r- vv - _ I lC.<3T h . *"-1. r..-. 'I .- ' . - NOTICE HISTORIQUE # SUR LE COUVENT (rue de vaugirard, 76 ) Hepiii» sa Foiitlatioii jusqu’à nos Jours» l*AR M. u’ABBif J.-P.-A. LALANNE, Docteur èg-lettres, Chanoine honoraire Je Beauvais, aneienDIrécteur à TÉcoie des Haulei-Etudes, Directeur du collège Stanislas. • • de la RKrVE! CATHOMQUE. ) PARIS, AMBKOISE BRAY, LIBRAIRE ÉDITEUR, » RUE DES SAINTS PÈRES, 66, i95e Oeaddüied LES CARMES DÉCHâCSSÉS A PARIS rue de VAUGIRARD, ,76 ïîfpmô Itt fonîiatîon îre Imr Couoent jusqu'en 1790 , HISTOIRE RU COUÏEH ET DE l’ÉGLlSE JDSOO’ES 1848 (Extrait de la Reme catholique) PAR. U3¥ PRÊTRE RE E’ECOliE RES CARIRES. VERSAILLES, IMPRIMERIE DE BEAU JEUNE, RUE SATORY, 28 . IS54 — 4 leur paisible retraite, ceux qui purent échapper au fer et à la servitude se réfugièrent, les uns dans les montagnes, les autres dans l’armée des Croisés. Le pieux roi Louis en recueillit six, qui étaient Français, et les amena dans ses états. Ils arrivèrent à Paris et y furent établis en 1254, dans une très-pauvre habi- tation (1), su rie bord de la Seine^ dans le lieu où depuis fut bâti le beau couvent des Célestins. Le peuple les appelait les Frères barrés (i^ra^res barruti)^ parce qu’ils portaient sur une tunique brune un manteau blanc^ barré de noir, en pal (de haut en bas). Ces barres noires leur avaient été imposées, disait-on, par les Sarrasins, qui ne voulaient pas permettre queees odieux chré- tiens se revêtissent de manteaux tout blancs, comme ils avaient coutume de le faire, ce manteau étant chez les Sarrasins un in- signe d’honneur. Quoi qu’il en soit, lés Frères barrés étant de- meurés assez longtemps en cette humble habitation, ne s’y con- vinrent plus. Sous Philippe le Long, ayant représenté à ce prince, d’abord, que dans ce lieu ils étaient fort incommodés des fréquents débordements de la Seine, en outre, qu’ils étaient trop éloignés des écoles pour en suivre les cours; ils obtinrent de ce prince, en 1317, une maison qui lui appartenait, à la Croix ‘Haimon, au bas de la montagne Sainte-Geneviève, dans le quartier Maubert. Bientôt cette maison ne leur suffît plus; ils firent appel a la générosité des fidèles; la reine leur légua les bijoux de sa toilette, qui étaient d’un grand prix, et ils firent bâtir un vaste édifice, qui se voit encore, place Maubert, mais où l’on ne voit plus de Carmes : c’est une caserne d’infan- terie. Du XIII® siècle au xviii®, il n’y eut point, dans Paris, d’autre couvent de Carmes. Mais de graves désordres s’étant introduits dans l’ordre, vers le xiv® siècle, et pendant toute la durée du déplorable schisme qui divisa l’Eglise à cette époque, le bc- (I) Paiiperrima domus. Charte de Wiilippe le Loug. Dubieuil, AnLiq. de Paris. — 5 soin de rétablir la régularité devait amener dés réformes, et la réforme de Tantique souche devait faire sortir comme des ar- bres nouveaux. La ville de Paris allait y gagner deux nouveaux couvents de bons et fervents religieux. Déjà l’esprit religieux avait été ranimé parmi les enfants de Notre-Dame du Carmel, en divers temps ; au xin® siècle, par saint Simon Stock; au xv®, par le bienheureux Soret, fonda- teur des Carmélites (1452), et par les pieux compagnons de Thomas Connecte, tous français, qui établirent la réforme dite de Mantoue-, au xvi® siècle enfin, par sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, en Espagne, et par le P. Bouhourt en France. Les œuvres des deux derniers sont les seules qui nous intéres- sent ici. Ce fut de leurs institutions que sortirent les deux ordres de religieux réformés que reçut la capitale : ceux de Vaugirard, des Carmes Déchaussés d’Espagne, et ceux des Bil- lettes, des Carmes de l’Observance de France. La réforme d’Espagne s’était répandue en Italie, dès la fin du XVI® siècle. Les moines qui l’avaient embrassée y étaient dis- tingués par le nom de Discalceati, et partout rédifîcation des peuples suivait leurs pas évangéliques. Le pape Paul V les avait en si haute estime, qu’il écrivit lui-même au roi Henri IV pour l’engager à admettre leur ordre dans son royaume. L’invitation fut agréée. Déjà, en 1608, Henri avait institué l’ordre militaire des chevaliers du Mont-Carmel. Pour le nouvel établissement, on choisit deux Français de familles connues et honorées, mais plus recommandables encore eux-mêmes par leur science, leur éloquence et une haute piété. C’étaient Denys de Macanan de Salegourde, en religion père Denis de la Mère de Dieu, que Jaillot (historien de Paris), dit Bordelais, et Louis de Sainte- Thérèse (auteur des des Carmes)^ du Périgord; et Ber- nard de Vaillac, appelé en religion père Bernard de Saint- Joseph, du Quercy, d’après le père Louis, et Béarnais, comme le roi, selon Jaillot. De Vaillac était cousin du duc d’Uzès. Indépendamment de leur noble origine, ces deux religieux 8 — Vierge eut-elle fait entrer ces deux hommes dans le collège de Cluny, que tous les écoliers qui le fréquentaient, et les maîtres qui l’habitaient, sentirent leur ferveur se ranimer-, tellement qu’un beau jour il en partit un essaim pour aller, loin du monde, se retremper dans l’esprit de saint Benoît ^ et ces mêmes hommes, quelques années après, de retour à Paris, y fondèrent la congrégation devenue si illustre dans les lettres sous le nom de Bénédictins de Saint-Maur. Les deux apôtres du Carmel ne perdaient donc pas leur temps -, mais ces profits accessoires ne les empêchaient pas de travailler au gain de leur affaire capitale. Dès les premiers jours, ils avaient obtenu les lettres-patentes du roi, qui étaient nécessaires à leur établisse- ment^ mais il fallait queces lettres fussentenregistrées ; il fallait recourir au parlement: c’était là le fagot d’épines. Outre leslen- leurs inséparables d’une procédure, on devait bien aussi rencontrer l’obstacle du mauvais vouloir^ car déjà, dans la magistrature, bien des gens trouvaient qu’il y avait assez comme ça de couvents et de moines à Paris. On fit donc aux Pères déchaussés plusieurs chicanes. Comme l’ordre était né en Espagne, on exigea qu’ils s’engageassent à avoir un supé- rieur en France, duquel ils dépendraient uniquement.On fit com- paraître le prieur des Carmes delà place Haubert, pour subor- donner l’admission des nouveaux religieux aux intérêts matériels de sa maison. Lesupérieur, qui était un père Philippe, répondit avec une dignité qui lui fit honneur, que, l’aumône partagée, la part des siens serait moindre sans doute, mais qu'elle leur suffirait toujours, s’ils étaient ce qu’ils devaient être; et que, loin de s’opposer à l’établissement des nouveaux religieux, il était prêt à les recevoir et à les nourrir dans sa maison, s’ils n’avaient point à Paris d’autre asile. Les résistances du parlement tinrent toute une année; et l’on ne saurait exprimer, dit l’historien qui nous fournit ces dé- tails, les travaux et les fatigues que, pendant ce temps, ces saints hommes endurèrent. Contraints de sortir de grand ma- tin, passant la journée à jeun, marchant, les pieds presque nus, crevassés et ensanglantés, parmi la boue, la neige et les glaçons ; ne se chauffant jamais: se couchant sur des planches, quand ils rentraient exténués de faim et de fatigue^ dérobant encore au sommeil et au repos de la nuit des heures de prières vocales et d’oraisons, ne retranchant rien à la rigueur de la discipline ; car ils ne voulurent se relâcher en rien des austé- ’ rites de leur règle, laissant (dit leur historien), à leurs succes- seurs, de vifs exemples de patience et de fidélité ; et toutes ces peines, ajoute-t-il, étaient pour eux des délices. Tant de vertus et de souffrances n’étaient en effet qu’un titre aux bienfaits et aux faveurs que la Providence leur réser- vait. Ils obtinrent enfin leurs lettres au mois de mai 1611. Ces lettres leur permettaient de fonder un ôouvent, mais il leur fallait encore un fondateur. Il ne se fit pas longtemps attendre. On le leur envoya dans une boîte. Ceci demande une explication. Peu de jours avant l’enregistrement de leurs lettres-patentes, les Pères avaient reçu d’une religieuse de leur ordre, la mère Anne de Saint-Barthelemy, dirigée par le P. de Bérulle, une boîte close, avec une lettre qui se résumait en ces mots : Je vous envoie votre fondateur. La boîte ouverte, avec un empres- sement plein de réserve, on en retire une charmante petite statuette. C’était un enfant Jésus, à la face fort douce, dit l’his- torien, au regard attrayant, revêtu d’une camisole de velours blanc, chamarrée d’or, avec une ceinture de meme étoffe, sur laquelle on avait brodé ces mots : Ego stim pastor bonus. Il tenait dans sa main une houlette dorée, avait une panetière sur les épaules 5 ses petits pieds étaient chaussés de petites sandales ornées de perles, et posaient sur un piédestal de bois doré. Cette image avait eu, en Italie et à Paris, une certaine célébrité; elle avait donné lieu à des miracles, et on doit le croire, car elle était bien faite pour inspirer des sentiments d’amour et de confiance, en celui au nom de qui on peut tout obtenir. 12 — sières, greffier au parlement. Mais l’édification publique allant toujours croissant, les novices se présentant en grand nombre, il fallut incontinent songer à construire des logements plus spa- cieux et une église plus vaste. On pria, on jeûna, on quêta, et tout vint à point. Nicolas Vivian, encouragé parles fruits abon- dants de ses premiers bienfaits, ne voulut pas laisser son œuvre inachevée. Il contribua pour une forte somme aux nouvelles constructions, et le 6 février 1613, il eut la consolation de po- ser la première pierre du couvent. Quanta l’église, elle devait d’abord être bâtie aux frais de la maréchale d’Ancre *, mais, soit excès dans l’amour du grandiose, soit pour avoir une fin de non-être reçu, la maréchale adopta un plan si magnifique, que la modestie et la prudence des Pères en furent alarmées. Ils demandèrent des modifications : on s’y refusa. Ils se retirèrent en remerciant la maréchale de ses libé- ralités, et bénissant Dieu, sans doute au fond du cœur, de ce qu’il ne permettait pas qu’un sanctuaire aussi saint lui fût élevé par des mains si indignes. Mais les Carmes n’y perdirent rien ; iis avaient droit au cen- tuple. Les dons arrivèrent assez promptement et avec assez de libéralité pour que leur église, dont la première pierre fut po- sée le II juin de la même année 1613, par la reine-mère elle- même, Marie de Médicis, put être achevée en i620. Elle fut alors bénite par Charles de Lorraine, évêque de Verdun. Les largesses des fidèles continuèrent, et, en 1625, l’église fut assez complète, assez embellie, pour être solennellement consacrée. Le prélat consécrateur fut Eléonore d’Etampes de Valençay, alors évêque de Chartres, depuis archevêque de Reims. Cette église, qui est celle que nous voyons aujourd’hui, n’est pas dans le genre gothique ^ l’époque de sa construction était le temps du retour aux belles formes architecturales des Grecs, qu’on eut le tort de vouloir introduire partout, même dans les édifices religieux dont le type était déjà consacré par l’usage, et en harmonie avec toutes les idées chrétiennes. On n'eut — 13 môme pas Tattenlion de l’orienter*, elle s’ouvre au midi. La nef est large. Les voûtes, élevées, sont couronnées par un dôme assez hardiment élancé. Il y a de l’espace, de l’air, de la lu- mière; le maître-autel y domine tout. Il n’y a pas de bas-côtés, et les chapelles latérales, peu profondes, ne sont remarquables que par quelques ornements, dont le plus ancien est le tombeau du prélat consécrateur, qui y fut inhumé en 1671. Le dôme est orné de fresques attribuées au pinceau de Bertollet Flamaël. Le maître-autel, dû aux libéralités du chancelier deSéguier, a un tableau de Quan tin Varin. La vierge en albâtre, sculptée par Boggie sur les dessins du cavalier Bernin, et qu’on voit aujour- d’hui dans une des chapelles de la cathédrale, appartenait au- trefois à l’église des Carmes. Au reste, et pour en finir sur l’église, disons, avec Jaillot, qu’il s’y rattache quelques particularités remarquables. D’a- bord ce fut la première en France, dédiée sous le vocable de saint Joseph *, ensuite le dôme qui la surmonte est le premier qui se soit élevé au-dessus des toits de la capitale, après un essai de ce genre qu’on avait fait pour une chapelle du couvent des Petits-Augustins 5 en troisième lieu, ce fut la première église où les fidèles furent appelés aux oraisons des Quarante- Heures, les trois jours qui précèdent le carême. Ajoutons, par anticipation, qu’elle fut, a dit l’abbé Picot, la première rendue au culte, et que c’est dans son enceinte sacrée que la parole douce et persuasive de l’abbé Legris-Duval reprit le cours des catéchismes dits de Saint-Sulpice. Revenons à nos origines. Le bâtiment que l’on construisait, pour le couvent, se borna, selon toute probabilités pendant tout le temps qu’on bâtissait l’église, à la façade qui regarde le jardin. Il n’est fait mention que de cette partie dans la première année; en outre, comme il n’est pas possible que les religieux se soient passé de chapelle, durant ces quatre années, il faut admettre que la chapelle construite par du Tilletne fut détruite qu’après l’achèvement de l’église ; et en supposant que l’ancienne mai- — lü qu’à dix huit fois distinctement le mot qu’on lui envoyait, et le redisait encore trente fois, mais en mourant et en s’éloignant, au point que la trentième fois la voix paraissait venir d’une lieue. Les religieux détruisirent l’écho par la démolition d’un vieil édifice. Grande clameur des touristes de toutes les nations; un poète (Fréd. Morel), y répondit par ces six vers : Voce rneâ audilâ lersena vocabula reddens, Echo perstileiat dicta Charentonia : Nunc, postqiiam ascelis sedes ædesque paratacst, (Ballivi sumplu præsidis eximii), Inculcans voces recitanliuni canlica fratrum Personal innumerîs nocte dieque tonis. Ici, quand je parlais, l’écho de Gharenlou, De ma voix, Irente fois, multipliait le son. îl se tait aujourd’hui : mais, à l’envi des anges, Bénissant le Très-Haut et la Reine du Ciel, Les pieux enfants du Carmel Font retentir ces lieux d’incessantes louanges. En 1618 un singulier événement vint troubler et affliger la maison de Paris. Un lutin, un esprit frappeur, comme on di- rait aujourd’hui (lïil sub solenovum)^ se mit en train de faire un vacarme affreux dans les corridors du couvent et à l’écurie. Au couvent, c’était comme le bruit du tonnerre qui poursuivait certains religieux, et particulièrement celui qui allait le soir fermer les portes; à l’écurie, c’était un invisible et rude palefre- nier qui frottait le cheval de la communauté et le mettait tout en sueur : on entendait distinctement l'étrille qui passait et repassait sur le corps de l’animal. A ce mal, les bons moines ne virent d’autres remèdes que des prières; ils dirent des messes pour les morts; le bruit cessa, puis il revint; on pria de nouveau, et tout disparut pour ne plus jamais reparaître (1). O) /Annales des Cormes déchnussés, par le P. I-ouis. En 1619, il se tint au couvent de Vaugirard un chapitre pro- vincial, le premier qui ait été convoqué en France. En 1631, les réguliers de Saint-Augustin, devenus très-irrégu- liers, sont obligés de céder le couvent des Billettes, au Marais, aux Carmes de la réforme de Rennes, réforme religieuse opérée par le père Bouhourt en 1604 , mais qui ne fut bien établie que par le père Thibaut 5 et les Carmes déchaussés de Paris ne furent pas étrangers à cette œuvre, car en 1616 le père Thibaut était venu passer un an à Paris, chez eux, pour prendre l’esprit et la règle de leur noviciat. En 1637, les religieux Carmes déchaussés, ayant été appelés aux missions de la Perse^ l’évêque de Babylone établit à Paris, pour ces missionnaires, un séminaire dans la rue du Bac : ce fut l’origine du séminaire des Missions étrangères. 1647. Un illustre prélat romain, Thadée Barberin, étant mort à Paris, il fut inhumé, d’après le vœu qu’il en avait exprimé, aux Carmes de Yaugirard. 1652. Grande fête à laquelle participa tout Paris. On célé- brait aux Carmes déchaussés la canonisation de sainte Thé- rèse. Après les offices, qui furent on ne peut plus solennels et pompeux, on tira un feu d’artifice : il ne s’en était jamais vu de plus beau. Il ne s’est vu tant de fusées Qu’il n’en fui jeté la soirée De la sainle mère Thérèse. dit un écrivain du temps, que Dulaure qualifie de poêle. L’affluence et l’empressement de la foule occasionnèrent de nombreux accidents. Dulaure ne manque pas de s’en prendre aux moines. Il nous semble que la police y devait être pour quelque chose. En 1657, les religieux des Carmes reçurent une mission ho- norable, mais difficile : c’était d’aller rétablir l’ordre et la paix aux grands Carmes, dans le couvent de la place Maubert. Ils — 20 de conférences, un lieu destiné à des réunions, qui devaient être précédées ou suivies de promenades facultatives, sous les allées de tilleuls dont le jardin est entouré. Deux siècles moins quelques années avaient passé, avec bien des événements divers, sur le couvent des Carmes déchaussés de Paris, et ne leur avaient apporté que des accroissements et une prospérité enviée, quand éclata la tempête de 1789, qui al- lait couvrir la France de ruines. Les paisibles religieux que renfermait alors, en petit nombre, cette maison, naguère si florissante, virent, un jour de cette môme année , des dangers dont on les menaçait depuis longtemps, auxquels même plu- sieurs n’avaient pas voulu croire, fondre enfin sur eux par une catastrophe : on vint leur signifier qu’ils étaient libres, c’est- à-dire que, dépouillés de riieritage de leurs pères, il ne leur était plus permis de vivre ensemble, dans l’asile qui avait abrité leur jeunesse. Il fallut vider le couvent, et un écriteau, ar- boré sur la porte d’entrée, annonça que cette maison était de- venue propriété de la nation. Personne ne peut dire ce qui fut fait du mobilier, d’un certain nombre de tableaux précieux et d’autres objets d’arts relatifs au culte, ni de la bibliothèque, qui était nombreuse et en bon état. Qu’allait faire la nation de sa propriété? Les calamités pu- bliques ne tardèrent pas à en déterminer l’emploi. Toutes les prisons étant bientôt encombrées, les anciens couvents furent trouvés propres à devenir, sous le nouveau régime, les supplé- ments des prisons. La Maison des Carmes commença à se peupler dès le 12 août 1792, le surlendemain d’une des plus fameuses journées de la révolution. Enhardis par leur victoire sur la puissance royale , les révolutionnaires se hâtèrent de mettre à exécution les décrets récents de l’Assemblée législative contre le clergé... Par ordre des comités de sections, on se mit à la recherche des ecclésiastiques signalés pour avoir refusé de prêter serment à la constitution civile de l’Eglise de France. On alla les saisir, dans leur domicile, au milieu de leur famille, ou dans les églises et au pied des autels. Une première journée de perquisition amena aux Carmes soixante prêtres environ, parmi lesquels on voyait trois prélats, qui étaient J. -Marie du Lau, archevêque d’Arles, et deux frères de l’illustre famille de la Rochefoucault, l’un évêque de Beauvais, l’autre évêque de Saintes. Il n’y avait, contre celui-ci, aucun mandat d’arrêt, mais il ne voulut point quitter son frère, auprès duquel il se trouvait au moment où on vint le saisir, et déclara que n’étant pas moins coupable que lui de fidélité à sa religion, il devait partager son sort. On n’avait rien disposé, dans l’ancien couvent, pour rece- voir les prisonniers. Toutes les cellules, toutes les chambres avaient été dévastées-, il n’y avait ni matelas, ni couvertures, ni couche d’aucune espèce-, on prit le parti de les déposer tous dans l’église, et ils y passèrent une première nuit couchés sur les dalles ou assis sur les degrés et les marches de l’autel et du sanctuaire. Jamais prison ne fut mieux accommodée au carac- tère des détenus : la maison de Dieu redevint une maison de prières et un lieu de sacrifices. Le lendemain et les jours suivants, le nombre des prêtres in- carcérés s'accrut j iis purent se compter près de deux cents autour des trois vénérables évêques. On continua de les garder dans l’église ; des matelas leur furent distribués, mais ils eurent d’autant plus à souffrir de l’encombrement, que les trois pre- miers jours la réclusion fut sévèrement maintenue; jusqu’à ce que, l’infection de l’air étant devenue insupportable, les mé- decins prescrivirent de les envoyer respirer l’air dans le jar- din une heure chaque jour, après la chétive réfection qu’on appelait leur dîner. Tous les prêtres réfractaires (comme on parlait alors) dont on put s’emparer ne furent pas renfermés aux Carmes : d’au- U — accompagne ces mots de deux coups de sabre l’un sur l’autre, qui blessent le prélat à la tête sans l’abattre; un troisième coup lui fend le crâne ; il tombe, mais il respire et se meut en- core; alors un des bourreaux lui enfonce sa pique dans la poi- trine; il ne peut retirer le fer qu'en pressant du pied le corps expirant de sa victime. Tous ceux qui ne sont pas frappés au même instant fuient épouvantés; ils se dispersent par tout le jardin; vivement poursuivis, atteints par les balles, par le fer, assommés, percés, massacrés, ils jonchent de leurs cadavres, ils trempent de leur sang tous les carreaux, toutes les allées; quelques-uns tentent d’escalader les murs d’enceinte, mais, ra- menés par un sentiment généreux, la plupart reviennent se mettre sous le fer meurtrier, et partager les périls et la gloire de leurs frères. Un certain nombre se réfugient aux pieds d’une statue de la sainte Vierge, qui était demeurée dans la salle des conférences. Il leur semblait doux de mourir pour leur foi sous les regards tutélaires de la reine des martyrs. Leur attente ne fut pas trompée : les dalles et les bancs circulaires de cette salle furent bientôt couverts de corps expirants, et le sang qui cou- lait à flots imprégna ces lieux de ces taches profondes que le temps n’a pas encore effacées, et que la piété conserve et vé- nère comme de précieuses reliques. Enfin, il n’y avait plus debout, dans le jardin , que les égor- geursqui, tout couvertsde sang, el presque tous ivres, plus sem- blables à des bêtes féroces qu'à des hommes, lançaient de tous côtés leurs regards avides de carnage. L’ivresse les avait altérés même de sang, et quand on vint leurdire qu’une soixantaine de leurs proies, réfugiées dans l’église, leur avaient échappé, ils se précipitèrent avec furie vers la porte, qui conduisait à ce der- nier asile des hommes de Dieu. Mais là ils furent arrêtés par le commissaire Violet, envoyé en toute hâte par les ordonna- teurs du massacre, non pas pour y mettre fin, mais pour y mettre ordre, c'est-à-dire pour le faire exécuter d’une certaine manière, qui eût quelque semblant d’une exécution juridique. — 25 C’était ainsi qu’on procédait à l’Abbaye. Ceux des Cai mess’y étaient mal pris. Ces hommes, naïfs dans leur férocité, n’a- vaient pas imaginé de moyen plus expéditif pour purger au plus vile le sol de la patrie, comme on le leur avait enjoint. Ils furent donc retenus, par le commissaire de la commune, sur le seuil de la porte du jardin. Lcà, rangés de chaque côté du per- ron, le sabre au poing et la pique en arrêt, ils devaient at- tendre leur* victimes, et un juge, assis devant un tribunal im- provisé, allait les leur envoyer, une à une, avec un mot d’ordre qui joignait la perfidie et la dérision à la cruauté. Elargissez. qui signifie en français en\liber(é, devait se traduire, dans l’argot de ces bourreaux, par massacrez. Aussi, dès que cette porte, que l’accusé, qui se croyait absous, avait vu s’ouvrir comme l’issue inespérée d’une longue et cruelle angoisse, se »efermait sur ses pas, la mort le frappait en même temps que ï’efTroi, et il expirait avant d’avoir eu le temps de s’étonner ou de se plaindre. Tous y passèrent, par cette porte fatale. Pierre- Louis de La Rochefoucauld, évêque de Saintes, y vint à son tour. Il manquait François-Joseph, son frère, l’évêque de Beau- vais. On le cherche, on l’appelle. Il gisait dans l’église, couché sur son matelas, blessé d’un coup de fc*u à la jambe et perdant beaucoup de sang. A la voix brutale qui l’appelle, il répond’ d’une voix mourante : « Je ne refuse pas de me rendre, mais je ne puis marcher; voyez et venez m’aider. » Ils vinrent, ils l’ai- dèrent ; on le jugea, et ils le tuèrent. Ce fut la dernière des vic- times immolées sur le perron. Trois prêtres seulement purent se dérober sains et saufs au carnage, entre autres, l’abbé Potel, (|ui a vécu ensuite à Paris jusque vers ces dernières années. Cinq autres furent mis à part après la sentence, retenus auprès du commissaire par des sol- dats touchés de compassion, ou par le commissaire lui-même. Ou les dépouilla de la soutane, et ils échappèrent ainsi à la mort. De ce nombre fut l’abbé de Montfleury, aumônier du roi. L’abbé de la Pannonie, grand-vicaire de l’archevêque 4 28 — pour peu que sa conscience lui rendît témoignage de son inno- cence, de son honnêteté, de ses sentiments religieux, se figu- rait, en entrant dans ce grand et fameux abattoir d’hommes, qu’il franchissait le seuil par lequel il devait sortir de la vie. Aussi ne voyait-on aux Carmes rien de semblable à ce qui avait fait dire de quelques autres prisons de Paris, que la bonne compagnie y avait transféré ses salons. Là chacun avait sa cel- lule et y demeurait enfermé ; les longs corridors qui se croisent dans les deux étages étaient déserts et silencieux-, les prison- niers, qui avaient déjà dit adieu à la vie, ne prenaient plus au- cun soin de leur personne ni de leur tenue ^ peu d’entre eux allaient se promener au jardin, comme s’ils avaient craint de fouler aux pieds, sans le savoir, quelque empreinte d’un sang vénéré. L’image des martyrs du moins y était toujours pré- sente, par la terreur qui se mêlait à leur souvenir; et plus d’une fois sans doute un de ces honnêtes criminels, errant seul dans ces allées sombres, avait cru, dans sa rêverie, entendre l’écho des cris de mort. Néanmoins, en peu de temps, la prison des Carmes se remplit de nouveau, et lorsque, au mois d’août 1793, on y amena quelques girondins, qui depuis plusieurs jours étaient séquestrés au Luxembourg, dans l’ancien couvent des Filles du Calvaire, il fallut les loger dans les greniers. Ils y furent entassés, et lit- téralement alors la prison se trouva pleine jusqu’au comble. Les girondins ne demeurèrent pas longtemps aux Carmes: vers la fin de septembre, ils furent conduits à la Conciergerie, où ils restèrent jusqu’au jour de leur exécution (26 octo- bre 1793). On leur a voulu attribuer un certain nombre d’in- scriptions, dont les murs d’une mansarde sont couverts. M. de Lamartine a adopté cette tradition, et a fait, dans son Histoire des Girondins, une description de cette chambre, où l’on trouve à grand’peine quelques traits de ressemblance avec la vérité. Nous allons d’abord rétablir l’exactitude des faits, par une reproduction exacte et littérale de ce que nous avons ac — 29 — tuellement sous les yeux; ensuite nous rechercherons à quel point on peut être fondé à attribuer ces traces aux girondins. La chambre dont il s’agit est une mansarde (cabinet sous toit), construite en cloisons et plafonnée, ouverte au nord par deux lucarnes sur le jardin du couvent. Elle a 6 mètres de lon- gueur, 4 de largeur, sur 2,50 de hauteur du côté le plus haut, car ce plafond, Iraversé par une poutre, s’inclin<‘., comme le luit, du côté du jardin. Les murs de cette chambre sont couverts d’inscriptions, à l’ouest, au sud et au nord. Le côté oriental, ayant eu besoin de quelques réparations, pour que le réduit pût loger un domes- tique, on l’a recrépi et reblanchi de manière à tout effacer. Voici le tableau des inscriptions du côté occidental : tout au haut, sur une poutre, on lit : A Destolirnelles, mis en Jiberlé le 19 Üiermidor. Il échappe à la hn au sort le plus funeste ; Il n’est plus avec nous, mais son esprit nous reste. Et au dessous : Ses vertus instruisent ses amis; elles ont même droit de servir d’exemple aux autres hommes. Faut boire a sa santé, à santé; buvons à santé, à sa santé! (Pitr ses camarades de chambre.) Sur la môme poutre et à la suite_, on lit ces deux qtiatrains : Qu’es-tu sans le courjge, infortuné mortel? Succotnbanl au madheur, lu le rends plus cruel. • L’esclave vainement Inlte contre sa chaîne ; L’intrépide la porte et le lâche la traîne. iiV vrai républicain fuit un lâche repos , Jamais pour son égal ne sent l’idolâtrie; li respecte le sage, honore le héros, lit n’adore, après Dieu, que sa seule patrie. — 32 — Ensuite, des inscriptions sont distribuées dans deux cadres A gauche, trois strophes d’une ode sous ce litre : Profession de foi religieuse et politique. Ne croyez point l’impie et l’erreur téméraire : Ainsi que la verlu le crime a son salaire; Le juste, dans son cœur, goûte un plaisir touchant ; Tous les moments pour lui s’écoulent pleins de charmes ; Les remords, les alarmes Déchirent le méchant. Le juste est le mortel vaillant et secourable Qui nourrit, qui détend, éclaire son semblable, Qui du bonheur public fait son plus doux plaisir : Quand le devoir commande, il voit la mort sans crainte Et pour l’amitié sainte Il sait aussi périr. Mats le mortel pervers est le dur égoïste Qui méprise la loi, qui toujours lui résiste; Qui d’un frère souffrant jamais n’entend la voix, Qui fait d’un vil trésor sa passion chérie, Le traître à sa patrie, Le lâche ami des rois. Qui si spera Au-dessous, ces vers d’Horace : Orandum est ut sit mens sana in corpore sano, Fortem posce animum et mortis terrore vacantem Qui nihil invideat^ qui vilem nesciat iram. Et après, cette première strophe de l’ode iii du liv. iii : Justum et tenacem propositi virum Non civium ardor prava jubentium Mente quatit solida. Et cette maxime : Dulce et décorum Pro patria mori. Un vers italien : fo non son reo, non lo saro mai. — 33 Puis une maxime en langue d’oc : Fay que doy, Advienne que peut, (sic.) Au-dessous une strophe : Spcrai infestis, metuit secundis Alteram sortem bene prœparatum Pectus, Non si malè nunc^ et olint Sic erit. Et immédiatement au-dessous : Je laisse à des enfants et les cris et les pleurs ; Homme, je sais en homme endurer les malheurs. En grosses lettres : Potius mori quam FœdarL Enfin, en une écriture toute différente, moins soignée ; Rebus in arduis^ facile est contemnere vitam Fortiter illc facit, qui miser esse potest. A droite, Sur deux colonnes ; première colonne, de haut en bas : Bannis toute idée importune, Sois grand, sois homme dans les fers ; 11 n’est que d’une âme commune De s’affaiblir dans les revers. Fais face au malheur qui l’opprime ; Une espérance légitime Doit te munir contre le sort ; L’air siffle, une affreuse tempête Aujourd’hui menace la tête : Demain tu seras dans le port. n Cui virtus non deest llle Nunqiiam omnino miser. Peuple, hais la calomnie : Ses criminels attentats 5 36 ~ h tant d’écriture^ ensuite, avec des caillots de sang, il est à peu près impossible d’écrire d’une manière aussi nette, aussi propre, aussi égale qu’on a fait toutes ces inscriptions. 11 est beaucoup plus probable que les détenus se sont servis de l’encre qu’ils avaient à leur dispositian, et qui, trop chargée de sulfate de fer (vitriol vert), est devenue rougeâtre par l’oxydation. Quoi qu’il en soit, la teinte de la plupart de ces inscripiions s’est tel- lement affaiblie, que quelques-unes se lisent à peine, et qu’une autre main que celle qui les a écrites en a fait ressortir quel- ques autres, en les suivant exactement avec du crayon noir ou du charbon. Maintenant, à qui ces inscriptions doivent-elles être attribuées? L’une d’elles, la plus remarquable sans contredit, quant au style, quant à la noblesse des sentiments, la vérité des pen- sées, est signée Destournelles. Le personnage est connu : Des- tournelles a été ministre des finances en 93, Il fut appelé comme témoin dans le procès des girondins. Là sa conduite ne fut pas exempte de quelque faiblesse; il hésitait à dire ses prénoms ; il se fit faire même l’injonction de les prononcer ; enfin, s’excusant sur ceux qui lui avaient donné le jour, il avoua, comme une faute, comme une lache, dont il pria le tri- bunal de ne pas le punir, qu’il avait prénom Louis. Etait-ce aversion sincère? Etait-ce crainte pusillanime ? Toujours est il qu’on ne reconnaîtrait point dans cette petitesse l’auteur de tant de maximes d’un courage si élevé, si l’on ne savait qu’autre chose est de faire parade de grandes vertus, autre chose est de les pratiquer. La conduite et le caractère de Des- tournelles ne démentent donc point sa signature. Les vers qu’il a signés sont bien de lui; mais les autres ? Il en est beau- coup qui se ressentent trop des exigences de la rime et de la mesure, et qu’un poète jaloux de sa réputation n’aurait pas si- gnés ; aussi sont-ils anonymes. Mais dans une certaine identité de ton, de tournure, d’idées, on reconnaît le même esprit, le même cœur; on voit partout l’expression, un peu emphatique. — 37 — d’une âme jeune, ardente, sincere, plus* munie de vertu stoï- cienne que de résignation et d’espérance chrétienne. Enfin , ce qui achève de conduire à la conviction qu’on voit l’ouvrage de la même main, c’est la parfaite similitude de l’écriture : ca- ractère net, correct, dans ce beau genre français qu’on appelait alors bâtarde et qu’on ne retrouve guère plus aujourd’hui que dans les parchemins des deux derniers siècles. Cependant une de ces inscriptions fait mention de Destour- nelles lui-même, de sa libération. Celle-ci est encore en vers. Elle n’a été ni composée ni écrite par lui : aussi le caractère de l’écriture, quoique du même genre, est-il un peu différent. D’autres inscriptions, en petit nombre, sont, les unes en belle coulée, les autres en une mauvaise écriture, qui n’a point de nom; il en est une en lettres moulées. Au résumé, il y a lieu d’attribuer la plupart deces vers, français et latins, à Destour- nelles, qui fut incarcéré, à titre de suspect, dans les derniers temps de la tyrannie de Robespierre, et à quelques-uns de ses amis. Les girondins, je crois, y sont demeurés complètement étrangers. Quant aux maximes tirées de l’Ecriture-Sainte, qui sont citées par M. de Lamartine, et qu’il dit avoir lues dans cette chambre, l’une est au-dessus de l’entrée d’un corridor latéral, en ces termes : « La voie qui conduit à la vie est étroite; » l’autre a été transportée, si elle n’y a pas toujours été, au-dessus de la porte de la salie des exercices des Dominicains. Pieprenons l’histoire du couvent. La justice de Dieu aya[it frappé, en 1794 (le 23 juillet, 9 thermidor), cet homme dont elle avait fait assez longtemps l’instrument de sa vengeance, les esprits se rassurèrent et enfin on respira. Un long soupir, un cri de délivrance se fit enten- dre dans les prisons de Paris, où le cauchemar de la mort oppressait jour et nuit tant d’infortunés, et pour rendre les détenus, les suspects, aux embrassements de leur famille, qui les avait pleurés vivants comme s’ils n’étaient déjà plus, il n’y — 40 — sère et de chagrin. Deux sœurs de la même famille étaient en même temps détenues dans les cachots- elle demeura donc la seule consolation de son père, mais bien impuissante, car elle ne pouvait le voir, et n’échangeait avec lui quelques lettres qu’avec beaucoup de difficultés et de grands risques. La porte de la prison était gardée par un sacrilège déserteur du sanc- tuaire, qui n’avait rien de plus en horreur que la vue de l’inno- cence et de la fidélité. Un jour, cependant, après la mort de sa mère, une tentative plus heureuse que les autres, dit lauteur de sa Vie lui prcoura la triste satisfaction, non pas de parler à son père, mais de l'apercevoir dans sa prison. « Ce fut par l’entremise du valet » de chambre de M. de Soyecourt, ami du cuisinier de la prison » des Carmes, qu’elle obtint cette faveur. Elle monta dans les » corridors attenants aux chambres des détenus et vit, par une » fenêtre, son infortuné père qui se promenait dans le jardin. » Il la reconnut aussitôt, et voulant cacher à sa fille chérie )) son émotion et les larmes qui inondaient son visage, il » enfonça vivement son chapeau sur les yeux; puis, lui en- » voyant un affectueux baiser, il lui fit signe de la main de » se retirer au plus vite, car ceux qui approchaient de cette » fenêtre étaient arrêtés et condamnés à mort. Elle s’arracha » donc, l’âme bouleversée, de ce lieu qui renfermait l’objet de » sa plus tendre affection, m mais le souvenir en demeura ineffa- çable dans son esprit et dans son cœur, car ce regard fut le dernier entre la fille et le père. M. de Soyecourt prolongea quelques mois encore sa doulou- reuse agonie, chaque jour voyant naître et expirer une espé- rance, chaque jour pouvant être la veille du jour de la mort. Son arrêt fut enfin prononcé et sa fille, séquestrée aux Mou- linaux, apprit un matin par un crieur public, le 23 juillet, cinq jours avant la mort de Robespierre, que le condamné Soye- court avait été exécuté, et ses biens, qui étaient considérables, confisqués. Maison n’eut pas le temps de les vendre. — 41 La terreur passée, le calme étant revenu, l’ordre et la loi reprenant un peu empire, madame de Soyecourt, la carmélite, celle qui tenait, au service de quelques prêtres et de ses ancien- nes sœurs, la chapelle et l’asile de la rue Saint-Jacques, fut appelée à prendre possession de l’héritage de son père. Elle y répugnait, elle hésitait, se croyant toujours liée par son vœu de pauvreté religieuse. M. l’abbé Emery fut consulté, et ce fut à cette occasion qu’il écrivit le mémoire qui est resté de lui sous ce titre : Les religieuses peuvent-elles aujourd'hui, sans blesser leur conscience, recueillir des successions et disposer par testament? Il n’était pas douteux, en effet, que les religieuses n’eussent alors un bien meilleur emploi à faire de leur patrimoine que de le laisser entre les mains de l’Etat. L’Eglise était dépouil- lée de tous ses biens, et il y avait partout des autels et des temples à relever, une existence à rendre possible aux véné- rables restes du clergé fidèle et à une multitude de religieux dépossédés. Consacrer à cette œuvre de restauration des ri- chesses temporelles, c’était aussi pratiquer, et d’une manière bien utile, le renoncement et l’abnégation. Le couvent des Carmes ayant été rnis en vente dans le temps même où madame de Soyecourt reprit possession de ses biens, ceux qui la conseillaient n’eurent point de peine à lui persuader d’en faire l’acquisition. Le souvenir de son père l’y rappelait. Elle se faisait une douce consolation de revoir et de posséder cette cellule où il avait tant souffert; en outre , ce couvent n’avait-il pas été bâti, habité, sanctifié par des enfants, comme elle, de sainte Thérèse, et enfin un cœur chrétien, un cœur inviolablement attaché à la sainte Eglise, devait regarder cette terre, ces murs, comme consacrés à Dieu et à Jésus-Christ par le sang des martyrs, et ne pas permettre que ces lieux à jamais vénérables fussent encore profanés et souillés, comme ils ve- naient de l’être dans ces dernières années. On fit donc l’acquisition du couvent des Carmes au nom 6 — 44 — » jusqu’en janvier 1798. A cette époque, le directoire fit arrê- M ter et conduire hors de France, comme impliqué dans l’af- )) faire Brottier, M. de Pancemont. Son clergé se dispersa, et M le gouvernement, croyant que l’église appartenait à cet » ecclésiastique, y fit mettre les scellés. La mère Camille, » assistée de quelques personnes dévouées, se hâta de faire » des réclamations, qui, après bien des difficultés, furent » enfin accueillies. Le clergé de Saint Sulpice reprit ses fonc- » tions dans l’église des Carmes et y resta jusqu’au concordat » de 1802. » La salle de conférence des Carmes, dont nous avons déjà parlé, ce petit édifice, au fond du jardin, dans lequel Mgr Du- lau, voyant venir les assassins, avait donné sa bénédiction à quelques prêtres qui l’entouraient ; la chapelle des martyrs, comme on l’a appelée depuis, fut l’objet d’un soin particulier pour Mme de Soyecourt. Elle fit réparer cette salle, où Ton voyait encore sur les murs l’empreinte de balles, et sur les dalles, des taches de sang; elle fit en sorte que ces précieuses traces ne fussent point effacées, et disposa ce lieu vénéré en chapelle, où l’on pût offrir le saint sacrifice. La chapelle fut bénite et dédiée à saint Maurice et ses compagnons, le 15 mai 1815, et M. Legris-Duval prononça, à cette occasion, un des plus touchants de ses éloquents discours. Depuis cette époque jusqu’en 1830, tous les ans on célébrait dans l’église des Carmes, le 2 septembre, la mémoire des mar- tyrs de septembre. On appelait cette pieuse solennité la fête de l’Expiation. Plusieurs fois, on y vit l’auguste et vertueuse fille de Louis XVI, agenouillée et comme abîmée dans le recueille- ment de la prière et la douleur, implorer pour la France, de la divine Miséricorde , le pardon du sang des rois et du sang des prêtres. « La mère Camille fit aussi réparer, dit l’auteur de sa Vie, les » caveaux destinés à la sépulture, après avoir obtenu la per- » mission d’y faire inhumer les religieuses qui habitaient avec — 45 — » elle ce sanctuaire d expiation. Onze d’entre elles y repo- » sent,... Plusieurs membres du clergé y furent aussi ense- » veliS:, sur la demande de la mère Camille : l’abbé Rigaud, » visiteur du Carmel ; l’abbé Delaunay, supérieur de la maison ; » les deux cardinaux de la Luzerne et de Beausset^ le pieux )) abbé Legris-Duval, moins élevé en dignité, mais non moins » distingué en mérite, exprimèrent tous, avant de mourir, le )) vœu que leur dépouille attendît, dans cette terre sainte, » l’heure du rappel à la vie. Plus tard, les lois civiles qui dé- » fendaient toute sépulture dans l’intérieur de Paris, furent )) plus rigoureusement exécutées. » En octobre 1803, un an après que le clergé de Saint-Sulpice eut repris ses fonctions dans sa magnifique église, on célébra, avec une pompe remarquable pour le temps, dans l’église des Carmes, le 15 octobre, la fête de sainte Thérèse. Le cardinal Antoine Barberin avait autrefois fait don aux Déchaussés d'une statue de la sainte Vierge, d’Antoine Raggi, d’après le dessin de Bernini. Cette statue, à la réouverture des églises, avait été placée à la cathédrale dans une chapelle. Madame de Soyecourt fît en vain des démarches pour qu’elle fût rendue à son église. — Le gouvernement y consentait; mais le chapitre de Notre-Dame s’y opposa. On la remplaça par le surmoulé en plâtre, qu’on voit encore dans l’église des Carmes (chapelle de la Sainte-Vierge). En 1806, le couvent des Carmélites était assez bien rétabli pour qu’on y pût recevoir des novices. La première y reçut le saint habit des mains du cardinal Spina, archevêque de Gênes. Il n’était, cependant, pas encore permis aux religieuses de pa- raître en public autrement qu’en habit séculier. Un événement, peu de temps après, vint troubler la paix de celte sainte maison et compromettre presque son existence. Madame de Soyecourt s’était hasardée à rendre quelques ser- vices à des cardinaux italiens qui, tombés dans la disgrâce de l’empereur, se trouvaient à Paris, dépourvus de toutes res- — 48 — une petite statuette attachée à son scapulaire : « Monseigneur, je prie beaucoup ma dévote sainte Vierge. — Et que vous dit- elle? demanda le prélat. — Qu’il faut que i’en finisse, répon- dit-elle en soupirant^ et que j’accepte les offres de Votre Gran- deur. Or, cette petite statuette, il est édifiant d’en savoir l’ori- gine. Le 25 février 1840, au rapport d’une religieuse carmélite qui a écrit des mémoires sur cette matière, une personne inconnue vint sonner au couvent et remit à la sœur portière une petite statuette de la sainte Vierge, qu’elle venait de trouver dans la vaste nef de Notre-Dame, sous une enveloppe à Tadresse de madame de Soyecourt -, c’était précisément le jour où le révé- rend père de Ravignan avait prêché l’oraison funèbre de Mgr de Quélen. Cette petite statuette fut regardée par cette sainte âme comme un signe de la faveur et de la protection que la Reine du ciel accordait à son couvent et la confirma dans la pensée qu’elle ne devait pas attacher l’espoir de la stabilité de sa communauté à sa résidence dans un lieu plutôt que dans un autre. Peut-être aussi que, sachant le fait très-semblable que nous avons rapporté au commencement de cette Notice, du Fondateur apporté dans une boîte, elle regarda cette image de la sainte Vierge comme une nouvelle fondatrice. Ajoutons toutefois que ce jour-là même un prêtre, digne par sa piété d’une haute confiance, ayant offert le saint Sacrifice dans l’intention d'obtenir de Dieu que sa volonté se déclarât, était venu dire à la mère que Dieu lui avait fait connaître d’une manière sensible qu’elle devait condescendre aux vœux et aux desseins de l’archevêque. Le traité qui transmettait au diocèse de Paris les propriétés du couvent des Carmes, fut donc conclu dans l’année 4842, mais il fallut encore quelques années, soit pour que les Car- mélites se pourvussent d’un autre local, soit pour la disposition claustrale de ce nouveau couvent, qu’on acheta rue de Vaugi- — 49 — rard, n° 86^ soit enfin pour que les religieuses, et particulière- ment la mère Camille, qui tomba malade et fut en danger de mou- rir, se trouvassent entièrement disposées à changer de demeure. On vit passer ainsi les années 1843 ot 1844^ et enfln, le 23 avril 1846, les Carmélites étaient définitivement établies dans leur dernière demeure. Après les y avoir conduites, la vénérable mère revint encore passer quelques jours de retraite dans son cher monastère des Carmes, répandre encore une fois, comme il est si bien dit dans Ami de la Religion ; « répandre une » dernière fois son âme devant cet autel si souvent témoin de » ses longues prières, et dire enfin, dans cette complète soli- » tude, un dernier adieu à cette maison sainte que sa générosité »^vait arrachée à la profanation. » Dès ce moment commence pour le couvent des Carmes une ère nouvelle, par laquelle nous achèverons ces notes sur son histoire. La pensée de Mgr Afîre, en acquérant, pour le diocèse de Paris, le couvent des Carmes, était d’y établir une école ecclé- siastique de hautes études. Les gens instruits de ce temps reprochaient assez volontiers au clergé de ne pas être, sauf quelques rares exceptions, à la hauteur intellectuelle du siècle. Le prélat, qui savait tout ce que lui avait laissé à apprendre le programme des écoles cléricales, désirait vivement donner satisfaction à l’opinion publique. Déjà, dans le séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, dans cette maison où, sous la direction de M. l’abbé Frère d’abord, puis par les soins de son élève le plus distingué^ aujourd’hui évêque d’Orléans, les études secondaires l’avaient emporté, à plusieurs égards, sur les écoles universitaires, il se faisait une préparation à la licence. Un jeune ecclésiastique, iVL l’abbé Gruice, avait eu le bon esprit et la générosité de se mettre au-dessus de certains préjugés ou de vaines craintes^ et, en venant s’asseoir devant la Faculté des lettres de Paris, pour subir lès épreuves de la licence et du doc- torat, il n’avait pas cru profaner la soutane. L’essai avait été 7 — 52 — VAnnuaire de l'école de 1850 ^ les autres, pour le succès des études, auxquelles elles apportaient le concours de leur talent et de leur savoir; parmi celles-ci, les anciens élèves de l’école conservent avec reconnaissance le souvenir des soins éclairés de M. Egger qui venait cinq ou six fois l’an leur faire subir des examens et corriger leur compositions, dans les conditions de la Sorbonne. Moins bien secondés, peut-être moins demandés par les be- soins de l’Eglise et de l’époque, les missionnaires avaient vu leur communauté s’amoindrir, et le service de l’église des Carmes leur devenait difficile et onéreux ; sur ces entrefaites, le père Lacordaire, qui venait d’étonner la France par une rétros- pective vccation, cherchait à fixer à Paris, dans un poste con- venable, quelques généreux néophytes qu’il avait engagés à revêtir, comme lui, la robe oubliée des dominicains. Mgr Afifre lui céda, pour dix ans, la partie du couvent qui pouvait être isolée, et, au grand profit du service divin et du temple, les nouveaux dominicains en devinrent les gardiens et les minis- tres. Ils y furent installés le 15 octobre 1851. Le fait fut an- noncé par VAmi de la Religion en ces termes : « Le révérend P. Lacordaire s’est établi dans l’ancien couvent » des Carmes, le 15 octobre, jour de la fête de sainte Thérèse. » Le vaste établissement et les jardins qui en dépendent ont été » coupés en deux, une partie deviendra le couvent des Domi- » nicains, l’autre reste à l’école Normale ecclésiastique. Ainsi, » deux institutions distinctes et entièrement séparées l’une de » l’autre, vont habiter les cloîtres qui reçurent successivement )) les religieux Carmes, les martyrs du 2 septembre, les prison- » niers de la république et les filles du Mont-Carmel. » Dès ce jour, en effet, deux communautés entièrement dis- tinctes et séparées, occupèrent le couvent des Carmes. L’entrée principale, par la cour de l’église, fut donnée à la communauté des Dominicains , et l’école des hautes éludes s’ouvrit par une porte cochère, rue de Vaugirard, puis par la porte de service du jardin, sur la place d’Assas (rue de Vaugirard, 76). L'église des Cannes échut aux Dominicains; la chapelle des martyrs fut dans le lot des ecclésiastiques de l’école. Et à ce propos,on lisait dans VAmi de la Religion ou avait à se féliciter de ce que les grands enseignements des martyrs de la foi allaient prendre^ par ce seul fait, une grande place dans l’esprit des jeunes ecclésiastiques, élèves de cette école, dont le clergé de France devait espérer tant de bien si, à une instruction supérieure, ils joignaient une solide vertu et un vrai dévouement sacerdotal. Nous allons suivre la marche de l’une et de l’autre de ces intéressantes institutions jusqu’à leur état actuel, état de pros- périté, si consolant pour l’Eglise. Ce sera le sujet de nos deux derniers articles. Ici nous sortons du domaine de l’histoire. La discrétion nous imposera des limites, et les bienséances ne nous permettront pas de livrer à la publicité tous les détails que comporterait un exposé complet. Nous avons dû nous borner à constater ce que tout le monde sait (et ce soin ne sera peut-être pas inutile pour l’avenir), et à décrire des lieux que tout le monde peut voir aujourd’hui, sans que personne puisse affirmer combien de temps encore on les verra dans le même état. Une partie de l’ancien couvent, avons-nous dit, est occupée par la communauté des Dominicains. C’est la partie la moins étendue, la plus intérieure, la plus claustrale. Ce sont les Dominicains qui ont réellement succédé aux Carmélites. Cette partie du couvent se compose de quelques cellules, au second étage, qui reçoivent une faible lumière de deux cours peu spa- cieuses et fermées de tous côtés; quelques chambres, au pre- mier étage, plus grandes, mieux aérées, mieux éclairées, quoi- qu’elles ne soient jamais visitées par le soleil que lorsqu’il se couche, s’ouvrent sur le grand jardin ; au rez-de-chaussée, on trouve les cuisines, les parloirs, l’ancien réfectoire et d’autres pièces nécessaires à toute communauté. — 56 des traces de sang qu’y auraient laissées des sabres déposés ou appendus, en cet endroit, après le massacre. Ce sont six rigoles à peu près parallèles deux à deux, qui descendent de la hauteur d’un mètre jusqu’à terre; à l’extrémité supérieure de ces lignes on a dessiné, assez imparfaitement, avec du charbon ou toute autre substance noire, des pommeaux d’épée. Tout en admettant qu’il y a là du sang, on conçoit difficile- ment, comment avec des sabres, on aurait pu faire des em- preintes si longues et terminées en pointe droite-, comment, avec des épées, on aurait pu les faire si larges et si flexueuses; comment, avec des piques et des baïonnettes, on ne les a pas faites plus haut. Il est enfin évidemment impossible que les pommeaux et les lames se soient appliqués en même temps sur le mur. Aussi n’avons-nous pas hésité à dire que les pom- meaux, qui sont d’ailleurs de couleur noire, ont été dessinés après coup. Quoi qu’il en soit, il faut louer la piété de M""" de Soyecourt d’avoir pris soin, pour conserver ces traces vénérables du sang des martyrs, de les garantir au moyen d’une vitrine appliquée au mur. La même précaution a été prise pour l’inscription signée Tallien, qui n’est pourtant que d’un intérêt historique-, et le respect pour cette chambre monumentale a été porté si loin par cette pieuse et intelligente dame, que certaines réparations ayant été exigées pour boucher certaines lézardes, tout ce qui a été fait à neuf est indiqué et distingué du vieil enduit, par une suite de petites croix, crayonnées sur le plâtre. Il est à regretter que dans la maison des hautes études on n’ait point suivi cet exemple pour la chambre dite des Giron- dinsy et que cette chambre soit abandonnée à la fantaisie des domestiques qu’on y k)ge. Les Dominicains tiennent constamment fermée la Chambre aux Épées^ et personne n’y habile. On a compris, par la courte description que nous avons faite — 57 du k)cal des Dominicains, qu’ils sont étroitement logés et peu commodément. Ils sont dédommagés par le délassement et l’exercice que leur permet le jardin, où ni l’espace, ni l’air, ni l’ombrage ne manquent, et surtout par leur belle église, la plus grande, la mieux ornée, la plus favorablement située de toutes les églises ou chapelles desservies à Paris par des ordres reli- gieux. Ils y exercent, par leur ministère charitable, une multi- tude de bonnes œuvres. L’église des Carmes s’ouvre sur la rue Vaugirard , au fond d’un cour. L’entrée du couvent est à la droite de l’entrée de l’église. Au-dessus de cette porte de l’église, et sous les pieds d’une statue, si peu caractérisée qu’on ne sait si l’artiste a voulu faire une femme ou un homme, sainte Thérèse ou saint Jean delà Croix, on lit cette inscription très-moderne : CETTE ÉGLISE EST LA PREMIÈIIE EN FRANCE CONSACRÉE A DIEU sous l’invocation de saint JOSEPH EN I6l3 PAR LA REINE MARIE DE MÉDICIS. ELLE: A ETE RESTAUREE EN l801 ET LE PORTAIL EN 1810. Le vaisseau se distingue par la réguiaritô de son architecture. Le style à la vérité n’y est en aucun point gothique il appar- tient à ce genre plus moderne, qui bien qu’emprunté à l’archi- tecture réputée païenne, ne laisse pas de répondre, par la noblesse de ses lignes, la largeur de ses formes, la grâce des contours, la justesse des proportions, aux plus saines idées que conçoivent les hommes de la majesté et de la perfection de Dieu. C’est une nef, en forme de croix, et couronnée d’un dôme, le plus ancien de ceux que les Parisiens ont admirés dans leurs monuments religieux ; peu élevé, il est largement éclairé, et bien proportionné à tout l’édifice. Yu de l’intérieur, le dôme est une coupole peinte à fresque; admirable invention de i’ar- 8 commission, en tôie de laquelle étaient MiM de Parceval et Petel, exécuteurs testamentaires de M. Liaiitard. Au-dessous du médaillon on Ut une inscription , qu’on per- mettra à la reconnaissance d’un ancien élève et à la vénéra- tion d’un successeur, de transcrire ici tout entière. PIÆ MEMORIÆ CLAUDII ROSALIÆ LIAUTARD PRESBYTERI PARISIENSIS NATI D. YII. APRIL. MDCGLXXIV, VITA FÜNCTI D. XVIII DEC. M.DCCCXLII. Qui adjuvantibus amicis duobus Ant; Joanne Baptista Augé et Armando Car. Bern. Froment, presbyteris Scliolam hodiè Stanislai nominatam, condidit, auxit Florentem frequentemque successoribus tradidit. Yiro de religione, patriâ, juventute bene merito Quisquis es æternam ora pacem. ^lentionnons enfin , comme un des plus précieux titres de cette église à la piété des fidèles, qu’elle est dépositaire des cendres de plusieurs illustres et saints évêques, indépendam- ment de NN. SS. de Quélen et Affre^ que nous avons déjà nommés. Là ont été ensevelis, comme l’attestent des plaques de marbre incrustées aux piliers , le cardinal de Beausset , le cardinal de la Luzerne, Mgr de Bovet et M. l’abbé Legris Du val. Ce sont autant de noms vénérés par toute l’Eglise de France. Nous n’avons rien à ajouter sur le couvent des Dominicains. Chaque jour^ dans cette sainte retraite, ressemble à celui qui l’a précédé : il se partage entre la prière, l’étude et les bonnes œuvres. Revenons maintenant, et pour terminer cette Notice, à l’é- cole des hautes études ecclésiastiques, dont nous avons déjà dit quelques mots. Etablis dans l’ancien couvent, avant les Dominicains, les ecclésiastiques des hautes études ne leur ont cédé, et cela encore momentanément, que la partie du local, dont ils n’avaient pas besoin. Aujourd’hui, l’œuvre des hautes études a pris un tel accroissement, qu’elle est à l’étroit — 61 dans ia partie qu’elle s’était réservée. Un des faits les plus im- porlants de ce développement a été la restauration et l’agran- dissement du petit bâtiment que nous avons vu au fond du jardin, et qui a pris, à juste titre, le nom vénéré de Chapelle des Martyrs. Après avoir décrit cette chapelle, nous dirons un mot de l’école annexe laïque et de l’école des hautes études ecclésiastiques proprement dite. Un édifice des plus simples, mais sur un plan bien conçu, s’est élevé, par les soins de M. l’abbé Cruice, au-devant du petit bâtiment, et s’y est relié. Le petit bâtiment, plus étroit, plus bas que le nouveau, dont il est séparé par la table de communion, n’est plus que le sanctuaire de la nouvelle cha- pelle. Voûté, revêtu de boiseries, ne recevant qu’un demi-jour, il respire le mystère et inspire le recueillement. C’est que, in- dépendamment de ia présence du Dieu caché, il y a là le sou- venir des martyrs de !a foi. Sur six panneaux des parois laté- rales, on a écrit, en lettres d’or, sous cette inscription : Hic pro fidecatholicanecatisunt, die tertia septembris MDCCXCXii (1), les noms des saintes victimes. Deux plaques de marbre blanc, de chaque côté de l’autel, ont été consacrées à la mémoire des trois prélats qui furent enveloppés dans le massacre ; des ins- criptions, choisies avec autant de discernement que de piété, expliquent le dévouement des martyrs, et font parler, en quel- que sorte, ces morts illustres, pour élever les vivants à la hau- teur de leurs sentiments et de leur foi \ Defuncti, adhuc îo- quuntur (2). Du côté gauche on lit : Afflictio æstiniata est exitus eorum et exterminium quod nobis est iter, .... . \ illi autem sunl m pace (Sap.) (3). (1) Ici furent égorgés, pour la foi catholique, le 3 septembre 1792.... (2) Morts, ils parlent encore. . (3) Leur fin nous a semblé une affliction; nous les avons crus extermi- nés, à cet instant qui n’est pour nous qu’un passage ; eux, au contraire, ils sont allés jouir de la paix. m ê. — 64 — ranties d’uiie instruction portée au niveau de l’enseignement public le plus élevé (1). A côté de l’école préparatoire^ l’école ecclésiastique s’est sou - tenue, mais elle ne s’est pas accrue au même degré. Elle s’est soutenue par le zèle et la capacité du directeur, par le bon choix des professeurs, par le bon esprit qu’on a eu dans quelques maisons d’éducation ecclésiastique (*2) et dans un petit nombre de diocèses, d’y envoyer des sujets pour les former à l’enseignement (3). Elle n’a point prospéré en rai- son de son utilité, soit parce que les avantages qu’elle offre n’ont pas encore été assez généralement sentis, soit parce que les besoins de l’Eglise laissaient en dehors du saint ministère trop peu de sujets disponibles pour l’enseignement. Le cadre n’en est pas moins complet, et chaque année voit cet établisse- ment essentiel acquérir de nouvelles ressources, perfectionner ses moyens et consolider son organisation. (1) La science ne suffit pas à celui qui s’offre pour donner de Tins Iruction. On lui demande encore une garantie, et la plus sûre est dans les grades. On peut converser avec facilité et agrément ; on peut prê- cher avec éloquence ; on peut mettre au jour un livre fort savant sans presque rien savoir ; mais des émules, des rivaux, des juges, ne se payent pas de monnaie factice ; et quand on est sorti victorieux de la lutte ou de l’épreuve, c’est qu’on était assez fort, pour que la palme ne pût être re- fusée. (2) Entre autres, la maison des Chartreux de Lyon ; et il est à remarquer que le besoin d’une instruction supérieure ait été particulièrement senti et apprécié par cette élite d’ecclésiastiques que leur instruction littéraire avait déjà placé à un rang si distingué dans le clergé enseignant. (3) Ceux de Québec (Louisiane), de Bordeaux, de Rennes, de Nantes, etc. 21 lû wfme fibrairte : mauence «les IPère» «le l’Église sur l’Éducatîon pubUqMe pendant les cinq pveùiieis siècles de l’ère cbrétienne» par M. l^abbé LALANKE. 1 ‘VoK in- IlisCoEre «le l’AbIsaye «I© Clumy, suivie de nombreux fragments de la cor- respondance de Pierre* le- Vénérable et de Sainl-Berpard v par M. P. LORAIN. * ^ 6 fr. 4 vol in-8", 2® édit. ilisfoire «le l’Abbaye «le MorIii«on«l, 4® fille de ÇE.lcaux, avec les pnnci- , paux Ordres milnaircs d’Espagne et de Portugal ; ouvrage publié sous les auspices, de Mgr Parisii, par M. l’abbé DüBOlS. 2« édit. \ beau vol. in-8- orné d^une carte. Essai blslorlqttc »«r l’Abbaye «le Siolesme», suivi de la description de l’église abbatiale, avec l’cxpUcatiou des monuments qu’elle renferme. In-8«. 2 H. alsfire rcllgle«*e die l’cgll^e de Ht.-» .dcs-AIctalrea et de l’Archiconfrérie du Très-Saint et Immaculé Cœur de Marie ; par M. l ab e BALTRASAK. I vol. iu-l2, omé d’uue belle gravure sur acier de la cbapelle^ de N.-D.-des-Vicloires. uutoire ae l égU.e Solnte^tsencvlève. P.lronne it Paris el Je 1. Fraise (ancia» tanlbéon P« «• Ouin-Lacboix. Ouvrage ame de tO dessins par F. Legrif. t >ol in-8“. '* Hçmo cUrcMcnae, au Tableau hislori<,uc Jes Suuvenirs el des Monumculs chté- licns de Home ; par M. Eugène de La GoïBNEKIB. 2 vul. m-8". f- Illslolrececlèsiaslique, «' 'I" P" *'• E^**®''*®**'- 1 D ir« 3 vol. in-8% vie desaint Vlacen» Perrlcr, de l’Ordre de Sainl-Douiinique, par M. l’abbé BAÏLE, aumbuier du Lycée de Marseille ; suivie du Traita de (a vie epmiuelle, par saint Vincent Ferrier. I vol. iu-8‘’. ‘ ‘ — Le mémo ouvrage, sans le Traité de la vie ^firitudle et les Appendices. 1 vol. , 3 fl . bO (. iu-l8angl. £««ui«8C historique su, le cardinal McBBOfanll, pal A. Majiavu. 2' éJil., revue el augiu. I vol ii,-8’or»é d’uue gravure. 3 fr. bd c. tacordalre (Biographie du B. P.), “• «« etmy. Grand in-8“ avec porlrail el fac-similé. ^ Études historiques cL poliiiqucs sur l’Allemasne contemporaine, par M. l’abbé E. DB CabALÉS. 1 vol. grand in-18 anglais. 3 Ir. 5« c. Vpvsailles. — Imprimirie de l’E.W jeune, rue de l’Orangerie,