key: cord-0792309-sxiotsku authors: Potel, C. title: Les psychomotriciens dans la tourmente du COVID : retours sur la période mars/juin 2020 date: 2020-11-12 journal: Neuropsychiatr Enfance Adolesc DOI: 10.1016/j.neurenf.2020.10.008 sha: e8fcd2376901ee1108f792f724f2a10b6c01e7fd doc_id: 792309 cord_uid: sxiotsku nan Les psychomotriciens, à l'égal de bien des soignants, se sont impliqués dans cette période inédite du confinement qui, de par son caractère d'urgence et d'imprévisibilité, restera marquée dans nos esprits comme étant l'évènement majeur de ce début du 21 e siècle inaugurant un tournant définitif pour l'humain de notre monde contemporain. Nous vivions encore dans l'illusion d'un progrès et d'une évolution constante, illusion certes entamée par les menaces d'un changement climatique, annoncé pourtant depuis les années 50 par des esprits éclairés mais si peu entendus. Dix-sept mars 2020 : il nous a fallu tous rester chez nous, seule protection contre l'attaque virale de la COVID 19. Comment faire pour rester dans une position de soignants et ne pas abandonner les enfants, les adolescents, les adultes dont nous avions la responsabilité ? Quel impact sur notre travail de psychomotriciens, nous qui avons la particularité d'être -dans nos pratiques comme dans nos objectifs -à la croisée du corps action et du psychique incarné ? Le mot d'ordre général a été de garder les contacts, garder les liens. C'est ce que les psychomotriciens ont fait, mais ceci a demandé de bouger les lignes : inventer de nouveaux outils et convoquer une technologie moderne fort peu habituelle en psychomotricité puisque nos pratiques reposent sur le mouvement, l'espace, la temporalité, la sensorialité, l'expérimentation, le charnel et l'implication corporelle, autant chez le thérapeute que chez le patient. Un corps dans l'expérience. Passée la sidération des premiers jours, chacun de sa place, chacun de son lieu, a paré au plus urgent : prendre des nouvelles, téléphoner, se rendre présent. Mais au-delà de cette présence active et chaleureuse dont tous les thérapeutes ont témoigné, comment faire pour garder sa spécificité et rester dans sa position « technique » et relationnelle, pour éviter la confusion, tant pour les patients -qui ont tant besoin d'avoir en face et avec eux des personnes confirmées dans leur identité professionnelle -que pour les thérapeutes-qui ont tout autant besoin de leurs repères pour structurer leurs actions thérapeutiques. Cette période de confinement nous a tous fragilisé, rien n'a été simple. Ce texte -écrit pour participer à l'effort de réflexion que ଝ Intervention du vendredi 18 septembre 2020. SFPEADA. Adresse e-mail : c.Potel@Free.Fr la SFPEADA nous a invités à faire ce vendredi 18 septembre -s'est construit à partir de divers témoignages. Je n'ai pas voulu parler de moi -j'ai, comme tout un chacun, trouvé différents chemins pour continuer dans mon exercice libéral, à aider mes patients -mais j'ai tenu au contraire à recueillir des avis et des vécus, auprès de psychomotriciens intervenant dans différents secteurs : hôpital de jour enfants ou adolescents, CMP, CMPP, hôpital pédiatrique, . . . Dire combien nous avons bien travaillé et comme nous avons été formidables, serait peu intéressant. Par contre, tenter de dégager ce qui -de cette période traumatique aujourd'hui encore loin d'être terminée -s'est adapté en nous et ce qui peut éventuellement nous ouvrir sur d'autres perspectives de soin, sans pour autant renoncer à nos fondamentaux psychomoteurs, me paraît intéressant. Dans ce texte, j'ai cherché à retranscrire les difficultés auxquelles ont été confrontés les psychomotriciens dans différents secteurs d'activité, ainsi que la mobilisation dont ils ont dû faire preuve, une mobilisation autant psychique que pratique. Il a fallu du temps pour d'adapter, du temps pour qu'une vitesse de croisière -petite mais néanmoins existante -puisse se trouver. La première quinzaine de mars a été houleuse et bousculée. Des repères se sont progressivement installés, et mi-avril jusqu'au dé confinement, la plupart des psychomotriciens ont pu retrouver une certaine assurance et sécurité dans leurs actions. Mais il est certain que cette période aura eu des conséquences sur le futur et nous aura propulsé, qu'on le veuille ou non, dans des pratiques inédites avec les réflexions qui leur sont associées. Dans nos pratiques psychomotrices, le terme même de télétravail n'existait pas, et n'était même pas concevable. La notion de « présentiel » -terme totalement nouveau -n'existait pas puisqu'il allait de soi qu'en psychomotricité, le corps était présent, dans le présent de l'espace comme dans le présent de sa sensorialité. Toute pratique psychomotrice ne pouvait se concevoir que dans une relation de présence. De même, à la différence des psychologues pour qui les consultations téléphoniques existent depuis longtemps, celles-ci ne faisaient pas partie de l'exercice des psychomotriciens. Il y a donc eu là comme un coup de Trafalgar, une évidence praticienne mise https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2020.10.008 0222-9617/© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en impossibilité, au moins un temps, avant que la révolution numérique psychomotrice ne parvienne à s'entrevoir ! En ambulatoire, pourtant, le télé travail, notamment téléphonique, s'est installé assez naturellement. Parfois, « tranquillement » quand chacun a « gardé » ses propres patients, en lien avec les consultants, bien entendu. Parfois dans l'urgence, quand il fallait pallier aux absences et arrêts dans les équipes. Il a pu y avoir alors des glissements de places et une distribution des liens téléphoniques faites un peu « à la va-vite ». Pour ceux qui ont contacté régulièrement leurs propres patients, le lien téléphonique est resté le mode privilégié pendant toute la durée du confinement. Il a pu évoluer aussi vers des visio séances psychomotrices, ce qui s'est avéré riche, surprenant. Finalement la créativité a été au rendez-vous, autant chez les enfants que chez leur thérapeute. Des livrets et recueils ont été transmis aux familles via leurs mails, qui regroupaient des jeux, des histoires, des situations toutes propices à une « animation familiale psychomotrice ». Les psychomotriciens libéraux ont été particulièrement créatifs dans cette création de recueils. La SFPEADA, sur la suggestion de Daniel Marcelli, a d'ailleurs diffusé un recueil de situations psychomotrices, via son site. En hôpital de jour en pédopsychiatrie ou en institution hospitalière de soin somatique, la situation a été plus tendue. La souffrance au travail a été non négligeable et dénoncée par les psychomotriciens, étant donné le flou de leur statut dans ces conditions si particulières et jamais encore envisagées. Au début du confinement, certains se sont vus interdire le télétravail, celui-ci étant réservé aux seuls psychologues. Le télétravail pour les rééducateurs posait problème. Il a fallu « justifier » les heures pour que ce télétravail soit reconnu, alors même que les psychomotriciens travaillant chez eux, utilisaient leur propre matériel, leur téléphone portable, fixe ou leur ordinateur. Suspicion, manque de confiance et de considération, hiérarchisation des rôles soignants, notamment la très nette différence faite entre les psychologues et les rééducateurs : ceci a ravivé sans doute, dans certains services, des questions restées en suspens, comme celle par exemple de la valorisation des psychothérapies aux dépends des thérapies dites rééducatives. Ce terme de rééducation reste un débat parfois très sensible, dans le secteur de la psychiatrie. D'autres, en tant que « réservistes », ont été envoyés dans des secteurs ou services où ils n'étaient jamais allés, faire des « animations » ou prendre des rôles de soutien administratif (secrétariat). Le sentiment d'injustice, voire de déqualification professionnelle, a contribué à l'épuisement des soignants psychomotriciens. Enfin, certains services ont souffert dans leurs équipes de pertes humaines dues à la Covid, et ceci a été traité presque avec banalité, dans un déni institutionnel de l'épidémie, avec une mise en danger des soignants et des patients. Rappelons-nous, en mars, personne n'avait encore de masque. Bref, si la créativité a imprimé sa marque dans cette période si difficile, la violence institutionnelle a été également très présente. Puis peu à peu, le télétravail en psychomotricité s'est développé. Une nouvelle phase s'est alors installée. Les enfants hospitalisés ont vécu douloureusement cette période confinée qui les empêchait de voir leur proche. Le port en continu du masque a beaucoup impacté la qualité de la relation, notamment chez les plus petits. Les plus grands ont manifesté leur tension, anxiété, frustration et colère. Ne pas pouvoir partir en per-mission en week-end ou en sortie, par exemple, ne pas recevoir de visite, était vraiment difficile, d'autant que les chez professionnels, la place de la gestion des stocks de matériel (gants, masques, blouses) prenait beaucoup de place dans les esprits. Dans les services de pédopsychiatrie, en consultation ambulatoire ou hôpital de jour, les appels téléphoniques réguliers ont été très précieux, notamment dans les moments de crise. Les questions les plus fréquentes des parents concernaient la gestion du temps scolaire, la gestion de troubles du comportement (fortes colères, opposition, troubles du sommeil, de l'alimentation, isolement dans le noir.). Les parents demandaient des idées d'activités en famille, pour la fratrie, ou pour l'enfant seul. C'est ainsi que les supports psychomoteurs ont été d'un grand secours. Que ce soit par téléphone ou en visio, les séances de psychomotricité ou de relaxation ont été efficaces, chez les enfants mais aussi chez les adolescents en grande demande. Quand les familles possédaient un ordinateur, les recueils et livrets ont été très bien accueillis. Il est intéressant d'ailleurs, de constater le nouvel intérêt des parents pour une psychomotricité qu'ils ne comprenaient pas toujours auparavant, et qui s'en est trouvé clarifiée, dans cette situation « improvisée » au cours de cette période de crise sanitaire. Les séances en visio ou par téléphone ont permis de mettre de nouveau au travail des axes psychomoteurs : Graphisme, motricité fine, arts plastiques, relaxation, parcours dynamique, jeu du miroir, représentation corporelle, travail sur les expressions. . . ainsi que le rapport à l'image/écran, en tant que médiateur d'échange. Bien sûr, il y a eu des « pertes de patients ou de familles de patients » qui n'ont jamais répondu ou n'ont jamais pris la peine de répondre aux mails ou messages envoyés. La reprise du chemin des consultations s'est faite sans trop de problème pour la plupart, mais certaines familles, sans aucun doute les plus fragiles, ont eu du mal à revenir « en vrai ». Des angoisses invoquées -l'environnement et le risque encouru venant raviver des sentiments d'insécurité pré existants -repli chez certains qui ont eu du mal à sortir de la régression imposée, désinvestissement des soins ? Devant ces retours difficiles, la question s'est posée alors : laisser faire, ou au contraire, être ferme. Quel cadre assurer ? Jamais nous n'aurions pu imaginer que la psychomotricité pouvait tirer son épingle du jeu, dans ces temps où la présence dans la rencontre devenait impossible. S'il ne s'agit pas, bien entendu, de faire l'apologie de ces nouvelles méthodes « technologiques », surgies en temps de crise, nous pouvons cependant saluer le chemin qu'ont parcouru en peu de temps de nombreux psychomotriciens. Que ce soit par la voix téléphonique ou le canal visuel, ils ont su réagir, « rebondir » et soutenir leurs patients en inventant de nouvelles faç ons de faire, sans pour autant céder sur leur valeur et leurs fondamentaux théorico cliniques. Nous pouvons en citer quelques uns : • soutien au jeu et au développement ; • écoute et guidance des parents, écoute et guidance des enfants ; • conseils et idées d'activités, parcours avec les « moyens du bord », histoires à lire, dessiner ou écrire, chasse au trésor, origami, cocotte avec défis, créations artistiques, cuisine, jeux de sociétés. . . ; • soutien en situation de crises, notamment pour certains ados dont chez beaucoup, les symptômes se sont majorés ; Dans cette période, les psychomotriciens ont beaucoup travaillé et n'ont pas compté leur temps de recherche internet, leur temps d'échanges avec les membres des équipes (téléphone, WhatsApp, Ils ont découvert des faç ons de travailler nouvelles et pertinentes, qui auraient été inenvisageables sans cette situation de crise. Pour conclure, et malgré la grave crise traversée Avec son corps et avec sa tête ! Déclaration de liens d'intérêts L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts