key: cord-0874156-ri1gze2u authors: Rey, M. title: Infectiologie itinérante date: 2007-12-31 journal: Antibiotiques DOI: 10.1016/s1294-5501(07)73918-3 sha: 70d49d193252e9892acf1e69f0f8a4305c3458ca doc_id: 874156 cord_uid: ri1gze2u Résumé Objectifs Une prise de conscience s’impose à l’égard du développement actuel des épidémies d’infections sévères. Le développement considérable des transports internationaux a beaucoup amplifié la circulation des agents infectieux, véhiculés par les voyageurs et les migrants, mais aussi par les animaux et les marchandises. Observations La distribution des infections à potentiel épidémique, dont certaines maladies émergentes, a tendance à devenir planétaire. Cette évolution impose un renforcement de la surveillance internationale et des capacités de réponse aux alertes. Solutions Les pays industrialisés, les mieux équipés en moyens et en structures opérationnelles, interviennent de façon prépondérante dans cette lutte. Leur contribution est nécessaire dans les pays en développement, particulièrement affectés par les endémo-épidémies infectieuses, et cette contribution progresse et doit être soutenue. Cette revue rapporte à travers des observations personnelles les pathologies les plus menaçantes à travers le monde. Abstract Objectives We have to become aware of the current development of international travels which has contributed to amplify circulation of all sorts of infectious agents. We will describe the current situation. Observations Infectious agents are carried by means of travellers, immigrants, as well as by animals, goods and merchandise. The distribution of infections potentially responsible for epidemics tends to become worldwide and some of them are emergent diseases. Solutions Such a situation imposes enhancement of international surveillance and development of resources for control and response to alerts. Developed countries possess most advanced equipments and interventional structures: they are those which may intervene predominantly in the fight against epidemics. The necessary contribution of these industrialized countries is increasing in developing countries in which infectious epidemics are spreading and such intervention must be sustained. The content of the article is a review of major threatening infectious epidemic diseases with the contribution of personal experiences. Ce titre quelque peu énigmatique est l'occasion d'une réflexion sur la mondialisation actuelle, préoccupante, de l'errance des agents infectieux. Le sujet étant trop vaste pour qu'on prétende ici en faire le tour, notre propos sera focalisé sur les migrations passées et présentes des épidémies les plus spectaculaires ainsi que sur les moyens de transport, à l'échelle devenue planétaire, des agents infectieux. Nous aborderons aussi le nécessaire renforcement international de la surveillance, des systèmes d'alerte et des mesures de lutte contre les risques accrus d'émergence et de réémergence d'infections à vocation épidémique. L'Europe a souvent été ravagée par des épidémies meurtrières, importées généralement d'Orient, par voie terrestre ou surtout maritime [1] [2] [3] . Après celles qui ont le plus marqué l'histoire du dernier millénaire, la peste, le choléra et la variole, de nouvelles épidémies ont déferlé au XX e siècle, dont la grippe espagnole et le SIDA. Ces épidémies sont riches d'enseignements et de leçons. Partie de Crimée en 1347, la peste a déferlé dans toute l'Europe via Constantinople puis la Sicile, où elle avait été importée par les navires génois et pisans qui hébergeaient, aux côtés des marins, des puces et des rats contaminés [4] . Cette épidémie de peste noire, la plus meurtrière des épidémies de l'histoire, a fait disparaître en quelques années un tiers environ de la population européenne. L'origine de cette épidémie Épidémiologie mémorable serait l'une des premières actions bio-terroristes de l'histoire (les Mongols assiégés à Caffa ayant bombardé leurs assiégeants avec leurs cadavres pestiférés). Cette épidémie a aussi conduit à la mise en place des premières quarantaines de bateaux contaminés, à Raguse puis à Venise. La quarantaine portuaire, plus ou moins appliquée, n'a pas toujours empêché la survenue de nouvelles épidémies européennes, notamment celle de la dernière épidémie française (Marseille, 1720). Très ancienne maladie asiatique, surtout indienne, le choléra a déferlé à partir du XIX e siècle en Europe et en Amérique, en y important sept pandémies. Les deuxième et troisième pandémies, parties du Bengale, ont été les plus meurtrières en France (100 000 morts en 1832, 150 000 en 1854). La transmission féco-orale, directe et indirecte, était favorisée par le faible niveau d'hygiène qui prévalait à l'époque dans toutes les classes sociales. Elle était aggravée par la mise en doute de la contagion, et l'absence complète de toute mesure efficace préventive ou curative (la réhydratation, geste salvateur essentiel, n'ayant été proposée qu'un siècle plus tard). Le pèlerinage de La Mecque a souvent contribué à la dissémination internationale du choléra : la quatrième pandémie aurait tué le tiers des pèlerins en 1965. La septième pandémie, dernière en date, due au vibrion El Tor et partie des Célèbes en 1936, a peu touché l'Europe, mais s'est répandue en Afrique subsaharienne dès 1970 puis en Amérique du Sud en 1991, où le choléra s'est endémisé [5] [6] [7] . Cette autre très ancienne maladie humaine était réputée pour tuer environ 40 % des sujets atteints, et pour souvent défigurer voire rendre aveugles les survivants. Elle a longtemps sévi en Europe, comme dans le reste du monde, sous une forme endémo-épidémique [2, 8] . La variole décimait l'ensemble de la population, sans épargner les monarques (Louis XV en est mort). La dernière épidémie française, importée du Vietnam à Vannes en 1954 dans les bagages d'un militaire, a fait en Bretagne 95 victimes, dont 20 cas mortels. La variole a été la pre-mière maladie de l'histoire à faire inventer et appliquer, en Asie, une immunisation volontaire, la variolisation. Importée en Europe au début du XVIII e siècle par Lady Montagu, la variolisation a été remplacée en 1796 par la première vaccination de l'histoire, celle de Jenner. C'est aussi la première maladie infectieuse humaine à avoir été l'objet d'un programme d'éradication mondiale, basé sur la vaccination généralisée, dont la réussite a été proclamée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1980. Mais à la suite de l'interruption justifiée de la vaccination, l'humanité est redevenue réceptive [9] et le virus de la variole, conservé dans deux laboratoires officiels, et peut-être ailleurs, est aujourd'hui l'un des agents potentiels du bioterrorisme. Pour pouvoir répondre à cette menace, un stock de vaccin a été mis en place, et un plan d'action a été défini, dans la plupart des pays, dont la France (plan Biotox) [10] . LA GRIPPE ESPAGNOLE (1918 -1919 Véhiculée à la fin de la guerre par des troupes en déplacement, elle a été la plus meurtrière des épidémies du XX e siècle : elle aurait tué entre 20 et 40 millions de personnes, dont beaucoup de jeunes adultes. Cette hécatombe a dépassé en nombre de morts celle des militaires et civils tués lors de la guerre de 1914-1918. D'autres pandémies, moins meurtrières, ont suivi celle de la grippe espagnole : la grippe asiatique de 1957, la grippe de Hong-Kong de 1968. Aujourd'hui l'émergence et la dissémination, en Asie et ailleurs, de la grippe aviaire H5N1, redoutable quand elle atteint accidentellement les humains contaminés au contact des volailles, a fait surgir la menace d'une nouvelle pandémie grippale [3, 11] . Elle a probablement franchi l'Atlantique au XVI e siècle, pour être importée d'Afrique en Amérique, où elle a déclenché de nombreuses épidémies meurtrières, et où elle est devenue endémique. Le virus amarile est le premier virus humain à avoir été identifié et dont la transmission par un insecte vecteur a été reconnue en 1901 [2] . C'est à partir de ce virus qu'ont été mis au point les premiers vaccins viraux, dans les années 1930. Parmi les autres arboviroses, la dengue continue à se répandre dans l'ensemble des pays tropicaux [12] , et la virose à Chikungunya, originaire d'Afrique, qui a explosé en 2005, via les Comores, dans l'île de la Réunion, s'est répandue dans la plupart des îles de l'Océan indien, et sévit maintenant dans le sous-continent indien [13] . Maladie africaine ignorée avant son explosion épidémique, le SIDA a été découvert en 1980 aux USA, où il a été importé via les Caraïbes. Depuis, le VIH-SIDA a fait rapidement le tour du monde, transporté par les voyageurs, pour devenir la grande pandémie contemporaine, encore en voie d'expansion dans de nombreux pays [2, 3, 14, 15] . Parmi les autres épidémies récentes liées aux voyages internationaux, citons la méningite à méningocoque, qui, au retour du pèlerinage de La Mecque, a déferlé sur l'Afrique subsaharienne en 1987. Le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), maladie émergente due à un nouveau coronavirus [ mobilisent encore les grandes foules des pèlerinages [16] . À l'époque moderne, le développement considérable des voyages internationaux a résulté des avancées technologiques des moyens de transport. Le remplacement par l'avion du bateau à voile, puis du bateau à vapeur et du chemin de fer nous fait voyager de plus en plus vite, de plus en plus loin et de plus en plus nombreux. Les migrations et autres déplacements de populations mobilisent aujourd'hui des millions de personnes chassées par l'insécurité ou poussées par des raisons économiques. Cette amplification des déplacements internationaux concerne bien sûr les humains, mais elle s'applique aussi aux animaux et aux marchandises, autant de véhicules potentiels des agents infectieux. Les progrès de la microbiologie, et en particulier de la biologie moléculaire, permettent aujourd'hui, par le typage des bactéries et le séquençage des virus, d'identifier l'origine et d'établir la trace de leurs migrations à travers le monde. C'est surtout par les voyageurs que s'effectue maintenant la migration internationale des germes pathogènes pour l'homme, qui emprunte aujourd'hui majoritairement l'avion. Actuellement, plus de 800 millions de voyageurs franchissent des frontières chaque année par avion. Nombre d'entre eux sont porteurs d'agents infectieux. Soit les voyageurs se contaminent pendant leur séjour dans un environnement infectieux inhabituel, et importent à leur retour des agents infectieux « exotiques » (c'est le cas des touristes importateurs de paludisme, de SRAS ou d'autres infections) ; soit ils introduisent de nouveaux agents d'infection dans le pays visité, comme ce fut le cas pour le VIH-SIDA. Ce transport d'agents infectieux est souvent indétectable, véhiculé par des personnes infectées, beaucoup plus souvent asymptomatiques que malades. Quand ces agents rencontrent dans le pays de destination une population réceptive, « naïve », et quand ils trouvent des conditions favorables à une transmission interhumaine, ils peuvent provoquer des cas secondaires, voire déclencher une épidémie [2, 3] . C'est bien entendu le cas de la grippe, dont un virus asiatique nouvellement émergent peut faire rapidement le tour du monde et provoquer une pandémie, dont la menace potentielle reste à l'ordre du jour. C'est aussi le cas de la poliomyélite, dont la récente réémergence au Nigeria en 2004-2005, consécutive à un refus des vaccinations, a entraîné récemment une recontamination, parfois suivie d'épidémies, de nombreux pays africains et asiatiques, remettant en question l'éradication mondiale programmée de cette maladie [17] [18] [19] . Citons aussi les agents d'infections entériques, les salmonelles, d'autres entérobactéries, et l'hépatite A, prévalente dans les pays défavorisés, et dont l'importation par un voyageur peut provoquer une épidémie [20] . À l'inverse de ces infections, d'autres maladies importées ne provoquent pas dans nos pays de cas secondaires. Tel est le cas du paludisme [21] , faute de moustique vecteur (à une exception, devenue historique : le risque de paludisme transfusionnel). C'est aussi le cas du choléra, le bon niveau d'hygiène des pays industrialisés étant suffisant pour empêcher sa dissémination. Une mention particulière peut être attribuée aux infections sexuellement transmissibles (IST), qui ont retrouvé une actualité brûlante avec l'émergence et la diffusion planétaire du SIDA [22] . Depuis toujours, les IST ont voyagé à travers le monde, transportées par les migrations, les guerres et les conquêtes. Rappelons l'explosion de la syphilis dans l'Europe du XVI e siècle, rapportée par les conquistadors à leur retour d'Amérique, alors qu'en échange de « bons procédés », les conquérants européens apportaient aux Amérindiens la variole et la rougeole, qui se sont révélées très meurtrières dans ces populations vierges de toute immunité [3] . Quand un voyageur issu d'un pays bien équipé au plan sanitaire tombe malade après son retour de voyage, il est souvent révélateur d'épidémies ou d'endémies méconnues dans le pays peu équipé qu'il vient de visiter [23, 24] . Enfin, les voyageurs interviennent probablement dans la diffusion internationale de certaines résistances aux agents antiinfectieux, telles la multirésistance du BK, la résistance à la chloroquine du paludisme à P. falciparum , l'antibiorésis-tance de certaines bactéries, dont les entérobactéries et les agents des IST [25] . Les animaux voyagent de plus en plus, et avec eux voyagent les zoonoses, sources nombreuses d'infections humaines [26] [27] [28] [29] [30] [31] . Les animaux, plus particulièrement les animaux sauvages, sont la source de plus de 70 % des maladies infectieuses émergentes. Il peut s'agir de migrations spontanées d'animaux sauvages, telle celle du renard qui a disséminé la rage en Europe dans les années 1950 [2, 3] , ou de celles des oiseaux migrateurs. Ces derniers ont été accusés de participer à la dissémination de la grippe aviaire [32] ou d'avoir propagé en Amérique du Nord la virose de West-Nile [32, 33] . Mais il s'agit surtout aujourd'hui de transports programmés par les hommes, soit d'animaux « de rente » destinés à la consommation (bétail, volailles), soit d'animaux de compagnie ou destinés à le devenir. Un exemple éloquent a été celui de l'introduction en 1999 aux États-Unis du monkey-pox (variole du singe) par des rats de Gambie importés d'Afrique, qui ont contaminé, chez le marchand importateur, des chiens de prairie (écureuils terrestres utilisés comme animaux de compagnie), lesquels ont disséminé l'infection et infecté 72 personnes [26, 34] . Le besoin croissant d'animaux de compagnie amplifie leur trafic, officiel ou clandestin. Le transport des animaux de rente s'accroît aussi considérablement. L'expansion de la grippe aviaire dans le monde paraît avoir résulté surtout du transport, officiel ou clandestin, de volailles, de poussins et d'oeufs contaminés [3, 32] . Le porc a probablement contribué à répandre l'encéphalite japonaise en Asie [35] . Il arrive que l'importation d'un animal domestique ou sauvage fasse découvrir secondairement, après une incubation plus ou moins longue, qu'il était enragé. La survenue de maladies émergentes fait découvrir des réservoirs d'animaux jusque-là ignorés : c'est le cas de la civette palmiste, accusée d'avoir disséminé le SRAS en Chine du Sud [3] . En 1967, la virose de Marburg a été révélée par son introduction, par des singes verts africains, dans un laboratoire de recherche allemand et par la contamination de 20 chercheurs [2] . Cette fièvre hémorragique émergente a par la suite provoqué quelques épidémies africaines, dont celle, très meurtrière, qui a sévi en Angola en 2005 [2] . Le virus West-Nile a probablement été importé du Proche-Orient aux États-Unis par des oiseaux en cage. Ce sont des transports d'ovins à partir du Royaume-Uni qui ont importé la fièvre aphteuse en Irlande et en France [3] . Ces migrations sont parfois invoquées dans la dissémination d'infections transmises par des vecteurs [2, 3, 13] . L'expansion mondiale d' Aedes albopictus , vecteur d'arboviroses, dont le Chikungunya, aurait été facilitée par le trafic maritime des pneus usagés hébergeant des larves de ce moustique dans le peu d'eau qu'ils pouvaient contenir. Les arthropodes vecteurs d'une région jusque-là indemne, peuvent se prêter à la transmission d'un virus absent jusquelà : ce fut le cas de Culex pipiens , moustique d'Amérique du Nord à la fois anthropophile et zoophile, qui s'est révélé un excellent vecteur de la virose West-Nile importée, ce qui a contribué à l'invasion rapide des USA et du Canada. À l'inverse, l'Europe a été épargnée, malgré la survenue sporadique de quelques cas méditerranéens, par l'apparente inaptitude des Culex résidents à transmettre ce virus. Il arrive aussi qu'un arthropode vecteur exotique prenne clandestinement l'avion, cette visite accidentelle d' Anophèles expliquant les quelques cas de paludisme survenus autour des aéroports européens et restés isolés [16, 21] . Le transport de marchandises peut également véhiculer des agents infectieux [36] [37] [38] [39] . Quand il s'agit d'aliments, dont le transport international est devenu considérable, c'est la maladie du consommateur qui, au bout de la chaîne, révèle la contamination de ces aliments. Surtout quand ils sont consommés crus ou peu cuits. Sont essentiellement en cause les agents entéropathogènes. Les enterobactéries (salmonelles, shigelles, colibacilles) sont souvent concernées. Salmonella enteritidis a été disséminée en 1980 dans toute l'Europe du nord par le transport d'oeufs contaminés. Il peut s'agir de virus (la grippe aviaire, véhiculée par les oeufs et la viande de volaille), de parasites (la trichine, importée dans la viande de porc ou de cheval), de toxines (telle celle du botulisme, importée dans certaines conserves de poissons ou de fraises). Ces bouleversements, qui sont parfois de véritables mutations, dans les comportements sociaux, les modes de vie, le développement de l'agriculture et de l'élevage, se répandent à l'échelle planétaire, et favorisent l'expansion des agents infectieux, humains et animaux [2, 3, 13] . L'URBANISATION L'urbanisation se poursuit actuellement dans la plupart des pays. Combinée à l'accroissement démographique, elle est particulièrement rapide et considérable dans les pays du Sud, où des millions de personnes s'accumulent dans des villes gigantesques, la plupart s'entassant dans des banlieues, des favelas, des bidonvilles où elles survivent dans des conditions souvent misérables. L'urbanisation aggrave le risque d'épidémies et d'endémisation urbaine de certaines infections, susceptibles d'être ensuite exportées et de se propager dans d'autres régions [3, 40, 41] . Il en est de même avec la multiplication de camps de réfugiés et de personnes déplacées. Les nouvelles agricultures agressives, les barrages, mais aussi la désertification de certaines régions, modifient les écosystèmes hébergeant des animaux sauvages réservoirs ou des arthropodes vecteurs d'agents infectieux [42] . Le bouleversement des écosystèmes peut faire disparaître certains vecteurs et certains réservoirs, ou au contraire favoriser leur installation ou leur multiplication. Ainsi voit-on se réinstaller dans les agglomérations sud-américaines des Aedes vecteurs de dengue, voire de fièvre jaune ; en Amazonie réémerger la rage transmise par les vampires ; et s'installer dans de nouveaux habitats les triatomes vecteurs de trypanosomose sud-américaine [2, 3] . Les changements des relations entre l'homme, les animaux et l'environnement augmentent les risques de transmission des infections que n'évitent pas toujours les barrières d'espèce. La consommation croissante de viande a modifié les systèmes d'élevage, tel l'élevage industriel des volailles, qui a aggravé le développement et la circulation de la grippe aviaire. Nourrir les bovins par des farines d'origine animale a développé une épidémie inquiétante d'ESB (encéphalopathie spongiforme bovine), laquelle, émergée en Angleterre, s'est propagée à plusieurs pays européens [2] . Quelles qu'en soient les causes, le réchauffement climatique risque de réintroduire dans les pays à climat tempéré des vecteurs de maladies qui étaient ou sont devenues tropicales, tels les Anophèles du paludisme et les Aedes des fièvres hémorragiques [43, 44] . Les catastrophes naturelles, et surtout les désastres humains qu'elles entraînent, comportent un risque d'épidémies ; ce risque s'avère en fait relatif, surtout lié au déplacement, dans des conditions précaires, de la population concernée [45] . Les voyages touristiques et professionnels amplifient et accélèrent la dissémination planétaire des agents infectieux, comme on l'a observé avec la mondialisation du VIH-SIDA, à laquelle le tourisme sexuel a quelque peu contribué [14, 15, 46] . Ce sont aussi des voyageurs qui réintroduisent parfois des virus dans des pays qui en avaient été débarrassés par une vaccination. Outre la réémergence de la poliomyélite, déjà mentionnée, citons la réimportation de la rougeole dans les pays qui semblaient l'avoir éliminée : ainsi aux États-Unis, où un effort considérable de vaccination avait Le rôle des bouleversements actuels de nos sociétés, de leur fonctionnement et de l'environnement pratiquement éliminé la rougeole, les quelques cas observés actuellement sont importés ou secondaires à une importation [47] . Initié au XIX e siècle à la suite des épidémies de choléra favorisées par les grands rassemblements internationaux du pèlerinage de La Mecque, le développement de la surveillance internationale, promu par l'OMS, implique la contribution active des gouvernements, des organisations internationales, des ONG. Les capacités de surveillance des maladies infectieuses, de leur diagnostic microbiologique et de la réponse aux alertes sont encore problématiques dans de nombreux pays sous-équipés, qu'il s'agisse de l'accès aux soins et aux services de santé, de laboratoires compétents et de structures opérationnelles. Il en résulte que les réseaux internationaux de laboratoires référents sont essentiellement répartis dans des pays développés où sont réalisés la plupart des diagnostics microbiologiques [48] [49] [50] . Il arrive, comme cela a déjà été mentionné, que la survenue de maladies infectieuses, détectées dans un pays industrialisé, chez des voyageurs revenant d'un voyage dans un pays souséquipé, révèle des épidémies encore ignorées dans ce pays, faute de moyens, d'accès aux soins et de capacités diagnostiques. Le voyageur impliqué joue alors le rôle de sentinelle, participant involontairement et utilement à la surveillance internationale et en particulier à la surveillance et au contrôle de certaines infections dans les pays démunis et exportateurs [16, 23, 24] . Citons par exemple la révélation de foyers africains de fièvre jaune par la mort de touristes à leur retour en Europe, et la révélation d'une endémo-épidémie africaine de shigellose à S. dysenteriae serotype 1 par sa diffusion en Europe. De même, c'est surtout dans les laboratoires des pays équipés que sont évaluées la résistance de P. falciparum aux antipaludiques et sa distribution géographique, lesquelles guident les recommandations thérapeutiques destinées aux voyageurs et aux pays endémiques. Le nouveau Règlement sanitaire international (RSI), que l'OMS met en place en 2007, remplace le Règlement initial, devenu obsolète [48] [49] [50] [51] [2, 3] . À côté des notifications officielles, souvent retardées, c'est par internet que sont maintenant acheminées la plupart des rumeurs d'alertes, y compris celles pouvant révéler une maladie émergente. Loin d'être toujours fondées, ces rumeurs doivent être vérifiées et validées. C'est la tâche, de plus en plus lourde, des organismes de surveillance, qui sont aujourd'hui majoritairement informés des alertes par des messages non officiels [52] . Le développement de la médecine des voyages a permis de renforcer la prévention des maladies contractées au cours d'un voyage international et leur détection au retour de ce voyage, qu'il s'agisse de touristes ou de migrants [16, 17, [53] [54] [55] [56] . La prévention des endémies majeures affectant plus particulièrement les pays à faibles ressources doit être épaulée et soutenue par des aides internationales : il s'agit non seulement d'améliorer la santé des populations concernées, mais aussi de réduire les risques de diffusion planétaire des agents infectieux impliqués. La lutte, voire l'élimination de certaines maladies cosmopolites, dont la poliomyélite et la rougeole, repose sur la vaccination généralisée des enfants [9, 53, 56, 57] . Une vaccination collective peut être une réponse à une alerte épidémique, comme c'est le cas pour la méningite à méningocoque. Le développement de la surveillance internationale des infections, l'amélioration de leur détection et le renforcement des mesures de lutte Épidémiologie En fait, la lutte contre les endémies encore prévalentes dans les pays du Sud, notamment contre les infections entériques, repose d'abord sur l'amélioration de l'hygiène et de l'assainissement, de l'accès à l'eau propre, aux vaccinations et aux soins. Ces actions s'inscrivent dans les programmes de lutte contre la pauvreté et pour le développement, programmes plus faciles à élaborer qu'à appliquer. Les maladies transmises par des arthropodes vecteurs peuvent être combattues, en principe, par une lutte anti-vectorielle. Certes la destruction des gîtes d' Aedes aegypti a permis d'éliminer la fièvre jaune dans les villes d'Amérique du Sud. Mais la lutte anti-vectorielle est souvent difficile et décevante. Vis-à-vis du paludisme, elle se limite souvent à la protection des habitants et des visiteurs contre les piqûres d'anophèle. Dans un pays aussi bien équipé que les États-Unis, la lutte contre les C ulex vecteurs s'est avérée peu réalisable, et n'a pu empêcher la dissémination rapide de la virose West-Nile. Les pays peuvent-ils se protéger, par un contrôle à leurs frontières, contre le risque d'importation d'agents infectieux dangereux par des voyageurs, des animaux et des marchandises infectés ? Certes la quarantaine des navires suspects de peste a pu protéger autrefois certains pays, dans la mesure où elle était correctement appliquée dans les p o r t s . M a i s i l f a u t r e c o n n a î t r e qu'aujourd'hui le contrôle, dans les aéroports internationaux, des passagers susceptibles d'être porteurs d'agents infectieux dangereux, est difficile et illusoire. Il en est de même pour le contrôle des animaux importés, malgré quelques rares détections réussies. Pour certaines infections, la vaccination -le certificat de vaccination exigé à l'entrée du pays -peut apporter une certaine protection au pays visité. Ainsi l'Asie du Sud, infestée d' Aedes aegypti, essaie de se protéger contre une importation de fièvre jaune en exigeant la vaccination des voyageurs provenant d'Afrique tropicale. Les vaccinations contre le choléra et la méningite à méningocoque sont exigées des pèlerins de La Mecque. La vaccination des animaux, notamment celle des chiens contre la rage, est exigée à leur entrée dans de nombreux pays. Combinée à la quarantaine, elle a protégé le Royaume-Uni contre l'importation de la rage [56] . Le développement de la surveillance et du contrôle des infections impose une formation permanente des personnels de santé, une coordination des organismes impliqués, une recherche active pour améliorer la détection et les mesures de lutte. Les populations doivent être informées et sensibilisées, et les actions évaluées. La prévision des épidémies est difficile, leur anticipation conduit tout au plus à élaborer un plan d'action établissant la réponse à leur donner, telle la réponse à mettre en place lors de l'émergence d'une éventuelle pandémie de grippe [3, 37, 51] . Enfin la crainte d'une action bio-terroriste a conduit à renforcer la surveillance des maladies infectieuses impliquées et à élaborer des plans d'action à mettre en oeuvre en cas d'alerte [54, 58] . La mondialisation croissante des infections, liée à l'amplification de leur circulation planétaire, aggravée par la multiplication apparente des maladies émergentes, soulève des problèmes inquiétants. La diffusion mondiale des risques infectieux accompagne non seulement la multiplication des transports et des déplacements, mais aussi la poussée démographique et l'urbanisation exponentielle de nombreux pays, le bouleversement des sociétés et de leurs modes de vie, les perturbations de l'environnement. Elle a imposé la mise en place d'un renforcement de la surveillance internationale, de la détection, de la confirmation biologique, et du contrôle des infections potentiellement dangereuses. Mais bien des efforts restent encore à faire pour améliorer la sécurité dans le monde vis-à-vis des infections épidémiques [59] . Les épidémies dans l'histoire de l'homme. Flammarion Histoire des virus Le mystère des épidémies Les hommes et la peste en France et dans les pays méditerranéens, tome 1 : La peste dans l'histoire Une peur bleue Pourquoi les pandémies cholériques ? Actualités du cholera à l'aube du millénaire Smallpox and its eradication Aventure de la vaccination WHO global influenza program surveillance network. Evolution of H5N1 avian influenza viruses in Asia Les fièvres hémorragiques virales dans le monde : le point des 10 dernières années Maladies infectieuses émergentes : le cas de l'épidémie de Chikungunya dans l'océan indien Histoire du SIDA. 2 e éd, Payot The global HIV/AIDS pandemic Spectrum of disease and relation to place of exposure among ill returned travelers The eradication of polio. Progress and challenges L'éradication mondiale de la poliomyélite. Stratégie, espoirs, difficultés Risks of hepatitis A infection in young travelers to developing countries: the need for vaccination Hall Lisbeth Malaria on the move: human population movement and malaria transmission Travel and sexually transmitted infections The traveller and emerging infections: sentinel, courier, transmitter Utilisation de la surveillance sanitaire des voyageurs comme système sentinelle de détection de maladies émergentes Le Triomphe des bactéries. La fin des antibiotiques ? Max Milo ed Wildlife, exotic pets, and emerging zoonoses Wildlife trade and global disease emergence International attention for zoonotic infections Zoonoses, links between human and veterinary medicine Zoonoses émergentes et réémergentes. Menaces locales et planétaires Wildlife as source of zoonotic infections Birds and influenza H5N1 virus movement to and within North-America Rôle des oiseaux migrateurs dans l'épidémiologie du virus West-Nile Qualitative assessment of risk for Monkeypox Control of japanese encephalitis -within our grasp? Pandemic preparedness: pigs, poultry and people versus plans, products and practice Les maladies infectieuses émergentes : importance en santé publique, aspects épidémiologiques, déterminants et prévention Emerging foodborne diseases: an evolving public health challenge Attributing illness to food Health inequalities and social group differences: what should we measure? Fighting poverty and disease in an integrated approach Bushmeet Hunting, Deforestation and Zoonoses Global climate changes, natural disasters and travel health risks Potential Arbovirus Emergence and Implications for the United Kingdom Negligible risk for epidemics after geophysical disasters HIV and travel, no rationale for restrictions Measles in the United States Global surveillance of communicable diseases Framework for classifying disease threats Emerging infectious diseases: a 10 year perspective from the National Institute of Allergy and Infectious Diseases Surveillance under International Health Regulations Rumors of disease in the global village: Outbreak Verification Textbook of travel medicine Imported infectious disease and purpose of travel Paludisme d'importation en France métropolitaine : données épidémiologiques Santé des voyageurs et recommandations sanitaires Les sentinelles de la vie. 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