key: cord-0731868-8svgfhvk authors: Leboyer, Marion; Pelissolo, Antoine title: Les conséquences psychiatriques du Covid-19 sont devant nous… date: 2020-09-17 journal: Ann Med Psychol (Paris) DOI: 10.1016/j.amp.2020.08.020 sha: 78af28f8140151a57c989f99d5b1c0344aa8b7f8 doc_id: 731868 cord_uid: 8svgfhvk nan Les consé quences psychiatriques du Covid-19 sont devant nous. . . Psychiatric consequences of Covid-19 are in front of us. . . Alors que la pandé mie de Covid-19 redé marre en Europe et fait rage aux USA, nous devons tirer les enseignements des pré cé dentes pandé mies de Coronavirus et des connaissances actuelles sur la Covid-19 pour estimer les risques pour la santé mentale de la population, aider les dé cideurs à faire face aux consé quences à venir de l'é pidé mie de Covid-19 et se pré parer aux prochaines pandé mies. L'é pidé mie de Covid-19 a rendu visibles les fragilité s de notre systè me de soins en santé mentale avec, dans certains de nos hôpitaux ou services psychiatriques, un retard à la distribution des masques et des autres é quipements de protection, un manque de maté riel de base, comme les thermomè tres dans les Centres Mé dico-Psychologiques, ou encore l'absence de tests diagnostiques pour nos patients (Gaillard, Le Monde, 23 mars 2020). Cette crise a aussi mis en lumiè re la capacité des é quipes de soins françaises à s'adapter avec efficacité et rapidité pour assurer le suivi des files actives à l'aide des nouvelles technologies, à cré er des plateformes dé dié es pour amé liorer l'accè s aux soins, à renforcer les liens entre psychiatres et mé decins gé né ralistes. Pour é viter que le cycle « panique-immobilisme-oubli » ne se ré pè te une nouvelle fois, nous proposons dans cet é ditorial de faire le point sur les leçons à tirer afin de se pré parer au mieux à ce qui est devant nous, à savoir une augmentation des besoins en santé mentale, alors que l'offre de soins en psychiatrie est considé ré e comme le « maillon faible du systè me de soins français ». 1. « Savoir pour pré voir, afin de pouvoir » (Auguste Comte) La pandé mie et ses consé quences morbides, relayé es de façon permanente par les mé dias et les ré seaux sociaux, ont contribué à l'apparition ou à l'aggravation de stress, de troubles anxieux et dé pressifs dans la population gé né rale, porteuse ou non de toute pathologie psychiatrique. Il est né cessaire de dé ployer des é tudes é pidé miologiques prospectives pour mesurer avec pré cision les consé quences pour la santé mentale de la pandé mie, mais nous disposons dé jà de donné es qui montrent l'importance de l'enjeu. Dè s mars 2020, Santé Publique France menait une é tude en population gé né rale, montrant que la pré valence de l'anxié té é tait de 26,7 %, soit deux fois supé rieure au taux observé avant la pandé mie, tout particuliè rement dans des populations spé cifiques comme les femmes, les jeunes et les personnes en situation de pré carité é conomique. En fé vrier 2020, une é tude mené e en Chine portant sur 1738 individus observait que 28,8 % et 16,5 % de la population gé né rale respectivement pré sentait des troubles anxieux et dé pressifs modé ré s à sé vè res. La population de patients porteurs de maladies mentales avant le dé but de la pandé mie semble avoir é té é galement é té trè s impacté e sur le plan psychologique. Une é tude chinoise publié e en juillet 2020 rapporte l'augmentation importante des é tats de stress post-traumatique (30 %), des troubles du sommeil (25 %) et la pré sence d'idé es suicidaires trè s fré quentes (Hao et al., 2020) . L'inquié tude pour soi et pour ses proches, la plé thore d'informations souvent non concordantes, l'exposition à des situations traumatisantes, les deuils, l'isolement social, les violences conjugales, l'augmentation des addictions survenues pendant le confinement expliquent une partie de ces troubles. Il est fort probable que les difficulté s é conomiques et le chômage à venir augmentent é galement le risque de dé velopper des troubles anxieux et dé pressifs, comme cela a é té observé à la suite de la crise é conomique de 2008. En lien avec les autres acteurs, mé decins gé né ralistes et psychologues notamment, les psychiatres ont un rôle clé à jouer pour essayer de ré duire ces risques d'apparition ou d'aggravation de pathologies psychiatriques pré existantes en informant sur les possibles consé quences psychologiques en pé riode de pandé mie et de crise comme le stress, les troubles du sommeil, les troubles anxieux, l'augmentation de la consommation d'alcool. Ils ont aussi à recommander des rè gles d'hygiè ne de vie comme le respect des horaires de sommeil, la poursuite d'une activité physique ré guliè re, le maintien des liens sociaux, l'utilisation des ressources numé riques pour la pratique de thé rapies psycho-sociales permettant de lutter contre les troubles anxieux. Dè s 1882, Emil Kraepelin avait é tabli un lien entre infections et troubles psychiatriques. En effet, plusieurs sé ries de cas datant des XIX e et XX e siè cles, portant sur des pré cé dentes pandé mies de virus respiratoires, faisaient é tat d'une augmentation dans la population gé né rale de symptômes neuropsychiatriques tels que l'insomnie, l'anxié té , la dé pression, les idé es suicidaires et les symptômes psychotiques, lors de l'infection aiguë et de la pé riode post-infection. Il est donc à craindre que la pandé mie Covid-19 ait des consé quences psychiatriques à la fois en raison de l'action directe de l'infection sur le cerveau mais aussi comme consé quence de la ré ponse immuno-inflammatoire à l'infection, en particulier de la tempête cytokinique qui fait suite à l'infection et dont on peut anticiper l'effet dé clencheur sur les maladies mentales (Dantzer et al., 2008) . Pour estimer cet impact, on peut se baser sur les donné es de suivi de patients ayant contracté une infection à coronavirus lors des pré cé dentes pandé mies de SARS ou de MERS. De fait, ré cemment a é té ré alisé e une mé ta-analyse portant sur l'ensemble des patients ayant é té suivis pendant deux à douze ans à la suite d'une infection (n = 3559) par SARS ou de MERS en Chine, Coré e, Canada, USA, France, Japon. Cette é tude a mis en é vidence des taux importants de nouveaux cas de dé pression (15 %), de troubles stress post-traumatiques (TSPT, 32 %) et de troubles anxieux (14,8 %) dans les suites des pandé mies (Rogers et al., 2020) . Les donné es concernant les consé quences du Covid-19 chez les patients infecté s sont encore rares, mais montrent clairement que le risque ne doit pas être né gligé et que le suivi des patients post-Covid doit être psychiatrique, au même titre qu'il doit être pulmonaire ou cardiologique. Une é tude italienne ré cemment publié e a montré que le suivi de 402 adultes infecté s par le COVID, é valué s ré guliè rement avec une batterie standardisé e d'é chelles psychiatriques, a montré la pré sence de 28 % de TSPT, 31 % de dé pression, 42 % d'anxié té , 20 % de symptômes obsessionnels et 40 % d'insomnie dans les mois qui ont suivi l'infection. L'é volution é tait marqué e par la survenue d'abord de PTSD et de troubles anxieux puis de dé pression (Mazza et al., 2020) . Il est donc essentiel de pré voir le suivi des symptômes anxieux et dé pressifs, de mener des é tudes visant à explorer le risque de dé velopper des troubles anxio-dé pressifs et suicidaires et leur lien avec la persistance de marqueurs de l'inflammation, d'é valuer é galement l'impact de straté gies thé rapeutiques mé dicamenteuses et non mé dicamenteuses (relaxation, mé ditation, activité physique, etc.) pour ré duire l'inflammation qui persisterait. L'activation immunitaire maternelle qui peut ré sulter de la survenue de stress psychosociaux et/ou d'é vé nements infectieux pendant la grossesse accroît le risque le dé veloppement ulté rieur de Troubles du Spectre de l'Autisme (TSA) ou de schizophré nie chez les descendants des femmes enceintes exposé es (Conway et Brown, 2019) . De fait, la survenue d'é vé nements stressants au cours de la grossesse comme le deuil, la guerre, la famine, des catastrophes naturelles, des difficulté s socio-é conomiques est associé e à un risque plus é levé de schizophré nie et de TSA. Par exemple, à la suite de l'é pidé mie de grippe de 1957, une é tude de cohorte de naissance finlandaise avait objectivé un risque d'hospitalisation pour schizophré nie nettement plus é levé pour les adultes qui avaient é té exposé s in utero au second trimestre de gestation, pendant le pic de l'é pidé mie par rapport à ceux né s six ans plus tôt (Mednick et al., 1988) . Des é tudes de cohortes de naissance utilisant des é chantillons biologiques collecté s ou des diagnostics documenté s de l'infection pendant la grossesse ont mis en é vidence une association entre une infection maternelle par la grippe, la toxoplasmose, ou le virus Herpè s Simplex Type 2 et l'augmentation ulté rieur de risque de schizophré nie (Brown et Derkitt, 2010) . Dè s 1964, à la suite d'une é pidé mie de rubé ole aux É tats-Unis, une augmentation de la pré valence de TSA de 0,05 % à 8-13 % a é té ré vé lé e par Stella Chess (Hutton et al., 2016) . Plus tard, une mé taanalyse (Jiang et al., 2016) , regroupant au total plus de 40 000 sujets, a effectivement mis en é vidence une augmentation du risque de TSA de 13 % en cas d'infection maternelle pendant la grossesse et de 30 % si cette infection a né cessité une hospitalisation. La diversité des pathogè nes impliqué s et le rôle du stress psychosocial suggè rent que c'est plus l'activation immunitaire maternelle pendant la gestation que l'action propre d'un pathogè ne particulier qui peut conduire à des troubles du neurodé veloppement. De trè s nombreuses mé ta-analyses portant soit sur l'effet d'un stress psychologique aigu, soit sur les infections, ont en effet montré que l'augmentation des cytokines pro-inflammatoires circulantes chez la femme enceinte peut dé clencher chez le foetus une ré ponse inflammatoire et/ou des modifications dans l'expression des gè nes foetaux codant pour certaines cytokines qui peut être associé e à l'augmentation du risque de troubles neurodé veloppementaux. Au total, à l'heure où l'on parle de deuxiè me vague psychiatrique de la COVID-19, il est donc primordial de proposer aux patients ayant é té infecté s par la COVID-19 un suivi rapproché afin de pouvoir repé rer et prendre en charge le plus pré cocement possible les troubles anxio-dé pressifs qu'ils pourraient pré senter. Nous devons aussi ré flé chir à la mise en place d'é quipes post-COVID pluridisciplinaires composé es de cardiologues, de pneumologues, mais aussi de psychiatres et de psychologues. Il est é galement important de suivre les femmes enceintes tout au long de leur grossesse, et dans la pé riode du post-partum pour dé pister et prendre en charge pré cocement les troubles de l'humeur et les troubles anxieux. Pour les enfants né s de mè res ayant é té infecté es au cours de la grossesse, il pourrait être judicieux d'impliquer les acteurs de premiè re ligne tels que pé diatres, pué ricultrices, professionnels de la petite enfance, pour organiser un suivi rapproché afin de repé rer pré cocement les premiers signes de troubles du neuro-dé veloppement et de mettre en place une prise en charge pré coce. La pandé mie a aussi é té l'occasion de dé ployer de nouveaux modes de prises en charge té moins de la capacité d'adaptation et de la cré ativité des é quipes françaises. De fait, pendant la pé riode du confinement, la prise en charge ambulatoire des patients de nos files actives a pu être maintenue grâce au dé ploiement de té lé consultations et/ou de vidé o-consultations. Des é quipes de prises en charge à domicile ont é té dé ployé es grâce à l'augmentation des moyens dé volus à ce type d'hospitalisation, offrant ainsi aux patients et à leurs familles l'accè s au soin psychiatrique quand les té lé consultations ne sont pas possibles et ré duisant le risque de diffusion des infections en milieu hospitalier. On peut é galement craindre que la crise du Covid-19 majore l'é mergence d'idé es et de passages à l'acte suicidaires. Il é tait donc essentiel de dé ployer rapidement des ré ponses pré ventives. En particulier, le dispositif VigilanS, dispositif de veille en place depuis 2015 et destiné aux personnes ayant ré alisé un geste suicidaire, a permis de rappeler tous les patients vus depuis le dé but 2020 afin d'é valuer les idé es suicidaires et de les prendre en charge pendant le confinement. Il est utile de rappeler qu'ont é galement é té cré é es trè s rapidement au dé but de la pandé mie des unité s Covid pour les patients atteints de maladies mentales et infecté s par la Covid. Ceci a é té facilité par le fait de tester systé matiquement les patients avant leur hospitalisation. Au sein de ces unité s, des é quipes pluridisciplinaires ont é té mises en place, ré unissant psychiatres, gé né ralistes et pharmaciens, qui ont assuré , ensemble, la prise en charge globale des patients. D'une maniè re gé né rale, les interventions des psychiatres ont é galement permis d'encourager le maintien d'une bonne hygiè ne de vie comme la recommandation d'une bonne ré gularité du sommeil, la poursuite d'une activité sportive, un bon é quilibre alimentaire. Ceci s'ajoute bien sû r au renforcement des habitudes d'hygiè ne quotidienne anti-infec-tieuse qui devrait ré duire certains facteurs de risque des troubles psychiques en gé né ral. Enfin, n'oublions pas que les é quipes de psychiatrie de liaison ont é té renforcé es et que des plateformes dé dié es ont é té cré é es pour assurer la prise en charge des soignants ayant besoin de soins psychiatriques pendant la pandé mie. Les é quipes de psychiatrie de liaison ont é galement assuré la prise en charge des familles dont les proches é taient hospitalisé s et à ceux en situation de deuil. Tant que la stigmatisation des maladies mentales demeurera un obstacle majeur au soin, il sera essentiel d'offrir à la population gé né rale un accè s facilité aux soins. La crise que l'on traverse, par son caractè re exceptionnel, et malgré toutes les tensions et les difficulté s qu'elle engendre, est l'occasion de se poser de nouvelles questions, de tester les innovations puis de les dé ployer au cas où leur efficacité serait confirmé e. Rappelons en particulier que pour ré pondre à la fermeture de lits, à la distanciation sociale, et pour faire face à l'augmentation des besoins en santé mentale due à la pandé mie, le dé ploiement des outils numé riques est prometteur. Toutefois, il convient de ré flé chir à l'implé mentation de ces nouvelles technologies dans le systè me de soins existant, à l'é quilibre entre le rô le des soignants et celui de l'utilisation des outils numé riques, à l'accè s à ces outils par des personnes dé munies qui n'ont pas toujours Internet ou un té lé phone portable, et enfin, à l'impé rieuse né cessité de dé montrer l'efficacité de ces nouvelles straté gies technologiques avant de les dé ployer. Les dispositifs numé riques peuvent être utilisé s pour amé liorer le diagnostic, à la fois à l'aide du remplissage actif de questionnaires ou bien à la mesure passive d'indicateurs d'activité physique, de contact social, du sommeil, qui peuvent é galement être des outils de suivi. Le numé rique peut é galement faciliter le dé ploiement de straté gies thé rapeutiques psycho-sociales, en particulier de gestion de l'anxié té (mé ditation, relaxation), de thé rapies cognitivo-comportementales et de psycho-é ducation. Même si ces solutions peuvent ré pondre partiellement aux pé nuries de praticiens dans certains territoires, elles ne doivent cependant pas être considé ré es comme le moyen de ré duire les effectifs de soignants et de professionnels partout où ils restent indispensables. Pour conclure, n'oublions pas que pour pouvoir organiser les soins de maniè re adapté e, Il est trè s important de soutenir les recherches qui é valueront de maniè re pré cise le retentissement psycho-pathologique de la pandé mie sur la population gé né rale, sur des populations spé cifiques comme les soignants, pour ceux qui auront é té infecté s par le Covid et pour les populations de personnes atteintes de maladies mentales. Le suivi qualitatif de l'impact de l'implé mentation de nouvelles organisations de soins devra être é galement mesuré , tout comme le suivi de l'accè s aux soins des populations les plus dé favorisé s qui n'ont souvent pas accè s aux innovations technologiques dé ployé es. É valuer non pas la quantité de soins ré alisé s, mais leur qualité et l'é quité de l'accè s aux soins devra être une priorité pour adapter efficacement et rapidement le changement du systè me de soins au contexte pandé mique et à ses consé quences annoncé es. Les auteurs dé clarent ne pas avoir de liens d'inté rêts. Pour en savoir plus Prenatal infection and schizophrenia: a review of epidemiologic and translational studies Maternal Immune Activation and Related Factors in the Risk of Offspring Psychiatric Disorders Maternal infection during pregnancy and risk of autism spectrum disorders: A systematic review and metaanalysis Psychiatric and neuropsychiatric presentations associated with severe coronavirus infections: a systematic review and meta-analysis with comparison to the COVID-19 pandemic Rovere-Querinib P, and the COVID-19 BioB Outpatient Clinic Study group (Francesco Benedetti). Anxiety and depression in COVID-19 survivors: Role of inflammatory and clinical predictors Adult schizophrenia following prenatal exposure to an influenza epidemic Adresse e-mail : marion.leboyer@inserm.fr (M. Leboyer)