key: cord-0977457-k8ff7v0t authors: Ben Amar, W.; Karray, N.; Siala, H.; Zribi, M.; Lebkem, H.; Hammami, Z.; Maatoug, S. title: Reflexions Sur La Responsabilite Du Medecin Pour Non Assistance A Personne En Peril Dans Le Contexte De La Pandemie COVID-19 date: 2021-05-14 journal: nan DOI: 10.1016/j.medleg.2021.05.001 sha: b7f3c15c8f4c409e191e9b8625079c3de10eec22 doc_id: 977457 cord_uid: k8ff7v0t L’infection COVID-19 est une maladie émergeante qui peut être grave, voire même mortelle. Depuis son éclosion, cette maladie a généré de nombreuses situations de l’exercice médical où la vie du patient ou son intégrité physique se trouvent menacées, et pour lesquelles l’intervention salvatrice urgente du médecin est indispensable. Cette intervention en urgence pour porter secours à personne en péril constitue avant tout une obligation morale mais également éthique, déontologique et légale. En effet, la non-assistance à personne est considérée pénalement comme un délit passible de sanctions graves. Toutefois, dans le contexte de la pandémie COVID-19, il existe un flou entourant cette infraction complexe, notamment en ce qui concerne l’évaluation du péril, et l’appréciation du risque pour soi ou pour autrui. D’où l’intérêt de ce travail qui se propose d’analyser les particularités du délit de non-assistance à personne en péril dans le contexte de la pandémie COVID-19, et de détailler les enjeux judiciaires dans le domaine pénal qui découlent de cette infraction. The COVID-19 infection is a serious disease, which causes to medical community many difficulties worldwide. This pandemic has generated many situations in the medical exercise for which the urgent saving intervention of the doctor is essential. This urgent intervention to rescue a person in danger is above all a moral obligation but, also an ethical, deontological and legal one. Indeed, the non-assistance to a person in danger is considered like a criminal offense, which is punishable by serious sanctions.However, in the context of the COVID-19 pandemic, this complex offense still vague in the assessment of the danger and in the appreciation of the risk for oneself or for others. Here, we propose to decipher the particularities of the offense of failure to assist to a person in danger in the context of the COVID-19 pandemic, and to detail the legal issues in the penal field that arise from this offense. L'obligation légale de secourir autrui est une obligation générale clairement consacrée par le droit tunisien, et prescrite par les législations de nombreux pays.Cette obligation d'assistance incombe certes à tout citoyen, mais plus impérieusement aux personnes qui de par leur profession ont vocation à secourir ceux qui se trouvent en péril, principalement les professionnels de la santé. Ainsi, devant le flou entourant cette infraction complexe qui est l'omission de porter secours dans ce contexte nouveau de la pandémie COVID-19, et ce en dépit de la gravité de cette infraction pour le personnel de la santé qu'elle permet d'incriminer la responsabilité médicale pénale, nous avons eu l'idée de ce travail qui se propose d'analyser les particularités du délit de non-assistance à personne en péril dans le contexte de la pandémie COVID-19, et de détailler les enjeux judiciaires dans le domaine pénal qui découlent de cette infraction. Pendant longtemps, l'obligation de porter secours à personne en péril a constitué une obligation purement morale. Le refus d'assistance relevait exclusivement du domaine de la conscience, et l'omission restait impunie. Ce n'est que dans les années 40 que l'incrimination de la non-assistance a été envisagée pour la première fois par les législateurs français et tunisien. Ensuite, dans le droit tunisien, on est passé de l'obligation de porter secours uniquement dans les situations de catastrophes, calamités et émeutes (article 143 du code pénal tunisien) [2] , à la consécration de l'obligation absolue de secourir autrui en cas de danger menaçant son intégrité physique, par les dispositions de l'article 4 du décret beycal du 09 juillet 1942. Viendra enfin la loi n°66-48 du 03 juin 1966 relative à l'abstention délictueuse [3] , plus restrictive et plus répressive notamment pour le corps médical, qui abrogea les textes la précédant. Et depuis sa promulgation jusqu'à aujourd'hui, le texte de cette loi n'a subi aucune modification. Pour que le délit soit constitué, le texte exige une personne en danger. Il s'ensuit que le secours n'est dû que dans la mesure où il concerne une personne vivante, menacée dans sa vie ou son intégrité physique [4] . Même un prématuré, ou un moribond, du moment où ils sont encore vivants, justifient d'une assistance. La deuxième notion fondamentale est l'existence de péril constituant évidemment le motif de secourir. Ce péril est défini par la jurisprudence française comme "un état dangereux ou une situation qui fait craindre de graves conséquences pour la personne qui y est exposée et qui risque selon les circonstances soit de perdre la vie, soit des atteintes corporelles graves" [5] . De plus, ce péril doit être actuel, imminent [6] , réel (non pas hypothétique ou imaginaire), et d'une telle gravité que l'acte d'assistance et de secours est immédiatement nécessaire. L'appréciation de la gravité dépend de la pathologie. Dans le contexte de la pandémie COVID-19, le médecin peut se référer aux critères de gravité établis ou validés par les sociétés savantes ou les instances nationales et internationales [7] [8] [9] , qui englobent en général toutes les situations de détresse vitale extrême. Toutefois, il est à signaler que l'infraction de non-assistance est une infraction instantanée punissant le refus de porter secours à un moment donné en présence d'une situation dangereuse à ce moment-là, à fortiori pour l'infection COVID-19 à propos de laquelle les données scientifiques sont en perpétuel changement. Ainsi, la gravité s'apprécie au jour du risque, au moment où la personne qui peut intervenir a eu connaissance de celui-ci. Ne sont pas pris en compte les éléments ultérieurs qui démontrent que le péril était moins grave qu'imaginé ou qu'au contraire il était si grave que l'intervention était forcément inefficace. Notons enfin qu'en pratique, la notion de péril est appréciée par le juge, au vu des circonstances et des données du dossier, et il peut recourir à une expertise médicale pour apprécier l'imminence et la gravité du péril [10] . Ce qui renvoie de nouveau à la nécessité de J o u r n a l P r e -p r o o f se référer aux critères de gravité validés, notamment dans le contexte de la pandémie COVID-19. Le délit de non-assistance à personne en péril ne peut exister que lorsque l'assistance est possible. En principe et selon les termes de la loi n°66-48 du 3 juin 1966 et ceux de l'article 223-6 du code pénal français [3, 11] , l'obligation de porter secours se fait essentiellement par l'action personnelle de la personne, mais elle peut aussi se faire par la sollicitation des tiers. Par ailleurs, si le médecin constate l'absence de péril, il reste libre d'accepter ou refuser de donner les soins (établir ou pas le contrat de soins). En effet, les dispositions de l'article 37 du code de déontologie médicale tunisien [12] , autorisent le médecin, en dehors des cas d'urgence, de refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles, à condition d'assurer la continuité des soins. Selon le même principe, un médecin de libre pratique sollicité, en dehors de l'urgence, pour faire un prélèvement nasopharyngé à la recherche du virus SARS-Cov-2 (initial ou de contrôle), peut refuser de le faire. Il ne peut être tenu responsable pour abstention délictueuse car d'une part, il n'y a pas d'état de péril, et d'autre part, le médecin a le droit comme déjà dit de refuser les soins non urgents. Pour le médecin fonctionnaire et toujours en dehors de l'urgence, le refus d'un tel prélèvement pourrait mettre en jeu sa responsabilité administrative disciplinaire pour non-exécution des tâches qui lui sont confiées [13] ; mais non sa responsabilité pénale pour abstention délictueuse. La loi du 3 juin 1966 fait de l'omission de porter secours une infraction matérielle à la différence du droit français. En effet, la matérialisation de cette infraction par le décès de la personne non secourue, la persistance d'un préjudice physique ou l'aggravation de son état est une condition obligatoire pour constituer le délit d'abstention fautive dans le droit tunisien. Par contre, dans le droit français, la réalité du péril suppose lamenace actuelle d'un dommage, J o u r n a l P r e -p r o o f et peu importe que cette menace ne soit pas réalisée. Ainsi, le fait qu'un préjudice ait découlé de l'abstention est une condition spécifique au droit tunisien. De plus, la circulaire du ministre de la justice relative à la loi 66-48 du 3 juin 1966 relative à l'abstention délictueuse [14] a stipulé que parmi les conditions de ce délit l'existence d'une relation de causalité entre l'abstention, la perte de la vie, l'aggravation de l'état ou la survenance d'un préjudice corporel. Cette condition est également inexistante dans le droit français en la matière [15] . Le secours n'est dû que s'il peut être apporté sans risque pour l'intervenant et pour les tiers. La La non-assistance à personne en danger est un délit qui punit un manquement à un devoir d'humanité, et qui se réalise lorsqu'une personne en connaissance de cause et en toute sécurité, s'abstient volontairement de porter secours à une autre qui se trouve en situation de danger. Ainsi, les composantes de l'élément moral du délit d'abstention fautive sont la conscience du péril encouru par la personne et la volonté de ne pas agir. Si l'un de ces éléments manque, le délit d'omission ne sera pas constitué, faute d'intention coupable ou d'une intention insuffisamment caractérisée. La non-assistance à personne en péril étant un délit intentionnel, le refus d'agir suppose la connaissance et la conscience personnelle du péril.L'auteur de l'abstention délictueuse doit avoir eu pleinement conscience de l'existence du péril imminent. Et en l'absence d'une telle connaissance, on ne pourrait plus parler d'acte volontaire. En effet, la qualification de l'infraction dépend de l'intention dans la mesure où la seule abstention non intentionnelle peut J o u r n a l P r e -p r o o f être assimilée une simple négligence engendrant des conséquences judiciaires de moindre sévérité. La connaissance du danger peut être directe ou indirecte. Toutefois, l'obligation de s'informer pèse sur le médecin pour avoir connaissance de la gravité du péril [17] , et le personnel ne peut juger à distance ou par téléphone de l'état du malade. De plus, il ne peut prétendre que les données qui lui ont été communiquées par le malade ou ses proches ne laissent pas présager un péril, ou minimiser le danger pour justifier son abstention. Ainsi, l'assistance s'impose dèslors qu'il y a une apparence de péril grave [18, 19] . Et afin de se protéger contre tout risque médico-légal, tout appel au secours adressé équivaut en pratique à une présomption de péril. Et devant tout appel au secours, le médecin est tenu, sauf force majeure, de se déplacer sur les lieux pour apprécier l'état de péril [20] et agir en conséquence. Cela suppose une attitude d'abstention avec volonté déterminée de ne pas secourir, sans exiger l'existence d'une intention malveillante de nuire à la personne. La preuve de la volonté de ne pas secourir sera le plus souvent déduite du comportement du médecin ainsi que des circonstances. En effet, l'insouciance ne suffit pas : le dossier doit faire apparaître la conscience du péril et le refus d'intervenir en connaissance de cause. Citons comme exemple dans ce contexte particulier de la pandémie COVID-19, les médecins des services d'aide médicale urgente qui, lorsqu'ils sont sollicités pour une urgence refusent d'intervenir, malgré la disponibilité des moyens nécessaires à l'intervention. Ceux-ci peuvent voir leur responsabilité pénale engagée pour abstention délictueuse. Toutefois, ils ne peuvent être tenus responsables à ce même titre s'ils n'ont pas eu connaissance de l'appel au secours (téléphone injoignable ou lignes saturées par exemple), ou s'il y a eu plusieurs urgences au même temps nécessitant la priorisation de l'intervention, ou en cas de force majeure. En résumé, en dehors des cas où il y a un risque réel pour soi-même ou pour les tiers, le médecin a l'obligation de recourir à tous les moyens disponibles pour porter secours à son patient. De plus, l'interprétation large de la notion du péril par les magistrats et les particularités de l'infection COVID-19 nécessite du médecin de la prudence face à toute demande de soins notamment urgents, pour ne pas être tenu responsable pour abstention délictueuse. En effet, la maladie COVID-19 est grave parfois mortelle, et le risque de complications est important et surtout imprévisible dans beaucoup de cas. De ce fait, un médecin de libre pratique ou exerçant dans une structure de soins étatique ou privée ne peut pas se contenter de renvoyer un patient au motif qu'il ne dispose pas de matériel de protection ou de circuit de tri. Il se doit avant d'éliminer l'existence d'un état de péril, et d'assurer la continuité des soins, en agissant de façon adéquate en fonction de la situation. Les sanctions qui s'appliquent à l'auteur du délit d'omission de porter secours à personne en danger sont sévères. Les articles 1 et 2 de la loi 66-48, tout comme l'article article 223-6 du code pénal français [3, 11] , prévoient une peine d'emprisonnement de 05 ans et une amende. Toutefois, le droit tunisien s'est montré spécifiquement plus exigeant vis-à-vis des professionnels qui ont pour tâche primordiale de secourir autrui (médecins, agents de police, de la protection civile…), en les excluant de l'opportunité de bénéficier des circonstances atténuantes des peines édictées par l'article 53 du code pénal tunisien [2] . Tant sur le plan moral que juridique, la notion de non-assistance à personne en danger est décidément d'un maniement bien délicat notamment dans le contexte de la pandémie COVID-19. Elle peut engager la responsabilité du médecin à divers plans, engendrant des sanctions pouvant être graves. Seule respect des dispositions réglementaires ainsi que les dispositions déontologiques de l'exercice médical permet au médecin d'éviter ce risque médico-légal. Using Early Data to Estimate the Actual Infection Fatality Ratio from COVID-19 in France Code pénal tunisien. Décret du 19 juillet 1913, JORT n°79 du 1er octobre 1913, modifié par la loi n°2005-46 du 6 juin 2005, portant approbation de la réorganisation de quelques dispositions du code pénal et leur rédaction, JORT n°48 du 17 juin 2005 Loi n° 66-48 du 3 juin 1966, relative à l'abstention délictueuse Réponses rapides dans le cadre du COVID-19 -Prise en charge des patients COVID-19, sans indication d'hospitalisation, isolés et surveillés à domicile avril Guide parcours du patient suspect ou atteint par le Covid-19 Situations particulières mars 2020 Prise en charge clinique de l'infection respiratoire aiguë sévère (IRAS) en cas de suspicion de maladie à coronavirus 2019 (COVID-19): lignes directrices provisoires n °11610 du 12 mars Code pénal français-Dernière modification le 12 mai 2020 Décret n°93-1155 du 17 mai 1993, portant code de déontologie médicale du 12 décembre 1983, portant statut général des personnels de l'état, des collectivités publiques locales et des établissements publics à caractère administratif. JORT n° 82 du 16 décembre Revue de la Jurisprudence et de la Législation n°9 La responsabilité pénale des médecins du travail: un répertoire renouvelé? fixant des dispositions exceptionnelles concernant le travail des personnels de l'Etat, des collectivités locales, des établissements publics à caractère administratif et des instances, établissements et entreprises publiques. JORT n°22 du