key: cord-0962664-93atag0q authors: Hansen, Jan-Cedric title: Commentaire cindynique sur l’épidémiologie de la pandémie COVID-19 date: 2020-08-28 journal: nan DOI: 10.1016/j.pxur.2020.08.013 sha: 28daccb08724118772d0c1aea911081cc24d0ab8 doc_id: 962664 cord_uid: 93atag0q nan Une des préoccupations classiques de la gestion des catastrophes est d'en connaître l'évolutivité [1] . La pandémie COVID-19 n'échappe pas à la règle. Dans ce contexte, l'OMS a publié les « critères de santé publique pour l'ajustement des mesures de santé publique et des mesures sociales dans le cadre de la pandémie COVID-19 » qui s'appuient sur une liste de données épidémiologiques précises [2] . Cependant, au-delà de ces seules données descriptives que sont la fréquence, l'incidence, la prévalence, la distribution et l'étiologie, l'épidémiologie est une discipline qui a pour objet l'identification et l'étude de l'influence de divers facteurs somatiques, psychiques, sociaux, environnementaux et économiques sur les maladies transmissibles ou non transmissibles -voire même sur tout autre phénomène biologique ou social déterminé -ce qui la rend essentielle aux médecins, scientifiques, parties prenantes de la santé publique et décideurs politiques pour leur permettre des prises de décisions éclairées. L'épidémiologie propose donc en premier lieu, une modélisation des facteurs de risques qui rendent compte de la diffusion d'un problème de santé dans la population [3] . Pour mémoire, un facteur de risque est un élément augmentant la probabilité de développer une maladie ou de souffrir d'un traumatisme [4] . Le facteur de risque peut être intrinsèque/constitutif ou extrinsèque/contextuel. Dans les deux cas, selon sa nature, un facteur de risque donné peut être largement ou peu ou pas modifiable. L'épidémiologie précise aussi des indicateurs/descripteurs de la diffusion de la pandémie COVID-19 dans la population en fonction des consignes et recommandations arrêtées, de l'environnement socioculturel dans lequel elles sont diffusées et des comportements qui en résultent. Depuis plusieurs mois, la SFMC publie régulièrement sur son site un point épidémiologique COVID-19 qui propose une vision dynamique de l'épidémie, une liste non exhaustive des inconnues qui persistent, une synthèse des connaissances acquises et des liens vers des ressources utiles au praticien. Les constats et commentaires ci-après ont une obsolescence quelques jours du fait de l'évolution de la circulation du virus et des décisions qui sont prises pour tenter de la contrôler. Nous en proposons une synthèse à l'issue des six premiers mois de cette pandémie accompagnée d'une réflexion cindynique. Au niveau global Au bout de six mois de pandémie, 0,26 % de la population mondiale (soit 20 330 351 cas conformément aux définitions de cas et aux stratégies de test appliquées dans les pays touchés) ont été identifiés par l'ECDC [5] . Le temps de doublement des cas étant de 41 jours, à cette date, les 40 million de cas auront probablement été franchis six semaines plus tard, à la fin de septembre 2020 si le rythme de près de 250 000 nouveaux cas/j s'est maintenu. À cette même date, on comptait, de plus, 742 413 décès (soit 3,65 % de mortalité globale). Le classement des zones géographiques en fonction du nombre de cas se répartissait comme suit : Amérique : 10 976 368 cas (54 %) ; Europe : 3 124 530 cas (16 %) ; Asie : 5 139 447 cas (25 %) ; Afrique : 1 065 544 cas (5 %) ; Océanie : 23 766 cas (˂ 1 %). La situation globale reste préoccupante car la courbe du nombre de cas cumulés ne montre toujours pas d'infléchissement au niveau mondial. La cinétique garde son allure exponentielle. Heureusement, l'écart avec la cinétique de la mortalité continue toujours de se creuser ( Figure 1 ). Cela rend compte d'une mortalité relative qui décroit (adaptation du virus à l'hôte ? amélioration de la prise en charge médicale ? adaptation des systèmes de santé ? efficacité des mesures prises ? etc.). Ce qui reste vrai depuis le début de l'épidémie, c'est que la vitesse d'accélération continue de croître. Même si certains pays constatent un ralentissement des cas et une moindre pression sur leur système de santé tandis que d'autres voient une reprise des cas sous forme de clusters plus ou moins vastes (réunions de familles, entreprises, EHPAD, etc.), l'épidémie continue de progresser au niveau mondial. Ce qui se confirme, c'est que la vitesse d'accélération continue de croître et ce, avec une allure de plus en plus exponentielle. Même si certains pays constatent un ralentissement des cas et une moindre pression sur leur système de santé, l'épidémie continue de progresser au niveau mondial. L'Europe n'échappe pas à la règle globale car elle n'a toujours pas atteint de plateau au niveau des cas cumulés [6] . Par contre, ce qui semblait être la tendance à un infléchissement de la pente de la courbe, constaté début mai, ne s'est pas confirmé et la pente reste manifestement ascendante. Cette courbe est désormais d'allure affine, ce qui n'augure pas d'une amélioration prochaine. (Figure 2 ). La simulation du nombre des cas actifs européens montre une tendance inquiétante avec l'apparition d'un plateau, puis d'une cupule qui se transforme en ré-ascension, laquelle démontre une reprise du nombre de cas actifs à la suite des déconfinements si les mesures barrières ne sont pas suffisamment respectées ( Figure 3 ). Il convient de garder à l'esprit que ce sont des estimations et des modèles probabilistes que l'épidémiologie propose. À titre d'exemple, constatant que le nombre de tests de dépistage effectués et la méthodologie utilisée pour cibler les patients testés ne permettaient pas de calculer directement le nombre réel de cas et le taux de létalité de l'épidémie, une équipe française a développé une approche « mécaniste-statistique » décrivant la dynamique épidémiologique non observée, à l'aide d'un modèle probabiliste. Elle a conclu que le nombre réel de cas infectés en France est probablement plus élevé d'un facteur huit que les observations directes ne le laissent entendre [8] . Une autre équipe française, a proposé un modèle mathématique déterministe plus détaillé que le modèle classique pour estimer le nombre de reproduction de base (R0), en vue de réaliser des simulations d'interventions à partir de valeurs de paramètres par défaut pour comparer une stratégie de suppression de l'épidémie (contrôle intense mais court) à une stratégie d'atténuation (contrôle plus léger mais durable) [9] . On peut citer encore un travail critique d'une équipe française sur l'immunité de groupe et le contrôle de la pandémie COVID-19 sur la base du R0 qui alerte sur le fait que les modèles utilisés sont très simplificateurs et ne prennent en compte ni l'hétérogénéité de la population ni les conséquences délétères indirectes en termes de saturation des structures de santé [10] . Le fait est que les données constatées suggèrent une circulation du coronavirus SRAS-CoV-2 responsable de la pandémie COVID-19 dans la population française plus importante que de ce qui ressort des cas confirmés [11] . La tentation est grande pour les médecins, scientifiques, parties prenantes de la santé publique de faire abstraction des limites des modèles et de se contenter, par esprit de simplification, de multiplier la fréquence « probabiliste » (ou constatée ou estimée) avec une gravité « supposée » (ou observée, ou estimée) pour calculer une « criticité déterminante » qui sera transmise au décideur politique. C'est la posture princeps issue de la logique de sûreté. L'approche cindynique se veut plus dynamique et plus holistique. Elle étudie les évolutions des situations dans le but d'apprécier leur propension (tendance) à se diriger (évoluer) vers une zone plus ou moins dangereuse (caractère térébrant de la situation qu'elle soit technique, documentaire, organisationnelle ou sociale). Le danger est une situation où les propriétés intrinsèques (substances, structures, modalités, etc.) d'un élément (en l'espèce un virus) en interaction avec un organisme (en l'espèce chaque individu ou la population dans son ensemble), constituent une menace pour celui-ci en fragilisant, s'il est en état de vulnérabilité vis-à-vis de l'interaction, sa cohésion, son intégrité, sa sécurité, son fonctionnement, son existence. La vulnérabilité, au sens cindynique, représente la propension d'un organisme (là encore, chaque individu ou la population dans son ensemble) à être exposé aux attaques physiques, organisationnelles ou psychiques et à en subir un endommagement secondaire à sa fragilité intrinsèque. Cette susceptibilité à être altéré, endommagé ou détruit résulte d'une capacité insuffisante de résistance de l'organisme à subir un dommage, laquelle dépend de facteurs techniques, cognitifs, culturels, socio-économiques, politiques, etc. L'approche cindynique ne multiplie pas une fréquence « probabiliste » avec une gravité « supposée » pour calculer une criticité « déterminante » en vue d'évaluer un risque. Elle évalue le caractère térébrant des situations afin d'y apporter des solutions de résilience. Autrement dit, l'approche cindynique se distingue de la logique de « sûreté » et la complète en ce sens qu'elle : • intègre la propension de toute situation à se diriger inéluctablement vers le désordre si elle est livrée à elle-même ; • identifie la nature asymptotique de la prévention des risques basée sur la seule analyse des dangers matériellement perceptibles et d'une réponse purement technique ou procédurale ; • reconnait l'importance du jeu des acteurs aux niveaux global, individuel, interindividuel et organisationnel, comme critiques ; • constate l'influence du contexte, des flux, de la dynamique et des interactions au sein d'une situation, sur la constitution d'un danger ; • perçoit l'existence de conditions additionnelles imperceptibles ou impensables susceptibles de renforcer le caractère cindynogène d'une situation ; • postule la nature multidimensionnelle du danger pour expliquer les précédents constats. La situation térébrante dans laquelle est placée la population vulnérable la fait passer d'un état nominal à un état de tension critique au cours de laquelle des écarts et incidents s'intensifient, une certaine stéréotypie s'installe face à des alarmes/clignotants qui s'allument avec des intensités variées, des significations diverses (incidents/menaces), des interprétations divergentes (urgences ressenties ou vraies). Cette situation de tension critique appelle une réponse spécifique. Au terme de ces six premiers mois de pandémie et des distorsions sociales que l'état de tension critique permanent durant cette période a entrainé, la population c'est, de manière prévisible, recentrée sur la « doxa » (sa propre opinion ou conviction collective), en d'autres termes « ses croyances » et s'est éloignée de « l'épistémè », la science ou la raison, en d'autres termes « la parole publique ». C'est ce qui explique les rumeurs et les comportements inadaptés ou transgressifs colportés et démultipliés par les réseaux sociaux. La prégnance de la « doxa » induit, au niveau collectif, un sentiment de « maitrise incantatoire » favorisant le report des mesures préventives, correctrices ou curatives. Cette « maitrise incantatoire » peut se pérenniser en raison de la pseudo-stabilité stochastique de l'état de tension critique perçu par les individus qui n'ont pas les clés pour comprendre la signification des clusters, du taux de positivité des tests ou encore de la vulnérabilité modérée ou élevée des départements. Toutes ces données restent abstraites et seule compte la perception immédiate que « personne dans mon entourage n'étant malade, le risque n'existe pas, donc les mesures préconisées sont superflues ». Devant les défis posés par cette crise/catastrophe multidimensionnelle qu'est la pandémie en cours, l'approche cindynique, plus holistique et adaptative que les modèles classiques, permettrait de proposer aux médecins, scientifiques, parties prenantes de la santé publique et décideurs politiques non seulement une meilleure exploitation des données épidémiologiques disponibles ou à venir, mais aussi, des prises de décisions plus éclairées et surtout, plus accessibles au plus grand nombre. Catastrophe évolutive, quelle pourrait-être l'influence des conditions météorologiques sur l'évolution de la pandémie CoViD-19 ? Médecine de Catastrophe-Urgences Collectives Quand les facteurs de risque ne sont pas intuitifs. L'épidémiologie face à l'histoire Modèle SIR mécanistico-statistique pour l'estimation du nombre d'infectés et du taux de mortalité par COVID-19 (Doctoral dissertation, INRAE). 2020. HAL Id: hal-02514569 Modélisation de l'épidémie de COVID-19: modèle SEAIR (Doctoral dissertation, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) 2020. HAL Id: hal-02882687 Immunité de groupe et contrôle de l'épidémie de COVID-19 (Doctoral dissertation FRA.). 2020. HAL Id: hal-02882682 Excess cases of influenza-like illnesses synchronous with coronavirus disease (COVID-19) epidemic, France