key: cord-0921758-k9cpidpn authors: Mattei, Jean-François; Buisson, Yves; Allilaire, Jean François title: Crise de la Covid-19 et Académie nationale de médecine date: 2020-10-14 journal: Bull Acad Natl Med DOI: 10.1016/j.banm.2020.10.011 sha: 0c56710cbd6fae10ebab7c53d59ced516574da2c doc_id: 921758 cord_uid: k9cpidpn nan Dix mois après le début de la pandémie de Covid-19 qui a profondément bouleversé notre système de santé et mis à mal notre économie, il n'est pas trop tôt pour analyser les réponses apportées par l'autorité gouvernementale et pour s'interroger sur le rôle de l'Académie de médecine dans cette situation de crise sanitaire. I-Les circonstances de survenue de la pandémie. Sans vouloir entrer dans des polémiques inutiles, un certain nombre de points méritent d'être discutés. La première constatation est un manque évident d'anticipation et de prévention. Cette remarque reflète un des défauts majeurs du système sanitaire français. La prévention fait toujours recette lorsqu'il s'agit d'intentions, elle bat en retraite dès qu'il s'agit de les financer. Lors de l'épidémie H1N1 en 2009, des stocks de masques et de vaccins ont été constitués comme il convenait. Mais l'épidémie n'ayant pas eu l'importance redoutée, les stocks sont restés en l'état et certains politiques n'ont pas manqué de critiquer cette immobilisation inutile de l'agent public. Diverses mesures ont été prises dans les années qui ont suivi aboutissant au transfert et à l'éclatement des responsabilités concernant les stocks de masques [1] . Cette politique a conduit à un renouvellement des stocks très insuffisant et à leur non surveillance puisque nombre de masques avaient dépassé la date de péremption lorsqu'il aurait fallu en disposer. La conséquence a été une pénurie tragique de masques lorsque la Covid-19 est arrivée. La deuxième constatation porte sur une situation comparable à propos des tests dont on ne disposait pas véritablement, sur laquelle il est inutile d'insister. La troisième constatation est l'absence d'une politique hospitalière capable de répondre aux besoins éventuels. Dans un souci d'économie et parce que les missions de l'hôpital évoluaient, plusieurs milliers de lits d'hospitalisation conventionnelle ont été purement et simplement fermés au cours des dernières années. Il aurait pourtant fallu en convertir un certain nombre pour s'adapter aux nouveaux besoins, notamment en matière d'urgence et de soins intensifs. Plutôt que de s'attarder sur l'inventaire des manquements, il faut quand même s'étonner que les Exécutifs successifs n'aient jamais prêté attention aux avertissements répétés de la menace d'une probable survenue de pandémies. En 2003, un rapport ministériel sur la sécurité sanitaire à propos de la menace dite « NRBC » (Nucléaire, Radiologique, Biologique, Chimique) soulignait la faiblesse de l'infectiologie en France et l'absence d'équipements indispensables pour faire face à une probable pandémie à venir [2]. A partir de 2008, et régulièrement, les Livres blancs sur la défense et la sécurité ont insisté sur la probabilité grandissante d'une pandémie sévère [3] 1 . Il n'en a été tenu aucun compte. Il faut encore ajouter l'imprudence de confier à d'autres pays la fourniture quasi exclusive à la France de médicaments de première nécessité et de certains produits médicaux indispensables. Pendant la crise, on a constaté la difficulté à s'approvisionner en certaines molécules, notamment indispensables en anesthésie comme le curare. Tout cela explique l'état d'impréparation et d'improvisation dans la stratégie politique initiale face à la réalité épidémique. Il s'en est suivi un discours désordonné, parfois contradictoire, sans ligne directrice avec de fréquents ajustements et des changements d'orientation qui ont dérouté soignants, médias et citoyens. Il est difficile d'être pédagogue quand on demeure soi-même dans l'incertitude. De même, il était difficile de discerner qui était le « général en chef » de la lutte contre le virus en prise directe avec l'évènement. Outre les responsables politiques (Président de la République, Premier Ministre, Ministre de la Santé), sont intervenus alternativement d'autres acteurs tels que les deux conseils scientifiques nommés auprès du Président, mais aussi la Direction Générale de la santé et différentes agences d'Etat en santé dont le Haut Conseil de la Santé Publique et Santé Publique France, parfois avec des avis divergents. D'autre part, la verticalité des décisions centralisées, et souvent mal expliquées, a vite paru inadaptée à l'hétérogénéité des territoires pas tous concernés de la même façon par l'épidémie. Autrement dit, la triangulation entre le Pouvoir politique, le Savoir scientifique et le Vouloir des citoyens n'a pas fonctionné de façon satisfaisante [4] , ce qui n'a pas facilité leou les -choix d'une stratégie sanitaire claire et bien comprise. D'une part les connaissances n'ont cessé d'évoluer devant un virus jusque-là inconnu, entrainant des désaccords entre les scientifiques eux-mêmes. D'autre part, l'acceptabilité des citoyens oscille entre l'exigence de sécurité et l'exigence de liberté. Ensuite, l'analyse médicale. Malgré ses missions statutaires qui la désignent pour conseiller l'Exécutif 2 , l'Académie de médecine n'a jamais été officiellement saisie. Mais lorsque le confinement est survenu et qu'elle a dû cesser de se réunir en séances à partir du 14 mars 2020, il lui est apparu comme une évidence que devant le drame sanitaire, elle se devait d'apporter sa contribution. Une cellule de veille Covid-19 a donc été créée 3 pour coordonner des groupes de travail et répondre, sous forme d'avis et de communiqués aux questions qui pouvaient se poser [5] . En pareille circonstance, l'Académie présente plusieurs atouts qui lui sont propres : d'abord, elle est indépendante de tout pouvoir politique puisque ses membres sont élus par les pairs ; ensuite, elle associe toutes les compétences dans les différents champs de la santé 4 et la longue expérience de ses 135 membres titulaires comme de ses 160 membres correspondants, ce qui permet des discussions approfondies et de fructueuses confrontations ; enfin, la moitié de ses membres exerçant en province, ils apportent un retour de terrain précieux. Proposés, rédigés et discutés par un grand nombre d'académiciens, à ce jour ce sont près de 100 avis et communiqués qui, pour la plupart, ont été largement repris par les médias et ont influencé un certain nombre de décisions. Ces communiqués peuvent être consultés sur le site internet de l'Académie [6] et dans son Bulletin périodique [7] . Quelques remarques s'imposent devant la situation et les conditions particulières évoquées précédemment. Globalement, il semble que le risque infectieux ait été sous-estimé au début. Il n'a pas été assez tenu compte de ce qui se passait en Chine dont, il est vrai, les informations n'étaient pas sûres, mais aussi en Italie qui affrontait l'épidémie 15 jours avant la France. Certains ont parlé de « grippette ». Il s'en est suivi un retard préjudiciable aux décisions initiales. En premier lieu, la question des masques. Outre l'erreur originelle consistant à ne pas disposer de masques en nombre suffisant, s'est ajoutée une deuxième erreur, tout aussi préjudiciable. Au lieu de reconnaître la pénurie de masques en expliquant les causes, l'Exécutif a contesté l'usage des masques, nié leur utilité et parfois même les a considérés comme dangereux du fait de leur manipulation non adéquate. Il aurait été plus adapté d'appeler immédiatement les citoyens à confectionner leurs masques en tissu grâce à des tutoriels comme cela a fini par se produire. Il est vrai que, de manière surprenante, l'OMS s'est montrée réservée sur l'utilité des masques, ce qui reste difficile à comprendre. A l'inverse, l'intérêt des masques dits « alternatifs » a très vite été souligné par l'Académie de Médecine dans son communiqué du 2 avril (« Pandémie de Covid-19 : mesures barrières renforcées pendant le confinement et en phase de sortie du confinement »). L'Académie demeure persuadée que le port d'un masque aurait dû être exigé, même pendant le confinement à l'occasion des sorties autorisées (courses, consultation médicale, activité physique…) car le masque agit comme un confinement individuel. L'Académie a insisté sur ce sujet à plusieurs reprises [8] [9] [10] [11] [12] . De façon empirique, les chirurgiens portent bien un masque depuis des décennies lorsqu'ils opèrent afin de ne pas contaminer le champ opératoire. Et, récemment, de nouvelles preuves scientifiques ont objectivé et vérifié leur utilité, pour se protéger et davantage encore protéger les autres par leur rôle d'écran « anti-projections ». La distanciation physique, d'ailleurs imprécise (de 1 à 2 mètres…) et ne prenant en compte que les postillons, ne suffit pas, notamment en raison de l'aérosolisation bien démontrée avec la présence virale persistante quelques heures sur des microgouttelettes de sécrétions respiratoires. Passer du masque inutile au masque obligatoire a grandement entamé la confiance de la population et contribué à décrédibiliser les responsables. De plus, après avoir fait volte-face, il aurait fallu mettre le masque en première ligne des gestes barrières plutôt que consentir à l'ajouter en fin de liste. L'obligation de le porter aurait pu dans un premier temps, pour les espaces clos accueillant du public (cafés, restaurants, magasins, salles de spectacles, etc.), se calquer sur les lieux où il est interdit de fumer qui sont pratiquement les mêmes, ce qui aurait abrégé la démarche juridique et fait gagner du temps dans la mise en oeuvre. On a parfois eu du mal à comprendre le pourquoi des horaires de fermeture pour les restaurants : 22h, 23h30, 0h30 ? Des explications simples et concises auraient été utiles, en particulier pour les bars, cafés et restaurants : par définition ce sont des lieux de convivialité, on y vient donc pour se rencontrer ; ce sont donc des lieux d'échanges où l'on parle et où l'on rit ; ce sont des lieux où l'on ne porte pas de masques puisqu'on y boit et qu'on y mange. Des études américaines ont bien montré la multiplication des risques de contamination entre 2% et 4%. Pour l'extérieur en général, il faut distinguer les zones urbaines avec des lieux très fréquentés où la distanciation physique ne peut être respectée (marchés, rues très passantes, etc.). Le port du masque doit y être obligatoire compte tenu de l'aérosolisation des projections respiratoires. En revanche, dans les zones naturelles, quand on est seul ou en petit groupe distancié le masque ne s'impose pas. C'est en ce sens que les tribunaux administratifs saisis et le Conseil d'Etat ont essayé de proportionner les décisions prises par les Préfets. En deuxième lieu, le confinement. Le confinement était manifestement devenu indispensable au regard de la progression de l'épidémie et de la saturation des hôpitaux. Il fallait à tout prix freiner la progression du virus et donc protéger les personnes pour épargner nos hôpitaux, nos soignants et tout le système de santé. Ce confinement a permis des résultats très appréciables qui ont permis un « déconfinement » et une reprise économique progressive. Il est remarquable qu'il ait été plutôt bien respecté par les Français. De même, comme le souhaitait l'Académie de Médecine traduisant l'avis unanime des pédiatres et pédopsychiatres, la reprise de l'école au mois de juin a permis de mettre fin à une rupture sociale et éducative dont les désordres étaient supérieurs chez les enfants et adolescents à ceux d'une éventuelle contamination [13] . Elle n'est malheureusement survenue qu'en juin quand le Président de la République l'avait annoncée le 11 mai. C'est dommage. En revanche, les décisions concernant l'isolement des personnes possiblement contaminantes ont été trop tardives. Il paraissait pourtant indispensable que les personnes testées positives, avec peu ou pas de signes, celles sortant de l'hôpital et encore positives, ainsi que les « personnes-contact » devaient être isolées. Les difficultés d'isolement au domicile ont conduit l'Académie à proposer le recours à des « hôtels Covid-19 » [14] . Cette proposition a été reprise et a bénéficié de l'engagement de certaines chaînes hôtelières. Dès le 13 mai, l'Académie a émis le souhait que la vaccination contre la grippe saisonnière soit largement étendue à toutes les personnes fragiles et qu'elle soit rendue obligatoire pour tous les personnels soignants ou au contact d'enfants et de personnes âgées [15, 16] . Il faut, en effet, tout faire pour éviter la « double peine » éventuelle avec l'addition de la grippe et de la Covid-19, éviter la saturation hospitalière, mais aussi protéger le personnel soignant et d'accompagnement afin qu'il puisse répondre présent et assurer sa mission. Dans des conditions souvent très tendues toutes les énergies doivent être mobilisables. Cette disposition n'a été que partiellement retenue. C'est de notre point de vue regrettable. Encore faut-il s'assurer que la disponibilité du vaccin antigrippal sera suffisante pour répondre à la demande. En troisième lieu, la stratégie du déconfinement. Il nous apparait que le déconfinement a été décidé au bon moment. En revanche, la doctrine annoncée le 11 mai « Tester, Tracer, Isoler », qui semblait justifiée et adaptée s'est rapidement trouvée compromise par une politique de tests déconnectée de toute logique. La récente modification en « Tester, Alerter, Protéger » ne s'est accompagnée d'aucune explication mais son contenu semble peu différent. Depuis début septembre, l'augmentation de la circulation du virus et la possibilité de se faire tester (RT-PCR) sans indication prioritaire, donc sans ordonnance, a conduit à un raz de marée de demandes avec des files d'attente de plusieurs heures. La saturation des laboratoires a provoqué l'épuisement des personnels et des retards conséquents de plusieurs jours (4 à 5 jours en moyenne, parfois jusqu'à 8 jours et même davantage) pour obtenir les résultats et ce, malgré le renfort des structures vétérinaires souhaité par l'ANM dès le 30 mars [17] . Dès lors le traçage devenait impossible car trop tardif. Outre les personnels soignants, il aurait fallu prioriser les personnes présentant des symptômes évocateurs de la Covid-19, les personnescontact et les personnes fragiles en exigeant pour elles une ordonnance médicale précisant la nature de l'indication. En outre, cette pratique aurait eu pour effet de remettre les médecins généralistes dans la boucle. L'Académie de médecine s'est prononcée sur le sujet dans un communiqué le 3 août 2020 « Covid-19 : dépister plus, dépister mieux ». L'efficacité des tests étendus et du traçage exigent de la rapidité. Il faut espérer que les mesures annoncées récemment pour pallier cette sérieuse difficulté seront utiles. Non seulement la priorisation des tests, mais aussi le recours aux tests salivaires recommandés par l'Académie dès le 30 juin [18] et aux tests antigéniques. D'autant que l'étape de l'isolement devient inefficace si les résultats des tests arrivent après un délai de 4 à 8 jours. La preuve est faite que l'on peut mieux faire si l'on compare l'épisode initial de Mulhouse auquel on n'a pas su réagir et la prise en charge du département de la Mayenne dont les chiffres étaient inquiétants et dont on a pu améliorer significativement la situation. On peut aussi se demander pourquoi la stratégie de dépistage orienté à partir de la surveillance des eaux usées n'a pas été développée [19] . Enfin, il faut se féliciter des dernières dispositions permettant aux préfets et aux élus locaux de décider en concertation des mesures les plus adaptées selon les territoires. De la même façon, il conviendrait de consulter les associations citoyennes représentatives car elles ont démontré qu'elles étaient très utiles dans de pareilles situations. Bien sûr comme l'Etat est le seul garant et responsable, y compris devant la justice, la décision lui revient in fine, malgré les contestations. On vient d'en constater l'ampleur grâce aux mesures restrictives prises dans les zones classées en « alerte maximale ». En quatrième lieu, la question des traitements. Cette question est particulièrement délicate dans la mesure où le politique est confronté à la difficulté de décider à partir des contradictions des scientifiques comme des équipes soignantes et des options parfois différentes d'un pays à l'autre. Il faut regretter que la polémique sur l'hydroxychloroquine ait pu conduire à s'écarter du raisonnement scientifique, ait entraîné des erreurs d'indications comme par exemple de réserver l'hydroxychloroquine aux formes sévères, et ait contrarié la conduite des essais thérapeutiques indispensables. On peut, notamment, regretter la précipitation de deux décisions majeures. D'une part, la décision d'inclure l'hydroxychloroquine dans l'essai européen Discovery qui a reposé sur une publication chinoise dont la méthodologie était discutable, d'autre part, la saisie du Haut Conseil de la Santé Publique pour une révision des règles dérogatoires de prescription de divers traitements comme l'hydroxychloroquine après la publication dans le Lancet d'une étude concluant à l'inefficacité de l'hydroxychloroquine alors que la revue a rapidement retiré l'article en raison du caractère très contestable de ses sources. On regrette que le Conseil scientifique n'ait pas semblé éclairer le Gouvernement sur ces points. L'Académie s'est prononcée à différentes reprises sur ce sujet. En cinquième lieu, les questions éthiques. Les questions d'éthique sont omniprésentes au cours de cette crise sanitaire. Elles ne sont pas forcément nouvelles mais cette fois, elles révèlent la peur millénaire de mourir, elles dévoilent les illusions de la modernité qui avait cru pouvoir tout contrôler. Et nous nous redécouvrons vulnérables. C'est une leçon de modestie qui renvoie l'homme à son humanité sans fard. Solliciter les équipes de réflexion en éthique médicale organisées en réseau un peu partout en France serait d'une aide précieuse mais n'est pas encore entré suffisamment dans les usages. Pourtant une réflexion éthique, fondée sur les quatre principes essentiels que sont l'autonomie, la bienfaisance, la non-malfaisance et la justice, parait indispensable car les situations rencontrées pour n'être pas toujours nouvelles se posent avec une actualité exigeante et dans un contexte bien différent. Par exemple, la limitation de l'autonomie pour protéger le bien commun. Elle s'est appliquée d'abord au cours du confinement et a été assez bien acceptée, probablement sous l'emprise de l'inquiétude, sinon de la peur. En revanche, le port du masque a suscité des réactions d'opposition parfois violentes qualifiant son obligation de liberticide. On a vu que les politiques, par leur changement d'attitude ont eu de la difficulté à convaincre par manque de clarté et de pédagogie. Le principe d'autonomie s'est encore posé avec la technique de traçage numérique des personnes-contact avec l'application Stop-covid. Il n'a été autorisé le 26 mai qu'après avoir tenu compte des garde-fous posés par la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) pour éviter les dérives. L'Académie avait le 5 mai fait des recommandations analogues [20] en insistant sur le consentement éclairé, la possibilité d'interrompre le processus, l'utilisation sur un temps court et l'anonymat des données. On peut aussi se pencher sur l'isolement des personnes âgées qui obéit à un souci sanitaire. Mais la bienfaisance recherchée se trouve contrebalancée par une malfaisance tout aussi importante du fait de la rupture du lien social avec les proches installant la solitude au fil des jours, parfois même jusqu'au dernier souffle. La réflexion éthique a fait défaut. L'enseignement à distance est aussi au centre d'interrogations éthiques. D'une part il installe une inégalité des enfants au plan du support technique que tous ne possèdent pas. Il en est de même quant à la qualité du soutien scolaire à domicile qui, lorsqu'il fait défaut, est à l'origine du décrochage des enfants les moins favorisés. Là encore, la bienfaisance sanitaire recherchée se trouve contrebalancée par une réelle malfaisance du fait de l'isolement et de la rupture du lien avec l'école et les amis. Il est intéressant que le principe de la justice distributive se soit posé aussi devant le manque de moyens lorsque un tri s'avérait nécessaire parmi les patients pour déterminer ceux qui devaient être réanimés et ceux qu'il fallait simplement accompagner. Cette question, une des plus difficiles qui soit, est bien connue dans l'attribution des greffons pour transplantation d'organes ou de médicaments comme au début de la trithérapie contre le sida. Elle est généralement écartée sauf dans une philosophie utilitariste, surtout anglo-saxonne. Mais elle peut s'imposer, en cas de force majeure, comme dans des situations de guerre, de catastrophes naturelles ou de grandes épidémies. Lorsque le nombre de malades ou de blessés à prendre en charge est tel qu'il dépasse les capacités humaines et matérielles, le choix des malades à soigner relève d'une tragique transgression morale qu'il faut assumer. Evidemment, le principe de justice devra être pris en compte lorsqu'on disposera d'un vaccin sûr et efficace de façon à ce qu'il puisse être administré à tout le monde, sans aucune forme de discrimination. Dans les faits, l'éthique est présente à chaque instant car il est difficile de trouver le plus juste équilibre entre le respect des libertés individuelles et la responsabilité de l'intérêt collectif. Or, se protéger, c'est aussi protéger l'autre. Cette dimension est trop souvent oubliée à notre époque où l'individualisme prévaut. Ce serait pourtant redécouvrir la nécessité du lien social pour constituer une société. De la même façon, on a trop mésestimé que pour la meilleure prise en charge possible des malades, on remettait à plus tard la prise en charge des patients « non-Covid » au risque de les priver des meilleures chances de guérison du fait d'une rupture d'égalité. L'Académie de médecine estime, compte tenu des circonstances (pénurie de masques et de tests, encombrement hospitalier, virus inconnu et d'évolution imprévisible, etc.), que la stratégie médicale a été progressive, proportionnée et adaptée, mais qu'elle n'a pas su -ou pugagner toute la confiance des citoyens pour les raisons déjà évoquées. D'emblée, il a manqué un fil directeur, une continuité entre les décisions, leur explication et leur application. Trop souvent les citoyens n'ont pas compris le pourquoi d'une obligation et ont refusé d'être infantilisés. On peut aussi regretter que l'Exécutif n'ait pas constitué une « force de frappe » en impliquant les médecins généralistes [21] [22] [23] , les médecins scolaires [24] et les médecins du travail [25] 5 qui pourtant sont en première ligne. De même, le volet médico-social, qui a pourtant une importance considérable, n'a pas toujours pris la mesure des risques spécifiques. Par exemple, pour les personnes très âgées accueillies dans les EHPAD (Etablissements d'Hébergement des Personnes Agées Dépendantes), la décision d'isoler les résidents obéissait à une logique sanitaire mais ne tenait aucun compte du risque tragique de la solitude quand on se trouve aux portes de la mort. En voulant protéger les personnes âgées on pouvait entraîner chez elles la perte du goût de vivre. Le dilemme s'est vite imposé de savoir s'il valait mieux mourir de la Covid-19 ou de solitude. La mesure d'isolement, perçue comme dénuée d'humanité, a heureusement été modulée à la demande instante des proches, des soignants et des élus de proximité. On pourrait aussi citer nombre de situations délicates liées au maintien à domicile, à la santé mentale, aux règles d'hygiène de vie, aux accidents domestiques, aux addictions et d'autres [26] [27] [28] [29] [30] [31] [32] [33] [34] [35] . Enfin, comme cela a été dit à plusieurs reprises, la décision revient toujours au politique. Elu pour cela, il a seul toute légitimité pour trouver le moins mauvais équilibre entre les données de la science, l'acceptabilité des citoyens et les exigences économiques. En dépit du devoir de transparence, on peut s'interroger sur les limites qu'il doit parfois s'imposer dans la communication, surtout quand il avance prudemment sans véritable certitude, au fur et à mesure de l'expérience acquise et des connaissances médicales. Un non-dit prudent lorsqu'on ne sait pas -les médecins parlent d'asepsie verbalepeut éviter d'avoir à se contredire au risque de semer la défiance. L'Académie estime également qu'il faut rester attentif à propos de toutes les comparaisons faites entre différents pays. Elles devraient davantage prendre en compte les différences de culture, sachant que les pays nordiques sont en général plus disciplinés que les pays du sud, mais aussi les écarts dans le développement économique et sanitaire. De même, il est des pays très centralisés comme la France et d'autres qui obéissent à une organisation fédérale. Ainsi l'Allemagne a 16 Länder et 16 ministres de la santé qui n'ont pas tous la même politique. Dans la situation présente, l'augmentation significative des taux d'incidence de la Covid-19, des hospitalisations et des admissions en réanimation, laisse craindre la réalité d'une deuxième vague si des mesures plus restrictives et rapides ne sont pas décidées. Dans cette hypothèse, l'épidémie pourrait très vite se trouver hors de contrôle [30] . L'Académie souligne encore l'importance du discours du Président de la République lorsqu'il a affirmé que la santé devait primer, « quoiqu'il en coûte ». Il s'agit d'un véritable évènement qui ne devra pas rester sans lendemain. Sans doute faudra-t-il continuer d'appliquer ce principe lorsque le pays sera revenu à des temps « ordinaires ». Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale Les nouveaux rapports entre pouvoir, savoir et vouloir : à propos des nouvelles biotechnologies Confinée mais mobilisée, l'Académie nationale de médecine au temps de la Covid-19 Aux masques citoyens. Communiqué de l'Académie Recommander le masque sans masquer la vérité Port du masque contre la Covid-19 : geste obligatoire et non aléatoire. Communiqué de l'Académie Masquez-vous, masquez-vous, masquez-vous. Communiqué de l'Académie Du bon usage des masques. Communiqué de l'Académie Mesures sanitaires pour la réouverture des écoles, collèges, lycées et crèches. Communiqué de l'Académie Pour l'ouverture des hôtels COVID-19. Communiqué de l'Académie Face à la Covid-19, vaccinons contre la grippe ! Communiqué de l'Académie Vacciner tous les soignants contre la grippe : une évidente obligation. Communiqué de l'Académie Pour un renfort vétérinaire au diagnostic du Covid-19. Prise de position de l'Académie, 30 mars 2020 Dépistage des porteurs du SARS-CoV-2 : et les tests salivaires ? Communiqué de l'Académie Covid-19 : surveillance de la circulation du SARS-Cov-2 dans les eaux usées, indicateur simple de suivi de la pandémie de Covid-19 Covid-19, traçage épidémiologique et éthique médicale Le médecin généraliste face au Covid-19. Communiqué de l'Académie Suivi des patients convalescents de la Covid-19 par le médecin généraliste. Communiqué de l'Académie Suivi des soignants impliqués dans la prise en charge de la Covid-19. Communiqué de l'Académie Académie nationale de médecine. Pour une rentrée scolaire apaisée et sécurisée Covid-19 et santé au travail Sans-abri, sans-papiers et confinés ? Communiqué de l'Académie Épidémie Covid 19 dans les EHPAD : Permettre aux médecins et aux soignants d'exercer leur mission en accord avec leur devoir d'humanité. Communiqué de l'Académie Santé psychique et hygiène mentale en période de confinement Pandémie à Covid-19 : dangers des interruptions de traitement sans avis médical. Communiqué de l'Académie Ne pas attendre une deuxième vague