1%'~ i •• ) ~ N° ~2. - 25 novembre 1911. 24e annee. Tome eX!. REVUE DOCUMENTAIRE PARAISSANT TOUS Lt:S SUIEDIS LES -q.:2~~ QUESTIONS ACTUELLES PRrNCtPAUX DOCUMENTS, ARTICLES ET mSCO URS. ' LBTTRBS liT A L LOCUTI ONS DU SOUVER AIN P ONTIFE ( Texte et traduction en regard). ACTES DES CO:>/GREGATIONS ROMA INES . L OIS ET D ECRETS D U GOUVERNEMENT FRAN CAIS. - J URISPRUDENCE . SOMMAIRES DES P RINCIPALES REVUES. - V AR IETES. ' 'Tenez pour certain que vans ne pourrez progresser pin's surement, ni mieu'X contribuer au deT,eloppement de la ciyilisation, qu 'en vans tenan~ unis d 'esprit et de creur a l 'Eglise catholique. L EON XIlI . J 'ai etc frappe d'un nouveau s,Yst E!me; il prend Ie meilleu r de tons cotes ..... et va plus IQin qn'on n'cst a ile encurc . L~: II1 "" I Z . PARIS 5, RUE BAYARD, VIlle Prix de l'abonnement : 6 fro pour un an. - Etranger: 8 ir. 15 CENTIMES L A LIVRAISON Cette Revue forme 2 vol . par an. (Chaque vol. 2 fro 50, port en sus.) 25 novembre 1911. " SOMMAlRE ANALlTIQUE 1. - De c~ux ' qui Ci~en,t les eC~leSiastiques~ devant les tribunaux lalques. [Motu pj'op1'io de S, S, PrE X; du 9 octi 19B.) (Texte latinet trad uction francaise.) . Toute personne privee qui, sans aucune permission du pouvoir ecclesias· tique, cite et force a comparaitre un ecclesiastique devant les tribunaux lalques encourt l'excomm,unicat\(}n rata: flente"tftia: specialement reservee au Pontile romain '; '673-674. . .' . .' II. - Debats parlementa1res. La neutralite 8colaire devant Ia Chambre. (Journal Ofliciel du 18 nov. :1.9:1.1.) . l' Diseours de M •. Groussau. - Anci,en a,d ver,sllir.e de Ill, neutralite, M. Viviani Ii!- defend o[(jeiellement dans son rapport, a une epoque OU elle existe de moins en moins.I1 n'y a pas, chez lei instituteurs, qUll des« actes d'esprits excessifs " et des « ecarts individuels "; it Y a une « mentalite " qui se traduit par ' une (, attitude agressive " a I'egard des families catho· liques. Responsabilite de la Chambre, qui, Ie 20 fevrier 1911, declarait qu'en maintenant dans leurs ecoles l'emploi des Iivres condamnes par les ev6ques,' les instituteul's agissaient « conformement a l'esprit republieain et lalque n. Changements apportes a la neutralite depuis 1882. A cette epoque, on admettait la responsabilite it I'idee m~me de In·icitR. La la'icite consiste it en,;pigner iJ titre obligntoire la morale eLenwntaire qui no us est com- mune a tous sans avoir a prendrfJ parti sur les diverses theories reH- LA NEUTRALITE SCOLA IRE DEVANT ,LA CHHlURE 683' gieuses ou meta physiques auxquelles on peut rattacher la morale. Aucune de ces thelJries n'a jama is ete ni pu t!tre inscrite dans aucun des programmes officiels a" jourd" hui encore en vigueur pour l'ensei- gnemen t Vrimaire elementuire (1). (Applaudissements Ii gauche. ) M. Groussau. - II est utile d'apprendre enfin ce qu'e~t la neutra- lite et ce qu'est la lai"cite dans notre pays ou on oblige tan t de ca tho- liques a envoyer leurs , enfants dans des eco les qui ont trop souvent pour maitres des hommes qui ne croient pas en Dieu. On saura desor- mais a quoi s'en tenir. (Apptaudissernents Ii dToite. ) Vous commencez donc une nouvelle etape. Je n'en sub pas etonne; cette nou velie etape, elle avait ete prevue, notammen t par M. Vi \ iani, qui a declare que la neutralite n'etait qu'un preLexte. Elle avait ele prevue aussi par ceux qui savent que la loi scola ire faisait partie du programme de dechris- tianisation de la France. Elle n'inquietera pas seulement les catholiques, mais tous ceux qui ont quelque souci de l'avenir de notre pays. (Tres bien! TTeS bien! Ii droite.) Mais, avez-vous dit, Monsieur Ie millistre, «( I'ecole sans Dieu n'est pas l'eco le sans ideal )). Quel est cet ideal? (Intern~ptions a gauche.) Sans doute, vous pourrez me repondre par de belles phrases, par un admirable discours. Mais ce que je prefere- rais, ce serait un expose de quelques prop'ositions tres claires et tres precises qui puissent convenir it des enfants. Car la morale doit t! tre' - nous serons facilement d'accord a ce suj et - la ligne de conduite de toute la vie. II importe donc d'en donner les principes aux hommes des leur enrance. Ou est, je vous Ie demande, votre ideal moral ? (n'es- bien! T l'es bien! Ii (/-roite.) Depuis quelque temps, je Ie sais, on s'est mis de tous cotes a la recherche de la morale lai'que. C'est ainsi qu'on y travaille avec une grande activ ite dans les Loges et dans certains Congres. C'est ~ qui trouvera une bonne morale laique. M. Raffin-Dugens. - Elle existe. M. Mauger. - 11 n'y a pas deux; morales, il n'y en a qu'une. M. Groussau. - Si elle existe. je voudrais bien savoir pourquoi, au sein de la franc-ma<;onnerie, M. Lahy, dans un recent Conseil de l'Ordre, a fait decid, r d'etablir une enqt1t!te et d'envoyer un question- naire aux Loges sur la moralp. lai"que . Si M. Semhat etai t lil... ... M. Marcel Sembat. - Mais j'y suis! M. Groussau. - J'en suis bien aise. Si Ie compte rendu qui a ete· puhlie e~t exact, M. Semhat, qui ne manque pas d'esprit etde bon sens .. . .. M. Marcel Sembat. - Je ne proteste plus_ (On Tit.) M. Groussau. - ..... M. Sembat aurait dit : (( La loi morale ne peut pas resulter d'une enqut!te au pres des Loges; on peut des maintenant poser les bases d'une morale de combat. )) (I) Dans un article de Ia Revue Pedagogique de i892 (\;. I", p, 368), M. Buisson eCl' ivait ces lign es en reponse au P. Lallema nd, de l'Oratoire: ( Comment peut-it em'i re co gros mot de sacristie, l' « ecole sans Dieu »? Je lui pose la que stion avec toulle respect que je suis }wureux de professer 'pour sa pcrsOllne et pour son caracLerc, 11 connalt ,1'Uni\'ersile, il con- nait nos proh'l'ammes. En est-il un seul d'ou ridee de Oieu soit absente? " Et il ajoulait: « DLtes si VOllS voulez ([ue nous avons etabli recole sa ns pretre_ Mais se passer dli prOtre it r ecole, est-ce necessairement se privcr de Dieu? » [ Cite par la Chrolliqu ~ de la Press., 19B, p. HI., ] (Note des Q. A.) 68i DISCOURS DE M. GROUSSAU (17 NOV. 19B) M. Marcel Sembat. - Vous ~tes insuffisamment renseigne. Puis-je vous interrompre? M. GrousSau. - Tres volontiers. Puisque vous y etiez, voulez-vous nons dire ce qui s'y est passe? M. Marcel Sembat. - Tres facilement t Le questionnaire, ou plutOt Ie plan d'etudes, je l'ai la dans rna poche. II n'est pas encore completement redige, mais Ie travail. preparatoire est presque acheve. M. Groussau. - Le questionnaire existe. M. Marcel Sembat. - Je n'ai m~me pas pu assister a la seance d'hier parce que precisement j'etais en train d'elaborer ce plan et cette enqn~te alec qnelques complices . (Soul'i1'es.) M. Groussau. - Vous voyez, je n'etais pas si mal renseigne. Le questionnaire existe; voila un premier point. M. Marcel Sembat. - Je vais rectifier vos renseignements et completer ce qui parait vous interesser. Nous nous sommes inspires des Lravaux les plus recents sur ce grave sujet, et de preoccupations communes a beaucoup de bons esprits, et dont j'ai trouve trace, hier encore, dans une omvre posthume du tres regrette professeur M. Rauh, dont les eleves viennent de publier certains cours reunis en un pas- sionnant volume: (( Etudes de morale », que vous !ir"ez, je n'en doute pas un instant ..... M . Groussau. - Mais tres certainement. M. 'Marcel Sembat. - ..... Nous jugeons done utile de recourir a une sorte d'enquete pour verifier ou en est, a l'heure presente, aussi bien l'ideal theorique que la pratique des regles morales de conduite sur les divers pOints du territoire fran<;ais, grandes villesou campagnes, faubourgs et hameaux _ Pour y par'venir en evitant de dicter la reponse et afin de ne peser . sur aucune conscience, nous avons recours - je ne connais guere de meilleure methode; si vous m'en indiquez une autre, j'en tiendrai grand compte - a la methode des questions po sees d'apres un plan uniforme ou, comme disait un autre psyCbologue fort eminent et qui vient egalement de disparattre, M. Binet, a la methode du questionnement. Cette methode est de plus en pins yratiquee en psychologie, non pas sculement en France, mais dans tout ['univers. L'ecole allemande dite de WlLrzbourg a conquis une veritable celebrite en reprenant et en dt'veloppant des methodes de questionnement inau- gurees chez nous par M. Binet. II n'y a en toute cette affaire rien de plus mystel'ieux ni de plus monstrueux que ce que je vous revele ici. Nous n'entendons pas Ie moins du monde creer de toutes pieces une morale. On ne cree pas une morale, et nous Ie savons tres pertinemment - ne nous prenez pas pour plus nalfs que nous ne sommes. M. Groussau. - Vous ne l' etes guere t (Sow'ires,) M. Marcel Sembat. - Nous savons donc tres bien qu'on ne C/-ee pas une morale. Mon collegue et ami lV1. Dumont me fait un signe d'assentiment, et, en eifet, toute personne un peu familiarisee avec ces questions pense comme nous la-dessus. Non t nous n'avons pas la pretention de creer une morale; nous avons la pretention de savoir ou de contribuer a faire connaitre quelle est a l'heure actuelle la faGon reelle dont on conGoit et donton pratique chez nous la morale et les prin- LA NEUTRALITE SCOLAIRE DEV ANT LA CHAMBRE 680 ~ipales regles de conduite. Et, comme nous sommes consequents avec 110us-memes, c'est justement parce que nous ne raisons pas appel, pour fonder la morale, it des croyances religieuses ni a des systemes meta- physiques, que nons essayons de preciser l'ideal de la morale et d'en 'Verifier la sonrce tout hnmaine. Pour rna part, comme disait Coppee, «( et je n'ai pas trouve cela si ridicule ». (Applaudissements el rires [t gauche et d I' exl1'eme gauche.) M. Jacques Pion. - Cela veut dire qu'it n'y a pas de morale, qu'it n'y a que des faits moraux. Voila voLre theorie. ' M. Marcel Sembat: - S'il Y a des faits moraux, it y a done une morale! Mais ce n'est pas pour vous que no us cherchons une theorie morale. Vons avez la votre et nous vons la laissons. M. Groussau. - C'est precisement p,rce que nons voulons la • , conserver ..... M. Marcel Sembat. - Vous etes absolument dans votre rOle et [lOUS rendons to us hommage it la vigueur et it la nettete avec laquelle vous defendez vas convictions. M. Groussau. - Je vons suis reconnaissant de cet aimable temoi- ~nage, parce qu'it me donne plus de force pour continuer ma demons- tration. Dans ~In 'autre milieu, si j'en crois Ie Rappel, on ci1erci1e a creer la morale lalque. Le troisieme Congres des Jeunesses republi- -caines s'est te .u it y ~ quelques jours, et M, Maurice Ajam, notre col- legue, ya fait ,un discours sur la nouvelle morale. Je lui en ai meme demande Ie texte, et .I a bien voulu me promettre de me Ie donner. M. Verlotl - M. Ajam m'a meme charge de vous l'envoyer. Vous Ie recevrez dans quelques jours. M. Groushu. - Je Ie lirai avec grand interet. En attendant ; voici Ie prinoipal passage du compte rendu tres bref que j'ai sous les yeux : ( La Joi religieuse disparait. II faut creer la morale lalque. Oii trouver un fo:;demellt moral? .... Dans ce fait: Nous somme, sensibles au plaisir et it la douleur. II faut fuir Ie mal, rechercher Ie bien. » Cest un pew court; j'attends Ie developpement pour alJprecier la doc- trine. II en ~ st donc qui cherchent une nouvelle morale et it n'est pas probable q 'ils l'aiellt trouvee. D'autres ne se donnellt pas tant de peine. Dans une enquete faite it y a quelqnes annees, un eleve maitre d'une ecole 110rmale s'est contente de repondre : (( La morale, c'est un prejuge. » 'J'el n'est pas, sans doute, votre avis, Monsieur Ie ministre, ·mais au mdment ou vous proclamez l'ecole sans Dieu, a l'encontre des programmes de 1882, queUe est la base que vous donnerez it la morale de l'enseigpement primaire? M. Clemenr-eau, s'"dressant devant Ie Senat au representant du Gouvernement, lui disait naguere: (( Vous ci1erchez 'un dogme. L'Eglise possMe son dogme. Mais Oil est votre dogme? Vous ne pouvez pas me repondre, puisque vous n'en a v,ez pas et que vous ne pouvez pas en avoir. » Pour nous, les bases de la morale sont l'existeope de Dieu et l'immortalite de l'ame ..... (Exclamations sw' ,.dive1's bancs d l'extreme gauche .) M. Marcel Sembat. - C'est une opinion. M~ Groussau. - C'est nne opinion que je n'impose a personne ....• . M. Marcel Sembat. - Tresbien !IC'est tout ce que nous demandons. 686 DISCODRS DE n1. GRODSSAD (1.7 NOV. 19B) M. Groussau. - .. ... et que je ne veux imposer a personne, mais dont je demande la rigoureuse applicat ion au profit de tous les enfants des families catholiques ... .. (Exclamations a gauche et a I'ex- treme gauche.) Vous l'avez promis. (Applaudissements a eli'oite.) M. Marcel Sembat. - Vous ne voulez l'.imposer a personne, sanr a l 'ensemble des enfants! (Sourires a l'ext1'eme gauche et a gauchli.) A gauche. - Laissez-nous la Jiberte. M. Ducarouge. - Pouvez-vous donner une definition de votre- Dieu? M. Groussau. - Vons l'avez promis, Messieurs; oui, c'est la pro- messe que vous avez faite. Si vous aviez trouve une morale lalque .. .. . M. Raffin-Dugens . - Oui, nous avons trouve la morale laique .... _ M. Albert Denis. - C'est la distinction dn bien et du mol. M. Groussau. - ..... si vous aviez trouve une morale sa ns Dieu, de quel droit l'imposeriez-vous aux familles catholiqlles qui vous con- fient leurs enfants ou, plutot, a qui vous reclamez leurs enfants non pas seulement pour les instruire, mais pour les former, .pour leur' donner une education, c'est-a-dire une direction qui S'flPplique a la vie· entiere? Je parle, ne ,l'oubliez pas, des familles caVholiques qui ne peuvent mettre leurs enfants que dans vos ecoles; je ne m'occupe que de qelles-l it. II ne s'agit pas des familles qui peuvent envoyer leurs enfants a l'ecole .catholique : elles auraient Ie plus grand tort si elles n'en profitaient pas, et vous reconnaissez bien qu'elles 'n'usent que de leur droit. Aux autres, vous devez Ie minimum que vous nous avez. promi,s, c'est l'education fondee sur Jes devoirs enve~ Dieu. (Dene- gations a l'extreme gauche et a gauche.) M. Charles :aeauquier. - I-'rouvez l'existence de Dieu! M. Groussau. - Je sais, monsieur Beauquier, que :Vpus ~tes l'en-- nemi personnel de Dieu. Aussi, a mes co llegUl~s, je n'ai ~emande que de la bienveillance, je vous demande a vous de l'indulgel ceo (Sow'ires Ct eli'o,ite.) Pour les familles qui ont Ja foi religieuse, la vie implique essentiellement des relations eternelles. L'enseignement e la morale sans Dieu est a leur egard une sorte de trahisoll, un veri able abus de confiance. (Applauelissements a droite.) M. Jacques Piou . ...:.- Meme a l'egard de beaucoup de families qui ne sont pas catholiques. Combien de gens croient en Dieul it l'immor- taJite de l'ame, sans ~tre catboliques! C'est donc l'univf)rsalite des enfants du pays que l'on voue, con\re Je vceu des parents, a la morale evolutionniste d'aujourd'hui. M. Groussau. - Rien n'est plus exact. C'est pourquo\, en 1882, on a generalise l'application de la neutralite spiritualiste. Al,jourd'hui, en presence des vio lations ou, si vous prMerez, des impossibllites de la neutralite, etonnez-vous que la paix scolaire soit pl'Ofondement tron· blee! Vous avez parle, Monsieur Ie ministre, si les journanx ont bien rapporte vos paroles - pt j'attendais que Ie Jow'nal OfTio.iel nOllS donnat volre discours de Bordeaux comme il nons avait donne celni de Rennes..... . , M. Ie ministre de l'Instruction publique. - Je l'y mettrai. • M. Groussau. - ..... Vous avez parle de difficnltes passageres. C'est. LA NEUl'RALITE SCOLAIHE DEVANT LA CHAMBRE 687 une illusion, ou plut6t c'est une erreur. Et voici d'.Qll vient votre erreur. Vous dites a chaque instant - c'est votre these, c'est aussi .celie de M. Viviani, - vous dites que 1'agitation qui se produit a un but politique. M. Rene Viviani, mppoTteur. - Nous sommes encore de cet avis. M. Groussau. - Je ne dis pas que la politique ne se soit jamais m~lee it la question ,mais j'affirme que la question est essen tiellement religieuse et qu'il faut 1'envisager comme te1le pour en comprendre Ie caractere et la portee. All! s'il etait vrai que vous ayez en face de vous uniquement un parti politique preoccupe de vous faire la guerre sur Ie terrain de l'ecole, vous pourriez espe,rer, avec qnelques lois de -combat, en voir bient6t Ie t~rmc. Mais vous vous trompez, je vous l'assure, lorsque ·vous transformez les reproches q u'on adresse a 1'ecole irreligieuse en preuves d' llostilite con tre Ie regime politique. oC'est, it· notre egard, une injustice, mon~ieur Steeg, de pretendre qu'il n'y a Ii!, de notr part, qu'un dessein poLitique; c'est une injustice , monsieur Viviani/ de dire: « La sauvegarde de l'enfant n'est pas ce qui inquiete ces hommes; ils exploitent les aLarmes qu'il s creent dans un ,but politique. » P~u t-~tre pensez ·vous cela dans une certai,ne mesure. (SouTij·es .) Mais 'VOllS Mes, je Ie repete encore, dans une erreur cer- ,taine, et vous ne pouvez, en consequence, apprecier toute la gravite de la lutte. Odi. cette lutte est grave, et il Jle faut pas oublier ·comment elle s est engagee. A gauche. -Elle a ete engagee par les eV~lIues ! M . Groussau. - Les ev~ques n'ont p~rle qu'au moment oU. la foi ·des enfants a ele reconnue en danger. (TTCS bien! T j'cs bien! a dmite.) Il n'y a pas l~mbre d'un doute sur ce point. Vous voulez que les eveques n'iutfjrv iennent pas lorsque certains hommes se servent de l'ecoLe pour l iriger des aUaques contre Dieu, contre La religion et contre 1'Eglis ? Mais vraiment les ev~ques ont Ie droit d'intervenir parce que La religion est en cause. C'est une question religieuse au sU]Jr~me degl e. (Trt3S bien! TTes bien ! a droite.) M. Viviani parlait, dans son rapport, de la conquete des generations. '01', vous n'~ ez pas Ie droit de faire des conquetes it l'ecole. Votre grand tort, 9 est d'avoir fait de l'ecoLe un champ de bataille contre les 'familles ca tholiques qui vous livrent leurs enfants. Ces familles ont un patrimoine de tradi tions qu'elles veuLent maintenir intact; elles con- siderent COl' me Ie pLus rigoureux des dev0irs d'assurer la fermete des princi pes d · leurs enfants. M. Raffi -Dugens. - Mais nous leur donnons des principes! M. Grohssau. - Quand on sait ce qu'apporte de securite et de douceur 14 vie chretienne, on la met a!l-des:;us de tous les biens. (In ten'uptwns Ct l'extreme gauche.) C'est pourquoi, sachez-Le bip.n, les familles cittholiques sont prAtes, sur ce terrain, a tflutes Les resj"tancf's. (Applatulissements a clroite.) Vous comptez, it est vrai, sur l'iodiffe-' rence et 1'insouciance de beaucoup de catholiques. Mais vos mauvais projets ont, au moins, cet heureux efTet de ,ecouer 1a torpeur et de refaire l'education des consciences catholiques. (Trt!s bien! Tres bien ! .a droite.) 688 R~PONSE DE 1\1. VrvJANI (i7 NOV. 19H) A l'extl'eme gauche. - Alors, ne vous plaignez pas ! M. Groussau. - Je ne me plains pas de la lutte que vons nous; forcez a soutenir. Ce que je deplore, ce sont les consequences que vous tirez de votre force, et, a votre force, j'oppose des idees de justice et de liberte. Quand viendront en discussion vos projets de defense lalque, nons. entrerons d'ans les details de nos revendications. C'est ainsi que nous reclamons ['egalite entre les enfants de toutes: les ecoles. A I'llellre actuelle , d'etranges injustices, par exemple dans la repartition des fournitures scola ires et des secours aux en lants, sou- liwent des recriminations dont nous recevons chhque jour les echos. Mais je n'insiste pas en ce moment sur ce point, ni sur d'autres plus importants encore. Ce que je vous demande aujourd'llui, c'j')st de compTendre la gravite de la situation, si vous ne prenez pas les moyens de respecter les droits des familIes et si, au lieu de songer a des lois de bataille qui, j'en suis sur, ne mettront pas fin au contlit, VOllS n'£mtrez pas dans la. voie de la justice et d'une plus grande liberte. J'en 'fl Ppelle it tons leg. hommes de bonne foi, en leur redisant la belle l'1arole de Ledru- Rollin: « Y a- t-il une souffrance plus grande pour un homme que- l'oppression de sa conscience, que la deportation de ~es fils dans ces ecoles qu'il regafde comme des lieux de perdition, que cette conscrip- tion de l'enfance trainee violemment dans un camp enl1emi pour serviv l'ennemi ? » (Vifs applaudissements (L droite et sur divers bancs alt centre. - L'omtenr, de TetmtT CL son banc, est {"dlicite par ses amis.) REPONSE DE M. VIVIANI , M. Rene Viviani, rapporteur. - Messieurs, Ie Go~vernement e&:. la Commission s'etaient prealablement entendus afin d'alleger Ia dis- cussion budgetaire et de lui pern'lettre, cette annee, pou~ Hhonneur du, Parlement et la quietude du pays, d'aboutir dans· un de\ai normal, et'. ils voulaient menager leurs interventions dans Ja discnssion generale. C'est pour cela que nous avons solli cite et obtenu de Ia bOnne grace de· I'honorable M. Barthou qu'il voulut bien remettre a une date uJte- rieure, et en Iienfermtmt sous la forme d'une interpellation, l'interven- · tion qu'i! avaH mBdite d'apporter dans ce debat au sujet de la crise du fran<;ais. Nous avions espere aussi qu'en ce jour s'ecarteraient de cette · tribune les partisans et les amis des idees de lai'cite, bien co·nvaincus. qu'ils pourraient it un prochain rendez-vous se montreI: fideles, Ie jour tres rap proche ou Ie Gouvernement demandera la di cn,ssion du projet de loi qu'i! entend deposer sur la defense de l'ecole lafique. (Tres : bien / TTes bien /) En ce jour, et sans crainte de !3orter tort au budget, nous pOlllTOnS ecllanger nos idees, faire apparaltre nos opinions contra- dictoires, et, sur les banes re.publicains, nous ne negligerons pas d'inter- venir et de montftif Ie contraste lumineux qui existe entre l'ideallalque · et repnblieain et l'autre idea l auquel nos adversaires sont, d'ailleurs, tres Iegitimement attaches. Mais, Ii ce mutisme, ou du moins a ce parti pris de mutisme que je vous demande la permission de rompre, je ne- LA NEUTRALlTE SCOLAIRE DE VA NT LA CHAMBRE 689' suis pas fideIe, parce que, personnellement, je ne voudrais pas paraitre' acquiescer par Ie silence aux attaques vigoureuses qu'a dirigees contre- nous, j'allais presque dire contre moi, l'honorable M. Groussau, avec une verdenr d:esprit et de parole qui, par un pbenomenesingulier r semble s'accroitre en Ini en m~me temps que s'accroissent les annees. (Applaudissements. ) Messieurs, l'honorable M. Grouss:m a pour la seconde fois - 'car je- suis de sa part l'objet d'une recidive aimable - apporte it la tribune un article que j'ai publie it y a plus de huH ans. Dans cet article, je m'expliquais sur la neutralite scolaire, et je portais. sur les hommes Qui ont tlte les artisans de cette grande r(\forme un certain jugement. J'ai toujours pense, en eI1'et, que la neutralite scola'ire, quand on l'a inscrite dans notre legislation, auraH dll ~tre definie par un synonyme plus net et qui rendit la m~me pensee. J'ai tOLljours redoute que !'inter- pretation etroite de ce mot ne nous conduisit it imposer aux maitres une passivite de camr, de consci~nce et d'esprit que, quant it moi, je juge absolument inconciJiable avec la haute mission educatrice qu'ils. ont re<;ue de la nation. (T1"eS bien I Tres bien! a gauche.) J'aurais pre- fere, non pas, Messieurs, que les professeurs ou les maitres transfor- massent leurs ecoles' en champs clos, et vinssent dresser devant les eleves ces querelles aigues que rendent plus nombreuses la complexite de la vie moderne et l'ardeur de nos combats, mais que, par une noble impartialile doctrinale - et je ne nie pas combien la tacbe etait delicate, - ils pussent faire Ie tour de toutes les questions, envisager tous les problemes. Je montrerai, d'ailleurs, tout it l'heure, par une citation de Jules Ferry, que la pensee qui m'etait venue peut parfaitement Sl:' rattacher, it travers Ie temps, it celie qu'i! exprimait, soit comme ,ministre, soit comll11! simple depute, de son banco . Je . me suis laisse aller, dans l'm"ticle dont il s'agit, it porter sur les hommes qui ont ete les artisans de la neutralite scola ire un jugell1ent severe, puisqu'a travers lui je les ai accuses d'avoir eu une intention autre que celIe it laqueUe correspondait leur pensee. Ceux qui, comme M. Buisson, etaient au premier rang des hommes qui ont connu ces artisans de la grande reforme, ont proteste il ce moment-lil contre l'idee que j'ell1ettais. Je ne puis mieux faire qne d'efl'acer loyalement, it cette tribune, ce qn'il y a d'errone, d'injuste, d'excessif dans un jugement Qu'au cours d'une polemique j'ai porte. (Applaudissements ci gauche.) Et je feliciterais M. Groussau si, portant des jugements sur les hommes et les cboses de s~m temps avec la vehemence que nous lui connais- sons, il n'avait pas aussi depasse Ia mesure; mais je ne lui permettrai, en tout cas, d'obtenir Ie profit de mes felicitations que quand, par un inventaire complet, j'aurai pLl faire Ie tour des productions de son esprit. (n"eS bien! Tres bien! Ct gauche.) Messieurs, l'honorable M. Groussau ne s'est pas contente d'apporter des griefs personnels avec lesqueJs nous en avons fini; il 'a apporte it cette tribune des griefs impersonnels. Sur quelques-uns d'entre eux, de son banc, tres nette- ment, l'honorable ministre de l'Instruction publique s'est deja expliqlle, et je crois que les republicains 5'ont tous groupes derriere lui pour . '690 I1ltpONSE DE M. VIVIANI (17 NOV. 19B) lui donner rai so n dans la mesure ou it a raison, c'est-a-dire complete- ment. (Tj'es bien! Tres bien! a gauche.) M. Driant. - Pour-quoi nous rerusez-vous toujours ce titre de .f(3publicain~? Nous avons la pretention d'etre au~si republieains que vous. (Bruit a ( extreme gauche.) M. Ie rapporteur. ~ Je ne puis pas, cependant, laisser passer a la tribune cetle at'iirmation de l'honorabie M. Groussau qui, interpretant Ie deeret de iH82 sur lequeL iL ~'etait deja explique avec l'honorable M. Doumerglle, aflirllle que Jules Ferry a voulu que La morale a l'ecole .fut fOlldee ~ur la connaissallee de Dieu. Le decret qu'a Lu L'honorable M. Grou~~au e~t exact. Je ne sa is pas - et je Le lui montrt'rai tout a L'heure a l'aide d'une opinion qui surgira de son pro(Jre parti - si l'interpretation a Laquelle it s'est livre peut etre consideree comme .exacte. . Mais, Messieurs, ce qu'il convient de savoir a l'heure actuelle, ce sont preciseweut les raisolJs pour LesqueUes JuLes Ferry avait, en eITet, dans Ie decret dont il est parle, illdiqqe que la neutralite ,piri- ,tualiste contenait un lJ1inimum d'enseignement religieux. Si Jules Ferry peut etre cons;dere comme ayant tenu ce langage, c'est parce .que I'lmmelise majorite du corps en~eignjlnt apparte,lait aux doctrines spirituali~les, et qU'11 ne pouvait Lui dem~nder·autre chos . qu'un ensei- gnement spiritnaliste. Mais, a la meme eIJoque ou parnt Ie de'Tet, Ie 23 decemtlfe i880, vous verrez, si vous commltez les documpnts, que Jules Ferry refusait de pro~crire les Jivres qui etaiE'nt bases sur la morale independaute, et c'e~t ainsi qu'il s'expliquait Ie 23 decembre 1880: « Je ne c mprends pas, si cathol ique que I'on soit, qu'on jette la pierre a des penseurs qui s'eFforct'nt de fortifier la .morale en lui don- 'oant des assises independantes de loute aflirmalioo dogmatique. » Ens'lite it ajoute: « Je ne veux pas dire que, cet etat d'esprit etant ·donne, it s'ensuive pour la liberte sdeliLifique une restriction que 1- conque. Oh! res choses se passent dans un dom~ine oilia liberte de la pensee est la premidre rAgle, parce qu'elLe a ete La premiere et la commune conqnete. iln'y a pas de corps plus liMral, au point de vue des doctrines, quI' l'Ulliversite. Et vous verrez certainement eclore dans son sein des intelligences plus hardies, plu~ osees si vous voulez, qui chercheront a degager les dogmes de la morale des dogmes de la t lHlodicee. » De sorte que Jules Ferry, au moment memeou il eCJ;ivait Les lignes que vous lui reprochez et oil ilne demandait au corps enseignant que ce qu'il pouvait obtenir de lui, c'est-a-dire un en,;eignement sp iritua- liste, jetait un reg~rd profond dans I'avenir, et, apereevallt a I'horizon l'eclosion nouvelle des maitres, des penseurs futurs qui se leveraient, il leur permett~it, par avance. d'echapper aux regles du dogme reli- gieux, aux regles de la tbeodieee, et de fOllder l'enseignemellt qll'ils pounaiellt di~tl'ibuer ensuile uiliqueillent sur la morale independaote. Il terminait ainsi: « Si nons avolls Ie droit de lell r demallder la neu- tralite confessionnelle, nous dpvons, d'~utre pnrt, leur Laisser a tous - allss i bien iI cenx qui ehE'rchent a donner a la morale une base purement scientifique, independante, humaine, positive, qu'a ceux • LA NEUTRALITE SCOLAIRE DEVANT LA CHAMBRE 691 qui la rattachent a des sanctions d'rm ordre superIeur et a un ideal plus elt've, - nous devons, dis-je, leur laisser a tous, pnisqu'ils. servent tous la meme yause, une egale Iiberte. )) Mais, Messieurs, je dis que dans Ie camp meme ou se trouve l'hono- rable M. Groussau, un homme qui s'y connait et qni a ce rtainement. une autorite tres grande en la matiere, lui donnait completement tort. j'ai trouve dans la Revue d'Organisation et de Dej'ense 1'eligieuse, dont, je cro is, Ie directeur est M. Rabier du Magny (1), un article extre- mement interessant. . M. Groussau. - C'est un avocat, professeur a Lyon. M. Ie rapporteur. - Attendez! Ce qui n'est pas d'un avocat, c'est. ce que je vais lire et qui est signe d'un Pere Jesuite (Rires Ii gauche), Ie P. de La Briere, lequel intervint comme vous, a la date du 1er jan- vier 1911, dans Ie debat et s'exj.Jlique ainsi sur les idees que vous im- 'putez il Jules Ferry. II se refuse, lui, a se mettre a vos cotes; il se· fefnse a ne pas apercevoir dans Jule, Ferry Ie pere de la la'icite, Ie veritable artisan des idees sur lesquelles nous hIttons, l'artisan de tout ce qui nOlls unit a Jules Ferry et aux hommes qui, a cote de lui, ont fonde la la·icite. Voici comment ·il s'explique: « Voila pourquoi les maitres actuels du pouvoir ont raison de se pretendre les continuateurs authentiques de Jules Ferry. M. Briand et M. Maurice Faure, comme M. Antonin ,Dubost, comme M. Desso~' e, enonc;aient une verite manifeste lorsque. Ie 20 novembre dernier, ils sa luaient en Jules Ferry Ie createur et Ie pere de l'ecole lai:que, telle qu'elle est comprise aujourd'hui, teUe que nos gonvernaots de i9iO 13 favorisen t et la protegellt. Cette ecole lai:que, ou I'enseignement moral est independant de toute croyance en Dieu, de toute doctrine spiritualiste; cette el'ole lai:que, dont I'esprit est positivement contra ire aux croyances catholiques, alors meme que l'institutellr ne commet aucune violation di recte et formelle de la neu-· tralite, cet/.e ecole lai'que correspond exactement al1x intentions, aux volontes de Jules Ferry: intentions et volontes qui fnrent exprimees non seulemeut dans Ie disconrs mac;onnique de 1.876, mais dans les· nombreux discours parlemeutaires que nous avons cites plus haut et qui precrdemnt immediatement Ie vote des lois scolaires. PeuHltre donc serilit-i/ un peu pueril d'opposer a la conception des la 'iclsateurs actuel,; les textes ou Jules Ferry declare que l'ecole la'ique ense ignera les devoirs envers Dieu, que la neutraIite scolaire devra etre, par con- sequen t, une neutraJite « confessionnelle)) et· non pas lllle neutralite « philo~ophique )), aussi long temps que Ie personnel universitaire demenrera en majorite fidele aux doctrines spiritualistes . Maintenant que d'autres idees prevalent dans Ie personnel flns !'ignant, on se COll- forme a la pro pre pen see de l'auteur des I ,is scolaires quand on adopte cette neutraliLe p. us radicale que Jules Ferry avait prevue et sauve- (i ) M. Ravier dn Magny est un des collaborateurs de la Rev"e d'Orgallisatioll et de Defellse religieuse, dont Ie directenr est M. Paul Feron-Vrau, direcLeul"propriillail'e de toutes les publicalions de la Maison de la Bonne Presse. (Note des Q. A.) • 692 REPONSE DE ~1. VIVIANI (17 NOV. 1.911) gardee lui-meme, Ie jour 011 il combattit si energiquement toute men- tion des devoirs envers Dieu dans Ie texte de la 10L » Il me parait bien difficile d'exprimer plus nettement la pen see que je viens de lire, et comme elle emane d'un homme que connait cer- lainement M. Groussau et pour lequel, j'imagine, il a toute estime, je :pense que voila tranchee, mais contre mon honorable contradicteur, it l'aide du secours du ciel et presque divin qui m'arrive, Ie debat qu'il a souleve. (Applaudissements Ii gauche.) M. Groussau • .-:. Permettez-moi de vous faire remarquer qu'il y a une equivoque dans votre raisonnement. Je n'ai jamais pris la defense de Jules Ferry, et .i'ai meme declare a cette tribune que Jules Ferry, au moment ou il faisait les lois scolaires, dans une conversation avec M. Jaures, declarait qu'il travaillait a une societe sans roi et san;;; Dieu. (Mouvements divers.) Mais parfaitement! c'est M. Jaures qui nous a raconte une conversation ou Jules Ferry, interrog"e par lui sur !'idee maitresse, directrice qu'il pouvait avoir, lui repondait: (( Je voudrais former une societe sans roi et sans Dieu. » J'avoue que Jules Ferry ne m'a jaIpais inspire la moindre con fiance. Mais je dis que quand des promesses nOIlS ont ete faites par un texte, nous avons Ie droit de dire que si vous Ie supprimez il y a quelque chose de change. (Tres bien I Tres bien! Ii dl'oile.) . M. Ie rapporteur. - Je suis certain que l'honorable M. Groussau n'aurait pas inspire une con fiance plus grande a Jules Ferry s'il avait "eu l'honneur de Ie rencontrer a la tribune comme contradicteur. (Sm~rires Ii gauche.) Maintenant que sont eteintes ces querelles - eteintes provisoirement, car Ie debat qui nous divise est eternel, nous ne parviendrons ni 1'un ni l'autre a l'epuiser et nous nous retrouve- rons avec des armes egales dans un prochain debat, - maintenant que ces querelles sont eteintes, je voudrais repondre un seul mot a un griefimpersonnel qu'avec une courtoisie dont je Ie remercieM. Groussau a apporte a ce lte tribune touchant mon rapport. J'ai ecrit dans mon rapport que l'ensemble des peres de fa mille, a quelque confession, a quelque religion, a" quelque opinion qu'ils appartinssent, avaient fait credit et con fiance a l'ecole pnblique. J'ai ecrit qu'il y avait une minorite exasperee qui, quels que fussent les maitres, la methode et 1'enseignement, protesterait contre cet ensei- gnement tant qu'il resterait un enseignement la"ique, et je me suis laisse aller a dire que ces hommes etaient .conduits dans leurs protes- tations moins par leur desir de sauvegarder l'enfance que par hi desir de se meIer - et c'est leur droit - iJ un vaste mouvement de protes- tation contre la Republique. (Applaudissements Ii gauche.) L'honorable M. Groussau a juge injuste, parce que trop hardie, cette generalisation. II a fait appel a rna bonne foi, et ma bonne foi ne peut se recuser. Je veux bien admettre, puisque M. Groussau les conn1)it, qu'il y a des peres de famille qui, en dehors de tout sentiment politique, dans 1'ar- deur d'une foi catholique - a laquelle, d'ailleurs, et c'est son honneur, la Republique a donne la pleine liberte de se manifester, - je veux bien admettre qu'il y ait des peres de famille qui considerent que leurs enfants seraient en peril a l'ecole publique. Mais la question n'est LA NEUTRALITE SCOLAIRE DEV ANT LA CHAMBRE 693 pas la, monsieur Groussau, et permettez-moi de vous dire que j'atten- dais de votre franchise habituelle que vous n'esquiviez pas la difficulte aussi habilement. Pourquoi donc ces peres de famille sont-Us arrives a avoir cet eLat d'esprit? Comment peuvent-i1s se persuader que l'ecole publique est un peril pour leurs enfants? Quand vous dites que la politique est etrangere a votre action, comment pouvez-vous supposer qne nous soyons assez naiJs pour ne pas apercevoir que la direction imprimee a cette cam- l'lagne methodique est, purement et simplement, une direction poli- tique? (Nouveaux applaudissernents Ct gauche.) Ah! Messieurs, queUe des illusion est /a f,otre quand nous entendons l'honorable M. Groussau .et quand, surtout, nous voyons l'honorable M. Piou l'appuyer de son banc ! Et comment peut-il pretendre que, s'il attaque l'ecole lalque, <;'est uniquemeut parce qu'i! est preoccupe de sauvegarder l'enfant... M. Groussau. - Certainement oui ! M. Ie rapporteur. - L'Eglise - et vous ne devriez pas vous cacher derriere sa propre hlstoire, - l'Eglise a tQujours eu un ideal, un plan, une methode. Elle a toujours voulu conquerir l'enfant pour mieux detenir Ie citoyen (Vi(s applaudissements a gauche et a l 'ex- trerne gauche),eLever Ies generations pour qu'elles soient dociles a son enseignement et preparer pour les revanches qu'elle escompte des soldats qui seront mieux armes. C'est ce qu'avaient Ie courage de dire les grands orateur" catholiques, et notamment celui qu i parlait a Ia veille de Ia nefastr Ioi de 1850, Montalembert, qui, au nom de Ia reli- gion, pronon Ga it des requisitoires enflammes contre Ia societe Ia111ue. Et dans des temps plus recents, M. de Mun, que je regrette de ne pas voir a son banc, abordait Ie debat avec une pareille franchise, lui qui, en 1878, ecartant les arguties et Ies habiletes derriere lesquelles on se derobe, oppo~ait orgueilleuscment Ii la societe fondee sur la volonte de l'homme la societe fondee sur la volonte de Dieu. Pourquoi vous cachez-vous aujourd'hui ? M. Groussau. - M ,is je ne me cache nullement! S'il y a quel- qu'un qui ne se cache pas, c'est moL (T1'es bien I Tres bien I a droite et S U?' divers banc,~ . ) , M. Ie rapporteur. - Pourquoi vous cacbez-vous? Je vais vous Ie dire. Il fut un temp" Oll les institutions republicaines apparaissaient comme debiles, et alors on dirigeait contre ces institutions un assaut formidable. On' s'aperGoit que cel.a n'est plus possible. On se contente, par l'ontrage, l'intimidation et la menace, d'attaquer ceux qui les representfmt et qui Ies symbolisent,' Jusqu'au fond des campagnes et des villages ou iis enseignent, surveilIes par Ia malveillance privee, se trouvent des instituteurs qui ont besoin qU'Oll les enveloppe de reconfort. (Applaudissements a gauche et a l'extrerne gauche.) Ainsi nous nous adressons aux republica ins. Les republica ins sont en face de deux perils. Le premier peril consisterait Ii perdre tout sang-froid, Ii faire de l'anticlericalisme l'objet principal de nos preoccupations (Nouveaux applaudissernents SU1' les rnemes banes), Ii deserler l'etude des questions economiques, sociales et politiques 'qui retiennent notre examen. Ce peril consisterait a nous imaginer que no us sommes, 694 REPONSE DE 1\1. STEEG (:17 NOV. 1911) nous, des Nres infaillibles, et a. mepriser - ce que nous n'avons jamais fait - ceux qui, se 'rattachant a. une autre morale que la notre, sont honn~tes et donnent des exemples de vertu devant lesquels nous nous inclinons, comme, je l'espere, vous vOus inclinez devant les exemples de vertu qui sont donnes au nom d'une autre morale. (1'1'es bien t T1'es bien /) Mais, Messieurs, un autre peril consisterait aussi a. trop attendre, a. trop atermoyer, paree que, les faits grandissant silencieusement, il pourrait arriver qu'un jour nous fussions ell presence d'une situation te11e qu'alors, dans l'ardeur du combat, nous depassions 13 mesure, ce que la justice veut et ce que veut aussi cette vertu lalque conquise par nos peres contre tous les fanatismes et qui s'apjJelle la tolerance. (Vifs applaudissements d gauche et d l'ext!"eme gauche.) Et je m'adresse ainsi au Gouvernement. Je Ie sais pr~t a. dMendre l'ecole lalque. Je connais M. Ie ministre de l'Instruction publique, Mritier d'un noble republicain qui, dans la bataille, s'est toujours dresse pour la Repu- blique. Je connais sa passion pour I'ecole lalque. Je sais qu'il appor- tera Ie projet que nous attendons. Qu'il l'apporte et qu'a. un jour pro- chain nous en terminions, dans un debat net et precis! Apres, la Repu- blique, dedaigneuse des clameurs qui l'assaillent, pourra continuer son chemin vers Ie progres ind-etini. (;1pplaudissements njpetes a gauche et 'a l'extTeme gauche. - L 'omteu1', en 1"egagnant sa pLace, Teroit les (eLiCitations de ses collegues.) I REPONSE DE M: STEEG M. Ie ministre de l'Instruction publique. - Je n'ai rien, ou! du moins que peu de chose, a. ajouter aux paroles eloquentes de I'ho- norable rapporteur: J'accepte Ie rendez-vous qu'il a bien voulu me donner et .je .prie d'autre part l'honorable M. Groussau de vouloir bien me permpltre d'ajourner :i ce moment-lit des reponses plus com- pletes et plus detaillees aux questions qu'il a pu me poser, aux objec- tions qu'il a pu presenter. Je crois avoir repondu par avance a. l'appel de l'honorable M. Viviani en deposant ce matin m~me deux projets de loi, dont l'un a pour objet d'assurer la frequentation et la defense de l'ecole primaire publique, I'autre d'organiser un controle pins efficace de l'enseignement prive. (T1'es bien! T1'es bien! a gauche.) Mais je ne puis accepter la pen see que l'honorable M. Groussau pr~te' et au ministre et au Gouvernement. Notre ecole prima ire publique doH observer la neutralite, mais je ne crois pas que l'honorable M. Groussau soit partisan, lui, de cette neutralite ..... M. Groussau. - Non! M. Ie ministre de l'Instruction publique. - ..... car les paroles que nous venons d'entendre n'emanent pas d'un homme qui deman- derait it l'ecole primaire de respecter des croyances, de nepas les attaquer, de ne pas se dresser vis-a.-vis d'elles en injures et en provo- cations; non, elles tendent it no us demander de servir ces croyances. Or, l'ecole neutre est une ecole qui n'est dirigee contre l)ucune reli- gion. (Tn}s bien / 1'1'es bien I a gauche.) Mais si I'ecole neutre n'est LE MOUVEMENT OUVRIER CATHOLlQUE EN ALLEMAGNE 695 dirigee, contre aucune religion, elle pretend ne ·se mettre au service d'aucune Eglise. (App lauclissements a gauche et a l'extreme gauche.) L'ecole primaire publique, en se pla(iant au-dessus des querelles reli- gieuses, est Ie berceau d'une societe republicaine et fratel'llelle; c'est ce que Jules Ferry a voulu et c'est ce que nous, ses modestes Mri- tiers, en tendons' realiseI'. (Applaudissements a gauche et a l'extreme gauche.) LE MDUVEMENT OUV8IEB CATHOLIQUE EM ALLEMAGME Sous ce titre , la Civiltli cattolica du 2 sept. i9H a publie une etude qui a suscite une cel'taine emotion dans la pl'esse. Nous la traduisons integralement : Depuis plusieurs annees, l'organisation de la classe ouvriere catho- lique en Allemagne attire l'attention jusque dans les pays etrangers, et en divers endroits on a voulu l'imiter sinon completement, du moins en partie. Nous estimons donc faire Oluvre utile et agreable aux lec- teurs de la Civi lta cattolica en leur en donnant un expose exact et en abordant ainsi quelques divergences d'opinions qui ne font jamais deraut, meme entre des hommes d'intention tres droite. Disons auparavant q.ue ceUe organisation a penetre aussi en Autriche. Mais com me la grande industrie est bien moins avancee et partant la classe ouvriere bien moinsnombreuse dans ce pays qu'en Allemagne, Ie socialisme aussi bien que Ie mouvement ouvriRr catholique n'y ont pas Ia me me importance. 'l'0utefois, en ces dernieres annees, depuis que Ie parti chretien -social de l'illustre Lueger est devenu plus puissant, l'organisation ou vriere a fait en Autriche des progres notables et promet beaucoup pour I'avenir. II y a donc, aussi bien en Autriche qu'en Allemagne, parmi les ouvriers catholiques, deux organisations tout a fait distinctes et diffe- rentes . Ce dualisme e,;t d'autant plus a releverque souvent on emploie Ie meme mot it\ltien pour designer I'une au I'autre de ces organisations. L' Allemand distingue l' Aj'beiterverein 'eL la Gewe1'kschaft, et qui con- fond Arbeitej'verein avec Gewerlcschaft, ou vice versa, temoigne deja par cela seul qu'i! manque absolument de I'experience et de la compe- tence necessnires pour prendre part a la disc'us~;jon sur Ie mouvement ouvrier d' Allemagne. En Italie, les mots n'ont pas encore un sens aussi precis et determine; les memes termes : Ligue, Societe, Cercle, Association, Union servent a designer tan tot un Arbeiterverein, tantOt une Gewel'kschaft. Afin de supprimer ce pendant toute equivoqne et toute confusion, nous distinguerons dans cette etude les Associations ouvrieres et les Synclicats· ouvriers, a ppelant Associa tion ouvriere ce qu'en Allemngne on appelle Aj'beitej'verein et Syndicat ouvrier ce qlte les Allemands appellent Gewerkschaft. I La difference fondamentale, d'ou proviennent to utes Ies autres, ent~'e 696 ARTICLE DU R. P. BIEDERLACK (<< CIVILTA CATTO LICA ») ceux-ci et celles-lit ·consiste en ce que les Aswciations poursuivent des· fins surtout religieuses, et par suite ont un caractere ecclesiastique, alors qne les Syndicats ponrsuivent directement des fin s materielles ou profanes et ont ainsi un caractere lalque. I. - ASSOCIATIONS OUVRIERES «(( ARBEITERVEREINE ») 1. - Organisation des Associations. La puissance des Associations se revele sur-Ie-champ 'par leur nombre et par Ie nombre de leurs adherents. 11 y a en Allemagne environ, comme nous Ie verrons plus loin , 3000 Associations avec plus de lJ,OU ooq adhe- rents, soit une armee tres considerable d'ouvriers catholiqnes. Encore faut-iJ remarquer que ces Associations se composent uniquement d'ou- vriers proprement dits, it l'exclllsion de ceux qui exercent des arts ou metiers et que l'on appelle Handwe1'ke1' [artisans] et non Arbeite1' [ouvriersJ. Pour Jes ar tisans, iJ existe une autre organisation, qui sa divise en deux ou trois grandes Federations: I'une pour les maitres (l}feiste1'vereine), I'autre pour les compagnons (GeseUenvel'eine), la troisieme pour les apprentis (Leh1·L'ingsve1'eine). Cette derniere ne compte pas encore beaucoup d'adherents, mais les Associations de maUres en comptent 1.20000 et celles de compagnons 80000. Les Associations don t nous parlons s'adressent exclusive ment aux ouvriers (A1'beiter) qui travaillent dans la grande industrie (industria' qui, comme chacun Ie sait, a pris en Allemagne, en ces dix dernieres annees , un developpement considerabLe), dans les mines, dans les entreprises de transports (chemins de fer, tramways), etc. II n'existe absolument aucun diocese qui n'ait un grand nombre de ces Associa- tions ouvrieres; elles s'etendent aujourd'hui, tel un filet it mailles ser- rees, sur toute I' Allemagne. On peut dire qu'en un 'certain sens leur organisation esthierar- chique. Elle n'est pas l'muvre du genie d'un seul homme, non pLus que d'un Boyan d'hommes ou d'esprits eclaires qui l'auraient elaboree a pi'iori et pnsuite realisee, mais elle a cril pen it peu et s'est developpee d'elle-milme comme Ie gmin de sene vi dont parle Ie Seigneur dans l'Evan- gile. Les Associations qui remontent it vingt-cinq ans sont en tres petit nombre; la plupart ont vn Le jour au xx, siecle et ne comptent pas encore dix annees d'existence. Assurement, l'idee de grouper les ouvriers catholiques d'une ville ou d'un pays dans une.Association particuliere est plus ancienne; mais leur developpement interieur et exterieur est l'muvre des vingt dernieres annees. Voici en quoi cons iste l'organisation hierarchique: les Associations locales d'un distri ct donne sont unies en une Federation de district; toutes les Federations de district d'un diocese forment la Federation diocesaine, et plusieurs Federations diocesaines se sont unies en une Ligue ou Federation centrale. On compte quatre Ligues centrales ou interdiocesaines. Quant it la structure des Associations locales, it la tMe de chacune se trouve un priltre, nomme par son evilque, d'ordinaire un chapelain attache it la paroisse. lis sont celebres en Allemagne, les aumoniers LE i'tlOUVE~lENT OUVRH:R, CATHOLlQUE EN ALLEMAGNE 697 ,~mvriers qui, outre leurs occupations dans la paroisse (predications, ' confessions, instruction religieuse dans les ecoles elementaires, visites des malades, etc.), doivent encore diriger les Associations ouvrieres . .La formation que requiert l'accomplissement d'une telle tache se com- plete en partie dans les Seminaires diocesains et dans Jes Facultes de theologie universitaires, 011 se font des cours speciaux de sociologie -adaptes aux besoins particuliers du ministere sacerdotal, en partie par l'etude privee et bien plus par la pratique elle-meme accompagnee de l'etude. Un nombre relativement considerable de livres, tracts, perio- diques, qu'en general au moins on peut tenir pour bons, facilitent ,l'etude privee. Grace au bon esprit du clerge allemand, les aum6niers ·ouvriers zeles ot intelligents ne font pas decaut. Dans les petites villes et dans la plupart des villages, il n'y a qu'une Association ouvriere; dans les grandes villes, naturellemeni il en existe conjoinlement un plus grand nombre . Ainsi, par exemple, a Munich, ·~n Baviere (plus de 000000 habitants), on trouve i8 Associations; a Nuremberg (300000), 6; t.. Dusseldorf (300000), it>; il Crefeld, 11; iJ. Batisbonne (00000), 2; il Stuttgart, 2; a Mlmster" 3; a Cologne -(000000), :19, etc. Les Associations du meme diocese sont unies en une Federation .diocesaine (Dimcesan Verband), avec, il la tete, un autre pretre qui a Ie .titre de president diocesain (Dimcesan-Prmses) ega loment nomme par l'eveque. Le president diocesain a pour mission ,de stimuler Ie zele et l'activite de chacun des pre~idents locaux, de trouver de nouveaux .moyens d'entretenir l'esprit catholique toujours vivant dans les Asso- , ·ciations, de sl1ggerer il l'eveqne les changements qui s' imposent des presidents locaux, de presideI' la reunion diocesaine des presidents et .autres delegues des Associations locales. La reunion diocesai ne se tient ,au moins une fois par an et se compose des presidents locaux et de dis- trict et d'autres deh\gues de chaCllne des Associations. Vu la grande etendue et la population considerable des dioceses de l' All emagne, les Federations diocesaines ~e subdivisent en Ligues de ·district (Bezirksve1'bmnde). Ainsi, l'archidiocese de Fribourg (Bade) compte ill Ligues de district; HaLisbonne, 10; Cologne, 1l~; Bamberg, -3; Wurtzbourg, 20; Paderborn, 18, etc., etc. A la tete de la Federation -de di strict se trouve d'ordinaire un president lqcal dont l'eiection (par les presidents Jocaux) doit etre approuvee par I'eveque. Deux fois par -an d'ordinaire, au pri ntemps et it l'automne, it se tient un Congres de district auquel prellnent part non seulement les presidents iocaux, mais encore les autres chefs de la Ligue et les delegues de chacune -des Associations. On y lit Ie' compte rendu annuel de la Lig!le, on y discute les moyens de promouvoir la vie interieure et Ie progres exte- rieur des As,;ociatitlns (I). La convic,tion qu e la valeur des Federations diocesaines croit avec tla concentration des Associations a donne naissance aux Ligues inter- ,