key: cord-0839393-5qym9dsf authors: Lina, B. title: Virus émergents ou menaces à répétition date: 2005-05-31 journal: Antibiotiques DOI: 10.1016/s1294-5501(05)80175-x sha: fa4ef93ece8b5a4493375d6afc55e37578670879 doc_id: 839393 cord_uid: 5qym9dsf Résumé Les virus émergents ont défrayé la chronique durant les années 2003 et 2004. À cette occasion sont réapparues les peurs antiques concernant l’apparition d’un agent infectieux hautement pathogène, pouvant provoquer des épidémies associées à une mortalité élevée. Ces phénomènes sont clairement des menaces à répétition. L’analyse des mécanismes ayant permis l’apparition de ces virus montre que pour chaque virus émergent décrit, il ne s’agit en aucun cas de phénomènes purement aléatoires, mais bien de l’accumulation de facteurs qui permettent à ces agents infectieux de diffuser de l’animal vers l’homme. Différents modes d’infection existent, soit par transmission directe, soit par l’intermédiaire des vecteurs (moustiques, tiques ou autres animaux). La conjonction de facteurs écologiques, économiques et épidémiologiques font que ces épidémies naissent et éventuellement diffusent. Grâce au développement des réseaux de surveillance et à l’amélioration des techniques diagnostiques, les virus responsables de ces épidémies sont mieux identifiés. Les expériences récentes du SRAS et de la grippe aviaire en sont les meilleurs exemples. Abstract Emergent viruses have attracted attention during years 2003 and 2004. Ancient fears have reappeared regarding pathogenic agents, capable to result in epidemics with high mortality rates. Such events constitute really repeated threats. The analysis of mechanisms permitting emergence of these viruses has shown that they are not random phenomenons, but they result from accumulated factors leading to transmission from animals to men. Several modes of transmission of infection include: either direct transmission, or by intermediate vectors (mosquitoes, ticks and other (mammals) animals). Convergence of ecologic, economic and epidemiologic factors confer to the epidemics potential ability do spread widely. With the development of surveillance networks and improvement in diagnostic technologies, these “new” viruses are better identified. Recent occurrence of SARS and of the avian influenza are best examples of such experiences. Depuis le développement de la virologie moderne, de nombreuses maladies virales d ' o r i g i n e a n i m a l e t r a n s m i s e s à l'homme ont été mises en évidence [1] . À chaque fois, cette émergence est considérée par le grand public comme un nouveau fléau pouvant potentiellement être responsable d'une mortalité très élevée, ce qui entraîne souvent des comportements irrationnels, ceci d'autant plus que l'importante mortalité autrefois liée aux infections virales et bactériennes a été oubliée (vaccinations et antibiotiques obligent) [2, 3] . Les années 2003 et 2004 ont été particulièrement instructives, permettant d'observer l'épidémie du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère ou SRAS [4] , l'émergence de deux épidémies de grippe aviaire transmise à l'homme (influenza A H7N7 en Europe et A H5N1 en Asie) [5, 6] , l'apparition de cas de monkey pox [7] , et la diffusion du virus West Nile sur la quasi totalité du continent Nord Américain [8] . Une question est donc posée : ces émergences multiples sont elles le fruit du hasard ou s'agit-il plutôt d'un phénomène auquel il va falloir que l'on s'habitue ? L'analyse raisonnée de la situation montre que ces émergences multiples sont la conséquence de nombreux facteurs qui, l'un ajouté à l'autre, rendent certains la répétition de ces accidents liés à l'émergence de nouveaux virus. L'histoire nous raconte depuis longtemps que des épidémies responsables d'une mortalité parfois effrayante surgissent régulièrement de façon brutale, Introduction Historique Pathologie infectieuse diffusent inexorablement dans tout le monde connu, marquant parfois son impact sur toute une génération. Ainsi, sans remonter au Moyen-Age, l'analyse de l'impact de la grippe de 1918 (appelée grippe Espagnole) montre que toute une génération de jeunes adultes de moins de 35 ans sont décédés lors de cette épidémie [2] ; l'impact de la Première guerre mondiale ayant été de 3 à 4 fois moins important que celui du virus A H1N1 [3] . Si une définition précise devait être appliquée, un virus émergent serait défini comme un virus introduit chez l'homme à partir d'un réservoir animal, et qui, après cette introduction est capable de se répliquer et de provoquer une pathologie identifiable. Cette notion de « réplication » et de « pathologie identifiable » fait passer sous silence toute introduction silencieuse d'un virus qui ne peut se répliquer chez ce nouvel hôte, ou dont la réplication ne provoque aucun symptôme. D'une manière générale, l'introduction d'un nouveau virus chez l'homme résulte de plusieurs mécanismes possibles [1] . Il peut s'agir d'une transmission directe à partir de l'animal porteur, ou d'une transmission indirecte par un vecteur (arthropode/moustique). Parmi les animaux sources, les plus fréquemment cités sont les rongeurs (pour les virus du groupe Hantaan et pour le coronavirus du SRAS) [13, 14] , les volailles pour influenza [15] , les chauvesouris pour les Nipah et Lyssavirus [1, 16] et le singe pour monkeypox [7] . Les vecteurs potentiels pour les virus émergents sont les moustiques (West Nile, Rift valley fever, Bunyamwera, Encéphalite Japonaise) ou les tiques (Encéphalite à tiques, Crimee-congo, Nairobi sheep disease) [1, 17, 18] . Pour l'ensemble de ces pathogènes, la diffusion peut être généralement restreinte car la transmission inter-humaine est faible ou nulle. Seuls le coronavirus du SRAS et le virus influenza ont été responsables d'infections inter-humaines, impliquant une possibilité d'épidémie étendue [4, 5] . Il est à noter qu'il s'agit de deux virus à transmission respiratoire, et que ce mode de transmission est redoutablement efficace lorsque le virus est bien adapté à son hôte. Toutefois, lorsque le réservoir animal est potentiellement important, le nombre de cas observé peut augmenter régulièrement car la transmission de l'animal à l'homme par le vecteur devient un phénomène fréquent (exemple avec le virus West Nile en Amérique du Nord) [8, 17] . L'émergence de ces virus n'est pas liée au hasard. Des facteurs favorisants liés à la fois aux virus et à l'homme favorisent cette émergence. Ainsi, l'Institut de Médecine de la National Academy of Sciences aux USA considère qu'il y a un ensemble de 13 facteurs qui contribuent à l'émergence de nouveaux agents infectieux (tableau 2). Certains de ces facteurs sont la conséquence d'évènements naturels, d'autres résultent de l'action de l'homme ou de conséquences de ses actions. Ainsi, plusieurs aspects peuvent expliquer ces émergences. Les virus sont des organismes infectieux comportant dans la plupart des cas un seul type d'acide nucléique qui peut être de l'ADN ou de l'ARN. Parmi les virus, les virus à ARN sont ceux qui présentent la plus grande capacité d'évolution, à la fois en rapidité dans le temps et en quantité [19, 20] . Cela est lié au fait qu'ils font leur réplication grâce à une ARN polymérase ARN dépendante qui n'assure pas la fidélité du recopiage des séquences d'origine. Cela conduit à l'apparition permanente de néo-virus présentant des petites modifications génétiques par rapport au génome du virus parental [19] . Cette plasticité /variabilité des virus ARN est un atout pour leur évolution et leur permet en permanence « d'essayer » des virus ayant des « fitness » (capacités de production, de spectre d'hôte, d'échappement à la réponse immuni- Les facteurs contribuant à l'émergence taire, de pathogénèse) différents de celui du virus parental. Par ailleurs, certains de ces virus à ARN ont un génome segmenté. Cela permet le réassortiment génétique (influenza virus, rotavirus), c'est-à-dire des échanges de segments de gènes complets entre différentes souches. C'est par ce mécanisme que sont apparues les souches influenza pandémiques A H2N2 et A H3N2 [15] . Ce réassortiment peut potentiellement se faire entre souches humaines ou entre souches humaines et animales ( figure 1 ). Ce mécanisme conduit à l'émergence de nouveaux virus en partie adaptés pour l'homme. Enfin, les virus à ARN sont aussi capables de recombinaison génétique. Ce mécanisme consiste a construire un nouveau génome à partir de deux matrices ARN provenant de deux virus différents qui ont co-infecté la même cellule. Historiquement, il semble que le virus de la rubéole soit apparu à la suite d'une recombinaison entre deux souches de paramyxoviridae, une animale et une humaine [2] . Plus récemment, de nouveaux poliovirus recombinants ont été décrits. Il s'agit de virus dont le génome est dérivé de 2 ou 3 souches de poliovirus prototypes [21] ou de recombinaison génétique entre le génome d'un poliovirus et celui d'un entérovirus non polio [22] . Dans les deux cas, ces virus ont été responsables d'épidémies avec des manifestations cliniques identiques a celle d'une poliomyélite antérieure aiguë. Il est clair que le comportement humain joue un rôle majeur dans l'émergence des virus. Ainsi, les infections liées aux virus du groupe des Hantaanvirus sont la conséquence de déforestation intense ayant conduit les rongeurs vecteurs de la maladie à être en contact direct avec l'homme [18] . De même, il est probable que l'apparition récurrente des épidémies de Ebola soit aussi la conséquence de la déforestation et de l'augmentation de l'implantation humaine dans des territoires auparavant inhabités. Les rongeurs et/ou les chauve-souris qui sont les réservoirs de ces virus se sont retrouvés au contact direct de l'homme, ce qui a permis leur introduction chez ce nouvel hôte. D'autres introductions sont la conséquence de l'action de l'homme. Même s'il ne s'agit pas à proprement parler d'une infection virale, le développement de cas d'encéphalite spongiforme bovine (ESB) transmissible tant chez l'animal que chez l'homme est la conséquence directe d'une décision prise par l'homme qui était de nourrir les animaux destinés à la nourriture avec des farines d'origine animale sans prendre de précautions [23] . Dans un autre registre, l'engouement des familles américaines pour les animaux exotiques comme des rats géants du type Cynomys à entraîné l'apparition de cas de monkeypox aux USA. En effet, certains des animaux importés étaient infectés par le virus monkeypox. Leur introduction dans ce pays a permis la transmission du virus vers un autre animal : le chien de prairie américain [24] . Le virus est actuellement en train de se répandre dans la population de ce nouvel hôte, donnant naissance à une microépidémie. Comme ces chiens sont au contact de l'homme, ils sont des vecteurs permettant la transmission du virus vers l'homme [24] . Enfin, toujours en Amérique du Nord, c'est par l'introduction d'oiseaux contaminés que le virus West Nile a été introduite à New-York dans un premier temps [25] . Depuis l'année 2000, les cas d'infections sont observés dans tout ce continent car le virus s'est répandu rapidement dans le réservoir animal (les oiseaux) et le vecteur (le moustique Aedes ou Culex) permet occasionnellement l'infection de l'homme [17] . Sur les données de phylogénétique virale, il a été prouvé que la souche importée dans New-York en 1999 provenait vraisemblablement d'Israel et qu'elle avait été introduite par un moustique, ou un animal importé. Les réservoirs d'amplification ont été les corbeaux de la ville, et le virus a secondairement pu s'échapper de New-York pour diffuser dans les régions voisines. Actuellement, la zone d'endémie est l'ensemble du continent Nord Américain [17] Le comportement alimentaire a-t-il été responsable de l'épidémie de SRAS ? Certains pensent que le réservoir de ce coronavirus était la Civette [14] . En pratique, en Chine, cet animal est élevé pour sa viande et vendu vivant sur les marchés. Pour l'instant, la preuve que le coronavirus du SRAS (SARS CoV) vient de la Civette n'a pas été formellement apportée. Le réservoir peut être un autre animal. Toujours en Asie, la menace la plus précise est le prochain virus influenza [6] . La probabilité de voir émerger un nouveau virus influenza est de 100 %, la seule inconnue est la date d'apparition. Pour ces virus influenza, le réservoir est aviaire [15, 25, 26] . Il ne s'agit pas seulement des poulets, car les oiseaux sauvages (canard, héron, caille, etc…) sont autant de vecteurs potentiels. Toutefois, jusqu'à présent, seule l'adaptation des souches aviaires issues du poulet, ayant subi un réassortiment génétique avec un virus humain lors d'un passage chez le cochon a permis l'introduction puis l'installation d'un nouveau sous-type d'influenza A responsable d'une pandémie [15] . Mais, il faut être méfiant. En 1997 et en 2003, il a été observé des infections humaines par transmission directe d'une souche aviaire à partir d'un poulet infecté. À chaque fois, le facteur limitant de cette épidémie émergente a été que la transmission inter-humaine était impossible (A H5N1) [6] , ou extrêmement restreinte (A H7N7) [5] . C'est pour cela qu'il n'y a pas eu de pandémie pour l'instant, le virus n'a pas encore réussi à s'adapter à son nouvel hôte potentiel. À la lumière du SRAS, il a été aussi observé que les transports aériens permettaient à une personne infectée de diffuser l'agent émergent à des milliers de kilomètres de l'épicentre de l'émergence, et donc permettre à l'agent infectieux de diffuser très rapidement sur l'ensemble de la planète. De plus, la présence d'une personne infectée (et potentielle source d'infection pour ses congénères) dans un espace confiné (l'avion) pendant une période prolongée est un facteur favorisant pour assurer une excellente diffusion d'un agent infectieux. C'est encore plus vrai si le début de la maladie et de l'excrétion virale se fait alors que la personne est asymptomatique. Rétrospectivement, le SRAS a pu être maîtrisé car il n'était finalement pas très contagieux (hormis les super-contaminateurs). S'il s'était agi d'un virus grippal émergent, nous n'aurions pas pu échapper à la pandémie. Au titre du comportement humain, il faut aussi ajouter le risque non négligeable associé aux travaux de recherche effectués dans les laboratoires de virologie manipulant des agents potentiellement émergents. Ces travaux portent sur des virus qui sont aussi bien des menaces actuelles (Ebola, Nipah, etc…) que les virus éradiqués (variole) ou en phase d'éradication (poliovirus). De nouveau, les accidents anciens ou récents observés lors de la manipulation mal contrôlée d'agents potentiellement émergents montre que pour certains virus, le risque est bien plus la manipulation de ces virus dans des structures mal adaptées ou mal contrôlées que la ré-introduction de l'agent infectieux à partir du réservoir animal (A H1N1, SARS, Ebola). De même, les possibles actes de malveillance font craindre la réapparition de la variole. Le développement des méthodes de diagnostic moléculaire permettent de caractériser des virus inconnus (exemple VHC, HHV8) [11, 12] . Il ne s'agit pas de virus émergents stricto-sensu, mais plutôt de l'identification d'un agent pathogène pour une maladie orpheline. Nos dernières expériences de virus émergents sont incontestablement la grippe aviaire et le SRAS. Il est caricatural de constater que dans les deux cas, les techniques appliquées pour l'identification de l'agent infectieux ont consisté à chaque fois à tenter de cultiver le virus sur lignée cellulaire, puis, après mise en culture, à faire la caractérisation à l'aide d'analyses phylogénétiques utilisant les techniques moléculaires modernes [5, 6] . L'approche moléculaire isolée n'est pas capable d'apporter de réponses rapide. En effet, à la différence du monde bactérien qui possède des structures conservées (ARN 16S), il n'existe pas de gène commun à l'ensemble du monde viral. Toutefois, avec une démarche utilisant des techniques de PCR consensus, la RDA (pour representational difference analysis), voire la RAP-PCR (pour random amplified PCR), il a été possible de décrire de nouveaux virus. Comme aimaient à le rappeler nos anciens maîtres, nous vivons dans un monde dangereux où de nouveaux agents infectieux vont être de plus en plus fréquemment identifiés. Les progrès techniques, l'accroissement de la population et les erreurs commises par l'homme sont autant de facteurs favorisants à la fois l'émergence et l'identification de ces nouveaux agents infectieux. L'OMS renforce la surveillance de par son programme intitulé Global Surveillance. Son objectif est de détecter ces nouvelles introductions dès le début de l'épidémie, afin de pouvoir mettre en place rapidement des mesures permettant son contrôle. Le meilleur exemple est la surveillance de la grippe et la mise en place des « plans pandémiques » dans les différents pays. Toutefois, pour ce virus émergent, nous avons compris que la question n'est plus de savoir si une pandémie aura lieu, mais plutôt quand. 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