key: cord-0777654-5ghipj8b authors: Bertrand, Benjamin; Bertrand, Barthélemy; Bertrand, Baptiste; Bertrand, Pierre-Marie title: Ethique et recherche biomédicale durant l’épidémie du COVID-19 : ne confondons pas vitesse et précipitation ! date: 2020-06-20 journal: Ann Pharm Fr DOI: 10.1016/j.pharma.2020.05.004 sha: 986ca4667c0d0a145f8762552469868b259709a8 doc_id: 777654 cord_uid: 5ghipj8b nan Dans un article récent des Annales Pharmaceutiques Françaises [1] , le Pr Francis Megerlin et le Pr Claude Huriet ont fait part de leur point de vue sur l'encadrement de certaines recherches impliquant la personne humaine. L'argumentaire développé reposait sur un syllogisme : • Il est nécessaire de mener de nombreuses études de prévalence au sein de la population française ; • Or, assimiler les études de prévalence à des recherches interventionnelles (et nécessitant donc l'implication d'équipes pluridisciplinaires nombreuses pendant plusieurs jours, ainsi que de longues réunions) gênent leur réalisation sans fondement légitime ; • Donc il est nécessaire de ne plus assimiler les études de prévalence au sein de la population française à des [recherches interventionnelles]. Cette démonstration appelle de notre part trois remarques principales. Des prémisses inexactes invalident la conclusion. Les auteurs soulignent l'importance des études de prévalence sérologique, destinées à mettre en évidence la proportion de patients présentant une concentration sérique d'anticorps définie comme protectrice, qui permettrait d'adapter et de guider l'action publique. Cependant, le titre d'anticorps neutralisants nécessaire pour assurer une protection ainsi que la durée de production d'anticorps neutralisants sont encore inconnus. Plusieurs tests sérologiques ont été développés mais ne sont pas encore validés par le Centre National de Référence (CNR). La consultation des bases de données permet, à ce jour, de recenser quatre études de prévalence en cours en France, visant à inclure sur divers centres plus de 7500 personnes, dans le cadre de protocoles de recherche et non de la prise en charge courante des patients. Les auteurs appellent à faire sortir du champ de la recherche biomédicale interventionnelle ces études de séroprévalence. En France, la loi Jardé du 5 mars 2012 fixe le cadre dans lequel se déroulent les recherches impliquant la personne humaine (RIPH). Cette loi classe les études selon le niveau de risque et de contrainte engendré par le protocole pour les personnes se prêtant à la recherche. Les études de séroprévalence, utilisant des techniques non validées par le CNR et dont la place dans la stratégie thérapeutique n'est pas établie ont le statut de RIPH de catégorie 2, c'est à dire recherche interventionnelle à risque limité lorsqu'elles nécessitent une prise de sang accompagnée du recueil d'informations médicales détaillées. Devant les risques et contraintes imposées par ces études de prévalence par rapport à la prise en charge courante, nous sommes en désaccord avec les auteurs qui ne souhaitent plus assimiler ces études à des recherches interventionnelles [1] . La Haute Autorité de Santé (HAS) dans son avis du 24 avril 2020 sur la place des tests sérologiques dans la stratégie de prise en charge de la maladie COVID-19 précise la place que l'autorité publique souhaite donner aux tests sérologiques « une stratégie de test systématique et exhaustif de la totalité de la population ne semblerait pas pertinente ». Le Comité Consultatif National d'Éthique (CCNE) dans sa réponse à la saisine du 13 mars 2020 disait pour sa part : « Le CCNE rappelle aussi que, même en situation d'urgence, les pratiques de la recherche impliquant l'être humain doivent respecter le cadre éthique et déontologique ». Les auteurs argumentent le point de vu opposé, au nom du maintien de « la souveraineté » nationale et de la nécessaire « relance de l'activité ». Ces arguments reposent exclusivement sur l'intérêt collectif au détriment de celui des personnes. Les Comités de Protection des Personnes (CPP) fondent leur action sur le maintien de la balance bénéfice / risque, entre les progrès de la science nécessaires à l'intérêt collectif et les intérêts particuliers des personnes se prêtant aux recherches. L'éthique de la recherche biomédicale est un équilibre délicat entre une vision déontologique pure du progrès médical et une vision utilitariste du corps humain. L'approche déontologiste ne supporterait aucune atteinte à l'impératif catégorique Kantien. Nul être humain ne saurait ainsi être considéré comme un moyen d'accéder à une connaissance nouvelle surtout s'il n'en est pas luimême bénéficiaire. L'approche utilitariste pourrait, à l'opposé, au nom de la recherche du plus grand bonheur pour le plus grand nombre, conduire à accepter un grand malheur pour un petit nombre. Nous pensons que le contexte de l'urgence ne doit pas nous empêcher d'avoir une réflexion éthique sur ces équilibres, bien au contraire. Privilégier une approche de la recherche conséquentialiste serait à notre sens une erreur. Au-delà de ces réflexions éthiques, les CPP ont un rôle de contrôle. La participation d'un individu à une recherche nécessite son accord, fondé sur la garantie d'une information impartiale et intelligible. Lorsque les études imposent une intervention non nécessaire dans la prise en charge courante, même minime et peu risquée comme une prise de sang, il faut qu'un tiers neutre puisse s'assurer des bonnes conditions de réalisation. Lorsqu'il existe un recueil des données de santé telles que des données socio-démographiques, des données cliniques concernant un potentiel COVID-19, des données biologiques concernant un éventuel diagnostic PCR de SARS-CoV-2, etc.), il faut en garantir la confidentialité et la protection. Ces contrôles sont d'autant plus nécessaires lorsqu'un partenaire privé est impliqué dans la recherche et participe potentiellement à l'analyse des échantillons biologique, l'analyse des données et leur éventuel stockage, dans le but d'en retirer un intérêt commercial ultérieurement. Le rôle des CPP implique également de protéger la qualité de la recherche. Chaque étude nécessite un rationnel scientifique solide et une méthodologie robuste afin de garantir la meilleure fiabilité possible des résultats, seule justification à une recherche. Les connaissances scientifiques se construisent sur cette démarche rationnelle et non des postulats émis par des individus, qu'ils soient réputés experts ou auréolés d'une distinction honorifique obtenue dans un autre temps. Les Professeurs Huriet et Mergelin estiment que la rédaction d'un protocole détaillé, nécessaire au dépôt d'une demande d'avis auprès des CPP, est à la fois chronophage et inutile au regard des qualités d'expertise scientifique et de rigueur méthodologique des investigateurs. Lors de l'évaluation d'un projet de recherche, les CPP veillent à ce que l'organisation de l'étude garantisse la qualité des résultats. De nombreux facteurs sont pris en considération : pertinence de la recherche, rationnel scientifique, qualification des investigateurs, adéquation des moyens humains et matériels, méthodologie et plan d'analyse statistique adaptée, représentativité de la population de l'étude. Tous ces éléments doivent être déterminés avant le début de la recherche et détaillés dans un protocole précis. Le protocole constitue donc le support de référence indispensable pour la qualité de la recherche. Sa rédaction est donc une étape incontournable pour la réussite d'un projet de recherche, dont l'exigence est encore renforcée dans le contexte épidémique [2] . Le contexte d'urgence sanitaire ne fait que renforcer les exigences que nous devons avoir envers une recherche de qualité dont les réponses doivent apporter les bases solides aux thérapeutiques futures. Des résultats robustes, apportant des données fiables pour améliorer la prise en charge médicale, reposent sur des études de qualité dont les règles sont fixées dans un protocole détaillé. Les principes d'éthique doivent demeurer immuables afin de construire une science incontestable, rigoureuse, fiable et honnête, en laquelle la société peut garder confiance. Les auteurs déclarent ne pas voir de lien d'intérêt. études de séroprévalence et Comités de protection des personnes : n'ajoutons pas une charge administrative au défi technologique et organisationnel. Annales Pharmaceutiques Françaises. 2020 Recherche biomédicale : quels principes éthiques en temps de pandémie ? The Conversation A Rush to Judgment? Rapid Reporting and Dissemination of Results and Its Consequences Regarding the Use of Hydroxychloroquine for COVID-19 Chloroquine hype is derailing the search for coronavirus treatments Covid-19 -A Reminder to Reason