key: cord-0890915-s2tza28u authors: Goullé, Jean-Pierre; Guerbet, Michel title: L’usage récréatif du cannabis: des effets aux méfaits Données épidémiologiques* date: 2020-04-17 journal: Bull Acad Natl Med DOI: 10.1016/j.banm.2020.04.001 sha: cd3c8c5842f8c29e7fada03a59d313e4cf4e982f doc_id: 890915 cord_uid: s2tza28u RÉSUMÉ À l’heure où l’usage médical de la plante « cannabis dit thérapeutique » est pratiquement acté dans notre pays, l’ouverture à son usage récréatif constitue la suite logique, à l’image de la chronologie toujours suivie dans tous les pays. En effet, ceux qui ont légalisé la drogue - le végétal - ont auparavant approuvé son emploi en thérapeutique, étape de « justification » qui semble incontournable. Il nous a donc paru opportun de rappeler les effets et les méfaits de la drogue dans le cadre de son usage récréatif. Les enquêtes en population générale réalisées en France depuis 25 ans par Santé publique France et l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, permettent de suivre l’évolution de la consommation de substances psychoactives. Une attention toute particulière est portée aux usages de cannabis qui, dans un contexte de large diffusion depuis un quart de siècle n’ont cessé de progresser parmi les jeunes générations, mais également parmi les adultes plus âgés. La France est le pays européen dont la prévalence de consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes et les adultes. En 25 ans, sa diffusion n’a cessé de s’étendre et le taux d’expérimentation a été pratiquement multiplié par 4. Estimé à 12,7 % en 1992, il atteint 44,8 % en 2017. De surcroît, en 2017, ce sont 25 % des usagers dans l’année de 18 à 64 ans qui présentent un risque élevé d’usage problématique ou de dépendance. Ce chiffre est inquiétant car il est en progression constante, il affecte 3 % des 18-64 ans, soit un peu plus d’un million de personnes. SUMMARY As the medical use of so called “therapeutic cannabis" is in the process of being approved in France, the opening to its recreational use is the next logical step, as it has been always the chronology followed in all countries. Indeed, those who have legalized the drug have previously approved its therapeutic use. This 'justifying a project phase' stage seems unavoidable. Therefore, it is appropriate to recall the effects and misdeeds of the drug during its recreational use. The general population surveys carried out in France for 25 years by public health France and the French Observatory of Drugs and Drug Addiction, have followed the evolution of psychoactive substances consumption. Particular attention was focused on cannabis use, which, in a context of wide dissemination for a quarter of a century, rose steadily higher among younger generations, but also among older adults. France is the European country with the highest prevalence of cannabis use among young people and adults. Last 25 years, its diffusion has continued to expand, and the experimentation rate multiplied by near 4. Estimated at 12.7% in 1992, it reached 44.8% in 2017. Moreover, 25% of users in the year aged from 18 to 64 years old were at high risk of problematic use or dependence in 2017. This figure is worrying because it is constantly increasing; it affects 3% of 18-64-year-old, just over a million people. RÉSUMÉ À l'heure où l'usage médical de la plante « cannabis dit thérapeutique » est pratiquement acté dans notre pays, l'ouverture à son usage récréatif constitue la suite logique, à l'image de la chronologie toujours suivie dans tous les pays. En effet, ceux qui ont légalisé la drogue -le végétal -ont auparavant approuvé son emploi en thérapeutique, étape de « justification » qui semble incontournable. Il nous a donc paru opportun de rappeler les effets et les méfaits de la drogue dans le cadre de son usage récréatif. Les enquêtes en population générale réalisées en France depuis 25 ans par Santé publique France et l'Observatoire français des drogues et toxicomanies, permettent de suivre l'évolution de la consommation de substances psychoactives. Une attention toute particulière est portée aux usages de cannabis qui, dans un contexte de large diffusion depuis un quart de siècle n'ont cessé de progresser parmi les jeunes générations, mais également parmi les adultes plus âgés. La France est le pays européen dont la prévalence de consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes et les adultes. En As the medical use of so called "therapeutic cannabis" is in the process of being approved in France, the opening to its recreational use is the next logical step, as it has been always the chronology followed in all countries. Indeed, those who have legalized the drug have previously approved its therapeutic use. This 'justifying a project phase' stage seems unavoidable. Therefore, it is appropriate to recall the effects and misdeeds of the drug during its recreational use. The general population surveys carried out in France for 25 years by public health France and the French Observatory of Drugs and Drug Addiction, have followed the evolution of psychoactive substances consumption. Particular attention was focused on cannabis use, which, in a context of wide dissemination for a quarter of a century, rose steadily higher among younger generations, but also among older adults. France is the European country with the highest prevalence of cannabis use among young people and adults. Last . Dans les 39 états, l'usage illicite du cannabis dans la population a globalement progressé, mais il a davantage augmenté dans les 15 Etats ayant autorisé son emploi en thérapeutique (le pourcentage d'usage progresse dans ces Etats de 5,55 % à 9,15 %, soit +3,6 %), alors que dans les 24 Etats où la drogue a conservé son statut illicite, sa consommation progresse moins (de 4,5 % à 6,7 %, soit +2,2 %) ; . Chez les consommateurs de cannabis, l'usage problématique de la drogue a également davantage augmenté dans les 15 Etats ayant autorisé son usage à des fins médicales (avec une progression de l'usage problématique dans ces Etats de 1,62 %), alors que dans les 24 Etats où la drogue est restée illicite, la progression de l'usage problématique demeure plus faible (0,96 %). . il est noté une augmentation plus importante de sa consommation illicite dans les 9 Etats qui ont autorisé plus tardivement son emploi à des fins médicales (le pourcentage d'usage progresse de 3,64 % à 8,74 %, soit +5,1 %), comparativement aux 4 Etats (hors California et Colorado) l'ayant autorisé plus précocement (progression de 5,9 % à 8,6 %). En revanche, dans les 24 Etats où il est resté illicite (le pourcentage d'usage progresse moins : de 3,12 % à 6,62 %, soit +3,5 %). Sur la base de l'évolution démographique aux Etats-Unis, les auteurs concluent que l'autorisation de l'usage du cannabis à des fins médicales est responsable d'un nombre supplémentaire d'usagers illicites et d'usagers problématiques de cette drogue respectivement estimés à 1,1 million et 500 000. Les enquêtes en population générale réalisées en France depuis 25 ans par santé publique France et l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), permettent de suivre l'évolution de la consommation de substances psychoactives. Une attention particulière est portée aux usages de cannabis qui, dans un contexte de diffusion importante depuis un quart de siècle n'ont cessé de progresser parmi les jeunes générations, mais également ces dernières années parmi les adultes plus âgés. La France est le pays d'Europe où la prévalence de consommation de cannabis est la plus élevée chez les jeunes et les adultes [4] . Les données du Baromètre santé 2017 publiées fin novembre 2018 qui portent sur l'interrogatoire de plus de 20 000 personnes âgées de 18 à 64 ans permettent de préciser les niveaux d'usage de cannabis [5] . En 2017, le cannabis demeure la première substance illicite diffusée dans la population, près de 45 % des adultes de 18 à 64 ans l'ont expérimenté. Depuis trois décennies, sa diffusion n'a cessé de progresser, le taux [7, 8] . Compte tenu de la fréquence d'usage, ce sont au total 7,4 % des jeunes de 17 ans qui connaissent une consommation problématique de cannabis [7] . Afin de mieux appréhender les problèmes sanitaires et sociaux susceptibles d'être associés aux usages de cannabis, l'OFDT a développé depuis 2013 une échelle de repérage des consommations problématiques de cannabis appelé le Cannabis Abuse Screening Test (CAST) [8] . Le CAST comporte une échelle à 6 items dont chacun décrit des comportements d'usage ou des problèmes rencontrés dans le cadre d'une consommation de cannabis ( Figure 1 ). Pour calculer un score, les réponses aux six questions sont notées de 0 à 4. En fonction du total obtenu, on définit les usagers sans risque s'ils obtiennent un score inférieur à 3, les usagers avec un risque faible pour un total compris entre 3 et 7 et enfin ceux ayant un risque élevé de dépendance pour un score égal ou supérieur à 7. En 2017, ce sont 25 % des usagers dans l'année de 18 à 64 ans qui présentent un risque élevé d'usage problématique ou de dépendance. L'usage problématique et la dépendance affectent 3 % des 18-64 ans, soit un peu plus d'un million de personnes [5] . À 17 ans, la fréquence de l'usage problématique a progressé de 22 % en 2014 à 25 % en 2017, ce qui représente 7 % de l'ensemble des jeunes de cet âge, correspondant à environ 60 000 individus [7] . En tête du classement européen, la France connaît une prévalence élevée de l'usage occasionnel ou régulier de cannabis, avec des niveaux comparables à ceux des Etats-Unis et du Canada, pays qui comptent le plus de consommateurs au monde [12, 13] . Pour comprendre les pathologies en lien avec cette consommation, apparues au cours des dernières années et les risques engendrés par la consommation de ce « cannabis nouveau » (qui font l'objet d'articles spécifiques dans ce numéro), il convient de considérer non seulement la forme sous laquelle la drogue est consommée en France, mais également les taux de THC dans les produits présents sur le marché. Pour ce qui est de la forme de consommation, la France est le premier pays d'Europe à privilégier la forme la plus fortement dosée en THC : la résine seule (ou le plus souvent combinée à l'herbe), mais minoritairement l'herbe de cannabis uniquement (<30 % des consommateurs) (Figure 2) [4]. Il a été montré que les effets toxiques du cannabis sur de nombreuses fonctions et organes, sont d'autant plus marqués que le cannabis est plus fortement dosé en THC. Or, les teneurs en THC tant dans l'herbe que dans la résine ont littéralement explosé au cours des dernières années, ce n'est plus la même drogue qu'il y a deux ou trois décennies. En effet, les analyses des saisies de résine de cannabis en France, forme principale d'utilisation de la drogue [4], révèlent que la concentration moyenne en principe actif a été multipliée par trois en 15 ans et par six en 25 ans. Ainsi, la teneur moyenne en THC dans les saisies de résine de cannabis qui était de 4,4 % en 1993 [14] a atteint 26,5 % en 2018 [15] . Quant à l'herbe la teneur moyenne en THC au cours des quinze dernières années a progressé de 40 %, pour atteindre plus de 11 % en 2018 [15] . Ces fortes teneurs en THC sont rendues possibles grâce à la culture de variétés hybrides, dans les pays où la drogue est cultivée, au Maroc en particulier, mais aussi à la faveur de nouveaux modes de culture du cannabis qui se sont développés. Ils font appel à l'auto-culture de type « sinsemilia » ou « amnesia » ou « hase », c'est à dire dans des conditions optimales de lumière, de température et d'hygrométrie, avec des variétés de graines sélectionnées, achetées le plus souvent sur Internet. Ces nouveaux modes permettent de cultiver du cannabis « à domicile » et d'obtenir des teneurs en THC beaucoup plus élevées, pouvant largement dépasser 35 % [16] . Le nombre de patients citant le cannabis comme produit posant le plus de problème dans les centres de soin, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) a augmenté de 55 % entre 2010 et 2016, progressant de 38 000 à 59 000 patients [17] . Ce nombre représente 20 % des personnes vues dans les CSAPA, mais il n'est pas exhaustif. Il est en réalité bien supérieur à 59 000 car d'autres professionnels en milieu hospitalier ou en ville sont susceptibles de prendre en charge ces patients. Les plus jeunes consommateurs sont généralement accueillis dans l'une des 540 « consultations jeunes consommateurs » (CJC) présentes sur le territoire national. On estime que 24 000 d'entre eux ont été pris en charge dans les CJC. Environ 40 % des patients vus pour un problème de consommation de cannabis dans les CSAPA sont adressées par la justice à la suite d'une interpellation. Le nombre de malades hospitalisés dans un établissement de santé avec un diagnostic principal associé ou relié de troubles mentaux ou du comportement liés à l'usage de cannabis progresse de 60 % en quatre ans : de 23 000 en 2013 à 37 000 en 2017 [18] . Le cannabis est la première substance illicite à l'origine des recours aux urgences, soit 5 500 d'entre eux (27 %), un chiffre probablement sous-estimé [15, 19] . En matière de violence routière, il produit une ivresse, assez comparable à celle due à l'alcool et multiplie par deux le risque d'accident mortel [20] . Avec l'alcool, il donne lieu à une potentialisation mutuelle ; ainsi, la rencontre du cannabis et de l'alcool multiplie par 14 le risque d'être responsable d'un accident mortel de la route [20] . En 2017, 23 % des sujets tués dans un accident de la circulation routière présentaient un test positif aux stupéfiants, dont plus de 90 % de cannabis [21] . Nous ne disposons malheureusement pas de données concernant l'implication de cette drogue dans les autres formes de violence. En ce qui concerne la mortalité, en 2017 on dénombre 59 décès dus au cannabis, dont 28 liés à la toxicité aiguë cardiovasculaire directe du cannabis et 31 décès indirects (chutes, immersions, traumatismes) [22] . Ces chiffres sont sous-estimés dans la mesure où la reconnaissance de pathologies vasculaires en tant que cause de décès liées au cannabis est relativement nouvelle [23] . En France, le cannabis présent sur le marché est majoritairement sous forme de résine, comme nous l'avons indiqué précédemment. La quasi-totalité de la résine saisie provient du Maroc où la culture de variétés hybrides se développe, contribuant à l'élévation des teneurs en THC [24] . Les saisies de cannabis ont fortement progressé en 2017 et 2018. Celles de résine, qui représentaient plus de 90 % du total tout au long des années 2000, restent majoritaires (67 tonnes en 2017), mais voient leur part baisser, alors que celles d'herbe augmentent nettement. L'herbe qui était principalement importée de Hollande, provient désormais de plus en plus d'Espagne. L'auto-culture reste un mode de production assez marginal chez les usagers récents (au cours du mois), 7 % des 18 à 64 ans (soit 150 à 200 000 personnes), 4,9 % des 17 ans [7] . En 2016, l'augmentation de la qualité des produits proposés, ainsi que la dynamique du marché français très actif, favorisent la hausse des prix de détail de la résine (7 euros le gramme) et de l'herbe (10 euros le gramme) [25] . A côté du THC, émergent des cannabinoïdes de synthèse. Ils sont proposés le plus souvent via Internet et nous assistons à l'explosion de leur nombre depuis quelques années [26] . Catégorie [29] . Afin de limiter la diffusion de la consommation de cannabis, il nous semble important de rappeler l'importance de mettre en oeuvre de manière urgente une politique ambitieuse Les niveaux d'usage des drogues illicites en France en 2017. Tendances n°128 Usages d'alcool, de tabac et de cannabis chez les adolescents du secondaire en 2018 Les drogues à 17 ans : Analyse de l'enquête ESCAPAD 2017 Détection des usages problématiques de cannabis : le cannabis abuse screening test (CAST) Observatoire français des drogues et toxicomanies. Drogues et addictions données essentielles. Observatoire français des drogues et toxicomanies, édition 2019 Are The Times A-Changin"? Trends in adolescent substance use in Monitoring the Future national survey results on drug use 1975-2017: Overview, key findings on adolescent drug use Analyse des tendances de la prévalence de consommation de cannabis au Canada Cannabis d'hier et cannabis d'aujourd'hui. Augmentation des teneurs en THC de 1993 à 2004 en France Observatoire français des drogues et toxicomanies. Drogues, chiffres clés. Huitième édition. Observatoire français des drogues et toxicomanies, juin 2019 Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies, 30 mai 2013, mise à jour 14 juin Les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie en 2016. Observatoire français des drogues et toxicomanies -Direction générale de la santé Agence technique de l'information sur l'hospitalisation. Chiffres clés 2017 de l'hospitalisation. Agence technique de l'information sur l'hospitalisation Site consulté le 11 novembre Cannabis intoxication and fatal road crashes in France: population based case-control study Observatoire national interministériel de la sécurité routière. La sécurité routière en France Bilan de l'accidentalité routière de l'année 2017, Observatoire national interministériel de la sécurité routière Décès en Relation avec l'Abus de Médicaments Et de Substances Principaux résultats enquête DRAMES 2017. Centre d'évaluation et d'information sur les pharmacodépendances de Grenoble Décès d'origine cardiaque avec présence de cannabinoïdes dans le sang, quel lien possible ? Étude de 33 cas Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies, février 2015 Substances psychoactives, usagers et marchés : les tendances récentes Cannabis, ce qu'il faut savoir et faire savoir Observatoire européen des drogues et toxicomanies. Les cannabinoïdes de synthèse en Europe. Observatoire européen des drogues et toxicomanies Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques Audition par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques Consommation de drogues licites et illicites chez l'adolescent : une situation alarmante qui impose une prévention précoce