key: cord-0811798-vavbh4a5 authors: Gilles, Thomas title: Psychopathologie de crise : chronique des tensions ordinaires en situation sanitaire extraordinaire. Phase 1 : la réorganisation anxieuse date: 2020-05-20 journal: Ann Med Psychol (Paris) DOI: 10.1016/j.amp.2020.05.003 sha: 1144db41f908b9c3a0011f8798a99b620509aeb8 doc_id: 811798 cord_uid: vavbh4a5 Résumé Les premiers mois de l’année 2020 sont marqués en France par une situation de crise sanitaire exceptionnelle. Dans l’urgence, l’ensemble des acteurs du soin sont appelés à se mobiliser afin de faire face à la crise. Entre l’angoisse liée à la contamination, les incertitudes concernant la menace, le réaménagement de l’outil de travail, la formation de nouvelles équipes et les modifications de la vie personnelle, les équipes hospitalières sont soumises à un effort d’adaptation majeur. Psychiatre exerçant au sein d’un hôpital d’instruction des armées (HIA) réorganisé pour faire face à la crise, nous avons interrompu la majeure partie de notre activité programmée pour nous rapprocher des services susceptibles d’accueillir des patients Covid afin de leur proposer un soutien psychologique. L’objet de ce propos est, après avoir fait l’inventaire des différents facteurs de stress que nous avons observés, de décrire les manifestations psychopathologiques individuelles et collectives constatées lors de cette période si particulière de préparation à la crise. Entre le normal et le pathologique, la mise en mot de cette psychopathologie ordinaire de l’exception nous paraît en effet être un préalable indispensable au maintien d’une distance nécessaire pour être thérapeutique et participer efficacement à la mise en place d’un dispositif de soutien psychologique adapté. Abstract Introduction: Humanity is facing a global pandemic at the start of 2020. The health systems of each country are reorganizing to cope with an influx of patients. This crisis reorganization is the source of psychological tension that can lead to symptomatic manifestations in many caregivers. This situation is similar in many points to that encountered by soldiers on external operations (loss of usual bearings, feeling of threat, focusing of attention on the crisis, deterioration of living conditions with limitation of the possibility of taking breaks). The aim of this work is to describe at the hospital level the changes in the professional and personal environment linked to the crisis likely to cause stress and then to describe the clinical manifestations observed both on an individual and collective level. Analysis of the situation: In this chapter, after having described the reorganization of the hospital in which we operate, we try to identify various factors likely to have psychological repercussions such as: the perceived urgency of the situation, the achievement of privacy, the reorganization of the work tool and the exercise of unusual tasks in newly formed teams, but also the fear of lack, the anxiety linked to contamination, the uncertainties linked to the threat. Clinical Description: In this chapter, we describe the clinical manifestations observed in the caregivers of the hospital in reaction to the crisis. Rather than decompensations, they are mainly anxious manifestations characterized by an increase in somatic concerns, an accentuation of verification rituals, an increase in snacking and the consumption of certain psychoactive substances (coffee, tobacco) and for certain people a character stiffening. On a collective level, it was mainly the misuse of social networks reflecting the group's anxieties (search for meaning and responsibility, need for certainty) that was observed. Conclusion: We then conclude with a description of the approach that led to the establishment of a support system by offering a graduated response, re-assessable over time, compatible with the maintenance of usual activity while maintaining a therapeutic distance. Les premiers mois de l'année 2020 sont marqués en France par une situation de crise sanitaire exceptionnelle. Dans l'urgence, l'ensemble des acteurs du soin sont appelés à se mobiliser afin de faire face à la crise. Entre l'angoisse liée à la contamination, les incertitudes concernant la menace, le réaménagement de l'outil de travail, la formation de nouvelles équipes et les modifications de la vie personnelle, les équipes hospitalières sont soumises à un effort d'adaptation majeur. Psychiatre exerçant au sein d'un hôpital d'instruction des armées (HIA) réorganisé pour faire face à la crise, nous avons interrompu la majeure partie de notre activité programmée pour nous rapprocher des services susceptibles d'accueillir des patients Covid afin de leur proposer un soutien psychologique. L'objet de ce propos est, après avoir fait l'inventaire des différents facteurs de stress que nous avons observés, de décrire les manifestations psychopathologiques individuelles et collectives constatées lors de cette période si particulière de préparation à la crise. Entre le normal et le pathologique, la mise en mot de cette psychopathologie ordinaire de l'exception nous paraît en effet être un préalable indispensable Les troubles psychiques liés aux temps de crise sont bien connus des psychiatres militaires. Les guerres sont pourvoyeuses de nombreuses décompensations psychopathologiques dont la description sémiologique s'est affinée avec l'évolution des conflits et des idées. Ainsi, au « syndrome du vent du boulet » des chirurgiens de la Grande Armée a succédé « l'hypnose des batailles » de Millian qui décrivait ainsi, en référence aux théories de Charcot, les états stuporeux observés sur les champs de bataille lors de la Première Guerre mondiale. Lors de la Seconde Guerre mondiale, la littérature principalement anglosaxonne différenciait le stress de combat (réaction aiguë et transitoire) de la fatigue de combat (épuisement progressif). Au lendemain de la guerre du Vietnam, le concept d'état de stress posttraumatique se diffusait dans la nosologie psychiatrique sous l'influence tout à la fois du lobbying des vétérans et de la diffusion du DSM-III [4] . En France, si le concept de névrose post-traumatique, pour reprendre la terminologie initiale d'Oppenheim, restait bien connu des psychiatres militaires, il était loin de recouvrir l'ensemble des manifestations psychiques observées durant et au décours des différents conflits qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale Page 3 of 10 J o u r n a l P r e -p r o o f 3 [5] . Dans les années 1990, la répétition des missions d'interposition entraîne la création d'un syndrome de stress du soldat de l'ONU qui se caractérise par la confrontation répétée à des scènes d'exaction avec un vécu d'impuissance dans un contexte de consignes de nonintervention. La notion de stress comme facteur de déstabilisation se décline alors dans les différents champs de la nosologie psychiatrique pour désigner les manifestations symptomatiques susceptibles d'être observées en missions extérieures (OPEX) [1] . Il s'agit de temps d'engagement courts (de quatre à six mois), avec une perturbation des repères habituels et une exposition permanente à des risques parfois peu prévisibles (ennemis mal identifiés, risque terroriste). Si les décompensations aiguës sont plutôt rares, représentées essentiellement par l'exacerbation et la décompensation d'un trouble anxieux [2] , la clinique opérationnelle retient des manifestations cliniques pauci-symptomatiques témoignant de la tension psychologique de crise. Sont ainsi décrites des fluctuations thymiques, un raidissement caractériel à l'origine d'une radicalisation des relations interpersonnelles, une majoration de la Voici en quelques mots une présentation de la réorganisation de l'hôpital dans lequel nous exerçons. Parmi les facteurs de stress à même d'accroître la vulnérabilité psychique des personnels soignants, le premier que nous retiendrons est la perturbation de l'ensemble des repères habituels de la vie personnelle qui va se produire très rapidement après l'annonce présidentielle. Avec la fermeture des écoles et des commerces, chacun doit se réorganiser pour faire face aux problématiques de gardes d'enfants, de suivi des devoirs et de gestion du quotidien. Cet effort d'adaptation se produit dans un contexte où les solutions de repli usuelles sont disqualifiées (risque de contamination des grands-parents). Le sentiment d'urgence est accru du fait de la multiplication dans les jours précédents des mesures sanitaires. À cette période, s'observent dans de nombreux pays des comportements irrationnels comme le stockage massif de denrées alimentaires ou de produits de première nécessité. Nous n'avons pas eu l'occasion de constater les troubles psychiques habituellement décrits dans les situations de catastrophe comme la panique, l'exode ou la désignation de bouc émissaire [3] . Les manifestations symptomatiques collectives se sont plutôt caractérisées par l'impératif de recréer du lien social à travers notamment l'usage intensif des réseaux sociaux. Outre la diffusion de médias (images, clips, maximes) à caractère humoristique, on notait la diffusion de médias témoignant d'une recherche de sens à l'épidémie (vengeance de la vie, Ainsi, dans le domaine du soutien psychologique on a vu paraître de multiples recommandations qui sur un mode prescriptif diffusaient les principes du bon confinement sans qu'à aucun moment on se questionne sur la légitimité de telles recommandations devant l'absolue nouveauté de la situation à l'échelle nationale limitant de fait la compétence des experts consultés… Reconnaissons au moins qu'elles ont permis de rappeler auprès du grand public quelques règles de bon sens tout en témoignant de la prise en compte de la dimension psychologique de la crise par les autorités sanitaires. Enfin, de nombreuses initiatives de soutien psychologique ou non aux soignants se sont multipliées à l'échelon national, régional ou local créant une certaine redondance dans l'offre de soins et de services (multiplication des numéros d'appels pour les familles, les soignants, les patients d'initiatives, privées, publiques, associatifs, dons divers, dépôts de nourriture etc..). Nous avons été appelés à proposer un soutien psychologique aux services cliniques qui devaient hospitaliser des patients atteints du Covid. L'objectif de ce chapitre n'est pas de présenter les mesures mises en place qui sont probablement similaires à la plupart des initiatives proposées dans de nombreux autres établissements, mais plutôt de présenter la réflexion qui a concouru à leur élaboration. Enfin, nous avons mis en place différents indicateurs permettant d'évaluer la manière dont les dispositifs étaient investis par les différents soignants ainsi qu'une réunion hebdomadaire de concertation permettant d'animer le réseau, de réfléchir à l'offre de soin et d'adapter la réponse. Ce travail de distanciation nous a paru nécessaire pour proposer une réponse graduée et adaptée en se concentrant sur notre coeur de métier, sans céder à la tentation de vouloir endosser le rôle d'expert du soutien psychologique qui nous était proposé . Nous pensons que ce témoignage peut être utile pour anticiper d'autres crises Déclaration de liens d'intérêts : L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts Psychiatrie militaire en situation opérationnelle Collection scientifique de la revue Médecine et Armées et de la société Française de Médecine d'Armées Le stress au sein de la population militaire : du stress opérationnel à l'état de stress post-traumatique Aspects Psychiatriques et Psychopathologiques actuels Les traumatismes psychiques