key: cord-0816834-05et8rle authors: VERICK, Sher; SCHMIDT‐KLAU, Dorothea; LEE, Sangheon title: Une période exceptionnelle? Analyse comparée sur l'effet de la crise du COVID‐19 et de la crise financière mondiale de 2008–2009 sur les marchés du travail date: 2022-02-25 journal: Revue internationale du Travail DOI: 10.1111/ilrf.12227 sha: 860c0fd7471a6f17c85b78e19f58ae541a899112 doc_id: 816834 cord_uid: 05et8rle Les auteurs montrent que les marchés du travail ont davantage souffert des effets de la pandémie de COVID‐19 en 2020 que de ceux de la crise financière en 2009. Les mesures de confinement ont joué un rôle déterminant. La crise a donc touché plus durement les économies à revenu intermédiaire, certains secteurs comme l'hébergement et la restauration, et certains groupes comme les jeunes femmes. Les auteurs établissent également que, cette fois, la hausse des flux concerne surtout la mobilité vers l'inactivité (plus que vers le chômage). Ils affirment que les pouvoirs publics doivent maintenir leurs politiques de soutien pour que la reprise profite à tous. Après la faillite de Lehman Brothers en 2008 et le tarissement du crédit qu'elle a entraîné, la crise financière tout d'abord circonscrite aux États-Unis a fini par se propager dans le monde entier. En effet, elle a gagné l'économie réelle, et ses ondes de choc se sont fait sentir dans toutes les régions de la planète. En 2009, l'économie mondiale s'est contractée pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, ce qui constituait une sévère correction après la forte expansion de la période [2002] [2003] [2004] [2005] [2006] [2007] . Cette année-là, les échanges mondiaux ont reculé de 11 pour cent (Baldwin, 2009) , soit une chute nettement supérieure à celle de la production. Durant la crise, la production, les échanges et la consommation ont davantage régressé dans le secteur des biens, en particulier manufacturiers, que dans celui des services. Le secteur de la construction a lui aussi été durement touché en raison de l'éclatement des bulles immobilières et de la rareté du crédit. Il en a résulté de nombreuses pertes d'emplois, surtout parmi les travailleurs peu qualifiés et les jeunes. La crise financière mondiale a été provoquée par une augmentation de la prise de risque (aux États-Unis, des prêts ont été consentis à des emprunteurs non solvables puis recyclés sous la forme d'obligations structurées adossées à des emprunts, présentées à tort comme des actifs peu risqués et de qualité), mais aussi par une réglementation financière insuffisante, une politique monétaire trop accommodante et l'éclatement de bulles immobilières dans plusieurs pays (dont l'Espagne, les États-Unis et l'Irlande), entre autres 1 . Les années qui ont précédé la crise ont été marquées par ailleurs par une hausse des inégalités dans beaucoup de pays. Cette évolution, accentuée par les carences de la gouvernance et des politiques, a rendu les économies et marchés du travail vulnérables face à ce type de crise (voir, par exemple, Chowdhury et Żuk, 2018) . Les difficultés financières étaient manifestes aux États-Unis dès 2007, mais rares sont les économistes qui prédisaient à l'époque qu'elles provoqueraient un ralentissement mondial, la plupart des commentateurs s'attendant plutôt à voir se poursuivre les années fastes de la décennie 2000 -période durant laquelle la plupart des pays connaissaient une croissance synchronisée 2 . Face à la crise financière mondiale, les responsables publics ont mobilisé une série d'instruments macroéconomiques contracycliques, abaissant les taux d'intérêt pour favoriser l'emprunt et l'investissement, déployant des plans de sauvetage et injectant de l'argent dans le système financier pour mettre fin au tarissement du crédit, et adoptant des plans de relance budgétaire pour soutenir la demande totale (Verick et Islam, 2010) . Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les programmes de soutien budgétaire annoncés au cours de la période 2008-2010 ont représenté environ 3,5 pour cent du produit intérieur brut (PIB) de 2008 dans les économies avancées pour lesquelles des données sont disponibles (OCDE, 2009) . Dans les pays du G20, le budget consacré à la relance s'est établi à environ 692 milliards de dollars des États-Unis (ci-après «dollars») en 2009, soit quelque 1,4 pour cent du PIB total de ces pays (Prasad et Sorkin, 2009) . Les débats sur les mesures de soutien pouvant être envisagées par les pouvoirs publics dans le sillage de la crise ont été dominés par la question de la taille des multiplicateurs budgétaires et des effets relatifs de l'assainissement des finances publiques, notamment dans le contexte de la crise de la dette souveraine qui sévissait en Europe (voir, par exemple, Gornicka et al., 2020) . La notion «d'assainissement budgétaire expansionniste» a été mise en avant pour justifier l'austérité, mais a été largement critiquée depuis (Chowdhury et Islam, 2012) . Même si elle a été qualifiée de «mondiale», la crise n'a pas eu les mêmes répercussions sur toutes les économies et tous les marchés du travail. En 2009, elle a frappé plus durement les économies avancées, qui ont vu leur PIB se contracter de 3,3 pour cent, contre 2,8 pour cent pour les économies émergentes et en développement 3 , des chiffres globaux qui dissimulent cependant de fortes disparités au sein même de ces deux groupes 4 . Les pays en développement (par comparaison avec les pays émergents) ont certes connu un ralentissement économique en 2009, mais ils ont conservé une croissance relativement dynamique, de 5,1 pour cent en moyenne 5 , car leur moindre intégration à l'économie mondiale leur a permis d'être moins touchés par les crises des échanges et du crédit. Les économies émergentes, à commencer par la Chine et l'Inde, ont renoué avec une croissance vigoureuse en 2010. Les années suivantes, la forte demande de marchandises qui en a résulté à l'échelle mondiale a été profitable pour les pays exportateurs, en particulier les pays en développement. Bien que le taux de chômage mondial ait lentement reflué pendant les années qui ont suivi la crise, dix ans plus tard il n'avait pas retrouvé le point bas de 5,3 pour cent qu'il avait atteint avant la crise. La situation a été encore plus dramatique pour les jeunes, dont le taux de chômage a continué d'augmenter à l'échelle mondiale après la crise, jusqu'à atteindre 13,8 pour cent en 2016 (14,1 pour cent parmi les hommes jeunes). En 2019, le taux de chômage des jeunes s'établissait encore à 13,6 pour cent, soit 1,3 point de pourcentage de plus qu'en 2008, signe que les marchés du travail, en particulier celui des jeunes, présentent des séquelles durables. Même si ce décalage dans la reprise du marché du travail avait déjà été observé lors des crises financières précédentes (Reinhart et Rogoff, 2009) , il a été prolongé par de mauvais choix des pouvoirs publics, en l'occurrence l'adoption prématurée de mesures d'austérité dans certaines économies avancées (par exemple au sein de l'Union européenne) (House, Proebsting et Tesar, 2020, entre autres) . Globalement, des pertes de production ont persisté après la crise et, dans certaines économies, l'investissement et la 3 Dans cet article, nous employons différents termes pour désigner les groupes de pays. Alors que la Banque mondiale distingue les pays à faible revenu, à revenu intermédiaire et à revenu élevé, le Fonds monétaire international distingue les «économies avancées» (qui correspondent aux économies à revenu élevé), les «économies de marché émergentes» et les «pays en développement à faible revenu». Les seuils de revenu national brut (RNB) par habitant utilisés par la Banque mondiale sont les suivants: moins de 1 036 dollars pour les pays à faible revenu; entre 1 036 et 4 045 dollars pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure; entre 4 046 et 12 535 dollars pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure; plus de 12 535 dollars pour les pays à revenu élevé (RNB par habitant en dollars courants, calcul effectué avec la méthode de conversion Atlas). productivité totale des facteurs n'ont pas retrouvé leur niveau antérieur à la crise (Chen, Mrkaic et Naber, 2019) . La crise due au COVID-19 représente un choc qui diffère considérablement de celui provoqué par la crise financière mondiale, tant par son origine que par ses canaux de transmission et son impact. Même s'il existait déjà avant 2020 des craintes de voir survenir une pandémie mondiale, notamment en raison des précédents constitués par les épidémies liées au syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) et au syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS), la pandémie de COVID-19 était inattendue et ne peut être reliée à aucun signe avant-coureur (économique ou d'une autre nature). Apparue sous la forme d'une urgence sanitaire mondiale début 2020, elle s'est transformée au cours de l'année en une grave crise économique et en un choc sur le marché du travail, même si cette évolution a été complexe et incertaine en raison de la nature changeante de la pandémie. Les retombées économiques qu'a eues la crise dans le monde entier sont principalement dues aux confinements et autres restrictions imposées pour contenir la propagation du virus. À partir de mars 2020, les fermetures d'entreprises ont touché la grande majorité des travailleurs, avec des variations selon les pays et les périodes. Fin août 2020, 94 pour cent des travailleurs résidaient dans un pays qui avait été touché par des fermetures d'entreprises (BIT, 2020a). Après un répit au milieu de l'année, de nombreux pays ont été contraints de prendre de nouveau des mesures au dernier trimestre de 2020 en raison des nouvelles avancées du virus, en particulier dans l'hémisphère Nord (sous l'effet de l'arrivée de l'hiver et de l'apparition d'une deuxième vague de contaminations). En janvier 2021, 93 pour cent des travailleurs étaient encore concernés par une forme quelconque de fermeture de leur lieu de travail, même si les mesures concernaient plus spécifiquement certains territoires et secteurs d'activité (BIT, 2021a). La fermeture des frontières et les restrictions de déplacement ont mis le secteur du tourisme mondial (et bien souvent national) à l'arrêt en 2020. Selon l'Organisation mondiale du tourisme (OMT, 2020), les arrivées de touristes internationaux ont chuté de 72 pour cent au cours des dix premiers mois de l'année, ce qui a été lourd de conséquences pour les économies dépendantes du tourisme. Ces restrictions ont par la suite entraîné une forte contraction de la demande (consommation des ménages et investissement) et de l'offre de biens et services en 2020, en particulier au deuxième trimestre. La contraction de l'offre a été provoquée par les mesures de confinement et autres restrictions, qui ont empêché le fonctionnement des entreprises, en premier lieu de celles dont les activités exigeaient des contacts physiques avec les clients (commerce de détail, hébergement et restauration par exemple). Il s'est ensuivi une baisse de la demande de biens et services produits par d'autres secteurs (sous l'effet de liens en aval et en amont). La désorganisation des chaînes d'approvisionnement mondiales a aussi eu un impact négatif sur l'offre dans certains secteurs, même si la production et les échanges de biens ont connu un rebond fin 2020 et au premier semestre 2021. Du côté de la demande, les restrictions sanitaires ont entraîné une réduction sensible de la consommation de nombreux biens et services, en particulier dans les secteurs de la restauration, des loisirs et du commerce de détail, entre autres. Ce phénomène a été amplifié par les pertes d'emploi et de revenu, qui ont elles aussi pesé sur la consommation. Enfin, les décisions de consommation et d'investissement auraient également été pénalisées par une forte incertitude (voir par exemple Altig et al., 2020; Baker et al., 2020) . En d'autres termes, même les pays où le nombre de cas de COVID-19 a été relativement faible ont connu une crise économique et une crise de l'emploi en 2020 en raison de mesures qui ont fortement freiné l'activité économique, à commencer par les mesures de fermeture des frontières, des entreprises, des commerces et des lieux de divertissement. La crise du COVID-19 a donc eu une incidence forte et brutale sur la production dans la grande majorité des pays, et la baisse la plus nette de la production et du nombre d'heures de travail a été observée au deuxième trimestre de 2020. Selon les dernières estimations du Fonds monétaire international (FMI), la production mondiale a chuté de 3,3 pour cent en 2020 (estimation révisée à la hausse par rapport à celle publiée début 2020) et le taux de croissance s'est établi à -4,8 pour cent dans les économies avancées et à -2,2 pour cent dans les pays émergents et en développement (figure 1, graphique A). La situation est fort différente de celle observée lors de la crise financière, qui avait certes conduit à une récession mondiale (le taux de croissance s'était établi à -0,1 pour cent en 2009), mais n'avait pas entraîné de croissance négative dans la plupart des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. En 2009, 92 pays, soit 47,9 pour cent de l'échantillon pour lequel des données sont disponibles (figure 1, graphique B), ont enregistré une croissance négative. En 2020, 164 pays, ou 85,4 pour cent de l'échantillon, auraient enregistré une croissance négative. Quelques pays seulement ont connu une croissance plus forte (ou plus exactement moins négative) en 2020 qu'en 2009, ce qui correspond aux observations du graphique B de la figure 1 qui se trouvent à gauche de la droite à 45 degrés. Ces chiffres montrent que les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire ont subi une chute de la production beaucoup plus forte en 2020 qu'en 2009, certains ayant même conservé une production vigoureuse en 2009 (avec un taux de croissance du PIB compris entre 5 et 10 pour cent). Ces économies voient actuellement la production diminuer pour la première fois depuis de nombreuses décennies, ce qui aura des répercussions négatives sur la pauvreté et annulera une partie des progrès accomplis ces dernières années. En 2020, d'après les estimations, l'économie n'a connu une croissance positive que dans quelques pays émergents et en développement, dont la Chine, où le taux de croissance s'est établi à 1,9 pour cent. De manière générale, les ralentissements de ce type fragilisent toujours les emplois et moyens de subsistance, en particulier chez les jeunes. La crise financière mondiale et la crise du COVID-19, tout comme d'autres (par exemple la crise financière asiatique de 1997), le confirment. Toutefois, comme mentionné plus haut, la crise du COVID-19 se démarque des autres par la nature singulière du choc qu'elle a entraîné. Ainsi, du fait des conséquences des confinements et autres restrictions, le secteur des services a été touché beaucoup plus durement que pendant la crise financière mondiale, durant laquelle la chute de la production avait surtout concerné le secteur manufacturier (et, dans une certaine mesure, celui de la construction). En conséquence, les jeunes et les femmes, qui sont surreprésentés dans le secteur des services, ont globalement été plus sensibles aux retombées de la crise du COVID-19 sur l'emploi. Les conséquences de la crise financière mondiale sur la situation relative des hommes et des femmes sur le marché du travail avaient été tout autres. Par ailleurs, contrairement à ce qui s'était produit en 2009, le marché du travail des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire a subi de lourdes pertes en 2020 du fait que le choc économique s'est propagé beaucoup plus largement à ces pays. Dans le contexte de la crise du COVID-19, les décideurs publics, dont ceux des pays émergents et en développement, ont adopté des mesures de politique monétaire et budgétaire souvent sans précédent pour éviter l'effondrement des économies. Bien qu'ils se soient appuyés sur l'expérience de la crise financière mondiale pour utiliser ces instruments macroéconomiques, certaines contraintes qui étaient évidentes en 2009 et 2010 ont moins pesé sur les plans de relance, même si l'on fait actuellement l'expérience des limites de ces politiques (par exemple le taux d'intérêt plancher dans les économies avancées et la politique budgétaire dans les pays en développement). Il n'en reste pas moins que l'endettement est une préoccupation moins présente cette fois, à tout le moins dans les pays avancés, où le recours à l'emprunt est facilité par des taux d'intérêt extrêmement bas et probablement appelés à le rester pendant un certain temps. En 2020, les budgets consacrés aux dispositifs de maintien dans l'emploi ont été généreux, et en tout état de cause plus élevés qu'en 2009, et ont permis à des millions de travailleurs de conserver leur travail, notamment grâce à l'adoption de mesures nouvelles et innovantes en dehors des économies avancées. La durée d'indemnisation et la couverture des régimes de protection sociale ont été étendues, l'accès à ces régimes ayant parfois été ouvert à des personnes qui en étaient exclues comme les travailleurs indépendants ou les travailleurs des plateformes. Les plans de relance budgétaire ont représenté environ 16 milliards de dollars (au 17 mars 2021), soit environ 18 pour cent du PIB global de 2019 6 . Ils ont pris la forme de dépenses supplémentaires et de pertes de recettes (10 000 milliards de dollars) d'une part et de prêts et garanties publics de même que d'injections de capitaux dans l'économie (6 000 milliards de dollars) d'autre part. Ces dépenses n'ont cependant pas été réparties de manière égale. Elles ont pour l'essentiel profité aux économies avancées, qui ont absorbé plus de 9 000 milliards de dollars de dépenses supplémentaires et de baisse de recettes, de même que la quasitotalité des prêts et garanties publics et injections de fonds. Les mesures de soutien budgétaire ont représenté 16,4 pour cent du PIB de 2020 dans les économies avancées, contre seulement 4,2 pour cent dans les marchés émergents et 1,7 pour cent dans les pays en développement à faible revenu (en tenant compte des dépenses supplémentaires et des pertes de recettes uniquement). Cette disparité n'a pas seulement eu une incidence sur la capacité des pays à réagir durant la première phase de la crise (autrement dit à en affronter la dimension sanitaire et à éviter l'effondrement de l'économie), elle a aussi limité leur capacité à se mettre sur les rails de la reprise. Dans ce contexte, nous analysons l'impact de la crise du COVID-19 sur le marché du travail en nous appuyant sur les modèles existants et sur des données issues d'enquêtes sur la population active. Nous nous attachons plus particulièrement à l'évolution de l'emploi, notamment aux variations en fonction des secteurs, du sexe et de l'âge. Dans la mesure du possible, nous avons comparé les données mondiales (estimations basées sur des modèles) ou nationales (issues des enquêtes sur la population active) se rapportant à 2020 avec les estimations pour 2009 afin de mettre en lumière les similarités et les différences entre la crise financière mondiale et la crise du COVID-19. La suite de l'article est organisée comme suit. La deuxième partie décrit les conséquences globales de la crise financière mondiale et de la crise du COVID-19 sur le marché du travail à partir d'une analyse portant sur un ensemble de pays, tandis que la troisième examine les facteurs qui pourraient expliquer les différences de baisse de l'emploi d'un pays à l'autre. La quatrième partie montre que l'essentiel du recul de l'emploi observé pendant la crise du COVID-19 s'est traduit par une hausse de l'inactivité. Dans les cinquième et sixième parties, nous analysons ce qui s'est produit au sein des marchés du travail en nous concentrant sur l'impact sectoriel et sur les différences selon l'âge et le sexe. Dans la septième partie, nous synthétisons nos constatations et formulons diverses recommandations pour l'action publique. Dans les économies avancées, il s'est replié aussi bien pendant la crise financière mondiale que pendant la crise du COVID-19, mais ce repli a été beaucoup plus fort en 2020 (-3 pour cent) qu'en 2009 (-1,7 pour cent). La chute de l'emploi de 2020 suit dans une large mesure celle de la production, sauf dans les pays émergents et en développement, où la variation de l'emploi observée en 2020 est supérieure à la variation de la production (-3,8 pour cent contre -2,2 pour cent). L'examen d'un échantillon de pays pour lesquels des données annuelles se rapportant à 2020 sont disponibles révèle que l'emploi a reculé dans toutes les économies à revenu élevé (en général de 0 à 2 pour cent) sauf à Chypre, au Luxembourg, à Macao (Chine), à Malte et en Nouvelle-Zélande (figure 3, graphique A). Les chutes les plus fortes sont observées au Chili, aux États-Unis et au Canada, où le marché du travail est plus flexible qu'ailleurs (nous examinons plus loin l'incidence de la LPE sur l'ajustement du marché du travail). En règle générale, le recul de l'emploi a été beaucoup plus important dans les économies à revenu intermédiaire, en particulier en Amérique latine, de même qu'au Monténégro et en Afrique du Sud où l'emploi s'est effondré de quelque 8 pour cent, voire plus (figure 3, graphique B). Le recul de l'emploi qui a eu lieu en 2020 a été plus prononcé dans les pays à revenu intermédiaire, où les inégalités sont plus grandes. Il existe en effet une forte corrélation négative entre la croissance de l'emploi et les inégalités Bien qu'on ne dispose généralement pas de données récentes et représentatives sur la population active des pays à faible revenu, des enquêtes et études ponctuelles montrent que ces économies vulnérables ont elles aussi pâti des mesures de confinement et autres restrictions. Plus précisément, dans les pays en développement (à faible revenu et à revenu intermédiaire), la crise a eu des effets négatifs, non seulement sur la situation professionnelle, mais aussi, de manière plus large, sur les revenus et les moyens de subsistance. Ainsi, s'appuyant sur une enquête téléphonique réalisée entre avril et mai 2020 dans certains pays, Bundervoet, Dávalos et Garcia (2021) montrent que 67,5 pour cent des ménages des pays à faible revenu ont vu leur revenu total régresser. D'après des estimations du BIT, le nombre de travailleurs extrêmement ou modérément pauvres (disposant de moins de 3,20 dollars par jour en parité de pouvoir d'achat) a augmenté de 108 millions (BIT, 2021b), ce qui a réduit à néant cinq années de progrès en matière de réduction des taux de pauvreté (autrement dit, le taux de pauvreté a retrouvé son niveau de 2015). cours du deuxième trimestre de 2020 (période pour laquelle l'échantillon est le plus grand). Dans le contexte d'autres crises, on appréhenderait les ajustements du marché du travail en réaction à un choc économique en les examinant tout au long du cycle conjoncturel. La demande de main-d'oeuvre, analysée comme une ressource intermédiaire entrant dans la production de biens et services, fluctuerait en fonction de la situation économique, diminuant pendant la récession provoquée par une crise financière par exemple et se redressant pendant la phase de reprise. La loi d'Okun, qui décrit la corrélation négative entre croissance du PIB et chômage, constitue la plus connue des approches empiriques permettant d'analyser cette relation 7 . Dès lors que les politiques publiques ont une incidence sur la production, les plans de relance budgétaire se répercutent également sur l'ajustement de l'emploi. Comme souligné plus haut, la demande de main-d'oeuvre est aussi influencée par les institutions et politiques du marché du travail, qui conditionnent la manière dont les pertes et gains de production influent sur la quantité et la qualité des emplois. La législation du travail, par exemple la LPE, qui détermine comment et quand les travailleurs peuvent être licenciés, est au nombre de ces institutions qui ont une incidence sur la vitesse à laquelle le marché du travail s'ajuste lors d'un choc économique (Cazes, Verick et Al Hussami, 2013) . En cas de licenciement collectif -forme de licenciement caractéristique des périodes de récession -, les entreprises ont souvent une obligation de notification aux services locaux du ministère du Travail ou aux services de l'emploi. Outre la LPE, d'autres politiques du marché du travail peuvent avoir un impact sur les décisions d'une entreprise, notamment la possibilité d'accéder à des régimes de chômage partiel et à des subventions salariales, dispositifs qui ont été beaucoup utilisés pendant la crise financière mondiale et encore plus pendant celle du COVID-19. À partir de l'échantillon de pays pour lesquels des données relatives à 2020 sont disponibles, il est possible d'analyser les corrélations entre diverses variables explicatives et le taux de croissance de l'emploi (tableau 1). En toute logique, la première régression sur la croissance du PIB réel met en lumière une relation positive et statistiquement significative avec le taux de croissance de l'emploi en 2020 (colonne notée (1), tableau 1). D'après les coefficients estimés, une baisse de 10 pour cent de la croissance du PIB réel va de pair avec un recul de l'emploi de 2,8 pour cent en moyenne. Cette corrélation positive n'est cependant plus significative statistiquement si l'on inclut (pour 2020) comme variable explicative l'indice de restriction d'Oxford (colonnes notées (2) L'affaiblissement du lien entre croissance de l'emploi et croissance du PIB réel n'a rien de surprenant, puisque la sévérité des restrictions influe de manière décisive sur la croissance du PIB réel en 2020. Globalement, il existe une relation forte et négative entre le recul de l'emploi observé en 2020 et la sévérité moyenne des restrictions imposées (voir également la figure 5). Pour ce qui est des autres variables explicatives, il ne semble pas exister, pour cet échantillon, de relation statistique entre la croissance de l'emploi en 2020 et les mesures de soutien budgétaire (dépenses supplémentaires et recettes perdues, budget ordinaire) (colonne notée (4), tableau 1). Ces résultats sont fort différents de ceux présentés par le BIT en septembre 2020, qui mettaient en évidence une relation positive et statistiquement significative entre la baisse du nombre d'heures de travail et les mesures de relance budgétaire (BIT, 2020a). Il faut toutefois faire preuve de prudence dans l'interprétation de cette relation, parce que l'efficacité des mesures publiques devra être évaluée non seulement sur la base de données se rapportant à 2020, mais aussi de données relatives à 2021 et aux années suivantes. C'est pourquoi des recherches complémentaires sont nécessaires, y compris au niveau des pays, pour évaluer les retombées de ces politiques. Parallèlement, il existe une corrélation positive (qui n'est toutefois statistiquement significative qu'au seuil de 10 pour cent) entre le taux de croissance de l'emploi et la rigueur de la LPE mesurée par l'indicateur de rigueur de la protection de l'emploi de l'OCDE (pour les licenciements individuels et collectifs et les contrats à durée indéterminée). Cette corrélation laisse penser que, comme lors de précédentes crises, l'ajustement de l'emploi est plus rapide (et négatif) dans les pays où la LPE est plus faible, autrement dit où il est plus facile de licencier. (2013), des données empiriques montrent que l'ajustement est asymétrique dès lors que, sous l'effet des institutions du marché du travail (autrement dit de la LPE), les emplois détruits en période de ralentissement sont moins nombreux que ceux créés en période de reprise. Forts de l'expérience de la crise financière mondiale, beaucoup de pays ont fait massivement appel aux dispositifs de maintien dans l'emploi -chômage partiel et subventions salariales -en 2020 pour permettre aux travailleurs de conserver leur emploi. En mai 2020, alors que les restrictions étaient à leur maximum, ces régimes venaient en aide à 50 millions de travailleurs dans les pays de l'OCDE, soit un chiffre dix fois plus élevé que durant la crise financière mondiale (OCDE, 2020). Le dispositif le plus connu est le régime de chômage partiel allemand ou Kurzarbeit, qui a permis au secteur manufacturier allemand de faire face à la crise financière mondiale. Ce dispositif a été simplifié et étendu pendant la crise du COVID-19 (la durée d'indemnisation a été portée à vingt-quatre mois, et la couverture a été étendue aux travailleurs intérimaires). Le nombre de travailleurs couverts par ces dispositifs a ainsi atteint environ 6,0 millions en avril 2020, contre à peine 45 000 l'année précédente (et un maximum de 1,4 million en 2009, durant la crise financière mondiale). Des estimations laissent penser que 750 000 Allemands bénéficiaient encore du Kurzarbeit en septembre 2021 9 . 9 Agence fédérale pour l'emploi, base de données «Realisierte Kurzarbeit (hochgerechnet) Deutschland, Länder, Regionaldirektionen, Agenturen für Arbeit und Kreise (Monatszahlen)», disponible à l'adresse https://statistik.arbeitsagentur.de/SiteGlobals/Forms/Suche/Einzelheftsuche_For mular.html;jsessionid=FA5B4396D5AE4CB407997EAFEE082F18?nn=1524090&topic_f=kurzarbeit-hr (consulté en décembre 2021). Le recours accru à ces dispositifs a-t-il porté ses fruits? D'après des estimations du BIT relatives à l'Union européenne (27 pays), 7,4 pour cent des heures de travail ont été perdues en 2020, tandis que l'emploi a nettement moins reculé (-2 pour cent), ce qui laisse penser que dans cette région l'essentiel de l'ajustement du marché du travail s'est fait par l'intermédiaire d'une réduction du nombre d'heures travaillées, laquelle a été facilitée par les régimes de maintien dans l'emploi 10 . Par ailleurs, d'après une étude réalisée sur un échantillon de 20 pays de l'OCDE pour lesquels des données sur ces mesures sont disponibles, il existe un lien positif et significatif entre les demandes d'indemnisation acceptées par ces régimes en pourcentage des salariés et le taux de croissance de l'emploi en 2020 (figure 6). Cette corrélation positive est particulièrement évidente pour les pays qui, à l'instar de la Nouvelle-Zélande, ne disposaient pas de ce type de dispositif avant la crise. Les États-Unis se situent à l'autre extrémité du spectre. Toutefois, dans ce pays, les travailleurs licenciés temporairement (en d'autres termes au chômage technique) sont comptabilisés parmi les chômeurs (en licenciement temporaire). En mai 2020, 15,3 millions de travailleurs étaient comptabilisés dans cette catégorie, contre 1,8 million seulement en mai 2021 11 . En principe, un recul de l'emploi survenant pendant une récession, comme celui illustré par la figure 3, devrait se traduire par une hausse du chômage. Tel fut le cas après la crise financière mondiale, le taux de chômage des jeunes étant passé 10 Calculs des auteurs à partir d'estimations du BIT (basées sur des modèles), ILOSTAT. 11 United States Bureau of Labor Statistics, Unemployed Persons by Reason for Unemployment, Seasonally Adjusted (chômeurs selon le motif du chômage en données corrigées des variations saisonnières), statistiques sur la population active provenant de l'enquête Current Population Survey, https://www.bls.gov/web/empsit/cpseea11.htm (consulté en mai 2021). Source: Pour les demandes de prestations acceptées par les régimes de maintien dans l' emploi (en pourcentage des salariés), OCDE (2020); pour le taux de croissance de l' emploi, calculs des auteurs à partir de données issues d' enquêtes sur la population active, ILOSTAT (consulté le 17 juin 2021). Normalement, qu'elles soient primo-arrivantes sur le marché du travail ou qu'elles aient récemment perdu leur emploi, les personnes qui n'ont pas d'emploi en recherchent un -ce qui constitue une condition sine qua non pour avoir la qualité de chômeur -sauf si elles estiment que les coûts de la recherche d'emploi l'emportent sur les avantages (ou si d'autres raisons les empêchent de rechercher un emploi). Durant la crise du COVID-19, le passage de l'emploi au non-emploi s'est effectué de manière très différente en raison de la singularité de la crise écono- Une décomposition simple des indicateurs globaux du marché du travail 12 montre que le recul de l'emploi qui a eu lieu en 2020 au niveau national s'est accompagné d'une hausse de l'inactivité plus élevée que celle du chômage dans la plupart des pays, une tendance moins marquée cependant dans les pays à revenu élevé. Dans ce dernier groupe, seuls 15 pays, soit 44,4 pour cent de l'échantillon, ont enregistré une hausse de l'inactivité plus forte que celle du chômage (tableau 2). La montée du chômage a été nettement plus marquée que celle de l'inactivité dans des économies avancées telles que le Canada, l'Estonie, les États-Unis, Hong-kong (Chine), la Lettonie, la Lituanie et la Suède. Dans les économies à revenu intermédiaire, cette hausse plus forte de l'inactivité en 2020 a été beaucoup plus nette, puisqu'elle a concerné 15 pays, soit 83,3 pour cent de l'échantillon. Dans certains pays comme l'Afrique du Sud, le Brésil, la Macédoine du Nord, le Monténégro et la Turquie, le recul de l'emploi s'est traduit par une hausse de l'inactivité beaucoup plus forte que celle du chômage (celui-ci ayant même diminué dans certains cas). Durant la crise financière mondiale, le recul de l'emploi, qui avait surtout touché les pays à revenu élevé, s'était davantage traduit par une hausse du chômage que par une progression de l'inactivité (figure 7). D'après les estimations du BIT, dans le cas des économies avancées, le rapport emploi/population a diminué de 1,5 point de pourcentage en 2009 (par rapport à l'année précédente) et a eu pour corollaire une hausse du rapport chômage/population 13 de 1,2 point et une hausse du taux d'inactivité de 0,2 point seulement 14 . Les estimations mondiales pour 2020 reflètent les tendances présentées dans le tableau 2: la baisse du rapport emploi/population a entraîné une hausse du taux d'inactivité nettement plus forte dans les pays en développement. Dans les pays à revenu intermédiaire, le rapport emploi/population a chuté de 2,9 points de pourcentage en 2020, ce qui a entraîné une hausse de 0,4 point du ratio de chômage et de 2,5 points du taux d'inactivité. S'appuyant sur les données disponibles fin mars 2020, le BIT (2020b) a identifié quatre secteurs dans lesquels le risque de voir la crise se répercuter lourdement sur le marché du travail était particulièrement élevé: l'hébergement et la restauration; le commerce de gros et de détail, l'immobilier; les activités administratives et commerciales; les activités de fabrication. Les secteurs de l'éducation, de la santé et de l'action sociale, de l'administration publique et des services étaient quant à eux considérés comme exposés à un risque immédiat plus faible en raison de la nature du choc et de celle de leurs activités (par exemple parce que la protection de l'emploi est plus grande dans ces secteurs). D'après des estimations du BIT, basées sur des modèles, relatives à 2020 et publiées à la fin de cette même année, le recul de l'emploi est parfaitement conforme aux prévisions datant d'avril 2020 dans certains secteurs de la Classification internationale type, par industrie, de toutes les branches d'activité (CITI, rév. 4) (BIT, 2020b) et s'en écarte dans d'autres (tableau 3). Le recul le plus important concerne des secteurs considérés comme particulièrement exposés, à savoir l'hébergement et la restauration (-9,4 pour cent) et les activités de fabrication (-7,9 pour cent). L'emploi s'est aussi fortement replié dans les secteurs de la construction (-7,6 pour cent), des autres services (-6,3 pour cent) -secteur qui englobe les arts, spectacles et loisirs -et des activités des ménages en tant qu'employeurs (dont le travail domestique). En revanche, il a progressé en 2020 dans le secteur public et dans les activités financières et d'assurance -il s'agit des deux seuls secteurs dans lesquels il a progressé. Ces taux de croissance sectoriels de l'emploi diffèrent des estimations faites pour 2009 au niveau mondial (deuxième colonne du tableau 3). Premièrement, en 2009, l'emploi mondial a progressé dans tous les secteurs, exception faite 13 Le ratio de chômage des jeunes est égal au nombre de jeunes au chômage rapporté à la population jeune (15-24 ans), tandis que le taux de chômage des jeunes rapporte le nombre de jeunes au chômage à la population active jeune (composée des jeunes qui occupent un emploi et des jeunes chômeurs). 14 La hausse de l'inactivité observée en 2009 est aussi le reflet de tendances à plus long terme -elle était en réalité identique à celle constatée en 2008. À l'inverse, la hausse constatée en 2020 marque une rupture avec les tendances précédentes (le taux d'inactivité a en effet augmenté de 2,2 points de pourcentage entre 2019 et 2020 alors qu'il était resté stable entre 2018 et 2019). des activités de fabrication (-1,3 pour cent) et de l'agriculture (-1,3 pour cent). Toutefois, le recul constaté dans le secteur agricole s'inscrit dans le cadre d'une tendance à plus long terme due à la transformation structurelle du secteur (à savoir que les travailleurs quittent l'agriculture) plus qu'il ne s'explique par la crise financière mondiale. En réalité, dans ce secteur, le recul avait été le même en 2008 (et l'est resté durant la période qui a suivi la crise). Comme souligné précédemment, en 2009 c'est donc le secteur des activités de fabrication qui a enregistré les plus lourdes pertes sur le plan de l'emploi au niveau mondial. Contrairement à ce qui a été observé pendant la crise du COVID-19, en 2009 l'emploi a connu une forte croissance dans le secteur de l'hébergement et de la restauration et dans d'autres segments du secteur des services. Lors des crises induites par un choc économique ou financier, le ralentissement de l'économie entraîne en principe des destructions d'emplois dans le secteur formel en raison d'une chute de la demande, notamment liée au ralentissement des échanges, et d'un tarissement du crédit. Le secteur informel, caractérisé par des coûts d'entrée faibles, permet souvent d'absorber les travailleurs qui ont perdu leur emploi dans le secteur formel ( traduire par une augmentation du nombre de femmes travaillant dans le secteur informel à la suite du licenciement de leur conjoint. Ce phénomène est connu sous le nom d'«effet du travailleur additionnel». Ainsi, pendant la crise financière asiatique de 1997, la croissance de l'emploi constatée dans le secteur informel indonésien était le reflet d'un mécanisme d'adaptation des ménages (voir, par exemple, Islam et Chowdhury, 2009; Matsumoto et Verick, 2011) . En revanche, durant la crise du COVID-19, les mesures de confinement et autres restrictions ont eu un effet négatif sur l'emploi informel, parce qu'elles ont empêché les entreprises et travailleurs informels de mener une activité économique. Selon le BIT, la révision à la hausse du nombre d'heures de travail perdues en 2020 et les pertes plus lourdes subies par les pays en développement s'expliquent notamment par la place plus grande de l'économie informelle dans ces pays (BIT, 2020a). L'analyse de données se rapportant à 11 pays montre qu'en moyenne, durant la crise du COVID-19, les salariés du secteur informel avaient une probabilité de perdre leur emploi trois fois plus forte que ceux occupant un emploi dans le secteur formel (BIT, 2021b). Les précédentes récessions n'ont pas seulement eu des répercussions plus négatives sur l'emploi et le chômage des jeunes à court terme: elles ont aussi entraîné une hausse du chômage de longue durée et, de manière générale, un éloignement du marché du travail de cette catégorie de la population, un phénomène dont rend compte le pourcentage de jeunes qui ne sont ni en emploi ni en formation (NEET). Il s'ensuit que le redressement du marché du travail des jeunes prend généralement plus de temps, les séquelles persistant des années après le début du ralentissement de l'économie, comme en témoigne l'expérience 16 Cependant, de premières données montrent que, contrairement à ce qui avait été observé à l'occasion de précédentes crises, la crise du COVID-19 a eu un effet négatif sur la situation des travailleurs âgés sur le marché du travail (voir, par exemple, Bui, Button et Picciotti, 2020). De plus, les conséquences sanitaires du COVID-19 ont été beaucoup plus lourdes pour les travailleurs âgés. de la crise financière mondiale. Ainsi, comme souligné plus haut, avant même la crise du COVID-19, le taux de chômage des jeunes au niveau mondial n'avait toujours pas retrouvé son niveau antérieur à la crise de 2009. Cette persistance des effets des crises sur le marché du travail des jeunes a été amplement décrite par la recherche empirique (Kahn, 2010; Schwandt et von Wachter, 2019, par exemple) . La crise du COVID-19 ne fait pas exception à la règle et a probablement davantage pénalisé les jeunes que les précédentes crises, parce qu'elle les a touchés de trois manière: 1) elle a perturbé l'éducation, la formation et l'apprentissage par le travail; 2) elle a accru les difficultés des jeunes demandeurs d'emploi et autres nouveaux arrivants sur le marché du travail; et 3) elle a entraîné des pertes d'emplois et de revenus et une dégradation de la qualité des emplois (BIT, 2020c et 2021c). Les données relatives à 2020 mettent en lumière la plus grande sensibilité de l'emploi des jeunes à la baisse de la production économique durant la crise du COVID-19 (figure 8), puisqu'elles montrent qu'une même contraction de la production entraîne une diminution plus grande de l'emploi pour les jeunes que pour les générations plus âgées. Ainsi, lorsque la croissance du PIB perd 10 points de pourcentage, l'emploi des jeunes perd 6,7 points, tandis que l'emploi des adultes de 25 ans et plus diminue de 2,6 points. Du fait de la singularité de la crise du COVID-19, en particulier de l'impact plus fort qu'elle a eu sur le secteur des services, les femmes -à commencer par les femmes jeunes -ont été davantage pénalisées sur le plan professionnel. Elles ont été d'autant plus nombreuses à perdre leur emploi qu'elles ont dû assumer l'essentiel du surcroît de travail non rémunéré à accomplir en raison de la crise, si bien qu'elles étaient moins disponibles pour travailler, même à distance, et pour rechercher un emploi (BIT, 2020d). Nous avons utilisé l'échantillon d'économies (à revenu intermédiaire et à revenu élevé) pour lesquelles des données relatives à 2020 étaient disponibles afin Source: Pour le taux de croissance du PIB réel, Economist Intelligence Unit; pour le taux de croissance de l' emploi, calculs des auteurs à partir de données d'ILOSTAT (consulté le 20 juin 2021). En 2009, l'emploi des jeunes avait moins reculé au niveau mondial (de 2,4 pour cent parmi les femmes de moins de 25 ans et de 2,5 pour cent parmi les hommes de moins de 25 ans) 17 . Dans le même temps, l'emploi avait continué de progresser (d'environ 1 pour cent) parmi les personnes de 25 ans et plus. Dans les pays à revenu élevé, il s'était replié dans toutes les classes d'âge pour les hommes comme pour les femmes, mais le repli avait été plus marqué parmi les jeunes, en particulier les hommes (recul de 8,5 pour les hommes de moins de 25 ans et de 5,8 pour les femmes de moins de 25 ans). 17 Calculs des auteurs à partir d'estimations du BIT (basées sur des modèles), ILOSTAT. Note: Ce graphique de type boîte à moustaches a été établi pour un échantillon de 52 économies (37 à revenu élevé et 15 à revenu intermédiaire) pour lesquels des données annuelles relatives à l' emploi étaient disponibles; aucune pondération n' a été effectuée. Il se lit comme suit: a) la ligne verticale au milieu de la boîte représente la valeur médiane (50 e centile); b) la partie gauche représente le 25 e centile; c) la partie droite représente le 75 e centile; d) les lignes aux extrémités des moustaches à gauche et à droite de la boîte représentent respectivement la valeur la plus faible et la valeur la plus élevée. Source: Calculs des auteurs à partir de données issues d' enquêtes sur la population active, ILOSTAT (consulté le 20 juin 2021). Il est certes trop tôt pour dresser un bilan complet des conséquences de la crise du COVID-19, mais l'analyse présentée ici permet de mettre en évidence des tendances qui, souvent, diffèrent de celles observées lors de la crise financière mondiale de 2009. Schématiquement, la crise du COVID-19 a eu un impact plus large et plus profond sur les économies et les marchés du travail du monde entier, en particulier parce que les mesures de confinement et autres restrictions ont considérablement freiné l'activité économique. Contrairement à ce qui s'était produit pendant la crise financière mondiale, peu de pays et catégories de la population nationale ont été totalement à l'abri des effets négatifs de la crise du COVID-19. Toutefois, certains secteurs, comme celui de l'hébergement et de la restauration, et certaines catégories de la population, dont les femmes et les jeunes, ont été plus pénalisés que les autres. Du fait de la singularité de la crise, l'ajustement du marché du travail a pris une forme inattendue, par exemple une hausse de l'inactivité supérieure à celle du chômage. Une analyse réalisée pour un échantillon de pays à revenu intermédiaire et à revenu élevé montre qu'en 2020 les pertes d'emplois s'expliquent principalement par la sévérité des confinements et autres restrictions, ces mesures ayant eu un impact à la fois sur l'offre et sur la demande. Lorsque davantage de données seront disponibles sur la mise en oeuvre des plans de relance budgétaire et autres mesures de soutien, notamment des régimes de maintien dans l'emploi, il conviendra d'en analyser les effets en partant de l'analyse empirique présentée dans cet article (même s'il restera difficile d'attribuer ces effets à telle ou telle mesure). Les pertes d'emplois provoquées par la crise risquant de s'inscrire dans la durée, les décideurs du monde entier vont devoir continuer de soutenir l'économie et le marché du travail pendant un certain temps. Au cours des années à venir, ils devront tenir compte de cinq aspects majeurs. Premièrement, la crise du COVID-19 va probablement entraîner une évolution structurelle de l'économie et du marché du travail plus durable que la crise de 2009 (si l'on tient compte des effets sur la structure de l'économie des transferts entre secteurs et des changements au sein de certains secteurs). Ces évolutions ne favoriseront peut-être pas toujours l'avènement d'économies plus équitables et plus inclusives. Beaucoup de secteurs, par exemple ceux liés au tourisme, ne retrouveront sans doute pas leur situation antérieure à la pandémie, à tout le moins dans un avenir proche. L'action publique va donc devoir s'adapter à ces changements en continuant de protéger des secteurs spécifiques et en favorisant dans le même temps le transfert de ressources de certains secteurs à d'autres, y compris à de nouveaux secteurs susceptibles de créer des emplois décents et productifs. Deuxièmement, étant donné qu'une partie des personnes sans emploi a basculé dans l'inactivité et que le chômage a augmenté à mesure de la progression de la crise, il faudra que des politiques pour l'emploi et des politiques du marché du travail dotées de capacités et ressources suffisantes facilitent les transitions, en particulier le retour à l'emploi. Troisièmement, dans tous les pays du monde, les jeunes auront besoin d'un accompagnement spécifique pour s'insérer sur le marché du travail. La crise financière mondiale a montré que les mesures visant les jeunes doivent être globales -la Garantie pour la jeunesse créée par l'Union européenne en est une illustration 18 . En outre, les femmes ayant davantage souffert de la crise, il faudra adopter une approche intégrée pour que les mesures de relance remédient également aux inégalités entre hommes et femmes. Il faudra notamment veiller à ce que les investissements et la création d'emplois profitent aux femmes, notamment dans des secteurs comme celui du numérique ou de l'économie du soin. Il conviendra de déployer des efforts et des ressources pour lutter contre les obstacles à l'activité féminine, qui ont été accentués par la pandémie (par exemple en créant des services de garde d'enfant et en instituant des congés et des modalités de travail flexibles pour aider les familles à mieux gérer leurs obligations familiales). Quatrièmement, les mesures prises par les pouvoirs publics devront remédier au creusement des inégalités qui s'est produit pendant la crise et qui pourrait peser sur la demande totale et sur la reprise de l'économie. La crise a notamment frappé durement les économies émergentes et en développement. Il pourrait s'ensuivre, outre une dégradation de la situation sur le marché du travail pour des millions de personnes à travers le monde, une aggravation de la pauvreté. La convergence mondiale observée ces dernières décennies est remise en cause. Ces économies ne pourront pas retrouver leur trajectoire de croissance antérieure à la pandémie sans une solidarité internationale forte. Elles doivent notamment pouvoir disposer de vaccins le plus rapidement possible et d'un soutien plus grand en matière de financement du développement (par exemple sous la forme de renégociations et allègements de la dette). Enfin, la crise du COVID-19 ayant eu des conséquences très hétérogènes, en particulier très différentes d'une catégorie de la population à l'autre, le risque de reprise en K est élevé. Si les décideurs ne s'appuient que sur des «moyennes» pendant la période de reprise sans s'intéresser à la répartition des effets de leurs politiques, ils risquent fort d'interrompre trop tôt leur soutien. Une interruption prématurée aurait une incidence négative sur la demande totale et creuserait encore les inégalités sur le marché du travail, ce qui ralentirait la reprise et aurait des conséquences à long terme. Economic Uncertainty in the Wake of the COVID-19 Pandemic COVID-Induced Economic Uncertainty and Its Consequences The Great Trade Collapse: What Caused It and What Does It Mean? «Prévenir l'exclusion du marché du travail: remédier à la crise de l'emploi des jeunes provoquée par le COVID-19», note d'information, mai 2020. Genève. -. 2020d. « Observatoire de l'OIT: le COVID-19 et le monde du travail. Cinquième édition», 30 juin 2020. Genève. -. 2021a. « Observatoire de l'OIT: le COVID-19 et le monde du travail. Septième édition 2020. «Early Evidence on the Impact of COVID-19 and the Recession on Older Workers «The Short-Term Impacts of COVID-19 on Households in Developing Countries: An Overview Based on a Harmonized Data Set of High-Frequency Surveys «Why Did Unemployment Respond so Differently to the Global Financial Crisis across Countries? Insights from Okun's Law» «The Global Economic Recovery 10 Years after the 2008 Financial Crisis «The Debate on Expansionary Fiscal Consolidation: How Robust Is the Evidence?», Economic and Labour Relations Review «From Crisis to Crisis: Capitalism, Chaos and Constant Unpredictability FMI (Fonds monétaire international). 2021. «Fiscal Monitor: A Fair Shot Gerrit Koester et Nadine Leiner-Killinger. 2020. «Learning about Fiscal Multipliers during the European Sovereign Debt Crisis «A Global Panel Database of Pandemic Policies (Oxford COVID-19 Government Response Tracker)» Christian Proebsting et Linda L. 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Revisiting Okun's Law «Employment Trends in Indonesia over 1996-2009: Casualization of the Labour Market during an Era of Crises, Reforms and Recovery Policy Responses to the Economic Crisis: Investing in Innovation for Long-Term Growth 2020. «Le tourisme est de retour au niveau de 1990 avec la diminution de plus de 70% des arrivées Situation et perspectives de l'économie mondiale, mi-2006 «Assessing the G-20 Stimulus Plans: A Deeper Look The Aftermath of Financial Crises» «Unlucky Cohorts: Estimating the Long-Term Effects of Entering the Labor Market in a Recession in Large Cross-Sectional Data Sets «Who Is Hit Hardest during a Financial Crisis? The Vulnerability of Young Men and Women to Unemployment in an Economic Downturn», IZA Discussion Paper No. 4359. Bonn: Institute for the Study of Labor. -, et Iyanatul Islam. 2010. «The Great Recession of 2008-2009: Causes, Consequences and Policy Responses