key: cord-0835991-maue2uee authors: de Fréminville, J-B; Azizi, M title: Inhibiteurs du système-rénine-angiotensine au cours du COVID-19: protecteurs ou dangereux? date: 2020-07-17 journal: Arch Mal Coeur Vaiss Pratique DOI: 10.1016/j.amcp.2020.07.004 sha: 423e7b1ff914753b0ec294e3f4c8642d1b7a0139 doc_id: 835991 cord_uid: maue2uee nan Le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) est un système de régulation endocrinien et enzymatique régulant l'homéostasie hydrosodée, ainsi que l'autorégulation du débit sanguin rénal et la pression artérielle [3] . La sécrétion et la libération de rénine sont sous la dépendance de nombreux facteurs, en particulier la pression de perfusion de l'artériole afférente du glomérule, le système nerveux sympathique et les catécholamines circulantes via le système béta-1 adrénergique, la charge sodée au niveau de la macula densa, le rétrocontrôle négatif de l'angiotensine II via l'activation du récepteur AT1 (AT1R), les prostaglandines et le NO. La rénine clive l'angiotensinogène pour libérer un décapeptide inactif, l'angiotensine I. L'angiotensine I est ensuite transformée en angiotensine II grâce à l'angiotensin-converting enzyme1 (ACE1). L'angiotensine II stimule la vasoconstriction des artérioles (via le récepteur membranaire AT1) et entraine la sécrétion d'aldostérone par la surrénale, responsable de la réabsorption de sodium et de la sécrétion de potassium au niveau du tubule collecteur rénal. Outre son rôle dans l'homéostasie, l'angiotensine II a un effet pro-inflammatoire et pro-thrombotique. L'ACE2 clive l'angiotensine II en une « angiotensine (1-7) ». L'ACE1 est inhibée par les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) de l'angiotensine, alors que l'ACE2 ne l'est pas. L'ACE2, à une moindre échelle, clive aussi l'angiotensine I en angiotensine (1-9), qui est ensuite convertie en angiotensine (1-7) par l'ACE1. L'angiotensine (1-7) s'oppose à l'action de l'angiotensine II -via la liaison au récepteur Mas et au récepteur de l'angiotensine II de type 2 (AT2) -en abaissant la pression artérielle via une légère vasodilatation médiée par le NO et les prostacyclines, en favorisant l'excrétion rénale de sodium et d'eau, et en exerçant un effet anti-inflammatoire [4] . La régulation de l'ACE2 n'est pas parfaitement élucidée. Certains modèles expérimentaux précliniques ont montré que l'utilisation d'inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et les antagonistes du récepteur de l'angiotensine 2 (ARA2), exerçaient une régulation positive sur l'ACE2 [5] et réciproquement [6] , alors que d'autres n'ont pas retrouvé cette association [7] . Quelques études ont par ailleurs étudié cette association chez l'Homme, avec des résultats partagés, certaines montrant une régulation positive de l'ACE2 par les IEC [8] ou les ARA2 [9] et d'autres ne retrouvant pas cette association [10] . L'ACE2 joue un rôle central dans l'infection par le SARS-CoV-2, puisqu'elle est une porte d'entrée pour le virus. Le rôle de la protéine Spike (S) et de l'ACE2 dans l'entrée des coronavirus dans les cellules a été bien décrit lors de l'épidémie de SARS-CoV en 2003 [11, 12] . Dans le cas du SARS-CoV-2, l'ACE2 agit de même comme récepteur de la protéine S et permet ainsi l'entrée du virus via la sérine protéase TMPRSS2 (Transmembrane protease serine 2) [13] . L'importance de ce récepteur est encore plus prégnante que pour les autres coronavirus connus. En effet, la séquence génomique du SARS-CoV-2 est connue [14] , ainsi que sa structure par cryo-microscopie électronique : bien que partageant presque 80 % de sa séquence génomique avec le SARS-CoV de 2003, l'affinité du SARS-CoV-2 pour l'ACE2 est 10 à 20 fois plus importante [15] . L'ACE2 est une ectoenzyme exprimée dans l'intestin grêle, le tissu adipeux, les reins, le coeur, la thyroïde, mais aussi sur les cellules épithéliales des alvéoles bronchiques, le colon, le foie, ou la vessie. En revanche, elle est peu exprimée dans les vaisseaux sanguins, la moelle osseuse et le muscles. Par ailleurs, elle est très peu circulante. Dans le poumon, l'ACE2 est principalement exprimée dans les pneumocytes de type 2, produisant le surfactant nécessaire au maintien de la structure des alvéoles [16] [17] [18] . En exerçant une régulation positive sur l'expression de l'ACE2, les bloqueurs du SRA pourraient favoriser l'entrée du SARS-CoV-2, sa multiplication et sa dissémination dans l'organisme en théorie [19] . C'est d'ailleurs l'une des explications proposées pour la moindre fréquence de l'atteinte des enfants par le SARS-CoV-2, qui serait la conséquence d'une expression moins importante de l'ACE2 dans le nez [20] . Néanmoins, il n'est pas évident que les bloqueurs du SRA soient effectivement responsables d'une augmentation de l'expression de l'ACE2. Par ailleurs, l'endocytose de l'ACE2, suite à l'entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules, est responsable d'une dérégulation de la balance SRA / ACE2 aboutissant à une augmentation des réponses biologiques médiées par l'angiotensine II et d'une diminution de celle médiées par l'angiotensine (1-7). Or, l'angiotensine II semble avoir un rôle néfaste dans la gravité de l'infection pulmonaire à SARS-CoV-2. En effet, chez un petit nombre de patients, le taux d'angiotensine II semblait être corrélé à la gravité de l'atteinte pulmonaire [21] . Cette hypothèse semble cohérente avec des études précliniques réalisées d'autres infections virales [22, 23] . Ces effets seraient la conséquence d'une réponse inflammatoire accrue médiée par l'angiotensine II, en l'absence de contre-régulation par l'angiotensine (1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) . Ce déséquilibre entre la voie de signalisation de l'angiotensine II et celle de l'angiotensine (1-7) serait responsable d'une apoptose des pneumocytes, d'une augmentation de la fibrose pulmonaire, d'une augmentation de la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires et d'une endothélite associée à une dysfonction endothéliale [24] [25] [26] . Cette dysfonction endothéliale pourrait par ailleurs être responsable d'une inflammation accrue et du phénotype pro-thrombotique observée chez les patients atteints de la COVID-19 [27, 28] . Les conséquences de cette rupture d'équilibre entre angiotensine II et angiotensine (1-7) s'appliquent aussi aux autres organes cibles du SARS-CoV-2, en particulier le myocarde [25] . La réflexion concernant les effets protecteurs ou nocifs des bloqueurs du SRA doit enfin prendre en compte l'indication initiale de ces médicaments, les effets protecteurs connus chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque, d'hypertension artérielle, ou d'insuffisance rénale notamment, et les risques liés à leur arrêt dans ce contexte. Ces effets protecteurs suivent d'ailleurs souvent la même logique de lutte contre le déséquilibre entre les voies de signalisation de l'angiotensine II, pro-inflammatoire et pro-fibrosante, et l'angiotensine (1-7), s'opposant à son action. Nous n'avons retenu que les études dont l'objectif principal était l'étude des inhibiteurs du SRA dans le COVID-19. Il n'existe pas à l'heure actuelle d'essais prospectifs interventionnels évaluant l'impact des bloqueurs du SRA chez les patients atteints du COVID-19. Cependant, un certain nombre d'études de cohortes rétrospectives ont été réalisées. Les détails des principales études sont résumés dans le tableau 1. Concernant l'hypothèse selon laquelle les bloqueurs du SRA augmenteraient le risque d'infection à SARS-CoV-2, trois études, portant respectivement sur 6272, 12594 et 18472 patients, ne montrent pas de surrisque d'infection associé à ces traitements [29] [30] [31] . Ceci est confirmé par quelques autres études de plus petite taille. Concernant la sévérité et la mortalité, il n'existe à ce jour pas d'étude associant les bloqueurs du SRA à une sévérité ou à une mortalité accrue par le COVID-19 [32] [33] [34] . En revanche, certaines ont mis en évidence une réduction de la mortalité chez les patients traités hypertendus [35] ou non [36] . Enfin, une revue de littérature exhaustive [37] , ainsi que deux méta-analyses [38, 39] penchent en faveur d'un bénéfice de ces traitements. Cependant, ces études sont de faible niveau de preuve, portant parfois sur de petits effectifs et si elles plaident en faveur de l'absence de risque lié à la poursuite des bloqueurs du SRA chez les patients ayant une indication de traitement avant le COVID-19, leurs méthodologies ne permettent pas de répondre de manière robuste à la question du bénéfice de ces traitements. Ces conclusions sont reprises par les Fiches de Réponses rapides de la HAS dans le cadre du COVID-19 [40] et de la mise au point exhaustive de la Société Européenne de Cardiologie [41] : « Malgré de nombreuses spéculations, il n'y a actuellement aucune preuve démontrant qu'un traitement antérieur par des IEC ou des ARA2 augmente le risque d'infection au SARS-CoV-2 ou le risque de développer de graves complications de l'infection au SARS-CoV-2 ». Depuis mars 2019, l'ensemble des sociétés savantes d'hypertension artérielle, dont l'ESH, l'ESC et la SFHTA, ont statué et recommandé de ne pas arrêter les traitements bloquant le système rénine angiotensine [42] . Néanmoins, en cas de fièvre élevée ou de diarrhée importante, il faut adapter ou interrompre transitoirement les traitements par IEC, ARA2 et diurétiques compte tenu du risque de déshydratation et d'insuffisance rénale. En résumé, les bloqueurs du SRA ne semblent ni favoriser l'infection par le SARS-CoV-2, ni aggraver le pronostic de cette infection. Il est donc recommandé par toutes les sociétés savantes de ne pas arrêter les traitements par IEC ou ARA2 chez les patients atteints de COVID-19 traités comme tel, en dehors des indications d'arrêt classiques (insuffisance rénale aigüe, déshydratation sévère, état de choc). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cela. En premier lieu, l'infection par le SARS-CoV-2 entraine une baisse de l'ACE-2, internalisé pour permettre au virus d'entrer dans les cellules. Ceci a pour conséquence une dérégulation de l'équilibre entre l'angiotensine II et l' angiotensine (1-7) , entrainant une augmentation de l'inflammation, une endothélite avec une dysfonction endothéliale, responsable d'un phénotype vasculaire pro-thrombotique et une fibrose tissulaire accélérée. La fréquence de l'hypokaliémie dans les formes graves de COVID-19 pourrait d'ailleurs s'expliquer par ce mécanisme [43] . Ceci pourrait aussi être plus marqué chez les patients ayant une hyperactivation du SRA lié à une pathologie sousjacente (hypertension artérielle, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale) et non traités par bloqueurs du SRA. Il reste à élucider le potentiel effet bénéfique chez les patients initialement sans indication pour un traitement par IEC ou ARA2 atteints de COVID-19. A ce jour, nous ne disposons que d'études rétrospectives, avec une tendance certaine, mais un niveau de preuve insuffisant pour se prononcer. Des d'essais cliniques tournés vers cet objectif sont en cours et permettront de répondre prochainement à cette question (voir www.clinicaltrials.gov). Les bloqueurs du SRA ne semblent ni favoriser l'infection par le SARS-CoV-2, ni en aggraver le pronostic. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts. Characteristics of and Important Lessons From the Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) Outbreak in China: Summary of a Report of 72 314 Cases From the Chinese Center for Disease Control and Prevention Global Burden of Hypertension and Systolic Blood Pressure of at Least 110 to 115 mm Hg Classical Renin-Angiotensin System in Kidney Physiology Imbalance between Angiotensin II -Angiotensin (1-7) system is associated with vascular endothelial dysfunction and inflammation in type 2 diabetes with newly diagnosed hypertension Increased Expression of Angiotensin Converting Enzyme 2 in Conjunction with Reduction of Neointima by Angiotensin II Type 1 Receptor Blockade Effect of angiotensin-converting enzyme inhibition and angiotensin II receptor blockers on cardiac angiotensin-converting enzyme 2 Myocardial infarction increases ACE2 expression in rat and humans Human intestine luminal ACE2 and amino acid transporter expression increased by ACE-inhibitors Urinary angiotensin-converting enzyme 2 in hypertensive patients may be increased by olmesartan, an angiotensin II receptor blocker Elevated plasma angiotensin converting enzyme 2 activity is an independent predictor of major adverse cardiac events in patients with obstructive coronary artery disease A crucial role of angiotensin converting enzyme 2 (ACE2) in SARS coronavirus-induced lung injury Angiotensin-converting enzyme 2 is a functional receptor for the SARS coronavirus SARS-CoV-2 Cell Entry Depends on ACE2 and TMPRSS2 and Is Blocked by a Clinically Proven Protease Inhibitor A pneumonia outbreak associated with a new coronavirus of probable bat origin Cryo-EM structure of the 2019-nCoV spike in the prefusion conformation Tissue distribution of ACE2 protein, the functional receptor for SARS coronavirus. A first step in understanding SARS pathogenesis Expression of the SARS-CoV-2 cell receptor gene ACE2 in a wide variety of human tissues Single-cell RNA-seq data analysis on the receptor ACE2 expression reveals the potential risk of different human organs vulnerable to 2019-nCoV infection Are patients with hypertension and diabetes mellitus at increased risk for COVID-19 infection? Nasal Gene Expression of Angiotensin-Converting Enzyme 2 in Children and Adults Clinical and biochemical indexes from 2019-nCoV infected patients linked to viral loads and lung injury Angiotensin-converting enzyme 2 inhibits lung injury induced by respiratory syncytial virus Angiotensin-converting enzyme 2 protects from lethal avian influenza A H5N1 infections Pulmonary Vascular Endothelialitis, Thrombosis, and Angiogenesis in Covid-19 A hypothesis for pathobiology and treatment of COVID-19: The centrality of ACE1/ACE2 imbalance Endothelial cell infection and endotheliitis in COVID-19 Blood vessel injury may spur disease's fatal second phase COVID-19: ACE2centric infective disease? Renin-Angiotensin-Aldosterone System Blockers and the Risk of Covid-19 Association of Use of Angiotensin-Converting Enzyme Inhibitors and Angiotensin II Receptor Blockers With Testing Positive for Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) Renin-Angiotensin-Aldosterone System Inhibitors and Risk of Covid-19 Use of renin-angiotensinaldosterone system inhibitors and risk of COVID-19 requiring admission to hospital: a case-population study Clinical impact of renin-angiotensin system inhibitors on in-hospital mortality of patients with hypertension hospitalized for COVID-19 Effects Of ARBs And ACEIs On Virus Infection, Inflammatory Status And Clinical Outcomes In COVID-19 Patients With Hypertension: A Single Center Retrospective Study Association of Inpatient Use of Angiotensin-Converting Enzyme Inhibitors and Angiotensin II Receptor Blockers With Mortality Among Patients With Hypertension Hospitalized With COVID-19 Comparative impacts of angiotensin converting enzyme inhibitors versus angiotensin II receptor blockers on the risk of COVID-19 mortality Risks and Impact of Angiotensin-Converting Enzyme Inhibitors or Angiotensin-Receptor Blockers on SARS-CoV-2 Infection in Adults: A Living Systematic Review Decreased Mortality of COVID-19 with Renin-Angiotensin-Aldosterone System Inhibitors Therapy in Patients with Hypertension: A Meta-Analysis ACEI/ARB use and risk of infection or severity or mortality of COVID-19: A systematic review and meta-analysis Réponses rapides dans le cadre du COVID-19 -HTA -Suivi des patients ESC Guidance for the Diagnosis and Management of CV Disease during the COVID-19 Pandemic The Coronavirus Conundrum: ACE2 and Hypertension Edition Hypokalemia and Clinical Implications in Patients with Coronavirus Disease 2019 (COVID-19)