DECALOGUE P O S T U L A T U M D E S É V E Q U E S D U C O N C I L E ELIE A R I S T I D E ASTRUC GRAND-RABBIN DE BELGIQUE B R Ü X E L L E S FERDINAND CLAASSEN, LIBRAIRE-EDITEUR TOUS DROITS RESERVES Toute personne qui aurait droit à un, exemplaire et ne l'aurait pas reçu est prié de le demandera M. V A N G E L D E H , 23, rue de Bavière. Bruxelles. — Typ. de Ch. et A. Vanderauwera. L E DECALOGUE RÉPONSE A U P O S T U L A T U M D E S É V Ê Q U E S D U C O N C I L E PAR É L I E A R I S T I D E ASTRUC, GRAND-RABBIN DE BELGIQUE B R U X E L L E S FERDINAND CLAASSEN,' LIBRAIRE-ÉDITEUR 8 6 , R U E DE LA M A D E L E I N E 1870 TOUS DROITS RÉSERVÉS. CONSISTOIRE ISRAÉLITE DE BELGIQUE. E X T R A I T D U R E G I S T R E D E S P R O C È S - V E R B A U X Séance du 10 juin. PRÉSIDENCE DE M. L A S S E N . M. le président rend compte d'un incident qui a eu lieu dans la salle des séances dimanche dernier, premier jour de Pentecôte, à l'issue du service religieux : Vous avez tous, dit-il, entendu le sermon que notre vénérable grand-rabbin a prononcé sur le Décalogue; après avoir exposé les dix commandements et signalé, avec cette éloquence que vous lui connaissez, la morale qui en découle, notre vénérable pasteur a saisi cette occasion pour démontrer la grandeur des principes de paix, de tolérance, de justice et de raison que prescrit le Judaïsme, et il a fait allusion à la célébration du jubilé que prépare le clergé de notre ville, en souvenir d'une prétendue violation d'hosties qui aurait eu lieu il y a 5oo ans, à Bruxelles (i). (1) En i3-jo on accusa les Juifs d'avoir enlevé des hosties consa- crées dans l'église de Bruxelles et de les avoir percées à coups de cou- — 6 — A la sortie du temple, notre salle de réunions générales était envahie par les fidèles, qui m'ont entouré pour m'en- gager à remercier, en» leur nom, M. le grand-rabbin de son excellent sermon. Je n'ai pas besoin de vous dire, mes chers collègues, combien cette mission me fut agréable, tout en ayant le regret de ne pas avoir pu, à l'improviste, trouver des paroles assez dignes de la circonstance. Voici, mes chers collègues, en substance, l'allocution que j'ai adressée à M. le grand-rabbin, qui, à son entrée dans la salle, a été reçu par des applaudissements pro- longés : « Monsieur le grand-rabbin, » Vos fidèles ouailles n'ont pas voulu quitter le temple » sans vous exprimer leurs sentiments de reconnaissance » pour votre beau sermon d'aujourd'hui. » Ce n'est pas cette éloquence seule, à laquelle vous les » avez habitués depuis longtemps, qu'ils ont de nouveau » admirée, mais c'est surtout la conviction avec laquelle » vous avez démontré la divinité des principes qui font la » base du Judaïsme, conviction sortie de votre âme et » que vous avez su leur communiquer. » Interprète des sentiments de dévouement de nos core- » ligionnaires ici présents, je vous prie, vénérable grand- » rabbin, d'accepter aujourd'hui leurs félicitations qu'a pour » but d'exprimer la démonstration toute spontanée qui les » réunit en ce moment. » teau. On mit les anciens de la synagogue à la torture, ils furent tenaillés et brûlés vifs, et tous les Juifs du Brabant, dépouillés de leurs biens, furent expulsés. Un jubilé fut institué pour rappeler le souvenir de ces faits; la célébration en est annoncée pour le 17 juillet prochain. — 7 — M. le grand-rabbin, visiblement ému, a répondu dans les termes suivants : « Chers coreligionnaires, cher président, » Je ne puis vous exprimer combien je suis touché de la » manifestation dont je suis en ce moment l'objet de votre » part. m » Je suis bien heureux que mes paroles trouvent un écho » dans vos cœurs ; c'est votre sympathie qui fait ma force » et m'encourage, malgré l'opposition que rencontrent nos » idées communes en dehors de notre chère communauté, » à persister dans la voie où je suis entré. Dévoué depuis » longtemps à la défense de notre saint Judaïsme, je con- » tinuerai, avec l'aide de Dieu et soutenu par votre bien- » veillance, à m'y consacrer jusqu'à mon dernier soupir. » Je vous propose. Messieurs, de prier M. le grand-rabbin de déposer le manuscrit de son sermon dans les archives du Consistoire et de nous autoriser à le faire imprimer, afin d'en offrir un exemplaire à chaque membre de la commu- nauté. La proposition de M. le président est adoptée par le Consistoire. W LE DÉCALOGUE RABBI disait : Quelle est la meilleure voie que l'homme puisse choisir? C'est celle qui relève l'homme et le mène plus haut que ses semblables. (ABOTH, I I , v . i . ) M E S C H E R S F R È R E S , I La proclamation du Décalogue dont nous célébrons aujourd'hui la fête, est un des événements les plus considé- rables de l'histoire de l'Humanité. A quelque point de vue qu'on se place pour l'envisager, qu'on l'examine aux lueurs ardentes de la foi ou à la lumière de la froide raison, on ne peut, si l'on n'a pas l'esprit dominé par des préjugés excessifs, refuser d'y reconnaître tous les caractères d'un fait providentiel, d'un de ces faits tout-puissants qui s'im- posent souverainement à la conscience humaine, d'un de ces faits, « œuvre de l'Éternel, » comme dit le Prophète, « qui en se développant à travers les siècles, porte dans le » monde plus de vie, plus de science et plus d'amour. Adonài, poholcha bekéreb schanim chajréou bekéreb — 10 — schanim tOdiah, berogue\ chayim ti\kor. » (HABACUC, III, 2.) Si telle est l'importance du Décalogue, il est bien natu- rel, chaque fois que notre culte en ramène le souvenir, que nous nous fassions un devoir d'en approfondir les principes. Lorsque la jeune fille va placer sur son front le bijou qui fera ressortir l'éclat de son teint ou la grâce de ses traits, elle le considère avec attention, avec espérance; quand le soldat va ceindre l'épée par laquelle il défendra sa vie et son pays,' il la regarde, il l'examine avec un soin particulier. Israélites, le Décalogue est notre plus beau joyau, notre pierre précieuse par excellence; le Déca- logue „est notre arme la plus sûre et la mieux acérée ; il faut donc l'étudier et en faire ressortir toute la force, toute la grandeur, toute la majesté. Cette étude, mes chers Frères, nous est impérieusement commandée par les circonstances. D'une part les évêques du Catholicisme en ce moment réunis à Rome, nous invi- tent, nous Enfants d'Israël, à abandonner la foi antique de nos pères pour adopter la leur (i) et d'autre part notre siècle, malgré les préoccupations sociales et politiques les plus considérables, se préoccupe vivement des intérêts spirituels de l'âme humaine. Avide de savoir et de se ren- dre compte, il passe au crible de sa critiqde les idées religieuses des peuples et n'en accepte l'héritage que sous bénéfice d'inventaire. C'est donc nous conformer à la fois aux exigences de (1) Unpostulatum, présenté par 5o6 évêques, a été soumis au Con- . cile pour prier cette assemblée d'envoyer aux Israélites une paternelle adresse qui, lés invite à reconnaître Jésus-Christ comme le Messie. promis à Abraham, à Mpïse et aux prophètes. Le Pape a donné son adhésion à cette proposition. — l i - notte temps et à celles de nos traditions, que de porter un regard respectueux mais scrutateur, vers le grand fait du Sinaï, et généralisant notre examen, de rechercher les carac- tères auxquels on peut reconnaître la véritable religion. Nous nous demanderons, avec nos sages docteurs du Tal- mud : « Quelle est la meilleure voie que l'homme puisse choisir », et nous ferons voir que c'est, comme ils l'assureftt, « celle-là seule qui relève l'homme et le mène plus haut que ses semblables », Accordez-moi, mes chers Frères, quelques instants de bienveillante attention et vous recon- naîtrez que, de nos raisonnements, vos convictions reli- gieuses ne sortiront point affaiblies ou placées sur des bases fragiles, mais posées sur d'inébranlables fondements. I Toutes les religions, quels que soient leurs principes et leur culte, ont nécessairement une histoire ; toutes ont fait à un instant donné leur apparition sur la scène du monde ; quelle que soit l'antiquité qu'elles se donnent, il fut un temps où elles n'existaient pas encore et où leur pensée a lentement germé dans l'esprit d'un homme pour se mani- fester plus tard et s'affirmer au grand jour. Nées ainsi dans la sphère étroite d'une conscience individuelle, les religions n'y sont pas restées enfermées. Ne pas grandir, c'était pour toutes s'étioler et périr; elles se sont donc graduellement imposées à des familles, à des tribus, à des races entières et, entreprenant la conquête des âmes, elles sont arrivées à réunir autour' d'elles un nombre plus ou moins considérable d'adhérents. Mais elles ne l'ont pas pu sans luttes; comme elles n'étaient d'abord que l'expression du besoin religieux de — 12 — quelquesâmes, et qu'elles constituaient à un titre quelconque une protestation contre une idée religieuse ou sociale plus ancienne, elles ont nécessairement rencontré la résistance instinctive des masses attachées à leurs conceptions habi- tuelles, et l'opposition décidée des autorités intéressées au maintien du présent. Il a donc fallu, pour faire triompher latpensée nouvelle, s'imposer d'incessants et de nombreux sacrifices : tranquillité, honneurs, richesses, on a dû tout offrir à ses convictions et parfois même il a fallu répandre son sang et donner sa vie pour obtenir la victoire. Mais ces luttes morales, les plus dramatiques de toutes, ne sont pas les seules que nous offre l'histoire des religions! Toutes nous font assister encore à de gigantesques combats d'un autre genre. Ce ne sont pas seulement Jes cœurs qui sont soumis, mais encore les éléments qui sont vaincus ; ce ne sont pas seulement les âmes qui sont domptées, niais encore la nature elle-même qui se voit arrêtée dans sa course éternelle. A la voix puissante des apôtres de toutes les idées religieuses, la piété des peuples nous montre les astres suspendant leur marche dans l'espace, la terre entrouvrant ses abîmes, les montagnes transformées en vallons, les fleuves et les mers traversés à pieds secs et les ' morts réveillés sortant de leurs sépulcres. En un mot, mes chers Frères, toutes les religions passant par la même série de développements historiques, présen- tent, malgré la différence des principes, des hommes et des- situations, certains caractères analogues : leur origine remonte à une certaine antiquité, leurs adhérents sont plus ou moins nombreux et leur ont fait plus ou moins de sacri- fices, et de leurs propagateurs à toutes on raconte des actions merveilleuses, on célèbre des miracles. Il ne s'agit en aucune façon, remarquez-le bien, d'examiner quelle peut être, dans ces récits, la part de l'imagination poétique ou de la réalité — 13 — positive ; mais, pour rester fidèles à la pensée de notre méditation, nous avons à nous demander si c'est précisé- ment dans ces récits, quels qu'ils soient, que nous trouve- rons les caractères de supériorité que nous cherchons. Est-ce par l'antiquité d'une doctrine ou par le nombre de ses adhérents, est-ce par les sacrifices qui ont été faits en son honneur ou par les miracles accomplis en son nom que nous reconnaîtrons nécessairement parmi les religions celle qui, selon l'expression de nos sages, est « la meilleure » voie que l'homme puisse choisir, celle qui relève l'homme »' plus haut que ses semblables? » Il est évident, mes chers Frères, que l'âge d'une doctrine ne prouve en rien sa supériorité sur les autres; qu'elle fasse, à tort ou à raison, remonter son origine à des mil- liards de siècles, ou qu'elle soit née d'hier, ce n'est pas la date qu'elle porte qui peut être pour elle un titre sérieux à notre vénération. Venue au monde dès le premier réveil de la conscience humaine, une religion peut avoir apporté de divines vérités, que les hommes atteindront mais ne dépas- seront pas. Annoncée de nos jours en pleine lumière et munie de toutes les ressources que peuvent offrir l'art et la science, une religion peut bien n'être que l'expression faussée d'un besoin mal compris et n'avoir pour base qu'une erreur. Il ne nous importe pas davantage qu'une religion compte par millions les âmes humaines auxquelles elle commande. L'idolâtrie n'a-t-elle pas imposé souverainement ses chaînes à l'immense majorité des hommes, et de nos jours, malgré notre civilisation, le fétichisme n'asservit-il pas un nombre considérable de consciences ? Il est possible que dans la discussion des besoins politiques, il soit bon de sacrifier les opinions individuelles aux intérêts de tous ; mais en reli- gion, pas plus qu'en philosophie ou en science, il n'est — 14 — admissible que le suffrage mobile et changeant des hommes décide de la vérité. Non, ce n'est pas le nombre de ses fidèles qui peut placer une religion au premier rang. Le Pentateuque le déclare, et personne ne le contestera : Ce n'est pas, dit-il à nos ancêtres, parce que vous êtes le plus nombreux des peuples que Dieu vous a choisis, vous êtes au contraire le plus petit de tous (i). S'il est indifférent pour décider de l'excellence d'une doctrine qu'une masse plus ou moins fotte d'individus ait consenti à l'adopter, i l n'est pas plus logique de chercher les preuves de sa supériorité dans les sacrifices que ses défenseurs ont accomplis pour elle. Quoiqu'on ait dit qu'il faut en croire des témoins qui se font égorger, le martyre ne démontre rien de plus que la sincérité d'une conviction. Est-ce que de nos jours encore les disciples de Brahma ne se précipitent pas avec enthousiasme sous le char de leur divinité, et faut-il voir dans le broiement de leurs os par les roues acérées la preuve indiscutable que Brahma est dieu, et que le panthéisme indien est la religion vraie? Toutes les: religions ont eu leurs martyrs, toutes aussi ont eu leurs miracles, et pas plus les uns que les autres ne suffisent ni à rien démontrer, ni à rien contredire. Qu'est- ce qu'un miracle, mes chers Frères? C'est un événement extraordinaire qui surgit inopinément sous nos yeux; c'est une voix surnaturelle qui frappe notre oreille; c'est, en un mot, un arrêt soudain des lois de la nature ; c'est, dans tous les cas, un fait qui est du ressort de nos sens' matériels. Or, entre un fait de ce genre et une doctrine qui est du domaine unique de notre intelligence, quelle relation logique, néces- saire, peut-il exister? De deux choses l'une : ou la doctrine ( 1) D E U T E R . , c h . V I I , v . 7 . — 15 — qu'on nous annonce est fausse, ou elle est vraie, et, dans les deux cas, le miracle ne peut rien. Si la doctrine est fausse, à quoi servira le miracle opéré sous.nos yeux? Notre sentiment intime ne se révoltera-t-il point contre celui qui voudra, en frappant noire vue, con- traindre notre esprit? Ne sortira-t-il point du fond de notre conscience une puissante protestation contre la pression extérieure qu'on tentera d'exercer sur nous, et comme Mai- monides, le grand "docteur, ne dirons-nous pas, en présence même du miracle, que notre raison est un témoin plus sûr que notre œil, et que cest pour elle qu'il faut opter contre lui? (i) (Hassechel hamachzib hédoutho yother nééman mehahayin schehou rohéh haothoth.) Ne dirons-nous pas avec l'Ecriture sainte elle-même, que s'il sélève parmi nous un prophète ou un visionnaire (nabi o cholem ch-alom), qui accomplisse sous nos yeux des miracles (venathan élécha oth o mopheth) et nous excite ensuite à l'erreur (nélécha acharé eloïm acherim), qu'il faut fermer l'oreille et ne pas écouter ? (Lo thischmah el dibré hanabi hahou.) (2) Mais si au contraire la doctrine annoncée est véritable, le miracle est-il utile pour la prouver? Certaines religions l'affirment, ce sont celles qui nous invitent à nous convertir à leur foi; mais le judaïsme soutient qu'une doctrine vraie doit pouvoir se démontrer par sa seule évidence et par sa seule clarté. Voici un fait emprunté au Talmud qui ne peut nous laisser de doute à cet égard : « Un jour les » rabbins discutaient dans une académie. Rabbi Eliezer, » l'un des plus illustres, avait entrepris, mais sans succès, » d'amener ses collègues à son opinion : Pour vous prouver, » leur dit-il, que la vérité est de mon côté, voici un arbre qui (1) MAIMONIDES, Introduction au Seder Zeraîm. (2) D E U T E R , I 3 . — 16 — » va être transporté à cent coudées; et soudain l'arbre fut » déplacé.— C'est un arbre arraché, disent les docteurs,et » non pas une preuve. — Eh bien, dit Rabbi Éliezer, que'ce » ruisseau remonte vers sa source; et le ruisseau docile » arrêta le c&urs de ses eaux. — C'est un ruisseau qui ne » coule plus, répliquent les docteurs, mais ce n'est pas un » argument. — Que ces murs s'écroulent donc, s'écrie alors » Rabbi Eliezer, pour vous prouver que j'ai raison; et voici » que les murailles allaient tomber quand Rabbi Josué, » s'adressant à elles : Lorsque les sages d'Israël, dit-il, dis- » cutent ensemble la règle à suivre, de quelle utilité pouvez- •"» vous être, vous? Et elles ne tombèrent point à cause de » R. Josué, mais ne se. redressèrent pas à cause de » R. Eliezer. Alors l'intervention céleste est invoquée et » une voix-d'en haut se fait entendre : Qu'êtes-vous donc, » dit-elle, à côté de R. Éliezer? C'est lui qui a raison toujours » et partout. Mais R. Josué se lève et s'écrie avec respect : » O Seigneur, tu nous as dit toi-même que ce n estpas dans » le ciel qu'il faut aller chercher ta loi; Loh baschamaym » hi (i) ; nous n'avons donc pas à avoir égard à cette voix » miraculeuse (2). j> Cette légende expressive nous montre l'opinion d'illustres docteurs du Talmud, et, fidèle à cet enseignement, l a théologie israélite reconnaît « que la législation mosaïque n'est pas fondée sur des miracles, mais sur la conviction de nos ancêtres (3). » Reportons- ( 1) D E U T E R . , c h . X X X . (2) BABA M E T S I A , 8 9 , b . (3) S . ULMAN, Recueil d'instruction religieuse (première édition, p. 3I). Le vénérable auteur que je ne prétends en rien rendre solidaire de mon opinion ajoute « qu'une vérité ne peut être ni démontrée, ni » réfutée, par des miracles. Les miracles peuvent étonner les hommes, >» peuvent leur inspirer du respect, de la crainte, mais ils ne peuvent » jamais porterJa conviction dans les cœurs. » — 17 — nous donc maintenant vers le fait auguste que nous célébrons aujourd'hui : Qu'est-ce qui donne au Décalogue son autorité ? qu'est-ce qui en fait le caractère obligatoire ? Est-ce la solennité de sa promulgation? Est-ce le nuage impénétrable qui a couvert la montagne ou les éclats de tonnerre qui en ont ébranlé les bases? Dans cette grande manifestation, où est la force qui ifous lie, où est la puis- sance qui s'impose souverainement à nous ? En un mot, où est Dieu ? Écoutez, mes chers Frères ! Un jour le prophète Élie s'était rendu sur la montagne de Sinaï, sur cette mon- tagne sainte où le Décalogue avait retenti : Vayakom... vayélech... had har Haeloim choreb. La voix divine lui dit : Sors, tiens-toi devant l'Éternel : Tsé vehamadta bahar; et l'Éternel se manifestera à toi : Vehinéh Adonaï hober. Et soudain il souffla un grand vent qui ébranlait la mon- tagne et brisait le rocher : Verouachguedola mefarek harim oumschaber selahim ; mais, dit l'Écriture sainte, Dieu ri était pas dans le vent : Lo barouach Adonaï. Et après le vent passa une tempête; mais, continue l'Écriture sainte, Dieu n'était pas dans la tempête : Lo barahasch Adonaï, et après la tempête un feu brilla; mais Dieu riétait pas dans le feu : Lo baësch Adonaï, et après le feu, il y eut, •dit le récit sacré, une voix douce et pénétrante : Kol demamah dakah (i) ; c'était là, mes chers Frères, c'était là qu'était Dieu. Si donc le Décalogue lui-même est divin, s'il est sorti de la bouche de Dieu, ce n'est pas parce qu'il nous est présenté comme une manifestation surnaturelle, mais c'est parce qu'il est cette voix pénétrante et douce, Kol demamah dakah, qui convainc la conscience et la raison, c'est parce qu'il est la plus haute expression de la vérité. (1) Rois I, ch. XIX, v. 8 et suivants. II Ainsi, mes chers Frères, quand nous recherchons avec nos sages, quelle est la meilleure voie que l'homme puisse choisir, quelle est la meilleure religion à laquelle nous puis- sions donner notre foi, ce n'est ni au nombre des arihées, ni au nombre des adhérents, ni à la grandeur des sacrifices, ni à la grandeur des miracles que nous devrons avoir égard, parce que dans ces faits qui sont purement extérieurs, il n'y a rien qui puisse vraiment déterminer notre raison et notre conscience, parce que dans ces phénomènes historiques qui sont communs à toutes les religions, il riy a rien qui puisse relever l'homme et le conduire plus haut que ses semblables. C'est donc ailleurs que dans l'histoire des religions quç nous avons à chercher les preuves de leur supériorité ; c'est donc dans leurs principes que nous nous efforcerons de trouver la vérité ; c'est à leurs principes que nous demande- rons la base sur laquelle nous pourrons fonder nos convicr tions, et puisque c'est le catholicisme qui vient de nou? adresser, à nous, ses aînés dans la vie religieuse, l'appel public de renier la foi de nos pères pour adopter celle qu'il professe; puisque c'est le catholicisme qui, malgré la crise terrible dont il est agité, interrompt ses assises solennelles et nous invite à nous réfugier souples voûtes ébranlées de' ses temples gothiques, mettons en parallèle ses principes fondamentaux avec les dogmes d'Israël; comparons ses croyances aux nôtres, et qu'il sache bien, une fois de plus, ce que nous avons à répondre à ses adjurations. Si nos pères, les patriarches, ces hommes saints que le catholicisme révère, si Moïse et les prophètes, ces pieux — 19 — serviteurs de l'Éternel dont le catholicisme prétend respecter la doctrine, si tous les hommes inspires d'Israël ont frappé le paganisme de leur plus énergiquè répulsion, c'est qu'il abaissait l'hommë au-dessous de la nature et brisait sa libérté par la toute-puissance d'une fatalité contre laquelle rîéti ne pouvait prévaloir ; c'est, en un mot, parce qu'il dégradait l'homme, créature d'élite de Dieu, et vis-à-vis de l'univers' qu'il divinisait, et vis-à-vis de lui-même qu'il annihilait. Eh bien, mes chers Frères, le catholicisme est bien loin dé relever l'homme de cette injuste déchéance et dé lui rendre toute sa dignité. Certes, nous reconnaissons sans hésiter que sa morale^ éclairée des reflets du Sinaï, est plus pure que celle des religions pa'iennes ; nous reconnaissons sans hésiter qu'il a porté à la terre un écho de la parole biblique et que, selon l'expression du grand docteur juif cité déjà par nous, il a préparé le monde à ne servir que Dieu (i) ; maïs tout en lui rendant justice, nous ne nous arrêterons ni devant la prétention qu'il affiche à être la vérité absolue ni devant l'empire immense qu'il exerce dans le monde; noùs savons que nous sommes sur une terre classique dé liberté, sur un sol généreux où s'est affirmé, il y a des siècles déjà, et où s'affirme de nos jours encore avec énergie l'indépendance de la pensée et de la conscience religieuse. Si nous repoussons le catholicisme, c'est que ses dogmes sont entachés d'erreurs profondes et funestes. Ce que nous lui reprochons, ce n'est pas seulement de porter atteinte à , l'unité et à la spiritualité'tle Dieu par les principes indém on trables de la trinité et de l'incarnation; c'est bien plus encore, mes chers Frères. Il y a deux dogmes qui Sont désor- mais la foi indestructible des sociétés régénérées. Huit cents ans avant la naissance du christianisme, un prophète (1) MAIMONIDES. JadSMélachim, 12, 2 . juif les a formulés dans un magnifique langage : « Je te fian- cerai à moi, dit l'Eternel à l'humanité, par l'équité et le droit, par la clémence et la miséricorde : ))\\Bitsdaka oubmischpat, bechessed oubrachamim [i\. Comme autrefois le Voyant inspiré de Juda, l'humanité croit aujourd'hui de tout son cœur et de toute son âme à l'éternelle justice et à l'amour infini du Père suprême des mains duquel elle est sortie. Or, le catholicisme jette à ces deux saintes idées le plus formel et le plus éclatant démenti ; il croit, lui, contre toute équité et contre toute miséricorde, que, nés dans le mal, nous portons le poids d'une faute commise en deçà des temps, avant notre naissance ; il croit, lui, contre toute misé- ricorde et contre toute équité, qu'au delà de la vie, après nos tourments et nos soucis d'ici-bas, nous rencontrons dajis l'immortalité, comme rémunération de péchés et d'erreurs d'un jour, des soucis et des tourments qui ne finiront pas. De telles croyances, déjà contraires à la justice divine, ne sont pas compatibles avec les promesses messianiques faites à Abraham, Moïse et aux prophètes; ce qui leur a été promis, c'est la bénédiction pour toutes les familles de la terre, c'est le respect du faible par le fort, de l'agneau par le loup, c'est la réconciliation des frères divisés,<ÏÉphràim avec Juda, c'est la transformation des armes destructives en instruments d'un travail fécondant, c'est le règne de la paix universelle; et les croyances catholiques, qui divisent les hommes en élus et en réprouvés de Dieu, n'ont eu pour conséquence que le régime injuste du privilège et l'oppres- sion sociale des minorités religieuses, que lè règne fatal des guerres fratricides et des haines confessionnelles, c'est-à-dire la déchéance morale de l'homme par le sacrifice de sa dignité, de sa raison, de sa liberté et de sa conscience. ( i ) OSÉE, c h I I , v . a i . — 21 — Il n'en est pas ainsi, mes chers Frères, de la religion sainte d'Israël ; elle relève l'homme aussi haut qu'il est possible, et lui fait bien comprendre son immense valeur; nous n'avons pas besoin d'en donner ici d'autres preuves que le Décalogue lui-même, que nous considérerons, non point dans les circonstances qui l'entourent, mais dans les prin- cipes qu'il proclame, et qui, seuls, suffisent à démontrer sa divine origine. I. La religion d'Israël, c'est le culte d'une Providence qui veille aux destinées des peuples et les appelle à la liberté : Je suis l'Éternel ton Dieu qui t'ai fait sortir de l'esclavage, Anochi Adona'i Elohécha ascher hotséthicha méhérets mitsràim. II. La religion d'Israël, ce n'est pas le culte de la ma- tière, grossier argile ou métal précieux : Tu ne te feras pas d'images taillées, lo thahassé lecka phessel; ce n'est pas le culte des causes secondes et périssables ascher baschama/yim mimahal vaascher baarets mittachath ; c'est le culte de la Cause infinie, dont l'action miséricordieuse se perpétue éternellement à travers les siècles : hossé chessed laalaphim leohabai oulchomeré mitswothai. III. La religion d'Israël, ce n'est pas le culte d'une divi- nité capricieuse dont on puisse sans raison invoquer l'as- sistance et le nom : Lo thissa eth schem ; ce n'est pas le culte d'une divinité qu'on apaise ou qu'on excite par des présents et des sacrifices; c'est le culte de la Justice suprême, qui ne fait aucune acception de personne et qui ne laisse point impuni celui qui lui offre de vaines offrandes : Ki lo yenaké Adontii eth ascher yssa eth schemo la- schaw. IV. La religion d'Israël', c'est le culte du Dieu auguste qui a fait l'homme à son image, qui l'appelle comme lui, à dominer la nature par le travail, scheschethyamim iha- — 22 — habôd, ét qui sànctifie son âriié immortelle par lé répos du sabbat et la méditation de l'infini : iachor eth y om ha- schabath lekadescho. V. La religion d'Israël, cest le culte de là famille, c'est la consécration de l'autorité paternelle presqu'à l'égal de l'autorité divine, c'est la piété filiale donnée comme base aux sociétés humaines : kabed eth abicha veeth imécha. VI. La religion d'Israël c'est la condamnation du meur- tre sous toutes ses formes ; meurtre par la vengeance individuelle, meurtre par la vengeance sociale, meurtre par la haine politique, meurtre par la haine religieuse. Dieu les a tous en abomination : Lo Thirsach. VII. La religion d'Israël, c'est l'union de l'homme avee un autre lui-même, c'est la sanctification du mariage, c'est la paix domestique et l'aversion pour tout lien illégitime, Lo Thinaph. VIII. La religion d'Israël, c'est le culte de l'équité sévèrë qui rend à tous leur droit et laissé à chacun sdn bien ; c'est le culte dé l'équité sévère qui veut que tous jouissent tran- quillement du fruit de leur travail et qui condamner là fraude et les profits déshofinêtes : Lo Thignob. IX. Là religion d'Israël, c'est le culte de la vérité incom- patible avec tout ce qui ést mensonge et tromperie ; c'est le culte de la vérité qui réprouve la calomnie et le faux témoi- gnage : Lo thaanéh beréacha hed schaker. X. La religion d'Israël, enfin, c'est la sanctification delà conscience humaine, appelée sous l'œil de Dieu qui la scrute, à se purifier elle-même et à chasser de son sein toute pensée coupable et tout mauvais désir : Lo thachmod betk réhecha. Voilà donc notre doctrine, mes chers Frères ; voilà le Décalogue, qui en est la plus auguste expression ; voilà le Décalogue qui nous annonce la Providence divine et la — 23 — responsabilité humaine, le De'calogue qui nous enseigne les plus hautes idées sur Dieu et sur le devoir. Maintenant, demandons-nous encore une dernière fois, où peut être là vérité; demandons-nous quelle peut être, entre la loi d'Is- raël et le catholicisme, la meilleure voie qu'il faille choisir? Que l'Écriture sainte réponde encore et que son autorité- décidé. Revenons à la révélation du prophète Élie, à la montagne sainte, et nous reconnaîtrons que la vérité'n'est pas dans ces religions qui ont excité parmi les hommes les plus terribles révolutions, « DIEU N'EST PAS DANS L E VENT » : Lo barouach Adonai; nous reconnaîtrons que la vérité n'est pas dans ces doctrines qui ont soulevé sur la terre les plus affreux orages, « DIEU N'EST PAS DANS LA T E M P Ê T E » : Lo barahasch Adonai; nous reconnaîtrons que la vérité n'est pas dans ces dogmes inhumains dont le dermer mot ici-bas et dans l'éternité est la flamme des bûchers et celle de l'enfer, « DlEU N'EST PAS DANS LE FEU », : Lo baësch Adoucir. La vérité est dans cette « voix » douce et pénétrante » : Kol démamah dakah, « dans cette » grande voix que nous entendons résonner sans cesse » I au fond de nos consciences : Kol gadol velo yassaph La vérité, elle a été, elle est, elle sera toujours dans ces dix immortelles paroles que la main de Dieu a gravées dans le fond de notre âme ; Michtab Elohim hou charouth hal halouchoth. Frères israélites, il y a des religions qui s'appuient avec orgueil sur la foule immense de leurs adhérents ! il y a des religions qui mettent leur force dans les miracles qu'elles disent avoir été accomplis pour elles! Elles en conservent le souvenir, elles les célèbrent par de solennels jubilés qui ne sont pas seulement un défi à la raison, mais aussi un outrage à l'humanité ! Frères israélites, ce sont ces religions qui nous appellent — 2 4 — à elles, nous, les fils des persécutés, nous, dont certains de leurs sectateurs fanatiques massacrent encore aujourd'hui les frères, comme ils ont jadis tué nos ancêtres (i). Ce sont ces religions qui nous tendent les bras et qui veulent que sur le vieux blason d'Israël, sur la pierre immaculée du Décalogue, nous gravions le déshonneur et l'apostasie ! Frères Israélites, il faut répondre : Nous qui sommes les plus petits et les plus faibles de tous; nous qui ne mettons notre force dans aucun miracle et qui sommes cependant un miracle vivant ; nous qui ne célébrons aucun jubilé ; nous qui ne nous appuyons pas sur dix-huit siècles de martyre, nous ne nous convertirons jamais au culte de la trinité, de l'incar- nation et des images ; jamais nous n'adorerons le dieu d: péché originel et des peines infinies! Toujours nous reste- rons fidèles au Dieu spirituel de Moïse et des prophètes, au Dieu qui est le créateur et le père de tous les hommes, au Dieu qui se révèle à la raison et à la conscience, au Dieu qui donne le salut éternel aux justes de toutes les confes- sions, au Dieu qui appelle tous ses enfants à la fraternité universelle, au Dieu de la vérité, de la justice, du progrès, du bien et de la miséricorde infinie, et Dieu nous bénira, yebaréchécha Adonai veyischmerécha, et Dieu nous éclai- rera, jraher Adonai panan> elécha, et Dieu nous unira tous par la paix, veyassem lécha schalom. (i) Massacres récents de la Roumanie.