key: cord-0073983-uixab6ej authors: Émile, Carole title: Covid-19, anomalies de la coagulation et prise en charge date: 2022-01-24 journal: nan DOI: 10.1016/s0992-5945(22)00022-8 sha: c5567b386728e69a69ada71d04d0e80a2c97ea76 doc_id: 73983 cord_uid: uixab6ej nan Le Sars-CoV-2 est un virus à ARN très contagieux, principalement transmis par des gouttelettes respiratoires. Il pénètre ses cellules cibles par l'intermédiaire de leur récepteur ACE2, présent notamment à la surface des pneumocytes de type 2 et des cellules endothéliales, d'où les symptômes observés chez les patients qui évoluent vers une forme sévère, syndrome de détresse respiratoire aiguë et embolies pulmonaires. Plus de 80 % des patients atteints de Covid-19 sont sans gravité ou asymptomatiques, mais environ 15 % sont sévères, nécessitant une hospitalisation et de l'oxygénothérapie, et 5 % sont critiques, hospitalisés en réanimation. Les complications de type insuffisance respiratoire, choc septique, défaillance multiviscérale, complications thromboemboliques et décès peuvent survenir chez les patients sévères ou critiques. Un certain pourcentage de patients (15-20 % ?) évoluera vers un Covid long. Dès le premier trimestre 2020, l'incidence des embolies pulmonaires (EP) en réanimation a été estimée à 20 % [1] . Pour comparaison, elles sont de l'ordre de 7,5 % dans le cas de la grippe (avec ou sans syndrome de détresse respiratoire aiguë) et de 6,1 % chez les patients hospitalisés en réanimation [1] . Chez les patients atteints de Covid-19, les thromboses pulmonaires sont localisées : il s'agit de thromboses in situ, intrapulmonaires et non de véritables phénomènes thrombo-emboliques. D'une manière générale, les hommes sont un peu plus souvent atteints que les femmes. La proportion d'EP est plus importante que celle des thromboses veineuses profondes (TVP) dans un certain nombre d'études, ce qui se comprend au regard de la destruction des alvéoles pulmonaires avec libération in situ de facteurs pro-thrombotiques. Toutefois, une méta-analyse récente [2] conclut à l'inverse ( Dans ce contexte très inflammatoire, l'augmentation des marqueurs de la phase aiguë de l'inflammation est importante : protéine C-réactive (CRP), fibrinogène et procalcitonine. L'élévation des marqueurs de lésions tissulaires est également un signe de sévérité : lactases déshydrogénases (LDH), transaminases (ALAT), troponine (atteinte cardiaque), créatinine (atteinte rénale),… De nombreuses modifications des paramètres de l'hémostase sont constatées, en lien avec le pronostic [4] : • une diminution du taux de prothrombine (TP) et/ou une augmentation du temps de thrombine, mineures, sont corrélées avec la gravité de l'infection ; • une augmentation du ratio du temps de céphaline activée (TCA), très souvent en faveur de la présence d'un anticoagulant circulant de type lupique est observée, même dans des formes asymptomatiques ; • le facteur Willebrand antigène est augmenté ; physiologiquement, il est régulé par l'enzyme ADAMTS13 qui est diminuée dans les formes sévères de la Covid-19. L'élévation du facteur VIII est également corrélée à la sévérité de la maladie ; • le fibrinogène est augmenté, associé à un risque majeur de thrombose lorsqu'il est supérieur à 8 g/L ; • l'antithrombine est diminuée par consommation ; • les plaquettes sont abaissées, souvent comprises entre 80 et 100 G/L ; mais cette diminution ne s'intègre pas dans un phénomène de coagulation intra-vasculaire disséminée (CIVD), non compatible avec l'augmentation du fibrinogène. Une CIVD n'est observée que chez certains patients, à une phase très avancée de la maladie. • Les D-dimères ont une valeur pronostique majeure chez les patients infectés par le Sars-CoV-2. Chez un patient suspect de TVP ou d'EP, en ville ou à l'accueil des urgences, les D-dimères sont classiquement utilisés pour leur forte valeur prédictive négative, permettant d'éliminer un événement thromboembolique veineux (Etev). Dans le contexte de la Covid-19, s'est posée la question de leur valeur prédictive positive d'un Etev sous-jacent et à quel seuil ? Dans les premières recommandations du Groupe d'intérêt en hémostase périopératoire (GIHP) et du Groupe français d'études sur l'hémostase et la thrombose (GFHT), en collaboration avec la Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar) en avril 2020 [5], une concentration en D-dimères supérieure ou égale à 3000 ng/mL avait été suggérée comme valeur seuil fortement prédictive de la présence d'un Etev. Dans les recommandations révisées du GIHP, du GFHT et de la Sfar en 2021 [6] ce seuil a été modifié : supérieur ou égal à 5000 ng/mL ou des D-dimères supérieures ou égales à 2000 ng/mL avec une augmentation de plus de 100 % en moins de 24-48 heures. Il existe une prévalence accrue d'Ac anti-facteur 4 plaquettaire et à concentration élevée, sans thrombopénie induite par l'héparine (TIH), chez les patients Covid-19, sans doute en raison d'un relargage en grande quantité de facteur 4 plaquettaire, du fait de l'activation très importante des plaquettes. Mais les tests fonctionnels d'activation plaquettaire sont négatifs. La confirmation d'une TIH chez les patients Covid-19 nécessite de démontrer la présence d'anticorps activant les plaquettes par un test de libération de sérotonine radiomarquée (SRA) ou par un test d'agrégation plaquettaire en présence d'héparine [7] . Dans l'attente des résultats, il convient de mettre en place une anticoagulation alternative (plutôt de l'argatroban, peu aisé à manier mais qui présente l'avantage d'être éliminé par voie hépatique, cf.infra). Les recommandations ont été revues en avril 2021 [6] et intègrent la mise en place d'une prophylaxie anti-thrombotique chez les patients qui restent à domicile. Une anticoagulation à dose prophylactique standard (adaptée au poids) est indiquée pendant 7 à 14 jours (ex : énoxaparine 4 000 UI/24 h) si le patient est sous oxygène (O 2 ) ou présente un ou des facteurs de risque parmi les suivants : indice de masse corporelle (IMC) supérieur ou égal à 30 kg/m 2 , antécédent personnel de maladie thrombo-embolique veineuse, âge supérieur à 70 ans, présence d'un cancer actif ou chirurgie majeure de moins de trois mois (figure 1). Des recommandations ont été émises par la Sfar dès avril 2020 [6] : chez les patients atteints de Covid-19, une prophylaxie anti-thrombotique est requise et doit être instaurée au plus tôt ; une réévaluation est nécessaire après 7 à 10 jours (figure 2). La posologie de l'anticoagulation prophylactique dépend de l'IMC et de la fonction rénale (tableau 1) [6] . Elle est résumée dans le tableau 2. Cette complication ne survient qu'après vaccination anti-Covid-19 par un vaccin complet (Astra-Zeneca ou Janssen), pas après un vaccin à ARN messager (un seul cas décrit après vaccination par Cominarty ® de Pfizer, mais discutable). Son incidence est mal connue, mais elle reste rare (de 1/26 000 à 1/533 333 selon les études). Comme dans le cas des TIH, il s'agit de thromboses atypiques très graves, veineuses ou artérielles (notamment des thromboses veineuses cérébrales et des thromboses de la veine porte), survenant entre 5 et 24 jours après la vaccination, surtout après la première dose. Une thrombopénie est toujours présente, mais variable (souvent inférieure à 20 G/L). La concentration en Ac anti-PF4 mesurée en Elisa est élevée (attention, les tests rapides sont négatifs), le fibrinogène souvent diminué (entre 1 et 2 g/L), les D-dimères augmentés (de 4 à 60 mg/mL) [8] . Héparine non fractionnée (HNF), héparines de bas poids moléculaire (HBPM) et anticoagulants par voie orale (AVK) doivent être proscrits. Des recommandations internationales de prise en charge des thromboses veineuses cérébrales (premier symptôme dans les quatre semaines suivant la vaccination) ont été émises ( figure 3) : elles privilégient l'utilisation d'anticoagulants non hépariniques comme l'argatroban (ou la bivalirudine) [9, 10] . La surveillance de l'action anti-thrombotique des héparines et de leurs dérivés repose sur l'activité anti-Xa ; le TCA est à proscrire. En effet, le TCA est un test global, sensible aux anomalies sous-jacentes de l'hémostase, fréquentes dans la Covid-19 (cf. supra). À noter l'incidence particulièrement élevée de la présence d'un lupus anticoagulant chez les patients ayant une infection Covid-19 sévère, retrouvé chez 87,7 % des patients ayant un TCA allongé à la phase aiguë [11] . HNF : 0,5 -0,7 UI/mL *Utilisation possible de la tinzaparine 3 500 UI/24 h, de la daltéparine 5 000 UI/24 h, du fondaparinux 2,5 mg/24 h, si la clairance de la créatinine est supérieure à 50 mL/min. HBPM : héparines de bas poids moléculaire ; HNF : héparine non fractionnée. D'après [6] . Toutefois, ces LA ne sont, le plus souvent, pas associés à des complications thrombotiques, même chez les triples positifs LA, anticorps anticardiolipine et anti-bêta2-GPI (toutefois rares à titre élevé). Ils sont le plus souvent transitoires, tels que ceux rencontrés après une infection, et non-prothrombotiques. La surveillance de l'héparinothérapie repose donc sur l'activité anti-Xa, mesurée par méthode chromogénique, avec un objectif thérapeutique de 0,3 à 0,7 UI/mL [12] . Il faut souligner Lille ICU Haemostasis COVID-19 Group. Pulmonary Embolism in Patients With COVID-19: Awareness of an Increased Prevalence Incidence of VTE and Bleeding Among Hospitalized Patients With Coronavirus Disease 2019: A Systematic Review and Meta-analysis NETosis and the Immune System in COVID-19: Mechanisms and Potential Treatments Coagulopathie associée au COVID-19 : les éléments essentiels pour l'anesthésiste-réanimateur Groupe d'intérêt en hémostase périopératoire (GIHP) et groupe d'étude sur l'hémostase et la thrombose (GFHT) Prevention of venous thromboembolism and haemostasis monitoring in patients with COVID-19: Updated proposals Detection of anti-heparin-PF4 complex antibodies in COVID-19 patients on heparin therapy Vaccine-induced Immune Thrombocytopenia and Thrombosis (VITT) Propositions sur le maniement de l'argatroban, son suivi thérapeutique et la question particulière des « vaccine-induced immune thrombotic thrombocytopenia » (VITT) sous l'égide du GFHT. Version V2 High risk of thrombosis in patients with severe SARS-CoV-2 infection: a multicenter prospective cohort study College of Chest Physicians Evidence-Based Clinical Practice Guidelines