key: cord-0763746-66fdwlkz authors: Giami, A. title: COVID-19 et sexualités : l’émergence d’un nouveau paradigme des sexualités date: 2021-01-09 journal: nan DOI: 10.1016/j.sexol.2021.01.003 sha: f5c824a5455d188990148d789327b0df4828a087 doc_id: 763746 cord_uid: 66fdwlkz Cet article vise à proposer un bilan provisoire de la recherche développée dans le contexte de la pandémie de COVID-19 depuis le début de l’année 2020. Il évalue les types de recherche déjà publiés, présente leurs méthodologies et analyse les questions posées. Il replace les recherches récentes dans la perspective de l’histoire des recherches empiriques sur la sexualité et notamment par rapport à celles qui ont été réalisées dans le contexte du VIH-sida. Situé dans une perspective d’histoire intellectuelle, l’article analyse les recherches actuellement développées comme la construction et la préfiguration d’un nouveau paradigme des sexualités qui distingue et associe les relations sexuelles qui se déroulent en présence d’un partenaire réel et celles qui se déroulent avec l’aide de toute une panoplie d’outils électroniques qualifiés de « virtuels » qui assurent un support à l’imagination et entretiennent l’excitation sexuelle en vue de la satisfaction personnelle. This paper aims to propose a provisional assessment of the research developed in the context of the COVID-19 pandemic since the beginning of 2020. It reviews the types of research already published, presents their methodologies and analyzes the questions posed. It places recent research in the perspective of the history of empirical research on sexuality, particularly in relation to research carried out in the context of HIV/AIDS. Situated in an intellectual history perspective, the article analyzes research currently being developed as the construction and prefiguration of a new paradigm of sexualities that distinguishes and associates sexual relations that take place in the presence of a real partner and those that take place with the help of a whole range of electronic devices qualified as “virtual” that provide support for the imagination and maintain sexual arousal for personal satisfaction. Modele + No. of Pages 7 A. Giami Depuis le début de l'année 2020, la pandémie de COVID-19 frappe une grande partie du monde. Les suivis épidémiologiques et les analyses des politiques sanitaires mises en oeuvre ici et ailleurs montrent bien que cette pandémie se déroule à des rythmes et des intensités différentes selon les régions du monde et selon les groupes sociaux et les populations qui en sont touchées. Les études en cours montrent aussi que les différences de prévalence entre les individus et entre les populations ne résultent pas uniquement de la vigueur et des capacités de reproduction et de propagation du virus, des capacités d'immunisation des personnes ni du climat, mais également des conditions de vie et d'habitat des personnes, de leurs modes de vie et de la cohérence et de l'adéquation des réponses sanitaires mises en place par les gouvernants (Galmiche et al., 2020) . Contradictions, incohérences et adaptations au jour le jour en fonction des enjeux politiques, ainsi que des controverses scientifiques sur les traitements (Berlivet et Löwy, 2020) ont marqué de façon durable les réponses publiques à cette pandémie et entamé le capital de confiance des populations envers les autorités politiques et sanitaires. Audelà des effets proprement physiopathologiques du virus sur l'organisme en général et sur les fonctions sexuelles et reproductives en particulier, les mesures sanitaires prises au fur et à mesure du développement de l'incidence de la pandémie ont eu des effets certains et souvent délétères sur nos modes de vie, nos façons de travailler, d'avoir des relations, de nous cultiver et d'avoir des relations sexuelles, et c'est l'impact de ces mesures sur la vie sexuelle qui a fait l'objet de la majorité des travaux publiés. Les différents organes de presse ont développé toute une série de récits des « impacts » surtout négatifs de la pandémie mais aussi des formes de résistance et de créativité qui se développent en réponse aux mesures de confinement, de distanciation physique et sociale, à la réduction des mouvements et au port de masques de protection (Döring, 2020) . Les effets des mesures sanitaires et sociales mises en oeuvre, deviennent d'autant plus visibles lorsqu'on s'adresse à la vie sexuelle des personnes et des populations, dans la mesure où les contacts physiques rapprochés font désormais l'objet de mesures de restriction qui rendent difficiles les rapprochements sexuels, de nature intime par définition. Dans cet article, les premiers développements de la recherche sur le thème « COVID-19 et Sexualité » qui ont été publiés à partir du début de l'année 2020 soit moins de six mois avant l'écriture de ce texte, sont analysés, en vue d'une mise en perspective de la recherche sur ce thème dans l'histoire des recherches sur la sexualité et notamment des liens entre sida/VIH et sexualité et COVID-19 et sexualité. Cette démarche vise à mieux faire ressortir les principaux traits qui y apparaissent et qui préfigurent les transformations de l'activité sexuelle qui commencent à se dessiner dans le contexte pandémique et post-pandémique par contraste avec une autre épidémie qui a profondément marqué la vie sexuelle. Dans une perspective d'histoire intellectuelle (Grafton, 2006) , la recherche publiée est analysée ici non pas du point de ses acquis mais du point de vue des questions qu'elle pose -et ne pose pas -de celles qui font déjà l'objet de consensus et de celles qui alimentent des controverses. Les principales grandes enquêtes sur les comportements sexuels ont été réalisées depuis le début du 20 e siècle en Europe d'abord et ensuite aux États-Unis (Ericksen et Steffen, 1999) en réponse aux problèmes sociaux suscités par les conditions de vie, les limites de la morale sexuelle, la pauvreté et les inégalités. D'entrée de jeu, deux modèles se sont développés avec d'une part le modèle européen élaboré par Magnus Hirschfeld lors de son enquête sur les homosexuels (Hirschfeld, 1914 (Hirschfeld, -2000 et aux États-Unis avec les travaux d'Alfred Kinsey sur les comportements sexuels en population générale (Gagnon, 1975) . Les travaux de Kinsey ne sont pas tombés du ciel ni sortis d'un cerveau obsédé par les questions sexuelles. Ils ont répondu aux questions sociales de son époque et ont été financés par la Fondation Rockefeller jusqu'au moment où leurs résultats ont été au-delà de ce qui était attendu par les institutions en venant remettre en cause la morale sexuelle dominante et ont déchaîné une violence politique inattendue (Bancroft, 2004) . Vinrent ensuite les années soixante-dix marqués par les travaux sur la contraception, la sexualité préconjugale et la communication au sein du couple (Simon et al., 1972) . La fin des années quatre-vingt est marquée par le début de la longue série des enquêtes régionales, nationales, internationales réalisées en réponse aux développements de l'épidémie de VIH-sida. À ce moment l'urgence a été d'identifier les comportements et les groupes à risque d'infection et notamment les homosexuels masculins (Catania et al., 1996 ; Giami et Schiltz, 1996) . Dans ce nouveau modèle des enquêtes sur les comportements sexuels, on a entrepris d'explorer des pratiques et des relations sexuelles inconnues du grand public auparavant. On ainsi « découvert » que certains hommes pouvaient déclarer avoir eu des milliers de partenaires sexuels, alors qu'à l'aube des années quatre-vingt-dix, plus d'une femme hétérosexuelle sur deux déclarait n'avoir eu qu'un seul partenaire au cours de sa vie. Les enquêtes développées à ce moment ont inventé une nouvelle façon de penser la sexualité et les rapports sexuels sous l'angle de la « prise de risque » en distinguant les rapports protégés et ceux qui ne le sont pas (Giami, 1993) . Cette classification permettait ainsi de déduire les caractéristiques psychosociales et voire même psychopathologiques de ceux/celles qui choisissaient l'une ou l'autre de ces modalités. Principale limite des années sida-sexualité, on a ignoré activement que les personnes âgées (de plus 59 ans aux États-Unis et de plus de 69 ans en France) avaient encore une vie sexuelle. La mise au point des traitements de l'impuissance masculine entamée dès le début des années quatre-vingts a accompagné l'essor d'un nouveau modèle d'enquêtes plus centrées cette fois-ci sur la sexualité des personnes âgées et surtout des hommes âgés (Feldman et al., 1994) . Les mesures de « distanciation physique » et sociales qui ont été préconisées à l'occasion de cette nouvelle pandémie vont bien au-delà de celles qui avaient été recommandées pour assurer la prévention de la transmission du VIH par voie sexuelle. Dans ce cas-là, il était recommandé d'éviter les relations sexuelles « non-protégées », c'est-à-dire effectuées sans l'utilisation d'un préservatif en latex porté sur le pénis de celui qui jouait le rôle de l'insertion (génitale, anale ou buccale). Mais il n'avait été recommandé en aucun cas de ne pas s'embrasser ni de se prendre dans les bras ou tout simplement de se toucher la peau, pratiques qui étaient devenues des « pratiques à moindre risque » comme la masturbation parfois recommandées dans les « jerkoff parties » collectives afin de maintenir vivante une culture sexuelle du sexe collectif (Frank, 2019) . L'épidémie de VIH Sida et les réponses préventives mises en oeuvre autant par les autorités sanitaires que par les communautés organisées des personnes les plus atteintes avaient ainsi contribué à une importante reconceptualisation des scripts de la sexualité dominée par la notion du risque et l'opposition entre pratiques à risques, pratiques à moindre risque et pratiques sans risques (Giami, 1993) . Alors que les travaux des années-sida et ceux qui se sont inscrits dans cette veine ont considéré certaines caractéristiques de l'activité sexuelle comme un facteur de risque, le nouvel intérêt pour les effets du vieillissement et des maladies chroniques sur la sexualité constitue d'une certaine façon une rupture avec le modèle pessimiste de la sexualité. Loin de constituer un facteur de risque en soi pour d'autres dangers ou d'autres pathologies et en particulier les infections sexuellement transmissibles et la survenue des grossesses, on a commencé à chercher les facteurs de risque qui constituaient des obstacles et des limitations à la fréquence et la qualité de l'exercice de la fonction sexuelle telles que certaines maladies chroniques (cancers, diabète) ou le vieillissement de façon générale. Par ailleurs, certains urologues ont considéré que la dysfonction érectile pouvait constituer un « symptôme sentinelle » (Bondil, 2004) de pathologies plus graves (dysfonctions endothéliales) et qu'il était important de dépister la dysfonction érectile comme une forme de prévention de pathologies cachées et graves. L'arrivée de la culture du Viagra (Tiefer, 1998) a marqué d'une certaine façon le retour d'une conception optimiste de la sexualité en considérant que l'« activité sexuelle naturelle » était une dimension fondamentale de la santé et du bien-être (World Health Organization, 2010). Cet optimisme sexuel a été porté par l'industrie pharmaceutique contribuant à la poursuite du bien-être et du bonheur, avec deux produits phares et emblématiques de cette période : le Prozac et le Viagra. Mais cet optimisme a suscité le revers de sa médaille avec l'augmentation de la visibilité et des travaux sur les violences sexuelles et en particulier les violences contre les femmes (Jaspard et Equipe Enveff, 2003) . On voit donc s'opposer d'un côté, l'optimisme sexuel qui considère que la sexualité est une composante fondamentale de la santé et du bien-être, et de l'autre côté, l'émergence de la prévalence et de la problématique des violences sexuelles envers les femmes. Entre les deux, le dispositif des droits sexuels développé à partir du milieu des années 1990 par des organisations non-gouvernementales telles que la WAS et l'IPPF et visant à protéger et soutenir les libertés sexuelles et l'accès aux soins de santé et de l'autre protéger les femmes et les personnes vulnérables des violences à leur égard et des atteintes à leurs libertés sexuelles et au droit à disposer de leur propre corps. Dans la perspective qui vient d'être évoquée, on va essayer d'identifier les tendances qui se dessinent à partir des publications scientifiques réalisées depuis le début de la pandémie, à savoir depuis le début de l'année 2020. Au-delà des effets spécifiques des mesures de confinement et de distanciation sociale, la sexualité fonctionne comme un miroir grossissant et un révélateur des contradictions sociales, relationnelles et psychologiques d'une époque et d'une culture. Dans cette perspective la théorie des scripts de la sexualité de Gagnon & Simon (Simon et Gagnon, 1986) Un relevé effectué à la date du 8 décembre 2020 à l'aide des mots clé « COVID & Sexual* » fait apparaître 381 publications référencées sur Medline. Par contraste, la même recherche effectuée sur Medline le 4 janvier 2021 indique la présence de 86170 publications. Par ailleurs, un relevé effectué directement sur les principales revues de la sex research fait apparaître 33 publications sur le Journal of Sexual Medicine et 11 publications sur la revue Archives of Sexual Behavior. Par ailleurs, la revue Sexual and Reproductive Health Matters a publié un numéro spécial sur la thématique Sexual and Reproductive Health and Rights dans sa livraison d'avril 2020 (Hussein, 2020) . Cette revue a centré ses publications autour de la question de la promotion et de la préservation des droits humains et des droits sexuels et reproductifs dont on sait qu'ils sont menacés face aux difficultés d'accès aux systèmes de santé du fait de la pandémie et de la pénurie de lits et de personnels de santé bien formés dans de nombreux pays industrialisés. La revue Archives of Sexual Behavior a lancé pour sa part un appel à publications (CFP) (Scott-Sheldon et al., 2020) en date du 4 mai 2020. La revue Sexologies a lancé l'appel à publications qui a permis la réalisation du présent numéro en date du 7 juin 2020. D'autres revues ont des articles en cours de révision qui seront publiés dans les semaines qui viennent. Il est cependant intéressant de noter que la majorité des articles publiés sur le thème de « Covid & sexual » l'ont été dans des revues qui ne sont pas des revues sexologiques, mais des revues médicales ou de sciences sociales générales, ce qui témoigne d'un intérêt Modele + No. of Pages 7 A. Giami Tableau 1 Appel à publication (call for publication de la revue Archives of Sexual Behavior [Scott-Sheldon et al., 2020] On note des disparités sur le volume des publications. Si les équipes des États-Unis de l'Inde ou de la Chine ont produit le plus grand nombre d'articles (n > 20), on comprend moins aisément pourquoi les équipes françaises n'ont publié qu'un seul article (Landry et al., 2020) alors que les équipes italiennes (Caruso et al., 2020 ; Panzeri et al., 2020) et espagnoles, pays dans lesquels la pandémie s'est développée de façon comparable à celle de la France, en ont publié beaucoup plus. D'autres études ont été publiées au Royaume-Uni (Jacob et al., 2020) ou en Pologne (Fuchs et al., 2020 Une rapide analyse des travaux publiés fait apparaître une grande disparité dans les approches méthodologiques. On trouve ainsi des échantillons représentatifs avec plusieurs milliers de participants aussi bien que des enquêtes auprès d'échantillons dits de convenance recrutés sur la base du volontariat lors d'appel à participation sur les réseaux sociaux (Gouvernet et Bonierbale, 2020) , des files actives de patients d'un hôpital ou d'une clinique. Certaines enquêtes sont centrées sur la population générale alors que d'autres ont plutôt ciblé des groupes discriminés tels que les populations LGBT (Barrientos et al., 2021) ou les migrants. Une grande partie des enquêtes sont réalisées à l'aide de questionnaires auto-administrés remplis en ligne et peu d'entre eux bénéficient de l'intervention d'enquêteurs, par téléphone, dans des lieux de soins ou à domicile. L'enquête NATSAL-COVID a recueilli 6657 questionnaires avec un taux de réponse de 38 % selon la méthode des quotas avec une surreprésentation des groupes LGBT. À l'aide d'une méthode de recrutement par boule de neige, l'équipe Kinsey a recueilli 1559 questionnaires dont 71 % de femmes. Dans ces deux enquêtes, le statut relationnel et cohabitant des participants apparaît comme l'une des principales variables explicatives de la fréquence des différents comportements et de la satisfaction qui y est associée. La question de la fréquence relative du sexe à la naissance reste posée dans la mesure où dans une grande partie des études publiées, on trouve une majorité de femmes. Ceci est probablement dû aux modes de recrutement souvent associés à la presse féminine. L'appel à publication de la revue Archives of Sexual Behavior renseigne de façon globale sur les questions qui peuvent être abordées par les chercheurs (voir encadré Tableau 1). Leçons sur la santé sexuelle et reproductive que nous avons tirées d'autres coronavirus tels que le SRAS, la grippe H1N1 et le virus Ebola, de catastrophes naturelles ou d'événements terroristes. Cet appel dessine un champ de recherche qui ne prend pas en compte les dimensions de l'impact physiopathologique du virus lui-même sur la fonction sexuelle et reproductive ce qui est confirmé par les thématiques des articles déjà publiés. Dans l'ensemble, la sexualité est construite comme un dispositif social et sanitaire qui prend en compte les droits humains et les droits sexuels. Au-delà de l'étude des transformations de l'activité sexuelle et des formes de l'intimité, de nombreux articles traitent des effets de la pandémie sur l'organisation des systèmes de soins et de santé, des difficultés et des modes d'adaptation des professionnels de santé (Pascoal et al., 2020) . Un intérêt prononcé apparaît pour l'étude des conséquences de la pandémie (comme réponse sanitaire et Modele + No. of Pages 7 Sexologies xxx (xxxx) xxx-xxx politique) sur la santé mentale et sur les violences de genre et envers les enfants dans des univers qui restent longtemps confinés. Avec l'avènement du COVID-19, tous les contacts corporels rapprochés sont désormais considérés comme des pratiques et des situations à risque ou même à haut risque de transmission du virus. Dans les lieux où les personnes sont supposées pouvoir se rapprocher il est indiqué à l'aide de signaux visibles, la distance que l'on doit garder par rapport aux autres personnes. Dans les cinémas, les théâtres, et les lieux de culte -lorsque ceux-ci sont ouverts au public -il est recommandé de laisser des sièges vides entre les spectateurs, exception faite pour les groupes ou les membres d'une même famille qui ont conservé le droit de se tenir proches. Il est difficile d'imaginer que de telles recommandations et parfois l'obligation de rester chez soi par exemple n'ont pas eu de conséquences sur la vie sexuelle avec un partenaire (« sociosexualité ») dont la caractéristique est, pour la majorité de la population, d'être fondée sur le rapprochement physique avec échange de fluides et contact des épidermes. Cette situation a rendu difficiles les rapprochements avec les partenaires « non-cohabitants » ou « occasionnels » c'est à dire n'ayant pas de relations instituées par un contrat. Il en va bien évidemment autrement s'agissant de la masturbation et des formes d'« autosexualité » ou d'auto-érotisme et de la consommation des différentes formes de pornographie qui ne nécessitent pas la présence d'une autre personne physique, bien en chair et en os, mais tout simplement d'une bonne dose d'imagination fertile. Un consensus commence à se dessiner à travers les métaanalyses et les nombreuses revues de la littérature qui évaluent des effets de la pandémie sur la vie sexuelle à partir des enquêtes qui ont été réalisées et publiées au cours de ces dernières semaines, dans une certaine urgence. La fréquence de l'activité sexuelle partenariale et la satisfaction sexuelle semblent diminuer de façon importante. Cependant, cette diminution est variable selon les situations partenariales des personnes. Pour les personnes vivant en couple, on observe des situations très différentes (augmentation ou diminution) en fonction des conditions de vie, la présence d'enfants ou d'autres personnes au sein du foyer. Tout d'abord, l'une des principales limitations énoncées par l'une des enquêtes les plus soucieuses d'établir des échantillons représentatifs de la population, seule condition pour établir des résultats valides en réponse aux questions posées, réside dans les limites de la représentativité dans la constitution des échantillons collectés et dans la définition des variables indépendantes explicatives. Il est tout à fait possible de mener des enquêtes non représentatives si toutefois on en reconnaît les limites et les difficultés de généralisation, ce qui n'est pas toujours le cas dans de nombreuses enquêtes. Dans ces conditions, il apparaît difficile d'établir des causalités statistiques au-delà des corrélations observées. Qu'est ce qui peut expliquer les conditions actuelles de la vie sexuelle, que celle-ci diminue en fréquence -ou même dans certains cas augmente -et les formes de satisfaction ou de frustration qu'elle peut procurer. Le critère de la fréquence de l'activité sexuelle, qui reste un facteur explicatif à forte valeur heuristique, fait apparaître ses limites et la perception de ces limites pourra permettre de développer de nouvelles pistes de recherche. La conception des questionnaires dont la plupart ont été élaborés par des équipes peu expérimentées, qui ne reprennent pas toujours les instruments déjà validés dans de grandes enquêtes ou qui utilisent des instruments d'aide au diagnostic clinique peut poser des problèmes de comparaison entre enquêtes menées dans des contextes différents. La mesure et l'évaluation du changement apparaît toujours très problématique dans les enquêtes transversales. De nombreux auteurs demandent simplement si leur vie sexuelle a changé depuis l'instauration des mesures sanitaires ce qui permet d'avoir une vision subjective de ces changements éventuels qui constitue déjà un premier indicateur. Les enquêtes NATSAL-COVID fondées sur un protocole d'analyse et d'enquête et des questionnaires déjà utilisés dans des enquêtes de routine en population générale pourront permettre des comparaisons permettant d'observer les différences effectives de réponse à des indicateurs comportementaux simples comme la fréquence de l'activité sexuelle déclarée dans des contextes différents. Mais dans la mesure où une grande partie des enquêtes publiées ne se sont pas (encore ?) inscrites dans le cadre de protocoles d'enquêtes déjà validées les comparaisons risquent d'être difficiles à mettre en place et à être valides. La sexualité, est désormais considérée de plain-pied comme une dimension centrale de la santé et de la santé mentale en particulier, ce qui implique que les obstacles et les difficultés à l'accomplissement de la vie sexuelle sont conçus comme un problème potentiel de santé qui peut avoir des conséquences néfastes et sur lesquelles on s'interroge. Ce paradigme s'inscrit dans la perspective développée à partir des années quatre-vingt-dix avec la mise au point des médicaments sexo-actifs qui envisageait la poursuite de l'activité sexuelle chez les personnes âgées et les personnes atteintes de maladies chroniques comme une dimension positive (au plan subjectif, relationnel et social) et considérait ces altérations comme devant être traitées et possiblement évitées. Pour la première fois dans l'histoire des enquêtes depuis Kinsey, on s'interroge sur les diminutions et les restrictions de cette activité dont on cherche les causes. Alors que traditionnellement les enquêtes mises en oeuvre dans le contexte épistémique du sida s'interrogeaient beaucoup plus sur les excès, les précocités et les déviations. Cependant, cette conception positive de la sexualité associée au bien-être, apparaît contestée dans certains travaux en cours de publication (NATSAL-COVID en particulier). Les « besoins romantiques et sexuels », certes considérés comme importants pour le maintien de la santé mentale apparaissent comme un nouveau facteur de risque pour la contamination au COVID-19. En effet, le besoin d'aller rencontrer des partenaires potentiels en dehors du « cercle domestique », qu'ils/elles soient permanents ou occasionnels est construit comme une « prise de risque » par rapport à la contamination au COVID-19. Cette conception s'inscrit dans la continuité des approches que l'on peut qualifier de pessimistes de la sexualité qui envisagent celle-ci principalement comme un facteur de risque pour la survenue de pathologies et d'infections. La pratique de la masturbation, associée ou non à la consommation de messages pornographiques apparaît comme l'un des nouveaux points centraux de la vie sexuelle -solitaire ou en situation de couple. Alors que dans l'enquête NATSAL de 1993, les chercheuses avaient justifié l'absence de questions sur la masturbation par l'embarras que de telles questions pouvaient susciter chez les participants et les participantes et le peu d'intérêt de cette pratique dans le contexte de la compréhension des pratiques à risque de contamination au VIH (Wellings et al., 1994) , la dernière enquête NATSAL-COVID consacre toute une batterie de questions à la masturbation et l'exploration des contextes dans lesquels elle se déroule (https://www.natsal.ac.uk/natsal-covid-study). Cette pratique est explorée à des degrés divers dans d'autres enquêtes, lais de nombreuses enquêtes déjà publiées ont omis d'explorer cette pratique en détails en maintenant une conception de « la sexualité » comme pratique essentiellement relationnelle. Le concept de sexualité virtuelle qui apparaît avec beaucoup plus de détails que précédemment fait l'objet d'explorations et de mesures très précises en distinguant les différentes technologies utilisées (texto, messages, échanges de photos, échanges vidéo, etc.) les pratiques et les contenus consommés et les partenaires connus ou inconnus, institués ou non avec lesquels elle se déroule. Au-delà de la simple consommation réceptive de contenus explicites facilitant la masturbation individuelle (Zattoni et al., 2020) on observe le recours à des technologies interactives permettant le contact entre personnes (Bergstrom, 2019) soit en vue d'une rencontre en présence soit de la réalisation de scénarios érotiques virtuels fondés sur la participation interactive (tarifée ou pas) de chacun. Chacun peut ainsi créer sa propre pornographie comme le recommande une publicité en ligne la nouvelle succursale de PornHub, LiveHD Webcam. Le réseau Face Book propose pour sa part, depuis quelques semaines un système de messageries de rencontres anonyme et déconnecté des pages publiques de chacun, où il est possible d'entrer en contact au moyen d'une communication vidéo tout en gardant la possibilité de garder son anonymat et de se déconnecter dès le premier écart du partenaire. Le recours au réseaux Grindr explose chez les hommes gays plus concernés par les risques du confinement car moins souvent en couple que les personnes hétérosexuelles. De nouvelles activités sexuelles susceptibles de conduire les participants à l'orgasme ou au moins à la satisfaction sont ainsi décrites et proposées et peuvent constituer les prémices d'une nouvelle forme de vie sexuelle au plan des pratiques, des techniques, des modes de relation (avec de nouvelles formes de fidélité ou de « cyber infidélité ») et à terme l'émergence d'une nouvelle forme de morale sexuelle (Witt, 2016) . L'American Psychological Association met en garde contre les risques de la cyber infidélité et propose de moyens informatiques pour traquer les infidélités du conjoint ou même du partenaire en soulignant le degré de gravité émotionnelle et morale des affaires qui se déroulent en ligne Cependant, comme le note l'étude de l'Institut Kinsey, ces nouvelles formes d'activité sexuelle ne sont pas susceptibles de procurer du bien-être et de la satisfaction à toutes/tous ceux qui s'aventurent sur ces nouveaux terrains. L'augmentation de la consommation de sites facilitant l'excitation sexuelle ou les rencontres érotiques ne semble pas à même de résoudre le problème de la frustration sexuelle et émotionnelle (Lehmiller et al., 2020) . Dans la perspective du développement des nouvelles formes d'activité et de relations sexuelles virtuelles, les capacités d'adaptation et de créativité, de renouvellement des scénarios et des scripts sexuels seront déterminantes. De façon plus générale, la situation actuelle évoque une organisation institutionnelle de la sexualité telle que l'on peut la trouver dans des établissement sanitaires, éducatifs, de long séjour ou même d'incarcération au sens des institutions totales analysées par (Goffman, 1968 ) ou même des hétérotopies (Foucault, 2009 (Foucault, /1966 . C'est l'ensemble de l'organisation sociale qui est désormais gérée comme une institution en délimitant les dedans et les dehors, en régulant les modes de circulation entre les différents espaces en fonction des statuts de personnes et en facilitant tout en organisant la circulation des messages entre les différents espaces. À l'instar de ces institutions, la situation crée par les différents types de confinement et des régulations des circulations est à même de faciliter le développement des formes de vie sexuelle imaginaire et virtuelles en l'absence du/des partenaires habituels et occasionnels. Enfin comme on le rappelait au début de ce texte, la question des droits humains et en particulier des droits sexuels se pose avec beaucoup d'acuité, dans la mesure où les orientations sexuelles et les identités de genre alternatives au modèle cis-hétéronormatif exposent les personnes à une plus grande vulnérabilité qui se trouve augmentée en période de crise des systèmes sanitaires peu préparés pour recevoir des afflux de patients en état critique. Les recherches déjà publiées dans l'urgence de la réponse sociétale et sanitaire aux développements de la pandémie donnent déjà une première représentation de la situation qui prévaut dans le contexte du COVID-19. L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts. Kinsey and the Politics of Sex Research Psychosocial impact of COVID-19 pandemic on LGBT people in Chile Les nouvelles lois de l'amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique. Paris: Éditions la Découverte Hydroxychloroquine controversies: clinical trials, epistemology, and the democratization of science La dysfonction érectile Sexual activity and contraceptive use during social distancing and self-isolation in the COVID-19 pandemic A review of national AIDS-related behavioral surveys How is the COVID-19 pandemic affecting our sexualities? An overview of the current media narratives and research hypotheses Kiss and tell. Surveying sex in the twentieth century Impotence and its medical and psychosocial correlates: results of the Massachussets Male Aging Study Des espaces autres : les hétérotopies Nouvelles Éditions Lignes Rethinking risk, culture, and intervention in collective sex environments The impact of COVID-19 on female sexual health Sex research and social change Étude des facteurs sociodémographiques, comportements et pratiques associés à l'infection par le SARS Le questionnaire ACSF : l'influence d'une représentation épidémiologique de la sexualité Representations of sexuality and relations between partners. Sex research in France in the era of AIDS Essai sur la condition sociale des malades mentaux. Paris: Éditions de Minuit Impact du confinement COVID-19 sur les cognitions et émotions sexuelles The history of ideas: precept and practice, 1950-2000 and beyond The homosexuality of men and women COVID-19: what implications for sexual and reproductive health and rights globally? Sex Reprod Health Matters Challenges in the practice of sexual medicine in the time of COVID-19 in the United Kingdom Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France. Paris: La Documentation française Less sex, but more sexual diversity: changes in sexual behavior during the COVID-19 coronavirus pandemic Changes in sexuality and quality of couple relationship during the COVID-19 lockdown The impact of COVID-19 on sexual health: a preliminary framework based on a qualitative study with clinical sexologists Call for proposals: special issue of archives of sexual behavior on the impact of COVID-19 on sexual health and behavior Rapport sur le comportement sexuel des français Sexual scripts: permanence and change Doing the Viagra Tango The outbreak of COVID-19 coronavirus and its impact on global mental health Sexual behavior in Britain. The national survey of sexual attitudes and lifestyles Future sex. A new kind of free love Developing sexual health programmes: a framework for action. Geneva: World Health Organization The impact of COVID-19 pandemic on pornography habits: a global analysis of Google Trends