key: cord-0761175-hfjlgita authors: Ranque, B. title: Appeler un chat un chat date: 2021-06-18 journal: Rev Med Interne DOI: 10.1016/j.revmed.2021.06.001 sha: c60f2528509db6d61ec89ae8bf5d49da5a0dce65 doc_id: 761175 cord_uid: hfjlgita nan Tandis que la majorité des symptômes de la COVID-19 disparaît entre 8 et 21 jours après le début de l'infection, de nombreux patients relatent la persistance de symptômes de la COVID et/ou l'apparition de nouveaux symptômes pouvant durer plusieurs mois, jusqu'à plus d'un an pour les premiers patients infectés. Des groupes de patients se sont constitués dans le monde entier avec l'aide des réseaux sociaux. Ils se sont reconnus comme porteurs d'une maladie chronique qu'ils ont eux-mêmes qualifiés de « COVID long » (« long COVID » en anglais). Ce terme traduit un besoin légitime de reconnaissance et de prise en charge mais pose problème, car il laisse penser que ces symptômes sont causés par une infection chronique à coronavirus, ce qui jusqu'à présent n'a pas été démontré. De nombreux médias grand public relatent un phénomène inédit qui décontenance patients et médecins. Ces derniers sont réticents à diagnostiquer un « COVID long » en l'absence de critères diagnostiques établis. En pratique, même si la combinaison Adresse e-mail : brigitte.ranque@aphp.fr exacte des symptômes varie, la présentation globale est facilement reconnaissable. Les symptômes les plus fréquents sont une fatigue chronique, une dyspnée sans désaturation au repos mais pouvant survenir à l'effort, des troubles cognitifs (souvent décrits comme un « brouillard cérébral »), une intolérance à l'effort (souvent qualifiée de « malaises post-effort »), des troubles anxieux et/ou dépressifs, des douleurs musculosquelettiques ou des paresthésies peu systématisées, des troubles digestifs, des lésions cutanées non spécifiques, des troubles de l'odorat [1] [2] [3] [4] . Le nombre et l'intensité des symptômes ne semblent pas corrélés avec la gravité de l'épisode initial [5] . Il faut bien différentier les séquelles des COVID graves, notamment les fibroses pulmonaires ou les complications de réanimations prolongées [6, 7] , de la persistance durant plusieurs mois de symptômes polymorphes associés à une grande fatigue, sans anomalie physique ou paraclinique. C'est ce dernier phénomène qui correspond au concept de « COVID long » porté par les patients et dont la physiopathologie est loin d'être univoque. Il est bien sûr nécessaire de mener une enquête diagnostique raisonnable pour ne pas passer à côté de séquelles ou de complications sub-aiguës de la COVID (notamment myopéricardite ou syndrome de Guillain-Barré). Toutefois, le profil des patients qui cherchent auprès du corps médical une explication à leurs symptômes prolongés polymorphes est très différent de celui des patients ayant des séquelles d'une COVID grave ou de celui des patients qui ont quelques symptômes persistants durant plusieurs semaines (anosmie, diarrhée. . .), mais ne s'en inquiètent pas suffisamment pour consulter à nouveau. Il s'agit dans le premier cas de patients jeunes avec une nette prédominance féminine, sans comorbidité, qui ont souvent eu des symptômes de COVID aiguë bénins, une infection prouvée ou non (par PCR ou sérologie), et ont vu la persistance ou une réapparition de symptômes similaires ou de nouveaux symptômes dans les mois qui ont suivi. Ils sont extrêmement inquiets de ces symptômes, qui ont un retentissement majeur sur leur vie privée et professionnelle. Leur fatigue est intense, non améliorée par le repos et le sommeil. Ils ne sont pas réassurés par la normalité des examens cliniques et des nombreux examens complémentaires déjà pratiqués, pratiquent parfois des évictions alimentaires multiples par crainte d'allergie et ont drastiquement diminué leur activité physique (parfois réduite à néant) du fait de l'attribution de leurs symptômes à l'effort, ce qui entraîne une désadaptation à l'effort parfois majeure : dyspnée et tachycardie, voire malaise au moindre effort. Ces conduites d'évitement sont souvent soustendues par des croyances de santé non-orthodoxes issues des médias et de la consultation de forums de discussion sur internet. L'adhésion à ces croyances est renforcée par le sentiment de non-reconnaissance, voire de rejet, éprouvé par les patients, dont la réalité des symptômes est souvent niée. Dans la majorité des cas, la pérennisation à long terme de symptômes invalidants après COVID-19 apparaît essentiellement d'origine fonctionnelle. Il ne peut s'agir uniquement d'un diagnostic d'élimination, car la nouveauté de cette maladie nous oblige à rester prudents sur l'existence de potentielles conséquences immunovirologiques a minima. Mais il existe une grande similitude de présentation et d'évolution avec les troubles fonctionnels multisystémiques comme le syndrome de fatigue chronique, la fibromyalgie ou le syndrome de détresse corporelle. Le profil de personnalité (souvent hyperactive, perfectionniste, hypersensible et/ou alexithymique. . .) et l'évolution favorable après réassurance et prise en charge psychocorporelle des patients vus en consultation de médecine interne pour ce type de symptômes renforcent cette impression de similitude. Cela ne signifie aucunement qu'il faut minimiser ces symptômes persistants et/ou récurrents, bien au contraire. Leur impact est susceptible d'être majeur sur le plan médical, social et médicoéconomique, étant donnés les millions de personnes infectées par le SARS-CoV-2, le caractère nouveau et encore mal connu du virus, le climat de terreur permanente véhiculé par les médias du monde entier, la puissance des réseaux sociaux et des théories infondées qui constituent le lit idéal au développement de tels symptômes. Les premières études faites chez des patients pris en charge en ambulatoire, montrent qu'environ 10 % des patients gardent à trois mois des symptômes persistants ou récurrents [8] . L'incidence de ces symptômes à un an n'est pas encore connue, mais le nombre de malades concernés par ces symptômes croît de faç on très rapide, il est estimé à plusieurs dizaines de milliers, rien qu'en Île de France. En réalité, la persistance de symptômes similaires peut être observée à distance de tout événement médical aigu, notamment infectieux [9] et répond le plus souvent à la définition des « troubles somatiques fonctionnels » vus depuis toujours dans les consultations de médecine interne, qui entrent dans la catégorie des « troubles à symptomatologie somatique » du DSM-V. Il me semble donc important, pour ne pas se fourvoyer dans la prise en charge de ces patients, de reconnaître que l'entité nommée « COVID-long » entre également dans ce cadre. Ce d'autant que la surmédicalisation aggrave et pérennise les symptômes fonctionnels. Et plus les symptômes sont chroniques, plus difficiles ils sont à faire disparaître. C'est à mon avis la méconnaissance de ce qu'est un trouble somatique fonctionnel qui est à l'origine du violent rejet de ce concept par certains groupes de patients sur les réseaux sociaux. Force est de constater qu'en dépit d'une littérature scientifique abondante issue des sciences cognitives, il persiste, dans le grand public comme dans le corps médical, une méconnaissance des mécanismes cognitifs pouvant expliquer la perception de sensations corporelles pénibles et/ou inquiétantes en l'absence de lésion de l'organe désigné par les symptômes. Les patients s'attendent donc à être déconsidérés, voire humiliés ou rejetés, car c'est malheureusement souvent l'expérience qu'ils vivent régulièrement avec leur entourage comme avec les soignants. Il est donc fondamental de convaincre les patients que nous savons qu'ils n'inventent pas leurs symptômes ni ne s'y complaisent. Même si ces symptômes sont produits par leur système nerveux central et non par une lésion de leurs organes, le ressenti est strictement identique et la dégradation de leur qualité de vie est évidente. Tout se passe comme si le cerveau était en état d'alerte permanent. Il amplifie, voire déclenche, au moindre stimulus -externe ou interne -des sensations normalement réservées au signalement d'un danger. Il provoque des réactions sensorielles (douleur, acouphènes, paresthésies. . .) ou végétatives par le biais du système nerveux autonome (tachycardie, tachypnée, diarrhée, sueurs), empêchant par là même un fonctionnement cognitif normal (troubles de l'attention, fatigue. . .). Il s'agit d'un état que chacun a déjà connu dans sa vie, la différence étant ici sa durée prolongée et le fait que les patients n'attribuent pas spontanément leurs symptômes à un stress ou à une détresse interne. Avant de pouvoir parler de trouble somatique fonctionnel sans heurter les patients, il faut d'abord les assurer longuement de notre empathie et de notre volonté de les aider, par une écoute attentive de leurs plaintes et une exploration de leurs craintes permettant une personnalisation des explications. Cela nécessite d'y consacrer parfois plus d'une heure lors de la première consultation, ce que ne peuvent généralement pas se permettre les médecins généralistes. Cette première étape étant souvent « ratée », les patients sont alors souvent adressés de spécialiste en spécialiste, aucun ne retrouvant d'argument pour une origine somatique des symptômes, parfois assurant le patient avec un brin de condescendance qu'il « n'a rien » ou que « c'est dans sa tête », mais ajoutant aussi une pierre à la demande pléthorique d'examens complémentaires déjà réalisés pour « éliminer » tel ou tel problème hautement improbable -et vraisemblablement couper court à une consultation qui les met dans une situation inconfortable. Ce n'est pas rendre service aux patients que d'occulter un diagnostic de trouble somatique fonctionnel, et c'est une perte de chance pour eux de ne pas débuter rapidement des traitements psychocorporels adaptés. Il est, en effet, important de désactiver au plus vite les cercles vicieux qui amplifient les troubles. Par exemple, la focalisation attentionnelle sur les symptômes, le nomadisme médical, la multiplication des examens complémentaires et les recherches compulsives sur internet augmentent l'anxiété liée à la santé au lieu de la diminuer. Les conduites d'évitement des facteurs déclenchants apparents sont également délétères. Notamment, la diminution drastique de l'activité physique entraîne une désadaptation à l'effort et auto-entretient la fatigue, les troubles du sommeil, la tachycardie et la dyspnée d'effort, les douleurs tendineuses, etc. Il est donc recommandé, par les experts de la Haute Autorité de santé franç aise [10] , comme par ceux du National Institute for Health and Care Excellence britannique [11] , de proposer précocement les mesures suivantes (après vérification de l'absence de problème somatique, voire même en parallèle, car ces mesures ne peuvent être que bénéfiques) : • d'une part, des techniques de relaxation (par exemple, la méditation pleine conscience, sophrologie, autohypnose. . . ou simplement une activité de loisir apaisante comme le jardinage, la musique ou le dessin), afin d'échapper à l'état d'alerte cognitif permanent ; • d'autre part, une reprise très progressive, mais aussi très régulière de l'activité physique, en tenant compte des aggravations transitoires de fatigue qui sont fréquentes. L'activité physique aura le triple avantage de réadapter le coeur, les muscles squelettiques et le système nerveux autonome à l'effort, de recentrer le fonctionnement cérébral sur une activité motrice, et de produire des endorphines qui vont contribuer au bien-être et diminuer le niveau de stress. Les contre-indications temporaires à l'activité sportive (mais pas à l'activité physique habituelle) sont la présence d'une péricardite ou d'une myocardite authentifiée. Un trouble somatique fonctionnel ne relève pas spécifiquement de la psychiatrie contrairement à une dépression ou un trouble anxieux majeur. Toutefois, ces troubles peuvent y être associés et doivent donc être dépistés et traités comme tels. Ils sont euxmêmes pourvoyeurs de nombreux symptômes physiques. Les consultations que j'ai menées avec des patients ayant des symptômes prolongés post-COVID (une trentaine en neuf mois) se sont soldées par l'expression d'un grand soulagement de la part des patients, malgré leur méfiance initiale souvent manifeste envers mes explications non somatiques et au prix d'une longue durée d'entretien. Ces expériences ont, de ce fait, été très gratifiantes pour le médecin que je suis. Contrairement aux autres troubles somatiques fonctionnels « fixés » depuis plusieurs années que je suis habituée à voir en consultation de médecine interne, mon sentiment est qu'une consultation bien menée peut suffire à rassurer ces patients et à les faire adhérer à la prise en charge spécifique. Ces approches simples aident à la disparition des symptômes invalidants en quelques semaines, y compris chez des patients devenus quasiment grabataires. Comme dit précédemment, il est fondamental pour obtenir l'adhésion des patients, de les écouter avec empathie, de reconnaître la réalité de leurs symptômes et de leur souffrance, de leur donner des explications physiopathologiques factuelles, sans rechercher forcément une cause psychosociale, et également de s'adapter à leurs préférences de prise en charge. Bien entendu, comme pour tout patient, un suivi clinique doit être maintenu, avec l'aide du médecin traitant, car les mécanismes de l'infection à SARS-CoV-2 ne sont pas encore parfaitement connus. Dans de rares cas, un accompagnement initial est nécessaire sur le plan psychologique (de type thérapie cognitivocomportementale) et/ou physique (rééducateur sportif ou kinésithérapeute). Pour conclure, il me semble que notre objectif doit être avant tout de rendre au patient son bien-être antérieur et qu'il est bien plus important de faire disparaître les symptômes que d'en avoir une explication physiopathologique parfaitement exacte. Cela nécessite d'évoquer explicitement avec le patient la possibilité de mécanismes cognitifs et comportementaux sous-tendant les symptômes inexpliqués persistant après une COVID-19, c'est-àdire d'appeler un chat un chat, sans hypocrisie ni mépris des liens complexes qui unissent le corps et l'esprit de tout être humain. L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts. Clinical, virological and imaging profile in patients with prolonged forms of COVID-19 : a cross-sectional study Persistent symptoms 3 months after a SARS-CoV-2 infection: the post-COVID-19 syndrome? Long COVID in the Faroe Islands -a longitudinal study among non-hospitalized patients Development and validation of the long covid symptom and impact tools, a set of patient-reported instruments constructed from patients' lived experience Persistent poor health post-COVID-19 is not associated with respiratory complications or initial disease severity Clinical sequelae of COVID-19 survivors in Wuhan, China: a single-centre longitudinal study Persistent COVID-19 symptoms are highly prevalent 6 months after hospitalization: results from a large prospective cohort Office of National Statistics UK. The prevalence of long COVID symptoms and COVID-19 complications Post-infective and chronic fatigue syndromes precipitated by viral and non-viral pathogens: prospective cohort study Réponses rapides dans le cadre de la COVID-19 : symptômes prolongés suite à une Covid-19 de l'adulte -Diagnostic et prise en charge National Institute for Health Care excellence. COVID-19 rapid guideline: managing the long-term effects of COVID-19 Je remercie le Professeur Cédric Lemogne, psychiatre à l'Hôtel Dieu, Paris, pour les discussions fructueuses que nous avons eu depuis plusieurs années au sujet des troubles somatiques fonctionnels et qui m'a initiée à la compréhension de leurs mécanismes cognitifs et comportementaux.