key: cord-0712505-5pxv5slq authors: CHEN, Martha Alter; GRAPSA, Erofili; ISMAIL, Ghida; ROGAN, Michael; VALDIVIA, Marcela; ALFERS, Laura; HARVEY, Jenna; OGANDO, Ana Carolina; REED, Sarah Orleans; ROEVER, Sally title: COVID‐19 et travail informel: les enseignements d'une étude sur la situation dans onze grandes villes date: 2022-03-11 journal: Revue internationale du Travail DOI: 10.1111/ilrf.12230 sha: 4b886cee88a7c39c181de70a1ac7c4b416d02cae doc_id: 712505 cord_uid: 5pxv5slq Les auteurs présentent les conclusions d'une étude dirigée par le réseau Femmes dans l'emploi informel: globalisation et organisation (WIEGO) sur les effets de la crise du COVID‐19 sur les travailleurs informels. L'analyse porte sur quatre professions et onze grandes villes de cinq régions. Il y est question du travail et des revenus, de l'accès à l'alimentation et de la faim, des responsabilités familiales et domestiques, ainsi que des stratégies d'adaptation des ménages. Les auteurs évoquent également les mesures de soutien proposées par les gouvernements et les organisations de travailleurs informels. Enfin, ils énoncent une série de principes devant guider l'action en faveur de ce groupe. À l'échelle mondiale, plus de 60 pour cent des emplois relèvent de l'économie informelle, une proportion qui avoisine les 90 pour cent dans les pays en développement (BIT, 2019). Dans la majeure partie du monde du Sud, l'emploi informel est la norme, au point qu'économie réelle et économie informelle se confondent. Par conséquent, si l'on veut analyser les effets de la pandémie de COVID-19 et des confinements sur l'emploi, il importe d'abord de bien comprendre les répercussions que ceux-ci ont eues sur les moyens de subsistance des travailleurs de l'économie informelle. Or la crise induite par la pandémie que nous traversons actuellement a ceci de particulier qu'elle semble infirmer un postulat bien établi, selon lequel, durant les crises et récessions, l'économie informelle constitue un refuge pour ceux qui ne parviennent plus à s'insérer sur le marché du travail formel (voir Verick, 2010) . En effet, ce serait ignorer les effets de la crise sur les travailleurs informels et leur aptitude à faire face à une concurrence accrue (Horn, 2009) . En outre, après l'apparition de la pandémie, début 2020, des projections sur les pertes d'emplois ont mis l'accent sur l'effet particulièrement pénalisant de la pandémie et des restrictions imposées par les autorités pour y faire face sur les travailleurs de l'économie informelle. Le Bureau international du Travail a estimé ainsi que, sur les 2 milliards de travailleurs informels de la planète, 1,6 milliard seraient très durement touchés par la crise du COVID-19 (BIT, 2020) . Il a indiqué également que, au cours des premiers mois de la crise, les revenus de ces travailleurs avaient diminué de 81 pour cent en Afrique et en Amérique latine. Enfin, dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et les pays à faible revenu, les gains des travailleurs informels auraient affiché une chute spectaculaire de 82 pour cent en avril 2020 (ibid.). Ces chiffres globaux masquent des situations variables, sous l'angle de l'intensité des effets subis et de leurs modalités de transmission. Car si, par définition, les travailleurs informels sont tous privés de la protection juridique et sociale associée à l'emploi formel, d'autres variables entrent en jeu, comme la branche d'activité, la situation au regard de l'emploi, le lieu de travail ou le sexe. À ce jour, nous ne disposons pas encore de toutes les informations nécessaires pour bien comprendre les mécanismes de transmission de la crise du COVID-19 aux différents groupes de travailleurs informels. Des données plus précises, rendant compte des multiples modalités d'emploi et conditions de travail qui cohabitent à l'échelon inférieur de la pyramide économique, seraient nécessaires pour appréhender la portée et la nature véritables de ces effets sur l'emploi et élaborer des politiques propres à garantir une véritable relance de l'économie informelle. Dans le présent article, nous analyserons une série de données sur l'effet de la récession liée à la pandémie sur les travailleurs informels de onze grandes villes de cinq régions. Les données en question proviennent de la première vague d'une enquête longitudinale combinant approches quantitative et qualitative, réalisée par l'organisation Femmes dans l'emploi informel: globalisation et organisation (WIEGO) 1 . Le volet quantitatif reposait sur une enquête téléphonique menée auprès de 2 009 personnes relevant de quatre groupes de travailleurs informels distincts: des travailleurs domestiques, des travailleurs à domicile, Total 613 303 637 499 45 50 44 49 52 2009 Note: Au Mexique, la catégorie des travailleurs no asalariados englobe toute sorte de professions (cireurs de chaussures, musiciens ambulants, photographes, ferblantiers…) qui prêtent des services personnels occasionnels ou ponctuels et sont rémunérés au moyen d'honoraires, de commissions, de pourboires, ou sous toute forme autre qu'un salaire fixe, et qui ne sont pas assimilés aux indépendants. l'échantillon de la ville. Les répondants ont été tirés au sort parmi les membres de l'organisation partenaire, en tenant compte du groupe d'appartenance, selon la méthode des quotas (tableau 1). La composition de l'échantillon, et partant des données, ne devait pas forcément être représentative de la population des travailleurs informels de la ville, ni même de l'ensemble des membres de l'organisation partenaire. Le but était de recueillir des données précises sur les mécanismes par lesquels la crise du COVID-19 s'est répercutée sur différents groupes de travailleurs informels, dans des contextes urbains distincts (voir tableau 2). Dans le présent article, nous nous emploierons à dépeindre les effets différenciés de la crise du COVID-19 sur les groupes de travailleurs informels pris en compte dans les onze villes énumérées plus haut. Nous chercherons en outre à déterminer de quels appuis les travailleurs informels et leur famille ont bénéficié durant la pandémie et à faire le point des enseignements clés qui peuvent être tirés de la crise non seulement dans l'optique de la relance, mais aussi en vue d'une réforme des politiques et de la réglementation visant à protéger cette main-d'oeuvre et à améliorer sa condition. La suite de l'article s'organise comme suit. Dans la deuxième partie, nous proposerons une synthèse documentaire, axée sur les études consacrées à l'évaluation des effets de la crise du COVID-19 sur l'emploi en général et sur les travailleurs informels en particulier. Dans les quatre parties suivantes, nous commenterons les résultats de l'étude de WIEGO, en commençant par ceux qui portent sur l'effet général de la pandémie (titre 3), puis en poursuivant par les conclusions sur l'intensité de ces effets et les mécanismes de transmission correspondants dans les différents groupes et les différentes villes (titre 4), et en finissant par les mesures prises par les pouvoirs publics et les organisations de travailleurs informels locales pour réduire l'impact de la crise sur la vie des intéressés et leurs moyens de subsistance (titres 5 et 6). Enfin, nous relaierons des demandes formulées de façon unanime par les organisations de travailleurs informels dans les onze villes considérées, et nous énoncerons plusieurs principes directeurs en vue d'une relance économique partant de la base, pour améliorer la condition des travailleurs informels, groupe majoritaire au sein de la maind'oeuvre mondiale (titre 7). Après les projections publiées par le BIT en avril 2020 (BIT, 2020), des études toujours plus nombreuses ont mis en évidence les effets des confinements et restrictions sur le travail, les revenus, la sécurité alimentaire et d'autres indicateurs. À titre d'exemple, dans une étude reposant sur des données portant sur un échantillon de 30 000 ménages, issues de seize enquêtes auprès des ménages de neuf pays et trois régions, Egger et ses coauteurs (2021) indiquent que le pourcentage des répondants ayant déclaré avoir moins travaillé en mars 2020 était compris entre 5 et 49 pour cent (avec une médiane à 30 pour cent) et celui de ceux qui faisaient état d'une baisse de leur revenu entre 8 et 87 pour cent (avec une médiane à 70 pour cent). Certaines études ont montré par ailleurs que les mesures de confinement n'avaient pas eu le même effet sur les travailleurs formels et sur les travailleurs informels. Par exemple, en s'appuyant sur des enquêtes réalisées au Burkina Faso, au Mali et au Sénégal, Balde, Boly et Avenyo (2020) ont constaté que, à la fin du mois d'avril 2020, un quart des travailleurs avaient perdu leur emploi ou été mis à l'arrêt dans ces trois pays d'Afrique de l'Ouest, et que plus de la moitié avaient vu leurs revenus diminuer. Il ressortait en outre de ces enquêtes que les travailleurs informels étaient beaucoup plus vulnérables que les travailleurs formels. Ainsi, à la fin du mois d'avril 2020, au Burkina Faso, 4 pour cent des travailleurs formels étaient au chômage, contre 48 pour cent des travailleurs informels; au Mali, ces chiffres étaient de 8 et 32 pour cent, respectivement; et, au Sénégal, de 8 et 42 pour cent. D'après les auteurs, ces écarts importants venaient de ce que les travailleurs informels étaient surreprésentés dans les secteurs d'activité qui avaient le plus souffert des mesures de confinement -commerce de détail, restauration, tourisme, salons de coiffure et services de taxis. Des analyses de plus en plus nombreuses tendent aussi à attester les effets différenciés du COVID-19 sur les travailleurs informels, selon la situation ou la catégorie professionnelles. Au Bangladesh, deux instituts de recherche (le Power and Participation Research Centre et l'Institute of Governance and Development de l'Université BRAC) ont effectué une étude auprès de 7 236 ménages. Ils ont évalué l'effet de la pandémie et des confinements sur l'activité principale, le niveau des gains et la sécurité alimentaire en comparant la situation en avril, en juin/juillet et en février 2020, soit avant l'arrivée du COVID-19 (Rahman et al., 2020) . L'analyse montre que l'activité économique connaît une baisse vertigineuse en avril, en particulier dans les zones urbaines, mais que la situation s'améliore nettement en juin, une fois le confinement assoupli, sans que l'on retrouve les niveaux précédents toutefois. À cette même période, 7 pour cent des travailleurs ont changé d'activité principale et 17 pour cent n'ont pas repris le travail. Cette étude fait également apparaître que l'intensité et la portée des répercussions diffèrent selon le caractère formel ou informel de l'emploi, de même qu'en fonction du type d'activité, au sein du groupe des travailleurs informels. Les ménages qui dépendent principalement du travail formel -travail dans les usines ou emplois salariés -sont ceux qui souffrent le moins des effets de la crise sur l'emploi (entre 10 et 14 pour cent). Inversement, les travailleurs domestiques sont ceux qui connaissent le plus grand recul, puisque plus de la moitié d'entre eux (54 pour cent) sont toujours au chômage en juin 2020. Les travailleurs non qualifiés connaissent pour leur part une augmentation du chômage de 20 pour cent. Enfin, la plupart des personnes qui ont changé d'activité ont trouvé à se replacer dans des emplois non qualifiés, et elles gagnent généralement moins qu'avant la crise (Rahman et al., 2020) . Le groupe qui a le plus de mal à retrouver du travail, à savoir les travailleurs domestiques, est majoritairement composé de femmes. Dans les autres catégories aussi on note des différences importantes entre les hommes et les femmes. Chez les petits entrepreneurs, par exemple, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à avoir perdu leur travail (35 pour cent contre 16 pour cent), et chez les travailleurs non qualifiés également (16 pour cent contre 8 pour cent). En outre, toutes activités confondues, la proportion des individus qui sont toujours au chômage en juin est plus importante chez les femmes que chez les hommes, qui sont proportionnellement plus nombreux à avoir trouvé un autre type d'activité (Rahman et al., 2020) . Par ailleurs, les auteurs de l'étude bangladaise indiquent que le recul de l'emploi, spectaculaire, enregistré en avril est certes suivi d'une reprise soutenue de l'activité économique en juin 2020, mais que la hausse des revenus est restée plus modeste. En effet, en juin, le revenu journalier moyen par habitant n'est encore que de 67 takas en zone urbaine et de 53 takas en zone rurale, soit bien moins qu'avant la pandémie (les valeurs équivalentes étant de 108 et 96 takas, respectivement, à l'époque). En outre ces niveaux restent en deçà du seuil de pauvreté -inférieur -défini pour les zones rurales, tant dans les quartiers pauvres des villes que dans les campagnes. Il y a aussi une différence importante entre la situation des ménages qui tirent leur revenu essentiellement d'un emploi formel, salarié ou en usine, et celle de ceux qui vivent d'autres activités, principalement informelles. Pour les ménages des travailleurs d'usine et des salariés, le revenu est remonté à 84 et 82 pour cent, respectivement, du niveau d'avant-crise. Pour les ménages qui dépendent des gains d'un travailleur employé dans les transports ou d'un emploi non qualifié, il ne représente plus que 52 pour cent de ce niveau (Rahman et al., 2020) De même, dans une étude réalisée conjointement par l'institut de recherche statistique, sociale et économique de l'Université du Ghana et l'Institut mondial de recherche sur les aspects économiques du développement de l'Université des Nations Unies, des chercheurs ont estimé les effets de la crise du COVID-19 sur l'emploi, les revenus du travail et le temps de travail dans les districts soumis à des mesures de confinement et dans les autres (Schotte et al., 2021) . Ils ont tenu compte en outre du secteur d'emploi (formel ou informel) et de la situation professionnelle (salarié ou indépendant). L'enquête en question a eu lieu entre la fin du mois d'août et le début du mois de septembre 2020, avec deux périodes de référence: le point culminant du confinement (avril 2020) et la période précédant l'apparition de la pandémie (février 2020). Les données montrent qu'un peu plus d'un tiers (35 pour cent) des répondants des districts soumis à un confinement ont continué à travailler en avril, contre un peu plus des deux tiers (67 pour cent) des répondants des autres districts. Dans ces zones (non soumises au confinement), les salariés de l'économie informelle ont été empêchés de travailler plus que les autres à cette période. A contrario, les salariés de l'économie formelle ont été plus nombreux à être restés actifs, tant dans les districts soumis au confinement que dans les autres. En outre, c'est chez les travailleurs indépendants de l'économie informelle que le recul de l'emploi a été le plus net (ibid.) 5 . Cette étude montre encore qu'en août-septembre 2020 l'écart dans les taux d'emploi entre districts confinés et non confinés au Ghana s'est résorbé, 85 pour cent environ des répondants étant à nouveau en mesure de travailler dans les deux groupes. Toutefois, les travailleurs qui ont dû interrompre leur activité en avril, qu'ils appartiennent à un groupe ou à l'autre, ont été beaucoup plus susceptibles de ne pas avoir de travail en août-septembre. En outre, la proportion des personnes en emploi au moment de l'enquête était inférieure de 12 pour cent au chiffre équivalent enregistré en février 2020 (Schotte et al., 2021) . Par conséquent, on peut considérer que ces études confirment, avec d'autres, les projections publiées par le BIT en avril 2020, à savoir celles qui montraient que la pandémie et les mesures de confinement et autres restrictions auraient un effet disproportionné sur les travailleurs informels, leurs moyens de subsistance et leur famille. Dans les ménages les plus démunis, dont la survie dépend d'un revenu journalier, tiré de l'économie informelle, les mesures de confinement et l'obligation de rester chez soi mises en place pour enrayer la propagation du virus ont engendré trois crises interdépendantes et quasi immédiates: une crise de l'emploi, une crise du revenu et une crise alimentaire. À travers le monde, au plus fort des mesures de confinement, les travailleurs de l'économie informelle ont exprimé la même crainte: «Ce n'est pas le virus qui nous tuera, mais la faim». S'il ne fallait retenir qu'une chose de l'étude conduite par WIEGO, c'est que la crise a eu un impact majeur sur la capacité des travailleurs de l'économie informelle à poursuivre leur activité. Dans les onze villes considérées, près des trois quarts (74 pour cent) des répondants déclarent ne pas avoir travaillé du tout en avril 2020. En juin 2020, lorsque les restrictions les plus strictes sont assouplies ou levées, la plupart des travailleurs informels peuvent reprendre leur activité, mais près d'un cinquième (21 pour cent) en sont encore empêchés. Les différences selon la ville (figure 1) dépendent largement de la portée et de l'intensité des restrictions imposées par les autorités, ainsi que de la nature, du montant et de la diffusion des aides publiques (voir tableau 2). Elles reflètent également la composition de l'échantillon dans les différentes villes (voir tableau 1). Le recul de l'activité se traduit aussi par une baisse de la durée hebdomadaire moyenne du travail. Sur l'ensemble de l'échantillon, cette durée diminue de 77 pour cent entre février et avril 2020 (passant de 5,6 à 1,3 jour par semaine en moyenne). Au milieu de l'année, cet indicateur repart à la hausse et retrouve un niveau de 3,5 jours par semaine. Ce chiffre représente toutefois une baisse de 38 pour cent par rapport au niveau enregistré avant la pandémie, même après l'assouplissement ou la levée des confinements et autres restrictions. Comme on le voit sur la figure 2, la diminution de la durée hebdomadaire moyenne du travail six mois après le début de la pandémie varie selon la ville. Pour Dakar, les valeurs ne sont pas typiques, mais c'est parce que, dans ce cas, l'échantillon est composé uniquement de récupérateurs de déchets, occupés dans une décharge qui n'a jamais fermé. À Bangkok, le confinement a été partiel uniquement, et relativement bref, et les vendeurs de produits frais ont été autorisés à poursuivre leur activité. À Mexico, les restrictions n'ont pas touché toutes les catégories de travailleurs de la même manière. Ainsi, les récupérateurs de déchets, qui représentent 18 pour cent de l'échantillon de cette ville, ont pu poursuivre le travail durant tout le confinement, même s'ils ne faisaient pas partie des travailleurs essentiels, à la différence des éboueurs. Prises ensemble, les données montrent que la baisse du temps de travail est importante en avril, et qu'en juin aucun des répondants, dans aucune des villes, ne travaille autant qu'avant la crise. Ainsi, dans la moitié des échantillons environ, la durée hebdomadaire moyenne du travail représente toujours à cette période moins de la moitié du niveau de référence. Cette baisse de l'activité se traduit naturellement par une diminution des revenus (figure 3). Sur l'ensemble de l'échantillon, les gains déclarés en avril représentent 19 pour cent en moyenne à peine des niveaux d'avant la crise. En juin, l'ensemble des répondants ne touchent encore que 56 pour cent de leur revenu précédent. Toutefois, comme pour l'emploi, le recul des revenus varie selon le lieu. La reprise des revenus est particulièrement lente dans quatre villes soumises à un confinement national strict et prolongé, où la perte de revenu est particulièrement nette en avril, à savoir Ahmedabad, Lima, New Delhi et Tiruppūr. À Tiruppūr, où les personnes interrogées sont toutes des ouvrières à domicile, travaillant en sous-traitance pour des usines très dépendantes de l'exportation, les revenus représentent 6 et 12 pour cent des niveaux précédents en avril et en juin, respectivement. Inversement, dans quatre villes où le confinement a été partiel ou de courte durée -Bangkok, Durban, New York et Pleven -, les revenus sont beaucoup plus élevés en juin qu'en avril, quoique encore légèrement inférieurs aux niveaux de l'avant-COVID. À Durban, où le confinement a été particulièrement strict, le revenu moyen d'avril représente quelque 5 pour cent à peine du niveau d'avant la pandémie. Après trois semaines, les restrictions ont finalement été assouplies, si bien que les revenus moyens représentent en juin trois quarts environ de leur niveau d'avant le confinement. Face à un tel recul de l'activité, du temps de travail et des revenus, il n'est pas étonnant que les travailleurs et leur famille peinent à subvenir à leurs besoins. Dans sept des onze villes de l'étude, plus d'un tiers des travailleurs déclarent avoir manqué de nourriture, à divers degrés, pendant les trois mois qui ont suivi le début de la crise (voir figure 4) . Dans trois villes soumises à un confinement strict et prolongé -Durban, Lima et Tiruppūr -, la majorité des répondants disent avoir souffert de la faim. Privés plus ou moins complètement de leur emploi et de leur revenu, les répondants ont dû se tourner vers d'autres moyens pour pouvoir se nourrir et assumer leurs autres dépenses essentielles (loyer, eau et électricité, soins de santé et frais de scolarité). Ils ont notamment eu recours à l'emprunt et puisé dans leur épargne (figure 5). Même à Dakar où tous les répondants ont pu travailler en avril et en juin 2020, largement plus de la moitié des ménages ont dû emprunter, et plus de 40 pour cent entamer leurs économies. De même, à Bangkok où plus de la moitié des répondants travaillent en avril, et tous en juin, 35 pour cent des ménages interrogés se sont endettés, alors que 48 pour cent ont puisé dans leurs réserves. Nous soulignons qu'autant l'une que l'autre de ces deux stratégies sont susceptibles de peser à long terme sur l'équilibre financier et le bien-être des ménages. En outre, dans toutes les villes, les répondants sont nombreux à avoir différé le paiement de leur loyer, de leurs notes de gaz, d'électricité, ou autres, et des frais de scolarité de leurs enfants, accumulant ainsi des dettes encore alourdies par les intérêts. Prises ensemble, les données montrent que, faute d'une aide globale des pouvoirs publics, les travailleurs informels ont été contraints, pour amortir le choc, de puiser dans leurs économies (souvent déjà maigres) ou de Enfin, si le travail rémunéré a reculé durant la crise, le temps consacré au travail non rémunéré a au contraire augmenté. Dans six villes, plus de la moitié de l'échantillon, hommes et femmes confondus, disent passer plus de temps à faire le ménage qu'avant la pandémie. En outre, du fait de la fermeture des écoles et des crèches, la crise du COVID-19 est marquée par une hausse du temps consacré aux enfants, notamment pour les aider à suivre leur enseignement en ligne, là où ce système a été mis en place et quand le ménage est en mesure d'en profiter. Ainsi, dans huit des villes étudiées, au moins la moitié des répondants, les hommes comme les femmes, déclarent avoir passé plus de temps à s'occuper de leurs enfants. Si l'on sait et que l'on admet maintenant de mieux en mieux que la pandémie et les confinements et autres restrictions ont eu des conséquences plus fâcheuses sur les travailleurs informels que sur les travailleurs formels, on ne comprend pas encore très bien comment la crise a touché les différents sous-groupes de la maind'oeuvre de l'économie informelle. Dans cette partie, nous nous intéresserons aux différents mécanismes de transmission des effets de la crise sur quatre groupes de travailleurs informels: les travailleurs domestiques, les travailleurs à domicile, les vendeurs ambulants ou exerçant sur les marchés et les récupérateurs de déchets. Les effets de la crise du COVID-19 sur les travailleurs informels n'ont pas été uniformes, avec des différences selon la ville, mais aussi selon le type d'activité, voire entre des individus relevant du même groupe ( reprise lente en juin 2020 (WIEGO, 2020a et 2021a). À New Delhi, par contre, la situation était plus contrastée (WIEGO, 2020b). Pour les travailleurs domestiques, pour commencer, 1 pour cent d'entre eux seulement peuvent travailler en avril, contre 42 pour cent en juin, pour un revenu équivalent à 75 pour cent du précédent en moyenne (à la même période, les travailleurs à domicile ne gagnent toujours qu'un cinquième environ de leur revenu d'avant la crise). Dans le secteur, il ne semble donc pas y avoir eu d'arrêt de la demande, lorsque ces employés ont été à nouveau autorisés à se déplacer et à se rendre dans les lotissements de leurs employeurs. En revanche, pour les travailleurs à domicile, la demande n'avait toujours pas repris en juin, en partie parce que les commandes de masques, que l'association indienne des travailleuses indépendantes (Self-Employed Women's Association ou SEWA) avait obtenues durant le confinement, n'ont pas été renouvelées, des sociétés commerciales s'étant mises à produire cet article en grand nombre. En avril 2020, les répondants des quatre groupes pris en compte citent les consignes officielles (limitant la circulation et le commerce) comme le premier motif de l'interruption de leur activité. Le deuxième motif mentionné est la perturbation du marché et des chaînes d'approvisionnement. Pour les travailleurs domestiques, le fait de pouvoir travailler dépend surtout de la décision de l'employeur (que nous assimilons ici à une perturbation du marché). En juin 2020, une fois les restrictions assouplies, ce facteur a un poids encore plus important pour ce groupe, mais aussi pour les travailleurs à domicile et pour les vendeurs ambulants, alors que les récupérateurs de déchets citent d'abord les préoccupations sanitaires (tableau 3). On notera que les répondants qui citent les responsabilités familiales et domestiques comme un obstacle à l'activité sont minoritaires en avril mais un peu plus nombreux en juin, période où davantage de répondants sont actifs (en particulier parmi les vendeurs ambulants et les récupérateurs de déchets). L'évolution du revenu moyen est aussi très variable selon le groupe, tant en avril qu'en juin (figure 7). C'est pour les travailleurs à domicile que le recul est le plus marqué en avril, et la remontée le plus faible en juin. Viennent ensuite les vendeurs ambulants et vendeurs sur les marchés. Les travailleurs domestiques sont à l'inverse ceux qui indiquent la diminution la plus faible en avril; et les récupérateurs de déchets, ceux qui font état de la plus forte reprise en juin. En avril 2020, près de 30 pour cent des travailleurs domestiques peuvent poursuivre leur activité; ils travaillent en moyenne deux jours et demi par semaine et gagnent un tiers (33 pour cent) de leur revenu précédent. En juin, un peu plus de la moitié (52 pour cent) d'entre eux sont actifs; ils travaillent en moyenne trois jours par semaine et leurs revenus représentent un peu moins des deux tiers (64 pour cent) de leur revenu précédent. Durant ces deux périodes, les individus contraints à l'inactivité -principalement les employés qui ne sont pas logés par l'employeur -indiquent que cette situation découle d'une perturbation du marché, en l'espèce une décision de l'employeur (figure 8). Comme l'a signalé une répondante de New Delhi, «les trois mois de confinement ont été extrêmement difficiles […] mais maintenant, même si les restrictions sont levées, nos employeurs ne nous laissent pas retourner chez eux […] . Pour nous, il n'y a pas de différence entre le confinement et le déconfinement. Rien n'a changé». Pour le groupe, la possibilité de travailler en avril, au plus fort des restrictions, puis en juin, lorsqu'elles se sont assouplies, varie énormément d'une ville à l'autre. En avril, l'activité est possible pour 1 pour cent des travailleurs domestiques à New Delhi, 5 pour cent à Ahmedabad et 16 pour cent à Lima, mais On notera que les travailleurs domestiques, qui sont pourtant ceux qui parviennent le mieux à rester actifs, sont aussi ceux qui ont le plus de mal à retourner à l'emploi en juin quand ils l'ont quitté en avril. Seuls 16 pour cent des travailleurs domestiques qui n'ont pas pu travailler en avril sont à nouveau actifs en juin. En outre, les employeurs ne se comportent pas du tout de la même façon selon que leurs employés sont logés sur place ou pas. De manière générale, les travailleurs domestiques résidant chez l'employeur ont pu continuer à travailler à condition de ne pas sortir, sauf pour faire des achats pour leurs patrons (mais pas pour rendre visite à leurs proches). Une travailleuse domestique de Lima résume les choses comme ceci: «Pour les travailleurs qui sont restés à Lima et qui voulaient garder leur emploi, les employeurs ont fixé deux conditions: "C'est vous qui décidez. Soit vous rentrez chez vous, mais vous ne revenez pas. Soit vous restez et vous ne pouvez pas sortirˮ». Inversement, la plupart des employés non logés n'ont pas été autorisés à travailler, sauf dans le cas où, comme à Ahmedabad et à New Delhi, leur employeur vivait dans une zone résidentielle où un système de dépistage quotidien avait été mis en place. Les chiffres reflètent cette différence de traitement, puisque 78 pour cent des employés qui ne vivent pas au domicile de leur employeur ne travaillent Perturbation marché/ chaînes d'appr. Préoccupations sanitaires Responsabilités familiales/ domestiques 2 3 pas en avril et que 51 pour cent d'entre eux sont toujours au chômage en juin (Chen et al., 2021) . Logiquement, la perte de revenu est aussi plus importante dans leur cas. En avril, ils gagnent en moyenne moitié moins qu'avant la crise, puis quelque 60 pour cent de leur revenu précédent seulement en juin. Les trois quarts des travailleurs domestiques que leur employeur n'a pas autorisés à travailler n'ont reçu aucune indemnité. Pour les travailleurs domestiques non logés par l'employeur, le coût et la disponibilité des transports publics, ainsi que la crainte de contracter le virus lors de leurs déplacements, ont aussi pesé. À Lima, certains employés ont cherché à se protéger en se déplaçant à pied ou en prenant un seul bus au lieu de plusieurs, augmentant leur temps de trajet, qui n'est pas rémunéré, et la pénibilité de leur emploi. Une répondante de Lima décrit la situation de la façon suivante: En accord avec leur employeur, de nombreux travailleurs domestiques ont décidé qu'ils éviteraient autant que possible d'utiliser les transports publics et qu'ils se rendraient au travail à pied s'ils n'habitaient pas trop loin. Ça veut dire qu'ils devaient marcher une demi-heure ou une heure et se fatiguer davantage à la fin. Ils allaient au travail à pied, faisaient leur journée de travail et rentraient à pied, si bien qu'ils étaient épuisés. Si la baisse de l'activité et des revenus des employés hebergés par l'employeur reste modérée en avril et en juin, les modalités et conditions de travail des personnes en question semblent s'être détériorées. À Bangkok, la représentante d'une organisation de travailleurs domestiques nous a confié ce qui suit: Durant le premier ou les deux premiers mois du confinement, nous nous plaignions toutes que la charge de travail avait augmenté parce que notre employeur était sur place, et les enfants aussi. Imaginez la situation: nous devions rester avec les enfants et la maîtresse de maison et travailler tout le jour et toute la nuit. Dans la famille qui m'emploie, en temps normal, la femme est à la maison et le mari travaille à l'extérieur mais, pendant le confinement, tout le monde était là. Le groupe des travailleurs à domicile est celui qui a le plus de mal à travailler en avril et qui met le plus longtemps à retrouver une situation plus adéquate. Sur l'ensemble de l'échantillon pour ce groupe (étant entendu qu'il était représenté dans cinq villes seulement) 6 , 83 pour cent des répondants déclarent ne pas avoir travaillé en avril. Le taux est même de près de 100 pour cent à Pleven. En juin, 46 pour cent des personnes interrogées ne sont toujours pas retournées au travail. Par conséquent, le revenu moyen des travailleurs à domicile représente en avril 10 pour cent seulement des gains précédents. En juin, il n'est toujours que de 41 pour cent du niveau d'avant la crise. Dans le groupe, les consignes officielles limitant la circulation sont citées comme le premier obstacle à l'activité en avril. En juin, l'absence de commandes de la part des employeurs et sous-traitants est mentionnée en premier lieu (figure 9). L'une des répondantes de New Delhi l'a dit avec ces mots: «En ce moment, je ne fais rien […] . Je reste chez moi à attendre […] . Il n'y a pas de travail […] . Nous ne recevons pas la moindre demande». Tiruppūr, que l'on présente souvent comme la capitale mondiale du tee-shirt, est un grand centre de l'industrie textile et de la maille, qui produit 90 pour cent des vêtements en coton destinés à l'exportation en Inde (informations fournies par une répondante locale en 2021). Quelque 350 000 personnes travaillent dans l'industrie de la maille, dont 50 000 (14 pour cent) à domicile, avec une rémunération à la pièce (informations fournies par une répondante locale en 2020). Lorsque la demande pour l'exportation est forte, ces sous-traitants reçoivent des commandes régulières. Mais, en avril, seuls 12 pour cent des travailleurs à N'a pas pu travailler domicile de Tiruppūr ont poursuivi leur activité, un taux qui passe à près d'un tiers (32 pour cent) en juin, quand le confinement commence tout juste à s'assouplir. D'après une répondante locale, certaines des personnes qui ont pu travailler en juin ont été en réalité engagées par les usines locales, pour remplacer des ouvriers renvoyés dans leur village au début du confinement. Outre les consignes officielles et la raréfaction des commandes, certains travailleurs à domicile mentionnent aussi la difficulté à s'approvisionner en matériaux, comme cette répondante de Pleven: Tous les produits ont été touchés par la crise. Je fabrique des souvenirs, des cadeaux, des broderies. Mais, pendant la crise, les gens n'achetaient pas ça, ou pas autant qu'avant. Leur priorité, c'était d'acheter à manger, de payer les factures […] . Du coup, on a gagné moins. Et puis, j'ai eu du mal à trouver du matériel, parce que tous les magasins étaient fermés. De même, une travailleuse à domicile d'Ahmedabad nous a décrit la situation des couturières payées à la pièce: Le principal problème lié au travail, c'est justement qu'il n'y a pas de travail. Quand on va voir les commerçants et qu'on leur demande pourquoi ils ne nous donnent rien à faire, alors que beaucoup de restrictions ont été levées, ils nous répondent qu'ils n'ont plus de tissus en stock et que les marchés textiles sont toujours fermés. D'habitude, ce sont eux qui s'approvisionnent en tissu, ils font la découpe, puis ils donnent les pièces aux couturières, qui doivent les assembler en suivant un modèle, qui est aussi fourni. Mais là, ils nous ont dit qu'ils n'arrivaient plus à trouver du tissu et que, dans ces conditions, ils étaient bien incapables de nous donner du travail. Dans les neuf villes dans lesquelles des vendeurs ambulants ou exerçant sur les marchés ont été interrogés 7 , la très grande majorité (81 pour cent) n'ont pas pu travailler en avril. Cependant on observe des différences considérables d'un endroit à l'autre. À Bangkok et à Mexico, où le confinement n'a été que partiel et où les vendeurs de produits frais ont été autorisés à poursuivre leur activité, la moitié des vendeurs ambulants ou exerçant sur les marchés ont pu travailler en avril (WIEGO, 2021b et 2021d). En outre, à Mexico, le confinement n'a jamais été appliqué aussi strictement que dans les autres villes, dont les trois villes indiennes, ou encore Durban et Lima. À titre d'exemple, les marchés à ciel ouvert de Mexico étaient censés fermer, mais les vendeurs de produits essentiels ont été autorisés à travailler. Par contre, à Durban et Ahmedabad, où les confinements ont été complets, pratiquement tous les répondants de ce groupe (97 et 95 pour cent respectivement) ont été empêchés de travailler. En Afrique du Sud, les vendeurs de produits frais ont été autorisés à reprendre leurs activités une semaine après l'instauration du confinement national, mais le marché sur lequel travaillaient la plupart des répondants, qui ouvrait tôt le matin, est resté fermé en raison d'autres restrictions prises au niveau de la municipalité. Parmi les principaux obstacles à l'activité mentionnés en avril figurent l'obligation faite aux habitants de rester chez eux et autres consignes officielles (motif évoqué par 85 pour cent des répondants), la perturbation du marché et des chaînes d'approvisionnement (54 pour cent) et les risques et précautions sanitaires (38 pour cent). Environ un quart (26 pour cent) des personnes qui ont essayé de travailler au plus fort du confinement ont dit en avoir été empêchées par la police ou autres représentants des autorités. En avril 2020, une large majorité (59 pour cent) des vendeurs ambulants de New York ont indiqué que le problème venait d'abord de l'absence de clients (WIEGO, 2021f) . Cette raison est avancée par près d'un quart (23 pour cent) des vendeurs ambulants de Mexico N'a pas pu travailler (WIEGO, 2021d) . Enfin, parmi les vendeurs qui ont pu travailler en avril, nombreux sont ceux qui disent avoir dû assumer des coûts supplémentaires, des frais liés notamment au matériel de protection individuelle (66 pour cent en moyenne pour l'ensemble de l'échantillon, 86 pour cent à Accra et 70 pour cent à Mexico), mais aussi aux transports (37 pour cent en moyenne, mais 76 pour cent à Accra et 54 pour cent à Lima). En avril, les freins à l'activité et ces coûts supplémentaires se sont traduits par une diminution de 16 pour cent du revenu journalier par rapport à février 2020, soit avant l'apparition du COVID-19. En juin, environ deux tiers des vendeurs ambulants ou exerçant sur les marchés (66 pour cent) avaient repris le travail sur l'ensemble de l'échantillon ( figure 10) . Mais, là encore, les chiffres varient beaucoup d'un lieu à l'autre. À New York (où le confinement a été partiel et a duré deux mois), seuls 26 pour cent des vendeurs ambulants avaient repris le travail, contre plus de 90 pour cent à Bangkok et Accra (villes soumises à des confinements partiels également mais de courte durée) (WIEGO, 2021b . La raison principale avancée pour expliquer l'incapacité de reprendre le travail était que les marchés et autres espaces de vente restaient fermés. Cette raison est avancée par 34 pour cent de l'échantillon total, 28 pour cent des répondants de New York et 55 pour cent de ceux de New Delhi. L'absence de clients est également mentionnée par 24 pour cent de l'échantillon total, 46 pour cent des répondants de New York et 29 pour cent des répondants de New Delhi (Chen et al., 2021) . Enfin, si la majorité des vendeurs ambulant ou exerçant sur les marchés du Warwick Junction Market de Durban ont pu reprendre le travail en juin, leurs revenus sont restés relativement faibles du fait des restrictions à la circulation dans la zone, qui se situe entre un noeud de transport important et le centre d'affaires de la ville. Un vendeur explique la situation ainsi: «Quatre des entrées du marché ont été condamnées. Une seule est restée ouverte. Tous les marchands qui n'étaient pas installés à proximité ont eu un gros manque à gagner». Dans les neuf villes où des récupérateurs de déchets ont été interrogés 8 , 60 pour cent d'entre eux ont dit qu'ils n'avaient pas pu travailler en avril. Les trois premiers motifs mis en avant pour expliquer la situation étaient: les consignes officielles limitant la circulation et l'exercice de l'activité professionnelle (motif cité par 75 pour cent des répondants), les préoccupations sanitaires (40 pour cent) et la perturbation des chaînes d'approvisionnement, à savoir, notamment, la fermeture des décharges et lieux de tri et des points de vente (37 pour cent). La fermeture des décharges et lieux de tri a été mentionnée par 22 pour cent de l'échantillon (avec 30 pour cent à Ahmedabad, 43 pour cent à Durban et 29 pour cent à New Delhi) (Chen et al., 2021) . À Ahmedabad, par exemple, seuls 2 pour cent des récupérateurs de déchets avaient pu exercer leur activité en avril, car certains travaillaient dans des déchetteries et sur des sites d'enfouissement qui avaient été fermés durant le confinement (WIEGO, 2020a). Une répondante d'Ahmedabad nous a confié: Les sites d'Amraiwadi et de Kankariya, où on travaillait avec l'accord de la municipalité d'Ahmedabad, sont fermés en ce moment. Les femmes étaient autorisées à y récupérer des déchets pour gagner un peu d'argent […] . Mais la municipalité ne les laisse plus venir. Elles attendent toujours leur autorisation et ne peuvent plus venir travailler. À Dakar et à Mexico, où ils n'étaient pourtant pas considérés comme des travailleurs essentiels, tous les récupérateurs de déchets pratiquement ont pu continuer à travailler (94 et 97 pour cent respectivement) (WIEGO, 2021d et 2021h). À Dakar, comme cela a été dit plus haut, l'échantillon se composait exclusivement de récupérateurs de déchets. Tous travaillaient sur le même site, qui est resté ouvert, et vivaient dans les environs. À Mexico, tous les récupérateurs de déchets de l'échantillon travaillaient aux côtés des éboueurs officiels, suivant les mêmes parcours. Appelés trabajadores voluntarios (travailleurs bénévoles), ils ne sont pas employés par la ville, qui ne leur offre aucune protection; ils dépendent des pourboires de ceux qui font appel à leurs services et de la vente des matières recyclables. Durant la crise, ils ont continué à travailler aux côtés des éboueurs officiels, dont la profession était considérée comme essentielle 9 . En juin, 78 pour cent des récupérateurs de déchets ont repris le travail sur l'ensemble de l'échantillon mais, une fois encore, il y a de fortes variations selon la ville: le taux de retour au travail est de 92 pour cent à Accra, où le confinement a été partiel et de courte durée, mais de 27 pour cent seulement à Lima, où l'arrêt a été complet et prolongé (WIEGO, 2021a . En juin, les motifs fournis pour expliquer l'impossibilité de travailler ne sont pas présentés dans le même ordre qu'en avril. Désormais, les préoccupations sanitaires arrivent en tête. Elles sont mentionnées par la moitié des répondants. Les consignes officielles limitant la circulation sont citées ensuite (46 pour cent), ainsi que la perturbation des chaînes d'approvisionnement (soit l'accès aux sites de collecte et de tri) (22 pour cent) (figure 11). Sur les quatre groupes suivis, c'est pour les récupérateurs de déchets que le revenu moyen connaît sa reprise la plus nette en juin. Il remonte en effet jusqu'à atteindre 70 pour cent de son niveau initial. Cela tient en partie au fait que ces personnes sont des travailleurs indépendants pour la plupart, qui peuvent mener leurs activités en échappant aux contrôles des autorités locales, ce qui n'est pas le cas des vendeurs ambulants. N'oublions pas toutefois que, avant le COVID-19, les récupérateurs de déchets gagnaient moins que les vendeurs ambulants en moyenne. En revanche, dans les deux villes où nous avons pu examiner les quatre groupes, à savoir Ahmedabad et Bangkok, les récupérateurs gagnaient plus que les travailleurs à domicile en moyenne. Enfin, ils gagnaient plus que les travailleurs domestiques à Ahmedabad, une relation qui s'inverse à Bangkok (WIEGO, 2020a et 2021b). Afin d'aider la population à amortir les effets de la crise, les gouvernements ont rapidement, quoique de manière inégale, mis en place des mesures d'aide, souvent ciblées sur les personnes et ménages vulnérables, mais parfois aussi sur les travailleurs informels. On trouvera dans le tableau 4 les différentes aides publiques dont au moins une partie des travailleurs informels ont bénéficié dans les onze villes considérées, entre mars et juillet 2020. La nature des mesures, mais aussi le montant des aides varient considérablement d'une ville à l'autre. À titre d'exemple, les aides financières vont d'un versement unique de 500 roupies, soit 6,6 dollars des États-Unis (É.-U. dans la suite du texte) en Inde, à Par ailleurs, l'annonce de l'expansion et du renforcement des aides au profit des personnes et des ménages vulnérables, notamment des travailleurs informels, n'a généralement pas été suivie d'effet. Globalement, à peine plus de 40 pour cent des personnes interrogées ont dit avoir reçu un versement en espèces et bénéficié d'une aide alimentaire (figure 12). L'accès aux aides diffère considérablement selon le système de protection sociale existant, la politique du pays et la capacité des structures associatives représentant des travailleurs informels d'assurer les services de bout de chaîne à leurs adhérents de façon que ceux-ci puissent profiter des prestations proposées. À Bangkok et à Tiruppūr, par exemple, les répondants ont été relativement nombreux à se prévaloir des aides financières et alimentaires annoncées, grâce, d'une part, à un système de protection sociale solide et, d'autre part, aux moyens déployés par les organisations locales pour aider leurs adhérents à surmonter les obstacles matériels et, notamment, leur permettre d'accéder aux plateformes numériques d'enregistrement (WIEGO, 2021b et 2021c). Inversement, la plupart des travailleurs à domicile de Tiruppūr n'ont finalement pas reçu la prestation spécialement destinée aux travailleurs informels, que le ministère de la Protection sociale des travailleurs avait mise en place, faute d'être enregistrés auprès du conseil de la protection sociale des travailleurs manuels. Dans d'une aide. De même, à Bangkok, Lima, Mexico et New Delhi, les travailleurs vivant dans des bidonvilles ont eu davantage accès aux aides alimentaires. Toutefois, sur l'ensemble des villes auxquelles nous nous sommes intéressés, les travailleurs informels qui étaient logés plus convenablement ont aussi fait les frais de la pandémie, puisqu'ils ne touchaient plus que 25 pour cent de leur revenu initial en avril, et 60 pour cent en juin (Alfers, Ismail et Valdivia, 2020) . L'accès à l'aide varie manifestement d'un groupe à l'autre, et au sein des groupes. À Ahmedabad, les récupérateurs de déchets sont ceux qui ont le plus accès aux aides financières et alimentaires, parce qu'ils sont considérés comme particulièrement démunis et qu'ils vivent généralement dans des bidonvilles. À l'inverse, moins d'un tiers des travailleurs domestiques de la ville ont reçu des allocations en espèces (WIEGO, 2020a). À Durban, les récupérateurs de déchets sont ceux qui ont le moins eu accès aux aides, car la plupart d'entre eux sont sans domicile (WIEGO, 2021e). Enfin, à Mexico, un programme d'aide financière a été mis en place à l'intention des travailleurs no asalariados après que ceux-ci ont manifesté en nombre au début de la crise (WIEGO, 2021d). Il importe de préciser que, le plus souvent, les versements en espèces, de même que l'aide alimentaire, aussi bienvenus et indispensables qu'ils aient pu être, ont été jugés insuffisants pour couvrir les dépenses courantes liées aux besoins essentiels. Faisant référence à la subvention relativement généreuse dont de nombreux travailleurs informels de Bangkok ont bénéficié pendant trois mois, un vendeur ambulant indique que ce montant «suffit juste à couvrir le loyer, pour ceux qui louent quelque chose, mais pas les dépenses alimentaires», une appréciation que confirment les résultats de l'étude. Dans la majorité des villes considérées, les personnes qui ont reçu une aide financière ou alimentaire ne sont pas moins susceptibles de déclarer que des adultes ou enfants de leur ménage n'ont pas toujours pu manger à leur faim. Seules font exception Ahmedabad et New Delhi, où les bénéficiaires d'une aide alimentaire sont moins nombreux à avoir souffert de la faim. Cela s'explique probablement par le fait qu'en Inde l'aide alimentaire en question (distribution de denrées et de repas) est venue s'ajouter au système de bons alimentaires précédent, qui permet de recevoir gratuitement une ration de céréales, d'huile de friture, de sucre et de sel. Enfin, il est important de souligner, comme nous l'ont fait remarquer des représentants des travailleurs et autres témoins clés, que les mesures prises par les pouvoirs publics pour contrôler l'activité des travailleurs informels (évictions, démolition des installations, confiscation de marchandises et stigmatisation) ont eu un impact bien plus important que les mesures d'assistance mises en place par ailleurs. Dès le début de la crise, alors que les gouvernements s'efforçaient de produire des directives claires et que la désinformation faisait rage, les structures associatives ont joué un rôle crucial en transmettant à leurs adhérents des informations fiables et accessibles sur les protocoles applicables en matière de sécurité et de santé et sur les aides proposées. Si elles ont pu mener une telle action, c'est d'abord grâce à une relation de confiance établie de longue date entre leurs dirigeants et leurs adhérents, à leur connaissance de l'économie informelle et à des réseaux de communication de grande ampleur (tels que le service de messagerie WhatsApp ou des plateformes analogues). Dans l'ensemble des villes étudiées, 40 pour cent des travailleurs domestiques, vendeurs ambulants et récupérateurs de déchets ont indiqué que la structure associative à laquelle ils étaient affiliés était leur première source d'information sur le virus du COVID-19 et les directives à suivre pour s'en protéger, ce qu'un représentant des récupérateurs de déchets d'Accra exprime ainsi: «Nous ne recevons aucune éducation de quiconque. Personne ne nous aide à nous instruire sur le site d'enfouissement. Alors, quoi que nous apprenions, nous nous efforçons d'en faire profiter nos adhérents». Dans le cadre de leurs échanges avec leurs adhérents, les dirigeants des structures associatives ont fait en sorte de recueillir des renseignements sur leur situation, les risques auxquels ils étaient exposés et leurs besoins pour en faire part ensuite aux autorités locales. À Accra, Dakar, Durban, Lima et Pleven, ces représentants ont dit avoir dialogué avec les autorités locales et les ministères et recherché avec eux des solutions pour répondre aux besoins des personnes exerçant leur activité sur les marchés ou dans les lieux publics, où des problèmes d'accès aux infrastructures de base existant de longue date ajoutaient encore aux risques liés à la pandémie pour la sécurité et la santé. Ces échanges avec les adhérents avaient aussi pour fonction essentielle de leur apporter un soutien moral dans une période de crainte, d'incertitude et de grandes difficultés matérielles, les représentants faisant en sorte d'être une source de réconfort. Une travailleuse à domicile de Pleven a évoqué l'importance de ce soutien moral en ces termes: «Il faut dire que la seule personne qui se souciait de ce qui nous arrivait était le président de l'organisation. Ce soutien est capital pour nous […]», en précisant encore: «Il est essentiel que quelqu'un nous défende et défende notre activité». Comme cela a été dit plus haut, des obstacles de taille ont empêché les travailleurs informels d'accéder aux aides: l'absence de données permettant de les localiser (un problème récurrent), la complication des formalités à effectuer, le manque de compétences numériques et des problèmes d'accès en la matière. À Lima et à Mexico, les associations ont cherché à résoudre le problème des données en proposant aux autorités de leur transmettre leurs fichiers d'adhérents. À Accra, Ahmedabad, Lima, Mexico et New Delhi, elles ont aidé leurs membres à demander les aides, en les informant de leur existence dès leur création, en leur expliquant la marche à suivre, voire en remplissant les formulaires pour eux. Lorsque les aides publiques étaient inexistantes ou insuffisantes, les associations ont souvent pris le relais, en levant des fonds, en établissant des systèmes d'entraide ou en sollicitant des organismes non gouvernementaux et en reversant les financements reçus à leurs membres. Toutes villes confondues, plus de la moitié (53 pour cent) des travailleurs déclarent avoir reçu une aide alimentaire de leur association, directement ou par son intermédiaire. Avec la crise et les confinements, les moyens de subsistance des travailleurs informels ont été plus compromis que jamais, notamment dans certaines villes, où les autorités ont exercé une répression accrue à leur encontre au nom de la gestion de la crise, de la santé publique et des impératifs économiques. Face à cette situation, les structures associatives se sont efforcées de faire connaître le caractère essentiel du travail informel et de protéger le droit de leurs adhérents de travailler -et de travailler dans des conditions sûres. À Durban, par exemple, les représentants associatifs ont aidé les autres vendeurs du marché à remplir les demandes d'autorisation nécessaires, ce qui nous a été expliqué ainsi par un répondant: «Ça nous coûtait très cher de faire des allers-retours en ville tous les jours pour remplir des papiers. Ils [les dirigeants de l'association] nous ont beaucoup aidés, si bien que, quand nous devions aller dans les bureaux du service d'enregistrement, nous savions exactement à quoi nous attendre, et quels documents apporter». Pour les travailleurs à domicile qui ne recevaient plus de commande des usines, sous-traitants et autres maillons de la chaîne d'approvisionnement, les associations d'Ahmedabad, de Bangkok, de New Delhi et de Pleven ont négocié des commandes de gros pour la production de masques et financé des formations en ligne afin qu'ils puissent adapter leurs compétences et fabriquer de nouveaux produits. De même, à Mexico, le syndicat des travailleurs domestiques de la ville a mis en place un système d'aide juridique pour aider les employés qui avaient été licenciés sans préavis ni indemnité à présenter un recours pour licenciement abusif. Face à la forte demande, cette aide a été ouverte aux nonmembres durant la crise. À Ahmedabad, la SEWA a mis en place un programme novateur intitulé «Vegetables on Wheels» (littéralement «légumes sur roues») en partenariat avec la municipalité. Ce dispositif a permis à 65 membres de l'association travaillant comme vendeuses de primeurs de proposer leurs produits à certains endroits, sur des rickshaws électriques mis à disposition par la ville. Une grande partie de ces mesures destinées à protéger les moyens de subsistance à court terme, dans le contexte de la crise, ont été prolongées et axées sur la relance à long terme et l'adoption de réformes, afin de protéger l'activité des travailleurs informels. Ces conclusions sont encore confortées par les résultats de la deuxième vague de l'enquête de WIEGO, conduite en juin 2021, résultats qui ont été publiés alors que le présent article était déjà quasi finalisé 10 . Ce qui en ressort en tous les cas, c'est que la récession engendrée par la pandémie est loin d'être 10 Nous ne pouvons les commenter précisément ici et renvoyons à Reed et al., 2021, pour plus de précisions. Voici cependant quelques éléments issus de cette deuxième vague: en juin 2021, la plupart des répondants n'ont pas entièrement repris le travail: 20 pour cent d'entre eux sont encore à l'arrêt, et ceux qui sont actifs ne sont occupés que 4 jours par semaine (contre 3,4 jours en juin 2020 et 5,5 jours avant la crise). En outre, ils n'ont toujours pas retrouvé leur niveau de gains initial, loin de là. Un travailleur type (situé à la médiane) ne gagne encore que deux tiers (64 pour cent) de son revenu initial. Pour près de deux tiers (62 pour cent) des vendeurs, plus de deux cinquièmes (42 pour cent) des récupérateurs et plus d'un quart (28 pour cent) des travailleurs domestiques, les gains restent inférieurs à 75 pour cent du niveau de référence. Les travailleurs à domicile sont les plus lésés, avec un revenu équivalent à 2 pour cent du niveau de référence, car les clients et chaînes d'approvisionnement n'ont toujours pas repris leurs commandes. De même, les répondants sont encore très exposés à l'insécurité alimentaire. Près d'un tiers d'entre eux déclarent qu'un membre du ménage au moins n'a pas mangé à sa faim le mois précédent. Et ils sont majoritaires (57 pour cent) à indiquer qu'ils ont une alimentation moins diversifiée ou moins riche, ou alors qu'il leur arrive de sauter des repas. Enfin, près d'un quart disent avoir dû réduire leurs dépenses alimentaires. Parallèlement, le volume de l'aide stagne ou diminue. La part des individus ayant reçu une aide financière ou alimentaire est moins importante entre juin 2020 et juin 2021 que pour les trois premiers mois de la pandémie. Le pourcentage des répondants ayant bénéficié d'une exonération de loyer, de notes de gaz, d'électricité, etc., ou encore de frais de scolarité, est inférieur à 10 pour cent. Plus largement, les mesures de relance ne ciblent pas (ou n'atteignent pas) les travailleurs informels. Près de la moitié (48 pour cent) des répondants auraient besoin de capitaux pour pouvoir redémarrer leur activité, mais 7 pour cent d'entre eux seulement ont reçu un crédit d'un organisme public. Par ailleurs, l'action des autorités est toujours perçue comme néfaste. Ainsi, plus d'un quart des vendeurs et 1 récupérateur sur 6 (16 pour cent) déclarent être harcelés par les autorités. Enfin, la crise accule toujours les travailleurs informels à certaines solutions risquées: pendant les 12 mois qui ont précédé l'enquête de juin 2021, de nombreux répondants ont dû emprunter (46 pour cent), utiliser leur épargne (35 pour cent) ou réduire leurs dépenses non alimentaires (26 pour cent) ou alimentaires (23 pour cent). terminée pour les travailleurs informels. Ce constat plaide d'autant plus pour des mesures de relance économique inclusives, et pour l'adoption d'orientations et de dispositions réglementaires favorables à ce groupe particulier 11 , y compris dans l'optique de la lutte contre la pauvreté et de la promotion de la croissance économique. En effet, on sait que les travailleurs de l'économie informelle sont davantage exposés au risque de pauvreté que les travailleurs de l'économie formelle, et que les travailleurs pauvres sont plus susceptibles de travailler pour l'économie informelle que les travailleurs moins démunis (BIT, 2019). Mais, malgré cette association entre emploi informel et pauvreté, les revenus du travail informel contribuent davantage à la réduction de la pauvreté, proportionnellement, que ceux du travail formel (Rogan et Cichello, 2020) . Pour autant, lorsque la pandémie se sera enfin dissipée, l'activité informelle mettra probablement plus de temps que l'activité formelle à redémarrer. Il ne fait pas de doute en tous les cas que l'ampleur des pertes que les travailleurs informels ont accumulées avec la pandémie a aggravé la pauvreté dans le monde et continuera de l'aggraver pendant un certain temps si la reprise n'est pas axée sur ces travailleurs et leurs activités. Compte tenu de tout ce qui précède, quelles sont les mesures de relance qu'il faut mettre en place pour redynamiser l'activité des travailleurs informels? Les demandes formulées par les organisations de travailleurs informels qui ont collaboré à l'étude vont toutes dans le même sens. Elles indiquent que les travailleurs informels ont besoin d'une aide financière, afin de pouvoir solder leurs dettes et reconstituer leur épargne et leur patrimoine; d'allocations en espèces et de mesures de relance (comme des commandes des administrations publiques), pour redémarrer leur activité et retrouver leurs moyens de subsistance; de réformes de la réglementation et des politiques publiques, qui devront créer un environnement favorable à l'économie informelle; et d'une protection sociale universelle et complète, qui associe assurances et aide sociales (WIEGO, sans date). Pour les différents groupes de travailleurs considérés, le programme de relance devrait viser à modifier les mécanismes de transmission décrits sous le titre 4, de façon qu'ils aient des effets positifs et non plus négatifs. Il conviendrait notamment de réduire les restrictions, d'oeuvrer à l'instauration de politiques et de réglementations plus inclusives et plus favorables, de faire évoluer ou de réguler les pratiques des employeurs et de faire en sorte que les conditions d'emploi et le commerce soient plus équitables. La crise du COVID-19 a mis en évidence le caractère essentiel de l'activité de bon nombre de travailleurs informels. Il importe maintenant que cette reconnaissance se manifeste par un programme porteur d'une véritable transformation, comme expliqué plus haut, pour soutenir et protéger les travailleurs informels, ainsi que leurs moyens de subsistance. Pour assurer des conditions plus équitables aux travailleurs informels, la communauté internationale, mais aussi les gouvernements et les autorités locales et autres responsables de l'action publique devraient agir selon les trois principes directeurs ci-après: Ne pas nuire: cesser d'avoir recours au harcèlement, aux évictions, à la confiscation de biens et aux poursuites judiciaires aux dépens des travailleurs informels et de leurs activités Ne laisser personne de côté: dans le cadre des dispositifs de relance de l'après-COVID-19, fournir des aides aux entreprises de toutes tailles et des indemnités de chômage à tous les types de travailleurs Associer les intéressés à l'action: inviter les dirigeants d'organisations de travailleurs informels à participer à l'élaboration des politiques et réglementations visant à définir et superviser les mécanismes de relance, les dispositifs d'appui aux entreprises et de protection sociale, les stratégies économiques et les plans de développement local Il s'agit de reconnaître que les travailleurs informels et leurs activités constituent le socle de l'économie, dans la mesure où ils produisent des biens et des services essentiels non seulement pour les consommateurs à faible revenu, mais aussi pour le grand public et pour l'économie formelle. Dans une perspective de lutte contre la pauvreté et de promotion de la croissance économique, il semble impératif, pour conclure, de bâtir la relance en partant de la base, en cessant de porter préjudice aux travailleurs informels et à leurs moyens de subsistance, en ciblant les plans de relance y compris sur l'activité informelle et en «Les travailleuse·eur·s de l'informel et la réponse de la protection sociale à la COVID-19: Qui a reçu l'aide? Comment? Et cela a fait la différence?», La crise de la COVID-19 et l'économie informelle -Perspectives politiques n o 2 Mohamed Boly et Elvis Avenyo. 2020. «Labour Market Effects of COVID-19 in Sub-Saharan Africa: An Informality Lens from Femmes et hommes dans l'économie informelle: un panorama statistique, troisième édition. Genève. -. 2020. «Observatoire de l'OIT: le COVID-19 et le monde du travail», troisième édition Ana Carolina Ogando, Sarah Orleans Reed et Sally Roever. 2021. «COVID-19 and Informal Work: Distinct Pathways of Impact and Recovery in 11 Antoinette Van der Merwe, Attie van Niekerk et Isabel Günther. 2021. «Managing the COVID-19 Pandemic in Poor Urban Neighborhoods: The Case of Accra and Johannesburg Doug Parkerson et al. 2021. «Falling Living Standards during the COVID-19 Crisis: Quantitative Evidence from Nine Developing Countries «No Cushion to Fall Back On: The Global Economic Crisis and Informal Workers Quartz Africa. 2020. «Across Africa, a Reliance on the Informal Sector Threatens Effective Coronavirus Lockdowns Sabrina Miti Gain, Fatema Mohammad et Shakil Ahmed. 2020. «Livelihoods, Coping and Recovery during COVID-19 Crisis», PPRC-BIGD Rapid Response Survey Manchester: Femmes dans l'emploi informel: globalisation et organisation. [On trouvera un résumé de cet article en français, sous le titre «La crise est loin d'être finie pour les travailleuse·eur·s de l'informel: il faut une reprise ouverte au plus grand nombre de la population active au monde «(Re)conceptualising Poverty and Informal Employment», dans The Informal Economy Revisited: Examining the Past, Envisioning the Future, publ. sous la dir. de Martha Chen et Françoise Carré The Labour Market Impact of COVID-19 Lockdowns: Evidence from Ghana», WIDER Working Paper No. 2021/27. Helsinki: Institut mondial de recherche sur les aspects économiques du développement «Unravelling the Impact of the Global Financial Crisis on the South African Labour Market «La crisis de la COVID-19 y la economía informal: Trabajadoras y trabajadores en empleo informal en Lima, Perú», février 2021. Manchester. -. 2021b. «COVID-19 Crisis and the Informal Economy: Informal Workers in Bangkok, Thailand», février 2021. Manchester. -. 2021c. «COVID-19 Crisis and the Informal Economy: Home-Based Workers in Tiruppur, India», janvier 2021. Manchester. -. 2021d. «La crisis del COVID-19 y la economía informal: Trabajadoras y trabajadores en empleo informal en Ciudad de México