MELCIIITE, ;> PArmi toutes les communautes de rits unis, I'Eglise Grecque Melchite occupe incontes- tablement le premier rang, non par son impor- tance numerique, mais par ses souvenirs, et surtout par le developpement considerable de I'Eglise grecque schismatique, qui etend son influence en Grece, en Turquie et chez tous les peuples slaves, en sorte qu'elle ne compte pas moins de 90,000,000 d'adherents, en Europe, en Asie et eri Afrique. Les Grecs Melchites (royaux) doivent leur surnom a la protection declaree que I'empereur Marcien accorda aux cathoiiques, pour faire recevoir par tout I'empire les decrets du Concile de Chalcedoine contre les Eutychdens. Dans leur depit, les heretiques donnerent aux catho- iiques I'epithete de royaux, qui leur resta, et servit plus tard a les distinguer d'avec les schis- matiques. II est inutile de revenir sur la grande division opdree, au IX'= et au x^^ siecle, par Photius et Michel Cerulaire entre les deux Eglises latine et grecque, schisme deplorable, qui a persevdr6 jusqu'a ros jours, et qui, dechirant la robe sans couture du Chklst, a livre I'Orient aux fils de Mahomet, et arrete, pour de longs siecles, la marche triomphante du christianisme vers la haute Asie. II n'est pas douteux que, sans cette fatale separation, le monde entier serait chr^tien a I'heure actuelle. Si I'lslamisme eut trouve a Constantinople une Eglise fermement attachee au siege de Pierre, jamais le Turc ne se fut installe en Europe ; depuis longtemps les Lieux Saints seraient aux Chretiens, et le Croissant, reculant devant la Croix, eut ^te refoul^ dans les deserts de I'Arabie et dans les profondeurs de I'Afrique. Et a I'heure presente, quelle difference dans la destin^e des nations chretiennes, si le schisme n'existait pas, et si la Russie, la peninsule des Balkans, I'Asie-Mineure etaient cathoiiques! Quelle force pour la vraie civilisation n'aurait pas I'alliance feconde de la Russie et de la France, unies dans la meme foi et les memes aspirations ! En Occident, la Revolution serait arret^e du coup, et I'heresie protestante trouverait devant elle, en Orient, une force capable de la faire re- culer. Au lieu de cela, quel spectacle plus lamen- table que celui de cet Orient, ou tous les efforts sont divises, ou, sous les yeux du Turc, les peuples Chretiens^ se disputent la suprematie, Eglises contre Eglises, patriarches contre patriarches, eveques contre ^veques ! Est-ce la travailler k I'ceuvre du CHRIST ? Est-ce la realiser le vceu 112 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. supreme de JliSUS mourant : « O mon Pere, que mes disciples soient unis, comme vous et moi, mon Pere, nous sommes unis ! » Une foi, un bap- teme, une Eglise : voila I'oeuvre du divin R6- dempteur. Au lieu de cela, que voyons-nous? En dehors de la grande Unite Catholique, partout des Eglises nationales ; car le schisme n'a pu retenir sous^sa main le riche heritage qu'il avait enleve a I'Eglise romaine. Actuellement, le pa- triarche de Constantinople ne range pas, sous sa houlette ^deshonoree, plus de frois millions de brebis. Eglise russe, Eglise roumaine, Eglise Mgr Louis de Gonzague Lasserre, Capucin, eveque titulaire de Maroc, vicaire apostoliLjue d'Aden. serbe, Eglise d'Athenes, toutes les nationalites grandes ou petites de I'Orient, a peine constituees politiquement, ont tenu a se constitueren Eglises nationales, independantes du Phanar. C'est le triomphe du particularisme sur I'esprit catho- lique, c'est le developpement, non prevu et pour- tant inevitable, du principe pose par Pho'ius en se separant de I'Eglise romaine. Au lieu de I'lmite voulue par le Christ, vous avez la division ; c'est Teparpillement de toutes les forces vives du Eglises envahies christianisme ; voila pourquoi, apres dix-huit :siecles d'apostolat, plus des deux tiers du globe ont encore echappe a Taction du christianisme, puisqu'on compte seulement qitatre ce7its millions de Chretiens centre tin w//7//(?;-c/d'infideIes. Cet odieux esprit de particularisme a toujours doming en Orient ; mais c'est surtout dans I'Eglise de Constantinople qu'il s'est ai^irme. Bien que la foi soit restee identique au fond, et que I'Eglise latine ait toujours accept^ les diffe- rences de discipline entre I'Orient et I'Occident, rien n'a pu triompher de I'obstination schisma- tique des Grecs. Malgr^ les tentatives de rappro- chement operees au concile de Lyon (1275) et au concile de Florence (1439), malgre les souve- nirs de tant de Peres, de Docteurs, de Martyrs, veneres en commun par les deux Eglises, malgr6 la liturgie de I'Eglise orientale, toute remplie de tdmoignages en fa- veur de la suprt^matie du siege de Pierre, I'esprit de schisme a ^toujours prevalu dans I'Eglise de Constantinople, et, a la fin, ce clerge avili et si- moniaque s'est He- las ! depuis trois siecles et demi que ce voeu sa- crilege est exauc6, les malheureux auraient eu le temps de reconnaitre leur erreur. Rien n'in- dique cependant jusqu'a present que le successeur de saint Chrysostome, devenu la creature et le jouet du ministre du s6- rail, ait ouvert les yeux a I'evidence. Le dernier appel paternel que Pie IX lui adressa a I'epoque du concile du Vatican a ete re^u avec le meme orgueil systematique, avec le meme dcdain ghcial que les appels precedents. Mais ce particularisme national, si vivace encore a Constantinople, n'existe pas au meme degre dans les autres patriarcats d'Antioche, de Jerusalem et d'Alexandrie. La, le schisme n'a ete qu'un accident, du surtout a I'influence pre- ponderante de I'Eglise imperiale, et aussi a I'iso- lement d'avec Rome, a la difficulte des commu- nications, pendant le moyen age, entre ces par rislam et le centre de I'unit^. II y eut toujours dans ce? Eglises de nombreux catholiques ; beaucoup d'eveques res- L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 113 terent unis au siege apostolique, et, dans le patriarcat d'Antioche, en particulier, il est cer- tain que, jusqu'en 1724, un grand nombre de ses titulaires reconnurent la suprematie dii Pon- tife romain. C'est la un point d'histoire eccle- siastique trop peu connu en Occident. L'annee 1724 vit consommer le schisme de I'Eglise d'Antioche. Depuis plusieurs genera- tions de patriarches, le siege dAntioche ctait occiipe par des prelats catholique.s ; la plupart des eveques du patriarcat etaient catholiques, ainsi que leur clerge et leur peuple. L'ambition d'un miserable fit prevaloir le schisme. En 1724, un patriarche catholique, Cy- rille IV, ayant ete elu, selon I'usage, par les eveques de sa nation, un diacre, qui convoitait la place, se voyant frustre dans ses desirs ambitieux, se rendit a Constantinople, et promit au patriarche schismatique d'entrainer toute sa nation dans le schisme s'il etait elu. II fut aus- sitot sacre et intronise en qualite de patriarche d'Antioche, avec I'aide du gouvernement ottoman, achete a prix d'argent. Le patriarche legitime fut exile par ordre de la Porte. L'intrus tint fide- lement la parole qu'il avait donnce d'en- trainer son Eglise dans le schisme. Muni du berat imperial, il s'empara de tous les biens-fonds de la communautc mel- chite, chassa de leurs sieges les eveques fideles, les remplaca par des schismati- ques, et, pendant pres d'un siecle, on put croire que e'en etait fait de I'Eglise grecque catholique en Orient. II n'en etait rien cependant. Caches dans des retraites inaccessibles, Cyrille et ses successeurs avaient continue de diriger dans I'ombre cette Eglise dcsolee, qui comptait encore, au commencement du xixe siecle, environ :.'o.ooo fideles. La Providence allait lui venir en aide, en lui suscitant un homme d'une intelligence et d'une vertu superieures, Mgr Maximos Mazlum, qui avait fait ses etudes a Rome et en France. II fut eleve en 1833 sur le siege patriarcal d'Antioche par tous les eveques de son rite. Les circonstances politiques le favori- serent. Les Turcs venaient d'etre chasses de la Syrie par le fameux Ibrahim-Pacha. Le nouveau patriarche parvint a se faire reconnaitre en cette qualitii par Ibrahim, et, en 1834, il rentrait solen- nellement dans la vieille residence des patriarches d'Antioche, a Damas, dont ses predccesseurs ca- tholiques etaient exiles depuis cent dix ans. Ouand la Syrie retomba, quelques annces apres, sous le joug des Turcs, le vaillant patriar- che alia lui-meme a Constantinople plaider sa cause et celledes Grecs catholiques. Traverse par les intrigues du Phanar et I'influence russe, il passa en Italic eten France (1839), pour reclamer Missions Catholiques I'appui de notre gouvernement. La France sou- tint la cause catholique. Le succes de Mgr Maximos, dispute pendant dix ans, fut complet. En 184S, il etait reconnu par la Porte comme chef civil de la communaute grecque-melchite, declaree independante de toute autre commu- naute religieuse. Pour recompenser le vaillant prelat, le Pape voulut qu'il joignit a son titre patriarcal d'Antioche, ceux de Jerusalem et d'Alexandrie, donnant ainsi une seule tete a I'Eglise grecque-melchite. Le reste de la vie du saint patriarche fut Mgr Gregoire Jusef, patri.\rche grec-.melchite. employe a consolider son ceuvre. L'Eglise grec- que melchite etait ressuscitee ; mais, apres plus d'un siecle de persecutions acharnees, tout etait a refaire : circonscriptions episcopales, paroisses, eglises, ecoles. Mgr Ma.Kimos tint plusieurs synodes episcopau.x, pour restaurer la discipline et s'occuper des meilleurs moyens de ramener ;i I'unite catholique les nombreu.x schismatiques de rOrient. Ses successeurs ont marchc dans la meme voie, et, sous le patriarcat du titulaire actuel, Mgr Gregoire Jusef, ancien eleve des Jesuites de Ghazir, les progres de I'Eglise mel- chite se sont encore accentues. II s'esc produit 114 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™== SIECLE. par tout rOrient, dans ces dix dernieres annees, un mouvement de retour vers Rome. Ce ne sont plus des personnages isoles, mais des families nombreuses, quelquefois des villages entiers, qui demandent a rentrer dans I'Eglise catholique. — Helas ! ce mouvement de retour vers Rome est retarde par le manque de ressources, et sur- tout par le manque d'hommes. En effet, le grand besoin de cette Eglise qui renait a la vie catholique, ce sont des pretres, des pretres de rite grec, de nationalite grecque, mais instruits et pieux. Les missionnaires latins peu- vent tres peu ici, une longue experience I'a trop prouve ! Leur oeuvre, I'oeuvre que seals ils peu- vent faire, c'est de former un clerge national, mais un clerge national qui aura puise dans une forte education clericale la science, les vertus et I'esprit catholique de I'Occident, au lieu du parti- cularismeetroit des Orientaux. C'est pour repondre a ce grand besoin des Eglircs orientales que le cardinal Lavigerie a ouvert a Jerusalem, en 1882, dans la maison que ses missionnaires occupent a Sainte-Anne, un seminaire pour les grecs melchites afin de fournir aux eveques de ce rit un clerge fervent et instruit. Cet utile etablissement a recu la benediction du Vicaire de Jltsus-Cin>ilST et le concours em- presse de repiscopat melchite. Voici ce qu ecri- vait a ce sujet un des eveques du patriarcat : « L'ecole apostolique fran^aise de Jerusalem >> vient a son heure. Les moissons jaunissent, et » le Maitre, exaucant nos prieres, enverra bientot » enfin les ouvriers. Ilssortiront de Sainte-Anne, •} pleins de vie et d'ardeur pour se mettre a I'ceu- » vre. Leurs travaux seront couronnes de succes » qui etonneront bien des gens. Oui, nous I'espe- » rons, ces missionnaires d'un genre nouveau, » indigenes du rit grec, entes sur I'arbre plein de » seve de I'Eglise latine, porteront des fruiis, ;» precisement parce qu'ils conserveront leur > espece propre en la fortifiant. » II ne faut pas nous le dissimuler, jamais les grecs ne seront efficacement ramenes a I'unite romaine par les latins. Des prejuges invincibles s'y opposent. Puis, pour tons ces peuples orien- taux, chez lesquels les formes exterieures du christianisme ont tant de puissance, un chan- gement de rit est presque un changement de religion. C'est pourquoi les Souverains Pontifes, en particulier Benoit XIV, ont sagement recom- mande aux missionnaires de ne pas chercher a latiniser les grecs. Ces prescriptions n'a\'ant pas toujours ete suffisamment observees, le Pape Leon XIII vient de les renouveler. Non con- tent d'avoir retabli le rit grec aupres de lui, dans le sanctuaire de Grotta Ferrata, il vient de decider que tous les grecs de la Palestine ramenes a I'Eglise depuis trente ans, et qui, faute de missionnaires de leur rit, avaient em- brasse le rit latin, devront, maintenant qu'ils ont des pasteurs, revenir au rit grec. Ne soyons pas plus sage que le Vicaire de Jksus-Chkist. La liturgie grecque, qui remonte a saint Basile et a saint Jean Chrysostome, est fort belle ; la discipline de I'Eglise grecque n'a rien de blamable, et, dans ses grandes lignes, c'est la discipline generale de I'Eglise. S'il etait permis a un humble missionnaire d'exprimer un avis a ce sujet, je n'y verrais qu'un seul point, fort grave, il est vrai, a reformer, c'est le mariage des pretres. II est certain qu'un clerge marie ne fera jamais qu'un clerge mediocre, comme science et comme esprit sacerdotal. Mais il faut observer que, chez les grecs, le mariage des pretres, qui est tolere avant I'ordination, n'est nullement obliga- toire. C'est par un abus que, dans I'Eglise russe, tout diacre appele a I'ordination doit commencer par se munir d'une femme. Rien de pareil n'existe dans I'P^glise grecque catholique. Si done Nos Seigneurs les eveques du rit grec n'elevaient au sacerdoce que des diacres encore libres du lien conjugal, comme, meme dans les Eglises schis- matiques, le mariage a toujours ete rigoureuse- ment interdit au pretre apres I'ordination, la question du celibat ecclesiastiqueserait bien pres d'etre r^solue dans I'PZglise grecque, comme elle Test depuis longtemps dans I'Eglise latine. Quelle est actuellement la situation de I'Eglise grecque-melchite ? Dans une note envo\'ee, en 1877, a Mgr I'archeveque de Paris, Mgr le patriarche la resume en ces termes : II y a dans I'eglise grecque-melchite : 12 sieges dpiscopaux, dont 3 sont administres par des vicaires patriarcaux, et les 9 autres par des arche- veques et des eveques elus et confirmes par le patriarche. Celui-ci est elu par le sj'node des eve- ques et confirme par le Pape, qui lui envoie en signe de communion le sacre pallium. En 1877, I'Eglise grecque comptait : 10 eve- ques, 12 sieges episcopaux, 190 paroisses, 19 mo- nasteres, 333 pretres tant seculiers que reguliers (ces derniers appartiennenttous a I'Ordre antique de saint Basile) ; 133 religieuses appliquees a I'enseignement et aux ceuvres de charite, i semi- naire patriarcal, 2 grands colleges, 127 ecoles et ico.ooo catholiques. Voici maintenant quelle est, en 1890, la hie- rarchie de I'Eglise grecque-melchite ('). I. On n'a compris dans ce tableau que les pretres du rit grec, laissant de cote les nombreux missionnaires latins qui travaillent dans les dioceses grecsmelchites. Comme il manque le cliiffre des pretres grecs de deux dioceses, et qu'il y a encore des pa- roisses de ce rit en Egypte, a Constantinople, a Livourne, a Marseille, etc., le chiftre total des pretres grecs-melchites s'eleve aux environs de 220. Les uns font parlie du clerge seculier, mais le plus grand nombre sont religieux de Saint-Basile. Cet Ordre antique, qui compte au moins 500 religieux, se partage en trois congregations: les Salvatoristes, les Alepins et les Baladistes. II y a aussi dans le patriarcat plusieurs convents de religieuses du meme Ordre. En tenant compte des grecs-melchites repandus en dehors des- dits dioceses, dans I'Asie-Mineure, en Egypte, a Constantinople et dans plusieurs villes d'Europe, oil ils sont assez nombreux pour avoir des paroisses de leur rit, on arrive au chilfre total de 114.000 grecs-melchites, chifl're ofriciel donne pour 1890 par ie patriarcat. Ce nombre ne fera certainement qu'augmenter, car il se produit dans tout I'Orient, surtout depuis ces dernieres annees, un grand mouvement de retoui vers Rome. L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 115 I patriarche du litre d'Antioche (en residence h. Damas). I vicaire patriarcal, k Jerusalem. I vicaire patriarcal,^ Alexandrie. 4 archeveches : calholiq. Alep I arch. II pr. 6egl. ou ch. 6 ec. 9.000 Bosra et Hauran . i » 10 > 12 » 4 >> 7.000 Emfese et Apam^e i > 20 :^ 20 » 18 J> 8.000 Tyr I » 20 > II » 13 ■•> 6.200 7 eveches : Balbeck .... ie'veq.15 J 10 >> 8 > 5.000 Beyrouth. . . . i > ? » ? > 19 » 15.000 Damas i> ?>9 * ^ '^> 12.000 Paneas . . . . i » 16 » 9 » 21 > 3.600 Sidon I » 25 > 25 > 7 » 11.000 Ptolemais . . . i » 34 > 25 t> 8 » 9000 Zahle I » 35 » 30 ^ 12 > 17.000 Total, I pat., 1 1 arc. etev,, 186 »I57 » ii6»io2.«oo Tous ces eveches soiit situes en Syrie. II y a encore des eglises du rit grec-melchite a Rome, a Livourne, a Marseille, a Alexandrie, a Cons- tantinople et dans quelques autres localitcs du Levant, en dehors de la Sj'rie. Statistijue compan'e des fideles dn rit grec-melchite. En 1800 1850 1890 20.000 50.000 114.000 III. RIT ARMENIEN. LA nation armcnienne n'a pas contre I'Eglise latine les preventions et lahainedes Grecs. Amencs a la foi chretienne par saint Gregoire rilluminateur, les Arm^niens se laisserent mal- heureusement entrainer, au VI F siecle, dans I'he- resie des Monophv'sites. Neanmoins, a lepoque des Croisades, loin d'imiter la trahison et les four- beries des Grecs, les Armcniens combattirent vaillamment a cote des Francs pour la delivrance des Saints Lieux. Cette fraternite du champ de bataille les rapprocha des Latins, et ramena a la foi catholique un bon nombre d'entre eux. Dcpuis le concile de Florence, il y eut toiijours dans la nation armenienne un certain nombre d'eveques et de pretres catholiques. Malheureusement, en Orient, la question de nationalite prime toutes les autres. Soumis, au tempore!, au patriarche heretique de leur nation, les catholiques armeniens n'ont cesse d'etre per- secutes ju.squ'au jour 011 ils purent se constituer en communaute distincte. En 1700, un de leurs docteurs les plus cclebres, Pierre Mekhitar, reli- gieux du monastere patriarcal d'Edchmiadzin, a\'ant embrasse la foi catholique, fut denonce aux Turcs pour ce fait par son patriarche et force de se refugier a Venise, ot'i, avec la protection du Souverain I'ontife, ilouvrit une eglise et un mo- nastere aux religieux de sa nation appeles de son nom Mckhitaristes. Cette maison devint comme une peijinicre de religieux armeniens catholiques, qui partirent de la pour aller evangeliser leurs compatriotes. Mekhitar joignit a son ceuvre une imprimerie, d'oii sont sortis grand nombre de publications savantes et de livres catholiques a i'usage des Armeniens. En 1742, Benoit XIV, prenant en pitie les besoins de I'Eglise armeno-catholique, institua le patriarcat de Cilicie pour les Armeniens residant dans I'Armenie Mineure et la Ci'icie ; ceux de la Turquie d'Europe, de I'Anatolie et de la Grande Armenie resterent, eux et leurs pretres, sous la juridiction du vicaire patriarcal de Constantino- ple. Le premier titulaire du patriarcat armenien de Cilicie fut un moine du nom d'Abraham, qui, en signe d'union avec Rome, prit le nom de Pierre, usage suivi par ses successeurs. II fixa sa residence au couvent de Bzommar, dans le Liban, ayant sous sa juridiction deux eveques de son rit, a Mardin et a Alep, avec environ 20.000 catholiques. Cet arrangement avait un grave defaut : il lais- salt en dehors du patriarcat de Cicilie pr^s de 40.000 Armeniens catholiques repandus a Cons- tantinople et dans la Grande Armenie. Soumis au temporel au patriarche heretique de leur nation, ces malheureux se voyaient exploites et pressures de toutes les manicres. De 1827 a 1 830, le patriarche gregorien, non content de les ran- 9onner, voulut abuser de son autorite pour leur enlever leur foi. II priva de ses droits civils qui- conque refusait de le reconnaitre comme chef spi- rituel de la communaute armeno-catholique. Les pretres armeniens, n'ayant pas d'eveqnc de leur rite pour les representer et les defendre aupresde la Porte, furent detenus en prison ou jetes en exil ; plus de 30.000 fideles, plutot que de recon- naitre la juridiction spirituelle du patriarche heretique, sortirent de Constantinople et prirent le chemin de I'exil. On peut dire, sans exagera- tion, que, dans cette persecution qui dura trois annees, la Constance des Armeniens catholiques fut admirable. Pie VIII leur donna, en 1830, un archeveque primat, qui fixa sa residence a Cons- tantinople, et etendit sa juridiction sur tous les catholiques armeniens residant en dehors du pa- triarcat de Cilicie. Grace aux bons offices de I'ambassade de France, les Armeniens catholi- ques furent reconnus par la Porte comme for- mant une communaute distincte et soustraits pour toujours a la juridiction civile du patriarche gregorien. Vingt ans plus tard, pour repondre au mouve- ment de conversion parmi les Armeniens, Pie IX crea six nouveaux dioceses en Asie-Mineure : Brousse, Angora, Trebizonde, Erzeroum, Kar- pouth et Artwin, sous la juridiction de I'archevc- que primat de Constantinople. Mais cet arrangement laissait encore a desirer, car il donnait a I'Eglise armeno-catholique deux tetes independantes I'une de I'autre : le patriarche de Cilicie et I'archeveque primat de Constanti- nople. Le peuple armenien et son clerge dcsi- raient generalement la reunion des deux sieges. C'est pourquoi le patriarche qui residait a Bzom- 116 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"^ SIECLE. mar etant venu a mourir, les cveques du patriar- cat'de Cilicie clurent unanimement pour lui suc- ceder Mgr Hassoun, qui occupait deja depuis plu- sieurs annees le siege primatial de Constantinople (14 septembre 1866). Fie IX s'empressa de con- firmer la reunion des" deux sieges dans la bulle Reversunis (12 juin 1867), et, pour prevenir le retour de certains abus, il prescrivit quelques re- SON Eminence lf Cardinal Hassoun, Ancien patiiarclie armenien. gles fort sages pour I'election des dvcques arme- niens et I'administrationdes biens ecclesiastiques. Ce fut I'occasion d'une tempete effroyable, dans laquelle I'Eglise armeno-catholique parut som- brer un instant. II faut dire un mot du schisme et de ses causes. On a vu plus haut avec quelle heroique fidelite le peuple armdno-catholique supporta, au com- mencement de ce siecle, la persecution, plutot que de remncer a la foi. Neanmoins I'esprit particu- lier, I'esprit de nationalite, vit toujours chez les Armeniens, comme chez les Orientaux. Nous autres, peuples de 1 Occident, qui regardons Rome comme la patrie de nos ames, nous ne pouvons qu'imparfaitement nous faire I'ideede la susceptibilite jalouse des peuples de'l'Orient des que les privile- ges et les droits de leur natio- n?lite sont en jeu. II faut ajou- ter que, parmi les nations o- rientales, le peuple arme- nien est certai- nement le plus avance pour le developpement de la civilisa- tion, la riches- se, I'education, et ce qu'on a coutume d'ap- peler les idees modernes. II en resulte que, surtout chez les chefs larques de la nation, la ferveur et la simplicite de la f o i o n t b i e n diminue depuis un demi-siecle. La franc - ma- (^onnerie a fait la, comme par- tout, son CEUvre satanique, qui consiste a bat- tre en breche I'autorite de I'Eglise. De la, chez les Arme- niens catholi- ques, une ten- dance deplora- ble aseculariser le gouverne- ment ecclesiastique et a empieter sur les droits des pasteurs. Ajoutez a ce mauvais esprit cer- taines ambitions froissees, la tendance des reli- gieuK mekhitaristes vers le catholicisme liberal, les imprudences de certains ev^eques occidentaux, au moment du concile, pour englober les Arme- niens dans I'opposition ; joignez a toutes ces causes la pression des loges, le mot d'ordre donne a Constantinople comme il avait ^t^ donn6 a L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 117 Berlin et a Geneve, I'attitude de notre ambassa- deur, M. Boiiree, qui prit d'abord parti pour les opposants a la bulle Kcversurns et conseilla a la Porte de les reconnaitre comme catholiques, et Ton comprendra la gravite de la crise qu'eut a traverser I'Eglise armenienne au lendemain du concile. Dans la surexcitation generale des esprits, il fut facile de persuader a la Porte que la bulle i^^?'frj«;7/jattentaitau\' droits de souverainete du Sultan, et bouleverserait toute I'econo- mie de I'Eglise armenienne. Ce qui contribua surtout a egarer les ministres du Sultan, ce fut I'attitude de I'ambassa- deur frangais, qui, subissant Taction de nos catholiques li- beraux , prit parti pour les schismatiques contre Mgr Hassoun, a qui Ton ne par- donnait pas de s'etre range, au moment du concile, dans la majorite infaillibiliste. On \it done se renouveler, a Constantinople, les scenes de Berne et de Geneve. Les dissidents etaient a peine 2,000, contre plus de 100,000 armeniens fideles. lis avaient avec eux seulement quatre eveques, avec une cinquan- taine de moines mekhitaristes defroques. Dans plusieurs dio- ceses armeniens, on ne trou- vait pas un seul dissident. C'est a cette poignee de libres-penseurs et de francs- masons que la Porte livra tous les biensfonds de la coni- munaute armeno-catholique : eglises, presbyteres, maisons episcopales, seminaires, hopi- taux, ecoles, plus de huit mil- lions de biens-fonds. On enleva aux catholiques jusqu'a leur nom, qu'on remplaca par celui de hassoiinnistes. Des le debut de la crise, Mgr Hassoun avait dte exile et force de partir pour Rome. La Porte, apres avoir enleve au patriar- che legitime son berat imperial, fit proceder a I'election d'un nouveau patriarche. Comme les catholiques s'abstinrent en masse de prendre part a cette election sacrilege, les schismatiques, au nombre de 1,130, elurent sans opposition un pretre interdit et nommement excommunic, I'in- trus Kupelian, qui fut reconnu par la Porte en qualite de patriarche des Armeniens catholiques. Comme a Geneve et a Berne, ces violences aboutirent a la honte des persecuteurs. La lutte dura dix ans, de 1870 a 1880, et pendant dix ans la Constance des catholiques lassa la rage de leurs ennemis. A la fin, il fallut bien reconnaitre qu'on s'etait trompe et revenir sur 5es pas. La Porte commensait a comprendra de quel ridicule elle se couvrait devant I'Europe, en emettant la pre- tention de decider souveraincment dans une question de dogmeset de distinguer, sans le Pape et ma'gre le Pape, les vrais catholiques des fau.x. Mgr hiiLNNK-PlLRRE X Az.\KlAN, I'aUiaiche aimen;cn. Le schisme, deshonore par ses propres violence.', s'effondrait dans I'impuissance et dans le mepris public ; chaque jour des pretres, des laiques, I'a- bandonnaient pour revenir a I'unite catholique. L'intrus Kupelian sentit que la position n'etait plus tenable et fit cnfin sa .'■oumission (1878). La Porte, heurcuse de sortir de ia situation fausse dans laquelle elle s'etait jetee, rendit a Mgr Has- soun son berat, et I'Eglise armenienne recouvra la paix. 118 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™<' SIECLE. Cette paix n'a pas etc troublee depiiis, bien qu'il y ait toujours dans les chefs laiques de lacom- munaute un mauvais levain d'itidependance. Mgr Hassoun ayant ete eleve par Leon XIII au car- dinalat (1880), son successeur, Mgr Azarian, a ete elu patriarche selon les prescriptions de la bulle Reversnrus. Parmi les Armeniens gregoriens, le mouvement deconversions, arrete par la persecution de^tSjo, a repris avec assez d'entrain. A cette heure.l'Eglise armeno-gregoriennesemeurt ; c'est un fait atteste par tons ceux qui connaissent la situation. Cette Eglise est divisee aujourd'hui entre plusieurs chefs : il y a a Edchmiazin, Armenie russe, un patriarche gregorien, qui est entierement sous la main du Czar, et qui se plaint amerement de sa dependance ; il y en a un autre a Cis, dans la Cilicie, un troisieme a Constantinople. Tous ces patriarches hcretiques s'anathematisent recipro- quement ; ils ont perdu toute consideration, toute autorite serieuse sur les membres de leur com- munaute. De I'aveu de tous, c'est una Eglise de cinq a six millions d'ames qui s'effondre. A qui ira cette riche succession ? L'Angleterre protestante, dans un but plus politique que reli- gieux, inonde TArmenie d'une armee de predi- cants ; partout ils ouvrent des colleges, des ecoles, des orphelinats, des dispensaires et des hopitaux; ils sement I'or a pleines mains, et promettent I'ap- pui politique de leur gouvernement aux Arme- niens qui viennent a eux. Jamais ils n'en feront de bons protestants, ils le savent, mais ils en feront des libres-penseurs et des ennemis du catholi- cisme ; ce resultat leur suffit. En presence de cette propagande effrenee du protestantisme, I'Eglise armeno-gregorienne voitson impuissance et s'y resigne. <( — Dans vingt ans, disait-on un jour a I'un de ses ^veques, votre diocese aura passe au pro- testantisme. » « — Qu'est-ce que cela me fait ? rcpondit en souriant le prelat ; dans vingt ans, je n'y serai plus. Apres moi le deluge ! » Tel est I'esprit de foi et de zele de ce clerge. Pour utter contre la propagande protestante, le catholicisme est seul, prive de toute influence politique, avec des ressources bien restreintes. Et pourtant, telle est la force de la verite qu'il fait chaque jour des progrcs ; des populations entieres lui tendent les bras et I'appellent. Trop souvent, helas ! les eveques armeniens catholiqucs ne peu- vent repondre a ces appels ; les ressources mate- rielles, les hommes surtout, font defaut pour recueillir la moisson deja mure. II est triste de voir la France, indifferente a ses traditions seculaires, laisser en Orient I'influ- ence de la Russie et de I'Angleterre eclipser la notre Livres a eux-memes, les Armeniens n'he- siteraient pas a se faire nos clients ; tous ceux qui connaissent le pays I'affirment. Pourquoi faut-il qu'a I'heure d'une crise decisive pour les nations orientales, la France catholique soit aux mains d'une poignee de francs-macons, que I'esprit sec- taire aveugle sur les vrais interets du pays, et qui abandonnent a nos rivaux des populations si bien disposees a venir a nous ! Mais DiKU a ses desseins de misericorde sur les nations orientales ; il ne permettra pas que I'heresie arrache ces peuples a leurs erreurs secu- laires, pour les plonger dans un etat pire que le precedent. Leon XIII a les yeux fixes sur I'Oricnt, et pour rem^dier a la penurie d'hommes aposto- liques, il a ouvert a Rome un seminaire special pour les Armeniens (1883). A mesure que les conversions se multiplient, il erige en Armenie de nouveaux sieges episcopaux ; on a vu ]d1us haut qu'il a profite de I'expulsion des Jesuites francais pour leur confier une mission dans ce pays. Tout fait esperer que, d'ici la fin du siecle, I'Eglise armeno-catholique aura triomphe des difficultes qui arretent encore aujourd'hui son plein developpement. Voici quelle est, au i^r Janvier 1890, la hierar- chic du patriarcat armenien de Cilicie. I (Uoche patriarcal : Constantinople, i patriarche, 2 eveques auxiliaires, 70 pretres, 16 eglises on chapelles, 10 6co!es, lo.ooa catho- liques. J arcJieva'hi's : Lemberg (Autriche), i archeveque, 17 pretres, 22 eglises ou chapelles, ? ecoles, 4.500 catholiques. Alep (Syrie), i archeveque, 15 preires, 7 eglises ou cha- pelles, 4 ecoles, 7.S00 cathohques. Mardin ( Mesopotamie), i archeveque, 12 prelres,8 eglises ou chapelles, 7 ecoles, 8.000 catholiques. J 6 cvixlih : Adana (Anatolie), i eveque, 8 pretres, 7 eglises ou cha- pelles, 7 ecoles, 2 . 500 catholiques. Alexandrie (Egypte), i eveque, 4 preires, 5 eglises ou chapelles. 1.200 catholiques. Diarbekir (Mifsopotamie), i eveque, 18 pretres, 10 Eglises ou chapelles, 10 ecoles, 4.000 catholiques. Ancyre (Anatolie), I eveque, 32 pretres, 4 eglises ou cha- pelles, iS ecoles, 8.000 catholiques. Artwin (Russie), 23 preires, ? eglioes ou chapelles, 22 ecoles, 12.000 catholiques. Brousse (Anatolie), i eveque, S pretres, S eglises ou cha- pelles, II. GOO catholiques. Cesaree du Pont (Cappadoce), i eveque, 3 pretres, 4 dglises ou chapelles, 2 ecoles, 1.500 catholiques. Erzeroum (Armenie), i eveque, 54 pretres, 76 dglises ou chapelles, 19 ecoles. 10.000 catholiques. Ispahan (Perse), i pretre, ? e'glises ou chapelles, ? ecoles, 500 catholiques. Karpouth (Mesopotamie), 1 eveque, 7 pretres, 4 eglises ou chapelles, 10 ecoles, 1.700 cathohques. Marasch (Cilicie), i eveque, 10 pretres, .'' eglises ou cha- pelles, 4 ecoles, 6.000 catholiques M^lytene (Armenie), i eveque, 7 pretres, 10 eglises ou chapelles, 8 ecoles, 4.000 catholiques. Mouclie (Armenie), i eveque, 6 pretres, 5 eglises ou cha- pelles, 2 ecoles, 4.0CO catholiques. Sebaste (Armenie), i eveque, ? pretres, ? eglises ou cha- pelles, ? ecoles, 2.000 catholiques. Tokat (Cappadoce), i administrateurapostolique, ? pretres, ? eglises ou chapelles, .'ecoles, 2.000 catholiques. Trebizonde (Armenie), i eveque, 10 pretres, 3 eglises ou chapelles, 4ecole5, 5.000 catholiques. Total pour le rite armenien, i patriarche, 3 archeveques, 15 eveques, 303 preties, 189 eglises ou chapelles, 134 ecoles, 104.900 catholicjues, L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 119 Ne sont pas compris dans le chiffrc des pre- tres, les missionnaires latins qui travaillent en grand nombre dans les dioceses, sous la juridic- tion des eveques aimeniens ; ne sont pas compris nc'i plus les religieux Mekhitaristes et Antonins, qui vivent en communaute, soit dans la Turquie d'Asie, soit en Europe. Outre ces religieux, qui sont environ 200, le patriarcat vient d'etablir a Constantinople la maison mere des Sceurs arme- niennes de 1' I mmaculee Conception, qui rendent deja d'immenses services dans les dioceses, par la tenue des ecoles et les ceuvres de charite. En tenant compte des Armeniens assez nom- breux qui vivent en dehors des dioceses de leur rit, dans lAsie Mineure, I'Afrique scptentrionale, ritalie, la France et jusqu'aux Indes, il faut porter le chiffre total des Armeniens catholiques au moins a 120.000 ames. Plusieurs auteurs serieux le font meme monter jusqu'a 150.000; mais, en I'absence de documents precis, je me tiens provisoirement a 1 20.000. Esperons que ce chiffre sera promptement depasse, si rien ne vient contrarier le mouvement de retour qui se manifeste depuis plusieurs annees. Statistique coviparee des catholiques aniicnieiis. En 1800 80.000 1850 100.000 iSgo 120.000 IV. — RIT MARONITE 1>> Die toutes les communautes catholiques de I'Orient, les Maronites forment la plus nombreuse agglomeration, et aussi la plus fer- vente,celle oii I'esprit catholique est le plus vivant, oil le particularisme et le laicisme, qui sont le fleau des Eglises orientales, ont le moins de force. Seule de toutes les populations levantines, la nation maronite ne s'est jamais laisse entrainer au schisme ni a I'heresie. Lorsqu'on songe a la situation de ce petit peuple entoure de Mahome- tans, d'idolatres fanatiques (les Druses), de schismatiques, d'heretiques de toutes nuances, I'esprit est frappe d'admiration et le cceur se dilate a la vue de cette population tout entiere catholique, dont jamais le schisme n'a trouble I'unite, dont I'heresie n'a jamais corrompu la foi, et dont la simplicite rappelle les chretiens de la primitive Eglise. C'est pourquoi je m'arreterai un instant a resumer son histoire, trop peu connue en Occident. Les Maronites tirent leur nom de deux celcbres religieux, morts tous deux en odeur de saintete, le premier en I'an 433, et le second en 707. Le culte des deux saints Maron a ete reconnu et autorise par I'Eglise romaine, et le second, Jean Maron, successivement moine aiitonin, evcque de Batroun, patriarche d'Antioche et legat du pape Sergius, pent etre considere, a bon droit, comme le createur de la nation maronite. Toujours dociles et soumis aux differents maitres de leur pays, Empereurs grecs de Byzance, Califes de Syrie, Sultans des Turcs, les Maronites ne prirent jamais les armes que pour la defense de leur nationalitc et de leur foi. Mais, sur ces deux points, ils furent intraitables. A plusieurs reprises ils eurent a lutter contre les Empereurs de Constantinople, qui voulaient leur imposer I'heresie et le schisme ; mais ils dejouerent toutes leurs ruses et leur infligerent plus d'une fois de sanglantes defaites. A I'epoque des Croisades, 40.000 Maronites combattirent dans les rangs des Francs pour la delivrance des Saints Lieux. Ce fut I'age heroique de la nation maronite. Sous la protection des Croises, ils s'etablirent dans toute la Syrie, a Chypre et jusqu'en Egypte. Le nombre des Maro- nites s'elevait des lors a plus de 200.000. C'est pourtant a cette epoque que leur foi se trouva exposee au plus grand danger qu'elle ait jamais couru. Circonvenus de tout cote par leurs voisins herctiques, Jacobites, Eutycheens, Mono- physites, quelques membres de leur clerge et le patriarche lui-meme se laisserent seduire et pro- fesserent le Monothelisme. Ce ne fut qu'un moment d'oubli dans I'histoire religieuse de ce peuple, car I'erreur ne dura que de 1175 a 1182, et encore elle fut rejetee avec horreur par la grande majorite de la nation. Le patriarche pre- varicateur fut depose, et Ton ekit a sa place un catholique, qui fut massacre a son tour par les heretiques. Les circonstances etaient graves : le roi de Jerusalem envoya Aimeri, patriarche latin d'Antioche, au secours de ce petit peuple qui voulait rester catholique. Aimeri se renditen 1182 dans la ville de Tripoli, proceda a une enquete solennelle sur le meurtre du patriarche, et fit rentrer les dissidents dans le devoir. Ce fait, mal interpiete, donna lieu a I'erreur de Guillaume de Tyr, qui raconte que, par les soins d'xAimeri, la nation entiere des Maronites etait revenue de I'erreur des monothelites a la foi catholique ; mais il est certain que la masse de la nation n'a jamais d^failli dans la foi, et que sa fidelite a I'Eglise romaine ne s'est jamais dementie. C'est le temoignage que le pape Benoit XIV lui rend en ces termes : « II n'y a pas a douter que » les Maronites ont toujours ete et qu'ils sont » aujourd'hui entierement catholiques, unis avec » le Saint-Siege et pleins de respect et d'obeis- » sance, soit pour leur patriarche, soit pour le » Pontife romain. » Cette integrit-e dans la foi catholique et cette soumission filiale au Vicaire de J tSU.S CHRIST ont persevere jusqu'a nos jours. Un ministre protestant, le R. Williams, apres un essai infruc- tueux d'apostolat dans le Liban, ccrivait avec depit : « Les Maronites sont les plus intrepides ro;na- » nisles du monde, et la nation tout entiere est » si infatuee de bigoterie (lisez de catholicisme), I » qu'il n'y a rien a faire avec elle. » 120 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. Les Maronites ont cherement paj-e leur fidelite a. I'Eglise romaine. Retombes apres les Croisades sous le joug des Turcs, ils se sont vus abandonnes aux lancLines et aux haines implacables des schismatiques qui les entouraient. C'est ainsi qu'a Ch\'pre, ou,du temps de Lusignan, ils pos- sedaient jusqu'a soixante-deux villages prosperes, les exactions de I'archeveque grec dc Nicosie et les persecutions de leurs voisins, encouragees par I'insouciance du gouvernement ottoman, les ont a peu pres aneantis. A I'heure actuelle, ils ne possedent plus que cinq villages tres pauvres, situes a I'extremite de I'ile, autrefois toute catho- lique. Dans le Liban, groupes en corps de nation, il leur a ete plus facile de se defendre contre les schismatiques ; mais ils ont a compter avec la tj'rannie des Metualis et le fanatisme des Druses, leurs voisins. Plus d'une fois, des combats de villages a villages ont ensanglante les tranquilles montagnes du Liban, et I'Europe chretienne n'a pas encore oublie les effroyables massacres de i860, accomplis par les Druses avec la complicite des Turcs, et, disons-le en rougissant, avec I'appui moral de I'Angleterre protestante, qui ne saurait pardonner aux Maronites d'avoir repousse ses predicants et d'etre les clients de la France. Les Druses, ces interessants proteges de I'An- gleterre contre ceux qu'un journal anglais conser- vateur, le Sa'itrday Reviezv, appelait au lendemain des massacres « les suivages Maronites », sont, au dire de tous les vo\-ageurs, d'abominables fanatiques, des h)-pocrites sans honneur, toujours prets a trafiquer de leur conscience et a embrasser la religion du plus fort. lis se disent musulmans, pour la forme ; mais il est certain qu'ils ont horreur de Mahomet, ct que, dans les impurs mysteres de leur culte, ils adorent une tete de veau. C'est a ces miserables sans foi ni loi que s'adresserent les predicants protestants, repousses par les Maronites. Comme ils apportaient de Tor, ils furent parfaitement recus, et firent d'abord un certain nombre de proselytes. II fallut bientot en rabattre : i Beaucoupse disent con vertis,ecrivait, en 1862, un ministre protestant ; mais, des qu'on rejette quelqu'une de leurs demandes, ils vous tournent le dos en disant : « Nous vous ecouterons aussi » longtemps que vous nous paierez. » Voila les hommes a qui, en haine du catho- licisme et de la France, I'Angleterre sacrifia les Maronites. Le mieux informe des journaux anglais, le Times, le i'^"' sepfembre i860, en convient : « Le grand chef druse, Mohammed, I'instigateur des boucheries, comptait sur le secours des Anglais, et, nous n'avons pas besoin » de le dire, sur une recompense anglaise. )) De son cote, Mgr Mislin, dans son ouvrage sur la Terre Sainte, rapporte qu'un voyageur anglais, causant avec un cheik maronite quelque temps apres les massacres, lui disait : « — L'Angleterre a pris parti pour les Druses uniquement pour contrecarrer I'influence poli- tique de la France sur les catholiques du Liban. » « — A ce compte, repliqua le Maronite, chaque fois que la France travaille pour Dieu, I'Angle- terre se croit obligee de travailler pour le diable. » Le cheik avait raison : c'etaient bien de veri- tables demons que la trahison du gouvernement turc, de connivence avec I'Angleterre, avait de- chain^s contre les Maronites : 3,000 catholiques furent massacres a Deir-el-Kamar , 6,000 a Damas, y compris 8 missionnaires franciscains. II y eut un total de 40,000 victimes, en comptant ceux qui moururent des souffrances endurees ; 360 villages maronites aneantis, 560 eglises brulees , 42 couvents renverses , 28 ecoles detruiles. Au lendemain des massacres, plus de 20,000 orphelins manquaient d'asile et de pain ; 200,000 Maronites erraient sans abri dans les ports et sur les cotes de la Mediterranee ; ils avaient tout perdu, et mouraient litteralement de faim. Les emissaires protestants accoururent alors pour s'emparer des enfants et les placer dans leurs orphelinats ; ils speculerent sur le desespoir et la faim pour acheter les apostasies. En meme temps le gouvernem.ent anglais intriguait a la Porte et en Europe pour arreter I'armce francaise, qui avait vole au secours de nos malheureu.x proteges. Lord Carnavon ne rougit pas de faire officiellement I'apologie des meurtriers ; il osa meme ecrire ces lignes verita- blement infames sous une plume chretienne : « II est bien a desirer que les puissants liens de gratitude d'une part, et de bons offices de I'autre, qui attachent les Druses a I'Angleterre, ne soient pas legerement rompus sous des prctextes moraux et politiques. » Voila qui peint I'Angle- terre protestante. Tirons un voile sur ces iniquites et ces hontes de la politique humaine. Grace a I'accord des cinq grandes puissances europeennes, un arran- gement fut conclu pour rcgler la situation du Liban et prevenir le retour de pareilles horreurs. Le gouverneur general du Liban est toujours un Chretien ; il a sous lui huit cai'makans (chefs de district) ; cinq sont maronites, un druse, un grec- catholique et un grec-schismatique. De la sorte, les intertits religieux de chaque communaute sont equitablement representes et proteges. II y a en outre trente-neuf mudirs ou chefs de canton ; ils sont choisis dans la nationalite qui domine dans la contree. Pourl'administration de la justice chaque district a un tribunal de premiere instance, dont le juge appartient a la religion de la majo- rite : il a un adjoint du rite qui vient le second comme importance numerique, et des assesseurs pris dans les autres rites. La cour supreme est composee de six membres de rites differents, avec un president maronite, L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 121 Ce reglement fort equitable a permis aux Maronites de se relever et de vivre en paix au milieu de leurs voisins jaloux. A I'heure actuelle, toute trace de la catastrophe de 1 860 est effacee. Voila le tableau que trace de la situation du Liban un voj-ageur anglais et protestant, sir Keating Kelly (i) : « L'exercice de la religion catholique est libre et res- pecte ; les eglises et les convents couronnent les mon- tagne?; les cloches, qui r^sonnent et font entendre comme un chant de liberte et d'independanre, invitent nuit et jour h la priere. Cette nation est gouverne'e par ses propres chefs et par son clerge qu'el'e aime ; une police rigou- reuse, mais equitable, maintient I'ordre et la sdcurit^ dans les villages ; la propriete est respecte'e et transmise de p&re en fils ; le commerce est actif, les moeurs du peuple sont simples et pure?. II est rare de rencontrer une popu- lation dont I'apparence annonce plus de sante, avec la noblesse dans les manieres et la civilisation, que celle de ces hommes du Liban. > C'est a la France catholique que les Maronites sont redevables de leur securite. Aussi, de toutes les communautes catholiques de I'Orient, aucune ne nous est plus sincerement attachee. M. Victor Guerin, le savant archeologue de la Terre Sainte, raconte qu'ayant un jour dressc sa tente au pied d'une des montagnes du Liban, ;i peine eut-il arbore, selon sa coutume, le drapeau francais, qu'il vit accourir les villages voisins : « Nous sommes tous Francais, lui dirent ces bonnes gens, et la France est pour nous une seconde patrie. Quand elle le voudra, nous nous Icverons comme un seul homme pour lui aj^par- tenir. » Puisse notre cher pays se montrer toujours digne de ces ardentes sympathies ! Le concile du Liban, tenu en 1740, par ordre de Benoit XIV, a partagc la nation maronite en huit dioceses ; voici le tableau de la hierarchie maronite , avec la population catholique de chaque diocese : 1 palriarche du tide d'Antioche, qui reside dans la mon- tagne et adniinislre le diocese de Djcbail. 2 eveques auxiliaires, I'un pour I'administration spiri- tuelle, I'autre pour radministration civile de la coni- munaule. 6 archevcchcs : Alep, I archeveque, 1 pretres, ? dglises ou chapelles, .' ecoles, 5 000 caiholiques. Beyrouth, i archeveque, 30 pretres, 50 eglises ou chapeUe.=, ? ecoles, 50.C00 caiholiques. Chypre, 1 archeveque, 120 pretres, 20 eglites ou cha- pelles, 20 ecoles, 20.000 catholiques. Damas, i archeveque, 95 prctres, 89 eglises ou chapelles, ? e'coles, 26.0C0 catholiques. Tyr e'. Sidon, i archeveque, 10 prelres, .■' eglises ou cha- pelles, ? ecole-, 40.000 caiholi_)ues. Tripoli (Syrie), i archeveque,? pretres, ? eglises ou cha- pelles, ? ecoles, 36.000 caiholiques. DjCbail et Batroun, 30 preires, 50 eglises ou chapelles, .' ecoles, 60.OCO catholiques. Balbeck, i evcque, ? prctres, ? eglises on chapelles, ? ecoles, 30 000 catholiques. Soit au total pour le ii;e maronite : 1 patriarche, 6 arche- veques, 3 eveque?, 2S5 pretres, 209 Eglises ou chapelles, .'ecoles, 277.000 catholiques. I. Syrit et Terre- Sainte, ch. 8 II faut remarquer que cette statistique est tres incomplete et beaucoup trop faible. Le chiffre des pretres, qui manque pour trois dioceses, doit etre eleve a pres de 400, sans parler de 1,800 religieux Antonins, dont 600 sont revetus du sacerdoce ; 500 eglises ou chapelles, 35 couvents d'hommes, 5 seminaires patriarcaux, 8 colleges, des ecoles catholiques dans 420 paroisses, voila ce que des documents positifs me permettent d'affirmer etre la situation vraie de I'Eglise maro- nite en 1890. Quant au chiffre de la population catholico- maronite, il doit etre aussi notablemcnt releve. Mgr IIarcus, Patriarche syrien d'Antioche. On trouve dans Rohrbacher, Chantrel et plu- sieurs autres auteurs le chiffre de 500,000 ames couramment e.xprimc. Ce chiffre est certaine- ment exagere, mais aussi celui de 277,000 est evidemment trop faible. Au Icndemain du mas- sacre de 1 860, les officiers de I'Etat-Major fran- cais, charges de dresser la statistique religieuse du Liban, accusaient 208,000 maronites vivant dans la montagne. En tenant compte de ceux qui vivent en dehors du Liban, et de I'accroisse- ment naturel des naissances qui a du se produire depuis trente Eins, il est impossible d'arriver a moins de 300,000 maronites. C'est aussi a ce 122 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i<^ SIECLE. chiffre que je m'arrete. Du reste, les Missiones cathoUcie de 1890 donnent pour tout le patriarcat le chiffre de 298,000, qui ne Concorde pas avec le chiffre detailie des differents dioceses, et qui se rapproche fort du mien. Statistique comparee des catlwliqites manmifes. En 1800 1S50 1890 250.000 300.000 300000 Le manque d'accroissement depuis 1850 vient des 40,000 victimes qui ont peri en i860. Mgr Benham-Benni, Patriarche syiien d'Antioche, ancien aicheveque de Mossoul. V. — RIT SYRIAQUE ^*|- LA nation sj'rienne, comme son nom I'in- dique, forme le fond de la population du Levant. Entrainee an l\'<= siecle dans I'heresie d'Eutyches, elle y fut confirmee par Jacques, eveque d'Edesse, d'ou le nom de Jacobites donne a ces sectaires. Jusqu'au milieu du XVI'^ siecle, la nation syrienne tout entiere croupit dans I'heresie. A cette epoque, son patriarche, Ignace Jacques, vint a Rome et fit profession de la foi catholique entre les mains de Jules III (1555). Mais, de retour en Orient, les persecutions des Jacobites lui firent pear et il retomba dans I'heresie. Son successeur, Ignace David, imita son inconstance. Apres avoir fait profession de catho- licisme en presence de Gregoire XIII (1572), il retourna bientot aux erreurs de ses compatriotes. Au cours du X\'II<^ siecle, le patriarche Ignace Simeon fut plus courageux. II embrassa le catho- licisme et y persevera jusqu'a sa mort (1662). C'est a partir de cette epoque que la hierarchic catholique fut retablie parmi les Syriens, et que le mouvement de retour a la vraie foi commenca serieusement. Le second patriarche catholique, Ignace Andre, avait fait ses etudes a Rome. II mourut en 1672, apres avoir augmente son troupeau. Son successeur, Ignace Pierre, fut horrible- ment persecute par les Jacobites. II mourut £n exil a Adana (Cilicie), en 1701. De 1701 a 1783, la serie des patriarches catholiques fut interrom- pue ; mais, malgre les rigueurs de la persecution, entretenue par le fanatisme des Jacobites, le petit troupeau catholique, compose d'environ 10.000 ames, tint bon, sous la conduite de quelques eveques catholiques de leur rit. En 1782, le patriarche Jacobite, Ignace Geor- ges, se convertit au lit de mort, et designa pour son successeur rarche\'eque jacobite d'Alep, Mgr Denys-Michel Giarves, dont les tendances catho- liques lui etaient connues. La pieuse confiance du mourant ne fut pas trompee : Mgr Giarves, reconnu comme patriarche par les eveques de sa nation, p'rofessa publiquement le catholicisme ; quatre eveques Jacobites suivirent aussitot son exemple, et la nation jacobite tout entiere parut disposee a imiter ses pasteurs. Mais r^veque jacobite de Mossoul, qui convoi- tait pour lui-meme la dignite patriarcale, suscita une violente persecution contre le nouseau patriarche et ses adherents. Avec I'aide du patriarche gregorien de Constantinople, il obtint, a prix d'argent, une sentence d'exil contre Mgr Giarves, qui fut deporte a Bagdad. Craignant a bon droit pour sa vie, celui-ci se r^fugia dans la montagne, et mourut en odeur de saintete (1800). A cette epoque, le chiffre des catholiques du rit syriacjue s'elevait a peine a 20.000 ames. Son successeur fut I'archex'eque s)-rien d'Alep, Mgr Ignace Michel Daher ; il donna sa demis- sion en 1 8 14, et fut remplace par I'eveque de ]\Iossoul, Mgr Simeon Hindi. Au bout de quel- ques annees, ce dernier donna, lui aussi, sa demission, et fut remplace par M^'r Ignace Pierre Giarves, neveu du patriarche du meme nom (1820). Sous le long patriarcat de ]\Igr Giarves (1820- 1851), I'Eglise syrienne fit beaucoup de progres. Quatre des principaux eveques jacobit-es se con- vertirent successivement : Mgr Hisa, eveque de Mossoul, en 1827, Mgr Hiliani, arche\'eque de Damas, en 1828, Mgr Nackar, eveque d'Emese L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 123 en 1832. Ces trois conversions avaient ete prece- dees, en 1826, de celle de Mgr Samhiri, le plus illustre des quatre, et le membre le plus influent de la hicrarchie Jacobite. II etait Tami et le confi- dent du patriarche heretique, qui I'avait designe pour lui succeder. La con\ersion de ces quatre eveques amena cclle d'une partie de leurs troupeaux ; mais elle dechaina la persecution des heretiques. Par ordre du patriarche Jacobite, NN. SS. Hisa et Samhiri furent jetes en prison et accables de mauvais traitements ; on alia jusqu'a les menacer de mort, mais ils demeurerent fideles et furent enfin dclivr^s par I'intervention de Mgr Coupperie, eveque de Babylone et delegue du Saint-Siege pour la Mesopotamie (1829). Mais la persecution n'en continua pas moins avec acharnement, surtout contre Mgr Samhiri, a qui les Jacobites ne pouvaient pardonner sa defection. Une partie de la vie du vaillant prelat se passa en exil, mais il ne se decouragea jamais, et parvint a etablir solidement le catholicisme dans les deux dioceses syriens de Mardin et de Diarbekir. HOMS, vu DU Levant. En 1 85 1, il fut choisi par les eveques de sa nation pour la charge patriarcale. Son premier soin fut d'aller a Rome, solliciter la benediction du Vicairede Jesus-Chri.ST. II passa ensuite en Italie et en France, recueillant des aumones et des sympathies pour son Egli.se naissante et tou- jours pcrsccutee. II mourut plein de jours et d'ceuvres en 1865. Mgr Harcus, archeveque de Diarbekir, fut elu pour lui succeder. II fut le premier patriarche syrien-catholique admis en cette qualite par la Porte ottomane. II recuten 1866, son berat impe- rial, et fut traitc desormais a Tegal des autres chefs de communautes religieuses reconnues clans I'Empire. Mgr Harcus se distingua, au con- cile du Vatican, par son filial attachement au siege de Pierre. II fut remplace, en 1873, par Mgr Denys- Georges Seel lot, archeveque d'Alep. Le nouveau patriarche eut de la peine a se faire acce[)ter par la Porte. Les circonstances etaient critiques : le kupelianisme venait de triompher a Constan- tinople, ct,bien que I'election du patriarche syrien n'eut rien a voir avec la bulle Reversurus, qui ne 124 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. regardait que les Armeniens, les schismatiques intriguerent de telle sorte que la Porte, apres avoir reconnu le nouveau patriarche, lui retira son berat, et ne le lui rendit qu'au bout de deux ans. Les Jacobites profiterent de ces mauvaises dispositions du ministre du Sultan pour recom- mencer leurs intrigues et leurs violences. lis s'em- parerent par la force des eglises syriennes de Mossoul, avec la connivence payee du gouver- neur de la ville et I'appui moral du consul d'An- gleterre. Plus de cinquante catholiques furent tues ou blesses a cette occasion, et Mgr 15cnham- Benni, archeveque de Mossoul, n'echappaque par miracle a la mort. Dans le diocese de Nabk et Keriathim, les Jacobites essayerent de s'emparer des eglises et des convents de la communaute catholique. A Diarbekir. ils voulurent confisquer la maison patriarcale et tous les biens-fonds du patriarcat. En un mot, pendant cette crise, qui dura deux ans, tous les ennemis de la comunaute syro- catholique, Jacobites, gregoriens, protestants, kupelianistes, essaj^erent de profiter des mau- vaises dispositions du gouvernement ottoman pour ecraser les catholiques. Le Sultan aj-ant enfin reconnu IMgr Scellot en qualite de patriarche et lui ayant rendu son bcrat. Amed^ah, ville forte dans les montagnes du Kurdistan. D'aprJs un croquis du R. P, liesson. les troubles prirent fin (1877). Comme 1' Angle- terre soutenait les pretentions des Jacobites sur les eglises syriennes de Mossoul, un arbitrage cut lieu a Constantinople, entre I'ambassadeur de France et celui d'Angleterre, pour decider a I'amiable cette interminable question. On fit deux lots d'egale valeur des quatre eglises de la ville et des biens-fonds disputes. Le patriarche des Jacobites eut le choix, et le second lot fut remis aux catholiques. Cet arrangement equi- table fut accepte avec reconnaissance par tout le monde, malgre les protestations du patriarche Jacobite, qui aurait voulu garder tout ce dont il s'etait empar^ par la force. Depuis, la paix reli- gieuse a encore ete troublee a ce sujet. L'Eglise syrienne est encore au berceau, puis- que voila vingt-cinq ans a peine qu'elle est recon- nue ofificiellement, et que, depuis sa naissance, elle n'a cesse d'etre persecutee. Un bel avenir semble lui etre reserve ; mais il lui faut des res- sources, et surtout il lui faut des hommes, des pretres de rit syriaque, ayant une formation catholique, un esprit catholique, pour lutter effi- cacement contre le particularisme national. C'estI pour repondre a ce grand besoin, qu'ou- tre le seminaire syro-chaldeen de Mossoul, dont j'ai parle en traitant des missions des Domini- cains, outre le seminaire patriarcal de Sciafe, dans le Liban, Mgr Scellot, a la demande de la Propagande, vient d'ouvrir a Mardin (1885) une L'EGLISE ROMAINE ET LES EGLISES DU RIT-UNI, 1800-1890. 125 nou\-elle communaute de rit syriaque, pour les jeiines pretres de la nation qui se destinent spccialement aux missions parmi les Jacobites. Ue tous cotes les moissons jaunissent. Puisse le Pere de famille envoyer en nombre suffisant des ouvriers zeles pour la recueillir dans ses gre- niers ! II est assez difficile d'ctablir d'une maniere precise la situation exacte de I'Eglisesyro-catho- lique. Les chiffres que j'ai sous les yeux varient de 22.000 a 40.000. II me semble admis que les Syr ens catholiques sont groupes en deux grandes agglomerations : 20 a 25.000 en .Syria, 12 a 1 5.000 en Mesopotamie. 11 )■ a encore d'autres groupes moins considerables dans le reste du Le- vant, ce qui donne un total approxi- matif d'environ 40 000 fideles. Void, du reste, le tableau de la hierarchic syrienne. I patriarche du litre d'Antioche en resi- dence a Mardin. / liioche palriarcal : Mardin ("Me'sop.), i patriarche, 23 pretres, grec.-melc.2o.ooo 50.000 100.000 cat. III. » arnienien. So.ooo 100.000 120.000 cat. IV. » maronite. 250,000 300.000 3 14.000 cat- V. > syriaque. 20.C00 30 000 40.000 cat. IV. > chaldeen. 25.000 15.000 46.900 cat- 401.000 512.800 657.698 ate Ces progres sont consolants, mais pourtant il reste encore beaucoup a faire. II y a dans I'Orient 2.000.000 de grecs schismatiques, 5.000.000 d'ar- meniens gregoriens, 800.000 Jacobites et plus de 100.000 nestoriens. Ou'est- ce, a cote de ces chiffres, que le petit troupeau catholique ? Heureusement c'est le troupeau fidele, a qui le divin Pasteur a recommande de ne rien craindre. Et puis I'heure seinble venue pour rOrient de sortir enfin de son engour- dissement seculaire. II est certain que toutes ces vieilles sectes orientales n'ont pu subsister si longtemps qu'a I'aide de I'ignorance profonde et de I'isolement dans lequel elles vivaient avec leur clerge. Aujourd'hui que I'Europe penetre dans les coins les plus recules de I'Orient, que la lumiere se fait, que la connaissance de I'histoire et instruction se repandent partout, les vieux prejuges .se dissipent, les vieilles erreurs croulent, et la vcrite se dcgage des mensonges et des calomnies qui I'avaient si longtemps obscurcie. II semble done impossible que les sectes orien- tales puissent subsister longtemps. Armeniens, gregoriens , Jacobites , nestoriens , toutes ces Eglises batardes, qui ne se soutenaient que par Mgr Lion, des Freres Precheurs, Archeveque de Damiette /// partibus, dele'gat apostolique de la Mesopotamie, du Kurdistan et de I'Armenie Mineure. I'avenir reste toujours ouvert au catholicisme. Si jamais le schisme s'installe en maitre avec le Czar a Constantinople, sa premiere pensee sera certainement d'unifier tous ces rites, toutes ces nationalites, si jalouses de leurs droits. II rencon- trera devant lui bien des resistances, qu'il lui faudra briser par la force. Mais la force n'a qu'un temps. Au premier souffle de liberie, tout s'ecroule. Or, dans I'etat present du monde, qui oserait predire que le jour de I'affranchissement ne luira pas bientcjt pour ces millions de cons- ciences opprimees ? Le protestantisme, de son cote, a de grands moyens d'action : I'influence politique de I'An- gleterre, des ressources illimitees, I'absence de 128 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. tous scrupules genants, une armee de predicants, la plupart parfaits gentlemen et homines instruits. Le missionnaire catholique est seul, sans argent, sans influence politique. La France, qui devrait I'aider, est trop souvent indifferente a son cEUvre, quand elle n'est pas hostile. Malgre tant de desa- vantages, je ne crains pas d'affirmer qu'en Orient, I'avenir, et un avenir prochiin, est au catholi- cisme, a moins pourtant que la politique russe ne triomphe a Constantinople. Le protestantisme n'a pas de dogmes aoffrir a I'Orient ; il n'apporte avec lui que des denegations. Quelque desheritees que soient les Eglises orientales, elles sent encore plus riches que lui, elles ont mieu.x garde le depot des \'erites traditionnelles. Aussi, depuis cin- quante ans qu'il travaille en Orient, le protes- tantisme a pu faire des apostats, des libres-pen- seurs ; il n'a pas encoredonne un croyant, un de ces hommes de conviction serieuse comme il y en a encore heureusement un bon nombre chez nos freres separes. Avec de I'or et des places, on peut toujours acheter des consciences faciles, mais on n'achete pas les convictions, et finale- ment on fait un march^ de dupes, car les gens dent la conscience est a vendre ne valent pas ce qu'ils coutent. Aux yeux de I'Oriental, le protes- tant qui n'honore pas la Tres-Sainte Vierge, dont le culte est reste si populaire en Orient, le pro- testant qui ne jeune pas, c'est-a-dire qui mecon nait la grande loi evangeliqus de la mortification, merite a peine le nom de chretien ; on le regarde generalement comme un athee, ou au moins comme un libre-penseur. D'ailleurs le genie de I'Orient repugnera toujours a la secheresse du dogme et de la liturgie protestante. Ces peuples, qui tiennent si fort a leurs rites, a leur discipline, a leurs usages nationaux, a toutes les formes exterieures du christianisme antique, ne seront jamais protestants, quoi qu'on fasse. Au contraire, le catholicisme a garde intact le depot des traditions dogmatiques ; I'Eglise romaine admet et conserve avec un soin jaloux aux differentes communautes orientales leurs rites, leurs usages, leur discipline. En remontant I'histoire du passe, ces vieilles Eglises arrivent a I'epoque ou elles etaient unies a I'Eglise romaine ; elles ont pour fondateurs et apotres des saints honores dans I'Eglise romaine. Entre Rome et les Orientaux, il n'y a que des malen- tendus, des calomnies, des prejuges qui se dis- sipent a mesure que I'instruction pendtre dans les masses C'est done au catholicisme, et au catholicisme seul, qu'il appartient de ressusciter ces venerables Eglises de I'Orient et de leur redonner une nouvelle jeunesse. Esperons que nos desirs se realiseront ; espe- rons que les iniquites et les violences de la poli- tique humaine ne viendront pas arreter I'elan commence de ces nations orientales vers I'unite et la vcritc catholiques ; esperons que le jour approche ou, selon la parole du Maitre, il n')- aura plus, dans ces contrees qui furent le theatre de sa vie mortelle, qu'un troupeau et qu'un pas- teur ! ^^^ ^^M^^^^^^^^^^^' WS^B^S^^^^S^SSS^&Bm Liniiiii:cixxTii-i:ciiuiii.a.ixmrxiiiiiii tiiiiiii niii rinfTTniTiy^TTiTiiji ni:i ii imi i iiiitii : Cliiijjitrc Dculiimic. L'EGLISE CATHOLIQUE dans les INDES lriiTiix:rimin-r riiiirrrrrTir nrrrrnixTrmrjiiiiiTTi: iiiirm iirmr] ;iiiijn :rTTmi]rmiiirrrTTirTr ;iiiiiii: iTiri[iiiiiii]:iiiiii Nr tradition, qui remonte aux piemiers siecles de I'Eglise, nous apprend que I'apotre saint I homas a preche la foi aux Indes, et qu'il y fut martyrise par les Brahmanes dans la ville de Meliapour, ou Ton conserve encore son tombeau. A la chute de I'Empire romain, tout rapport suivi aj'ant cte interrompu entre Rome, centre de I'unite catho- lique, et ces regions eloignees, les Chretiens de rinde subirent peu a peu I'influence des nesto- riens, leurs voisins, et adopterent leurs erreurs. Ouand I'Eglise nestorienne, qui avait d'abord jete dans la Haute-Asie beaucoup d'eclat, eut perdu toute vitalite, le christianisme, etouffe aux Indes entre le brahmanisme et le bouddhisme, s'eteignit progressivement, et, se concentrant dans les regions du sud, autour du tombeau de saint Thomas, ne fit plus, pendant plusieurs siecles, que vegeter miserablement. C'est de I'Occident qu'allait lui revenir la vie avec la vraie foi. En 1497, les Portugais doublent le cap des Tempetes et se rendent maitres successivement de Ceylan, d'Ormuz, de Goa, de Malacca et de Sumatra. luT moins d'un siecle, leurs comptoirs s'echelonnent le long des cotes de I'Asie et de I'Afrique, du cap de Bonne- Esperance a la Chine. C'dtait une voie nouvelle que DiEU ouvrait a son Eglise a I'heure nefaste oil Luther allait lui enlever les deux tiers de I'ancien monde. Les Vicaires de Jesu.S-Christ n'eurent garde de laisser echapper Toccasion qui leur etait offerte par la Providence. Pour eviter toute contestation entre les Espagnols, qui venaient de d^couvrir rAmerique,et les Portugais, qui avaient retrouve les routes de la Haute-Asie, Alexandre VI, dans une bulle du 14 mai 1493, tra^ant une ligne ideale d'un pole a I'autre, attribuait au Roi Catholique toutes les terres decouvertes ou a decouvrir a Touest de cette ligne, et donnait au roi de Portugal toutes celles situees a Test. Mais il y avait a cette magnifique donation une condition formelle, c'ctait d'cn user uniqueincnt pour la gloire de DiEU et dans I'interet des ames. Le texte de la bulle est precis : « Nous vous ordonnons, au nom de la sainte obeissance, d'envoyer dans les terres fermes et dans les iles mentionnees, des hommes probes, Missions Calholiques. craignant DiEU, habiles et capables d'instruire les habitants desdits lieu.x dans la foi catholique et les bonnes mcturs. » Les rois de Portugal, pour ce qui les regardait, remplirent d'abord avec zele les prescriptions du Souverain Pontife : des legions de religieux, appartenant aux Ordres de saint Dominique et de saint Francois, se repandirent dans ces vastes regions poury precher I'Evangile ; bientot la Compagnie de Jesus entra a son tour dans la lice, et, des les premiers jours, elle y conquit le premier rang, avec des hommes comme saint Francois Xavier, I'apotre des Indes, le martyr saint Jean de Britto, Robert de Nobili, mission- naire des Brahmes, Francois Lainez, Xavier Borghese, et des centaines de Jesuites dont il serait trop long de rappeler les noms. En deux siecles, il se fit, au milieu de ce peuple endormi dans une apathie seculaire, un grand mouvement de reveil, et pres de tro/s iiiillio)is d'Indiens, de tous rangs, de toutes castes, embras- serent la foi catholique. Les catalogues des Jesuites en font foi, et leur temoignage est con- firme, au fond, par celui des protestants : « Les Jesuites, ecrit Campbell, se promettaient de convertir I'lnde et la Chine ; si leurcarricre n'eut pas ete entravee par des evenements politiques, ils eussent certainement fini par y reussir (i). » « Leurs succes aux Indes, dit I'historien Rankes, depasserent toute attente (2). » Le docteur Wolf, ennemi acharne du catholicisme, conclut en ces termes son ouvrage sur I'lnde : (i Les Jesuites ont ete les plus grands missionnaires de la terra (3). » En 1700, le nombrc des catholiques de I'lnde s'elevait a plus de 2.500.000 ames ; en 1800, il etait redescendu au-dessous de 500.000 ; en 1890, il est remonte a 1.700.OOO, et, si- les evene- ments politiques ne viennent pas contrarier Taction de Tapostolat, il atteindra 2.000.000 en Tan 1900. II faut dire d'ou viennent cette rapide deca- dence et ce relevement si prompt. Trois causes principales ont amene, a la fin du derniersieclc,Ia decadence des missions de I'lnde : I'insuffisance numerique des missionnaires, I'in- 1. Campbell, L'lndc telle qu'elle est, ch. 8. 2. Rankes, Hisloire. Cite par Marchal, LfS Missions chre- liennes. 3. Voyages et Aventurcs Jii docteur Wolf, ch. 7. 130 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIXm<= SIECLE. fluence des protestants et le schisme portugais. Le relevement s'est fait a mesure que ces causes de ruine ont disparu, et dans la proportion exacte de leur disparition. Parlous d'abord du petit noinbre de mission- naires. Voici quelle etait, en iSoo, la hierarchie catholique aux Indes : Un archeveque de Goa, primat des Indes orientales, un archeveque de Cranganore, deux eveques de Cochin et de Meliapour. Ces quatre prelats avaient sous leur juridiction environ 400 pretres de Goa, avec 340.000 fideles, y compris Ceylan. Mais il faut bien observer que, depuis que la politique de Pombal a prevalu en Portugal, les sieges episcopaux de I'lnde sont demeures sans titulaires, les Ordres religieux ont ete expulses en partie ; en un seul jour (1755), 127 Jesuites portugais furent enleves aux missions de I'lnde et transportes a Lisbonne, ou ils s'eteignirent lentement dans les cachots du fort Saint-Julien ; quelques annees plus tard, c'etait au tour des Jesuites fran^ais de se disperser ; puis vint, en 1774, la suppressionde I'O/dre par Clement XIV. En mcme temps, la Revolution francaise, en fermant, en P'rance et en Italia, tous les noviciats, en confisquant les ressources que la piete de nos peres avaient menagdes a I'apostolat, allait ache- ver la ruine de ces missions. L'Eglise des Indes resta done, pendant pres d'un demi-siecla, abandonnee aux pretres de Goa. Or, ces pretres, il faut bien le dire, quelque triste qu'en soit I'aveu, ne relevaient pas le prestige du catholicisme dans les Indes. Pour ne pas etre accuse d'exagdration et de malveillance dans une matiere aussi grave, je suis force de citer des faits. Ces pretres, depourvus egalement de vocation ecclesiastique et de surveillance, pui-ique les eveques ne residaient pas, etaient choisis ordi- nairement parmi les topas, c'est-a-dire les metis portugais nes de mariages illegitimes. A ce titre, les Indiens les regardaient comme des gens sans caste, des parias. Leur conduite justifiait trop souvent I'eloignement qu'ils inspiraient : « A Seringapatam, ecrit un vicaire apostolique de rinde, un pretre goanais fut arrete par les soldats de Tippo-Saib, et mis au corps de garde, une nuit, qu'^tant ivre, il parcourait les rues, arme d'un tison enflamme avec lequel il voulait, disait- il, incendier la ville. II y en eut un autre qui, pris de vin egalement, poursuivait, arme d'un cou- teau, un des principaux chretiens du lieu, auquel il pretendait couper les oreilles. A Negapatam, deux pretresgoanais se battirent a coups de sabre. II y en eut un qui mourut, dans le Palghat, a la suite d'exces d'opium. M. Mottet, ancien mission- naire a Pondichery, en decouvrit un engage comme maitre de musique dans les troupes anglaises... Ah ! conclut le venerable signataire de cette lettre, le cceur est dechire quand on vient administrer les chrdtientes ou ces pretres ont passe quelque temps. » Voila les hommes que Sa Majeste Tres Fidele employait aux Indes pour remplacer les emules des Frangois Xavier et des Jean de Britto. Mieux eut valu certainement pour les catholiques rester sans pasteurs que d'avoir affaire a de pareils pretres. Un grand nombre de chretientes furent amenees a I'apostasie par I'horreur qu'ins- piraient aux fideles leurs debauches et leurs simonies ; car, non contents de leurs vices prives, ils rangonnaient impitoyablement leurs parois- siens, et faisaient tout payer. En dehors des sieges Episcopaux portugais, dont on vient de voir la triste situation a la fin du dernier siecle, il y avait, dans I'lnde, quatre missions confiees aux envoyes du Saint-Siege : 1° Au nord, la mission d'Agra, qui comprenait toute rinde septentrionale, n'avait pa.s d'eveque ; une dizaine de religieux Capucins evangelisaient les 5.000 catholiques disperses dans ces immenses regions. 2° A Test et au sud, la mission de Pondichery comprenait alors toute la cote de Coromandel, le Carnate, le Madure, le Maissour et le Coim- batour. C'est la Societe des Missions Etrangeres de Paris qui fut chargee par le Saint-Siege, en 1777, de ce vaste territoire, auparavant I'apanage de la Compagniede Jesus. Mais le nombre des missionnaires etait absolument disproportionne avec les besoins des populations catholiques : six missionnaires seulement pour remplacer une centaine de Jesuites ; ils avaient a leur tete un 6veque, qui, pour menager les susceptibilites du Portugal, portait simplementle titre de superieur de la mission, car ce ne fut qu'en 1836 que le vicariat apostolique fut erige. En 1800, le chiffre des catholiques de la mission de Pondichery s'elevait a 42.000. 3° A I'ouest, le long de la cote de Malabar, etait le vicariat apostolique de Malabar, erige en 1659 et confie aux Carmes dechausses. La mission se composait A'jin vicaire apostolique, dc trois reli- gieux Carmes, et d'un certain nombre de pretres indigenes, charges de pourvoir aux besoins spiri- tuels de 80.000 catholiques, moitie de rit latin et moitie de rit syro-chaldeen. 4° Enfin, au nord de Goa, le vicariat aposto- lique de Bomba)' avait ete erigE a la demande de la Compagnie anglaise des Indes orientales, qui, indignee de la conduite scandaleuse des pretres de Goa, les chassa en 1718 de I'ile de Bombay et de Salsette, et s'adressa au vicaire apostolique du Malabar, afin qu'il se chargeat de I'administration de cette Eglise. Avec I'autorisation du Souverain Pontife, les Carmes s'en chargerent en efiet. En 1800, le vicariat de Bombay comptait un vicaire apostolique et deux missionnaires, pour environ 8.000 catholiques. Et c'est tout! En dehors du clerge goanais, trois eveques, dont deux seulement ont le titre de L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 131 vicaires apostoHques, une vingtaine de mission- naires, pas de clerge indigene, sauf aii Malabar, voila toutes les forces de I'Eglise romaine en face du clerge de Goa et de I'invasioii meiiacante des ministres de I'heresie, appuj-es sur I'influence, desormais preponderante aux Indes, de I'Aiigle- terre. La position des cathoHques hindous ainsi abandonnes etait deplorable ; mais plus triste encore celle des rares missionnaires, demeures an milieu des debris de ces belles Eglises autrefois si prosperes. « Pendant pres desoixanteans, ecritun auteur protestant (l), c'est-a-dire depuis 1760 jusqu'en 1820, aucun soin ne fut pris des missions catho- Hques et de leurs nombreux neophytes. Les anciens missionnaires mouraient lesunsapres les autres, et personne n'arrivait d'Europe pour les remplacer. » A cote du ministre protestant, voici le temoignage identique du pretre catholique(2): « De temps en temps, se presentent ici des depu- tations de ces Chretiens abandonnes. Depuis que je suis ici, j'en ai vu deux, dont I'une, composee de trois principaux personnages du pays, avait fait pres de cent lieues pour venir a Pondichery. lis apportaient une lettre ecrite sur des feuilles de cocotier; ils se plaignaient que, depuis six ans, aucun Pcre n'etait venu les visiter, quoiqu'ils I'attendissent avec impatience, et qu'ils lui eussent prepare une belle cabane pour le loger ; ils ajou- taient, dans leur style simple mais sublime, que leurs ames avaient faim de Dieu. Ces paroles touchantes, que je ne pus entendre sans verser des larmes, me rappelerent ce passage du pro- phete Jeremie : Parvitli petiei nut paiiem, et ncn erat qui frangeret eis. )) Comme si ce n'etait pas assez de ce triste abandon des catholiques, par suite de la penurie excessive des missionnaires, la persecution vint s'abattre, a la fin du siecle dernier, sur ce mal- heureux troupeau, laisse a pen pres sans pasteurs. Le feroce Tippo-Saib fit perir en vingt ans plus de cent mille catholiques dans le sud de I'lnde ; il dispersa toutes les chretientes du Maissour, brCda les eglises, et, dans un seul jour, forcja 40.000 Chretiens du Tanjore a recevoir la circon- cision, c'est-a-dire a embrasser le mahometisme. Au Canara, dans le cours de I'annee 1784, 30.000 Chretiens furent enleves de force et donnes comme esclaves aux musulmans. Les protestants hollandais se montraient pres- que aussi feroces que les disciples du Prophete. A Ceylan, ils proscrivirent absolument I'e.xercice du culte catholique, et chasserent de I'ile tous les missionnaires ; ils agirent de meme sur le continent, et convertirent en factories toutes les chapelles catholiques. Les protestants anglais agirent avec moins de 1. Missions dans Flnde mhidionale, par le R. Joseph Mullens, 2. Lettre de M. Supries, missionnaire a Pondichery. Annales, tome IV, p. 169. brutalite ; c'est une justice a leur rendre. Au debut de leurs conquetes dans I'Inde, ils tracas- serent d'abord les missionnaires fran9ais, dont ils redoutaient I'influence politique ; puis, quand ils se virent solidement etablis dans le pays, ils se renfermerent dans une neutrality presque tou- jours bienveillante, qu'ils ont conservee depuis. Mais la preponderance d'une nation protestaqte n'en fut pas moins desastreuse pour les missions de I'Inde. Des centaines de ministres et de pre- dicants inondiirent bientot le pays. lis avaient les mains pleines d'or pour acheter les cons- ciences faciles ; ils avaient, ce qui est tres naturel, les sympathies et I'influence gouvernementales de leurs coreligionnaires. Le mal eut ete moins grand s'ils eussent rencontre partout, en face d'eux, le missionnaire catholique ; comme aujour- d'hui, leur succes se fut borne a I'achat de quel- ques brebis galeuses. Mais que pouvaient cinq ou six missionnaires, eparpilles dans le sud de I'Inde, contre la propagande protestante ? Quant au clerge de Goa, ses defauts ne pouvaient que pousser les catholiques a I'apostasie. 11 y eut done des defections deplorables et trop nom- breuses. Des chretientes abandonnees depuis vingt ans et plus, sans pretres, sans instruction, sans culte et sans sacrements, passerent au pro- testantisine. C'est ainsi que la grande chretiente de Tinnevely, composee de plus de 30.000 ames, devint en grande partie'protestante. Pourseduire plus facilement nos malheureux neophytes, plu- sieurs ministres, entre autres le celebre Buchanan, ne rougirent pas dese donner publiquement pour les successeurs de saint Francois Xavier et des anciens missionnaires. Par ce systeme, trente- deux Societes anglaises, allemandes et americai- nes, avec des subsides annuels qui, pour I'Inde seule, d^passent douse millions de francs, ont reussi, en un siecle, a amener au protestantisme 292.000 habitants de I'Inde. C'est du moins le chiffre ofiiciel donne en 1875 par le R. Sherring, de la Societe des missionnaires de Londres, chiffre que je n'ai nuUement I'intention de dis- cuter ; mais, en le prenant tel qu'on le donne et en tenant compte des immenses ressources dont dispose I'heresie, on est amene a benir DiEU de ce qu'il n'est pas plus considerable. A mesure que le nombre des missionnaires apostoHques augmenta et que les aumones de la Propagation de la Foi permirent de reprendre les ceuvres du passe, le catholicisme commen^aa se relever au.x Indes. Mais alors il trouva devant lui les pretentions de la couronne de Portugal, pretentions qui aboutirent a un schisme deso- lant, et, pendant plus d'un demi-siecle, jeterentle desordre au milieu de nos chretientes renaissan- tes. II faut dire quelques mots sur ce deplorable incident. On a vu ce qu'ctait devenu, au commencement du XlX.^ siecle, le clerge goanais ; mais il est juste de reconnaitre qu'il n'en avait pas toujours ete ainsi. Pendant deux siecles, le Portugal avait mis 132 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. son influence politique et religieuse au service du catholicisme, afin de promouvoir au milieu des infideles le regne de Jifsus-CHRIST. L'Eglise ca- tholique, qui n'est pas ingrate, Ten recompensa magnifiquement. Les bulles de Leon X (i5H). de Taul III (1539), de Paul IV (iSS3), de Gregoiie XIII (1575) et de Paul V (1616), accorderent a Sa Majeste Tres Fidele le droit de patronage sur toutes les Eglises deja fondces, ou a fonder, aux Indes et en Chine. En echange de ce droit, les rois de Portugal s'obligeaient a pourvoir ces nouvelles Eglises de pretres et d'eveques, a les doter convenablement, et a defendre, au besoin, le clerge et les chretiens contre les infideles et les heretiques. On ne sen tint pas la : sur les instances du gouvernement portugais, Clement VIII (1600) defendit a tous les missionnaires de se rendre aux Indes par une autre voie que celle de Lis- bonne et de Goa. C'etait donner au roi de Portu- gal le monopole des missions orientales. On ne tarda pas a sen repentir. Les envoj'es du Saint- Siege furent accables de vexations; quelques-uns jetes sans motifs dans les prisons de I'lnquisition, d'autres forces de repasser en Europe ; un legat du Pape, le cardinal de Tournon, mourut de misere dans les prisons de Macao. Le clerge de Goa, dechu de sa premiere ferveur, incapable de faire face au travail immense des missions orien- tales, et d'ailleurs sen souciant assez peu, ne voulait, a aucun prix, permettre a d'autres ouvriers de mettre la faux dans la moisson. II regardait les missions de I'lnde et de la Chine comme son patrimoine, et, plutot que de voir ces peuples evangelises par des missionnaires etrangers, il preferait qu'ils ne fussent pas evan- gelises du tout. Pcrissent les ames plutot qu'un principe ! Paul V, averti de ce qui se passait aux Indes, crut devoir deroger a la bulle de Clement VIII, en accordant aux missionnaires de se rendre a leur poste sans attendre la permission du roi de Portugal et de I'archeveque de Goa. Mais alors on se heurta a une difficulte qu'on n'avait pas prevue. Dans sa bulle de 1575, Gregoire XIII, toujoursa la sollicitation des Portugais, avait ete jusqu'a lier les mains ases successeurs, en declarant que personne,/«/-f£ le Siege apostolique, ne pourrait deroger a I'avenir au droit de patronage sans le consentement formel du roi de Portugal. A mon avis, cette clause malheureuse allait au-dela des droits du souverain pontificat. Aucun pape ne pent lier irrevocablement ses successeurs, par la raison tres simple que les vicaires de Jesus-Chkist tiennent leur pouvoir de DiEU seul. Chaque pape a done la plenitude de raato- rite supreme dans I'Eglise ; il est juge des circonstances, et il ne pent jamais se presenter uncas oil le vicaire de J Esus-CHRIST soit empeche de pourvoir aux besoins nouveaux qui se revelent, et de faire precher I'Evangile par toute la terre. Tous les canonistes serieux sont d'accord la- dessus. Mais en supposant, ce que je ne crois pas, que la bulle de Gregoire XIII Hat a perpetuite ses successeurs, le gouvernement portugais ayant perdu toute autorite au.v Indes en dehors de Goa, son droit de patronage devenait caduc par la meme. En effet, ce droit n'est jamais concede qu'a la condition de proteger les Eglises sur les- quelles il s'exerce. Mais quelle protection pou- vait accorder le gouvernement portugais aux Eglises situees sur le territoire anglais ? La pre- tention du roi de Portugal de pourvoir exclusive- ment a ces Eglises etait aussi ridicule que si la France pretendait aujourd'hui nommeraux sieges de Metz et de Strasbourg, et disposer a son gre de tous les benefices ecclesiastiques situes dans les paj-s cedes a I'AUemagne par le traite de Francfort. Les rois de Portugal semblaient avoir reconnu eux-memes la caducite de leurs privileges. Depuis cinquante ans, on I'a vu, ils laissaient sans titu- laires les sieges episcopaux de I'lnde, et, depuis 1827, le gouvernement avait formellement de- fendu aux administrateurs de Goa d'envo)'er desormais le moindre subside aux Eglises situees en dehors des possessions portugaises. N'obser- vant plus les clauses essentielles du patronat, il etait dechu par la meme de son privilege. D'un autre cots^, a mesure que la foi se propageait ayx Indes, il devenait urgent de subveniraux besoins spirituels de ces nouvelles chretientes. Gre- goire XVI, qui, avant son elevation au souverain pontificat, avait ete prefet de la Propagande, connaissait parfaitement la situation et rcsolut d'y pourvoir. Mais, avant de faire usage de son droit incontestable, il voulut mettie le gouverne- ment portugais en demeure de se prononcer lui- meme sur son pretendu droit de patronage. Par son ordre, le cardinal Pedicini, prefet de la Pro- pagande, adressa a la Cour de Portugal une note diplomatique, pour lui demander de pourvoir aux eveches vacants de 1' Inde ou de renoncer forme'lement a un privilege qui rendait impos- sible le gouvernement ecclesiastique en ce pays (1832). La Cour de Lisbonne n'ayant rien repondu a cette ouverture, le Pape attendit deux ans encore. A la fin il se decida a user,de son droit de Pas- teur supreme, en creant deux vicariats aposto- liques a Madras et a Calcutta (1834) ; deu.K ans plus tard, la mission de Pondichery et celle de Ceylan furent erigees, a leur tour, en vicariats, et une prefecture apostolique fut etablie au Madure (1836). Ces actes, si nccessaires et si moderes, irriterent au plus haut degre le gouvernement portugais et le clerge de Goa ; le Chapitre metropolitain osa interdire, sous peine d'excommunication, d'avoir aucun rapport avec les vicaires apostoliques et les missionnaires de la Propagande ; leur juridiction fut declarce nulle et schismatique, tant qu'elle ne L'^GLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 133 serait pas reconnue par Sa Majesto Tres Fidele, que les anciennes constitutions apostoliques avaient investiede la suprematie sur toutes les missions d'Orient, sans qu'il fut permis a aucun Pape d'y deroger. Gregoire XVI fit justice de ces pretentions dans son hrei J/i//ta J'mi.r/iTre (24 avril 1838). II rappelle d'abord les privileges accordes, par ses prcdecesseurs, a la couronne de Portugal ; mais il insiste, en meme temps, sur le but de ces conces- sions, qui etait uniquement de promouvoireffica- cement le regne de DiEU dans ces regions eloignees. Ce motif ax-ant cesse d'exister, par suite des circonstances politiques, le patronage portugais ne peut plus s'exercer utilement dans les pays soumis a I'.Vngleterre, et par consequent le privilege est devenu caduc. Quant a la clause qu'il ne pourra jamais etre deroge a ces conces- sions que du consentement des parties, elle doit s'entendre evidemmenc, sai// les droits du Supreme Magistere. II est certain que jamais le Saint-Siege n'a voulu s'empecher de pourvoir aux besoins de la religion, ni de statuer sur ce qu'exige, suivant le temps et les circonstances, le salut du peuple chrelien. Le Pape ajoute que, pendant qu'il exer^ait la charge de prefet de la Propagande, il a pu se convaincre que le droit de patronage, qui avait ete concede uniquement en vue du salut des ames, est devenu aux Indes une cause de ruine spirituelle. En consequence, et en vertu de son autorite supreme, le vicaire de J^SUS-Christ declare deroger aux bulles de ses predccesseurs, et supprimer purement et simplement le droit de patronage en dehors de I'archidiocese de Goa. Ce bref eut un immense retentissement aux Indes et en Portugal. Lc clerge de Goa se mit en revoke ouverte avec le Saint-Siege. II intrigua aupres du gouvernement anglais pour se mainte- nir, malgre le Pape, en possession des eglises et des biens-fonds des chretientes, et trop souvent les pretentions schismatiques furent accueillies par un gouvernement protestant, heureu.x d'en- tretenir la discorde au sein de la communaute catholique. On vit done, en beaucoup d'endroits, s'elever ^glise contre eglise. Les schismatiques, se seiitant soutenus, eurent recours aux calomnies, au.x injures, aux traitements les plus indignes, pour forcer les envoyes de Rome a se retirer et a leur cedcr la place. lis intenterent aux vicaires apos- toliques et a leurs missionnaires proces sur proces, pour s'emparer des eglises et des presby- teres. II est bon de remarquer ici que presque tons ces edifices avaient ete eleves par les mis- sionnaires ou restaures par eux, a I'aide des aumones venues d'Europe. N'importe, a force de faux temoignages, payes comptant, les Goanais reussirent presque partout a se rendre maitres des biens-fonds de la communaute catholicjue. Les consequences de ce fait furent desas- treuses. En beaucoup de localites, les mission- naires de la Propagande furent forces de celebrer les saints mysteres au pied des arbres ou dans de miserables cabanes. Les Indiens, tres attaches a leurs eglises, a leurs pelerinages, a leurs fetes, voyant d'ailleurs le clerge de Goa en communion exterieure avec le Saint-Siege, abandonnerent les missionnaires et firent acte d'adhesion au schisme. En dix ans, pres dedeux cent cinquante mille Chretiens se rcunirent aux pretres de Goa. Le mal s'etendit meme aux chretientes demeu- rees fideles. Sans ameliorer leurs mceurs, les Goanais sentirent le besoin de se fa're des creatures. Par leur facilite a accorder des dis- penses, a fouler aux pieds toutes les regies de la discipline ecclesiastique, a tolerer tous les abus, ils ont developpe parmi les Indiens I'esprit de parti, insubordination, I'indifference religieuse. « Le schisme, ecrivait en 1884 un mission- naire, a deprave lc cceur et perverti I'intelligence de nos Indiens, au point qu'on ne les reconnait plus. Lorsqu'un missionnaire veut arreter le desordre ou le prevenir, lorsqu'il se montre severe, parce que sa conscience I'exige, quand il refuse de se rendre a d'injustes exigences, on le menace aussitot d'aller a I'eglise et au prctre de Goa. » Neanmoins on pouvait esperer que le schisme ne fe soutiendrait pas longtemps et tomberait peu a peu delui-meme, faute de pasteurs ; car, puisqu'il n'y avait plus d'eveques portugais resi- dant aux Indes, il n'y avait plus d'ordinations pour recruter le clerge rebelle. Le gouvernement portugais allait y pourvoir. En 1842, la cour de Lisbonne feignit d'entrer enfin dans les vues du Souverain Pontife et |)roposa pour I'archeveche de Goa Joseph de Sylva y Torres. Apres quelques hesitations, Gregoire XVI I'agrea dans le consistoire du 13 juin 1843. Lorsqu'il fut questirn de r^diger les bulles de I'elu, plusieurs cardinaux furent d'avis que I'ancienne formule devait etre changee et qu'il fallait faire mention des vicariats aposto- liques, soustraits desormais a la juridiction du primat des Indes ; d'autres opinerent pour que I'on gardat les formules traditionnelles, mais en 'ayant soin de faire savoir au prelat qu'il n'avait aucune juridiction en dehors du territoire portu- gais, et en exigeant qu'il promit par serment d'obeir au.x dernieres constitutions pontificales. Get avis a)-ant malheureusement prevalu, Mgr de Sylva promit entre les mains du nonce d'obser- ver toutes les dispositions du h\-ei Multa pracelare, et s'embarqua pour Goa (1844). L'arrivee d'un archeveque, reconnu par ses bulles d'institution en qualite de primat des Indes, reveilla les pretentions des schismatiques, et Mgr de Sylva, trahissant la foi juree, pre- tendit exercer sa juridiction sur I'lnde entiere, a I'imitation de ses prcdecesseurs. Aussitot apres son arrivee, il fit une ordination de huit cents pretres, qu'il lanca dans les vicariats apostoliques de I'lnde. 134 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. A ces nouveaux levites, recrutes en partie parmi les coolies du port de Goa, on n'avait demande ni science, ni morale, ni theologie ; niais on leur avait soigneusement inculque les droits inamibsibles de la couronne de Portugal au patronage des Indes, droits qu'aucun bref, bulle ou decision du Pape ne pouvait annuler sans le consentement du roi. On comprend le trouble profond que jeta, dans toutes les chretientes, I'arrivee de ces intrus, qui se presentaient, avec des pouvoirs en regie, comme envoycs par le primat des Indes, reconnu en cette qualite par le Pape lui-meme. Comment des lors ne pas croire a la legitimite de leur mis- sion ? Comment savoir si, comme le pretendaient les pretres de Goa, ce ne sont pas les envoyes de la Propagande qui sont des intrus et des impos- teurs ? Le schisme fit done de nouveaux progres aux Indes, et la position des missionnaires y devint intolerable. Gr^goire XVI, mis au courant de ce qui se passait, envoya un monitoire severe a I'arche- veque de Goa, pour lui rappeler les engagements qu'il avait pris et lui reprocher sa conduite. Ce monitoire resta sans effets. Le malheureux prelat, se sentant soutenu par son gouvernement, etait bien r^solu a fouler aux pieds les ordres du Pape et a mepriser ses censures. Pie IX obtint enfin son rappel en 1848; mais, en 1853, I'eveque de Macao, Mgr Jerome-Joseph de Matta, vint, sans juridiction aucime, faire aux Indes une pretendue tournee pastorale, donnant la confirmation, et conferant des ordinations sacrileges a Cej'lan, a Bombay, au Malabar, contre toutes les prescrip- tions du droit canonique, et au mcpris des cen- sures pontificales. Pie IX, vo)'ant I'obstination des Portugais et rimpossibilite d'cteindre le schisme, entra alors en negociations avec la Cour de Lisbonne, et conclut, en 1857, un nouveau concordat qui reconnaissait en principe le droit de patronage dans les dioceses de Goa, de Cranganore, de Cochin, de Meliapour, de Malacca et de Macao. Une commission devait etre nommc^e, par la Cour de Rome et celle de Lisbonne, pour delimi- ter les circonscriptions respectives de chacun de ces dioceses. Le Saint-Siege s'engageait, cette delimitation une fois faite, a retirer ses vicaires apostoliques des territoires susdits, se reservant de prendre, a I'egard des territoires restds en dehors, les mesures qu'il jugerait necessaires dans I'interet des fideles. Ce concordat, si favorable au Portugal, puis- qu'il reconnaissait en droit toutes ses pretentions sur I'lnde et la Chine, ne put etre mis a execution, par les arguties du gouvernement portugais, qui se refusa a subir les clauses onereuses du contrat. Les choses demeurerent done dans cet etat d'in- decision jusqu'en 1886. Cependant, malgre ces tristes divisions, le catholicisme avait fait de grands progres aux Indes. Le nombre des vicariats apostoliques s'etait eleve successivement a dix-sept avec 1.200.000 fideles. Pour mettre fin k toutes les difficultes, Leon XIII resolut d'etablir aux Indes la hierarchie catholique. Voici les clauses du dernier concordat (aoiit 1886) : 1° Le droit de patronage est reconnu au roi de Portugal dans I'archidiocese de Goa et les trois dioceses suffragants de Cranganore, Cochin et Saint-Thomas de Meliapour. Une disposition annexe determinera les limites precises de chacun de ces dioceses. 2° Ouelques-uns des groupes principaux des chretientes goanaises, bien que situes en dehors des susdits dioceses, y seront rattaches. 3° Le gouvernement portugais s'engage a doter convenablement lesdits dioceses, a les pour- voir d'un chapitre, de pretres en nombre suffisant et de seminaires. 4° Les chretientes portugaises de Malacca et de Singapour, qui actuellement relevent, en fait, de I'archeveche de Goa, seront d^sormais sous la juridiction de I'eveque portugais de Macao. 5° En dehors du droit de presentation aux sieges de Goa, Cranganore, Cochin et Meliapour, le roi de Portugal jouira d'un droit indirect de presen- tation aux quatre sieges a eriger de Bombay, de Mangalore, de Ouilon et de Trichinopoly. Chaque fois qu'un de ces quatre sieges sera vacant, les eveques de la province proposeront une liste de /;■('/> noms, laquelle sera transmise, par I'arche- veque de Goa, au gouverneur de cette ville qui, a son tour, choisira, pour le presenter a SaSaintete, un des trois noms. Cette presentation devra avoir lieu dans le delai de six mois ; apres quoi lechoix est d^volu au Souverain Pontife. go Par concession speciale du Saint-Siege, I'ar- cheveque de Goa est maintenu dans la dignite de patriarche ad konorein des Indes Orientales ; en cette qualite, il jouit du droit de presider les con- ciles nationaux de I'lnde, lesquels devront se tenir a Goa, a moins d'une disposition particuliere. 7° Le droit de patronage ainsi regie, le Saint- Siege jouit, dans tout le reste du territoire, de la pleine liberte de nommer des eveques et de pren- dre toutes les mesures qu'il jugera utiles au bien des fideles. Ce concordat a impose au Saint-Siege de dou- loureux sacrifices ; mais il rnet fin a un schisme deplorable qui ruinait les Eglises de I'lnde, et etait, pour les in fideles et les heretiques, une cause perpetuelle de scandales. En restreignant aux dioceses design6s plus haut les inconvenients du patronage royal, il rend au Vicaire de J^SUS- ClIRIST sa liberte d'action dans le reste de I'lnde; sans doute, il est a regretter qu'un certain nombre de paroisses goanaises restent dans les nouveaux dioceses a I'etat d 'enclaves ; mais ces enclaves, soigneusement delimitees, n'auront plus, il faut le reconnaitre, les inconvenients du passe et negene- ront plus I'administration episcopale dans le reste du diocese. L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 135 C'est maintenant le devoir du gouvernement portugais de temoigner de la reconnaissance en- vers le Souverain Pontife, en usant, pour le bien des ames, des droits de patronage dont il s'est montre si jaloux, et qui viennent de lui etre solen- nellement reconnus dans les dioceses susdits. Puisse-t-il comprendre que son interet, meme temporel,exige qu'il pourvoie ces dioceses de bons pasteurs, qui relevent la religion catholique de I'etat de decadence ou elle a trop longtemps vegete dans ces contrees ! cheveche ad luuiorem, 19 eveches, 3 vicariats et 4 prefectures apostoliques. Au I «=■■ Janvier 1897, la population catholique de rindeentiere s'eleve a i. 941.485 ames. Depuis la premiere edition de cet ouvrage, elle a aug- mente de 240.000 ames. Elle a quadruple au cours de ce siecle. II faut maintenant donner un expose rapide des huit provinces ecclesiastiques de I'lnde, * * * Ce grand acte de reconciliation entre le Saint-Siege et le Portugal heureusement accompli, le Vicaire de J^SUS-Christ s'est hat^ d'eta- blir aux Indes la hierarchie. — Bulle : HimiancB saluiis aiictor, septembre 18S6. II a partage ce vaste empire en huit provinces ecclesiastiques, qui sont ainsi divisees, au \^'' Janvier 1897: 1° Province de Goa : i arche- veche primatial, Goa. Suffragants: I archeveche ad honorem, Cranga- nore ; 3 eveches. Cochin et Saint- Thomas de Meliapour, aux Indes, Macao, en Chine, et la prelature de Mozambique, sur la cote orien- tale de I'Afrique. 2° Province de Ceylan : i arche- veche, Colombo ; 5 eveches suffra- gants, Jaffna, Kandy, Trincomalie, Galle, Port-Victoria (Seychelles). 3° Province de Pondichery : i archeveche, Pondichery; 3 eveches suffragants ; Mysore, CoTmbatour et Malacca (Malaisie). 4° Province du Malabar : i ar- cheveche, Verapoly ; suffragants : I eveche, Quilon ; et 3 vicariats apostoliques pour le rit syriaque : Trichoor, Ernaculam et Changa- nachery. 5° Province de Madras: i arche- veche, Madras ; 3 eveches suffra- gants : Ilj'derabad , Vizagapatam et Nagpore. 6° Province du Bengale : I archeveche, Cal- cutta ; suffragants : 2 eveches, Kisnagar, Dacca, et la prefecture apostolique de I'Assam. 7° Province d'Agra : i archeveche, Agra; suf- fragants : 2 eveches, Allahabad et Lahore; 3 pre- fectures apostoliques, Kafiristan et Cachemyr, Rajputana, Bettiah. 8° Province de Bombay : i archeveche, Bom- bay ; 3 dveches suffragants : Poona, Trichinopoly et Mangalore. Total pour I'lnde entiere : 8 archcvechcs, i ar- S.AINT I-'R.ANljOIS X.WIEK. D'apr&s le portrait , conserve a Saint-Andr^ du Quirinal. I. PROVINCE DE GOA. L A province ecclesiastique de Goa se com- pose de : 1° L'archeveche primatial de Goa qui com- prend uniciuement le territoire portugais. Personnel : i archeveque, 5 pretres europeens, 764 pretres indigenes, 5 religieux de la Compa- nie de Jl^su.'^, 21 religieuses, soeurs hospitalieres de Saint-Frangois et canossiennes. 136 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"^ SIECLE. CEuvres: 426 ec;lises ou chapelles'; i seminaire, 144 etudiants ; 117 ecoles paroissiales, 4.000 ele- ves; 307.752 catholiquessurune population totale de 2.903.182 habitants, soit plus de i/io*". 2° L'archeveche ad hoiwrem de Cranganore, dont le .siege est fixe a Daman. II comprend les vilies de Daman et de Diu, les paroisses goa- naises du Koukan septentrional, avec une partie de I'ile de Salsette. Personnel : i eveque, 2 pretres europeens, 71 pretres indigenes. CEuvi-es : 71 ^glises ou chapelles; i seminaire, Vincent de Paul et diverses associations de piete; 80.918 catholiques, sur 200.000 habitants : 2 5. 4° L'^veche de Saint-Thomas de Meliapour, qui se compose de deux territoires : dans la pro- vince de Madras, la ville de Saint-Thomas et les districts avoisinants ; dans le Madure, le district de Tanjore, quelques paroisses le longde la cote de Coromandel et dans le Behgale. Personnel : i eveque, 1 1 pretres europeens, 44 pretres indigenes ; 3 communautes religieuses, 18 soeurs franciscaines missioijnaires de Marie, 18 soeurs indigenes du Tiers-Ordre de Saint- Francois et 48 scEurs indigenes de Notre-Dame de Bonne-Esperance. CEuvres : 310 eglises ou chapelles ; I seminaire, 30 etudiants ; 60 ecoles, 5.000 eleves ; 3 orphelinats, 125 en- fants ; 2 hospices de vieillards ; i ho- pital avec dispensaire ; population catholique, 64.742. (Je laisse de cote I'eveche de Macao et la prelature de Mozambique, que nous retrouverons ailleurs ) Total pour toute la province de Goa : I archeveque, 3 dveques, 23 pretres europeens, 933 pretres indi- genes, 889 eglises ou chapelles, et 523.125 catholiques. — Mgr Bonje.\n, des Obl.\ts de Marie-Imm.-\culee, — eveque de Mddda hi partibus, vicaire apostolique de Jaffna, puis archeveque de Colombo. * ■» * Le-gouvernement portugais semble enfin decide a entrer dans les vues bienveillantes et pacificatrices du Vi- caire de J£suS-Christ. 11 a fait ce.s.ser la longue vacance des sieges episco- paux de I'lnde. Puissent les nouveau.x; pasteurs travailler efficacement a cica- triser les plaies douloureuses qu'un long abandon et I'csprit du schisme avaient faites et qui deshonoraient ces antiques et venerables Eglises ! II. — PROVINCE DE CEYLAN. 45 eleves ; 30 ecoles paroissiales, ? eleves ; 69.713 catholiques, sur une population totale de I 463.121 habitants, soit 1/2K. 3° L'eveche de Cochin, qui se compose des pa- roisses latines situifes entre Cochin et Ouilon, le long de la cote de Malabar. Person)iel : I eveque, 4 pretres europeens, 54 pretres indigenes, 13 religieuses canossiennes. CEuvres : 72 eglises ou chapelles ; i seminaire, 16 etudiants ; 2 colleges, 350 eleves ; 2 pension- nats de jeunes filles, 213 eleves; 107 ecoles pa- roissiales, 7.338 eleves ; i ecole indu.strielle ; 2 orphelinats, 54 cnfants ; 2 conferences de Saiiit- CEylan, I'ancienne Taprobane, surnommee avec raison la Perle des mcrs, fut evangeiisee, des 1544, par saint Francois Xavier. Au debut de la mission, le sang des martyrs vint arroser ce sol qui devait un jour porter de si riches moissons. A Manaar, 700 chrdtiens, dont plusieurs membres de la famille royale et le fils meme du roi de Jaffna, mourureiit, en 1546, pour la foi catholique. Grace a cette rosee feconde et aux predications des religieux Franciscains et Jesuites, le christianisme fit des progres a Ceylan, et, au bout de 90 ans, les Hollandais s'emparerent de I'ile ; en 1634, on comptait des centaines de mille catholiques a Cey- lan, principalement dans les provinces maritiraes. L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 137 Mais, pendant plus d'un siecle etdemi, de 1634 a 1796, une persecution implacable vint arreter I'essor du catholicisme.Les HoUandais expulserent les missionnaires, en firent mourir plusieurs, et proscrivirent impitoyablement I'exercice du culte catholique. La vraie foi vivait neanmoins au fond des coeurs. Deux Oratoriens de Goa, les PP. Vaz et Gonzales, bravant la mort, caches au fond des forets impenetrables dc I'ile, avaient entretenu et conserve le feu sacre dans lame de ce peuple, et quand les Anglais s'emparerent de I'ile, en 1796, on decouvrit avec surprise qu'en depit des per- secutions , il restait encore 50.000 catholiqucs. L'Angleterre, apres dix ans d'hesitations, leur rendit, en 1806, la liberte religieuse, et le catholicisme reprit son essor a Cej'lan, mais les commen- cements furent difficiles ; on manquait de pretres, et sur- tout de bons pretres. Jusqu'en 1836, la mission fut aux mains d'une vingtaine de Goanais. J'ai dit plus haut ce qu'etaient la plupart des pretres. lis trou- vaient devant eux un essaim de ministres protestants, ri- chement rentes, habiles, ins- truits la plupart, tons parfaits gentlemen et ardents a la per- version des catholiques. La lutte 6tait par trop inegale. Deja les protestants avaient attire dans leurs ecoles, les seules qui existassent a Cey- lan, la majorite des enfants^ catholiques ; la presse et des milliers de brochures repan- daient peu a peu dans les fa- milies le venin de I'heresie. II etait tem ps d'aviser. Les catho- liques, qui avaient resiste a la persecution sanglante, allaient se laisser prendre aux seduc- tions doucereuses de I'heresie. Gregoire XVI comprit le danger, et, en 1836, il erigea la mission de Ceylan en Vi- cariat apostolique. Pour me- nager la transition, il choisit les premiers vicaires apostoliques dans le clerge indigene, mais en leur donnant des coadjuteurs europeens. En 1843, Ceylan comptait S6.837 catholiques. En 1845, le vicariat de Jaffna fut detache de celui de Colombo, et confie aux Oratoriens d'ltalie. Pour assurer I'avenir de la mission, le vicaire apostolique, Mgr Bettachini, demanda, en 1847, le concours des Oblats de Marie. A leur arrivee a Ceylan (1848), le chiffre total des catho- liques de lile s'elevait a 11 3.2 10. En 1857, Mgr Semeria, premier vicaire apos- tolique de la Congregation des Oblats, prit la direction du vicariat de Jaffna ; celui de Colombo resta aux Italiens. Enfin, en 1883, un troisieme vicariat fut erige a Kandy. Les Italiens s'en chargerent, laissant le vicariat de Colombo a Mgr Bonjean, des Oblats de Marie. Lorsque la hierarchie fut ^tablie aux Indes, I'ile de Ceylan forma une province ecclesias- tique : archeveche, Colombo, avec deux eveches suffragants, Jaffna et Kandy. Enfin par brefs, en date du 14 juillet 1893 et Mgr MtuzAN, Oblat de Marie-Immacule'e, eveque d'Adrana in par/iius, coadjuteur de Mtjr Bonjean, aujourd'hui archeveque de Colombo. du 25 aout [893, Sa Saintete Leon XIII a cons- titue ainsi la province ecclesiastique de Ceylan : 1° L'archeveche de Colombo, aux Oblats de Marie-Immaculee : Personnel : i archeveque, 64 missionnaires Oblats, 3 pretres seculiers europdens, 6 pretres indigenes. Communautes religieuses : Oblats de Marie, 64 pretres, 3 scholastiques, 3 freres lais ; freres des ecoles chretiennes, 14 ; noviciat ; freres indi- genes de Saint-Vincent de Paul, 10 ; total 94 religieux ; 14 soeurs du Bon Pasteur; 15 sceurs 138 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. de la Sainte-Famille ; 24 scEurs franciscaines, missionnaires de Marie; 12 Petites sceurs des Pauvres ; 83 sceurs indigenes de Saint-Frangois- Xavier ; 45 sceurs indigenes de Saint-Pierre ; total 193 religieuses. CEuvres : 262 eglises ou chapelles ; i semi- naire, 30 etudiants ; 4 maisons d'education secon- daires, jeunes gens, 1.400 eleves ; 4 pensionnats, jeunes filles, 1.088 eleves ; 297 ^coles paroissiales, 20.551 eleves ; 3 orphelinats, 324 enfants ; i mai- son de secours, vieillards, 90 pensionnaires. Le gouvernement anglais a confie aux sceurs franciscaines de Marie le grand hopital de Colombo, et celui de Kurunegala aux sceurs de la Sainte-Famille. 177.815 catholiques sur 1.083. 781 habitants; soit 1/8. 2° L'eveche de Jaffna, Oblats de Marie-Im- maculee. Personnel : 1 eveque, 27 missionnaires, 7 pretres indigenes. Communautes religieuses : 33 Oblats de Marie, 20 sceurs indigenes de Saint-Joseph. CFuvres : 185 eglises ou chapelles ; i seminaire, 27 etudiants ; i college, 330 eleves ; 94 ecoles pa- roissiales, 6.258 eleves ; 2 orphelinats, 152 enfants. Population catholique : 39.314 sur 404.408 habitants, 1/18. 3° L'eveche de Kandy, Bdnddictins italiens de Saint-Silvestre. CEVLAN. — Cathedr.^le et r^siden'ce £piscop.\le a Jaffna. D'apr^s une photographie. Personnel : i eveque, 7 missionnaires, 9 pretres indigenes. Communautes religieuses : Benedictins, 26 ; Jesuites, 7 ; Sceurs Oblates de Saint-Silvestre ; Sceurs du Bon Pasteur; Sceurs indigenes de Saint-Francois-Xavier ; au total 80 religieuses. CEuvres : 58 eglises ou chapelles ; seminaire genera! de Kandy, forme par les ordres de Leon XIII et confie aux RR. PP. Jesuites, 43 etudiants; monastere silvestrin de Saint-Antoine, 9 scholas- tiques, 25 sdminaristes ; 12 Ecoles paroissiales, 819 eleves. Population catholique : 21.144 sur 683.642 habitants, i,'30. 4° L'eveche de Galle, RR. PP. Jesuites de la province de Belgique. Personnel : i eveque ; 5 missionnaires ; i frere lai ; 5 sceurs de Jesus-Marie (Belgique). CEuvres : 19 Eglises ou chapelles ; 6 semi- naristes,au seminaire general de Kandy; 11 ecoles paroissiales, 200 eleves. Population catholique : 5.987 sur 743.696 habitants, 1/124. 5° L'eveche de Trincomalie, RR. PP. Jesuites beiges. Personnel : L'eveche de Galle est charge provi- soirement de I'administration du diocese ; 17 mis- sionnaires jesuites ; I frere lai. CEuvres: 16 eglises ou chapelles; 4 seminaristes, au seminaire de Kandy ; 12 ecoles paroissiales. Population catholique 16.740 sur 159.659 habi- tants, 1/22. L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 139 Au cours du XIX<= siecle, la mission de Ceylan a fait de grands progres, comme on peut s'en assurer par ce tableau resume : En 1800 : une mission, 20 pretres indigenes, O eglises, o ecoles, 50.100 catholiques persecutes. En 1 897: une province ecclssiastique, I archeve- que, 3 eveques, 22 pretres indigenes, 538 eglises ou chapelles, seminaires-coUeges, pensionnats, ecoles paroissiales donnant I'instruction a plus de 32.000 enfants. Population catholique : 251.000, soit 1/12 de la population totale. Les catholiques de Ceylan se distinguent g6r\6- ralement par la fermete et la ferveur de leur foi ; les sacrements sont frequentes, les fetes de I'Eglise celebrees avec amour. Chaque annee, des milliers de pelerins se rcndent aux sanctuaires de Notre-Dame de Madhu et de Sainte-Anne. On en a compte jusqu'a soixante mille. Les protestants anglais sont les premiers a reconnaitreavec impartialite la superiorite morale des catholiques. Parlant a I'archeveque de Goa, sir Alexandre Johnston, grand juge a Ceylan, lui affirmait que, dans tout son parcours a travers CEYLAN. — Rue de Colombo. D'apr^s une pliotographie envoyee par le R. P. Collin, Oblat de Marie-Immacule'e. I'ile, pas un seul catholique n'avait ete amene a son tribunal. Un autre representant officiel du gouvernement, sir Emerson Tennent, ecrit de son cote : « II est incontestable que les indigenes sont attaches a leur foi depuis trois cents ans, avec une perseverance remarquable.)) — « La fer- mete inflexible et la moralite su]3erieure des indigenes catholiques peuvent etre attribuees a la puissante influence du confessionnal. » — En Anglais toujours pratique, il ajoute : (( Si on demande des preuves de cette influence, on la trouve dans la generosite des indigenes pour I'entretien de leur culte (l). » A cote de ces temoignages rendus aux catho- liques, il ne sera pas sans interet d'entendre les ministres protestants avouer eux-memes I'insuc- ces de leurs travaux : « Cette mission, ecrit le R. Brown, existe depuis trente ou quarante ans, avec moins d'entraves que toute autre ; elle n'a cependant fait aucun progres pour la conversion I. Sir E. Tennent, ch. 3, 140 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-"^ SIECLE. des ames. Une complete indifference a toute religion exprime la condition reelle de la plupart des pretend us convertis (i). » Ecoutons maintenant le R. James Selkirk : « Les bouddhistes restent toujours attaches a ■leurs moeurs ; les catholiques sont inebranlables dans leurs vaines superstitions ; la majorite des protestants, europeens ou indigenes, montrent une indifference deplorable pour la religion (2). » « Les resultats de la mission anglicane, ecrit de son cote le R. Pridham, ont ete presque entierement negatifs. Le christianisme (lisez : le protestantisme) va a la derive (3). » lis n'ont pas mieux reussi dans I'feuvre des ecoles, pour laquelle ils ont cependant des res- sources presque illimit^es : « Ces ecoles, ecrit encore le R. Brown, autrefois si nombreuses et si bien frequentees, sont tombees dans un etat fort triste et ont fait peu de bien. Des enfants qui avaient re^u la toute leur Education, devenus adultes, frequentent les temples des idoles. Le mecompte est general dans toutes les parties de la mission (4). » Malgre la penurie de leurs ressources, les catho- liques ont vaillamment accepte la lutte sur le terrain de I'ecole. C'etait pour eux une question vitale, je I'di dit. En 1836, a I'erection du vicariat, il n'y avait encore rien. En 1843, nous trouvons deja 1.2 10 Aleves catholiques dans nos ecoles. En 1865, ils sont 2.590 ; en 1873, 7.388 ; en 1880, 19.295. C'est une progression continue et rapide. Autrefois la majority des catholiques allaient etudier chez les protestants ; aujourd hui, ce sont les families protestantes qui envoient leurs enfants etudier chez nous. ^jp< 111. — PROVINCK DEPONDICHKRY. >^ LA province ecclesiastique de Pondichery est celle ou la foi a fait le plus de progres en ce siecle, puisque le chiffre des catholiques s'y est eleve de 42.000 a 473.869 (5), c'est-a-dire qu'il a plus que dt'cuplc en ce siecle. Les commencements furent pourtant bien diffi- ciles, a cause du petit nombre des missionnaires, du manque absolu de ressources, et des intrigues des pretres de Goa, qui nous forcerent a nous retirer, pendant plusieurs annees, du Madure, du Tanjore et du Maissour. Pendant plus de cin- qdante ans, ces belles contrees, qui avaient ete le theatre des e.xploits apostoliques de saint Jean de Britto, de Robert de Nobili et de tant de saints missionnaires de la Compagnie de Jesus, 1. R. Brown, Histobe de la propagation du christianisme, I" vol. 2. R. James Selkirk, Ceylan. 3. R. Pridham, Recherches sur Ceylan. 4. R, Brown, ouvrage cite. 5. En tenant comple de 185.000 ames appartenant au diocese de Trichinopoly, qui faisait originairement partie de la Mission de Pondichery. demeurerent en friche, et, pendant que les ou- viers apostoliques dormaient, I'homme ennemi semait a pleines mains I'ivraie dans le champ du pere de famille. Incapables de lutter contre les ministres de I'erreur, les pretres de Goa sympa- thisaient souvent avec eu.x et leur permettaient, moyennant finances, de precher dans leurs eglises. Aussi les progres de I'heresie dans le sud de I'lnde furent rapides. Deux grandes Socictes protestantes; la Societe pour la propagation de i'Evangile, et la Church niissionnary, y firent de nombreu.x adeptes, presque tous parmi les catho- liques, abandonnes sans pasteurs. En 1S80, le sud de I'lnde avait 2 eveques an- glicans, 30 ministres europeens, 80 predicants indigenes, 200 catechistes, 440 ecoles, 93.495 fideles. Voila les fruits desastreux du schisme. Mais DiEU eut enfin pitie de ces Eglises autrefois si florissantes. Peu a peu le nombre des missionnaires augmenta, les aumones de la Pro- pagation de la Foi permirent de faire face aux besoins les plus urgents, I'abnegation et le zele des missionnaires firent le reste. Aujourd'hui la situation n'est pas reconnaissable ; d'immenses territoires, qui recevaient, une fois tous les deux ou trois ans, la visite du pretre, forment des dioceses, ayant chacun leur eveque, av-ec un nom- breux clerge; partout des eglises, des presby- teres, des ecoles de fondation recente permettent de faire des progres parmi les paiens et de lutter efficacement contre les envahissements de I'he- resie. C'est surtout a partir de 1836 que le catholi- cisme a pris son essor au.x Indes. A cette epoque, comme je I'ai dit, Gregoire XVI, pour en finir avec le schisme de Goa, erigea la mission de Pondichery en vicariat et rappela les Jesuites au Madure. En 1846, le Maissour et le Coimbatour furent detaches de Pondichery et eriges en vicariats distincts, ainsi que le Madure. Enfin, a la constitution de la hicrarchie, la province ecclesiastique de Pondichery, apres plu- sieurs remaniements, fut definitivement consti- tuee ainsi qu'il suit : un archeveche, Pondichery ; trois eveches suffragants, Mysore, Coimbatour et Malacca, dans la Malaisie. Ces quatre dioceses appartiennent a la Societe des Missions Etran- geres de Paris. L L'archidiocese de Pondichery se compose de la colonic francaise de I'lnde (i lO.OOO habitants), et d'une partie du Carnate. De 1828 a 1886, les villes francaises de Pondicher\-, de Karikal et de Chandernagor furent placees, pour la population europeenne, sous la juridiction des PP. du Saint- Esprit, ayant a leur tete un prefet apostolique. Lors de I'etablissement delahjerarchie, la prefec- ture fut supprimee. La population catholique de l'archidiocese est de 218.000 ames sur 7.500,000 habitants : i '34. Personnel : i archeveque, 93 missionnaires, 35 pretres indigenes ; quatre congregations de L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 141 femmes : i° Sceurs europeennes et indigenes de Saint-Joseph, 109 ; etablissements a Pondicliery, a Karikal, a Chandernagor, a Mahe ; ecoles pri- maires, ecoles industrielles, pensionnats pour les jeunes filles europeennes et metisses,orphelinats. Les Soeurs sont chargees, en outre, de I'hospice fonde en 1874 par le comte Desbassayns, sena- teur. On y entretient gratuitement una quaran- taine de vieillards. 2° Carmelites indigenes, maisons a Pondichery et a Karikal, 51 Steurs. 3° Sceurs indigenes du Saint-Cceur de Marie, etablies en 1S44 pour les ecoles paroissiales. Elles suivent la regie du Tiers-Ordre de Saint-Francjois d'Assise. Elles ont en ce moment 2.844 enfants dans leurs ecoles. 4° Soeurs indigenes de Saint-Louis de Gon- zague, pour les ecoles et les orphelinats de jeunes filles pariates, 35 sceurs. II y a, de plus, dans la mission, 160 catechistes pour la formation des catechumenes. CEuvres : 172 eglises et 376 chapelles ; i grand seminaire a Pondichery, 40 eleves ; i petit semi- nairc a Pondichery, 320 eleves ; i college colonial a Pondichery, 200 eleves ; i seminaire-college a Karikal, 300 eleves ; i college Saint-Joseph a Cuddalore, affilie a I'Universite de Madras, 625 eleves; i ecole normale de filles, 132 eleves ; 149 ecoles paroissiales qui donnent I'enseigne- ment primaire a 8,147 enfants des deux sexes ; 14 orphelinats, 448 enfants ; 2 asiles pour les jeunes filles metisses; 2 hospices pour vieillards, a Karikal et a Combaconam. 11. — Le diocese de Mysore comprend I'Etat du Maissour. Le siege du gouvernement anglais est a Mangalore, le Rajah reside a Mysore. A la fin du dernier siecle, la persecution de Tippo-Saib enleva a la mission plus de 50.000 Chretiens, qui furent forces d'embrasser le maho- • metisme. lui 1845, la mission de Maissour fut detachee de Pondichery et erigee en vicariat apos- tolique. Tout etait a creera cette epoque. Aujour- d'hui. le diocese de Mysore compte 40.000 catho- liques, sur 5 500.000 habitants. I/137 de la popu- lation. Personnel : I eveque, 47 missionnaires, lO pretres indigenes. Communautes religieuses : 1° Peres indigenes de I'lmmaculce-Conception. lis sont une dizaine et s'occupent d'enseignement. 2° Soeurs europeennes du Bon Pasteur. Une maison a Bangalore, 35 soeurs, pensionnat et refuge. Ces soeurs dirigent encore une congrega- tion de sceurs indigenes de I'lmmaculee-Concep- tion, pour les orphelinats et les ecoles paroissiales. Elles sont chargees en outre de I'hopital anglais de Sainte-Marthe, ce qui leur a valu, pendant plusieurs annees, les persecutions des protestants. 30 Soeurs europeennes de Saint - Joseph de Tarbes ; pensionnats et ecoles. CEuvres : 83 eglises ou chapelles; i seminaire, 26 eleves. A Bangalore, 1 college de Saint-Joseph, affilie a I'Universite de Madras, 60 pensionnaires et 450 externes. 58 ecoles paroissiales et 10 orphe- linats, frequentes par 2.833 enfants. III. Le diocese de Coi'mbatour comprend le dis- trict de ce nom et la vallee du Palghat, qui s'^- tend a travers les monts Nilghiris, jusqu'au Ma- labar. Lors de I'erection du vicariat, en 1846, on ne trouvait au Coi'mbatour, ni eglises, ni presbyteres, ni ecoles. Deux ou trois pretres venaientde Pon- dichery chaque annee pour administrer les Chre- tiens. Aujourd'hui, le diocese de Coi'mbatour compte 33,000 catholiques, sur 2.000.000 d'habi- tants, 1/64. Personnel : i eveque, 34 missionnaires, 7 pre- tres indigenes. Communautes religieuses: 1° Peres irlandais de St-Patrice ; 2° Soeurs indigenes de la Presentation: 50 sceurs, orphelinat et ecoles parois- siales. CEuvres : 96 eglises ou chapelles, i seminaire, 16 eleves, un college affilie a I'Universite de Ma- Alexandre VII. dras, 500 eleves ; un institut St-Joseph pour Eui'opeens et metis, "]& eleves ; plusieurs pension- nats anglais, environ 1.500 eleves ; 59 Ecoles pa- roissiales ou orphelinats, 3.240 enfants. <■ IV.— PROVINCE DU MALABAR. A Leur arrivee dans I'lnde, en 1499, les Por- tugais trouverent au Malabar environ 100.000 Chretiens, dits de Saint-Thomas. Tons etaient nestoriens ou Jacobites, et ils recevaient alternativement leurs eveques du patriarche nes- torien de Babylone ou du patriarche Jacobite de Mossoul. Au bout d'un siecle de predications presque toute la nation abjura I'heresie, au concile d'Udi- amper, 1569 ; mais I'union ne dura gucre qu'un demisiecle.En 1653, les catholiques syriens du Ma- labar, exasper^s des exactions des Portugais, se souleverent centre eux, chas.serent les mission- naires portugais, et renoncerent a la foi catho- 142 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™= SIECLE. lique ; quatre cents families seulement, environ 2.O0O ames, demeurerent fideles. Le Pape Alexandre VII, sentant le besoin de s6parer la question religieuse de la question po- litique, enleva, en 1658, les Syrians a la juridic- tion de 1 eveque portugais de Cochin, pour les confier aux Carmes dechausses, qui depuis 234 ans sont demeures charges de la mission mala- bare. lis y ont travaiUe avec succes : sans parler des catholiques du rit latin, le nombre des catho- liques du rit syro-chaldeen depasse actuellement 200.000, centre environ 50.000 qui sont demeures dans I'heresie.Ces derniers ont a leur tete i arche- veque avec 5 eveques, 100 pretres et 54 eglises. Le mdtropolitain seul est reconnu par legouver- nement anglais. Les protestants ont beaucoup travaiUe pour attirer a eux les heretiques du Malabar. Pendant longtemps, ils ont soutenu de leurs deniers le seminaire nestorien ; les eveques anglicans n'ont pas rougi d'appeler a Londres et de combler de prevenances le chef religieux de ces sectaires, qui, detruisant toute I'economie du mystere de rincarnation, nient implicitement la divinite de JitSUS-CHRIST. Les ecrivains protestants ont fait I'eloge de la purete et de I'antiquite de I'Eglise nestorienne. Toutes ces avances ont ete en pure perte ; ils n'ont pas converti un seul nestorien, mais ils les ont confirmes dans leurs prejuges sectaires et leur eloignement de Rome ; c'est toujours autant de gagne! Jusqu'en 1853, la mission du Malabar forma le vicariat unique de Verapoly. A cette epoque, le Saint-Siege erigea les deux vicariats de Man- galore, au nord, et de Ouilon, au sud. En 1878, le vicariat de Mangalore fut donne aux Jesuites. Enfin, a letablissement de la hierarchic, le Mala- bar forma one province ecclesiastique ainsi divi- see : archeveche, Verapoly ; i eveche suffragant, Ouilon ; 3 vicariats apostoliques de rit syriaque, Trichoor, Cottayam et Ernaculam. Voici le tableau des accrois,sements de la mis- sion du Malabar, au cours de ce siecle : En 1880 : I vicaire apostolique, 3 missionnaires carmes. Rit latin: ? pretres indigenes, 2 eglises ou chapelles, envi- ron 40.000 catholiques. Rit syriaque: ? pretres indigenes, ? eglises ou chapelle?, environ 40.000 catholiques. En 1895 : I province ecclesiastique, I archeveque, 4 eve- ques (dont 3 vicaires apostoliques), 31 missionnaires eii- rope'ens, 55 pretres indigenes de rit latin, 411 pretres indi- genes de rit syriaque, 469 eglises ou chapelles, et 401.016 catholiques, sur une population totale de 5.200.000 soit, en tenant compte des 80.000 catholiques appartenant au diocese portugais de Cochin, un peu moins de i/io. I. — L'archidiocese deVerapoly,confie aux Car- mes dechausses,compteenviron6o,844 catholiques sur 1.200.000 habitants. Outre le sdminaire cen- tral, qui compte seulement 8 etudiants, il a plu- sieurs ecoles superieures et 140 ecoles paroissiales, qui donnent I'enseignement a 5.900 enfants; 4 cou- vents de tertiaires, i grand hopital avec dispen- saire, plusieurs orphelinats et catechumcnats. II y a, dans l'archidiocese, 46 eglises et une centaine de chapelles. II. — Le diocese de Ouilon, aux Carmes de- chausses, fut detache de Verapol}- en 1S54 et erige en vicariat apostolique distinct. La population catholique du diocese compte actuellement de 86,000 ames ; elle a 28 eglises avec pretres a demeure et 137 chapelles. I seminaire, 21 eleves ; 10 ecoles anglaises et 84 ecoles indiennes, avec environ 3.500 eleves. III. — En 18S7, pour repondre aux desirs de la nombreuse population syro-chaldeenne du Malabar, le Saint-Siege erigea les deux vicariats apostoliques de Trichoor et de Cottayam. Au mois de juillet 1896, est survenue une nou- velle division en trois vicariats : Trichoor, Flrna- culam et Changanachery. Le Saint-Siege a decide que, jusqu'a nouvel ordre, les vicaires apostoliques seraient de rit latin ; mais ils ont un vicaire general de rit sy- riacjue, lequel jouit, dans son rit, du privilege des insignes pontificaux et du droit de donner la confirmation, mais avec le chreme benit par I'eve- que dans chaque vicariat; le conseil episcopal se compose de quatre pretres de rit syriaque. Vicariat apostolique de Trichoor, 82 dglises ou cha- pelles, 92 prelres indigenes, 153 ecoles, S.S35 enfants. Vicariat apostolique d'Ernaculam, 84 eghses ou cha- pelles, 305 pretres indigenes, 103 ecoles, 4.290 enfants. Vicariat apostolique de Changanachery, 102 dglises ou chapelles, 305 pretres indigenes, 221 ecoles, 7.380 enfants. Total pour les 3 vicariats : 258 eglises ou chapelles, 397 pretres indigenes, 476 ecoles, 20 505 enfants. La population catholique totale des trois vica- riats est de 254,172 ames, contre environ 100.000 nestoriens et 4 millions d'idolatres. Les catholiques du Malabar sont tres attaches a leur rit qui reinonte a la predication de I'apotre St Thomas dans les Indes. lis ont garde la plus grande devotion a cet apotre, ce qui fait qu'au moyen-age, les Chretiens du Malabar sont design^s assez souvent sous le nom de Chretiens de Saint- Thomas. #r v.— PROVINCE DE MADRAS.^^ LA province ecclesiastique de Madras com- prend tout I'ancien royaume de Deccan, c'est-a-dire I'lnde centrale, du Bengale a Ma- dras. L'evangelisation de ce pays est beaucoup moins avancee que dans le sud de I'lnde, car les quatre missions qui forment la province sont toutes de fondation recente. En 1800, en dehors de I'eveche portugais de Saint-Thoinas, il n'y avait encore rien dans ce pays, sauf deux ou trois chapelains militaires, attaches a I'armee anglaise. En 1832, Gregoire XVI erigea Madras en vicariat apostolique ; mais le premier titulaire, Mgr Folding t^mort archeveque de Sydney ),ayant L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 143 refuse, le vicariat ne fut definitivement organise qu'en 1834, par Mgr Daniel O'Connor, Augustin. Ce prelat ayant donne sa demission en 1840, fut remplace par Mgr Carrew, de la Compagnie de Jesus, qui fut transfere, la meme ann^e, a Calcutta. Levicariat de Madras fut donne alors ades pretres seculiers irlandais, qui I'ont toujours conserve. De 1 841 a 1882, NN. SS. Jean et Etienne Fennely, les deux frercs, se succederent a la tete du vicariat ; ils consacrerent leur fortune au de- veloppement des oeuvres de la mission. Leur sollicitude se porta principalement sur la fonda- tion d'ecoles et d'orphelinats, afin de luttercontre la propagande protestante. En effet, pendant les quarante premieres an- nees du siecle, les protestants profiterent habile- ment de I'absence des missionnaires pour couvrir la province de Madras de temples et d'ecoles richement entretcnus. Comme I'ecrivait, en i860, un des chapclains de I'eveque anglican, « la pre- sidence de Madras est par excellence le diocese des missionnaires de I'lnde » (i). Heureusement, il semble prouve que les protestants, a leur ordi- naire, ont fait plus de bruit que de besogne, si Ton s'en rapporte au temoignage, tres desinte- resse, de sir Baber, president de la cour de Madras, declarant au Comite de la Chambre des Lords que « un converti par nos missionnaires est chose inconnue dans le pays » (2). Cet aveu d'impuis- sance totale est confirme au fond par les predi- cants eux-memes : « Quant a des conversions reelles, ecrivait de Madras un ministre, I'un de nous pretend qu'on n'en trouverait pas plus de deux ou trois dans toute la ville et les faubourgs ; un autre ajoute : une douzaine au plus )) (3). Le catholicisme, sans avoir a son service les immenses ressources de I'h^resie, travaiUa avec [ilus de resultats. A mesure que le vicariat de Madras s'organisait, le nombre des catholiques, infime au debut, devint assez considerable pour qu'au bout de quinze ans, la Sacree Congregation erigeat dans la province deux nouveaux vicariats : Vizagapatam (1847), qui fut donne aux Mission- naires de Saint-Frangois de Sales d'Annecy, et Hyderabad (185 1), aux Missions Iitrangeres de Milan. Les choses allerent ainsi jusqu'a I'etablissement de la hierarchie. A cette epoque, la mission de Vizagapatam fut divisee en deux, et la province de Madras se trouva ainsi constitude : archevechc, Madras ; trois eveches suffragants : Hyderabad, Vizagapatam et Nagpore. En resume, au commencement du siecle, la mission de Madras n'existait pas, et le catholi- cisme n'etait represente que par quelques rares fideles, a peu prcs abandonnes sans pasteurs. Aujourd'hui, la province ecclesiastique de 1. K. Ed. VVhithead, Reclurches sur fEglise Itablie dans rinde, ch. 7. 2. Asiatic Journal. 3. I\. Howard Malcolm, 2= vol.,ch. 2. Madras compte : i archeveque, 3 eveques, 74 mis- sionnaires, 26 pretres indigenes, 263 eglises ou chapelles, et 78,550 catholiques. La population totale des quatre dioceses etant de 40,000,000 d'habitants, la proportion des catholiques, en tenant compte de ceux de I'eveche portugais de Saint-Thomas, est de 1/286. * « * I. L'archidiocese de Madras est limite par les dioceses de Saint-Thomas et de Pondichery, au sud, par ceux de Poona et du Mysore, a I'ouest, par celui d'Hyderabad, au nord, par la mer, a I'est. II compte en ce moment : i seminaire a Nellore, 35 eleves ; i college, a Madras, affilie a rUniversite,250 eleves ; 17 ecoles pour les jeunes Anglais des deux sexes, 44 ecoles paroissiales, 5 orphelinats ; au total, 4,727 enfants. En 1875, les Missionnaires de Mill-Hill vinrent, a la demande du vicaire apostolique, partager les travaux des missionnaires, trop peu nombreux jusqu'alors. Plusieurs Congregations d'hommes et de femmes travaillent aussi dans le diocese : 1° Les Freres irlandais de Saint-Patrice, 5 reli- gieux. 2° Les Freres indigenes de I'lmmaculee Mere de DiEU, 8 profes, 4 novices. 3° Les Soiurs europeennes du Bon-Pasteur, 10 religieuses. 4° Les Soeurs de la Presentation : 2 maisons, 15 professes, 10 novices. 5° Les Soeurs indigenes du Saint-Cceur de Marie (de Pondichery), 7 Sceurs. 6° Les Sceurs indigenes de Sainte-Anne : 3 maisons, 13 professes, 5 novices. 7° Les Sceurs indigenes de Saint-Louis-de- Gonzague (de Pondichery), 6 soeurs. II y a, dans le diocese de Madras, i eveque anglican, et 28,699 protestants. II. Le diocese d'Hyderabad, tres etendu, puisqu'il comprend I'Etat de Nizam, confine, au nord, aux dioceses de Vizagapatam et de Nag- pore ; a I'ouest, a celui de Poona ; au sud, a celui de Madras, et a I'est, au golfe du Bengale. II est administrc par les missionnaires du seminaire de Milan. II y a dans le diocese : i seminaire, 20 eleves ; 2 ecoles anglaises, 18 ecoles de paroisses, 803 en- fants ; 4 orphelinats, 220 enfants ; i commu- naute de Soeurs de Sainte-Anne de la Providence (Turin), 17 Soeurs; i communautc de tertiaires de Saint-Francois d' Assise, 5 Soeurs. III. Le diocese de Vizagapatam confine, au nord, a celui de Calcutta ; a I'ouest, au diocese de Nagpore ; au sud, a celui d'Hyderabad ; a Test, au golfe du Bengale. II est administre, ainsi que 144 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. celui de Nagpore, par les Missionnaires de Saint- I 28 Freres coadjuteurs, i communaute euro- Frangois de Sales d'Annecy. | peenne de Soeurs de Saint-Joseph, 50 religieuses, Prince indien D'apr^s une photographie envoyee pai" les missionnaires de Vizagapatam I communaute de 30 Soeurs indigenes, partagent les travaux des missionnaires. II y a dans le diocese : 25 ecoles de paroisses, 1,184 eleves ; 8 orphelinats, 292 enfants ; I cate- chumenat, moyenne annuelle, 400 baptemcs. L'EGLISE CATHOHQUE DANS LES INDES. 145 I\'. Lc diocese de Nagpore est limitc : au nord, par les dioceses d'Agra, d'Allahabad et de Calcutta ; a I'oucst, par cclui do Poona ; au sud, par celui d'Hyderabad ; a Test, par celui de Vi7a- HINDOUSTAN. — Types divers. D'apr^s des photographies communiquees par des missionnaires.— i. Indigene et sa femnie, de la caste des fabricants de toddi ; 2. Avocat de la caste de Brahma et ses enfants ; 3. Chretien descendant de la caste de Konkany ; 4. Magistral de la caste Chardos et sa femme ; 5. Types divers. gapatam.dont ii fut dctachc par href pontifical du 29juillet 1887. Missions Catholiques Lc diocese possede : I college, a. Nagpore, affilie a I'Univcrsitc dc Calcutta, 217 eleves ; 146 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. 17 ecolesde paroisses, 1,361 eleves ; 4 orphelinats, 259 enfants ; 14 Freres coadjuteurs, 31 Sceurs de la Presentation, 9 Filles de la Croix. VI.- PROVINCE DU BENGALE. LA province ecclesiastique du Bengale com- prend la province anglaise de ce nom, plus le Boutan et I'Assam, sur les frontieres du Thibet, et I'Arakan, le long de la cote orientale du golfe du liengale. Au total, environ qnayante-deiix viillions d'ha- bitants, sur lesquels un peu moins de 50.OOO catho- liques, soit 1/840. Le Bengale fut evangelise, au siecle dernier, par les religieux de la Compagnie de Jesus ; mais apres la destruction de leur Ordre, ce pays demeura abandonne aux pretres de Goa, dont la presence fit certaineinent plus de mal que de bien. En 1834, le Bengale fut erige en vicariat apostolique ; mais, en 1S38, il n'avait pas encore de titulaire. Mgr Taberd, vicaire apostolique de la Cochinchine, s'etait refugie a Calcutta pour fuir la persecution ; il fut charge, par la Sacree Congregation de la Propagande, d'administrer provisoirement le vicariat. A sa mort, arrivee en 1840, Mgr Carrevv, de la Compagnie de Jesus, fut place a la tete de ce vicariat, dont les Jesuites sont restes charges. En 1850, le Bengale oriental fut erige en vica- riat distinct, et confie a la Congregation de Sainte-Croix du Mans. En I S70, le Bengale central fut erige en pre- fecture apostolique, et donne aux Missions Etrangeres de Milan. Depuis plusieurs annees, ces missionnaires evangelisaient la contree. Enfin, a I'etablissement de la hierarchic, la province ecclesiastique du Bengale se trouva ainsi constituee : I archeveche, Calcutta ; 2 eveches suffragants, Kishnagar et Dacca,au.xquels il faut adjoindre la prefecture apostolique de I'Assam, erigee au mois d'octobre 1889. Le developpement de la mission du Bengale s'est fait tout en tier au cours de ce siecle. Au commencement de ce siecle, il n'y avait dans le Bengale que cinq a six pretres, et quelques milliers de catholiques, disperses a d'enormes distances. En 1896, la province ecclesiastique du Ben- gale compte : i archeveque, 2 eveques, i prefet apostolique, 109 missionnaires europ6ens, 326 6glises ou chapelles, et 79,338 catholiques soit environ 1/750. L L'archidiocese de Calcutta comprend le Bengale occidental, avec la ville de Calcutta, residence du vice-roi des Indes et capitale de I'lnde anglaise. II est limite au nord par le dio- cese d'Allahabad, a I'ouest par celui de Nagpore, a Test par celui de Kishnagar, au sud par le golfe du Bengale. Les Jesuites y ont 2 colleges: a Calcutta, le celebre college Saint-Fran^ois-Xavier, affilie a rUniversitede Calcutta, 726 eleves ; a Darjeeling, le college Saint-Joseph, 60 eleves ; plus le semi- naire, 12 eleves. Les Freres des Ecoles chretiennes, au nombre de 18, ont un bel etablissement a Calcutta, 5 1 2 eleves. Pour les filles, il y a : i" les ScEurs de Lorette, 3 pensionnats a Calcutta, a Darjeeling et a Assensole, 468 eleves; plus 3 externats, 651 eleves ; i orphelinat, 480 enfants. Les Sceurs sont au nombre de 96. 2° Les Filles de la Croix, 35 religieuses : I orphelinat, 324 enfants ; i asilepour6o pauvres, plusieurs ecoles. 3° Les Petites Sceurs des pauvres, 7 religieuses, 50 vieillards. II y a, dans le diocese, 6 conferences de Saint- Vincent de Paul, qui soutiennent a leurs frais un asile pour les pauvres et plusieurs orphelinats. Enfin, il y a, dans le diocese, 15 ecoles an- glaises et 99 ecoles indigenes, qui instruisent 5,970 enfants. Population catholique, 62,098. II. Le diocese de Kishnagar (Missions Etran- geres de Milan) s'etend des Himalayas au golfe du Bengale ; a Test, il est limite par le diocese de Dacca et la Birmanie ; a I'ouest, par les dioceses d'Allahabad et de Calcutta. Outre le Bengale central, il comprend les Etats du Boutan et de I'Assam. Les Sceurs de Charite, dites de Lovere, ont 3 communautes dans le diocese : ecoles et orphe- linats. II y a dans la mission 6,000 protestants, de la secte des Baptistes ; ils ont des ecoles dans les plus petits endroits. Population catholique, 4,040. III. Le diocese de Dacca comprend le Ben- gale oriental et I'Arakan ; au nord, il s'etend jusqu'au Thibet ; a Test, jusqu'a la Birmanie ; a I'ouest, il est limite par le diocese de Kishnagar ; au sud-est et au sud, par le golfe du Bengale. Les missionnaires de Sainte-Croix du Mans etaient charges primitivement de la mission ; ils la cederent, en 1875, aux Benedictins, qui vien- nent de la leur rendre (1889). Les Sceurs de Notre- Dame des Missions (Lyon) sont venues, en 1886, s'associer, au nom- bre de cinq, aux travau.x des missionnaires. II y a, dans le diocese de Dacca, 10 ecoles, 554 eleves, plus 2 orphelinats, a Chittagong, 52 enfants. Population catholique : 11,000. IV. La prefecture apostolique de I'Assam, erigee en 1889, comprend les trois provinces de I'lnde, voisines du Thibet, I'Assam, le Boutan et le Manipour. Cette nouvelle mission est confiee L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 147 aux pretres de la Societe du Divin Sauveur, dont le siege est a Rome. Situation au i^'' Janvier 1S96 : 8 missionnaires europeens ; plusieurs Sceurs europeennes du Divin Sauveur. 8 chapelles, 10 ecoles elemen- taires, 215 eleves ; 3 orphelinats, 65 enfants. Population catholique: 1,200 ames. VII. — PROVINCE D'AGRA LA province ecclesiastique d'Agra est celle qui compte le moins de catholiques : 26,000, sur une population totale de 123,359,000 ames, I catholique sur 4,744 habitants ! Ce vaste territoire, plus grand a lui seul que la France, s'etend des Himalayas a Delhi et com- prend les Etats du Grand Mogol : le Nepaul, le Penjab, le Cachemyr, TAfghanistan et le Gwalior. Ces pays furent evangelises, au XIIl'^ siecle, par les religieux Franciscains, envoyes, par le Pape Innocent IV, a la cour du pretre Jean. Plus tard, au XV 1'= et au XVn>= siecle, les Capucins et les Jesuites porterent de nouveau la foi dans ces regions eloignees ; mais les persecutions des mu- sulmans les forcerent de quitter le pays. Enfin, en 1773, la mission fut reprise par les Capucins, qui I'ont toujours gardee depuis. Com me ils n'avaient pas encore d'eveque, Mgr Champenois, superieur de la mission de Pondichery, fut nomme, a la fin du siecle der- nier, visiteur apostolique par bref de Pie VI. II trouva dans la mission 1 1 religieux Capucins, avec environ 5,000 catholiques. En 1808, Pie VII erigea la mission en vicariat apostolique du Thibet-Hindoustan ; mais, a cause de la difficulte des temps, le premier titulaire ne fut sacre qu'en 1822. En 1834, Gregoire XVI, a la demande de la B/gtin Jeanne Sombre, erigeci le Sirdhanat en vicariat apostolique ; mais ce vicariat n'eut qu'une existence ephemere ; la princesse etant ^inorte, en 1856, I'eveque repassa en Europe, et I'Etat de Sirdhanat fut reuni au vicariat de rHindoustan(i). En 1844, le Thibet en fut detache, et forma un vicariat distinct. Le vicariat d'llindoustan fut alors partage en deux : Agra et Patna. En 1881, Leon XIII detachadAgra le vicariat du Penjab et Cachemyr. Enfin a I'etablissement de la hierarchic, la pro- vince dAgra fut ainsi constituee : I archeveche, Agra ; 2 ^veches suffragants Allahabad et Lahore ; 3 prefectures apostoliques' Kafiristan et Cachemyr ( 1 887),Rajpoutana ( 1 89 1 / 1. La principaule de Sirdhanat fut donnee, a la fin du dernier siecle, a un aveniurier europt'en, qui mourut en 1776. Sa veuve, la Be^un Sombre, lui iucceda dans la souverainete. Catholique fervenle, elle fit elcver, dans ja capitale, une magnifique et;lise et des ecolef. Le Sirdhanat comptait a cetle epoquc environ 600 ca- Ihuliques. A sa mort, la pieuse princesse affecia un capital de 200.000 roupies (500000 fr. ) a I'enlrelien des teuvres qu'tlle avail fondees. Mais, depuis 1869, legouvernement anglais a juge bon de confisquer cette fondalion. et Bettiah (1892) ; toutes ces missions, a I'excep- tion du Cachemyr, appartiennent aux Capucins. Quant aux accroissements du catholicisme dans ces regions septentrionales de I'lnde, ils sont d'une lenteur vraiment desolante. Ce qui s'est developpe surtout, ce sont les cadres de I'aposto- lat, ce qui permettra, au cours du XX^ siecle, d'entreprendre serieusement I'evangelisation dans ces tristes regions. En 1800 nous trouvons, dans cette partie de rinde, 10 missionnaires capucins avec environ 5.000 fideles. En 1896, la province ecclesiastique compte : I archeveque, 2 eveques, 3 prefets apostoliques, 113 missionnaires europeens, 2 pretres indigenes, no eglises ou chapelles, 26.791 catholiques, sur une population totalede 125.000.000. Malgre leur petit nombre, il est juste de remarquer que les catholiques ont plus que quintuple en ce siecle. I. L'archidiocese dAgraestlimite, au nord, par le diocese de Lahore et la prefecture de Cache- myr ; a I'est, par le diocese d'Allahabad ; au sud et a I'ouest, par la prt^fecture apostolique du Raj- poutana. Sa population catholique, 6.968 ames, est com- pletement perdue et comme noyee au milieu de 40.000 protestants et de 30 millions d'idolatres. 11 y a dans le diocese 2 colleges florissants : celui de Saint-Pierre a Agra, 400 eleves, et celui de Mussoorie, 165 eleves. Ces deu.x etablissements sont tenus par les Capucins, assistes des Freres du Tiers-Ordre. II y a encore : i s^minaire avec 10 eleves, plu- sieurs pensionnats, t-coles et orphelinats, tenus par les Peres du Tiers-Ordre et les religieuses de Jesus-Marie. Au total, 1,296 eleves dans les ecoles de la mission. II. Le diocese d Allahabad est renferm6 entre les Himalayas au nord, les dioceses de Vizaga- patam et de Calcutta a Test, celui de Nagpore au sud, celui dAgra a I'ouest. Les villes principales du diocese sent : Patna, Oude, Benares et Cawn- pore. II y a 38.000000 d'infideles, contre 6.700 catholiques. Le diocese a : i seminaire, 6 eleves ; 32 ecoles de paroisses, 1,173 eleves ; 6 orphelinats, 312 enfants ; 5 maisons de religieuses de Sainte-Marie (Baviere). III. Le diocese de Lahore comprend tout le Penjab. II est limite, au nord, par la pri^fecture de Cachemyr ; a Test, par les Himalayas ; au sud, par l'archidiocese d'Agra ; a I'ouest, par I'Afgha- nistan, le Belouchistan et l'archidiocese de Bom- bay. II y a 3.615 catholiques perdus au milieu de 14.000.000 d'infideles. II y a dans le diocese de Lahore : i seminaire avec 10 eleves, 4 maisons de Soeurs de Jesus- Marie ; 4 ecoles, 125 eleves ; 2 orphelinats. IV. La prefecture apostolique du Kafiristan 148 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™e SIECLE. et Cachemyr a et<^ 6rig6e en 1887, et confiee aux missionnaires de Mill-Hill. Cet immense terri- toire, encore inexplore, s'^tend entre les Hima- layas au nord, le Bslouchistan et I'Afghanistan a I'ouest, les dioceses d'Agra et de Lahore aa sud. Pour que les missionnaires aient une base d'operations, le dio:ese de Lahore a cede a la prefecture 4 stations militaires, situees dans le nord-OLiest du Penjab. En dehors de ces 4 sta- tions, il n'y a encore que trois postes de mission- naires dans le Cachemyr. La prefecture possede : i college a Murree, 2 maisons de Sceurs de Jesus Marie ; 2 ecoles, 60 eleves ; I orpheliuat. V. La prefecture apostolique du Rajpoutana fut detachee en 1891 de I'archidiocese d'Agra et con- fiee aux Capucins de la province de Paris. Ce vaste pays, qui n'a pas moins de 150.000 milles carres, n'a encore que 2.862 catholiques, sur une population totale de 1 4.200.000 habi- tants. 12 egllses ou chapelles, 6 ecoles ecclesiastiques, 2 orphelinats Personnel : i prefet apostolique, 12 religieu.K Capucins, 2 couvents de Soeurs fran- ciscaines, 22 Sceurs europ'ennes. VI. La prefecture apostolique de Bettiah, eri- gee en 1892, et confiee au.x Capucins du Haut- Tyrol, comprend une partie des districts detaches du diocese d'Allahabad, avec tout le royaume du Nepaul. La population totale est de 13 millions d'habitants, sur lesquels on compte seulement 3.471 catholiques, 12 stations, dont 9 avec resi- dences, 9 eglises ou chapelles, 13 ecoles elemen- taires, 445 eleves. Personnel : i prefet apostolique, 12 religieux Capucins, Sceurs du Tiers-Ordre. #< VIIL— PROVINCE DE BOMBAY. La province ecclesiastique de Bombay est ce'le qui a et6 le plus remaniee depuis I'etablissement de la hierarchic. En 1 886, elle se composait uni- quement de I'archidioce.se de Bomba)', avec le diocc.se de Poona comme suffragmt. Depuis, le Saint-Siege a rattache les dioceses de Mangalore et de Trichinopoly : ce qui donne pour toute la province, i archeveche et 3 dveches suffragants. Ces quatre dioceses appartiennent a la Compa- gnie de Jesus. L L'archidiocese de Bomba\' comprend I'ile de ce nom, une partie de I'ile de Salsette, plusieurs districts dans la presidence, les Etats du Sind, de Baroda, de Guzerate et une portion du Belou- chistan. II est limite, au nord et a Test, par la prefecture du Rajpoiitana,au sud, par les dioceses de Poona et de Daman, a I'ouest, par le golfe arabique. Comme dans leurs autres missions, les Jesui- tes de Bombay se distinguent par I'enseignement superieur qu'ils offrent a la jeunesse. lis ont quatre grands etablissements d'education dans le diocese : 1° A Bombay, le college Saint-Fran^ois- Xavier, affilie a I'Universitc, 1,400 eleves ; 2° A Mazagon, le college Sainte-Marie, 210 pensionnaires et 265 externes ; 3° A Bandora, I'institut Stanislas, lOO orphe- lins, 15 pensionnaires et 170 externes ; 4° A Kurrachi, I'ecole Saint-Patrice, 240 e.xternes. Au total, 2,400 eleves. 11 y a de plus dans le diocese: I seminaire, 12 eleves ; 29 ecoles de gar^ons, 3,731 Aleves. Deux Congregations de religieuses s'occupent des jeunes filles : 1° Les Sceurs de Jesus-Marie : 4 pensionnats avec externats annexes, 400 eleves. 2° Les Filles de la Croix : 3 maisons, 655 eleves. Une imprlmerie catholique est annexee au college Saint-Fran^ois-Xavier. Elle fait paraitre, chaque semaine, trois journauK catholiques, pour rcpondre aux calomnies des protestants. 27 conferences de Saint-Vincent de Paul prennent soin des pauvres, et plusieurs pieuses confreries d'hommes et de femmes servent a grouper les catholiques et a les maintenir dans la ferveur. II. Le diocese de Poona est limite: au nord, par les diocjses d'Agra et de Nagpore ; a Test, par les dioceses de Nagpore, d'Hyderabad et de Madras ; au sud, par le diocese de Mysore ; a I'ouest, par les dioceses portugais de Goa et de Daman. Les Jesuites tiennent, a Poona, i ecole supe- rieure, 234 eleves. Les Sceurs de Jesus Marie ont 2 maisons d'education pour les jeunes filles, 223 eleves. I'Lnfin, il y a, dans le diocese, 15 ecoles de pa- roisses, 557 eleves. Population catholique : 11.945. III. Le diocese de Mangalore comprend une partie du Malabar. 11 confine, au nord, a l'archi- diocese de Goa et au diocese de Poona, a Test, au Malssour, au sud, a Verapoly, a I'ouest, a la mer d'Oman. C'est en 1853 que le vicariat apostolique de Mangalore fut detache de celui de Verapoly ct confie au.v Carmes dechauss^s. Les protestants s'y etaient multiplies, a la faveur du schisme de Goa. A cette epoque, les ministres, venus d'Alle- magne, au nombre de 113, avaient a Mangalore I college, avec i imprimerie, de nombreuses ecoles et un revenu annuel d'un demi-million. Les Carmes etaient trop peu nombreu.x pour 1 utter contre de pareilles forces. lis demanderent a etre decharges du vicariat, que la Propagande confia en 1878 aux RR. PP. Jesuites, en leur cnjoignant d'ouvrir a Mangalore un college, pour arracher la jeunesse a I'influcncc protestante. L'EGLISE CATHOLIQUE DANS LES INDES. 149 L'espoir de la Sacree Congregation ne fut pas trompe. En 1882, les Jesuites ouvrirent dans cette ville le college Saint-Louis de Gonzague, affilie a I'Universite de Madras. — Cet etablis- sement qui s'est place rapidement au rang des meilleures maisons d'education do I'lnde anglaise, coinpte en ce moment 250 eleves. I st^minaire — 29 eleves — 43 ecolcs primaires — 3.184 eleves — ■ 5 orphelinats — 71 eglises ou chapelles — population catholique ; 79.454. Lors de I'etablissement dc la hierarchie, le diocese de Mangalore, bien que faisant partie du Malabar, fut rattache a la province ecclesiastique de Pondichery ; depuis 1893, il fait partie de celle de Bombay, ainsi que le diocese de Trichi- nopol}-. IV. Le diocese de Trichinopol}', cjui appar- tient a la Compagnie de Jesus, comprend tout le Madure. Jusqu'en 1838, la mission du Madure apparte- nait au vicariat de Pondichery, mais les intri- gues des Goanaisnous avaient empeches de nous y etablir. et quand les Jesuites rentrerent, a cette epoque, dans leur ancienne mission du Madure, dont ils etaient exiles depuis 70 ans, ils nc trou- verent guere que des mines. Incapables de defri- cher ce vaste territoire, les Goanais I'avaient A peu prts abandonne aux protestants. Ceux-ci s'y etaient fortifies, avaient convert le pays de temples et d'ecoles, et nulle part, aux Indes, leur position ne paraissait si bien etablie. Au bout d'un demi-siecle, la situation est retournee. Merveilleusement organises pour sou- tenir la lutte sur le terrain de I'enseignement, les Jesuites ont ouvert, a Negapatam, un college qui fut transfere, en 1883, a Trichinopoly. Ce magni- fique etablissement, affilie a I'Universite de Madras, compte actuellement pres de 1,200 eleves, dont le quart seulement sont catholiques. Parmi les payens, on distingue plus de 200 fils de brahmes, dont plusieurs ont deja pu etre baptises. La caste orgueilleuse des brahmes est entamee, et tout fait esperer que les conversions .se multiplieront. Une congregation de Freres indigenes est chargee des ecoles primaires de gar^ons. 129 ecoles — 5070 eleves. Les Sceurs indigenes de Notre Dame des Sept- Douleurs (83 sceurs) sont chargees des ecoles de filles. 30 ecoles — 1.5 1 1 eleves. Une autre congregation de veuves indienncs, sous le patronage de sainte Anne, prend soin des orphelinats, des hopitaux et des catechume- nats de femmes. II y a dans le diocese 707 eglises ou cha])elles. La population catholique s'eleve a 185.000 Ames. RESUME. >> I. — Personnel. EN 1800, nous trouvons : i archcveque et 3 evequcs portugais, mais ils ne resident pas : 2 vicaires apostoliques, i eveque supericur de mission. Au total, 3 eveques residant. En 1896: 8 archexeques, 18 eveques, 3 vi- caires apostoliques, 4 prefets apostoliques. Au total : 29 eveques et 4 prefets apostoliques resi- dant. En 1800: 22 missionnaires europeens, appar- tenant a 3 Congregations religieuses, plus envi- ron 400 pretres de Goa. En 1896: 796 missionnaires, appattenant a 9 congregations. En 1800, pas de clerge indigene, sauf dans le diocese de Verapoly, environ 200 pretres du fit syriaque. En 1896 : 1.600 pretres indigenes. En 1 800, ni Freres, ni Sceurs, pour assister les missionnaires. En 1896: 5 Congregations europeennes de Freres : les Freres des Ecoles chretiennes, les Freres irlandais de Saint- Patrice, les P'reres coadjuteurs de la Compagnie de Jesus, des Oblats de Marie et des Missionnaires de Saint- Frangois de Sales. Au total, environ 150 reli- gieux. 5 Congregations de Freres indigenes : les Freres de Saint-Joseph, les Oblats de Saint- Benoit, les Oblats de Saint-Sylvestre, les Ter- tiaires de Saint Francois d'Assise, les Tertiaires du Carmel. Au total, environ 200 religieux. 1 5 Congregations de Sceurs europeennes : les Religieuses du Bon-Pasteur, de la Sainte- P'amille, de Saint-Joseph, de Marie Reparatrice, de la Providence, de la Presentation, de Jesus- Marie, de Sainte Marie de Baviere, de Notre- Dame des missions, les Filles de la Croix, les Sceurs de Lorette, les Sceurs de Charit6 de Lo- vere, les Franciscaines, les Carmelites, les Petites Sceurs des pauvres. Au total, environ 600 reli- gieuses. 10 Congregations de Sceurs indigenes : Car- melites, Tertiaires du Carmel, Tertiaires de Saint- Francois d'Assise, les Sceurs de Saint-Pierre, de Saint Francois Xavier, du Saint- Cceur de Marie, des Sept-Douleur.s, de Notre-Dame de BonSecours, de Sainte Anne, de Saint-Louis de Gon/ague. Au total, plus de 2,000 religieuses. En resume, environ 3.C00 Freres et Sceurs, tant europeens qu'indigenes, partagent, en ce moment, les travau.x des missionnaires de I'lnde. C'est toute une armee que I'liglisc catholique jjossede a son service. II. Qiuvres. Le progres des ccuvres a suivi naturellement celui du personnel. 150 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"^ SIECLE. 1° Qiiivres d\'diiC(ilion : En 1800, rien. En 18S6 : 12 maisons d'edLication,affiliees aux Universit^s, dans lesquelles on donne I'ensei- gnement superieur a 6.245 eleves. Une cinquantaine de pensionnats et d'ecoles anglaises pour les Europeens et les metis des deux sexes : environ 5.000 eleves. 32 seminaires, avec 926 etudiants ecclesias- tiques ; 2.336 ecoles elementaires, 126.952 eleves. En resume, 2.400 ecoles de tous grades, dans lesquelles I'Eglise donne I'enseignement a plus de 140.000 entants. 2° Qiuvres de charitc. En 1800, il n'y avait encore presque rien, a cause du petit nombre de missionnaires et de la penurie de leurs res- sources. En 1896 : 139 orphelinats, 8.093 enfants, adop- tes et nourris par la charite catholique, plus une trentaine d'hopitaux, asiles pour les vieillards, refuges. 3° QLtivres de pictc. Elles out grandi dans la meme proportion que les autres ; des confreries, des associations pieuses se sont formees ; les fideles, ayant plus pres d'eu.x le pretre, s'appro- chent plus frequemment et avec plus de prepa ration des sacrements. L'Indien aime les fetes de I'Eglise, les pelerinages, toutes les demons- trations exterieures, a I'aide desquels il peut affirmer sa foi En tenant compte de la fa'blesse humaine, qui se retrouve partout, et des defauts particuliers a ces peuples, on peut dire que les catholiques de I'lnde font g6neralement honneur a leur foi. Stalistique coinpart.'e des huit proznnces de Flnde. En iSoo iSjo iSg6 Province de Goa 290,000 350,000 523 125 cath IVovince de Ceylan 50,000 1 14,000 2 50 960 Province de Pondiche'ry 42,000 240,000 288,869 Province du Malabar 80,000 202,000 401,016 Province de Madras p 30,000 79.356 Province d'l Bengale ? 20,000 7«,330 Province d'Agra 5,000 1 2,000 26,791 Province de Bombay 8,000 ! 8,000 293.750 Total pourl'lndeentiere : 475,800 986,000 I ,943,197 cath. La population totale de I'lnde etant de 277.300.000, la proportion generale des catho- liques est 1/140. C'est peu encore. II est facile de voir que le sud seul de I'lnde commence a etre serieusement evangelise. A mesure que Ton monte vers le nord, la nuit se fait dans les ames, et les catholiques sont comme noyes et perdus au milieu des infideles. ISIitte, Douiine, opernrios in vineaiii tuam ! tt Dipcim. LES MISSIONS DE L'INDO-CHINE. 1800-1890. A presqu'ile indo-chinoise com- prend des peuples de nationa- lites fort diverses. Sur la cote occidentale, on trouve succes- sivemcnt le royaume de Birma- nie, les peuplades sauvages de la presqu'ile malaise, et le )aunie de biam, ce qui forme trois groupes de missions. Le long de la cote orientale, s'etend )e royaume d'Annam, qui forme un quatrieme groupe. Je vais faire I'histoire de chacun de ces groupes. I. — MISSIONS DE BIRMANIE. L 'Evangelisation de la Birmanie ne com- mence guere qu'au sierle dernier. En 1722, la Sacree Congregation detacha de I'eveche portugais de Saint-Thomas les deux royaumes d'Ava et de Pegu, dont elle fit un vicariat apos- tolique, confie aux Barnabites. Des guerres continuelles entre les rois d'Ava, de Pegu et de Siam, la froide obstination du bouddhisme, la religion dominante, le petit nombre des missionnaires (a deux reprises ils furent reduits par la mort a un seul), arreterent longtemps les progres de la mission. La Revo- lution francaise, en bouleversant, en Italie, les Ordres religieux, en confisquant leur patrimoine, en fermant leurs noviciats, lui porta le coup supreme. En 1832, le dernier Barnabite envoye en Birmanie, le R. P. d'Amato, mourut sans avoir de successeur. Le chiffre des catholiques qui, en 1800, etait encore de 5.000, etait tombe aux environs de 3.000. En 1S30, la Propagande avait envoye en Bir- manie deux pretres sortis de son seminaire, avec un vicaire apostolique italien, Mgr Cao. Quel- ques annees plus tard, le prelat ayant ^te appele a un siege episcopal en Italie, la mission fut donnee aux Oblats de Marie, de Turin. Les deux premiers vicaires apostoliques, decourages par les difficultes de la mission, donnerent successi- vement leur demission, et revinrent en Europe La persecution s'etait elev^e en Birmanie. Le gouvernement s'etait longtemps^ montre assez indifferent a la predication de I'Evangile ; mais il avait senti ses defiances s'eveiller a propos des conquetes des Anglais. Ceux ci lui ayant enleve une partie notable du pays (1852), il voulut se venger de sa defaite sur les chretiens. Les eglises, les ecoles, les presbyteres furent detruits, plusieurs missionnaires furent jetes en prison, un d'eux fut mis a mrrt, un autre devint fou, a la suite des mauvais traitements endures. C'est dans ces circonstances douloureuses que la Sacree Congregation proposa a la Societe des Missions Etrangeres de Paris de se charger de la mission de Birmanie. Apres des hesitations bien natljrelles, la Societe accepta, et Mgr Bi- gandet vint, en 1857, prendre la direction de cette mission desolee. La situation pouvait se resumer en deux mots: au temporel, tout etait a recommencer ; eglises devastees, presbyteres en ruines, ecoles detruites, pas de ressources, et I'avenir meme engage. Le point de vue spirituel etait moins sombre. Au milieu de difficultes incessantes, les Oblats avaient genereusement travaille ; le chiffre des chretiens etait remonte a 5,000. A Moulmein, ville situee aux frontieres de la Birmanie, mais en dehors, les ScEurs de Saint-Joseph avaient ouvert un pensionnat ; I'evangelisation des sauvages carians etait commencee ; enfin la presence des Anglais dans la Birmanie meridionale promettait a la mission une ere de tranquillite. Cet espoir s'est realise. Depuis 1856, la mis- sion de ]5irmanie a joui d'une paix a peu pres ininterrompue. En 1870, la Propagande a partag^ ce pays en deux vicariats et une prefecture apos- toliques : la Birmanie meridionale, qui comprend toute la Birmanie anglaise, capitale Rangoon ; la Birmanie septentrionale (I'ancien royaume de Birmanie, que les Anglais viennent de s'annexer), capitale Mandalay ; la Birmanie orientale, qui comprend les tribus sauvages etablies entre la Birmanie proprement dite, la Chine et Siam, 152 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. capitale Tong-hoo.Cette derniere mission, confiee aux Missions Etrangeres de Milan, a cte erigee, en 1890, en vicariat apostolique. Voici le tableau des accroissements successifs de la mission : En iSoo, il y avail en Birmanie 3 missionnaires, 2 pretres indigenes, ? eglises ou chapelles, ? ecoles, environ 5.000 catholiqiies. En iSq6, nous trouvons : 3 missions, 3 vicaires ap03- tollques, 62 missionna'ies, 13 pretres indigenes, 325 eglises ou chape'les, 191 ecoles, qui donnent renseignement k plus de 5.000 enfants, el 35 instiuits de charile, orphelinats, hopitaux, etc. Populaiion catholique : 49.046, sur tine populati rntotale de neuf millions, soit i/ioo. Les Freres des Ecules chrcliennes ont de beaux etablissements a Ran- goon et a Moulmein. Les Sceurs de Saint-Joseph de I'Apparition ont des maisons a Rangoon, a Mandalay, a Moulmein et a Tong-hoo. Maintenant que les Anglais sont etablis en Birmanie, les missionnaires jouiront de la meme liberte qu'aux Indes, mais ils auront a lutter contre la propagande protestante. L'annee suivante, la mission de Malaisie fut detachee de celle de Siam et erigde en vicariat apostolique ; le nombre des chrdtiens de Siam retombe alors a 5.000. Depuis ce temps, les progrcs de la mission de Siam se sont accentu6s, comme le tableau suivant en fait foi : EniSSo: i vicaireapjsloliqiie, 2 missionnaires, 2 pretres indigenes, ? ifgli ei on chapelles, ? ecoles, 2.300 catho- liqiies. En iSq6 : i vicaire apostolique, 45 missionnaires, 14 pietres indigenes, 72 eglises ou chapelles, 69 ecoles, 24 600 calholiques La population totale etant d'environ si.x millions, la proportion des catholiques est de 1/240. II. — MISSION DU SIAM. I A mission du Siam, etablie en ^^ 1673 et confiee a la Societe des Missions Etrangeres de Paris, qui I'a toujours conservee, est une de celles ou les progres de la foi ont ete le plus entraves par les evenements politiques et les defiances des gouvernements. Apres un brillant debut, les impru- dences de nos compatriotes detrui- sirent leur influence sur les bords du Meinam, et compromirent, pour de longues annees, le succes de I'aijos- tolat. Des guerres intestines entre le Siam et les royaumes voisins ache- verent de ruiner la mission. En 1800, nous trouvons a Siam : 1 vicaire apostolique, 2 missionnaires, 2 I retres indigenes, et seulement 2.300 chretiens. Des belles eglises elevees autrefois il ne restait plus guere que des mines informes, et la pauvrete des missionnaires ne permettait pas de rien reedifier. Cetle situation navrante dura, plus ou moins, jusqu'en 1840. A cette epoque, la mission du Siam coiTiptait : i \icaire apostolique, i coadju- teur, en residence a S}-ngapore, dans la mission naissante de Malaisie, 12 missionnaires aposto- liques, 4 pretres indigenes, 4 couvents de reli- gieuses indigenes, 12 eglises ou chapelles, et environ 7.000 chretiens, en majorite de nationalite annamite. Mgr Big.\noet, des Missions Eirang^res de Paris, nomme, tn 1S70, vicaire apostolique de la Birmanie meridionale. Depuis une dizaine d'annees, la mission a entrepris avec succes I'evangelisation des peu- plades du Laos, qui resident dans le bassin du Mekong. — i provicaire apostolique, assist^ de quatre ou cinq missionnaires, est charge de cette interessante mission, qui promet de recompenser le zele de I'apotre, maintenant surtout que le protectorat francais, etabli sur le haut Mekong, promet a nos confreres la tranquiUite. II y a, dans la mission de Siam, i seminaire, 52 eleves ; 2.767 enfants dans les Ecoles et les orphelinats, 14 catechumenats avec une moyenne annuelle de i.ooo baptemes. Malheureusement jusqu'ici, ces conversions se font surtout parmi LES MISSIONS DE L'INDO-CHINE, 1800-1890. 153 les eti-Rngers : Chiiiois, Annamite.s, Indiens, peuplades sauvages du Laos. Les defiances du gouvernement siamois et I'obstination icligieuse des bouddhistes n'ont guere permis jusqu'a ce jour d'attaquer serieusement I'element indigene. Esperons que le sole!! de la verite evangelique finira par se lever sur ce peuple siamois, qui paraissait autrefois si bien dispose, et qui eut les premices de notre apostolat, car c'est a Siam que nos premiers vicaires apostoliques, NN. SS. Pallu et de la Mothc-Lanibert,s'etablirent tout d'abord pour raj-onner de la dans les contrees voisines. III. — MISSION DE MALAISIE. LA mission de Malaisie est de fondation recente, puisque ce n'est qu'en 1841 qu'elle fut d<^tachee de Siam et erigee en vicariat apos- tolique. L'eveche portugais de Malacca, cree en 1557, comptait, au commencement du siecle, environ 2.500 Portugais et metis dans la ville de Malacca, I'ancien theatre des exploits apostoliques de saint Francois Xavier. Mais, depuis longtemps, ce clerg6, presque toujours sans evequc, avait delaisse I'evangeli'- sation des peuplades paiennes de la presqu'ile malaise, et s'occupait uniquement de ses natio- naux. D'un autre cote, le petit nombre des mis- sionnaires et leur pauvret^ n'avaient pas permis a nos confreres de la mission de Siam de se livrer, comme ils I'auraient voulu, a I'apostolat de ces peuples abandonnes. Cependant la mis- sion de Siam avait essaye, a plusieurs reprises, de profiter des ouvertures qui lui etaient faites, pour porter la foi dans les principautes de la presqu'ile malaise et dans les iles voisines. En 1822, M. Pecot, un de nos confreres, fit un voyage d'exploration dans les principautes de Quiidah et de Ligor. II fut tres bicn recu des habitants et des roitelets du pays ; mais la mort du missionnaire, arrivee I'annee suivante, ne per- mit pas de donner suite a cette tentative. En 1830, deu.x de nos confreres, MM. Vallon et Berard, firent un essai d'apostolat dans I'ile des Nias ; mais ils moururent tous deux, au bout de trois mois, empoisonncs, a ce qu'on croit, par les naturels du pays. D'autres tentatives aux iles Andaman, aux Nicobar, a Sumatra, ne reussirent pas mieux. Les missionnaires furent repousses par les habitants, ou jjcrircnt prematurement, emportcs par la terrible fievre des bois, et ne furent jjas remplaces. Xos confreres furent plus hcureu.x dans I'ile de Pinang. Quand les Anglais se furent empares de I'ile, en 1808, M. Letondal, notre procureur a Macao, y transfcra le college general de nos missions. Cet utile ctablisscment avait etc fonde, au debut (167OJ, dans la mission de Siam. Com- pletement ruine par les bouleversements poli- tiques de la fin du dernier siecle, il fut retabli a Pondicher}-, ou il fonctionna paisiblement de 1787 a 1808. Mais I'eloignement de nos missions de Chine etait un inconvenient serieu.x, surtout a cettc epoquc, ou les communications etaient bien plus lentes et bien plus difficiles qu'aujour- d'hui. Le seminaire fut done installe en 1808 a Pinang, ou il n'a cesse de fonctionner depuis. Un millier de pretres indigenes, dont pres de cent ont remporte la palme du martyre, sont sortis de cette maison, au cours du XIX'= siecle, et sont alles porter la foi dans nos missions de Chine, de Coree, du Japon, d'Annam et de Siam. A I'heure actuelle, le seminaire de Pinang compte 5 directeurs et 40 eleves. Des chrctientes ne tarderent pas a se former a I'ombre du seminaire, dans la presqu'ile malaise. Quand la mission de Malaisie fut erigee en vicariat apostolique, elle comptait deja 3.200 Chretiens. Voici le tableau des accroissement successifs de la mission : En 1S41 : I vicaire apostolique, 2 missionnaires, o pre- tte indigene, 3 eglises ou chapelles, 2 e'coles, 3.200 catho- liques. En iSg6: i eveqiie, 31 missionnaires, \ prelre indigene, 39 eglises ou chapelles, 57 ecoles, 18.522 catholiques. En cinquante ans, le chiffre des catholiques est monte de i a 6. La population totale etant de 1.300.000, la proportion des catholiques est I 72. Comme a Siam, c'cst surtout sur I'element etranger, chinois et indien, que la predication s'exerce avec succes. Les naturels de la pres- qu'ile malaise, etant en majorite musulmans, ne paraissent pas, au moins jusqu'a ce jour, suscep- tibles d'etre convertis. Neanmoins I'evangelisa- tion des peuplades sauvages de la presqu'ile est commencee serieusement, et Ton pent esperer que de nombreuses conversions dans I'interieur du pays ne tarderont pas a rccompenser les efforts de I'apostolat. Les Freres des ecoles chretiennes ont 2 beaux etablissements dans la mission, a Syngapour et a Pinang, avec 650 eleves. Les Soeurs du Saint- Enfant-Jesus ont 3 etablissements, a Syngapour, a Pinang et a Malacca, avec 675 (Aleves. Le nombre total des enfants eleves dans les 57 ecoles de la mission, s'eleve a 3.24O. En execution du concordat de 1885, Leon XIII, apres avoir transfere a I'eveque de Macao la juridiction des chretientesportugaises de Malacca et de Syngapour (2.6:0 ames), a, par bref du 8 aout 1888, drige le vicariat apostolique de Malaisie en diocese, en conferant au titulaire, Mgr Gasnier, le titre restaure d'evequc de Malacca, avec residence 4 Syngajjour. Le diocese de Malacca depend de la province ecclesiastique de Pondichery. 154 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. ^; IV. — MISSION D'ANNAM, PArmi toutes les missions confiees a la Societe des Missions Etrangeres de Paris, les mis- sions d'Annam (Cochinchine et Tong-King) tiennent incontestablement le premier rang, par le nombre des chretiens et la generosite qu'ils ont mise a supporter trois siecles de persecutions sanglantes. Au moment oil s'ouvre le XIX^ siecle, voici quelle etait leur situation : Tong-King oriental (Dominirains), i vicaire aposto- ique, 4 missionnaires, 41 pretres indige- nes, 140.000 catholiques. Tong-King occidental (Missions Etran- geres), I vicaire apostolique, 6 mission- naires, 63 pretres indigenes, 120000 ca- tholiques. Cochinchine (Missions Etrangeres), i vicaire apostolique, 5 missionnaires, 15 pretres indigenes, 50.000 catholiques. Total en 1800; 3 vicaires apostoliques, 15 missionnaires, 1 19 pretres indigenes, 3 1 0.000 catholiques . tglises, presbyteres, communau- tes religieuses, la persecution, qui durait sans interruption depuis un demi-siecle, avait tout renverse. La guerre civile avait, pendant vingt- cinq ans, promene I'incendie et la devastation dans tout le pays. Le roi Gia-long venait, il est vrai, de remonter sur le trone de ses ance- tres, grace au secours de genereux Francaisqui, sur I'appel de I'eveque d'Adran, I'avaient aide a triompher des rebelles ; mais les missions d'Annam sortaient ruinees de cettc longue crise, et tout etait a refaire, au spirituel aussi bien qu'au tem- pore!. L'organisation si forte de nos chretientes avait ete brisce par la persecution et les bouleversements politiques ; en beaucoup d'endroits, les fideles etaient restes, pendant plusieurs annees, prives de pretres ; plus d'instruction, plus de culte, plus de sacrements. Et precisement a cette heure ou les besoins etaient si grands, la penurie des mission- naiies, penurie amenee par les dpreuves de I'Eglise de France, allait arreter, pendant plus d'un quart de siecle, I'elan de I'apostolat, et retarder les progres de la foi dans le royaume annamite. Les circonstances Etaient pourtant bien plus fa- vorables qu'elles nel'avaient ete depuis longtemps, pulsque la reconnaissance de Gia-long allait assurer a I'Eglise annamite trente annees de paix. Les vicaires apostoliques employ^rent ce temps a relever les ruines de leurs eglises. Le petit nombre de missionnaires, qui inouraient les uns apres les autres, sans voir arriver de succes- seurs, ne permettait guere de se livrer avec succes a I'evangelisation des infideles. Nos con- freres profiterent de la periode de paix dont ils jouissaient pour ranimer la ferveur des fideles, reconstituer les chretientes, relever les eglises, les seminaires, les co'nmunautes religieuses, toutes les ceuvres spirituelles et temporelles du passe. Ce fut pour I'Eglise d'Annam une periode de recueillement et de renovation spirituelle, qui devait, dans les desseins de DiEU, la preparer aux luttes sanglantes de I'avenir. Cette preparation n'etait pas trop longue. MGii G.\SNiER, EVtgUK i)K Malacca,' de la Socidte des Missions Etrangeres de Paris. L'Eglise annamite allait entrer, a la mort de Gia-long, dans une carriere d'epreuves, qui n'est pas encore fermee, a I'heure oti j'ecris ces lignes. Minh-Mang, fils et successeur de Gia-long (1820), detestait I'Europe et tout ce qui en vient. Com- prenant a merveille, dans son orgueil de lettre, que le seul moyen qu'aient les Orientaux de defendre leur civilisation, c'est de s'isoler, il avait r^solu de s'enfermer, lui et son peuple, dans un cercle infranchissable, et de repousser, a tout prix, I'influence et les idi^es de I'Occident. II commenca par renvoyer en France MM. Vannier et Chai- gneau, seuls survivants de la petite troupe devouee ■ COCHINXHIXE. — Martvre du Ven^raele Makchand ; d'apres un tableau fait en Cochinchine par les indigenes temoins oculaires. et conserve k Paris, dans la salle des Martyrs au se'minaire des Missions Etrangferes 156 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. qui ctait venue, a la fin du dernier siecle, retablir son pere sur le trone ; mais il n'etait pas aussi facile de se debarrasser des missionnaires. Apres avoir essaye inutilement de les retenir a la cour, en qualite d'interpretes, le tyran se decida enfin a lever le masque, et, le 6 Janvier 1833, eclata, comme un coup de foudre, le premier edit de persecution generale. L'ere des martyrs etait ouverte. M. Francois- Isidore Gagelin, de la mission de Cochinchine, fut le premier de nos confreres qui descendit dans I'arene. II fut condamne a mort et etrangle pour la foi, le 17 octobre 1833. Apres lui, vinrent suc- cessivement MM. Marchand, pris a Saigon, dans la citadelle, ou les revokes I'avaient enfermeavec eux ; il subit I'affreux supplice des cent plaies ou de la mort lente, le 30 novembre 1835 ; Cornay, du Tong-King occidental, coupe en morceaux, le 21 septembre 1837; Jaccard, provicaire de la mission de Cochinchine, detenu depuis cinq ans en prison, etrangle le 21 septembre 1838 ; Borie, vicaire apostolique du Tong-King occidental, mais non encore sacre, decapite le 24 no\embre 1838 ; NN. SS. Delgado et Hcnares, Dominicains, I'un vicaire apostolique, I'autre coadjuteur du Tong- King oriental, decapites avec le P. Fernandez, provicaire de la meme mission, les 15 et 25 juin 1839; le P. Odorico, Franciscain (1835), et M. Delamotte (1839), tons deux missionnaires en Cochinchine, morts en prison ; sans parler de Mgr Havard, du Tong-King occidental, de MM. Candalh etVial.de la Cochinchine, morts de faim et de misere dans les bois ou la ma- lice des persecuteurs les avait forces de se refugier. Total, en sept ans, quatre vicaires apostoliques, deux provicaires et sept mission- naires, morts des suites de I'edit de persecution. Le clerge indigene et les fideles avaient tenu a honneur de marcher sur les traces de leurs pas- teurs. Au Tong-King et dans la Cochinchine, une vingtaine de pretres et plusieurs centaines de Chretiens avaient courageusement verse leursang pour la foi. « Qu'on frappe sans pitie, ecrivait Minh-Mang a ses mandarins, qu'on torture, qu'on mette a mort ceux qui refusent de fouler aux pieds la croix. Qu'on sache que ce refus seul les constitue en etat de rebellion. Qu'on prenne done une hache, un sabre, un coutelas, tout ce qui se trouve sous la main, et qu'on extermine ces endurcis, sans qu'il en echappe un seul. » Vains efforts ! La rage des persecuteurs devait etre vaincue par le courage des mart)Ts. Quand Minh-Mang mourut, en 1841, le christianisme, qu'il s'etait promis d'aneantir en Annam, etait plus vivant que jamais. Loin de reculer, il avait progresse dans cette lutte implacable, dont fina- lement il sortait vainqueur. De nouveaux mis- sionnaires, plus nombreux qu'au temps de la pai.x, etaient accourus pour remplacer leurs freres, tombes glorieusement dans I'arene, et nos Chretiens avaient plutot gagne que perdu a la persecution. Non seulement leur nombre avait augmente, comme on va vou', mais encore lis etaient generalement devenus plus fervents et plus genereu.x. Ceux qui avaient succombe a i'cpreuve des tortures, s'empressaient d'ordinaire de venir, en pleurant, demander le pardon et la penitence ; des indiffcrents, dont la tiedeur etait un scandale dans nos chretientes, s'etaient reveil- les au tonnerre de la persecution, et maintenant, ils etaient reguliers et fervents ; les paiens eux- memes, frap|3cs de I'heroisme deploye par les disciples du Christ, se presentaient au bapteme en bien plus grand nombre qu'autrefois. Voici, en resume, quelle etait, en 1840, a la veille de la mort de Minh-Mang, la situation des missions annamites: Tong-KiiiR oriental : i vicaire apostolique, i coadjuteur, 6 missionnaiies, 41 pretres indigenes, 160.000 catho- liques. Tong-King occidental : i vicaire apostolique, 8 mis- sionnaires, 76 pretres indigenes, iSo.ooo catholiques. Cochinchine : I vicaire apostolique, I coadjuteur, 10 missionnaires, 27 pretres indigene?, 80.000 catho- liques. Total en 1S40 : 3 vicaires apostolique?, 2 coadjuteurs, 24 missionnaires, 144 pretres indigenes, 420.000 catho- liques. L'Eglised'Annam venait de faire vaillamment ses preuves. Gregoire XVI, attentif a ses com- bats, envoya au clerge et aux fideles une lettre encyclique pour les feliciter de leur constance. II commenca aussi a multiplier les centres de mis- sion, afin de rendre plus immediate et plus efficace Taction de I'apostolat. La mission unique de Cochinchine fut done divisee successivement en quatre vicariats apostoliques : Cochinchine orien- tale et Cochinchine occidentale (1844), Cochin- chine septentrionale, detachee de I'orientale (1850), Cambodge et Laos, detache de la Cochin- chine occidentale (1848). Le Tong-King occiden- tal fut partage de son cote en deux vicariats ; Tong-King occidental et meridional fi846); le Tong-King central fut detache de I'onental (1848), en 1883, le Tong-King septentrional fut erige a son tour en vicariat distinct, enfin en 1894 fut erige le vicaridt apostolique du Ilaut Tong- King, detache de I'occidental. Les Missions annamites se partagent done aujourd'hui en dix vicariats apostoliques : Cochinchine septentiionale, Cochinchine orienlale, Cochinchine occidentale, Camb-jdge et Laos : Missions E/taii^hcs. Tong-King occidental, Tong-King meridional, Haut- Tong King: Missions E/ranghes Tong-King oriental, Tong-King central, Tong-King septentrional : Doininicains. Sous le r^gne de Thieu-Tri, fils et successeur dfe Minh-Mang, il y eut un mom.ent d'accalmie dans Id persecution. Plusieurs martyrs indigenes eurent encore I'honneur de confesser la foi, mais le sang des missionnaires fut epargne. Dans le cours des annees 1 841- 1842, ils etaient pourtant cinq, condamnes a mort, dans les prisons de Hue : AIM. Galy, Berneux et Charrier, du Tong- LES MISSIONS DE L'INDO-CHINE, 1800-1890. 157 King occidental, Miche et Duclos, de la Cochin- chine. Qui pouvait done retarder indefiniment leui triomphe ? Les prisons regorgeaient de con- fesseurs, le rotin et les tenailles fonctionnaient chaqiie jour dans les prctoires. Pourquoi seul laissait-on chomer le glaive dii bourreau ? Etait-ce humanite de la part de Thieu-Tri ? Non. Sa Majeste Annamite avait peur : voila tout. Elle avait entendu gronder, aux portes de la Chine, le canon des barbares d'Occident, et elle craignait, en versant le sang des missionnaires, que la France ne vint un jour ou I'autre lui en demander compte. C'est ce qui arriwi. Au commencement de I'annee 1843, la cor- ve'te i'///;-(?i//<:' entrait dans les eaux de Tourane. Le commandant Leveque, aj'ant appris qu'il y avait alors, dans les prisons de Hue, cinq mission- naires francais condamnes a mort, prit sur lui de les rcclamer, bien qu'il n'eut pas d'instructions de son gouvernement. Apres avoir essaye de nier, le roi, tres effraj-e, se decida a lacher sa proie. Le 19 mars 1843, les cinq confesseurs de lafoi, re^us avec les honneurs militaires par le commandant Leveque, a la tete de son etat-major, montaient a bord de \Heroine, au milieu de 1 etonnement des paiens et de la joie des chretiens. C'etait une premiere apparition de la I'rance, intervenant, au nom de sa civilisation et de sa foi, pour la deli- vrance de ses nationaux. Le gouvernement anna- mite se fut epargne bien des deboiies, s'il avait su profiter de la le^on. Cependant le succes de cette preiniere inter- vention, toute pacifique, avait attire I'attention du gouvernement et du public francais sur ces contrees lointaines. Deux des pieux confesseurs de la foi, MM. Galy et Charrier, ayant ete rame- nes en France, il se fit autour d'eux un certain concours ; I'opinion publique commen^a a s'emou- voir en France. Certes, le gouvernement de Louis-Philippe etait peu dispose a se creer des difficultes pour soutenir les missionnaires. Ce- pendant, il ne pouvait rester complctement indifferent aux tortures et a la mort de ses natio- naux. Les journau.x voltairiens du temps eux- memes protestaient contre cet abandon, au nom de I'honneur national. Aussi, I'annee suivante, 1844, Mgr Lefebvre, vicaire apostolique de la Cochinchine occidentale, ayant ete pris et condamn^ a mort, le contre- amiral Cecile, commandant de nos forces navales dans les mers de Chine, exigea et obtint qu'il lui fut remis. Des lors le roi d'Annam comprit qu'il etait surveillc. Naturellement, ce controle I'irrita, et il essaya de s'en dcbarrasser par une pcrfidie. En 1847, le commandant Lapierre vint, au nom du Lfouvernement francais, demander offi- ciellement la securite de ses nationaux et la liberie religieuse pour les chretiens. Thieu-Tri essaya de I'attirer, lui et ses officiers, dans un ■guet-apens. En reprcsailles, il vit ses forts bom- bardes et sa flottc detruite, en quelques heures. II mourut de colere, a la suite de cette humilia- tion (1847). Avec Tu-Duc, fils de Thieu-Tri, la persecution recommenca implacable. Au Tong-King, MM. SchcEffier et Bonnard moururent successivement sous le glaive du bourreau ('i'^'' mai 1851, i'^'' mai 1852). Les edits de persecution se succedaient, comme aux jours sanglants de Minh-Mang ; la tete des missionnaires etait mise a prix, 2,400 francs, et tout pretre, europeen ou indigene, devait etre coupe en morceaux C'etait une insulte a la France, un defi jete a Mgr Dumoulin-Borie, des Missions Etrangeres de Paris, martyrise au Tong-King, le 24 novembre 183S. la civilisation. Le gouvernemsnt. imperial, bien qu'il affectat, a cette ^poque, des tendances clcri- cales, ne se pressa pas de le relever. Ce ne fut qu'en 1856 qu'il envoya M. de Montigny en Cochinchine, pour proposer un traite de com- merce, et incidemment traiter la question reli- gieuse; mais la mission Montigny, mai congue et mai appuyce, ne reussit pas et n'eut d'autres resultats que de pousser au paroxysme les fu- reurs de la persecution. Comme I'ecrivait a ce sujet Mgr Retord, vicaire apostolique du Tong- King occidental, « les demi-mesures et les vaines menaces ne font qu'aggraver notre situation et celle de nos chretiens. Qu'on agisse avec vigueur. 158 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. ou qu'on nous abandonne a notre malheureux sort. » C'est alors (1857) que Mgr Pellerin, vicaire apostolique de la Cochinchine septentrionale, voyant I'orage effroyable qui se dechainait sur I'Eglise annamite, crut devoir passer en France, pour exposer a I'empereur la situation critique des Chretiens et lui demander un secours serieux, capable d'obtenir enfin la liberte religieuse aux missionnaires et a leurs neophytes. C'etait son droit incontestable, quoi qu'on en ait dit, et il y M. Pierre-FranCjIOIS NiRON, des Missions Etrang^res de Paris, martyrisd au Tong-King occidental, le 3 no- vembre i860. avait a cette intervention de la France une raison d'honneur et de justice, puisque c'etait elle qui nous avait compromis par des demonstrations aussi genereuses qu'imprudentes. Devait-on nous laisser sans defense entre les griffes du tigre, apres s'etre donne le tort de I'exciter ? Nous n'avions pas attendu I'appui du pouvoir civil pour annoncer I'Evangile aux infideles ; nous n'en avions pas besoin ; je dirai plus, nous ne le desi- rions pas. II y avait deux cents ans que nous tra- vaillions en Chine, a Siam, a Annann ; nous avions ete persecutes bien des fois, et toujours nous avions triomphe des persecuteurs par la patience et par la mort. Mais puisqu'on etait venu gratui- tement nous compromettre, sans que nous I'ayons demande, n'etait-il pas juste qu'on nous secou- rut ? Nos cinq cent mille Chretiens annamites devaient-ils etre les victimes des genereuses intentions de nos compatriotes, et payer de leur sang le sterile interet qu'ils avaient inspire ? L'empereur ne le crut pas, et I'expedition de Cochinchine fut resolue(i858). Comme I'Espagne a des missions au Tong-King, et que le sang de ses nationaux avait coule a cote de celui des notres, elle voulut prendre part a I'expedition. Je ne ferai pas I'histoire de I'expedition de Cochinchine, qui dura quatre ans (septcmbre 1858, juin 1862), et fut menee d'une fa9on deplo- rable. Le traite de paix donnait a la France la colonic de Cochinchine, et promettait aux Chre- tiens la liberte religieuse. L'expedition avait done, au moins en partie, obtenu son but ; mais au prix de quels sacrifices ! II faudrait I'eloquence et les larmes du Pro- phete pour redire les douleurs de I'Eglise anna- mite pendant ces jours de deuil qui s'etendent de la prise de la Touraneau traite de 1862 : Martyre des trois vicaires apostoliques du Tong-King central, Mgr Diaz (1857), Mgr Gar- cia (1858), Mgr Hermossilla (1861) ; martyre de NN. SS. Ochoa, vicaire apostolique du Tong- King central, et Cuenot, vicaire apostolique de la Cochinchine orientale (1861) ; au total, cinq vicaires apostoliques martyrises en quatre ans, sans parler de Mgr Retord, vicaire apostolique du Tong-King occidental, mourant de privations dans les forets (1858) ; martyre de MM. Neronet Venard, du Tong-King occidental, et du P. d'Al- mato, provicaire du Tong-King central (1860- 1861); emprisonnement de MM. Charbonnier et Mathevon, pendant onze mois ; ils n'echapperent a la mort que grace a la signature du traite de paix ; martyre de 1 16 pretres annamites, plus du tiers du clerge indigene, dans les neuf missions d'Annam ; destruction de quatre-vingts convents de religieuses annamites, plus de cent moururent pour la foi ; ruine de tons nos seminaires ; arres- tation de la plupart des eleves et de nos meil- leurs catechistes ; presquetous furent martyrises; emprisonnement des notables de toutes les chre- tientes, au nombre de dix mille environ ; plus de la moitie furent mis a mort pour la foi ; sac, incendie et pillage de deux mille chretientes, dont les biens-fonds, rizieres, maisons etjardins furent donnes aux paiens du voisinage. Enfin, des fron- tieres de la Chine et du Cambodge, dispersion de nos cinq cent mille chretiens au milieu des pai'ens; aneantissement de la famille chretienne : le mari envoye dans une province, la femme clans une autre, les enfants donnes a qui veut les prendre. Environ 40.COO chretiens perirent, pen- dant I'annee de la dispersion, par suite des mau- vais traitements, de la faim, des miseres indicibles qu'ils endurerent ; ceux qui survecurent perdi- LES MISSIONS DE L'INDO-CHINE, 1800 1890. 159 rent leurs champs, leurs maisons, leurs bestiaux, tout ce qu'ils possedaient. Voila ce qua coute a nos missions d'Annam la conquete de la Cochinchine ! Au moins, au prix de pareils sacrifices, nos Chretiens ont-ils enfin obtenu la liberte religieuse? Helas ! A Saigon et dans la colonie, la presence de nos compatriotes nous met a I'abri de la perse- cution et nous permet de developper en paix nos CEUvres. C'est la un resultat sdrieux, dont il est juste de tenir compte. Malheureusement I'indiffe- rence religieuse et les mauvais exemples de !a grande majorite de la population europeenneont cree, a la propagation de I'Evangile, des difficul- tes nouvelles et plus redoutables peut-etre que celles du passe. Sans doute, le sang des mission- naires et celui des fideles ne coule plus dans les pretoires ; mais I'immoralite, les mauvais exem- ples, le gout des plaisirs faciles, I'impiete coulent a plein bord au milieu des populations, eloignant les paiens et scandalisant les chretiens. C'est encore, pour beaucoup d'entre nous, un probleme de savoir si, finalement, la religion a gagne ou perdu ici, a la presence de nos compatriotes. Pourmoi,je suis de ceux qui pensent qu'elle a perdu et qu'elle perd tous les jours, a ce contact. Les paiens sent devenus plus difficiles a conver- tir, les Chretiens sont moins fervents, moins dociles, plus exposes a des tentations delicates qu'ils ne soup^onnaient meme pas. Comme je I'ai dit dans un autre ouvrage, si le glaive du bour- reau faisait de nos vierges des martj'res, il n'en faisait pas des prostituees. Intelligenti pmica. En dehors de la colonie la question de I'in- fluence nefaste des Europeens est trop claire- ment resolue par les malheurs de nos chretientcs. Autrefois le catholicisme, meme proscrit par le prince, avait les sympathies des populations, et, plus d'une fois, les missionnaires avaient trouve asile auprcs des paiens honnetes. Aujourd'hui, la situation est bien changee. La presence des Francais a Sai'gon, les accroissements successifs et naturels de leur puissance en Annam, ont blesse au cceur I'orgueil national, surtout parmi la classe intelligente et lettree. De la, des haines implacables, qui, ne pouvant s'assouvir sur nos compatriotes, sont retombees de tout leur poids sur nos malheureux chretiens. Pour se venger de ceux qu'ils appellent les Francais du dedans, les lettres annamites ont eu recours aux massacres et a I'extermination en masse des neophytes. Aprcs s'etre essaye en detail, en 1867, 1869 et 1873, ils ont procede en grand, en 1885, a I'occa- sion de la prise de Hue et de I'e.xpcdition du Tong-King. Le vicariat de la Cochinchine orien- tate s'est vu a peu prcs aneanti : 8 missionnaires francais, 7 pretres indigenes, 60 catechistes, 270 religieuses et 24.000 chretiens ont ete massacres, en haine de la France ; toutes les chretientes, sauf deux, ont ete ruinees. Dans la Cochinchine septentrionale, le desastre a ete presque aussi complet ; a rexception des chretientes avoisinant la capitale, tout a ete ravage ; 10 pretres indigenes et 12.000 chretiens ont paye de leur tete les victoires des Fran9ais. II y a eu aussi de grands desastres au Tong-King meridional et au Tong-King occidental. Dans ce dernier vicariat, la mission naissante du Laos a et6 aneantie, six de nos confreres ont ete mis a mort, et d'autres tues, en essayant de sauver des chretiens. En resumt^, la malheureuse expedition du Tong-King nous a coute jusqu'ici une ving- taine de missionnaires, 30 pretres annamites, pres M. Je.\n-Theophane VfiN.ARD, des Missions £trang^res de Paris, martyrise au Tong-King, le 2 fevrier 1861. df 50.000 chretiens et des pertes materielles incal- culables. ,,f„ Et pour mettre le comble a nos malheurs, nos pauvres chretiens, pilles, ruines, massacres, uni- quement en haine de la France, ont trouve trop souvent contre eux des defiances injustifiables. Non seulement on les a laisse 6craser, sans meme essayer de les secourir, mais encore on a accueilli avec empressement les calomnies des paiens contre eu.x ; on les a accuses d'etre les causes de la guerre, on leur a souvent interdit de se de- fendre. Des missionnaires, qui risquaient brave- ment leur vie pour proteger les chretientiis et arrcter la revoke, se sont vu traiter, dans des 160 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"« SIECLE. journaux francais, de chefs de bandes et de for- bans. Cependant, il semble que la verite commence a se faire jour. En ce moment, )es chr^tiens ren- tres chez eux s'efforcent, avec le concours bien- veillant de radministration, de relever les ruines de leurs villages. Au Tong-King, le sang des martyrs a fait germer toute une moisson de cate- chumenes, et c'est par milliers que Ton compte, chaque annee, les conversions. Esperons que ce mouvement de reparation ne sera plus entrave par les fautes de la politique, et que I'Eglise d'Annam, apres trois siecles de persecution a peu pres ininterrompue, va pouvoir enfin grandir et se developper dans la paix. Voici quelle est, en 1896, la situation des mis- sions annamites : Tong-King occidental : I vie. ap., i coadj., 48 miss., 9S pr. ind., 766 egl. 011 ch., 52oecol., 201.732 calli. Tong-King meridional : I. vie. ap., 31 miss., 69 pr. ind., 312 ^gl. ou cb., 84 eeol., 98.234 eath . Haut Tong-King : I vie. ap., 15 miss., 12 pr. ind., 108 egl. ou ch, 14 eeol., 17.000 cath. TongKing septentrional : i vie. ap.,6 miss. ,24 pr. ind., 136 egl. oil ch., 17 6co\., 22.540 eath. Tong-King oriental : I vie. ap., 8 miss., 29 pr. ind., 200 egl. ou ch., 22 eeol., 38. 200 eath. Tong-King central : i vie. ap., 12 miss., 56 pr. ind., 615 egl. ou ch.. 680 ^col., f66.86oeath. Cochinchine orientale : I vie. ap., 3S miss., ig pr. ind., 297 egl. ou eh., 14 eeol, 45.449 cath. Cochinchine oecidentale : i vie. ap., 52 miss., 51 pr. ind., 232 (^gl. ou eh., 197 eeol., 60.200 cath. Cochinchine septentrionale : i vie. ap., 30 miss, 28 pr. ind., 125 e'gl. ou eh., 27 eeol., 33.132 eath. Cambodge : i vie. ap., 30 miss., 12 pr. ind., 95 egl. ou ch., 71 deol., 25. 200 cathol. Total : 10 vie. ap., i coadj., 270 miss., 39S pr. ind., 2886 egl. ou eh., 1646 eeol., 708.547 cath. La population totale des dix missions dtant d'environ 26 millions, la proportion des catholiques en Annam est I/37^ Chacune des missions d'Annam a ses semi- naires pour la formation d'un clerge indigene. 14 seminaires dans les neuf inissions, 937 eleves ecclesiastiques. Nombre total des eleves dans nos ecoles de paroisse, 35.500. I Plusieurs Congregations religieuses partagent en Annam les travaux des inissionnaires. 1° A Saigon, les Freres des ecoles chretiennes. Appeles en 1865 par I'amiral de la Grandiere, ils ont travaille pendant di.x-huit ans dans la colonic, avec leurs succes ordinaires. lis se sont retires, en 1884, devant les tracasseries de I'administration; mais la mission de Cochinchine oecidentale vient de les rappeler et de leur confier le college de Tabert ( 1 890), i6 Freres, 200 eleves ; i maison a Hanoi-Tong-King ; 2° Les Carmelites etablies a Saigon depuis 1861, 3 Sceurs francaises, 28 Soeurs et novices indigenes ; i maison a Hanoi-Tong-King; 3° Les Soeurs de Saint-Paul de Chartres ; 1 1 inaisons dans la Cochinchine oecidentale, i a Hue, I a Tourane, plusieurs postes au Tong- King : hopitaux militaires, hopitaux indigenes, refuges, orphelinats, ecoles paroissiales, pension- nat europeen et m^tis, 90 Soeurs frani^aises, 70 Sceurs et novices indigenes; 40 Au Cambodge, les Soeurs de la Providence de Portieux, 3 maisons : hopitau.x indigenes, or- phelinats, ecoles de paroisses, 20 Soeurs francaises, 30 Sceurs et novices indigenes ; 5° Les Soeurs indigenes, dites Amantes de la Croix, fondees en 1670 par Mgrde Berythe. Elles ont environ 40 maisons, dans nos six missions, 2,000 religieuses : orphelinats, hopitaux et ecoles de paroisses ; 6° Les Freres et Sceurs indigenes du Tiers- Ordre de Saint-Dominique s'occupent des memes ceuvres dans les trois missions confiees au.x Do- minicains. Statistique coniparce des missions iTIndo-Cliine En 1800 1850 1896 I. Mission de Birmanie, 5.000 5.000 49.046 cath. II. Mission de Siam, 2.300 7.200 24.600 eath. III. Mission de Malaisie, 2.500 3 500 1S.522 eath. IV. Mission d'Annam, 310000 450.000 708.547 cath. Total : 319.800 465.700 800.715 cath. Le noinbre total des catholiques de I'lndo- Chine aura triple au cours du XIX»'= siecle. rTTTT 1 1 I i:nTTTIi:i[TITTTTTr TTTTTTT-rTTTTTTTYTTTTTTT- I- niTTTTTlrTTTTT-tT tTTTT " T TTT ^ TrTTTTITn . lIirHn:TTTT TTTr T Tiriii>iiiiiJJJ:iiiiiirTTiiiTir3Tiiirijriiiiiii:::iiiiJiirjiiiiiiiiiiiiiijriiiiriij[iiiiiiijaiiiiii;ciiiiriTiTiiiiir:a:i-iiiii: arir i i ii ®^s® cgajjitrc onsiEiut. ®«« L'EGLISE DE CHINE, 1800-1890 'Est iin grave et ?louloureux pro- bleme que celui de la conversion de la Chine. A plusieurs reprises, ce grand pays a ete evangelise, et, chaque fois, il a repousse obs- tincment le don de DiEU. Aux premiers siecles, I'inscription de :r; :.-.;i i"U en fait foi, la Chine fut evangelisee line premiere fois, sinon par I'apotre saint Thomas en personne, au moins par un des disciples im- mediats ; puis le christianisme disparait sans laisser de traces, et quand le Franciscain Monte- Corvino arrive a Peking, au XlW^ siecle, il ne trouve aucun souvenir de la predication de I'apotre. Pendant un siecle, les fils de saint Fran- 9ois evangelisent la Chine a leur tour. Le Vicaire de Jksus-Christ etablit a Peking un siege archi- episcopal, avec quatre eveches suffragants. Puis il se fait une nouvelle eclipse de trois siecles, et quand le Jesuite Mathieu Ricci penetre en Chine, en 1583, tout vestige de la predication des Fran- ciscains est efface. Les Jesuites sont admis avec faveur a la cour, en qualite de mathematiciens et de savants ; de nombreuses chretientes se forment par tout I'empire ; une imperatrice et plusieurs membres de la famille imperiale embrassent la foi du Christ ; I'empereur Khan-hi, dans des pieces officielles, fait I'eloge du christianisme ; les legats du Pape sont regusala cour avec des hon- neurs extraordinaires ; a ce moment, I'Eglise de Chine compte 1.200 chretientes et pres de 800.000 fideles. II semble que Ton touche au but desire. Vain espoir ! La malheureuse question des Rites vient jeter la division parmi les mission- naires et parmi les chretiens ; la persecution recommence implacable ; la destruction de la Compagnie de Jesus, la penurie d'apotres qui en est la suite, achevent de tout perdre ; et au com- mencement du XIX'^ siecle, on ne trouve plus, en Chine, que 202.000 chretiens, partages entre cinq missions : les Lazaristes, a Peking. et a Nanking ; les Franciscains, au Chan-si ; les Dominicains, au Fo-kien ; les Missions Etrangeres, au Su-tchuen; les Portugais, a Macao et a Canton. Dans le cours du XIX« siecle, il se fait un grand effort pour la conversion de la Chine. De anq, le chiffre des missions s'^leve a trente-lmit ; celui des chretiens remonte a plus d'un demi-niillion. Va-ton voir enfin le soleil de la verite evancre- lique se lever sur ce grand empire? Ilelas! au bout de 90 ans d'efforts, la situation religieuse Missions Catholiques. semble plus compromise que jamais. II n'y a pas a se le dissimuler : la Chine repousse avec obsti- nation le christianisme. Les orgueilleux lettres sont plus haineux que jamais ; chaque annee, des placards incendiaires appellent le peuple a I'exter- mination des diables ctrangers, et le jour n'est peut-etre pas eloigne 011 cette belle Eglise de Chine, qui a coute tant d'efforts a I'apostolat catholique, s'abimera tout entiere dans le sang de ses apotres et de ses enfants. D'ou vient une pareille obstination a repousser le christianisme ? Ce n'est certainement pas le fanatisme religieux, car aucun peuple ne porte aussi loin que le peuple chinois le scepticisme et I'indifference. Qu'on soit disciple de Confucius ou de Lao-tze, musulman ou bouddhiste, le gou- vernement chinois ne s'en occupe pas. II n'y a que contre la religion chretienne qu'il cherche a se defendre. C'est que, derriere les apotres du Christ, il voit venir I'Europe, ses idees, sa civilisation, dont il ne veut a aucun prix, se trouvant, a tort ou a raison, satisfait de celles de ses ancetres. La question est done beaucoup plus politique que religieuse, ou plutot elle est presque exclu- sivement politique. Le jour ou la Chine intelli- gente sera persuadee qu'on peut etre a la fois Chinois et chretien, le jour surtout ou elle verra a la tete de I'Eglise, en Chine, un clerg6 indi- gene, le christianisme obtiendra droit de cite dans ce grand empire de quatre cents mi/lions d'ames, dont la conversion entrainerait celle de I'Extreme-Orient. C'est done a separer nettement leur cause de celle de la politique que doivent tendre les efforts des missionnaires. A ce point de vue, je ne puis que regretter, pour ma part, I'intervention des gouvernements europeens. Rien de plus legitime en soi ; mais aussi, rien de plus dangereux et de mieux propre a surexciter I'orgueil national et la haine des classes intelligentes et lettrees. Au fond, meme au point de vue particulier de la securite des missionnaires, qu'avons-nous gagne au regime des traites ? Dans les quarante pre- mieres annees du siecle, tivis missionnaires seule- ment ont ete mis a mort en Chine pour la foi, apres une sentence juridique : le Venerable Dufresse, vicaire ajjostoliquedu .Su-tchuen (1814), le Ven. Clct et le Bienh. l'erbo)-re, Lazaristes, au Hou-pe (1820 et 1840). Depuis les traites de 1844 et de i860, pas une seule condamnation a mort 162 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. n'a etc jiiridiquement prononcee, il est vrai ; mais plus de vingt missionnaires sont tombes sous les coups des bandits, soudoyes par hs mandarins. En 1856, le Vi^nerable Chapdeleine ; en 1862, le Venerable Ned ; en 1865, 1869, 1873, MM. Mabileau, Rigaud et Hue, au Su-tchuen ; en 1874, M. Baptifaud, au Yun nan ; en 1885, M. Terrasse, au Yun-nan. Les traites ont ils empeche, au mois de juin 1870, I'horrible massacre de Tien-tsin, le meurtre de notre consul, de tous les residents fran- religieuse CHUNK. — F.\Ij:ade dk la caihkdrall DE L'l.MMACULEE-CoNCEPriON A PEKING ; d'apres une photographle gais, de deux Laz iristes, de neuf Sceurs de chari- te? Presque chaque annee, des chretientes sont de- truites, des eglises pillees, des missionnaires tues ou blesses, des chrctiens mis a mort ; et, quand la France reclame contre tant d'infamies, on lui re- pond par un menioranduin insolent (1872), rempli de calomnies contre les missionnaires et leurs ceuvres, et le chef de I'ambassade envoyee a Paris pour excuser les massacres de Tien-tsin, est celui-la mcme qui a tout dirigc et dont les mains sont encore teintes du sang de nos nationaux. Certes, je rends pleine justice au zele de nos consuls et de nos ambassadeurs. Presque tou- jours, ils nous ont prete un concours chaleureux et loyal, meme ceux qui, n'ayant pas le bonheur d'etre Chretiens, semblaient mal prepares, par leurs antecedents, a defendre, en Chine, la reli- gion qu'ils avaient persecutee en Europe. Presque toujours, la haine du sectaire s'est tue devant I'honneur national, et tel qui avait expulse les Jesuites de France, s'est proclame leur ami et leur defenseur a Peking. Ce n'est done pas le zele de nos agents diplomatiques que j'accuse : c'est leur impuissance que je constate. A tort ou a raison, la Chine ne veut pas de la civilisation euro- peenne ; ce quelle repousse dans le christianisme, c'est I'envahisse- ment de I'Europe. Separons done nettement la question de la question politique. Je n'ai pas besoin d'avertir ici que c'est une opinion strictement personnelle que j'enonce ; je n'ai aucun mandat pour parler au nom des missions, et je sais que, parmi les missionnaires, les avis sont partages a ce sujet. Mais, parce que ma conviction est parfaitement ctablie la-dessus, j'ai cru pouvoir user sans inconvenient de la li- berte que I'Eglise laisse a chacun d'exposer et de defendre, avec moderation, toute idee honnete. II me semble, d'ailleurs, que les derniers evenements sont de na- ture a confirmer ma these. A I'oc- casion de la guerre recente entre la France et la Chine, toutes nos missions se sont trouvees compro- mises par des represailles. C'est alors que le Vicaire de J^SUS- Chki-ST prit I'initiative d'ecrire a I'empereur une lettre touchante pour lui recommander ses sujets catholiques. Cette noble demarche du Souverain Pontife fut parfaite- ment accueillie a Peking, et nos missions lui doi\'ent peut-etre d'a- voir Invite les derniers malheurs. L'empereur a manifesto, a cette occasion, le desir d'entrer en relations directes avec le chef de lEgl'ise, et d'avoir un nonce a Peking. Leon XIII est entre avec joie dans cette pensee et ne s'est arrete que devant I'opposition politique de la France, jalouse de conserver re protectorat des Missions catholiques, qui est son honneur et sa force en Orient. Mais la question n'est que reser- vee, et Ton y reviendra. Je crois etre aussi patriote qu'un autre, mais j'aime I'Eglise plus que tout, et je desire, je I'avoue, la voir faire elle-meme ses affaires. En traitant directement avec le gouver- L'EGLISE DE CHINE, 1800-1890. 163 nement chinois, elle lui fera comprendre plus faci- lement que son unique but, en ce monde, est de precher I'Evangile et d'ouvrir son vaste empire a la foi. Le jour oil le gouvernement chinois sera bien convaincu de cette verite, la predication apostolique ne rencontrera plus devant elle les defiances politiques et les persecutions qui I'ont plus ou moins paralysee jusqu'ici. Pour exposer, en quelques traits rapides, la situation du christianisme en Chine, je partagerai toutes les missions en cinq groupes : Chine sep- tcntrionale, Chine centrale, Chine orientale, Chine occidentale, Chine meridionale. qu'en i860. A cette epoque, Mgr Mouly, vicaire apostolique, en reprit solennellement posses- sion par un Te Deuin chante en presence des ambassadeurs de France et d'Angleterre et de I'armee alliee, qui venait de prendre Peking et d'imposer a la Chine un traite garantissant desormais, au moins sur le papier, la libertc reli- gieuse. En 1820, les missionnaires n'avaient plus de situation officielle en Chine. Proscrits par la loi, les Lazaristes, etablis a Sivan, sur les frontieres PREMIER GROUPE. Missions du NORDDE LACHINE EN 1800, nous trouvons, dans la Chine septentrionale, I'evcche portugais de Peking, erige en 1690, et la mission des Lazaristes, qui ont remplace, en 1774, les Jesuites pros- crits. Le nombre des chretiens repan- dus dans les provinces du nord s'eleve a 55.000. Malheureusement les Laza- ristes sont troj) peu nombreux pour un si vaste territoire, et la ruine de leur noviciat va, pendant pres d'un demi-siecle, arreter le recrutement de leurs membres et paralyser leur zele. A Peking, la situation est loin d'etre favorable. Les missionnaires, toleres a la cour uniquemcnt en qua- lite de savants, sont surveilles de pres, pour les empecher de commu- niquer avec I'int^rieur de I'empire. Le but du gouv-ernement chinois est de les reduire au.x seules occupations scientifiques. Cette position humi- liante et precaire valait pourtant mieux pour la religionque I'expulsion totale. C'est pourquoi les Lazaristes s'y resignaient ; mais ils etaient a la merci du moindre incident. En 1 806, la decouverte des cartes geographi- ques envoyees en Europe, amena un edit de persecution : le P. Adeodat, religieux Augustin, fut condamne avec plusieurs chretiens a I'exil perpetuel en Tartarie. En 181 2, nouvel edit de persecution : tous les mi.ssionnaires de Peking sont renvoyes en Europe, a I'e.xception de trois, qu'on voulut bien conserver en qualite de mathematiciens. Cependant I'eveque portugais de Peking obtint, a force d'instances, de rester avec deux ou trois de ses pretres ; mais tout s'acheminait a I'ex- pulsion definitive. A la mort du prelat, le gou- vernement chinois defendit qu'il fut remplace ; la cathedrale avec tous les etablissements reli- gieux de la mission, demeura abandonnee jus- Mgr Hamep, de la Con^'regalion beige de Scheutveld, premier vicaire apostolique de Kansou. de la Tartarie, n'en continuerent pas moins a travailler en secret a I'ceuvre de la predication, et leur travail fut beni de DiEU. Bientot, il fallut songer a multiplier les centres- des mis- sions. En 1838, la Sacree-Congregation detachadu diocese de Peking, le Leao-tong et la Mantchou- rie, erigds en vicariat apostolique, confie a la Societe des Missions Etrangeres de Paris. En 1839, creation du vicariat apostolique du Chan- tong, qui fut donne au.x Franciscains. En 1840, la Mongolie fut erigee en vicariat apostolique 164 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^i^ SIECLE. desservi par les Lazaristes jusqu'en 1865, et donne, a cette epoque, a la nouvelle Societe des Missionnaires beiges. Enfin, en 1856, I'cveche de Peking fut supprim6 et remplace par trois vica- riats apostoliques : Pe-tch^ly nord (Peking), Pe- tchely ouest et Pe tchely sud-est. Les deux prenniers vicariats demeurerent aux Lazaristes, et le troisieme fut confie aux Jesuites. Tout recemment, Leon XIII a fait encore de nouvelles divisions. En 18/8,16 Kan-sou, detache du Chan-si, fut ^rige en vicariat et donne aux Missionnaires beiges de la Mongolie En 1883, la Mongolie, a cause de sa vaste etendue, fut par- Mgr Verrolles, des Missions £trang^res de Paris, ■ vicaire apostolique de la Mantchourie. tagee en trois vicariats : Mongolie centrale, occidentale et orientale. Ces trois missions sont demeurees aux Missionnaires beiges. La meme annee, le vicariat unique de Chan tong fut par- tage en deux, puis en trois : Chan-tongnord et Chan-tong est, aux Francis- cains. Chan-tong sud, aux missionnaires de Stej-I. Le nombre des chretiens a grandi en meme temps que celui des missions. En iSoo : Eveche de Peking : pretres portugais et Lazaristes ; ? missionnaires ; 1 pretres indigenes. Environ 55.000 ca- tholiques. Ell iS^b : II vicariats apostoliques, plus I mission (Hi), ii 6ve- ques ; 200 missionnaires ; 8g pretres indigenes; 1.149 eglises ou chapelles ; 169 424 catlioliques. Ainsi, en moins d'un siecle, le chiffre des mis- sions du Nord de la Chine est monte de ini a donze, et celui des chretiens a plus que triple. Voici maintenant le detail de ces missions : I. — Le vicariat du Pe-tchely septentrional (Peking) est le plus important du groupe par sa situation politique. Le vicaire apostolique reside naturellement a la capitale. II y a, a Pekin, 5 belles eglises. La cathedrale, a la de- mande de I'empereur, qui a donne une indemnite, vient d'etre rebatie sur un autre emplacement que I'ancienne, que Ton trouvait trop pres du palais. La mission possede a Peking i grand seminaire, 12 eleves ; i petit seminaire, 36 eleves ; i college chinois, 100 ele- ves. II y a, dans la mission de Pe- king, 190 eglises ou chapelles et in oratoires, 2 maisons de Sceurs de cha- rite : a Peking, orphelinat, hopital et dispensaire ; a Tien-tsin, hopital et dispensaire. Depuis le massacre de Tien-tsin, provoque par les calomnies des lettres contre I'CEuvre de la Sainte-Enfance, I'orphelinat de Tien- tsin n'a pas ete rouvert. Les Sojurs chinoises de Saint Joseph (noviciat a Peking) tiennent les ecoles des chretientes. Les religieux de laTrappe ont fonde, il y a quelques annees, un convent dans la mission de Peking. 23 Lazaristes europeens, 24 pretres indigenes, 38.640 catholiques. II. — Le vicariat du Pe-tchely occi- dental possede 278 eglises ou chapel- les, 2 seminaires, 28 eleves, plusieurs orphelinats, i maison de Sceurs de charite. Le vicaire apostolique reside a Tchintin-fou, I'ancienne capitale, du temps des Min. 13 Lazaristes europeens, 16 pretres indigenes, 28.740 catholiques. III. — Le vicariat apostolique du Pe-tchely sud est appartient au.K Jesuites. Le vicaire apos- tolique reside a Tchang-kia-tchiang, 011 les Peres ont un beau college chinois, d'oii sont sortis plu- sieurs grades. Une imprimerie est annexee au college, avec un observ'atoire meteorologique. La mission a 63 eglises ou chapelles, 437 oratoi- res, une ecole normale, ou Ton forme des maitres d'ecole et des catechistes ; plusieurs pretres chi- nois sont meme sortis de cette maison ; 168 ecoles frequentees par i Soo enfants et 6 orphelinats. 41 missionnaires europeens, 10 pretres indi- genes, 40.700 catholiques. L'EGLISE DE CHINE, 1800-1890. 165 IV. — Le vicariat de Mantchourie etdu Leao- tong, a la Societe des Missions Etrangeres de Paris, s'etend du golfe de Po-tchely a la fron- tiere russe, sur line etendue de 964.000 kilome- tres Carres. La mission possede sur ce vaste territoire : 153 eglises ou chapelles, 3 seminaires, 47 eleves ; 106 ecoles de chretientes, 3.335 eleves. Malgre les rigueurs d'un climat siberien, les ScEurs de la Providence de Portieux sont t§tablies dans la mission. Le vicaire apostolique reside a Ing-tse, port Guvert aux Europeens, au fond du golfe de Pe- tchely. 30 missionnaires, 9 pretres indigenes, 18.061 catholiques. V, VI, VII, VIII. — Les trois vicariats de la Mongolie et celui de Kan-sou ont ete confies a la Societe des Missionnaires du Saint-Cceur-de- Marie, etablie a Scheut, pres Bruxelles. La mis- sion de Mongolie comprend en outre le pays des Ortous et celui des Eleuthes. La Mongolie a 3.337.000 kilometres carres de superficie, soit un territoire six fois grand comme la France, sur lequel font eparpilles environ 20.200 catholiques. La disproportion est encore plus forte pour le Kan-sou, qui, sur un territoire de plus d'un 7nil- lion de kilometres carres, ne possede encore que deux mille catholiques, soit un catholique par cinq cents kilometres carres ! Cette immense etendue de territoire rend excessivement oncreuse et difficile I'administra- tion des chretiens. Le district d'lli, situe a I'extre- mite ouest du Kan-sou, etait a deux mois de marche de la residence episcopale. Cet etat de choses vient de decider le Saint-Siege a detacher du Kan-sou cette vaste region, pour en faire une mission separee, confiee comme les quatre autres aux Missionnaires beiges. 58 missionnaires, 15 pretres indigenes, 23.300 catholiques. IX, X et XI. — La province de Chan-tong complait, au siccle dernier, de nombreu.x Chre- tiens, partages en 70 districts ; ce qui, en mettant une moyenne de 500 chretiens par district, chiffre evidemment trop faible, donne un total de trente- cinq a quarante mille chretiens pour toute la province. Les persecutions de la fin du dernier siecle avaient a peu pres ruine cette mission, qui commence seulement a se relever. Le Chan-tong septentrional, aux Franciscains, compte I vicaire apostolique, 14 missionnaires, 8 pretres indigenes et 14.250 catholiques. Le Chan-tong oriental, egalement aux Francis- cains, compte I vicaire apostolique, 5 mission- naires, 5 pretres indigenes et 5.000 catholiques. Le Chan tong meridional, qui fut erige en 1885 en vicariat apostolique et confie aux mis- sionnaires de Steyl, compte i vicaire apostolique, 18 missionnaires, 2 pretres indigenes et 2.733 catholiques. DEUXIEME GROUPE. Missions du centre de LA Chine. DE.s qu'on eut retrouve, au X\'F siecle, les routes de la Chine, les fils de saint Fran- cois, jalou.x de marcher sur les traces de leurs devanciers du moyen-age, se haterent de rentrer dans leur heritage, et s'etablirent, vers 1633, dans les provinces centrales de la Chine, ou ils sont demeures, en depit des persecutions. La SUPiRIEURE DES RELIGIEUSES CaNOSSIENNES A Amoy ; d'aprfes une photographic. En 1800, nous trouvons dans cette partie de la Chine, le vicariat unique du Hou-kouang, Chan-si et Chen si. En 1838, il fut partage en deux : Hou-kouang, d'une part, Chan-si et Chen-si de I'autre. En 1843, le Chan-si fut detache du Chen-si, et forma un troisicme vicariat, confie, comme les deu.x autres, au.x P'ranciscains, puis divise, en 1890, en deux vicariats nouveaux. En 1856, le Hou-kouang, a son tour, fut divise en deu.x vicariats : Hou-nanet Hou-pc, tousdeux au.x Franciscains. En 1876, le Hou-pe fut subdivise en trois 166 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. vicariats : Hou-pe septentrional, oriental et occi- dental, tous trois aux Franciscains. En 1879, le Hou-nan fut subdivise en deux: Hou-nan septentrional, aux Augustins de Ma- nille, Mou-nan meridional, aux Franciscains. Enfin en 1885, le Chen -si fut subdivise en deux: Chen-si septentrional, aux Franciscains, et Chen- si meridional, aux pretres du s6minaire des Mis- sions Etrangeres de Rome. Voici le tableau du developpement numerique de ces missions : En jSoo I vicaire apostolique, Hou-kouang, Chan-si et Chen-si, Franciscains, 30.000 catholiques. I vicariat apostolique, embrassant 3 provinces, Hou- kouang, Chan-si et Chen si. En iSg6 : 9 vicariats apostoliques, 9 eveques, 93 missionnaires europdens, 7.S pretres indigenes, 430 dghses ou chapelles et 82.245 cathohques. Les missions du centre de la Chine se sont elevees de 7i/ie a nei/f, et le nombre des chr^tiens a plus que doiihh'. I et II. — Les deux vicariats du Hou-nan nord et sud sont encore dans la periode de for- mation, ils comptent 5.700 ames. II y a un college chinois a Hang-tcheou-fou, capitale de la pro- vince, et residence du vicaire apostolique du sud ; celui du nord reside a Tchang-fou. Hou-nan nord : 6 missionnaires Augustins, 2 pretres indigenes, 215 catholiques. Hou-nan sud : 2 missionnaires Franciscains, 12 pre- tres indigenes, 5. 500 catholiques. Ill, IV et V. — Les trois vicariats du Hou-p6 sont plus avances, surtout celui du Hou-pe oriental, qui compte : i sc'minaire, 22 eleves ; i college, 16 eleves; plusieurs orphelinats, 1.200 enfants ; 65 eglises ou chapelles. Houpe nord : 17 Franciscains, 11 pretres indigenes, 8.390 catholiques. Houpe est: 16 Franciscains, 13 pretres indigenes, 14. 500 catholiques. Hou-pe ouest : 8 Franciscains, 7 pretres indigi^nes, 4.370 catholiques. Les religieuses Canossiennes, au nombre de 20, ont un bel etablissement, hopital, orphelinat, cat6chumenat, a Han-keou, residence du vicaire apostolique. Les Sceurs chinoises du tiers-ordre de Saint-Francois d'Assise, au nombre de qua- rante, tiennent les orphelinats et les ecoles. C'est a Ou tchang-fou, capitale de la province, que furent martyrises le Venerable Clet et le Bienheureux Perboyre, Lazaristes ; le premier, etrangle le 18 avril 1820, et le second, le 11 sep- tembre 1840, apres avoir supporte, pendant plus d'une annee, avec un courage inebranlable de longues et affreuses tortures. Puisse le B. Per- boyre, beatific solennellement a Rome, ouvrir la route au.x nombreux martyrs de la Chine qui ont souffert pour le CHRIST, au cours du XIX« siecle ! VI. — Le vicariat du Chan-si comptait en 1885 : I grand seminaire, 20 eleves ; i petit seminaire, 8 Aleves ; 5 orphelinats, 817 enfants ; 15 eglises avec residence et 260 chapelles. Des Sceurs Franciscaines d'Europe, au nombre de 12, sont venues, en 1888, partager les travaux des missionnaires. Par decret du 17 juin 1890, ce vicariat a ete partage en deux ; le Chan-si sep- tentrional et le Chan-si meridional, tous les deux aux Franciscains. Le premier compte 221 eglises ou chapelles, 1 5 pretres europeens, 20 pretres indigenes et 14 250 Chretiens ; le deuxieme, 42 eglises ou chapelles et 7000 neophytes. — 10 missionnaires europeens. VII et VIII. — Le Chen-si septentrional, aux Franciscains, compte plus de 19.000 fideles, 14 stations principales et 20 stations secondaires, 56 eglises, 65 chapelles, 12 missionnaires euro- peens, 18 pretres indigenes, 24 catechistes. II a un seininaire (24 eleves), un college, 22 ecoles, 47 asiles. Le vicariat apostolique du Chen-si meridional, erige en 1887 et confie au seminaire romain de saint Pierre et saint Paul, a pres de 9.000 catho- liques, 50 stations, dont 34 pourvues d'eglises ou de chapelles. Les missionnaires sont au nom- bre de 15. II y a 3 pn^tres indigenes et 28 ecoles frequentees par 350 enfants. TROISIEME GROUPE. Missions de l'est de la Chine. AU commencement du xi.K" siecle, nous trou- vons a l'est de la Chine : 1° L'eveche de Nanking, erige en 1690 et demeure depuis longternps sans titulaire ; les Lazaristes travaillent dans le diocese, ou ils ont remplace les J^suites ; 2° la mission du Fo-kien, oil les Dominicains travaillent depuis 1630" Outre la province du Fo kien, ils sont encore charges du Tche-kiang et du Kiang-si. Les Laza- ristes travaillent a cote des Dominicains, dans ces deux missions. En 1838, le Tche-kiang et le Kiang-si sont eriges en vicariat apostolique et donnas aux Lazaristes. En 1843, le Ho-nan, detache du diocese de Nanking, est erige en vicariat, qui jusqu'en 1865 est administre par les Lazaristes. A cetteepoque, le Ho-nan est donne aux Missions Etrangeres de Milan. En 1846, le Kiang-si est separe du Tche-kiang et reste au.x Lazaristes. En 1856, le diocese de Nanking est supprime, et la Sacree Congregation erige, a sa place, le vicariat apostolique du Kiang-nan, qui est donne aux Jesuites. En 1879, le vicariat unicjue du Kiang-si est partage en trois : Kiang-si septentrional, orien- tal et meridional. En 18S3 le vicariat du Ho-nan est subdivise L'EGLISE DE CHINE, 1800 1890. 167 en deux : Ho nan nord et sud, tous deux aux Missions Etrangeres de Milan. La meme annee, le vicariat apostolique d'A- mo\- et Formose est detache du Fo-i<= SIECLE. vicaire apostolique d'Amoy et Formose. Elles y tiennent un orphelinat de la Sainte-Enfance. L'ile de Formose n'a pas plus de 800 chretiens, mais fervents et simples. QUATRIEME GROUPE. Missions de l'ouest de la Chine. TOUTES les missions de ce groupe appar- tiennent a la Soci^te des Missions Etran- geres de Paris, qui les a toujours occupees depuis sa fondation. Mi;r Lions, de.s Missions Etrangeres de Paris, vicaire apostolique du Kouy-tcheou ; d'apr^s une photographie. En 1800, nous trouvons le vicariat unique du Su-tchuen, Kouy-tche(ni et Yun-nan. En 1843, le Yun-nan est detachedu Su-tchuen et forme un \icariat a part. En 1846, le Kou\'-tcheou, a son tour, est erige en vicariat apostolique. La'meme annee, la Sacree-Congregation nous charge de la mission naissante du Thibet, qui est erigee en vicariat en 1856. En i860, le Su-tchuen est divise en deux : oriental et occidental. Enfin, en 1866, le Su-tchuen meridional est ^rige a son tour en vicariat apostolique. Voici le tableau des developpements nume- riques des missions de l'ouest : En iSoo : I vicaire apostolique, Sutchuen, i eveque, i coadjuteur, 2 missionnaires, 20 pretres indigenes, ? eglises, ? ecoles, 47.000 catholiques. En i8g6 : 6 missions, 6 vicaires apostoliques, 194 missionnaires, 104 pretres indig6ne=, 117.049 catholiques. En moins d'un siecle, le chiffre des missions de l'ouest est monte de iin a six, et celui des Chretiens a presque triple. L'histoirc de ces missions n'est guere qu'un long martyrologue. An Su - tchucn, I'annee 1800 s'ouvre par le sacre d'un eveque martyr , Mgr Gabriel Taurin-Dufresse, eveque de Tabraca. Depuis une dizaine d'annees, une paix relative regnait dans la mission. Vou- lant profiterde ces quelques jours d'ac- calmie, le prelat tint, au mois de sep- tembre 1803, un synode auquel assis- terent un missionnaire et 14 pretres chinois. On y fit des reglements tres sages pour I'administration des chre- tientes chinoises. Ce synode, revu et approuve, en 1822, par la Sacree-Con- gregation, fut imprime a ses frais, et envoye, pour servir de regie, a toutcs les missions de Chine et d'Annam. La persecution, qui grondait depuis 1809, se reveilla plus violente en 1812, 1813 et 1 8 14. Le seminaire de la mis- sion fut ruine, et le coadjuteur, Mgr Florent, qui dirigeait cet etablisse- ment, fut force de s'enfuir au Tong- King, oil il mourut (decembre 1814); le vicaire apostolique, Mgr Dufresse, fut arrete le 15 mai 1815, condamne a mort et execute le 15 septembre suivant. Douze pretres chinois furent executes dans les annees i8i5et 18 16, ou envoyes en exil perpetuel en Tar- taric, ainsi qu'un certain nombre de fideles. La mission du Su-tchuen demeurait sans pasteurs. Le vicaire apostolique, Mgr Fontana, ne put etre consacrc qu'en 1820, par son coadjuteur, Mgr Perrochau, nouvellement arrive de France. On s'empressa d'ordonner de nouveaux pretres, pour remplacer ceux que la persecution avait enleves. En 1820, la mission du Su-tchuen, a peu pres sortie de la crise, comptait: i vicaire apostolique, I coadjuteur, i missionnaire, 15 pretres indigenes, environ 60.000 chretiens. Le seminaire avait ete retabli au Yun-nan ; plus tard, un second fut ouvert a Mo-pin, sur la frontiere du Thibet. Les annees suivantes furent assez tranquilles; il y eut seulement quelques persecutions locales, qui firent deux ou trois martyrs. En 1831, com- L'EGLISE DE CHINE, 1800-1890. 171 menca au Su-tchuen I'oeuvre des baptemes d'en- fants d'infideles en danger demort : 7.000 enfants furent regeneres cette annec. Cette ceuvre ange- lique a pris des developpements considerables. En 1888, dans nos six missions de I'ouest, 105.955 enfants ont ete regen^r6s a I'heure de la mort. Depuis cinquante ans que I'QLuvre fonc- tionne, plus de trois millions de petits anges, au Su-tchuen]et dans les missions voisines, sont alles implorer le Ciel en faveur de leur ingrate patrie. En 1S40, nous trouvons dans la mission du Su-tchuen : i vicaire apostolique, i coadjuteur, 12 missionnaires, 30 pretres indigenes, 54.912 Chretiens , 2 seminaires , 500 vierges chinoises tenant les ecoles, les orphe- linats, et s'occupant du baptemc des enfants de paiens. La moyenne des conversions varie de 300 a 400 chaque annde. C'est alors que commence la division de la mission. Le Yun-nan est detache du Su-tchuen en 1843, le Kouy-tcheou en 1846, puis, le nombre des Chretiens allant toujours en augmentant, le Su- tchuen lui-meme est divise en trois vica- riats : oriental, occidental et meridional. I. — Le vicaire apostolique du Su- tchuen oriental, Mgr Desfleches, s'ins- talle a Tchong-kin-fou, la capitale de la province. Son episcopat de quarante- trois annees (1844- 1887) n'est qu'une longue lutte contre la fourberie et la mechancete des mandarins chinois. 11 etablit ses missionnaires dans tous les centres importants du pays, mais au prix de quels sacrihces ! En 1863, M. Mabileau est massacr^ a Yeou-yang ; en 1869, M. Rigaud est mis a mort dans la meme ville ; en 1873, M. Hue et un pretre chinois sont tues a Kien- kiang ; puis viennent les massacres et les incendies de Kiang - pee (1874). I'resque chaque annee des chretientes sont dctruites, des etablissements bru- ]6s, des Chretiens sans defense mis a mort dans des emeutes populaires. Le vaillant prclat ne se decourage pas ; il lutte aupres des ambassadeurs et des ministres du gouvernement chinois, pour faire rendre justice a ses malheureux Chretiens, que la fourberie des mandarins s'efforce de transformer en oppresseurs des paiens et en rebel les. A la fin, grace aux bons offices de I'ambassade de France, il finit par obtenir justice et reparation ; mais le gouvernement chinois ne pent lui par- donner d'avoir ddvoile ses fourberies, et, en 1878, il est force de reprendre la route de France. Bientot, comprenant que sa sante, epuisee par tantd'annees de luttes, lui ote I'esperance de revoir jamais son cher Su-tchuen, il remet, en 1882, sa demission aux mains du Vicaire de Jfisus-CHRIST, et ne s'occupe plus qu'a se pre- parer a la mort, arrivee le 7 novembre 1887, au .sanatorium de Monbcton, diocese de Montauban. /ji menioria ceterna crit Justus. La persecution n'a pas cesse au Sut-chuen oriental. Tout recemment, a I'occasion de cer- taines imprudences commises par les protestants de Tchong-kin, la populace s'est ruee sur I'eve- che et tous les etablissements centraux de la mission. En quelques heures, tout a ete ane- anti. II y a actuellement dans la mission : 64 eglises ou chapelles, 42 missionnaires, 35 pretres indi- Mgr Hue, des Missions Etrang^res de Paris, missionnairc au Su-tchuen oriental, massacre !e 5 Septembre J873. genes, 2 seminaires, 85 eleves, et 103 ecoles, 2.090 eleves. II. — Les memes scenes ont lieu au Su-tchuen occidental. Chaque fois qu'un mouvement de conversions se declare, des placards incendiaires appellent la populace aux massacres et aux incen- dies, et lesesperances de I'apostolatsont aneanties. En 1876, en particulier, 31 stations de nou- veau.x Chretiens, coinprenant 300 families, furent piUees et detruites, 39 Chretiens massacres, I eglise, 4 oratoires et plusieurs pharmacies bru- Ics. Pendant dix-huit mois, les pauvres chretiens 172 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"«= SIECLE. ne purent rentrer chez eux. A la fin, sur les ins- tances de I'ambassade, ils recjurent une indemnite d(irisoire, et on leur permit de relever les ruines de leurs maisons incendices ; mais aucun des assassins et des pillards ne fut puni, par une raison bien simple, c'est qu'ils avaient agi avec la connivence des mandarins. Et presque chaque annee, de pareilles infamies se renouvellent sur un point ou sur I'autre. Voila ce qu'on appelle pompeusemeiit la liberie religieuse promise par les traites. Vraiment mieux valait I'ancien sys- teme de la persecution Tranche et d(^claree. La mission du Su-tchuen occidental a 52 --— } / — Mgr Baptifaud, des Missions Etrang^res de Paiis, ' missionnaire du Yun-nan, massacre le 17 Septembre 1874. I sdminaire, 40 61evef, 125 ecoles de district 1.780 eleves. Total pour toute la province du Su-tchuen : 88 478 Chretiens. IV. — Le Yun-nan fut erige pour la premiere fois en vicariat apostolique en 1702. M. Le Blanc, le .premier titulaire, trouva, en arrivant dans la province, 4 chretiens seulement. II fut exile en 1707, et mourut au Fo-kien, sans avoir recu la consecration episcopale. Son successeur, Mgr de Martillac, ne put pas meme entrer dans sa mission. II mourut a Rome, en 1735. A partir de cette epoque , le vicariat du Yun-nan fut rattache a celui du Su-tchuen. C'est de 1843 que date I'erection de- finitive. L'annee precedente, un de nos confreres, M. Vachal, etait mort de faim dans les prisons du Yun-nan. A cette epoque, il y avait 3.000 catholiques dans la province. La revoke des mahom6tans, qui dura quinze ans et couvrit le Yun-nan de rui- nes, causa beaucoup de mal a nos chre- tientes et arreta les progres de la pre- dication. Neanmoins, au bout de trente ans, le vicariat apostolique comptait deja 8.300 Chretiens. En 1874, M. Baptifaud, un de nos confreres, fut massacre par un parti de rebelles , mais sans qu'il y eut de la faute des ^mandarins. On ne pent, mal- heureusement , en dire autant du mas- sacre de M. Terrasse , en 1883. Cette fois, la plebe avait ete ameut^e avec la connivence des autorites ; 14 chretiens furent tues avec le Fere et 4 stations detruites. II y eut aussi d'autres massacres en 1885 et 18S6 ; un pretre chinois fut tue et plusieurs oratoires incendies. II y a au Yun-nan 55 dglises ou cha- pelles, 29 missionnaires, 7 pretres indi- genes, I seminaire, 30 eleves, et 1.588 enfants dans les ^J ecoles de chretientes. Population catholique : 9,8159. eglises ou chapelles, 34 missionnaires europeens, 44 pretres indigenes, 2 seminaires, 100 eleves, et 152 ecoles de chretientes, 2.540 eleves.- III. — La situation est un peu plus Iranquille dans le Su-tchuen meridional, sans etre vraiment sure nulle part. On sent que, surtout depuis les d6faites de la France en 1870, le gouvtrnement chinois ne cherche qu'a ekider les traites. La moin- dre imprudence, une etincelle, un rien pourrait amener une conflagration generale et miner toutes les oeuvres de I'apostolat. Le Su-tchuen meridional a 43 eglises ou cha- pelles, 37 missionnaires, 10 pretres indigenes, V. — Le premier vicaire apostolique du Kouy-tcheou (1702) fut un Jesuite, Mgr Turcati. II mourut en 1708, laissant 15.000 fideles dans la mission. Son successeur, Mgr Wisdelou, des Missions Etrangeres, fut sacre, a Macao, par le cardinal de Tournon, legat du Pape, alors prisonnier des Portugais. II ne put pas mSme entrer dans son vicariat ; les chretiens du Kouy-tcheou se disper- serent, et la mission ne fut reprise qu'en 1770 par nos confreres du Su-tchuen. De 1770 a 1846, date de I'erection definitive du vicariat apostolique, il y eut plusieurs persecutions locales qui firent un certain nombre de martyrs. L'EGLISE DE CHINE, 1800-1890. 173 En 1S62, un de nos confreres, le venerable Xeel, fut dt^capite, avec plusieurs chretiens, par ordre d'lm mandarin militaire. Apres la publica- tion du traite de i860, il se fit, au Kouy-tcheou, un grand mouvement de conversions, et Ton compta jusqu'a 10.000 adorateurs a la fois ; ce qui montre ce que I'on pourrait attendre des Chi- nois, s'ils avaient vraiment la liberte religieuse. Le vice-roi de la province, ami particulier du vicaire apostolique, Mgr Faurie, paraissait favo- riser franchement le mouvement. Mais I'homme ennemi veillait : pendant que Mgr Faurie etait au concile, la persecution ecbta a I'improviste ; trois de nos confreres furent horriblement mal- traites, et I'un d'eu.x, M. Gilles, mourut des suites de ses blessures ; chapelles, residences, ecoles, orphelinats, pharmacies, tout fut aneanti ; 12 Chretiens furent massacres, et tons les neo- phytes chisses de leurs maisons, apres avoir perdu ce qu'ils possedaient. A son retour du concile, en 1872, Mgr Faurie mourut empoisonne, a ce qu'on croit, par ordre des mandarins. Son compagnon de voyage, M. Mihieres, superieur de la mission du Kouang- si, mourut, quelques jours apres, avec les memes symptomes d'empoisonnement. Des lors le mouvement des conversions au Kouy-tcheou fut enraye. C'etait le but que s'etaient propose les mandarins. Les malheurs de la France n'ayant pas permis d'exiger les reparations necessaires, I'histoire de la mission du Kouy-tcheou n'est plus, comme au Su tchuen, qu'une serie de persecutions locales et de soule- vements populaires, avec la connivence des autorites. Malgre toutes ces epreuves, la mission du Kouy-tcheou n'a cesse de se developper et elle compte, en ce moment, 17,000 fideles. II y a dans le vicariat : 72 eglises ou chapelles, 36 missionnaires, 5 prctres indigenes, 2 semi- naires et 2.522 enfants dans les 128 Ecoles de district. Population catholique : 17.279. VI. — La mission du Thibet presente des difficultes toutes sp^ciales. L'llassa, residence du Daili-lama, est comme la citadelle et le sanctuaire du Bouddhisme. Le pays tout entier, bien que tributaire de la Chine, est sous la domination effective des grandes lamaseries, qui forment une thdocratie puissante et redout(^e du peuple. De la, les difficultes que I'apostolat rencontre devant lui. En 1808, la Sacree-Congregation erigea le vicariat apostolique du Thibet-Hindoustan, qui fut donn6, comme je I'ai dit, aux Capucins dAgra. On esperait alors penetrer au Thibet par les Himalayas, mais Ton vit bientot qu'il fallait y renoncer. C'est pourquoi, en 1S44, la mission du Thibet fut detachce de celle des Indes, et, en 1846, elle fut offerte a la Societe des Missions j^trangeres. Sur ces entrefaites, deux Lazaristes, les PP. Hue et Gabet, attaquaient le Thibet par la Mongolie. lis parvinrent jusqu'a I'Hassa, mais ils en furent chasses au bout de quelques mois, et leur retour a travers la Chine nous a valu un recit de voyage tres int^ressant. La Societe des Missions Etrangeres ayant accepte la mission du Thibet, on essaya d'abord d'y penetrer par les Indes. Apres une premiere tentative infructueuse, M. Krick, dans un second voyage, fut assassine avec son compagnon M. Bourry, et la route des Indes fut reconnue im- praticable. On essaya alors de celle de Chine. En 1854, deux de nos confreres s'etablirent dans la vallee de Bonga, sur la frontiere du Su-tchuen. En 1857, Mgr Thomines-Desmazures, premier vicaire apostolique du Thibet, regut la conse- cration episcopale. Des lors, la mission etait definitivement constituee. Apres plusieurs tentatives d'expulsion, en 1864, les quelques postes que nos confreres, a force de sacrifices, avaient reussi a fonder sur la frontiere, furent detruits, les missionnaires expul- ses, un d'eux, M. Durand, assassin^ ; en traver- sant un fleuve, deux chretiens furent noyes, et tous ceux qui refuserent d'apostasier furent chasses du pays. Comme le Thibet est tributaire de la Chine, on s'adressa a Peking pour obtenir justice, mais le gouvernement chinois etait com- plice ; il refusa positivement d'intervenir, sous pretexte que le Thibet n'est pas compris dans les traites de i860. La mission du Thibet fut done forcee de se replier a J'interieur de la Chine, et n'exista plus que dans quelques stations situees sur la frontiere. Les lamas, nos eternels ennemis, ne nous y laisserent pas tranquilles. En 1873, ils ruinerent la station de Ba-thang, en 1881, ils firent assassiner M. Brizeux, un de nos confreres ; enfin, en 1S87, ils aneantirent tous les postes-frontiere que nous etions parvenus a ouvrir. Les choses en sont la pour le moment. Tant d'insucces n'ont pas decourage la patience des missionnaires. C'est un axiome re(ju en strategie que toute place forte assiegee est forcee de se rendre un jour ou I'autre. Voila un demi-siecle que nous faisons le siege de cette citadelle de I'Enfer. Un jour, bientot peut-etre, le Thibet sera forc6 de nous ouvrir ses portes. Voyant la difficulte de penetrer actuellement par la Chine, nos confreres ont voulu essayer a nouveau la route de I'lnde : M. Desgodins, pro- vicaire de la mission, s'est installe, en 1S82, avec quelques confreres, au pied des Himalayas. Une partie du district de Darjeeling (mission d'Agra) a etc cedee, a cet effet, a la mission du Thibet. I vicaire apostolique, 16 missionnaires, i pre- tre indigene, 10 stations, 1.433 catholiques. 174 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. CINQUIEME GROUPE. missions du sud de la Chine. EN 1800, nous trouvons, dans le sud de la Chine, I'eveche portugais de Macao. Des pretres chinois, sous la direction d'un grand- vicaire, evangelisent les provinces de Kouang- tong et de Kouang-si. Les Anglais, s'etant empares, en 1842, de I'ile de Hong-kong, la Propagande y erigea, I'annee suivante, une prefecture apostolique, qui fut changee en vicariat en 1874. En 1856, le Kouang-tong et Ic Kouang-si sont eriges en prefectures apostoliques et donnes a la Societe des Missions Etrangeres. Enfin, en 1876, le Kouang-si est separe de Canton et forme une prefecture distincte. Voici maintenant les accroissements numeri- ques de ces missions : En iSoo : Eveche de Macao : ? pretres, ? dglises, ? ecoles, 20,000 catholiques. En iSg6 : Eveche portugais de Macao : environ 8.000 catholiques, I vicariat et 2 prefectures apostoliques, 3 dveques titulai- — SANCIAN. — VUE DE LA DAIE DE SUN-TI ET DE LA CHAPELLE DU TOMBEAU DE SAINT FrAN^OIS-XaVIER. ' rei, 66 missionnaires europ^ens, 16 pretres indigenes et 48.728 catholiques y compris les Macaistes. I. — Le diocese de Macao, erige en 1557, a passe par les memes vicissitudes que les dioceses portugais de I'lnde. Apres une periode de fer- veur et de zele, I'absence habituelle de I'eveque, I'expulsion des Jesuites, I'esprit regalien, ont amene la religion a un etat fort miserable. II y a encore, chez les Portugais, des habitudes religieu- ses ; il n'y a plus guere d'esprit chretien, ni dans le clerge, ni parmi les fideles. Le diocese de Macao a recu, en 1888, 2.600 catholiques appartenant a I'ancien diocese portu- gais de Malacca. L'ile de Timor, dans le detroit de la Sonde, releve aussi du diocese de Macao. II. — Pendant les cinquante premieres ann^es du siecle, les deux provinces du Kouang-tong et du Kouang-si etaient administrees par des pre- tres chinois, sous la direction d'un grand-vicaire de Macao. Ces pretres, egalement depourvus de zele et de science, faisaient peu de chose, et ce peu, ils le faisaient mal. Quand ces deux pro- vinces furent donnees, en 1852, a la Socidte des Missions Etrangeres, la situation du christianis- me y etait deplorable : 8.000 chretiens a peine et sans instruction. L'EGLISE DE CHINE, 1800-1890. 175 Sous la direction de Mgr Guillemin, premier prefet apostolique, la mission de Canton se releva rapidement ; en 40 ans, le chiffre des chretieiks a plus que quadruple ; de 8.000 il s'est eleve au- dela de J^.jjj;, malgre des persecutions conti- nuelles et de nombreuses emigrations a I'etran- ger. Mgr Guillemin consacra toute sa vie a ledi- fication, dans la ville de Canton, d'une cathedrale monumentale. Ce fut son ceuvre a lui, pendant que les missionnaires travaillaient dans toute la mission a relever I'edifice spirituel. L'ile de Sancian, oii mourut saint Francois Xavier, fait partie de la mission de Canton. Mgr Guillemin y eleva, sur la tombe de I'apotre, une jolie chapelle gothique, qui, malheureusement, a et6 a peu pres ruinee par les Chinois, lors de la derniere guerre avec la France. La mission de Canton est une de celles oil le christianisme a eu le plus a souffrir. L'esprit ge- neral de la population est turbulent et mauvais ; a plusieurs reprises, les missionnaires ont ete chasses de leurs districts et ont vu ruiner leurs etablissements ; ce qui ne les a pas empeches de travailler, avec courage et succes, a I'oeuvre de DlKU. II y a, dans la mission : i seminaire, 45 eleves, et 2.800 enfants dans les 148 ecoles de chretientes. III. — La mission du Kouang-si, detachee en 1876 de celle de Canton, est encore au berceau. L'hostilite constante des mandarins et le petit nombredes chretiens f 1.200 a peine sur 8.000000 d'habitantsj rendent la situation du christianisme encore tres precaire dans la province. La mission a un seminaire; 200 enfants frequentent les 18 ecoles. C'est au Kouang-si, dans la ville de Si-lin-hien, que fut mart J- rise, en 1856, le Venerable Chapde- laine, dont la mort donna occasion a i'expedition de i860. IV. — Des que les Anglais, toujours pratiques, se furent etablis a Hong-kong, rocher sterile dont ils ont fait, en cinquante ans, le plus magni- fique pjrt de I'Extreme-Orient, la Propagande crigea l'ile en prefecture apostolique, qui fut confiee d'abord au.x I'ranciscains, puis aux mis- sionnaires du seminaire des Missions Etrangeres de Milan. En 1874, le prifet apostolique, Mgr Raimondi, reijut la consecration cpiscopale, et la prefecture fut elevee a la dignite de vicariat apostolique. Une partie des missions du continent fut deta- chee, a cette occasion, de Canton et incorporee au nouveau vicariat. Les Freres des Ecoles chretiennes ont un col- lege a Hong-kong. Les Sceurs de Saint-Paul de Chartres et les religieuses Canossiennes y ont aussi des etablis- sements florissants. II y a un eveque anglican a Hong-kong et les protestants y ont plusieurs temples, hopitaux et orphelinats pour les Chinois. Du reste, il est juste de reconnaitre que, .sous la domination des An- glais, le catholicisme jouit pour les reuvres d'une liberte complete. La procure des Missions Dominicaincs et celle du seminaire des Missions Etrangeres sont eta- blies dans l'ile de Hong-kong. En 1874, un sam- torium pour nos confreres malades y fut installe dans d'excellentes conditions, et, en 1884, on y OLivrit une maison de retraite pour les confreres qui, fatigues des labeurs de la vie apostolique, eprouvent le besoin de se retremper dans la pricre et de .se recueillir devant DiEU, avant d'aller rendre compte au souverain Juge de leur administration. I vicaire apostolique, 7 missionnaires, 4 pretres indigenes, 17 eglises ou chapelles, 7.000 catho- liques. RESUME. I" groupe. Missions du Nord : 11 eveq., 200 miss., 89 pr. ind , 169.424 cath. 11= groupe. Missions du Centre : g ^vcq., 93 miss., 78 pr. ind., 82.245 calh. Ill'' groupe. Missions del'Est 19 evcq., 1S6 miss., 86 pr. ind., 184.168 cath. IV" groupe. Missions de I'Duest : 6 eveq., 194 miss., 104 pr. ind., 11 7.049 cath. V^ groupe. Missions du Sud : 4 eveq., 66 miss., 16 pr. ind., 48.72S cath. Total pour toute la Chine : 39 eveq., 739 miss., 373 pr. ind ,601.614 cath. La population de la Chine etant, au dernier recense- ment de 450000.000 d'habitants, la population des catho- liques n'est encore qus 1/750=. Statistique comparee des missions dc Chine. En iSoo En 1850 5 missions ; 200.000 ; 18 missions ; 330.000; En 1890 40 missions : 601.614 Ainsi, en moins d'un siccle, le chiffre des mis- sions de Chine est monte de cinq a quarante et celui des chretiens de 202.000 a 601,614. Ce sont de beaux resultats : mais combien ils sont loin encore de repondre aux desirs de notre foi ! Les cadres de I'armee apostolique .se sont elargis et fortifies ; c'est la le resultat le plus net ; mais le nombre des fideles est loin d'avoir grandidans la meme proportion que celui des missionnaires, et le christianisme ne tient encore en Chine qu'une place infime. Un demi-million de fideles centre plus de quatre cents millions de paiens et vingt millions de musulmans, que c'est peu ! — fG^ — >©< — iJjixxxxxiiiJxxj^ajiiriiiiiiiiiiiiitiiii'iTiiiiiTiiiiiiigiiiiiinijojiiiJiiiiiiiiiiiii-iiiiirLxiiiiiiiiJxiiiuxjiiiiijrijirixj CljajJitrc DDUiitmc. LE JAPON ET LA COREE, 1800-1890. | icnxirm &®x^P^P^P^P^ HiSTOIRE de la resurrection de ces deux Eglises martyres est pleine d'interet pour le lecteur Chretien. Mallieureusementje ne puis qu'csquisser ici les grandes lignes du tableau, renvoyant PO"-"" '^^ details le lecteur aux o'uvVages' speciaux qui ont raconte I'histoire de ces deux missions (i). #r I. — MISSIONS DU JAPON TOUT le monde a presente a la memoire I'histoire heroique de I'Eglise du Japon : cette chretiente de c/t7/.r;«z7/w/.f dames s'abimant tout entiere dans le sang de ses pretres et de ses enfants ; plus d'un 7;////?fr demissionnaires, Jesui- tes, Augustins, Franciscains, Dominicains, don- nant genereusement leur vie dans des tortures inouies ; pres de daix cent milk martyrs indi- genes ; la rage des persecuteurs, I'intrepidite des fideles, I'infame complicite de I'Europe protes- tante, livrant au bourreau les derniers debris de cette illustre Eglise ; la perfidie des Hollandai.s, aidant eux-memes a massacrer leurs freres Chre- tiens, en haine du catholicisme et pour un vil interet commercial. Depuis les temps aposto- liques, aucun spectacle plus grandiose n'avait ete donne au monde chretien : il y eut la des epi- sodes d'une beaute a ravir les anges, et des raffinements de perversite a faire tressaillir d'en- vie les demons de I'enfer. Puis, pendant un siecle et demi, il .se fait un silence de mort sur la tombe des martyrs, et le monde chretien se demande avec angoisse si tout est fini. Malgre tout, un espoir invincible persistait. Je ne sais quels pressentiments secrets avertissaient les catholiques qu'ils avaient encore des freres du Japon ; on se refusait a croire a la mort de cette Eglise, qui avait donne des preu- ves si energiques de vitalite. Un grand nombre de lettres de missionnaires se font I'echo de ces preoccupations, pendant les quarante premieres annees du XIX<= siecle. En 1846, Gregoire XVI, qui a tant fait pour les missions, retablit le vica- riat apostolique du Japon, et le confia a la Societe des Missions Etrangeres de Paris. I. Histoire du Jafon, par le R. P. Je Charlevoix. — Lejafoii, par M. Leon Pages. — Histoire de Corie, par M. Dallet. II fallait forcer les portes de cet empire, enferme dans un cercle infranchissable. Deux missionnaires , M. Forcade , mort archeveque d'Aix, et M. Leturdu, mort dans les prisons de Canton, s'etablirent d'abord aux iles Lieou- kieou. Apres deux ans d'efforts infructueux pour se mettre en rapport avec les Japonais, il fallut abandonner le poste. Ce ne fut qu'en 186 1 que les missionnaires purent s'etablir au Japon, a la suite des traites de commerce conclus avec les nations europcennes. Leur position n'en etait pas moins precaire : severement confines dans les deux ou trois ports ouverts aux Europeens, les missionnaires se sen- taient surveilles par une police vigilante, et il leur etait a pen pres impossible de se mettre en relations avec les indigenes. D'ail!eurs les anciens edits contre la religion infaine subsistaient tou- jours, et la mort attendait le premier Japonais qui se fut hasarde a s'approcher de ces etrangers doublement suspects, comme Europeens et comme pretres. II n'y avait done qu'a attendre le moment de ElEU et a preparer I'avenir. C'est ce que firent nos confreres, avec une abnegation complete. lis limiterent leur ministere aux rares Europeens presents dans les ports du Japon, eleverent quel- ques chapelles, au frontispice desquelles ils arbo- rerent la Croix si longtemps proscrite, etudierent la langue, les mceurs, les institutions sociales de ce peuple etrange, et comme les apotres a la veille de la Pentecote, ils se prdparerent, dans le recueillement et la priere, aux grandes choses que DiEU voulait operer par leurs mains. Cette attente ne fut pas trompee. L'heure de la resurrection allait sonner pour cette Eglise sommeillant depuis trois siecles sous la pierre du sepulcre. En 1862, Pie IX appelait le monde catholique a Rome pour celebrer la canonisation des premiers martyrs japonais. En presence de trois cents eveques et de plus de cent mille fideles, il elevait sur les autels 26 martyrs japonais : 3 religieux de la Compagnie de Jesus, 6 Franciscains, 17 Tertiaires, crucifies a Nagazaki le 5 fevrier 1597. Cette grande fete du Ciel et de la terre dtait I'aurore de la resur- rection. A Nagazaki, les missionnaires setaient empres- ses naturellement d'elever une eglise aux ?6 martyrs, et, malgre les efforts de la police, la LE JAPON ET LA COREE, 1800-1890. 177 foule des visiteurs affluait, pousses par la curio- site. Le 17 mars 1865, RI. Petitjean, amene sans doute par I'ange de I'Eglise du Japon, etait age- noLiille au pied de I'autel. Quelques pauvres EGLISE des VINGT-SIX MARTYRS A NaGAZAKI. D'apr^s une photographic envoyt'e par Mgr Petitjean. femmes se presentent pour visiter la chapelle ; files regardent I'autel, le crucifix, les tableaux, I'image de Marie portant son divin Fils dans ses Missions Catholii bras : plus de doute, comme Madeleine au sepulcre, elles ont reconnu Icm- DiEU. EUes s'ap- prochent en tremblant du missionnaire toujours 178 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlXnx^ SIECLF. agenouillc : « Votre cceur, lui disent-elles a voix basse, et notre coeur ne sont qu'un meme ccEur. » Puis, designant I'image de la Mere de DiEU : « Celle-la, c'est Santa Maria Saiiia, cet enfant, c'est Jesoiis Saiiia. Chez nous presque tout le monde nous ressemble. » « Soyez beni, 6 mon DiKU, pour tout le bon- heur dont mon ame fut alors inondee ! » ecrivait I'heureux missionnaire, temoin et acteur dans cette touchante scene. « Quelle compensation de cinq annees d'un ministere sterile ! » Tie IX, averti immcdiatement de la decouverte des anciens Chretiens, voulut instituer une fete speciale, qui se celebre chaque annee au Japon, le ly mars, sous le rit double mijeur, pour solen- niser la resurrection de cette Eglise. L'Eglise du Japon etait retrouvee. Malgre I'atrocite d'une persecution de trois siecles, malgre I'absence du pretre pendant i8o ans, des milliers et des milliers de Japonais, sans autels, sans culte, avaient reussi a conserver leur foi. C'est la un des plus prodigieux exemples de vitalite qu'on trouve dans les annales de I'apostolat. Une derniere epreuve etait reservee a ceUe Eglise renaissante. Malgre toutes les precautions prise;, le secret ne put etre garde, une nou\'elle persecution eclata. De i86S a 1873, six a huit mille Chretiens furent deportes, separes de leurs families, soumis a des tortures atroces ; pres de deux mille moururent en prison, a la suite des mauvais traitements. L'Europe chretienne, qui a ses representants au Japon, s'emut de ces barbaries. Plus Chretiens, ou moins fanatiques que ceux du XVI^ siecle, les ambassadeurs protestants furent les premiers a reclamer avec energie. Le gouvernement japonais, bien different de celui de la Chine, est entre plei- nement dans le courant de la civilisation occi- dentale ; il tient a prendre rang parmi les peuples civilises et a meriter I'estime de I'Europe. Le Mikado eut le bon sens de comprendre que les lois iniques du passe etaient incompatibles avec les idees nouvelles ; il accorda la liberte religieuse et il semble decide a la maintenir franchement. On peut done esp6rer que I'ere des persecu- tions sanglantes est close au Japon. Les difficultes que I'apostolat catholique rencontrera sur sa route ne viendront plus de la desormais. Ces difficultes ne laissent pas d'etre considerables encore. Le paganisme conserve une immense influence sur la masse du peuple, et, d'un autre cote, les transformations politiques et sociales par lesquelles passe actuellement cet empire, sont loin de favoriser la propagation de I'Evangile. A I'heure actuelle, ce pays est en pleine crise sociale. II a rompu brusquement avec tout son passe, toutes ses traditions, pour sejeter, avec un engouement un peu irreflechi, entre les bras de la civilisation occidentale. C'est la une transition trop brusque et qui laisse entrevoirde redoutables eventualites pour ce peuple si intelligent, mais qui parait si impressionnable, et qu'on a nomme, non sans apparence de raison, les Francais de I'Extreme-Orient. Jusqu'ici, il a surtout pris de la civilisation occidentale ce qui frappe les yeux : les modes, les industries, la vapeur, I'electricite et, dans un autre ordre d'idees, les institutions poli- tiques, les journaux (i), les constitutions et jus- qu'au parlementarisme. Mais il ne parait pas avoir meme soupgonne la force cachee qui permet, a ces redoutables engins du progrcs moderne, de se mouvoir sans trop de chocs, je veux dire I'esprit chretien, dont nos vieiUes societcs sont encore tout impregn^es, quoi qu'elles en disent. Ces forces redoutables, aux mains d'un peuple encore tout paien, ne vont-elles pas devenir un danger pour lui ou pour les autres ? C'est le secret de I'avenir. Mais il est certain que le Japon passe aujourd'hui par une crise sociale tres redoutable. Converti deux siecles plus tot, il eut ete, comme les nations occidentales, eleve doucement par I'Eglise, qui eut respect^ soigneu- sement ses institutions patriarcales, ses moeurs, ses traditions. Jete a I'improviste et sans prepa- ration au milieu de ce mouvement qui nous entraine nous-memes vers un progres problema- tique, n'est-il pas a craindre que ce peuple inte- ressant ne prenne de notre civilisation que nos vices et nos revolutions ? Un autre danger bien redoutable pour I'apos- tolat, c'est la presence du schisme et de I'heresie. Des que le Japon fut ouvert aux etrangers, le schisme russe I'envahit par le nord et le protes- tantisme par le sud. Aujourd'hui cette terre sacree, que le catholicisme avait rachetee au prix de son sang, nous est disputee par une armee de popes et de predicants. Quel effet desastreux ne produira pas sur I'esprit d'un peuple obser\'ateur la revelation des divisions qui dcchirent I'unite du christianisme ! N'est-il pas a craindre que cette vue ne le jette dans la libre-pensee et I'in- difference religieuse ? Ces redoutables 6ventualites, qui attristent le cceur du penseur, ne decouragent pas le zele de I'apotre. Avec des ressources bien modestes et bien insuffisantes, helas ! I'apostolat catholique tient tete a tous les ennemis. II reste encore un bon nombre de vieux Chre- tiens a decouvrir et a ramener a I'Eglise. La crainte des persecutions, I'orgueil des anciens chefs de chretientes, qui craignent de perdre leur autorite sur les fideles, en retiennent encore loin de nous un grand nombre. Esperons que peu a peu ces defiances tomberont. L'apostolat s'exerce aussi avec succes aupres des paiens. Malgre la corruption des moeurs, qui est extreme, chaque annee, un certain nombre de paiens entrent dans I'Eglise, et le mouvement des conversions ne fera que s'accelerer le jour ou un nombreu.x clerge indigene permettra de multiplier Taction de I'apostolat. C'est seulement au mois de septembre 1883 qu'on a pu imposer :. On cotnpte actuellement au Japan 716 journaux (1891). LE JAPON ET LA COREE, 1800 1890. 179 les mains aux premiers pretres japonais. C'est uiie grande date dans I'histoire de I'Eglise du Japon. Si, a I'heure de lepreuve, cette herolque chretiente, qui a su garder la foi avec de simples catechistes, eiit eu un clergc national, il est pro- bable qu'a cette heure le japon serait bien pres d'etre chrctien. En 1876, le vicariat unique du Japon fut divise en deux : Japon septentrional et meridio- nal ; en 1 887, un troisieme vicariat fut erige au Japon central Enfin, un quatrieme vicariat a ete erige a Hakodate. II embrasse toute la partie nord du vicariat du Japon septentrional. Enfin, en 1891, Notre Saint-Pere le Pape Leon XIII vient de retablir la hierarchie au Japon : un archeve- che, Tokio ; trois eveches suffragants, Nagazaki, Osaka et Hakodate. C'est un gage de resurrection et de vie pour cette noble Eglise, si longtemps ense- velie dans le sang de ses martyrs. Voici maintenant le tableau des developpements numeriques de la mission du Japon : En 1S60 : I prefet apostolique, 2 mlssion- naires, o pretres indigenes, o eglises ou clia- pelles, o ecoles, .' catholiques. Ell iSq6 : I archeveque, 3 dveqiies, 98 missionnaires, o prciies indigenes, 215 egli- ses cu chapelles, 50.302 catholiques. La population totale etant de 40.000.000, la proportion des catholi- ques japonais est i 800. I. L'arcliidiocese de Tokio, ancien vicariat apostolique du Japon septen- trional, compte aujourd'hui 9.G60 ca- tholiques sur une population totale de 13.800.000 habitants. II comprend 21 provinces, dans la grande ile de Nippon. L'archeveque reside a Tokio. Le personnel de la mission com- prend : I archeveque, 30 missionnaires europeens, 2 pretres indigenes, 32 ca- techistes indigenes, 13 religieux ma- rianites, dont 3 pretres, 25 ScEurs du Saint-Enfant-J^sus (dites de Saint- Maur), dont 19 europeennes et 4 indigenes, plus 8 novices ou postulantes, 10 Soeurs de Saint Paul de Chartres, 5 postulantes indigenes. II y a dans la mission 9 districts avec resi- dences, 59 chretientes, 44 eglises ou chapelles. Etablissements d'education : i grand seminaire, 5 eleves. I college prcparatoire, 6 eleves. I college tenu par les Marianites, So eleves. 29 ecoles primaires, 2.G75 eleves. 4 orphelinats, 142 gardens, 859 filles. Au total, 2.507 enfants dans les 27 ^tabli-sse- ments de la mission. Oiuvres de charite : i leproserie, 34 malades. 3 pharmacies, tenues par les Soeurs. Pour lutter centre la propagande protestante et eclairer les paiens, la mission fait paraitre chaque semaine un journal religieux, scientifique, historique, qui ne passe pas inapergu au milieu des autres organes de la presse. 1 1. Diocese de Nagazaki, ancien vicariat apos- tolique du Japon meridional. Ce diocese, qui comprend 32.655 catholiques sur une population totale de 6. 100 000 habitants fut le berceau de I'Eglise renaissante du Japon. C'est a Nagazaki, dans I'eglise toujours subsis- — MousTS'HiTO, Mikado du Japun. D'apr^s une photographie. tante des vingt-six Martyrs, qu'eut lieu la recon- naissance des vieux chrctiens du Japon, que j'ai racontee plus haut. Le personnel de la mission compte : i dveque, 27 missionnaires europdens, 17 pretres indigenes, 284 catechistes, 7 Sceurs europeennes du Saint- P^nfant-Jltsus, 15 postulantes, plusieurs congre- gations de pieuses femmes qui, sans faire de vceux, se consacrent entierement aux ceuvres de la mission : instruction des catechumenes de leur sexe, baptemes d'enfants de pai'ens, petites ecoles elementaires, etc. II y a dans la mission : 21 districts et 62 chre- tientes secondaires, 99 eglises ou chapelles. 180 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"ie SIECLE. Maisons d'6ducation : i seminaire, 47 Aleves, plus 19 ecoles de districts, 1.200 eleves, i 6co\e de catechistes a Nagazaki, 12 Aleves. Plusieurs orphclinats. III. Diocese d' Osaka, ancien vicariat aposto- lique du Japon central, 6rige en 1880. Cette mission, de cremation recente, ne compte encore que 4.422 chretiens, sur une population totale de 1 3.1 84.000 habitants. Le personnel se compose de : i eveque, 24 missionnaires, 49 catechistes indigenes, 14 Soeurs du Saint-Enfant-Ji5sU.S, et 2 postulantes. Le personnel se compose de : l 6veque, 17 mis- sionnaires, 24 catechistes, 12 Soeurs de Saint-Paul de Chartres. II y a dans le diocese 10 districts principaux, plusieurs chretiente-s annexes, 30 eglises ou cha- pelles, 12 ecoles avec 957 eleves. Tel est le developpement consolant des oeuvres de la chretiente renaissante du Japon. Quand on songe que tout cela n'a pas encore trente ans d'e.xistence, et qu'en 1862 il n'y avait encore absolument rien au Japon, on ne pent que remercier DiEU des benedictions qu'il a daigne repandre sur le travail de nos confreres. Neanmoins ce n'est pas trop, ce n'est pas meme assez pour latter efficacement contre la propagande protestante et russe. C'est surtout sur le terrain de I'enseignement que la lutte existe. C'est pour le catholicisme une question de vie ou de mort, car chez ce peuple, epris de la civilisation europeenne, on pent dire sans exage- ration que I'avenir appartiendra fina- lement a qui instruira le mieux. I'our- quoi faut-il qu'en presence des im- menses ressources du schisme et de I'hdr^sie, le zele de nos confreres se voie trop souvent arrete par leur pau- vrete ! II. — MISSION DE COREE. Le Venerable Jacques Chastan. II y a dans la mission 12 districts, chacun comptant plusieurs chretientes annexes,45 eglises ou chapelles, 13 ecoles avec 759 eleves, 5 orphe- linats. IV. Diocese d' Hakodate. Cette mission, encore au berceau, car le vicariat apostolique fut ^rige seulement dans les premiers mois de 1891, n'a que 4.199 Chretiens sur 6.407.000 habitants. Le nouveau diocese comprend toute la partie nord du Japon, I'ile de Yeso, les Kouriles, avec les provinces septentrionales de la grande ile de Nippon. LA Coree peut etre appelee a juste titre la terre des martyrs. De- puis un siecle, le sang des temoins du Christ n'a cesse de couler a flots sur ce sol aride L'heure semble venue ou la divine semence, jetee dans la souf- france et les larmes, va lever enfin dans I'allegresse et la paix. Bon gre mal gre, la Coree a du ouvrir aux representants de I'Occident ses portes si longtemps fermees. Sans doute, la liberte religieuse n'a pas encore et6 reconnue en droit ; mais, en fait, la presence de nos ambassadeurs et de nos consuls a Seoul, rend impossible le retour des atrocites du passe. Un pas immense a done ete fait, et nous pouvons raisonnablement esp6rer que la porte, entr'ouverte d'assez mau- vaise grace au christianisme, ne se refermera plus desormais. Au commencement du XIX^ siecle, il y avait en Coree environ 6.000 fideles, assistes par un seul pretre chinois, envoye en 1791 par I'evcque de Peking, le P. Tsoi. Malheureusement il fut pris et martyrise, au mois d'avril 1801, et la pauvre Eglise de Coree resta plus de trente ans sans pasteurs. En 181 1 et en 1817, les chretiens ecrivirent LE JAPON ET LA COREE. 1800-1890. 181 a revcque de Peking et, par son entremise, au Souverain I'ontife, pour exposer la detresse de leur Eglise, toujours persccutee, et demander des pretres. Les malheurs generaux de I'Eglise et I'etat particulier de la mission de Peking, a la veille d'etre detruite, ne permirent pas de faire droit a leur demande, et Ton se vit, a regret, force de les abandonner pendant de longues annees. La constance des Coreens dans cette epreuve fut admirable. Sans pretres, sans sacre- ments, sans instruction, ces neoph\tcs, qui con- naissaient a peine les premiers principes de la religion, conserverent, avec une fidelity bien remarquable, les precieuses semences de la foi deposees dans leur cceur, et ne se rebuterent pas de tant d'efforts inutiles faits pour avoir des apotres. En 1827, ils renouvelerent leurs instances. Cette fois, leurs cris de de- tresse furent entendus a Rome, et la Sacree-Congregation fit choix de la Societe des Missions Etrangeres pour ce poste d'honneur et de devouement. La Societe etait pauvre en mission- naires, car elle achevait a peine de reformer ses cadres, desorganises par la Revolution fiancaise et les perse- cutions de I'Empire. Mgr Brugniere venait d'etre sacre eveque de Capse et coadjuteur du vicaire apostolique de Siam. II s'offrit de grand cceur pour cette perilleuse mission de Coree, et son venerable vicaire apostolique, Mgr Florent, fit, avec une heroique abnegation, le sa- crifice de son coadjuteur. Nomme, en 1832, premier vicaire apostolique de la Coree, Mgr Bru- gniere partit pour le nord de la Chine, en compagnie d'un jeune Chinois, Joseph Taou, plein de zele et de cou- rage : « A pied ou sur une mauvaise monturc, ^crivait I'eveque en 1835, il a deja fait plus de chemin pour m'etre utile qu'il n'y en a de Paris a Pekin, et ccpendant il est d'unc sante tres frele. » La traversee dc la Chine fut tres particulierement penible pour Mgr Brugniere. En ce temps-la, on ne voyageait pas encore a la vapeur. Parti de Siam au mois de sep- tembre 1832, le prelat n'arriva qu'au mois d'oc- tobre 1835 en Mongolie,aux portesdesa mi-ssion. II avait mis plus de trois ans pour traverser la Chine, du sud au nord, avec des fatigues et des souffrances dont il est difficile aujourd'hui de se faire I'idee. La timidite excessive de ses guides, I'inexperience du prelat, jointe a un certain man- que d'esprit pratique dont les hommcs supcricurs sont souvent affliges, .son ignorance de la langue et des mceurs chinoises, avaient multiplie sous ses pas les difficultes. Plus d'une fois il avait failli etre reconnu comme Europeen dans les auberges chinoises ou il etait force de loger, ce qui eiit ete la mort pour lui et la persecution pour les Chre- tiens. Le venerable prelat, epuise de fatigues et de souffrances morales, mourut le 20 octobre 1835, dans un pauvre village de la Mongolie, en vue des montagnes de la Coree, sa chere mission. Comme MoVse, il lui a\'ait ete donne seulement d'entrevoir de loin les sommets de la terre pro- mise. Son successeur, Mgr Imbert, fut plus heu- reux. A la fin de 1837, il put penetrer en Coree et vint rejoindre MM. Mauband et Chastan, qui y etaient deja dcpuis un an. Lk Vener.^ele Pierre Mauband. L'Eglise de Coree avait enfin des pasteurs. Ce fut pour ce peuple heroi'que une joie indicible, et il se fit bientot un grand mouvement de conver- sions : « Ici comme partout, (^crivait en 1839 le vicaire apostolique, I'Eglise est un arbre qui se feconde sous le fer qui taille ses rameaux. En 1836, au moment oil M.. Mauband penetra dans la Coree, elle comptait tout au plus 4.000 Chre- tiens ; aujourd'hui nous en avons plus de 9.000 ; en sorte qu'cn trois ans le nombre a double, i La persecution n'allait pas tardcr a frapper les pasteurs et a disperser le troupeau. Elle cclata dans les premiers mois de cette annee 1839, et 182 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™ SIECLE. le vicaire apostolique fut arrete au mois d'aout. Pour eviter a ses chretiens des persecutions cruelles, sachant d'ailleurs que la presence de trois Europeens en Coree etait connue des auto- rites, Mgr Imbert ecrivit a ses missionnaires de se livrer eux-memes, afin d'arreter les perquisi- tions et les recherches. Les deux missionnaires obeirent avec une heroique simplicity, et, apres d'affreuses tortures courageusement supportees, les trois apotres cueillircnt la palme du mart)'re, le 21 septembre 1839. L'Eglise de Coree restait de nouveau sans pas- teurs, et I'ardeur de la persecution rendait bien difficile I'introduction de nouveaux missionnaires. II fallut faire, pendant plusieurs annees, le siege I i"'-IH .^=^r%iS"^ . ,^^'^^\ Mgr Ridel, des Missions Etrangeres de Paris, eveque de Philippopolis in parlibus, vicaire apostolique de la Corde. de cette contree inhospitaliere. La route de terre ^tant absolument fermee, il ne restait que la mer ; mais comme la Coree ne recevait aucun navire dans ses ports, pas meme les jonques chinoises, il fallait que les deux bateaux, celui qui portait le missionnaire et celui qui venait le chercher, s'abouchassent en pleine mer, au risque d'etre emportes par les courants et de ne pouvoir se rencontrer. Ce fut ce qui arriva plusieurs fois. Apres six ans de tentatives, Mgr Ferri^ol', le successeur de Mgr Imbert, parvint a debarquer en Coree, avec M. Daveluy, le martyr de 1866, et Andr6 Kim, le premier pretre coreen, qui devait, lui aussi, etre martj'rise I'annce suivante. M. Maitre employa douze ans pour penetrer en Coree. A la fin, les matelots chinois, rebutes de tant d'insucces, refuserent absolument de faire de nouvelles tentatives. Ce fut un Jesuite de la mission du Kiang-nan, le P. Helot, qui se devoua pour lui ouvrir les portes de sa mission. II s'improvisa son pilote et, muni d'une mechante boussole, il se lanca avec le missionnaire et quel- ques rameurs chretiens, sur cette mer feconde en naufrages. Vingt fois ils manquerent d'etre en- gloutis : mais I'Etoile des mers veillait sur la pauvre barque, a moitie abimee dans les flots, et le missionnaire arriva au port. La Coree avait retrouve des apotres ; la perse- cution s'etait un peu apaisee. A la mort de Mgr Ferreol, 3 fevrier 1853, ce fut un ancien confesseur de la foi au Tong-King, Mgr Berneux, qui recueillit sa succession. Peu a peu de nouveaux missionnaires furent introduits ; les oeuvres de la mission se develop- perent ;le mouvement des conversions, un moment ralenti, reprit avec ardeur. A la veille de la crise de 1866, la mission de Coree comptait : i vicaire apostolique, Mgr Berneux, i coadjutcur, Mgr Daveluy, 10 missionnaires europeens, i seminaire, I imprimerie et environ 18.OCO chretiens. Jamais I'Eglise de Coree ne s'etait vue dans un etat si prospere : elle etait, h^las ! a la veille d'un anean- tissement complet. La presence des Russes, arrivantaux frontieres nord du roj'aume pour forcer les portes de ce pays, demeure seul dans I'ExtnJme Orient inac- cessible a I'Europe, avait jett^ la cour de Seoul dans I'inquietude. II parait qu'un instant le gou- vernement coreen delibera serieusement de faire alliance avec la France et I'Angleterre, pour se debarrasser de ces etrangers suspects. Le vicaire apostolique fut appele dans cette intention a la Capitale ; mais, dans I'intervalle, les dispositions du regent changerent, le parti hostile aux Occi- dentaux I'emporta dans les conseils du prince, et Ton resohit I'exterminatioii en masse des chre- tiens, en commencant par les missionnaires. Le 8 mars i865, Mgr Berneu.x, vicaire aposto- lique, mourait pour la foi, en compagnie de MM. Beaulieu, Doric et de Bretenietes ; le 1 1 mars, c'etait au tour de M. Pourthie, le provicaire de la mission, et de M. Petit-Nicolas ; enfin, le 30 mars, le jour du vendredi saint, un beau jour pour mourir, le coadjuteur, Mgr Daveluy, completait I'holocauste, en compagnie de MM. Huin et Au- maitre. Seuls, trois missionnaires, MM. Ridel, Calais et Feron, avaient pu derober leur tete au fer du bourreau. Au mois de juin, M. Ridel par- vint, a travers mille perils, a passer en Chine, afin de faire connaitre le desastre de la mission ; quant a MM. Calais et Feron, ils purent regagner la Chine seulement au mois de septembre suivant. Apres avoir frappe les pasteurs, la persecution s'acharna sur le troupeau. Une expedition mal concertee de I'amiral Roze, au mois de septem- bre, redoubla sa fureur. L'amiral s'etant retire apres avoir bombarde un des ports du royaume LE JAPON ET LA COREE, 1800-1890. 183 le regent jura d'exterminer tous les Chretiens, at, dans la mesure de ses forces, il ne tint que trop bien parole. Pendant pkisieurs ann^es, la mal heureuse mission de Coree fut sous le pressoir ; toutes les chretientes, sans exception, furent de- truites, tous les chretiens influents mis a mort. Ouand les missionnaires purent rentrer en Coree, en 1896, ils ne trouverent plus que des ruines. C'est a Mgr Ridel qu'etait reserve le pcrillcux honneur de recueillir la succession des martjrs. Le 5 juin 1870, jour de la Pentecote, il fut sacre a Rome, en plein concile, par le car- dinal de Bonnechose, archeveque de Rouen, en presence de trente-six eve- ques, presque tous missionnaires, et quelques-uns confesseurs de la foi. Les deux assistants etaient Mgr Ver- roUes, vicaire apostolique de la Mant- chourie, et Mgr Petitjean, vicaire apos- tolique du Japon. Ce fut une scene digne des premiers ages de I'Eglise, et lorsque, a la fin de la ceremonie, le nouvel eveque de Coree donna le baiser de paix a son frere du Japon, bien des cceurs furent emus et bien des yeux se remplirent de larmes. A travers les espaces loin tains, on vit les deux Eglises martyres, le Japon, la Coree, se donner la main et s'en- courager mutuellement a souffrir pour le ClIRLST. A peine rentre en Coree, Mgr Ridel fut pris de nouveau et retenu pendant cinq mois en prison (1878). On crut que I'Eglise de Coree allait compter un martyr de plus. Mais le gouverne- ment coreen commen^ait a reflechir et a se rendre compte de I'inutilite de ses barbaries. Apres avoir tue trois eveques, neuf missionnaires europeens et un pretre indigene, apres avoir fait pcrir dans les tortures des millicrs de Chretiens, c'etait toujours a recom- mencer. On se d^cida a renvoyer ho- norablement I'eveque en Chine. M. Doucet, ayant ^te arrets I'annee sui- vante, fut reconduit egalement. L'ere des persecutions sanglantes etait fer- mee. Apres un siecle de souffrances, les fideles, par leur invincible Constance, avaient fini par decourager la cruautc des persecuteurs. C'est ce qui arrive presque toujours en pareil ca.?. Mgr Ridel, tipuise avant I'age par de cruelles infirmites, ne put rentrer en Coree, et revint mourir en France. Son successeur, Mgr Blanc, prit d'une main ferme le gouvernail de la barque apostolique. Mais bientot la mort vint interrom- pre son apostoiat, et Mgr Mutel, un ancien mis- sionnaire de Coree, continue aujourd'hui I'ceuvre des martyrs ; tout fait esperer qu'il ne rcvcrra pas les orages du passe. Bien que la situation nesoit encore rien moins que sure, les Sceurs de Saint- Paul de Chartres ont eu le courage de venir, sur I'appel du vicaire apostolique, s'etablir sur ce sol encore humide du sang des marl)-rs. Puisse leur genereuse confiance n'etre pas trompce ! Voici quelle est, au i^'' Janvier 1896, la situation de la mission de Coree : Personnel : i vicaire apostolique, 27 mission- naires, 10 catechistes indigenes, 6 Scturs de Saint- Paul. Mgr Blanc, eveque d'Anligone, vicaire apostolique de la Coit'e. CEuvres ; 304 petites chrttientes, 18 eglises ou chapelles, 25.998 catholiques. 1 seminaire, 32 eleves, 42 petites ecoles, 463 eleves. 2 orphelinats, 106 garc^ons et 278 filles, i hos- pice de vieillards, 20 pensionnaires. La Coree s'est vue forcee de sortir de cet isolement seculaire dans lequel elle avait jure de s'enfermer. Elle a conclu des traites de commerce avec les grands Etats de I'Occident. Dans ces divers traites, la question religieuse a ete sciem- ment laissee de cote. En apparence, rien n'est change aux ancicnnes lois et le christianisme 184 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. reste proscrit, mais la presence des representants du monde chretien a Seoul est une garantie contre le retourdes persecutions sanglantes. La paix religieuse seinble done acquise en fait, sinon en droit; mais, en meme temps, la porte est ouverte a la propagande protestante et russe. Fasse le Ciel que nos confreres, en presence des difficultes nouvelles qui les attendent pcut- etre, n'aient jamais a regretter les persecutions sanglantes du passe 1 Statistique comparce des missions du Japan et de Corce. 1896 50.302 caih. 25.99S cath. 1850 ? En 1880 Missions du Japon ? Mission de Coree . 6.000 Total : 6.000 12.000 76.300 cath ^«i) cljiiiJitrc Trin5icmi\ ^«® Les Missions de l'AMERIQUE ANGLAISE, 1800-1890. ri H T I IT-l r ! I T 1 t r ^-TT T-TT TT I I I 1 I 1 I 1 t 1 I I I Tn"fTT TT rTm 1 I I I TTY T t T T TTTV 11 1 irTT^rTTTTI ! I I H TTTTTTTTTI I T1 IH I I I ITTTI 11 111111X1 1 1 III rTTT ^ES missions catholiques de I'A- merique Anglaise s'etendent de rOcean glacial arctique aux Grands Lacs, et de I'Atlantique au Pacifique.Ces vastes regions, a I'exception de I'Alaska, cedee en 1867 par la Russie aux Etats-Unis, sont sous la domination politique de I'Angleterre, et forment une federation de colo- nies, connue sous le nom gencrique de Douiiiiion. Les huit Etats qui envoient chaque annce des deputes siegeant au congres d'Ottawa, sont : la province toute franca ise de Quebec, I'Ontario, la Nouvelle-Ecosse, le Nouveau-Brunswick, I'ile du Prince Edouard, le Manitoba, la Colombie britan- nique et le territoire de la baie d'Hudson. En dehors de ces huit Etats, les missions de I'Amerique du Nord embrassent encore I'ile anglaise de Terre-Neuve et la petite colonic fran^aise de Saint-Pierre et Miquelon, seul reste des immenses territoires que la France avait autrefois decouverts et colonises dans le Nord de I'Amerique. Par le traite d'Utrecht, en 1713, nous avons du ceder a I'Angleterre I'Acadie (Ic Xouveau-Brunswick acluel) et Terre-Neuve ; un demi-siecle plus tard, la lache incurie de Louis XV et la trahison payee d'un ministre pensionne de I'Angleterre, le comte de Choiseul, nous faisaient perdre Ic Canada, aux applaudis- sements des philosophes, heureux, dans leur intelligent patriotisme, de voir i'abaissement de la I-'rance catholique : « A quoi bon, ecrivait Voltaire, leur corj-phee, se chamailler pour quelques mediants arpents de neige ? » Les quelques arpents de neige que nos beaux esprits de Paris dedaignaient, sont devenus un des plus beaux fleurons de la couronne coloniale de I'Angleterre ; ils representent 8.933.000 kilom. carrcs, et comptent, a I'heure actuelle, plus de 4.000.000 d'habitants ! Heureusement, si I'influence politique de la France a succombe dans I'Amerique du Nord, malgre les efforts heroiques de Montcalm et d'unc poignee de soldats abandonnes a eux- memes, la race frangaise, cette vieilie race qu'on dit impropre a la colonisation, et qui, dans la mere-patrie, s'etiole, en effet, et parait frappee de decadence, s'est admirablementdeveloppee au Canada, au point de balancer I'expansion, si vivace cependant, de la race anglo-saxonne. Sans avoir regu de la mere-patrie, au cours de ce siecle, aucun appoint serieux par I'emigration (i), avec ses seules forces et par I'accroissement nature! des naissances, elle s'est multipliee dans des proportions absolument inattendues. En 1760, la France abandonnait a I'Angleterre 63.000 colons ; ils etaient deja 120.000 en 1780. Aujourd'hui, sans parler de sept a huit cent mille qui sont passes aux Etats-Unis, on compte 1. 300.000 Franco-Canadiens, qui ont garde leur foi, leurs moeurs, leur langue et I'indestructible amour de la patrie francaise. Dans un siecle, si ce mouvemcnt continue dans les memes proportions, il y aura, dans I'Amerique du Nord, un peuple de vingt niillions d'ames, peuple frangais et catho- lique, ayant notre foi, parlant notre langue, et nous regardant comme ses freres. C'est la, au milieu des tristesses et des hontes de I'heure presente, un spectacle bien capable de consoler notre patriotisme ; c'est aussi, ne crai- gnons pas de le reconnaitre, la verification de I'oracle des saints Livres : « C'est la justice qui eleve les nations. » Pourquoi le peuple canadien a-t-il prospere d'une maniere si etonnante ? Parce qu'il est reste Chretien. Depuis un siecle, la France, apostasiant sa vieilie foi et s'abandonnant au.x revolutions, est tombee au point 011 nous la voyons. Non seulement elle a perdu ses anciennes frontieres, mais, ce qui est plus irreparable, elle est minee par un mal interieur qui la tue : plus de stabilite politique, dix a quinze revolutions en cent ans, des divisions irreconciliables, la haine sociale entre patrons et ouvriers, une poignee de sec- taires et de juifs cosmopolites faisant la loi a ce beau pays, I'affaissement universel des ames, I'immoralite, I'amour de I'or et des plaisirs devenu I'unique but de la vie, et pour mettre le comble a I. Depuis iSoo, le Canada a recju de neuf i dix mille emi- grants fran^ais. 186 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"!*: SIECLE. tant d'abaissements, une sterilite systematique et voulue, qui va, si elle ne s'arrete pas, et elle grandit tous les jours, amener la depopulation du pays et nous faire tomber au rang des puissances de troisieme ordre. Des sophistes ont bien ose dire que la race francaise est epuisee et n'a plus la force de se reproduire. Mais voyez cette meme race fran- gaise au Canada : privee, pendant un demi-siecle, de toute influence politique, tenue sous la main d'une puissance rivale et jalouse, elle s'est mul- tipliee comme les Hebreux de la terre de Gessen sous I'oppression des Pharaons. La-bas, les Montcalm. families de quinze, de vingt, de vingt-cinq enfants ne sont pas rares. S'il n'en est plus de meme chez nous, ce n'est pas, comme on I'a pretendu, que la race soit epuisee, c'est que lamour du luxe et I'cgoisme des jouissanccs ne veulent pas s'im- poser les sacrifices necessaires pour elever une nombreuse famille ; en un mot, c'est parce qu'on n'est plus Chretien. Le catholicisme s'est developpe dans I'Ame- rique du Nord plus rapidement encore que I'in- fluence fran9aise, grace a I'appoint de I'emigration irlandaise, venant demander a ce sol nouveau la liberte religieuse et le pain quotidien que I'Angle- terre refuse, dans leur patrie, aux enfants de saint Patrice. Les sieges episcopaux se sont multiplies sur les bords du Saint- Laurent et dans toute I'ctendue du Doininion ; partout des eglises se sont elevees, des ecoles se sont ouvertes; toutes les ceuvres de la vie catholique se sont epanouies, avec la neutralite generalement bienveillante, depuis 1840, du gouvernement britannique. Sans doute, ici comme partout, I'Eglise reste militante et trouve a lutter : les haines coalisees des oran- gistes et des francs-macons, les intrigues des politiciens, ont mis plus d'une fois en peril la paix confessionnelle. Mais, pour vaincre, le catho- licisme n'a besoin, finalement, que de la liberte ; et cette liberte, le Hberalisme vrai du gouverne- ment anglais la lui a generalement accord^e jusqu'ici. C'est ce qui lui a permis de faire, en un siecle, clans ces vastes regions de I'Amerique du Nord, les progres remarquables qu'on pent constater en jetant les yeux sur le tableau suivant, dont tous les chiffres sont empruntes aux documents officiels. II y avait dans I'Amerique anglaise : E?t lioo ■' I ^veque, I vicaire apostolique, 60 pretres ? eglises ou chapelles, 137.000 catholiques. En iSso : I archeveque, 5 vicaires aposloliques, 302 pretres, ? eglises ou chapelles, 540x00 catholiques. £h iS^o : I archeveque, 3 eveques, 3 vicaires aposto- liques, 470 pretres, 415 eglises ou chapelles, S22.000 catho- liques. En iS/O: 2 archeveques, 17 eveques, 3 vicaires aposto- liques, i prefet, i 391 preties, 1.224 eglises ou chapelles, 1.744. 1 16 catholit|ues. En iSg6: 7 archeveques, 19 eveques, plus 4 vicaires et 2 prefers aposto'iques, 2,664 pretres, 2.663 eglises ou cha- pelles, 2.203.220 catholiques. La population totale etant, au dernier recense- ment, de 4.324.810, les catholiques forment actuellement plus de la moitit; des habitants de I'Amerique anglaise C'est la un resultat dont nous avons le droit d'etre fiers, comme catho- liques et comme Francais. 11 faut maintenant etudier en detail chacune des provinces ecclesiastiques de I'Americ^ue an- glaise. I. _ PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE QUEBEC. Statistique. Archeveche : Quebec. — i archeveque, 430 pretres, 204 eglises ou chapelles, 320.000 catholiques. Eveches : Riniouski. — i eveque, 117 pretres, 95 eglises ou chapelles, 73.2S0 catholiques. Chicoutimi. — I eveque, 71 pretres, 61 eglises ou cha- pelles, 58.000 catholiques. Trois-Rivi^res. — i eveque, 79 pretres, 40 dglises ou chapelles, 60.570 catholiques. Nicolet. — I eveque, 87 preties, 76 eglises ou chapelles, 84.730 catholiques. Prefecture apostolique : Golfe Saint-Lauient. — i prdfet apostolique, 11 pretres, 33 e'glises cu chapelles, 9.000 catho- liques. Total : I archeveque, 4 eveques, i prefet apostolique, 795 pretres, 509 e'glises ou chapelles, 605.580 catholiques. La province ecclesiastique de Quebec se com- pose d'un archeveche, Quebec, de quatre eveches LES MISSIONS DE L'AMERIQUE ANGLAISE, 1800-1890. 187 suffragants : Rimouski.Cliicoutimi.Trois-Rivieres, Nicolet, et de la prefecture apostolique du Golfe Saint-Laurent. Elle embrasse environ les trois cinquiemcs de la province civile de Quebec. L'element franco-canadien et la langue francaise dominent presque exclusivement dans le pa}\s. comte. II a 73.280 cathoHques, tcus de race francaise. III. Evcclic de Chicoiitiiiii. — Erigc en iSjS.ce diocese comprend deux comtes et une fraction. II a 58.000 catholiques, centre 300 protestants. I. Archevcchc de Quebec. Le siege episcopal de Que- bec, erige en 1674, eut pour premier titulaire Mgr de Montinorenc}'- Laval, dont Ton a entame,ilyaquel- ques annees , le proces de canoni- sation. En I Soo.ce dio- cese unique eten- dait encore sa ju- ridiction sur toute I'Amerique an- glaise, a I'excep- tion de Terre- Neuve. C'est done de ce diocese que sont sortis , par des demembre- ments successifs, tous les dioceses du Dominion bri- tannique, en sorte q ue Quebec est ve- ritablement pour euxl'Eglise-Mere. En 1819, Pie VII eleva ce dio- cese au rang de metropole. RIais des difficultes po- litiques retarde- rentjusqu'en 1844 la constitution de- finitive de la pro- vince ecclesiasti- que. Aujourd'hui , I'archidiocese comprend seule- ment di.x comtes et une fraction de comtes. [1 compte environ 320.000 catholiques contre IJ.OOO protestants. La population est presque e-xcluslvement franco- can ad ienne. Le premier prelat canadien decore de la pourpre cardinalice est Son Eminence le cardi- nal Tachereau, archevcque actuel de Quebec. II. Eveclic de Rimouski. Ce diocese, erige en 1867, comprend deux comtes et une fraction de Son e:.m. le Cardinal Tachereau, archevcque de Quebec. IV. Eveche de Trois- Rivieres. Ce diocese, le plus ancien de la province, fut erige en 1852. II comprend trois comtes et a plus de 60.000 catho- liques, tous franco-canadiens, contre 595 protes- tants. V. Evech^ de Nicolet. II fut detache en 1885 du diocese de Trois-Rivieres, et comprend quatre comtes et une fraction, avec 84.730 catholiques contre environ un millier de protestants. 188 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlXn^^ SIECLE. VI. Prefecture apostolique du Golfe Saint- Laurent. Cette prefecture, detachee, en 1882, du diocese de Rimouski, comprend la majeure partie de la presqu'ile du Labrador, et s'^tend de la pointe nord de la baie d'Hudson a I'embouchure du Saint-Laurent. Elle est limitee, a Test, par le diocese d'Harbour-Grace, qui occupe toute la cote du Labrador, et a I'ouest, par le vicariat apostolique de Pontiac. Cette vaste etendue de territoire, couverte de glaces une grande partie de I'annee, est encore tres peu peuplee a cause de la rigueur du climat. On y compte 9.000 catholiques contre 2000 protestants. L'ile d'Anticosti, situce aux embou- chures du Saint-Laurent, est, avec les petites lies voisines, sous la juridiction du prefet apos- tolique. II. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE MONTREAL. Statistique. Archeveche : Montreal. — i archeveque, 570 pfetres, 378 eglises ou chapelles, 400.000 catholiques. Eveches : Saint Hyacinthe. — i e'veque, 189 pretres, 1 12 eglises ou chapelles, 120.000 catholiques. Sherbrooke. — 1 eveque, 76 pretres, 115 eglises ou chapelles, 60000 catholiques. Valley-Field. — i eveque, 60 pretres, 57 e'glises ou cha- pelles, 53.500 catholiques. Total : I archeveque, 3 eveques, S95 pretres, 662 eglises ou chapelles, 633.500 catholiques. La province eccl^siastique de Montreal a trois eveches suffragants ; Saint-Hyacinthe, Sherbrooke et Valley-Field. Elle embrasse un cinquieme environ de la province civile de Quebec. La race canadienne y domine encore, mais I'element anglo-saxon y est plus fort et plus nombreux qu'a Quebec. L Archcvcclu' de Montreal. En 1820, Pie VII crda le vicariat apostolique de Montreal, qui fut erige en diocese en 1836. Cinquante ans plus tard, en 1886, Leon XIII elevait Montreal a la dignite de metropole, en lui donnant deux suffra- gants, detaches de Quebec. L'archidiocese compte environ 400.000 catholiques contre 60.000 protes- tants. II. Evcelie de Saint-Hyacinthe. Detache en 1852 de Montreal, le diocese comprend sept comtcs et une fraction. II y a 120.000 catholiques sur 136.000 habitant.s. III. ErecJie de Slierbrooke. Ce diocese fut erige en 1874, et compte 60.000 catholiques sur une population totale de 103.300 ames. IV. Diocese de Valley-Field. Erige en 1892, il comprend cinq comtes, et compte 53. 500 catho- liques, sur 75.000 habitants. II a trente et une paroisses. III. — PJROVINCE ECCLE- SIASTIQUE D'OTTAWA. Statistique. Archeveche ; Ottawa. — i archeveque, 149 pretres, 283 eglises ou chapelles, 125.000 catholiques. Vicariat apostolique : Pontiac. — i vicaire apostolique, 31 pretres, 55 eglises ou chapelles, 32.690 catholiques. Total : I archeveque, I vicaire apostolique, 180 pretres, 338 eglises ou chapelles, 157.690 catholiques. La province ecclesiastique d'Ottawa n'a qu'un seul suffragant : le vicariat apostolique de Pon- tiac. Elle embrasse un cinquieme environ de la province civile de Quebec et une faible portion de celle d'Ontario. Les deux races francaise et anglaise s'y disputent la predominance ; mais, bien que la majorite des habitants soit encore catholique (158.000 catholiques contre 136.000 protestants), c'est la langue anglaise et I'in- fluence anglo saxonne qui I'emportent definiti- vement. La ville d'Ottawa, situee a cheval sur la fron- tiere des deux provinces de Quebec et d'Ontario, est le siege du gouvernement central et le lieu ou se reunissent en congres les deputes des huit Etats du Dominion britannique. I. Archeveche d'Ottawa. En 1846, un siege episcopal fut erige dans la ville de Bytown ; il fut transfere, en i860, a Ottawa, devenu le siege du gouvernement. Leon XIII I'eleva, en 1SS6, a la dignite de metropole. L'archidiocese est situe, partie dans la pro- vince de Quebec, partie dans celle d'Ontario. 11 compte 125.000 catholiques sur 208.000 habi- tants. II. Vicariat apostolique de Pontiac. En 18S2, Leon XIII crea le vicariat, qui fut detache des dioceses voisins d'Ottawa, de Trois-Rivieres et de Saint-Boniface. II dessert un vaste territoire, qui est compris entre la baie d'Hudson au nord, la prefecture du golfe Saint-Laurent a Test, les dioceses du Bas-Canada au sud, et l'archidiocese de Saint-Boniface a I'ouest. La population, tres peu dense, est de 85.500 ames, sur lesquelles on compte seulement 32690 catholiques, dont 3.600 sativages. La nationalite anglaise domine exclusivement dans le pays.Le vicaire apostolique reside a Pembroke. IV. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE TORONTO Statistique. Archeveche : Toronto. — i archeveque, 79 pretres, loi eglises ou chapelles, 60.000 catholiques. Evechi^s : Hamilton. — i dveque, 50 pretres, 80 eglises ou chapelles, 9.000 catholiques. LES MISSIONS DE L'AMERIQUE ANGLAISE, 1800 1890. 189 London. — i eveque, 73 pretres, Sseglises ou chapelles, 67.500 catholiques. Toial : I archeveque, 2 eveque?, 202 pretres, 266e'gli5es ou chapelles, 177.500 catholiques. Jusqu'en 1889, la province ecclesiastique de Toronto comprenait toute la province civile d'Ontario, c'est-a-dire le Canada anglais ; mais le Saint-Siege vient d'en detacher la partie orien- tale, en erigeant la metropole de Kingston. Ouand ils s'etablirent, en 1760, au Canada, les Anglais trouverent la province de Quebec occupee deja en partie par les Franco-Canadiens. Dans les premiers temps de la conquete, ils essayerent bien, comme ils I'avaient fait aupara- vant dans I'Acadie, d'eliminer I'element francais, pour se mettre a sa place ; mais ils rencontrerent dans le clerge et dans la population une resis- tance invincible, et, sentant Timpossibilite de vivre cote a cote, a cause de I'antipathie nationale qui separe les deux races, ils se jeterent dans les territoires non encore colonises de I'Ouest, et, naturellement, ils occupercnt d'abord I'Ontario, dont ils firent le centre deHeur influence politique et religieuse. On sait que la race anglo-saxonne est bien plus porteeque la notre a emi'grer au loin. Depuis I'occupation anglaise, un flot continu d'cmigrants s'est precipite sur le Canada, mena(^ant de recou- vrir et de submerger la petite colonie franco- canadienne. Dans la province de Quebec, ou celle-ci etait deja installce depuis longtemps, la prodigieu.se feconditede la race fran9aise lui a permis de resister a I'envahis.sement ; mais, dans les provinces de I'Ouest, en particulier dans I'On- tario, c'cst I'element anglais qui domine sans contcste, avec le protestantisme, les mceurs et la langue anglaises. La province ecclesiastique de Toronto compte 1. 177.500 protestants centre 177. 500 catholiques. Pendant longtemps I'Eglise romaine, faute de pretres et de ressources, fut forcee, en quelque sorte, d'abandonner ces vastes regions au.x ministres de I'erreur. C'est seulement en 18 17, cinquante ans apres la conquete, que Pie VII detacha les territoires de I'ouest du diocese de Quebec, en drigeant'le vicariat apostolique du Haut-Canada Neuf ans plus tard, en 1826, un premier siege episcopal fut erige dans I'Ontario, le siege de Kingston ; en 1841, un second siege fut erige a Toronto ; puis, les dioceses se multi- pliant. Pie IX fit de Toronto la metropole de la province, en lui donnant quatre suffragants : 190 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. Kingston, Hamilton, London et Peterborough. Enfin, au mois de juillet 1889, Leon XIII ayant erige Kingston en metropole, la province de Toronto se trouva rtduite a deux suffragants : Hamilton et London. I. Archevecy de Toronto. Cet archidiocese embrasse sept comtes. 60.000 catholiques sur 390.000 ames. II. Evechc d' Hamilton. Ce diocese fut detache, en 1856, de celui de Toronto, et compte huit comtes. 50.000 catholiques sur une population totale de 428. coo ames. III. Evcchi de London. Ce siege episcopal, erige en 1856 a London, fut transfere en i860 a Sandwich, puis retabli en 1870 a London. Dix comtes. 67.500 catholiques sur 537.000 habitants. V. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE KINGSTON. Statisiique. Archeveche : Kingston. — i archeveque, 49 pretres, 66 eglises nu chapelle.s, 65.5oocallioliques. Eveches : Peierborough. — i eveque, 46 prelre?, 50 ^glises ou chapelles, 40.000 catholiques. Alexandrie. — i eveque, 12 pretres, 20 eglises ou cha- pelles, 73.000 catholiques. Total : I archeveque, 2 evcques, 107 pretres, I36e'glises ou chapelles, 178.500 catholiques. La province 'ecclcsiastique dc Kingston com- prend tout Test de I'Ontario. Elle a deux suffra- gants : Peterborough et le rouveau diocese d'Alexandrie, erige par bref du 31 Janvier 1891. I. ArchevcM de Kingston. Erige en 1826, le diocese de Kingston, un des plus anciens du Canada, vient seulement d'etre eleve au rang de metropole. Ouatre comtes. 65.000 catholiques. II. Evechc de Peterboiough. En 1874, Pie IX crea, dans le nord de I'Ontario, le vicariat apos- tolique du Canada septentrional, qui devint, en 1882, le diocese de Peterborough. II comprend quatre comtes et la grande ile Manitouline, dans le lac Huron. 38.000 catholiques sur 180.000 ames. III. Evechc d'Alexandrie. Ce diocese, etabli en 1S90, comprend trois comtes et 73.000 catho- liques. VI. - PROVINCE ECCLESIASTIQUE DE SAINT - BONIFACE. Statistique. Archevechd : Saint- Boniface. — i archeveque, 67 pretres, 77 eglises ou chapelles, 25.000 catholiques. Evechds : Saint-Albert. — i eveque, 32 pretres, 42 Eglises ou chapelles, iSooo catholiques. New- Westminster. — i eveque, 23 pretres, 78 eglises ou chapelles, 30 000 catholiques. Vicariatsapostoliques : .^.thabaska-Mackensie : i vicaire apostolique, 25 pretres, 19 eglises ou chapelles, 8 000 ca- tholiques. Saskatchewan. — i vicare apostolique, 16 pretres 17 eglises ou chapelles, 7.500 catholiques. Total : 1 archeveque, 2 e'veques, 2 vicaires aposto- liques, 163 pretres, 233 eglises ou chapelles, 88 500 cath. Les immenses territoires situes a I'ouest et au nord du Canada n'ont guere commence a se peupler qu'a partir de 1840. Au commencement du siecle, la Compagnie anglaise de la bale d'Hudson y entretenait seulement quelques agents, pour trafiquer avec les sauvages et acheter leurs pelleteries. Actuellement ce pays forme trois colonies : le Manitoba au sud, la Colombie britannique a I'ouest, et le territoire de la bale d'Hudson au nord. La province ecclesiastique de Saint-Boni- face, dont les cinq missions sont confiees au.x Oblats de Marie, embrasse ces trois Etats. Trois populations distinctes habitent le pays : au sud, Anglais et P"ranco-Canadiens se sont repandus au milieu des grandes prairies du Mani- toba et dans les forets de la Colombie ; de norn- breux m(i;tis se sont installes, a leur tour, dans tous les endroits ou la rigueur du climat permet encore dc ctiltiver le sol ; quant au.x sauvages, les anciens maitres du pays, regoisme implacable de "Anglo-Saxon les a refoules dans les regions inhabitables du pole, sur les bords de I'Ocean glacial, ou CCS malheureu.x meurent lentementde faim et de misere; car ils n'ont pour soutenirlcur vie que la chasse et la peche, puisque le sol ne produit absolument rien ; or, le gibier tend de plus en plus a disparaitre. Ces tribus sauvages, ainsi refoulees au nord, sont les debris des grandes nations indiennes qui peuplaient autrefois tout le pays, des rives du Saint-Laurent aux cotes de I'Ocean... Ces peuples, dont les Jesuites avaient commence, il y a deux siecles, I'evangelisation avec tant de succes, ne sont plus aujourd'hui que I'ombre de ce qu'lls furent autrefois. De plus d'un million et demi, ils sont tombes au-dessous de cent mille. Les Hurons, nos anciens amis, ne sont plus que trois cent soixante; les Esquimaux, les Algon- quins, les Cris, les Montagnais, les Iroquois, toutes ces peuplades, dont les membres se comp- taient autrefois par centaines de mille, varient aujourd'hui entre dgux et trois mille. Une poi- gnee de sauvages, entasses les uns sur les autres dans des regions glacees, demoralises par la misere, abrutis par I'eau-de-vie, voila tout ce qui reste des grandes agglomerations qui peuplaient autrefois le Canada. II est remarquable que, partout oil il met le pied, I'Anglo-Saxon com- mence par faire disparaitre les premiers habitants du pays, au lieu que le Francais, plus sociable, s'en fait geiicralement aimer et vit en paix avec ces enfants de la Nature, qu'il fait monter peu a peu a la civilisation et a la foi. LES MISSIONS DE L'AMERIQUE ANGLA.ISE, 1800-1890. 191 Nos libres penseurs ont longtemps declame centre les cruautes des Espagnols dans I'Ame- rique du Slid. Certes, je suis loin, pour ma part, de vouloir excuser les violences et les crimes de la conquete : mais pourtant il faudrait tenir compte de ce fait indeniable : dans tons les pa}'s de langue espagnole, I'lndien, durement opprime, si Ton veut, par I'avarice de scb nouveaux maitres, a neanmoins garde partout sa nationalite ; au- jourd'liui les races indiennes et metissesdominent pre.sque partout dans I'Amerique du Sud, de I'Atlantique aux Andes, et du golfe du Mexique a la Terre de Feu. Dans I'Amerique du Xord, au contraire, aux Etats-Unis comme au Canada, les tribus indiennes se sent vues sj'stematiquement refoulees et de- truites Dans un demi-siecle, un Peau-Rougesera devenu une rarete, dans cet immense territoire qui va de rOcean Polaire au Golfe du Mexique, etde I'Atlantique au Pacifique. Le meme phenomene de I'aneantissement d'un peuple au contact de I'Anglais s'est produit en Australie, et jusqu'aux portes de I'Angleterre, dans la malhcureuse Irlande, dont les habitants, d'apres les recense- ments officiels, sent descendus, en un siecle, de S.ooo.ooo a 3.800.000 ames. La philanthropique Angleterre pent declamer a son aise contre la cruaute des nations catho- CANADA. — POSTE DE LA C" DE LA BAIE D'HUDSON, SUR LE KiPAWi. U'apr&s une photographie de Mgr Lorrain, eveque de Pontiac. liqucs, et faire etalage de ses sentiments huma- nitaircs. J'ose dire quelle est connue et jugee par ses cEuvres. Certes, I'Anglo-Saxon est un grand peuple, un peuple qui a fait de grandes choses dans le monde, mais il faut bien reconnaitre que la durete et la secheresse du dogme protestant, developpant outre mesure I'orgueil d'une per.son- nalitc deja fortemcnt accentu^e, en a fait un voisin peu commode et un maitre pen aimable. Jamais, chez aucun peuple chretien, egoisme plus feroce ne fut mis au service d'une grande puis- sance, pour i'aider a se debarrasser sans .scrupules de tous ceux qui la genent. Les missions des .sauvages de I'Amerique du Nord sont done des plus crucifiantes pour I'ame et pour le corps ; un climat d'une rigueur extreme, la difficulte des communications, I'im- possibilite de se procurer les choses les plus indis- pensables a la vie : voila les moindres souffrances de I'apotre. Sa croix la plus lourde, c'est la diffi- culte d'arriver jusqu'a I'ame de ces malheureux, pervertis au contact des Blancs, egares trop souvent par les predications de I'heresie, rendus defiants et haineu.x par les injustices qu'ils ont subies. Comment relever ces peuples, desormais sans esp6rance et sans avenir? Heureux du moins ceux qui, se laissant toucher par la parole de I'apotre, embrasseront avant de mourir la vraie foi, et dont la croix du CHRIST viendra consoler I'agonie et saiictifier la tombe ! lintre le Blanc envahisseur et le Peau-Rouge trop faible pour se defendre, on voit se multiplier, dans rOuest, une race intermediaire, dont il ne sera pas si facile de venir i bout, et qui est peut- 192 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™<= SIECLE. etre destinee a jouer un role important dans ces regions ecartdes du Dominion. Je veux parler des Metis, deja tres nombreux dans les territoires de rOuest. La recente revolte de Riehl, bien que reprimee par I'Angleterre avec une vigueur extreme, a du lui prouver que les Metis n'enten- dent pas se laisser opprimer, et qu'il faudra compter un jour avec eux. Presque tous sont Chretiens, et beaucoup sont catholiques. Jusqu'ici le pretre a eu peu de prise sur ces natures encore grossieres, qui joignent ordinairement les vices de la civilisation a ceux des sauvages. Comme pour les barbares du V« siecle, il faudra commencer par faire leur education avant de songer a en faire un peuple chretien. Ce travail est deja vaillam- ment commence dans toutes les missions de I'Ouest, et tout fait esperer qu'il sera mene a bonne fin. I. ArcJievcche de Saint-Bonifacc. En 1817, Pie VII, comme je I'ai dit plus haut, detacha les missions de I'ouest du diocese de Quebec, pour en faire le vicariat apostolique du Haut-Canada. En 1848, le siege episcopal de Saint-Boniface fut erige, et devint, en 1871, la metropole des regions de rOuest. Ouatre suffragants. AujoLird'hui I'archidiocese comprend le Mani- toba tout entier et une portion restreinte du territoire de la bale d'Hudson. La majorite de la population est de race anglaise. II y a, il est vrai, au Manitoba, quelques milliers de P>anco-Cana- diens, mais les Anglais cherchent tous les moyens de les eliminer, ou au moins de leur enlever toute influence politique (i). La population totale est de 200.OCO habitants, sur lesquels seulement 25.000 catholiques. II. ^vcche de Saint- Albert. En 1868, Pie IX detacha du diocese de Saint-Boniface le vicariat apostolique de la Saskatchewan, qui devint, trois ans plus tard, le diocese de Saint-Albert. II s'etend de la bale d'Hudson aux Montagnes Rocheuses, et comipte 18.000 catholiques, sur une population de 35.000 ames. Nombreux metis. III. ^vcchi de Nezu-Westininster. En 1863, le vicariat apostolique de la Colombie britannique fut detache du diocese de Vancouver (Etats- Unis). II fut remplacc, en 1890, par le diocese de Ne\v-Westminster,qui embrasse toute laColombie britannique. Ce pays j&uit d'un climat tempere et, depuis I'ouverture du chemin de fer qui rejoint les deux Oceans, il a pris un grand develofj^jement. La population totale depasse 85.000 habitants, sur lesquels on compte 30.000 catholiques, dont 15.000 sauvages. IV. Vicariat apostolique d' Atliabasha-Mackcn- sie. Ce vicariat fut detache, en 1862, du diocese I. Au mois de Janvier 1S90, la legiilalure a proscril I'usage officiel de la langue fran9aise dans tout le Manitoba. L'ecole publique est anglaise et protestante, malgre les reclamations des catholiques. de Saint-Boniface. II est habite presque exclusi- vement par des tribus sauvages et s'etend, tout le long des cotes de I'Ocean glacial, de I'Alaska au golfe de Bothia. Cette mission est la plus voisine du pole et probablement la plus penible de toutes ; elle n'a que 8.000 catholiques sur en- viron 12.000 habitants. V. Vicariat apostolique de la Saskatclieiuan. Detache, au mois de Janvier 1891, du diocese de Saint- Albert, ce vicariat compte 7.500 catholiques, tous metis ou sauvages, sur 16.000 habitants, VII. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE D'HAHFAX. Staiistique. Archevefhe : Halifax. — i archeveque, 51 prelres, 98 eglises ou chapelles, 52.000 catholiques. Eveches : Antigonish. — i eveque, 67 pretres, loi (fglises ou chapelles, 73.000 catholiques. Charlottetown. — i Eveque, 41 pretres, 63 Eglises ou chapelles, 48. 000 catholiques. Saint-Jean, Nouveau-Brunswick. — i eveque, 56 pretres, 80 eglises ou chapelles, 60.000 catholiques. Chatani, — i eveque, 48 pretres, 49 eglises ou chapel- les. 50.000 catholiques. Total : I archeveque, 4 eveques, 263 pretres, 391 eglises ou chapelles, 2S3.000 catholiques. La province ecclesiastique d'Halifax a quatre suffragants et comprend I'Acadie, ou Nouvelle- Ecosse, le Nouveau-Brunswick et I'ile du Prince- Edouard. Depuis i860, ces trois colonies en voient chaque annee des deputes a Ottawa et font paitie du Dominion. Ces pays, colonises par nous au XVII^ siecle, et cedds a I'Angleterre par le traite d' Utrecht, ont eu beaucoup a souffrir, au dernier siecle, de la mauvaise foi britannique. Au meprisdes traites, qui garantissaient les droits politiques des ancicns colons, les Acadiens furent expulses en masse, a I'epoque de la guerre de Sept Ans. En une seule annee, 30.060 de ces infortunes furent obliges de s'exiler de leur patrie d'adoption, leurs chaumieres furent brulees, les terres qu'ils avaient defrichees a la sueur de leur front furent confisquees. Le poete americain Longwow a chante les douleurs des Acadiens proscrits. Un grand nom- bre se refugierent aupres de leurs freres du Canada ; d'autres trouverent un asile dans les wigwams des sauvages, dont ils avaient su gagner I'amitie au temps de leur prosperite : le plus grand nombre inoururent de misere, ou perirent avec les navires dclabres sur lesquels les avait entasses I'odieuse avarice des Anglais. Cet e.xode en masse de tout un peuple, force d'abandonner ses foyers, est un des crimes politiques de I'Angle- terre, dont les annales sont riches en mcfaits de ce genre. Plus tard, il est vrai, les exiles purent rentrer dans leur patrie ; mais I'emigration anglaise avait eu le temps de couvrir le pays, et jamais I'influence LES MISSIONS DE L'AMERIQUE ANGLAISE, 1800 - 189C. 193 francaise n'a pu reprendre le dessus. Chose triste a dire : dans cette lutte entre deux races qui s'excluent, nos freres dans la foi, les Irlandais, ont generalement pris parti contre nous. Comine le clergc de la province est en grande majoritc irlandais, la langue francaise fut proscrite, autant que possible, de I'ecole et de I'eglise. Plus d'une fois Rome, la Mere commune, a du intervenir pour faire respecter les droits d'une nationalite opprimee, car, dans un pa}'s soumis a un gouver- nement protestant ct hostile, tout ce qui se fait contre I'influence francaise se fait en realite contre I'influcnce catholique. I. Archcvcchc tf Halifax. C'est seulement en 1817 que le vicariat apostolique de la Nouvelle- Ecosse fut detache du diocese de Quebec. En 1842, Gregoire XVI erigea le diocese d'Halifax, qui fut eleve en 1852 au rang de metropole. A I'exception de trois comtes, I'archidiocese com- prend laNouvelle-Ecosse, et compte 52.000 catho- liques, sur une population totale de 300.000 ames. II. ^iour cent. Au boutd'un siecle, les choses ont bien change de face. La ou s'exerc^ait la juridiction d'«« seul eveque, I'Eglise catholique compte aujourd'hui treize provinces ecclesiastiques partagees entre (juatre-vingt-lrois titulaires. Plus de sept mille pretres instruisent et dirigent huit millions de fidcles (i) sur une population totale de soixante- cinq millions d'ames, dans la proportion d'un sur huit. On voit d'u;i coup d'ceil les progres du catho- licisme aux Etats-Unis. Dans aucune mission, ils n'ont ete si rapides et si consolants. Aussi la joie etait grande parmi les pasteurs et parmi les fideles, accourus de tons coles pour celebrer le glorieux anniversaire. Les deu.x jours suivants, se tint le congres catholique, dans lequel de nombreux orateurs, la plupart laiques, se firent entendre, pour affirmer leur foi religieuse, en meme temps que I'attachement de leurs coreli- gionnaires aux institutions du pays. Le 13 novembre, cette grande fete religieuse et nationale fut cloturee par I'inauguration d'une Universite catholique a Washington. Au banquet qui ter- mina lajournee, le Secretaire d'Etat etait assis en face du cardinal Gibbons, archeveque actuel de Baltimore, et, sur la fin du repas, le President de la Republique, M. Harrisson, fit son entree solennelle dans la salle du festin et porta un toast a la hierarchic catholique des Etats-Unis. Le cardinal, apres avoir remercie chaleureusement le President et les nobles visiteurs qui I'accom- pagnaient, ajouta ces paroles remarquables : « Les enfants de la generation presente appren- I. La plupart des publications sur les Etats Unis donnent couran mtnt le chiffre de dix tniUions de calholiques. Je tn'en suis tenu au chiffre des Missiones catlioline, qui est officiel, mais peut-etre un peu faible. » dront, dans la nouvelle Universite qui s'ouvre 1) aujourd'hui, a fortifier le pays par leur nombre, » a I'eclairer par leur sagesse, et a le defendre, » s'il est besoin, par leur valeur. » Ces spectacles consolants, qu'on ne voit plus guere dans notre vieille liurope, reposent un peu des iniquites et des luttes quotidiennes qu'on a sous les yeux. lis montrent la vitalite du catholi- Le cardinal Gibbons, archeveque de Baltimore. cisme,qui s'accommode a toutes les constitutions, qui accepte, sans arriere-pensee, toutes les formes de gouvernement, ne demandant au pouvoir, quel qu'il soit, Monarchie ou Republique, C'esarisme ou Democratie, que la protection du droit com- mun et la liberie de se devouer au salut des ames. Ce grand e.vemple du catholicisme americain s'epanouissant au soleil de la liberie commune a tous, a souvent servi d'argument a nos libcraux, pour defendre leur fameuse maxime de V Eglise litre dans I'Etat libre. Ici, en effet, disent-ils. 198 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. domine, sans conteste, le principe moderhe de la separation de I'Eglise et de I'Etat. La Repu- blique des Etats-Unis ne reconnait aucun culte, n'en subventionne aucun, et laisse chacun deve- lopper librement son action, dans les limites, fort larges d'ailleurs, de la constitution federale. Les magniiiques progres du catholicisme aux Etats- Unis ne prouvent ils pas que ce regime de la sepa- ration, dont les catholiques d'Europe s'effrayent si fort, est la meilleure solution des rapports a etablir entre I'Eglise et I'Etat ? J'aurais la-dessus quelques observations a pre- senter. En premier lieu, ceux qui pronent si fort le systeme americain oublient que les Etats-Unis ne spnt pas du tout dans la meme situation que les Etats catholiques en Europe. Formes d'une agglomeration d'emigrants appartenant a toutes les denominations religieuses, ils n'ont jamais eu chez eux de religion d'Etat proprement dite. Dans cette situation, il est rationnel que, voulant donner a tons leurs administres une egale liberte de conscience, ils aient pris le parti de ne favo- riser aucun culte aux dcpens des autres et de les ignorer tous egalement. L'impartialite leur faisait un devoir d'agir ainsi. II n'en est pas du tout de meme dans les differents Etats de I'Europe catbolique : la, il y a des droits acquis, des traditions religieuses, qui remontent au berceau memp de la nation. Les peuples ont une religion d'Etat ; ils sont, si Ton veut me passer le mot, catholiques de naissance; c'est I'Eglise qui a preside a leur developpcment et qui les a faits ce qu'ils sont. « Les eveques ont fait la France comme les abeilles font leur ruche », ecrivait, au dernier siecle, I'impie Gibbon. Fouler aux pieds ces traditions nationales, faire semblant, par une fiction de droit, d'ignorer la religion de I'immense majorite du pays, la con- fondre avec toutes les autres denominations religieuses dans une indifference commune, ce n'cst plus de l'impartialite, c'est de I'apostasie. En second lieu, il faut remarquer que si la Rcpublique amcricaine n'est specialement ni catholique, ni protestante, en revanche, elle n'est ni libre-penseuse, ni athee. Elle a conserve soi- gneusement les grandes lignes du Christianisme, et elle tient la main a les faire respecter. Partout, malgre les exigences d'une Industrie bien plus considerable que la notre, la loi du repos domi- nical est inviolablement gardee ; les seances du Congres s'ouvrent par la priere, et un chapelain d'office, quelquefois un pretre catholique, est designe pour cette fonction ; chaque an nee, dans son message au pays, le President indique un jour d'actions de graces, pour remercier la Pro- vidence des faveurs qu'elle a accordees a la grande Republique ; dans les calamites nationales, un jour de jeune et d'expiation est fixe, pour apaiser le Ciel et desarmer la colere de DiEU. En un mot, la Republique des Etats-Unis est restee chretienne, et elle se montre generalement favo- rable a toutes les manifestations de I'idee reli- gieuse : elle fait respecter, dans ses tribunaux, les reglements interieurs des differentes commu- nautes et les laisse chacune s'administrer libre- ment ; elle tolere nos conciles provinciaux, nos meetings, nos ecoles, nos congregations religieu- ses ; au lieu de les grever d'impots iniques et absolument disproportionnes, elle d^charge des contributions ordinaires tous nos etablissements de charite, estimant, a bon droit, qu'ils soulagent la societe du poids des malheureux qu'ils assistent gratuitement ; au jour du Centenaire, on vit les premieres autorites de la Republique s'associer a la joie des catholiques et faire publiquement des vcEUx pour le developpement pacifique de leurs oeuvres. C'est done la separation, si Ton veut, mais la separation sans la haine, la separation cjui laisse subsister, entre les deux puissances, la confiance et I'estime. Est-ce ainsi que la separation se presente chez nous ? On serait vraiment trop naif de le croire. Pour nos politicians, la separation de I'Eglise et de I'Etat signifie tout uniment la main-mise de I'Etat sur I'Eglise et I'ecrasement du catholicisme. On commencera par supprimer le budget des cultes, cette dette des spoliations du passe ; on confisquera les eglises et les presbyteres ; puis, quand le catholicisme n'aura plus un temple pour celebrer son culte, plus une maison pour abriter ses pretres, on fera contre lui des lois d'exception pour I'empecher de se relever ; on lui refusera le droit d'acquerir et de posseder ; on I'ecrasera d'impots de main-morte ; on fermera ses ecoles, on expulsera ses religieux, on enverra ses pretres a la caserne, on en viendra peut-etre a interdire ses reunions et a lui refuser jusqu'au droit d'exister. Voila comme on entend ordinairement dans^ la vieille Europe, la separation entre I'Eglise et I'Etat. II faut reconnaitre que nous sommes loin du systeme americain. Mais en dehors des abus dont le systeme pent devenir I'occasion, aux mains des cnnemis de I'Eglise, doctrinalement que vaut-il en lui-miime ? Est-il vrai, comme on I'entend repeter tous les jours, que la separation est le dernier mot des rapports a etablir entre I'Eglise et I'Etat ? Les condamnations du Syllal'iis ne permettent plus a un catholique de le dire. Non, il n'cst pas bon que I'ame soit separee du corps, parce que DiEU les a faits I'un pour I'autre. En instituant la .societe chretienne,] ESUS- CllRlST a voulu que I'Eglise et I'Etat vivent en harmonie et se pretent un mutuel concours. Ou'on accepte la separation, comme un pis- aller, la ou les progres du rationalisme ont rendu cette situation necessaire, c'est fort permis. Mieux vaut certainement la separation a I'amiable que le systeme qui consiste a n'user des Concordats passes avec Rome que pour asservir hypocrite- ment I'Eglise, en lui enlevant peu a peu toutes ses libertes. Quand deux conjoints ne peuvent plus se supporter, I'Eglise autorise parfois la separation, jamais le divorce ; mais il n'en reste L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 199 pas moins vrai que, dans la socictc civile comme clans la societe familiale, c'est I'union des ames et des volontes qui est de droit commun ; la separation n'est jamais qu'un expedient, une necessite douloureuse.qu'il faut subir quelquefois, pour eviter un mal plus grave, mais qui a toujours de nombreux inconvenients, ne fut-ce qu'au regard des enfants. D'ailleurs.voyons ce farneux systeme a I'ceuvre, tel qu'il fonctionne aux Etats-Unis. Est-il vrai- ment si avantageux au catholicisme qu'on le dit ? Je me permets tres fort d'en douter. II est vrai, les chiffres qu'on a produits, a I'occasion du Centenaire, font une vive impression sur I'esprit ; mais il est bijn permis de les examiner de pres. Si I'Eglise catholique compte aujourd'hui aux Etats-Unis huit millions de fideles, il faut songer a I'appoint considerable fourni par I'emigration ; sur plus de quarante millions d'emigrants que la grande Republique a re^us dans son sein au cours de ce siecle, ce n'est certainement pas exagerer de porter a vingt millions le chiffre des emigrants catholiques, Irlandais, Canadiens, Allemands et autres. Ces vingt millions de catholiques, que sont-ils devenus ? Un grand nombre, helas ! se sont noyes et perdus dans I'indifference et I'apos- tasie. Voici ce qu'ecrivait autrefois a ce sujet Mgr England, premier eveque de Charleston (i) : « II me parait bien clairement demontrti qu'au » lieu d'avoir a se rejouir de I'accroissement du » nombre de ses fideles aux Etats-Unis, la religion » n'a que trop de raisons de deplorer les pertes » immenses qu'elle a faites. Ce n'est pas que je » nie cependant I'augmentation du chiffre des > catholiques ; on ne peut pas davantage mettre > en doute I'accroissement du nombre des eve- » ques et des pretres, la construction des ^glises, » 1 ouverture cie nouveaux colleges, la fondation » de maisons religieuses et I'amelioration des » ecoles... Aussi la question n'est pas de savoir si » le nombre des catholiques a augmcnte, si des > eglises ont ete baties, si des etablissements ont > et^ fondes ; la question est celle-ci : n'y at-il i pas eu perte reelle et une perte tres grande, » par suite de I'absence d'un clerge assez nom- » brcux et du long temps qu'il a fallu mettre a » faire ce qu'on a fait ? II n'est que trop clair » que cette question doit etre resolue par I'affir- » mative. » Le venerable prelat assigne six causes a ces deplorables defections : i° I'affluence des catho- liques emigrant dans un pays oil rien n'avait (l-te prepare pour les mettre en etat d'accomplir leurs devoirs religieux ; 2° le manque d'etablis- sements d'education pour leurs enfants, alors qu'ils trouvaient partout, a leur porte, I'ecole pro- testantc ; 3° la deplorable situation des pauvres et des orphelins catholiques, presque tous les Etablissements de charite etant alors aux mains I. Aiinalts Je la Propagation Jc la Foi. Annee l8jS, torn. X, p. 243 des protestants ; 4° I'absence d'un clerge assez nombreux, assez familiarise avec la langue, les mceurs et les institutions sociales du pays ; 5° le defaut d'ententc entre les emigrants, appartenant a differentes nationalites, ayant chacun leur langue, leurs usages, leurs interets separes ; 6° enfin, I'activite et les ressources pecuniaires des diverses societes protestantes, divisees sur tout, sauf sur la necessite de faire la guerre a I'Eglise catholique. A ces differentes causes d'apostasie, Mgr le coadjuteur de Philadelphie en adjoignait, vers la meme epoque, une septieme, tiree precisement des institutions religieuses du pays (i) : « Les » defections proprement ditcs sont rares, mais il » est bien grand le nombre des enfants qui ne » professent pas la foi catholique de leurs pa- » rents. L'esprit d'independance, qui est ici com- Le President Harrisson. » mun a tout le monde, fait qu'on se fie trop a son » propre jugemcnt. Les enfants memes,en appre- % nant leur catechisme, semblent n'avoir pas la » docility qui est propre a leur age. Les adultes » ecoutent la predication, qu'ils aiment beau- » coup, plutot dans un esprit critique qu'avec » I'humilite de la foi. » Ainsi il reste acquis qu'en realite I'Eglise catho- lique a fait aux Etats-Unis des pertes tres consi- derables et tres douloureuses, au moins pendant les quarante premieres annees de ce siecle, alors que les pretres ctaient en petit nombre et les dioceses demesurement ctendus. Eloigncs de tout secours religieux, prives de toutes les manifesta- tions exterieures de leur culte, perdus dans un milieu indifferent ou hostile, trouvant partout, a leur porte, I'ecole protestante, le predicant here- tique, beaucoup d'emigrants catholiques ont perdu la foi et sont passes, eux et leurs families, au pro- te.stantisme, ou sont tombes dans le nihilisme religieux. II ne pouvait guere en etre autrement I. Annates de la P>opa«alion tie la Foi. Annee 1838, torn. X, P- '53- 200 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. dans un pareil milieu. Au lieu du systeme des Etats-Unis, mettez celui du Canada. Vous auriez evite de pareils malheurs, et vou.s compteriez aujourd'hui, aux Etats-Unis, vingt millions de catholiques au lieu de huit. De nos jours encore, la situation religieuse, bien que fort amelioree, n'en reste pas moins assez precaire. Dans les Etats de I'Est, ou la hierarchic est organisee depuis longtemps, ou les pretres sont nombreux, les oeuvres multiples, les emigrants catholiques trouveront desormais les secours necessaires a la conservation de leur foi ; mais il n'en est pas encore ainsi dans les territoires de I'Ouest, dans les dio- ceses de fondation r^cente, ou tout fait defaut : les hommes et les ressources necessaires pour creer et soutenir les ceuvres. Certes, c'est une grande joie pour I'Eglise des Etats-Unis d'avoir pu, en un siecle, organiser for- tement sa hierarchic, resserrer ses cadres, etablir solidement ses ceuvres. Grace a cette sage orga- nisation, il est a esperer qu'on ne verra plus se renouveler les defections du passe ; mais ces mil- lions d'ames qui se sont perdues, et qu'un systeme plus Chretien eut sauvees, n'en sont pas moins une douleur amere au cceur de I'Eglise. Comme Rachel, la joie de voir se presser autour d'elle des fils nombreux et devoues, ne peut la consoler entierement de la perte de ceux qui etaient aussi ses enfants, et qui nc sent plus (i). Pour bien saisir le devcloppement du catholi- cisme americain, il ne sera pas sans interet d'etu- dier d'abord les divers elements dont se compose la population des Etats-Unis, puisque c'est sur ces elements que doit s'exercer le travail de I'apotre. Trois races, profondement distinctes et enne- mies, concourent, dans des proportions fort ine- gales, a former la population des Etats-Unis : la race blanche, composee des anciens colons et des nouveaux emigrants arrives dans le cours de ce siecle ; la race rouge, formee des tribus indiennes qui peuplaient autrefois le pays, et la race noire, introduite en Amerique par la traite et I'insatiable cupidite des blancs. Pour etre complet, je devrais mentionner encore la race jaune, qui commence a se multiplier d'une fa9on inquietante dans les ports de I'Ouest ; mais comme, au point de vue religieux, le Chinois emigre en Am(!rique ne forme encore qu'une quantite ntfgligeable, nous le laisserons pour le moment de cote. I. Parlons d'abord des Peaux-Rouges, les anciens proprietaires du sol et les legitimes mai- tres du pays. La grande Republique americaine ne .s'est pas montree plus genereuse que I'Angleterre a I'egard des Indiens." Le Yankee, utilitaire et pratique avant tout, n'a cesse, depuis plus d'un siecle, de refouler ces infortunes dans les profondeurs du desert et de proceder systematiquement a leur extermination. Comme je tiens a ne pas etre I. El noluif coniolart, jiiia von sun/. accuse d'e.xageration, dans un sujet si grave et si triste, voici quelques temoignages empruntes a des auteurs americains et protestants : Un voyageur, sir Charles Stuart Cochrane (i), commence par etablir un parallele entre la condi- tion des Indiens de I'Amerique du Sud, civilises par le catholicisme, et ceux de I'Amerique du Nord, que le protestantisme a detruits : « Loin » d'avoir diminue, conclut-il, la population in- » dienne des sauvages qui habitent entre les tro- » piques a generalement augmente d'une maniere )) considerable. Dans les missions catholiques, cet » accroissement est la regie. Au contraire, dans » les Etats-Unis, les Indiens diminuent rapide- » ment, au contact des blancs. A mesure que la » civilisation avance dans le pays, I'lndien est » refoule en dehors de ses limites. » — « Les Francais, ecrit de son c6te Brad- » ford (2), n'oublierent jamais que I'homme )> rouge est un frere ; c'est pourquoi ils le trai- » taient en homme ; le rude Saxon traite I'lndien » comme un chien, I'Americain egoiste ne tient » compte que de son interet a lui. » Helas ! I'interet du Yankee etait evidemment de s'emparer des terres des sauvages, trop faibles pour les defendre contre son egoisme envahisseur. Voici en quels termes un des plus celebres predi- cateurs protestants de I'Union, le R6v. Beecher, appreciait la conduite de ses compatriotes : « Notre nation est plus coupable que bien » d'autres ; sa maniere d'agir avec les Indiens est » une honte. Tous les crimes imaginables ont 6te » commis contre eux : persecutions lentes, rup- )) tures de traites, vol de terres (3). » Ecoutons maintenant les plaintes des victimes elles-memes. Dans une assemblee generale des tribus indiennes du Wisconsin, tenue en 1845, un vieux Sachem s'exprimait ainsi, au nom de toute sa nation : « On nous avait solennellement )) promis de ne nous jamais deposseder des terres » nouvelles que nous occupions, et voila qu'a » peine installes, on veut deja nous envoyer je ne » sais oil. Mon frere le blanc, dis a notre grand- » pere (le president de la Republique) que ses » enfants rouges demandent a faire une halte » plus longue avant d'entrer dans le sentier d'un » nouvel exil. L'arbre qui est toujours trans- » plante ne peut prendre racine et perit bientot. » Pourquoi aussi nous reprocher nos vices, que » vous avez vous-memes encourages ? Pourquoi » venir jusqu'a la porte de nos wiggams nous se- » duire avec votre eau de feu ? Vous nous avez » envoye des ministres et des maitres d'ecoles, » mais leur voix n'a pas plus d'autorite que la » notre pour se faire entendre de nos jeunes » gens. Nous voulons des Robes noires, des pre- » tres catholiques. Ceux-la se feront ecouter, » soyez-en surs (4). » 1. Cochrs.ne : Journal d' un ifjotir en Colonibie, chap. 3. 2. Notes sur le Nord-Ouest. 3. Cite dans un journal de New-Yotk, 3 janv. 1S61. 4. Cite dans Marsliall, Les Missions chrcticnnes. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 201 Plaintes inutiles ! L'Indien etait irrevocable- ment condamne, et il le sentait. « La plupart des » Indiens, observe Beecham (i), osent a peine » cultiver le sol, mcme dans les portions qui leur » sont nominaleinent concedees, de peur do » donner par la I'occasion de les depouiller de » nouveau. » — « II est certain, ecrit un autre voyageur (2), » que les autoritcs federales elles-memes ont » sbuvent vole sans scrupule le pauvre Indian. '» — ■ « Depuis leur arrivee dans le pa\'s, dit un » journal de New-York (3), les blancs ont tou- » jours pille et assassine I'lndien. lis agiront de » meme jusqu'a ce qu'il ne reste plus un Peau- » Rouge sur le Continent. » Cos tcmoignages si graves d'auteurs americains ct protestants sont confirmes par M. de Tocque- ville, dont on connait pourtant les sympathies pour les Etats-Unis : « Les Americains, ecrit-il, » ont acquis presque pour rien, a vil prix, des » provinces entieres, que les plus riches souverains » de I'Europe n'auraient pu acheter... Apres avoir » refoule dans les deserts les tribus indiennes, ^ ils les ont condamnees a une vie errante et » vagabonde, pleine de miseres inextricables. La » condition morale et physique de ce peuple n'a » cesse de degenerer, et leur barbarie a augmente » dans la mesure de ces souffrances. Jamais on » ne vit dans une nation un developpement si » prodigieux d'un cote, et une destruction si » rapide de I'autre (4). » Cette destruction de tout un peuple ne mar- chant pas encore assez vite au gre des envahis- seurs, ils eurent recours a des precedes devant lesquels eussent recule des Cannibalcs.A certaines epoques, on traqua ces malheureux comme des fauves, et une prime de cent livres (2.500 fr.) fut accordee a quiconque presenterait une chevelure d'Indien. Non contents de les empoisonner lente- menl chaque jour par I'abus des liqueurs fortes, des distributions de pains melanges d'arsenic furent faites a plusieurs reprises dans les tribus. « 11 est certain, ecrit un naturaliste allemand (5), » que les blancs ont cherche plusieurs fois a » empoisonner en masse les tribus indiennes. » L'introduction systdmatique de la petite verole, )> au moyen de vetements contamines, dans les » peuplades de I'Ouest, est connue de tout le » moiide ici, et j'ai bien souvent entendu raconter » cette histoire. » Est-il etonnant apres cela que des sauvages encore paiens, exasperes par de pareilles atroci- tcs, aient use de reprcsailles terribles, et massacre impitoyablement tous les blancs qui leur tom- baient sous la main ? Les Seminoles, les Apaches, les Comanches, 1. Beecham, La Coloniialion, cli. i. 2. Docteur Shaw, Une Tounth dans hs Etals-Unis, ch. 3. 3. New-York World, cile dans le Times, 3 aout 1863. 4. L'e Tocqueville, De la Democratic aux Rlals-Unis, torn. 3, d'autres tribus encore, entrerent a plusieurs reprises dans le sentier de la guerre, et firent cherement payer a leursoppresseursles injustices commises a leur egard. Tout en plaignant les \-ictimes de ces drames affreux, il est juste de reconnaitre qu'il y avait a ces atrocites des Indiens des circonstances attenuantes, puisque les blancs avaient commence. Ces revokes ne servirent d'ailleurs qu'a preci- piter la ruine des Indiens. Innocents et coupables furent envcloppes dans une repression impi- toyable ; des femmes, des enfants a la mamelle furent massacres avec des raffinements de cruau- te ! C'est ce que le general Jackson, connu parses ch. 5 5. Julius Frcebel, Six ans dans t'.4/neii<;iie cenlrak, ch. 5. Le R. p. D£ Smet, missionnaire jesuite aux Montagnes-Rocheuses. sanglantes victoires sur les Indiens, appelait en plaisantant « une police expeditive », pour en finir promptement avec ces races infortunees, qui s'obstinent a ne pas mourir assez vite au grc de leurs envahisseurs. Encore, si le gouvernement federal, voulant a' tout prix se debarrasser des Indiens, avait permis aux missionnaires catholiques de consoler au moins leur agonie ! Mais il n'cn fut pas ainsi. Infidele a son fameux principe de la liberte de conscience, il a partage les tribus indiennes entre les differentes sectes quicouvrent le pays, et dans ce partage, les catholiques n'ont obtenu que deux ou trois reserves Les autres, malgre les reclama- tions des Indiens, redemandant a grands cris ieurs anciennes Robes noires, ont ete livrees aux Anabaptistes, aux Presbyt^riens, aux Melho- distes, aux Quakers, et a ces centaines de deno- 202 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^-^ SIECLE. minations religieuses qui pullulent aux Etats- Unis. Cette injustice, la plus monstrueuse de celles dont aient eu a se plaindre les Indiens, n'a pas permis aux missionnaires catholiques de tra- vailler, comme ils I'auraient voulu, au relevement physique et moral de ces peupiades, destinees a perir dans un avenir prochain. D'ici cinquante ans, ces races, autrefois si vaillantes et si interes- santes pour I'ethnographie, auront completement disparu du sol de la grande Republique. On ne peut s'empecher de penser, et les auteurs ameri- cains le reconnaissent franchement, que, si les malheureux Indiens avaient eu affaire a une nation catholique, comme la France et I'Espagne, ils auraient conserve leur nationalite. « Helas ! )) s'ecrie pour conclure un ministre protestant, » quelle terrible responsabilite a encourue notre » nation ! Le paganisme est presque eteint aux » Etats-Unis, mais c'est parce que les pai'ens » sont presque aneantis. » Malgre la mauvaise volonte des autorites federales, I'Eglise catholique, la vraie mere des ames, a fait ce qu'elle a pu pour adoucir, en la sanctifiant, I'agonie des Indiens. Les anciennes missions des Jesuites avaient disparu, par suite de la suppression de la Compagnie et des mal- heurs des temps. Elles ont ^te vaillamment reprises au cours de ce siecle, et les nouveaux Ji^suites se sont montres dignes de leurs ain^s. Un d'eux, le R. P. de Smet, dont le nom est reste populaire aux Montagnes-Rocheuses et dans toute I'etendue de la Republique, a consacre sa longue vie au service des Indiens. Commence en 1830, son apostolat se continua jusqu'a sa mort, arriveeen 1873. II se fit, par dcvouement, le compagnon inseparable des sauvages, les suivit, avec des fatigues inouies, dans leurs campements et leurs longues excursions a travers les solitudes du Far-West, soigna leurs malades, instruisit leurs enfants, les domina par I'ascendant de sa vertu et ouvrit leurs yeux aux clartes de la foi. A trois reprises, en 1851, en 1858 et en i868, le gouver- nement federal dutrecourir a son influence pour pacifier les tribus revoltees. Cinq ans avant sa mort, ce vieillard desarme obtint par la persuasion ce que les soldats n'avaient pu arracher par les armes. Au peril de sa vie, il osa se presenter, seul et sans armes, au milieu des Indiens exasperes, pour obtenir la soumission du celebre Sitting-Bull, qui, depuis plusieurs mois, desolait la contree a la tete d'une troupe de cinq cents cavaliers. Le gouvernement federal reconnut publiquement ses services, et les generaux temoignerent hautement qu'on lui devait la pacification du pays, ce qu'ils attes- terent dans une lettre qu'on con.serve a Saint- Louis, aux archives de la Compagnie : « Nous » voulons vous tt^moigner notre estime pour les » services que vous nous avez rendus, ainsi qu'a » tout ce pays. Sans votre long et penible » voyage au coeur meme du territoire ennemi, » sans votre influence sur les tribus les plus » sauvages, nous n'aurions jamais pu atteindre » les resultats que nous avons obtenus. » On^compte encore environ 300.000 sauvages aux Etats-Unis : 50.000 habitent au Nord, dans I'Alaska ; pres de 200000 sont groupes au pied des Montagnes-Rocheuses, dans les plaines infer- tiles et sans eau de I'Oregon, de la Nevada et de I'Utah ; une autre portion, environ 70.000, qui residaient dans les Etats du centre, ont ete parqu^s par le gouvernement federal dans le Territoire indien, vaste reserve qui a environ 200 jieues de longueur sur 100 lieues de largeur. La sont groupes, au nombre d'une trentaine, les debris de toutes les tribus qui parcouraient autre- fois le pays, de I'Atlantique aux Montagnes- Rocheuses : Apaches, Cherokees, Cheyennes, Comanches, Natchez, Osages, Seminoles, etc., etc. On estime a pres de 50.000 le nombre des Indiens catholiques sur tout le territoire de I'Union. Et maintenant, pour nous rendre compte de Teffroyable depopulation de cette race infortun^e, consultons les anciennes statistiques. En 1836, un recensement tres exact, fait par ordre des autorites fi^derales, avait porte a 4.346.803 le chiffre des Indiens vivant dans les territoires du centre. Ceux du Texas, du Nouveau-Mexique, de la Californie, et, a plus forte raison, de I'Alaska, ne sont pas compris dans ce recense- ment, puisque ces pays ne faisaient pas encore partie de I'Union. En tenant compte des nom- breux massacres qui s'etaient deja produits depuis 1800, on peut affirmer, sur ces donnees, que le chiffre de la population sauvage depassait certainement dix viillions au commencement de ce siecle. Aujourd'hui, il n'en reste que trois cent milk ! On voit par ces chiffres I'etendue de la catastrophe ; litteralement c'est I'extermination en masse d'un peuple. II. Parlous maintenant des Blancs, et d'abord des anciens colons : Au point de vue de la colonisation et de I'occu- pation du pays par les blancs, le territoire des Etats-Unis doit se partager en trois zones : le long des cotes de I'Atlantique, la colonic de la Nouvelle Angleterre, peuplee au xvi^ et au xvir siecle par les protestants anglais ; elle com- prenait les treize Etats actuels de I'Est : Boston, New- York, New-Jersey, le Maine, la Pen- sylvanie, le Delaware, le Maryland, le Kentucky, I'Ohio, le Tennessee, la Virginie, les Carolines, la Georgie et la majeure partie de I'Alabama. Les Anglais et les Hollandais furent les premiers qui s'etablirent dans ces riches contrees ; mais les Hollandais ne firent que passer, et, jusqu'a I'emancipation, tout ce territoire demeura le patrimoine de la Grande-Bretagne, sous le nom de Nouvelle-Angleterre. Concurremment, les Francais du Canada L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 203 avaient reconnu le cours dii Missouri, descendu le Mississipi, et leur domination, plus ou moins reconnue des Indians, setendait sur tons les territoires du centre, qui forment aujourd'hui les Etats de I'lndiana, de I'lUinois, du Michigan, du Missouri, du Mississipi, de la Louisiana et d'une partie de I'Alabama. L'influence catholique et francaisc rayonnait librement dans ces vastes territoires, que de nombreuses Rohes-noires par- couraient en tous sens, pour initier les Indiens a la civilisation et a la vraie foi. On sait comment une detestable politique coloniale et les longues guerres de la Revolution nous firent perdre, au dernier siecle, ces belles colonies qui devin- rent la proie, longtemps convoitce, de I'Anglo- Saxon. Enfin les Espagnols setaient etablis, au sud et a I'ouest, dans la Floride, le Texas, le Nouveau-Mexique et la Californie. La encore regnait sans partage l'influence catholique. Malheureusement, il semble prouve qu'au point de vue de I'evangelisation, ces colonies espagnoles etaient fort en retard. La plupart des tribus sauvages etaient demeurees paiennes, faute d'apotres, et les Seminoles, les Comanches, les Apaches faisaient par leur ferocite la desolation et la terreur des rares colons espagnols fixes dans le pays. Ainsi, au debut, nous trouvons trois grandes races de colons etablis sur le territoire actuel des 6tats-Unis : les Anglais, a I'est, les Frangais, au centre, les Espagnols, au sud et a I'ouest ; mais les forces etaient bien loin d'etre egales, et I'clcment anglo saxon n'allait pas tarder a englober et a faire disparaitre les deux autres. Les premiers colons de la Xouvelle-Angleterre furent des puritains anglais^ repousses de leur patrie par I'intolerance de I'Eglise officielle. lis s'etablirent d'abord en commun dans les terri- toires qui forment aujourd'hui les Etats de Test; mais le libre examen ne tarda pas a produire parmi eux ses fruits ordinaires, et ils furent bientot forces de se separer et de former des colonies distinctes, dans lesquelles chacun fut libre d'honorer DiEU a sa maniere. Divis^s sur tous les points, ils ne s'accorderent que sur un seul : I'exclusion absolue des catholiqucs. Ainsi les Etats-Unis, qui sont aujourd'hui la terre classique de la liberte religieuse, commen- cerent par mettre en pratique la persecution et I'exclusivismc le plus etroit. On se fcrait aujour- d'hui flifficilement I'idee du bigotisme haineux des Peres pilerins, comme ils s'appelaient. Ces odieux sectaires ruinerent sans pitit^ toutes les missions catholiques deja etablies au milieu des sauvages, massacrerent a I'autel le P. Rasle, et mirent aprix la tcte des Jesuites, pour lesquels on donnait la mcme prime que pour la tcte d'un loup. A I'exception des Quakers de la Pensylvanie, qui, persecutes eux-mcmes par le fanatisme puri- tain, ouvrirent gcnercusemcnt leur territoire a toutes les denominations religieuses, il dtait ri- goureusement interdit aux catholiques de se fixer sur aucun point de la Nouvelle-Angleterre. En 1630, un noble catholique irlandais. Lord Baltimore, avait obtenu de Charles !'=■' la per- mission de s'etablir, avec ses coreligionnaires, sur une partie des cotes de la Nouvelle-Angle- terre ; il y fonda la colonie du Maryland (la terre de Marie). Les catholiques, plus larges que les protestants, avaient genc^reusement ouvert leur territoire a toutes les dc^nominations religieuses. lis en furent tres mal recompenses, comme d'ha- bitude. Au bout de vingt-cinq ans les protestants, ayant pris le dessus, expulserent les Jesuites, confisquerent tous les biens de la communaute catholique, et supprimerent, autant que possible I'exercice du culte. La legislature du Maryland pour degrader les Irlandais catholiques, poussa I'infamie jusqu'a exiger, par tete d'emigrant, la meme taxe que pour I'importation d'un negre. Voila comment les catholiques etaient traites chez eux ; et ce sont ces memes hommes qui accusent chaquejour I'Eglise romainede violence et de tyrannie ! « On voit assez, dcrivait a ce sujet I'^veque de » Charleston (i), les obstacles que les emigrants » catholiques rencontrerent a leur entree dans » les colonies anglaises. Avant I'annee 1771, les » catholiques irlandais ne s'etaient guere etablis » qu'au Maryland et dans la Pensylvanie ; quel- » ques Allemands catholiques vinrent aussi habi- » ter ce dernier pays. Mais la disette de pretres » y etait si grande, que c'est a peine si Ton en » comptait deux ou trois. Ainsi prives de tout » secours spirituel, separes de leurs compagnons » d'infortune, devenus etrangers a leurs families, » perdus, pour ainsi dire, au milieu des sectaires, )> habitues a voir la religion outragee et ceux qui » la suivaient maltraitcs, la plupart cesscrent de % faire profession de leur foi ; ils se laisserent » entrainer dans les temples protestants, ils pri- » rent des femmes dans les families protestantes, » et leurs enfants sont aujourd'hui des sectaires.)) Avec I'emancipation s'ouvrit pour les catho- liques desEtats-Unis I'ere de la liberte religieuse. Neanmoins, les resultats de cette grande mesure furent assez lents a se manifester. On manquait egalement de pretres et de ressources pour sou- tenir toutes les ceuvrcs que reclame une Eglise au berceau : construction d'eglises et de presby- teres, entretien des pretres, ouverture d'ecoles, de colleges, de seminaires, fondations d'ceuvrcs de charite, tout etait a faire a la fois ; et les catho- liques, si longtemps ccrases sous I'oppression ]jrotestante, etaient trop pauvres alors pour com- mencer et soutenir toutes ces ceuvres. Dans cette crise decisive pour I'avenir du catholicisme ame- ricain, la France vint gcncreusement en aide a cette jeune Eglise, en fournissant, sans compter, des hommes et de I'argent. La plupart des sieges I. Annal. de la Frop. de la Foi. Annee 1S5S, lorn. X, p. 261. 204 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. episcopaux et un grand nombre de paroisses furent desservis, au debut, par des missionnaires venus de France ; d'un autre cote, I'ceuvre de la Propagation de la Foi fut I'instrument providen- tiel dqnt DiEU se servit pour assurer a I'Eglise des Etats-Unis les ressources necessaires au developpement de ses ceuvres. Des le debut, les aumones de I'Association avaient ete partagees par moitie entre les dioceses de I'Union et les missions de I'Extrcme-Orient. Pendant de lon- gues annees, des allocations qui varierent de 600.000 francs a plus d'un million, constituerent la meilleure part du budget de cette Eglise. Elle ferait bien de s'en souvenir, aujourd'hui qu'elle est riche et prospere, pour rendre aux missions catholiques une partie de I'assistance quelle en regut jadis. A peine emancip6e du joug de I'Angleterre, la Republique Americaine cherchanaturellement a setendre autour d'elle, et a occuper tout le Continent. Les jeunes Etats ont de ces ambi- tions qui vont bien a leur age, et que le succes couronne souvent Deja notre influence politique etait bien amoindrie, dans les provinces du cen- tre et sur les bords du Mississipi. En 1803, Bonaparte, alors premier consul, tout occupe de ses projets de guerre continentale, se debarrassa de la Louisiane, en la cedant pour une somme derisoire aux Etats-Unis, D'un autre cote, en cinquante ans, les colonies espagnoles, la Floride, le Texas, le Nouveau-Mexique et la Californie, abandonnees de la mcre-patrie, livrees aux revo- lutions et au.x intrigues des politiciens, furent for- cees d'entrer dans I'LJnion. La grande Republique avait tout absorbe et dominait desormais d'un ocean a I'autre. Ce changement politique fut loin d'etre favo- rable aux interets du catholicisme. Une nuee d'aventuriers, gens de toutes religions, et la plupart sans religion aucune, de ministres riche- ment rentes, de predicants fanatiques, apparte- nant a toutes les denominations, s'abattit sur ces contrees pour en faire leur proie. En quelques annees, le Yankee, entreprenant et sans scru- pules, eut vite fait de s'emparer du marche et de I'emporter sur I'indolence proverbiale des Creoles. En deux ou trois generations, les Francais de la Louisiane, les Espagnols de la Floride et du Texas, se virent completement americanises. Comment le catholicisme aurait-il pu lutter contre I'envahi-sement ? La situation religieuse des colonies francaises et espagnoles etait lamentable. Dans la Floride, il n'y avait, au moment de I'annexion, qu'un seul pretre, et trois ou quatre au Texas. La Louisiane n'etait guere mieux pourvue ; ce ne fut qu'en 1815 qu'on put relever le siege de la Nouvelle- Orleans ; encore, le premier titulaire, Mgr Du- bourg, ne put s'etablir dans sa ville episcopale, et fut force, jusqu'en 1823, de resider a Saint- Louis. L'action du protestantisme put done s'exercer sans obstacles, dans ce pays autrefois tout catholique. Neanmoins, il y avait toujours un antagonisme latent entre le Nord et le Sud. Le Yankee pro- testant considerait d'un ceH jaloux la prosperite des planteurs catholiques du Sud. C'est a cet antagonisme de races, bien plus qu'a la question de I'esclavage, qui ne fut qu'un pretexte, qu'on doit la guerre fratricide de i860. On connait les resultats : le Sud, completement ecrase par le Nord, se vit systematiquement ruine par son concurrent victorieux ; il fut abandonne, sans defense, aux intrigues des politiciens et a I'op- pression d'une majorite de noirs, affranchis sans preparation et investis, contre leurs anciens maitres, de droits politiques qu'ils etaient parfai- tement incapables d'exercer avec intelligence et moderation. Ce fut la ruine de tons les grands planteurs du Sud, au detriment de I'influence catholique. in. Voila ce qui regarde la situation religieuse des anciens colons, etablis depuis longtemps dans le pays. Parlous maintenant de ce flot con- tinu d'emigrants qui, depuis un siecle, n'a cesse de se deverser sur ces immenses territoires, et qui atteint, s'il ne le depasse, le chiffre formidable de qjiarante millions. Au point de vue religieux, le seul qui nous interesse ici, ces emigrants, dont la moitie, au moins, appartenaient au catholicisme, se ratta- chent a plusieurs nationalites. En tete de ces emigres volontaires, qui ont abandonn^ leur patrie pour s'en faire une seconde de I'autre cote de I'ocean, il faut placer les Irian- dais. Pour echapper a I'oppression religieuse et aux famines periodiques, que la mauvaise consti- tution de la propriete entretient dans la fertile Irlande, chaque annee, deux a trois cent niille enfants de la Verte Erin s'arrachent en pleurant aux rivages aimes de leur pays, et vont demander k un autre sol ce pain quotidien, que la haine implacable de I'Anglo-Saxon refuse a leurs labeurs. Mais, sous quelques cieux qu'ils s'exilent, dss rivages de I'Australie aux plaines du Nou- veau- Monde ils emportent avec eu.K I'indestruc- tible amour de la patrie irlandaise et de la foi catholique, pour lesquelles ils ont tant souffert. Comme I'ecrivait, en 1850, un eveque ameri- cain (i) : « On dirait qu'il a plu a la divine Pro- » vidence de tenir ce peuple fiJele sous le pres- » soir, afin qu'il quittat la demeure de ses peres, )) et que sa dispersion fut une semence de catho- » liques chez les nations lointaines. » Ce sont les Irlandais qui, au nombre d'environ quatre viillions, forment aux Etats-Unis la majorite de la population catholique. Chaque annee, un contingent de cent a cent cinquante viille ames vlent peupler les paroisses du Nou- veau-Monde. Groupes en associations, les enfants I. Mgr Byrno, premier eveque de Little- Rock. Annaks de la Propagation de lu Foi, L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 205 de saint Patrice savent se souvenir et se faire respecter des protestants americains ; ils pour- voient, avec une generositcqui nese lasse jamais, a tous les besoins du culte et a I'entretien de Jeurs eveqiies et de ieurs pretres. Plus d'un grand Etat catholique pourrait envier pour son clergc les largesses royales que « ce peuple de mendiants )>, conime I'appelle avec dedain I'Anglais.fait chaque annce pour soutcnir I'eclat du culte et les ceuvres de rapostolat. A cote de I'emigration irlandaise, la race fran- caise ne formerait, aux Etats-Unis, qu'un appoint insignifiant, si, depuis une trentaine d'annees, les Franco-Canadiens, a letroit dcsormais chez eux, n'avaient deborde dans les Etats voisins, en y apportant un contingent de se/>i a Itnit cent viille ames. II faut dire un mot de cette emigration franco- canadienne aux Etats-Unis, parce quelle s'y presente avec des caracteres particuliers. Pendant que toutes les autres races, sans excepter les Irlandais, s'amcricanisent prompte- ETATS-UNIS. — Mission de la CONXtrnoN ; d'apres un croquis de M. Domenec, premier missionnaire du Texas. inent et se fondent, au bout d'une ou deux gene- rations, dans la grande Rcpublique Americaine, les Fran^ais du Canada, emigres aux Etats-Unis, entendent bien y garder leur langue, Ieurs mceurs et leur nationalite, comme ils I'ont fait au Canada, sous la main peu douce, cependant, des Anglais, lis ne veulent pas entendre parler de se laisser absorber peu a peu, comme il est arrive aux anciens colons fran^ais de la Louisiane ; et, malgre les contradictions acharnces qu'une pa- reillc pretention suscite chez tous les Amcricains, catholiques aussi bien que protestants, ils esperent echapper a I'absorption, et rester Francais aux Etats-Unis. Si leur espoir se realise, ce sera en- core la religion qui, la comme au Canada, aura ete la sauvegarde de la nationalite. II faut reconnaitre que la race francaise, bien qu'eminemment sociable, s'est toujours pretee assez mal a I'assimilation avec les autres peuples. Partout oil il s'etablit, le Frangais aime a rester lui-meme, Francais d'allures et de caractere avec ses qualites nationales et aussi ses defauts : gai, insouciant, spirituel, causeur, mais dans sa propre langue, car il se montre absolument rebelle a apprendre et a parler une langue etrangere ; un peu leger, un pen glorieux, prompt a s'enflam- 206 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. mer, mais sans rancunes, extremement chauvin a I'ctranger, et trouvant generalement, a tort ou a raison, que, chez les autres peuples, rien ne vaut la France. Tel est, tres particulierement, le type du Franco-Canadien emigre aiix Etats-Unis. Avec ce caractere, I'emigrant doit rencontrer sur sa route bien des deboires et bien des diffi- cultes. Les premiers qui passerent du Canada aux Etats-Unis en firent la douloureuse expe- rience : isoles, au debut, au milieu de popu- lations dont ils n'entendaient pas la langue, dont le caractere froid et formaliste repugnait absolument a la vivacite du leur, les premiers emigrants se laisserent aller tres vite au decou- ragement, et nulle part ils ne se sentn-ent chez eux, pas meme a I'eglise, ou Ton prechait en anglais ; la raideur administrative du clerge americain contrastait absolument avec la bon- homie et la rondeur de leur ancien cure canadien. Aussi, en dix ans, la moitie s'(^tait deja eloignee des pratiques religieuses. lis allaient perdre, du meme coup, leur nationalite et leur foi, si I'eveque de Burlington, un Breton, Mgr de Goesbriand, mieux capable que personne d'apprecier les besoins religieux de ses compatriotes, n'avait fait retentir un cri d'alarme (l) : « Si on ne vole au ^ secours de ces emigres, ils vont perdre leur foi » et deshonorer leur nation... Les Canadiens ont » besoin de missionnaires de leur nation ; ils ont » besoin d'eglises separees. DiEU, dans sa Pro- » vidence, veut que les nations soient ^vange- » lisees, au moins generalement, par des apotres » qui parlent leur langue, qui connaissent leurs » habitudes et leurs dispositions. » Ce cri d'alarme fut entendu : les eveques des Etats-Unis, particulierement ceux des Etats de I'Est, dans lesquels les Canadiens sont plusgrou- pes qu'ailleurs, s'eleverent genereusement au- dessus des prejuges de races et de nationalites, pour ne voir que le bien des ames, et la plupart seconderent de tout leur pouvoir la fondation, dans leur diocese, de paroisses separees pour les Canadiens frangais. De leur cote, les emigrants ne s'epargnerent pas. En vingt ans ils ont construit, dans les Etats de I'Est, cent vingt eglises paroissiales, desservies par cejit cinquante pretres canadiens, qu'ils entretiennent a leurs frais. Ouelques-unes de ces eglises ont coute soixante a cent viille piastres (500.000 francs). De pauvres ouvriers, charges de nombreuses families, ont su ainsi prelever sur leur salaire de quoi loger dignement le bon DiEU et son pretre. Et a cote de I'eglise et du presbytere, I'ecole catholique est tenue le plus souvent par des reli- gieuses venues du Canada. Sur les cent vingt paroisses dont je viens de parler, cinquante ont leur couvent-ecole, la plupart d'une valeur de quinze a vingt viille piastres ; et la ou Ton n'a pu encore construire le couvent, partout au I. Lettrc au Prolecteur Canadien. Mai 1869. moins vous trouvez I'ecole paroissiale, entrete- nue aux frais des chefs de famille. Couvents et ecoles donnent ainsi une education catholique et nationale a plus de 30.000 enfants. Ainsi, sur une terre etrangere, I'emigre cana- dien a su garder sa foi et ses traditions reli- gieuses ; il a reconstitue aux Etats-Unis la vieille paroisse canadienne, gardienne des vieilles mceurs et de la nationalite. Tout en restant loyalement respectueu.x des institutions et des lois de sa patrie d'adoption, il affirme resolument et nette- ment son programme, et ce programme se resume en trois mots : « Notre religion, notre langue, notre nationa- > lite ! » Ouatre-vingts societes de Saint-Jean-Baptiste, douze journaux redigcs en fran(jais,de nombreux congres, dans lesquels les delegues des diverses associations se reunissent chaque annee pour discuter leurs interets religieux et politiques, completent cette forte organisation de I'emigra- tion franco-canadienne, et semblent promettre a ce peuple interessant qu'il echappera a I'absorp- tion de la grande Republique. On comprend que les Ami^ricains, surtout les protestants, voient de mauvais ceil cette tendance. Deja le principal journal protestant de Boston, L' Avicricain, a pousse un cri d'alarme (i) : « Son- » gez-y, Americains patriotes, les Jesuites fran- >) cais ont concu le projet de former une nation » catholique avec les provinces de Quebec et de » la Nouvelle Angleterre. Les Francais sont T> plus d'un million au.x Etats-Unis ; ils rem- » plissent vos fabriqucs, achetent vos fermes, » s'introduisent dans vos legislatures et y exer- » cent une influence puissante. Le nombre de » leurs enfants est inimaginable pour des Ame- » ricains. Ces enfants, on les 61oigne des Ecoles » publiques, pour leur donner une education en » tout semblable a celle qu'ils auraient regue au » Canada ; on leur dit qu'en apprenant I'anglais, » ils perdront leur langue, leur nationalite, leur )) religion ; on les eleve comme race etrangere, » distincte, soumise au Pape en matiere reli- % gieuse et politique. Bientot, unis aux Irlandais » ils vous gouverneront, vous, Americains, ou » plutot le Pape vous gouvernera, car ces masses > le reconnaissent pour maitre. » Les catholiques americains eux-memes se montrent actuellement assez mal disposes a I'egard de leurs freres emigres du Canada. Esperons que ces susceptibilites nationales se cal- meront, et que les catholiques des Etats-Unis, si intelligents et si devoues aux interets de leur Eglise, apprecieront bientot la force considerable que I'element franco-canadien apporte chez eux au catholicisme. Tous alors, rallies au pied de la Croix, s'uniront pour lutter ensemble contre I'influence protestante, sur cette terre qui etait I. N" du 28 decembre 1889. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800 1890. 207 encore, il y a un siecle, la citadelle du purita- nisme (i). Un troisieme courant d'emigration arrive aux Etats-Unis de TAllemagne. Pendant que les Irlandais s'etablissent de preference dans les grandes villes de I'Est : Boston, Baltimore, New- York, dont ils forment, a eux seuls, la moitie de la population ; pendant que les Franco-Canadiens s'installent dans les villes manufacturieres des Etats voisins de Quebec, dont ils constituent, a cette heure, presque toute la population ouvriere, TAllemand, agriculteur et colon, s'enfonce dans les solitudes de I'Ouest, et peuple la Californie, le Minnesota, le Wisconsin, I'lowa, I'Ohio, I'ln- diana et les rives du Mississipi. On estime de quaire-vingt a cent viille le nombre des emigrants allemands que la misere, ou le desir d'echapper aux charges de la loi militaire, forcent, chaque annee, a s'embarquer pour I'Am^rique. Cela fait, en un siecle, pres de dix niillions d'emigrants allemands aux Etats-Unis, dont un tiers, au moins, appartiennent a la religion catholique. Comme le Fran^ais, I'Allemand conserve tou- jours un culte filial pour la patrie absente. II aime a se grouper avec ses nationaux dans les memes villes, afin de s'entr'aider, au besoin, et de retrou- ver autour de lui une image lointaine du pays natal ; il aime a chanter en chceur les vieux Licds nationaux, a raviver entre compatriotes ses sou- venirs, et aussi ses haines. On I'a bien vu en 1870 : dans toutes les villes ou ils dominent, Cincinnati, Chicsgo, Philadelphia, ils forcerent les autorites a illuminer pour Sedan, malgre les protestations indignces des Irlandais, nos amis. Mais ce chau- vinisme ^troit s'evapore et disparait assez vite. Des la seconde generation, le sentimental Alle- mand est completement americanise ; et comme, ordinairement, il se trouve aux Etats-Unis beau- coup mieux que chez lui,il applique cyniquement le vieil axiome des etudiants germaniques : Ubi bene, ibi patria, la patrie est la 011 on se trouve bien. On compte aux Etats-Unis environ doiize cents paroisses allemandes, sans compter des pa- roisses mixtes, dans lesquelles les Allemands se trouvent meles avec d'autres. Cela fait approxi- mativement au moins deux millions d'Allemands catholiques aux Etats-Unis. Comme importance numerique, ils viennent done au second rang, apres les Irlandais. En dehors de ccs trois courants principaux d'emigration : les Irlandais, les Franco-Canadiens et les Allemands, il faut tenir compte des autres Etats catholiques : la France, la Belgique, I'ltalie, I'Espagne, la Suisse, la Pologne, qui concourent pour un chiffre beaucoup plus faible au total de I'cmigration. Bien que le courant qui portait aux Etats Unis ait bien diminue d'intensite, ct que le gouvernement federal se montre, a bon droit, I. Sur I'emigration franco-canadienne, on consultera avec fruit, dans les Etudes religieuses des Ji'suites, deux articles du R. P. Hamon, auxquels j'ai beaucoup emprunte. — Aout et septeitibre 1S90. beaucoup moins facile, depuis quelque temps, a recevoir les etrangers, on peut encore evaluer de cent a cent cinguante mille le chiffre annuel des emigrants catholiques. 11 y aura encore longtemps de la place pour eux dans les solitudes inexplo- rees du Far- West. Que devient cependant la race primitive, sous cette couche seculaire d'alluvions, arrachees a tous les rivages de I'Ancien-Monde ? II faut reconnaitre a ce peuple anglo-saxon une rare faculte d'absorption. A I'exception de la race frangaise, et encore elle s'est vue a peu pres ame- ricanisee a la Louisiana, le Yankee s'est assimile tres vite tous ces elements etrangers, et, sans se confondre avec eux, leur a impose sa langue, ses mceurs, ses institutions nationales. De tous ces elements heterogenes, par I'education, par la legislation, la grande Republique a su former, en moins d'un siecle, un peuple qui est un, et qui se regarde, non sans apparence de raison, comme le premier peuple du inonde : le peuple americain. Ce n'est pas que I'orgueil puritain consente jamais a s'egaliseraces races inferieures, qu'il me- prise profondement : race de reveurs, de poetes, d'artistes, de chevaliers, qui n'entendent ricn aux affaires, et qui ne trouveront pas leur place dans la socicte de I'avenir. Pour lui, homme primitif avant tout, et pas du tout sentimental, ces emi- grants, qui lui arrivent de toutes les parties du monde, sont une force materielle, un facteur puissant, destine a enrichir ceux qui sauront i'utiliser ; ce sont des bras pour le travail, dont il entend bien rester la tete. C'est a ce titre seule- ment qu'il les accueiUe et les emploie. Sous le rapport religieux, qu'y a-t-il a attendie de I'Americain natif ? Cette question me rappelle ce joli mot de Louis Veuillot (i) : « En Amerique, le catholi- » cisme existe a I'etat de fantaisie de la liberte » humaine, et c'est la fantaisie pour laquelle la » liberte americaine se sent le moins de gout. » Le grand publiciste catholique eprouva toujours beaucoup d'eloignement pour le systeme religieux des Etats-Unis, qui cadre mal avec ses theories absolues. II est certain que, livre au culte des interets materiels, I'Americain attache assez peu d'importance au.x choses de I'invisible ; il n'est pas impie ; sauf exception, il frequente, le diman- che, quelqu'un des nombreux temples qui puUu- lent dans les villes de I'Union ; mais il n'a pas generalement de convictions fortes, et il passe facilement d'une Eglise a une autre. On serait, a mon avis, bien severe, si on lui en faisait un crime. Le spectacle de la multiplicite des sectes, de leurs contradictions, de leurs perpetuelles variations, I'a jete de bonne heure, et sans qu'il y ait de sa faute, dans I'indifference religieuse. Mais la magnifique unite de I'Eglise catho- lique, au milieu de la divergence des sectes rivales, n'est pas sans agir sur son esprit naturel- I. Le Parfiim de Rome, — Livr. W. 208 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"^ SIECLE. lement reflechi ; la gravite et la pompe de nos ceremonies, I'accent convaincu de la predication, I'attirent souvent dans nos eglises, et il y laisse beaucoup de ses prejuges. Pour les esprits droits et les ames de bonne volonte, le catholicisme, qui etait regarde, il y a cent ans, comma one superstition a peine superieure aux absurdites du fetichisme, apparait aujourd'hui entoure d'une aureole de force et de respect. L'Americain, toujours porte a s'incliner devant ce qui reussit, n'a pu voij sans surprise le spectacle merveilleux de cette Eglise, organisant sa hierarchie, multi- pliant ses ceuvres, et, sans aucun secours du pouvoir civil, passant sans efforts du dernier rang au premier. Ce grand spectacle nous a valu, dans toutes les classes de la societe americaine, denombre*x retours, qui ont compens6, en par- tie, les defections du passe. Le P. Hamon, dans un travail dont j'ai parle plus haut, ecrit ces lignes desolantes (i) : « Re- » tranche dans son orgueil, son dedain et son » scepticisme, I'Americain, en regie generale, ne » se convertit pas. » Ce mot me parait bien severe. Sans doute, le mouvement des conversions au catholicisme est moins accentue qu'en Angleterre, mais il existe, et tout fait esperer qu'il augmentera encore. Cependant, ces succes memes du catholicisme ont reveille contre lui les haines de I'heresie. Au commencement du siecle, le catholicisme etait considere comme si peu de chose, qu'on trouvait plus expedient d'en rire que de s'en alarmer. Ces dispositions negatives se modifierent, a mesure que I'Eglise des Etats-Unis revela sa force. Dans les vieux centres puritains de r Est, le fanatisme s'organisa : des colleges catholiques, des Eglises furent livres aux flammes, et les tribunaux refu- serent toute justice aux victimes de ces attentats ; a Boston, dans la nuit du ii aout 1834, des incendiaires se porterent au convent des Ursu- lines, qui avaient alors soixante pensionnaires, appartenant la plupart a des families protes- tantes ; on mit le feu au couvent, on pilla et on demolit la chapelle, on profana les saintes hosties; ce fut une orgiede sacrileges et de haines. Heureusement le bon sens et I'esprit vraiment liberal de la population firent promptement jus- tice de ces honteuses violences. LAmericain veut sincerement la liberte pour lui d'abord,et ensuite pour les autres ; il a la sagesse de comprendre que tous les droits sont solidaires, et qu'a\'ant d'exiger qu'on respecte son droit, il doit com- mencer par respecter celui des autres. Aussi, bien que le fanatisme n'ait nullement desarme, bien qu'il y ait aux Etats-Unis de nom- breuses societes secretes dans lesquelles on com- plote, comme chez nous, la mort de I'Eglise et i'ecrasement du catholicisme, tant que cet esprit liberal subsistera chez le peuple americain, la persecution est peu a redouter. Pour y arriver, I. Etudes leligieuses. Septeinbre 1890. il faudrait modifier profondement I'esprit public, et bouleverser toutes les institutions politiques du pays. Pour terminer cet apercu general des diffe- rentes populations sur lesquelles s'exerce aux Etats-Unis le zele de I'apotre, il ne mereste plus qu'a parler des Noirs. En 1850, le recen.sement decennal officiel portait a cinq minions le chiffre des Noirs aux Etats-Unis, dont 3.206.425 esclaves dans le Sud. En 18S0, il n'y a plus un seul esclavesur le territoire de la Republique, et le chiffre total des hommes de couleur s'eleve a 6.580.783. Je n'ai pas sous les yeux le recensement de 1890, mais iln'est pas douteux que le chiffre des Noirs ne s'eleve actuellement a sept millions, tt, peut-etre le depasse. Comme on le voit, c'est toute une population que I'avarice des Blancs arracha autrefois a I'Afrique, et qui se trouve aujourd'hui sans patrie ; car, en depit de I'emancipation et des theories philanthropiques, le Noir ne sera jamais qu'un etrangerpour le Yankee. On aurait peine en France a se faire I'idee de I'exclusivisme hautain qui parque ici le negre a I'ecart, et lui interdit I'eglisc, I'ecole, tous les lieux de reunion, et jusqu'aux voitures publiques. II en etait ainsi d'ailleurs avant I'emancipation. Si le planteur du Sud traitait le negre comme un animal de rap- port, pour lequel il gardait certains menagements, dans son propre interet, le puritain du Nord, tout en declamant contre I'esclavage, traitait le noir comme un pestifere, et le maintenait inexorable- ment en dehors de la societe. Aujourd'hui, il n'y a plus d'esclaves aux Etats- Unis, mais il y a une population de sept millions d'ames, dont le gouvernement federal ne salt que faire, et qui, demeurant parquee en dehors de la civilisation, constitue pour la grande Republique un fardeau et meme un danger. C'est la une des consequences de ce crime social de I'esclavage, dont Gregoire XVI a dit, en 1839, qu'il est « injurieux a la Redemption et deshonorant pour le nom chretien ». Cesgrandes iniquitcs nationales se paient tot ou tard. Eman- cipe sans preparation, le negre des Etats-Unis parait incapable de jouir de sa liberte et d'user raisonnablement des droits politiques qu'on lui a con feres a la legere. Au milieu d'une societe dont le travail est la grande loi sociale, le negre refuse de travailler, si ce n'est juste assez pour ne pas mourir de faim. Ces plantations de sucre, de cafe, de tabac, de coton, qui etaient I'orgueil du Sud et la richesse du pays, demeurent en friche et les planteurs sont mines. Que faire de ces multitudes desa;uvrces,qu'au- cun salaire, si remunerateur qu'il soit, ne pent decider a travailler ? C'est la une question dont on se preoccupe a bon droit a Washington. On a parle de les rapatrier en masse en Afrique. Mais quel pa\'s voudrarecevoir une pareille multitude L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800 1890. 209 d'emigrants, qui seraient d'ailleurs parfaitement incapables de se mettre aux usages de la vie africaine ? D'autres proposent de les parquer, comme les Indiens, dans une reserve de quelques cents lieues carrees ; mais il est peu probable que ces sept millions de Noirs, deja investis de droits politiques et grises par les promesses qu'on leur a faites en les emancipant, se laissent faire. La solution chretienne serait de faire cesser I'ostra- cisme qui tient la Noir h. I'ecart des Blancs, de I'elever peu a peu a la civilisation et au christia- nisme, et de I'introduire progressivenient dans la societe. II parait bien douteux que ['egolsme et I'orgueil de I'Anglo-Saxon s'y resi- gnent jamais, _Au milieu de ces luttes de races, I'Eglise catholique, qui n'a jamais dis- tingue entre Blancs et Noirs, entre hom- mes libres et esclaves, ne voj'ant en eux que des fils d'Adam et des rachetes du Christ, s'efforce, dans la mesure de ses ressources, de rapprocher d'elle ces mul- titudes sans pasteurs, qui sont en grand danger de tomber aux mains de I'her^sie. Ce n'est pas la une ceuvre facile. Avant I'emancipation, le negre etait a peu pres inabordable au missionnaire ; sauf chez quelques planteurs chretiens qui faisaient instruire et baptiser leurs esclaves, la detestable avarice des maitres, meme catholiques, s'opposait presque partout a ce que le pretre approchat de ces mal- heureux, dont, une fois baptises, il aurait fallu reconnaitre les droits et la dignite de Chretiens. II fut meme longtemps admis en principe, dans I'Eglise protes- tante, que le bapteme est incompatible avec I'etat d'esclave. A I'emancipation, ces barrieres furent renversees ; mais d'autres difficultes se manifesterent : dans les premieres annees qui suivirent ce grand acte, le Noir, grise de sa liberte reconquise, excite encore par les predications fanatiques des politiciens, se plongea dans une veritable orgie de vengeances et de debauches. II etait, par le fait, plus inacces- sible que jamais a la predication de I'Kvangile. Ces mauvaises dispositions n'arreterent pas le zele des baptistes et des methodistes. lis s'empa- rerent de ces multitudes sans pasteurs, et, sans meme essayer la reforme de leurs moeurs, sans leur imposer aucune loi doctrinale, ils s'appli- querent a surexciter leur sensibilite par de grossieres jongleries : appel de I'esprit, cris, chants, danses et contorsions demoniaques. « J'ai » assiste, ecrit un ministre protestant, k quelques- » uns de ces services religieux, organises pour » les Noirs : les uns se demenaient de diverses » manieres, se levaient soudainement, balan- » 9aient la tete, battaient des mains, dansaieiit » comme dans les anciens mysteres du paga- Mis^ions Catholiques » nisme ; d'autres se pr^tendaient subitement » envahis par I'Esprit, entraient en convulsions, » se roulaient par terre, sautaient, ecumaient, » se tordaient en tire-bouchons. Toute 1 assem- » blee me parut une maison de fous ; le bruit, le » tumulte ctaient horribles. » Ces scenes hideuses, qui cachent peut-etre plus d'une fois les realites redoutables du satanisme, voila toute la religion de la plupart des Noirs, sous la direction des sectaires qui s'en sont empares. Plus de s/.v inillions de Noirs professent, a I'heure actuelle, cet abject christianisme. II est temps que le catholicisme vienne arracher les Son Em. Mgr Mac-Closkey, Cardinal-archeveque de New-Yoik. malheureux Noirs a ces ignominies, plus dange- reuses et plus abrutissantes pour eux que leur ancien fetichisme. Mais, pour une ceuvre comme celle-la, il faut des hommes et des ressources. Dans I'etat actuel de I'opinion, I'Eglise, qui respecte toutes les sus- ceptibilites legitimes, ne peut songer encore a admettre les Noirs au benefice de la vie com- mune. Autant que possible, il leur faut des eglises a eux, des pretres a eux, des ecoles, des colleges a eux. Le seminaire anglais des Missions Etrangeres de Mill-Hill envoie chaque annee aux Etats- Unis un certain nombre de missionnaires char- ges de travailler spdcialement a I'evangelisation des n^gres. Ceux-ci ont des Frereset des Soeurs pour tenir leurs ecoles ; partout ou ils sont assez nombreux, on s'occupe de leur batir des cha- 210 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. pelles, et d'organiser pour eux un service reli- gieux, avec des instructions speciales et appro- priecs a leurs besoins. C'est pour soutenir toutes ces ceuvres que le dernier concile de Baltimore vient de prescrire une quete annuelle pour ]es Noirs. On estime communement a pres de quatre-vingt mille le chiffre total des negres catholiques aux Etats-Unis. La plupart font vraiment honneur a leur foi. La oil le catholicisme a le plus de peine a soutenir la lutte, c'est sur le terrain de I'en- seignement, a cause des ressources inepuisables dont dispose I'heresie. Chose remarquable, le n^gre, qui, comme je I'ai dit, r^pugne absolument au travail des mains, se montre passionne pour le travail de I'esprit. II sent que c'est pour lui 1| seul moyen de se rehabilit r et d'obtenir son entree dans la societe americaine. Voici quelle est, en 1890, la situation des ecoles protestantes de negres aux Etats-Unis : 19.000 ecoles primaires, frequentees par Moo.ooo enfants des deux sexes. 34 ecoles normales : maitres et maitresses d'ecoles ; 6 207 eleves. 46 etablissements d'enseignement secondaire : 9.854 eleves. 18 universites et colleges : 4.486 Aleves. 23 seminaires de theologie : 1.260 eleves ; 4 ecoles de droit : 200 eleves. 3 ecoles de mcdecine, i ecole de pharmacie : 208 eleves. Au total : 19.128 etablissements d'education, qui donnent I'enseignement primaire, secondaire et superieur a 1. 122.014 enfants noirs. On comprend I'influence que doit exercer sur la population noire une telle profusion d'ecoles de tons les degres, d'oii Ton voit sortir chaque annee une legion de predicants, de professeurs, de medecins, d'hommes de lois, d'artistes. Helas ! toutes ces sources du savoir sont empoisonnees ! Ouelles sont maintenant les forces de I'Eglise romaine? 90 ecoles de paroisses, frequentees par environ I5-00O enfants. I s^minaire de theologie ; i pensionnat de jeunes filles. Que c'est peu pour soutenir la lutte sur le ter- rain si dispute de I'enseignement ! Apres cet apergu general des differents ele- ments dont se compose la population catholique de I'Union, on se fera parfaitement I'idee des progres que le catholicisme a faits aux Etats- Unis, au cours du XIX^ siecle, en jetant les yeux sur le tableau suivant : E71 1800 : I eveque, 30 pretres, ? eg Uses ou chapelles, 36 000 catholiques. En 1S20 : I archeveque, 6 eveques, 150 pretres, ? eglises ou chapelles, 400.000 catholiques. En JS40 : I archeveque, 15 eveques, 505 pretres, 456 eglises ou chapelles, i .250.000 catholiques. En iSyo : 7 archeveques, 46 eveques, 8 vicaires aposto- liques, 3.630 preties, 4.i7oeglises ou chapelles, 4.713.600 catholiques. En i8g6 : 14 archeveques, 67 eveques, 4 vicaires et i prd- fet apostoliques, 9.362 pretres, 10.207 eglises ou cha- pelles, 8.850.410 catholiques. Voyons maintenant en detail le developpement de chacune des provinces ecclesiastiques de I'Union. I. — PROVINCE ECCLESIAS- TIQUE DE BALTIMORE. Statisiiqne. Archeveche : Baltimore. — i archeveque, 406 pretres, 425 eglises ou chapelles, 235.000 catholiques. Eveches : Richmond. — I eveque, 32 pretres, 68 eglises ou chapelles, 22.000 catholiques. Wheeling. — i eveque, 36 preire-, 70 dglises ou chapelles, 20.000 catholiques. Charleston. — i eveque, 16 pretres, 27 eglises ou cha- pelles, 8.000 catholiques. Vicariat apostolique : Caroline du Nord. — • i vicaire apostolique, 18 pretres, 30 eglises ou chapelles, 3.100 catholiques. Eveches : Savannah. — • i eveque, 31 pretres, 40 eglises ou chapelles, 20.000 catholiques. Wilmington. — i Eveque, 30 pretres, 46 e'glises ou cha- pelles, 20.000 catholiques. Saint- Augustin. — i eveque, 25 pretres, 30 eylises ou chapelles, 13.000 catholiques. Total : I archeveque, 6 eveques, i vicaire apostolique, 594 pretres, 736 eglises ou chapelles, 341.100 catholiques. La province ecclesiastique de Baltimore a sept suffragants, et comprend le Maryland, la Virgi- nie, les deux Carolines, la Georgie, la Delaware, et la majeure partie de la Floride. Le protestan- tisme domine en maitre dans la plupart de ces Etats, qui, comme je I'ai dit plus haut, faisaient, sauf la Floride, partie de la Nouvelle-Angleterre. La proportion generale des catholiques est d'un sur trente. I. ArdievccJtc de Baltimore. L'archidiocese de Baltimore est pour les Etats-Unis ce que Quebec est pour le Canada ; c'est I'Eglise-Mere, d'ou sont sortis tous les autres dioceses de I'Union. Erig(§ en 1789, il fut eleve en 1808 a la dignite de Me- tropole, par la creation de quatre eveches suffra- gants : Boston, New-York, Philadelphie et Bards- town. Apres avoir embrasse tout le territoire de la R^publique, il comprend aujourd'hui la plus grande partie du Maryland et un district de la Colombie, avec la ville de Washington, qui est le siege du gouvernement federal. L'archeveque actuel, Mgr Gibbons, est le second prelat ameri- cain decore de la pourpre romaine ; le premier fut Mgr Mac-Closkey, archeveque defunt de New-York. La population catholique du diocese est de 235.000 ames, sur 1.272. 780 habitants. II. Evcch^ de Richmond. Ce diocese, detach^ en 1820 de celui de Baltimore, embrassait d'abord les deux Etats de Virginie et de Georgie. Aujour- d'hui, il est restreint a la Virginie orientale, et compte 22.000 catholiques, sur i. 700.000 habi- L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 211 tants. II y a en Virginie environ 650.000 Noirs, dont 500 seulement sont catholiques. III. EveM de Wheeling. II fut detache, en 1870, de Richmond, et comprend la Virginie occidentale. 20.000 catholiques sur i. 500.000 habitants. IV. Evcchc de Charleston. II fut detache, en 1820, de Baltimore, et comprenait d'abord les deux Carolines. Actuellement il est restreint a la Caroline mcridionale, et n'a que 8.000 catholiques, sur 1. 000.000 d'habitants. Providence. — i evequc, 155 prctres, 104 eglises ou cha- pelles, 200.000 catholiques. Burlingion. — i evcque, 52 prctres, 104 eglises ou cha- pelles, 50.000 catholiques. Portland. — i evcque, 74 pietres, Si dglises ou chapelles, S3. 000 catholiques. Manchester. — i evcque, 77 prctres, 75 e'glises ou cha- pelles, 85.000 catholiques. Springfield. — i eveque, 190 pretres, 128 eglises ou cha- pelles, 170.000 catholiques. Total : I archevcqiie, 6 evcques, 1. 128 prctres, 941 eglises ou chapelles, i 413,000 catholiques. La province ecclesiastique de Boston a six suffragants, et comprend les Etats des Massassu- V. Vicariat apostoliqiie de la Caroline septentrionalc. En 1868, la Sacree-Con- gregation detacha la Caroline du Nord du diocese de Richmond. Ce pa)'s, tout protestant, n'a encore que 3.100 catho- liques, sur 1. 617.950 habitants. VI. Evcchc de Savannah. Ce diocese, detache, en 1850, de celui de Richmond, comprend tout I'Etat de la Georgia. 20.000 catholiques sur 2,000.000 d'habi- tants. VII. Evcchc de Wilmington. Ce dio- cese, erige en 186S, comprend tout I'Etat de Delaware, une partie du Maryland, et deux comt6s en Virginie. II a 20.000 catholiques, sur 450.000 habitants. VIII. Evcche de Saint-Augitstin. La mission de la Floride, fondee par les Espagnols, a la fin du XVI^ siecle, releva d'abord de I'archeveche de Cuba, puis passa successivement sous la juridiction des eveques de la Havane et de la Nou- velle-Orleans. Ce dernier ayant ete chasse par les revolutions politiques, la mission de Floride demeura abandonnee jusqu'en 1827. A cette epoque, 1j\ Floride et I'Alabama reunies furent erigees en vica- riat apostolique. Plus tard, la Floride fut rattachee au diocese de Mobile, puis a celui de Savannah. Enfin, en 1857, Pie IX crea le vicariat apostolique de la Floride seule, qui devint, en 1870, le diocese de Saint-Augustin. II comprend jeure partie de I'Etat de Floride. Cette ancienne colonie espagnole est aujour- d'hui presque tout entiere protestante. Elle n'a que 13.800 catholiques, sur 338.200 habitants. Mgr Lynch, eveque de Charleston. la ma- ll. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE BOSTON. Statistiqiie. ArchevSche : Boston. — i archevcque, 376 prctres, 238 Eglises ou chapelles, 575.000 catholiques. Evech^s : Hartford. — i dvcque, 204 prctres, 211 dglises ou chapelles, 250.000 catholiques. chets, du Connecticut, de Rhode-Island, de Ver- inont, du Maine et de New- Hampshire. Ces six Etats faisaient partie autrefois de la Nouvelle- Angleterre, et sont de'meures le centre du fana- tisme puritain. Neanmoins la situation des catho- liques y est plus prospere que dans la province de Baltimore, puisqu'ils forment le tiers de la population. I. Archevechc de Boston. Le premier pretre catholique qui se fixa a Boston, en 1790, y trouva a peine cent catholiques. En 1808, la foi y avait fait assez de progres pour que Pie IX crigeat dans cette ville un siege episcopal. Le premier titulaire fut un pretre emigre de 212 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™'^ SIECLE. France, Mgr de Cheverus, qui laissa une m6 moire benie, et revint mourir archeveque de Bordeaux. Boston fut 6\eve en 1875 a la dignite di Me- tropole. L'archidiocese setend seulement sur une partie des Massassuchets; et compte 575.000 catholiques, sur 1.500.000 habitants. Boston est une ville savante et lettree, ce qui I'a fait surnommer VAthciies de l' Union. L'esprit puritain et le vicu.x fanatisme anticatholique y sont encore tres puissants. U. Evcchc d'Harffort. Ce diocrse, detache en 1843 de Boston, compranait d'abord deux Etats : le Connecticut et Rhode-Island. II est restraint aujourd'hui au Connecticut, et compte 250.000 catholiques, sur 700.000 habitants. III. Evcche de Providence. Detache en 1872 d'Hartfort, ce diocese comprend tout I'Etat de Rhode-Island, avec une partie des Massassu- chets 200.000 catholiques, sur 525.000 habitants. IV. Evech^ de Burlington. Detachd de Boston en 1853, ce diocese comprend tout I'Etat de Vermont. II n'a que 50.OOO catholiques, sur 332,430 habitants. V. Evcchc de Portland. Ce diocese, detache de Boston en 1855, comprenait alors les deux Etats du Maine et du New-Hampshire. II est restreint aujourd'hui au Maine et compte 83.000 catholiques (dont i.ioo sauvages), sur 661.000 habitants. VI. Evcc/u' de Manclicster. II fut separe en 1884 du diocese de Portland, et comprend tout I'Etat du New-Hampshire. 85.000 catholiques, sur 376,530 habitants. VII. Evechc de Springfield. Detache en 1870 de Boston, ce diocese comprend seulement cinq comtes dans I'Etat des Massassuchets, 170.000 catholiques sur 500.000 habitants. III. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE NEW-YORK. Statistique. Archeveche : New-York. — i archeveque, 555 p;e.res, 20oeglises ou cliapelles, 800.000 catholiques. Evechd : Biooklyn. — i eveque, 219 pretres, 137 eglises ou chapelles, 300000 cathohq les. Albiny. — i eveque, 162 pretres, 167 ^glise; ou chapelles, 130000 cathohques. Ogdenbourg. — i eveque, 95 pretre', 128 eglises ou cha- pelles, 72.000 catholiques. Syracuse. — i eveque, 93 pretres, 95 eglises ou chapelles, 70 coo catholiques. Bulfalo. — I Eveque, 203pre;re-, 166 Eglises ou chapelles, 160.000 catholiques. Rochester. — i eve-jue, 85 pretres, 91 eglises ou cha- pel'es, 85.000 catholiques. Newark. — i Eveque, 211 pretres, 197 eglises ou chapelles, 21S.000 catholiques. Trenton. — i dveque, 77 pretres, 84 eglises ou chapelles, 45.000 catholiques. Total : I archeveque, 8 eveque^, 1.700 pretres, 1.265 eg'i es ou chapelles, 1.880 000 catholiques. La province ecclesiastique de New-York a knit suffragants, et s'etend seulement sur les deux Etats de New-York et de New-Jersey. La population catholique y forme environ le quart de la population totale. I. ArchcvccM de New- York. En 1785, on trouvait aeu\cment deux cents catholiques a New- York. Aujourd'hui, en reunissant les deu-x dio- ceses de New-York et de Brooklyn (ce dernier n'est qu'un faubourg de New-York), on trouve, pour la ville seule, plus d'nn million de catholi- ques. Les progres du catholicisme furent si rapi- des dans cette partie de I'Union que, des 1808, Pie VII y erigea un siege episcopal, qui devint, en 1850, la Metropole de la province. New-York, par sa position geographique et ses relations avec I'Europe, pent etre considcrde coinme la capitale commerciale de I'Union. Elle est aussi, par le nombre de ses fideles et la inul- tiplicite des ceuvres, comme la Metropole catho- lique des Etats-Unis. Les catholiques de New- York le savent, et ils en sont fiers. lis viennent d'achever une splendide cathedrale du style gothique, tout en marbre blanc, qui a coute, dit- 011, cent vingt viillions, et qui est certaineinent le plus magnifique monument religieux du Nou- veau-Monde. L'archidiocese comprend la ville et le cornte de New-York, plus huit comtes voisins et les ties Bahatnas (Antilles). II a plus de 80C.000 catho- liques, sur 1.682.000 habitants, la inoitie de la population totale. Que de changements en un siecle ! II. Evcchc de Brooklyn. Ce diocese, erige en 1853, est comme un faubourg de New-York, dont il n'est separe que par le fleuve. II comprend les trois comtes de Long- Island, Etat de New- York, et compte 300.000 catholiques, sur 1.029.000 habitants. III. Evcchc d' Albany. Detache en 1847 de New-York, le diocese d'Albany comprend sept comtes et 130.000 catholiques, sur 750.OOO habi- tants. IV. Eveclu' d' Ogdenbourg. Detach^ d'Albany en 1872, il comprend six comtes et 72.000 catho- liques, sur 302.000 habitants. V. Evcchc de Syracuse. Detache d'Albany en 1886, il comprend sept comtes et 70.000 catho- liques, sur 500.000 habitants. VI. Evechc de Buff alo. 'Diid.che de New- York en 1847, il comprend dou::e comtes et 160.000 catholiques, sur 7 13.000 habitants. VII. Evechc de Rochester.'DctdichQ, en 1868, du diocese de Buffalo, il comprend huit comtes et 85.000 catholiques, sur 475,000 habitants. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 213 VIII. Evky de Neivark. Detache en 1853 cle celui de New- York, il comprenait cl'abord tout I'Etat de New-Jersey ; aujourd'hui, il ne s'etend plus que sur sept comtes, et compte 218.000 catholiques, sur 880000 habitants. IX. Evcchc de Trenton. Detache de Newark, en 1881, le diocese de Trenton s'etend sur qua- torze comtes du New-Jerse)- et compte 45.000 catholiques sur i.ooo.OOO d'habitants, IV.- PROVINCE ECCLESIAS TIQUE DE PHILADELPHIE. Statistique. Archeveche : Pliiladtlphie. — i archeveque, 296 prelres, 212 eglises ou chapelles, 450.000 catholiques. Eveches : Pittsburg : I eveque, 355 pretres, 24 1 eglises ou chapelles, 185.000 catholiques. £rie. — I eveque, 72 pretres, 129 eglises ou chapelles, 60.000 catholiques. Harrisburg. — i eveque, 58 pretres, 61 eglises ou cha- pelles, 40.000 catholiques. Scranton. — i eveque, 114 pretre.=, 120 Eglises ou cha- pelles, 100.000 catholiques. Total : I archeveque, 4 eveques, 895 pretres, 76S e'glises ou chapelles, 835.000 catholiques. La province ecclesiastique de Philadelphie a quatre suffragants, et embrasse tout I'Etat de Pens}-l\aiiie. Ce pays tire son nom du celebre Quaker Guillaume Penn, qui, fuyant la perse- cution de Taiiglicanisme officiel, s'y refugia, au XVII"^ siecle, avec une partie de ses coreligion- naires. La tolerance des Quakers ayant permis aux catholiques de s'etablir chez eux, alors que toutes les autres colonies de la Nouvelle-Angle- terre leur etaient impitoyablement fcrmees, la Pensylvanie comptait deja 7.000 catholiques au moment de I'emancipation. Ce fut ce qui dccida, des 1808, I'erection du siege episcopal de Phila- delphie, qui devint, en 1875, la Metropole de la province. La proportion des catholiques est d'en- viron le cinqiiihne de la population. I. ArcIievccJu' de Philadelphie. II comprend actuellement la ville et le comte de Philadelphie, avec «!?/// autres comtes. Population catholique, 450.000 sur 1.200.000. II. — Evcche de Pittsburg. II fut erigeen 1843 ; on en detacha, en 1876, le dioce.se d'Allegheny, qui fut supprime en 1889. Le diocese de Pitts- burg comprend (7?/z«.:rf comtes et 185.000 catho- liques, sur 1.239.500 habitants. III. Evechc d'Eric. Separe en 1853 de celui de Pittsburg, il comprend treize comtes et 60.000 catholiques, sur 500 000 habitants. IV. Evcche d'Harrisbiirg. Detache de Phila- delphie, en 1868, il comprend dix hiiit comtes, et a 40.000 catholiques, sur 745.580 habitants. V. Evcche' de Sa-antoii. Erigd en 1865,1! com- prend once comtes 655.530 habitants. et 100.000 catholiques, sur V. — PROVINCE ECCLESIAS- TIQUE DE CINCINNATI. Statistique. Archeveche : Cincinnati. — I arche\eque, 241 prelres, 231 eglises ou chapelles, i8g 500 catholiques. Eveches : Cleveland, — i eveque, 229 pietres, 273 eglises ou chapelles, 200.000 catholiques. Coluinbus. — I eveque, 97 pretre=, 128 Eglises ou cha- pelles, 54.0CO catholiques. Mgr Elder, archeveque de Cincinnati. Louisville. — I eveque, iio prelres, 191 Eglises ou" cha- pelles, 1 10.000 catholiques. Covington. — i eveque, 63 pretre'-, S3 eglises ou cha- pelles, 45.900 catholiques. Nashville. — i ^vc^ue, 29 pretres, 52 eglises ou cha- pelles, 19.000 catholiques. Vincennes. — i e'veqiie, 108 prelres, 179 eglises ou cha- pelles, 93.850 catholiques Fort-Wayne. — I eveque, 132 pretres, 149 f'glises ou chapelles, 65000 catholiques. Detroit. — I Eveque, 161 prelres, 152 eglises ou cha- pelles, 140,000 catholiques. Grands-R.apides. — i eveque, 74 preties, i24e'glises ou chapelles, 88. 000 cathc)lic|ues. Total : I archeveque, 9 evcqiies, 1.244 pretres, 1.542 eglises ou chapelle , 1.006.250 catholiques. En 1808, quand eut lieu la premiere division du siege de Baltimore, Pie VII institua .a Bards- town un vaste diocese, qui comprenait les cinq Etats de Kentuky, du Tennesee, de I'Ohio, de 214 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"ie SIECLE. rindiana et du Michigan, avec tons les territoires de rOuest, alors peuples presque uniquement de sauvages. Bientot il fut reconnu qu'un seul eveque ne pouvait suffire a cette immense etendue de pays, et il fallut proceder a de nouvelles divisions. En 1822, le Saint-Siege erigea dans I'Ohio le diocese de Cincinnati, qui prit bientot une im- portance superieure, et devint, quelques annees plus tard, la Metropole de la province. Actuelle- ment, la province ecclesiastique de Cincinnati compte neuf suffragants, et s'etend sur cinq Etats : I'Ohio, le Kentuky, le Tennesee, I'lndiana et la majeure partie du Michigan. La proportion des catholiques y est d'lin neuvieme. \. Archevechi de Cincinnati. II comprend tout le sud de I'Ohio, et compte 189.500 catholiques, sur 1.300.000 habitants. \\. Eveclic de CUveland. Detach6 en 1847 du diocese de Cincinnati, il comprend le nord de rOhio et 200.000 catholiques, sur 970.800 habi- tants. III. Ei'irhc de Colombus. Ce diocese, detache en 1868 de celui de Cincinnati, comprend tout le centre de I'Ohio, et compte 55.000 catholiques, sur environ i. 000.000 d'habitants. IV. Evcch^ de Louisville (arcien Bardstown)- Le siege episcopal de Bardstown, erige, comme je I'ai dit, en 1808, fut transfer^, en 1837, a Louisville. Apres de nombreux demembrements, d'oLi sont sortis presque tous les dioceses du centre, le diocese de Louisville est restreint au- jourd'hui a la riJgion occidentale du Kentuky. La population catholique est de 1 10 000 ames sur 1 .600.000. V. Evcchd de Covington. Detache en 1853 du diocese de Louisville, il comprend la partie orien- tale du Kentuky et 45.900 catholiques, sur 660.000 habitants. VI. Evccy de Nashville. Detache en 1837 de celui de Louisville, il comprend tout I'Etat du Tennesee. Les catholiques y sont encore peu nombreux : 19.000 sur 1.858.635 habitants. VII. Eveclie de Vincennes. Ce diocese, qui fut detache en 1834 de Louisville, comprenait alors deux Etats : I'lllinois et I'lndiana. Des demem- brements successifs I'ont restreint a la partie meridionale de I'lndiana. On y compte 98.850 catholiques, sur i.ioo.oco habitants. VIII. Evcch^ de Fort-Wayne. Detache en 1856 de Vincennes, il comprend tout le nord de I'lndiana et 65.000 catholiques, sur i. 005.640 habitants. IX. Evcchc de Detroit. Separe de Cincinnati en 1827, le diocese de Detroit comprenait d'abord le Michigan et une partie des territoires de rOuest, d'ou sont sorties les provinces ecclesias- tiques de Milwaukee et de Saint-Paul. Actuel- lement, il est restreint a la partie meridionale du Michigan inferieur et compte 1 50.000 catholi- ques, sur 1. 1 20.000 habitants. X. Evcche de Grands-Rapides. Separe en 1882 du diocese de Di^troit, il comprend la partie nord du Michigan inferieur, et 88.380 catholiques, sur 698.800 habitants. VI. — PROVINCE ECCLESIASTIQUE DE LA NOUVELLE-ORLEANS. Statistique. Archevech^ ; Nouvelle-Orlcans. — i archeveque, 198 pretres, 177 eglises ou chapelles, 300.000 catholiques. Eveches : ^Jatchitoches. — i eveque, 19 pretres, 26 eglises ou chapelles, 35.000 catholiques. Mobile. — I eveque, 41 preires, 58 eglises ou chapelles, 17.000 catholiques. Natchez. — i eveque, 25 pretres, 84 eglises ou chapel- les, 17.000 catholiques. Galveston. — i eveque, 49 pretres, 83 eglises ou cha- pelles, 32.000 catholiques. San-Antonio. — i Eveque, 53 pretres, 85 eglises ou cha- pelles, 64.000 catholiques. Vicariat apostolique : Brownsville. — i vicaire aposto- lique, 23 pretres, 26 eglises ou chapelles, 50.000 catholi- ques. Eveches : Little-Rock. — i eveque, 35 pretres, 97 dglises ou chapelles, 9.500 catholiques. Dallas. — I eveque, 30 pretres, 56 dglises ou chapelles, 15.000 catholiques. Vicariat apostolique : Territoire indien. — i vicaire apostolique, 22 pretres, 27 eglises ou chapelles, 9.820 ca- tholiques. Total : I archeveque, 7 eveques, 2 vicaires apostoliques, 495 pretres, 719 eglises ou chapelles, 549.320 catholiques. Au dernier siecle, un siege episcopal fut erige, en 1786, par Pie VI, a la Nouvelle-Orleans, qui appartenait alors a I'Espagne. Les Francais s'en etant empares, en 1793, chasserent I'eveque et proscrivirent I'exercice du culte catholique. Quand Bonaparte eut cede, en 1803, la Louisiane au.x Etats-Unis, I'eveque de Baltimore fut charg6 de I'administration de ce vaste diocese, qui em- brassait alors la Louisiane, !e Mississipi, avec les territoires qui fonnerent plus tard les Etats de I'Arkansas, du Missouri, de I'lllinois, la Floride et toutes les regions encore inexplorees du Far- West. En 18 1 5, le siege episcopal de la Nouvelle- Orleans fut restaure, et le premier titulaire fut un Frangais, Mgr Dubourg. La situation etait lamen- table : presque pas de pretres, pas de seminaires, deu.K ou trois eglises dans un pays d'une etendue de douze cents lieues, du nord au sud. Mgr Du- bourg, effraye de sa responsabilite, se rendit a Rome pour exposer ses angoisses au Vicaire de Jl^SUS-CiiRIST. C'est la qu'il recut la consecration episcopale (24 septembre 1815), avec les encou- ragements du Souverain-Pontife. En repassant par la France, il s'arreta a Lyon, oili, avec le con- cours d'une pieuse veuve, il jeta les fondements d'une association de prieres et d'aumones pour sa mission, d'ou sortit, quelques annees plus tard, L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800 1890. 215 I'QLuvre de la Propagation de la Foi. A son retour a la Louisiane, il fixa sa residence a Saint- Louis, et c'est seulement a partir de 1824 que le siege de la Nouvelle-Orleans fut regulierement occupe. II devint, en 1850, la Metropole de la province, qui a sept suffragants et comprend les Etats suivants : la Louisiane, I'Alabama, le Nord de la Floride, le Mississipi, le Texas, ['Arkansas et le Territoire indien. Bien que ces pays aient longtemps appartenu a la France et a I'Espagne, les protestants I'emportent aujourd'hui de beau- coup sur les catholiques qui ne forment plus guere qii'un qiiatorzienie de la population. L Archevkhi de la Nouvelle-Orleans. Aujour- d'hui I'archidiocese de la Nouvelle-Orleans s'etend seulement sur la partie sud de la Loui- siane. L'element frangais et catholique dominait autrefois dans tout le pays, mais il est de plus en plus deborde par les Yankees. On compte actuellement 300 000 catholiques, sur 600.000 habitants, la moitie de la population. II. Eveche de Natchitoches. Detache en 1853 de la Nouvelle-Orleans, il comprend tout le nord de la Louisiane, avec 25.000 catholiques, sur 300.000 habitants. III. Evcchcde Mobile. En 1825, le Saint-Siege detacha de la Nouvelle-Orleans le vicariat apos- tolique de I'Alabama et de la Floride, qui devint, en 1826, le diocese de Mobile. II comprend actuellement tout I'Alabama, et seulement le nord de la Floride, avec 17.000 catholiques, sur I-577-300 habitants. IV Evcchc de Natchea. Detache, en 1S37, de la Nouvelle-Orleans, ce diocese comprend tout I'Etat du Mississipi, avec 17.000 catholiques, sur 284.890 habitants. V. Evechd de Galveston. Le Texas, qui appar- tenait d'abord au Mexique, ayant ete, en 1838, annexe aux Etats-Unis, GregoireXVI y t-tablit, I'annee suivante, une prefecture, qui devint, en 1840, un vicariat apostolique,et fit place, en 1847, au diocese de Galveston. A cette epoque, le diocese comprenait tout le nouvel Etat du Texas. Actuellement, il est restreinta la partie orien- tale de la province et compte 32.000 catholiques sur 1.700.000 habitants. VI. Evcchc de San-Antotiio. II fut detache, en 1874, de Galveston, et comprend I'ouest du Texas, avec 64.000 catholiques, sur 500.000 habitants. VII. Vicariat apostoliqiie de Brownsville. Detache de Galveston en 1874, le vicariat com- prend tout le sud du Texas, avec 50 000 catho- liques (dont 44.000 Mexicains), sur 60.530 habi- tants. V\\\. EvecJu' de Little-Rock. Ce diocese, de- tache en 1863 de Saint-Louis, fut rattachc plus tard a la province de la Nouvelle-Orleans. II comprend tout I'Arkansas, et n'a encore que 10.000 catholiques, sur 1.250.000 habitants. IX. Eveche de Dallas. Ce diocese fut detache en 1890 du diocese de Galveston ; il comprend la partie nord-est du Texas, 15.000 catholiques sur 965.000 habitants. X. Vicariat apostoliqiie du Territoire indien. On a vu plus haut comment le gouvernement federal fut amene a parquer les Indiens du centre dans un vaste territoire, de deux cents lieues de long sur cent lieues de large, qui prit le nom de Territoire indien. Afin de pourvoir aux besoins spirituels de ces enfants de la nature, le Saint- Siege 6rigea, en 1876, une prefecture apostolique, qui fut confiee aux Benedictins fran9ais du mo- nastere de la Pierre-qui-Vire (diocese de .Sens). Les fils de saint Benoit qui, au VI"^ siecle, ont defriche I'Europe et civilise les barbares, etaient tout indiques pour cette oeuvre de d^vouement. Malheureusement, il est bien douteux que I'e- goisme envahis.seur du Yankee leur permette d'accomplir leur mission. Deja, au mois d'avril 1889, le gouvernement federal, manquant une fois de plus a ses promesses, a permis a 40.000 Blancs d'envahir I'Oklahoma ; depuis, sous la pression des autorites, les Indiens ont du con- sentir a une nouvelle cession de six millions d'hec- tares choisis naturellement parmi les plus fertiles. Evidemment I'Americain ne s'arretera que lors- que le dernier Peau-Rouge aura disparu du sol de la Republique, Mais quel que soit le sort que I'avenir reserve a cette race infortunee, les In- diens aurontau moins, dans les moinesmission- naires qui se sont devoues a eux, des conso- lateurs et des peres, qui, s'ils ne peuvent faire plus, leur ouvriront la seule patrie que I'avarice des hommes ne viendra pas leur ravir. Depuis le 29 mai 1 891, la prefecture apostolique du Territoire indien a ete elevee a la dignite de vicariat apostolique ; le vicariat ctend sa juri- diction sur une trentaine de tribus. II compte actuellement 9 820 catholiques, dont 3.200 sau- vages, sur une population totale de 300.OOO imes. VH. — PROVINCE ECCLESIASTIQUE DE SAINT-LOUIS. Statistique Archevcche : Saint-Louis. — i archeveque, 254 prctres, 216 dglises ou chapelles, 200.000 catholiques. Evcchds : Kansas (Missouri). — i evcjque, 103 prctref, i2odglises ou chapelles, 55.000 catholiques. Kansas (Kansas). — i eveque, 122 prctres, 185 dglises ou chapelles, 50.000 catholiques. Concordia. — i eveque, 25 prctres, 50 ^glises ou cha- pelles 13.350 catholiques. Wichita. — I eveque, 27 pretres, 49 eglises ou chapelles, 7.400 catholiques. Total : I archeveque, 4 dveques, 531 pretres, 62odglises ou chapelles, 325.750 catholiques. 216 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"^ SIECLE. I. Archevcchc de Saint-Louis. II comprend actuellement tout Test de I'Etat du Missouri, avec 200 OOO catholiques sur i 700.000 habitants. II. Evcchi's rhinis de Kansas-City et de Saint- Joseph. Les deux dioceses rt^unis de Kansas- City et de Saint-Joseph furent detaches de Saint-Louis, le premier en 1868, et le second en 1880. Le diocese de Kansas-City comprend le sud ouest, et le diocese de Saint-Joseph, le nord- ouest de I'Etat du Missouri. L'eveque de Kansas- City est I'administrateur de I'eveche de Saint- Joseph. La population des deux dioceses est de 35 000 catholiques, sur i.i 00.000 habitants. 1 1 l.EvtfcJi(fde Kansas.{Anc\en Leavenworth). En 1850, la Sacrde-Congrdgation detacha de Saint- Louis le Kansas et le Nebraska, dontelle fit d'abord un vicar'at unique ; en 1856 ce vicariat fut partage en deux. En 1877, le vicariat du Kansas devient I'cvech^ de Leavenworth, qui comprend alors tout I'Etat du Kansas. II est re-.treint aujcurd'hui a Test du Kansas et le siege Episcopal a etd transf6re en 1891 a Kansas-City, du Kansas qu'il faut se garder de confondre avec Kansas-City, du Missouri, dont il a ete parle plus haut. Le diocese de Kansas (Kansas) compte 50.000 catholiques sur 900.000 habitants. IV. Eviclie de Concordia. Dc^tache, en 1887, de Leavenworth, il comprend le nord-ouest du Kansas, avec 13.350 catholiques, sur 2_,g.530 ha- bitants. V. £vcche de Wichita. Detache, en 1887, de Leavenworth, il comprend le sud-ouest du Kansas, avec 7.400 catholiques, sur 266.9S0 habitants. VIII. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE DUBUQUE. Statistique Archeveche : Dubuque. — i archeveque, 212 pretres, 304 eglises ou chapelles, 100,000 catholiques. Evech^s : Davenport. — i eveque, 94 pretres, 153 dglises ou chapelles, 56.000 catholiques. Omaha - i eveque, 90 pretres, 158 eglises ou chapelles, 65.300 catholiques. Lincoln. — i eveque, 52 pietres, Si eglises ou cha- pelles 23.150 catholique--. Cheyenne.— 1 Eveque, 9 pretres, 13 eglises ou cha- pelles, 3.000 catholiques. Total : I archeveque, 4 evcques, 457 pretres, 709 eglises ou chapelles, 247.450 caiholiques. La province eccldsiastique de Dubuque est de creation toute recente (15 juin 1893). Elle a ete detachee de Saint-Louis, et compte quatre suf- fragants. Elle embrasse les Etats d'lowa et de Nebraska et le territoire de Wyoming. Les catho- liques sont un peu plus d'lm treizieme de la population. I. Archevcchc de Ditbuqne. Detache en 1837 du diocese de Detroit (province de Cincinnati), le diocese de Dubuque comprenait alors les terri- toires du Wisconsin, du Minnesota et de I'lowa, qui forment aujourd'hui trois provinces ecclesias- tiques. Actuellement, I'archidiocese de Dubuque n'embrasse plus que la partie nord de I'Etat d'lowa. II a environ lOO.OOO catholiques, sur 1. 1 00.000 habitants. II. Evcchc de Davenport. Detache de Dubuque en 1 88 1, il coinpte 56.000 catholiques sur 900.000 habitants. II embrasse tout le sud de I'Etat d'lowa. \\\. Evcchc d' Omaha. Le vicariat apostolique du Nebraska, erige, comme je I'ai dit, en 1856, devint en 1885 I'eveche d'Omaha. II comprenait d'abord tout le Nebraska ; actuellement, il est restreint a la partie est de I'Etat. 65.300 catho- liques sur 700.000 habitants. IV. Evcchc de Lincoln. Detache en 1887 du diocese d'Omaha, il comprend tout I'ouest du Nebraska. 23. 150 catholiques, sur 498.000 habi- tants. V. Evcchc de Cheyenne. Detache d'Omaha, en 1887, il comprend tout le territoire (i) de Wyo- ming. II n'a encore que 3.000 catholiques, sur 65 000 habitants. IX. — PROVINCE ECCLE SIASTIQUE DE CHICAGO. Statistique. Archeveche : Chicago. — i archeveque, 387 pretres, 255 eglises ou chapelles, 550.000 catholiques. Evechi^s : Alton. — i Eveque, 132 pretres, 151 dghses ou chapelles, 75.000 catholiques. Belleville. — i es eque, 69 pretres, 88 eglises ou cha- pelles, 50.000 catholiques. Peoria. — i eveque, 144 pretres, 231 eglises ou cha- pelles, 1 10,000 catholiques. Total : I archeveque, 3 eveques, 732 pretres, 725 eglises ou chapelles, 785.000 catholiques. La province ecclesiastique de Chicago, qui a trois suffragants, comprend tout I'Etat des Illinois. Ses dioceses sont tous de fondation recente, car les Illinois, au commencement du siecle, n'titaient guere habites que par des tribus sauvages. En 1830, on jeta les fondemenls de la ville de Chicago, aux bords du lac Michigan. Cette ville prit des developpements tres rapides. I. II y a, aux Etats-Unis, cette difference entre un Eiat e.X. un Territoire, que chacun des Etats de I'Union americaine est independant chez lui et s'administre librement, dans les limites, tres larges d'ailleurs, du pjicle federal : il a .sa legislation et son gouvernement a lui. Le Teriituire, au conlraire, nejouit pas encore de son autonomie et releve adminislrativement du gou- vernement central de Washington. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 217 Completement detruite par I'incendie de 1871, la Reine des lacs, comme elle s'intitule, est devenue, en moins de vingt ans, la seconde ville de rUnion. Elle vient immediatement apres New- York, et compte i. 200.000 habitants. La pro- portion des catholiques de la province est ct'tm sixieme et demi. I. Archevcche de Chicago. C'est seulement en 1843 "l^e le diocese de Chicago fut detach^ de celui de Vincennes (province de Cincinnati). II comprenait alors toutl'Etatde I'lllinois. En 1880, Chicago devint la Metropole d'une nouvelle province. Actuellerrient, I'archidiocese est restreint a la ville de Chicago et aux quatre comtes du nord de I'Etat, avec 550.000 catholiques, sur r. 300.000 habi- tants. II. ^vecJiJ d' Alton. En 1853, fut erige le siege episcopal de Ouincy, qui fut transfere, quatre ans plus tard, a Alton. Ce diocese comprend la partie sud-ouest de I'lllinois, avec 75.COO catholiques, sur 1.200.000 habitants. III. ^vcche de Belleville. Detache en 1886 d'Alton, le diocese de Belleville comprend la partie sud-est de I'lllinois, avec 50.000 catholiques, sur i. 300.000 habitants. kce, ainsi reduite, n'a plus que trois suffragants, et embrasse I'Etat du Wisconsin et une partie du Michigan superieur. Les catholiques y fer- ment a peu pres le quart de la population totale. I. ArcheVichc de Milwaukee. II comprend tout le sud du Wisconsin, et compte 200.000 catho- liques, sur 830.000 habitants. II. AvcM de Green-Bay. II fut detache, en 1868, de Milwaukee, et comprend le nord est du Wisconsin, avec 1 2 5.000 catholiques sur 385.000 habitants. IV. Evcche de Peoria. II fut detach I-", en 1875, de Chicago, et comprend tout le centre de I'lllinois, soit vingt-sept com- tes, et iic.ooo catholiques, sur 1.400.000 habitants. X. — PROVINCE ECCLESIASTIQUE DE MILWAUKEE. Statistique. Archeveche : Milwaukee. — i archeveque, 239 pieties, 224 eglises ou chapelles, 200.000 catho- liques. Eveches : Green-Bay. — i evcque, 121 pre- tres, i67dglisesouchapelles, 125,000 catholiques. La Crosse. — i eveque, 106 pretres, 194 eglises ou chapelles, 75 000 catholiques. Marquette. — i evcque, 57 pieties, 62 egliies ou cha- pelles, 80.000 caiholiques. Total : I archeveque, 3 eveques, 523pietres, 607 eglises ou chapelles, 480.000 catholiques. En 1843, le diocese de Milwaukee fut forme d'une portion de celui de Detroit et d'une por- tion de celui de Dubuque. II comprenait alors les territoires, encore sauvages, du Wisconsin et du Minnesota, et relevait comme suffragant de Baltimore. Plus tard, il fut rattache a la province de Saint-Louis. Enfin, en 1875, le siege de Milwaukee devint la Metropole d'uneprovince ecclesiastique, dont fut detachee, en 1888, la province de Saint-Paul. La province de Mihvau- — Mgr Mkak, ancien eveque de Marquette et Sault-Sainte-Marie ; d'apr^s une photographie. III. Avcche de la Crosse. II fut detache, en 1868, de Milwaukee, et comprend le nord-ouest du Wisconsin, avec 75 000 catholiques, dont 1.500 Indiens, sur 506.000 habitants. IV. Aveclu' df Marquette. En 1853, la Sacree- Congregation detacha du diocese de Detroit le vicariat apostolique du Haut-Michigan, qui de- vint, en 1856, le diocese de Sault-Sainte-Mdrie. II prit plus tard le nom de Marquette. Ce diocese comprend tout le Michigan superieur, et a 80.000 catholiques, sur 180.000 habitants. 218 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. XI —PROVINCE ECCLESIAS TIQUE DE SAINT-PAUL. precedent en 1889, ce diocese occupe le nord du Dakota avec 20.000 catholiques, sur 225.000 habitants. Statistique. Archeveche : Saint-Paul. — i archeveque, 168 pretres, 224 esjlises ou chapelles, 200.000 catholiques. Eveches : Winona. — l eveque, 52 pretres, 100 ^glises ou chapelles, 39.000 catholiques. i. Saint-Cloud. — I eveque, 75 pretres, 98 dglises ou chapelles, 40000 catholiques. Duluth. — I eveque, 24 pretres, 38 eglises ou chapelles, 22,000 catholiques. Sioux-Falls. — I eveque, 61 pretres, 11 5 dglises ou cha- pelles, 40.000 catholiques. Jameston. — i eveque, 34 pretres, 46 eglises ou cha- pelles, 20.000 catholiques. Total : I archeveque, 5 dveques, 414 pretres, 121 Eglises ou chapelles, 361.000 catholiques. La province ecclesiastiqiie est de fondation toute recente. C'est seiilement en 1888 que le siege de Saint-Paul fut eleve au rang de Metro- pole, avec cinq siiffragants. Tous ces dioceses faisaient partie, auparavant, de la province de Milwaukee. La nouvelle province ecclesiastique embrasse tout I'Etat du Minnesota et le territoire, encore en partie sauvage, du Dakota. Rien que ce pays soit nouveau, les catholiques y forment deja le cinqiiieme de la population totale ; une partie des sauvages sont encore paiens. I. — Archeveche de Saint-Paul. Le siege episcopal de Saint- Paul fut 6ng€ en 1870. Apres plusieurs demembrements, rarchidiocese com- prend aujourd'hui une partie du sud du Minne- sota. II a 200.GOO catholiques sur i.ooo.OOO d'habitants. II. — Evcclte de Winona. Detache en 1889 de Saint-Paul, le nouveau diocese comprend le sud-est du Minnesota avec 39.000 catholiques sur 150.000 habitants. III. — Evechc de Saint-Cloud. En 1875, la Sacree-Congregation detacha du diocese de Saint-Paul le vicariat apostolique du Minnesota superieur, qui fut remplace, en 1889, par les deux dioceses de Saint-Cloud etde Duluth. Le diocese de Saint-Cloud occupe le centre du Minnesota ; il a 40.000 catholiques dont 3.000 Indiens, sur 100.000 habitants. IV. — Evechc de Duluth. Erige, comme je viens de le dire, en 1889, le diocese de Duluth comprend tout le nord du Minnesota avec 22.000 catholiques, dont 3.000 sauvages, sur 80.000 habi- tants. V. — Evechc de Sioux-Falls. En 1879 fut cree le vicariat apostolique du Dakota, que Rome a remplace, en 1889, par les deux dioceses de Sioux-Falls et de Jameston. Le diocese de Sioux- Falls comprend tout le Dakota sud avec 40.000 catholiques, sur 328.700 habitants. VI. — Evechc de Jameston. Erig6 comme le XII. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE SANTA-FE. Statistique. Archeveche : Santa-Fe. — i archeveque, 54 pretres, 265 eglises ou chapelles, 103.940 catholiques. Eveche : Denver. — i eveque, 76 pretres, 89 eglises ou chapelles, 65.000 catholiques. Vicariat apostolique : Arizona. — i vicaire apostolique, 19 pretres, 34 Eglises ou chapelles, 38.000 catholiques. Total : I archeveque, I eveque, l vicaire apostolique, 149 pretres, 3S8 eglises ou chapelles, 206.940 catholiques. Des le milieu du xvi« siecle, des missionnaires espagnols, venus du Mexique, avaient evangelise les regions du Nouveau-Me.xique ; mais, pendant les quarante premieres annees du siecle, la perse- cution religieuse et I'anarchie desolerent ce pays, qui ne trouva un peu de stabilite qu'en entrant dans rUnion (1840). Aujourd'htii la province ecclesiastique de Santa-Fe embrasse tout I'etat du Nouveau-Mexique avec les territoires du Colorado et de I'Arizona. La proportion des catholiques y est d'lin tiers. I. — Archeveche de Santa-Fi'. Le vicariat apostolique du Nouveau-Mexique, erig^ en 1850, devint, deux ans plus tard, le diocese de Santa-Fe, qui fut elev^ en 1875 au rang de metropole. II comprend tout le Nouveau-Mexique, a I'excep- tion de trois comtes, avec 125 000 catholiques sur 140.000 habitants, en grande partie Mexicains, les neuf dixiciiies de la population. II. — Evcchi de Denver. En 1868, le Saint- Siege crea le vicariat apostolique du Colorado et de rUtah reunis. L' Utah en fut detache en 1872, et le vicariat du Colorado devint le diocese de Denver, avec 40.000 catholiques sur 325.000 habi- tants, un huitieme. III. — Vicariat apostolique de V Arizona. Erige en 1868, il comprend tout I'Arizona avec trois comtes du Nouveau-Mexique et 55.000 catho- liques sur 100.000 habitants, ////i' de la moitic. XIII. — PROVINCE ECCLESIASTIQUE DE SAN-FRANCISCO. Statistique. Archevechd : San-Francisco. — i archeveque, 192 pretres, 163 eglises ou chapelles, 220.000 catholiques. Eveches ; Monterey. — i eveque, 74 pretres, 84 e'glises ou chapelles, 50.000 catholiques. Sacramento. — i eveque, 43 pretres, 77 eglises ou cha- pelles, 25.000 catholiques. Salt- Lake-City. — i eveque, iS pretres, 18 eglises ou chapelles, 8.000 catholiques. Total : I archeveque, 3dveques, 327 pretres, 342 eglises ou chapelles, 303.000 catholiques. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 219 La Californie fut, jusqu'en 1848, une des pro- vinces du Mexique. A cette epoque, les Etats-Unis s'en emparerent, et sous leur active impulsion, ce pays devint, en quelques annees, un des plus riches de I'Union. Au dernier siecle, les Francis- cains espagnols avaient evangelise les sauvages de la Californie et les avaient reunis en Reduc- tions prosperes, a I'imitation du Paraguay. « Le » nom de la Californie, ecrit Seemann (i), est a » jamais uni au devouement desinteresse des » PP. I-Vanciscains. » « Les Indiens sent tres in- » dustrieux, dit, de son cote, le capitaine » Morell (2), soumis a leurs maitres, » qu'ils considerent comma leurs peres » et leurs protecteurs ; en retour, ceux-ci » s'acquittent de leurs devoirs envers les » pauvres Indiens avec beaucoup de » sympathie et d'humanite. lis sont ge- > neralement bien vetus, bien nourris, » possedent des maisons et jouissent » d'autant de bien-etre qu'ils en desirent. » On prend le plus grand soin des » malades et Ton pourvoit avec attention » a leurs besoins. » Aussi les Indiens se montrent recon- naissants et dociles : « Ce n'est pas J> simplement comme des peres et des » amis qu'ils considerent les Francis- » cains, ecrivait Forbes (3), mais avec » un sentiment pousse jusqu'a I'adora- » tion. » Comme au Paraguay, cette ceuvre splendide fut aneantie par la mechancete et la sottise des hommes. Apres I'eman- cipation des colonies espagnoIes,la Franc- Maconnerie, dominante au Mexique, jugea urgent de sccidariscr les missions. Comme toujours, la spoliation eut pour resultat la decadence immediate de la prosperite materielle et la rechute des sauvages dans la barbaric. Une statistique officielle, qui fut dressee en 1842, par ordre du gouvernement mexicain, montre bien ce que les Indiens ont gagne a etre emancip^s de la tutelle de I'Eglise. Ce recensement donne la situation en 1834, sous I'administration des religieux, et en 1842, sous I'administration civile. Done il y avait : Indiens en villages Betes a cornes Chevaux et mulcts Moutons Hectares en culture C'etait vraiment le triomphe du progres et de la civilisation lai'que sur la barbaric clericale ! Ce n'^tait cependant pour les malheureux Indiens que le commencement de leurs malheurs. Avec la domination des Yankees, ce fut I'exter- mination en masse, et cette fois, sans pretexte, car, au temoignage des Americains eux-memes, « ces Indiens des Reductions sont reellement les » populations les plus inoffensives du continent. » Une population etrangere s'est emparee de » leurs terres, a detruit leurs territoires de chasse » et leurs pecheries, leur refusant jusqu'au droit » qu'on accorde aux convicts, le droit de tra- » vailler pour vivre (i). » En 1834. En 1842. 30.650 4.450 424.000 28.200 62.000 3.800 521.500 31.600 70.000 4.000 1. Berthold Seemann, Voyages, vol. II, ch 2. Benjamin Morell, Ricits de voyages, ch. 6. 3. Forbes, La Californie, chap. 6. Mgr Machebeuf, evcque de Denver. D'apr^s une photographie. L'Indien catholique fut balaye du sol, et la decouverte des riches placers de la Californie y amena une population indescriptible : aventuriers de tous pays, gens de sac et de corde, ^cume de toutes les civilisations, jetes par la debauche et par le vice sur la plage de San-Francisco. Pen- dant une quinzaine d'annees, le revolver et la loi de Lynch en permanence furent le seul code possible. Peu a peu I'ordre s'etablit dans cette societe melee ; le travail demoralisateur des mines d'or fut abandonne aux Chinois et a quelques pauvres diables qui s'y enrichissent rarement. I. Rev. John Beecham, De la Colonisation. 220 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i'^ SIECLE. Actuellement San-Francisco est une des villes les plus policees et les plus prosperes de I'Union. C'est en 1850 qu'un siege episcopal fut erige a San-Francisco, qui devint, trois ans plus tard, la metropole de la Californie, avec trois suffra- gants. La proportion generale des catholiques de la province est 6!un cinquieme. I. — Archeveche de San-Francisco. II embrasse tout le centre de la Californie, avec 220.000 ca- tholiques sur 600.000 habitants. II. — J^vecM de Monterey et los Angelas. En 1840, un siege episcopal fut erig^ dans le sud de la Californie ; apres la conquete du pays par les Etats-Unis, la r(^"sidence de I'eveque fut etablie, tantot a Monterey, tantot a los Angelos ; de la, le double titre du diocese, qui comprend tout le sud de la Californie, avec 50.000 catholiques sur 300.000 habitants. III. — Avcchc du Sacramento. La partie nord de la Californie forma d'abord le vicariat apos- tolique de Marysville, qui devint, en 1868, le diocese de Grass-Valley. En 1886, le siege epis- copal fut transfere dans la ville de Sacramento. II compte 25.000 catholiques seulement sur 500.000 habitants. IV. — Evcclic de Lac-Salc. Le territoire de rUtah, la Terre sainte des Mormons, resta.j usque vers i860, absolument ferme aitx Gentils. Des anges exterminateurs, choisis parmi les plus farouches sectaires, ne se seraient nullement genes pour faire justice du profane qui, sans avoir la pensee de se convertir, aurait eu I'outre- cuidance de se meler aux saints des derniers jours. Cet exclusivisme sauvage, qui ne reculait pas meme devant I'assassinat, a du s'adoucir. L'Utah s'ouvrit peu a peu aux etrangers, et quelques catholiques s'y etablirent, attires par les travaux du chemin de fer transcontinental, qui va de New-York a San -Francisco. En 1875, ils n'etaient encore que 820 catho- liques, disperses dans huit petits postes ; ils etaient places sous la juridiction de I'archeveque de San-Francisco, et n'avaient encore, dans tout le territoire, qu'une eglise a Salt-Lake-City. L'annee suivante, on en batit une seconde a Ogden ; puis le nombre des catholiques augmen- tant, rUtah fut erige, en 1886, en vicariat apos- tolique, avec une portion de la Nt^vada. En 1890, ce vicariat apostolique devint le diocese de Lac Sale, Salt - Lake - City. 8.000 catholiques sur 250.000 habitants. De toates les sectes engendrees par le libre- e.xamen protestant, aucune jusqu'ici ne s'est montree aussi inimonde, aussi depourvue de raison et de sens moral, que le Mormonisme ou la religion des Saints des derniers jours. Vers 1830, un aventurier nomme Joseph Schmith s'annonga publiquement comme ayant recu d'un ange la revelation d'une nouvelle Bible, intitnlee \& Livre de Mormon. Elle etait ccrite en carac- teres egyptiens, sur des lames d'or, et ne pouvait etre dechiffree qu'au moyen de deu.x pierres transparentes, que I'ange avait eu la delicate attention de laisser au prophete. Naturellement jamais personne ne vit les fameuses lames d'or, ni les merveilleuses lunettes. Cette legende idiote est le triomphe du pit/fisme dim.6ncB.\n. Elle fit pourtantde nombreuses dupes, d'abord au milieu de ces populations protestantes qui flottent a tout vent de doctrines. Joseph Schmith jouait d'ailleurs a merveille son role de prophete; mais il eut des mesaventures : En 1835, le prophete, qui s'etait installe avec sa colonie dans I'Ohio, fit une vulgaire banque- route, et fut forc^ de s'enfuir du pays. II se refugia, avec deux a trois mille de ses fideles, dans le Missouri. La, il organisa les siens en bandes de combat, sous lesnomsde Danites et de compagnons de Gedcon. Naturellement les Gentiis se defendirent, et, apres une lutte de plusieurs annees, ils e.xpulserent les Mormons du Missouri, sous le pretexte assez plausible de nombreux assassinats et d'actes repetes d'immoralite. Chassd du Missouri, Joseph Schmith passa, en 1839, dans I'lllinois. Sa bande, recrutee en partie dans le Nouveau-Monde, en partie dans I'Ancien, parmi les populations protestantes de I'Allemagne, des pays Scandinaves et de I'An- gleterre, se composait alors de qui)ize mille hom- mes, forts par leur union et la discipline de fer qui les liait les uns aux autres. Ils construisirent la ville de Nauvoo (en langue mormonne, la Belle) et commencerent a elever le temple de la No2tvelle - Jerusalem. Bientot le Mormonisme organisa sa hierarchic, a I'imitation des titres de la primitive Eglise. Au-dessous du prophete, chef supreme et inconteste, son frere Hiram recut le titre de patriarche, puis venaient douze apotres, des evangelistes, des dveques, des diacres. Le prophete crut alors qu'il pouvait aspirer a tout, et il osa poser sa candidature a la Presidence de la Republique. Un eclat de rire universel fut la reponse qu'il re^ut, mais sa pretention avait reveille toutes les vieilles haines. On I'attira avec son frere dans une embuscade, et tous deux furent jetes en prison et massacres, la nuit sui- vante, par une bande d'hommes masques (25 juin 1844)- II eut pour successeur le celebre Brigham- Young, qui lui etait bien superieur en capacites, et qui organisa fortement le Mormonisme. Com- prenant I'impossibilite pour les Saints de vivre en paix au milieu des Gentils, il dirigea I'e.xode du peuple de DiEU jusqu'au fond des solitudes, alors desertes, du Far-West. Les exiles s'etabli- rent dans I'Utah, au.x bords du Lac sale. Grace a I'intelligence incontestable de Brigham- Young, a ses qualites colonisatrices, a son aptitude rare au gouvernement des hommes, jointe a I'absence de tous scrupules genants.la prosperiie materielle de la colonie fit de rapides progres, ce qui attira bientot de nombreu.x proselytes. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 221 On compte actuellement environ loo.ooo Mormons dans I'Utah. Depuis unetrentained'an- nees, ils ont entrepris la conversion des iles de la Polynesie, et on les trouve aux iles Sandwich, a Tahiti, aux Marquises, dans les Paumotous et les iles Gilbert. Leur religion, amalgame bizarre de traditions bibliques, de pratiques mcthodistes et de rites maconniques, n'est au fond qu'un grossier materialisme, qui fait une loi de la polygamie et de la satisfaction de toutes les convoitises de la chair. Au debut, cela pent pro- duire une certaine prospcrite materielle qui fait d'abord illusion, mais une socicte basee uniquement sur le plaisir n'est pas viable. Un jour ou I'autre, elle s'effondre dans la boue. Ce jour ne parait pas eloi- gne pour le Mormonisme americain. catholiques,dont 4.500 Indians, sur 125.000 habi- tants. IV. — Avcchc de Ncsqnaly. II fut erige en 1850, et comprend tout le territoire de Was- hington, avec 40.000 catholiques sur 210.000 habitants. V. — £.vcclic de Vancouver. Jusqu'en 1846, I'ile de Vancouver etait sous la direction du vicaire apostolique de I'Oregon. A cette epoque, le Saint-Siege erigea le diocese de Vancouver XIV. — PROVINCE ECCLESIASTIQUE D'OREGON-CITY. Sfatistiqiie. Archeveche : Ordgon-City. — i archevcque, 57 pretres, 65 eglises ou chapelles, 33- 500 catho- liques. Eveches : Helena. — i dvcque, 28 pretres, 44 dglises ou chapelles, 2 5. coo catholiques. Boise-City. — i evcque, iQprctres, 37 eglises ou chapelles, 10.000 catholiques. Nesqualy. — i dve:]ue, 38 pretres, 44 eglises ou chapelles, 40.000 catholiques. Vancouver. — i eveque, 23 pretres, 34 eglises Ou chapelle?, 8.160 catholiques. Prefecture apostolique ; Alaska. — I prefet apostolique, S pretres. Total : I archeveque, 4 dveques, i prefet apo"- tolique, 173 pretres, 224 eglises ou chapelles, 116.600 catholiques. La province ecclesiastique d'Oregon- City, qui a quatre suffragants, embrasse, sur le continent, I'Etat d'Oregon et les trois territoires de Montana, d'Idaho et de Washington ; en dehors du continent, elle s'etend a I'ile Vancouver et a 1 A- laska, colonic russe, cedee en 1867 aux Etats-Unis. La proportion generale des catholiques n'est pas encore d'un dixicme. I. — Archcvcclic a Oregon-City. En 1846, le .Saint-Siege erigea, dans ces regions eloignees, le diocese d'Oregon-City, qui fut eleve, en 1850, au rang de metropole. L'archi- diocese comprend tout I'Oregon, avec 33.500 catholiques sur 250.000 habitants. II. — Avcchc d Helena. En 1868, creation du vicariat apostolique de Montana, qui dcvint, en 1884, le diocese d'Helena, et compte 25.000 catho- liques sur 160.000 habitants. III. — EveeJtd de Boise-City, ancien vicariat apostolique d Idaho. II fut erige en 1868, et com- prend tout le territoire du meme nom, avec lO.oco ■--d' ;(^ ^% Mgr Glorieux, vicaire apostolique d'Idaho. D'apres une photographic. qui comprenait I'ile de ce nom, la Colombie bri- tannique et I'Alaska. Depuis, la Colombie britan- nique fut rattachee a la province canadienne de Saint-Boniface (1863). L'Alaska fut erige en prefecture apostolique (1894), de sorte que le diocese de Vancouver est restreint a I'ile de ce nom. 8.100 catholiques sur 75.000 habitants. VI. — Prcfectuj'e apostolique de T Alaska. L'A- laska, ancienne colonie russe, fut cedee en 1867 aux Etats-Unis. On trouve, dans ces regions glacees, environ 50.000 sauvages encore paiens et quelques centaines de civilises, ou pr^tendus tels. Au point de vue religieux, I'Alaska fut tirige 222 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. en 1894 en prefecture apostolique et confie aux RR. PP. jesuites. Le personnel se compose actuellement du prefet apostolique, 8 PP. jesuites, 3 freres coadjuteurs et 8 religieuses de Saint- Anne. II n'y a encore dans la mission que 4 resi- dences. Quant aux sauvages Chretiens, ils sont encore tres peu nombreux, c'est une mission au berceau. TABLEAU GENERAL DE LEGLISE DES ETATS UNIS AU 1<^' JANVIER 1896. I. Province de Baltimore. — I archeveque, 6 evcques, I vicaire apostolique, 594 prctres, 736 eglises ou chapelles, 341.100 catholiques. IL Province de Boston. — i archeveque, 6 evcques, 1.12S pretres, 941 eglises ou chapelles, 1.413.000 catho- liques. in. Province de New A'ork. — i archeveque, 8 eve- ques, 1.700 pretres, 1.265 eglises ou chapelles, 1.S80.000 catholiques. IV. Province de Philadelphie — i archeveque, 4 evc- ques, 895 pretres, 768 eglises ou chapelles, 835.000 catho- liques. V. Province de Cincinnati. — 1 archeveque, 9 dveques, 1.244 pretres, 1.542 eglises ou chapelles, 1.006.250 catho- liques. VI. Province de la Nouvelle-Orleans. — I archeveque, 7 eveques, 2 vicaires apostoliques, 495 pretres, 719 eglises ou chapelles, 549.320 catholiques. VII. Province de Saint-Louis — i archeveque, 5 eve- ques, 531 pretres, 620 eglises ou chapelles, 325750 catholiques. VIII. Province de Dubuque. — I archeveque, 4 eveques, 457 pretres, 709 eglises ou chapelles, 247.450 catholiques. IX. Province de Chicago. — i archeveque, 3 eveques. 732 pretre?, 725 eglises ou chapelles, 785.000 catholiques, X. Province de Milwaukee. — i archeveque, 3 eveques, 523 pretres, 607 eglises ou chapelles, 480.000 catholiques. XI. Province de Saint-Paul. — 1 archeveque, 5 eveques, 414 pretres, 621 eglises ou chapelles, 361.000 catholiques. XII. Province de Santa Fe. — i archeveque, i eveque, I vicaire apostolique, 149 pretres, 388 eglises ou chapelles, 206.940 catholiques. XIII. Province de San Francisco. — 1 archeveque, 3 Eveques, 327 pretres, 342 Eglises ou chapelles, 303.000 catholiques. XIV. Province d'Oregon-City. — i archeveque, 4 eveques, i prefet apostolique, 173 pretres, 224 eglises ou chapelles, 116.600 catholiques. Total : 14 provinces ecclesiastiques, 14 archeveques, 67 eveques, 4 vicaires apostoliques, I prefet apostolique, 9.362 pretres, 10.207 eglises ou chapelles, 8.850.410 catho- liques. II faut maintenant etudier en detail chacun de ces groupes de chiffres, afin de nous faire une idee exacte de la situation du catholicisme americain, en nous tenant, s'il est possible, a egale distance de I'enthousiasme et du deni- grement. I. — Personnel. Sous ce rapport, on ne peut vraiment qu'admirer. Le developpement hierar- chique de I'Eglise des Etats-Unis est magni- fique et depasse tout ce qu'on pouvait esperer. La ou existait, il y a cent ans, un seul eveque, vous trouverez aujourd'hui qi(ator::e provinces ecclesiastiques, partagees entre quatre-vitigt-six titulaires, archeveques, eveques et vicaires apos- toliques. Je doute que, dans I'histoire d'aucune Eglise, on rencontre un seul exemple d'un deve- loppement hierarchique aussi prompt. Et ces princes de I'Eglise des Etats-Unis sont des hommes d'une haute valeur intellectuelle et morale, Doues generalement de cet esprit d'ini- tiative qui caracterise I'Americain, ils joignent, aux qualites du caractere national : I'energie, I'ac- tivite, la connaissance des hommes et la pratique des affaires, d'autres vertus plus rares que deve- loppe seul le catholicisme : I'abnegation, le zele, le don complet de soi-meme a DiEU et aux ames. Aussi les protestants eu.x-memes sont fiers de leurs eveques, et, plus d'une fois, ils en ont fait I'eloge : « Qui peut oublier John Caroll, premier » eveque catholique de Baltimore, ou I'eveque » England (premier eveque de Charleston), » cheri et honore par les hommes de toutes » croyances, pleuie encore dans le sud comme » un de ses plus nobles enfants(i)? » « En » voyant des hommes tels que Cheverus et )) Matignon, ecrivait une Revue litteraire de » Boston (2), comment douter qu'il soit possible » a la nature humaine d'approcher de THomme- » DlEU par son imitation ? » « Si New- York » est catholique romaine, ecrivait en 1864 un » journal protestant de cette ville, c'est le genie » et I'energie de I'archeveque Hughes qui Font » faite ce qu'elle est. » Son successeur, Mgr Mac-Closkey, premier cardinal americain, devait le remplacer dignement. II ^tait si aime de tons ses concitoyens, sans distinction de croyances, que son elevation a la pourpre romaine devint littcralement une fete nationale ; on fit accueil, dans toutes les classes de la societe, aux envoyes du Souverain Pontife qui lui apportaient la bar- rette ; une souscription s'organisa pour offrir au Pontife, en souvenir, un magnifique diamant entoure de rubis, monteen bague ; enfin tous les journaux, sans distinction de nuances politiques ou religieuses, s'unirent pour reconnaitre I'hon- neur que le Vicaire de J£sus-Christ venait d'accorder a la grande Republique, en faisant choix d'un de ses enfants pour le faire entrer clans le Sacr^-College. Helas ! que nous sommes loin chez nous de I'Amerique ! Ce n'est pas I'Atlantique seulement qui nous separe, c'est tout un abime de prejuges et de haines. Depuis longtemps,les noms des grands hommes de I'episcopat americain ont traverse I'Ocean et sont venus jusqu'a nous. On connait de reputation au moins, en France, le cardinal Gibbons, archeveque actuel de Balti- more et fondateur de rUniversit6 catholique de Washington ; Mgr Ryan, archeveque de Phila- delphie, surnomme pour son eloquence le Monsa- bre de I'Amerique ; Mgr Ireland, archeveque de Saint-Paul, dont les journaux francais de toutes 1. CEuvres de Franklin, torn 8. 2. Lc Magasin mciisiiel, juin 1875. L'iGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 223 nuances ont loue le caractere sympathique, lors de son dernier passage a Paris. On pent affirmer, sans exag(5ration, que I'episcopat des Etats-Unis n'a rien a envier a celui de n'importe quelle contrce. Grace a la liberie absolue dont ils jouissent la-bas dans le gouvernement de leurs Eglises, a I'absence de ces entraves tyranniques, articles organiques , declarations d'abus , beneplacituvi regiiim, dans lesquelles les gouvernements de la vieille Europe ont, depuis trois siecles, enchaine I'Eglise, les eveques des Etats-Unis se reunissent librement en conciles pleniers et provinciaux, pour statuer en commun sur la situation toute nouvelle ou se trouve le catholicisme americain. Bien des dispositions de I'ancien droit sont devenues inapplicables dans nos societes modernes ; des besoins nouveaux recla- ment, sur beaucoup de points, une legis- lation nouvelle. Dans ces grandes assises, qui se tiennent regulierement, selon les prescriptions du droit, les eveques, sous la direction superieure du Vicaire de J^SUS-Christ, organisent les nouvelles Eglises, et mettent la legislation eccle- siastique en harmonie avec les necessites du monde moderne. Helas I au lieu de declamer contre I'esprit arrier6 du catho- licisme, que ne laisse t-on, dans notre vieille Europe, nos eveques se reunir librement, pour se concerter sur les besoins de leurs Eglises I Inspires de I'Esprit d'en haut, animes, quoi qu'on en dise, des intentions les plus conciliantes et les plus misericordieuses envers la societe, ils auraient vite fait d'eclairer les malentendus qui nous divisent, et de trouver le remede aux maux dont nous souffrons. Apres tout, ces dispositions restrictives se comprenaient encore , quand I'Etat faisait siennes les lois de I'Eglise et veillait a leur execution ; aujourd'hui, qu'a-t-il a y voir? Les eve- ques ont, comme tout le monde, le droit de se reunir et de se concerter ; leurs reglements n'obligent que ceux qui s'y soumettent volontairement. A cote des premiers pasteurs, les sim- ples prctres. Leur nombre s'est eleve, au cours de ce siecle, de ti-ente a neufmille trois cents. C'est beaucoup, et pourtant ce n'est pas assez ; il faudrait aux Etats-Unis vingt inille pretres, pour repondre aux besoins actuels des popula- tions, et convertir ces millions de dissidents, qui forment encore les sept huitiemes de la popu- lation. Pendant la premiere moitie du siecle, les Etats- Unis furent evangelises presque exclusivement par des missionnaires venus de la France, de rirlande, de I'Allemagne, du Canada, et, dans une proportion plus faible, des autres Etats catho- liques. Dans la seconde moitie du siecle, la situa- tion s'est amelioree, et I'Eglise des Etats-Unis commence a avoir un clerge a elle, compose d'environ trois mille pretres originaires du pays. Ce n'est pas assez. Une Eglise qui est sortie de I'etat de mission doit regulierement se suffire pour le recrutement de son clerge. Sous ce rap- port, le Canada est bien plus avance que les Etats-Unis. Cela provient, sans doute, du carac- tere independant et de I'esprit mercantile du Yankee. L'Eglise exige de scs prctres I'esprit de Evcque 1839. le 28 Mgr Charles-Jean Seghers, de Vancouver, n^ k Gand (Belgique), le 26 decembre massacre au cours d'une visite pastorale dans I'Alaska, novembre 1S86. soumission et d'humilite ; elle n'a a leur offrir, en echange, que la pauvrete, le travail et la croix. Cela ne saurait convenir a une race orgueil- leuse et riche, qui place au premier rang de ses preoccupations le culte des intercts materiels. Dans le Parfuui de Rome (i), Louis Veuillot ecrivait en i860 : « Le catholicisme americain est . » americain comme tout le reste ; il donne peu a » I'Eglise. Malgre les colleges et les seminaires, » il faut que les pretres viennent d'Europe. S'il I. Livre IX. 224 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"'<= SIECLE, » n'en venait plus, si le sacerdoce se recrutait )) dans cette race marchande, aventuriere et gros- » siere, je craindrais le resultat. » Je me permets ici d'etre d'un avis absolument oppose ; je fais des voeux pour que cette race intelligente et pra tique, — qui, bien qu'en dise I'illustre publiciste, donne beaucoup a I'Eglise, puisque, sans budget de I'Etat, elle soutient nobleinent son clerge et ses ceuvres, — ne se contente plus de fournir ses dollars, mais qu'elle se donne un peu plus elle- meme. Les 16S4 eleves ecclesiastiques qui se pre- parent a cette heure au sacerdoce, dans les vingt- trois grands seminaires de I'Union, permettent d'esperer que ce voeu sera de plus en plus exauce. A cote du clerge seculier, les Ordres religieux d'hommes et de femmes. Sous ce rapport, les Etats-Unis egalent, s'ils ne les depassent, les nations les plus catholiques. Environ trois inille cinq cents religieux appartenant a quara7ite-deux Ordres ou Congregations reconnus dans I'EgHse, plus de seize iniUe Soeurs, re rattachant a soixante families religieuses, constituent une troupe auxi- liaire de vingt inille religieux des deux sexes, qui marchent a I'avant-garde de tous les devouements et de toutes les immolations, sous la triple ban- niere de la pauvrete, de la chastete et de I'obeis- sance. Quelle force au milieu d'une nation adonnee au culte des jouissances materielles ! II. — CEuvres. Nous venous de voir le person- nel de I'Eglise catholique aux Etats-Unis. Les ceuvres repondent dignement aux forces que I'Eglise romaine peut mettre en action. En dehors des 10.207 eglises ou chapelles, dans lesquelles le culte s'exerce regulierement, avec la pompe et la dignite des vieilles eglises de I'Europe, il y a encore aux Etats-Unis pres de dix-huit cents stations, qui sont visitees, a des intervalles plus ou moins rapproches, par le pretre voisin, car, a cote des paroisses deja constituees, une partie du pays, surtout dans I'ouest, reste encore a I'etat de mission. Chacune de ces stations est destinee a devenir prochainement un nouveau centre parois- sial. Des que I'eveque peut disposer d'un pretre jeune, actif et zele, il I'envoie a quelqu'une des stations sans pasteurs. Le pretre arrive, n'ayant bien souvent d'autre viatique que la benediction de son eveque ; il s'installe dans une chambre d'auberge, et va visiter ses futurs paroissiens, les habitants du lieu ; presque toujours, il est accueilli avec empressement, et tous, meme les protestants, souscrivent largement pour I'erection de I'eglise. En homme pratique, I'Am^ricain, quelles que soient ses convictions religieuses, calcule qu'une eglise catholique attirera et fixera dans la localite de nombreux emigrants. Pendant que I'edifice materiel s'eleve, le pretre va a la recl:erche des brebis perdues d'Israel. Presque partout il rencontre des catholiques, qui, faute de pretre et d'eglise, ont laisse, depuis un temps plus ou moins long, toute pratique religieuse ; mais il est rare qu'il se heurte a ce parti-pris, a cette impiete brutale et bete, qui, chez nous, retient taut d'ames eloignees de I'eglise. Ces pauvres gens n'ont rien contre le catholicisme ; ils ont cesse de pratiquer faute d'occasion ; mais leur coeur est reste chretien, et ils sont heureux de voir le pretre se fixer au milieu d'eux. En attendant I'achevement de I'eglise, on se reunit le dimanche dans une salle d'ecole, quel- quefois a I'auberge, d'autres fois au tribunal partout oil Ton peut trouver un local disponible ; la, catholiques et protestants se pressent pour entendre la parole de DiEU, et contempler ces majestueuses ceremonies de I'Eglise romaine dont I'heresie ne peut offrir qu'une parodie. L'onction qui les accompagne, I'accent convaincu de la predication agissent sur les cceurs et dissi- pent bien des prejuges. Bien souvent, quand I'oeuvre materielle est achevee et que I'eveque vient consacrer la nouvelle eglise, il a la joie de faire entrer dans I'edifice spirituel de nouveaux. enfants que I'ignorance seule et des prejuges de naissance et d'education retenaient loin du catho- licisme. Voila comment se fonde une paroisse aux Etats-Unis. N'ayez point d'inquietudes pour le pasteur. Peut-etre au debut, si les paroissiens sont pauvres et clairsemes, il aura besoin d'etre assiste par I'eveque ; mais, avec I'esprit d'initiative des Americains, son troupeau saura bientot pourvoir a son honnete entretien et a tous les besoins du culte. L'habitude de ne rien attendre de I'Etat fait que les fideles sont formes, aux Etats-Unis, a compter sur eux-memes, pour soutenir leurs ceuvres. Bientot, a cote de I'eglise, vous verrez s'elever le presbytere, la maison d'ecole, les eta- blissements de charite. Des quetes annuelles, des souscriptions volontaires sufifiront a tout. Le pretre ne sera plus, comme on dit fort impropre- ment en certain pays catholique, tin salarie de I'Etnt ; ce sera un pere au milieu d'une famille devouee, qui est heureuse de pourvoir largement a ses besoins materiels, en echange des services spirituels qu'il leur rend et de sa vie qu'il leur consacre. Aux Etats-Unis comme en Europe, I'ceuvre des ceuvres, c'est I'^ducation de la jeunesse, d'au- tant que, dans la grande majorite des Etats, I'ecole est non-confessionnelle, c'est-a-dire que, sous prdtexte de respecter la liberte de cons- cience, tout enseignement dogmatique est banni de I'ecole, bien qu'on y Use la Bible et qu'on y prononce toujours avec respect le nom de DiEU. Ce systeme, tout defectueux qu'il soit, se comprend aux Etats-Unis mieux qu'ailleurs, a cause de la multiplicite des sectes. II est juste de reconnaitre que la neutralite y est presque toujours observee, et que I'hostilite systematique y est tres rare. II n'en est pas moins vrai que I'absence de tout enseignement confessionnel constitue un grave danger pour la foi des enfants catholiques. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890 225 D'lin autre cote, un grand nombre decoles du gouvernement sont m!x/es,c'eiit-k-dire que gardens et filles y sont eleves en commun, au grand detriment, il faut I'avouer, de la moralite. L'opi- nion publique, pourtantfort large a cetegard aux Etats-Unis, s'est emue recemment des nombreux scandales qui sont le resultat inevitable d'un pareil laisser-aller. Un des meilleurs publicistes de rUnion, M. Richard Grant White, s'est fait, dans son journal, I'interprete des ]3laintes legiti- mes des parents, dans un article qui eut alors un grand retentissement. Apres un expose lo)'al et iVanc de la situation lamentable d'un grand nombre d'ecoles publiques, au point de vue des mceurs, il en vient a condamner en bloc tout le systeme scolaire des Etats-Unis, et conclut en ces termes : € Telle est la condition ou nous sommes » reduits apres un demi-siecle d'expe- » rience de notre systeme d'ecoles publi- ^ ques, ce systeme dont la seule justi- » fication etait qu'il devait etre une pa- » nacee pour la guerison de tons les maux » sociaux et politiques (i). » II est done tres naturel que I'episcopat americain ait mis une grande part de ses sollicitudes a la fondation d'ecoles catho- liques, pour sauvegarder la foi et les mceurs de la jeunesse. A plusieurs re- prises, les conciles de Baltimore ont porte des dccrets pour interdire la frequcnta- tion des ecoles non confessionnelles. La recente decision qui vient d'etre rendue, dans un cas particulier, en faveur de I'arrangement conclu par Mgr I'arche- veque de Saint Paul, ne prejuge rien (la Sacree-Congregation I'a formellement declare) contre les regies generales, sanc- tionnees a plusieurs reprises par les Souverains-Pontifes, gardiens du dogme et de la morale evangeliques. Sauf les exceptions locales et particulieres, il est interdit aux parents catholiques den- voyer leurs enfants dans les ecoles non confessionnelles de I'Etat, la ou ils trou- vent I'ecole confessionnelle a leur portee. Grace au zele des eveques des Etats- Unis, il est aujourd'hui bien peu de centres catholiques qui soient depourvus d'ecoles confes- sionnelles. Voici quelle est, au i<^'' Janvier 1890, la situation des ecoles catholiques dans les Etats- Unis : 36 grands et petits feminaires, 2.033 eleves ; i ig colleges de gargons, 1 7.309 elfeves ; 493 pensionnats de filles, 32.765 dl^ves ; 3.732 ecoles paroissiales, 5So.453elives. Ce qui fait en total 4.400 maisons d'education, dans lesquelles I'Eglise romaine donne I'ensei- gnement primaire, secondaire et superieur a 632.560 enfants, sans parler de 246 orphelinats, penitenciers, ecoles industrielles pour les enfants noirs et sauvages, dans lesquels sont eleves, nourris et entretenus 30.000 enfants abandonnes. Ce qui decharge d'autant I'assistance publique. L'Eglise catholique, qui fait tant pour I'edu- cation chretienne et morale des enfants, n'oublie pas qu'elle est aussi la mere des pauvres, des souffrants, de tous les desherites de la vie. Aussi, a cote de I'ccole, vous rencontrez, dans les prin- cipaux centres, 514 instituts de charite,dont 181 hopitaux, ouverts aux malades de toutes croyan- ces, et 129 asiles, hospices pour les vieillards, maisons de secours pour les aveugles, les sourds- muets, les fous, sans parler des Bons-Pasteurs, ^ Mgr Ireland^ archevtque de Saint-Paul. I. No>lh American Review Missions Catholiques. Decembre 1880. refuges, maisons de preservation pour les mal- heureuses filles qui sont exposees a se perdre, ou pour celles que le vice a deja touchees et fletries. C'est par milliers qu'on compte les malheu- reux soulages ainsi annuellement par la charite maternelle de I'Eglise, arraches aux mauvaises inspirations de la misere, au vice, au desespoir eta la mort. III. — Population catholique. En fin de compte, que faut-il attendre du catholicisme americain et quel est le jugement qu'il convient de porter sur cette jeune Eglise, qui se presente avec un caractere si tranche et si nouveau pour 226 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i- SIECLE. nous autres, catholiquesdu vieux monde ? On a vu que les appreciations different a cet egard, et que des hommes illustres et connus par leur devouement a la Sainte Eglise sont loin d'ad- mirer tout ce qui se fait la-bas de I'autre cote de I'Atlantique. Pour moi, je le declare franchement, sans en dissimuler les ombres et les cotes defec- tueux, je suis de ceux qui esperent beaucoup et qui voient avec sympathie et confiance I'epa- nouissement merveilleux de cette jeune Eglise, au soleil des libertes de la societe moderne. Je crois d'ailleurs etre en cela pleinement d'accord avec les Vicaires de J^SUS-CilRlST, qui, plus d'une fois en ce siecle, ont temoigne hautement de leur amour pour cette fille cadette de I'Eglise romaine, qui semble destinee providentiellement a consoler le cceur des Souverains Pontifes des ingratitudes et des apostasies de nos vieilles societes. « Nulle part, ecrivait deja Gregoire XVI, en 1841, je ne me sens Pape comme aux Etats- Unis. » La, en effet, pas de gallicanisme, pas d'intervention brutale de I'Etat dans les affaires ecclesiastiques. Le Vicaire de J£suS-ChrisT s'adresse directement au peuple fidele, par I'in- termediaire des premiers pasteurs, et toujours jusqu'ici sa parole a ete ecoutee avec le plus filial empressement. D'un autre cote, on pent etablir en these generale que le respect humain est a peu pres inconnu aux Etats-Unis. La, chacun professe librement sa religion et, dans ce pays de la liberte absolue des opinions, il serait fort mal venu a critiquer ce que font les autres. Aussi les catholiques, autrefois si meprises, alors qu'ils ne formaient qu'un centieme de la population, s'affirment hautement aujourd'hui, et sont jus- tement fiers d'appartenir a I'Eglise romaine. lis pourvoient tres genereusement a I'entretien de leurs pasteurs, a la splendeur du culte et a toutes les oeuvres d'enseignement et de charite. J'ajoute que leur conduite tranche generalemeot sur celle de leurs voisins protestants, et fait honneur au catholicisme.Tout en restant Americains, hommes d'affaires et d'initiative, ils se distinguent ordi- nairement par une scrupuleuse probite ; au milieu d'une societe adonnee au culte des jouissances materielles, ils ont garde assez d'esprit d'abne- gation etdefamille pour elever de nombreu.x enfants, alors que la sterilite systematique et le divorce detruisent autour d'eux les families et mettent, sous ce rapport au moins, les protes- tants dans une situation tres inferieure a celle des catholiques. Des 1875, M. Claudio Jannet, dans son beau livre sur les Etats-Unis contemporains, cons- tatait cette superiorite : (i) « Le catholicisme » est aujourd'hui la confession religieuse qui » compte aux Etats-Unis de beaucoup le plus » grand nombre d'adhcrents ; et Ton comprend » les forces croissantes qu'il acquiert, quand on I. Les Etats-Unis conteiiiporaiits, torn. 2, p. 26. » compare la vigueur de son organisation et de » ses principes internes avec le fractionnement » indcfiiii et la decomposition interieure des » differentes confessions du protestantisme. Ses » progres ne sont pas dus seulement a Temigra- » tion et a I'accroissement remarquable des » families catholiques ; il 'entame constamment )> la societe protestante par des conversions indi- » viduelles. Le catholicisme se presente, en effet, » au.x P^tats-Unis comme la necessite religieuse » et la necessite sociale. » Et apres un tableau attriste du desarroi doctrinal des differentes societes prolestantes et des perils que le so- ciali.me fait courir a ce monde nouveau, deja gangrene par I'amour de I'or et la recherche des jouissances, I'auteur conclut en ces termes : « Loin de s'affaiblir avec I'affaissement des sectes » protestantes, le catholicisme a absorbe en lui » tout le mouvement chretien et le meilleur de » la vie religieuse de la nation ; aujourd'hui, il est » I'un des elements les plus considerables dans » la vie du peuple americain. » M. de Tocqueville et le_ baron Hubner, dans leurs publications sur les Etats-Unis, portent le meme jugement sur la situation du catholicisme americain, dont ils opposent la vigueur et la prosperitc a la decadence irremediable des con- fessions protestantes. « Chose etonnante! ecrivait )) deja Ozanam en 185 1 (i), la liberte, qu'on » disait mortelle au • catholicisme, n'a profite » qu'a lui, et les sectes y succombent. Privees » de la tutelle du pouvoir, qui, sans prevenir les » scissions interieures des doctrines, leur prete » ailleurs un corps factice ^en les absorbant dans » la tutelle officielle de I'Etat, ici elles ont pu, » affranchies de tout frein, s'abandonner a leur » pente naturelle, et atteindre les dernieres )> limites de cette decomposition oil les preci- )> pite le poids meme de leur principe. Toutes » les formules de I'erreur, tous les ecarts de » I'indiscipline, tons les morcellements de la dis- » corde, elles les ont parcourus dans une pro- )) gression effrayante, jusqu'a ce qu'elles en » soient venues a former autant de troncons » qu'elles ont dechire de pages a leur Evangile » en lambeaux. Reduites aujourd'hui a I'impuis- » sance de se mutiler encore, parce qu'on ne » fractionne pas la poussiere, elles ne conser- » vent plus d'autre symbole connmun, d'autre )> ralliement et d'autre vie que la haine du catho- » licisme, chaque jour plus epanoui a ce soleil » de la liberte qui les consume. » Cette desorganisation complete du protestan- tisme americain constitue, il faut le reconnaitre, un danger pour I'Eglise catholique elle-meme. Ues miasmes deleteres se degagent de ce cadavre en decomposition et forment toute une atmos- phere d'indifference religieuse et de paganisme. Le mot n'est pas trop fort, car si I'impiete se rencontre rarement aux Etats-Unis, en revanche, I. Amtaks de la Propagation de la Foi, torn. XXUI, ann^e 1S5.. L'EGLISE DES ETATS-UNIS, 1800-1890. 227 on chiffre par millions le nombre de ceux qui ne sont pas baptises et qui n'appartiennent en realitc aaucune Eglise. Voici ce que dit a ce sujet Claudio Jannet : « Sept a huit millions de personnes seulement )> frequentent regulierement les temples protes- » tants ; I'Eglise catholique, a elle seule, a » autant d'adhcrents pratiqiiaiits. II reste une » masse enorme de plus de f rente millions d'ames » qui vivent en dehors de toute pratique reli- » Un pareil spectacle est eminemment demo- ralisateur. On a vu que le catholicisme a fait, au cours de ce siecle, de tres grandes pertes aux Etats-Unis , pertes douloureuses qu'on peut evaluer a dix ou douze millions d'ames. On attribue generalement ces defections a la penurie de pretres et de secours religieux dans les pre- mieres annees ; mais ne pourrait-on pas aussi faire remonter une partie de la responsabilite a cet indifferentisme religieux, qui est I'etat normal de la societe americaine et la consequence pra- tique de la separation de I'Eglise et del'Etat? En depit des principes modernes, I'homme est toujours un enfant, au regard de la verite et du devoir : il a besoin d'etre enseigne et protege contre les seductions de I'erreur et sa propre faiblesse. « L'homme est naturellement bon, s'e- crie Rousseau, c'est la societe qui le deprave ! » Erreur et sophisme ! L'homme, dechu en Adam, est naturellement porte a se tromper et a mal faire. « Aux Etats-Unis, dit encore Claudio » Jannet, tous les freins de la parole et de la » presse ont ete rompus. Tout est mis en dis- » cussion ; le mal a presque autant de liberie » que le bien. Le materialisme pratique, I'immo- » ralite, la corruption politique, la malhonnetete » financiere debordent. La famille est ruinee dans » la fecondite et la stabilite. » Voila I'envers du tableau et ce qui explique certains jugements severes qu'on a portes parfois sur les Etats-Unis. Sans doute, nos catholiques ont su jusqii'ici se preserver de pareils exces, et c'est precisement ce qui fait leur force actuel- lement ; mais sauront-ils s'en preserver toujours ? II est certain que cet esprit d'independance et de liberte absolue tend a se glisser parmi eux. Au debut, de tristes querelles ont eclats a ce sujet, entre les administrateurs laiques et les pas- teurs. Tout est pacific depuis longtemps, et ri'lglise des Etats-Unis s'administre aussi libre- ment que n'importe quelle Eglise ; mais il y a la un symptome redoutable pour I'avenir. L'esprit de critique, de raisonnement et de libre gouver- nement subsiste toujours dans ces populations, qui en ont fait leur ideal politique. II est a craindre que du forniii, ou il fait deja pas mal de sottises, il ne cherche a se glisser de nouveau dans le temple. C'est la,je I'avoue, le seul danger serieux que je redoute pour cette belle Eglise. L'esprit catholique est un esprit d'humilite et de soumission filiale a I'autorite ; c'est tout I'oppose de l'esprit am^ricain. « Si je n'ai pas la charite, je ne suis rien, » disait I'Apotre. L'Eglise des Etats-Unis a cer- tainement la charite, et ses oeuvres la louent suffisamment. Ou'elle veille seulement a garder, comme son plus |)recieu.K tresor, l'esprit d'humi- lite. Que ses premiers pasteurs restent toujours unis, indissolublement attaches a la Chaire apos- tolique, que ses pretres continuent a ne faire qu'un avec leurs eveques, que les fideles acceptent, sans raisonner, la direction et les enseignements de leurs pretres, I'Eglise des Etats-Unis, au milieu de la decadence et de I'eparpillement des sectes, ralliera a elle tous les esprits droits, toutes les ames de bonne volonte, et continuera a nous donner de plus en plus le spectacle d'une Eglise glorieuse, qui ne connait encore ni les souillures de I'heresie, ni les rides de la vieillesse : ut exhiberet sibi gloriosam Eccksiam, non habeiitein maculam neqiie nigas. ^^^ Cljflpitrc Quin5icmc. ^«® LE CATHOLICISME AUX INDES OCCIDENTALES, 1800-1890. .xxniu:} iiTirTio:xiiiiiixrixiirrrTiriTr[Xiiiiir-c:iiii:iiirrrTiiiriT"TrTTiTTTiiiiiiTTiiiriri'iTiiiTiT3^ niiii j auai s^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^^ss rOus le nom generique d'Indes Occidentales, on comprend or- dinairement les terres nouvel- les decouvertes, a la fin du XV<= siecle, par Christophe Colomb (Antilles et Giiyanes). On sait que le grand navi- gateur genois, en s'avan9ant dans rOuest, a travers les profondeurs de la mer « Tenebreuse, >> croyait arriver directement aux Indes, quand 11 rencontra devant lui la barriere des lies que la Providence a semees, comme autant de corbeilles de verdure et d^ fleurs, au milieu du golfe du Mexique. Croyant deja tou- cher aux Indes, il donna naturellement au pays qu'il venait de decouvrir le nom d Indes Occi- dentales, qui leur est reste. * * * Au point do vue rcligieux les Indes Occiden- tales se partagent en plusieurs groupes de mis- sions et plusieurs provinces ecclesiastiques, dont les unes relevent encore de la Tropagande, et les autres, organisees hierarchiquement depuis longtemps, ne doivent phis etre considerees comme pays de mission. A I'entree du golfe du Mexique, on trouve d'abord les iles Bahamas, qui appartiennent a TAngleterre, et sont sous la juridiction de 1 ar- cheveque de New-York ; puis, en penetrant dans I'interieur du golfe, on aborde a I'ile espagnole de Cuba, qui forme une province ecclesiastique : archeveche, Santiago de Cuba ; deux eveches suffragants : Saint-Christophe de la Havane et Saint-Jean de Porto-Rico. Ce pays etant tout catholique et hierarchise depuis longtemps, je ne m'en occuperai pas, non plus que des deux eveches francais de la Guadeloupe et de la Mar- tinique, suffragants de I'archeveche de Bordeaux. Par contre, on peut considerer comme pays de missions, bien que ne relevant pas de la Propa- gande, I'ancienne colonic frangaise de Saint- Domingue. Elle a deux provinces ecclesiastiques: I'archeveche de Saint-Domingue et I'archeveche de Port-au-Prince ; ce dernier avec quatre eve- ches suffragants : les Gonai'ves, les Caj'es, le Cap Haitien et Port-de-Paix. De leur cote, les Antilles anglaises, hollandaises et danoises forment une province ecclesiastique, relevant de la Propagande : archeveche, Port- d'Espagne, dans I'ile de la Trinite ; evechc suffra- gant, Roseau, dans I'ile de la Dominique ; plus les deux vicariats apostoliques de Curasao et de la Jama'ique, et la prefecture apostolique du Hon- duras britannique, sur le continent. Enfin, pour etre complet, j'aurai a parler des trois Guv'anes : Guyane anglaise, un vicariat apostolique ; Guyane hollandaise, un vicariat apostolique ; Guyane franc^aise, une prefecture apostolique. II faut maintenant etudier en detail chacun de ces groupes de missions. I. — MISSION DES ILES BAHAMAS. L'Arciitpel des Bahamas, ou Lucaj-es, forme, a I'entree du golfe du Mexique, un groupe dune vingtaine d'iles, parmi lesquelles I'ile San- Salvador, qui fut la premiere terre ou aborda Colomb. Politiquement, ces iles appartiennent a I'Angleterre. Sous le rapport religieu.K, elles firent d'abord partie du vicariat apostolique des Antilles ; de 1850 a 1886, elles furent placees sous la juridiction de I'eveque de Charleston ; a cette epoque, elles furent rattachees a I'archi- diocese de JS'ew-York, dont elles font partie aujourd'hui. Un pretre de I'archidiocese fut envoye pour prendre la direction de cette mission, qui ne compte encore qu'un nombre fort restreint de catholiques. lis ont deja ete catalogues du reste parmi les fideles faisant partie de I'archi- diocese de New York. C'est pourquoi j'en fais simplement mention ici, pour memoire. Quant aux eglises, chapelles, ecoles et autres ceuvres de la mission des iles Bahamas, les renseigne- ments precis me font completement defaut a ce sujet. LE CATHOLICISME AUX INDES OCCIDENTALES, 1800-1890. 229 II. — PROVINCES ECCLE- SIASTIQUES DE SAINT- DOMINGUE ET DE PORT- | AU-PRINCE. II L'lLEde Saint-Domingue, la plus belle de nos colonies des Antilles, s'emancipa de la mere-patrie, a la fin dii dernier siecle, par suite de la revoke du fameux Toussaint-Louverture, revolte favorisee paries orages de la Revolution francaise et les longues guerres de I'Empire, qui nous firent perdre la plus grandc partie de nos colonies. Au bout d'un siecle, ce malheureux pays n'a pu sortirde I'etat d'anarchie dans lequel I'ont plonge les revolutions. Une premiere periode de guerres civiles et de dechirements interieurs aboutit, en 1843, a la separation de I'ile en deux republiques indepen- dantes et ennemies : la republique d'Haiti, au nord-ouest, et la republique de Saint-Domingue, au sud-est. Puis les noirs d'Haiti, fatigues probablement de la forme republicaine, voulurent se payer le luxe d'un empereur, et Ton vlt monter sur le trone Sa Majeste Soulouque i'='', le rival ou le singe de Napoleon i*^"". Apres lui, les noirs d'Haiti ont recommence a jouer a la republique, comme ils avaient joue a I'empire ; mais le second regime ne leur a pas mieux rcussi que le premier. II serait aussi inutile que fastidieux d'enu- merer ici toutes ces revolutions, qui eclatent pcriodiquement tous les quatre ou cinq ans, et ne permettent presque jamais au president de la republique d'arriver paisiblement au terme de son mandat. On voit que les noirs ont pris au scrieux le dogme moderne et laique de la souverainete du peuple, et qu'ils s'appliquent consciencieusement a nous imiter en nous depassant. Le re.sultdt le plus net, c'est une anarchic politique, fiiianciere et religieuse, dont nous ne pouvons pas meme nous faire I'idee en Europe. « Ces revolutions continuelles, ecrivait der- nierement un missionnaire, ont fait retomber les noirs en plein paganisme. » On comprend, en effet, qu'au milieu de ces guerres civiles et de ces boulevcrsements poli- tiqucs, le catholicisme n'a pu que perdre ; d'au- tant qu'en s'emancipant de la France, les noirs ont garde soigneusement toute I'organisation bureaucratique et les pretentions autoritaires de I'ancien regime. Depuis I'empereur Soulouque, de grotesque et sinistre memoire, jusqu'au dernier noir cleve a la dignite de chef de bureau, tous se croient le droit de regenter I'Eglise et de faire la lecon aux eveques. On a exile les premiers pasteurs, on a jete sans motifs les pretres en prison, on a confisquc les biens d'cglise, on a empeche ou gene de to. tcs manieres le recrute ment du sacerdoce. II en est resulte que ce pays, autrefois tout cathoiique sous la domination francaise, est tombe dans une sorte de nihilisme religieux. Laplupart des negres d'Haiti nesort plus catholiques que par le bapteme et certaines habitudes religieuses, melees de beaucoup de superstitions. II est meme arrive ceci, qu'un certain nombre de noirs ont abandonne formellement le catho- licisme et sent retournes purement et simple- ment au paganisme. Unissant les vices de la civilisation qu'ils nous ont empruntes, aux superstitions et au.x mceurs f^roces de la sau- vagerie, ils sont tombes, en quelque sorte, au dessous de leurs congeneres d'Afrique. On trouve, dans I'ile de Saint-Domingue, les horreurs du culte secret des Vaudoux, le sacrifice humain et I'anthropophagie. L'empereur Soulouque, bien qu'il ne manquat jamais d'assister en grande pompe a toutes les ceremonies du culte catho- iique, nourrissait dans son palais un serpent sacre, auquel, si Ton en croit le bruit public, il donnait a devorer des enfants. En 1872, deux femmes et cinq hommes, traduits en jugement, avouerent cyniquement qu'ils avaient tue et mange, en quelques mois, vingt-trois personnes. Une mere, si Ton peut encore lui donner ce nom, fut condammee a mort pour avoir devore, dans ces festins sacrileges, huit de ses enfants, Voila qui peint une civilisation ! Que faisait done, pendant ce temps, I'Eglise cathoiique? Helas! depuis longtemps elle n'exis- tait plus, a Saint-Domingue, que de nom. Plus d'eveques, quelques pretres noirs, souvent aussi ignorants que leurs paroissiens ; d'autres pretres venus d'Europe sans lettres tcstimoniales, voila en quoi consistait le clerge haftien. Un seul remede existait pour sauver cette Eglise en detresse, c'etait de s'adresser a Rome, et le gou- vernement d'Haiti y avail songe plus d'une fois. On avait entame des negociations avec le Saint- Siege pour la conclusion d'un concordat, la pre- miere fois en 1824, puis en 1S34, en 1836, en 1843. Les boulevcrsements politiques et les exigences des noirs n'avaient pas permis a ces premieres negociations d'aboutir. Enfin, en i860, le president Geffrard eut I'honneur de conclure avec le Saint-Siege un concordat qui rctablissait, dans la partie occi- dentale de I'ile, la religion cathoiique, a peu pres detruite dans toute I'etendue de la Republique haitienne. Ce concordat, assez semblable a celui qui nous regit en France, 6tablissait pour la Republique d'Haiti la province ecclesiastique de Port-au-Prince avec quatre eveches suffragants : les Gonaives, les Cayes, le Cap-Haitien et Port- de-Paix. Malheureusement ce concordat ne fut jamais loyalement execute. Au bout de trente ans, on n'a pu encore obtenir que la nomination de deux titulaires ecclesiastiques sur cinq : I'ar- cheveque de Port-au-Prince et I'eveque du Cap. Les autres sieges episcopaux sont desservis jusqu'ici : les Gonai'ves et les Cayes, par I'arche- 230 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i<= SIECLE. veque de Port-au-Prince ; Port de-Paix, par I'eveque du Cap. Aussitot apres la conclusion du concordat, I'abbe du Cosquer, ecclcsiastique frangais, qui avait beaucoup aide aux negociations, fut envoye a Haiti en qualitc de delegue apostolique, pour faire executer la nouvellc convention. En 1863, il fut prcconisc premier archcvcque de Port-au- Prince. Tout etait a crcer. Lc prclat se mit cou- rageusement a I'ceuvrc, et commenca par faire venir a Haiti plusieurs congregations religieuses, pour suppleer au petit nombre des pretres. Les congregations sont actuellement au nom- bre de cinq : 1° Les PP. du Saint-Esprit, qui ont dans la ville de Port-au-Prince un beau college libre, qui compte pres de 100 internes et 200 externes. Cat etablissement d'education est incomparable- ment mieux tenu que le grand college du gou- vernement, qui coiite cependant des millions a I'Etat. Aussi, chaque annee, les enfants des meilleures families d'Ha'iti viennent \- chercher I'instruction. 2° Les PP. de la Compagnie de Marie (B. Grignon de Monfort), qui prechent des missions et desservent plusieurs paroisses dans le diocese de Port-de-Paix. 3° Les Freres de I'instruction chretienne (Ploermel), qui ont 1.320 eleves dans leurs ecoles. 4° Les ScEurs de Saint-Joseph de Cluny, qui tiennent un pensionnat florissant a Port-au- Prince : 140 internes et 360 externes, avec plus de 600 enfants dans les ecoles de paroisses. 5° Les Filles de la Sagesse desservent un hopital et out aussi des Ecoles : 220 eleves. En meme temps qu'il faisait appel au devoue- ment des congregations religieuses, le nouvel archeveque de Port-au-Prince, pour assurer le recrutement de son clerge et remedier a la disette des vocations, ouvrit a Pont- Chateau (diocese de Nantes) un seminaire, sous la direction des PP. de la Congregation de Marie. Selon qu'il etait convenu dans le concordat, le gouverne- ment haitien consentit a y entretenir un certain nombre de bourses. Mais bientot de nouveaux bouleversements politiques vinrent arreter et compromettre cette renaissance religieuse. En 1865, une revolution appelait au pouvoir le president Salnave, et la persecution recommencait a\ec lui. En vertu du fameux principe de la separation de I'Eglise et de I'Etat, principe que les noirs appliquent a leur maniere, on rompit officiellement tout rapport avec le clerge, on supprima les bourses du semi- naire, on expulsa ou Ton jeta en prison un certain nombre de pretres ; puis, de sa propre autorite, le president destitua I'archeveque, dont la tete fut mise a prix, et qui fut force de se refugier a Rome, oii il mourut de chagrin, en 1869. Le Pape nomma alors pour le remplacer son vicaire gdn^ral, Mgr Guilloux, vicaire apos- tolique, administrateur de I'archidioccse. Mais le president refusa de le reconnaitre en cette qualitc, et la persecution continua. Une revolution avait place Salnave a la tete de la Republique ; une revolution le renversa en 1869, et le nouveau gouvernement commenca par montrer des dispositions moins hostiles. Mgr Guilloux futreconnu en qualite d'archcveque de Port-au-Prince, et Ton promit d'appliquer loyale- ment lc concordat de i860. Un des premiers soins de Mgr Guilloux fut d'entreprendre la visite pastorale de son vaste diocese. Je donne lc resume decetle visite, d'apres une lettre du prelat, ecrite en 1872. On \' trouvera la peinture de la situation religieuse d'Haiti a cette epoque. Sur une population totale de 897,000 ames que comptait alors Haiti, on trouvait a peine 40.000 catholiques (moins du vingtieme) qui fussent maries a I'eglise et qui remplissent leurs devoirs religieux. La cause cle cette situation vraiment lamentable est le manque absolu d 'instruction et la penurie effra}-ante de pretres. Les paroisses comptent en general quinze a vingt mille ames, sur une etendue de trente a quarante lieues en tous sens. Encore les pretres sont en si petit nombre, que plusieurs postes demeurent sans titulaires et sont desservis par le cure voisin. On compte en tout, pour les trois dioceses de Port-au-Prince, des Gonaives et des Cayes, soixante pretres ; mais comme un certain nombre de ces pretres sont employes dans I'en- seignement, on arrive a la proportion vraiment incro_\'able d'un seul pretre pour quinze a vingt mille catholiques. De cette penurie inouie de pretres, s'ensuivent deux resultats aussi desas- treux I'un que I'autre : le premier qu'un grand nombre de ces pretres, la plupart \enus de France, s'epuisent avant I'heure dans un travail disproportionne aux forces humaines, surtout sous un climat aussi meurtrier que celui des Antilles, et succombent a la fleur de leur age, avant d'avoir pu rendre beaucoup de services ; le second, c'est que les fideles croupissent dans I'ignorance de la religion, vivent sans aucunc pratique, et meurent presque toujours sans avoir recu les derniers sacraments. Dans le seul diocese de Port-au-Prince, Mgr Guilloux estimait que, chaque annee, plus de cinq mille enfants sont moissonnes par la mort avant d'avoir recju le bapteme. Du reste, dans cette tournee pastorale qui dura deux mois, I'archeveque fut un peu dedom- mage de ses fatigues et de ses tristesses en voyant I'empressement des fideles a se precipiter sur ses pas. On lui apportait de vingt et de trente lieues les malades ou'on deposait au bord de la route pour qu'il pijt les confesser et leur donner la confirmation. Dans ces deu.x mois, I'arche- veque de Port-au-Prince confirma 10.761 per- sonnes, benit des centaines de mariages, entendit des milliers de conf^ssiors. Partout on I'accueil- LE CATHOLICISME AUX INDES OCCIDENTALES, 1800 1890. 231 lait comme I'envoye de Dieu, on liii promettait de relever les anclennes eglises ruinees ou d'en rebatir dc nouvelles, mais a la condition d'avoir des pietres. ^ * * Comme le nouveau gouvernement d'Haiti ne se pressait nuUement, malgre ses promesses, de rendre leurs bourses aux seminaristes, le prelat, d'accord avec son clerge, resolut de rouvrir, aux frais de la mission, le seminaire de Pont- Cha- teau, ferme depuis 1868. Des 1S74, on comptait vingt-huit cleves ccclesiastiques dans cette pepi- niere de I'apostolat, et Ton put esperer de meil- leurs jours pour I'Eglise du pays. Mais, dans cette meme annee 1874, nouvelle revolution a Haiti, qui rcmet tout en question. On clabore une nouvelle constitution, dans laquelle on pose en principe la revision du concordat de i860. En attendant, defense est faite a I'archeveque de recevoir aucun pretre venu du dehors. C'etait a brcf delai la mort de I'Eglise hai'tienne, car les families de I'aristocratie negre croiraient deroger en offrant leurs fils a I'Eglise, et nul moyen dc recruter, parmi la plebe ignorante. HAITI. — RuiNES DU PALAIS DE Sans-Squci, A MiLOT, PRES DU CAP Haitien ; d'apr^s une photographic. des pretres dignes de ce nom. Heureusement la bourrasque dura peu, et de nouvcaux change- inents politiques amenerent aux affaires des hommes mieux intentionnes. Bientot, le nombre des pretres s'accroissant, grace surtout aux appoints venus de France, I'archeveque put pourvoir aux besoins les plus urgents des populations, et un grand mouvcment rcligieux commenca a se produire dans tout le pays. En beaucoup de localitcs, on construisit de nouvelles eglises, avec le concours empresse du peuple ; le nombre annuel des baptemes d'en- fants et des mariages contractus devant le prctrc s'eleva rapidement. Cette population d'Haiti, exclusivement noire. a garde notre langue et nos mceurs ; si elle copie, en les amplifiant, nos defauts, elle a aussi quel- ques-unes de nos bonnes qualites, en particulier le sens religieux. Convertis et instruits convena- blement, les Haitiens font souvent d'excellents Chretiens. On en voit qui font, chaque semaine, quinze ou vingt lieues pour assister a la messedu cJimanche. Le Denier de Saint-Pierre, I'ceuvre de la Propagation de la Foi sont en honneur parmi eux. Plusieurs associations d'hommes se sont formees sous la bannierc du Sacre-Cceur, les membres communient regulierement le premier vendredi de chaque mois. La paroisse cathedrale de Port-au-Prince compte, aelle seule, trois cents de ces pieu.'< associes. 132 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"'" SIECLE. II y a done a Haiti tons lea elements d'une regeneration religieuse. Mais, pour cela, il faut deux choses : de bons pretres, en nombre suffi- sant, et un pen de stabilite politique. Or, jus- qu'ici, ces deux conditions indispensables ont fait plus ou moins dcfaut. En 1889, pendant que deux competiteurs se disputaient, les arnnes a la main, le pouvoir supreme, n'avons-nous pas vu arriver en France I'ex-president Salomon ? C'est le sixieme president de la Kc])ublique violemment renverse depuis i860. Six revolutions en trente ans, sans parler des tentatives avortees ! Com- ment le catholicisme, qui est une religion d'ordre et de paix, pourrait-il prosperer dans un milieu si trouble ! SAINT-DOMINGUE. V^. j^-^ LA situation est un pen plus tranquille, sans etre plus assuree, dans la partie orientale de I'ile, qui depuis 1843 forme la Republique separee de Saint-Domingue. Pendant trente ans, de 1843 a 1873, la guerre civile fut en perma- nence dans le pays, au grand detriment des interets conservateurs et religieux. Enfin, en 1871, un des presidents de la nouvelle Repu- blique eut I'heureuse inspiration de demander pour elle le bapteme catholique, en ouvrant des pourparlers avec le Saint-Siege pour la restau- ration du pays. Par un bref de 1874, le Pape nomma un vicaire aposlolique, administrateur de I'arche- veche de Saint-Domingue, I'antique primatiale du Nouveau-Monde, dcmeuree pres d'un siecle sans titulaires. Cette demarche a porte bonheur a la jeune Republique de Saint-Domingue. Depuis ce temps les competitions politiques se sent apaisees, et la religion est rentree pen a peu dans les masses. P^n 1880, un pretre, le R. P. Moreno, etait meme nomme President de la Republique de Saint-Domingue. Cette partie de I'ile, qui est de langue et de mceurs espagnoles, compte environ trois cent mille habitants, tous catholiques. Plus heureu.se que celle d'Haiti, la Republique de Saint- Domingue semble etre entree, depuis vingt ans, dans une voie de pacification serieuse. Puisse cet apaisement se maintenir ! Malheureusement, il est bien difficile de compter sur la stabilite politique d'un pa}-s bouleverse par des revolutions periodiques, et travaille depuis longtemps par les Societes secretes. La race noire, emancipee sans preparation, appelee subitement a exercer des droits politiques qu'elle ignorait la veille, parait radicalement incapable de se constituer elle-meme et de former un gouvernement qui puisse subsister. Voici, a la date de 1890, la situation religieuse des deux provinces ecclesiastiques de Port-au Prince et de Saint Domingue. Les documents me font defdut pour etablir la statistique comparee. Provinces ecclesiastiques de Port-au-Prittce et de Saint-Domingue. Archevech^ de Port-au-Prince. — i archeveque, 48 pre- tres, 16 paroisses, -550000 catholiques. Lts Gonaives. — 12 pretres, 8 paroisses, 1 10.000 catho- liques. Les Cayes. — 24 pretres, 20 paroisses, 240.000 catho- liques. Le Cap. — I eveque, 25 pretres, 19 paroisses, 221.000 catholiques. Port-de-Pai.\. — ? pr res, 4 paroisses, 39.000 catho- liques. Archevcche de Saint-Domingue. — i administrate.ir apostolique, ? pretres, ? paroisses, 301.000 catholiques. Total : I arthevcque, i eveque, i administraieur apos- tolique, 109 pretres, 67 paroisses, i. 261.000 catholiques. III. — PROVINCE ECCLESIASTIQUE DE PORT D'ESPAGNE. LA province ecclesiastique de Port-d'Espagne coiriprend les Antilles anglaises, hoi Ian- daises et danoises soumises a des gouvernements protestants. Au commencement du siecle, en y ajoutant les trois Guyanes, ces iles comptaient environ cent dix-neuf mille catholiques, desservis par une dizaine de pretres, sans lien et sans organisation hierarchique. C'est seulement en 1819 que la Sacree-Congregation crea le vicariat apostolique des Antilles, dont furent detachees, en 1824, les Antilles hollandaises, pour former une simple prefecture apostolique, devenue, en 1842, le vicariat apostolique de Curacao. En 1835, on erigea le vicariat apostolique de la Trinite, et en 1836, le vicariat apostolique de la Jamaique. Enfin en 1850, le Saint-Siege etablit la province ecclesiastique de Port-d'Espagne : archeveche, Port-d'Espagne ; eveche suffragant, Roseau, plus les deux vicariats deja existants de Curasao et de la Jamaique. En 1888, le Hon- duras britannique fut detache, a son tour, du vicariat de la Jamaique et erige en prefecture apostolique. AHCHIDIOCESE DE PORT-D'ESPAGNE. L'ARCniDIOC£SEde Port-d'Espagne comprend I'ile de la Trinite avec les iles adjacentes de Sainte-Lucie, Saint-Vincent, Tabago, Gre- nade et les Grenadilles. Toutes ces iles appar- tiennent a I'Angleterre, et comptent aujourd'hui 150.000 catholiques, sur 320.000 habitants, pres de la moitie de la population totale. La Trinite. — Cette ile, la plus importante du groupe, fut longtemps disputee entre la France et I'Angleterre ; elle est demeuree defi- nitivement a cette derniere puissance. Autrefois toute catholique, sous la domination fran^aise, elle a vu I'element protestant se developper chez elle a la faveur de I'influence britannique. Elle n'a plus actuellement que 80.000 catholiques LE CATHOLICISME AUX INDES OCCIDENTALES, 1800-1890. 233 sur 160.000 habitants, a peine la moitie de la population. La villa de Port-d'Espagne est, depuis 1S50, la metropole de la province eccle- siastique. « II }• a dans cette ile, ecrivait un missionnaire, des blancs, des noirs,des mulatres, des olivatres at des cuivres, des Frani^ais, des Anglais, des Espagnols, des Portugais, des Chinois, des Negres et des Indians, dent las iins descendant das ancians Caraibes, les premiers habitants du pays, et les autras, engages comme coolies pour travailler sur les plantations, arrivent chaque annee de I'lnde anglaise, au nombre d'environ deux viille, dans le pays, ou ils se fixant pour la plupart, quand la terme de laur engagement est expire. C'est dire qu'on trouve a la Trinite a peu pres toutes las religions connues : des catho- iiques, des protestants de toutes nuances et denominations religieuses, das musulmans, des fetichistes,das bouddhistes chinois, des adorateurs de Brahma, da Wishnou et de Siva. » Grace a la tolerance generalemant bienveil- lanta du gouvernement anglais, les catholiques de la Trinite ne sont nullement molestes dans TRINIDAD. Cathedrale de Porj'-d'Espagne. leur foi ; mais, comme ils ne resolvent aucun secours de I'adminis' ration, et qu'ils appartien- nent en msjorite a la classe la plus pauvra de la population, la mission da la Trinite n'a pu pren- dre encore tous les ddveloppamants dont ella etait susceptible. Ella a surtout beaucoup souf- fert de la disatte d'ouvriers apostoliques ; et, comma les minibtres protestants pullulent dans I'ile, comme ils ont a laur disposition des res- sources a peu pres illimitees, leur propagande effrenea a cause beaucoup de tort au catholicisme, au cours de ce siecle. Un grand nombre de Por- tugais, a la foi languissante at aux mceurs rela- chees, sont passes au protestantisma, faute de pretres qui parlassent leur langue et qui pussent leur administrer les Sacrements. Beaucoup d'au- tres catholiques, ne recevant qu'ii dc longs inter- valles la visite du missionnaire, et trouvant a. leur porte le predicant heretique, ont eu la coupable faiblesse d'assister la dimanche au service pro- testant et de faire baptiser leurs enfants dans I'heresie. C'est pour remedier a catte trista situation qua le Saint-Siege a confie, en 1869, la mission de la Trinite aux Dominicains da la province de Lyon. Depuis ce temps, la catholicisme s'est releve peu a peu de I'etat d'abandon dans lequel il vegetait. Voici la situation religieusa dc la mission : 234 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU ■X.IX"''= SIECLE. 1° Personnel : i archeveque, r6sidant a Port- I'Espagne ; 56 pretres, dont 29 reguliers. 2'^'Comniunautcs religieuses : Iiommes : Domi- nicains, 15 pretres, 4 Freres. — Peres du Saint- Esprit, 9 pretres, 3 scholastiques, 5 P^'reres. Total : 34 religieux hommes. Feinmes : Domini- caines, 1 1 Sceurs. — Tertiaires de Saint-Domi- nique, 19 Soeurs. — Saint-Joseph de Cluny, 59 Sceurs. 30 Qiiivres : 24 paroisses, plusieurs missions, 81 eglises et 19 chapelles, i college, jeunes gens (Peres du St-Esprit), 212 eleves ; — 5 pension- nats, jeunes filles (Soeurs de St-Joseph), environ 300 eleves ; — 54 ecoles primaires catholiques, 3,989 eleves ; i orphelinat, 125 enfants ; 2 hopi- taux : une maison d'incurables et la celebre lepro- serie de Cocorite, dont les Missions catlioliques ont entretenu plusieurs fois leurs lecteurs. Rappelons seulement ici que cette maison, confiee aux Dominicaines francaises du diocese d'Autun, fut bien eprouvee a ses debuts. Les Sceurs etaient arrivees en 1867. En 1869, une effroyable epidemic de fievre jaune emporta, en quelques jours, neuf religieuses sur quinze. Les survivantes n'en continuerent pas moins, avec la plus heroique abnegation, a rendre aux pauvres leprcux les soins les plus touchants. Aujourd'hui, cette maison, en pleine prosperitc, compte 180 pensionnaires, et chaque annee, de nombreux baptemes d'adultes viennent rejouir le coeur des servantes de J^SUS-ChrisT. Parmi les oeuvres de la mission de la Trinite, il faut ranger encore la mission des coolies in- diens. Cette ceuvre, si utile, ne fait que de com- mencer ; mais elle promet de riches fruits de salut pour I'avenir. Une ecole-orphelinat a ete ouverte, pour arracher les nombreux enfants de- la race indienne aux dangers de I'oisivete et aux pieges de I'heresie. Signalons enfin, comme a:uvre de zele et d'apostolat, le celebre pelerinage de la Divina Fastora, a Sipara. En resume, la situation religieusea la Trinite, sans etre encore aussi favorable qu'on pourrait le desirer, laisse esperer beaucoup pour I'avenir du catholicisme. L'esprit general de la population, meme protestante, est excellent. Si le nombre des pretres pouvait egaler les besoins spirituels de la population, la grande majorite de I'ile ne tarderait pas sans doute a redevenir catholique. Saintc Lucie. — Cette ile ancienne colonie francaise comme la Trinite, fut definitivement cedee a I'Angleterre par les traites de 1815 ; mais elle est restee francaise de population, de mceurs et de langage. Elle compte 34.987 catholiques sur 45.000 habitants. JO Personnel : 12 pretres, dont 5 appartien- nent a la congregation des Enfants de Marie- Immaculee. 2° Qinvres : 9 paroisses, 12 eglises ou cha- pelles, II ecoles primaires catholiques, 1.440 enfants. Saint- Vificent. — Ancienne colonie fran9aise, cedee a I'Angleterre comme les precedentes : 3.120 catholiques sur environ 8.000 habitants. L'ile de Saint-Vincent est une de celles on la penurie des pretres s'est fait le plus cruellement sentir. Pendant longtemps, elle n'eut qu'un seul pretre pour desservir ses quatre eglises parois- siales. Au siecle dernier, sous la domination fran- caise, l'ile etait tout entiere catholique. Aujour- d'hui la majorite des habitants sont protestants. Ce malheur est bien facile a expliquer. Que pouvait un pauvre pretre contre plus de trente ministres ? Les anglicans, le culte officiel, ont eleve dans l'ile vingt six temples ; les wesleyens en ont di.x-neuf ; les presbyteriens, quatre. Par- tout, a leur porte, les pauvres catholiques aban- donnes rencontraient un oratoire protestant, un service religieux regulier, une ecole et desmaitres pour instruire leurs enfants. Est-il bien etonnant que ces malheureux se soient habitues a vcnir chercherchez les protestants ce qu'ils ne pouvaient trouver chez nous ? 1° Person ne/.- 2 pretres. 2° (Euvres : 2 paroisses, 4 eglises ou chapelle.S, 4 ecoles primaires catholiques. 455 enfants. La Grenade et les Grenadilles. — Ce groupe d'lles compte 23.884 catholiques, sur 45 000 ha- bitants. 1° Personnel : 8 pretres. 2° LRiivres : 6 paroisses, 8 eglises ou chapel- les, 10 ecoles primaires catholiques, 1.2 18 en- fants. Tabago. — Cette ile, qui compte une centaine de catholiques sur pres de 20.000 habitants, n'a pas meme de pretre residant a poste fixe ; elle forme une mission, visiteede temps en temps par un pretre \'enu du dehors. * * * En resumant tous ces chiffres, nous trouvons, pour I'archidiocese de Port-d'Espagne, en 1890: Y"^ Personnel : i archeveque, 56 missionnaires. 2° CEuvrcs : 41 paroisses, 100 eglises ou cha- pelles, 8 etablissements d'education, 7.519 eleves. <; DIOCESE DE ROSEAU. :> LE diocese de Roseau, erige en 1850, com- prend les petites Antilles, la Dominique, Antigua, Barboude, Montserrat, Saint Christo- phe, les iles anglaises de la Vierge et les trois iles danoises de Saint-Thomas, Sainte-Croix et Saint- Jean. Toutes ces iles, a I'exception des trois derniercs, appartiennent a I'Angleterre et comptent un pen plus de 1 50.000 habitants, dont le tiers, soit environ 50.000, sont catholiques. Voici, du reste, le tableau detaillc de la popu- lation : La Dominique 28.211 habitanls, 25.000 cat. Antigua et Barboude. . . j-J-j^i * 2'Coo > LE CATHOLICISME AUX INDES OCCIDENTALES, 1800-1890. 235 Montserrat 10.296 habitants, i.ooo cat. Saint-ChristO(jhe et Anguila. 29.258 > 4.000 > Nevis et Redonda . . . . 12.026 » 100 > lies anglaises de la \'ierge. 5,287 » 300 > 1 S. -Thomas 10.000 > lies danoises de la Vierge. 33.763 ', Ste-Croix. 7. coo > ( St-Jean. . 100 » Total pour les petites Antilles, 153.162 habitants, doni 50.000 catholiques. En jetant les yeux siir ce tableau, on voit du premier coup d'ctil que le.s catholique.s forment a la Dominique presque le total de la population, qu'ils sont en majorite tres faible dans les iles danoises, et que, dans toutes les autres iles, ils ne forment encore qu'une tres petite minorite ! La Dominique, ancienne colonie fran^aise, est la residence de I'cveque, qui s'est etabli dans la ville de Roseau, ou il a eleve une belle cathe- drale. L'ile de la Dominique, la mieux partagee du groupe sous ie rapport religieux, a di.x parois- ses (y compris la cathedrale), ijecoles primaires, un orphelinat. Le diocese de Roseau fut erige en 1850. Le premier titulaire fut Mgr Michel Monaghan, precedemmen.t vicaire-general dePort-d'Espagye. II resida peu, ayant ete charge, des 1852, de lad- ministration de I'archidiocese de Port-d'Espagne; apres sa mort, il fut remplace en 1856 par Mgr Vesque, qui s'appretait vaillamment a rele- ver le catholicisme dans les petites Antilles, mais qui fut arrete, an bout de deux ans, par la mort, et c'est a un missionnaire franqais, Mgr Poirier, troisieme eveque de Roseau, de la congregation des Eudistes, qu'echut la tache d'organiser le diocese ; tout etait a creer, mais le nouvel eveque etait a la hauteur de la tache, et pendant son long episcopat de vingt annees (1858- 1878), il merita I'affection de son peuple et I'estime s)'m- pathique des protestants eu.x-memes. Au jour de ses funerailles, tons les magasins furent fermes, et la cathedrale, magnifiquement restauree par ses soins, se trouva trop etroite pour contenir les autorites coloniales et la foule emue, accourue de tous les points de l'ile pour rendre, sans distinc- tion de croyances, un dernier hommage aux \ertus du venerable defunt. Apres la Dominique, ce sont les iles danoi.ses dans lesquclles le catholicisme est le plus floris- rant. Ces iles furent cedces par la France au Danemark en 1733, et Ton eut soin de stipuler, dans le traite, le libre exercice du culte catholi- que. Le gouvernement danois e.xecuta loyalemcnt la convention, et permit I'entree de ces iles aux missionnaires, a I'e.xception toutefois des Jesuites. En 1769, un pretre seculier anglais fut nomme prefet apostolique des iles danoi.ses. Les choses demeurerent en cet etat jusqu'a I'crection de I'eveche de Roseau. Malheureusement le petit nombre des missionnaires ne permit pas au catholicisme de.se maintenir sans pertes ; de leur cote, les ministres lutheiiens abuserent de leur position officielle, pour opprimer les catholiques demeurcs fideles et entrainer les autres a I'apos- tasie. Le catholicisme vegetait done dans ces iles, quand Mgr Vesque y appela les Redemp- toristes. En quelques annees, tout changea de face : a Saint-Thomas, le chiffre des catholiques s'eleva rapidement de six a dix mille. Cette ile possede aujourd'hui une belle eglise, une maison de reli- gieuses, un seminaire diocesain, un college pour les jeunes gens et des ecoles catholiques, plus im hopital ; le tout sous la direction des Redemp- toristes. Dans l'ile danoise de Sainte-Croi.x, on trouve sept mille catholiques, deux paroisses, deux eglises, une chapelle et une 6cole. Dans les autres petites iles du diocese, on rencontre generalement partout I'eglise et I'ecole. Heureuses celles qui peuvent avoir un mission- naire residant a poste fixe ! Beaucoup en sont encore privees. Voici le tableau statistique du diocese de Roseau : 1° Personnel : I eveque, 22 missionnaires. 2° Coiiununautcsreligieusesjwiinues: Redemp- toristes, 5 pretres, 2 Freres. Enfants de Marie- Immaculee, 9 pretres. Femmes : Soeurs de la Vierge Fidele, 2 maisons, 22 Soeurs. Dames de la Sainte-Union des Saints-Coeurs, 5. 3° QiHvres. ; 18 paroisses, 14 missions ; 20 Eglises, 10 chapelles, i seminaire, 50 eleves ; I college, jeunes gens, 50 eleves ; 3 ecoles supe- rieures, jeunes filles ; 23 ecoles primaires catho- liques. En tout, 3.600 enfants. . I orphelinat, 50 enfants, i hopital. VICARIAT APOSTOLIQUE; DE CURAgAO. LE vicariat apostolique de Curac^aocomprend les Antilles hollandaises, savoir : Curasao, Bonaire, Aruba, Saint-Eustate, Saba, Saint- Martin, dont une partie seulement appartient a la HoUande et le rcste a la France. La popu- lation totale des six iles est de 45.170 habitants, dont la grande majorite, 36.600, sont catholiques. Le gouvernement hollandais persecuta long- temps le catholicisme dans ses colonies, aussi bien que dans la mere-patrie. Au commencement du siecle, la situation des catholiques de Curasao n'etait done rien moins que prospere. Mais peu a peu, comme en Hollande,. les prejuges calvi- nistes de I'administration s'adoucirent ; quelques missionnaires purent, avec sa tolerance, s'intro- duire dans ces iles, oil de nombreu.x catholiques, anciens sujets del'Espagne, les appelaient depuis longtemps. En 1824, le Saint-Siege erigea les Antilles hollandaises en prefecture apostolique ; M. Neuwindt, le premier titulaire, fut eleve, en 1842, a la dignite de vicaire apostolique avec caractere episcopal. Pendant sa longuc adminis- tration (1824-1860), le pieux et zele prelat eleva 236 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"'' SIECLE. sa mission a un haut degre de prosperite. On lui doit presque toutes les CEUvres du vicariat. II avait trouve, en arrivant, quatre eglises ou chapelles ; il en laissa quinze, pourvues chacune d'un bon missionnaire, avec presbytere et maisons d'ecole. C'est pour entretenir cette situation prospere, et aussi pour obvier a la difficulte toujours renais- sante de recruter des missionnaires en nombre suffisant, que le Saint-Siege confia, en 1869, la mission de Curasao aux Dominicains de la pro- vince de HoUande. Avec la neutralite bienveil- lante de I'administration, les nouveaux ouvriers apostoliques ont travaille avec succes a deve- lopper toutes les ceuvres de la mission. Voici la statistique du vicariat. 1° Personnel : 1 vicaire apostolique, 24 mis- sionnaires, dont 18 Dominicains 2° Comiminmites religienses. Hovivies : Domi- nicains, I couvent, 18 pretres, 2 Freres; Freres de la Mere de la Misericorde (de Tilburg), 2 pretres, 22 Freres. Fevuiies : Tertiaires de Saint-Francois, 2 congregations, 1 14 Sceurs. ROSEAU (Dominique). Cathedrale de Notre-Dame du Bon-Port ; d'apr^s une photographic. 3° QLuvirs : 15 paroisses, i mission, ainsi reparties : Cura9ao, 7 paroisses ; Bonaire, 2 pa- roisses ; Aruba, 3 paroisses, i mission ; Saba, i paroisse ; Saint-Eustate, i paroisse ; Saint- Martin (partie hoUandaise), I paroisse. Soit : 16 eglises, 4 chapelles ; i college a Curacao (Freres de la Misericorde), 21 pensionnaires; i academie, jeunes filles (Tertiaires de Saint-Francois), 109 pensionnaires ; 16 ecoles primaires catholiques, 456 gargons, 2.246 filles. Au total : 18 etablis- sements d'^ducation et 2.832 eleves ; 2 orphe- linats, 53 enfants ; 2 hopitaux. VICARIAT APOSTOLIQUE DE LA JAMAIQUE. LE vicariat apostolique de la Jamaique, erige en 1836, comprenait d'abord 1 ile de ce nom, les iles Bahamas et le Honduras britan- nique. En 1850, les Bahamas furent rattachees au diocese de Charleston ; en 18S8, le Honduras anglais fut erige en prefecture apostolique dis- tincte. En sorte qu'aujourd'hui le vicariat se trouve reduit a I'ile seule de la Jamaique. LE CATHOLICISME AUX INDES OCCIDENTALES, 1800-1890. 237 Cette ile, presque toute protestante, car pen- dant deux siecles I'Angleterre y prohiba severe- ment I'exercice du culte remain, ne compte encore que 13.000 catholique.s, sur une popu- lation totale de 630.000 habitants. La mission est confiee aux PP. de la Compagnie de Jesus, et jouit desormais de la plus grande liberte reli- gieuse. En cinquante ans, le chiffre des enfants de I'Eglise romaine est monte de cinq a treize inille. II a done presque triple, et, chaque annee, de nombreuses adjurations de protestants vien- nent recompenser le travail des missionnaires. Statistique du vicariat : I" Personnel : i vicaire apostolique, 8 missionnaires, dont 6 Jesuites. Sceurs du Tiers-Ordre de Saint-Francois, 20 religieuses. 2° CEiivi-es : une seule residence a Kingstown, la capitale de I'ile ; 24 missions dans I'interieur, 1 1 ^glises ou chapelles ; 16 ecoles primaires catho- liques, 1. 352 enfants ; i ecole indus- trielle, 38 jennes filles ; plusieurs asso- ciations de charite. dence a Georgetown ; 15 missionnaires de la Compagnie de Jesus, 28 religieuses Ursulines. 2° CEiivres : 10 residences, 17 missions ; 22 eglises, 2 chapelles ; i gymnase, jeunes gens, a Georgetown, 50 eleves ; i ecole superieure, jeunes filles (Ursulines), 270 eleves ; 19 ecoles primaires catholiques : 1.300 garcons, i.ooo filles ; 2 orphe- linats : 30 garcons, 30 filles. Les Peres Jesuites font aussi des missions parmi les sauvages, encore paiens pour !a plupart, qui peuplent les forets de la Guyana anslaise. Vicariat APOSTO- LIQUE DU HONDU- RAS BRITANNIQUE. 1 CEtte prefecture, erigee en 1893 en vicariat apostolique, n'a pas encore d'histoire. Le pays, de langue espagnole, a 19.000 catholiques, sur 27.000 habitants. Plusieurs tribus sau- vages sont encore paiennes ; le centre d'apostolat de ces tribus, qui comptent environ 3.000 Indiens catholiques, est la mission de Belize. 1° Personnel : I vicaire apostoli- que, 13 missionnaires jesuites, 10 Sceurs de la Merci. 2° CEuvres : 5 residences, 48 mis- sions, 9 eglises, 92 chapelles, 2 ecoles superieures : 27 gari^ons, 50 filles ; 26 ecoles primaires catholiques : 650 gar- dens, 452 filles. Diverses associations de piete. ■'Mc;r Poirier," tviiQUE de Roseau (Dominique.) VICARIAT APOSTOLIQUE DE LA GUYANE BRITANNIQUE CE vicariat, erige en 1837, est confie comme les precedents a la Compagnie de Jesus. II compte seulement 21,000 catholiques, sur une population totale de 460.000 habitants, ainsi repartie : Guyane anglaise : 260 000 habitants, 20.500 catholiques ; ile Barbade : 200.000 habitants, 500 catholiques. 1° Personnel : i vicaire apostolique, en resi- VICARIAT APOSTOLIQUE DE LA GUYANE HOLLANDAISE. D'Abord simple prefecture, la Guyane hol- landaise fut erigee en vicariat apostolique a partir de 1852. Elle compte aujourd'hui 14.200 catholiques sur 69.000 habitants, ainsi repartis ; population d'origine europeenne, 60.000 habi- tants, 13.200 catholiques ; noirs, 8.000 habitants, 200 catholiques; sauvages, lO.ODO habitants, I.OOO catholiques. La plupart des noirs se sont laisse endoctriner par les freres Moraves, qui occupent dans le 238 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. pays une situation prepond^rante. Leur fana- tisme religieux rend leur conversion tres difficile. Les sauvages paraissent relativement mieux disposes. 1° Personnel : i vicaire apostolique et 20 mis- sionnaires, appartenant a la Congregation du Tres-Saint Redempteur, 3 scolastiques, 14 Freres. Sceurs Recollectines Penitentes de I'lm- maculee-Conception, de la congregation de Ro- senwal, i maison, 40 religieuses. 2° Qinvres : 6 residences, 80 missions ; 9 eglises, 2 chapelles ; 1 1 ecoles primaires catho- liques, 1.669 enfants ! - orphelinats : 50 gar^ons, 40 filles. PREFECTURE APOSTO- LIQUE DE LA GUYANE FRANgAISE. CE pays, decouvert par Christophe Colomb, commenca seulement a etre evangelise en 1643 par les RR. PP. Capucins de la province de France, auxquels succederent bientot les Jesuites, et, apres la ruine de la Compagnie, les Peres du St-Esprit. La Revolution francaise vint brutalement interrompre leur ceuvre, qui ne fut reprisequ'en 1816. Depuis ce temps, les Peresdu Saint-Esprit n'ont cesse de se devouer dans la mission. La Guyane etant devenue, en 1850, lieu de deportation et colonie penitentiaire, les Peres Jesuites, au nombred'une trentaine, travaillerent pendant plusieurs annees a I'ceuvre ingrate de I'evangelisation et du retour a DlF.U des formats deportes, ces sauvages de la civilisation, bien plus difficiles a atteindre et a convertir que les vrais sauvages. lis avaient obtenu de tres consolants succes dans ce ministere heroique ; mais on sait que la presence des enfants de saint Ignace sur le sol francais est consideree par I'administration comme un delit. Les Jesuites furent done remer- cies de leurs services, et ils quitterent la colonie en laissant derriere eux les corps d'un bon nom- bre de leurs freres, tombes au champ d'honneur de I'apostolat. Depuis leur depart, I'ceuvre des formats a 6te a peu pres abandonnee. Du reste, il n'y a a Cayenne que tres peu de condamnes catholiques. Depuis plusieurs annees, I'adminis- tration dirige les deportt^s europeens vers la Nouvelle-Caledonie, et n'envoie plus guere a la Guyane que des musulmans d'Algerie ou des Annamites paiens, qui supportent mieux que les deportes fran9ais les rigueurs de ce climat de feu. L'administration francaise a depense des cen- taines de millions a la Guyane, sans obtenir, de son propre aveu, aucun resultat serieux pour I'amelioration morale des condamnes et leur rentree dans la vie sociale ; seule, I'Eglise catho- lique a le secret de relever les ames et de racheter les coupables. L'echec de I'administralion etait bien facile a prevoir ; d'un cote, il parait prouve qu'il est impossible a un Europeen, surtout s'il est deja amolti par les habitudes vicieuses contractees des I'enfance, de travailler serieusement a la culture sous un climat comme celui de la Guyane ; d'un autre cote, parmi lescentainesde mariages arran- ges par l'administration entre condamnes des deux sexes, tres peu ont reussi a fonder des families. La plupart de ces tristes unions s'etei- gnent dans la sterilite et la debauche. Ouelques enfants rachitiques, qui ont apporte en naissant les dispositions vicieuses de leurs parents, voila tout le fruit recueilli, au bout dequarante ans, de ces couteux essais. On n'a pas ete plus heureiix jusqu'ici avec les noirs et les sauvages de la colonie. Une simple religieuse, depourvue de tous mojens humains, la R. Mere Javouhey, fondatrice et premiere superieure des Scaurs de Saint-Joseph de Cluny, dont Chateaubriand a ecrit : « Cette femme etait un grand homme, » a seule reussi, a force de sacrifices, a former, a Mana, un village prospere de plus de 800 noirs. Quant aux sauvages qui peuplent les forets du Hanf Maroni, de YOyapock et du Territoire contesii', ils sont demeures a peu pres inacces- sibles a Taction de l'administration francaise. De temps en temps, les Peres du Saint-Esprit vont les visiter et en baptisent un certain nombre. Mais pour obtenir un resultat serieux, il faudrait pouvoir les reunir en Reductions, avec I'eglise, I'ecole et la presence permanente du mission- naire. Helas ! les temps du Paraguay sont bien loin de nous ! La penurie de missionnaires a empeche jusqu'ici de s'etablir au milieu des sau- vages. Cela est d'autant plus regrettable que ces peuplades, formees du melange desanciens indi- genes avec les negres fugitifs, dont un bon nombre, en particulier ceux qui viennent du Bresil, sont deja Chretiens, paraissent en general bien disposees. Ces sauvages sontdouxet dociles, il serait facile de les amener en masse au chris- tianisme ; mais les ouvriers manquent. Depuis le depart des Jesuites, les Peres du Saint-Esprit, demeures seuls dans la colonie, ont assez a faire de subvenir au ministere de leurs 29.000 catho- liques. La population totale de la Guyane francaise est de 3 1. 000 habitants, dont plus des deux tiers appartiennent a la race noire. Quant aux sauvages, les appreciations les plus serieuses portent leur nombre a 200.000 1° Personnel : i prefet apostolique et 25 mis- sionnaires de la Congregation du Saint-Esprit ; Freres de I'lnstruction chretienne (Ploermel) ; ScEurs de Saint-Joseph de Cluny. 2° (Entires : 12 paroisses et 2 missions chez les sauvages, 15 egli.ses, 4 chapelles, 10 ecoles primaires catholiques, i orphelinat, i refuge pour les filles. Des hopitaux tenus par les Soeurs de Saint-Paul de Chartres sont attaches aux diffe- rents penitentiers. LE CATHOLICISME AUX INDES OCCIDENTALES, 1800-1890. 239 Faisons maintenant un peu de statistique com- paree, afin de nous rendrecompte des progresdu catholicisme dans les differentes missions. Statistic] lie comparce. Antilles trotestantes et Giiyanes. £/i /Soo : \o prelres, ? eglises ou chapelles, iig.ooo catholiques En 1S20 : I vicaire npostolique, i pr^fet, 30 pretres, ? eglises ou chapelles, 150.003 catholiques. En 1840 : 3 vicaiies apostoliques, 3 prefets, 47 preties, 42 eglises ou chapelles, 194.000 catholiques. En jSjo : 1 archeveque, i eveque, 3 vicaires aposto- liques, 2 prefets, 60 pretres, 80 eglises ou chapelles, 210.000 catholiques. En iSyo : i archeveque, i eveque, '4"'.vicaires aposto- liques, I prefet, 124 pretres, 152 eglises ou chapelles, 252.353 catholiques. En i8g6 : i archeveque, i eveque, 5 vicaires aposto- liques, I prefet, 183 preires, 256 eglises ou chapelles, 337.600 catholiques. II est facile de voir, en parcourant ce tableau, que le chiffre des catholiques a presque triple dans les Antilles protestantes au cours de ce siecle ; mais, ce qui est bien plus important pour I'avenir, c'est la multiplication du chiffre des missionnaires GUV.\NE ANGLAISE. COOVENT, iCOLES LT ORPHELIN.AT DES RELIGIEUSES L/RSULINES, A GEORGETOWN (Uemerara) Camp street ; d'apres une photographic. et Torganisation hierarchique de ces Eglises si longtemps abandonnees. Pendant la i^remiere moitie du siecle, le mal- heurdu catholicisme au.x Antilles aetelenombre absolument insuffisant d'ouvriers apostoliques. Que pouvaient vingt ou (rente pretres, perdus dans ces iles, centre des centaines de ministres appuyes de I'influence des gouvernements hcre- tiques et soutenus par d'immences ressources ? II n'est pas surprenantque le catholicisme ait perdu, de i8o3 a 1850, des milliers d'enfants dins les Indes occidentales. C'est pour remedier a ce mal que le Saint- Siege s'est decide, en 1858, a organiser hicrarchi- quement la province ecclesiastique de Port- d'Espagne. Pour assurer, d'autre part, le recrute- meiit regulier des missionnaires, il a confie ces differentes Eglises a des Congregations religieuses. La population fortmelangee de ces iles donnant jusqu'ici peu d'ouvertures pour la formation d'un clerge indigene, seules des Societes de mission- naires peuvent se charger d'assurer avec rcgu- larite le recrutement du sacerdoce. C'est done a partir de 1850 que les missions des Indes occi- dentales ont recommence serieusement a se relever. Les progres acquis dans les quarante dernieres ann^es sont un sur garant des accrois- seiTients qu'elles prendront dans I'avenir. ij::iiiiJijrjiiriii:LJiJiiii;riTrTiiTTiTTTiiiJLiiJxii3:i:iiii iiijtiiiiiiii:iiiiiii:riJ^iiiriir^iiTiixjrriiiiii:iiiiiii,T LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. r. est assez difficile de faire I'liis- toire des Missions indiennes de Amcrique du Sud. Eparpillees i-ur line immense etendue de tenitoire, au milieu de dioceses rcgulierement constitues, inde- pendantes les unes des autres, aans lien hieraixhique bien defini, ces missions ont ete abandonnees a plusieurs reprises, par suite de I'exil des missionnaires ct des persecu- tions des gouvernements magonniques qui, depuis 1820, dominent a peu pres universellement dans ces contrees. Malgre la penurie presque complete de documents, j'ai essaye de me faire une idee a peu pres exacte de ces missions, et je vais com- muniquer le rdsultat de mes recherches. Si j'ai commis quelque erreur de detail, on voudra bien m'excuser, en songeant a I'obscurite du sujet, sur lequel peu de publications existent. On peut poser en principe que, depuis le golfe du Mexique jusqu'a la pointe meridionale du continent americain, tous les Etats de I'Amerique du Sud ont leurs missions de sauvages a cote, et quelquefois dans I'intcrieur, des dioceses rcgu- lierement constitues. Mon plan sera done bien simple : Je prendrai, I'une apres I'autre, chacune des republiques du continent sud-americain, et je rechercherai ce qui a ete fait dans ce siecle pour I'evangelisation des sauvages encore paiens et pour la formation chretienne de ceux qui sent deja convertis. Mais, avant d'entrer dans le detail, il faut exposer quelques considerations generales sur I'oeuvre des Missions indiennes. On a vu, au chapitre premier, comment I'oeu- vre magnifique des Reductions du Paraguay fut violemment brisee, au milieu du dernier siecle, par les rois d'Espagne et de Portugal. Apres i'expulsion des Jesuites des colonies espagnoles et portugaises, les religieux de Saint-Francois furent charges officiellement de recueillir les debris de Icur ceuvrc. lis y employerent, sans doute, tous les efforts de leur zele ; mais, d'un cote, il n'etait pas facile de remplacer, du jour au lendemain, une organisation si parfaite ; et, de I'autre, la jalousie des gouvernements les placait dans une situation ou le bien etait a peu pres impossible a faire. Les missions des sauvages demandent, en effct, pour reussir, des conditions toutes speciales. Avant de faire des Chretiens, il faut songer a faire des hommes. Le sauvage, une fois instruit et baptise, a besoin d'etre defendu contre sa propre faiblesse, contre la cupidite des marchands qui cherchent a exploiter sa simplicitc, contre les tentationsde I'ivrognerie et les perils du com- merce avec les blancs. En un mot, sous une forme ou sous une autre, il faut, si Ton veut faire ceuvre serieuse et durable, en revenir plus ou moins au systeme des Jesuites, et grouper les Indiens en Reductions, sous la surveillance d'un missionnaire, qui est tout a la fois le pere spirituel et temporel de la tribu. C'est ce que les Franciscains firent, comme je I'ai dit, en C alifornie, ou ils etaient a peu pres les maitres ; mais, dans le reste des colonies espagnoles et portugaises, ils durent s'arreter devant I'opposition formelle des gouver- nements. Or, I'apostolat seul, depourvu de tout prestige temporel, peut faire chez les sauvages des conversions particulieres ; jamais, au moins dans I'etat actuel, il ne fera un peuple chretien La mine de I'ceuvre des Reductions fut done pour I'Amerique du Sud une veritable catas- trophe ; elle produisit un temps d'arret, et meme de recul, tres prononce, dans le developpement des missions indiennes ; elle arreta les progres de la civilisation, et c'est a cette mesure impolitique qu'on doit I'existence des nombreuses peuplades encore paiennes de I'Amerique du Sud. Les Americains en ont convenu eux-memes. En 1 8 17, quand les colonies espagnoles vou- lurent justifier leur separation de la mere-patrie, ils lui firent entendre, a ce sujet, d'amers repro- ches : « Vous nous avez arbitrairement priv^s des Jesuites, auxquels nous devious notre 6tat social, notre civilisation , toutes nos connaissances LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 241 bienfaits que nous ne pourrons jamais assez apprecier (i) )) En 1S34, la Republique Argentine rappelait les Jesuites ; en 1842, ils rentraient dans la Colombie ; en 1843, au Mexique, puis successi- vement au Bresil, a i'Kquateur, au Chili, dans la Bolivie, et reprenaient paisiblement leur ceuvre d'apostolat, interrompue depuis un siecle. II est vrai que les libres-penseurs, qui sent les maitres du pays, ne les y laisserent pas longtemps en paix. En depit des fameux principes sur I'inviolabilite du domicile et la liberie des citoyens, des decrets arbitraires les expulserent a plusieurs reprises du territoire des nouvelles republiques. Mais les enfants de Saint-Ignace sont habitues depuis longtemps a la persecution et ne se decouragent pas pour si peu. Chasses d'un pays, ils passent dans un autre, selon le precepte du divin Maitre, et, bon gre mal gre, ils finissent presque toujours par se faire accep- ter. A cette heure, ils travaillent dans la plupart des Etats de I'Amerique du Sud ; ils ont une MEXIQUE. — Cathedrale de Mexico ; d'apies un dessin envoye par le R. P. Gallen. centaine de religieux dans les republiques de Costa-Rica et de Panama; 157 au Bresil; 164 dans I'Equateur, le Maranon et le Perou ; 214 au Chili et dans le Paraguay ; ce qui donne, au total, 635 religieux de la Compagnie de Jesus dans les missions de I'Amerique du Sud (Cata- logue de 1888). — On voit que ces morts se portent encore assez bien. Moins suspects que les Jesuites, les religieux de Saint-Frangois, Franciscains Reformes et Capucins, ont des missions dans tous les Etats I. Mimoire des deputis de la Colombie au^Conseil d'Espagne, 1817. Missions Catholiques du continent sud-americain, sauf pourtant au Guatemala et dans la Nouvelle-Grenade, d'oii la rage de I'impiete les a expulses depuis une vingtaine d'annees, laissant sans pasteurs plus d'un million d'Indiens catholiques. Les Domini- cains, etablis, depuis trois siecles, au Chili et au Perou, sont rentres depuis plusieurs annees au Bresil, et ils viennent de reprendre leurs missions indiennes de I'Equateur. Les lecteurs des Missions catholiques n'ont pas oublie les pages ravissantes publiees.en 1889, sur la mission de Canelos. Sous la direction de leurs freres en religion, les reli- gieuses Dominicaines ont penetre a leur tour 242 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX""= SIECLE. dans les forets de I'Equateur, au Bresil et dans rUruguay, pour s'occuper de I'education si negligee des jeunes filles. De leur cote, les Lazaristes, assistes, eux aussi, des admirables Soeurs de Saint-Vincent de Paul, travaillent au Bresil, dans la Nouvelle-Grenade, le Guatemala, I'Equateur, la Plata, le Paraguay, le Perou et la Republique Argentine. Les reli- gieux et les religieuses du Sacre-Coeur, dits de Picpus, ont des etab'issements au Chili et tout le long de la cote du Pacifique. Enfin les enfants de Dom Bosco, les Salesiens de Turin, derniers venus dans le champ de I'apostolat, ont repris I'evangelisation des peuplades encore toutes paiennes de la Patagonie, sans parler des etablis- sements qu'ils ont deja fondes dans I'Equateur, le Chili, r Uruguay et la Republique Argentine. On voit par cette enumeration, necessairement incomplete, qu'en depit des revolutions et des expulsions, I'apostolat catholique, au cours du XIX« siecle, a reconstitue ses cadres dans les missions indiennes de I'Amerique du Sud, ou travaillent a cette heure, sans s'inquieter des obstacles, plus d'un millier d'ouvriers. Quel a ete le resultat de leurs travaux ? C'est ce que je vais maintenant exposer dans le detail. MEXIQUE. LE Mexique embrasse 1.946000 kilometres Carres, presque quatre fois la superficie de la France ; neanmoins, au recensement de 1889, il n'avait encore que 1 1.601.347 habitants, dont 20 0/0 de race europeenne, 42 0/0 de race metisse, et 38 0,0 de race indienne pure. On remarque que la race indienne pure est en decrois- sance au profit des Metis, ce qui montre la fre- quence des unions entre Europeens etindiens (i). * * * Presque tous les Indiens du Mexique sont catholiques, et catholiques fervents. Quelles qu'aient ete les iniquites, et meme, si Ton veut, les crimes de la conquete, il faut tenir compte de ce fait, si Ton veut apprecier avec equite les premiers conquistadores, Eernand Cortez, Olva- rado, Sandoval et leurs compagnons. * » * II a longtemps ete de mode, surtout parmi les philosophes du dernier siecle, de gemir sur les cruautes des Espagnols, et de blamer aveugle- ment les hommes qui, avec une poignee de soldats (2j, ont renverse le puissant empire des Atzeques. De nos jours, on commence a leur 1. A I'epoque de la conquele, il y avail 16.000.000 d'Indiens dans I'empire du Mexique. 2. Dans sa premiere expedition, Corlez n'emmenait avec lui que 600 soldats pour conquerir un empire de 16.000.000 d'habi- tants. rendre une justice tardive. Les historiens pro- testants ont ete les premiers a reconnaitre fran- chement que « I'amour de I'or ne fut, en aucune » maniere, le seul motif qui les dirigea dans leur » heroi'que entreprise. Cortez, en particulier, ne )) perdit jamais de vue la conversion des Indiens. » Un zele religieux mal entendu (n'oublions pas » que c'est un protestant qui parle) fut toujours » le premier mobile de tous ses actes (i). » D'un autre cote, pour expliquer, sans les excuser entierement, les cruautes qu'on reproche a Cortez et a ses premiers compagnons d'armes, il est bon de se rappeler quelle abominable reli- gion ils trouvaient devanteux au Mexique. Nulle part, sauf peut-etre de nos jours au Dahomey, on ne vit pareil mepris de la vie humaine. A certains jours de I'annee, vingt mille coeurs de jeunes gens et de jeunes filles etaient offerts tout saignants aux idoles, pendant que les corps mutiles des victimes roulaient du haut de la pyramide sacree au milieu d'un peuple innom- brable, trepignant de joie a ces sanglantes immo- lations. Ouelques annees avant I'arrivee des Espagnols, lors de la dedicace du temple du Soleil, en 1487, on immola, en un seul jour, jus- qu'a soixante mille victimes humaines. Selon la pensee de Joseph de Maistre, de pareils abomi- nations provoquent infailliblement la justice divine, et attirent des chatiments effroyables sur les nations qui s'en rendent coupables. Ouand Cortez penetra pour la premiere fois, a la suite de Montezuma, dans ce meme temple du Soleil, ou des cceurs humains fumaient dans des plats d'or, on comprend le sentiment d'horreur et de degout qui le poussa a faire mettre a mort ces pretres barbouilles de sang, et a renverser ce sanctuaire infernal, pour elever a la place la cathedrale actuelle de Mexico, dediee a la Mere de DiEU. C'etait la revanche de I'humanite chre- tienne sur la barbaric. Mais il ne suffisait [jas de proscrire un culte abominable, il fallait lui en substituer un meilleur. Ce n'etait plus I'oeuvre du soldat, qui frappe et qui tue, c'etait I'ceuvre de I'apotre, qui instruit et qui persuade. Cortez le comprit. Quand les premiers missionnaires Franciscains, appeles par lui, debarquerent au Mexique, voici en quels termes il les presenta aux Indiens : « Ces hommes sont envoyes de DiEU et desirent ardemment le salut de vos ames. lis ne vous demandent ni votre or, ni vos terras, car, meprisant tous les biens de ce monde, ils n'as- pirent qu'a ceux de la vie future (2). » * * * Les premiers apotres du Mexique se mon- trerent a la hauteur de ce programme. « Leur pauvrete, ecrit un historien protestant, leur temperance, la simplicite de leur vie les 1. Helps, Hist, du Mexique, t. I"^, chap, 1'='. 2. Henrion, Histoirc des Missions, tome I, chap. 36. LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800 1890. 243 recommandaient aux Indians (i). Les membres du clerge de I'Eglise romaine, ecrit plus loin le meme auteur, enseignaient en meme temps aux Indiens les choses spirituelles et temporelles. lis convertissaient, civilisaient et gouvernaient ; ils etaient tout a la fois pretres, missionnaires, maitres d'ecoles et chefs de peuples. Une part considerable de cette oeuvre ''mmense doit etre attribuee aux Dominicains et aux Francis- cains (2). » Au temoignage de I'historien Robertson, autre protestant, « le clerge catholique remain, dans les colonies Espagnoles, a constamment use de son influence pour proteger les Indiens et adou- cir la ferocite des Espagnols (i). » En ce qui regarde le Mexique, il n'y a qu'a se rappeler les noms desormais historiques du Dominicain Las-Casas, du Franciscain Ortiz, de leveque Ra.mirezet de tant de vaillants mission- naires, qui encoururent la haine de leurs compa- Derniers moments de L'EMPEREUR Maximilien. triotes en defendant les Indiens centre la rapacite des aventuriers venus d'Espagne. Quel fut definitivement le resultat de leurs travaux ? Trente ans a peine apres la conquete, I'eveque franciscain Zumarraga ecrivait, au cha- pitre general de son Ordre, tenu a Toulouse : « Deja plus d'un million d'Indiens ont ete baptises par les Franciscains seuls ; cinq cents 1. Helps, Histoire du Mexique, tome I, chap. 14. 2. Meme ouvrage, chap. 15, temples ont etedetruits ; des milliers d'idoles ont ete mises en pieces et brulees. A la place de ces temples infames dans lesquels on offrait au demon jusqu'a vingt mille coeurs humains, on voit s'elever aujourd'hui des eglises, des oratoires, dans lesquels une jeunesse fervente consacre avec reconnaissance son coeur au Tres-Haut. » Trois siecles ont passe sur la predication des premiers apotres du Mexique, et ni les boulever- sements politiques, ni les haines des Societies secretes, ni la proscription des missionnaires, ni I. Robertson, Hist. d'Ainerique, torn. IV, liv. S. 244 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. meme I'etat d'abandon et d'ignorance dans lequel la triste situation de I'Eglise mexicaine I'a forcee trop longtempsde laisser croupir les populations, n'ont pu arracher ducceur del Indien I'amour de la foi catholique. Ouand Juarez voulut, en 1S67, faire enlever les grille? d'argent qui entourent le chcEur dans I'eglise de Notre-Dame de Guada- lupe, tous les Indiens se leverent comme un seul homme pour defendre leur bien-aime sanctuaire, et le gouvernement revolutionnaire, qui n'avait pas recule devant I'assassinat juridique de I'em- pereur Maximilien, fut force de compter avec la colere du people catholique defendant ses autels. On salt que, depuis I'emancipation (1820), le Mexique a etelejouet des revolutions. II forme aujourd'hui une Republique federative compos^e de vingt-sept Etats, avec une constitution cal- quee a peu pres surcelle des Etats-Unis. Malheu- reusement la franc-maconnerie domine dans le pa)'s, comme dans la plupart des Republiques de I'Amcrique du Sud. Aussi les Mexicains ont realise servilement le programme satanique de la secte : separation de I'Eglise et de I'Etat, confis- cation des biens ecclesiastiques, proscription des religieux, laicisation de I'enseignement et de tous les services publics, Dans la nuit du 22 mai 1873, par ordre du president Lerdode Tejeda, successeur de Juarez, cinquante cavaliers, cent cinquante fantassins, assistes d'une centaine d'agents de police, cer- nerent tous les couvents de la villa de Mexico; les religieux furent conduits en prison, en attendant I'exil ; les Soeurs, meme les malades, furent, au nombre de plusieurs centaines, jetees brutalement en pleine nuit au milieu de la voie publique. Le lendemain, les dames de Mexico se presenterent chez le President, pour lui faire honte de ces proc^des vraiment sauvages. Comme elles lui objectaientla loi fondamentale de la Republique, garantissant la liberte des citoj'ens qui ne sont coupables d'aucun delit, et 1 inviolabilite du domi- cile, le miserable ne sut que balbutier en rougis- sant : i La loi, on I'applique selon les circons- tances. » Autant dire : la loi n'existe pas pour les catholiques. Un an plus tard, les Sueurs de Charite, qui avaient ete epargnees jusque-la, a cause des services incontestables qu'elles rendaient, furent proscrites a leur tour. Elles etaient quatre cent soixante, dont quatre cent dix Mexicaines ; elles elevaient de dixadouze mille orphelins, tenaient de nombreuses ecoles, soignaient les malades dans les hopitaux, et les ennemis memes de I'Eglise etaient forces derendre justice a leurdevouement. Proscrites comme dangereuses a la Republique, les Filles de S. Vincent de Paul prirent le chemin de I'exil. Des quatre cent dix Soeurs originaires du Mexique, pas une nesongea a se soustraireau decret d'expulsion, bien que les Superieurs eussent offert de les relever de leurs vceux, et que le gouvernement mexicain leur eut fait les pro- messes les plus flatteuses pour essayer de les retenir, si elles consentaient a laisser de cote leur habit religieux. * » * Depuis ce temps, I'Eglise catholique n'a guere cesse d'etre persecutee au Mexique. La pros- cription des religieux a amene la ruine d'un grand nombre d'oeuvres ; la fermeture des seminaires a longtemps tari la source du sacerdoce, et aujour- d'hui encore, le nombre des pretres est tres inferieur aux besoins de la population. Cependant, malgre tant de circonstances defavorables, le peuple mexicain est reste profondement catho- lique, surtout dans les classes inferieures de la societe, composees uniquement d'Indiens et de Metis ; c'est le temoignage que sont forces de lui rendre les ecrivains les plus hostiles. Un voyageur americain, sir Franck Edward, resume en ces termes son impression sur les Mexicains : « Le sentiment religieux qui domine encore aujourd'hui dans toutes les classes de la popu- lation est vraiment remarquable. Vous ne verrez jamais un Mexicain passer devant une eglise sans se decouvrir. Au son de la cloche, chacun s'arrete dans larueet demeure tete nue, jusqu'a ce qu'elle ait fini de tinter (i). » Un protestant allemand, M. Brantz-Mayer, parle ainsi des Indiens convertis de la province de Jalisco : « Les aborigenes de Jalisco, autrefois belli- queux a I'exces et voues a une religion sangui- naire, sont aujourd'hui presque tous adonnes a la culture des terres, et ils adherent avec ferveur a la doctrine catholique (2). » Voici enfin, pour conclure, le temoignage d'une vo}'ageuse presbj'terienne, Madame Calderon y Barca : « II n'existe pas de pays au monde ou la charite publique et privee soit pratiquee plus noblement. J'ai remarque d'ailleurs dans mes voj'ages que la charite est I'attribut distinctif des nations catholiques. Le plus grand nombre des religieux menecertainement une vie de privations et de vertu (3). » * * # J'ai tenu a donner ces temoignages, tous pro- testants, afin de constater, d'une facon indeniable, les resultats serieux du travail accompli, pendant trois cents ans, par les missionnaires, et aussi pour repondre aux sottes plaisanteries de certains voyageurs francais, qui, dans leur rapide passage a travers le Mexique, n'ont voulu voir que les defaillances et les taches, gen^ralisant les scan- dales particuliers qu'ils ont pu ddcouvrir 9a et la. L'esprit francais n'est que trop porte a critiquer tout ce qui se fait autrement qu'en France, surtout en matiere de religion. 1. Uiie campagne dans !e Nouveau-Mexique, chap. 6. 2. Mexico, 2" vol., chap. 8. 3. La vie au Ahxique, lettre 23. LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 245 Helas ! ceux qui relevent avec le plus d'amer- tume les defaillances du clerge sont bien souvent les memesqui applaudissentaux persecutions qui en sont la cause. Ou'on rende a I'Eglise du Mexique sa liberte et, avec le droit de posseder, une juste independance ; qu'on permette aux religieux de repandre autour d'eux la predication et le bon exemple ; qu'on cesse de mettre des entraves au recrutement du sacerdoce, et vous verrez bientot I'Eglise du Mexique reprendre une nouvelle vigueur et produire, comme dans le passe, des fruits de vie et de sanctification. II. — REPUBLIQUES DE L'AMERIQUE CENTRALE. JE reunis ensemble les cinq petites Repu- bliques qui sont placees acheval sur I'isthme de Panama, d'autant plus que leur histoire religieuse est a peu pres la meme. Ces cinq republiques sont : Guatemala, 1.460.0 17 habitants. Honduras, 381.93S — San-Salvador, 663.613 — 3 1 3.000 — 214.000 — Nicaragua, Costa- Rica, Total 3.032.568 — religieux, ces Republiques Au point de vue forment une seule province ecclesiastique : arche veche, Guatemala, avec un eveche suffragant dans chacun des autres Etats. La presque totalite des Indiens du pays sont catholiques, comme il est facile de s'en assurer en consultant le tableau suivant : 600.000 Indiens catholiques. 75.000 1 20.000 125.000 1 10.000 Guatemala . Honduras . San-Salvador Nicaragua . Costa-Rica . Total : 1.030.000 Indiens catholiques. Le reste de la population catholique est forme presque uniquement de Metis, qui sont enroles en majorite dans I'armee des Societes secretes ; ce qui fait que, surtout a partir de 1870, I'Eglise catholique n'a cesse d'etre persecut^e dans ces contrees. Le Guatemala, le plus considerable des cinq Etats, a donne naturellement le signal de la lutte. Tous ces pays avaient ete Evangelises, pendant trois siccles, par les religieux, en particulier les Dominicains et les Franciscains, qui la comme dans tout le reste de I'Amerique, avaient complc- tement transforme les populations. lis con- tinuaient paisiblement leur apostolat au milieu des Indiens, a cote des dioceses regulierement etablis clans les villes, lorsqu'aux mois de mai et dejuin 1872, tous les religieux qui travaillaient dans le paj's, Jesuites, Capucins, Franciscains, Dominicains, furent expulsEs a la pointe des bai'onnettes ; tous les biens des communautes maisons, terres, bibliotheques, vases sacres, furent confisques au profit des ecoles sans DiEU. On donna aux proscrits seulement une htiire pour faire leurs preparatifs de depart, et on ne leur permit d'emporter que les habits qu'ils avaient sur le corps ; plusieurs, qui residaient dans I'interieur du pays, durent faire, pieds nus et tete nue, trente et quarante lieues, sous un soleil brulant, pour rejoindre le port d'embarquement. lis etaient accompagnes d'une troupe de soldats, charges de les garder a vue, et de tirer sur le peuple, en cas de resistance. C'est ainsi qu'on entend la-bas la liberte des cultes et I'inviolabilite des citoyens. Le Pere gardien des Capucins, venerable vieillard de76ans, mourut, en arrivant a San-Francisco, des souffrances endurees au moment de I'embarquement. Apres les religieux, on s'en prit, selon I'usage, au clerge seculier : I'archeveque de Guatemala et un grand nombre de pretres furent exiles, d'autres jetes en prison. Depuis, la situation religieuse s'est un peu amelioree ; les Jesuites ont pu rentrer a Costa- Rica, les Lazaristes et les Sceurs de Saint-Vincent de Paul ont ouvert des etablissements au Guate- mala et dans la Republique de San-Salvador. Mais la situation est toujours tres precaire, et la loi qui exclut les religieu.x du territoire n'a pas ete rapportce. Au Guatemala, six cent niille Indiens catholiques sont toujours sans pasteurs. Voici comment un missionnaire Dominicain de la Californie, de passage dans le pays, decrivait en 1887 leur situation : « Le caractere des Indiens catholiques est naturellement doux et pacifique ; mais, helas ! abandonnes a eux-memes, sans pretres, sans ecoles, ils retournent peu a peu a I'idolatrie. Leurs belles eglises, baties autrefois par les missionnaires, tombent deja en mines, faute d'entretien. » Voila, prise sur le fait, I'oeuvrc de la franc- maconnerie dans I'Amerique centrale. Au nom de la civilisation et de la liberte de conscience, on arrache aux Indiens les apotres qui les ont enleves a la barbaric ; on ravit aux sauvages catholiques leurs eglises, leurs presbyteres, leurs ecoles, tous les biens consacrcs depuis des siecles au service du culte ; on supprime leurs fetes, leurs ceremonies religieuses, tout ce qui Elevait I'esprit et formait le coeur de ce peuple encore enfant. On force ainsi les nouvelles generations, demeurees sans instruction et sans culte, a retourner a la vie sauvage En meme temps qu'on s'oppose a ce que les missionnaires reviennent au milieu de leurs troupeaux, les protestants et les libres-penseurs ont toute liberte de travailler a pervertir la foi de ce peuple infortune. Les eglises tombent en mines, mais le pays secouvre de temples heretiques et de loges macjonniques, et Ton trouve deja cinq cents protestants au Guatemala. 246 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX'"^ SIECLE. Heureusement, jusqu'ici du moins, tous les efforts qu'on a faits pour pervertir la foi des Indiens sont demeures a pen pres sans resultats. Les rares apostats qui sont passes a I'h^resie, ne sont en realite pas plus protestants qu'ils n'etaient depuis longtemps catholiques ; ce sont des libres- penseurs, qui ont cru faire merveille et jouer un bon tour au catholicisme ; mais la population s'est bien gardee de les suivre. « Au Guatemala, ecrit un ministre protes- » tant (i), un juif est un peu parent du diable, » mais un protestant est encore au-dessous d'un » juif, et il est regarde comme bien plus dan- » gereux. )) Le meme auteur, froisse sans doute de I'in- succes complet de la mission protestante aupres des Indiens, s'emporte jusqua dire que le Romanisme est la plaie putrescente de I'Ame- rique centrale. « J'ai vu, ajoute-t-il, des femmes » carai'bes prosternees en adoration devant une » poupee ridiculement attifee, qui representait » I'image de la Vierge, et j'ai en vain tente de les » arracher a cette calamiteuse idolatrie. » Finalement, malgre la protection d'un gouver- nement athee, malgre les sommes considerables envo)-ees d'Angleterre, « pour arracher les Caraibes a I'idolatrie papiste, » la mission pro- testante dut etre abandonnee au bout de quel- ques annees ; la maison des ministres fut vendue et devint un asile d'alienes. Un autre voyageur protestant, moins fana- tique et plus desint^resse dans la question, en sa qualite de laique, rend meilleure justice a la religion des naturels : « Ouoique vivant, a I'ecart des blancs, les » Caraibes du Guatemala sont completement J> civilis6s. Dans chaque maison on voit une » image de la Vierge ou de quelque saint pro- » tecteur. Je fus extremcment frappe des progres » qu'ont faits clans la civilisation ces descendants » des cannibales, les plus feroces de toutes les » tribus indiennes conquises autrefois par les > Espagnols (2). » Puisse un gouvernement r^parateur permettre bientot aux apotres de reprendre leurs travaux interrompus et de revenir au milieu des troupeaux qui les appellent de tous leurs voeux ! III. — COLOMBIE ET VENEZUELA. LA population de la Colombie est de 3.200.000 habitants, sur lesquels on compte environ 350.000 Indiens catholiques et 150.000 paiens. Ces sauvages habitent au revers des Andes, dans les plaines boisees qui forment le bassin superieur de I'Amazone. 1. R. Croves, Voyage dans TAmlriqiie centrale, ch. 12. 2. Incidents d'un voyage dans fAmeriqiie centrale, par John Stephens, ch. 2. Le Venezuela, de son cote, a 2.200.OOO habi- tants, sur lesquels 325.000 Lidiens catholiques et 75.000 paiens. Mais la situation religieuse des uns et des autres est lamentable. Depuis I'emancipation, mais surtout depuis quarante ans, le Venezuela et la Colombie sont le theatre de revolutions perpe- tuelles. Les religieux de Saint-Fran9ois, qui ont autrefois converti le pays, avaient une province de Colombie et deux beaux colleges apostoliques a la Nouvelle-Grenade. lis ont ete expulses, comme tous les autres religieux. Plus d'apotres pour annoncer I'Evangile aux paiens, plus de pasteurs pour instruire et garder dans la foi les Indiens cleja convertis. Les bons pretres ont etd eloignes du paj's, et I'esprit chretien a bien diminue, sinon peri, chez un peuple autrefois tout catholique. II y a quelques annees, un Pere Jesuite, passant par la ville episcopale de Carthagene,voulut aller rendre ses devoirs a la tombe de saint P. Claver, I'apotre des negres, qui baptisa a lui seul quatre cent mille idolatres. Dans cette ville embaumee, il y a deux cents ans, des vertus heroiques et des miracles du Bienheureux, le nom de Claver ne reveillait plus aucun echo, et sa tombe etait inconnue. A I'ancienne maison des Jesuites, transformde en hopital, une chambre vide et mal- propre, qui avait longtemps servi de geole, etait i'ancienne cellule du saint; sa tombe fut retrouvee sans honneurs, dans I'^glise profanee des Jesuites, transformee en preau. L'eveque avait bien eu I'intention de faire transporter a la cathedrale le corps du Bienheureux ; puis il avait ete banni a deux reprises, et son projet n'avait pu aboutir. Quelques mois avant d'etre assassine, le catho- lique president de I'Equateur, Garcia Moreno, avait entame a son tour des negociations avec le gouvernement Colombien, afin de faire exhumer le saint corps et de le faire transporter a Quito, ou on lui aurait rendu les honneurs qui sont dus au.x reliques des saints. La encore la mort vint arreter le projet. Un pareil abandon d'une des gloires les plus pures de I'Eglise catholique en dit tong sur la situation religieuse d'un pays. Voila ou en arrive un peuple catholique, quand il s'abandonnea la direction des Societes secretes. Au lieu de proccder d'une maniere sanglante, comme aux premiers siecles, on attaque I'Eglise a coups de decrets et de lois forgees expres pour I'asservir. On commence par expulser les reli- gieux, on exile ou Ton annule les bons pretres, tous ceux qui seraient capables de parler et de faire obstacle au programme de la secte. Peu a peu le silence se fait, toutes les tetes, meme les plus hautes, se courbent sous le joug, I'esprit chretien s'eteint, faute d'aliment, et un jour, on s'apercoit avec stupeur qu'un peuple tout catholique est' devenu apostat sans presque y penser. La persecution sanglante I'eiit reveille de sa torpeur et eut fait, au moins, des martyrs ; la persecution bureaucratique, hypocrite et lache, n'a LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 247 pas meme laisse aux victimes I'honneiir de resistance, et n'a produit que des apostats. IV. — EQUATEUR. NOus voici arrives enfin a une terra sur laquelle la Revolution cosmopolite a ete vaincue, grace a I'energie et a I'inflexible droiture d'un grand chretien, Garcia Moreno, mort martyr de son devouement absolu au catholicisme ; mais, comme le repetait en expirant leheros : «si les hommes succombent, DiEU ne meurt pas. » Apres etre retombee, pendant quelques annees, sous le joug des radicaux, la Republique du Sacre-Coeur a fini par s'en delivrer, et tout fait espdrer que ses gouvernants continueront a nous donner le spectacle, trop rare, helas ! d'une Repu- blique soucieuse des droits de I'Eglise et respec- tueuse de la liberte de I'apostolat. Aux derniers recensements, I'Equateur comp- tait 1. 146.033 habitants, sur le.squels 945.000 catholiques ; ce qui donne environ 200.000 sau- vages demeures paiens. lis habitant au-dela des Cordilleres des Andes, au milieu d'une immense plaine boisee de douze mille lieues carrees, qui confine : au nord, a la Colombie, a I'ouest, au Bresil, et au sud, au Perou. La, aux bords du Napo, du Maranon et des nombreux affluents de i'Amazone, vivent, a I'ombre des grands bois, une centaine de peuplades sauvages, qui se partagent en deux groupes : Ics Jivaros, belli- queux et farouches, sur lesquels jusqu'a present I'apostolat catholique a echoue, et les Napos, plus dociles et plus doux, dont un grand nombre embrasserent, au siecle dernier, le chris- tianisme. En 1750, les Jesuites avaient deja convert! soixante-quatorze de ces peuplades et comptaient • 160.C00 Indians catholiques. Apres leur expul- sion, le gouverneur espagnol de Quito essaya de substitueraux religieuxdes pretresscculiers; mais il etait a peu prcs impossible a ces pretres, isoles at sans traditions, da s'imposar aux Indiens et de gouverner les Reductions. Des Dominicains de Quito rasterent sauls charges de I'ancienne mis- sion de Canelos, fondee par eux au XVIII"^ siecle. Puis survinrent la guerre da I'independance et las bouleversamants politjques qui, a I'Equataur comme dans les autres Etats da I'Amcrique du Sud, tarirant la source des vocations et porterent un coup mortel aux Instituts religieux. Sous la domination des radicaux, les convents furent transformesen casernes, at les religieux, forces de vivra cote a cote avec des soldats grossiers, ou disperses ^a et la, perdirent bientot I'esprit de leur saint etat. Les missions indiennes furent done completement abandonnees ; les pauvres Indiens, laisses a eux-memes, d^sarterent las Reductions pour retourner a la vie sauvage, et ils retomberent peu a peu dans les superstitions du paganisme. Les chosas demeurerent en cet etat, a I'Equa- teur, jusqu'en 1850, 6poque ou Garcia Moreno, apres avoir triomphe des radicaux qui desolaient depuis trente ans le pays, fut porte au pouvoir. Son premier soin fut da randre a I'Eglise sa liberte, en concluant avec Rome un concordat vraiment liberal at catholique ; puis il rappela les Jesuites et s'appliqua, d'accord avec le delegat aposto- lique envoye par Pie IX, a la reforme des autres Ordres religieux. Des 1862, les Jesuites repri- rent les missions du Napo, et un vicaire aposto- lique fut nomme pour diriger le travail des mis- sionnaires. Les Indiens, habitues depuis pres d'un siecle a I'independance et livres a tous les vices de la vie Garcia Moreno. sauvage, accueillirent d'abord avec defiance leurs nouveaux apotres. Ceu.x-ci trouvaient des I'abord devant eux trois grands obstacles : la corruption des moeurs, I'ivrognerie et le commerce avec les blancs. Ce dernier obstacle etait le plus fort. Les trafiquants de I'Equateur abusaient indignement de la simplicite et de la faiblesse des sauvages pour les ran9onner. Chaque annee, pendant la belle saison, on les voyait s'abattre, comma autant d'oiseaux de proia, au milieu des forets habitees par les Indiens. Arrives dans un village, ils commengaient ]:)ar appeler la Cacique et lui demander le nombre des habitants. Sur sa reponsa, ils deballaient leurs marchandises et les distribuaient a leur gre, sans s'inquietar de la volonte des sauvages, fixant en mema tamps la quantity de poudre d'or qu'on devait leur livrer en echange. Inutile de protester et de refuser les objets dont on n'avait pas besoin. II fallait s'executer et payer cette carta forc^a, 248 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX-n^ SIECLE. ce qui reduisait les Indiens a une misere ex- treme. Pour ega}'er un peu les victimes de leur avarice, les marchands les enivraient, et leur vendaient meme de petites machines a distiller, afin qu'ils pussent faire eux-memes leur eau-de-vie, et s'enivrer dans le cours de I'annee. Grace a ces relations avec les biancs, la corruption des moeurs et I'ivrognerie etaient extremes parmi les sauvages. Les missionnaires comprirent bientot qu'il n'y avait rien a faire avec ces malheureux perdus de vices, si Ton ne commencait par couper le mal a la racine, en reglementant severement le commerce avec les biancs. Sur leur rapport, Garcia Moreno rendit, en 1870, le d^cret suivant qui fit bondir tons les liberaux de I'Equateur : « Considerant qu'il est impossible d'organiser un gou- vernement civil parmi des peuplades encore sauvages, considerant d'autre part que, sans une autorite quel- conque, la vie sociale est impossible, nous d^leguons aux Peres missionnaires une portion de notre autorite sur les Indiens. lis elabliront un Cacique dans chaque centre de population et I'investiront du droit de maintenir I'ordre et d'administrer la justice. Les missionnaires pourront im- poser des peines legeres pour les delits ordinaires, bannir du territoire de la mission les perturbateurs incorrigibles et envoyer h Quito les homicides, pour y etre juges. Dans cbaque centre, on ouvrira, auxfrais du gouvernement, une dcole qui sera obligatoire pour tous les enfants au-dessous de douze ans. La vente forcee ou h credit est rigoureuse- ment prohibee, sous peine de confiscation des marchan- dises et de I'mterdiction du territoire indien. > Enfin le decret promettait aide et protection aux missionnaires. Cette dernicre clause n'etait pas s'jperflue, comme on va voir. Au fond, Garcia Moreno, eclaire par son sens Chretien, en revenait purement et simplement an systeme des Reductions ; ce qu'il faudra toujours faire au ddbut des missions indiennes, si Ton veut obtenir des resultats durables ; mais rien de plus oppose aux idees modernes sur la seculari- sation du pouvoir, la grande conquete de 1789. On coinprend I'exasperation des trafiquants, gen(Js dans leur honnete commerce, et les calomnies qu'ils vomirent contre les Peres Jesuites, transfonnes en oppres.seurs des Indiens. En 1874, un parti de revolutionnaires, s'enfuyant au Perou, traverserent le Napo ; ils se ruerent sur la maison des missionnaires, qu'ils appelaient les coinplices du tyran, les enchainerent apres les avoir accables de mauvais traitements, pille- rent la chapelle, volerent les vases sacres et forcerent les religieux a les suivre au Perou. Ouelques annees plus tard, les sauvages eux- memes, egares par les calomnies des inarchands, mirent le feu a la mission. Mais Garcia Moreno ne se laissait pas facilement decourager. II envoya une compagnie de soldats pour retablir I'ordre dans la foret. A partir de ce moment, les travaux des mis- sionnaires commencerent a porter leurs fruits : une vingtaine de Reductions se formerent, com- prenant environ lo.OOO Indiens revenus aux pratiques du christianisme ; partout s'eleverent d'humbles chapelles, des ecoles furent ouvertes pour I'instruction des jeunes Indiens, et I'ceuvre parut un moment si avancee que, lorsqu'il fut frapp^ par le fer des assassins, le President son- geait a demander au Saint-Siege rerection d'un second vicariat apostolique ; lui-meme se pro- mettait de descendre dans ces regions inconnues pour apprecier par ses yeux les besoins spirituels et temporels des populations sauvages. Helas! avec le heros catholique s'evanouirent en partie les esperances de I'apostolat ; les trafiquants rentrerent au Napo, chasserent les Jesuites, dis- perserent les Reductions, et detruisirent en quel- ques mois le travail de douze annees. Ouelques religieux isoles parvinrent a se maintenir au milieu des tribus errantes, mais depourvus de tous moyens pour ameliorer le sort des Indiens et les arracher a la rapacite des biancs, leurs exploiteurs et leurs corrupteurs. Dans ces dernieres annees, les conservateurs etant revenus au pouvoir, les Jesuites ont pu reprendre avec plus de succes leurs missions du Napo et le vicariat apostolique a ete retabli. De leur cote les Dominicains de Quito ont recom- mence, au prix de bien des souffrances, leur ancienne mission de Canelos, parmi les Jivaros, Ces tribus, a I'exception des Indiens de Canelos, sont demeurees inaccessibles a tous les efforts de I'apostolat. Belliqueux et cruels, vivant uni- quement de pillage, ces barbares semblent n'avoir aucune idee religieuse ; ce sont, dans la force du terme, les libres-penseurs de la foret. La tribu de Canelos, convertie par les Doininl- cains deptiis deux siecles, scrt de barriere entre ces feroces sauvages et les tribus beaucoup plus paisibles des Napos. Puisse la nouvelle prefecture apostolique, erigee dernierement sur le territoire des Jivaros, amener peu a peu ces barbares, d'ail- leurs intelligents, a la civilisation et au chris- tianisme! Les missions indiennes de I'Equateur comp- tent actuellement environ 12.000 neophytes, 10.000 Indiens-Napos, sous la direction des Jesuites, et 200 Jivaros (Canelos), sous celle des Dominicains. Aux dernieres nouvelles, 1897, la Republique de I'Equateur est retombee aux mains des radicaux, qui y exercent leurs exploits ordinai- res : expulsion en masse des religieux, pillage des biens d'eglise, vols, assasinats ! Usqueqito, Doinine, nsqjiequo ! Y. BREST L. IE Bresil, qui couvre une etendue de pays ^ presque egale a toute I'Europe (8.237.218 kilometres carres), n'a pourtant que 14.002.355 habitants, sur lesquels 860.000 Indiens convertis et 1.200.000 sauvages demeures paien.s. Sous le rapport religieux, le 13resil forme une LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800 1890. 249 province ecclesiastique : archeveche, Bahia, avec onze suffragants. La population catholique totale est de io.8oo.ooo ames. Les douze dioceses du Bresil n'ont, a eux tous, que quinze cents parois- ses, dont quelques-unes d'un etendue absolument disproportionnee. Ainsi dans le diocese de Cuyaba, province de Matto-Grosso, il n'y a que vingt paroisses et vingt-six pretres, pour un pays qui couvre 1.379.654 kilometres carres, trois fois I'eteiidue de la France. Le diocese de Para, le plus vaste pro- bablement du monde catholique, embrasse la province de Para et celle de I'Amazone ; au total, 3.046.752 kilometres carres, le tiers de I'Europe. Pour desservir les 280.000 catholiques et les 600.000 sauvages paiens, disperses sur cet immense territoire, I'eveque de Para n'a que 80 pretres seculiers et 15 missionnaires I Cette penurie effray- ante de pretres explique ce que je vais dire de la situation religieuse du Bresil. Comme dans presque tous les pays de langue portugaise, la si- tuation religieuse au Bresil laisse beaucoup a desirer. La faute n'en est pas a I'Eglise, mais aux gouver- nements francs-magonSjheritiers des traditions de Pombal. Depuis un siecle et demi, le pouvoir civil, au Br6sil, a tout fait pour corrompre le clerge en I'asservissant ; il faut bien reconnaitre qu'il n'a que trop reussi, sauf d'honorables exceptions, et les eveques ont les mains liees pour reformer les abus. On se rappelle ce qui arriva quand les eveques d'Olinda et de Para voulurent , il y a une vingtaine d'annees, interdire aux francs-ma- sons de se meler de I'administration des confreries paroissiales. Traduits devant une pretendue cour de jus- tice, composee de libres-penseurs, les deux confesseurs de la foi furent condamnes, de ce chef, a cinq ans de travau.x forces. II est vrai que I'em- pereur don Pedro, qui n'avait pas eu le courage de soutenir les deu.x prclats, eut au moins I'humanite de commuer leur peine en cinq ans de forteresse, et qu'au bout de quelques mois il leur fit grace en- tiere ; mais le jeune et vaillant eveque d'Olinda, Mgr Vital d'Oliveira, etait frappe a mort : em- poisonne par i'ordre des Loges, il vint mourir en France, et tous les eveques du Bresil purent entrevoir le .^ort qui attendait ceux des premiers pasteurs qui voudraient faire leur devoir d'evcque. Tels pretres, tels troupeau.x. La grande masse de la population bresilienne a conserve des habi- tudes religieuses ; mais, faute d'instruction, I'igno- rance et la superstition ont remplace la foi, et la vie chretienne fait presque completement defaut. Dans les grandes villes, en communication reguliere avec I'Europe, le nombre Ae^Apositivistes va en augmentant de jour en jour, ct Ton compte les jeunes gens qui ont fait leur premiere com- munion. II y a quelques annees, un journal de EQUATEUR (Amerique du Sud). ■ CouvENT DES DOMINICAINS A QuiTO ; d'apr&s une photographic. Bahia publiait des articles furibonds contre les Jesuites, et les accusait d'attenter a la liberte de conscience des citoyens, en enseignant que J^SUS-Christ est le Messie, alors que le vrai et seul Messie est Auguste Comte, le fondateur en France du positivisuie. Voila 011 en est arrive un pays autrefois tout catholique ! Comme tous les meridionaux, les Brcsiliens sont passionnes pour les ceremonies religieuses : I'eclat du culte, les chants, les illuminations, tout 250 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. ce qui frappe les sens. C'est une religion tout exterieure, qui n'atteint pas jusqu'aux profon- deurs de I'ame, ct qui n'a qu'une action fort mediocre sur I'esprit at sur le ccEur. C'est ce qui explique ce fait presque incroyable d'une nation toute catholique se laissant dominer sans resis- tance par les Societes secretes. Au Bresil, le franc-magon se garde bien, comme il le fait chez nous, de s'eloigner de I'^glise ; tout au contraire il pretend y dominer et y faire la loi : il preside les confreries, fait celebrer des messes, organise des processions. C'est precisement a ce sujet que la lutte eclata avec les eveques d'Olinda et de Para. Dans un pays eclaire, de pareilles pretentions seraient bien vite ecrasees sous le ridicule ; mais dans un pays comme le Bresil, il en est tout autrement. Comme la question dogmatique ne preoccupe guere les esprits, comme la plupart des Bresiliens ignorent les condamnations du Souverain Pontife, et que les autres les mepri- sent, vous entendez de tres honnetes gens repe- ter que la franc-maconnerie bresilienne est une ceuvre de philanthropie, que I'Eglise a grand tort de condamner. * * * Je suis heureux de signaler un certain mou- vement de reaction religieuse, qui date de vingt a Irente ans. Prenant le mal a sa source, la formation defectueuse du clerg6, les Eveques ont confie aux fils de saint Vincent de Paul la direc- tion de plusieurs seminaires, d'ou sortiront desor- mais des pretres instruits et pieux. Malheureuse- ment le nombre des ouvriers qui se presentent pour travailler a la vigne du Seigneur est encore jjien petit, puisque le seminaire de Rio, le plus important du Bresil, ne comptait encore, il y a quelques annees, que dix-liuit eleves. De concert avec les eveques, les Lazaristes ont organise des retraites pastorales, qui exercent, chaque annee, une heureuse influence sur I'esprit du clerge. Enfin ils ont ouvert plusieurs colleges, pour la formation chretienne des jeunes gens du monde. Colleges et seminaires remedieront au grand mal de I'Eglise du Bresil, qui est I'ignorance. II est done permis desormais de concevoir quelques esperances pour la reforme du clerge et la renais- sance de la religion dans ce pays. Les pretres de la Mission ne sent pas seule- ment professeurs au Bresil ; dans un paj's oii les pretres, et surtout les pretres zeles, font defaut, ils ont du se faire missionnaires pour evangeliser ces populations abandonnees. Souvent ils voya- gent vingt ou trente jours a cheval, au milieu de dangers et de privations de toutes sortes, afin d'aller, pendant quelques semaines, offrir les secours de leur ministere a des populations qui sont quelquefois des annees entieres avant de recevoir la visite du pretre. Aid6s des Soeurs de Saint-Vincent de Paul, qui s'occupent de I'assis- tance des pauvres, de la tenue deshopitaux et de I'instruction des jeunes filles, chose absolument nouvelle au Bresil, ils font connaitre et respecter partout le nom de la France, trop souvent com- promis par les rares nationaux que nous envoyons a I'etranger. « Vous vous croyez le premier peuple du monde, disait un jour un Bresilien a un voyageur fran^ais, parce que vous nous fournissez quelques cuisiniers qui savent preparer une sauce, et Ton se moque, avec raison, de votre fatuite. Heureusement que vous avez vos admirables mis- sionnaires, pour relever le prestige de votre patrie et faire aimer la France (i). » * * # Quant aux missions des sauvages, ruinees en grande partie a la fin du dernier siecle, a la suite de I'expulsion des Jesuites, abandonnees completement pendant la premiere moitie du XlX^ siecle, elles n'ont ete reprises que depuis i860. II ne reste plus guere a evangeliser que les tribus sauvages de I'interieur, car la plupart des Indiens qui habitent le long des cotes de I'Ocean ont ete convertis depuis longtemps par les pre- miers apotres du pays, les Anchieta, les Nobrega, les Vie}'ra, qui, en moinsde cinquante ans, civili- serent, au prix de nombreux martyrs, ces feroces sauvages, adonnes a I'anthropophagie et a tons les vices. Les premiers missionnaires de la Compagnie de Jesus aborderent au Bresil en 1 549. « Des 1600, ecrit Southey, sur une etendue » de plus de deux mille milles (environ 660 » lieues), toutes les peuplades de la cote du Jt Bresil, aussi loin que s'etendaient les etablisse- » ments portugais, etaient reuniesen Reductions » prosperes, sous la direction des Jesuites (2). » Au temoignage de Rankes, historien protes- tant, on comptait dans I'Amerique du Sud, au commencement du XVir siecle : cinq archeveches, vingt-sept eveches, qnatre cents monasteres, un nombre incalculable de paroisses, et des millions d'Indiens convertis. Le spectacle de cet accrois- sement prodigieux du catholicisme suggerait a Macaulay, autre historien protestant, cette re- flexion : , « Les acquisitions de I'Eglise romaine dans le » Nouveau-Monde ont compense, etau-dela, ce » que le protestantisme lui a fait perdre dans » I'ancien (3). » Quomodo obscnratits est aiiri color optinnis ? Comment I'or a-t-il perdu son eclat ? Comment I'Eglise du Bresil, qui brillait d'une si vive splen- deur au bout do cinquante ans d'apostolat, est- elle tombee dans le marasme et I'obscurite ? Comment ces religieux, qui avaient si vaillam- ment travaille pour reculer les frontieres du royaume de JliSUS-CHRIST, ont-ils laisse leur 1. Du Parmont, Un voyage au Brhil. Revue du Monde catho- lique, aoiit 1SS5. 2. Southey, North. American Review, juin 1S58. 3. Macaulay, Essais sur tliistoire. LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 251 conquete inachevee ? Demandez-le a Pombal et aux gouvernements maconniques, heritiers de ses detestables traditions. Apres avoir chasse les Jesuites, qu'ils desesperaient de seduire, ils se sont empares de la direction des monasteres, et ont impose aux religieux des reglements et des superieurs de leur choix ; sous pretexte de refor- mer les abus, ils ont enchaine I'Eglise ; ils ont fait pis encore, autant qu'il dependait d'eux, ils I'ont corrompue ; ils se sont ingeres dans la for- mation du clerge et I'administration des semi- naires, ils ont lie les mains aux eveques, ils ont empeche ou gene, autant que possible, les com- munications avec Rome, en un mot, ils ont faitde I'Eglise du CHRIST une servante, et maintenant, ils prennent des airs austeres pour lui reprocher sa degradation. Hypocrites ! cette degradation, que vous exagerez d'ailleurs, qui I'a faite, si ce n'est vous ? Mais le travail des anciens missionnaires n'a pas ete completement perdu. Apres un slecle d'abandon des missions Indiennes, un protestant amcricain, sir Thomas Ewhanck, nous apprend qu'en 1S56, il y avait encore au Bresil huit cent mille Indiens qui adoraient le nom de Jl!:sus (i). Prives, pendant bien des annees, d'instruction et de pasteurs, scandalises trop souvent par des hommes qui n'ont plus guere de chretien que le nom, ils ont conserve la foi, au milieu des plus rudes epreuves, et tous les efforts des Societcs protestantes pour les seduire sontdemcures infruc- tueux. « Plus je vols ce peuple, ecrit notre auteur, ^ plus le succes de la propagande protestante me » parait eloigne. La nation bresilienne, bonne, » douce, hospitaliere, intelligente et amie du » progres,evite le missionnaire protestant comme » un etre suspect ; elle eprouve generalement » pour lui un sentiment voisin du mepris. A Rio, » la chapelle anglicane, ouverte en 18 10, ne rece- » vait pas, en 1856, un seul indigene converti. » Les moines lui ont enleve ses quelques pro- » selytes (2). » Le R. Walsh, qui fut pendant quelque temps recteur de cet oratoire abandonne, avoue fran- chement qu'il a trouve, dans le peuple bresilien, « une profonde impression de pietc raisonnee, et » un attachement invincible a sa religion (3). )) Le meme auteur, parlant du clerge bresilien, lui rend ce temoignage que je suis heureux de mettre sous les yeux du lecteur : « Je ne puis accorder que le clerge du Bresil » merite les reproches qu'on lui adresse ordinai- » rement. D'apres tout ce que j'ai vu et cntendu, » les pretres du pays sont, generalement parlant, » temperants, observateurs des lois de leur Eglise, » assidus aupres des malades et aussi chari- 1. La vie au Bresil, ch. 28. 2. La vie au Bresil, chap. 20. 3. Notes sur le Bn'sii, i vol. » tables que leurs moyens, tres Umites, le per- » mettent (i). » Pourquoi serions-nous plus sdveres pour nos freres que ne le sont les ennemis de notre foi ? De ce temoignage desinteresse d'un honnete homme, il est permis de conclure que, s'il y a des abus parmi le clerge du Bresil, et les plaintes des eveques ne permettent pas d'en douter, on a neanmoins singulierement exagere ces abus. Gardons-nous de generaliser des exceptions, et de croire que la corruption est aussi commune que des voyageurs, enclinsa critiquer la sainte Eglise, ont bien voulu le dire. Pour ma part, j'ai reconnu loyalement tout ce qui m'a paru digne de blame. Pourquoi refuserait-on d'ecouter maintenant un temoin a decharge ? * * * En dehors des Indiens deja convertis, il y a encore 1.200.000 sauvages demeur^s pa'i'ens dans I'interieur du pays. Ces Indiens, qui comptent pres de trois cents tribus distinctes, se partagent entre deux grandes races : les Tiipinambas, au nord, et les Guaranis, au sud. Les Guaranis ont deja ete evangelises en partie, mais la grande majority des Tupinambas sont encore pai'ens. Depuis i860, le gouvernement bresilien a com- mence a se preoccuper de leur evangelisation : comme les liberaux du pays ne veulent a aucun prix entendre parler des Jdsuites, ces missions ont et^ confiees aux Franciscains de la stricte observance et aux Capucins. Malheureusement jusqu'ici le nombre des missionnaires a toujours ete tres inferieur aux besoins spirituels des tri- bus a convertir, ce qui a retarde les progres de I'apostolat. Les RR. PP. Franciscains sont charges spe- cialement des missions Indiennes de la province de I'Amazone (diocese de Para), dans la partie septentrionale du Bresil. La mission franciscaine forme une prefecture apostolique, avec un prefet et neuf missionnaires. Ils ontactuellement quinze villages en formation, avec environ 7.000 Indiens catholiques sur une population totale de 600.000 sauvages, eparpilles sur un territoire de 1.900.000 kilometres carres, presque quatre fois I'etendue de la France. Les RR. PP. Capucins ont trois prefectures apostoliques au Bresil : Rio-de-Janeiro, 26 reli- gieux, Bahia, 15 religieux, et Pernambouc, 6 religieu.x ; total 47 religieu.x Capucins, charges d'evangeliser environ 500.000 sauvages, sur les- quels on com[)te actuellement 28.350 neophytes. II y a, dans les missions des Capucins, 29 eglises ou chapel les et 26 ecoles. Les missions des Capucins au Bresil ressem- blent beaucoup a celles des Franciscains ; mais leurs neophytes, plus rapproches des cotes et de la vie civilisee, paraissent en general plus dociles et mieux disposes a recevoir I'Evangile. Voici, I. Meme ouvrage. 252 LES MISSIONS CATHOHQUES AU XIX"i<^ SIECLE. pour donner une idee de ces missions, le recit d'une tournee apostolique, qui eut lieu en 1881 : i Apres dix mois d'absence, je suis rentre a Saint-Louis (i) en bonne sante. J'ai parcouru pres de qiiatre cents lieues, tantot dans des forets inextricables, tantot dans des plaines decouvertes, expos^ aux rayons d'un soleil brulant ou a des pluies torrentielles.traversant a cheval les rivieres, dormant a la belle etoile, parfois reduit a boire de I'eau fangeuse et a manger un peu de viande dessechee. Chaque mission durait environ quinze jours. Voici quel a et6 le r6sultat de ces dix mois de courses apostoliques : 9 grandes missions, 4.000 communions, 638 baptemes, 309 mariages, 20 extremes-onctions, benediction de sept cime- tieres, plantation de onzc croix gigantesques. Des deputations venues de loin m'ont demande plu- sieurs fois d'aller precher des missions chez eux ; le manque de temps ne m'a pas permis d'acceder a leur d6sir. » Rien de plus consolant que ces missions dans ces forets, loin des villages. Je faisais abattre les arbres sur une vaste ctendue. On elevait et on couvrait de feuilles de palmiers un hangar capable de contenir trois mille personnnes. A cote on construisait une cabane, puis chacun batissait la sienne. En une semaine, on improvisait ainsi une ville de plusieurs milliers d'ames, que je dirigeais avec le concours de plusieurs zelateurs. A quatre heures du matin, je faisais chanter I'office de la Sainte Vierge, que beaucoup d'Indiens saventen portugais ; puis je celebrais la messe. Apres les instructions et le catechisme j'entendais les con- fessions. Le silence n'etait interrompu que par le chant des cantiques. La predication finissait toujours par des larmes et des sanglots, des pecheurs scandaleu.xdemandaient publiquement pardon. Impossible de decrire I'emotion de la derniere allocution, apres laquelle je benissais et congediais le peuple. Des le lendemain, tons venaient, en pleurant et tenant en main leur croix de mission, implorer ma benediction et me dire adieu. » Les exercices spirituels dans les villages m'ont apporte beaucoup moins de consolation. Grace a la presence des blancs, la plupart des Indiens de cette categoriesontdepourvusde tout sens moral, et les mauvais empechent les bons de pratiquer la religion (2). » On comprend les difficultes que presente I'apostolat dans de pareilles conditions. Qu'est-ce qu'une dizaine de missionnaires, recevant quel- ques maigres subsides du gouvernement, pour une CEuvre qui demanderait des centaines d'apotres ? Oil trouver de quoi fonder des villages chretiens, batir des chapelles, ouvrir des ecoles sur une si vaste etendue de territoire? II y faudrait des mil- lions, que I'Etat seul est en mesure de fournir ; mais les preoccupations des gouvernements mo- 1. Capitale de la province de Maranhao. 2. Lettre du Fire Antonio de Jxeschio, Capucin (Missions calholiques.) dernes sont ailleurs. Du reste,^ces sauvages res- semblent beaucoup a ceux de rEquateur,au.xqueIs ils confluent. lis ont toujours refuse de recon- naitre I'autorite du gouvernement bresilien, et se laissent difficilement aborder par les mission- naires. Perdus a I'ombre des grands bois, separes les uns des autres par les nombreux affluents de I'Amazone, qui couvrent le pays comme d'un reseau, ces Indiens sont restes jusqu'ici a peu pres inaccessibles a Taction de la civilisation. Ouand le missionnaire a pu reussir, au pri.x de mille difficultes, a penetrer au milieu d'une de ces tribus,il commence par reunir quelques Indiens mieux disposes, pour former une Aldea ou village Chretien. On eleve des cabanes, on plante, on defriche un coin de I'immense foret ; bientot de nouveaux venus, attires par les bienfaits d'une civilisation relative, viennent se joindre au.K premiers. Au bout d'une dizaine d'annees, si les defrichements ont reussi, si les sauvages pai'ens ne se sont pas jetes sur la nouvelle chretiente, si la terrible flevre des bois n'a pas emporte le mis- sionnaire et disperse son petit troupeau, la nouvelle Reduction pent etre considerce comme fondee, et I'apotre, s'arrachant aux larmes de ses neophytes, s'enfonce plus avant dans la foret, pour recommenrer ailleurs la meme ceuvre. Telle est la rude vie que menent actuellement les reli- gieux franciscains charges des missions indiennes du Haut-Amazone. Pour leur venir un peu en aide, Mgr I'eveque de Para, dont le vaste diocese embrasse les deux provinces de Para et de I'Amazone, a eu, il y a quelques annees, I'heureuse idee d'installer un navire, appele le Cfiristopkore, pour servir a I'evangelisation des tribus indiennes repandues sur les bords de I'Amazone et de ses centaines d'affluents, depuis Para jusqu'aux frontieres de la Colombie, de I'Equateur et du Perou. C'est comme une eglise ambulante, qui se transporte avec ses missionnaires au plusepais des forets. De leur cote, les RR. PP. Dominicains ont repris, depuis une dizaine d'annees, leurs an- ciennes missions du Bresil. lis ont actuellement trois residences dans la province de Goyaz : Goyaz, Uberaba et Porto-Imperiale, d'ou ils envoient des missionnaires evangeliser les sau- vages des environs. Des religieuses du meme Ordre sont etablies a Uberaba et a Goyaz, ou elles ont ouvert des pensionnats florissants. Des leur arrivee au Bresil, les enfants de Saint-Domi- nique ont su conquerir les S}'mpathies des popu- lations. Esperons que les resultats de leur apos- tolat repondront aux promesses du debut. Quant au.x RR. PP. Jesuites, avec ou sans les sympathies du gouvernement bresilien, ils ont repris courageusement leurs oeuvres, tant de fois interrompues par la mechancete des hommes. lis sont actuellement 157 religieux de la Com- pagnie de Jesus : 97 dans le Bresil septentrional et 60 dans les provinces meridionales (catalogue de 1888). II y a quelques annees, ils avaient, LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 18001890. 253 a religion etait florissante dans la viUe de Pernambouc, un de ces magni- fiques etablissements d'education qui attirent les enfants des meilleures families, meme de celles qui font profession de ban- les Jesuites. Les liberaux du Bresil n'ont pu supporter une parcille insulte a la civilisation. Avec la complicite des autorites locales, ils se sont rues sur le college, at ont jete a la rue les meubles, les livres, les papiers des Reverends Peres, et les ont forces ainsi a fermer leur maison. Ce sont la, comme on sait, les exploits ordinaires de nos grands proneurs de liberte. Malgre cela, au Bresil comme partout, les Jesuites font le plus grand bien, et leurs ennemis savent a merveille qu'aucune ini- quite ne dccouragera leur patience. En dehors de ces cinq Instituts religieux, les Franciscains, les Capucins, les Dominicains, les Lazaristes et les Jesuites, on trouve encore au Bresil quelques missionnaires isoles, qui travail- lent directement sous I'autorite de Nos Seigneurs les eveques. Un de ces missionnaires, I'abbe Guidez, de retour en France, apres plusieurs annees d'apostolat, a publie dans un journal catholique \Le Monde, n° du 30 juillet 1864) ses impressions sur la situation religieuse du Bresil. N'oublions pas que cette situation s'est beaucoup amelioree depuis, comme je I'ai dit. « II y a cent ans » dans toute I'Amerique meridionale, depuis le » fleuve des Amazones jusqu'au Rio de la Plata. » Dans les villes du littoral, les eglises, couvents » et autres etablissements religieux etaient aussi » riches, aussi nombreux, aussi frequentes qu'en » aucun lieu du monde. A I'intcrieur, surtout » dans les grandes provinces de Bahia' et de )> Pernambouc, la foi avait jete de si profondes » racines que, meme apres un siecle d'abandon, )) quelques peuplades sont mieux instruites % encore et plus morales que certaines contrees » de I'Europe. Mais les fureurs du philosophisme » et du jansenisme vinrent se ruer sur les mis- » sionnaires qui avaient cree cette ceuvre et » seuls etaient capables de la maintenir. L'ex- » pulsion des Jesuites de toutes les possessions » espagnoles et portugaises fut peut-etre le crime » le plus affreux que le monde ait vu depuis la » mort du Christ. Les consequences en ont ete » terribles ; ce n'est jamais impunement que les » hommes detruisent une des plus belles oeuvres » de DiEU. )) Aujourd'hui au Bresil, dans toutes les villes » du littoral, regne une profonde ignorance reli- » gieuse, et par suite une immoralite deplorable. » Le cierge, sauf quelques exceptions trop rares, » est notoirement scandaleux. II en est de meme )> des Ordres religieux qui subsistent ericore » dans les villes. Bien des fois les .Souverains » Pontifes, les nonces, les eveques ont tente de » remedier au mal ; mais leur action a ete entravee » par les habitudes tyranniques que le josephisme » et le pombalisme inspirent encore au gouver- » nement. » Quel serait I'unique remede a tant de maux ? Un seul, la liberte de I'Eglise. Quelques eve- ques luttent de toutes leurs forces pour I'obte- nir, mais en vain. Le gouvernement actuel est aveugle ; il croit que le commerce et quelques troncons de chemins de fer font la prosperite du royaume ; mais tout homme eclaire voit que cet empire si jeune tombe deja en decadence ; tout y croule, malgre les fausses apparences de prosperite materielle. » Si, dans les villes, il y a peu de religion pratique, surtout parmi les hautes classes, dans i'interieur la foi est encore vive, et les popu- lations ne demanderaient pas mieux qued'avoir des missionnaires. Quand un d'entre eux tra- verse le pays, il est bien accueilli et obtient de consolants resultats . Malheureusement les hommes font defaut ; aussi les missions indien- nes sont entierement abandonnees, ou laissees Don Pedro. » au zele de quelque pretre europeen isole et sans » secours (i). » Cette appreciation, peut-etre un peu pessimiste, mais profondement loyale d'un ancien mission- naire au Bresil, nous depeint la situation religieuse tell J qu'elle etait il y a trente ans. II est facile de voir, par ce que j'ai dit plus haut, qu'elle s'est grandement amelioree depuis. Les eveques ont repris courage pour travailler a la reforme du cierge ; au contact des religieux venus d'Europe, les anciens Ordres ont secoue leur torpeur, et sont redescendus dans le champ clos de Fapos- tolat ; les missions indiennes, demeurees si long- temps a I'abandon, ont ete reprises et comptent aujourd'hui une centaine d'apotres, qui forment a la vie chretienne 60.000 neophytes, sans parler des 800.000 Indiens convertis depuis trois siecles et demeures fideles, en depit de I'abandon dans lequel on les a si longtemps laissfe : ce sont la I. Extrait d'une lettre sur I'etat acluel de I'Amerique meridio- nale, par M. I'abbe Guidez, missionnaire apostolique (juillet 1864.) 254 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. des symptdmes de renaissance, qui font bien augurer de I'avenir de I'Eglise du Bresil. Quant a la societe laique, il semble bien que ses dispositions ne se sont guere ameliorees. C'est toujours la meme religion, tout exterieure, la meme ignorance, le meme engouement pour les idees modernes. A cette societe, engourdie dans la mollesse et le bien-etre materiel, il fallait un coup de foudre pour la reveiller de son apathie. C'est fait, et les previsions les plus pessimistes sont devenues de I'histoire. Le 15 novembre 1889, une revolution fomentee par les Societes secretes a renverse Don Pedro du trone, et, deux jours apres, I'empereur s'em- barquait pour I'Europe, ou il venait mourir en exil. Certes, si jamais monarque realisa I'ideal d'un souverain constitutionnel <( qui regne et ne gou- verne pas », c'etait bien I'empereur du Bresil ; catholique pratiquant, en son particulier, il avait toujours, comme souverain, sacrifie la foi aux exigences de la libre-pensee. Prince doux, poli, liberal, tres zele pour les sciences et le progres moderne, il allait au-devant de tous les desirs de la democratie, affranchissait les esclaves, favo- risait les juifs, et faisait toutes les avances possi- bles a la franc-maconnerie. Dernierement encore, il avait empeche de publier dans I'empire I'ency- clique de Leon XIII centre les Societes secretes, en refusant son placet imperial a la bulle du Pape. Que pouvait-on lui demander de plus ? Sous son regne, la franc-maconnerie etait devenue une veritable puissance, qui comptait, au moment de la revolution, trois cent qnatre-vingt-dix loges et des milliers d'adherents. On les rencontrait partout : dans les Ministeres, dans les Chambres, dans la Magistrature, dans I'Enseignement, a I'Armee, a la Cour et jusqu'aupres du prince. Comment les Societes secretes n'ont-elles pas eu la patience d'attendre la mort du prince ? Mais que peut-on esperer des ennemis de DiEU et de la societe ? Le vieil empereur du Bresil a fait la dure experience de leur ingratitude, et quelque immeritee qu'ait ete sa chute, on est bien force de reconnaitre qu'apres tout il a recueilli ce qu'il avait seme ! Une nouvelle republique des Etats-Unis du Bresil s'est empressee de montrer ce que I'Eglise catholique peut attendre d'elle, en proclamant la separation de I'Eglise et de I'Etat. C'est la per- secution a bref delai, car, chez les races latines, c'est toujours la que vient aboutir, et tres vite, le fameux principe de la separation. Eh bien, soit ! persecutez, si le cceur vous en dlt ; ce sera, je I'espere, le salut de I'Eglise du Bresil. La persecution la forcera a sortir de sa lethargic ; elle nous debarrassera des hommes de scandale ; elle brisera necessairement avec les traditions surannees de Pombal et de Joseph II ; elle ou- vrira les yeux aux lai'ques Chretiens, et, grace a DiEU, il y en a encore au Bresil ; elle les decidera a prendre parti, a choisir entre JliSUS et Belial. Le resultat merite bien d'etre achete au prix de quelques souffrances. Purifiee au feu de la persecution, I'Eglise du Bresil, delivree des liens qui la garrottaient a I'Etat, reprendra sa dignite et recommencera k cours ininterrompu de ses victoires sur le paganisme et I'incredulite. VI PEROU ET BOLIVIE. LE Perou et la Bolivie, qui mesurent ensem- ble trois millions quatre cent mille kilome- tres Carres, pres de sept fois la superficie de la France, formaient, avant I'arrivee des Espagnols (1525), le vaste empire des Incas, dont lesgigan- tesques ruines couvrent encore, a I'heure actuelle, d'immenses territoires devenus deserts. Sous les coups de Bizarre, assiste de trois cents soldats, I'empire des Incas s'ecroula en quelques mois, et fut remplace par la vice-royaute espagnole du Perou, fondee, il faut bien I'avouer, au pri.x de sanglantes cruautes. L'Eglise s'interposa, autant qu'elle le put, entre le; bourreaux et les victimes; elle precha aux uns la moderation dans I'usage de la victoire, aux autres elle fit entrevoir les compensations de I'avenir, en leur enseignant les mysteres de la foi chretienne. Ce ne fut pas oeuvre facile. Les temps heroiques des premiers decouvreurs de monde etaient passes. Exaspdres par les cruautes et les exactions des nombreux aventuriers accourus d'Espagne pour s'abattre sur leur pays, les Indiensdu Perou firent longtemps resistance a Taction de I'apos- tolat. Volontiers ils auraient dit aux premiers predicateurs de I'Evangile, comme ce vieux cacique dont parle I'histoire : « S'il y a des » Espagnols dans ce beau Ciel que vous nous » prechez, nous ne tenons pas a y aller, car ils » sont trop mechants. » Plus de cent religieux Franciscains, Dominicains, Jesuites, furent mis a mort, au debut, par les Indiens, qui les enve- loppaient dans la haine qu'ils portaient aux con- querants espagnols. Mais, la comme partout, le sang des martyrs produisit des fruits de vie, et, au bout d'un siecle, tous les Indiens du Perou etaient conquis a la foi chretienne. Alors com- men^a pour ce pays, une ere de ferveur et de prosperite religieuse. La saintete, cet epanouis- sement complet du christianisme, se developpa sur ce sol encore vierge. Qu'il me suffise de rap- peler ici trois noms restes populaires dans toute la contree : saint Francois Solano, I'apotre des Indiens, saint Turibe, archeveque de Lima, et cette fleur exquise du Nouveau-Monde, que Notre-Seigneur J^SUS-Christ, dans les joies de I'extase, appelait la rose de son cceur, sainte Rose de Lima, du Tiers-Ordre de Saint-Domi- nique (i). I. « — Rosa de mi corazoii, io te qucro por mi s/oza (Rose de mon coeur, je te demande pour mon epouse). » — Je sui? votte esclave, o Roi d'eternelle majeste ; je suis, et je serai toujours i vous, » r^pondit la ssinte. LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 255 Plus tard, avec I'abandon des principes Chre- tiens, arriverent la decadence et la ruine. En i82i,a la voix du liberateur Bolivar, toutes les colonies espagnoles du Nouveau- Monde se sou- levent et proclament leur independance. Trois ans apres, le Perou et la Bolivie se separent I'un de I'autre, pour former deux Etats distincts : la Republique du Perou, a Touest ; la Republique de Bolivie, a Test. Depuis lemancipation, ces deux Etats, et par- ticulierement le Perou, n'ont cesse d'etre la proie des politiciens et le jouet des revolutions. Enrichi par I'exploitation du guano et la vente du sal- petre, le Perou n'a pas su r^sister a I'epreuve de la bonne fortune. Les Societes secretes dominerent bientot dans tout le pays ; de tous les points de I'Amerique du Sud, on vit aborder au Perou les aventuriers politiques, qui s'etaient fait chasser de leur pays, et chacun sait que ce fut dans les Loges de Lima que fut decide I'assassinat de Garcia Moreno, le catholique president de I'Equa- teur. Pendant que les politiciens, dans les Loges et dans la rue, se disputaient le pouvoir, les mceurs publiques allaient se corrompant de jour en jour, le clerge devenait scandaleux, la magis- trature venale, le peuple passait sa vie aux courses de taureaux et aux combats de coqs. Ouoique le paj-s fut tout catholique, puisque, sur 2.700.000 habitants, le Perou compte a peine tin viilliey de dissidents, tous etrangers, la foi allait diminuant de plus en plus et I'immoralite faisait des progres effrayants dans la masse de la popu- lation. La Providence allait bientot intervenir par des coups terribles. Dans sa derniere guerre avec le Chili, le pauvre Perou a ete si completement ecrase qu'il est devenu un objet de pitie, meme pour ses ennemis. Avec ses lies a guano, il a perdu le plus clair de ses revenus. 11 ne lui reste de sa fortune passee qu'une dette formidable et une administration desorganisee. Esperons que la lecon, quelque dure qu'elle ait ete, sera profi- table au peuple peruvien. En voyant 011 menent les revolutions, la nation comprendra peut-etre la necessite de revenir aux principes Chretiens qui ont fait longtcmps sa prosperite. Des symp- tomes assez accentues de renaissance religieuse semblent indiquer que cet espoir ne sera pas trompe. Les Indiens du Perou etaient tous evangelises depuis longtemps, il n'y a plus dans le pays de missions indiennes proprement dites, mais les RR. PP. Franciscains de I'Observance y ont con- serve des colleges apostoliques qui relevent de la Propagande. * # * La republique de Bolivie a eu une existence moins troubl^e que celle du Perou. Perdu au Une dalle marque encore, dans leglise de Saint-Dominique a Lima, la place ou la sainte ^tait agenouillee quand Notre-Sei- gneur lui apparut et lui parla. milieu des Cordilleres des Andes, ce pays, beau- coup plus pauvre que son voisin, a ^te generale- ment dedaigne par les politiciens, qui cherchent avant tout dans la possession du pouvoir un moyen de vivre largement aux depens du budget. La plupart des gouvernants sont done restes catho- liques et conservateurs. II y a quelques annees on a vu le president de la republique, M. Pacheco au moment d'envoyer ses enfants etudier en Europe, faire, avec toute sa famille, un pelerinage au celebre sanctuaire de Notre-Dame de Copaca- bana, pour lui recommander leur voyage. L'annee suivante, le meme president convoqua tout son peuple a un pelerinage national. 11 partit de La Paz, ville situee a 140 lieues plus au sud, accompagne du vice-president de la republique, du ministre d'tltat, de ses aides de camp, des officiers de I'etat-major, des personnages les plus considerables du pays et d'une compagnie de soldats. Apres une journee de voyage en bateau a vapeur, le pieux pelerinage debarqua a quelque distance du sanctuaire, oi'i il se rendit a pied le lendemain. La voie etait ornee de dejix cent cin- quante arcs de triomphe. Le president, precede de la musique militaire et escort^ par la troupe, arriva dans I'apres-midi au sanctuaire de Marie. Le lendemain, a la messe, il consacra sa famille et son peuple a la Tres Sainte Vierge, et fit don a I'image miraculeuse d'un riche inanteau de drap d'or, que ses enfants avaient fait confec- tionner en France. De pareilles manifestations honorent un pays et temoignent de sa foi. La population totale de la Bolivie est de 2.325.000 habitants, sur lesquels on compte 2.300.000 catholiques, ce qui donne 25.000 sau- vages demeures paiens. * * * On compte environ 810.000 Indiens catholiques dans le Perou et la Bolivie reunis. Malgre les revolutions et les folies de leurs gouvernants, ces Indiens sont demeures tres fideles a la foi prechee par leurs premiers apotres. Le sentiment religieux est plus developpe chez eux que dans n'importe quelle autre partie de I'Amerique. Malheureuse- mcnt, le manque d'instruction I'a fait trop souvent degcnerer en superstition. Aux fetes de I'Eglise, aux processions, surtout a cclle de la Fete-Dieu, on voit I'lndien, revetu de toutes sortes d'oripeaux, danser devant le dais, apos- tropher le Saint-Sacrement, et se livrer a toute une serie de manifestations ridicules, que sa simplicite peut seule excuser ; puis il quitte brusquement le cortege, pour aller se rafraichir au cabaret, et de libations en libations, il arrive qu'en rcntrant a I'eglise, il est ordinairement en etat complet d'ivresse. Ce sont la des abus regrettables, qu'on a grand tort de tolerer, mais qui du reste n'atteignent pas la foi de ce bon peuple. Apres le culte du Saint-Sacrement, la devo- 256 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. tion la plus chere a I'lndien est le culte de Id Tres Sainte Vierge Marie, et surtout le pele- rinage de Notre-Dame de Copacabana, ou Ton accourt de toute rAmerique du Sud, bien que le voyage soit tres p^nible, car il faut traverser, avant d'arriver au sanctuaire, les defiles les plus dangereux des Andes. C'est une devotion vrai- ment nationale, et, grace a la severite des reli- gieux qui ont la garde du sanctuaire, tout s'y passe sans aucun desordre. L'Indien parait alors vraiment transforme : prepare par la confession et par des penitences qui font partie de la tradi- tion locale, il n'avance qu'a genoux, meme en gravissant les escaliers du temple, et ne se permet pas un seul mot, pas la moindre excen- tricite. On voit par la ce qu'il serait facile d'obtenirde lui, si on prenait le soin de I'instruire. Malheureusement, au Pcrou, comme dans le reste de I'Amerique du Sud, c'est I'instruction qui fait le plus defaut au peuple et le zele aux pas- teurs. Voici, sur les Indiens catholiques du Perou et de la Bolivie, le jugement d'un Anglais pro- testant : « J'ai beaucoup vecu parmi ces Indiens, j'ai eu » les meilleures occasions d'etudier leur caractere, » et j'ai ete tres favorablement impressionne. On » n'entend jamais parler parmi eux de crimes )) considerables. Leur politesse est bien remar- » quable, et est certainement inspiree par un » sentiment religieux, car c'est toujours par un » Az'e Maria qu'ils saluent ceu.x qu'ils rencon- » trent. Des voyageurs superficiels les ont accuses >> d'ignorance, mais il n'y eut jamais de plus > grande erreur. Leur adresse pour sculpter, pour » faire tous les ouvrages de menuiserie, de pein- » ture et de broderie, les tissus qu'ils fabriquent » avec la laine de la vigogne, la poesie vraiment 1> touchante de leurs chants, repondent a la » calomnie. Beaucoup d'Indiens sont devenus 'i tres riches, par des entreprises importantes et » bien conduites ; d'autres sont arrives aux postes » les plus elev^s de I'Etat. C'est ainsi que le » general Castella, indien d'origine, homme doue 1) de grands talents militaires, d'une energie et )) d'une intrepidity peu communes, fut president » de la Republique, de 1858 a 1862(1). » Comparezmaintenantle sortque I'Anglo-Saxon a fait aux Peaux-Rouges de I'Amerique du Nord, et dites de quel cote sont I'humanite et la vraie civilisation. Indiens de Chaco, ont garde, au moins autant » qu'ils I'ont pu, les usages que leur avaient » enseignes les missionnaires. Bien qu'ils soient » quelquefois plusieurs annees sans voir un pretre, » ils se rdunissent le dimanche pour chanter les » anciens cantiques, et s'il se trouve parmi eux un » Indien qui sache lire, ils ecoutent avec atten- » tion la lecture de quelques sermons de leurs » anciens Peres. I^es vieillards se transmettent » de generation en generation le souvenir de » I'expulsion de leurs missionnaires en 1767, et » ils repetent a leurs enfants : « Ce sont eux qui » nous ont faits chretiens et qui nous ont appris )) a connaitre DiEU. » Ce souvenir persevdrant au bout de plus d'un siecle, chez de pauvres sauvages refoules au fond des bois, sans culte et sans pretres, n'a-t-il pas quelque chose de vraiment touchant ? Aussi notre auteur, bien qu'incredule, ne se defend pas d'en etre vivement impressionne : « Je ne me lasse pas, ecrit-il, d'admirer les » resultats sans pareils obtenus par les Jesuites » sur les tribus les plus feroces et les plus abru- » ties du Nouveau-Monde. » Puis il fait un parallele saisissant de la situation sociale des Indiens sous leurs anciens et sous leurs nouveaux maitres : « Du temps des Jesuites, une severe moralite >) etait observee parmi les tribus converties : » leurs maitres actuels donnent aux Indiens » I'exemple de I'inconduite et les jettent eux- » memes dans le vice. Les epidemics qui les » deciment aujourd'hui etaient inconnues du )> temps des missionnaires, parce qu'elles Etaient >> tenues a distance par de vigoureuses dispo- ■> sitions sanitaires. Les Peres les soignaient dans » leurs maladies : aujourd'hui on les laisse » mourir comme les animaux des bois. Enfin a » la place des champs cultives, des riches prairies » qui entouraient leurs villages et nourrissaient » de nombreux troupeaux, le desert et la foret » ont tout envahi, et la nature a repris dans ces » lieux desoles son aspect primitif N'etaient les » ruines grandioses qu'on rencontre 9a et la a » I'ombre des grands bois, on ne se douterait pas » qu'il y a un siecle, ce vaste pays etait civilise et » prospere. » Le lecteur est prie de ne pas oublier que ces aveux ont echappe a la plume dun libre-penseur. Helas ! les beaux jours du Paraguay sont bien passes ! Jusqu'aces dernieres annees, les troubles politiques, la guerre civile et etrangere n'ont pas permis aux missionnaires de s'occuper serieuse- ment des missions indiennes, dans ces vastes regions du continent sud-americain. Puis les ouvriers apostoliques faisaient defaut : les Ordres religieux une fois supprimes ou disperses par les LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 259 gouvernements revolutionnaires, le clerge secu- lier, tres peu nombreux, avait bien de la peine a subvenir aux besoins spiritucls ties habitants des grandes villes, comma I'Assomption, Buenos- Ayres, Corrientes et Montevideo. Pendant pres de trente ans, la Republiqiie du Paraguay en particulier fit schisme complet et ferma sa porte aux envoyes du Saint-Siege. C'est seulement en iSSo que le Nonce apostolique, Mgr di Pietro, par vint, a force d'habi- lete et de prudence, a faire renouer les relations avec Ro- me et mit fin au schisme. II decou- vrit, au sein des fo- rets vierges, un pre- tre zele et instruit, que DiEU semblait avoir garde en re- serve pour la res- tauration de cette malheureuse Egli- se. II le fit monter sur le siege episco- pal de I'Assomp- tion. II etait temps de venir au secours de I'Eglise du Pa- raguay : dix ans plus tard, elle n'a- vait plus de clerge. Pour une popula- tion d'un million trois cent millc ames, il ne lui res- tait plus, en 1888, que vingt - quatre pretres, tous ages et infirmes, a I'ex- ception de trois. Voila I'etat 011 les revolutions politi- ques avaient reduit un peuple tout ca- tholique. Un des premiers soins du nouvel ^veque fut d'ouvrir, dans la ville de I'Assomption, un seminairc, qu'il confia aux Lazaristes ; il appela en meme temps les Soeurs de Charite pour prendre soin des malades et des pauvres. # * * Si la situation religieuse n'en vint Jamais a une pareille extrcmite dans la Republique Argentine et dans I'Uruguay, elle n'en resta pas moins longtemps trcs precaire. Ce n'est guere que depuis une quinzaine d'annees que les Ordrcs rcligieux, longtemps bannis, ont pu reprendr-e leurs oeuvres. Les Lazaristes, aides des Sceurs de Charite, et les Salesiens de dom Bosco, assistes des Sceurs de IMarie-Auxiliatrice, s'occupent specialement, dans la ' Republique Argentine, des emigres francais et italiens qui peuplent le pays. Ces colons sont deja au nombre de plus de 300.000, et, chaque ann^e, un grand nombre accourent, a I'appel du gouvernement de Buenos-Ayres, pour peupler les Pampas. Que deviendraient ces Dom Bosco, Fondateur et Supdrieur general des Missionnaires dc Saint-Franc^ois de Sales de Turia malheurcux exiles s'ils nc trouvaient pas, en arrivant dans leur patrie d'adoption, un pretre de leur pays, I'cglise et I'ecole ? lis perdraient bien vite la foi. Les Franciscains, de leur cote, sont charges specialement des missions indiennes du Grand Chaco. lis ont dans la Republique Argentine trois colleges apostoliques relevant de la Propa- gande ; ce sont : Le college de Rio-Quarto, 12 missions, 22 religieux ; le college de Salta, 3 missions, 35 religiaux ; le college de San-Lorenzo, 6 missions, 35 religieux. PUis 2 couvents : 260 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. Corrientes, 12 religieux, Jujui, 7 religieux. Total : 20 missions desservies par 1 1 1 Franciscains, qui prennent soin de 50000 Indiens catholiques. Restent environ 1.450.000 Indiens catholiques qui n'ont pas encore de missionnaires. Que DiEU prenne enfin en pitie tant de brebis sans pasteurs, exposees au danger prochain de perdre la foi, si on ne vient a leursecours ! IX. — MISSIONS DE LA. PATAGONIE. JU.SQU'a ces dernieres annees, les 250.000 sauvages qui peuplent les vastes solitudes de la Patagonie et les rivages glaces du detroit de Magellan, les iles Falkland et de la Terre de Feu, n'avaient pas encore recu la bonne nouvelle de I'Evangile. Dans ce vaste territoire, qui ne mesure pas moins de quatorze degres de latitude sur quatre de longitude (350 lieues sur 100), I'Eglise catholique ne comptait pas un seul poste, des rives du Rio-Negro a la pointe meri- dionale du continent a'mericain. Un pretre de Turin, qui vient de mourir en odeur de saintete, et que I'Eglise placera peut- etre un jour sur ses autels, dom Bosco, le fon- dateur des Salesiens de Turin, resolut, il y a vingt- trois ans, d'envoyer quelques-uns deses enfants au secours de ce peuple abandonne. 11 se rendit a Rome, confera de son projet avec le cardinal prefet de la Propagande, qui I'approuva comple- tement, et, I'expedition une fois resolue, le i«='' novembre 1875 le saint pretre presentait au Souverain-Pontife la nouvelle troupe apostolique, compos^e de dix Salesiens, ayant a leur tete un pretre, docteur en theologie, le R. P. Cagliero, qui, dans son enfance, avait ete gueri miraculeusement d'une maladie mortelle par dom Bosco lui- meme. Pie IX regut avec sa bonte ordinaire les enfants du saint pretre. Apres les avoir affec- tueusement benis, il leur dit : i. Profitez, mes chers enfants, de I'experience de vos predecesseurs (i). Je nevous conseille pas de vous rendre directement au milieu des sau- vages. Etablissez-vous d'abord sur les confins de leur territoire pour instruire et conserver dans la foi ceux qui sont deja baptises ; occupez-vous surtout d'ouvrir de nombreuses ecoles pour attirer leurs enfants. En prenant soin des enfants, vous vous ouvrirez une voie plus facile pour vous approcher des parents. )) Fideles a ces recommandations du Vicaire de J£SUS-ChrisT, les nouveaux apotres de la Pata- gonie s'etablirent d'abord, d'apres les conseils de I'archeveque de Buenos-Ayres, dans la ville de Carmen, situee presque a I'embouchure du Rio- Negro, fleuve qui separe la Republique Argentine I. Les quelques niisiionnaires qui s'elaient avenlures prece- demment dans les deserts de la Patagonie avaient ete massacres par les sauvages ou reduits en esclavage. du territoire des Patagons. Je dois dire qu'ils furent admirablement regus et loyalement secondes par les autorites religieuses et civiles de Buenos-Ayres. Depuis longtemps les Patagons etaient, par leur caractere indompte et leurs con- tinuelles depredations, la terreur des frontieres. A chaque instant, ils faisaient des incursions subites dans les Pampas, massacraient les habi- tants isoles qu'ils rencontraient sur leur route, enlevaient des milliers de chevaux, et retournaient se cacher au fond de leurs solitudes, entrainant avec eux les femmes et les enfants, qu'ils redui- saient en esclavage pour la garde de leurs trou- peaux. Dcrnierement encore, en 1879, le gouver- nement argentin a du faire une expedition sanglante, pour venger le meurtre d'un certain nombre de ses nationaux mis a mort par les Patagons. Dans ces circonstances, on comprend que I'arriveedes missionnaires venant appeler les Patagons a la civilisation fut accueillie avec enthousiasme. Dans ces cas-la, le plus sectaire comprend a merveille ses interets et favorise la propagande de I'apotre, ou du moins 11 se garde bien de I'entraver. Debarques a Buenos-Ayres a la fin de 1875, les missionnaires Salesiens consacrerent les premieres annees de leur sejour dans la Republique Argen- tine a creer pour leur ceuvre une base solide d'operation, en fondant des etablissements d'edu- cation destines aux enfants des sauvages ; ils ouvrirent meme deu.x seminaires, pour recueillir les enfants juges capables de recevoir une culture plus soignee, et de former les premices d'un clerg6 indigene. Ayant fait venir, pour les aider dans leur ceuvre, les Soeurs de Marie-Auxiliatrice, ils purent 6tablir des orphelinats et des hopitaux et y recueillir les malades et les abandonnes. Enfin, ils commencerent, sur plusieurs points des fron- tieres, a precher des missions parmi les Indiens deja convertis ou au moins a moitie civilises. Ces premieres missions eurent un grand succes. Plusieurs centaines d'adultes et d'enfants purent etre instruits et baptises. Trois ans furent em- ployes a ce travail de preparation (1876- 1879). Les missionnaires, s'etant mis au courant de la langue et des moeurs des populations qu'ils venaient evangeliser, resolurent alors de p^netrer dans la Patagonie proprementdite. Une preiniere expedition par mer echoua, a cause d'une horrible tempete, qui repoussa leur bateau jusqu'au port d'embarquement. L'annee suivante (1880), les missionnaires se mirent en route a travers la Painpa. De grandes consolations et des fatigues inouies les y attendaient. Bien souvent ils n'eurent a manger qu'un peu de viande de cheval sechee au soleil ; mais la plupart des caciques les regu- rent avec empressement et leur permirent de faire entendre pour la premiere fois le nom du Sauveur Jksus aux enfants de la solitude. Dans cette expedition apostolique, les missionnaires purent donner le bapteme a pres de cinq cents personnes LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 261 La mission de Patagonie, ainsi heureusement inauguree, n'a fait que se developpcr dans les dix dernieres annees. On ne peut guere reprocher aux Patagons qu'iin esprit d'independance, pousse, il est vrai, jusqu'a la susceptibilite la plus ombrageuse, et le vol des chevaux, vol qu'ils considerent nai'vement comme la compen- sation legitime de I'envahissement de leur pays. Grand, bien fait, Failure martiale et decidee, le Patagon a peu de vices ; il a conserve la notion assez juste du grand Esprit, qui a crce le monde et qui le gouverne par sa providence ; il vit gencralement en paix avec ses congeneres, traite avec humanite ses esclaves, et semble porter une veneration specialeaux missionnaires : il sait par- faitement les distinguer des aventuriers qui ne viennent que pour I'exploiter. II connait d'ailleurs assez bien la situation generate du pa\-s, pour comprendre qu'il ne peut resister au flot envahisseur de la civilisation, et que I'henre est venue pour lui d'entrer dans la grande famille du peuple chretien. Malheureu- sement, depuis que le pays est ouvert, les minis- tres protestants, qui s'^taient jusqu'ici soigneu- PATAGUNIE. — Pkuckssion a Carmen ; d'apr^s une photographic. sement tenus a I'ccart, sont accourus, et, comme ils sont parfaitement outilles, ils ont deja fait parmi ce peuple nouveau de nombreux prose- lytes. De son cote, le Saint-Siege, pour aider aux progres de la mission, a erige, en 1883, un vicariat apostolique de la Patagonie seiJtcn- trionale et une prefecture apostolique de la Pata- gonie meridionale. Le vicariat de la Patagonie sei:)tentrionale .setendde la frontieredu territoire, le Rio-Negro, aux regions encore inex])lorees de la Patagonie centralc ; il confine, a Test, a I'Occan Atlan- tiquc, a I'ouest, aux Cordilleres des Andes et au Chili. Tout le pays est sous le protectorat de la Republique Argentine. Le nombre des catho- liques est de 40.000 ; il y a 5.000 protestants et environ 15.000 paiens dans les regions deja explorees. 1° Personnel: i vicaire apostolique, 20 mis- sionnaires pretres, 18 clercs, 8 catechistes. 34 Sceurs de Marie Auxiliatrice. 2° CEuvres : 8 parois.ses avec eglises, 9 stations avec residences et chapelles, 45 postes a visiter. 3 seminaires. — 4 ecoles superieures, 52 in- ternes et 200 externes. 8 ecoles primaires, garqon.s, sous la direction des missionnaires, 15 ecoles du argentin. Total, 800 eleves. 6 ecoles primaires, filles, sous la direction des Steurs, 520 eleves. gouvernement 262 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. 20 ecoles du gouvernement, 200 eleves. 2 congregations de jeunes filles, sous la direc- tion des SocLirs. I hopital a Carmen. La prefecture apostolique de la Patagonie mdridionalesetend du fleuve Santa-Cruz au nord, a lextremite sud de I'Amerique, et de I'Ocean Atlantique a Test, aux montagnes des Andes a I'ouest. Les iles Falkland ou Malouines, la Terre de Feu et les iles nombreuses qui s'6tendent a I'en- tree et a la sortie du detroit de Magellan, depen- dent de la mission. Une partie du pays est sous le protectorat de la Republique Argentine, une autre partie appar- tient au Chili ; les iles Falkland sont sous la domination de I'Angleterre. Les catholiques relevant de la prefecture sont au nombre de 3.500 ; ce qui donne environ 43.500 catho- liques pour toute la Patagonie. II y a de plus 8oD protestants et environ 6.000 sauvages paiens dans les regions deja visitees par les mis- sionnaires. Ce pays, tres pauvre et tres de.sole, parait offrir moins d'espoir aux travaux de I'apostolat. Les naturels de la Terre de Feu, ou Fiu'giens, sont des sauvages completement abrutis, dont on Habitants ue la TiiURE de Feu. a pu voir, il y a quelques annees, un specimen au jardin d'acclimatation du bois de Boulogne (Paris). lis ont regu a coups de fleches les pre- miers missionnaires qui se sont presentes pour leur appoiter la bonne nouvelle. 1° Personnel : i prefet apostolique, 10 mis- sionnaires Salesiens, 9 cat^chistes, 12 religieuses de Marie-Auxiliatrice. 2° CEuvrcs : 1 paroisse a Punta-Arenas, sur le detroit de Magellan ; 2 stations avec residences, une dans, les iles Falkland et I'autre a I'em- bouchure du fleuve Sainte-Croix ; 10 postes a visiter ; 12 ecoles, 600 eleves, 2 (^tablissements de charite. Entre la Patagonte seplentriona/e et la Pata- gonie nicridionale s'etendent les plaines, encore inexplorees, de la Patagonie centra/e. Provisoi- rement, ce pays est sous la juridiction du vicaire apostolique du Nord. * » * Reprenons maintenant tous ces chiffres. Pour bien nous rendre compte du travail des missions indiennes de I'Amerique du Sud, je partagerai les Indiens en trois classes : les anciens convertis, ceux qui sont evangelists actuellement, et les sauvages demeures paiens. LES MISSIONS INDIENNES DE L'AMERIQUE DU SUD, 1800-1890. 263 Mexique. . . Guatemala . . San-Salvador . Honduras . . Nicaragua . . Costa-Rica . . Colombie . . Venezuela . . Equateur . . Bresil . . . Perou . . . Bolivia . . . Chili, . . . R^publiqueArgenline Patagonie . . Total. . . 8.297.044 Anciens convertis. Evangelises actuellement 3.552.044 600000 ? ? 120000 ? 75000 125 000 > 100.000 10.000 350.000 ? 325.000 Soo.ooo ? 12 000 60.COO 500.000 ? 300000 10.000 60000 1.450.C00 50.000 c 43.500 Patens. 25.000 20.000 3000 15.000 2.000 35.000 150.000 75.000 200.000 1 . 200 000 ? 25. COO 200.000 500.000 220. ono 245.500 2670.000 II y a quelques observations a presenter sur ces differents chiffres. II est evident d'abord qu'ils ne sent qu'approximatifs. Outre la penurie presque complete de documents serieux sur les missions Indiennes de I'Amerique du Sud, il n'est pas toujours facile de discerner, parmi les quel- ques chiffres qu'on decouvre,ceux qui s'appliquent aux Indiens deja convertis depuis longtemps et ceux qui reviennent aux neophytes actuellement evangelises, Le chiffre de 8.297.044 Indiens de race pure convertis depuis longtemps, represente les pre- mieres conquetes de I'apostolat catholique ; le chiffre est certainement inferieur a la rcalite, puisqu'il y manque les Indiens de I'Equateur et du Chili, sur lesquels je n'ai pu rien trouver de precis. En portant a dix millions le chiffre total des Indiens convertis par les anciens mission- naires, dans les trois siecles qui vont de la decou- verte du Nouveau-Monde a la Revolution fran- caise, on sera sur d'etre tres pres de !a verite. Far contre, il est tres difficile de fixer le chiffre des Indiens actuellement evangelises. Au Guatemala, dans la Colombie et le Venezuela, les missions ont ete brutalement supprimees par les gouvernements ma(jonniques. Dans quelle mesure et par qui ce million et demi d'Indiens demeures sans pasteurs est-il evangelist^ ? C'est ce qu'il est impossible de dire. D'un autre cdi6, dans les plaines sans fin de la Plata, de I'Uru- guayet du Paraguay, il y a encore, nous I'avons vu, un million et demi d'Indiens demeures a pen pres sans pasteurs, depuis I'expulsion des Jesuites au dernier siecle. Cela fait environ trpis millions d'Indiens catholiques completement abandonnes clans I'Amerique du Sud. A cote de ce chiffre, les 245.000 neophytes qui sont actuellement evange- lises, d'apres les catalogues officiels des differents Ordres religieux, sont bien peu de chose. On ne pent se dissimuler que le progres de I'apostolat a subi, dans toule I'Amerique du Sud, un mouve- ment de recul tres prononce, au cours du XIX« siecle. Ce n'est guere que depuis vingt ou trente ans qu'il a repris un peu. Puisse la divine miseri- corde jeter un regard de pitie sur tant de mal- heureux abandonnes sans pasteurs, sans instruc- tion, sans culte et sans sacrements ! Le chiffre de 2.670.000 sauvages demeures paiens doit etre tres aproximativement exact, car il est tire des documents officiels pour chacun des Etats de I'Amerique dn Sud ; les paVenssont presque tons renfermes dans le vaste bassin de I'Amazone (Bresil et Equateur), dans les plaines du centre du continent (Republique Argentine), et dans les deserts encore ine.xplores dela Pata- gonie. En resume, c'est moins de trois millions de paiens qui restent a atteindre et a convertir dans toute I'Amerique du Sud. Si I'apostolat des mis- sionnaires pouvait se promettre un peu da securite, ce serait I'oeuvre d'un siecle au plus. Helas ! a cette heure troublee ou la franc- maconnerie cosmopolite est la maitresse absolue dans tous ces Etats, a I'heure ou les Ordres reli- gieux sont a chaque instant desorganis^s, a I'heure ou la vieille Europe catholique elle-meme va peut-etre voir tarir chez elle les sources de I'apostolat et du sacerdoce par des lois scelerates, comment se promettre un siecle de tranquillite ? Levez-vous done, .Seigneur, et prenez en main cette cause qui est la votre ; ayez pitie de ces derniers demeurants de la barbarie qui seraient depuis longtemps vos cnfants, si on ne leur avait violemment arrache leurs missionnaires ; reveillez de leur lethargie, delivrez de leur servitude ces Eglises du Nouveau-Monde, autrefois si fecondes en predicateurs et en martyrs. Si I'Etat ne veut plus aider I'Eglisedans son ceuvrede civilisation, qu'il cesse au moins de chercher a I'asservir. Qu'il se separe, s'il y tient absolument. Qu'il prenne ce qui lui appartient : les corps, I'impot du sang, et I'impot du travail, les mines, les chemins de fer, les usines, le commerce, tout ce qui fait la richesse, tout ce que lemondeenvie ; mais qu'il nous laisse les ames, qui ne lui appartiennent pas, ces ames tres chcres qui sont votre bien a vous, 6 Sauveur JCSUS, puisque vous les avez rachetees au prix de votre sang. £>a mihi aniinas : ccetera tolle tibi. — KiM- cgajjitrc Di): Hc|Jticmt. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800-1890 TTTTm-TTTTT-r:rTTT TTm -TTTtTTTlTTIITTTTTTTTrTTTTTITTTT1'TTTTT7T''TTTTTT-|-rTTT TTTT Tm TTTTI T TirTTTTTI 77 TTTTrTTTTTTTTTri! b^t N a vu qu'au commencement du xix^siecle,lecatholicisme n'exis- tait plus, pour ainsi ciire, que de nom, le long des rives africaines de la Mediterranee. Environ 7.000 catholiques appartenant aux di- vers rites-unis en Egypte, 8.000 Chretiens captifs dans les bagnes de Tunis, d'Alger et du Maroc, sans pretres, sans eglises, sans orga- nisation hierarchique : voila quels etaient les repre^entants de I'Eglise Romaiiie, sur ces rivages desoles qui avaient vu s'elever autrefois 800 sieges episcopaux, groupes autour de I'Eglise patriarcale d'Alexandrie ou de la metropole de Carthage. L'heresie de Dioscore, le schisme et rislam avaient successivement cnvahi et devaste ce sol jadis si fecond en martyrs, en docteurs eten ascetes. Depuis douze siecles, les laures de la Thebaide etaient vides, ou ne renfermaient plus que des moines heretiques et degeneres ; la chaire d'Augustin etait muette, celle de saint Marc ne rendait plus que des oracles mensongers : plus d'eglises, plus de sacerdoce, plus d'oeuvres ; par- tout la sterilite et la desolation du desert, quand le vent brulant du Siiitonn a passe sur lui. Aujourd'hui, au bout de moins d'un siecle, nous pouvons bien nous eerier avec le poete : Que les lamps sont changes ! Au souffle de I'apostolat catholique, le desert a refleuri, et I'Eglise d'Afrique s'est reveilleede son long sommeil. En Tunisie, nous avonsvu le suc- cesseur de saint Cyprien, revetu de la pourpre romaine, ressusciter I'antique mdtropole de Car- thage ; I'Algerie forme, depuis trente ans, une province ecclesiastique, avec un archeveque et deu.x eveques ; outre sa delegation apostolique, I'Egypte a deux vicariats et deux prefectures apostoliques pour les Latins et pour les Coptes, sans parler de I'evechearmenien d'Alexandrie et des nombreuses paroisses appartenant aux rites grec-mclchite, maronite, s) riaque et chaldeen ; Trip-)li et Maroc ont chacun lour prefet aposto- lique ; enfin les solitudes redoutables du Sahara forment desormais un vicariat, avec d'intrepides missionnaires, dont les pieuses caravanes sillon- nent en tous sens le desert, deja arrose plusieurs fois de leur sang. La ou I'Eglise romaine comptait a peine, au debut de ce siecle, 1 5.000 enfants, elle voit aujourd'hui prcs de 580.000 catholiques, groupes sous la houlette pastorale d'un delegat apostolique, de deux archeveques,de cinq eveques, de trois vicaires apostoliques et de quatre prefets, assistes d'environ 650 pretres, et de nombreuses communautes d'hommes et de femmes, dont quelques-unes se sont formees tout specialement pour travailler a I'cvangelisation de I'Afrique. Partout le long des cotes de la Mediterranee on voit s'elever de splendides basiliques, des eglises paroissiales, des oratoires, des seminaires, des colleges, des orphelinats, des ecoles, des hopitau.x, des monasteres, toutes les ceuvres de la vie catho- lique, si longtemps etcuffee sous I'oppression musulmane. C'est ce qu'une etude detaillee de chacun des groupes ecclesiastiques de I'Afrique du Nord va nous permettre de constater. I. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE D'ALGER CE fut certainement un grand jour dans I'histoire du monde que celui ou Hussein- Pacha, le dernier Dey d'Alger, mettant le comble a d'anciens outrages, souvent punis mais jamais venges completement, s'oublia jusqu'a frapper au visage le Consul de France (1828). Ce coup d'eventail allait changer les destinees de I'Afrique musulmane en emancipant les Chretiens d'un long esclavage de douze siecles. La patience du vieux peuple franc se revolta a la fin ; mais en vengeant son injure nationale, il ne se doutait guere alors qu'il recommencait, a son insu et sans y penser, I'oeuvre des Croisades : Gesta Dei per Francos. De son cote, la vieille monarchic tres chre- tienne, au moment de clescendre dans la tombe, allait s'immortaliser une derniere fois, en donnant a Ja P'rance une belle colonie, et en ouvrant a I'Eglise une voie nouvelle pour I'evang^lisation LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800-1890. 265 de I'Afrique. Malgrc I'opposition anti-patriotique des deputes de la gauche, le roi Charles X, meprisant egalement les menaces jalouses de I'Angleterre et les commerages des journaux a la solde des ennemis du trone, se resolut a detruire ce nid de pirates, qui defiait depuis des siecles tous les efforts de la chretiente, et qui avait resiste au bombardement de Duquesne, aussi bien qu'aux flot- tes de Charles-Quint. Le 25 mai 1830, une armee de 30.OOO hommes s'embarquait a Toulon pour I'Afri- que : apres plusieurs retards, amenes par les gros temps, elle debarquait, le 15 juin suivant, sur la cote de Sidi-Ferruch ; le 19, elle livrait aux Arabes la sanglante bataille de Staoueli, qui fut une victoire ; enfin le 5 juillet, apres un der- nier combat aux por- tes d'Alger, le drapeau blanc fleurdelis^ flot- taitvictorieux au som- met de la Casbah. Ce devait etre son dernier triomphe : trois se- maiiies plus tard, le vieux roi, trahi plutot que vaincu.l'emportait avec lui en exil, et le leguait en mourant a son petit-fils, qui de- vait, a soixante ans de la, en faire un lin- ceul d'honneur a lady- nastie des J^ourbons. Alger etait a nous ; mais la monarchic constitutionnelle de Louis-Philippe mon- tra d'abord tres peu d'empressement pour accepter le legs glo- rieux de la monarchie legitime ; les preoccu- pations politiques et religieuses allaient ailleurs. Pendant les dix pre- mieres annees on pietina sur place, sans pouvoir se decider franchement a reculer ou a avancer. Cependant, le fanatisme religieux des Arabes nous suscitait, en la personne d'Abd-el-Kader, un adversaire redoutable, dont nos propres fautes et nos indecisions firent un moment le chef religieux et militaire de tout le pays. Le gouvernement voltairien de I'epoque avait cru faire merveille en affichant au.K )'eux des Arabes I'irreligion, et memo en faisant des avances aux disciples de Mahomet. Des les pre- miers jours de la conquete, les dix-sept aumo- niers militaires qui avaient accompagne le corps d'expedition furent licencies et renvoyes en France ; pendant dix ans, I'Algerie fut a peu pres fermee aux pretres catholiques, et nos pau- vres soldats furent condamnes a mourir sans secours religieux. On vit meme des Fran^ais, croyant faire plaisir a I'administration, reiiier publiquement leur bapteme et embrasser I'isla- misme. lis y gagnerent le mepris public et I'aver- sion des musulmans eux-memes,assez intelligents pour comprendre que ces renegats n'etaient pas meilleurs mahometans que chretiens. L'Arabe, chez qui le sentiment religieux est profondement develo|)ije, comme chez tous les Orientaux, resumait en ces termes meprisants son impres- 266 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™e SIECLE. sion sur nos compatriotes : « Les Frangais sont des chiens, puisqu'ils ne prient jamais (i). » Voila tout ce que nous avions gagne dans leur estime en affectant I'irreligion. Enfin on se decida, au ministere, a garder I'Al- gerie et a y faire venir des colons. Des lors, il devenait indispensable d'y organiser le culte catholique. Le roi signa, au mois d'aout 1838, une ordonnance appelant au siege restaurc de Julia Ccesarca (Alger), Mgr Dupuch, de sainte et douloureuse memoire. Tout etait a creer : mais le nouvel 6veque d'Alger ^tait une de ces ames apostoliques qui ne savent compter ni avec les difficultes.ni avec leurs propres sacrifices. Enfant, la Sceur Rosalie, qui I'avait a peu pres elevc, disait de lui en souriant : « Si jamais il devient ^veque, il vendra sa crosse et sa mitre. » Eveque, il ne fit pas mentir I'horoscope : en arrivant dans son diocese, il avait trouve, comme personnel, trois pretres, et comme ceuvres, neant ; un an apres, il y avait deja dans la colonie 25 pretres, 8 eglises, 7 chapelles, un seminaire, 8 ecoles catholiques, 2 orphelinats et un hopital indigene sous la direction des Sceurs de Saint-Vincent-de- Paul. Le chiffre total des catholiques, en dehors de I'armee d'occupation, s'elevait deja a 20.000 ames. A cote du clerge paroissial, les Ordres reli- gieux vinrent prendre leur place sur le sol de I'Algerie. En 1842, sur les instantes demarches de M. de Corcelles, les Tra[:pistes s'etablirent a Staoueli, sur Templacemerji; meme du champ de bataille qui nous avait livre le pays, pour montrer aux colons le parti qu'on pouvait tirer de ce sol si riche. Apres les difficultes inseparables d'un premier debut, apres avoir enseveli vingt de ses freres emportes par les fievres et les travaux excessifs de la fondation, dom Francois-Regis, un des grands bienfaiteurs de la colonie, eut la joie de voir son abbaye de Staoueli devenir le premier etablissement agricole de I'Algerie, et les Arabes, qu'on depeignait comme si hostiles a I'influence chretienne, se pressor au.x portes du monastere, pour contempler ces colons si peu semblables aux autres Europeens. Cependant le gouvernement, fidele a ses idees fausses en matiere religieuse, avait interdit rigou- reusement au clerge tout essai de proselytisme aupres des disciples de Mahomet. Sous ce rap- port, I'apostolat des missionnaires n'etait pas plus libre que sous les anciens Deys d'Alger ; il etait beaucoup plus gene qu'aux Indes ou en Chine, ou rien n'empeche le pretre catholique d'annoncer, au peril de sa vie, I'Evangile aux ames de bonne volonte. L'administration fran- gaise poussait si loin le scrupule a cet egard, qu'elle donna I'ordre d'enlever des salles de I'hopital indigene le crucifix, « dont la vue, disait-elle, aurait pu froisser la conscience deli- cate des Arabes. » Les Sceurs ayant refuse d'obeir a cette injonction, un blame officiel fut adresse par le Ministere a Mgr Dupuch, pour I. Propos rapporte par le marechal Bugeaud. n'avoir pas su reprimer « le fanatisme intolerant des Sceurs. » Neanmoins, sur la demande de I'eveque, le gouvernement consentit, en 1840, a lui livrer une mosquee abandonnee, pour en faire sa cathedrale. Heureux de constater la victoire du catholicisme sur rislam, le pieux prelat fit graver, en lettres d'or, sur les murs la belle sentence de I'Apotre : Christ us Iieri, liodie et in scccula (i). Au lieu de s'irriter de cette prise de possession du catho- licisme, comme I'avaient predit des esprits mal disposes, le Grand Muphti dit au general d'Erlon, alors gouverneur : « En changeant de culte, % notre mosquee ne changera pas de maitre, car » le DiEU des chrctiensest aussi le notre. » La verite sur les dispositions des Arabes, c'est qu'ils etaient impressionnes et satisfaits de cette manifestation inaccoutumeed'un sentiment Chre- tien chez leurs vainqueurs. Ces musulmans, qui ne cachaient pas leur mepris pour les Frantjais incredules ou fanfarons d'impiet^, entourerent immediatement d'estime et de respect les hommes de la priere, les marabouts chretiens, comme ils les appelaient. Quant aux Sceurs de Charite, qui les soignaient dans leurs maladies, qui pansaient leurs plaies hideuses et les soulageaient dans leurs miseres, ils avaient pour elles un veritable culte. Rien dans I'lslam ne les avait prepares au spectacle de la charite et du devouement catholiques. En 1840, Abd-el-Kader avait envahi a I'im- proviste la plaine de la Metidja et enleve, au.x portes d'Alger, des colons et des officiers francais. Naturellement il refusait de les rendre au gouver- nement avec qui il etait en guerre. L'eveque d'Alger, confiant dans I'ascendant moral que lui donnait au.x yeux de I'emir son caractere sacre, se chargea de cette difficile negociation. Apres s'etre abouche directement avec Abd-el-Kader, il en obtint la delivrance des caplifs, contre un nombre egal de prisonniers arabes. Ce rcsultat, que n'eussent pu obtenir, sans effusion de sang, tous les efforts de l'administration, montrait bien I'estime que I'emir professait pour le grand mara- bout des Chretiens. « Je sais, disait-il une autre fois a M. Suchet, » grand vicaire d'Alger, je sais tout ce que » l'eveque a fait pour I'Algerie depuis qu'il est » ici, et j'ai une grande veneration pour sa » person ne. » Ce qui n'empechait pas le lieutenant Pellissier d'ecrire : « Depuis l'eveque et le procureur general, » jusqu'au sacristaiii et au garde champetre, on » pourrait, a la rigueur, se passer de tout en » Algerie. II n'y a que I'armee dont on ne pent » pas se passer (2). » 1. Le Christ etait hier, il est aujourd'hui, il sera demain et dans les siecles des siecles. 2. Pellissier, La Colonisalion en Alghie. — Ne pas confondre avec le general Pelissier, qui s'est toujours nionlre en Algerie tres bien dispose i I'egard de I'Eglise et de ses oeuvres. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800-1890. 267 Heureusement tout le monde n'etait pas de son avis. « Si la France s'est consolidee dans I'Afriqiie » du nord, ecrivait, en 1S56, un ministre pro- » testant, c'est surtout a I'influence morale du » clerge catholique quelle le doit (i). » Le premier eveque d'Alger rencontra bien des deboires, dans ce mauvais esprit de I'adminis- tration. Mai seconde par le Ministere, dont les bureaux lui etaient hostiles et auraient vu avec plaisir un echec, emporte par un zele qui ne sut pas assez compter, et par les besoins d'une situation ou tout etait a faire a la fois ; oblige d'ouvrir, dans chaque localite qui se formait, des chapelles, des presbyteres, des ecoles, il contracta de lourdes det- tes, qu'il se vit bientot dans I'impuis- sance d'acquitter. Sans I'intervention bienveillante du prince Napoleon, de- venu, en 1848, president de la Repu- blique, le premier eveque d'Alger serait mort insolvable et prisonnier pour dettes. Selon la prophetie de la bonne Soeur Rosalie, il avait vendu crosse et mitre ; il avait fait plus, aux yeux des indifferents et des ennemis : il avait compromis son honneur epis- copal. Mais, en quittant I'Algerie au bout de dix ans d'apostolat, il laissait derriere lui 91 pretres, 140 religieuses de differents Ordres, 60 eglises ou chapelles paroissiales, et one magni- fique floraison d'ceuvres, ecoles, semi- naires, hopitaux, orphelinats, qui I'ab- solvent du peche d'imprudence. Ses deux successeurs a Alger, Mgr Pavy et Mgr Lavigerie, se heurterent aux memes difficultes et au meme parti-pris d'exclure I'influence chre- tienne. En 1853, M. Girard, Lazariste, superieur du grand seminaire d'Alger, avait recueilli dans les rues quelques pauvres enfants abandonncs, et ouvert, avec I'autorisation de Mgr Pavy, un cattichumdnat pour les instruire dans la foi. 11 fut denonce a Paris, et le Ministere envoya I'ordre de I'expulser immediatement. II fallut I'intervention bienveil- lante du general Pelissier, alors gouverneur, pour lui permettre de rester a Alger, mais k la condi- tion de s'abstenir de tout proselytisme. Si I'administration francaise se refusait obsti- nement a laisser instruire les Arabcs dans la foi de la France, en revanche, elle ne faisait pas de difficulte d'ouvrir pour eux des ecoles musul- manes, pour les entretenir dans la foi de I'lslam. D'apres un rapport officiel public en 1864, le gouvernement francais entretenait en Alg^rie, a cette epoque, trois Diedarsas, ou seminaires mu- sulmans, avec cent trente-neufeleves en theologie, I. Rev. Blakerley, Quatre mois en Alpine, un grand college islamite-frangais, des ecoles franco-musulmanes dans les viUes, sans compter les nombreuses ecoles de tribus dirigees par les talebs et subventionnces par la France, pour enseigner aux jeunes Arabes la lecture, I'ecriture, le calcul et le... Coran. Le tout sous la surveil- lance des Bureau.x Arabes et de nos officiers, transformes pour la circonstance en docteurs et theologiens musulmans. Chaque annee, le gouvernement poussait la generosite jusqu'a freter a ses frais un navire, pour transporter a la Mecque des centaines de pelerins, qui rapportaicnt de la ville sainte la Mgr P.wv haine de la France et I'horreur du nom chretien. Et on a vu, en 1870, un officier superieur, le general Desvau.x, monter, a Tuggurt, dans la chaire d'une mosquee, pour faire publiquement I'eloge de I'lslam, et pour e.xhorter les Arabes a rendre grace au Prophete pour les bienfaits sans nombre que la PVance accordait au.K vrais croyants. Combien de fails du meme genre on pourrait citer ! A raisonner au simple point de vue des interets frangais, en laissant de c6te la question religieuse, on peut dire qu'une pareille politique est inepte, et va directement contre le but que I'administration se propose, qui est de nous rallier les Arabes. 268 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. « II ne faut pas croire, ecrivait, sous I'Empire, » un de nos meilleurs publicistes, que nous tirions > un grand parti de notre tolerance. Les Arabes » nous dedaignent un peu plus, et ne nous detes- » tent pas moins. )) C'est assez naturel : on entretient, on soudoie tout ce qui peut nourrir leur fanatisme, puis Ton s'^tonne des insurrections continuelles qui deso- lent la colonic. C'est vraiment montrer trop de naivete. Un voyageur frangais Ecrivait de Constantine, en 1 864 ( I ) : « Le peuple arabe n'est pas plus avance en » civilisation qu'il I'etait au premier jour de » la conquete ; il n'est pas plus aujourd'hui » qu'alors I'ami de la France ; il Test peut-etre » moins. Je ne demande pas qu'on persecute les » Arabes, loin de la ! Mais pourquoi favoriser > officiellement une religion absurde, incoherente, » immorale ? Pourquoi lui construire, a grands » frais, des minarets et de superbes mosquees ? » Pourquoi retribuer leur talebs et leurs mara- » bouts, qui se croient obliges en conscience, » d'apres le Coran, de precher la guerre sainte et » d'entretenir la haine de leurs coreligionnaires > ccmtre nous? Laissez-ies libres,rien de mieu,\ ; » mais ne favorisez pas leur fanatisme. Serait-ce » meme faire une mauvaise action que de cher- » cher a les eclairer doucement ? Apres tout, si » vous voulez faire des Arabes un peuple devoue » a la France, tachez d'en faire un peuple chre- » tien ; et pour cela, laissez agir librement le » missionnaire catholique. Tout est la, croyez-le » bien. Vous ne parviendrez pas a en faire des » incredules ou des impies. II faut a 1' Arabe une » religion, et puisque la sienne est une mons- » truosite, pourquoi ne pas lui enseigner la » notre, qui est si belle, et la seule vraie ? » Ainsi raisonnent tousles ecrivains laiquesdont Tirrcligion et le parti-pris administratif n'ont pas irrevocablement fausse !e jugement. Cependant, en 1866, vu I'accroissement consi- derable de la population europeenne, le gouver- nement imperial se decida d'assez bonne grace a demander a Rome I'erection de deux nouveaux sieges episcopaux. La province ecclesiastique d'Alger se trouva done ainsi constituee : Arche- veche d'Alger etdeux eveches suffragants a Oran et a Constantine. La Providence, qui se plait a tirer le bien du mal, allait bientot passer par-dessus les repu- gnances administratives et ouvrir la porte a I'evangelisation des tribus arabes. L'annee 1867 est restee dans le souvenir des populations alge- riennes sous la denomination lugubre d'aunce de la faim. Une mauvaise recolte, la deplorable organisation de la propriete parmi les tribus de I'interieur, et aussi le fanatisme imprevoyant des musulmans, firent d'une simple crise economique une famine effroyable. Malgre les secours empres- I. Voir Lc Monde du 24 niai 1S64. s^s et le d^vouement genereux de I'administration fran^aise, il devint bientot impossible de nourrir ces trois millions d'affames, et le gouvernement dut se r^signer a accepter le concours, si long- temps dedaigne, de I'Eglise. Des milliersd'orphe- lins erraient, nus et decharnt^s, dans les rues et le long des chemins. L'archeveque d'Alger, les eveques d'Oran et de Constantine, avec les aumones des catholiques de France, ouvrirent des orphelinats, pour recevoir tous ces malheu- reux, dont le nombre s'eleva bientot a quatre mille. Ouand la crise fat passee, on rendit aux families tous ceux qui furent reclames par leurs parents ; mais pres de la moitie n'avaient plus personne qui s'interessat a eux. Mgr Lavigerie refusa positivement de les rendre a leurs tribus, malgre les injonctions du marechal de Mac- Mahon, alors gouverneur de I'Algerie. II se con- siderait, a bon droit, comme le pere adoptif de ces orphelins, a qui il avait sauv6 la vie, et qui refusaient de le quitter. La cause fut portte devant I'Empereur, qui donna, cette fois, raison a l'archeveque et lui permit de conserver ses enfants. Ces orphelinats allaient devenir le noyau de la mission arabe. La plupart des enfants ayant demande et re^u, apres un long temps d'epreuve, le bapteme, se marierent, quand ils furent deve- nus grands, avec les orphelines elevees chez les Sceurs. Le grand coeur de l'archeveque d'Alger etait assez large pour suffire a la tache qu'il avait entreprise. Des 1872, un premier village d'Arabes chretiens etait fonde a Saint-Cyprien- des-Attafs : quinze cents hectares de terrain, trente maisons, I'eglise, I'ecole, plus tard un hopi- tal indigene avec dispensaire, assuraient le bien- etre spirituel et temporel de la famille adoptive du prelat. Le devouement catholique avait enfin renverse la barriere elevee entre les Arabes et nous. Ce premier succes ne devait pas etre le seul. Peu a peu I'administration dut se resigner a laisser I'Eglise catholique pratiquer, au milieu des popu- lations musulmanes, I'apostolat pacifique de la charitd, le seul d'ailleurs qu'elle reclame et qui soit possible en ce moment. « Pour I'expansion du catholicisme, ecrivait, » en 1873, Mgr Lavigerie, je ne demande pas » autre chose que la persuasion et la liberte ; et » cette liberte meme, je ne veux pas en user » encore pour la predication directe de la foi aux » Arabes. Non, je crois que cette predication, » faite imprudemment, au lieu de hater Treuvre, » I'eloignerait, et la rendrait a jamais impossible, » en faisant naitre le fanatisme. Je pense que le » rapprochement doit s'operer peu a peu, par » I'exemple, par les bienfaits, par la charite, par » le temps enfin, I'artisan ordinaire de toutes les » choses durables. » Des 1S73, les PP. Jesuites penetraient dans la grande Kabylie, oil ils fondaient trois postes : I'un au Fort National, chez les Beni-Iraten, les LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800-1890. 269 deux autres chez les Beni-Yenni et les Beni- Fraoucen. Partout ils se firent respecter, en ouvrant dans leurs maisons dispensaires et ecoles. Les decrets du 28 mars ont force les Jesuites a quitter la Grande-Kabjiie ; mais ils n'etaient pas seuls a travailler chez les Berberes de I'Atlas, et leurs compagnons sont restes. En parlant de la prefecture apostolique du Sahara, je reviendrai sur I'organisation des mis- sions de la Kabj'lie. Mais ici une question prtjudicielle se pose : I'apostolat des musulmaii= d'Algerie est-il pos- sible ? Pour repondre a cette question, il faut avoir soin de distinguer entre les diffcrentes races qui peuplent notre grande colonie africaine. A notre arrivee en Algeria, nous trouvames, dans les villes du littoral, des Arabes et des Maures, ceux-ci descendants des anciens musulmans chasses d'Espagne, ceux-la venus, au XIF siecle, de la peninsula arabique. Les uns et les autres ont tout le fanatisme et I'orgueil farouche des disciples du Prophete, et I'apostolat catholique n'a rien a faire avec eux, au moins pour le moment. Mais il en est autrement des tribus berberes de I'intcrieur, qui sont les descendants des anciens Chretiens d'Afrique, et qui ont garde, dans leur apostasie, bien des restes du christia- nisme. Ouand les sectateurs de Mahomet envahirent KABYLIE. Residence des RR. PP. Jesuites a Djema Sahkidj, chez les Beni Fraoucen. I'Afrique au VII« siecle, les chretiens, forces d'abandonner aux vainqueurs les villes du littoral, les plaines et les vallons fertiles des bords de la mer, se refugierent, les uns dans les montagnes inaccessibles de lAtlas (Kabylesj, les autres dans les oasis du grand desert (Mzabites et Touareg). Mais les uns et les autres conserverent leur langue nationale, le berbere, et leurs traditions civiles et religieuses. Jusqu'au XT siecle, il parait meme qu'ils eurent un clergc, puisque nous voyons I'evcque africain Servandus, sacre a Rome par saint Gregoire VII qui le renvoya ensuite a son troupeau. C'est le dernier document historique qui nous soit parvenu sur les chretiens dAfrique. Refoules loin des cotes, sans communication pos- sible avec I'Europe chretienne, il est probable qu'ils perdirent successivement leurs cveques et leurs pretres, et qu'ils se laisserent entrainer peu a peu a embrasser le mahometisme. Mais il est a remarquer qu'aujourd'hui encore, les Arabes refusent de les reconnaitre pourde vrais cro}'ants, et que la haine la plus vivace n'a cesse d'exister entre les Arabes, la race conquerante, et les tribus berberes de I'intcrieur. II est bien facheux qu'a I'epoque de la conquete, cet antagonisme de races et de croyances ait ete ignore des Frangais. En nous appuyant sur les Berberes, qui forment les trois quarts de la population algerienne, il nous eut ete facile de soumettre les Arabes et de nous assurer la possession tranquille du pays. Mais, dira-t-on, ces Berberes ne sont-ils pas musulmans aussi bien que les Arabes ? Sans doute, ils sont musulmaiT!, mais combien ils dif- ferent des vrais Arabes ! D'abord, en subissant le Goran comme loi religieuse, ils ont toujours 270 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i<= SIECLE. refus6 de I'accepter comme loi civile. Leur code national est le droit romain, et porte un nom significatif, el Kanoiin, le canon, mot d'origine evidemment chietienne. Chez eux, I'organisation municipale, la constitution de la propriet6 sont reglees sur le droit romain. II en est de meme de la famille : pendant que tons les peuples musul- mans, de la Chine au centre de I'Afrique, ont embrasse la pol}'gamie et reduit la femme en esclavage, seul, le Berbere a conserve la mono- gamie chretienne ; il n'a qu'une epouse, et cette compagne unique est son egale au foyer domes- tique , elle jouit de tous ses droits civils, elle n'est pas forcee de se voiler le visage et de s'en- fermer dans un harem, elle est traitee, dans les tribus, avec un respect et des egards chevale- resques. Evidemment, il y a la un souvenir des traditions et des enseignements du christianisme. Voici quelque chose deplus significatif encore : on salt I'horreur que tous les vrais croyants ont pour la croi.x, qu'ils regardent comme un signe de honte et de malediction. Dans toutes les tri- bus berberes, au contraire, la croix est en honneur. Les hommes la portent tatouee sur le front et sur la main, et ilsse rendent parfaitement compte de sa signification. Voici une conversation, a ce sujet, entre un prefesseur Kabile : « — la main « — « — du grand s(^minaire d'Alger et un « — « — Que portes-tu inscrit sur le front et sur ?~ C'est le signe de I'ancienne voie. De quelle voie veu.K-tu parler ? De celle que suivaient nos peres. Pourquoi !'as-tu grave sur ton front ? Parce que c'est un signe de bonheur. Pourquoi ne suis-tu pas la voie de tes peres, puisque c'est la voie du bonheur ? « — Moi, non, je suis ne musulman, et je » mourrai musulman ; mais mes fils mourront » Chretiens, et mespetits-fils naitront chretiens. » On voit que ces populations ont garde un souvenir tres vif de leur origine chretienne, et qu'il serait facile de les ramener doucement dans la voie de leurs ancetres. Si une administration faussement liberale et jalouse a I'exces de ses droits, n'avait, pendant plus d'un demi-siecle, forc^ I'Eglise a se tenir a I'ecart de ces enfants 6gar^s, il est probable qu'a cette heure, le rappro- chement serait bien pres d'etre fait. Et ce serait un resultat tres appreciable et nullement adedai- gner au point de vue des intercts fran^ais, car les tribus Kabyles de I'Atlas ont ete les plus diffi- ciles a soumettre, et rien ne dit que, dans un jour de crise nationale, elles n'essaieront pas encore de se re vol ten Puisque vos concessions religieuses et vos armes n'ont pas rcussi, en cinquante ans, a vous rallier ces populations, laissez a son tour agir le pretre catholique, laissez-le instruire les enfants, soigner les infirmes, secourir la misere des pau- vres. Cet apostolat de la charity fera peut-etre plus pour la pacification du pays que la force du sabre et tous vos reglements administratifs. La population de I'Algerie, au recensement de de 1886, etait de 3. 310.412 ames. Elle serepartis- sait ainsi : 233937 Franqais, 114.320 Espagnols, 33 693 Italiens, 15.402 Anglais (Malte), 4.200 AUemands, 23 32S de nationaliles diverses ; soil 424 8S0 Colons europdens. 2.850.S66 Musulmans, 35 665 Juifs naturalises ; soil 2.886.531 Indigenes. Sous le rapport religieux, les recensements diocesains de iSgo donnent un total de 450.567 catholiques. Sur ces 450.000 catholiques, il y a malheureu- sement un bon nombre de libres-penseurs et de revolutionnaires. Comme dans toutes les colonies de formation recente, la population algeriennese recrute un peu au hasard et sans beaucoup de choi.x. II est certain neanmoins qu'il y a dans la colonie bien des elements encore chretiens. En- viron 500 pretres, 10 congregations religieuses d'hommes, 23 congregations de Soeurs hospita- lieres ou enseignantes, des oeuvresqui prosperent, permettront de developper de jour en jour tous les germes de bien que renferme a cette heure notre grande colonie africaine. Statistiqne comparh dc la province d'Alger. En iSoo, o eveque, ? pretre?, ? eglises ou chapelles, .' ^coles, environ 4.000 catholiques. En iSgo, l archeveque, 2 eveques, 407 pretres, 308 egli- ses ou chapellci, 220 dcoles, 450.567 catholiques. Voila les resultats merveilleux d'un apostolat de cinquante annces, contrarie sans cesse par la mauvaise volonte de I'administration. LES gloires de I'antique Eglise de Carthage sont connues. Evangelisee des le commen- cement du deuxieme siecle, fecondee par le sang de ses nombreux martyrs, saint Cyprien, sainte Felicite, sainte Perpctue, pour ne parler que des plus connus, la metropole de la B}'zaccne (la Tunisie actuelle) groupa bientot autourd'elle 128 dioceses et 15 millions de chretiens. Le grand docteur de I'Eglise latine, saint Augustin, eveque d'Hippone, un des sieges relevant de Carthage, fit plus d'une fois retentir sa voi.x eloquente clans la chaire de ses basiliques. Mais, aussitot apres la mort du saint docteur, survint I'atroce persecu- tion des Vandales ariens, qui dura de 420 a 534, et fit plus de martyrs que celle des empereurs LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800-1890. 271 paiens. DiEU donna alors a I'Eglise de Carthage uh siecle et demi de paix pour panser ses bles- sures ; puis I'invasion musulmane se repandit comme un flot devastateur, sur tout le nord de I'Afrique, et couvrit la contree d'un linceul de mort. En 698, Carthage fut prise par les sectateurs du Prophete, ses 20 basiliques furent converties en mosquees, les chretiens massacres, reduits en esclavage ou forces de s'exiler dans le desert. Cependant, la hierarchic catholique subsista jusqu'au milieu du XI'= siecle. Nous trouvons, dans I'histoireecclesiastique.unelettrede saint Leon IX, temoignant qua cette epoque, il y avait encore deux eveques catholiques dans le pays. Apres cela, il se fait, dans I'histoire religieuse de la Tunisie, un silence de mort ; la hierarchie catho- lique s'eteint vers 1076, le christianisme disparait avec elle, et quand saint Francois d'Assise envoie a Thune (Tunis) ses premiers missionnaires, ils ne trouvent plus aucun vestige de la foi catho- lique, et sont impitoyablement mis a mort par les farouches sectateurs de Mahomet. Mais, vers 1260, un bruit etrange se repand au loin, traverse la Mediterranee et arrive jusqu'a Paris ; on raconte que les fils de saint Dominique et de saint Francois, unissant leurs efforts, ont baptise en Tunisie plus de 10.000 infideles ; le roi de Thune a meme promis de se faire chr^tien ; CARTHAGE. Village sur les ruines de Carthage. D'apr^s une photographic envoyee par S. Em. le Cardinal Lavigetie. mais il craint la vengeance des autres princes musulmans, et demande la protection du puis- sant sultan des Francs, le roi saint Louis, dont la premiere croisade avait portd le nom sur tons les rivages de la Mediterranee. A cette nouvelle, qui cachait probablement un piege, le saint roi quitta tout : « Ah ! secria-t-il, si je pouvais voir que je fusse jamais le compere et parrain d'un si gentil et si illustre fiUeul I » Au mois de juillet 1270, il debarque avec son armee sur la cote de Carthage. Le reste est connu des Iccteurs : le roi de Tunis manque a sa promesse, la peste se met au camp des croises, et, le 25 aout, le hcros chrctien expire couchc sur la cendre. Mais I'expedition eut un rcsultat serieux : avant de s'embarquer pour revenir en F"rance, Philippe le Hardi, fils et successeur de saint Louis, con- clut avec le roi de Tunis un traite qui assurait la liberte de I'apostolat (i). Voici I'article troisieme de ce traite : « II sera libre aux moines et pretres chretiens » de s'etablir dans les Etats du Commandeur » des croyants. On leur accordera un lieu ou ils » pourront batir des maisons, elever des chapelles » et enterrer les morts. II leur sera permis de pre- » cher dans I'interieur des eglises, de reciter a » haute voix leurs prieres, en un mot, de servir » Died conform^ment a leurs rites, et dc faire » generalement tout ce cju'ils faisaient dans leur » pays. » I. L'original de ce Iraite se conserve encore i la Bibliotheque nationale. 272 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. * * * La mission de Tunis etait fondee, et fondee par la France. Elle devait durer sans interruption jusqu'a nos jours. Grace au devouement aposto- liquedes trois grands Ordres de Saint-Dominique, de Saint-Francois et de Notre-Dame de la Merci, jamais le flambeau de la foi ne s'eteignit comple- tement sur ces plages inhospitalieres. En 1450, saint Laurent Compani, vingt-sep- tieme general des PP. de la Merci, etant venu a Tunis pour travailler au rachat des esclaves Chre- tiens, fut fait prisonnier avec son compagnon et demeura quatorze ans dans les fers. Ses vertus et ses miracles convertirent le roi de Tunis, qui em- brassa la foi chretiennne avec toute fa famille. Mais un exemple parti de si haut demeura sans effet sur lecceur endurci deses sujets musulmans. Au moins, s'ils ne purent reussir a convertir les infideles, les missionnaires eurent la conso- lation de soulager les souffrances de leurs freres Chretiens captifs. Ce n'etait pas une oeuvre sans importance ; a certaines epoques, on comptait en Tunisie jusqu'a 200.000 esclaves Chretiens ; la moyenne ordinaire variait de lO.OOO a 20.000. On n'a pas I'idee aujourd'hui des souffrances qu'enduraient, dans les Etats barbaresques, les Chretiens captifs. Voici le tableau qu'en trace un historien moderne (i) : « Les prisonniers sedivisaient en deux classes : » la premiere comprenait le capitaine et les offi- » ciers du bailment capture, avec leurs femmes » et leurs enfants. Cette premiere classe etait » soumise a un travail moins dur que celui des » simples matelots, qu'on vendait au plus offrant. * Les enfants ^taient presque tous envoyes au * palais du Dey, ou dans les maisons des pre- » mieres families ; les femmes servaient les * dames maures, ou entraient dans des harems. » Mais les plus malheureux etaient ceux qu'on )> employait aux travaux publics. lis etaient » nourris de pain grossier, de gruau, d'huile y> ranee et de quelques olives. L'Etat leur accor- » dait pour tout vetement une chemise, une » tunique de laine a longues manches et un » manteau. Chaque bagne formait un vaste edi- )> fice, distribue en cellules basses et sombres, » qui contenaient chacune de quinze a seize » esclaves. Une natte pour quelques-uns et la » terre humide pour le plus grand nombre, leur » servaient de lit. C'etait la qu'etaient detenus » les esclaves de I'Etat. Ceux des particuliers » etaient generalement mieux traites, surtout » ceux qu'on presumait rachetables. » Pendant des siecles , I'Europe chretienne , malgre les objurgations des Souverains-Pontifes, supporta a ses portes un pareil etat de choses. Mais si les princes chretiens, distraits par les preoccupations egoistes de la politique et leurs guerres intestines, faillirent a tous leurs devoirs envers leurs nationaux reduits en esclavage I. Extraiis de VHistoire d'Algcrie, par Galibert. I'Eglise catholique n'oublia jamais ses enfants captifs, et, ne pouvant mieux faire, elle prit soin de leur envoyer des apotres, pour adoucir leurs maux et les maintenir dans la foi. Qu'on se represente la situation navrante de ces malheu- reux, courbes jour et nuit sous le baton du garde chiourme, insultes a chaque instant par les cruels ennemis de leur foi, rallies par des milliers de renegats, qui faisaient parade devant eux d'un bien-etre achete au prix de I'apostasie. Que de tentations delicates pour ces infortunes 1 Que de desespoirs a consoler ! Que de martyrs a preparer au dernier supplice ! La moindre desobeissance, un mot, un geste surpris par hasard, une denonciation, ou un simple caprice du maitre, et le malheureux chrctien etait con- damne a etre brule vif, lapide, empale, suspendu vivant aux crocs de fer qui garnissaient les por- tes de la ville. Le missionnaire etait la pour I'encourager a la mort ; il prenait soin d'ense- velir ses restes mutiles ; quelquefois il etait appele a. lui donner I'exemple du martj're, et il le pre- cedait dans les tortures. Pendant cinq siecles, I. COO a 1.200 religieux moururent ainsi, victimes de leur heroTque devouement. Puis, de temps en temps, on voyait les saints apotres repasser la mer et rentrer en Europe pour mendier, au nom de Jesus-Christ, la ran- ^on des captifs. Des calculs precis permettent d'etablir que, de 119S a 1800, les Trinitaires et les PP. de la Merci reunis ont rachete, dans les Etats barbaresques, i. 200.000 esclaves chre- tiens. Au prix mo)'en de 6000 francs (i), cela fait sept viiUiards deux cents viillions de francs mendies sou par sou, a la porte des chateaux et des chaumieres ; car, en ces ages de foi, nulle porte n'etait fermee aux r^dempteurs des pau- vres esclaves chretiens retenus chez les Maures. Et voila les hommes que les nations catholiques ont proscrits, comme des parasites inutiles a la societe ! On salt que, de 1605 a 1607, saint Vincent de Paul fut esclave en Tunisie. Son maitre, un renegat chretien, se convertit au spectacle de ses vertus. II lui rendit la liberte et revint avec lui en Europe. Plus tard, le saint pretre, devenu fondateur d'une societe de missionnaires, se souvint des pauvres esclaves chretiens qu'il avait laisses derriere lui en Tunisie. II leur envoya quelques-uns de ses enfants, qui, jusqu'a la Revolution, travaillerent avec beaucoup de zele, a Tunis et a Alger, au soulagement spirituel et temporel des captifs. En 1652, le Saint-Siege erigea la Tunisie en prefecture apostolique, confiee aux fils de saint Francois. Cette prefecture subsista jusqu'en 1842 ; elle fut remplacee alors par le vicariat apostolique de Tunis. Cependant la puissance du Croissant allait declinant de jour en jour. Deja en 1535, Charles- I. Quelques-uns, comme Cervantes, le celebre auteur de Don Quichotk, coflterent jusqu'i 25.000 francs. TUNISIE. — Le Rachat des Captifs par les Trinitaires. M issions Cat holiques 274 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. Quint s'etait empar^ des forts de Tunis, avait delivre d'un seul coup pres de 200.000 captifs, et assure, pour une periode de quarante ans (1 535-1 574). la liberie du culte catholique a Tunis. Apres la reprise de la ville par Selim II, les princes chretiens avaient conclu avec le Dey de Tunis des traites pour la delivrance de leurs nationaux, et les consuls de chaque nation, ins- talles dans la ville, en surveillaient I'execution. Pour la France en particulier, un premier traite, passe en 1604 entre Henri IV et le Dey de Tunis, avait ^te renouvele sous Louis XIV (1685), sous Louis XV (1770), sous Louis XVI (1782) et sous le premier consul Bonaparte (1802). Evidemment les beaux jours de la pira- terie etaient passes. En 1800, il y avait encore 2.000 esclaves chretiens en Tunisie ; en 181 2, il n'en restait plus que 500; en 1815, les Trini- taires abandonnaient la mission, ou leur oeuvre redemptrice etait achevee ; enfin, en 18 16, une ordonnance du Dey abolissait solennellement I'esclavage a Tunis. * # * Depuis cette epoque, mais surtout a partir de la conquete de I'Algerie par les Fran^ais, les Dej's de Tunis ont toujours montre de la bien- veillance a la mission franciscaine, qui a grandi lentement, avec le developpement des relations commerciales et I'accroissement de la population chretienne dans le pays. En 1S34, il y avait deja en Tunisie 7.670 catholiques , partages entre huit stations. On comptait aussi 300 grecs schismatiques, lOO protestants et i. 000. 000 de musulmans. En 1840, les Sceurs de Saint-Joseph de I'Apparition arriverent en Tunisie. Au bout de quelques annees, elles avaient 3 hopitaux et 4 ecoles, frequentees par plus de 500 enfants. En 1855, les Freres des Ecoles chretiennes furent appeles a leur tour. Avec leurs succes habituels, ils compterent bientot dans leurs ecoles environ 500 eleves appartenant a toutes les deno- minations religieuses : catholiques, juifset musul- mans. Des 1843, vu les progres de la mission, Gre- goire XVI avait erige la prefecture en vicariat apostolique. Four la premiere fois depuis 1076, la mission de Tunis voyait a sa tete un eveque catholique. Cependant la France ne pouvait se desinteres- ser d'un pays ou elle avait laisse tant de grands souvenirs, etque son voisinage de I'Algerie appe- lait necessairement a tomber tot ou tard sous notre influence. Deja en 1 842, le gouvernement de Louis-Philippe s'etait fait ceder I'emplacement presume du lieu ou mourut saint Louis, pour y elever un oratoire desservi par un pretre francais aux frais de la France. Grace a nos perpetuels changements de dynasties, cette chapelle etait tombee, sous I'Empire, dans un etat d'abandon deplorable. Elle fut rouverte en 1874, et confiee aux Missionnaires d'Alger. C'etait ouvrir la porte en Tunisie a I'influence francaise. A peine installes, les Peres Blancs s'empresse- rent d'etablir aupres de la chapelle de Saint-Louis une ecole indigene (1877). Deux ans plus tard, ils fondaient a Tunis le college de Saint- Charles ; en 1882, ils ouvrirent a Carthage un grand seminaire, qui compta aussitot une ving- taine d'eleves. Pendant ce temps, de graves evenements poli- tiques s'etaient deroules en Tunisie. Menacee dans sa legitime influence par les convoitises de ITta- lie, la France avait force le Dey de Tunis a accepter notre protectorat. Apres une lutte de quelques mois centre les Kroumirs, la France etait maitresse de la Tunisie. II ne lui restait qu'a organiser le pays. La presence de nos compatriotes a Tunis appe- lait naturellement I'etablissement d'une mission francaise. En 1S84, le Saint-Siege retablissait I'antique metropole de Carthage, en placant a sa tete Mgr Lavigerie, et voulut, par une derogation speciale aux regies du droit, que le prelat con- servat a la fois les deux sieges d'Alger et de Car- thage. Comme complement naturel de cette mesure, le vicariat apostolique etait supprime I'annee suivante. En abandoiinant I'administration de la mission de Tunis, les RR. PP. Franciscains la laissaient dans une situation prospere : 13 stations, 9 egli- ses, plusieurs chapelles, 3 hopitaux, des ecoles de Freres et de Soeurs frequentees par plus d'un millier d'enfants, et 18.000 catholiques, temoi- gnaient suffisamment que DiEU avait largement beni, au cours de ce siecle, le travail des fils de saint Francois. Cette situation n'a fait que grandir sous la direction de I'^minent Cardinal, dont un publi- ciste italien ecrivit qu'a lui seul il valait une armee pour le developpement de I'influence francaise en Tunisie. Bien que le gouvernement se soit com- pletement desinteresse de Torganisation eccle- siastique de la Tunisie, le prelat a su faire face a tout. Voici la situation religieuse de I'archidiocese de Carthage en 1890 : 1° Personnel : i archeveque, i dveque auxiliaire, 53 mis- sionnaires, dont 23 pretres seculiers et un indigene. Comiiinjuiicles religieuses^ homines : Capucins, 1 1 pre- tres, 3 Frl-res lais. Missionnaires d'Alger, 19 pretres, 17 profts, 4 Freres. Freres des Ecoles chietiennes, 18. Freres de la Bienheureuse Vierge Marie. Au total, environ 100 religieux. Feinnies : Carmelites. Sceurs de Saint-Joseph de I'Appa- rition. Soeurs de Notre-Dame de Sion. Sceurs des Mis- sions d'Alger. Soeurs de Bon-Secours. Soeurs Missionnai- res de Marie. Petites Soeurs des Pauvres. Au total, envi- ron 200 religieuses. 2° CEuvres : Cathedrale de Carthage, consacree au mois de mai 1890, Pro-cathedrale de Tunis. 22 eglises parois- siales, 26 chapelles de communautes. 1 seminaire k Car- thage (Missionnaires d'Alger), 54 ^Ifeves. I college i Tunis (Missionnaires d'Alger), 250 eleves. 4 ecoles commerciales (Freres des Ecoles chrdtiennes), 5S0 eleves. 15 Ecoles de paroisses, environ 2.000 enfants. Plusieurs hopitaux avec LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENJTRIONALE, 1800-1890. 275 dispensaires tenus par les Soeurs. La Tunisie a prhs de 2OCX3O0O d'habitants ainsi repartis : catholiques, 35.OCO ; juifs, 45.000 ; protestants etgiecs schismaliques, 1.500 ; le reste niusulmans. Statistiqiie coviparee de la misiion de Tunis, En iSoo : i prefet apostolique, 3 missionnaires, 3 dglises ou chapelles, o ecole, 2.000 catholiques. En 1S96 ; I archeveque, 53 missionnaires, 50 eglises ou chapelles, 20 ecoles, 35.000 catholiques. III. MISSIONS D'EGYPTE. L'Egypte, la vieille terre des Pharaons, fut, aiix premiers siecles de I'ere chrctienne, le jardin de I'Eglise. EUe etait celebre au loin par le genie de ses docteurs, sortis de la fameuse ecole d'Alexandrie, et par les merveilleuses aus- terites des moines de la Thebaide. Origcne, Cle- ment, Athanase, Cyrille, Paul, le fondateur de la vie eremitique, Antoine, Pacome, que de noms glorieux dans les annales de I'Eglise d'Egypte I Mais, a la fin du V^ siecle, sa gloire s'eclipse tout a coup. Avec Dioscore, I'heresie monoph)'site s'asseoit sur le siege patriarcal d'Alexandrie, et les trois cents eveques de la vallee du Nil suivent docilement I'exemple de leur patriarche ; I'heresie d'Eutyches, sortie d'un monastere de Constanti- nople, penetre rapidement jusqu'au fond des Lauies les plus reculees de la Thebaide ; les pieux solitaires s'y attachent avec une obstination fana- tique et des lors le schisme entre Rome et Alexandrie est consomme pour des siecles. Bientot I'invasion musulmane vient mettre une barriere de plus entre I'Occident et I'Egypte. C'est en I'an 641 que les disciples du Prophete, appeles par les Cophteseux-memes, en haine du catholicisme, envahirent le pays. Moins fanatiques qu'en Tunisie, ils respecterent generalement la situation religieuse des chretiens devenus leurs sujets, tout en les tenant soigneusement asservis a leur dure et capricieuse domination. Comme I'ecrivait, en 1856, Mgr Guasco, delegat aposto- lique du Saint-Siege, « les chretiens d'Egypte peuvent etre compares aux enfants d'Israel vivant sous la domination des Pharaons, jusqu'a ce que I'Europe, predominant en Egypte par ses conseils ou par ses armes, comme Moise avec sa verge, reussisse a les affranchir de la servitude (1). » Le xix<= siecle aura vu se lever sur I'Egypte I'aurore de la delivrance, et c'est encore a I'in- fluence catholique et frangaise que les chretiens d'Egypte devront I'allegement du joug seculaire qui pese sur eux. La fameuse expedition d'Eg}-pte, a la fin du dernier siecle, si elle echoua au point de vue mili- taire, produisit, sous d'autres rapports, des r^sultats serieux. En faisant connaitre ct estimer au loin le nom de la France, elle posa en ce [jaj-s la base de notre influence. Au contact des idces europeennes, I'lCgypte avait tressailli. Bon gre, I. Annales de la Propagation de la foi, feviier 1856. mal gre, ses gouvernants allaient etre entraines dans le grand courant de la civilisation occiden- tale. Le celebre Mehemet-Ali contribua beaucoup a accelerer le mouvement. Ne dans les derniers rangs de la societe (il etait rameur dans sa jeunesse), il s'elevagraduellement par son propre merite au premier. Devenu vice-roi d'Egypte, il se rendit a peu pres independant de Constan- tinople, conquit la Syrie en s'appuyant sur les s}'mpathies de la P"rance, et, si la jalousie de rAngleterre,encouragee par notre propre faiblesse, n'etait venue, en 1840, I'arreter au milieu de ses conquetes et lui arracher la Syrie, on eut peut- etre vu notre ancien protege, I'ancien batelier du Bosphore, entrer en triomphateur a Constan- tinople et s'asseoir sur le trone des Sultans. Force de se renfermer dans sa vice-royaute d'Egypte, Mehemet-Ali travailla toute sa vie a faire de ce pa)'s le plus avance dans la civilisation des Etats musulmaiis, et il y reussit. II s'entoura de nos compatriotes, envoya la jeunesse etudier dans nos ecoles, et temoigna toujours la plus vive sympathie aux missionnaires catholiques et a leurs oeuvres. « Depuis Mehcmet-AIi, ecrivait en 1864 I'abbe Soubiranne, nous avons obtenu la tolerance exterieure pour les cultes chretiens : d'Alexandrie a Thebes, nos ceremonies peuvent s'exercer publiquement, et lorsque, dans les funerailles des catholiques, le pretre marche a travers les rues, la croix en tete, les passants s'arretent avec res- pect (i). » Sous la vice-royaute d'Ismail-Pacha, I'influence catholique et frangaise grandit encore : celle-ci, a I'occasion du percement de I'isthme de Suez, celle-la, par la multiplication du nombre des ouvriers et de leurs ceuvres, en particulier des oeuvres d'education. Depuis quinze ans les Jesuites ont ouvert au Caire et a Alexandrie deux grands colleges, dans lesquels I'enseignement classique est donne a 270 eleves. Les pretres des Missions Africaines de L)'on ont un troisieme college a Tantah, dans le Delta. Les Freres des Ecoles chretiennes sont au premier rang pour I'enseignement primaire, superieuret commercial. Dans leurs trois maisons du Caire, d'Alexandrie et de Ramleh, ils ensei- gnent le francais, I'italien, le grec moderne et I'anglais, a plus de 1.600 eleves, qui vont,au sortir de I'ecole, peupler toutes les administrations. Leurs succes sont si bien etablis, que Said-Pacha leur accordait de lui-meme une somme de 30.000 francs pour agrandirleur maison du Caire, deve- nue insufifisante a recevoir les 900 eleves qui se pressent aux lecjons de ces maitres si modest es et si estimes ; ct le Moniieiir Egyptieii ecrivait, en 1879, que cette maison du Caire est le premier ctablissement d'education de toute I'Egypte. Les congregations de Soeurs ne rendent pas de moindres services pour I'education, autrefois I. Bulletin des Ecoles if Orient, annee 1864. 276 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. si negligee des jeunes filles. A Alexandrie, les Soeurs de Saint-Vincent de Paul tiennent un pen- sionnat « qui, ecrivait I'abbe Soubiranne, serait admir6 dans nos grandes villas d'Europe. Plu- sieurs centaines d'enfants se reiinissent chaque jour chez nos religieuses. Isma'il-Pacha s'est charge genereusement de payer lui-meme toute i'annee le ble necessaire pour les distributions quotidiennes. Cette annee (1864), il leur a donne 10.000 francs, et sa femme 2.500. » Les Sceurs du Bon-Pasteur, les Franciscaines du Caire, les Dames de Sion, les religieuses de la Mere de DiEU, appelees en 187S par le Khedive lui- meme, ont couvert I'Egj'pte de pensionnats et d'externatsquidistribuent I'instruction a des cen- taines de jeunes filles. En dehors de ces grands etablissements d edu- cation, nous avons encore, en Egypte, une soixantaine d'ecoles paroissiales, tenues par les missionnaires et les religieuses, dans lesquelles re9oivent un solide enseignement primaire plus de 3.000 enfants appartenant a toutes les deno- minations religieuses : juifs, musulmans, catho- liques des differents rites et schismatiques. Voila pour les oeuvres d'education ; mais la ne se borne pas le devouement de nos congregations religieuses. Dans les oeuVres de charite, asiles, refuges, hopitaux, dispensaires, elles ne connais- sent pas de rivaux. Qui dira I'influence que la pratique constante de ces ceuvres de charite nous donne en Egypte, dans le double interet du catholicisme et de la France ? Les faits parlent plus haut que tout ce que je pourrais dire. Lors de la revoke militaire d'Arabi-Pacha (1882), il y eut de nombreux massacres a Alexandrie, au Caire, a Tantah ; mais nos missionnaires et nos .Sceurs furent respectes ; et si, a Alexandrie, une grande partie de nos etablissements religieux furent enveloppes dans la ruine commune, on ne pent en rendre responsable le gouvernement egyptien, qui avait fait loyalement ses efforts pour les proteger. C'est surtout le devouement de nos religieuses qui frappe vivement la population egyptienne : « Les musulmans, ecrit I'abbe Soubiranne, admirent encore plus nos religieuses que nos missionnaires.)) Cela se comprend : rien dans leur religion n'a pu leur donner I'idee dela Soeur de Charite ! Helas ! cette influence preponderante de la France en Eg)'pte, les fautes de nos gouvernants I'ont bien compromise. Depuis longtemps I'An- gleterre cherchait a nous supplanter dans ce pays. La revolte d'Arabi-Pacha lui fournit I'oc- casion d'^siree ; elle intervint, bombarda Alex- andrie, baltit facilement les troupes d'Arabi et devint a peu pres maitresse de I'Egypte. Voila quinze ans que dure son occupation pretendue provisoire, et rien n'indique qu'elle soit pres de lacher la proie longtemps convoit^e. C'est la substitution de I'influence anglaise a la ndtre, au grand detriment du catholicisme et de ses ceuvres. Deja les protestants anglais ont ouvert au Caire trois grandes ecoles qui comptcnt 700 eleves ; les Americains, une ecole, avec 300 eleves ; les Allemands, une 6co\s, avec 150 eleves : total, pres de 1.200 eleves dans les ecoles protestantes du Caire. II en est de meme a Alexandrie et dans les principales villes de I'Egypte, et tous ces enfants emporteront, au sortir de I'ecole, la haine du catholicisme et le mepris de la France. Voila ce que nous avons gagne a laisser prendre en Egypte la place que cinquante ans de loyaux services avait acquise a notre pays. Mais detournons les yeux de ce triste tableau. Malgre les intrigues de nos rivaux, I'Eglise n'en continue pas moins son ceuvre, comme I'expose de la situation religieuse va nous I'apprendre. II }■ a en Egypte plusieurs juridictions dis- tinctes. Outre les catholiques appartenant aux divers rites unis, qui relevent chacun de leur patriarche, la mission de la Basse-Egj-pte appar- tenait, en 1800, a la ^Custodie de Terre-Sainte, et celle de la Haute-Egypte formait une prefec- ture apostolique, confiee, depuis 1687, aux Franciscains reformes. Par un bref du 28 mai 1839, Gregoire XVI crea la delegation apos- tolique d'Egypte et d'Arabie reunies, dont le titulaire fut charg6 de I'administration des Latins d'Egypte, avec le titre de vicaire apostolique. En meme temps, un second vicariat apostolique etait erige pour les Cophtes unis. Enfin les Mis- sions Africaines de Lyon furent chargees, en 1877, de desservir le Delta ; elles forment une prefecture apostolique, completement indepen- dante du vicariat latin. Enfin tout recemment, le 15 novembre, Sa Saintete retablissait I'antique patriarcat d'Alexandrie, pour les Cophtes catho- liques, avec 2 sieges episcopaux suffragants, Thebes et Hermopolis. II faut dire un mot de chacune de ces juridictions qui se partagent I'Egypte. I. Vicariat apostolique des latins. Ce vicariat s'etend sur toute la Basse-Egypte, a I'exception du Delta, qui, depuis 1891, forme une mission completement separee. Petsonnel : I vicaire apostolique, residence k Alexandrie; ce prelat est en meme temps del^gat du Saint-Si^ge pour ri^gypte et 1' Arable ; 64 missionnaires europeens, presque tous religieux. CoinmtDiantcs religieuses, Iwvimes : Mineurs obser- vantins et re'formes, 85. — Pretres de la mission, 4. — Compagnie de Jesus, 58. — Fr^res des ecoles chretiennes, 151. — Freres de Saint-Gabriel, 4. — Total : religieux, hommes, 302. Femmes : Soeurs de Sainl-Vincent-de-Paul, 67. — Sosurs du Bon -Pasteur, 108. — Sosurs de Saint -Joseph-de- I'Apparition, 9. — Sceurs de Saint-Charles -Borromee, 14. — Soeurs de Notre- Dame-de-Sion, 27. — Soeurs de la M^re-de-Dieu, 44. — Soeurs de Notre-Dame-de-la-Deli- vrande, 7. — Soeurs de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs, 9. — Sceurs du Tiers-Ordre-deSaint-Frani^ois, 106. — Total, religieuses, 391. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800 1890. 277 (Euvres : 46 eglises ou chapelles. — 5 colleges, dont 2 sous la direction des Jesuites : Le Caire et Alexandrie, et 3 sous celle des Frferes des Ecoles chretiennes : Le Caire, Alexandrie et Ramleh. — S pensionnats de filles. — 43 ecoles paroissiales. — 7 orphelinats. — 2 creches. — 6 hopitaux. — i refuge. — 2 hospices pour vieillards des deux sexes. Population catholique du vicariat : Rit latin, 54.384 ; rits orientaux, 14.301. Total, 68.6S5. II. Pr£FECTURE APpSTOLIQUE DE L.\ Haute-Egypte. Cette prefecture, ^rigee en 1687, fut confiee par le Saint-Siege aux Franciscains reformes, afin de venir en aide au clerge Cophte, trop peu nombreux. Pour le personnel et pour les oeuvres, elle releve entierement du vicariat apostolique des Latins. II parait vraisemblable quelle sera absorbee prochainement dans le patriarcat cophte d'AIexandrie, recem- ment retabli. En ce moment, elle a 12 stations avec residences et plusieurs post;s accessoires. La population catholique se decompose ainsi : Rit cophte, 5 000, — autres rits, l.ooo. — Total, 6.000 catholiques. III. Pr£fecture apostolique DU Delta. En 1877, la Propagande confia aux missions africaines de Lyon les quatre provinces du Delta du Nil. Cette mission fut erigee, en 1885, en prefecture apos- tolique, et en 1891, elle fut declaree entierement independante du vicariat apostolique d'AIexandrie. Personnel : i prefet apostolique. — 23 mission- naires du seminaire des missions africaines de Lyon. — 49 Sceurs de la meme socidte. (Euvres : 5 stations avec residences. — i dglise. — 9 chapelles. — i seminaire, 18 eleves. — 8 ecoles primaires, 710 eleves. — 4 dispen- saires. — i orphelinat agricole. Population catholique 3.000. IV. Vicariat apostolique DES COPHTES. Les Cophtes sont les descendants des anciens chretiens d'Egypte. ILs embras- serent en masse, au VI« siecle, I'hcrcsie d'Eutyches, le monophysisme, qui ne reconnait en JIlSUS-Christ qu'une nature et qu'une ope- ration theandrique. Mais, comme le declarait dernierement un des dignitaires de leur Egiise, « la difference entre les catholiques et nous au sujet du dogme n'est qu'une dispute de mots. » Le point delicat, c'est la suprematie du Pape, que les Cophtes, comme la plupart des Orien- taux, refusent de reconnaitre. D'apres eux, tous les patriarches sont, au meme titrc, les succes- seurs des apotres, et aucun d'eux n'a de juridic- tion sur les autres : la seule sup(^riorite de celui de Rome sur ses collegues, c'est que son pa- triarcat est plus etendu. Comme chez tous les schismatiques de I'Orient, le clerge cophte est d'une ignorance incroyable. Les simples pretres sont maries, mais le pa- triarche et les evcques sont astreints au celibat, et, pour cette raison, ils sont toujours tires d'un des sept monasteres cophtes encore subsistants en Egypte. Quant au peuple, il est naturellement aussi ignorant que ses pasteurs. Pour complaire aux musulmans, les Cophtes ont embrasse la EGYPTE. Un Cophte catholique de Zift6. D'aprfes un dessin du R. P. Baron, des Missions africaines de Lyon. circoncision, et leur christianisme est melange de beaucoup de superstitions. Depuis que I'ins- truction a commence a se repandre parmi eux, le laVcisme, qui est une des plaies des Eglises orien- tales, a fait de grands ravages dans leur commu- naute. On compte environ 500.000 Cophtes heretiques en Egypte. C'est peu ; mais il ne faut pas oublier que les chretiens d'Abyssinie regoivent leur Abouna, ou metropolitain, du patriarche d'AIex- andrie. Le retour des Cophtes d'Egypte am6- nerait done presque inevitablement la conversion 278 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. del'Abyssinie, et ouvrirait a I'Eglise romaine les routes de I'Afrique centrale. Les Cophtes n'ont pas contre le catholicisme la haine jalouse des Grecs ; les rapports entre le patriarcat et les missionnaires latins ont toujours ete plains de courtoisie. A plusieurs reprises, les Peres Jesuites ont 6te regus par le patriarche, qui leur a meme donne des lettres de recom- mandation pour visiter les monasteres de I'inte- rieur. Neanmoins les Cophtes voient avec un veritable chagrin le retour des leurs a I'Eglise romaine, parce que ces conversions individuelles diminuent I'importance de leur nation ; aussi font-ils tous leurs efforts pour s'y opposer. Mais, si les pretres catholiques de leur rite etaient plus nombreux, et qu'on jn'it suffisamment eclai- rer I'ignorance du clerge et du peuple, la nation ne serait pas eloignee de revenir en masse au catholicisme. La chose fut tout pres de se faire en 1856. « Quatre ans apres la mort de leur dernier patriarche, ecrivait Mgr Guasco, alors delegat du Saint-Siege, les Cophtes ne s'etaient pas encore entendus sur le choix d'un successeur. Dans I'impossibilite de se mettre d'accord, les eveques cophtes et les principaux de la nation resolurent a I'unanimite d'avoir recours a moi, pour le choix de leur patriarche. Je ne pouvais evidemment accepter une pareille mission si ce n'est dans le but d'arriver a une reconciliation entre Alexandria et Rome. II y a tout lieu de croire que j'eusse reussi, sans I'intervention des mcthodistes. Ces hommes, qui n'avaient rien a voir dans cette affaire, et dont personne ne demandait I'avis, intriguerent si bien avec leur consul, qu'ils persuaderent au vice-roi d'Egypte, turc de religion, de choisir un patriarche chretien et de I'imposer aux Cophtes schismatiques (i). » Ce n'etait pas malheureusement la premiere fois, et ce ne devait pas ctre la derniere, que les intrigues de la politique humaine firent echouer le retour des Orientaux au catholicisme. Recem- ment encore, en voyant les efforts des Anglais pour s'implanter en Egypte, le Czar de Russie offrait au patriarche des Cophtes de le prendre, lui et sa nation, sous sa protection. En apprenant cette demarche, notre consul pressait nos mission- naires de multiplier leurs oeuvres pour hater le retour des Cophtes a I'unite. Les hommes les moins chretiens comprennent, en effet, qu'il s'agit moins, pour les nations europeennes, d'une affaire de dogme que d'une question d'influence. II s'agit tout simplement d'arracher a la France sa clien- tele catholique, pour substituer I'ascendant de la Russie et de I'Angleterre au notre. Mon Dieu, qui nous debarrassera de la politique ! Depuis le Concile de Florence, il y a toujours eu en Egypte un petit troupeau de Cophtes-unis. C'est pourquoi, a cote de la prefecture aposto- lique de la Haute-Egypte, Pie VI, a la fin du I. Annates de la Propagation de la Foi, fevrier 1S56. dernier siecle, erigea le vicariat apostolique des Cophtes. En 1893, Leon XIII separa entierement les deux juridictions. A cette epoque, le vicariat apostolique des Cophtes comptait 30 stations, desservies par 22 pretres indigenes et plusieurs religieux latins. La population Cophte catholique se decomposait ainsi : Dans la Basse- Egypte (vie. ap. d'Alexandrie) 600 cophteb Au Caire , 2,500 » Dans la Haute-Egypte 8,000 > En Palestine (patriarcat latin de Jerusalem) 1,000 > Total pour I'Egypte et la Palestine: 12,100 cophtes unis sur une population de 1,500,000 cophtes. En 1885, les PP. Jesuites s'etablirent au Caire, et, a la demande de la Propagande, annexerent a leur college de la Sainte-Famille un seminaire pour les Cophtes. Ouelques annees plus tard, ils s'etablirent a Minieh, dans la Haute-Egypte. Bientot les con- versions se multiplierent, et un ebranlement serieux se fit dans toute la nation. En 1 89 5, en reponse a la lettre de Leon XIII, appelant la nation Cophte a I'unite, une depu- tation de trente notables fut recue en audience solennelle au Vatican. Ils apportaient avec eux 4.500 demandes d'union. Le Vicaire de Jesu.s-Christ repondit a ces esperances, en retablissant, par ses lettres apos- toliques du 25 novembre 1895, le siege patriarcal d'Alexandrie, avec deux eveches suffragants. Le diocese patriarcal comprend toute la Basse- Egypte et la ville du Caire. II s'etend de la Mediterranee au 30'"^ degre de latitude. Le diocese d'l lermopolis s'etend du 30™^ degre de latitude au 27™<=. Le diocese de Thebes s'etend du 27™^ degre au 22""=. En attendant la nomination d'un titulaire, le vicaire apostolique, Mgr Cyrille Macaire, cxerce les fonctions de vicaire patriarcal. Les deux dioceses suffragants ont chacun a leur tete un eveque Cophte. II est assez difficile de preciser en ce moment la population catholique du patriarcat. On a vu qu'elle s'elevait en 1893 a 12.000. Grace au mou- vement de conversions qui s'est opere dans toute la nation Cophte, a la suite du retablissement de I'antique siege patriarcal d'Alexandrie, il ne parait pas exagere d'evaluer en ce moment a 25.000 le chiffre total des Cophtes-unis. Tout est encore a creer comme ceuvres et comme personnel. Mais, avec la benediction du vicaire de Je.SUS-Christ, il n'est pas presoinp- tueux d'esperer que nous reverrons bientot la resurrection des gloires du siege de saint Marc, qui compta jadis plus de 200 suffragants et dix millions de catholiques. V. AUTRES RITES UNIS. Tous les rites unis ont leurs representants en Egypte. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800-1890. 279 1° Rite armenien. L'eveche armenien d'Alexan- drie, qui ^tait vacant depuis une vingtaine d'ann6es, vient d'etre heureusement retabli en 1 886. II y a en Egypte environ 1.200 armeniens catholiques, les uns reunis en paroisses de leur rite, les autres repandus dans les paroisses latines. Plusieurs appartiennent aux classes supe- rieiires de la societe egyptienne, et sont meme admis dans les conseils du goiivernement. Personnel : i eveque armenien, 4 pretres du sdminaire patriarcal de Bzommar (Liban). CEuvres ; 2 stations principales : Alexandrie et le Caire. — 5 eglises ou chapelles du rite armenien, I orphelinat. I hopital. Les dcoles du diocfese sont sous la direction des Latins. 2° Rii grec-mekliite. II y a en Egypte environ 800 catholiques de ce rit. lis ont plusieurs paroisses, et leurs pretres sont sous la juridiction d'un vicaire patriarcal residant a Alexandrie. 3° Rit syriaque. Les Syriens catholiques sont relativement nombreux en Egypte. On porte leur nombre a 6,000. Depuis longtemps l'eveche syrien d'Ale.xandrie demeure vacant. 40 Rit maronite. Les Maronites d'Egypte, au nombre de 4500, sont repandus principalement dans la Basse-Egypte, en particulier a Port-Said, oil ils sont pres de 3.000. lis sont, eux et leurs pretres, sous la juridiction immediate du patriar- che de leur rite. 5° Rit dialdcen. Les catholiques de ce rite, au nombre de 500 seulement, sont g6neralement repandus dans les paroisses latines et cophtes de la Haute et de la Basse-Egypte. Tableau des diffcrents rites existants en &gypte. 1° Vicariat apost. d'Alexandrie, rit latin 2° Prefecture apostolique du Delta 3° Patriarcat Cophte dAIexandrie 4° Evechd Armenien dAIexandrie 5° Rit Grec-Melchite 6° Rit Syriaque 7° Rit Maronite 8'= Rit Chaldeen IV. — PREFECTURE APOSTOLIQUE DK TRIPOLI. 54,484 3,000 25,000 1,200 Soo 6000 4,500 500 95,484 Ce qui donne,pourtouterEgypte, 95.000 catho- liques appartenant a tous les rites. Mais, pour 6viter de faire double emploi, il faut remarquer qu'environ 15.OOO ont deja et6 portes au chapitre des Rites-unis. II reste done environ 80.000 catholiques (latins et cophtes) non encore cata- logues. La hierarchie catholique en Egypte est ainsi composee, en ce moment : I vicaire apostolique des latins, delegation du Saint-Siege pour 1' -gypte et I'Arabie ; I vicaire patriarcal et 2 eveques Cophtes ; 1 eveque armenien d'Alexandrie ; 2 prcfets apostoliques (Delta et Hautc-Egypte). CEtte prefecture, confiee aux RR. PP. Franciscains r^formes, comprend toute la Regence de Tripoli. EUe est limitee, a Test, par I'Egypte, au sud et au sud-ouest, par le Sahara, au nord-ouest, par la Tunisie, et au nord, par la Mediterranee. La population totale est d'un million d'habitants, sur lesquels 5.900 catho- liques. L'histoire de la rnission de Tripoli ressemble a celle des autres Etats barbaresques, Tunis et Alger : jusqu'au XIX'' siecle, la proscription du culte Chretien, la piraterie erigee en systeme, des ecumeurs de mer qui, pendant des siecles, deso- lent les rivages de la Mediterranee, enlevant des milliers de Chretiens pour les reduire en esclavage. Pendant longtemps, les religieu.x catholiques ne purent penetrer a Tripoli et y resider qu'au peril de leur vie, pour travailler au soulagement et a la redemption des captifs. Le premier prefet apos- tolique dont il soit fait mention est un religieux Franciscain, le P. Jean-Baptiste Dupont, qui fut martyrise par les infideles en 1654. Depuis lors, les enfants de saint Francois ne quittent plus le sol de la Regence, et la serie des prefets aposto- liques continue sans interruption jusqu'a nos jours. Au commencement du siecle, il y avait encore quinze cents a deux mille esclaves chretiens a Tripoli ; mais la piraterie, surveillee de pres par nos consuls, etait frappec a mort. Apres la con- quete de I'Algerie par les Franijais, elle disparait de la Tripolitaine, comme de tous les Etats bar- baresques. Depuis ce temps, la Regence de Tripoli, a I'e-xemple de ses voisins, est entree dans les voies de la tolerance et de la civilisation. Actuellement, nos missionnaires et nos religieux jouissent dans tout le pays de la plus grande consideration. En depit de leur fanatisme, les sectateurs du Prophete ont appris a venerer le zcle desinteresse de nos pretres et le devouement de nos Soeurs de Charite. L'histoire de la mission de Tripoli presente peu d'incidents notables au cours de ce siecle. Vers 1870, les Sceurs de Saint-Joseph de I'Apparition arriverent au nombre de quinze a Tripoli, oil elles ouvrirent un hopital et desecoles bien frequentees. De leur cote, les RR. PP. Franciscains ont dans la prefecture plusieurs ecoles, auxquelles un voyageur fran^ais rendait dernierement hommage en ces termes : « L'ecole des PP. Franciscains rend de veri- tables services a la civilisation, en ce sens qu'elle propage parmi les indigenes non seulement I'ins- truction et la connaissance des langues euro- peennes, mais encore parce que la sympathie que les professeurs excitent, chez leurs eleves, les 280 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^^ SIECLE. habitue a ne pas eprouver vis-a-vis des Chretiens las prejuges hostiles qu'ils n'auraient pas manque de partager, s'ils avaient simplement suivi les cours des ecoles musulmanes (i). » A cause de sa situation geographique, TripoH est comme la porte du desert et le point de de- part de toutes les caravanes qui traversent le Sahara. C'est ce qui decida les missionnaires d'Alger, charges par le Saint-Siege de ces diffi- ciles missions, d'ouvrir en iSSo, a Tripoli, une procure pour faciliter I'expedition de leurs cara- vanes. Statistique religieuse de la mission de Tripoli. Personnel: i prefet apostolique, lo missionnaires fian- ciscains, 8 Frcies de la socieie de Marie. Soeurs de Saint- Joseph, 2 maisons, k Tripoli et \ Ben- ghazi, 16 Sceurs. QLuvres: 3 stations avec residences: Tripoli et fau- bourg, 5.800 catholiques, Benghazi, 300 ; plus 4 postes visi es de temps en temps, 100 ; total : 6 200 catholiques. 2 couvents de Franciscalns, avec ^glises paroissiales, 3 chapelles. 1 college k Tripoli (Fr^res de Marie), 265 el^ves. 2 ecoles primaires, gargons : 227 el^ves ; 2 ecoles pri- maires, filles : 223 el^ves. 1 asile, 50 enfants ; 1 hopital, avec dispensaire, 20 lits, Statistique compar^e de la viission de Ti-ipoli. En 1800 : I prefet apostolique, 2 missionnaires, ? eglises ou chapelles, ? ecoles 2.000 catholiques. En 1S96 : I prefet apostolique, 10 missionnaires, 6 Eglises ou chapelles, 5 ecoles, 6.200 catholiques. V. — PREFECTURE APOSTOLIQUE DU MAROC. CETTE prefecture comprend tout I'empire du Maroc. Elle est limit^e, a Test, par I'Algerie, au sud, par !e grand desert, a I'ouest, par I'Atlan- tique, et au nord, par la Mediterranee. Le Maroc a 6 000.000 d'habitants, sur lesquels on compte 5,000 catholiques. Sa superficie est de 672.000 kil. carr6s. L'Espagne a sur la cote septentrionale le presidios de Ceuta, 12.170 habitants. L'evechd de Ceuta a ete reuni au diocese de Cadix. II y avait aussi a Tanger un autre siege episcopal, relevant directement du Saint-Siege. Depuis longtemps il est sans titulaire, et la ville de Tanger fait desor- mais partie de la prefecture. « Rien de plus triste, ecrit un ecrivain mo- derne, que I'histoire de la mission du IVIaroc, con- tinuellement detruite et ressuscitant toujours des cendres de ses martyrs. » Dans aucun des Etats barbaresques, le fana- tisme musulman ne s'est manifeste avec une pareille cruaute.et ne s'est maintenu si longtemps en depit des progres de la civilisation. Aujour- d'hui encore, en dehors des quelques postes oii resident nos consuls, la vie d'un Europeen serait en danger et il serait presque certainement mas- sacre, s'il etait reconnu comme chretien. Les rois d'Espagne et de Portugal furent souvent en guerre I. bournel, La Tnpolilaine et les routes du Soudan. avec le Maroc, et leurs conquetes dans le pays y ont entretenu la haine du nom chretien. Fidele a sa mission divine, I'Eglise catholique, a partir du moyen age, n'a jamais manque d'en- voyer des apotres a ces populations infideles. En 1220, saint Francois d'Assise ordonna a cinq de ses premiers disciples d'aller precher la foi dans I'empire du Maroc, ils furent aussitot martyrises. On salt que c'est leur glorieuse mort qui donna a I'Ordre seraphique saint Antoine de Padoue, jaloux de marcher sur les traces de ces heros. Son pieux espoir fut trompe ; mais d'autres fils de saint Frangois se succederent sans inter- ruption sur cette terre inhospitaliere et eurent I'honneur de I'arroserde leur sang. En 1234, Frere Agnellus arriva au Maroc, avec le titre de delegat apostolique et le caractere episcopal. De 1234 a 1566 le siege episcopal de Maroc fut occupc par une succession de pontifes martyrs. II fut suppri- me a cette epoque, et la mission du Maroc de- meura abandonnee jusqu'en 1636. Cette annee-la le Franciscain Jean de Prado, encore honore de nos jours comme patron de Tanger, arrosa de son sang la mission qu'il venait rouvrir. Depuis ce temps jusqu'au commencement du XIX"^ siecle, la mission franciscaine subsista, a travers mille persecutions ; mais en 1822, le sultan la confina a la seule ville de Tanger, et I'liglise catholique ne fut plus representee au Maroc que par un seul Franciscain de la province de San-Diego (Anda- lousie). « Les folies revolutionnaires dont I'Espagne n'a pas su se preserver, ^crivait un religieux fran- qais du meme Ordre, ont ete la cause de ce malheur ; et si la province de San-Diego n'a plus la force de cultiver I'heritage que lui ont laisse ses peres, des ouvriers plus energiques recevront du Saint-Siege son patrimoine abandonne. » L'Espagne catholique entendit ce reproche et y fut sensible. En 1859, la mission du Maroc fut reprise par les Franciscains du college de Com- postelie, et dans le traite conclu, en 1862, entre le Maroc et I'Espagne, cette puissance fit inserer, comme condition de la paix, une clause formelle qui declare que I'Evangile sera librement preche dans toute I'dtendue de I'empire. En 1872, la mission du Maroc comptait deja : I prefet apostolique, 27 missionnaires francis- cains, dont 14 pretres et 13 Freres lais, 3 stations et 1. 170 Chretiens. Cette situation s'est encore amelior^e depuis. 1895. — Personnel : I prefet apostolique, 52 mission- naires franciscains, 13 Sosurs du Tiers-Ordre de Saint- Fran(;ois. CEuvres : 6 stations avec residences : Tanger, Tetuan, Casablanca, Larache, Mazagan et Mogador ; plusieurs missions, 4 eglises paroissiales et 9 chapelles. 9 ecoles primaires, garQons, 299 el^ves. 9 ecoles pri- maires, filles, 344 dl^ves ; plus une ecole superieure k Tanger, 12 gar(;ons. I hopital de 30 lits, auquel est annexee une ecole de medecine pratique, 8 eleves ; une ecole industrielle, 5 el^ves ; l imprimerie hispano-arabe. Population catholique en 1896 : 6.693 ames. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800 1890. 281 VI. — VICARIAT APOSTOLIQUE DU SAHARA. LA mission du Sahara faisait d'abord partie du vicariat apostolique du Soudan (Afrique centrale). Elle fut detachee en i86S et confiee aux missionnaires d'Alger, sous la haute direction du cardinal Lavigerie. En 1893, elle fut erigee en vicariat apostolique. La nouvelle mission comprend tout le grand desert du Sahara. Elle a pour limites : la Tunisie et la Tripolitaine a Test, I'Algerie au nord, le Maroc et I'Atlantique a I'ouest, le Senegal et le Soudan au sud. La po- pulation totale est de quatre millions d'habitants, sur lesquels on compte envi- ron deux cents catholiques. « Par un sentiment de delicatesse que tout le monde saura apprecier, ecrivait Mgr Lavigerie (1), le Souverain-Pontife a voulu que ces vastes regions, situees sur les confins de nos deux grandes colonies africaines (I'Algerie et le Sene- gal), fussent confiees a un eveque fran- 9ais. Est-ce une prophetic des futures conquetes de la France dans ces pays encore si peu connus ? C'est le secret de DiEU. » Ce paj's portait dans la geographic ancienne le nom de Lybie interieure. Les Remains, apres avoir soumis la Mauritanie et la Nubie, poussercnt leurs avant-postes jusqu'aux confins du desert. Les ruincs romaines qu'on rencontre encore ga et la temoignent de ce fait historique. Les apotres du CllRTST ne furent pas moins intrepidcs que les soldats ' des C^sars. Apres avoir fonde les grandes Eglises d'Alexandric et de Carthage, on les vit, des le second siecle, s'enfoncer a leur tour dans les solitudes du Sahara. Au temps de saint Augustin, on a la preuve que plusieurs sieges episcopaux existaient dans les principales oasis du desert. L'invasion des Vandales aricns, suivic bientot de celle des Arabes mu- sulmans, vint ruiner ces Eglises. L'agonie de I'Afrique chretienne, violemment separee du centre de la catholicite et privee de tous les rap- ports possibles avec I'Occident, dura des siecles : agonic lente, cruelle, heroi'quc et trop peu connue des historicns moderncs. Qu'on se represente les angoisses dc ces eveques et de ces pretres, courbes sous le cime- terre de leurs oppresseurs, assistant aux fund- railles de leur Eglisc, et voyant tomber un a un ses derniers pastcurs, sans espoir possible de les remplacer. Pour fuir leurs cruels vainqueurs, les I. Lett re aux Con sells centraux de !a Propai^alion de la Foi^ sept. 1868. Chretiens s'enfoncerent dans les profondeurs du grand desert, ou ils se sont perpetues sous les noms dc Mzabites ct dc Touaregs. Comme tous les faibles qui ne peuvent sc vcnger de ceux qui les oppriment, ilsdevinrent insociablcs et cruels ; ils se fircnt nomades, transportant leurs tentes d'un lieu a un autre au caprice des circonstances ; pour subsistcr, aussi bien que pour se vcnger de leurs tyrans, ils devinrcnt les pirates du desert, pillercnt les cara vanes, et furent bientot la tetreur des trafiquants arabes. Peu a peu, au contact dc leurs maitres, ils Mgr Lavigerie b^nissant un orphelin arabe. embrasserent rislamisme,maissans pouvoirarriver a se faire rcconnaitre par les autres musulmans pour de vrais sectateurs du Prophete. C'est qu'aussi ils ont conserve un grand nombre de traditions chretiennes. Jamais on ne verra les Mzabites entrcr dans une mosquee ; leur nom meme signifie cinquieine, commc cclui de Touareg, qui veut dire abaiidonm', indique que les Arabes les considerent comme des schismatiques, vivant en dehors des (7«(7/r^ scctes orthodoxes de I'islam. Comme les Kabylcs dc I'Atlas, les tribus berbcres du desert ont conserve la monogamie chretienne et le droit remain. Chez cux, DiEU s'appcUe Adanai; c'est V Adonai ch'ce.tien, k peine defigure ; 282 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"'<= SIECLE. au lieu du paradis sensuel de Mahomet, ce Dieu habite un ciel spirituel, oil il est entoure d'es- prits hienheureux,A/idge/o7is; evidemment encore, ce sont nos anges. « La croix, ecrit un voyageur franqais (i), se trouve partout chez les Touaregs, dans leur alphabet, sur leiirs armes, sur leurs boucliers, dans les orncinents de leurs vctements ; ils por- tent sur le front en tatouage une croix a quatre branches egales. » R. P. POUPI.ARD, DhS MiSSIONNAIRES D'AlGEF, lassacre dans le Sahara tripolitain, pr6s de R'dam&s, le 21 ddcembre 1881. Enfin les tribus du grand desert ont garde I'usage de la confession jjublique, telle qu'elle se pratiquait aux premiers siecles, de I'imposition de la penitence et de I'absolution donnee par le pretre. II est certain qu'il y a la d'anciens sou- venirs chrdtiens a recueillir et a re\'eiller dans le triple interet de la foi, de la civilisation et de I'influence francaise. Ouand on pourra s'approcher de ces farou- ches enfants du desert, on decouvrira peut-etre qu'ils sont restes plus chretiens qu'on ne le 1. Duveytier, Voyage & traven le Sahara. supposait. Un Mzabite disait un jour a un profes- seur du grand seminaired'Alger : « — Nous avons des livres, a nous, qui ne parlent pas de Mahomet. » « — Et que disent done ces livres ? » « — lis disent qu'il faut honorer J^SUS, le fils de Marie. » Malheureusement les tribus du Sahara sont tres difficiles a aborder. La liste des voyageurs europeens qui se sont hasardes a travers le desert, pour se rendre dans la mysterieuse cite de Tombouctou, n'est guere qu'un mart}TO- loge. En 1874, deux vo)-ageurs franc^ais, MM. Dournaux-Du- perre et Joubert,furent massacres par les Touaregs. Au mois de fevrier 1881, la mission Flatters, com- posee d'une cinquan- taine de personnes, etait aneantie a son tour. On verra plus loin que les premieres tentatives des mission- naires du Sahara n'ont pas ete plus heureuses Pour faciliter I'evan- gelisation de ces tri- bus, Mgr Lavigerie a fonde une nouvelle Societe de mission- naires, qui renoncent a la vie europeenne, pour prendre le cos- tume et la maniere de vivre des Arabes, afin de se faire tout a tous, selon le precepte de saint Paul, et de les gagner tous a J^SUS- Christ. Leur mode d'evan- gelisation n'est pas la predication directe,qui serait prematur^e, et n'aurait d'autre effet que de reveiller le fanatisme. Les missionnaires commencent par employer toutes les industries du zele apostolique afin de gagner la confiance des indigenes, ce qui leur a reussi presque partout. Les Peres Blancs com- mencent a etre connus et apprecies par les popu- lations du Sahara et de la Grande Kabylie. Plu- sieurs tribus ont demande d'elles-memes qu'ils viennent s'etablir sur leur territoire. Des 1875, dix etablissements etaient deja formes dans les montagnes de I'Atlas et au milieu du grand de- sert. Chaque etablissement se compose de trois missionnaires, avec dispensaire et ecoles. Les LES MISSIONS DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE, 1800-1890. 283 pauvres, les enfants se pressent aux portes de ces maisons ; les uns viennent chercher une consul- tation et des remedes gratuits, les autres, tres intelligents, reclament I'instruction, dent ils com- mencent a comprendre I'utilite. Les mission- naires recoivent aussi de nombreux visiteurs appartenant a I'aristocratie des tribus, qui vien- nent voir de leurs yeux ce que font chez eux ces etrangers si peu semblables aux autres. Au con- tact du pretre catholique, bien des prejuges tombent, la lumiere se fait dans ces esprits si longtemps fermes a tout ce qui vient de I'Europe, et Ton pent dire sans exageration que, partout oil ils ont eu le temps de se faire connaitre, les Mission- naires d'Alger ont ap- pris aux indigenes a respecter le nom du christianisme et celui de la France. On comprend qu'il ne peut encore en etre de meme la ou les missionnaires ne font que passer. C'est ce qui explique I'insuc- ces des deu.x premie- res tentatives qui ont ete faites pour traver- ser le Sahara. Au mois dedecembre iS75,une caravane composee de trois missionnaires, les PP. Bouchaud, Paul- mier et Menoret, etait massacr^e par les Touaregs, sur la route de Tombouctou. Une seconde catastrophe eut lieu, au mois de decembre 1881. Le P. Richard, chef de la future expedition, avait fait, I'annee pre- cedente, une tournee d'exploration au milieu des tribus du Sahara ; partout il avait ete re^u de maniere a concevoir les meilleures esperances pour le succes du voyage projete ; mais dans I'intervalle avait eu lieu le massacre de la mission Flatters ; les tribus etaient sure.xcitees et redoutaient les represailles de la France. Partis le 18 decembre de R'dames, pour aller fonder une nouvelle station a Rhat, les PP. Richard, Morat et Pouplardfurent mis a mort, le 21 du meme mois, a peine entres dans le desert. Ces deux catastrophes successives, sans decou- rager les Missionnaires d'Alger, ont montre avec quelle prudence il faut s'avancer pas a pas dans ces regions inhospitalieres, ou tout etranger est considere comme un ennemi et comme une proie envoyee du ciel. Voici la situation religieuse du vicariat aposto- lique du Sahara (1890) : Personnel : i vicaire apostoliqiie en residence k Biskra, lomissionnaires-pretres, 4 Fr^res, 4 catechistes indigenes, 10 Soeurs de la meme societe (Missionnaires d'Alger). CEuvres : i noviciat k Maison-Carree (Alger), 34 R. P. RicH.ARD, DES Missionnaires d'Alger, chef de la caravane de Rhat, massacre le 21 decembre iSSi. novices pretres, 17 laiques, i ecole apostolique Ji Notre- Dame d'Afrique, gS ellves. I instilut medical k Make pour former des m^decins et des catechistes indigenes h. I'usage des missions du Sahara, de la Kabylie et de I'Afrique centrale. 8 stations de mis- sionnaires dans la Grande Kabylie, 2 ecoles primaires de gargons et I de filles, i2 chapelles. Population catholique : 260 catholiques groupe's en deu.x villages et environ 160 dans les differentes stations, en tout, environ 420 catholiques sur 4.000.000 d'habitants. Illiiniinare his qui in teiiebris et in umbra mortis sedent. II luminez, Seigneur, ceux qui, depuis des siecles, sont assis dans les tenebres et a I'ombre de la mort. 284 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX""= SIECLE. Statistique cnmparife des Missions de I 'Afrigue septentrionale. En 1800 : 2 missions, 2 prefets apostoliques, ? pretres, ? dglises, ? ^coles, environ 15.000 catholiques. En 1895 : I delegation apostolique, i archeveque ou dveque, 623 pretres, 474 eglises ou chapelles, 330 ecoles, 578. S80 catholiques. Sur ce chiffre, la plus grande partie, soit environ 450.000 catholiques, appartient a I'immigration, et ne peut par consequent etre portee a I'actif de I'apostolat. Neanmoins, en voyant ce qui s'est fait dans I'Afrique du Nord au cours du XIX^ siecle, on ne peut qu'admirer et remercier DiEU. Apres 12 siecles de servitude, I'Eglise romaine a repris position sur ces rivages, si longtemps desoles, de la Mediterran^e. Partout, a Alger, a Carthage, en Egypte, a Tripoli, au Maroc et jusqu'au fond des deserts du Sahara, le nom chretien est connu et se fait respecter, meme de ses ennemis, par les merveilles de son inepuisable charite. En Algerie, apres un demi-siecle d'attente, les barrieres qu'on avait elevees entre les indigenes et nous sont ren- versees en partie. Desormais le disciple de Maho- met peut s'approcher des pretres catholiques et les voir a I'ceuvre. En Egypte, le schisme secu- laire des Cophtes est profondement ebranle. Comme toutes les vieilles heresies de I'Orient, le monophysisme croule au contact de la civilisation et a la lumiere de I'histoire mieux etudiee. Ce n'est plus qu'une affaire de temps, et si les intri- gues de la politique ne venaient se mettre a la traverse, si surtout le catholicisme avait des res- sources plus abondantes et un plus grand nombre d'ouvriers, la reconciliation entre Rome et Alexandrie serait faite, ou bien pres de se faire. Mais si Ton peut raisonnablement esperer le retour des Cophtes a la vraie foi, si Ton peut se promettre de rapprocher de nous les anciens Chretiens d'Afrique, les Berberes de I'Atlas et du Sahara, il faut bien reconnaitre que, jusqu'ici du moins, la race arabe pure demeure refractaire aux tentatives de I'apostolat. Son fanatisme meurtrier a fini avec sa puissance ; mais son orgueil reli- gieux refuse toujours de s'incliner devant la superiorite pourtant evidente de la civilisation chretienne. Les sectateurs du Prophete revien- dront-ils un jour au DiEU qui a fait guerissables toutes les nations de la terre ? C'est le secret de I'avenir. En attendant, I'apostolat catholique prepare ses cadres, organise des legions de reli- gieux pour precher la foi aux lArabes, quand I'heure de la Providence aura sonne pour eux. Puissent ces courageux apotres voir bientot se r^aliser la prophetie que fit, dit-on, il ya un siecle et demi, un vieux marabout deLaghouat (1) : « Une armee chretienne, protegee de DiEU, s'avance vers nous. Le pouvoir des Chretiens n'aura pas de limites. Les mosquees seront aban- donnees. La religion des vrais croyants est morte a Alger. C'etait ecrit ! » I. On peut consiilter sur cette prophetie, tr6s repandue parmi les Arabes de I'Algerie, plusieurs ouvrages : V Algerie, par Carette, Algerie et Tunis, par le capitaine Kennedy, etc., etc. Cljii|iitre Di):^Euitieme. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800-1890 xmnnmrmnx E grand malheur de I'Afrique occidentale fut d'avoir dte evan- gelisee par le Portugal, qui, apres trois sieclesd'un glorieux et fecond apostolat, abandonna tout a coup Toiuvre des mis- sions, et en ferma, aussi long- temps qu'il le put, I'acces aux missionnaires des autres pays. II avait pourtant bien debute dans la carriere de I'apostolat : ses missions se deve- loppaient, tout le long de la cote occidentale, du Sahara au Cap, sur une ^tendue de cinquante degres de latitude (1.250 lieues), en de9a et au dela de I'Equateur, et sur une profondeur moyenne de ti-ois cents lieues de I'Atlantique au centre de I'Afrique. Pendant trois siecles, des legions d'a- potres se succederent sur les plages de I'Afrique occidentale. Vers 1400, trois Peres Dominicains arriverent les premiers au Congo, a la demande du roi du pays. En quelques mois, ils baptiserent plus de cent miUe noirs. On vit bientot, au Congo, une dynastie de princes chretiens, qui s'est perpetuee jusqu'a nos jours. Plus tard, ces princes secoue- rent le joug des Portugais; mais ils resterent sou- mis a celui du CHRIST, et se mirent directement en rapport avec le Saint-Siege pour avoir des missionnaires. Rome entendit leurs prieres : au cours du XVIIP siecle, on trouve dans le pays deux prefectures apostoliques confiees aux Capu- cins, celle du Congo proprement dit, et celle du Grand Makoco, situee a plus de trois cents lieues dans I'interieur. Et ici qu'on me permette de faire une obser- vation : des documents serieux, des lettres, des cartes geographiques conservees aux archives de la Propagande, permettent d't^tablir que le centre de I'Afrique etait connu et explore des mission- naires des le milieu du XV^ siecle. Sans vouloir rien enlever au merite des voyageurs modernes, qui ont retrouve, il y a trente ans, la route des grands lacs et traverse I'Afrique de Test a I'ouest, il est bien permis de faire observer que ce qu'ils ont execute, avec le concours des societes savan- tes et i'appui des gouvernements europeens, de pauvres Capucins, s'en allant pieds nus, sans armes,sans argent,sans provisions,sans aide de per- sonne, I'avaientdeja fait deux siecles auparavant. A chacun ce qui lui appartient. Helas ! la politique sectaire et nefaste de Pom- bal vint, dans la seconde moiti^ du xviiF siecle, detruire en quelques annees I'ceuvre de trois cents ans d'apostolat, et ruiner, du meme coup, la puis- sance coloniale du Portugal, en faisant de cet Etat I'humble satellite de I'Angleterre protes- tante. La desorganisation des Ordres religieux avait bien reduit deja le nombre des missionnaires. En 1838, les derniers furent chasses des colonies portugaises, et le gouvernement, maitre des cotes, s'appliqua a fermer I'interieur du continent afri- cain aux missionnaires des autres nations catho- liques. En 1840, nous ne trouverons plus, sur la cote occidentale, que I'eveche de Saint-Paul de Loanda, avec Iiuit a dix pretres, et sept cent rnille catholiques, si Ton s'en rapporte aux statistiques officielles ; mais ce chiffre me parait d'une exa- g^ration manifeste. En effet, les memes documents donnent, pour I'annee 1845, le chiffre de trente-six paroisses et de onze pretres, dont quatre moururent dans I'annee ; chacun des sept pretres survivants aurait done eu pour sa part cent mille chretiens. II y a la une disproportion telle qu'il faut dire, ou que les chiffres officiels sont errones, ou que ces chretiens, semblables a ceux que les mission- naires du Saint-Esprit decouvrirent, quelques annees plus tard, a Saint-Antoine-de-Sogno, n'ont plus de Chretien que le nom, la plupart n'ayant pas meme re9u le bapteme. Cependant le Saint-Siege se preoccupait de pourvoir aux besoins spirituels de tant de mal- heureux restes sans pasteurs. En 184?, Gregoire XVI confia le vicariat apostolique des Deux- Guinees, r^cemment ^rige, a M. Baron, ancien vicaire general de Philadelphie (Etats-Unis). Sa juridiction s'ctendait sur toute I'Afrique occiden- tale, du Senegal au Cap. II arriva en 1843 avec sept missionnaires et trois Freres, et s'etablit au Cap des Palmes dans le Liberia. Malheureuse- ment c'etait la saison des pluies, et les mission- 286 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"^^ SIECLE. sionnaires i C'EST aux navigateurs dieppois de la fin du XIV« siecle qu'il faut faire remonter les premiers etablissements de la France au Sene- gal. A cette heure ou la boussole n'etait pas encore connue, nos compatriotes n'hesiterent pas a longer les cotes de I'Ocean, de I'embouchure de la Seine jusqu'au fond du golfe de Guince, oij ils installerent les premiers comptoirs euro- peens pour I'achat des marchandises du pays, en particulier de I'ivoire, si rare alors en Europe, Depuis ce temps, malgre bien des vicissitudes et des competitions jalouses, la France n'a jamais completement abandonne ce pays, ou elle abor- da la premiere en 1364. Les Portugais et les Espagnols, au XV= siecle, les Anglais, au XVIII'', sont venus etablir leurs comptoirs a cote des notres : mais ils n'ont pu parvenir a nous eli- miner, et, grace a I'ascendant moral de nos mis- sionnaires, notre influence sur les populations de I'Afrique occidentale semble assuree pour longtemps. La mission du Senegal remonte a 1765. Deux Peres du Saint-Esprit, qui se rendaient a la Guyane, ayant ete jetes par la tempete sur la cote du Senegal, s'y fixerent, avec I'approba- tion du Saint-Siege, a la demande des residents fran9ais de la colonie. La grande Revolution et la ruine des Ordres religieux, qui en fut la suite ne leur permirent pas d'avoir des successeurs. La mission du Senegal demeura done aban- donnee jusqu'en 1845, epoque ou la Congrega- tion du Saint-Esprit, fortifiee et rajeunie par son union avec les disciples du Venerable Liber- mann, reprit les missions d'Afrique. P3n 1863, le Saint-Siege ^rigea, a cote de la prefecture du Senegal, le vicariat apostolique de la S6negambie, detache de celui des Deux- Guinees. Mgr Kobes, qui etait, depuis 1848, le coadjuteur de Mgr Bessieux, devint le premier titulaire du nouveau vicariat. A sa mort (1872), le R. P. Duret, prefet apostolique du Senegal, ayant ete nomme vicaire apostolique, le vicariat et la prefecture furent reunis sous le meme Sup^rieur, les deux missions gardant neanmoins leur territoire et leur juridiction distincts. Bien que les rapports entre I'administration coloniale et la mission aient toujours ete excel- lents, et que les missionnaires, dans leurs lettres, se soient loues bien des fois de I'attitude des ofificiers frangais a leur egard, il faut reconnaitre neanmoins que la politique generale du gouver- nement a ete loin de favoriser dans la colonie la propagande chretienne. Au Senegal, plus encore qu'en Algerie, la France, infidele a sa mission providentielle, a favorise, autant qu'elle I'a pu, les envahissements redoutables de 1' Islam au milieu des populations noires, et elle n'a recueilli, pour prix desa complaisance et de son liberalisme, que la haine et la revolte. Deja, en 1847, '^ gouvernement de Louis- Philippe faisait elever a Saint-Louis une mosquee monumentale, en face de la pauvre chapelle catholique. Le besoin s'en faisait si peu sentir que, pendant dix ans, les disciples du Prophete refuserent d'allcr y faire leurs prieres. Plus tard, I'Empereur etablit les tribunaux arabes, pour appliquer aux musulmans, nos sujets, la loi du Coran, loi absurde et immorale. II fit plus : il livra aux marabouts, qui sont au Senegal les pires ennemis de la France, I'education de la LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800 1890. 287 jeunesse Saint-Lo en sorte que, dans la seule ville de uis, ils avaient, en 18S7, vingt-cinq ecoles Mgr Kobes, de la Congregation du Saint-Esprit at du Saint-Coeur de Marie, premier vicaire apostolique de la Senegambie. musulmanes, frequentees par 500 elcves ; pas un seul enfant musulman ne venait, a cette epoque, dans les ecoles des Freres ou dans celles de la colon ie. Quels ont ete les resultats d'une politique si peu chretienne ? C'est ce que des voyageurs laiques vont nous apprendre : « Saint-Louis, ecrivait un des anciens fonc- tionnaires de la colonie ( i ), est devenu le foyer du mahometisme, surtout depuis que la mosqude, en face de notre cglise, a donne a Tislamisme une consecration officielle. » « La plupart des maux de I'Afrique, dit un voyageur francais {2), viennent de I'islamisme. Ni dans nos colonies actuelles, ni dans celles qu'on fondera plus tard, jamais, dans aucune circons- tance, meme quand il se presente sous les dehors les plus seduisants comme au Senegal, on ne doit I'encourager. Le combattre ouvertement serait peut-etre un mal ; I'encourager en serait un plus grand, a mes yeux ; ce serait un crime par complicite. » « Plus nous reflechissons, ecrit le celebre voyageur Raffanel (3), a la condition des noirs 1. Carrere, ancien president du Tribunal de Saint-Louis, La Slnigambie fran^aise. 2. Mage, Voyage dans le Soudan occidental. 3. Raffanel, Voyage au Sahara el au Senigal. d'Afrique, plus nous demeurons convaincus que le seul moyen de la modifier avec avantage, c'est de les initier aux preceptes de la religion chre- tienne ; il n'en est pas de plus efficace. Au lieu de cela, nous avons vu, au Senegal, I'adminis- tration elle-meme encourager les defections au drapeau de la foi nationale, en vue de je ne sais quel resultat chimerique. Nous avons ainsi abaisse le catholicisme et releve le mahometisme, au grand detriment de nos interets. » Ddja plusieurs projets de chemins de fer pour r6unir nos deux grandes colonies, a travers le Sahara, sont a 1 etude ; I'un de Tuggurt au lac Tchad, I'autre d'Oran a Saint-Louis, en passant par Tombouctou. Mais avant d'engager des millions dans ces entreprises colossales, il faut que notre ascendant moral sur les populations soit solidement etabli ; or, cet ascendant, nos fatales complaisances envers I'lslam I'ont bien compromis. « Ceux qui se preoccupent de I'avenir, ecrit Carrere, remarquent avec inquietude qu'une divi Mgr Duret dc la Congregation du Saint-Esprit et du Saint-Coeur de Marie, vicaire apostolique de la Sene- gambie. sion tend a setablir, tous les jours plus profonde, entre les chretiens et les musulmans. La condes- 283 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. cendance que I'administration de I'Algerie et du Senegal teinoigne pour le mahometisme, loin d'amener des rapports pacifiques, ne sert qu'a perpetuer la haine que tout bon musulman se croit en droit de porter a celui qui ne partage pas ses croyances. » En 1864, El-Hadji-Omar, apres avoir fait deux fois a nos frais le pelerinage de la Mecque, usa au retour de I'influence que lui donnait son titre de liadji, ou pelerin, sur les populations fanatiques du Foutah senegalais, pour se tailler, a nos depens, un empire sur la rive gauche du fleuve. A sa mort, son fils Ahmadou h6rita de son influence, et, depuis trente ans, il est notre ennemi acharn^. Des 1869, il souleva contre nous le Ca3'or. La France, epuisee par la guerre de 1870, lui abandonna, par le traite de 1871, cette province, ne se reservant sur elle qu'un protec- torat illusoire. Ce n'etait pas encore assez pour son ambition. En 1873, il souleve de nouveau le Cayor, ravage les royaumes de Sine et de Saloum, nos allies, et force des milliers de noirs, nos proteges, a se refugier dans la colonic. Ce ne fut qu'au bout de deux ans que le lieutenant- colonel Beghin parvint a triompher de la revolte, par la defaite d'Ahmadou. En 1881, autre expe- dition pour pacifier le Foutah. En 1883, troisieme expedition dans le Caj-or, de nouveau souleve contre nous aux predications fanatiques des marabouts. C'est une lutte de chaque jourentre I'influence de I'lslam et la notre. « Le seul moyen d'obtenir au Senegal des resultats s^rieux, ecri- vait un voyageur tres peu chretien (i), c'est de fermer purement et simplement toutes les ecoles musulmanes, vrais foyers de fanatisme contre nous. » Au milieu des erreurs et des fautes de la poli- tique humaine, le catholicisme fait son ceuvre sans bruit, mais non sans succes. Ce n'est guere qu'en i860 que commence serieusement la mis- sion de Senegambie. En 1863, elle est erigee en vicariat apostolique et recoit son premier eveque, Mgr Kobes. Trois grandes ceuvres resument son 6piscopat : la creation de Saint-Joseph de N'gazobil, la fon- dation d'une communaute de Soeurs indigenes sous le nom du Saint-Cceur de Marie, et la for- mation d'un clerge indigene. Le prelat avait compris que c'est seulement par I'enfance qu'on pourra regenerer les popu- lations de I'Afrique. En 1S62, il ouvrit a Saint- Joseph de N'gazobil un vaste etablissement, qui comprend un grand et un petit seminaire, un orphelinat agricole et des ecoles industrielles, dans lesquelles on enseigne aux enfants rachetes de I'esclavage, I'imprimerie, la reliure, la menui- serie, la charpenterie, la cordonnerie, la fabri- cation de I'huile de palme, etc. Cette maison, admirablement tenue, fait I'admiration des offi- ciers fran9ais et de tous les visiteurs. I. Dournaux-Diiperre, Bulle/in dt la Socilti de ghgraphie, juiUel 1S71. Neufpretres indigenes, dontquatre encore sur- vivants, sont deja sortis du seminaire de Saint- Joseph ; d'autres seminaristes s'}' preparent actuel- lement a recevoir I'onction sacerdotale.pour porter a leurs compatriotes les lumieres de la foi et celles de la civilisation. En 1870, Mgr Kobes completa son ceuvre, en ouvrant un noviciat de Soeurs indigenes. Elles sont actuellement une trentaine dans la mission, ou elles rendent d'immenses services pour la for- mation chretienne des jeunes filles et le releve- ment de la femme noire, trop souvent traitee comme une bete de samme et soigneusement maintenue dans I'ignorance la plus grossiere. L'histoire de la mission de Senegambie offrant peu d'incidents notables, il me reste a faire con- naitre la situation religieuse du vicariat et de la prefecture en 1890. La mission du Senegal et de la Senegambie s'etend du Sahara au Rio-Nunez et de I'Atlan- tique au Soudan, sur un territoire qui a deux fois I'etendue de la France. Les missions voisines sont : la prefecture du Sahara, au nord, le vica- riat apostolique du Soudan, a Test, et celui de Sierra-L^one, au sud. Sur la cotede I'Atlantique, le Portugal a une petite enclave, qui releve ecclesiastiquement de I'eveche du Cap-Vert. Les limites de la mission, au nord et a Test, sont encore assez indecises, a cause de leur immense prolongement et de I'absence de tout poste chre- tien dans ces regions reculees. La prefecture du Senegal comprend deux villes : Saint-Louis, 3.000 catholiques sur 22.000 habi- tants, et Goree, 2.500 catholiques sur 3.000 habi- tants, ce qui donne 5.500 catholiques pour toute la prefecture, sur une population totalede I.300.COO habitants que compte la colonie. Le vicariat apostolique de la Senegambie a la plus grande partie de son territoire sous le pro- tectorat franqais, a I'exception de la petite colonie de la Gamble, capitale Bathurst, qui a 18.000 habitants, sur lesquels 2.000 catholiques. La station de Sainte-Marie de Gamble, fondee en 1859, a trois missionnaires, une eglise, des ecoles tenues par les Freres irlandais du Saint-Esprit, et des Soeurs de I'lmmaculee-Conception de Castres. Bien que la religion officielle soit I'an- glicanisme, I'administration anglaise s'est toujours montree bienveillante et tres respectueuse des droits de la minorite catholique. Le reste du vicariat comprend une dizaine d'Etats indigenes plus ou moins independants, sous le protectorat de la France. Les principaux sont : le Ca}'or, le Foutah, le Baol, le Sine, le Saloum. Le mahometisme domine dans la plupart deces royaumes ; les autres sont plus ou moins adonn^s au fetichisme. La population totale, en dehors de la colonie proprement dite, au Senegal, s'eleve a deux millions, sur lesquels on compte environ 7.300 catholiques. Total, pour les deux missions reunies du Senegal et de la Senegambie, 1 2.800 catholiques sur 3.200.000 ames. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, I800-I890. 289 Pirsontiel : i vicaire apostolique, qui exerce en meme temps la charge de piefet de la mission du Senegal, 35 missionnaires pretres et 25 Frferes coadjiiteurs de la Con- gregation du Saint-Esprit et du Saint Coeur de Marie ; 5 pretres indigenes et 4 catechistes. 29 P'r^res de la Doctrine chretienne (Ploermel). 13 Soeurs de 1' I mmacule'e Conception de Castres, 68 Soeurs de Saint-Joseph de Cluny ; 21 Soeurs indigenes du Saint-Coeur de iVIarie. CEuvtes : 2 stations dans la prefecture : Saint-Louis et Gore'e. 13 stations dans le virariat, plusieurs missions dans I'interieur. 2 e'glises et 5 chapelles dans la prefecture. II dglises et plusieurs chapelles dans le vicariat. I seminaire, k Saint-Joseph de N'gazobil, avec una imprimerie-annexe : livres dans les trois dialectes qui sont le plus repandus dans le pays : le woloff, le ser^re et le bambara. I orphelinat agricole, au meme lieu, avec dcoles profes- sionnelles pour les jeunes noirs rachetes de I'esclavage ; 100 k 120 enfants. 32 ecoles dans le vicariat et la prefecture, 1.7 15 el^ves ; 4 ecoles de metiers pour les filles, sous la direction des Soeurs. 4 pharmacies et plusieurs infirmeries pour les indigenes, 2 hopitaux militaires dans la colonie, tenus par les Soeurs. I orphelinat et asile pour les metis abandonnes. Statistique coniparie de la Missioji de Senega'mbie. En 1840 : n^ant. En 1896: I vicaiieprefet apostolique, 35 missionnaires, 30 eglises ou chapel'es, 30 e'coles, 12.S00 calholiques. II. - MISSION DE SIERRA-LEONE. IE vicariat apostolique de Sierra- Leone _j s'etetid tout le long des cotes de I'Ocean, du Rio-Xunez au fleuve Cavally. II a pour limites : au nord-ouest, le vicariat de Sencgambie ; au sud-est, la prefecture de la Cote-d'Or. Ses limites dans I'interieur du continent sont encore mal definies. La plus grande partie du vicariat comprend la colonie anglaise de Sierra- Leone, capitale Free- Town. Au Nord, la France occupe trois postes, aux embouchures du Rio-Nunez, du Rio-Pungo et de la Mellacoree. Au sud, s'etend la republique independante de Liberia^ capitale Monrovia^ for- mee d'anciens esclaves affranchis, revenus d'Ame- rique.Enfin I'interieur du pays comprend plusieurs Etats soumis a des roitelets indigenes. La population de la colonie de Sierra-Leone est de 42.000 habitants ; la republique de Liberia en compte 1.500.000. II est difficile, faute de docu- ments precis, d'evaluer la population des Etats de I'interieur, mais elle ne doit pas etre inferieure a 1.500000 ames. Cela fait, pour tout le vicariat, environ 3.000.000 d'habitants, sur lesquels on compte 2.000 calholiques, 30.COO protestants, le reste musulmans ou patens. Sous le rapport religieux, le protestantisme est dominant clans la colonie anglaise de Sierra- Leone et dans la republique de Liberia. A Free- Town, on comptait, en 1864, quarante-deux tem- Mi-sioKS Calholiq pies, desservis par une cinquantaine de ministres, appartenant a trente ou quarante denominations religieuses. En 1872, il y avait,dans la meme ville, quatre-vingt-cinq ecoles protestantes. Free-Town est.depuis 1852, la residence d'unevequeanglican. Cette multiplication d'Eglises et de sectes rivales rend tres difficile Taction de I'apostolat catholique. Elle n'ameliore pas beaucoup, a ce qu'il parait, les noirs de la colonie. Au temoignage des protestants eux-memes, il est difficile de trouver, sur toute la cote occidentale de I'Afrique, une population plus corrompue que celle de Free- Town. Voici ce qu'ecrivait a ce sujet, en 1863, un savant voyageur protestant : « Je reconnais aux musulmans une superiorite incontestable sur les convertis des missionnaires protestants. Personne, a moins d'etre etranger au pays, ne prendra a son service un de ces pre- tendus chretiens (i). » C'est la meme corruption et le meme fana- tisme sectaire dans la republique de Liberia. Les noirs affranchis ont rapporte d'Amerique les vices de la civilisation surajoutes a ceux de la barbarie. II parait que les nombreuses ecoles protestantes de la republique laissent fort a desirer, puisqu'en gens pratiques eleves a I'ecole des Yankees, les noirs de Monrovia s'adresserent, en 1884, au vicariat apostolique, pour avoir des missionnaires et des religieux catholiques, < afin de donner a I'enseignement et aux etablissements hospitallers de la Republique tout le develop- pement qui leur a manque jusqu'a ce jour. » Leurs vceux furent exauces, et les missionnaires s'etablirent en 1884 a Monrovia. C'est seulement en 1858 que la mission de Sierra-Leone futdetachce du vicariat apostolique des Deux-Guinees et confiee a Mgr Marion de Bresillac, qui venait de fonder, deux ans aupa- ravant, la Societe des Missions Africaines de Lyon. La mission s'ouvrit par une catastrophe. Mgr Marion de Bresillac arriva a Free-Town avec trois pretres et un Frere dans le courant de 1859. On etait alors en pleine epidemie de fievre jaune. En quelques semaines, I'eveque et ses mis- sionnaires furent tons einportes par la mort. En I'absence de tout pretre catholique, I'eveque anglican presida en personne aux funerailles du prelat. La mission de Sierra Leone demeura abandonnee jusqu'en 1863, epoque ou le vicariat fut retabli et donne aux Peres du Saint-Esprit. Malgre la multiplicite des .sectes, appuyt;es de I'influence des gouvernements protestants, et de grandes ressources en personnel et en argent, la mission catholique, commencee, comme toujours, dans la pauvrete et le denuement, n'a pas laissd de prendre une place honorable au sein de la colonie. Les Peres ont obtenu plusieurs conversions de protestants, entre autres, en 1868, celle de la femme du gouverneur, sir Pope Hennessy, et ils 1. Kecherches sur CAfiiijue occulentale, par un membre de la Societe royale de Geographic de Londres. '9 290 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™'^ SIECLE. ont pu baptiser un certain nombre de paiens. Les gouverneurs de la colonic ont toujours temoigne de I'estime qu'ils portent aux mission- naires catholiques. Sir Kennedy, un d'entre eux, voulut donner gratuitement un terrain pour commencer I'orphelinat catholique de Free-Town. En 1888, un autre gouvernenr, dans son rapport officiel au ministere, rendait en ces termes hom- mage a la mission : « Les catholiques ferment un corps d'ouvriers peu etendu, il est vrai, mais laborieux. Relati- vement a leur petit nombre, ils elevent plus d'enfants des deux sexes que n'importe quelle autre Societe reli- gieuse a Sierra-L6one. » Ainsi, malgre leur petit nombre et leur pauvrete, les ecoles catholiques tiennent le premier rang dans les co- lonies anglaises, pendant que 1 Eglise officielle, malgre son nombreux per- sonnel et son opulence, est releguee honteusement au dernier. Apres avoir constate ce resultat, Tinspecteur des ecoles, un ministre protestant, rend en ces termes hommage au devoue- ment des religieuses : « C'est un fait tres frappant que, sur les quatre colonies anglaises de la eote occidentale de I'Afrique, dans trois colonies, les ecoles tenues par les religieuses catholiques occupant le premier rang, en 1887 : ce sont celles de Sierra-Leone , de Lagos et de Gamble. Dans la quatrieme, la Cote- d'Or, I'ecole des religieuses, qui est etablie relativement depuis peu, a obtenu un -beau rang, bien quelle n'ait pas atteint le premier. Je dois avouer que j'aimerais a voir quelque autre Societe religieuse faire effort pour rivali-^er avec les catholiques ; mais dans I'etat present des choses, je ne trouve nulle part aucune dame europeenne qui travaille aussi serieu- sement, aussi bien, avec autant de succes (O- » En dehors des ecoles, la mission de ancie; Sierra Leone rend d'autres services. En 1884, la courageuse intervention des missionnaires etablis aupres du poste fran- ^ais du Rio-Pungo, prevint le massacre de nos soldats et I'extermination de la tribu, qui en eut ete infailliblement la suite. Une lettre du com- mandant du poste atteste les services rendus a cette occasion a la France par nos missionnaires. Les Peres du Saint-Esprit ont aussi essaye, a plusieurs reprises, de s'etablir dans les royaumes de I'interieur, ou la conversion des negres serait plus facile qu'au milieu des sectes protestantes de la cote; qui se disputent a prix d'argent les neophytes. lis avaient f ait dans ce but, en 1874, I. Rev. Sunter, Rapport sur Us ecoles de la coionie, iSSS. un voyage a Porto-Loko, 011 le roi les avait par- faitement regus, et leur avait meme promis un terrain pour s'etablir. La pauvrete des mission- naires, jointe aux intrigues des ministres protes- tants, fit echouer ce projet. Statistique religieuse du vicarial de Sierra- Leone en i8go. Personnel : i provicaire apostolique, 10 missionnaires du Saint-Esprit, 2 Fr^res coadjuteurs, 7 Soeurs de Saint- Joseph de Cluny. QLjivres : 5 stations et 2 postes accessoires, 6 eglises. MGR M.ARION 1>E liKLSILL.^C, vicaire apostolique de Siena- Leone, fondateur de !a Socidte des Missions Afiicaines de Lyon. 4 ecoles garqons, 2 ecoles filles, 600 eleves ; i orphelina Statistique coviparce de la mission de Sierra-Lione. En 1 860 : n^ant. En 1896 : I provicaire apostolique, 10 missionnaires, 6 eglises ou chapelles, 6 ecoles, 2.000 catholiques contte 20.000 heretiques. III. — MISSIONS DE LA COTE DES ESCLAVES. CEs missions, actuellement au nombre de cinq, sont confiees a la Societe des Missions Africaines de Lyon, sauf une. En i860, la Sacree- LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800-1890. 291 Congregation detacha dii vicariat apostolique des Deux-Guinees ce vaste territoire, dont elle fit le vicatiat apostolique du Daliomej', qui prit, en 1870, le nom de vicariat apostolique de la cote du Benin. Ce vicariat unique a donne successi- vement naissance a quatre autres missions : la prefecture apostolique de la Cote d'Or en 1879, la prefecture du Dahomey en 18S2, la prefecture du Niger en 1884, et la prefecture de Togo en 1892. Prefecture apostolique de la Cote d'Or. La prefecture apostolique de la Cote d'Or et de la Cote d'lvoire fut separee en 1879 du vicariat apostolique des Deux- Guinees, dont elle faisait alors partie. La mission, administree jusque-la par les Peres du Saint-Esprit, fut donnce alors aux Missions Africaines de Lyon. Le territoire de la Cote d'Or appar- tient a I'Angleterre ; le ro}'aume des Ashantis, qui compte un million d'ha- bitants, est sous son protectorat. Celui de la France s'etend sur les Etats d'Assinie et de Grand-Bassam ; le reste du pays est soumis a divers rois indigenes. La population totalc de la prefecture apostolique est d'environ deu.x millions d'habitants, sur lesquels on compte 2.700 catholiques et 15.000 protestants, le reste musulmans ou paiens. Le protestantisme domine na- turellement dans la colenie anglaise de la Cote d'Or, ou ses ministres sont etablis depuis plus de deux siecles. C'est en 148 1 que la ville d'Elmina fut fondee par les Portugais. Sous leur domination, toute la cote, dit-on, de- vint rapidement catholique. Mais de 1632 a 1870, le pays appartint a la Hollande, qui le ceda alors a I'Angle- terre. Ouand les missionnaires catho- liques rentrerent a Elmina en 1879, ils n'y trouverent plus trace de I'an- cienne foi. L'heresie s'etait installtJe en maitresse sur toute la cote. Au bout de ijuatre ans, les missionnaires avaient dcja baptise 107 adultes et reforme leur petit troupeau. Le roi des Ashantis, pays dont la fcrocite proverbiale est devenue plus d'une fois redoutable aux Anglais, avait parfaite- ment accueilli les apotres du ClIRlST, ct parai.ssait dispose a leur ouvrir les portes de son vaste Etat. D'un autre cote, on a vu que les ecoles catholiques de la Cote d'Or ont deja pris un rang tres honorable aupres des ecoles protestantes, leurs rivales. Voici la statistique religieuse de la mission de la Cote d'Or en 1896, quinze ans apres sa fon- dation : Personnel : i vice-prefet apostolique, 10 missionnaires, 4 cat^chistes indigenes, 10 Soeurs des Missions Africaines. CEuvres : 3 stations avec residences. — 4 postes acces- soires. ■ — 4 chapelles. — 8 ecoles gar(;ons, 650 el^ves. — 2 ecoles fiUes, 150 eleves. — i orphelinat gargons, 20 en- fants. — I ouvroir, filles. — 2 pharmacies. Prefecture apo.stolique de Togo. Entre le territoire anglais de la Cote d'Or et nos possessions francaises du Dahomey, s'etend une lande etroite de terrain qui appartient a I'Allemagne ; c'est ce qui determina, en 1892, la Sacree Congregation a detacher ce territoire de la prefecture apostolique du Dahomey, pour en — COTE DES ESCLAVES.— Antonio, chrktien indigene.' faire une nouvelle prefecture de Togo qui futcon- fiee aux missionnaires de Steyl. Cette prefecture apostolique n'a pas encore d'histoire. Son personnel se compose d'un admi- nistrateur apostolique et de trois missionnaires. Quant au.x leuvrcs, tout est encore a creer. Prefecture atostolkjue du Dahomey. L'organisation actuellede la prefecture remonte a 1882, mais les missionnaires travaiUent depuis 1 861 dans le pays. La prefecture du Dahomey s'etend, Ic long des cotes de I'Ocean, du Volta au fleuve Okpara. Elle a pour limites, a I'ouest, la prefecture de Togo, a 292 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. I'est, le vicariat apostolique du Benin, au sud, I'Atlantique ; ses limites du cote du Nord demeurent indecises. Le lerritoire appartenait jusqu'a ces derniers temps au roi du Dahomey et a plusieurs chefs indigenes. La France, I'Angleterre, le Portugal et I'Allemagne etendent Jeur protectorat sur plusieurs de ces petits Etats. La population totale de la prefecture depasse 3C0000 habitants, sur lesquels on compte 3.500 catholiques. Le royaume du Dahomey est par excellence le royaume de Satan. Nulle part, en Afrique, on ne trouve de pareilles abominations et des rites plus effroyables. L'antique serpent qui fit tomber nos premiers parents, s'y fait adorer sous le sym- bole repoussant des serpents fetiches. Partout s'elevent les temples de ces immondes reptiles, rendus sacres par la superstition, et malheur au temeraire qui oserait frapper un de cesdieux ! II serait immediatement condamne a etre brule vif. A cote du temple des serpents, s'eleve le temp'e de la mort, dont la decoration est faite de cranes humains. La mort est, en effet, la grande divinite des Dahomeens. Chaque annee, pendant plusieurs semaines, a I'epoque des Grandes Cou- tumes, et aussi quand le roi vient a mourir, des centaines et des milliers de creatures humaines perissent dans des supplices effroyables, qui semblent inventes par I'enfer, tant ils depassent la mo)'enne ordinaire de la ferocite. A celui qui fut homicide des le commencement, il faut des hetacombes de victimes humaines, et pour y suf- fire, il faut faire des milliers de prisonniers, qui sont destines a etre Immoles dans les sacrifices. Les rois du Dahomey ont done fait de leur Etat une monarchie essentiellement militaire ; tout le monde est soldat, meme les femmes qui deploient dans les combats plus de ferocite encore que les hommes. Les razzias operees dernierement sur le terri- toire de Porto-Novo, dont la France a le pro- tectorat, ont amene entre nous et le roi du Dahome/ une guerre qui s'est terminee par la prise d'Abome}' et I'occupation de tout le terri- toire. Pendant plusieurs mois, ie P. Dorgere, supe- rieurde la mission, et plusieurs Frangais residant a Whydah, furent retenus comme otages. Maintenant que le pays est sous le protectorat de la France, il est a esperer qu'on ne reverra plus les horreurs du passe, et que nos mission- naires, qui ont seme, pendant trente ans, dans la sterilite et dans la souffrance, vont enfin recevoir la recompense de leurs longs travaux. Voici la situation religieuse au i" Janvier 1896 : Personnel : i prefet apostolique, 8 missionnaires euro- p^ens, 7 catechistes indigenes, 9 Sceurs des Missions Africaines de Lyon. CEuvres : 3 stations avec residences, plusieurs postes accessoires. i (fglise et 4 chapelles. 4 ecoles, gai<;ons, 265 eleves. 3 ecoles, filles, 200 el^ves. 3 orphelinats, Cjoenfants. 3 [ hainiacies. Population catholique : 3.5CO. Vicariat apostolique du Benin. Depuis les demembrements qu'il a subis, le vicariat des cotes du Benin s'etend, au fond du golfe de Guinee, du fleuve Okpara au Niger. II a pour limites, a I'ouest, la prefecture du Dahomey, au sud, I'Ocean, au nord, la prefecture du Niger superieur. Le territoire du vicatiat renferme : la colonie anglaise de Lagos, 75.000 habitants ; le royaume de Porto-Novo, sous le protectorat de la France, 50.000 habitants ; le royaume d'Abcokouta, 100.000 habitants, et les Etats independants du Yoruba, environ 3.000.000 d'habitants,sur lesquels on compte 16.000 catholiques, 25.000 protestants, le reste musulmans ou patens. Le premier noyau de la mission catholique se forma d'anciens noirs affranchis, revenus du Bresil, oii ils avaient re9U le bapteme. Un d'entre eux, excellent chretien, nomme Antonio, se fit, jusqu'a I'arrivee des missionnaires, leur catechiste, et lutta courageusement contre les ministres de I'heresie, qui pullulent a Lagos, pour maintenir le petit troupeau catholique dans la vraie foi. Ces pauvres gens, qui etaient demeures longtemps abandonnes au milieu des protestants acharnes a les seduire, accueillirent avec joie les premiers missionnaires qui vinrent, en 1868, s'etablir a Lagos. Ceux-ci commencerent par ouvrir des ecoles, afin de lutter contre la propagande des ecoles protestantes et musulmanes. On a vu plus haut que les deux ecoles catholiques de Lagos, qui comptcnt actuellement plus de 500 enfants, tiennent le premier rang parmi leurs rivales. Du reste, les missionnaires catholiques n'ont qu'a se louer des bons procedes de I'administra- tion coloniale. Bien que la religion officielle soit I'anglicanisme, le pretre catholique est admis libretnent a I'hopital et dans la prison. Lors de la benediction de la belle eglise de Lagos, en 1 88 1, tons les bureaux publics demeurerent fer- mes, et les autorites de la colonie se firent un devoir d'assister a la ceremonie et de prendre part a la joie des catholiques. L'esprit general des catholiques noirs de Lagos est excellent. La devotion a la Tres Sainte Vierge et la frequentation des sacrements entretiennent la ferveur dans le petit troupeau du Christ. Sous le rapport religieux, le royaume de Porto-Novo, bien que sous le protectorat de la France, parait moins avance que Lagos. Comme au Dahomey, les temples de la mort, I'usage des sacrifices humains et le culte des serpents f(^tiches temoignent de la degradation morale de ce peuple. Neanmoins les catholiques ont une belle eglise et des ecoles a Porto-Novo. C'est seulement en 1880 que les missionnaires purent s'etablir dans la grande ville d'Abco- kouta. Les ministres protestants avaient si bien monte les tetes des pauvres noirs, qu'au premier bruit de I'arrivee des grands fcticlieurs romains. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800 1890. 293 comme on les appelait, on ordonna dans les temples des prieres publiques, pour fiechir le couri'oux du Ciel et detourner la calamite qui menacait la ville. Aujourd'hui les noirs d'Abeo- kouta sontbien revenusdeleurs pueriles fra)-eurs, et ils sent les premiers a rire du sot fanatismede leurs predicants. A la suite d'un vo\'age dans le Yoruba, paj's dont la population est tres dense, les mission- naires etablirent, en 1883, una station a Oj'o, capitale du royaume. L'annee suivante, ils firent un autre voyage d'exploration dans le ro)'aume de Bida et tout le long du Niger. lis constaterent avec tristesse {'influence envahissante de I'lslam, centre lequel les ministres protestants, malgre les ressources dont ils disposent, sont impuissants a lutter. Au premier abord, on pourrait croire qu'en passant du fetichisme au mahometisme, le noir s'eleve dans I'echelle de la civilisation. C'est une erreur profonde : reste paien, il demeure accessible a Taction de la civilisation chretienne ; devenu musulman, e'en est fait de tout espoir de le con- vertir, sans que sa moralite se soit d'ailleurs amelior^e. C'est a la suite de ce voyage que fut decidee, sur le rapport des missionnaires, la creation de la prefecture apostolique du Niger superieur, pour permettre aux missionnaires de lutter efficace- ment contre les envahissements de I'lslam. Signalons enfin, parmi les ceuvresde la mission du Benin, I'orphelinat agricole de Saint-Joseph de Tocpo, qui, aprtis avoir passe par les difficultes inherentes a ce genre de fondations, est sorti de la periode de formation, et semble promettre un avenir prospere. Cet etablissement compte aujour- d'hui une vingtaine d'enfants rachetes de I'escla- vage, avec un village chretien en formation, dont les families travaillent surle terrain de la mission. Statistiqiie religieuse du vicariat du Bcitin en i8g6. Personnel : i vicaire apostolique, en residence k Lagos, 18 missionnaires, 15 catechisles indigenes, 25 ScEurs des Missions Africaines. CEuvres : 5 stations principales : Lagos, Porto-Novo, Abeokouta, Tocpo et Oyo. 2 missions dans I'interieur, 3 eglises, 6 chapelles. i ecole normale h Lagos, maltres d'ecoles et cat^chistes, 18 elfeves. 12 ecoles gargons, 741 el^ves. 8 ecoles filles, 835 dl^ves. En tout, 1,576 ^l^ves dans les etablissements de la mission. 9 orphelinats, 245 enfants. 3 ecoles de couture, pharmacie dans chaque station. Pr£fecture du Niger .superieur. La prefecture du Niger supdrieur est comprise entre le Niger, a I'ouest, et le fleuve Benouc, au sud ; ses limites, au nord et a Test, sont encore indecises. Les juridictions voisines sont le vica- riat apostolique du Benin a I'ouest, la jjrefecture du Bas-Niger au sud, le vicariat du Soudan a Test et au nord. Le territoire de la mission comprend plusieurs ro)-aumes indigenes, dont quelques-uns sont sous le protectorat de I'Angleterre, qui vient d'yabolir les sacrifices hurnains. Le mahometisme et le feti- chisme se partagent les populations ; mais le premier tend a prevaloir. La population totale est de quatre a cinq millions. La prefecture du Niger superieur, d^tach6e en 1884, n'a pas encore d'histoire. Apres s'etre etablis a Lokodja, au confluent du Niger et du Benoue, les missionnaires ont fait plusieurs tenta- tives pour se fixer dans la capitale du royaume musulman de Bida ; jusqu'ici leurs efforts sont demeur^s sans succes. Statistiqiie religieuse. Personnel : i vice-prefel apostolique, 6 missionnaires, 3 catechistes indigenes, 3 Soeurs des Missions Africaines. ffiuvres : 3 stations principales : Lokodja, Odeny et Assaba. 3 chapelles. 3 ecoles, gargcn?, 55 eliives. i ecole, fiUes, 3oel6ves. 3 orphelinats, gargons, 40 enfants. i orphe- linat, filles. Statistique coiiiparc'e des missions de la Cote des Esc laves. En i860 : nc'ant. En 1896 : 5 missions, i vicaire apostolique, 4 prefets ou vice-prefets, 45 missionnaires, 21 Eglises ou chapelles, 42 ecoles, 22.200 catholiques. IV. — MISSIONS DU GOLFE DE GUINEE. CEs missions sont actuellement au nombre de trois : le vicariat apostolique du Gabon (ancien vicariat des Deux-Guinees), la prefecture du Niger inferieur, erigee en i88g, et la prefec- ture du Cameroun, erigee en 189c. Pri^fecture du Niger inf£rieur. La prefecture du Niger inferieur s'etend, au fond du golfe de Guinee, du Niger au territoire allemand du Cameroun, et du Benoud a I'Ocean. Ses limites sont : a I'ouest, le vicariat du Benin ; au nord, la prefecture du Niger superieur ; a Test, la prefecture du Cameroun. La mission est con- fiee aux Peres du Saint-Esprit. Le territoire est sous le protectorat de I'Angleterre. Personttel : i prefet apostolique, 5 missionnaires, 5 Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. CEuvres : 3 stations, 3 chapelles, 4 eroles, iio ^Ifeves, 3 orphelinats, i creche, i hopital, population catholique : 460 sur 3.000.G00 d'habitants. Pri^:fecture du Cam£roun. La prefecture du Cameroun comprend tout le territoire occup^ par I'AUemagne, a la suite de la conference de lierlin. EUe s'etend, au fond du golfe de Guinee, du Cross-River a la riviere Campo, qui la separc du Gabon. Elle remonte au nord jusqu'au Benoue, qu'elle attcint a Test de la ville de Yola. Les limites de la prefecture sont : au nord-ouest, la prefecture du Bas-Niger ; au sud, le vicariat du Gabon ; a I'ouest, I'Ocean ; k 294 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"!'^ SIECLE. Test, les territoires encore indetermines du centre de ri\frique. Des missionnaires italiens, dits Pallotini, sont charges de cette nouvelle prefecture. Personnel : i prefet apostolique, 5 missionnaires, 6 Soeurs de la meme societe (Pallotini). Qiiivres : 3 stations avec residences, 4 postes acces- soires, 7 chapelles, 3 ecoles gargons, 109 eleves, 2 ecoles filles, 5o eleves, population catholique, 70. ViCARIAT APOSTOLIQUE DU GABON. I.e vicariat du Gabon a pour limites : a I'ouest, rOcean ; au nord, les possessions allemandes du Cameroun ; au sud et a Test, le vicariat aposto- lique clu Congo francais. La prefecture aposto- lique de Fernando-Fo (Missions espagnoles) a une enclave sur le continent, au cap Saint-Jean. Depuis sa fondation en 1842, la mission du Ga- bon appartient a la Congregation du Saint-Esprit. Tout le pays appartient a la France, ou est sous son protectorat. En 1873, il fut question de ceder le Gabon a I'Angleterre. Heureusement ce projet fut abandonne. Plus tard, les voyages d'ex- DEUX-C.UINKES. — Ivl.DE Brazza et un groute d'indiuenes, d'apies une photugraphie. ploration de M. de Brazza dans le Haut-Ogowe etablirent solideinent I'ascendant moral de notre paj's sur les tribus de I'interieur. Ces populations de I'interieur sont tr^s nom- breuses. Les principales sont les Pongou^s, les Pahouins, les Bengas, les N'kombes, les Adou- mas, prcsque tons adonnes au plus grossier feti- chisme et quelques-uns a Tanthropophagie. La population totale du Gabon est de trois millions d'habitants, sur lesquels on compte scu- lement 7.000 catholiques. De I'aveu de tous les voj'ageurs, la mission du Gabon, la plus ancienne de la cote occidentale, est aussi la plus avancee. En 1875, le contre-amiral Ribourd, visitant pour la seconde fois la station de Sainte-Marie, constata que les progres realises depuis 1845, epoque de sa premiere visite, depassaient tout ce qu'on pouvait esperer. Rien ne manquait : belle eglise en pierres, orphelinat agricole, ecoles pri- maires, ecoles professionnelles, hopital indigene, tenu par les Sceurs de I'lmmaculee-Conception de Castres. C'est en 1844 que le P. Bessieux, reste seul au cap des Palmes, apres la mort ou le depart de tous ses compagnons, vint setablir au Gabon. En 1846, il fut nomme vicaire apostolique des Deux- LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800 1890. 295 Guinees, avec une juridiction qui s'etendait de la Senegambie au Cap. A son arrivee, le vicaire apos- tolique n'avait pas trouve un seul noir catholique dans le pays ; a sa mort, en 1874, il en laissait 2 000, partages entre trois stations : Sainte- Marie du Gabon, Monda et le village du roi Felix. Pendant les pre- mieres annees de leur sejour au Ga- bon, les mission- naires, preoccupes avant tout d'as- seoir solidement leur ceuvre, res- treignirent leurs ^tablissementsala colon ie francaise du Gabon. Outre la station de Sain- te-Marie, ils fon- derent un poste important a Li- breville, la resi- dence du gouver- neur. En 1844, un vaillant Breton , aussi solide Chre- tien que bon sol- dat,ramiral Bouet- Vuillaume, a}'ant arrache aux hor- reurs de la traite plusieurs centai- nes de noirs ex- portes du Congo, , en forma le pre- mier noyau de la ville. La mission catholique, de son cote, etablit a Li- breville deux pre- tres, une belle eglise consacree a saint Pierre.et une maison de reli- gieuses de I'lm- maculec- Concep- tion, avec hopital indigene, ecoles et orphelinat. Feu a peu, aux environs de Libreville et de Sainte-Marie fonderent de petits villages chretiens, dont principaux sont ceux de Saint-Benoit et Sainte-Anne. Les missionnaires, ayant 6tabli une base solide d'operations dans la colonie frangaise, se repandi- rent, surtout depuis dix ans, dans I'int^rieur du pays, et fonderent successivement des stations UtUX-GUINKK.S. — K.\iN.\kL, Kul UE LaaIUAKENE. D'aprfes une pliotographie. se les de chez les Pahouins, chez les Bengas, ou la mission vient d'ouvrir un sanatorium, a Lambarene, dans le Bas-Ogo\v(i ; puis a Benito, chez les N'kombes, et au cap Fernan-Vaz. En 1883, M. de i3razza ayant demande des 296 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^-^ SIECLE. missionnaires, pour I'aider a civiliser les popula- tions encore sauvages du Haut-Ogowe, on lui en- voya trois pretres, qui se fixerent chez les Adou- mas, OLi ils ouvrirent aussitot chapelle et ecole. Au bout de quelques mois, ils avaient deja rachete 32 enfants de I'esclavage. La mission du Gabon est sortie des difficultes du debut, et elle commence a recueillir le fruit des travauxde ses ouvriers apostoliques. En 1876, le vieux roi Denis, I'ami fidele de la France, fut baptise a la mort, et son fils, Felix, ancien eleve de la mission, se montra franchement chretien dans toute sa conduite. En 1881, on baptisa le roi Georges et, en 1887, quatre rois noirs de la tribu des Pongoues. Les hopitaux indigenes, de leur c6t6, ouvrent chaque annee le Ciel a beau- coup d'adultes. Enfin, les nombreux enfants sor- tis depuis un demi-siecle des ecoles de la mission, la font connaitre et aimer dans tout le pays. La situation religieuse est done, on peut le dire, prospere au Gabon ; et pourtant ce n'est en- core qu'un debut. Qu'est-ce qu'une quinzaine de stations et sept millc catholiques perdus dans un pays immense, au milieu de trois luillions de paiens ? Que de tribus restent a evangeliser, que de stations a fonder, que de bien a faire, si Ton avait des ressources plus abandontes et des ou- vriers plus nombreux ! Statistique religieuse du vicariat apostolique du Gabon, en i8g6. Personnel : i vicaiie apostolique, 23 missionnaires et 29 fr^res coadjuteurs de la Congregation du Saint-Esprit. 15 catechistes indigenes. 19 Soeurs de I'lmmaculee-Con- ception de Castres. QLuvres : 9 stations princip.iles, 22 postes accessoires. 8 eglises et 10 chapelles. i seminaire i Sainte-Marie, 16 elfeves. 12 ecoles ecclesiastiques gargons, 515 eleves, 2 ecules filles, 130 eleves, 4 ecoles industrielles, 75 gargons et 35 filles. 5 hopitaux, i cri-the. Le chiffre des catholiques depasse 7.000, sur 3.000.0C0 d'habitants. Statistiqjie coinparce des missions du golfe de Guince. Kn 1840 : neant. En 1895 : 3 missions, I vicaire apostolique, i prdfet, 33 missionnaires, 18 dglises ou chapelles, 28 ecoles, 7.530 catholiques. V. — MISSIONS DU CONGO. ;> LE.S missions du Congo, reprises par la Con- gregation du Saint-Esprit apres un siecle d'interniption, embrassent les deu.x bassins du Zaire et du Cunene, et s'etendent, sur une lon- gueur de six cents lieues, du fleuve Zaire (Congo) au fleuve Orange, du nord au sud, et, de I'ouest a Test, des cotes de I'Ocean aux deserts du centre de I'Afrique. On evalue communement la population totale a qinnze ou seize millions d'ha- bitants. Ce vaste pays, qui est demeure le centre de I'influence portugaise sur la cote occidentale de I'Afrique, fut evangelise en grande partie, pen- dant trois siecles, par les religieux capucins. II est certain qu'a cette epoque, le Congo compta plus d'?<« million de cliretiens, mais, depuis la ruine des missions portugaises et I'expulsion des derniers enfants de saint Francois, la colonie est tombee dans une situation religieuse vraiment lamentable. L'eveche de Saint-Paul de Loanda (ancien eveche dAngola) compte aux dernieres statistiques (1880) un million de catholiques, desservis par une vingtaine de pretres, qui se partagent trente ou quarante paroisses. Mais cette statistique offre peu de vraisem- blance, puisque, pour la population civile de la colonie d'Angola, les chiffres officiels varient de deux a. neuf millions. Un missionnaire du Saint- Esprit, bien a portee de connaitre la situation et r^sidant sur les lieux, evaluait, il y a quelques annees, la population catholique de la colonie a 250.000 ames ; mais la plupart ne sont catholiques que de nom, n'a}'aiit pas meme recu le bapteme. Ouand les premiers missionnaires de la Con- gregation du Saint-Esprit arriverent au Congo, en 1866, ils retrouverent deux ou trois de ces chretientes encore subsistantes, mais dans quel etat ! A Saint-Antoine-de-Sogno, a Kinganga, a San-Salvador, les pauvres noirs, abandonnt^s a eu.x-memes, avaient conserve, comme ilsl'avaient pu, quelques vestiges du christianisme, deux ou trois chapelles en mines, dans lesquelles ils se reunissaient de temps en temps pour prier et chanter des cantiques ; sur I'autel, on voyait en- core le crucifix, les statues de la Sainte Vierge et de saint Antoine de Padoue ; quelques vases sacres depareilles, un encensoir, deux ou trois clochettes : voila tout ce qu'il leur restait de I'an- cienne splendeur de I'Eglise du Congo. Moins intelligents, ou moins fermes dans la foi que les anciens chretiens du Japon, ils n'ont pas su gar- der la formule du bapteme, dont ils ont a peu pres completement abandonne I'usage, en sorte qu'ils ne sont plus meme chretiens ; ce qui ne les empeche pas de cel^brer de temps en temps une parodie de messe, qui consiste surtout a changer le misst;l de place et a faire le plus de bruit possible, en agitant toutes les sonnettes qu'ils ont pu se procurer, Des superstitions gros- siei'es d6shonoi-ent naturellement ces vestiges informes du christianisme. Les gens de I'Eglise, ainsi appel^s parce que leurs ancetres faisaient partie autrefois de la maison des Peres, sont renommes par tout le pays pour faire tomber la pluie en temps de secheresse, et pour jeter des sorts a ceux a qui ils veulent nuii'e. Les roitelets pretendus chretiens sont adonnes, aussi bien que leurs sujets, a la polygamic, a I'ivrognerie et a tous les vices ordinaires de la vie sauvage. II faut noter pourtant, a la louange de ces pauvres chre- tiens du Congo, qu'ils ont toujours repousse avec ^nerglelesnombreuses tentatives que les ministres LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800-1890. 297 protestants ont faites pour les seduire. En cela, ail moins, ils ont fait preuve d'un attachement in- violable a la foi catholique autrefois professee par leurs ancetres. Voila le triste etat dans lequel les Peres du Saint-Esprit trouverent la mission du Congo, quand ils arriverent dans le pays en 1866. Vu I'etendue immense de la contrce confiee a leurs soins, la nouvelle mission fut partagee des le debut en deux districts : I'un au nord, du Zaire au Cu- nene, comprenant le Congo proprement dit ; I'autre au sud, du Cunene au fleuve Orange, embrassant la partie meridionale de la colonic portugaise et la Cimbebasie. Deux vice-prefets apostoliques et six missionnaires, trois dans chaque district, furent charges d'explorer ce vaste territoire. La mission du nord etablit son centre d'action a Ambriz, celle du sud, a Mossamedes ; ces deux stations, etant situees sur la cote, se trouvaient par la meme en rapports faciles avec I'Europe. Wais le gouvernement portugais suscita, au debut, des difficultes a I'etablissement des mission- naires francais dans la colonic. Pour les resoudre pacifiquement, les Peres du Saint-Esprit ouvri- rent, d'abord a Santarem, puis a Braga (Portugal), un noviciat pour recruter des vocations parmi les Portugais, puisque I'administration ne supporte qu'avec peine la presence de missionnaires etran- gers sur son territoire. Un decret de la Propagande, en autorisant, au siecle dernier, les missionnaires a s'etablir dans les endroits depourvus de pretres, leur avait defendu d'approcher des paroisses deja occupees par les pretres du diocese, dans un rayon de cinq lieues. Par un accord k I'amiable entre I'eveque de Saint-Paul et les Peres du Saint- Esprit, cet espace un peu exagere fut restreint a trois lieues. II fut convenu que les missionnaires auraient le droit de s'etablir dans tout le reste du territoire portugais, en acceptant d'ailleurs le droit de patronage, avec ses avantages et ses charges. Les choses ainsi reglees a la satisfaction de tous, les Peres du Saint-Esprit se mirent cou- rageusement a I'ceuvre pour defricher I'immense territoiie qui leur etait assigne par le Vicaire de J^.sus-Christ. En 1873, ils fonderent la station de Landana, qui devint bientot le poste le plus important dans le district du nord. Des 1879, la mission de Landana comprenait quatre etablissements distincts : 1° La paroissc Saint-Jacques, residence du vice- prefet apostolique et du procureur de la mission, avec une ecole libre pour les enfants de famille. Cette ecole comptait alors 120 eleves, parmi les- quels les deux fils du roi de Loango, les deux neveux du chef indigene de Landana, le fils du roi Chretien de Saint-Antoine de-Sogno, lefils du prince de Malembe ; 2° Un petit seminaire, 6 eleves, pour la for- mation du cleric indigene, avec un noviciat de Freres et une i^cole d'instituteurs et de cate- chistes ; 30 L'orphelinat de Sainte-Marie, pour les metis de la colonic abandonnes par leurs peres euro- peens, 1 1 enfants ; 4° L'orphelinat de Saint-Joseph, pour les noirs rachetes de I'esclavage, plus de 100 enfants. En 1880, M. de Brazza, au coursde ses voyages d'exploration, vint visiter la mission dc Landana et temoigna hautement sa satisfaction pour les progres obtenus en si peu de temps. D'autres stations s'ouvrirent successivement a Loango, a M'boma, a Saint-Antoine-dc-Sogno, a Kibanga, a Boffa, a Stanley-Pool. Le besoin de multiplier les postes catholiques devenait pressant, car, depuis que les explorations de MM. Stanley et de Brazza ont ouvert la contree a I'Europe, les ministrcs protestants se sont pre- cipites sur ccs regions encore neuves et, avec leurs immenscs ressources, ils ont multiplie leurs etablissements au Congo. Heureusement, comme nous le verrons plus loin, que les Reverends ministrcs du Saint Evangilc ont fait, scion leur habitude, plus dc bruit que de besogne. Nean- moins il etait temps de .se hater, pour ne pas se laisserprevcnir et depasser par cux. En 1884, la Conference de Berlin se reunit pour dirimer les contestations qui mena9aient de s'^lc- ver entre les diverses puissances europeenncs au sujet du Congo. A la dcmande du Souverain- Pontife, le representant de la France fit inserer une clause formelle, qui assurait aux mission- naires du Congo la protection des gouvcrncmcnts europeens et la liberte dc conscience de leurs neophytes. A la suite des resolutions arretees a la Confe- rence de Berlin, le Saint-Siege, toujours desireux dc repondre aux desirs raisonnables des puissan- ces et de menager les droits dc chaque nationalite, partagca la mission du Congo en plusieurs juri- dictions distinctes : 1° ct 2° Le vicariat apo.stolique du Congo fran- gais, qui fut partage en 1890 en deux vicariats distincts : Ic Congo infericur et Ic Congo supe- rieur, ou I'Oubanghi ; ccs deux missions appar- tiennent aux PP. du Saint-Esprit ; 3" et 4° Le vicariat apostolique du Congo beige, aux missionnaires de Scheutzles-Bruxel- les, d'oii fut detachec, en 1892, la mission du Kouango, qui fut confiee aux PP. Jesuites beiges. 5'' La prefecture apostolique du Congo infe- ricur, aux PP. du Saint-Esprit. 6° Le vicariat apostolique du Congo supericur ou Tanganika, aux Missioimaircs d'Alger. Avec I'eveche de Saint- Paul de Loanda, ccla fait sept juridictions distinctes dans I'ancienne mission du Congo. Quant au Congo sud, ou Cim- bebasie, nous le retrouverons plus bas. L Evtciit DE S.-mnt-Paul de Loanda. Jc ne revicndrai pas sur cc que j'ai dit de la 298 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. situation desolante de ce diocese. En 1838, en expulsant les derniers missionnaires capucins, on avait detruit I'eglise et I'hospicede Loanda. De- puis, ce inalheureux diocese se releve lentement deses ruines. Deja, en 1880, le docteur Livings- tone constatait I'influence heureuse que 1 eveque exer9ait dans le pays. Le gouvernement portu- gais a enfin compris que la conservation de son influence coloniale est intimement liee au relevement du catholicisme dans ses colonies africaines. Le diocese de Saint-Paul comprend, en droit, toute la colonic portugaise d'Angola ; mais, en fait, la plus grande partie de ce vaste territoire est abandonnee, faute de pretres, aux mission- naires du Saint-Esprit. LEOPOLD II, ROI DES BELGES. Personnel : i eveque. — 30 pretres europeens, quelques pretres indigenes, en petit nombre. CEuvres : une tmitaine de paroisses, chacune avec son eglise. Un seminaire-coU^ge, dans la ville d'Angola, 100 eli^ves. Le dernier eveque, pronui depuis au siege de Lis- bonne, a eu I'heureuse pensee de confier la direction de cet etablissement aux Peres du Saint-Esprit. 10 i 12 ecoles de paroisses. — Un hopital. Population catholique approximative : 250.000 ames. II. Pr]£fecture apostolique du Congo MERIDIONAL. Cette prefecture, qui fut erigee en 1865, est la souche d'oii sont sorties depuis toutes les autres missions du Congo. Elle appartient aux Peres du Saint-Esprit. Elle a pour limites : au nord et a Test, le Congo beige ; au sud, la prefecture de la Cimbebasie superieure ; a I'ouest, I'Ocean. La plus grande partie du territoire appartient au Portugal, le reste a de petits rois indigenes. Le diocese de Saint-Paul- de- Loanda est enclave en entier dans la prefecture, mais les deux juridic- I proprefet apostolique, en residence ci 14 missionnaires et 12 fr&res du Saint - tions sont distinctes, comme il a 6te expliqu6 plus haut. Personnel Landana. - Esprit. 8 Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. QJuvres : 5 stations. — Plusieurs petits postes. — 7 eglises ou chapelles. — i seminaireJi Landana, 2oelives. 6 ecoles gar(;ons, 500 eleves. — ■ 3 ecoles filles, 107 dleves. Population catholique : 700 III. ViCARIAT APOSTOLIQUE DU CONGO SUPERIEUR. Ce vicariat, confie, depuis 1880, aux Mission- naires d'Alger, (ftant situe dans le centre de I'Afrique, j'en parlerai au chapitre des Missions de I'Afrique centrale. IV. VICARIAT APOSTOLIQUE DU CONGO FRANgAIS INF^RIEUR. En 1886, la Sacree Congregation erigea, comme je I'ai dit, un vicariat apostolique du Congo frangais, qui comprenait tout le territoire de la colonie. En 1890, cet immense pays fut par- tage en deux vicariats distincts. Actuellement le Congo francais inferieur ne coinprend plus que la partie sud de la colonie. Personnel : I vicaire apostolique, en residence k Louango. 10 missionnaires et 6 Frferes de la congregation du Saint-Esprit, plusieurs Frferes indigenes, sous le vocable de saint Pierre Claver, I'apotre des noirs. 9 Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. CEuvres : 5 stations. — 4 eglises et 4 chapelles. 1 s^minaire k Loango, iSelives. 5 ecoles primaire=, gaigons. 320 eleves. — 2 ecoles, fiUei. 100 eleves. — 2 orphelinats. — 4 hopitaux. — Population catholique : 600. V. VICARIAT APOSTOLIQUE DU CONGO FRANCAIS SUPliRIEUR. En 1890, a la demande de M. de Braz.'^a, un decret de la Sacree Congregation detacha du Congo francais la partie nord, ou I'Oubanghi pour en faire un vicariat apostolique distinct. Personnel : i vicaire .apostolique, en residence k Braz- zaville. 7 missionnaires et 5 Fr^res de la congre'gation du Saint Esprit. 4 Sceurs de Saint-Joseph de Cluny. Oiuvres : 2 stations. — 3 chapelles. 2 ecoles elementaires, 70 elfe\-es. — 2 hopitaux. Population catholique : 200 ame;, sur 3.000.000 d'habi tants. VI. VlCARI.^T APOSTOLIQUE DU CONGO BELGE Ce vicariat apostolique, erige en 1888, a la demande du roi des Beiges, est confie a la con- gregation des missionnaires beiges du Cceur- Immacule de Marie. Le territoire du vicariat comprend tout I'Etat libre du Congo, a I'excep- tion de la partie orientale, qui appartient au vicariat du Congo superieur, ou Tanganika, et du sud, qui forme la nouvelle mission du Kouango. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800-1890. 299 Personnel : i administrateur apostolique, en residence h. Boma. — lo missionnaires du seminaire de Scheutz. CEuvres : S stations. — i eglise et 3 chapelles. — 5 eco- les. — 2 orphelinats. — Population catholique ; 600. VII. Mission du Kouango. Par un decret du 8 avril 1892, la Sacree Congregation detacha du vicariat du Congo beige la mission du Kouango qui fut confiee aux RR. PP. Jesuites de la province de Belgique. II m'a ete impossible de me renseigner sur le personnel et les oeuvres de cette mission encore au berceau. beau-pere de Livingstone, reconnait que « bien que les noirs aient joui longtemps des instruc- tions des missionnaires, ils n'ont pas la moindre idee de DiEU ou d'une vie future. Ils sont litt(§ra- lement comme des brutes (i). » Voici aussi le tcmoignage d'un officier supe- rieur, qui passa plusieurs annees dans cette partie de I'Afrique, le colonel Napier : « Malgre les pretendus succes des mission- naires, ces populations sont plongees dans la plus grossiere ignorance par rapport a la religion et au Statistique coniparee des missions du Congo. En i860 : neant. En 1S96 : 6 miisions. — 3 vicaires apostoli- ques. — I pro-prefet. — i superieur. — 41 mis- sionnaires. — 22 eglises ou chapelles. — 25 eco- les. — 2100 cathoiiques. On a laisse de cote le diocese de Loanda et le vicariat apostolique du Congo superieur ou Tanganika. Missions de la Cimb^basie. Ces missions s'etendent du fleuve Cu- nene, au nord, au fleuve Orange, au sud, et de rOcean Atlantique, a I'ouest, aux deserts du centre de I'Afrique, a Test. Ouatre regions distinctes se partagent cette vaste mission : I'Ovampo, au nord, le Damara, au centre, le Namaqua, au sud, et les deserts du Kalahari, au sud- est. Ce territoire est habite par de noin- breuses tribus negres : les Betchouanas, les Bushmen et surtout les Hottentots. Les populations dans le voisinage du Cunene sont sous le protectorat du Por- tugal ; I'Ovampo et le Damara appar- tiennent a I'Allemagne ; I'Angleterre domine dans le Betchouanaland et le Kalahari. La population totale est de 1.300.000 habitants , sur lesquels on compte a peine 600 cathoiiques. Sous le rapport religieux, le pays est depuis longtemps occupe par de nom- breuses missions protestantes, apparte- nant a diverses denominations. La race °e hottentote, qui forme la majorite de la pojjulation noire, semble avoir pour carac- teristique une complete indifference religieuse, et les pretentions des sectes rivales, s'arrachant a prix d'argent les neophytes, n'ont fait que dcve- lopper cette facheuse disposition naturelle. Au temoignage des protestants eux-mcmes, I'echec de leur mission, dans cette partie de I'Afrique, a ete complet. Sir Alexander avoue que « les ecoles des missionnaires sont des ecoles d'oisivete. Les Hottentots qui s'y trouvent sont dans un ^tat complet d'immoralite et de concubinage (i). » Parlant des tribus du Namaqua, le Rev. Moffat, I. Voyage h trovers les colonies de I' Afrique occidenlale, 1 vol., chap. XVI. R. P. DUPARQUET, la Congregation du Saint-Espiit et du Saint-Coeur de Marie, ancien prefet apostolique de la Cimbebasie. culte. Le christianisme des Hottentots consiste clans I'ainour de I'oisivete et de la vie desceuvr^e qu'ils menent aupres des etablissements de leurs pretendus instructeurs spirituels. Leurs mauvais penchants naturels sont entretenus et honteuse- ment encourages dans la plupart des etablisse- ments de missionnaires (2). » A quoi tient cet insucces complet des missions protestantes dans cette partie de I'Afrique, ou pourtant elles ont domine en maitresses pendant 1. Rev. Moffat, Ttavaux des missionnaires, chap. II. 2. Napier, Excursion dans fAfriqtie mlridionale. 300 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. pres d'un siecle, avant que le catholicisme put venir leur disputer le terrain ? Le docteur Livingstone, plus c^lebre comme voyageur que comme missionnaire, va nous I'ap- prendre, avec la noble franchise qui caracterise tous ses ecrits, faisant un heureux contraste avec I'enthousiasmefacticequi distingue ordinairement les publications protestantes au sujet des mis- sions : « La variety, dit-il, des sectes chretiennes qui se sont repandues dans I'Afrique du sud, sous I'influence de la Societe des missionnaires de Londres, est telle, que les neophytes de n'importe quelle denomination religieuse sont accueillis avec empressement par les sectes rivales. » Et cet honnete homme ajoute avec tristesse : i. Quelle place peuvent trouver les vertus chre- tiennes dans de pareils trafics ? (i) » Cet etat de choses a cree a la mission catholi- que de la Cimbebasie une situation tres difficile. Des 1866, le P. Duparquet, de la Congregation du Saint-Esprit, avait fait un premier voyage d'exploration dans le pays, et avait forme deux etablissements, I'un a Mossamedes et I'autre a Huilla, tous deux sous le protectorat portugais. Nomme, en 1879, prefet apostolique de la nou- velle mission de Cimbebasie, il chercha naturelle- ment a s'6tablir sur le territoire de sa mission ; mais alors commencerent les intrigues des protes- tants et les difficultes serieuses. Des 1879, le P. Duparquet avait fonde une premiere station a Omaruru, dans le Damara ; un reverend ministre protesta aussitot par lettre centre I'arrivee des missionnaires catholi- ques dans un territoire qu'il s'etait habitue a con- sid^rer comme sien, et leur intima I'ordre d'aller chercher fortune ailleurs. Le Pere repondit avec ^nergie et dignite a cette singuliere pretention ; mais le reverend ministre ne se tint pas pour battu ; bien qu'il eut reconnu, d'assez mauvaise grace, le droit des pretres catholiques a precher I'Evangile en tous lieux, il intrigua si bien aupres du roi indigene, que, I'annee suivante, la mission d'Omaruru fut forcee de se dissoudre. A cette occasion, le journal protestant Le Temps porte une accusation bien grave contre ce ministre, nomme Dichl. A I'occasion d'une conference qui eut lieu entre le roi du pays et le commissaire du gouvernement imperial alle- mand, le chef indigene aurait dit : « J'ai ete accuse d'avoir verse le sang des missionnaires catholiques. lis sont venus ici et je leur ai conseille de rester ; mais vu I'opposition manifestee par vous, les missionnaires allemands, ils sont partis ; vous, M. Dichl, vous avez pris quelques-uns de mes gens, vous etes alle a leur residence, a Omaruru, et vous avez brise la porte avec une hache. Ces missionnaires ont ete chasses par vous et sont alles dans I'Ovampo, et c'est la qu'ils ont ete tues. C'est vous qui les avez chasses, I. Voyages de Livingstone, ch. Xix. ce n'est pas moi. » — « M. Dichl, ajoute Le Temps, n'a pas repondu a cette grave accusation. 11 doit au monde civilise des explications posi- tives, s'il est en mesure d'en fournir (i). » C'est avec repugnance que je rappelle une si grave accusation, portee contre un ministre du saint Evangile par ses propres coreligionnaires ; mais j'espere qu'il suffit de faire connaitre de pareils actes d'intolerance de la part des partisans fanatiques de la liberte absolue de conscience, pour en rendre le retour a jamais impossible. Observons que, par un sentiment de charite chretienne, les missionnaires catholiques, dans leurs correspondances publiques, avaient tu ce regrettable incident. Les missionnaires chasses d'Omaruru s'etaient refugies, avec quelques-uns de leurs neophytes, les uns a Humbe, au bord du Cunene, les autres dans I'Ovampo, ou le roi Kipandeka les avait recus avec joie. lis s'etablirent a Oukonangama, sa capitale ; mais cette station fut encore detruite, au bout d'un an. En 1884, le roi fut empoisonne, a cause, dit-on, de son amitie pour les blancs. A cette occasion, vingt Europeens furent massacres, dont un Pere et un Frere du Saint-Esprit, et la station fut pillee et detruite. Un autre poste, fonde chez les Amboellas, aux bord du Zambeze, reussit mieux et put s'etablir solidement ; mais I'insalubrite du climat emporta plusieurs missionnaires. Ces difficultes n'ont pas permis a la mission de prendre beaucoup d'accroissement. Au mois de juillet 1879,1a Sacree Congregation avait erige la mission de Cimbebasie en prefecture apostolique, qui fut confiee aux Peres du Saint-Esprit. Un decret du mois d'aout 1892 partagea cette uni- que mission en deux prefectures apostoliques distinctes, la Cimbebasie superieure, aux Peres du Saint-Esprit, et la Cimbebasie inferieure, aux Oblats de Marie Immaculee. I. — Prefecture apostolique DE LA CiMBliBASIE SUPERIEURE. Le territoire de la prefecture a la meme 6ten- due que la partie portugaise de la Cimbebasie. Personnel : 1 prefet apostolique, 22 missionnaires et 12 pietres de la Congregation du .Saint-Esprit. CEuvres : 5 stations, 5 chapelles, 5 ^coles, 100 dl&ves. I seminaire k Huilla, 45 el^ves. Population catholique : 600. II. — Prefecture apostolique DE LA CiMBEbASIE INfErIEURE. Cette prefecture, qui appartient aux Oblats de Marie-Immaculee, comprend la partie allemande de la Cimbebasie. Je n'ai encore aucun renseignement sur le personnel et les ceuvres de cette nouvelle mis- sion. I. Correspondance du Temps, reproduite dans le Bien Public du 13 Janvier 1889. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE, 1800-1890. 301 Statistique conipcin'e des missions de la Ciinbcbasie. En 1880 : neant. En i8g6 : 2 missions, 2 prefets apostoliques, 22 mis- sionnaires, 5 chapelles, 5 ecoles, 600 catholiques. Comme on le voit, les cadres se sont grande- ment multiplies, et les missions du Congo sont serieusement organisees, desormais en etat de lutter centre la propagande protestante. Des libres-penseurs et des protestants vont nous dire ce qu'il faut penser desunes et des autres. Un des redacteurs du Journal de Bruxelles, dans un interview avec le capitaine Coquilliat, un des administrateurs du nouvel Etat libre, lui ayant demande son avis sur les missions du Congo, en regut cette reponse : « Je suis un peu mecreant ; mais je ne pense pas qu'il y ait de puissance plus apte a la civi- lisation en Afrique que celle des missionnaires. II. faut opposer la Croix a la marche envahissante de I'lslam, dans I'Afrique centrale. La seulement est le salut. » De quels missionnaires s'agit-il ici ? Le jour- nal ne nous le dit pas : mais un voyageur luthe- rien, M. Van Schwerin, va nous renseigner a cet egard. « Si je n'etais pas un philosophe, je voudrais etre un catholique. Apres ce que j'ai vu en Afrique, j'eprouve la plus vive admiration pour les missionnaires catholiques. lis font un bien immense. Quant aux missionnaires protestants du Congo, ils preparentadmirablement le terrain pour les renegats de I'avenir. » Void ce qu'un protestant hollandais ecrivait, en 1886, au sujet de la mission de Saint-Joseph de Linzolo : « Ce que les Peres ont fait a Linzolo est vrai- ment incroyable, surtout quand on pense que les missionnaires anglais n'ont absolument rien fait, malgre les milliers de livres sterlings que les missions (protestantes) du Congo depensent toutes les annees. » Apres ces temoignages, arraches par I'evidencc aux ennemis de notre foi, je pense que la cause est suffisamment entendue. Reprenons maintenant tous ces chiffres, pour faire la statistique comparee des missions de lAfrique occidentale au cours du XIX<= siecle. En 1840, il n'y avail encore rien, en dehors de I'eveche d'Angola, dont j'ai dit la triste situation leligieuse h. cette epnque. En i8q6 : 18 missions, 6 \icaires apostoliques, i pro- vicaire, 9 prefets ou pro-prefets, 1S6 missionnaires, 112 eglises ou chapelles, 136 ecoles, 47.050 catholiques. TTiriii:TiTTT^i [TTiTT iTTTTiTiTi-riTirrirxriii3JXiJiJiiitJCJiJiiii:rrTriixi::iiraiiiiTi:cjiiJiixxi:^ cgfl|jitrc »i):D!ciiliicnu\ LES MISSIONS DE L'AFRIQUE MERIDIONALE, 1800-1890. iUSQU'AU milieu du XIX^ siecle, I'Afrique meridionale demeura a pen pres fermee aux mission- naires catholiques. Les calvinis- tes hoUandais, maitres du Cap de Bonne-Esperance, avaient portedeslois draconiennes pour interdire aux pi-ctres catholiques I'entree de la colonic. Quand les Anglais s'einparerent du Cap, a la fin du dernier siecle, ils continuerent pen- dant longtemps a appliquer aux niissionnaires ces lois odieuses. En 1806, trois pretreshollandais ayant rdussi a penetrer dans le pays, le gouver- neur, sir David Blair, les fit deporter, sans autre forme de proces, a Maurice. Jusqu'en 1837, la mission du Cap demeura done sans pasteurs, sous la juridiction nominative du vicaire aposto- lique de I'ile Maurice. Meme apres qu'il eut consenti, d'assez mau- vaise grace, a I'erection du vicariat apostolique, le gouvernement du Cap maintint toute une serie de dispositions restrictives contra les catholiques et leurs pretres : ceux-ci, en particulier, etaient legalement incapables d'heriter ou de posseder des biens-fonds dans la colonie. C'est seulement en 1868 que ces derniers restes d'une legislation tyrannique et surannee furent abolis, sur la propo sition meme du I'unariimite des votes du parlement. De cette situation douloureuse du catholicisme dans le Sud, 11 s'ensuivit que, pendant pres d'un siecle, les ministres protestants purent s'ins- taller en maitres dans toute la contree. Ce fut un malheur irreparable pour I'Afrique meridionale. Si I'apostolat catholique est en retard sur ses rivaux dans cette partie du continent noir, cela vient des obstacles serieux que lui a crees dans tout le pays la propagande protestante. « Nos missionnaires sont partout, ecrivait le docteur Philip (i), et partout ils repandent les semences de la civilisation, de I'ordre social et du bonheur. » Ou'ils soient partout, c'est un fait trop facile a I. Rev. John I'hilip, Recherches sur I'Afrique du sud. Preface. gouverneur de la colonie et a constater ; mais qu'ils repandent les semences de la civilisation et du bonheur, c'est ce qu'il faudrait voir. De nombreux temoignages de voyageurs protestants et serieux permettent un peu d'en rabattre. Lichtenstein, qui celebre avec conviction les exploits apostoliijues du R. Van den Kemp, appele « la pierre fondamentale des missions de I'Afrique du Sud, » reconnait neanmoins que ses collegues dans I'apostolat, « les ministres anglais et hollandais, etaient, en general, des vagabonds oisifs ou des fanatiques absurdes. » Voici main- tenant comment il s'exprime au sujet de leurs proselytes : « lis pouvaient chanter et prier, et parler de I'Agneau redempteur ; mais aucun d'eux n'en valait mieux, malgre ces beaux dehors. C'etait seulement une maniere commode de se procurer de la nourriture ; ce qui attirait les plus meprisables et les plus paresseux, car quiconque se presentait etait indistincte- ment recu dans les etablissements des mission- naires (i). » Ce temoignage est loin d'etre isole : tons les voyageurs protestants du commencement du siecle parlent de meme. D'apres Burshell : « les soi-disant neophytes ecoutent les missionnaires aussi longtemps que leurs avantages temporels le demandent (2) ; » et Thompson ecrit de son cote : « On n'a fait que peu ou point de conver- sions (3). » En 1835, le parlement, tout protestant, du Cap s'6mut de la situation des missions et provoqua une enquete serieuse sur elles. « — Croyez-vous, demanderent les deputes au capitaine Aitchison, qui avait longtemps reside au milieu des noirs, que les missionnaires aient ameliore la condition des Cafres ? )> « — Pas le moins du monde, repondit-il ; en realite, les Cafres des environs de Chumie (la 1. Lichtenstein, Voyage h travers V A frique meridionale, i vol. chap. 17. 2. William Burshell, esq. Voyage dans TinU'rieurde I'Afrique australe, 2" vol., ch. 5. 3. Georges Thompson, Voyage dans I'Afrique du sud, 2 vol., chap. 9. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE MERIDIONALE, 1800-1890. 303 grande station des inissionnaires) sont ceux qui se conduisent le plus mal de toute la tribu ( I ). » Cette situation deplorable des missions protes- tantes dans le sud del'Afriquene s'est nuUement amelioree depuis. En 1848, Sir Bunbury, savant voyageur protestant, ecrivait : « Le reforme et la civilisation des peuples cafres sont une tache que les missionnaires seuls ne peuvent evidemment accomplir (2). > De son cote, Anderson, I'ami et pendant plusieurs annees I'associe des missionnaires du lac Ngami, resume en ces termes son impression sur les neophytes : « Tant qu'ils regoivent la nourriture et les vetements, ils sont assez disposes a se grouper autour du missionnaire ; mais, des I'instant que les dons sont retires, leur attachement simule pour sa personne et pour sa doctrine dispa- rait, et ils ne se font aucun scrupule de I'accabler d'injures (3). » Enfin le colonel Napier, dent j'ai deja cite I'opinion au sujet des missions de rAlVique occidentale, va nous dire ce qu'il pense de celles du sud : « Les Hottentots du Cap sont plus debauches et plus dissolus que jamais, et plusieurs Reverends, il faut bien I'avouer, leur ont donne I'exemple d'une moralite pen severe (4). » C'est I'accomplissement de* I'oracle de I'Evangile : « Si un aveugle s'ingere a conduire un autre aveugle, tous deux tomberont dans le fosse (s). » Non seu- lement les noirs necesont pas ameliores a la predication de ces faux docteurs, mais ils sont devenus plus vicieux, et leur eloignement du christianisme, qu'on leur a rendu meprisable et odieux, fait qu'ils sont devenus a peu pres inabor- dables a la parole des vrais apotres de JliSUS-CHRlST. i Le terrain que nous avons a defri- cher, ecrivait Mgr Allard, vicaire apos- tolique de Natal (6), est un peu dur. Les Cafres qui resident dans la colonie de Natal sont, depuis de longues annees, en contact avec les Europeens, et ces rapports ne peuvent que leur etre tres funestes. Les mis- sionnaires protestants ont etabli depuis longtemps des stations parmi les indigenes et leur ont parle 'de la religion chretienne ; ils n'ont pas su leur 1. EuquCte farkiiicntaire, juillet 1835. 2. 'S\in\>uty, Journal d'liii st'/'oiir au Cap Le R. P. Gerard, de la mt^me Congregation des Oblats de Marie, apprecie comme son dveque la situation : (^?j«/oj compte un grand nombre de catholiques et parait prete a embrasser en masse la foi de I'Eglise romaine ; les Zoulous, plus difficiles et plus feroces, commencent a s'ebranler. Aujour- d'hui que le catholicisme a solidement constituc ses cadres dans I'Afrique meridionale, I'avenir lui est assure. Ce n'est plus qu'une affaire de temps ; les protestants eux-memes en conviennent : « Le nombre des catholiques romains, ecrivait, des 1858, le Reverend Calderwood, s'accroit tons les jours. lis ont deux eveques et un certain nombre de pretres, tous hommes capables et energiques. II est certain que les protestants ne regneront pas seuls dans I'Afrique du sud (i). » « Les catholiques, dit un voyageur anglais, augmentent sensiblement. lis feront, j'en suis certain, plus de veritables convertis parmi les hommes de couleur que toutes les autres sectes reunies (2). » Puisse le pronostic se realiser bientot ! DE I. — MISSIONS LA COLONIE DU CAP. 'Es missions sont actuellement au nombre V_^ de quatre : le vicariat du Cap occidental, le vicariat du Cap oriental, la prefecture du Cap central et la prefecture du fleuve d'Orange. Vicariat apostolk^ue du Cap occidental. Le vicariat apostolique du Cap, erige en 1837, comprenait d'abord toute I'Afrique meri- dionale. Dix ans plus tard, ce vicariat unique fut partag^ en deux : le Cap occidental et le Cap oriental. De nouveaux demembrements ont reduit le vicariat du Cap occidental aux limites actuelles : au nord, I'Olifant-River ; a I'ouest et au sud, I'Atlantique ; a Test la prefecture apos- tolique du Cap central. Tout le territoire du vicariat est compris dans la colonie du Cap. La population totale est de 282.000 habitants, ainsi 1. Rev. Calderwood, Les Cafres et leurs missions, chap. I. 2. Sir Cole, Le Cap el les Cajres. repartis : Europeens, 107.360 ; noirs et asiatiques, 102.220 ; nationalites diverses, 72.483. Les catho- liques, non compris les soldats irlandais, sont au nombre de 5.270, presque tous d'origine euro- peenne. Personnel : i vicaire apostolique, en residence au Cap, 12 missionnaires. — Communaut^s religieiises. Pelits- Frferes de Marie, 8 Freres. Dominicaines irlandaises, 3 maisons, 45 ScEurs. Religieuses de Nazareih, 10 Soeurs. CEuvres : 7 stations, deux au Cap : le Sacrd-Coeur et Sainte Marie, Wynberg, Rondeboschn, Kolk-bay, Si- monstown et Suellendam ; 30 missions dans I'interieur ; 9 eglises, 2 chapelles, 1 college au Cap (Petits-Freres de Marie), etudes classiques et commerciales, environ 300 Aleves, dont beaucoup appaniennent k des families protes- tantes ; l pensionnat de jeunes filles k Wynbeig (Domi- nicaines), 25 internes ; 12 ecoles primaires catholiques : 530 gargons, 400 filles ; 12 ecoles mixtes, petits enfants des deux sexes, 95,0. i institut, sourds-muets, loel^ves. I orphelinat, 66 enfants. Au total, 2.281 enfants dans les etablissements de la mission. Vicariat apostolique du Cap oriental. Ce vicariat, ^rige en 1847, comprenait d'abord tout le sud-est de I'Afrique : la partie orientale de la colonie du Cap, la colonie de Natal, I'Etat libre d'Orange, le Transwaal, la Cafrerie, le Basutoland et le Zoulouland. Cette immense juridiction fut restreinte au moins des deux tiers par la creation du vicariat apostolique de Natal. Les limites actuelles du vicariat sont : au nord, le cours superieur de I'Orange ; a I'ouest, la prefecture du Cap central ; au sud, I'Ocean Indien ; a Test, le vicariat de Natal. La population totale est de 595.480 habitants, dont 163.210 Euro- peens. Les catholiques sont 6.830. A I'epoque ou fut fondee la mission, le fana- tisme protestant etait encore dans toute sa force. En quarante ans, les choses ont completement change de face. Les protestants sont les premiers a rendre hommage au zele du vicaire aposto- lique et de ses pretres ; ils envoient en grand nombre leurs enfants dans nos ecoles, et vivent en paix avec leurs concitoyens catholiques. Ceux-ci ont un cercle florissant a Port-Elisabeth, sous le patronage de saint Patrice, et ils ne manquent aucune occasion de s'affirmer haute- ment et de montrer par leurs oeuvres qu'ils sont les enfants fideles de I'Eglise romaine. . Pour I'aider dans son oeuvre d'^vangelisation, le vicaire apostolique a fait appel au devouement des congregations religieuses. En 1875, il ramena d'Europe 8 Peres de la Compagnie de Jesus, 6 anglais et deu.x hollandais, 3 pretres seculiers, 3 etudiants en theologie et 12 Sceurs irlan- daises. Les 6 Jesuites anglais fureiit charges du college de Saint-Aidan, a Grahamstown ; ils reussirent, selon leur habitude, a meriter la confiance des families, et grouperent bientot autour d'eux 80 eleves, dont plusieurs protes- tants. Quant aux deux Jesuites hollandais, ils furent places dans la station de Graaf-Reinet, un des LES MISSIONS DE L'AFRIQUE MERIDIONALE, 1800-1890. 305 centres habites par les Boers, qui out garde, avec I'horreur du nom catholique, le sec et tran- chant dogmatisme de Calvin. Les deux religieux s'y firent estimer de la population, et lorsque, quelques annees plus tard, les Dominicaines ouvrirent dans cette ville un pensionnat, les Boers ne firent pas difficulte d'y envoyer leurs enfants. Cet etablissement, qui compta bientot 60 eleves, a merite les eloges des inspecteurs pro- testants. Desireux d'initier les noirs a la civilisation par le travail des mains et la culture du sol, Mgr Ricards fit venir, en 1880, une colonie de Trap- pistes, qu'il etablit a Dumbrody, dans une magnifique propriete que possede la mission ; mais comme, au bout de quel- ques annees, on constata que le climat du Cap se pretait mal a la culture, les Peres Trappistes emigrerent dans le vicariat de Natal, et Dumbrody fut cede aux Peres Jesuites de la mission du Zambeze, qui en ont fait un scholasticat pour leurs novices et une maison d'accli- matation pour leurs freres arrivant d'Eu- rope. Les Petits Freres de Marie ont ouvert un noviciat a Uitenhague. Statistiqiie religieuse du vicariat du Cap oriental en i8g6. Personnel : i vicaire apostolique, en residence \ Grahamsto\vn,3i missionnaires. Comnmnautes religieufcs : Jesuites, 47. — Petits Frt;res de Marie, 16, — ScEurs Irlandaises de Saint-Domi- nique, 4 maisons, 97 religieuses. — Soeurs de I'Assomption, i maison, 17 Soeurs. Qluvres : 10 stations principales : Grahams- town, Port- Elisabeth, Roi - Guillaume, Port- Alfred, Burghersdorp, Queenstown, Beaufort, Uitenhague, Graaf-Reinet, et Stutterheim. — 18 missions k I'interieur, 10 eglises, 9 chapelles. Pr^s de Grahamstown, k Sainte-Marie des-Lo- cations, la mission a une chapelle et 2 ecoles pour les noirs, une pour les Hottentots, I'autre pour les Cafres. College Saint-Aidan, k Grahamstown (Je- suites), 80 elfeves. — Preparation aux grades de I'universite. 19 dcoles primaires catholiques : 680 gargons, 855 filles. — 2 Ecoles mixtes, petits enfants. — I institut de sourdsmuets. Au total, environ i .600 enfants dans les dtablissements de la mission. PRIiFECTURE APOSTOLIQUE DU CAP CENTRAL. Cette prefecture fut detachee en 1873 des deux vicariats du Cap occidental et du Cap oriental, et confiee a la Societe des Missions Africaines de L}'on. Outre son territoire actuel, elle comprenait alors la mission du fleuve Orange, au nord-ouest du Cap. En 1882, les Missions Africaines de Lyon demanderent a etre dechargees de cette prefec- ture, qui fut donnee par la Propagande aux Oblats de Saint-Frangois-de-Sales de Troyes. Missions Catholiques. Deux ans plus tard, la mission du fleuve Orange ayant ete a son tour erigee en prefecture apos- tolique, les Oblats de Saint-Fran(^ois-de-Sales en demeurerent e.xclusivement chargers et la prefecture du Cap central revint sous I'adminis- tration du vicaire apostolique du Cap occidental. Les limites actuelles de la prefecture sont : au nord, le fleuve Orange ; i I'ouesc, la prefecture du fleuve Orange et le vicariat du Cap occi- dental ; au sud, I'Ocean ; a lest, le vicariat du Cap oriental. La population est de 139.160 habi- tants, sur lesquels on compte 690 catholiques. L'ile Sainte-Heleiic, celcbre par la captivite Mgr Jacques Ricards. et la mort de Napoleon i'^'', fait partie de la prefecture du Cap central. Personnel : i administrateur apostolique, Mgr le vicaire apostolique du Cap occidental, 5 missionnaires. Gtuvres : 5 stations : Georges, Oudstborne, Mossel-Bay, West-Knysna et Jamestown dans lile de Saint-Hdl&ne. — 18 missions. — 6dglises ou chapelles. 5 ecoles, 150 eleves. Prefecture apostolique du fleuve Orange. Cette prefecture, erigee en 1884, est situ^e au nord-ouest du vicariat du Cap occidental. Elle s'etend tout le long du fleuve Orange, sur une longueur de 600 kilometres et sur une lar- geur moyenne de 400. Ses limites sont : au nord, 306 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX">e SIECLE. la prefecture apostoliqiie de la Cimbebasie ; a I'est, la prefecture du Cap central ; au sud, le vicariat du Cap occidental ; a I'ouest, I'Ocean. La plus grande partie du territoire de la prefec- ture est dans la colonie anglaise du Cap, mais une portion appartient aux possessions aFle- mandes du Namaqua. La population totale est de vingt a '-ingt-cinq mille habitants, sans parler des nom' . nomades qui parcourent la con- tree, ric' paturages, pour nourrir leurs trou- peaux. atholiques sont environ 400. — A I'imitat' as anciens moines d'Occident, les Peres C s de Saint- F>an9ois-de-Sales, qui sont charge e la prefecture, joignent a la predication le tra' des mains. C'est ce qui a fixe sur eux le choix du Saint-Siege pour une mission tres pauvre, dans laquelle tout est a creer et 011 il s'agit d'initier les noirs au travail et a la civili- sation. Les negres, surtout les Hottentots, mon- trent de bonnes dispositions ; ils assistent nom- breux aux offices et aux instructions. Derniere- ment un vieux Bushman exprimait en ces mots son impression sur les missionnaires : « Nous n'ai- mons pas les protestants, car ils nous font du mal ; nous aimons au contraire les missionnaires catho- liques, parce qu'ils ne nous font que du bien. » « La conversion des Hottentots et des gens qui habitent Pella, ecrivait en 1886 un des Peres de la mission, est une affaire de temps. II suffit que nous puissions les visiter, leur parler, les engager a faire baptiser leurs enfants et a s'ins- truire eux-memes, pour qu'ils le fassent aussitot. Mais nous ne serons satisfaits que le jour ou les moyens de transport nous permettront d'aborder le pays des Bushmen ; ces pauvres parias, qui n'ont ni demeures fixes, ni moyens d'existence, sont traques comme des betes fauves par leurs voisins. Et pourtant ils ne manquent ni d'intelli- gence, ni de cceur. » Statistiqiie rcligieuse de la prefecture du fleuve Orange en i8go. Personnel : i prefet apostolique et 4 missionnaires, de la Congregation des Oblats de Saint-Fran(;ois-de-SaIes (Troyes), 3 catdchibtes, 8 religieuses de la meme Societe. CEuvres : 3 stations principales : Pella, Springbok et Calvinia. 3 missions k I'interieur, 2 chapelles. 3 ecoles elementaires. Statistique coutparce des missions du Cap. En 11:140 : I mission, i vicaire apostolique, 4 mission- naires, 4 eglises ou chapelles, 1 ecole, 2.000 catholiques. En iSgo : 4 missions, 2 vicaires apostoliques, i prefet, 52 missionnaires, 39 eglises ou chapelles, 59 dcoles, 13.190 catholiques. II. — MISSIONS DU SUD-EST DE L'AFRIQUE. CEs missions sont actuellement au nombre de quatre : le vicariat apostolique de Natal, le vicariat de I'Etat libre d'Orange, la prefecture du Transwaal et la prefecttn-e du Basutoland. Vicariat apostolique de Natal. La colonie anglaise de Natal, ainsi nommee parce que Vasco de Gama y aborda le jour meme de Noel 1497, compte a peine cinquante lieues de large sur quarante de long . EUe a pour limites : a Test, I'Ocean indien ; a I'ouest, I'Etat libre d'Orange et le Basutoland ; au sud, la Cafre- rie proprement elite, qui la separe de la colonie du Cap. En 172 1, les Portugais furent chasses de Natal par les Holiandais du Cap ; mais la ferocite des Cafres obligea bientot ces derniers a quitter le pays. En 1823, les Anglais du Cap firent une pre- miere tentative pour s'installer a Natal. C'^tait un peu premature. Le caractere indompte des Zoulous ne permettant pas aux colons d'y vivre en paix, le gouvernement du Cap se desinteressa bientot d'un pays si difficile, et abandonna les colons a leur malheureux sort. Ils auraient peri jusqu'au dernier sous les embuches des noirs, quand un convoi de Boers, emigrant du Cap pour fuir la domination detestee des Anglais, vint renforcer leur petite troupe. Le chef de I'expedi- tion, le commandant Retif, descendant d'une ancienne famille calviniste, sortie de France lors de la Revocation de I'Edit de Nantes, fut attire dans une einbuscade par le roi des Zoulous, nomme Dungan, et massacre avec plusieurs de ses officiers. Mais les Europeens echappes au massacre resolurent de vendre cherement leur vie, defirent les Zoulous, tuerent leur chef Dungan, et s'installerent definitivement dans la colonie, ou, des 1839, ils avaient fonde les deux villes de Pie- termaritzburg et d' Urban. Les Anglais chasserent a leur tour les Boers, qui se retirerent au nord-ouest et a I'ouest de la colonie, oil ils fonderent I'Etat libre d'Orange et la Republique du Transwaal. Depuis ce temps, Natal forme une colonie anglaise independante de celle du Cap. Plus d'une fois encore, les Anglais ont eu a lutter contre les premiers pos- sesseurs du sol. On n'a pas oublie en France que c'est dans une expedition contre les Zoulous que lejeune prince imperial perit miserablement, au mois de juin 1879. Sa mere, I'imperatrice Euge- nie, envoya a cette occasion une somme conside- rable au vicaire apostolique de Natal, pour faire elever pros du lieu ou le malheureux prince avait succombe un monument commemoratif et une chapelle. Le vicariat de Natal futerigeen 1850, etconfie a la Congregation des Oblats de Marie-Immacu- lee. Outre la colonie de Natal, il comprenait alors la Republique du Transwaal, I'Etat d'Orange, la Cafrerie, le Basutoland et le Zoulouland. Depuis quelques annees, ce vaste territoire est restreint a la colonie de Natal, a la Cafrerie et au Zoulou- land. Les limites actuelles du vicariat sont : au nord, les territoires relevant de la colonie portugaise LES MISSIONS DE L'AFRIQUE MERIDIONALE, 1800-1890. 307 de Mozambique et le Transwaal ; a I'ouest, la chaine du Drakenberg ; au sud, le KaT-River ; a I'est, I'Oceari indien. La population totale du vicariat est d ' un million d'habitants , ainsi repartis : 30.000 Anglais, 4.000 Boers, quelques families allemandes, danoises et francaises, ces dernieres venues de Maurice ; plus 5.000 Hin- dous, venus de Madras pour servir de coolies sur les plantations ; le reste est compose de noirs. Les catholiques sont au nombre de 4. 100. La population noire du sud de I'Afrique com- prend trois races distinctes : les Cafres, les Hottentots et les Buschmen. II faut dire un mot de chacune. Les Cafres (Kafirs, infideles) meritent parfaitement leur nom. De toutes les races africaines, le Cafre est le plus dif- ficile a convertir. Une profonde indiffe- rence religieuse, un mat^rialisme abject le caracterisent. Nos libres-penseurs, tou- jours a la recherche de populations athees, trouveraient parmi eux I'ideal de leur reve. Les tribus cafres se partagent en deux grandes branches : les Basutos et les Zoulous. Les Basutos paraissent plus susceptibles de se laisser gagner a la civilisation europeenne ; les Zoulous, traitres, feroces, indomptes, ont repousse jusqu'ici toutes les tentatives des Anglais. Mais les uns et les autres sont egale- ment ennemis du travail, dissolus, four- bes, menteurs et voleurs. Toute idee de moralite parait eteinte dans la conscience du Cafre : accuse, il nie effrontement, jusqu'a ce qu'on ait pu le convaincre ; pris sur le fait, il ne temoigne ni honte, ni repentir, et se contente de dire en souriant : « C'est vrai, maitre, j'ai vole, ou bien j'ai tue. > Libre-penseur, il con- forme strictement ses actes a ses doctrines religieuses et agit en libreviveur. Les Hottentots habitaient jadis les plaines du Cap. Refoules par les IIol- landais d'abord, par les Anglais ensuite, ils trainent les debris de leurs tribus dans tout le sud de I'Afrique, de la Cimbebasie au Zambeze, partout etrangers, partout misera- bles et repousses. Leurs mceurs sont tres disso- lues, mais ils sont d'un naturel plus soumis et plus timide que les Cafres, et, sous ce rapport au moins, ils seraient plus accessibles que ceux-ci aux tentatives de la civilisation chrctienne. Les Buschmen sont les parias de I'Afrique me- ridionale. Ils vivent refoules dans les deserts et dans les antres des montagnes, sansdemeure fixe, sans vetements, sans aucun moyen de subsis- tance que le vol. Les autres noirs leur font la chas.se comme a des betes fauves, et les massa- crent sans pitie partout ou ils peuvent les decou- vrir. Si le christianismc ne vient promptement les relever de leur abjection et les civiliser, dans un siecle cette race infortunee aura disparu du sol de I'Afrique. Voila la matiere ingrate sur laquelle travaillent, depuis un demi-siecle, les missionnaires catho- liques dans I'Afrique meridionale. On s'explique facilement la lenteur de leurs progres et I'echec complet des missions protestantes. L'oisivete, avec I'habitude du vol qui en est la suite, et la poU'gamie sont les deux principaux obstacles a la conversion des noirs. Malheureusement, les temoignages des voyageurs protestants nous Tout appris, ces mauvaises dispositions natu- Vasco de Gam.\ ; d'apres une ancieniie giavure. relies ont ete entretenues par les missions protes- tantes, jalouses de pouvoir envoyerchaque annee a leurs souscripteurs la liste de leurs pretendus convertis. On n'a pas encore eu le temps d'oublier en Europe I'aventurc facheuse du docteur Colenso, premier eveque anglican de Natal. Arrive en 1853 dans la colonic, trouvant trop difficile d'amener ses diocesains a abandonner la polygamic, ce bon eveque jugea plus simple de I'autoriser, en s'ap- puyant naturellement sur la Bible, dans laquelle les protestants sont experts a trouver tout ce qu'ils veulent : « Je suis profondement convaincu, ecrivait-il, que I'usage d'exiger de la part des maris la sepa- ration de leurs femmes apres la conversion au 308 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX-^e SIECLE. christianisme, est tout a fait inacceptable et op- pose au pur enseignement de Notre-Seigneur. A quoi bon lire aux paiens les histoires bibliques d'Abraham, de Jacob, de David et des nombreuses femmes que ces patriarches possedaieut ? )) On aurait cru qu'il ctait facile de leur expli- quer avec saint Paul que, dans la loi nouvelle, le mariage a ete eleve a la dignite de sacrement, et que ce qui etait concede, ad duritiam cordis, aux disciples de Moise, n'est plus permis aux disci|)les de J^SUSChrist. Mais le brave docteur n'y son- gea sans doute pas, et, apres une conference tenue NATAL (AFRIQUE MtelDIOXALE). Le roi Mohseh, chef dasuto ; d'apr&s une photographie, avec tout le corps des missionnaires, on decida, a runajiimitc, d'admettre au bapteme et a la com- munion, mais non aux emplois de I'Eglise, ceux des Cafres qui etaient polygames depuis long- temps. (( Je dois dire, ajoute le docteur Colenso avec une naivete charmante, que ceci me parait la seule mesure juste et raisonnable. » Pour le coup la pudeur britannique se revolta et cria shocking. L'eveque laissa dire et s'inquieta fort peu de ces scrupules surannes. Peu a peu, sur cette pente dangereuse de I'esprit particulier, il en arriva a nier I'inspiration des Ecritures, et par suite la divinite du christianisme. On trouva pourtant que c'etait un peu fort de la part d'un eveque, meme anglican, et l'eveque du Cap, apres avoir inutilement prie son coUegue de donner sa demission, se mit en devoir de proceder juridi- quement contra lui et de ledeposer. Mais l'eveque de Natal en appela a la Cour tres laique dii banc de la Reine, et les nobles Lords ayant declare qu'il n'y avait pas dans son fait la moindre peccadille, il fut maintenu dans sa charge. Neanmoins, comme un certain nombre de ses ouailles refuse- rent de le suivre dans son apostasie du christia- nisme, la Societe biblique de Londres fut forcee d'envoyer, a ses frais, a Natal un eveque mieux pensant. On vit done, pendant une vingtaine d'ann^es, dans la colonie, le spectacle rcjouissant de deux eveques anglicans, I'un orthodoxe, I'autre heretique, et I'heretique seul reconnu et paye par le gouvernement de sa Gracieuse Majeste la reine d'Angleterre, protectrice et chefde I'Eglise officielle. Voila dans quels abimes d'absurdite viennent tomber le schisme et I'heresie. Le docteur Colenso est mort en 1882, toujours eveque de Natal et parfaitement impenitent. Au reste, malgre ses concessions dogmatiques et morales, il n'avait pas mieux reussi que ses confreres aupres des Cafres de la colonie. C'est a I'Eglise catholique qu'il etait reserve de commencer serieusement I'ceuvre de la conversion. Apres une premiere tentative infructueuse aupres des Zoulous, tentative qui fut reprise plus tard avec succes, les mission- naires de Natal s'adresserent, en 1862, aux Basutos, moins feroces et mieux disposes. Bien que ce pays fut deja couvert de missions protestantes, leur roi Moh- seh accueillit parfaitement les pretres catholiques : « Je vous considere, vous, dit-il, comme de veritables missionnaires. Mon peuple et moi nous desirons sincerement devenir catholiques. Eta- blissez vous oil vous voudrez. J'offre, s'il le faut, de vous ceder la place ou sont baties nos habitations. » Les missionnaires fonderent la station de Ro- ma, en basuto Motsi-wa-ma-Jesu (le village de la Mere de Jl^SUS). Au bout d'un an, ils avaient deja trots cents neophytes serieux, et le i^'' novem- bre 1863, on b^nissait solennellement la premiere chapelle catholique elevee chez les Cafres. Voici en quels termes le P. G6rard, alors superieur de la mission, rendait compte de la ceremonie : « Les Basutos desiraient depuis longtemps I'arrivce de ce jour, ou ils devaient contempler des choses magnifiques et etre temoins de la ma- niere dont les Baromans (les catholiques) honorent DiKU. Le roi, en particulier, homme d'un profond jugement, nous avait dit plusieurs fois que nous LES MISSIONS DE L'AFRIQUE MERIDIONALE, 1800-1890. 309 devious I'inviter a I'ouverture de nos exercices ; qu'il viendrait lui-meme et parlerait a son peuple en notre faveur. II arriva, en effet, vers les neuf heures du matin, quoique la montagne ou il reside soit a deux lieues et demie de notre mission. » Grace a DiEU, tout alia fort bien pendant la ceremonie. Apres le sermon, le roi voulut aussi faire le sien. A sa demande, Monseigneur accorda bien volontiers I'autorisation. 11 lui fut done per- mis de se placer dans le sanctuaire, d'ou il pou- vait dominer ses sujets. II leur parla longtemps ; entre autres choses, il leur dit qu'au- jourd'hui il leur avait apporte un tre- sor. Puis, appelant les principaux chefs par leur nom, il leur recommanda de veiller a ce que I'eglise fut toujours pleine, et de se bien garder de faire le moindre mal a la mission, parce qu'il serait la pour punir les malfai- teurs. II les invita tous, hommes et femmes, a nous offrir leurs services lorsque nous en aurions besoin, et il leur rappela les paroles de Notre- Seigneur que j'avais citees en com- men^ant : (Jelui qui croira et sera bap- tise, sera sauve ! » Ces bonnes dispositions des chefs et du peuple n'ont fait que se confir- mer depuis. En vingt ans, les mis- sionnaires ont baptise plus d'un millier de noirs et fonde plusieurs nouvelles stations parmi eux ; ce sent d'abord, pres de Motsi-\va-ma-Jcsu, les deux postes annexes de Saint-Joseph et de Saint-Michel ; puis, dans une autre partie de la contree, les trois stations de Saint-Dominique, de Saint-Jean et de Gethsemani. De belles chapelles en briques, des ecoles, des maisons de Sceurs de la Sainte-Famille, des fer- mes niodeles pour initier les noirs a la culture et les arracher aux tenta- tions de I'oisivete : voila le resume du travail des missionnaires pendant ces trente premieres annees (i860- 1890). Leur influence est maintenant solide- ment etablie dans tout le pa)'S ; chaque annee le nombre des catechumenes et des baptemes d'adultes va en augmentant, et la nation des Basutos, qui compte 180.000 ames, n'est pas loin peut-etre du jour ou elle embras- sera en masse la foi catholique. En 1874, les Basutos deja baptises en voyerent au Souverain-Pontife une adresse et I'offrande filiale de leur pauvrete, que le bon Pie IX recut avec des larmes de reconnaissance et de joie. Que de progres accomplis en moins de quinze ans parmi ces tribus feroces de I'Afrique du sud ! Le roi Mohseh n'eut pas le bonheur de suivre ses sujets dans la voie du catholicisme. Bien qu'il soit demeure attache a nos missionnaires et a leurs ceuvres, catholique de cceur et de convic- tions, il recula toute sa vie devant la necessite de renoncer a la polygamie. Dans sa derniere mala- die, il appela les missionnaires et demanda ins- tamment le bapteme : il etait trop tard. Les mi- nistres protestants tenaient fermees par leurs affides toutes les portes du palais, et, n'ayant pu entrainer le roi dans leur secte, ils voulurent au moins se donner la consolation de le voir mourir paien. Peutetie sa bonne volonte et son desir sincere du bapteme catholique, unis aux bonnes CEUvres qu'il avait faites pendant sa vie pour sou- i'nt — Religieuse trappistine de Natal. D'apr^s un dessin du R. P. Courtois. tenir les missionnaires, auront suffi pour lui ou- vrir le Ciel. Apres sa mort, ses quatre fils se partagerent le jjouvoir et continuerent a favoriser les missions catholiques ctablies sur le territoire. Tout recem- ment encore, en 1888, le second fils de Mohseh, en demandant la fondation de la nouvelle mis- sion de Bethleem dans son propre village, disait au Pere : « Fais vite ! les protestants me tracas- sent, et je veux en finir avec eux. » Depuis 1894, la mission des Basutos forme une prefecture apostolique distincte, mais le vicariat de Natal est rest^ charg^ de I'^vang^lisation des Zoulous. Apres un premier ^chec, en i860, les 310 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™'^ SIECLE. missionnaires ont fait une tentative plus heureuse, en 1880, at fonde la station de Camperdown, qui compta bientot 60 neophytes et 40 enfants dans les ecoles. Malgre leur haine de I'etranger, les Zoulous ont toujours teinoigne le plus grand res- pect aux Koiiiains, comnie ils apijellent les pretres catholiques. Pendant la gueire de 1879, alors que tout le Zoulouland ctait en feu et que nul Euro- peen ne pouvait s'y hasarder sans risquer sa vie, les pretres catholiques pouvaient circuler sans etre inquietes. Le titre de Romain etait poureux un sauf conduit. Bien que les Cafres rcsidant dans la colonie, corrompus au contact de I'Europcen, soient plus difficiles a convertir, le zele du vicaire apostolique et de ses pretres n'a pas recule devant cet ingrat labeur. En 18S5, on ouvrit a Oakford, pr^s d'Ur- ban, une mission de Zoulous, avec chapelle en I'honneur du Sacre-Cceur et ecoles. Au bout de trois ans, on avait deji obtenu 51 baptemes d'adultes. Pour soustraire les Cafres aux tenta- tions de la vie europeenne, la mission aacheteen cet endroit huit cents hectares de terrain pour y installer un village chretien, qui compte deja 130 catholiques, vivant en paix sous la direction de leurs Peres spirituels. Le monastere des Trap- pistes, etabli a Mariannhill dans une admirable situation et qui ne mesure pas moins de 12.000 acres de terrain, forme encore un autre centre catholique, dans lequel les noirs sont inities tout doucement au travail et, par le travail, a la civi- lisation. Voila ce qui s'est fait depuis quarante ans dans le vicariat apostolique de Natal pour la conver- sion des noirs ; mais la ne se bornent pas les travaux des missionnaires. La majorite de la population catholique est europeenne, et ces catholiques, comma ceux du Cap, sont vraiment dignes de leur nom. « Rien de plus edifiant, ecrit un missionnaire, que de voir chaque dimanche se presser dans les eglisas de la colonie des hommes de toutes nationalites et de toutes cou- leurs : Anglais, Irlandais, Hollandais, Francais de Maurice, Hindous et Cafres. Dans les princi- paux centres, on prcche la matin en anglais et en fran9ais, et le soir on fait le catechisma dans chacune des deux langues qui se parlent dans la colonie. » Lors de la guerre da 1 881 entre les Boers et les Anglais, la mission de Natal eut soin d'anvoyer des aumoniars auxiliaires dans I'armee anglaise. Ceux-ci n'ont eu generalement qu'a se louer de leurs rapports avec les officiers protestants, at ont eprouve les plus douces consolations dans I'exer- cice de leur ministera aupres des pauvres soldats irlandais. Voici la situation du vicariat de Natal en 1890 : Personnel: 1 vicaire apostolique, 19 missionnaires de la Congregation des Oblats de Maiic-Immaculee. I couvent de Trappistes h Mariannhill, 140 religieux. — 60 religieuses Trappistines. — 33 Sceurs de la Sainte- Famille. — 9 Soeurs de la Sainte- Croix. CEuvres : 12 stations : Pietermaritzburg, Urban, Ma- riannhill, Oakford, Bluff, Saint-Michel, Opolela, Einsel- den, Blizberg, K'ikstod, Umtata et Buntig ; plusieurs missions, 12 eglises, 9 chapelles. I colligeseminaire i Pietermaritzburg, 47 etudiants dent 5 elfeves ecclesiastiques. — i pensionnat, jeunes filles, 72 eleves. — 17 ecoles priniaires catholiques : 2S0 gar- (;ons, yso filles. — 2 orphelmats. — i asile. Population catholique : 4.100 sur i.ooo.oood'habitants. Des 1880, la vicaire apostolique de Natal, prcoccupe de I'etendue de son territoire, en avait damande la division. La guarre qui survjnt alors entre les Boiirs et les Anglais avait forcement ajourne cette mesure ; mais en 1886, la paix etant retablie, la Sacree Congregation detacha du vica- riat da Natal le vicariat apostolique de I'Etat d'Orange et la prefecture du Transwaal, puis en 1894, la prefecture apostolique de Basutoland. Vicariat apostolique de l'Etat libre d'Orange. Le nouveau vicariat, erige en 1886, comprend l'Etat d'Orange et la Terre des Diamants. Ses limites sont : au nord et a I'ouest, le cours du Waal ; au sud, le fleuve Orange ; a Test, la chaine du Drakanbarg. La population totale est da 500.000 habitants, sur lesquels 75.000 Europeens. La population catholique est de 5.600 ames. L'Etat d'Orange forme una Republique inde- pendante composee surtout des anciens colons hollandais du Cap, connus sous le nom de Boers ; la Terre des Diamants appartient aux Anglais. II s'est passe au cap de Bonna-Esperance le mama phenomene ethnologique que nous avons constate chez les Franco-Canadiens de I'Ame- rique du Nord. La race anglo-saxonne, assez forte pour s'emparer du pays et la conserver, s'est montreaimpuissante a s'assimiler les vaincus. Comme nos compatriotes du Canada, les Boers, apres avoir ete cruellement opprimes, ont reagi avec vigueur : ils ont constitue les deux Repu- bliques independantes de I'Orange et du Trans- waal, at ceux qui sont restes dans la colonie anglaise ont garde avec un soin jaloux leurs mceurs, leur religion, leur langue at leur nationa- lite. A catle heure I'element hollandais balance dans I'Afrique du Sud I'element anglais, et bientot paut-etre il le dominera. II y a la un pht^nomene bien digna d'attirer I'attention des hornmes d'Etat de la Grande-Bretagne. La ou il rencontre des races infcrieures, I'Anglo-Saxon les fait dis- paraitre sans pitie ; quand il se trouva en pre- sence de races europecnnes, son exclusivisma, son egoisrne hautain tient les vaincus a distance et ampeche toute fusion. L'Anglatarre protestante est habile a conqucrir, impuissante a conserver ; si elle fCit restee catholique, ne peut-on pas dire qua ses defauts se saraient notableinent attenues et qu'elle serait devenua plus apta a s'assimiler les races qua son incontestable habilete, son LES MISSIONS DE L'AFRIQUE MERIDIONALE, 1800-1890. 311 esprit de suite et sa grande puissance maritime ont fait tomber sous son joug ? Bien que le fanatisme de Calvin domine encore parmi les Botfrs, ils ont vu avec plaisir rerection du vicariat apostolique, et I'cveque, a son arrivee a Bloemfontein, a ete recu avec les egards dus a sa dignite. Toutes les autorites de la Republique, ayant a leur tete le president, se sent fait un devoir d'assister a son installation. Statisiique religieuse du vicariat en iSg6. Personnel : i vicaire apostolique en residence k Kim- berley (Terre des Diamants). — 17 niissionnaiies prctres et 12 Fr^res de la Congregation des Oblats de Marie- Immaculee. — 53 Sceurs de la Sainte-Famille. — 11 Soeurs de Nazareth. CEuvres : 10 stations, 12 missions, 10 eglises, 7 cha- pelles. 21 ecoles catholiques : 420 gargons, 670 filles. Total, 1.090 enfants. — i institut de chatite pour les pauvres. — 1 orphelinat, 80 enfants. Prefecture apostolique du Basutoland. En 1 88 1, la mission des Basutos fut detachee du vicariat de Natal et rattachee a celui de I'Etat d'Orange. Un decret du 8 mai 1894 vient de I'eriger en prefecture apostolique distincte. Le Basutoland appartient a I'Angleterre. On a vu plus haut I'origine de la mission des Basutos. Elle continue a prosperer et tout fait esperer la conversion prochaine de la nation entiere. Voici, au F^ Janvier 1896, la situation de la nouvelle prefecture. Personnel : i prefet apostolique, 8 pretres et 5 Freres de la Congregation des Oblats de Marie-Immaculee, 29 Sceurs de la Sainte-Famille. CEuvres : 13 stations, dont 7 principales ; 12 ecoles elementaires. Prefecture apostolique du Transwaal. Comme son nom I'indique, la Republique du Transwaal est situce au-dela du fieuve Waal, qui la separe de I'Etat d'Orange. La nouvelle prefecture apostolique, crigee en 1886, comprend tout cet Etat et a pour limites : au nord, le flcuve Liinpopo ; au sud, le Waal ; a Test les possessions portugaises du Mozambique; a I'ouest, les deserts de Kalahari et le Betchoua- naland. La population totale est d'environ 900.COO habitants, ainsi repartis : Boers, 120.000; Metis, 180000 ; Cafres, 600.000. Les catholiques sont environ 4.000. Le Transwaal est, dans le sud de I'Afrique, le dernier refuge du fanatisme de Calvin. Les catholiques sont encore exclus par la loi de la magistrature supreme de la Republique et des principaux emplois. Personnel : i prefet apostolique, en residence k Johan- nesburg. — 10 missionnaires de la Congregation des Oblats de Marie. — 5 Petits-Frores de Marie. — 14 Soeurs de Lorette. — 25 Soeurs de la Sainte-Famille. — 12 Dominicaines. CEuvres : 4 stations. — 5 missions. — 5 e'glises, 9 cha- pelles. — I college, k Pretoria. — 5 ecoles superieures, filles. — 7 ecoles primaires catholiques : 600 gargons, 800 filles. Total : 1.400 enfants. — 2 hopitaux. * * * Statisiique compar^e des missions die sud-est de I'Afrique. En 1S40 : neant. En iSgo: 4 missions, 2 vicaires apostoliques, 2 pr^fets, 54 missionnaires, 58 eglises ou chapelles, 65 e'coles, 17.700 catholiques. * * * En resumant les chiffres des missions du Cap et des missions du sud-est de I'Afrique, nous trouvons pour toutes les missions de I'Afrique meridionale en 1896 : 8 missions, 4 vicaires apostoliques, 3 prefets, 106 missionnaires, 97 eglises ou chapelles, 124 ecoles, 30.890 catholiques. aTiiiiri:iiJ^i^i-i-i^LixiJUJi.ziiJiiii:[iiiiiiJ:[iiiiiiixriiirii:[jriiiiiia:iiiiii [iiiiiiJiiiiiiiiiixiJLititiii]:iiiiii^ m^m cljaijitrg vinrjticmE. ^^^ LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. rirxriiTiiiTt:riijiir]-riiiiTTirTTTTTTTi[iiTTriixiiiiTiiriiiiTrT]-roiiii]rriTTiirTTTiiTiriiiiiiimiixnxAiinU-U Es missions de la cote orientale d'Afrique peuvent se diviser en trois groLipes bien distincts : au sud, les missions du Zambeze et la prdlature portugaise du Mozambique ; au centre, les missions du Zanguebariau nord, es missions d'Ethiopie. I.— MISSIONS DU ZAMBEZE ET DU MOZAMBIQUE. VASCO DE Gama relacha pour la premiere fois dans I'ile de Mozambique en 1498. II y trouva des trafiquants arabes, qui commer^aient deja avec I'lnde. Comme sur la cote occidentale, le Portugal domina longtemps en maitre tout le long de la cote orientale de I'Afrique, du cap Guardafui au cap de Bonne- Esperance. A cette epoque de prosperite et de ferveur religieuse, les Dominicains et les Jesuites portugais avaient des stations sur toute I'etendue de la cote : a Aden, a Melinde, a Mombaze, a Zanzibar, au cap Del- gado, a Mozambique, a Sofala et dans tout I'in- terieur du pays. Saint Fran9ois Xavier, en se rendant aux Indes, sejourna six mois a Mozam- bique, ou il fit plusieurs miracles (1542). Quelques annees plus tard, un autre Jesuite, appartenant a une des grandes families du Portugal, le Pere Gonzalve de Sylvira, penetrait au Monomotapa, ou il cueillait, vers 1560, la couronne du martyre. Bien tot, au rapport des Lcttres Edifiantes, les reductions des Jesuites au milieu des Cafres s'e- chelonnerent tout le long du Haut et du Moyen- Zambeze, ou le docteur Livingstone a retrouve leurs ruines, encore entources du respect religieux des populations. Les Dominicains, de leur cote, s'occuperent specialement du ministere paroissial et de I'au- monerie des troupes. En 1612, le Pape Paul V erigea le Mozambique en prelature niilliits^ rele- vant directement du Saint-Siege. Le titulaire etait ordinairement un religieux de I'Ordre de saint Dominique, et sa juridiction s'etendait alors du cap Guardafui au cap de Bonne-Esperance ; a I'interieur du continent, elle n'avait d'autres limites que les dernieres stations des mission- naires. Puis, apres ces jours de prosperite, I'inevitable decadence. Vers la fin du XVIF siecle, le roi du Monomotapa expulsa les Portugais du Zambeze et les refoula a la cote. A la meme epoque, les Arabes reoccuperent Melinde, Mombaze, Zanzi- bar et toute la partie septentrionale des posses- sions portugaises, de la mer Rouge au cap Del- gado. Dans le su t, les Hollandais d'abord, les Anglais ensuite, s'etablirent au cap de Bonne- Esperance, et peu a peu firent remonter leurs etablissements jusqu'a la bale Delagoa, que naguere encore ils se disputaient au Portugal. La colonie de Mozambique se trouva done suc- cessivement reduite a une bande etroite de terre, qui s'etend, le long du rivage, du cap Delgado, au nord, a la bale Delagoa, au sud Ce territoire est partage en neuf districts ou capitaineries : sept districts maritimes : lecap Delgado, Mozam- bique, Angoche, Ouelimane, Sofala, Inhambane, Lourenijo-Marquez, et deux districts a I'interieur, Tete et Senna, sur le cours superieur du Zam- beze, avec plusieurs commandements militaires, et un certain droit de suzerainete sur les roitelets voisins, qui regoivent I'investiture du Portugal, et sont decores du titre pompeux de Capitan- Major. Le gouvernement de Lisbonne a fait recem- ment un effort infructueux pour dominer de nou- veau dans le bassin du Zambeze. A la conference de Berlin, en avait pose le principe de \ Hinter- land ou de I'arriere-pays, en vertu duquel toute puissance qui detient une portion des cotes de I'Afrique, a le droit de s'avancer dans I'interieur, jusqu'a ce qu'elle rencontre le territoire d'une autre puissance europeenne. D'apres ce principe, le Portugal, maitre a la fois de la cote de Mozam- bique et de celle d'Angola, situees presque a la meme hauteur, comptait reunir ses deu.x; colonies par une chaine ininterompue de postes a travers le bassin du Zambeze, dont ses anciennes explora- tions et ses traditions historiques rautorisaient a se LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. 313 regarder comme le maitre. En droit, rieii de plus naturel que la pretention du Portugal. II est ration- nel qu'a I'heureou toutes les nations europeennes, la France, I'Angieterre, I'Allemagne, la Belgique, ritalie elle-meme, se partagent le continent noir, le Portugal, qui a decouvert et occupe successi- ment toutes les cotes de I'Afrique, du golfe de Guinee a la mer Rouge, essaie de faire revivre ses droits de suzerainete sur une portion restreinte de ce vaste territoire. En consequence le major Serpa Pinto fut charge de conclure des traitcs avec les chefs de I'interieur du pays. Mais cela ne faisait pas les affaires de I'An- gieterre, qui compte bien, dans ce partage de I'Afrique, se faire la part du lion, en reliant ses colonies de I'Afrique australe aux vastes terri- toires qu'elle vient de s'attribuer, de partage avec TAllemagne, sur la cote du Zanguebar et dans la region des Grands-Lacs ; ce qui, avec le pro- tectorat plus ou moins deguise de I'Egypte, et les comptoirs qu'elle possede sur le golfe de Guinee, lui ferait un immense empire africain, a peu pres d'un seul tenant, avec des debouches au nord, au sud, a Test et a I'ouest. La pretention du Portugal, en coupant le continent du Mozam- bique a I'Angola, allait ruiner ce beau plan. II fallait s'y opposer. D'apres le Foreign Office, qui ne s'est pas tou- HAUT-ZAMLSEZE (Afrique ORiENrALE). Recepfion du R. p. Depelchin par le roi Lebuschi. jours montre si scrupuleux, les pretentions du Portugal sur le bassin du Zambeze sont insou- tenables, parce qu'il n'a pas occupe la contree qu'il revendique aujourd'hui. Eri vain il argue de la souverainete morale qu'il exerce depuis trois cents ans sur un pays qu'il a le premier decouvert, explore, ouvert au commerce et a la predication chretienne ; tout cela, c'est de I'his- toire ancienne. Actuellement le Portugal n'exerce plus, en fait, aucune action sur le territoire dont il revendique le haut domaine ; il est done desor- mais dcchu dc son droit, et les traitcs et arran- gements particuliers qu'il voudrait passer avec les chefs indigenes sont nuls, tant qu'ils n'ont pas ete sanctionnes par les autres puissances. ^ En consequence, le gouvernement de I'Angie- terre engloba, par voie de simple declaration, le Matabeleland et tout le bassin du Bas-Zambeze dans ses vastes colonies du sud de I'Afrique, en depit des protestations des Boers du Transwaal et des Portugais du Mozambique. En meme temps, par un ultimatum en date du 1 1 Janvier 1890, il defendait au Portugal de s'etablir sur le cours moyen du Zambeze, le sommant d'evacuer les territoires recemment acquis par le major Pinto de rappeler .ses troupes, et de .se desister a I'avenir de toute pretention sur cette partie du continent. Vingt-quatre heures etaient donnees au gou- vernement de Lisbonne pour obeir a ces injonc- tions hautaines, qu'une escadre, reunie a I'avance, s'appretait a soutenir par la force. Trop faible 314 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™ SIECLE. pour accepter la lutte contre I'Angleterre, le Portugal n'avait plus qua se soumettre. C'est ce qu'il fit en protestant avec beaucoup de di'gnite, contre la violence qu'il subissait, et en reservant d'ailleurs tous ses droits. Les autres puissances europeennes se montrerent generalement bles- sees de ce procede brutal de I'Angleterre contre une nation chretienne qui n'a d'autre tort que d'etre faible ; elles laisserent faire ncanmoins, en vertu du fameux axiome moderne : « Chacun pour soi, chacun chez soi. » Le Portugal a cruellement ex pie, en cette occa- sion, la faute irreparable que lui fit faire, au dernier siecle, la politique sectaire de Pombal, je veux dire la destruction systematique des mis- sions et I'expulsion violcnte des religieux qui en etaient charges. Supposons un instant que les Capucins du Congo et les Jesuites du Zam- beze aient eu la liberte de continuer leur oeuvre d'apostolat : il n'est pas douteux qu'a cette heure, les missions portugaises de la cote orientale et de la cote occidentale seraient reliees par une chaine ininterrompue de stations catholiques, placees naturellement sous le protectorat de Sa Majeste Tres Fidele. En reclamant aujourd'hui sa part legitime d'influence a I'interieur du con- tinent, le Portugal aurait des droits serieux a faire valoir, et I'Angleterre ne pourrait pas lui Jeter a la face que ses droits de suzerainete qu'il reclame sont de I'histoire ancienne ; tant il est vrai que les grandes iniquites nationales se payent tot ou tard. En chassant les Capucins du Congo, en jetant les Jesuites du Zambeze dans les case- mates du fort Saint-Julien, le gouvernement de Lisbonne se croj-ait bien fort : c'est si peu de chose, un moine qu'on expulse, ou qu'on envoie pourrir en prison ! Ce peu de chose, c'etait tout simplement la ruine des missions portugaises et la perte d'un immense empire colonial. Le Por- tugal est bien recompense aujourd'hui de s'etre traine pendant trois quarts de siecle a la remor- que de I'Angleterre protestante ! Hatons-nous de constater -que, depuis une vingtaine d'annees, il est revenu a une politique plus Chretien ne. Les RR. PP. Jesuites de la mis- sion du Zambeze, comme je le dirai tout a I'heure, n'ont qu'a se louer de leurs rapports avec les autorites de la colonie de Mozambique. Espe- rons qu'il n'est pas trop tard pour revenir sur une politique nefaste, qui a fait perdre aux Portugais la plus grande partie de leur empire colonial. Prefecture apostouque du Zambeze. C'est seulement en 1879 qu'un decret de la Propagande, en erigeant la prefecture aposto- lique du Zambeze, rouvrit aux Peres de la Com- pagnie de Jl':sus leurs missions de I'Afrique orientale, d'oii la main brutale de Pombal les avait arraches en 1759. Bien des choses s'etaient passees dans ces cent vingt annees. La puissance preponderante du Portugal avait fait place a celle de I'Angleterre, sauf dans la colonie du Mozambique ; toute trace de christianisme et de civilisation avait disparu de ces vastes regions, qui couvrent environ trois cents lieues carrees et comptent plusieurs millions d'habitants ; a la place du fameux empire de Monomotapa, evan- gelise par leurs clevanciers, lesnouveau.x mission- naires trouvaient, dans le bassin du Zambeze, quatre Etats principau.x : au sud, le Petchouana- land, entierement soumis a I'influence britan- nique ; dans la region du Moyen-Zambeze, I'Etat des Matabeles, qui, depuis, est tombe, lui aussi, sous le protectorat de I'Angleterre ; a Test, dans la sphere d'action du Portugal, le royaume d'Um- zila ; enfin au nord, dans le Haut-Zambeze, r^tat des Barotses, toujours dechire paries revo- lution.s. « On ne vieillit pas chez les Barotses, » a ecrit Elisee Reclus ; les missionnaires n'allaient pas tarder a en faire I'experience. En dehors de ces quatre grands Etats, une vingtaine de roite- lets cafres, les uns completement independants, les autres sous le protectorat de I'Angleterre ou du Portugal. Telle etait, a grands traits, la situation poli- tique de la mission du Zambeze, quand le R. P. Depelchin vint en prendre possession avec ses compagnons, en 1879. On comprend que les difficultes et les souffrances de toutes sortes ne devaient pas manquer aux nouveaux apotres. Les Missions catholiques ont fait le recit des dix pre- mieres annees d'epreuves, r^cit que je vais essayer de resumer. Partis de Grahamstown (vicariat du Cap orien- tal), le II avril 1879, les Jesuites se rendirent dans leur lointaine mission sur de lourds wagons, traines chacun par dix-huit a vingt boeufs ; c'est le seul vehicule en usage dans ces regions reculees de I'Afrique. Le 11 mai, ils etaient a Kimberley, la capitale de la Terre des Diamants. Leur projet etait de s'etablir d'abord chez les Betchouanas et chez les Matabeles, dans le sud de leur mission. En consequence, poursuivant leur route, ils arriverent le 24 juillet a Shoshong, capitale du Betchouana- land : mais le roi Khama, surnomme \egeii!leuian de I'Afrique australe, les recut fort mal, et leur refusa nettement la permission de s'etablir chez lui. Ce prince avait ete endoctrine depuis long- temps, lui et les siens, par les Wesleyens ; il fut impossible de le faire sortir de ce dilemme, qui lui avait ete evidemment suggere par ses predicants : « Ou vous precherez la meme religion de JE.SUS que les missionnaires arrives avant vous, et, dans ce cas, je n'ai pas besoin de vos services ; ou vous nous apporterez une autre religion, et alors vous amenerez le trouble et les dissensions religieuses : je n'en veux pas. » II y avait bien une troisieme hypothese a poser, a savoir, si la religion qu'on lui avait d'abord enseignee etait la vraie ; mais le prince, style par ses precheurs, se refusa a la laisser dis- cuter, et les missionnaires se virent forces de remporter la benediction qu'ils apportaient a ce LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. 315 pauvre peuple. Espcrons qu'a mesure que I'Aii- gleterre etablira son influence politique sur ces regions reculees, on vena cesser les pretentions intolerantes des ministres protestants, pretentions bien singulieres, il faut lavouer, de la part de ceux qui rejettent toute autorite doctrinale. Que font-iis done de leur fameux principe du librc examen, la ou ils sont les maitres ? Repousses d« Betchouanaland, les voyageurs apostoliques arriverent, le 27 aout, chezles Mata- beles, ou le roi Lo 15engula les recut fort bien, et leur permit de s'etablir. Ils se fixerent a Gubula- wayo, qui devint ainsi la station centrale de la mission du Zambeze. Neanmoins les debuts furent longs et penibles, et les missionnaires consuinerent Jmit longues annees a attendre. C'est seulement en 1887 qu'ils obtinrent la liberie de I'apostolat. Ils se transporterent alorsa Empe- dani, ou leurs predications commencent a porter des fruits. Aux dernieres nouvelles un certain nombre de noirs se preparaient serieusement au baptenie, et chaque dimanche, la petite chapelle est remplie de Cafres, qui assistent avec respect aux ceremonies et ecoutent attentivement le catechisme qu'on leur fait. Pendant le temps qu'ils passerent a Gubula- waj'O, les Peres employerent leurs loisirs forces a parcourir leur immense mission, afin de recon- naitre les localites les mieux disposees a reccvoir la Bonne Nouvelle. Des 1880, une expedition apostolique s'organisa pour le royaumed'Umzila, dans la partie orientale de la mission. La cara- vane se composait de deux pretres, les Peres Law et W'ehl, et des Freres Hadley et Desadeleer. L'expedition devait aboutir a une catastrophe. Pendant ce temps, le P. Depelchin explorait les rives du Zambeze et remontait au nord jusque chez les Barotses. C'est au cours de ce voyage qu'il visita les celebres chutes du Zam- beze, decouvertes quelques annees auparavant par Livingstone. Cette annee-la, 1881, le Pere organisa quatre stations le long du fleuve : dans le sud, le poste de Pantamatenka, en communica- tion facile avec le Transwaal ; sur le Moyen- Zambeze, le poste de Sainte-Croix des Batongas, chez un chef indigene nomme Moemba ; enfin dans le Haut-Zambeze, les deux postes de Katonga et de Sheskeke, chez le roi Lebuschi, prince des Barotses, qui recut tres bien le Pere et lui promit toute securite pour ses mission- naires. De ces quatre stations, aucune ne devait subsister. Le poste de I'antamatcnka fut aban- donne, j'ignore pour quelle raison ; la station de Sainte-Croix des Batongas, a peine installee, fut pillee par Moemba, et dans ces tristes conjonc- tures, le P. Teruerde, superieur de la mission, deja malade de la fievre, succomba aux privations. Quant aux deux postes ouverts chez les Barotses, lorsque les missionnaires se presenterent pour les occuper, ils se virent, au mepris des conventions passees I'annce precedcnte avec le Pere Superieur, impitoyablement ranconnes et meme menaces de mort par Lebuschi, qui les retint plusieurs mois prisonniers dans son kraal. Le Frere Desadeleer perit dans cette seconde expedition, en se noyant dans les rapides du Zambeze (3 avril 1883). Evidemment, il n'y avait rien a faire pour le moment aupres de ces tyranneaux noirs, qui voient dans tout Europeen venant s'etablir chez eux une proie a exploiter. En attendant que les nations chretiennes aient etendu leur protectorat sur toute la contree et rendu au pays un peu de securite, les missionnairei, sans se laisser decou- rager par tant d'insucces, se sont mis a faire le siege de leur difficile mission, en I'entourant d'une ceinture de postes avances, d'ou ils pour- ront facilement, quand le moment de DiEU sera venu, pciictrer a I'interieur. C'est ainsi qu'ils se sont etablis successivement dans le vicariat du Cap oriental, ou ils desservent plusieurs postes et ont ouvert une maison d'etudes et d'acclimata- tion ; dans le Transwaal, ou ils evangelisent les Cafres, et dans la colon ie de Mozambique, ou les autorites portugaises, heureuses de les voir sup- pleer a I'insuffisance numerique du clerge parois- sial, leur ont fait le meilleur accueil. Voici quelle etait, au !<='' Janvier 1890, la situa- tion religieuse de la mission du Zambeze : La prefecture apostolique a pour limites : au nord, les vicariats apostoliques du Congo beige, du Congo superieur, et la mission du Nyassa ; a I'ouest, la colonie de Mozambique ; au sud, le Transwaal et la Cimbcbasie ; a I'ouest, la prefec- ture du Congo meridional. Personnel : i superieur de mission, en residence k Grahamstown (Cap oriental), 18 missionnaires pretres de la Compagnie de Jesus, S scholastiques et 20 Freres coad- juteurs, Scaurs Doniiniraines. Oiuvres : 9 stations, i Ji Grahamstown, Colonie du Cap. — I k Fort-.Salisbury, Mashonaland. — i \ Fort-Maclout- sie, Matabeleiand.— i i Kelands, Cafrerie britannique. — 1 'k Stotterheim, Colonie du Cap. — i k Dumbrody, Colo- nie du Cap. — I k Vlesfontein, Transwaal. — i i. Tete, Mozambique. — i h Senna, Mozambique. 8 ^glises ou chapelles. — i s^minaire k Grahamstown, 8 scholastiques. — i college k Grahamstown, 71 el^ves. — 2 ^coles elementairesgarqons, 36 el^ves. — 4 ^coles filles, 88 el&ves. — 2 orphelinats k Dumbrody, 78 enfants noirs. La population catholique de la prefecture du Zambeze est assez difficile a determiner. On compte environ deux mille Portugais et metis, dans les postes desservis par les missionnaires. Quant aux negres, les documents precis font defaut ; mais il est certain qu'on pent compter en ce moment plusieurs centaines de catechumenes, chez les Matabeles. II. — LES MISSIONS DU ZANGUEBAR- IL y a trcnte ans a peine que I'evangelisation du Zanguebar est commencee. Depuis le jour oil les Arabes de Mascate eurent repris aux Por- 316 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i'= SIECLE. tugais I'ile de Zanzibar et les villes du littoral, 1 Islam regna en maitre sur tout ce pays, qui ne compte pas moins de sept cents lieues de cote, du cap Guardafui au cap Delgado. Quant aux popu- lations noires de I'interieur, ignorees alors de I'Europe, victimes de la traite et ne connaissant de la civilisation que celle que leur apportaient, au bout de leurs fusils, les prisonniers arabes, elles croupissaient dans un hideux fetichisme, ou se laissaient gagner peu a peu a I'influence demora- lisante du mahometisme. Telle etait la situation quand Mgr Maupoint, eveque de la Reunion, envoya en i860, a Zanzibar, son vicaire general, I'abb^ Fava, aujourd'hui eveque de Grenoble, en compagnie de trois missionnaires. Du premier coup d'oeil, les ouvriers aposto- Mgr Fava, eveque de Grenoble. liques apercurent le bien qu'il y avait a faire dans ces regions jusqu'alors abandonnees, et I'impos- sibilite pour le clerge seculier de la Reunion de se charger d'un pareil fardeau. L'cveque fit done appel aux Congregations religieuses, et, des 1862, le Zanguebar fut erige en prefecture apos- tolique, confiee par la Propagande aux Peres du Saint-Esprit, sous la direction de Mgr Maupoint, charge jusqu'a sa mort de presider au develop- pement de la mission, en qualite de delegue du Saint Siege. En 1872, la Congregation du Saint- Esprit prit definitivement la direction de la pre- fecture, qui fut elevee, en 18S3, au rang de vicariat apostolique. Enfin les recentes annexions allemandes ont amene, en 1887, I'erection de la prefecture du Zanguebar meridional, confiee aux Benedictins de la province de Baviere. Les mis- sions du Zanguebar sont done actuellement au nombre de deux : le vicariat du Zanguebar sep- tentrional et la prefecture du Zanguebar meri- dional. Vicariat apostolique du Zanguebar .septentrional. A leur arrivee a Zanzibar, les Peres du Saint- Esprit comprirent bien vite qu'il n'y avait rien a faire avec la population musulmane adulte de I'ile et du littoral. Quant a se lancer au milieu des tribus dc I'interieur, avant de s'etre assure sur la cote une base solide d'operations, c'eut it6 folie. Une seule chose restait possible : recueillir sur le march6 de Zanzibar autant d'enfants qu'on pour- rait en racheter, et quand ils seraient en age de s'etablir, fonder, dans I'intifrieur du pays, autant de Rcchtctions chretiennes que le permettraient les ressources des missionnaires. Ce plan, si pratique et si simple, fut applique avec un grand esprit de suite par le R. P. Horner, premier superieur de la mission,'et par ses successeurs. C'est a son execu- tion que la mission du Zanguebar doit la prospe- rite dont elle jouit actuellement et le bel avenir qui lui semble reserve. Naturellement les missionnaires commencerent par la ville de Zanzibar. Les enfants ne man- quaient pas sur le marche. En depit des traites imposes par I'Angleterre au sultan pour I'aboll- tion de la traite, en 1820, 1822, 18.39, 1845 et 1864, les caravanes arabes de I'interieur amenaient, chaque annee, au marche de Zanzibar, une moyenne de 45.000 esclaves, sans parler de ceux introduits dans I'ile en contrebande, et dont les evaluations les plus moderees portent le chiffre a 2O0OO. C'etait done une moyenne annuelle de 65.000 tetes de betail humain, sur lesquelles les Peres avaient a choisir, en regrettant amerement que leurpauvrete ne leur permit d'en racheter qu'un petit nombre. Les missionnaires eurent ainsi toute facilite pour ouvrir, a Zanzibar, un orphelinat de garcons, sous leur direction, et un orphelinat de fiUes, qu'ils confierent a la Congregation des Filles de Marie, venues de la Reunion. Ces enfants, rachetes des miseres et deshontes de I'esclavage domestique, il fallait les former a la civilisation et au travail, pour les mettre plus tare! en etat de gagner leur vie. C'est pourquoi les missionnaires fonderent a Zanzibar une ecole d'arts et metiers, qui fit bientot I'admiration du sultan Said-Madgid et de tons les visiteurs euro- peens. Au bout de deux ou trois ans, les Peres etaient en etat de fournir au prince arabe des char- pentiers, des forgerons, des mecaniciens meme, sans parler d'un orpheon pour rehausser ses fetes. Aussi la bienveillance du sultan fut desormais acquise a la mission, et se traduisit plusieurs fois en genereuses offrandes et en protection efficace pour les missionnaires et leurs ceuvres, a mesure que celles-ci s'etendaient a I'interieur. Tons les voyageurs de passage a Zanzibar temoignent des memes sentiments : « Les mis- sionnaires, qui sont les bienfaiteurs du pays, ecrit LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALS, 1800-1890. 317 le commandant Cameron (i), ont ete tout a fait bons et hospitallers pour nous. lis ^levent beau- coup d'enfants, qu'ils convertissent au christia- nisme et auxquels ilsapprennent, outre la lecture et I'ecriture, un metier qui leur permet de gagner leur vie. » Stanley declare de son cote que € cette remarquable creation temoigne de I'acti- vite intelligente et des methodiques efforts des missionnaires ( 2 ). » Comme Cameron il se loue de la cordialite avec laquelle les Peres I'ont recu. Au bout de six ans d'apostolat, voici quelle ^tait, en l868, la situation religieusede la mission : 4 Peres du Saint-Esprit, 6 Freres coadjuteurs, 8 Filles de Marie ; — • 2 hopitaux a Zanzibar, un pour les Europeens, I'autre pour les noirs ; i petit seminaire : 8 eleves etudiant le latin ; i ecole pro- fessionnelle, 2 ecoles primaires. Au total, 150 enfants rachetes de I'esclavage, dans les etablis- sements de la misssion, Le moment ^tait venu d'essaimer hors de la ruche devenue trop 6troite. D'un cote, I'ecole professionnelle de Zanzibar n'offrait a la petite famille qu'un d^bouche restreint ; d'autre part, on ne pouvait songer a abandonner, au milieu d'une ville toute musulmane et tres corrompue, les jeunes pupilles des missionnaires arrives a I'age de s'etablir. Le travail des champs, le sejour a la Z.-\XGUEBAR. — Maison d'habitation des Missionnaires, a Bagamoyo campagne devaient leur etre meilleur a tous les points de vue. La fondation de Bagamoyo fut resolue. En 1 868, la nouvelle maison s'ouvritavec deux enfants. En peu de temps, la petite colonie se peupla, les brousses furent defrichees, de magni- fiques plantations s'epanouirent, a la place des marais infects qui couvraient le sol. En quelques annees, I'orphelinat agricole de Bagamoyo, qui mesure soixanfe-^itiitse hectares de terrain, devint un etablissement modele, avec hopital, ecoles, noviciat de Soeurs indigenes, ouvroir pour les filles et un village chretien forme a I'ombre de I'etablissement par les jeunes menages ^Iev6s dans la maison. 1. Cameron, A /ravers l^AJrique, 2. Stanley, Comment fai rettouve Livingstone. « Quand on songe, ccrivait en 1880 un officier beige, aux difficultes de toute nature, aux obsta- cles, aux dangers meme, opposes par les Arabes et les indigenes a I'ceuvre des hardis missionnai- res, on reste stupefait devant les prodigieux resul- tats obtenus par eux, en moins d'un quart de siecle. Quelles que fussent les iddes que j'avais avant de fouler le sol africain, je suis convaincu aujourd'hui que le devouement et I'abnegation du pretre constituent le plus puissant levier du pro- gres moderne, en pays sauvage (i). )) Les Anglais, si bons appreciateurs des choses, chaque fois que la passion religieuse ne fausse pas leur jugement, naturellement droit, rencheris- sent sur ces eloges. En 1870, le consul anglais de Zanzibar, sir I. Jerome Becker. 318 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. John Kirk, bien que protestant convaincu, confia a la mission catholique, au grand depit des cler- gymen, la majeure partie des femmes et des enfants delivres par les croiseurs anglais qui fai- saient alors la chasse aux negriers dans les eaux de Zanzibar. Sa conduite fut hautement approu- vee par sir Bartle Frere, membre du Conseil prive de la reine, envoye en 1872 a Zanzibar pour forcer le sultan a mettre fin a la traite. Cet homme d'Etatvisita les deux etablissements de Zanzibar et de Bagamoyo, et donna 5.000 fr. au P. Horner, en temoignage non equivoque de sa satisfaction. Rendant compte au Foreig)i-Office de sa mission, il s'exprime en cestermcs, au su'et de I'Drphelinat catholique : « En ce moment il n'y a aucun etablissement mieux conditionn6 que Bagamoyo pour recevoir et bien elever les noirs. II m'est impossible de suggerer aucun changement dans la disposition de cette oeuvre, en vue d'augmenter son utilite comme institution industrielle et civilisatrice ; sous ce rapport, je la recommande comme un modele a suivre dans tout essai de civilisation ou d'evangelisation de I'Afrique (i). » La-dessus, M. Hill, secretaire du Foreign- Office, proposa a son gouvernement de subventionner cet utile etablissement. <•< On objectera peut-etre, dit-il, que par cette mesure on encourage une mission catholique romaine ; mais aussi longtemps que nos Societes de missions ne suivront pas I'exemple des mis- sionnaires catholiques, elles n'eleveront pas leurs eleves de maniere a en faire des citoyens utiles et de fervents chretiens. II ne nous reste done rien de mieux a faire que de subventionner I'etablisse- ment catholique (2). » Quant aux charges materielles que cette me- sure est de nature a imposer au gouvernement britannique, I'homme d'Etat ajoute, avec une grande noblesse de sentiments : « La Grande-Bretagne, en se donnant la tache de liberer les esclaves, se trouve engagee a pren- dre des mesures pour qu'ils n'aient pas a souffrir de ses actes. » Voila de nobles paroles qui honorent un peuple. Si plus d'une fois, au cours de ce travail, j'ai du blamer severement legoTsme feroce de I'Anglo- Saxon, je suis heureux de pouvoir ici rendre hommage a cette nation, a qui il ne manque que d'etre catholique pour etre, a I'heure actuelle, la premiere des nations chretiennes. Grace aux enfants confies a I'orphelinat de Bagamoyo par le representant de I'Angleterre, il fallut songer bientot a faire de nouvelles fonda- tions a I'interieur, ce qui, on se le rappelle, etait le premier dessein des Peres du Saint-Esprit pour I'evangelisation du pays. Des 1870, les mission- naires firent une tournee d'exploration dans I'Ou- kami, oil ils trouvt-rent une population disposee a les accueillir, eux et leurs e nfants. Les mal- 1. Livre Bleu de 1S72, Jiafports et Documents. 2. Livre Bleu de 1872, Raf ports et Documents. heurs de la France et la diminution des recettes de la Propagation de la Foi, qui en fut la suite, ne permirent pas pour lors de realiser ce projet ; mais, a partir de 1877, les Peres se lancent reso- lument dans I'interieur et fondent successivement les stations de M'honda (1877), de Mandera (1878), de M'rogoro (1884), de Tounoungo (1885 ), de K-ondoa ( 1S86), de Longa ( 1887), de Sima (1888). Je ne m'arreterai pas a faire I'histoire de cha- cune de ces stations. Les lecteurs la trouveront aux Missions catholiques. Cette histoire, qui est celle de toutes les ceuvres de DiEU, peut d'ail- leurs se resumer en deux lignes : Au debut, la pauvrete et I'epreuve ; ici, des difificultes avec les roitelets indigenes; ailleurs, I'ouragan qui renverse toutes les cases, I'incendie, la mort des mission- naires, les menaces des trafiquants arabes ; puis le travail perseverant des Peres et de leurs enfants, travail qui attire la benediction de DiEU, procure le pain de chaque jour, et assure le succes final. Le R. P. Le Roy, dans une page charmante, esquisse la physionomie de chacune de ces oasis chretiennes plantees par la Providence au milieu du grand desert du paganisme : « Ouand I'age est venu oil ces enfants doivent devenir chefs de families, deux ou trois mission- naires partent a la tete de quinze ou vingt de ces conscrits. lis vont dans I'interieur, vers une tribu amie, vers un chef connu. La, sur un site eleve et presd'un cours d'eau, dans un canton fertile, salu- bre et peuple, ils se font ceder des terres incultes, dont ils defrichent un coin a la hate et sur les- quelles ils elevent des cases provisoires. La pre- miere besogne faite, avec quelle ardeur, on le devine, les hommes reviennent chercher leurs fiancees, et le couple jeune et joyeux va prendre possession de son nid. Voila done, tout de suite, quinze ou vingt menages chretiens. lis ne posse- dent rien, mais ils sont deja plus riches que tous les paiens qui les entourent, car le christianisme leur a donne ce que les autres n'ont pas : une intelligence que ia foi eclaire et des bras qui sauront travailler. D'ailleurs le missionnaire est toujours la, qui dirigeet quisurveille, qui instruit, qui recompense souvent, qui punit quelquefois. Pen a peu, autour de la case restauree et dans les champs defriches, on voit s'elever le sorgho, le mais, le riz, la canne a sucre, pendant que le colombier se peuple, que les poules se multiplient et que les chevres vont par bandes promener leurs caprices a travers les herbes plantureuses. » Ce n'est pas tout, car des relations se sont vite creees aux alentours, la confiance s'est etablie, et bientot peut-etre les paiens, attires par I'exemple, par I'interet, par la perspective d'une vie plus avantageuse et plus belle, par la grace de DiEU surtout qui se sort de tous les moyens, les paiens viendront se grouper autour de rhomme blanc et formeront une ilorissante colonie chretienne. Voila notre plan : a DiEU, aux missionnaires et a leurs bienfaiteurs de le realiser. » LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. 319 Ce plan a ete realise : DiEU a donnc sa grace, les missionnaires ont prodigue leurs sueurs, et les bienfaiteurs d'Europe out largement ouvert leurs bourses. Aujourd'hui, bien que le nombre des Chretiens soit encore minime, I'evangelisation du pays est en bonne voie, car I'influence des missionnaires est solidement etablie dans toute la contree, dont ils sont regardes, a bon droit, comme les bienfaiteurs. Meme au milieu des tribus anthropophages, ils sont respectes de tons, et leur intervention pacifique a deja reussi a diminuer notablement I'habitude de I'infanticide, pendant que leur seule presence tient a distance les trafiquants de chair humaine et fait reculer les horreurs de la traite. Chaque station chretienne est done un phare qui illumine au loin les tenebres du paganisme et appelle a lui les hommes de bonne volonte. Mais de si beaux resultats ont coiite cher : de 1862 a 1890, quarante-neiif mission- naires ou religieuses, le tiers de I'effectif total, ont succombe pre- maturement aux fatigues du tra- vail apostoh'que et aux ardeurs devorantes du climat d'Afrique. Ce n'est pas moi qui les plain- drai ; ils ont choisi la meilleure part ; leur mort hatee a ete pre- cieuse devant DiEU et glorieuse devant les hommes, car elle a fait germer la vie chretienne dans ce coin longtemps ignore de I'Afrique orientale. Les evenements politiques de ces dernieres annees ont com- promis pour quelque temps la prosperite des missions du Zan- guebar. Au lendemain de la Conference de Berlin, lAngle- terre et I'Allemagne se sont par- tage I'interieurdu pays jusqu'aux grands Lacs, ne laissant au sultan que I'ile de Zanzibar, sous le protectorat britannique, et le littoral maritime sur une pro- fondeur de dix milles; encore les gouvernements de Londres et de Berlin se sont reserve le droit d'administrer, pendant cinquante ans, les douanes de la cote, ce qui equivaut a peu pres a I'occu- pation pure et simple du pays. Quel que soit, comme Francais, notre sentiment sur cette anne.vion de la cote orientale de I'Afrique par nos rivaux, il faut reconnaitre que la substitution de I'influence chretienne a I'in- fluence musulmane ne peut qu'etre favorable au developpement de la vraie civilisation, d'autant que les autorites anglaises et allemandes rivali- sent de bicnveillance et d'egards envers nos mis- sionnaires ; mais on comprend que les Arabes, genes dans leur honnete trafic de chair humaine, apprecient autrement les choses. II y eut done, en i888et 1889, unsoulevement contre les nouveaux maitres du pays, surtout contre les Allemands, qui semblent avoir un peu trop accentue la rai- deurde leur caractere et la durete habituelle de leurs procedes ; plusieurs postes allemands, isoles dans I'interieur, furent surpris et massacres ; le fameux Bushiri, chef arabe de la revolte, prit Bagamoyo, dont il pilla les comptoirs ; la mis- sion naissante des Benedictins bavarois, dans ZAiSGUi!.BAR. — Kingakou, le grand roi de l'Oukami. D'apr^s un dessin du R. P. Le Roy. le Zanguebar meridional, fut totalement aneantie. Pendant ce temps, I'escadre allemande bloquait les cotes du Zanguebar, et rendait a peu pres impossibles les communications avec le continent. II y eut pour les Peres du Saint-Esprit bien des heures d'angoisse a passer : I'incertitude du len- demain, des centaines de refugies a loger et a nourrir, I'inquictude sur les postes de I'interieur, encore plus exposes que Bagamoyo. Neanmoins universellement connus et respectes, meme des Arabes, les missionnaires catholiques furent epar- gnes ; ils purent meme, avec des sauf-conduits de Bushiri, pcnetrer a I'interieur et ravitailler leurs postes. Mdlgre tout, il se produisit un moment 320 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. d'arret dans le developpement des ceuvres de la mission. Si la revoke avait pu I'emporter, c etait, a bref delai, raneantissement de la mission catho- lique. Comme I'ccrivait en 1889 le vicaire apos- tolique, Mgr de Courmont : « La pensee de Bus- hiri et ses desseins sont, a coup sur, ce que pen- sent et veulent tous les Arabes et tous les chefs indigenes de la cote, ce que penserontet voudront demain toutes les tribus sauvages de I'interieur. lis disent carrement et sans forfanterie que pour eux la tache presente est d'expulser les AUemands des deux points que ceux-ci tiennent encore sur la cote ; que, cette premiere entrepriseaccomplie, ils feront la guerre a tous les blancs et les mas- sacreront sans merci, de cette cote a celle du Congo. » Grace a Dieu, la civilisation chretienne I'a emporte sur la barbarie musulmane, et I'avenir de la mission parait de nouveau assure. En ce moment, Taction des Peres du Saint-Esprit semble se porter specialement sur la partie nord de leur mission, qui est sous le protectorat des Anglais. Apres un voyage d'exploration tout le long de la cote, de Lamo a Mombaze et a Melinde, ils vien- nent d'ouvrirune nouvelle station a Mombaze qui parait appelee a devenir, dans le nord de la mission, ce que Bagamoyo est au sud : une ruche- mere, d'ou essaimeront bientot de nombreuses communautes chretiennes, qui front peupler les monts Kenia, jusqu'a ce qu'elles rejoignent les stations deja etablies sur les rives du Victoria- Nyanza. Des ce jour, on peut dire que cet im- mense territoire, encore inexplore il y a trente ans, e=t ouvert a la civilisation et au chris- tianisme. Reste une portion demeuree encore en friche, tout au nord de la mission, la Cote des Somalis, qui s'etend de la ville arabe de Melinde au cap Guardafui, sur une longueur de trois cents iieues. Rien a faire jusqu'ici au milieu de ces hordes musulmanes, dont I'orgueil farouche vient encore d'etre surexcite par les recentes victoires du Mahdi au Soudan. L'ltalie, prot6g6e de I'Allemagne, a des vues sur ce pays. Si cette occupation se realise, les missionnaires ne tarderont pas sans doute a s'y 6tablir. Le comteTeleki, qui vient d'explorer la contree, dit qu'il a rencontre, au 5*= degre de latitude australe, une tribu chretienne qui semble avoir eu des rapports avec I'Abyssinie. Peut- etre pourrait-on trouver la une nouvelle base d'operations pour penetrer au sud de I'Ethiopie, dans la difficile mission des Gallas, dont les Capucins font le siege depuis un demi-siecle. Voici quelle 6tait, au i^r Janvier 1890, la situation religieuse du vicariat apostolique du Zanguebar septentrional. Le vicariat s'etend du cap Guardafui, au nord, au 7<= degre de latitude australe, qui marque la limite ou commence la prefecture du Zanguebar meridional ; et de I'Ocean indien aux vicariats apostoliques du Nyanza et de rOunyaniembe, a I'ouest. Le pays, tres peuple, a plusieurs millions d'habitants, sur lesquels on compte 2.590 catholiques, 300.000 musulmans ; le reste est fetichiste. Personnel : i vicaire apostolique, 22 missionnaires pre- tres, 19 Frferes coadjuteurs de la Congregation du Saint- Esprit, 2 maisons de Filles de Marie : Bagamoyo et Zan- zibar, iQ Sceurs . CEuvres : 9 stations : Zanzibar, Bagamoyo, M'honda, Mandera, M'rogoro, Tounoungo, Kondoa,Longa et Mom- baze ; 10 chapelles. 12 ecoles, 423 garqons, 236 filles. 1 petit seminaire : 25 el^ves ; 2 noviciats de Soeurs indigenes, i grand dtablissement agricole, 7 orphelinats, 5 ateliers, 8 villages Chretiens. 2 ouvroirs, 2 creches, 3 hopitaux. Prefecture apostolique du Zanguebar meridional. Cette nouvelle mission s'etend du /« degre de latitude australe au cap Delgado et aux posses- sions portugaises de Mozambique. Elle a pour limites : au nord, le vicariat du Zanguebar septen- trional ; a I'ouest, les vicariats de I'Ounyaniembe et du Tanganika oriental ; au sud, la mission du Nyassa et la prefecture de Mozambique ; a Test, rOcean indien. La prefecture apostolique, erigee en 1887 et confiee aux Bdnedictins de Baviere, n'a encore d'autre histoire que celle de la catastrophe qui I'a aneantie au berceau. Quatorze religieux et religieuses avaient de- barque pleins d'ardeur, dans le courant de 1887. Deja, ils avaient reuni autour d'eux une centaine d'enfants des deux sexes et fonde la station de Pugut, au sud de Bagamoyo. Le premier succes avait coute cher. Des le debut, un Pere et une Sceur avaient succombe aux ardeurs du climat, un Frere et une autre Soeur avaient ete forces par la maladie de regagner I'Europe, et au com- mencement de 1S89, le superieur de la mission et un de ses Freres etaient retenus a Thopital europeeii de Zanzibar. Le 13 Janvier 1889, les revokes arabes envahirent a I'improviste la mis- sion, massacrerent deux Freres et une Sceur, firent prisonnier le reste de la communaute, trois Freres et une Soeur, pillerent la chapelle et mirent le feu a I'etablissement. Ce ne fut qu'apres deux mois de longues et penibles negociations que les Peres du Saint-Esprit obtinrent la deli- vrance des prisonniers, contre une ran^on de 6.000 florins et I'echange d'un certain nombre de prisonniers arabes. Les malheureux enfants de I'orphelinat avaient ete vendus comme esclaves. II fut impossible de les sauver. La mission du Zanguebar meridional ne s'est pas encore relevee de cette catastrophe, mais elle s'en relevera. Elle a recu le bapteme du sang, elle est assuree de ne pas mourir. Que les ennemis du christianisme creusent des fosses : de ces fosses, DiEU fera des berceaux, et dans ces berceaux germera la vie. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. 321 Staiistique covipar^e des Missions du Zanguebar. En iS6o : neant. En 1870 : I mission, i prefet apostolique, 4 niission- naires, 2 eglises ou chapelles, 4 ecoles, 206 catholiques. En 1S90 : 2 missions, l vicairc apostolique, l prefet, 22 missionnaires, 10 dglises ou chapelles, 1 2 ecoles, 2.590 catholiques. III. MISSION D'ETHIOPIE. L 'Antique Ethiopia, evangelisee des les temps apostoliques par I'eunuque de la reine Candace, qui recut le bapteme des mains du diacre Philippe, fut definitivement convertie a la foi chretienne, au coiirs du IV^ siecle, par saint Frumence, son premier eveque. Dcpuis quinze siecles, au milieu des flots toujours montants de Tinvasion musulmane, ce pays est reste incbran- lablement attache a la foi du Christ ; et c'est pour le penseur un spectacle frappant que celui de ce peuple heroique, perdu au milieu de la bar- barie mahometane, et demeurc, malgre tout, I'avant-garde de la civilisation et du christianisme en Afrique : « Pauvreet meprisee, ecrit le celebre voyageur dAbbadie, I'Abyssinie s'est consolee de ses douleurs en se sentant encore chretienne. » Oui, lAbyssinie est restee chretienne, mais d'un christianisme batard etdegenere, egalement depourvu de dogme et de morale. Relevant du patriarcat d'Alexandrie, elle a naturellement em- brasse, commesa metropole, I'heresie d'Eutyches et le schisme de Dioscore. Ce fut I'origine de sa decadence et de ses longs malheurs. Isolee de I'Europe catholique, elle n'etait plus assez forte pour se preserver de I'anarchie. Les perpetuelles revolutions de palais, les commotions sanglantes qui, plusieurs fois par siecle, bouleversent le pays, I'ignorance crasse du clerge, la pratique de la polygamic musulmane, la corruption chez le.s grands, la plus grossiere superstition dans le peuple, deshonorent cette Eglise, qui n'a plus guere de chretien que le nom. Trois sectes rivales et ennemies se partagent les populations : la secte Karra, qui nie brutalement avec Eutyches la dualite de nature en Jesus-ChrisT ; la secte Quobeat, beaucoup plus moderee, et la secte des Trois Naissances, qui se rapproche tellement du catholicisme, que la difference dogmatique entre ses partisans et nous est insaisissable. C'est a cette derniere branche que se rattachent la plupart des moines, et tout ce qu'il y a encore d'esprits dis- tingues dans la nation. Ajoutons, i I'honneur des Abyssins, qu'ils ont conserve la plus vive devotion a la tres sainte Vierge : trcnte-trois fetes lui sont consacrees annuellement, et les Abyssins veneraient son Immaculee - Conception longtemps avant que I'Eglise romaine I'eut definie comme dogme de foi. Cette pi(;te envers Marie, jointe a la rigueur, tout antique, de leurs jeunes, les a preserves des tentatives que les protestants ont faites a plusieurs reprises pour les seduire. Missions Cathoiiques « Les moines, ecrit le R^v. Gobat, 6veque anglican de Jerusalem, qui sejourna plusieurs annees en Ab)'ssinie, sont devenus mes ennemis, et m'appellent musulman, parce que je condamne I'adoration de la Vierge Marie, et que j'affirme quelle est une pecheresse, qui attend, comme les autres femmes, son jugement (i). > Ouand le major Harris conduisit au Choa une mission anglicane subventionnee et payee par le gouvernement anglais, il eut le plaisir d'entendre les Abyssins se demander les uns aux autres : « Qui sont ces gens-la ? Sont-ils musulmans ? Sont-ils juifs ? » Sur quoi, quelqu'un aj'ant insi- nue charitablement qu'ils appartenaient peut etre a une secte de chrctiens degeneres, les autres s'empresserent de repondre : « Chretiens ! c'est impossible. lis ne jeunent pas, et n'ont pas con- fiance en Marie (2). )) Finalement, malgre la complaisance, cherement payee, de V Aboun ou metropolitain, les plaintes des fideles et le scandale devinrent tels, que les Rev. ministres furent excommunies nommement, comme/Z/'fj que les Tares, et tout essai de mis- sion protestanteen Abyssinie fut abandonne (3). « * * L'Eglise catholique, qui a conserve la pratique apostolique du jeune, et qui venere en Marie I'in- tercession toute-puissante de la MeredeDlEU, est mieux en etat d'agir sur les Ab)'ssins, pour les arracher a leurs superstitions et les ramener a la pratique de la vraie foi. Depuis le concile de Florence, le Saint-Siege n'a cesse de s'occuper de I'Abyssinie. Des 1439, le pape Eugene IV avait envoye au Negus un legat apostolique et plusieurs reli- gieux franciscains. La legation fut faite prison- niere par les Arabes et ne put arriver au but de son voyage ; mais un pretre 6thiopien fut plus heureux, il parvint jusqu'en Italic, assista au concile de Florence et temoigna, au nom de son Eglise, de la foi des Abyssins a la primaute du Vicaire de Jli.SU.S-CURKST. Un peu plus tard, grace aux Portugais, maitres des cotes de I'Afrique orientale, des rapports suivis s'etablirent entre I'Abyssinie et Rome. En IS5S> a la demande du Negus, Jean IH de Portugal fit partir pour I'Abj'ssinie plusieurs Peres Jesuites, ayant a leur tete Nunez, patriarche de I'Ethiopie, et deux evcques in partibus, Oviedo tt Cornaro. Mais, dans I'intervalle, une de ces revolutions de palais, si frequentes dans le pays, avait ramene au pouvoir le parti de I'heresie. Le patriarche Nunez mourut a Goa, sans avoir pu entrer dans sa mission ; I'evcque Oviedo, plus heureux, penetra dans le pays, mais pour etre jete dans les fers, oil il mourut, en 1557, apres une longue et douloureuse captiviteheroiquement supportee. 1. Journal Je liois ans de sijour en Abyssinie, ch. 4. 2. Major Cornwalis Harris, Les montagnes dc CElltio/'ie. 3. Voir Marshall, Missions Chriliennes, i vol. Aliyssinie. 322 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. Pendant un siecle, la mission d'Abyssinie passa par une succession d'cpreuves et de prosperites. Mais les Jesuites rivalisaient d'ardeur et de zele, ils se multipliaient pourprecher aux grands et-aii people la foi catholique, ils ramenaient du schisme un bon nombre de pretres et de moines, ils convertissaient successivement deux des sou- verains du pa}-s ; enfin, le ii decembre 1624, I'Eglise d'Ab\-ssinie,abjurant I'heresie d'Eut\-ches et !e schisme de Dioscore, rentrait dans le giron de I'Eglise catholique. Helas ! ce triomphe fut ephemere. En 1632, le Negus Basilidas monta sur le trone. Adonne a la polygamie et a tous les vices, il etait naturelle- ment I'ennemi acharne du catholicisme et de sa morale. Les Jesuites sont expulses ou livres au fer du bourreau, et comme, a cette meme epoque, les Arabes, apres avoir chasse les Portugais d'Aden et de Melinde, s'emparent du littoral, I'Abj-ssinie demeure fermee aux missionnaires catholiques. II }■ eut poiirtant une nouvelle tentative, au siecle suivant. En 1702, trois religieux francis- cains, apres avoir affronte de grands dangers, penetrerent jusqu'a Gondar, la capitale. Les traces de la predication des Jesuites subsistaient encore. Les enfants de saint Francois conver- tirent plusieurs princes de la famille royale, et le Negus ecrivit de sa main a Clement XI : « Tres-Saint Pere, je me soumets a Votre Sain- lete, comme tous les rois mes predecesseurs s'y sont soumis. » Vain espoir! Une revolution de palais renversa le Negus, et I'heresie remonta sur le trone. * * • Depuis cette epoque jusqu'au milieu du_ Xix« siecle, il se fait un silence de mort sur I'Eglise d'Abyssinie. De temps en temps, on apprenait que quelque pauvre Capucin avait essaye de penetrer dans ces regions inhospitalieres, puis Ton n'entendait plus parler de lui : le Ciel comp- tait un martyr de plus. Les deux derniers heroiques apotres dont les noms nous soient par- venus, sont deux Capucins francais : les PP. Cassien, de Nantes, et Agathange, de Blois, martyrises en 1838, et dont le proces Je beatifi- cation vient d'etre repris. Ouand, vers 1840, le celebre voyageur d'Abba- die visita I'Ethiopie, oil il passa douze ans, voici quelle etait la situation politique et religieuse du pays : trois Etats principaux se partageaient la contree, le Tigre, au nord, I'Amhara, au centre, et le Choa, au sud. Au-dessus des princes feu- dataires, le Ras-Ali, chef nominal de I'empire, aux trois quarts musulman, bien que, pour con- server sa couronne, il professat de bouche la foi chretienne. .Au milieu des revolutions continuelles et des guerres civiles qui dechiraient le pays, rislam, enfermant rAb_\-ssinie chretienne dans' un cercle qui allait se retrecissant de jour en jour, faisait d'inquietants progres parmi ces populations demoralisees par I'ignorance. « Aujourd'hui, ecrivait en 1852 M. d'Abbadie, I'islamisme, si faible en Europe, s'est releve en Afrique. Apres avoir attire dans ses dogmes les peuplades sauvages qui entourent I'Abyssinie, apres I'avoir ainsi isolee du reste de la chretiente, il resserre de plus en plus ce malheureux pays en y penetrant pas a pas. Plusieurs nations de I'Ethiopie sont aujourd'hui entourees d'un cordon de tribus barbares, qui ne leur laissent entendre qu'apres bien des annees les faibles echos de ce qui se passe a Jerusalem, oii git le tombeau de I'Homme-DlEU, et a Rome, ou demeure quelque part, dit-on, le chef des chretiens. Dans son existence politique, rAb}'ssin est en compagnie avec le desespoir ; dans son existence morale, il invoque d'une voix de plus en plus faible, et ou le reproche commence a se meler, le secours de ses freres chretiens (i). » Cet appel desespere d'une nation chretienne a I'agonie fut entendu de Rome. Deja, en 1839, M. de Jacobis, de la Congregation de la Mission, avait penetre, en compagnie de plusieurs Laza- ristes, ses confreres, jusqu'au centre de I'Abyssinie, erigee par la Propagande en prefecture aposto- lique. En 1846, le Saint-Siege, mieux instruit des besoins du paj-s, partagea I'Ethiopie en deux vicariats apostoliques : le vicariat d'Abyssinie, qui demeura au.x Lazaristes, et le vicariat des Gallas, qui fut donne aux Capucins; enfin depuis que des stations se sont etablies sur la cote, la Sacree Congregation vient d'eriger pour leur colonic la prefecture apostolique de I'Erythree. Vicariat apostolique d'Abyssinie. Ouand les Lazaristes prirent possession, en 1839, de la mission d'Abj-ssinie, la position etait toujours tres precaire. « Le P. de Jacobis et moi, ecrit un des premiers missionnaires, nous etions obliges de reciter notre office a voix basse, de maniere a n'etre pasenten- dus ; nous celebrions rarement la messe, et lors- qu'il nous arrivait de le faire, c'etait toujours en secret, comme dans les catacombes. » Grace a la prudence des missionnaires et sur- tout a I'habile direction de M. de Jacobis, leur superieur, la confiance des Abyssins fut bientot gagneea la mission catholique. Des 1841, VAboitn ou metropolitain etant venu a mourir, M. de Jacobis fut prie de conduire a Rome une ambas- sade chargee de demander au Pape un eveque catholique pour I'Abjssinie. C'etait la conversion et le salut, meme temporel, de ce malheureux pays. Les intrigues reunies des protestants et des cophtes d'Egj-pte se mirent a la traverse : « A quoi bon, repetaient les ministres, vous adresser au Pape? Pierre et Paul sont- ils morts pour vous ? » Comme cette reflexion judicieuse semblait faire assez peu d'impression sur les I. I'oyagt d'Antoine d'AtbaJU. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. 323 deputes abyssins, les Reverends, aides par le consul anglais, agirent sur le Khedive, afin d'empecher a tout prix le depart de I'ambassade pour Rome. En fin les Abyssins, effraj-es par les menaces du vice-roi, renoncerent pour la plupart au voyage, et se deciderent a demander un metropolitain au patriarche d'Alexandrie. Celui-ci avait justement un moine dont il voulait se defaire. Cct individu, nomme Salima, ancien anier du Caire, avait passe quelques annees dans I'ecole protestante de cette ville ; il s'etait fait moine ensuite pour mener une vie oisive. Avec ses doctrines pro- testantes, il scandalisait fort la com- munaute. Le patriarche, pour sen debarrasser, ne trouva rien de mieux que d'en faire un Aboun d'Ethiopie, moyennant la somme de 35.000 francs, que les deputes verserent k la caisse patriarcale. Ce miserable ne tarda pas a se rendre odieux au peuple ab}-ssin par son libertinage et par ses exaction's. Cependant une partie des ambassa- deurs avaient suivi a Rome M. de Jacobis. lis furent vivement impres- sionnes de I'accueil paternel que leur fit le Vicaire de JIiSUS-Christ et de la majeste des ceremonies pontificales. De retour dans leur patrie, ils racon- terent ce qu'ils avaient vu. Le merite personnel de M. de Jacobis, les vertus indeniables des missionnaires, leur vie pauvre, chaste et mortifiee, rapprochee des desordres de V Aboun et de son miserable clerge, concilierent bien vite a la mission catholique la vene- ration universelle et I'amitie de plu- sieurs des chefs du pays, entre autres du roi du Tigre, nomme Ubie, qui appela aupres de lui M. de Jacobis, et favorisa de tout son pouvoir la pre- dication des missionnaires. Cela ne tarda pas a exciter la jalousie du clerg6 schismatique, en particulier celle de YAhonn, dont les intrigues firent bannir en 1847 M. de Jacobis, qui se refugia a Massouah, port sur la Mer Rouge. C'est la qu'il re^ut les bulks qui I'instituaient vicaire aposto- lique de I'Abyssinie. Pour vaincre les scrupules de son humilite, il fallut lui commander, au nom de I'obeissance, de recevoir la consecration epis- copale, que lui donna Mgr Massaja, vicaire apos- tolique des Gallas (1849). Le nouvel evcque rentra bientot au Tigre, et la mission catholique prit, en quelques annees, un grand essor : le superieur d'une des principales communautes abjura le schisme avec sept de ses moines ; plusieurs pretres abyssins suivirent cet exemple, et cent cinquante paroisses se decla- rerent pretes a reconnaitre I'eveque catholique ; le moment semblait venu ou le Tigr6 tout entier et une partie de I'Amhara, abjurant I'hdresie, allaient revenir a la foi romaine. Une revolution vint tout arreter. Un homme de basse extraction, nomme Kassa, d'un caractere audacieux et entreprenant, s'etait empare de I'Amhara, apres avoir mis a mort le Ras-Ali, chef plus ou moins nominal de I'empire d'Ethiopie. Ambitieux et sans scrupules, il vou- lut s'elever a I'empire, en imposant sa suzerainete aux deux autres Etat.s, le Tigre et le Choa. Les circonstances le favorisaient : le roi du Choa iMiJK ToUVltK, Lazaiiaie, eveque d'Ol^ne, vicaire apostolique de I'Abyssinie ; d'apres une photographic. venait de mourir et le royaume etait livre a cette anarchie qui, en Abyssinie, suit presque toujours la mort des chefs. Kassa n'eut qu'a se presenter avec son armee pour etre acclame. Au Tigre, il fallut combattre serieusement. Le 18 fevrier 1855, le roi Ubie, protecteur de la mission catho- lique, fut vaincu et reduit au rang de vassal. Deu.x jours apres, Kassa, prenant le nom de Theodoros, se faisait sacrer par Y Abojin Salima, en qualite de Negus ou Roi des rois de I'Ethiopie. En echange de sa complaisance, Y Aboun e.xigea la proscri[jtion des missionnaires catho- liques. Cela entrait parfaitement dans les vues de Theodoros, qui s'etait proposif une grande mis- 324 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. sion : unifier toutes les sectes dissidentes qui se partagent le pays, afin de relever I'Eglise d'Abyssinie et de la rendre capable de tenir tete a rislam. Malheureusement, appartenant k la branche Karra, la plus eloignee du catholicisme, Theodores ne pouvait faire I'union qu'auxdepens de la verity. Les missionnaires catholiques furent chasses du pays, les pretres et les moines dont les idees serapprochaient de Rome furent persecutes, et quelques-uns mis a mort. Sur ces entrefaites, I'Eglise d'Abyssinie perdit son premier pasteur, Mgr de Jacobis, qui emporta dans sa tombe la veneration des catholiques et le respect meme de ses ennemis. II laissait derriere lui environ six mille Abyssins convertis, dont une trentaine de pretres (i860). En dix ans, le vicariat apostolique passa suc- cessivement a quatre titulaires, dont les trois premiers furent emportes prematurement par la mort: Mgr Bianch(^ri (1S60-1S64), Mgr Bel (1865-1867), Mgr Delmonte, qui mourut en 1869, avant meme d'avoir ete sacre ; il eut pour succes- seur Mgr Touvier, qui devait fournir une plus longue carriere (1870- 1880). Ces deuils repetes et la pers&ution de Theo- doros ne permirent pas a la mission catholique de se developper. Exiles de I'interieur, les Laza- ristes se refugierent, les uns sur la frontiere d'Egypte, les autres sur les cotes de la Mer Rouge. De la ils s'efforcerent, a I'aide du clerge indigene reste dans le pays, de maintenir dans la foi et dans la ferveur le petit troupeau du Christ, mais ce fut tout ; I'ere des conquetes etait passee ; on s'estima tres heureux de con- server a peu pres tons les anciens convertis. Le Negus Theodoros eut la fin qui attend tous les persecuteurs de I'Eglise. Ne trouvant aupres de lui aucun sacerdoce capable de faire contrepoids a ses fantaisies, il s'abandonna a un orgueil vraiment insense, et s'aliena bientot le ccEur de tous ceux qui Tapproch^ient. Contre le droit des gens, il avait fait jeter dans les fers plusieurs Europeens, parmi lesquels le consul d'Angleterre. On sait qu'a I'exemple de I'an- cienne Rome, la Grande-Bretagne fait respecter partout ses nationaux. Elle exigea la mise imme- diate en liberte de son consul, et, sur le refus de Theodoros, envoya une expedition contre lAbj's- sinie. Abandonne de la plupart deses feudataires, le Negus, apres s'etre heroiquement defendu avec une poignde de soldats, contre les seize mille hommes commandes par le general Napier, se brula la cervelle, pour ne pas tomber vivant aux mains de .ses ennemis (1868). II ne lui avait man- que que d'etre catholique pour faire entrer I'Abys- sinie dans le concert des peuples civilises, et deve- nir vraiment lui-meme un grand homme. Apres la mort de Theodoros, le pays fut, pen- dant deux ou trois an.s, en proie a la plus com- plete anarchie I'lusieurs pretendants se dispu- taient le trone ; ce tut encore un ennemi des catholiques, Atti-Joannes, qui I'obtint. II se fit sacrer Negus en 1S71, et, aussitot apres, parcou- rut toute I'Abyssinie, en compagnie de VAboiin, detruisant tous les etablissements catholiques et faisant meme profaner par sa soldatesque la tombe veneree de Mgr de Jacobis. Eglises, cha- pelles, presbyteres, ecoles, tout fut detruit. Ce fut la mine complete du materiel de la mission; mais, grace a DiEU, le spirituel fut sauf Les fideles, privds d'eglises et de culte, menaces de mort, battus, pilles, ran^onnes et forces de s'en- fuir au fond des bois pour echapper aux perse- cuteurs, montrerent une admirable Constance, et Ton n'eut presque pas de defections a deplo- re r. La pensee d'Atti-Joannes etait celle de Theo- doros : unifier )'EgIise d'Abyssinie pour en faire une grande Eglise, repousser I'lslam et faire regner au loin I'influence chretienne, pensee vraiment genereuse et qui aurait pu devenir feconde, si I'union s'etait faite sur le terrain de la verite ; operee au profit de la branche Karra, la plus hostile au catholicisme, elle ne pouvait aboutir qu'a troubler profondement le pays. Des son avenempnt au trone, Joannes convoqua et presida lui-meme plusieurs conferences theolo- giques, dans lesquelles les docteurs de chacune des trois sectes qui se partagent I'Abj'ssinie furent invites a exposer leurs raisons. Les euty- cheens purs ne pouvant repondre a leurs adver- saires, le theologien couronne perdit patience et fit couper la langueaux plus hardis. Cet exemple terrifia les autres, qui, ne se sentant pas la voca- tion du martyre, se soumirent exterieurement a tout ce qu'on exigeait d'eux : I'union etait faite. Pour la maintenir, le Negus, au lieu d'un seul Abojin, concentrant dans ses mains toute I'auto- rite spirituelle, fit venir d'Alexandrie quatre eveques cophtes, un pour I'Abyssinie proprement dite, un dans le Gojam, le troisieme au Kaffa, et le quatrieme au Ch9a. C'etaient autant d'es- pions, places dans les Etats tributaires pour sur- veiller et ramener les dissidents. Les missionnaires lazaristes, chasses successi- vement de tous les postes qu'ils occupaient en Abyssinie, s'etaient refugies a Keren, ville fron- tiere, appartenant alors a I'Egypte, ou Mgr Touvier etablit, en 1878, une maison de Sceurs. Ce poste devint ainsi le centre d'operations de la mission. En 1880, on y comptait trois mission- naires, six pretres indigenes, charges de desservir les chretientes environnantes, un seminaire avec 45 eleves, des Ecoles, un orphelinat, une impri- merie. Ce dernier refuge du catholicisme lui fut bien- tot dispute^ par le schisme. Joannes a\'ant repris Keren a I'Egypte, en 1887, ses soldats envahiient la station a I'improviste ; les seminaristes furent mis aux fers et tortures, sous les yeux de leurs maitres ; un d'eux recut courageusement 200 coups de verges et s'attira par sa Constance I'ad- miration des bourreaux eux-memes. Les mission- naires durent ^vacuer completement le pays, lais- LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. 325 sant le soin des catholiques a quelqiies pretrcs indigenes. L'annee suivante, Mgr Touvier, en essayant de rentrer, fiit frappe d'insolation a deux jour- nees de Massouah. II fut enterre provisoirement au bord de la route; mais, en 1889, les Italiens, reconnaissants des services rendus par la mis- sion catholique, exhumerent le corps du prelat et le rapporterent respectueusement a Massouah, oil il fut enseveli dans la chapelle des Laza- ristes. Atti-Joannes vient d'eprouver a son tour les rigueurs de la justice de DiEU. Cet homme, vic- torieux dans vingt batailles , vainqueur de I'Egj'pte, vainqueur de Menelik, roi du Choa, vainqueur du sultan d'Harrar, vainqueur des lieu- tenants du Mahdi, fut defait et blesse a mort dans une derniere rencontre avec les mahdistes (1880). Aux jours de sa puissance, il avait fait profaner par ses soldats la sainte dtipouille de Mgr de Jacobis ; a son tour, son cercueil fut viole par une bande de derviches. Ainsi perit misera- blement un des plus grands hommes qu'ait pro- duits I'Abyssinie. II avait voulu serieusement la regeneration de son pays ; sur toutes ses frontie- res, il avait fait reculer I'Islam ; chretien con- vaincu, il avait donne aux musulmans d'Abys- sinie I'option entre le bapteme et I'exil. Quel dommage que tant dequalit^saient 6t6 sterilisees par I'heresie ! Apres la mort de Joannes, la guerre civile desola I'Abyssinie. A qui adviendrait la difficile succession du Negus ? Mcnclik, roi du Choa, rallia pour lui les populations ; il appartient a la secte des Ti-ois Naissances, la plus rappro- chee du dogme catholique ; il fut I'ami constant de Mgr Massaja, et protegea toujours, autant qu'ii le put, la mission catholique des Gallas. On peut espcrer qu'il favorisera la predication des missionnaires, ou qu'au moins, il ne la contrecar- rera pas. D'ailleurs, comme chez les cophtes d'Egypte, le moment semble arrive pour I'Abyssinie de revenir au catholicisme. Au bout de cinquante ans d'apostolat, I'heresie d'Eutyches est serieusement ebranlee, et ne peut plus se soutenir evidemment que par la violence. Les efforts memes de Theo- dores et de Joannes pour rendre une vie factice a I'Eglise d'Abyssinie, n'ont fait que hater la de- composition de ce cadavre. Au premier souffle de la libertc religieuse, il tombera en poussiere. Les Lazaristes sont rentres a Keren, et les pretres indi- genes desservent un certain nombre de postes a I'interieur du pays. Le vicariat comprend toute I'Abyssinie a I'ex- ception du Choa et de la colonie italiennc de I'Erythrce. La population totale est de 3.000.OOO d'habi- tants, sur lesquels, avant la separation de la prefecture de I'Erythree, on comptait environ 30.000 catholiques. Le personnel et les ceuvres de la mission ayant etc completement boulevcrses par I'erection de la nouvelle prt^fecture, je vais donnerla situation du vicariat apostolique d'Abyssinie au mois de septembre 1894, date de la separation. Personnel : i vicaire aposlolique, 11 missionnaires latins et 8 fr^res de la Congregation de la Mission, Soeurs de saint Vincent-de-Paul, 30 pretres indigenes de rit abyssin. CEuvres : i seminaire .\ Keren, 60 el&ves. 10 stations. 10 ^glises ou chapelles. 8 petites ecoles, 103 gaic^ons, 20 filles. I orplielinat k Keren. Population catholique : 30.000. Prefecture apostolique de l'ErvthrEe. Les choses etaient en cet 6tat, et les Italiens n'avaient certes pas a se plaindre des mission- naires Lazaristes, qui leur avaient rendu toutes sortes de services ; mais on salt que I'ltalie aime a faire tout par elle-meme, et qu'en particulier, elle nc pardonne pas a la France de I'avoir faite ce qu'elle est. Sans aucune provocation de la part des missionnaires, ils se virent expulses, eux et leurs Sceurs, avec une brutalite inouie, ce qui amena la Sacree Congregation a eriger, au mois de septembre 1894, la prefecture apostolique de I'Erythree, qui fut confiee a des Capucins ita- liens. Le superieur reside a Keren, au centre de I'ancienne mission des Lazaristes. Vicariat apostolique des Gallas. La mission des Gallas, fondee en 1846, com- prend la province abyssine du Choa, au sud de i'Ethiopie, et le territoire des Gailas. Dans le Choa, c'est la secte des Trois Naissances, la moins hostile au catholicisme, qui domine. Les Gallas, convertis plus ou moins au christianisme dans le cours du XV« siecle, sont restes a peu pres paiens de m-ceurs et de croyances. Bien au-dessus de DiEU, dont ils ne s'occupent pas, ils placent le grand saint Georges, leur patron. Du reste, absence presque totale de culte et de sacrements. lis ont conserve les noms des grandes fetes de I'Eglise, Noel, Piques, la Pentecote, mais sans savoir le premier mot des mysteres dontces fetes sont la commemoraison ; des rejouissances gros- sieres, la danse et I'ivresse, voila pour eu.x la seule maniere de celdbrer ces augustes anniver- saires. Une profonde indifference religieuse parait etre la note caractcristique de ce peuple interes sant, brave, chevaleresque meme a sa maniere ; mais lorsqu'une fois il a ete serieusement instruit des dogmes du christianisme, il est beaucoup jjIus constant et plus ferme dans la foi que I'Abyssin, dont la legcrett^ et les perpetuelles revolutions politiques ont fait, depuis trois siecles, le desespoir de I'apostolat. L'apotre des Gallas, Son Eminence le cardinal Massaja, a fourni parmi eux une longue et diffi- cile carriere apostolique (i 846-1 881). Peu de missionnaires ont eu une vie aussi accidentee que ce prelat. Le Choa, etant un des trois grands Etats qui se partagent I'Ethiopie, a ressenti natu- 326 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. rellement le contre-coup de toutes les epreuves qui ont desole la mission voisine d'Abyssinie. Entre dans le pays en 1846, en compagnie de trois Capucins italiens, Mgr Massaja fut expulse, pour la premiere fois, des I'annee suivante et force de se refugier sur les cotes de la mer Rouge, oil il rencontra Mgr de Jacobis, exile comme lui, et a qui il confera la consecration episcopale. Rentre en 1849, il fut fait prisonnier a deux reprises, puis chasse de nouveau du pays. A son retour, en 1852, il manqua d'etre massacre par les Arabes. II parvint enfin a setablir dans la province de Godru, 011 il fonda quatre chre- tient^s. L'avenement de Th^odoros, I'ennemi jure du catholicisme, le forga de seloigner de cette con- tree, trop voisine des Etats du Negus. II se r^fu- gia alors a Lagamara, ou il batit deux eglises et ouvrit un seminaire pour la formation d'un clerg^ indigene. Ce fut un des moments les plus tran- quilles de sa vie si tourmentee. II se fit bientot autour du prelat un mouvement accentue de retour au catholicisme, mouvement qui s'etendita toute la contree. « Mes confreres, ecrivait en 1856 Mgr Massaja, ne sont pas moins heureux que moi. Le P. Felicis- simo voit, aux jours de fete et de dimanche, le peuple se rassembler au son du tambour royal pour assister a la messe et aux instructions : les neophytes baptises se comptent par centaines et le nombre des catechumcnes depasse toute pre- vision. » Abba-Hajla (ij batit une eglise pour ses nouveaux convertis. Le P. Cesar, avec un pretre indigene, est parti pour le KafTa, ou le roi I'a recu avec les plus grands honneurs. Partout se mani- feste le plus vif elan pour notre sainte religion, partout on trouve d'anciennes populations dont la foi semble se reveiller. » En 1859, Mgr Massaja, laissant a Lagamara son coadjuteur, Mgr Coccino, passa au Kaffa, dont le roi lererut parfaitementd'abord. Malheu- reusement il prit bientot ombrage des succes des missionnaires, et, pour paralyser leur zele, ce sauvage eut une idee vraiment ingenieuse : ce fut de leur faire epouser des princesses de la famille royale. On voit d'ici comment furent accueillies ces ouvertures matrimoniales. Brutalement expulse du Kaffa en 1861, Mgr Massaja fut abandonne en plein desert par ses guides, et il dut la vie a I'hospitalite d'un chef arabe. Rentre au Choa, il fut arrete de nouveau par les soldats de Theodoros, qui venait d'envahir le pays, pour reduire le roi Menelick au role de vassal. Compre- nant que, tant que le Negus serait tout-puissant, il n'y aurait rien a faire, le prelat passa en Europe pour traiter des affaires de sa mission (1863). En quitant le Choa, Mgr Massaja emmenait avec lui plusieurs jeunes Gallas qu'il confia aux Capucins de Marseille ; un college-seminaire fut meme ouvert dans cette ville, pour I'education des I. Prelre abybsin recemment convert! par Mgr Massaja. Gallas se destinant au sacerdoce. Ce college ne subsista qu'une dizaine d'annees ; le climat de la P'rance etait trop contraire aux enfants de I'Ethiopie ; plusieurs moururent et les survivants furent renvoyes dans leur patrie. C'est a I'epoque du voyage de Mgr Massaja que la Propagande ' transfera la mission des Gallas, des Capucins italiens aux Capucins de la province de France, Mgr Massaja restant toujours a la tete de la mission (1863). Pendant les loisirs forces que lui faisait I'exil, le prelat fit imprimer a Paris une grammaire et un dictionnaire de la langue galla, dialecte encore ignore de tous les linguistes. Au Choa, la persecution continuait toujours. Le coadjuteur, apres avoir vu renverser les eta- blissements de Lagamara (1865), se r^fugia dans le Godru. Au Kaffa, les missionnaires etaient plus tranquilles, et, chaque annee, ils avaient la joie d'enregistrer un certain nombre de conver- sions. La mort de Theodoros rouvrit a Mgr Massaja les portes du Choa. Menelik, redevenu libre de manifester ses veritables sentiments, accueillit avec joie I'eveque catholique, et I'installa dans une terre du domaine ro}-al ; le coadjuteur retourna a Lagamara, et la mission jouit enfin de quelques annees de tranquillite. Cette paix dura jusqu'au jourou Atti-Joannes, dcbarrass6 de la guerre avec rEg}'pte, envahit le Choa et ramena Menelik au rang de vassal (1877). Avec sa suprematie politique, le Negus lui imposa la proscription des missionnaires. Au mois de juin 1870, Mgr Massaja, appele auprcs de Joannes avec ses confreres, sous le fallacieux pretexte d'une mission diplomatique a remplir, fut renvoye en Europe ; ce devait etre sa derniere expulsion. Epuise de fatigues et d'epreuves, le venerable vieillard remit la direction de la mission des Gallas a son nouveau coadjuteur, Mgr Taurin Cahagne. Pour lui, retire dans une pauvre cellule de Capucin, il ne songea plus qu'a se preparer a la mort, en ecrivant, a la demande de Leon XIII, I'histoire de ses trente-cinq annees d'apostolat. C'est laquevinrent le chercher la pourpre romaine, recompense bien meritee de ses longues souf- frances, et I'admiration sympathique du monde savant. « Mgr Massaja, ecrivait le Rassagna national, est une des gloires les plus pures et les mieux incontestees de I'ltalie. » Le celebre explorateur Mateucci rend compte en ces termes de I'entrevue qu'il eut, au Caire, avec le prelat : « Le Pere gardien nous annonqa a Monsei- gneur, qui recevait des visiteurs ; il les quitta et vint a nous. Nous etions en proie a la plus vive emotion. La vie exceptionnelle de cet homme iilustre 6tait gravee dans notre memoire, et quand sortit de sa chambre ce vieillard a longue barbe, a la demarche incertaine, reclamant I'appui d'un baton noueux, a I'oeil tranquille mais souf- LES MISSIONS DE L'AFRIQUE ORIENTALE, 1800-1890. 327 frant, a la figure amaigrie portant les stigmates de trente annees de douleurs, nous ne pumes retenir nos larmes. » La sainte audace du missionnaire nous parut entouree d'une aureole glorieuse; nous entrevimes la solennclle poesie que revetait la foi chretienne, ■ tiON Em. le Cardinal Massaja, de I'Ordre.des Capucins, ancien vicairejapostolique des Gallas alors que les premiers apotres etaient autant de Massaja. Le venerable vieillard etait pauvrement vetu ; une modeste croix, unique insigne de sa dignite episcopale, descendait sur sa poitrine. Reserve dans son_langage, lui qui a tant fait, il s'eclipse pour ne parler que des autres. II est tres age, mais ses idees n'en sont pas moins parfaite- ment lucides ; il parle de tout avec une parfaite connaissance, mais jamais de ses souffrances (i). » I. Mateucci, V Afrique explot'h. 328 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. Le gouvernement italien lui-meme voulat s'associer a cet hommage universel rendu au prelat catholique : il lui adressa un brevet de senateur avec la grand'croix de la couronne d'ltalie. Le cardinal declina noblement ces hon- neurs, et, renvoyant au ministre des cultes ses brevets, il lui declara nettement que lui, mission- naire de la Propagande, il ne pouvait accepter les faveurs d'un gouvernement spoliateur, qui s'ap- pretait a eteindre ce grand foyer de civilisation en confisquant ses revenus. Un seul Capucin, le P. Ferdinand, avait pu echapper a la proscription et rester au Choa pour diriger les douze pretres indigenes charges d'ad- ministrer la mission. Le roi Menelik, toujours bienveillant, avait consent! a fermer les yeux et a laisser aux catholiqu'es I'usage de leurs eglises ; mais I'eveque cophte, place au Choa pour le sur- veiller, le diinon^a a Joannes, qui ordonna a son vassal de confisquer tous les etablissements des catholiques. II y eut done, en 1882, recrudescence dans la persecution, le P. Ferdinand fut expulse et toutes les chapelles fermees. * * * Des 1 88 1, le nouveau vicaire apostolique, Mgr Taurin, 6tait de retour sur les cotes de la Mer Rouge. Ne pouvant pour le moment rentrer au Choa, il fonda plusieurs etablissements sur la- cote : une procure a Berberah, procure qui fut depuis transferee a Zeilah, et une station a C3bock, sous la protection du drapeau francais. Apres avoir installe deux missionnaires dans la ville toute musulmane d'Harrar, dont le fanatisme des habitants ne laisse aucune prise a I'apostolat, mais qui est environnee de tribus Gallas, sur lesquelles on peut agir, le vicaire apostolique se rendit tres secretement aupres de Mentlik, pour voir ce qu'on pouvait esperer de sa bonne volonte Le roi, tou- jours etroitement surveille, regut I'eveque avec bienveillance et lui permit volontiers de s'etablir au milieu des tribus Gallas, en attendant I'heure ou I'Abyssinie pourrait de nouveau etre ouverte aux missionnaires ; en consequence, en 1884, une nouvelle station fut ouverte chez les Anias. Mais la persecution recommenga bientot sur un autre point de la mission. En 1885, les musulmans d'Harrar, fanatises par les victoires du Madhi au Soudan, forcerent tous les Gallas des environs, paiens et catholiques, d'embrasser, au moins exterieurement, le maho- metisme. En 1886, une mission scientifique ita- lienne, composee de neuf membres, fut traitreuse- ment attiree dans une embuscade et massacree par ordre de I'emir. Pendant plusieurs mois, les missionnaires d'Harrar demeurerent entre la vie et la mort. Enfin, apres avoir confisque leur resi- dence et leur cinq eglises, I'emir daigna leur octroyer la permission de se retirer a la cote. L'eveque, un pretre, un Frere et treize enfants, appartenant a la mission, se refugierent a Obock. Mais au mois de decembre de cette meme annce 1885, Menelik, agissant au nom de son suzerain Joannes, vint mettre le siege devant la ville d'Harrar, dont il s'empara, au bout de deu.x mois. Le gouverneur abyssin, place dans la ville, permit aussitot a I'eveque d'y revenir et de reprendre en paix I'evangelisation des Gallas. * * * La mort de Joannes a du rouvrir aux mission- naires les portes du Choa. Les bonnes disposi- tions de Menelik ne sont pas douteuses, car, dernierement encore, a I'occasion des noces d'or du Souverain Pontife, il a tenu a joindre son hommage a celui de tous les princes chretiens. La paix semble doncassuree, au moins pourquelque temps, a la mission si longtemps eprouvee des Gallas. Mais reste toujours une grave difficulte, I'insecurite des communications avec I'interieur. L'occupation par I'ltalie de plusieurs points de la cote, les recentes annexions des Anglais et des Allemands au Zanguebar, ont surexcite a I'exces le fanatisme des Arabes, qui gardent plus soi- gneusement que jamais toutes les routes de I'in- terieur, afin d'empecher les Europeensde penetrer dans le pays. Deux missionnaires capucins vien- nent tout recemment encore d'etre les victimes de leur farouche intolerance. Partis de Zeilah, le 2 1 decembre 1889, pour se rendre chez les Gallas, le P. Ambroise, du diocese de Poitiers, et le Frere Etienne, du diocese de 'Valence, ont ete massa- cres, dans la nuit du 28 decembre, par un parti de Somalis. Puisse le sang de ces deux apotres etre le dernier verse ! Voici quelle etait, au l*^"" Janvier 1890, la situa- tion religieuse : Le vicariat comprend le Choa et les nombreu- ses tribus Gallas repandues sur les pentes meri- dionales du grand plateau d'Ethiopie. II a pour limites : au nord, le vicariat d'Abyssinie ; a I'ouest, celui du Soudan ; au sud, celui du Zan- guebar ; a Test, la cote des Somalis. La population totale est de 15.000.000 d'habitants, en partie musulmans, en partie paiens, a I'exception du Choa, qui appartient au schisme de Dioscore. Les catholiques sont environ 5.000. Personnel : i vicaire apostolique, 7 inissionnairej capu- cins, 6 pretres indigenes. (Euvres : 4 residences et 4 missions, 6 eglises ou cha- pelles. 25 seminaristes etudiant sous la direction des PP. Capucins, dans les trois residences d'Obock, d'Harrar et de Zeilah. 2 dcoles elementaires : 23 enfants. I hopital ^ Obock. Statistique coniparie des iiiissions d'^tkiopie. En 1840: I prefet apostolique et 3 missionnaires recem- ment arrives en Abyssinie. En 1S90 : 2 vicaires apostoliques, 17 missionnaires, 45 pretres indigenes, 18 eglises ou chapelles, 10 ecoles, 35.000 catholiques. Tableau des missions de VAfrique oricjitale en 18(^6 : 6 missions, 3 vicaires apostoliques, 3 prdfets, 57 mission- naires, 36 eglises ou chapelles, 26 ecoles, 39.590 catho- liques. ^^ Cj^niJitrc vingt^anicmi\ >^m LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. -Tnxiuoxi: '■E centre de I'Afrique, le conti- nent mysterieux, dont I'inte- rieur demeura inconnu aux Remains, a longtemps attendu le soleil de la civilisation. Que de problemes soulevaient, il y a trente ans encore, ces regions ignorces de I'Europe.et dont seul I'infame negrier connaissait les chemins ! « Jusque vers le milieu du siecle, ecrivait recemment I'explorateur Ban- ning, I'Afrique interieure presque tout entiere rcstait a reconnaitre. Pour mesurer I'effort accompli en une quarantaine d'annces, les con- temporains n'ont qu'a se reporter en souvenir a la carte d'Afrique, qu'ils ont etudiee dans leur jeunesse (i). » J'ai prccisement sous les yeux, en ce moment, une de ces cartes remontant a 1858 ; de vastes espaces laisses en blanc, avec la desi- gnation : I'aj'S incotinus, voila, en dehors des cotes soigneusement explorees depuis trois cents ans, I'aspect general qu'clle presente. Aujourd'hui, grace aux voyages de Speke, de Baker, de Burton, de Livingstone, de Stanley, de Brazza, de Cameron et de vingt autres explorateurs, le con- tinent noir n'a presque plus de secrets pour nous, et TEurope chretienne, rcunie a Bruxelles et a Berlin, s'est partage ce vaste monde qu'il s'agit d'ouvrir au christianisme, au commerce et a la civilisation. L'Eglise catholique n'avait pas attendu la reunion des diplomates europeens pour se preoc- cuper des interets spirituels de cette contrce. Des la premiere moitie du siecle, elle avait cret^ le vicariat apostolique de TATrique centrale, devenu depuis le vicariat du Soudan ; et quand les voyages de Stanley eurcnt revcle a I'Europe la region des Grands Lacs, la Fropagande confia I'evangelisation de ce pays aux Missionnaires d'Algcr. Les missions du centre de I'Afrique peuvent done se ramener a deux groupes : le vi- cariat du Soudan et les missions des Grands Lacs. Vicariat ai'Ostoliquk du Soudan. C'est au mois d'avril 18 46 que Gregoire XVI, I, banning, Li partake politique de fAfriqut. deux mois avant sa mort, signa le dccret qui erigeait le vicariat apostolique de I'Afrique cen- trale. Le vicariat comprenait alors le Soudan et le Sahara reunis, embrassant tout le centre de I'Afrique, d'un Ocean a I'autre, un monde : 60 degres de longitude, sur une profondeur moyenne de 20 degres de latitude. En 1868, la prefecture apostolique du Sahara fut detachee de cet immense vicariat, qui prit le nom restreint de vicariat du Soudan. Tel quel, il a pour limites : au nord, la Tripolitaine et I'Egypte ; a Test, la Mer Rouge, I'Abyssinie et le pays des Gallas ; au sud, les vicariats du Nyanza et du Congo beige ; a I'ouest, le Congo frangais, la prefecture du Cameroun et celle du Sahara. La superficie totale depasse encore celle de I'Europe entiere. La partie septentrionale appartenait naguere h I'Egypte ; aujourd'hui elle forme le centre de I'empire du Mahdi. De grands Etats musulmans, le Kordofan, le Darfour, le Bornou, des tribus nomades d'Arabes pillards, des peuplades negres, livrees au plus hideu.x fiitichisme et quelques- unes a I'anthropophagie, peuplent le reste du pays. On evalue la population totale du Soudan de q7iatre-viitgt-dix a cent mil/ions d'habitants, en partie musulmans fanatiques, en partie paiens. Depuis la ruine de la mission par les bandes du Mahdi, le catholicismen'est plus guererepresente que par quelqucs fideles, refugies a Souakim, et une centaine d'enfaiits noirs, eleves dans les Instituts du Caire ; en sorte que la mission du Soudan est tout a la fois la plus vaste, la plus peuplee et I'une des plus pauvres et des plus desolt§es du monde catholique. On pent distinguer trois periodes dans rhistoire de cette mission si eprouvee : De 1846 a 1861, la pcriode de formation, pen- dant laquelle la mission est administree par des missionnaires autrichicns, assistes de quelques Peres de la Compagnie de Jesus. De 1861 a 1872,1a mission passe aux Fran- ciscains, d'abord sous la direction d'un prefet apostolique, puis sous celle du vicaire apostolique des Latins d'I''gy]5te. De 1872 a nos jours, la mission est confiee aux 330 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"'^ SIECLE. pretres du Semir.aire africain de V^rone assistes de quelques religieux de Saint-Camillede Lellis. Un chanoine de Malte, Mgr Anneti Casolani, et le P. Ryllo, Jesuite polonais, recteur du col- lege de la Propagande, s'offrirent les premiers pour la mission de I'Afrique centrale. Au printemps de 1847, Mgr Casolani, premier vicaire apostolique du Soudan, debarqua en Egypte.en compagniedu P.Ryllo.son pro-vicaire, et de trois autres missionnaires. Le P. Ryllo partit aussitot pour Khartoum, ou il arriva apres un long et penible voyage de douze mois.employc a franchir et a remonter les cataractes. C'etait le commencement d'une longue serie d'epreuves qui durent depuis un demi-siecle et qui n'ont pas encore permis a la mission du Soudan de se constituer. Quelques mois a peine apres avoir fonde la station de Khartoum, le P. Ryllo mourait, laissanta M. KnobIecher,missionnaire autrichien, son titre de pro-vicaire et la direction de la mission. La genereuse munificence de S. M. Frangois- Joseph, empereur d'Autriche, qui s'etait declare, des les premiers jours, le protecteur de la mission, permit d'ouvrir rapidement quatre stations : Scellal, sur les cataractes, Khartoum, au confluent du Nil Blanc et du Nil Bleu, Sainte-Croix et Gondokoro, sur le Nil Blanc. Un Anglais protestant, sir James Hamilton, decrit en ces termes les debuts de la mission : « Si jamais cette mission est couronnee de succes, la conquete spirituelle des vastes regions du centre du continent sera placee au nombre des plus beaux triomphes des temps modernes. La mission catholique de I'Afrique centrale est un des etablissements les plus interessants du Soudan. Des artisans de toute profession, pion- niers de la religion et de la civilisation, sont atta- ches a la maison de Khartoum, de sorte que les eleves pourront apprendre une multitude d'arts utiles et les porter ensuite au milieu de leurs compatriotes. Le superieur, le docteur Ignace Knoblecher,successeur du P. Ryllo, visite tous les ans les trois dtablissements fondes sur le Nil Blanc. Si, comme j'en ai la confiance, sa patience et sa sagesse egalent son zele et ceiui de ses collaborateurs, ils parviendront a surmonter les difficultes immenses que rencontre leur entre- prise (i). » Quelles etaient ces difficultes signalees par le noble voyageur? D'abord I'eloignement du monde civilis^, des voyages de cinq a six cents lieues a faire en remontant le Nil ou en traversant le desert, par-dessus tout I'insalubrite du climat, qui en quinze ans emporta les cinq sixicmes des missionnaires ; ce qui donna a un ministre pro- testant I'occasion d'ecrire ces lignes,veritablement odieuses sous une plume evangelique ou simple- ment chretienne : « lis prechaient trop Marie et pas assez Jesus. Ce fut la cause de leur echec. A la fleur de leur age, ils trouverent un tombeau I. Sir James Hamilton, Ze Sinai, I'Hedjaz et le Soudanfih. 14. au lieu d'un theatre de succes. » Reflexion qui arracha a Marshall ce cri d'indignation : « Ce ministre ne comprenait done pas que des martyres sont un triomphe et non un echec ! Ses coreli- gionnaires, il est vrai, ne s'exposent pas a des echecs semblables (1). » Mais la difficulte la plus grave, I'epreuve la plus amere au coeur des apotres du ClIRIST, ce fut, il faut bien le dire, la conduite des officiers egyptiens et des traitants europeens, negriers de profession, aventuriers sans principes, epaves de la civilisation, vivant dans la debauche et la plus abjecte crapule. Ils etaient les ennemis naturels des missionnaires, t^moins genants, qui auraient pu reveler leurs turpitudes au monde civilise. « Ouand, a force de patience, ^crit un des premiers missionnaires, nous etions parvenus a civiliser un noir, les negriers le trouvaient bon a prendre. Le peu de neophytes que nous avons faits chez les Baris ne sont plus ici ; ils ont ete fusilles ou sont esclaves a Khartoum. » Aucune avanie ne fut epargnee aux mission- naires pour les forcer a deguerpir. A Khartoum, le superieur ayant invite, un jour de Paques, la colonie europeenne a assister a une messe solen- nelle, la plupart se rendirent a I'eglise ; mais, pendant que le celebrant, a I'autel, chantait la preface, ils se glisserent, les uns a la file des autres, dans la sacristie, ou ils s'enivrerent avec le vin des Peres, en sorte qu'a la fin de I'office, il ne restait plus dans la chapelle que le consul d'Autriche. Le voyageur frangais qui rapporte cette aimable plaisanterie, se moque agreable- ment de la deconvenue du pauvre missionnaire ; mais les Anglais, gens d'ordinaire bien eleves, se montrent plus severes. Sir Hamilton, signalant, lui aussi, I'impicte des trafiquants de Khartoum, dit qu'il admire « la patience avec laquelle le vicaire general et ses collegues a Khartoum sup- portent les violences et les grossieretes qu'ils auraient eu le moyen de reprimer, s'ils avaient voulu se plaindre. )) Les musulmans et les noirs parens auraient pu donner une le9on a ces pretendus civilises. « Chez les Turcs comme chez les Arabes, ecrit encore Hamilton, Abouna Soliman, nom sous lequel est connu le docteur Ignace Knoblecher, jouit de la plus haute consideration ; partout j'ai entendu parler de lui avec respect. Du reste, lous ceux des missionnaires qui sont restes assez longtemps dans le pays pour etre connus, ont laisse, chez les paTens memes, un souvenir ventre; et le chant funebre de I'un d'eux, qui mourut I'an dernier vers les sources du Nil, Don Angelo Vinco, gentilhomme veronals, a cte compose par les negres et continue a etre chante dans leurs assemblees. » » * * Cependant, M. Kircher, successeur de Don I. Rev. Henri Sterne, cite par Marshall, Les Missions chri- tiiiines, \°' volume. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. 331 Knoblecher, se preoccupait d'assurer I'avenir de la mission. De 1846 a i86r, dans un espace de quinze ans, qjiarantc-etiin missionnaires avaient succombe a I'insakibrite du climat on s'etaient vus forces de rentrer en Europe. Seul, un Ordre religieux pouvait suffire a un si lourd apostolat. La Propagande, entrant dans les vues du prelat, confia en 1861 la mission de I'Afrique centrale aux RR. PP. Franciscains. Ce fut la seconde periode de I'histoire de la mission, periode mar- quee par I'abandon des postes de Gondokoro et de Sainte-Croix, dont les violences toujours impunies des negriers rendaient decidement le sejour impossible aux religieux. « Comment, ecrit M. Berlioux, aurait pu se developper I'cEUvre chretienne, au milieu d'un pays ou la Croix etait bientot suivie par la ban- niere des negriers ? Apres avoir entendu des paroles de vertii et de paix, I'indigene voyait arriver la corruption et les brigandages ; en sor- tant de I'eglise, il devait fuirdevant les chasseurs d'hommes (i). » D'autre part, les Franciscains ne furent pas plus epargnes par la mort que ne I'avaient 6t6 AFRIQUE CENTRALE. — Eglise et maison des missionnaires etdes Sixurs de Khartoum. D'apr^s un dessin du Fr^re Prado. les premiers missionnaires. En moins de deu.x; ans, pres de la moitie de I'effectif, 22 missionnaires sur 50, avait succombe ; les autres, brises par le climat, ctaient a peu pres incapables de travailler. Le prefet apostolique, decourage par tant de difficultes, se retira, et il ne resta que deux ou trois Franciscains a Khartoum, sous la direction du vicaire apostolique des Latins d'Egj'pte. Cet etat de choses subsista jusqu'a 1872. Ici commence la troisieme periode de I'histoire de la mission, periode de prompt relevement, qui s'acheve dans une catastrophe. Quelques annees auparavant, Mgr de Canossa, eveque de Verone, avait ouvert dans sa viile episcopale un seminaire pour I'evangelisation de I'Afrique centrale. Ins- truits par I'experience de leurs devanciers, les pretres de la nouvelle Societc^ etaient resolus de s'avancer prudemment et de se preparer de loin a leur difficile apostolat. En 1867, ils ouvri- rent au Caire une maison d'acclimatation et deu.^ Instituts de negrcs, I'un pour les jeunes noirs, dont ils se reserverent la direction, I'autre pour les negresses, qu'ils confierent aux Soeurs de Saint-Joseph de I'Apparition de Marseille. En meme temps, ils s'occupcrent de I'evangelisation I. Berliou.\, La trails oricntak. 332 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"'^ SIECLE. des negres d'Egypte. Ce n'etait pas le travail qui manquait, car, en 1 870. on comptait 25.000 negres dans la seule ville du Caire. Des ecoles, un cate- chumenat, line infirmerie pour les noirs malades furent annexes aux deux Instituts. En s'acclima- tant aux ardeurs du climat d'Afrique, les mission- naires se preparaient en meme temps aux difficultes de leur apostolat aupres des noirs du Soudan. En 1872, voici quelle ^tait la situation des Instituts du Caire : 8 missionnaires, i etudiant en theologie, 4 Freres coadjuteurs ; 21 negres a I'orphelinat des gardens ; 6 Soeurs de Saint-Joseph, 1 8 institutrices noires ; 42 negresses a I'orphelinat des filles. La nouvelle Societe etait en etat de se charger de la mission, a peu pres abandonnee,du Soudan. Un decret de la Propagande, en date du 21 mai 1872, confia aux pretresdu Seminaire africain de Verone le vicariat apostolique du Soudan, dont jVI. Comboni etait nomme pro-vicaire, en atten- dant qu'il reciit, en 1877, le titre de vicaire apos- tolique avec la dignite episcopale. Le nouveau superieurse mit sans retard a pre- parer son depart pour I'Afrique. Apres avoir ete admis en audience particuliere par S. M. I'empe- reur d'Autriche, qui daigna lui renouveler I'assu- rance de I'interet s\-mpathique qu'il continuait de porter a la mission, M. Comboni, a}"ant jete a Verone les bases d'une nouvelle Societe de religieuses destinees a la mission, I'lnstitut des Pieuses Meres de la Nigritie, s'embarquaau mois de septembre 1872, en compagnie de quatre pretres du seminaire de Verone, de Dom Pie Hadrian, BenedicUn du Mont-Cassin, originaire de la Nigritie, de quatre catechistes noirs et de cinq institutrices noires, elevees en Europe. Le 26 septembre, la caravane apostolique, composee dedix-neuf membres, arrivait au Caire. L'annee preccdente, Don Carcereri, superieur des Instituts du Caire, etait parti pour le Kordo- fan, avec un autre missionnaire et deux Freres de sa Societe. Le plan des nouveaux missionnaires, plan tres judicieux, qui leur avait ete suggere par la con- naissance des difficultes devant lesquelles avaient succombe leurs predecesseurs, etait de s'ecarter des rives insalubres du Haut-Nil et des villes corrompues par la presence des traitants euro- peens, pour se lancer dans I'interieur du pays, beaucoup plus sain et moins expose aux scan- dales des trafiquants de chair humaine. Arrive, dans le courant de 1872, a El-Obei'd, capitale du Kordofan, Don Carcereri acheta, a des conditions raisonnables, un vaste emplace- ment et une maison capable de servir a I'etablis- sement d'une mission. II ecrivit aussitot a son superieur, Mgr Comboni, pour lui faire le recit de son voyage et lui demander de venir le rejoin- dre le plus tot possible. Dans les premiers jours de Janvier 1873, Mgr Comboni partait du Caire pour le Kordofan, a la tete d'une caravane composee de trejite mis- sionnaires et religieuses. Cetait certainement la premiere fois qu'on vo}"ait des religieuses catho- liques remonter les cataractes du Nil, pour se lancer a travers le desert et s'enfoncer a la recherche des ames dans les profondeurs de I'Afrique. Arrivee a Scellal, apres trente-huit jours de navigation, la caravane apostolique entreprit courageusement la traversee du desert ; le 24 mai, elle arri\-ait en bonne sante a Khartoum. La, une reception brillante attendait le superieur de la mission : « Monseigneur, lui dit le consul d'Autriche, je viens, au nom de S. M. I'empereur Francois- Joseph, vous complimenter cordialement de votre arrivee. Je vous souhaite une longue vie pour le bien de cette mission de I'Afrique centrale, qui attend de vous sa resurrection. Au nom de la colonie europeenne, je vous remercie d'avoir comble nos longs desirs, en nous amenant des religieuses pour I'education de nos enfants. Que DiEU benisse vos fatigues et exauce tous vos vceux ! » II y eut ensuite presentation de la colonie europeenne, visite des autorites egyptiennes, et remise par les Franciscains de la mission de Khartoum aux pretres de I'lnstitut de Verone. A cette epoque le chiffre des catholiques de Khartoum s'elevait a 100, sur une population totale de 60.000 ames. Mgr Comboni, ayant pris possession de la mission, y laissa deux pretres et cinq Sceurs de Saint-Joseph, pour ouvrir les ecoles. De Khartoum, le prelat se rendit a El-Obeid, oil la reception fut aussi pleine d'enthousiasme. Tout s'annongait done sous d'excellents aus- pices : les missionnaires, installes chacun dans leur poste, avaient supporte parfaitement les fatigues et les privations d'un long voyage a travers le desert. Mgr Daniel Comboni, de retour au Caire, prescrivit que, dans tous les etablissements, on fit, le 14 septembre, la consecration solennelle du vicariat au Sacre-Cceur. L'annee suivante, 1874, sept religieux de Saint-Camille de Lellis, cinq pretres et deux Freres, furent envoyes dans la partie septentrio- nale de la mission et fonderent le poste de Berber, dans la Haute-Egypte. La ils etablirent successivement une ecole pour les enfants des Cophtes, assez nombreux dans cette ville, un orphelinat pour les noirs rachetes de I'esclavage, et un dispensaire avec infirmerie pour les malades. Afin de pouvoir repondre aux besoins de I'apostolat, ces vaillants religieux, qui venaient d'etre expulses d'ltalie par le gouvernement, ouvrirent un noviciat a Cuisery (diocese d'Autun). Deja ils projetaient de s'etablir a Souakim, port sur la Mer Rouge. En attendant, ils ouvrirent une seconde station a Gadaref, sur les frontieres LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. 333 de I'Abyssinie, et dans une epidemie de petite verole, qui desola, a cette epoque, le pays, ils eurent la consolation de baptiser un grand nom- bre d'enfants et meme d'adultes. Cependant,MgrComboni sepreoccupait d'eten- dre son action en dehors des Etats musulmans, ou I'apGstolat ne peut que vegeter. Les nations paiennes etaient beaucoup mieux disposees a recevoir la Bonne Nouvelle. Des 1873, il avait fait faire une tournee d'exploration dans le pays des Noubas, et, I'annee suivante, il fonda a Delen une station, avec residence de mission- naires, etablissement de Soeurs, ecoles et cha- pelles. Ce poste, abandonne quelque temps a cause des fievres, fut repris, en 1878, par Dom Bonomi, assiste de cinq religieuses de I'lnstitut veronais des Pieuses Meres de la Nigritie. En 1880, une seconde station fut ouverte, chez les Noubas, a Malbes. Ce peuple, encore simp'e et pur des erreurs de I'lslam, avait re^u avec sym- pathie les missionnaires. Au bout de quelque temps, la mission des Noubas comptait deja soixante proselytes. Jusqu'alors, a I'exception des peines et des ^preuves ordinaires de la vie apostolique, on peut dire que tout avait souri aux missionnaires de la Nigritie: les santesse maintenaient en bon etat, les populations etaient bien disposees, les autorites se montraient generalement sympathi- ques, et, tout recemment, le vice-roi d'Egypte venait d'accorder gratuitement a Mgr Comboni, pour ses Instituts du Caire, un vaste emplacement de la valeur de quarante-trois mille francs. Avec I'annee 1878, allaient commencer les epreuves de la mission. Une secheresse extraordinaire amena pour tout le pays la famine, et ladisette d'eau fut telle que, dans la plupart des postes de I'interieur, les Peres et les Soeurs n'eurent souvent pour boire que I'eau qui avait servi au.K ablutions matinales. A la suite de la famine, survint une epidemie generale de fievres, qui ruina toutes les santes, emporta un missionnaire, plusieurs Freres, deux Soeurs et un grand nombre d'enfants de la mis- sion du Soudan ; enfin, en 1882, eclata la revoke du Mahdi, qui devait amener la ruine complete de la mission. Voici quelle ctait, en 1880, a la veille de la crise, la situation du vicariat ; Outre les Instituts du Caire, la mission du Soudan comptait alors sept stations a I'interieur : Scellal et Khartoum, dans la Haute-Egypte, Berber et Gadaref, dans le voisinage de I'Abys- sinie, El-Obeid, capitale du Kordofan, Dclen et Malbes, chez les Noubas. II y avait 800 catho- liques, la plupart eleves dans les 6tablissements de la mission. A El-Obeid, on venait de terminer une eglise, qui faisait I'admiration des voyageurs, et qui etait certainement le plus beau monument religieu.x de la contree. Des chapelles, ecoles, orphelinats et dispensaires existaient dans tous les postes. Une tempete effroyable allait tout emporter, et renverser en quelques mois le travail de di.K annees. Pour bien comprendre les causes de cette explosion de fanatisme et son succes, il faut re- monter de quelques annees en arriere. A la suite de la revolte d'Arabi-Pacha, les Anglais, devenus en fait, sinon en droit, les maitres de I'Egypte, imposerent au Khedive I'abolition de la traite. Ce netait pas chose facile, surtout dans les provinces eloignees de la capi- tale, oil, depuis des siecles, le trafic de I'homme s'exerce publiquement et quelquefois, souvent meme, sous I'uniforme brode des pachas et des beys du vice-roi d'Egypte. Deja, en 1874, Gordon Pacha, un des hommes les plus remarquables qu'ait produits I'Angle- terre dans ces derniers temps, avait ete a Khartoum pour reprimer cet infame commerce, et devant les impossibilites d'une abolition radi- cale et subite de la traite musulmane, il s'etait vu force, en gemissant, de fermer les }-eux. « Nulle part, dit Elisee Reclus, la traite des negres n'a fait plus de ravages que dans les plaines ou se pressent les tribus du Soudan. Devenus les maitres du pays, sous le titre d'offi- ciers egyptiens, les negriers firent ouvertement pendant de longues annees le trafic de chair humaine. Charges de pourvoir de jeunes filles et d'eunuques les marches de Khartoum et du Caire, les fonctionnaires pouvaient accomplir en paix ce que les rapports officiels appelaient pom- peusement leur mission civilisatrice. Les villages .se depeuplaient ; de chaque Zt'riba des mar- chands arabes, partaient regulierement des con- vois de malheureux se dirigeant vers le Nil, lies par paires, au moj'en de fourches et d'anneaux, qui passent au cou de I'esclaveet se rattachent a la monture du maitre. Encore de nos jours, les routes suivies par les convois se reconnaissent aux ossements humains epars le long des sen- tiers. » La repression immediate de la traite soulevait done pour le gouvernement egyptien de grosses difficultes, et, malgre la bonne volonte du Khe- dive, il devint bientot evident que, dans les re- gions du Darfour et du Haut-Nil, les fonction- naires egyptiens, plutot que de renonccr aux profits considerables qu'ils tiraient de la traite, etaient prets a s'unir aux populations arabes, pour secouer le joug d'un gouvernement «esclave des Chretiens », et constituer en plein Soudan un grand empire musulman, independant des nations europeennes et de leur influence genante. Ce fut cette sourde fermentation des csprits au sujet de la traite, et aussi la haine du fisc egyptien pesant lourdement sur les populations du Soudan, qui firent tout le succes du Mahdi. La preuve qu'il ne fut qu'un instrument, c'est qu'apres sa mort, I'insurrection a continue ses ravages. — Qu'etait-ce done au juste que le Mahdi ? C'etait un de ces saints comme I'lsIam en a toujours produit aux epoques de crises, ou 334 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. il s'agit d'excitei- le fanatisme des populations et de les lancer en avant contre les Chretiens. II s'appeiait Achmed-Mohammed, et s'etait etabli, vers 1865, dans les forets qui bordent les rives du Haut-Nil, oii il exer9ait le metier de cons- tructeur de barques ; mais en 1871, pousse par le fanatisme et I'ambition, il renonga a son metier et, pour se preparer a sa mission, se retira dans une grotte, aux bordsdu fleuve, etmena pendant dix ans la vie d'un anachorete. II fut bientot en possession d'une haute renommee de saintete, et quand il sortit de sa retraite, en 188 1, il fut acclame par les musulmans en qualite de Mahdi. L'Islam comptait un prophete de plus. Des lors il se mit a la tete de I'insurrection contre le Khedive, et marcha rapidement de triomphe en triomphe. La trahison de plusieurs generaux egyptiens facilita d'ailleurs singuliere- ment sa tache. En quelques mois, ildevint maitre du Dongola, du Darfour, du Kordofan etdetoute la region du Haut-Nil. Deux missionnaires, un clerc, trois Freres coadjuteurs et huit religieuses appartenant aux stations d'El-Obeid et des Noubas, tomberent entre ses mains, et subirent une longue et cruelle captivite. A plusieurs reprises, le faux prophete les somma d'embrasser le mahometisme, et, sur leur refus constant, les menai^a de mort. La mort eut ete une delivrance pour ces infortunes, surtout pour les religieuses, exposees sans cesse, au milieu des musulmans, a des outrages cent fois pires que la mort. Mgr Sogaro, le nouveau vicaire apostolique,refu- gi6 au Caire, essaya inutilement, pendant plu- sieurs annees, de negocier leur delivrance. Enfin, au bout de 27 mois de captivite, Dom Bonomi put s'echapper et gagner, avec trois religieuses, les avant-postes anglais ; quelques mois plus tard, une nouvelle bande r6ussit a briser ses fers et a gagner le Caire ; les autres, un Frere et deux religieuses, etaient morts en captivite ! Quant aux etablissements de la mission du Soudan, eglises, chapelles, residences, ecoles, orphelinats, il va sans dire qu'il n'en reste que des ruines. La mission du Soudan demeure aneantie, jusqu'au jour ou Ton aura reprime la revolte. Rien n'indique malheurcusement que ce jour soit proche, et Ton est bien force de reconnaitre que, dans cette crise ou il s'agit pourtant de I'avenir de I'Afrique centrale, le gouvernement britannique, qui s'est donne la mission, sans que I'Europe Ten ait prie, de sauvegarder en Egypte les interetsde la civilisation, a montre une deplo- rable faiblesse. Apres I'incroyable desastre subi par le general Hicks, dans les journees des i", 2 et 3 novembre 1883, I'Angleterre a abandonne a son malheureux sort Gordon-Pacha, un de ses plus illustres citoyens. Celui-ci, enferm^ dans Khartoum, apres avoir soutenu vaillamment un siege de deux ans, a fini par tomber aux mains des Mahdistes, qui Font massacre et ont fait de Khartoum un monceau de ruines. La mission catholique avait pu heureusement se replier a temps sur la station de Berber, et de Berber sur Souakim, ou Mgr Sogaro ouvrit en 1885 un nou- veau poste, qui compte actuellement une centaine de catholiques. Quant a I'Angleterre, satisfaite de la possession paisible de I'Egypte, et comprenant, dans son egoTsme pratique, que la pacification du Soudan lui couterait trop cher, elle forca le Khedive, son protege, a renoncer a ces vastes regions, qui etaient pour lui la source de riches revenus. Cet abandon de I'Afrique centrale aux Mahdistes a reveille naturellement le vieux fanatisme musul- man. Deja les Arabes de la cote des Somalis et du Zanguebar ont essaye de se revolter ; on a vu ce qu'a tente Bushiri au Zanguebar ; a Assab et chez les Somalis, les projets d'annexion et de protectorat italien auront plus d'une fois a comp- ter avec le fanatisme des tribus revoltees. Dans la mission des Grands Lacs, on verra plus loin que les esclavagistes ont voulu faire de I'Ouganda un grand Etat musulman. Enfin sur le Congo, les Arabes se sont deja avances jusqu'a Stanle)- Falls, d'ou ils menacent les nouveaux etablisse- ments des Beiges. L'abandon du Soudan pourrait bien devenir pour I'Angleterre un mauvais calcul. En laissant se constituer au centre de I'Afrique un empire musulman, elle a cree un nouveau fo)'er de fanatisme et un danger permanent pour la civilisation chretienne. Elle a cru prudemment faire la part du feu ; DiEU veuille que lincendie se concentre dans son foyer et n'aille pas au loin promener ses ravages Situation religieiise de la mission du Soudan. Persoiuiel : I vicaire apostoHque, en rdsidence provi- soire au Caire. — 12 missionnaires de I'lnstitul de Verone; plusieurs Frferes coadjuteurs. — Institut des Pieuses M^res de la Nigritie, 22 Soeurs. QCimres : 4 stations : le Caire, Scellal et Helloan, Haute-Egypte, Souakim sur la mer Rouge ; ? egiises ou chapelles. Au Caire : i Institut, avec orphelinat et ecole pour les jeunes noirs, 40 enfants. A Gesireh : i colonie agricole. — i Institut, orphelinat et ecole pour les negresses, 45 enfants. A Scellal : orphelinat, gardens et filles, 13 enfants. — Le magnifique hotel fonde aux frais de S. M. I'empereur d'Autriche est desservi paries Soeurs. A Souakim : ecoles et dispensaire. Population catholique du vicariat : 25oames. Les missions des Grands Lacs. C'est a Livingstone et a Stanley que revient I'honneur d'avoir fait connaitre au monde civilise la region des Grands Lacs de I'Afrique equato- riale, region que d'autres voyageurs avaient deja entrevue ou soupgonnee, inais dont ces deux illustres explorateurs ont pris veritable- ment possession au nom de la science. En 1876, a la suite de I'emotion causee dans le monde savant par leurs decouvertes, le roi des Beiges, Leopold II, prit I'initiative d'une association Internationale, qui relierait et dirigerait vers un but unique et bien defini les efforts isoles des LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. 335 explorateurs de I'Afrique. Voici en quels ter- mes le prince exposait son programme, dans son discours d'ouverture a la Conference de Bruxelles : « Ouvrir a la civilisation la seule partie de notre globe on elle n'ait pas encore penetre, percer lestenebresquienveloppent des nations entieres, c'est la, j'ose le dire, une croisade digne de ce siecle de pro- gres. » * # Voila un programme vraiment royal, mais que la politique seule est im- puissante a realiser : ouvrir les routes de I'Afrique equa- toriale aux explorateurs et aux marchands, ce serait faire peu pour la vraie civi- lisation, si on ne les ouvrait en meme temps aux pre- dicateurs de TEvangile. La Conference de Bruxelles I'a compris, et I'article dans lequel, sans entrer dans la question du merite respectif des differentes confessions religieuses, question que la diversite d'opinions de ses membres lui interdisait de traiter, elle s'engage a fa- voriser, sans distinction de cultes, le travail des mis- sions chretiennes, fera cer- tainement plus pour I'ceuvre civilisatrice que toutes les autres resolutions du Con- gres. Les Societes protes- tantes se tenaient deja pre- tes a entrer en lice avec leurs immenses ressources et leur nombreux personnel. II s'agissait pour le catho- licisme de ne pas se laisser distancer par ses rivaux. Au lendemain de la Con- ference de Bruxelles, le cardinal Franchi entretint Pie IX de I'opportunite d'ouvrir une mission catho- lique dans la region des Grands Lacs. — Le vieux Pontife, arrive a I'extremite de sa longue carriere, n'avait qua jeter un regard derriere lui pour en- trevoir le magnifique developpement des missions catholiques sous ses trente annees de pontificat : 18 nouvelles metropoles erigees par lui en pays de missions, 81 nouveaux dioceses, 59 vicariats et 18 prefectures apostoliques ; la hierarchic sacrde r^tablie en Angleterre et en HoUande, le Canada et les Etats-Unis enfantant chaque jour de nou- velles Eglises, le patriarcat de Jerusalem heu- reusement restaure et plusieurs delegations apostoliques creees au milieu des rites orientaux ; les vicariats apostoliques se multipliant, dans I'lnde, a la faveur de la paix, en Annam et en missioriiiaire de I'Afrique centrale ; d'aprfes une photographie. Chine, malgre d'incessantes persecutions ; I'Eglise du Japon ressuscitee, les iles de I'Ocean s'ouvrant de toutes parts a la predication evangelique ; toutes les cotes de I'Afrique entourees d'une ceinture de jeunes et florissantes missions, voila le grandiose spectacle qui se presentait a I'esprit du Vicaire de J^SUS-Christ, a I'heure oii le Prefet de la Propagande venait lui demander d? 336 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. couroiiner son cEuvre, en envoyant des ouvriers apostoliques dans les regions encore neuves de I'Afrique equatoriale. A une mission toute nouvelie, il fallait de nou- veaux ouvriers. Pie IX jeta les yeux sur la Society naissante des Missionnaires d'Alger, qui, bien qu'agee de cinq ou six ansa peine, comptait deja une centaine de membres et presque autant de novices. Cet appel fut accueilli avec enthou- siasme, et le Pape etant venu a mourir sur ces entrefaites, quatre jours seulement apres son avenement le nouveau Pontife que DiEU venait de donner a son Eglise signait, le 24fevrier 1878, le decret qui erigeait dans I'Afrique equatoriale et confiait aux Missionnaires d'Alger les deux missions du Victoria Nyanza et du Tanganika. Deux ans plus tard, un nouveau decret leur don- nait les missions du Congo superieur et du Congo inferieur. A la suite de la Conference de Berlin, les convenances de la politique et le developpe- ment des nouvelles missions ont amene certaines modifications. Actuellement, les missions des Grands Lacs sont au nombre de cinq : le vicariat apostolique du Victoria Nyanza, le vicariat du Tanganika oriental, le vicariat du Tanganika . occidental ou du Congo superieur, le vicariat de rOunyaniembe, et le vicariat du Nyassa. Vicariat apostolique du Victoria Nyanza. Les Missionnaires d'Alger ne perdirent pas de temps pour repondre aux ddsirs du Souverain Pontife. Des le mois de juin 1878, une double expedition, composee de dix missionnaires, cinq pour chaque mission, s'organisait a Zanzibar pour .se rendre au Victoria Nyanza et au Tanganika. Le 19 juin 1878, la caravane apostolique partait de Bagamoyo, sous la direction des PP. Livinhac et Pascal, superieurs des deux nouvelles mis- sions. Voici quels etaient, a cette heure solen- nelle du depart, les sentiments de ces jeunes apotres : « Nous voila done en route pour notre mission. Une vie nouvelie commence : c'est I'apostolat, tel que I'ont connu les premiers apotres. Malgr6 notre insuffisance et notre indignite, nous sommes les premiers qui, depuis I'origine du christianisme, allons representer Notre-Seigneur et son Eglise dans ce monde sauvage, barbare et encore inconnu. Devant nous, cent et peut-etre deux cents millions d'ames nous tendent invisiblement les bras, comme ces infideles de la Macedoine que saint Paul vit en songe. Quelle mission sublime mais redoutable ! et combien il faut que nous recourions a la grace de DiRU pour qu'elle supplee a notre faiblesse 1 C'est le sujet de nos meditations et de nos entretiens ; nous offrons a DlEU, par avance, pour le succes de la grande oeuvre qu'il nous confie, toutes nos peines, toutes nos epreuves, notre vie meme, s'il croit bon de nous la demander. » Une autre pensee se mele dans nos coeurs aux pens^es de la foi. Nous songeons a la France, notre patrie, et k tous ceux que nous y avons connus et aimes. Combien d'entre nous qui ne la reverront pas ! C'est pour elle aussi que nous allons travailler. Nous sommes les premiers Fran- ^ais qui, envoyes par notre eveque, P""rancais comme nous, allons porter la langueet I'influence de la France dans les profondeurs africaines. D'autres nous suivront un jour, et cette route pacifique que nous allons tracer, ou peut-etre nous laisserons nos tombes, sera poursuivie par des explorateurs francais (i). » Les voyageurs apostoliques avaient raison d'entretenir en eux ces nobles sentiments, pour se preparer aux fatigues et aux souffrances qui les attendaient. C'etait un voyage de trois cents lieues a entreprendre, au milieu des solitudes a peine explorees de I'Afrique orientale, en trainant derriere eux une caravane de quatre cent cin- quante noirs, enroles pour porter les bagages et les marchandises destinees a servir d'echanges, dans ces regions reculees ou la monnaie n'a pas cours. Ou'on se represente ce qu'eurent a souffrir, dans un voyage d'une annee, les missionnaires, obliges, a chaque halte, de lutter contre la mau- vaise volonte et I'indiscipline de leurs porteurs, de se garder des embuches des tribus pillardes, qui se cachent dans les forets pour tomber a I'improviste sur les trainards et leur enlever leur charge ; de disputer, presque chaque soir, en arrivant au coucher, avec les exigences des roite- lets indigenes du pays, reclamant leur hungo ; les longues etapes faites, chaque jour, a pied, a travers des chemins impossibles ; les fievres per- nicieuses des marais africains, qu'il fallait traver- ser quelquefois en ayant de I'eau jusqu'a la ceinture ; pendant le jour, les ardeurs devorantes d'un soleil de feu ; I'humidite glaciale des nuits, passees en plein air ou sous la tente : ce fut cer- tainement par une faveur signalee de la Provi- dence que les missionnaires purent atteindre le but de leur voyage, k I'exception du P. Pascal, superieur de la mission du Tanganika, qui tut emporte par les fievres, le 19 aout 1878, trois mois apres son depart de Bagamoj'o (2). Dans les expeditions subsequentes, Mgr Lavi- gerie, instruit par I'experience, adjoignit aux missionnaires des auxiliaires laiques, recrutes la plupart parmi les anciens zouaves pontificaux. Habitui^s a I'obeissance et au commandement militaires, ce sont eux qui sont charges de diriger les caravanes et de traiter avec les noirs ; ils sont comme une resurrection de I'ancienne chevalerie et des Ordres militaires, mis au service de I'apos- tolat, et peut-etre sont-ils destines k faire un jour leurs preuves contre les negriers arabes, qui sont le fleau de I'Afrique equatoriale. Deja, dans la mission du Tanganika, le commandant Joubert a vaillamment assure la securite de la station de 1. Missions catholiques, annee 1879. 2. Les Missionnaires d'Alger ont taconte tout au long les epreuves de ce premier voyage, dans I'ouvrage inleressant qui a pour litre : A I'assaul dis pays nigres. LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALS, 1800-1890. 337 M'pala, menacee, a plusieurs reprises, par les esclavagistes. Au moment dii depart, Mgr Lavigerie remet a chacun des volontaires una epee nue, en lui adres- sant ces belles paroles du pontifical : ^ Servez-vous de cette epee pour la defense des oeuvres de DiEU ; n'en usez jamais pour des motifs injustes. » Puis frappant, trois fois, du plat de I'epee, 1 epaule du nouveau chevalier agenouille devant lui, I'eveque ajoute : « Soyez un soldat pacifique, courageux, fidele et pieux (i). » Les engages volontaires se lient ensuite par un serment solennel a servir comme auxiliaires dans les missions de I'Afrique equatoriale. * * * Revenons a la premiere caravane. Arrives a la ville de Tabora, situee presqu'k egale distance entre le Victoria Nyanza et le Tanganika, les missionnaires firent halte pour se reposer quel- VICTORIA-NYANZA (Afrique equatoriale). — Int^rieur de la station de Notre-Dame de Kamoga D'apres une photographie. ques jours, avant de se s^parer. Comme ils avaient ete abominablement rancjonnes en chemin, leurs ballots de marchandises etaient epuis^s, et, pour continuer leur route, ils furent forces d'avoir recours a la complaisance usuraire des marchands arabes, qui cederent toutes les marchandises dont ils avaient besoin, centre de bonnes traites sur la procure de Zanzibar. Les quatre Peres de la mis- sion du Tanganika partirent les premiers pour Oujiji, oil ils arriverent le 24 Janvier 1879. Le R. P. Livinhac et les quatre missionnaires I. Pontifical rortiain, BentdUtio ncrvi mililii. Missions Catholiques. du Nyanza se mirent en route un mois plus tard. Le 19 juin 1879, un an apres leur depart de Bagamoyo, ils arriverent chez Mtesa, souverain de rO Uganda. L'Ouganda, qui compte, avec les royaumes tributaires, de douze a quinze , millions d'habi- tants, est le plus important des Etats de I'Afrique equatoriale. Le roi Mtesa, dont Stanley avait espere un moment faire le <■( Constantin noir(i)», devait trahir ^galement le zele des ministres protestants et celui des pretres catholiques. Prince I. .Stanley, A travers le continent mysierieux. 338 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"'^ SIECLE, intelligent, ouvert aux idees de civilisation et de progres, il accueillait egalement bien les explo- rateurs europeens et les representants de toutes les confessions religieuses. Quant a se convertir au dogme et a la morale ^vangeliques, il n'en eut jamais serieusement la pensee. Adonne, com me tous les potentats africains, a la polygamie, maitre absolu de la vie et des biens de ses sujets, grand chasseur d'esclaves, dont la vente aux negriers arabes formait une bonne part de son revenu, il ^tait s6pare par un abime du christianisme et de la vraie civilisation. Dans I'etablissement chez lui des missions chretiennes, il ne voyait qu'une question d'influence politique et de profits per- sonnels. Avec ces dispositions, il recut parfaite- ment les missionnaires catholiques, et il leur permit de s'installer a Rubaga, sa capitale, et de precher I'Evangile dans ses Etats. « Sous le rapport materiel, ecrivait, peu de semaines apres son arrivee, le R. P. Livinhac, superieur de la mission, nous devons rendre a DiEU de tres grandes actions de graces. Mtesa a ete tres genereux a notre egard. II nous a donne environ un hectare de bon terrain, plante de bananiers, et une trentaine de bceufs. Ue temps en temps, il nous fournit les materiaux et les ouvriers necessaires a la construction d'une habi- tation assez grande pour nous loger tous. » Le roi ne tarda pas a devoiler ses arriere- pensees politiques ; il pria les missionnaires de lui menager I'appui de la France, pour se defen- dre, en cas de besoin, contre les esclavagistes du Zanzibar, et contre les Anglais, dont il redoutait, non sans raison, I'infiuence preponderante et les visees ambitieuses. Assez intelligent pour com- prendre qu'il faut compter desormais en Afrique avec les envahissements de la civilisation euro- peenne, le prince noir aurait voulu faireau moins la part du feu, et neutraliser, en les contre-balan- ^ant les uns par les autres, ces etrangers suspects et genants, tout en cherchant a les exploiter de son mieux. Les missionnaires commencerent par ouvrir un orphelinat d'enfants rachetes de I'esclavage ; mais bientot ils s'apergurent que la population de I'Ouganda etait mure pour la predication evangelique. Le 27 mars 1880, veille de Paques, quatre adultes, premices de la mission, rece- vaient le saint bapteme. Deux mois plus tard, le 15 mai de la meme annee, quatre nouveaux catechumenes, dont trois des fils d'un des chefs les plus influents du pays, venaient doubler la chretiente naissante. Deux nouvelles caravanes vinrent grossir le chiffre des missionnaires; en 1882, leur nombre s'elevait deja a douze. Le roi Mtesa, complete- ment refroidi a I'egard des protestants, avait provoqud une conference publique entre ces messieurs et les pretres catholiques, conference qui tourna naturellement au profit de la verite, et apres laquelle le roi Mtesa avait conclu, sans hesiter, en faveur de I'enseignement catholique ; lui-meme avait demande un catechisme, pour s'instruire a fond des dogmes du catholicisme, et si ses passions le retinrent dans le paganisme, il n'est pas douteux qu'il ait entrevu la verite et qu'il fut catholique dans son cceur. Cependant les succes du Mahdi au Soudan avaient surexcite a I'exces I'orgueil des Arabes esclavagistes, et un complot s'etait organise pour se debarrasser des missionnaires. Dans ces con- jonctures, Mgr Livinhac, eleve a la dignite de vicaire apostolique avec caractere episcopal, jugea prudent d'evacuer, pour quelque temps, I'Ouganda, et de se refugier avec les enfants de la mission au sud du lac Victoria, oii deux nouvelles stations furent ouvertes chez les Bukumbi. Le centre de la nouvelle mission fut fixe a Notre-Dame de Kamoga (1883). Sur ces entrefaites, Mtesa vint a mourir, et son successeur, Mouanga, ayant temoigne, avant son avenement au trone, des dispositions tres favorables a la mission catholique, les PP. Lour- delet Geraud rentrerent, en 1885, dans I'Ouganda, oil le nouveau roi les accueillit parfaitement. A leur grande joie, les missionnaires purent consta- ter que, pendant leur exil, les neophytes etaient restes fermes dans la foi, et avaient meme fait autour d'eux de nombreux proselj'tes ; un seul de ces nouveaux chretiens avait prepare au bapteme cent cinquante catechumenes. La moisson se presentait done sous le plus bel aspect, et les ouvriers apostoliques n'avaient qu'a jeter la faux pour recueillir les nombreux epis qui levaient de toute part. En quelques mois, ils eurent des cate- chumenes et des Chretiens dans plus de vingt villages autour de Rubaga. L'homme ennemi ne pouvait voir, sans fremir de rage, de pareils succes ; il allait susciter contre la mission naissante de I'Ouganda une violente tempete, dont le resultat final serait de le con- vaincre d'impuissance et d'affermir, dans le sang de nombreux martyrs, les bases de la nouvelle chretient6. « Sans effusion de sang, pas de redemption, » dit I'Ecriture. C'est la loi ineluc- table de I'histoire. Nee au Calvaire, du sang du Christ, I'oeuvre apostolique veut du sang pour fructifier. La mission de I'Ouganda allait rece- voir ce bapteme du sang, etonnant I'Eglise par la generosite et I'heroisme de ses jeunes martyrs. C'^tait le gage des benedictions de I'avenir. L'imprudence des missionnaires protestants dechaina la tempete. Les annexions anglaises et allemandes du Zanguebar, dont les esclavagistes grossissaient encore aux yeux du roi le peril, avaient excite les defiances de Mouanga contre tous les Europeens. Dans ces conjonctures facheuses, un eveque anglican, M. Harrington, se presenta et, fort de I'appui de son gouvernement, voulut, contre la volonte du roi, penetrer dans I'Ouganda. Cette demarche imprudente excita les fureurs du prince, qui, sans egard aux repre- sentations des missionnaires et de ses conseillers LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800 1890. 339 catholiques, fit massacrer ce malheureux. La charitable intervention des pretres catholiques !es avait rendus suspects au roi ; les calomnies des negriers arabes firent le reste. Mouanga, affole de terreur et voyant deja son royauine livre aux Europeens, resolut de faire mourir tous les Chre- tiens. Leur nombre s'elevait deja a plus de sept cents, sans compter les catechumenes (1886). La cour de Mouanga etait pkine de fervents catholiques. Dans les commencements, le roi avait montre les meilleures dispositions ; il avait rompu courageusement avec les superstitions de ses ancetres, il se posait presque en catechumene, aimait a reciter le Pater et a I'apprendre a ses propres pages, en les engageant a se faire Chre- tiens. II etait done tout naturel qu'il s'entourat de Chretiens et qu'il nommat les ndophytes aux principales charges du royaume. Ceux-ci d'ail- leurs lui avaient montre leur fidelite, en I'avertis- sant d'un complot que son premier ministre, Katikiro, et les principaux seigneurs du pays avaient forme centre lui, pour le mettre a mort et proclamer son jeune frere a sa place. Trois seigneurs catholiques, Joseph Mkasa, con.seiller du roi, Andre Kagoua, un de ses meilleurs generaux, et Mathias Mouroumba, juge du royaume, avaient averti le prince de ce qui se tramait contre lui. Katikiro, se voyant decouvert, avait demande grace en pleurant, et, contre les habitudes cruelles de ses predecesseurs, Mouanga lui avait pardonne et I'avait meme conserve dans sa charge de premier ministre, ce qui etait vraiment pousser un peu loin I'indulgence. Katikiro avait jure de se venger, et il tint parole. Les trois seigneurs Chretiens qui, en le denongant, avaient sauve la vie du prince, recjurent en recom- pense la couronne du martyre. Joseph Mkasa fut la premiere victime de la persecution. II s'etait attire la haine du premier ministre ; de plus, il s'etait permis, comme conseiller du roi, de desapprouver le meurtre de I'eveque anglican ; evidemment c'etait un traitre, dont il fallait se defaire. Arrive au lieu du supplice, Joseph, qui n'avait rien perdu de son calme habituel, dit en souriant au bourreau : « Tu diras a Mouanga de ma part qu'il m'a condamn6 injustement, mais que je lui pardonne de bon cceur. Tu ajouteras que je lui conseille de se repentir, car, s'il ne se repent, il aura a plaider contre moi au tribunal de DiEU. » Le bourreau, ayant tranche la tcte du martyr et livre son corps aux flammes, fit la commission aupres du roi, qui affecta d'en rire ; mais son esprit etait frappe d'une terreur superstitieuse. II fit tuer un autre individu, ordonnant de meler avec le plus grand soin les cendres des deux victimes : « — Comment pourra-t-on le reconnaitre maintenant ? disait-il en ricanant, et comment fera-t-il pour plaider contre moi au tribunal de DiEU ? » « * * Apres le supplice de son conseiller intime, Mouanga fit mettre a mort un groupe de jeunes pages Chretiens, dont le P. Lourdel retrace le martyre dans une page cmue : « Me voici a la residence royale : tout est calme, mais c'est le calme de la mort. Je me dirige vers les cours interieures, dans lesquelles, a ma grande surprise, on me laisse penetrer sans la moindre difficulte. Mon etonnement est a son comble, quand je vois nos chretiens de la cour, libres, aller tranquillement de cote et d'autre, comme si rien d'extraordinaire ne s'etait passe. Tout ce qu'on m'a raconte est-il done une fable, ou suis-je le jouet d'un reve ? H^las ! non. Lebon DiEU a seulement voulu me r(fserver la triste consolation de voir de mes propres yeu.x enchainer mes chers enfants et de leur dire, du regard, un supreme adieu. » Charles Louanga, chef du groupe des pages, est appele le premier avec ses compagnons, Chretiens comme lui. lis sont accueillis par des huees, que domine la voix tonnante du roi. II leur fait les reproches les plus amers sur leur religion, puis il dit : « Que ceux qui prient se rangent de ce cote. » » Aussitot Charles Louanga et Kizito, jeune catt^chumene d'une fermete de caractere tout a fait rare a son age, se dirigent vers I'endroit designe. Tous ceux de la troupe qui sont chre- tiens suivent leur exemple. Circonstance tou- chante 1 Charles et Kizito etaient convenus, pour s'encourager mutuellement et ne pas faiblir au moment decisif, de se tenir par la main. » A un signe du roi, les bourreaux se jettent sur ces courageux confesseurs de la foi, les enlacent dans leurs grosses cordes, et les trainent brutalement en dehors de la cour. L'heroique troupe s'arrete a quelques pas de moi. On a 116 ensemble les jeunes gens de dix-huit a vingt-cinq ans. Les enfants forment un autre faisceau. lis sont tellement serr^s qu'ils ne peuvent marcher qu'a grand'peine, a petits pas, et en se heurtant les uns aux autres. Je vois le petit Kizito rire d'une position si bizarre, le visage aussi serein que s'il eut jou6 avec ses camarades. Kizito est fils d'un des plus grands seigneurs du royaume. Plusieurs de ses freres ont depuis longtemps embrasse le christianisme et se sont fait remar- quer par leur courage et leur ferveur ; Kizito est digne de ses aines. Depuis longtemps il m'impor- tunait pour recevoir le bapteme, me disant que Mouanga ne tarderait pas a le tuer. Je me rap- pelle, une fois, avoir ete oblige, pour me d^bar- rasser de ses importunites, de le prendre entre mes bras et de le laire passer par la fenetre. En fin, le voyant si ardent, si bien dispose, je lui avals promis dernierement de le baptiser dans un mois. Mais le bon DiEU avait decide que cette ame d'elite serait regeneree dans son propre sang. » * * * 540 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™e SIECLE. Le P. Lourdel ne put assister au martyre de ses heroiques enfants; mais des temoins oculaires ont fait le recit de leur mort, dont les details rap- peilent les pages les plus suaves des annales de la primitive Eglise. Le chef des pages chretiens, Charles Louanga, fut s6pare de ses compagnons. Pour faire montre de zele, le bourreau avait pric le roi de le lui livrer, promettant de le torturer de la bonne maniere. II le brula done lentement, en commencant par les pieds. En attisant le feu, il lui disait : Le R, p. Lourdel, ■ des Missionnaires d'Alger, sup^rieur de la mission de I'Ot « — Allons, que DiEU vienne et te retire du brasier ! » Le martyr lui repondit : « Pauvre insens6 ! tu ne sais pas ce que tu dis. En ce moment, c'est comme une eau rafraichissante que tu verses sur mon corps ; mais, pour toi, le DiEU que tu insultes te plongera un jour dans le veritable feu. » On conduisit les autres pages, au nombre de trente-quatre, sur une colline qui s'eleve en face de la station catholique de Sainte-Marie de Rubaga. Dans le nombre, il y avait trois jeunes enfants encore simples catechumenes qui exci- taient la pitie des bourreaux. Jamais encore, dans rOuganda, on n'a\-ait vu torturer des enfants d'un age aussi tendre. Les bourreaux leur dirent : <;( — Dcclarez simplement que vous ne prierez plus, et on vous accordera votre grace. » « — Non, repondirent les enfants ; nous ne cesserons de prier, tant que nous vivrons. » On les mit a I'ecart, esperant que la vue du supplice de leurs camarades les amenerait a apostasier. Une grande quantite de roseaux avaient ete coupes d'avance ; on en fit de gros fagots, au milieu desquels on enferma chacun des patients. Un des trois enfants qu'on vou- lait epargner, voyant qu'on ne le liait pas comme les autres, se mit a pleurer en disant : « — Ou done est mon fagot a moi ? Tous en ont; moi aussi, je veux le mien.» Pour I'apaiser, les bourreaux le lierent dans un fagot, mais ils le mirent a I'ecart, ainsi que les deux autres. Les fagots termines, on les placa les uns a cote des autres, les pieds des vic- times tournes dans le meme sens. Parmi ces trente et un martyrs, se trouvait le propre fils du bourreau en chef Le mal- heureux pere, pour epargner a son en- fant les tortures du feu, ordonna de lui assener d'abord un fort coup de baton sur la nuque. Le petit cadavre fut remis ensuite dans son fagot, et replace aupres des corps de ses camarades. Apres cette premiere execution, on mit enfin le feu aux fagots, en commen- cant par les pieds, afin de faire souffrir plus longtemps les patients, et aussi dans I'espoir qu'aux premieres atteintes de la flamme, quelques - uns demanderaient grace. Mais les martyrs n'ouvrirent la bouche que pour reciter des prieres. Au bout d'une demi-heure, tout etait fini, et I'Eglise naissante de I'Ouganda comptait trente et un martyrs de plus. Les trois jeunes enfants qu'on avait voulu epargner contemplaient les restes fumants de leurs petits camarades, et janda. attendaient avec impatience que leur tour fut arrive. « Ne vous tourmentez pas, leur criaient les bourreaux ; nous vous reservons pour terminer la fete, si toutefois vous petsistez dans votre entetement, car si vous re- noncez a votre religion, vous serez ^pargnes. » Les jeunes pages se montrerent inebranlables, et les bourreaux prirent sur eux de les reconduire en prison. DiEU voulait se reserver ces trois temoins oculaires de I'heroique holocauste des trente et un pages de Mouanga. * » * Au premier bruit de ces tragiques evenements, Mgr Livinhac, qui se trouvait alors a Notre- Uame dc Kamoga, au sud du lac, accourut a LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. 341 Riibaga, pour essayerde flechir le roi. RIais il ne put rien obtenir. « Durant le mois que j'ai passe h. Sainte-Marie de Rubaga, ecrivait le prelat, au mois dejuillet 1886, un grand nombre de neophytes n'ont pas craint de s'exposer au danger de la mort pour ven'r me voir, et j'ai pu donner la confirmation a quatre-vingt-dix-sept des mieux prepares. II m'est arrive de me lever quatre et cinq fois dans la meme nuit pour recevoir quelqu'un de ces chers visiteurs. Je ne saurais dire combien j'ai ete touche des mer- veilleux effets que la grace a produits dans ces Chretiens d'un jour. lis voient la cruelle mort qui les menace, avec ce courage calme que donne une foi ine- branlable. « Les bourreaux, di- ■» sent-ils, tuerit le corps, mais ils » ne peuvent tuer I'ame ; ils font » souffrir durant quelques mo- » ments, mais I'ame leur echappe » et s'en va chez le bon DiEU, » qui la rend eternellement heu- » reuse. » » Bon nombre nous deman- dent si se cacher n'est pas une sorte d'apostasie, et s'il ne serait pas mieux d'aller se declarer Chretien devant le roi. Au dire des habitants, le nombre des vic- times depasse la centaine. La force d'ame qu'ils ont montree au milieu des plus cruels sup- plices, a fait croire aux pai'ens, comme au.x premiers siecles du christianisme, que nous avons un philtre m}-sterieux, qui rend les tortures douces et fait mepriser la mort. » * * * Comme toiijours, le sang des mart\-rs allait devenir une se- mence de nouveaux chretiens. Di.x-huit mois apres ces lugubres evenements , un missionnaire ecrivait de Rubaga : « Tous les jours, nous rece- vons de nouveaux catechumenes ; depuis un an, j'en ai inscrit huit cents comme ayant assiste au catechisme, que nous leur fai.sons tous les matins, et ce nombre est de beaucoup depasse par celui des catechumenes qui n'y ont pas assiste, mais que nos neophytes instruisent chez eu.x, dans les districts eloignes. » Le ro4 lui-meme etait revenu a de meilleurs sentiments, et avait rappele pres de lui les chre- tiens. Le nouveau chef de ses pages, un chretien fervent nomme Honorat, avait toute sa confiance, et Mouanga lui avait soumis un grand nombre de districts de son royaume. Honorat avait use de son influence pour placer beaucoup de chretiens a la tete des villages. Mais cette Eglise naissante n'etait pas au bout de ses epreuves. Apres la persecution des paiens, elle allait eprouverla persecution des disciples de Mahomet. Le soulevement de Bushiri au Zanguebar, les Mgr Livinhac, supeiieur general de la Societe de£ Missionnaiies d'Alger, premier vicaire apostolique du Victoria-Nyanza. succes des Mahdistes au Soudan avaient surexcitd I'orgueil des esclavagistes arabes residant dans la region des Grands Lacs. En 1889, une intrigue de palais renversa le roi Mouanga, pour mettre a sa place son frere Karema. Les negriers arabes saisirent I'occasion pour s'emparer du nouveau roi, le forcer a renvoyer tous ses conseillers chre- tiens et a se faire circoncire. En meme temps, ils se ruerent sur les missions catholiques et protestantes ; apres un pillage complet et une captivite pleine d'angoisses, tous les mission- naires europeens, sans dictinction de confession 342 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. religieuse, furent jetes dans une barque, et lances, sans vivres et presque sans vetements, sur le lac. A la suite d'une navigation accidentee, d'un naufragedans lequel ils faillirent perir, ils debar- querent enfin dans le sud du lac, a la station flo- rissante de Notre-Dame de Kamoga. Sous la direction des esclavagistes, I'Ouganda devenait un Etat musulman, ferme desormais a la propa- gande evangelique. Mais DiEU veillait sur les destinees de cette Eglise, si jeune et deja si eprouvee. Le roi Mouanga s'etait r^fugie aupres des mis- sionnaires etablis dans le sud. Les cruautes de Karema et des Arabes le firent bientot regretter de ses anciens sujets. Le nouveau roi avait fait bruler tous les princes et princesses de sang royal ; il s'etait conduit d'une maniere si atroce qu'il etait devenu un objet d'horreur pour tout ce qui n'etait pas musulman. Un parti puissant se forma bientot dans I'Ouganda pour rappeler Mouanga. Malheureusement , I'ancien roi ne pouvait mettre en ligne que trois cents fusils, et les esclavagistes, dont la cause ^tait intimement unie a celle del'usurpateur, disposaient dequinze cents hommes et de munitions en abondance. Craignant, dans des conditions si disproportion- nees, d'engager la lutte sur le continent, Mouanga se retira dans une ile appelee Ses^, tout pres de la cote, et a dix kilometres environ de son an- cienne capitale. II y fut bientot rejoint par plu- sieurs centaines de Chretiens. De la, il envoya trois barques sous la conduite d'un de ces neo- phytes, pour prier les missionnaires, demeurant au sud, de lui apporter le secours moral de leur presence, ajoutant que, si on refusait sa demande, il lenoncerait a la lutte, et se retirerait definiti- vement a la mission. Apres avoir consulte tous ses missionnaires, le vicaire apostolique lui envoya les PP. Lourdel et Denoit, qui arriverent a Sese le 14 septembre 1889. lis furent recus avec un enthousiasme in- croyable par leurs anciens chretiens ; pendant plusieurs semaines, les Peres furent occupes, jour et nuit, a entendre les confessions et a preparer de nombreux catechumcnes su bapteme. DiEU benit visiblement les armes des chre- tiens. lis defirent completement un convoi form^ de deux bateaux a voiles, charges de munitions, avec 150 hommes de renfort, envoyes par les Arabes pour ravitailler Karema et ruiner a jamais la cause de Mouanga. Ce fut un nouveau Lepante. Chose incroyable et qui tient du pro- dige, la petite troupe chretienne n'avait que quelques pirogues pour monter a I'abordage de deux gros vaisseaux, et, malgre une grele de balles, elle ne perdit que deux hommes, alorsque cent cinquante musulmans perirent dans cette rencontre. Enfin, le roi Mouanga etait remonte sur le trone, et la tentative de faire de I'Ouganda un grand Etat musulman, avait completement avorte. Le roi ecrivit a la fin de 1889 au cardinal Lavigerie, pour lui demander I'envoi de nom- breux missionnaires, afin d'amener son peuple a la foi chretienne. II n'etait pas deraisonnable d'esperer que, d'ici a quelques annees, il y aurait eu, aux bords du Victoria Nyanza, un grand Etat Chretien de plusieurs millions d'ames, d'ou la foi rayonnerait au loin clans les profondeurs de I'Afrique equatoriale. La haine sectaire des protestants, s'unissant aux musulmans contre les catholiques, a fait avorter, au moins en partie, ces magnifiques esperances. Exasperes du succes des catholiques, qui comptaient deja pres de 50.000 neophytes, alors que les protestants n'etaient encore qu'une poi- guee, voyant le roi Mouanga se preparer au bap- teme et I'Ouganda .'■ur le point de devenir un grand royaume catholique, les Reverends minis- tres du saint Evangile, selon leur habitude inva- riable, ont suscite les defiances et les haines entre leurs ouailles et les notres. Au lieu de grouper leurs neophytes avec les notres, pour se defendre contre les Arabes esclavagistes, qui sont le vrai danger de I'Afrique centrale, ils ont fait cause commune avec les fils de Mahomet, pour ecraser les catholiques, leurs freres chretiens. C'est I'Hp- plication pratique du mot satanique de Luther ^crivant aux princes de I'Allemagne : « Plutot Turcs que papistes ! » Au commencement de 1892, le lieutenant Lutgard, agissant au nom de la Compagnie East- African, voulut imposer aux sujets de Mouanga le protectorat de I'Angleterre. Les catholiques, d'accord avec le roi, ayant refuse de s'y preter, la ruine de la mission catholique fut decidee et poursuivie avec une raideur et un sans-gene tout britanniques. Six postes desservis par 17 mis- sionnaires furent detruits, 30 chapelles incen- diees, les catholiques qui tenterent de se defendre ecrases par les mitrailleuses Maxim, que la societe anti-esclavagiste avait fait remettre au lieutenant Lutgard pour un autre dessein que de mitrailler des chretiens ; finalement pres de 50.000 neophytes furent chasses du pays, leurs maisons brulees, leurs bestiaux enleves, et plusieurs mil- liers de femmes et d'enfants furent reduits en servitude et vendus en grand nombre aux Arabes esclavagistes. Apres ces beaux exploits, la Societe East- African, devenue maitresse de Mouanga, parta- gea le pays en trois parties : les protestants prirent pour eux les 4/7 ; ils donnerent a leurs allies musulmans les 2/7, et voulurent bien aban- donner aux catholiques 1/7, au Buddhu, pays inculte et malsain, avec defense de s'etablir ail- leurs et surtout de venir a la capitale sans per- mission des autorites ; c'est ainsi que ces messieurs entendent la liberte de conscience et I'egalite confessionnelle. Neanmoins, sur les reclamations de la France, une commission fut nomm^e pour examiner ces LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. 343 faits vraiment monstrueux ; sans desavouer son agent, ce que I'Angleterre ne fait jamais, la com- mission rendit aux catholiques une partie de leurs droits. Quant a I'avenir, je me refuse absolument a desesperer du sort de cette belle Eglise de rOuganda, qui, en dix ans, a deja donne au Christ des centaines de martyrs. EUe triom- phera des iniquites de I'heresie, comme elle a triomphe des fureurs du paganisme. Aujourd'hui les catholiques sont ecrases par une poignee de sectaires ; on les a depouilles de tous leurs droits politiques, en les parquant comme des lepreux dans un coin du pays : on les a mis au-dessous des pai'ens et des musulmans ; on s'est empare du roi pour gouverner sous son nom et faire asseoir I'heresie sur le trone. Ce sont la les pro- cedes ordinaires de I'heresie : ils ne lui reussiront pas mieux la qu'ailleurs. Laissez passer un demi- siecle : vous verrez I'opinion rev-enue au catholi- cisme et I'heresie, deshonoree par ses violences, perdra toute autoritc sur les ames. Pour eviter le retour de ces competitions et de ces defiances politiques qui font tant de mal a I'oeuvre des missions, le Saint-Siege a divise le vicariat unique de I'Ougandaen trois vicariats, de maniere a separer les spheres de rinfluence de chacun. I. Vicariat apostolique du Nil sup^rieur. Ce vicariat, erige en 1894, comprend toute la partie septentrionale de I'ancien vicariat de i'Ouganda. II embrasse toute la sphere d'influence des Anglais et est confie au.x missionnaires de Mill-Hill. Les protestants ayant excki les catho- liques de cette partie du territoire, la mission n'est encore qu'au berceau. Esperons que les defiances politiques tomberont en presence des mission- naires de Mill-Hill, qui sontaussi bons Anglais que leurs rivaux protestants. n. Vicariat apostolique du Victoria NVANZA septentrional. Ce vicariat a pour limites : au nord, le4^ degr^ de latitude boreale : a Test, le vicariat aposto- lique du Nil superieur, a I'ouest, le vicariat apos- tolique du Congo beige ; au sud, le premier degr^ de latitude australe, qui separe les spheres d'in- fluence de I'Angleterre etde I'AUemagne. Le vicariat, bien que tout entier sous le pro- tectorat anglais, est reste aux missionnaires d'Alger, qui y sont etablis depuis le commen- cement de I'evang^lisation. Personnel : i vicaire apostolique, 20 missionnaires. CEuvres : 2 stations et un grand nombre de petits pontes. — Population catholique, environ 25.000. III. Vicariat apo.stolique du Victoria Nyanza meridional. Ce vicariat apostolique, detache en 1894 du vicariat central, comprend toute la sphere d'in- fluence allemande. II appartient aux mission- naires d'Alger, qui, jusqu'a ce jour, n'ont eu qu'a selouerde leurs rapports avec les administrateurs du prctectorat. Personnel : i administrateur apostolique, qui est le vicaire apostolique du vicariat precedent. Les mission- naiies appartiennent en commun aux deux missions. Qiuvres : 3 stations avec residence. I seminaire h Kamoga, 10 el^ves. La population catholique se confond avec celle du vica- riat precedent. IV. — Vicariat apostolique du Tanganika oriental. La mission du Tanganika, erigee comme celle du Victoria Nyanza en 1878, a connu, elle aussi, de mauvais jours. Apres avoir perdu en route leur superieur, le Rev. P. Pascal, einporte, comme je I'ai dit, par la fievre, les quatre missionnaires sur- vivants arriverent, le 24 Janvier 1879, a Oujiji, ville tout arabe, situee sur la cote orientale du Tanganika. Comprenant qu'il y avait peu a faire dans une localite oil les negriers arabes domi- naient, les missionnaires s'empresserent d'ouvrir, des 1880, deux autres stations parmi les noirs paiens, beaucoup plus accessibles a la predication evangdlique, I'une a Ouviri, au nord du lac, et I'autre chez les Massangis, sur la cote occiden- tale. Une catastrophe vint bientot ruiner la station d'Ouviri. Les missionnaires avaient cree dans ce poste un vaste 6tablissement, pour le rachat et I'education des enfants noirs arraches a I'escla- vage. Les negriers arabes, jaloux de leurs succes, et voyant avec defiance la presence des mission- naires sur les rives du Tanganika, dont ils avaient fait le centre de leurs operations coinmerciales, exciterent contre eux les populations voisines, qui se ruerent a I'improviste sur I'orphelinat et massacrerent les deux Peres Deniaud et Augier, avec I'auxiliaire Dhoop (1881). Les survivants se refugierent, avec leurs enfants, chez les Mas- sanges, de I'autre cote du lac, et fonderent la station de Kibanga. La mission du Tanganika, d'abord aussi ^ten- due que celle du Victoria Nyanza, a subi elle aussi plusieurs demembrements, qui I'dnt ramenee a des proportions plus restreintes. Un decret du 30 decembre 1886 en a detache la partie nord, pour former le vicariat de I'Ounyaniembe, et toute la cote ouest, qui est devenue le vicariat du Tanga- nika occidental. En 1889, un autre decret en detacha toute la partie sud, pour former la mis- sion du lac Nyassa. Le 24 aoLit 1887, une scene bien touchante avait lieu a I'orphelinat de Saint-Joseph de Kipalapala, situd a peu pr^s a moitie route entre le Victoria Nyanza et le Tanganika. Mgr Livinhac, vicaire apostolique du Victoria, venait donner la consecration episcopale a Mgr Char- bonnier, premier vicaire apostolique du Tanganika oriental. L'un s'arrachait d'aupres des martyrs de I'Ouganda, dont le feu fumait encore ; I'autre faisait deux cents lieues a travers des forets 344 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlXn^^ SIECLE. pleines de dangers, pour venir recevoir, dans une pauvre chapelle, au milieu de quelques noirs arraches a rescla\-age du demon et a celui des hommes, la plenitude du sacerdoce catholique. C'dtait, depuis les jours du Cenacle, le premier sacre d'eveque qui eut-eu lieu dans les regions per- dues de I'Afrique equatoriale. Les deux pontifes melaient leurs larmes a I'huile des onctions sacr6es, et les noirs, accourus de toutes parts, a ce spectacle si nouveau pour eux, ne pouvaient, malgre la saintete du lieu et de la scene, retenir leurs exclamations d'enthousiasme, a la vue des magnificences de la liturgie catholique. Actuellement,la mission du Tanganika oriental, reduite a la cote est du lac, se compose de trois postes principaux: Oujiji, ou des medecins arabes Chretiens, sortis de I'lnstitut apostolique de Malte, ont ouvert un hopital, et s'efforcent, par I'exercice de la charite, de repandre I'influence chretienne au milieu d'une population envahie et deja gangrenee par I'lslam ; Karema, station importante, fondee, il y a quelques annees, par les officiers beiges de I'Etat du Congo, et cedee par eux aux Missionnaires d'Alger ; et Lavigerie- ViUe, au sud du lac. Apres les premieres diffi- cultes du debut, I'influence des missionnaires commence a s'affermir et a se repandre sur toute la cote orientale du Tanganika, et les populations noires,etablies sur le terrain de la mission ou dans les environs, montrent les meilleures dispositions a s'instruire. Le chiffre total des baptises s'^leve aux environs de quatre cents, mais de nombreux catcchumenes se preparent a devenir les enfants de DiEU et de I'Eglise. Le vicariat du Tanganika oriental a pour limites : au nord, le vicariat du Victoria-Nyanza meridional, a Test, celui de I'Ounyaniembe et la prefecture du Zanguebar meridional ; au sud, la mission du Nyassa ; a I'ouest, le vicariat du Tan- ganika occidental. Personnel : i vicaire apostolique, 7 missionnaires, 2 Fr^ies coadjuteurs. CEuvres : 3 stations principales, 5 stations secondaires. — 2 eglises, 10 chapelles. 2 orphelinats ; 260 enfants. 2 hopitaux avec dispensaires. Population catholique : 6.000. V. Vicariat apostolique du Congo sup^:rieur ou Tanganika occidental. En 1880, la Sacree-Congregation avait cr^^ deux nouvelles missions dans la region du Haut-Congo : le Haut-Congo septentrional et le Haut-Congo meridional, confices I'uneet I'autre aux Missionnaires d'Alger. Dans cette division de territoires, la Propagande s'etait inspiree uni- quement des limites naturelles, et non des cir- conscriptions politiques, qui n'existaient pas encore. Apres la Conference de Berlin, il fallut proceder a une nouvelle delimitation. Le roi Leopold, possedant tout le Haut-Congo, demanda naturellement I'erection d'un vicariat apostolique du Congo beige, confie a des missionnaires de nationalite beige. Le decret du 3odecembre 1886 fit droit a cette demande, en reservant seulement aux Mis^ionnaires d'Alger I'extremite sud-est de I'Etat libre et la cote ouest du Tanganika, qui forma le vicariat apostolique du Congo superieur ou du Tanganika occidental. II embrasse tous les pays situes a I'ouest du Tanganika, jusqu'au.x rivieres Luapulaet Lualaba. Voici en quels termes le R. P. Coulbois, pro- vicaire apostolique et superieur de la mission, e.xposait, en 1888, aux Conseils de la Propa- gation de la Foi, la situation religieuse du nouveau vicariat : « A cette heure, la mission compte deux postes desservis par huit missionnaires : I'orphe- linat de Kibanga et le poste de Mpala, station a nous cddee par I'Association Internationale beige. » L'orphelinat de Kibanga est situe par 4°25 de latitude australe, sur la rive occidentale du Tanganika, presque en face d'Oujiji ; pour I'eta- bli-ssetTient de villages chretiens, la position de Kibanga est incomparable. Ce n'est ni I'espoir, ni I'espace qui nous font defaut pour I'avenir de notre oeuvre. » A deux reprises differentes, les chefs du pays nous ont cede spontanement, en presence de nombreux tdmoins et moyennant cadeaux, deux immenses terrains de plusieurs milliers d'hectares de superficie. Le cote materiel de I'cBuvre de nos villages chretiens est done assure. N'etaient les sentiments hostiles des com- merijants arabes, nous n'aurions aucune crainte serieuse pour I'avenir et la stabilite de la mis- sion. » A cette heure meme, 140 enfants sont reunis dans notre orphelinat. lis cultivent pour vivre et nous faire vivre avec eux, car nous sommes a la fois missionnaires, agriculteurs et batisseurs. » A cote des trois villages chretiens, douze autres villages se sont installes sur le territoire de la mission. Les noirs ont ete admis, a la con- dition de n'avoir qu'une femme, de se faire ins- truire et d'ecouter le Pere qui passe chez eux pour les catechiser. Ces pauvres gens viennent chercher chez nous ce qu'ils ne trouvent pas ailleurs : la paix et la securite, car il arrive deja qu'en cherchant le royaume de DiEU, notre mis- sion de Kibanga a re^u le surcroit promis par Notre-Seigneur, c'est-a-dire la paix et une abon- dance relative. Au milieu de ces populations paresseuses, le travail auquel nous astreignons nos noirs leur procure, tout en les rehabilitant et en les gardant du mal, un bien-etre inconnu a leurs voisins : « II fait bon vivre chez les blancs,* disent-ils ; c'est la traduction de ce proverbe de notre moyen-age catholique : « II fait bon vivre sous la crosse. ^ Le venerable superieur de la mission du Tan- LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. 345 ganika occidental continue en ces tennes son inteiessant expose : « La foi est vive chez nos Chretiens. La pkipart assistent chaque matin a la messe, pen- dant laquelle ils recitent devotement leur chapelet. Apres la messe, vient le travail ; il dure de six heures et demie a dix heures et demie, puis le soir de trois heures a six heures. Chaque semaine, trois jours sont donnes aux menages maries pour soigner leurs cultures ; durant les trois autres jours, ils travaillent, moj-ennant salaire, au compte de la mission ; tous ces travaux sont obligatoires. Le travail est une expiation et une rehabilitation, d'apres la loi divine. Sans lui, nous ne ferions jamais rien de natures aussi indo- lentes et aussi sensuelles que celles de nos noirs. Cette paresse naturelle au negre serait, si elle n'etait combattue, un obstacle a une vie serieuse- ment chretienne. » Chaque jour, des catechismes speciaux sont faits aux differentes categories de noirs. A la grand'messe du dimanche, les chretiens et les Frere Geiard. R. P. Vincke. R. I'. Landeau. R. P. Coulbois. R. P. Giraud. Krerc Alaiun. AFRIQUE EQUATORIALE. — Missionnaires de la QUATKifeME caravane, d'apres une photographic. catechumenes entendent une homelie, et le soir, apres le chant du cantique qui tient lieu de vepres, un catechisme en leur langue est fait aux indigenes des environs, qui y assistent toujours en grand nombre. » La plupart de nos chretiens participent aux sacrements de penitence et d'eucharistie tous les quinze jours ; un certain nombre meritent cette faveur tous les dimanches. La foi de ces pauvres noirs est vive et simple ; Taction de la grace de DiEU est visible en eux ; elle se touchedu doigt, si j'ose ainsi parler. » Ces villages forment avec I'orphelinat une population de sept cents ames, catechumenes et chretiens. Notre action sur eux est immediate ; ils sont chez eux et se disent nos enfants. Cet ascendant nous aide a les debarrasser d'une foule de superstitions cruelles et iniques : de I'epreuve judiciaire jjar le poison, par exemple, 6preuve qui est chez les indigenes le pretexte et I'instrument d'une foule d'homicides. » Les indigenes des environs sont aussi I'objet de la soUicitude des missionnaires. lis visitent regulierement ces pauvres gens , les 346 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. soigfiient dans leurs maladies et les instruisent pen a peu. Chez beaucoup, il y a de la bonne volonte, et a la mort, un grand nombre s'en vont avec la grace du bapteme. Deux cent cinquante a peu pres, depuis I'^tablissement de la mission, ont regu, au seuil de I'eternite, la grace de la regeneration. Le chef du pays, Pore, un vieux sorcier qui compte a son avoir beaucoup trop d'homicides, nous est tres favorable. II vient a la mission, ses enfants aussi. lis y trouvent un cate- chisme oral toujours,et de petits presents ensuite. » A soixante-dix lieues au sud, sur la meme rive occidentale du Tanganika, est la station de Mpala, residence de trois de nos Peres. Leur ceuvre est a peu pres la meme que celle de Kibanga, avec cette difference qu'un plus grand nombre d'adultes rachetes de I'esclavage, sont sous Taction immediate des missionnaires. Par centre, I'oeuvre de I'orphelinat n'y a pas re^u une extension aussi considerable qu'ici. » Cette station de Mpala est destinee a etre plus specialement un poste de mission propre- ment dite, c'est-a-dire que les Peres, n'ayant pas le soin, la soUicitude d'un nombreux orphelinat, pourront appliquer tout leur zele a levangelisa- tion des indigenes. Avec la grace de DiEU, et si les circonstances le permettent, la moitie de I'annee, c'est-a-dire la saison seche, sera employee en courses apostoliques. » Les Peres de Mpala font deja des itistruc- tions regulieres dans les villages des environs. Un de ces villages, situe a dix heures de marche de leur residence, est un centre de reunion pour les indigenes, quand la presence du Pere y est signalee. » Je n'ajouterai que quelques lignes a ce rapport interessant, qu'on pent lire tout au long dans les Missions catholiqiies (tome XX, annee 1888). On a vu plus haut que I'hostilite des negriers arabes est le seul obstacle serieux que redoutent les missionnaires. C'est qu'en effet, la est le grand danger des missions de I'Afrique equa- toriale. C'est pour y obvier, en partie, que le cardinal Lavigerie a annexe a son ceuvre de Missiormaires des auxiliaires lai'ques. Deja le commandant Joubert a mis en 6tat de defense le poste de Mpala, ancien fortin eleve d'abord par les officiers de TAssociation internationale beige, et cede pareux aux Missionnaires d Alger. On comprend de quel interet il est, pour la civilisation et I'avenir de I'Afrique equatoriale, de defendre contre les convoitises des negriers arabes des populations paisibles et laborieuses qui ne demandent qu'a s'initier aux habitudes de la vie chretienne. Dans ce ministere de protection, les missionnaires ont couru, a plusieurs reprises, de veritables dangers. En 1888, la station de Kibanga fut cernee pendant trois jours par les esclavagistes. Sans I'intrepidite et le devouement du P. Vyncke, ancien zouave pontifical, la mission du Tanganika occidental aurait eu a enregistrer une catastrophe de plus, Situation religieiise du vicariat au i" Janvier i8g6 : Personnel : i administrateurapostolique, 9 missionnaires d'Alger. Qluvres : 3 stations avec residences. — 4 chretientes primaiies, II chretientes secondaires, 3 chapelles. 4 orphelinats : 460 gargons et 80 filles. Population catholique baptisee : 1.500, sans compter un plus grand nombre de catechum^nes. VI. — Vicariat apostolique de L'OUNYANIEMB^. Le vicariat apostolique de i'Ounyaniemb^, erige en 1886, est place entre le Victoria Nyanza et le Tanganika. Des 188 1, les Peres du Tanga- nika, dont relevait la contree, avaient fonde une station dans la ville de Tabora. Comme a Zanzi- bar, il n'y avait rien a faire au milieu de popula- tions islamisees. Les missionnaires se bornerent a ouvrir un orphelinat pour les enfants rachetds de I'esclavage. Afin d'etre plus libres, ils trans- porterent bientot leur etablissement a Saint- Joseph de Kipalapala, a deux lieues de Tabora. En quelques annees, la maison prit de grands developpements, et devint bien vite, comme Bagamoyo, un etablissement modele. Je puis apporter ici le temoignage, tres loyal et tres desinteresse, d'un protestant, le major Wissmann, chef du corps d'occupation allemand. A pres avoir visite en detail I'orphelinat de Kipalapala, comparant I'oeuvre des missionnaires catholiques a celle de ses coreligionnaires, il parle en termes tres severes des missionnaires protestants, anglais et allemands, leur reprochant de n'etre que des agents politiques qui troublent le pays, alors que les pretres catholiques, qui sont infatigables et pleins d'abnegation, contribuent puissamment a propager I'influence chretienne, la civilisation et la moralite ; il conclut en ces termes : « II faut croire que le systeme des pr(^tres catholiques est le meilleur, car les resultats obte- nus parlent en leur faveur. » Violemment attaque, a cette occasion, par tous les journaux protestants, le major Wissmann a maintenu ses affirmations, en les accentuant, dans sa rdponse au journal la Post : « Au point de vue de la civilisation de I'Afrique orientale, la mission catholique est, sans nul doute, de beaucoup superieure. La discipline de I'Eglise catholique est, selon moi, la cause prin- cipal du succes de ses missions. Les mission- naires catholiques partent sans esprit de retour ; ils ne sont que tres rarement rapatries pour raison de sante ; en outre, les ceremonies du culte de I'Eglise romaine impressionnent le sauvage bien plus vivement que la simplicite du culte evangelique. Voila qui contribue puissam- ment a faire reussir les missions romaines. » Au reproche que les protestants font aux mis- sionnaires catholiques d'encourager la traite en rachetant des enfants, le major repond : « lis font une bonne action, quand on songe a ce que deviendraient ces enfants arrach^s k leur LES MISSIONS DE L'AFRIQUE CENTRALE, 1800-1890. 347 pays et a leurs parents. Par la, la mission parvient a former, a elever des generations utiles. Je ne connais pas de missions evangcliques, dans I'Afrique equatoriale de Test, obtenant de pareils resultats. Alors meme que les missionnaires evangel iques payent les parents pour avoir les enfants, afin de les instruire, ne fut-ce que quel- ques heures par jour, ils le font-en pure perte. Je sais que tous ceux qui connaissent I'Afrique, negociants, explorateurs, soldats, Allemands, Anglais, sont d'accord avec moi sur tous ces points. » En 1 886, I'orphelinat de Kipalapala comptait deja 140 enfants, completement transformcs par la religion. Pour soustraire leurs jeunes pupilles a I'influence demoralisante de I'lslam, les mis- sionnaires se preparaient a reunir les plus grands en villages Chretiens, en les etablissant dans les Etats de Mirambo, prince paien, tres hostile aux evangelistes, et qui se montrait tres bien dispose envers la mission catholique. La revoke des Arabes du Zanguebar vint, pour quelque temps, remettre tout en question. La mission de I'Ounyaniembe, etant comprise tout entiere dans le territoire des recentes annexions allemandes, a subi naturellement le contre-coup de la revolte de Bushiri. Apres avoir essaye inutilement de tenir tete a I'orage, les Peres furent forces de se refugier, avec 65 de leurs enfants, dans la mission voisine du Victoria Nyanza. lis ont pu heureusement sauver la plus grande partie du materiel de la mission. Des que les Allemands eurent pacific le pays et mis les negriers arabes a la raison, la mission de I'Ounya- niembe reprit un vigoureux essor. Situation religieuse du vicariat en iSgo. Personnel : i administrateur apostolique, 6 mission- naires. CEuvres : 2 stations, 2 chapelles. 2 orphelinats : 120 enfants. Population catholique actuelle : 200 ames, sans compter les catdchum^nes. VII. — Provicariat apostolique DU LAC NVASSA. La mission du lac Nyassa a ete fondle au mois dejuin 1889. Elle comprend les territoires por- tugais des environs du Nyassa et du Chire, affluent du Zambeze, et a pour limites : au nord, la ligne qui separe les possessions allemandes du Zanguebar du territoire portugais ; a Test, le 36° de longitude orientale ; au sud, la mission du Zambeze; a I'ouest, elle s'etend le long du 15° de latitude australe jusqu'aux missions du Tan- ganika. C'est la necessite de trouver un moyen facile de communiquer avec les missions des Grands- Lacs qui a conduit le cardinal Lavigerie a demander I'erection de cette nouvelle mission. La route equatoriale par Bagamoyo et le Zan- guebar est tres longue, tres fatigante, tres coii- teuse et, pour le moment, completement fermee par la revolte des Arabes. En etablissant une mission au confluent du lac Nyassa et du Chir^, le voyage devient beaucoup plus facile. Les missionnaires n'auront plus qu'a remonter le Zambeze et le Chire, sur le petit bateau a vapeur qui appartient aux Jesuites du Zambeze ; arrives au Nyassa, ils n'ont plus qu'une route courte, et relativeinent facile, pour se rendre dans leurs missions respectives. Par un accord conclu au mois de mars 1889, entre le cardinal Lavigerie, agissant comme delegue de la Propagande, et le Portugal, les Missionnaires d'Alger sont autorises a s'etablir dans le bassin du Nyassa et du Chire, a la con- dition de reconnaitre les droits de patronage du Portugal, fjui, en ^change, accorde a la nouvelle mission une subvention annuelle de 20.OCO francs, et promet d'assurer, dans tout son territoire, la securite des missionnaires. Cet acte important, qui ouvre aux missions de I'Afrique equatoriale une voie nouvelle et facilite leurs communications avec I'Europe, est digne de la nation Tres Fidele, et temoigne hautement qu'elle a repudi6 les erreurs du dernier siecle. Que DiEU, qui ne se laisse jamais vaincre en generosite, rende au centuple a ce petit peuple catholique le bien qu'il a fait a la predication evangelique, et lui per- mette de revoir les glorieux jours du passe ! Situation actuelle de la mission du Nyassa. Personnel : i provicaire apostolique, 4 missionnaires. CEuvres : i station h M'ponda, i chapelle. Le nombre des catholiquesest inconnu. jiiixi:iiiijijriTTTTTTi:iij-ijji:[rijiiii]fiiiiiir;iiixiiiiiii]^iiiiJi]rriTiTiT::iiiiiii,-Ljiiiiii':_iiiiiii] L'AFRIQUE INSULAIRE 1800-1890. 3:iroTrTTTTirrrririTi:iiriiiiriiiiiii]ririiiiixirii3iiT:a:iixixn:rTTrTii aTi.iiiiiii]:iiTiTiE 11 Pip^^^^p^^p^^:^^:^^^^^^; U point de vue de I'apostolat, 'Afrique insulaire se partage naturellement en deux groupes : les lies de I'Ocean Atlantique et celles de I'Ocean Indien. MISSIONS DES ILES DE L'ATLANTIQUE. LE plus grand nombre de ces iles, qui appar- tiennent au Portugal ou a I'Espagne, ont ete evangelisees et hierarchisees depuis long- temps ; n'etant plus considerees comme pays de missions, elles sent mentionnees ici simplement pour memoire, afin de donner un tableau complet du catholicisme africain. Iles A(;:ores. — Avechc d' Angra. Toutaunord des cotes du Maroc, on rencontre d'abord dans I'Atlantique le groupe des Acores, connues des anciens sous le nom A' lies Fortunees. C'est la que la mythologie grecque pla9ait les bornes du monde et le sejour des Bienheureux. Decouvertes a nouveau par les Portugais, au XV<= siecle, elles furent longtemps la premiere etape des navigateurs assez hardis pour affronter les terreurs de la Mer ti'nSretcse. L'eveche d'An- gra, erige en 1533, et suffragant de Lisbonne, compte 270.000 catholiques, toute la population de I'archipel. Depuis trois siecles, la contree est entierement convertie ; les paroisses, eglises, ecoles, en un mot I'organisation religieuse de ce beau pays, ressemble a celle d'un diocese de r Europe. Madere. — Aviche de Fnnchal. II faut dire la meme chose de Madere, dont I'evechf^ de Funchal , erige en 1514, compte 132.000 catholiques, toute la population de I'ile. Le siege de Funchal releve de I'archidiocese de Lisbonne. Iles Canarie.s. hvcchcs de Saint-Chrisiophe et de Pal ma. Au Sud de Madere, on trouve Tarchijiel des Canaries. Ces iles appartiennent a I'Espagne et possedent deux sieges episcopaux relevant de Seville : Saint-Christophe, dans I'ile de Sainte- Croix, et Palma, dans la Grande Canarie. C'est en 1406 que le pape Innocent VII erigea un premier siege episcopal aux. Canaries. A partir de cette ^poque, des legions de religieux, venus d'Espagne, s'appliquerent avec ardeur a la con- version des feroces tribus des Giianckes, et ils reussirent a transformer completement ces bar- bares. Aujourd'hui la population entiere de I'archipel, population qui depasse 300.000 ames, est catholique. Dans ces dernieres annees, I'Espagne a montr6 certaines velleites d'etendre son influence sur la cote voisine du Maroc. On ne peut que faire des vceux pour que cette influence s'etablisse et rayonne au milieu des hordes fanatiques de I'lslam. Ce sera tout profit pour le christianisme et la civilisation. Depuis longtemps I'Espagne, on peut le dire, a fait ses preuves a cet egard. Iles du Cap-Vert. — Avcchi! de Sanlago. A la hauteur de la Senegambie, on rencontre les iles du Cap- Vert, qui appartiennent au Por- tugal, ainsi que plusieurs comptoirs enclaves dans notre colonie du Senegal, sur le continent. Sous le rapport religieux, ces possessions conti- nentales, ainsi que I'archipel, relevent de l'eveche de San-Iago; mais, depuis 1871, les catholiques residant sur la cote sont restes sans pretres de leur nation. Les missionnaires voisins du Sene- gal, deja surcharges dans leur propre juridiction, n'ont pu les visiter qu'en passant. Les 107.000 catholiques de I'archipel souffrent cruellement, eux aussi, de la disette de pretres. Le recrute- ment du clerge indigene est notoirement insufli- sant, et ces pretres auraient besoin d'etre renforces et diriges par I'elcment europeen, qui fait presque completement defaut. A quoi tient une pareille penurie de pretres L'AFRIQUE INSULAIRE, 1800-1890. 349 dans la plupart des colonies du roj"aume Tres Fidele? A la loi revolutionnaire de 1834, qui, en proscrivant les Ordres religieux.a tari les sources de rapostolat, au grand detriment de I'influence politique du Portugal. Seules, en effet, de grandes families religieuses peuvent assurer le recrute- ment period ique de missions situees dans un paj's malsain, loin de la mere-patrie, et depourvues de tout ce qui pent attirer la nature. Le Portugal a meconnu cettegrande loi ; il en porte aujourd'hui le chatiment dans ses colonies, qui, privees de Taction civilisatrice du sacerdoce, languissent un peu partout dans le marasme de Tindifference religieuse. ILES du SOLFE de GUINIlE. Evcche de Saii-Toiiic. Les memes observations s'appliquent aux iles du golfe de Guinee, decouvertes et colonisees par les Portugais, des la fin du XV^ siecle. L'eveche de San-Tome, suffragant de Lisbonne, compte environ 21.000 catholiques, presque toute la popu- lation de ces iles ; mais la decadence religieuse s'y accuse d'une maniere lamentable. Dans la ville de Principe, capitale de la colonie, deux eglises sur cinq sent en ruines, et les trois autres, nues et delabrees, offrent une image trop fidele de I'etat des ames. Le clerge, compose presque exclusivement de noirs, est incapable de soutenir dans la colonie I'honneur du catho- licisme. Prefecture apostolique de Fernando-Poo. Les iles espagnoles de Fernando-Poo et d'An- nobon ferment, au fond du golfe de Guinee, une prefecture apostolique, qui fut erigee en 1855, a la demande de la reine Isabelle. Apres avoir ete dirigee pendant deux ans par des pretres secu- liers, elle fut confiee a la Compagnie de Jesus, qui y travailla avec fruit pendant une douzaine d'annees. Avec leur zele accoutume les RR. PP. Jesuites s'appliquerent a civiliser les indigenes, dont le marquis de Compiegne, explorateur fran- ^ais, nous fait ce portrait peu flatteur : « Les Boiibis sont des hommes extremement laids, vivant constamment au milieu des brous- sailles, dans un etat presque complet de nudite ! Ce sont peut-etre les sauvages ies plus degrades de I'Afrique... Sans cesse, dans les montagnes, dans les lieux les plus incultes, les Jesuites demeuraient des mois entiers au milieu de ces indigenes, qu'ils traitaient avec une douceur evangelique. lis etaient arrives a comprendre eta parler parfaitement leur langue, qui cependant presente, parait-il, des difficult^s presque insur- montables pour les Europeens (i). » M. de Compiegne s'exprime au passe : c'est qu'en effet, au moment ou il ecrivait, la mission des Jesuites n'existait plus. Au iendemain de la revolution qui renversa Isabelle du trone, les I. Compiegne, LAfiique iqualotiaU. libres-penseurs, momentanement maitres de I'Espagne, trouverent patriotique et urgent d'en- lever aux noirs de Fernando-Poo leurs instruc- teurs spirituels. Des Jesuites se permettant, malgr6 la loi, de se consumer de travaux et d'aller mourir dans une contree malsaine, pour civiliser de pauvres sauvages et donner de nou- veaux sujets a I'Espagne, il y avait la un abus intolerable, qu'une republique eclairee et liberale ne devait pas supporter plus longtemps. La mis- sion des Boiibis demeura done interrompue, et il ne resta dans la colonie qu'un seul pretres^culier, pour le service des Europeens que la revolution exila dans ce pays malsain, un des plus redoutes de I'Afrique, puisque I'ile Fernando-Poo a regu, a cause de son climat, le nom significatif 6.'ile de la Mart. Heureusement, en 1883, sous la monarcliie restauree d'Alphonse XII, la prefecture aposto- lique fut retablie, et la Congregation espagnole des Enfants du Cceur-Immacule de Marie, qui en fut chargee, reprit avec ardeur I'ceuvre d'evange- lisation des noirs. Voici la situation actuelle de la mission : La prefecture apostolique comprend les iles Fernando-Poo, Annobon, Corisco, Elobey, et le cap Saint-Jean, sur le continent. La population totale est de 38.200 habitants, sur lesquels 2.832 catholiques. Personnel : i pre'fet apostolique, en residence k Santa- Isabel ("Fernando Poo), 23 niissionnaires pretres et 27 Frc-res coadjiiteurs, de la Congregation du Cosur-Imma- ciile de Marie. FiUes de I'Immaculee- Conception : 11 Sceiirs. CEuvres : 8 stations avec residences : Santa-Isabel, Banapa, San-Carlos, Conception, Corisco, Elobey, Anno- bon, .San-Juan. 8 autres missions, 6 eglises, 3 chapelles, I college, gargons : 52 dl&ves. i pensionnat, filles : 45 elfeves. 9 ecoles primaires : 15S gar(;ons, 47 filles. Au total, 300 enfants dans les e'coles de la mission. ILE de SAINTE-HiiLfiNE. L'iie de Sainte-Helene, perdue en plein Ocean Atlantique, restera celebre par la captivite et la morl de Napoleon L"". Elle appartient a I'Angle- terre. Sous le rapport religieux, elle fut rattachee d'abord au vicariat apostolique de Maurice, puis a celui du Cap. Depuis 1878, elle fait partie de la prefecture apostolique du Cap central. MISSIONS DES ILES DE LA MER DES INDES. DAns rOcean Indien, il n'y a que l'eveche de la Reunion qui ne releve pas de la Pro[3agande : Matirice, Madagascar, les petites iles Malgaches, les Seychelles sont encore consi- derees comme pays de missions. Ile de la 'KtM-iAXQV^ , h'cclu< de Saint-Denis. L'eveche de Saint-Denis de la Reunion, suffra- gant de Bordeaux, fut erige en 185 1. Auparavant 350 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. la Reunion, comme toutes nos autres colonies, etait dirigee au spirituel par un simple prefet apostolique. La Reunion, ancienne iie Bourbon, plus heu- reuse que la plupart de nos colonies, echappa aux orages de la grande Revolution et a la persecu- tion religieuse, grace a I'energie du parti conser- vateur, dirige par le comte de Villeie, le futur ministre de la Restauration. Dans les desseins de la Providence, il semble que cette ile etait appelee a dsvenir un des facteurs principaux de I'apos- tolat de I'Afrique orientale. On a vu que c'est a Mgr Maupoint, un de ses eveques, qu'est due la creation de la mission du Zanguebar. Auparavant, M. Dalmond, un de ses pretres, avait porte I'Evan- gile a Madagascar et dans les iles Malgaches ; c'est encore a Bourbon que s'ouvrit, sous la direc- tion des Jesuites, le premier college catholique pour I'education des jeunes Malgaches et la for- mation de catechistes indigenes dans la grande ile ; enfin, la Congregation Creole des Filles de Marie, etablie a Bourbon, en 1850, envoie, chaque annee, des centaines de Sceurs dans les missions voisines. Aux derniers recensements, la pofjula- tion totale de la Reunion et de I'ile Sainte-Marie, rattachee en 1887 au diocese de Saint-Denis, etait de 169.000 habitants, presque tous catho- liques. En 18S5, le diocese de Saint-Denis comptait : I eveque, y^ pretres, 52 eglises paroissiales, 15 a 20 chapelles, plusieurs Congregations religieu- ses : les Peres du Saint-Esprit, les Freres des Ecoles chretiennes (14 maisons), les Sceurs de Saint-Vincent-de-Paul (2 maisons), les Sceurs de Saint-Joseph de Cluny (28 maisons), les Filles de Marie (10 maisons). Les Jesuites ont ete expulses, en application des decrets de 1881. Ile Maurice. — Evcch^ de Port-Louis. Au nord-est de la Reunion, on trouve, dans rOcean Indien, I'ile Maurice, ancienne ile de France, le plus beau fleuron de la Compagnie des Indes orientales, jusqu'au jour oil I'Angle- terre, profitant habilement de nos discordes civiles et des longues guerres de 1' Empire, nous enleva cette colonic, avec I'ile Rodrigue et les Seychelles. Ces lies furent definitivement acquises a la Grande-Bretagne par les traites de 1815. Ce changement de gouvernement fut fatal aux interets catholiques L'aprete des haines protes- tantes, qui commen^aient alors a s'adoucir dans la metropole, semble s'etre reportee, a cette epoque, dans les colonies britanniques, d'autant que les considerations politiques contribuaient a les rendre plus vives. II s'agissait pour I'Angle- terre de decatholiciser a tout prix ses nouvelles colonies, afin de s'assimiler plus facilement ses nouveaux sujets. Le gouvernement britannique etant dans ces dispositions, on comprend que les sept mille Mauriciens, demeures Frangais de coeur, mais gangrenes, helas ! par le voltairianisme et les id^es du XVIIP siecle, lui parurent une proie facile a seduire ; mais. en les amenant a renier la vieille foi nationale, I'Angleterre comptait bien leur faire abjurer avec le catholicisme Famour de la patrie frangaise. Rien ne fut epargne pour obtenir ce double resultat : violente pression administrative, positions brillantes assurees aux apostats, menaces et vexations de toute nature contre les catholiques demeuri^s fideles a I'an- cienne foi, exclusion de tous les emplois publics, enseignement protestant pendant longtemps obligatoire dans les ecoles, expulsion sans juge- ment de missionnaires catholiques, entraves continuelles apportees au ministere des autres, installation a Maurice d'un eveque anglican et de nombreux clergymen richement payes : pen- dant des annees, tous ces moyens,les uns violents, les autres odieux, furent mis en oeuvre pour amener les catholiques a I'apostasie. Mais ces mesures ^chouerent miserablement, et produi- sirent meme, a la longue, une reaction franche- ment catholique parmi la population. En i860, le secretaire des missions de Londres, apres une tournee d'inspection a Maurice, ecrivait au retour : « II faut reconnaitre que tous les progres sont du cote de I'Eglise catholique romaine (i), » Avant la Revolution frangaise, I'ile de France, comme Bourbon, relevait au spirituel d'un vicaire general de I'archeveque de Paris, qui prenait soin d'y entretenir un nombre suffisant de pretres, en sorte que toute la population de I'ile, composee d'environ quatre-vingt mille habitants, dont sept a huit mille seulement d'origine europeenne, pro- fessait le catholicisme, a tres peu d'e.Kceptions pres. Cette organisation religieuse fut entierement brisee par les bouleversements de la fin du der- nier siecle, et quand les Anglais arriverent en 1 8 10 a I'ile de France, il n'y avait plus, pour assurer le service du culte, qu'une dizaine de vieu.x- pretres sans liens herarchiques. En 1819, la Sacree-Congregation erigea Maurice en vicariat apostolique, avec juridiction sur I'ile Sainte- Helene, le Cap, Madagascar, les petites iles Malgaches, les Amirantes, les Seychelles et la Nouvelie-Hollande : cent soixante degres de longitude, la moitie du globe, et, pour desservir cet immense territoire, huit a dix pretres ages et infirmes ! Graduellement I'etendue du vicariat fut rame- nee a des proportions raisonnables. En 1829, Madagascar et les iles Malgaches furent ratta- chees a la prefecture apostolique de Bourbon ; en 1834, 1'Australie, ou Nouvelie-Hollande, forma un vicariat distinct ; en 1837, fut erige le vicariat du Cap, auquel on rattacha, un peu plus tard, I'ile Sainte-Helene ; enfin, en 1852, les Seychelles, et, en 1854, les Amirantes furent detachees a I. Rev. Freeman, Un lour en Afiique. L'AFRIQUE INSULAIRE, 1800-1890. 351 leur tour de Maurice et formerent d'abord une prefecture, puis un vicariat particulier. Grace a ces divers demembrements, le vicariat de Maurice, eleve en 1847 a la dignite d'eveche relevant directement du Saint-Siege, demeura fixe aux limites actuelles, comprenant les iles Maurice, Rodrigue, Diego Garcia et Chagos, toutes quatre a I'Angleterre. La population est de 360.000 habitants, sur lesquels 1 10.000 catho- liques, lO.OOO protestants, appartenant presque tous a I'administration et au haut commerce. Le reste de la population, soit 240000 paiens, se compose d'un petit nombre de noirs restes fetichistes, et de nombreux coolies hindous et chinois, engages pour travailler sur les planta- tions. En emancipant, en 1838, tous les noirs de Maurice, I'Angleterre, qui a toujours montre un zele tres louable pour I'abolition de I'esclavage, mais qui n'oublie pas pour cela ses propres interets, a substitue a la traite un systeme d'en- gagements plus ou moins volontaires, operes trop souvent, il faut bien le reconnaitre, en violation de toutes les lois naturelles. C'est ainsi que, dans la seule annee 1844, 20.000 coolies furent transportes a Maurice, sans que I'admi- nistration ait songe, par une immigration propor- tionnelle de femmes, a retablir I'equilibre. Le nombre toujours croissant de ces immigrants est devenu a la fin un danger pour la moralite publique : c'est pourquoi le clerge catholique de Maurice a du s'occuper de pourvoir aux neces- sites spirituelles de ces milliers de paiens, jetes annuellement dans I'ile. La Compagnie de Jesus, sous la direction de I'eveque, s'est appliquee a cette tache ingrate, dans laquelle elle est secondee par une pieuse association formee parmi les meilleures families de I'ile. Quant aux noirs, presque tous professent le catholicisme, grace au zele d'un saint pretre, un second Pierre Claver, le R. P. Laval, de la Congregation du Saint- Esprit et du Saint-Coeur de Marie, qui, pendant plus d'un demi-siecle, s'est fait leur apotre a Maurice, oil sa memoire est encore en bene- diction. Les descendants des anciens colons frangais ont secoue, eux aussi, leur indifference religieuse et sont revenus, en majorite, a la foi et aux pra- tiques du catholicisme. Les persecutions des protestants n'ont pas ete sans influer sur ce resultat. Opprimes dans leur religion et dans leur nationalite, les colons de I'ancienne He de France ont reagi vigoureusement, et, chez plus d'un, le patriotisme a reveille la vieille foi du pays ; ce qui arrachait, il y a quelques annees,a I'eveque anglican de Maurice ce cri de mauvaise humeur : « Qu'on n'oublie pas que je suis ici le representant de I'Eglise d'Angleterre, en face de I'arrogance et des erreurs de I'Eglise de Rome ! » Au fond, on ne voit pas bien de quoi pent se plaindre I'Eglise officielle. Malgre le petit nombre de ses adherents, elle a les faveurs de I'adminis- tration et un budget superieur a celui des catho- liques, qui sont pourtant dix fois plus nombreux que les protestants. Si ses splendides cathedrales sont vides, si le nombre des eleves diminue an- nuellement dans ses ecoles, si son influence ne s'etend guere au-dela du cercle etroit du monde officiel, elle ne peut s'en prendre qu'a elle-ineme. Le pouvoir civil ne lui a pas menage son appui. P^Ue a les honneurs et I'argent ; qu'elle s'en con- tente, et nous laisse les ames ! Situation religieuse du diocese de Port-Louis en i8go. Personnel : I eveque. — 45 pretres, dont 20 reguliers. Communautes religieuses d'honimes: Jesuites, 8 pretres, 2 Freres coadjiiteurs. — Peres du Saint-Ebprit : 12 pretres, I Fr^re coadiuteur. — Freres des Ecoles chreiiennes : 1 maison, 14 Fr^ies. Communautes de feiimes : Sosurs de N-D. de Lorette, 2 maisons, 20 Soeurs. — Sceurs de la B. V. de Perpetuel Secours, 18 maisons, 90 Sceurs. — Filles de Marie (Bour- bon), 8 maisons. 50 Soeurs. — Soeurs de Marie Reparatrice, I niaison, 16 Sceurs. Total, 29 maisons et 176 religieuses. Qiuvres : 27 paroisses a Maurice, 2 dans I'ile Rodrigue, — 28 missions, I e'glise calhedrale, 27eglises paroissiales, 67 chapelles. — i college. — Semmaire k Port- Louis. — I instiiut commercial (Freres des Ecoles chreiiennes), 200 eleves ; log ecoles de paroisses, 8.668 enfants. — 4 hopitaux. — 9 creches, enfants trouves. — 3 orphelinats. — 8 maisons d'enseignement professionnel pour les enfants pauvres. Vicariat apostolique de Madagascar. Les Dominicains et les Jesuites du Mozam- bique furent, au x\e siecle, les premiers apotres de Madagascar ; mais leur action ne fut que pas- sagere et finit avec la prepondance du Portugal dans rOcean Indien. Au commencement du XVU« siecle, les Fran^ais occiiperent le nord de Pile et s'installerent a Fort Dauphin. Le genie de Richelieu avait devine tout le parti que notre pays pourrait tirer d'un etablissement de cette importance dans la mer des Indes, a proximite de la cote orientale d'Afrique. II encouragea les colons a venir s'etablir dans la France Orientale, et saint Vincent de Paul I'aida beaucoup, en en- voyant a Madagascar plusieurs pretres de la Mission, pour assister les Europeens et com- mencer I'evangelisation des Malgaches. Leurs travaux allaient ctre couronnes de succes, quand I'instabilite de notre politique coloniale, et aussi, il faut bien le dire, les exces des aventuriers qu'on avait envoj'es dans ce pays, provoquerent la haine des indigenes et amenerent, au bout d'un demi-siecle, I'cvacuation de Madagascar et la ruine de la mission catholique, trop faible en- core pour pouvoir se maintenir apres le depart des Francais. Les choses demeurerent en cet etat jusqu'au commencement du XIX'' siecle. L'Ancleterre s etant emparee de toutes nos colonies de la mer des Indes, a I'exception de Bourbon, sir Robert Farquhar, gouverneur de Maurice, revendiqua, en 1818, Madagascar comme une dependance de I'ancienne He de France. La pretention, il faut 352 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. I'avouer, ^tait un peu forte. Le gouvernement de la Restauration, soucieux de faire respecter les droits de notre pays, s'y opposa formellernent, et le cabinet britannique fut force de reconnaitre nos droits exclusifs sur Madagascar. C'etait tout ce qu'on pouvait faire a cette epoque. Au sortir des longues guerres de I'Empire, la France manquait de bras ; I'heure de rexpan.sion coloniale n'avait pas encore sonne pour elle. II n'y avait qu'a reserver I'avenir. Battue sur le terrain diplomatique, la Grande- Bretagne prit sa revanche sur le terrain religieux. Des 1820, elle inonda Madagascar de ses predi- cants, agents politiques autant et plus que mis- sionnaires. Nous ne pouvions alors entrer en lice avec elle, car, au sortir de la grande Revolution, les hommes et les ressources faisaient egalement defaut a I'apostolat. Ouand les premiers mission- naires catholiques pdn^trerent, vers i860, dans la grande ile, ils trouverent la place occupee par des methodistes, et Madagascar ayant une religion d'Etat. La lutte politico-religieuse entre le protes- tantisme anglais et le catholicisme, representant de la France, a rempli I'histoire des trente der- nieres ann^es a Madagascar, et seule elle peut expliquer I'aprete des haines qui accueillirent le catholicisme a son arrivee dans la grande ile africaine. Plusieurs tribus de races et de iiationalites differentes se partagent le sol de Madagascar. Les principales sont les Sakalaves sur la cote occi- dentale, les Betsileos, au sucl de I'lle, les Hovas, au centre. Ethnologiquement, ces derniers sem- blent appartenir a la race malaise, et on les croit originaires des iles de la Sonde. Ouoi qu'il en soit, dans le cours du dernier siecle, les Hovas commencerent a prendre la pre- dominance sur toutes les tribus indigenes, dont les populations leur sont certainement inferieures en intelligence et en civilisation. En i8i3,Radama L'' monta sur le trone. Ce prince, que les Hovas ont surnomme le Grand, etait ami du progres. II comprit bien vite de quel secours serait pour ses projets d'unification le concours des envoy^s de la Societe biblique ; aussi les accueillit-il parfaite- ment, et, a partir de 1820, les methodistes domi- nerent a la cour de Tananarive et firent prevaloir avec eux linfluence britannique. Bien qu'ils repoussent avec horreur toute inge- rence de I'Etat et se proclament eux-memes independants, les methodistes de Madagascar jugerent utile, pourarrivera leurs fins, de donner une entorse a leurs principes, et de copier I'orga- nisation de I'Eglise officielle d'Angleterre. En consequence, le roi malgache fut declare chef de la nouvelle Eglise, et les missionnaires, a la fois conseillers politiques, instructeurs militaires et marchands.ne tarderent pas a faire de Madagascar une sortede fieftheocratique, entierement soumis au cabinet britannique. C'etait un moyen detourne de s'emparer d'un pays dont le protectorat appar- tenait a la France. * Le long regne de Ranavalona L'^, veuve de Radama I"" (id2i-i86i), fut une epoque de reaction violente contre le christianisme et I'in- fluence europeenne. Les Anglais et les Fran9ais se virent egalement tenus a I'ecart par cette bar- bare de genie, qui voulait s'affranchir de tout joug etranger et qui avait prise pour devise : « Mada- gascar aux Hovas. » Elle soumit les Betsileos du sud, et reussit presqu'a faire de Madagascar un grand Etat hova; car, a I'exception des Sakalaves de I'ouest, quise mirent, vers 1840, sous le protec- torat de la France, elle reunit sous son sceptre toutes les tribus de I'interieur. C'est sous le regne de Ranavalona P^ que le catholicisme fit ses premieres tentatives pour ren- trer a Madagascar. Le gouvernement francais, pour affirmer ses droits sur le pays, avait demande a Rome que les lies Malgaches fussent detachees du vicariat apostolique de Maurice et rattachees a la prefecture de Bourbon. La Sacree-Congre- gation ayant fait droit a cette demande en 1829, un des saints pretres de Bourbon, I'abbe Dalmond, ame vraiment apostolique, se consacra toutentier a cette oeuvre. II penetra, en 1836, dans I'ile Sainte-Marie, sur la cote orientale de Madagascar, et convertit presque toute la population, alors com- posee d'environ six mille ames. II passa ensuite a Nossi-Be, sur la cote occidentale, ou il etablit aussi une fiorissantechretiente. II essaya enfin, sans y parvenir, de penetrer dans la grande lie, dont la population, ecrivait-il en 1845, lui parais- sait adiTiirablement disposee a recevoir la predi- cation evangelique. Repousse par I'altiere souve- raine des Hovas, le saint pretre revint mourir sur les rivages brulants de Sainte-Marie, qui avait eu les premices de son apostolat (1848). La Pro- pagande venait de le nommer vicaire apostolique de Madagascar ; mais les bulles n'arriverent qu'apres sa mort. II eut pour successeur un autre pretre de Bourbon, Mgr Mounet, qui mourut en 1849, quelques mois apres son sacre. C'est alors que la mission de Madagascar fut confiee a la Compagnie de Jesus. Le R. P. Jouen en fut le premier superieur (1850-1871), avec le litre de prefet par interim. Les Jesuites etaient charges en meme temps des petites iles Malga- ches, Sainte-Marie, Nossi-Be et Mayotte, qui for- maient des lors une prefecture apostolique dis- tincte. En 1878, la Compagnie de Jesus, voulant concentrer ses efforts sur Madagascar, demanda a etre dechargee de cette seconde mission, qui fut donneeaux Peres du Saint-Esprit. Tant que vecut Ranavalona I'^, Madagascar resta fermee a la predication. Cependant, en 1855, un Perejesuite put monter a Tananarive et y sejourner quelque temps en qualite de medecin, grace au pieux stratageme de notre consul, M. Laborde, homme tout devoue a la mission. Le prince Rakoto, fils de la reine et son heri- L'AFRIQUE INSULAIRE, 1800-1890. 353 tier presomptif, etait dans le secret, at, plus d'une fois, il viiit chez M. Laborde assister a huis clos a la messe que le pretre celebrait la nuit. Vo}-ant qu'il n'y avait rien a faire pour le moment, mais que les bonnes dispositions du prince heritier per- mettaient de concevoir pour I'avenir des espe- rances serieuses, les Jesuites ouvrirent a la Res- source (Bourbon) un vaste etablissement scolaire, oil ils parvinrenta recueillir, au bout de quclques annees, plusieurs centaines d'enfants malgaches, appartenant aux meilleures families de Mada- gascar. C'etait le noyau de la future chrdtiente. Ranavalona mourut le i6 aout iS6i. Son fils Rakoto, proclame roi sous le nom de Radama II, ouvrit aussitot Madagascar aux missionnaires. Les methodistes reparurent a la cour, mais, cette fois, ils n'etaient plus seuls ; ils trouvaient en face d'eux les missionnaires catholiques, et une lutte ardente allait s'engager entre I'erreur et la verite. Toutes les sympathies de Radama allaient aux catholiques. Trois mois apres son avenement, le jeune prince ecrivait a Pie IX : « Tres Saint Pere, je n'ai qu'un d^sir, c'est de voir mon peuple heureux et civilise. J'ai pense que le plus sur mo}'en d'atteindre ce but, c'etait de le faire instruire dans la religion chretienne. J'ai done appele des missionnaires et je les ai autorises a enseigner par tout mon royaume... Tres Saint Pere, je suis un roi tout jeune encore, etsans une longue experience ; j'ai grandement besoin d'etre aid6 pour remplir dignement la haute mission que DiEU m'a confiee. J'ose compter sur les benedictions de Votre Saintete, et je les lui demande avec tout le respect et toute I'afifection d'un fils pour son pere. » Les J(^suites, 6tablis dans la capitale et sur plusieurs points de I'ile, compterent bientot plu- sieurs milliers de cat^chumenes et pres de huit cents eleves dans leurs ecoles, parmi lesquels le prince Raphael Ratahiry, fils de Radama et heritier presomptif. « A Tananarive, Ecrivait des 1862 le P. Jouen, notre modeste chapelle ne suffit plus a la foule qui s'y presse chaque dimanche pour assister a la messe, entendre les instructions ou le catechisme. II nous faudrait aujourd'hui une eglise capable de contenir deux ou trois mille personnes. Tel est le progres de la religion catholique au sein de cette capitale, qu'elle compte actuellement deux resi- dences, six missionnaires pretres, cinq Freres coadjuteurs, trois Soeurs de Saint-Joseph, deux ecoles, contenant chacune pres de quatre cents eleves. Deja plusieurs milliers d'indigenes assistent aux offices, frequentent le catechisme et se pre- parent au bapteme. > Tel etait le resultat d'une premiere annee de liberie. Neanmoins I'influence des mdthodistes etait encore si puissante, surtout a la cour, que Radama II, declare, un peu malgr^ lui, chef de I'^glise malgache, n'osa decliner la charge et se Missions Catholiques. fit couronner par ces precheurs. Mais Ic matin de ce grand jour, il vint mj-sterieusement entendre la messe des missionnaires catholiques, et voulut que la couronne qu'on allait d^poser sur son front fut benite secretement par le R. P. Jouen. Ces preferences de Radama II pour le catho- licisme, et aussi pour la France, avec qui il venait de conclure un traite egalement honorable et avantageux aux deux pays, avaient e.xcite natu- rellement les defiances du parti methodiste et anglais. D'un autre cote, les partisans de I'ancien regime voyaient avec peine I'abandon de la poli- tique etroite de Ranavalona, et Madagascar s'ouvrant au christianisme et a la civilisation europeenne. F.nfin, comme dans tous les change- ments de regne, il y avait a la cour un certain nombre de mecontents, courtisans disgraci6s, qui R. P. Jouen, prefet apostolique de Madagascar. regardaient d'un ceil jaloux monter au pouvoir les nouveaux amis du prince. Un ministre anglican, le R6v. Ellis, ancien missionnaire en Oceanic, echou6 depuis quelque temps a Madagascar, se rencontra i point pour grouper toutes ces haines : paiens et protestants, anti-europdens et partisans de I'Angleterre, for- merent alliance pour se debarraser de Radama, que, par un scrupule pharisaique, les conjures etranglerent avec sa ceinture, pour ne pas tremper leurs mains dans le sang de leur roi (12 mai 1863). Le meme jour, la malheureuse veuve de Radama II etait proclamee reine, sous le nom de Rasoherina, et le chef indigene'de la conjuration s'imposait a elle comme premier ministre et comme ^poux. Au fond, il comptait bien regner sous son nom. Que les methodistes et sp^cialement le Rev. Ellis aient d-tc les veritables auteurs de la cons- piration qui couta la vie et le trone a Radama II, c'est ce qui fut rcconnu alors par tous les partis. =3 354 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. Le consul Anglais, sir Packenham, force pour quelque temps de quitter Tananarive, grace aux menees de M. Ellis, ne cacha pas son indignation, et chargea publiquement son compatriote de ce crime. Ouelques semaines apres la mort de Radama, le correspondant de la Gazette coimner- dale de Maurice ecrivait au Times ( i ) : « II y a une disposition generate ici, parmi les Anglais aussi bien que parmi les Frangais, a blamer M. Ellis, au sujet des evenements qui viennent de se passer. Chose etrange ! il s'est attire I'inimitie des Anglais aussi bien que des Frangais et des indigenes, et on declare ouverte- ment que ce sent ses menees qui sont la cause de la mort de ce malheureux roi. 1> De son cote, le P. Regnon, present sur les lieux, ecrivait : « Ellis souleve en ce moment les esclaves et pousse a I'assassinat des Fran^ais. » Et voila I'homme que les souscripteurs des Societes bibliques, trompes par des rapports mensongers, proclament le bienfaiteur et I'apotre de Madagascar! Peu s'en fallut que le meurtre de Radama II ne replongeat I'ile dans la barbaric. Pendant plusieurs mois, I'anarchie regna dans le pays. Le parti anti-europeen et le parti methodiste se disputaient le pouvoir. Les uns voulaient revenir a la politique de Ranavalona !'«, chasser tous les etrangers et retourner au paganisme ; les autres, a I'instigation des methodistes, se reclamaient de I'influence britannique. Ce fut le parti anglais qui I'emporta. Pendant cette crise, qui dura plus d'une annee, tous les residents europeens, a quelque nationalite qu'ils appartinssent, avaient du quitter la capitale et se refugier a Tamatave. Seuls les Peres Jesuites et les Soeurs de Saint- Joseph se refuserent absolument a quitter leurs postes, malgre les instances du commandant de la station navale, le capitaine Dupre : dirent les officiers ; on les accabla de mauvais traitements ; on leur vola en chemin le peu d'effets et d'argent qu'ils avaient pu emporter. Plusieurs missionnaires, les PP. Morisson, de Batz et le Frere Brutail, etaient malades au mo- ment du depart ; ils durent se trainer a pied comme les autres. « — Vous n'avez pas de porteurs, dirent en riant les officiers malgaches ; si nous'avions I'ordre de vous tuer, nous le ferions avec grand plaisir ; mais nous avons I'ordre de vous faire marcher, et vous marcherez. » A la fin, le P. de Batz et le Frere Brutail, epuises par les fatigues inoui'es et les tortures morales qu'ils avaient endurees dans leur long voyage d'Ambositra a la cote, expirerent en che- min (27 et 28 juillet 1883). Les populations malgaches t^moign^rent ge- ndralement assez d'egards au passage des exiles, mais plusieurs predicants s'oublierent jusqu'a insulter bassement les malheureux qu'ils faisaient ILES MALGACHES. Le PRESEYXiiRE ET L'ECOLE DE HeLL-VILLE, CAPITALE DE NOSSI-Ii^. D'apr^s le dessin d'un missionnaire. chasser. Apres le depart des missionnaires, leurs maisons et leurs chapelles furent pillees et la plupart detruites, surtout dans le sud. L'epreuve etait rude pour une chretiente nais- sante, mais elle fit ressortir la fidelite des catho- liques et la Constance de leur foi. Pendant pres de trois ans, ils demeurerent sans pasteurs et sans sacrements ; ni les sollicitations et les vio- lences de I'heresie, ni les entrainements du patriotismeblesse, ni les difficulties de la situation ne purent les amener a I'apostasie. Les neophytes, dont les deux tiers n'etaient pas encore baptises, abandonnes a eux-memes, furent admirables de courage, de zele et de savoir-faire pratique. Et cependant ils n'avaient pas de clerge indi- gene, grande lacune dans I'organisation d'une Eglise ! Mais I'inconstance du caractere hova et I'esprit de lucre naturel aux Malgaches avaient fait echouer tous les efforts des Jesuites. Au bout de vingt-cinq ans, plusieurs essais avaient about! a faire un pretre malgache, le P. Rahidy, excel- lent sujet, qui venait prdcisement de mourir a la veille des expulsions. Quels furent, apres le depart des missionnaires, les soutiens de la mission ? Un Frere malgache des Ecoles chrtjtiennes ; six Steurs indigenes de Saint-Joseph de Cluny, les membres de I' Union catholique, composee de jeunes gens d6ja influents par leur capacite et leur position, et une dame de la cour, Victoire Rosoamanariva, catholique 358 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. fervente, mariee au fils du premier ministre. Au moment de quitter Tananarive, le superieur de la mission lui avait dit : « Victoire, DiEU vous etablit aujourd'hui la mere de tous ces chretiens, qui vont etre prives de leurs pasteurs, comme Jfisus-CHRIST, au jour de I'Ascension, etablit^la Sainte Vierge mere des apotres et de toute I'Eglise naissante. » Victoire promit en pleurant de faire de son mieux, et elie tint parole. On s'occupa d'abord d'organiser le service religieux dans les quatre eglises de la capitale. Des le premier dimanche qui suivit le depart des Peres, on se reunit, le matin et le soir, dans chacune de ces eglises ; on chantait, comme d'ha- bitude, les prieres de la messe ; un catechiste lisait pieusement ce que le pretre aurait du reciter a I'autel, puis, a la place du prone, on expliquait le catechisme. Dans I'apres-midi, nou- velle reunion, chant d'un cantique, suivi des Vepres, et, a certains jours, bien que la chretiente fut privee du Saint-Sacrement, salut en musique ; la semaine, on se reunissait chaque matin pour chanter un cantique et reciter le chapelet, qui tenait lieu de messe. Apres avoir installe le service religieux dans les eglises de Tananarive, les jeunes gens de r Union catltolique se rtJpandirent dans la cam- pagne et prescrivirent aux maitres d'ecole d'imiter, autant que possible, ce qui se faisait a la capitale. Pour entretenir le zele et ranimer la ferveur, ils faisaient de temps en temps des tour- n^es d'inspection dans les villages catholiques ; aux jours de fete patronale, ils organisaient des pelerinages, avec processions, drapeaux, illumi- nations et musique. Comme presque tous les noirs, les Malgaches sont passionnes pour la musique, et, comme ils ont I'oreille naturellement juste, ils se tirent en general tres bien des mor- ceaux d'execution. Chaque semaine, les membres de I'Union se reunissaient et tenaient conseil. Les proces-ver- baux de ces r^amions hebdomadaires temoignent de la sagesse, du zele, de la piete et de I'esprit d'organisation de ces jeunes gens, que rien n'avait prepares a un ministere si nouveau et si delicat pour eux : la direction, au milieu des circons- tances les plus critiques, d'une grande mission de 80.000 catholiques. On y sent vraiment I'assis- tance de I'Esprit d'En-Haut. Leur generosite ne fut pas moins remarquable que leur prudence, d'autant que le Malgache est naturellement attache a I'argent et n'aime pas donner ; malgre cela, ces jeunes gens, la plupart peu favorisds de la fortune, s'imposerent pendant trois ans les plus grands sacrifices pour soutenir les ccoles et pour- voir au service du culte. Grace a ce devouement persev6rant, lesoeuvres de la mission furent a peu pres sauvegardces dans la province centrale d'Emyrne, qui compte le plus grand nombre de catholiques, groupes dans la capitale ou les environs. Chez les Betsileos du sud, et g6neralement dans les postes eloignes de Tananarive, la persecution sevit avec plus de rigueur, et les fideles, moins bien soutenus, mon- trerent aussi moins de Constance. A Fianarantsoa, la capitale des provinces meridionales, I'eglise et les ecoles resterent impitoyablement fermees, et, comme a Madagascar I'instruction est obligatoire, les enfants catholiques furent enroles de force dans les ecoles protestantes. Dans les postes de I'interieur, cinquante-six eglises ou chapelles furent abattues ou brulees, les residences des missionnaires saccagees, les vases sacres profanes, les vetementssacerdotauxsacrilegement employes a des usages vulgaires. Neanmoins, la grande majorite des fideles supporta la persecution sans flechir, et Ton n'eut guere a deplorer que I'apos- tasie de cinq ou six cents catechumcnes non encore baptises. Les lepreux d'Ambahivoraka montrerent en- core plus de Constance et de generosite. Depuis quelques annees, les Jesuites s'etaient consacres a cette ceuvre si rebutante a la nature, et, au moment de leur exil, il y avait cent deux malades a la leproserie. Les methodistes commencerent par bruler leur modeste chapelle ; apres ce bel exploit, un ministre du Saint Evangile se mit a visiter chaque semaine ces malheureux aban- donnes et a leur distribuer des secours, qui natu- rellement furent bien accueillis, car, depuis I'exil des missionnaires, personne ne subvenait plus a leurs besoins. Ouand il crut le terrain suffisam- ment prepare, le ministre d^masqua ses batteries et leur proposa de passer au protestantisme, leur promettant qu'alors il serait largement pourvu a toutes leurs necessites : « Jamais, repondirent tout d'une voix les lepreux ; si vous le voulez, faites-nous I'aumone ; nous vous en serons tres reconnaissants, car nous en avons le plus grand besoin ; mais, si c'est au prix de I'apostasie, gardez votre argent. » Le ministre eut le bon esprit de se le tenir pour dit et de ne pas insister. De leur c6t(^, les membres de I'Union catholique, qui visi- taient eux aussi les lepreux chaque semaine, leur procurerent quelques petits secours, dans la mesure restreinte des faibles ressources dont ils pouvaient disposer. Pendant que les fideles de Madagascar don- naient ces beaux exemples d'attachement a la foi catholique, les missionnaires, refugies a Tama- tave, ne demeuraient pas inactifs. Ils encoura- geaient de leurs lettres leurs enfants restes orphe- lins, en meme temps qu'ils pretaient le secours de leur ministere, dans les hopitaux militaires, a nos soldats blesses ou malades et auxprisonniers hovas. De nombreuses conversions vinrent recom- penser les efforts de leur zele. Des le debut de leur sejour a Tamatave, la divine Providence leur menagea une bien douce consolation. Sir Packenham, consul d' A ngleterre, un des hommes qui avaient le plus contribue a protestantiser Madagascar, oil il residait depuis vingt ans, abjura I'heresie entre leurs mains et fit L'AFRIQUE INSULAIRE, 1800-1890. 359 la mort la plus edifiante. Cet honnete homme, protestant convaincii, mais marie a une femme catholique et pieuse, n'avait pu voir, sans en etre touche, le devouement et I'abnegation des pretres catholiques. Des i863,il avait proteste hautement contra les agissements du Rev. Ellis. Le chagrin qu'il eprouva a voir I'influence anglaise compro- mise par les menees des methodistes et les vic- toires de la France, acheva de liii ouvrir les yeux et de dissiper ses prejuges d'education. Trois jours avant de paraitre devant DiEU, il voulut entrer dans le sein de cette Eglise catholique qu'il avait combattue toute sa vie. Les Jesuites profiterent aussi de leur exil pour visiter les cotes de Madagascar, et ouvrir, a I'ombre du drapeau francais, de nouvelles stations. A la meme epoque, la Sacree Congregation retablit le vicariat apostolique de Madagascar, et le P. Cazet, qui avait succede en 1871 au P. Jouen, en qualite de superieur de la mission, recut la consecration episcopale dans I'eglise de Lourdes(ii octobre 188s). * * * Enfin arriva la fin de ce long exil. Aussitot apres la signature du traite de paix, les mission- naires se haterent de reprendre le chemin de la capitale. Avec quelle joie ils furent re^us par leurs Chretiens, c'est ce qu'il est superflu de dire. Mgr Cazet rentra a Tananarive le Samedi-Saint suivant, et le lendemain, jour de Paques 1886, dans la cathedrale splendidement decoree, il cele- brait pontificalement la resurrection de I'Homme- DlEU et celle de I'Eglise malgache. Deux mois apres, la procession de la Fete-DlEU, et, le 15 aout suivant, celle de la Sainte-Vierge, deroutaient leurs pieuses theories sur les places publiques de la capitale, montrant une fois de plus, aux enne- mis du catholicisme impuissants et vaincus, qu'a I'exemple de son divin Maitre, I'Eglise voit tou- jours, tot ou tard les jours de la Resurrection succeder aux opprobres de la Passion. * * * Malheureusement les intrigues des Rdvi^rends ministres contre la France recommenccrent bientot, et il fallut renouveler I'expedition, qui fut desastreuse jiour nos troupes, moins par la resis- tance des Hovas que par I'incurie de I'adminis- tration. Parvenu a Tananarive, le general Duchene fit reconnaitre par la reine la souverainete de la France, et Ton put croire que e'en etait fait de ces longues resistances. Mais legouvernementfrancais, presque toujours mal inspire en matiere religieuse, crut faire mer- veille en nommant a Madagascar un protestant sectaire, qui se montra absolument au-dessous de sa position. Au bout de quelques mois, tout le pays etait en revoke contre nous, un Pere Jesuite et plusieurs colons furent massacres, des centaines d'eglises et de chapelles incendiees. II fallait en finir.Le gouverneurcivil fut rappel^,et Ton envoya a sa place le general Gallieni, qui ne tarda pas a se faire respecter des Hovas. Pour couper court aux intrigues des protestants et aux revoltes des Hovas, il a ete force dernierement de transporter a la Reunion la malheureuse reine, qui cons- pirait ouvertement contre nous. Encore quelques mois de ce regime, et la France sera enfin mai- tresse chez elle. La Sacree-Congregation vient de diviser en deux le vicariat unique de Madagascar, en attribuant la partie sud de I'ile aux Lazaristes. Voici la situation religieuse au i<='' Janvier 1S95, avant la division : Personnel : i vicaire apostolique, 49 missionnaires jesuites, 4 scolastiques, 17 Fr^res coadjuteurs, 16 Freres des Ecoles chretiennes, 26 Sceurs de Saint-Joseph de Cluny, dont 4 indigenes. OJuvres : 14 stations avec residences, 413 postes secon- daires ; 93 eglises et 262 chapelles ; i seminaire, a Ambo- hipo, 60 elfeves ; 494 ecoles primaires garqons, 11.756 enfants ; 335 ecoles primaires filles, 13.916 enfants. Au total : 829 ecoles elementaires, avec 25.672 elfeves ; 6 pensionnats gardens, 649 el^ves ; 4 pensionnats filles, 538 dlfeves ; 2 leproseries, 130 malades ; plusieurs dispen- saires ; i imprimerie ; i observatoire. Le protestantisme n'est nullement opprime a Madagascar, mais les catholiques sont enfin deli vr6s d'une longue oppression, cela leur suffit. Pourvu qu'on veuille bien leur accorder I'^galite vraie, ils ne tarderont pas a prendre le dessus et a I'em- porter sur les intrigues de I'heresie. Prefecture apostolique des petites iles Malgaches. On a vu plus haut que les petites iles Malga- ches, Sainte-Marie et Nossi-Be, ont ete evange- lisees, des 1837, par M. Dalmond, alors que la grande terre restait encore fermee aux mission- naires catholiques. En 1844, un premier decret de la Propagande detacha de Bourbon Mada- gascar et les iles Malgaches, pour en faire une prefecture apostolique unique. Ouatre ans plus tard, Madagascar ayant et^ erigi^e en vicariat apostolique, les petites iles continuerent a former une prefecture sdparee, qui fut confiee a un pretre de Bourbon, I'abbe Weber. En 1850, la prefecture fut donnee aux missionnaires jesuites de Madagascar, mais en gardant son autonomic. A cette epoque, la mission comprenait les trois iles de Sainte-Marie, Nossi-Be et Mayotte. En 1858, on lui adjoignit le groupe des Comores : Anjouan, Mohelyet la Grande Comore. En 1879, les Jesuites ayant demande a etre decharges des petites iles, la prefecture fut donnee aux PP du Saint-Esprit. Enfin, en 1887, I'ile Sainte-Marie fut rattachee au diocese de Saint-Denis de la Reunion, et la prefecture se trouva definitivement composee de Nossi-B^ et des quatre Comores. Sous le rapport politique, Nossi-Be, situee au nord-est de Madagascar, appartient a la France, ainsi que Mayotte, qui nous fut cedee, en 1882, par le sultan des Comores. Les trois autres iles 360 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX""* SIECLE. du groupe, Anjouan, Moh(^ly et Grande Comore, ont chacune a leur tete un sultan ; inais depuis 1887, elles sont sous notre protectorat. La religion dominante dans I'archipel des Comores est le mahometisme. Jusqu'ici Nossi-Be et Mayotte sont les deux seules lies de la prefecture qui aient 6t6 evangd- lis^es serieusement. Dans un recent voyage qu'iis viennent de faire a travers les Comores, les PP. du Saint-Esprit ont decouvert, dans lesautres lies, une vingtaine de catholiques, qui n'avaient pas vu de pretres depuis 1863. II faudrait etablir au moins un pretre dans chacune de ces iles, Anjouan, Mohely et Grande Comore ; mais, d'une part, les ouvriers apostoliques sont tres peu nombreux, et, d'autre part, dans ces pays gagnes depuis longtemps a I'lslam, les esperances de I'apostolat sont trop pr^caires encore pour qu'on immobilise un missionnaire, qui pent travailler utilement ailleurs. En revanche, Nossi-Be et Mayotte ont toutes deux des chretient^s floris- santes et qui promettent. En somme, dans les cinq iles qui composent actuellement la prefecture, on compte environ cinq mille catholiques, sur une population totale de quatorze mille ames. Personnel ; i prdfet apostolique ; 6 missionnaires el 2 Frferes coadjuteurs dela Congregation du Saint-Esprit; 2 ratechistes indigenes ; 11 Soeurs de Saint- Joseph de Cluny. Qiuvres : 4 stations avec residences ; 2 h. Nossi-Be, 2 k Mayotte ; 8 eglises ou chapelles ; 6 ecoles eldmentaires : 300 enfants ; 4 orphelinals ; 2 hopitaux. DiocfesE DE Port Victoria (Seychelles). Les Seychelles, connues autrefois sous le nom d'iles Mahe, furent dc^couvertes au xvr siecle par les navigateurs portugais, et colonisdes au XVIir par le celebre directeur de la Compagnie frangaise des Indes orientales, Mahe de la Bour- donnays, gouverneur de Pondich6ry. Comme toutes nos possessions de la mer des Indes avant 1789, ces iles ddpendaient, au spirituel, de I'archeveche de Paris, qui y entretenait deux ou trois pretres. A I'epoque de la Revolution, les Creoles de Bourbon deporterentaux Seychelles les emissaires de la Convention, envoyes pour revolutionner leur ile, et, par la meme occasion, ils se dcbarrasserent de leurs propres jacobins. Quelques annces plus tard, Bonaparte, premier consul, voulant a son tour epurer la France, y exila un certain nombre de r(£volutionnaires exalt(^s, entre autres le trop fameux general Ros- signol, connu pour ses massacres en Vendee. Cela fit, on le comprend, une population assez mal famee et fort peu religieuse. La plupart des colons s'adonnerent a la traite et a la piraterie, jusqu'a ce que I'Angleterre vint mettre un terme a leurs exploits en s'emparant de ces iles, ainsi que des Amirantes (18 14). Sousl'administration anglaise, la culture de la canne a sucre amenaune grande prosperite mate- rielle, et accrut le nombre des colons. La plupart, venus de Maurice et de Bourbon, 6taient catho- liques ; ils demanderent au gouvernement de Maurice un ministre de leur culte ; on leur envoya un pasteur genevois. Mais, ni le complet abandon spirituel dans lequel vivaient ces pauvres gens, ni la pression administrative, ni les predications du reverend pasteur, ne purent triompher de leurs repugnances pour Iher^sie. Au bout de dix ans, le pasteur calviniste n'avait pas encore reussi a grouper autour de lui cinq cents adherents. Sur ces entrefaites, un Pere capucin, chasse par le schisme abyssin de la Mission des Gallas, le R. P. Leon des Avanchers, ayant appris la triste situation des catholiques des Seychelles, s'em- barqua a Aden pour Mahe, ou il arriva sans etre attendu de personne. Regu avec enthousiasme par les catholiques, il fut aussitot denonce aux autorites par le pasteur calviniste, et deporte, sans autre forme de proces, a Maurice. La on ne parlait de rien moins que d'envoyer en Angleterre un si dangereux malfaiteur ; mais les reclamations indignees des catholiques de Maurice eurent raison de I'intolerance protestante, et le secretaire d'Etat au Foi'eing office donna une le9on de con- venance a ses subordonnes, en autorisant le reli- gieux a retourner a Mahe. Malgre la mauvaise humeur des autorites coloniales, il fallut supporter sa presence. En quelques mois, sept dglises furent construites, et les catholiques de I'archipel revin- rent en masse aux pratiques de la vie chretienne. En 1852, un decret de la Propagande detacha les Seychelles du diocese de Port- Louis, pour en faire une prefecture apostolique. Deux ans plus tard, un second decret adjoignit a la prefecture les Amirantes et les Galegas. Enfin, par un decret du 14 juillet 1892, le vicariat apostolique des Seychelles fut eleve a la dignite de siege Epis- copal, sous le nom de Port-Victoria, suffragant de I'archeveche de Colombo (Ceylan). En 1880, I'archipel fut erige en vicariat apostolique. Actuel- lement la mission comprend trois groupes d'iles : les Seychelles, les Amirantes et les lies GalEgas. II y a 13500 catholiques, sur une population totale de 16.450 habitants. Personnel : i dveque, 13 missionnaires capucins, 4 Fr^res, 45 Soeurs de Saint-Joseph de Ckiny. Qiuvres ; 12 stations avec residences. — 2 missions (Ami- rantes), II eghses, 9 chapelles, i college, k Port-Victoria : 47 eleves. i pensionnat (Sceurs de Saint-Joseph) ; 65 elfeves. 13 dcoles primaires gargons : 532 el^ves. i2ecoIes primaires filles : 732 el&ves. i orphelinat gardens : 12 enfanls. 2 orphelinals fiUes : 142 enfants. Au total, 30 eta- blissements d'education et 1.540 enfants. 2 hopitaux. — iOf CrUmr^ rnTTTTirTT TTT TITnTTTTT-fTTTTTTTYTTTTTTr-rrTTTTTT-rTTTrTIT^tnTTni tITIITIi:iIH !! II H tU,lII I IllXIlrilirX 11 IirirTtllT I IIITLLIIII LES ILES MALAISES DE L'OCEANIE 1800-1890. :iTir^iiiiixixriiiTTixiTixiiirTirxiiiirir].riiiiiijriLiiri:ij[iiririixiiiiiiixiLiijii];iTiTrtxirrrririrrriiriirTTTTTTTTriiiiiiiAiiiiiir] OUS le rapport politique et reli- gieux, les iles Malaises et I'O- ceanie occidentale se partagent naturellement en quatre grou- pes distincts : les possessions hollandaises, anglaises, portu- gaises et espagnoles. Au point de vue ethnologique, ces popu- lations different notablement des autres peuples de I'Oceanie. Evidemment elles viennent du sud- est de I'Asie et se rattachent a la race malaise. Depuis plusieurs siecles, le mahometisme s'en est empare et, sauf aux Philippines, il domiiie en maitre dans tous ces pays. < I.— COLONIES HOLLANDAISES LEs Hollandais possedent les deux grandes iles de Sumatra et de Java, une partie de Borneo, les petites iles de la Sonde, I'archipel des Celebes et celui des Moluques, une portion de la Nouvelle-Guinee et la partie meridionale de I'ile de Timor. La capitale de cette riche colonie, qui compte environ vingt-six inillions d'habitants, est la ville de Batavia, dans I'ile de Java. Ce sont les Portugais qui dccouvrirent les premiers les iles de la Sonde et y porterent le christianisme avec la civilisation. Au XVI^ siecle, la ville de Malacca, theatre des travaux et des miracles de saint Fran9ois Xavier, devint le centre de I'activite religieuse, politique et com- merciale du Portugal dans les regions environ- nantes. La province dominicaine de Sainte-Croi.x des lodes orientales, chargee spccialement d'e- vangeliser la contree, avait son centre a Goa, mais la ville de Malacca ^tait comme ses avant- postes, d'ou partaicnt chaque annce de nouvelles expeditions apostoliques. Naturellement les Freres Precheurs ne tarderent pas a franchir le detroit de Malacca pour aller porter I'Evangile dans les iles de la Sonde, les Moluques et les Celebes. Ni I'insalubrite du climat, ni la barbarie des habitants, ni le martyre de plusieurs de leurs confreres ne parvinrent a decourager le zele des ap6tres de J^SUS-Christ. En 1560, d'apres les memoires de la province de Sainte-Croix, on comptait deja dans ces iles 18 residences et environ 60.000 neophytes. Un vicaire-general de I'eveque de Malacca, etabli a Macassar (Celebes), dirigeait de la le travail des mission- naires, et la foi chr^tienne faisait tous les jours de nouveaux progres parmi ces populations, deja atteintes ma's non encore gangrenees par I'Lslam. Mais cette efflorescence de christianisme allait finir avec la puissance politique du Portugal. En 1602, s'6tait formee en Hollande la Compagnie nderlandaise des Indes orientales. Les cupiditcs commerciales s'unirent au.x animosites religieuses pour miner la puissance du Portugal dans tout I'Extreme-Orient. Apres s'etre empares de Ceylan, de la cote du Malabar et de Malacca, les Hollan- dais se repandirent dans les iles de la Sonde, dont ils devinrent les maitres, a I'exception d'une portion restreinte de I'ile de Timor, qui resta seule aux Portugais. Ce fut la ruine de la mission catholique, encore au berceau : une persecution implacable s'organisa contre les catholiques ; par- tout les eglises furent livrees aux flammes ou transformdes en comptoirs, les missionnaires exilt^s ou jetes k la men Ce sera la honte 6ter- nelle du calvinisme d'avoir, pour un vil interct mercantile plus encore que par esprit sectaire, etouffe le christianisme dans les colonies neerlan- daises, pour faire dominer a la place le paganisme, ou, comme dans les iles de la Sonde, la religion impure et antisociale de Mahomet. Ces marchands, qui, pour obtenir le droit de trafiquer seuls au Japon, accepterent de fouler aux pieds la croix et de subir toutes les avanies, n'ont pas eu mcme assez de foi pour initier les peuples subjuguespar eux au christianisme qu'ils professaient ; a cet ^gard, ils sont descendus dans I'apostasie au- dessous de toutes les nations chretiennes. On dit qu'ils ont fait longtemps, et qu'ils font encore de bonnes affaires dans les Indes ncerlandaises. C'est tres possible, mais un fait bien certain, c'est que leur influence morale et civilisatrice est 362 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlXn^e SIECLE. nulle sur les habitants musulmans ou paiens de ces lies. S'ils venaient a disparaitre demain, il ne resterait rieii d'eux pour apprendre aux genera- tions futures qu'un peuple qui se dit chretien a regne la pendant pres de trois siecles. C'est seulement en iSoS que deux missionnaires catholiques s'etablirent dans les iles de la Sonde, apres que le roi Louis, frere de Napoleon I^"', eut proclame en Hollande la liberte religieuse. Le gouverneur de Batavia, lui-meme fervent catholique, recut avec joie les deux pretres, dont un portait le titre de prefet apostolique. En 1842, Gregoire XVI 61eva la prefecture au rang de vicariat apostolique, et depuis lors le catho- licisme n'a cesse de faire des progres dans la colonie : de zero, le chiffre des catholiques est monte progressivement a 45.271. Soit i catholique sur 722 habitants. En dehors des metis et des Hollandais fixes dans la colonie, la population catholique se recrute surtout parmi I'element chinois, qui pullule dans ces iles ; jusqu'ici la race malaise s'est montree a peu pres refractaire a la predication. Depuis longtemps intolerance calviniste a fait place a des sentiments de sympathie. Appreciant d'apres ses resultats I'oeuvre des missionnaires catholiques, le gouvernement colonial ne craint pas de les favoriser et il leur accorde une sub- vention annuelle, a la condition qu'ils soient tous de nationalite hollandaise, ce qui est tres equitable. II ne parait pas d'ailleurs que les mini.stres protestants aient jamais fait de tenta- tives serieuses aupres des indigenes. Meme aupres de leurs compatriotes etablis dans la colonie, I'influence morale des pasteurs calvinistes parait etre a peu pres nulle, II est vrai, qu'a I'exemple de leurs ouailles, beaucoup ne sont plus guere Chretiens que de nom, puisque la grande majorite des ministres de I'Eglise etablie nient carrement la divinite de J]':su.S-Christ. II en resulte que la plupart des colons hollandais sont plutot incre- dules que calvinistes : ils reconnaissent sans difficulte que leur eglise n'a plus de doctrine et que, s'ils croyaient a la necessite d'avoir une religion, ils se feraient catholiques. Ces dispositions negatives, qui sont celles de la majorite des cal- vinistes hollandais, ramenent de temps en temps a I'Eglise romaine quelques families, et font qu'a I'heure de la mort, surtout dans les hopitaux, les missionnaires ont la consolation d'enregistrer chaque annee des conversions de protestants. Les pasteurs eux-memes, dans un rapport officiel qui vient d'etre public, ont reconnu, avec une impartialite bien digne d'eloges, cette superiorite du catholicisme dans la colonie. Voici les passages les plus remarquables de ce rap- port (i). « On ne peut nier que Rome ne fasse aux >> Indes (neerlandaises) des progres inquietants. I. Compte-rendu de la troisieme Conference de la Societe des Missions protestantes, tenue k Batavia, 1887. » Unis comme la phalange macedonienne, les » catholiques marchent en avant et remp9rtent » victoire sur victoire. Comme Eglise, I'Eglise » romaine fait sur I'esprit des indigenes unt » impression plus favorable que I'etablissement » connu sous le nom d'Eglise protestante. En » d6pit des circonstances difficiles, I'Eglise ro- > maine nous offre au moins I'image d'une Eglise » veritablement ?nie. Elle n'a qu'une confession » de foi, ses pretres ne se contredisent pas en » public, ce que I'un tient pour verite revelee, » I'autre ne vient pas le combattre. )) Quant a son organisation, elle est bien pre- » ferable a la notre. Le president de notre college » superieur ecclesiastique nous est assigne par » le gouvernement. C'est d'ordinaire un conseiller » d'Etat. A la tete des missions de Rome, on » trouve un eveque nomme par le Saint-Siege et » reconnu simplement par le gouvernement. Cet » eveque, qui a pour I'ordinaire vieilli dans ces » contrees, possede une autorite serieuse et gou- » verne d'une main ferme et respectee. Le desin- » teressement des pretres de Rome est vraiment » admirable. On les voit partager en freres les » honoraires que le gouvernement assigne a » quelques-uns. » Ces missionnaires ont des ecoles dans toutes » les villes. Ces ecoles, sous plus d'un rapport, » sont excellentes ; tout le monde les estime, et » il est plus d'un protestant qui ne redoute pas » pour ses enfants I'education du cloitre. Les » religieuses catholiques dirigent les jeunes filles » confiees a leurs soins avec un tact vraiment )> admirable ; il est bien rare de trouver une de » leurs eleves qui ne parte pas deces Sceurs avec » la plus grande sympathie. » Le zele des pretres romains a visiter les » hopitaux et les prisons est digne de tout eloge. » L'armee n'a qu'une voix pour louer leur cordia- » lite et leur esprit de sacrifice. De la vient la > bienveillance que le public et le gouvernement » leur temoignent de temps en temps. Ces )) pretres sont pleins de courage et de conviction ; » ils se pr^sentent partout, partout ils voient » s'accroitre le nombre de leurs adeptes. lis » savent meme profiter du materialisme et de » I'indifferentisme qui regne dans ces contrees. » C'est ce qui arri\'e a I'occasion des mariages » mixtes. Combien de protestants, indifferents » pour le protestantisme, se conforment aux » exigences des parents catholiques, sous I'in- » fluence des pretres de Rome, et font elever » leurs enfants dans la religion catholique ! » De pareils avcux en disent plus sur la situation respective du catholicisme et du protestantisme, aux iles de la Sonde, que tout ce que je pourrais ajouter. Le tableau suivant montre bien d'ailleurs le developpement progressif de la mission de Batavia, au cours du XIX'^ siecle. En 1808 : commencement de la mission. En 1S40 : I prefet apostolique, 3 missionnaires, 3 eglises ou chapelles, ? Ecoles, 1.200 catholiques. LES ILES MALAISES DE L'OCEANIE, 1800 1890. 363 En 1 870 : 1 vicaire apostolique, 30 missionnaires, ? eglises ou chapelles, ? ecoles, 30.000 catholiques. En 1S96 : I vicaire apostolique, 47 missionnaires, 34 eglises ou chapelles, 20 Ecoles, 1461 enfants, 45.990 catho- liques, sur une population totalede 29.000.000 d'habitants I/630^ ^; II. COLONIES ANGLAISES 1> DAns les iles malaises, la Grande-Bretagne etend son autorite sur la partie nord et nord-ouest de Borneo ; Test et le sud appar- tiennent, comme je I'ai dit. a la Hollande. Le territoire soumis a I'influence politique de I'Angleterre se subdivise lui-mcme en qiiatre regions : 1° L'ile Labouan, au nord-ouest de Borneo. Cette lie appartient a la Couronne et compte environ 3.000 habitants, dont 5 Europeens. 2° Le Borneo septentrional, qui est exploite par une Compagnie de marchands de Londres. II compte environ 3.000 Chinois et 20000 indi- genes de race malaise. 3° Le Brunei, ou Borneo proprement dit, petit royaume independant, situe a I'interieur de l'ile ; il est soumis a un Rajah musulman. La popu- lation, tout entiere de race malaise, est d'environ 200.000 habitants. 4° Le Sultanat de Sarawak, qui s'etend tout le long de la cote nord-ouest de Borneo. Ce petit Etat fut fonde en 1841 par un riche Anglais, sir James Brooke, qui, avec ses propres ressources, et sans reclamer I'assistance de son gouverne- ment, s'est impose aux populations. Son neveu, sir Charles Brooke, lui a succede il y a quelques annees. On compte dans le Sarawak : 40 Euro- peens, 10.000 Malais, 12.000 Chinois, et environ 200. oco sauvages, appartenant aux feroces tribus des Dyaks, encore paiennes et anthropo- phages. Sous le rapport religieux, ces quatre territoires forment la prefecture apostolique de Labouan et Borneo. La mission ne compte encore que 482 catholiques, sur une population totale d'environ 450,000 habitants, en majorite paiens, bouddhistes ou musulmans. La barbaric des sauvages et le fanatisme des disciples de Mahomet n'ont pas permis a la mission catholique de prendre plus de developpement. L'ile de Borneo fut evangelisee pour la pre- miere fois a la fin du XVIF siecle, par le P. Ven- timiglia, religieux theatin, envoye en 1687 par la Propagande. On dit qu'il fit un certain nombre de conversions parmi les indigenes, mais, comme il n'eut pas de successeurs, son oeuvre finit avec lui et, quand on reprit la mission de Borneo, au cours de ce siecle, on ne trouva dans le pays aucun vestige du christianisme. C'est a une sorte d'intervention providentielle que fut due la restauration de la mission. Vers 1 8 50, un capitaine de vaisseau espagnol, Charles Cuarteron, ayant fait naufrage dans ces mers dangereuses, semees de recifs et peuplees d'an- thropophages, fit voeu, s'il echappait a la mort, de se consacrer au service de DiEU pour porter I'Evangile a ces populations abandonnees. Sauve presque miraculeusement, il accomplit sa pro- messe et, le 27 aout 1855, la Sacree-Congrega- tion le nommait prefet apostolique du Borneo septentrional et de l'ile Labouan. II partit, accompagne de plusieurs missionnaires, dont un auteur protestant nous fait ce portrait (l) : f Le » P. Re}'na, le plus age, ^tait un de ces hommes » remarquables que Ton rencontre qufflquefois » parmi les missionnaires de I'Eglise romaine : » homme aux manieres agreables, d'une habilet6 "% attrayante, d'un esprit penetrant. On i'envoya, » avec quelques compagnons, dans la Nouvelle- » Guinee, ou trois d'entre eux furent tues par » les naturels, tandis que lui-meme echappa avec » une sante ruinee, pour mourir peu de temps » apres. » Tous les missionnaires ^tant morts successive- ment, ou s'etant vus forces par la maladie de retourner en Europe, le Rev. Cuarteron resta seul, de i860 a 1879, au poste d'honneur ou son devouement I'avait appele. A cette epoque, sen- tant approcher sa fin, le vieux missionnaire f voulut revoir I'Europe et mourir dans sa chere Espagne. Deux ans apres, la Sacree-Congrega- tion confia cette mission abandonnee aux pretres du seminaire anglais de Mill-Hill. Voila dix ans qu'ils y travaillent, sans avoir vu encore de grands fruits de leurs labeurs. La barbarie des indigenes laisse, en effet, peu de prise au zele de I'apotre. N'importe ; ils sement aujourd'hui dans la steri- lite et dans les larmes ; un jour, peut-etre, leurs successeurs moissonneront dans la joie. II est juste de faire observer que les ministres protestants qui, depuis quarante ans, travaillent dans ce pays, aides de larges subventions et sou- tenus par les autorites britanniques, n'ont pas ete plus heureux que les pretres catholiques. Voici ce que I'auteur que je viens de citer dit de leurs travaux : « La mission (protestante) de » Borneo, bien qu'elle ait toutes les autorites du > gouvernement pour I'appuyer, se resume en un » fiasco complet. Dix missionnaires sur quatorze % ont abandonne leur charge, bien que leurs tra- » vaux ne soient pas plus difficiles, et qu'ils » soient certainement moins perilleux que ceux » des officiers anglais dont, pourtant, le salaire » est le meme (2). » L'expose de la situation religieuse de la mis- sion en 1896 montrera, je I'espere, que les mis- sionnaires catholiques, malgre leur pauvrete, malgre le peu d'appui qu'ils rencontrent aupres d'un gouvernement protestant, malgre I'aridite desolante du sol qu'ils ont re^u a defricherj ont ete encore plus heureux que leurs rivaux. 1. Sir Spencer Sl-John, La vie dans les foets du Far-West I" volume. 2. Sir Spencer, ouvrage citS, 2'= vol. 364 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"«= SIECLE. Personnel : i prefet apostolique, en residence dans I'lle Labouan ; 15 missionnaires du seminaire de Mill-Hill; 4 cat^chistes chinois, 2 cat^chistes dyaks. 15 Sceurs du Tiers-Ordre de Saint-l'rangois, 4 maisons. CEuvres : 10 stations et 3 missions , 2 eglises, 12 cha- pelles. Les dix stations sont ainsi reparties : I residence dans I'ile Labouan ; 9 residences dans le Borndo seplentrional ; 6 residences dans le Sultanat Sarawak. 6 orphelinats agricoles, ainsi repartis : 3 dans le Sarawak ; 2 k Kuching, la capitale : 49 gargons, la plupart Chinois, et 18 filles ; i k Kanowit : 14 enfants dyaks ; 3 dans le Borneo septentrional : 36 enfants dyaks. Plus une ecole dlementaire k Bunda (Borneo septen- trional) : 10 eleves. Au total, 127 enfants dans les etablissements de la mission. 895 catholiques sur une population totale de 550.000 habitants. A cause du fanatisme des musulmans qui I'habitent, les missionnaires n'ont pas encore pu s'etablir dans le Brunei. III.- COLONIES PORTUGAISES. DE leur ancienne puissance il ne reste aux Portugais, dans les iles de la Sonde, que la partie septentrionale de I'ile de Timor, ou Ton compte environ 2.000 catholiques, relevant du dio- cese de Macao. lis sont administres par un vicaire- general, assiste de deux ou trois missionnaires. IV.— COLONIES ESPAGNOLES. PLus heureuses que les iles de la Sonde, les Philippines, appelees aussi i/es dcs Larrons, a cause du penchant au vol dont firent preuve, dans les premiers temps, les indigenes, ftirent decouvertes et civilisees par une nation catho- lique qui tint a honneur de les arracher a la barbaric et au mahom^tisme, pour en faire un peuple Chretien et prospere. Aux derniers recen- sements , on comptait ■ dans les Philippines 5.502.000 catholiques, sur une population totale deS.774.947 habitants, soumis a I'Espagne. Reste done moins de 300.000 paiens, a la conversion desquels travaillent avec ardeur les grandes families religieuses de Saint-Augustin, de Saint- Dominique, de Saint-Frangois et de Saint-Ignace. « Ce qu'il y a de plus remarquable dans cette » statistique, ecrit le Hong-Kong Catholic Re- > gister {\), c'est que, a I'exception de quelques > millers d'Europeens, ces cinq millions d'habi- » tants sont de purs indigenes, et qu'il ne se ren- » centre parmi eux que quelques milliers de » metis. Ouand, a ce magnifique epanouissement » de la population des iles Philippines, nous t) opposons le contraste de la decadence des » indigenes des autres iles, nous ne pouvons » nous empecher de voir dans ce fait une de- » monstration victorieuse de la puissance du I. Num^rodu 27 mai 1878. y catholicisme pour 61ever et civiliser les races )) les plus degradees, car personne ne met en » doute I'dtat abject dans lequel se trouvaient » les habitants des Philippines, avant que les » missionnaires entreprissent de les convertir. » Un ministre protestant, successivement mis- sionnaire aux Indes et en Chine, a constate, a sa maniere, ce triomphe du catholicisme : « L'Eglise » de Rome, ecrit-il, a gagne ici la population » entiere ; les naturels sont devenus des bigots » papistes, et I'influence des pretres sur eux est > sans limites. C'est la, ajoute gravement le » Reverend, un des exemples les plus remar- J> quables de la puissance de la Bete (i). » Sir Crawford, ancien gouverneur de Singa- pour, constate le meme fait, mais sans se laisser aller a ce ton d'acrimonie qui caract^rise presque tous les 6crits des pasteurs protestants : « Dans » les Philippines, les Espagnols ont convert! a la » foi catholique plusieurs millions d'indigenes, et > une immense amelioration dans leur condition > sociale en a ete la consequence ( '). » II est certain, et les voyageurs qui ne se lais- sent pas emporter par I'esprit de secte en con- viennent, que c'est au clerge catholique que I'Espagne doit d'avoir pu soumettre, sans effusion de sang et sans massacres, ces races .indomp- tables, alors que dans les iles voisines de la Sonde, dans la Nouvelle-Guinee, I'Australie et la Nouvelle-Zelande, la Hollande et I'Angleterre echouaient completement a s'assimiler des popu- lations de mcme race, et quelques-unes, comme les Australiens, d'humeur beaucoup plus paci- fique. « Ces iles, ecrit un voyageur americain (3), > ne furent pas conquises a I'Espagne par des > chevaliers bardes de fer, mais par les soldats >• de la Croix, par des pretres embrases d'ardeur >• pour la cause du Christ... Ces hommes g6ne- > reux ont penetre la ou les guerriers de I'Es- )' pagne n'osaient entrer les armes a la main, et )■ il est vrai de dire que, dans cette occasion, les ')• armes I'ont c6de a la toge, fait qui a eu les » meilleures consequences pour les Indiens sou- )^ mis ^ la foi catholique, en introduisant parmi » eux les arts et la civilisation. Des milliers de » sauvages errants dans les bois sont aujour- )) d'hui de paisibles cultivateurs ; ils ont appris > de ces bons Peres a labourer le sol, au lieu de )) vivre uniquementdu produit de leur chasse, en J' hostilites continuelles les uns avec les autres. » L'Eglise a montre la, ce qui est connu depuis » longtemps, qu'elle est instrument le moins » couteux et le plus efficace de I'ordre et d'un )> bon gouvernement. > « La colonie est tres florissante, ecrit un autre » voyageur ; presque tous les naturels tagalos » ont ete convertis a la foi catholique. Le clerge » exerce sur eux une influence qui semblerait nia- 1. Rev. David Ahee\j yourriai d^un sejour en Cliiiu. 2. Voir le Times, n° du 2 decembre 1858. 3. Robert Mac-Micking, esq. Souvenirs de ManiHe it des Philippines. LES ILES MALAISES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 365 » gique, si Ton ne savait que, pour les catholiques, » I'autorite de leurs prttres est divine (i). » « De grands eloges sont dus aux Espagnols.dit » de son cote un diplomate anglais (2), pour I'eta- » blissement des ecoles dans la colonie et pour » leurs efforts incessants a propager le chris- » tianisme par le meilleur moyen, la diffusion de >) I'instruction chretienne. » On voit ici le catholicisme a I'cEuvrea cote des sectes dissidentes. Aux Philippines, son action n'a pas ete entravee, comme dans I'Amerique du Sud, par les cupidites et les crimes de la con- quete. Le pays (5tait pauvre, les populations feroces, rien n'attirait de ce c6t6 les convoitises des chercheurs d'or. L'Eglise a done cte laissee a peu pres k elle-meme pour conquerir et civiliser ces barbares. Le resultat est aujourd'ui sous nos yeux. En moins de trois siecles, elle a triomphe de leur ferociteet conquis, sans effusion de sang, a I'Espagne, une colonie de plus de dug millions de sujets. En face des Hollandais, campes en Strangers dans les iles de la Sonde abandonnees par eux a I'influence demoralisante del'Islam, a cote des Anglais, qui n'ont su s'etablir dans I'Aus- tralie et la Nouvelle-Zelande que par la des- truction systematique des indigenes, ce contraste a quelque chose de consolant pour I'humanitc^ et de bien glorieux pour le catholicisme. Depuis longtemps les Philippines forment une provinceecclesiastique:archeveche,Manille(i57o), avec quatre ^veches suffragants : Nouvelle Se- govie, Nouvelle-Carceres, Zebu (1595) et Jaro 1867. Mais il reste encore plusieurs centaines de tribus sauvages a convertir, principalement dans les dioceses de Zebu et de Jaro. Graces a DiEU, I'evangelisation de ces derniers tenants de la bar- barie avance tous les jours, et les nouveaux mis- sionnaires sont a la hauteur de leurs devanciers. Voici ce qu'on lisait dernierement a ce sujet dans la Revue des Deux-JMondes (3) : « Les missionnaires seuls osent s'aventurer au » milieu de ces populations feroces. lis ont fait )) le sacrifice de leur vie et, la tenant pour rien, » ils travaillent pour leur DiEU et pour leur » patrie, en amenant a la foi et ^ la soumission » a I'Espagne, les plus miserables et les plus % pauvres ; mais ce n'est qu'a la condition de les >) depayser etde les transplanter. lis les decidcnt » a les suivre, lesentrainent a quelques journees » de marcheet forment un Pueblo. Ces 6tablisse- » ments, qui rappellent les plus belles Reductions f> du Paraguay, malheureusement detruites par *) la haine de Pombal, se multiplient depuis )) quelques annees, formant au milieu de la bar- >> barie qui les entoure, des oasis de culture et de » vie paisible ouvertes a tous ceux qui viennent )> ychercher un abri. Un de ces hardis mission- ;> naires a converti et baptise, en une anncje, )) 5.000 infideles. » 1. Aaron Palmer, Lettres. 2. Sir Henri Ellis, Journal tT une ambassa,le en Chine, ch. 8. 3. Nutnero de decembre 1SS7. En 1881, les Jesuites avaient, dans le diocese de Jaro, 4 residences, 11 paroisses etuneving- taine de missions ; dans le diocese de Zebu, ils avaient, a la meme epoque, 5 residences, 14 paroisses et environ 40 missions. La population totale qu'ils avaient a evangeliser etait, pour les deux dioceses, de 99.490 ames ; 6.906 adultes avaient ete baptises par eux dans le courant de I'annee precedente. En 1S88, d'apres les f/wf/^j ;r//f?6'«j'i?j', le seul district de Mindanao(dioccse de Zebu)comprenait 9 residences, 30 paroisses ou missions renfermant chacune un certain nombre de Reductions for- mces ou en formation : ce district, couvert d'im- menses forets, ^tait habite par 163 tribus sau- vages, donnant une population totale de 159.S27 Chretiens, dont 2.603 avaient recu le bapteme I'ann^e d'avant. Outre ses missions dans les deux dioceses de Zebu et de Jaro, la Compagnie de Jesus dirige a Manille XAtheneum municipal, I'ecole normale et un observatoire qui a deja rendu beaucoup de services a la science. A cote des Jesuites, les Dominicains, les Franciscains et les Augustins se partagent les paroisses de la colonie et le travail de I'apos- tolat. Depuis 1862, les Lazaristes ont ete appeles aux Philippines, oii ils dirigent les quatre semi- naires de Manille, de Nouvelle-Carceres, de Z^bu et de Jaro. « On dit, 6crit une dame protestante, qu'a )> Manille, il y a plus de couvents que dans » aucune autre ville du monde d'egale popu- » lation,et)ly a unanimite, parmi les naturels » aussi bien que parmi les etrangers, pour recon- » naitre qu'ils suivent des regies excellentes. Tous » paraissent occupes k des travaux utiles ; la » paresse est bannie de leurs maisons ; leurs » exercices de devotion commencent a I'aube du )> jour et sont repctes, sous differentes formes, » tout le long de la journee (i)- » « La plupart » des pretres avec qui j'ai etc en rapport, ecrit >> I'Americain Mac-Micking, deja cite, m'ont paru )> pleinement convaincus et pratiquant avec foi )> leur religion dans toute sa purete (2). » On ne pent desirer plus bel 61c>ge sous la plume d'un ennemi de notre foi. Tableau de la population catJwlique des iles Malaises de I'Oc^anie. I. Colonies hoUandaises : i vicaire aposlolique, 47mi5- sionnaires,'34 eglisesou chapelles, 20 dcoles, 45 c/p catho- liques. I I. Colonies anglaises : I pr^fet aposlolique, 15 mission- naires, 14 eglises ou chapelles, 7 ecoles, 895 catholiques. III. Colonies portugaises : i vicaire general, 3 pretres, 2.000 catholiques. IV. Colonies espagnoles, i archeveque, 4 dveques, 5. 502.000 catholiques. Total : I archeveque, 4 eveques, i vicaire apostolique, r prdfet, 65 missionnaires, 48 eglises ou chapelles, 27 ecoles, 5.550.885 catholiques. 1. Lady Jane Morell, Narration d un voyage !i Manille. 2. Kobeit Mac-Micking, ouvrage cilS. iririxriii:riiiiixiiiiiri^:iiiirii:[ iiiiiiixiriiiii frii;inT7:iiiJiiiKii_iiiiii:iiiiiii]ixiiLiiiiiLiLLii_ixixx]:iJiiixxxxxiixxjxjiJiTaxi^^ LES EGLISES DE L'AUSTRALASIE \ 1800-1890. TTTTT T T T 1 1 T 1T1 rTTT-TTTTTTI T-fT T TTTT TT TTTTTTTT rTTT T^TirTT T TTT T V T T T T TTTTTTTTTT T^-TT T TT T TlfTT T TTTT TTTTTTTTTrrTTTTTT-. rrrri f TTT I 1 1 II TIT ITIJ] fN iSoo, I'Australie, la Tasmanie et laNouvelle-Zelande n'avaient pas un seul pretre catholique. Les rares fideles irlandais qui se trouvaient exiles dans ces re- gions lointaines vivaient sans culte et sans secours religieux. En 1S96, ces trois colonies, reunies sous le nom cpmmun d'Australasie, forment une florissante Eglise, ayant a sa tete un cardinal, six arche- veques, dix-huit eveques, dont deux vicaires apostoliques, un abbe tmlliiis, 951 pretres et 750.000 catholiques, sur une population totale de 3.685.206 habitants. Les catholiques forment done pres du quart de la population totale. C'est une proportion qui rappelle, en le depassant, le mou- vement catholique qui s'est produitdans le meme intervalle de temps aux Etats-Unis. Geographiquement.r Australie est la plusgrande lie du globe, ou plutot c'est un vaste continent, vingt-et-une fois aussi etendu que les lies Bri- tanniques, et d'un cinquieme seulement plus petit que I'Europe. Decouverte au XVI^ siecle par les Portugais, visitee plus tard par les Hollandais, qui negligerent de s'y etablir, c'est seulement en 1770 que le capitaine Cook planta le drapeau anglais sur cette terre nouvelle. Vingt ans plus tard.la Grande-Bretagne commencait a y deporter ses convicts, en ouvrant un etablissement peni- tentiaire a Botany-Bay, pres de Sydney. Au commencement du siecle , I'Australie comptait deja un millier de colons et un million et demi d'indigenes. Ces derniers ont 6t6 detruits en grande partie au cours de ce siecle ; c'est a peine s'il en reste actuellement 300.OOO, refoules dans les plaines desertes et incultes du centre, ou ils s'eteignent dans le vice et la misere. Une fois de plus, I'egoisme anglo-saxon a donne sa mesure : la Grande-Bretagne avait une nation a civiliser et a convertir, elle a cree un desert. « La disparition rapide des naturels dans toutes » les colonies anglaises, ecrit le docteur Lang, 1. Cetle nouvelle denomination geographique comprend I'Aus- tralie, la Tasmanie et la Nouvelle-Z^Iande, reunies sous le sceptre colonial de I'Angleterre. » qui fit longtemps partie du Conseil colonial, > est un phenomene ethnologique egalement » triste et inexplicable (i). » Que le fait soit triste, c'est ce dont conviendra sans peine tout ami de I'humanite; mais il n'est que trop explique par ce que raconte le docteur lui-meme de I'usage atroce de meler de I'arsenic aux pains que Ton distribue de temps en temps aux indi- genes, et par les expeditions militaires organisees pour les detruire en masse. Une seule de ces expeditions couta 32000 livres sterling (800.000 francs), et donna la mort a plus de 40.000 indi- genes. Ce qui amene le R6v. ministre a conclure avec onction : « II semble que, dans les desseins » de la divine Providence, le wigwam indien de » I'Amerique du Nord et le miserable ajoupa de » la Nouvelle-Hollande doivent etre balayes par » la maree montante de la colonisation euro- » peenne, et que les restes d'une race autrefois » pleine d'esperances sont destines a disparaitre » graduellement de la terre de leurs ancetres. » N'en deplaise au reverend ministre du Saint Evangile, il me semble, a moi, qu'un peuple Chre- tien a autre chose a faire que d'exterminer des populations qui, a I'arrivee des Anglais, mon- trerent, on I'a reconnu, « les dispositions les plus amicales. » A la place de I'element indigene, extermine sans pitie ou refoule dans les deserts sans eaux, oi\ il ne peut pas vivre, I'element anglo-saxon s'est largement developpe en Australie. En 1800, je I'ai dit, les Anglais 6taient environ un millier ; en 1820, ils etaient deja 40.000 ; en 1850, 800.000; en 1S70, 1.600.000; en 1890, ils sont 2.400.000 pour I'Australie seule, sans compter la Tasmanie et la Nouvelle-Zelande. Si la pro- gression continue, et elle continuera, c'est par dizainesde millions qu'il faudra compter la popu- lation future des colonies anglaises de I'Austra- lasie, et Ton assure que le pays peut facilement les nourrir. L'Australie a commence par etre la terre de I'or : en quatre-vingts ans, plus de sept milliards I. Rev. Lang. Histoire de la Nou-uelk-GalUs, ch. I. LES EGLISES DE L'AUSTRALASIE, 1800-1890. 367 ont ete extraits des entrailles de la terre. Au- jourd'hui la fievre de For est tombee, et, depuis une quarantaine d'aniices, les colons s'adonnent a I'elevage du betail ; c'est par la que debute ordinairement la mise en culture d'un pays. A cette heure, on compte, en Australie, 60.000.000 de moutons, 7.000.000 de boeufs, plusieurs mil- lions de pores et de chevaux. Mais deja I'agricul- ture commence a reclamer pour elle ces milliers d'hectares abandonnes au pacage des troupeaux, et partout ou Ton a voulu s'en donner la peine, ce sol, encore vierge, s'est couvert de moissons, qui promettent de rccompenser largement le travail du cultivateur. L'avenir de ce nouveau continent parait done assure, et peut-etre est-il destine a jouer un role preponderant dans les complications de l'avenir. On se rappelle le passage melancolique de Ma- caulay, dans lequel il represente le catholicisme florissant dans I'Australie et la Nouvelle-Ze- lande, alors que I'ancien monde aura succombe sous les vices, et qu'un voyageur, parti de Mel- bourne ou de Nelson, s'arretera sous une arche a demi brisee du pont de Londres, pour dessiner les ruines de la cathedrale de Saint-Paul. Si la vieille Europe continue a faire divorce avec le christianisme, qui I'a faite ce qu'elle est, il pourra bien se faire que la prophetic de I'historien pro- testant se realise avant qu'il soit longtemps. Qui pourrait dire jusqu'ou nous fera descendre I'apos- tasie des nations europeennes, gangrenees par le luxe et I'amour des jouissances, en face de la barbarie sociale qui monte comme une maree irresistible, et menace de tout emporter sous ses flots destructeurs ? En presence de ce nouveau monde qui surgit a I'horizon de I'histoire, il est bien permis de se demander avec anxiete ce qu'il sera, et s'il vau- dra mieux que I'ancien, qui s'affaisse dans la decrepitude et dans I'abaissement des caracteres. C'est ce que l'avenir seul nous dira ; mais il faut reconnaitre que les apparences presentes sont assez peu encourageantes : en Australie, comme dans la jeune Amerique, la soif de I'or, une speculation effrenee, un egolsme sans nom, I'agiotage cleve a I'etat d'institution sociale, voila les traits saillants qui frappent tout d'abord, et tres vivement, I'observateur de ces jeunes societes, nees d'hier, et affichant deja tous les vices de I'ancien monde. Les malheureux indigenes, tra- ques comme des betes fauves et jetes en pature aux chiens des colons (i), protestent par leur destruction systematique contre ces pretendus progres de la civilisation, dont nous sommes si fiers. Au fond, ces peuples seront ce que les fera I'Eglise, la grande institutricc des nations mo- dernes aussi bien que des anciennes. Malheureu- sement,en Australie comme alaNouvelle-Zelande, le systeme employe est celui que les loges ma- I. Atrocite historique, qui s'est malheureusement realisee plus d'une fois en Autralie. gonniques sont en train d'imposer a la vi_eille Europe : separation de I'Eglise et de I'Etat, instruction gratuite, obligatoire et laique. Je reconnais volonticrs que ce systeme a moins d'inconvenients dans un pays sans histoire et sans traditions. Ici,^ la separation n'est pas un divorce, puisque I'Eglise et I'Etat n'ont jamais ete unis ; aussi, elle s'opere ordinairement a I'amiable, sans haines et sans dechirements ; sous ce regime imparfait, si I'Eglise est privee du concours de I'Etat, au moins elle n'est pas violentee et jouit de la liberte commune, ce qui lui permet de developper en paix ses ceuvres et de faire chaque jour de nouveaux progres. Voici ce que disait dernierement sur ce sujet, a un voyageur frant^ais, un Australien protestant et libre-penseur : « Je viens de visiter I'Europe et I'Amerique. » En Angleterre, j'ai trouv^ un peu de liberte, » mais gatee par un formalisme excessif En » France, j'ai lu son nom inscrit sur vos monu- J> ments, mais rien de plus ; vous autres, Fran- » gais, vous n'avez jamais rien compris a la » liberte ! En Amerique, il y a bien la liberte, » mais avec exces ; la-bas, la vie et la propriete » ne sont pas suffisamment sauvegardees , et » chacun doit avoir son revolver et s'en servir » au besoin, pour se faire respecter. Le vrai » pays de la liberte, c'est I'Australie (i). » II y a certainement du vrai dans cette appreciation, legerement empreinte de chauvinisme. D'apres le voyageur en question, M. Michel, catholique fervent, la superiorite de I'Australien vient de ce qu'il ne congoit pas la liberte sans le respect de DiEU et de la famijle. En Australie et a la Nouvelle-Zelande, si I'Etat ne reconnait aucun culte Chretien, il les respecte tous ; le blaspheme et le travail du dimanche sont rigoureusement punis par la loi ; les moeurs sont tres effica- cement protegees par de sages reglements de police, et le pere de famille jouit de I'absolue liberte de disposer de ses biens et d'elever sa famille comme il I'entend : grace a ce respect de DiEU et des droits de la famille, la separation de I'Eglise et de I'Etat perd une grande partie Me ses inconvenients. II en reste pourtant un certain nombre : I'dcole 6tant non confessionnelle, catholiques et pro- testants sont cgalement leses, puisqu'ils doivent, apres avoir paye I'impot pour les ecoles publi- ques, s'imposer de lourds sacrifices pour entre- tenir leurs propres ecoles, s'ils veulent que leurs enfants soient eleves dans la foi de leurs parents. II y a la, pour un peuple qui se dit et qui se croit liberal, une injustice flagrante. En realite, les libres-penseurs sont les seuls a beneficier de ce systeme : ils s'arrogent ainsi le droit , qu'ils refusent a toute confession religieuse, de puiser dans le budget commun pour soutenir leurs ecoles, leurs orphelinats et leurs hopitaux. I. Voir Le Tour du Monde en SjO wurs, par Michel. 368 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. Au moins les catholiques, et ceux des protes- tants qui tiennent encore a donner une education confessionnelle a leurs enfants, en sont quittes pour payer deux fois. L'Etat veut bien ne les gener en rien dans leurs oeuvres de charite et d'education. C'est un avantage tres appreciable, quand on voit ce qui se passe ailleurs. Au point de vue politique, I'Australie forme cinq colonies distinctes et independantes les unes des autres : La Nouvelle-Galles du Sud, capitale Sydney ; Victoria, capitale Melbourne ; le Queensland, capitale Brisbane ; I'Australie occidentale, capitale Perth ; I'Australie septen- trionale, capitale Palmerston. On peut y joindre la Tasmanie, capitale Hobart-Town, et la Nou- velle - Zelande , capitale Auckland . Ces sept colonies s'administrent elles - memes par des parlements et des conseils executifs librement elus, sous la presidence du gouverneur envoyd par la Grande-Bretagne. C'est de I'autonomie et de la decentralisation bien entendue, et ce sys- teme liberal permet a nos voisins, sans entretenir au loin des armees dispendieuses, de faire rayonner leur influence dans les cinq parties du monde. L'Australie, ayant commence par etre une colonic penitentiaire, comptait, a la fin du der- nier siecle, un certain nombre de deportes irlandais, qui soupiraient naturellement apres le ministere d'un pretre catholique, seule conso- lation a leur lointain exil. Des 1798, deux pre- tres furent envoyes d'Irlande pour assister leurs malheureux compatriotes, qui avaient d'autant plus besoin de secours spirituels que, frappes par la justice des hommes, ils n'avaient plus rien a attendre que de la misericorde de DiEU qui pardonne toujours au repentir. L'interet poli- tique bien entendu eut du favoriser cette mission toute de charite et de rehabilitation sociale , mais I'intolerance protestante ne I'entendait pas ainsi, et les deux missionnaires furent forces presqu'aussitot de se rembarquer. Vingt ans apres, on fit une seconde tentative, qui n'eut pas d'abord un meilleur resultat. II y avait deja en Australie quelques milliers de colons libres, k cote des condamnes a la depor- tation ; dans ce nombre, il se trouvait des catho- liques. Le Rev. Flinn fut envoye par le Saint- Siege, avec le titre d'archipretre, et debarqua a Sydney, dans le courant de 18 18. II fut accueilli avec enthousiasme par le petit troupeau catho- lique, mais les autorites coloniales, sous pretexte qu'il n'avait pas de permis de residence, ce qu'aucune loi n'exigeait, le jeterent en prison, quelques mois apres son arrivee, le privant de communication avec les fideles , et I'embar- querent de force sur le premier batiment qui fit voile pour I'Angleterre. Pour comprendre cet acte, absolument illegal et inhumain, il faut se rappeler ce que j'ai dit ailleurs de la recru- descence de fanatisme qui se manifesta a cette epoque dans toutes les colonies britanniques. L'archipretre, enleve subitemert, avait ete force de laisser le Saint-Sacrement dans la mai- son d'un catholique de Sydney, qui servait de lieu de reunion aux fideles. Deu.x ans apres, quand la Grande-Bretagne se decida enfin a autoriser le passage de deu.x prctres catholiques en Australie, ils trouverent parfaitement conservees les saintes especes, qui avaient ete deposees dans le tabernacle deux ans auparavant. Pendant ce long espace de temps, les catholiques de Sydney et des environs avaient monte une garde d'honneur devant le divin Prisonnier de I'Eucharistie, et DiEU avait fait un miracle pour recompenser la foi et la piete de ce bon peuple. La mission d'Australie dtait commencde, mais les debuts furent longs et penibles. La mauvaise volont^ de I'administration coloniale et la duret^ draconienne du regime auquel (itaient soumis les transportes a Botany-Bay, paralysaient tous les efforts du zele. A cette epoque, la Nouvelle- Hollande (Australie et Tasmanie reunies) rele- vait au spirituel du vicariat apostolique de Maurice, qui manquait egalement d'hommes et de ressources pour cultiver un champ situe pres- qu'aux antipodes. En 1832, un Benedictin anglais, le R. P. Ullathorne, mort plus tard eveque de Birmingham (Angleterre), fut envoye en Australie, avec le titre et les pouvoirs de vicaire-general de I'^veque de Maurice. II trouva, dans toute I'Australie et la Tasmanie reunies, trois pretres, une ^glise inachevee, deux mise- rables chapelles et quatre ecoles, pour 20.000 catholiques ; et, ce qui est plus triste encore, une population completement demoralisee par la rigueur excessive des chatiments au.xquels les deportes etaient alors soumis. II faut lire dans les Annales de la Propagation de la Foi (i) la description de ce bagne, veritable image de I'en- fer : comme unique moyen de moraliser ces masses de deportes, le fouet, le gibet ou la hache ; une promiscuite degoutante entre les plus vils scelerats et ceux qui, n'ayant succombe que par faiblesse, auraient pu se relever par le repentir ; aucun secours religieux pour adoucir ces revokes et ces desespoirs, aucune conso- lation d'en haut a ces hommes qui avaient tout perdu sur la terra et qui n'avaient d'espoir que dans I'eternelle misericorde du Souverain Juge. Grace a ce systeme de repression impito}-able, I'Australie et la Tasmanie etaient devenues, de I'aveu meme des ccrivains anglais, « un cloaque moral. » Le docteur Lang, une des autorites de la colonic a cette epoque, rapporte que les pre- mieres classes de la societe elles-memcs don- naient Tcxcmple d'une immoralite profonde, et il ajoute : <"< Leur profession meme de chris- ■> tianismc fait plus de mal que de bien a la 1 cause de la religion (2). » 1. Tome X, annee 1S3S. 2. Hist, de la Nouvelk-Gallss du Sud, i vol., ch. 2. LES EGLISES DE L'AUSTRALASIE, 1800-1890. 369 « Dans la classe omricie, la corruption des » emigrants depasse tout cc qu'on pourrait > imaginer, » ecrit en 1851 un autre voya- geur (l). « Letat de reducation est generalement » deplorable dans la plus grande partie de la > colonic : il n'y en a pas, sauf celle que les > parents donnent chez eux. Les homines \ivent » et meurent, et les enfants sont eleves, sans » aucune instruction religieuse. » II ne parait pas que le clerge protestant, bien que nombreux et richement dote, ait jamais songe a reagir vigoureusement contre cette lamentable corruption. Malgre la presence d'eveques anglicans a Sydney, a Melbourne, a Adelaide et dans les principales villes, leur auto- rite sur leurs ouailles parait avoir etc a peu pres nulle : i Je fus tres sur- » pris, ecrivait en 1S62 un voyageur » protestant (2), de voir combien les » eglises anglicanes etaient peu frc- » quentees, et combien il y avait de » gens en Australie, ayant de I'edu- > cation et une position aisee, qui > n'entraient jamais dans un temple, » meme parmi les colons, qui en An- » gleterre assistaient regulierement au » service divin. » C'est sur ce terrain ingrat que I'Eglise catholique, la derniere venue et toleree comme par grace, etait ap- pelee a travailler. Avec quel succes elle I'a fait, les progres operes dans les cinquante dernieres annees sont la pour le dire ; mais il ne sera peut-etre pas sans interet d'apporter d'abord le tcmoignage des ennemis de notre foi. Le docteur Lang se plaignant amerement qu'on refusat aux presby- teriens un subside qu'on venait d'ac- corder aux catholiques, sir Thomas Brisbane, gouverneur de la Nouvelle- Galles, fit cette reponse peremptoire : « II sera temps pour les presb}-te- » riens d'etre assistes par le gouver- » nement, quand ils se conduiront » aussi bien que les catholiques (3). » — « La population protestante, ecrit » de son cote M. Hood (4), ferait bien d'imiter, » en faveur de la generation naissante, la ferveur ;> et le zele de leurs freres catholiques. L'Eglise » romaine, avec son zele ordinaire, a eleve par- » tout des ecoles, et des seminaires sur tous les » points de la colonie. » — « lis ne perdent pas » un de leurs eleves, dit Brain (5), et rien n'abat 1. John Anderson, esq. Excursion Jans la NouvelU-Galles dit Suii, 2 vol., ch. 9. 2. Puselez, Australie et Tasmanie. 3. Docleur Lang, Hist, de la Nouvelle-Calles Ju SuJ, 2" vol., ch. 2. 4. Hood, V Australie orientate. 5. Hist, de la Nouvelle-Callcs, 2" vol., ch. 12. Allssions Catholiques. » leur zele. » — « Ici comme dans toutes les » autres colonies, rapporte le colonel Mundy (i), » les catholiques semblent avoir augmente en » nombre et en importance beaucoup plus que » les autres communions. La cause en est evi- » dente : I'union fait la force. Les protestants » sont divises en sectes ; chez nous, chacun doit » se faire sa croyance ; aussi la plupart s'en » dispensent \olontiers et vivent sans aucune » religion. » Enfin tout rccemment, en 1889, un depute au :■ \ . 'I /// *f I - .-D J, M IL Cardin.'^l Moran, f troisifeme archeveque de Sydney ; d'apr^s une photographie. parlement de la Nouvelle-Galles du Sud, sir Blatterg (2), rendait publiquement hommage au zele des Freres Maristes, qui elevent 25.000 en- fants dans les ecoles fondees et soutenues par les catholiques, pendant que le cardinal Moran, de son c6t6, entretient a ses frais dans I'archidiocese de S\'dney 90 ecoles et 300 professeurs. On a vu le point de depart de la mission d'Australie Comment, en un demi-siecle, a-t-elle atteint ce haut degre de prosperity et un si splcndide epa- nouissement de la vie catholique et de ses 1. Les Colonies aiistraliennes, 3' vol., ch. 2. 2. Voir les Misiions catholiques, rumcro du 21 fevrier 1890. 24 370 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. ceuvres ? C'est toujours I'histoire du grain de seneve qui, avec la benediction de DiEU, germe silencieusement dans la terre, en attendant qu'il devienne un grand arbre. En 1835, sur le rapport du R. P. Ullathorne, la mission d'Australie fut detachee de Maurice, et devint un vicariat apos- tolique, dont le premier titulaire, au refus du P. Ullathorne, fut Mgr Polding, des Benedictins anglais. Des 1842, la hierarchic fut constituee en Australasie: un archeveche, Sydney, deux eveches suffrngants : Adelaide et Hobart-Town (Tas- manie). A mesure que le catholicisme etendit ses conquetes, on fit I'erection de nouveaux sieges episcopaux : Perth (1845), Victoria, Melbourne et Maitland (1847), Brisbane (1849), Goulbourne et Armidale (1862), Bathurst (1865). En 1874, I'Australie fut divisee en deux pro- vinces ecclesiastiques : Sydney avec sept suffra- gants et Melbourne avec cinq. En 1885, Leon XIII decora de la pourpre romaine I'archeveque de Sydney, Mgr Moran, et le 15 novembre de la meme annee, s'ouvrait a Sydney le premier con- cile provincial detous les eveques de I'Australie, de la Tasmanie et de la Nouvelle-Zelande. A cette occasion, le Frceinans Journal de Sydney resumait, dans ces lignes emues, les progres de I'Eglise d'Australie : « II 6tait impossible de mieux celebrer le » premier cinquantenaire de I'Eglise australienne » que par un concile general de ses Eveques. II y » a cinquante ans, quelques pretres consolant » quelques prisonniers, c'etait tout le personnel » ecclesiastique et toute la clientele catholique. » Aujourd'hui, vingt eveques, deux archeveques, » dont un cardinal, assistes d'une pleiade d'apo- » tres, forment I'etat-majcr de la hierarchie sainte, » et 6CO.000 fideles les entourent de veneration » et d'amour. » Ce premier concile des eveques de I'Australie etait le point de depart de nouvelles conquetes. A la demande des Peres du concile, le Saint- Siege, pour rendre plus efficace Taction de I'apos- tolat, erigeadans ces contrees de nouveaux sieges episcopaux et crea deux nou\-elles provinces ecclesiastiques en Australie, Adelaide et Brisbane, pendant que les sieges d'Hobart-Town et de Wellington etaient eleves a la dignite de me- tropoles, pour la Tasmanie et la Nouvelle- Zelande. Mais avant de donner la statistique des six provinces ecclesiastiques de I'Australasie, il me faut ajouter quelques notions generales sur la Tasmanie et la Nouvelle-Zelande. La Tasmanie, separee du sud de I'Australie parle detroit de Bass, compte 130.OCO habitants, sur lesquels 26.500 sont catholiques. Elle forme une colonie independante, comme les autres colo- nies de I'Australie. Comme I'Australie sa voisine, la Tasmanie commen^a par etre un lieu de deportation et unpaysassez mal fame. Peu a peu, comme en Australie, les elements impurs furent elimines,et la nouvelle colonie entra dans une ere de pros- perite continue. Mais les Europeens detruisirent impitoyablement I'element indigene. La derniere Tasmanienne, une femme nommee Lalla Rouck, est morte a Hobart-To\vn, il y a une dizaine d'annees. Actuellement, il ne reste plus dans toute I'ile un seul representant de la race vigoureuse et intelligente que les Anglais y trouverent a la fin du dernier siecle. Encore un peuple detruit par I'Anglo-Saxon. La Nouvelle-Zelande forme, a Test de I'Aus- tralie, un groupe de trois grandes iles, I'ile du Nord, I'ile du Sud et I'ile Stewart ; leur super- ficie totale est presqu'egale a celle de la Grande- Bretagne ; elles ont environ 620.000 habitants (y compris 40.000 indigenes), sur lesquels on compte 90.500 catholiques. La Nouvelle-Zelande forme une colonie independante, dont la capitale est Auckland. La Nouvelle-Zelande aurait du appartenir a la France. En 1840, aucune puissance europeenne n'avait encore arbore son drapeau sur ces iles. Le commandant Langlois fut envo)'e pour en prendre possession au nom de notre pays. II debarqua dans la bale d'Akaroa, avec une trentaine de families, et y arbora le drapeau de la France. Mais, au premier bruit de nos intentions, les Anglais avaient arme un navire plus leger, et, nous gagnant de vitesse, ils avaient debarque trois jours auparavant dans une bale voisine. La, avec le concours interesse des ministres protestants, etablis depuis 1814 dans ces iles, ils avaient convoque les chefs indigenes et avaient fait reconnaitre par les naturels la suzerainete de la Grande-Bretagne. De la, confiit entre les deux gouvernements. Selon son habitude, M. Guizot ceda aux premieres sommations de I'Angleterre, et donna I'ordre au commandant Langlois de se retirer. Les quelques colons fran^ais, demeures a la bale des Iles, n'ont pas laisse d'y prosperer, et aujourd'hui leurs descendants sont au nombre de 630. II faut reconnaitre que les Anglais ont tir^ meilleur parti de cette belle colonie que nous n'aurions fait, tres probablement. En cinquante ans, le chiffre des colons est monte a 578.482 (dernier recensement de 1887). lis ont bati des villes, comme Auckland, Wellington, Napier, Nelson, Dunedin, Christchurch, qui ne le cedent en rien aux grandes cites americaines. L'agricul- ture, I'elevage des troupeaux, le commerce et I'in- dustrie sesont developpes avec une merveilleuse rapidite. C'est un nou\'el empire des Indes qui se forme aux antipodes, etqui,embrassant I'immense continent australien, la Tasmanie, la Nouvelle- Zelande, les Fidji, la Papouasie, etc.comptera, d'ici un siecle, plus de cent millions d'habitants, groupes, dans I'Oceanie occidentale, sous le sceptre colonial de I'Angleterre. Que sont, a cote de cela, nos petites possessions oceaniques : la Nouvelle-Caledonie, Taiti, les Marquises, qui LES EGLlSES DE L'AUSTRALASIE, 1800-1890. 371 n'ont pas plus de 120.000 habitants, sur lesquels, en comptant les fonctionnaires et les troupes d'occupation, on ne trouverait pas 20.000 colons de race francaise ? Mais si les Anglais sont meilleurs coloni.sa- teurs que nous, il faut bien avouer que, sous le rapport de I'humanite, les races indigenes n'ont qu'a perdre sous leur domination. Quand le capi- taine Cook aborda le premier, a la fin du dernier siecle, a la Nouvelle-Zelande, il y trouva environ 400.000 indigenes, appeles Maoris, race intelli- gente et brave, bien superieure a tous les natu- rels des autres iles. En 1850, leur nombre ne depassait pas 1 00.000. Les trois quarts avaient deja succombe au contact de I'Anglo-Saxon. Cependant, les Maoris n'entendaient pas se laisser detruire sans combattre. Trompes par leurs pasteurs protestants, ils avaient reconnu, sans bien savoir a quoi ils s'engageaient, la suzerainete de la Grande-Bretagne. Quand ils comprirent la portee de leur acte et se virent refoules, eux et leurs troupeaux, dans les montagnes de I'interieur et les cantons les moins fertiles de leur ile, ils se revolterent, en i85i, et se battirent avec achar- nement pour recouvrer leur independance. Iletait trop tard. La Grande-Bretagne vint a bout de les soumettre, avec une depense de cent millions de francs et beaucoup de sang verse de part et d'autre. Aujourd'hui, cette noble race, refoulee a I'interieur, sous la domination d'un roitelet indi- gene, reconnu par I'Angleterre, s'eteint dans le vice et la misere. Les Maoris ne sont plus que 42.000 ; en un siecle, les neuf dixiemes ont suc- combe. i Nous avons implante I'Angleterre a la » Nouvelle-Zelande, disait, en 1862, un membre » de la Chambre des Communes. L'Anglais » detruira le Maori, et plus tot le Maori sera » detruit, mieux cela vaudra (i). » C'est seulement en 1S38 que les premiers mis- sionnaires catholiques aborderent a la Nouvelle- Zelande. En 1835, le Saint-Siege avait cree le vicariat apostolique de I'Oceanie Occidentale, qui embrassait la moitie de I'Oceanie, et dont le premier titulaire fut Mgr Pompalicr, de la Societe de Marie. Au mois de decembre 1836, I'eveque s'embarqua avec quatre pretres et trois Freres de la meme Societe. La traversee fut longue et penible ; un des missionnaires mourut en route. Apres avoir double le cap Horn, la petite troupe apostolique arriva, a la fin de 1837, sur le terrain de ses travaux. Au mois de novembre, le P. Bataillon fut depose a Wallis, et le P. Chanel, le futur martyr de I'Oceanie, a Futuns, chacun en compagnie d'un Frere. L'eveque, poursuivant sa route, debarqua le 8 Janvier 1838 a la baie des lies, ou il s'etablit avec un seal missionnaire et un Frere coadjuteur. A cette epoque, la colonic comptait une trentaine de catholiques, presque tous Irlandais ; ces pauvres gens, prives de tout secours religieux, faisaient annuellemcnt le J, Voir le Times du 14 mars 1863. voyage de Sydney, pour se confesser et faire baptiser leurs enfants. On juge de leur joie en voyant arriver les premiers missionnaires catho- liques, apres lesquels ils soupiraient depuis long- temps. Malheureusement, depuis un quart de siecle, I'heresie s'etait solidement implantee a la Nou- velle-Zelande. II est certain que les ministres protestants avaient commence par faire un grand nombre de proselytes. Les Maoris, tres intel- ligents, bien qu'encore anthropophages, avaient vite compris qu'ils avaient tout a gagner avec des instructeurs spirituels qui arrivaient les mains pleines d'or, et promettaient d'initier les naturels a la civilisation europeenne. € La plus grande » partie des soi-disant Chretiens, ecrit un voya- » geur protestant (i), ne se sont convertis que » pour jouir de la vie aisee qu'ils trouvaient dans » les missions. » — « Le succes des missionnaires » a la Nouvelle-Zelande, dit de son cote un mis- » sionnaire americain (2), fut du principalement, » non pas au desir de I'instruction religieuse de J> la part des indigenes, mais a I'esperance de » vendre leurs terrains et de le livrer au negoce. » — a lis semblent peu comprendre, et se soucier > encore moins, dit un ncgociant anglais etabli » dans le pays (3), des principes de la foi chre- » tienne, mais ils apprecient parfaitement I'utilite » des arts que les missionnaires ont enseignes.et » ils comprennent facilement qu'ils ont tout » interet a les supporter. » II fallait que I'interet fiit grand, car, selon leur usage invariable, la ou ils sont les maitres, les Reverends ne tarderent pas a abuser de leur autorite et a transformer leur influence en tyran- nic ; n'etant alors genes par aucun gouvernement europeen, ils firent de ces iles, si riches et si pros- peres, une espece de fief theocratique, qu'ils exploiterent au mieux de leurs interets ; abusant de la bonne foi des indigenes et de I'ignoranceou ils etaient alors de la valeur de leurs terres, ils se firent livrer, a vil prix, des proprietes d'une eten- due egale a celle d'un de nos departements. Un seul d'entre eux, le Rev. Taylor, archidiacre, acheta, moyennant 200 haches et quelques mou- choirs de poche, 50.000 arpents de terre. Jamais encore on n'avait vu un pillage si effronte. Quand les Anglais se furent installes a la Nouvelle-Zelande, les reclamations eclaterent de toutes parts, et le gouvernement britannique nomma une commission pour reviser ces mons- trueu.x marche. Le R. Taylor fut condamne a restituer aux indigenes 48.000 arpents de terre ; il n'en garda que 2.000, ce qui etait encore beau, vu le pri.x qu'il avait pay6. Sur 216.000 arpents qu'ils pretendaient avoir achetes, les ministres du saint Evangile s'estimerent heureux d'en con- server 66.000. A cette occasion, on lit, dans un r. Came Bidwil, Excuision a la NoiiveUe-ZJIanite, ch. 2, 2. Docteur Brown, I.a Noiivelle-Zclaiiiiey ch. 2. 3. Aiitour du Pacifiijue, i vol., ch, 9. 372 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. rapport officiel envoyc a Londres (i) : « Les inis- » sionnaires ne peiivent soutenir un interroga- » toire en regie sur leiirs precedes, et ils rece- » vront assez humblement les conditions qu'on J> leur offrira. » L'avidite et I'indelicatesse a s'approprier les terres des indigenes n'etaient, parait-il, que les moindres peccadilles de messieurs les predicants. Le docteur Lang, ministre presbyterien, dans un rapport officiel (2), s'exprime en ces termes, au sujet des agissements de ses collegues : « Je suis » certain, milord, qu'il est impossible de troiuer, » dans I'histoire d'aucune mission protestante » depuis la Reforme, des faits egaux, en impu- » dence et en indignite morale, a ceux qui sont » rapportes ici. Le premier chef de la mission fut » chasse pour adultere, le second, pour ivrognerie, )> le troisieme, pour un crime encore plus grand. » Les abus flagrants encore toleres et pratiques » par la grande majorite des membres de la mis- » sion, seraient capables de paralyser les efforts » d'un college entier d'apotres. » Les choses etant ainsi, on comprend de quel ceil les Rev. ministres virent arriver a la Nou- velle - Zelande les missionnaires catholiques : c'etaient des concurrents genants et des temoins facheux. A tout prix, il fallait sen debarrasser. Rien ne fut epargne pour cela. On fit entendre au>v naturels que, si les pretres catholiques par- venaient a s'etablir dans le pays, ils les egorge- raient ou, au moins, les chasseraient en masse de la contr^e. A I'instigation de ces messieurs, les chefs zelandais ecrivirent au roi d'Angle- terre : « Nous avons appris que la tribu des » Francais est proche. lis viennent pour s'em- » parer de notre pays. C'est pourquoi nous > prions V. M. de nous defendre centre ces » feroces pirates. » Quand les Maoris virent debarquer, a la baie des lies, deux ou trois pauvres pretres, sans armes, sans argent, sans marchandises, quand surtout ils eurent appris d'eux qu'ils n'enten- daient rien au commerce et ne voulaient se livrer a aucun trafic, la terreur fit bien vite place au mepris. « Aux yeux des Maoris, ecrit gravement » un ministre, un grand commerce seul rend » respectable. Les naturels, vo\'ant que les » pretres papistes n'apportaient ni argent, ni » marchandises, ne furent pas d'abord portes » pour eux. » II oublie de dire que ses collegues et lui s'ap- pliquerent de leur mieux a entretenir ces idees defavorables ; un d'eux s'oublia jusqu'a donner a son chien le nom du vicaireapostolique,MgrPom- palier. Tels etaient les precedes evangeliques de ces Messieurs. Pendant plusieurs annees, la situation de la mission catholique demeura done tres precaire. Le petit nombre des ouvriers apostoliques, I'eten- 1. Rapport aux directeuts de la Compagnie de la Nouvelie- Zelande. 2. Rapport sur les missions de la Nouvelle-Zelande, 1839. due de la mission, qui embrassait la moitie de rOceanie, la penurie de leurs ressources, ne permirent pas d'abord de developper leurs CEUvres. Neanmoins la maniere de vivre humble et desinteressee des missionnaires catholiques, leur patience et leur zele ne tarderent pas a leur attirer le respect des indigenes et la bienveillance des rares etrangers etablis alors dans la colonie. Des 1857, le gouverneur, sir Georges Grey, ecrivait : « Les ecoles catholiques parmi les Maoris sont » tres bien tenues. Elles font honneur au zele de » I'eveque et de son clerge (i). » En i860, au bout de 20 ans, on comptait pres de 40.COO Maoris catholiques. L'insurrection de 1 860, les massacres qui en ont ete la suite, la haine implacable que les naturels ont concue contre la religion de leurs oppresseurs, les Visages pales, toutes ces causes reunies ont arrete I'oeuvre de la conversion des indigenes et reduit leur nombre aux environs de 1 0.000. C'est surtout parmi I'element colonial que la veritable foi etait appelee a se develojjper. En 1844, les iles de I'Oceanie furent detachces du vicariat de la Nouvelle-Ze'ande. En 1848, les progres de cette derniere mission permirent d'y eriger deux sieges episcopaux : Auckland et Wellington. Des lors le travail apostolique coin- menca serieusement, pour ne plus s'arreter jusqu'a nos jours. Au bout d'un demi-siecle, la province eccle- siastique de la Nouvelle-Zelande compte un archeveche , Wellington , et trois suffragants, Auckland, Dunedin et Christchurch, avec 88.200 catholiques, sur une population totale de 595.379 habitants, plus environ 40.000 sauvages. C'est le septieme de la population totale. Telle est la situation actuelle de I'Eglise catholique a la Nouvelle-Zelande. On pent dire, sans exageration, que cette situation est bonne et permet de bien augurer de I'avenir. L'esprit general est excellent et parait sincerement revenu des prejuges sectaires du passe. Les catholiques sont generalement bien vus de leurs concitoj-ens protestants, et la paix confessionnelle regne dans le pays. Du reste, la population parait plus religieuse et moins adonnee aux preoccupations du lucre qu'en Australie. Comme dans la plupart des pays protestants, le repos du dimanche est rigou- reusement observe, le blaspheme est puni par la loi, et il est tres rare que la religion soit attaquee dans les feuilles publiques. Nos catholiques font generalement hoimeur a leur foi ; ceux qui ne pratiquent pas sont la tres infime exception, et comme le nombre des pretres est malheureuse- ment encore tres inferieur aux besoins des popu- lations, chaque dimanche on voit les fideles entreprendre de longs voyages pour assister au service divin. I. Rapport ufliciel au Parlement, 1S57. LES EGLISES DE L'AUSTRALASIE, 1800-1890. 373 Quant aux Maoris, les predications de I'heresie ont complctement echoue aupres d'eux. Tout ceux qui ont garde, malgre la haine des Eiiro- peens, la foi chretienne, sent catholiques. Avec leur finesse d'esprit, les naturels ont fini par discerner les veritables apotres du CHRIST de ceu>c qui ne prechent que le mensonge et I'er- reur. En ce moment, a la Nouvelle-Zclande comme en Australie, les catholiques et les protestants serieux luttent vaillamment pour obtenir des gouvernements coloniaux la reconnaissance de I'ecole confessionnelle. En 1S83, une petition, signee par presque tons les catholiques et de nombreux protestants, fut presentee au Parlement d'Auckland, pour obtenir la suppression de I'ecole sans DiEU, ce dogme moderne de la franc-maconnerie des deux Mondes. A cette occasion, les deux eveques catholiques d'Auckland et deWellington, et I'eveque anglican, furent appeles a la Chambre pour exposer aux deputes leurs griefs. La majorite maconnique repoussa cependant leurs demandes, mais ils ne desespererent nullement de la faire prevaloir un jour. En attendant, les catholiques de la Nouvelle- Zelande ne s'abandonnent pas, et acceptent vaillamment la lutte partout 011 elle est possible. Apres avoir pourvu largement a I'instruction de leur clerge, a la construction des eglises et au service du culte, partout ou ils sont assez nom- breux, i!s batissent et entretiennent, a leurs frais, des ecoles confessionnelles. Un seul exemple donnera la mesure de leur generosite : dans le diocese de Wellington, qui ne compte que 24.000 catholiques, ils ont depense, dans ces dix dernieres annees, 97.175 livres sterling (2.429.375 fr.), en achats de terrains et constructions d'ecoles, et chaque annce, ils donnent pres de 300.000 francs pour le traite- ment de 300 maitres et maitresses d'ecoles. II y a la des exemples dont les catholiques d'Eu- rope feront bien, a mon avis, de faire leur profit. Pour bien saisir le developpement du catholi- cisme dans les jeunes Eglises de I'Australie, il ne reste plus qu'a donner la statistique des six provinces ecclesiastiques dont elles sont formees. - PROVINCE ECCLESIAS- TIQUE DE SYDNEY. Archeveche : Sydney, i archeveque, 171 prcties, 150 c,.ilises ou chapelles, 147.300 catholiques. Evethes : Maitland. i eveque, 43 pretres, 55 ej^liies 011 chapelles, 22.000 catholiques. Armidale. i e'veque, 20 pretres, 80 eglises ou chapelles, 21.330 catholiques. Goulbouriie. i eveque, 36 pretres, 58 Eglises ou cha- pelles, 27.000 catholiques. Bathurst. 1 Eveque, 35 pretres, 75 eglises ou ch.npclles, 22.000 catholiques. Grafton, i Eveque, i 5 prcties, 33 ej^lises ou chapelles, 13.000 catholiques. Wilcannia. i eveque, 16 pretres, 22 eglises ou cha- pelles, 16.000 catholiques. Total : I archeveque, 6 eveques, 336 pretres, 473 dglises ou chapelles, 268.630 catholiques. La province eccltjsiastique de Sydney em- brasse toute la colonie de la Nouvelle-Galles du Sud. Archeveche, Sydney ; six eveches suffra- gants: Maitland, Armidale, Goulbourne, Bathurst, Grafton et Wilcannia. 268.630 catholiques sur 1.074.520 habitants, plus du tjuart du chiffre total. I. — ArcJievccht' de Sydney. Comme je I'ai dit plus haut, I'Eglise de Sydney est, pour toute I'Australie et la Tasmanie reunies, I'Eglise-mcre. Constitueeen 1841, par I'erection de la metropole de S\'dney avec deu.x suffragants : Adelaide et Hobart-Town, la province ecclesiastique, qui embrassait d'abord toute I'Australie et la Tas- manie, s'est vue restreinte successivement a la Nouvelle-Galles du Sud. Actuellement, I'archidiocese comprend la villa de Sydney et une portion de la Nouvelle-Galles. II est limite, au nord, par le diocese de Maitland, au sud, par les dioceses de Sale et de Sandhurst, a I'ouest, par les dioceses de Bathurst et de Goul- bourne, a Test, par la mer. La population totale est de 500.000 habitants, sur lesquels 147.300 sont catholiques. Son Eminence e cardinal Moran, assiste d'un eveque au.xiliaire et d'un nombreux clerge, dirige cette belle Eglise. Dix Congregations religieuses d'hommes, les Benedictins, les Franciscains, les Jcsuites, les Lazaristes, les Maristes, les Pretres du Sacre-Cceur d'Issoudun, les Freres de Marie, les Passionnistes, les Freres des Ecoles chre- tiennes, les Freres de Saint- Patrice, en tout 209 religieux, concourent au developpement des oeuvres du diocese et a I'instruction de la jeu- nesse, pendant que 589 religieuses, partagees entre douze Congregations, s'appliquent a la contemplation et aux oeuvres d'^ducation et de charitd Les catholiques de Sydney sont justement fiers des progres de leur Eglise, et ce qui vaut encore mieu.x, ils font tres gentl-ralement honneur a leur foi. Bien qu'ils appartiennent en majorite a la classe pauvre, ils s'imposent chaque annee les plus genereu.x sacrifices pour suffire a la subsistance de leur clerge et au soutien de toutes leurs ceuvres. Apres cela, ils trouvent encore dans leur charite le mo\-en de secourir les mem- bres souffrants de JESU.S-CIIRIST. Dans la seule ville de Sydney, quatre Conferences de Saint- Vincent-de-Paul distribuent annuellement plus de 25.000 francs d'aumones. Une Eglise qui s'affirme par de telles ceuvres, a cote de I'egoisme glacial du protestantisme, est sure de I'avenir. II. — Evcckc de Maitland. Erige en 1847, ce diocese a pour limites, au sud, I'archeveche de Sydney, a I'ouest, le diocese de Bathurst, au nord, le diocese d'Armidale, a Test, la mer, Les 374 LES MISSIONS CATHOLTQUES AU XIX""^ SIECLE. catholiques sont 22000, sur 91.000 habitants, le quart de la population. III. — Evcclic d'Armidale. Ce diocese, erige en 1862, a pour limites, au nord, la ligne qui separe la Nouvelle-Galles du Sud de la colonic du Queensland, a I'ouest, les dioceses de Wil- cannia et de Bathurst, au sud, le diocese de Maitland, a Test, le nouveau diocese de Grafton. La population totale est de 84.938 habitants, sur lesquels on compte 21.330 catholiques, plus du quart. Le diocese d'Armidale est un de ceux oil I'union du clerge et du peuple s'affirme avec le plus de gendrosite. En trois ans, de 1887 a 1890, I'eveque a construit trente edifices religieux : eglises, pres- byteres, ecoles, qui representent plus de 800.000 francs, fournis nniquement jiar le petit troupeau catholique. IV. — Evcclic de Goulbourne. Erig^, comme celui d'Armidale, en 1862, ce diocese a pour limites, au sud, la riviere Murray, qui le separe de la colonie de Victoria, au nord et a I'ouest, la riviere Lachan, qui le separe des dioceses de Bathurst et de Wilcannia, a Test, I'archidiocese de S}'dney. La population totale est de 103.000 habitants, sur lesquels 27,000 catholiques, plus du quart. V. — Ev'chi de Bathurst. Ce diocese, erige en 1865, a pour limites, au nord, le diocese d'Armi- dale, a I'ouest, celui de Wilcannia, au sud, celui de Goulbourne, a Test, I'archidiocese de Sydney et le diocese de Maitland. 11 compte 22.000 ca- tholiques, sur 120.000 habitants, un cinquieme. VI. — Eveclu' de Grafton. Ce diocese, recem- ment ^rige, en 1887, s'etend tout le long de la cote occidentale de la Nouvelle-Galles, de la pointe Macquarie, au sud, a la pointe Danger, qui marque, au nord, la limite de la colonie. II est limite, a I'ouest, par le diocese d'Armidale, sur lequel il a ete pris en grandc partie. La population totale est de 78.000 habitants , sur lesquels on compte seulement 13.000 catholiques. VII. — Evcclie de Wilcavnia. Ce diocese, erige en 1887, est le plus etendu et le moins peuple de la province. II embrasse toute la partie ouest de la Nouvelle-Galles du Sud. Au nord et a I'ouest, il a les memes limites que la colonie, au sud, il est separe de la colonie de Victoria par la riviere Murray, a Test, il a pour limites les dioceses de Goulbourne, de Bathurst et d'Armidale. La population totale est seule- ment de 60.000 habitants, sur lesquels 16.000 catholiques, plus du quart. II. - PROVINCE ECCLESIAS- TIQUE DE MELBOURNE. Archevechd, Melbourne. I arclieveque, 117 pretres, 159 eglises ou chapelles, 143.9^0 catlioliques. Evech^, Ballarat. I eveqiie, 51 prelres, 119 eglises ou chapelles, 36.000 catholiques. Eveche, Sandhurst, i dveque 34 pretres, loi eglises ou chapelles, 25,000 catholiques. Eveche, Sale, i eveque, 12 pretres, 28 dglises ou cha- pelles, I i.ooo catholiques. Total : I archeveque, 3 iJveques, 21S pretres, 407 eglises ou chapelles, 215.930 catholiques. La province ecclesiastique de Melbourne com- prend toute la colonie de Victoria, la plus petite des colonies australiennes, bien qu'elle vienne immediatement apres la Nouvelle Gallesdu Sud, comme importance numerique. Les catholiques forment un peu plus du cinquieme de la popu- lation totale : 215.930 ames sur 1.025.630 habi- tants. L'archidiocese de Melbourne a trois suffra- gants : Ballarat, Sandhurst et Sale. I. — ArcJievccIic de Melbourtie. Erige en 1847, le diocese de Melbourne fut eleve en 1874 a la dignite de metropole ; il s'etend au sud-est de la colonie de Victoria et a pour limites, au nord, le diocese de Sandhurst, a I'ouest, celui de Ballarat, a Test, celui de Sale, au sud, la mer. La population totale de l'archidiocese est de 702.630 habitants, dont 143,930, plus du cinquieme, sont catholiques. La ville elle - meme de Melbourne est de creation toute recente. II y. a cinquante ans, quelques miserables ajoiipas en ecorces d'euca- Ij'ptus, groupes a I'embouchure d'une riviere sans nom, tel etait I'ancien Melbourne. Aujour- d hui, sur le meme emplacement, s'eleve une ville de 300.000 fimes, rivale de Sydney, a qui elle dispute la suprematie commerciale. Les villes grandissent vite en Australie. II. — Evcclic de Ballarat. Ballarat, la ville de I'or, n'avait pas une maison en 1853. Aujour- d'hui cette ville compte plus de 40.000 habitants. Le diocese comprend toute la partie occidentale de la colonie de Victoria. II a pour limites, au nord, la Nouvelle Galles du Sud, a I'ouest, I'Aus- tralie Occidentale, a Test, l'archidiocese de Mel- bourne et le diocese de Sandhurst, au sud, la mer. 170.000 habitants, dont 36.000 catholiques. III. — Evcclic de Sandhurst. Ce diocese, erig^ en 1874, en meme temps que Ballarat, comprend la partie nord-ouest de la colonie de Victoria. II a pour limites, au nord, la Nouvelle- Galles du Sud, a I'ouest, le diocese de Ballarat, au sud, l'archidiocese de Melbourne et le diocese de Sale. Population : 1 00.000 habitants, dont 25 000 catholiques. IV. — Evcchc de Sale. Ce diocese, de forma- tion toute recente, en 18S7, a ete pris tout entier sur l'archidiocese de Melbourne. II comprend tout le sud-est de la colonie de Victoria ; il a pour limites, au nord, la Nouvelle-Galles du Sud, a I'ouest, l'archidiocese de^ Melbourne et le diocese de Sandhurst, au sud et a Test, la mer. La population totale est de 53.000 habitants, dont 11.000 seulement sont catholiques. LES EGLISES DE L'AUSTRALASIE, 1800-1890. 375 III. — PROVINCE ECCLE SIASTIQUE D'ADELAIDE. Archeveche : Adelaide, i archeveque, 38 pretres, 94 ^glises ou chapelles, 36.000 catholiques. Eveclie : Perth, i eveque, 14 preires, 23eglises ou clia- peiles, 12 470 catholiques. Abbaye ; Nouvelle-Nurcie. I abbd-eveque, 7 pretres, 4 eglises ou chapelles, 500 catholiques. Vicariat apostolique ; Kimberley. ? ? ? Eveche : Victoria, i administrateur apostolicjue, 6 pre- tres, 3 eglises ou chapelles, 260 catholiques. Eveche : Port-Augusta. ? 15 pretres, 30 eglises ou chapelles, 1 1.160 catholiques. Total : I archeveque, 2 eveques, i administrateur apos- tolique, 80 pretres, 154 eglises ou chapelles, 60.390 catho- liques. La province eccle.siastique d'Adelaide, qui vient d'etre erigee, en 1887, comprend trois des six colonies australiennes, I'Australie meridio- nale, I'Australie occidentale et I'Australie sep- tentrionale. La population des trois colonies ne depasse pas 400.000 ames, dont environ 60.000 sont catholiques, un peu plus d'un septieme. L'archidiocese d'Adelaide a quatre suffra- gants : Perth, Victoria, Port-Augusta et Kim- berley, plus I'abbaye benedictine de la Nouvelle- Nurcie. I. — ArcJievccJi^ d'Adelaide. Le diocese d'Adelaide, erige en 1842, comprend toute la colonic de I'Australie meridionale, qu'il depasse meme un peu au nord. II compte 36.000 catho- liques, sur 232.000 habitants. II. — Evi'c/ie de Perth. Le diocese de Perth est un des plus anciens de I'Australie, puisqu'il date de 1845, mais il est reste stationnaire et ne compte encore aujourd'hui que 12.470 fideles, sur una population totale de 50.000 ames. II comprend toute la colonic de I'Australie occi- dentale, a I'cxception du vicariat apostolique de Kimberley et de I'abbaye de la Nouvelle-Nurcie. Cette vaste region, qui s'etend entre Ic I3<^ degre de latitude australe et le 35^, sur une longueur de 550 lieues et une largeur moyenne de 350, n'est guere qu'un vaste desert sans eau, impropre par consequent a la culture. C'est ce qui fait que toute I'activite industrielle et com- mercialc des Anglais s'est portee a Test et au sud de I'Australie, dans les riches colonies de la Nouvelle-Galles et de Victoria, delaissant les cotes ouest et nord, a peu pres improductives, au moins pour Ic moment. Aussi c'est dans ces regions peu fertiles et meprisees des Europeens que se sont refugies ceux des naturels qui out 6chappe a I'cxterrnination en masse qui en fut faite au debut. L'Eglise catholique s'est penchce avec amour vers ces dcsherites, que Ic protes- tantisme avait declares incapables de connaitrc DiEU, et, comme on le verra plus bas, elle com- mence a recueillir les fruits de .son industrieu.se charite. III. — Abbaye de la Nouvelle-Nurcie. A 85 milles au nord de Perth, est situee I'abbaj-e de la Nouvelle-Nurcie, dans laquelle les enfants de Saint-Benoit, marchant sur les traces de Icurs ancetres, les grands moines du V'= siecle, qui ont defriche les deux tiers de I'Europe et fait reculer la barbaric, s'efforcent de grouper autour d'eux ct de civiliser ces indigenes que regoismc protestant jugeait indignes du titre d'cnfants de UlEU et condamnait, sans pitied, a perir. C'est a I'annee 1845 que remonte cette utile fondation. Ueu.x Benedictins espagnols, les PP. Salvado et Serra, furent envoyes, sur leur de- mande, par la Sacree Congregation de la Propa- ganda, pour fonder un monastere de Saint-Benoit au milieu des forets de I'Australie. Arrives dans le diocese dc Perth, qui venait d'etre fonde, les deux religieux, apres avoir re^u la benediction de reveque, s'enfonccrent dans les bois, a la recher- che d'un emplacement convenablc. II faut lire dans Dom Berengier (i) le recit des souffrances et des epreuves de cette premiere fondation. II y a la des pages ravissantes, que je craindrais de deflorer en les ecourtant ; qu'il me sufifise de dire qu'au bout de cinquante ans de travaux et d'ef- forts, le succes est complet. Deja en i860, un voyageur americain (2) ecrivait, au sujet de cette fondation : « Le clerge » catholique romain possede un etablissement de ^ missions indigenes a Victoria-Plain, ou il utilise )) les naturels, en employant les moyens les plus » propres a les civiliser. » Que dirait-il aujour- d'hui, en voyant I'abbaye de la Nouvelle-Nurcie devenue, comme au moyen-age, un centre de vie agricole, industrielle ct intellectuel'e? car il ne faut pas oublier que toute fondation benddictine est doublee d'un atelier et d'une ecole. Quels changements operes en quelques annees parmi ces sauvages enfants des bois! Quand Mgr Salvado revint, pour la preiniere fois, en Europe, en 1855, il put presenter au Saint-Pere deux des plus intelligents de ces jeunes sauvages, qui furent admis a faire profession dans I'Ordre de Saint-Benoit, apres avoir fait leur noviciat dans un monastere d'ltalie. Voila ce que le catholicisme a fait de ces Australien.s, dont un eveque anglican, le Trcs Reverend Brougton, di.sait : <■; J'ai reconnu qu'il » est absolumcnt impossible de leur donner » aucune notion de DiEU, aucune teinturc de » christianismc (3). » Et dc fait, tous les temoignages s'accordent a reconnaitre que tous les cssais, entrcpris a grands frais pour civiliser les indigenes, ont mi.serable- meiit echouc. « Dans la colonic de Victoria, » plusieurs millicrs de livres sterling ont cte » depenses pour I'instruction morale et religicuse » des enfants. lis ctaient bien vetus ct bicn » loges, mais le r&ultat fut un insucces doulou- 1. La Nouvelle-Nurcie, I vol. in- 18 avec gr.ivures. 2. Will. Uradshaw, I'oyafie aux InJcs el en Chine, ch. 6. 3. Deposition faite par I'^veque au Parlement colonial, 1840. 376 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™*' SIECLE. > reux. Le seul effet de tous ces dons en nature » et en vetements fut que les indigenes s'engrais- » serent, devinrent paresseux et desobeissants. » lis disaient que le travail n'est pas fait pour » I'homme noir, mais pour le blanc, que cela » amuse. Au bout de neuf ans, les instructeurs, 1^ vaincus sur tous les points, furent obliges :> d'abandonner leur ceuvre (i). » Cet insucces ne fut pas le seal C'est I'histoire de toutes les tenta- tives du meme genre essaj-ees en Australie par les protestants. « De grandes depenses furent > faites dans la mission du lac Macquarie, mais » ce sol trop ingrat fut bientot abandonne par la > Societe decouragee. II n'y a pas d'exemple » qu'un seul indigene ait accepte les dogmes du » christianisme (2). > Un voyageur italien, Rienzi, raconte I'histoire d'un jeune Australien eleve avec soin par un philanthrope anglais. Ouand son Education fut achevee, il futamene a Londres, ou il fut exhibe, dans plusieurs reunions de la Societe biblique, comme un specimen del'educa- tion donnee par les missionnaires. Mais, de retour en Australie, il s'enfuit dans les bois et retourna a la vie sauvage, vivant comme ses congeneres, dans un etat complet de nudite. A la fin, il fut condamn^ et pendu pour crime de viol. Ce miserable n'avait pris de la civilisation que ses vices. Voici maintenant les resultats de I'education protestante attestes, non plus par des voyageurs, mais par les ministres eux-memes : « Les natu- » rels, ecrit le R. Johnson (3), ont constamment >> resiste a tous les efforts qu'on a faits pour les > convertir. » Et cependant, ce que n'ont pu faire, aides de larges subventions, les efforts d'hommes intel- ligents, et quelques-uns, je me plais a le recon- naitre, animes d'un veritable zele humanitaire et civilisateur, de pauvres moines, depourvus de toiite assistance, I'ont essaye et ils ont reussi. Les Anglais, excellents appreciateurs des choses, sont les premiers a rendre hautement justice au succes complet des moines de la Nouvelle-Nurcie, et les nombreux enfants deja sortis de leurs ecoles ont trouve a se placer tres avantageuse- ment dans la colonie. D'oii vient cette difference de resultats, avec des ressources si disproportion- nees ? Ne serait-ce pas qu'au missionnaire catho- lique seul a ete adressee la grande parole : Doceie piiines gentes ? Seuls, ils ont recu la promesse de I'assistance divine pour enseigner toutes les nations du globe ; et voila ce qui explique leurs merveilleux succes aupres des tribus les plus sauvages de I'Australie, comme aupres des noirs les plus abjects du centre de I'Afrique. lis sont les seuls instructeurs des nations envoyes de DiEU. Les autres, quels que soient d'ailleurs leurs talents et leur bonne volonte, se sont donn^ eux- 1. Docleur Lang, His'.oire lU la Nouvelle-Galks Jii Sud. 2. Thomas Lloyd, j? 'icioria, ch. l8. 3- \J Australie, ch. 7. 2. Thomas Lloyd, j^f am dans la Tasmanie ct la iolonic de Victoria, ch. l8. memes la mission d'enseigner. II n'est pas eton- nant qu'ils echouent la ou la tache depasse visi- blement les forces humaines. Le monastere de la Nouvelle-Nurcie, eleve en 1867 a la dignite d'Abbaye relevant direc- tement du Saint- Siege, est sorti desormais des difficultes inherentes a tout debut. II est permis d'esperer que I'ceuvre ira en se developpant et que de nouveaux monasteres deviendront, au milieu des deserts de I'Australie, des centres de christianisme et de civilisation. Ces moines, dont I'ingratitude moderne affecte de dedaigner les services, parce qu'elle croit pouvoir desormais s'en passer, civiliserent le Nouveau-Monde par le travail, I'etude et la priere, comme leurs ancetres, les premiers fils de Saint-Benoit, ont civilise I'Ancien. IV. — Vicariat opostolique de Kimberley. Le district de Kimberley est situe a Test de Perth. II compte tres peu d'Europeens, mais a environ lOO.OOJ sauvages, vivant dans les forets. Un saint pretre du diocese de Perth, le R. Mac-Nab, s'est appliqud avec succes a la conversion de ces malheureux. Sur sa demande, la Sacree-Congre- gation erigea, en 18S7, le district de Kimberley en vicariat apostolique, qui fut confie aux Bene- dictins de la Nouvelle-Nurcie. Les renseignements me font encore defaut sur ce nouveau vicariat, mais il est permis d'esperer que les enfants de Saint-Benoit, avec I'experience acquise de I'evangelisation des sauvages, reus- siront, d'ici quelques annees, a renouveler dans ce district les merveilles de la Nouvelle- Nurcie. V. — Evcchtf de Victoria - Paliiierston. Ce diocese, erige en 1847, comprend toute la colonie de I'Australie septentrionale. Par ordre du Sou- verain-Pontife, il vient d'ajouter a son nom celui de Falmerston, capitale de la colonie. L'Australie septentrionale n'a presque plus d'habitants. Au recensement de 1891 on n'en comptait plus que 5.0S8, sur lesquels on trouve a peine 260 catholiques. Jusqu'a ces dernieres annees, I'abbe-eveque de la Nouvelle-Nurcie etait charge du diocese de Victoria. A sa demande, il en a ete recemment decharge. Actuellement le diocese est gouverne par un administrateur apostolique, appartenant, comme tous les missionnaires, a la Compagnie de Jesus. VI. — Evcchc de Port-Augnsta. Ce diocese, erige en 1887, a pour limites, au nord, le diocese de Victoria ; a I'ouest, celui de Perth ; au sud, I'archidiocese d'Adelaide ; a Test, la colonie du Queensland. La population totale est de 45.000 habitants, sur lesquels 11. 160 sont catholiques. LES EGLISES DE L'AUSTRALASIE, 1800-1890. 377 IV. — PROVINCE ECCLE- SIASTIQUE DE BRISBANE. Archeveche, Brisbane. I archeveque, 44 pietres, 58 eglises oil chapelles, 60.000 catholiques. Eveche, Rockhanipton. i eveque, 17 ptetres^ 21 eylises ou chapelle?, 22.000 calholiqiies. Vicariat apostoliqiie, Cooktown. i vicaiie apostolique, 13 pretres, 12 eglises ou chapelles, 5.000 calholiqiies. Vicariat apostolique, Queensland. .? ? ? ? Total : I archeveque, 2 eveques, 73 prelres, 91 eglises ou chapelles, 87.000 catholiques. La province ecclesiastique de Brisbane, erigee en 1S87, comprend toute la colonic du Queens- land, dont la population totale est de 400.000 habitants, sur lesquels on compte environ un cinquieme de catholiques. L'archidiocese de Bris- bane a trois suffragants : I'eveche de Rockhampton et les deux vicariats apostoliques de Cooktown et du Queensland. I. — ArcheveM de Brisbane. Erige en 1859, il comprend tout le sud de la colonie du Queens- land, a partir du 24<= degre de latitude australe. II est limite, au nord, par le diocese de Rock- hampton, a I'est, par la colonie de I'Australie NOUVELLE-NURCIE (Austr.\uk). PRE.MIEI? 6T.\liLISSEIMENT DE LA MISSION BENEDICTINE. occidentale, au sud, par la colonie de la Nouvelle- Galles, a Test, par la mer. Les catholiques sont 60.000 sur 240.000 habitants. n. — Avcchd de Rockhanipton. Ce diocese, detache en 1881 de celui de Brisbane, occupe le centre de la colonie du Queensland. Ilestcom- pris entre le iS^ degre de latitude australe et le 24<:. II a pour limites, au nord, le vicariat apos- tolique de Cooktown, au sud, l'archidiocese de Brisbane, a I'ouest, le diocese de Victoria, a Test, la mer. Population catholique, 22.000 ames, sur S7.00O habitants. III. — Vicariat apostolique de Cooktoivn. La mission du Queensland septentrional, erigee en 1876 en vicariat apostolique, fut confiee, en 1884, aux Ermites de Saint-Augustin. En 1887, la Sacree-Congregation reserva la denomination du vicariat apostolique du Queensland pour les indigenes, et I'ancien vicariat de ce nom prit alors le titrc de Cooktown. Ce vicariat comprend tout le nord de la colonie du Queensland du io>^ degre de latitude australe au iS*-'. II a pour limites, a I'ouest, le diocese de Victoria, au sud, le diocese de Rock- hampton, au nord et a Test, la mer. Population totale, 18.000 habitants, dont 5.000 catholiques. IV. — Vicariat apostolique da Queensland. Ce vicariat fut erige en 1887 pour les nombreux indi- 378 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™*: SIECLE. genes du Queensland, II s'etend a toute la province, inais avec juridiction exclusive sur les sauvages, qui sont au nombre d'environ 80.000. Je n'ai aucun renseignement sur ce vicariat. V. — PROVINCE ECCLESIAS- TIQUE D'HOBARTTOWN. Archeveche, Hobart-Town. i archevcque, 24 pretres, 77 eglises ouchapelles, 26.500 catholiques. L'archeveche d'Hobart-Town, cree en 1824, et eleveen 1887 a la dignite de metropole, n'a pas encore de suffragants. II s'etend a toute la Tas- manie et a I'ile de Norfolk. Sa population totale est de 146.670 habitants, sur lesquels on compte 25.500 catholiques. VI.— PROVINCE ECCLESIAS- TIQUE DE WELLINGTON. Archeveche, Wellington, i archeveque, 40 pretres, 77 eglises ou chapelles, 24.000 catholiques. Eveche, Auckland, i eveque, 29 pretres, 92 eglises ou chapelles, 25.200 catholiques. Eveche, Dunedin. 1 eveque, 21 pretres, 36 dglises ou chapelles, 20 500 catholiques. Eveclie, Chnstchurch. i eveque, 32 pretres, 51 eglises ou chiipelles, 21.005 catholiques. Total : I archeveque, 3 ifveques, 1 22 pretres, 256 eglises ou chapelles, 90.700 catholiques. La province ecclesiastiqiie de Wellington com- prend toute la Nouvelle-Zelande et les iles adja- centes. La population totale, y compris les indi- genes, est de 598.380 habitants, sur lesquels on compte 90.700 catholiques, soit pres du sixieme. I. — Archeveche de Wellington. Erige en 1848, le diocese de Wellington a ete eleve en 1887 a la . dignite de metropole. II comprend actuellement la partie sud de I'ile Nord, et la partie nord de I'ile Sud. A son arrivee, en 1848, le premier eveque avait trouve deux petites chapelles et environ 400 catholiques. Aujourd'hui, I'archi- diocese compte 24.000 catholiques, sur une popu- lation totale de 140.000 habitants. L'archidiocese est confie en grande partie aux pretres de la Societe de Marie. II. — Eveche d' Aucklattd. — Ce diocese, erige en 1 848, en meme temps que celuide Wellington, n'a pas subi de transformations. II occupe la par- tie septentrionale de I'ile Nord, et compte 25.200 catholiques, dont 5. 000 Maoris, sur une popu- lation totale de 130.379 Europeens, et environ 35.000 Maoris. III. — Eveche de Dunedin. Le diocese de Dunedin ,detache, en 1 869, de celui de Wellington, comprend toute la partie meridionale de I'ile Sud et I'ile Stewart. II compte 20.500 catholiques, sur 1 5 3.000 habitants. La ville de Dunedin fut fondee vers 1S50 par les presbyteriens. Pendant longtemps les catho- liques y furent traites en parias, et exclus de tous les emplois publics. Aujourd'hui, la tolerance est etablie, et la ville de Dunedin a plus de 5.000 catholiques, sur 42.000 habitants. IV. — Eveche de Christchiirch. Ce diocese futdetache, en 1887, de celui deWellington.il comprend toute la partie moyenne de I'ile Sud, et compte 20.000 catholiques, sur 140.000 habi- tants. La ville de Christchurch (I'Eglise du CliRlST) fut fondee en 1857, par les puseystes anglais. Comme son nom I'indique, c'est une ville toute clericale, dont chaque rue porte le nom d'un eveque anglican. Le fanatisme protestant, qui s'y est d'abord affirm^ tres hautement, a fait place a la tolerance et meme a la .sympathie pour les catholiques et leurs oeuvres. 20 OOO catholiques sur 140.OOO habi- tants. Statistique compar^e : eglises ou chapelles, 4 ^coles, En 1800 : neant. En 1820 : 2 pretres, j 2 000 catholiques. En 1840 : 2 vicaires apostoliques, 33 pretre?, ? eglises ou chapelles, ? ecoles, 40. 500 catholiques. En 1870: 2 archeveques, 13 eveques, 246 pretres, ? eglises ou chapelles, ? ecoles, 331.956 catholiques. En 1S96 : 6 archeveques, 16 eveques, I administrateur apostolique, 951 pretres, i.458eglises ouchapelles, 749-'5° catholiques. ^pjJij:i:ixjij:iiLij:rxiiiiiixxxjixzxziTiiiOTiiiiiiX3:iJi:iii3.iuirii:(iiiiiii]rTTiTrij:riixiiiiiiixj:iiiiiij:iiirTiT;jii ^ CljfllJitic vingt^Cinriuicme. ^ LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 'aTiiiiJ:Li^ixx-ix [JiJiiiixiajjiiijj.iijiixrijTiJiiixriJiTTi^riiriiTTiT^ ^^ftfSfeS^^^^OuzE cents ans avant Jp!sus- ^ " Christ, le Prophete royal avait annonce I'evangelisation des iles de rOceanie : « Les rois de Tharsis et les lies de I'Ocdan m'apporteront des presents ( i ). » Son fils Salomon avait predit u Sauveur serait porte aux iles les plus eloignees de la mer (2). Mais le prophete Isaie, avec sa precision habituelle, avait declare que cette predication se ferait atlendre : <"< Les iles attendront avant de connaitre sa loi et de publier ses louanges (3). » Cette longue attente devait se prolonger jusqu'au commencement du XlXf^ siecle. Mais enfin I'heure fixee par DiEU au cadran de I'eternite est sonnee, et le meme pro- phete va nous faire assister aux merveilles de la predication apostolique : « Iles de la mer, ecoutez, et vous, nations situees aux extremites du monde, pretez I'oreille (4). » « Le nom du DiEU d'Lsrael sera porte au milieu des iles de la mer (5). » « Voici que je viens, dit le Seigneur, pour reunir toutes les nations de la terre et les peuples de toute langue. Et ils verront ma gloire, et jeta- blirai au milieu d'eux mon signe. Et je prendrai parmi ceux que j'aurai sauves ; je les enverrai aux lies les plus lointaines, a ceux qui n'ont jamais entendu parler de moi, et ils feront de toutes ces nations un peuple de freres, et je choisirai parmi eux des pretres et des ievites, a dit le Seigneur DiEU d'Israel (6). » On le voit, le prophete, selon son habitude, entre dans les details les plus circonstancies ; il n'oublie rien, il mentionne specialement I'institution d'un sacer- doce indigene. C'est un historien qui nous fait, trois mille ans d'avance, le recit de la predication 1. Jieges Thartis (t insitlii: inunera efferent. l*s. 71-IO. 2. Ad insulas loitge divulgatum est nomen 'jus. Ecclesiast. 3. Legem ejus insulic exsfeclabuiit... Et laudem ejus iiisuht exspectabunt. Is. 44-4. 4. Audile, insuliT, et attendite, populi de longe. Is. 49-I. 5. In insttlis maris nomen Dei Israel. Is. 24-15. 6. Et assumam ex eis sacerdotes et levitas, dieit Dominus. Is. 66-21, evangelique telle qu'elle .s'est produite dans les iles de I'Oceanie, au cours du Xix« siecle. C'est seulement a la fin du dernier siecle et dans les premieres annees de celui-ci, que les iles de I'Oceanie furent decouvertes par les navi- gateurs europcens, Bougainville, Cook, Lapey- rouse, etc. D'ou venaient les indigenes qu'ils trouverent dans ces iles, situees a des centaines de lieues de distance, au milieu des flots du Pacifique? C'est ce que la science moderne n'a pu dire encore avec certitude. II parait certain neanmoins que la race noire, qui peuple le Conti- nent australien, la Papouasie et toute la partie sud-ouest de la Polynesie, est venue de I'extremite orientale de la cote d'Asie. Ces noirs, dont le type ethnologique differe notablement de ceux d'Afrique, ne seraientils pas les restes des an- ciennes tribus Dravidicnnes de I'lnde, refoulees au xve siecle avant J£sus-Chri.st par I'invasion des Ayras ? II est certain (i) qu'il se fit, a cette epoque, un exode en masse de la race noire, le long des cotes de la Birmanie et du detroit de Malacca, d'ou elle remonta par les montagnes de rindo-Chine jusque dans le sud de la Chine, ou elle subsiste encore, sous la forme de tribus sauvages : Chams, Stiengs, Lobos, Mantzes, qui ne se sont jamais melangees avec la race jaune et offrent un type ethnologique tout different de celui du Chinois ou de I'Annamite. II est assez raisonnable de penser qu'une partie de ces tribus fugitives aura passe le detroit de Malacca, et, par les iles de la Sonde, les cotes de I'Australie et de la Nouvelle-Guin^e, aura occupe successivement toute I'aire geographique designee sous le nom de Mclnnc'sie, ou iles noircs, de la couleur des habitants. D'un autre cote, il est certain qu'on trouve le type malais tres accentue dans les ties de la Sonde, les Celebes, les Philippines, les lies Mariannes et les Carolines ; d'ou le nom de Ma/aj'o-polyiic'siennes donne par les savants a ces populations. Enfin, il ne parait pas douteux que d'autres iles, I. Voir I'ouvrage de Mgr Laouenan ; Le Brahmanisme, vol. I, 1" partie, ch. I. 380 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. sui'tout celles de I'Oceanie orientale et les lies Sandwich, ont ete peuplees de proche en proche par des naufrages perdns au milieu des flots de I'Ocean, et venus, les uns des iles septentrionales du Japon, les autres des tribus peniviennes de rAmeiique du Sud. Jusqu'a quel point ces difKrentes races se sont-elles fusionnees par des melanges ? Quelle est I'histoire de ces populations isolees et comme perdues entre I'Ancien Monde et le Nouveau? C'est ce qu'on ne saura probablement jamais, car, par la faute des premiers predicants de I'Evangile, la plupart des traditions oceaniennes ont irrevocablement peri. <.< Les missionnaires » methodistes , rapporte un savant linguiste » allemand, ont detruit par un zele deraison- » nable toutes les compositions poetiques de ces » peuples. On ne peut se dissimuler le tort » impardonnable qu'ils ont fait a la science et » a I'histoire. Les missionnaires catholiques , » dignes appreciateurs de ce qui appartient a » la religion ou a la science, agissent avec plus » de sagesse (i). » Sans deprecicr I'utilite des etudes ethnogra- phiques, il est bien permis de remarquer que ce fut la un des moindres mefaits des ministres protestants en Oceanie. On ne saurait trop deplorer le maliieur des indigenes d'avoir ete evangelises d'abord par les apotres de I'erreur. Laissant prudemment de cote les populations anthropophages de la Papouasie et de la Nou- velle-Caledonie, ils s'etablirent d'abord a Tonga, a Tahiti, a Samoa, aux iles Sandwich, au milieu des tribus d'humeur douce et paisible, dans un climat dclicieux ; et, flattant habilement I'am- bilion des chefs, n'ayant rien a craindre, a cette epoque, du controle de I'Europe, ils ne tarderent pas a s'emparer du gouvernement de ces iles, a s'imposer en maitres aux indigenes, a supprimer toute vie nationale, a etouffer toute initiative, toute liberie, et a monopoliser a leur profit exclusif le commerce de ces pays. Comme I'a declare un des leurs, il s'agissait beaucoup moins de precher le christianisme que de faire des iles de la mer du Sud « une delicieuse reserve de chasse pour une poignee de mission - naires (2). » Naturellement, arrivant les mains pleines d'or et n'ayant pas encore de concurrents, les ministres du pur Evangile (comme ils s'appellent) eurent d'abord de tres grands succes, et ils compterent bientot des milliers de convertis, des iles Sand- wich aux ilots les plus recules de la mer du Sud. Trop de causes naturelles expliquent ce premier engouement des populations pour qu'il y ait lieu de s'en etonner beaucoup. En accueillant chez eux ces riches etrangers, les roitelets indigenes comptaient bien attirer dans leurs iles la visite des navires, charges pour eux de riches presents 1. Journal Asiatique. Annee 1844. 2. Ch. Harslliouse, La Xotnelle-Zilande. et des merveilles de I'Europe civilisee. Aussi ils ne negligerent rien pour faciliter le travail des predicateurs. « Quand Pomare embrassa le chris- » tianisme, raconte lord Waldegrave, toute I'ile )) en fit autant pour lui obeir. Mais c'etait une » conversion toute politique, ni intelligente, ni » sincere (i). » II en fut de meme a Tonga, quand le roi Georges se fit weslej-en ; aux iles Sandwich, quand Kamehameha embrassa le methodisme. Malheur a quiconque refusait de suivre le Lotit du roi ! Des mesures expeditives, I'exil ou la mort, ne tardaient pas a avoir raison de toutes les resistances. I£t quant aux tribus qui refusaient de les rece- voir, les Rev. ministres les livraient sans scru- pule a I'ambition de leurs proteges, se faisant instructeurs militaires, fournissant aux leurs des fusils europeens et des munitions; ils dechai- nerent, au milieu de ces populations autrefois si heureuses et si paisibles, le fleau de la guerre civile. « C'est un fait remarquable, avoue le » R. John Williams, que le christianisme n'a pu » etre introduit dans aucune ile importanta » sans y dechainer la guerre (2). » — « La nou- » velle religion, dit de son cote Kotzebue, fut » etablie par la violence, et quiconque refusait )) de I'embrasser etait mis a mort. Grace a leur » zele pour se faire des proselytes, les envoyes '% protestants changerent en tigres feroces ces > populations si douces (3). » Le lecteur est prie de remarquer que j'apporte uniquement ici des t^moignages protestants. II est certain que c'est avec le secours des ministres que Pomare se rendit maitre de I'archi- pel de la Societe et le roi Georges de celui des Amis; ce sont eux qui ont fomente et entretenu, jusqu'a ces dernieres annees, la guerre civile a Samoa, a Rotuma, dans les Loyalty. Sous le regne de Louis-Philippe, les agissements du R.Pritchard, tout a la fois ministre du saint Lvan- gile et consul du gouvernement britannique, faillirent faire eclater la guerre entre la France et I'Angleterre, comme je le raconterai plus loin. On comprend qu'avec de pareils procedes d'evan- gelisation, le protestantisme, tant qu'il fut seal a parler, domina en maitre dans toutes les iles de I'Oceanie. L'Eglise catholique, pendant les vingt-cinq premieres annees du siecle, ne pouvait lui disputer les ames ; elle avait assez a faire en Europe a reorganiser ses cadres et a panser les blessures de la Revolution. Quand elle se presenta a son tour pour entrer en lice, la place etait prise depuis un quart de siecle, et ce ne fut qu'au prix des plus dures epreuves qu'elle put obtenir droit de cite sur ces plages lointaines, dont I'heresie, selon le mot d'Ozanam, comptait bien faire « un fief theocratique et commercial » pour les nom- 1. Journal de la Societe de Geo^raphie. 2. Entreprisis des missionnaires dans les iles de la mer du Sud, ch. 12. 3 Xouvcau voyage aatoiir du moiide, 3= vol., ch.ip. I". . LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 381 breuses families de ses predicants. Aujourd'hui encore, si un quart senlement de I'Oceanie chre- tienne est catholique, pendant que les trois autres quarts se rattachent auxdiffcrentesdenominations du protestantisme, c'est a cette fatale avance prise sur nous par nos rivaux qu'il faut en faire remonter la cause. C'est seulement en 1830 que les iles de I'Oceanie entrent dans la hierarchie catholique. A cette epoque, le Saint-Siege mit tous ces archipels sous la juridiction de M. Solages, prefet apostolique de la Reunion. Evidemment cet arrangement ne pouvait etre que provisoire. Le prefet apostolique de la Reunion etalt assez occupe chez lui a reorganiser les cadres de son Eglise brises par la Revolution ; il manqiiait egalement d'hommes et de ressources pour des- servir une mission situee aux antipodes et qui embrassait la cinquieme partie du globe. DiEU n'allait pas tarder a susciter de nouveaux ouvriers pour defricher ce vaste champ abandonne a i'heresie. Deja, depuis 1826, la Congregation des pretres du Sacre-Coeur, dite de Picpus, avait envoye trois missionnaires dans les iles Sand- wich. En 1S33, Gregoire XVI, partageant en deux I'Oceanie, d'un pole a I'autre, a partir du 180° de longitude, confia a cette Congregation le vicariat de I'Oceanie orientale, et, trois ans plus tard, a la mort de M. Solages, il donnait a la Societe de Marie, encore au berceau, le vicariat de I'Oceanie occidentale. En 1842, une nouvelle division partagea en trois vicariats toutes les iles de I'Oceanie : le vicariat oriental, qui resta aux Picpuciens, le vicariat central et le vicariat occidental, tous deux a la Societe de Marie. De nouvelles divisions ne tardcrent pas a limiter le travail de I'apostolat : L'Oceanie orientale fut partagee successive- ment en trois vicariats : Sandwich, 1844, Tahiti, 1848, les iles Marquises, 1848. Ces trois missions sont demeurees depuis leur fondation I'heritage de la Congregation de Picpus. De I'Oceanie centrale furent detaches trois nouveaux vicariats : la Nouvelle-Caledonie, 1847, les iles des Navigateurs, 1850, et les iles Fidji, 1863. Ce qui porte a quatre, pour cette partie de I'Oceanie, les vicariats apostoliques de la Societe de Marie. Quant a I'Oceanie occidentale, on en detacha en 1844 le double vicariat de la Melanesie et de la Micronesie, qui fut donne d'abord a la Societe de Marie, puis aux Missions Etrangeres de Milan, puis resta abandonne jusqu'en 188 1, epoque oil il fut repris et confieaux missionnaires du Sacre- Coeur d'Lssoudun. L'Oceanie occidentale ne comprenait plus alors que la Nouvelle-Zelande, qui, comme jc I'ai dit au chapitre precedent, fut erigee en 1848 en diocese, et forme aujourd'hui une province ecclesiastique complete. Pour ne rien omettre, disons que le vicariat apostolique de la Melanesie et Micronesie, repris en 1 88 1, fut divise en 1889 en deux nouveaux vicariats : Nouvelle-Guinee et Nouvelle-Pome- ranie. Enfin, en 1886, le Saint Siege a detache de la Micronesie les iles Carolines, qui forment deux missions : Carolines occidentales et Carolines orientales. Ces deux missions appartiennent aux Capucins espagnols. Pour etre plus clair, j'etudierai chacune des missions de I'Oceanie insulaire, en les classant par ordre de Congregations religieuses : Picpuciens. — Trois vicariats apostoliques : Sandwich, Taiti et les iles Marquises. Maristes. — Quatre vicariats apostoliques : Oceanie centrale, Navigateurs, Nouvelle-Cale- donie, Fidji. Missionnaires d'hsoudnn. — Trois vicariats apostoliques : Nouvelle-Guinee, Nouvelle-Pome- ranie et Micronesie. Cap7icins. — Deux missions : Carolines occi- dentales et Carolines orientales. Total pour toutes les iles de I'Oceanie : quatre congregations, dix vicariats apostoliques ttdeux missions. Premiere Partie. MISSIONS DE LA CONGRE GATION DE PICPUS. L — Vicariat ArcsTOLiijUE des iles Sandwich. LES iles Sandwich c u Hawai', decouvertes en 1778 par Cook, forment un groupe de huit grandes iles : Hawai, Maui, Oahu, Kanai, Molokai, Lanai, Nihau et Kahoolavve, sans compter une centaine d'ilots. EUes s'etendent du 170° au 150° de longitude ouest, et du 20° au 25° de latitude nord. Honolulu, la capitale, est situee dans I'ile Oahu. Ces iles obeirent d'abord a des chefs particu- liers. A la fin du dernier siecle, un chef, plus intelligent ou plus ambitieux que les autres, les soumit tous a son autorite et regna sur tout I'archipel, sous le nom de Kamehameha I'"'', dit le Grand. Ce barbare de genie touriia le premier les regards de ses sujets vers la civilisation occi- dentale et, bien qu'il vecut et mourut palen, il avait, sans s'en douter peut-etre, admirablement prepare son peuple a la reception de I'Evangile, principe unique de toute civilisation. C'est sous le regno de son fils, Kamehameha II, qu'arriverent d'Am^rique les premiers methodistes (1820). Mais il est bon de noter ici que, I'ann^e precedente, le catholicisme avait deja fait une apparition dans ces iles. L'abb6 de Ouelen, cousin de I'archeveque de Paris, voyageant en qualite d'aumonier sur la fregate I'Uranie, avait instruit et baptise le premier ministre du roi. Que devint cet unique neophyte ? L'histoire n'en dit rien. Mais il est certain qu'a leur arriv^e, les protestants 382 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™<= SIECLE. trouverent une population toute disposee a em- brasser le christianisme, et ils avouent qu'avant meme qu'ils eussent commence leurs travaux, I'idolatrie avait disparu de ces iles « comme par miracle. )> II etait difficile de trouver un terrain mieux prepare. Aussi, des les premiers jours, le roi et la reine avaient embrasse la nouvelle religion, et, desireux de contempler de pres les merveilles de la civilisation, ils partirent pour Londres ; mais la rigueur du climat brumeux de I'Angleterre fut fatale au jeune couple, qui mourut a Londres, vers la fin de 1824. En I'absence du roi, et depuis sa mort jusqu'a la majorite de Kamehameha III, ce fut la reine- mere qui exer^a la regence (1823-1832). Elle se laissa entierement dominer par I'in- fluence des methodistes, en particulier du trop fameux Bingham, qui devint ainsi le veritable roi des iles Sandwich. Voici comment cet homme etait apprecie par ses propres coreligion- naires : « Bingham, ecrit Kotzebue (i), intervient » dans toutes les affaires du gouvernement ; le » commerce surtout attire son attention. II )) semble avoir entierement oublie le but de son » sejour ici, trouvant sans doute les occupations » d'un administrateur plus a son gout que celles » d'un missionnaire. Les desseins particuliers de » Bingham ne peuvent etre facilement penetres, » parce qu'il les recouvre du manteau de la reli- » gion. Peut-etre se croit-il ddja le maitre absolu » de ces iles. » Ses collegues paraissent avoir marche sur ses traces : « II y a decidement quelque chose de » revoltant,ecrit I'historien protestant Melville(2), » dans les operations des missionnaires aux iles » Sandwich ; autre chose est de lire les recits » pathetiques de leurs fatigues, les belles descrip- » tions de leurs conquetes, des baptemes qu'ils > ont donnes a I'ombre des palmiers ; autre chose » d'aller aux iles Sandwich, d'\- voir des mission- )) naires habitant des villas en pierres de corail, » pittoresquement situees et delicieusement meu- » blees, tandis que les malheureux indigenes » s'abandonnent autour d'eux a toutes sortes » d'immoralites. » Et ce qu'il y a de vraiment revoltant, c'est que ces memes hommes, si indulgents pour eux- memes, exigeaient de leurs neophytes des obser- vances d'une severite exageree : proscription des jeux les plus innocents ; le jour du sabbat, defense d'allumer du feu, meme pour cuire les aliments ; cinq apparitions differentes au temple sont pres- crites ce jour-la ; et comme sanction penale, les recalcitrants sont conduits au preche a coups de rotin, ou frappes de lourdes amendes. II va sans dire que les Rev. ministres et les principaux chefs trouvaient bon de se dispenser de ces observances genantes. 1 . P'oya^e aidour du monJc, vol. II. 2. Les lies Marquises, ch. 26. Ace dur regime, le peuples hawaien perdit bien vite ses qualites naturelles ; sa gaiet6, sa douceur, sa franchise ; il devint sombre, hypo- crite, delateur et sournois. Une depopulation effroyable se fit dans ses rangs. En 1823, la po- pulation de I'archipel etait de 142.050 habitants ; en i860, elle etait tombee a 67.800 : en 1872, elle n'etait plus que de 56.872. Ainsi, en cinquante ans, elle avait diminue des deux tiers. Depuis, elle s'est un peu relevee, grace a I'appoint des nombreux etrangers qui sont venus s'etablir dans ces iles ; mais la race indigene continue adeperir et a s'eteindre. C'est surtout a I'immoralite qu'on attribue ce triste resultat : « Je crois franchement, » ecrit un docteur protestant, que si les femmes » hawaiennes ne sont pas rendues plus pures et » plus chastes, il est impossible que le peuple » hawa conserve I'existence (i) » — « La per- » version des mceurs devient telle, dit de son » cote le Polyncsien, journal officiel, qu'apres » deux generations entieres, nees et elevees dans )) la foi chretienne, avec des ecoles publiques » dans tons les villages, d'innombrables reunions » pour la priere, malgre tant d'efforts, il serait » difficile aujourd'hui a un Hawa de dire quel est » son pere, et les deux tiers des femmes perdues » sont des personnes mariees (2). » Voila ce que le protestantisme a fait de cette race dont la force et la beaute plastique faisaient, il y a un siecle, I'admiration de tons les naviga- teurs : « Beaucoup d'entre eux, ecrivait en 1820 » un voyageur allemand, pourraient figurer a » cote des plus celebres chefs-d'oeuvre de I'anti- » quite classique, sans rien perdre au rappro- » chement. » Ces nobles hawas ont ete transformes par leurs instructeurs spirituels en betes de somme : « Avant de visiter Honolulu, dit encore Melville, » je ne me serais pas doute que le peu de naturels » survivants avaient ete transformes par la civili- » sation en chevaux de trait ; » et il raconte alors la promenade de la femme d'un ministre, se faisant trainer en caleche par deux hawas. Un correspondant de la Gazette des iles Sandwich rapporte egalement avoir vu quinze femmes harnachees comme des animau.x, et trainant un lourd wagon au service des missionnaires (5). « Publions-le tout haut, ecrivait en 1832 un » naturaliste prussien, ce n'est ni la gloire du » Tres-Haut, ni le zele pour une noble cause qui » a pousse ces missionnaires hypocrites a visiter » ces lointains rivages, mais bien une basse » cupidite et une soif insatiable des honneurs. » riusieurs d'entre eux ont deja amasse une » fortune considerable, aux depens des indi- » genes que leurs detestables fraudes reduisent a » la misere (4) ». 1. Ciie dans VHisloiie des I'/es Sandwich, par Mojkins, ch. XV. 2. Cite dans le journal le Times, 25 juillet 1S63. 3. Journal asiatique, vol. XXXVI. 4. Cite dan.s les Annates de la Propagation de la J-oi, t. VIIl. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 383 Les choses etant ainsi, on s'imagine de quel ceil les Rev. ministres virent arriver dans le champ qu'iis s'entendaient si bien a exploiter, les missionnaires catholiques. C'est an mois de juillet 1827 que M. Alexis Bachelot, nomme prefet apostolique des iles Sandwich, debarqua a Honolulu avec deux pretres de la Congrega- tion de Picpus. Avertis par leurs affides d'Ame- rique de la prochaine arrivee des Peres, les ministres avaient souleve contre eux I'opinion par les calomnies les plus ehontees, et les avaient depeints aux Hawas comme des scelerats envoy^s par le Pape et capables de tous les crimes. Les nouveaux predicateurs furent done tres mal recus et Ton s'appliqua a faire le vide autour d'eux. Mais bientot le doux et pur rayonnement de leurs vertus ramena aux pretres catholiques I'opinion des honnetes gens : « C'etaient des » hommes instruits, dit I'historien protestant » Reynolds (i), de manieres et de conversation » agreabies. lis montraient dans toute leur con- » duite une piete sincere. » Les naturels, attires par leur douceur et revokes aussi, il faut bien le dire, par I'arrogance de leurs predicants, accou- rurent en foule aupres des nouveaux apotres pour se faire instruire. Des la fin de 1827, il y avait eu 3 baptemes d'adultes ; il y en eut 12 en 1828, 118 en 1829; en 1830, annee de persecu- tions, il n'y eut que 16 baptemes, mais, en depit des mauvais traitements, tous les neophytes demeurerent fideles a leurs peres spirituels. « Ceux-ci, continue Reynolds, etaient exem- » plaires dans toute leur conduite ; mais leurs » succcs claient trap griDtds ; ils recurent I'ordre » de cesser les exercices de leur culte, et des » soldats furent envoyes pour chasser les neo- » phytes de leur eglise. » Comme ces moyens violents ne reussissaient pas encore, les mission- naires furent transportes en 1831 sur les cotes de la Californie, a bord d'une petite goelette hors de service, dont le capitaine les deposa sur une plage eloignee de toute habitation. Ainsi finit le premier acte du drame. Pour pallier un peu I'odieux de leur conduite, les ministres pretendirent que cette expulsion etait e.xclusivement le fait des autorites du pays, et qu'elle ctait d'ailleurs parfaitement legale, « les pretres papistes n'ayant jamais ni demande, ni obtenu du gouvernement hawaien I'autori- sation de sejourner. » — « Mais, repond le » docteur Buschemberger, apres en avoir confere » avec Bingham , qni est id le vrai gouverne- » ment, il est evident pour moi que les mission- » naires saisissaient toutes les occasions de repre- » sentcr les pretres catholiques sous les couleurs » les plus odieuses. Je suis convaincu qu'iis ont » ete la cause de leur expulsion. » — Sir Geor- ges Simpson, ancien consul aux iles Hawai', ecrit de son cote : « Ouelquesuns des mission- » naires sont certainement responsables. La I. Hist, da ihs Havai, ch. 22. » bigoterie ne parait pas etre le seul motif qui » les ait inspires. J'ai pour ma part de fortes » raisons de soupconner chez eux des vues tout » a fait temporelles. » De 1 83 1 a 1835, les catholiques demeurerent sans pretres et supporterent la persecution avec un courage invincible plutot que de renier leur foi . Une vingtaine moururent a la suite des mauvais traitements et des travaux excessifs auxquels on les appliqua. « Nos Chretiens, ecri- » vait en 1836 le P. Bachelot, sont toujours » persecutes ; mais sous les chaines, ils redou- » blent d'attachement a la foi Apres des annees » de seduction et de violences de toute espece, > on ne peut encore citer parmi eux un seul » exemple d'apostasie. Le chatiment adopte » aujourd'hui est de conduire les catholiques » enchdines au.x egouts publics et de les forcer » a les nettoyer avec leurs mains (1). )> C'est a cette occasion qu'Ozanam laissait echapper dans les Annaies de la Propagation de la Foi ce cri eloquent d'indignation : « L'histoire mentionnera » qu'au milieu du XIX«= siecle, des hommes se >> parant du titre de ministres d'une religion » civilisatrice, condamnerent, a la face du ciel » et de la terre, des femmes chretiennes a ramas- » ser chaque jour avec leurs mains les immon- » dices d'une garnison ! % (2) Nous verrons pire encore ; mais, en atten- dant, revenons au.x missionnaires, justement desireux de partager les epreuves de leur trou- peau. Au mois de septembre 1835, arriva, k Honolulu, le P. Walsh, Irlandais de nation, qui se mit sous la protection du consul d'Angleterre, de sorte qu'on n'osa pas I'e.xpulser. De son cote, le P. Bachelot, prefet apostolique, qui depuis six ans travaillait a cote des Franciscains dans les missions de la Californie, resolut de faire une tentative pour rentrer dans sa mission. Accompagne d'un religieu.x irlandais, le Pere Patrice Short, il debarqua au.x iles Sandwich, le 17 avril 1837 ; il fut e.xpulse de nouveau, le 20 mai suivant, avec le P. Short, et comme le capitaine fran^ais qui I'avait amene refusait de le reprendre a son bord, a moins que lui meme n'en fit la demande, il fut retenu, jusqu'au 2 no- vembre, prisonnier dans le port, sans qu'il lui fiat permis de communiquer avec la terre. A cette epoque arriva, a Honolulu, le P. Maigret, qui ne put descendre a terre, et dut repartir avec le P. Bachelot. Le prefet apostolique, epuis^ par les souffrances et les mauvais traitements endu- res, mourut en pleine mer, le 4 decembre, entre les bras de son confrere, en pardonnant gcn6- reusement a ses implacables ennemis. Le P. Walsh resta seul a Honolulu, et malgre les difficultes du moment, il y eut encore de nouvelles conversions en 1838. C'(^tait plus que ne pouvait en supporter la patience des predi- cants, et la persecution redoubla de violences, I. 2. Annates (le la IVopagation de la foi, loni. XII, ann^c 1S40. 384 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"^'^ SIECLE. sans pouvoir arracher aux victimes un acte d'apostasie. Voici ce qu'on lisait, le 29 juin 1839, dans la Gazette protestante des ties SandzvicJi : « Lundi matin, deux femmes, I'ane agee de » cinquante ans, Tautre de trente, furent trainees » devant les chefs, au palais de la rdgente, accu- » sees du crime de catholicisme. Elles demeii- » rerent tout le jour dans la cour de la maison, » oil elles furent interrogees sur la foi par un » petit nombre de subalternes, et, le soir venu, )) ordre fut donne de les mettre a la torture, » jusqu'a ce qu'elles eussent renie leur croyance. » Alors commenca une scene de cruaute que » nulle description ne saurait reproduire, et dont » nous garantissons toutefois I'effroyable realite, '% defiant qui que ce soit de dementir nos paroles. » Conduites au fort, a cinq heures apres-midi, » les pauvres prisonnieres furent iterativement » somm6es de renoncer a la religion catholique » et d'embrasser la religion de Bingham. Elles » repondirent par un refus, preferant les tour- » ments et la mort a I'apostasie. Alors la plus » agee des deux fut trainee sous un arbre mort, » ses bras furent attaches a I'une des branches » avec des menottes de fer, en sorte que la mal- » heureuse etait suspend ue par les poignets, » I'extremite des pieds pouvant a peine effleurer » la terre. L'autre femme fut conduite vers la )> maison, dont le toit descend assez bas vers le » sol ; ses bras, froisses autour d'une poutre en » saillie, y furent assujettis par des menottes de » fer, a une hauteur de six pieds ; dans cette » position, on lui attacha les pieds avec une )) chaine, et la face, tournee du cote de la toiture, » s'en trouvait tellement rapprochee que les » epines, melees parmi le chaume, la mettaient » tout en sang. Pendant la nuit, une pluie vio- » lente tomba sur les deux femmes, et le lende- » main, quand le soleil se leva dans tout son » eclat, quand il versa du ciel ses plus vives ar- » deurs, ses rayons frapperent d'aplomb sur la » tete nue des patientes, dont les forces s'epui- » saient au milieu des horreurs prolongees de » tant de tortures. Elles furent trouvees dans » cette effroyable situation par une societd nom- » breuse de residents etrangers qui visiterent le » fort, et qui prirent sur eux de les detacher des » bois du supplice. Les mains dechirces, la tete » brulante, elles tomberent evanouies. Leur tour- » ment avait dure dix-huit heures, et probable- » ment, sans I'opportune intervention des etran- » gers, peu d'heures apres elles auraient expire » sur place. Un de ces hommes charitables, entre » au fort avant les autres, et touche du triste » spectacle qui s'offrait a ses yeux, avait couru » en prevenir M. Bingham, dans la pensee qu'il > serait assez puissant pour secourir les deu.x » prisonnieres. M. le ministre montait en voiture ; » prie, au nom de I'humanite, de se rendre sur » les lieu.x, il repliqua que sans doute ces femmes » etaient punies pour quelque autre motif, et que » d'ailleurs il ne pouvait, ni ne ^•oulait intervenir » dans I'execution des lois du pays. En disant » ces paroles, il lanca son cheval au trot et » partit. » e'en etait trop. Ces iniserables avaient fini par lasser ia patience de DiEU et meme celle des hommes. Dix jours apres cette scene hideuse, 9 juillet 1839, le commandant Laplace, mont6 sur la frigate I'Artd/iise, se prdsentait, au nom de la France, pour demander raison de I'expul- sion de ses nationaux et des droits violes de la conscience catholique. Bingham et ses dignes acolytes se cacherent, n'osant defendre leur ceuvre. Laisse a lui-meme, le jeune roi, Kameha- meha IV, signa un traite qui stipulait : 1° Le culte catholique est declare libre dans toute I'etendue du royaume, et les membres de cette religion jouiront de tous les privileges accor- des aux protestants. 2° Un terrain sera donne a Honolulu pour la construction d'une eglise catholique. 3° Tous les catholiques detenus en prison pour cause de religion seront immediatement mis en liberte. 4° Le roi consignera aux mains du gouver- vement francais une somme de 20.000 piastres (100.000 francs), comme garantie de son inten- tion de tenir loyalcment a I'avenir ses pro- messes. A I'exception des predicants americains, tous les residents etrangers applaudirent hautement a ces mesures de reparation et de justice ; ils envoyerent au commandant Laplace une adresse de felicitations, dans laquelle on lit : « Nous » espcrons que, grace a votre fermete et a votre » justice, ces horribles tortures et cette revol- » tante persecution centre les droits de la cons- » cience disparaitront pour toujours de ces » contrees. » Les catholiques etaient emancipes d'un long esclavage de treize anndes ; le tour des protes- tants n'allait pas tarder a venir. En 1843, lord Georges Paules, au nom du gouvernement bri- tannique, exigeait I'abrogation des lois qui tyran- nisaient les malheureux Hawas. Ce fut dans toutes ces iles une explosion indescriptible de joie. « Ouiconque s'est trouve a Honolulu pen- » dant ces dix jours memorables, dit un temoin » oculaire, n'oubliera jamais le spectacle dont il » fut temoin. Delivres de la contraiiite et debar- » rasses des lois penales, les naturels, presque » sans exception, se sont plonges dans toutes » sortes d'exces et de crimes pour celebrer leur » affranchissement. lis ont montre, par leur com- » plet mepris de toute decence, que, s'ils etaient Jf soumis en apparence aux idees nouvelles, ils » etaient au fond aussi depraves et aussi vicieux » que jamais (i). » Voila tout le fruit qu'avaient produit, en vingt-deux ans, les predications des methodistes ! Le catholicisme ne tarda pas a user de la 1, /oiiriial asiatiijne. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 385 liberte religieuse, conquise au prix de tant de souffrances. Du mois de juillet 1839 a la fin de I'annee, ily eut 230 conversions. Le 13 inai 1840, on vit arriveraux iles Sandwich Mgr Rouchouze, vicaire apostolique de I'Oceanie orientale, en compagnie du P. Maigret, I'expulse de 1S37, et de deux autres missionnaires. Conformement au traite conclu avec la France, I'eveque benit solen- nellenient la premiere pierre d'une cathedrale catholique a Honolulu, et Ton baptisa cette annee 1097 adultes. Apres le depart de Mgr Rouchouze, le P. Mai- gret fut charge, avec le titre de provicaire, d'admi- nistrer la mission. II ne tarda pas a conquerir I'affection des indigenes et I'estime de tous les Strangers. Ouand la Sacree-Congregation erigea en 1844 les iles Sandwich en vicariat apostolique, il fut choisi pour en etre le premier titulaire, et de 1846 a 1881, il fournit une longue et belle carriere episcopale. En quarante ans, il fit cons- truire dans ces iles 69 eglises ou chapelles, et vit, sous son episcopat, le chiffre des catholiques s'elever aux environs de 25.000. II s'occupa aussi de multiplier les ecoles, pour lutter contre I'in- fluence des ecoles protestantes, richement entre- tenues par les Societes bibliques. Dans cette intention, il fit venir en 185S des religieuses de la Congregation de Picpus, pour s'occuperde I'edu- cation des jeunes filles. Bien que, pendant une vingtaine d'annees, la lutte soit demeuree ardente entre les methodistes, secretement soutenus par le gouvernement hawai'en, et nous, les protestants de bonne foi n'hesiterent pas a rendre bientot hommage au travail et au succes des missionnaires catholi- ques. Des 1842, le journal officiel des missions protestantes (i) avouait que « les efforts des » papistes ont un succes capable d'attrister tout » esprit bienveillant. Le Ronianisme fait tous les » jours des progres remarquables et penetre » dans les districts ou il etait jusqu'alors inconnu. » L'extension parmi nous de cette heresie, con- » clut avec onction le redacteur, est vraiment )> pour humilier nos coeurs. » Sur un ton beaucoup plus modere et plus digne, sir Georges Simpson, ancien consul au.x iles Hawai', rend aussi tcimoignage au succes des missionnaires catholiques : « lis sont occupds » actuellement (1847) a batir une belle cathe- » drale, et ils ont cleja fonde a Honolulu deux » Ecoles, suivies par 900 enfants des deux sexes, » indigenes et metis. Un bon nombre de leurs » eleves ont fait de grands progres dans les » differentes branches de I'education, et quel- » ques-uns parlent le fran^ais avec une facilite » etonnante. La foi nouvelle etend partout son » influence grace au zele infatigable de ses » apotres. Bien qu'elle ne soit plus exposee a » des persecutions legales, elle est encore en » butte aux grossieres invectives des mission- I. Missiotmary Htralii, 1S42. Missions Catholiques. » naires protestants. J'ai eu de frequents rap- » ports avec les pretres catholiques, j'ai visite » leurs ecoles, quelquefois aussi j'ai assiste a » leurs offices. lis ont gagne toute mon es- » time (i). » Deux ans plus tard, un autre protestant, sir Walpole, ecrivait : « II y a a Honolulu une » cathedrale romaine. J'ai la conviction que la » tendance des protestants vers cette Eglise » s'accentuera tous les jours. On ne saurait » faire trop d'eloges du pretre qui dirige ici la » mission romaine. Les ecoles catholiques sont » excellentes, et il est permis a tout le monde » de les visiter. Les catholiques ont environ » 12.000 neophytes et 3.000 eleves dans leurs » ecoles. Nous devons esperer que par une » stricte reforme d'eux-memes, par des soins » plus assidus donnes aux naturels, les predi- » cateurs du pur Evangile s'efforceront de re- » gagner le terrain qu'ils ont perdu (2). » Ainsi, au bout de dix ans de liberte, les choses en etaient venues pour les orgueilleux predicants au point qu'ils faisaient pitie a leurs propres coreligionnaires, qui leur proposaient I'exemple de leurs rivaux comme I'unique moyen de recou- vrer leur influence. Mais il etait trop tard, et les conditions de la lutte etaient bien chang(^es. Ce n'etait pas seulement contre les progres continus du catho- licisme que les methodistes americains avaient a se defendre. Avec le temps les divisions natu- relles au protestantisme commencaient a se produire, et elles allaient bientot briser cette unite factice qui n'avait voulu s'appuyer que sur la force. En 1862, I'Eglise anglicane s'etablit aux lies Sandwich ; quelques annees plus tard, ce fut au tour des Mormons. Bientot toutes les denominations religieuses de I'heresie puUulerent dans ces iles. Le resultat le plus net de la multiplicite des sectes fut d'enlever toute autorit^ aux predi- cants, et de dechainer dans I'archipel hawai'en le double fldau de I'indifferentisme et de la plus hideuse immoralite. « Les choses vont au plus mal, ecrivait en » 1862 un ministre americain ; la depopulation » est rapide ; sans etre prophete, quelques » annees suffiront pour amener la catastrophe. » On peut deja commencer 4 graver I'epitaphe : » Les Anglo-Saxons ont ruine ces iles, comme » ils ont ruinc les Indes-Orientales (3). » Voila pour la morality, et quant auxcroyances dogmatiques des malheureux Hawas, voici un fait qui parle haut. II y a quelques annees, a Toccasion d'une eruption volcanique qui fit de grands ravages, on entendit les naturels, tous munis de Bibles, chanter en chceur le 646 psaume de David pour apaiser le courroux de !a deesse. 1. Georges Simpson, Les ties Samkui^lt, vol. II, cli. 12. 2. Qualre ans iians le Facijique, c\\. 11. 3. Rev. Hives, La vie sur les flages du Pjci/ique, ch. 11. 386 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^ SIECLE. Ainsi ces malheureux, ne sachant plus que croire, en sont revenus au paganisme, qu'ils avaient abandonne d'eux-memes avant I'arrivee des missionnaires Une interview recente qui eut lieu entre un reporter et le premier ministre peindra, mieux que tout ce que je pourrais dire le nihilisme reli- gieux dans lequel est tombe ce pauvre peuple « A quelle religion, demandait le journaliste, appartient le roi Kalakaua ?» — « A aucune, » repondit sans hesiter I'Excellence. — « Et vous ? » — « Oh ! moi, je n'ai pas de religion du tout ; mais j'ai pour le catholicisme le plus profond respect, et pour les missionnaires catho- liques la plus complete et la plus sincere estime. » L'heroique ddvouement du R. P. Damien Deveuster a ete pour beaucoup dans ce retour des esprits vers le catholicisme, si atrocement calomnie et si meprise au debut. Au nombre des fleaux que la civilisation a apportes aux Hawas, ILES SANDWICH (Oceanie). — Caihedrale d Honolulu ; d'apres une photographic du R. P. Clement, de la Congregation des Sacres-Coeurs, missionnaire aux Sandwich. il faut ranger I'introduction de la lepre dans ces lies. Le gouvernement a dii prendre des me- sures pour isoler ces infortunes, afin d'essayer, sans y parvenir, de sauvegarder le reste de la population. II les a done sequestres clans un coin ferme de I'ile MolokaT. La, catholiques et pro- testants vivaient dans le plus complet abandon religieux et la plus desolante promiscuite, quand un des missionnaires, le R. P. Damien, s'offrit volontairement a son dveque pour etre le pas- teur spirituel et le consolateur de ces abandon- nes. Ce fut, dans toutes les iles Sandwich, en Amerique, et jusqu'en Angleteire, une explosion d'enthousiasme, lorsqu'au mois de mai 1873, le P. Damien alia s'enfermer au milieu des lepreux de Molokai', avec la prevision a peu pres sure de gagner leur affreuse maladie. « Nous avons » dit souvent, ecrivait un des journaux protes- » tants du pays, que les pauvres lepreux de » Molokai offraient a rii^roisme chretien une » belle et noble occasion de s'exercer. Nous » sommes heureux de dire aujourd'hui que le » heros est trouve... le P. Damien a ^te laisse » au milieu des lepreux sans logement, sans » argent, sans vetements, sans autres ressources » enfin que celles qu'ont pu lui offrir les lepreux. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 387 » Nous n'avons pas a nous preoccuper des opi- » nions theologiques de cet homme. II est cer- » tainement uii heros chretien. » « Voila vraiment I'esprit du CHRIST, disait un » autre journal, voila un amour de I'humanite » inexplicable a rintelligence, voila Xavier pc- » netrant dans les replis de la misere humaine, » voila un heros qui se precipite dans I'abime » beant pour sauver un peuple ; son oeuvre est » au-dessus de toutes les ceuvres de charit6. » Bientot les encouragements et les secours ma- teriels arriverent de tous cotes au pauvre mis- sionnaire, qui avait ete laisse dans I'ile sans meme avoir un toit pour s'abriter, si bien que, pendant les premieres semaines, il dormait en plein air, sous un vaste pandamis, qui ombra- geait la place publique du village de Kalawoo, ou il etait descend u. Tout etait a faire au milieu de ces huit cents lepreux, qui, separes pour toujours de la societe civilisee, se consolaient de leur exil en s'adonnant aux plus honteux desordres. Naturellement, le bon Pere s'occupa d'abord de ramener a DiEU les catholiques, et il leur eleva successivement deux chapelles, une a Kalaupapa, ou, des 1874, un de ses confreres vint le rejoindre. Mais il partagea toujours inte- gralement, et sans distinction de croyances, entre catholiques et protestants , les secours materiels qui lui furent envoyes. Parmi les gent5- reux bienfaiteurs du saint pretre, il faut citer au premier rang le Rev. Chapman, vica}' anglican de I'eglise de Saint - Luc , a Londres , qui lui envoya, a diverses reprises, 2645 livres sterling (65.625 francs), en se recommandant a ses prieres, et un riche banquier protestant d'Hono- lulu, qui fit clever a Kalaupapa, pour les filles et les femmes lepreuses, un asile-hopital, dont le gouvernement confia la direction aux Sceurs du Tiers-Ordre de Saint-Frangois. Au bout de douze ans de ce rude apostolat, en 1885, le bon P. Damien ressentit les pre- miers symptomes de la lepre ; il accepta joyeu- sement le denouement prevu des le premier jour, et quand il mourut de la mort des saints, le 15 avril 1888, il laissait derriere lui son ceuvre, solidement etablie, aux mains de deux pretres et de six religieuses hospitalieres. Le bon Pere fut enterre au milieu de ses en- fants, sous I'arbre qui lui avait servi d'abri quand il debarqua dans I'ile. Des que la nouvelle de sa mort eut traverse I'Ocean, il se forma a Londres un comite, sous la presidencedu prince de Galles; son Em. le cardinal Manning, I'archeveque an- glican de Cantorbery, I'evcque de Londres, le Rev. Chapman , et d'autres illustrations , en faisaient partie. On r^solut d'clever un monu- ment funebre sur la tombe du P. Damien, et d'ouvrir, a Londres, un Institut medical pour soigner les personnes atteintes de la lepre, et ^tudier les moyens de gucrir cette terrible ma- ladie. En France, Mgr Perraud fit a I'Academie, aux applaudissements de tous, I'cloge du saint pretre qui, sorti d'une Congregation fran^aise, est all6 aux antipodes faire admirer, des enne- mis memes de notre foi, le devouement du mis- sionnaire et I'lieroique generosite du caractere francais. En 1 88 1, Mgr Maigret demandaa la S. C. de la Propagande de lui accorder un coadjuteur, et des qu'il I'eut sacre, il lui remit la direction du vicariat apostolique, et ne songea plus qu'a se preparer saintement a la mort. Le R. p. Damien DEVEUSTER, des Sacres-Coeurs, missionnaire k la leproserie de Molokai (lies Sandwich). A cette occasion, le nouvel ^veque fut re^u en audience solennelle par la regente (i), qui, bien qu'anglicane zelee, profita de la circonstance pour decerner a Mgr Maigret la croix de Grand-Offi- cier, et au Pere Damien celle de Chevalier de I'Ordre de Kalakaua. « Jamais, ecrivait la Ga-ette » de Haivai, ces decorations n'ont ete plus digne- » ment et plus justement accordces. Pour le vieil » (^veque dArathie, cet honneur lui arrive au » moment oil il termine sa longue et honorable » carriere. Comme pretre et comme ^veque, » il s'est acquis non seuiement la veneration, » mais I'amour de tous ceux qui I'ont connu. )> Pour le P. Uamien, il re^oit ce titrc d'honneur » comme prix d'un devouement dont bien pen » d'hommes seraient capables. A notre avis, I. Le toi Kalakaua etait alors en Europe. 388 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. » I'ceuvre de ce saint pretre est une des plus » admirables qu'on puisse entreprendre. » On voit par ces extraits, que j'ai multiplies a dessein, combien I'opinion publique est revenue aux missionnaires catholiques. L'annee suivante, 1882, Mgr Maigret sen alia recevoir la recompense de ses quarante-six ans d'apostolat. L'exile de 1837 fut visite sur son lit de mort par le roi et la reine, qui se firent repre- senter aux obseques du prelat. Son successeur s'appliqua surtout a developper I'ceuvre des ecoles. En 1883, il appela aux lies Sandwich les Petits-Freres de Marie, qui ouvrirent a Honolulu le college de Saint-Louis de Gonza- gue, qui compta bientot iCO eleves. Deux autres ecoles furent ouvertes plus tard dans I'interieur, I'une avec 130 eleves, I'autre qui en compte plus de cent. De leur cote, les religieuses du Sacre-Cceur, pour hitter contre la concurrence des dames puseystes, ouvrirent des pensionnats oil se pres- serent bientot les jeunes filles des meilleures families. Comma on jouit aux iles Sandwich de I'ensei- gnement obligatoire et sans DiEU, la mission a du s'imposer de lourds sacrifices pour former des maitres chretiens et ouvrir, dans les principaux postes, des ecoles libres, qui sent frequentees, a ce moment, par plus de 1.500 enfants catholiques. En 1885, a la demande meme du roi, un mis- sionnaire fut envoye en Amdrique, pour chercher des religieuses hospitalieres. II ramena avec lui sept Soeurs du Tiers-Ordre de Saint-Fran(jois (diocese de Syracuse), que la reine envoya cher- cher au debarcadere avec les voitures de la cour, et auxquelles le gouvernement confia deux hopi- taux, un a Wailuku, pour toute espece de mala- dies.et un a Kalaupapa (Molokai),pour les femmes et les filles lepreuses. Depuis 1870, la culture de la canne a sucre a amene aux iles Sandwich de nombreux etrangers, qui sent venus combler en partie les videsqu'une depopulation continue fait chaque annee parmi les indigenes. II y a, en ce moment, dans I'archipel, 20.000 Chinois, dont 50 sont catholiques, 1.500 Japonais, dont une trentaine de catholiques, 12.000 Portugais, tous catholiques, sans parler du commerce, qui est tout entier aux mains des Americains et des Anglais, en grande majority prolestants. Cette situation a completement change les conditions anciennes de I'apostolat, et cree a la mission de lourdes charges. La plus grande partie des anciens postes ont du etre abandonnes, les indigenes dont ils etaient formes etant morts ou fixes sur les nouvelles plantations. D'un autre cote, il a fallu ouvrir de nouvelles chapelles dans les endroits oil les emigrants catholiques se sont etablis. La population actuelle des iles Sandwich est d'environ go.oco habitants, dont 50.000 a peine representent lelement indigene. Sur ce tiombre, il y a 27.600 catholiques, dont 13.700 indigenes, 12.000 Portugais, le reste appartenant a differentes nationalites. Personnel : I vicaire apostolique, 24 missionnaires pre- tres et 3 Fr&res de la Congregation de Picpus. 22 Frferes Maristes. 22 religieuses dii Sacre-Coeur et 13 Scaurs du Tlers- Ordre de Saint-Fian(;ois. Qiuvres : 15 stations avec residences : 78 missions. 33 eglises, 59 chapelles. 1 college de Saint-Louis de Gonzague, k Honolulu : 450 eleves. 2 autres pensionnats dans I'interieur : 230 el&ves. 2 pensionnats de jeunes filles et 8 ecoles primaires diriges par les religieuses du SacreCoeur : 300 eleves. 17 ecoles de paroisses : 1.500 elfeves. 2 hopitaux. Staiistique cotnpar^e : En 1827 : Commencement de la mission, i prefet apos- tolique, 2 missionnaires. En 1850 : I prefet apostolique, 2 missionnaires, 150 catholiques. En i860 : I vicaire apostolique, 18 missionnaires, 50 ^gJises ou chapelles, 15 ecoles, 12 000 catholiques. En 1870 : I vicaire apostolique, 24 missionnaires, 70 eglises ou chapelles, 57 Ecoles, 23.000 catholiques. En 1890 : I vicaire apostolique, 24 missionnaires, 92 eglises ou chapelles, 25 ecoles, 27.600 catholiques. Bien que la fortune et I'influence soient aux mains des protestants, les dispositions generales du peuple hawaien et du gouvernement sont sym- pathiques au catholicisme. Mais il y a a lutter contre la plus navrante indifference religieuse et la corruption des mceurs. Grace a DiEU, nos catholiques font tres gen(^ralement honneur a leur foi. II. — ViCARIAT APOSTOLIQUE DE TaHITL Le vicariat apostolique de Tahiti, erige en 1848, comprend les iles de la Societe, I'archipel des Paumotous, les iles Gambler, Tubuai, I'ile de Cook et I'ile de Paques. Au total, environ 600 iles, qui s'etendent de I'Equateur au 28° de lati- tude australe et du 160° au 114° de longitude occidentale. II y avait deja six ans que la Congregation de Picpus luttait pour s'etablir aux iles Sandwich, quand le Souverain Pontife Gregoire XVI, ayant partage I'Oceanie insulaire en deux vicariats, lui assigna, pour sa part, le vicariat de I'Oceanie orientale, qui s'etendait d'un pole a I'autre, du 180° de longitude aux cotes d'Amerique. I/es Gambler. Cast par les iles Gambler que commencja I'evangelisation de cet immense ter- ritoire. Les missionnaires, partis de France dans les premiers jours de 1834, doublerent le cap Horn, remonterent le long des cotes du Chili jusqu'a Valparaiso, oil ils etablirent une procure pour desservir leurs missions, et debarquerent aux iles Gambler, au commencement du mois d'aoLit 1834. Le 15 aout, le Saint-Sacrifice etait celebre, pour la premiere fois, dans ces iles, et, quatre ans plus tard, les 4.000 habitants de I'archipel etaient convertis a la foi catholique. Le roi de Mangareva et tous ses sujets avaient LE CATHOHCISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 389 embrasse le christianisme, et leur simplicite, leur ferveur rappelaient les merveilles de la primitive Eglise. Aux lies Gambier, les missionnaires catholiqiies arrivaient les premiers ; I'homme ennemi n'avait pas eu le temps de semer I'ivraie dans le champ du pere de famille. Les pretres romains n'avaient a hitter que contre la barbarie des sauvages ; lis n'avaient pas affaire a I'hypocrisie raffinee des sectaires. C'est ce qui explique la promptitude de leur succes. Neanmoins il ne faudrait pas croire que ce succes ait ete obtenu sans efforts. Avant I'arrivee des missionnaires, les naturels des iles Gambier etaient adonnes a I'anthropophagie et a tous les vices de la vie sauvage ; ils vivaient dans la paresse et un denuement absolu des choses les plus indispensables a la vie civilisee. « Qu'on se figure, (^crivait en 1837 le vicaire > apostolique de I'Oceanie orientale, de pauvres » missionnaires arrivant dans une ile denuee de » tout, oil ils n'ont pour abri que la voute du ciel, » pour vetements que ceux qu'ils out apportes, » pour nourriture quecelledu pays, bien maigre » et bien amere a des estomacs etrangers. Voila » notre position au milieu d'un peuple Stranger, » toujours pret a recevoir, hors d'etat de donner » aucun secours. II a done fallu tout creer et » pourvoir a tous les besoins. Durant des annees, » nous avons couche, les uns sur des malles, les » autres sur des claies de roseaux ; des pierres, » des troncs d'arbres servaient de sieges. J'ai » celebre dans une de nos eglises un bapteme » de 80 personnes, durant lequel mon trone epis- » copal etait une vertebre de baleine. Actuelle- » ment nous sommes un peu mieux, du moins a » Akeme ; nous avons une petite maison et des » chaises, et tout cela, nous le devons a nos bons » Freres. Dans les autres iles, le missionnaire est » encore denue de tout. II ne faut pas compter » sur le.s pretres pour les travaux manuels : outre » qu'ils y sont ordinairement peu verses, leur » ministere, a toute heure reclame, leur interdit » de se livrer a aucune autre occupation. J Is se > croient fort heureux lorsqu'ils peuvent trouver » le temps de raccommoder leurs habits et de » laver leur linge ; car personne, meme I'eveque, » n'est exempt de cette double obligation. » Le premier soin des missionnaires fut d'initier doucement leurs neophytes aux bienfaits du travail, qu'ils regardaient, avec raison, comme le seul gage certain de leur perseverance dans la vie chretienne. Bientot, sous leur sage direction, les iles Gambier devinrent une Reduction du Paraguay. Pendant une vingtainc d'annces, la ferveur religieuse, la paix et la prosperite regne- rent dans ces iles fortun^es. En 1845, lors de I'expedition de Dumont-d'Urville au pole austral, en quittant la banquise qui avait failli I'engloutir, I'expedition vint se ravitailler aux iles Gambier. L'amiral et ses equipages furent bien surpris de trouver une population toute catholique et civi- lisee, la ou,quelques annees auparavant,regnaient I'anthropophagie er la barbarie. Une messe solen- nelle fut celebree devant les equipages de VAs- trolabe et de la Zch'e, et dans son rapport au roi, l'amiral rendit hautement justice aux efforts des missionnaires pour civiliser ce petit peuple. Les missionnaires protestants eux-memes ont temoigne du succes de leurs rivau.x. « Pendant » ces dernieres annees, ecrivait I'un d'eux en » 185 1, trois missionnaires fran9ais, de la secte » papiste, se sont etablis dans I'ile de Mangareva. » II faut avoir vu I'influence qu'ils ont acquise » sur les naturels pour y croire. EUe est si absolue, 5> que ceux-ci semblent guides dans toutes leurs » demarches par cette unique preoccupation : » Ou'est-ce que les Peres penseront de moi (i)?» Helas ! cette ere de prosperite ne dura qu'un temps. A mesure que les navires europeens aborderent aux iles Gambier, ils apporterent a ce peuple primitif avec les vices de la civilisation, d'affreuses maladies qui firent, en peu d'annees, de ces iles un tombeau. En 1870, la petite verole, la phtisie, d'autres maladies que je ne veux pas nommer, avaient fait de tels ravages au milieu de ce peuple interessant, que la population etait descendue de 4.000 a 1.200. Aujourd'hui, il n'y a plus aux lies Gambier qu'environ 450 habitants, qui ont garde heureusement la ferveur de la foi, mais qui, trop faibles pour resister a Taction devorante de la civilisation moderne.sont decimes de jour en jour par la maladie. D'apres toutes les apparences, d'ici la fin du siecle, ce peuple aura vecu. Au moins la vraie religion sera venue sanctifier son agonie et la Croix du ClIRIST ombragera sa tombe. Non contents du mal qu'ils ont fait a ce peuple enfant, les trafiquants qui cherchent a I'exploiter se sont permis d'indignes calomnies contre les missionnaires. En 1859, M. de Keratry s'etant fait a la Chambre I'echo de ces attaques aussi injustes que passionnees, voici la reponse, pleine de dignite et de raison, que le Superieur de la Congregation adressa aux journaux cathoHques : « Monsieur le redacteur, j'ctais gravement » malade au moment ou M. de Keratry se fai- » sait, a la tribune du Corps legislatif I'echo des » accusations les plus odieuses contre les mis- » sionnaires des iles Gambier. Aujourd'hui, » quoique tardivement, jc viens protester au » nom des missionnaires des iles Gambier et de » la Societe dont ils sont les membres. Je pro- » teste surtout contre cette affirmation que les )) missionnaires des iles Gambier sont avant tout » coniinergants, et que la mission, sous le man- » ieau de la reiue, met de cote chaque annee de » soixante a soixante-dix mil'e francs. J'affirme % que les missionnaires n'ont jamais retire aucun » profit du commerce des indigenes. » On pent juger de la valeur des affirmations » de nos accusateurs par ce qu'ils disent eux- I. Une tournJe dans le Pacifiqtie. vol. I, ch. 2. 390 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX-^^ SIECLE. » mcmes, que rien n'est apparent et que ne)i ii'a » besoin de I'ctre. II me semble cependant que, » pour constater un fait, il deyrait y avoir quel- » que chose d'apparetit. II n'y a pas de preuves, » mais ce sont des missionnaires, les preuves ne > sont pas necessaires. » Que des missionnaires eclairent de pauvres y> sauvages sur ]a valeur des produits de leur ile » et les empechent de ceder des objets precieux - » pour des bagatelles, les voila transformes en » commercants par de vils speculateurs de » I'ignorance des naturals. Que des missionnaires » empechent de tout leur pouvoir la corruption ■% de se repandre dans le troupeau qui leur est » confie, qu'ils le premunissent contre les pieges » et les seductions des etrangers, ils attirent sur )) leurs tetes toutes les haines de miserables plus » demoralises que les sauvages eux-memes. » Alors on crie au bigotisme, a Tabus de la con- » fession, a I'obscurantisme qui repousse le pro- » gres et la civilisation moderne. )) Son Exc. M. le ministre a annonce una » enquete sur I'etat des iles Gambler. Qu'elle » soit faite avec discernement et impartialite. » La mission ne la redoute pas ; nos mission- » naires ne craignent pas la lumiere. Nous aussi, » nous la demandons, cette enquete, parce que » nous avons la certitude que la verite se fera > jour et que nos missionnaires seront pleine- T> ment justifies. » Agreez, etc. » Raguit, superieur par interim. » II ne fut fait aucune reponse a cette eloquente protestation, et I'enquete annoncee n'eut pas lieu, ou, si elle fut faite, elle ne justifia pas les accusations produites, car on n'en entendit plus parler et le silence se fit sur cette affaire. Tahiti. Apres avoir 6tabli le catholicisme dans les iles Gambler, les missionnaires porterent la foi dans I'archipel de la Societe, dont Tahiti est comme la capitale. Malheureusement ils avaient etd devances dans ces iles, depuis une quaran- taine d'annees, par les ministres de I'erreur. Aussi le travail fut bien plus penible et le succes moins complet. C'est en 1797 que les methodistes s'^tablirent dans les iles de la Societe, dont ils firent, selon leur expression, « le rempart du protestantisme dans les mers du Sud. » Neanmoins leurs debuts a Tahiti avaient ete lents et penibles. La seche- resse du culte protestant n'avait rien, en effet, qui piit attirer les sympathies de ce peuple aimable et expansif, dont les premiers naviga- teurs ont fait le plus delicieux tableau. Pendant quinze ans, les ministres precherent dans ces iles sans y faire un seul proselyte. Mais la ou avait echoue la predication, les intrigues tortueuses et cruelles de la politique devaient reussir. Des les premieres annees du siecle, le roi Pomarc II, ambitieux et sans scrupules, ayant voulu rcunir sous son sceptre toutes les iles de I'archipel, s'etait vu chasse de Tahiti et force de se refugier avec ses partisans dans I'ile Moorea. Les methodistes comprirent que I'occasion etait bonne pour s'imposer au prince dcpossede et, par lui, a tout I'archipel. Le Rev. Nott, alors superieur de la mission, alia le trouver et lui proposa de le retablir sur le trone, s'il voulait se faire chretien, lui et son peuple. Le nouveau Constantin, que ne genait aucun scrupule religieux, accepta sans hesiter ce honteux marche, et, quelques semaines plus tard, un navire anglais debarquait a Moorea une quantite de fusils et quelques canons. Dans ces conditions, la lutte n'etait plus possible. Debarque a I'improviste a Tahiti, le roi fit un grand carnage de tous ses ennemis et remonta sur le trone. II tint sa promesse et, dans le cours d'un mois, de gre ou de force, tous ses sujets etaient devenus Chretiens. Des lors, de I'aveu des protestants, commen9a pour tout I'archipel de la Societe une ere de contrainte et de sombre fanatisme. Laissant habilement au roi et aux principaux chefs toute liberte de s'abandonner a I'ivrognerie et aux passions les plus degradantes, les methodistes redigerent et firent adopter un code de lois, admirablement congu pour assurer leur domina- tion temporelle et spirituelle sur ce beau pays, dont ils devinrent peu a peu les veritables maitres. Au bout de quelques annees, ils etaient les plus riches proprietaires de Tahiti et tout le commerce etait tombe entre leurs mains ; ce qui les rendit bientot aussi odieux aux residents etrangers qu'aux indigenes. « II est desolant, ^crit a ce » sujet un auteur protestant, de voir ce qOe sont » devenus aujourd'hui les naturels de Tahiti. » Les amusements ordinaires, si innocents, ont » ete proscrits par les missionnaires, et ils ont » ete remplac^s par des habitudes de complete » indolence ; leur simplicite de caractere est » devenue de I'hypocrisie et de la ruse. L'ivro- "h gnerie, la misere, les maladies ont diminue la » population de ces iles d'unemaniere effrayante.)) » — ■ « J'ai vu a Tahiti, rapporte un autre pro- )) testant, des scenes de debauche et de liberti- )) nage dont rougiraient les banlieues les plus » devergondees de Londres. On cherche en vain » a reconnaitre dans ces malheureux sauvages )) degrades, hebetes et maladifs, les belles figures » des Tahitiens, tels que Cook les a depeints ( i ). » Quand les pretres de la Congregation de Picpus se furent etablis aux iles Gambler, leur adminis- tration paternelle et douce provoqua naturelle- ment des comparaisons delicates avec I'avarice et la tyrannie des methodistes, leurs voisins. Les Tahitiens, en relations de commerce assez fre- quentes avec Mangareva, ne tarderent pas a solli- citer la venue dans leur ile de pretres catholiques. Ici encore, je puis apporter le temoignage formel I. Sir Bennett, Voyage d'un naturaliste, vol. I, ch. 3. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 391 d'un auteur protestant, le commodore Wilkes : « L'intolcrancc des mcthodistes, dit-il, avait » froisse les indigenes, et Ton ne pent douter > que Ton ne doive a cette impression la rapide » desertion qui se manifesta dans les rangs de » leurs fideles, a I'arrivee des missionnaires » catholiques. » Ce fut en 1836 que les PP. Laval et Caret, partis des iles Gambier, dcbarquerent a la pointe sud-est de Tahiti. lis traverserent I'lle aux accla- mations enthousiastes des indigenes, quivoyaient en eux des liberateurs, et furent parfaitement accueillis d'abord par la reine Pomare IV et les principaux chefs ; mais les predicants, sous la direction du fameu.x Pritchard, qui etait le veri- table roi du pays, arracherent, quelques jours apres, a la reine un decret d'expulsion. Voici ce qu'ecrivait k ce sujet I'historien ame- ricain Melville : « Toujours traites d'une maniere » humiliante, les pretres catholiques ont aussi » rencontre la violence ; on les a contraints de » s'embarquer sans vivres, sans provisions, sur » une petite goelette marchande, qui les deposa, » a tout hasard, dans I'ile de Wallis, habitee par » des sauvages, et situee a 2.000 milles (670 » lieues) de Tahiti. Que les missionnaires anglais » residant a Tahiti aient autorise le bannissement » de ces pretres, c'est un fait avoue par eu.x. » Le commandant Laplace, qui rapporte le meme fait, ajoute que, pendant la route, les mission- naires eurent a souffrir les traitements les plus indignes de la part du capitaine. La France ne pouvait rester insensible aux outrages infliges a ses nationaux par une poignee de predicants, plus dignes du titre de marchands que de celui de missionnaires. A plusieurs reprises, le commandant Dupetit-Thouars et I'amiral Dumont-d'Urville, alors en croisiere dans les mers australes, vinrent exiger de la reine Pomare les reparations auxquelles nous avions droit. Mais a peine les navires avaient-ils quitte le port de Papeiti, que la lutte recommen- ^ait centre les missionnaires catholiques. Pour en finir d'une seule fois et assurer a jamais sa domi- nation sur les iles de la Societc, le Rev. Prit- chard prit le parti d'offrir a I'Angleterre le pro- tectorat de I'archipel. Le Foreing-Ofifice I'avait deja refuse en 1825, mais le Reverend consul, comptant sur la jalousie nationale des Anglais contre la France, esperait etre plus heureux cette fois. Dans cette intention, il partit pour Londres dans le courant de 1840. Mais il se produisit alors un coup de theatre sur lequel personne ne comptait, et qui fit bien voir les veritables dispositions des indigenes, et le vif desir qu'ils eprouvaient d'etre debarrasses de la tyrannie des mcthodistes. A peine le Rev. Pritchard parti pour I'Europe, les chefs sc reuni- rent en asscmblee gcnerale, et d'eu.x-mC-mes, sans aucune provocation etrangere, ils offrirent le protectorat de leur pays a la P'rance. Le gouvernement fran9ais, qui venait de s'etablir aux iles Marquises, desirait avoir dans le sud une station de ravitaiUement pour ses balciniers, en meme temps qu'un point strate- gique pour sa marine militaire ; il saisit avec empressement I'occasion qui lui etait offerte de s'etablir dans I'archipel de la Societe. Le com- mandant Dupetit-Thouars, nomme sur ces entre- faites contre-amiral et commandant en chef de la station navale des mers du Sud, recut du gou- vernement frangais ordre de se rendre sans retard a Tahiti, et au moisd'aoftt 1842, de I'assen- timent des chefs indigenes, la reine Pomare signait tres librement Facte par lequel elle accep- tait, sa vie dnrant, le protectorat de la PVance a Tahiti. Cet acte fut accueilli d'abord par la sympathie universelle. Les indigenes I'avaient d'eux-memes soUicite ; les residents francais et americains le reclamaient depuis longtemps ; les residents anglais eux-memes, alors au nombre de vingt- neuf, y applaudircnt ; dans une lettre de remer- ciements et de felicitations qu'ils adresserent a I'amiral, ils declarerent « qu'ils etaient heureux » de voir enfin mettre un terme aux d&ordres » et aux abus qui, jusqu'alors, avaient r^gne a )) Tahiti. » Enfin, les missionnaires protestants, faisant contre fortune bon cceur, ecrivirent a I'amiral que, « ministres d'un DiEU de paix, ils » regardaient comme un devoir imperieux » d'exhorter les peuples de ces iles a une obeis- » sance tranquille et constante envers le pouvoir » actuel, dans la pensee que c'est ce qui convient » le mieux aux interets des indigenes. )) Tout etait done pour le mieux, quand la jalousie des Anglais d'Australie et le retour du R^v. Pritchard vinrent tout remettre en ques- tion. Pritchard refusa de reconnaitre, comme consul, le protectorat frangais, et, sur ses instiga- tions, la reine Pomare ecrivit a sa bonne soeur la reine d'Angleterre, pour reclamer sa protec- tion contre le gouvernement francais, qui voulait, disait-elle, lui enlever ses Etats, la faire prison- niere, et I'envoyer mourir en France, i Les minis- tres d'un DiEU de paix » ne rougirent pas de precher contre nous la revoke et de raconter, du haut de leurs chaires, que la P'rance etait un tout petit pays, a peine plus grand que Tahiti, et qu'elle n'avait qu'une fregate, qui reparaissait toujours la meme, mais peinte de nouvelles couleurs, pour qu'on ne put la reconnaitre. Sous ces excitations perfides, la revolte eclata contre nous sur plusieurs points a la fois, et le Rev. Pritchard, ayant commis la faute d'amener son pavilion consulaire pour protester contre I'occupation de la France, fut arrete, comme un simple resident, sur I'ordre du commandant Bruat, et renvoye en Angleterre. En Europe, I'excitation des esprits etait extreme. Le premier ministre d'Angleterre employa les expressions les plus violentes et les moins parlementaires, en denon^ant a la Cham- bre des Communes I'attentat commis contre Prit- 392 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"'" SIECLE. chard : « Un orttrage grossier, accompagne d'une injustice grossiere, a ete commis centre I'Angle- terre dans la personne d'un de ses agents. » Un instant, on put croire qu'a I'occasion du Rev. Pritchard, la guerre allait eclater entre les deux pays. La moderation, peut-etre exageree, de M. Guizot prevint la catastrophe. II maintint energiquement le droit de la France au protec- torat des iles de la Societe, mais il desavoua I'arrestation du R. Pritchard, auquel on accorda une indemnite de 25.COO fr. Comme M. Guizot s'etait peremptoirement refuse a le laisser rentrer a Tahiti, il fut nomme consul d'Angleterre a Samoa, ou il essaj'a de recommencer ses intrigues politico-religieuses. Disons toutefois qu'il revint plus tard a des sentiments plus moderes. On a dit, sans preuves, qu'il mourut catholique, mais il est certain au moins que sa famille tout entiere se convertit, et qu'aujourd'hui sa fille ainee est Ursuline en Angleterre Le soulevement des Tahitiens contre le pro- tectorat frangais dura jusqu'en 1846, et fit verser pas mal de sang. A la fin, la reine Pomare, voyant qu'elle n'avait decidement rien a attendre de I'Angleterre, se soumit sincerement a notre auto- rite, et jusqu'a sa mort, arrivee en 1877, bien que toujours protestante fanatique, elle demeura I'amie de la France. On a vu que Pomare, ne voulant pas engager I'avenir de sa dynastie, n'avait accepte notre pro- tectorat que sa vie durant. Son fils Pomar6 V, bien que mari6 a une Anglaise, a consenti, sans grandes difficultes, a I'annexion pure et simple de son pays, substituee au regime de protec- torat (30 decembre 1880). Deux mois plus tard, 15 fevrier 1881, I'annexion etait 6tendue au groupe des lies Gambler, et au mois de mars sui- vant, a I'ile de Rapeia et aux iles sous le Vent. Sous le rapport social, la substitution de I'influence fran^aise a celle des methodistes anglais a ete heureuse pour les iles de la Societe, comme un magistral australien a eu la bonne foi de le reconnaitre. « L'importante ile de Tahiti, » ^crivait-il en 1863, forme maintenant ce qu'elle » n'aurait jamais ete sous I'ancien regime, une )) population civilisee et prospere (i). » Mais, sous le rapport religieux, I'Eglise catho- lique a moins gagne qu'on ne I'esperait au chan- gement. Le catholicisme, il est vrai, s'est forte- ment implante a Tahiti, qui est devenu en 1848 le centre du vicariat, mais I'indifference religieuse, developpee parmi ces populations indolentes et molles par le protestantisme, a trompe en partie les esperances de I'apostolat. C'est a peine si Ton compte6 700 catholiques sur les 30.300 habitants de I'archipel. Comme sous la domination des methodistes, chaque village a son temple protes- tant et son ^cole subventionnes par la France qui, toujours genereuse, s'est content^e, pour assurer sa domination, de remplacer les methodistes I. Souvenirs de la Nouvelle-Galhs du Sud, ch, 17, par le uge Therry. anglais par des ministres appartenant au con- sistoire de Geneve. Sous I'Empire, les ecoles publi- ques de Papeiti etaient confiees aux Freres de Lamennais et aux Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. On vient de les laiciser, et Ton a fait venir, pour remplacer nos religieux, des instituteurs et des institutrices protestantes. La mission s'est impose de lourds sacrifices pour conserver aux catholiques des maitres de leur foi, et ses efforts ont ete couronnes de succes, car I'ecole des Freres, qui comptait avant la laicisation 126 eleves, en avait 152 I'annee suivante. Dans I'interieur, la plupart des mis- sionnaires ont du ajouter aux travaux de I'apos- tolat celui de I'enseignement, afin de sauvegarder la foi de leurs enfants. Du reste, dans I'archipel de la Societe, comme dans presque toutes les iles de la mer du Sud, la race indigene est en pleine decroissance, sans que rien puisse enrayer ce mouvement continu de depopulation. Comme aux iles Sandwich, c'est la race chinoise, envahissante, active, labo- rieuse, qui se substitue peu a peu a ces races amollies dans la paresse et dans le libertinage. II y a deja plus d'un millier de Chinois a Tahiti, et le peuple chinois, qui meurt de faim chez lui, est en train d'inonder de ses immigrants I'aire immense qui s'etend des cotes de I'ile Bourbon aux rivages de la Californie. On salt qu'au point de vue de I'apostolat, il y a jusqu'ici peu de fond a faire sur I'emigrant chinois, uni- quement occupe d'amasser des piastres pour retourner en jouir dans son pays. Iks Piuiuwtous. ■ — Entre Tahiti et les iles Gambler s'etend I'archipel des Paumotous, qui comprend une centaine d'iles basses, formees en plein Ocean par des bancs de madrepores. Rien de plus curieux que le travail mysterieux de ces architectes sous-marins, qui ont eleve dans le Pacifique des archipels entiers, en meme temps qu'ils entouraient les grandes iles d'une ceinture de r^cifs redoutes des navigateurs. Voici maintenant venir d'autres agents : les oiseaux de mer s'etablissent sur ces recifs, ou ils deposent leur guano ; les ve"ts et les courants y poussent des debris de piai.tes, des carcasses de poissons, qui s'y fixent, s'y accun^ulent et ne tardent pas a former ga et la des plaques d hu- mus. Un jour, une noix de coco, ballott^e par la vague, aborde a cette ile nouvelie ; des graines Idgeres y sont deposees par les vents ou par les oiseaux de pas5age. Tout cela germe, grandit au soleil des tropiques ; bientot, a la place d'un roc aride, voici un ilot couvert de verdure, qui n'attend plus que des habitants. Les hasards de la tempete y pourvoiront. Ainsi se sont formees et peuplees les Paumo- tous et la plupart, sinon toutes les iles de la mer du Sud. Naturellement la faune et la flore de ces iles sont d'une pauvrete extreme ; beaucoup de ces ilots sont encore depourvus d'eau douce ; peu LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 393 d'animaux domestiques ; presque pas d'autres arbres fruitiers que le cocotier ; en sorte que les habitants, groupes par petites agglomerations de 80.100 et, dans les principales iles, 150 habitants, n'ont d'autre nourriture que la peche, et quelque- fois aussi la chair humaine, quand la faim pousse trop vivement ces malheureux. Les Mormons, venus d'Amerique, s'etaient installes depuis trente ans aux Paumotous, quand la Congregation de Picpus entreprit en 1849 I'evangelisation de ces iles. La lutte fut longue et penible. Au debut, le P. Clair, un des premiers missionnaires, fut frappe d'un coup de casse-tete et jete a la mer. II allait perir, quand les cannibales le repecherent et lui sa'jrverent la vie. Le P. Laval fit un certain nombre de bap- temes et batit des chapelles dans plusieurs lies. Des propheties pai'ennes avaient annonce I'arrivee des missionnaires aux Paumotous et la conversion de ces iles. Un jour que le grand- pretre offrait le sacrifice sur le J/rt'ra/(cimetiere), dans I'ile Kakoto, I'idole lui dit que sous peu les dieux et les ancetres du Marae deviendraient muets, que le Marae lui-meme serait abandonne, et que toute la population servirait un DiEU etranger, plus puissant qu'eux tous, qui leur serait annonce par des prStres vivant sans fem- mes et portant de longues robes noires. Malheureusement, a cause du petit nombre de missionnaires, obliges de se partager entre les nombreuses iles du vicariat, I'archipel des Pau- motous demeura a peu pres abandonne apres ce premier essai d'apostolat, et ne regut plus qu'a de rares intervalles la visite des mission- naires. C'est seulement a partir de 1874 que I'evangelisation put etre reprise d'une maniere suivie. Alors commenca serieusement le mou- vement des conversions parmi les Mormons des Paumotous. En 1888, sur douze iles, ayant une population totale de 1.897 habitants, on comptait deja 1.661 catholiques contre seulement 237 dissidents. Enfin on a appris, il y a quelques mois, la conversion de la derniere de ces iles, I'ile Teta- magi, dont tous les habitants, au nombre de 69, ont ^te baptises. Actuellement, I'archipel des Paumotous compte environ 2.000 catholiques, population tres pauvre, aux mceurs encore rudes et farouches, mais 011 ne regnent plus ni le liber- tinage, ni le cannibalisme, et qui scmble disposee a suivre docilement les conseils des missionnaires. lie de Pdqi4es. — L'ile de Paques, situee a I'extremite orientale de la Polynesie, a mille lieues de toute terre habitee, fut evangelis6e de 1 864 a 1868, grace au devouement heroique du Frere Eugene Eyraud, de la Congregation de Picpus, qui resta seul, pendant neuf mois, dans cette lie, au milieu des indigenes les plus gros- siers et les plus fcroces de la Polynesie, pour les disposer a recevoir la predication des mission- naires. Ce qu'il eut a souffrir pendant ces neuf mois est indescriptible. Menace a chaque instant d'etre devore par les cannibales, on lui vola toutes ses petites provisions et le peu que son travail parvenait a arracher a la terre. Au bout de neuf mois, ces intraitables sau- vages etaient apprivoises, a force de douceur et de patience. Le bon Frere, epuise de fatigues et portant deja le germe de la phtisie qui devait I'emporter, vint se reposer quelque temps aux iles Gambler, et, en 1866, il rentrait a l'ile de Paques, en compagnie d'un missionnaire qui, en quelques mois, instruisit et baptisa toute l'ile. L'oeuvre civilisatrice avait marche du meme pas que le travail spirituel : « J'ai ete emerveille, » ecrivait en 1867 le capitaine Dutrou-Bornier, qui devait se faire deux ans plus tard I'adver- saire implacable et le destructeur de la mission, « de tout ce que le travail acharne et la patience » de deux hommes ont pu faire en si peu de » mois. La ou je ne croyais rencontrer qu'une )) pauvre cabane a peine fermee, j'ai decouvert » des batiments deja installes, une chapelle » toute riante de fleurs, un hangar, un jardin, a. » I'entour des terrains defriches et plantes. Je ne » puis vous dire de quoi j'ai ete le plus surpris, 1) de I'intelligent travail du Frere Eugene, ou de » I'angelique patience du R. P. Roussel. J'ai » vu ces memes sauvages qui recevaient autre- » fois les etrangers a coups de pierres, reciter a » genoux toutes nos plus belles prieres, en » canaque, en frangais et en latin. » Le Frere Eyraud avait consume ses dernieres forces dans les travaux que necessitait instal- lation definitive de la mission. Le 19 aout 1868, veille de sa mort, etendu sur son pauvre grabat, il demanda combien il restait encore de parens dans l'ile. — « Pas un seul, » lui fut-il re- pondu. En effet, les derniers avaient ete bap- tises le 15 aout precedent. A cette reponse, le pieux mourant leva les mains et les yeux vers le Ciel, et un sourire joyeuxs'epanouit un instant sur ses levres, deja glacees par I'approche de la mort. Helas ! ce qu'avait fait le devouement d'un humble Frere, la mechancete et la cupidite reunies allaient bientot le detruire. Ce meme capitaine Dutrou-Bornier, que nous venons d'entendre faire I'eloge chaleureux des missionnaires, s'etant associe en 1869 avec un commer^ant anglais de Tahiti pour I'exploitation en commun de l'ile de Paques, comprit bien vite que les missionnaires feraient obstacle a ses desseins, et il resolut de s'en debarrasser, au besoin par la violence. Rien ne fut epargne pour d(^soler leur patience et mi- ner leur oeuvre : on incendia la chapelle, on pro- fana la tombe du Frere Eyraud, on ravagea sys- tematiquement les plantations de la mission et celles des Chretiens ; a plusieurs reprises, Dutrou expedia a son associe 231 canaques pour tra- vaiUer sur la plantation ; il avait abuse de I'igno- rance de ces malheureux pour leur faire signer 394 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"-" SIECLE. des contrats d'engagement dont ils ignoraient la port^e ; il sequestra plusieurs filles mineures, malgre leurs parents, pour servir a ses honteuses passions ; toujours entour^ d'une bande de mau- vais sujets, recrutes et armes par lui, il repondait par des coups de fusil aux reclamations les plus legitimes des missionnaires; en un mot, il se con- duisit en pirate siir de I'impunite, en I'absence de tout controle europeen. A la fin, la situation devint intolerable et, sur I'ordre du vicaire apos- tolique, les Peres durent ^vacuer la mission, avec ceux de leurs chretiens qui voudraient les suivre ; tous se presenterent pour partir, mais le navire qui devait les emporter etait trop petit et, malgre leurs pleurs, 175 de ces malheureux furent forces de raster a lile de Paques, a la merci de leur tyran et prives de tout secours religieux. En somme, les associes avaient fait une bonne affaire : sans avoir presque rien debourse, ils se trouvaient en possession d'une ile de 25 kilome- tres de long sur 17 kilometres de large, mesurant 11.000 hectares d'excellentes terres. Eh bien, ce brigandage odieux ne leur a pas sufifi, et ils ont eu le triste courage de calomnier les missionnaires en les accusant de chercher a exploiter les indigenes. Plaisante accusation dans la bouche de tels hommes ! Apres la mort de Dutrou-Bornier, les mission- naires sont rentres a I'ile de Paques, mais ils n'y ont plus trouve qu'une population miserable de moins de 150 ames, au lieu du millier d'habitants qu'ils avaient trouve dans I'ile a leur arrivee. Voila comment la civilisation moderne, quand elle repousse le concours de la religion, s'entend a relever les sauvages. Elle les exploite et les fait perir. Situation religieiise du vicariat apostoliqite de Tahiti, an i" Janvier 18 go. Le vicariat comprend les lies de la Societ6, les Gambler, les Paumotous, les lies Tubuai, I'ile de Cook et I'ile de Paques. L'archipel de la Societe et celui des Gambler appartiennent a la France ; les autres lies, a I'exception de I'ile de Paques, sont sous son influence. La popula- tion totale de ces differents groupesest d'environ 30.300 habitants, dont 6700 catholiques. Personnel : i vicaire apostolique, en residence k Tahiti. 20 missionnaires pretres et 8 Frferes de la Congregation de Picpus. 5 Frjres de Lamennais. 18 Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. 60 catechistes et 4 Soeurs indigenes. CEuvres : 26 residences. — 30 missions. 47 ^glises, 5 chapelles. 47 ecoles, 1. 500 Aleves. I hopital k Papeiti. Statistique comparh ; En 1S33 : Erection du vicariat apostolique de I'Oceanie orientale. En 1834 : Commencement de la mission aux iles Gam- bier. En 1836 : Commencement de la mission \ Tahiti. En 1S4S : Erection du vicariat apostolique de Tahiti. En 1849 : Commencement de la mission aux Paumo- tous. En 1864 : Commencement de la mission h I'ile de Paques. fin 1890 : I vicaire apostolique, 20 missionnaires, 52 eglises ou chapelles, 47 dcoles, 6.700 catholiques. III. — Vicariat apo-Stolique des iles Marquises. L'archipel des iles Marquises s'etend du 148° au 128" de longitude ouest, et de I'equateur au 130 de latitude australe. II se compose de huit grandes iles, dont la principale, Nuka-Hiva, est le siege du gouvernement colonial et la residence du superieur de la mission. Les indigenes des iles Marquises 6taient regar- des, a bon droit, corhme les plus intraitables et les plus feroces des iles de la mer du Sud. Les methodistes de Tahiti, apres une tentative d'evan- gelisation, avaient reculc devant leur barbaric. « II semble, ecrivait Melville(i), qu'on doit deses- » p6rer d'arracher ces iles au paganisme. » — i, Nos missionnaires, dit de son cote le R^v. » Culter (2), ne pouvant supporter les grossieres » insultes des indigenes, ont du evacuer I'ile. » Heureusement les pretres catholiques sont moins delicats. lis savent parfaitement s'exposer aux insultes, et meme a la mort, pour faire progresser le regne de JiiSUS-Christ. Le 5 aout 1836, le commandant Dupetit- Thouars debarquait aux iles Marquises trois mis- sionnaires de la Congregation de Picpus, en les recommandant fortement a la bienveillance de YAri/ci, ou chef indigene, chez qui ils allaient loger. Pendant quelques semaines, le souvenir des largesses du commandant francais et les petits presents que les Peres lui faisaient de temps en temps sur leurs maigres provisions, entretinrent ses bonnes dispositions, et il pourvut assez gt^ne- reusement a leurs plus pressants besoins ; mais quand ils n'eurent plus rien a donner, la bien- veillance du chef fit place au plus complet aban- don. Alors commen^a pour les pauvres mission- naires une longue periode de privations et de souffrances ; un peu de biscuit de mer, trempe dans I'eau, devint leur unique nourriture. lis souf- fraient tellement de la faim qu'un jour ou on leur offrit par hasard quatre a cinq petits pois- sons, ils ne se donnerent pas le temps de les faire cuire, et les mangerent tout crus, a la maniere des sauvages. Insultes et menaces a chaque instant d'etre devores par les cannibales, traites en domestiques par les chefs qui les logeaient, ils eurent encore I'amere douleur de se voir attaques par les rares Europeens refugies dans ces lies : forcats de I'Australieen rupture de ban, matelots deserteurs^ fiibustiers sans foi ni loi, ^cuine de la civilisation plus redoutables peut-etre que les vrais sauvages_ 1. Les ties Marijtiises, ch. i. 2. Aveittiires dans le Pacijiquc, ch. 15. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 395 Un de ces miserables eut meme I'infamie de declarer aux indigenes que le DiEU des mission- naires les ferait tons nriourir. « Je veux croire, J> ecrivait le P. Desvault, qii'il ne pretendait faire » qu'une plaisanterie, mais vous jugerez comme » moi quelle est assez deplacee, quand elle > expose trois innocents a etre massacres par un » peuple incapable de reconnaitre I'absurdite de )> telles accusations. » — « II faut reconnaitre, » dit un autre missionnaire, le R. P. Laval, que » tous les vices et toutes les abominations de la » nature dechue se rencontrent aux iles Mar- » quises (i). » Au bout de quelques mois de ce rude noviciat, les trois missionnaires commengaient a balbutier la langue des sauvages ; par leur mansuetude, ils avaient reussi a gagner le cceur des moins farou- ches, et deux baptemes d'adultes en danger de mort etaient la premiere recompense de leurs travaux. C'est alors que Mgr Rouchouze, premier vicaire apostolique de I'Oceanie orientale, partit des iles Gambier, en compagnie de six nouveaux missionnaires, pour faire la visite pastorale des iles Marquises, en installant des predicateurs a Nuka-Hiva et dans les principales iles. Peu de temps apres, le P. Baudichon, nomme, en 1838, prefet apostolique de I'archipel, conquit un immense ascendant sur ces peuplades f^roces. Quand I'amiral Dupetit-Thouars vint, au nom de la France, prendre, en 1840, possession de ces iles, le supcrieur de la mission usa de son influence sur les sauvages pour les amener, sans effusion de sang, a accepter le protectorat de notre pays. Deux ans apres, sous le gouverneur Bruat, il y eut, aux iles Marquises, un commencement de revoke contre les Francais. Le prefet apostolique, au peril de sa vie, alia trouver les principaux chefs et les amena a deposer les armes. A cette occasion, il fut nomme chevalier de la " ' ' d'honneur par le roi Louis-Philippe. Cependant, Mgr Rouchouze ayant malheureu- sement peri dans un naufrage, avec toute une troupe de missionnaires et de religieuses de Picpus qu'il ramenait d'Europe pour desservir son immense vicariat (1843), 1^ P. Baudichon fut nomme vicaire apostolique de I'Oceanie orientale. Le travail des missionnaires, si lent et si ste- rile en apparence au debut, commencait enfin a porter des fruits. Au bout de dix ans d'apostolat, il n'y avait encore en 1846 que 121 catholiques aux lies Marquises ; en 1848, ils etaient 216 ; en 1852, 1.242 ; en 1862, leur nombre s'clevait a 1.500. Le succes de la mission etait complet, et, des 1848, Ic Saint-Siege avait erige les iles Mar- quises en vicariat apostolique distinct. Mgr Bau- dichon en fut naturellement le premier titulaire, mais il donna sa demission en 1853 et revint mourir en France. II eut pour successeur Mgr Dordillon (1854-1888). Tout permettait d'esperer la conversion pro- I. Annales de la Propagation de la Foi, volume X, ann^e 1840. Legion chaine et rapide de tout I'archipel ; malheureuse- ment, Nuka-Hiva etant devenu en 1848 lieu de transportation, les mauvais exemples des deportes et les maladies qu'ils apporterent dans I'ile ont a peu pres ruine I'ceuvredes missionnaires. L'annee 1862 marque I'apogee de la mission. A partir de cette epoque, commence une periode de decadence qui ne s'est plus arrotee. Du mois d'aout 1863 au mois d'avril 1864, une affreuse epidemie de petite verole enleva pres de 2.000 indigenes. L'eveque et ses pretres se d^vouerent en vain au service de ces malheureux,bravant la contagion et p6n6- trant dans les cases les plus infectees ; leur devouement fut inutile, le mouvement des con- versions s'arreta et ne fut pas repris. Les maladies honteuses, la phlisie, achevent de tuer I'ame et le corps de ce malheureu.x peuple. Actuellement, il n'y a plus aux iles Marquises que 2.800 catholi- ques, sur une population totale de 5.000 habitants. Personnel : i vicaire apostolique. 9 missionnaires de Picpus. 10 Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. 6 catechistes indigenes. Giuvres : 43 stations, 44 eglises ou chapelles. 5 ecoles dlementaires, 320 gargons, 340 filles. Tableau g^m'ral des ceiivres de la Congregation de Picpus en Occanie. Iles Sandwich, i vicaire apostolique, 24 missionnaires, 92 eglises ou chapelles, 35 ecoles, 27.600 catholiques. lies Tahiti, i vicaire apostolique, 20 missionnaires, 52 eglises ou chapelles, 47 ecoles, 6.700 catholiques. lies Marquises, i vicaire apostolique, 9 missionnaires, 44 eglises ou chapelles, 5 ecoles, 2.800 catholiques. Total : 3 eveques, 53 missionnaires, 188 eglises ou cha- pelles, "jj ecoles, 37.100 catholiques. Les PP. de Picpus ont en outre une procure a Valparaiso, et des missions en divers lieux, sur la cote occidentale de I'Amerique du Sud. DEuxii:ME Partie. MISSIONS DE LA SOCIETE DE MARIE. I. _ Vicariat apostolique de L'OciiANiE CENTRALE. CE vicariat apostolique, erige en 1842, com- prenait autrefois I'archipel des Amis, I'ar- chipel des Navigateurs, la Nouvelle-Caledonie et les iles Fidji, qui forment aujourd'hui quatre vicariats distincts. Dans I'etat actuel, le vicariat de I'Oceanie centrale, d'une etendue assez res- treinte, comprend seulement les iles Wallis et Futuna, au nord, les iles Vavau et HapaV, au centre, et I'archipel de Tonga, au sud. C'est par les iles Wallis et Futuna que commen^a I'evan- g^lisation. En 1835, la Sacrce-Congregation de la Propa- gande avait confic a la jcune Societe de Marie le vicariat de I'Oceanie occidentale, qui comprenait la Nouvelle-Zelande et la moitie de la Polyncsie. Mgr Pompalier fut le premier titulaire de cet 396 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^^^ SIECLE. immense territoire, qui embrassait plus de 1.200 lies, et s'embarqua au Havre, le 24 decembre 1836, en compagnie de quatie missionnaires et de trois Freres. Apres avoir double le cap Horn, la petite troupe apostolique, reduite a trois pretres par la mort d'un des missionnaires, s'arreta quelques jours aux iles Gambler pour admirer les mer- veilles de la grace dans la conversion des sauva- ges ; puis, poursuivant sa route a travers les archipels de la mer du Sud, elle arriva enfin sur le territoire de sa juridiction. Le i" novembre 1837, le P. Bataillon fut depos6 a Wallis, et, quelques jours apres, le P. Chanel a Futuna, chacun en compagnie d'un Frere ; I'eveque, avec le dernier pretre et un Frere qui lui restaient, alia debarquer a la bale des lies (Nouvelle- Zelande), dans les premiers jours de Janvier 1838. Je ne reviendrai pas sur ce qui a 6te dit ailleurs de I'evangelisation de la Nouvelle-Zelande. Quant aux deux missionnaires, laisses a peu pres sans provisions a Wallis et a Futuna, on aurait peine aujourd'hui a s'imaginer tout ce qu'ils eurent a souffrir de la grossierete des naturels, alors inca- pables de comprendre leur devouement, et de la cupidite des chefs chez qui ils dtaient descendus, et qui ne voyaient dans ces etrangers qu'une proie a exploiter. Le P. Bataillon, mourant de faim, fut reduit plus d'une fois a envier, comme le prodigue de I'Evangile, la nourriture des pores du roi, et, sans le devouement de la jeune prin- cesse Amelie, qui lui portait de temps en temps un peu de nourriture en cachette, il aurait cer- tainement succombe aux privations. A Futuna, le P. Chanel n etait guere mieux traite, et quand, apres deux ans et demi d'un ministere sterile, il eut la joie de voir se grouper autour de lui un petit noyau de catechumenes, parmi lesquels etait le fils du roi, les paiens furieux comploterent sa mort, et le frapperent d'un coup d'herminette, qui lui ouvrit le Ciel le 28 avril 1841. On salt que le premier martyr de I'Oceanie vient d'etre eleve par Leon XIII sur les autels, en compagnie du B. Perboyre, martyrise en Chine, ouvrant tous deux, nous I'esperons, la voie au long defile des martyrs du XIX« siecle. Ce que le B. Chanel n'avait pu faire par ses predications, ses prieres et ses souffrances, son sang rcpandu I'obtint facilement du Ciel. Quelques mois apres sa mort, la France avait envoye la fregate V Allier pour punir ses assassins, mais Mgr Pompalier refusa, disant nettement que lui et ses pretres dtaient prets a verser leur sang pour la conversion des sauvages, mais qu'il ne souffrirait jamais que le sang des paiens coulat pour leur defense. Quand I'eveque vint a Futuna pour chercher le corps du martyr, -une partie de I'ile demanda le bapteme. Au bout de quelques mois passes au milieu de ces feroces insulaires, le vicaire apostolique eut la consola- tion d'en baptiser 1 14, parmi lesquels etaient le roi de Futuna et I'assassin meme du martyr. II laissa dans I'ile le P. Chevron pour achever I'oeuvre. Au bout d'un an, I'fle etait toute chretienne et I'heureux missionnaire ecrivait : i{ Une foi » vive, une charite ardente, une extreme delica- » tesse de conscience, une avidite insatiable de » la parole de DiEU, telles sont les vertus qui » fleurissent sous nos yeux. Les naturels passent 5> la moitie de leurs nuits a prier, a s'instruire » mutuellement, a chanter des cantiques et a » reciter le chapelet. Leur ardeur pour les exer- » cices de pidte est evidemment I'effet de la » grace. » A Wallis, les longues privations du P. Batail- lon avaient la meme recompense. Avant I'arri- vee du pretre catholique, les protestants avaient essaye de s'etablir dans cette ile, mais la, comme partout, leurs catechistes ayant commence par fomenter la guerre civile, les rudes naturels de Wallis les avaient expuls^s, declarant en masse qu'ils voulaient rester paiens. Ces preventions des Wallisiens centre lechristianisme furent pour beaucoup dans la mauvaise reception qui fut faite au P. Bataillon ; mais I'apotre de Jfi.SUS- Christ triompha de toutes les hostilites a force de charite et de patience. Des 1841, il pouvait annoncer, dans les Annates de la Propagation de la Foi, que, sur 2.300 habitants, on comptait deja 2.000 convertis. L'annee suivante, il ecrivait : « Notre 6veque, Mgr Pompalier, va nous quitter, » apres avoir baptist et confirm6 tous les habi- » tants de I'ile Wallis ; tout recemment encore > adonnee aux plus ridicules superstitions et aux » vices les plus grossiers, elle adore maintenant » le seul vrai DiEU, createur du ciel et de la terre, » et le seul Sauveur des hommes, Jesus-Christ. )) La conversion d'Uvda (I'ile la plus importante » du groupe) est, a mon avis, I'un des plus grands » prodiges de notre epoque. De I'aveu de tous, » cette ile 6tait la plus pervertie de I'Oceanie. » II n'est pas inutile de remarquer ici qu'a Wallis et a Futuna, les missionnaires n'avaient eu affaire qu'a la barbarie des indigenes ; ils n'avaient pas rencontre devant eux les intrigues cauteleuses de I'her^sie, ni les mauvais exemples des trafiquants europeens. Aussi ils firent de ces iles deux oasis de ferveur et de vie chretienne. lis seront moins heureux dans les autres iles, oil ils auront ete precedes par les protestants et par les residents venus d'Europe. Cependant I'heure etait arrivee de former de nouveaux cadres pour fortifier, en la resserrant, Taction de Tapostolat. En 1842, le P. Bataillon fut nommd premier vicaire apostolique de I'Oceanie centrale, qui embrassait les quatre archipels des Amis, des Navigateurs, de la Nou- velle-Caledonie et des iles Fidji. Quand Mgr Douarre, nomme son coadjuteur, lui apporta les bulles (decembre 1843), il le trouva sans souliers, sans chapeau, une soutane en guenilles sur les epaules ; mais sur sa figure, emaciee par la faim, rayonnait une joie divine. C'est a ce prix que LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 397 I'apotre rachete les ames et conquiert des royau- mes a Jrsus-CHRIST. A peine sacre eveque, Wgr BataiUon s'empressa d'envoj'cr des predicateurs dans les nombreuses lies de son vicariat. Des la fin de dccembre 1843, Mgr Douarre, son coadjuteur, partait pour la Nouvelle-Caledonie avec deux missionnaires. En 1844, Mgr Bataillon fit, en personne, une tentative sur les iles Fidji, mais il en fut repousse ; il y laissa pourtant un missionnaire. En 1845, commenca I'evangelisation de I'archipel des Navigateurs. En 1846, un missionnaire fut envoye a Rotuma. Bientot les progres continus de la foi amenerent le Saint-Siege a faire de nouvelles divisions ecclesiastiques. Des 1847, la Nouvelle-Caledonie forma un vicariat distinct. En 1848, fut erige le vicariat apostolique des Navigateurs, et, en 1863, la prefecture apostolique des lies Viti ou Fidji. Le vicariat de I'Oceanie centrale, ainsi demembre, demeura fixe dans les limites actuelles et comprit seulement trois groupes d'iles : au nord, les iles Waliis et Futuna ; au centre, les iles Vavau et Hapai ; au sud, I'archipel de Tonga. II faut dire un mot de chacun de ces groupes. Ilt's Waliis et Fiitiiua. Ces deux iles sont demeurees I'honneur et la joie de la mission. A Waliis, le roi, serieusement convert! et bien revenu de ses anciennes preventions, disait a Mgr Bataillon : « Eveque, je te remercie de I'affection que tu me portes. J'^tais ignorant ; je t'ai repousse ; j'ai meme voulu te chasser ; mais toi, tu nous aimais ; tu as pris patience ; tu as souffert beaucoup. Je te remercie. » En disant eel a, de grosses larmes tombaient de ses yeux et roulaient sur ses joues bronzees. Sa fille, la pieuse reine Amelie, elevee des sa jeunesse dans la foi catholique, offrit encore de meilleures dispositions. En 1870, elle voulut ^crire a Pie IX pour protester contre I'occupation de Rome. Le Pape lui envoya en reponse un bref de remerciements avec un beau chapelct et sa benediction. , , Sous la direction de princes si chr^tiens et de leurs missionnaires, les indigenes de Waliis offrent les plus beaux exemples de ferveur. Une seule fois, en 1850, les protestants faillirent trou- bler la paix religieuse ; ils essaycrent de profiler d'une rivalile qui eclata entre deux jeunes chefs, pour s'introduire dans I'ile. Mais le pasteur veillait sur son troupeau, et, cette fois, les predicants en furent pour leurs frais. A I'inverse de ce que nous avons vu se pro- duire dans les autres iles de la mer du Sud, la population, dccimee autrefois par des guerres continuelles entre les tribus, s'accroit tous les jours. L'ile compte aujourd'hui 4.1 00 habitants, au lieu de 2.000 qu'y trouva le P. Bataillon. L'ar- chipel se compose d'une ile centrale. Uvea, entouree d'une dizaine d'ilots. La supcrficie com- prend 25.000 hectares d'excellentes terres, qui suffisent largement a la subsistance des habitants. L'ile est partagee en trois parois.ses : Hihifo : Saint-Pierre et Saint-Paul ; Matautu : Notre- Dame ; et Saint-Joseph de Mua. Dans cette der- niere paroisse, qui compte i.Soo habitants, le chiffre annuel des communions varie de i i.ooo a 12.000. La communion reparatrice y est en hon- neur tous les vendredis du mois : le premier vendredi, les jeunes gens ; le second, les jeunes filles ; le troisieme, les hommes maries ; le qua- trieme, les femmes. Outre cela, chaque dimanche, une centaine de fideles s'agenouillent a la Table sainte. Qui reconnaitrait les feroces cannibales trouves en 1837 par le P. Bataillon ? Sous I'episcopat de Mgr Bataillon, Waliis devint naturellement le centre du vicariat. Apres avoir fait elever de belles eglises en pierre de corail dans les trois paroisses de l'ile, il consacra ses derniers labeurs a la construction de I'eglise du seminaire-college de Lano, d'ou sont deja sortis quatre pretres indigenes, et qui compte encore aujourd'hui 48 eleves : 5 en theologie, 6 en philosophie et les latinistes. C'est la que le patriarche de I'Ocdanie, d^ja frappe par la mort, se fit transporter. Ouelques heures avant d'expirer, n'entendant plus le bruit ordinaire des ouvriers, il demanda avec anxiete pourquoi on avait inter- rompu les travaux. — « Eveque, repondit un des chefs, nous craignons de vous troubler a vos derniers moments. — Oh I non, non, reprit avec energie le mourant, ne vous arretez pas. Je veux mourir en entendant le bruit de ce marteau ; il me fait tant de bien ! » Et, pour ob6ir a I'evcque, les ouvriers reprirent leur travail. Ouand sonna la derniere heure, il se fit etendre sur une natte, a I'ombre d'un arbre, le visage tourne vers I'eglise, et il e.xpira, en presence de son peuple, en face de cette eglise et de ce college qui avaient eu les derniers battements de son coeur apostolique (10 avril 1877). L'ile de Futuna, empourpree du sang de son glorieux mart)'r, le B. Chanel, ne le cede pas en ferveur a Waliis. Elle compte actuellement 1.500 habitants, tous catholiques, partages en deux paroisses : Saint-Joseph de Sigaveet Notre-Dame des Martyrs au lieu ou fut massacre le P. Chanel ; elle a deux belles eglises et des ecoles florissantes. A I'arrivee du P. Chanel, l'ile comptait a peine un millier d'habitants. Le catholicisme, quand son influence salutaire n'est pas contrariee par I'heresie et la fausse civilisation, repeuple ces archipels, que la barbarie et le vice depeuplaient autrefois. Pour echapper aux convoitises des Anglais, les iles Waliis et Futuna, a I'instigation des mis- sionnaires, ont reclame dernierementleprotectorat de la France. Au mois dejuin 1888, a lademande de la reine Amelie et a la grande joie des habi- tants, le gouverneur de la Nouvelle-Caledonie est venu faire flotter notrc drapeau sur ces iles, que le catholicisme a faites fran^aises, 398 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX^e SIECLE. Iks Vavaii et Hapa'i. Ces iles peuvent se partager en deux groupes : au nord I'archipel de Vavau, nombreiises iles, 5.000 habitants. II y a une station catholiqueaVavau,le plus beau portde la mer du Sud. Au centre les iles Hapai, plus de cinquante iles, dont le tiers seulement sont habi- tees, 7.500 habitants II y a une station catholique a Lifuka, et quelques rares catholiques disperses dans les autres iles de I'archipel. Depuis 1852 les iles Va\-au et Hapaf ont ete evangelisees par les missionnaires catholiques, Le Bienheureux Pierre Chanel, de la Societe de Marie, martyrise k Futuna, le 28 avril 1S41. mais Topposition des weslej-ens, qui sont les maitres du pays, a beaucoup retarde les progres de la foi. Autrefois ces iles etaient independantes et jouissaient de leur autonomie. Grace aux intri- gues des wesleyens, le roi Georges de Tonga a pu s'en emparer et les annexer a son royaume. Archipel de Tonga. Get archipel se compose de deux grandes iles : Tonga-Tabou et Eua, plus un certain nombre d'ilots. La population protestante )' est de 22.000 ames, centre environ 2.000 catholiques. Tonga est le centre de I'in- fluence religieuse des \vesle)'ens dans les iles de la mer du Sud. Le roi Georges, homme ener- gique et intelligent, reconnaissant de I'aide que lui ont donnee les Rev. ministres pour s'arrondir au.x depens de ses voisins, a impose son Lotu a tous ses sujets, et pendant longtemps il n'a tolere dans son royaume d'autre religion que la sienne ; il persecuta les catholiques et, par tous les moyens en son pouvoir, empecha la propa- gation de la vraie foi. Nous retrouvons a Tonga les industries ordinaires des ministres protes- tants : calomnies atroces contra les missionnaires, exclusion systematique des catholiques de tous les emplois publics, tracasseries dans les ecoles, violences de toutes sortes exercees contre les dissidents, exploitation de ces iles au profit exclusif des R6v. ministres. En 1876, sur une population totale de 23.000 proteslants, ils se sont fait un revenu de 8.124 livres sterling. (153.000 francs.) Sous le nom du roi Georges, le fameux Baker exerca longtemps I'autorite supreme dans tout I'archipel. Get homme, qui avait ete depose du saint ministere par ses propres collegues , a cause de la depravation de ses moeurs, partit pour Sydney, acheta le consistoire, qui lui rendit son office, et revint triomphant a Tonga. A son retour, il dota le royaume d'une constitution dans le gout moderne, etablit le divorce, I'ensei- gnement obligatoire, et decreta des amendes enormes, 60, 80 et lOO piastres, pour les moin- dres delits. Dans une pensee uiiiquement com- merciale, pour forcer les naturels a acheter les cotonnades anglaises dont il avait le depot, il interdit absolument I'usage des tapes, etoffes indigenes en ecorces : 500 piastres d'amende, (2.500 francs), etaient infligees a quiconque n'aurait pas detruit, au !«'' Janvier 1878, toutes les etoffes indigenes qu'il pouvait avoir dans sa maison. On voit qu'il ne fait pas bon resister aux lois civilisatrices de ces messieurs. Avec tout cela, il y a a Tonga un certain vernis de civilisation exterieure, un certain mouvement commercial, de nombreux immigrants europcens; mais la population n'en est pas moins miserable et perdue de vices. En une seule annee, on a compte a Tonga 200 divorces, un divorce sur cent protestants, proportion effrayante et qui montre bien a quoi aboutissent les predications de I'he- resie. Comme toujours, les pauvres catholiques, si longtemps persecutes et si fort meprises de leurs concitoyens, commencent a se relever dans I'opinion. Le gouvernement tongien parait leur etredevenu moins hostile. Depuis 1882, on celebre solennellement laFete-DlEU a Tonga, et lorsqu'on a beni en 1886 la belle eglise de Maofaga, 3.000 catholiques, accourus de tous les points de I'ar- chipel, ont pu affirmer hautement leur foi, avec I'approbation du roi et de la grande majorite de la population protestante. Les wesleyens ont trop longtemps abuse de leur pouvoir, et le roi Georges commence a trouver leur joug pesant. II s'est debarrasse der- nierement de Baker, et a compose de toutes LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 399 pieces un Loiti particulier, ce qui est toujours facile clans le protestantisme. L'Eglise officielle est done en pleine decadence, et, I'an dernier, on enregistrait 600 conversions a Tonga. RIalheureusement ce mouvement de retour au catholicisme arrivera probablement trop tard pour sauver I'archipel de la domination etran- gere. Les protestants ont ^te trop longtemps les maitres a Tonga pour lacher facilement leur proie ; les Anglais et les Allemands convoitent ces iles, maintenant surtout qu'ils voient le dra- peau frangais flotter a WalHs et a Futuna. A la mort du vieux roi, il est bien a craindre qu'ils ne s'emparent sans facon de son royaume. Situation du vicariat apostolique de V Occanie centrale au i'^'' Janvier iSgo^ Le vicariat comprend les iles Wallis et Futuna, au nord, les iles Vavau e Hapai, au centre, et I'archipel de Tonga, au sud. Population totale, 36.000 habitants, sur lesquels 8.450 catholiques. Personnel : I vicaire apostolique, 14 mis- sionnaires pretres et deux Freres de la So- ciety de Maiie. 4 pretres indigenes, 8 clercs indigenes, 60 caiechistes. 59 Soeurs du Tiers-Ordre de la Societe de Marie, distribuees en 10 maisons. Qiuvres : 12 stations avec residences : 4 \ Wallis, 2 k Futuna, i k Vavau, i dans les iles Hapai, 4 h Tonga, plus 25 missions, 12 eglises, 2 \ chapelles. 1 seniinaire-college h Lano (Wallis), 48 Olives. 2 colleges, I a Tonga, i k Wallis, 300 el^ves. 9 pensionnats de filles. 44 e'coles primaires, 2.000 el^ves. II. — Vicariat apostolique DES NAVIGATEURS. Le vicariat apostolique des Naviga- teurs, crige en 1S50, eut pour premier titulaire, en quality d'administrateur, Mgr Bataillon, et depuis, bien qu'il ait son autonomic distincte, ce vica- riat a toujours (ftc administrd par le vicaire apostolique de I'Oceanie cen- trale. II se compose de deux groupes d'lles : I'archipel des Navigateurs, au sud, et les iles Tokelau, au nord. Archipel des Navigateurs. — L'archipel dc Samoa ou des Navigateurs se compose de trois grandes iles : Savai, 55 lieues de circuit, Upolu, 45 lieues, ct Tutuila, 35 lieues, .sans compter plusieurs petites iles. La population, qui etait encore, il y a trente ans, de 65.500 ames, est tombce au-dessous de 35.000. Le gouvernemcnt est une sorte de rcpublique federative et aristo- cratique ; mais, depuis vingt ans, les Amcricains, les Allemands et les Anglais se disputent le pro- tectorat de ces iles, et ce n'est qu'a la rivalitc de leurs convoitises que les Samoans ont du de gar- der une partie de leur independance. Depuis quelques annees, sous pretexte de sauvegarder les interets de leurs nationaux,^les consuls d'An- gleterre, d'Allemagne et des Etats-Unis se sont arroge le droit d'intervenir dans toutes les questions importantes, ce qui constitue un pro- tectorat deguise, en attendant I'annexiQn. Les missionnaires catholiques arriverent a Samoa en 1845. II y avait une dizaine d'annees que les protestants s'y etaient installes ; mais il Mgr Bataillon, de la Societe de Marie, vicaire apostolique de TOc^anie centrale. ne semble pas qu'ils aient pu y exercer leur domination ordinaire. Le peuple samoan, tres fier et tres indepcn- dant cle caractere, ne prit guere au protestan- tisme que son unique dogme : la liberte des opi- nions et le droit pour tout particulier d'expliquer la Bible a sa fantaisie. Au rapport du Rever. Georges Turner, qui passa plusieurs annees dans ces iles : « apres avoir rcc^u les instructions » des ministres pendant un qtiart de sieclc, une » partie du jjeuple est entrainee par les prcdi- » cants indigenes dans toutes sortes d'extra- » vagances et d'absurdites (i). » En 1861, au I. Rev. Georges Turner, Neuf ans en Polyncne, ch. 9. 400 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™« SIECLE. rapport du meme auteur, sur une population de 65.500 ames, 45.757 etaient encore des payens declares ; sur le reste, 645 seulement pouvaient etre regardes comme appartenant vraiment a I'Eglise protestante ; les autres professaient tou- tes les extravagances qu'une lecture incomprise de la Bible peut suggerer a des imaginations encore payennes. Et pourtant les ressources n'avaient pas man- que aux predicateurs du pur Evangile pour attirer a eux les indigenes. Dix missionnaires europeens travaillaient a la fois, assistes d'une veritable armee de 231 catdchistes ou maitres d'ecoles indigenes ; des temples coquets et ri- chement entretenus, des ecoles s'elevaient sur tous les points de I'archipel. En presence d'un pareil deploiement de forces, il faut avouer que le resultat annonce par le Rever. Turner parait maigre. Mais si les protestants avaient a peu pres echoue a Samoa dans leur oeuvre d'apostolat, ils avaient su inspirer aux indigenes la plus grande horreur des pretres papistes, qu'ils leur avaient representes comme des idolatres pires que les payens. Ordre avait ete donne de les exclure ab- solument de I'archipel. Aussi, quand ils se pre- senterent, ils furent d'abord tres mal re^us et eurent beaucoup de peine a trouver un village qui consentit a les recevoir. Ces preventions tomberent assez vite, quand on les vit a I'ueuvre ; mais I'indifference religieuse et I'esprit sectaire, developp6s au milieu des indigenes par I'heresie, n'ont pas permis au catholicisme de faire de grands progres dans ces iles ; d'autant que, selon I'usage, les riches et les puissants sont du cote de I'heresie. Ce fait, bien connu detous a Samoa, n'a pas empeche les predicants, constatant a leur maniere le succes relatif de leurs rivaux, d'ecrire que « les convertis catholiques embrassent vo- ^ lontiers une religion qui tolere tous leurs vices, » et qui compte des chefs orgueilleux et me- » chants, toujours prets a se mettre a la tete » d'un parti (i). » II est difficile d'avancer une proposition plus invraisemblable et plus contraire a la verite, mais cela fait bon effet au loin sur les souscripteurs. Les protestants font justement a Samoa ce qu'ils reprochent a tort aux catholiques ; ce sont eux qui, pour s'emparer du pouvoir, ont ddchaine dans I'archipel le fleau de la guerre civile, en voulant remplacer le principal chef de I'ile, Matoafa, catholique fervent, par son oncle Malietoa, protestant fanatique. Les missionnaires, resolus de se tenir a I'ecart des questions politi- ques, et comptant d'aiUeurs des catholiques dans les deux partis, se tinrent toujours sous la reserve, se contentant de precher a tous la paix et la conciliation, attitude qui leur valut le respect et la sympathie des belligerants. Cette guerre civile, qui dura deux ans, de I. Rapport a la Societe des Missions de Londres, 1S62. 1 87 1 a 1873, fit beaucoup de ruines dans I'archipel et compromit I'independance de Samoa. Pour soutenir la lutte, les deux partis vendirent a vil pri.x leurs meilleurs terres aux Americainset aux Allemands, afin d'acheter des fusils a aiguille et des Cjanons perfectionnes. Pendant deux ans, les villages furent detruits, les cases incendiees, les plantations devastees, la terre demeura sans cul- ture. Enfin la paix fut conclue, le i*'"' mai 1873, sur les instances de Mgr Elloy, qui fut invite par les chefs a apposer sa signature au traite. Mais les indigenes s'apercurent bien vite qu'en cedant aux incitations des ministres, ils avaient com- promis I'independance de leur pays et fait le jeu des etrangers, qui sont desormais etablis a demeure dans ces ties, dont ils possedent les meilleures terres. Les malheurs de la guerre et I'attitude conci- liatrice des missionnaires catholiques ont beaucoup fait a Samoa pour dissiper les preventions et ramener les esprits a la vraie Eglise. Dernierement, quand les deputes (car Samoa jouit des splen- deurs du regime representatif) ont fait une cons- titution, les chefs protestants, aussi bien que les catholiques, en remirent une copie a I'eveque, le priant de faire ses observations. Ce nouveau code, redige par des sauvages, pourrait servir de modele a plus d'une de nos constitutions mo- dernes : il proclame la liberte des consciences, sanctionne I'indissolubilite du mariage, interdit les danses obscenes, I'ivrognerie, et prescrit le repos du dimanche. On peut done dire qu'a Samoa le catholicisme, bien que numeriquement tres inferieurau protes- tantisme, a triomphe finalement des calomnies qui I'assaillirent au debut. Mais si I'esprit public, d'hostilequ'il etait d'abord, lui est devenu favo- rable, il n'en a pas moins toujours a lutter contre la propagande des nombreux catechistes protes- tants, richement payes et repandus dans les moindres villages. C'est pour contrebalancer leur influence et repondre k un vrai besoin, qu'en 1875, Mgr Elloy ouvrit, a Vaea, pres d'Apia, qu'on peut considerer comme la capitale de tout I'archipel, une ecole de catechistes, qui commen^a avec 6 jeunes gens non maries et 11 menages, et qui, apres avoir fourni une centaine de catechistes a la mission, dont 67 actuellement en exercice, compte encore 45 eleves. Apres quelques annees de preparation serieuse, la plupart de ces jeunes gens se marient, et la mission envoie les jeunes menages ouvrir de nouveaux postes et preparer la voie au mission- naire. Jusqu'ici la mission n'a eu qu'a se louer du devouement et de la docilite de ces catechistes, qui s'exilent volontairement loin de leurs families et de leurs villages, pour aller vivre, au prix de bien des privations, au milieu de pai'ens grossiers etde sectaires hostiles a leur foi. On compte a Samoa environ 5.000 catholiques contre 30.000 protestants, appartenant a toutes les denominations religieuses. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 401 On vient d'elever a Apia une belle eglise cathe- drale, et malgre leur petit nombre, les catholiques, etroitement unis dans la profession d'une meme foi, semblent bien desormais avoir I'avenir pour eux. lies Tokelau. Le groupe des iles Tokelau, a 150 lieues nord-ouest de Samoa, est compose d'une centaine d'ilots, de formation madrcpo- rique, comme les Paumotous. Plusieurs de ces iles sont encore inhabitees ; les autres renferment 60, 80, 100, et les plus peuplees 150 habitants, population miserable, qui vit uniquement de la peche et des fruits du cocotier. £n 1863, on vit arriver a Samoa quelques indigenes de Nukunonu, qui avaient ete evangelises en passant par un catechiste de \Vallis. Confiants en la protection de DiEU, ils s'etaient lances en pleine mer sans boussole, et avaient fait, sur de mechants troncs d'arbre, un voyage de 350 milles pour venir chercher des pretres et demander le bapteme. La foi heroique de ces braves gens ne fut pas trompee. Cen- tre toute esperance, ils dcbarquerent a Samoa, demeurerent quelque temps a la mission, re^urent le bapteme et furent rapatries sur une embarcation moins primitive, avec quelques cate- chistes qu'on leur envoya faute de missionnaires. Leurs pauvres pirogues furent conservees a la mission comme un memento de la foi qui leur avait fait braver tous les perils. En 1875, les habitants d'une autre lie, qui, depuis sept ans, avaient un catechiste, mais pas de pretre, imi- terent cet exemple. lis firent deux cents lieues a travers des flots incon- nus, sur une mechante barque qu'une vague aurait submergee, pour venir a Samoa recevoir les sacrements. Grand exemple pour nos catholiques d'Eu- rope, qui ont I'eglise et le pretre a leur porte, et qui, souvent, n'en usent pas ! II ^tait impossible de resister plus longtemps a ces pieux desirs. En 1877, un mis- sionnaire fut envoye aux iles Tokelau pour faire faire la premiere Communion aux neophytes ; depuis, la mission les fait visiter de temps en temps. Aujourd'hui I'archipel est presque entie- rement catholique. Lors de la visite pastorale, I'eveque constata qu';i Nukunonu, ilc qui compte seulement 80 habitants, tous les enfants, sans exception, savent lire, ce qu'on n'oserait affirmer de la viUe la plus civilisee d'Europe. Situation religieuse du vicariat apostoliqne au i^'' Janvier iS^i. Le vicariat apostolique des Navigateurs com- Missions Catholiques prend I'archipel de Samoa et les iles Tokelau. — 5.250 catholiques, sur 35.000 habitants. Personnel : i administrateur apostolique, 17 mission- naiies. I pretre indigene, 67 catechistes. 12 Soeurs de N.-D. de TOceanie, dont 10 indigenes ; 2 maisons. duvres: 15 residences, 52 missions, n eglises, 22 cha- pelles, 43 oratoires. I college de catechistes, .Saint-Joseph de Vaea, 47 el^ves. Le Seminaire de Lano (WalHs) sert pour les deux vica- riats. A Apia : ecole d'Anglais,blancs et indigenes; pensionnat de filles, 193 el^ves ; 47 ecoles dlifmentaires, 758 elfeves. Mgr Ellov, de la Socie'te de Marie, vicaire apostolique de I'Oc^anie centrale. IIL — Vicariat apostolique de la Nouvelle-Cali^donie. CE vicariat apostolique comprend la Nouvelle- Caledonie et les iles adjacentes, plus les Loyalty et les Nouvel les- Hebrides. Les protes- tants se sont toujours tenus soigneusement a I'ecart des cruels sauvages de la Nouvelle-Cal6- donie, mais nos missionnaires les ont rencontres aux Loyalty et dans les Nouvellcs-IIebridcs, ou ils s'etaient installcs avant nous. Nouvelle-Calddonie. Immediatement apres avoir sacre Mgr BataiUon, Mgr Uouarre, nomme coad- juteur du vicariat de TOc^anie centrale, s'embar- 402 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"ie SIECLE. qua pour la Nouvelle-Caledonie. Le 25 decembre 1843, au jour anniversaire de la naissance de I'Homme-DlEU.le Saint-Sacrifice etait offert.pour la premiere fois, sur cette terra sauvage et I'Eglise n6o-caledonienne naissait a son tour. Les mis- sionnaires s'etablirent d'abord sur la cote orien- tale a Balade, puis a Puebo. Les commencements furent tresdifficileschez ces feroces anthropopha- ges, qui venaient, a cette epoque, de dcvorer un aspirant de marine et huit matelots de Y Alcmhie ; plusd'une fois, les Peres se virent assieges chez eux paries insulaires, qui voulaient leur faire subir ce sort; pendant plusieurs annees, leur vie fut, jour et nuit, en peril. Peu a peu, cependant, la ferocite des naturels s'adoucit ; le 21 juin 1846, deux ans et demi apres leur arrivee, les missionnaires faisaient leur premier bapteme d'adultes; en 1847, la NouvelleCalddonie etait erigee en vicariat apostolique distinct ; et quand Mgr Douarre mouriit, en 1853, il lais,sait apres lui une mission solidement fondee : trois stations, deux a la Nou- velle-Caledonie, une dans I'ile des Pins, et pres de 2.000 catholiques. Quelques mois avant sa mort, le bon eveque avait eu la joie de sauver la vie a tout un equipage frangais, naufrage sur ces cotes inhospitalieres, oil ils eussent infailliblement ete devores par les naturels, s'ils n'avaient re^u a la mission catholique la plus genereuse hospitalite. Mgr Douarre venait de mourir.quand le contre- amiral Febvrier-Despointes fut envoye par le gouvernement francais pour prendre possession de la Nouvelle-Caledonie. II s'agissait de gagner de vitesse nos rivaux les Anglais, quiavaient jete leurdevolu sur cette ile, la perle des mers du Sud. D'apres ses instructions, I'amiral devait com- mencer par s'entendre avec I'eveque et les mission- naires pour s'assurer que les Anglais n'avaient fait encore flotter leur pavilion sur aucun point de la cote, et, dans ce cas, prendre possession du pays au nom de la France, en dvitant, autant que possible, deprovoquer les resistances des sauvages. Dans ces conjonctures delicates, le P. Rougeyron, superieur par interim de la mission, rendit les plus grands services, et c'est certainement a son inter- vention et au devouement des missionnaires que la France doit cette belle colonic. Apres avoir arbore a Balade le drapeau fran- cais (22 septembre 1853), I'amiral, sur les conseils du Pere provicaire, partit en hate pour faire la meme operation k I'ile des Pins, annexe de la Nouvelle-Caledonie, a laquelle la rattache une ligne de brisants. II etait temps de s'en assurer la possession. Quand il arrivadans la bale de Kunie, i'amiral francais y trouva une corvette anglaise, le Herald, venue soi-disant pour faire I'hydro- graphie des cotes, ma is envoyee en realite pour acheter I'ile des Pins ; apres quoi le gouvernement de I'Australie devait avec une escadre prendre possession de la grande terre. Ces details furent donn(^s a I'amiral par le missionnaire de File des Pins, avec qui il s'etait abouche sans perdre un instant, la nuit meme de son arrivee. Le Pere ajouta que, sur ses conseils, le roi etait bien decide a ne pas ceder son ile aux Anglais, mais qu'il fallait se hater de profiter de ces bonnes disposi- tions, de peur d'un revirement toujours possible de la part d'un sauvage. Des le lendemain matin, le missionnaire alia trouver le roi, qui, pour echapper au.x obsessions des Anglais, se tenait cache a I'interieur de File, et, son consentement obtenu en forme, le drapeau francais fut hisse sur la maisondes missionnaires, a la grande stupefac- tion du commandant du Herald, qui, furieux d'avoir ete joue par I'amiral francais, dont il ne soup^onnait pas meme la presence a bord, repartit pour Sydney. Le gouverneur de I'Australie, en apprenant qu'il s'etait laisse devancer par les Francais, re^ut un tel coup qu'il mourut de colere et de chagrin (decembre 1853). Ce furent encore les missionnaires qui, grace a leur influence sur les chefs les plus feroces, pre- vinrent, pendant les premieres annees de I'occu- pation, les revokes, et facilitercnt a notre pays la tranquille possession de cette belle colonie. lis en furent assez mal recompenses, comme on va le voir. A I'ile des Pins, dans les iles Belep, a I'ile Nou, ou ils etaient seuls, ils firent, en vingt ans, de populations anthropophages et plus feroces que celles de la Grande-Terre, des tiibus toutes chre- tiennes et laborieuses. Dans la Nouvelle-Caledo- nie, au contraire, la jalousie administrative, ayant pris ombrage de I'influence des missionnaires, s'est appliquee pendant longtemps, par tous les moyens dont elle dispose, a contrecarrer leur ceuvre et a la miner. II en est resulte que, sur 5C.000 indigenes, 40.000 sont encore paiens, nullement rallies a la F"rance, et presqu'aussi feroces qu'autrefois, comme I'a prouve recemment la revoke de 1877, qui mit un instant en question la securite des colonies. Voici les graves reflexions qu'ecrivait, au len- demain de insurrection, Mgr Vitte, alors vicaire apostolique : « Les Canaques se sont revoltes parce qu'ils » ne sont pas chretiens, et s'ils ne sont pas chre- » tiens, la faute n'en est ni aux missionnaires, ni » meme aux indigenes, mais a I'esprit impie )) et anti-chretien d'un certain nombre de colons % et d'agents de I'autorite. C'est un fait acquis 'h que les Caledoniens chretiens sont restes fideles » a notre drapeau. » II est malheureusement trop certain qu'en par- ticulier, de i860 a 1870, le catholicisme fut soumis dans la colonie a une veritable perse- cution. « II s'agissait, dit encore Mgr Vitte, de » le remplacer par le phalanstere et, plus tard, » par la loge ma^onnique. Ruse et force, pro- » messes et menaces, terreur et cupidite, on n'a > rien epargne pour ruiner le catholicisme au » profit de la secte, et empecher les indigenes » d't^couter la voix du missionnaire. » On alia jusqu'a depraver systcmatiquement les sauvages pour lesenlever a I'influence abhor- LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 403 ree de I'Eglise. On comprend I'effet de pareilles excitations siir un pen pie encore anthropophage ou arrache de la veille a la barbarie. 11 y eut des milliers de defections, et plusieurs postes durent etre abandonnes. En 1857 et 1859, les missionnaires, a I'instigation des aiitorites colo- niales, furent chasses de Balade et de Puebo. « Moi pas Chretien, disaient les chefs, moi suis de la religion des soldats : boire, fumer et jurer, ca beaucoup commode. » Les Peres furent suivis neanmoins d'une partie de leurs neophjtes, et ils fonderent aupres de Noumea les deux Ri'di le croirait ? sur cette grande terre perdue aux » antipodes, ce qui a manque tout a coup a la > mission catholique, c'est un peu d'air et d'es- » pace, un peu d'independance et de liberte. EUe » a vu seiever devant elle une puissance rivale, » ombrageuse et jalouse, revendiquant, avec » I'inflexible rigueur de la force, les prerogatives » de son autorite. Aux yeux du gouverneur, la » mission portait atteinte a la liberte de cons- » cience et des cultes ; elle representait I'Eglise » envahissante, dont les empietements devaient » etre combattus par les concordats et les articles » organiques ; predications et culte, construction » de chapelles et propagande religieuse, ecoles » de catechistes et catechumenats, tout dut pas- » ser au crible du pouvoir. Deux pauvres reli- » gieuses, qui croyaient pouvoir vcnir librement » prodiguer a I'enfant du sauvage leurs soins » ^vangeliques,n'ont pu ouvrir leurecolequ'apres » s'ctrepresenteesdevantlacommission d'examen » chargee de leur delivrer un brevet de capacite ; » et pourtant I'une d'elles, fiUed'un ofificier supe- » rieur de la marine, venait d'achever son educa- » tion dans un des premiers pensionnats de » France. Ce n'est pas avec un ]3areil formalisme » qu'on civilise des anthropophages et qu'on '% en fait des travailleurs utiles et devoues(i). > Avec la chute du regime imperial finit la per- secution La mission catholique sortait de cette longue lutte vivante, mais gravement blessee. Un recensement dresse a cette epoque par les mis- sionnaires resumait ainsi la situation : ^/u- stations I. Felix Julien, Coinmentaires d'un niarin. a la Grande-Terre, t7-ois dans les iles adjacentes : I'ile Nou, I'ile Belep et I'ile des Pins, trois dans les Loyalty. Total : seise stations, comptant encore 7.009 catholiques pratiquants et 1.036 catdchu- menes, sur une population totale d'environ 50.COO ames a la Nouvelle-Caledonie et 11.000 dans les Loj^alty. Depuis cette 6poque, I'arrivee de 6.000 depor- tes de la Commune, la transportation de nombreux forcats, et surtout le dcveloppement de la coloni- sation europeenne, ont complctement modific a la Nouvelle-Caledonie la tache du missionnaire. Actuellement, la race indigene, qui, surtout depuis la grande revoke de 1877, est decimee par la misere et le vice, a passtJ au second rang. Les colons europeens, en majorite francais, et les condamnes a la transportation, absorbent une part importante des sollicitudes pastorales du pretre. Comme dans toutes les colonies de for- mation recente, I'esprit public et les mceuts gene- rales, d'abord assez mauvais, s'ameliorent lente- ment chaque jour. A Noumea, le gouvernement, avec le concours gcnereux des colons, vient enfin de se decider a clever, au chef-lieu de la colonie, une eglise cathedrale, a la place du mise- rable hangar oil s'entassaient les PLuropeens, alors que partout, dans I'interieur, les Canaques ont de jolies eglises pour se reunir. Les RR. PP. Trappistes avaient fonde en 1878 dans la Nouvelle-Caledonie un couvent de leur Ordre. Mieux que personne, ces religieux etaient en mesure d'initier les sauvages au travail et d'offriraux colons d'excellents rnodeles de culture perfectionnee. Des raisons que je ne connais pas les ont forces dernierement d'abandonner leur ceuvre et de rentrer en P'rance, ce que je regrette vivement pour la colonie. lies Loyalty. Le groupe des Loyalty, situe en face de la Nouvelle-Caledonie, du cote de Test, n'en est qu'a un jour de distance avec la vapeur ; il se compose de plusieurs petites iles, dont les plus importantes sont Lifu, Uvea et Mare. Ces iles, placees sous le protectorat de la France, sont en majorite protestantes, et comptent envi- ron 1 1.000 habitants, dont le tiers seulemcnt, soit 2.500, sont catholiques. Nulle part peut-etre en Oceanic les animosites religieuses ne se sont manifestees avec plus d'apreti^ et de violence. A plusieurs reprises, les protestants, abusant de leur superiorite numerique, ont massacre ou chasse du pays les catholiques. Dernierement encore, en 1880, les protestants de Marc ont tue 23 catholiques, brule 6 villages, profane et pille deux eglises et deux presbyteres. Le gouverne- ment francais s'est toujours fait un devoir de reprimer de pareils brigandages : a I'occasion de ces derniers massacres, le gouverneur de la Nou- velle-Caledonie, au grand scandale de nos jour- naux liberaux,a pris un arrete d'cxpulsion contrc un des Reverends ministres, qui etait le principal fauteur des troubles. On aurait tort d'oublier en 404 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX^-^ SIECLE. France que, derriere ces animosites religieuses, se cachent les convoitises de rAngletene, pour laquelle travaillent ouvertement les predicants. C'est pour la France, et a cause d'elle, que nos pauvres catholiques sont traites en ennemis par leurs concitoyens. On ferait bien de ne pas I'oublier. II y a actuellement cinq stations catholiques dans les Loyalty : deux a Lifu, deux a Mare, une a Uvea. Nouvelles-Hi'bridcs. Au nord-est delaNouvelle- Caledonie, s'etend I'archipel des Nouvelles-He- brides. Ces iles, decouvertes en 1606 par I'Espa- gnol Fernandez de Ouiros, resterent longtemps inexplori^es etcomme oubliccs des geographes et des navigateurs. KUes furent reconnuesdenouveau en 176S par Bougainville, et par Cook en 1774. Les Nouvelles-Hebrides comptent plus de loo.ooo habitants, tons de inoeurs feroces et anthropo- phages. Depuis une vingtaine d'annees, la France et I'Angleterre se disputent la possession de cet archipel, qui, au point de vue geographique, est une annexe naturelle de la Nouvelle-Caledonie, et qui a longtemps fourni a notre colonie des travailleurs plus deciles et plus laborieux que les Canaques. De leur cote, les Anglais d'Australie demandenta la Grande-Bretagnede leur annexer les Nouvelles-Hebrides, ou au moins d'interdire I'emigration chez nous des indigenes, sous pre- texte que c'est la une traite deguisee. On sait que les Anglais ne sont pas toujours aussi scrupuleux quand il s'agit de leur interet personnel ; sans parler de la traite africaine, qui sefait tons les jours sous leurs yeux en Egypte et au Soudan, ils ne se genent nullement pour exporter chaque annee, dans leurs colonies, des milliers d'Hindous et de Chinois, comme je I'ai dit ailleurs. Au fond, en cherchant a s'emparer des Nouvelles-Hebrides, ils ne poursuivent qu'un but : enfermer notre colonie entre les cotes de I'Australie, a I'ouest, et I'archipel des Nouvelles- Hebrides, a Test, de fa^on a lui fermer tout debouche commercial et a paralyser complete- ment son developpement. Dans cctte lutte d'in- fluences politiques et commerciales, la religion est appelee, comme partout, a jouer un role im- portant. C'est vers 1840 que les missionnaires protes- tants chercherent a s'introduire aux Nouvelles- Hebrides. lis ne paraissent pas avoir obtenu grand succes aupres de ces feroces anthropophages, car voici ce qu'ecrivait un des leurs en 1S62 : « Vingt •>> ans se sont passes depuis que les predicateurs )> Chretiens ont aborde ici ; nous y avons de- » pens^ bien des labeurs ; bien des vies pre- )) cieuses ont ete sacrifices. Quels resultats pou- » vons-nous montrer ? On est oblige de convenir » qu'ils sont minces. )) Parlant de quatre ou cinq missionnaires tues et devores par les cannibales, I'auteur ajouta avec franchise : « lis etaient tous » engages dans les transactions commerciales en » bois de sandal ; a ces motifs, nous devons » attribuer en partie, pejit-etre enticremejit, leur » triste fin et la suppression de la mission (i). » Aux Nouvelles-Hebrides, les missionnaires catholiques avaient eu aussi leurs martyrs, mais on ne pouvait les accuser de trafiquer. Vers 1850, les PP. Roudaire et Aniiard pass. rent de la Nouv'elle-Caledonie aux Hebrides. Jamais depuis on ne regut de leurs nouvelles, et les naturels engages a Noumea raconterent qu'ils avaient et^ tues et manges par les sauvages de I'ile Malicolo. Aprcs cette premiere tentative, on renonca pour le moment a envoyer de nouveau.x mission- naires catholiques aux Hebrides ; mais comme il y avait un grand nombre d'indigenes de ces iles dans la Nouvelle-Caledonie, la mission essaya d'attirer dans ses ecoles de jeunes Hebri- dais, pour les instruire, les baptiser et en fairedes catechistes qu'on enverrait ensuite dans leur pays, pour preparer la voie aux missionnaires. Malheureusement ce second essai ne' reussit pas mieux que le premier, et il fallut encore y ren oncer. Depuis 1870, le petit nombre des mission- naires, occupes a relever leurs stations, a donner leurs soins au.x colons et aux transportes, ne per- mit pas d'en detacher pour les envoyer fonder cette nouvelle mission. Cependant la tache pres-, sait de plus en plus, car I'Angleterre nous, avait devances, en etablissant fortement ses predicants a Sandwich, d'ou ils rayonnaient deja dans tout I'archipel. En 1886, les PP. Maristes firent dans ces iles une premiere tournee d'exploration, et ils se virent bien accueillis des sauvages, revenus de leur ancienne ferocite etdeja familiarises avec les Europeens. En quatre ans, ils ont deja pu ouvrir quatre stations ; une a Sandwich, une a Malo, une a Malicolo, et une dans I'ile du Saint- Esprit. II faut esperer que les pretres catholiques gagneront bientot la confiance des indigenes, et que leur influence contrebalancera heureusement celle de I'heresie. Sitnalion religieiise du vicariat n/os/oiique de la Nouvelle-Caledonie au i" Janvier iSgo. Le vicariat comprend la Nouvelle-Caledonie et les iles adjacentes, les Loyalty et I'archipel des Nouvelles-Hebrides, 170.000 habitants (y com- pris les 100.000 naturels des Hebrides), sur lesquels 28.500 catholiques, lO.OOO indigenes et 18.500 Europeens. Personnel : I vicaire apostolique en residenre h Nou- mea. 45 missionnaires pieties et S Frcres de la Societe de Mane. 30 Peiits Fieres de Marie. 11 catechistes (Ter- tiaires indigiJnes). 54 Soeurs de Saint-Jo-ieph de Cluny. II ScEurs du Tiers-Urdie de Notre-Dame. 17 FiUes de Marie (indi^fenes). Oiavres : 31 residences ; 16 dans la Grande-Terre, 2 k file Nou, 2 aux iles Belep, 2 k I'ile des Pins, 5 dans les I. R. William Mauray, Missions di I'Ocianie occidentale, ch. 2. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800 1890. 405 Loyally, 4 dans les Noiuelles-Hcbrides ; plus 40 mis- sions, 34 eglii^es, 30 chapelles. Ecoles. — Pour les colons : i pensionnat, gargons, k Paita. 66 elives. — i pensionnat filles h la Conception, 40 eleves. — 6 ecoles elementaiies, 400 eleves. Pour les transportes : 2 pensionnats h Bourai, 75 gar- gons, 50 filles. — 2 ecoles elenientaires, So til^ves. I'ouries indigenes : i ecole de catdcliisles, h Saint-Louis. — I noviciat de Filles de Marie. — 19 internal j, 9 pour les garcjons. 10 pour les filles. Ensemble 1.300 elives. — 2 ecoles inaustrielles . Au total : 35 eiablissements d'education et 2.111 el^ves. Nota. — A I'exception des deux ecoles annexees au penitentier de Bourat, tons ces eiablissements sont exclu- sivement a. la charge de la mission, qui ne revolt rien du budget colonial. 2 hopilaux, I k Noumea pour les colons, I krileNou pour les transportes. Statistiqiie compare'e. En 1S43 : Commencement de la mission, i coadjutcur, 3 missionnaires. En 1S47 : Erection du vicariat apostolique, I vicaire apo5tolique, 3 missionnaires, 200 ratholiques. En 1S70: I vicaire apostolique, 27 niissionnaire=, 54 eg i-esnu chapelles, 2 ecoles, 7.009 catholiques. En 1896: I vicaire apostolique, 45 missionnaires, 6( eglises on chapelles, 35 ecoles, 28.550 catboliques. IV. — Vicariat apostolique DES ills ViTI OU FlDJI. Le vicariat comprend I'archipel de Viti et I'ile de Rotuma, qui futdctachee en 18S7 du vicariat de rOceanie centrale. Archipel de Viti. — Sitae entre la Nouvelle- Caledonie et I'archipel des Amis, le groupe des lies Viti ou Fidji comprend pres de deux cents lies, dont quatre-vingts seulement sont habitees. En i860, la population etait encore de 200.000 ames ; aujourd'hui elle est tombee au-dessoOs de 1 50.000. ]'2n 1844, Mgr Bataillon, vicaire apostolique de I'Oceanie centrale, fit, comine je I'ai dit, une premiere tentative d'evangelisation au.x iles Viti. II fut repousse par le roi Cakobau, feroce cannibale, qui a devore, dit-on, plus de huit cents de -ses sujets : « Ce sont mes bceufs et mes moutons, > disait-il un jour en riant a un capi- taine anglais. Cette brute ^tait incapable de recevoir la vraie luiniere. En 1853, les wes- leyens, qui travaillaient sans succes dans ces iles depuis 1822, reussirent a en faire un de leurs adeptes, et celui-ci, a peine converti, iinposa son Lotn a tous les habitants de rarchi[)el. La conversion de Cakobau parait avoir etc sincere quant k I'anthropophagie ; mais il resta cruel, ivrogne et debauche, et « ce digne sujet de la grace, » comine I'appelaient les wesieyens dans leurs rapports, ne fit guere honneur a ses ins- tructeurs spiritueLs. La mission catholique grandissait pourtant en silence, malgre les persecutions des chefs et les intrigues des protestants ; mais nos catholiques etaient peu nombreux, pauvres et fort meprises des adeptes de I'heresie. En 1863, I'archipel fut 6rige en prefecture apostolique. A cette epoque, il y avait deja au.x iles Fidji 11 missionnaires, 5 stations et 1.700 catholiques. Peu a peu il arriva ici ce que nous avons vu se produire dans toutes les iles de la Polynesie : au spectacle de la vcrtu des pretres catholiques, les prejuges qui les avaient d'abord accueillis dis- parurent et firent place a la confiance et a la sympathie. Dans une e'pouvantable epidemic de petite verole, qui emporta pres de 50.000 indi- genes, les \vesle)-ens abandonnerent leurs ouailies et se cacherent honteusemcnt dans leurs maisons, pendant que nos pretres se prodiguaient, sans distinction de catholiques et de protestants, au service des malades. Ce contraste fit plus que toutes les predications pour leur ramener I'opi- nion. En 1874, Cakobau ctida son archipel a I'An- gleterre, moj'ennant une rente annuelle de 900 livres sterling (22.000 francs). Avec les Anglais, c'etait la fin de la persecution et la liberte reli- gieuse assuree a tous. L'influence du catholicisine n'a fait que grandir aux iles Fidji depuis lors. Four la consolider, la Sacree Congregation erigea en 1887 la prefecture en vicariat aposto- lique, dont Mgr Vidal fut le premier titulaire. C'est a cette occasion que I'ile Rotuma fut ratta- chee au nouveau vicariat. En 1889, Mgr Vidal fit une tournde pastorale au milieu des dernieres tribus anthropophages. Fartout il fut parfaitement accueilli, et partout on lui demanda des pretres pour otivrir de nou- veaux postes. Helas I inessis quidcm iiin/ta, ope- rarii aittetn pauci. Le nombre des ouvriers apostoliques est encore trop petit pour satisfaire aux demandes de ce [jeuple, qui voudrait se soustraire a I'oijpression des wesieyens pour s'tinir au catholicismc. Depuis I'occupation de I'archipel par I'Angle- terre, les iles Fidji ont ete envahies par les An- glais et les Americains, dont le nombre depasse 3.000. Plus industrieu.x et plus pratiques que nous, nos rivaux sont en train de tirer un mer- veilleux parti de ces terres encore vierges, sur lesquelles ils cultivent la canne a sucre, I'indigo et toutes les plantes tropicales. lie Rotiinia. — Cette petite ile, qui a seulement 32 kiloinctres de tour, comptait en 1846 6.000 habitants, quand le vicaire apostolique de I'Ocea- nie centrale y fit un premier etablisseinent. En 1854, devant le peu de dispositions inon- trees par les naturels, Mgr Bataillon, qui avait besoin de pretres, rappela le inissionnaire de Rotuma. Une trentaine de neophytes lesuivirent et se fixerent a Futuna et a Wallis. Quelques-uns cependant etaient restes dans leur lie. Ces pauvres gens, demeures pendant 15 ans sans missionnaires, n'en conscrverent pas moins la foi, en dcpit des persecutions. Ils entretinrent jour et nuit une lampe dans la pauvre chapelle abandonnce, 011 ils se reunissaient 406 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XlX-^e SIECLE. ledimanche pour reciter leurs prieres. En 1859, le vicaire apostolique, touche cle leur perseverance, leur envoya, a defaut de missionnaire, un cate- chiste. Celui-ci trouva una centaine de catholi ques demeures fideles. En 1865, il y avait deja a Rotuma 6 chapelles et pres de 600 catholi- ques, qui reclamaient instamment la presence d'un pretre au milieu d'eux. Enfin, en 1868, deux missionnaires leur furent envo\-es de Wal- lis et se fixerent definitivement dans I'ile, ou ils trouverent 800 catholiques, sur une population totale de 2.400 ames. Des lors commenija une lutte ardente avec les wesleyens. L'ile de Rotuma avait alors sept chefs de tribus, dont cinq etaient wesleyens et deux seulement catholiques. Malgre les recom- mandations du commandant francais Poutret, qui conclut en 1871 avec les chefs protestants un traite qui stipulait formellement la liberte religieuse de tous, les heretiques, decides a ne pas tolerer a Rotuma d'autre Lotu que le leur, deposerent les deux chefs catholiques et chas- serent de leurs villages les fideles, dont plusieurs furent forces de se refugier a Futuna. Les pre- dicants triomphaient, mais les chefs, n'ayant pu s'entendre entre eux apres leur facile victoire, se donnerent en 1881 a I'Angleterre. C'etait la liberte assuree aux catholiques. En effet, depuis ce temps, la paix religieuse n'a plus ete troublee a Rotuma. Situation religieuse du vicariat au I" Janvier i8go. Le vicariat apostolique comprend I'archipel des Fidji et l'ile de Rotuma, 1 50.000 habitants, sur lesquels lo.ooo indigenes et 230 Europeens catholiques. Toutes ces iles appartiennent a I'Angleterre. Personnel : i vicaire apostolique, 17 missionnaires ou pretres et S Freres de la SociiJt^ de Marie. — Catechistes indigenes. 9 Sceurs du TIers-Ordre da la Societe de Marie. . 4 ScEurs de Saint-Joseph de Cluny. CEuvres : 11 residences. • — 90 missions. 65 eglises ou chapelles. I ecole de catechistes k Loreto. 6 pensionnats de fiUes. — Ecoles de chrdtientes. Statistique coniparce. En 1844. — Commencement de la mission. En 1863. — Erection de la prefecture apostolique. ■ — II missionnaires, 5 stations, 1.700 catholiques. En 1887. — Erection du vicariat apostolique. En 1890. — I vicaire apostolique, 17 missionnaires, 65 ^glises ou chapelles, ? ecoles, 10.230 catholiques. Tableau gau'ral des aiivres de la Socic'te de Marie en Occanie. Oceanie centrale. — i vicaire apostolique, 17 mission- naire?, 36 ^glises ou chapelles, 56 ecoles, 8..;5o catho- liques. Navigateurs. — i adniinistrateur apostolique, 17 mis- sionnaires, 33 ^glises ou chapelles, 51 ecoles, 5.250 catho- liques. Nouvelle-Caledonie. — i vicaire apostolique, 45 mis- sionnaires, 64 ^glises ou chapelles, 35 Ecoles, 28.500 ca- tholiques. Fidji. — I vicaire apostolique, 17 missionnaires, 65 eglises ou chapelles, 7 dcoles (i), 10230 catholiques. Total : 3 eveques, 91 missionnaires, 198 eglises ou cha- pelles, 149 ecoles, 52.430 catholiques - Plus, dans I'archidiocese de Sydney, 11 PP. Maristes : procure, paroisse et college. TROISlfeME PARTIK. MISSIONS DES PRETRES DU SACRE CCEUR D'ISSOUDUN. I. — Vicariat apostolique de la M^lan^sie ET de la MiCRON^SIE. JUsqu'a ces dernieres annees, I'histoire de cette mission n'a ete qu'un long martyro- loge et une serie d'avortements. En 1844, Gregoire XVI detachait de I'Ocea- nie occidentale les deux vicariats apostoliques de la Melanesie et de la Microncsie, avec un unique titulaire, Mgr Epalle, de la Societe de Marie, qui depuis 1838 travaillait a la Nouvelle- Zelande, avec le titre de provicaire de Mgr Pompalier. Le vicariat apostolique de la Melanesie, ou ties noires, comprenait la Papouasie ou Nou- velle-Guinee (la plus grande ile du globe, si Ton considere I'Australie comme un continent), la Nouvelle-Bretagne, la Nouvelle-Irlande, 1 archi- pel Salomon et les iles de I'Amiraute. Au vicariat apostolique de la Micronesie, ou petites iles, appartenaient les Carolines, I'archipel de Magellan et les iles Gilbert. Get immense territoire etait peuple presque uniquement de tribus anthropophages, aussi feroces que les naturels de la Nouvelle-Caledo- nie et des Nouvelles-Hebrides. Les navigateurs s'ecartaient avec terreur de ces cotes inhospita- lieres, sur lesquelles les naufrages etaient fre- quents, et oil tout equipage naufrage etait sur de servir aux affreux festins des cannibales. Ajou- tez a ce premier danger que les plages de la mer, seul endroit oil Ton put s'etablir au debut, jouissaient d'un renom trop merite d'insalubrite. C'etait done une mission pleine de perils et de souffrances qui s'offrait au.x nouveaux apotres. lis etaient bien surs de ne pas y rencontrer alors la concurrence des ministres protestants, mais ils avaient tout a redouter du casse-tete des sauvages et de I'insalubrite du climat. Les pre- miers missionnaires n'allaient pas tarder a en faire I'epreuve. Sacre a Rome, a la fin de 1S44, Mgr Epalle s'embarqua le 2 Janvier 1845, avec sept pretres et six Freres de la Societe de Marie. II arriva a la fin de I'annee dans sa lointaine mission, et debarqua a San-Christoval (archipel de Salo- mon), le V decembre. Le 12, il abordait a l'ile I. Sans compter les ecoles de chretienles, dont le chiffre n'est pas indiqu^. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 407 Isabelle, et, le 17, il etait frappii a I'improviste de deux coups de casse-tete par les sauvages. Trans- portti mourant sur le pont du navire, il expira deux jours apres, en pardonnant a ses assassins et en priant pour eux. Le 20, son corps fut ense- veli furtivement sur un ilot desert, de peur que les cannibales ne vinssent le deterrer pour s'en repaitre. Les missionnaires, demeures orphelins par la mort de leur chef, retournerent a I'ile SanChris- toval, mais ils ne purent s'y fixer : au mois de mars 1847, un des Peres mourait de misere et d'epuisement dans cette ile; un mois apres, le 20 avril, deux Peres et un Frere etaient mas- sacres par les sauvages. II faliut se resoudre a abandonner cette terre inhospitaliere, ou, dans I'espace de quinze mois, on n'avait pu faire un catechumene. Sur ces entrefaites, le successeur de Mgr Epalle, Mgr Colomb, etait sacre a la baie des lies par Mgr Pompalier, le 23 mai 1847. II aborda dans son vicariat au mois d'aout, et s eta- blit d'abord a Woodlarck, puis a I'ile Rook, situee entre la Nouvelle-Guinee et la Nouvelle-Bre- tagne. Moins d'un an apres son arrivee, il mou- rait de la fievre a I'ile Rook, le 16 juillet 1848, et, quelques semaines apres, un des missionnaires mourait de faim et de misere au meme lieu. La Societe de Marie manquait d'ouvriers pour desservir les nombreuses iles qui lui etaient confiees. Elle se vit forcee de renoncer a envoyer de nouveaux missionnaires sur ces plages mau- dites, ou ils succombaient les uns apres les autres, sans aucun profit pour les ames. Le Saint-Siege confia alors la mission aux pretres du Seminaire des Missions Etrangeres de Milan. En 1852, cinq pretres et deux Freres furent envoyes pour reprendre cette oeuvre. lis ne furent pas plus heureu.x que leurs predeces- seurs. L'insalubrite du climat, I'exces des priva- tions et le meurtre d'un d'entre eux, massacre par les sauvages de Woodlarck, les forccrent, au bout de quatre ans, a renoncer a une tache ingrate et sans esperances, au moins pour le moment. La mission de la Melanesie resta done abon- donnee jusqu'en 1881. A cette epoque, elle fut reprise, par ordre de Leon XIII, et donnee a une nouvelle Societe de pretres du Sacre-Cceur, etablis depuis une vingtaine d'annees a Issou- dun (diocese de Bourges). Cette fois les circons- tances etaient plus favorables ; les navires de I'Europe avaient des rapports frequents et regu- liers avec ces rivages autrefois si redoutes et converts aujourd'hui de residents europcens. Au contact de la civilisation, la fcrocite des naturels s'etait adoucie, I'anthropophagie avait disparu ou .se cachait au fond des forcts de I'interieur. Les missionnaires n'avaient plus guere a redou- ter que l'insalubrite du climat, et aussi la concur- rence des protestants, etablis depuis 1872 dans la Nouvelle-Guinee et dans la Nouvelle-Bretagne. Le I" septembre 1881, trois pretres et deux Freres de la nouvelle Societe s'embarquaient a Barcelone pour Manille. Leur Superieur portait simplement le titre de prefet apostolique. Un des missionnaires devait se fixer a Port-Breton, dans la colonie libre de la Nouvelle-France, dont Ton s'occupait beaucoup alors. Mais c'etait une colossale escroquerie, qui ne reposait sur rien et qui devait aboutir a une lamentable catas- trophe pour les malheureux qui s'etaient laisse tromper par de fallacieuses promesses. En appre- nant, a Manille, qu'il n'y avait rien a faire a Port-Breton, les missionnaires redescendirent a Batavia, d'oii ils passerent a Singapour, et de la en Australie. Ces differents contre-temps leur avaient fait perdre pres d'une annee. Enfin ils dcbarquerent a Cooktown, au mois de juillet 1882. La ils attendaient une occasion pour se rendre dans leur mission, quand on leur telegraphia de Sydney qu'un capitaine frangais, M. Mercier, commandant le Ckaiidcrnagor , s'offrait a les transporter gratuitement a la Nouvelle-Breta- gne. lis s'embarqucrent le 26 aout, s'arreterent en passant a Port-Breton, pour reciter un De profundis sur la tombe des malheureux colons qu'ils devaient evangeliser, et debarquerent le 29 septembre a Blanche-Baie (Nouvelle-Breta- gne). lis avaient mis plus d'un an pour se rendre de France dans leur lointaine mission. lis furent tres bisn accueillis des indigenes et, avec I'autorisation d'un chef, ils s'installerent a Beridni ; mais ils reconnurent bientot qu'ils au- raient a hitter contre I'hostilite des protestants, deja installes en maitres dans ces parages. Quel- ques mois apres leur arrivee, un incendie, du a la malveillance, et que Ton sut etre I'ceuvre d'un resident europeen, rcduisit en cendres tout ce qu'ils possedaient et jusqu'a leurs habits. II fallut revenir a Sydney, ou les PP. Maristes recjurent les exiles dans leur procure avec la plus frater- nelle hospitalite. Au mois de mars 18S4, le P. Navarre, Supe- rieur de la mission, rentra a Blanche-Baie avec quatre nouveau.x missionnaires, ct s'installa dans une situation meilleure que la premiere. La, ils commencerent par les enfants I'apostolat des sauvages qui les entouraient lis furent ravis de leur docilite, de leur assiduite a I'dcole, a la messe, au catechisme, et virent bientot, le dimanche, des auditoires de 150 et de 200 sauvages se reunir dans leur petite chapelle. lis eurent aussi la consolation de baptiser deux adultes en danger de mort. C'etait les premices de la mois- son. L'evangelisation de la Nouvelle - Bretagne etait commencce ; mais restait a entamer celle de la Nouvelle-Guinee, autrernent importante, a cause de I'etendue de I'ile, qui compte pres de 3.000.000 d'habitants. Depuis plusieurs annees, les Anglais, toujours pratiques, commen^aient, sans faire de bruit, a 408 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX"i« SIECLE. s'installer sur toutes les cotes meridionales de la NoLivellc-Guinee, et sur leurs pas, trois ministres protestants setaient deja fixes a Port-Moresby, d'ou ils envoyaient des teachers, catechistes indi- genes, prendre position dans tous les villages, afin d'occuper la place avant que les mission- naires catholiques, dont ils savaient la venue prochaine, ne fussent arrives. Dans ces conjonc- tures, le Saint-Siege pressa les missionnaires de se rendre a la Nouvelle-Guinee, pour ne pas se laisser trop devancer par leurs rivaux. II fut decide, en principe, qu'ils s'etabliraient a Port- MoreslDy, sur la cote meridionale, separ^e de I'Australie par le detroit de Torres. Les missionnaires catholiques n'etaient pas moins pres.ses que le Saint-Siege, et desiraient vivement se rendre le plus tot possible a leur poste de combat. Laissant done deux de ses confreres au milieu des sauvages de la Nouvelle- Bretagne, le P. Navarre partit au mois d'oc- tobre 1884 pour Cooktown, et de la se rendit a Thursday-Island, dans le detroit de Torres. II n'etait plus qu'a cinq jours de traversee de Port- Moresby. Mais la I'attendaient des difficultes imprevues. Le gouvernement anglais, qui se montre gene- ralement favorable a nos missionnaires dans les vieilles colonies ou son pouvoir est inconteste, voyait avec defiance des missionnaires fran^ais s'etablir dans un territoire qu'il pretend bien faire sien, mais sur lequel il n'a encore aucun droit positivement reconnu par I'Europe. On essaya d'abord d'effrayer les missionnaires, en leur exagerant I'insalubrite du climat et la me- chancete des naturels. Ouand on vit que la crainte ne pouvait les retenir, on employa des moyens plus efficaces : dtifense fut faite aux capitainesde les embarquer, et aucun vaisseau ne consentit a les transporter a la Nouvelle-Guinee. Voyant qu'ils ne pouvaient triompher pour le moment de la malice des hommes, les mission- naires emplo)'crent leurs loisirs forces en fondant, a Thursday- Island, une .station catholique, des- tinee a devenir comme la porte de leurs missions, lis avaient trouve, a leur arrivee, environ qua- rante Tagals catholiques, enchantes de voir des pretres, dont ils etaient prives depuis longtemps. Le P. Navarre acheta un terrain, qu'on lui fit payer au poids de I'or, y eleva une chapelle, batit une residence pour les Peres, fit venir de France des Soeurs de sa Congregation pour tenir les ecoles, et aujourd'hui la station de Thursday est la plus florissante de la mission. Cependant, au bout de six mois, le P. Na- varre, en voj-ant qu'il n'etait pas plus avance qu'au premier jour, avait tout remis aux mains de DiEU : « J'ai fait ce que j'ai pu, disait-il ; a DiEU maintenant d'aviser. » Son pieux espoir ne fut pas tromp£ Au mois d'avril 1885, un capitaine protestant, reconnaissant des soins que les missionnaires d'Australie lui avaient prodi- Ljues dans une grave maladie, vint mettre son bateau a sa disposition, pour le transporter, lui et ses confreres, a la Nouvelle-Guinee. On juge facilement avec quelle joie cette proposition inesperee fut reque. Le 18 juin 1885, tout etait pret pour I'embar- quement, quand les Anglais essayerent de s'y opposer. Cette fois I'injustice etait trop criante : les pretres catholiques avaient un bateau ; ils passerent outre a la defense et on n'osa pas les arreter. Enfin, apres tant de traverses et de retards, ils jeterent I'ancre, le 30 juin, en face de I'ile Yule ; le lendemain, ils descendirent a terre, et donne- rent i la bale ou ils avaient aborde, le nom de Port-Leon. lis etaient enfin a la Nouvelle-Guinee ! Ils n'etaient pourtant pas encore au terme de leurs ^preuves. Trois mois apres, les protestants les faisaient expulser, par ordre de Son Excel- lence le general-gouverneur des colonies britan- niques dans la Nouvelle-Guinee. lis revinrent a Thursday, se firent rendre justice, et, au mois de fevrier 1886, ils rentraient dans leur poste, ou ils ne furentplus depuis inquietes. Desormais, la mission pouvait etre considdree comme fondde. En 1887, le P. Navarre fut nomme vicaire apostolique de la Mdlanesie et administrateur apostolique de la Micronesie. II renouait ainsi la chaine brisee depuis 1848 par la mort de Mgr Colomb, et devenait le troisieme vicaire apostolique de la mission. Jusqu'ici les missionnaires n'ont eu qu'a se louer de la confiance et de la docilite des sau- vages, qu'on leur avait representes comme si terribles. Mais ils sentent qu'ils ont tout a redouter de la jalousie des teachers protestants, qu'ils trouvent repandus partout pour semer contreeux la defiance et contrecarrer leur oeuvre. Nean- moins, forts du secours de DiEU et de I'afifection de leurs sauvages, les missionnaires ne s'en effrayent pas beaucoup, et il semble bien que, sur ces terres encore vierges, I'avenir est a eux. Pour faciliter Taction de I'apostolat, le Saint- Siege vient tout recemment (i'^'' mai 1889), de partageren deux le vicariat unique de la Melane-. sie : le vicariat apostolique de la Nouvelle-Guinee et le vicariat apostolique de la Nouvelle-Bretagne, dont le nom, a la demande de I'Allemagne, \-ient d'etre change en celui de Nouvelle-Pomeranie (1890). II. — Vicariat apostolique de la Nouvelle-Guinee. Le vicariat apostolique de la Nouvelle-Guinee comprend toute I'ile de ce nom (a I'exception de la partie sud-ouest, qui appartient a la Hollande, et qui releve, au spirituel, du vicaire apostolique de Batavia), plus les ties du detroit de Torres : Thursday- Island et I'archipel des Louisiades. Les Anglais sonta peu pres maitres de ce vaste pays, qui compte 3.000.000 d'habitants, sur lesquels 1.800 catholiques. LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 409 Personnel : i vicaire apostolique, i6 missionnaireb pietres et i; Freres de la Societe des pretres du Sacre- Coeur d Issoudun. 10 religieuses de la meme Societe. Cliuvres : 4 stations avec residences, plusieurs missions. 16 ("jlibes oil chapelles. 13 ecoles elementaires, 2 orphelinats. III. — ViCARIAT APOSTOLIQUE DE LA NOUVELLE-POM^RANIE. Ce vicariat coinprend les deux grandes iles de la Nouvelle-Bretagne et de la Nouvellc-Irlande, qui appartiennent aux AUemand.s, et les iles Salomon, qui sont encoi'e independantes.Sa popu- lation totale est d'environ 200.000 ames, dont 2.500 catholiques. Personnel : i vicaire apostolique, 7 niissionnaires pretres et 12 Frferes de la Societe des pretres du Sacre- Coeur. CEuvres : i station avec residence, plusieurs missions. 13 eglises ou chapelles, plusieurs dcoles. IV. — ViCARLAT APOSTOLIQUE DE LA MiCRONESIE. Le vicaire apostolique est de plus charge pro- visoirement de I'adiTiinistration du vicariat apos- tolique de la Micronesie, qui, depuis qu'on en a detache les Carolines, ne comprend plus que I'ar- chipel de Magellan, les iles Helices et les iles Gilbert. 11 faut dire un mot de ce dernier groupe d'iles, dont I'evangelisation est commencee depuis plu- sieurs annees. L'archipel des Gilbert se coinpose d'une cen- taine d'iles qui s'etendent des deux cotes de lequateur, du 2° 36' de latitude sud au 3° 20' de latitude nord, et du 170° au 176° de longitude ouest. La population est d'environ 60.000 ames. Les indigenes appartiennent a la race malayo- polynesienne. lis sont de mceurs rudes et farou- ches, pas anthropophages, mais vindicatifs et jaloux a I'exces ; ce qui fait qu'un meurtre leur coCite fort peu. Le protestantisme leur fut apporte en 1857 par des ministres americains venus des iles Sandwich, lis sont aides par toute une armee de catechistes indigenes, qu'ils ont amends avec eux des iles Sandwich, ou qu'ils ont fait venir de Samoa. Le protestantisme est done assez fortement etabli aux iles Gilbert, mais il n'est pas aime, car les ministres de I'erreur exploitent durement les peuples Evangelises par eux. II y a quelques annees, une tribu etant retournee en masse au paganisme, lassee des contributions en noix de cocos exigees d'eux, le catechiste precha la guerre sainte contre ces malheureux, dont plus d'un millier furent massacres, pendant que les blesses, au nombre dc trois cents, etaient brulcs vifs dans une case. II faut reconnaitre que de pareils pro- cedes sont peu faits pour attirer les coeurs ! De plus, la comme partout ou ils sont les maitres, les Rev. ministres ont accapare tout le commerce, ce qui les rend aussiodieux aux blancs qu'aux indi- genes. Des naturels des iles Gilbert etant venus cher- cher du travail, les uns a Tahiti et d'autres a Samoa, ont Etc instruits et baptises par les mis- sionnaires catholiques, et, dc retour ehez eux, ils ont repandu le catholicisme dans toutes les iles. A Tahiti, en particulier, le P. Latuia, de la Con- gregation de Picpus, leur consacra une partie de sa vie ; il apprit leur langue, baptisa une .soixan- taine d'adultes et plus de cent enfants. II com- posa dans leur langue un catechisme, que ces pauvres gens firent imprimer en Californie, moyennant un prix cnorme, et, avec ce livre, ils propagerent la foi autour d'eux. Depuis long- temps, ils demandaient qu'on leur envoyat un pretre. Ouand les missionnaires d'Issoudun se furent etablis dans la Nouvelle-Bretagne, ils furent charges de ces ties, qui appartiennent au vicariat apostolique de la Micronesie. Enfin, en 1887, deux missionnaires furent envoyes dans I'ile Nonuti, la plus mcridionale du groupe. A leurgrande surprise, ils trouverent dans cette ile septchretientes florissantes, qui s'etaient form&s toutes seules, sans pretres et sans catechistes. Actuellement 18 des iles Gilbert sont evange- lisees, et le nombre des fideles baptises s'eleve deja a 6.000 sans parlerdes catechumenes. Personnel : 11 missionnaires pretres, 9 Frferes coadju- teurs, 7 Sosurs de la meme Congregation. (Jiuvres : Plusieurs chapelles, 2 ecoles dans chacune des 18 iles qui sont ^vangelisees. Re'suine des oeuvres des pretres du Sactd-Cceur d'Is- soudun. Nouvelle Guinee : i vicaire apostolique, 16 pretres, 17 Frferes, 10 Soeurs, 6 chapelles, i.Soj catholiques. Nouvelle-Pomeianie : i vicaire apostolique, 7 pretres, 12 Frires. 8 Soeurs, 13 chapelles, 2.500 catholiques. Iles Gilbert, II pretres, 9 FrJres, 7 Soeurs, i* chapelles, 6.000 catholicjiies. Total : 3 missions, 2vicaires apostoliques, 34 pretres, 38 Freres, 25 Sceurs, 29 chapelles, 10.300 catholiques. Dix ans a peine sont ecoules depuis le jouroit Leon XIII, benissant I'ctendard du Sacre-Coeur, disait aux premiers missionnaires : « J'espiireque » la Providence ouvrira a votre Societe, dans ces » contrees lointaiiies, un vaste champ pour y faire » regner le Sacre-Cceur sur des multitudes » d'ames. » La benediction du Vicaire de J I^SUS- CllRlST a porte ses fruits. Ces multitudes d'ames, que son regard eclaire d'en haut entrevoyait, sont la. Dans quelques annees, le Sacre-Loeur rcgnera en maitre sur ces races anthropophages et feroces, converties et changees en dociles brebis ! QUATRifeMK Partie. MISSIONS DES CAPUCINS ESPAGNOLS. Missions des Carolines. ON se rappelle peut-etre encore i'c^motion soulevce, il y a une douzaine d'annc'es, en iCurope par le conflit cntre rAllemngne et I'Espagne, au sujet des Carolines. L'Allemand, 410 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIXn»= SIECLE. selon son habitude, I'avait pris de tres haut avec un rival qui lui paraissait peu redoutable, mais la fiertc castillane s'etait revoltee, et Ton se demandait avec anxiete si la guerre n'allait pas eclater, a ce sujet, entre les deux nations, quand M. de l^ismarck, pour sortir d'embarras sans avoir I'air de reculer, eut I'inspiration d'en appeler a I'arbitrage du Pape. Le Vicaire de JESUS- Christ, apres avoir murement examine les pre- tentions des deux parties, donna gain de cause a I'Espagne, qui s'empressa d'envoyer un gou- verneur et des soldats prendre possession de la nouvelle colonie. Mais I'occupation de ces iles ne pouvait suffire a la catholique Espagne ; elle voulut encore y faire porter la foi, et, a sa demande, la Sacree Congregation de la Propa • gande, par un decret du 15 mai 1886, detacha du vicariat apostolique de la Micronesie I'archi- pel des Carolines, pour en former deux missions : Carolines orientales et Carolines occidentales, qui furent donnees aux RR. PP. Capucins de la province d'Espagne. L'archipel des Carolines se compose d'environ 600 iles, dont les plus grandes seules sont habi- tees. II s'etend du 5° au 10° de latitude nord, et du 142° au 160° de longitude ouest. L'etendue territorial de toutes ces iles est egale a celle de la France et de I'Espagne reunies. On voit qu'il y a la les elements d'une colonie importante. La population se compose d'environ 40.000 sau- vages, appartenant, comme ceux des iles Gilbert, au groupe malayo-polynesien. Leurs mceurs sont dures et farouches, mais ils ne sont pas canni- bales. Les missionnaires, au nombre de douze, s'em- barquerent, le i^"" avril 1886, a Barcelone pour Manille, d'ou ils se rendirent dans leur mission. Le centre de la mission des Carolines orientales fut etabli a I'ile Ponape, ou les protestants nous ont deja malheureusement devances, et le chef- lieu des Carolines occidentales fut fixe a I'ile d'Yap, residence du gouverneur general de la colonie. La mission des Carolines n'a pas encore d'his- toire. Les PP. Capucins ont commence par faire la visite generale de l'archipel ; ils ont ete bien siccueillis des populations et comptent deja una trentaine de neoph\'tes. Puissent-ils reussir aussi completement que leurs predecesseurs a Manille! Personnel : 1 2 missionnaires pretres, 14 Freres capucins. Qiuvres : 4 residences, 4 chapelles, 4 ^coles elemen- taires. Tablemi general des missions de la Polyncsie. Picpuciens. 3 missions, 3 e'veques, 53 prelres, i88 dgli- ses ou chapelles, 37.100 cailioliques. Maristes. 4 missions, 3 e\eques, 96 pretres, 198 eglises ou chapelles, 52.430 calholiques. Pretres du Sacrc-Coeur. 3 mission?, 2 eveques, 34 pre- tres, 29 eglises ou chapelles, 10,300 catholiques. Capucins. 2 missions, 12 missionnaires pretres, 4 Eglises ou chapelles, .' catholiques. Total : 12 missions, S eveques, 195 missionnaires pretres. 419 eglises ou chapelles, 99.S30 catholiques. C'est done pour toute la Polynesia environ 100,000 catholiques contra 300,000 protestants et environ 3.500.000 parens. Et maintenant, en arhevant cette longue etude sur I'evangelisation des iles de I'Oceanie, quelle conclusion allons-nous tirar ? II me sembla que la conclusion s'imposa d'elle-meme, at qu'alla nous revela la loi generale de I'apostolat catholique dans sas rapports avec I'heresie. Au ddbut, comme pour mieu.x; affirmer la divinite de son oeuvre, la Providence permet crdinaireinentque I'erreur sepresente la premiere. Elle a tout pour elle : des apotres nombreux, quelquas-uns convaincus at zeles, des ressources illimitees, les seductions du pouvoir et da la richessa, la concours du bras seculiar, car les nations protestantes coinprennent generalement mieu.x que les autres I'interet politique qu'elles ont a soutanir leurs missionnaires. Aucun scru- pule na gene I'heresie, aucuiie injustice ne la revolte ; tout lui est permis contra sas adversaires desarm6s, meme la calomnie, meme la violence. Pendant que ses ministres, richement dotes, confortableinent etablis avec leurs fainilles dans de belles maisons, utilisent les loisirs de leur fashionable apostolat en accaparant le commerce et en faisant fortune,, le missionnaira catholique se presenta saul, presque toujours sans I'appui de son gouvernement, trop heureux quand ceux qui devraient le soutenir ne s'appliquent pas a desoler sa patience et a contrecarrer son ceuvre. II est pauvre, si pauvre qu'il n'a pas toujours la pain quotidian assure ; par consequent il ne peut faira brillar aux yeux de ses neophytes ni la seduction de I'or, ni les asperances du pouvoir. Aussi, au debut, nous voyons invariablement sa produire le meme phenomene : les foules accou- rent aux riches temples de I'heresie ; le catholi- cisme groupe peniblement quelques pauvras, qualquas enfants, dans une chapelle couverte en chaume. II a pour lui ceux que la monde rebute et mcprise : les simples, les huinbles d'esprit at de ccEur, ceux qui ne comptent pas et qui n'exercent aucune action dans la societe. C'est ce que nous avons vu se produire dans toutes ces ilas. Au commencement tous les succes sont du cote du protestantisme ; la petit troupeau catholique s'estime heureux quand on veut bien le tolerer, comme par grace, et lui epargner la persecution. Laissez passer un demi-siecle: vous allez retrouver la meme opposition, mais la victoire a chatige de cote. Les riches temples de I'heresie sont vidas ou convartis an eglises. Par leurs pro- cedes durs et arbitraires, les predicants ont lasse la patience de tous. Le regne des missionnaires, premiers ininistres et conseillars des princes, est passe sans retour. Le commerce lui-meme, sous le controle jaloux des residents etrangers, a perdu ses fdconds monopoles, et I'occasion de faire, aux depens das sauvages, de grandes fortunes, ne se presenta guere. II ne resteplus au ministre protes- tant que I'apostolat ; inais I'apostolat lui-meme a LE CATHOLICISME DANS LES ILES DE L'OCEANIE, 1800-1890. 411 perdu sa fecondite ; de ces neoplij^tes, les meil- leurs se sont rallies au catholicisme ; les autres, appliquant les principes protestants, s'abandon- nent a toutes les folies du jugement particulier. Ce n'est plus I'unique troupeau de I'unique Pasteur ; c'est Babel et sa confusion, c'est I'eclosion spontanee de toutes les fantaisies doctrinales et la corruption des mceurs, fruits naturels des negations du protestantisme ; enfin c'est la deca- dence precipitee et la mort de ces races vigou- reuses et jeunes, que I'heresie pretendait, de bonne foi, regenerer et civiliser. Pendant ce temps le petit troupeau catholique, si m^prise autrefois, n'a cesse de grandir. Partout oil la fausse civilisation n'est pas venue empoi- sonner les corps et les ames, les indigenes forment une population nombreuse, morale, active et heu- reuse. A mesure que le nombre des fideles s'est accru, I'Eglise a multiplie ses cadres et augmente le nombre de ses apotres. La oil, il y a trente ans, arrivait un mission- naire isole, on voit aujourd'hui toute une Eglise, avec son eveque, ses pretres, ses Freres, ses reli- gieuses ; chapelles, ecoles, orphelinats, hopitaux, toutes les ceuvres de la vie catholique se sont dev'eloppees et s'affirment desormais au grand jour. A ce spectacle merveilleux de la fecondite du catholicisme en face de la sterilite et des avorte- ments de I'heresie, le protestant de bonne foi s'incline avec respect. On a vu, par les nombreux temoignages que j'ai cites, que, dans les missions. les protestants serieux honorent le pretre catho- lique et rendent gcneralement hommage a ses vertus. Depuis longtemps les calomnies des premiers jours se sont tues, les defiances se .sont e\-anouies, la haine meme a presque d^sarme. Aujourd'hui ceux des nombreux protestants que I'indifference religieuse ou des prejuges sectaires eloignent encore de I'Eglise, proclament la sain- tet^ de ses pretres et le succes final de leur apostolat. « II n'est pas douteux, ecrit TAmeri- )> cain Hopkins, que I'Eglise catholique romaine, » avec ses portes ouvertes, ses bancs libres, sa » messe et ses vepres quotidiennes, son corps » enseignant, ses religieuses qui vont visiter les » malades et les pauvres, son .systeme de sacre- » ments, son culte parlant a I'esprit et au coeur » par les yeux et par les oreilles, il n'est pas » douteux, dis-je, que par tous ces moyens, » I'Eglise romaine ne s'attache fortement les » facultes encore inertes des indigenes (l). > — .» « La religion catholique, conclut un autre » protestant, est destinee a dominer dans la plu- » part des lies de I'Oceanie. » Jc n'ajouterai rien a ces temoignages si honorables pour I'apostolat catholique, temoignages que I'evidence arrache aux ennemis memes de la foi, et qui ne font, au reste, que constater la verite de la parole de saint Paul : « Iiifinna mtaidi elegit Dens, ut confitndat fortia (2). » 1. Hopkins esq. Leslies Haivai, ch. 24. 2. « DiEU a choisi Tinfitmite pour confondre la force. » — S. Paul, I Corinth., I, 27. «® Coiuluitian. ^s El est I'etat actuel des Missions catholiques dans les cinq par- ties du monde, a la fin du XIX<= siecle. On a vu, au chapitre pre- mier, la situation des Missions en 1800. Qu'on compare les pro- gres acquis, soit pour le person- nel, soit pour I'organisation et le developpement des ceuvres. La marche en avant est incontestable et saute aux yeux des plus pre- venus. En 1800, les ouvriers apostoliques font defaut partout. La ruine de la Compagnie de Jesus a etc, a la fin du dernier siecle, le signal de la debacle. Les vocations se font de plus en plus rares, et la Revolution francaise, en detruisant partout les Ordres religieux, en fermant tous les seminaires de I'apostolat, en spoliant les ressour- ces que la piete des siecles avait amassees pour I'evangelisation des infideles, semble avoir frappe a mort I'oeuvre des missions. C'est a peine si, en groupant tous les chiffres, on trouverait, dans le monde entier, trois cents missionnaires : Francis- cains, Dominicains, Lazaristes et pretres du semi- naire des Missions Etrangeres de Paris. Perdus a d'immenses distances les uns des autres, sans autres ressources desormais que la charite pre- caire de leurs neophytes, ils s epuisent dans un travail disproportionn^ aux forces humaines et meurent avant I'heure, sans avoir vu arriver les successeurs que la penurie des temps ne permettra pas de leur envoj'er. Aujourd'hui, 32 communautes ou congregations d'hommes ont plus de 12.000 missionnaires pre- tres qui se partagent I'evangelisation du globe. Ils sont assistes, en beaucoup d'endroits, par un nombreux clerge indigene ; une vingtaine d'lns- tituts de Freres, qui comptent dans les Missions plus de 5.000 membres, tiennent les ecoles ou remplissent les emplois de catechistes. II faut leur adjoindre, spectacle merveilleux que ni les temps apostoliques, ni le Moyen-Age n'ont vu, 44.000 religieuses europeennes, assistees de 10.000 Soeurs indigenes, qui ont tout quitte, tout sacrifie pour venir partager les labeurs des Apotres du CllKl.ST, tenir nos ecoles, nos hopi- tau.K, nos orphelinats, nos refuges, nos dispen- saires, et faire benir de tous, meme des payens les plus obstines, des Musulmans et des Bouddhis- tes, les oeuvres de la charite catholique, dont ces peuples infortunes n'avaient pas meme I'idee. C'est la, on peut le dire avec orgueil, un spec- tacle unique et qui etait reserve a notre siecle : des femmes, des religieuses timides qui, non con- tentes de consacrer leur vie au service de DiEU et des pauvres, disent adieu a leur pays et vont jusqu'au fond de la Chine, jusque dans les iles perclues de I'Oceanie, jusqu'au centre des deserts de I'Afrique, travailler, souffrir et mourir (quel- ques-unes par le martyre), pour gagner des ames a J^.suS-Christ ! Ou'un missionnaire le fasse, c'est beau, sans doute, c'est sublime d'heroisme en certaines cir- constances doniiee^', quand il salt, par exemple, qu'il va a peu pres infailliblement a la mort ; mais apres tout, c'est un homme, c'est un soldat, si Ton veut, soldat du CHRIST et de I'Eglise, comme d'autres sont les soldats de la patrie. Grace a DiEU, le courage militaire n'e.st pas chose si rare en France, pour qu'il y ait a s'eton- ner et a admirer plus que de raison. Mais qu'une jeune fille, elevde souvent dans toutes les recherches modernes du luxe et de la fortune, malgre sa timidite naturelle et sa fai- blesse physique, affronte courageusement de tels perils, pour aller passer sa vie aupres de sauvages abrutis, dans un milieu ou sa delicatesse de femme aura chaque jour a souffrir, occupee a panser des plaies hideuses, ou a faire la classe a des enfants a moitie nus '; qu'elle brave pour cette tache in- grate, plus dure que celle du pretre, tous les degouts, tous les denuements, toutes les fatigues, tous les dangers et quelquefois la mort : voila qui est beau, qui est heroique, et qui sera une des gloires du XIX'= siecle et I'incommunicable honneur du catholicisme. En resume, missionnaires pretres, Freres des ecoles, catechistes et religieuses de toutes deno- minations, cela fait une armee de plus de 60.000 combattants, qui marchent hardiment a I'assaut du paganisme, sous la triple banniere de la pau- vrete, de I'obeissance et de la chastete. Jamais, meme aux plus beaux jours de I'histoire de I'Eglise, I'armee apostolique n'a ete aussi nom- breuse, plus forte et mieu.^ disciplinee. Certes, nous ne sommes pas tous des saints Francois Xavier, il s'en faut, bien que nous ayons donne, au cours de ce siecle, plus de cent martyrs sortis de nos rangs, et plusieurs milliers de martyrs indigenes formes par nous. Mais si les saints a miracles sont rares parmi nous (ils I'ont toujours ete d'ailleurs), que de devouements obscurs, que CONCLUSION. 413 d'heroismes connus de DiEU seul, qui ne seront rcveles qu'au grand jour des retributions ! Apres tout, malgre les imperfections des hommes, I'ceuvre de DiEU se fait et progresse d'une marche lente et sure. Ce livre a ete ecrit dans I'unique but d'en etre, chiffres en main, la demonstration ; et maintenant que le voila acheve, je crois pouvoir dire, sans fausse modestie, que la preuve est faite et qu'il n'y a plus, pour tout esprit serieux et de bonne foi, a y revenir. ]^a hierarchie catholique restauree ou creee en Anglcterre, en Ecosse, en HoUande, dans les Balkans, aux Indes, au Japon, au Canada, aux Etats - Unis et dans I'Australasie ; les vieilles Eglises orientales reorganisees et rattachees au centre de I'unite par de nombreuses delegations apostoliques et le retablissement des patriarcats de Jerusalem, d'Antioche et d'Alexandrie ; plus de 250 nouveaux sieges episcopaux, pr^s de 200 nouveaux vicariats ou prefectures aposto- liques, le continent noir, I'Asie centrale, les iles perdues de I'Oceanie s'ouvrant, pour la premiere ibis, a la predication des Apotres du CHRIST, et pour dire le mot qui resume tout, plus de viiigt- cinq viillions de nouveaux chr^tiens devenus les sujets de la Propagande, qui en comptait a peine cinq millions il y a un siecle, voila des reSultats acquis, palpables, indeniables, qui montrent qu'au cours de ce siecle, I'apostolat catholique n'a pas tout a fait perdu son temps. Ces resultats, il faut bien le reconnaitre, ne sont pas dus uniquement a nos efforts personnels. Par la priere et par I'aumone, les vieux chretiens d'Europe nous sont venus puissamment en aide, et en nous assurant le pain quotidien, ils nous out mis a meme d'edifier, dans les cinq parties du monde, des milliers d'eglises, de chapelles, d'ecoles, de presbyteres, et d'ouvrir des centaines de missions, la ou jamais encore le pied de I'Apotre ne s'etait pose. C'est en 1822 que I'ceuvre de la Propagation de la Eoi fut providentiellement suscitee de DiEU pour fournir a I'apostolat catholique les ressources indispensables a son fonctionnement. Vingt ans plus tard, I'ceuvre de la Sainte-Enfance venait joindreau souhebdomadaire des premiers associes, le sou mensuel des petitsenfants du monde catho- lique pour le rachat et la delivrance de leurs petits freres payens. En ajoutant a ces deux grandes oeuvres, I'ceuvre, plus restreinte dans son objet et dans ses ressources, des ecoles d'Orient, I'ujuvrc Apostolique, qui fournit aux mission- naires des ornemeiits et des vases sacres, plusieurs oeuvres accessoires que je ne puis enumcrer ici, on arrive, pour le budget total de I'apostolat catholique, au chififre moyen annuel d'environ dix millions de francs, chiffre malheureusement insuffisan>,en presence de la creation continuelle de nouvelles missions et du developpement quoti- dien de nos ceuvres, chiffre qui n'atteint pas le di.xiemede celui des missions protcstantes, etqui devrait necessairement etre au moins double pour nous mettre en etat de repondre, d'une maniere adequate, a tous les besoins de cette ceuvre im- mense des missions. Tel qu'il est, il n'en cons- titue pas moins a I'apostolat catholique un budget vraiment royal, et que n'atteignirent jamais les subventions de I'ancien regime. Autrefois, I'ceuvre des missions catholiques etait soutenue presqu'entierement par la muni- ficence des souverains, qui comprenaient mieux que ceux de nos jours I'interet, meme temporel, qu'ils avaient a etendre au loin les frontieres du royaume de JIlSUS-Christ. Aujourd'hui, les prin- ces que la Revolution n'a pas encore fait descendre dutrone.ontgeneralementd'autres preoccupations. Mais I'ceuvre que les puissants du monde ne peu- vent plus, ou ne veulent plus soutenir, a ete reprise par le peuple catholique, qui en a fait veritable- ment son ceuvre. Desormais, c'est le sou hebdo- madaire des pauvres et des ouvriers, c'est le sou mensuel des petits enfants qui alimentent nos oeuvres et pourvoient a tous nos besoins. Comme ces milliards de gouttes d'eau qui, deposees par la pluie au flanc des collines, penetrent lentement a travers le sol et vont jaillir en sources profondes, d'ou sortent les grands fleuves qui roulent leurs eaux a la mer en fertilisant tout un pays, ces millions de petits sous d(^poscs chaque semaine ou chaque mois dans la caisse de nos ceuvres, arri- vent a former, a la fin de I'annee, un budget royal qui, repandu dans les cinq parties du globe, arrose et feconde ce sol du paganisme, parfois si ingrat et si dur a defricher. C'est le miracle, tous les jours renouveie parmi nous, de la multiplica- tion des pains. Al'exemple de leurdivin Maitre,les apdtresdela Loi nouvelle ont groupeautour d'eux d'immenses multitudes, qui se pressent pour entendre la pre- dication evangelique. Mais il y a, dans cette ceuvre des missions, bien des besoins materiels a satis- faire : il faut pourvoir aux voyages des ouvriers de I'apostolat et a leur tres modeste entretien (i) ; il faut elever des temples a la celebration du culte, ouvrir des ecoles a I'instruction des enfants ; il faut fonder et entretenir des milliers d'oeuvres d'apostolat et de charit6 ! Bien des fois, comme les apotres au desert, les missionnaires se deman- dent avec anxiete : Ou trouverons-nous les res- sources necessaires a tant de fondations ? Helas ! ils n'ont trop souvent entre les mains que les cinq pains d'orge et les deux petits poissons de I'Evangile. Qu'est-ce que cela pour une pareille multitude, quid hue inter tantos ? Mais le Maitre sait ce qu'il fait : Sciebat eniin quidfaciebat. Comme aux jours de sa vie mortelle, il veut triompher par la pauvrete, et laisse volon- tiers a I'erreur ses millions. II veut surtout que les hommes apostoliques s'habituent a attendre tout de lui et a se confier uniquement a sa providence. II prend en main les faibles ressources de I'apos- I. Une somme annuelle de cinq a six cenls francs, voili ce que I'ctuvre de la Propagation de la Foi fournit pour son entretien a chaque missiannaire. 414 LES MISSIONS CATHOLIQUES AU XIX™^ SIECLE. tolat catholique, les benit, les multiplie par sa grace, et finalement chacun se trouve avoir assez ; et s'il n'y a pas de restes, comme dans I'Evangile, c'est que le miracle d'aujourd'hui se renouvellera demain, et jusqu'a la fin des temps. En quittant tout pour DiEU, I'homme apostolique est bien sur qu'il ne manquera jamais du necessaire. « Quand je vous ai envoy^s par le monde, sans argent, sans provisions, vous a-t-il manque quelque chose ? » « Non, Seigneur, rien ne nous a jamais manque. )> Telle fut la reponse des apotres, et telle est encore aujourd'hui celle de tous les vrais missionnaires. En presence de la merveilleuse fecondite de I'apostolat catholique, rapprochee de la sterilite des riches budgets de I'heresie, le dernier cri qui s'echappe de mon cceur et de mes levres, c'est un cri d'actions de graces et d'esperance. Au fond, malgre les perils et les trisl?esses de I'heure pre- sente, nous pouvons avoir confiance : I'avenir du monde est au catholicisme. Le protestantisme, comme force envahissante, est fini. C'est une citadelle demantelee de toutes parts,ou I'Eglise de Rome a mis garnison et dont elle occupe les points strategiques les plus impor- tants. Les vieux schismes de I'Orient crouleraient demain a la lumiere de I'histoire, si une grande puissance politique ne maintenait entre eux un lien factice, en comprimant violemment la liberte des ames. Mais, dans un siecle comme le notre, la violence n'a qu'un temps, et elle s'use tres vite par ses propres exces. En verite, je ne vols, a I'heure actuelle, qu'une force au monde en etat de iaire echec au catholicisme, c'est la Revolu- tion. L'emportera-t-elle definitivement sur I'Eglise du Christ ? C'est bien possible, car nous savons par I'Evangile que nous serons vaincus au dernier jour. Dans ce cas, c'est I'annonce de la crise finale et de la victoire definitive du Fils de DiEU, avec ses elus beatifies dans I'eternite ; car la encore, meme dans son dernier triomphe, nous savons par la foi que Satan sera vaincu. Mais cette solution, qui est possible apres tout, parait neanmoins peu probable. Non, ce n'est pas la fin du monde qui s'annonce, c'est la fin d'un monde et le commencement d'une ere nouvelle. L'Eglise catholique a deja vu la fin du monde romain, la fin du Moyen-Age ; tout semble annoncer qu'elle va assister a la fin du monde moderne, et qu'elle presidera aux debuts de la Societe democratique de I'avenir. Non, un arbre qui, au bout de dix-neuf siecles, porte de tels fruits n'est pas mort, et sa seve n'est pas encore epuisee. Vous dites que le catho- licisme est a I'agonie, qu'il se meurt ; prenez garde qu'il ne se deplace simplement, ce qui serait grave pour vous, gens de la vieille Europe. J'entends repeter autour de moi que les nations catholiques ne veulent plus de I'Evangile et qu'elles ont fait divorce avec I'Eglise, je le regrette pour vous ; mais c^est pure bonte d'ame de ma part, car nous sommes prets a beneficier de vos ingratitudes et de vos folies. Ah ! vous ne voulez plus de pretres pour vous recevoir a votre entree dans la vie et pour benir votre tombe, plus de Freres des ecoles pour elever chretiennement vos enfants, plus de Sceurs hospitalieres au chevet de vos malades ! Ou'a cela ne tienne. Envoyez-nous tous ces heroismes, tous ces devouements, que vous regretterez amerement un jouret dont peut- etre vous n'etes plus dignes. Le monde payen les appelle et leur tend les bras. II ne manque pas ici de pauvres a soulager, d'ignorants a ins- truire, de nations a civiliser. Si vous etes assez insenses pour vous depouiller a notre profit, nous n'avons qu'a gagner a vos fautes, et nous ne refuserons pas, je vous I'affirme, le don de DiEU. Mais plutot, que DiEU exauce nos prieres, et qu'il conserve a la vieille Europe I'heritage sacre de la foi catholique ; qu'il garde surtout ce tresor a notre chere patrie, a cette noble France qui, malgre I'apostasie officielle de ses gouvernants, est encore, a I'heure actuelle, la nation aposto- lique par excellence : les deux tiers des mission- naires sont Francais, les quatre cinquiemes des Freres et des Sceurs employes dans nos Missions viennent de France, la plus grosse part du bud- get de I'apostolat est fournie par les catholiques de France. Qu'elle le veuille ou non, la chere et douce France est encore aujourd'hui le soldat de DiEU et la protectrice des Missions dans le monde entier. Meme aux mains de la Franc- Maconnerie, son epee est toujours I'epee de I'Eglise pour combattre le bon combat. A I'heure ou j'ecris ces lignes, la France voltairienne et impie protege les interets catholiques en Afrique, dans le Levant, en Chine, au Tong-King, au Japon et dans I'Oceanie. Le protectorat des Mis- sions catholiques, que les autres peuples nous envient et voudraient nous enlever, Rome nous le maintient, malgre nos fautes. C'est lui qui fait notre honneur et notre force a I'etranger ; c'est lui qui deviendra, je I'espere, la rancon de nos erreurs et de nos folies. Oui, c'est la mon dernier mot : en recompense de tout ce qu'elle a fait, au cours de ce siecle, pour le developpement de I'apostolat, la France du XX= siecle, redevenue chretienne, continuera, dans les cinq parties du monde, d'ecrire, a la pointe de sa noble epee, les gestes de DiEU : Gesta Dei per Francos. — +©^ CHAPITRE PREMIER. Etat des Missions catholiques au commencement du XIX' sifecle 15 CHAPITRE DEUXI^ME. Progres du Calholicisme en Angleterre et en Ecosse, 1800-1890 33 CHAPITRE TROISlfeME. Les Missions scandinaves, 1S00-1S90 41 CHAPITRE QUATRli;ME. L'Eglise catholique dans I'Allemagne du Nord, 1800- 1890 45 CHAPITRE CINQUIEME. La HoUande catholique, 1800-1890 53 CHAPITRE SIXi£;ME. L'Eglise dans les cantons Suisses, I Sod- It' 90 • . ■ 55 CHAPITRE SEPTIEME. L'Eglise Romaine dans la pdninsule des Balkans, 1800-1890 75 CHAPITRE HUITI^ME. L'Eglise Romaine et les Eglises du Rit-Uni, 1880- 1 890 99 CHAPITRE NEUVIEME. L'Eglise catholique dans les Indes 129 CHAPITRE DIXIEME. Les Missions de ITndo-Chine, 1800-1S90. . ■ . . 152 CHAPITRE ONZIEME. L'Lglise de Chine, 1800-1890 i6i CHAPITRE DOUZIEME. Le Japon et la Coree, 1800-1890 176 CHAPITRE TREIZI^ME. Les Missions de I'Amerique anglaise, 1S00-1890 . . 185 CHAPITRE QUATORZIEME. L'Eglise des Etats-Unis, 1800-1890 197 CHAPITRE QUINZlfeME. Le Calholicisme aux hides occidentale?, 1800-1890 . 228 CHAPITRE SEIZliiME. Les Missions indiennes de I'Amdrique du Sud, i8co- 1890 240 CHAPITRE DIX-SEPTlfeMfi. Les Missions de I'Afrique septentrionale, 1800-1S90 . 264 CHAPITRE DIXHUITltME. Les Missions de I'Aftique occidentale, 1800-1890. . 285 CHAPITRE DIX-NEUVIEME. Les Missions de I'Afrique m(fridionale, 1800-1890. . 302 CHAPITRE VINGTli:ME. Les Missions de I'Afrique orientale, 1800-1890. . . 312 CHAPITRE VINGT-UNIEME. Les Missions de I'Afrique centrale, 1800-1890 . . . 329 CHAPITRE VINGT-DEUXIEME. L'Afrique insulaire, 1800-1890 348 CHAPITRE VINGT-TROISIEME. Leslies Malaises de I'Oceanie, 1800-1890 .... 361 CHAPITRE VINGT-QUATRIF.ME. Les ^glises del'Australie, 1800-1890 366 CHAPITRE VINGT-CINQUIEME. Le Catholicisme dans les ilesde I'Ocdanie, 1800-1890. 379 CONCLUSION 412 TABLE DES GRAVURES. Pie VII 34 Daniel O'Connell 35 Son Em. le Cardinal Manning 36 Son Em. le Cardinal Newman -37 (iregoire XVI 39 Norw^ge. — Eglise catholique de Christiania ... 43 Mgr Melchers 49 Son Em. le Cardinal Ledochowki 50 Windthorst 51 M. de Bismarck 52 Louis-Napoleon, roi de Hollande 53 Geneve 57 Eglise Saint-Pierre et Saint-Paul k Berne 59 Zurich. — Vue du lac 61 Mgr Larhat 64 Jura liernois (Suisse). — Le culte catholique h. Poi- renlruy, en 1874 68 Jura Bernois (Suissej. — Le culte catholique i Saint- Ursanne, en 1874 69 Mgr Mermillod 71 Constantinople 77 Tr^bizonde. — Palais des Comncnes et murailles de la ville 79 Armdnie. ■ — Vue gendrale d'Erzeroum 80 Le R. P. d'Alzon 81 Constantinople. — Mgr Bonetti 82 Bulgarie. — Types bulgares 83 Mgr Paul Bruno. li 84 M. Eugene Bore -85 Mgr Raphael Popoff 86 Le R. P. Ga'abert 87 Thrace. — Eglise cathddrale de Mgr Petkoff, h Andrinople 88 Thrace. — Palais Episcopal de Mgr Peikoff, i Andrinople 88 Mgr Petkoff 8g Nicolas r', prince du Montenegro et des Berda . . 91 Saint Jean Capistran 93 416 TABLE DES MATIERES. Mgr Ignace Paoli Saint Denys Gr^ce. — Vue de Syra Alep (cote ouest) Mgr Valerga Mgr Bracco Chapelle du Saint-Sepulcre Universite Saint-Joseph k Beyrouth MgrAItmayer Mgr Augustin Cluzel Mgr Timolhde Attar Mgr Louis de Gonzague Lasserre Mgr Gregoire Jusef Son Eminence le Cardinal Hassoun Mgr Etienne-Pierre Azarian Mgr Harcus Mgr Benham Benni Ho-ms, vudu Levant Amdddah,ville forie dans lesmontagnes du Kurdistan. Mgr Joseph Audou Mgr Lion, des Freres precheurs Saint Franqois Xavier Mgr Bonjean, des Oblats de Marie- Immaculee. . . Mgr Melizan Ceylan. — Cathedrale et residence episcopale k Jaffna Ceylan. — Rue de Colombo Prince indien Hindoustan. — Types divers Mgr Bigandet Mgr Gasnier, eveque de Malacca Cochinchine. — Maityie du venerable Marchand. . Mgr Dumoulin-Borie M. Pierre- Francois Neron M. Jean-Theophane Venard Chine. — Faqade de la cathedrale de I'lmmaculee- Conreption k Peking Mgr Hanier Mgr Verrolles . . La Superieure des religieuses Canossiennes h Amoy. Le martyre du Bienheureux Perboyre Ho-Nan (Chine). — Missionnaire enseignant la doc- trine catholiqiie L'amiral Courbet Mgr Lions M. Hue M. Baptifaud Sancian. — Vue de la baie de Sun-ti et de la chapelle du tombeau de saint Fran(;ois Xavier Eglise des vingt-six Martyrs k Nagazaki Mousts'Hito, Mikado du Japon Le Venerable Jacques Chastan Le Venerable Pierre Mauband Mgr Ridel Mgr Blanc Montcalm Son Em. le Cardinal Tachereau Montreal Canada. — Poste de la Cie de la baie d'Hudson . . Manitoba (Canada) Canada. — Procession du Tr^s-Sacrement et reposoir sur le bord de la foret de Weniontaching .... Le cardinal Gibbons Le President Harrisson Le R. P. de Smet Etats-Unis. — Mission de la Conception Son Em. Mgr Mac-Closkey Mgr Lynch Mgr Elder Mgr Mrak Mgr Machebeuf. Mgr Glorieux Mgr Charles-Jean Seghers Mgr Ireland 04 05 08 09 12 ■3 16 17 21 22 23 24 25 27 35 36 37 38 39 44 45 53 55 56 57 59 60 62 63 64 65 67 68 69 70 71 72 74 77 79 80 83 86 87 89 91 93 95 97 99 201 205 209 21 1 213 217 219 221 223 22 ^ Haiti. — Ruines du palais de Sans-Souci, a Milot, pres du cap Haitien 231 Trinidad. — Cathedrale de Port-d'Espagne .... 233 Roseau (Dominique). — Cathedrale N.-D. du Bon-Port 236 Mgr Poirier 237 Guyane Anglaise. — Convent, dcoles et orphelinat des Religieuses Ursulines k Georgetown (Deme- rara) Camp street 239 Mexique — Cathedrale de Mexico 241 Derniers moments de I'empereur Maximilien . . . 24 j Garcia Moreno 247 Equateur (Amerique du Sud). • — Couvent des Domi- nicains k Quito 249 Don Pedro 253 Araenque du Sud. — Chef indien en costume de gala. 257 Dom Bosco 259 Patagonia. — Procession k Carmen 261 Habitants de la Terre de Feu 262 Abd-el-Kader 265 Mgr Pavy 267 Kabylie. — Residence des RR. PP. Jesuites k Djema Sahridj, chez les Beni Fraoucen 269 Carthage. — Village sur les ruines de Carthage . . 271 Tunisie. — Le rachat des Captifi par les Trinitaires . 273 Egypte. — Un Cophte catholique de Zifte .... 277 Mgr Lavigerie benissant un orphelin arabe .... 281 R. P. Pouplard, des Missionnaiies d'Alger .... 282 R. P. Richard, des Missionnaires d'Alger 283 Mgr Bessieux 286 Mgr Kobes 287 Mgr Duret 287 Mgr Marion de Bresillac 290 Cote des esclaves. — Antonio, chretien indigene . .291 Deux-Guinees. — M. de Brazza et un gr. d'indigenes. 294 Deux-Guinees. — Ranake, roi de Lambar^ne . . . 295 Leopold II, toi des Beiges 298 R. P. Duparquet 299 Mgr Allard, des Oblats de Marie-Immaculee . . . 303 Mgr Jacques Ricards 305 Vasco de Garaa 307 Natal (Amerique meridionale). — Le roi Mohseh, chefbasuto 30S Religieuse trappistine de Natal 309 Haut-Zamb^ze (Afiique orientale). — Reception du R. P. Depelchin par le roi Lebuschi 313 Mgr Fava 316 Zanguebar. — Maison d'habitation des Missionnaires k Bagamoyo 317 Zanguebar. — Kingarou, le grand roi de I'Oukami. . 319 Mgr Touvier 323 Son Em. le Cardinal Massaja 327 Afrique centrale. — Eglise et maison des Mission- naires et des Sceurs de Khartoum 331 R. P. Louis Bonomi 335 Victoria- Nyanza (Afrique equatoriale). — Interieur de la station de Notre Dame de Kamoga 337 Le R. P. Lourdel 340 Mgr Livinhac 341 Afrique equatoriale. — Missionnaires de la 4" caravane 345 R. P. Jouen 353 Madagascar. — Eglise-Cathedrale de I'lmmaculee- Conception k Tananarive 356 lies Malgaches. — Le presbytere et I'ecole de Hell- ViUe, capitale de Nossi-be 357 Son Em. le Cardinal Moran 369 Nouvelle- Nurcie (Australie). — Premier dtabiis- sement de la Mission ben^dictine 377 lies Sandwich (Oceanie) — Cathedrale d' Honolulu . 386 Le R. P. Damien Deveuster 387 Le Bienheureux Pierre Chanel 398 Mgr Bataillon 399 Mgr EUoy 401 lAf tAfgW WW «^ tAtiAr WW i^ lAf lAi WW i^ «Af im WW mt lAf lAr iA> lAtt^ wj tAf lAt >Af WW WW lAt WW <*i |Atf «At WW «Af WW t*t WW WW »^ WW 1^ WW WW .mnn '^AA mm .nrr^r ^mm •\'f-^n ^'A'^* ^^^^^^^J^^^ li"vf^T^I \^n'^^ DATE DUE ■«A;«(^/ ^^ 'O /"^ '-< /S • W^^Q --■O' .'^ 'V 'T ■- 0> ,'i\ ^ W F-^ GAYLORn sn/^/^i'* J mr^n' r^T^frin PRINTED IN II •S A ^WW^ n^ mm mi :h«nn'^' ^^mmBf^.fsA^m \/T\m w AA'Ay 'M/yC^im^r' ■^f^/^m'^^'^'.-^' ^ A .<«>i. ,aAMf^'' ^A'A'A-- mmi ^a^i^^, 'n,^,^' AA,^ .,&-2>, ' r I^^K %AA ■5«j«S» .AAA, i'A'/!^ W^/^mt^ ySlP^/^r