oS\cK, 4dc 1 P he l'ciee 4 e. DiÇ.J cU^rvy H h r-ç-hj» re- - :A£ ^ ^ 59 ^? Publications de la Ligue Nationale contre l’Athéisme L’IDÉE DE DIEU DANS^ L’HISTOIRE DE L’HÜMAMTÉ CONFERENCE DE M. Adolphe FRANCK DE L INSTITUT RRIX : S5 Centimes DEUXIÈME ÉDITION EN V E N T : Chez DENTU et C‘% éditeurs/Palais-Royal Au Siège de la Ligue, 31, rue Richelieu <2 L’IDÉE DE DIEU DANS L’HISTOIRE DE L’HUMANITÉ CONFÉRENCE DE M. Adolphe FRANCK DE l’institut PRIX : SB Centimes EN VENTE: Ohez DENTU et C‘% éditeurs, Palais-Royal AuSiÈ GE DE LA LiGUE, 31, RUE RlCHELIEU LA LIGUE A LA SALLE DES CAPUCINES Le mercredi 13 avril, à huit heures et demie du soir, la salle du boulevard des Capucines était bondée d’auditeurs, le Tout- Paris intellectuel s’y était donné rendez-vous. Malheureusement la salle étant trop étroite, on s’est vu obligé de refuser plus de deux cents personnes. Cette foule est restée silencieuse dans la cour en attendant l’issue de la conférence. Tous venaient en- tendre M. Ad. Franck de l’Institut, qui malgré son grand âge avait bien voulu prêter son concours à la ligue nationale contre l’athéisme pour fêter le premier anniversaire de sa fondation. Disons aussi que la réunion était présidée par M. J. Simon, qui, dans une courte mais brillante introdution pleine d’esprit et d’humour, a charmé cet auditoire d’élite. Nous avons remarqué à ses côtés, sans parler des illustrations de la politique, de la littérature, du clergé de plusieurs confessions qui se trouvaient çà et là dans la salle : M. F. Bouillier de l’In.stitut ; M. F. Passy, député, membre de l’Institut; M. Lefèbvre-Pontalès, député; M. Waddington, correspondant de l’Institut, professeur à la Sorbonne et M. Arbousse Bastide ; M. Loubens, secrétaire général de la Ligue, M. F. Martin-Ginouvier, directeur-fondateur. _ 4 _ Nous n’essaierons pas de donner une idée de l’impression produite par cette soirée, nous nous bornons à la propager au- tant que cela est en notre pouvoir, en mettant à la portée de tout le monde le discours de M. Franck. F.-M. Martin-Ginouvier, Directeur-fondateur. Mesdames, Messieurs, Je commence par une déclaration qui, bien que sous-entendue par votre impartial bon sens, ne vous paraîtra cependant pas inutile. La guerre que mes amis et moi nousfaisons àTathéisme ne s’étend point aux athées. Nous en connaissons un grand nombre, dans le présent et dans le passé, qui méritent d’être ho- norés pour leur savoir et leurs vertus. Puis, la foi en Dieu, telle que nous la comprenons et l’avons enseignée toute notre vie, est inséparable del’amour des hommes sans distinction d’opinion ni de parti. Un de nos dogmes les plus essentiels est qu’il faut respecter la conscience de ses contradicteurs et croire à leur sincérité. Si donc il y a des athées dans cette réunion, quïis veuillent bien m’écouter, je ne dirai pas avec indulgence, mais patiemment, comme je les écouterais moi-même en les voyant assis à ma place. L’athéisme ne date pas d’hier. Il remonte aux âges les plus reculés de l’histoire. Nous en trouvons les traces même dans les temps bibliques, car il est impossible de ne pas le recon- naître dans ces sévères paroles du Psalmiste, devenues inconci- liables avec la courtoisie moderne : L’insensé dit dans son cœur : « Il n’y a pas de Dieu. » Parmi les systèmes enfantés. Dieu sait à quelle époque, par l’Inde brahmanique, il y en a un qui, sans descendre jusqu’au matérialisme, s’abstient pourtant d’aftirmer l’existence de Dieu. A plus forte raison rencontrons- nous des partisans de l’athéisme chez les Grecs, ce peuple raf- finé qui, en élevant le raisonnement à sa plus haute puissance, - 5 - savait aussi le pousser à ses derniers excès^ Nous voyons chez lui Socrate discutant avec un athée célèbre appelé Aristodème le Petit, et essayant de lui montrer dans les merveilles de la nature les desseins d’une suprême intelligence. Chez les Ro- mains, le peuple le plus religieux de l’antiquité, l’athéisme eut pour interprète le grand poète Lucrèce, et trouva un défenseur dans César, le meurtrier de la liberté et de la république, le créateur du césarisme, ce despotisme occidental qui a duré de longs siècles, et qui est toujours prêt à dévorer les démocraties oublieuses des conseils de la modération et de la sagesse. Vous le croirez à peine, même dans les temps où la foi chré- tienne, représentée par l’Église catholique, avait atteint son plus haut degré de ferveur, à la fin du xir siècle, l’athéisme, sorti des écrits d’un chanoine de Séville, fit son apparition en France sous les traits de David de Dinan et d’Amaury de Bennes. Qu’enseignaient ces deux docteurs revêtus de la robe monastique et dont l’un, David de Dinan, avait été le favori d’un pape? Que l’esprit et la matière ne sont que deux noms différents d’une seule et même chose; que cette chose est la nature, hors de laquelle, au-dessus de laquelle il n’y a rien, ni Dieu, ni diable, ni paradis, ni enfer; que le paradis, c’est la science, source de toutes les jouissances ; et l’enfer, l’ignorance, source de toutes les superstitions et de toutes les douleurs. Vous voyez que ce n’est pas très éloigné de ce que, dans un certain monde, on pense aujourd’hui. . . En poussant à ces dernières conséquences la philosophie no- minaliste telle (lue Guillaume Occam la comprenait au xiv^ siècle, c’est encore l’athéisme qu'on y trouverait, mais on pourrait m’accuser de manquer d’équité. Pourquoi m’exposer à ce reproche? Les athées ne manquent pas dans les siècles sui- vants. Voici le xvii« siècle, non moins renommé que le moyen âge pour ses idées monarchiques et religieuses. Eh bien! si nous en croyons le P. Mersenne, un pieux théologien ami de Des- caries, Paris seul, au début de cette époque, n’aurait pas compté moins de 50,000 athées. C’est certainement une exagération ; mais c’était le temps où le prêtre Gassendi renouvelaitle système d’Épicure, et où H ibbes. l’athéisme incarné sous sa forme la plus insultante, écrivait le Léviathan et soutenait cette pelle sentence ; «: L’homme . est un. loup pour son semblable : Aomo ~ 6 - homint lupus. » A ceux pour qui l’athéisme est la plus sûre garantie de la liberté, je ferai remarquer en passant que Hobbes a été le théoricien le plus conséquent et le plus décidé du des- potisme. Que dire maintenant du xviii® siècle et des premières années du xix®? Alors l’athéisme était prêché comme un dogme par Helvétiûs,le baron d’Holbach, Lamettrie, Diderot, Naigeon, Sylvain Maréchal. Plus hardi que tous ses devanciers, le fonda- teur du positivisme, Auguste Comte, a eu l’idée originale d’en faire une religion, ayant ses temples, son clergé et son pape infaillible. Vous le' voyez. Messieurs, je ne vous ai pas dissimulé l’an- tique et fréquente apparition de l’athéisme dans le champ illi- mité de la pensée humaine. Mais quel rôle y a-t-il joué? quel effet y a-t-il produit ? Celui d’un système purement spéculatif, abstrait, solitaire, s’adressant à des esprits solitaires comme ceux qui l’avaient évoqué, pour ainsi dire, du sein des ténèbres dans un jour de découragement ou de défi. CEuvre de l’argu- mentation plutôt que du raisonnement et du raisonnement plutôt que delà méditation, il n’était jamais entré dans le cœur et dans la tête de l’humanité. On pouvait le comparer à certains produits d’une industrie raffinée ou d’une culture artificielle qui provoquent l’étonnement mais non l’imitation, et que les efforts mêmes auxquels ils sont dûs condamnent à rester sans usage. Tel n’est pas. Messieurs, l’athéisme de notre temps, particu- lièrement celui qu’on répand par tous les moyens et par tous les canaux de la publicité dans notre pays. Celui-là a la double piêteiition d'être le dernier mot de la science et le dernier mot du progrès social, de nous montrer la limite qu’aucun effort de l’intelligence, aucune spéculation philosophique ne pourra dé- passer, et de nous fournir la base sur laquelle désormais devront reposer le gouvernement et l’éducation des peuples, leur légis- lation civile et politique, leur organisation publique et privée, leuj’s institutions quelles qu’elles puissent être, leur vie tout entière. C’est avec cette prétention que l’alhéisme est devenu aussi intolérant que l’a jamais été aucun dogme religieux, aussi intolérant que le permet, en dehors des révolutions, l’état de nos mœurs. Comment en serait-il autrement? 11 se dit qu’il a la vérité absolue, qu’il est chargé, dans l’ordre matériel, comme les religions croyaient l’être autrefois dans l’ordre spirituel, d’as- _ 7 - surer le bonheur des hommes, et que hors de lui il n’y a de place que pour le mal. Les deux allégations que je viens de vous signaler constituen t, pour l’intelligence aussi bien que pour la sécurité de notre géné- ration, un extrême péril, car elles s’adressent à des esprits mal préparés pour les combattre et dont la plupart n’en soupçonnent pas la portée. Je réussirai, je l’espère, à vous prouver qu’elles sont aussi fausses que dangereuses, et mes moyens de démons- tration je les demanderai, non à des raisonnements d’école, mais à la raison et à l’histoire. Le raisonnement, la logique, j’allais dire la stratégie des systèmes se prête à tout, peut donner un air de vérité à tous les paradoxes et à toutes les illusions. Si les uns ont cru prouver qu’il n’y a pas de Dieu, les autres se sont flattés d’établir avec la même solidité qu’il n’y a pas de corps, qu’il ii’y a pas d’âme, qu’il n’y a pas de conscience, pas de droits, pas de devoirs, pas de libre arbitre ; que la personne humaine telle que nous la concevons, avec son unité, sa mémoi- re, son identité dans le temps, est une pure chimère. Seule, la raison est toujours la même ; seule elle s’impose à tous avec la même autorité, seule elle est éternelle et universelle. L’histoire, à la prendre dans son ensemble, en est la manifestation visible à travers les siècles, et dans les œuvres les plus éclatantes de l’humanité. L’idée de Dieu est si peu contraire à la raison que toutes deux, dès la plus haute antiquité, sont désignées par un seul et même nom. On sait que le Logos de Platon, qui n’est pas autre chose que la Raison, est le nom préféré que le grand philosophe de la Grèce donne à l’auteur des choses, au principe suprême de toute vérité et de toute existence. Le nom de Logos a été traduit dans la langue de la théologie chrétienne par celui de Verbe, et nous lisons au début de l’Évangile de saint Jean: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu; tout a été fait par lui et rien n’a été fait sans lui. » Dans la langue de la Bible, on peut dire dans celle des principaux monuments philosophiques et religieux de l’Orient, laRaison est appelée la Sagesse. Or, la Sa- gesse a dans le vieux livre des Proverbes le même rôle que le Logos dans la République de Platon et le Verbe dans le texte évangélique. Introduite sur la scène sous les traits d’une per- - 8 - sonne symbolique, elle dit en parlant d’elle-même : « J’existais avant toutes les œuvres de Dieu, avant la terre et avant les abîmes, avant la poussière dont la terre a été formée. J étais là quand on a formé les deux, quand on a tracé le cercle du monde sur la face du vide. Je suis detoute éternité près de Dieu, travaillant avec lui, exécutant ses volontés... ^ » N’est-ce pas comme si elle disait qu’elle est Dieu, qu’elle se confond avec l’essence divine ? Ce que nous disons de la Daison, entendue dans son unité, s’applique à la conscience morale du genre humain, à l’idée du devoir et' du droit qui n’en est qu’une conséquence immédiate. Elle aussi nous est présentée par un des plus antiques monu- ments de la foi religieuse, comme une éclatante manifestation de Dieu, comme l’expression de sa sagesse et de sa volonté, comme la loi qu’il a donnée aux hommes et hors de laquelle les hommes ressemblent aux bêtes. « Tu ne tueras pas, tu ne vole- ras pas, tu ne rendras pas de faux témoignage, tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain ni rien de ce qui lui appartient, tu respecteras tes serments, tu honoreras ton père et ta mère, tu seras secourable à la veuve et à l’orphelin, tu tendras la main au pauvre, tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Tels sont les principaux articles de ce code qui remonte à plus de trois mille ans, et qui a pour base l’unité, par conséquent la fraternité du genre humain, la supériorité originelle de l’espèce humaine sur toutes les espèces animales. Arrêtons-nous un peu ici, et voyons ce que la morale, la justice, la charité, la dignité humaine ont gagné aux enseigne- ments de l’athéisme. Je vous citais tout à l’heure Hobbes, qui ne voit dans l’homme qu’une bête féroce et ne conçoit pas d’autre moyen de le soustraire à ses instincts naturels que le despotisme, l’oppression des personnes et des consciences. Au nom de Hobbes je pourrais ajouter celui de Bentham qui, voyant dans l’égoïsme, dans l’amour de soi, dans l’amour du bien-être, l’unique mobile de nos actions, condamne comme une chimère et même comme un danger social tout sentiment désintéressé, toute pensée d’abnégation et de dévouement. Je pourrais vous parler aussi d’un philosophe allemand, athée comme les deux 1 Proverbes., ch. Vlll, v. 21-22 - 9 - Anglais que je viens de nommer et dont s’inspire une certaine partie de notre littérature, le grand et ténébreux Schopenhauer. Pour celui-là rien n’existe que le mal, et la place de Dieu est occupée par je ne sais quel artisan mystérieux et incompré- hensible d’illusions et de douleurs. Au sentiment du devoir, à l’amour mutuel et au mutuel respect des âmes humaines, cet implacable rêveur substitue la pitié, sans songer que nous avons également pitié d’un chien qu’on maltraite, d’un âne qu’on sur- charge, d’un insecte qu’on écrase. Mais j’aime mieux porter votre attention sur un moraliste encore vivant qui passe pour le plus grand philosophe, le plus grand psychologue et, pour par- ler la langue d’aujourd’hui, le plus grand sociologiste de notre siècle, c’est-à-dire le plus grand théoricien de Tordre social. Il s’agit de M. Herhert Spencer, le véritable inventeur, après Dide- rot et Lamark, du système transformiste ou évolutioniste auquel Darwin a attaché son nom, et selon l’opinion la plus accréditée, la personnification accomplie de la science contemporaine, de la science moderne, ou tout simplement de la science. Sans se dire positivement athée, Herbert Spencer Test de fait, car il ne donne dans son système aucune place à Tidée de Dieu. Pour lui, l’univers est le produit fatal d’une force aveugle qui obéit aux seules lois de la mécanique. C’est cette force qui a donné naissance aux phénomènes de la vie et de la pensée, comme à ceux de la nature brute. L’humanité est sortie du règne végétal et du règne minéral. L’espèce humaine se développe ou plutôt se transforme, comme les espèces inférieures, par Théré- ditéet la sélection sexuelle, c’est-à-dire par l’union successivedes individus les plus forts, les mieux conformés, les plus propres à se développer, et par la destruction plus ou moins lente des êtres moins favorisés. Les qualités qui distinguent les premiers se conservent et se pertectionnent par l’hérédité. De là cette règle de conduite proposée par Herbert Spencer à la société. Il faut laisser périr comme des bêtes immondes les faibles, les infirmes, les incapables, c’est-à-dire les pauvres et les malades, ^es maladroits et les malheureux de toutes les catégories. Car à quoi servent-ils ? Uniquement à empêcher les effets de la sélec- tion, à faire obstacle aux progrès matériels et intellectuels de l’humanité, ou tout au moins d’une nation en particulier, à’ la corrompre, à l’abêtir, à l’appauvrir. La charité enseignée par le „ 10 - christianisme et par l’Ancien Testament, la philanthropie recom- mandée par la plupart des philosophes est une funeste erreur; pour être entièrement dans le vrai, il faudrait l’appeler un crime. Tel est, Messieurs, la dernière morale mise au jour par l’athéisme, par l’athéisme scientifique, celui du moins qui affiche le plus de prétention et à qui l’on reconnaît volontiers le plus de titres à la science. Je n’engagerai pas la démocratie à y sous- crire, car elle n’est pas précisément faite pour elle. J e ne crains pas d’être accusé d’injustice en affirmant que jamais rien de plus odieux n’a été inventé par l’esprit de système. Heureusement cette manière de voir ne révolte pas moins le sens du vrai que le sens du bien. J’aurais trop à faire de compter toutes les objec- tions qui se dressent contre elle ; mais il y en a une que je ne puis m’empêcher de vous signaler en passant, parce qu’elle est un fait, non un raisonnement; elle relève de l’histoire, non de la logique. M. Herbert Spencer oublie que les pauvres et les infirmes ont contribué pour une grande part aux progrès de l’humanité. L’Évangile nous apprend que le Fils de l’homme n’avait pas où reposer la tête ; les Apôtres, de même que les docteurs de l’ancienne loi, vivaient de professions manuelles; saint Paul fa- briquait des tentes; Homère (je ne me pique pas de suivre l’ordre chronologique) était aveugle et mendiait son pain ; Socrate mar- chait pieds nus et ne possédait que deux tuniques ; si Marc- Aurèle étai' empereur, Épictète était esclave; Le Tasse est mort dans un hôpital, comme cela arriva plus tard à Gilbert et à Malfilâtre ; Milton était privé de la vue comme le chantre de l’Iliade ; notre Corneille faisait réparer sa chaussure chez le savetier du coin;Vauvenargues et Pascal étaient malades,Saunder- son aveugle, Beethoven sourd; Voltaire a eu affaire toute sa vie aux médicaments et aux médecins^ ce qui est peut-être la pire maladie. Ah ! Monsieur Herber-t Spencer, on voit que vous avez du pain sur la planche et que vous jouissez d’une robuste santé ! Une autre difficulté qui semble échapper à ce philosophe attendri, c’est que les pauvres, ceux qu’on appelle les déshérités de ce monde, qu’ils le soient par leur faute ou par l’injustice du sort, ne permettront pas qu’on les abandonne ainsi à leur misère ; ils ne voudront pas acc<^pter la destruction par le dé- - H - nuement et par la faim à laquelle ils sont voués. Ils se révolteront contre les riches, contre les heureux, contre les bourgeois, ainsi qu’on les nomme d’un seul mot Et comme ils sont les plus nombreux et qu’ils n’ont rien à perdre dans la bataille, la victoire leur est assurée dans un temps plus ou moins prochain. Cette belle invention du perfectionnement indéfini de la société par l’hérédité et la sélection sexuelle conduit donc tout droit à la destruction de la société par la guerre civile, par la cessa- tion de l’émulation et du travail, par l’envie et par la barbarie. La politique de l’athéisme, sa sociologie, pour parler sa langue qui m’est odieuse, ne vaut donc pas mieux que sa morale. Mais pourquoi prendre un détour pour se croire autorisé à lui adresser ce dernier reproche ? La preuve indirecte est inu- tile, c’est franchement et directement que l’athéisme a sou- vent provoqué la dissolution de l’ordre social. Qui d’entre vous, s’il n’a pas lu les écrits de Proudhon, ne s’en rappelle au moins, pour les avoir entendu citer, les maximes les plus retentissantes? Proudhon, comme il nous l’apprend lui- même dans ses confessions, ne consentait pas seulement à passer pour un athée, il revendiquait le nom antithéiste, ce qui veut dire ennemi de Dieu. C’est lui qui, dans Contradic- tions économiques, a écrit ces mots : « Dieu, c’est le mal. » Mais il ne lui suffisait pas d’être l’ennemi de Dieu et de la pro- priété, il était aussi ou se disait l’ennemi des gouvernements, de tous les gouvernements sans distinction de forme ni de titre. Tout son système politique et social se résume dans le mot an-archie. 11 est vrai que ce mot, il le divise en deux par- ties, mais ses sectateurs eurent bientôt fait de lui rendre son unité et sa signification moderne. J’ignore si tous les athées sont des anarchistes ; ce que je puis assurer, c’est que tous les anarchistes sont athées. Ils ont raison aux yeux de la logique. Comme on n’a jamais vu et que sans doute on ne verra jamais de société sans Dieu, supprimer toute religion et toute philoso- phie religieuse, c’est m-ettre un terme à la société elle-même, qui ne peut subsister sans gouvernement. L’anarchie ainsi com- prise se confond avec ce que les Russes appellent le nihilisme. Voilà donc le résultat final, l’évolution suprême que l’athéisme promet à l’humanité dans l’ordre moral et politique. Nous est-il permis après cela de le prendre au mot quand il se donne pour - 12 - le dernier mot de la science ? La réponse n’est pas douteuse ; mais il ne suffit pas de la supposer, il faut que les faits nous l’imposent comme une vérité inattaquable. Ne voulant pas laisser prendre à cette libre causerie la sévère apparence d’une leçon a la Sorbonne ou au Collège de France, je ne m’arrêterai pas à ce que fut la science dans l’antiquité. Je ne puis pourtant pas m’empêcher de vous citer ces belles paroles qui devraient se présenter plus souvent à la mémoire des savants de nos jours : « Quand un homme vint proclamer que c’est une intelligence qui, dans la nature aussi bien que dans les êtres animés, est la cause de l’ordre et de la régularité qui éclatent partout dans le monde, ce personnage fit l’effet d’avoir seul sa raison et d’être en quelque sorte à jeun après les ivresses extra- vagantes de ses devanciers L » C’est une allusion au vieux phi- losophe Anaxagore, le premier qui ait reconnu l’existence d’une cause intelligente de l’univers. Mais qui tient ce langage? Est-ce un théologien imbu d’une foi traditionnelle ou quelque métaphy- sicien d’école qui n’a jamais ouvert les yeux sur les phénomè- nes du monde physique? Non, Messieurs, c’est le créateur même de la méthode expérimentale, le créateur de l’histoire naturelle, de l’anatomie comparée, de la physiologie aussi bien que de la logique, la personnification de la science dans le monde entiei’ pendant une période de deux mille ans, c’est Aristote. Le même Aristote, parlant en son propre nom, nous démontre par des faits, non par des arguments, que tous les organes des êtres animés et les fonctions qui leur sont propres tendent à un but, à une fin, que cette fin est le bien des êtres qui la désireni et la recherchent souvent sans la connaître, et qu’enfin le bien suprême, le bien parfait n’est pas autre chose que Dieu, auquel la terre et toute la nature sont suspendues. Dieu se connaît lui- même, il est la perfection de l’intelligence par cela seul qu’il est la perfection du bien. Il est la pensée de la pensée. Ce nom mille fois béni de la Grèce, plus glorieux à lui seul et plus durable que celui de tous les empires formés par la con- quête et gouvernés par le despotisme, dussent-ils renferme!' plusieurs fois cent, millions de sujets, réveille dans mon esprit encore un autre souvenir qui ne me paraît pas indigne de vous 1 Aristote, Métaphysiques, L. II, cà. 3, traduction de M. Barthé- lemy -Saiiil-Hilaire. - 13 - être communiqué. De tous les systèmes philosophiques enfantés par le génie grec, le seul qui, en astronomie, se soit approché de la vérité et ait reconnu la rotation de la terre autour d’un foyer central, plus de deux mille ans avant Copernic, c’est le système idéaliste et religieux de Pylhagore. Ce philosophe et son école, en même temps qu’ils enseignaient Texistence d’un Dieu unique et une morale certainement plus pure que celle du positivisme de notre temps, ont enrichi de leurs découvertes les sciences mathématiques et ont posé les bases rationnelles de l’art musical. Mais hâtons-nous d’arriver à la science moderne et citons tout de suite les plus grands noms du grand siècle. Quoi donc ! Est-ce que Descartes, Pascal, Leibniz et Newton étaient étrangers à la science ? Est-ce qu’ils ne savaient pas autant de mathématiques, de physique, d’astronomie, de méca- nique, d’algèbre que tous les membres réunis d’un certain con- seil municipal qui a fait disparaître le nom de Dieu de tous les livres destinés aux écoles de la jeunesse? Descartes a été l’inven- teur de l’algèbre appliquée à la géométrie, de la vraie théorie de la lumière et de quantité d’autres théories remises en honneur aujourd’hui, sans en excepter les tourbillons et la matière sub- tile admise sous le nom d’éther. Pascal, un mathématicien de génie, a démontré la pesanteur de l’air et a reconnu la loi du progrès. Newton n’a pas seulement renouvelé l’astronomie par le principe et les lois de l’attraction universelle, il a inventé, en même temps que Leibniz, le calcul infinitésimal. Leibniz, comme Aristote, n’a été étranger à aucune branche des connais- sances humaines et a laissé sur toutes l’empreinte de son génie original. Et cependant, à part Newton, encore plus mystique que philosophe, ce que ces hommes illustres ont fait pour les sciences n’est presque rien en comparaison de ce qu’ils ont fait pour la philosophie spiritualiste, pour lamétaphysiqueéternelle, pour la connaissance de Dieu et de Pâme humaine. Une des plus grandes absurdités soutenues par le patriarche du positivisme, Auguste Comte, qui en a tant d’autres sur la conscience, c’est que la science ne s’élève que sur les ruines de la métaphysique, qui elle-même prend la place de la théologie ou de la religion. La religion, la philosophie, la science, de même que la poésie et l’art, sont des formes éternelles, des be- soins indestructibles de la nature humaine. Malheur aux pou- - 14 - voirs publics qui ont les prétention de la supprimer, quels que soient leur constitution et leur nom ! une telle entreprise équi- vaut pour eux à un acte d’abdication. En passant du xvii* au xviii® siècle, nous trouvons sans doute un autre esprit. Comme je l’ai déjà remarqué, l’athéisme n’y est pas rare ; mais la science n’y égale pas celle du siècle précédent ; Eatbéisme lui-méme n’y a pas l’extension qu’on lui attribue et il s’y trouve en face de puissants, d’éloquents contradicteurs. Voltaire, qui ne pouvait concevoir une horloge sans un horloger, affirme fréquemment l’existence de Dieu. Jean-Jacques Rous- seau la démontre dans les pages brûlantes de sa profession de foi du Vicaire savoyard. Montesquieu, dans une œuvre aussi impérissable que la raison humaine, dans VEsprit des lois, a écrit cette phrase : « Ceux qui ont dit que tous les effets que nous voyons dans le monde ont été produits par une aveugle fatalité, ont dit une grande absurdité ; car quoi de plus absurde qu’une fatalité aveugle qui produit des êtres intelligents! » Il est bien difficile, je crois, de répondre à cet argument ma- gistral, et l’on ne sera pas plus avancé si, à la place de la fata- lité, OH substitue, comme quelques physiologistes de nos jours, « le pouvoir métabolique des cellules ». A la fin du xviiF siècle et au début du xix®, nous avons devant nous deux figures restées familières à notre mémoire comme deux personnifications de l’athéisme physiologique : celles de Cabanis et de Broussais. Le premier voyait dans la pensée « une sécrétion du cerveau », et le second, l’auteur de YIrritation et de la Folie, semblait contracter les deux états qu’il décrit dans son livre toutes les fois qu’il parlait de l’âme, de Dieu, du spiritualisme, de M. Cousin et de ceux qu’il croyait flétrir sous le nom de « kanto-platoniciens ». Eh bien, ni l’un ni l’autre ne sont restés fidèles à leur doctrine. Cabanis, sur la fin de sa vie, a adressé à M. Fauriel cette remarquable Lettre sur les causes premières où il dément les conclusions de ses mémoires à l’Institut sur les physique et du moral; Broussais, dans un gros livre bien peu connu aujourd’hui, son Cours de phrénologie, a écrit cette phrase que je cite textuelle- ment : « L’athéisme ne saurait entrer dans une tête bien faite et qui a sérieusement médité sur la nature. » Que dirai-je maintenant de la science contemporaine et de - 15 -^ celle qui l'a devancée dé quelques années ? Est-ce que Cuvier, qu’on a appelé avec raison le grand Cuvier et quelquefois l’Aristote moderne; son compagnon dans les recherches paléon- tologiques, Alexandre Brongniart; leur continuateur Agassiz; et tout près d’eux Flourens, Leverrier, Cauchy le merveilleux mathématicien; le physicien astronome Biot, étaient des esprits arriérés, ennemis du progrès,étrangers aux sciences de raison- nement ou d’expérience? Et cependant tous, dans un langage plus ou moins indépendant de la tradition et qui est propre à chacun d’eux, ont reconnu un suprême auteur des choses, ont glorifié Dieu. Je commettrais un crime, oui un crime, si j’oubliais Claude Bernard, car enfin, â quoi aboutissent en dernière ana- lyse ses merveilleuses recherches, ses recherches expérimen- tales, ne l’oubliez pas, sur les fonctions de nos divers organes? A reconnaître, pour la formation de ces organes etcelle de l’être vivant tout entier, ce qu’il appelle si justement « une idée créa- trice ». Une idée suppose une intelligence et une création suppose un créateur. Nous voilà en plein spiritualisme, en pleine théologie naturelle. Platon et peut-être saint Augustin auraient applaudi à cette conclusion. Le chimiste J. -B. Dumas ne vous paraîtra pas déplacé à côté de Claude Bernard. Je m’étais promis de n’admettre aucun vivant sur cette liste glorieuse, mais il y a un nom qui, si je ne le prononçais pas, éclaterait de lui-même sur vos lèvres: c’est celui de Pasteur. Pasteur est plus qu’un savant, c’est la personnification vivante de la science ; et non seulement de la science, mais de la bien- faisance, un mot que l’abbé de Saint-Pierre semble avoir créé pour lui. Pasteur, en puisant la lumière qui l’éclaire dans les hau- teurs les plus reculées où puisse atteindre la pensée de l’homme, nous montre sous un jour nouvecm les deux infinis dont parle Pascal. Vous le voyez. Messieurs, l’athéisme, par l’inévitable effet de ses prémisses, est en opposition directe avec les illusions dont il se berce ou les promesses qu’il nous fait. Au lieu d’asseoir la société sur sa base définitive, il travaille à sa dissolution et ne peut s’arrêter que dans le nihilisme. Au lieu d’être le dernier mot de la science, il provoque la répudiation des savants les plus illustres de tous les temps et nous représente la décapita- tion de la science elle-même. Peut-être cependant sera-t-il pos- - 16 - sible d’en faire sortir quelque avantage. Par ses excès mêmes, il pourra contribuer au réveil du spiritualisme philosophiqne et des croyances religieuses. Il pourra pousser les jeunes talents qui ne manquent pas à notre pays vers un but plus consolant que le pessimisme et plus noble que la peinture des passions sensuelles. Par la domination intolérante qu’il affecte et que trop souvent il exerce quand il possède le pouvoir, l’athéisme pourra aussi nous guérir de l’intolérance. 11 pourra servir à rapprocherdes opinions respectables, également salutaires, qui n’ont été que trop longtemps divisées. L’union n’est pas la con- fusion, et je ne vois pas que, sans sacrifier sa liberté, rien em- pêche la philosophie de se montrer respectueuse pour la reli- gion. Je ne vois pas davantage que, sans abandonner un seul de leurs dogmes, rien empêche les diverses Églises de vivre fraternellement les unes à côté des autres en rivalisant de charité et en s’abstenant de toute agression qui ne s’adresse pas à Pennemi commun. Si j’ai réussi à vous rendre favora- bles à ces idées, nous n’aurons, ni vous ni moi, à regretter l’heure que nous avons passée ensemble. Ad. Franck. 3194. — Tours, imp. Deslis freres. EXTRAITS DES STATUTS ..ji ; « Tu aimeras Dieu de tout ton «oeur et ton prochain comme toi-même. Eq présence des attaques de l’athéisme contemporain et dans le but de s’opposer à sa propagande funeste, une Ligue s’est constituée sous le nom de.: Ligue nationale contre ^athéisme. Art. 1 . — Chaque paembre de la Ligue devra s’engagera combattre par la parole, par la plume, par tous les moyens légitimes, l’athéisme sous toutes ses formes. Art. 2. — La Ligue est ouverte aux personnes de tout sexe et de toute confession ; toutefois le comité de direction est coihpo- sé d’hommes seulement. Art. 3. — S’engagera verser une cotisation anniielle dont le minimum a été fixé à 0,25 qentimes, afin, de rendre la Ligue ac- cessible à tout j)atriote. La présentation peut être faite verbale- ment ou par écrit. Elle a pour but de créer par ce patronage une sorte de parenté morale et de solidarité»entre tous les membres de l’association. Art. 4. — L’Adhérent ne contracte d’autres liens moraux que celui de défendre partout, avec l’existence de Dieu, les principes sacrés de la morale et de la religion. Il doit prêcher d’exemple et mor^ement s’engager à propager et à défendre les idées de la Ligue et à recueillir le plus grand nombre d’adhérents. Art. 5. — Les discussions politiques ou religieuses sont inter- dites dans les réunions, la Ligue devant observer une stricte neutralité. Tout orateur ou écrivain qui ferait au nom de la Ligue de l’intolérance ou du prosélytisme sera,rayé. Art. 6. — Les fonds recueillis sont consacrjès : l* A propager les idées de la, Ligue ; 2* A la fondation d’une revue, de conférences, de lectures pu- bliques et de cours gratuits, ainsi qu’à la distribution de brochures et de petits traités ; 3» A récompenser et à publier les ouvrages moraux et instructifs, dans le sens du but poursuivi par la Ligue. " ’ COMITÉ DE DIRECTION -Prèsident' M. Adolphe Franck, de l'Institut. Vice-Présidents M. le Docteur MoNdD. M. Alphonse Pereyra. Secrétaire général M. d’Ârrentière, avocat, docteur en Droit. Secrétaires des séances M. P. Margerie. M: a. pjARDENNE de Tjzac. M. DE Jean. M. Baillet. Trésorier Trésorier adjoint 'im Censeur M. Max d’Ardenn^ DE .Tizac ,, Pirecteur-Fondateur M. F. Martïn-Gî^ouvier. ^ Membres honoraires M. de Marcëre, sénateur, ancien ministre ; M. de Pressen SK, sénateur ; M. F. Passy, député, membre de rInstitut '' M. F. Boûilliel, de l’Institut ; M. Charles Lévêqüe de l’Iinstitut M. Rosseexjw Saint-HilaIre, de l’Institut ; M. lé pasteur Arbôijsse*Bàstu)e ; l’Abbé A. Harnois. M. Thonissen, associé étranger ; de ^l’Institut, ministré rintérieur et de rinstruction publique de Belgique ; M. M. Cantu, associé étranger- de TInstitut, directeur des Archives de Milan. v