key: cord-1037791-n56bhqje authors: Grosclaude, M. title: « Soigner avec plaisir » dans la démence : une utopie ? L’expérience d’une équipe de gérontopsychiatrie entre 1987 et 1999 date: 2020-07-11 journal: nan DOI: 10.1016/j.npg.2020.06.003 sha: 8c5579cddde3c1fbd96d9b34c9482a343281915e doc_id: 1037791 cord_uid: n56bhqje Résumé L’auteure revient sur les enseignements de l’expérience d’un projet de soin à visée psychothérapique dans la démence, dénommé par les soignants « soigner avec plaisir », conçu et mené de 1987 à 1999 par l’équipe pluridisciplinaire d’une unité de gérontopsychiatrie. Sont présentées les conditions qui ont présidé à sa réalisation puis à son devenir et ses effets dans le soin, pour le patient, et pour les soignants. Summary A psychotherapeutic project named by the care team “Enjoying dementia care” (soigner avec plaisir) was designed and conducted by a pluri-disciplinary psychogeriatric team. We present here the setting of the project, its outcomes and its effects on care for patients and caregivers. Ce texte a pour objet une expérience de soin à visée psychothérapique dans la démence conçue, élaborée et menée entre 1987 et 1999 par l'équipe pluridisciplinaire d'une unité de gérontopsychiatrie sur la base d'un projet institutionnel initialement dénommé par les soignants « soigner avec plaisir ». Il ne relève pas du récit d'un passé désuet mais des données d'un corpus concret issu de la réalité clinique, ni hasardeux ni voué au cas unique. Il soutient que cette option ne se réduit pas à une utopie, comme l'a démontré la concrétisation du projet, et qu'elle demeure productive sur le fond et viable dans l'actuel. Il a pour objectif, dans une présentation nécessairement résumée et anecdotique (l'argumentation et les développements débordant le cadre d'un article), de rappeler, à travers le lien de l'institution au soin du sujet âgé dément, les circonstances de cette expérience, les principes et le cadre dont nous posons qu'ils ont conditionné son fonctionnement, et d'en cerner des enseignements pour une pratique qui, aboutie il y a une vingtaine d'années, continue d'en éprouver et conforter les principes de base, contenus, et productions, mettre à découvert des potentialités du fonctionnement psychique dans la démence. Il met au travail l'hypothèse que ces conditions ont été reliées dans un plaisir du soin participant à la fois de leur cause et de leurs conséquences, qu'elles déterminent la nature, la qualité et les effets du soin psychique pour un mieux-être de l'équipe soignante et des patients et demeurent, de façon générale pensons-nous, pertinentes et extensibles, à savoir : • le choix de la pratique auprès du sujet âgé troublé : au sens minimal d'implication personnelle, et non dans la contrainte, la soumission, ou le pis-aller ; • la possibilité de participation continue à l'élaboration et à la gestion du projet de soin comme entreprise et objectif communs à l'équipe ; • l'activité de penser et de recherche de chacun, mise au service du soin et de sa propre économie psychique : aux sens du travail de l'appareil à penser, d'intérêt, créativité et curiosité à chercher, et de satisfaction à trouver. Elles impliquent une démarche d'adhésion éclairée des soignants et une indispensable consensualité institutionnelle (institution et équipe), sans quoi le soin, a fortiori son plaisir, ne peut se déployer, voire survivre, sinon hors cadre ou contre l'institution, et alors au mieux dans l'exil d'une relation « privée » avec le patient mais délimitée et verrouillée, dont l'expansion est compromise. La création de l'unité de 25 lits dans un pavillon vacant du CHS (centre hospitalier spécialisé, hôpital psychiatrique), indépendante des services sectorisés existants mais rattachée à l'un d'eux, se fit par décision administrative en 1987, à fin d'hospitalisation d'une durée moyenne de plus ou moins 2 mois, réservée aux admissions des patients âgés atteints de pathologies importantes, essentiellement de démences, qui étaient jusqu'alors accueillis avec les autres sans distinction. Elle couvrait un secteur en milieu rural éloigné de l'hôpital, de 40 km en plaine à une centaine de km au fond de vallées isolées, et aurait à fonctionner à moyens constants, sans investissements ni création de postes. Le bâtiment tout en longueur, de plain-pied, aux grandes portes vitrées ouvrant sur un jardin discrètement clôturé donnant sur les champs, a tenu une fonction d'importance dans le support thérapeutique tout au long de l'expérience. Une réunion hebdomadaire permanente à fonction de brainstorming fut instaurée à l'intention de l'ensemble des personnels intéressés de l'hôpital et à toutes leurs propositions, sans limites imposées, afin de trier et définir le contenu de l'enveloppe encore vide de la future unité : formes, objectifs, responsabilités, fonctionnements, activités, modalités, et d'en constituer l'équipe de soignants volontaires. L'initiative attira un grand nombre de participants, d'abord de passage, d'autres intéressés ou seulement curieux, puis assidus, dans un groupe de travail stable qui donna lieu à un volumineux document-programme, un mois avant l'ouverture. L'équipe définitivement constituée incluait d'une part, les participants volontaires du service accueillant, membres de la nouvelle unité, restant dédiés à l'ensemble du secteur : psychiatre chef de service PH (praticien hospitalier), un interne en psychiatrie, la surveillante, l'assistante sociale, le kinésithérapeute ; chacun étant en charge dans l'équipe de ses fonctions spécifiques (gestion, suivi médical, social, secteur, VAD [visites à domicile], familles, maisons de retraite, etc.), et participant au fonctionnement général et à la réalisation du projet de soin mais non aux activités internes quotidiennes, et psychothérapiques en charge, elles, des « résidents internes », soignants infirmiers et psychothérapeute. D'autre part, des participants qui étaient exclusivement dédiés à la nouvelle unité : 14 soignants (soit une présence moyenne de quatre soignants dans la journée) tous candidats détachés de leurs services respectifs, de générations diverses, infirmiers psychiatriques, deux aides-soignantes, ayant une expérience traditionnelle conséquente auprès de patients psychiatriques en majorité jeunes (ceux âgés et déments sans soins spécifiques vivant en retrait), aucun familier de la gérontopsychiatrie, et deux IDE (infirmière diplômée d'état) débutantes. Enfin, la psychologue, psychothérapeute, familière de la pratique et de la recherche clinique dans la démence, en charge du versant soin psychique. Le cadre et l'organisation structurelle commune assurant les liens de l'équipe dans une osmose fluide, une communauté du penser et du faire suffisamment ouverte pour l'espace subjectif, et préservant la dynamique institutionnelle du clivage comme de la confusion. Les motivations exprimées d'emblée lors des échanges préparatoires avaient pour dénominateur commun le souhait de changement d'un contexte institutionnel insatisfaisant et l'intérêt pour une activité de soin nouvelle, toutes traduites dans les mêmes termes récurrents : « envie d'y travailler », « choisir de travailler », « désir », « trouver du plaisir », « besoin », et des objectifs raisonnés tels : « désir de réfléchir à une prise en charge spécifique », « mieux faire ou moins mal faire », « améliorer l'état de santé du patient âgé », « des ambitions raisonnables mais résolues », « dans la perspective d'un retour ou d'un maintien de l'autonomie mentale, physique, et sociale », « respecter leur responsabilité, leurs souhaits, les mettre en confiance, guetter leurs désirs de communication », « reconnaître dans son individualité et non seulement dans ses perturbations », « réduire les périodes d'hospitalisation pour éviter des ruptures trop longues avec le milieu habituel », « découvrir la démence », « respect de la subjectivité de chacun ». Le versant psychologique et psychothérapique du fonctionnement de l'unité, initialement envisagé comme un positionnement de principe sur l'importance de la dimension psychique du soin, associé à une activité spécifique de psychologue restant alors à définir, fut élaboré au cours du brainstorming comme un dispositif intriquant soin psychique et psychothérapie à trois entrées, celles : Cette visée psychothérapique générale a impliqué d'éclairer les conditions d'avancée et de limite du soin psychique, de se donner les moyens de penser et ajuster de nombreux possibles en suspens, souvent fondés sur des hypothèses encore non étayées par la clinique (par exemple, la pertinence du groupe dans la démence, la cothérapie avec un soignant, les « extensions psychothérapiques aux pratiques soignantes »). « Soigner avec plaisir », applications, modalités et effets il se passait des choses, qui se déplaçait chez elles, et dont les patients revenaient améliorés et satisfaits, celui de soignants, professionnels, visiteurs étrangers, demandeurs de découvrir les modes de fonctionnement de ce lieu de plaisir du soin et de ressourcement des soignants et des soignés. Parler du plaisir à travailler en gériatrie surprend : un tel tableau idyllique est à première vue suspect de naïveté, idéalisation, invraisemblance, ou de mécanismes maniaques contra-dépressifs et autres refoulements et dénis. Comment la croisée de deux chemins en apparence destinés à se rater, où les uns vieux et malades souffrent d'avoir perdu ce que les autres cherchent ou détiennent, peut-elle ouvrir à cette démarche sans masochisme, aux effets restitutifs de santé psychique ? Les conditions impliquent des ingrédients d'ordres personnels, pratiques, conceptuels, économiques, éthiques, permettant la sublimation mais préservant les désirs et les narcissismes individuels dans les fonctionnements d'une équipe où chacun trouve son compte. Notre interprétation est la suivante : une convergence homogène d'accords, institutionnel, d'équipe, individuel, les enjeux et les modalités cliniques, pratiques, et théoriques définis et investis par les partenaires eux-mêmes comme des « volontaires consentants et éclairés », à l'instar d'un protocole de recherche impliquant l'humain, ont su ménager une dynamique et des espaces suffisants pour entretenir celui de l'illusion et de la rêverie singulière tout en laissant l'accès et une place commune au principe de réalité, permettant la métabolisation du négatif, la dérivation et le réinvestissement de l'agressivité sans répression, dans la multiplicité des ressources collectives et individuelles de pensée et de créativité, la diversité des supports d'expression et de satisfaction, les modalités de régulation institutionnelles et individuelles, la plasticité et l'ajustement du cadre, la gratification des relations de soin avec les patients et leurs effets thérapeutiques. La dimension psychique engage toute prise en soin y compris somatique. Penser le soin, être et faire avec le sujet âgé perturbé dans les circonstances de l'admission et d'unehospitalisation en psychiatrie, marquées par la crise, l'agitation, le délire, l'effondrement dépressif, la confusion, et la solitude, convoque à traiter un patient absenté, difficile et hors d'atteinte, en sujet partenaire de soin, en « humain-comme-nous-mais-dans-un-autre-état », à parler réellement avec lui, malgré les effets d'extinction du processus démentiel qui vide la tête de l'autre et le rend mutique, et les préjugés en circulation. C'est possible, et même simple, dès lors que certaines options de base, incontournables, proposées au départ et soutenues à mesure sont partagées, intégrées, et actées par l'équipe : ainsi, pour la persistance du sujet et de la vie psychique dans toute psychopathologie, dont démentielle, et l'exigence d'un soin qui s'en préoccupe, impliquant de s'y intéresser, d'être curieux de ce sujet -dément, délirant, agité -, qui rejoignent la condition de « soigner avec plaisir ». L'admission de patients âgés démunis et troublés, accueillis en hôtes souffrants, par des soignants proches et à distance respectueuse, manifestant leur intérêt dans une préoccupation (au sens de la préoccupation maternelle primaire winicottienne) [6] non intrusive, en position d'établir une relation, suscite la surprise, la réassurance et l'apaisement. Ces premiers effets psychothérapiques ambiants furent immédiats et durables pour l'atmosphère paisible de l'unité, sensibles d'entrée à quiconque et au quotidien, verbalisés en ces termes par les soignants lors d'une évaluation en 1991 : « une unité ni déprimante ni désespérante », « il fait bon y vivre », « les patients sont calmes mais pas prostrés », « il y a beaucoup d'échanges entre eux et les soignants », « on ressort reposé », « on y parle et pense beaucoup », « sollicitude », « disponibilité », « endroit préservé ». Ils l'ont aussi été sur la clinique, par une sédation spontanée de l'agitation, des délires, et des cris (disparus à l'exception de ceux, inopinément résolus, de la « dame aux crevettes » [3] ). Dans un projet thérapeutique partagé par une équipe pluridisciplinaire, le soin psychique imprègne l'ensemble du soin : à travers les formalisations générales communes de la pratique soignante, dans les cadres, formes, et modalités de soins propres à chacun des professionnels de l'équipe (médecin, soignant, psychologue, et autres partenaires), et dans ceux spécifiques au champ de la psychothérapie. Enfin, de façon permanente et diffuse, certaines modalités psychothérapiques indirectes impactent la relation de soin, en prolongement de ses options de base : par exemple, par l'association du patient (fût-il dément) à l'histoire de sa maladie dans son dossier de soins instauré avec deux référents soignants pour chacun, par la consultation et l'accord préalable à la participation ou non d'un visiteur professionnel demandeur par le groupe de patients (atteints de démence avancée) se révélant parfaitement apte à émettre son avis, ou encore par la prise en compte, dans des circonstances particulières, de demandes de modalités psychothérapiques par le patient, comme ce fut le cas d'Elise [4] , pour La sieste accompagnée, formulant son attente d'un sommeil enfin dépourvu de menace mortelle : « oh oui une sieste, mais pas le grand sommeil ! ». La pratique psychothérapique des soignants (au sens infirmier) dans l'unité a pris différentes formes, déterminées par le cadre et la clinique : soit en tant que soignant cothérapeute dans le Groupe d'Histoire de vie [5] , technique de psychothérapie de groupe, sur la durée, que nous avions proposée comme hypothèse dans le projet initial sans l'avoir préalablement expérimentée, soit en tant que participant intégré au cadre dans La Pâte à parole, autre technique de groupe que nous avons initiée ultérieurement, enfin dans des pratiques appliquées par les soignants, que nous avons qualifiées d'extensions psychothérapiques aux pratiques soignantes. Les extensions psychothérapiques aux pratiques soignantes ont été élaborées au sein de l'équipe et menées en copratique à la faveur de situations cliniques bien particulières, aux modalités gérées en réseau dans l'équipe, mais effectuées par le soignant seul (dans le cas de la sieste accompagnée) [4] ou à plusieurs : « pack adapté », « petits soins ». Dans tous les cas, ce sont des patients qui en ont été à l'origine. Il fut convenu que les indications en seraient discutées, décidées, et leur évolution suivie en équipe, et qu'après proposition faite au patient, leur application serait gérée en responsabilité par les soignants. Ces extensions, modalités aux formalisations propres à la pratique infirmière, à médiation corporelle à valeur de soins maternels, de holding et handling [6] , sont indissociables du tissu conceptuel et clinique qui les a suscitées. Elles s'alimentent des retombées cliniques et théoriques de la psychothérapie dans la démence, qu'elles prolongent à travers un objectif défini par « pour la psyché et par la psyché » et un dispositif marqué par le corporel. Elles impliquent des soignants avisés des enjeux et des problématiques en cause, familiers des notions qui les éclairent, sans se confondre avec les activités infirmières courantes, (nursing, toilette, traitements), techniques ou occupationnelles, et supposent cette « formation continue » diffusée à travers les positionnements, les pratiques et les échanges de connaissances dans les échanges et lors des réunions hebdomadaires de l'unité. Leur champ d'application concerne une clinique aiguë (à l'exception des petits soins), de l'urgence, où priment l'angoisse, l'effondrement, et l'agitation, avec insomnie, hallucination, délire, cris, éprouvés d'abandon et de mort imminente, dans l'échec des autres traitements qu'ils soient médicaux ou approches par la parole. Leurs objectifs thérapeutiques sont pragmatiques, et visent le retour à des modes de soin psychique antérieurs. Ils visent le dénouement de l'angoisse catastrophique, l'apaisement subjectif à l'abri des attaques externes et internes, la réintégration du psyché-soma, un retour au repos, dans une technique à fonction de reliaison par la réassurance de la parole et de la proximité humaine de l'autre, soignant, et des modalités corporelles concrètes (enveloppement, réchauffement) référées à des outils conceptuels principalement winnicottiens relatifs aux soins maternels. Enfin, l'ensemble des techniques, pérennes, s'est avéré aisément communicable, mais aussi transférable à d'autres situations, équipes, praticiens, structures de soin, et aménageable sous condition d'un étayage conceptuel rigoureux justifiant chaque détail de l'aménagement, car celui-ci modifie toujours, même très partiellement, les enjeux et les effets de la technique (par exemple : renoncer au cothérapeute soignant dans le groupe d'histoire de vie, ou à l'inscription des messages des patients, etc.). Résumer le support psychothérapique, privé de ses préalables et de son argumentation théorico-cliniques qui en éclairent les mécanismes psychologiques, est inévitablement réducteur. Cela fait, cependant, apparaître à la fois que la part essentielle est ailleurs, non visible, non réductible au support (par exemple, à des couvertures serrées et chaudes contre les agonies primitives. . .) mais que chaque élément du cadre est pensé, rend pertinent, juste, et nécessaire le support visible, et détient du sens dès lors qu'il est mis en lien et en sens entre le thérapeute et le sujet. Leurs indications : tous les patients atteints de démences de formes et de stades divers, porteurs d'importants troubles cognitifs et langagiers, jusqu'au mutisme. Principes, média, objectifs sont fondés sur la parole et ses états de déliaison, même quand elle n'est plus accessible au sujet (Pâte à parole). Les résultats montrent la mobilisation de réserves non seulement cognitives et mnésiques mais subjectives, y compris dans des états démentiels sévères. Groupe de parole d'une quinzaine de participants en moyenne, mené par deux intervenants : la psychothérapeute et un soignant cothérapeute représentant l'implication institutionnelle dans le soin psychique. Lieu : au centre de la salle de séjour, bulle groupale visible mais préservée, chaises disposées en cercle, baignant dans l'espace institutionnel commun, autour de laquelle vaquent discrètement les soignants, permettant aux patients de s'y joindre librement. Entrée et sortie du groupe sont possibles en cours de séance. Durée : 1 heure, hebdomadaire. Objectifs : réappropriation identitaire, de la subjectivité, de la parole, et de la continuité d'existence. Thérapeute et cothérapeute ont à oeuvrer avec chacun à la reconnaissance, la reliaison, et la restitution des productions chaotiques suscitées dans le cadre, porteuses de grande et de petite histoire. Principes : la parole est le seul média, quel que soit son état et celui du sujet. Consigne : « venir parler, on va parler, c'est pour parler », comme on peut et veut, selon le principe que chacun a baigné dans la parole, en porte les traces et en sait quelque chose. Seules conditions (jamais transgressées) : se présenter, ne pas interrompre celui qui parle. Hypothèses : dans l'histoire de vie psychique, commune à tous les humains dont ceux présents, réside la petite histoire singulière de chacun. Rassemblés par la problématique démentielle commune, les participants peuvent s'y retrouver, se réapproprier ce qui leur appartient (voire le rendre à son voisin de groupe). Modalités Participants : les patients qui le souhaitent, mais seuls intéressés ceux atteints de démence très avancée avec perte ou disparition de la parole, mutisme, aphasie, participant aussi au groupe d'histoire de vie, mais manifestant pour la pâte à parole une excitation anticipée jubilatoire. Lieu, durée : centre de la salle de séjour, 1 heure hebdomadaire. Objectif : comme pour le Groupe d'Histoire de vie, de retrouvaille et de reliaison identitaire, mais à médiation de corps, dans un registre archaïque, à l'intention de patients en extrême dénuement psychique et langagier. Proposer une modalité ajustée à l'état de déliaison de la parole (postulée potentiellement existante), vers sa reliaison. : re-susciter des conditions psycho/somatiques et intersubjectives d'émergence de la parole par le traçage comme manifestation archaïque d'existence du traceur. Consigne : « venir pour parler avec le doigt ». Dispositif : des tables recouvertes de grandes feuilles de papier épais, où sont disposés des pots de peinture au doigt, pour tracer/parler et une vingtaine de chaises. Différemment d'un groupe structuré en cercle et face à face conçue pour une relation interactive, la relation est ici transitionnelle. Chacun s'installe, comme et où il veut, assis, debout, choisit avec ou sans aide le ou les pots de peinture convoités du regard ou du geste. Des chemises cartonnées au nom du traceur, destinées à recueillir et conserver ses productions sur place, retrouvables par lui à chaque séance, à fonction de réserve, de mémoire et de permanence de l'objet. Une petite table accolée est réservée au bain de la main traceuse, gérée par un(e) soignant(e), avec bassine d'eau tiède, serviettes chaudes, savon, soins maternels à l'intention de ceux qui ont fini, pour laver, baigner, essuyer la main créative qui a parlé pour le sujet. La conceptualisation de la technique de parole au doigt est trop vaste et complexe pour être résumée. Résultats : le sujet saisit immédiatement l'enjeu et le sens de « parler avec le doigt », et s'y précipite. Concernant la parole, resurgissement spontané, souvent dès la seconde séance, de l'énonciation et du traçage du prénom et de mots isolés à valeur subjective évidente. Concernant la clinique : retour tangible de l'expression émotionnelle, d'apaisement, de satisfaction, et d'une certaine mémoire de soi. Sieste accompagnée et Pack adapté ont en commun les indications de l'urgence psychique et de l'angoisse psychotique aiguë, la médiation corporelle, les référentiels des états originaires dans la clinique de l'extrême. La dimension de perte du sommeil est plus prégnante dans la première, celle de la violence de l'agitation et des symptômes dans l'autre. Objectifs : dénouement de l'angoisse catastrophique, apaisement subjectif à l'abri des attaques internes (angoisse, éprouvés délirants, agonies primitives) retour au repos, au sommeil, et à un fonctionnement permettant de revenir au soin psychique antérieur. Principes : techniques à fonction de reliaison par la réassurance de la parole et la proximité humaine de l'autre, soignant, à travers des modalités de médiation corporelle concrètes (enveloppement, réchauffement). Modalités : l'indication est discutée et posée en équipe, et l'évolution suivie, après la proposition au patient d'un soin pensé pour lui par l'équipe, décrit, puis mis en place après son accord. L'application est gérée en responsabilité par les soignants (infirmiers seuls). Le nombre de séances, de trois à six, est ajusté à mesure sur une semaine au maximum. Résultats : effets d'atténuation et de disparition des manifestations aiguës symptomatiques et retour à un état abordable dans la relation confortent les hypothèses. La sieste accompagnée Indications : états aigus persistant d'angoisse, insomnie, épuisement, rebelles aux approches habituelles chimiothérapiques et psychothérapiques. Modalités : repos et lâcher-prise, avec « quelqu'un qui veille aux côtés » du sujet, élaborées avec une patiente, Elise [4] . Séance d'une heure, en début d'après-midi, volets à moitié baissés, dans la chambre de la patiente (aucun homme ne fut concerné). Le(la) même soignant(e) référent(e) pour l'ensemble des séances l'aide à s'installer tout habillée (c'est une sieste), s'allonger sur son lit (et non dedans, à la différence d'un coucher), la recouvre du couvre-lit préalablement réchauffé, la borde, et s'assied à son côté à hauteur de son visage. Dès lors, silence « plein », voix chuchotée, tenir la main ou pas, parole toujours là, spontanée appropriée selon les ressentis du soignant, le fil de la relation et des contenus de la psyché, à l'initiative de chacun. La fin de la séance est annoncée, s'accompagne en douceur des gestes et paroles d'un autre prévenant et attentif, quels que soient l'envie de la patiente de poursuivre (le soin est fini) ou son endormissement (fréquent). Avec son aide, elle se redéploie, prend le temps de se retrouver. Un temps d'échange sur l'expérience, ses effets, le retour au quotidien. La séance du lendemain est rappelée. La fin du protocole est évoquée la veille de la dernière séance (pas plus de six), et à son arrêt. Résultats : apaisement de l'angoisse, soulagement somato-psychique, retour progressif, voire rapide, du sommeil. Le pack adapté Modalité inspirée du packing dans la clinique psychotique dans le cas d'une patiente, Berthe, dont l'angoisse hypocondriaque, l'hallucination d'un feu brûlant dans son bras, la forte agitation, la régression et la détresse résistaient à tout traitement. Omniprésente et permanente dans l'équipe, comme on peut le constater plus haut, l'activité de penser et chercher (et trouver) a déterminé le moteur, la forme, et le contenu de la démarche de soin, en conditionnant le plaisir de celui-ci. Cette recherche béotienne a également pris des formes d'expression plus conventionnelle de recherche dans la mesure où le terrain de la pratique a constitué un lieu privilégié de déploiement dans la clinique et d'opportunités pour la pratique psychothérapique. Ce laboratoire a permis l'exploration, l'application et la validation d'options et d'hypothèses envisagées mais alors encore non mises à l'épreuve de la réalité clinique. Il a nourri nos travaux ultérieurs (dont les colloques « psychothérapies des démences »), ainsi que des productions collectives de l'équipe : cinq mois après l'ouverture de l'unité, cette équipe pluridisciplinaire « formée sur le tas » et sur la seule base de sa détermination à se joindre au projet d'unité, présentait une intervention sur l'état de sa démarche, « équipe soignante et désir » [7, 8] au colloque « vieillissement et désir » de l'AGPE (Association de gérontologie psychanalytique de l'Est) et, trois ans plus tard, au colloque de la SGE (Société de gérontologie de l'Est) : « Représentations de la vieillesse » [9] faisant part d'une recherche de terrain menée par les soignants de l'unité auprès de patients atteints de démence sévère sur leurs représentations. Conclure sur l'essentiel des enseignements de cette aventure hospitalière passe par rappeler la pertinence et la nécessité éthique du soin psychique, sa richesse et ses effets, dès lors que l'institution, englobant tous les partenaires du soin, en a la volonté et en libère les moyens humains. Ils imposent le constat que le soin psychique fait effet pour les patients déments, dans le sens d'une possibilité de vie qui leur était devenue invivable, et que pour les soignants « soigner avec plaisir » s'avère non seulement possible mais nécessaire, certes dans des conditions d'exception, dont celles de créer une unité de soins selon leurs attentes, et celles d'un cadre institutionnel où pour le sujet est d'entrée inscrite la perspective de sa sortie, « un retour dans les circuits de vie » selon le projet, porte ouverte vers le dehors et l'après, à la différence de la porte d'entrée d'un Ehpad. La décision de l'administration hospitalière de fermeture de l'unité mit un point d'arrêt brutal à l'expérience après une dizaine d'années, dans le contexte général de réaménagement des services hospitaliers et d'hébergement, avec le redéploiement des patients âgés entre CMP (centre médicopsychologique) de secteur, hospitalisation, et hébergement de longue durée, et la réintégration des soignants dans leurs unités d'origine, et des effets d'effondrements psychiques et somatiques destructeurs. Cet arrêt a ainsi paradoxalement validé la nature et la pertinence d'une expérience et de ses enseignements dans la réalité, qui n'en reste pas moins inspirante. L'auteure déclare ne pas avoir de liens d'intérêts. Penser le soin avec les personnes démentes vivant en institution Psychologue en gériatrie : enjeux du travail en/avec les équipes dans les services de gériatrie et en Ehpad cri, stéréotypie : du souffle vers la parole Le dément : sujet extrême, sujet quand même Psychothérapie et démence sénile : le Groupe d'Histoire de vie De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris: Payot; 1951 Vieillesse du désir et désir de la vieillesse : comment s'en sortir en psychogériatrie L'expérience d'une équipe en gérontopsychiatrie Représentation de la vieillesse dans une unité de gérontopsychiatrie