key: cord-0806483-dptfw608 authors: Tarquinio, Cyril title: COVID quand tu nous tiens ! date: 2020-09-30 journal: European Journal of Trauma & Dissociation DOI: 10.1016/j.ejtd.2020.100175 sha: 21ab1761c773b738cc6dd0ff6030c27d91cb72c1 doc_id: 806483 cord_uid: dptfw608 nan É ditorial COVID quand tu nous tiens ! The powerful hold of Quel que soit leur domaine de recherche ou d'intervention, toutes les disciplines se sont mises en ordre de marche afin de lutter, chacune à leur maniè re, contre la COVID et ses effets sur la santé physique et psychologique. Dans la population gé né rale, Brooks et al. (2020) ont rappelé que le placement en quarantaine avait des consé quences à long terme sur la santé psychique des personnes (Newman, 2012) : flé chissement de l'humeur, hyperré activité au stress, irritabilité , peur, colè re, insomnie, voire même symptômes de stress post-traumatique (Reynolds et al., 2008 ; Sprang & Silman, 2013 ; Yoon, Kim, Ko, & Lee, 2016) . Un ensemble d'é tudes s'est é galement inté ressé aux effets psychologiques de la COVID sur les personnes infecté es (Bo et al., 2020 ; Rogers et al., 2020 ; Xiao, 2020 ; Xiao et al., 2020 ; Wang et al., 2020) . Au regard des quelques donné es disponibles (Wang et al., 2020) et des observations des cliniciens, il apparaît que cette maladie vient bouleverser profondé ment l'é quilibre psychoé motionnel des malades. Les mé canismes mis en avant sont en lien avec les symptômes que la maladie impose (fiè vre, douleurs, courbatures, diarrhé e, augmentation du rythme cardiaque, fatigue, oppression. . .). Les problè mes respiratoires associé s au sentiment d'é touffer, la vision d'autres malades en dé tresse majeure ou dé cé dé s sous leurs yeux, le souvenir du passage dans les services de soins intensifs, la respiration assisté e sous sé dation, puis les symptômes physiques qui ne s'estompent jamais vraiment ont gé né ré chez les malades dé tresse, angoisse, dé pression, voire même pour certaines é tudes la pré sence de manifestations posttraumatiques (Liu et al., 2020) . Même si nous ne disposons pas encore du recul suffisant pour é valuer les dimensions psychopathologiques que la crise sanitaire a gé né ré plusieurs constats peuvent être faits quant aux investigations et à l'inté rêt qu'a suscité la COVID pour notre discipline. Au moins deux aspects mé ritent d'être souligné s. En premier lieu, toute la communauté scientifique a é té té moin de cette course effré né e à la publication qui a conduit à une production importante de donné es dont la porté e peu parfois nous interroger. En second lieu, il semble qu'une analyse trop rapide du vé cu psychique de cette maladie, ait conduit à considé rer ce phé nomè ne comme un é vè nement traumatique comparable à ce que nous connaissions dé jà . Peut-être avons-nous sous-estimé la spé cificité de cette crise sanitaire qui pourrait quelque peu challenger l'idé e même que nous nous faisons de ce qu'est un é vé nement traumatique et de ses consé quences : une course effré né e et iné dite à la publication : quels que soient les effets ré els immé diats, voire diffé ré s de la COVID sur les personnes, il semble encore difficile d'y voir clair ! En effet, malgré le nombre croissant de travaux publié s ces derniers mois (20 000 publications environ -Web of Science -sans compter le nombre d'articles publié s en ligne en « pré -print »), on est en droit de se sentir mal à l'aise quant à la porté e des ré sultats publié s par les chercheurs. Tout se passe comme s'il fallait publier à tout prix et produire des donné es, peu importe le sens qu'on leur attribue. . . Les affaires du Lancet et du New England Journal of Medicine (Mandeep et al., 2020) relatives à ces articles publié s avec empressement, puis retiré s, qui attestaient de la non-efficacité de la chloroquine, en sont une illustration parfaite dans le champ des sciences mé dicales. Les plus grands chercheurs et même les plus grandes revues ont é té un temps obsé dé s par cette course à l'exclusivité 1 ! L'empressement à publier le premier a conduit la plupart des chercheurs en psychologie à se cantonner à une vision é pidé miologique des phé nomè nes. Il s'agit le plus souvent de considé rations descriptives où l'on s'est attaché à solliciter les ré ponses de populations diverses (malades, soignants, population gé né rale. . .) à une quantité incalculable de questionnaires. Le nombre de ces questionnaires (stress, dé pression, anxié té , qualité de vie, TSPT. . .) utilisé s de maniè re contingente dans une même é tude est à cet é gard souvent proportionnelle à la faiblesse du contexte problé matique pris en compte par ces travaux. Les concepts ne sont globalement même pas articulé s les uns aux autres, ce qui donne à cette litté rature une impression d'inventaires hé té rogè nes, si ce n'est de superficialité aussi dé concertante que dé cevante ! Confinement oblige, ces European Journal of Trauma & Dissociation 4 (2020) 100175 é tudes ont le plus souvent é té ré alisé es en ligne (ce qui n'est pas sans biais) et leurs auteurs n'ont même pas pris les pré cautions né cessaires pour donner sens à leurs ré sultats et les inscrire dans une perspective compré hensive et clinique susceptible de leur donner un peu d'é paisseur. Sans doute est-il trop tô t ? Sans doute faudra-t-il un peu de recul salutaire pour permettre à la communauté scientifique de mieux comprendre ce qui s'est vraiment passé (et se passe encore !) avec cette crise sanitaire, pour être en mesure de produire des recherches avec une porté e plus heuristique et plus utile pour la compré hension et la prise en charge des personnes touché es de prè s ou de loin par cette maladie. On constatera alors par exemple que cette crise sanitaire a mis en difficulté nos patients les plus fragiles, notamment ceux qui avant la survenue de ce virus souffraient dé jà de maladies psychiatriques chroniques. Ces derniers ont durant toute une pé riode é té dé laissé s par les restrictions de visite, dé laissé s par l'impossibilité de poursuivre le travail psychothé rapeutique alors même que l'environnement é tait anxiogè ne. Ce contexte de ré duction des soins psychiques fut en soi une é preuve dont nous n'avons pas fini de mesurer les consé quences sur des populations dé jà é prouvé es, qui avec la survenue d'une possible seconde vague de contamination et peut-être de renouvellement du confinement pourraient ne pas se relever ! Parlons é galement des effets qu'a pu avoir la mise en place quasi-systé matique de la té lé consultation. Une transformation si brutale du cadre thé rapeutique n'avait jamais eu lieu dans notre discipline et on est en droit de se demander quels en ont é té les effets ? la COVID un é vé nement traumatique spé cifique : une des questions la plus sujette à caution est de savoir ce qui fait trauma dans la COVID. La ré ponse sera bien entendue diffé rente selon que l'on parle : des soignants confronté s à la mort de leurs patients et qui risquaient leur vie en allant la gagner, d'une partie la population gé né rale dont les anté cé dents expliquent que cette pandé mie a fait fonction de dé clencheurs, ré activant ainsi massivement leur vé cu traumatique ou au contraire, mettant en é chec les straté gies dé fensives qui jusque-là leur permettaient un fonctionnement relativement bien adapté , des malades de la COVID eux-mêmes hospitalisé s pour certains en service de ré animation et qui ont failli mourir et qui une fois sortie de l'hôpital se sont retrouvé s confronté s à des manifestations physiques multiples, signes d'une santé qui leur é chappait, des malades chroniques (cardiopathie, diabè te, MICI. . .) qui ont par peur du virus dé serté les services hospitaliers et qui durant des semaines se sont retrouvé s seuls avec leur maladie, coupé s le plus souvent des services de soin. Avec la COVID, les choses s'accumulent les unes aux autres au fil des é volutions et des involutions de la maladie. L'espoir fait souvent place à la peur et au pessimisme. À cet é gard, il existe d'autres situations d'insé curité chronique que notre discipline connaît bien comme la guerre, la situation des ré fugié s, des migrants ou des enfants placé s. Et l'on sait par expé rience, que le spectre psychotraumatique dans ce genre de situation est bien plus large que le TSPT. Une piste peut-être envisageable consisterait à parler de situation extrême subie (SES) plutô t que d'é vé nement traumatique, afin de rendre mieux compte de la complexité des phé nomè nes en jeu qui ne limitent pas leurs consé quences au seul TSPT. Ces SES dé signent un ensemble d'é vé nements qui plongent des personnes ordinaires dans des conditions radicalement diffé rentes de celles de leur vie habituelle. Dans tous les cas, ce sont des é vé nements qui bouleversent la vie et menacent directement notre existence. C'est dans ce sens que Bettelheim (1979) a utilisé le terme de « situation extrême » afin de dé signer l'expé rience des prisonniers dans les camps nazis. Selon lui, nous nous trouvons dans une situation extrême quand nous sommes soudains catapulté s dans un ensemble de conditions de vie où nos valeurs et nos mé canismes d'adaptation anciens ne fonctionnent plus et que certains d'entre eux mettent en danger la vie qu'ils é taient censé s proté ger. Nous sommes alors pour ainsi dire dé pouillé s de tout notre systè me dé fensif et nous touchons le fond ; nous devons nous forger un ensemble d'attitudes, de valeurs et de façons de vivre selon ce qu'exige la nouvelle situation. Plusieurs aspects caracté risent les SES. Tout d'abord, il s'agit la plupart du temps d'é vé nements qui surviennent de maniè re brutale et soudaine, marquant ainsi une rupture radicale avec toute forme anté rieure d'existence. Ces situations, comme c'est le cas avec la COVID imposent des changements tels que les individus ne disposent plus des ressources habituelles (maté rielles, psychologiques, sociales, symboliques). Autrement dit, ils ne sont pas pré paré s à affronter de tels bouleversements. En effet, les apprentissages anté rieurs, les acquis de l'expé rience sont pour la plupart dé faillants, car la vie ordinaire nous apprend seulement à faire face à ce qui est routinier et pré visible. Elle ne nous pré pare pas à l'impré visible que le quotidien entretient, laissant chacun dans une situation d'incontrolabilité perçue, dé lé tè re pour la santé . Concernant la nature des bouleversements en jeu, ce ne sont pas seulement les conditions maté rielles habituelles qui posent problè me, c'est aussi notre maniè re de percevoir les é vé nements et notre propre vie qui s'effondrent. Dans la perspective adopté e ici, ces diffé rentes formes de bouleversements se cristallisent autour d'un é lé ment central et invariant, à savoir qu'il met directement la vie en danger. Une des dimensions qui caracté rise l'extrême subi et dont on ne parle pas assez est la peur de l'inconnu (fear of the unknown). Cette peur de l'inconnu que Carleton (2016) dé finit comme « la propension d'un individu à é prouver une peur causé e par le manque ou l'absence d'informations. . . » ; de même, l'intolé rance à l'incertitude sera dé finie comme « l'incapacité d'un individu à supporter la ré action aversive dé clenché e par le manque d'informations importantes, clé s ou suffisantes, et soutenue par le sentiment d'incertitude ». (Carleton, 2016) . Il existe une large congruence des travaux indiquant à quel point la peur de l'inconnue est aversive, plus encore peut être que la peur de la mort ou de la douleur (Carleton, 2016) . Joshi et Schultz (2001) la considè rent même comme la plus ancienne et la plus forte é motion de l'humanité , tant ses pouvoirs pathogè nes et destructeurs sont importants et attesté s par la litté rature (Bach & Dolan, 2012 ; Jackson, Nelson, & Proudfit, 2015) . De ce point de vu, Schimmenti et al. (2020) Nous sommes face à l'extrême lorsqu'un é vé nement comporte, d'une maniè re ou d'une autre, un risque ré el de mort et pas seulement une situation vé cue comme menaçante pour la vie. Ainsi, la COVID doit être considé ré e comme une SES non seulement parce que cette maladie comporte un tel risque vital, mais parce qu'elle introduit é galement un ensemble de fractures dans l'expé rience de vivre. Parmi ces lignes de fractures, il y a celle de la temporalité . En effet, l'extrême impose une toute autre maniè re de vivre le temps ; le temps ordinaire est stoppé , il devient sans horizon et parfois sans issue l'individu fait alors l'expé rience é prouvante de sa propre finitude. Notre vie a une fin. Une deuxiè me ligne de fracture se ré vè le au niveau de l'identité . Dans de telles situations on se retrouve dé pouillé s de toutes les coquilles protectrices qui assuraient leur stabilité et les insé raient jusque-là dans des trames qui balisaient leur chemin individuel et social. Ce dé chirement de l'identité est lié à l'é clatement des cadres de ré fé rence qui nous ont fabriqué s socialement à travers la conformité aux normes, la ré ponse aux attentes sociales, la dé pendance aux pressions du groupe et de la socié té . Cette expé rience de la COVID peut alors s'envisager comme une expé rience de passage, non seulement d'un é tat à un autre, mais de passage inté rieur vers nous-mêmes où se joue notre propre refondation, à partir d'autres repè res, d'autres certitudes puisé es au fond de notre âme et qui dé finissent ce que vivre signifie dé sormais pour nous. Ainsi, le nombre de publications relatives à la COVID semble proportionnelle au niveau de mé connaissance que nous avons du phé nomè ne. C'est vrai pour les sciences mé dicales et c'est aussi le cas pour notre discipline. Il nous faudra donc du temps pour mieux comprendre ce qui est en train de se transformer dans notre socié té et chez les individus eux-mêmes depuis cette crise sanitaire. D'une certaine maniè re le visage de l'ennemi a changé . Si nos gé né rations n'ont pas connu la guerre, en revanche, elles ont fait ces derniè res dé cennies l'expé rience des attentats et maintenant d'une é pidé mie dont personne n'avait anticipé l'ampleur. Si l'ennemi a changé donc, sans doute alors sera-t-il utile et né cessaire de faire é voluer notre arsenal thé orique afin de mieux le nommer et saisir avec plus de pré cision la porté e de son influence psychopathologique sur les diffé rentes caté gories psychosociales qui l'ont l'affronté et l'affronteront demain encore. Si l'enjeu est passionnant, il reste né anmoins de taille, gageons que notre discipline saura être au rendez-vous ! L'auteur dé clare ne pas avoir de liens d'inté rêts. Knowing how much you don't know: A neural organization of uncertainty estimates Surviving and other essays The psychological impact of quarantine and how to reduce it: Rapid review of the evidence Into the Unknown: A review and synthesis of contemporary models involving uncertainty In an uncertain world, errors are more aversive: Evidence from the error-related negativity Respiratory rehabilitation in elderly patients with COVID-19: A randomized controlled study Cardiovascular disease, drug therapy, and mortality in Covid-19 Hydroxychloroquine or chloroquine with or without a macrolide for treatment of COVID-19: A multinational registry analysis Shutt up: Bubonic plague and quarantine in early modern England Understanding, compliance and psychological impact of the SARS quarantine experience Psychiatric and neuropsychiatric presentations associated with severe coronavirus infections: A systematic review and meta-analysis with comparison to the COVID-19 pandemic Multidimensional assessment of COVID-19-related fears (MAC-RF): A theory-based instrument for the assessment of clinically relevant fears during pandemics Posttraumatic stress disorder in parents and youth after health-related disasters A longitudinal study on the mental health of general population during the COVID-19 epidemic in China A novel approach of consultation on 2019 novel coronavirus (COVID-19)-related psychological and mental problems: Structured letter therapy The effects of social support on sleep quality of medical staff treating patients with coronavirus disease 2019 (COVID-19) in January and February 2020 in China System effectiveness of detection, brief intervention and refer to treatment for the people with post-traumatic emotional distress by MERS: A case report of community-based proactive intervention in South Korea