key: cord-0730347-l640b0dw authors: Arnault, Emilie title: Covid-19: Les étudiants face à la crise date: 2021-03-11 journal: nan DOI: 10.1016/j.lpmfor.2021.03.003 sha: f891103f2797754e3ac21c858045f43442f3e7ad doc_id: 730347 cord_uid: l640b0dw nan Il est important de rappeler d'abord que la détérioration de la santé mentale des étudiants n'est pas née avec la Covid-19. Elle est plus ancienne. Elle a à voir avec l'isolement, notamment pour les primo-arrivants ayant fait leurs études secondaires dans une autre académie/région, les étudiants étrangers, ceux en rupture familiale, isolés. Elle a à voir aussi avec la précarité économique, de plus en plus prégnante dans cette population ; et aussi avec les caractéristiques de la société dans laquelle nos jeunes évoluent. Issus de la génération Y, puis Z, l'entrée dans les études supérieures signe parfois le premier échec, la première difficulté à laquelle ils sont confrontés. Leur capacité de résilience au stress, à la pression sociétale et/ou familiale de réussite n'est pas toujours à la hauteur de leurs attentes. Il s'agit aussi d'une tranche d'âge qui voit émerger fréquemment des troubles psychopathologiques, plus des ¾ des troubles psychiques graves émergeant avant 25 ans. Toutefois, on ne peut ignorer l'impact de la pandémie et ses conséquences sur les conditions de vie et d'étude des étudiants. Pour certains, la crise sanitaire est un déclenchement. Elle provoque du stress, de la dépression, ou des pathologies psychiatriques qui étaient sousjacentes mais qui se révèlent lors de cette période. Pour d'autres, le contexte très anxiogène du confinement accentue les fragilités ; ils avaient déjà besoin de soutien, effectif ou non avant la crise, et se sentent désormais encore plus vulnérables. Au sein des services de santé universitaires (SSU), les demandes de consultation pour soutien psychologique ont augmenté de 30% en moyenne depuis la rentrée universitaire, comparativement à la même période l'année dernière. En premier lieu, l'isolement social que crée le confinement et/ou le « tout distanciel » Cet isolement est particulièrement marqué chez les étudiants étrangers, dont la famille est loin, et pour lesquels les liens sociaux sont plus difficiles à tisser alors même que les activités associatives sont stoppées, que les actions organisées par les universités pour promouvoir la vie étudiante et la cohésion inter-filières sont annulées, que les rencontres potentielles crées par les cours à la faculté n'ont pas lieu. L'isolement est prégnant également chez les nouveaux entrants à l'université, qui n'ont pas eu l'occasion de tisser des liens avec leur promotion, qui n'ont pas eu le temps de découvrir leur faculté, leurs enseignants ; pour qui le sentiment d'appartenance à une communauté n'a pu se mettre en place, et pour qui les doutes et remises en question du choix d'orientation sont majeurs. Les étudiants entourés par leur famille peuvent rentrer chez eux et être soutenus ; mais quid de ceux en rupture familiale, confrontés à des violences au domicile parental, ou tout simplement ne disposant pas de matériel informatique ou de connexion internet adaptée en dehors de leur lieu de vie étudiant ? Ceux-là sont contraints de rester dans leur logement étudiant, -seuls. La précarité numérique est l'un des enjeux du confinement/distanciel : sans outil, connexion et débit internet adaptés, difficile de travailler. Beaucoup d'étudiants comptent sur l'accès internet des bibliothèques universitaires, bibliothèques qui ont fermé, puis rouvert mais sur rendez-vous et avec des jauges réduites, ne permettant pas à tous d'en bénéficier. Les universités ont déployé des aides à la connexion, dès le premier confinement ; mais le traitement de ces demandes, nombreuses, nécessite du temps, synonyme de stress pour ces étudiants en attente. Car s'ils vivent globalement de manière « hyper-connectée », tous ne maitrisent pas parfaitement les outils informatiques, et/ou ne tapent pas suffisamment vite pour assurer une prise de note exhaustive. La difficulté principale que nous remontent, au sein des services de santé universitaires, les étudiants en souffrance, est la gestion de l'organisation : arriver à prioriser son travail alors que des contrôles continus peuvent être organisés 4 ou 5 fois par semaine, -nombre d'enseignants ayant favorisé ce mode d'évaluation pour anticiper des incertitudes sur la tenue des examens terminaux, et surtout, s'organiser dans ses cours. Un étudiant lambda, un peu stressé mais sans plus, qui assiste à un enseignement en présentiel, prend ses notes lors du cours, puis, chez lui, va éventuellement en faire une fiche, les travailler à sa manière. Mais avec les cours en ligne, il peut réécouter le cours indéfiniment, reprendre ses notes, 5 fois, 6 fois, et au final passer 2 à 3 fois plus de temps sur une matière que lorsqu'elle avait lieu en présentiel. A cela s'ajoute le manque d'échanges avec l'enseignant, le manque d'interactions avec les autres étudiants, les questionnements sur la valeur du diplôme, la possibilité de trouver un stage, la peur d'un cursus au rabais. Un focus particulier sur la situation spécifique des étudiants en situation de handicap, ou à besoins particuliers, est nécessaire : pour nombre d'entre eux, les adaptations pédagogiques liées au numérique créent une difficulté supplémentaire, qu'elle repose sur l'utilisation des outils, leur non-adéquation au handicap, et/ou sur la perte du seul lien social que constitue pour nombre d'entre eux la présence à la faculté. Une enquête nationale a été diffusée auprès des étudiants mi-décembre. Les premières tendances qui apparaissent à travers leurs réponses laissent à penser que l'enseignement à distance, tel qu'il est mis en place, est vécu comme une situation majoritairement pesante. Le manque de contacts avec les enseignants et de partages d'expérience avec d'autres, souvent sources de motivation, semblent fragiliser les étudiants, interrogeant ainsi l'impact sur les apprentissages. La pandémie de Covid-19 a provoqué l'annulation de nombreux jobs étudiants, que ce soit pendant le confinement ou après, cet été notamment. Durant le confinement, près de 6 étudiants sur 10 ont arrêté ou réduit leur activité rémunérée. Or, elle permet à nombre d'étudiants de joindre les deux bouts. Tous ne sont pas éligibles aux bourses, notamment les étudiants étrangers ; et ceux qui sont en limite du seuil d'éligibilité comptent souvent sur leur job étudiant au long cours ou celui effectué l'été, pour combler « les trous » au quotidien. Les étudiants ayant prévu des échanges à l'étranger se sont vus également en difficulté du fait des frais de voyage ou de logement qui n'ont pas tous pu être remboursés/compensés. Si des aides d'urgence ont été débloquées par les services sociaux des universités et des CROUS, les services ont été débordés de demande d'aides alimentaires ou concernant des produits d'hygiène et de première nécessité, entrainant là encore un délai de traitement des demandes difficiles à supporter pour les étudiants les plus démunis, et le recours à des associations d'aide alimentaire. Ces étudiants, qui n'avaient jamais jusque-là eu besoin de demander de l'aide pour parvenir à se nourrir, ont pu exprimer la difficulté pour eux de faire cette démarche. Si les demandes de soutien psychologique ont augmenté principalement à partir de septembre, et notamment avec le second confinement, les demandes d'aides sociales, elles, ont explosé dès le mois d'avril 2020, nécessitant un renfort humain des services sociaux des universités et des Crous et des financements spécifiques pour palier à des situations de détresse aigues. Les difficultés sociales perdurent et nécessitent encore, en janvier 2021, le déploiement d'aides diverses pour une population que l'on ne touchait pas jusque-là. La difficile mise sur pause de la vie sociale, sel de la vie étudiante, et la difficulté de la distanciation physique La vie étudiante, ou vie de campus, ce n'est pas juste aller boire un verre après les cours, sortir chez les uns ou les autres. Pas facile, sans vie de campus, de développer un sentiment d'appartenance à la faculté ni la convivialité nécessaire et inhérente à cette période de la vie. Les étudiants reçus dans les SSU décrivent bien la difficulté à ne plus pouvoir « toucher » les autres : les accolades, les câlins, font partie de leur mode de fonctionnement et ils ont le plus grand mal à rester éloignés les uns des autres. En effet, la distance physique « dépersonnalise » les relations amicales, les rituels d'entrée en contact n'existent plus, la communication devient difficile. Si le concept de « quarantaine » semble facile à comprendre, la notion de distance physique l'est moins, d'autant plus que se rajoute souvent la distance sociale, alors que l'on devrait au contraire apporter d'autant plus de soutien à nos proches qu'on nous impose la distance physique. Sans vie étudiante, sans présence dans les campus, sans contacts physiques, le quotidien des étudiants se résume le plus souvent à 4 murs et des écrans. Souvent, cette réduction drastique des contacts sociaux, si elle est efficace pour limiter la propagation de la Covid, favorise le repli sur soi et augmente le risque de se couper des liens existants, surtout s'ils étaient balbutiants. Le développement d'initiatives par les pairs, via les étudiants relais santé ou les étudiants tuteurs recrutés dans les universités, les étudiants référents dans les résidences universitaires des Crous, peut permettre de créer des échanges, plus faciles parfois entre étudiants que la sollicitation d'un professionnel. Le lien social, en effet, semble bien être le maillon manquant dans la gestion de cette crise. Le manque de moyens dévolus aux universités pour la santé des étudiants, en particulier leur santé mentale, est pointé par les services de santé universitaires depuis longtemps déjà, la France faisant figure de mauvais élève avec un psychologue universitaire à temps plein pour 30 000 étudiants en moyenne, versus un pour environ 1 600 étudiants aux Etats-Unis, ou un pour 2 600 étudiants en Irlande. Cette crise vient appuyer sur ces difficultés, impactant d'autant plus les services les moins bien dotés. Le renforcement des services, en psychologues, mais aussi en psychiatres, en médecins généralistes, en infirmiers, en assistants de service sociaux, est essentiel, et doit être pérenne. S'il n'est pas toujours facile d'identifier quelles sont les personnes pour lesquelles l'impact de la crise va évoluer vers un trouble psychique grave et potentiellement chronique, ni d'arriver à prévenir cette évolution, il est essentiel de pouvoir intervenir précocement pour éviter les aggravations, et pour cela donner aux universités, via leur service de santé, les moyens de mener une action au long cours et non uniquement centrée sur la crise. Cette action doit s'intégrer dans une réflexion globale et transversale d'amélioration des conditions de vie et d'étude de cette population : travailler sur les conditions de logement et de restauration, sur les emplois du temps, sur la cohérence des parcours, sur le développement du lien social, favoriser des actions collectives visant le renforcement des compétences psychosociales (gestion du stress, capacité à se positionner dans un groupe, à intervenir à l'oral, etc) semble au moins aussi important que le renforcement de l