key: cord-0809412-sczmyxik authors: Guidet, B. title: Questions éthiques soulevées par la crise Covid – 1er mars 2021 date: 2021-02-28 journal: La Presse Médicale Formation DOI: 10.1016/j.lpmfor.2021.03.001 sha: c07538805b9dc64ba6ed50ab774a18e195141a03 doc_id: 809412 cord_uid: sczmyxik nan La crise sanitaire liée au SARS-Coronavirus-19 soulève de multiples questions éthiques. La discussion est rendue particulièrement difficile par les nombreuses incertitudes sur l'épidémiologie générale, la pénétration des nouveaux variants, la rapidité et la qualité de la vaccination, la capacité des hôpitaux et singulièrement des secteurs de soins critiques à répondre à la demande, l'acceptabilité sociale des mesures de restriction de liberté (couvre-feu, confinement), enfin les conséquences indirectes pour les patients non-COVID ainsi que pour la population générale (décrochage scolaire, dépression, précarisation, perte d'emploi, . . ..). L'intrication de ces différents niveaux est schématisée dans la figure 1. Ainsi, si l'hôpital avait des capacités d'extension non limitée, les mesures de restriction pourraient être moins drastiques, voire nulles. Les grands principes éthiques de respect de l'autonomie de la décision et d'approche égalitaire sont mis à mal dans des situations de tension sur les lits. Une approche utilitaire suggérant de prioriser certains patients par rapport à d'autres a pu être dénoncée de ce fait. La question de l'accès à la réanimation a été au coeur des débats. Or, cette discipline est relativement inconnue du grand public. Il faut donc faire acte de pédagogie pour expliquer les bénéfices potentiels d'un séjour dans un service de réanimation ; mais aussi ses limites. L'admission en réanimation n'est pas synonyme de survie à 100 % ; et la prise en charge dans une structure plus légère (unité de soin continu [USC] ou salle) n'équivaut pas à une condamnation à 100 %. Afin de faire face à l'augmentation brutale des besoins en lits de réanimation, la réponse a été double avec : d'une part, une augmentation des lits de soins critiques ; et d'autre part, une réflexion sur les critères d'admission. Lors de la première vague de l'épidémie, au printemps 2020, les difficultés étaient multiples, avec un manque de matériel et une tension sur certains médicaments. En revanche, des ressources humaines ont pu être mobilisées, notamment par la déprogrammation d'activités chirurgicales permettant de redistribuer des personnels soignants du secteur des blocs et des salles de soins postinterventionnelle (SSPI) vers des « néo réanimations », avec, pour l'Ile de France et la Région Est, le renfort de soignants venant d'autres régions de France. La situation est très différente pour la deuxième et potentiellement la troisième vague. Certes les problèmes de pénurie de matériel biomédical sont moindres, avec plus de respirateurs, de pousses seringues électriques, de matériel à usage unique et d'équipement de protection (masque, sur blouse). En revanche, il y a une tension majeure sur les ressources humaines. Une partie des personnels soignants hospitaliers mobilisés lors de la première vague n'a pas été rémunérée ; et les sociétés d'interim auxquelles il est fait appel ne répondent pas à la demande. Les infirmières sont fatiguées et ne peuvent plus faire autant d'heures supplémentaires. On ne peut plus compter sur les renforts d'autres régions car toute la France est touchée à des degré divers. De plus, dans le cadre du Ségur de la santé, aucune mesure spécifique n'a été prise pour valoriser le personnel travaillant en réanimations. Enfin, les établissements de soins réduisent la déprogrammation car il est clairement apparu des pertes de chance pour des malades non-COVID dont les interventions ont été décalées, notamment pour les patients atteints de cancer [1] . Il faut enfin noter que l'augmentation excessive du nombre de lits de réanimation s'accompagne inéluctablement d'une réduction de la qualité des soins [2] . Dans la situation actuelle de saturation des hôpitaux, et particulièrement des lits de réanimation, la seule possibilité est d'établir des critères de priorisation d'accès. La projection d'un relatif déficit de lits de réanimation, pose la question des règles suivantes. En situation normale, le principe égalitaire doit s'appliquer : les patients pouvant bénéficier des soins de réanimation doivent pouvoir être admis sans considération d'âge, de conditions sociales, de religion, . . .. Ce principe éthique, rappelé par le Comité Consultatif National d'Ethique (CCNE) le 17 novembre 2020, est mis à mal lorsque les capacités d'admission sont dépassées. Dans la situation caricaturale où il n'existerait plus qu'un seul lit libre de réanimation, l'application stricte du principe égalitaire conduirait à un choix par tirage au sort ou à adopter le principe du premier présent -premier admis. L'intégration de facteurs de choix s'apparente à une approche utilitaire qui est dénoncée par certains. Ainsi, on peut schématiquement identifier trois situations : « la bonne », où les pratiques ne sont pas remises en question ; « la mauvaise », où les capacités d'admission ont été augmentées (voir supra) ; « l'affreuse », où les capacités de réanimation sont dépassées et qui demande des choix ne relevant plus de la médecine mais de la société [3] . La question fondamentale est l'évaluation du rapport bénéficerisque. Notre obsession est d'éviter à tout prix les pertes de chances. En miroir, il ne faut pas admettre en réanimation un(e) malade qui ne va pas bénéficier des traitements lourds, invasifs, douloureux pour elle ou lui et sa famille (obstination déraisonnable). La décision de ne pas admettre un patient en réanimation peut s'apparenter à une décision de limitation des traitements. Il faut rappeler les grands principes éthiques en insistant sur les spécificités de la réanimation. Des recommandations ont été élaborées par des médecins issus des trois spécialités en première ligne dans la crise COVID : Médecine Intensive Réanimation ; Anesthésie-Réanimation et Médecine d'Urgence [4] . La décision reste de la responsabilité d'un seul médecin, mais elle est prise en concertation avec l'équipe soignante : c'est le principe de la collégialité. Les volontés et valeurs du patient doivent être respectées : c'est le principe d'autonomie. L'état antérieur du patient conditionne son risque de décès et sa capacité à faire face à l'agression que constitue un séjour lourd de réanimation. Parmi les multiples facteurs proposés, l'âge a été utilisé comme facteur de « sélection ». Cette approche fondée sur ce seul critère est jugée discriminatoire car pouvant s'apparenter à du sectarisme racisme « antivieux » (âgisme). Intrication des différents niveaux de la crise COVID B. Guidet tome 2 > n81P1 > février 2021 D'ailleurs, la société américaine de gériatrie a affiché son opposition formelle à l'utilisation du critère de l'âge comme facteur devant être considéré dans le tri à l'admission en réanimation en période de crise COVID [5] . L'âge n'est qu'un chiffre et ne préjuge pas en soi de la réponse à une prise en charge en réanimation [6] . Il faut considérer le patient âgé dans sa globalité et s'aider d'outils d'évaluation élaborés en médecine gériatrique. La démonstration du bénéfice de la réanimation pour les personnes âgées reste à faire. En dehors de la crise COVID, dans une étude prospective, randomisée, en cluster, nous n'avons pas démontré le bénéfice d'une stratégie d'admission systématique chez des patients de plus de 75 ans, versus une stratégie basée sur les pratiques habituelles. Le critère de jugement principal était la mortalité à 6 mois, mais des critères qualitatifs (perte d'autonomie et qualité de vie perçue) ont également été pris en compte [7] . Dans une étude multicentrique européenne, nous avons montré que le poids de la fragilité évaluée par l'échelle Clinical Frailty Scale (CFS) était plus important que l'âge pour prédire la mortalité à un mois après l'admission en réanimation [8] . Ainsi, même si l'âge est un facteur de risque indépendant de mortalité (encore plus dans le cas de la COVID-19), l'âge seul ne doit pas être utilisé pour « sélectionner » les malades devant être admis en réanimation. L'ajout d'autres facteurs d'évaluation gériatriques en plus du CFS n'ajoute rien à la prédiction [9] . Le recueil systématique du CSF chez une personne âgée est ainsi proposé en Grande Bretagne. Pour les patients jugés trop graves pour être admis en réanimation, il faut pouvoir proposer une admission dans une structure d'hospitalisation de soins palliatifs. Ces soins doivent être respectueux de la personne et de sa dignité. La décision d'orientation d'un patient COVID vers un secteur de soins critiques, vers la salle ou une unité de soins palliatifs, est probablement l'une des plus difficiles à prendre. Les conditions sont parfois particulièrement difficiles : en urgence, sans directives anticipées, sans la présence de la famille, sans accès possible au médecin traitant. Afin de réduire l'hétérogénéité des décisions et de respecter le principe de justice distributive, des recommandations sont utiles. Dans tous les cas, une communication claire, loyale et sincère doit être assurée avec l'entourage et les proches, première étape de leur accompagnement. Le débat sur l'accès aux services de réanimation en situation de crise sanitaire fait rage en Europe et aux USA, avec des mises en accusation des médecins mais aussi des gouvernements par des groupes de personnes se jugeant stigmatisés et défavorisés. Il faut faire oeuvre de pédagogie en expliquant ce qu'est la réanimation, ce que l'on peut en attendre. Le terme de tri (ou triage des anglo-saxons) est impropre, car la décision d'orientation est révisable en fonction de l'évolution du malade. Un malade initialement admis en réanimation et s'aggravant peut faire l'objet de décisions de limitation/arrêt de traitement [10] ; et un patient initialement admis en salle peut être secondairement transféré en réanimation. Il ne s'agit donc pas d'un tri définitif comme sur le champ de bataille. La crise COVID a exigé une adaptation de l'offre de soins et des critères d'admission en situation de tension extrême sur les lits disponibles. La grande différence avec un plan blanc classique est la durée de l'effort demandé aux personnels médicaux et soignants. Mortality due to cancer treatment delay: systematic review and meta-analysis Triage policy of severe Covid-19 patients : what to do now? The good, the bad and the ugly: pandemic priority decisions and triage Admission Decisions to Intensive Care Units in the Context of the Major Covid-19 Outbreak: local guidance from the COVID-19 Paris-Region Area AGS Position Statement: Resource Allocation Strategies and Age-Related Considerations in the COVID-19 Era and Beyond Age is just a number: how should we triage old patients in the coronavirus disease 2019 pandemic? European Effect of systematic intensive care unit triage on longterm mortality among critically ill elderly patients in France: a randomized clinical trial The impact of frailty on ICU and 30-day mortality and the level of care in very elderly patients (80 years) The contribution of frailty, cognition, activity of daily life and comorbidities on outcome in acutely admitted patients over 80 years in European ICUs: The VIP2 study Withholding or withdrawing of life sustaining therapy in very elderly patients ( 80 years) admitted to the Intensive Care Unit