key: cord-1017769-t5zta6u4 authors: Amadei, Florent title: Le repas thérapeutique en hôpital de jour de pédopsychiatrie à l’épreuve des contraintes sanitaires : thérapie institutionnelle et Covid-19 date: 2021-06-26 journal: Ann Med Psychol (Paris) DOI: 10.1016/j.amp.2021.06.003 sha: df88a7abb2e201676cb2ff8de5f28fef2040dcc7 doc_id: 1017769 cord_uid: t5zta6u4 Dans le contexte de la pandémie due à la COVID-19, l’hôpital de jour de pédopsychiatrie pour enfants Pordegui du centre hospitalier de Montauban a tout d’abord, comme beaucoup d’établissements de soins ambulatoires, fermé ses portes en mars 2019. Le premier confinement a ainsi eu un impact fort quant à l’accessibilité aux soins pour des patients particulièrement vulnérables. À l’heure du déconfinement, du respect des règles d’hygiène et des gestes barrières, nous constatons que le cadre thérapeutique de l’institution est toujours impacté. Cet article vise ainsi à documenter les réflexions sur les effets que les aménagements actuels, inhérents à la situation sanitaire de pandémie, semblent produire dans l’organisation des soins en hôpital de jour de pédopsychiatrie en prenant appui sur l’exemple des repas thérapeutiques. Ces derniers ne semblent plus aller de soi alors que les conditions qui paraissent minimales à ce temps de soin ont été rétablies Celles-ci comprennent un cadre répétitif, structurant et sécurisant : horaires, fonctionnement, modalité collective avec régularité des personnes en présence, disponibilité des soignants ainsi qu’un temps de reprise sous forme de réunions institutionnelles. Toutefois, nous avons repéré des manifestations individuelles et groupales auprès des patients que nous n’avons pas mises en évidence de manière si singulière dans les autres temps de soin réinstaurés à la réouverture du service. Nous avons mené une analyse en situation, à partir de nos observations, de notre expérience vécue auprès des patients et de regards croisés (psychothérapie institutionnelle et phénoménologie) pour comprendre ces mouvements et mettre en lumière ce qui semble être irréductible pour qu’un repas puisse être thérapeutique. In the context of the COVID-19 pandemic, the Pordegui children's hospital - a day psychiatric centre at Montauban hospital - first closed its doors in March 2019, like many ambulatory care facilities. As a result, the first confinement had a strong impact on the accessibility to care for particularly vulnerable patients. While the lockdown has been eased after a few weeks, the respect of hygiene rules and barrier gestures still impacts the therapeutic framework of the institution. This article aims to document reflections on the effects that the current arrangements, inherent to the pandemic health situation, seem to produce over the organization of care in psychiatric children's hospitals, using the example of therapeutic meals. The latter should not be taken for granted, even though the minimal conditions for this caring time have been reinstated. Such conditions include a repetitive, structuring and reassuring framework with schedules, collective arrangements characterized by the regular presence pattern of the caregivers and their availability, as well as feedback sessions in the form of institutional meetings. After the reopening of the center, specific phenomena that were not so identifiable during the other care times were noticed during the meals of individual and group of patients. A situational analysis was led, based on observations, experience with patients and cross-examination (institutional psychotherapy and phenomenology) in order to understand these movements and highlight what seems to be irreducible for a meal to be therapeutic. nous parlons d'un soin singulier au sein d'un collectif, dans un établissement dont les soignants, les ateliers, les repas, font institution dans leur régularité de rythmes desquels émergent chaque événement du quotidien partagé et ses surprises. Il s'agit d'un soin psychothérapeutique auprès d'enfants vivant avec une psychose ou un trouble du spectre de l'autisme, pour lesquels un contexte si soudainement bouleversé allait rendre la tâche des soignants bien plus floue dans une « institution mentale virtuelle » [8] . La coupure ainsi générée a été paradoxale au vu du rôle des soins psychiques institutionnels visant notamment à tisser des liens. Leur maintien par téléconsultations a été difficilement opérant pour une majorité des patients que nous recevons, tant il leur est difficile de se représenter l'existence de l'autre sans présence incarnée. S'en est suivie la période de réouverture, dans un cadre remodelé, cherchant le compromis entre les contraintes imposées par la situation sanitaire et la réorganisation d'un accueil possible pour les patients. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé nous ont nécessairement servi d'appui [15] . Réinventer le cadre du soin est un travail quotidien puisque celui-ci ne va pas de soi, comme le souligne le Docteur Martine Girard en parlant de « la nonévidence a priori du cadre » [14] . Or ici, c'est une contrainte externe qui impose un changement de cadre d'accueil et de soin, dès lors non uniquement médié par les cheminements portés par la clinique du sujet. L'accueil s'est donc d'abord rouvert sur des temps individuels proposés à chaque patient en fonction de ce que nous élaborions « en urgence » comme nouveau projet possible, avant d'ajuster au cas par cas nos propositions. Vint ensuite le temps d'une réouverture à l'accueil en petits groupes en fonction du nombre de personnes autorisées par unité de surface, puis en groupe, initialement par demi-journées, sans repas, avec le deuil de différents médias (objets ne pouvant bénéficier d'une désinfection) et de différents ateliers (tels que la pataugeoire), nous laissant rebâtir de nouveaux échafaudages avant la fermeture estivale annuelle, celle-ci programmée, faisant partie des rythmes de vie du service, puis la rentrée de septembre. Cette dernière était l'occasion de remettre en place une organisation que nous avions eu le temps de penser, d'anticiper pour la rendre durable, à l'épreuve de remaniements inopinés, inhérents à la crise sanitaire et à ses aléas. Ce cadre thérapeutique réadapté s'est construit à partir de la création d'une réunion de fonctionnement/projet hebdomadaire, réunissant l'ensemble des professionnels de santé exerçant dans le service, espace-temps nécessaire pour se retrouver, prendre de la distance et ne pas être systématiquement englués dans l'urgence. De là ont émergé nos questionnements au sujet du moment quotidien du repas. En effet, les nouvelles conditions sanitaires (port du masque obligatoire pour les soignants, repas soignants/soignés en décalé, distanciation sociale) rendent ce moment si commun « étrange », nous en laissent entrevoir des effets. Ceux-ci sont soit déjà connus et exacerbés, soit nouveaux en fonction de la singularité de chaque enfant. La question du « sens » de ces repas s'est ainsi posée, de même que le maintien de leur dénomination en tant que « repas thérapeutiques », nous interrogeant à la fois sur la place que prend ce temps dans le quotidien institutionnel de ces enfants, tant au niveau psychopathologique, anthropologique et social, que sur ce qui sous-tend son appellation « thérapeutique ». Cet article vise à documenter les réflexions sur les effets que les aménagements actuels semblent produire dans l'organisation des soins en hôpital de jour de pédopsychiatrie. Ce travail revêt un intérêt pluriel. En effet, ces patients présentent à la fois des particularités alimentaires singulières ainsi que des difficultés dans les interactions sociales. Le moment du repas est propice à la rencontre de ces domaines, comme le suggère A. Rochedy : « Les pratiques alimentaires, considérées en premier lieu comme un problème biologique et/ou psychologique, doivent être envisagées comme un phénomène culturel et social » [29] . De plus, il incite à repenser le rôle du repas dans le coeur d'un soin institutionnel que la crise sanitaire a mis à l'épreuve alors même que « l'alimentation est une activité centrale de la socialisation humaine […] » [29] . L'enjeu est de se questionner, à l'occasion de cette période de bouleversements du soin psychique, pour mettre au jour ce qui apparaît essentiel dans un soin psychothérapeutique institutionnel qu'est le repas, « petit rien » du quotidien où se loge l'invisible du soin. Après une brève description de notre service, nous explorerons la notion de repas thérapeutique à partir de la psychothérapie institutionnelle et la phénoménologie et mettrons en perspective nos observations cliniques avec cette analyse. Les temps de repas ne sont pas nécessaires aux conditions d'ouverture d'un hôpital de jour, en France, puisque la tarification est structurée par demi-journée. Ils ne sont pas non plus indispensables à la vie institutionnelle, comme en témoigne le Docteur Martine Girard [14] . Voici deux situations cliniques qui nous semblent éclaircir nos observations à ce sujet : Les angoisses de dévoration de F. Enfin, ce non-partage de la nourriture a affecté la dimension du plaisir que le repas présente, celui d'être avec les autres, celui de partager dans l'instant au-delà d'une expérience qui sans les autres ne serait peut-être que celle d'un corps perçu comme une machine identifiant des aliments qu'elle assimile. Cet aspect est mis à mal, alors que le triple enjeu de l'acte de manger que nous avons cité est de nourrir, relier et réjouir. Pierre Delion n'écrivait-il pas que « l'ambiance du repas résonne avec l'ambiance de l'institution tout entière » [27] ? Il s'agit là du deuil de la convivialité que semble évoqué S. avec ses mots, deuil d'un moment de « fête » qui, dans une perspective existentielle, apparaît comme au coeur de l'humanité. Le repas en hôpital de jour apparaît comme un outil très singulier de la psychothérapie institutionnelle, pris dans l'enveloppe contenante de l'institution, soutenu par la responsabilité et la disponibilité de chaque soignant. D'une grande richesse au plan clinique, il l'est aussi au plan des soins auprès de patients souffrant à la fois de troubles de l'alimentation et du rapport aux autres dans leur habitation du monde. La situation sanitaire liée à l'épidémie du virus SARS-Cov-2 permet de mettre en lumière les facteurs essentiels et les conditions minimales pour que ce temps de soin soutienne un rétablissement des patients dans la constitution du rapport à soi, au corps, au temps, à l'altérité, au travers de l'intersubjectivité qui s'y déploie. Nous soulignons les écueils actuels : le port du masque et l'absence de partage de la même nourriture, objet circulant et qui s'incorpore, rendent manifestes les difficultés traversées par l'institution, ses soignants, ses patients ainsi que la nécessité des repas partagés pour offrir les meilleurs soins possibles. Pour cet article, nous avons adopté un point de vue global sur l'ensemble de nos observations. Dans un souci d'approfondissement de la démarche scientifique, il serait intéressant de cibler les hypothèses de manière plus spécifique sur les différentes pathologies, de les étendre à plusieurs institutions de soin faisant face aux mêmes difficultés et de les confronter davantage aux divers modèles de compréhension des troubles psychiques. Si l'acte de manger est vital au plan organique, nous espérons avoir tissé les contours qui le font émerger également comme un acte fondamentalement psychique, social et existentiel. Cette opportunité de soin pourra-t-elle de nouveau être proposée aux patients ? Perdurera-t- Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail Les avatars de l'éducation Intervention au diplôme universitaire de phénoménologie psychiatrique de l'université de Nice Phénoménologie et physiologie de l'action Introduction à l'analyse existentielle. Paris: Minuit L'altérité au coeur de l'identité : que peut enseigner l'altérité intérieure ? Introduction à la psychopathologie phénoménologique Psychothérapie institutionnelle en situation de confinement : adaptation du cadre en hôpital de jour. Vers une institution mentale virtuelle Réponses visuelles des nourrissons aux expressions faciales de leur mère lors de situations d'interaction libre face à face Du temps vécu à la narration : pratiques au sein de l'unité de soins ambulatoires pour penser le rétablissement Ou de la nourriture comme objet d'hospitalité et de transfert dans le quotidien des institutions soignantes Haute Autorité de santé. HAS; 2020. Consignes et recommandations applicables à l'organisation des prises en charge dans les services de psychiatrie et les établissements sanitaires autorisés en psychiatrie. Fiche établissements autorisés en psychiatrie Être et temps, trad. par Emmanuel Martineau, hors-commerce L'institution mentale : du rôle de la théorie dans les soins psychiatriques Rites et rituels en institution psychiatrique. Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe Entre : une approche phénoménologique de la schizophrénie À chacun son vrai poids L'éducation à l'alimentation dans le trouble de spectre de l'autisme Accompagnement biographique et construction du comportement alimentaire chez les enfants avec un trouble du spectre de l'autisme. Revue suisse des sciences de l'éducation Phénoménologie de la perception Essai sur le don ». L'inquiétante oralité dans l'ombre de la structure Donner sens et saveur aux repas thérapeutiques d'un centre de jour pour adolescents Un repas peut-il être « thérapeutique Les paradoxes de l'identité. L'information Autismes et socialisations alimentaires : particularités alimentaires des enfants avec un trouble du spectre de l'autisme et ajustements parentaux pour y faire face, ALTER La psychose à rebrousse-poil. Toulouse: Erès Secteur 2 Analyse phénoménologique de la rencontre inter-humaine dans le Dasein normal et pathologique, cité dans Figures de la subjectivité Éducation et psychothérapie institutionnelle. Mantes: Hiatus Autisme et psychose de l'enfant. Paris: Seuil « Couleur psy » oralité : une porte d'entrée dans le monde de l'autisme. Les troubles du comportement alimentaire au regard de la problématique autistique Jeu et réalité : L'espace potentiel