key: cord-0744845-qm0mdfr8 authors: Lucas, D.; Jego, C.; Chresten Jensen, O.; Loddé, B.; Pougnet, R.; Dewitte, J.-D.; Sauvage, T.; Jegaden, D. title: Santé mentale chez les gens de mer : connaissances actuelles et impact de la pandémie COVID 19 date: 2021-07-29 journal: Archives des Maladies Professionnelles et de l'Environnement DOI: 10.1016/j.admp.2021.05.001 sha: 2fc5ad337d887189470b6eb88a1d16834076acbb doc_id: 744845 cord_uid: qm0mdfr8 Les marins sont exposés à de multiples risques physiques et psychiques. Au cours des dernières années, des études ont mis en exergue des pathologies spécifiques comme la fatigue, l’ennui mais aussi des syndromes anxiodépressifs. Les marins sont également à risque de développer des syndromes de stress post-traumatique (piraterie, accidents de navire ou du travail). La pandémie de COVID-19 impacte fortement les marins avec une estimation de 400 000 d’entre eux embarqués autour du monde avec des prolongations de durées de missions, des difficultés de rapatriement, de relève d’équipage et des soucis financiers liés à la baisse du transport maritime et de fait des embarquements et des impayés de salaires. Seafarers are exposed to several physical and psychosocial stressors. Recent studies highlighted specific disorders as fatigue, boredom and diseases as depression. Seafarers are also commonly exposed to post-traumatic stress disorder (PTSD) (piracy, accidents, threats). COVID-19 impact seafarers with an estimated 400,000 of whom are stranded on vessels around the world, with extended time on board, repatriation's difficulties and the financial concerns of the unexpectedly unemployed. International Maritime Organisation IMO has established the Seafarer Crisis Action Team (SCAT) to help them. In France, in last 10 months a call-center received 142 calls from 32 seafarers for psychological phone consultations mostly linked to this era. With the increase of duration of the COVID-19 crisis, psychological health care, repatriations and financial solutions are needed for seafarers. Au cours des dernières décennies, des études ont permis d'améliorer les connaissances sur l'exposition professionnelle des gens de mer aux facteurs de stress physiques et psychologiques [1] [2] [3] . Oldenburg et al. ont récemment publié une étude par questionnaire sur le stress et le « strain » chez les gens de mer sur un échantillon de 323 gens de mer employés sur 22 porte-conteneurs [1] . Les officiers de marine se sentaient plus souvent stressés et les auteurs l'attribuaient au nombre d'heures de travail et à leurs exigences professionnelles plus élevées notamment administratives et portuaires [2] . Dans une enquête française auprès de 74 marins utilisant le questionnaire de Karasek, 17 % avaient une faible latitude décisionnelle, indiquant un haut niveau de risque de stress [4] . L'éloignement de la sphère familiale, les difficultés de communication notamment télécommunications ont été récemment décrits comme facteurs de stress chez des marins [5, 6] . Des professionnels récemment affectés à bord déclaraient se sentir exposés au stress, notamment en raison de la fatigue, du manque de relations sociales et de contrôle à bord [3, 7] . En mer, la moindre demande professionnelle s'accompagne d'un risque d'ennui dû à la monotonie et à la répétitivité des tâches. C'est une source reconnue de stress et d'addiction, selon les données de la littérature [8] [9] [10] [11] [12] [13] . Une plus forte disposition à l'ennui a été décrite chez les officiers [14] . La fatigue est considérée comme un risque majeur pour la sécurité maritime et la santé mentale des gens de mer. De même, les gens de mer sont couramment exposés au syndrome de stress post-traumatique (TSPT) comme déclarés par 35,9 % des 323 marins allemands interviewés : catastrophes maritimes, menaces ou accidents maritimes majeurs, y compris la piraterie à bord (17,0 %) et les passagers clandestins (39 %) [15] . L'impact sur la santé psychique des marins est fort avec selon Iversen, 5,9 % de tous les décès chez les marins entre1960 à 2009 étaient dus au suicide [16] . La mondialisation a encouragé les transactions de biens et de services « juste à temps » et en petites quantités. Le transport maritime mais aussi la pêche sont désormais directement impactés par la mondialisation. L'Organisation maritime internationale [OMI] a récemment communiqué sur les risques de la pandémie de COVID-19 pour les travailleurs maritimes avec impact sur le transport de marchandises, limitation des opportunités de voyages internationaux. Les objectifs de cet article sont de décrire la santé mentale des gens de mer et les facteurs associés et, dans une deuxième partie, de savoir si la Covid-19 a eu d'autres effets néfastes dans cette population. Aujourd'hui, comme l'Organisation maritime internationale [OMI] l'a déclaré sur son site Web, la pandémie du COVID-19 a exposé les gens de mer du monde entier au risque de situations précaires, qui peuvent à leur tour affecter leur santé mentale. Les restrictions de voyage les empêchent de quitter les navires, d'être rapatriés chez eux ou même de recevoir une assistance médicale urgente. D'autres gens de mer ont vu leurs contrats résiliés unilatéralement ou ont été mis en quarantaine à bord de leurs navires pendant plus de 14 jours, le tout sans salaire. De nombreux gens de mer, leurs conjoints et membres de leur famille ont contacté l'OMI pour partager leurs préoccupations concernant une série de situations difficiles causées par la pandémie du COVID-19. Comme une consolation, le thème de la Journée mondiale de la santé mentale de cette année est « La santé mentale pour tous », ce qui pourrait être une bonne nouvelle pour les gens de mer, une partie souvent oubliée de la main-d'oeuvre [17] . Le bien-être des gens de mer lors des pics épidémiques de COVID-19 à bord a été évalué avec le General Health Questionnaire-12. Le questionnaire était administré aux marins des porte-containers arrivant au port de Trieste en Italie entre janvier et avril 2020. La population incluse comportait 72 marins de 5 navires, moyenne d'âge de 39 ans avec 43 % d'officiers et 54 % d'asiatiques, 12 % d'européens et 28 % venant de Russie ou d'anciens pays d'Union soviétique. Soixante pour-cent de l'échantillon avaient des scores de Likert moyens inférieurs à 15 (c'est-à-dire « Aucun problème »), tandis que 40 % avaient des scores de 15 à 23 (c.-à-d. problèmes initiaux). La moitié des gens de mer ne se sentaient pas en sécurité dans l'exercice de leurs fonctions et 60 % ne pensaient pas que toutes les précautions avaient été prises pour assurer leur santé au travail en raison de la pandémie. Trente Pour-cent ont souffert d'insomnie au point de devenir anxieux, tandis que 26 % ont déclaré être malheureux et déprimés lors de leur dernière période de service [18] . En réponse, des axes de préventions centrées sur la personne et sur l'organisation ont été préconisées pour atténuer le stress au travail en mer International Seafarers' Welfare and Assistance Network (ISWAN) [19] . Sous l'égide du service de santé des gens de mer et en lien avec le centre de consultation maritime, s'est développé depuis février 2020 un centre ressource pour les gens de mer, assurant des consultations psychologiques téléphoniques ou présentielles pour les marins en mer comme à terre. Basée au centre hospitalier de St Nazaire, il est une unité fonctionnelle du pôle de psychiatrie adulte. Sa mission première était l'évaluation d'état de choc ou d'état de stress aigu et de ce fait la prévention d'état de stress post-traumatique par la prise en charge précoce des marins en post-évènement de mer. Un mi-temps de psychologue spécialisé en psychotraumatologie a été dédié à cette activité, les marins pouvaient joindre le centre ressource soit par mail soit par téléphone du lundi au vendredi de 9h à 18h30. Durant la crise sanitaire Covid-19, le centre ressource d'aide psychologique en mer s'est réaménagé pour assurer une permanence téléphonique pour tous les marins ressentant le besoin d'un accompagnement psychologique en raison du risque d'épuisement psychique dû à l'absence de relèves d'équipages. Début novembre, elle avait réalisée 142 consultations auprès de 32 marins français, dont les motifs de consultation étaient l'impact du COVID-19 (n = 11 officiers, n = 3 membres d'équipage) et le SSPT (n = 10 officiers, n = 4 membres d'équipage). Trois familles de marins inquiètes de l'absence de nouvelles ou de l'état psychologique de leur proche ont été accompagnées également, ainsi que deux marins à la retraite, deux membres d'équipage étrangers. Parfois l'accompagnement ne nécessitait pas de consultations individuelles, la proposition de ces espaces dédiés et le fait de prendre des nouvelles régulièrement semble avoir permis à trois équipages de pouvoir se sentir moins isolés et entendus. Ces consultations ont ainsi mis en évidence l'importance du sentiment d'isolement chez les gens de mer isolement tant physique, c'est-à-dire, loin des systèmes de secours, que sociétal. Les stratégies habituelles de défense mises en place par les gens de mer lors des embarquements notamment l'investissement du groupe équipage ont été mises à mal par la fatigue, les informations contradictoires ou parcellaires sur les possibilités de débarquement, sur-sollicitant leur système de stress et induisant à terme un épuisement de celui-ci. Ainsi l'épuisement de ces ressources ont pu conduire à des états anxieux sévères ou des crises suicidaires avec comme singularité clinique des moments de dépersonnalisation importants voire des éléments délirants. Cette spécificité clinique introduit une réflexion dans l'évaluation de ces éléments délirants qui ne sont pas cliniquement comparables aux tableaux psychiatriques habituels type bouffée délirante aiguë, décompensation psychotique. . . Ces épisodes de dépersonnalisation et déréalisation sont à interpréter par la compréhension de ceux-ci comme prodromiques de la crise suicidaire, c'est-à-dire, une tentative de faire face à une réalité trop violente. En ce sens, la prise en charge et le suivi des marins embarqués a permis de pouvoir les sortir de l'isolement et du sentiment d'indifférence sociétale ainsi que de pouvoir réassocier leur identité fonctionnelle, celle de gens de mer, de leur identité personnelle. Pour les marins ayant contacté le centre ressource postcrise sanitaire, ils décrivent une symptomatologie d'état de stress post traumatique sévère avec une impossibilité pour certains à pouvoir envisager un embarquement pour le moment. C'est un réel vécu de mort potentielle omniprésent qui est décrit par ces marins au sein d'un environnement isolé et où le groupe équipage ne pouvait suffire à la réassurance, chacun vivant ses inquiétudes pour lui-même. En parallèle, la dangerosité du métier des gens de mer associée à l'usage culturel de l'alcool amène à s'inquiéter La consommation de tabac et/ou d'alcool appréhendée comme tentative d'adaptation aux conséquences d'un stress chronique et/ou aux symptômes post-traumatiques mais également comme prédicteur de développement de ESPT semble indiquer que la population des gens de mer serait particulièrement à risque. La situation actuelle fait craindre une recrudescence des conduits addictives au sein de cette population. Bien que le dispositif ait à évoluer pour pouvoir être accessible plus facilement par tous les marins le souhaitant, cette première expérimentation du dispositif est venue affirmer l'importance de prendre également la souffrance psychique en charge lors des embarquements conduisant le centre ressource d'aide psychologique aux marins à ne plus se centrer uniquement sur les symptômes post-traumatiques mais sur toutes formes de souffrances psychiques chez les gens de mer. Pour prévenir les troubles de santé mentale chez les gens de mer, toutes les caractéristiques des organisations en mer, au port et dans différents types de navires devraient être incluses dans les programmes de prévention [18] , et des programmes de recherche devraient être menées sur les facteurs d'ennui et de stress chez les gens de mer et les pêcheurs. Nous craignons les effets psychologiques et sociaux à long terme sur les marins de la pandémie du COVID 19. Dans un premier temps, des troubles psychologiques comme la dépression, l'anxiété et l'augmentation du taux de suicide apparaîtront. Dans une seconde partie, avec l'angoisse, la pression sociale des difficultés familiales et financières, on pourrait émettre l'hypothèse que de nombreux marins refusent de remonter à bord des navires et quitteront le transport maritime ou la pêche. Accroître l'accès et l'information sur les consultations de santé et de psychologues, en face à face ou par visioconférence, est impératif. Des capacités de relève d'équipage, l'aide des services de santé et des bureaux à l'étranger sont également nécessaires. Des discussions entre les organisations internationales, les institutions de navigation et les travailleurs pour mettre en place des actions de prévention à court et à long terme pourraient certainement profiter aux gens de mer. • Le transport maritime et la pêche sont directement impactés par la mondialisation. • La pandémie du COVID-19 a exposé l'ensemble des gens de mer au risque de situations précaires, qui peuvent à leur tour affecter leur santé mentale. • La dangerosité du métier des gens de mer associée à l'usage culturel de certains toxiques amène à s'inquiéter de facteurs précipitants et aggravants d'une comorbidité toxique-état de stress posttraumatique. • Depuis février 2020 un centre ressource pour les gens de mer s'est développé en France assurant des consultations psychologiques pour les marins en mer comme à terre. Ces consultations ont mis en évidence l'importance de leur sentiment d'isolement conduisant à l'épuisement de leurs ressources, à des états anxieux sévères ou des crises suicidaires. • La prise en charge et le suivi des marins embarqués a permis de pouvoir les sortir de leur sentiment d'indifférence sociétale ainsi que de pouvoir réassocier leur identité fonctionnelle, celle de gens de mer, de leur identité personnelle. Il est apparu important de ne plus se centrer uniquement sur les symptômes post-traumatiques mais sur toutes formes de souffrances psychiques. Tous les auteurs ont acceptés la version finale. Cet article n'a pas été publié auparavant ni en cours de soumission ou reviewing. Aucune rétribution ni fonds reçus dans le cadre de cet article. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts. Stress and strain among seafarers related to the occupational groups Seafaring stressors aboard merchant and passenger ships Seafarers' fatigue: a review of the recent literature Stress in seamen and non seamen employed by the same company Needs and possibilities for ship's crews at high seas to communicate with their home Impact of work-family conflict, job stress and job satisfaction on seafarer performance Work-related stress at sea self estimation by maritime students and officers Boredom at work: a neglected concept State-trait boredom: relationship to absenteeism, tenure and job satisfaction The dimensions of state boredom frequency, duration, unpleasantness consequences and causal attributions A confirmatory approach to the factor structure of the Boredom Proneness Scale: evidence for a two-factor short form Boredom in the workplace: a new look at an old problem Thoughts in flight: automation use and pilots' task-related and taskunrelated thought Boredom at work and boredom proneness among seafarers: the difference between officers and crewmen Potentially traumatic experiences of seafarers The mental health of seafarers Wellbeing of a selection of seafarers in Eastern Adriatic Sea during the COVID-19 pandemic 2020 État de stress post-traumatique chez les marins et addiction: étude de cas rapportés