key: cord-0944571-f036l4xi authors: Beaussier, Marc; Dumez, Hervé; Minvielle, Etienne title: Comment le système hospitalier français (et les réa en particulier), ont-t-ils géré la crise Covid 19? date: 2020-10-31 journal: Prat Anesth Reanim DOI: 10.1016/j.pratan.2020.10.003 sha: d1d72d8dd0313aeaffb42f4bd4f8626a281a25fb doc_id: 944571 cord_uid: f036l4xi nan Une recherche (École polytechnique-CNRS), réalisée « à chaud » (avril-juin 2020), a analysé la gestion de la crise au sein du système hospitalier français (1) . Fondée sur cinquante-cinq entretiens avec une diversité d'acteurs (des patients aux membres de cabinets ministériels, incluant différents médecins réanimateurs), situés dans les régions touchées et celles qui l'ont moins été, elle apporte un retour d'expérience. Le premier résultat est ainsi de relater la manière dont la crise a été gérée depuis ses débuts jusqu'à la désescalade. Six enseignements de gestion de crise sanitaire sont ensuite tirés. Enfin, des orientations sur l'hôpital de demain en sont déduites. Face à un environnement de plus en plus incertain, où les menaces s'annoncent nombreuses et variées (épidémie, terrorisme, catastrophe naturelle, cyberattaque), l'hôpital de demain doit concilier agilité et performance. Spécifiquement aux services d'anesthésie-réanimation, plusieurs sujets extraits de ce rapport nous semblent mériter une attention plus particulière, en précisant que l'angle adopté est managérial, ne traitant donc pas des aspects cliniques. Tout d'abord, et même s'il est difficile de rapporter un jugement d'ensemble, la majorité des acteurs reconnaissent que le système hospitalier a réagi d'une manière positive face à la crise. Cette tonalité vaut pour les services de réanimation, situés au coeur de la crise, et la communauté de ses professionnels. La solidarité a été manifeste, amenant à une réaction collective unanimement reconnue. Elle ne doit pas néanmoins occulter des cas où la situation a été plus sombre, l'organisation peinant à faire face à l'afflux de patients, certains défauts se révélant au grand jour à cette occasion. Des attitudes de management ont pu expliquer ces différences constatées. L'adaptation ou la force d'un travail en équipe. L'adaptation est souvent comprise sur le plan structurel, celle des capacités nécessaires pour faire face à la crise, sujet déjà abordé en anesthésieréanimation lors de crises précédentes (2) . La Covid-19 a ainsi pointé les besoins capacitaires en réanimation et en modularité (création de lits éphémères), requise pour le futur. En complément, l'adaptation peut être comprise sur un plan managérial, comme un ensemble de compétences qui relèvent de la capacité à travailler en équipe, à exercer un leadership fédérateur, et à favoriser la créativité organisationnelle. La recherche de solutions pour faire face à la crise a notamment conduit à imaginer des dispositifs innovants expérimentés dans des temps courts, souvent en transgressant les règles en vigueur. Les services d'anesthésie-réanimation ont fait preuve en la matière de qualités importantes, notamment à travers la réalisation de formations intensives pour intégrer rapidement des soignants ou l'optimisation des stocks de masques, de sur-blouses, et de traitements. On a pu y noter un trait propre aux situations de crise qui vise, face à des ressources existantes contraintes, à étendre l'usage initial de certains produits (les masques de plongée ou les sur-blouses confectionnées à partir d'autres matériaux). Si certaines actions ont pu surprendre, elles constituent une pratique usuelle de management de crise (3). Le soutien psychologique : une forme de management du quotidien. Le soutien psychologique est souvent conçu sur un plan individuel (cellule d'aide psychologique et ligne téléphonique spécialisée). Il s'agit alors d'accompagner et de renforcer les stratégies de défense des professionnels de santé. De tels dispositifs ont été mis en place, mais n'ont pas forcément été très actifs. A côté, le management peut aussi avoir un rôle majeur en termes de soutien, applicable au sein des équipes. Ce sont des tactiques qui jouent sur la présence physique (certains ont rapporté, non sans malice, que jamais ils n'avaient vu autant les directeurs d'hôpitaux dans les services), la répartition équitable des dons, le bannissement des propos contre-productifs, l'expression libre, et la transparence dans la circulation de l'information. Si certains professionnels sont plus armés que d'autres (certains ont même particulièrement apprécié le temps de crise), le soutien collectif est indispensable, surtout face à une crise qui génère de l'anxiété et perdure. C'est un principe majeur de la résilience organisationnelle qui a pu s'observer, mais qui mériterait d'être mieux formalisé (4). La coopération : limiter la guerre des egos. La coopération entre services de réanimation a aussi été un point clé. Elle s'est mise en place plus ou moins rapidement, mais n'a pas toujours été spontanée. Un argument clinique sur la capacité d'expertise nécessaire a pu limiter son intérêt. Il s'oppose à un autre, le besoin de prendre en charge un afflux massif de patients. Cet arbitrage renvoie à un dilemme connu en management de crise : l'action cherche à s'appuyer sur l'expertise et en même temps à répondre à l'ensemble des besoins. Il est toujours délicat à trancher. D'autant que vient se glisser la question des egos : la tentation est grande de résoudre la difficulté seul. Cette tentation de l'action individuelle peut avoir plusieurs ressorts : une reconnaissance personnelle (je suis celui qui a réussi à apporter la bonne réponse, en particulier en matière de recherche clinique), ou le risque de perte de légitimité (je ne veux pas montrer que je ne suis pas capable de répondre), l'urgence d'agir (agir de concert prendrait trop de temps en négociation). Elle est généralement perdante lors d'une crise pour deux raisons identifiées dans le cadre des interventions militaires : le risque de manque d'implication d'autrui assorti de critiques dans des périodes qui réclament de la cohésion ; le risque de passer à côté d'une expertise utile pour faire face à un afflux massif et inattendu de situations à traiter, les situations de crise imposant souvent de renoncer à la maîtrise de la complexité (5) . Tous les aspects évoqués précédemment convergent vers la nécessité d'un hôpital plus agile. Au moment où cette crise se chronicise, cette qualité apparaît nécessaire, d'autant que la solidarité initiale peut s'étioler, limitant la spontanéité des actions collaboratives. Un futur généralement anticipé comme de plus en plus incertain et menaçant, renforce cette nécessité. Car toute crise est inédite. Certains constats de la Covid-19, comme l'augmentation de la capacité des stocks de masques, n'auront peut-être aucune utilité pour faire face à la prochaine menace. Pour cette raison, il convient de renforcer ces comportements, indépendamment de la nature de la crise à affronter. Certaines des formes de management décrites ont aussi, nous semble-t-il, leur intérêt en régime normal pour faire face au manque d'attractivité des métiers. De mauvaises conditions de travail, un climat détérioré, sont des facteurs qui démotivent. La crise Covid-19 a mis en lumière des situations contrastées : des équipes où la collaboration était étroite, et les professionnels investis et motivés ; d'autres où la désorganisation, les désillusions, et les souffrances au travail étaient fortes. L'absence de soutien, un faible travail d'équipe et d'esprit de coopération ont alors pesé négativement. Il nous semble qu'à côté des questions de revalorisation salariale, et d'effectifs, ces sujets de management ont une importance majeure. Est-ce vrai dans le cas des équipes d'anesthésie-réanimation rompues aux situations de crise ? Nous laissons au lecteur le soin d'en juger. Comment le système hospitalier français a-t-il géré la crise Covid 19 ? Une contribution des sciences de gestion Organisation de la réanimation en situation de pandémie de grippe aviaire Resourcing Under Tensions: How frontline employees create resources to balance paradoxical tensions Team resilience: how teams flourish under pressure Team of teams: New rules of engagement for a complex world