key: cord-0812016-dhfjx9sg authors: Remmers, J. E. title: L’apnée du sommeil : une maladie ou un syndrome ? date: 2004-04-30 journal: Revue des Maladies Respiratoires DOI: 10.1016/s0761-8425(04)71282-6 sha: ec1793bb1811d89e49521e9c79d75915d23c90d2 doc_id: 812016 cord_uid: dhfjx9sg nan Au cours du sommeil, les voies aériennes peuvent, anormalement, se fermer en tout ou partie, induisant un arrêt de la ventilation (apnée) ou une diminution de son amplitude (hypopnée). Ceci définit une entité physiopathologique appelée « apnées obstructives du sommeil ». La fréquence horaire de survenue de ces évènements définit l'index d'apnéeshypopnées, qui est un marqueur de gravité. Une autre conséquence du rétrécissement de la voie aérienne au niveau du pharynx pendant le sommeil est la survenue non plus d'une apnée ou d'une hypopnée, mais d'une limitation du débit inspiratoire, définie comme l'absence d'augmentation du débit malgré une augmentation persistante de sa pression motrice. Il s'agit d'un trouble apparenté, que l'on dénomme « augmentation de résistance des voies aériennes supérieures ». La prévalence des anomalies respiratoires liées au sommeil dans la population générale est beaucoup plus élevée que l'on aurait osé l'imaginer ne serait-ce qu'il y a quelques années. En effet, en utilisant un critère de définition prudent (index d'apnées-hypopnées supérieur à 10 évènements par heure), on arrive à conclure que 4 % des femmes et 9 % des hommes pourraient être concernés par cette problématique médicale. Apnées, hypopnées, et épisodes de limitation du débit inspiratoire résultent d'anomalies pharyngées, structurelles et fonctionnelles, conduisant à une instabilité des voies aériennes pendant le sommeil. Les anomalies ventilatoires qui en résultent perturbent l'architecture du sommeil et en diminuent l'efficacité, ce qui peut entraîner une somnolence diurne. Présente, celle-ci fait généralement parler de syndrome des apnées obstructives du sommeil ou de syndrome de haute résistance des voies aériennes supérieures. Ce n'est le cas que chez la moitié des patients chez lesquels existent des anomalies physiologiques des voies aériennes supérieures. Il existe donc, a contrario, dans la population générale, un grand nombre de patients qui souffrent d'apnées du sommeil ou d'évènements apparentés mais ne se plaignent pas du symptôme cardinal et handicapant qu'est la somnolence diurne. Dans la mesure où l'indication reconnue à la mise en route d'un traitement est, classiquement, l'existence de celle-ci (avec son retentissement sur la qualité de vie), le clinicien se trouve placé devant une curieuse anomalie : en effet, il traite un syndrome, et non la maladie responsable de ce syndrome, ce qui n'est pas usuel. Notre terminologie actuelle dans le domaine des troubles respiratoires liés au sommeil lance donc un intéressant défi aux lexicographes médicaux. Est-il justifié d'utiliser, pour désigner une anomalie symptomatique, une terminologie différente de celle que l'on utilise pour désigner la même anomalie en l'absence de symptômes ? En d'autres termes, une pathologie « bruyante » parce qu'altérant la qualité de vie doit-elle être distinguée de la forme « silencieuse » de cette pathologie (et ce même si cette pathologie est un véritable « tueur silencieux ») ? Ou bien, au contraire, faut-il utiliser la même dénomination générique pour les formes symptomatiques ou a-symptomatiques ? Dans le cas de la pathologie respiratoire du sommeil, il semble que l'utilisation « différentielle » du mot syndrome pour qualifier les formes symptomatiques soit devenu la règle et constitue une pratique largement acceptée (par analogie, par exemple, avec la terminologie de « syndrome de Pickwick » qui renvoyait à l'origine à l'association à une obésité morbide, d'une somnolence et d'une défaillance cardio-respiratoire). Ceci semble inutilement complexe. Cet éditorial se veut donc un appel à l'aide, un plaidoyer pour une simplification sémantique. La question essentielle posée ici est celle de la signification du mot syndrome dans le langage médical courant. Signifie-t-il « maladie symptomatique » ? Apparemment pas à ses origines. Le mot syndrome (du Grec syn, avec et drome, avancer, courir) correspond à un groupe de symptômes ou de signes typiques d'une maladie, d'une perturbation ou d'une lésion, chez les animaux ou chez les plantes. Classiquement, il implique qu'un patient souffre d'une combinaison de signes et/ou de symptômes dont la cause ou la nature du processus pathologique sous-jacent ne sont pas comprises. Par exemple, nous faisons référence au syndrome de fatigue chronique et pas à la maladie du même nom, parce que nous sommes confrontés à une constellation de signes cliniques caractéristiques mais nous n'en comprenons pas la cause. Inversement, nous parlons de coronaropathie symptomatique en présence d'angor, et pas de syndrome coronarien. La tournure « syndrome de Pickwick » était appropriée dans la période 1950-1960, lorsque l'association d'une obésité, d'une défaillance cardio-respiratoire et d'une somnolence était cliniquement identifiée mais que le processus pathologique sous-jacent, responsable de cette triade, n'était pas connu. Ainsi, parler à cette époque de maladie de Pickwick aurait fait supposer un niveau de compréhension physiopathologique qui n'existait alors pas. Le mot « syndrome » était utilisé pour faire référence à une « phénoménologie », pas à une étiologie. Avec la clarification ultérieure du mécanisme physiopathologique sous-jacent, le terme de « syndrome de Pickwick » a perdu sa pertinence. Nous disons maintenant que de tels patients souffrent d'apnées du sommeil compliquées d'hypoventilation alvéolaire et d'insuffisance cardiaque. Les apnées et les hypopnées obstructives du sommeil relèvent d'un processus pathologique clairement identifié, qui est, de fait, très similaire au processus en cause au cours de la coronaropathie. En effet, dans les deux cas, l'anomalie primaire est un obstacle au transport convectif d'un fluide riche en oxygène. Utiliser « syndrome » pour identifier les patients porteurs de formes symptomatiques (somnolentes) d'apnées obstructives du sommeil et d'augmentations de résistance des voies aériennes supérieures implique à tort que nous ne comprenons pas la cause primaire de la somnolence de ces patients. Alors que ceci était vrai en 1950 lorsque le syndrome de Pickwick a été identifié, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Par contre, la raison pour laquelle seuls certains patients présentant des troubles ventilatoires du sommeil ressentent une somnolence diurne alors que d'autres ne l'éprouvent pas demeure un mystère, d'ailleurs analogue à notre incapacité à comprendre pourquoi certains patients atteint de pathologie coronarienne souffrent d'angor et d'autres non. Si l'on prend pour règle sémantique de réserver « syndrome » à des tableaux cliniques de mécanisme incompris ou à des associations physio-cliniques imparfaitement élucidées, il faut immédiatement reconnaître qu'il y a des exceptions à cette règle. Deux nous sont familières. Il s'agit du Syndrome d'Immuno-Déficience Acquise (SIDA) et du Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS). Dans ces deux cas, l'usage du mot « syndrome » est actuellement inapproprié, puisque l'on connaît l'étiologie, virale, des tableaux cliniques et biologiques en cause. Il s'agit en fait d'une survivance de la période ou la cause fondamentale de ces affections était obscure, et où, donc, « syndrome » était la terminologie correcte. L'identification de leurs pathogénies aurait du conduire à un changement de nom, reflétant le passage du statut de « syndrome » à celui de « maladie ». Cependant, en raison de leur sévérité et de leur nouveauté, les deux « syndromes » ainsi que leurs acronymes sont devenus rapidement célèbres, tant via la littérature médicale que via la grande presse et les médias grand public, et ce bien avant que leurs agents étiopathogéniques (virus de l'immunodéficience humaine et coronavirus, respectivement) ne soient identifiés. Changer la nomenclature aurait été déroutant et inutile, et l'usage du mot syndrome est resté. À mon avis, ces deux exemples devraient être considérés comme des exceptions à la règle, qui proviennent d'accidents historiques. Utiliser « syndrome » pour dénommer les formes symptomatiques des troubles ventilatoires du sommeil (« syndrome d'apnées obstructives du sommeil », « syndrome d'augmentation de résistance des voies aériennes supérieures ») présente un risque. En effet, la physiopathologie de la somnolence diurne est imparfaitement comprise, ce qu'illustre, par exemple, la faible corrélation entre somnolence et fréquence des évènements respiratoires anormaux pendant le sommeil ou entre somnolence et fréquence des éveils corticaux. En bref, nous ne savons pas pourquoi certains patients apnéiques sont symptomatiques et d'autres non. De plus, d'autres anomalies que les troubles ventilatoires du sommeil peuvent aussi être source de somnolence, comme les mouvements périodiques des jambes, la narcolepsie, ou une privation de sommeil « comportementale » 1 . L'incapacité dans laquelle nous sommes actuellement d'identifier les déterminants de la somnolence diurne n'implique en aucun cas que nous n'avons aucune idée de la physiopathologie des apnées obstructives du sommeil ou de la limitation du débit inspiratoire des situations de haute résistance des voies aériennes. Nous comprenons la cause des apnées obstructives du sommeil à un niveau assez fondamental 2 , en fait bien mieux que nous ne comprenons les mécanismes à l'oeuvre dans la narcolepsie et les mouvements périodiques des jambes. Pourtant, nous ne parlons pas de « syndrome de narcolepsie », ni de « syndrome des mouvements périodiques des jambes ». Restons simples et clairs. De nombreux patients ont des apnées obstructives du sommeil et une augmentation des résistances des voies aériennes supérieures. A peu près la moitié d'entre eux sont symptomatiques. Oublions donc les « syndromes » d'apnées obstructives du sommeil et de haute résistance des voies aériennes, et raisonnons en termes de « maladies » 3 un patient apnéique et somnolent fait l'hypothèse d'un lien de causalité entre les deux anomalies. 2. NDLR : bien qu'il demeure des incertitudes sur les processus, peut-être centraux, qui causent ou promeuvent les troubles ventilatoires du sommeil. 3. NDLR : il nous semble important de souligner l'importance de l'enjeu de cette discussion linguistique et du plaidoyer du Pr Remmers ; en effet, s'il est à peu près clair qu'il est utile de traiter ceux des patients présentant des troubles ventilatoires du sommeil qui sont somnolents, parce que cela améliore leur qualité de vie, il reste à démontrer qu'il est raisonnable de ne pas traiter les malades (et le terme est ici choisi sciemment) qui présentent ces troubles mais ne sont pas somnolents