key: cord-0828590-phpg3dyl authors: Rousset, G. title: Numérique et inégalités territoriales de santé : la vente en ligne de médicaments, nouvel outil face à une pénurie éventuelle de pharmacies ? date: 2020-09-29 journal: Ethics Med Public Health DOI: 10.1016/j.jemep.2020.100594 sha: 3cd4ab60f61450fe3479b1d9c7b47a1f9b3d7790 doc_id: 828590 cord_uid: phpg3dyl When it comes to thinking about the links that the digital question territorial inequalities and patient rights can have, a question arises quite naturally beyond just telemedicine: the online sale of drugs and its impact on a potentially insufficient pharmacy supply. This contribution therefore proposes to study the reality of this effect in favor of the right of access to healthcare. Two key ideas emerge: not only, despite appearances, this online sale can produce little effect to compensate for a lack of supply, but, what is more, this mode of sale causes indirect effects quite negative for patients and public health. Drugs; Pharmacist; second lieu, cette expression est réductrice quant aux réalités appréhendées puisque le mot « désert » laisse penser à une idée d'aridité, ce qui peut être mal compris : la seule aridité existante est celle qui porte sur la densité de professionnels de santé, sans qu'il n'y ait pour autant d'aridité sociale ou économique. En fait, l'expression de désert médical renvoie à l'image d'Epinal du territoire rural dans lequel il n'y a plus rien : après la fermeture de l'école, de la poste, de la boulangerie, c'est le cabinet du médecin qui ferme également. Bien sûr, c'est une partie de la réalité, mais il ne faut pas réduire les inégalités territoriales de santé à cela. Elles sont plus vastes puisqu'elles touchent également des zones denses économiquement ou socialement, riches en population. C'est le cas, par exemple, des zones périurbaines dans lesquelles il y a une densité de population mais un tissu économique éventuellement appauvri et, pour ce qui nous concerne, une présence de professionnels de santé insuffisante. Au-delà, l'on peut aussi avoir des zones très denses socialement et économiquement mais pauvres en professionnels de santé. Dans les zones urbaines de manière générale, voire même dans les centres villes, il est en effet parfois difficile de trouver un médecin de certaines spécia- lités, par exemple un ophtalmologiste ou alors un médecin en secteur 1 alors que la zone n'est pas aride socialement et économiquement. Pour toutes ces raisons, il semble plus adapté d'utiliser l'expression plus précise (quoique moins accrocheuse) d'inégalité territoriale de santé. Quelle que soit l'expression, le débat sur ce sujet est récurrent et ces inégalités font l'objet de projets et propositions de lois régulières 3 , de rapports publics [2, 3] , d'études spécialisées [4] et même de propositions ou de déclarations chocs 4 parfois. Si l'on doit expliquer cette notion en quelques mots, il faut dire que les inégalités territoriales de santé ne se fondent pas sur un problème de nombre, c'est-àdire de quantité de professionnels de santé, mais de densité, c'est-à-dire de répartition sur le territoire. Comme cela a commencé à être dit, cette question est plus complexe qu'il n'y paraît puisqu'il faut se méfier de la schématisation abusive par laquelle ce problème se rencontre plus à la campagne qu'en ville et davantage dans le nord du pays que dans le sud (le mythe de l'héliotropisme !). Face à ce problème, les pistes de solution imaginées par les pouvoirs publics ont longtemps été fondées sur l'incitation et consistent à faire venir les professionnels libéraux de santé dans un territoire déficitaire en offre de soins par des dispositifs financiers et matériels (aide à l'installation, exonérations fiscales ou sociales, mise à disposition de locaux professionnels ou d'habitation. . .). Ces mécanismes ne semblant pas fonctionner, en tout cas pas à la hauteur des moyens consacrés, d'autres pistes se sont développées. C'est le cas de la coercition dont l'idée est de contraindre les professionnels libéraux à s'installer sur un territoire déficitaire (ex. du conventionnement sélectif applicable aux infirmiers et sages-femmes libérales ou de l'autorisation d'installation des pharmaciens d'officines depuis 1941). C'est le cas aussi des outils numériques comme la télémédecine 5 ou la vente en ligne des médicaments. Qu'en est-il en matière pharmaceutique ? Les inégalités territoriales de santé existent-elles aussi spécifiquement dans ce champ ? Selon les derniers chiffres disponibles, il y a 20 736 officines pharmaceutiques en 2019, en France métropolitaine [5 ; p. 33], correspondant à 32 officines pour 100 000 habitants. Comment interpréter ces chiffres ? Révèlent-ils une offre insuffisante ? Sur ce point, l'Ordre 3 Par ex., la proposition de loi visant à lutter contre la désertification médicale, n o 477, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 décembre 2017. 4 Une élue locale a proposé de faire appel aux vétérinaires pour faire face à la pénurie des médecins, certes sous réserve d'une « passerelle de formation » et d'un encadrement de leur mission, ces vétérinaires n'intervenant pas « à la place du médecin mais en l'attendant » (Anonyme, « Une élue propose de recourir aux vétérinaires dans les déserts médicaux », Le Quotidien du médecin, 13 déc. 2011 ; Bayle-Iniguez A., « Remplacer les médecins ruraux par des vétérinaires : l'idée provoque un tollé », Le Quotidien du médecin, 16 déc. 2011) ; V. également la parution de différents arrêtés municipaux interdisant aux administrés de tomber malade ou de mourir le week-end ou les jours fériés afin de sensibiliser face au manque de médecins pouvant signer les certificats de décès (Anonyme, « Déserts médicaux : interdiction d'être malade dans la Sarthe », Le Point, 18 févr. 2020). 5 Comme dit précédemment, V. la contribution d'Eric Martinent dans ces mêmes actes. national des pharmaciens est très clair. Il estime en effet que « les pharmaciens d'officine [constituent] une des professions de santé les mieux réparties sur le territoire » [5 ; p. 38], avec une « accessibilité [. . .] plus homogène sur le territoire métropolitain en comparaison à d'autres services de santé ». Plus encore, l'offre officinale est bien répartie puisque « 1/3 des officines françaises constitue le coeur même de l'offre de proximité car elles sont installées au sein des communes de moins de 5000 habitants. 31 % des officines sont situées dans des communes ayant entre 5000 et 30 000 habitants » permettant d'affirmer que « ce réseau important est la base primordiale et essentielle qui garantit un maillage territorial efficace et permet la desserte homogène du médicament sur le territoire français ». Il faut d'ailleurs noter que « 75 % des communes (en dehors de celles ayant une pharmacie dans leur enceinte) sont situées à moins de 6 km à vol d'oiseau d'une pharmacie en 2018 », ce qui est tout à fait positif. Si la réalité est ainsi aujourd'hui, qu'en sera-t-il demain ? Il faut effectivement savoir que le nombre d'officines est en baisse tant dans son nombre total (−7,3 % en 10 ans, soit 1 625 officines fermées) que dans son nombre par habitant (36/100 000 il y a 10 ans, 32/100 000 en 2019). L'ordre indique également que plus d'un titulaire d'officine sur deux à plus de 50 ans et que 23 % ont plus de 60 ans (en augmentation de 11 points en 9 ans). La chose n'est pas source d'affolement aujourd'hui mais si la tendance se confirme ou s'accroît, il est nécessaire d'anticiper afin que les inégalités territoriales de santé en matière pharmaceutique soient contrées au mieux. Comme évoqué, l'une des pistes possibles se fonde sur la vente en ligne sur laquelle il faut, ensuite, apporter des éléments de contexte. La vente en ligne est, en effet, une vraie révolution dans la manière de dispenser des médicaments, et semble constituer un moyen technique permettant de faciliter l'accès aux médicaments. Cette vente trouve son origine dans le fameux arrêt DocMorris rendu le 11 décembre 2003 6 par ce qui était alors la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, aujourd'hui CJUE) puis dans une directive du 8 juin 2011 7 transposée en France par l'ordonnance du 19 décembre 2012 8 , complétée par un dispositif réglementaire détaillé 9 . Les idées-clefs du régime 6 Cour de justice des communautés européennes (CJCE), 11 déc. 2003, C-322/01, DocMorris. 7 Directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments aùsage humain, en ce qui concerne la prévention de l'introduction dans la chaine d'approvisionnement légale de médicaments falsifiés. 8 Ordonnance n o 2012-1427 du 19 déc. 2012 relative au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments, à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet et à la lutte contre la falsification de médicaments, JORF n o 0297 du 21 décembre 2012, p. 20 182. 9 Décret n o 2012-1562 du 31 déc. 2012 relatif au renforcement de la sécurité de la chaîne d'approvisionnement des médicaments et à l'encadrement de la vente de médicaments sur internet, JORF n o 0001 du 1 er janv. 2013, p. 74 ; Arrêté du 20 juin 2013 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments par voie électronique, JORF n o 0144 du 23 juin 2013, p. 10 446 ; Arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux regles techniques applicables aux sites internet de commerceélectronique de médicaments prévues juridique applicable sont que la vente en ligne se fonde sur un site web qui doit être sous la responsabilité d'un pharmacien et ne peut être que l'émanation d'une officine pharmaceutique réelle. Ce site doit être autorisé de manière préalable par l'Agence régionale de santé et peut vendre, désormais, tout type de médicaments sans prescription (et non plus seulement ceux disponibles en accès direct 10 ). À contrario, en aucun cas, les médicaments sur prescription ne peuvent être vendus par internet. Face à ce nouveau mode de dispensation, la question est simple : la vente en ligne des médicaments peut-elle permettre de lutter contre les inégalités territoriales de santé qui pourraient se développer en matière officinale ? La réponse est tout aussi simple : non seulement, ce mode de vente n'est pas à même de régler ce problème d'offre potentiellement insuffisante (section L'utilité limitée de la vente en ligne des médicaments), mais, en plus il peut être la source de difficultés plus importantes encore pour la santé publique (section Les risques importants de la vente en ligne des médicaments). En apparence, la vente en ligne est une bonne idée pour lutter contre le développement des inégalités territoriales de santé en matière pharmaceutique. En effet, puisque certains territoires n'ont ou n'auront pas de pharmacie officinale, la possibilité d'acheter sur internet peut permettre de compenser cette défaillance. Pourtant, cette utilité n'est pas si certaine (section Un accès relatif aux médicaments) et, au-delà, ce mode de vente souffre de plusieurs limites importantes (section Un accès restreint à certains médicaments). Affirmer que vendre des médicaments sur internet favoriserait un recours plus rapide de la population aux soins est-il totalement pertinent ? De manière théorique, c'est tout fait possible, mais en pratique, il ressort que ce mode d'achat peut complexifier la chaîne de traitement de la demande de médicament. Au lieu d'avoir une réponse immédiate du pharmacien à la demande formulée par le client dans son officine, s'ajoutent dans le cas de la vente en ligne le traitement de la commande et plus encore son acheminement postal. Il est probable que les pharmaciens veillent à réduire au maximum les délais d'envoi, dans l'intérêt de chacun, mais ces professionnels ne peuvent maîtriser totalement le délai d'acheminement. Or, s'il ne s'agit pas de remettre en cause l'efficacité des services postaux, il est classique de constater des temps de livraison de lettre ou de colis correspondant à plusieurs jours, de deux à cinq, le tout connaissant un certain aléa 11 . Les médicaments disponibles en ligne étant à prescription médicale facultative, ils concernent donc des petites pathologies ou des maux du quotidien comme des migraines ou des rhumes, est-il alors pertinent d'attendre ne serait-ce que deux jours, au mieux, pour recevoir le traitement ? Cela n'est pas certain, même si l'on peut aussi penser, si la formule nous est permise, que « c'est mieux que rien ». Au-delà, un autre argument avancé en faveur de l'accès aux soins porte sur les personnes qui peinent à se déplacer, lesquelles ne bénéficient pas ou peu du réseau officinal quelle qu'en soit l'étendue. La population fréquemment visée est constituée des personnes âgées, spécialement dépendantes. Ainsi, développer la vente en ligne permettrait de favoriser l'accès aux médicaments de ce public, idée assurément louable 12 . Mais l'effet de cette réforme paraît peu crédible d'un simple point de vue matériel. Au-delà d'éventuelles statistiques sur le taux d'équipement informatique des séniors, peut-on penser qu'une personne âgée dépendante va être volontaire et en capacité de se connecter à internet, d'identifier un site autorisé de vente en ligne, de réaliser une commande, de payer en ligne en entrant ses références bancaires [6] ? Bien entendu, privons-nous de toute généralité réductrice, mais avouons que cette hypothèse n'est pas la plus probable. Justifier la vente en ligne par une volonté d'amélioration de l'accès aux médicaments ne paraît donc pas le plus pertinent. Indépendamment de ces aspects pratiques, il faut noter l'existence d'obstacles juridiques à l'accès aux médicaments que favoriserait la vente en ligne. Le principal obstacle se fonde sur le périmètre des médicaments vendus. En effet, le régime juridique retenu par les pouvoirs publics français lors de transposition de la directive du 8 juin 2008 permet la vente en ligne des médicaments à prescription médicale facultative uniquement. En aucun cas, la vente des médicaments à prescription médicale obligatoire n'est autorisée même si la directive en laissait la possibilité aux États membres. Cela signifie que l'opportunité que pourrait constituer la vente en ligne ne concerne qu'une partie seulement des médicaments, partie tout à fait minoritaire qui plus est, puisque la part des médicaments sans prescription dans le chiffre d'affaires des pharmacies officinales est de 25 % en moyenne seulement [7 ; p. 11]. D'ailleurs, ce périmètre de vente aurait pu être plus restreint encore puisque initialement l'ordonnance du 19 décembre 2012 limitait cette vente non pas à tous les médicaments sans prescription mais uniquement à ceux dis-ponibles en accès direct 13 , c'est-à-dire par-delà le comptoir. Ce n'est que par l'intervention du Conseil d'État que le champ de vente en ligne n'a pas été plus limité encore, intervention qui s'est réalisée en deux temps. D'abord, par une suspension de cette restriction le 14 février 2013 dans le cadre d'une procédure en référé 14 , puis par une annulation de cette même disposition, toujours par le Conseil d'État, dans un arrêt en date du 17 juillet 2013 [8] . Cette annulation correspondait à des enjeux majeurs puisque le nombre de médicaments en accès direct est bien plus faible que celui de la catégorie générale des médicaments sans prescription médicale obligatoire. Pour autant, cette annulation n'a pas constitué à l'époque une réelle surprise puisque, quoi qu'on puisse en penser sur le fond, plusieurs éléments la laissaient présager. C'est le cas spécialement de la position de l'Autorité de la concurrence, saisie dans le cadre de l'article L. 462-2 du code de commerce, qui s'est montrée très critique sur cette réforme, spécialement sur son domaine c'est-à-dire sur le type de médicaments pouvant être vendus dans ce cadre 15 . Il a même fallu modifier le projet de loi de ratification de l'ordonnance du 19 décembre 2012 pour que cette annulation soit prise en compte, le gouvernement voulant initialement maintenir cette restriction du domaine de vente 16 . Il n'est donc pas certain qu'il soit pleinement intéressant d'acheter des médicaments en ligne, même lorsque l'on n'a pas d'officines à côté de chez soi, si ce n'est pour une catégorie limitée de produits. L'on pourrait alors affirmer que c'est une forme de « pis-aller », de « faute de mieux » en cas d'absence d'offre pharmaceutique, mais ce pis-aller subit d'autres problèmes, créés eux-mêmes par la vente en ligne. . . Le développement de la vente en ligne des médicaments peut générer des risques majeurs liés tant à la difficulté pour le pharmacien d'officine d'exécuter ses obligations (section Le difficile respect des obligations du pharmacien) qu'à certains comportements problématiques que les patients pourraient développer (section Le développement problématique de comportements inadaptés). Les obligations du pharmacien d'officine sont nombreuses mais l'une des principales est probablement constituée par le devoir de conseil [9] . Il se fonde sur l'art. L. 1411-11 du code de la santé publique de manière générale et sur l'art. R. 4235-48 du même code de manière spécifique pour son lien avec la dispensation. Pourtant, force est de constater que le respect de ce devoir est mis à mal dans le cadre de la vente en ligne des médicaments sur la base d'une interrogation et d'un constat. L'interrogation consiste à se demander comment le pharmacien officinal peut-il accomplir son devoir de conseil dans ces conditions ? Est-ce grâce au questionnaire de santé mis en place 17 ? Ce questionnaire a pour but de permettre au pharmacien de vérifier lors la préparation de la commande qu'aucun élément n'est en défaveur de la dispensation. Il doit être rempli lors de la première commande et porte sur l'âge du patient, son poids, son sexe, ses traitements en cours, ses antécédents allergiques et, le cas échéant, son état de grossesse ou d'allaitement, le patient devant attester de la véracité de ces informations. Pour autant, aussi utiles que soient ces informations pour traiter et valider ou non la commande, elles ne contribuent pas au devoir de conseil puisqu'il n'y a pas ensuite d'échanges avec le patient pour l'informer des modalités de prise du médicament ou des précautions à prendre en termes d'interactions médicamenteuses par exemple. Dans ce cas, si ce n'est pas avec le questionnaire que le pharmacien peut remplir son devoir de conseil, est-ce alors par l'échange interactif obligatoire qui doit avoir lieu entre le patient et le pharmacien (boîte de dialogue en ligne. . .) qu'il le fera ? En apparence, l'on se rapproche ici davantage du devoir de conseil tel qu'on peut le connaître en officine physique. Malgré tout, cette possibilité donnée au client de consulter le pharmacien par téléphone ou par mail ne paraît pas plus adaptée. Au contraire, cela révèle en fait une erreur quant aux exigences relatives au devoir de conseil : le pharmacien doit prendre l'initiative de délivrer les informations et non pas le faire uniquement en réponse à la demande du client, traduisant une mauvaise appréciation de l'origine de l'impulsion en la matière. Le pharmacien n'est pas seulement à la disposition du patient, il doit initier l'échange. Faut-il dans ce cas avoir plus d'espoir avec la mise à disposition de notices, même de manière automatique ? Pas du tout, en réalité, puisque, dans le cas d'une dispensation traditionnelle, le fait que le client dispose de la notice en achetant le médicament ne libère pas le pharmacien de la délivrance de conseils. Il y a ici une confusion entre l'information prévue par le producteur et le conseil que doit donner le vendeur du produit. Le constat mettant à mal le devoir de conseil se fonde sur l'existence d'un système d'achat associé que l'on retrouve sur certains sites de vente de médicaments. Pratiqué sur des sites commerciaux classiques (musique, livres. . .), il consiste à proposer à celui qui a acheté un produit d'autres biens dont on pense qu'ils sont susceptibles de lui plaire, les ressemblances entre eux étant suffisamment nombreuses. Si ce système est très probablement adapté pour des biens de consommation classique, il nous paraît tout à fait problématique en matière de médicaments. Il faut effectivement réaliser que, dans cette hypothèse, ce n'est pas un professionnel de santé qui va conseiller un patient sur la combinaison opportune de plusieurs médicaments dans un but thérapeutique, mais un algorithme qui va permettre à un ordinateur de proposer d'acheter d'autres médicaments. Bien entendu, l'on peut répondre que cet algorithme peut très bien avoir été construit avec l'aide de pharmaciens qui auront pensé scientifiquement la pertinence de la combinaison de plusieurs médicaments, mais il n'empêche que ce type de pratique ne favorise pas du tout l'exécution du devoir de conseil par le pharmacien puisqu'il n'intervient pas dans la proposition de nouveaux médicaments lors du processus de commande. Certes, l'étude pratique que nous avons pu réaliser par le passé ne montre pas un très grand nombre de sites utilisant ce système pour des médicaments mais le risque n'est pas théorique pour autant [10] . La conclusion est donc assez sévère : l'exécution du devoir de conseil paraît tout à fait compromise dans le cas de la vente en ligne de médicaments. Pourtant, comme nous avons pu l'écrire par ailleurs [11] , le devoir de conseil est essentiel car il constitue l'un des éléments qui différencie la dispensation d'un médicament de la vente classique d'un bien de consommation courante, même si d'autres professions, hors de la santé, sont soumises à cette obligation. Sans conseil, la dispensation se réduit à une simple vente, comme la jurisprudence a pu le rappeler de façon très nette dans un arrêt de la Cour d'appel de Caen du 15 juillet 1993 [12] retenant la responsabilité du pharmacien pour s'être « contenté de délivrer les remèdes en reproduisant sur les emballages la posologie figurant sur l'ordonnance, ce qui est à la portée de tout épicier sachant lire et écrire, mais tout à fait insuffisant de la part d'un spécialiste de la santé qui a lui aussi tout aussi gravement [que le prescripteur] manqué à son devoir de conseil et à l'obligation de moyen à laquelle auraient dû l'avoir préparé six années d'études spécialisées et quelques de pratique professionnelle ». Sans que cela ne soit exhaustif, sur la base de l'étude pratique que nous avons pu réaliser des différents sites web proposant des médicaments [10] , il faut ici relever deux types de comportements possibles qui laissent penser que la vente en ligne peut créer des problèmes supplémentaires au lieu de régler la question des inégalités territoriales de santé en matière pharmaceutique. Le premier type de comportement problématique porte sur la dispense de frais de port. Une pratique a en effet pu être observée : elle consiste à dispenser le patient des frais de port lorsque sa commande dépasse un certain montant de commande. L'arrêté du 20 juin 2013 18 ne la vise pas expressément mais elle s'y réfère indirectement en rappelant l'interdiction d'incitation à la consommation abusive de médicaments 19 ou la prohibition d'une sollicitation de clientèle par des procédés et moyens contraires à la dignité de la profession 20 . Or, ce système de dispense va à l'encontre de ces principes, de notre point de vue en tout cas, puisqu'il peut pousser le visiteur à augmenter sa commande de médicaments pour atteindre le seuil qui lui permettra d'économiser les frais d'expédition. Dans cette hypothèse, c'est un motif économique et non plus un besoin de santé qui est à l'origine de l'achat de médicament, ce qui semble tout à fait inopportun, particulièrement lorsque l'on se souvient de l'étendue de la surconsommation actuelle de médicaments 21 . Au vu de ces enjeux, il est regrettable de constater qu'une part importante permettait par le passé cette dispense (37,62 % des sites visités), le montant de la commande la déclenchant allant de 35 à 100 euros, le plus fréquemment 50 euros. Le second type de comportement qui pose problème porte sur les limites de commande, élément important pour éviter la surconsommation de médicaments. L'arrêté du 20 juin 2013 22 prévoit que cette quantité maximale doit être conforme à la durée du traitement indiquée dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), qu'elle ne peut excéder un mois de traitement à posologie usuelle ou la quantité maximale nécessaire pour les traitements d'épisode aigu. Pour éviter tout excès, il est expressément prévu qu'un dispositif permette le blocage de quantités supérieures. Audelà, aucune quantité minimale d'achat ne peut être exigée ou suggérée et le patient doit avoir la possibilité de ne commander qu'une seule boîte d'un médicament. L'étude réalisée révèle qu'une grande majorité de sites prévoit bien une telle limitation (81,48 %). Le plus souvent, la limite est à 5 boites (53,4 % des sites pratiquant cette restriction) ou à 3 (14,77 % des sites pratiquant cette restriction). Dans les autres cas, cette restriction va d'une boite à 16, ce dernier chiffre rendant la contrainte d'une efficacité très théorique si l'on ose une formule euphémique. La limitation est aussi faite dans d'autres cas mais sur la base de motifs inadaptés. Au final, les sites ne pratiquant aucune limitation représentent tout de même 15,74 % du total. Bien entendu, il est toujours possible de relativiser ce constat en imaginant que si ces commandes avaient été payées, elles n'auraient probablement pas été validées par un pharmacien responsable, du moins faut-il l'espérer. Mais dans ce cas, il est bien plus sage de limiter en amont la quantité de médicaments pour gagner du temps. Sans cette limite automatique, cela signifie que le pharmacien qui réalise un contrôle pertinent de la commande devra contacter le client pour lui préciser qu'il ne peut pas en recevoir autant, attendre d'avoir un retour, se mettre d'accord avec lui sur le nombre finalement commandé puis valider la nouvelle demande. La multiplication de ces échanges créera alors un risque de perte de clientèle. Au vu de tout cela, l'intérêt du patient (la diminution du risque iatrogénique) comme celui du pharmacien (une gestion optimum de son officine) impliquent la mise en place d'une restriction automatique, indépendamment du simple respect des bonnes pratiques prévues par l'arrêté. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts. Ségur de la santé -Les conclusions. Dossier de presse Rapport d'information n o 686 (2016-2017) fait au nom de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale de la commission des affaires sociales sur les mesures incitatives au développement de l'offre de soins primaires dans les zones sous-dotées. Sénat « Déserts médicaux » en France : état des lieux et perspectives de recherches Démographie des pharmaciens -Panorama au 1 er janvier 2020 « Les seniors dans le cyberespace Inspection générale des finances/Inspection générale des affaires sociales, La régulation du réseau des pharmacies d'officine « Vente de médicaments en ligne : annulation partielle de l'ordonnance de 2012 -Note ss Conseil d'État 1 re et 6 e s.-sect. réun. 17 juillet Le devoir d'information et de conseil du pharmacien d'officine : de l'exigence déontologique à l'obligation légale Le respect des bonnes pratiques de vente en ligne des médicaments : les pharmaciens au milieu du gué « Le devoir de conseil du pharmacien d'officine, un enjeu essentiel à l'effectivité incertaine